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Full text of "Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés du premier et du second ordre et collection intégrale, ou choisie, de la plupart des orateurs du troisième ordre"

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in  2012  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://archive.org/details/collectionintgra68mign 


COLLECTION 

INTÉGRALE   Eï   UNIVERSELLE 


DBS 


ORATEURS  SACRES. 


DEUXIÈME   SÉRIE, 


RENFERMANT   : 

l'  LES  OEUVRES  ORATOIRES  DES  PRÉDICATEURS  QUI  ONT  LE  PLUS  ILLUSTRÉ  LA  CHAIRE 
FRANÇAISE  DEPUIS  1789  ET  AU  DESSUS  *  JUSQU'A  NOS  JOURS, 

SAVOIR  : 

MOSMOREL,  DE    MONTIS,   J.  LAMBERT,  DE    LIGNY,   BERGIER  ,    DE3SAURET,    LENFANT,    DE     BEAtIVAlS,    CORMEAUX ,    DE 

BEAUREGARD.    DE   BOISGELIN,     DE    NOÉ,    COSSART,  GUÉNARD ,   GÉRARD,    LEGRIS    DUVAL,   l'aBBÉ    RICHARD, 

DE   LA   LUZERNE,   ASOT,    VILLEDIEU,    DE    BOULOGNE,    'DE     BILLY,     RIBIER,     DE    MONTBLANC,    MAUREL,    BERTIN, 

FEUTRIER,  SALAMON,   PERRET  DE  FONTENAILLES,  BORDERIES,  CAFFORï,    FOURNIER,    LONGIM,      BOUDOT  , 

DOUCET,   FRAVSSINOUS,    RORINOT ,    BOYER,    LABOUDERIE  ,  ROY,  f.UlLLON,    BONNEVIE,    OLIVIER,    ETC.,  ETC.  ; 

2»  LES  PLUS  REMARQUABLES  MANDEMENTS,  OU  DISCOURS 

DE  LEURS  ÉMINENCES  LES  CARDINAUX  DE  BOISALD,  ARCH,  DE  LÏON  ;  DUPONT,  ARCH.   DE  BOURGES; 

DOSSET  ,    ARCH.     DE    BORDEAUX  ;      VILLECOURT,     ANCIEN     ÉVÊQUE     DE     LA     ROCHELLE  ; 

DE   NOSSEIGNEURS    DEBELAY,     ARCH.    d' AVIGNON  ;  CHABVAZ,  ARCH.  DE  GÊNES;  BILLIET,    ARCH.  DE 

CHAMBÉRY  ;   DE  PRILLY,  ÉV.  DE  CHALONS;  DE  MARGUÉRYE,  ÉV.  d'aUTUN  ;  DE  MAZENOD,  ÉV.  DE 

MARSEILLE;    LACROIX,     ÉV.     DE    RAYONNE;    RIVET,     ÉV.    DE    DIJON;    MENJAUD,      ÉV.   DE    NANCY; 

ROESS,ÉV.  DE  STRASBOURG;  GUIBERT,  ÉV.  DE  VIVIERS;  GIGNOUX,  ÉV.  DE  BEAU  VAIS;  ANGEBAULT. 

ÉV.  d' ANGERS;  DUFETREjÉV.  DE   NEVERS;  GROS,  ÉV.  DE  VERSAILLES;    BUISSAS,  ÉV.  DE  LIMOGES; 

DEPÉRY,  ÉV.  DE     GAP;  LAURENCE,  ÉV.  DE  TAREES;  VICART,    ÉV.    DE    LAVAL;  DE  MORLHON, 

ÉV.  DU     PUY;   de    GARSIGNIES,     ÉV.    DE  SOISSONS;    DE    BONNECHOSE.  ÉV.  d'ÉVREUX;   FOUL- 

QUIER,  ÉV.   DE  MENDE;  PIE,  ÉV.  DE  POITIERS;  MABILLE.ÉV.  DE  ST-CLAUDE;  DUPANLOUP, 

ÉV.    d'oRLÉANS  ;  DE     DREUX-BRÉZÉ,   ÉV.    DE     MOULINS;      LYONNET,     ÉV.    DE    ST-FLOUR  ; 

REGNAULT,    ÉV .    DE  CHARTRES  ;  DANIEL,  ÉV.  DE  COUTANCES;    DE  LA   BOUILLEBIE,  ÉV. 

DE  CARCASSONNE  ;    PLANTIER,   ÉV.    DE  NÎMES;  DELALLE,  ÉV.  DE  RODEZ;  JOURDAIN,  ÉV. 

d'aOSTE;  VIBERT,  ÉV.  DE  MAURIENNE;  DELEBECQUE,  ÉV.  DE  GAND  :  MALOU,  ÉV.  DE 

BRUGES;  DE  MONTPELLIER,  ÉV.  DE  LIÈGE:  BOURGET,  ÉV.   DE  MONTRÉAL,  ETC.,   ETC.; 

ô»  LES  SERMONS 

DE  MGR  ROSSI,  PRÉLAT  DE  LA  MAISON  DU  SAINT-PÈRE  ;  Mil.  ROBITAILLE,  VIC.  GÉN.  d'ARRAS;  BRUNET, 

Vie.    GÉ.N.    DE    limoges;    LECOURTIER,  CHANOINE  ARCHIPRÈTRE    DE  NOTRE-DAME  A  PARIS;    FAUDET,    CURÉ 

DE    S.  ROCH,  IBID.;  GAUDREAU,  CURÉ  DE     S.     EUSTACUE,    IBID.  ;    PETIT,    CURÉ    A     LA    ROCHELLE  ;    DECHAMPS  , 

SUPÉRIEUR    DES    PP.    RÉDEMPTORISTES   DE  BRUXELLES;    COQUEREAU,  CHANOINE  DE  S.  DENIS;  GRIVEL,  ID.  ;     LIABC'.t?, 

CHAPELAIN  DE  l'EMPEREUR  ;  DASSANCE,  CHANOINE  DE  RAYONNE;  LALANNE,    DIRECTEUR    DU  COLLÈGE  STANISLAS; 

MAUPIED,     SUPÉRIEUR    DE     l'iNSTITUTION    DE    GOURIN  ;    CARBOY,     PÈRE    DE    LA     MISÉRICORDE;  VIDAL,  DU 

CLERGÉ   DE   PARIS;  BARTHÉLÉMY,    ID.  ;  NOËL,  ID.;  CASSAN  DE    FLOYRAC,  ID.,  CORBLET,    DU  CLERGÉ 

d'AMIENS;     CABANES,   ID.     DE     TOULOUSE;    BARTHE  ,    ID.     DE    RODEZ,    ETC.; 

4»  UN  COURS  DE  PRONES 

TIRÉS  DES  MEILLEURS  PRONISTES  ANCIENS  ET  BIODERNES, 

5»  UNE  SÉRIE  D'OUVRAGES  SUR  LES  RÈGLES  DE  LA  BONNE  PRÉDICATION  ; 

{Ces  prvnistes  et  ces  maîtres  de  l'art  seront  nominativement  énoncés  sut  les  litres  subséquents  de  cette  collection) 

PUBLIÉE 

PAR  M.  L'ABBÉ  MIGNE  , 

ÉDITEUR  DE  L4  BIBLIOTHÈQUE  UNIVERSELLE  DU  CLERGÉ , 

ou  DES  COURS  COMPLETS  SUR  CHAQUE  BRANCHE  DE  LA   SCIENCE  HBLIGIEUSK. 


33  VOL.  IN-4*.   PRIX  :  5  FR.  le  vol.  pour  le  souscripteur  a  la  SÉRIE  entière;    6    FR.    POUR   LE  SOUSCRIPTEUR 

A    TEL    OU    TEL    ORATEUR    EN    PARTICULIER. 

TOME  SOIXANTE-HUITIÈME  ©E  LA  PUBLICATION  ENTIÈRE  ET  TOME   PREMIER 

DE  LA  SECONDE  SÉRIE, 

CONTENANT  LES   OEUVRES  ORATOIRES  COMPLÈTES   DE   DE  MONTlS,  MONMOREL,  MAUREL, 

J.    LAMBERT  ET    RIBIER. 


S'IMPRIME  ET  SE  VEND  CHEZ  J.-P.  MIGNE,  EDITEUR, 

AUX   ATELIERS   CATHOLIQUES,    RUE  D  AMBOISE,   AU    PETIT-MONTROUGE, 

BARRIÈRE    d'enfer    DE    P4RI8. 

jà,'-'  —  ,  -^  -^  '^ 

^    ^856        ^^ 

"  Pour  Monmorel,  de  .Monlisct  J.Lambert, oubliés  dansJa-We^ère  série. 

•>  îtawa-^N 


SOMMAIRE 

DES  MATIÈRES  CONTENUES  DANS  LE  SOIXANTE-HUITIÈMS  VOLUMci 

DE   LA    PUBLICATION   E.NTIÈRE, 

ET  TOME  PREMIER  DE  LA   SECONDE  SÉRIE. 


DE   MONTIS. 


Avis  de  l'éditeur  et  notice  sur  de  Montis. 
Discours  de  retraite  pour  les  religieuses. 
Analyse  des  Discours. 


lAuiice  sur  Monmorel. 
SeriEons. 


TNotice  swMaurel. 
Retraite  ecclésiastique. 


Notice  sur  Ribier. 

Sermons. 

Conférences. 

Discours  de  première  communion. 


"Notice  sur  Lambert. 
Retraite  ecclésiastique. 


MONMOREL. 


MAURKL. 


RIBIER. 


J.  LAMBERT. 


Col. 


9 

11 

iill 


kh'S 
Ibid. 


613 
617 


8V1 

Ibid. 
909 
927 


939 
Ibid. 


\JA 


Iiiipiimerie  MiGiMO,  au  Pelil  Monlrouge. 


AVIS  DE  L'EDITEUR. 


Nous  nous  laisons  un  uevoir  a e  repro- 
duire ici  la  Retraite  de  de  Monlis,  quoi- 
qu'elle soit  pL'u  connue  du  publir  et  igno- 
rée même  de  la  plupart  des  bibliographes, 
parce  que  peu  d'orateurs  ont  traité  les 
grandes  vérités  de  la  foi  sous  le  point  de 
vue  de  la  vie  religieuse,  et  parce  que  les 
discours  qui  composent  cette  Uotraile  sont 
des  modèles  de  simplicité,  de  logique,  et 
empreints  de  cet  esprit  évangéliquo  qui 
touclie  le  cœur  en  éclairant  l'esprit-  Oon 
trouvera  dans  les  discours  de  de  Montis 
non  drs  fleurs  de  rhétorique,  mais,  ce  qui 
est  infiniment  plus  précieux,  une  connais- 
sance parfaite  du  cœur  huma.it),  des  détails 
précieux  pour  un  prédicateur  de  retraite. 


Nous  regrettons  do  ne  pouvoir,  selon 
notre  usage,  faire  connaître  l'abbé  de  Mon- 
tis par  une  courte  notice  historique.  Nous 
ignorons  le  lieu  de  sa  naissance,  à  quel  dio  • 
cèseil  appartenait.  Par  le  titre  de  ses  Dis' 
cours  (le  retraite  nous  apprenons  qu'il  était 
docteur  en  théologie ,  censeur  royal  et 
membre  de  l'académie  dos  belles-lettres  de 
la  Rochelle.  Ses  discours  sont  dédiés  aux. 
dames  religieuses  de  l'Annonciade  céleste 
de  Saint-Denis,  dont  il  était  le  supérieur 
depuis  longtemps,  lorsqu'il  les  fit  im[)ri- 
mer.  L'on  ne  connaît  pas  d'autres  œuvres 
de  l'abbé  de  Montis.  11  paraît  au'il  est  mort 
vers  la  tin  du  xvm"  siècle 


ŒUVRES  ORATOIRES 

DE  L'ABBÉ  DE  MONTIS 

DISCOURS  DE  RETRAITE 

POUR  LES    RELIGIEUSES. 

ODVRÂGE   DÉDIÉ  AUX   DAMES  UELIGIEUSES  DE  l'aIVN'ONCIADE  CÉLESTE  DE  S. -DENIS. 


AUX  RELIGIEUSES  DE  L'ANNONCIADE  CELESTE  DE  SAINT-DENIS. 


Mesaames  ei  très -chères  filles  en  Noire- 
Seigneur. 

Appelé',  il  y  u  longtemps,  par  la  divine 
Providence,  à  la  supériorité  de  votre  mai- 
son ,  je  ne  tardai  pas  à  reconnaître  que 
vous  aiitz  conservé,  dans  son  intégrité,  l'es- 
prit de  votre  saint  institut.  J'en  bénis  le  Sei- 
gneur et  je  sentis  dès  lors  que  je  ne  devais 
rien  négliger  pour  entretenir  parmi  vous 
un  bien  si  précieux,  et  malheureusement  trop 
rare  de  nos  jours.  Je  résolus,  à  cet  effet,  de 
vous  donner  une  suite  d'instructions,  toutes 
relatives  aux  principaux  devoirs,  aux  obser- 
vances les  plus  iinporlanlcs  de  l'état  reli- 
gieux. Le  désir  empressé  que  vous  témoi- 
gnâtes de  les  entendre,  l  attention  avec  la- 
quelle vous  avez  toujonrs'paru  les  écouter, 
les  heureux  fruits  qu'elles  ont  produits  par 
la  grâce  du  Seigneur,  et  dont  j'ai  été  plus 
d  une  fois    témoin,  ont  constammcn'  toutenu 

OHATLLliS    SACHES.  LXVlll, 


mon  courage  et  abondamment  récompensé  mon 
zèle.  Ce  sont  ces  mêmes  instructions  que  je 
vous  présente  aujourd'hui ,  sous  la  forme 
d'une  retraite.  Jen'ai  eu  besoin,  pour  la 
compléter,  que  d'y  ajouter  quelques  discours 
sur  les  grandes  vérités  de  la  religion,  qui 
doivent  être  l'objet  de  vos  méditations,  pen- 
dant ers  saints  exercices.  Si,  en  les  pronon- 
çant de  vive  voix,  j'ai  eu  le  bonheur  de  con- 
tribuer à  votre  perfection,  combien  n'ai-je 
pas  lieu  d'espérer  qu'une  lecture  assidue  et 
réfléchie  de  ces  instructions  vous  les  rendra 
encore  plus  utiles? 

Il  me  reste  à  »/<e  recommander,  et  plus  ins- 
tamment que  jamais ,  à  la  ferveur  de  vos 
prières.  L'âge  auquel  je  suis  parvenu  m'an- 
nonce assez  que  je  touche  au  terme  de  ma  vie. 
Demandez,  pour  moi,  à  voire  céleste  époux, 
la  grâce  de  terminer  saintement  des  jours 
que  je  n'aurais  dii  employer,  qu'' au  salut  dis 
û  nés  et  à  ma  propre  sanriificulion. 


ORATEURS  SACRES.  L'ARBE  DE  MONTIS. 


Je  suis  dans  les  sentiments  d'estime,  d'atta- 
ihement  et  de  vénération  que  vos  vertus 
n'ont  inspirés, 

Mesdames  et  1res  chères  filles, 


12 

Votre  très- humble  et  très  affec- 
tionné serviteur  en  Nutre- 
Seigncur, 

De  Montis. 


AVERTISSEMENT 


Quoiquil  existe  déjà  plusieurs  .ivres  ae 
retraite,  h  l'usage  des  personnes  reli- 
gieuses, j'ai  cru  pouvoir  encore  leur  offrir 
l'elui-ci.  Ceux  qu'elles  ont  entre  les  mains 
ne  contiennent,  [)Our  la  plupart,  que  de 
courtes  méditations,  [)lus  propres  5  toucher 
le  cœur  qu'à  éclairer  l'esprit.  J'ai  tâché 
de  réunir  ici  ces  deux  avantages,  parce  que 
l'un  et  l'autre  m'ont  paru  également  néces- 
sa-jres.  C'est  dans  celle  vue  que  j'ai  pris  à 
lâciie  que  chacun  de  ces  discours  fût  comme 
un  petit  traité,  soit  sur  la  vérité,  soit  sur 
la  vertu,  ou  sur  l'observance  qui  en  est 
l'objet.  Ainsi,  au  défaut  do  prédicateurs 
qui'sont  devenus  plus  rares  que  jamais,  de 
ceux  du  moins  qui  se  soni  appliqués  à  con- 
naître parfiulement  l'esprit  et  les  devoirs  de 
la  profession  monastique,  lorsque  des  reli- 
gieuses voudront  faire  en  commun  les 
exercices  de  la  retraite  qui  est  d'usage  dans 
la  plus  grande  pariio  des  communautés, 
l'une  d'entre  elles  pourra  lire,  devant  les 
sœurs  assemblées,' aux  heures  marquées 
par  la  supérieure,  les  trois  discours  indi- 
<jués,  pour  chaque  jour  de  la  retraite.  Si 
t.'iles  veulent  aussi  aiéditer  en  commun 
sur  les  discours  qu'elles  auront  entendus, 
la  religieuse  leur  lira  de  même,  à  diverses 
reprises,  les  analyses  que  j'ai  placées  à  la 
lin  des  volumes,  et  que  j'ai  réduites  en 
IJOints  de  méditations,  avec  le  plus  de  pré- 
cision et  de  clarté  qu'il  m'a  été  possible; 
sinon,  elles  pourront,  chacune  en  particu- 
lier, faire  celle  méditation,  le  livre  à  la 
main. 

Puisse  le  Dieu  de  miséricorde  répandre 
sur  la  lecture  de  cet  ouvrage  ses  plusabon- 
•danies  bénédictions  I  II  m'est  témoin  qu'en 
le  composant  je  n'ai  eu  d'autre  intention 
que  de  conduire,  autant  qu'il  serait  en 
moi,  ses  chastes  épouses  à  la  perfection  à 
laquelle  elles  se  sont  dévouées,  en  embras- 
sant r^iat  religieux. 


Au  reste,  j'ai  mis  toute  mon  application 
à  garder  un  juste  milieu  entre  l'excès  de 
l'indulgence  et  celui  de  la  sévérité.  C'est 
pourquoi  je  me  suis  fait  un  devoir  d'adop- 
ler  les  principes,  et  de  suivre  les  maximes 
de  saint  François  de  Sales  et  de  sainte  Thé- 
rèse. Personne  n'ignore  que  l'un  et  l'autre 
joignaient  à  l'esprit  le  plus  solide,  aux  lu- 
mières les  plus  sublimes,  à  la  sainteté  la 
plus  éminente,  une  parfaite  connaissance 
du  cœurhuraain,  et  que  dans  leur  conduite, 
comme  dans  leurs  écrits,  ils  ont  toujours 
paru  avoir  égard  à  ses  faiblesses. 

Malgré  ces  protestations  que  je  crois  de- 
voir ot)'poser  d'avance  aux  fausses  imputa- 
lions  de  mes  ennemis  (car  qui  n'en  a  pasi) 
si  quelques  religieuses  trt>uvaient  trop  aus- 
tère la  morale  contenue  dans  ces  discours, 
je  les  conjure  de  réfléchir  sur  les  engage- 
ments solennels  qu'elles  ont  contractés  avec 
Dieu,  en  se  consacrant^  d'une  manière  si 
particulière  à  son  service;  je  les  conjure 
de  se  transporter  en  esprit  au  lit  de  la 
mort,  ou  plutôt  au  tribunal  de  leur  souve- 
rain Juge,  et  de  se  demander  à  elles-mêmes 
ce  qu'elles  voudraient  avoirfait  alors.  C'est 
le  vrai  moyen  de  juger  de  tout  sans  pré- 
vention, sans  illusion;  c'est,  de  plus,  un 
puissant  motif  d'embrasser  avec  courage, 
et  de  supporter  avec  persévérance,  une  vie 
pénible  et  mortifiée,  indispensable  pour 
tout  chrétien,  et  plus  encore'  pour  des  per- 
sonnes religieuses,  pour  des  épouses  de 
Jésus  crucifié. 

Je  les  conjure  enfin,  surtout  celles  à  qui 
cet  ouvrage  aura  pu  être  de  quelque  uti- 
lité pour  le  bien  de  leur  âme,  de  prier 
souvent  pour  moi  leur  divin  Epoux,  afin, 
comme  le  disait  l'apôtre  saint  Paul  (I  Cor., 
!X,  27),  qu'après  avoir  montré  aux  autres 
la  voie  du  salut  et  de  la  perfection,  je  n'aie 
pas  moiraême  le  malheur  d'être  du  nombre 
des  réprouvés. 


DISCOURS   DE   RETRAITE 


POUR  LES  RELIGIEUSES 


LA  VEILLE  DE  LA  RETRAlTti. 

SUR   LA   RETRAITE. 

Ecce  nunc  tempus  acceplabile,  ecce  nunc  dies  salulls. 
(Il  Cor.,  VI, ,2.) 
Voici  maintennnl  un  tetnv$  favorable,  voici  des  jours  de 


Notre  Dieu,  Mesdames,  nous  ayant  tous 
créés  pour  le  servir,  pour  le  glorifier  par 
nos  œuvres  et  pour  mériter  par  là  ses  ré- 
compenses éternelles,  tout  le  temps  et  tous 
les  jours  qu'il  nous  accorde  et  que  nous 
avons  à  passer  sur  la  terre,  doivent  donc 


15 


DISCOURS  DE  UETRAITE.  -  LA  VEILLE  DE  LA  RETRAITE. 

PREMIERE    PARTIE. 


(4 


ôire  pour  nous  vérilablemonl  un  (omps  ot 
dos  jours  de  salul;  cependant,  parmi  ces 
lours,  il  en  est  de  plus  convenables,  de  plus 
|)ropres  à  travailler  avec  succès  à  celle 
grande,  à  celte  impcrlanle  all'aiie  de  noire 
salut  éternel  ;  tels  sont  ceux  que  l'Eglise  a 
consacrés  à  honorer  spécialement  les  mys- 
tères de  notre  sainte  relit^ion  ou  à  célébrer 
la  mémoire  des  chrétiens  qui ,  par  l'éclat 
et  l'éminence  de  leur  sainteté  ,  ont  mérité 
d'être  placés  sur  les  autels  :  tels  sont  sur- 
louîs,  Mesdames,  ces  jours  que  vous  vous 
disposez  à  passer  dans  la  solitude,  dans  la 
retraite  ;  chaque  année,  l'on  vous  voit  (ido- 
les à  renouveler  ces  sainls  exercices;  moins 
occupées  alors  et  plus  retirées  qu'en  tout 
autre  temps,  vous  paraissez  uuifjuement 
livrées  h  la  médi talion  des  vérités  les  plus 
importantes  de  la  religion;  dégagées  de 
tout  autre  affaire,  vous  paraissez  ne  vous 
occuper  alors  que  de  la  grande  affaire,  et  à 
parler  proprement,  de  l'unique  affaire  qui 
doive  occuper  sur  la  terre  une  âme  chré- 
tienne ,  l'affaire  de  votre  sanctificalion. 
Hélas!  Mesdames,  une  seule  de  ces  retrai- 
tes pourrait  vous  l'aire  des  saintes,  et  a  lait 
bien  des  sainls  et  bien  des  saintes  en  effet; 
combien  cependant  qui  en  sortent  toujours 
comme  elles  y  sont  entrées,  ou  qui  conser- 
vent, pendant  bien  peu  de  temps,  lus 
sentiments  de  ferveur  et  les  projets  de 
réforme,  de  perfection  qu'elles  y  avaient 
conçus  1  Pourquoi  des  exercices,  siavanta- 
^eus.  en  eux-mêmes,  le  sont-ils  si  peu,  à 
grand  nombre  de  personnes  religieuses  ? 
Ah!  pour  les  unes,  c'est,  avant  de  s'y  li- 
vrer, défaut  dans  les  motifs;  pour  d'autres, 
c'est,  en  s'y  livrant,  défaut  dans  les  dispo- 
sitions; je  veux  dire  qu'il  en  est  qui  entrent 
en  retraite,  plutôt  par  coutume  ou  par  res- 
pect humain  peut-être,  que  par  un  vrai  dé- 
sir de  s'v  sanctifier;  qu'il  en  est  d'autres 
qui,  conduites  à  la  retraite,  par  un  motif 
chrétien  et  religieux,  ne  s'y  comporlent  pas 
de  façon  à  en  tirer  un  grand  l'ruit. 

Or  j'entreprends  ici ,  Mesdames,  de  rec- 
tifier sur  cela  et  de  rendre  pures  et  saintes 
tout  à  la  fois  vos  intentions  et  vos  disposi- 
tions ;  pour  cela  je  dis,  en  premier  lieu,  que 
le  temps  de  la  retraite  est  un  temps  des 
plus  favorables  pour  traiter  de  l'allaire  de 
votre  salul:  Ecce  nunc  tempus  acceplabite ; 
vous  devez  donc  y  entrer  avec  la  [dus  gran- 
de.pureté  d'intention;  j'ajoute,  en  second 
lieu,  que  ces  jours  consacrés  à  la  retraite 
sont  les  jours  les  plus  propres  à  assurer 
l'affaire  de  votre  salut:  Ecce  nunc  (lies  sa- 
lutis  ;  vous  devez  donc  les  em[)loyer  à  celle 
noble  fin. 

En  deux  mots,  les  rnolifs  puissants  qui 
doivent  vous  engnger  à  faire  la  retraite: 
ce  sera  le  sujet  de  la  première  partie 
de  ce  discours  ;  les  dispositions  saintes 
dans  lesquelles  vous  devez  faire  la  re- 
traite :  ce  sera  le  sujet  de  la  seconde  partie. 
Honorez-moi,  s'il  vous  plaît,  de  toute  vo- 
tre alteulion.ylic,  iJiaria. 


Pour  vous  faire  sentir  ici,  Mesdames, 
combien  il  est  important  ?i  tout  chrétien  , 
dans  quelque  situation  qu'il  puisse  être,  do 
se  retirer  quelques  jours  dans  la  solitude, 
pour  s'occu|)er  sérieusement  et  uniquement 
de  l'affaire  de  son  salut,  et  combien  par 
conséquent  il  vous,  est  important  à  vous- 
mônios  de  vous  y  livrer,  jo  pourrais  vous 
faire  remarquer  que  noire  Dieu  Sauveur, 
qui  est  noire  chef  et  qui  doit  ôlre  notre 
modèle  à  tous,  nous  a  donné  cet  exemj)le  ; 
(]ue  pendant  les  Irois  années  où  il  s'est 
montré  aux  hommes,  pour  opérer  le  grand 
ouvrage  de  notre  rédnm[)lion,  et  où  il  était 
occupé  à  annoncer  le  royaume  de  son  Père 
éternel,  il  se  retirait  do  temps  en  temps, 
dans  le  désert,  pour  s'y  livrer  uniquement  à 
la[)rière,  et  qu'il  passait  quelquefois  les  nuits 
entières  dans  ce  saint  exercice  :  Eratperno- 
ctans  in  oralione.  {Luc. ,Yl,  12.)  Je  pourrais 
vous  dire,  de  plus,  que  ce  qu'a  fait  lui-môme 
ce  Dieu  Sauveur,  il  a  voulu  que  ses  apôtres 
et  ses  disci[)les  le  tissent  comme  lui  et  avec 
lui;  que,  quoiqu'ils  ne  fussent  occupés  qu'à 
le  faire  connaître  pour  le  Messie,  qu'à  prê- 
cher aux  Juifs  la  doctrine  salutaire  qu'ils 
entendaient  de  sa  propre  bouche,  et  qu'à 
les  porter  à  se  sanctifier  en  leur  apprenant 
à  y  conformer  leur  conduite,  cependant  ce 
divin  Maîlre  leur  faisait  quelquefois  inter- 
rompre leurs  travaux  apostoliques,  et  les 
invitait  à  venir  dans  la  solitude,  pour  s'y  dé- 
lasser un  peu,  pour  y  goûter  plus  à  loisir 
les  charmes  de  ses  entretiens  tout  divins, 
etjpour  se  mettre  par  là  en  état  de  travail- 
ler avec  plus  de  succès  à  la  gloire  de  Dieu 
son  Père,  en  travaillant  avec  plus  d'ardeur 
ou  salut  des  âmes  et  à  leur  propre  salul: 
Ycnile  in  dcscrtuin  locum  et  reauiescite  pu- 
sillum.  {Marc,  VJ,31.) 

Mais  pour  vous  rendre  celte  vérité  plus 
sensible,  et  pour  vous  faire  connaître,  plus 
clairement  encore,  les  grands  avantages 
que  procure,  dans  l'ordre  du  salut,  une  re- 
traite bien  faite,  je  dis  de  plus,  qu'elle  est 
utile,  nécessaire  même  à  la  religieuse,  dans 
quelqu'état  que  puisse  être  son  âme  ;  en 
clfet ,  Mesdames,  ou  elle  a  le  malheur,  celte 
âme,  d'êlre  dans  le  péché  et  dans  la  disgrâce 
du  Seigneur,  ou  elle  est  heureusement 
dans  sa  grâce  et  dans  son  amitié:  or  je  dis 
que,  dans  lequel  de  ces  deux  états  qu'elle 
se  trouve,  la  relraile  lui  est  nécessaire; 
suivez-moi,  s'il  vous  plaît,  et  vous  en  con- 
viendrez aisément  avec  moi. 

I.  Je  dis,  en  [)remier  lieu,  que  la  retraite 
est  nécessaire,  surtout  à  une  âme  qui  est 
dans  l'état  du  péché.  Hélas  I  Mesdames, 
vous  le  savez,  cent  fois  vous  l'avez  entendu 
dire,  qu'il  n'y  a  plus  ni  loi ,  ni  religion  ,  m 
f)iélé  dans  le  monde,  qu'on  n'y  voit  que 
scandale  ;  que  le  vice  et  le  libertniage  sem- 
blent y  dominer  de  ton  le  part,  qu'il  n'est 
plus  d'étal,  de  condition  dans  le  siècle,  qui 
ne  s'en  trouve  infecté;  que  la  vertu  y  est 
méprisée,  raillée,  persécutée  même  quel- 
quefois,  qu'il  n'y  a  plus   qu'un  très-petit 


ORATEIHS  SACRES.  L'ABDE  DE  MONTIS. 


16 


nombre  do  chrétiens  qui  aient  le  courage 
(le  tenir  contre  la  coutume  et  d'ficeomidir 
nuv-ertemenl  les  engagements  de  leur  bap- 
vônic,  qui,  bien  loin  de  rougir,  comme  tous 
les  autres,  de  Jésus-Clirist  et  de  son  Evan- 
gile, osent  y  conformer  leur  conduite  ;  que 
le  Seigneur  se  les  conserve,  au  milieu  d'un 
monde  aussi  corrompu,  pour  juger  et  pour 
condamner,  au  jour  de  ses  vengeances,  ce 
grand  nombre,  ce  nombre  prodigieux  de 
chrétiens  prévaricateurs,  qui,  non  contents 
de  transgresser  sa  sainte  loi,  travaillent 
par  leurs  discours,  parleurs  railleries,  par 
leurs  sollicitations,  par  leurs  mauvais  exem- 
ples, et  quelques-uns  même,  par  leurs  in- 
tûmes écrits,  à  la  faire  mépriser  et  trans- 
gresser par  les  autres;  voilà  ce  (|ue  vous 
avez  entendu  dire,  et  l'on  vous  a  dit  vrai; 
■bien  loin  d'exagérer,  je  [)uis  vous  l'assurer 
ici,  il  s'en  faut  bien  qu'on  vous  ait  peint  le 
inonde  tel  qu'il  est,  et  qu'on  vous  ait  donné 
une  parfaite  idée  de  toute  sa  perversité; 
cent  l'ois  on  en  a  gémi  devant  vous,  et  cent 
iois  vous  en  avez  gémi  vous-mêmes. 

Or  quelle  peut  être  la  cause  de  cette  cor- 
ruption si  étendue,  et  qui  gagne  insensible- 
ment tous  les  t'talsdans  le  monde? La  cause, 
-ah  1  Mesdames,  ce  n'est  point  moi  qui  vous  la 
découvrirai, c'est  le  Saint-Esorit  lui-même 
par  I3  bouched'un  prophète, c'esi que  le  njoii- 
jene  réfléchilpointsur  loutcequi  a  rapporta 
])ieuetau  salut  :  Noneslguirecogilet  incorde. 
{Isa.,  LVII,  1.)  Oui,  si  le  désordre  est  général 
dans  le  monde,  et  si  général  qu'il  n'est  plus 
personne  ou  presque  personne  qui  fasse  le 
bien  :  iVon  est  qui  facial  bonum ,  non  est 
iisque  ad  uniim  [PsaL,  LU  4.},  c'est  que 
personne  ne  porte  ses  iiées'sur  les  vé- 
l'ités  de  la  religion;  c'est  que  bien  loin  de 
réfléchir  sur  ces  grandes  et  importantes  vé- 
rités, on  craint  même  d'y  penser,  on  évite 
tout  ce  qui  pourrait  y  faire  penser;  c'est 
que,  si  elles  viennent  quelquefois  se  pré- 
senter, comme  naturellement  à  l'esprit,  on 
n'omet  rien  pour  se  distraire  ;  on  les  éloi- 
gne avec  soin,  comme  des  vérités  toujours 
tristes,  accablantes  pour  une  âme  livrée  au 
péché  et  attachéeau  péché,  jusqu'à  ne  vou- 
loir pas  le  quitter. 

Mais  pour  vous  mieux  faire  sentir,  Mes- 
dames, cette  vérité,  pour  vous  prouver  plus 
clairement  encore  que  c'est  le  défaut  de 
léHexion,  que  c'est  une  dissipation  conti- 
nuelle de  l'esprit,  qui  cause  et  qui  entre- 
tient dans  une  âme  l'éloigncment  de  son 
Dieu  et  l'oubli  de  son  salut;  je  dois  descen- 
dre ici  du  général  au  particulier,  etdu  milieu 
du  monde  passer  avec  vous  dans  l'inté- 
rieur du  cloître;  pourquoi  y  voit-on  quel- 
quefois la  même  dissipation,  la  même  in- 
dévotion, les  mêmes  dérèglements  peut-être 
que  dans  le  monde  ?  Voyez  cette  religieuse 
aujourd'hui  la  croix  de  ses  supérieurs  et 
le  scandale  de  ses  sœurs  ;  quel  prodigieux 
changement  dans  elle  1  Après  avoir  montré 
le  plus  grand  empressement  pour  renoncer 
au  monde  et  [)Our  seconsacrer  à  son  Dieu; 
après  avoir  surmonté  avec  un  courage 
qu'on    ne  pouvait  assez  admirer,  tous  les 


obstacles  qui  s'opposaient  à  l'exéi-ution  de 
ses  desseins,  on  la  vil  coujmencer  à  pour- 
suivre sa  carrière  de  préparalion  et  d'é- 
preuve, avec  une  exactitude  et  une  fidélité 
qui  ne  permit  pas  de  do^uier  que  le  Sei- 
gneur ne  l'appelât  en  effet  au  saint  état 
de  la  religion  ;  cette  ferveur  qui  l'avait 
animée,  pour  se  disposer  à  ses  engagements 
solennels,  une  fois  formés  ces  engagements, 
elle  la  fil  paraître  encore  ;  rien  de  plus 
régulier,  dans  les  commencements  de  sa 
vie  religieuse  ;  prières  ,  lectures  ,  médi- 
tations ,  confessions  et  communions  Iré- 
quenles  ;  mortification  des  sens,  assiduité 
à  tous  les  exercices  ;  pratique  exacte  de 
toutes  ses  observances,  humilité  sincèr^', 
déiachement  entier  des  créa'lures  et  d'elle- 
même  ;  obéissance  aveugle  aux  ordres  de 
ses  supérieurs,  charité  universelle  envers 
ses  sœurs, sui)port  de  leurs  défauts,  courage 
et  patience  à  souffrir  toutce  qui  pouvait  la 
contrarier,  la  mortifier;  rien  en  un  molde  plus 
leligieux  etde  plus  édifiantque  sa  conduite, 
dans  ces  premiers  temps; je  dis,  dans  ces 
premiers  temps  ;  car,  hélas  1  que  ces  beaux 
jours  durèrent  peu  1  Quelle  opposition 
entre  sa;  conduite  passée  et  sa  conduite 
actuelle  1  Quelle  diûerence  entre  ce  quelle 
était  alors  et  ce  qu'elle  est  aujourdhui  I  A 
peine  pourrait-on  croire  que  c'est  la  même 
personne  :  amour  d'elle-même,  recherche 
excessive  de  ses  commodités  ;  nulle  défé- 
rence, nulle  soumission  pour  ses  supé- 
rieurs ;  nul  égard,  nulle  cliarilé  [lour  ses 
sœurs,  nulle  assiduité  h  ses  exercices,  à 
ses  observances,  dont  elle  ne  parle  plus 
qu'avec  mépris,  et  jusqu'à  railler  celles 
qui  s'y  montrent  exactes  et  régulières,  ou 
qui  osent  lui  donner  de  sages  avis  ;  car 
voilà  ce  qu'il  y  a  de  plus  déplorable,  c'est 
que  son  cœur  déréglé  a  malheureusement 
perverti  son  es{)rit  ;  non-seulement  elle  ne 
se  conduit  plus  en  religieuse,  mais  elle  ne 
pense  presque  plus  en  chrétienne  ;  aux 
mauvais  exemples  qu'elle  donne  à  ses  sœurs, 
peut-être  va-t-elle  jusqu'à  leur  débiter 
des  principes  et  des  maximes  propres  à 
les  pervertir,  ou  à  les  convaincre  du  moins 
du  peu  de  cas  qu'elle  fait  de  la  religion, 
des  pratiques  et  des  devoirs  qui  y  sont  atta- 
chés :  telle  est  sa  conduite, conduite  toute 
sensuelle,  toute  dissi[)ée ,  toute  scanda- 
leuse; voilà.  Mesdames,  ce  que  l'on  voit 
assez  souvent,  et  aujourd'hui  i)lus  que  ja- 
mais, dans  la  religion,  et  si  à  ce  poitiaiL 
vous  ne  reconnaissez  aucune  de  vous,  ren- 
dez-en grâces  au  Seigneur,  mais  vous  n'eu 
devez  veiller  qu'avec  plus  d'attention  sur 
vous-mêmes.  Or  qui  a  pu  causer  un  si  pro- 
digieux cliaijgement  dans  cette  épouse  de 
Jésus-Christ,  et  aujourd'hui  si  indigne  de 
cet  honorable  titre?  Ahl  Mesdames,  si  elle 
était  de  bonne  foi,  ou  si  jamais  elle  rentre 
en  elle-même,  elle  avouera  que  c'est  le 
défaut  de  réflexion  qui  a  commencé  son  dé- 
sordre et  son  malheur;  que  tant  qu'elle  a 
été  assidue  à  méditer  les  grandes  eiimjior- 
tantes  vérités  de  la  religion,  elle  s'est  sou- 
tenue dans  sa  ferveur,  dans  sa  régularité: 


17 


DISCOURS  DE  RETRAlTi;.  —  lA  MALLE  DE  LA  RETRAITE. 


18 


plié  avouera  quo  ses  infidélités  ont  com- 
mencé lorsqu'elle  a  commencé  à  se  dégoû- 
ter du  saint  exercice  de  l'oraison  et  à  l'aban- 
donner; que  r'est  ce  qui  l'a  jetée  dans  une 
dissipation  d'esprit  qui  lui  a  fait  perdre  de 
vue  et  la  sainteté  de  son  élat  et  les  grandes 
obligations  qu'il  impose,  etqiie  cettedissipa- 
tiondevenuebirnlùt  liabiluelie  l'a  précipitée 
cnlin  dans  un  abîme allVeux  de  péchésetdo 
|irévaricalions;  voil^  ce  qu'elle  pourrai!  dire 
avec  vérité  :  ce  n'est  pas  que  dans  les  com- 
mencements surtout  (ju'flle  s'éloigna  de ^on 
Dieu,  sa  conscience  ne  s'élevât  quelquefois 
contre;  elle  et  ne  lui  reprocli.U  son' chan- 
gement do  dispositions  et  de  conduite: 
heureuse  alors  si,  profilant  de  ces  remords 
qui  étaient  autant  de  grâces  qu'elle  rece- 
vait encore,  elle  fût  renirée  en  elle-môuie  ; 
revenue  h  elle,  elle  serait  bientôt  revenue 
à  son  Dieu  :  mais  qu'arrivait-il  ?  C'est  qu'au 
lieu  d'écouter  ces  reproches  intérieurs  et 
d'en  prolitor,  voulant  rester  dans  son  étal 
d'intîdélité,  elle  les  rejetait  comme  des  pen- 
sées tristes  et  importunes  elle  évitait  avec 
soin  tout  ce  qui  pouvait  les  faire  naître  ; 
elle  cherchait  par  sa  dissipation  continuelle 
à  s'étourdir  sur  son  état  ;  c'est  donc  toujours, 
comme  vous  le  voyez,  .Mesdames,  le  défaut 
de  réflexion  qui  plonge  et  qui  entretient 
une  âme  dans  l'état  du  péché,  dans  l'éloi- 
gnement  de  Dieu. 

Or  le  propre  de  la  retraite,  de  la  soli- 
tude, c'est  de  produire  un  effet  tout  opposé, 
dans  une  personne  et  une  personne  reli- 
gieuse surtout  qui  s'est  malheureusement 
éloignée  du  Seigneur.  Que  de  solides,  que 
d'utiles  rétlexioMS  lui  viennent  alors  à  l'es- 
prit! Que  d»!  vérités  saintes  se  (iréseutent  à 
elle,  et  qui,  lui  faisani|connaître  ses  devoirs 
et  comme  chrétienne  et  comme  religieuse, 
la  forcent,  [lour  ainsi  dire,  do  retournera  son 
Dieu;  elle  reconnaît  alors,  cette  religieuse, 
elle  sent  que  faite  pour  le  ciel,  comme  chré- 
tienne, que  destinée  à  une  place  élevée  dans 
le  ciel  comme  épouse  de  Jésus-Christ,  elle 
n'a  tlû  rien  négliger  [)Our  s'assurer  cette  fé- 
licité éternelle  ;  elle  voit  dès  lors  le  dépouil- 
lement total  où  la  mort  la  réduira,  et  bien- 
tôt peut-être  le  compte  exact  et  rigoureux, 
qu'au  sortir  de  ce  monde  elle  rendra  à  sou 
Sauveuret  son  époux,  devenu  alors  son  Juge 
souverain  ;  elle  voit  les  bienfaits  généraux 
et  particuliers  qu'elle  a  reçus  de  lui,  ce  bien- 
fait privilégié  surtout  de'sâ  vocation  à  l'état 
religieux,  ces  grâces  singulières  et  sans  nom- 
bre qu'il  lui  a  faites,  en  conséquence  de  sa 
vocation  ;  elle  voit  et  reconnaît  clairement 
alors,  cette  religieuse  ,  la  nature  du  péché, 
son  opposition  avec  Dieu;  combien  il  est 
funeste  à  l'âme  qui  s'y  livre;  elle  voit  clai- 
rement combien  il  lui  a  été  funeste  à  elle- 
môme  ;  que  ce  n'est  que  pour  n'avoir  point 
assez  connu  ni  craint  assez  les  fautes  légères, 
qu'elle  est  ton;bée  dans  des  fautes  grièves, 
Uaiis  celles  qui  ionnent  la  mort  à  l'âme;  en 
ujéiJilant  sur  la  vengeance  terrible  que  Dieu 
tire  du  yéché  dans  l'enler  ,  sur  l'état  déplo- 
rable d  une  âme,  cl  d'une  âme  religieuse, 
qui  destinée  h  jouir  éternellcnient  de  sou 


Dieu  dans  le  ciel,  s'en  trouve,  par  sa  faute, 
privée  pour  toujours,  et  condamnée  avec  les 
démons  et  les  réprouvés  à  des  tourments 
alfreux  et  éternels;  en  méditant  sérieusement 
sur  la  beauté  de  la  vertu  ,  sur  la  paix  el  les 
consolations  qu'elhi  procure,  dès  cette  vie, 
dans  une  âme  qui  la  |)rati(iue  et  qui  se  rend 
fidèle  [à  tous  ses  devoirs  ;  en  méditant  ces 
grandes  et  im|)orlantes  vérités,  et  qui  l'occu- 
pent entièrement,  dans  la  retraite  ;  cette  per- 
sonne religieuse,  s.ris  cesse  alors  vis-à-vis 
son  Dieu  et  vis-îi-vis  olle-môme,  ne  pouvant 
plus  se  cacher,  se  dissimuler,  comme  autre- 
fois, son  mauvais  état,  toutes  les  fautes  dont 
elle  s'est  rendue  coui>able  envers  son  céleste 
époux,  peut-elle  ne  pas  se  sentir  pénétrée 
tout  à  la  fois  de  crainte,  de  douleur  pour  le 
passé,  de  désirs  et  de  bons  propos  pour  l'ave- 
nir? Oui,  celtesuite,  cet  enchaînement  de 
vérités,  après  l'avoircoRvaincue.la  touche,  la 
ca[)tive,  la  force,  pour  ainsi  dire,  de  retour- 
ner à  son  Dieu;  sa  foi  qui  avait  été  cotnmn 
éteinte,  par  ses  longues  habitudes  dans  lo 
péché,  se  rallume  dans  elle  alors  et  lui  fait 
juger  de  tout,  selon  les  principes  de  l'Evan- 
gile ;  elle  l'excite  à  une  sainte  componclion, 
à  un  repentir  sincère  ;  do  iè,  ces  résolutions, 
ces  promesses  réitérées  5  son  Dieu,  de  ré- 
parer le  passé  et  de  le  servir  désormais  avec 
une  constante  fidélité  ;  de  là  surtout  ce  désir 
ardent,  ce  vif  empressement  à  purifier  son 
âme,  dans  lo  sacrement  de  pénitence,  à  ob- 
tenir le  pardon  et  recouvrer  l'amitié  de  soa 
Dieu,  ce  qui  a  fait  dire  à  saint  Basile  quo 
la  solitude  est  la  mort  de  tous  les  vices  :  So- 
Utudo,  mors  viliorum.  Ah  1  Mesdames,  quo 
de  saints  et  de  saintes,  aujourd'hui  dans  la 
ciel,  et  que  de  justes  encore  sur  la  terre, 
d'oivent  à  ces  saints  exercices  leur  retour 
au  Seigneur,  et  plusieurs  leur  renoncement 
total  au  monde  ;  ils  chantent  et  chanteront  à 
jamais  les  miséricordes  infinies  do  leur  Dieu, 
qui,  par  là,  les  a  tirés  de  la  voie  de  perdi- 
tion dans  laquelle  ils  étaient  malheureuse- 
ment engagés. 

11.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  aux  pé- 
cheurs, aux  âmes  livrées  aux  habitudes  du 
vice,  que  la  retraite  est  avantageuse  et  né- 
cessaire môme,  elle  l'est  également.aux  jus- 
tes, aux  âmes  qui  sont  dans  la  grâce  et  dans 
l'amitié  de  Dieu.  Hélas  1  qui  peut  avoirdaiis 
celte  vie  l'assurance  qu'il  est  véritablement 
l'ami  de  son  Dieu?  Qui  pourrait  dire  qu'il 
n'a  rien  dans  son  cœur  qui  lui  déplaise?  Non, 
personne,  aiômedans  les  états  les  |)1  us  saints, 
ne  peut  l'avoir, cette  assurance  :  Personne,  dit 
\eSa\n[-Espr\[,ne peut  savoir  s'il  est  digne  d'a- 
mour ou  de  haine.  [Eccle.,  IX,  i).Mii\s  enfin, jo 
veux  qu'une  jiersonne  religieuse  n'ait,  parla. 
grâceiduSeigneur.'rien  de  grief,  de  criminel  a 
se  reprocher,  qu'elle  soil  véritablement  juste 
aux  yeux  de  Dieu,,  je  dis  que  la  retraite  lui 
est  toujours  nécessaire  pour  porsévérerdans 
cet  heureux  état,  et  pour  avancer  même, 
comme  elle  le  doit,  dans  la  voie  de  la  per- 
fection et  de  la  saiiitolé. 

En  elfet.  Mesdames,  quoiijuc  juste  aux 
yeus  de  Dicu,el  la  grâce  sanctifiante  dans  le 
cœur,  une   épouse  de  Jésus-Christ  a  lou.- 


19 


RATEURS  SACRES.  L'ÀRBE  DE  MOiNTIS, 


20 


)Ours,  comme  fille  d'Adam,  des  déTauls  h 
corriger,  de  mauvais  penchants  h  détruiro, 
des  passions  h  comballre,  des  pr^^jugés  à 
dissiper,  des  illusions  h  se  préserver;  elle 
a  des  langueurs,  des  ennuis,  des  dégoûts  à 
surmonter,  un  état  de  tiédeur  à  se  garan- 
tir; elle  a  des  confessions  et  des  commu- 
nions imparfaites,  infructueuses,  à  réjjarer; 
elle  a  sans  cesse  des  dangers  à  éviter,  (ies 
assauts  à  rep/ousser,  elle  a  tous  les  enne- 
mis de  son  salut  ih  comballre.  Tel  est  le 
sort  de  tout  chrétien  sur  la  terre,  et  par 
conséquent  celui  de  la  personne  religieuse, 
d'être  sans  cesse  exposé  <i  di'S  tenlalions, 
à  des  comljals;  d'éprouver  sans  cesse  des 
misères,  des  faiblesses  et  de  toute  espèce: 
or  quel  moyen  de  se  guérirde  ces  faiblesses, 
de  ces  misères  ;  de  se  soutenir  au  milieu  ile 
tant  de  dangers,  de  vaincre  tant  d'ennemis, 
d'éviter  autant  d'écueils?  Ahl  Mesdames, 
entre  plusieurs  que  la  religion  nous  oUVe, 
j'ose  dire  qu'un  des  plus  elhcaces,  et  le  plus 
efficace  peut-être,  c'est  la  retraite,  la  soli- 
tude; c'est  là,  en  effet,  qu'une  âme  reli- 
gieuse livrée  toute  à  elle-même,  éclairée 
des  vives  lumières  de  la  foi,  découvre  tout 
ce  qu'd  y  a  dans  elle  de  répréhensible, 
tout  ce  qui  peut  dé[)laire  à  son  Dieu  et 
nuire  à  sa  perfection  ;  que  de  mauvais  pen- 
chants ,  que  d'inclinations  vicieuses,  que 
de  passions  naissantes  elle  aperçoit,  en  ré- 
lléchissant  ainsi  sérieusement  sur  elle- 
même,  qu'elle  n'avait  point  encore  décou- 
verts, qu'elle  est  étonnée  d'avoir,  et  qu'elle 
aurait  peut-être  Rassuré  de  n'avoir  pas  ! 
tille  ne  peut  voir  sans  étonnement  et  sans 
iiûuleur,  qu'avec  tant  de  grâces  et  de  grâces 
privilégiées  qu'elle  a  reçues  de  son  Dieu, 
elle  soit  si  imparfaite,  si  tiède,  si  lâche  à 
son  service. 

Ce  que  je  dis  ici  des  faiblesses,  des  mau- 
vais penchants  de  la  religieuse,  dans  l'état 
de  grâce,  je  le  dis  également  des  fautes  de 
toute  espèce  dont  elle  s'est  rendue  cou- 
pable, et  qui  se  retracent  alors  dans  sa  mé- 
moire; en  méditant  attentivement  sur  les 
engagements  sucrés  qu'elle  a  conlraclés  avec 
son  Dieu  et  par  les  vœux  du  baptême  et  f)ar 
ceux  de  la  religion,  en  conidérant  les 
différents  devoirs  attachés  à  ces  engage- 
aienis,  elle  aperçoit  une  intinilé  de  man- 
quements, de  transgressions,  de  fautes  en  un 
mot  qui  sortaient  de  sa  mémoire,  à  mesure 
qu'elle  les  commettait,  parce  qu'elle  les  re- 
(jardait  trop  comme  des  fautes  légères  et  de 
jteu  de  conséquence,  mais  dont  elle  juge 
bien  autremetit  dans  une  retraite;  elle  voit 
clairement  alors  l'outrage  que  le  plus  petit 
péché,  que  la  faute  la  plus  légère  fait  à  son 
Dieu,  à  son  céleste  ép(iux,  auquel  elle  doit 
toute  son  ailenlion,  tout  son  amour  :  elle 
connaît  alors  le  danger  auquel  elle  s'est 
exposée,  en  se  livrant  à  ces  fautes  légères, 
de  tomber  dans  des  fautes  grièves  ;  elle  voit 
(ju'une  faute,  quelque  légère  qu'elle  puisse 
être,  refroidit  toujours  le  cœur  de  Dieu  à 
son  égard,  et  la  prive,  par  conséquent,  d'une 
inlinilé  de  grâces  desquelles  il  favorise 
{lour  l'ordinaire  les  âmes  (jui  lui  6onl  fi- 


dèles,   et    qui   redoutent  de    lui  dé[)laire. 

Mais  ce  ne  serait  point  assez  à  cette  per- 
sonne religieuse  de  connaître  ses  fautes  et 
ses  faiblesses  ;  se  borner  là,  ce  serait  ne  rien 
faire  d'utile  à  sa  perfection;  l'essentiel,  à  la 
vue  de  ses  imj)erfections,  c'est  de  désirer  de 
s'en  puritier,  et  d'y  travailler  en  effet  :  or 
voilà,  Mesdames,  un  autre  avantage  que 
procure  la  retraite,  c'est  d'échauffer  le  cœur, 
de  l'enflammer  du  divin  amour,  d'exciler 
dans  ce  cœur  des  désirs  ardents  et  efficaces 
de  travailler  plus  sérieusement  que  par  le 
f)assé  à  plaire  à  Dieu  et  à  se  sanctifier; 
de  là  en  effet  cet  éloignement ,  cette  sainte 
horreur  que  l'âme  conçoit  non-seulement 
du  péché  grief  qui  lui  donne  la  mort,  mais 
de  plus,  du  péché  véniel,  des  fautes  les  |)lus 
légères,  de  tout  ce  qui  peut  la  rer.dre  désa- 
gréable à  son  céleste  éjjoux;  de  là  ces  vifs 
regrets  sur  tant  d'années  peut-être  passées 
dans  le  relâchement,  dans  la  tiédeur;  de  là 
ces  révolutions,'  ces  promesses  réitérées  b 
son  Dieu,  de  ré|)arer  promptement  le  passé, 
de  prendre  au  plutôt  les  moyens  les  plus 
propres  à  se  tenir  dans  la  régularité,  dans 
la  ferveur,  à  lui  montrer  désormais  un  zèle 
actif  et  constant  pour  sa  perfection. 

Et  de  là  conséquemment  la  paix  de  l'âme , 
celte  heureuse  et  sainte  tranquillité,  ces 
consolations  solides  et  intérieures,  que  ne 
manquent  jamais  de  produire  ces  bons  sen- 
timents, ces  dis[)ositions  saintes;  autre 
avantage  que  produit  la  retraite  :  comme 
une  personne  religieuse,  livrée  à  la  dissipa^ 
tion,  peu  attentive  à  éviter  les  fautes,  à  cor- 
respondre aux  grâces  et  aux  desseins  de  son 
Dieu,  est  souvent  troublée,  agitée  par  de 
vifs  remords,  qu'elle  est  mécontente  d'elle- 
même,  |)arce  qu'elle  ne  peut  se  dissimuler 
que  son  Dieu  n'est  pas  content;  aussi  dès 
qu'elle  revient  sincèrement  à  lui,  et  qu'elle 
s'est  remise  dans  l'ordre,  dans  la  régularité, 
dans  la  ferveur,  elle  voit  bientôt  ses  trou- 
bles, ses  remords  se  dissiper;  elle  sent 
naître  dans  son  cœur  un  heureux  calme, 
cette  paix  Intérieure,  le  plus  grand  bien, 
l'unique  bien  même  réel  et  solide  qu'elle 
puisse  se  procurer  en  celte  vie;  car  voilà. 
Mesdames,  jusqu'où  vont  les  bontés  de  notre 
Dieu  pour  nous  :  avec  les  hommes,  les  dé- 
sirs, les  résolutions,  les  promesses  ne  suf- 
fisent pas  pour  lès  satisfaire;  il  faut  y 
joindre  l'action,  les  effets  :  mais  avec  notre 
Dieu,  dès  .que  nous  lui  témoignons  un  désir 
véritable  d'être  à  lui,  de  le  servir  fidèle- 
ment; dès  que  nous  lui  promettons  bien 
sincèrement  de  rendre,  avec  sa  sainte  grâce, 
efiicaces  les  résolutions  que  nous  prenons 
et  les  promesses  que  nous  lui  donnons  de 
lui  être  fidèles  à  l'avenir,  dès  lors  ce  Dieu 
de  toute  bonté  se  retourne  vers  nous  :  il 
paraît  oublier  toutes  nos  infidélités,  et  par 
un.  calme  intérieur,  par  des  consolations 
solides,  il  nous  fait  sentir,  et  tellement 
sentir  les  effets  de  sa  sainte  présence  au  fond 
de  noire  cœur,  que  nous  serions  tentés  do 
nous  écrier  dans  q,uelques  moments,  avec 
le  Roi-Pi  ophète  :  Oh  !  que  Dieu  est  bon  à 
ceux    qui     ont     le     cœur     droit      (   Psal, 


21 


DISCOURS  DE  RETRAITE. 


LA  VEILLE    DE  LA  RETRAITE. 


32 


LXXll,  1)  el  qui  sont  sincèrement  à  lui  1 
Tels  sont,  Mesdames,  les  grands  avan- 
tages que  reçoit  une  âme  qui  se  relire 
quelques  jours  dans  la  solitude  pour  s'y 
entretenir  avec  son  Dieu  et  avec  elle-même; 
soit  qu'elle  y  entre  dans  l'état  du  péclié  et 
dans  la  disgrâce  de  Dieu,  soit  qu'olie  ne  se 
trouve  [loinl  dans  un  aussi  funeste  état,  elle 
y  trouve  les  secours  les  plus  propres  à  tra- 
vailler avec  succès  à  limportanto  affaire 
de  son  salut;  mais  prenez  garde,  s'il  vous 
plaît,  que  ce  n'est  point  h  toute  retraite  en 
général  que  sont  attachés  ces  grands  avan- 
tages, mais  à  une  bonne  retraite,  à  une  re- 
traite faite  avec  de  saintes  dispositions; 
iiinsi  après  vous  avoir  prouvé  que  la  re- 
traite vous  est  utile,  nécessaire  môme, 
<lans  quelque  état  que  puisse  êtrt!  votre 
Ame,  je  dois  vous  faire  connaître  les  dispo- 
sitions dans  lesquelles  vous  devez  vous 
mettre,  pour  la  faire  avec  fruit;  c'est  le  su- 
jet de  la  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Ce  n'est  point  précisément  de  faire,  mais 
de  bien  faire,  qui  nous  justifie,  et  qui  nous 
rend  agréables  au  Seigneur.  Hélas  !  coni- 
fiien  sont  sur  cela  dans  l'illusiop,  dans  une 
fausse  sécurité  I  Lorsque  ce  Dieu  Sauveur 
viendra  juger  jusqu'à  nos  justices,  combien 
qui  s'étaient  crus  riches  en  grâces  et  en 
bonnes  œuvres  se  trouveront  les  mains 
vides  alors  et  sans  de  vrais  mérites,  pour 
avoir  agi  dans  des  dispositions  condamnables 
à  ses  yeux  I  Pour  appliquer  cette  réflexion 
à  la  vérité  que  je  traite  ici,  combien  de  re- 
ligieuses, qui,  dans  le  cours  d'une  longue 
vie,  répèieni,  chaque  année,  les  exercices 
de  la  retraite,  sans  en  retirer  aucun  fruit, 
et  qui,  bien  loin  de  s'y  sanctifier,  en  sor- 
tent toujours  les  mêmes,  toujours  aussi 
ti<^des,  aussi  imparfaites,  pour  ne  s'être  ja- 
mais mises  dans  des  dispositions  d'esprit 
et  de  '.œur  propres  à  profiter  des  grandes 
grâces  attachées  à  ces  saints  exercices! 

Puisque  le  Seigneur  permet.  Mesdames, 
que  vous  vous  y  livriez,  et  qu'il  vous  fait 
cette  grâce  qu'il  n'a  point  faite  à  une  infi- 
nité d'autres,  quoique  dans  le  même  état 
et  dans  la  môme  situation  que  vous  ;  grâce 

3u"il  vous  fait  à  quelques-unes,  pour  la 
ernière  fois  peut-être,  vous  comprenez 
combien  il  est  imporiant  pour  vous  de  ne 
rien  négliger  pour  en  bien  profiler,  et  de 
vous  mettre  pour  cela  dans  des  disposi- 
tions convenables  et  telles  que  Dieu  les 
exige  pour  opérer  son  œuvre  en  vous;  or 
ces  dispositions,  j'en  vois  de  deux  sortes: 
il  en  est  que  j'appelle  intérieures,  parce 
qu'elles  doivent  aflecter  le  fond  de  votre 
âme:  il  en  est  d'autres  que  je  nomme  exté- 
rieures, parce  qu'elles  doivent  se  manifes- 
ter au  dehors;  je  vais  vous  entretenir  des 
unes  et  des  autres,  de  fa(;on  cependant  à 
ne  vous  causer  aucun  ennui;  encore  quel- 
ques njoments  de  votre  allenliou,  je  vous 
prie. 

I.  Je  dis  donc,  Mesdames,  que  la  pre- 
mière   disposition    intérieure,  nécessaire 


pour  faire  une  bonne  retraite,  c'est  d'avoir 
un  désir  bien  sincère  d'en  profiter;  or  vous 
l'aurez,  ce  bon  désir,  si  vous  faites  de  la  re- 
traite tout  lo  cas  que  vous  devez  en  faire, 
si  vous  la  regardez  comme  un  temps  pré- 
cieux, comme  un  moyen  efficace  que  Dieu 
vous  otTre  pour  vous  attacher  plus  étroi- 
tement à  lui,  pour  travailler  elTicacemenl 
à  l'importante  affaire  de  votre  salut.  Tout 
ce  que  je  viens  de  vous  dire  de  l'excellence 
de  ces  exercices  et  des  grands  avantages 
qu'ils  procurent,  est  bien  propre  à  exciter 
ce  sentiment  dans  votre  cœur;  mais  vous 
l'aurez  surtout,  ce  bon  désir,  si  vous  n'avez 
qu'une  intention  droite,  qu'un  motif  bien 
pur,  en  entrant  dans  la  solitude:  car  si 
malheureusement  vous  n'aviez  d'autre  vue 
que  le  respect  humain,  que  de  sauver  les 
apparences,  que  de  ne  pas  paraître  singu- 
lières el  de  vouloir  faire  comme  les  autres,. 
[)eut-ôtre  aussi  que  de  vous  procurer  quel- 
ques jours  de  repos,  qui  vous  délassent  de 
la  peine  que  vous  trouvez  à  remplir  les  de- 
voirs de  votre  état,  de  votre  emploi,  ou 
même  à  vivre  et  à  converser  avec  les  au- 
tres; car  jusqu'où  ne  porte  pas  l'amour  do 
soi-même,  lorsqu'on  l'écoute  ?  ahl  Mes- 
dames, que  vous  seriez  à  plaindre  alors  I 
et  une  retraite  entreprise  avec  de  pareilles 
dispositions  nuirait  sûrement  beaucoup 
plus  à  votre  âme  qu'elle  ne  lui  serait  utile. 

Il  est  donc  bien  important  de  n'avoir,  en 
entrant  en  retraite,  que  des  vues  droites 
pures,  désintéressées,  vraiment  chrétiennes, 
qui  n'aient  que  Dieu  el  votre  salut  pour 
objet,  c'est-à-dire,  que  vous  ne  devez  vous 
livrer  à  ces  saints  exercices  que  pour  bien 
purifier  votre  conscience  ;  el  pour  cela,  avoir 
dessein  de  sonder  dans  le  secret  de  la  soli- 
tude votre  pro[ire  cœur,  de  voir  s'il  n'y  a 
point  dans  ce  cœur  quelque  attachement, 
quelques  dispositions,  quelques  défauts 
qui  déplaisent  à  votre  céleste  Epoux,  et 
qui  arrêtent,  à  votre  égard,  le  cours  de  ses 
grâces;  vous  devez  avoir  l'intention  de 
chercher  avec  empressement  les  moyens 
les  plus  propres  à  vous  préserver  du  |)éclié 
à  l'avenir,  et  à  expier  ceux  que  vous  avez 
commis,  d'acquérir  les  vertus  qui  vous 
manquent;  cette  humilité  surtout,  ce  dé- 
tachement des  créaluies  et  de  vous-mêmes  ; 
celte  haine  du  monde,  de  ses  faux  biens,  de 
ses  maximes  corromi)ues,  cet  amour  do 
Dieu  et  du  prochain,  ce  zèle  pour  votre 
sanctification  ;  vertus  sans  lesquelles  vous 
n'êtes,  aux  yeux  de  Dieu,  chrétiennes  et 
religieuses  que  de  nom.  Vous  devez  en  un 
mot  chercher  dans  la  retraite  les  moyens 
les  plus  propres  à  servir  parfaitement  voira 
Dieu,  à  lui  plaire  en  tout,  dans  votre  saint 
étal,  à  tendre  à  la  sainteté,  par  les  voies  et 
selon  les  desseins  qu'il  a  sur  vous;  voilà 
les  inlenlions  saintes  avec  lesquelles  vous 
devez  entrer  en  retraite  ;  telle  est  la  fin  que 
vous  devez  vous  proposer  et  (|ui  doit  vous 
pénétrer  d'un  vrai  désir  do  la  l'aire  el  de  la 
bien  faire. 

Mais  une  autre  disposition  encore  biou 
essenlielle  pour  en  profiler,  c'est  d'y  ;ii>- 


23 


ORATEURS  SACRES.  LABBE  DE  MONTIS. 


24 


porter  une  grande  docilité  de  cœur,  qui  vous 
rende  attentives  aux  inspirations  de  la 
grâce  et  promptes  à|  vous  y  conformer  ;  et 
voilà  cependant,  Mesdames,  je  dois  vous  le 
(lire  ici,  ce  qui,  dans  plusieurs,  empêche  le 
l'ruit  de  la  retraite  ;  on  n'y  vient  point,  h  la 
vérité,  avec  des  motifs  évidemment  mau- 
vais; non,  on  a  môme,  en  y  entrant,  une 
vue  générale  de  profiler,  pour  son  salut  et 
.'^a  perfection,  des  lectures  et  des  médita- 
lions  qu'on  doit  y  faire,  dos  instructions 
«lu'on  doit  y  entendre,  des  avis,  des  con- 
seils qu'on  doit  y  recevoir  ;  mais  on  n'a  celle 
vue,  ce  projet,  que  jusqu'à  un  certain  point  ; 
on  le  borne,  on  le  limite  dans  son  esj)rit, 
et  encore  plus  dans  son  cœur;  c'est-à-dire 
qu'on  entre  en  retraite  avec  un  dessein 
tout  formé  de  ne  pas  se  prêter  à  toute  ins- 
piration de  la  grâce,  qui  irait  à  exiger  cer- 
tains détachements,  certains  sacrifices  qu'on 
ne  veut  pas  faire,  à  demander  une  plus 
grande  Iperfection  que  celle  à  laquelle  on 
s'est  borné  ;  on  s'est  fait,  sur  cela,  un  plan, 
un  système  dont  on  est  bien  résolu  de  ne 
pas  s'écarter.  Ahl  fasse  le  ciel,  Mesdames, 
qu'aucune  devons  ne  soit  dans  de  pareilles 
dispositions,  il  n'en  serait  point  de  plus 
propres  à  refroidir  le  cœur  de  Dieu  à  votre 
égard,  à  l'éloigner  de  vous  et  à  vous  priver 
de  ces  grâces  singulières  de  prédilection 
qu'il  vous  réserve  dans  le  trésor  de  ses 
miséricordes,  et  à  vous  faire  sortir  de  la 
retraite,  je  ne  dirai  pas  seulement  plus  im- 
l)arfaites  et  plus  désagréables  à  ses  yeux, 
<iue  vous  n'y  seriez  entrées,  mais  de  plus, 
h  vous  faire  manquer  votre  salut! 

Ce  qui  est  donc  bien  essentiel,  [)Our  tirer  les 
plus  grands  fruits  de  vos  exercices  spirituels, 
c'est  démontrera  votre  Dieu  un  cœur  droit  et 
docile  à  toutes  ses  volontés;  vous  devez  lui 
dire  souvent  pendant  votre  retraite, commele 
jeune  Samuel  {l Reg.,\U,  iO)  :Me  voici.  Sei- 
gneur, parce  vous  m'avez  appelée  ;  c'est 
pour  me  faire  entendre  votre  voix,  et  me 
signitier,  d'une  façon  plus  claire,  toutes  vos 
volontés  sur  moi,  que  vous  m'avez  fait  en- 
trer dans  l'intérieur  de  la  solitude  ;  hélas  ! 
vous  m'avez  déjà  parlé  tant  de  fois,  et  en 
tant  de  manières,  sans  que  j'aie  paru  vous 
entendre  ;  ne  permettez  pas,  ô  mon  Dieu  , 
queje  fasse  [)lus  longtemps  la  sourde  oreille, 
et  que  je  résiste  encore  aux  inspirations  de 
votre  grâce;  parlez  donc  ,  Seigneur,  votre 
servante  écoute;  elle  est  disposée  à  tout  ce 
que  vous  voudrez  bien  lui  ordonner  pour 
votre  gloire  et  pour  sa  |)erlection  ;  oui , 
(pielque  chose  que  vous  exigiez  de  moi,  mon 
cœur  est  prêt,  ô  mon  Dieu, et  prêta  loaliPara- 
tuni  cormeum  [Psal,  CVII,  2)  ;  fallût-il  vous 
l'aire  les  plus  grands  saciilices,  et  renouveler 
tous  ceux  que  je  vous  ai  déjà  faits,  j'espère, 
j'ai  môme  la  plus  grande  confiance  que,  sou- 
tenue de  votre  grâce,  rien  ne  me  coûtera. 

Et  voilà,  Mesdames,  la  troisième  dispo^ 
sition  nécessaire  j»our  bien  profiler  de  la 
retraite,  c'est  de  montrer  un  grand  courage, 
c'est  d'avoir  un  cœur  fort  et  généreux,  dis- 
posé à  ne  rien  négliger  pour-^  assurer  votre^ 
fvilut,  et  à  tout  enii:ej)rj,'ndre  de  ce  que  vous 


croirez  que  Dieu  demande  de  vous,  pour 
votre  perfection  et  pour  lui  plaire.  Hé  !  sans 
cela,  à  quoi  servirait  de  se  condamner,  pen- 
dant quelques  jours,  au  silence,  à  Ja  soli- 
tude? Disons,  disons  plutôt  que  si  vous 
manquez  de  ce  courage,  pour  exécuter  ce 
que  sa  grâce  vous  inspirera,  il  n'y  aurait  en 
vous  ni  un  vrai  désir,'  ni  une  sincère  doci- 
lité; or  ce  courage  dont  il  s'agit,  doit  ôlre 
d'autant  plus  grand  que  l'ouvrage  que  vous 
voulez  entreprendre  présente  plus  d'obsia- 
cles  et  de  diflicullés  ;  car  je  ne  dois  pas  vous 
le  dissimuler  ici,  Mesdames,  si  l'ouvrage 
de  voire  sanctification  de  laquelle  vous  allez 
vous  occuper  uniquement,  dans  votre  re- 
traite, est  l'affaire  la  [dus  sérieuse,  la  plus 
importante  pour  vous,  elle  est  aussi  la  plus 
difficile  dans  l'exécution  ;  il  faudra  sans 
cesse  combattre  les  ennemis  de  votre  âme, 
le  monde,  le  démon  et  vous-mêmes  ;il fau- 
dra s'efforcer  de  déraciner  des  habitudes 
vicieuses  déjà  invétérées  peut-être,  travail- 
ler à  corriger  en  vous  plusieurs  défauts,  et 
défauts  que  vous  aimez  ;  vous  appliquera 
acquérir  des  vertus  entièrement  oi)posées 
à  l'amour  de  vous-mêmes,  faire  des  renon- 
cements, des  sacrifices  qui  doivent  coûter 
à  la  nature,  renoncer  sincèrement,  ou  plu- 
tôt renouveler  sincèrement,  et  du  fond  du 
cœur,  votre  renoncement  général  et  solen- 
nel au  monde,  à  tout  objet  créé,  et  à  vous- 
mêmes;  voilà  les  efforts  et  les  sacrifices 
que  Dieu  exigera  de  vous  :  vous  les  avez 
déjà  faits,  ces  sacrifices,  en  prononçant  les 
vœux  de  la  religion,  il  faudra  les  luirenciu- 
veler  dans  votre  retraite  ;  vous  n'en  sorti- 
rez agréables  à  ses  yeux,  en  paix  avec  lui, 
et  par  conséquent  en  paix  avec  vous-mê- 
mes, qu'autant  que  vous  vous  sentirezsin- 
cèrement  disposées  à  exécuter  courageuse^ 
ment,  tout  ce  que  sa  grâce  vous  inspiiera 
pour  votre  sanctification.  Encore  une  fois, 
jl  vous  en  coûtera  :  mais,  si  souvent  vous 
avez  entendu  dire,  et  tant  de  fois  vous  avez 
lu  vous-mêmes  dans  l'Evangile,  que  le 
royaume  des  cieux  souffre  violence,  qu'il 
n'y  a  que  ceux  qui  se  la  font  qui  puissent 
espérer  d'y  entrer;  mais  vous  ajouterai-jo 
ici  que  vous  ressentirez  mille  fois  plus  de 
consolations,  et  des  consolations  mille  fois 
plus  solides,  à  vous  contraindre,  à  vous 
faire  violence,  pour  votre  Dieu,  que  celles 
que  vous  pourriez  vous  (irocurer,  à  suivre 
vosgoûls,  vos  penchants  naturels. 

II.  Mais  outre  ces  disposiiions  intérieu- 
res, il  en  est  d'autres  que  j'appelle  dispo- 
sitions extérieures,  etqueje  regarde  comme 
essentielles  encore,  pour  faire  une  bonim 
retraite  ;  je  n'en  dirai  que  deux  uiols,  pour 
ne  pas  abuser  de  votre  attention.  La  pre- 
mièredeeesdispositionsest  une  grandeexac 
tiludeà  tous  les  exercices  de  la  retraite;  le 
Saint-Esprit  ]'a  dit  :  Malheur  à  ccluigui  fait 
Vœuire  de  Dieu  négligemment!  (Jcr.,  XLlll, 
10. j  Toutes  vos  heures,lous  vos  moments  mê- 
me seront  réglés,  pendant  votre  solitude; 
il  est  important  de  vous  y  rendre  fidèles,  et 
'fci  important  que  !e  malin  esprit  qui  ne 
j  ignore  pas,  essaiera  de   vous  délourner  de 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  LA  VEILLE    DE    LA  RETRAITE. 


2b 


colle  grande  fiiléliltV  A  l'appel,  à  un  exi-r- 
cico,  vous  serez  tenlées,  sons  qnelqne  pré- 
loîto,  dediffërer  nn  peu;  au  premier  si- 
gnal il  faut  tout  qnitler;  ne  fût-ce  qu'un 
mol  à  lire,  qu'une  lettre  à  former,  il  f;)ul, 
à  l'eicemple  de  cejeune  solitaire,  la  laisser 
à  demi  formée,  cl  si,  comme  lui,  vous  ne  la 
trouvez  pas  achevée  en  or,  vous  ne  pouvez 
douter  que  Dieu  n'ait  atiaché,  pour  récom- 
pense, h  cette  exacte  fidélité,  un  accroisse- 
ment de  grâces,  dans  le  temps,  et  un  degré 
Je  gloire  proportionné  pour  l'éternité. 

Je  ne  disconviendrai  pas,  Mesdames,  qu'il 
n'y  ait  encore  de  la  contrainte  à  se  faire, 
pour  s'astreindre  à  une  aussi  parfaite  exac- 
lilude;  on  est  quelquefois  tenté  d'ennui  et 
Je  dégoût  :  mais  après  tout,  qu'es'-ce  qu'une 
«emaine,  dans  toute  une  année,  pour  s'oc- 
cuper uniquement  delà  plus  grande  affaire 
que  vous  puissiez  jamais  avoir,  qui  est  l'af- 
faire de  votre  salut:  mais  si  vous  entrez  en 
retraite  avec  un  vrai  dessein,  avec  un  ferme 
propos  de  travailler  de  tout  votre  cœur  à 
celte  importante  affaire,  bien  loin  de  trou- 
ver trop  long  le  temps  qui  y  sera  consacré, 
vous  le  jugerez  trop  court  au  contraire,  vous 
Jésirerez  de  le  voir  prolongé.  Mais  je  dois 
vous  ajouter  que  vous  devez  de  plus  mon- 
trer cette  exactitude,  pour  l'édification  de 
vos  sœurs,  de  vos  compagnes  de  retraite. 
Que  penseraient-elles  de  vous  en  effet,  et 
quelle  édification  leur  donneriez-vous,  si 
dans  le  tenq)s  qu'elles  montreront  la  plus 
grande  ardeur  et  le  plus  grand  contente- 
ment dans  leurs  exercices,  vous  ne  leur 
montriez  que  de  la  lenteur,  delà  négligen- 
ce et  de  l'ennui?  Mais  enfin,  si,  malgré  tou- 
tes ces  raisons,  le  malin  esprit  qui  n'ignore 
pas  les  grands  avantages  que  vous  devez 
retirer  lie  ces  jours  de  retraite,  vient  vous 
tenter  d'ennui  el  de  dégoût,  rappelez-vous 
alors  les  dangers  qu'il  y  aurait  pour  votre 
salut  à  ne  pas  vous  en  acquitter  comme 
vous  le  devez,  et  les  motifs  puissants  qui 
ont  dû  vous  déterminer  h  vous  y  livrer; 
pensez  à  ce  que  vous  voudrez  avoir  fait,  la 
retraite  finie,  et  aux  regrets  que  vous  auriez 
alors  de  l'avoir  mal  faite  ;  recourez  au  Sei- 
gneur par  la  prière;  humiliez-vous  et  con- 
fondez-vous, en  sa  sainte  présence,  de  vous 
laisser  aller  à  l'ennui,  dans  un  tem[)S  où 
vous  n'avez  qu'à  vous  occuper  de  lui  et  de 
votre  salut;  priez-le  de  vous  soutenir  par 
sa  grâce,  d'augmenter  votre  bonne  volonté; 
malgré  toutes  les  tentations  do  dégoût, 
soyez  fidèles,  exactes  à  tous  vos  exercices, 
et  les  tentations  se  dissiperont  enfin,  et 
les  fruits  de  votre  retraite  seront  d'autant 
plus  grands,  que  vous  aurez  rencontré  jilus 
il'obstacles,  et  que  vous  aurez  mis  plus  de 
courage  à  les  surmonter.  Exactitude  à  tous 
les  exercices  de  la  retraite,  voilà  la|)remière 
disfiosilion  extérieure  que  vous  devez 
avoir,  mais  il  en  est  encore  une  autre,  c'est 
le  recueillement  des  sens. 

Je  pourrais  même  vous  dire  ici,  Mesda- 
nies,  que  c'est  la  [>lus  nécessaire,  parce  que 
sans  celle-ci  toutes  les  auîres  vous  devien- 
draient   inuiiles;    vous    devez   le  sentir; 


vous  ne  pouvez  tirer  du  fruit  de  tous  vos 
exercices,  de  toutes  ces  méditations,  surtout 
de  ces  considérations,  de  ces  lectures  qui 
vont  vous  occuper,  qu'autant  que  vous  y 
mettrez  foute  votre  application,  que  votre 
esprit  réfléchira  profondément  sur  toutes 
ces  grandes  vérités  ;  vous  ne  pouvez  espérer 
d'entendre  votre  Dieu  parler  à  votre  cœur, 
et  de  vous  entretenir  utilement  avec  lui, 
qu'autant  que  vous  serez  absolument  vis-è- 
vis  de  vous-mêmes  :  or  vous  rt'aurez  jamais 
ce  recueillement  intérieur  sans  l'extérieur; 
c'est  celui-ci  qui  fait  naître  et  qui  entre- 
tient celui-là.  Eh  !  pourquoi  en  effet,  en 
tout  autre  temps  ,  les  vérités  de  notre 
sainte  religion,  si  grandes,  si  effrayantes 
en  elles-mêmes,  font-elles  si  peu  d'impres- 
sion sur  nous?  C'est  que  mille  affaires 
étrangères  nous  distraient.  Pourquoi  voit- 
on  dans  le  monde  surtout  si  peu  de  foi, 
de  religion  ,  de  vertus,  de  crainte  de  Dieu 
etde  ses  jugements?  je  vous  l'ai  déjà  dit. 
Mesdames,  c'est  que  les  mondains  se  trou- 
vent environnés  de  mille  objets  attrayants 
qui  fascinent  leurs  yeux  et  séduisent  leurs 
sens  ;  ils  vivent  tout  hors  d'eux-mêmes, 
dans  des  distractions  et  dans  une  dissipa- 
tion continuelles;  est-il  étonnant  qu'ils 
passent  leurs  jours  dans  l'oubli  de  leurDieu 
et  de  leur  salul? 

Jl  est  donc  bien  important,  Mesdames, 
que  vous  vous  apj)liquiez,  pendant  votre 
retraite,  à  mortifier  vos  sens,  et  à  les  rete- 
nir dans  le  recueillement;  c'est-à-dire  que, 
pendant  tout  ce  temps,  vous  devez  faire 
attention  à  ne  voir  et  à  n'entendre  que  ce 
que  vous  devez  voir  el  entendre;  que  vous 
devez  fermer  vos  yeux  et  vos  oreilles  à  tout 
ce  qui  serait  capable  d'exciter  votre  curio- 
sité, el  de  vous  dissiper;  que  vous  devez, 
par  la  même  raison  ,  garder  un  profond 
silence,  ne  parler,  dans  tous  les  temps, 
qu'autant  que  vous  y  serez  obligées,  el 
encore,  ne  parler  alors  qu'en  moins  do 
mots  que  vous  pourrez;  silence  exact,  ab- 
solument nécessaire  pour  entendre  le  Sei- 
gneur, qui  se  trouve  prescrit  dans  toutes 
les  communautés  religieuses,  et  qui  a  été 
recommandé^  par  tous  les  maîtres  de  la  vie 
spirituelle. 

Je  reprends  présentement,  Mesdaiiaas,  en 
peu  de  mots,  tout  ce  discours,  pour  vous 
en  rendre  la  méditation  plus  facile.  La  rc- 
Iraite  est  donc  utile,  nécessaire  môme,  à 
toute  [lersonne,  même  religieuse;  elle  est 
nécessaire  à  celle  qui  aurait  le  malheur 
d'être  dans  le  péciié,  parce  qu'en  la  faisant 
réfléchir  sur  les  grandes  vérités  de  la  reli- 
gion el  sur  elle-même,  elle  lui  insf)ire  de 
l'horreur  de  son  étal,  et  facilite,  par  là,  sa 
conversion;  elle  est  nécessaire  même  à  celle 
qui  est  juste  aux  yeux  de  Dieu,  parco 
qu'elle  la  préserve  du  funeste  élal  de  tié- 
deur, et  qu'en  lui  faisant  connaître  ses  dé- 
fauts et  ses  faiblesses,  elle  l'excite  à  s'en 
corriger.  Mais  afin  que  la  retraite  firoduiso 
dans  l'âme  des  fruits  excellents,  il  faut  y 
entrer  avec  un  grand  désir  d'en  jirofiter, 
avec  l'unique  intention  d'y  chercher  I>iei! 


27 


ORATEURS  sacres:  L'ABBE  DE  MOiNTIS. 


et  sa  perfection  ;  il  faut  y  apporter  un  cœur 
docile,  sincèrement  disposé  à  écouter  Dieu, 
et  à  lui  obéir;  il  faut  s'armer  d'un  grand 
courage  pour  se  comballro  soi-raôme,  pour 
surmonter  les  tentations  et  les  obstacles  à 
son  salut;  il  faut  de  plus  se  rendre  assidu 
à  tous  les  exercices  de  la  retraite,  et  ne  rien 
perdred'un  temps  aussi  précieux,  et  pourcela 
tenir  tous  ses  sens  dans  le  recueillement  : 
quels  grands  biens  ne  produiront  pas  dans 
vos  âmes  ces  saints  exercices,  si  vous  vous 
appliquez  à  les  bien  faire  I 

Ah  !  je  le  comprends  présenlement,  ô  mon 
Dieu,  tout  le  bien  que  peut  opérer  en  moi 
une  sainte  retraite  !  Hé,  qu'ai-je  fait  pour 
que  vous  ayez  jeté  sur  moi  des  regards  do 
miséricorde?  Combien,  dans  mon  état,  ont 
été  privées  de  cette  grâce  singulière!  J'en 
conçois  dans  ce  moment  tout  le  prix,  et 
suis  bien  résolue  d'en  profiter  pour  mon 
salut;  hélas!  je  n'ai  jusqu'ici  que  trop  ré- 
sisté aux  inspirations  de  votre  grâce;  mais 
c'en  est  fait,  ô  mon  Dieu  ,  vous  allez  trou- 
ver mon  «œur  attentif  à  vous  écouler,  et 
docile  surtout  h  vous  obéir  ;  je  vous  en  fais 
la  promesse  en  commençant  ces  exercices 
spirituels;  mais  vous  connaissez  ma  fai- 
blesse, mon  inconstance,  ma  légèreté;  sou- 
tenez-moi donc  par  votre  grâce,  encoura- 
gez-moi ,  forlifiez-moi ,  ne  permettez  pas 
qu'ils  soient  un  jour,  ces  saints  exercices, 
le  sujet  de  ma  plus  grande  condamnation  ; 
faites,  au  contraire,  par  le  fruit  que  j'en 
retirerai,  que  je  puisse,  le  reste  de  mes 
jours,  les  regarder  comme  l'époque  de  ma 
conversion,  de  mon  dévouement  entier  à 
voire  service,  et  par  là,  la  source  de  mon  sou- 
verain bonheur  dans  l'éternité.  Ainsi  soil-il 

PREMIER   JOUR. 

Premier  discoiiis. 
SUR   LE   SALUT, 

l  Unum  est  iiecessarium.  (Luc,  X,  42. 
Une  seule  chose  est  nécessaire. 

Telle  est.  Mesdames,  la  réponse  que 
Jésus-Christ  lit  à  Marthe,  lorsque,  étonnée 
qu'aux  soins  et  aux  mouvements  qu'elle 
se  donnait  pour  le  bien  recevoir  dans  sa 
maison,  sa  soeur  Marie  préférât  d'être  à  ses 
pieds,  pour  entendre  ses  salutaires  instruc- 
tions, elle  crut  devoir  s'en  plaindre  à  Jésus- 
Christ  lui-même  :  Marthe,  Marthe,  lui  dit 
leDieuSauveur,  vous  vous  agitez,  vous  vous 
tourmentez  sur  bien  des  choses  inutiles  :  ï'ttr- 
bariscircaplurima  .[Luc.,\,ki.)  Se\ous\ed\s 
ici,  il  n'est  qu'une  chose,  qu  'une  seule  af- 
faire nécessaire  qui  doive  vous  occuper  sé- 
rieusement; c'est  d'écouler  mes  leçons,  de 
les  mettre  en  pratique,  pour  mériter  par  là 
de  régner  éternellement  avec  moi  dans  le 
ciel  :  Unum  est  necessarium.  Hélas,  Mesda- 
mes, à  combien ,  je  ne  dirai  |)as  seulement 
de  chrétiens  du  monde  ,  mais  même  de  per- 
.sonnes  religieuses,  ne  pourrait -on  pas 
adresser  ces  paroles  de  Jésus-Christ  :  Que 
faites-vous,?  Dans  un  état  de  sainteté  auquel 
votre  Dieu  vous  a  appelées,  vous  vous  oc- 
cupez d'une  infinité  d'objets  frivoles,  ini'U- 
Ics,  funestes  même  au  bien  de  voire  Ame  : 
Turbaris  circa  plurima.  El  voire  salul,  vous 


paraissez  l'oublier,  ou  vous  n'y  travaillez 
qu'avec  la  plus  grande  tiédeur,  qu'avec  la 
plus  grande  négligence.  Ah  !  c'est  que  vous 
n'êtes  pas  assez  convaincues  que  c'est  la 
plus  importante  affaire,  que  c'est  môme, 
è  proprement  parler,  l'unique  affaire  qui 
doive  sérieusement  vous  occuper  :  Unum 
est  necessarium. 

C'est  de  cette  grande  vérité  que  je  viens 
vous  entretenir  ici ,  Mesdames  ;  je  viens 
vous  montrer  qu'il  n'est  aucune  aflaire  qui 
doive  autant  vous  affecter,  vous  occuper 
autant  que  l'afTaire  de  votre  salut,  parce 
qu  il  n'en  est  aucune  qui  puisse  autant  vous 
toucher,  vous  intéresser  :  mais  je  ne  me 
bornerai  point  à  vous  prouver  son  impor- 
tance ;  pour  vous  engager  à  y  apporter 
toute  la  vigilance  et  tous  les  soins  dont  vous 
êtes  capables,  je  tâcherai,  de  plus, de  vous 
convaincrd  que  c'est  une  affaire  qui  pré- 
sente de  grandes  difficullés,  de  irès-grands 
obstacles.  En  deux  mots,  Mesdames,  l'affaire 
du  salut  est  de  toutes  les  affaires  la  plus 
importante  ;  vous  devez  donc  y  travailler  : 
ce  sera  le  sujet  de  fa  première  partie  de  ce 
discours.  L'atfaire  du  salut  est  de  toutes  les 
affaires  la  plus  difficile;  vous  devez  donc  y 
travailler  avec  la  plus  grande  application  : 
ce  sera  le  sujet  de  la  seconde  partie.  Hono- 
rez-moi, s'il  vous  plaît,  de  toute  votre  at- 
tention. Ave,  Maria. 

PHEMIÈBE    PàUTIE 

Si  nous  voyons,  Mesdames,  si  peu  de  chré- 
tiens, dans  le  monde  surtout,  s'occuper 
de  leur;«?\ut,  travailler  sérieusement  à  leur 
salut,  c'est  qu'il  en  esl  bien  peu  qui  soient 
inlérieuremer/,  et  du  fond  du  cœur,  bien 
convaincus  de  toute  l'importance,  comme 
de  l'absolue  nécessité  du  salul.  Toute  la 
terre,  dit  un  prophète,  est  livrée  aux  cri- 
mes, aux  désordres,  parce  qu'il  n'est  per- 
sonne ou  presque  personne  qui  réfléchisse 
sérieusement  sur  ses  devoirs;  point  d'af- 
faire cependant  qui  mérite  plus  nos  soins 
et  nos  attentions,  parce  qu'il  n'est  point  d'af- 
faire plus  sérieuse,  plus  importante  pour 
nous  et  pour  chacun  de  nous.  Pour  vous 
faire  sentir  ici.  Mesdames,  cette  vérité,  con- 
sidérons-le, ce  salut,  et  par  rapport  à  Dieu 
qui  en  est  l'auleur,  et  par  rapport  à  nous 
qui  en  sommes  l'objet;  le  considérant  par 
rapporta  Dieu,  tout  ce  qu'il  a  fait  pour  nous 
le  procurer,  nous  fera  connaître  le  jugement 
qu'il  en  a  porté  et  l'estime  qu'il  en  a  faite; 
le  considérant  par  rapport  à  nous-mêmes, 
les  effets  avantageux  ou  funestes  qu'il  doit 
produire  seront  bien  capables  de  nous  faire 
connaître  qu'il  n'est  point,  pour  nous,  d'af- 
faire plus  importante  et  même  aussi  impor- 
tante, et  qui  exige  par  conséquent  autant 
d'attention  et  de  soin. 

i.  Et  d'abord.  Mesdames,  si  nous  voulons 
considérer  notre  salut  par  rapport  à  Dieu, 
nous  le  verrons,  ce  Dieu  loul-puissant,  qui, 
de  toute  éternités  se  sulTisant  parlailemenl  à 
lui-même,  n'avait  aucun  besoin  de  ses  créa- 
tures, pour  son  bonheur;  nous  le  verrons  se 
plaire  à  former  des  créatures  raisonnables. 


S9 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  PREMIER  JOUR. 


50 


qui  pussent  1  adorer  el  le  servir,  se  sancli- 
fier  en  le  servant,  et  mériter  par  Ib  de  le 
jiosséder  éternelleuient  dans  le  ciel  ;  ce 
«lui  a  fait  dire  à  l'apôtre  saint  Paul  que  ce 
Di'îu  de  bonté  nous  a  choisis  pour  des 
saints,  dès  avant  n)ôme  la  création  du 
monde.  Voilà  en  ellel.  Mesdames,  la  lin  pour 
laquelle  il  nous  a  lires  du  néant,  et  nous  a 
tous  mis  sur  la  terre,  lin  la  plus  noble  et 
la  plus  digne  de  lui,  j'ajoute,  lin  nécessaire; 
car  notre  Dieu  no  pouvant  agir  en  tout 
que  pour  sa  gloire,  il  n'a  pu  par  conséquent 
nous  créer  que  pour  lui  ;  voilà  le  terme 
heureux  de  notre  existence  :  nous  ne  pou- 
vons donc  nous  en  écarler,  sans  aller  con- 
tre ses  desseins  éternels.  Tout  ce  que  ce 
Dieu  tout-puissant  a  l'ail  dans  la  suile  a  eu 
la  môme  un;  c'est  pour  ses  élus  qu'il  a 
tiré  du  néant  loules  les  autres  créatures, 
qu'il  les  leur  a  données  comme  autant  dn 
moyens  pour  le  servir,  et  de  degrés  pour 
s'élever  jusqu'à  lui;  c'est  pour  cela  que 
dans  l'ancienne  loi  il  s'est  choisi  un  peu- 
ple particulier  auquel  il  a  prescrit  ses  pvé- 
ceptes  et  inlimé  ses  volontés,  au  milieu  des 
tonnerres  et  des  éclairs,  pour  lui  faire  mieux 
sentir  sa  grandeur,  sa  [luissance  et  la  sain- 
teté de  sa  loi;  c'est  pour  cela,  c'est  pour 
se  l'attacher  et  pour  le  sauver,  ce  |)euple 
choisi,  qu'il  lui  envoyait  de  temps  en 
temps  des  prophètes  pour  l'inslruire  et  le 
rappeler  à  ses  devoirs,  lorsqu'il  paraissait 
les  enfreindre  et  les  oublier. 

Mais  si  nous  voulons  surtout,  Mesdames, 
bien  connaître  les  desseins  de  noire  Dieu, 
dans  l'ordre  du  salut,  et  combien  il  désire 
que  nous  nous  sauvions,  considérons,  avec 
attention,  ce  que  ce  Dieu  de  bon  té  a  fait  dans  la 
nouvelle  loi,  et  nous  ne  pourrons  nous  empê- 
cher de  le  reconnaître,  à  l'exemple  du  Roi- 
Prophète,  pour  le  Dieude  notre  salut  :tf  eus  sa- 
luiis  meœ.  (Psal.  XXXVII,  23.)  C'est  pour  cela 
en  elfet,  qu'après  s'élie  servi'de  Moïse  et  de 
ses  prophètes  pour  instruire  les  hommes 
de  tout  ce  qu'ils  devaient  faire  pour  lui 
plaire  et  se  sauver,  il  a  envoyé,  dans  les 
derniers  temps,  son  [)ropre  Fils,  son  Fils 
unique.  C'est  [lOur  cela,  c'tst  pour  nous  faire 
lousdes  saints, que  le  Dieu  Sauveur  a  quitté 
le  .sein  de  sa  gloire,  qu'il  est  venu  habiter 
parmi  nous,  qu'il  s'est  revêtu  d'une  chair 
mortelle  et  passible,  que,  depuis  le  premier 
moment  de  sa  naissance  jusqu'au  dernier 
soupir  de  sa  vie,  il  a  vécu  dans  la  misère  et 
dans  les  souU'rances;  lui-même  nous  ap- 
prend qu'il  n'est  venu  sur  la  terre  que  pour 
sauver  ceux  qui  étaient  en  danger  de  f)érir; 
que  son  Père  éternel  ne  l'a  envoyé  dans  le 
monde  qu'alin  que  le  monde  obtînt  par  lui 
la  grâce  du  salut;  tout  ce  qu'a  fait  ce  Dieu 
Sauveur,  tant  (lu'il  a  été  sur  la  terre,  tendait 
à  cette  unique  lin  du  salut  des  âmes;  c'était 
pour  courir  après  les  brebis  de  la  maison 
d'Israël,  qu'on  le  voyait  parcourir  avec  ses 
apôtres  et  ses  disciples  ies  villes  et  les  bour- 
gades de  la  Judée  ;  c'était  pour  sauver  les 
âmes,  qu'il  passait  les  nuits  entières  occupé 
à  la  prière,  qu'il  conversait  avec  les  pé- 
cheurs, au'on  le  voyait  opérer  les  plus  grands 


prodiges,  rendre  la  vue  aux  aveugles,  l'ouio 
aux  sourds,  redresser  les  boiteux,  guérir 
L^s  infirmes,  donner  la  vie  aux  morts,  ayant 
toujours  en  vue,  en  guérissant  les  corps,  la 
guérison  et  le  salut  des  âmes.  C'est  pour 
cela.  Mesdames,  c'est  ()Our  voire  salut,  que 
ce  Dieu  Sauveur,  par  une  miséricorde  in- 
finie et  toute  spéciale,  vous  a  tirées  du  mi- 
lieu du  monde  et  de  tous  ses  dangers,  qu'il 
vous  a  placées  dans  la  terre  des  saints  eî 
dans  un  état  pro[tre  à  vous  sanctifier;  dans 
tout  ce  qu'a  fait  ce  Dieu  Sauveur,  tant  qu'il 
a  été  sur  la  terre,  il  n'a  eu  d'autre  fin  (juo 
de  sauver  les  âmes;  ses  instructions,  ses 
travaux,  ses  voyages,  ses  prières,  ses  mi- 
racles, ses  souifrances,  sa  passion,  son 
agonie,  sa  mort,  tout  tendait  là. 

Ah  !  sa  mort  :  oui.  Mesdames,  voulez-vous 
connaître,  une  bonne  fois,  l'excellence  de 
voire  âme  et  l'importance  de  votre  salut? 
Transpoclez-vons  en  esprit  sur  le  Calvaire; 
considérez-y  cet  Homme- Dieu  si  couvert 
de  plaies,  par  la  cruelle  flagellation  et  par 
tous  ies  autres  tourments  qu'il  a  soufferts, 
qu'à  peine  a-t-il  la  figure  humaine,  dit  un 
prophète;  voyez-le  suspendu  sur  la  croix  , 
la  tête  couronnée  de  rudes  épines,  les  pieds 
et  les  mains  percées;  osez,  osez  interroger 
ce  Dieu  Jésus,  et  lui  demander  qui  l'a  mis, 
et  pourquoi  il  a  été  mis  dans  un  aussi  cruel 
étal  1  il  vous  répondra  que  c'est  vous  mômes 
et  pour  vous-mêmes;  que  c'est  vous- 
mêmes,  par  les  péchés  que],  vous  avez 
commis,  que  c'est  [)Our  vous-mêmes, 
pour  vous  réconcilier  avec  son  Père  éternel 
et  pour  vous  obtenir  la  grâce  du  salut  ;  et 
si  un  speclacle  aussi  attendrissant  vous  at- 
tendrit en  effet,  et  vous  fait  verser  des  lar- 
mes, pensez  que  cet  Homme-Dieu  mourant, 
et  mourant  pour  vous,  vous  dit  ce  qu'il  dit 
aux  saintes  femmes  de  Jérusalem,  qui  vou- 
lurent le  suivre,  et  être  les  témoins  de  ses 
supplices  et  desa  mort  :'Ah  !  ne  pleurez  pas  sur 
moi,  mais  pleurez  sur  vous  :  «  Super  vos  flefe 
[Luc,  XX11I,^8}  ;  »  ne  pleurez  [)as  sur  moi: 
quelqu'afl'reux  que  soient  les  tourments  que 
vous  me  voyez  souffrir,  c'est  de  ma  projire 
volonté,  c'est  même  avec  plaisir  que  jejes 
souffre,  parce  que  ces  tourments  me  servent 
à  vous  ouvrir  la  porte  du  ciel,  et  à  vous 
montrer  la  voie  du  salut  ;  mais  pleurez  sur 
vous-mêmes;  pleurez  de  ce  qu'après  tout 
ce  que  j'ai  fait  et  souffert  pour  vous  sauver, 
vous  ne  faites,  vous,  aucun  cas  de  voire  sa- 
lut et  de  l'ouvrage  de  votre  perfection,  que 
vous  la  négligez,  que  par  vos  résistances 
continuelles  h  mes  inspirations,  que  par 
l'abus  que  vous  faites  de  mes  grâces,  et  des 
grâces  sans  nombre  que  je  vous  prodigue 
d;ins  voire  saint  état,  que  par  les  péchés, 
les  infidélités  que  vous  ne  cessez  de  com- 
mettre, bien  loin  de  travailler  à  vous  per- 
fectionner et  à  vous  sauver,  vous  ne  tra- 
vaillez (ju'à  me  déplaire  et  à  vous  perdre  : 
Super  vos  (lele. 

Mais  ce  qui  doit  vous  prouver  encore. 
Mesdames,  combien  notre  Dieu  Sauveur  a 
voulu  et  désiré  notre  salut,  c'est  que  ses 
soins  sur  cela,  il  ne  les  a  point  bornés  au 


ORA'IEURS  SACHES.  L'ABBE  DE  MOiMIS. 


S2 


temps  de  sa  vie 'raortelie;  môme  après  sa 
mort,  môme  après  s.i  résurrection,  il  en  a 
paru  tout  occupé;  c'est  pour  cela  qu'avant 
ie  remonter  au  séjour  de  sa  gloire,  il  a 
donné  h  son  lisprit-Saint  et  à  ses  apôlres 
àlh  tous  leurs  successeurs ,  etaveo  le  Saint- 
Esprit,  le  pouvoir  de  remettre  tous  les  pé- 
chés. C'est  pour  cela  qu'il  a  fondé  son  Eglise, 
hors  de  laquelle  il  ne  peut  y  avoir  de  salut, 
mais  aussi  dans  laquelle  rien  ne  manque 
pour  l'opérer;  qu'il  y  a  établi  des  pontifes, 
jes  prêtres  el  des  docteurs,  qui  ne  cessent 
d'enseigner  les  voies  du  salut,  qu'il  y  a 
institué  tous  ces  sacrements  qui,  conime 
autant  d'inslruraenls  de  salut,  nous  com- 
muniquent, en  ditîérentes  manières,  sa 
grâce  sancUfiante  ;  c'est  pour  cela  surtout 
que,  quoique  assis  dans  le  ciel,  à  la  droi'e 
de  Dieu  son  Père,  il  a  voulu  résider,  pen- 
dant tous  les  siècles,  el  jusqu'à  la  consom- 
mation des  siècles,  [larmi  nous,  dans  le  sa- 
crement eucharisiiquo ,  afin  d'être  noire 
soutien,  noire  force,  noire  refuge,  pendant 
la  vie,  ^contre  tous  les  ennemis  de  noire 
salut;  et  à  la  morl,  noire  guide,  noire  viati- 
que, pour  nous  conduire  en  sûreté  lui- 
même  au  port  du  salut. 
,  Ah  1  Mesdames,  pouvons-nous  assez  ad- 
mirer l'infinie  bonté  d'un  Dieu  qui  se 
montre  aussi  occupé  de  noire  salut,  de  notre 
bonheur  éternel,  que  s'il  lui  était  néces- 
saire pour  son  propre  bonheur;  mais  ce 
que  nous  devons  encore  plus  admirer  ici, 
el  ce  nui  doit  paraître  un  prodige,  aux  yeux 
de  la  loi,  c'tsl  l'insensibilité  de  la  plupart 
des  chrétiens  pour  leur  salul;  un  Dieu  a 
tout  fait  pour  les  sauver,  et  ces  personnes, 
ces  chrétiens  qui  y  sont  personnellement 
intéressés,  qui  n'ont  qu'une  ûme  à  jierdre 
ou  à  sauver,  qui  font  |)rofession  de  croire  à 
une  éternité  de  bonheur  ou  de  maliieur, 
montrent  cependant  la  plus  grande  indilTé- 
renco  pour  leur  salul,  risquent  à  toute 
heure  leur  salut,  préfèrent  souvent  une 
légère  satisfaction,  un  faux  plaisir  d'un 
instant,  à  des  biens  solides,  immenses  et 
éternels,  à  leur  salul;  ainsi  dans  les  vues 
de  notre  Dieu,  nuire  salut  est  ce  qu'il  y  a 
de  filus  grand,  de  plus  important,  de  plus 
digne  des  soins  de  son  infinie  providence, 
et  dans  l'esprit  d'une  infinité  de  chré- 
tiens et  de  tous  les  étals,  et  les  plus 
saints  quelquefois,  c'est  ce  qu'il  y  a  de 
moins  intéressant ,  de  moins  digne  de 
leur  allenlion  ;  comme  ces  vieillards,  juges 
iniques,  dont  parle  le  prophète  Daniel,  bien 
loin  de  travailler  avec  zèle  à  leur  salut,  ils 
détournent  leurs  yeux  du  ciel,  pour  ne  pas 
|)enser  au  bonheur  infini  qui  les  y  allend; 
destinés,  par  leur  Créateur,  è  la  lin  la  plus 
noble,  la  plus  sublime,  la  seule  digne  d'une 
<lme  raisonnable,  spirituelle  et  immorlelle  , 
ils  se  dégradent  et  s'avilissent,  comme  des 
animaux  sans  raison,  en  se  liviant  à  des 
plaisirs  bas  et  honteux.  O  aveuglement,  ô 
stupidité,  ô  folie  !  A  considérer  l'affaire  du 
salut  par  ra|)port  à  Dieu,  c'est  donc  une  af- 
faire de  la  plus  grande  importance;  mais 
tious  serons  encore  bien  plus  convaincus  de 


celle  vérité,  si  nous  voulons  la  considérer 
par  rapport  à  nous-mêmes. 

II.  El  en  effet.  Mesdames,  pour  peu  que 
nous  veuillions  réfléchir  sur  notre  salut 
éternel,  nous  remarquerons  que  c'est  pour 
nous  loul  à  la  fois  une  affaire  personnelle, 
qui  nous  regarde  directement,  à  laquelle 
nous  devons  travailler  nous-mêmes,  et  une 
aflaire  indispensable,  5  laquelle  nous  de- 
vons travailler  nécessairement,  el  une  af- 
faire pressée,  à  laquelle  nous  devons  tra- 
vailler promplement,  el  une  affaire  irrépa- 
rable, dont  les  risques  sont  infinis,  et  à 
laquelle  nous  devons  par  conséquent  tra- 
vailler sûrement  ;  quel  fond  de  réflexions! 
Je  reprends  ,  el  je  dis  en  premier  lieu  que 
noire  salut  est  une  affaire  absolument  per- 
sonnelle; oui,  Mesdames,  dans  tout  aulie 
affaire  qui  nous  regarde,  quelqu'inléres- 
sanle  qu'elle  puisse  être,  nous  pouvons  la 
traiter  par  autrui  ;  il  en  est  peu  môme  dans 
lesquelles  nous  n'ayons  besoin  de  quel- 
qu'autre  pour  y  réussir:  mais  l'affaire  de 
notre  salut  nous  louche  si  iniimemenl,  si 
immédiatement,  que  nous  devons  y  tra- 
vailler nous-mêmes;  nous  pouvons  bien, 
nous  devons  môme  être  secourus,  aidés 
pour  cela,  el  du  côftj  du  Seigneur,  par  sa 
grâce;  el  du  côté  de  ses  ministres,  par 
leurs  conseils  et  par  l'usage  de  leurs  pou- 
voirs spirituels:  mais  c'est  toujours  nous- 
mêmes  qui  devons  agir,  qui  devons  prier, 
opérer,  combattre  el  nous  mortifier,  parce 
que  le  salul  tombant  directement  sur  l'âme, 
ce  n'est  point  l'àme  d'un  autre,  mais  noire 
âme  propre  qu'il  s'agit  de  purifier,  de  sanc- 
tifier et  de  sauver;  Dieu  qui  nous  a  créés 
sans  nous,  dit  saint  Augustin,  ne  veut  pas 
nous  sauver,  el  ne  nous  sauvera  jamais 
sans  nous:  point  d'intérêt  par  conséquent 
aussi  important,  point  d'intérêt  qui  nous 
affecte  et  qui  nous  touche  d'aussi  près  que 
noire  salut  ;  c'est  donc  une  affaire  absolu- 
ment personnelle. 

Je  dis,  en  second  lieu,  que  c'est  une  af- 
faire indispensable,  à  laquelle  il  est  pour 
nous  de  toute  nécessité  de  travailler;  je 
dis  plus,  c'est  même  ,  à  parler  propre- 
ment, la  seule  atfaire  vraiment  indispen- 
sable; car  enfin,  toute  les  autres  affaires  , 
qiielqu'imporlanles  qu'elles  puissent  nous 
paraître,  ne  supjiosenl  après  loul  qu'un  in- 


térêt 
du 


temporel   et   passager 


regarde 


mais  l'affaiie 
salut,  c'est  l'affaire  de  l'éternité,  t^ui 
'élernilé,  qui  influe  jusque  dans 
l'éternité;  ainsi,  absolument  |)arlanl ,  je 
puis  renoncer  à  ma  santé,  à  mon  repos,  à 
mes  biens,  à  ma  réputation,  à  ma  vie  môme, 
je  le  dois  môme  (juelquef'jis  pour  obéir  à 
mon  Dieu,  et  si  cela  est  nécessaire  à  mon 
salut  ;  mais  pour  mon  salul  lui-même,  il 
n'est  aucune  occasion  ,  aucune  raison  qui 
puisse  el  qui  doive  m'y  faire  renoncer; 
je  dis  plus,  qui  doive  me  le  faire  hasarder, 
par-ce  que  créé  pour  Dieu,  el  uniquemen' 
el  nécessairement  créé  pour  Dieu,  je  doi.< 
nécessairement  et  continuclloment,  dan? 
ma  conduite  cl  dans  toutes  mes  actions, 
regarder  Dieu,  Icndie  h  Dieu,  el  cela  est  s; 


33 


iDISCOURS  DE  RETHAITE.  —  PREMIER  JOUR. 


34 


vrai  que  toute  action  ,  que  môme  tout  désir 
du  cœur,  que  toute  pensée  volontaire  do 
l'esprit  qui  ne  regarderait  pas  Dieu,  qui  ne 
tondrait  pas  à  Dieu,  serait  par  là  môme  un 
désordre  et  uu  éloignemeut  do  ma  fin  der- 
nière. Voilà  en  eti'el,  Mesdames,  ce  qui  a 
engagé  le  chaste  Jose()li,  la  vertueuse  Su- 
zanne, et  une  infinité  de  saints  et  de 
saintes  de  l'ancienne  loi  et  de  la  nouvelle 
surtout,  à  tout  saciilier,  à  tout  soulTrir,  jus- 
qu'à préférer  de  mourir,  et  quelques-uns, 
dans  les  plus  alfreux  tourments,  plutôt  que 
de  perdre  leur  âme,  de  la  rendre  criminelle 
aux  yeux  de  Dieu,  et  de  renoncer,  par  là,  à 
leur  salut.  Voi'à  ce  qui  fait  que  les  vrais 
chrétiens,  et  dans  lous  les  étals,  vivent  et 
ont  toujours  vécu  dans  une  attention  scru- 
imleuse  à  ne  point  olfenser  Dieu,  parce  que 
i'ollenser,  c'était  s'exposer  à  se  perdre,  à 
manquer  leur  salut  ;  intimement  [lersuadés 
de  celte  sentence  qu'a  prononcée  le  Fils  de 
Dieu,  qu'il  n'est  rien,  dans  l'univers,  qui 
puisse  être  mis  en  parallèle  avec  l'inlérôt 
de  l'Ame,  qui  puisse  la  dédommager  de  la 
perle  du  salut,  ils  ont  paru  disposés  à  tout 
perdre,  à  tout  sacrifier,  f)Our  sauver  leur 
âme;  et  voilà  ce  qui,  de|)uis  l'établissement 
de  l'Eglise  et  dans  lous  les  siècles,  a  en- 
gagé tant  de  chrétiens  de  l'un  et  l'autre 
sexe  h  quitter  le  monde  ,  et  ce  qui  vous  a 
engagé  vous-mêmes,  Mesdames,  à  y  renon- 
cer courageusement  et  pour  toujours,  à 
répondre  à  ceux  qui  voulaient  vous  détour- 
ner d'une  aussi  généreuse  entreprise,  que 
c'était  pour  vous  sauver,  pour  travailler 
plus  sûrement  à  votre  salut.  L'adaire  du 
salut  est  donc  une  alfaire  indispensable. 

Mais  elle  est  de  plus  et  en  troisième 
lieu,  une  atTaire  pressée,  et  d'autant  plus 
pressée,  que  malgré  toute  son  importance, 
nous  n'avons  que  le  temps  de  noire  vie 
pour  y  travailler,  que  ce  lemps  est  toujours 
fort  court;  il  s'agit  de  nous  procurer  un 
bonheur  souvecain  et  éternel;  est-ce  trop 
d'y  employer  quelques  moments,  quelques 
années,  qui,  (|uelque  longues  qu'elles 
i)uissent  être,  doivent  nous  paraître  comme 
un  point,  comparées  à  l'éternité?  Mais  une 
autre  raison.  Mesdames,  qui  doit  vous  en- 
gagera travailler  promi)lement,à  travailler 
dès  à  |)résent  à  voire  salut,  c'est  que  vous 
ne  pouvez  raisonnablement  compter  sur 
l'avenir;  c'est  qu'à  proprement  parler, 
.  vous  n'avez  que  l'inslanl  l'résent  à  votre 
disposition.  Rien  donc  de  plus  raisonnable 
que  de  |)roIiler  de  cet  instant,  pour  vous 
donner  entièrement  à  Dieu,  pour  travailler 
à  votre  salut,  comme  rien  de  plus  insensé 
que  de  n'en  poinl  profiter  ;  cent  fois  vous 
1  avez  entendu  dire,  que  rien  de  plus  cer- 
tain que  la  mort,  et  que  rien  de  plus  incer- 
tain que  l'heure  do  la  mon  ;  vous  le  savez, 
on  meurt  h  tout  âge;  la  jeunesse  n'en  est 
pasexemple  :  rappelez-vous combiendeper- 
sonnes  d'un  âge  peu  avancé, dont  vousavez 
appris  la  mort  ou  que  vousavez  vues  mou- 
rir et- parmi  vous  peut-ôlre.  Ah  !  Mesdames, 
que  de  personnes  et  de  jeunes  personnes 
actuellement  dans  l'enfer,   qui  pendant  la 


vie,  toucliées  de  sainlcs  pensées,  animées 
du  désir  de  se  donner  à  Dieu,  ont  hésité, 
diiréré  de  jour  en  jour,  et  qui  ne  verront 
jamais  Dieu,  pour  avoir  remis  à  un  autre 
lemj)s  leur  salut;  l'alTuire  du  salut  est 
donc  une  affaire  très-pressée. 

Je  dis,  en  quatrième  lieu,  que  c'est  une 
affaire  irréparable.  J'appelle  affaire  irrépa- 
rable, celle  qui  malheureusement  terminé'e, 
plonge  dans  les  plus  grands  malheurs  et  ne 
laisse  aucune  ressource  pour  s'en  délivrer: 
telle  esl  l'affaire  du  salut;  à  la  vérité,  ler- 
minée  heureusement,  cette  affaire, elle  sera 
pour  moi  la  source  d'un  bonheur  infini  et 
éternel  tout  ensemble;  une  fois  arrivé  au 
j)ort,  jamais  je  n'aurai  de  lempêle  à  essu- 
yer, de  naufrage  à  craindre;  je  posséderai 
mon  Dieu,  et  en  le  possédant,  je  posséde- 
rai tout  ce  qui  peut  procurer  à  mon  âme 
une  joie,  u!  e  félicité  parfaite,  et  de  plus, 
en  le  possédant ,  je  ne  craindrai  point  de  le 
perdre,  je  le  posséderai  et  serai  sûr  de  le 
posséder  éternellement  :  pensée  bien  con- 
solante pour  ceux  qui  souffrent  dans  ce 
monde.  Supposons  en  effet  la  personne  la 
plus  malheureuse  de  toutes  celles  qui  ont 
existé  sur  la  terre,  qui  ait  ressenti,  loule 
sa  vie,  les  tristes  effets  de  la  plus  affreuse 
indigence,  ;  qui  ait  été  calomniée,  mépri- 
sée, outragée,  persécutée  ;  qui,  outre  ces 
disgrâces,  ait  été  accablée  de  douleurs  et 
d'infirmités,  qui  ait  paru,  en  un  mot,  égi'- 
lement  abandonnée  du  ciel  et  de  la  terre; 
supposons  de  plus  qu'elle  soit  parvenue, 
avec  lous  ces  maux,  jusqu'à  la  plus  extrê- 
me vieillesse,  mais  qu'elle  ait  joint  la  mort 
avec  la  grâce  sanctifiante,  qu'elle  soit  ex|n- 
rée  dans  le  baiser  du  Seigneur,  l'affaire  de 
son  salul  est  heureuseujent  terminée;  la 
voilà  par  conséquent  assurée  d'une  félicité 
immense  et  éternelle;  lous  ses  maux  sont 
passés,  oubliés  pour  toujours,  ou  si  elle 
se  les  rappelle,  ce  n'est  que  pour  trouver 
plus  heureuse  sa  situation  présente:  à  peu 
près  comme  celui  qui  a  essuyé  sur  la  luer 
la  plus  affreuse  tempête,  une  fois  arrivé  au 
port',  il  se  plaît  à  se  rappeler  et  à  raconter 
les  périls  auxquels  il  a  été  exposé. 

Mais  que  i)ar  une  supposition  toute  con- 
traire, une  personne  ail  joui,  sur  la  terre,  do 
toute  la*  félicité  qu'on  peut  s'y  procurer; 
qu'elle  se  soit  trouvée  au  comble  des  hon- 
neurs, sur  le  premier  trône, de  l'univers,  si 
vous  voulez;  qu'elleait  été  universellement 
estimée,  aimée  et  respectée;  que  ses  riclies- 
ses  aient  égalé  sa  puissance  et  sa  gloire; 
que,  comme  Salomon,  elle  ait  joui  une 
longue  suite  d'années  de  lous  ces  avanta- 
ges; que,  comme  ce  prince,  elle  ait  livré 
son  cœur  à  la  joie  et  aux  plaisirs  ;  qu'elle  se 
soit  fait,  comme  lui,  une  élude  de  ne  rien 
refuser  à  ses  goûts  et  à  ses  désirs,  si  elle 
vient  enfin  à  mourir  dans  le  péché  et  dans 
la  haine  de  Dieu,  par  conséquent,  que  de- 
vient loule  sa  prétendue  félicité?  Hélas! 
elle  s'évanouit  comme  un  songe  agréable 
qui  se  lermineavecle  sommeil.  Ah  I  que  sert 
à  /'/tomme,  dit  Jésus-Christ  lui-môme,  d'avoir 
gagné  l'univers  entier,  s'il  vient  à  perdre  son 


55 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTiS. 


36: 


âme?i>  Quid  prodcsl  ?  »  {Mallh.,\yi,  26.)  — 
/«5en5^,  dit  encore  ceDieu  Sauveurà  celui  qui 
mot  loule  sa  l'élicilé  dans  les  biens  d'ici-bas, 
insensé,  celle  nuit  on  va  redemander  voire 
âme;  el  tous  ces  biens  que  vous  avez  amas- 
sés avec  tant  de  soin,  pour  qui  seront-Us?  «Cm- 
jus  cruDt  ?  »  {Luc,  XII,  20.)  A  combien  de 
personnes  du  monde,  elà  combien  de  person- 
nes engagées  dans  lesaintélatde  la  religion 
ne  pourrail-on  pas  adresser  ces  paroles: 
Quoi  1  vous  ne  paraissez  occupées  qu'à  vous 
satisfaire  aux  dépens  de  votre  conscience  et 
de  vos  devoirs;  qu'à  passer  vos  jours  dans 
la  dissipation,  qu'à  perdre  tout  votre  temps 
dans  des  occupations  inutiles  entièrement 
opposées  à  l'esprit  de  votre  saint  état,  et 
par  conséquent  préjudiciables  à  votre  âme, 
à  voire  salut;  si  la  mort  vient  vous  surpren- 
dre, comme  elle  en  a  surpris  une  intinité 
d'autres,  au  milieu  de  cette  vie  tiède,  sen- 
suelle et  dissipée;  que  vous  servira,  dans 
l'autre  mondé,  d'avoir  tenu,  dans  celui-ci, 
une  conduite  si  peu  conforme  aux  titres 
augustes  de  chrétienne  et  d'épouse  de  Jé- 
sus-Christ que  vous  portez?  Que  vous  ser- 
vira dans  réternilô  d'avoir  été  dans 2  le 
temps  livrée  à  vos  désirs  déréglés?  Voilà, 
en  effet,  les  tristes  et  inutiles  réflexions 
que  font  une  infinité  d'âmes  et  d'âmes  reli- 
gieuses dans  l'enfer.  Hélas!  que  nous  a 
servi,  se  disent-elles  sans  cesse,  ce  préten- 
du bonheur  que  nous  nous  sommes  procuré 
sur  la  terre?  Tout  est  pas,s4,  et  s'est  éva- 
noui pour  nou<,  comme  une  ombre  légère  : 
Transieruntvelul  umbra{Psal. ,C\,i2},el  le  sou- 
verain malheur  que  nous  nous  sommes  procu- 
ré en  insensées  n'aura  point  de  fin;  il  durera 
autant  que  notre  Dieu  vengeur,  éternelle- 
ment, par  conséquent.  L'affaire  du  salut  est 
donc  une  affaire  irréparable  à  laquelle  il 
est  de  la  dernière  importance  de  travailler. 
Cependant,  malgré  la  solidité  de  ces  véri- 
tés, qui  est-ce  qui  pense  et  qui  travaille  sé- 
rieusement à  son  salut?  Hélas!  pour  une 
personne  qu'on  voit  occupée  de  cette  grande 
affaire,  l'on  en  voit  mille  qui  la  négligent, 
qui  s'occupent  de  tout  autre  affaire;  l'on 
en  voit  qui,  dans  tout  autre  affaire,  font 
paraître  de  l'esprit,  des  lumières,  de  la  pru- 
dence, et  qui  se  conduisent  en  aveugles, 
en  insensés,  dans  tout  ce  qui  regarde  leur 
salut,  qui  le  risquent  à  chaque  instant,  qui 
cherchent  à  se  distraire,  à  s'étourdir  pour 
n'y  pas  penser,  comme  si  de  n'y  pas  ()en- 
ser  pouvait  les  préserver  des  suites  allreu- 
ses  que  sa  perte  entraîne  après  elle;  et  plût 
à  Dieu  que  cette  négligence,  que  cet  oubli 
(lu  salut  ne  se  trouvât  que  dans  le  monde  ! 
Mais  jusque  dans  la  retraite,  jusque  dans 
le  saint  état  de  la  religion,  nous  voyons  avec 
douleur,  et  nous  ne  le  voyons  que  trop 
souvent,  des  personnes  oublier  leurs  enga- 
gements et  se  perdre  pour  l'éternité. 

Pour  vous,  Mesdames,  qui  sentez  présen- 
tement el  plus  que  jamais,  combien  il  est 
important  de  vous  sauver,  el  quels  mal- 
heurs vous  vous  attireriez  en  ne  vous  sau- 
vant pas;  ahl  prenez  devant  Dieu,  dans  vo- 
lio  retraite,   une  résolution  ferme  de  ne 


jamais  perdre  de  vue  cotte  importante  af- 
faire de  voire  salut,  d'y  travailler  toute 
votre  vie,  avec  une  application  proportion- 
née à  son  importance,  (;t  aux  grandes  difli- 
cultés  qu'elle  présente;  c'est  pour  vous 
affermir  dans  cette  résolution  ,  qu'après 
vous  avoir  montré  que  le  salut  est  de  toutes 
les  affiiires  la  plus  importante,  j'ajoute  pré- 
sentement que  c'est  de  tnules  les  affaires  la 
plus  difficile. C'est  le  sujcî  de  la  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

C'est  une  vérité.  Mesdames,  et  une  vérité 
de  foi,  que  tous  les  chrétiens  peuventse  sau- 
ver, parce  qu'il  est  de  foi  que  Dieu  veut 
surtout  le  salut  de  tous  les  chrétiens,  qu'il 
donne  pour  cela  à  toas  les  chrétiens  des 
secours  oroporlionnés  aux  différentes  situa- 
tions où  ils  se  trouvent,  aux  dangers,  aux 
tcnlalions  auxquels  ils  |)euvenl  être  ex- 
posés. Mais  s'il  est  certain  que  nous  pou- 
vons tous  nous  sauver,  il  est  également, 
certain  que  nous  pouvons  tous  nous  perdre, 
qu'il  est  même  très-aisé  que  nous  nous  per- 
dions, si  nous  n'apportons  la  plus  grande 
vigilance,  leplus  grand  soin  à  notre  salut  ;  ce 
serait  vous  tromper  ici,  Mesdames,  el  vous 
faire  illusion,  de  vous  faire  reganler  votre 
salut  comme  une  affaire  aisée,  facile  et  qui 
coûte  peu  ;  ce  serait  combattre  ouvertement 
les  idées  de  tous  les  saints  qui  ont  jamais 
existé,  et  qui  tous  ont  éprouvé  de  grands 
obslades,  de  grandes  dillicultés  à  se  sau- 
ver; ce  serait  combattre  directement  les 
idées  du  Fils  de  Dieu  lui-même,  qui  nous 
a  toujours  fait  regarder  le  ciel  comme  un 
royaume  difficile  à  conquérir,  qui  demande 
les  plusgrands  efforts  pour  y  entrer  :  Conlen- 
dUeintrare.{Luc.,Xl\l,^!i.}A\m\, Mesdames, 
pour  entrer  dans  l'esprit  du  Dieu  Sauveur,  ce 
n'est  point  assez  de  vous  avoir  faitsenlir  toute 
l'importance  du  salul,  il  faut  de  [)lus  vous 
en  faire  bien  connaître  loule  la  difficulté. 
Or,  pour  cela,  j'entreprends  de  vous  faire 
considérer  le  salut  comme  dans  la  premiè/e 
l)artio  de  ce  discours,  et  par  rapport  à  Dieu 
et  par  rapport  à  vous-mêmes;  par  rapport 
Dieu,  il  vous  impose,  pour  vous.sauver,  do 
grandes  obligations;  par  rapport  à  vous- 
mêmes,  vous  avez,  f.our  vous  sauver,  à 
surmonter  de  grands  obstacles,  à  combattre 
des  ennemis  bien  redoutables;  de  là  vous 
conclurez  naturellement  que  votre  salul  est 
très-difficile,  et  que  vous  devez  par  consé- 
quent y  apporter  la  plus  grande  attention. 
Encore  quelques  moments  de  votre  atten- 
tion, je  vous  prie. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  qu'à  considérer 
voire  salut,  par  rapport  à  Dieu,  il  est  très 
dillicile  à  cause  des  obligations  qu'il  vous 
impose;  obligations  générales  qui  vou.« 
sont  communes  avec  tous  les  chrétiens; 
obligations  particulières  qui  vous  regardeni 
comme  religieuses  :  toutes  nous  i>rouveni 
également  celle  vérité; 

Je  dis  obligations  générales.  Vous  le  sa 
vez,  Mesdames,  le  moyen  et  l'unique  moyen 
de  se  sauver,  c'est  d'obéir  à  notre  Dieu.dac 
complir  ses  volontés,  ses  préceptes  :  ce  que 


J7  DISCOIJRS  DE  RETRAIT!': 

lésus-Clirisl  dit  à  ce  jeune  liomme  qui  lui 
liemandail  ce  qu'il  fallait  faire  pour  se  pro- 
curer la  vie  éternelle,  il  vous  le  dit  à  vous- 
môajes;i!le  dit  à  tous  les  chrétiens  et  àcliaqtic 
chrélieu  :  Si  vous  vouiez  vous  sauver,  obser- 
vez les  ^^^éce\■){^^s{Mallh.,Xl\,i'^}  :  or,dès  que 
le  Seigneur  nous  ordonne  de  les  accomplir, 
ces  préceptes,  ils  n'ont  donc  rien  d'impossible 
dans  la  pratique;  non  sans  doute,  le  dire 
ou  le  penser,  ce  serait  donner  dans  une  er- 
reur condamnée  par  l'Eglise  :  mais  quoique 
possibles  en  eux-mêmes  et  avec  le  secours 
de  la  grike  qui  ne  nous  manque  jamais,  ils 
n'en  sont  pas  moins  diDiciles  ,  parce  qu'il 
faut  les  accomplir  tous;  c'est  à  l'accomplis- 
sement total  de  la  loi  de  notre  Dieu  qu'il  a 
allaclié  ses  récompenses  éternelles;  man- 
quer volontairement  à  un  seul  des  articles 
essentiels  de  celte  loi,  à  un  seul  de  ces  pré- 
ceptes, c'est  nous  rendre  prévaricateurs  à 
ses  yeux  et  coupables  comme  si  nous  avions 
transgressé  la  loi  entière,  comme  le  dit  l'apô- 
tre saint  Jacques  (11,  lOj.  Mais  non-seule- 
ment pour  se  sauver,  il  faut  observer  tous  les 
préce[)tes  du  Seigneur,  mais  il  faut  les  ob- 
server constammeni,  avec  persévérance,  en 
sorte  qu'il  n'est  aucun  âge,  aucune  circon- 
stance, aucune  occasion  où  l'on  puisse  ob- 
server ces  préceptes,  où  l'on  ne  doive  les 
observer,  sous  peine  d'encourir  la  haine  et 
la  disgrâce  de  Dieu;  il  n'est  qu'une  impos- 
sibilité réelle  qui  puisse  vériiablenient  en 
dispenser:  or,  vous  le  comprenez  assez, 
Mesdames  ;  quelle  attention,  quelle  vigilance 
il  faut  avoir,  quelle  contrainte,  quelle  vio- 
lence il  faut  se  laire,  pour  se  tenir  dans 
cette  parfaite  et  constante  fidélité.  Mais  outre 
ces  précei)tes  et  ceux  de  l'Eglise  qui  nous 
obligent  aussi  étroitement  que  ceux  du  Sei- 
gneur, et  qui  vous  obligent,  épouses  de  Jé- 
sus Christ,  plus  étroitement  encore,  pour 
ainsi  dire,  que  les  chrétiens  du  monde, 
vous  avez  de  plus  à  pratiquer  les  conseils 
de  l'Evangile,  qui  même,  à  parler  propre- 
ment, ne  sont  plus  i)0ur  vous  de  simples 
conseils,  mais  qui  sont  devenus  de  nou- 
veaux préceptes,  par  les  engai^ements  so- 
lennels que  vous  avez  contractés  avec  votre 
Dieu,  dans  la  religion  :  vous  ne  pouvez  donc 
les  omettre,  les  transgresser,  sans  vous  ren- 
dre coupables  de  nouvelles  |)révaricalions 
à  ses  yeux.  Mais  de  plus  et  comme  chré- 
tiennes, et  encore  plus  comme  religieuses, 
vous  devez,  pour  vous  sauver,  imiter  en 
loul  Jésus-Christ,  en  sorte  que  si  loiit 
chrétien,  même  au  milieu  du  monde,  n'est 
véritablement  chrétien  qu'autant  qu'il  s'ap- 
plique à  imiter  Jésus-Christ,  h  penser  sur 
tout,  à  juger  de  tout,  à  se  conduire  en  tout, 
comme  a  pensé,  jugé,  agi  et  s'est  conduit 
Jésus-Christ  ;  et  si  ce  Dieu  Sauveur  ne  doit 
reconnaître,  au  jugement  dernier,  pour  ses 
vrais  disciples,  que  ceux  qui  auront  véri- 
tablement marché  sur  ses  traces,  vous. 
Mesdames,  en  qualité  de  ses  épouses,  vous 
avez  une  obligation  plus  étroite  encore 
que  le  reste  des  chrétiens,  de  vous  rendre 
en  tout  semblables  à  lui.  il  ne  vous  recon- 
nallra  en  eflet,  dans  ce  grand  jour,  pour  ses 


PREMIER  JOUR. 


38 


vraies  é[)ouses,  qu'autant  que  vous  vous 
serez  appliquées  à  conserver  en  tout  avec 
lui  cette  conformité;  ainsi,  comme  toute 
sa  vie,  il  a  fui  le  monde,  les  honneurs,  les 
louanges  et  l'estime  des  hommes ,  vous, 
comme  ses  é[)Ouscs,  vous  devez  non-seule- 
ment mépriser  le.  monde,  les  grandeurs,  les 
honneurs  du  monde  auxquels  vous  avez  so- 
lennellement renoncé,  mais  vous  devez  de 
plus,  à  l'imitation  de  Jésus-Clirisl,  vous 
tenir  petites  et  anéanties  à  vos  propres 
yeux";  vous  devez  vous  plaire  dans  les  hu- 
miliations et  les  mépris  ;  Jésus-Christ  a 
pratiqué  toute  sa  vie  la  pauvreté,  jusqu'à 
n'avoir  pas  même  où  reposer  sa  tête  ,  et 
vous,  en  qualité  de  ses  épouses,  vous  de- 
vez, pour  vous  sanctifier  et  pour  lui  plaire, 
non-seulement  mépriser  les  richesses  et  tous 
les  biens  de  la  terre  que  vous  avez  si  géné- 
reusement abandonnés,  mais  vous  devez  de 
plus,  pour  remplir  vos  engagements,  vivre 
dans  un  dénuement,  dans  un  dépouillement 
universel  qui  n'excepte  rien  ;  Jésus-Christ 
a  vécu  dans  les  souffrances,  dans  une  mor- 
titicaliou  continuelle,  et  vous,  épouses  de 
ce  Dieu-Homme  souffrant  et  crucifié,  vous 
devez,  en  cette  qualité, non-seulement  vous 
priver  de  tous  ces  plaisirs  sensuels  et  dé- 
réglés, si  communs  dans  le  monde,  et  aux- 
quels vous  .avez  sincèrement  renoncé  et 
pour  toujours,  mais  vous  devez  de  plus 
renoncera  vos  aises,  à  vos  commodités, 
vous  contraindre,  vous  mortifier  eu  tout, 
aimer  les  croix,  les  recevoir  toujours  avec 
résignation,  avec  plaisir  même  :  voilaà  quoi 
vous  êtes  obligées  comme  épouses  deJésus- 
Chrisl,  et  ce  qu'il  veut  en  effet  que  vous 
fassiez  comme  lui  et  d'après  lui,  parce  que 
ce  n'est  pas  seulement  pour  opérer  notre 
salut  qu'il  est  venu  sur  la  terre,  et  qu'il  y 
a  mené  une  vie  si  pénible,  si  humiliée,  s"i 
détachée,  si  mortifiée,  c'a  été,  de  plus,  f»our 
nous  apprendre  à  y  travailler  nous-mêmes, 
en  marchant  sur  ses  traces  et  en  appro- 
chant, le  plus  près  qu'il  nous  est  possible, 
de  cette  vie  de  contrainte  et  de  mortification 
qu'il  a  menée;  aussi  tout  ce  que  nous  en- 
seigne ce  Dieu-Sauveur,  se  Irouve-t-il  par- 
faitement conforme  à  tout  ce  qu'il  a  fait 
lui-même  et  nous  démontre  également  la 
difficulté  du  salut  ;  c'est  pour  cela,  en  effet, 
qu'il  nous  le  représente  tantôt  comme  une 
couronne,  comme  un  royaume  qu'il  faut 
conquérir  par  de  grands  combats;  tantôt 
comme  un  joug,  comme  un  fardeau,  dont 
il  faut  se  charger,  comme  une  croix  qu'il 
faut  porter.  A  l'entendre,  ce  divin  Maître, 
le  salut  est  un  chemin  dilicile  et  raboteux 
dans  lequel  il  laut  marcher  ;  c'est  une  porte 
étroite  par  laquelle  il  faut  entrer;,  et  si 
étroite  qu'il  exhorte  ses  disciples  à  faire 
leurs  efforts  pour  y  entrer,  et  qu'il  leur  dé- 
clare que  peu  et  très-peu  y  entreront  et 
seront  sauvés:  Pauci  electi.lMallli.,W,i&.) 
Mais  ce  n'est  pas^tout  encore.  Mesdames  ; 
outre  ces  grandes  obligations  qui  vous  sont 
communes  avec  tous  les  chrétiens  et  celles 
que  vous  partagez  avec  les  autres  épouses 
de  Jésus-tlhrist,  il  en  est  qui  vous  sont  par- 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


iO 


liculières,  qui  vous  affectent  personnelle- 
ment et  qu'il  vous  faut  remplir  exactement, 
pour  vous  sauver.  J'appelle  obligations  par- 
ticulières pour  vous,  celles  qui  sont  relati- 
ves à  votre  ordre,  à  voire  institut  ;  car  vous 
le  savez,  il  est  dans  chaque  ordre,  dans 
chaque  in.slilul,  un  esprit  particulier  qu'il 
faut  suivre,  des  devoirs,  des  observances 
propres  qu'il  faut  remplir  :  ainsi,  comme 
l'esprit  de  l'institut  de  sainte  Ursule,  |)ar 
exemple,  n'est  point  l'esprit  de  l'ordre  du 
€armel  ou  de  la  Visitation,  une  fille  de 
sainte  Ursule  qui  voudrait  vivre  comme  une 
tille  de  sainte  Thérèse  ou  de  saint  François 
de  Sales,  quelque  édifiante  que  pûi  être  sa 
conduite  5  l'extérieur,  irait  cependant  con- 
tre les  desseins  de  Dieu,  contre  ses  propres 
engagements,  ne  remplirait  point  à  la  lettre 
les  devoirs  de  son  éiat,  et  se  metirail  par 
là  hors  de  la  voie  du  salut.  Or,  il  faut  en 
convenir  ici, se  conduire  toujours  et  en  tout 
j)ar  le  même  esprit,  remplir  tous  les  jours 
les  mêmes  devoirs, faire  les  mômes  actions, 
les  mêmes  exercices,  mener,  en  un  mot, 
une  vie  constamment  uniforme,  gênante, 
commune,  de  f)lus  et  sans  éclat;  il  faut, 
pour  cela,  un  assujettissement,  une  appli- 
cation qui  coûte  infiniment  à  la  nature;  il 
faut,  dans  mille  occasions,  surmonter  l'en- 
nui et  le  dégoût,  mortifier  ses  penchants, 
ses  inclinations,  faire  souvent  ce  qui  ne 
plaît  pas,  s'abstenir  de  ce  qui  plairait  le 
l)lus,  |)rérérer  la  satisfaction  des  autres  à 
sa  [iropro  salisfaction  ;  se  combattre,  en  un 
mol,  se  vaincre,  se  dominer  sans  cesse  et 
en  tout,  et  mourir  continuellement  à  soi- 
même 

J'apjielle  encore  obligations  particulières, 
pour  une  épouse  do  Jésus-Christ,  même 
dans  quelq  ue  institut  qu'elle  soit, certaines 
circonstances  délicates  dans  lesquelles  elle 
se  trouve  quelquefois,  et  où  il  laut  opter 
entre  obéir  à  Dieu  et  lui  plaire,  ou  se  satis- 
faire et  i)laire  aux  créatures,  circonstances 
dans  lesquelles  il  faut  ou  trahir  son  Dieu  et 
sa  conscience,  ou  être  exposée  aux  censu- 
res, aux  railleries,  aux  mépris,  aux  persé- 
cutions mêmes  quelquefois,  circonstances 
qui  se  rencontrent,  à  la  vérité,  plus  fré- 
quemment dans  le  monde,  mais  qui  su  pré- 
sentent aussi  quelquefois  dans  la  religion, 
et  surtout  pour  celles  qui  se  trouvent  char- 
gées du  gou'v'ernement  ;  or  quelle  force 
iians  Tâiue,  quel  courage  ne  faut-il  pas  pour 
^e  mjeflre  ainsi  ouvertement  au-dessus  du 
rcpect  humain,  pour  préférer  constamment 
la  volonté  de  JJieu  aux  désirs  des  créa- 
tures? Le  salut,  à  le  considérer  par  rapport 
à  Dieu  et  aux  grandes  obligations  qu'il 
vous  im[)ose,  esi  donc  une  atlaire  ditlicile 
et  très-difficile;  vous  en  jugerez  de  môme, 
Mesdames,  si  vous  voulez  le  considérer 
présenlement  par  rapport  à  vous-mêmes, 
à  cause  des  ennemis  puissants  qui  s'y 
opposent  sans  cesse  el  sur  lesquels  vous 
devez  remporter  des  victoires  continuelles. 

n.  Le  premier  de  ces  ennemis,  vous  le 
savez,  c'est  l'esprit  tentateur,  c'est  le  dé- 
mon :déchu,  i)ar  sa  rébellion  contre  son  Créa- 


teur, de  l'étal  sublime  et  infiniment  heu- 
reux pour  lequel  il  a  été  créé,  précipité 
pour  toujours  dans  les  flammes  de  l'enter, 
toute  son  occupation  est  de  travailler  à 
nous  entraîner  dans  l'abîme  de  malheurs 
où  il  s'est  précipité.  C'est  surtout  à  une  re- 
ligieuse, aune  épouse  de  Jésus -Christ , 
qu'il  livre  communément  les  plus  grands 
combats;  plus  l'état  dans  lequel  il  l'avait 
engagée  est  saint,  plus  les  grâces  et  les 
secours  qu'elle  reçoit,  pour  parvenir  à  la 
sainteté,  sont  abondants,  plus  aussi  redou- 
b!e-t-il  ses  efforts  pour  rendre  inaiiles  ces 
grâces  et  ces  secours,  et  pour  la  détourner 
de  tendre  à  son  Dieu;  c'est  un  lion  rugis- 
sant qui  ne  s'endort  et  ne  se  rebute  jamais, 
qui,  comme  le  dit  i'apôtre  saint  Pierre, 
tourne  sans  cesse  autour  d'elle,  pour^la 
dévorer  (I  Pelr.,  I,  8),  il  n'est  point  d'es- 
pèces de  pièges  qu'il  ne  lui  tende,  ni  do 
tentations  qu'il  n'essaye  pour  la  perdre; 
son  esprit,  il  cherche  à  l'aveugler,  à  lui 
insinuer  des  pensées,  des  préjugés  ,  des 
maximes  propres  à  y  éteindre  les  lumières 
de  la  foi;  son  cœur,  il  s'efforce  de  le  cor- 
rompre, en  excitant,  en  enflammant  ses 
passions,  en  lui  inspirant  de  l'amour  pour 
tout  ce  qu'elle  devrait  haïr,  et  do  la  haine 
pour  tout  ce  qu'elle  devrait  aimer;  son 
corps,  sa  chair,  quoique  mortifiée  et  alfai- 
blie  par  les  jeûnes,  les  mortifications,  les 
austérités  ,  il  cherche  à  la  souiller  par  la  vo- 
lupté, par  les  plaisirs  sensuels  et  déréglés. 

Or,  quelle  attention,  quelle  vigilance  ne 
faut-il  pas  pour  se  tenir  toujours  en  garde 
contre  un  ennemi  aussi  puissant  et  aussi 
rusé,  qui,  connaissant  nos  dispositions,  nos 
penchants  et  nos  faiblesses,  en  profite  adroi- 
tement oour  nous  tenter  et  pour  nous 
perdre 

Mais  il  est  un  autre  ennemi  au  salut ,  et 
bien  à  craindre  encore  pour  une  épouse  de 
Jésus  Christ:  c'est  le  monde,  ce  monde  que 
Jésus-Christ  a  déclaré  son  ennemi,  et  (jui 
s'est  déclaré  lui-môme  l'ennemi  de  Jésus- 
Christ  ;  ce  monde  qui  rejette  sa  loi,  i|ui  con- 
(Jamneses maximes, qui  combalsa  religi()n;ce 
monde  qui, comme  ledit  l'apôtre  saint  Jean, 
est  rempli  de  malice  eldecorruption(I  Joan., 
V,  19)  ;  c'est  ce  monde  [)ervers,  dont  elle  a 
encore  à  craindre  et  à  repousser  les  attaques. 
Oui,  malgré  cette  séparation  éclatante,  cet 
abandon  absolu  qu'elle  a  fait  de  lui,  malgré 
ce  renoncement  solennel  et  élernel  qu'elle 
lui  a  juré  au  pied  des  saints  aulels,  elle 
se  trouve  cependant  encore  exposée  quel- 
quefois à  sa  contagion;  lors  môme  qu'elle 
désire  ne  plus  communiquer  avec  lui;  lui- 
même,  sous  des  prétextes  de  liaison,  de  pa- 
renté, de  bienséance,  vient  la  trouver  et  la 
distraire  dans  sa  solitude;  or,  dans  ces  en- 
tretiens ménagés  quelquefois  et  prolongés 
avec  adresse,  que  de  pro|)OS,  que  de  préju- 
gés, que  de  maximes  elle  entend,  entière- 
ment opposées  à  l'esprit  de  l'Evangile! 
Maximes  et  préjugés  contre  lesijuels  il,  lui 
est  bien  difiici-le  de  se  tenir  toujours  en 
garde,  qui  s'insinuent  dans  son  esprit  pres- 
que sans  qu'elle  s'en  aperçoive,  qui  passent 


41 


DTSCOl'RS  DE  RETHAITE.  —  PREMIER  JOUR. 


42 


impercepliblemonl  jusniio  dans  son  ropur, 
qui  sprvcnl ,  sinon  h  l.i  dégoftior  enlièrfi- 
mcnl.do  son  saint  (^taf,  du  moins  h  aiïaihlir 
dans  elle  les  principes  de  la  religion,  h  di- 
minuer cet  esprit  de  df^tacliemenl,  d'ininii- 
liltSde  niorlificalion.  do  recueillemenl  dont 
file  doit  6lre  remplie,  et  qui  l'ont  qu'i^Ue 
se  rolire  preque  toujours  d'avec  le  monde 
moins  religieuse  et  plus  mondaine. 

Mais  un  troisième  ennemi  de  voire  salut, 
Mesdames,  et  de  noire  salut  h  tous,  et  bion 
rodoutal)le  encore,  c'est  nous-mêmes,  parce 
que  nous  portons  sans  cesse  avec  nous  et 
au  dedans  de  nous  le  principe  de  notre 
perte,  lo  germe  de  notri^  réprobation  ;  les 
deux  autres  le  monde  et  le  démon,  quelque 
dangereux  qu'ils  puissent  être,  ne  peuvent 
après  tout  que  nous  montrer  le  mal  ,  que 
nous  solliciter  au  mal,  qu'essayer  h  nous 
perdre;  mais,  pour  noiis-mômes,  c'est  notre 
propre  volonté  qui  s'éloigne  de  sa  fin  der- 
nière, qui  fait  le  mal  elle-même,  et  qui  nous 
perd  par  conséquent.  Tel  est  noire  raalhou- 
reux  sort .  depuis  la  ciiute  dti  premier 
homme  ,  d'être  bien  plus  portés  au  mal 
qu'au  bien,  au  pécbé  qu'h  la  verlu  ;  nous 
le  faisons,  ce  bien,  avec  peine,  avec  répu- 
gnance, et  nous  nous  livrons  au  mal  avec 
facilité,  comme  par  une  penle  naturelle  ; 
nous  voyons  h  la  vérité  ce  qu'il  convient 
que  nous  fassions  pour  nous  sauver;  éclai- 
rés des  lumières  de  la  foi,  nous  connaissons 
nos  devoirs,  le  bien  que  nous  avons  à  faire, 
nous  l'approuvons  même ,  et  en  môme 
temps  nous  cboisissons,  nous  préférons  le 
mal;  nous  le  commettons,  parce  que  nous 
avons  autant  de  penchant  pour  la  liberté, 
pour  le  plaisir,  pour  tout  ce  que  la  loi  du 
Seigneur  nous  défend,  en  un  mol,  que  d'é- 
loigncment  pour  tout  ce  qui  nous  gêne  et 
ce  que  cette  sainte  loi  nous  ordonne.  Voilà 
ce  que  nous  éprouvons  tous,  comme  enfants 
d'Adam  ;  voilà  ce  qu'éprouve,  en  cette  qua- 
lité ,  ré|)ouso  elle-même  de  Jésus-Christ, 
quelque  parfaite  qu'on  puisse  la  supposer, 
et  malgré  les  grands  secours  de  salut  dont 
elle  est,  pour  ainsi  dire,  environnée,  et 
voilà  ce  qui  doit  la  tenir  dans  une  crainte, 
dans  une  vigilance  et  dans  une  contrainte 
continuelles;  ses  passions  tendent  à  so  dé- 
régler, elle  doit  les  réprimer,  les  modérer; 
sa  chair  se  soulève  et  l'excite  au  plaisir, 
elle  doit  la  mortifier,  la  tenir  constamment 
soumise  à  l'esprit;  ses  sens  se  portent  à 
tout  ce  qui  peut  les  satisfaire,  elle  doit  les 
conserver  dans  une  gêne,  dans  une  con- 
trainte continuelle  ;  son  cœur  se  penche  sou- 
vent vers  des  obje'.s  terrestres  et  défendus, 
elle  doit  en  régler  les  mouvements,  les  aflec- 
lions;elle  doit  souvent  aimer  ce  qui  lui 
déplaît,  et  haïr  aussi  ce  qui  lui  plaît  davan- 
tage; son  esprit  s'occupe  sans  cesse  d'idée» 
avanlagi  uses  d'elle-même;  il  recherche  l'é- 
lévaiion,  les  honneurs,  l'estime  et  les  louan- 
ges des  créatures,  elle  doit  avoir  de  bas  sen- 
timents d'elle;  regarder  la  vertu  d'humilité 
comme  la  base  de  sa  sanctification,  aimer  le 
mépris  et  les  opprobres,  les  supporter  du 
moins  avec  patience  et  résignation  ;  en  un 

OnATELRS   SACRÉS.   LXVIII. 


mol,  pour  se  sauver,  elle  doit  sans  cesse  se 
combattre,  êlro.  avec  elle-même,  dans  une 
guerre  continuelle,  mourir  sans  cesse  à  ses 
penclinnts,  à  ses  désirs,  à  ses  passions,  à 
elle-même.  Telle  est  et  telle  doit-être  sur  la 
terre  la  vie  d'une  religieuse  et  même  de 
tout  (chrétien  en  général,  une  croix  perpé- 
tuelle; or  vous  le  comprenez.  Mesdames, 
combien  il  est  difficile  et  combien  il  doit  en 
coûter  pour  résister  ainsi,  sans  disconti- 
nuer, à  des  ennemis  aussi  puissants,  qui 
s'entendent  et  se  prêtent  mutuellement  la 
main,  poiir  nous  perdre. 

Mais  de  tout  ceci  quelles  conséquences 
devez-vous  tirer?  Est-ce  qu'ayant  toujours 
en  lôte  des  ennemis  aussi  redoutables,  vous 
devez  vous  décourager,  désespérer  de  votre, 
salut?  Ahl  loin  de  moi  de  pareils  senti- 
ments, et  Dieu  me  préserve  de  les  inspirer 
jamais  aux  autres  1  non,  non.  Mesdames, 
en  vous  faisant  connaître  ici  les  ennemis 
redoutables  que,  comme  chrétiennes  et 
comme  épouses  de  Jésus-Christ,  vous  avez 
h  combattre,  et  par  là  les  grands  dangers 
auxquels  votre  salut  est  exposé,  mon  des- 
sein a  été  de  vous  faire  conclure,  que  votre 
salut  étant  d'un  côté,  l'affaire  la  plus  im- 
portante, l'unique  nécessaire;  et  de  l'autre, 
l'affaire  la  plus  difficile  dans  l'exécution  ,  et 
par  les  obligations  sans  nombre  qu'elle  vous 
impose ,  et  par  les  ennemis  redoutables 
qu'elle  vous  ordonne  de  combattre  et  do 
vaincre  ,  vous  devez  mettre  votre  applica- 
tion cl  toute  votre  application  à  travailler 
à  cette  grande  affaire,  et  môme,  à  parler 
proprement,  comme  à  l'unique  affaire  qui 
doivesérieusemcnt  vous  occuper;  c'est,  dans 
toutes  vos  actions,  de  vous  conduire  tou- 
jours relativement  à  votre  salut.;  c'est  do 
vous  demander  souvent  si  ce  que  vous  fai- 
tes, ce  que  vous  entrepriMiez  ,  peut  vous 
conduire  au  salut,  ou  nuire  à  voire  salut; 
c'est  de  vivre  constamment  ici  bas  de  façon 
h  n'avoir  aucun  reproche  à  vous  faire,  lors- 
que la  mort  se  présentera  à  vous,  ni  à  en- 
tendre du  souverain  juge,  lorsqu'il  vous 
citera  à  son  tribunal  ;  c'est  d'être  bien  ré- 
solues d'éloigner,  toute  votre  vie,  tous  les 
obstacles  à  votre  salut,  do  surmonter  toutes 
les  difficultés,  de  vaincre  toutes  les  tenta- 
tions, de  prendre  tous  les  moyens  ics  plus 
propres  et  les  plus  sûrs  pour  votre  salut  ;  et 
avec  tout  cela,  d'avoir  une  grande  confiance 
que  vous  vous  sauverez.  Oui,  Mesdames,  à 
la  vérité,  en  ceci ,  toute  présomption  est 
condamnable,  mais  aussi  le  trop  de  crainto 
et  de  pusillanimité  vous  nuirait  également; 
vous  devez  penser  et  vous  dire  souvent, 
comme  l'apôlre  saint  Paul,  q<ie  si  vous  ne 
pouvez  rien  de  vous  mêiues,  dans  l'ordre  de 
votre  salul,  vous  pouvez  tout,  aussi  bien 
que  lui,  dans  le  Dieu  et  avec  le  Dieu  qui 
vous  foi'tiOe. 

Ah  I  Seigneur,  il  me  semble,  dans  ce  mo- 
ment, que  je  suis  dans  une  résolution  bien 
sincère  de  ne  rien  négliger,  de  tout  faire, 
tant  que  vous  me  laisserez  sur  la  terre,  pour 
me  sauver  ;  celle  résolution,  ces  bons  sen- 
limeûts,  c'est  vous,  divin  Sauveur,    oui  me 


45 


ORATEURS  SACRES.  LAQBE  DE  MONTIS. 


44 


les  inspirez  aujourd'hui  ;  faites  donc,  par 
votre  glace,  que  je  ne  les  oublie  jamais; 
que,  toute  ma  vie  ,  je  sois  convaincue  , 
comme  jeiesuisprésenlenient,  dclanécessilé 
de  me  sauver;  ah!  quel  malheur  pour  moi, 
si  je  venais  à  l'oublier,  et  à  vous  oublier, 
ô  mon  Dieu!  Quels  regrets  à  la  mort,  quels 
remords,  quel  désespoir  dans  l'éternité  1 
Vous  voulez  me  sauver;  pourrai-je  en  dou- 
ter, après  ce  que  vous  avez  fait  pour  moi? 
C'est  pour  m'assurer  mon  salut  que  vous 
avez  vécu  dans  les  souffrances,  que  vous 
avez  répandu  votre  sang,  et  que  vous  êtes 
mort  au  milieu  des  tourments,  sur  la  croix; 
c'est  pour  me  sauver  que  vous  m'avez  fait 
jusqu'ici  une  infinité  de  grâces,  que  vous 
n'avez  pas  faites  à  une  inlinité  d'autres,  qui 
en  auraient  beaucoup  mieux  profité  que 
moi;  que  vous  m'avez  délivrée  d'un  monde 
corrompu,  au  milieu  duquel  il  est  si  diffi- 
cile et  jilus  difficile  que  jamais  de  se 
sauver,  et  oii  si  peu  se  sauvent  en  effet. 
C'est  pour  me  sauver,  que  vous  permettez 
encore  que  je  passe  ces  jours-ci  dans  le  re- 
cueillement, dans  la  retraite,  pour  m'affer- 
mir  de  plus  en  plus  dans  le  désir  de  vous 
plaire,  de  vous  servir  et  de  me  sauver. 
Faites  donc,  divin  Sauveur,  que  toutes  ces 
grâces  dont  vous  ne  cessez  de  me  combler 
ne  soient  point  inutiles  en  moi,  qu'elles  ne 
deviennent  pas  un  jour  la  cause  de  nia 
plus  grande  condamnation;  conservez,  for- 
tifiez, augmentez  dans  mon  cœur,  ce  désir 
que  je  conçois  de  ne  jamais  perdre  mon 
salut  de  vue,  de  ne  jamais  rien  faire  qui 
puisse  en  risquer  la  perte,  afin  qu'après 
vous  avoir  servi  fidèlement  sur  la  terre  je 
puisse  me  trouver  un  jour,  et  pour  tou- 
jours, au  rang  de  vos  élus,  de  vos  saintes 
épouses,  dans  le  ciel.  Ainsi  soit-il. 

PREMIER  JOUR. 

Second  discours. 

SUR  l'office  divi\. 

Oculi  Domiiii  superjuslosetaureseiusin  preces  corum. 
{\Pelr.  m,  la.) 

Le  Seigneur  a  ses  yeux  arrêtés  sur  les  justes,  et  ses 
oreilles  sont  attentives  à  leurs  prières. 

Telle  est.  Mesdames,  la  bonté  du  Sei- 
gneur envers  les  justes  et  envers  ceux  sur- 
tout qui  font  profession  de  le  servir  avec 
plus  de  fidélité  et  de  perfection  que  le  com- 
mun des  chrétiens,  qu'il  ne  les  (lerd  jamais 
de  vue,  qu'il  veut  bien  se  rendre  attentif  à 
leurs  prières;  et  telle  est  l'obligation  de 
ces  justes  et  des  chrétiens  même  en  géné- 
ral, dans  quelque  état  qu'ils  soient,  d'adorer 
leur  Créateur  par  un  culte  intérieur  et  ex- 
térieur tout  ensemble,  de  lui  adresser,  pour 
tous  leurs  besoins,  leurs  vœux  et  leurs  priè- 
res; car  quoique  ce  Dieu  tout-puissant, 
d'une  sagesse  et  d'une  science  infinies,  à  qui 
rien  no  peut  être  caché,  connaisse  beaucoup 
mieux  que  nous  mêmes  tout  ce  qui  nous 
est  utile  et  nécessaire  dans  l'ordre  de  la 
nature  et  de  la  grâce,  il  veut  cependant 
que  nous  reconnaissions  tous,  [)ar  les  vœux 
et  les  prières  que  nous  lui  adiessons,  son 
souverain  domaine  sur  uuus  et  notre  abso- 


lue dépendance  de  lui;  c'est  pour  cela  que 
l'Eglise,  toujours  dirigée  par  le  Saint-Esprit, 
oblige  spécialement  les  ministres  et  les 
vierges  qui  se  sont  solennellement  consa- 
crés au  service  de  leur  Dieu  dans  la  reli- 
gion, de  lui  payer  chaque  jour,  et  même 
plus  d''jne  fois  le  jour,  un  tribut  de  louan- 
ges et  de  prières;  c'est-là,  Mesdames,  ce 
que  nous  appelons  l'office  divin;  exercice, 
de  tous  ceux  auxquels  vous  avez  à  vous  li- 
vrer dans  votre  saint  étal,  des  plus  impor- 
tants en  lui-même  et  des  plus  avantageux 
dans  ses  effets;  des  plus  importants,  parco 
qu'il  s'agit  de  rendre  par  là  chaque  jour 
vos  hommages  et  vos  adorations  à  votre 
Dieu;  des  plus  avantageux,  parce  que  par- 
là  surtout  vous  attirez  sur  vous  ses  grâces 
et  ses  miséricordes.  De  là  vous  concevez 
avec  quelle  attention  et  avec  quelle  religion 
vous  devez  vous  acquitter  du  ce  saint  exer- 
cice. C'est  pour  vous  y  engager  de  plus  en 
plus,  que  j'entreprends  de  vous  faire  voir  tout 
à  la  fois  les  motifs  puissants  qui  doivent  vous 
porter  à  vous  acquitter  dignement  de  l'office 
divin  :  ce  sera  le  sujet  de  la  première  parti© 
de  ce  discours  ;  et  les  dispositions  saintes 
avec  lesquelles  vous  devez  vous  acquitter  de 
l'ofOoe  divin  :  ce  sera  le  sujet  de  la  seconde 
partie.  Honorez-moi,  je  vous  prie,  de  toute 
votre  attention.  Ave,  Maria. 

PREMliiUE    PARTIE. 

Pour  vous  engager.  Mesdames,  à  vous 
acquitter  de  l'oltice  divin,  dans  de  saintes 
dispositions,  ou  pour  mieux  dire,  pour  en- 
tretenir et  pour  perfectionner  les  saintes 
dispositions  avec  lesquelles  vous  avez  cou- 
tume de  vous  en  acquitter,  je  vous  prie  do 
faire  avec  moi  trois  réflexions  bien  impor- 
tantes, et  que  vous  regarderez  sûrement 
comme  telles;  c'est,  en  premier  lieu,  que 
l'office  divin  n'est  point  une  prière  adressée 
à  de  simples  créatures,  mais  une  prière  6U 
Créateur,  à  votre  Dieu  lui-même.  C'est,  en 
second  lieu,  que  l'ofTice  divin  n'est  poidl 
précisément  votre  prière,  je  veux  dire  ano 
prière  particulière,  arbitraire  et  de  pure  dé- 
votion pour  vous,  mais  une  prière  publique, 
faite  au  nom  de  l'Eglise  et  à  laquelle  elle' 
vous  oblige  indispunsablement  ;  c'est,  en 
troisième  lieu,  que  l'office  divin  n'est  point 
une  prière  passagère  que  vous  récitez  ra- 
rement et  de  loin  à  loin ,  mais  une  prière 
fréquente,  que  vous  adressez  à  Dieu  cha- 
que jour,  et  plusieurs  his  le  jour  :  trois 
réflexions  qui,  en  vous  démontrant  l'excel- 
lence de  l'office  divin,  vous  prouveront 
également  que  vous  ne  devez  rien  négliger 
pour  vous  en  acquitter  d'une  façon  qui  soit 
agréable  à  Dieu  et  avantageuse  pour  vous- 
mêmes. 

I.  Et  d'abord.  Mesdames,  je  pourrais  vous 
faire  remarquer  que  l'office  divin  est  une 
prière  excellente  en  elle-même,  comj)Osée 
de  tout  ce  qu'il  y  a  déplus  élevé,  de  plus 
sublime  dans  les  divines  Ecritures,  de  \>\us 
dévot  et  de  plus  instruclif  dans  les  ouvrages 
des  «Pères  et  des  docteurs  de  l'Eglise,  de 
plus  admirable  et  de  plus  édifiant  dans  les 


iS 


DISCOIÎRS  DE  RETRAITE.  —  PREMIER  JOUR. 


ocles  lies  saints;  mais,  sans  insister  ici  sur 
lotîtes  cos  considérations,  je  dis  quo  c'est 
une  piiùrc adressée  à  Dieu,  première  raison 
de  son  excellence  et  premier  motif  qui  doit 
vous  enj^agerà  la  bien  faire.  Oui,  Mesdames, 
te  tribut  de  louanges  que  vous  pa^ez  chaque 
jour,  ce  n'est  point  à  un  grand,  à  un  sou- 
verain de  la  terre,  à  une  simple  créature 
(]ue  vous  l'oflrez,  c'est  à  runi(|ue  et  souve- 
lain  maître  de  l'univers;  c'est  votre  Créa- 
teur et  votre  Dieu  que  vous  adorez,  (pie 
vous  priez,  (jae  vous  louez;  quoi  de  plus 
excellent ,  quoi  de  plus  Iionor;ib!e  pour 
vous?  Tantôt,  î>  la  vérité,  vous  chantez,  dans 
vôtre  olliee,  1rs  mystères  glorieux  ou  dou- 
loureux du  Dieu  sauveur;  tantôt  cesont  ceux 
de  la  divine  Marie,  sa  très-sainte  mère,  qui 
en  sont  l'objet  ;  d'autres  jours  vous  exaltez 
les  vertus  des  saints,  leurs  coudrais  et  leurs 
triomphes  :  mais,  dans  ces  dilférents  sujets 
ijui  remplissent,  dans  toute  une  année,  votre 
saint  ollice,  c'est  toujours  votre  Dieu  qui  en 
est  l'objet  principal  et  la  fin  dernière;  c'est 
toujours  votre  Dieu  que  vous  honorez,  c'est 
à  votre  Dieu  que  vous  rendez  mille  actions 
de  grûces  des  grandes  merveilles  qu'il  a 
opérées  pour  la  rédemption  des  hommes; 
c'est  à  votre  Dieu  que  vous  rapportez  tous 
les  éloges  (|ue  vous  donnez  aux  saints  et  à 
ia  reine  elle-même  de  tous  les  saints;  c'est 
lui  que  vous  remerciez  des  grâces  sans 
nombre  qu'il  leur  a  accordées  sur  la  terre, 
et  des  biens  infinis  dont  il  a  daigné  récom- 
j)euser  leurs  vertus  dans  le  ciel  ;  c'est-à- 
dire,  Mesdames,  que  vous  faites  en  partie 
sur  la  terre,  et  autant  que  la  faiblesse  hu- 
maine peut  vous  le  permettre,  ce  que  vous 
ferez  un  jour  et  éternellement,  et  d'une  ma- 
nière bien  plus  parfaite  et  [ilus  excellente, 
dans  le  séjour  de  la  gloire;  que  vous  faites 
ce  que  font  dès  à  présent  les  chœurs  des 
anges  et  cette  multitude  de  saints  et  de 
saintes  qui  y  sont  dé']<\  introduits,  et  dont 
toute  I  occupation  consiste  à  rendre  à  leur 
Dieu  des  hommages  perpétuels  d'adoralio'i, 
de  louanges  et  d'actions  de  grûces,  des 
gianJts  choses  qu'il  a  faites  dans  eux  tous; 
quoi  de  plus  glorieux  I  quelle  fonction  plus 
lionoiable  el  qui  demande  d'être  rem|/lie 
avec  plus  d'attention  et  de  religion!  Mais 
veici  une  autre  excellence  de  l'ollice  divin, 
el  uu«  autre  raison  qui  doit  vous  ()orter  à 
cette  attention,  à  celle  religion,  en  le  réci- 
tant ;  c'est  une  prière  adressée  à  Dieu  au 
nom  de  l'Eglise. 

11.  Une  prière  particulière  el  de  pure  dé- 
votion que  vous  faites,  pur  la  raison  que 
c'est  une  prière  adressée  direcleuienl  à 
votre  Dieu,  doit  se  luire  toujours  avec  reli- 
gion, avec  piété;  y  manquer,  ce  serait  plu- 
tôt l'olfenser  que  le  prier  :  muis  cette  reli- 
gion, celtepiélé  doivent  paraître  tout  autre- 
ment encore,  lorsque  vous  récitez  l'ollice 
divin,  parce  qu'à  parler  i)roprement  ce 
n'est  point  alors  votre  prière  que  vous 
faites,  je  veux  dire  (jue  ce  n'est  point  une 
prière  particulière  el  secrète,  fiui  soit  à  votre 
(Jévolion  el  de  voire  choix  ;  c'est  une  prière 
téuérale  et  |)ublique,  la  prière  de  l'Eglise, 


4« 

votre  mère;  c'est  en  son  nom  et  comme 
députées  par  elle,  que  vous  la  faites.  Lors- 
que la  saillie  Eglise  consacre  (piehpies  mi- 
nstres  dos  saints  autels,  elle  les  consacre, 
h  la  vérité,  dans  l'intenlion  el  avec  res()é- 
rance  qu'ils  rempliront  avec  fidélilé  toutes 
les  fonctions  de  zèle  du  salut  des  Ames, 
attachées  au  s;iint  ministère  (qu'ils  embras- 
sent :  mais  elle  les  reçoit  et  les  adopte  do 
plus  comme  ses  ministres, dans  l'inleniion 
que,  chaque  jour  et  on  son  nom,  ils  payeroi.t 
au  Séigneu!'  nit  tribut  de  |)rières  et  d(! 
louanges;  et  voilà,  Mesdames,  la  ressem- 
blance et  la  conformité  que  vous  avez  avec 
les  ministres  de  Jésus-Chiist  et  de  son 
Eglise  :  voilà  l'illustre  (trérogutive  quo  vous 
partagez  avec  eux,  en  sorte  (jue  quand  vous 
vous  êtes  présentées  aux  pieds  des  saints 
autels  pour  être  admises  au  nond)re  des 
épouses  du  Ditîu  sauveur,  dans  un  oidre, 
un  inslllut  solennellement  a|)prouvé  par 
l'Eglise,  lorsqu'elle  vous  a  reçues  dans  cet 
institut  et  adoptées,  en  cette  qualité,  par 
un  de  ses  ministres  député  par  elle  à  cet 
effet;  dès  lors,  par  celte  c  >nsécration  qu'elle 
a  l'aile  de  vous  au  Seigneur,  elle  vous  a 
imposé,  comme  à  ses  ministres,  l'obliga- 
tion de  réciter  comme  eux  i'otlice  dmn  ; 
obligation  qui,  selon  les  docteurs  et  les  ca- 
suistes,  vous  oblige  élroileineiitcomme  eux, 
el  si  étroitement  qu'y  manquer  une  seule 
fois,  sans  raison  et  sans  disjjense,  ce  serait 
vous  rendre  coupables  devant  Dieu  d'uu 
{)éché  grief. 

Mais  ce  qui  relève  infiniment  celle  fonc- 
tion de  votre  étal,  et  qui  doit  vous  engager 
à  vous  en  acquitler  avec  piété,  ce  sont  les 
nobles  fins,  les  motifs  surnaturels  qui  ont 
engagé  l'Eglise  à  vous  en  charger,  comme 
elle  en  a  chargé  ses  ministres;  car,  prenez 
garde,  s'il  vous  plaît,  Mesdames,  ce  n'est 
pas  seulement  pour  rendre  au  Seigneur 
l'hommage  et  le  culte  qui  lui  sont  dus,  c'est 
15  sans  doute  la  première  fin  qu'elle  a  en 
vue,  tit  qui  est  même  si  nécessairement  at- 
tachée à  toute  prière  ei  général  qu'elle  ne 
peut  jamais  en  être  séparée,  mais  c'est  de 
plus  afin  que  vous  demandiez  au  Seigneur 
toutes  les  grâces  et  tous  les  secours  qui  lui 
sont  nécessaires,  qu'elle  vous  charge  de  la 
prière,  de  l'oflice  oivin;  c'est  afin  que  vous 
demandiez  au  Seigneur  la  conversion  das 
infidèles;  que  son  culte,  que  sa  religion 
s'étende  de  plus  en  plus  sur  la  terre,  en 
permettant  que  son  Evangile  soit  prêché 
dans  des  légions  encore  assises  à  l'ombre 
de  la  mort;  que  son  saint  nom  soit  connu 
el  adoré  par  des  peuples  qui  ne  le  con- 
naissent pas  ;  c'est  afin  (jue  vous  demandiez 
au  Seigneur  la  conversion  des  hérétiques, 
qu'elle  ail  la  consolaiion  de  voît  tous  ses 
enfants  soumis  à  ses  décisions,  que  la  foi 
se  conserve  dans  toute  sa  pureté,  dans  les 
Etats  (|ui  la  possèdent,  (ju'elie  ressuscilo 
dans  ceux  qui  l'ont  malheureusement  per- 
due ;  elle  n  ignore  pas  que  celte  foi,  jus- 
qu'au dernier  avènement  de  Jésus-Chrisl, 
ne  peut  périr  et  manquer  eiilièreiiicnl  ;  elle 
sait  que  son  divin  fondateur,  que  le  Dieu 


n 


<mATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOINTIS. 


48 


Sauveurqui  n*a  pu  se  Iromper  ni  la  tromper, 
lui  a  promis  que  les  portes  de  l'enfor  ne 
prévaudraient  jamais  contre  elle  ;  que 
toujours  le  Saint-Esprit  Tassislerait,  i'éclai- 
rerai.t,  la  conduirait;  mais  elle  sait  aussi 
que  dans  tous  les  temps  elle  a  éprouvé  des 
schismes,  des  divisions,  des  hérésies;  que 
son  céleste  Epoux  a  déclaré  qu'il  fallait 
qu'il  y  en  eût  pour  faire  connaître  ceux 
qui  sont  sincèrement  à  lui  ;  que  ce  Dieu- 
Sauveur  veut  être  prié  ;  que  c'est  aux  prières 
des  vrais  fidèles  qu'il  accorde  la  cessation 
des  troubles,  des  révoltes'qui  déchirent  le 
sein  de  son  Eglise  :  c'est  aussi  pour  cela, 
Mesdames,  que  celte  Eglise  vous  oblige 
journellement  à  la  prière  ;  c'est  encore  afin 
que  vous  demandiez  au  Seigneur  la  con- 
version des  pécheurs,  que  vous  sollicitiez 
de  son  infinie  miséricorde  ces  grâces  fortes, 
ces  secours  efiicaces  qui  leur  faisant  con- 
naître la  beauté  de  la  vertu,  et  toute  la  ma- 
lice, l'horreur  du  péché,  leur  inspirent  une 
vraie  confusion  ,  un  repentir  sincère  de 
l'avoir  commis,  une  résolution  ferme  et 
constante  d'y  renoncer  pour  toujours  ;  si 
l'Eglise  vous  impose  le  devoir  de  la  prière, 
de  l'office  divin,  c'est  afin  que  vous  obteniez 
encore  du  Seigneur,  pour  tous  les  justes, 
la  grâce  de  la  persévérance  ;  que  vous  le 
conjuriez  d'augmenter  sans  cesse  en  eux 
les  vertus  de  foi,  d'espérance  et  de  charité, 
cet  amour  ardent  pour  lui  qui  les  fasse  ré- 
sister constamment  aux  différents  assauts 
que  leur  livrent  continuellement  les  enne- 
mis de  leur  salut,  et  croître  chaque  jour  en 
vertus,  en  mérites,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient 
le  bonheur  de  voir  et  de  posséder  Dieu  dans 
l'éternité. 

C'est  encore,  Mesdames,  a(in  que  vous 
priiez  le  Seigneur  pour  ceux  des  lidèles  qui 
ont  déjà  payé  le  tribut  à  la  mort,  mais 
qui,  quoique  morts  dans  la  grâce  et  dans  l'a- 
milié  do  leur  Dieu,  expient  cependant  dans 
l'autre  vie,  des  fautes  qu'ils  n'ont  point  as- 
sez pleurées  et  expiées  dans  celle-ci;  que 
vous  priiez  surtout  pour  les  fondateurs  et 
les  bienlaiteurs  de  votre  communauté  et  do 
tout  votre  institut:  que  vous  remplissiez 
fidèlement  par  là  leurs  pieuses  intentions; 
si  l'Eglise  vous  commet  et  vous  dé|)ute 
pour  réciter  le  saint  odice,  c'est  afin  qu'en 
édifiant  les  fidèles  par  vos  fréquentes  et  fer- 
ventes prières,  par  vos  cantiques  réitérés 
en  l'honneur  du  Seigneur,  vous  le  sollicitiez 
également  pour  vous  et  pour  toutes  celles 
qui,  comme  vous,  ont  renoncé  généreuse- 
ment et  pour  toujours  au  monde,  et  à  tous 
les  biens  et  à  tous  les  avantages  du  monde; 
que  vous  le  priiez  de  vous  inspirer  à  toutes 
un  sincère  et  constant  amour  de  votre  saint 
état,  et  une  volonté  ferme  et  courageuse  de 
rfm[)lir,  jusqu'au  dernier  moment  de  votre 
vie,  les  engagemenls  sacrés  que  vous  avez 
contractés  solennellement  avec  votre  Dieu  ; 
d'augmenter  sans  cesse  en  vous  toutes  cet 
esprit  de  foi,  de  piété,  de  ferveur,  de  régu- 
lante si- consolant  pour  l'Eglise,  si  édifiant 
pour  les  fidèles  et  si  avantageu?^  pour 
vous. 


Voilà,  Mesdames,  ceque  la  sainte  Eglise, 
votre  mère,  exige  de  vous,  ce  qu'elle  attend 
devons;  telle  est  la  noble  fin,  telles  sont 
les  intentions  surnaturelles  et  sublimes 
qu'elle  se  propose,  en  vous  imposant  l'obli- 
gation de  réciter  le  saint  office  :  ce  n'est  pas 
seulement ,  comme  vous  voyez,  de  vous 
unir  à  votre  Dieu,  à  votre  céleste  époux,  et 
de  vous  sanctifier  vous-mêmes  ;  c'est  de 
plus,  afin  que  vous  attiriez  sur  elle  et  sur 
tous  les  éiats  qui  la  composent,  les  grâces 
et  les  bénédictions  du  ciel;  les  prêtres,  les 
ministres  de  Jésus-Christ,  en  les  chargeant 
du  soin  du  salut  des  âmes, elle  en  fait  autant 
d'intercesseurs,  de  médiateurs  auprès  do 
Dieu  :  également,  Mesdames,  en  vous  ad- 
mettant au  rang  des  épouses  de  Jésus-Christ, 
et  en  vous  imposant,  comme  à  eux,  encetle 
qualité,  l'obligation  de  réciter  l'office  divin, 
elle  vous  charge  comme  eux,  quant  à  cet 
objet,  de  la  môme  intercession  auprès  de 
Dieu;  elle  fait  de  vous  toutes  autant  de 
médiatrices  occupées  à  solliciter  et  à  faire 
descendre  sur  les  justes  et  sur  les  pécheurs, 
sur  l'Eglise  militante  et  sur  la  souffrante, 
les  secours  et  les  grâces  dont  elles  ont  be- 
soin; or  quel  honneur  pour  vous  d'être 
ainsi  associées  au  saint  ministère,  de  vous 
trouver  par  là  ,  comme  les  ministres  de 
l'Eglise,  placées  entre  Dieu  et  les  hommes, 
pour  exercer  votre  médiation  et  employer 
votre  crédit!  Mais  de  plus,  quel  avantage, 
quel  bonheur  pour  vous,  si  en  effet,  par 
l'assiduité  et  par  la  ferveur  de  vos  offices 
publics,  vous  réussissiez  à  attirer  sur  la 
terre  les  grâces  et  les  bénédictions  du  ciel  1 
Si  vous  veniez  à  procurer  par  là  à  quelques 
justes,  la  grâce  de  la  persévérance  finale, 
ou  à  quelques  pécheurs,  celle  d'une  sin- 
cère conversion,  d'un  parfait  retour  à  Dieu  ; 
si  vous  obteniez  à  quelqu'une  de  ces  âmes 
qui  souffre  dans  les  fiammes  du  purgatoire, 
la  délivrance  de  leurs  tourments  et  leur 
entrée  dans  le  séjour  de  la  gloire  !  Encore 
une  fois,  quel  bonheur  et  quel  avantage 
pour  vous!  Quoi  de  plus  propre  à  attirer 
sur  vous-mêmes  une  abondance  de  grâces 
et  de  faveurs  du  ciel? 

III.  Mais  un  troisième  motif  bien  firopro 
à  vous  faire  acquitter  de  ce  saint  exercice 
avec  toute  l'alteniion  et  toule  la  religion 
dont  vous  êtes  capables,  c'est  qu'il  est  pour 
vous  un  exercice  fréquent,  et  très -fréquent, 
un  exercice  de  tous  !es  jours.  Une  œuvre 
de  religion,  un  exercice  de  piJté,  une  prière 
que  nous  aurions  à  faire,  une  seule  fois, 
dans  une  année,  et  dont  nous  nous  acquitte- 
rions avec  peud'altentioii, serait  toujours  une 
offense  de  Dieu,  ce  ser.iit  l'indisposer  par 
conséquent  contre  nous,  et  le  forcer  à  nous 
priver  des  grâces  qu'il  est  toujours  disposé 
à  communiquer  aux  âmes  qui  jle  servent 
avec  fidélité  et  avec  amour;  cette  offense 
serait  tout  autrement  griève  encore  et  plus 
préjudiciable  pour  nous,  si  c'était  une  œu- 
vre, un  exercice,  une  prière  dont  nous  eus 
sions  à  nous  acquitter,  une  fois  chaque 
mois,  ou  chaque  semaine,  ou  chaque  jour; 
notre  faute,  notre   ollcnse   de  Dieu  serait 


49 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  PREMIER  JOUR. 


50 


(l'aulanl  plus  considérable  qu'elle  se  réllé- 
rcrail  plus  souvent.  Que  serait-ce  donc, 
Mêsd.ituos,  et  combien,  vous  cl  luoi,  nous 
rt'ndrions-nous  coupables  aux  yeux  de  noire 
Dieu,  et  redevables  à  sa  justice,  si  nous 
nous  acquittions  mal,  dans  de  mauvaises 
dis"positions,  d'un  oflice  dont  l'Eglise  nous 
charge  et  qu'elle  nous  ordonne  de  réciter 
plus  d'une  fois  dans  la  journée,  en  sorte 
que  nous  pouvons  nous  glorifier,  et  dire  au 
Seigneur,  comme  le  Roi-Prophète,  que  jus- 
qu'à sept  fois  dans  le  jour,  nous  avons  le 
bonheur  de  lui  adresser  nos  vœux  et  nos 
prière»:,  de  chanter  publiquement  ses  louan- 
ges ?  seplies  in  die  latidem  dixi  tibi.  {Psal. 
CXVIII,  16i.)  Quelle  dill'érence  pour  nous 
do  nous  bien  acquiller  de  ce  devoir,  ou  de 
nous  en  acquitlir  mal  I  Quel  avantage  ou 
quel  préjudice,  dans  l'ordre  de  notre  salut! 
Ah  !  un  sujet,  un  courtisan  qui  aurait  la 
permission,  ou  qui,  par  sa  place,  serait 
obligé  de  se  présenter  tous  les  jours  et 
plusieurs  fois  le  jour  devant  son  prince, 
son  souverain,  qui  aurait  par  là  la  liberté 
de  lui  faire  sa  cour,  de  solliciter  ses  grAces 
et  ses  bienfaits,  avec  quelle  attention  [l'en 
profilerait-il  pas,  et  que  ne  ferait-il  point 
pour  se  rendre  agréable  aux  yeux  de  son 
souverain? 

Or,  Mesdames,  je  vous  l'ai  dit,  et  je  ne 
puis  trop  vous  le  répéter,  ce  n'est  point  à 
un  grand,  à  un  prince  de  la  terre  que  vous 
avez  à  rendre,  chaque  jour,  et  plusieurs 
fois  le  jour,  vos  respects  et  vos  hommages, 
et  à  demander  des  grâces;  hélas  !  il  pour- 
rait, ce  prince,  ce  souverain,  ou  ne  pas 
s'en  apercevoir ,  ou  ne  pas  se  rappeler 
tout  ce  que  vous  auriez  fait  pour  lui  ;  mais 
c'est  le  Maître  des  souverains  de  la  terre, 
c'est  votre  Créateur  et  votre  Dieu  qui  vous 
a  fait  l'honneur  de  vous  choisir,  par  préfé- 
rence h  une  infinité  d'autres,  pour  vous 
mettre  au  rang  de  ses  épouses;  c'est  ce 
Dieu  unique  et  tout-puissant  qui  voit  tout, 
qui  connaît  tout  et  qui  peut  tout,  que  vous 
adorez  et  que  vous  honorez  si  souvent; 
c'est  à  lui  que  vous  offrez  chaque  jour,  et 
plus  d'une  fois  le  jour,  des  sacrifices  de 
louanges,  et  autani  au  nom  de  l'Eglise, 
votre  mère,  qu'en  votre  [)ropre  nom;  avec 
quel  respeci,  el  dans  quels  sentiments  de 
religion  ne  devez-vous  donc  pas  vous  ac- 
quitter do  ce  devoir,  de  ce  saint  exercice. 
Ah  1  le  Dieu  Sauveur  l'a  dit  lui-même,  que 
lorsque  deux  ou  trois  seraient  rassemblés 
en  son  nom  il  se  trouverait  au  milieu 
d'eux,  non  d'une  présence  oisive  et  stérile, 
mais  d'une  présence  utile  et  bienfaisante; 
qu'est-ce  donc,  et  que  ne  doit  point  atten- 
dre et  éprouve!'  une  troupe  de  vierges,  ses 
épouses  ,  lorsque,  rassemblées  sous  ses 
veux  el  dans  un  de  ses  temples,  elles  réu- 
nissent leurs  voix  pour  l'adorer,  le  prier  et 
chanter  ses  louanges;  qu'elles  s'acquittent 
de  ce  devoir  avec  une  piélé  une  religion  qui 
pruuvetjue  leur  cœur  est  de  concert  avec  leurs 
lèvres,  el  qu'ellesscnlent  au  dedans  d'elies- 
niômos  cequ'ellesexprimentau  dehors?  Quoi 
de  plus  capable  d'attirer  sur  filles  des  grâces 


privilégiées  et  les  plus  abondantes  bénédic- 
tions du  ciel?  Quel  spectacleen  effet  plus  édi- 
fiant, j'ose  dire  môme  plus  consolant,  plus 
ravissant?  Qu'un  fidèle  du  siècle  entre  dans 
une  de  ces  maisons  du  Seigneur,  dans  le 
temps  qu'elle  retenlit  des  pieux  cantiques 
de  ces  vierges  chrétiennes,  il  est  intérieu- 
rement ému,  il  lui  semble  entendre  la  mé- 
lodie des  esprits  célestes  qui  meltent  leur 
bonheur  à  rendre  à  leur  Dieu  des  homma- 
ges et  des  louanges.  Oui,  l'on  a  vu  quel- 
(luefois  des  pécheurs,  des  impies  même  tel- 
lement frappés  et  touchés  de  sentiments 
de  religion,  en  les  entendant,  ces  vierges, 
chauler  les  louanges  du  Seigneur,  qu'il  n'en 
a  pas  fallu  davantage  pour  les  faire  rentrer 
en  eux-mêmes  et  leur  faire  renoncer  pour 
toujours  à  leur  mauvaise  conduite,  à  leur 
impiété. 

Mais  aussi.  Mesdames,  par  une  raison 
tout  opposée,  quel  objet  de  scandale  pour 
les  chrétiens  du  monde,  et  quelle  douleur 
pour  l'Eglise,  lorsque  ces  vierges,  ces 
épouses  de  Jésus-Chrisl,  oubliant  ce  qu'elles 
lui  doivent  et  ce  qu'elles  se  doivent  à  elles- 
ujômes,  paraissent  s'acquitter  de  cel  exer- 
cice, de  celle  fonction,  avec  une  indévolion 
qui  se  manifeste  sensiblement  au  detiors  ! 
Quel  compte  n'auront-elles  pas  à  rendre  un 
jour  au  Seigneur,  pour  l'avoir  servi  et  prié 
d'une  manière  si  peu  digne  d'elles  et  de  lui  I 
Bien  loin  d'attirer  ses  grâces  el  ses  béné- 
dictions, elles  ne  font  par  là,  que  l'indis- 
poser, qu'irriter  même  son  cœur  à  leur 
égard  ;  les  disgrâces,  les  malheurs  temporels 
qu'elles  éprouvent  quelquefois,  elles  peuvent 
l'altribuer  au  peu  Ue  religion,  à  celte  indé- 
volion avec  laquelle  elle  se  sont  fait  une 
malheureuse  et  criminelle  habitude  de  ré- 
citer le  saint  office.  Grâces  immortelles  en 
soient  rendues  à  l'infinie  bonté  de  notre 
Dieu,  l'on  n'a  rien  de  pareil  à  vous  reprocher. 
Mesdames;  mais,  pour  vous  engagera  per- 
sévérer constamment  dans  ces  saintes  dis- 
positions, et  à  continuer  d'édifier  par  là  et 
de  consoler  l'Eglise,  après  vous  avoir  fait 
voir  les  raisons  qui  doivent  vous  engager  à 
réciter  l'office  divin  avec  religion,  je  dois 
vous  entretenir  également  des  dispositions 
que  vous  devez  apporter,  pour  le  réciter 
avec  fruit.  C'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

SECONDE  PAUTIE. 

Vous  le  savez,  Mesdames,  il  n'est  point 
d'action  dans  la  journée  qu'une  personne 
chrétienne,  et  qu'une  épouse  de  Jésus- 
Christ  encore  plus,  ne  doive  rapporter  à 
Dieu;  en  sorte  que  si  une  seule  ne  pouvait 
par  elle-même  être  susceptible  de  ce  rap- 
port surnaturel,  dès  lors  ce  serait  une  ac- 
tion déréglée  qu'il  réprouverait  absolument. 
C'est  pour  cela  que  l'apôtre  saint  Paul  or- 
donne aux  fidèles  de  faire  tout  el  juscju'aux 
actions  les  plus  communes,  les  plus  indiffé- 
rentes, pour  la  gloire  de  Dieu  :  mais  quoique 
toutes  les  actions  en  général  d'une  créa- 
ture raisonnable  doivent  être  rap[)ortées  à 
Dieu,  faites  pour  Dieu,  et  dans  des  disposi- 
tions par  conséquent  digues  de  Dieu,  il  en 


51 


ORATEURS  SACRES.  L'ARBE   DE  MONTI&. 


tvU  cependant  qui,  ayant  un  rapport  plus 
iiiiruL'diat  à  Dieu,  demandent  aussi  de  plus 
.«airiles  dispositions,  exigent  d'être  faites 
.vyec-  plus  d'attention  et  de  religion.  Tel  est, 
]\l(;sdames,  rotlice  divin  qui  a  directement 
I  our  objet  et  pour  fin  de  chanter  les 
louanges  de  Dieu,  d'implorer,  pour  nous 
tous,  ses  miséricordes.  Pour  vous  les  expo- 
fer  en  détail  et  avec  onlro,  ces  disposiiions, 
je  dois  distinguer  trois  temps,  celui'qui  pré- 
cède l'oince  divin,  celui  qui  l'accompagne 
♦U  celni  qui  le  suit  ;  or  je  dis  qu'il  est,  par 
rapport  à  ces  différents  temps,  des  disposi- 
tions différentes  que  jo  regarde  comme  es- 
sentielles pour  bien  remplir  ce  devoir  de 
l'odice  divin;  je  vais  vous  les  expliquer 
tout  simplement,  afin  que  d'un  simple 
coup-d'œil  vous  puissiez,  en  réfléchissant 
sur  vous,  juger  si  vous  laites,  par  rapport  h 
fie  saint  exercice,  tout  ce  que  vous  devez 
faire  pour  le  rendre  agréable  au  Seigneur  et 
mile  à  vous-mêmes;  renouvelez-moi,  je 
vous  prie,  voire  attention. 

1.  Dispositions  qui  doivent  précéder  l'of- 
fice divin.  Je  les  réduis  à  trois  :  recueillir 
son  esprit,  purifier  son  cœur,  diriger  son 
intention.  Je  reprends,  et  je  dis  en  premier 
lieu,  recueillir  son  esprit;  avant  de  voiis 
mett.'-e  à  la  prière,  dit  le  Saint-Esprit,  il  faut 
vous  y  [)réparer  :  Ante  orntionem,  prœpara 
ariimam (uam.{Eccli,XVlll,23.)Or  \a  première 
préparation  et  une  des  plus  essentielles,  sans 
laquelle  mên>e  toutes  le  autres  deviendraient 
inuliles,  c'est  le  recueillement,  c'est  de  pen- 
ser qu'on  va  se  présenter  devant  son  Créa- 
teur et  son  Dieu,  pour  lui  rendre  des  hom- 
mages, pour  lui  faire  des  demandes,  pour 
solliciter  ses  grâces.  Il  faut  donc  pour  cela 
se  mettre  véritablement,  et  autant  qu'il  est 
en  soi,  en  sa  sainte  présence;  il  faut  penser 
à  lui,  n'être  même  occupé  que  de  lui;  il 
faut  éloigner  avec  soin  tout  autre  objet  de 
son  esprit,  chasser  tout  autre  idée,  quelque 
bonne  d'ailleurs  qu'elle  soit,  dès  qu'elle 
serait  capable  de  distraire  du  grand  objet 
qui  est  Dieu,  et  de  le  faire  perdre  de  vue  ; 
dès  lors  elle  serait  déplacée;  le  recueille- 
ment, le  vrai  recueillement  dit  tout  cela, 
exige  tout  cela;  et  .nrenez  garde  de  plus, 
Mesdames,  que  quand  je  dis  que  pour  bien 
dire  ou  bien  chanter  l'office  divin  il  faut 
être  dans  le  recueillement,  je  n'entends  pas 
seulement  ici  un  recueillement  passager 
qui  précède  immédiatement,  et  de  quelques 
moments  ce  saint  exercice;  j'entends  de 
plus  un  recueillement  habituel  qui  em[iôche 
qu'en  tout  autre  temps  on  n'épanche  trop 
son  esprit,  qu'on  ne  le  livre  trop  facile- 
ment à  des  objels  indifférents,  étrangers  à 
l'ouvrage  de  sa  perfection.  Hélas!  on  se 
plaint  quelquefois  qu'on  ne  peut  le  retenir, 
cet  esj)rit;  que,  jusque  dans  la  prière  et  aux 
pieds  des  saints  autels,  on  se  trouve  assaillie 
de  mille  pensées  importunes  dont  ne  peut 
se  défaire;  mais  comment  cela  ne  serait-il 
pas,  lorsqu'on  vit  dans  une  dissipation  con- 
tinuelle; ([ue,  hors  le  temps  de  sa  prière  et 
de  la  méditation,  l'on  donne  une  libre  car- 
rière à  ses  sens;  qu'on  ne  se  fait  aucun 


scrupule  de  s'occuper  de  mille  pensées,  si- 
non dangereuses,  du  moins  inutiles  et  par 
ïi\  toujours  nuisibles  à  la  perfection?  Voulez- 
vous  donc,  Mesdames,  être  moins  distraites 
dans  vos  exercices  de  religion  et  de  piété, 
et  à  l'office  divin  surtout?  failes-vous  une 
sainte  habitude  du  recueillement  intérieur; 
accoutumez-vous  peu  à  peu  cependant  et 
sans  effort  d'imagination,  h  vous  tenir  et  à 
marcher  constamment  en  la  présence  de 
Dieu;  pensez  souvent  qu'il  est  sans  cesse  à 
vos  côtés,  qu'il  est  même  au  dedans  de 
vous,  que  vous  êtes  toutes  pénétrées  de  son 
immensité,  et  qu'il  fait  sa  résidence  au  mi- 
lieu de  votre  cœur;  rendez-vous  familier  ce 
saint  exercice,  et  alors  vous  n'aurez  aucune 
peine  h  vous  recueillir;  vous  vous  trou- 
verez même  tout  naturellement  recueillies, 
lorscpi'il  s'agira  de  chanter  ou  de  réciter  les 
louanges  du  Seigneur. 

J'ai  dit,  en  second  lieu,  purifier  son  cœur. 
Ah  !  Mesdames,  il  s'agit,  vous  le  savez,  dans 
ce  saint  exercice  de  l'office  divin,  il  s'agit 
de  rendre  vos  hommages  à  votre  Créateur 
et  à  votre  Dieu;  de  lui  offrir,  chaque  jour, 
un  tribut  d'adoration  et  de  louanges,  de 
solliciter,  tant  en  votre  nom  qu'au  nom  de 
l'Eglise,  ses  grâces  et  ses  bienfaits.  Pour- 
riez-vous  espérer  d'être  exaucées,  d'être 
écoutées  môme  dans  vos  prières,  je  ne  dirai 
pas  seulement,  si  votre  âme  était  souillée 
de  quelque  péché  mortel,  quelle  apparence 
qu'il  exauçût  alors  une  de  ses  épouses  qu'il 
regarderait  comme  une  de  ses  ennemies, 
comme  un  objet  de  sa  haine  et  de  sa  colère; 
je  ne  dirai  pas  encore,  si  vous  étiez  cou- 
pables à  ses  yeux  de  quelques  péchés  vé- 
niels, la  volonté  même  du  juste  est  si 
faible  que,  comme  le  dit  le  Saint-Esprit,  il 
touibe  jusqu'à  sept  fois  par  jour;  mais  je 
dis,  si  votre  cœur  était  affectionné  au  péché 
véniel,  en  sorte  que  vous  ne  vous  lissiez 
aucune  peine  de  le  commettre,  de  dé|)laire 
à  votre  céleste  Epoux,  par  mille  fautes, 
mille  infidélités  qui  ne  pourraient  que  l'é- 
loigner de  vous  et  arrêter,  à  votre  égard, 
le  cours  de  ses  grâces.  Ce  qui  est  donc  bien 
nécessaire  pour  fléchir  son  cœur  et  le 
rendre  attentif  et  favorable  à  toutes  vos  de- 
mandes, c'est  de  travailler  h  tenir  voire 
cœur  dans  la  plus  parfaite  innocence,  en 
évitant,  avec  soin,  tout  ce  qui  pourrait  l'of- 
fenser et  lui  déplaire;  c'est  de  lui  prolester, 
de  temps  en  temps  et  souvent  même,  que 
vous  voulez  vivre  et  mourir  dans  cette 
sainte  disposition,  si  digne  d'une  épouse  de 
Jésus-Chris!  ;  c'est  de  ne  jamais  vous  pré- 
senter devant  lui,  pour  le  prier  et  chanter 
ses  louanges,  sans  avoir  produit  un  acte  do 
douleur,  de  contrition,  sans  lui  avoir  de- 
mandé bien  sincèrement  pardon  des  fautes 
de  toute  votre  vie,  et  de  celles  surtout  dont 
vous  vous  êtes  rendues  coupables,  depuis 
que  vous  avez  le  bonheur  d'être  à  son  ser- 
vice, dans  le  saint  état  de  la  religion. 

Je  dis,  en  troisième  lieu,  diriger  son  in- 
l(;ntion,  c'est-à-dire.  Mesdames,  que  quand 
voiis  vous  disposez  à  réciter  le  saint  ollice, 
vous  devez  prendre  garde  à  ne  l'as  faire, 


hl  DISCOIUIS  DE  RETllAlTl 

par  rouline,  par  respect  humain,  une  action 
sainte  que  vous  répétez  si  souvent  ;  vous 
devez  pour  cela,  l'offrir  à  Dieu  en  général, 
pour  tous  les  besoins  de  l'Eglise  et  pour  les 
vôtres  en  particulier  :  vous  devez  aller  5  ce 
saint  exercice,  avec  la  résolution  de  vous 
en  acquitter  avec  autant  de  religion  et  de 
piété,  que  si  c'était  la  dernière  fois  de  votre 
vie  que  vous  eussiez  à  vous  en  acquitter  ; 
vous  devez  pour  cela  renoncera  toute  dis- 
traction, éloigner  avec  soin  tout  ce  qui  se- 
rait capable  de  vous  en  procurer;  vous  devez 
im[)lorer,  mais  sincèrement,  mais  de  tout 
votre  coeur,  les  regards  et  les  secours  de 
votre  Dieu,  lorsqu'on  commençant  volie 
otlice,  vous  lui  dites  -.Deus.  in  adjulorium 
meum  iutende  {Psal.  LXIX,2)  :  Daignez,  Sei- 
gneur, venir  à  mon  secours  ;  aidez -moi  vous- 
même,  par  votre  grâce,  à  vous  louer.  Voilà 
les  dispositions  saintes  qui  doivent  précé- 
der votre  office  divin. 

II.  Il  en  est  d'autres  qui  doivent  l'accom- 
pagner; je  les  réduis  à  trois  également,  à 
l'attention,  à  la  dévotion,  à  l'exactitude.  Je 
dis  premièrement  aittntion.  Ce  n'est  pas 
précisément,  Mesdames,  h  dire  l'office  divin 
que  l'Eglise  vous  oblige,  mais  à  le  bien 
aire;ensorle  que  le  dire  sans  réflexion, 
avec  des  distractions  volontaires,  ce  n'est 
plus,  de  l'aveu  de  tous  les  casuistes,  satis- 
faire au  précopte  ;  c'est  de  la  prière  faire  un , 
péché,  comme  le  dit  le  Roi-Prophèle,  oralio 
ejusfiat  mpecfafum.(i'sa/.CVllI,16.)  Un  sujet, 
celte  réflexion  est  des:iinlAuguslin,unsujet 
qui  se  présenterait  devant  son  roi,  son  souve- 
rain,pour  lui  faire  sa  cour  et  en  obtenir  quelque 
grâce,  qui  interromprait  aisément  des  hom- 
mages qu'il  lui  devrait  pour  s'entretenir 
avec  d'autres  et  avec  les  ennemis  du  prince 
peut-être,  quelle  injure,  quel  outrage  ne  lui 
ferait-il  pas?  Bien  loin  d'en  obtenir  la  grâce 
qu'il  solliciterait,  ne  mériterait-il  pas  d'en 
être  rejeté  et  puni  ?  Qu'est-ce  donc,  à  plus 
forte  raison,  et  quelle  injure  une  simple 
créature  ne  fait-elle  pas  à  son  Créateur, 
lorsqu'elle  se  conduit  d'une  façon  si  peu 
respectueuse  en  sa  présence?  Vous  devez 
donc,  Mesdames,  pour  plaire  à  votre  Dieu 
et  pour  attirer  sur  vous  ses  giâces  et  ses 
bienfaits,  par  l'office  divin,  appliquer  votre 
esprit,  sinon  au  sens  des  paroles  que  vous 
n'entendez  pas,  du  moins  à  votre  Dieu,  qui 
est  l'objet  et  la  fin  de  ces  paroles  et.de  toutes 
vos  prières,  et  vous  y  ap{)liquer  d'autant 
plus  que  le  démon  qui  sait  combien  ce 
saint  exercice  peut  vous  être  avantageux, 
met  tous  ses  etlorts  pour  vous  distraire  et 
détourner  votre  esprit  à  des  objets  étran- 
gers. 
J'ai  dit  secondement,  dévotion.  C'est  le 

'  cœur  surtout.  Mesdames,  qui  doit  prier  ,  et 
c'est  son  amour  pour  Dieu  qui  doit  le  faire 
prier  et  lui  faire  sentir,  comuje  dit  saint  Au- 
gustin, ce   que    la   bouche  profère  ;  (|uand 

.vous  serez  en  effet  animées  de  ce  sentiment, 
quand  l'amour  de  Dieu  dominera  dans  vot'e 

itœur  sur  tout  autre  amour,  vous  vous  a<;- 

I  quitterez  alors  du  saint  exercice  de  l'offirc 
divin   avec  cet  intérieur,  cet  esprit  de  piété, 


-  PREMIER  JOUR. 


fil 


qu'il  est  plus  aisé  de  ressentir  que  de  défi- 
nir; esprit  de  pitié  qui  fait  qu'en  récitant 
ou  en  chantant  l'office  divin,  on  évite  une. 
certaine  négligence,  une  lenteur  excessive, 
plus  propre  à  éteindre  la  vraie  dévotion  qu'à 
l'exciler,  et  qu'on  évite  encore  plus,  une 
précipitation  dans  les  paroles,  plus  capable 
de  scandaliser  que  d'édifier.  Oui,  Mesdames, 
et  je  dois  vous  le  dire  ici,  s'il  n'est  rien  de 
(tlus  édifiant  qu'une  société  de  vierges  qui, 
toules  ensemble,  chantent  avec  dévotion  et 
avec  une  sainte  gravité  les  louanges  du 
Seigneur,  si  les  chrétiens  du  siècle  jugent 
alors  que  des  vierges  qui  s'acquittent  de  co 
devoir  aussi  chrétiennement,  ne  peuvent 
qu'être  très-religieuses  dans  toute  leur  con- 
duite; rien  au  contraire  n'est  plus  scanda- 
leux et  ne  donne  d'elles  une  plus  mauvaise 
idée,  que  de  les  entendre  s'acquitter,  d'une 
façon  indévoie,  avec  précipitation,  d'un  de- 
voir aussi  important;  on  ne  peut  s'empê- 
cher de  leur  appliquer  alors  ce  que  le  Sei- 
gneur disait  des  Juifs,  par  un  de  ses  pro- 
phètes; ce  peuple,  ces  vierges  ,  honf)rent 
leur  Dieu  du  bout  des  lèvres,  mais  leur 
cœur  est  bien  éloigné  de  lui  :  on  juge  alors 
et  avec  raison,  qu'elles  ont  bien  peu  d'ar- 
deur à  4ilaire  à  leur  céleste  Epoux,  et  bien 
peu  de  zèle  par  conséquent,  pour  leur  san- 
ctification. 

J'ai  dit  troisièmement,  exactitude.  Et  d'a- 
bord, exactitude  par  rapport  au  lieu.  Je  veux 
dire.  Mesdames,  que  c'est  au  chœur  et  toutes 
ensemble,  que  vous  devez  réciter  ou  chan- 
ter l'ofllce  divin.  Car  prenez  garde,  s'il  vous 
plaît,  que  vous  avez,  par  rapport  à  l'oflice 
divin,  deux  obligations  distinguées;  l'une 
de  le  réciter  chaque  jour,  c'est  l'Eglise  qui 
vous  l'impose;  y  manquer  sans  raison,  ce 
serait,  je  vous  l'ai  déjà  dit,  vous  rendre  très- 
coupables  à  ses  yeux  et  aux  yeux  de  votre 
Dieu  :  l'autre  obligation,  c'est  de  le  réciter 
en  chœur  et  en  commun;  c'est  votre  règle, 
ce  sont  vos  constitutions  qui  vous  le  pres- 
crivent ;  ensorle  qu'une  religieuse  qui  se  fe- 
rait une  habitude  de  ne  point  assister  au 
chœur,  ou  qui,  sous  de  faux  prétextes,  s'en 
ferait  dispenser  par  ses  supérieures,  irait 
sur  un  article  très-important  contre  l'es- 
{•rit  de  son  institut,  transgresserait  un  de- 
voir essentiel,  serait  un  sujet  de  scandale 
pour  ses  sœurs,  et. s'exposerait  à  s'entendre 
repr0(;her  un  jour  par  le  Seigneur  qu'elle 
s'est  opposée,  autant  qu'il  a  été  en  elle,  à 
ce  qu'il  fût  publiquement  loué  et  glorifié 
dans  sa  communauté. 

Je  dis  encore,  exactitude  par  rapport  au 
temps;  je  veux  dire.  Mesdames,  que  quand 
le  signal  vous  appelle  au  chœur,  pour  chan- 
ter le.  louanges  du  Seigneur,  vous  devez 
dans  l'instant  quitter  tout,  et  vous  rendiu 
promplement  dans  ce  saint  lieu;  rien  ne 
manifeste  plus,  dans  une  épouse  de  Jesus- 
Christ,  un  cœur  lâche  et  peu  fervent,  que 
cette  indolence,  cette  paresse  à  se  rendre 
à  ses  exercices,  rien  aussi  ne  lui  est  plus 
préjudiciable;  car  vous  le  savez,  il  est,  pour 
ch3(iue  exercice,  une  grâce  particulière  : 
mais  c'est  au  premier  instant,  c'est  à  celte 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


56 


firomptitiide  a  se  rendre  h  l'exercice,  que 
le  Seigneur  a  attaché  cette  grâce  :  manquer 
io  moment  par  sa  faute,  c'est  se  priver  de 
cette  grâce,  et  par-là  des  nouveaux  niériles 
([ii'elle  aurait  proiJurls.  Jesus-Clirisl  lui- 
même  confirme  celte  vérité  par  la  paral>ole 
des  vierges  folles  qui  furent  exclues  pour 
toujours  de  la  salle  et  de  la  compagnie  de 
l'Epoux,  parce  qu'au  lieu  de  se  tenir  |)r6les 
!>u  premier  signal  de  son  arrivée,  elles  s'é- 
taient lâchement  endormies. 

Je  dis  enfin,  exaeliiude  par  rapport  au 
«  liant.  Je  veux  dire,  Mesdames,  qu'une  reli- 
gieuse ne  doit  pas  se  Ijorner  à  se  tenir  do 
corps  dans  un  chœur  avec  ses  sœurs.  Lors- 
que l'Eglise  et  ses  constitutions  lui  enjoi- 
gnent de  dire  l'otfice  divin  au  chœur  et  en 
commun,  c'est  afin  qu'elle  unisse  sa  voix  à 
celle  de  ses  sœurs,  qu'elle  cliatUe  et  sou- 
tienne le  chœur,  autant  qu'il  est  en  elle; 
ce  ne  serait  donc  point  remplir  sou  de- 
voir et  tout,  son  devoir  si,  par  lâcheté,  par 
indiiïérence,  par  dégoût  ou  par  amour  d'elle- 
niônie,  pour  ne  point  se  fatiguer,  elle  ne 
daignait  pas  chanter,  autant  qu'elle  le  peut, 
avec  ses  sœurs.  Ah  !  .Mesilanies,  nue  épouse 
de  Jesus-Christ  peul-el!e  faire  un  plus  bel 
usage  des  ses  forces,  et  peut-elle  trouver 
de  la  répugnance  et  du  dégoût  à  faire,  de 
temps  en  temps,  sur  la  terre,  ce  que  font 
sans  cesse  les  saints  dans  le  ciel ,  ce  qu'elle 
y  fera  éternellement  elle-même,  si  elle  a  le 
bonheur  d'êtie  de  ce  nombre?  Telles  sont 
les  dispositions  saintes  qui  doivent  accom- 
pagner le  saint  office. 

liL  II  eu  est  enlin  qui  doivent  le 'suivre, 
et  que  je  réduis  à  deux.  La  première,  c'est 
de  remercier  Dieu  de  vous  avoir  souffertes 
en  sa  sainte  présence;  c'est  de  ne  point 
sorlif  du  chœur,  du  saint  lieu  où  vous  avez 
chanté  ses  louanges,  sans  lui  rendre  les  plus 
sincères  actions  de  grâces  de  vous  avoir 
permis  de  paraître  devant  sa  Majesté  su- 
|)rôme,  et  d'avoir  bien  voulu  prêter  l'o- 
reilie  aux  louanges  et  aux  prières  que  vous 
lui  avez  adressées.  Quelle  reconnaissance  un 
courtisan  ne  conserverait-il  pas  pour  son 
souverain  qui  aurait  daigné  l'écouter,  et 
qui  aurait  paru  dis|)0sé  àlui  accorder  des 
audiences  aussi  longues  et  aussi  fréquentes 
qu'il  pourrait  le  désirer  1  Do  quels  senli- 
menls  de  gratitude  et  d'amour  ne  devez- 
vous  donc  pas  être  pénétrées,  vous.  Mes- 
dames, envers  votre  Dieu,  le  voyant  tou- 
jours prêt  à  vous  écouter,  lorsque  vous  vous 
présentez  devant  lui,  pour  l'adorer  et  le 
prier,  et  loujoursdisposé  h  vous  exaucer,  à  so 
rendre  favorable  à  vos  vœux  et  à  vos  prières? 

La  seconde  disposition  dans  laquelle  vous 
devez  entrer,  après  avoir  récité  l'office 
divin,  c'est  de  rélléchir  un  instant  sur  les 
fautes  que  vous  auriez  pu  commettre  et  les 
distractions  auxquelles  vous  auriez  pu  vous 
iivrei-,  eu  le  récitant;  c'est  d'en  demander 
sineèrement  pardon  au  Seigneur,  de  vous 
eu  humilier  profondément ,  en  sa  sainte 
présence,  de  lui  i)rometlre  d'être  plus  atten- 
tives et  plus  recueillies  à  l'avenir.  Hélas  1 
Mesdames,  un  i»iince  de  la  terre  qu'un  de 


ses  sujets  aurait  ainsi  ofTensé,  dans  un 
temps  qu'illui  aurait  accordé  pour  l'appro- 
cher et  pour  l'entretenir,  aurait  peine  h  lui 
pardonner  ce  défaut  de  respect;  il  se  ren- 
drait du  moins  beaucoup  plus  difficile  h 
lui  permettre  à  l'avenir  un  accès  auprès  de 
sa  personne:  mais  notre  Dieu,  toujours 
plein  d'amour  pour  nous,  dès  qu'il  aper- 
çoit en  nous  un  repentir  sincère  des  fautes, 
des  irrévérences  que  nous  avons  eu  le  mal- 
heur de  commettre  à  son  égard,  et  un  bon 
désir,  une  résolution  ferme  de  mieux  faire 
à  l'avenir, dès  lors  if  les  oublie,  ces  fautes; 
il  est  loujonrs  prêt  h  nous  recevoir;  il  nous 
reçoit  en  effet  avec  bonté  comme  aupara- 
vant. C'est  donc  ce  bon  propos.  Mesdames, 
de  prier  votre  Dieu  avec  plus  d'attention  et 
de  respect  que  par  le  passé,  que  vous  devez 
avoir  en  cessant  de  le  prier;  c'est, j'ose  le 
dire,  le  moy<»n  le  plus  profire  à  vous  pré- 
server d'agir  dans  ce  saint  exercice  qui  so 
répèle  si  souvent,  par  habitude  ou  par  tout 
autre  motif  purement  naturel,  et  à  vous  en 
faire  retirer  tout  l'avantage  qui  y  est  at- 
taché. 

A[)rès  toutes  ces  considérations,  un  re- 
tour sur  vous-n)êmes;  réfléchissez  sérieuse- 
ment et  devant  Dieu,  sur  l'idée  que  vous 
avez  eue  jusqu'ici  de  l'office  divin,  duquel 
vous  avez  à  vous  acquitter  chaque  jour,  el 
sur  les  dis[)Osilions  d'esprit  et  de  cœur,  avec 
lesquelles  vous  vous  en  êtes  acquittées. 

Ahl  Seigneur,  si  je  veux  les  faire  ici  avec 
attention  et  de  bonne  foi,  ces  réflexions,  ce 
retour  sur  moi-même,  que  n'ai-je  point  à 
me  reprocher  1  Et  d'abord,  je  suis  forcée 
d'en  convenir  :  ce  saint  office,  cent  et  cent 
l'ois  je  l'ai  regardé  plutôt  comme  une  simple 
[)rière  de  dévotion,  dont  je  pouvais  aisément 
me  dispenser,  et  dont  en  elTet,  sans  de  légi- 
times raisons,  je  me  suis  tant  de  fois  dis- 
pensée, que  comme  une  prière  aulhentiquu 
et  publique,  dont  votre  Eglise  me  faisait 
une  obligation  si  étroite,  que  je  ne  pou- 
vais, sans  une  vraie  laison,  y  manquer 
sans  me  rendre  Irès-coupable  à  vos  yeux. 
Non,  jamais,  jusqu'à  ce  jour  je  n'ai  bien 
compris  l'honneur  qui  est  attaché  à  ce  saint 
exercice,  qui  m'unit  étroitement  à  vous,  qui 
me  fait  faire  en  quelque  sorte,  dès  cette  vie, 
ce  que  je  suis  destinée  à  faire  éiernelleraent 
dans  l'autre,  vous  bénir  et  chanter  vos 
louanges.  Hélas  !  je  n'ai  pas  mieux  connu 
les  grands  avantages  que  je  pouvais  en  re- 
tirer 1  Ai-jo  jamais  pensé  à  ces  grâces  et  à 
ces  bénédictions  particulières  que  vous  avez 
bien  voulu  y  attacher? 

Mais,  Seigneur,  si  je  veux  réfléchir  da 
plus,  sur  mes  dispositions  habituelles,  par 
rapport  à  ce  saint  exercice,  sur  la  manière 
dont  je  m'en  suis  acquittée  jusqu'à  présent; 
ah!  que  j'ai  bien  lieu  de  me  confondre  cl 
de  recourir  à  vos  miséricordes  infinies!  Que 
de  relardemenls,  sous  les  moindres  pré- 
textes! Que  de  lenteur  à  me  rendre  dans  le 
saint  lieu  destiné  à  vous  rendre  des  adora- 
tions et  à  chanter  vos  louanges!  Mais  do 
plus,  en  les  chantant  ces  louanges,  que 
d'indiflérenco,  que  de  lâcheté,  que  d'égaro- 


57 

iiienls  d  esprit,  que  ue  dislraclions  vo!ou- 
Inires,  du  moins  dans  leurs  causes;  (|ùo 
d'ennui,  que  de  dégoût  qui  n*a  souvent  que 
trop  paru  à  l'extérieur  1  Hélas!  couibien  do 
lois  peut-être  j'ai  par  là  scandalisé  mes 
sœurs!  Ah!  Sei^^neur,  plusieurs  de  vos 
épouses  se  sont  santtitiées,  principalement 
en  s'acquittant  de  ce  saint  exercice;  plu- 
sieurs de  celles  qui  vivent  avec  moi  se 
sanctilient  encore  par  ce  moyen,  je  suis  tous 
les  jours  témoin  de  leur  recueillement,  de 
cet  esprit  de  religion,  de  loi,  de  piété,  de 
lerveur  qui  paraît  les  animer,  en  chantant 
vos  lou.inges  :  faites,  Seigneur,  que  je  puisse 
les  imiter  désormais;  laites  que  cet  exercice 
si  saii.l,  si  important  en  lui-même,  que  je 
renouvelle  si  souvent,  et  où  il  y  a  par  con- 
séquent tant  à  perdre  ou  à  gagner  pour  moi, 
lie  soil  pas  un  jour,  le  sujet  de  ma  condam- 
nation; laites  que  je  chante  toujours  vos 
louanges,  d'une  manière,  si  non  digne  de 
vous,  de  votre  grandeur  et  de  votre  Majesté 
intinie,  ce  que  ne  peuvent  même  les  esprits 
et  les  bienheureux  dans  le  ciel  :  mais  que 
je  les  chante  du  moins  avec  tous  les  senti- 
ments de  religion,  de  piété  et  d'amour  dont 
je  suis  capable;  c'est  la  résolution  que  je 
))rends  dans  ce  moment,  ô  mon  Dieu!  Ueii- 
dez-là,  je  vous  en  conjure,  ellicace  par 
votre  grâce,  alin  qu'aj)rès  vous  avoir  prié  et 
adoré  dans  cette  vie,  je  puisse  d.ms  l'autre 
vous  voir,  vous  adorer,  vous  louer,  et  vous 
aimer  dans  les  siècles  des  siècles.  Ainsi 
buit-il. 

rUEMIER   JOUR. 
Troisième  discours. 

SUR      LA     MOBT     d'uNE     RELIGIEUSE    DANS     LE 
PÉCBÉ. 

Ouaerolis  nie,  cl  in  peccalo  vcslro  moriemiui.  (Joan., 
VIIU  20.) 

Vous  me  chercherez,  et  vousmourrez  datis  voire  péché. 

Telles  furent.  Mesdames,  les  terribles 
nîonaces  que  Jésus-Christ  fit  aux  Juifs  in- 
crédules; ôprès  avoir  employé,  pendant  les 
trois  dernières  années  de  sa  vie  mortelle,  les 
moyens  les  plus  pro|)res  à  leur  ouvrir  les 
yeux  sur  la  vérité  de  sa  mission  et  sur  la 
divinité  de  sa  [)ersonne,  irrité  de  leur  obs- 
tination 5  le  méconnaître  el  de  leur  malice, 
jusqu'à  attribuer  au  démon  les  prodiges  sans 
nombre  qu'il  opérait  sous  leurs  yeux,  prêt 
de  terminer  son  sacrifice  et  d'achever,  [)ar 
sa  mort,  le  grand  ouvrage  do  notre  rédemp- 
tion, il  leur  déclare  que  le  temps  de  ses 
miséricordes  va  bientôt  passer  pour  eux; 
qu'une  fois  remonté  au  séjour  de  sa  gloire, 
ils  le  chercheront,  mais  en  vain  ,  et  qu'en 
punition  de  leur  résistance  criminelle  à  ses 
grâces,  ils  luourronl  dans  leur  incrédulité, 
dans  leur  péché  :  In  peccalo  veslro  morie- 
mini. 

Hélas  !  Mesdames,  comrm*  de  chrétiens 
dans  le  monde;  je  dis  plus.y'tombien  dans 
le  saint  étal  de  la  religion,  participent  à 
celle  menace  du  Dieu  Sauveur!  Combien 
d'épouses  de  Jésus-Christ  qui,  après  avoir 
abusé,  f)endant  bien  des  armées  peut-être, 
d'une  inlinilé  de  grâces,  el  connuis  une  in- 
liaité  do  péchés,  se  trouvent  tout  à  coup  ar- 


[DISCOLRS  DE  RETRAITE.  —  PREMIEll  JOIR. 


58 


rêtées,  au  milieu  de  leur  course  quelque- 
fois, et  frappées  par  la  mort,  sans  avoir  le 
temps  de  se  reconnaître;  qui,  après  avoir 
longtemps  abusé  des  miséricordes  de  leur 
Dieu,  éprouvent,  dès  cette  vie,  par  la  mort 
dans  le  péché,  les  effets  de  sa  justice  ! 

Une  personne  chrétienne,  une  religieuse 
mourir  dans  Iepéché,dansladisgrace,  dans  la 
haine  éternelle  de  son  Dieu ,  quel  sort,  quel 
plus  grand  malheur!  C'est,  Mesdames,  pour 
vous  le  faire  éviter,  que  je  viens  vous  en  en- 
tretenir et  vous  faire  considérer  l'état  atfreux 
d'une  religieuse  qui  joint  la  mort  avec  le 
péché.  Or,  je  remarque  que  deux  réflexions 
et  bien  importantes  contribuent  alors  à  la 
désoler,  à  la  désespérer,  cette  mauvaise  reli- 
gieuse :  la  vue  du  passéel  celle  de  l'avenir.  Je 
dis  donc  tout  simplement  (jue  la  vue  du  passé 
commence  son  désespoir,  je  vous  le  ferai 
voir  dans  la  première  partie  de  ce  discours  ; 
j'ajoute  que  la  vue  de  l'avenir  met  le  com- 
ble à  sou  désespoir ,  je  vous  le  ferai  voir 
dans  la  seconde  partie.  Vous  sentez ,  Mes- 
dames, combien  cette  matière  est  impor- 
tante; fasse  le  ciel  que  vous  on  soyez  bien 
pénétrées!  Honorez-moi,  de  toute  votre 
a  tien  lion.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Un  des  plus  communs  et  tout  à  la  fois 
un  des  plus  funestes  effets  que  produise  dans 
l'âme  le  péché,  et  surtout  l'habitude  du 
[léché,  c'est  d'éteindre  en  elle  les  lumières 
de  la  foi  ;  il  n'est  que  trop  ordinaire  de  voir 
l'esprit  du  pécheur  tomber  dans  l'aveugle- 
ment, après  que  son  cœur  s'est  livré  à  la 
corruption;  mais  qui  le  croirait,  cette  foi 
qui  paraissait  éteinte,  pendant  la  vie,  se 
rallume,  pour  ainsi  dire  à  la  mort,  et  n'est 
même  jamais  plus  vive  que  dans  ces  der» 
niers  moments.  Oui,  Mesdames,  celte  per- 
sonne religieuse  qui,  tandis  qu'elle  jouissait 
d'une  santé  parfaite,  semblait,  par  sa  con- 
duite ,  révoquer  en  doute  les  vérités  les 
plus  etTrayautes  de  la  religion,  sitôt  que  la 
mort  se  pVésente  à  elle ,  qu'elle  eu  sent  les 
premières  atteinios,  ah!  que  ses  pensées 
sont  ditl'érentes  do  celles  qu'elle  avait  quel- 
ques jours  aujiaravant  !  Etendue  sur  un  lit 
d'où  elle  jirévoit  ne  devoir  sortir  que  pour  être 
portée  dans  le  tombeau,  abandonnée  entiè- 
rement à  ses  réflexions,  elle  retombe  enfin 
sur  elle-même;  elle  se  considère  sérieuse- 
ment, et  c'esl  d'abord  le  passé  qui  se  pré- 
sente à  son  esprit,  et  deux  objets  impor- 
tants l'occupent,  par  rapport  au  passé;  la 
conduite  que  son  Dieu  a  tenue  à  son  égard, 
el  la  conduite  qu'elle  a  tenue  elle-même  à 
l'égard  de  son  Dieu  ;  son  Dieu  l'avait  uni- 
quement créée  pour  lui  ;  il  l'avait  placée 
dans  un  état  saint  et  [larl'ail,  afin  qu'elle  le 
servit  et  le  gloiili;U  par  des  œuvres  de  per- 
fection et  de  sainteté;  elle  voit  qu'elle  n'a 
fait  au  contraire  que  lui  déplaire  el  l'otren- 
scr;  son  Dieu  lui  avait  communiqué  une 
inlinilé  de  grâces,  comme  autant  de  moyens 
propres  à  la  sanclilier  et  à  la  faire  parvenir 
au  ciel,  auquel  il  l'avait  destinée  :  elle  voit 
qu'au  lieu   d'entrer  dans  ses   vues,  de  se 


59 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


60 


servir  de  tous  ces  moyens  de  perfoolion  et 
de  snlnl,  elle  les  a  négligés,  qu'elle  s'en 
est  même  servie  |)Our  l'offenser  :  ainsi, 
Mesdames,  les  péchés  que  celle  religieuse  a 
commis,  les  grâces  donl  elle  a  abusé, ^  deux 
grands  objels  qui  l'occupent,  qui  l'aflligent 
dans  sps  derniers  momenls,  et  qui  commen- 
cent son  désespoir. 

I.  Je  dis  que  la  première  vue  d'une  mau- 
vaise religieuse,  à  la  mort,  est  cel'e  des 
péchés  qu'elle  a  coramis  ;  mais  comment  les 
voit-elle?  Ah  I  Mesdames,  elle  les  voit 
comme  Dieu  les  lui  fera  voir,  lorsqu'elle 
paraîtra  à  son  redoutable  tribunal;  elle  les 
voit  tous,  elle  les  voit  tous  ensemble  ;  elle 
les  voit  tous,  sans  interruption;  elle  les 
voit  tous,  dans  toute  leur  malice  et  avec 
toute  leur  difformité  :  autant  de  circons- 
tances capables  de  la  faire  expirer  de  re- 
gret, si  Dieu,  par  un  effet  de  sa  toute-puis- 
sance ,  ne  la  conservait  encore  quelque 
ttmps,  afin  de  lui  faire  sentir,  dès  celle  vie, 
les  peines  terribles  qu'elle  s'est  attirées  en 
rolTensant. 

Je  dis  que  celle  mauvaise  religieuse,  à  la 
mort,  voit  ses  péchés  et  les  voit  tous;  pen- 
dant la  vie  ,  comme  elle  ne  les  commettait 
que  successivement  l'un  après  l'autre,  ils 
ne  se  présentaient  aussi  que  successive- 
ment è  son  esprit,  à  sa  mémoire,  et  les  der- 
niers faisaient,  pour  l'ordinaire,  oublier 
tous  les  autres  ;  mais  à  la  mort,  il  n'en  est 
aucun,  de  ses  péchés  les  plus  griefs  sur- 
tout, qui  lui  échappe;  elle  voit  alors,  mais 
d'une  vue  claire  et  distincte,  toutes  les  pen- 
sées mauvaises  dont  elle  a  tant  de  fois  oc- 
cupé son  esprit;  elle  voit  tous  les  désirs 
déréglés  qu'elle  a  conçus  dans  son  cœur  ; 
elle  voit  toutes  ses  actions  criminelles  aux- 
quelles elle  s'est  livrée;  elle  voit  ces  paro- 
les de  censure,  de  raillerie,  de  jalousie,  de 
médisance,  de  calomnie  proférées  contre 
ses  sœurs;  elle  voit  ces  antipathies,  ces 
haines,  les  aversions  qu'elle  avait  laissé 
naître,  et  qu'elle  avait  nourries  dans  son 
cœur,  pendant  plusieurs  années  peut-être; 
elle  voit  ces  inobservances,  ces  inlidélités 
notables,  ces  transgressions  essentielles  de 
sa  règle  et  de  ses  constitutions;  elle  voit 
les  infractions  graves  et  multipliées  à  l'in- 
fini de  ces  vœuxj'qu'elle  avait  prononcés 
en  présence  de  son  Dieu  ,  et  aux  pieds  des 
saints  aultls;  elle  voit  toutes  ces  actions 
qu'elle  a  comniises  contre  la  loi  de  Dieu  et 
eonire  les  devoirs  de  son  état  :  Elle  voit 
alors...  Hél  que  ne  voit-elle  pas?  Une  vie 
toute  dénnée  de  bonnes  œuvres,  pleine 
d'infi'aclions ,  de  péchés  et  de  désordres; 
que  de  ])échés  lui  reviennent  alors  à  l'es- 
prit et  auxquels  elle  n'avait  jamais  lait  at- 
tention !  Péchés  contre  Dieu,  péchés  contre 
le  prochain,  péchés  contre  elle-même;  outre 
ses  propres  péchés,  combit-n  de  péchés 
d'aulrui  qu'elle  s'est  rendus  proi)res  par 
ses  conseils,  par  ses  exemples,  par  ses 
discours,  par  ses  sollicitations,  |>ar  ses 
coniptaisancosl  Quelle  surprise  pour  cette 
épousMie  Jésus-Christ,  qui,  par  son  t^ge, 
par  son  rang,   par  ses  emplois,  auiait  dû 


être  un  modèle  de  verlu  et  de  régularité 
pour  ses  sœurs  !  quelle  surprise  de  se  voir 
au  contraire  coupable  d'une  infinité  de  fau- 
tes, de  transgressions  qu'elle  leur  a  fait 
coinmetlre,  par  sa  conduite  relâchée  et  peu 
édifiante,  et  qui,  par  là,  vont  lui  être  impu- 
tées I  Quelle  surprise  pour  celte  autre  que 
le  Seigneur  avait  placée  au-dessus  de  ses 
sœurs  afin  qu'elle  procurât  leur  sanclifica- 
tion,  en  maintenant  l'observance  des  rè- 
gles, l'esprit  de  religion  et  de  ferveur  dans 
sa  communauté,  quelle  surprise  de  se  voir, 
faute  de  vigilance  et  de  fermeté,  chargée 
d'une  infinité  de  prévarications  qu'elle  au- 
rait dû  empêcher;  que,  par  une  lâche  poli- 
tique, par  une  molle  condescendance  elle  a 
souffertes,  dont  elle  paraissait  môme  ne  pas 
s'apercevoir,  mais  qu'elle  ne  peut  s'empêcher 
de  se  reprocher  à  la  mort. 

Mais  non-seulement  celle  personne  reli- 
gieuse, au  lit  de  la  mort,  voit  tous  ses  pé- 
chés, mais  elle  les  voit  tous  ensemble;  se- 
conde circonstance.  Oui,  ces  péchés  qu'elle 
aura  commis,  dans  un  espace  de  temps 
peut-être  considérable,  ces  péchés  qui  au- 
ront été  l'ouvrage  d'un  grand  nombre  d'an- 
nées, ces  péchés,  par  une  permission  di- 
vine, se  réunissent  à  la  mort,  comme  sous 
un  seul  point  de  vue,  pour  se  faire  consi- 
dérer par  cette  âme  pécheresse  ;  elle  les  voit 
tous,  et  tous  ensemble  et  au  même  ins- 
tant. 

Je  dis  plus  encore,  elle  les  voit  tous 
sans  interruption;  troisième  circonstance: 
ce  n'est  pas  que,  pendant  sa  vie,  ces  pé- 
chés, ces  infidélités  si  multipliées,  ne  se 
présentassent,  de  temps  en  temps,  à  son 
esprit;  sa  conscience  en  était  môme  quel- 
quefois alarmée;  heureuse  si  elle  eût  su 
profiter  de  ces  remords,  de  ces  troubles  sa- 
lutaires, pour  se  convertir  sincèrement  à 
son  Dieul  mais  que  ne  faisait-elle  pas  au 
contraire  pour  éloigner  de  son  esprit  ces 
pensées  importunes  qui  venaient  la  trou- 
bler !  De  quels  moyens  ne  se  servait-elle 
pas  pour  s'étourdir,  en  quelque  sorte,  pour 
étoutfer  ces  remords  qui  lui  étaient  insup- 
portables 1  Et  en  effet,  à  force  de  dissipa- 
tion, de  transgressions,  de  péchés,  elle  réus- 
sissait quelquefois  à  se  donner  cette  {»aix 
qu'elle  cherchait  ;  disons  mieux,  cette  fausse 
sécurité,  ce  funeste  endurcissement,  puis- 
que, comme  le  dit  le  Seigneur  lui-même,  il 
n'est  point  de  véritable  paix,  pour  les  pé- 
cheurs ;  mais  h  la  mort,  en  vain  cherche-t- 
elle  à  se  distraire  de  la  vue  de  ses  péchés; 
Dieu  permet  qu'ils  se  présentent  tous  et 
sans  cesse  à  son  esprit;  quelque  effort 
qu'elle  fasse  et  quelque  agitation  qu'elle  se 
donne,  elle  ne  jteut  en  détourner  la  vue, 
elle  est  forcée  de  les  considérer  tous,  et  du 
les  considérer  tous  dans  toute  leur  malice 
et  avec  toute  leur  dilformilé;  quatrième 
circonstance  plus  accablante  encore  que 
toutes  les  autres. 

Ah!  Mesdames,  que  le  jugement  qu'elle 
en  porte,  dans  ces  derniers  moments,  res- 
semble peu  à  celui  (lu'ulle  en  portail  pen- 
dant la  vie  !  Tandis  qu'elle  était  en  élut  Ue 


Gl 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  PREMIER  JOUR. 


G2 


\os  conimellro,  el  qu'elle  les  comracllnil  en 
elFet,  aveuglée  par  ses  p.issions,  séduile 
surioul  jiar  le  prince  du  mensonge,  les 
fautes  les  plus  grièves,  les  Ir.sngressions  les 
plus  considérables  lui  paraissaient,  sinon 
dos  fautes  légères,  du  moins  des  fautes  de 
faiblesse  qui  obtiendraient  aisément  le  par- 
don du  Seigneur;  mais  le  bandeau  qui  l'a- 
veuglait tombe  à  la  mort,  elle  aperçoit 
tout  à  coup  ce  que  c'est  que  le  péché,  elle 
en  voit  toute  la  laideur,  toute  la  dilformité; 
elle  connaît  alors  l'injure  atroce  qu'elle  a 
faite,  tant  de  fois,  à  la  majesté  infinie  de 
son  céleste  époux  ;  je  dis  plus  mémo,  par 
une  autre  séduction  du  démon,  opposée  à 
la  première,  les  péchés  les  plus  légers,  les 
plus  j)etites  inobservances  lui  paraissent 
alors  des  péchés  énormes;  pendant  sa  vie, 
pour  lui  faire  commettre  les  plus  grandes 
transgressions  avec  hardiesse,  l'esprit  ten- 
tateur lui  en  cachait  presque  toute  la  ma- 
lice, et  ne  les  lui  laissait  entrevoir  que  du 
côté  qui  llattaitson  goût  et  ses  penchants  : 
mais  à  la  mort,  voulant  lui  faire  perdre 
toute  espérance  de  pardon  et  de  salut,  il 
grossit  tellement,  h  ses  yeux,  .toutes  ses 
fautes,  qu'il  lui  fait  apercevoir,  dans  les 
moindres,  une  énormilé  qu'il  lui  avait  tou- 
jours cachée,  même  dans  les  plus  crimi- 
ne.les. 

Ah!  Mesdames,  si  au  sentiment  des  plus 
grands  saints,  la  mort  est  mille  fois  plus 
supportable  que  la  connaissance  parfaite 
d'un  seul  péché  mortel  ,  que  sera-ce  donc 
pour  une  personne  religieuse,  de  se  voir 
coupable  d'un  nombre  [)resque  infini 
qu'elle  aura  commis  ou  fait  commettre  aux 
autres,  et  de  les  avoir  continuellement  de- 
vant les  yeux?  C'ist  alors  que  livrée  à  la 
douleur  la  plus  amère,  elle  se  rappellera, 
comme  l'impie  Antioclius,  tous  les  maux 
qu'elle  aura  faits;  c'est  alors  qu'elle  gémi- 
ra, avec  bien  plus  de  raison,'  que  le  lloi- 
Prophète,  de  se  voir  comme  inondée  d'un 
déluge  d'iniquités  ;  c'est  alors  que,  ne  pou- 
vant plus  se  supporter  elle-même,  elle  a[)- 
pellera  ia  mort  à  son  secours,  qu'elle  dési- 
rera jusqu'à  son  anéantissement,  pour  se 
soustraire  à  l'alTreuse  représentation  de  ses 
péchés;  mais  ce  n'est  pas  tout  encore,  à  la 
vue  de  tous  ces  péchés  desquels  elle  se  sera 
rendue  coupable,  se  joindra  la  vue  de  toutes 
les  grâces  qu'elle  aura  reçues  de  son 
Dieu.  *  , 

11.  Et  ce  qui  augmentera  ses  regrets  et 
son  déses[ioir,  c'est  de  voir  qu'elle  a  abusé 
de  toutes  ces  grâces  que  son  Dieu  lui  avait 
données  pour  o|)érer  sa  perfection  et  son 
salut;  c'est  de  voir  que  rien  cependant  no 
lui  était  plus  facile  que  de  profiler  de  ces 
grâces  pour  son  salut;  c'est  de  voir  enlin 
<|ue,  par  cet  abus  criminel,  elle  s'est  mise 
(1;mis  un  état  à  ne  pouvoir  plus,  pour  ainsi 
dire,  espérer  de  grâces  pour  son  salut. 

A  peine  pendaiit  sa  vie,  et  depuis  long- 
temps, cette  religieuse  faisait-elle  attenlior. 
h  la  plu[)art  des  grâces  que  son  Dieu  lui 
faisait,  et  (jue,  malgré  ses  nilidélilés,  il  con- 
tinuait de  lui  faire;  ou   si  elle  ne  pouvait, 


dans  de  certains  moments  de  réflexion, 
s'empôcher  de  les  reconnaître,  l'oubli  sui- 
vait de  bien  prùs  le  mépris  et  l'abus  qu'elle 
en  faisait;  niais  à  la  mort,  il  en  est  de 
tontes  ces  grâces  reçues,  comme  de  tous 
ses  ipéchés  commis.  Vous  lo  savez,  mes- 
dames, outre  ces  grâces  communes  et  suili- 
santes  que  Dieu  nous  donne  à  tous,  pour 
faire  le  bien,  il  en  est  de  particulières  et  de 
prédilection  qu'il  accorde  quelquefois,  môme 
aux  plus  grands  pécheurs,  grâces  plus 
fortes  qui,  en  éclairant  vivement  l'esprit, 
et  en  touclianl  sensiblement  la  volonté,  ren- 
dent aussi  moins  difficile  l'ouvrage  de  la 
conversion;  or  il  n'en  est  aucune,  de  quel- 
que espèce  qu'elle  soit,  qui  échappe  à  cette 
personne  religieuse,  à  la  mort  ;  grâces  gé- 
nérales et  communes,  grâces  spéciales  et  de 
prédilection,  elles  se  présentent  toutes  à 
son  esprit;  tant  de  vives  lumières  qui  lui 
ont  fait  connaître  et  la  laideur  du  vice  et 
la  beauté  de  la  vfrtu;  tant  de  bonnes  pen- 
sées, de  saintes  inspirations  qui  lui  sont 
venues;  tant  d'instructions  publiques  qu'elle 
a  entendues;  tant  d'avis  particuliers  qu'elle 
a  reçus  ;  tant  de  lectures  pieuses,  de  ré- 
flexions solides  qu'elle  a  faites  ;  tant 
d'exemples  édifiants  qu'elle  avait  devant 
les  yeux;  tant  de  modèles  de  régularité, .de 
piété  dont  elle  était  environnée;  tant  d'é- 
vénements fâcheux,  d'accidents  imprévus 
qui  l'ont  effrayée;  tant  de  reproches  inté- 
rieurs, de  remords  de  sa  conscience,  dont 
elle  a  étési  souvent  agitée  :  c'étaient  autant 
de  grâces  et  de  secours  que  Dieu  lui  avait 
accordés,  pendant  la  vie,  pour  l'engager  à 
sortir  de  son  malheureux  état,  et  pour  l'ai- 
der à  retourner  à  lui  ;  et  à  la  mort,  ce  sont, 
pour  elle,  autant  de  sujets  de  douleur  et  de 
désespoir,  ce  sont  autant  de  tourments; 
oui  ces  grâces  qui  ont  été  le  prix  du  sang 
de  son  céleste  Epoux,  ces  grâces  dont  une 
seule  aurait  dû  sullire  5  sa  conversion  ;  ces 
grâces  dont  une  partie  et  la  moindre  partie 
aurait  pu  convertir  un  grand  nombre  depé- 
cheurs,  quels  regrets  de  voir  qu'elle  les  a 
toutes  méprisées  et  toutes  rendues  inutiles 
à  son  salut!  Ahl  Mesdames,  ne  serait-elle 
[)as  plus  heureuse  alors,  cette  religieuse, 
disons  plutôt,  ne  serait-elle  pas  moins  mal- 
heureuse, si  jamais  elle  n'avait  été  éclairée 
des  lumières  de  la  foi,  ou  du  moins,  si  elle 
n'avait  pas  été  favorisée  do  tant  de  grâces, 
cl  placée  dans  un  état  aussi  saint? 

Rien  cependant  ne  lui  était  plus  facile 
que  de  se  servir  de  ces  grâces  pour  opérer 
son  salut  ;  oui  sans  doute,  elle  le  voit  bien 
alors,  et  c'est  aussi  ce  qui  contribue  en- 
core à  son  désespoir  ;  pendant  la  vie,  elle 
ne  manquait  pas  de  [)rétextes  pour  s'auto- 
riser dans  ses  infidélités  et  dans  ses  résis- 
tances con'.iniielles  hia  grâce;  les  obstacles 
à  son  salut  étaient  trop  grands  et  en  trop 
grand  nombre  pour  pouvoir  les  surmon- 
ter; les  tentations  étaient  trop  fortes,  trop 
violentes  pour  les  vaincre,  les  habitudes 
tro|)  aticiennes,  trop  invétérées,  [)our  les 
déraciner;  le  pcjichant au  mal,  trop  rapide 
liour  l'aiTÔler,  [)Our  le  détruire;  la  volonté 


G3 


ORATEURS  SACRES.  L'ABDE   DE  MOiSTlS. 


6i 


trop  faibie  pour  entreprendre  une  conver- 
sion parfaite;  voilà  ce  qu'elle  alléguait  îi 
ceux  qui  voulaient  la  portera  une  conduite 
plus  régulière,  ou  du  moins  ce  qu'elle  se 
disait  à  elle-même.  Mais  toutes  ces  raisons, 
disons  plutôt,  tous  ces  faux  prétextes  s'é- 
vanouissent à  la  mort;  elle  voit  alors,  cette 
religieuse,  et  elle  voit  clairement  que  si 
elle  n'a  pas  servi  son  Dieu  comme  elle  le 
devait,  dansson saint  état,  c'est  qu'elle  ne 
l'a  I  as  voulu;  elle  voit  alors  que,  quelque 
grands  qu'aient  été  les  obstacles,  elle  pou- 
vait les  surmonter,  avec  les  secours  do  la 
grâce,  qui  ne  lui  ont  jamais  manqué;  elle 
voit  que  si  ses  i)abiludes,  ses  mauvais  pen- 
chants ont  jelé  de  si  profondes  racines,  elle 
ne  doit  s'en  prendre  qu'à  elle-même, et  que, 
quoique  invétérées  qu'elles  aient  été,  elle 
pouvait  toujours  les  déraciner;  voilà  ce 
qu'elle  ne  peut  se  dissimuler.  Que  de  bon- 
nes œuvres,  que  d'actes  de  vertu  elle  voit 
alors,  qu'elle  aurait  pu  et  qu'elle  aurait  dû 
pratiquer,  et  qu'elle  a  cependant  négligés  1 
Encore  si  elle  i  ensait,  dans  ces  derniers 
moments  qui  lui  restent,  à  réparer  tant 
d'intidélités,  tant  de  résistances  à  la  grâce; 
mais  non,  et  voilà  ce  qui  augmente  ses  re- 
grets et  son  désespoir,  c'est  qu'elle  voit  que, 
par  cet  abus  criniinel  de  tant  de  grâcei-, 
elle  s'est  mise  dan^  une  malheaieuse  situa- 
tion, à  ne  devoir  plus  compter  sur  ces  grâ- 
ces, j'entends  sur  ces  grâces  fortes  et  de 
prédilection,  telle  qu'est  celle  de  la  conver- 
sioiii  et  à  la  mort  surtout. 

Cent  fois  elle  avait  entendu  dire,  cette 
religieuse,  que  rien  n'était  plus  dangereux 
que  de  se  faire  une  habitude  derésisteraux 
inspirations  du  ciel;  qu'il  était  pour  chacun 
de  nous  une  certaine  mesure  de  grâces,  et 
de  grâces  spéciales  surtout,  après  lesquelles 
le  Seigneur  paraissait  s'éloigner,  eu  ne 
donnant  plus  que  des  grâces  communes  et 
généi  aies  ;  pour  l'engager  à  être  fidèle  à 
toutes,  on  lui  avait  lait  entendre  que  celle 
qu'elle  rejetait  pouvait  être  la  dernière  pour 
elle; qu'au  reste  celte  dernière  grâce  de 
jirédilection,  qui  mettait  le  comble,  [)0ur 
ainsi  dire,  à  cette  mesure,  et  qui  devenait 
comme  le  sceau  de  la  réprobation,  n'était 
pas  d'une  autre  espèce  que  les  autres  ;  que 
souvent  môme,  c'était  celle  qui  paraissait 
la  moins  considérable  ;  combien  de  fois  en- 
core lui  avait-on  dit  que  son  Dieu  se  ven- 
gerait enfin  de  tous  ses  mépris  par  des 
mépris  réciproques;  qu'il  viendrait  un 
temps  où  elle  crierait  en  vain  au  Seigneur, 
et  où  le  Seigneur  irrité  neKécouterait  pas; 
qu'à  la  mort  surtout  il  ne  répondrait  à  tousses 
cris  ([ue  (lar  un  rire  luoquenriliidebo  etsub- 
sannabovos.  (i^ror.,i,2(>.)  En  fallait-il  davan- 
tage pour  engager  cette  religieuse  à  ne  plus 
n  jeter  les  grâces  de  son  Dieu?  Mais,  quel- 
que instruite  qu'elle  fût  de  toutes  ces  vé- 
rités, livrée  à  la  dissipation,  au  relâche- 
ment, à  ses  penchants,  elle  se  flattait  tou- 
jours que  la  grâce  à  laquelle  elle  résistait 
ne  serait  pas  la  dernière,  et  que  dans  son 
état  surtout,  son  Dieu,  toujours  miséricor- 
dieux, lui  en  accorderait  à  l'avenir    comme 


par  le  passé  :  mais  enfin  le  lemps  est  venu 
où  elle  ne  peut  plus  se  flatter  ainsi;  elle 
voit  tout  à  la  fois  et  la  mort  qui  s'appro- 
che et  son  Dieu  qui  s'éloigne,  et  qui,  en 
s'éloignant,  lui  fait  sentir  qu'elle  n'a  plus 
aucun  fond  à  faire  sur  sa  miséricorde  qui 
est  épuisée  à  son  égard  ;  en  vain  veut-elle 
alors  recourir  vers  son  Dieu  ;  en  vain,  com- 
me ce  jeune  homme  dont  saint  Grégoire 
pape  nous  fait  une  si  tragique  histoire,  de- 
mande-t-elle  au  Seigneur,  avec  des  cris  re- 
doublés :  Trêve,  trêve  jusqu'au  lendemain, 
inducias  usque  mane,  ce  lendemain,  un  ins- 
tant même  lui  est  refusé  ;  l'arrêt  de  sa  mort 
est  prononcé,  le  moment  en  est  fixé,  c'est 
un  Dieu  lui-même  qui  l'a  porté  dans  sa 
colère;  il  l'a  déclaré,  avec  serment,  qu'il 
n'y  aurait  plus  de  temps  à  espérer  pour  elle, 
tempus  non  erit  amplius.  {Apoc,  X,  6.) 

Quels  regrets  alors  etquel désespoir  pour 
cette  religieuse,  d'avoir  fait  si  peu  de  cas  et 
un  si  mauvais  usage  d'un  temps  qui  lui 
avait  été  accordé,  au  prix  de  tout  le  sang  do 
Jésus-Christ,  son  sauveur  et  son  époux  et 
qui  ne  lui  avait  été  donné  que  pour  tra- 
vailler à  sa  perfection,  à  son  salut  1  Quel  dé- 
ses()oir  de  voir  tant  d'années,  dont  chaque 
inst;mt  pouvait  lui  procurer  un  nouveau  de- 
gré de  gloire,  dans  le  ciel,  toutes  jiassées 
dans  le  i>éché,  dans  l'oubli  de  son  Dieu  et  de 
son  salut  1  Ah  !  de  là  ces  troubles,  ces  agita- 
tions dans  lesquelles  on  les  voit  quelquefois 
ces  âmes,  ces  religieuses  infidèles,  au  lit  de 
la  mort  ;  on  les  attribue  pour  l'ordinaire,  ces 
agitations,  à  la  violence  des  maux  qu'elles 
souffrent  et  aux  etforts  que  fait  une  nature 
détaillante  pour  s'arracher,  pour  ainsi  dire, 
d'entre  les  bras  de  la  mort;  mais  si  l'on 
pouvait  pénétrer  jusqu'au  fond  de  l'âme  et 
voir  ce  qui  se  passe  dans  l'esprit  et  dans  le 
cœur  de  ces  mauvaises  religieuses,  l'on  ver- 
rait que  ces  agitations  sont  le  plus  souvent 
causées  par  les  tristes  réflexions  qu'elles 
font  sur  la  conduite  qu'elles  ont  tenue,  sur 
ce  qu'elles  auraient  dû  faire  de  bien  et  sur 
le  mal  qu'elles  ont  fait  au  contraire  :  cepen- 
dant quelque  déplorable  que  soit  la  situa- 
tion de  cette  mauvaise  religieuse  à  la  mort, 
il  est  d'autres  réflexions  qui  la  rendent  plus 
déplorable  encore  ;  car  si  la  vue  dupasse 
commence  en  elle  sa  douleur  et  son  déses- 
poir, on  peut  dire  que  la  vue  qu'elle  jette 
sur  l'avenir  y  met  le  comble  :  c'est  le  sujet 
de  la  seconde  partie. 

SECONDE    PAHTIE. 

Quelque  déplorable  et  quelque  dange- 
reuse que  soit,  à  la  mort,  pour  le  salut,  la 
situation  d'une  personne  religieuse  dans 
le  péché,  il  faut  cependant  en  convenir. 
Mesdames,  elle  n'est  [-as  absolument  sans 
ressource  :  à  la  vérité,  si  les  péchés  qu'elle 
a  commis  contre  son  Dieu,  et  l'abus  qu'elle 
a  fait  de  ses  grâces,  l'ont  rendue  indigne  de 
ces  secours  puissants,  de  ces  moyens  extra- 
ordinaires qu'il  accorde  quelquelois,  môme 
aux  plus  grands  pécheurs,  pendant  la  vie, 
pour  les  exciter  à  la  pénitence  et  pour  les 
aider  a  sortir  de  leurs  désordres,  elle,  ne 
maïKpie  cependant  jamais,   tandis    qu'elle 


€5 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  PREMIER  JOUR. 


(iC 


esl  dans  .a  voie  de  ces  grâces  communes  et 
su/lisanlcs  ,  avec  lesquelles  elle  nouiiait 
encore  rciilrer  en  elle-même,  et  s  en  jiro- 
curer  par  la  prière  déplus  l'orles  et  de  plus 
abondantes,  pour  travailler  efficacement  à 
sa  conversion  :  mais  qu'arrive-l-ii  pour  l'or- 
dinaire, et  que  voit-on  dans  ces  sortes  de 
personnes,  à  la  mort?  C'est  qu'au  lieu  de 
profiter  de  ces  moments  qui  leur  restent 
pour  se  rendre  enfin  à  leur  Dieu,  après  avoir 
été,  pendant  bien  des  anné(!S  ,  livrées  aux 
créatures,  auxquelles  elles  avaient  solen- 
nellement renoncé,  elles  ne  peuvent,  5  la 
mort,  en  détacherleur  cœur,  et  se  soumet- 
Ire  à  la  perte  forcée  qu'elles  vont  en  faire  ; 
c'est  qu'au  lieu  de  s'appliquer  uniquement 
alors  è  assurer  leur  salut ,  elles  ne  s'occu- 
pent au  contraire,  et  d'une  façon  désespé- 
rante, que  de  TatTreuse  situation  qui  doit 
suivre  celte  perte  générale  des  créatures. 
Ainsi,  Mesdames,  à  considérer  le  passé, 
deux  objets  ont  commencé  la  désolation  et 
le  désespoir  de  la  mauvaise  religieuse  à  la 
mort,  les  péchés  commis,  les  grâces  négli- 
gées :  deux  objets  également,  à  considérer 
l'avenir,  y  mettent  le  comble  :  l'abandon 
forcé  des  créatures;  l'élat  qui  doit  suivre 
cet  abandon,  ce  qu'elle  quitte  en  un  mot  et 
ce  qui  l'attend  ;  ce  qu'elle  va  perdre  et  ce 
qu'elle  va  trouver.  Encore  quelques  mo- 
ments de  votre  attention,  je  vous  prie. 

J.  Je  dis  d'abord  que  cet  abandon  géné- 
ral et  forcé  des  créatures,  devient  à  la 
mort  un  tourment  pour  cette  personne  re- 
ligieuse. Oui ,  Mesdames,  situation  aisée  et 
commode,  emplois,  parents,  amis,  son  pro- 
pre corps  .même;  voilà  quels  ont  été  les 
objets  de  son  ailachement,  pendant  la  vie; 
et  elle  va,  en  mourant,  abandonner  tout 
cela,  et  elle  va  abandonner  tout  cela  mal- 
gré elle:  voilà  ce  qui  la  plonge  dans  un 
abîme  de  douleur  et  de  désespoir. 

Je  dis  d'abord  douleur  causée  par  l'a- 
bandon de  son  propre  corps.  Son  corps,  en 
entrant  dans  la  religion,  avait  été  aussi 
J)ien  que  son  âme,  l'objet  de  son  sacrifice; 
elle  l'avait  dévoué  à  la  mortification  ;  elle 
n'ignorait  pas  qu'en  qualité  de  chrétienne 
et  pi  us  encore  comme  épouse  de  Jésus-Christ, 
elle  ne  pouvait  se  rendre  agréable  à  son  cé- 
leste époux,  qu'en  l'imitant  dans  la  vie  dure 
et  mortifiée  qu'il  a  menée  sur  la  terr^;  et 
en  effet  dans  les  premiers  temps  de  sa  con- 
sécration au  Seigneur,  on  la  vit  se  livrer 
avec  ardeur  aux  jeûnes  et  aux  austérités, 
et  avec  une  ardeur  qui  eut  besoin  peut-être 
de  toute  l'aulorité  supérieure,  pour  être 
modérée:  mais,  dans  la  suite,  ton»bée  mal- 
lieuiensement  dans  le  relâchement,  dans 
}a  tiédeur,  elle  abandonna  bientôt  tout  ce 
qui  pouvait  ressentir  et  annoncer  la  péni- 
tence: on  la  vit  souvent  prendre  des  soula- 
genients  que  lui  interdisait  l'esprit  de  son 
saint  institut;  éloigner  avec  soin  tout  ce 
qui  pouvait  la  contraindre ,  la  mortifier; 
que  de  moyens  employés  contre  la  volonté, 
ou  souvent  du  moins  sans  l'aveu  de  ses  su- 
périeurs, pour  llatter  sa  chair,  pour  se  pro- 
curer des  aises,  des  commodités,  des  sou- 


lagements inutiles  et  contraires  à  son  saint 
état  1  que  d'actes  d'iinmorlification  ,  que  d(( 
sensualités  qui  scandalisaient  ses  sœurs! 
Que  do  fautes  peut-être  contre  la  sainte 
vertu  de  chasteté  qu'elle  avait  vouée  solen- 
nellement à  son  Dieu!  Que  de  soins  en  un 
mot  excessifs  et  désordonnés,  pour  conser- 
ver et  salisfairc  ce  corps  péris>able  et  qui 
va  périr  en  etfet;  ah!  qu'il  faille  l'aban- 
donner ce  corps,  qu'il  doive  dans  peu  de- 
venir, par  sa  corruption,  un  objet  d'Iiorreur 
pour  les  vivants,  et  la  nourriture  des  vers 
dans  le  tombeau,  quoi  do  plus  triste?  C'est 
ce[)endant  à  quoi  cette  religieuse  se  voit 
bientôt  réduite;  et  voilà  ce  qui  la  déses- 
père, et,  ce  qu'il  y  a  de  plus  surprenant, 
c'est  qu'au  même  temps,  son  âme  esl  forcée 
de  souhaiter  cet  abandon,  cette  séparation  ; 
car  voilà  les  sentiments  o|iposés  dans  les- 
quels elle  se  trouve,  dans  ces  derniers  mo- 
ments, par  rapport  à  son  corps  ;  tourmentée 
par  des  douleurs'aiguës  que  cause,  pour 
l'ordinaire,  une  maladie  mortelle  ,  elle  dé- 
sire de  cesser  de  vivre,  pour  cesser  ilo 
soulTrir;  et  l'attachement  désordonné  qu'elle 
a  eu  pour  son  corjjs  lui  fait  craindre  en 
même  temps  et  redouter  celte  séparation, 
et  lui  fait  désirer,  pour  vivre  encore,  de 
soufifrir  toujours. 

J"ai  dit,  douleur  causée  par  i'nbaudon  de 
son  état,  de  sa  situation,  de  ses  emplois. 
Une  bonne  religieuse,  une  véritable  épouse 
de  Jésus-Christ  ne  regarde  l'état  de  la  reli- 
gion qu'elle  a  embrassé,  les  emplois  qu'elle 
y  exerce,  que  comme  des  moyens  passa- 
gers que  la  Providence  de  son  Dieu  lui  pré- 
sente, pour  le  servir  plus  fidèlement  et 
pour  mieux  s'assurer  son  heureuse  éiernité. 
Ne  regardant  que  le  ciel  comme  sa  patrie, 
se  considérant  comme  une  é;rangère  ,  com- 
me une  voyageuse  sur  la  terre  et  dans  son 
saint  état,  bien  loin  de  s'attacher  à  rien  do 
terrestre,  elle  gémit  souvent,  comme  le  Roi- 
Prophète,  sur  la  trop  longue  duiée  de  son 
pèlerinage;  tous  ses  vœux  ,  tous  ses  désirs 
tendent  à  s'unir  pour  toujours  à  son  céleste 
époux  ;  rien  de  ce  qui  est  dans  l'univers 
no  peut  l'occujier  et  atlacher  son  cœur. 
Mais  la  mauvaise  religieuse,  af)rès  avoir  re- 
tiré de  dessus  l'aulel ,  la  portion  la  plus 
agréable  au  Seigneur  et  la  plus  (irécieuse 
par  conséquent,  de  la  victime  qu'elle  y  avait 
{)lacée,  je  veux  dire  son  j)ropio  cœur,  eile 
en  a  fait  un  cœur  tout  charnel,  tout  terres- 
tre; son  état,  état  dans  les  vues  de  Dieu  , 
tout  de  contrainte,  de  mortification,  et  tel 
on  elfet  pour  réj)ouse  fidèle  et  pleine  de 
foi.  Cette  épouse  infidèle  a  trouvé  le 
moyen  de  s'en  faire  un  état  commode,  agréa- 
ble, qu'elle  aime  et  qu'elle  ne  voudrait  ja- 
mais quitter;  les  emplois  qu'elle  occupait, 
et  bien  moins  par  la  volonté  de  ses  supô- 
ri<;ures  et  dans  l'ordre  de  la  Providence, 
que  par  son  [)ropre  choix,  comme  en  se  les 
procurant  ces  emplois,  elle  a  eu  en  vue, 
non  la  gloire  de  Dieu  et  l'utilité  de  sa  com- 
munauté, mais  son  goût  naturel,  sa  satis- 
faction particulière,  elle  lésa  exercés  aussi 
oar  ce  môme  motif;  elle  s'y  est  attachée,  et 


67 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE   M0NTI3. 


68 


cl  d'un  allaclieracnt  lout  naturel ,  loul  hu- 
main, jusqu'à  regarder  comme  sa  lin  ce 
qui,  dans  les  vues  de  Dieu  ,  n'était  que  des 
moyens  pour  y  arriver,  jusqu'à  employer, 
en  de  vains  et  d'inutiles  regrets,  ses  derniers 
moments,  moments  précieux,  qu'elle  ne 
devrait  employer  qu'à  produire  des  senti- 
ments d'un  sincère  repentir. 

J'ai  dit,  douleur  causée  par  l'abandon  des 
personnes  les  plus  clicres;  faut-ii  donc,  ô 
mon  Dieu,  que  tout    concoure,  dans  ces 
derniers  moments,  à  tourmenter  et  à  déses- 
pérer cette  ân)e  religieuse;  si  elly   n'avait 
point  aimé  ceux  qui  lui  étaient  unis  par  les 
liens  de  la  nature   ou  de  la  société,  ne  lui 
en  eussiez-vous  point  fait  un  crime?  Et  si 
elle  les  a  aimés,   pourquoi  vous  servir  de 
cet  attacliement ,  pour  augmenter  sa  dou- 
leur? Mais  non,  cette  religieuse  ne  soulfre 
point ,  et  n'est  point    désespérée  à  la  mort , 
précisément  pour  avoir  aimé  son  prochain, 
elle  !e  devait  sans  doute;  Dieu  lui  en  avait 
fait  un  précepte;  Jésus-Christ  lui-même  lui 
en  a  donné  rexem|)le:   on  l'a  vu  donner 
des  marques  d'allection  à  ceux,  qui   s'atta- 
chaient à  lui  :  on  l'a  vu  s'attendrir  et  pleu- 
rer la  mort  de  Lazare  qu'il  aimait  ;  ainsi  ce 
qui  cause  tant  de  douleur  à  cette  religieuse, 
ce  n'est  point  absolument  d'avoir  aimé  ceux 
et  celles  qu'(ille  devait  aimer,  mais  de  les 
avoir  aimés  plus  qu'elle  ne  devait,  c'est  de 
les  avoir  aimés  d'un  amour  excessif  et  dé- 
sordonné, d'avoir  aimé  les  créatures  plus 
que  le  Créateur,  c'est  de  les  avoir  aimées 
plus  que  ses  devoirs,  plus  que  son  âme  et 
son  salut;  c'est  d'avoir  trop  écouté  la  chair 
et  le  sang,  d'en  avoir  trop  suivi  ks  senti- 
ments ;  c'est,  après  avoir  abandonné,  par 
l'ordre  de  Dieu,  ses    parents  et  ceux  qui 
lui  étaient  les   plus  chers  dans  le  monde, 
de  s'être  trop  occupée  de  leurs  intérêts,  de 
leur  situation  ,  de  leurs  allaires,  jusqu'à  se 
distraire  des  devoirs  de  son  état,  jusqu'à  se 
procurer  leurs  visites,  et  à  préférer  leurs 
entretiens  à  ses  exercices,  à  ses  occupations, 
à  ses  devoirs. 

Cequi  l'altlige,  cette  mauvaise  religieuse, 
ce  n'est  pas  jjrécisément  de  se  séparer  de 
ses  sœurs,  d'abandonner  une  communauté 
qu'elle  aimait  ;  de  pareils  regrets  sont  légi- 
times, lorsqu'ils  sont  subordonnés  à  la 
sainte  volonté  de  Dieu  ;  mais  ce  (\m  l'afflige 
et  ce  qui  la  tourmente,  dans  ces  dentiers 
moments,  c'est  d'abandonner,  malgré  elle, 
quelques-unes  de  ses  sœurs  qu'elle  a  aimées 
d'une  amitié  particulière,  toujours  inju- 
rieuse au  reste  de  ses  sœurs,  et  par- là  tou- 
jours préjudiciable  à  la  communauté  en- 
tière; liaison  ,  amitié  particulière  qui  a  été 
pour  elle  et  pour  ses  conlidentes  la  source 
d'une  infinité  de  murmures  de  médisances, 
de  i)révaricalions  et  d'inhdéliiés  qu'elle  se 
rappelle  alors:  voilà  ce  qui  l'alllige,  ce  qui 
la  tourmente  à  la  mort;  après  avoir  trop 
livré  aux  créatures  un  cœur  qu'elle  avait 
solennellement  donné  à  son  Ciéateur,  elle 
se  voit  forcée  de  les  aijandonner:  hé!  que 
dis-je,  la  mort  ne  l'a  pas  cncuie  frap[)ée , 
qu'elle  s'en  voit  abandonnée  la  [)remiere  : 


lout  fuit,  lout  s'cioigne  insensiblement, 
tout  disparaît  h  ses  yeux  ;  abandonner  et 
malgré  soi  et  [lour  toujours  ce  qu'on  a  do 
plus  cher  sur  la  terre,  et  on  môme  temps, 
en  êire  abandonnée,  et  pour  toujours  aussi  : 
abandonner  lout;  être  abandonnée  de  lout, 
quel  état!  Quoi  de  plus  affligeant!  quoi  de 
plus  désespérant!  Ainsi  totalement,  uni- 
versellement délaissée,  abandonnée,  que 
va-t-elle  donc  devenir  cette  religieuse  inli- 
dèle?  Ali!  Mesdames,  voilà  ce  (jui  met  le 
comble  à  son  (lésesjioir:  cet  avenir,  l'état 
funeste  qui  va  suivre  l'abandon  général 
des  créatures. 

iL  Si  les  maux  qu'elle  souffre  à  la  mort, 
cette  religieuse  et  si  peu  digne  de  ce  titre, 
devaient  se  terminer,  par  la  séparation  de 
l'âme  d'avec  le  cor[)s  et  par  une  entière 
destruction  de  l'un  et  de  l'autre,  quelque 
grands  qu'ils  fussent  ces  maux,  ils  ne  se- 
raient pas  sans  quelque  espèce  de  consola- 
tion :  mais,  hélas!  le  sentiment  de  l'im- 
mortalité que  tant  de  fuis  peut  être  elle 
essaya,  pendant  sa  vie,  d'effacer  de  son 
esprit,  pour  pouvoir  se  satisfaire,  avec  plus 
de  tranquillité,  à  la  moit,  elle  en  est  |  éiié- 
trée,  convaincue;  vivement  éclairée  des 
lumières  de  la  foi,  comme  on  l'est  toujours 
dans  ces  derniers  moments,  elle  connaît 
pour  lors  et  voit  d'avance  tout  ce  qui  doit 
lui  arriver  de  funeste,  dans  l'autre  ^vie;  un 
jugement  redoutable  à  subir;  une  sentence 
plus  redoutable  encore  qui  doit  suivre  ce 
jugement  :  deux  choses  dont  la  seule  pensée 
la  plonge  dans  un  abîme  de  trouble  et  do 
désespoir. 

Que  ne  puis-je  ici,  Mesdames,  vous  faire 
connaître  les  sentiments  de  celte  relig'euse, 
à  la  vue  du  compte  rigoureux  qu'elle  est 
prête  de  rendre  à  son  Dieu  ;  que  de  |  en- 
sées  accablantes  se  présentent  à  son  esprit  I 
Elle  connaît  alors  que  celui  devant  qui  elle 
va  se  présenter,  est  son  époux,  soîi  Créa- 
teur et  son  Dieu,  devenu  son  juge;  mais 
quel  juge  !  Un  juge  infiniment  éclairé,  éga- 
lement incapable  de  se  troni|)er  et  d'être 
trompé,  et  qui  va  examiner  et  peser,  dans 
la  balance  de  sa  justice  infinie,  lus  pen- 
sées, les  [)aroles,  les  désirs  et  les  actions 
Je  toute  sa  vie  ;  un  Juge  infiniment  équi- 
table, prêt  à  récom{)enser  les  moindres 
bonnes  œuvres,  mais  aussi  déterminé  à  |)U- 
nir  jusqu'aux  fautes  les  [)lus  légères;  un 
juge  en  colère,  que  nulle  [irière  ne  pourra 
Uécliir,  que  nulle  excuse  ne  pourra  satis- 
faire ;  un  juge  en  un  mol  qui  est  la  partie 
olfenséc,  et  qui,  après  avoir  pris  longtemps 
patience,  va  prendre  ses  intérêts  en  main, 
et  se  faire  justice   par  lui-mêine. 

Mais  quel  désespoir,  à  la  seule  pensée  do 
la  sentence  elfroydble  que  ce  juge  va  pro- 
noncer contre  elle  et  exécuter  au  même 
instant  I  Avoir  été  créée  pour  posséder  étei- 
nellemcnt  son  Dieu;  avoir  été  choisie  et 
destinée,  par  préférence  à  une  inlinité d'au- 
tres, pour  occuper  une  (dace  élevée,  dis- 
tinguée dans  le  ciel,  proportionnée  à  la 
sainleté  et  à  la  sublimité  de  l'élal  auquel 
elle  avail  été  api»elée,  et  voirqu.^  dans  ])eu. 


6() 


DISCOURS  DE  RETRAITK.  —  PREMIER  JOUR. 


70 


elle  va  en  être  privée,  et  pour  toujours  1  Cii 
toujours,  celle  pensée  de  l'éleriiilé,  voil.'» 
ce  qui  nielle  comble  h  son  désespoir:  non, la 
vue  de  la  conduite  criminelle  qu'elle  a  tenue 
à  l'égard  de  son  Dieu;  l'abandon  de  tontes 
les  créatures  auquel  elle  se  voil  forcée;  le 
compte  exact  de  tous  les  jours,  de  tous  les 
moments  de  sa  vie,  qu'elle  est  prèle  de 
rendre  h  son  Dieu,  l'enfer  lui-même  dans 
lequel  elle  va  être  précipitée;  tout  cela 
n'est  rien  à  ses  yeux,  comparé  à  rélernilé; 
mais  penser  que  tous  ces  maux  qu'elle  va 
souffrir  dans  l'enfer  seront  éternels  ;  penser 
([ue  celle  privation  do  son  Dieu  n'aura  ja- 
mais de  fin;  voilà  ce  qui  confond  toutes 
ses  pensées.  Ccelte  étendue  immense  de 
l'étornilé  dans  laquelle  elle  se  voit  prêle 
d'entrer,  voilà  ce  qui  la  met  hors  d'elle- 
même,  ce  qui  la  livre  aux  derniers  senli- 
menls  de  douleur  et  de  désespoir. 

Cependant  des  réflexions  aussi  accablan- 
tes ne  contribuent  pas  peu  à  avancer  ses 
derniers  moments;  déjà  le  mal  augmente 
sensiblement-;  on  s'en  aperçoit;  ses  sœurs, 
occupées  autour  d'elle,  sa  supérieure  elle- 
même,  ne  pouvant  plus  se  dissimuler  le 
danger  de  son  état,  jugent  cju'il  n'est  plus 
temps  de  la  flatter,  et  qu'il  laut  penser  sé- 
rieusement à  la  disposer  à  la  mort  ;  avan- 
tage attaché  à  son  saint  état,  et  peu  com- 
mun dans  le  monde,  oij  rarement  on  trouve 
de  vrais  amis  qui  veuillent  prendre  sur 
eux  de  rendre,  à  une  personne  qui  tend  à 
sa  fin,  ce  plus  important  de  tous  les  ser- 
vices. Voyant  donc  le  mal  s'accroître,  à 
chaque  instant,  on  fait  appeler  le  confes- 
seur; après  bien  des  contre-temps,  des  ha- 
sards, des  délais  toujours  permis  par  la 
Justine  divine  qui  commence  à  se  venger, 
il  arrive  enfin  ce  prôlre;  on  l'introduit  vers 
la  malade  :  à  des  yeux  égarés,  à  un  air  in- 
quiet et  troublé,  à  une  réception  froide, 
iiidiU'érenle,  il  jugerait  aisément  du  mau- 
vais état  de  cette  conscience,  s'il  ne  le  con- 
naissait, et  depuis  longtemps  peul-êire. 
Cent  fois  il  a  été,  ce  malheureux  état,  l'ob- 
jet de  ses  exhortations  et  de  ses  gémisse- 
ments; il  en  gémit  encore,  au  fond  de  son 
cœur;  il  tremble  déjà  pour  l'avenir:  mais 
enfin,  ne  voulant  rien  négliger  pour  le  sa- 
lut de  celle  âme,  il  lui  parle,  et  s'aperce- 
vant  que  la  crainte  des  jugements  de  Dieu 
produit  en  elle  ce  trouble,  ces  agitations, 
il  cherche  à  la  rassurer;  mais  quoi!  les 
motifs  les  plus  consolants  pour  une  âme 
vraiment  pénitente  sont  les  plus  désesjié- 
ranis  pour  elle  ;  il  lui  parle  de  la  miséri- 
corde infinie  de  son  Dieu;  mais  elle  l'a  si 
longtemps  lassée,  méprisée,  outragée,  celle 
miséricorde;  il  lui  rappelle  une  infinité  de 
grAces  cl  do  laveurs  reçues  de  ce  céleste 
h[)0ux,  mais  elle  les  a  loules  négligées,  ru- 
jelées;  voilà  ce  qui  augmente  son  déses- 
jioir.  Le  ministre  du  Seigneur  ne  se  rebule 
]uis  cependant;  il  redouble  ses  efl'urts,  [lour 
ranimer  et  pour  faire  naître  la  confiance 
dans  cette  âme  ;  il  lui  cite  les  grandes  jé- 
clieresses  qui  ont  eu  le  bonheur  do  finir 
saintement;  il  lui  présente  l'image  de  son 


Dieu  Sauveur  crucifié  et  mort  pour  elle;  il 
lui  montre  son  côté  ouvert,  ses  bras  éten- 
dus pour  la  recevoir;  plus  fatiguée  de  la 
présence  de  l'homme  de  Dieu  que  touchée 
de  ses  paroles,  elle  se  rend  enfin,  ou  plutôt 
elle  paraît  se  rendre  à  tout  ce  qu'il  exige 
d'elle;  il  l'engage  à  une  déclaration  de 
ses  péchés:  elle  la  fait,  autant  qu'on  peut 
la  faire,  dans  un  élat  qui  permet  à  peine 
la  plus  légère  application;  il  lui  fait  pro- 
mettre que,  si  elle  revient  en  santé,  elle 
changera  de  condujle  et  fera  pénitence; 
qu'elle  édifiera  autant  ses  sœurs  qu'elle  les 
a  scandalisées;  elle  le  promet:  il  l'engage 
à  faire  des  actes  de  douleur,  de  repentir  et 
d'amour  envers  son  Dieu;  elle  les  produit; 
il  prononce  enfin  sur  elle  les  paroles  de  la 
renonciation;  on  lui  administre  ensuite 
les  sacrements  des  mnuranis;  tout  se  passe 
avec  des  dehors  de  religion  et  de  piété. 

Grâces  immortelles  vous  soient  rendues, 
ô  Dieu  de  miséricorde  1  Celte  religieuse, 
après  tant  d'années  d'oubli  de  ses  devoirs 
et  de  son  salut,  a  donc  eu  le  bonheur  de  se 
reconnaître  et  de  rentrer  en  grâce  auprès 
de  vous  I  Ainsi  parlent  ou  pensent  du  moins 
ses  sœurs  rassemblées  autour  d'elle,  lé- 
moins  de  tout  ce  qui  se  passe,  et  ne  ces- 
sant de  conjurer,  par  leurs  prières,  le  ciel 
en  sa  faveur;  mais  vous.  Seigneur,  qui 
pénétrez  jusqu'au  plus  profond  des  cœurs, 
en  jugez-vous  ainsi?  Que  vos  jugements 
sont  différents  de  ceux  des  hommes,  accou- 
tumés à  juger  sur  de  trompeuses  apparen- 
ces I  Qu'elle  échappe  à  la  mort  cette  per- 
sonne, cette  religieuse,  on  la  verra,  comme 
tant  d'autres,  désavouer  peut-être  des  actes 
de  religion  qu'elle  n'avait  accordés  qu'aux 
bienséances  et  à  rimportunité,ou  du  moins, 
par  une  conduite  aussi  peu  régulière  qu'au- 
paravant, elle  fera  voir  ce  qu'on  doit  ju- 
ger de  ces  prétendues  conversions  à  la 
mort. 

Mais  non,  ceci  n'arrivera  point  à  l'égard 
de  celle  religieuse;  il  n'est  plus  d'espé- 
rance pour  elle  ,  l'arrêt  de  sa  mort  est  pro- 
noncé ;  déjà  ses  forces  diminuent  sensible- 
ment, sa  raison  s'égare,  et,  après  quelques 
intervalles,  elle  se  perd  enfin;  la  parole  lui 
manque,  ses  yeux  s'obscurcissent,  puis  s'é- 
teignent entièrement;  tous  ses  sens  se  per- 
dent peu  à  peu,  le  corps  entier  devient 
sans  mouvement;  une  sueur  froide  se  ré- 
pand sur  tousses  membres;  sa  poitrine  se 
remplit;  elle  peut  à  peine  respirer,  elle  fait 
encore  quelques  faibles  soupirs,  elle  expire, 
elle  est  morte;  et  tandis  que  le  prêtre  et  la 
communauté  .recommandent  son  âme  au 
Seigneur  et  le  conjurent  d'user  de  miséri- 
corde à  son  égard,  le  Seigneur  la  cite  à  son 
tribunal  ,  celle  épouse  infidèle;  il  lui  fait 
rendre  à  l'instant  un  compte  exact  et  rigou- 
reux des  grâces  singulières  et  sans  nombre 
dont  il  l'a  favorisée:  des  fautes,  des  infidé- 
li  lés,  des  scandales  sans  nombre  aussi  dont 
elle  s'est  rendue  coupable;  il  la  juge,  la 
coiidamnc  et  la  précipi'e  au  môme  insiant 
dans  l'enfer,  saiis  aucune  miséricorde.  Voilà 
donc  le  terme  fatal  Jij  conduit  la  vie  d'une 


71 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE   MONTIS. 


7« 


religieuso  qui  a  malheureusement  oublié 
ses  engagenienls  sacrés  ;  son  âme  déjà  dans 
les  flammes  'éternelles  ;  son  corps  con- 
damné à  rentrer  dans  la  terre,  jusqu'au 
grand  jour  des  vengeances  du  Seigneur,  oij 
il  doit  se  réunir  à  l'âme,  pour  devenir  le 
compagnon  éternel  de  ses  tourments,  après 
avoir  été  sur  la  terre  l'instrument  de  ses  in- 
fidélités, de  ses  péchés. 

Quel  spectacle  qu'une  pareille  mort  I  Quel 
sujet  de  réflexions!  Hélas!  s'il  se  trouv.iit 
ici  une  religieuse  qui  n'eût  que  trop  imité 
celle  dont  je  viens  de  dépeindre  la  funeste 
mort,  je  l'inviterais  à  se  transporter  en  es- 
prit au  lit  de  cette  épouse  de  Jésus-Christ 
infidèle  et  réprouvée.  Approchez,  lui  di- 
rais-je,  plein  de  zèle  pour  le  salut  de  son 
âme,  approchez  et  vojez  :  Y eni et  vide. CeWe 
que  vous  voyez  ainsi  étendue,  et  qu'on  va 
porter  au  tombeau,  doit  fondre  aujourd'hui 
la  glace  de  votre  cœur;  elle  montra  dès 
sa  jeunesse  la  plus  grande  ardeur  pour  se 
donner  toute  à  Dieu  ;  on  la  vit  surmonter, 
avec  le  plus  grand  courage,  les  diflérents 
obstacles  qui  s'opposaient  à  son  entrée  dans 
la  religion  :  une  fois  devenue  l'épouse  do 
Jésus-Christ,  elle  parut,  pendant  quelques 
années,  un  modèle  de  régularité  et  de  fer- 
veur; tombée  dans  la  suite  dans  le  relâche- 
ment, dans  la  tiédeur,  on  la  voyait,  h  la  vé- 
rité, à  certaines  solennités  surtout,  ou  dans 
des  temps  do  retraite,  rejirendre  l'esprit 
de  religion  et  de  piété  qu'elle  semblait  avoir 
perdu;  mais,  après  piusi(;urs  conversions 
vi  j)lusieurs  rechutes,  elle  a  vécu  enfin 
dans  un  relâchement  habituel;  les  avis 
réitérés  de  ses  supérieurs,  ceux  des  mi- 
nistres de  Jésus-Christ,  auxquels  elle  était 
comme  forcée  de  découvrir  les  plaies  de  son 
âme,  n'ont  pu  la  tirer  du  mauvais  état  dans 
lequel  elle  s'est  malheureusement  précipi- 
tée :  lorsque,  dans  de  certains  moments, 
la  grâce  agissait  encore  sur  son  cœur,  et 
que  sa  conscience  alarmée  lui  faisait  de 
vifs  reproches,  elle  s'ell'orçait  de  rei)Ousser 
et  d'étouffer  ces  inspirations  et  ces  repro- 
ches ;  elle  cherchait  à  s'étourdir  sur  j.on 
malheureux  état,  ou  tout  au  plus,  elle  se 
bornait  à  former,  pour  l'avenir,  des  projets 
ilo  conversion.  Cet  avenir,  dont  elle  s'était 
tant  de  fois  flattée,  vous  le  voyez,  elle  en  a 
été  privée;  la  mort  l'a  frappée  au  milieu  de 
Ses  jours,  et  selon  la  prédiction  du  Fils 
de  Dieu,  dans  le  temps  qu'elle  y  pensait 
le  moins.  A  ce  récit,  ii  ce  portrait,  pouvez- 
vous  vous  méconnaître?  Hé  !  quoi,  avez- 
lous  donc  quelque  assurance  que  le  Sei- 
gneur, irrité  déjà  contre  vous,  ne  tiendra 
point,  à  votre  égard,  la  môme  conduite 
(ju'envers  cette  épouse  irdidèlo  ?  Concluez 
(Jonc  que,  puisque  vous  pouvez  ujourir  à 
toute  heure  et  a  tout  âge,  vous  devez  pro- 
fiter dès  à  présent  et  sans  délai  des  grâces 
et  du  temps  que  le  Seigneur  vous  oU're 
encore ,  et  que  rien  n'est  plus  témé- 
raire que  de  risquer,  sur  un  avenir  in- 
certain,  l'importante  affaire  de  votre  sa- 
lut. 

Ah!  Mesdames,   permellcz-moi ,  eu  ter- 


minant ce  discours  ,  de  joindre  ici  une 
question  il  foules  les  réflexions  que  je  viens 
de  faire  sur  cette  terrible  vérité  dont  je  vous 
ai  entretenues.  Quelle  sera  votre  mori  ? 
Mourrez-vous  dans  la  grâce  de  votre  Dieu, 
ou  dans  sa  disgrâce?  Fi?iirez-vous  en  sain- 
tes, ou  mourrez-vous  en  réprouvées?  Nous 
n'en  savons  rien,  me  diles-vous  sans  doute. 
Dieu  le  sait;  il  n'y  a  même  que  lui  qui  le 
sache,  j'en  conviens  ;  j'ose  dire  cependant 
que  cette  question  n'est  pas  si  diflicile  ù 
décider  que  vous  le  pensez  :  comment  vivez- 
vous  ?  Voilà  une  règle  sure  ;  telle  est  la  vie, 
telle  est  la  mort,  dit  saintAugustin  ;  si  vous 
vivez  dans  la  grâce,  dans  la  pratique  habi- 
tuelle de  vos  devoirs,  vous  mourrez  dansla 
grâce,  dans  l'amitié  de  votre  Dieu  ;  mais  si 
vous  vivez  dans  l'infidélité,  dans  le  péché, 
qu'il  est  à  craindre  que  vous  ne  mouriez 
dans  le  péché,  dans  la  disgrâce  de  voire 
Dieu! 

Ah  !  Seigneur,  je  la  conçois  présentement 
et  mieux  que  jamais  ,  cette  grande  vérité, 
que,  pour  mourir  dans  votre  amitié,  je  dois 
vivre  dans  votre  grâce;  quel  malheur  pour 
une  épouse  <ie  Jésus-Christ  de  joindre  la 
mort  avec  le  péché  !  Plus  vous  m'avez  fait 
de  grâce  en  m'.itlachant  à  vous  dans  le. saint 
état  de  la  religion,  plus  je  dois  vous  en  té- 
moigner ma  reconnaissance  et  mon  amour; 
puis-je  mieux  vous  le  témoigner  qu'en  me 
rendant  fidèle  à  fout  ce  que  vous  exigez  do 
moi  ?  Ah  1  quels  regrets  et  quelle  douleur  pour 
moi  à  la  mort,  si  j'avais  passé  ma  vie  et  si 
je  la  terminais  dans  l'infraction  des  devoirs 
de  mon  saint  étal  !  Mais  surtout  quelle  con- 
fusion, quel  désespoir,  lorsque  je  -paraîtrai 
devant  vous  pour  vous  rendre  un  compte 
exact  de  tout  ce  que  vous  avez  fait  [tour 
moi,  et  de  tout  ce  que  j'aurai  lait  contre 
vous!  Ne  le  permettez  pas,  ô  céleste  époux; 
fiiites,  par  votre  grâce,  que  je  meuro  de  la 
mort  des  justes  et  îles  saintes  vos  épouses; 
faites,  pour  cela,  (pie  j'aie  toujours  devant 
les  yeux  mes  derniers  moments;  celle  jien- 
sée  de  la  mort  me  fera  veiller,  avec  la  plus 
scrupuleuse  atleniion,  sur  toutesraes  actions, 
sur  tous  les  mouveuKints  de  mou  cœur; 
pénétrée  de  celte  pensée  que  je  dois  un  jour 
el  dans  peu  dire  iin  éternel  adieu  à  touks 
les  créatures,  je  travaillerai  chaque  jour  à 
m'en  détacher,  et  de  moi-même  surtout;  jo 
mettrai  tous  mes  soins  à  rcm[)lir  mes  de- 
voirs, b  me  rendre  fidèle  à  toutes  mes  obser- 
vances. Oui,  Seigneur,  je  veux  vivre  désor- 
mais de  façon  à  n'avoir  rien  à  craindre  do 
votre  justice,  ou  plutôt  à  pouvoir  tout  espé- 
rer de  votre  miséricorde  ;  c'est  la  résolution 
que  je  prends  dans  ce  moment,  el  que  jo 
renouvellerai  souvent  dans  cette  rotraiie, 
dans  l'espérance  qu'après  vous  avoir  snrvi 
en  fidèle  épouse  le  reste  do  mes  jours,  vous 
me  ferez  participer  après  ma  mort  à  vos  ré- 
compenses élernelles.  Ainsi  soii-il. 


n 


DISCOURS  DE  RETRAIIK.  —  SU.HiNI)  <01JR 
Sl-COND  JOUR. 


74 


PrcMiiicr  disrours. 

SUR    I.E    l'ÉCHÉ    VKNIHL. 

M)  oniiii  specic  mala  alistinclR  vos.  (  I  TAcss.,  V,  22.) 
AbiUiiez-vous  de  tout  ce  qni  a  qncUfue   appitience  de 

IIUll 

C'était  ,  Mesdames  ,  aux  fidèles  do  son 
temps,  c'était  à  loiis  les  clirélions  do  Tlies- 
saloiiiquc  que  saint  Paul  adressait  ces  pa- 
roles: après  les  avoir  engagés  à  renoncer  à 
leurs  vaines  idoles  et  les  avoir  allacliés  à 
Jésus-Christ  par  lesaiiil  baplènie,  il  exigeait 
d'eux  une  sainteté  de  mœurs  qui  les  porlilt 
non-seulement  à  éviter  les  fautes  grièvos, 
(«s  pécliés  <|ui  donnent  la  mort  à  l'c^me,  en 
lui  faisant  perdre  la  grâce  et  l'amitié  de  Dieu, 
mais  de  jjIus,  à  se  préserver  des  péchés  vé- 
niels, des  fautes  légères  rpii,  (luelque  légères 
qu'on  les  suppose ,  offensent  toujours  la 
majesté  infinie  de  Dieu.  Mais  si  saint  Paul 
exigeaitdes  simples  (idèles  une  aussi  grande 
pur.lé  de  conscience;  s'il  cioyait  que  do 
sim|ilos  (liréliens  iw.  pouvaient  être  vrai- 
rneni  tlirélieiis,  vrais  <Ji5ci[>les  de  Jésus- 
Clnisl,  s'ils  ne  s'appliquaient  à  évilci-  tout 
ce  qui  |K)uvait  lui  déplaire,  qu'aurait-il  dit 
aux  épouses  de  ce  Dieu  Sauveur,  h  des  per- 
sonnes chrétiennes  qui  se  sont  absolument 
séparées  du  monde,  pour  n'avoir  |)lus  d  au- 
tre occupation  que  de  le  servi i  dans  la  re- 
traite, et  qui,  par  là,  se  sont  solennellement 
engagées  à  tendre  toute  leur  vie  5  la  per- 
fection, en  ajoutant  à  racconiplissemenl  des 
préceptes  de  l'Evangile,  celui  de  ses  con- 
seils? 

Cependant,  Mesdames,  même  dans  ce 
saint  état  de  la  religion,  est  on  toujours  bien 
disposé  à  éviter  jusqu'aux  plus  petits  pé- 
tliés?  A-l-on  toujours  un  sincère  éloigne- 
menl  pour  tout  ce  qui  peut  déplaire  au  cé- 
leste Epoux?  Hélas!  dans  les  premières 
années  de  sa  consécration ,  on  les  sentait 
«lans  son  cœur,  ces  saiiites  dispositions;  on 
metlait,  en  ellet,  tous  ses  soins  à  éviter  le 
poché  et  jusqu'au  plus  petit  péché;  et  si 
malgré  ses  soins  et  ses  désirs,  on  en  coni- 
melfail  quelqu'un,  on  en  gémissait ,  on  les 
déclarait  dans  le  sacré  tribunal  de  la  péni- 
tence, avec  une  douleur  qui  prouvait  qu'on 
airuait  véritablement  son  Dieu  :  mais  (ju'il 
est  rare  de  voir  cette  délicatesse  de  cons- 
cience se  soutenir  de  longues  années  et  jus- 
qu'à la  moitl  A  mesure  qu'on  s'avance, 
qu'un  multiplie  ses  jours  et  ses  années, 
dans  la  religion,  au  lieu  d'avancer  également 
dans  la  sainteté  ,  on  perd  insensibleiiicnl 
ces  premiers  sentiments  de  ferveur;  on  se 
relâche,  on  se  fait  un  système  de  conduite 
des  plus  funestes;  on  se  borne  à  éviter  les 
péchés  qui  rendent  dignes  des  supplices 
éternels,  mais  ou  ne  se  lait  aucune  peine 
de  se  satisfaire  en  mille  occasions,  de  com- 
mettre une  inlinité  de  fautes,  sous  le  pré- 
texte qu'en  les  commetiant,  on  n'encourt 
pas  la  liaine  et  la  disgrâce  du  Seigneur. 

C'est,  Mesdames,  pour  vuus  préserver  de 
pareils  sentiments,  et  |>our  vous  faire  éviter 
une  conduite  si  peu  digne  d'une  épouse  de 

)aiTL'Uil3   SACHES.      LXVUl. 


Jésus-Chiisi,  (|iio  je  viens  vous  entrctcnii 
ici  du  |)éclié  véniel,  et  vous  faire  voir  quo 
ce  péché ,  quelque  léger  (ju'on  puisse  l(^ 
suppos(!r,  est  un  très-grand  mal,  et  un  mai 
très-funeste  (pi'uiie  personne  religieuse  doit 
par  conséquent  éviter  avec  soin  ;  et  pour 
cela,  je  vous  j)rie  de  le  considérer  avec  moi, 
ce  féché,  sous  deux  dillerents  aspects,  je 
veux  tlire  par  rapport  .^  Dieu  iju'il  olfense. 
et  par  rapport  h  la  religieuse  (|ui  le  commet: 
par  rapport  à  Dieu,  il  lui  l'ait  une  injure 
considérable  ;  je  vous  le  ferai  voir  dans  la 
première  partie  de  ce  discours  :  par  rapport 
à  la  religieuse  qui  le  comnuW,  il  lui  cause 
les  plus  grands  maux;  je  vous  le  ferai  voir 
dans  la  seconde  partie.  En  deux  mots,  lo 
péché  véniel  très-injurieux  h  Dieu  ;  le  ()éché 
véniel  très-préjudiciable  à  la  personie  reli- 
gieuse :  c'est  toute  la  matière  (h;  ce  dis- 
cours; honorez-moi,  s'il  vous  plaît,  de  timte 
votre  attention. ^ue,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE, 

Désirant  ici,  Mcstlamos,  vous  inspirer  le 
pins  grand  éloignemont  pour  tout  péché, 
même  pour  le  péché  véniel,  je  ne  prétends 
pas  cependant  (pie  vous  puissiez  tellement 
vous  en  [)réserver,  que  jamais  vous  n'a^-iez 
lion  sur  cela  à  vous  reprocher;  non,  il  n'y" 
a  eu  sur  la  terre,  et  il  n'y  aura  jus(ju'à  la 
fin  des  siècles,  que  la  très-sainte  Vierge  (jui 
|)réservée,  par  un  privilège  unique  et  des 
sa  concej)lioii,  de  la  tache  originelle,  a  passé 
toute  sa  vie,  sans  se  rendre  coupable,  môme 
de  la  |)lus  petite  faute,  de  !a  plus  légère  im- 
perl'ection  ;  mais  pour  le  reste  des  hommes, 
il  n'en  est  point,  ([uelquo  saints  qu'ils  aient 
paiu  ,  qui  n'aient  eu  des  fautes  et  dos  infi- 
délités à  se  reprocher;  tous  enfants  d'un 
père  prévaricateur,  nous  commotions  tous 
des  péchés,  qui,  sans  donner  la  mort  à  notre 
âme,  n'en  so;il  pas  moins  de  vrais  péchés, 
lie  véritables  olfenses  de  Dieu  :  In  muUis 
olfcndimus  omncs.  (Jac,  III,  2.) 

Mais  parmi  ces  péchés  dont  nous  nous 
rendons  coujiables,  il  est  une  distinciion  à 
faire;  il  en  est  que  nous  commeltons  pres- 
que sa.is  nous  eu  ai  ercevoir,  péchés  (jui 
sont  bien  plus  les  suites  d'une  nature  cor- 
rom|)ue  |iar  le  péché  originel ,  que  les  elfels 
d'une  volonté  déterminée  au  mal,  cl  qu'on 
api)ellG  pour  cela  péchés  de  faiblesse,  de 
pure  fragilité  ;  c'est  surtout  do  ceux-ci  dont 
()arle  le  Saint-Esprit  lorsqu'il  ditquelejuste 
pèche  sept  fois  le  jour,  restant  toujoursjus^e 
aux  yeux  de  Dieu  :  Septies  in  die  cadit 
justus.  [Piov.,  XXIV,  IC.j  Péchés  dont  saint 
Jean  eniendail  parler,  loisqu'il  disait  que  si 
nous  nous  glorilions  d'être  sans  péché,  nous 
nous  faisons  illusion,  et  nous  parlons  con- 
tre la  vérité;  il  en  est  d'autres  au  contraire 
que  nous  commeltons  par  réllexion,  ave  unj 
détermination  formelle  et  absolue,  quoique 
nous  ne  puissions  nous  dissimuler  que  ce 
sont  de  vrais  pé'diés,  de  véritables  olfenses 
du  Seigneur,  péchés  (jue  nous  multiplions 
chaque  jour  sans  remords  ou  maigre  iios  re- 
mords, dans  la  persuasio.i  (pie  ce  sont  des 
pé'i;és  peu  considérables,  des  fautes  légè- 

3 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  M0NTI3. 


76 


res,  incap.ibles  do  nous  faire  perdre  la  grâce 
sanclifiaiitc  el  l'amilié  de  noire  Dieu;  or, 
c'esl  de  ces  péchés  véniels,  volonlaiies  et 
réflécliis,  que  j'enlends  parler  ici,  et  que  jo 
dis  d'abord  Irès-injurieux  à  Dieu. 

Pour  vous  le  prouver,  IMesdaïuos,  j(;  ne 
veux  que  ranimer  votre  foi ,  que  vous  rap- 
peler aux  prcnn'ères  connaissances  que  vous 
avez  du  grand  Maître  que  vous  servez,  et 
auquel  vous  vous  êtes  consacrées,  d'une  con- 
sécration particulière,  dans  le  saint  étal  que 
vousavczeudjrassé. Quelle  idéeen  ellelavcz- 
vous  conçue  de  voire  Dieu  lorsque,  dans  vos 
oraisons,  vous  avez  médité  sur  ses  perfec- 
tions, sur  ce  qu'il  est  en  lui-môme?  Quelle 
idée  vous  en  a-t-on  donnée,  dès  votre  en- 
fance? Celle  d'un  être  souveraincmeiil  par- 
fait, d'une  grandeur  et  d'une  majesté  inli- 
iiie,  le  Maître  absolu  de  tous  les  êtres  qu'il  a 
lirésdu  néant,  pour  sa  gloire,  auxquels  par 
conséquent  il  a  droit  d'imposer  des  lois,  de 
faire  des  ordonnances.  Quelle  idée  avez- 
vous  conçue  de  votre  Dieu,  par  rapport  A 
TOus-mêmes?  Celle  d'un  Dieu  intiuiuient 
bienfaisant  qui  n'a  tiré  du  néanl  ses  créa- 
tures raisonnables,  que  pour  les  rendre  lieu- 
reuses,  dans  le  temps  et  dans  l'élerniié  : 
dans  le  temps,  en  les  faisant  vivre  dans  la 
pratique  de  la  vertu,  diuis  l'observance  de 
leurs  devoirs  :  dans  l'élerniié,  en  les  com- 
blant des  biens  du  ciel ,  en  les  faisant  parti- 
ciper à  sa  gloire,  en  se  donnant  lui-même  à 
elles  pour  récompense;  l'idée  que  vous  en 
avez  conçue  encore,  en  réfléchissant  sur 
vous  en  jiarticulier,  c'est  celle  d'un  Oiuu 
d'une  bonté  et  d'une  libéralité  infinies,  qui, 
depuis  qu'il  vous  a  mises  sur  la  terre,  n'a 
cessé  de  vous  cou.bler  de  ses  bienfaits  ;  qui, 
aux  bienfaits  qui  vous  sont  connnuns  avec 
une  infinité  d'autres,  vous  a  honorées  d'une 
intinité  de  grûces  el  de  faveurs  spéciales; 
voilà  les  idées  que  vous  avez  dû  vous  for- 
mer, et  que  vous  vous  êtes  formées  mille 
fois  en  ellet,  de  votre  Dieu,  celle  d'un  Dieu 
intiniment  grand,  intiniment  puissant  en 
Jui-même  ;  d'un  Dieu  infiniment  bon  ,  in- 
liniment  libéral  à  votre  égard  ;  mais  ce  n'est 
pas  tout,  vous  n'avez  pu  concevoir  ces  idées 
do  votre  Dieu,  sans  conclure  avec  vous- 
mêmes,  que  vous  deviez  vous  mettre  dans 
des  dispositions  conlormes  et  relatives  à  ces 
grandes  idées  ;  je  veux  dire  que  vous  deviez 
Jionorez  la  grandeur  sui)rême  de  votre  Dieu 
par  des  sentiments  de  respect,  d'adoration 
et  de  soumission  à  toutes  ses  vulonlés  ;  que 
vous  deviez  honorer  la  bonté  inlinie  de  vo- 
tre Dieu,  par  des  senlimeuis  d'altachement, 
de  recomuiissaiice  et  d'amour;  voilii  les 
conséquences  que  vous  avez  tirées  natu- 
rellement de  celte  connaissance  que  vous 
avez  de  voire  Dieu.  Cependant,  Mesdames, 
(jue  failes-vous,  lorsque  vous  commettez 
volontairement  et  sans  scrupule,  pour  ainsi 
dire,  le  péché  véniel  ?  Au  lieu  de  ce  res- 
pect, de  celle  soumission  que  vous  devez  à 
votre  Dieu,  comme^à  l'être  inliniiueiit  grand, 
intiniment  puissant  en  lui-même,  vuus  allez 
jus(iu'à  paraître  ne  faire  aucune  estime  de 
Jui,  ju.^ipi'à  le  mépriser,  jirsiprà  vous  révol- 


Icr  contre  lui;  nu  lieu  de  celle  reconnais- 
sance, do  cet  al  lâchement  que  vous  lui  de- 
vez, comme  à  l'être  inlinimenl  bon,  intini- 
ment bienlaisanf,  vous  In'hésilcz  point  5 
vous  montrer  insensibles  el  ingrates  à  son 
égard;  ainsi  mépris  de  votre  Dieu  ingra- 
titude envers  vore  Dieu,  voilh  les  deux  dé- 
fauts essentiels  que  vous  devez  vous  rei  ro- 
cher, je  ne  dirai  i)as,  lorsque  vous  vous  faites 
une  habitude  du  péché  véniel ,  mais  même 
lors(|ue  volontairement  vous  commettez  un 
.seul  péché  véniel.  Suivez-moi,  s'il  vous 
plaît,  el  j'ose  espérer  que  vous  concevrez, 
[)Our  Ce  péché,  tout  l'éloignement  qu'il  mé- 
rite. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  mépris  de  vo- 
ire Dieu.  Oui,  Àlcsdame*,  vous  le  savez  et 
vous  l'avez  appris  avec  les  éléments  dn 
christianisme;  ce  Dieu  tout-puissant  qui, 
de  toule  éternité,  se  suffisait  parfailemeni  à 
lui-même,  et  qui  n'avait  par  conséquent 
aucun  besoin  de  ses  créatures  pour  son 
bonheur  ,  il  vous  a  créées  cependant,  el 
pour  sa  gloire,  alin  que  vous  le  servissiez 
tout  le  temps  que  vous  seriez  sur  la  terre, 
et  pour  votre  propre  bonheur,  afin  que  vous 
pussiez  niériter  par  vos  services,  de  le  pos- 
séder éternellenienl  dans  le  ciel  ;  mais  pre- 
nez garde^de  plus,  (pj'obligées  de  le  servir, 
pour  lui  plaire  el  pour  vous  rendre  heu- 
leuses,  il  n'a  f)oint  laissé  à  votre  choix 
la  manière  de  le  servir:  il  a  voulu  vous 
la  prescrire  lui-mêoîe  ;  c'est  pour  cela 
(lu'il  vous  a  donné  sa  loi,  par  laquelle  il 
vous  a  expressément  marqué  ce  que  vous 
deviez  faire  et  ce  que  vous  deviez  éviter  ; 
c'est  pour  cela  qu'eu  vous  mettant  au  rang 
de  ses  enfants  ado|)tifs,  [lar  le  saint  b.ip- 
tême,  son  intention  a  été  que  vous  vous 
sanctifiiez;  qu'il  vous  a  dit,  comme  h  tous 
les  chrétiens  :  Soyez  saints,  parce  que  je 
suis  saint  moi-même  :  «  Scnclicslole,  quia  ega 
sanctus  sum.  »  [Lcvit.,  XI,  hk.)  Mais  il  a  fait 
plus  encore,  par  rapport  à  vous  ,  vierges 
chrétiennes;  non-seulement  il  vous  a  mises 
au  rang  de  ses  enfants  |)ar  le,  baptême; 
mais,  pour  vous  faire  acquérir  plus  proun)te- 
ment,  et  plus  sûrement  celte  sainteté  qu'il 
exigeait  de  vous,  il  vous  a  faites  ses  épouses, 
par  les  vœux  de  la  religion;  c'esl  pour  «ela 
qu'il  vous  a  séparées  du  monde,  qu'il  vous  a 
l'réservées,  en  vous  appelant  à  la  retiuite, 
de  tous  les  dangers  du  monde  ;_qu'il  vous  a 
fait  renoncer  entièrement  et  soleraielle- 
menl  îi  ce  monde  corrompu,  à  tous  ses 
biens,  à  tous  ses  avantages  ;  ah  !  que  dis-je, 
qu'il  vous  a  fait  renoncer  encore  à  vos  pen- 
chants naturels,  à  votre  propre  volouté,  h 
vous  mêmes  et  à  tout  vous-mêmes.  Sou 
inlention,  dans  celle  conduite  qu'il  a  teime 
à  voire  égard,  a  élé,  vous  ne  l'ignorez  pas, 
(ju'en  vous  sanctifiant  plus  que  les  chré- 
tiens du  siècle,  vous  Lui  procurassiez  au.ssi 
plus  de  gloire  que  ceux-ci  ne  lui  en  pio- 
curent. 

Or  NOUS  savez  que  celte  sainteté  co'i- 
sisle  i>récisémeiii  en  deux  choses  :  à  faire 
le  bien  el  à  s'abstenir  du  mal  :  Déclina  a 
iHiilo,    cl  fac    boitum.    [l'snl.    XXW'I,   i7.) 


77 


DISCOURS  DE  UETRAITF;.  —  SECOND  JOUR. 


78 


Ccpcniianl,  cl  vnilh  sur  quoi  vous  no  f.iiles 
poinl  d'nssoz  sérieuses  rélkxious,  peu  rnn- 
((Milesdo  vous  abstenir  tlu  bien,  vous  f.iilos 
,e  mal,  vous  coniniollcz  le  poché  ;  sous 
prélexle  que  ce  péché,  cpje  vous  coinmetlez, 
ne  vous  fuit  pas  perdre  la  grîlce  et  rnmilié 
i>c  voire  Dieu,  vous  le  corameltez  fréqueui- 
nienl  et  de  gaieté  do  cœur,  pour  ainsi  dire; 
c\'st-à-dire  que  dans  raille  occasions,  vous 
ne  vous  faites  aucune  peine  (le  dépl.iire  à  vo- 
tre Dieu,  d'offenser  voire  Dieu,  de  vous  ro- 
voltercûntrevolreDieu,  qui  vous  défend,  par 
sa  sainte  loi,  de  commettre  lo  mal,  et  par-là, 
vous  vous  rt-ndez  cou()ables  envers  lui  de 
mépris,  et  d'un  méjtris  d'autant  plus  grand, 
que  vous  ne  pouvez  ignorer  que  ce  que 
vous  faites  est  contre  ses  vues,  ses  inten- 
tions; ce  n'est  poinl  dire  assez,  que  c'est 
malgré  ses  défenses  les  plus  formelles. 

Oui,  Mesdames,  ce  Dieu  tout-nuissani, 
aux  yeux  duciuel  tous  les  ôtres  qu'il  a  créés 
sont  comme  un  néant,  ce  Dieu  en  présence 
duquel  les  séraphins  se  couvrent  do  leurs 
ailes,  par  crainte  et  par  respect,  ce  Dieu 
d'une  grandeur  et  d'une  majesté  inli  lies, 
est  encore  un  Dieu  d'une  sainteté  inlinie, 
qui  ne  peut  voir  la  moindre  tache  ilans  ses 
créatures  raisonnables,  et  dans  celles  sur- 
tout qu'il  s'est  choisies  pour  ses  épouses; 
il  a  une  opposition  essentielle  et  si  essen- 
tielle.avec  !e  péclié,  que,  quelque  léger 
qu'il  |)uisse  être,  il  blesse  son  inlinie  sain- 
teté, il  olfense  directement  sa  souveraine 
majesté,  et  voilù  ce  (jui  a  fait  dire  aux  Pères 
de  l'Eglise  que  le  péché  et  tout  péi.'lié  est 
en  lui-même  le  mal  et  l'unique  mal  de  Dieu; 
qu'il  est  le  ;)lus  grand  mal,  et,  à  parler 
proprement,  l'unique  mal  qui  soit  dans 
l'univers  ;  voilà  ce  qui  leur  a  fait  dire  et  à 
saint  Augustin  surtout,  et  d'après  lui  à 
tous  les  docteurs,  que  quand  il  s'agirait  de 
la  conservation  du  monde  entier;  que, 
quand  on  pourrait,  par  le  plus  pelit  péché, 
iirer  du  purgatoire  toutes  les  ânjos  (jui  y 
soulfrent,  délivrer  môme,  des  supplices  de 
l'enfer,  tous  les  démons  et  tous  les  réprou- 
vés; que  quand  il  s'agirait  de  plus,  de  fer- 
mer pour  toujours  le  puits  de  l'abîme,  les 
|)ortes  do  l'enfer,  de  procurer  le  salut  à  tous 
les  habitants  de  la  terre;  faire  rester,  pour 
l'éternité,  dans  le  ciel,  tous  les  anges  et 
tous  les  élus,  on  ne  pourrait  commettre  le 
plus  petit  péché;  on  devrait  même  ne  lo 
jamais  commettre,  et  la  raison  ju'ils  en 
apportent  est  sensible  ;  c'est  que  tous  ces 
biens,  si  considérables  en  appai-once,  ne 
pouiraionl  jamais  procurer  à  Dieu  autant 
de  gloire  qu'il  en  perdrait  parce  petit  [)é- 
clié;  c'est  que  sa  grandeur,  sa  majesté  su- 
prême serait  plus  otfensée,  |)lu5  outragée 
parce  petit  péché,  qu'elle  ne  serait  glorihée 
par  tous  ces  grands  et  salutaires  ellols. 

Ahl  l'avez-vous jamais  bieti  comprise,  celle 
grande  et  importanlo  vérité,  vous  qui  tom- 
mollez  si  facilement  le  poché  veniol,  (lui 
tombez,  tous  les  jours  et  plusieurs  fois  lu 
jour,  dans  lo  péché  véniel,  qui  vivez  tran- 
quillement dans  l'habiiuJo  du  péché  véniel  ? 
Voilà   cepi.'ndant  ce  (jui    a  rendu   tous   les 


stinls  si  allontifs  à  l'éviter;  voilà  co  (|ui  les 
a  rendus  si  aflligés,  si  contrits,  lors(]u'i!s 
ont  ou  quohpies  péchés  vi'Miiels  h  se  repro- 
cher ;  on  les  a  vus  quelquefois  les  pleurer 
ces  péchés  et  his  déclarer,  dans  le  sacré  tri- 
bunal de  la  pénitence,  avec  autant  de  dou- 
leur (]ue  les  l'Ius  grands  pécheurs  pénilenls 
ont  coutume  de  pleurer  et  de  confesser  leurs 
désordres  ;  c'est  qu'ain'més  d'une  vivo  foi, 
ils'connaissaiot)t  la  grandeur  du  Dieu  qu'ils 
servaient;  c'est  que  plus  ils  étaient  saints 
et  plus  ils  éiaient  conv.iincus  et  pénétrés  do 
celte  grandeur  inlinie  de  leur  Dieu. 

Epouses  de  Jésus-Christ,  en  celte  qualité, 
vous  êtes  appelées  à  la  sainteté  et  à  une  sain- 
teté proportionnée  à  la  sublimité  de  votre 
élat,et  plus  grande  par  conséquent  que  celle 
du  commun  des  chrétiens;  or  vous  ne  pou- 
vez être  des  saintes,  sans  concevoir  un  grand 
zèle  [)our  la  gloire  de  ce  Dieu  toul-j)uissant 
qui  vous  a  cludsies  pour  ses  é[)ous(!s;  toutes 
les  fois  que  vous  vous  livrez  volontairement 
au  péché  véniel,  vous  faites  donc  un  grand 
mal  et  un  plus  grand  mal  que  le  cotruiuin 
des  chrélioiis,  parce  que  vous  olfensez  plus 
qu'eux  co  J)ieu  ([ui  mérile  toute  gloire  et 
tout  honneur,  parce  que,  par  votre  péché, 
vous  vousrendezcoupables envers  lui  d'une 
plus  grande  révolte,  d'un  plus  grand  mépris  ; 
mais  vous  n'en  restez  pas  là,  car,  au  mépris 
de  votre  Dieu  Créateur  vous  ajoutez,  par 
votre  péché,  une  ingratitude,  envers  voire 
Dieu  bienfaiteur.  ^ 

II.  Ah!  c'est  ici  que  j'espère  vous  fairo 
mieux  connaître  encore  la  malice  du  péché 
véniel;  je  prétends  vous  attaquer  par  ce 
qu'd  y  a  de  plus  sensible  en  vous,  par  volro 
propre  cœur;  vous  vous  glorifiez  de  senti- 
ments de  reconnaissance,  et  d'attachomenl  ; 
vous  soupçonner  môme  du  contraire,  ce  se- 
rait vous  faire  injure:  or  je  ne  crains  pas 
de  vous  dire  que  lorsque  vous  commeiiez  le 
péché  véniel  de  propos  délibéré,  vous  man- 
quez de  reconnaissance  et  d'attachement  en- 
vers votre  Dieu  ;  ce  n'est  point  vous  dire  en- 
core assez,  vous  vous  rendez  véritablement 
coupables  d'insensibilité,  d'ingratitude  en- 
vers votre  Dieu. 

Hélas!  pour  vous  le  prouver,  je  n'ai  qu'à 
vous  rappeler  on  peu  de  mots  tout  ce  que 
co  Dieu  de  boiité  a  fait  pour  vous,  depuis 
que  vous  êtes  sur  la  terre;  je  ne  veux  pas 
même  vous  parler  de  tout  ce  qui  vous  est 
commun  avec  le  reste  dos  hommes  et  des 
chrétiens  surtout,  ce  qui  soûl  cependant 
devrait  exciter  dans  votre  cœur,  la  plus  vive 
reconnaissance,  famour  lo  plus  aident,  mais 
simplement  do  co  qui  vous  est  propre  et 
personnel;  rappolez-vous  donc,  avec  (juello 
prédilection  volro  Dieu  vous  a  choisies,  par 
préférence  à  une  iiilinité  d'autres,  pour  vous 
meure  au  rang  do  ses  épouses;  commei:t  il 
vous  a  api)elées,  dans  un  âge  et  dans  un 
teiiqis  peui-êlro  où  vous  aviez  grand  nombre 
d'inlidélilés  à  vous  reprocher  à  son  égard; 
rappelez-vous  tous  les  obstacles  qu'il  vous 
a  luitsurmonlor  el  tous  les  raoyensqu'il  em- 
ploya [)our  vous  mettre  en  état  de  renq)lir 
volro  vocation ,  et  que  vous  cl  bien  d'autres 


79 


OUATEliRS  SACUI3  3.  L'ABBE  DE  MENTIS. 


80 


ne  pûtes  vous  empôclior  do  reganlor  comme 
autant  de  miracles  de  sa  providence  à  votre 
égard;  rappelez-vous  encore ,  si  vous  le 
pouvez,  toutes  les  grâces  et  deioute  espèce 
dont  il  voifs  a  comblées,  définis  que  vous 
vous  êtes  solennellement  consacrées  h  lui , 
dans  la  religion;  vous  le  s;ivez  et  vous  ne 
})ouvez  vous  empôctier  de  le  reconnaître  ;  ce 
Dieu  de  bonté  n'a  cessé  de  veiller  sur  vous 
et  de  vous  donner  des  témoignages  de  sa 
bienveillance  et  de  son  amour. 

Or,  pour  lous  ces  bienfaits,  que  n'élait-il 
pas  en  droit  d'exiger  de  vous?  Cependant  il 
s'est  borné  à  vous  demander  de  vous  rendre 
fidèles  à  sa  loi  et  aux  engagements  que  vtms 
tnvez  contractés  avec  lui ,  et  pour  cola  d'évi- 
lor,  avec  soin,  non-seulement  les  fautes 
grossières,  ces  péchés  griefs  capables  de  vous 
faire  perdre  sa  grâce  et  son  amitié,  mais  de 
plus,  de  vous  préserver  de  ces  fautes  légères, 
de  ces  [)écliés,  qui,  sans  donner  la  mort  h 
voire  âme,  l'ollensunt  cependant  lu -même 
ot  l'indisposent  véritablement  contre  vous; 
voilà  ce  qu'il  vous  a  demandé,  autant  pour 
votre  propre  intérêt,  pour  vou-mèiiies,  que 
pour  lui,  que  })Our  sa  gloire  ;  voilà  ce  qu'il 
vous  est  très-aisé,  soutenues  do  sa  grâce  qui 
m;  vous  manque  jamais,  de  lui  accorder  ; 
vous  ne  l'ignorez  pas,  vous  ne  pouvez  même 
l'ignorer;  cependant  vous  n'iiésilez  point  à 
lui  déplaire,  à  l'offenser,  en  commettant  le 
j'éché  véniel,  en  le  multipliant  chaquejour 
sans  remords,  ou  peut-être,  malgré  les  re- 
mords de  votre  conscience  1  ah  1  je  vous  le 
demande  ici,  soyez  de  bonne  foi,  est-ce  15 
témoigner  à  voli'e  Dieu  ,  votre  reconnais- 
sance, pour  tout  ce  que  vous  lui  devez? 
Jisl-ce  là  chercher  h  plaire  en  tout,  à  votre 
Dieu  ,  comme  vous  le  dewz  ?  Si  je  vous  lie- 
inandais  ici  si  vous  aimez  votre  Dieu ,  vous 
seriez  offensées  peut-ôire  ou  surprises  du 
moins,  de  cette  question  :  comme  saint  Pier- 
re, vous  adressant  à  votre  Dieu  lui-môme, 
vous  lui  diriez:  Ah!  Seigneur,  sije  vousaime 
vous  sondez  le  plus  profond  des  cœurs,  vous 
savez  que  le  motif  et  l'unique  motif  qui  m'a 
portée  à  renoncer  au  monde,  à  me  détacher 
ue  toutes  les  créatures,  a  été  de  m'altacher 
uniquement  à  vous,  devons  donner  des  té- 
moignages certains,  authentiques  et  cons- 
tants de  mon  amour:  voilà  vos  vrais  senti- 
timents;  je  le  veux  croire;  .nais  si  conti- 
nuant de  vous  interroger,  je  vous  de(nau- 
dais  si  cet  amour  de  votre  Dieu,  dont  vous 
.laites  profession,  s'accorde  bien  aveccette 
lacililé  de  lui  déplaire,  par  mille  fautes  que 
vous  commettez  volontairement  et  chaque 
jour,  et  qui,  vous  le  savez,  olfensent  sa  ma- 
jesté sujtrème,  que  me  répondriez-vous  ? 
Hélas  !  je  le  ()révois,  vous  me  diiiez  ce  (jue 
vous  vous  êtes  dit  plus  d'une  lois  à  vous- 
mêmes,  pour  faire  .taire  votre  conscience  , 
lorsque  dans  de  certains  moments  de  ré- 
flexions plus  sérieuses  ei  oiî  la  grâce  agis- 
sait sensiblemoni  sur  votre  cœur,  elle  s'é- 
levait contre  vous,  vous  me  diriez  que  vous 
Êtes  bien  éloignées  de  vous  permettie  ces 
péchés  griefs  qui  vous  atlireiaient  la  haine 
et  rnjdignationde  vutie  Ujovj,  mais  qu'ajuès 


tout,  cps  fautes,  ces  infiiiélilés  dont  vous 
vous  rendozcou[)ables, sont  légères, sont  peu 
de  cho<;e. 

E\\o<  sont  pou  de  chose  ces  faules  .  Mais 
sans  ni'arrêter  présenlomenl  à  vous  prouver 
que  vous  pouvez  aisément  vous  tromper, 
dans  le  jugement  que  vous  portez  de  ces 
fautes  ;  que  ce  que  vous  jugez  péché  léger 
est  peut-être  péché  grief,  aux  yeux  de  Dieu, 
je  vous  demande  si  vous  pouvez  raisonna- 
blement appeler  peu  de  chose,  ce  qui 
offense  véritablement  la  majesté  infinie  de 
Votre  Dieu?  Nous  surtout,  qui  dans  votre 
saint  élai,  et  à  ra  son  de  tout  ce  que  votre 
Dieu  a  f  il  pour  vous  ,  devez  plus  chercher 
h  lui  plaire,  que  le  commun  des  chrétiens. 
Elles  sont  peu  de  chose,  ces  fautes?  Mai'? 
c'est  par  cette  raison  môme,  que  vous  êtes 
moins  cxcus.ibles  ;  car  enfin,  si  c'ét.iil  une 
passion  tt  une  passion  violente,  (\u\  vous 
les  fil  comnn.llre,  si  c'était  pour  vous  pré- 
server de  quelijue  malheur,  pour  éviter  de 
cruelles  persécutions ,  quoique  toujours 
saus  excuses  devant  Dieu,  qui  exige  et  qui 
mérite  que  vous  le  préfériez  à  tout,  vous 
auriez  au  mfdiis  que^jue  prétexte,  quel- 
que ombre  d'excuse  à  alléguer;  mais  quo-, 
sans  passion,  sans  sollicitation,  sans  crainte, 
sans  menaces,  tranquillemeni,  de  gaieté  de 
cœur,  pour  ainsi  dire,  vous  offensez  ce 
Dieu  inlininicnt  aimable  et  infiniment  bo'i 
à  votre  égard,  que  vous  devez  par  consé- 
quent ai'uer  de  tout  voire  cœur?  Quelle 
ingraiitude  !  lilbs  sont  peu  de  chose,  ces 
lautes?  Muis,  di. es-moi,  que  penseriez- 
vous  d'une  personne  qui  vous  aurait  juré 
une  amitié  inviolable,  et  surtout,  qui  à  rai- 
son des  bienfaits  signalés  que  vous  lui  au- 
riez rendus,  vous  devrai!  en  effet  des  sen- 
timents (i'atlaclienient  et  de  reconnais- 
sance, et  qui  se  borner.iit  cependant  à  ne 
vous  [)oint  faire  d'injure  grossière,  de  tort 
considérable,  mais  qui  ne  ferait  aucune 
[léine  de  vous  manijuer  et  de  vous  dé- 
plaire et  mille  occasi(ms,  qui  n  aurait  nulle 
atiention,  nulle  complaisance  pour  vous  ; 
qu'en  |)enserie/-v(jus  ?  Vous  jugeriez  avec 
raison  (jun  c'est  un  cœur  ingrat,  qui  ne 
mé.ila  jamais  tout  ce  que  vous  avez  fait 
pour  elle;  compaiez  présentement  tout  le 
bien  que  vous  .èt^'S  eajable  de  faire  h  uuo 
autre,  avec  tout  celui  que  votre  Dieu  vous 
a  l'ail,  et  qu'il  continue  de  vous  faire,  et 
concluez  que  votre  ingralilude  envers  Dieu 
est  iiUiniment  pins  énoi  me  que  celle  dont 
cette  personne  j)ourrait  se  rendre  coupable 
à  votre  égard,  jiarce  que  les  bienlaiis  que 
vous  avez  reçus  de  Dieu  surpassent  infini- 
ment, en  nombre  et  en  excel]ence|,  tous 
ceux  que  vous  f)0urriez  rendre  à  votre 
prochain  ;  concluez  enfin  (]ue  voiis  n'aiuuz 
pas  véritablement  votre  Dieu,  quelques 
protestations  d'amour  que  vous  lui  fassiez, 
puisque  ivous  craignez  si  peu  de  l'offenser 
et  de  lui  déplaire.  Le  péché  véniel,  quelque 
léger  qu'il  puisse  êlre,  est  donc  toujours 
en  lui-même  un  grand  mal,  à  raison  de 
1  injure  qu'il  lait  à  Dieu,  vous  venez  de  le 
voir;  j'ajoute   qu'il  cbl    encore   un  grand 


$1 


DISCOURS  I>K  UETIlAriE.  ~  SECOND  JOUR. 


8S 


mal,  h  raison  du  préjiiJico  (lu'il  cause  h  la 
|t(>rsonne  qui  le  commet  ;  c  est  le  sujet  de 
la  seconde  partie. 

SECONDE   PARTIE. 

Je  ne  crains  point  de  le  dire  ici,  Mesdames, 
c'est  toujours  un  défaut  de  foi,  ou  le  défaut 
dune  foi  assez  vive,  qui  nous  la  t  coraraelire 
aussi  facilement  le  péché  véniel;  si  nous 
étions  bien  convaincus  de  la  grandeur,  de  la 
majesté  infinie  de  notre  Dieu,  qui  e.vt  offensé 
par  ce  péché,  et,  tout  h  la  fois,  de  l'étendue 
de  son  amour  pour  nous,  de  son  infinie 
lionté  h  notre  égard,  i;ous  ne  serions  pas  si 
faciles  à  le  commctlre.  Mais  si  les  sentiments 
d'obéissance  <!l  de  respect,  do  reconnai.>-sance 
et  d'amour  ne  sont  pas  capables  de  nous  ar- 
rêter, notre  prof)re  intérêt  devrait  au  moins 
nous  faire  craindre  de  le  commettre,  puisque 
ce  péché,  quelque  légur  qu'on  puisse  le 
supposer,  dès  que  nous  le  commtltons  avec 
facilité,  et  surtout  que  nous  nous  faisons 
une  habitude  de  le  commctlre,  a  toujours 
des  effets  funestes  par  rapport  à  nous,  et 
nous  cause,  eu  égard  à  notre  .salut,  le  plus 
grand  préjudice,  l'our  vous  le  prou  vit,  Mes- 
dames, je  (iourrais  vous  (  itiT  b.'S  vengeances 
(pie  Dieu  a  exercées,  dans  tous  les  temps, 
sur  ceux  qui  ont  osé  le  conuuetire;  je  pour- 
rais vous  dire  que  notre  Dieu,  qui  voit  les 
clioses  telles  (lu'elles  sont  en  elles-mêmes, 
et  qui  par  conséquent  ne  |)eut  se  tromper 
dans  ses  jugements,  et  qui  est  d'ailleurs  in- 
liuiment  bon,  a  souvent  puni  ce  péché  par 
des  maux  considérables  qui,  prouvent  qu'il 
l'a  toujours  regardé  connue  un  mal  et  un 
liès-grand  mal.  NaUab  et  Abiu,  biùlés  dans 
le  saiicluaire  pour  s'être  servis  d'un  feu 
élranger;  Moïse,  privé  de  voir  la  terre  pro- 
mise, l'Our  s'ôtie  rendu  coupable  d'une  lé- 
gère et  injuste  déliauce;  cinquante  mille 
Uethsauiiles,  morts  dans  un  instant,  pour 
avoir  jeté  un  regard  curieux  sur  l'arche; 
Osa,  bajipéde  mort  pour  l'avoir  indiscrète- 
ment touchée;  un  ()roplièle,  dévoré  par  un 
lion  |)Our  n'avoir  pas  suivi  les  ordres  du 
Seigneur;  Ananie  et  son  épouse,  expirant 
successivement,  l'un  et  l'autre,  aux  pieds 
de  saint  Pierre ,  pour  un  mensonge.  Que 
sai-je?  Combien  d'autres  mau\  et  d'autres 
punitions  ne  i)Ourrais-je  pas  lapporler  ici? 
Ué!  (jui  sait  si  tant  de  mala<lies,  d'inlirmi- 
lés,  de  malheurs,  de  calamités,  que  nous 
voyons  et  qui  nous  environnent,  ne  soni 
|tas,  pour  plusieurs,  des  peines  actuelles 
du  perhé  véniel? 

Je  pourrais  vous  dire  encore,  {)Our  vous 
prouver  combien  Dieu  est  opposé  au  péché 
véniel ,  que  son  Fils  Jésus-Christ  est  mort 
pour  ce  péché,  comme  pour  le  péché  moiiel;; 
qu'une  ûme  coujiabie  d  un  seul  péché  véniel, 
ne  peut  entrer  dans  le  ciel  (ju'après  l'avoir 
exjiié,  dans  celle  vie,  par  la  pénilence,  ou 
(ju'après  en  avoir  élé  (luriliée,  dans  l'autre, 
par  les  peines  du  j)urgaloire,  peines  qui 
surpassent  infiniment  tous  les  maux  qui  se 
font  sentir  sur  la  terre,  et  qui,  au  seniiiuenl 
de  bien  des  l'èrcs,  ne  dillèrenl  de  ceux  de 
l'enlei  que  par  l'espciaiici.  qui  s'y  trouve; 


je  pourrais  vous  ajouter  que,  dans  l'enfi-r 
niêmc,  h;  réprouvé  est  p.irliculièrement  |)uui 
des  péchés  véniels  qu'il  a  commis,  par  uiio 
augmentation  de  peines  et  de  tourments 
proportionnés  à  leur  nombre  et  à  leur  ma- 
lice; mais  sans  m'élendre  ici  sur  toutes  ces 
réflexions,  quelque  certaines  et  quelque 
importantes  qu'elles  soient,  je  me  borne  à 
vous  bien  faire  connaître  le  préjudice  que  le 
péché  véniel  cause,  dès  celte  vie,  à  l'ârao 
qui  s'en  rend  coupalde,  et,  pour  cela,  je  dis 
que  le  premier  mal  qu'il  lui  cause  est  de  la 
priver  des  grâces  du  ciel  ;  qu'un  autre  mal, 
plus  grand  encore,  c'est  de  la  faire  tomber,^ 
pour  l'ordinaire,  dans  le  péché  mortel; 
qu'enfin  le  troisième  mal,  et  le  plus  funeste 
de  tous,  c'est  de  la  conduire  le  plus  souvent 
à  l'impénitence  finale.  Quelles  surprenantes 
et  etfrayaiites  vérités!  Encore  quelques  mo- 
ments "de  votre  attention,  je  vous  prie,  et 
vous  en  serez  convaincues. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  le  péché 
véniel  prive  l'ûme  des  grâces  du  ciel.  Co 
n'est  pasce()eiidant,  Mesdames,  que  je  veuille 
dire  (Qu'une  âme  infidèle,  de  quelque  infidé- 
lité qu'elle  puisse  se  rendre  coupable,  soit 
absolument  privée  de  toute  grâce,  de  tout 
secours  surnaturel.  Non,  comme  nous  no 
pouvons  faire  aucun  bien,  j'entends  aucun 
bien  ujéritoire  du  ciel,  sans  la  grâce,  il  est 
certain  aussi  que  la  grâce  ne  nous  manque 
jamais  pour  opérer  le  bien;  dire  le  con- 
traire, ce  serait  soutenir  une  erreur  que 
l'Eglise  a  condamnée:  mais  aussi.  Mesdames, 
remarquez,  je  vous  prie,  avec  moi,  qu'il  est 
deux  sortes  de  grâces;  il  en  est  de  générales 
et  sullisanles,  données  à  tous,  et  avec  les- 
quelles on  peut  absolument  éviter  le  mal  et 
faire  le  bien;  il  en  est  de  spéciales  et  do 
prédilection,  ainsi  a[)pelées  parce  que  Dieu 
ne  les  donne  pas  in(jifféremment  à  tous, 
grâces  plus  proportionnées  aux  différentes 
situations  dans  lesquelles  nous  pouvons 
nous  trouver,  et  qui  nous  font  éviter  le  mal 
et  faire  le  bien  avec  plus  do  prom[>titude,  do 
facilité  et  de  mérite  par  conséquent. 

Or  c'est  de  ces  dernières  grâces  dont  se 
prive,  par  sa  faute,  une  personne,  une  reli- 
gieuse qui  commet  facilement  le  péché  vé- 
niel; celte  facilité  à  offenser  son  Dieu 
l'indispose  à  son  égard,  et  si  ces  fautes  ne 
sont  pas  de  nature  à  engager  Dieu  à  l'aban- 
donner entièrement,  elles  sont  cependant 
propres  à  l'éloigner,  d'elle;  car  telle  est  la 
conduite  de  noire  Dieu  envers  nous,  qu'il 
se  conforme,  en  quelque  sorte,  à  nos  dis- 
positions; lorsque  nous  lui  témoignons  un 
sincère  et  vif  attachement,  lorsque  nous  lui 
montrons  une  attention  scrupuleuse  à  évi- 
ter tout  ce  qui  [lourrait  lui  déplaire  et  l'ol- 
fenser,  il  nous  regarde  alors  avec  des  yeux 
de  complaisance;  il  nous  témoigne  récipro- 
quement son  amour,  on  nous  communi- 
(luanl  une  abondance  de  grâces  qui  nous 
font  multiplier  nos  actes  de  vertus  et  de 
fidélité,  et  nos  mérites  par  conséiiuent,  et 
qui,  en  nous  fortifiant  dans  la  piété,  nous 
consolent,  au  milieu  des  peines  cl  des  con- 
liudictiuns  ipi'un  é[iruuve  toujours,  (luand 


85 


on  t'Sl  disposé  ?i  préférer  à  loul  Jesorvicodu 
Seigneur.  Voilà  en  effet  la  condiiile  qu'il  a 
loiijours  tenue  envers  tous  les  saints,  ou 
pour  mieux  dire,  voilà  ce  qtii ,  à  parler  pro- 
prement, les  a  faits  des  saints.  Il  est  une 
liaison,  vous  l'avez  entendu  dire  quelque- 
fois, Mesdames,  et  cela  est  vrai,  il  est  une 
liaison,  un  certain  encijaînement  entre  les 
grâces,  du  côté  de  Dieu,  et  les  actes  de  fidé- 
lité de  notre  notre  part;  il  nous  présente 
une  grâce;  |iar  elle  et  avec  elle  nous  fai- 
sons une  lionne  œuvre,  un  acte  de  fidélité, 
ot  la  correspcndam  e  à  celte  grâce  nous  en 
I  rocure  uneaulre-à  laijuclie  nous  correspon- 
ilons  encore  ;  ainsi  cioissons-nous,  ou  pou- 
vnjiï-nous  croître  cli;ique  jour,  et  jusqu'à 
notre  dernier  soupir,  en  grâces,  en  mérites 
et  en  sainteté;  mais  aussi  qu'arrive-t-il  lors- 
que nous  ne  munirons  que  de  la  froideur, 
de  l'indifférence  à  son  service  ;  lorsque  nous 
nous  bornons  à  ne  vouloir  point  l'olfenser 
mortellement,  (jue  nous  ne  nous  faisons 
aucune  peine,  aucun  scrupule,  de  commet- 
tre les  fautes  vénielles?  Nous  rompons  alors 
celte  précieuse  chaîne  ;  celte  disposition,  de 
notre  part,  de  froideur  et  d'indilférence 
refioidit  naturellement  le  cœur  de  notre 
Dieu  à  notre  égard,  et  le  porte  à  nous  témoi- 
gner froideur  pour  froideur,  inditférence 
jiour  indiû'érence;  il  ne  nous  laisse  pas 
sans  secours,  à  la  vérité,  mais  il  se  borne  à 
des  secours  généraux,  à  des  grâces  suffisan- 
tes et  nous  prive  de  toute  grâce  de  prédi- 
lection :  nous  no  pouvons  commettre  un 
.seul  péché  véniel ,  sans  rejeter  la  grâce 
(|u')l  nous  présente  pour  éviter  ce  péché  ; 
cette  grâce  méprisée,  rejelée,  ce  péché 
commis,  éloigne  encore  plus  Dieu  de  nous; 
il  nous  prive  d'une  seconde  grâce  qui  eOt 
suivi  la  première,  si  nous  y  eussions  été 
fidèles,  et  i)ar-là,  d'une  infinité  d'autres. 

D<;là,  db  cel  éloignemenl  de  notre  Dieu  , 
de  cette  soustraction  de  grâces,  suit  un 
nombre  infini  de  fautes  intérieures  et  exté- 
rieures; delà  cette  lâcheté,  cette  indolence, 
cette  tiédeur,  ce  dégoût  de  tous  ses  devoirs. 
Voilà,  Mesdames,  ce  qui  est  d'une  expé- 
rience journalière;  qu'une  religieuse  s'ap- 
plique à  bien  servir  son  Dieu,  qu'elle  |)or(e 
une  attention  sciupuleuse,  à  se  préserver 
des  moindres  [técliés,  de  tout  ce  qui  pour- 
rait déplaire  à  son  Dieu,  on  la  voit  heu- 
reuse et  contente;  uoii-sLuIement  elle  jouit 
intérieurement  de  cette  |)aix  spirituelle,  de 
cette,  douce  paix,  le  plus  grand  bien,  l'u- 
nique bien  nièiue  réel  et  solide  (jue  nous 
puissions  nous  procurer  sur  la  terre,  et  qui 
est  comme  un  avanl-goût  de  la  f)aix  el  du 
j)onheur  du  ciel;  mais  cette  heureuse  situa- 
lion  de  son  âme  se  manifeste  sensibltiiienl 
.•lu-deiiors  ;  en  paix,  avec  son  Dieu,  elle  est 
(îgnleiuent  en  paix  avec  le  prochain  et  avec 
elle-même,  au  milieu  même  des  peines  et 
des  coiilradiclions  iiisé[)arables  de  celte  vie 
iiiortelle;  rien  n'est  capable  de  la  troubler, 
«-Je  l'allliger  r  au  lieu  qu'une  religieuse  j)eu 
li^lèie  à  son  Dieu,  qu'elle  no  craint  puint 
d'offenser  par  des  fautes  qu'elle  multiplie 
chaque  jour,  ne  la  guùlu  point  ofllc  aimable 


ORATEURS  SACRES.  LABRE  DE  MONTIS.  84 

paix  ;  maigre  ses  soins  el  tous  ses  efforts 


pour  se  rassurer,  sa  conscience  crie  quel- 
quefois bien  haut,  et  lui  reproche  souvent 
toutes  les  infidélités  si  opposées  à  celte 
perfection  à  laquelle  elle  s'était  engagée,  en 
entrant  dans  le  saint  état  de  la  religion^; 
non,  elle  ne  goûte  point,  et  ne  peut  goûter 
combien  le  Seigneur  est  bon  à  ses  épouses 
fidèles  ;  ce  joug  du  Seigneur  dunt  elle  s'était 
cliargée  avec  tant  d'empressement  et  de 
consolation,  n'est  plus  pour  elle  un  joug 
doux  et  léger  ;  c'est  un  fardeau  qu'elle  ne 
peut  plus  porter  elle  le  traîne  avec  dégoût 
et  avec  scandale  môme  queltiuefois  ;  ainsi 
troublée,  agitée  au-dedans  d'elle-même, 
pleine  d'ennui  el  de  remords,  l'humeur  s'y 
joint  aisément  ;  elle  le  fait  sentir  à  ses 
sœurs;  !a  piété  des  ferventes  lui  déplaît  et 
l'ennuie  ;  les  manières  et  la  conduite  des 
autres  l'indisposent  et  l'irritent;  en  guerre 
avec  son  Dieu  el  avec  elle-même,  est-il 
étonnant  qu'elle  ne  conserve  pas  la  paix 
avec  le  prochain  ? 

JI.  Du  moins,  si  elle  en  reslail-là,  celte 
religieuse  infidèle,  ses  infidélités  n'étant 
pas  mortelles,  son  mal  ne  serait  ()as  sans 
remède  ;  mais  qu'arrive-l-il  pour  l'ordi- 
naire? C'est  que  celle  facilité  à  commettre 
des  fautes  vénielles  la  conduit  enfin  à  un 
état  de  mort  spirituelle;  ce  n'est  pas  que 
ces  fautes,  que  ces  péchés  véniels  puissent 
jamais  devenir  mortels;  quelque  multi(;liés 
qu'on  puisse  les  suiiposer,  jamais  ils  ne 
IJCuveiil,  par  eux-mèuie.s ,  faire  un  péché 
mortel,  mais  ce  que  je  vojx  dire,  el  ce  qui 
est  d'expérience,  c'est  que  le  pèche  véniel 
commis  souvent  el  facilement,  conduit  or- 
dinairement au  péché  mortel;  c'est  qu'niio 
personne  religieuse  surtout,  qui  ne  se  fait 
aucune  jieine  do  comuietlre  des  fautes  vé- 
nielles, finit  i)ar  tomber  dans  des  fautes 
graves  el  mortelles. 

Ce  n'est  point  votre  intention,  dites-vous, 
et  vous  dites-vous  queUiuefois  à  vous- 
mêmes  ;  âmes  lièdes  el  inditlerentes  pour 
votre  Dieu,  ce  n'est  point  votre  inlentioii, 
en  vous  permeltanl  des  fautes  légères,  d'eu 
venir  à  des  actions  ciimin(;lles  ;  vous  êtes 
bien  lésolues  de  ne  rien  l'aire  qui  puisse 
causer  votre  ié|irobulion  éternelle  ;  je  veux 
croire  que  vous  le  pensez,  comiiio  vous  le 
dites;  mais,  en  premier  lieu,  ne  pouvez- 
vous  pas  vous  tromper  dans  le  jugement 
que  vous  portez  sur  ces  fautes  que  vous 
coniiiicltez  si  souvent  el  si  facileiiienl  ? 
n'esl-il  point  à  ciaindio  que  ce  que  vous 
croyez  léger  el  de  peu  de  conséquence,  ne 
soit  grief  en  lui-mèiue  el  mortel  aux  yeux 
de  Dieu  ?  Hé  quoi  I  les  docteurs,  les  direc- 
teurs des  consciences  les  plus  éclairés  ont 
peine  queiijuefois  à  discerner  la  faute  mor- 
telle de  la  vénielle;  et  vous,  sans  avoir,  à 
beaucoup  près,  autant  de  lumière  el  de  sa- 
voir, vous  si  intéressée  à  vous  tlatler,  à 
vous  tromper,  vous,  (juo  des  infidélités  ha- 
bituelles el  sans  nombre  privent  de  ces 
grandes  lumières  que  Dieu  communique  à 
ses  saints,  vous  vous  rassurez,  vous  vous 
tranquillisez;  vous   uc  savez  donc  |)as  que 


8d 

ce  n'e3l  pns  toujours  lagrièvclé  de  l'arlion 
qui  rond  criminel  nux  yeux  de  Dieu,  mais 
que  c'esl  encore  la  disposiliou  du  cœur  .^ 
sou  éyard;  vous  êtes  ilnns  une  disjiosition 
li.ibilucilo  de  lui  désobcHr,  de  lui  déidaire, 
vous  n'aviz  donc  aucun  amour  pour  lui  : 
oi',  sans  aiuour  pour  votre  Dieu,  f)eut-il, 
lui,  vous  aiuier,  cl  vous,  pouvez-vous  lui 
lilaire? 

Mais  quand  vous  no  vous  Iromfieriez  pas 
dans  voire  jugeujenl  ;  quand  ces  fautes  que 
vous  commetl.  z  si  facilement, 'sous  prétexte 
qu'elles  ne  sont  que  vénielles,  ne  seraient 
que  vénielles  en  etfet,  je  dis,  en  second 
lieu,  qu'elles  vous  conduiront  insensible- 
ment aux  f.iules  mortelles;  le  Sainl-Esprit 
Va  dit,  que  celui  qui  nié|)rise  les  petites 
clitises ,  tombera  iidailliblement  dans  les 
plus  considérables  :  Qui  spernit  modica,  pau- 
Itiiiin  dnidil{Evcli.,  XIX.  1),  cequeleSaint- 
Usi'iita  prédit,  l'expérii'uce le contirme;  voilà 
ce  que  nous,  ii.inisiresde  Jésus  Cbrist,  appli- 
qués à  la  tondu  te  des  âmes,  nous  voyons 
-souvent  et  avec  douleur  des  personnes  que 
Dieu  avait  appelées  à  son  service,  dans  la 
re  raile,  ajTès  l'avoir  servi  quelque  temjis 
avec  Icrveur,  déchoir  ensuite,  se  [)ermettre 
des  inobservations,  des  inlidélités,  des  fau- 
tes sans  nombre,  légères  d'abord,  à  la 
vérité,  mais  qui,  par  une  longue  liabi- 
lude,  les  ont  fait  tomber  entiii  dans  des 
fautes  énormes  el  scandaleuses  même  quel- 
quefois. 

Mais  j'ajoule,  en  troisième  lieu,  qu'outre 
que  cela  est  il'expérience,  à  suivre  la  raison 
et  la  foi,  ce'a  doit  élre  ainsi;  je  veux  dire 
(jue  celte  facilité  à  caiimeltre  le  péché  vé- 
niel doit  naturelle. lient  conduire  au  péché 
(jiii  donne  la  moi'l  à  l'aide,  au  péché  mor- 
tel. Car  enlin  une  personne,  une  religieuse 
suitout,  qui  se  familial  i.e  avec  le  péJié 
véniel  ,  s'éloigne  insi  nsiblement  de  son 
Dieu,  et  son  Dieu  ollensc  aussi  souvent  s'é- 
loigne I  areilleuient  de  cette  religieuse  inli- 
dèle,  je  vous  l'ai  déjà  fait  connaître  ;  niais 
quel  etfel  doit  naturellemenl  produire  dans 
elle  cet  éloignement  léciproijue  ?  Ah  1 
Mesdames,  vous  le  sentez  assez,  un  affai- 
blissement de  foi ,  une  diminution  conti- 
nuelle de  cliaiité;  or  je  vous  le  demaride, 
celte  personne  (teul-eile  rester  longtemps 
dans  cet  étal  ?  Non  ,  sans  doute;  accoutu- 
luée  [leu  à  peu  à  ne  plus  craindre  le  péché 
véniel,  elle  passe  insunsiblemenl  à  ne  plus 
tant  redouter  le  péché  mortel  ;  accoutumée 
à  rejeter  les  grûces  du  Seigneur,  elle  s'en 
éloigne  jiar  là  de  plus  eu  [)lus  ,  c'esl-à- 
dire,  qu'après  avoir  quelque  temps  et 
longlenq)s  centriste  le  Sainl-Esprit,  elle  en 
vient  euhu  jusqu'à  l'étoutfer  entièrement 
dans  son  cœur;  c'est-ii-dire  que  la  chaiilé, 
aprèo  avoir  toujours  et  uibensiblemenl  di- 
minué dans  elle,  s'éleii.l  enlin  entièrement; 
c'est-à-dire,  qu'aj)rès  avoir  trop  longtemps 
écouté  et  suivi  les  suggestions  du  malin 
esprit,  elle  Unit  par  devenir  absolument  son 
esclave,  et  par  là,  combien  d'ûmes  inlidèles 
(jui  se  croient  justes  et  vivantes,  et  qui  ce- 
pendant sont  déjà  criminelles  et  mortes  aux 


PISCOLKS  DE  UKTUAlli:.  —  SECOND  JOLH. 


86 

yeux  de  Dieu,  el  que  ^\os  péciiés  véniels 
multipliés  à  l'inlini ,  conduisent  enfin  à  ce 
funeste  état.  Hé  I  qu'importe  a[)rès  tout, 
que  la  mort  enlève  par  une  maladie  vio- 
lente,  ou  par  de  pidiis  maux  négligés? 
Qu'importe,  dit  saint  Augustin,  qu'un  vais- 
seau fasse  naufrage  par  une  violente  tem- 
pête, ou  qu'il  soit  submergé  par  des  grains 
do  sable  dont  il  se  trouve  surchargé? 
Qu'importe  que  l'âme  se  perde  on  se  livrant 
à  d'énormes  crimes,  ou  en  commettant  des 
fautes  qui  conduisent  enfin  au  crime  et  à  la 
haine  de  Dieu?  Ah  1  que  de  saints  person- 
nages sont  déchus  par  là  de  la  sainteté,  et 
sont  tombés  tians  un  état  do  réprobation! 
Car  voilà.  Mesdames,  jusqu'oiî  va  une  <1me 
qui  ne  se  fait  aucune  peine  de  commettre 
le  t;éché  véniel;  ce  qui  met  le  comble  à  son 
malheur,  c'est  que  ce  péché  dont  ede  parait 
faire  si  peu  de  cas,  a|)rès  l'avoir  conduite 
au  péché  mortel,  la  fait  enfin  mourir  dans 
rimpénitence  finale,  dans  la  disgrâce  éter- 
nelle de  son  Dieu. 

III,  Oui,  Mesdames,  et  pour  vous  en 
convaincre,  que  ne  i)uis-je,  dans  ce  mo- 
ment, faire  paraître  ici  une  de  ces  ûmes 
qui,  après  avoir  goûté  le  don  de  Dieu  dans 
la  religion,  a  mérité  par  ses  prévarications 
d'être  ensevelie  jiour  loujcmrs  dans  les 
flammes  éternelles  ;  si  j'entreprenais  de 
l'interroger  sur  la  cause  de  sa  réproba- 
tion, vous  l'enlendriez  me  ré{)ondre  que  la 
vraie  cause,  et  la  première  cause  de  sou 
rnalheur,  a  été  sa  facilité  à  commettre  des 
fautes  légères  el  qu'elle  regardait  trop 
comme  telles;  elle  me  dirait  qu'après  s'être 
longtemps  habituée  à  ses  fautes,  elle  est  dé- 
chue, sans  presque  s'en  apercevoir,  de  la 
grûce  et  lie  l'amitié  de  son  Dieu  ;,  que  sa 
longue  habitude  à  l'offenser  l'avait  rendue 
si  insensible  à  son  malheureux  état,  que  les 
approches  même  de  la  moit,  que  les  se- 
cours spirituels  qu'elle  a  reçus  alors,  n'ont 
point  été  capables  de  la  faire  rentrer  en 
elle-même,  el  d'exciter  dans  son  cœur,  une 
douleur  proj)orlionnée  à  ses  fautes. 

Voilà,  Mesdames,  l'effet  ordinaire  de  cette 
facilité  à  olfenser  Dii;u,  dans  un  état  saint 
el  dans  lequel  tout  tend  à  la  sainteté.  Habi- 
tué à  rejeter  les  grâces  ,  on  les  rejette  jus- 
qu'à la.  fin  ;  accoutumé  à  s'excuser,  à  se 
fialter,  on  se  Halle  et  on  s'excuse  jusqu'à  la 
mort;  étal  funeste  et  plus  funeste,  en  quel- 
que sorte,  que  celui  d'une  âme  plongée, 
de[)uis  longtemps,  dans  de  criminelles  ha- 
bitudes; celle-ci,  à  une  grâce  forte,  extra- 
ordinaire, se  réveille,  pour  ainsi  dire,  re- 
vient de  son  assoupissement;  l'espril  tout 
5  coup  éclairé,  le  cœur  touché,  l'âme  ébran- 
lée, elle  ouvre  enfin  les  yeux,  elle  voit 
toule  l'horreur  de  son  état;  terrassée, 
comme  saint  Paul,  par  la  grâce,  comme  lui 
elle  lui  rend  les  aruies,  elle  renonce  à  son 
})éché,  el  se  convertit  sincèrement  à  son 
Dieu  ;  voilà,  malgré  la  corruption  du  siècle, 
ce  que  nous  avons  la  consolation  de  voir 
quelquefois;  mais  une  personne,  dans  la 
religion,  qui,  après  avoir  servi  quelque 
temps   sou  Dieu  avec  fidélité,  est  tombée 


6/ 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOINTIS. 


88 


eiisuile  dans  lo  relâcliemcnl  ;  une  religieuse 
qui  s'est  fait  une  h.ibitudo  de  r(5sisleraux 
inspirations  de  la  grâce,  ol  d  offenser  son 
Dieu  ;  devenue  insensible  h  tout,  elle  con- 
serve son  insi'nsiliilité  jusqu'ici  la  mort;  les 
Ames  les  plus  saintes  Irembh.'nt  à  l'.'pproclie 
des  jugements  du  Seigneur,  et  elle  passe 
Iranquillement  du  temps  à  l'élernilé;  ou 
si  elle  paraît  troublée,  alarmée  alors,  ci's 
troubles  et  ces  alarmes  sont  bien  moins 
l'effet  d'une  derrn'ère  grâce,  que  l'adresse 
de  Satan  qui  lui  persuade  alors  que  son 
état  la  rend  indigne  des  regards  et  d<s 
miséricordes  de  son  Dieu,  et  (lui  réussit, 
par  1,^,  ti  la  l'aire  expiri  r  dans  le  désespoir. 

O  vous  qui  jusqu'ici  avez  commis  si  fa- 
cilement lo  [téclié  véniel,  [)arce  que  vous 
l'avez  regardé  comme  peu  de  chose,  en  ju- 
gez-vous ainsi  présentement?  Pouvez-vous 
regarder  coinrao  peu  (OU'-idérabio  ce  qui 
porto  un  caractère  tout  à  la  fois  de  mépris 
et  de  révolte,  dinjusiico  il  d'i"g  atilude 
envers  Dieu,  ce  (jui  cause  les  [ilus  grands 
oréjudices  à  l'âuje  qui  se  fait  une  babi- 
ludo  de  le  commettre;  ce  qui  la  prive  des 
grâces  de  son  Dieu,  ce  qui  la  porte  au 
pécbé  mortel,  ce  qui  la  conduit  enfin  au 
plus  grand  de  tous  les  malheurs,  à  la 
perle  de  son  Dieu,  à  une  réprobation  éter- 
nelle? Ab  1  Mesdames,  dans  ces  jours  de 
salut  surtout,  ranimez,  ranimez  votre  foi 
sur  cette  grande  vérité;  une  des  meilleures 
résolutions  que  vous  puissiez  prendre 
dans  cette  reirailo,  c'est  d'éviter  avec  soin 
jusqu'aux  péchés  les  moins  considérables, 
jusqu'aux  f.HUlcs  les  plus  légères. 

Oui,  Seigneur,  je  la  prends  et  dans  toute 
la  sincérité  de  mon  cœur,  cette  résolution 
si  conforme  5  l'état  saint  auquel  vous  avez 
daigné  m'appcler.  Comme  chrétienne  j'étais 
déjà  engagée  à  me  préserver  de  tout  ce 
qui  peut  vous  olfinser  et  vous  déplaire; 
en  qualité  de  religieuse  et  de  votre  épouse, 
j'y  suis  plus  étroitement  obligée  encore.  Alil 
je  le  confesse  ici,  à  ma  confusion,  je  n'ai 
point  assez  pensé  à  l'engagement  que  j'ai 
contracté  de  travailler  sans  relâche  à  ma 
perfection,  et  que  le  premier  degré  de  cet 
engagement  est  d'éviter  le  pécbé  et  jusqu'à 
l'ombre  même,  à  laiiparence  du  péché  : 
mais  c'en  est  lait,  ô  mon  Dieu,  dès  ce  mo- 
ment, je  les  déteste,  toutes  les  fautes 
queje  n'ai  malheureusement  que  troj)  mul- 
tipliées jusqu'à  |)réseiit  ;  je  vais  commencer 
par  m'en  purilier  dans  les  eaux  salutaires 
de  la  pénitence.  Hélas  !  du  coujbien  de  grâ- 
ces et  de  faveurs  je  me  suis  privée,  par 
toutes  mes  infidélités  1  Que  de  scandales 
j'ai  causés  [)eut-èlre  encore!  je  suis  bien 
résoluc'de  les  réparer,  [)ar  une  fidélité  par- 
faite à  TOUS  servir;  oui,  désoruiais,  j'aurai 
sans  cesse,  comme  lu"  lloi-Propbète,  mou 
âme  entre  mes  mains,  pour  ne  rien  faire, 
je  ne  dis  pas  seulement  qui  puisse  vous 
offenser,  vous  outrager,  ma  s  qui  soit  même 
capable  de  vous  déphiirc.  A  celte  indiffé- 
rence pour  vous,  à  celte  tiédeur  qui  n'a 
que  trop  |»aru  jusqu'ici,  à  celte  facilité  à 
vous  oll'ensor  va  succéder  la  plus   grande 


ardeur  à  vous  plaire,  ta  plus  scrupuleuse 
délicatesse  h  me  préserver  des  moindres 
taches,  à  éviter  les  fautes  les  plus  légères, 
afin  qu'après  vous  avoir  servi  en  vraie  el 
fidèle  é[)0use  sur  la  terre,  je  puisse  un  jour 
et  pour  toujours  vous  voir,  vous  aimer 
et  vous  (losséder  dans  le  ciel.  Ainsi-soit-il. 

SECOND   JOUU. 

Second  iliscours. 

SUR  l'obscuvance  de  la  règle  et  de 

CONSTITUTIONS. 

Ouictinqiic  Imnc  rofriilam  scciili  fiierint,  pax  super 
itlos  cl  mJsericoritia.  {Gtdal.,  AI,  IG.) 

Tous  ceux  qui  suivront  celte  rè(jle,  la  paix  et  lu  miséri- 
corde du  Seigneur  seront  letir  récompense. 

Être  en  paix  avec  sou  Dieu,  éiTouver  les 
bontés  et  les  miséricordes  de  son  Dieu, 
\o\\b,  Mesdames,  le  plus  grand  avantage 
dont  puisse  jouir,  en  cette  vie,  une  âme 
chrétienne,  mais  avanta,-;e  qu'elle  ne  [)eul 
se  procurer  (ju'en  s'ap|ili(pjant  h  bien  ser- 
vir son  Dieu,  qu'en  se  'conformant  en  tout 
aux  volontés  de  son  Dieu;  or  comme  il  est 
différ(!nles  demeures  dans  la  maison  du 
Père  céleste,  il  est  aussi,  sur  la  terre,  diffé- 
rents moyens  de  lui  (djéir  et  de  lui  plaire; 
il  est  des  âmes  qu'd  destine  à  le  servir 
dans  le  siècle,  au  milieu  de  tous  les  dan- 
gers, et  de  tous  les  embarras  du  siècle;  il 
en  est  d'autres  sur  IeS(]uelles  il  paraît  avoir 
dvs  vues  plus  particulières  de  miséricorde 
et  de  sainteté  qu'il  appelle  à  lui  dans  la 
retraite,  et  qu'il  tient  loin  du  monda  occu- 
pées à  le  servir  dans  l'étal  de  la  religion  : 
vous  êtes.  Mesdames,  de  ces  âmes  privilé- 
giées que  le  Seigneur,  p.;r  une  bonté  infinie, 
a  heureusemenldéiivréesde  tous  les  dangers 
du  monde,  et  qu'il  a  placées  dans  un  saint 
institut  par  [(référence  à  une  infinité  d'au- 
tres. 

Mais,  [)Our  correspondre  parfaitement  à 
ses  desseins  sur  vous,  il  ne  suffit  pas  d'ôlre 
entrée  dans  ce  saint  état,  il  faut  vous  y 
sanctifier,  et  pour  vous  sanrtilier,  en  rem- 
plir exactement  tous  les  devoirs.  En  vous 
consacrant  à  Dieu,  dans  la  religion,  vous 
vous  ôtes  engagées  à  travailler  toute  votre 
vie  à  voire  perfection  ;  or  la  nianière  dont 
vous  devez  tendre  à  la  perfection  vous  est 
marquée  dans  votre  règle  et  dans  vos  cons- 
titutions; c'est  |à  (|uo  vous  trouvez  ce 
(jue  vous  devez  faire,  et  comment  vous  le 
devez  faire  pour  plaire  à  votre  Dieu;  il 
est  donc  bien  impoilanl  pour  vous  de  les 
observer  fidèlement,  ceite  règle  et  ces  cons- 
titutions. Pour  vous  y  engager,  j'entre- 
prends de  vous  entretenir  ici,  et  sur  les  mo- 
tifs qui  doivent  vous  porter  à  observe  r  vo- 
tre règle  et  vos  constitutions  ;  ce  sera  lo 
sujet  de  la  première  partie  de  cet  entre- 
tien :  cl  sur  les  moyens  de  les  observer 
sainîeiiicrit  ;  ce  sera  le  sujet  de  la  se- 
conde partie.  En  deux  mots.  Mesdames, 
pourquoi  devez-vous  observer  votre  règle 
et  vos  constitutions;  comment  devez-vous 
observer  votre  règle  et  vos  constituliois? 
Honorez-moi,  s'il  vous  plaît  de  toute  volie 
allcnliou.  Aie.  M'iria. 


«> 


DISCOUUS  DE  RETRAITE,  —  SECOND  JOUR. 

rnKMlÈRIC  PAUTIK. 

bien 


Wt 


j  C'est  lin  spectacle,  MestJamcs,  bien  digne 
iradiniralion,  el  f|iii  nous  prouye  la  sagesse 
iiilinie  de  notre  Dieu  el  loul  à  la  fois  son 
jainour  immense  pour  ses  créatures,  quo 
Jiplte  variété  d'étals  (pi'il  a  lorniés  ilans 
l'univers,  et  qui,  (|ui>i(|uo  didereiits  les  uns 
des  autres  quant  aux  nioyfus,  tendtnl  tous 
lependant  h  la  même  lin,  (|ui  esl  la  sai,('- 
lilicalion  «les  âmes  el  leur  salut  éternel. 
Mais,  i>armi  tous  ces  étals,  il  en  est  de 
plus  parlaits  les  uns  que  les  autres,  parce 
qu'il  en  esl  qui  éloignent  plus  du  monde, 
qui  délaclient  plus  de  tous  ses  biens,  de 
tous  IfS  avaidages  qu'il  procure,  el  qui 
par  ih  approclK'ul  plus  aussi  de  la  vie 
lium!)le  el  caciiée,  |)auvre  et  mortiliée  qu'à 
menée  nolic  Dieu  sauveur  pendant  sa  vie 
mortelle. 

Tel  est.  Mesdames,  ce. ui  auquel  la  divine 
Providence  vous  a  appelées;  l'embrassant, 
cet  état ,  vous  vous  êtes  engagées  non- 
seulement  à  observer  exactement  la  loi  de 
Diru,  les  préceptes  du  Seigneur,  el  à  |>ra- 
li(pier  les  conseils  de  son  Evangile:  vous 
lui  avez  [iromis  solennellement  (le  |)ius,  de 
mener  une  vie  do  retraite,  de  déjienilance, 
de  délaebement,  de  pénitence,  conforme 
à  la  règle  el  aux  constitutions  de  l'institut 
que  vous  embrassiez.  C'est  donc  celle  rè- 
gle, ce  sont  dfinc  ces  constitutions  que 
je  dis  que  vous  devez  observer  fidèlement; 
pour  vous  .y  engager,  ou  plutôt  |)0ur  vous 
porter  à  persévén.'rconslammcnt  dans  celle 
(tbscrvance  exacte  qui  édifie  K's  fidèles  et 
qui  console  l'Eglise,  je  pourrais  vous  dire 
(jue  celte  règle  cl  ces  conslilutions  que  vous 
avez  embrassées  voloiilairemeni,  ^viennent 
de  Dieu;  qu'elles  ont  été  composées  par  des 
saints  animés  de  l'esprit  de  Dieu,  et  approu- 
vées pour  cela  par  l'Eglise,  mais  je  crois 
de  plus  devoir  insister  ici  avfC  vous  sur 
trois  raisons  plus  ()récises  encore  ;  les  voici  : 

C'est,  en  |>remier  lieu,  que  vous  devez 
chercher  h  satisfaire  en  tout  (es  personries 
que  la  divine  Providence  a  placées  à  votre 
léte,  el  à  correspondre  à  tous  leurs  désirs, 
par  ra|t(iurt  à  vous  :  or  vous  ne  pouvez  dou- 
ter qu'elles  ne  désirent  ardemment  que  vous 
soyez  fidèles  5  observer  votre  règle  et  vos 
cons  iluliuns.  C'est  en  second  lieu,  que  vout 
devez  ne  pas  siandahser,  ce  n'o^l  [)oinl  dire 
assez,  que  vous  devez  vous  appliquer  à  édi- 
fier, par  voire  (onduile,  celles  avec  lesquel- 
les vous  avez  à  vivre;  or  vous  sentez  bien 
que  vous  ne  pouvez  les  édifier  que  par  une 
grande  fidélité  à  observer  votre  règle  el  vos 
conslitulions.  Cesl,  en  troisième  lieu,  (jue 
vous  n'èles  entrées  dans  CLllesainle  mai- 
son, et  dans  le  saint  étal  de  religion,  (|ue 
pour  travailler  .'i  votre  |)erreclion,  à  voire 
salut;  or  vous  n'ignorez  [las  que  vous  no 
pouvez  vous  peiCei  li(mri(  r  et  vous  sauver, 
(pi'en  obseivanl  fidèlement  votre  règle  et 
vos  const  lut'ons;  ainsi.  Mesdames,  vous 
devez  donc  avoir  celle  exacte  fidélité,  el 
pour  la  coriMilation  de  vos  supérieurs,  et 
pour  l'édilication  de  vus  sujurs,  el  pour  vo^ 


tre   propre    sanctification;   suivez-moi,   jo 
vous  prie, 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  qu'une  per- 
sonne religieuse  doit  observer  sa  règle  et 
ses  cotistitulions  [)Our  la  consolation  de  ses 
supérieurs;  ce  n'est  point  ceperidant,  Mes- 
dames, (pie  je  veuille  dire  qu'une  religieuse 
doivB  agir  et  se  rendre  fidèle,  montrer  de 
Il  x.iolitude,  uni(|uement  pour  |)laire  à  ses 
su|iérieurs,  el  dans  la  vue  de  se  concilier 
leur  estime  et  leur  amitié:  non,  agir  [>ar 
un  pareil  motif,  ce  serait  êlre  de  ces  per- 
sonnes dont  parle  l'apôlre  saint  Paul  et 
(ju'il  condamne,  qui  ne  font  le  bien  que  lors- 
qu'elles sont  vues:  Ad  oculum  servientes ; 
(jue  I  Dur  plaire  aux  créatures,  quasi  homini- 
bus  placetiles  {Col.,  lil,  22);  au  lieu  qu'un 
vrai  serviteur,  qu'une  vraie  servante  do 
Jésus-ChrisI,  ne  doit  avoir  en  vue  que  do 
faire  la  volonté  de  Dieu  :  aussi  l'Apôtre 
dil-il  dans  un  autre  endroit,  que  s'il  no 
chercliail  qu'a  plaire  aux  hommes,  il  ne  se- 
rait pas  un  vrai  serviteur  dt^  Jésus-Christ  : 
Si  honiinibus  placercm,  Chrisli  servus  non 
cssem.  {(ialal.,  1,  10.) 

Mais, ,  Mesdames  ,  une  re'igieuse  qui 
n'agirait  et  qui  ne  serait  fiilèle  à  ses  de- 
voirs, à  ses  observances,  que  pour  jilaire  h 
Ses  supérieurs,  ferait  un  irès-grand  mal, 
puisqu'elle  s'exposerait  h  s'entendre  dire 
un  jour,  par  le  souverain  Juge  :  Retirez- 
vous,  vous  n'avez  rien  à  attendre  de  moi, 
c'est  aux  créatures  que  vous  avez  voulu 
plaire,  c'est  aussi  des  créatures  que  vous 
avez  dû  recevoir  votre  récompense  :  Recepi- 
sti  mercedem  tuam.  {Matth.,  VI,  16.)  Une  re- 
ligieuse aussi  qui,  par  son  peu  de  fidélité, 
par  sa  négligence,  par  se»  trangressions,  dé- 
p'airait  à  ses  supérieurs,  el  sérail  pour 
eux  un  sujet  de  peine  el  de  chagrin,  se- 
rait très-coupable  aux  yeux  de  Dieu;  ce  se- 
rait un  mal  à  la  vérité  de  chercher  unique- 
ment à  leur  plaire,  mais  ce  serait  pareil.'e- 
ment  un  mal  de  leur  déj)laire,  en  agissant 
centre  leurs  désirs,  contre  leur  volonté,  ne 
pouvant  douler  que  leur  volonté,  que  leurs 
désirs  ne  soient  que  la  règle  et  les  conslitu- 
lions de  l'instilut  s'observent  parfaitement 
par  toutes  celles  que  la  Providence  a  confiées 
à  leurs  soins  :  ce  n'est  en  etlet  que  pour 
cela.  Mesdames,  que  le  Seigneur  a  permis 
qu'une  de  ses  é()Ouses  fût  placée  à  la  tèio 
do  votre  comnuinaulé;  du  moment  que  vo- 
ire supérieur  majeur  ou  celui  qui  lient  sa 
place,  a  cordiriné  son  élection  ou  agréé  du 
moins  le  choix  (pi'on  a  fail  d'(!li(;,  elle  s'est 
engagée  à  faire  observer  la  règle  el  les  cons- 
litulions, ii  tnlreleiiir  la  régulai  ilé  dans  .la 
maison,  celle  régularité  est  un  dé()ôt  |»ré- 
cieux  (jui  lui  a  été  confié  par  le  Seigneur, 
dont  elle  lui  rendra  un  compte  exact,  et 
(ju'elte  doit  transiiiellro,  dans  toute  son  in- 
légrilé,  à  celle  qui  doil  lui  succéder;  de  là 
une  obligation  pour  elle  de  veiller  attenli- 
vement  à  ce  qu'il  ne  s'introduise  aucun  rc- 
lâchemenl,  aucun  abus  :  abus,  relûchemem, 
hélas  1  cpji  s'insinuent  quelqiielois,  sans 
(ju'on  s'en  a|»eiroive,  môme  dans  les  mai- 
sons les  plus  régulières. 


J)I 


ORATEURS  SACRES 


Or,  MeS(lain(!S,  l;i  mônio  raison  qui  obli- 
po  iine'snpérleurii  h  maintenir,  ave';  la  plus 
scrupuleuse  allcntinn  ,  la  rc^gularilé  iians 
sa  communauté  ,  oblige  aussi  les  particu- 
lières d'entrer  dans  toutes  les  vues  de  leur 
supérieure:  oui,  sans  doute,  et  malheur 
à  celles  qui  se  rendraient  sur  cela  indociles 
ou  peu  attentives  aux  avis  ,  aux  répriman- 
des de  celle  que  le  Seigneur  a  placée  5 
leur  tête;  quel  chagrin  ne  lui  causeraient- 
elles  |)as,  si  elle  a  un  vrai  zèle  pour  le 
maintien  de  la  régularité  et  pour  le  salut 
des  âmes  confiées  à  ses  soins  1  Non,  la  piété 
<le  toutes  les  autres,  leur  exactitude,  leur 
(idélilé  5  s'acquitter  de  tous  les  devoirs 
de  leur  saint  étal,  ne  seraient  point  capa- 
bles de  la  dédommager,  de  la  consoler  du 
peu  do  régularité  d'une  seule  de  ses  filles; 
niais  aussi  que  les  gémissements,  que  les 
larmes  qu'elbî  répandrait  en  secret,  et  aux 
pf'eds  de  son  crucifix,  seraient  funestes  à 
celles  qui  en  seraient  l'objet  1  Car  voilà 
f»  quoi  se  trouve  réduite  quelquefois  une 
personne  supérieure;  après  avoir  épuisé 
successivement  les  voies  de  douceur  et 
de  fermeté,  craignant  que  trop  d'aulorito 
n'aigrisse  encore  un  cs|trit  que  l'expérience 
lui  a  fait  connaître,  joindre  la  hauteur  et 
l'indocilité  h  !a  tiédeur,  à  rindifi'érence 
|)our  sa  règle,  elle  prend  le  parti  de  se 
taire,  mais  en  môme-temps  de  recourir  au 
Seigneur,  de  !e  prendre  h  témoin  de  tout 
ce  qu'elle  a  fait,  et  du  peu  qu'ont  opéré 
tous  ses  soins.  Ah  I  qu'il  est  à  craindre 
que  le  Seigneur,  pour  la  consoler,  ne  lui 
lasso  entendre  alors,  ce  qu'il  dit  autrefois 
jiii  pr()|)liôte  Samuel,  au  sujet  des  Israélites 
qui  refusaient  de  reconnaître  en  lui,  l'au- 
torité dont  il  l'avait  revêtu  :  ^'os  plaintes 
et  vos  gémisseriieuts  sont  m.onlés  jusqu'à 
moi;  ces  esprits  i'idociles  refusent  de  vous 
écouler,  parce  (ju'ils  ne  veulent  pas  m'é- 
couler  moi-n)ème  :  Nolunl  audirc  te,  quia 
nolunl  audire  me  (1  Reg.  ,  VIII,  7);  mais 
|>rene7.  patience;  je  vengerai,  dans  son 
temps,  ce  mépris  de  votre  autorité  qui  est 
la  mienne  ;  menaces  funestes  que  le  Sei- 
gneur irrité  n'attend  |)as  toujours  à  exé- 
cuter dans  l'autre  vie;  combien  en  elfrt 
qui,  après  avoir  scandalisé,  [tendant  bien 
des  années,  une  communauté  entière,  ont 
été  frappées  tout  à  coup  par  la  mort,  sans 
pouvoir  se  reconnaître,  ou  qui  sont  mortes 
dans  des  remords  et  dans  des  troubles 
aifreux  qui  ne  marquaient  que  trop 
(juo  le  Seigneur  commençait  à  exercer 
sur  elles  ses  jugements  redoutables  I  Une 
personne  religieuse  doit  donc  observer  sa 
règle  et  ses  constitutions,  p(jur  ne  pas 
causer  de  Ipeino  à  ses  supérieurs,  pour  la 
co:is()lati()n  de  ses  su|)érieurs ,  mais  elle 
doit  de  plus  les  observer  pour  rédifi(;atiou 
de  celles  qui  vivent  avec  elle. 

II.  Telle  est,jMe»damcs,  la  disposition  de 
la  divine  rrovidi.uce ,  qu'en  réunissant 
(uns  les  luMumos  sous  une  même  religion  , 
sous  un  mêuie  culte,  elle  a  voulu  ipi'ils 
<ie  portassent  tous  réciproquement  au  bien, 
qu'elle  leur  eu  a  lait  même  une  obligation, 


L'ADBE  DE  |MONTIS.  m 

jusqu'à  les  charger,  sur  cet  objet,  les  uns 
des  autres  :  Unicuique  mandavit  Deus  de 
proximo  sufl.  (EcclL,  XVll,  12.)  C'est  pour 
cela  que  l'apôlre  saint  Paul,  dans  son 
Epitre  aux  Romains,  exhorte  les  fidèles  à 
faire  le  bien,  non-seulement  devant  Dieu, 
à  qui  rien  ne  peut  être  caché,  mais  encore 
devant  les  hommes  :  Non  tantum'coram  Deo, 
sed  etiam  coram  omnibus  hominibus.  [Rom  , 
XII, 17.)  Et  le  Dieu  Sauveur  nous  dit  expres- 
sément à  tous  qu'il  faut  que  notre  lumière, 
c'est-à-dire  aue  notre  conduite,  soit  telle- 
ment con  nuedes  autres,  qu'apercevant 
nos  bonnes  œuvres,  ils  en  glorifient  le  Père 
éternel  qui  est  dans  les  cieux. 

Mais  si  l'édification  est  d'une  nécessiié 
indispensable  dans  le  cliristianismo,  j'ose 
dire,  et  vous  le  concevez  aisément,  i\Ies- 
daincs,  qu'elle  est  d'une  obligation  plus 
étroite  encore  dans  la  religion,  parce  que 
les  âmes  y  sont  beaucoup  plus  occupées, 
que  dans  le  monde,  du  service  de  Dieu; 
parce  que  leurs  (»bligations  y  sont  d'unn 
plus  graîide  étendue;  parce  que  les  fautes, 
les  tiansgressioiis  que  l'on  peut  y  faire, 
peuvent  beaucoup  moins  se  cacher  que 
celles  qu'on  commet  dans  le  monde,  et 
ont,  pai-là,  un  etfet  plus  prom|)t,  plus  sûr, 
et  cousé(|uemme!it  plus   mauvais. 

En  effet,  dans  le  monde  où  les  devoirs 
sont  ditférents,  comme  les  états,  un  chrétien 
peut  faire  le  mal,  transgresser  môme  plu- 
sieurs articles  essentiels  de  la  loi  de  l'Evan- 
gile, sans  être  vu  et  sans  scandale,  par  con- 
séquent :  mais  dans  la  religion  où  se  trou- 
vent les  nièiiies  exercices  et  les  mêmes  de- 
voirs, et  où  de  plus  l'on  est  sans  cesse  réuni, 
et  où  l'on  a  toujours  les  yeux  les  uns  sur 
les  autres,  une  religieuse  ne  peut  manquer 
à  ses  exercices,  à  ses  devoirs,  que  ses  sœurs 
ne  s'en  aperçoivent,  et  sans  les  scandaliser; 
d'ailleurs  dans  le  monde,  pour  scandaliser, 
il  faut  communément  une  action]  visible- 
ment mauvaise,  qui  attaque  essenli'jllenjent 
et  en  matière  grave  la  loi  de  Dieu,  parce 
(jue,  quoique  le  chrétien  du  monde  soit 
obligé  de  plaire  en  tout  à  son  Dieu,  comme 
les  personnes  religieuses,  cependant  n'é- 
tant pas  tenu  à  une  vie  aussi  sainte,  aussi 
parfaite,  ce  que  l'on  appelle  fautes  légères 
ne  peut,  ordinairement  au  moins,  y  faire 
une  grande  impression  ;  mais  dans;  la  reli- 
gion où  l'on  s'est  engagé  solennellement  à 
tendre  sans  cesse  à  la  perfection  et  à  ob- 
server pour  cela,  les  pratiques  et  les  obser- 
vances qui  sont  prescrites  dans  la  règle  et 
dans  les  constitutions  de  l'institut  qu'on  a 
embrassé,  y  manquer,  et  surtout  habituel- 
lement, c'est  faire  voir  aux  autres  qu'on 
n'a  pas  une  grande  estime  pour  ces  prati- 
ques, pour  ces  observances,  ni  pour  les  en- 
gagements qu'on  a  contractés  [)ar  consé- 
quent; c'est  par  là  leur  donner  mauvais 
exemple,  ce  (jui  est  un  vrai  scandale,  et  un 
scandale  d'autant  plus  grand  que  celle  qui 
les  donne  est  |)lus  ancienne,  ou  tient  un 
rang  plus  distingué  dans  la  religion. 

Hélas  1  Mesdames,  c'est  i)ar  là  en  eifel  que 


93 


Ii's  in.iisoiis  les  plus  rtigiilièrcs  ol  les  plus 
fcrveiiles  qui,  pemlanl  des  siècles  crilif^s, 
.Mvaienl  fait  la  joio  et  rornemenl  do  rEi,dise, 
sont  décimes  de  leur  ferveur,  de  leur  régu- 
la ri  l»^  ;  ce  n'est  point  tout  à  coup' qu'une 
cnmmuiiaulé  lombe  dans  le  rcUlcIieiiicnl, 
dans  le  desordre  ;  ce  n'esl  (|u'insonsibk'nient 
»'i  par  degiés.  Une  religieuse,  après  avoir 
passé  ses  [iremières  années  dans  la  ferveur, 
s'e.»it  tnaihcureusement  dégoûtée  do  son  état; 
se  livrant  à  ses  dégoûts,  elle  a  commencé 
par  transgresser  quelques  observances,  légè- 
res à  la  vérité,  et  d'abord  de  loin  à  loin; 
pour  Sî  >o  islnir  •  à  la  vigilance  de  ses  supé- 
rieurs ;  ses  infractions  sont  devenues  insen- 
sililcinonl  pius  IV(''(|uenles,  et  plus  graves,  et 
I  ar  la  raison  ipi'on  est  naturellement  bien 
plus  porté  à  imiter  le  mal  que  le  bien,  fjuel- 
ques  aulics  ont  suivi  son  exemple;  bientôt 
la  coutume  a  prévalu,  jusqu'à  faire  regarder 
celles  qui  tenaient  lidèleiuent  à  la  règle, 
comme  des  ^cnipu'ouses  desfdles  singuliè- 
res; do  ces  légères iransgressions  l'on  a  passé 
insensiblement  et  comme  il  arrive  toujours, 
à  des  transgressions  plus  importanles  ;  l'on 
a  tini  ()ar  oublier  tousses  devoirs;  le  mal 
fst  enfin  devenu  général;  la  connnunaulé 
entière,  après  avoir  perdu  l'esprit  de  son 
institut,  est  tombée  insensiblement  dans  des 
dérèglements  qui  ont  longtemps  scandalisé 
les  fidèles  et  affligé  l'Eglise,  qui,  après  bien 
des  tentatives  de  réforme,  toujours  inutiles, 
n'a  trouvé  d'autres  moyens  pour  faire  ces- 
ser ces  désordres  et  ces  scandales,  que  d'é- 
leindre.  de  supprimer  la  maison  elle-même. 
Allez  à  la  source  de  tous  ces  malbeurs, 
c'est  une  religieuse  intidèle  qui  les  a  cau- 
sés. Ahl  ne  valait-il  pas  mieux  pour  elle 
qu'elle  restât  dans  lo  siècle,  que  de  venir 
dans  la  religion  s'y  perdre  et  y  perdre  les 
autres  avec  elle?  Voilà  en  effet  ce  qu'elle  se 
dira,  et  ce  qu'elle  se  reprochera,  quoique 
l-ien  inutilement,  dans  l'éternité.  Qu'avcz- 
vous  lait,  dit  autrefois  le  brave  Josué  au 
malheureux  Aclian,  qui  se  trouva  forcé  d'a- 
vouer I  u!)liqueraent  un  crime  qu'il  avait 
commis  en  secret,  et  qui  avait  attiré  la  colère 
du  Seigneur  sur  Israël,  et  mis  par  là  !a  déso- 
lation parmi  ses  frères;  qu'avez-vous  fait? 
Vous  avez  aliiré  sur  nous  les  plus  grands 
:naux,  vous  nous  avez  troublés  tous;  que  le 
Seigneur  vous  irouble  et  vous  extermine 
aujourd'hui  :  Exturbel  te  Dominus  in  die 
hac.  {Josue,  1 ,  20.) 
Hélas  1  Mesdames,  ne  pourrait-on  pas  dire 


DISCOURS  DE  ilETRAlTE.  —  StXOND  JOUR.  U 

gcnuMil'^;  m.iis  l'auto  de  persévérance,  après 
bien  des  iididélilés  assez  légères  d'abord, 
vous  en  êtes  venue  enfin  à  des  transgres- 
sions, à  des  prévarications  importantes  et 
habituelles  (juiscandalisent  toutes  vos  sœurs 
et  qui  affligent  plus  lo  cœur  de  votre  céleste 
Epoux,  que  leur  ferveur,  leur  régularité 
ne  le  consolent;  par  vos  transgressions, 
comme  le  dit  saint  François  de  Sales,  non- 
seulement  vous  démeniez  votre  profession, 
mais  vous  renversez,  autant  (lu'il  est  en 
vous,  la  congrégation  ,  et  vous  dissipez  les 
fruits  du  bon  exemple;  cette  maison  qui 
vous  a  reçue  dans  son  sein,  dans  l'espéran- 
ce que,  toute  voire  vie,  vous  travailleriez  à 
sa  gloire  et  h  son  bonheur,  vous  travaillez 
aujourd'hui  à  la  détruire,  à  l'anéanlir,  vous 
empêchez  le  Seigneur  de  répandio  sur  elle, 
ses  gi;1c,(  s  et  {ses  bénédictions.  Ahl  plût  à 
Dieu  que  vous  ne  lui  causassiez  do  préju- 
dice que  dans  ses  biens  temporels,  elle  s'en 
consoler.iit ,  et  nous  nous  en  consolerions 
avec  elle  I  mais  vous  l'atiaquez  dans  l'essen- 
tiel ;  par  vos  mauvais  exemples  ,  par  vos 
scandales,  vous  travaillez  à  anéantir  dans 
elle    colle  régularité,   celle  piété  qui  seule 


au  Seigneur 


et  à 


également  à  une  religieuse  infidèle  à  ses 
devoirs, etdé.obéissanteà  sa  règle  :  Qu'avez- 
vous  lait,  et  que  iailes-vous  encore?  Vous 
avez  embrassé  volontairement ,  et  de  voire 
jilein  gré,  l'étal  de  la  religion;  |)eul-èlro 
encore,  en  surmontant  courageusement  do 
grands  obstacles,  parce  que  vous  étiez  coi- 
vaincuequo  le  Seigneur  vous  y  a|)pelail,  (il 
(ju'il  n'était  poinl  d'autre  moyen  do  vous 
sauver;  vous  vous  êtes  engagée  solennello- 
menl  à  remplir  tous  les  devoirs,  toutes  les 
observances  que  ce  saint  élat  vous  prescri- 
vait; vous  avez  été  fidèle  en  elTot,  quelque 
leoips,  (^uchiues  années,  à  vos  sacrés  enga- 


peut  la  rendre  agréable 
son  Eglise;  vous  troublez  par  là  lo  troupeau 
le  plus  chéri  du  divin  pasteur;  ajoulerai-jo 
ici  comme  le  zélé  conducteur  du  f)euf)lo  de 
Dieu  ?  Oue  le  Seigneur  vous  Irouble  et  vous 
punissiî.  Ah!  loin  de  moi  des  sentiments  si 
opposés  aux  dispositions  de  mon  cœur;  le 
Seigneur  m'est  témoin  que  volontiers ,  je 
dormerais  mon  sang  pour  le  salut  d'une 
seule  de  ses  épouses;  je  dirais  [)lutôt  à  celle 
religieuse  infidèle  :  Depuis  longtemps  vous 
vous  êtes,  par  votre  conduite  peu  régulière, 
malheureusement  éloignée  do  votre  Dieu  ; 
mais  le  mal  n'est  pas  absolument  sans  re- 
mède; revenez  sincèrement  à  lui,  il  est 
toujours  prêt  à  vous  recevoir:  soyez  désor- 
niais  disposée  à  remplir  fidèlement  les  en- 
gagements sucrés  que  vous  avez  contractés 
avec  lui;  vos  sœurs  que  vous  avez  tant  do 
fois  scandalisées,  cherchez  présonleraent  à 
les  édifier  par  une  observation  exacte,  non- 
seulement  de  vos  devoirs  essenliels,  mais 
même  des  plus  petites  |)rali(|ues  de  la  reli- 
gion, de  vos  plus  légères  observances,  et 
par  là  vous  réparerez,  aulanl  qu'il  sera  dans 
vous,  les  maux  que  vous  avez  faits  ;  le  Sei- 
gneur qui  ne  rejette  jamais  un  cœur  contrit, 
vous  rendra  son  amitié,  vous  en  é[)rouv(!- 
rez  les  elfels ,  dès  cette  vie,  par  la  paix  du 
cœur  que  vous  n'avez  pu  avoir,  tant  quo 
vous  avez  été  contraire  à  ses  desseins  sur 
vous,  et  parla,  en  contribuant  à  la  sanctifi- 
cation des  autres,  vous  vous  sanctifierez 
vous-même. 

Jll.  Car  voilà,  Mesdames,  le  troisième 
nmtif  qui  doit  vous  lendro  fidèles  à  obser- 
ver votre  règle  et  vos  conslilulions.  Il  n'est 
pûinl  d'éiat  dans  le  monde  où  l'on  ne 
|iuisse  se  sauver;  Dieu  les  a  tous  faits,  et 
s'il  s'en  trouvait  un  seul  incompatible  avec 
le  salut,  il  faudrait  le  regarder  eomino  un 
état  (juc  Dieu  n'a  point  créé  et  qu'il  ré- 
inctuve  ;  muib  à  colle  vérité  jo  dois  en  join- 


95 


OUATEURS  SACRKS.  l/AlîlîE  DE  MONTIS, 


96 


Jio  uiio  autre  aussi  corlniiio,  c'est  que  |iour 
se  sauver  (i;ins  un  état,  il  faut  y  avoir  été 
s|»écialeiQont  appelé  par  le  Seigneur  ;  ce 
n'est  pas  tout  encore,  c'est  que  pour  se 
sauver,  il  ne  sufllt  pas  d'être  dans  l'étal  oià 
Dieu  nous  vtui;  il  faut  de  plus,  je  l'ai  déj.*! 
dit,  renaplir  les  devoirs  de  cet  élal;  sans 
cela,  l'on  ferait  les  œuvres  les  plus  écla- 
tantes, les  plus  saintes  même  en  apparence, 
elles  ne  seraient  ni  agréables  à  Dieu  ,  ni 
suscoplililes  par  conséquent  de  ses  récom- 
penses. Or,  Mesdames,  si  dans  tous  les 
états,  il  faut  nécessaircMiicnl  en  observer 
les  devoirs,  à  plus  forte  raison,  Dieu  exi- 
^^e-t-i!  celte  fidélité,  dans  l'état  religieux  , 
élal  saint  par  lui-iiième,  destiné  de  Dieu', 
non-seulement  à  la  sainteté  ,  comme  tous 
les  .lulres,  mais  encore  à  la  perfection  de  la 
fainielé. 

El  ne  dites  point  ici,  qu'.'i  la  vérité  il  est 
dans  la  religion  ^\l^$  devoirs  importants 
•  lu'on  ne  pei.l  transgresser  sans  offenser  le 
Seigneur,  mais  qu'il  en  est  d'autres  tnoins 
cssenliels  qui,  de  l'aveu  niêmo  des  doc- 
teurs et  dos  casuisles,  de  l'aveu  des  fonda- 
teurs et  des  instituteurs  eux-mêmes,  n'o- 
bligent pas  sous  peine  de  péché;  car,  en 
adnicllant  avec  eux  et  avec  vous  celte  dis- 
tinction, je  dis,  en  premier  lieu,  que  si  les 
docteurs  et  les  casuisles  disent  qu'on  peut 
absolument  transgresser  sa  règle  et  ses 
constilulinns  sans  [téché,  tous  disent  aussi, 
avec  saint  Thomas  et  avec  saint  François  de 
Sales,  qu'il  y  a  péché  dès  que  le  mé|)ris  ou 
le  scandale  accompagne  la  transgression, 
péché  qui  devient  plus  ou  moins  grief,  à 
proportion  que  le  scandale  ou  le  mépris  est 
plus  ou  moins  considérable  :  or  je  prétends, 
et  vous  n'en  disconviendrez  certainement 
point,  qu'il  y  a  toujours  mépris  au  moins 
interprétatif  de  la  règle  et  des  constitutions, 
lorsqu'on  se  fait  une  habitude  de  les  trans- 
gresser; c'est  déclarer,  |)ar  sa  conduite, 
qu'on  les  estime  bien  peu,  (misqu'on  mon- 
tre si  peu  d'attention  à  s'y  conlornier.  Ce 
que  je  dis  du  mépris,  je  le  dis  également 
du  scandale;  janjais  une  religieuse  ne  se 
donnera  la  liberté  de  manquer,  habituelle- 
ment surtout  à  sa  règle,  sans  scandaliser 
ses  sœurs,  scandale  (|ui  sera  d'autant  plus 
grand  que  la  communauié  qu'elle  habile 
est  plus  régulière  et  plus  fervente. 

Je  dis,  en  second  lieu,  qu'on  n'a  jamnis 
vu  et  qu'on  ne  verra  jamais  une  religieuse 
se  sanctitier  sans  observer  sa  règle  et  ses 
constitutions;  cola  est  si  vrai,  que  le  plus 
bol  éloge  qu'on  croit  faire  d'une  épouse  do. 
•lésus-Chrisl,  qui  pendant  sa  vie  a  porté  ce 
litre  avec  honneur,  c'est  de  dire  qu'elle  a 
toujours  été  scrupuleusement  fidèle,  non- 
seulement  aux  devoirs  les  plus  essentiels 
«le  son  état,  mais  encore  aux  plus  légères 
observances,  aux  plus  petites  pratiques  de 
cet  état;  aussi  un  très-grand  et  un  très- 
saint  pape  (Clément  XI)  disait-il,  qu'on  lui 
prouvât  qu'un  religieux,  qu'une  religieuse 
avait  loule  sa  vie  observé  sa  règle  avec  une 
exaclcî  lidélilé,  qu'alors  il  ne  demanderait 
rieu  de  plus,  et  (lu'il  n'Iii'siloraii  pas  à  njcl- 


ire  ce  religieux,   celte  religieuse  au  caïaio- 
giio  des  saints. 

En  eiïet,  s'il  est  dilTérenls  étals  ou  .  on 
p<ut  se  sauver  dans  le  christianisme,  il  est 
aussi  différents  moyens  prof)res  à  se  sanc- 
tifier dans  ces  étals,  et  qu'il  est  Irès-impor- 
lant  de  ne  pas  ignorer;  or  voilh,  Mesdames, 
le  grand  avantage  que  vous  avez  dans  la  re- 
ligion, c'est  de  connaître  clairement  ce  que 
Dieu  exige  de  vous  pour  votre  sanctification. 
Dans  le  monde,  avec  une  sincère  disposi- 
tion de  servir  Dieu  et  de  se  sauver,  une 
personne  se  trouve  quelquefois  dans  une 
situation  qui  la  rend  indécise  sur  le  choix 
lies  moy(  ns  ;  mais  dans  votre  saint  étal, 
vous  no  pouvez  jamais  être  dans  celle  per- 
plexité; le  moyen  de  sanctification  pour 
vous,  et  le  moyen  unique  et  nécessaire, 
c'est  d'observer  fidèlement  votre  règle  et  vos 
conslihitions  ;  elles  sont  pour  vous  comme 
unefortere>se;Unbûulevart,d'oij  vous  pouvez 
aisément  repousser  tous  les  traits  des  enne- 
n)is  de  voire  salut,  muru«e<  antemiirule  [Isa  , 
XXVI,  1);  en  vous  faisant  ol)servor  les 
conseils  de  l'Evangile,  elles  vous  aident  à 
accomplir  plus  facilement  les  préceples;  en 
vous  préservant  du  mal  et  en  vous  faisant 
praliipier  le  bien,  en  quoi  consislenl  les 
devoirs  du  chrélien  ;  Déclina  a  malo,  et  fac 
bonum  {Psul.  XXXVI,  27);  elles  vous  pro- 
curent une  inlifiité  de  grâces  et  de  secours 
qui  vous  facilitent  la  prati(iue  de  la  vertu, 
et  de  toute  espèce  de  vertu;  qui  vous  font 
marcher  constamment  dans  la  voie  de  la 
perfection,  ol  qui,  vous  rendant  des  épou- 
ses de  Jésus-Christ,  saintes,  agréables  à  ses 
yeux  et  selon  son  cœur,  augmentent  aussi, 
chaque  jour,  vos  mérites  et  votre  couronne 
de  gloire.  Tout  doit  donc  vous  engagera  ob- 
server exactement  votre  règle  et  vos  cons- 
titutions; la  consolation  de  vos  su|)érieurs, 
l'édification  de  vos  sœurs  et  votre  propre 
sanctification  ;  vous  venez  de  le  voir  :  mais 
couunent  devez-vous  les  observer  ;  c'est  le 
sujet  de  la  seconde  partie. 

SECONDE   PARTIE. 

11  n'est  malheureusement  que  trop  com 
mun,  je  le  dis  ici  en  gémissant,  Mesdames, 
de  voir  dos  vierges  chrétiennes,  après  avoir 
embrassé  volontairement ,  et  avec  ardeur 
môme  quelquefois,  le  saint  étal  de  la  reli- 
gion, a[)rès  avoir  passé  les  premières  années 
de  lenr  consécration  au  Seigneur  dans  un 
accom|)lissement  fidèle  de  tous  les  devoirs 
que  leur  impose  le  saint  institut  qu'elles  ont 
embrassé,  il  n'est  que  trop  commun  de  les 
voir  déchoir  de  leur  première  ferveur,  Sd 
dispenser  de  la  prali(jue  dos  devoirs  et  dos 
observances  qui  avaient  fait,  pendant  long- 
lcnq)s,  leur  consolation,  leur  bonheur,  ou 
du  moins  ne  s'accpiilter  de  ces  devoirs,  no 
pratiquer  ces  observances  qu'iaiparfaile- 
mont,  [)ar  interruption,  par  ca|  rice,  cl  avec 
une  négligence  toujours  scandaleuse  pour 
les  autres,  et  toujours  funeste  \H)ur  elles- 
mêmes.  Si  nous  voulons  remonter  à  la 
source  do.  ce  cbangenjont  do  conduire,  et 
en  chercher  la  cause,   la    voici,   c'est    (juo 


97 


DISCOL'IIS  DE  RETRAITK. 


SKCON»  JOUR. 


08 


dans  les  prcniières  .innées  iiircllcs  oui  |i;is- 
sées  dans  l.i  rdisiioM,  cllos  aimaicMil  vùrila- 
bleiucnl  leur  Dieu  el  n'/iiniaienl  que  leur 
Dieu;  qu'elles  étaienl  jalouses  de  lui  plaire 
en  loul  ;  or  elles  savaient  que  le  grand,  (jue 
l'uniiiue  moyen  de  lui  léiuoigner  leur  amour, 
el  de  lui  plaire,  c'était  de  remiilir  avec  la 
plusexacle  lidélilé  les  engagemcnls  qu'elles 
avaient  contractés  avec  lui,  et  par  consé- 
(|uent,  d'obéir  poncluellomen  t  à  la  lègie  cl 
aux  constitutions  qui  leur  ()rescrivaient  l'é- 
î(  ndue  et  la  pratique  de  ces  engagements; 
mais  dans  la  suite,  l'ennui,  la  dissipation, 
la  tiédeur,  peut-être  aussicjuelque  altaclK- 
ment  aux  créatures,  ont  commencé  par  at- 
laihlir  tous  ces  sentiments  du  (iilélité  et  do 
ferveur,  et  ont  tini,  comme  il  arrive  toujours, 
quand  on  n'y  apporte  jias  un  [)romi)t  re- 
mède, par  les  disMiier,  ces..seiilui)ents,e.l  les 
anéantir  entièrement. 

Pour  vous.  Mesdames,  qui,  grâce  au  sei- 
gneur, vous  Iromez  dans  des  dispositions 
.•■aintes,  entièremunl  opposées  à  celles-ci, 
pour  y  persévéïer,  vous  désirez  que  je  vous 
iiiuiilie  la  manière  d'observer  tidèlemeni  et 
^anlll.•ment  voire  règle  el  vos  constitutions, 
c'est-à-dire,  de  laçon  à  glorifier  votre  Dieu 
et  à  vous  sanctifier  vous-mêmes.  Hélas!  je 
jiourrais  pour  cela  m'en  tenir  à  ce  seul  ujoI 
de  saint  Augustin  :  Aimez,  aimez,  et  vous  l'e- 
rez  ce  que  vous  voudiez:  Ama  cl  fac  quod 
vis;  aimez  véritablement  votre  Dieu,désiiez 
bien  ardemment  de  l'aimer,  de  croître  sans 
«  esse  dans  son  amour,  alors  vous  vous  oc- 
cuperez bien  binccremenl  de  tous  vos  de- 
voirs; vous  accomplnez  lidèleuant  tout  ce 
que  vous  prescrivent  votre  règle  et  vos  con- 
stitutions, bien  persuadées  que  Dieu  de- 
mande de  vous  celle  tidélité  pour  lui  olaire; 
Ama  el  fac  quod  vis. 

Cependant  pour  entrer  dans  une  suite 
d'instructions  que  vous  attendez  de  moi,  je 
dois  vous  ajouter  que,  pour  observer  volie 
règle  et  vos  constitutions,  d'une  lagon  qui 
^()ll  agréable  à  Dieu  et  utile  à  vous-mêmes, 
vous  devez,  en  premier  lieu,  les  observer 
dans  toute  leur  étendie,  sans  rien  r(  traii- 
tlier;  vous  devez,  en  second  lieu,  les  obser- 
ver dans  le  temps  ()rescrit  et  avec  toute  la 
promptitude  dont  vous  êtes  capables  ;  vous 
devez,  en  troisième  lieu,  les  observer  en 
tout  temps,  malgré  les  ennuis,  les  dégoûts 
el  les  autres  onslaolus  que  vous  pouvez  y 
ri-ncontrer,  c'est  a-iliie  que  vous  devez  ks 
observer  entièrement  ou  sans  réserve, 
promplement  ou  sans  délai,  constamment 
ou  sans  inlerrujilion  ;  tout  cela  nous  con- 
duira à  un  délad  de  principes  el  de  consé- 
quences pour  lesquelles  je  vous  prie  de  me 
renouveler  toute  votre  attention. 

1.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  vous  de- 
vez oiiserver  votre  règle  el  vos  consiiiu- 
lions,  eulièremenl  el  sans  réserve.  Oui, 
Mesdames,  ce  n'est  môme  qu'à  cet  accom- 
plissemeni  total  que  votre  peifection,  vo- 
tre sanciificalion  est  attachée,  el  pour  peu 
que  vous  veuilliez  réllécliir  sur  vos  enga- 
gements, vous  sentirez  celte  véiilé  ;  car  enlin 
lo  ii.olil,  legrand  moiil-jui  vousa  lait  renoa- 


cor  au  nu)nde  et  vous  condamner  pour  tou- 
jours,à  la  reiraile  c'a  été  parce  ()ue  vous  étiez, 
intimement  convaincues  que  votre  Dieu  de- 
mandait do  vous  ce  grand  sacrifice;  c'a  donc 
été  [)0ur  entrer  dans  toutes  ses  vues,  pour 
lui  plaire,  [xiur  lui  donner,  par  là,  des  té- 
moignages aullientiques  de  votre  allache- 
menl,  do  votre  amour  :  or  je  dis  (juo  ces 
mêmes  raisons  si  importantes,  doivent  vous 
engager  préseiilement  5  accomplir  entièie- 
ment  et  sans  réserve,  tout  ce  que  vous 
jirescrit  votre  règle,  parce  que  c'est  par  là, 
et  ce  n'est  <jue  pai"  là  (lue  vous  [louvez  es- 
pérer de  plaire  à  votre  Dieu,  de  lui  donner 
des  preuves  sensibles  de  votre  amour,  et 
ce  n'est  que  par  là  conscquemment  (jue 
vous  pouvez  travailler  sûrement  et  efficace- 
ment  à  votre  perfeclion,  à  votre  sanciifica- 
lion; vérité  si  cerlaine,  que  quand  vous 
pourriez  vous  livrer,  el  quand  vous  vous 
livreriez  en  elfct  à  toute  sorle  d'œuvies  do 
zèle  et  de  cliarité,  mais  élrangèies  à  votre 
situation,  à  voire  état;  quand  vous  feriez, 
à  l'extérieur,  tout  ce  qui  |)Ourrait  le  plus 
contribuer  à  la  gloire  de  Dieu,  à  l'édilica- 
lion  de  l'Eglise,  et  h  l'ulililé  du  pro- 
chain, si,  d'un  autre  côlé,  vous  négligez  les 
pratiques  et  les  observances  [irescriles  par 
voire  lègle  et  par  vos  cons!ilutio;is,  dès 
lors,  je.  le  dis  sans  hésiter,  et  je  vous  iedi-, 
d'après  tous  les  maîtres  de  la  vie  spiri- 
tuelle, \{iès  lors,  vous  déplairiez  à  votre 
Dieu,  tout  ce  bien  apparent  ne  serait  point 
nn  bien  pour  vous;  Dieu  le  réprouverait, 
comme  fait  par  le  mouvement  de  votre  ()!o- 
pro  volonlé,  et  contre  la  sienne,  et  (pii,  par 
là,  no  tendrait  point  à  votre  })erfeciion,  a 
voire  salut. 

Je  sais.  Mesdames,  ce  qu'allèguent  quel- 
quefois des  religieuses  peu  ferventes,  |  our 
s'autoriser  dans  leur  relâchement,  dans  leur 
tiédeur;  qu'à  la  vérité  leur  .'■anclificalii-n 
consiste  dans  l'observation  de  leur  règle  et 
de  leurs  constiluiions  :  mais  (pi'il  est  aus.-i 
une  dill'érence  à  faire  dans  les  (iratiques  et 
les  observances  qui  leur  presciivent  ceCe 
lègketces  constiluiions;  qu'il  en  est  d'im- 
portantes qui  tendent  directement  à  leur 
sanctification;  qu'elles  sont  bien  éloignées 
de  vouloir  se  dispenser,  au  moins  habiluel- 
lement,  de  celles-ci,  qu'elles  s'en  coiifes 
sent  môme  toutes  les  fois  qu'il  leur  arrive 
d'y  manquer,  mais  qu'il  en  est  aussi,  et  en 
grand  nombre,  qu'elles  ne  peuvent  regar- 
oer  que  comme  de  légèies  observances,  aux- 
quelles elles  avoueniine  pouvoir  s'assujettir. 

Mais  quoi  1  pouirais-je  répondre  a  une 
éiiouse  de  Jésus-Christ,  qui  me  tiendrait  un 
pareil  langage  :  N'esl-te  pas  déjà  nn  grand 
mal  pour  vous,  que  ,  dans  votre  saint  é.ai , 
vous  distinguiez  ainsi  entre  iratiiiucs  el 
pratiques,  eiiiie  observances  et  observances, 
et  que  vous  ne  distinguiez  ainsi  que  {)Our 
faire  peu  de  cas  de  quelijues-unes  ,  el  pour 
VOUS  autoriser  à  li^s  négliger?  Hélas  I  à  le 
bien  prendre,  est-il  rien  de  petit,  do  léger 
dans  le  service  de  Dieu?  Pouvez-vous  re- 
garder comme  pou  impoi  tant  ce  qui  vous 
seil  ù  lui  témoigner  votre  lidélilé,  el  votre 


99 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE   MONTIS. 


100 


amour,  cl  ce  qui  doit  contribuer  à  voire 
bonheur  éternel?  Pouvez-vous  douter  que 
Dieu  ne  vous  demande  celte  fidélité,  h  vous 
acquitter  de  tout  ce  que  vous  appelez,  lé- 
gères pratiques?  Qu'il  n'y  ail  bien  des  grâces 
attachées  à  toutes  ces  pratiques ,  qu'en  les 
négligeant ,  vous  ne  déplaisiez  h  voire  Dieu; 
que  vous  ne  refroidissiez  son  cœur  à  votre 
égard  ,  cl  que  par  1,'j ,  vous  ne  vous  priviez 
volontairement  d'une  inliniié  de  grâces  et 
de  secours  [)0iir  voîre  sanclificalion? 

Mais  depuis  quel  temps  regnrde/.-vous 
certaines  j)raliques,  certaines  observances, 
comme  si  peu  du  chose?  En  jugiez-vous  ainsi 
dans  les  premières  années  de  votre  entrée 
dans  la  religion?  Comment  et  pourquoi  avez- 
vous  changé  de  façon  de  penser?  Rentrez 
ici  un  moment  en  vous-même;  voyez 
quelle  a  pu  être  la  vraie  cause  de  ce  change- 
ment,d'idées  et  de  conduite;  celte  seule  ré- 
flexion serait  capable  de  vous  poi-ler  à  la 
léforuie  de  vous-même.  IMais  toutes  celles 
qui  vous  onl  précédée  dans  la  religion  et 
dans  la  sainte  maison  que  vous  habitez,  et 
(]ui  ont  laissé,  en  sortant  de  ce  monde,  une 
odeur  de  sainlelé  qui  est  parvenue  jusqu'à 
vous,  pensaient-elles  comme  vous  sur  ces 
observances,  ei  se  comportaient-elles  comme 
vous?AiiI  quelle  attention  au  contraire  à 
ne  rien  omeilre  de  tout  ce  qui  leur  élait 
prescrit  1  Avec  quelle  douleur  porlaienl-el- 
ies  au  sacré  tribunal  les  moindres  négligen- 
ces qu'elles  avaient  è  se  reprocher!  Et  sans 
cela,  eussenl-el'es  élé  des  saintes,  et  vous- 
même  les  regarderiez  vous  comme  telles? 
Mais  qu'est-ii  besoin  de  remonter  si  haut. 
Cl  de  vous  rappeler  les  temps  passés?  Jetez 
les  yeux  aulour  de  vous,  voyez,  entre  tou- 
tes celles  av<H'  lesquelles  vous  vivez,  et 
considè.ez  celles  qui  vont  le  mieux  à  Dieu, 
et  t|ui  vous  paraissent  le  servir  avec  plus 
lie  zèle,  de  lérveur  et  d'amour  :  lesquelles 
sont,  à  vos  propres  yeux ,  les  meilleures 
religieuses,  les  religieuses  les  [dus  fjarlai- 
les?Sonl-ce  celles  qui,  comii;e  vous,  fai- 
sant peu  de  cas  des  petites  observances, 
ne  se  font  aussi  aucune  peine  de  les  trans- 
gresser, de  les  omettre  V  Ne  sonl-ce  pas 
plutôt  celles  qui;  pleines  d'amour  jiour  leur 
céleste  Epoux,  ne  regardent  rien  de  peu  de 
conséquence,  de  tout  ce  qui  leur  est  pres- 
crit ,  qui  se  font  un  plaisir  comme  un  de- 
voir, de  s'y  rendre  fidèles?  Hélas!  vous  le 
dites  vous-mêmes  quelquefois  ;  ce  soui  là 
nos  saillies;  oui  sans  doute,  mais  vous 
devez  vous  rendre  saintes  comme  elles,  et 
vOmme  elles,  par  la  pratique  exacte  de 
'ouïes  vos  observances  ;  c'esl  là  le  genre  de 
sainteté  que  votre  céleste  Epuux  exige  de 
(TOUS;  s'il  avait  voulu  de  vous,  de  grandes 
;lioses  ,  des  œuvres  d'éclat ,  il  ne  vous  au- 
rait point  placée  dans  un  état  et  dans  un 
institut  où  l'on  se  sanclitie  ,  et  oii  l'on  ne 
t»e  sancliliequepar  la  lidélité  aux  petites  cho- 
ses ,  qu(!  par  la  pratique  des  peines  veiliis, 
des  légères  observances  ;  vous  ne  pouvez 
donc  y  manquer,  sans  mamjuer  à  ce  que 
vous  lui  devez,  et  à  ce  (jue  vous  vous  devez 
à  vous-mêmes. 


Mais  je  suis  dans  un  empioi,  et  j'ai  des 
occupations  qui,  aljsorbant  tout  mon  temps, 
ne  me  pei  mettent  pas  de  m'assujellir  à  tous 
les  exercices,  et  de  pratiquer  toutes  les  oh- 
servances  que  prescrivent  nies  constiluiions. 
Mais  d'abord,  cet  em[)loi  que  vous  alléguez 
comme  un  obstacle  à  voire  régularité,  je 
veux  croire  que  c'est  la  Piovidence  seule 
qui  vous  en  a  chargée;  car  si  vous  l'aviez 
désiré  cet  emjdoi ,  et  si ,  par  des  voies  in- 
directes, vous  étiez  parvenue  avons  le 
procurer,  dès  lors  vous  ne  devriez  pas  ê!ro 
sans  iroiible  de  consdeiice,  et  sur  toulceque 
vous  faiiesdans  cet  emploi,  et  sur  tout  ce  que 
vous  n'accomplissez  pas  de  vos  observances, 
à  raison  de  cet  emploi,  parce  (jue  vous  ne 
devriez  plus  vous  regarder  dans  l'oidre  de  !a 
Providence,  ni  comme  agréable  par  consé- 
quent aux  yeux  de  Dieu.  iMais  je  veux  qu'en 
elTet  ce  soit  votre  supérieure  qui  vous  tient 
s-a  place,  qui,  de  son  propre  mouvement  , 
vous  ait  chargé  de  cet  emploi  ,  et  que  vous 
ne  l'ayez  accepté  f|ue  par  un  motif  bien  pur 
de  soumission  ,  d'obéissance  à  ses  ordres; 
je  vous  le  demande,  soyez  ici  de  bomie  foi, 
ce!  emploi  est-il  de  nature  par  lui-même 
à  vous  occuper  tellement  que,  malgré  vos 
bons  désirs,  vous  ne  puissiez  suivre  les 
exercices  de  la  communauté?  Si  cela  éiail 
je  vous  le  dis  hardiment,  vous  devez  êl  e 
tranquille  ;  c'est  alors,  comme  le  disenl  les 
maîlies  de  la  vie  s[)irituelle,  (piiller  Dieu 
pour  Dieu ,  et  bien  loin  de  ne  rien  perdre 
pour  le  ciel ,  j'ose  dire  (jue  vous  faites  un 
double  protit,  [luisque  vous  avez  devant 
Dieu,  et  le  mérite  de  ce  que  vous  faites,  et  le 
mérite  de  ce  que  vous  ne  faites  pas,  mais 
que  vous  désirez  faire. 

Prenez  garde,  s'il  vous  plaît ,  que,  pour 
vous  excuser  devant  Dieu,  il  faut  (pie  votre 
emf)loi  soit  véritablement  pour  vous  un 
obstacle  réel ,  et  non  un  vain  préiexie,  et 
voilà  cependant  ce  que  l'on  ne  confond  que 
trop  souvent;  celles  qui  vous  oui  pncéiJée 
dans  cet  emploi,  par  la  raison  que  l'on 
cherche  toujours  à  se  mettre  en  liuerté,  à 
se  dispenser  de  ses  devoirs,  se  sont  crues 
autorisées  à  se  dispenser,  de  temps  en 
lem|)s  d'jbord,  de  quelques  exercices  com- 
patibles ceiiendant  avec  leur  cm|iloi  ;  in- 
sensiblement l'abus  s'est  fortilié,  la  cou- 
tume a  prévalu  :  vous,  ma  chère  sœur,  (jni 
leur  avez  succédé  dans  cet  emploi  (  l  (jui 
avez  trouvé  les  clioses  établies  sur  ce  pied 
là,  sans  trop  y  ré'lécliir  |)eut-ôtre,  je  le 
veux  croire,  vous  avez  jugé  pouvoir  su; vie 
leur  exeuiple  et  jouir  des  mêmes  piiùié- 
ges;  mais  ignorez-vous  qu'un  abus  ne  se 
prescrit  poiiU,  et  qu'il  reste  toujours  abus  ? 
Ignorez- vous  que  celles  qui  s'y  confor- 
ment le  connaissant  tel ,  sont  au^si  cou|  t- 
bles  que  celles  qui  l'ont  introduit?  Exa- 
minez donc  sorieusemeiit  ce  que  vous  pou- 
vez et  ce  (jue  vous  ne  pouvez  pas;  voyez 
si ,  en  bien  économisant  votre  temps ,  si  , 
par  des  arrangemenis  sages  et  prudents, 
vous  ne  pouvez  pas  vous  rendre  fidèle  à 
bien  des  observances,  assister  à  [ilusieuis 
exercices  (jue    vous   négligez.  Si   vous    le 


ve/s, 


fa- 


'tA 


M.i, 


^  / 


101 


DISCOURS  DK  UETRAlTi:. 


SECOND  JOUR. 


i02 


pouvez,  vous  le  «levez,  el  si  vous  le  devez, 
vous  ne  pouvez  y  manquer  sans  déplaire 
^  Dieu,  sans  , scandaliser  vos  sœurs,  sans 
nuire  à  voire  coniniuiiaulé ,  el  par  consé- 
quent sans  vous  causer  à  vous  même  un 
trùs-grand  préjudice. 

Vous  me  direz  jieul-ôlre  encore  (car  l'a- 
mour dp  soi-mûnie  rend  si  ingénieux  à  se 
llalkT,  il  se  Iromjjer),  vous  me  direz  que  ce 
(jui  vous  rassure  ,  c'est  la  permission  que 
vous  avez  de  voire  supérieure  pour  vnus 
absenter  de  certains  exercices,  pour  omelire 
CCI taines  observances  ;  cela  vous  rassure? 
Mais  vous  ne  savez  donc  pas  que  voire  su- 
|)éricure  n'a  |)oint  un  pouvoir  absolu  d(! 
vous  dispenser  de  ce  (|ue  vous  prescrivent 
voire  règle  el  vos  conslitulions?  Prenez 
garde,  je  dis  pouvoir  absolu,  c'est-à-dire, 
le  pouvoir  de  vous  en  dispenser,  de  sa  pro- 
pre grâce,  de  son  propre  mouvement,  sans 
une  vraie  el  solide  raison;  bel  comment 
i'aurait-elle  pour  vous  ce  pouvoir?  elle  ne 
l'a  pas  pour  ulle-môme!  Eu  sorte  que  si  ilie 
se  sert  do  sa  jilace  comme  d'un  prétexte 
pour  se  dispenser  des  observances  qu'elle 
pouirait  pr.iliijuer,  cl  qui  sont  cOMq)alibKs 
avec  sa  place,  dès  lors  elle  se  rend  coupa- 
ble devant  Dieu  d'une  taule  d'autant  plus 
griève ,  qu'à  raison  de  sa  pkice  elle  est  plus 
obligée  (le  donner  en  tout  ,  à  ses  lilles  , 
l'exemple  do  la  régularité  :  il  s'agit  donc  de 
savoir  si  vous  avez  une  vraie  el  légilimi^  rai- 
son ;  car  vous  ne  devez  alléguer  ici  pour 
excuse  que  ce  que  vous  pourri  z  alléguer  au 
jugoiiienl  de  Dieu,  que  ce  qui  pourra  vous 
excuser  devant  Dieu;  voyez  uonc  avec  vous- 
niéme  si  vous  avez  été  véi  ilablemenl  auto- 
risée à  demander  è  votre  supérieure  tou- 
tes ses  disjienses  sur  leSiiuelles  vous  pa- 
raissez vous  rassurer  aujourd'hui;  en  ce 
cas,  vous  pouvez  être  iraricjuille,  el  votre 
supéiiuure  aussi  ;  mais  si  toutes  vos  dispen- 
ses ne  sont  fondées  que  sur  des  abus,  sur 
de  mauvaises  coiilumes,  quelque  antienuLS 
qu'elles  puissent  être,  ce  n'est  plus  une  lé- 
gitime dispense,  une  véritable  dispensalion, 
comme  re>^iivail  sainl  Bernard  au  pape  Eu- 
gène, c'est  une  dissipation  ,  un  abus  d'un 
pouvoir  que  Dieu  n'a  donné  que  pour  faire 
iiiire  le  bien,  el  non  pour  autoriser  le  mal. 
Vous  devez  donc  accomjjlir  lolalemenl  vo- 
ire règle  et  vos  conslitulions,  c'esi-à-Jire  , 
n'en  rien  omellre  ,  quelijue  léger  qu'il  vous 
paraisse,  sans  une  vraie  raison;  mais  cela 
ne  sullit  pas,  il  faut  do  plus  les  observer 
piomplemenl  el  sans  délai. 

11.  Oui,  Mesdames,  lorsque  le  signal  vous 
a|'|»elle  à  quelque  exercice,  c'est  Dieu  lui- 
même  qui  vous  y  appelle  ;  vous  devez  donc 
quiUer  tout  el  pioii.plouient  pour  courir, 
à  l'exuiiiple  de  l'Epouse  des  Cantiques,  à 
l'odeur  des  l'aituius  uu  célesie  lî|ioux.  Vous 
savez  ce  Iran  lappoilé  dans  la  Vie  des  l'ères 
du  (iéscrl,  «lu  ce  religieux  qui,  au  premier 
son  de  la  cloche,  laissa,  [lour  courir  où  elle 
/appelait  ,  une  lettre  à  demi  formée  ,  el 
qu  il  trouva,  à  son  retour  écrile  en  or; 
Dieu  voulut  [lar  là  lui  mar(]uer  combien 
io:i  exatlilude  avait  été  ag-  éable  à  ses.)  eux 


el  combien  elle    était   précieuse   el  méii- 
loire    pour   lui  par  consé(iuenl. 

Mais  un  antre  motif  bien  capable  de  vous 
cxtiler  à  celle  prompte  lidéliié,  c'est  (]u'une 
grAce  spéci.ile  y  est  allacliée;  l'ennemi  de 
votre  salut,  le  démon,  ne  l'ignore  pas;  il 
on  est  si  convaincu  ,  que  c'est  toujours 
une  lenlation  qu'il  emploie,  lorsqu'il  s'agit 
(le  vous  rendri;  à  un  exercice;  il  tâche  alors 
(le  vous  engager  à  dilférerde  partir,  no  lûl- 
ce  que  pour  un  inslani,  <|ue  pour  faire  un 
point  daiguille,  que  pour  achever  une  let- 
tre; el  toutes  les  fois  (pj'il  y  réussit,  il  se 
relire  salisl'ail  pour  ce  moment,  bien  as- 
suré que,  s'il  n'a  pu  fi.ir  là  faire  un  grand 
mal  à  votre  âme,  il  lui  a  cependant  causé 
un  vrai  préjudice,  en  la  privant  d'une  grâce 
attachée  à  celte  exaclilude. 

Qu'est-ce  qui  fit,  aux  yeux  de  l'époux, 
la  différence  des  vierges  sages  el  des  vier- 
ges insensées,  el  qu'est-ce  (lui  rendit  leur 
sort  si  dilférent?  Toutes  voulaient  bien  aller 
au-devant  do  lui;  elles  s'étaient  toutes  pré- 
parées et  réunies  à  celle  intention;  mais, 
au  bruit  de  son  arrivée,  de  dix  qu'elles 
étaient,  cinq  se  trouvent  prêtes  et  parlent 
à  l'instant;  aussi  eurent-elles  l'avanlago 
d'entrer  dans  la  salle  de  l'époux  et  de  se 
trouver  en  sa  société;  les  cinq  autres,  qui 
s'étaient  endormies  sans  avoir  préj)aré  leurs 
lampes,  ne  ditférèrent  que  de  quelques 
moments;  mais  l'époux  était  entré;  mal- 
gré le  plus  grand  désir  de  se  réunir  à  leurs 
compagnes,  elles  ne  purent  participer  à 
leur  bonheur;  la  porto  fut  fermée  :  elles 
eurent  la  douleur  d'entendre  dire  qu'on  ne 
les  connaissait  point  :  Ncscio  vos  [Dlullh., 
XXV,  12);  c'est-à-dire  (pi'on  ne  rec<uiiiais- 
sail  point  en  elles  des  vierges  tidèles, 
vigilantes,  seules  dignes  de  la  société  el 
des  faveurs  d-'j  l'éjjoux. 

Mais,  prenez  garde  de  plus.  Mesdames, 
que  cellejuoiu{)litude,  vous  ne  la  devez  point 
borner  aux  exercices  imporlanls  de  Ja  re- 
ligion, vous  devez  l'étendre  aux  pialiques 
el  aux  observances  les  [»lus  légères;  h  s 
ref>as,  les  récréaiituis,  le  lever,  le  coucher, 
il  faut  montrer  dans  tout  cela,  à  votre 
Dieu,  la  même  exactitude  qu'à  la  médi- 
tation, qu'à  l'office  divin,  qu'au  saint  sa- 
crilice,  parce  que  dans  la  religion  il  n'y  a 
rien  d'indillérenl ,  qu'il  y  a  des  grâces  at- 
tachées à  tout,  que  Dieu  vous  demande  celle 
ponctualité  comme  un  témoignage  de  votre 
amour.  Hé!  que  [lensoriez-vous  d'un  .-evi- 
leur  qui  ne  montrerait  de  la  promptitude 
à  servir  son  niailre  (]ue  dans  les  occasions 
importantes,  el  qui  n'aurait  que  de  la  'en- 
leur,  de  la  négligence  dans  loul  le  reste, 
sous  prélexle  que  c'est  peu  de  chose? 
Que  penseriez-vous  encore  d'une  persfuino 
q.i,  depuis  longtemps,  vous  aurait  juré 
une  nmilié  coiisianle,  luais  qui  ne  serait 
disposée  à  vous  la  témoigner  que  dans 
des  cas  graves  et  [)rossanls,  el  qui  hors 
de  là,  ne  vous  monlrerail  que  froideur, 
(pi'indiUereiice?  Vous  douleriiz  avec  rai- 
son, de   ces  grandes    [)roleslalions  d'atU'- 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  M0NTI3 


103 

chcment  ;  vous  dovoz  donc,  par  celte  mi- 
son,  observer  pronipletnenl  et  sans  délai, 
tout  ce  que  vous  prescrivent  voire  règle 
et  vos  constitutions;  mais  vous  devez  en- 
core les  observer  constamment  et  sans  inler- 
ruplion.  | 

111.  Voilà  cependant,  il  en  faut  convenir 
ici,  un  défaut  assez  commun  dans  les  mai- 
sons religieuses  ;  dans  les  premières  années 
de  sa  consécration  an  Seigneur,  rien  no 
coûte;  animé  d'une  ferveur  sensible,  on  se 
plaît  à  courir  dans  la  voie  de  ses  comman- 
de ni_<:^t2!.s  et  de  ses  conseils  ;  mais  lorsque 
le  Seigneur  vient  à  retirer  ces  grâces  sen- 
sibles qu'il  avait  données  d'abord,  pour 
accoutumer  un  jeune  cœur  h  son  service, 
lorsqu'il  permet  à  ]'ennemi  de  lenler  d'en- 
nui et  do  dégoûl,  la  ferveur  se  dissipe  alors 
insensiblement;  à  une  constante  fidélité  à 
tous  ses  devoirs  l'on  volt  succéder  des 
négligences,  des  infractions;  ce  que  l'on 
fait  encore,  on  le  fait  avec  lâcheté;  la 
conscience  à  la  vérité  s'élève  quelijuefois, 
et  dans  les  commencements  surtout,  mais 
on  cherche  avec  soi-môme  des  raisons, 
ou  plutôt  d(!S  prétextes  pour  s'autoriser 
dans  son  relâchement,  et  on  réussit,  [)ar  là, 
à  éloulfcr  des  remords  importuns.  Il  en  Cit 
de  même  (juchpiefois ,  apiès  une  retraite, 
une  rénovation  .  ou  à  quehjue  événement 
qui  fait  rentrer  en  soi-même;  on  reprend 
une  conduite  plus  régulière  ;  on  paraît  se 
rejientir  de  la  conduite  passée,  et  vouloir 
la  réparer;  mais,  à  mesure  que  l'objet  (pii 
avait  fait  impression  sur  l'esprit,  et  plus 
encore  sur  l'imagination  (teut-étre,  s'éloigne 
et  disparaît,  la  («retendue  ferveur  qu  il 
avait  occ.isionnéc  s'affaiblit  et  se  dissipe 
enfin  entièrement,  jusqu'à  ce  (ju'un  nouveau 
sujet  vienne  re[)rO(luire  les  mêmes  effets. 

Mais,  Mesdames,  de  pareilles  vicissitudes 
ne  prouvent-elles  pas  que  l'intention  n'était 
pas  bien  pure,  et  que  ce  n'était  pas  son  Dieu 
qu'on  cherchait?  Ahl  une  religieuse,  une 
épouse  de  Jésus-Chrisl,  qui  se  dirait  à  elle- 
même,  cesl  à  Dieu  ol  à  Dieu  seul  que  je 
tue  suis  consacrée,  dans  la  religion;  mes 
engagements,  à  s<jii  égard,  doivent  donc 
être  toujours  les  mômes;  je  dois  donc  tr.i- 
vailler  sans  cesse,  à  me  {lerfectioiiner ,  à 
me  sanclili  r;  tout  le  temps  qu'il  me  donne, 
il  118  me  l'accorde  que  pour  cela  ;  les  jours 
et  les  moments  mêmes  que  je  n'y  em|)loie 
pas,  sont  donc  des  jours  et  des  moments 
perdus  pour  moi,  et  desquels  je  lui  rendrai 
un  compte  rigoureux  ;  non,  une  religieuse 
qui  se  livrera  a  ces  réflexions,  no  se  rendra 
point  coupable  d'inconstance,  de  lâcheté 
(Jans  l'accomplissement  de  ses  devoirs;  le 
désir  de  plaire  uniquement  à  son  Dieu,  la 
tiendra  0;iiis  une  constunte  acliviLé  qui 
lui  lera  vaincre  toutes  les  tentations,  sur- 
monter tous  les  obstacles  ;  il  faut  du  cou- 
rage, oui,  sans  doute,  et  un  grand  courage 
pour  être  ainsi  constamnient  lidèle  en  tout 
a  son  Dieu;  on  entreprendrait  plutôt  des 
actions  d'éclat  ;  ou  se  livrerait  volontiers 
à  quehiues  austérités  considérables  et  j)as- 
sagèrei,  jilulôt  que  de  s'assujettir  à  ces 


104 

petites  pratiques  qui  se  '  répètent  chaque 
jour  ;  mais  ce  n'est  point  par  nos  propres 
voies  que  nous  devons  aller  à  Dieu,  dit 
saint  François  de  Sales,  mais  par  la  voie 
qu'il  nous  a  tracée  lui-même;  ainsi  pour 
vous,  épouses  de  Jésus-Christ,  si  vous 
voulez  lui  plaire  et  vous  sauver,  dans  le 
saint  institut  où  son  aimable  Providence 
vous  a  placées,  il  s'agit  d'accomplir,  avec 
persévérance,  tout  ce  qui  vous  est  prescrit, 
malgré  l'ennui  et  les  dégoûts  que  vous 
[louvez  éprouver;  pensez  qu'il  ne  suflit  pas 
d'avoir  bien  commencé;  qu'il  est  actuel- 
lement dans  l'enfer  une  infinité  d'âmes 
religieuses  qui  avaient  montré  d'abord  au- 
tant, et  plus  de  zèle,  de  ferv(  ur  et  do 
régularité  que  v  ais  peut-être,  mais  que  tout 
consiste  à  bien  finir  :  Quiperseveraveril  usqua 
in  finem,  hic  salvjs  cril.  (Matth.,  X,  22.) 

Voulez -vous ,  Mesdames,  la  pratiquer 
cote  constante  fidélité  ,  ne  la  regardez  pas 
dans  le  lointain,  pour  ainsi  dire,  et  pour 
un  grand  nombre  d'années;  c'est  là  une 
ruse  do  l'esprit  tentateur  qui  lui  réussit 
quelquefois,  pour  porter  une  religieuse  au 
découiag(!meiit,  au  dégoût:  hé  !  Dieu  vous 
les  a-t-il  promises,  ces  longues  années? 
Vivez,  comme  dit  saint  François  de  Sales  , 
au  jour  la  journée  ;  chaque  jour  renouvelez, 
à  votre  DiiU  la  promes.ve  de  le  passer 
dans  une  exacte  régularité,  faisait  abstrac- 
tion des  autres  qui  peuvent  suivre;  par  là, 
vos  jours,  et  vos  années  s'écouleiont  in- 
sensiblement et  se  termineront  heureuse- 
ment dans  la  jiratique  de  cette  régularité. 
Ahl  Mesdames,  quelle  situation  à  la  mort, 
que  celle  d'une  religieuse  infidèle]  qui  à 
passé  sa  vie  dans  l'inobservance  de  sa  règle 
et  de  ses  constitutions  !  Que  de  remords 
alors,  que  d'agitations,  que  d'alarmes  1 
Pendant  la  vie  elle  cherchait,  par  mille 
faux  raisonemenis,  à  se  flatter,  à  s'autoriser 
dans  ses  inlidélilés  ;  mais,  prête  à  paraître 
devant  son  Epoux  et  son  juge,  les  vains 
prétextes,  les  illusions,  les  préjugés  î>o 
dissi|ieut;  elle  voit  clairement  alors,  et 
avec  le  plus  grand  regret,  tout  ce  qu'elle 
n'a  pas  fait,  et  tout  ce  qu'elle  devait  /aire 
diiiis  son  saint  état   pour  lui  jdaire. 

Mais  quelle  différence,  au  contraire, 
pour  la  religieuse  fidèle  et  fervente,  dans 
ces  derniers  moments  1  Quel  calme  dans 
son  âme  1  Quelle  paix,  quelle  contiance  I  Si 
elle  a  des  fautes  a  se  reprocher,  elle  a  de 
quoi  se  rassurer  sur  ses  années  passées 
ilaiis  la  pratique  exacte  de  tousses  devoirs; 
l'esprit  tentateur  ne  peut  réusirà  l'ellVayer, 
à  la  désespérer;  si  Dieu  permet  qu  il  la 
trouble  alors,  ce  n'est  que  pour  achever 
de  la  purilier,  de  la  sanctitier  :  ainsi,  après 
avcdr  passé  ses  jours  dans  l'obéissante  aux 
volontés  de  son  Dieu,  elle  a  le  bonheur 
de  les  teriuiner  dans  son  saint  amour  ; 
quelle  lin  [dus  heureuse!  quelle  mort  plus 
edilianle  I 

Ahl  fasse  le  ciel  que  je  ne  les  perde 
jamais  de  vue,  ces  grandes  el  importantes 
léilexions  que  je  viens  de  faire;  que  je 
sois  toujours  bien  convaincue,  ô  niju  Dieu, 


105 
de 


DISCOURS  DE  RETRAITE 

aquelle  jo  suis, 


—  SECOND  JOUR. 


iOO 


nécessité  dans 
remplir  cxacteiuenl  la  rbi^lo  et  les  conslilii- 
lions  du  saint  institut  (]uo  j'ai  eml)rassé, 
et  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  vrai  boniicur 
pour  moi,  dans  cotte  vit;  ni  dans  l'autre, 
que  dans  cette  exacte  et  conslanie  lidélité  ; 
c'est  aussi  la  résolution  (]ue  jo  prends, 
dans  co  moment,  et  en  voire  sainte  pré- 
sence, ô  mon  aimable  Epoux;  faites,  par 
votre  grâce,  que  j'y  sois  parfaitement  tidèle, 
et  jusqu'au  dernier  soupir  de  ma  vie  : 
faites  (ju'après  avoir  plus  d'une  fois  peut- 
être  scandalisé  mes  sœurs,  par  mes  inob-- 
scrvances  ,  mes  iufidélilés,  je  devienne  à 
leurs  yeux  et  aux  vôtres  sui  louf,  un  modèle 
de  ferveur  et  de  régularité,  alin  de  mériter, 
|)ar  15,  vos  récomjionses  éternelles.  Ain^i 
scil-il. 

SECOND    JOUR. 

Troisième  discours. 

SUR   LE  JUGEMENT  DERMER. 

Stalutum  est  liominibus  semel  raori,  posl  lioc  aulem, 
judieiiim.  (Hebr.,  IX,  27.)  • 

C'eai  tin  arrêt  porté  contre  les  hommes,  de  mourir  une 
fois  ci  d'élre  jugés  ensuite. 

Que  nous  ayons  tous  à  subir  un  arrêt  de 
mort,  c'est  une  vérité.  Mesdames,  fondée 
sur  une  trop  constante  expérience,  pour 
pouvoir  être  révoquée  en  doute;  que  icette 
mort  soit  regardée  comme  le  plus  grand  des 
raauxde  la  terre,  c'est  encore  un  sentiment 
de  toutes  les  nations,  de  tous  les  hoiiimes  ; 
mais  si  nous  voulons  réflécliir  attentive- 
ment sur  la  cause  de  cet  éloignemeni,  de 
cette  horreur  que  nous  avons  tous  de  la 
mort,  [lous  remarquons  aisément  que  c'est 
bien  moins  la  mort  en  elle-même,  que  les 
suitesde  la  mort  qui  nous  effrayent  ;  oui,  si 
les  pécheurs  surtout,  si  ces  impics  eux- 
mêmes  qui,  jendant  la  vie,  font  gloire  de 
douler  de  tout,  sont  cependant  si  inquiets,  si 
si  troublés  aux  approches  de  la  mort,  c'est 
que  leur  foi  qu'ils  n'ont  pu,  malgré  tous 
leurs  elforls,  entièrement  éteindre,  se  rallu- 
mant, dans  ces  derniers  moments,  leur  fait 
clairenerit  entendre  qu'aussitôt  après  leur 
j-ortie  de  ce  monde,  il  leur  faudra  paraître 
au  tribunal  de  leur  Dieu,  et  y  reparaître  au 
grand  jour  de  la  révélation  des  consciences, 
j)0ur  lui  rendre  un  compte  exact  de  la  con- 
duite qu'ils  auront  tenue  sur  la  terre,  et 
jiour  en  recevoir  une  [)eine  proportionnée 
a  leurs  crimes. 

C'est,  Mesdames,  de  ce  jugement  univer- 
sel que  je  viens  vous  entretenir;  vérité  des 
plus  importantes,  vous  le  sentez  assez, 
l'dur  vous  la  rendre,  cette  vérité,  plus  ins- 
tructive et  plus  sensible,  je  veux  vous  la 
faire  considérer,  par  ropjtort  h  une  reli- 
gieuse, à  une  épouse  de  Jésus-Christ  morte 
dans  le  péclié  et  dans  la  disgiâce  de  son  cé- 
leste époux  :  or  je  dis  (jue  le  Seigneur,  dans 
ce  graml  jour,  fera  éclater  deux  de  ses  per- 
tections  qui  contribueront  le  plus  à  venger 
et  à  réparer  sa  gloire  outragée  par  cette 
épouse  inlidèle,  je  veux  dire,  sa  sagesse  et 
sa  justice;  sa  sagesse  dans  la  discussion 
exacte  qu'd  fera  de  la  vie  de  son  épouse; 
Orateurs  sacrés.  LXVIIl. 


sa  justice,  dans  la  vengeance  éclatante  (]u  il 
exen.'era  sur  son  épouse.  En  deux  mots,  la 
sagesse  de  Dieu  manifestée  au  jugement 
dernier,  par  l'examen  qu'il  fera  de  la  mau- 
vaise religieuse  ;  ce  sera  le  sujet  de  la  pre- 
mière paitie  de  ce  discours.  La  justice  de 
Dieu  miinifeslée  au  jugement  dernier,  par 
la  senleiice  qu'il  portera  contre  la  mauvaise 
religieuse  ;  ce  sera  le  sujet  de  la  seconda 
partie.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Je  ne  m'arrêterai  point  ici,  Mesd/imes,  à 
vous  décrire  ces  lléaux  sans  nombre  qui 
doivent  inO[ider  l'univers,  avant  le  dernier 
avènement  du  Fils  de  Dieu;  la  foi  pres- 
([u'éteinte  sur  la  terre,  de  faux  |)rophèies 
séduisant,  par  leurs  prestiges,  presque  les 
élus  eux-mêmes;  la  guerre  allumée  de 
toutes  [larts  ;  les  rois  armés  contre  les  rois, 
le's  nations  contre  les  nations  ;  la  pesto  et  la 
famine  portant  partout  la  désolalion  et  la 
mort  avec  ses  horreurs.  Jo  passe  également 
sous  silence,  tous  ces  signes  funestes,  avant- 
coureurs  plus  prochains  encore  do  ce  jour 
redoutable;  les  astres  détachés  du  firma- 
ment, le  soleil  refusant  sa  lumière,  la  lune 
teinte  de  sang,  la  terre  toute  en  feu,  la  mer 
en  courroux,  hors  de  ses  bornes,  tous  les 
éléments  confondus,  la  nature  entière 
ébranlée  jusque  daas  ses  fondements,  s'é- 
crûulant  enfin,  et  faisant  périr  avec  elle,  le 
reste  des  habitanis  de  la  terre.  Quelque  af- 
freuse que  soit  celle  dernière  catasirophe 
de  l'univers,  j'ai  un  objet  plus  effrayant  en- 
core à  vous  remettre  ici  devant  les  yeux, 
c'est  la  situation  d'une  mauvaise  religieuse 
alors:  dans  ce  jour,  fixé  de  toute  éternité, 
par  le  Tout-Puissant,  pour  venger  sa  gloire, 
au  premier  son  de  celte  redouiable  irom- 
pelte  qui  retentira  des  quatre  parties  de 
l'univers,  à  la  voix  de  l'ange  qui  criera  : 
Levez-vous,  morts,  venez  au  jugement  ;  tous 
les  hommes  qui  auront  jamais  existé,  re- 
prendront aussitôt  leur  première  forme; 
tous  ces  ossements  épars  et  confondus,  se 
rechercheront,  se  rapprocheront,  se  réuni- 
ront ;  toute  celte  poussière  humaine  ense- 
velie, depuis  tant  de  siècles,  dans  les 
abîmes  des  mers  ou  dans  le  sein  de  la  terre, 
redeviendra  des  corfis  humains;  toutes  ces 
âmes  isolées,  depuis  si  longtemps,  se  réu- 
niront à  ces  corps,  pour  les  rendre  à  jamais 
participants  de  leur  boimc  ou  de  leur  mau- 
vaise destinée  ;  transportés  ensuite  tous 
ensemble,  et  dans  un  clin  d'œil,  dit  l'A- 
pôtre, en  la  présence  du  Seigneur,  nous  !o 
verrons  tous,  ce  Juge  des  vivants  et  dos 
morts  ,  non  plus  ,  comme  à  son  pre- 
mier avènement,  enfant  dans  les  lar- 
mes, nous  apportant  la  paix  de  Dieu 
Sun  Père,  njais  tel  et  mille  fois  plus  reiiou- 
lable  encore  ({ue  ne  le  vit  le  disciple  bicn- 
ainjé,  dans  son  ravissement,  et  que  les 
prophètes  ne  nous  le  représentent,  tout 
rayonnant  de  gloire,  portant,  sur  son  front, 
les  traits  do  la  majesié  divine,  les  yeux  en 
leu,  un  glaive  h  deux  tranchants  sorlant 
de  sa    bouche  ,   ne  respuant   que    colère, 


i07 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


10g 


îDille  et  mille  espriîs  célestes,  minisires 
df  ses  vengeances  à  ses  côtés  ;  (la  croix, 
celle  croix  autrefois  un  scandale  pour  les 
Juifs,  une  folie  pour  les  gentils,  l'opprobre 
de  tant  de  mauvais  chrétiens,  mais  f'espé- 
rance  el  la  consolation  de  tous  les  saints 
alors,  cette  croix  suspendue  avec  éclat  au- 
dessus  de  sa  tôle.  Alil  Mesdames,  si  la  vue 
de  ce  Juge  leirible  doit  faire  sécher  de 
frayeur  le  juste  même,  que  sera-ce  donc  du 
jiécheur,  que  sera-ce  d'une  religieuse, 
«l'une  épouse  de  Jésus-Christ  morte  dans 
le  péché,  cl  dans  la  disgrâce  de  son  céleste 
époux  ?  Pour  nous  former  ici  une  idée  de 
ce  jugement  qu'elle  doit  subir,  ra[)pelons- 
nous  la  forme  du  jugement  des  hommes,  et 
par  l'ordre  que  tient  un  juge  de  la  terre  à 
l'égard  d'un  criminel,  concevons  à  peu 
prôs  celui  que  tiendra  le  juge  du  ciel,  à 
l'égard  de  celte  épouse  infidèle.  Que  fait 
donc  un  juge,  après  avoir  cité  le  coupable  ? 
Il  lui  re|irosenle  ses  rrimes,  il  lui  conlronte 
ses  témoins,  il  examine  ses  raisons,  il 
pèse  ses  réponses,  il  le  convainc  enfin. 
Egalement,  au  grand  jour  de  ses  ven- 
geances ,  le  Seigneur  découvrira  à  cette 
mauvaise  religieuse,  tout  le  mal  dont  elle 
se  sera  rendue  coupable,  et  de  plus,  il  la 
convaincra  de  tout  le  mal  dont  il  la  trou- 
vera cou|)able.  i 

1.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  le  Seigneur 
lui  découvriia  tout  le  mal  dont  elle  se  sera 
rendue  coupable;  coinraent  cela?  Le  voici, 
Mesdames  ;  fasse  le  ciel  que  vous  ne  l'ou- 
bliiez jamais  I  il  n'en  faudra  pas  davantage 
jiour  vous  faire  toutes  des  saintes;  en  lui 
reprochant,  el  tout  le  mai  qu'elle  aura  fait, 
et  tout  le  bien  qu'elle  'n'aura  pas  l'ail,  et 
qu'elle  aurait  dû  faire,  el  tout  le  bien  qu'elle 
aura  fait,  mais  qu'elle  aura  mal  fait. 

Je  dis  tout  le  mal  qu'elle  aura  fail;  le  plus 
grand  nirlheur  du  pécheur,  el  de  tout  [)é-  -, 
cheur,  c'est  de  ne  se  pas  connaîire,  de  ne 
vouloir  pas  même  se  connaître.  Hé  1  pour- 
rait-il se  considérer  attentivement,  et  n'être 
pas  elî'ra}  é  à  la  vue  de  ses  désordres,  de  sa 
conduite  criminelle  envers  son  Dieu?  il 
n'en  a  pas  fallu  davantage,  en  elfet,  à  quel- 
ques grands  pécheurs,  pour  retourner  sin- 
cèrement à  lui  ;  mais  celte  connaissance 
d'elle-même,  que  cette  personne  dans  le 
péché  évite  avec  tant  de  soin,  Dieu  la  lui  ' 
procurera,  au  grand  jour  de  ses  vengean- 
ces :  Je  vous  montrerai  vous  même  à  vous- 
même,  lui  liit-il  par  son  Prophète  :  «  Sta- 
tuam  contra  te  faciem  luam  [Psal.  XLIX,  ' 
21),»  non  ))lus  pour  votre  correction,  ajoute 
sauit  Augustin,  le  temps  lie  mes  grâces  sera 
passé  pour  vous,  mais  uniquement  pour 
voi!  G  confusion  :  Non  ut  te  corrigas  ,  sed  ut 
crubescas.  Tous  les  péchés,  en  ellet,  que 
celle  personne,  que  cette  mauvaise  reli- 
gieuse aura  commis,  dans  toute  sa  vie,  et 
de()uis  son  entrée  daus  la  rèligiou  surtout. 
Dieu  ks  lui  montrera  tous,  .[lar  ordre  et 
dans  un  instant.  Tous  ces  (léchés  de  l'es- 
prit, ces  projets  chimériques  d'orgueil  el 
d'auiijiiion ,  ces  mauvaises  pensées,  ces. 
soupçons  injustes,  ces  jugemeuls  témérai- * 


res,  ces  doutes  réfléchis  contre  la  fn",  contre 
la  providence  de  Dieu  ,  ces  idées  maligne;* 
el  peu  chrétiennes,  en  tout  genre.  Tons  ces 
pé(  hés  du  cœur,  ces  haines, ces  antipathies, 
CCS  animosilés,  ouvertes  ou  secrètes  contie 
ses  sœurs,  ces  aversions  nourries  et  entre- 
tenues, j)endant  de  lorigues  années  peul- 
être;ces  envies,  ces  dépits,  ces  jalousies, 
ces  colères  intérieures;  ces  désirs  déréglés, 
ces  sentiments  trop  tendres,  ces  amitiés  par-^ 
ticulières  ,  ces  attachements  excessifs  et 
scandaleux;  tous  ces  péchés  de  [)aroles  j 
ces  discours  peu  édifiants,  ces  censures,  ces 
railleries  de  ses  sœurs  les  plus  exemplaires 
et  les  plus  ferventes;  ces  murnjures,  ce.'» 
propos  hardis  el  {)eu  mesurés  contre  ses 
supérieurs,  ces  traits  lancés  contre  leur  con- 
duite ;  ces  maximes  peu  religieuses  tant  do 
fois  débitées  pour  s'autoriser  dans  son  re- 
lâchement, et  pour  y  entraîner  les  autres  ; 
ces  paroles  de  médisance,  de  calomnie  même 
contre  le  prochain  qu'elle  n'aimait  pas. 
Tous  ces  péchés  d'action,  ces  inobservances, 
ces  infidélités  multipliées  à  l'infini,  ces 
omissions  de  ses  devoirs ,  et  de  ses  devoirs 
les  plus  essentiels;  toutes  ces  infractions 
de  ses  vœux, et  de  ses  sacrés  engagements; 
toutes  ces  libertés,  ces  aises,  ces  commodi- 
tés, ces  sensualités,  si  opposées  à  l'esprit 
de  son  saint  institut  ;  toutes  ces  fautes  con- 
sidérables, et  sans  nombre,  commises  con- 
tre les  préceptes  du  Seigneur,  contre  ceuï 
de  son  Eglise  ou  contre  les  devoirs  de  son 
étal,  contre  sa  règle  et  ses  constilulions. 
Tous  ces  péchés  d'aulrui,  ces  fautes,  ces 
transgressions,  ces  infidélités  qu'elle  aura 
fait  commettre  aux  autres,  par  ses  exem- 
l)les,  par  ses  discours,  par  ses  railleries, 
par  ses  so  Lci talions,  par  ses.  conseils;  tous 
ces  scandales  qu'elle  aura  causés,  et  qui  se' 
seront  perpétués  dans  sa  communauté, 
longtemps  peut-être  après  sa  mort  ;  tous  ces 
péchés, 'en  un  mot,  dont  elle  se  sera  ren- 
due coupable,  depuis  le  premier  instant  de 
sa  raison,  jusqu'au  dernier  soufdr  de  sa  vie  ; 
péchés  publics  ou  secrets,  propres  ou  étran- 
gers, intérieurs  ou  extérieurs,  tout  lui  sera 
dévoilé  ;  Dieu  les  lui  monlrera  tous;  il  les 
lui  montrera  tous  ensemb'e,  il  les  lui  mon- 
liera  dans  toute  leur  malice  el  avec  toute 
leur  ditlormiié.  Quelle  surjirise  pour  cette 
religieuse  de  se  voir  couverte  d'une  multi- 
tude infinie  de  {>éché5,  qu'elle  avait  presque 
aussitôt  oubliés  que  commis  ;  non-seuie- 
inent  Dieu  les  lui  montreia,  mais  il  les 
montrera  de  [)lus,  à  toutes  celles  avec  les- 
quelles elle  aura  vécu,  à  toutes  ses  épouses 
(pii  auront  existé  dans  tous  les  tom|)s;  il 
les  montrera  à  tous  les  hommes,  à  toutes 
les  nations  assendjiées,  comme  il  l'en  me- 
nace par  un  de  ses  [)roplièies  :  Oslendain 
(jenlibus  nuditalem  tuam.  {ISahum,  III,  5  > 
Mais  la  discussion  du  souverain  Juge  n'en 
restera  pas  là  ;  non-seulement  il  reprochera  à 
celle  épouse  infidèle  tout  le  mal  qu  elle 
aura  fail,  il  lui  reprochera  de  plus  luul  le 
bien  qu'elle  n'aura  |)as  lait,  et  iju'clle  au- 
rait dû  faire.  Hélas  !  Mesdames,  lorsque 
nous  entendons  parler  de  la  rigueur  des 


409 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  SECOND  JOUR. 


11(1 


jiigomcnis  (lu  Soigneur,  nous  nous  rassu- 
rons ptal-ôlre  sur  notre  élal;  imrco  que 
nous  ne  donnons  pas  dans  des  vices  gros- 
siers, nous  nous  llallons  de  trouver  aisé- 
ment grdiîo  au  tribunal  de  noire  Dieu  :  ne 
nous  y  troniiAons  pas  cependant;  pour  être 
parlaiïemenl  Innocent  à  ses  yeux  ,  il  ne 
sullil  pas  de  ne  pas  faire  le  mal,  il  faut  en- 
coie  et  nécessairement  faire  le  bien. 

Or,  (]uel  i)ion  avez  vous  fait,  dira  le  Sei- 
gneur, au  grand  jour  de  ses  vengeances  ,  à 
cette  n)auvaise  religieuse,  ou  plutôt  quel 
bien,  quelle  espèce  de  bien  et  de  devoirs  n'a- 
vez-vous  pas  omis  ,  dans  voire  état?  Etat 
saint  où  je  vous  avais  placée,  afin  que  vous 
pussiez  plus  aisément  me  serviret  vous  sanc- 
lilier.  Quel  bien  avez-vous  fait?  Quel  bien 
ave/.-vous  faifdans  ces  places,  dans  ces  em- 
plois qui  ne  vous  avaient  été  confiés  que 
pour  vous  rendre  utile  à  vos  sœurs,  à  votre 
communauté?  (Vous  n'avez  pensé  à  retirer 
de  ces  places,  de  ces  eicnlois  que  l'utile  et 
les  agréments,  sans  vous  ai^pliquer  à  rem- 
plir les  charges  et  les  obligations  qui  y 
étaient  attachées  ;  cent  et  cent  fois,  .n'ont- 
ils  pas  été  pour  vous,  ces  emplois,  des  pré- 
textes.pour  manquer  à  vos  observances  et 
h  vos  devoirs?  Quel  usage  avez-vous  fait  de 
tous  ces  talents  que  vous  avez  trouvés  dans 
vous?  Quel  usage  de  ces  lumières  de  l'es- 
prit et  de  ces  qualités  du  cœur?  Quel  usage 
de  cette  force,  de  celte  santé?  Quel  usage, 
en  un  mot,  avtz-vous  fait  de  tous  ces  avan- 
tages de  la  nature  et  de  la  grâce  que  ma 
providence  vous  avait  si  libéralement  dis- 
tribués? Je  veux  que  vous  ne  les  ayez  pas 
directement  employés  à  m'oifenser,  mais 
vous  en  ôtes-vuus  servie  pour  me  glorifier? 
Or,  ne  saviez-vous  pas  que  je  devais  de- 
mander beaucoup  à  qui  aurait  beaucoup 
lec^u  ?  Ignoriez-vous,  et  pouviez-vous  igno- 
rer que  je  devais  traiter  le  serviteur  pares- 
seux qui  aurait  enfoui  ses  talents,  comme 
le  serviteur  débauché  qui  les  aurail  dissi- 
pés, et  que  c'était  un  crime  à  mes  yeux  d'êlre 


également  sans  vice  et  sans  vertu? 


été 


Mais  si  la  vie  de  cette  religieuse  a 
mêlée  de  .bien  et  de  mal,  puisque  le  Sei- 
giieursera  si  sévère  à  lui  reprocher  ses  fau- 
tes et  ses  omissions  ,  ne  lui  tiendra-l-il 
aucun  com|)le  du  bien  qu'elle  aura  fait,  et 
ne  sera-t-elle  pas  en  droit  de  le  lui  présen- 
ter pour  sa  justification?  Oui,  sans  doute, 
jjuisqu'il  n'y  aura  que  les  boanes  œuvres 
qui  ouvriront  aux  justes  les  portes  du  ciel  ; 
luais  aussi  ne  suiiira-l-il  [)as  à  celle  reli- 
gieuse de  les  alléguer,  ces  bonnes  œuvres, 
pour  en  , être  ,crue  sur  sa  parole;  le  Sei- 
gneur promet  encore  d'examiner  et  déjuger 
lui-même  ces  [rélendues  justices  :  Lgo  jus- 
Itlias  judicabo  [Psal.  LXXIV,  3j  ;  el  par 
i  examen  rigoureux  (ju'il  entera,  il  fera  voir 
à  celte  épouse  infidèle  qu'elle  a  été  coupa- 
ble dans  le  bien  même  (ju'elle  aura  fail.  Le 
Ijien  que  voui  avez  fait,  lui  dira-l-il?  mais 
leiranchez  d'abord  ce  que  vous  avez  fait 
dans  l'habitude  du  péché;  étal  de  mort, 
cusbiez-vous  prophétisé  pour  lois ,  vous 
lussiez-vous  livrée  aux  plus  grandes  auslé-. 


rites,  eussinz-vous  fait,  en  mon  nom,  les 
plus  signalés  prodiges,  vous  étiez  mon  en- 
nemie ;  des  œuvres  qui  n'ont  pu  me  plaire, 
ne  peuvent  èlre  susceptibles  de  mes  récom- 
penses éternelles.  Or,  de  ce  peu  de  jours, 
de  ces  courts  intervalles  où  vous  avez  paru 
vous  repentir  de  vos  fautes,  et  mener  une 
vie  plus  régulière  ,  qu'avez-vous  à  me  pré- 
senter? Des  œuvres  de  religion,  de  piété, 
de  mortiticalion  ?  mais  ces  oeuvres  qui  font 
aujourd'hui  toute  votre  ressource,  quand 
elles  auraient  été  aussi  abondantes  el  aussi 
parfaites  qu'elles  ont  été  rares  el  défectueu- 
ses,  les  avez-vous  pratiquées  constamment 
et  jusqu'à  la  mort?  Or  ne  saviez-vous  pas 
qu'il  ne  cJevail  y  avoir  de  récomiienses  que 
|:our  ceux  qui  auraient  persévéré  jusqu'à  la 
fin  ?  Mais  quand  vous  seriez  morte  dans 
l'exercice  de  ces  œuvres  ,  ont-elles  eu  tout 
ce  qu'il  fallait  pour  les  rendre  méritoires  des 
biens  du  ciel  ?  Quels  en  ont  été  le  princijie, 
l'objet,  la  fin  ,  les  circoiislances  ?  Les  avez- 
vous  entreprises,  et  les  avez-vous  consom- 
mées par  le  mouvement  de  ma  grâce,  et  uni- 
quement pour  me  plaire?  Combien  de  faites 
jiar  bienséance  ,  par  caprice,  par  habitude, 
par  ostentation,  par  hypocrisie,  pour  sauver 
les  apparences  peul-êlre,  jiour  éviter,  des 
réprimandes  ou  des  reproches,^  pour  pa- 
raître faire  à  l'extérieur  comme  les  autres  I 
Ah  1  Mesdames,  si  les  cieux  ne  sont  pas 
purs  en  la  présence  du  Seigneur,  et  s'il  a 
trouvé  des  lâches  jusque  dans  ses  anges; 
que  trouvera-t-il  qui  puisse  lui  plaire|  dans 
des  cœurs  qui  lui  auront  presque  toujours 
été  rebelles?  El  s'il  doit  discuter  la  vie  da 
[ilus  juste  avec  une  sévérité,  jusqu'à  re- 
jeter des  œuvres  qui  font  peut-être,  aujour- 
d'hui, le  sujet  de  notre  admiration  et  de 
nos  louanges,  que  sera-ce  du  pécheur? 
Que  deviendra  donc  la  mauvaise  religieuse 
alors  ? 

IL  Ainsi  couverte  de  toute  son  ignominie, 
n'aura-l  elle  donc  aucune  excuse  à  alléguer 
à  son  Dieu?  Non,  Mesdames,  et  voilà  ce  qui 
augmentera  sa  confusion  el  son  désespoir, 
c'est  qu'après  avoir  été  trouvée  si  mauvaise, 
le  Seigneur  la  convaincra  encore  de  toute  sa 
malice,  et  la  forcera,  avant  de  la  condamner, 
de  i- 'avouer  elle-même  indigne  de  toute  mi- 
séricorde, et  cela,  en  cilant  contre  elle  sa 
religion  et  sa  raison,  comme  deux  témoins 
qu'elle  ne  jiourra  ni  récuser  ni  combattre, 
el  par  lesquels  il  achèvera  de  détruire  les 
vains  prétextes  qu  elle  pourrait  encore  allé- 
guer pour  sa  défense. 

Oui,  Mesdames,  celle  religion  Siiinle  qui 
jtarlerasi  avantageusement  pour  la  religieuse 
fidèle  el  fervente,  c'est  cette  religion  quidé- 
|)0sera  hautement  contre  la  religieuse  infi- 
dèle el  morte  dans  le  péché;  car  enfin,  lui 
dira  le  Seigneur,  quelle  a  é.lé  votre  foi,  et 
(juelle  a  été  votre  conduite  ?  Qu'avez-vous 
cru,  el  qu'avez-vous  fait  ?Quoi  1  vous  croyii'Z 
à  un  Dieu  qiii  s'oll'ense  du  péché,  jiisiju'a 
le  punir  d'une  élernité  de  supplices,  elvous 
vous  êtes  mille  et  mille  fois  ex[)Osée  à  ce 
malheur  I  Quoi,  vous  m'aviez  promis  dans 
votre  baptême,  et  vous  me  l'ave.?:  solennclk- 


m 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


m 


ment  renouvelé  depuis,  el  surtout  parles 
vœux  s.KTésque  vous  avez  prononcés  îiux 
pieds  de  mes  autels,  de  me  servir  toute  vo- 
tre vie  avec  une  conslaiile  fidélité,  et  avec 
une  |)erfection  au-tiessus  des  ciirétiens  du 
monde  ;  de  renoncer  par  là  toute  votre  vie, 
el  plus  qu'eux  encore,  à  Satan  et  h  ses  pom- 
pes, el  Cependant  maigre oes  grands  en;:age- 
nienls,  vous  vous  êtes  rendue,  en  mille  occa- 
sions l'esclave  de  ce  prince  des  ténèbres  qui 
voulait  votre  perte,  el  vous  n'avez  eu  que  de 
l'indillerence  pour  nioi ,  votre  Créateur  et 
votre  époux,  qui  voulais  vous  sanciitier  et 
vous  sauver  1  Dans  mille  occasions,  vous  avi-z 
préléré  à  moi  ce  monde  pervers,  votre  enne- 
mi et  le  uiien,  vous  avez  plus  cherché  à 
lui  plaire,  ({u'à  me  [)lairei\  moi-même  ;  l'E- 
vangile que  vous  professiez,  et  plus  encoie 
l'éial  saint  (jue  vous  aviez  volunlairemenl 
enjbrassé,  vous  presi  rivaient  l'humilité,  la 
mortiticalion,  le  délacheiiienl  des  créatures 
el  de  vous-même,  une  soumission  aveugle 
aux  ordres  de  vos  supérieurs,  une  tharué 
sans  borne  et  sans  réserve  envers  vos  sœurs, 
et  dans  lout,  vous  avez  agi  d'une  façon  en- 
tièrement o[)posée  à  ces  sentiments  (jue  vous 
deviez  avoir,  el  à  ces  vertus  que  vous  deviez 
pratiquer!  pourquoi  celte  élei nulle  conlra- 
dictiou  entre  votre  loi  el  vos  mœurs,  entre 
voire  conduite  el  votre  religion  ? 

Mais  commenl  rauri(z-vous  écoutée,  celte 
loi,  celle  religion  ?  Vous  n'avez  pas  ujôme 
suivi  les  lumières  de  votre  raison  ;  oui,  vous 
qui  vous  prétendiez  cependant  si  raisonna- 
ble, vous  qui,  lorsqu'on  vous  leprocbait 
voire  peu  de  eonl'ormilé  avec  votre  rtl-igion, 
avec  les  engagements  saciés  que  vous  aviez 
contractés  avec  moi,  vous  relranchicz  avec 
oslenlalion  sur  votre  [)rGbilé  naturelle,  sur 
voire  laison.  Ahl  épouse  inlidèle,  partout 
où  elle  n'a  pu  se  concilier  avec  vos  in- 
clinations el  vos  passions,  vous  êtes- vous 
fail  quehjue  peine  de  la  mépriser,  de  la  fou- 
ler aux  pieds,  celle  raison?  Quoi,  ces  cen- 
sures» ces  murmures,  ces  maximes  d'indé- 
pendance envers  vos  supérieurs,  ces  conli- 
dences,.  ces  rai)poils  indiscrets  si  propres  à 
aigrir  les  esprits,  h  troubler  l'ordre  et  la 
paix,  ces  animosités,  ces  médisances  contie 
vos  sœurs,  ces  manquements,  ces  prévan- 
culions,  ces  inobservances,  ces  négligences 
des  ilevoirs  de  votre  élal  el  de  vos  emplois, 
ces  délicatesses  excessives  ,  ces  sensualités 
si  marquées  ;  tous  ces  jiéchés,  en  un  mol, 
tous  ces  vices,  et  de  toute  espèce,  dont  vous 
vous  êtes  tant  de  lois  rendue  coupable, 
élaienl-ils  bien  conformes  à  votix- raison? 
Ou  plutôt,  si  vous  aviez  voulu  la  consulter 
celte  raison,  ne  vous  eût-elle  pas  interdit 
lous  ces  excès?  Ah!  sans  même  la  consul- 
ter, ne  s'esl-elle  pas  élevée  contre  vous, 
comme  malgré  vous?  Cent  el  cent  fois,  ne 
vous  a-l-eiie  pas  condaïunée,  au  milieu 
même  de  vos  intidélités ,  de  vos  désordres, 
malgré  tous  vos  etforls  pour  la  faire  taire, 
et  pour  en  éloutfer  les  reproches? 

Qu'avez- vous  préseiUemenl  i»  m'alléguer 
pour  votre  justitication,  car,  voilà,  Mesda- 
mes, jusqu'où  ira  le  Seigneur-,  poux  achever 


de  confondre  celle  épouse  infidèle;  qu'avez- 
vous  h  m'alléguer?  Votre  ignorance  ?  Mais 
quoi,  êles-vous  excusable  de  n'avoir  pas  su 
ce  que  vous  deviez  savoir,  et  ce  qu'il  vous 
élail  si  aisé  de  savoir?  N'étail-il  pas  des 
maîtres  dans  Israël ,  qu'à  l'exf.mple  de  vos 
sœurs,  vous  pouviez  consulter  sur  la  nature 
et  sur  l'éteinlue  de  vos  devoirs?  Mais  quy 
de  pieuses  leclures,  que  de  solides  inslruc- 
tions,  que  d'avis*  charitables,  que  d'aver- 
tissements salutaires  qui  auraient  dû  vous 
ouvrir  les  jeux,  qui  vous  auraient  éclairée, 
en  elfet,  si  vous  aviez  désiré  d'êlré  instruite 
el  éclairée!  Quoi,  dans  toute  autre  alîaire, 
voMS  montriez  tant  lie  lumières  el  tant  do 
prulence,  jiourquoi  ne  vous  eu  êtes-vous 
pas  servie  dans  l'important  alfaire  de  volro 
salut?  Votre  faiblesse,  la  force  des  tenta- 
lions?  Mais  plus  vous  la  sentiez,  celle  fai- 
blesse, plus  vous  en  étiez  convaincue,  et 
plus  vous  deviez  être  attentive  sur  vous- 
même,  el  fuir  avec  soin  les  occasions,  bien 
loin  de  les  rechercher  ;  mais  quehjue  giando 
qu'ail  élé  voire  faiblesse,  et  quelque  vio- 
lentes qu'aient  pu  être  les  lenlations,  les 
secours  de  ma  grâce  vous  ont-ils  manqué? 
Ah  1  dans  votre  état,  vous  en  étiez  sans  cesse 
envjron.née,  assiégée,  pour  ainsi  dire;  or, 
avec  elle,  pou  viez-vous  n'être  pas  victorieuse, 
si  sincèrement  vous  aviez  voulu  vaincre'? 
Les  mauvais  exemples  qiievous  aviez  devant 
les  yeux,  el  qui  vous  onl  comme  entrarnée? 
Mais  où  était  pour  vous  l'obligation  de  les 
suivre  ces  mauvais  exemples  ?  Mais  n'aviez- 
vous  [)as  également,  dans  votre  élal  eldaiis 
la  n.aison  sainte  que  vous  habitiez,  des 
exenijiles  éditiants  qui  vous  excitaient  vi- 
vement à  la  piéié,  à  la  sainteté?  Voire  déli- 
catesse, la  faiblesse  de  votre  lem[)ér'amenl? 
Mais  la  consullioz-vous ,  l'écouliez-vous, 
cette  délicatesse,  lorsqu'il  s'agissait  de  vous 
livrer  à  la  dissifiation,  el  de  satisfaire  vos 
goûts,  vos  fantaisies?  Mais  si  voti'e  délica- 
tesse serublail  vous  dispenser  dos  jeûnes  et 
des  austérités  que  vous  iirescii valent  vos 
constiiutions,  voire  instilul,  et  qu'exigeaient 
de  (dus  tous  vos  (.écliés,  que  de  précejites 
de  ma  loi  vous  avez  transgressés  j  que 
d'intraclions  essentielles  de  votre  règle,  de 
vos  vœux,  de  vos  conslilulions  dont  vous 
vous  êtes  rendue  coupable!  que  de  vertus 
vous  n'avez  [loitil  pratiquées  1  Que  (La 
bonnes  (cuvres  vous  avez  omises,  el  qui 
étaient  cependant  compatibles  avec  V(>- 
Ire  délicatesse  l  Vos  gr-andes  occupations, 
les  emplois  impor'tanls  et  embarru^sants 
donl  vous  étiez  chargée?  Mais  combien  de 
fuis  aviez-vous  entendu  dire  qu'il  ne  servi- 
rait de  rien  à  l'homme  d'avoir  gagné  l'uni- 
vers entier,  s'il  venait  à  perdre  son  âme; 
que  l'allaire  de  vuli'e  salut  était  votre  plus 
grande  aU'aiie,  el  même,  à  parler  [)ropre  - 
ment,  votre  unique  atl'aire? 

Mais  pour  achever  de  vous  confondre,  re- 
gar-dez,  regardez  à  ma  droite;  voici  de  mes 
épouses  qui,  dans  voire  institut,  dans  volie 
maison,  ont  élé  chargées  des  mêmes  soins 
et  pourvues  des  mêmes  emplois  que  vous,  el 
de   plus  iaij;ortauls,  et  de  plus  emùarràs- 


us 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  SECOND  JOUR. 


4(i 


saisis  encore,  et  cependant  elles  ont  tra- 
v.^'illé  nonslaniment  à  leur  perfection,  à  leur 
saint,  elles  se  sont  sauvées  ;  co  sont  même 
cos  travaux  et  ces  en  plois  qui  les  ont  sanc- 
tifiées ;  pourquoi  n'avez-vous  pas  suivi  leur 
exemple  ?Ou'avez-vous  encore  à  ni'aliéguer, 
et  que  vous  reste-l-il  pour  votre  justifica- 
tion ?  Répondez.  Ali  I  do  rr.ille  accusations 
et  de  mille  reproches  que  le  Seigneur  [)our- 
rait  me  faire,  disait  le  saint  homme  Job,  je 
ne  pourrais  me  justifier  sur  un  seul.  Telle 
sera  la  situation  d'une  indigne  religieuse, 
au  grand  jour  de  la  manifestation  des  cons- 
ciences; accusée,  convaincue,  confondue 
|iar  son  Dieu,  par  sou  céleste  époux,  elle 
n'aura  rien  à  lui  répondre,  ou  si  elle  osait 
ouvrir  la  bouche,  ce  serait  pour  lui  faire  cet 
aveu  si  Inuiiiliant  :  Verescio  quod  ila  sit  [Job. 
IX,  2)  :  Oui,  Sei;ïneur,  je  le  reconnais  ei  le 
confesse  aujourd'hui  ([ue  je  suis  coupable  et 
trop  coupable  pour  entreprendre  de  me  jus- 
tifier h  vos  jeux.  Ah!  c'est  alors  que  pré- 
voyant les  suites  fur.esles  et  inévitables  de 
celte  confession  forcée  et  tro|)  tardive,  elle 
a|)pellera  la  mort  h  son  secours,  elle  conjurera 
les  collines  et  les  moutagnes  de  la  dérober 
à  la  colère  de  son  Dieu  |)rète  à  éclater  sur 
elle;  mais  vains  désirs,  elforts  inutiles; 
après  avoir  subi  l'exacnen  le  plus  rigoureux 
que  la  sagesse  de  Dieu  puisse  faire  subir, 
elle  sera  forcée  d'écouter  et  de  subir  la  sen- 
tence la  plus  terrible  que  la  justice  de  Dieu 
puisse  porter;  c'est  le  sujet  de  la  seconde 
partie. 

SECOîiDE   PARTIE. 

A  considérer  nalurelleraeni  la  prodigieuse 
dis,  roporlion  qui  se  trouve,  sur  la  terre  et 
dans   les  élats  même   les  [)lus  saints  et  les 
plus  parfaits  quelquefois,  entre  les  justes  et 
les  pécheurs  ;  à  voir  les  jours  heureux  et 
tranquilles    que   coulent    pour    l'ordiniare 
ceux-ci;  la  vie  pleine  de  contradictions  et 
d'amertumes  que  mènent  ceux-là,  l'on   se- 
rait tenté  de  croire  qu'il  n'est  aucune  Pro- 
vidence qui  veille  sur  les  mortels;  ou  que 
s'il  en  est  une,    elle  est    toute  contre   les 
bons,    en  faveur  des    méchants.  Loin    de 
nous  cependant.  Mesdames,  des  sentiments 
aussi  injurieux  à  la  sagesse  et  à  la  sainteté 
de  notre  Dieu;  encore  quelque  temf)s,  et 
sa   conduite,  qui  aujourd'hui    nous   paraît 
un  mystère,  se  trouvera   pleinement  justi- 
fiée à  nos  jeux  ;  au  grand  jour  de  ses  ven- 
geances,   c'est-la  que  sa  bonté,  qui   avait 
paru  dominer  sur  la  terre,  disparaîtra  pour 
faire  place  à  sa  justice  ;  tout  alors  rentrera 
dans  1  oiJre  pour  n'en  plus  sortir;  les  jus- 
tes, comme  brebis  chéries  du  divin  pasteur, 
seront  placées  à   sa  droite,  pour  aller  jouir 
avec  lui  d'un  bonheur  qui  ne  finiia  jamais, 
et  les  pécheurs,  comme  animaux  imu'iondes, 
mis  à  sa  gauche,  j  entendroni  leur  sentence 
(le  cfUjdamnation,  sentence   qui  les  livrera, 
dès  ce  moment,  et  (jui  livrera  surtout  ses 
indignes  épouses  au  plus  affreux  désespoir, 
parce  qu'elle  sci'a  tout  à   la  lois,  cette  sen- 
tence, et  <;xlièmement  redoutable  et  intini- 
lueat  équitable  et  absolument  irrévt^cablc. 


Encore  quelques  moments  de  voire  atten- 
tion, je  vous  prie. 

I.  Je  dis,  en  [iremier  lieu,  sentence  ex- 
trêmement redoulable  ;  l'on  a  vu  plus  d'une 
fois,  dans  ce  monde,   do    grands   criminels 
éviter,  malgré  la   |)lus  évidente  conviction, 
une  sentence  que  leurs  crimes  avaient  jus- 
tement méritée  ;  mais  il  n'en  sera  pas  ainsi 
du     pécheur,    d'une    personne    religieust^ 
morte  dans  le  péché;  elle  ne  sera  fias  sitôt 
examinée    el    convaincue,  qu'elle  verra  le 
Fils  de  Dieu,  son   céleste  Epoux,  devenu 
son  Juge  souverain,  non,  comme  autrefois, 
prier  pour  elle  son  Père  éternel,  et  le  con- 
jurer   de    lui    faire   miséricorde,   mais    lui 
adresser  en  colère,  et  ù  tous  les  réprouvés 
avec  elle,  ces  paroles  :  Retirez-vous  de  moi, 
nuiudils,   allez   au    feu    éternel.     [Malth.  ^ 
XXV,  ki.)  Paroles  foudrojaiiles  qui  lui  fe- 
ront sentir  dès   lors,  tous  les  malheurs  aux- 
quels  elle    s'est    volontaireiuent  ex()osée  ; 
paroles  qui,  bien   méditées,   seraient  capa- 
bles de  faire  rentrer  en  elle-même  la   per- 
sonne   la    plus    endurcie    dans   le   crime  : 
Retirez-vous  de  moi;  c'est  un  Dieu  lui-môme 
qui    parlera    ainsi     à    sa    créature,    à    son 
épouse.  Que  n'ai-je  pas  fait  pour  vous,  lui 
dira-t-il?    Par  une  [nédilection    toute   spé- 
ciale, je  vous  avais  tirée  du  monde,  et  déli- 
vrée de  tous  ses  dangers  ;  je  vous  ai-intro- 
duite  dans  un  état  de   retraite,    rempli    de 
mojens  de  salut  ;  une  fois  éloignée  de  moi 
par  le  péché,  que  n'ai-je  pas  fait   encore, 
pour  vous  ra()peler  à  moi,  et   pour  me  ré- 
concilier avec  vous?  Que  de  vives  sollicita- 
lions  de  ma  part  1  Que  de  grâces  et  de  toute 
espèce  I   Je   vous   ai  recherchée,  je  vous  ai 
poursuivie  sans  relâche;  je  voulais  être  vo- 
tre [)arfait  et  unique  bonheur  ;   il  n'j  avait 
que  moi,  et  je  vous  le   faisais  assez  sentir, 
au  f(jnd  de  votre  cœur,  qu'il  n'j  avait   que 
njoi  qui  pût  vous  rendre  parfaitement  heu- 
reuse; et  cependant   vous  avez   préféré  de 
vaines  saiisfactions,  et  qui  vous   étaient  in- 
terdites, aux  biens  solides  de    ma   gloire; 
vous  avez  fait  plus  de  cas  des  plaisirs  gros- 
siei'S  et  passagers  que  votre  dissipation  et  le 
démon  vous  suggéraient,  que  des  joies  pu- 
res et  éternelles   que  je   vous   promettais. 
Ajirès  vous  être  donnée  solennelle(nent  et 
entièrement  à  moi,  et  vous  en  être  indigne- 
ment éloignée,   vous  avez  absolument  re- 
jeté mes  invitations  et  mes  reproches  ;   ap^ 
prenez  donc  aujourd'hui  combien  vous  avez 
été  aveugle  et  insensée   dans  votre  choix  ; 
vous  avez   refusé  de  vous  attaclier  à  moi, 
retirez-vous   donc,    allez,   je    vous   charge- 
de  toutes  mes  malédictions  :  RecedUe  a  me, 
mnledicli. 

Mais,  Seigneur,  voire  créature,  l'ouvrage 
de  vos  mains,  votre  époj.-e  de  plus,  formée 
el  uniquement  formée  pour  vous,  ainsi 
bannie,  rejetée  de  votre  présence,  où  pour- 
rai-je  donc  trouver  un  asile  ?  Au  feu,  épouse 
infidèle,  au  feu,  in  ignem:  vous  allez  éprou- 
ver par  vous-même,  s'il  est  bien  vrai  qu'il  y 
ait  un  enfer,  et  un  feu  réel  dans  ctt  eu- 
tei- ;  c'est  dans  ce  feu,  duquel,  pour  vous 
autoriser  dans  votre  conduite,  si  peu  régu- 


115 


ORATEURS  SACRES.  L'ABDE  DE  MONTIS. 


116 


lière,  vous  avez  tant  de  fois,  essayé  de 
douter,  à  l'exemple  des  impics  du  siècle, 
que  je  vais  vous  faire  souffrir  tous  les  maux 
doiil  votre  âme  et  voire  cor[)s  sont  suscei)- 
tibles,  et  que  ma  (ouie-puissance  est  capa- 
ble d'inventer,  m  ignem. 

Riais  du  moins  ne  me  rejetez- vous  pas 
eniièremeni  et  (tour  toujouis  de  votre  pré- 
sence, ô  mon  Epoux  céleste,  ô  mon  Dieu  ; 
après  avoir  expié  tontes  m^s  iniidélilés.  tous 
mes  pécliés,  après  avoir  ressenti,  plusieurs 
Années,  [ilusieurs  siècles,  si  vous  !e  voulez, 
les  néaux  si  terribles  de  voire  justice,  ne 
l)0urrai-je  espérer  d'éprouver  enfui  leselî'ets 
de  votre  miséricorde  ?  Non,  non,  le  temps 
de  mes  miséricordes  que  vous  avez  tant  de 
fois  éprouvées,  et  dont  vous  avez  tant  abu- 
sé, est  passé  pour  vous;  celle  prison  de 
feu  h  laquelle  je  vous  condamne,  sera  votre 
demeure,  autant  de  temps  que  je  serai  vo- 
ire Dieu,  et  que  vous  serez  mon  ennemie, 
éternellement  |)ar  conséquent,  inignemœter- 
num.  Ah!  ce  n'était  pas  pour  vous  que  j'a- 
vais allumé  ce  feu,  et  créé  cet  enfer,  c'était 
pour  mes  anges  rébelles  ;  vous  les  avez  imi- 
tés dans  leur  (trévarication,  vous  serez  la 
compagne  éternelle  de  leurs  supplices  et  de 
leur  désespoir.  , 

11.  Mais  quoi  1  pour  quelques  fautes,  et 
des  failles  do  quelques  instants,  des  peines 
éternelles!  Quelle  proportion!  Quelle  jus- 
tice! Ainsi,  iWesdames,  raisonneni,  tous  les 
jours,  les  personnes  attachées  à  leurs  lias- 
sions criminelles;  ainsi  pensons-nous  nous- 
mêmes  peut-être  :  mais  qui  s  tmnn  s-nous 
pour  oser  juger  les  jugements  du  Très-Haut? 
Ah!  re  disons  pas,  un  enfer  éternel  peu!-il 
se  concevoir  avec  la  justice  et  la  bonté  in- 
finie d'un  Dieu?  Disons  plutôt,  notre  Dieu 
infiniment  juste  et  infiniment  bon,  menace 
expressément,  dans  l'Evangile,  de  punir, 
d'nn  enfer  éternel  le  péché;  le  péché  mérite 
doi.c  véritablement  un  enfer  éternel.  Voilà, 
en  effet,  ce  que  reconnaissent  ces  âmes  ré- 
prouvées qui  gémissent,  dès  à  présent,  sous 
Je  poids  de  cette  justice  redoutable,  et  voilà 
ce  que  tout  pécheur  sera  forcé  de  reconnaî- 
tre au  jour  de  sa  condamnation;  car,  quoi- 
que les  jugements  du  Seigneur  n'aient  be- 
soin d'aucune  apologie,  et  qu'ils  se.justifient 
assez  par  eux-mêmes,  comme  le  dit  le  Pro- 
phète-Roi, le  Seigneur,  dans  ce  grand  jour, 
ne  dédaignera  pas,  cependani,  d'entrer  sur 
cela  en  discussion  avec  son  épouse  infidèle, 
et  de  la  convaincre,  à  la  lace  de  l'univers, 
que  quelque  terribles  que  soient  ses  juge- 
ments à  son  égard,  ils  sont  ce|)endant  infi- 
niment équitables. 

Vous  trouvez  trop  sévère,  lui  dira-t-il,  la 
sentence  que  je  viens  de  porter  contre  vous? 
Vous  en  appelez  à  ma  justice?  Mais  l'igno- 
riez-vous  et  pouviez-vous  l'ignorur  celte 
sentence?  Mes  ministres  ne  vous  en  avaient- 
ils  pas  souvent  menacée  de  ma  part?  No 
l'aviez- vous  pas  lue  vous-même  dans  l'E- 
vangile ?  Vous  cherchiez,  à  la  vérité,  à  don- 
ner à  mes  paroles  un  sens  confoinie  à  vos' 
désirs,  à  vos  passions;  mais  voyiez-vous 
évidemment  c(3  (lue  vou.5  lâchiez  d'inlerprè- 


tor  h  votre  gré?  Etiez -vous  inlimcmcnt 
convaincue  et  bien  en  état  de  convaincre 
les  autres,  que  je  ne  pouvais  punir  les  pé- 
cheurs d'une  éternité  de  su[)plices,  sans  al- 
ler contre  les  règles  de  ma  justice?  Mais  si 
vous  n'avez  fait  que  douter,  avez-vous  été 
sage  et  raisonnable  de  courir,  dans  la  (il us 
im|)orlanle  de  toutes  les  affaires,  des  ris- 
(|nes  aussi  considérables?  N'est-ce  pas  déjà 
un  crime  pour  vous,  de  vous  être  ainsi  ex- 
posée au  plus  extrême  danger,  et  dès  que 
vous  vous  êtes  déteiminée  librement  à  cou- 
rir ces  risques,  et  h  vous  exposer  h  ce  dan- 
ger, ne  vous  êtes-vous  pas  soumise  à  tout 
événement,  et  n"avez-vous  pas  ()ris,  comme 
un  malheureux  engagement  avec  moi,  de 
subir,  en  elfet,  si  vous  veniez  à  vous  trom- 
per, toute  la  rigueur  et  toute  l'éternité  des 
supplices  de  l'enfer?  De  quoi  donc  présen- 
tement pourriez-vous  vou»  plaindre? 

Vous  en  appelez  à  ma  justice?  mais  si 
vous  m'eussiez  été  fidèle,  n'entriez-vous  pas, 
comme  de  plein  droit,  dans  mon  royaume, 
avec  tontes  mes  fidèles  épouses,  avec  tous 
mes  élus?  Ne  vous  avais-je  pas  [)romis  d'ê- 
tre moi-même  votre  récompense?  N'est-ce 
pas  pour  vous  la  procurer  plus  sûrement, 
que  je  vous  avais  appelée  et  qtie  vous  étiez 
entrée  au  saint  état  do  la  religion?  Vous 
avez  négligé,  vous  avez  refusé  de  vous  pro- 
curer un  bonheur  (immense  et  éternel  que 
vous  avais  offert,  n'est-il  pas  juste  que  vous 
é|>rouviez  un  malheur  également  souverain 
et  éterneldont  je  vous  avais  menacée?  Vous 
en  appelez  à  ma  justice?  mais  répondez- 
moi,  si  toute  l'éternité  je  vous  eusse  laissée 
sur  la  terre,  j'en  atteste  votre  propre  cœur, 
toute  l'éternité  n'auriez-vous  pas  été  mou 
ennemie?  Toute  l'éternité,  n'auriez-vous 
|)as  persévéré  dins  la  malheureuse  habitu- 
de que  vous  aviez  contractée  de  satisfaire 
vos  goûts,  vos  inclinations,  votre  volonté 
aux  dépens  de  votre  conscience  et  des  de- 
voirs de  votre  saint  état?  Or,  pour  {)unir 
d'aussi  mauvaises  dispositions  de  votre 
cœur,  est-ce  troj)  d'un  enfer  éternel? 

Vous  en  appelez  encore  à  ma  bonté  qui 
est  infinie  ,  ;dites-vous?  ah  1  malheureuse, 
que  faites-vous?  C'est  cette  bonté  outragée 
par  vous,  et  outragée  à  l'excès  qui  fait  au- 
jourd'hui votre  condamnation  et  tout  votre 
malheur;  oui,  sans  doute,  j'ai  été  bon  et 
infiniment  bon  à  votre  égard;  par  amour 
pour  vous,  j'ai  quitté  le  sein  de  ma  propre 
gloire;  pour  vous,  j'ai  vécu  dans  les  souf- 
frances, et  je  suis  mort  pour  vous  dans  les 
tourments  et  sur  une  croix  ;  outre  ces  grands 
bienfaits  qui  vous  sont  communs  avec  le 
reste  des  chrétiens,  que  de  bienfaits  parti- 
culiers dont  je  vous  ai  comblée!  Dès  votre 
jeunesse,  dès  votre  enfance  même,  je  vous 
ai  prévenue  de  mes  giâces;je  vous  ai  don- 
né un  naturel  porté  à  la  religion,  à  la  piété; 
j'ai  permis  qu'il  ait  été  fortifié  par  une  édu- 
cation vraiment  chrétienne,  j'ai  dès  l-ors 
éloigné  de  vous,  tout  ce  qui  |)Ouvait  vous 
détourner  de  la  vertu  et  de  votre  salut;  je 
vous  ai  appelée  ensuite,  par  préférence  à 
une  infinité  d'auiris,  uu  saint  ctal  de  la  ry»' 


117 


DlSCOUTxS  DE  RETRAIT!:.  —  SECOND  JOUR. 


118 


ligion;  p<Mir  voi;s  y  faire  eiitror,"  j'ai  om- 
ployc^  (les  iiioyons,  vous  le  snvoz,  qui  tc;- 
Uiiienl,  on  (|afli]ue  sorle,  du  proilij^e  ;  de- 
puis que  vous  y  ôles  e'itréo,  niôuio  depuis 
vos  infidélités,  et  malgré  touies  vos  intidé- 
lités,  je  vous  ait  fait  une  inimité  de  grAces 
et  de  toute  esjiéce.  Hé!  qu'ai-je  pu  l'aire 
pour  vous  (|Uo  je  ne  l'aie  l'ail?  Ést-il  un 
jour,  esl-il  un  instant  môme  dans  votre 
vie,  qui  n'ait  été  mar  |ué  par  quelqu'inio 
de  mes  grâces,  accompagnée  de  (]uelqu'ua 
de  mes  bionl'ails  ?  ?Jon,  jo  n'ai  cessé  de  par- 
ler, en  mille  minières,  à  votre  cœur;  cœur 
ingrat,  vous  n'avez  répondu  à  tant  de  mar- 
ques de  mon  amour  que  par  des  infidéli- 
lés,  ma  bonté  vous  l'aliguait  pour  ainsi 
dire;  plus  j'ai  voulu  me  rapprocher  de 
vous  et  plus  vous  avez  travaillé  à  vous  éloi- 
gner de  moi  ;  vous  avez  rejeté  toutes  mes 
sollicitations,  vous  avez  abusé  de  toutes 
mes  glaces,  vous  avez  manqué  à  toutes  vos 
|)romesses,  vous  avez  rompu  tous  vos  en- 
gagements avec  moi,  vous  avez  profané  tous 
mes  dons;  jusqu'à  mes  sacrements,  jusqu'à 
mon  propre  corps,  vous  avez  tourné  tout 
en  crime,  tout  en  poison  :  or,  celte  bonté 
devient,  aujourd'hui,  justice  à  votre  égard; 
l'étendue  de  mes  miséricordes  doit  être  la 
mesure  de  mes  vengeances.  Ahl  une  seule 
de  vos  profanations  mérite  l'enfer,  et  mille 
fois  plus  que  l'enfer;  est-il  rien  qui  puisse 
venger  le  sang  outragé  de  votre  Dieu? 

III.  Mais  ce  qui  mettra  le  comble  à  la 
désolation  et  au  désespoir  de  cette  mauvaise 
religieuse,  dans  ce  grand  jour,  c'est  que 
cette  sentence  si  lerrib'e  dusouverain  Ju» 
ge,  par  la  raison  qu'elle  sera  infiniment 
équitable,  se  trouvera  absolument  irrévo- 
cable. Non,  Mesdames,  il  n'en  sera  pas  de 
celle  sentence  comme  de  celles  que  portent 
les  juges  de  la  terre.  Un  criminel  condamné 
ici-bas  peut  appeler  ,  et  appelle  en  effet, 
assez  souvent  de  ses  juges  à  des  juges  su- 
périeurs, et  soit  défaut  de  connaissances 
ou  de  formalités,  soit  créditou  quelqu'autre 
raison,  il  réussit  quelquefois  è  faire  révo- 
quer ou  modérer,  du  moins,  la  sentence 
portée  contre  lui;  mais  le  juge  des  anges 
et  des  hommes,  c'est  un  juge  infiniment 
éclairé  qui,  connaissant  parfaitement  el  la 
grandeur  de  son  être,  et  la  malice  du  péché, 
el  l'étendue  de  sesdroils  comme  Créateur, 
el  les  devoirs  de  ses  créatures,  ne  pourra 
que  porter  une  sentence  proportionnée  :  ce 
sera  d'ailleurs  le  juge  su()rèine,  le  Roi  des 
rois,  le  Seigneur  des  seigneurs  :  Rer  regum, 
Dominus  dominantiutn  {Apoc,  XIX,  16),  qui 
ne  recoiinuissanl  aucun  être  au-dessus  de 
lui,  ne  pourra  par  conséquent  être  réformé 
par  qui  que  ce  soit  en  ses  jugements;  co 
sera  de  plus,  un  juge  parfailemenl  désinté- 
ressé, que  toutes  les  richesses  de  la  terre 
lie  pourront  corrompre,  parce  que  toutes 
les  richesses,  que  tous  les  trésors  de  l'uni- 
vers lui  apitartiennent  el  qu'il  les  aura  mê- 
me déiruils  alors,  avec  la  mêrue  facilité 
(ju'il  les  a  tirés  du  néant. 

Ce  sera  un  Juge  irrité  (pii  ne  se  laissera 
plus  loucher  de  coiupassioii  :  présentement 


lorsqu'il  piniif,  c'est  un  père  qui  cl.Alio  s  s 
('iifaiils,  (|ui  les  oliâtie  à  regret,  qui  adoucit 
ses  cou()S,  qui  laisse  tomber  ses  verges,  dès 
qu'il  aperçoit  des  marques  do  douii'ur  et  dt; 
repentir:  c'est  en  un  mot  5  présont  le  Diiïu 
de  toute  bonté  :  mais  alors,  ce  sei'a  le  Dieiî 
dr-s  vengeances,  un  Dieu  en  colère,  résolu 
d'exterminer  des  coupables,  et  qui  ne  pren- 
dra d'autre  litre  h  leur  égard,  que  d'un 
Dieu  sans  mi^éricoi-de  :  A^o/nein  ejus ,  siiw 
misericordia.  {Ose.,  l,G.)  Ce  sera  un  juge 
absolu,  sans  égards  ni  prédilection  ;  !  s 
grands  noms,  les  naissances  illustres,  les 
litres  do  distinction  ne  l'effrayeront  point 
alors,  parce  que  les  rois  et  leurs  suj;!*,  hjis 
grands  elles  petits  se  trouveront  également, 
son  ouvrage;  disons  plutôt,  parce  que  tOiile 
grandeur  sera  anéantie,  et  que  lui  seu!  se 
trouvera  grand,  en  ce  jour. 

Mais  quoi  I  celte  persoime,  celle  mauv  use 
religieuse  ainsi  livrée  à  toute  l'indignation 
de  son  céleste  E;)0ux,  de  son  Dieu  ne  trou- 
vera-l-elle  donc  ni  dans  le  ciel,  ni  hors  du 
ciel  aucune  protection  qui  puisse  la  sous- 
traire à  sa  colère?  Non,  Mesdames.  Hé  là 
qui  pourrait-elle  avoir  recours?  h  la  Mèro 
de  son  Sauveur,  do  son  Kpoux,  à  la  divine 
Marie?  Elle  esl  à  la  vérité  le  refuge  des  pé- 
cheurs, le  secours  des  chrétiens,  la  protec- 
trice spéciale,  la  Reine  des  vierges;  mais 
celte  vierge  insensée,  après  lui  avoir  té- 
moigné dès  sa  jeunesse  une  tendre  dévo- 
tion, après  avoir  embrassé  un  institut  qui 
fait  profession  de  lui  être  dévoué,  en  se 
livrant  au  relâchemenf,  à  une  infraction  ha- 
bituelle de  ses  devoirs,  a  négligé  son  cullc 
jusqu'à  en  omettre  ses  anciennes  pratiques, 
jusqu'à  les  raé()riser  peut-être,  et  à  les  rail- 
ler dans  les  autres  ;  elle  est  morte  enfin 
dans  le  péché  eldans  la  haine  par  consé- 
quent de  Jésus  et  de  Marie  ;  comment  donc 
Marie  pourrait-elle  devenir  alors  son  avo- 
cate et  sa  prolectrice  auprès  de  Dieu?  Se- 
rait-ce aux  esprits  célestes,  à  celui  surtout 
qui  est  commis  à  sa  garde?  Mais  après  avoir 
résisté  si  longtemps  à  ses  inspirations  et 
l'avoir  indisposé  par  tant  de  fautes  et  ce 
prévarications,  que  pourrait-elle  en  atten- 
dre alors?  Serait-ce  aux  saints,  'aux  habi- 
tants du  ciel?  aux  saintes  de  son  ordre  sur- 
tout? Mais  uniquement  attachées  à  la  g'oire 
de  leur  Dieu  et  de  leur  institut,  s'iotérosse- 
ront-elles  pour  unereligieusequi  longtemps 
et  jusqu'à  la  morl  l'a  deshonoré,  cet  insti- 
tut, et  oulragé  leur  céleste  Ei)Oux?  Serail-ca 
aux  cimes  justes  ,  aux  bonnes  religieuses 
avec  lesquelles  elle  a  vécu?  Mais  méprisées, 
raillées  ,  persécutées  peut-être  par  elle  , 
sans  chercher  à  se  venger,  ne  solliciteront- 
elles  pas  plutôt  le  Seigneur  de  venger  sa 
propre  gloire  outragée  dans  leurs  person-. 
nés?  Serait-ce  donc  aux  âmes  infidèles,  aux 
mauvaises  religieuses  qui  ont  été  les  com- 
pagnes ou  les  imitatrices  de  son  relûciie- 
meni, de  ses  infidélités?  Mais  ennemies  de 
leur  Dieu  comme  elle,  condamnées  et  ré- 
(U'ouvées  comme  elle,  si  elles  osaient  de- 
mander une  grâce  au  souverain  Juge,  co 
serait  non  i)as  _de   lui  pardonner,  mais  d>i 


UQ 


ORATEURS  S\rRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


1-20 


piinir  promptcmenl  nans  elle,  lant  de  pé- 
chés et  (le  scandales,  la  cause  de  leurs  pro- 
pres fK^cliés  et  le  principe  de  leur  propre 
coiidanmalion  peut-être.  i 

Ainsi  cette  religieusecondamnée  par  son 
Dieu,  par  son  céleste  Epoui;  condamnée 
|)ar  les  anges  et  par  les  hommes;  condam-" 
née  par  toutes  les  créatures,  parelle-môme, 
suspendue  un  moment  encore,  entre  deux 
éterîiilés  sans  espérarce  et  sans  appui  ; 
elle  verra  et  verra  pour  la  dernière  fois, son 
Juge,  son  Sauveur,  son  Epoux  et  son  Dieu 
emmener  en  triomphe  avec  lui,  parmi  ses 
élus,  ses  épouses  fidèles  et  chéries,  pour 
les  rendre  souverainement  heureuses  et 
heureuses  à  jamais,  aumfiraeinstantqu'elle 
se  verra,  avec  tous  les  autres  réprouvés, 
précipitée  dans  les  flammes  de  l'enfer, pour 
y  soutl'rir  les  plus  allreux  lourmenls,  et 
pour  y  former  sur  la  perle  de  son  Dieu,  di; 
son  divin  et  ainiable  E|)0ux,des  regrets 
inutiles  et  éternels. 

Ah  I  Mesdames,  nous  croyons  vous  et  moi 
<i  ce  jugement  dernier  dont  je  viens  de  vous 
doîiner  une  légère  idée,  et  cependant  n'a- 
gissons-nous point  comme  si  nous  étions 
persuadés  cpie  tout  dût  finir  pour  nous  avec 
la  vie?  Quel  aveuglement!  quelle  folie  1 
E!i  quoil  si  l'on  venait  ici  nous  menacer 
de  quelque  calamité  temporelle,  balance- 
rions-nous à  prendre,  pour  l'éviter,  les 
plus  sages  précautions?  il  s'agit  d'un  juge- 
ment rigoureux  qui  doit  décider  de  notre 
destinée  éternelle,  d'un  jugement  que  nous 
subirons  sûrement  et  que  nous  subirons 
dans  peu  ;  car  vous  ne  l'ignorez  pas,  ce  ju- 
gement dernier  ne  sera  qu'une  ré()étilioa 
du  jugement  particulier  que  chacun  de  nous 
doit  subir  aussitôt  après  la  mort;  l'examen, 
Ja  conviction,  la  sentence,  tout  si  vous  en 
exceptez  la  confusion  [)ublique  tout  sera  le 
même;  voulons-nous  donc  ne  pas  craindre, 
vouloKs-nous  paraître  du  moins  avec  quel- 
que confiance  devant  le  souverain  Juge, 
faisons  dès  à  présent,  avec  fi-uit,  ce  qu'il 
fera  pour  lors  contre  nous  ;  jugeons-nous 
nous-mêmes,  mais  jugeons-nous  comme  il 
nousjugera;  examinons-noussérieuscmen'  ; 
au  lieu  d'éviter  de  nous  voir-et  de  nous 
connaître,  ce  qui  a  causé  lant  de  préjudice 
h  notre  ûrae,  sondons  scru[»uleusement 
notre  propre  cœur  ;  ne  craignons  point  d'en 
Yoir  toute  la  malice,  tous  les  égarements, 
et  d'en  faire  un  humble  et  sincère  aveu  au 
minislre  de  la  péniience;  que  la  honte  de 
découvrir  des  taules  (lue  nnns  n'avons  point 
eu  honte  de  commettre,  bien  loin  de  nous 
lermer  la  bouche,  soit  au  contraiie  une  des 
premières  [)reuves  et  un  des  premiers  elfels 
lie  notre  conversion. 

Oui,  Seigneur,  je  vous  en  fais  ici  la  pro- 
messe, de  travailler  promplement  et  plus 
que  jamais  à  purider  ma  conscience,  telle 
que  j.e|voudrai  l'avoir  fait  en  sortant  de 
ce  monde;  je  n'en  resterai  [)oint  là  ;  saciiant 
que  je  ne  puis  espérer  de  vous,  un  jour, 
miséricorde  pour  tous  ces  péchés,  si  je  ne 
îes  expie  sur  la  leire  par  la  pénitence,  et 
Pagjiaiit  également  que  de  louie.s  les  péni- 


tences, celle  qui  vous  sera  la  plus  agréable, 
c'est  d'accomplir  tidèloment  les  devoirs  du 
saint  état  que  j'ai  embrassé,  j'en  prends  la 
résolution  aujourd'hui,  ;el  de  vous  offrir, 
chaque  jour,  en  expiation  de  mes  infidélités 
passées,  toutes  les  peines,  les  humiliations, 
les  contradictions  (]ue  j'y  pourrai  rencon- 
trer. Ah!  toute  satisfaction  doit  paraître 
légère  à  qui  a  mérité  l'enfer;  pour  m'en- 
courager  à  surmonter  foute  tentation  de 
dégoût  et  pour  persévérer  constamment 
dans  cette  exacte  fidélité  à  tous  mes  de- 
voirs, je  me  transporterai  de  temps  en 
temps,  en  esprit,  à  voire  redoutable  tribu- 
nal ;  je  méditerai  souvent  la  terrible  sen- 
,  tence  que  vous  devez  y  prononcer  contre 
tous  les  réprouvés;  enfin,  quelque  sainte 
et  régulière  que  puisse  être  ma  conduite, 
à  l'avenir,  je  me  délierai  beaucoup  de  moi- 
même.  Ah  !  les  Jérôme,  les  Hilarioa  et  tant 
d'autres  saints  et  saintes,  après  la  vie  la 
plus  longue  et  la  plus  ausière,  tremblaient 
encore  à  la  seule  pensée  de  vos  redoutables 
jugements  :  cette  crainte  cependant,  ô  mon 
Dieu,  sera  toujours  accompagnée,  dans 
mon  cœur,  de  la  confiance  ;  vous  le  voulez 
ainsi  ;  non,  l'idée  du  votre  miséricorde  n'y 
sera  jamaissép'arée  de  celle  do  votre  justice; 
afin  que  si  la  vue  de  voiie  justice  me  fait 
opérer  mon  salut  avec  crainte  et  tremble- 
ment, en  me  faisant  éviter  toute  lâcheté  et 
toute  présomption,  la  vue  aussi  de  votre 
miséricorde,  en  éloignant  do  moi  toute  pen- 
sée déses[)érante,  m'armera  de  la  plus  vivo 
confiance  en  vous  ;  elle  m'ins()irera  pour 
vous,  ô  mon  Dieu,  ô  mon  céleste  Epoux, 
un  amour  sincère,  généreux,  constant,  qui, 
après  m'avoir  fait  vivre  de  la  vie  de  vos 
sai;  tes  épouses  sur  la  terre,  me  procurera 
un  jour  la  récompense  que  vous  leur  ré- 
servez dans  le  ciel.  Ainsi  soit-il. 
TROISIEME  JOUR. 
Premier  discours. 
SUR  l'exercice  de  i.a  pémtence. 

Pœnilentiam  a^ilp,  appropinquat  eniin  regniim  cœ- 
lorum.  (.Wa<(/j.,IV,  17.) 

Failes  péjiileuce,  parce  que  le  roijanme  (les  deux  e^t 
proche. 

Voilà,  Mesdames,  ce  que  Jésus-Christ  di- 
sait souvent  aux  Juifs,  en  les  exhortant  à 
sortir  de  leur  aveuglement,  de  leurs  crimi- 
nelles dispositions,  h  son  égard  ,  et  à  le  re- 
connaître [)our  le  Messie,  et  voilà  ce  que  !es 
ministres  de  ce  Dieu  Sauveur  ne  cessent 
de  répéter  d'après  lui ,  à  tous  li'S  pécîieurs, 
pour  les  engager  à  satisfaire  dès  cette  vie, 
à  la  justice  de  leur  Dieu,  et  à  s'assurer  par 
là,  une  place  dans  son  royaume  :  Pœniten^ 
tiam  agite.  Cependant  quelque  fréquentes 
et  quelque  imjiorlanles  que  .soient  sur  cela 
leurs  exhortations,  qu'il  en  est  peu  (pii  pa- 
raissent s'y  rendre  dociles,  et  dans  tous  les 
états!  Les  chréliens  du  siècle  renvoient, 
pour  l'ordinaire,  au  cloître,  tout  exercice 
de  la  pénitence,  et  la  regardent  tout  au  plus 
comme  une  vertu  louat)lo  à  la  vérité,  mais 
qui  ne  les  oblige  [)oint  eux-mêmes.  Parmi 
les  personnes  qui  habitent  le  cloître,  quoi- 
que dans  un  état  uniquement  consacré  à  la 


421 

inortificniion  ,  à  la  pénitence,  qu'il  en  est 
qui  ciierclienl  assez  souvent  et  sous  mille 
faux  pi'élexles,  à  s'en  dispenser  et  à  s'ap- 
procher le  plus  qu'elles  peuvent  de  la  vie 
aisée  et  commode  des  chrétiens  du  monde  I 
ou  du  moins  la  pénitence  h  laiiuelle  ellis  se 
livrent  leur  devient ,  faute  de  dispositions 
essentielles,  inutile  et  insuOisanle  aux  yeux 
de  Pieu.  Je  viens  donc  ici,  Mesdames,  vous 
préserver  de  ces  illusions  et  do  ces  préju- 
gés et  pour  cela  je  dis  en  premier  lieu,  que 
la  pénitente  n'es!  point  de  si'.uple  conseil 
pour  vous,  mais  d'une  nécessité  absolue  ; 
je  vous  le  ferai  voir  dans  la  première  partie 
de  ce  discours;  je  dis  en  second  lieu  ,  que 
toute  pénitence  n'est  agréab'e  à  Dieu,  ni 
méritoire  par  conséquent,  qu'autant  qu'elle 
est  accom[)ugnée  de  certaines  dispositions 
qui  scrunl  la  matière  de  la  seconde  partie. 
En  deux  ujots,  la  nécessité  dans  laquelle 
vous  êtes  de  faire  pénitence  :  les  disposi- 
tions dans  lesquelles  vous  devez  être,  pour 
fiiire  une  vraie  pénitence;  c'est  là  tout  le 
sujet  de  ce  discours  :  honorez-moi,  s'il  vous 
plait,  de  toute  votre  alteuliou.  Ave,  Maria. 

PBEill^RE    PARTIR 

Voulant  ici,  ^Jes1Jam^;s,  vous  convaincre 
de  l'obligation  dans  laquelle  vous  êtes  de 
faire  pénitence,  je  pourrais  insister  sur  les 
différents  titres  de  ii.'les  d'Adam;  de  chré- 
tiennes et  de  religieuses  que  vous  portez; 
toutes  enfants  d'un  père  prévaricateur, 
pourrais-jc  vous  dire,  en  vous  rapjielanlii 
voire  première  origine,  vous  ne  pouvez 
sans  prévariqiier  vous-mêmes,  vous  dis- 
penser d'une  vie  pénible  et  laborieuse  h 
.aquelle  vous  avez  été  condamnées  avec 
lui  :  toutes  disciples  comme  chrétiennes, 
et  toutes  de  [ilus,  épouses,  comme  religieu- 
ses d'un  Dieu-Homme  souffrant  et  crucilié, 
poiirrais-je  vous  ajouter  en  vous  ra[)pelant 
et  aux  engagements  de  votre  baptême  et  à 
ceux  que  vous  avez  contractés  en  entrant 
dans  la  religion,  vous  ne  [louvez  devenir 
conformes  à  Jésus-Christ  votre  chef,  votre 
époux  et  votre  modèle,  que  par  une  vie  pé- 
nitente et  mortiliée.  Mais  sans  m'arrôierà 
tous  ces  motifs,  je  me  borne  à  un  autre , 
capable  lui  seul  de  vous  faire  vaincre  sur 
cela  toutes  vos  ré[)ugnances,  ce  sont  les 
|iéchés  que  vous  avez  commis  depuis  que 
vous  êtes  sur  la  leire. 

Oui,  Metdami  s,  vous  avez  péché,  nous 
avons  tous  péché;  voilà  ce- que  nous  ne 
pouvons  nous  dissimuler  à  nous-rnêines 
sans  nous  faire  illusion,  et  ce  dont  nous  ne 
pourrions  disconvenir,  sans  aller  contre  la 
vérité,  dit  saint-Jean;  vous  avez  donc  |)é- 
ché  et  dans  le  temps  que  vous  habitiez  le 
monde  et  de[)uis  que  vous  l'avez  quitté, 
pour  vous  consacrer  entièrement  à  votre 
Dieu  dans  la  retraite.  Hélas  !  (pie  de  fau- 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  >-  TROISIEME  JOUR. 


122 


don  de  cette  injure,  c'est  de  faire  pénitence; 
vous  avez  péché,  et  en  péchant  vous  avez 
mérité  d'être  sévèrement  |)utiies  de  votro 
Dieu  ;  or  le  moyen  d'expier  cette  peine  cpio 
vous  avez  méritée,  c'est  de  vous  livrer  aux 
travaux  de  la  pénitence.  Knlin  vous  avez 
péché  et  en.  {.échant  vous  avez  accoutumé 
votre  cœur  au  péclié,  vous  avez  augmenté 
dans  vous  ce  malheureux  penchant  que 
vous  aviez  et  que  nous  avons  tous  pour  le 
péché  :  or  le  moyen  de  le  détruire  ou  do  lo 
combattre  du  moins  avec  succès,  ce  pen- 
chant, c'est  de  vivre  dans  l'exercice  de  la 
pénitence.  Ainsi  la  pénitence  vous  est  donc 
absolument  nécessaire  et  pour  obtenir  le 
pardon  do  vos  péchés  et  pour  expier  la 
peine  due- à  vos  péchés,  et  pour  ne  [)lus  re- 
tomber à  l'avenir  dans  vos  péchés  ;  suivez- 
moi  ,  s'il  vous  [liait. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  vous  de- 
vez faire  |)énitenco  pour  obtenir  le  jiardon 
de  vos  péchés.  Tout  péché,  j'entends  sur- 
tout. Mesdames,  ces  péchés  (jui  donnent 
la  mort  à  l'âme,  tout  péché  est  un  mépris 
souverain  de  la  Divinité,  une  ingratitude 
énorme  envers  la  Divinité.  Vous  n'avez 
donc  pu  en  commettre  un  seul  sans  outra- 
ger votre  Dieu  et  sans  devenir  ses  enne- 
mies; mais  à  cette  vérité  déjà  si  humiliante 
pour  vous,  je  dois  en  ajouter  une  autre 
aussi  certaine  et  plus  liumilianle,  plus 
allligeante  encore,  c'est  qu'après  avoir  ainsi 
offensé  votre  Dieu,  et  être  devenues  ses 
ennemies  par  le  péché,  vous  ne  pouvez  être 
absolument  certaines  en  cette  vie,  d'avoir 
reçu  le  pardon  de  votre  ;péché,  et  d'ôtie 
rentrées  en  grâce  auprès  de  lui. 

Cependant,  en  établissant  ici  ces  tristes 
vérités,  je  dois  convenir  (juo  si  vous  ne 
pouvez  vous  assurer  parfaitement  en  cette 
vie,  du  retour  de  la  grâce  sanclitiante,  dans 
votre  cœur,  vous  ne  manquez  pas  de  moyens 
propres  à  vous  rassurer;  or  un  de  ces 
moyens,  et  des  moins  équivoques,  c'est 
l'exercice  de  la  pénitence  :  l^ourquoi  cela? 
Ah  I  Mesdames,  c'est  que  si  nous  consultons 
les  divines  Ecritures,  nous  y  voyous  notre 
Dieu  exiger  la  pénitence  comme  un  moyen 
d'obteiiir  le  pardon  des  |)échés;  c'est  que  de 
plus,  nous  l'y  voyons  pi'ometlre  et  accordur 
toujours  le  pardon  des  péchés  à  la  péni- 
tence. Vous  avez  offensé  votre  Dieu,  disait 
un  projjhète  aux  Juifs  prévaricateurs  ;  l'u- 
nique moyen  d'apaiser  sa  colère  [)rôte  à 
éclater  sur  vous,  c'est  de  vous  couvrir  de 
cutuiru  et  de  cilice,  c'est  de  pleurer  sincô- 
renient  vos  iniquités,  de  pousser  des  cris 


tes,  que  de  transgressions  des  [.réceples  de 
do  l'Evangile!  Que  d'inhdélités  encore,  que 
d'inliaciions  peut-être  des  vœux  et  des  en- 
gagements sacrés  de  la  religion!  Vous  avez 
péché  mais  en  péchant  vous  avez  fait  injure 
à  votre  Dieu:  or  le  uioyeii  d'obtenir  le  par-. 


la  redoublés  vers  le  ciel  ;  voilà  la  pénitenco 
ordonnée.  Si  l'impie,  dit  le  Seigneur  par  ua 
autre  de  ses  prophètes,  fait  [lénitence,  toutes 
ses  iniquités  ne  lui  seront  point  iin})utées, 
et  elles  deviendront  à  ujon  égard,  comme  si 
elles  n'avaient  jamais  été  :  Non  reconlahor 
{Fzech.,  XVI1I,22);  voilà  le  jiardon  pr(jmis 
à  la  yén'iiencti.  Si  vous  ne  [ailes  pénilence,  (lil 
le  Fils  de  Dieu  lui-même,  vous  périrez  tous 
également  (/>ue,,  Xill,  5)  ;  voilà  la  nécessilô 
de  la  |)énilence.  Fuites  pénitence,  disait 
saint  Pierre  aux  Juifs,  touchés  et  clfrajés 


123 


ORATEURS  SACRES.  L'ABDE  DE  MONTIS. 


m 


de  ses  [irédicalions,  et  recevez  le  baptême,  pour 
la  remission  de  vos  péchés  {Act.,l[,  38)  ;  voilà 
la  promesse  ilu  f)or(lon  faile  à  la  péiiilence, 
promesse  authentique  que  le  Seigneur  nous 
répèle,  une  iiifiiiiié  de  fois,  par  la  bouche 
de  ses  prophèies  et  de  ses  apôtres,  pro- 
messe qu'il  exé'Ute  eu  elTet. 

Car,  en  consultant  toujours  les  divines 
Ecritures,  c()ral)ien  de  [)échcurs,  et  de  gran  Is 
péciieurs  auxquels  la  pénitence  a  obtenu 
une  entière  rémission  de  leurs  crimes  1 
Aussi  l'Eglise  lou_joiirs  animée  du  l'esprit 
de  son  divin  Epoux,  dès  les  premiers  siècles 
de  son  établissement,  n'admettait  les  pé- 
cheurs à  la  réconciliation,  qu'après  leur 
avoir  fait  expier  leurs  péchés,  par  de  lon- 
gues et  pénibles  satisfactions  :  nous  ne  la 
voyous  |)lus,  à  la  véri'é,  appli|uer  ces 
règles  sévèr.'S  de  pénitence  ;  mère  charitable 
et  prudente,  lorsqu'elle  a  vu  ses  enfanis 
perdre  celte  première  ferveur  du  christia- 
nisme, elle  a  cru  devoir  se  relâcher  de  son 
extérieure  sévérité  ;  mais  ne  nous  abusons 
pas  cependant,  en  changeant  de  conduite, 
elle  ri'cj  pas  changé  d'esprit,  et  si  elle  s'em- 
presse aujourd'hui  de  réconcilier  les  pé- 
cheurs, elle  ne  les  dispense  pas,  pour  ce'a, 
de  faire  pénitence;  ce  n'est  même  toujours 
qu'après  leur  avojr  imposé  quelques  peines 
saiisfactoires,  qu'elle  prononce  sur  eux,  la 
sentence  de  réconciliation. 

Vous  donc,  épouse  de  Jésus-Christ,  vous 
qui,  après  avoir  eu  le  malheur  de  vous  éloi- 
gner de  lui  et  de  l'otrenser,  et  |)eut-être 
inôrae,  depuis  que  vous  l'avez  pris  pour 
votre  Époux,  dans  la  religion,  vous  qui  avez 
paru  revenir  à  lui  et  vous  convertir;  vous 
qui,  dans  de  certains  moments  de  réflexions 
sérieuses,  paraissez  inquiète,  incertaine  si 
le  Seigneur  vous  a  pardonné  ,  voulez-vous 
en  juger  sainement?  Rentrez  ici,  pour  un 
moment,  au-dedans  de  vous;  rappelez-vous, 
dans  quels  sentiments  vous  vous  êtes  ()ré- 
sentée  au  sacré  tribunal,  et  avec  quelles 
dispositions  vous  en  êtes  sortie.  Etiez-vous 
alors  sincèrement  déterminée  à  venger  sur 
vous  voire  Epoux  et  votre  Dieu,  outragé 
par  vos  infidélités?  Vous  ètes-vous  livrée, 
en  effet,  à  des  travaux  pénibles,  qu'inspire 
toujours  un  esprit  vraiujent  pénitent?  Ah! 
dans  ce  cas,  je  n'hésite  point  à  vous  le 
dire;  rassurez-vous.;  Mais  n'auriez- vous 
point  cru,  au  contraire,  qu'il  vous  sullisait 
de  déclarer,  à  un  ministre  de  l'Eglise,  vos 
péchés,  et  de  l'entendre  prononcer  sur  vous, 
les  paroles  de  la  réconciliation,  sans  rien 
faire  de  plus?  S'il  en  était  ainsi,  que  vous 
devez  craindre,  ce  n'est  point  dire  assez, 
vous  devez  être  assurée  que  le  Seigneur 
n'a  point  agréé  votre  repentir,  et  que  par  ce 
défaut  de  disposition  à  la  pénitence,  il  n'a 
I)oint  ratifié  dans  le  ciel,  cette  sentence 
d'absolutior,  portée  en  votre  faveur,  sur  la 
terre,  par  un  ministre  trop  crédule  et  trop 
indulgent  peut-être. 

II.  Mais  je  vais  plus  loin  présentement,  je 
veux  que  vous  soyez  véritablement  rentrée 
en  grâce  auprès  de  votre  Dieu,  que  vous  en 
ayez  môme  loutc  la  certitude  qu'on  pi'ul  en 


avoir,  en  cette  vie;  je  dis  plus,  quand  un 
prophète  serait  venu  vous  apprendre,  comme 
autrefois  à  David,  que  le  Seigneur  a  oublié 
vos  iniquités;  quand  vous  auriez  entendu, 
de  la  bouche  môme  du  Fils  de  Dieu,  comme 
Madeleine,  que  vos  péehés  vous  sont  remis, 
je  devrais  toujours  vous  dire  que  vous  êtes 
encore  obligée  de  faire  pénitence.  Pourquoi 
cela?  Ah!  c'est  que  pour  vous  rappeler  ici 
une  vérité  que  vous  avez  dû  a[)prendre  avec 
les  éléments  du  christianisme  et  que  vous 
n'avez  pas  dû  oublier,  c'est  que  le  Seigneur, 
on  vous  pardonnant  l'injure  que  vous  lui 
avez  faite  par  le  péché,  ne  vous  a  pas  pour 
cela  remis  toute  la  peine  que  votre  péché 
avait  méritée.  Non,  Mesdames,  et  remar- 
quez bien  ceci,  je  vous  prie;  après  avoir 
malheureusement  perdu  sa  grâce  et  son 
amitié,  par  le  péché,  et  surtout,  après  l'a- 
voir otfensé  encore,  depuis  qu'il  vous  a  fait 
l'honneur  de  vous  mettre  au  rang  de  ses 
épouses,  il  pouvait  vous  rejeter  pour  tou- 
jours, et,  malgré  votre  repentir,  vous  ré- 
prouver sans  miséricorde;  il  pouvait  aussi 
tellement  attacher  la  grâce  de  son  pardon, 
à  votre  repentir,  qu'il  ne  vous  restât  plus 
rien  à  expier  par  la  pénitence;  mais  si  la 
première  de  ces  voies,  paraît  peu  conforme 
aux  vues  de  sa  miséricorde,  il  semble  aussi 
(jue  la  seconde  eût  violé  les  droits  de  sa 
ju.siice;  qu'a-t-il  donc  fait?  Ah  1  Mesdames, 
c'est  ici  que  vous  devez  admirer  les  bontés 
infinies  do  votre  Dieu,  dans  la  conduite 
qu'il  a  tenue  à  votre  égard  ;  il  a  réuni  admi- 
rablement ces  deux  grandes  perfeciions,  la 
justice  et  la  miséricorde;  par  le  péché,  vous 
l'aviez  offensé  et  vous  étiez  devenues  ses 
ennemies,  et  lorsque  vous  êtes  reiournées 
h  lui,  il  vous  a  pardonné  et  vous  a  rendu 
son  amitié,  voilà  la  miséricorde;  mais  par 
le  péché,  vous  aviez  mérité  l'enfer  :  or  cette 
peine  éternelle,  à  cause  de  la  sincérité  de 
votre  conversion,  il  a  bien  voulu  la  changer 
dans  une  peine  temporelle,  voilà  la  justice  : 
admirable  tempérament  de  la  sagesse  infinie 
de  votre  Dieu, "dans  lequel  il  paraît  avoir  eu 
autant  égard  à  votre  intérêt  qu'à  sa  jiropre 
gloire,  et  où  par  conséquent  sa  miséricorde 
a  égalé  sa  justice,  puisque,  comme  le  re- 
marque saint  Augustin,  si  en  vous  pardon- 
nant le  péché,  il  ne  vous  remet  pas,  pour 
l'ordinaire,  toute  la  peine  qui  lui  est  due, 
ce  n'est  que  pour  vous  en  faire  mieux  con- 
cevoir la  malice  et  l'énormité,  et  pour  vous 
inspirer,  par  là,  plus  d'horreur  et  d'éloi- 
gnement.  Et  en  effet,  si  malgré  cette  peine 
qui  reste  attachée  au  péché,  nous  le  com- 
mettons si  facilement,  que  serait-ce  si  nous 
n'avions  jamais  à  donner  à  notre  Dieu,  pour 
toute  satisfaction,  que  quelques  signes  do 
douleur  et  de  repentir? 

Ainsi  cette  vérité  une  fois  bien  établie  de 
la  nécessité  d'une  satisfaction,  il  ne  vous 
reste  donc  à  vous,  qui  avez  tant  de  chutes 
peut-être  et  d'infidélités  à  vous  re[)rocher, 
qu'à  vous  en  punir  vous-uiôioes,  dès  cette 
vie,  ou  d'en  remettre  pour  l'autre  la  puni- 
tion à  votre  Dieu  ;  d'agir  présentement  avec 
une   sainte   sévérilé  contre    vouï-mômuSj 


1-25 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  TROISIEME  JOUR 


126 


ou  de  vous  exposer  à  toute  !a  sévérité  de 
votre  Dieu;  or  y  a-l-il  à  balancer? 

Al)  1  Mesdames,  qu'il  est  terrible,  et  sur- 
tout pour  une  personne  Siiécialemi'nt  con- 
sacrée à  Dieu,  de  louibrr  cnire  les  mains 
de  ce  Dieu  tout-puissant,  détinuité  h  se 
faire  justice  par  lui-même!  Quenepuit-e 
vous  re()réseuter  ici  la  triste  situation  de 
ces  personnes,  et  de  ces  persuniies  reli- 
gieuses suriout,  qui  sorieiit  de  ce  monde, 
sans  avoir  [)leiiienient  satisfait  à  la  justice 
de  leur  Dieu  !  que  ne  puis-je  vous  laire 
connaître  tout  ce  qu'elles  ont  à  soulfrir,  de 
ce  feu  allumé  par  le  Seigneur,  pour  venger 
sa  gloire,  feu  actif  cl  jaloux,  destiné  à  pu- 
rifier les  âmes  de  leurs  moind;es  souillures, 
feu  cruel  et  dévorant  du  purgatoire  dont  les 
supplices,  comme  le  pensent  plusieurs  Pères 
ei  docteurs  de  l'Eglise,  ne  ditlèrenl  de 
ceux  de  l'enfer  que  par  l'espérance  qui  s'y 
trouve  et  d'où  les  âmes  ne  doivent  sortir 
qu'après  avoir  payé  jusqu'à  la  dernièie 
oboK',  pour  me  servir  de  l'expression  de 
l'Evangile  1  A  quoi  pensez-vous  donc,  lors- 
qu'après  bien  des  offenses,  grand  nombre 
ii'inlidélilés,  vous  négligez  les  plus  légères 
satisfactions?  Que  faites-vous  lorsque, 
dans  un  état  tout  consacré  à  la  mortilica- 
lion,  vous  évitez  toute  pénitence?  Hélas  1 
vous  vous  réservez  à  de  longs  et  de  rigou- 
reux supplices;  vous  travaillez  de  plus  à 
retarder  votre  t)onheur  éternel  :  entendez- 
donc  mieux  vos  intérêts,  vous  pouvez  pré- 
sentement, avec  très-peu,  payer  beaucoup 
à  votre  Dieu;  mais  aussi,  souvenez-vous 
que  plus  vous  vous  serez  épargnées,  dans 
cette  vie,  et  moins  le  Seigneur  vous  par- 
donnera dans  l'autre,  que  plus  vous  aurez 
été  indulgentes  pour  vous-mêmes,  et  plus 
voire  Dieu  usera  de  sévérité  à  votre 
égard 

Ili.  Mais  s'il  se  trouvait  ici  [de  ces  per- 
sonnes qui  paraissent  peu  redouter  les 
peines  de  l'autre  vie,  pourvu  qu'elles  ne 
soient  point  éternelles,  je  dois  leur  allé- 
guer un  troisième  motif  et  bien  puissant, 
pour  les  engager  à  faire  pénitence,  c'est 
qu'elle  leur  est  absolument  nécessaire,  pour 
se  préserver  du  péché.  Oui,  Mesdames, 
pour  nous  préserver  du  péché,  et  pour  per- 
sévérer dans  la  grâce,  vous  le  savez,  outre 
une  bonne  volonté  de  notre  part,  il  faut  de 
plus,  du  côté  de  Dieu,  des  secours  abon» 
dants,  des  grâces  fortes,  et  des  secours 
d'autant  plus  aboudanis,  des  grâces  d'autant 
plus  fortes,  que  nous  avons  vécu  plus  luiig- 
Icmps  dans  le  péché,  et  que  nos  mauvaises 
habitudes  ont  jelé  de  plus  |)rorondes  ra- 
cines: or  ces  Secours  aboudanis  (jue  nous 
ne  pouvons  nous  procurer,  par  nos  propres 
forces,  ces  grâces  furtes  et  extraordinaires 
que  Dieu  ne  nous  doit  point,  à  qui  les  don- 
nera-t-il?  Sera-ce  à  ces  personnes  qui,  après 
l'avoir  longtemps  offensé,  bornent  à  quel- 
ques courtes  prières,  loule  leur  satisfaction? 
Ne  sera-ce  pas  j)lutoi  à  celles  qui,  pénétrées 
de  douleur  à  la  vue  de  toutes  leurs  intidé- 
lité.s,  entrent  dans  une  sainte  iudignalion 
contre  ciles-mômes,  et  se  livrent  courageu- 


sement aux  travaux  les  plus  rigoureuxde  la 
pénitence? 

Voilà  en  effet  ce  que  l'Eglise  a  vu  dans 
tous  les  temps,  et  avec  la  plus  grande  con- 
solation ;  des  pécheurs  convertis  l'édifier 
autant  par  la  sévérité  de  leur  pénitence, 
qu'ils  l'avaient  affligée  par  leurs  désordres  ; 
des  personnes  célèbres  quelquefois  par  leurs 
dérèglements,  dévenir  d'illustres  pénitentes. 
Ce  n'était  pas  seulement  pour  obtenir  le 
pardon  de  leurs  péchés,  et  pour  les  expier, 
dès  cette  vie;  la  vivacité  de  leur  repentir, 
l'ardeur  de  leur  amour  pour  Dieu,  les 
grâces,  les  consolations,  les  faveurs  extra- 
ordinaires dont  il  les  comblait,  auraient  pu 
les  tranquilliser;  mais  après  avoir  eu  le 
malheur  d'offenser  leur  Dieu,  elles  vou- 
laient se  mettre  dans  une  heureuse  impos- 
sibilité, pour  ainsi  dire,  de  l'olfenser  en- 
core; or  elles  savaient  que  le  grand,  que 
l'unique  moyen  pour  y  réussir,  c'était  de  se 
mettre  dans  un  étal  de  pénitentes;  elles 
étaient  convaincues  qu'il  n'y  avait  que 
l'exercice  d'une  sévère  pénitence  qui  pût 
rendre  efficaces  leurs  bonnes  résolutions, 
et  qui  pût  achever  de  détruire  en  elles  l'ha- 
bitude du  péché,  qu'elles  avaient  malheu- 
reusement contractée. 

Mais  pour  vous  convaincre  encore  plus, 
vous  en  particulier  et  qui  sentez  intérieu- 
rement, et  qui  ne  montrez  que  trop  à  l'ex- 
térieur peut-être,  votre  éloignement  pour 
toute  espèce  de  mortification,  pour  vous 
convaincre  combien  il  est  essentiel  de  vivre 
dans  la  pénitence  pour  persévérer  dans  la 
grâce,  je  ne  veux  ici  d'autre  exemple  que 
vous-même;  tant  de  fois  réconciliée  au  Sei- 
gneur, pourquoi  avez-vous  fait  jusqu'ici 
d'aussi  promptes  et  d'aussi  fréquentes  re- 
chutes? Humblement  prosternée  aux  pieds 
d'un  ministre  de  Jésus-Christ,  aux  appro- 
ches des  grandes  solennités  surtout,  ou 
dans  des  temps  de  solitude  et  de  retraite, 
le  cœur  pénétré,  ce  semble,  d'une  vraie 
douleur,  vous  lui  aviez  promis  et  à  votre 
Dieu  par  conséquent,  de  qui  il  tenait  la 
place,  de  vous  observer  à  l'avenir,  d'éviter 
ces  fautes,  ces  infidélités,  ces  transgres- 
sions que  vous  vous  reprochiez  et  dont 
vous  vous  accusiez;  vous  lui  aviez  promis 
d'être  désormais  toute  à  votre  Dieu,  comme 
vous  le  lui  aviez  juré,  en  prononçant  vos 
vœux  solennels;  vous  parliez  de  bonne  foi, 
je  veux  le  croire;  pourquoi  donc  des  pro- 
messes si  sincères  sont-elles  devenues  si 
peu  efficaces?  Comment  avez-vous  pu  re- 
tomber si  facilement  dans  ces  fautes,  dans 
ces  infidélités  que  vous  délestiez  si  sincè- 
rement? Avec  de  si  grands  sentiments, 
pourquoi  si  peu  de  persévérance?  Ahl  n'y 
aurioz-vous,  de  vous-même  jamais  pensé? 
A[)[)renez-le  du  moins  aujourdhui,  et  qu'une 
si  fatale  expérience  vous  rende  plus  cir- 
conspecte à  l'avenir;  vous  n'êtes  redevenuo 
si  infidèle  au  céleste  Kpoux  que  [)Our  ne 
vous  être  jamais  rendue  vraiment  péni- 
tente, ou  [)Our  avoir  trop  tôt  cessé  de  l'être, 
voilà  la  vraie  cause.  Lorsque  le  ministre  du 
s;icremcnt,  également  éclairé  et  zôlé   uour 


127 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOiNTIS. 


125 


votre  sanclificalion,  je  le  suppose,  vous  ré- 
concilia au  Seij,'iiem',  en  vous  imposant 
quelques  prières  ou  quelques  œuvres  sa- 
li sfdctoires,  il  eut  l'allenlion  de  vous  faire 
remarquer  que  vous  étant  rendue  aussi  in- 
fidèle h  votre  Ditu,  vous  no  deviez  pas 
vous  horn^r  à  ce  [leu  qu'il  vous  imposait, 
cl  qu'il  n'était  point  d'autre  mojon  pour 
vous  de  persévérer  dans  la  grâce  et  dans 
l'anaitié  de  votre  céleste  Epoux,  que  de 
mener  désormais  une  vie  de  contrainte  et 
de  raorlilication  ;  il  njla  même  jusqu'à  vous 
indiquer  le  genre  de  morlitiration  et  do 
pénitence  qui  était  [ilus  conforine  aux  in- 
firraiiés  de  votie  âme  et  à  l'état  saint  que 
vous  aviez  embrassé  ;  vous  le  (0n)|)rîles 
bien  alors;  dans  ces  moments  de  recueille- 
ment et  de  ferveur,  tout  ce  qu'il  vous  dit, 
à  son  défaut,  vous  vous  léseriez  dit  à  vous- 
même  ;  vous  iui  promîtes,  en  elTct,  de 
suivre  des  avis  si  raisonnables  et  si  salu- 
taires ;  mais  qu'est-il  arrivé  ?  Ah  1  vous  le 
savez,  celte  ferveur  passagère  et  trop  peu 
solide,  une  fois  dissipée,  toutes  ces  belles 
résolutions  se  sont  évanouies,  vous  avez 
craint  mal  à  propos  (|uol(|ues  regards,  quel- 
ques jugements,  peul-êtie  aussi  quelcpies 
railleries  sur  voire  changement  de  con- 
duite, le  respect  humain  vous  a  retenue  ; 
vous  avez  vécu,  quelque  temps  à  la  vériié, 
sans  péché,  mais  aussi  sans  pénitence; 
dans  ces  circonstances,  l'état  de  liberté,  de 
dissipation,  de  tiédeur  auquel  vous  vous 
étiez  livrée,  s'est  montré  à  vous  sous  do 
nouveaux  attraits;  l'esprit  Icnlateur  est  re- 
venu avec  sept  autres  esprits  plus  mé- 
chants que  lui  ;  la  place  était  sans  défense; 
il  fallait  se  rendre  ;  vous  vous  ôli.'S  rendue 
en  effet,  vous  avezsuccondjé;  voilà,  encore 
une  fois,  la  source  de  toutes  vos  rechutes; 
(Donvenez-en  de  bonne  foi,  vous  n'avfz  été 
jusqu'ici  si  peu  fidèle  h  votre  Dieu,  que 
|)arce  que  vous  aviez  oublié  tro[)  tôt  que 
vous  étiez  et  à  raison  de  vos  infidélités,  et 
à  raison  de  votre  étal,  obligée  à  la  [)éni- 
lenco. 

Ne  croyons  donc  pas.  Mesdames,  pouvoir 
vivre  dans  la  sainteté  sans  l'exercice  de  la 
pénitence.  Hé  quoi  I  l'on  a  vu,  dans  tous  les 
tenifis,  et  nous  le  voyons  encore  de  nos 
jours;  des  ânjes  innocentes,  se  condamner, 
pour  se  préserver  du  péché,  à  toutes  les 
austérités  de  la  pénitence.  Quoi!  l'ajjôtre 
des  gentils,  ce  vase  d'élection,  comblé  des 
faveurs  du  ciel,  tout  occupé  de  la  gloire  de 
son  Dieu  et  du  salut  de  ses  frèies,  saint 
Paul  ne  cessa. t  d'aflliger  sa  chair,  de  peur, 
nous  dit~il,  qu'après  avoir  montré  aux  au- 
tres le  cbemi  I  ou  salul,  il  ne  vînt  à  s'égarer 
lui-même  (1  Cor.,  iX,  27j  ;  et  nous,  après 
tant  de  chutes  et  d'inlidélilés,  nous  avec 
des  passions  toutes  vives  encore  peut-être, 
nous  croirions  pouvoir  nous  [>réseiver  du 
péché,  saiiS  mortification,  sans  [)éni;encel 
Non,  non,  Mei-dames,  de  grandes  infirmités 
exigent  toujours  les  plus  gratides  inécau- 
lions;  voyez,  considérez  une  personne 
éclia|ipée  pour  ainsi  dire,  d'entre  les  b;as 
de  lu  luorl;  uuelles  altenlions  dans  §u  con- 


valescence! Que  de  conîrainlos  !  Que  de 
privations!  Que  de  sacrifiées!  Combattre 
ses  goûts  et  ses  inclinations;  réprimer  ses 
désirs,  se  livrer  à  un  régime  et  h  des  remè- 
des aussi  douloureux  et  [ilus  insupportaliies 
quelquefois  que  le  mal  qui  les  oceasioime; 
rien  ne  lui  coule,  parce  (pj'il  s'agit  d'éviter 
une  rechute  toujours  dangereuse  et  funeste; 
voilà  noiie  état  dans  l'ordre  de  la  grilee; 
nos  longues  habitu<les  dans  le  péché  nous 
ont  malheureusement  réduits  à  un  état  db 
langueur  et  de  faiblesse,  qui  deviendrait 
inlailliblement  pour  nous,  le  princi[)e  de 
quelque  rechute,  toujours  plus  dangereuse 
pour  le  salut,  que  le  premier  élal  du  péché, 
si  nous  n'employions,  pour  nous  en  pré- 
server, le  remède  efiieaee  de  la  pénitence. 
La  pénitence  et  mêuje  une  sévère  pénitence, 
vous  est  donc  indispensable,  même  en  vous 
supposant  sincèrement  convertie  et  vrai- 
ment pardonnée,  vous  venez  dH  le  voir; 
mais  jus(pi'oCi  doit  aller  celle  sévérité,  et 
quelles  (piaiilés  doit  avoir  votre  |)énilence, 
pour  être  agréable  au  Seigneur,  et  ulile  à 
votre  salut'.'  C'est  le  sujet  de  la  seconde 
partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Quand  nous  lisons  dans  saint  Ambroise 
qu'il  avait  trouvé  plus  de  chrétiens  qui 
eussent  conservé  l'innocence  de  leur  bap- 
lônie,  que  de  pécheurs  (jui  eussent  fait  une 
pénitence  convenable  (ce  sont  les  propres 
paroles  du  saint  docteur),  nous  sommes 
d'abord  tentés  de  le  soupçonner  d'une 
pieuse  exagération  ;  mais  lois(]ue  nous  ve- 
nons à  rechercher  nous-mêmes,  avec  les 
lumières  de  la  foi,  et  selon  les  règles  do 
1  Evangile,  tout  ce  qu'exige  une  pénitence 
convenable,  nous  sommes  bientôt  forcés  de 
convenir  qu'il  n'y  a  rien  d'outré  dans  ces 
expressions.  Na  vous  abusez  donc  [)oint 
ici.  Mesdames,  puisqu'il  vous  serait  uu 
jour,  infiniment  préjudiciable  de  vous  être 
lait  illusion,  dans  une  affaire  aussi  iujpor- 
lante  ;  voulez-vous  savoir  quelles  conditions 
exige  une  vraie  pénitence,  et  connaître, 
par  là,  si  vous  avez  jamais  mérité,  devant 
Dieu,  le  titre  de  pénitentes?  Examinez 
d'abord  quel  a  été  le  motif  de  la  pénitence 
à  laquelle  vous  voils  êtes  condanmées  ; 
voyez  ensuite  si  vous  avez  donné  à  votre 
pénitence,  toute  l'étendue,  qu'elle  devait 
avoir;  considérez  enfin  si  vous  avez  per- 
sévéré dans  l'exercice  de  votre  [)énilence, 
car  je  dis,  et  je  vous  prie  de  le  bien  re- 
marquer avec  moi,  je  dis  que  toute  péni- 
tence, pour  être  véritable  et  méritoire  aux. 
yeux  de  Dieu,  doit  êlie  tout  à  la  fois  jiure 
dans  son  motif,  universede  dans  son  objet, 
constante  dans  son  exercice;  c'est  cequejo 
vais  présenlemcnl  vous  expliquer,  si  vous 
voulez  m'accorder  encore  quelques  Uio- 
menls  de  votre  attention. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  votre  pé- 
nitence doit  être  pure  dans  le  motif  ;  c'est- 
à-dire,  que  lorsque  vous  avez  entrepris  du 
vous  livrer  à  la  pénitence,  vous  avez  dû 
avoir  iiileiilion,  et  n'avoir  d'autre  iulontiou 


m 


DISCOURS  DF  RETRAITE.  —  TROISIEME  JOUR. 


150 


que  d'ap.iisor  la  colère  do  volro  Dieu  et 
(le  snlislaiie  à  sa  juslice;  vous  avez  dil 
iivoirsans  cosse,  coiiiine  le  Roi-Proplièlc, 
vos  infidélilés  devant  les  yeux,  pour  les 
|)luurci'  el  les  délesloi-;  ;">  la  vue  de  louics 
ces  iulidélilés,  vous  avez  dû  exciter  dans 
voire  âme  ce  trouble  salutaire,  celle  sainte 
inquiétude  que  ressentait  ce  saint  roi  pé- 
nitent; vous  avez  dû  et  vous  devez  encore 
ne  perilre  jamais  de  vue  l'excès  des  bontés 
d'un  Dieu  pour  vous  el  l'excès  de  votre  in- 
gralilude  à  son  éj^ard;  convaincues  ;inlé- 
rieurenient  que  vous  l'avez  souvent  el  griè- 
vetnent  oll'ensé  el  cfue  par-  là  vous  vous 
êtes  niallieureusemenl  éloignées  de  lui, 
l'unique  lin  de  votre  pénitence  doit  être  de 
vous  rapproclier  de  lui  el  en  uiê;ue-tcmps 
de  vous  réformer,  de  vous  sanctifier  vous- 
uièmes;  voilà  ce  qui  est  essentiel  à  toute 
{.'éintence,  eu  voilà  l'esprit^  sans  cet  esprit 
(Je  jiéiiitcnce,  vous  pourrez  bien  en  avoir 
les  apparences,  vous  pourrez  bien  vous  li- 
vrer à  S(  s  travaux,  à  ses  ligueurs  mêmes  et 
à  Ses  austérités;  mais  si  vous  n'avez  Dieu 
tl  votre  salut  en  vue,  tout  ce  que  vous 
pourrez  faire,  ne  sera  que  des  feuilles  el 
i;on  des  fiuits  du  pénitence,  dit  saint  Au- 
gustin, folia,  nun  fruclus. 

Mais  <iuoi  1  se  peul-il  qu'on  se  livre  aux 
travaux  de  la  j)énitence,  ^a^s  avoir  cet  es- 
prit de  pénitence!  Plût  à  Dieu,  Mesdames, 
que  ce  ne  lût  qu'une  idée  sans  réalité  ;  mais 
combien  de  fois  a-t-on  vu,  et  dans  le  saint 
élût  de  la  religion  niôrae,  l'orgueil  el  l'hy- 
pocrisie se  couviir  du  manteau  de  la  péni- 
tence I  Combien  de  fois  a-t-on  vu  des  ()er- 
sonnes  pénilenles  ne  l'être  que  pour  le 
paraître  aux  yeux  des  autres,  el  pour  se 
procurer  par  là  leur  estime  et  une  vaine 
réputation  de  sainteté  1  Coiubien  en  a-l-on 
vu  qui,  après  s'être  livrées  d'abord  aux 
travaux  de  la  [léniience  avec  [lunlé  d'in- 
lenliou,  ont  fail  ensuite  de  tristes  chutes, 
jiour  s'être  glorihées  de  leurs  humiliations 
*it  de  leurs  austérités?  Mais  si  les  per- 
sonnes pénilenles  avec  des  motifs  aussi 
criminels,  sont  peu  communes,  celles  qui 
manquent  d'un  raolif  bien  pur,  sont-elles 
si  rares?  Car  erdin,  serait-ce  avoir  un  motif 
bien  pur,  une  inlention  bien  agréable  au 
Seigneur,. de  se  livrer  aux  exercices  de  la 
[léniience,  uniquement  dans  la  vue  doblo- 
nir  promptemeiit,  d'un  de  ses  ministres, 
une  absolution,  dont  un  plus  long  délai, 
pourrait,  en  certain  lenqis  surtout,  à  cer- 
taines fêles,  à  des  solennités,  occasionner 
des  regards  el  des  soupçons  qu'on  redoute 
bien  plus,  que  les  regards  el  la  colère  du 
Seigneur?  Combien  cependant  (jui,  par  la 
conduite  qu'elles  liennenl  aussilôi  après 
avoir  été  réconciliées  au  Seigneur,  ne 
|irouveul  que  lro[),  qu'elles  pensaient  bien 
moinsdans  la  péniieuce  qu'elles  oui  faites, 
cl  satisfaire  à  la  juslice  de  Dieu,  qu'à  sau- 
ver les  a|)i)arence>  ?  Serait-ce  encore  avoir 
un  molif  bien  pur,  une  intention  bieii 
droite,  de  faire  pénitence  [lar  coutume,  et 
pour  fane  comme  les  autres?  Combien  ce- 
pendant, et  dans  la  relii^ion,  qui  pratiquent 


les  jeûnes  et  les  austérités  que  prescrit  lo 
saint  institut,  parce  que  cela  est  d'usage,  et 
qui  ne  pensent  point  à  reclilier  ou  à  renou- 
veler du  moins,  sur  ceKi,  leur  i'teniion? 

Serait-ce  enlin  avoir  un  motif  bien  pur, 
une  inlention  bien  droite,  do  se  livrer  à  la 
j)ériitence  uniquement  pour  se  délivrer  de 
quelques  njaux  temporels,  et  pour  se  pro- 
longer une  vie  morlelle,  dont  on  est  sou- 
vent bien  plus  occu[)é  que  de  la  vie  de  l'éter- 
nité? Combien  cependant  qui  imitent  en 
cela,  ce  prince  im()ie  dont  le  Saint-Esprit 
nous  a  tracé  la  pénitence  el  la  réj)robat  on  ? 
Que  fallait-il  à  Aniiochus  pour  être  un  vrai 
f)énitenl  ?  Vous  le  savez;  rentré  enlin  en 
lui-même,  humilié  sous  la  main  toute- 
puissante  du  Siigneur  (jni  s'était  ap.oesantio 
sur  lui  ;  il  avait  promis  de  réparer  tous  les 
maux  qu'il  avait  faits;  [lour  preuve  de  la 
sincérité  de  S(  s  promesses,  déjà  comraen- 
çait-il  à  les  réparer;  que  manquail-il  donc 
à  sa  pénitence  |)0ur  être  agréable  au  Sei- 
gneur? Ah  !  Mesdames,  resseiitiel,  l'es  )rit 
lui-même  de  la  pénitence,  une  intention 
droite,  pure  et  suina'urelle  ;  cep:iiice  n'a- 
gissait eu  tout  que  par  un  molii'  naturel  et 
tout  humain,;  il  voulait  conjurer  la  mort 
qui  le  menaçait  el  se  délivrer  des  grandi 
maux  qu'il  soulfrail;  son  intention  n'allait 
pas  |)lus  loin,  aussi  sa  pénitence  fut  elle 
rejelée  du  Seigneur  et  ne  Je  préserva  point 
de  la  réprobation  éternelle.  Voulez-vous 
donc,  Mesdames,  que  la  vôtre  vous  soit 
utile,  commencez  par  en  bien  purifier  le 
motif;  tout  ce  que  vous  avez  à  faire  ou  à 
souffrir,  en  genre  de  pénitence,  (hélas  1 
dans  voire  saint  état,  tout  vous  l'annonce, 
tout  len.i  à  vous  coniraindre,  à  vous  mor- 
tifier) nlfiez-le  d'aboi  d  au  Seigneur,  dans  la 
vue  de  satisfaire  à  5a  justice  et  de  vous 
laire  des  saintes;  renouvelez  même,  do 
temps  en  temps,  celle  droite  intention,  afin 
que  ce  qui  aura  été  surnaturel  dans  son 
principe  i»e  devienne  pas  tout  naturel 
dans  la  suite,  et  sans  mérite  parconséquent  ; 
alors  votre  pénitence  sera  véritablement 
pure  dans  son  motif;  mais  elle  doit-être 
encore  universelle  dans  sou  objet. 

II.  Que  veux-je  dire  par  là?  Ah!'  fth-i- 
dnraes,  je  ne  dois  pas  vous  le  di>simuler 
ici  ;  tout  ce  qui  répugne  le  plus  à  la  nature, 
mais  ce  qui  e^t  cependant  absolument  né- 
cessaire; car  enfin,  jiour  vous  en  convain- 
cre, vous  surtout  à  qui  la  conscience  re- 
proche dans  ce  moment  lant  de  fautes, 
tant  d'infidélités  ;  savcz-vous  ce  que  vous 
avez  fait,  loisquo  de  juste  que  vous  étiez 
par  la  grilce,  vous  vous  êtes  rendue  par  le 
péché,  ennemie  de  votre  Dieu?  Il  n'est 
rien,  pour  ain.-i  dire,  que  vous  n'ayez 
tourné  contre  lui.  Oui ,  votre  ârue  avec 
toutes  ses  facultés,  et  votre  corps  avec  tous 
ses  .sens,  desquels  vous  auriez  dû  vous 
servir,  pour  glorifier  voire,  Dieu,  vous  vous 
en  êtes  servie,  une  infinité  de  fois  à  l'oT- 
feiiser;les  créatures  qui  vous  avaient  été 
données,  comme  autant  de  moyens  et  de 
degrés  pour  vous  élever  vivs  votre  Dieu, 
vous   eu  avez  fait,  par  la  dépravation  de 


131 


BRATEURS  SACRÉS.  L'ABBE  DE  MOiNTIS 


{$2 


voire  cœur,  autant  d'insliumenls  de  vos 
péchés:  or  la  pénitence,  vous  le  savez,  c'est 
précisément  une  réparation  du  l'injure  faite 
b  Dieu  par  le  péciié  ;  d'où  je  conclus  que  la 
vôtre,  pour  être  légitime,  doit  nécessaire- 
ment embrasser  tout  ce  qui,  et  au-dedans 
de  vous  et  au-dehors,  a  pu  être  pour  vous 
la  Crtuse  ou  la  matière  du  ftéclié.  . 

Oui,  ce  corps  qui  était  devenu,  par  votre 
baptême,  et  de  plus,  par  votre  consécration 
toute  spéciale  au  Seigneur,  le  temple  du 
Saint-Esprit,  vous  en  avez  fait  vous-même, 
par  le  péché,  la  demeure  du  démon;  voilà 
dabord  l'objet  de  votre  pénitence.  Voulez- 
vous  faire  »ine  pénitence  convenable,  écri- 
vait saint  Ambroise,  à  une  vierge  qui  avait 
été  intidèle  au  Seigneur,  après  l'avoir  choi>i 
pour  son  époux?  Commencez,  lui  disail-il, 
à  réformer  et  à  mortifier  dans  vous,  tout  ce 
qui  a  pu  vous  servir  à  l'offenser;  ces  yeux 
que  vous  avez  livrés  à  une  trop  grande  dis- 
sipation, qu'ils  soient  désormais  condamnés 
à  une  perpétuelle  modestie,  et  qu'ils  ne 
s'ouvrent  plus  que  pour  verser  dos  torrents 
de  larmes  sur  la  perte  de  votre  innocence; 
ce  visage  dont  vous  avez  cherché  à  relever 
une  vaine  beauté,  qu'il  ne  se  monlre  plus 
que  pâle  et  détiguré,  autant  par  la  vivacité 
de  votre  repentir,  que  par  l'excès  de  vos 
austérités;  ce  corps  que  vous  avez  trop 
flatté  et  que  vous  vous  êtes  appliquée  si 
longtemps  à  satisfaire,  qu'il  gémisse  désor- 
mais, sous  la  cendre  et  le  cilice;  je  dois 
vous  en  dire  autant  à  vous  qui ,  sans  vous 
être  rendue  coupable  d'aussi  grands  désor- 
dres, avez  cependant  à  vous  reprocher  bien 
des  taules  contraires  au  vœu  sacré  que  vous 
avez  prononcé  aux  pieds  des  saints  autels; 
voulez-vous,  sans  vous  flatter,  satisfaire  à 
ia  justice  de  votre  Dieu  ?  Ces  sens  que  vous 
avez  tant  de  fois  satisfaits,  contre  les  remords 
de  votre  conscience,  faites-en  des  sens  tout 
nouveaux,  par  une  entière  réforme  de  vous- 
même;  ce  corps  que  vous  avez  fait  servir 
au  péché,  failes-le  servir  présentement  à  la 
justice  et  à  la  sainteté;  remettez  l'ordre 
établi  dans  vous  par  Je  Créateur  et  détruit 
par  le  péché;  soumettez  absolument  la 
chair  à  l'esprit,  afin  que  l'tsprit  lui-même 
soit  soumis  à  son  Dieu. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  encore  ;  la  pénitence 
du  corjis  est  nécessaire,  mais  elle  ne  suffi  t|)a  s, 
il  faut  de  plus  la  |)énilence  du  cœur,unepéni- 
tenceinlérieure,  sans  laquelle  l'extérieurese- 
raii  abboluiiieni  mutile;  c'est  là  cette  circon- 
cision spirituelle  qui  doit  surtout  vous  occu- 
I>erdaii!>  voire  pénitence. Ou i^  Mesdames,  tou- 
tes les  personnes  qui  ont  offensé  leur  Dieu, 
ne  peuvent  pas  toujours,  même  dans  la 
religion,  se  livrer  aux  jeûnes  et  aux  macé- 
rations ;  et  en  général  ne  doit-on  rien  en- 
trefirendie  d'exiraurdinaire  ,  en  ce  genre, 
sans  l'avis  d'un  guide  sage  et  éclairé  et  sans 
ia  j)ermission  de  ses  supérieurs  ;  mais  toute 
personne,  dans  quelque  état  qu'elle  soit  et 
dans  quelque  situation  qu'elle  puisse  se 
trouver,  est  toujours  susceptible  de  cette 
l)éi)itence  tiu  cœur:  voilà  cependant,  j'ose 
le  dire,  ce  qui  est  le  plus  négligé  de  la  pé- 


nitence ;  voilà  l'illusion  de  la  plupart  des 
personnes  qui,  après  avoir  renoncé  sincè- 
rement au  péché,  sont  résolues  de  servir 
fidèlement  le  Seigneur;  on  se  condamne 
volfiniiers  à  des  jeûnes  et  à  des  austérités, 
indiscrètes  môme  quelquefois  ;  on  s'impose 
desœuvres  de  piélé  et  de  charité;  on  se  sur- 
charge de  prières  et  d'exercices  de  religion 
auxquels  l'on  est  souvent  fidèle  jusqu'au 
scrupule,  et  à  l'abri  de  tout. cet  extérieur, 
on  laisse  là  l'intérieur;  on  ne  touche  point 
au  cœur;  on  conserve  dans  ce  cœur,  un 
attachement,  une  inclination ,  un  ressenti- 
ment, une  haine,  une  passion  en  un  mot, 
qu'on  voit  bien  être  un  obstacle  à  sa  per- 
fection, à  sa  sanctificaiion.  et  dont  on  sent 
bien  que  Dieu  demande  le  sacrifice,  mais 
qu'on  ne  peut  se  résoudre  à  lui  faire. 

Or,  voulez-vous  bien  régler  votre  péni- 
tence ?  brisez,  brisez  vos  cœurs  [)lulôt  que 
de  déchirer  vos  vêtements,  dil  un  prophète 
(Joël,  II,  13);  c'est  du  cœur,  dit  le  Seigneur 
lui-même,  que  naissent  tous  les  péchés, 
allez  donc  au  principe ,  coupez  la  racine; 
attaquez  courageusement  vos  passions , 
celle  surtout  qui  a  i^ris  le  dessus  dans  votre 
cœur;  vous  la  connaissez  bien,  celle  pas- 
sion dominante  qui  a  mis  tant  de  fois  ,  en 
jeu,  toutes  les  autres;  et  qui  a  été  pour 
vous,  la  source  de  tant  de  fautes;  c'est  à 
celle-ci  comme  à  la  plus  chère,  et  à  la  plus 
dangereuse  par  conséquent,  que  vous  devez 
faire  la  guerre  la  plus  cruelle  ;  c'est  là  cet 
Agag  qu'il  faut  nécessairemeiit  immoler; 
en  vain  délruiriez-vous  la  nation  entière 
des  Amaléciles,  dès  que  vous  en  conservez 
le  roi,  vous  allez  contre,la  volonté  du  Sci- 
gueur  et  vous  encourez  sa  disgrâce. 

Pour  être  vraiment  pénileiUe,  jiénitonle 
dans  le  cœur,  renoncez  donc,  mais  sincère- 
ment, mais  du  fond  du  eœur,  à  tuut  ce  qui 
a  pu  vous  porter  à  olfeiiser  votre  D  eu  ; 
renoncez  à  ces  altachements  ex-ci'ss.fs  et  illé- 
gitimes, à  ces  amitiés  particulières  qui  ont 
toujours  été  aussi  préjudiciables  à  votre 
communauté  que  funestes  à  yous-même; 
renoncez  à  cette  vie  mulle,  oisive,  dissijiée, 
si  peu  conforme  à  la  gravité  et  à  la  sainlelé 
de  félat  que  vous  avez  embrassé:  subsli- 
tuez  à  ces  amusements  frivoles  qui  vous 
occupent  depuis  si  longtemps  peut  être  , 
substituez  dts  occupations  el  des  exercices 
dignes  d'une  épouse  de  Jésus-Chrisl,  el  con- 
formes à  vos  devoirs  ;  lailes  si  bien  que 
vos  heures  el  vos  moments  se  trouvent  tous 
employés  à  la  gloire  de  Dieu,  et  à  voire 
avancement  spirituel,  et  qu'à  rexem[)le  de 
ce  solitaire  dont  parle  saint  Jérôme,  bien 
loin  d'avoir  le  temps  d'offenser  Dieu,  vous 
ayez  à  peine  celui  de  respirer.  Renoncez  à 
ces  aises  à  ces  commodilés,  à  ces  salistac- 
lions,  a  ces  sensualilés  (|ue  vous  vous  pro- 
curez avec  tant  de  soin  et  de  recherche, 
el  qui  sont  si  opposées  à  l'esprit  de  niorli- 
ficaiion  et  de  croix,  (]ui  doit  animer  une 
épouse  de  Jésus-Christ.  Renoncez  à  ces 
envies,  h  ces  anlijialliies,  à  ces  ressenti- 
ments, à  ces  aversions  que  vous  nourrissez 
dans  votre  cœur,  et  qui  uc  paraissent  ueui- 


133 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  TROISIEME  JOUR. 


134 


Cire  que  trop  îi  l'oxlérienr;  pardonnez  sin- 
cèrement et  tic  bonne  foi ,  comnio  voiià 
souli.iitoz  iiue  Dieu  vous  pardonne;  en  un 
inot,  pour  (Mre  une  vraie  pénitente,  fait-es- 
vous  un  cœur  tout  nouveau  ;  aiipliquez-vous 
à  en  changer  les  goûts  et  les  inclinations, 
ou  à  les  rél'ormer  du  moins  :  je  dis  à  les 
réformer,  car  en  vous  supposant  ici  un 
cœur  tendre  et  sensible,  je  ne  prétends 
point  condamner,  en  vous,  cette  sensibilité, 
et  vous  obliger  h  vous  en  défaire.  Hé  I  le 
pourriez-vous  ?  C'est  le  Créateur  lui-môme 
qui  l'a  mise  dans  votre  cœur,  mais  pour 
sa  gloire  et  pour  voire  salut;  ainsi  ce  qu'il 
faut  dans  votre  pénitence,  c'est  de  faire 
chonger  d'objet  à  cette  sensibilité;  au  lieu 
•les  créatures  qui  l'ont  vainement  occupée 
jusqu'ici,  lournez-la  entièrement  vers  votre 
Créateur;  soyez,  couune  Madeleine  péni- 
tente, uniquement  sensible  aux  perfections 
de  votre  Dieu;  ne  montrez,  comme  elle, 
tîe  l'ardeur  que  pour  plaire,  en  tout,  à  votre 
Dieu,  et  alors  vous  aurez  tout  à  la  fois,  un 
cœur  tt^iidre  et  chrétien,  un  cœur  sensible 
et  pénitent. 

A  tous  ces  traits,  convenez-en  ici,  vous 
épouse  de  Jésus-Clirisl ,  qui  vivez  depuis 
longtemps  peul-ètre,  dans  la  négligence  et 
la  tiédeur;  vous  ne  reconnaissez  point  là 
votre  pénitence.  Hélas  1  à  ce  seul  détail  de 
dis|)Ositions  et  de  pratiques,  si  conformes 
cependant  à  ce  que  vous  devez  à  Dieu,  et  à 
ce  que  vous  vous  devez  à  vous-même  ; 
sentez-vous  au-dedans  de  vous,'  la  plus 
grande  répugnance.  Mais  si  vous  ne  pouvez 
encore  vous  résoudre  à  tant  de  sévérité 
contre  vous-même,  que  n'acceptez-vous  du 
moins,  dans  un  esprit  de  pénitence,  les 
peines  et  les  croix  que  le  Seigneur  vous 
'jnvoie,  et  qui  ne  sont  pas  rares  dans  voire 
^ainl  état.  Car  telle  est  sa  bonté  pour  vous, 
que  connaissant  votre  éloignement  pour  la 
pénitence  et^  la  nécessité  dans  laquelle 
vous  êtes  de'  vous  y  livrer,  il  veut  bien 
suppléer,  en  quelque  sorte;  h  votre  lâcheté  ; 
entant  sans  raison,  vous  manquez  de  cou- 
rage pour  supporter  une  opération  doulou- 
reuse, à  la  vérité,  mais  nécessaire,  et  ce 
médecin  charitable,  veut  bien  vous  la  faire 
lui-même,  et  dans  le  temps  quelquefois  que 
vous  y  pensez  le  moins.  Que  de  peines  en 
elTet,  que  de  contradictions,  que  d'intirmi- 
tés,  que  de  privations,  que  de  croix  en  un 
mol,  et  de  toute  espèce,  vous  rencontrez 
chaque  jour!  elle  naissent,  pour,  ainsi 
dire,  sous  vos  pas;  or  voilà  la  matière  de 
votre  péuiteuce,  et  d'une  jjénitence  d'au- 
tant plus  mériloiie,  que  n'étant  point  de 
votre  choix,  vous  n'avez  rien  à  craindre  de 
l'amour-propre  :  au  lieu  de  ces  plaintes,  de 
ces  murmures  peul-èlre,  qui  vous  échap- 
jtent  quelquefois,  au  lieu  de  chercher  de 
stériles  .consolations,  aujjrès  des  créatures, 
au  lieu  de  ces  vains  etforts  pour  vous  re- 
leiirer,  pour  ainsi  dire,  de  dessous  la 
main  tout-puissante  de  voire  Dieu,  sou- 
uiellez-vous  humblement  ;  un  simple  re- 
gard sur  vos  inlidélités  et  sur  ce  qu'elles 
oui  mérité,  puis  tournez-vous   vers    votre 


Dieu  :  adorez  et  remerciez  également,  te 
Dieu  de  bonté  qui  vous  chAtie  en  père,  en 
ami,  en  époux,  dans  le  temps,  pour  navoir 
pas  à  vous  punir  en  juge,  en  ennemi,  eu 
Dieu,  dans  l'élernité.  Frappez,  Seigneur, 
devez-vous  lui  dire,  dans  toule  la  sincérité 
de  votre  cœur,   frappez,  sans   ésard  à  cet 


amour  déréglé  do  moi-môme  ;  ne  considé- 
rez dans  moi  que  mes  péchés,  et  n'écoulez 
dans  vous  que  votre  miséricorde;  me  voici 
par  votre  grâce  sincèrement  disposée  à 
souffrir  tous  les  maux  dont  votre  justice 
est  résolue  de  me  punir;  quelque  grands 
qu'ils  puissent  être,  dès  que  vous  les  bor- 
nerez à  cette  vie  mortelle,  ils  n'égale- 
ront jamais  la  grandeur  de  mes  infidé- 
lités. 

HJ.  Mais  ces  péchés  dont  vous  vous  êtcss 
rendue  coupable  envers  votre  Dieu  vous 
obligent  à  une  pénitence  non-seulement 
pure  dans  son  motif  et  universelle  dans  son 
objet,  mais  encore  constante  dans  son  exer- 
cice. Ah  1  quand  dans  toule  la  vie  vous 
n'auriez  commis  qu'un  seul  péché,  il  de- 
vrait suflire  pour  vous  faire  verser,  le  reste 
de  vos  jours,  des  torrents  de  larmes,  dit 
saint  Grégoire  pape,  ad  fletus  perpétuas. 
Pour  vous  faire  senlir  celle  vérité  ,  Mes- 
dames, je  n'ai  qu'à  vous  raf)pel(T  les 
preuves  par  lesqu'elles  j'ai  établi  la  néces- 
sité de  la  pénitence,  elles  prouvent  égale- 
ment la  nécessité  de  sa  persévérance.  Oui, 
vous  devez  et  nous  devons  tous  persévérer 
dans  la  pénitence,  parce  que  nous  ne  pou- 
vons jamais  être  assurés,  dans  cette  vie, 
d'avoir  entièrement  apaisé  la  colère  du 
Seigneur  et  d'en  avoir  obtenu  le  pardon 
de  nos  péchés;  parce  que  si  nous  voulons 
comparer  le  nombre  et  la  grièveté  de  nos 
péchés  aux  peines  de  l'autre  vie,  ou  même 
à  celles  que  l'Eglise  nous  eût  imposées  au- 
trefois, pour  un  seul  de  ces  péchés,  nous 
conclurons  aisément  que  quelque  longue 
que  puisse  être  notre  pénitence  en  cette 
vie,  il  nous  restera  encore,  pour  l'autre, 
bien  des  [)échés  à  expier  et  bien  des  dettes 
à  acquitter  par  conséquent  ;  parce  que  enfin 
c'est  l'unique  moyen  qui  nous  reste,  do 
nous  [)réserv(r  du  péché  et  de  persévérer 
dans  la  grâce  de   noire  Dieu. 

Mais  quoi!  toujours  dans  la  morlifica- 
tion,  dans  les  larmes  ?  que  cela  est  dur  à  la 
naturel  J'en  conviens.  Mesdames,  je  V()us 
avouerai  môme,  d'après  saint  Bernard,  que 
cette  pénitence  de  loute  la  vie  a  quelque 
chose,  par  sa  continuité,  de  |)lus  rude,  en 
quelque  sorte,  que  le  maityre  lui-mêm.^ 
Mais  quand  il  y  aurait  encore  [dus  à  soul- 
frir,  dès  qu'il  n'est  point  j)Our  nous  d'autre 
moyen  de  nous  procurer  le  ciel,  y  a-t-il  à 
hésiter?  Mais  je  dois  vous  ajouter  ici,  une 
vérité  qu'une  épouse  de  Jésus-Christ  ne 
j)cut  ignorer,  c'est  que  la  pénitence,  même 
dans  sa  plus  grande  sévérité,  n'est  ja- 
mais sans  la  paix  et  le  contentement  du 
cœur.  Oui,  Mesdames,  et  voilà  sa  dilléience 
d'avec  le  péché  ;  le  péché  commence  à  la 
vérité,  par  quelque  ombre  de  plaisir  etde 
satisfaction,  mais  qui  se  teriuine  toujours 


135 


ORATEURS  SACRES, 


par  des  remortis  et  des  chogrins  réels  ;  et  la 
pénitence  au  contraire,  après  avoir  fait  cou- 
ler quehiues  larmes  toujours  bien  douces, 
procure,  dès  celle  vie,  une  paix  et  des  con- 
solations intérieures  que  ne  connurent  ja- 
mais les  péclieurs  les  plus  sensuels,  et 
qu'il  est  bien  plus  aisé  de  ressentir  que 
d'exprimer;  pour  s'en  convaincre,  il  ne 
faut  que  voir,  dans  les  maisons  religieuses 
surtout,  ceux  et  celles  qui  se  livrent,  sans 
ménagement,  à  toutes  les  rigueurs  de  la 
plus  austère  pénitence. 

Ah  1  Seigneur,  je  le   comprends  aujour- 
d'hui,   et  je   suis    enîièrement  convaincu 
de  cette  sentence  qu'a   prononcée  le  Saint- 
Esprit,  que  si  je  néglige  de  faire  pénitence 
en  cette  vie,  ce  n'est  point  entre  les  mains 
(Jes  hommes  que  je  tomberai  après  ma  mort, 
mais  entre  vos  mains,  entre  les  mains  d'un 
Dieu  déleroiiné  à  se  faire  par   lui-môme 
une  justice  exacte  et  rigoureuse,  à  laquelle 
je   ne   [>ourrai  me    soustraire.  Ah  I   pour-- 
rais-je  donc  m'y  exposer,  à  cette  justice  re- 
doutable !  Non,  non,  mon  Dieu,  tandis  que 
je  le   |)uis   encore,  je  prendrai  moi-même 
vos  intérêts  eu  main;  je  ne  négligerai  au- 
cune de  ces  occasions  qui  se   présentent  si 
souvent,  dans  mon  élat,  de  me  mortilier  et 
de  satisfaire  par-là  à  votre  justice;  pour 
n'avoir  pas,   dans  l'autre  vie  à  faire  pé- 
nitence de   la  pénitence  que   j'aurai   faite 
en  celle-ci  ;  je  réfléchirai  souvent  sur  tout 
ce  que  je  vous  dois,  à  raison  de  mes   pé- 
chés, et  à  tout  ce  que  je  me  dois  à  moi- 
même;  je  penserai  souvent' à  tout  ce  que 
je  voudrai  avoir  fait  à  la  mort,  el  surtout  à 
ce  moment  auquel  je  paraîtrai  à  votre  re- 
doutable  tribunal;  mais  comme   tout  ceci 
doit   être   autant  l'ouvrage  de  votre  grâce 
que  mon  |)ropie  ouvrage,  donnez-moi  dès 
aujourd'hui,  ô   mon   céleste  Epoux,  et  je 
vous  le  demande  par  tout  le  sang  que  vous 
avez  ré[)undu  pour  moi,  donnez-moi  cet  es- 
prit de  componction  et  de  pénitence  qu'ont 
eu  tant  de  saints  et  tant  de  saintes  surtout, 
qui  m'ont  précédée  dans  mon  institut  el  dans 
cette  sainte  maison  ;  alors  j'accei)terai  avec 
soumission,  avec  joie  même ,  les  peines  et 
les  croix  que  votre  adorable  et  aimable  pro- 
videitcu  daignera  m'envoyer;  je  me  livrerai 
de  |dus  en  plus,  et  sans  répugnance  et  avec 
courage  à  tous  ies  exercices  de  la  pénitence 
que  mon  état  me  prescrit.   Que  j'aie  bien 
cet  esprit  de  pénitence,  et  alors  j'aimerai  à 
faire  pénitence;  je  deviendrai,  comme  tant 
de  sanits  et  de  saintes,  .insatiable  de  croix 
et  de  pénitence;  je   regarderai  comme  un 
vrai  bonheur  do  vivre  sur  la  terre,  dans  un 
exercice    liabiluel    de   pénitence.    Heureux 
état  en   etlét   aux   yeux  de  la  foi,   puisque 
a[)rès    m'avuir    enîièrement  i  purihé    dans 
celle  vie,  il  me  procurera  infailliblement, 
dans  l'autre,  un  bonheur  souverain  et  éter- 
u«l.  Ainsi  soit-ii. 


L'ABBE  DE  MONTIS.  i3C 

TROISIEME  JOUR. 

Second  discours. 
Sun  l'oraison  mentale. 

Oralioni  instate.  {Coloss.,  IV,  2.) 
Soyez  cissidus  à  la  prière. 

Voilé,  Mesdames,  ce  que  l'apôtre  saint 
Paul  recommandait  aux  fidèles  de  Colosses 
et  à  tous  ceux  qui  avaient  embrassé  l'Evan- 
gile de  Jésus-Christ.  Rien,  en  effet,  de  plus 
recommandable  et  de  plus  nécessaire  dans 
le  christianisme  que  la  prièr.erpar  elle  nous 
rendons  à  notre  Dieu  le  culte  et  l'adoration 
que  nous  lui  devons  comme  ses  créatures; 
I)ar  elle  encore  nous  lui  représentons  nos 
besoins  dans  l'ordre  de  la  nalure  et  de  la 
grâce,  et  nous  sollicitons  de  son  infinie 
bonté  les  secours  Sfdriluels  surtout,  qui 
nous  sont  nécessaires  pour  vivre  saintement 
sur  la  terre,  et  nous  procurer  le  bonheur 
du  ciel. 

Vous  ne  doutez  pas  de  ces  vérités.  Mes- 
dames, vous  reconnaissez  sur  cela  vos  de- 
voirs, et  comme  chrétiennes  et  comme 
épouses  de 'Jésus-Christ;  vous  vous  en  ac- 
quittez même,  je  deis  le  dire  ici,  avec  re- 
ligion et  avec  édification.  Mais  outre  la 
prière  vocale,  qui  fait  une  de  vos  principa- 
les obligations  dans  votre  saint  élat,  il  est 
une  autre  espèce  de  prière,  prière  mentale, 
ap[)elée  oraison,  méditation,  qui  sans  vous 
être  aussi  expressément  ordonnée,  vous  est 
cependant  très-utile ,  je  dirai  même  néces--' 
saire,et  que  vos  saints  fondateurs  ont  jugé, 
à  l'exemple  des  Pères  de  l'Eglise  et  des 
maîtres  de  la  vie  spirituelle,  devoir  vous 
recommander  comme  un  moyen  des  plus 
propres  à  vous  conduire  à  la  perfection,  à 
la  sainteté;  moyen  en  eifet  qu'ont  employé 
tous  les  saints  ,  et  dont  se  servent  encore 
avec  un  grand  fruil,  non -seulement  les 
chréliens  de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  spécia- 
lement consacrés  au  Seigneur  dans  la  reli- 
gion; mais  de  plus  ceux  qui,  engagés  dans 
les  différents  états  du  siècle,  travaillent 
avec  zèle  à  l'imiiorlante  alfaire  de  leur  sa- 
lut. C'est,  Mesdames,  pour  vous  inspirer 
un  grand  alliait  [)our  le  saint  exerciee  de 
l'oraison  et  pour  vous  engager  à  vous  y  li- 
vrer avec  une  exacte  fidélité,  que  j'entre- 
prends de  vous  prouver  de  quelle  utilité 
il  est  pour  vous,  dans  votre  saint  état:  mais 
comme  il  se  trouve  jusque  dans  la  religion 
des  personnes  qui,  j)ar  leur  faute,  ne  reti- 
rent aucun  fruit  de  ce  saint  exercice,  pour 
rendic  [)lus  , complet  et  plus  instructif  ce 
discours  sur  l'oraison,  j'y  joindrai  de  plus 
les  conditions  nécessaires  pour  s'en  bien 
acquitter;  en  deux  mots,  les  grands  avan- 
tages que  procure  à  une  religieuse  l'exercice 
de  l'oraison,  ce  sera  le  sujet  de  la  première 
partie  ;  les  dis{)Osilions  dans  lesquelles  doit 
se  mettre  une  religieuse  pour  faire  avec 
Iruit  l'exercice  de  l'oraison,  ce  sera  le  sujet 
de  la  seconde  paitie.  Honorez- moi ,  s'il 
vous  plaît,  de  toute  votre  attention.  Ave 
Maria. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Pour  vous  inspirer  ici ,  Mesdames,  un  ar- 


137 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  -  TROISIEME  JOUR. 


138 


(icnl  amour  imur  l'oraison,  ou  pliilôl,  pour 
tuii^nieiiler  eu   vous  celui  quo   je   supposo 
quv3   vous  avez  pour  ce  saint    exercice  ,  jo 
pourrais  vous  dire,  que  Jé-sus-Chrisl  voire 
clief,  votre  époux  et  votre  nioJnle,  vous  en 
adonné  l'exemple;  nous  lisons  dans  l.'Kvan- 
gi!e    qu'au    milieu  d(3  ses  travaux,  de   ses 
«"Clions  de  zèle  pour  le  salut  des  Ames  qu'il 
était  venu  racheter  et  sauver,  il  se  retirait 
la  p.uit  dans   un  lieu  solitaire    pour  y  prier 
son  I*ère  éternel,  et  pour  s"_}'  ontretnnir  avec 
lui  ;    qu'il  était  si  fidèle  à  ce  saini  exercice 
(jue  ses  soullVances, que  les  tourments  mêmes 
de  sa   passion  ,  ne    l'en  détournèrent  pas  ; 
que,  jusque  [tendant  la  iloulnureuse  agonie 
qu'il    soullVit   dans    le    jardin  des  Oliviers, 
bien  loin  de  le  discontinuer,  il  le  [)rolongea 
au  contraire  :  Prolixius  orabaC  (L»c.,XXll, 
41.)  Je  pourrais  vous  dire  que  ce  Dieu  Sauveur 
a  rejjardé  cet  exercice  si  important  dans  l'or- 
dre liu  salut  qu'il  la  spécialement  recomman- 
<ié  à  Ses  disciples,  vigilale  et  orale.  {Mctttli., 
XX\J,  kl.)  Je  |)0urrais  vousdire  encore  qu'il 
n'est  rien  de  plus  honorable  pour  une  ilme 
chrétienne,  et  encore  plus   pour  une  épouse 
de  Jésus-Christ,  que  de  s'entretenir  fami- 
lièrement avec  son  Dieu  ,  de  s'unir  jiar  là 
étroitement  avec  son  Dieu  ;  (]U9  si. un  sujet, 
un  courtisan  se  trouve  lort  honoré,  lorsque 
son  souverain  daigne    converser   quelques 
moments  avec  lui,  à  plus  forte  raison,  une 
sinqjle  créature  doit-elle  regarder,  comme 
un  grand  honneur  de  s'entretenir  avec  son 
Créateur  et  son  Dieu  ,  de  lui  pailer  seul  à 
seul,  et  cela  non  rarement,  et  quelques  mo- 
nit-nts,  mais  aussi  souventetaussi  longtemps 
qu'elle  le  désire. 

Mais  je  vous  laisse,  Mesdames,  à  faire 
vous-mêmes  et  à  étendre  ces  réflexions  ;  je 
me  borne  ici  à  vous  montreiles  grands  avan- 
tages que  vous  pouvez  trouver  dans  l'orai- 
son, |»ar  rapport  à  l'ouvrage  de  votre  perfec- 
tion et  de  votre  salut  ;  car,  comme  ce  doit 
être  5  vos  ,yeux  la  plus  grande,  la  plus 
importante  et  môme  à  (lar  1er  proprement , 
la  seule  aû'aire  qui  doive  vous  occuper,  vous 
ne  devez  aussi  regarder  comme  avantage 
jtour  vous  que  ce  qui  a  rapport,  et  que  ce 
qui  tend  au  succès  de  celte  affaire.  Or,  je 
remarque  trois  grands  avantages  que  vous 
procure  l'oraison  ,  dans  l'ordre  du  salut  et 
de  la  perfection.  Premièrement,  il  est  néces- 
saire que  vous  connaissiez  bien  vos  devoirs, 
que  vous  soyez  parfaitement  éclairées,  sur 
I  étendue  des  obligations  du  saint  état  que 
vous  avez  embrassé;  or  l'oraison  vous  les 
donne,  ces  lumières,  ces  connaissances.  Se- 
condement, il  ne  vous  sulUt  pas  de  connaî- 
tre vos  devoirs,  vous  devez  de  plus  être 
disposées  à  les  accomplir,  et  pour  cela  dé- 
sirer sincèrement  d'être  aidées  et  fortifiées 
par  la  grâce;  or  vous  acquérez  dans  l'orai- 
son celte  bonne  volonté,  et  vous  y  puisez 
de  puissants  secours  du  ciel.  ïroisième- 
ment  enfin,  vous  avez  besoin  d'être  soute- 
nues et  consolées,  dans  des  temps,  surtout 
'Je  peines,  de  tentations  et  d'épreuves  insé- 
parables de  tous  les  états,  et  qui  se  trouvent 
u.iiiS  le  vôtre  ;  or  l'oraison  vous  doniuî  en- 
OisATiLns  SAcuis.  LXVIII, 


core  ce  courage,  et  ces  consolations  ;  jo  dis 
donc  que  l'exercice  de  l'oraison  peut  tout  à 
la  fois  vous  éclairer  sur  l'élenine  do  vos 
devoirs,  vous  fortifier  dans  l'accomplissement 
do  vos  devoirs,  et  vous  consoler  dans  les 
peines  qui  accompagnent  vos  devoirs:  lu- 
mières, forces,  coisolations.  voilJi  les  trois 
grands  avantages  attachés  à  l'exercice  de  l'o- 
rai'.on,  et  qu'il  faut  r|ue  je  vous  fasse  connaî- 
tre ici. 

I.  Et  d'abord.  Mesdames,  nous  ne  pou- 
vons tous  être  trop  pénétrés  d'admiration 
et  de  reconnaissance  envers  notre  Dieu, 
pour  tous  les  moyens  de  salut  qu'il  nous  a 
donnés;  mais  s'ils  sont  grands  etabondant*, 
ces  moyens,  pour  tout  chrétien  en  général, 
ils  le  sont  encore  plus  pour  vous,  ses  épou- 
ses, qu'il  a  appelées  à  un  état  plus  parfait, 
que  le  eoraraun  des  clu'éliens;  or  un  do  ces 
grands  moyens  que  vous  trouvez  dans  vo- 
tre étal,  c'est  de  pouvoir  vous  livrer  plus 
facilement  à  la  méditation,  h  l'oraison,  que 
les  chrétiens  du  monde,  et  y  puiser  des  lu- 
mières, des  connaissances  plus  abondantes, 
dans  l'ordre  du  salut  cl  de  la  perfection. 
Pourquoi,  en  effet,  voyons-nous  si  peu  de 
foi,  de  vertu,  de  piété  dans  le  mon  le  ?  Pour- 
quoi s'}'  trouve-l-il,  et  dans  tous  les  étals, 
si  peu  de  chrétiens  fidèles  h  la  loi  du  Sei- 
gneur, dociles  à  ses  commamlemenls  et  à 
ceux  de  son  Eglise?  Pourquoi  les  voit-on 
se  livrer  en  insensés,  aux  passions  les  plus 
déréglées,  aux  plus  grands  désordres  ?  Ah  1 
Mesdames,  je  vous  l'ai  déjh  dit,  c'est  que- 
tout  livrés  au  monde,  aux  plaisirs, aux  amuse- 
ments du  monde,  ils  ne  se  tournent  jamais 
vers  leur  Créateur;  tout  au  plus,  quelques 
courtes  prières  vocales,  récitées  par  habi- 
tude, précipitamment,  sans  nulle  attention; 
mais  jamais  de  retour  sérieux  sur  eux-mê- 
mes, de  réflexions  suivies  sur  ce  qu'ils  doi- 
vent à  Dieu,  au  prochain  et  îi  eux-mêmes; 
si  l'on  ne  voit  personne,  ou  presque  per- 
sonne dans  le  monde  qui  fasse  le  bien,  et 
un  bien  propre  au  salut,  méritoire  du  ciel, 
c'est,  dit  le  Roi-Prophète,  qu'il  n'est  per- 
sonne qui  relondje  sur  son  propre  cœur, 
qui  s'enlreiienne,  devant  Dieu,  de  ses  dé- 
fauts el  de  ses  devoirs. 

Or  voilà  l'avantage  qufi  vous  avez,  vous. 
Mesdames,  dans  votre  saint  état;  chaque 
jour,  vous  en  consacrez  une  partie  à  conver- 
ser avec  votre  Dieu,  5  méditer  dans  le  si- 
lence et  dans  le  recueillement,  tout  ce  qui 
peut  vous  exciter  à  son  service,  et  h  con- 
courir au  succès  de  votre  salut;  c'est  là  en 
oiTet  que,  réfléchissant  sur  ce  qu'il  est  en 
lui-même,  et  par  rapport  à  vous,  ce  Dieu, 
au  service  duquel  vous  vous  êtes  entière- 
ment consacrées,  vous  découvrez  el  admi- 
rez chaque  jour  ses  infinies  perfections  ; 
cette  i)uissance  à  laquelle  rien  ne  peut  ré- 
sister ;  celte  sagesse  qui  gouverne,  depuis 
tant  de  siècles,  et  avec  un  ordre  infini,  ce 
vaste  univers;  celte  Providence  qui  s'étend 
à  tous  les  êtres  qu'il  a  créés;  celle  sainlelé 
qui  réprouve  tout  ce  qui  est  contraire  à  sa 
gloire,  tout  péché  el  tout  ce  qui  a  l'appa- 
renco  du  péidié;  celle  justice  qui  récompensa 


139 


ORATRUUS  SACRES.  LABRE  DE  MONTIS. 


UO 


on  qui  ininit  en  Dieu,  ses  rr^alums,  selon 
le  bien  ou  le  mal  qu'elles  ont  t'ait;  celte 
bonté  surtout  qu'il  a  manifestée  d'une  fa- 
çon si  éclatante,  dans  la  rédemption  des 
hommes,  et  qu'il  a  exercée  d"uiie  façon 
plus  marquée  sur  vous.  Mesdames,  en  vous 
délivrant,  comme  par  miracle,  de  la  corrup- 
tion du  siècle,  en  vous  comblant  de  grâces 
et  de  faveurs,  dans  un  étal  saint,  et  dans 
Uquel  il  vous  est  si  facile  de  vous  sancti- 
lier;  c'est  là  que  vous  méditez  la  grandeur 
de  cette  religion  que  le  Dieu  Sauveur  a  éta- 
blie, et  dans  la(|uelle  il  vous  a  fait  naître, 
par  préférence'  h  une  inlinilé  d'autres  ;  que 
vous  découvrez  et  que  vuus  admirez,  dans 
celte  religion,  la  profotnleur,  la  sublimité 
de  ses  mysières,  l'équité  de  ses  préceptes, 
ia  majesté  de  son  culte,  la  magniticenco  de 
ses  solennités,  les  vertus  et  la  gloire  de 
-ceux  qu'elle  a  sanctiliés;  c'est  là  (jue,  mé- 
ditant sur  le  monde  que  vous  avez  (|uitlé, 
vous  en  découvrez  le  vide  et  le  néant,  que 
•vous  vous  convainquez  de  plus  en  plus  de 
la  perversité  de  ses  maximes,  de  la  tyran- 
nie de  ses  l)ienséances,  de  la  frivolité  de 
sas  plaisirs,  de  la  fragilité  de  tous  ses  biens  ; 
c'est  là,  c'est  dans  l'oraison  que  vous  ap- 
prenez à  bien  connaître  la  laideur  du  vice, 
et  la  beauté  delà  venu  ;  que,  retombant  sur 
vous-mêmes,  que^  sondant  en  la  {irésencc 
de  Dieu,  les  replis  de  votre  cœur,  vous 
apercevez  les  fautes  dont  vous  vous  êtes 
rendues  coupables,  et  les  défauts,  les  im- 
pcrfeclions,  les  penchants  irop  naturels  qui 
vous  dominent,  et  les  verlus  chrétiennes  et 
religieuses  que  vous  devez  avoir  et  qui 
vous  nianquent;  que  vous  apercevez  éga- 
lement les  moyens  les  plus  (uopres  à  expier 
vos  fautes,  el  à  vous  en  préserver,  à  vous 
corriger  des  vos  défauts,  à  vous  guérir  de 
vus  imperfections,  à  acquérir  les  vertus  et 
les  mérites  que  votre  Dieu  adroit  d'exigerde 
vous  ;  que  vous  af)prenez  encore  à  bien  con- 
naîtie  les  ennemis  de  votre  salut,  les  t)iéges 
qu'ils  vous  tendent,  leurs  ditférenles  tenta- 
lions,  el  tout  à  la  fois,  à  les  repousser  avec 
succès  ;  c'est  là  que  vous  apftreuez  tous  vos 
devoirs  par  ra[)port  à  l'état  que  vous  avez 
embrassé ,  que  vous  découvrez  tous  les 
avantages  de  ce  saijit  état,  les  prérogalives 
et  les  secours  puissants  et  sans  nombre 
qu'il  vous  olï're  ;  c'est  là,  en  un  mot.  c'est 
clans  l'oraison  que  vous  apprenez  tout  ce 
que  vous  devez  savoir,  el  tout  ce  que  vous 
devez  faire  ou  éviter  pour  plaire  à  votre 
Dieu,  pour  vous  perfectionner  et  vous  sau- 
ver; ah  I  qu'une  âme  religieuse  qui  se  livre 
constamment  à  la  médilaiion,  à  l'oraison, 
devient  savante  1  Que  de  connaissances  su- 
blimes, que  de  grandes  et  solides  vérités 
elle  acquiert  chaque  jour,  el  que  les  plus 
grands  génies  ne  peuvent  se  |)rocurer  jiar 
l'application  el  le  travail.  Oui,  Mesdames, 
on  a  vu  quelquefois  des  personnes  sans  es- 
[iiil,  sans  taienis,  ignorantes  et  grossières, 
ravir  d'admiraiion  ceux  qui  les  entendaient 
parier  des  vérités  célcsles  qu  elles  puisaient 
dans  leurs  entretiens  avec  Dieu  ;  ali  I  c'est 
que  le  Saint-Esiiril  les  instruisait  Iui-ai6me; 


peu'-on  n'être  pas  infiniment  éclairé,  infini- 
ni'eiil  liabili',  (pjand  on  est  enseigné  par  un 
ans  i  grand  inatlre,  par  la  vérité  essci  t  el'f-? 
Mais  un  autre  avantage,  et  bienconsidér  ibli', 
que  l'oraison  procure  à  la  reli^'ieuse  qui  s  y 
livre,  c'e^t,  a|irès  lui  avoir  fait  connaître 
ses  devoirs,  de  les  lui  faire  pratiquer 

II.  VoMs  le  savez,  Modamcs,  il  nesuflll 
lias,  pour  opérernolri'  salut, de  les  connaître 
ces  devoirs,  il  faut  de  plus  meilre  la  main 
à  l'œuvre  et  les  praiiipier;  le  serviteur  qui 
aura  su  la  volonté  de  son  maître  et  qui  ne 
l'aura  pas  exécutée,  dit  le  Fils  de  Dieu  , 
sera  plus  grièvement  [)uiii  que  celui  qui 
l'aura  ignorée,  et  c'est  là  le  second  avan- 
tage (|ue  procure  l'exercice  de  l'oraison  ; 
elle  n'est  point  une  science  de  pure  spé- 
culation comme  la  [dupart  des  sciences 
profanes  qui  sont  un  ob.el  de  (ravail,  d'élmle 
|)0ur  les  savants;  c'est  une  science  qui,  aux 
lumières,  aux  connaissances,  joint  la  pra- 
tique et  l'action;  qui,  a|)rès  avoir  fait  con- 
naître à  une  [)prsonne  chrétienne  el  reli- 
gieuse tout  ce  qu'elle  doit  faire  pour  plan-o 
à  Dieu,  tous  les  devoirs  qu'elle  doit  remplir 
pour  entrer  dans  les  desseins  de  son  Dieu 
sur  elle,  la  porte  enicaceraenl  à  les  retnplir, 
ces  devons.  Oui,  Mesdames,  le  devoir  et  .'e 
premier  devoir  dune  religieuse  et  du  chré- 
tien même  en  général,  c'est  d'évilei-  le  mal 
el  de  faire  le  bien,  de  se  préserver  du  [)éché 
et  de  pratiquer  la  vertu  ;  le  ciel  ne  peut 
s'acquérir  que  per  là.  Oi'  voilà  les  bons 
fctfels  .jue  produit  l'oraison  dans  uneûme: 
elle  lui  inspire  d'abord  une  sainte  horreur 
du  péché;  si  elle  avait  le  malheur  d'en  êiie 
coupable,  elle  la  porte  às'en  purifier  pr  miji- 
lemenl  ;  voilà  ce  qui  Cil  d"ex[)érience  ;  qu'on 
jmisse  engage  r  une  personne  plongée  dans 
les  plus  grands  désordres  à  méditer,  à 
faire  oraison,  quelque  invétérées  que  puis- 
sent être  Ses  mauvaises  habiluJes,  on  la 
verra  bientôt  recourir  à  Dieu  par  la  péni- 
tence; voilà  ce  qu'on  a  vu  une  infinité  do 
fois.  Coinment  un  saint  Ignace  réussissait- 
il  à  convertir  laniet  de  si  grands  pécheurs 
qu'il  [)assail  dans  l'esprit  des  moïKiains 
pour  un  enchanteur?  c'est  (pie  dans  les  re- 
traites qu'il  leur  faisait  faire  et  qu'il  avait 
mises  eu  vigueur,  il  les  forçait,  pour  ainsi 
dire,  à  réfléchir  sur  eux-mêmes,  à  méditer 
les  vérités  impoitanles  de  la  ieligio:i.  Co'n- 
mentenellel  les  méditer  sérieusement  et 
Iréquemment,  ces  grandes  vérités,  el  nu 
l»as  se  rendre?  Comment  rétlécliir  profon- 
oémenlsur  la  grandeur  infinie  de  Dieu,  sur 
sa  U)ule-{)uis.sance,  sur  la  sévérité  de  ses 
jugemenls,  sur  la  rigueur  des  lourmen  s 
dont  il  punit  les  coupables  dans  l'autre  vie, 
el  ne  pas  redouter  celle  [luissance,  cesju- 
gements  et  ces  peines?  Commenl  méditer 
sérieusement  sur  l'infinie  bonté  de  notre 
Dieu,  sur  la  grandeur  des  récom[)enses  qu'il 
réserve  et  qu'il  prodigue  ài  ceux  qui  lui  onl 
été  fidèles  sur  la  terre,  ei  ne  pas  j)rendre 
la  résolution  de  se  mettre  dans  un  étal  à  évi- 
ler-sa  colère  el  à  mériter  ses  récompenses? 
Oui,«Mesdames,  dans  l'oraison,  à  mesura 
que  les  ténèbres  se  dissipent,  que  l'esprit 


lil 


DISCOURS  DE  RETKAITK 


TROISIEME  JOUR. 


U2 


s'ôclaire,  qu'il  (It'rniivro  la  fausseté  des  pré- 
jugés (lu  monde,  la  perversité  do  ses  niaxi- 
ines,  la  vanité  îles  biens  et  des  avantages 
qu'il  peut  donner,  la  volonté  s'échauire,  le 
cœur  s'entlanome  et  se  remplit  du  désir 
d  être  tout  ù  Dieu, de  mépriser  tout  le  reste; 
on  sort  de  l'oraison  plein  de  force  et  de 
oourage,  dis(>osé  h  surmonter  tous  les  obs- 
tacles, à  comb.itlre  et  à  repousser  tous  les 
ennemis  du  salut;  on  en  sort  plus  détaché 
des  créatures  et  de  soi-môme,  résolu  d'évi- 
ter non-seulement  les  péchés  griefs  qui 
<lonnent  la  mort  h  l'âme,  mais  môme  jus- 
qu'aux fautes  légères  et  tout  ce  qui  pour- 
rail  refroidir  le  cœur  de  Dieu  et  arrêter  le 
cours  de  ses  grâces  ;  rien  ne  coûte  alors,  on 
se  sent  prêt  à  faire  à  son  Dieu  les  plus 
grands  sacrifices,  à  supporter  |)our  lui  les 
plus  rudes  épreuves,  h  soulfrir  les  persé- 
cutions les  plus  cruelles;  on  Si>rt  de  l'orai- 
son, en  un  mot,  plus  saint,  plus  parfait, 
plus  chrétien,  plus  religieux  qu'on  n'y  était 
entré  :  voilà  les  merveilleux  elfets  que  pro- 
duit une  exacte  fidélité  à  l'oraison  ;  comme 
au  contraire  la  négligence  et  le  dégoût  de 
ce  saint  exercice  produit  le  dégoût  de  ses 
devoirs  et  la  négligence  au  service  de  Dieu. 
Ce  que  j'avance  ici,  iMesdames,  n'est  encore 
que  trop  fondé  sur  l'expérience;  si  l'on 
voit  quelquefois,  dans  les  maisons  reli- 
gieuses, des  épouses  de  Jésus-Christ  se 
rendre  indignes  par  leur  conduite  de  cet 
auguste  titre;  si  l'on  en  voit  qui,  après  avoir 
embrassé  avec  ardeur  la  voie  (le  la  perfec- 
tion, deviennent  lâches,  tièdes,  indifté- 
rontes  pour  les  devoirs  de  leur  saint  état, 
qui  scandalisent  môme  quelquefois  par 
leur  dissi|)ation,  par  leur  peu  de  vertu  et 
de  piété;  la  source  du  mal,  la  i)rcmière 
cause  de  ce  changemcntde  conduite,  si  l'un 
veut  y  faire  attention,  c'est  d'avoir  négligé 
et  abandonné  l'exercice  de  l'oraison;  elles 
n'ont  fait  autant  de  progrès  dans  le  relâ- 
chement et  ladissi()ation  que  parce  qu'elles 
ont  cessé  de  méditer  les  vérités  de  la  reli- 
gion et  les  obligations  de  leur  état. 

Pour  vous  convaincre  de  plus  en  plus  de 
cette  vérité.  Mesdames,  et  pour  prouver 
que  l'uraison  est  un  moyen  de  |)erfeclion 
des  [dus  ellicaces,  lisez  l'histoire  des  per- 
sonnes de  l'un  et  l'autre  sexe  (lui,  dans  dif- 
férents éials  et  dans  le  vôtre  surtout,  sont 
parvenues  à  un  éminont  degré  de  sainteté  ; 
vous  verrez  que  toutes  ont  été  adonnées  à 
l'oraison  et  ont  été  fidèles  à  ce  saint  exer- 
cice ;  mais  regardez  de  plus  autour  de  vous, 
considérez  celles  qui  parmi  vous  ont  eu 
le  [)lus  de  vertu ,  le  plus  d'amour  de  Dieu, 
le  plus  de  douceur,  de  condescendance,  de 
I  harilé  envers  le  prochain,  le  plus  d'atta- 
cliemcnt  à  leur  saint  état,  qui  en  remplis- 
sent les  obligations  et  jusqu'aux  moindres 
observances  avec  le  plus  dexactiiude,  qui 
évitent  avec  plus  d'attention  jusqu'aux  plus 
Iieliles  fautes,  aux  plus  légères  imperlec- 
lions;  qui  montrent,  en  un  mot,  le  plus  de 
f)iété,  de  perfection,  de  sainteté,  vous  ver- 
rez que  ce  sont  celles  qu'on  peut  appeler  do 
vraies    filles   d'oraison,  qui   y  ont  le  plus 


d'attrait,  qui  s'en  <lispensent  le  moins,  qui 
ainieiU  .'i  s'entretenir  avec  leur  Dieu  et  inli- 
niment  plus  qu'avec  ses  créatures;  non- 
seulement  ce  sont  Ik  les  plus  parfaites,  mais 
ce  Sftnt  encore  le-;  i)Ius  heureuses,  les  plus 
contentes  dans  leur  état;  car  voilà  le  troi- 
sième effet  de  l'oraison  et  le  troisième  avan- 
tage qu'il  procure  :  il  remplit  le  cœur  d'uno 
religieuse  de  consolations  solides,  propres 
à  l'encourager  dans  l'accomplissement  do 
ses  devoirs. 

III.  Il  nefaul  point  lodissimnier  ici.  Mes- 
dames, il  est  des  peines  et  des  contradir-- 
tions  h  souffrir  dans  le  service  de  Dieu;  il 
est  des  é|)reuves  et  de  différentes  épreuves 
à  supporter  :  épreuves  et  coniradictions  de 
la  part  des  ennemis  du  salut  qui  lodoublent 
leurs  efforts,  à  proportion  qu'ils  voient  qu'on 
redouble  de  zèle  et  d'attention  pour  y  tra- 
vailler; éprouves,  coniradiciions  de  la  part 
du  prochain  :  plus  on  est  fidèle  à  tous  ses 
devoirs,  exact  h  toutes  ses  observances ,  et 
plus  on  est  exposé  au  mépris,  Ji  la  censure, 
à  la  critique.  Hélas!  plus  d'une  fois  rt 
même  dans  les  communautés  les  plus  ré- 
gulières, l'on  a  vu  les  personnes  les  plus 
saintes,  les  plus  parfaites  ex()Osées,  aux 
railleries,  au  mépris,  à  la  persécution  mô- 
me quelquefois;  épreuves ,  contradictions 
de  la  part  de  soi-mômo  :  quelle  contrainte 
et  quelle  violence  à  se  faire  pour  se  rendre 
fidèle  à  cerlaines  observances  ,  pour  remplir 
certaines  fonctions,  cerlains  emploits,  pour 
sui)porler  certains  esprits,  certains  caraciè- 
ros,  et  par  laque  (1  ennui,  que  de  dégoût, 
que  de  chagrin  à  siirmonier  I  preuves,  con- 
tradictions de  la  jiart  du  Seigneur  qui,  pour 
purifier  sans  cesse  une  de  ^es  épouses  et 
pour  la  sanctifier  de  plus  en  |)lus,  la  visite 
par  des  infirmités  habituelles  et  humilian- 
tes quelquefois,  par  des  p.'ines  do  l'espi it 
pi  u>  douloureuses  encore  que  ce]  les  du  corps, 
par  des  obscurités,  des  ténèbres,  par  des 
sécheresses,  des  aridités  qui  la  réduisent  à 
des  doutes,  à  des  inceriilu  les,  à  des  per- 
plexités qui  la  plongent  dans  une  détresse 
de  cœur,  dans  un  abattement  qu'il  faut 
avoiréprouvé,  pour  le  bien  connaître. 

Or,  oiî  trouver  au  milieu  de  tant  d'épreu- 
ves, des  consolations  solides  (\u\  encoura- 
gent, qui  préservent  de  l'ennui  et  du  dé- 
goût? Ahl  Mesdames,  c'est  dans  l'oraison  ; 
oui,  sup[)0sez  l'âme  la  plusexercée,  la  plus 
éprouvée  de  Dieu  et  des  liommes,  si  elle 
converse  habituellement  avec  son  Dieu, 
elle  n'est  plus  malheureuse,  elle  n'est  plus 
à  plaindre:  Eh!  comment  s'occuper  sé- 
rieusement de  tout  ce  que  son  Dieu  est  en 
lui-même  et  de  tout  ce  qu'il  a  fait  pourelle, 
de  ses  amabilités,  des  poiiections  infinies 
qu'il  possède,  de  ses  grâces,  des  faveurs 
qu'elle  en  u  reçues,  de  ses  bienfaits  privilé- 
giés et  sans  nombre  dont  il  l'a  comblée  et 
dont  il  ne  cesse  delà  combler,  et  ne  pas 
trouver  douces,  sup[)ortables,  aimables  mô- 
me, les  peines  qu'elle  éprouve?  Comment 
penser  à  tout  ce  que  son  Epoux  céleste  a 
fait  et  souffert  pour  elle,  à  toutes  les  raar- 
Ques  d'amour  qu'il  lui  a  prodiguées,  de()uis 


MZ 


ORATEURS  SACRES.  L'ABDE  DE  MONTIS. 


liï 


surtout  qu'elle  s'esi  donnée  ù  lui  dans  In 
religion,  et  ne  pas  onlrer  avec  résignation, 
luènie  avec  satisfaction,  dans  toutes  ses 
vues,  dans  tous  ses  desseins?  Ah  I  qu'une 
;1nie  qui  s'occupe  ainsi  de  son  Dieu  dans 
l'oraison,  qui  converse  chaque  jour  avec 
son  Dieu,  éproiivede  paix  et  de  consolalion  I 
Klle  y  entre  quelquefois,  troublée,  inquiè- 
te, agitée  :  elle  en  sort  tranquille,  satisfaite 
et  consolée  :  elle  y  entre  dans  rauierlume, 
pleine  de  sécheresses  et  de  dégoûts;  elle 
en  sort  comblée  de  douceurs  spirituelles, 
beaucoup  plus  friciles  à  sentir  qu'à  expri- 
mer. Qui  pourrait  dire  les  faveiirs,  les  ca- 
resses dont  le  Seigneur  se  plaît  à  honorer 
une  âme  qui,  chaque  jour  est  iidèle  à  s'en- 
tretenir avec  lui?  Que  do  saints  et  de  sain- 
tes Ton  a  vu  inondés  de  grâces  extraordi- 
naires dans  l'oi'aison  !  que  de  conununica- 
l!((ns  intimes  1  que  de  suavités  iniérieuresl 
que  de  ravissements,  que  d'extases  qui 
lijur  taisaient  sentir  en  quelque  sorte,  sur 
lu  terre  et  dans  ce  lieu  de  leur  exil  les  dou- 
ceurs de  la  patrie,  les  consolations  du  ciel  I 
Aussi  ne  trouvaient-ils  de  plaisir,  de  vraie 
satisfaction  qu'à  s'entretenir  avec  leurDieu; 
c'éluiljo  leur  centre,  leur  plus  douce  occu- 
[)ation,  l'objet  de  tous  leurs  désirs  :  non 
contents  d'y  eiiiplnyer  une  partie  du  jour, 
après  avoir  accordé  à  leur  corps  un  court 
et  léger  sommeil,  ils  passaient  encore  la 
plus  grande  partie  delà  nuit  dans  ces  ravis- 
sants entretiens.  On  en  a  vu,  après  avoir 
persévéré  aussi  longtemps  dans  ce  saint 
exercice,  gémir  et  se  plaindre  de  ce  que  le 
soleil  venait  les  distraire  et  les  tirer,  comme 
malgré  eux  de  leurs  douces  et  inexprima- 
bles contemplations.  Voilà  ce  qu'ont  éprou- 
vé dans  l'oraison  et  ce  qu'éprouvent  en- 
core en  bien  plus  petit  nombre,  à  la  vérité 
qu'autrefois,  tant  u'ùQJes  favorisées  de  no- 
tie  Dieu. 

Alaus  si  toutes  les  fiersonnes  qui  se  livrent 
à  ce  saint  exercice,  ne  participent  pas  à  ces 
glaces  extraordinaires,  h  ces  laveurs  sin- 
gulières que  Dieu  ne  doit  à  personne  en 
cette  vie,  toutes  au  moins  n'en  sortentjamais 
sans  y  avoir  é|)rouvé  les  etlets  de  son  infi- 
nie bonté.  Que  Ue  lumières  consolantes I 
que  de  pieux  mouvements!  quedesaintes 
pensées  1  que  de  désirs  ali'eclueux  qui,  en 
leur  insjiiranl  le  mépris  et  le  détachement 
des  créatures,  les  enllammenl  do  plus  en 
plus  d'amour  jiour  leur  Créateur,  qui  non- 
.seulemeut  les  font  marcher  avec  courage 
et  fidélité  dans  la  voie  des  commandements 
t't  des  conseils  du  Seigneur,  mais  qui  do 
plus  les  entretiennent  dans  une  paix,  dans 
un  contentement  intérieur  que  les  iiéi.hcurs 
et  les  impi(  s  ne  connaissent  point,  et  que 
le  monde  avec  tous  ses  biens  et  tous  ses 
avantages  ne  |)eut  [irocuror  1  Ce  que  j'avan- 
ce ici,  vierges  chrétiennes,  je  pourrais 
bien  en  appeler  à  votre  témoignage  et  en 
attester  votre  propre  cœur  ;  combien  de  fois 
èies-vous  sorties  ue  ce  saint  exercice  avec 
un  accroissement  d'attachement  pour  votre 
saiiit  état,  d  amour  pour  votre  céleste  Epcmx, 
ne    désir   do   lui   l'iiiire,  toutes   consolées, 


délivrées  des  peines,  dfs  inquiétudes  que 
vous  y  aviez  apportées?  Combien  do  fois 
y  avez-vous  ressenti  des  douceurs ,  des 
suavités  spirituelles  qui  ré()an'.iaienf.,  mê- 
me à  l'extérieur  et  sur  son  visage,  un  air 
de  satisraclion  el  de  joie  que  vous  n'aiiriez 
pu  cacher  à  vos  sœurs,  et  qui  ont  servi,  en 
les  édili;nit,  à  vous  porter  vous-mêmes  à 
remplir  avec  une  nouvelle  ardeur  les  obli- 
gations et  les  observances  do  votre  saint 
état?  Tels  sont  les  gr.uids  avantages  que 
procure  l'exercice  de  l'oraison,  et  s'il  se 
trouve  (ii^s  personnes  même  dans  le  saint 
état  de  la  religion  qui  ne  les  ressentent 
fias,  ces  grands  avantages,  je  ne  crains  point 
do  le  dire  ici,  c"osl  qu'elles  n'aî)|)orten  l 
point  à  ce  saint  exercice  les  dispositions 
outoutpsles  dispositions  nécessaires  pour 
y  participer.  C'est  de  ces  disjiosilions  dont 
je  dois  vous  entretenir  ilans  ma  seconde 
partie. 

SECONDE    PARTIE 

Ce  ne  sont  point,  je  dois  le  redire  ici  , 
Mesdames,  ce  ne  son',  point  les  moyens  de 
salut  et  de  perfection  qui  nous  manqueni; 
notre  Dieu,  toujours  plein  de  bonié  et  de 
miséricorde  pour  nous,  nousen  offreabon- 
damment  dans  tous  les  états  et  dans  le  vô- 
tre surtout,  épouses  do  Jésus-Christ;  mais 
c'est  nous  le  plus  souvent  qui  manquons  à 
ces  moyens;  ou  nous  les  négligeons,  ou 
nous  nous  en  servons  dans  des  dispositions 
qui  nous  les  rendent  inutiles  i)Our  notre 
salut,  et  qui  par  là  nous  rendent  ()lus  cou- 
pables aux  yeux  de  notre  Dieu.  Un  de  ces 
moyens  des  plus  utiles  et  des  plus  efficaces, 
c'est  la  méditation,  l'oraison,  je  viens  de 
vous  le  prouver  ;  mais  afin  qu'il  soit  tel 
pour  nous,  il  exige  certaines  distiositions. 
Le  Saint-Esprit  l'a  dit  (lue  pour  bien  faire 
oraison,  nous  devons  y  [)réparer  notre  âuie: 
Ante  orationein ,  prœpnra  animain  tuain 
{Eccti.,Win,  28};  sans  cela,  sans  cette 
piéparation,  c'est  tenter  Dieu,  et  vouloir 
qu'il  nous  accorde  des  grâces  sans  mettre 
les  conditions  qu'il  exige  de  nous  pour 
nous  les  donner. 

Or  pour  les  bien  connaître  ces  disposi- 
tions, nous  n'avoiii  qu'à  considérer  co 
qu'est  en  lui-même  cet  exercice  de  l'orai- 
son,  et  quelle  est  la  hn  que  nous  nous 
proposons,  en  nous  y  livrant  Qu'est-ce 
(Jonc  que  l'oraison?  C'est  un  colloque,  un 
entretien  avec  notre  Dieu  ,  qui  tend  à  nous 
perfectionner  et  à  nous  faire  connaître  ,  do 
plus  en  plus,  ses  desseins  sur  iidus,  dans 
l'ordre  de  notre  perfeciion  et  do  notre  salut; 
si  c'est  un  entretien  avec  notre  Dieu  ,  nous 
devons  donc  y  apporter  tout  le  sérieux  , 
toute  ra])plication  qu'exige  sa  majesté  su- 
prême, cl  dont  nous  pouvons  être  capabi  s; 
si  cet  exercice  ten^i  à  nous  sanctifier,  à  nous 
peifectionner  ,  nous  devons  donc  nous  ap- 
jiliquer  à  nous  purifier  et  à  nous  i)rései  ver 
de  tout  ce  qui  pourrait  déplaire  à  notre 
Dieu  ,  et  nuire  à  notre  perfection  ,  à  notre 
sanctilication  ;  si  cet  exercice  sert  à  nous 
faire  connaltie  les  desseins  el  les  voies  de 


{45 


DISCOUUS  DE  RETRAITK.  —  TROISIEME  JOUR. 


f  J6 


Dieu  sur  notis,  nous  devons  donc  nous 
souniellie  à  loules  ses  volonléî; ,  é^lre  dis- 
posés à  tout  ce  qu'il  peut  exiger  do  nous, 
pour  le  servir  et  pour  lui  plaire  ;  ainsi ,  re- 
cueillemenl  dans  l'esfirit,  pureld  dans  le 
cœur,  diicililé  dans  la  volonté;  (elles  soiil 
les  conditions,  les  dispositions  absoMimcti 
nécessaires  pour  faire  l'oraison  avec  fruit  ; 
c'est  ce  que  je  vais  vous  expliquer  en  peu 
de  mots  ;  renouvelez-iioi,  s'il  vous  plaît, 
liuile  voire  altention. 

I.  Je  dis  ,  en  premier  lieu  ,  recueillement 
dans  l'esprit.  Oui,  Mesilaii'.e-;  ,  el  cette  jire- 
niièredii-position,  Jésus-Chrisl  lious  l'a  pros- 
crite lui-uiûme  ;  lorsque  vous  voudrez  vous 
livrer  à  ia  prière,  à  roraison,  disait  ce  divin 
Maître  à  sesdi;-ci|)les,  relirez-vous  dans  votre 
chambre,  cl  là,  la  porte  fermée,  pilez  dans  le 
secret (.l/o///t  ,  VI,  G)  ;  que  voulail-il  nous 
faiie  enlendre  par  là  ?  C'est  que  devant  nous 
LMitreleniravec  Dieu,  (lansroraison,etdevant 
D'uisy  e  'tretenir  lie  la  plus  noble  et  de  la  plus 
iniporlanle  ail'aire  qui  puisse  nous  affecter, 
qui  est  celle  de  notre  salul  ,  nous  devons  y 
!ip|)<irler  une  altenlion  ,  y  mcllre  une  appl.- 
calion  digne  et  de  la  grandeur  du  Toul- 
Puisî-ant  avec  lequel  nous  avons  l'honneur 
(le  converser,  et  de  l'imporlance  do  l'allairo 
que  nous  tiailons  avec  lui;  voyez,  dans  le 
monilft,  lors(|u'on  a  une  affaire  qui  occupe 
el  qu'on  juge  irès-importanle,  ce  n'est  |)(iint 
dans  le  lun.ullo  tl  au  milieu  des  cercles 
qu'on  la  traite  ;  on  se  retire  à  l'écart  ;  tout 
se  |)asse  avec  les  plus  profondes  rétlexions, 
et  dans  le  plus  grand  secret;  mais  que  font 
les  affaires  les  plus  importantes  du  temps, 
eu  conqiaraisiiU  de  l'unique  alfaire  do  l'é- 
ternilé?  Il  s'agit  dans  l'oraison,  tout  à  la 
fois,  de  |)arler  à  notre  Dieu,  de  lui  rendre 
le  culte  et  les  devoirs  qui  lui  soi;t  dus  ,  do 
lui  adresser  nos  vœux  et  nos  prières,  de 
lui  demander  des  grâces,  dos  secours  qui 
nous  sont  nécessaires,  et  de  plus,  d'enlen- 
dre  ce  qu'il  voutira  dire  à  notre  esprit  et 
encore  plus  à  notre  cœur. 

Or  c'est  dans  la  retraite ,  dans  le  plus 
profond  recueillement  que  nous  pourrons 
l'entendre  ;  j'e /a  mènerai  dans  la  solitude, 
nous  dit-il,  parlant  d'une  âme  qu'il  chérit 
tl  qu'il  veut  sanctifier,  et  là  ^  je  parlerai  à 
ion  cœur,  j'écoulerai  tout  ce  qu'elle  aura  à 
lue  dire,  comme  elle  entendra  facilement 
clle-ujêuie  tout  ce  que  j'aurai  à  lui  prescrire, 
pour  sa  [icrlection,  et  jiuur  qu'elle  se  rende, 
(le  plus  en  plus,  agréable  à  mes  yeux  : 
Ditcain  cam  in  solitudinein  et  loquar  ad  cor 
fjus.  [Ose.j  11,  li.j  11  s'agit  encore  dans 
l'oraison  ,  de  méditer  les  veiités  célest*  s  et 
élernelles;  d'en  bien  convaincre  noire  es- 
prit, de  nous  en  pénétrer,  de  les  l'aire  pas- 
ser dans  notre  cœur,  d'en  tirer  les  (onsé- 
quences  directes  et  relatives  à  nos  besoins 
sjiintue's,  à  notre  salut;  il  s'agit  de  roth';- 
(liir  allentivement  sur  nous-mèrues ,  de 
fonder  sincèrement  et  de  bonne  loi  ,  notre 
jiropre  cœur,  do  voir,  d'examiner  de  près, 
ce  qu'il  peui  y  avoir,  dans  ce  cœur,  de  dé- 
sagréable à  noire  Dieu ,  de  contraire  à  nos 
tngagi.inenls,    à  nos   promesses  jit   s'agit 


encore  de  clurcher  ot  de  choisir  les  moyens 
les  plus  [iropres,  [lour  nous  guérir  de  nos 
défauts,  el  pour  nous  délivrer  de  nos  mau- 
vais penchants  :  or  pour  tout  cela,  vous  le 
sentez  assez.  Mesdames,  il  faut  la  [dus 
grande  ap()licati()n,  la  plus  sérieuse  atten- 
tion, le  recueillenuMit  le  plus  parfait. 

Mais   il   me   semble    entendre    ici    quel- 
qu'une d'entre    vous    nie  dire  qu'elle  est 
très-persuaiiée  qu'on   ne  peut  bien  faire  la 
méditation  ,    l'oraison  ,  s:ins   nn   grand  re- 
cueillement ;   qu'elle   ne    manque  jamais , 
en  s'y  livrant,   de  recueillir  le  plus  qu'ello 
peut  son  esprit  :  mais  que,  malgré  ses  bons 
désirs    et   tous  ses   elforts,   elle     ne   peut 
rester  dans  ce  recueillement  si  nécessaire  ; 
qu'il  suffit  qu'elle   se  livre  à  la  prière  ou  à 
l'oraison   pour  être    assaillie  de  mille  pen- 
sées étrangères,  de  mille  distractions  qui 
l'occupent,  comme  malgré  elle;    mais  qui 
que  vous  soyez,    pour  vous  répondre  ici  , 
je  vous  demande,    si   vous    êtes  bien  dans 
ce  recueillement  d'esprit  tel  que  je  l'entends, 
et  tel  que  l'exige  en  effet  ce  saint  exercice, 
pour  y  réussir;    vous  vous  mettez  ,  dites- 
vous  ,   en    recueillement,  en  commençant 
voire  oraison  ;  vous  n'y  étiez  donc  pas  au- 
paravant :   mais    prenez   garde,    s'il   vous 
plaît,  que  lorsque  je  vous  ai  dil  que  le  re- 
cueillement    était    nécessaire     pour    bien 
faire  son  oraison,  j'ai    entendu  parler,  non 
d'un  recueillement  momentané,  jiour  ainsi 
dire,  et  [lassager,  qui  ne  dure  que  quelques 
instants,  avant  de  vous  mettre  à  l'oraison, 
et  qui  cesse  aussitôt  après  en  êlre  sortie, 
mais  d'un  recueillement  constant,  habituel  : 
or  y  êtes-vous  dans  ce  recueillement  ?  c'est- 
à-lire,   de|)uis   votre   réveil   jusqu'à  votre 
sommeil,   conservez-vous,    travaillez-vous 
du  moins,  à  conserver  vos  sens   dans   une 
retenue   et   dans    une    uioitiliealion   conli- 
nuelîe?  N'occupez-vous  votro  esprit  que  du 
seul  objet  qui  doit  l'occuper,  qui  est  Dieu? 
Cependant   le    vrai   recueillement   dit   tout 
cela  ,  et  tout  cela  est  nécessaire  pour  vous 
eiitrelenir ,  sans   peine,   et   d'une  manière 
utile,  avec  Dieu  ;  si   vous  ne  l'avez  pas  fait 
jusqu  ici ,  commencez  du  moins,  essayez  de 
vous  mettre  dans  cette  moi  tiîication  inté- 
rieure surtout  ,  si  convenable  à  une  épouse 
de   Jésus-Christ,    ijui    a    renoncé   à    toute 
créature,  par  amour  pour  son  céleste  Epoux; 
ne  voyez  ni  n'entendez,  ou  plutôt  ne  veuillez 
voir  ni  eoteiidre  que   ce    que   vous   devez 
voir  et  entendre;  ne  montrez  jamais  aucune 
curiosité    sur   tout  ce   qui  se  passe   et   au 
dedans,  et  plus  encore  au  dehors  du  monas- 
tère ;  excepté   ce   qui  regarde    vos  devoirs 
et  vos  emplois,  ne  vous  occupez  de   rien; 
marchez  toujours,  en  un  mot,  en  la  présen(^,e 
de  Dieu  ,  el  conduis.' z-vous  ,  comme  s'il  n'y 
avait  ipie  Dieu  el   vous  sur  ia   terre  :  avec 
cette  conduite  et  ces  précautions,  vous  se- 
rez bien  moins  distraite  dans  vos  oraisons, 
ou  vos  distractions  vous  nuiront  beaucoup 
moins;  car  on   supposant  ipje  vous  fassiez 
lout  ce  qu'il  faut ,  et  que  vous  vous  mettiez 
dans  CCS  saintes  dispositions  ,    vous  ne  de- 
vez pas  croire  cependant  que  vous  l'.'auroz. 


147 


ORATLLUS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOMIS. 


US 


plus  de  dislraclions  ,  ni  juger  que  vos  dis- 
trat'iions  soient  des  fautes;  s'il  en  est  de 
voloiilaiies  qui  naiss«nl  d'un  esprit  «?l  d'un 
cœur  trojf  dissipés  ,  et  peu  disposés  parla 
h  l'oraisoi)  ;  il  en  est  aussi  d'involontaires 
qui  peuvent  6lre  des  épreuves  du  Seigneur 
qui  veut  purifier  une  âuie,  et  la  sanctifier; 
ou  le  plus  souvent  encore,  ce  sont  des  ten- 
tations de  l'esprit  infernal  qui ,  sachant 
combien  l'exercice  de  l'oraison  peut  vous 
être  utile  pour  voire  sanctificalion  ,  redou- 
ble ses  ellorts  pour  on  eiiifiécher  tout  le 
fruit  ;  lors  donc  que  vous  aurez  fait  tout  ce 
(|ui  dépend  de  vous  pour  rejeler  les  dis- 
tractions, et  vous  mettre  en  recueillement, 
si  ces  distractions  vous  assiègent  toujours, 
iicceptez,  avec  soumission,  cette  épreuve  du 
Seigricur;  humiliez-vous  ()iofoi)(léraent,  de 
ne  pouvoir  vous  tenir  en  sa  sainte  présen- 
ce, attribuez-la,  celte  éjireuve,  à  vos  infi- 
délités passées,  reconnaissez  humblement 
que  vous  n'êtes  pas  digne  de  converser  fa- 
milièrement, comme  lunt  de  saints  et  de 
saintes  ,  avec  ce  D,cn  toul-puissant,  devant 
lequel  les  anges  tremblent  et  se  confondent; 
dès  que  vous  vous  apercevez  que  votre 
es|)iil  s'égare  et  vous  échappe,  rappe!ez-le 
«uissilôt,  mais  sans  trouble,  sans  elïorls 
d'imaginalion ,  et  suitout  à  l'exemple  de 
sainte  Thérèse,  sans  vous  rebuter,  sans  vous 
dégoûter  du  saint  exercice  do  l'oraison,  et 
alors  vos  distractions ,  bien  loin  de  vous 
nuire,  deviendront  pour  vous,  comme  elles 
le  furent  pour  celle  grande  sainte,  un 
moyen  sûr  de  mériter  et  de  plaire  à  votre 
céleste  é|)Oux. 

II.  Mais  si  le  recueillement  de  l'esprit  est 
iiécest;aire  pour  bien  l'aire  l'oraison,  je  dis 
que  la  pureté  du  cœur  l'est  encore  plus; 
pour  3'ea  convaincre,  il  ne  faul  que  penser 
en(;ore  à  la  tin  de  l'oraison.  Que  nous  propo- 
sons-nous, en  elfel,  lorsque  nous  nous  y  li- 
vrons? C'est  d'adorer  la  majesté  intinie  de 
îioire  Dieu,  de  reconnaître  son  souverain  do- 
mairœ  sur  nous;  c'est  de  lui  demander  tous 
nos  besoins,  et  nos  besoins  spirituels  sur- 
tout; c'est  do  solliciter  de  sa  boulé,  des  gla- 
ces de  lumières  et  de  forces  tout  ensemble, 
qui  nous  fassent  connaître  etacconq)lir  tous 
nos  devoirs;  c'est,  en  un  mot,  de  chercher 
les  moyens  les  plus  [trojires,  les  plus  elhca- 
c(  s,  pour  nous  rendre  parfaits  et  pour  nous 
faire  des  saints. 

Or,  pour  rem[)Iir  toutes  ces  vues,  vous  le 
sentez  assez.  Mesdames,  nous  devons  d'a- 
bord nous  rendre  agréables  aux  yeux  de  no- 
tie  Dieu,  cl  pour  ceia  nous  préserver,  je  ne 
dirai  pas  seulement,  du  péché griefqui  don- 
ne la  mort  à  l'âme;  elil  comment  oserions- 
nous  nous  présenter  devant  lui,  et  solliciter 
ses  faveurs,  si  nous  étions,  par  le  péché,  ses 
ennciuiis,  des  objets  de  colère  à  ses  yeux? 
Mais  je  dis  de  plus  nous  préserver  du  péché 
véniel,  et  surtout  de  toute  atlection  au  péché 
véniel  ;  pourrions-nous  compter  sur  ses  bon- 
lés,  sur  ses  grâces,  si  nous  ne  craignions 
pas  de  l'ollenser,  de  lui  déplaire?  C'est  avec 
les  âmes  qu'il  regarde  comme  toutes  5  lui, 
qu'il  se  plaîl  à  .converser;  c'est  à  ccllcs-ià 


qu'il  aime  à  se  ("ommuniquer  ;  c'est  le  cœur 
lui-môme  qui  doit  prier  et  parler  à  Dieu 
dans  l'oraison;  vous  devez  donc  vous  prépa- 
rer à  ce  saint  exercice  par  la  pureté  du 
cœur,  mais  pureté  qui  ne  se  borne  point  en- 
core à  l'éloigneraent  de  tolil  péché,  mais  qui 
exige  de  plus  un  détachement  sincère  do 
toute  créature.  Oui,  vous  qui  vous  êtes  so- 
lennellement consacrée  h  votre  Dieu,  pour 
ne  vous  occuper  cpie  de  son  service,  dans  la 
retraite,  vous  qui,  pour  cola,  avez  généreu- 
sement 1  énoncé  à  tout,  vous  ne  pouvez  es- 
pérer de  vous  entretenir  avec  votre  Dieu, 
d'une  façon  agréable  f)0ur  lui,  et  utile  pour 
vous,  qu'autant  que  vous  remplirez  les  en- 
gagements que  vous  avez  contractés  avec 
lui,  qu'autant  que  votre  cœur  sera  vérita- 
blement dégagé  de  tout  objet  créé  ;  car  vous 
le  savez,  l'époux  que  vous  avez  clioisi,  ou 
pour  mieux  dire,  qui  vous  a  choisie  lui- 
même,  est  un  époux  qui  a  acquis  un  domai- 
ne absolu  et  universel  sur  votre  cœur,  en 
sorte  que  si  vous  vous  présentez  à  lui,  avec 
un  cœur  partagé,  attaché  h  la  créature,  vous 
l'olîensez,  vous  devenez  une  épouse  infidèle, 
et  vous  le  forcez  par  là  de  s'éloigner  de  vous. 

Mais,  prenez  garde  encore,  Mesdames, 
que  ce  détachement  du  cœur,  si  nécessaire 
pour  vous  entretenir  utilement  avec  votre 
Dieu,  ne  se  borne  point  aux  objets  étran- 
gers, et  hors  de  vous,  il  doit  s'étendre  en- 
core plus  sur  vous-mêmes;  en  vain  seriez- 
vous  détachées  de  toute  créature,  si  vous 
tenez  à  vous,  si  vous  vous  aimez  vous- 
mêmes,  vous  n'êtes  plus  dans  la  disposition 
qu'il  exige  de  vous,  et  dès  lors,  vous  ne 
pouvez  [)lus  compter  sur  ses  communica- 
tions, sur  ses  faveurs  ;  et  voilà  ce  qui  ojt,  un 
ellet  pour  plusieurs  un  obstacle  el  un  très- 
grand  obstacle  au  progrès  et  aux  g'aiuls  fruits 
de  l'oraison:  c'est  donc  un  cœur  vide  de 
toute  créature,  elvidede  vous-mêmes, qu'il 
vous  demande  pour  converser  avec  vous 
el  pour  vous  faire  sentir  les  ellels  salutai- 
res de  sa  sainte  présence. 

Ce  n'est  pas  tout  encore:  celte  pureté  de 
cœur  que  je  dis  nécessaire  pour  bien  faire, 
l'oraison  ne  consiste  pas  seulement  à  éviter 
le  jiéché,  à  n'avoir  aucune  atrection  au  pé- 
ché, à  être  sincèrement  dégagée  do  toute 
créature  et  de  vous-mêmes,  elle  demande 
de  plus,  un  cœur  orné  de  vertus,  et  des 
vertus  propres  à  votre  saint  état,  et  de  l'hu- 
milité surtout.  Oui,  Mesdames,  en  vain,  sans 
celle-ci,  [losséderiez-vous  toutes  les  autres, 
elle  est  la  base  et  le  fondeuienl  de  la  sain- 
teté; elle  est  le  Irait,  par  lequel  Jésus-Christ 
jirélend  que  vous  lui  ressembliez;  si  vous  ne 
la  |iossédez  pas,  celle  vertu,  dès  lors  il  ne 
j)eut  vuus  regarder,  ni  vous  traiter  comme 
ses  vraies  épouses;  il  déclare  qu'il  a  en 
horreur  les  superbes,  el  que  ce  n'est  que 
les  humbles  qu'il  favorise  de  ses  grâces.  Ah! 
combien,  en  etfet,  parmi  les  épouses  mêmes, 
qui  en  sont  absolument  privées,  de  ces  grâ- 
ces, parce  qu'elles  manquent  de  celte  vertu  1 
Hélas  !  l'on  se  plaint  quelquefois  qu'on  n'é- 
prouve dans  l'oraison  que  ténèbres,  quo 
dégoûls,  qu'aridités;  cli  !  comment,  avecun 


119 


DISCOUUS  DE  r.E'mAI'FK.  —  TUOfSïKilK  JOUR. 


Isa. 


rceiir  plein  (11'  liii-inôiue,oiifléil'('rgii<M!,pour- 
lail-on  compter  sur  les  laveursd'un  Dit-u  <|iii 
i.ese  l'Iail  iju'avoc  les  pelils elles  hiiinblos? 

Voiiloï-^uus  (lotir,  Mesdames,  participer 
h  ces  giiices  priviiéj^iées,  à  ces  commuiiii  a- 
lioiis  intimes,  que  le  Soigneur  a  si  souvent 
prodiguées  <^  ses  suintes  épouses,  dans  l'o- 
raison ?  Soyez  ce  (luell .s  unt  été,  so)'ez 
humbles,  petites,  anéanties  à  vos  propres 
yeux;  mettez-vous  comme  elles,  en  esprit, 
aux  pieds  île  toutes  vos  sœurs,  regardez- 
vous  indignes  de  leur  société,  et  du  litre 
aiigusie  d'épouses  de  Jésus-Christ  que  vous 
portez  ;  ayez  pour  cela  sans  cesse  vos  pé- 
chés, et  vus  inlidélilés,  devant  les  yeux; 
comme  eiles,  aimez  à  ère  ignorées  et  com- 
ptées pour  r.en;  saisissez  avec  ardeur,  tou- 
tes les  occasions  qui  peuvent  se  [irésenler, 
et  qui  se  pié^entent  souvent  d.nis  la  reli- 
gion, de  pratiquer  riiiimilité;  désirez,  mais 
sincèrement,  les  humiliations  ;  recevez  du 
moins  avec  soumission,  toutes  celles  que  la 
divine  Providence  vous  envoie:  voilà, j'ose 
lodire,  la  disposition  la  plus  favorable  pour 
attirer  sur  vous  les  reg.irds  du  céiesie 
époux,  et  pour  participer  à  ses  faveurs  dans 
l'oraison  ;  mais  une  tioisiàme  condition  né- 
cessaire encore  pour  faire  avec  fruit  ce 
saint  exercice,  c'est  la  docilité  et  une  par- 
faite docilité,  dans  lit  volonté. 

111.  Car  entin,  que  jirétendez-vous,  M^'S- 
dames,  en  faisant  rnaison  ?  C'est  d'obtenir 
du  Seigneur,  des  lumières  et  des  secours 
l)our  marcher  sûrement  dons  la  voie  de  la 
perfectio  i,  dans  laquelle  vous  êtes  enliées, 
et  pour  y  laire  chaque  jour  de  nouveaux 
pio^rès  :  or,  il  faut  |)our  ci'la,  que  vous  vous 
m-iiilriez  |)arfaitemenl  docih'sà  tout  cerpi'il 
peut  exiger  de  vo  s;  sans  cet:e  docilité,  les 
giAces,  les  si;cours(iue  vous  recevriez  dans 
i'oinison,  bien  loin  de  vous  rendre  plus 
agréabhîsà  ses  yeux,  ne  serviraient  au  con- 
traire (ju'à  vous  rendre  |)lus  coupables, 
et  <]u'à  refroidir  son  cœur  à  voire  égard. 
Cependant,  Mesdames,  voilà  un  défuut  as- 
sez commun,  même  dans  les  âmes  séparées 
du  monde  par  étal,  et  adonnées  à  l'orai- 
son ;  on  se  présente,  à  la  vérité,  chaque 
jour  assidûment  à  ce  saint  exercice,  mais 
on  s'y  présente  d.ii)S  des  dispositions  de 
cœur  qui  en  empôclKnt  tout  le  fruit;  on 
sent  par  exeuqiie,  que  Dieu  condamne  tel 
et  tel  défaut,  tel  attaclieuient,  telle  dispo- 
sition de  i'àffie  qui  nuit  au  progrès  de  la 
perfection  à  lacjuelle  on  s'est  engagée,  en 
embrassant  le  saint  état  de  la  religion;  on 
sent  que  Dieu  demande  depuis  longtem()s 
|ieut-êire  telle  réforme,  tel  sacritice  ;  c'est 
dans  l'fjraison  surtout,  que  les  insj)iralioi!s 
et  les  reproches  se  font  sentir,  mais  on 
s'est  fait  un  système  de  conduite  au(|uel 
on  tient,  et  auquel  on  veut  tenir;  en  vain 
la  grilce  presse,  sollicite,  on  résiste;  et  par 
celle  résistance  on  rend  inutiles  les  bons 
elFets  de  l'oraiSon.  Ce  f|ui  est  dom;  bien  né- 
cessaire, Me.>dames,  pour  profiler  de  ce  saint 
exercice,  c'est  d'y  apporter  un  cœur  docile, 
une  volonté  sincèrement  disposée  à  ne  met- 
Ue  aucune  borne  à  vulre  perfeclioii,  3  cu- 


trer  sur  cela,  dans  toutes  les  vues,  aans  ton* 
les  desseins  de  votre  Dieu  survou-i;  c'est 
de  lui  dire,  comme  le  Uoi-Prophète:  Parlez,. 
Seigneur,  ordonnez;  mon  cœur  est  |)rél  et 
disposé   à  vous   obéir  :  Paratwn   cor  meuin. 

Mais  celle  bonne  volonté,  cette  docilité 
de  cœur  ne  consiste  pas  seulement  à  suivre 
les  inspirations  de  la  grâce  ;  elle  doit  de  plus 
se  montrer  dans  les  dill'érentes  voies  que  lo 
Seigneur  tieid  à  votre  égard,  dans  l'oraison; 
et  voilà  un  autre  écueil  à  éviter  dans  c© 
saint  exercice;  à  la  vérité,  quand  le  Seigneur 
s'y  communiijue  u'une  façon  sensible;  lors- 
(|u'il  pénètre  lâtne  de  vives  lumières,  qu'il 
la  con;ble  de  (hjuceurs  et  de  consolations  : 
ah!  l'on  se  plaîl  alors  à  luéditerel  à  s'enlre- 
tenir  avec  son  Dieu;  ce  temps  do  l'oraisoïc 
paraît  couit  alors;  01.  désirerait  pouvoir  in 
prolonger;  mais  lorsque  le  Seigneur  vient  à 
changer  de  conduite,  lorsq.ue  d'un  état  dit 
lumière  et  de  consolation,  il  fait  |)assor  dans 
les  ténèbres  d'une  nuit  obscure,  el  marcliec 
par  une  route  pleine  d'épines,  de  sécheres- 
ses et  d'aridités,  ce  saint  exercice  devient 
abrs  pénible  et  fatigant;  on  est  tenté  de 
l'abandonner;  on  croit  môme  le  devoir,  re- 
garciarit  comme  perdu  (oui  le  temps  qu'on 
y  emploie.  Ahl  fasse  le  ciel,  Mesdames,  que 
vous  do'iniez  jamais  dans  une  pareille  illu- 
sion 1  Quelque  conduite  que  |)uisse  tenir 
dans  l'oiaison,  le  célesle  époux  à  votre 
égard,  montrez-lui  toujours  la  même  sou- 
mission et  la  même  exactitude  à  ce  saint 
exercice.  Eh  !  que  vous  imjvorie  comme  il 
agit  avec  vous,  pourvu  qu  il  fasse  son  œur 
vre  en  vous;  s'il  veut  vous  conduire  au  ciel, 
par  des  voies  |)énibles  et  ci  uciiiantes,  sou- 
mettez-vous, réjouissez-vous  même  de  de- 
veuir  par  là,  [)lus  semblables  h  ce  qu'il  a  été, 
pendant  sa  vie  mortelle,  el  d'éprouver  l.i 
conduite  qu'il  a  tenue  envers  les  Thérèse, 
les  do  Chantai,  el  tant  d'autres  saintes,  et 
qu'il  tient  encore  envers  ses  épouses  qu'il 
chérit  le  plus,  et  qu'il  apjtelle  à  une  plus 
éminenle  sainleié  ;  pensez  alors  que  les  dou- 
ceurs el  les  consolations  sont  l'apanage  de 
l'autre  vie,  et  les  peines  el  les  croix,  le  par- 
tage de  celle-ci  ^  pensez  que  voire  céleste» 
éfioux  sait  intiniment  mieux  que  vous,  ce 
qui  vous  est  le  plus  utile;  rendez-vous  jus- 
tice, en  vous  reconnaissant  indignes  de  con- 
solations et  de  faveurs;  faites  servie  ainsi 
jusqu'à  vos  ténèbres  et  à  vos  sécheresses, 
pour  vous  perfectioner,  par  une  résignation 
parfaite  aux  volontés  de  votre  Dieu.  Hélas  I 
une  autre  conduite  à  votre  égard  vous  pré- 
judicieiait  [)eut-êire,  il()ourra!t  vous  arri- 
ver, comme  le  dit  saint  François  de  Sales,  de 
préférer  les  consolations  de  Dieu  au  Dieu 
des  consolations. 

Ahl  Seigneur,  si  je  veux  ppésentemenl 
faire  un  retour  sur  moi-même,  que  de  grâ- 
ces dont  je  me  suis  privée  par  ma  faute I 
Que  de  mérites  par  conséijuent  j'ai  perdus 
pour  n'avoir  pas  fait,  du  saint  exercice  de 
l'oraison,  tout  le  cas  que  je  devais  en  faire, 
ou  pour  m'en  être  mal  acquittée.  Hélas  1 
combien,  dans  mon  saint  institut,  et  dans 
celle  sainte  maiswi,  se  sonl  élevées  et  s'é- 


151 


OUATEURS  SACHES.  L'ABBE  DE  MO.NÏIS. 


15-2 


lèvent  (ticore  par  l.'i ,  à  la  sainteté!  C'en  est 
fait ,  ô  mon  Dieu  ,  plus  convaincue  que  ja- 
mais de  l'utilité  ,  de  la  nécessité,  de  l'effi- 
cacité de  l'oraison,  pour  me  sanctiGer,  je 
vais  m'y  livrer  avec  plus  (l'applicalioii  et  «Je 
fidélité  que  jamais  ;  pour  la  fiiircavec  fruit, 
j'éloignerai ,  avec  soin  ,  tout  ce  qui  pourrait 
3' mettre  obstacle;  je  me  tiendrai,  avec  le 
secours  de  voire  gi;1ce,  dans  ce  recuiille- 
mont,dans  relie  solitude  intérieure,  abso- 
lument nécessaires  pour  entendre  votre 
voix,  au  fond  de  mon  cœur;  je  travaillerai 
à  le  puriller,  ce  cœur,  h  le  rendre  tel  que 
vous  le  désirez  ,  c'est-à-dire  exempt  de  tout 
péché  et  de  tout  attachement  aux  créatu- 
res et  à  moi-même  ;  mais  je  vous  promets 
surtout,  ô  mon  Dieu,  de  me  rendre  désor- 
mais docile  aux  inspirations  de  réforme  et 
de  sanclificalion  que  vous  me  donnerez 
dans  l'oraison,  et  à  la  conduite  que  vous  y 
tie'idrez  à  mon  éj^ard.  Non,  je  le  recon- 
nais ici ,  je  ne  mérite  pas  ces  faveurs  ex- 
traordinaires dont  vous  daignez  honorer  vos 
épouses  fidèles  et  fervenles;  faites  de  moi 
tout  ce  qu  il  vous  (ilaira;  trop  heureuse  que 
vous  veuilliez  bien  me  souffrir  en  votre 
sainte  présence,  je  ne  veux  plus  y  paraître 
que  pour  y  traiter  avec  vous  de  la  griinde 
affaire  de  ma  perfeeiion  et  de  mon  salut. 
Daifinez,  Sfii^tipur,  bénir  ces  résolulions  , 
et  faites  qu'après  vous  avoir  vu  dans,  cette 
vie,  des  yeux  de  la  foi  dans  l'oraison  ,  je 
puisse  trouver  dans  l'autre  mon  souverain 
bonheur,  dans  la  contemplation  éternelle 
de  vos  infinies  perfections.  Ainsi  soil-il. 

TUOISIÈME  JOUU. 

^  Tioisiciue  disronrs. 

SLR    L'KtfFER. 

piscedile  a  nie,  maledicli,  in  igncm  selcrnum.  {Matlh., 
Ilelirei,-vous  de  moi,  maudits,  allez  nu  feu  étemel. 
Quelle  terrible  sentence I  Oi'^'lc  affreuso 
destinée  [)our  une  personne  chrétienne  ,  et 
encore  plus,  Mesdames,  [Jour  une  personne 
religieuse!  Être  rejetée  sans  miséricorde 
et  pour  toujours  ,  par  un  Dieu  qu'elle  avait 
choisi  solennellement  pour  son  époux,  qui 
l'avait  honorée  lui-môme  du  titre  de  son 
épouse,  titre  auguste  qui  devait  faire  son 
éternel  bonheur  dans  le  ciel,  mais  qui ,  à 
laison  de  l'état  du  péché  dans  lequel  elle 
aura  quitlé  la  terre  ,  contribuera  à  la  rendre 
souveiainement  et  éternellement  malheu- 
reuse dans  l'enfer.  Dans  ce  grand  jour  de 
la  manifestation  publique  des  consciences, 
jour  de  triomphu  et  des  vengeances,  |)our 
son  Dieu  Sauveur,  pour  son  céleste  Epoux, 
après  l'accueil  favorable  qu'il  aura  fait  en  sa 
présence  ,  5  tous  les  justes,  et  sui  tout è  ses 
saintes  et  (idèles  épouses  ,  après  les  avoir 
invitées  avec  toutes  les  marques  de  sa  ten- 
dresse à  venir  prendre  possession  de  son 
royaume  éternel  que  leur  aura  mérilé  leur 
fidcliié  h  son  service,  Venile,  bcnedicli , 
(Muiih.,  XXV,  3k)  elle  le  verra  plein  de 
colère  et  d'indignation  se  tourner  vers 
elle,  la  charger  de  toutes  ses  malédictions, 
et   la  condamner  avec   tous   les  autres  ré- 


prouvés aux  fl.unmes  de  l'enfer,  pour  y 
expier,  pendant  l'ékrnité,  les  outrages 
(]ue  pendant  sa  vie  elle  aura  fails  h  sa 
gloire  :  Dtscedite  a  inc ,  maledicli ,  in  igncm 
œiernum.  (Ibid.,  kl.) 

C'est  sur  l'enfer,  et  sur  l'enlVr  d'une  reli- 
f:ieuse  que  j'ai  dessein  .le  vous  enlrclenir 
ici ,  Mesdames  :  vérité  bien  elTrayanle!  oui, 
sans  doute,  je  no  pnUends  point  vous  le 
dissimuler;  mais  si  je  viens  porter  la  crainle 
et  l'effroi  au  milieu  de  vos  cœurs,  je  puis 
bien  vous  le  dire,  comme  autrefois  saint 
Augustin  ie  disait  à  son  peuple ,  ce  n'est 
qu'après  avoir  été  elîVayé  moi-même  :  Ter- 
riliis  tcrreo  ;  et  si ,  sur  celte  giande  vérité, 
je  n'ai  rien  de  consolant  à  vous  dire,  c'est 
que  la  méditant,  je  n'y  ai  rien  trouvé  qui 
pût  nie  rassurer  raoi-rrême;  heureux  en- 
core ,  vous  et  moi ,  si  cette  crain'e  des  pei- 
nes de  l'enfer  nous  inspiiait  une  horreur, 
un  éloignement  infini  pour  lu  [)éché  qui 
feul  peut  nous  firocurer  un  aussi  grand 
malheur!  Qu'esl-ce  donc  que  cet  enfer?  Ah  I 
Mesdames,  écoulez  !e,  et  ne  l'oubliez  ja- 
mais ;  l'enfer  est  la  peine  du  péché;  l'enfer 
est  aussi  fondé  sur  la  nature  du  ()éché  ;  je 
m'explique  :  dans  les  iilées  de  la  théologie  , 
riiouime  f)ar  le  t'ét;hé  tombe  dans  deux 
grands  désordres  ;  il  s'éloigne  injustement 
de  son  Créateur,  et  il  se  porte  avec  dérè- 
glement vers  la  créature  :  Aversio  a  Deo  ,  et 
conversio  ad  crealuram.  Or,  pour  punir  le 
pécheur  de  son  allachement  déréglé  à  la 
créature,  son  Créateur  se  sert  de  la  créa- 
ture elle-iuème  [tour  le  tourmenter  dans 
l'enfer;  pour  punir  le  pécheur  de  son  éloi- 
gnement injuste  de  son  (Créateur,  le  Dieu  créa- 
teur ne  fait,  et  voici  le  plus  grand  des  mal- 
heurs, il  ne  fait  que  le  priver  de  sa  présence 
dans  l'enfer;  en  deux  mois,  la  religieuse  ré- 
prouvée, plus  malheureuse  dans  l'enfer,  par 
le  mal  dont  elle  est  tourmentée  ;  ce  sera  le 
sujet  de  la  première  partie  de  ce  discours  ; 
la  religieuse  réprouvée  ,  plus  malheureuse 
encore  dans  l'enfer,  par  le  bien  dont  elle 
est  |)rivée  ;  ce  sera  le  sujet  de  la  seconde 
partie.  Honorez-moi,  s'il  vous  plaît,  de 
toute  voire  allunlion.  Ave,  Maria. 

PHEMlÙilE    PARTIE. 

Il  est.  Mesdames,  de  la  destinée  de  tonte 
créature  raisonnable  de  rendre  nécessaiie- 
ment  gloire  à  son  Créateur.  Heureuse  la 
personne  chrétienne,  heureuse  la  religieu- 
se surtout,  (jui  ,  convaincue  de  ce  grand 
piincipe.  aura  lâché  d'y  conformer  sa  con- 
duite sur  la  terri"!  Mais  malheur  à  celle  (pii 
aura  élé  assez  téméraire  pour  refuser  de 
gloriiier  son  Dieu,  en  celle  vie,  en  répon- 
dant aux  desseins  de  sa  miséricorde,  parce 
qu'elle  sera  forcée  de  le  glorifier  dans  l'au- 
tre ,  en  éprouvant  les  effets  de  sa  justice! 
Ah  !  Mesdames,  il  n'est  aucur.  [lécheur  sur 
la  lerre,  dans  quehpje  étal  qu'il  soil;je(lis 
pluï  encore  ,  il  n'est  aucun  léjirouvé  dans 
l'enfer  qui  puisse  alléguer  sur  cela  son 
ignoran(;e;  oui ,  cette  f)ersonne,  celte  épou- 
se de  Jésus-Christ,  qui  vivait  depuis  si 
longlenqis  dans  l'oubli  de  ses  devoirs,  ddus 


153 


DISCOLUS  DE  ULTKAITE.  —  TUOISILME  JOUR. 


loi 


rii;i|)iiudc(Iii  péché;  celle  épouse  de  Jésns- 
Clirisliiiii  ôliiil  depuis  !oni:;t«'m|)s,  depuis  plu- 
sieurs iuiiH^espeut-f'lre,  louln  l.i  fois  un  sujet 
de  scandale  pour  ses  sœurs  et  d'afflictions  pour 
s  s  supéricurs.'combiendefoislagrâcedosiin 
céleste  E|)0iix,  l'a-l-elle  invitée,  pressée,  sol- 
licitée de  sortir  de  cet  état  de  relAclieinent 
el  d'inluiélilé  dans  lequel  elle  s'était  uial- 
lii'ureusenienl  ()longée  1  Coniltien  de  l'ois  le 
niinislre  de  Jésus-Christ,  riiomme  de  Dieu 
auquel  elle  se  trouvait  comme  forcée  de 
s'atiress  r  souvent,  pour  sauver  au  moins 
k'S  apparences  ;  combien  du  fois  Ta-t-il  aver- 
tie que  le  Seigneur,  fatigué  de  ses  résis- 
tances continuelles  à  ses  grAces,  éclaterait 
enfin,  et  qu'il  n'était  rien  de  plus  terrible, 
pour  une  épouse  de  Jésus-Christ,  comblée 
depuis  longtemps  de  ses  bontés,  que  de 
tomber  enlre  les  mainsde  ce  Dieu  Sauveur 
longtemps  oulragé  et  prêt  à  se  venger  ;  mais 
en  vain  ces  importantes  vérités  retentis- 
saient souvent  à  ses  oreilles  ;  également  do- 
iiiiuée  et  aveuglée  par  son  penchant  5  la 
dissipation,  au  relîlchement ,  elles  ne  fai- 
saient aucune  impression  sur  son  cœur; 
peut-êlre  même  5  l'endurcissement  ajou- 
tait-elle, comme  les  pécheurs  el  les  incré- 
dules du  siècle,  de  les  combattre,  ces  saintes 
vérités,  ou  de  païailre  en  douter  du  moins, 
et  bien  loin  d'en  être  touchée,  peut-être  al- 
lait-elle jusqu'à  se  railler  également  et  des 
ministre'>  qui  les  annonçaient  et  de  celles 
de  ses  sœurs  qui  en  paraii.saient  touchées 
et  convaincues;  mais  le  ternîc  fatal  où  son 
Dieu  l'attendait,  pour  exercer  sur  elle  les 
droits  de  sa  |uslioe  et  pour  lui  faire  boire 
jusqu'à  la  lie  le  calice  de  son  indignation 
est  entin  arrivé;  la  mort,  comme  un  voleur 
qui  surprend  au  milieu  de  la  nuit,  [lourme 
servir  de  la  comparaison  du  Fils  de  Dieu, 
la  mort  l'a  saisie,  comme  tant  d'autres,  celte 
épouse  infidèle  de  Jésus-Chiist,  au  milieu 
de  ses  infidélités  ;  et  l'instant  oii  elle  est 
ex()irée,  ce  môme  instant  l'a  vue,  connue 
le  luauvais  riche,  ensevelie  dans  l'enfer. 

Ce  pren)ier  coup  une  fois  fiappé  ,  la  jus- 
tice de  son  Dieu  n'étant  plus  retenue  par  sa 
lûiséiicorde,  sendjlable  à  une  mer  agitée, 
qui  a  entin  rompu  la  digue  qui  s'était^long- 
temps  opposée  à  ses  Ilots  en  fureur,  s'est  dé- 
cliargée  tout  entière  sur  elle:  les  créatu- 
res dont  elle  avait  si  longtemps  abusé,  contre 
son  Dieu  ,  perdant  pour  ainsi  dire,  leur 
insensibilité,  se  sont  élevées  contre  elle, 
el  se  sont  otferles,  comme  à  Tenvi ,  à  leur 
Créateur,  [)Our  être  autant  d'instruments  de 
sa  justi(  e,  et  pour  venger  sa  gloire  outragée. 

Or,  de  louies  les  créatures,  il  n'en  est 
point,  et  la  justice  humaine  n'a  pu  en  trou- 
ver de  plus  propre  à  punir  et  à  tourmenter 
les  criminels  que  le  feu,  parce  qu'il  n'en  est 
point  de  fdus  agissante,  de  plus  pénétrante 
ni  de  plus  douloureuse  par  conséquent; 
c'est  aussi  lu  feu  que  le  Seigneur  a  choisi 
pour  se  venger  du  pécheur,  et  dont  il  fait 
comme  le  Ibnd  de  ses  tourments  dons  l'en- 
fer; et  quand  je  dis  du  feu,  n'imaginez 
point  ici.  Mesdames,  dans  cette  exj)ression, 
!in  sens  ligure,  tel  que  quelques  mondains 


inifiics  si  intéressés  à  ne  rien  croire  de  réel, 
de  cette  elTrayante  vérité  ,  cherchent  à  le 
persuader  h  eux-mêmes;  lorsque  les  |)r(>- 
phèles  parlent  de  l'enfer,  c'est  toujours  sou6 
l'idée  d'une  prison  de  feu ,  d'un  étang  de 
soufre  enflammé;  et  leFils  d(î  Dieu  lui-même, 
lorsqu'il  menace  les  pécheurs  dans  l'Fvan- 
gile,  et  qu'il  leur  annonce  d'avance  l'arrêt 
qu'il  portera  contre  eux,  au  grand  jour  de 
ses  vengeances,  c'est  [lar  ces  ()aroles  terri- 
bles :  Ite,  maleflicli,  in  ignein  œternum.  «  Al- 
lez, maudits  an  feuHernei !n  parolesd'un  Juge 
(pii,  pour  l'ordinaire,  exprime  sa  sentence 
en  termes  clairs  et  nullement  équivoques, 
paroles  que  les  Pères  de  l'I-lglise  onl  tou- 
joursinterprélécs,  etque  l'Egliseelle-mèniea 
toujours  entenduesd'un  feu  réel  et  véritable. 

C'est  donc  une  vérité  de  foi  que  le  ré()rou- 
vé  dans  l'enfer  est  enseveli  dans  le  feu  ;  mais 
quel  feu?  Ah  I  Mesdames,  un  feu  dont  le 
nôtre  n'est  qu'une  ombre  ,  une  image  bien 
imparfaite;  celui-ci  en  elfet,  c'est  la  bonté  du 
notre  Dieu  qui  l'a  créé  pour  noire  soulage- 
ment, [)0ur  nos  besoins;  mais  celui  de  l'en- 
fer, c'est  sa  justice  qui  l'a  allumé,  dans  s:i 
colère,  pour  se  venger  également  des  anges 
rebelles  et  des  hommes  j)révaricaleurs  ;  un 
feu  qui  tient  lieu  au  réprouvé  de  tous  les 
maux  imaginables,  comme  le  dit  saint  Chr.\- 
sostome:  In  uno  iijnc,  omnia  lormenla  sen- 
liunl  ;  ou  pour  dire  quelque  chose  de  plus 
(irécis  encore, un  feu  qui  fait  souffrir  au  ré- 
prouvé une  com|)lication  parfaite  de  tous  les 
maux,  et  qui  les  lui  fait  soulliir  dans  toute 
leur  rigueur. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu  ,  que  lu  feu  de 
l'enfer  fait  souUrirau  réprouvé  unecom|)li- 
cation  parfaite  de  tous  les  maux:  et  d'abord, 
Mesdames,  je  ne  puis  m'empécher  de  rendra 
ici  un  hommage  à  la  justice  infinie  de  notre 
Dieu,  (Quelque  sévèrii  qu'elle  me  paraisse; 
car  enfin,  et  vous  devez  en  convenir  avec 
moi,  le  pécheur  em[)lo.yaut ,  pour  l'ordinai- 
re, contre  son  Dieu,  ei  tout  ce  qui  est  hors 
de  lui  et  tout  ce  qui  est  de  lui  et  dans  lui, 
n'esl-il  pas  juste  que  tout  ce  qui  est  hors  de 
lui  concoure  à  le  punir,  et  que  tout  ce  qui 
est  en  lui  et  de  lui  participe  à  la  peine 
qu'il  doit  subir,  et  qu'il  soit  puni  ,  selon 
rex|iressiûn  du  Saint-Esprit,  par  les  choses 
mêmes  |)ar  lesquelles  il  a  péché  :  Per  qiiœ 
peccavit,per  hœcel  pnnielur?  (Sap.,  Xll,  17.) 
Ainsi  sans  parler  présentement  de  son  es- 
|)rit  et  de  sa  volonlé,  cette  plus  noble  por- 
tion de  lui-même,  qui  éprouve  une  ])eine 
d'autiUit  plus  grande  qu'elle  a  eu  plus  du 
pari  à  ses  prévarications,  ce  pécheur,  cette 
religieuse  qui ,  sur  la  terre,  n'a  su  rien  r'e- 
fustr  à  ses  sens,  et  qui  s'est  fait  coimue  une 
élude  particulière  de  ne  leur  rien  refuser, 
dans  l'enfer,  pour  toutes  ces  sensualités, 
elle  soutire  des  tourments  iiroportionnés  au 
nondjre  el  à  l'énormilé  des  péchés  qu  ellu  n 
commis  par  leur  ministère. 

Ainsi,  au  lieu  de  tous  ces  objets.,  la  sour- 
ce, sur  lu  terre  ou  l'occasion  pour  elle  de 
tant  de  péchés,  dans  l'enfer,  elle  no  voit 
celte  religieuse  réfirouvée  ,  qu'une  pris'/fi 
alfrcuse  ,  (ju'un  lieu  de  ténèbres  el  de  mi- 


Î5.J 


ORATEL'ItS  SACRES.  L'ABBE  DE   MONTIS. 


153 


sèrfts.dans  lequel  elle  esl  sans  cesse  saisie 
d'horreur  par  l'horreur  el  le  désordre  qui 
y  régnent;  ses  regards  ne  lonihenl  que  sur 
des  réprouvés  comme  elle;  elle  ne  voit  que 
des  ennemis,  que  des  démons  en  lureur, 
que  «les  spectres  épouvantables  qui  lui 
causent  des  alarmes  el  des  frayeurs  conti- 
nuelles. Au  lieu  de  ces  enireliens  si  agré- 
ables, si  tendres  et  trop  libres  qu'elle  se 
))rocurait  sur  la  terre  ,  et  qui  n'ont  fait 
qu'amollir  son  cœur;  dans  l'enfer,  elle  n'en- 
tend que  cris  lugubres,  que  gémissemenls, 
que  grincenionts  de  dimls,  que  hurlements, 
que  blasphèmes,  qu'imprécations  contre 
Dieu. 

Ah  !  Mesdames,  si  pour  une  belle  âme,  si 
pour  un  bon  cœur,  il  n'est  rien  de  plus 
agréable,  de  plus  consolant,  sur  la  lerre, 
qtje  de  vivre  avec  des  amis  chez  qui  ré- 
gnent égalenicnl  la  raison,  le  sentiment,  la 
religion,  et  la  probité,  quelle  situation, 
au  contraire  de  se  trouver  dans  l'enfer,  en 
la  société  de  tout  ce  qu'il  y  aura  jamais  eiî 
de  plus  scéléral,  de  plus  infâme  dans  l'uni- 
vers !  Quel  état  d'avoir  sans  cesse  devant 
les  yeux  ce  que  l'on  déteste,  et  ce  que 
sans  ce■^se,  l'on  voudrait  voir  détruit  et 
anéanti  !  Au  lieu  de  cette  reciierclie  dans  sa 
nourriture,  au  lieu  de  celte  délicatesse,  de 
tous  ces  excès  si  contraire»  à  l'esprit  de 
niortincatiou  5  laquelle  elle  s'était  dévouée, 
cette  religieuse  dans  l'enfer,  elle  éprouve 
une  faim  dévorante  qu'elle  ne  peut  satis- 
faire, ei  une  soif  ardente  causée  par  le  feu, 
le  fiel  et  Tamerlume,  lui  fait  sans  cesse 
désirer  et  demander,  comme  le  mauvais  ri- 
che, sanspouvoir  l'obtenir,  une  goutte  d'eau, 
î)our  rafraîchir  sa  langue.  Au  lieu  de  ces 
aises,  de  toutes  ces  commodités  qu'elle  se 
sera  procurées  avec  tant  de  soin  sur  la 
lerre,  et  d'une  façon  cnlièrement  opposée  à 
son  vœu  de  pauvreté;  dans  l'enfer,  elle  se 
trouve  étendue,  liée  el  comme  enchaînée 
sur  un  lit  de  feu,  sans  aucun  usage  de  celle 
liberté  dont  elle  a  tant  de  fois  abusé  conlre 
son  Dieu.  Au  lieu  de  ces  soins  excessifs 
qu'elle  aura  eus  sur  la  terre  pour  un  corps 
qui  était,  et  jiar  les  engagements  de  son 
baplôme  el  encore  plus  |)ar  les'vœux  de  la 
religion,  tout  consacré  à  la  pénitence,  une 
fois  réuni  à  son  âme  un  feu  dévorant  l'en- 
vironnera, ce  corps,  il  le  [lénétrera,  el,  s'in- 
sinuant  jusque  dans  la  moelle  do  ses  os,  il 
lui  fera  soullrir  dans  tous  ses  membres 
les  douleurs  les  plus  cruelles.  En  un  mol, 
Mesdames,  voir  du  feu,  sentir  du  feu,  le 
loucher,  le  resfiirer  sans  cesse,  être  tout 
entier  dans  ce  feu  et  soulfrir  dans  ce 
feu  Ions  les  maux  imaginables,  tel  sera 
dit  saint  Bernard,  le  sort  des  corps  des 
réprouvés  dans  l'enfer  :  Curpora  doloribus 
divola. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  sur|>renani,  c'est 
que  ce  feu  de  l'enfer  fait  soullïir  à  TAme 
réprouvée  tous  les  maux  à  la  fois;  sur 
la  terre,  il  on  est  plusieurs  qui  ne  peuvent 
agir  eMsen)ble  sur  un  même  sujet;  mais  [)ar 
un  miracle  de  la  puissance  du  seigneur,  il 
ne  ^'oIl  Uouve  point  d'incompatibles   dans 


renfer;  oui,  tous  es  maux  présentement 
si  variés  et  dispersés  dans  l'univers,  ils  se 
sont  rassemblés,  pour  ainsi  dire,  à  la  voix 
du  Seigneur,  pour  venir  fondre  tous  en- 
semble sur  cette  personne  réprouvée  : 
Omnis  dolor  irruet  super  eum.  (Job,  XX, 
22.)  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  surpre- 
nant encore,  c'est  que  ce  feu  si  cruel  n'at- 
tend pas  pour  exercer  toute  sa  cruauté  le 
grand  jour  de  la  réunion  des  âmes  avec 
leurs  cor|)s  ;  h  l'instant  même  de  la  mort  do 
celle  personne,  de  celle  religieuse,  au  mo- 
ment que  l'âme  séparée  de  son  corps  a  été 
citée  par  son  Dieu,  jug(''e,  condamnée  el 
|)récij>ilée  dans  l'enfer,  au  même  moment 
ce  feu,  par  une  autre  vertu  loule  miracu- 
leuse que  Dieu  lui  a  communiquée,  a  com- 
mencé d'agir  aussi  sensiblement  sur  celte 
âme  que  si  elle  était  déjà  réunie  à  sou 
corps,  en  sorte  que  Gain,  ce  premier  des  ré- 
prouvés, soulfre  depuis  tant  de  siècles,  au- 
tant de  lourinents  que  si  son  corps  fût  des- 
cemlu  avec  sou  âme  dans  l'enfer. 

il.  Mais  ce  qui  rend  le  sort  d'une  per- 
sonne, d'une  religieuse  réprouvée  encore 
pins  déplorable  dans  l'enfer,  c'est  que  non- 
seulement  ce  feu  lui  fait  soullrir  une  com- 
plication parfaite  do  tous  les  maux,  en 
sorte  qu'il  n'en  est  aucun  que  l'esjjrit  d« 
l'homme  puisse  imaginer,  ou  que  la  i)uis- 
sance  d'un  Dieu  [)iiisse  créer,  dont  elle  ne 
soit  louimenlée;  mais  (ju'il  les  lui  fait  souf- 
frir, de  (dus,  dans  toute  leur  rigueur.  Vous 
me  demandez  sans  doute  ici,  Mesdames, 
quelle  esl  donc  celle  rigueur  des  peines  de 
l'enfer?  Al)  I  fasse  le  ciel  que  vous  el  moi 
non  ayons  jamais  par  nous-mêmes  une 
parfaite  connaissance  !  mais  ne  pourrai-jo 
pas  vous  répondre,  par  com;iaraison,  sur  la 
rigueur  des  maux  de  l'enfer,  ce  que  je  vous 
dirais,  d'après  l'apùtre  saint  Paul,  sur  la 
grandeur  des  biens  du  ciel;,  c'est  que 
comme  c'est  un  Dieu  qui  récompense  en 
Dieu  ses  élus,  c'est  aussi  un  Dieu  qui  punit 
en  Dieu  les  réprouvés;  c'e.«t  que  comme 
l'œil  n'a  jamais  vu,  l'oreilie  ja  nais  entendu, 
le  cœur  de  l'homme  jamais  senti  tous  les 
biens  que  Dieu  prodigne  dans  le  ciel  <i 
ceux  qui  lui  ont  été  fidèles  sur  la  lerre, 
également  ne  peuvent-ils  se  comprendre  ni 
tomber  sous  les  sens,  tous  ces  maux  don.t 
Dieu  [)unit  dans  l'enfer  ceux  qui  ont  été 
assez  téméraires  pour  l'oulrager  sur  la 
lerre.  Ainsi  quand  je  vous  peindrais  ici, 
avec  les  couleurs  les  plus  vives,  tous  les 
maux  que  la  justice  liumaine  a  jamais  in- 
veidés  pour  punir  les  criminels;  quand  j'y 
joindrais  les  supplices  que  la  fureur  des  ty- 
rans, et  que  la  cruauté  des  bourreaux  leur 
ont  fait  iniHginer,  pour  tourmenter  les  mar- 
tyrs; quand  je  vous  mettrais  de  plus,  sous 
les  yeux,  d'une  façon  sensible,  tous  les 
lléaux  que  les  péchés  des  hommes  leur  ont 
attirés  el  que  la  colère  d'un  Dieu  leur  a  fait 
éprouver  dans  tous  les  temps;  croix,  gibets, 
tortures,  gu-^rres,  maladies  ,  incendies,  je 
devrais  vous  ajouter,  tout  cela  n'est  point 
l'enfer,  ou  |)Our  j)arler  plus  exaciement, 
tous  ces  maux  se  trouvent  bien  dans  l'cii- 


1;.7 


DISCOURS  LE  UETRAITE.  —  TUOISIOIE  lOlK. 


158 


fer;  mais  ils  s'y  foiil  senlir  avec  tout  une 
iiiilre  .Ti'tivité  que  sur  la  terre  ;  en  sorte, 
dit  sailli  Aiiguslin,  que  quelque  rigoureux 
qu'ils  nous  paraissi  nt  firésenlement  tous 
ces  maux,  non-seulement  ils  ne  peuvent 
ôlre  comparés  h  ceux  de  l'enfer,  mais  nous 
devons  mùme  les  regarder  comme  rien,  en 
ctHiiparaison  deceuxde  l'enfer  :  Non  parva, 
Sdl  nuUa  siinl. 

Eu  circl.  Mesdames,  Inus  les  maux  que 
nous  pouvons  souQrir  sur  la  terre  n'agis- 
sent pas  toujours  avec  un  degré  de  rigueur 
qui  fasse  succomber  ceux  qui  les  souffrent; 
mais  dans  reiiltr,  non-seulement  une  per- 
sonne réi)rouvée  souffre  tous  les  maux  ima- 
gi'iiibles,  mais  elle  les  souffre  encore  avec 
tous  les  degrés  de  violence  que  la  toute,- 
puissance  d'un  Dieu  est  capable  de  leur 
(•ommuni()ui  r;  en  surle  qu'il  n'est  pas  un 
inslant  oiî  toute  pi  rsonne  réprouvée  ne 
puisse  dire  dans  l'enfer,  comme  le  mau- 
vais riilie  :  Je  souffre  inliniment  dans  ce 
ffu  ■.Cruciorin  hac  flanuna.  [Luc,  XVI,  Si.) 
Sur  la  terre,  si  les  maux  agissent  avec  une 
vi(dei](;e  peu  commune,  on  est  dès  lors  as- 
suré qu'ils  vont  bienlùl  cesser  ;  l'expérience 
nous  convainqu.uit,  tous  les  jours,  que  la 
violence  d'un  m;d  et  sa  durée  sont  comme 
iticompjilibles  en  cette  vie,  mais  dans  l'en- 
fer les  maux  lourmenlent  d'une  manière 
iulinie,  pour  ainsi  dire,  en  sorte  que  bien 
loin  do  s'épuiser  en  agissant,  Dieu  leur 
comu)unique  sans  cesse  une  nouvelle  vi- 
gueur pour  tourmenter  le  réprouvé  ;  pas 
un  instant  par  conséquent  où  une  per- 
sonne réprouvée  puisse  dire  dans  l'enfer,  je 
souffre  peu. 

Sui' la  terre,  les  plus  grands  maux  ne  sont 
pas  loujouis  sans  ressource;  il  en  est  beau- 
coufi  qui  cèdent  enfin  aux  recherches  de  la 
science,  et  aux  opérations  de  l'art  qui  les 
atla(iuent;  mais  dans  l'enfer,  une  personne 
réprouvée  souffre  sans  qu'on  puisse  apj>li- 
querle  moindre  remède  à  tous  ses  maux; 
pas  un  instant,  par  conséquent,  où  elle 
puisse  dire  dans  l'enfer,  je  ne  souffre  plus. 
Sur  la  terre,  si  un  mal  est  sans  reuiède,  on 
le  laisse  asïcz  souvent  ignorer  à  la  per- 
sonne qui  le  soulfre,  ou  son  imaginalion  se 
plaît  du  moins  à  ne  pas  le  regarder  comme 
incurable,  et  par  là,  une  misérable  la  plus 
désespérée  ne  fut  jamais  ou  Le  se  crut  ja- 
mais, sans  (iuel(|ue  espérance  ;  mais  d;uis 
l'enfer,  non-seulement  une  personne  ré- 
l>rouvée  ne  reçoit  aucun  soulagement,  mais 
elle  sait,  elle  est  même  intimement  convain- 
cue qu'elle  n'en  recevra  jamais  aucun  ;  pas 
un  instant,  par  conséquent  où  elle  puisse 
se  du-e  a  eile-mèuie,  dans  quelque  temps  je 
ne  souffrirai  plus.  Sur  la  terre,  un  mal  de 
quelque  durée  cesse  en  quelque  sorte  d'ê- 
tre un  mal  ;  la  nature  se  familiarise  avec 
lui,  ou  plutôt  un  mal  continué  devient 
comme  une  seconde  nature;  mais  dans  l'en- 
1<  r,  queique  longtemps  que  souffre  une 
personne  réj)rouvée,  ses  maux  lui  sont 
toujours  aussi  nouveaux,  toujours  aussi 
cruels  (jue  le  premier  instant  auquel  elle 
en  fut  asiaillie;  pas   un  iuslunt,  par  consC- 


qui'iil,  où   elle  puisse  dire  dans  l'enfer,  je 
souffre  moins. 

Sur  la  terre  enfin,  les  plus  grands  maux 
el  les  maux  les  plus  désos[)érés  ne  sont  ja- 
mais sans  quelque  esjjùce  de  soulagement; 
l'entretien  d'une  personne  amie  console,  la 
vue  de  quelque  objet  disirait,  des  réflexions 
étrangères  élèvent  l'âme  quelquefois  au- 
dessus  dos  sens;  le  sommeil  arrête  pour 
quehjue  temps  du  moins,  et  sus[)end  le 
sentiment  des  douleurs;  mais  dans  l'enfer 
rien  de  fout  cela  ne  peut  soulager  une  per- 
sonne réprouvée  ;  point  d'autre  objet  dans 
l'enfer  que  ce  feu  ardent  qui  la  tourmente; 
j)oinl  d'autre  réflexions,  d'autres  pensées 
dans  l'enfer,  que  celles  de  son  souverain 
malheur  el  de  ses  péchés  qui  le  lui  ont  pro- 
curé ;  |)oint  d'autres  amis  dans  l'enfer  que 
des  réprouvés  comme  elle,  qui  souffrent 
comme  elle  et  avec  elle;  point  d'autre  so- 
ciété (jue  des  esprits  de  ténèbres,  que  des 
démons,  autant  de  ministres  et  d'instru- 
ments de  la  justice  divine,  uniquement  ap- 
pliqués, acharnés  même  à  la  tourmenter; 
nul  repos  dans  l'enfer;  le  feu  agit  avec  trop 
de  violence  et  avec  une  trop  constante  ac- 
tivité pour  permt;ltre  aux  sens  de  s'assou- 
pir; l'âme  est  tout  appliquée  à  son  mal  el 
en  est  tellement  occupée  que  rien  n'est  ca- 
pable de  la  distraiie  de  la  pensée  et  du 
sentiment  de  ses  douleurs;  pas  un  instant 
par  conséquent,  où  elle  ne  se  dise  à  elle- 
même:  je  soulfre  infiniment  dans  cet  enfer 
el  je  suis  sûre  de  n'y  jamais  moins  souf- 
frir. 

Ah!  Mesdames,  faul-il  que  nous  ne   pa- 
raissions insensibles  que  sur  le  seul    objet 
qui  devrait  exciter  toute  notre  sensibil  léet 
nous  causer  les   plus  justes   frayeurs.    Eh 
quoi!   une   légère  douleur,   présentement, 
pour  peu  qu'elle  soit   de  durée,  nous  de- 
vient insupportable;  quedis-je?  l'appaience 
même   du   mal   nous   effraye;    nos  regards 
peuvent  à  peine  se  fixer  sur  une  personne 
infirme    qui  porte  quelquefois   empreintes 
sur  son  corps  les  marques  de  ses  infirmités; 
le    récit   des  soutfrances  des    autres  nous 
fait  soulfiir   nous-mêmes.  Hélas  !  celte  lé- 
gèie  peinture  (jue  je  fais  ici  des  supplices 
do    l'enfer  suflil   peut-être     pour    blesser 
notre  délicatesse;  que  sera-ce  donc  (ie  l'en- 
fer   lui-même  '?    Comment    pourrons-nous 
donc  supporter  ces  su|)plices    eux-mêmes? 
Qui  de  nous,  qui  de  vous  pourra  donc  habi- 
lirces  brasieis  éternels?  (Via., XXXIII, H.) 
Oui  vous  surtout,  vierges  clirétiennes,  ce 
qui  doit  vous  faire  redouter  infiniment  ces 
tourments    de  l'enfer,  ce  sont  ces  titres  de 
chrétiennes  el  de    religieuses,  de  disciples 
et  tout  à  la  fois  d'épouses  de  Jésus-Chrisî 
que  vous  j)ortez;  oui,  ces  titres  si  honora- 
bles et  si  avantageux  pour  vous,  ces  litres 
qui,  dans   les  desseins  de  votre  Dieu,  doi- 
vent taire  loule  votre  gloire  et    tout  votre 
bonheur,  ce    sont    ces   titres  augustes,   si 
vous  veniez  à  les  profaner,  si  vous  vous  en 
rendiez  indignes,  (jui  feront  votre  ignomi- 
nie el  tout  vutre  malheur   dans  l'autre  vie. 
Oui  ,  eu  caruclèie    absulumeul   ineffaçable 


159 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


ICO 


que  vous  nvcz  reçu  dans  voire  ba[tlôme  et 
(]an(  vous  no  pouriioz  pnr  conàéquont  vous 
dépouiller  luêmc  au  fond  des  enfers:  oui, 
ros  onctions  saintes  qui  auront  plus  d'une 
fois  consarré   votre  chair   dans    les  sacre- 
nienls  (ie  l'Kglise;  oui,  ce  corps  surtout,  ce 
corps  ol  ce  ^ang  adorable  de  Josus-Clirist , 
que  vous  aurez   mille  fois  reçu  dans  le  sa- 
crement eudiarislique  ;  oui,  cet  dtat  si  saint 
de  la  religion  (|ue  vous  avez   embrassé  vo- 
lontairement ut  malgré  de  grandes  opposi- 
tions peut-être;   ce   saint   habit   que  vous 
avez  paru  si  ardemment  désirer,   dont   l'on 
vous  a  vu  vous  revêtir  avec  autant  d'em- 
|)ressen)ent   que  de  consolation;  oui,    ces 
engagements  sacrés  que  vous  avez  si  haute- 
ment contractés  avec  votre  Dieu  ;  ces  vœux 
solennels  c|ue    vous  avez  [)rononcés  en  sa 
présence  et  aux  pieds  de  ces  saints  autels; 
oui,  ces  grâces  sans  nombre  et  de  toute  es- 
pèce que   vous  avez  reçues  ;    ces  moyens 
puissants  et  infniis  de  perfection  et  de  sa- 
lut (jui  vous   ont  été  présentés,  en  consé- 
quence de  ces  engagements  et  de  ces  voeux; 
voilà,  si  vous  venez  à  vous  perdre,  ce  qui  se 
tournera  contre  vous;  voilà  ce  qui  formera 
pour  vous   un  enfer  particulier  au   milieu 
même  de   l'enfer;   voilà   ce  qui  vous    fera 
sonh;iiter  d'être  mises  au  rang  du  Juif  et 
de  l'infidèle;  mais  voilà  ce  qui  donnera  de 
l'aliment,  pour  ainsi  dire,  et  une  nouvt  Ile 
activité  à  ces  flammes  vengeresses  de  l'en- 
fer pour  augmenter  vos  tourments  d'autant 
de  degrés  (|ue  vous  aurez  [ilus  l'eçu  qui;  le 
Juif  et   rii.lidèie  et   que   vous  aurez    plus 
éprouvé  qu'eux    les  bontés   et   les  miséri- 
cordes   irdiuies  de  votre   Dieu.    Mais   piiur 
vous  donner  une  connaissance  plus  parfaite 
encore  de   l'aifreux    état    d'une    religieuse 
réprouvée    dans    l'enfer,  après  vous  avoir 
montré  combien  elle   est  malheureuse  par 
les  grands  maux  dont  elle  est  tourmentée, 
j'ajoute  que  ce  qui  la  rend  infiniment  plus 
malheureuse,    c'est  la   jjrivalion    du    plus 
grand  de  Ions  les  biens,  qui  est  son  Dieu  ; 
c'est  ie  sujet  de  la  seconde  partie. 


SECONDE   PAUTIE. 

ans  le  ciel   les  plaisirs   sensi- 


Comnie  n 
blés  que  Dieu  se  plaira  à  communiquer  à 
ses  élus  et  à  ses  épouses  prédestinées  sur- 
tout et  les  qualités  glorieuses  desquelles  il 
revêtira  leurs  corps  ne  doivent  faire  ce- 
pendant qu'une  béatitude  accidentelle  , 
comme  parlent,  les  théologiens,  béatitude 
infiniment  inféiieure  à  la  possession  de 
Dieu  lui-même,  dont  elles  seront  assurées 
pour  toujours ,  ainsi  les  maux  sensibles 
(jue  le  feu  de  l'enfer  fait  soulfrir  à  celles 
(jui  sont  réprouvées  ne  doivent  être  regar- 
dés, quehjue  terribles  qu'ils  nous  parais- 
sent, que  connue  leur  réprobation  acciden- 
telle et  qui  n'est  rien  à  leurs  yeux,  compa- 
rée à  la  perle  élernelle  de  leur  Dieu,  ce  qui 
a  fait  dire  à  saint  Chrysostome  que  les  ré- 
pro\ivés  sont  infiniment  plus  tourmentés 
|iar  la  [lensée  des  biens  du  ciel  qu'ils  ont 
jierdus,  que  par  1^  sentiment  des  maux  de 
rci'fer  (ju'ils  se   sont  {uocuréj.;   J'iur,  coclo 


torquentur  qnmn  igné.  Dans  nne  malièro 
des  plus  importantes^  fiu'on  puisse  traiter 
dans  les  chaires  chrétiennes,  je  n'emploie- 
rai point  ici,  Mesdames,  un  style  et  wn 
plan  étudiés;  j^  vais  me  bornera  repré- 
senter tout  simplement  à  votre  esprit  trois 
réflexions  qui  (  ccupent  sans  cesse,  dans 
l'enfer  une  religieuse  réprouvée;  plût  à 
Dieu  que  vous  et  moi  nous  voulussions 
nous  en  occuper  souvent,  dès  celte  vie! 
j'oserais  bien  assurer  qu'elles  ne  seront 
jamais  dans  l'autre  le  sujet  do  nos  tristes 
et  infructueuses  méditations.  J*ai  perdu 
mon  Epoux  et  mon  Dieu  :  première  ré- 
flexion qui  a  commencé  le  désespoir  de 
cette  religieuse  réprouvée.  J'ai  ()erdii  mon 
Hpoux  et  mon  Dieu  |)ar  nia  faute  :  seconde 
réflexion  qui  a  augmenté  son  désesfioir. 
J'ai  perdu  mon  Epoux  et  mon  Dieu  pour 
toujours:  troisième  réflexion  qui  a  mis  le 
co;nble  à  son  désespoir.  Reprenons  s'il 
vous  plaît,  et  suivez-moi. 

I.  J'ai  [icrdu  mon  Epoux  et  mon  Dieu  et 
en  le  perdant,  j'ai  tout  perdu  :  première 
pensée  qui  a  saisi  celte  mauvaise  religieuso 
an  moment  oij  le  souverain  Juge  lui  a 
prononcé  cette  terrible  et  irrévocable  sen- 
tence: Relirez-vous  de  moi;  chargée  de,  mn. 
vinlcdiclion,  (dlcz  au  feu  éUtnel.  {Matlh, 
XXV,  41.)  A  peine  avait-elle  donné  cette 
personne,  (juelques  signes  de  connaissance 
et  de  raison  qu'on  lui  avait  fait  entendre  et 
qu'on  lui  avait  ajipris  à  ()rononcer  elle- 
même  ,  que  son  Dieu  l'avait  créée  et  niu- 
quement  créée  pour  lui;  qu'il  ne  l'avait 
mise  pour  un  temps  sur  la  terre  qu'aliu 
qu'elle  l'aimât ,  qu'elle  le  servît ,  qu'elle  Je 
glorifiât  par  des  œuvres  suintes  et  qu'elle 
pûl  mériter  |)ar  là,  de  jouir  élei'nellemenl 
de  lui  dans  le  ciel;  ces  premiers  éléments 
de  sa  religion,  imprimés  tiès  l'eiifanco 
dans  son  esprit,  avaient  été  fortifiés  dans 
la  suite  par  des  insiruclions  plus  étendues 
ot  par  des  réflexions  |)lus  suivies;  elle  sen- 
tait bien  et  cent  et  cent  fois,  elle  se  l'était 
dit  à  elle-même,  que  son  âme  était  d'une 
substance  trop  noble  et  d'uiie  capacité  trop 
immense  pour  pouvoir  être  pleinement 
remplie  par  tous  ces  faux  biens  qui  l'envi- 
ronnaient ;  ce  fut  niême  celle  intime  con- 
viction qui  l'engagea  à  renoncer  absolumiMil 
au  monde ,  à  tous  les  biens  et  à  tous  les 
avantages  du  monde,  et  à  se  consacrer  en- 
tièrement et  |)our  toujours  à  son  Dieu  dans 
la  retraite;  mais  son  ca'ur,  livré  dans  la 
suite  au  relâchement,  à  la  dissipation  ,  la 
détourna  bientôt  de  la  voie  <ie  |)erfection 
et  de  sainteté  qu'elle  avait  choisie  el  lui  fit 
oublier  les  saints  engagemenls  qu'elle  avait 
si  généreusemenl  contractés  avec  son  Dieu  ; 
après  l'avoir  une  fois  perdu,  en  perdant 
par  le  jiéché  la  grâce  sanctifiante,  elle  s'ac- 
coutuuja  insensiblement  à  celte  perle;  elle 
s'y  endurcit  enfin  par  ditférentes  rechutes 
et  n'en  sentit  jamais  bien  depuis  l'impor- 
tance ni  les  suites  si  funestes. 

Mais  quel  changement  à  la  mort!  Quelle 
surprise  dans  l'autre  vie  !  Cette  âme  dé- 
gagée des   liens  de  son   cor|>s,  délivrée  de 


ir,i  lîlSCOLUS  DE  lŒ TKAITE.  —  TilOlSIEME  JOUR.  112 

loulos  SOS  passions,   onlcvée  <>    tonlcs   les  f'-r,  c'i'sl  (jn'c  l.'o  voit,  qu'elle  est  môme  iii- 

crc^;Uures,   elle  commît  alors  (i.iirailoiiu'iil,  limonionl  convaincuo  (|ue  c  est  uiiiquomeiil 

celle  âuio,  qu'elle  n'a  jamais  [)u  avoir,  el  par   sa  faille  qu'elle  a  pcr:lu  son  Die-!.  Ui 

(pi'elle  n'a  jamais  «lu  rechercher    ni  dési-  n);ilheur  qu'on  n'avait  pas  pu  (>révoir,  ou 

riM-  par  (Oiisétiiienl  d'autre    hien  que   son  contre  ie(|uci  on  s'tUail  mis  en  garde,  |)()ur 

l)i(u  ;  ail  I  une  (lùche  violenuncni  décocliée  ainsi  cire,  par  do  sa>;;es  précautions,  n'(;>t 

le  fend  pas   les  airs  avec   plus  de  rapidité,  jamais,  quand  il  arrive,  sans  (juelque  es- 

el  une  pierre,  ilaiis   sa  chute,  ne   tend    pas  pece  de  consolai  ion;  c'en  est  une   de  pou- 

avec  plus  de   vitesse    vers  le   centre  de  la  voir  rendre  lénioignage  aux  aulres,  el  de  se 

terre,  que  celle  âme  ne  leiu]  vers  son  Dieu  ;  le  rendre  5  soi-même,  que  si  l'on  est  rnal- 

lous  les  biens   et  tous  les  avantages  d>Ma  iieureux,  on  ne  peut  l'imputer  à  son  impru- 

lerro,  Ions   les    trésors  et  loules   les  cou-  dence,  à  son  peu  do  prévoyance  ;  mais  ètro 

lonnes   de    l'univers   lui    seraient   oiferles  malheureux,  et  ne  lôtre  (jne  parce  qu'on  a 

alors,  qu'elle   les    rejetterait  avec   mépris,  négligé   do  se    préserver  de   ce    malheur; 

connue  incapables  de  la  satislaire;  c'est  son  mais  être  souveia  inement  malheureux,   et 

Dieu,  son  eélesle  Epoux,  son  centre   uni-  ne  l'être  que  parce  (|ue  l'on  a  fait  volontai- 

que  et  sa  fin    dernière  qu'elle  veut,   el  ce  renient,  de  sang-froid  el  de  gaielé  de  cœur, 

n'est  que   son  Dieu  qu'elle  veut;  mais  l'in-  pour  ainsi  dire,  tout  ce  (ju'ii   fallait   ()Our 

fortunée  se  sent  comme  repoussée  par  une  s'attirer   ce  souverain  niallieur;    voilà   une 

main  invisible;  plus  elle  fait  d'elfoit  pour  des  plus   cruelles  situations   ipj'on.  plii^so 

s'a|)j.roclicr  de  son  Dieu,  et  plus  son  Dieu  imaginer  :  telle   est  celle  d'uie   religieuse 

se  pla  ît   à  la  rejeter;  |dus  elle  veuts'éian-  réinouvée  dans  l'enfer.  J'ai  i)U  n'être  pas 

cer  vers  le  séjour  des  bienheureux,  et  plus  dans  ce  lieu  de  tourments,  se  dit-elle,  et  se 

son  Dieu  se  plaît  à  la  replonger   dans  les  dira-t-elle  sans  cesse,  j'ai  |)u  posséder  dans 

llammes  de  l'enfer.  le  ciel  mon    Dieu,  mon    unique  et  céleste 

Ahl  si  cette  âme  pouvait  au  moins  no  Epoux,  j'ai  pu  me  procurer  une  des  [ive- 
plus  aiiner  ce  Dieu  qui  ne  veut  plus  d'elle  :  mières  places  dans  son  royaume;  en  qua- 
mais  non,  |)Ius  elle  s'en  voit  haïe  et  dé-  liiô  de  son  épouse,  il  me  l'avait  destinée;  jj 
lestée,  et  plus  elle  se  sent  coitinie  naturel-  l'ai  pu,  et  je  ne  l'ai  pas  voulu! 
leiiient  porter  à  le  reclieiclier  et  à  s'alla-  Oui,  je  l'ai  pu.  Ahl  toutes  les  grâces  qui> 
cher  à  lui.  Ah  I  si  cette  âme  ainsi  rejetée  de  i^on  Dieu  lui  a  faites,  dans  tout  le  cours  do 
sou  Dieu  i)Ouvait  se  dérober  entièrement  à  sa  vie,  et  depuis  surtout  qu'elle  était  entrée 
sa  vue,  et  se  tenir  pour  toujours  loin  de  dans  le  saint  état  de  la  religion,  et  qui  se 
lui:  mais  non,  en  vain  a|>pelle-l-elle  la  présentent  sans  cesse  à  son  esprit,  peu- 
mort  à  son  secours,  en  vaui  conjure  l-elle  venl-elles  ne  pas  arracher  d'elle  cet  aveu 
les  collines  et  les  montagnes  de  la  sous-  si  humiliant  el  si  déses|)érant  tout  cnsom- 
traire  pour  toujours  aux  yeux  et  à  la  co-  ble?  Saintes  penséas,  bons  mouvements,  re- 
lère  de  son  Dieu,  elle  en  sera,  à  la  vérilé,  proches  intérieurs,  inspirations  et  sollicila- 
toujours  assez  éloignée  pour  ne  pouvoir  lions  secrèles,  pi'juses  lectures,  exemj)le.3 
faire  son  bonheur,  de  sa  présence,  mais  il  éd  fiants,  conseils  salutaires,  touchantes 
lui  sera  toujours  sullisamuienl  présent,  pour  exhortations,  sacrements  reçus,  confessions 
lui  (aire  sentir,  |iar  une  vive  impression  de  et  coniinunions  fiéquentes,  saintes  retrai- 
tes perfections  inlinies,  tout  ce  (pi'olle  a  [e>',  et  tant  do  fois  répétées,  tant  do  giâ- 
perilu,  en  le  perdant.  Ame  criminelle,  lui  ces,  de  se(0tirs  s|)irituels,  tant  de  moyens 
dira  t-il,  dans  ta  colère,  é()Ouso  ingiale  et  do  sanctification  et  de  touio  espèce,  dont 
intidèie,  jet'avais  |!ar  une  miséricorde  toute  une  partie  aurait  sulli  peut-ôlre  au  salut 
s[)éciale  donné  lous  les  moyens  de.  t'alta-  d'un  grand  nombre  d'autres,  elle  voit,  mais 
cher  à  moi  et  do  me  servir,  et  les  moyens  avec  la  i)lus  exirême  douleur,  qu'elle  les  a 
tout  à  la  fois  les  plus  propres,  les  plus  efli-  négligés,  méprisés,  profanés,  et  ([u'elle  en 
caces  elles  plus  aiiondanls;  tu  les  as  négli-  a  fait  autant  d'instruments  de  sa  réproba- 
gés,  tous  ces  moyens  de  salul;  tu  n'as  [las  lion;  elle  connaît,  mais  trop  lard,  cette  re- 
voulu me  servir  et  m'aimer  dans  le  temps,  ligieuse  infidèlle,  combien  elle  a  été  peu 
lu  chercheras,  mais  en  vain,  à  m'aimer  raisonnable  non-seulement  de  ne  pas  se  li- 
dans  l'éternité;  lu  as  refusé  de  jouir  de  vrer  elle-même  à  la  piété,  à  la  pratique  do 
moi  dans  le  séjour  de  ma  gloire,  ingrate  ses  devoirs  et  de  ses  observances,  mais  en- 
ci  insensée,  tu  n'oublieras  ce[)end;uit  ja-  core  de  censurer,  Je  railler  colles  do  ses 
mais  ton  Epoux,  et  qu'en  cette  (jualilé,  je  sœurs  (pii  montiai 'ut  de  l'exacliiude  à  les 
devais  être  Ion  uni(iue  el  la  souveraine  observer.  O  insensées  ([uo  nous  avons  été, 
béatitude,  el  jamais,  jamais  je  ne  ferai  ton  ne  peut-elle  s'emiièclier  de  dire  aux  com- 
honlieur.  Ah  !  Mesdames,  pour  comprendre  pagnes  de  ses  dissipations,  et  aux  coinfilices 
tjute  la  douleur  el  tout  le  désesiioir  d'une  do  ses  égarements,  ô  insensées!  nous  t  ai- 
âme  qui  se  voit  ainsi  rejelée  sans  n.iséri-  lions  d"esprils  faibles,  nous  regardions 
corde  d'un  Dieu  qui  devait  faire  tout  son  comme  des  âmes  sinijdes,  celles  do  nos 
bonheur  dans  le  ciel ,  il  faudiail,  selon  la  sœurs  qui,  sincèrement  utlachées  à  nolro 
pensiie  de  saint  Bernard,  connaître  [larfai-  saint  état,  se  rendaierii  lidèles  à  ses  plus 
lement  tout  ce  qu'est  ce  Dieu  qu'elle  a  per-  petites  pralipies,  à  ses  [ilus  légères  ob- 
iiu  :  Tanta  pœna,  quanliis  ipse.  servancis;   mais    qu'e  les    ont    montré    di» 

il.  .Mais  cequi  augmente  encore  le  désos-  raison  et  de  sagesse,  ces   religieuses  fei- 

po.r  de  celle  redgieuse  répiouvée  dans  l'en-  ventes,  et  ijue  notre  imp.rudeuce,  notre  Ïj 


1G3 


ORATELiRS  SACRES.  LABBE  DE  MONTIS. 


i(il 


lie  a  été  grande  de  ne  pas  marcher  constam- 
nien',  à  leur  exemple,  dans  les  sentiers  si 
aimables  (ie  la  justice  et  de  la  perfection,  aux- 
quelles nous  nous  étions  vouées,  comme 
elles  ! 

Mais  à  tous  ces  moyens  de  salul  négligés, 
pour  augmenter  la  douleur  et  le  désespoir 
de  cotte  religieuse  réprouvée,  se  joignent 
tous  les  péchés  qu'elle  a  osé  commettre 
contre  son  Dieu.  Sur  la  terre,  outre  qu'on 
ne  connaît  jamais  parfaitement  la  naturedu 
|)éclié,  on  ne  se  rappelle  jamais  entièrement 
tous  ceux  qu'on  a  eu  le  malheur  de  com- 
mettre; ils  se  succèdent  les  uns  aux  autres, 
dans  l'exécution,  il  en  est  h  peu  près  de 
même  pour  la  mémoire;  les  péchés  d'un 
jlge  font  oublier,  pour  l'ordinaire,  les  pô- 
ctrés  de  l'ilge  qui  a  précédé  et  ceux-mfimes 
qu'on  ne  peut  se  dissimuler  è  soi-même, 
ne  tûche-t-on  pas^  le  ()lus  souvent,  et  jus- 
qu'au sacré  tribunal  quehjuefois,  justjue 
dans  la  déclaration  sacramentelle  qu'on  en 
l'ait,  de  les  cacher, de  les  déguiser  du  moins, 
d'en  diuiinuer  la  malice  et  l'énormité. 
Mais  dans  l'enfer,  il  n'en  peut  être  ainsi  : 
tous  les  péchés  que  cette  personne,  cette 
religieuse  aura  con)mis  dans  le  cours  d'une 
vie  des  plus  longues  peut-être,  se  (irésen- 
lent  h  son  es|)rit,  raa's  ils  s'y  [)résentent 
pour  la  tourmenter,  comme  ils  se  sont  pré- 
sentés à  elle  au  lit  de  la  mort,  et  (Micoro 
plus,  comme  son  souverain  .luge  les  lui  a 
re()résentés  lorsqu'il  l'a  citée  à  son  redou- 
table tribunal,  c  est-à-dire  qu'elle  les  voit 
tous;  il  n'en  est  aucun  qui  échappe  h  sa 
mémoire;  elle  les  voit  tous  enseaible;  il 
n'en  est  pas  un  seul  qui  ne  fasse  une  vive 
impression  sur  son  esprit;  elle  les  voit  tous 
et  continuellement;  elle  ne  peut  un  ,seul 
instant  se  distraire  d'une  vue  également 
affreuse  et  humiliante;  elle  les  voit  tous 
avec  toute  leur  laideur  et  toute  leur  dilfor- 
milé;  elle  ne  peut  plus,  comme  autrefois, 
les  pallier,  les  cliangcr,  les  excuser. 

Ahl  Mesdauies,  rendons  encore  ici  hom- 
mage à  la  justice  de  noire  Dieu  ;  car,  eidiii, 
telle  est  sa  bonté  pour  nous  présentement 
que  nous  ne  pouvons  commettre  un  seul 
péché  qu'il  ne  soulève  aussitôt  noire  cons- 
cience contre  nous-mêmes,  alin  de  nous 
engager  |)ar  là,  à  le  détester  ce  péché,  à  en 
faire  pénitence;  mais  ono  faisait  sur  la 
terre  cette  religieuse  intiiièle?  Au  lieu  de  se 
servir  de  ces  troubles  de  l'âme,  de  ces  re- 
proches intérieurs,  de  ces  remords  salu- 
taires, |)our  sortir  de  son  étal  d'inlidélité, 
voulant  toujours  pécher,  satisfaire  toujours 
ses  penchants  naturels,  elle  cherchaii,  au 
contraire,  à  dissiper  ces  troubles,  à  f.iiro 
taire  ces  reproches,  à  étoull'or  ces  remords, 
et  peut-être,  en  clfet,  à  force  d'inobservan- 
ces, d'intidélités,  de  chutes  et  de  rechutes, 
élait-elle  parvenue  à  se  procurer  cette  fu- 
neste |)aix,  cette  all'ieuse  tranquillité;  mais 
dans  l'enfer,  bien  loin  de  pouvoir  se  procu- 
rer une  pareille  satisfaction,  tous  les  |)échés 
qu'elle  a  commis,  tous  ceux  qu'i  Ile  a  l'ait 
commettre  aux  autres,  par  sa  ((uiduile,  par 
ses  propos,  par  ses  conseils,  tous  ces  scan- 


dales qu'elle  a  causés  dans  sa  comrannau'é, 
ces  relâchements  qu'elle  y  a  introduits,  et 
qui  y  auront  subsisté  plusieurs  années, 
plusieurs  siècles  peut-être  après  sa  mort, 
voilà  ce  qui  se  présente  et  ce  qui  se  |iré- 
senle-ra  sans  cesse  à  son  esprit  pour  la  cou- 
vrir de  confusion  et  de  dése'^poir;  c'est  là 
ce  ver  de  la  coii'^cience ,  ce  ver  ron- 
geur qui  ne  raeuit  jamais,  dit  le  Fils  de 
Dieu  :  Vermis  non  moritur.  {Marc,  IX  . 
'••5.}  Voilà  ce  qui  la  désespi'rera,  ce  qui  i;i 
tourmentera  sans  cesse,  voilà  ce  qui  déso- 
lera, ce  qui  désespérera  tous  les  réprouvés, 
ce  qui  armera  les  unes  contre  les  autres 
toutes  les  religieuses  inlidèles  et  prévarica- 
trices d'une  même  maison,  d'une  même 
communauté;  toutes  ne  seront  occupées, 
dans  l'enfer,  qu'à  s'accuser  mutuellement, 
qu'à  se  reprocher,  les  unes  aux  autres,  leurs 
coupables  facilités,  leurs  conseils  perni- 
cieux, leurs  complaisances  criminelles,  leurs 
exemples  scandaleux;  plus  elles  auront  été 
unies  dans  le  mal  sur  la  terre,  et  [lus  elles 
seront  .divisées,  et  se  détesteront  dans 
l'enfer. 

III.  Mais  celle  triste,  celte  affreuse  situa- 
tion d'une  religieuse  dans  l'enfer,  combien 
durera-t-el!e?  N'y  aura-i-il  pas  un  temps, 
un  Jour  011  elle  pourra  se  flatler  d'avoir  en- 
lin  expié  ses  péchés  et  d'avoir  satisfait  à  la 
justice  de  son  Dieu,  d'être  rentrée  en  grâce 
auprès  de  lui?  Non,  Mesdames,  et  voilà 
môme,  à  parler  [)roprement,,ce  qui  fait  son 
enfer.  Vous  avez,  sans  doule,  été  effrayées 
de  ce  déluge  de  maux  qui  doivent  inonder 
son  âme  et  son  corps,  mais  on  peut  abso- 
lument les  souffrir  tous  ces  maux,  sans  être 
enseveli  dans  l'enfer;  vous  avez  compris 
quel  grand  mal  c'est  d'èire  séparé  d'un 
Dieu  qui  doit  l'aire  l'unique  béaliludi;  de 
l'âme,  mais,  sur  la  terre  le  péi  lié  mortel  ne 
fait-il  pas,  en  quelque  sorte,  ce  divorce, 
cette  séparation  de  l'âme  d'avec  Dieu?  Ainsi, 
soull'rir  tous  les  maux  imaginables,  et  do 
plus,  la  perte  de  î-on  Dieu,  c'est  déjà  un 
grand  malheur  ;  souifrir  tous  ces  maux  et 
la  perte  de  son  Dieu,  uni(|uement  par  sa 
faute,  c'est  un  malheur  [dus  grand  encore; 
mais  souffrir  tous  ces  maux  et  être  sûr  de 
l'avoir  ()erdu  pour  toujouis,  voilà  ce  qui 
met  le  ci)mble  au  désespoir  de  celte  mal- 
heureuse réprouvée,  et  voilà  encore  une 
fois,  ce  qui  fait  son  enfer;  celte  seule  pen- 
sée, j'ai  perdu  mon  Dieu,  mon  céleste 
époux,  mon  tout,  pour  l'éternité,  la  lient 
dans  une  désolation  ,  dans  un  désespoir, 
dans  une  fureur  qui,  sans  cesse,  lui  fera 
souhaiîer  sa  destruction  et  son  anéantisse- 
ment, quoique  toujours  assurée  de  i/ètre 
jamais  détruite  ni  anéantie. 

O  éternité,  éternité!  Quel  lerme  pour 
une  personne  chrétienne  et  religieuse,  pour 
une  é[)0use  de  Jésus-Christ  dans  l'ei.fer! 
Quelle  vue!  quelle  réllexionl  Ne  vous  al- 
toiidez  pas.  Mesdames,  que  je  vous  en 
donne  ici  une  idée  parfaite  de  cette  élei- 
nilé;clle  ()articipe,  eu  quelque  sorte,  à 
l'infinité  de  noire  Dieu  dont  elle  est  un  des 
allribuls,   elle  est  [>ar  conséiiueiit  iucom- 


DlSœunS  DE  RETRAITE.  -  TROISIEME  JOUR. 


pr'Mipnsihlc  comme  lui;   nîi  1  les   Ames  qui 
enresscnlenldès  h  présent  tout  le  poids,  ne 
1.1  compreiineiil  p.TS  et  ne  la  comprendront 
jamais;  faites  tionc  telle  supposition,  telle 
comparaison  qu'il  vous  plaira;  comptez,  si 
vous  le  pouvez,  tout  ce  qui  peut  se  comp- 
ter dans  l'univers  ;  mcltez   tous  ces   nom- 
bres ensemble,  ajoutez    et    mulli|»liez    les 
uns  par  les  aiilres,  ajoutez  cl    multipliez 
encore,  l'imasination  s'égare  et  se  conloiid; 
puis,  dites-vous  à    vous-mêmes,   ce  n'est 
))oint  là  l'tHernilé,  parce  que  tous  ces  nom- 
bres, quelqu'immenses  qu'ils  soient,  tiiii- 
raient,  et  que  i'élernilc  n'aura  point  de  tin; 
parce  qu'une  persoiuie  réprouvée  pourrait 
épuiser,  eh,  que  dis-je  1  parce  qu'elle  épui- 
sera en  efTei  tous  ces  nombres  et  mille  et 
raille  fois  plus  encore,  et  que  son  éleriiiié, 
bien  loin  d'être   terminée,  sera   pour  elle 
connne  si  elle  ne  faisait  que  commencer. 
Arrêtons-nous  Ih,  Mesdames;  mais  avant 
de  terminer  ce  discours,  faisons  enseuji)le 
quelques  réflexions  dont  je   m'assure  que 
vous  sentirez   toute  la   vérité  :  il  est   donc 
une   éternité    malheureuse;    il     est  donc 
un  enfer;   je  croirais  faire  une  injure  h  vo- 
ire foi  de  vous  soupçonmT  môme  d'en  dou- 
ter; pour   mériter  celte   éternité   njalheu- 
rcuse,  cet  enfer,  un  seul  péché  mortel  suf- 
(il,  autre   vérité  aussi  constante  et  do  la- 
quelle vous   êtes   également  convaincues; 
vous  avez  péché,    vous   en   particulier  cpii 
m'écoutez.  et  peut-être   beaucoup   péché  ; 
je  vous  renvoie  sur  cela  au   lémuignage  do 
votre     consiience;    vous  avez   donc    mé- 
rité    l'enfer,    conséquence    nécessaire  et 
que  vous  avez  tirée  vous-même  toutes  les 
fois  que  vous  avez  osé  olfenser  grièvement 
»olre  Dieu  ;  mais  ce  qui  est  plus  triste  en- 
core c'est  que,  sûre  d'avoir  mérité  l'enfer 
par  vos  péchés,  vous  n'avez  aucune  certi- 
tude de  ne  le  plus  mériter,  parce  (jue  quel- 
ques signes  de  douleur  que  vous  ayez  don- 
nés par  le  passé,  ou  que  vous  puissiez  don- 
ner à  l'avenir,  quelque  pénitence  que  vous 
ayez  faite  ou  que  vous    vous  proposiez  de 
faire  encore,  vous   ne   pouvez   être  jamais 
absolument  certaine    des   dispositions    de 
votre  cœur,  ni  jamais    pleinement  assurée 
par  conséquent  du  |)ardon  de  vos  péchés. 
Mais  je  dois   vous  dire   quelque   chose 
d'aussi  certain  et  de  |)lus  terrible  encore;  et 
Bûallieurà  moi,  si  j'ajoutais  ici   un  seul  mot 
aux  vérités  évangéliques  que  je  vous  prô- 
cliel  mais    malheur  également   à   moi,   si 
j'eiitre|irenai>  de   ks  alfaiblir  ou   d'en  rien 
lelranuher!    c'est  que   i)our    mériter  celle 
éternité  malheureuse,  cel  enfer,  il  n'est  pas 
nécessaire  de  commeltre  le  mal,  il   ne  faut 
que  ne  jias  laiie  le  bien.    Oui,   Mesdames, 
ui.e  vie  molle  el  sensuelle  a  sulfi  pour  faire 
I  éprouver  le  mauvais  riche;  une  vie  indu- 
lenle  el  paresseusea  causé  la  perte  du  servi- 
teur rjui  avait  enfoui  son  talent:  il  faut  agir, 
en  un  mol,  pour  se  sauver,  il  faut  accomplir 
tlaccomplir  constamment  les  piécep  es  du 
Seigneur  et  ceux  de  son  Eglise,  les  engage- 
lueiilsde  son  baplêiue,   les  devoirs  de  son 
«îiat;  outre  ces  ublii^ations  essoulielles  coiu- 


iôG 


munesà  tous  les  chrétiens,  \1  faut,  pour  une 
religieuse,  pour  une  épouse  do  Jésus-Christ, 
observer  exa;temcnl  les  vœux  sacrés  qu'elle 
a   prononcés,  nu   pied   dos  saints   autels,  et 
dont  les  moindres  infractions  offensent  tou- 
jours le  Seignour;   elle  doit  vivre  el  persé- 
vérer conslammeni   dans   un    renoncement 
réel  et  sincère  au  monde;  à  tous  les  biens, 
.'i  tous  les  avanlages  qu'offro  le  monde;  elle 
doit  mener   une  v  e  recueillie,    intérieure, 
mortifiée;  elle   doit   en  un   mot,  porter  sa 
croix,  mais  la  porter  tous  les  jours,  comme 
Jésus-Christ,    el  d'après    Jésus-Christ   son 
chef,  son  époux  el  .«on  modèle.  Voilà   vos 
obligations  h  toutes,  Mesdames  :  or  jugez 
sur  "cela,  si  tout  ce  que   vous  faites,   c'est 
précisément  tout  ce  que  vous  devez  faire;  si 
Dieu  vous  citait,  dans  ce  moment  à  son  tri- 
bunal   pour    disciiler   toutes    vos    œuvres, 
pour  vous  examiner  sur  lous  vos  devoirs  do 
chrétiennes  et  de  religieuses,  et  pour  dé- 
cider, par  \h,  de   votre  destinée   éierneile, 
pourriez-voiis  vous  flalter  de  trouver  grAce 
auprès   de  lui?  Qu'en   pensez-vous.?  Je  ne 
veux  encore  ici  d'aulrejugeque  vous-mêmes. 
Ali  î  Seigneur,  si  je  veux  en  effet  rélléchir 
sérieusement  sur  moi,  quel  sujet  de  confu- 
sion el  de  crainte!  Si  je  veux  tourner  mes 
regards  vers  les  temps  |)assés,  sur  les  années 
(le  ma  jeunesse  surtout,  que  de  fautes  qui 
ont  raérilé  l'enfer  1  Mais  quand  je  les  aurais 
expiées  toutes  ces  fautes,  par  une  sincère 
pénitence,  ne  le  mériterai-je  plus,  cel  enl'er? 
Vivé-je  présentement   et    dans   mon  saint 
élal,  de  façon  h  vous   plaire  et  à  compter 
sur  vos  récompenses  éternelles?  Hélas  Ijo 
suis  si   attachée  à  mes  aises,  h  ma  liberté, 
à    moi-même;    comment   pourrais-je    donc 
supporter  les  flammes  de  l'enfer  ?  Comment 
puis-je  donc  m'exposer  à  m'y  trouver  ense- 
velie un  jour  el  [)Our  toujours?  C'en  eslfaii, 
ô  mon  Dieu,  je  suis  bien  résolue  de  no  plus 
risquer  ma  destinée  éternelle;  pour  évitée 
do  descendre  après  ma  mort  dans  les  jtri- 
soiis   de  l'enfer,  je  suivrai    l'avis  de   saint 
Bernard;  j'y  descendrai  souvent   en  es|)rit 
pendant  la  vie;  au  lieu  de  rejeter  celle  vé- 
rité des  suji[)lices  éternels,   lorsqu'elle    se 
présentera  à  mon  esprit,  j'y  penserai,  je  la 
méditerai  souvent   et   surtout  lorsqu'il    se 
trouvera  quelque  occasion,  quelque  tenlalio'i 
de  manquera  rues  devoirs  et  de  vous  offen- 
ser; je  me  demanderai  alors,  ce  que  se  de- 
mandait un  ancien  solitaire,  si  celle  action, 
si  ce  péché  vaut  bien  une  éternité  de  sup- 
plices, et  si  je  me  sens  assez  de  force  et  de 
courage,  pour  habiter  ces  brasiers  éternels  ; 
pensée  salutaire;  elle  a  ()euplé  autrefois  les 
déserts,  elle   m'a  fait  renoncer  moi-même 
au  mor.de  et  à  lous  les  biens,  à  lous   les 
avantages  (jue   m'ollrait    le   monde;   faites 
encore,   ô    mon    céleste  é()Oux,  par    votre 
giAce,  (pi'tdlo  me  soutienne  désormais,  dans 
la  |lrati(^ue  de   mes  devoirs  et  contre  tous 
les  assauts  des  ennemis  de  mon  salut;  faites 
qu'elle  nie  fasse  persévérer  le  reste  de  m  s 
jours,    dans    voire    service   et   dans    votre 
amitié;   heureuse  persévérance  qui,  aj»rês 
m'a  voir  préservée  du  plus  grand  de  lous  les,. 


167 


ORATLUKS  SACi'.KS.  LADUE  DK    MdNTIS. 


!f)8 


ir,;uix  qui  est  l'enfer,  me  procurera  inf.iil- 
liblemeul  le  plus  grand  de  tous  les  biens, 
qui  est  le  séjour  de  voire  gloire  éternelle. 
Ainsi  soit-il. 

QUATRIÈME  JOUU. 

l'ri'iiiii  r  (lisc'oiii's. 

SUU  LA  COMMUMON. 

Qui  manducal  nieam  carncm  et.  bibit  nioiitn  saiignineni, 
in  nie  manel  et  eyo  in  eo.  (Jo  m.,  \  I,  '<! .} 

Ci'lui  qui  iiiaïuje.  ma  cluiirct  qui  boit  inc!is:iiig,  demeure 
en  moi  et  moi  en  lui. 

Quel  avantage,  et  lont  à  la  l'ois,  quel 
lionneui'  [)0ur  nous.  Mesdames!  Ce  Dieu 
toul-pnissanl  qui,  par  amour  pour  nous,  a 
quitté  le  sein  de  sa  propre  gloire,  qui  est 
venu  sur  la  terre  liiiljiter  parmi  nous  pour 
nous  délivrer  de  l'esclavage  du  démon  et 
du  péché,  et  pour  nous  [trocurcr  l'entrée 
dans  son  royaume  élernel,  ce  môme  Dieu, 
peu  content  de  s'ôlre  livré  aux  souilVances, 
rit  à  la  mort,  pour  nous  sauver,  et  pour 
liuus  soutenir  contre  les  ennemis  de  notre 
salut,  a  voulu  de  pins,  en  nous  donnant  sa 
propre  chair  à  manger,  et  son  propie  sang 
à  boire,  être  non-seulement  avec  nous, 
uiais  encore  au  dedans  de  nous,  et  que 
nous  lussions  également  nous-mêmes  avec 
lui  et  dans  lui  :  Jn  me  manel  et  ego  in  eo. 
Quelle  libéralité!  Quelle  bonté! 

Mais  ce  que  nous  devons  admirer  ici, 
c'est  bien  moins  la  bonté  de  Dieu  [)Our  les 
hommes,  que  l'aveuglement  et  l'ingratitude 
ues  hommes  envers  Dieu.  Que  de  chrétiens 
dans  le  monde  négligent  de  se  procurer  un 
aussi  grand  bien  ;  combien  qui  n'apjjrochent 
jamais  ou  que  très-rarement  du  la  table 
sainte!  Combien  d'autres  qui  s'y  présentent 
dans  des  dispositions  criminelles  ou  [)eu 
pro|.res  à  les  taire  participer  aux  elîets  sa- 
lutaires qu'elle  devrait  produire  dans  leur 
cœur!  Vous  avez,  vous.  Mesdames,  le  bon- 
heur de  recevoir  souvent  ce  Dieu  Sauveur, 
votre  céleste  éjjoux,  par  la  communion; 
vous  regardez  même  cet  avantage,  comme 
un  des  plus  considérables  que  vous  piocure 
voire  saint  état;  vous  vous  appliquez,  de 
plus,  à  le  lecevuir  dans  des  Uis[)Ositnjns 
jiropres  à  lui  plaire,  <'t  à  participer  à  ces  la- 
veurs. Pour  vous  conlirmer  dans  ces  })ieux 
sentiments,  pour  faire  croître  môme  dans 
votre  cœur  le  désir  de  la  communion,  et 
d'une  sainte  comumnion,  j'entreprends, 
dans  ce  discours,  de  vous  l'aire  connaître 
tout  le  prix  du  bientait  eucharistique,  et  de 
vous  indiquei'  les  moyens  d'y  j)urliciper 
dignement  et  avec  l'ruil.  Eu  deux  mots  : 
les  avantages  que  la  Lomniunion  procure  à 
une  religieuse  ;  ce  sera  le  sujet  de  la  |)re- 
mière  partie.  Les  dispositions  dans  les- 
quelles doit  être  une  rehgieuse,  })ar  rap[iort 
à  la  communion;  ce  sera  le  su|el  de  la  se- 
conde [lurlie.  lioiiorez-moi,  s'il  vous  olaît 
de  louie  voire  attention.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE     PARTIE. 

C'est  une  vérité ,  Mesdames,  dont  nous 
ne  pouvons  disconvenir,  et  qui  n'est  que 
trop  loiidée  sur  l'exfiérience,  que  Ions,  mal- 
■iieureuse  uoslérilé  d'Adam,  dans  tout,  nous 


nous  nous  rt'cherchons  nous-mêmes,  nous 
retombons  con  ti  nu  el  lemeiit  sur  nous- m.ê  m  es, 
nous  rapportons  tout  h  lious-mèmes,  c'est  là 
cet  amour  désordonné  de  nous-n)êmes 
qu'un  Père  de  l'Eglise  appelle  avec  raison 
le  premier  vivant  et  le  deriiier  mourant, 
et  qui  lait  courir  avec  tant  d'ardeur  les  chré- 
tiens du  siècle  après  les  honneurs,  les  ri- 
chesses, les  plaisirs  et  tous  les  avantages 
que  le  monde  possède,  qu'il  oO're  à  ses  par- 
tisans, parce  qu'ils  les  regardent  faussement 
comme  de  vrais  avantages  capables  de  les 
rendre  heureux.  HêlasI  Ce  n'est  pas  seule- 
ment au  milieu  du  siècle  que  règne  cet 
amour  excessif  de  soi-même;  jusque  dans 
les  états  les  plus  opposés  ii  l'esprit  et  aux 
maximes  de  ce  monde  corrompu,  jusque  dans 
l'état  de  la  religion  el  parmi  les  épouses  de 
Jésus-Christ,  il  règne  et  s'y  manifeste  sen- 
siblement quelquefois.  Combien  en  ellet 
qui,  afirès  avoir  renoncé  solennellement  au 
siècle,  à  la  gloire,  aux  honneurs  du  siècle, 
se  livrent  h  dessenlimenls  d'orgueil  et  d'am- 
bition, qui  ne  peuvent  souffrir  d'être  mé- 
prisées, d'être  oubliées,  qui  cherchent  l'es- 
time et  les  louanges,  qui  tiavaillenl  à  S'i 
procurer  les  |)remières  places  et  des  em- 
plois qui  les  distinguent  ! 

Combien  encore  qui,  après  avoir  fait  un 
sacrifice  des  biens  et  des  richesses  de  la 
terre,  s'altachinl  à  des  objets  qui,  pour  ôlra 
[leu  considérables  en  eux-mêmes,  ne  lais- 
sent pas  d'occu{)er  leur  cœur,  et  qui,  par  lii, 
leur  tiennent  lieu  des  pins  grandes  riches- 
ses. Quel  aveuglement  !  Quelle  folie!  dans 
un  état  d'abaissement,  d'humilité,  qu'elles 
ont  embrassé,  elles  recherchent  des  hon- 
neurs, mais  des  honneurs  faux  et  trompeurs, 
peu  proportionnés  à  Ja  noblesse  de  huir 
âme  et  au  titre  honorable  qu'elles  portent 
de  chrétiennes  et  d'épouses  de  Jésus-Christ. 
Dans  un  élat  do  dénùment,  de  pauvreté, 
elles  s'attachent  à  des  objets  fragiles  el  pé- 
rissables, incapables  de  remplir  leur  cœur 
uniquement  créé  pour  [lOsséder  un  bien 
inlini  el  éternel  tout  ensemble. 

Or  je  viens  ici,  Mesdames,  vous  faire 
connaître  et  vous  proposer  un  moyen  et  un 
moyen  sûr  de  vous  préserver  de  ces  mau- 
vais ell'ets  de  i'amour-propre  ;  un  moyen  sûr 
de  vous  aimer  raisimnablement  et  sainte- 
ment vous-iuêmes,  de  vous  procurer  tout  à 
la  lois  des  honneurs  et  des  richesses,  mais 
des  honneurs  et  des  richesses  vraies,  soli- 
des, dignes  des  épouses  de  Jésus-Christ  : 
c'est  de  recevoir  ce  Dieu  Sauveur  dans  la 
communion.  Oui,  Mesdames,  et  peul-ôire 
n'avez-vous  jamais  fait  ces  réllexions;  tou- 
tes les  fois  que  vous  approchez  de  la  table 
sainte,  vous  y  recevez  véritablement  voue 
Dieu,  le  Créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  cet 
Être  souverain,  le  Maître  absolu  de  tous  les 
ôlres  ;  quoi  de  plus  grand,  de  plus  honora- 
ble pour  vous  1  Toutes  les  fois  que  vous 
approchez  de  la  table  sai  ite,  vous  y  recevez 
votre  Dieu,  mais  un  Dieu  plein  d  une  bonlé 
et  d'une  libérable  intinie,  disposé  à  répan- 
dre sur  vous  ses  grâces  el  à  vous  combler 
de  ses  bénédictions.  Quoi  de  plus  iniéres- 


169 


DISCOURS  DK  UETIIAIT 


s.niit.  de  plus  nv,Tn(,igeii\  pour  voiisl  Ainsi, 
pnr  la  ooninuiiiion,  vous  roccvcz  un  Dieu 
(riino  graïuieiir  et  d'iino  majeslé  infinie  ; 
voilà  voire  élévalion,  voilà  voire  s'oire.  Par 
la  communion,  vous  recevez  un  Dieu  d'une 
bont(5  et  d'une  libéralilé  infinie;  voilà  voiro 
avantage,  voilà  voire  Irt^sor.  Pdnétroz-vous 
<)e  CCS  deux  grandes  vérités;  elles  sonl  bien 
propres  à  vous  inspirer  un  désir  ardent  de 
recevoir  souvent  et  de  recevoir  sainlement 
Jésus-Cbrist  dans  l'eurliarislie. 
I  I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  par  la 
communion  vous  recevez  un  Dieu  d'une 
grandeur  et  d'une  majesté  infinie.  El  d'a- 
bord, Mesdames  ,  pour  vous  mieux  faire 
connaître  Imil  le  prix  du  bienfait  eucliaris- 
lique,  avant  de  vous  le  faire  considérer  en 
lui-même,  je  dois  remonter  [)lus  haut  et 
vous  rappeler  dans  quelles  circonstances  il 
a  été  institué, ce  grand  bienfait  ;  elles  servi- 
ront à  vous  faire  comprendre,  avec  tous  les 
saints,  comme  le  dit  l'apôtre  saint  Paul,  la 
liautcur,  la  profondeur  et  lotîtes  les  dimen- 
sions de  la  cliarilé  de  Jésus-Christ  envers 
les  îiommes.  (Kplies.,  III,  18.)  Vous  le  savez, 
ce  Dieu  Sauveur,  aj»rôs  avoir  rpiiMé,  par 
amour  pour  nous,  le  sein  de  sa  propre 
gloire,  après  êlre  descendu  du  ciel  en  terre 
pour  nous  sauver;  (\\H-es  y  avoir  vécu  pour 
nous  dans  les  humiliations  et  dans  les 
souffrances;  dans  le  temps  qu'un  de  ses 
apôtres  a  déjà  conçu  dans  son  cœur  le  projet 
(le  le  livrer  h  ses  ennemis;  prêt  d'être  livré 
en  eifel  par  eux  à  la  mort  et  à  une  mort  tout 
à  la  fois  la  plus  ignominieuse  et  la  plus 
tnieUe  ;  son  amour,  son  ardent  amour  pour 
ijous,  qui  n'était  point  satisfait  encore,  lui 
fait  trouver  le  mo^'en  admirable  de  retour- 
ner au  ciel  vers  son  Père,  et  de  demeurer 
cependant  sur  la  terre  parmi  nous;  il  n'hé- 
site pas,  pour  cela,  de  forcer,  pour  ainsi 
dire,  toutes  les  lois  de  la  nature,  et  de  faire 
violence  à  tous  les  êtres  ;  par  un  prodige, 
par  le  plus  grand  de  lous  les  prodiges,  qui 
avait  besoin  de  toute  la  sagesse  d'un  Dieu 
pour  être  conçu,  et  de  toute  sa  puissance 
pour  être  opéré  ,  il  change  du  pain  en  son 
pro[)re  corps,  et  du  vin  en  son  propre  sang, 
afin  non-seulement  d'être  tous  les  jou/s 
avec  nous,  mais  encore  de  se  faire  lous  les 
jours  lui-môme,  si  nous  le  voulons,  notre 
iiourriluro  spiriluelle. 

Voilà  ce  qu'est  lu  sacrement  eucharis- 
tique; c'est  là,  c'est  d.uis  ce  sacremenl 
adorable,  que  ce  Dieu  Sauveur  se  lient,  et 
(|u'il  se  tiendra  pour  nous  jusqu'à  la  fin 
des  siècles  ;  qu'il  s'y  tient  dans  l'étal  le 
plus  vil,  le  plus  humiliant,  presque  anéanti 
sous  les  es|)èces  d'une  substance  qui 
il'existe  plus,  (|u'il  s'y  tient  exposé  aux 
mépris  et  aux  injures;  ah  1  que  dis-je,  qu'il 
y  souffre  tous  les  Jours  les  mépris  et  les  in- 
jures, je  ne  dirai  pas  seulement  de  ses  en- 
nemis et  des  ennemis  de  son  Eglise,  mais 
de  plus,  de  ceux  (|ui  loiil  piolession  d'être 
ses  tlisciples  cl  ses  ministres  mèiue  quel- 
<\wjlo\s.  AJais  ,  Mesdames,  ce  Dieu,  toul 
anéanti  qu'il  vous  paraît  suus  les  espèces 
•acramentellcs ,    c'est   cependant    ce  Dieu 

OhaTKLBS   SACRl-S.    l.XVIU. 


E.  —  QUATRIEMK  JOUR  ilif 

loiit-puisssDl  qui,  d'une  soulo  parole,  a  <;rért 
le  ciel  et  la  terre,  et  qui,  d'une  seule  pa- 
role,  peut    les  faire  rentrer  dans   le    néant 
d'où  il  les  a  tirés;  c'est  ce  Dieu,  maîtreab- 
solu  des  hommes  et  des   anges",  que  vous 
recevez  au  dedans  de  vous,  toutes  les  fois 
que    vous   approchez   de   la    sainte    table. 
Dans  les  autres  sacrements,  il  se  Itorne  à 
vous   communiquer   sa  grAce;    mais   dans 
celui-ci,  c'est   non-seulement  la  grâce  que 
vous  recevez,  mais  l'auteur  lui-môme  de  la 
grâce  qui   veut  bien  se  donnera  vous;  co 
ne  sont  pas  seulement  les  dons  et  les  bien- 
faits  de  Dieu   que   vous  y   recevez,  c'est 
Dieu  lui-môme,  avec  ses  dons  et  ses  bien- 
faits :  quelle   gloire  I  quel   honneur   pour 
vous  I  Ah  I  Mesdames,  si  votre  souverain, 
votre  roi  daignait  entrer  dans  votre  sainte 
demeure,  et  cela  uniquement  pour  vous  y 
voir  et  s'y  entretenir  avec  vous,  pour  vous 
donner,  par  là,  des  marques  spéciales  de 
sa  protection  et  de   son  attachement,  vous 
regarderiez  avec  raison  cette  déuîarche  do 
voire  roi  comme   une  marque  de  distinc- 
tion des  plus  honorables  et  des  plus  flat- 
teuses pour  vous,  digne  d'en  Iransmellro  le 
soutenir    à    celles   qui    viendraient    après 
vous  ;  cependant  que  serait,   dans  le  vrai, 
celle  visite  dii    (irince  ?  A  quoi    se   borne- 
rait-elle? A   vous   honorer,  quelques  mo- 
menis,    do  sa   présence;   lout  au  plus,  à 
joindre   à    celte    faveur    quelques  grâces, 
quelques   bienfaits,    médiocres  après  tout 
en   eux-mêmes,  et   qui   ne  deviendraient 
considérables  pour  vous    qu'à  raison  de  la 
majesté  du  prince  duquel    vous  les  auriez 
lyçus  ;  mais  dans  la  communion,  ce  n'est 
point  un  prince,  un  souverain  de  la   terre 
qui  vous  honore  de  sa  visite,  c'est  le  Maître 
lui-même  des  souverains  de  la  terre,  lo 
lloi  des  rois,  c'est  votre  Dieu  lui-môme  qui 
vient  à  vous,  qui  ne   se  borne  pas  à  vous 
honorer,   quelques   instants ,    de,    sa    pré- 
sence,   mais  qui   va  jusqu'à  se  donner  à 
vouj,  jusqu'à    entrer  au  dedans  de  vous, 
jusqu'à  s'unir  à   vous  de  l'union    la  plus 
étroite  et  la  plus  excellente;  union  si  ex- 
cellente  (jne,   comme   le  dit   Jésus-Christ 
lui-aiôme,  toutes  lesfoisque  nousie  recevons 
dans  la  communion,  il  demeure  en  nous  et 
nous  demeurons  dans   lui  :  Jn    me  manei 
cl    ego     in    eo.   Union  si    excellente  que, 
selon  l'expression  de  ï'erlullien,  notre  âme 
se  nourrit  et  s'engraisse  de  son  Dieu,  toutes 
les  fois  que  notre  chair  se  nourrit  du  corps 
el  du   sang  de  Jésus-Christ  :  De  Dec  ani- 
ma saginaiur.  Union  si  excellente  que  par 
elle,  dit  saint  Cyrille,  noire  chair  devient 
la  chair   de  Jésus-Christ,   notre    corps   le 
corps  de  Jésus-Christ  ;  Unum  Chrisli  corpus. 
Union  si    excellente  que,  selon  la   pensée 
d'un  autre  Père  de  l'Eglise,  elle  nous  fait 
entrer  ew  communication,  en  participation 
de  la  nature  de  notre  Dieu;  que  nous  deve* 
nous,  en  quelque  sorte,   des   dieux  nous- 
mêmes  ;  Deiformes  nos  reddil.  Vo4là,  Mes- 
dames ,    l'honneur  el  la    gloire  que  nout 
recevons   par    la  communu)n    cl  juir  une 
seu'le  conruanion, 

& 


171 


ORATr':iJRS  SACRES.  LARRE  DE    MONTIS. 


172 


O  mon  Diou  1  qu'esl-ce  quo  IMjoinmo  pour 
(]uo  vous  daigniez  vous  occuper  ainsi  de 
]ui,  l'honorer  aussi  fréquemment  et  aussi 
intimement  de  votre  présence?  Quoi! 
l'Eglise  regarde  avec  étonnement  que  vous 
jiyez  voulu  liabiler  quelque  temps  le  sein 
(le  la  i)lijs  pure  etdc  la  plus  sainte  de  toules 
les  vierges  1  A  qui'is  senliraeuls  d'adaiira- 
lion  et  de  reconnaissance  ne  devons-nous 
donc  pas  nous  livicr,  lorsque  nous  vous 
voyons  toujours  dispcjsé  à  habiter  au  milieu 
de  nous  et  au  dedans  de  nous,  viles  et  mé- 
prisables créatures  ;  à  vous  unira  nous  de 
l'union  la  plus  excellente  et  la  plus  par- 
faite? Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  essentiel 
pour  vous,  Mesdames,  ce  qui  doit  vous  faire 
admirer  l'ardeur  de  l'amour  de  votre  Dieu, 
do  votre  céleste  époux  pour  vous  et  vous 
j)énétrer  de  la  plus  vive  reconnaissance, 
c'est  que  cette  union  de  Jésus-CInist  avec 
vous  [lar  ia  communion  n'est  pas  seule- 
ment inliniment  honorable  pour  vous,  mais 
qu'elle  vous  e:^t  do  plus  infiniment  avanta- 
geuse, paice  que  si  vous  y  recevez  un 
Dieu  d'une  grandeur  et  d'une  majesté  in- 
linies,  vous  y  reccivrez  de  plus  un  Dieu 
d'une  bonté  et  d'une  libéralité  infinies. 

H.  Plût  5  Dieu,  Mesdames,  qu'il  me  iùl 
donné  de  vous  faire  connaître  parfaitement 
tous  les  biens  et  les  grands  biens  que  votre 
céleste  époux  prodigue  h  votre  âme,  par  la 
sainte  communion  !  Hé  I  (lui  pourrait  jamais 
les  exprimer?  C'est  un  Dieu,  dit  saint  Au- 
gustin, qui,  quoique  toul-[)uissaiit,  n'a  pu 
vous  donner  rien  de  plus  :  Plus  dure  non 
potuit  ;  c'i;s[  un  Dieu  (lui,  quoique  rempli 
d'une  sagesse  inliiiie,  n'a  j)u  imaginer  rien 
de  jilus  avantageux  pour  vous  :  I^/us  dure 
tiescivit.  C'est  un  Dieu  qui,(pioique  iiiliiii- 
nieiit  riche,  n'a  eu  rien  de  plus  à  vous  don- 
ner :  Plus  dure  non  habuit.  Ah  !  pouvait-il, 
dit  saint  Bernard,  nous  donner  rien  du 
meilleur  que  lui  môme?  C  est  dans  ce  sa- 
crement en  elfot,  qu'en  se  communi(iuant 
ù  une  de  ses  é()ouses  surtout,  il  la  fortilie 
en  lui  communiquant  tous  les  secours  prn- 
jires  à  conserver  et  à  augmenter  sans  cesse 
dans  elle  la  vie  de  la  grAce,  et  qu'en  môme 
lemjis  il  l'encourage  et  la  console  dans  tou- 
tes les  peines  et  les  diilicultés  inséparables 
de  cette  vie  mortelle,  et  qu'elle  rencontre 
dans  l'ouvrage  de  sa  [)erfection  et  de  son 
salut;  ainsi^  Mesdames,  grâces  de  secours 
et  grâces  de  consolations;  mais  secours  les 
plus  puissants,  mais  consolations  les  plus 
solides,  voilà  ks  grands  biens,  les  inesti- 
niabies  avantages  que  procure  toujours  une 
sainte  communion. 

Je  dis,  secours  les  plus  puissant^:  hélas  l 
vous  le  savez,  et  vous  l'éprouvez  comme  le 
reste  des  mortels;  dans  ce  lieu  de  notre 
exil  nous  avons  tous  à  nous  soutenir  con- 
tre des  ennemis  redoutables;  les  états  mô- 
me les  plus  saints,  les  épouses  elles-môines 
de  Jésus-Christ,  jusque  dans  le  fond  de  leur 
solitude  é|)rouvent  leurs  attaques  et  se 
trouvent  exposées  à  leurs  tentations;  le 
monde,  ce  monde  pervers  qu'elles  ontaban- 
douné  avec  tant  de  courage  pour  évilei  de 


pariiniper  à  sa  perversité,  vient  quelquefois 
les  distraire  jusque   dans  leur  solitude,    et 
leur  débiter  ses   pernicieuses   maximes  ;  le 
démon,  ce  serpent  internai, .qui,  comme  le 
(lit  ra()ètie  saint  Pierre,  tourne   sans   cesse 
autour  de  nous  pour  nous  dévorer,  plus  il  les 
voit    occupées  <i  se    sanctifier,   ces    vieiges 
chiélieiHKîs,    plus  il   leur   tend    de     pièges 
el.  fait  (i'eU'oils  pour   les  |)erJre;    elles-mô- 
mes  quehiuefoiss'unissent  à  ces  deux  grands 
ennemis  de  leur  salut,  en   cherchant  è  sa- 
li>fairc  leurs  inclinations  natuielles,   en   se 
livrant  à  l'immorlilication,  à    la  lâcheté,    à 
!a  nvllesse;  fiar  là,  insensiblement  leur  es- 
prit s'aveugle  jiarles  |)réjugés,  el  leur  cœur 
se  dérègle  par  les  intidélités;   pDur  se  sou- 
tenir contre  tant  de  dangers,    [lour   résister 
à  des  ennemis  si   redoutables,  et    tout  en- 
semble   aussi    acliarnés   à  leur  perte,    de 
quelles  armes  n'ont-elles  pas  besoin  1  Elles 
les  trouvent,  vous  les   trouvez.   Mesdames, 
dans  la  communion;    ce  sacrement  euL-ha- 
ristique  est  non-seulement  un  remède  qui 
achève  de  vous   guérir  des  plaies   que   le 
péché  aurait  pu  faire  à  votre   cœur,  et  uii 
feu  qui  vous  puritie  de  ce  qu'il    pourrait   y 
avoir  encore  en   vous  d'imparfait  aux  yeux 
de   votre    céleste  époux  iJynis  consumens; 
mais,  comme  le  dit   le    saint    concile    de 
Trente,  c'est  de  plus  un  antidote  excellent, 
propre  à  vous  préserver  à  l'avenir  de  tout 
péché,  et  surtout  des  péchés  qui  donnent  la 
mort  à  l'âme;  c'est  un  pain  qui  vous  for- 
tilie :  Pajiis  confortans,    qui    vous  soutienl 
dans  vos  faiblesses,  qui  vous  donne  la  fore 
de  re[)Ousser   les  ennemis   de    votre  salut, 
qui  vous  fait  remporter  sur  eux  d'éclataii- 
les  victoires,  qui  vous  excite  puissamment 
à  la  pratique  de   la  vertu,  à   l'accomplisse- 
ment  des  devoirs  et    des   observances    de 
votre  saint  état,  qui  vous  porte  à  combaitiB 
[)ersévérammeiit  les   [lenchants  naturels,  à 
moitilier    vos   passions,  qui    vous  fait  sui- 
monler    courageusement    les   obstacles  ipii 
se   rencontrent     si     souvent,     dans     l'ou- 
vrage   de    votre    perfection    et    de    voire 
salut  ;  qui,  en  augmentant  dans  votre   âme 
la  foi,  res[)éiance  et  la  charité,  y  enir.  tient 
cette  vie  intérieure,  toute  spiniuelie,  si  es- 
sentielle à  des  épouses  de  Jésus-Christ,  et 
qui  doit  vous  conduire  à  r.mmortalité  ;  ah  1 
quand  on  a  au  dedans  de  soi  l'auteur  et  le 
consommateur  de  la  sainteté;  on  en  connail 
alors  tout  le  prix  de  cette  sainteté  ;   on  en 
conçoit  les  plus  grands  désii  s  ;  il  n'e  l  rien 
qu'on  ne  soit  disjiosé  à  faire   et  a  soulfrir 
pour  y  parvenir  ;  alors  l'esprit  s  éclaire,  ei 
le  cœur  s'enilamme  insensiblement   du  f  u 
de  l'amour  divin  :  c'est  alors  qu'on  connaît 
le  vide  du  monde,  qu'on   voit  le   faux,   le 
néant  de  tous    les  avantages  qu'il  possède, 
qu'on  s'en  détache  de  plus  en  plus,  qu'on 
les  méprise;   alors  on  connaît  la  nature  el 
la  giièveté  du  péché;  on  est   disfiosé  alors 
à  tout  soulfrir,  à  tout  sacrifier  plutôt  que  do 
le  commettre;  en  un  mot,  dans  la  commu- 
nion, en    participant   au    corps  de   Jésu>- 
Chrisl,  on  a  l'avantage  de   participer  à  son 
osjjrit  ;  on   ne   pense  plus,   et  on   ne   peut 


173  DISCGUUS  DK  UEÎKAITR 

plus   poiisor,  |);ir1i'r  et    agir  (|iio  comme  a 
|)eiist5,  a 


QUATKIEMK  JO.llH. 


17i 


pario  el  a  agi  Jcsus-Cliiisl.  Voilî» 
es  merveilleux  elfels  qu'a  |)rniliiil.s,  dans 
tous  les  lom|)s,  iiiio  communion  bien  faite; 
voilh  co  tpii  faisait  dos  premiers  fidèles  au- 
tant ilo  saints;  voilà  ce  qui  rendait  nos 
martyrs  si  formes,  si  courageux  à  défendre 
la  foi  ;  après  s'être  nourris  do  copain  des 
forts,  des  hommes,  des  femmes,  déjeunes 
vierges  même,  ne  redoutaient  point  de  pa- 
raître devant  les  tyrans,  de  se  trouver  dans 
les  l)ras  et  sous  Ks  coups  des  boui'reaux; 
c'était  en  quittant  la  sainte  table,  selon 
r«\pressiou  de  saint  Clirysoslome  ,  autant 
de  lions  (jui  ne  craignaient  point,  ce  n'est 
pas  dire  assez,  qui  ne  respiraient  qu'après 
les  flammes  et  les  autres  su|)plices  dont  on 
lus  menaçait  :  Ut  leones  flanunus  spiranlcs. 

Ceqiu' jcdis  ici, vierges  chrétiennes,  épou- 
ges  lie  Jésus-Clirist, j'en  ap|)elle  à^votre  pro- 
pre témoignage;  quand  vous  étes-vouj.  senties 
plus  de  foi,  plus  d'altacliement  à  voire  saint 
état,  plus  de  mépris  des  créatures,  plus  de 
dclacliement  de  vous-mêmes,  plus  de  zèle 
do  votr^  perfection,  plus  d'allenlion  à  vous 
corriger  de  vos  défau^l^;  à  pratiquer  la  vertu, 
a  rouq)lir  vos  devoirs,  plus  d'amour  pour 
vulre  célesfe  Epoux,  plus  de  désir  de  vous 
unir  à  lui,  plus  d'ardeur  à  agir  el  à  souffrir 
|K)ur  lui?  Alil  sans  doute,  c'est  lorsque 
vous  avez  eu  le  bonheur  de  le  recevoir  dans 
la  communion.  Mais  ce  n'est  pas  le  seul 
])ien  que  produit  en  veus  ce  sacrement; 
non-seuiemoiU  elle  vous  procure  une  in- 
finité de  grâces  et  de  secours,  pour  vous 
faire  travailler  utilement  à  voire  salut,  mais 
ollc  est  de  plus,  pour  vous, une  souice abon- 
dante de  (douceurs  el  de  consolations  pro- 
pres à  vous  soutenir  el  à  vous  consoler 
dans  les  peiues  inséparables  de  l'affaire  d(j 
votre  salut. 

Les  p.einos,  les  Iribulalions  el  les  croix, 
vudà.  Mesdames,  le  partage  ordinaire  de 
tous  les  enfants  d'Adam;  dans  quelque  état 
1 1  dans  quelque  condition  qu'on  puisse  se 
trouver,  on  ne  peut  absolument  les  éviter 
et  s'en  préserver  :  hélas!  ce  soûl  les  justes 
et  les  saints  qui  s'y  trouvent  le  plus  expo- 
sés ;  c'est  [lai-  là  que  le  Dieu  Sauveur  a 
voulu  disliuguer  ses  élus  des  élus  du  siè- 
cle; ajirès  être  rentré  lui-même  dans  sa 
gloire,  par  les  souffrances,  il  a  voulu  y  con- 
duire, par  la  même  voie,  les  Ames  qui  sont 
à  lui  et  celles  surtout  qui,  en  qualité  de 
ses  é|>ouses,  foui  gloire  do  n'être  qu'à  lui; 
outre  les  peines,  les  infirmités  et  tous  les 
niaui.  communs  à  tous  les  hommes  et  qui  se 
trouvent  dans  tous  les  élals,  que  de  |)eines 
liai  liculières  attachées  à  leur  saint  état  I 
(juo  d'iiuiiiilialions,  que  de  morlilicalions 
^e  présentent  sans  cesse  et  qu'on  ne  peut 
t'viler!  que  de  sacrifices  par  conséqucnl  à 
laire  el  à  renouveler  1  Mais,  outre  ceJa,  que 
lie  ditléreiiles  épreuves  de  la  part  du  Sei- 
grieurl  Que  d'incertitudes,  que  d'agitations, 
que  de  ténèbres  dans  res|)ril  1  Que  de  dé- 
luissemenls,  que  de  sécheresses,  d'aridités, 
de,  dégoûts  dans  le  cœurl  Que  de  priva- 
tions cl   quelquefois   que   do   maux ,   (^uo 


d'infirmités  pour  le  corps  !  Ah!  qu'il  esl  à 
craindre  que  tant  et  de  si  rudes  épreuves 
n'abattent  el  ne  découragent  une  épouse  de 
Jésus-Christ,  el  ((u'eile  ne  se  lasse  enfin  do 
marcher  dans  une  route  toute  semée  do 
ronces  el  d'é|)ines  1 

Or  le  moyen, Je  ne  dirai  pas  seulement 
do  souffrir  patiemment  ces  peines,  ces 
épreuves,  do  surmonter  tous  les  dégoûts 
(pi'clles  peuvent  pioduire,  mais  encore  de 
les  dissiper  ou  du  moins  d'éf)rouver,  au 
milieu  de  toutes  ces  peines  el  de  tous  ces 
dégoûts,  la  plus  grande  (laiv,  les  c<  nsola- 
tions  les  plus  solides,  c'est  de  recevoir  Jé- 
sus-Christ dans  la  cou)munion.  Oui,  Mes- 
dames ,  la  table  eucharisliquo,  pour  m'ex- 
primer  d'après  les  Pèr(!S  et  les  docteurs  de 
l'Eglise,  est  un  festin  délicieux  où  l'âme «st 
nourrie  et  rassasiée  du  froment  des  élus, 
qui  n'a  rien  de  com|)arable  en  beauté  et  en 
bonté  tout  ensemb'e  ;  c  est  le  pain  des  angos 
qui  non-seulementrend  amie  de  Dieu  oipar- 
ticipanle  des  biens  el  des  trésors  de  Dieu, 
la  personne  qui  s'en  nourrit,  mais  qui  de 
plus  a  la  vertu  de  la  changer,  do  la  transfor- 
mer, el  d'une  personne  terrestre  el  charnelle 
en  faire  une  céleste  et  toute  spirituelle  :  t'a? 
lerrcno  facil  cœlestem.  (1  Cor.,  XIV,47.j  C'est 
un  délicieux  prélude  de  la  joie  future  du  ciel, 
un  gage  assuré  de  la  gloire  des  élus  :  Pi- 
gnnsfuturœ  gloriœ.  C'est  une  manne  pré- 
cieuse qui,  bien  mieux  encore  que  celle  qui 
tombait  dans  le  camp  du  peuple  do  Djeu,  a 
tous  les  goûts  que  l'on  peut  désirer  et  qui 
|iar  là  devient,  i)Our  une  âme,  une  source 
de  t)aix,  de  douceurs  el  de  coosoJations 
qu'il  esl  jilus  aisé  de  ressentir  que  d'ex()ri- 
mer.  V^oilà,  Mesdames,  ce  que  l'on  voit, 
même  au  milieu  du  monde  quelquefois, 
tout  corrompu  qu'il  est,  et  parmi  ces  dilï'é- 
renles  personnes  qui  habitent  au  miliea 
de  lui,  sans  participer  à  sa  corruption; 
l'on  en  voit  d'affligées  par  de  longues  et  de 
douloureuses  infirmités;  l'on  en  voit  quQ 
la  perte  des  ricliesses  ou  des  personnes  Jos 
plus  chères,  ou  que  mille  autres  funestes 
événements,  si  communs  dans  le  monde,  ré- 
duisent dans  l'étal  le  plus  triste,  le  plus  digne 
de  compassion;  l'on  en  voit  d'accablées  sous 
le  poids  des  affaires  les  plus  critiques,  les 
plus  épineuses,  ou  qui  se  tiouvent  sans 
cesse  exercées  par  des  esprits  d'une  hu 
meur  aigre  et  fâcheuse  avec  lesquels  elle* 
sont  obligées  de  vivre;  cependant,  au  mi- 
lieu de  ces  diU'érentes  peines ,  on  les  voit, 
ces  personnes  vraiment  chrétiennes  ,  heu- 
reuses et  tranquilles,  et  bien  loin  de  seré- 
voller  ou  de  murmurer  contre  le  Seigneur, 
elles  adorent  humblement  el  bénissent  Ma 
ujain  loule-puissante  qui  s'appesantit  sur 
elles  el  qui  les  éprouve.  Or,  d'où  peuvent 
venir  des  dispositions  aussi  saintes,  une 
aussi  grande  tranquillité  et  si  contraire  à  la 
nature"?  Ah  1  c'est  dans  la  communion,  c'esj 
qu'elles  se  sont  fait  une  heureuse  habi- 
tude de  se  nourrir  du  pain  eucharistique; 
elles  sont  si  convaincues  qu'il  fait,  ce  pain, 
toute  leur  force  el  loule  leur  consolation, 
'pi'elles  manifestent  le  plus  grand  eji.j>r£5.» 


i-5 


semenl  pour  s  a|  i)rGclier  de  la  table  sainle. 
Mais  -^u'ai-je  h^soin  ici,  Mesdames, 
d'exempics  étranet^rs  pour  vous  prouver 
cette  grande  et  si  consolante  vérité  ?  Ce 
sont  surtout  les  épouses  de  Jésus-Christ 
qui  éprouvent  piUS  sensiblement  encore 
les  merveilleux  eiïeU  et  toutes  les  dou- 
ceurs que  procure  h  l'âme  la  communion; 
oui,  l'on  en  a  vu  et  l'on  en  voit  encore,  de 
ces  vierges  I  cliréliennes  ,  véritablement 
saintes,  qui,  connaissant  tout  le  prix  d'une 
communion,  la  désirent  avec  ardeur  ;  qui 
attendent,  avec  une  sainte  impatience  le 
jour,  le  moment  auquel  elles  doivent  s'as- 
seoir à  ce  céleste  banquet,  qui  montrent, 
comme  le  cerf  altéré,  une  soif  ardente, 
pour  puiser  à  celle  source  intarissable  de 
grûces  et  de  faveurs;  on  les  voit  tomber 
dans  une  espèce  de  langueur,  dans  un  abat- 
tement, dans  un  dessèchement  de  cœur, 
lorsque  quelque  obstacle  les  empêche  de 
manger  ce  pain  céleste:  on  en  a  vn,  l'on 
en  voit  encore,  de  ces  épouses  de  Jésus- 
Christ  au  milieu  des  peines,  des  mortifica- 
tions et  de  toute  la  contrainte  qu'exige 
l'état  saint  et  pénible  qu'elles  ont  embrassé, 
couler  des  jours  heureux  et  tranquilles, 
inonlrerscnsiblement  au  dehors  celle  |>aix, 
ce  conleniement  intérieur  dont  elles  jouis- 
sent; ce  n'est  [loint  dire  assez:  on  eu  voit 
de  ces  dignes  épouses  du  Dieu  Sauveur,  au 
milieu  môme  quelquefois  des  plus  grandes 
peines  et  dos  plus  douloureuses  inlirmités, 
sortant  de  la  sainle  table,  loules  ravies  en 
Dieu,  sans  aucun  sentiment  [)Our  les  créa- 
tures, éprouver  les  plus  doux  ell'ets  de  l'a- 
mour divin  et  goûter,  dans  de  saintes  ex- 
lases,  dès  cette  vie,  les  délices  de  la  vie  fu- 
ture, et  participer,  en  quelque  sorte,  a;ix 
joies  des  bienheureux.  Ce  sont  là,  à  la  vé- 
rilé,  des  efl'ets  peu  communs  de  la  commu- 
nion, ce  sont  des  grâces  singulières  et  ex- 
iruordinaires,  que  Dieu  n'accorde  que  rare- 
ment, et  à  des  âmes  d'élite  ;  mais  pour  la 
paix  et  le  contentement  du  coeur,  [)Our  les 
douceurs  et  les  consolations  spirituelles,  je 
ne  crains  point  de  le  dire,  ce  sont  les  eifeis 
ordinaires  qu'il  produit  dans  un  cœur  qui 
le  reçoit  dignement.  Vous  m'alléguerez  ici 
peut  être,  que  ces  merveilleux  ellels,  si  dé- 
sirables, vous  les  désirez  en  elfet;  niais 
qu'après  une  communion,  qu'après  même 
bien  des  communions  réitérées,  vous  ne  les 
avez  point  éprouvéd's;  dans  ce  cas,  j'o^e 
vous  dire,  que  vous  ne  devez  vous  en  pren- 
dre qu'A  vous-mêmes;  car,  prenez-j  gaide, 
s'il  vous  plaît,  ce  n'est  point  inditîerem- 
ment  à  toute  communion,  ce  n'est  qu'à  uns 
bonne  et  sainte  communion,  ce  n'est,  comme 
je  vous  l'ai  dit,  qu'à  ceux  qui  le  reçoivent 
dignement,  que  le  Seigneur  accorde  ses  la- 
veurs et  ses  bienlails.  Vous  devez  juger 
par  là.  Mesdames,  combien  il  est  important 
l)ourvous  d'entrer  sur  cela,  dans  ses  vues, 
et  de  correspondre  à  ses  desseins  ;  ainsi, 
après  avoir  considéré  les  grands  avantages 
que  doit  vous  procurer  la  communion, 
voyons  les  dispositions  dans  lesquelles 
vuus    devez    Cire,   ()ar   rapport  à   la    coui- 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTÎS.  MO 

raunion  ;  c'est  le  sujet  de  la  seconde  paitie 


SECONDE    PARTIE. 

Si  dans  la  communion  nous  recevons  ne 
Ire  Dieu  lui-même,  comme  la  foi  nous  l'ap 
jiretid,  et  un  Dieu  de  toute  bonté,  le  prin- 
cipe et  le  disiribuleiir  de  tout  bien,  nous  y 
recevons  aussi  un  Dieu  de  sainteté,  l'en- 
nemi et  le  vengeur  du  péché  :  deux  idées. 
Mesdames,  qui  suffisent  pour  vous  mettre 
dans  des  dispositions  convenables,  par  rap- 
port à  la  communion  ;  car,  si  vous  y  recevez 
un  Dieu  de  sainlelé,  qui  a  en  horreur  le 
péché,  qui  punit  sévèrement  le  péché,  vous 
devez  donc  lui  présenter,  en  le  recevant, 
un  cœur  pur,  exempt  de  tout  péché,  qui  dé- 
teste sincèrement  et  souverainement  le  pé- 
ché. Si  vous  recevez  un  Dieu  de  bonté,  qui 
ne  cherche  qu'à  se  communiquer  à  vous, 
qu'à  répandre  sur  vous  ses  grâces,  et  à 
vous  faire  part  de  ses  trésors,  vous  devez 
donc  montrer  un  grand  désir  de  le  recevoir, 
un  vif  empressement  à  [)articiper  à  ses 
grands  bienfaits.  Ainsi,  Mesdames,  pour 
faire  répondre  les  deux  dispositions  dans 
lesquelles  vous  devez  être,  par  rapport  à  la 
communion,  aux  deux  avantages  que  je  vous 
<ii  iàil  voir  êlre  les  elfots  de  la  communion  ; 
je  dis,  on  preuiier  lieu,  que  le  Dieu  qui  se 
donne  à  vous,  étant  d'une  grandeur  et 
tout  à  la  fois  d'une  sainteté  infinie,  vous 
devez  donc,  jiar  respect  pour  lui,  le,  rece- 
voir saintement.  Je  dis,  en  second  lieu,  que 
le  Dieu  qui  se  donne  à  vous,  étant  un  Dieu 
d'une  bonlé  et  d'une  libéralité  infinie, 
vous  devez  donc,  par  intérêt  pour  vous- 
mêmes,  le  recevoir  fréquemment  :  deui 
dispositions  ,  lesquelles  bien  communes 
dans  le  christianisme,  réjouiraient  le  ciel, 
édifieraien  l'iiglise,  et  n(jus  f  .raient  tous 
des  saints;  dispositions  qui  devraient  se 
trouver,  dans  un  degré  plus  parfait  encore 
dans  des  é()Ouses  de  Jésus-Christ.  Renou- 
velez-moi, s'il  vous  plaît,  toute  votre  atten- 
tion. 

1.  Je  dis,  en  premier  lien,  que  vous  devez 
communier  saintement.  Oui,  Mesdames,  les 
choses  saintes  ne  doivent  être  que  pour  b-s 
saints,  sancla  sanctis ;  en  recevant  le  cor()s 
de  Josus  Chiiit,  vous  devez,  et  votre  unique 
intention  doit  êlre  de  participer  également 
à  son  esprit;  notre  chair,  selon  la  belle 
jiensée  de  Tertullien,  que  j'ai  déjà  citée,  no 
se  nourrit  du  corps  et  du  sang  de  Jésus- 
Christ  qu'afin  que  noire  âme  se  rem|)lisse 
et  s'engraisse  en  quelque  sorte  de  ce  Dieu- 
Sauveur;  voila  la  sainte  et  l'excelleute  union 
que  vous  formez  avec  votre  céleste  époux, 
dans  la  communion,  union  si  intime  et  si 
sainte,  que  votre  esprit  ne  doit  jilus  faire, 
selon  la  pensée  de  l'apôtre  saint  Paiil,  qu'un 
même  esprit  avec  Jésus-Christ:  Unus  sptri 
lus  est  (1  Cor.,  VI,  17j  ;  c'est-à-dire  que 
vous  devez,  autant  que  la  faiblesse  humaiiie 
|)eut  le  permettre,  penser  et  agir  en  tout 
comme  Jésus-Christ  a  pe/iaé  et  agi  sur  la 
terre  ;  c'est-à-dire  que,  dans  la  communion 
et  [)ar  la  communion,  ri  doit  s«  faire  dans 
vous   un  changement  tel  qu'il  se  fait  dans 


!T7 


DISCOLllS  DE  RETRAITE.  —  QUATRIEME  JOl^R. 


178 


i'Eiicliarislie  ;  que  cotucne  le  pain  et  le  vin 
y  sont  changés  et  transformés  en  corps  et 
en  sang  de  Jésus-Clirist,  de  môme  voire 
esprit  et  votre  cœur  de  terrestres  qu'ils 
sont,  doivent  devenir  C(Mcstes  et  tout  spi- 
rituels; c'est-à-dire  que  vous  devez  ment.T 
dans  votre  saint  état,  et  au  milieu  des  exer- 
cices qui  vous  y  occupent,  la  vie  (|ue  mène 
Jésu5:-Clirisl  dans  l'Eucharistie,  être  petites, 
liumbles,  anéanties  comme  lui  ;  paraître, 
par  cotiformilé  5  ses  senliments  et  aux 
exemples  qu'il  vous  a  donnés,  également 
insensibles  à  tous  les  plaisirs  et  à  toutes 
les  disgrâces  de  la  terre;  vous  devez,  comme 
lui,  n'ôlre  occupées  que  de  votre  Dieu, 
ne  cliercher  en  tout  que  la  gloire  de  Dieu. 

Voilà,  Mesdames,  les  dispositions  saintes 
dans  les(iuellps  vous  devez  être  pour  rendre 
vos  communions  agréables  au  Seigneur  et 
nvaniageuses  pour  vous;  mais  à  cond^ien 
d'épouses  do  Jésus-Christ  ne  pourrais-je 
pas  dire  :  Sonl-ce  là  vos  dispositions?  El 
d'abord,  pour  entrer  sur  cela  dans  un  détail 
qui  pouna  servir  à  celte  instruction  et  à 
votre  confusion  peut-être,  je  vous  df.mando 
quel  raolif  vous  conduit,  pour  l'ordinaire, 
à  la  table  sainte?  Est-ce  pour  entrer  dans 
les  vues  de  Jésus-Christ,  pour  vous  unir 
véi  ilableraeiit  à  ce  Dieu  Sauveur,  pour  com- 
muniquer à  son  esprit,  pour  recevoir  ses 
grûces  et  participer  à  ses  trésors?  Hélas  I 
n'est-ce  pas  quelquefois  et  le  plus  souvent, 
par  bienséance,  par  coutume,  par  respect 
iiumain,  pour  faire  comme  les  autres;  pour 
éviter  des  regards  et  des  soupçons  que  vous 
craignez  bien  plus  que  les  jugements  et  la 
colèie  du  Seigneur?  Vous  n'avez,  grâce  à 
Dieu,  dites-vous,  que  des  vues  chrétiennes, 
qu'une  intention  bien  pure  en  vous  appro- 
chant de  la  sainte  table;  je  le  veux  encore 
puisque  vous  m'en  assurez;  je  vous  de- 
mande donc  présentement  quels  sont  vos 
sentiments,  et  dans  quelles  dispositions  e^t 
votre  âme,  lorsque  vous  recevez  voire  Dieu  ? 
Vous  n'êtes  point,  à  la  vérité,  de  ces  per- 
sonnes qui,  parvenues  au  coud)le  de  l'aveu- 
glement et  de  l'endurcissement,  osent  re- 
cevoir leur  Dieu,  ce  Dieu  de  toute  sainteté, 
dans  un  cœur  corrompu  par  le  [léché;  non, 
vous  n'avez  point  été  assez  téméraires  pour 
vouloir  [ilacer  l'arche  du  Seigneur  avec 
l'idolt!  de  Dagen,  ni  assez  ingrates  (lour 
trahir  comme  Judas  voire  Dieu  Sauveur  par 
un  baiser;  un  pareil  attentat  vous  eût 
même  fait  horreur;  mais  si  vous  ne  vous 
éies  pas  rendues  coupables  de  jirofanation, 
de  dessein  prémédité  et  par  malice,  no 
1  avez-vous  point  été  par  illusion  peut-être 
et  par  le  défaut  de  dispositions  absolument 
nécessaires,  pour  faire  saintement  cette 
sainte  action? 

Car  enlin,  avant  de  vous  approcher  de 
la  table  sainte,  vous  êtes-vous  ajipliquées 
à  puritiiT  votre  cœur,  à  en  faire  une  de- 
meure digne  du  Dieu  que  vous  alliez  rece- 
voir? L'avez-vous  pouv  cela  sérieusement 
examiné,  ce  cœur?  en  avez-vous  sondé  jus- 
qu'aux replis  les  |)lus  caché»,  jusqu'aux 
mouvements   ks  plus  secrets,  pour  voir 


tout  ce  qui  pou  voit. \  déjtlaire  à  votre  Dieu? 
Avez-vous  déclaré  dans  le  tribunal  de  la 
|)én:tence  vos  fautes  et  toutes  vos  fautes, et 
avec  des  sentiments  d'une  vraie  douleur, 
d'un  repentir  intérieur  et  bien  sincère? 
Ali  I  si  cela  eût  été,  vos  rechutes,  vos  infi- 
délités eussent-elles  élé  aussi  promptes  et 
aussi  multipliées  ?  Au  lieu  de  ne  rien  né- 
gliger pour  bien  faire  contiaîlre  l'état  de 
voire  âme  au  ministre  do  Jésus-Christ  dans 
la  déclaration  que  vous  lui  avez  faite  de 
vos  péchés  et  de  vos  infidélités,  n'avez-vous 
pas  cherché  à  les  pallier,  à  en  diminuer  à 
ses  yeux  toute  la  malice?  N'est-ce  pas  même 
pour  cela  peut-être  qu'à  l'hoiuiue  de  Dieu, 
envoyé  par  lui  t)0ur  vous  conduire,  vous 
avez  voulu  et  vous  avez  réussi  à  en  substi- 
tuer un  autre,  plus  indulgent,  moins  clair- 
voyant^ et  par  là  plus  do  volru  goût,  c'est- 
à-dire  qui,  vous  connaissant  moins  ou  qui 
n'ayant  pas  le  môme  zèle  pour  votre  salut, 
qui  ne  prenant  pas  un  aussi  grand  soin  de 
votre  âme,  vous  laisse  vivre  selon  le  sys- 
tème de  liberté  cl  de  relâchement  que  vous 
vous  êtes  malheureusement  formé  et  quo 
vous  suivez  depuis  longtemps? 

Mais  si  vous  n'avez  point  à  vous  repro- 
cher dans  le  choix  d'un  guide  spirituel  do 
pareilles  intentions  qui  ne  peuvent  être  que 
très-injurieuses  à  voire  céleste  Epoux  et 
très-funestes  à  votre  âme,  et  si  vous  n'a- 
vez rien  négligé  pour  bien  faire  connaître 
au  ministre  du  sacrement  l'état  de  votre 
âme,  êtes-vous  toujours  sorties  du  sacré 
tribunal  avec  une  résolution  ferme  et 
constante  de  vous  préserver  à  l'avenir  des 
fautes  que  vous  lui  avez  déclarées,  et  d'é- 
viter les  occasions  (jui  vous  les  ont  fait 
commettre?  Avez-vous  formé  de  plus  le 
dessein  de  venger  vous-mêmes  votre  Dieu 
par  une  pénitence  proportionnée  à  vos 
fautes?  L'avez-vous  exécuté,  ce  dessoin? 
Vous  êtes-vous  appliquées  à  mener  •  uno 
vie  plus  régulière,  plus  fervente,  plus  mor- 
tifiée,  plus  religieuse  en  un  mot  et  |)lus 
chrétienne?  Ah!  Mesdames,  jans  les  pre- 
miers siècles  de  l'Eglise,  et  cette  réflexion, 
jt;  vous  l'avoue  ,  m'a  souvent  fait  trembler 
pour  les  pénitents  de  nos  jours,  et  encore 
plus  i)our  moi-même;  dans  la  primitive 
Eglise,  les  pécheurs  pénitents  n'étaient 
admis  à  la  table  sainte  qu'après  avoir  par- 
couru, pendant  de  longues  années,  diffé- 
rents degrés  d'une  pénitence  rigoureuse  et 
souvent  publique;  à  la  vérité,  l'Eglise, 
mère  toujours  charitable  et  prudente , 
n'impose  plus  de  pareilles  épreuves  à  ses 
enfants  ;  mais  en  ciiangeant  de  conuuite, 
elle  n'a  pas  pour  cela  changé  d'esprit;. si 
elle  permet  aux  pécheurs  réconciliés,  de 
participer  aux  saints  mystères,  avant  d'a- 
voir satisfait,  de  tout  leur  pouvoir,  à  lu 
justice  de  leur  Dieu,  elle  les  dispense  si 
peu  de  la  pénitence,  qu'elle  exige  toujours 
et  de  tous,  comme  uno  disposition  absolu- 
ment nécessaire,  pour  recevoir  la  sacre- 
ment eucharistique,, un  cœur  non-seulement 
contrit  et  humilié,"  mais  encore  disposé  à 
la  salisfacliou  cl  bien  résolu  de  s'^  livrer. 


<79 


ORATEtiRS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


(80 


Voilà  ce  qui' 6st  nécessaire  pour  la  communion 
t'I  pour  une  bonne  et  suinte  communion. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  encore  ;  s'il  est  des 
dispositions  nëcessaires  pour  bien  commu- 
nier, il  en  est  d'antres  aussi  essentielles 
flpr^s  avoir  communié  ;  or  pour  continuer 
ici  l'examen  de  votre  cœur,  je  vous  de- 
mande quelles  ont  été  les  vôtres,  et  dans 
quels  sentiments  vous  êles-vous  trouvées, 
après  avoir  reçu  votre  Dit-u  Sauveur?  Au- 
rait-on pu  dire  de  vous,  le  jour  de  vo- 
tre communion  ,  ce  que  dit  Jésus  Christ 
de  Z.ichée,  le  jour  qu'il  l'honora  de  sa 
visite,  que  le  salut  était  entré  ce  jour^là 
dans  i.a  maison?  Vous  ôles-vous  senlies 
alors  pleine  de  reconnaissance  envers 
votre  céleste  Epoux,  pour  un  aussi  grand 
bienfait  ?  Car  ce  n'est  pas  seulement  l'hon- 
neur et  le  respect  qu'exige  de  vous  un  tel 
hôte,  dit  saint  Bonavenlure;  c'est  encore, 
et  surtout,  un  tendre  amour;  or  c'est  [ar 
les  effets  encore  plus  que  par  les  paroles, 
c'est  en  remplissant  nos  devoirs,  et  en  ac- 
complissant sa  volonté  que  nous  lui  témoi- 
gnons cet  amour.  Vous  êles-vous  donc 
appliquées  à  préférer,  et  toujours  et  en 
tout  sa  volonlé  à  la  vôtre?  Avez-vous  évité 
avec  soin,  -l^s  fautes  et  les  transgres- 
sions que  vous  n'ignoriez  pas  devoir  lui 
déplaire  et  l'offenser? 

Mais  il  ne  suffit  pas  d'éviter  le  mal, 
quand  on  est  vraiment  à  Jésus-Christ,  il 
faut  de  plus  faire  le  bien;  or  quel  bien 
avez-vous  fait,  el  en  quoi  vous  ôles-vous 
montrées  vraies  disciples  et  parfaites 
«épouses  de  ce  Dieu  Sauveur  ?  Après  une 
communion,  avez-vous  paru  plusallenlives 
aux  inspirations  de  sa  grîlce,  et  plus  do- 
c.les  à  y  correspondre?  Vous  a-t-on  vu 
plus  fidèles  à  tous  les  devoirs  de  voire 
.'iaint  état,  et  plus  exactes  à  toutes  les  ob- 
servances qu'il  vous  prescrit?  Vous  êles- 
vous  trouvées  plus  délochées  des  créatures 
el  de  vous  mômes?  Avtz-vous  été  plus 
recueillies,  plus  charitables,  plus  humbles 
et  plus  morliliées  .surtout?  car  comme  le 
dit  un  Père  de  l'Eglise,  la  |)ersonne  qui 
aime  à  se  nourrir  dans  la  chair  du  Eils  de 
Dieu,  ne  peut  plus  aimer  et  flatter  sa 
propre  chair:  avez-vous  senti,  dans  votre 
cœur,  pour  le  céleste  Epoux,  un  allache- 
menl,  un  amour,  jusqu'à  être  disposées  à 
tout  souffrir  el  à  tout  sacrider  pour  lui, 
jusqu'à  oser,  comme  saint  Paul,  délier  le 
ciel ,  la  terre  (!t  l'cnler ,  de  vous  faire 
perdre  cet  altacliemenl,  cet  amour,  jusque  à 
jiouvo.r  due,  comme  cet  apôtre,  que  ce 
njélait  i)lus  vous  qui  viviez,  mais  que 
c'était  Jésus-Christ  (jui  vivait  en  vous? 
Encore  une  lois,  vous  êles-vous  trouvées 
dans  ces  disposilions  ?  Hélas  !  tout  au  plus, 
le  jour  de  votre  communion,  vous  mon- 
trez un  peu  plus  de  recueillement  et  de  ré- 
gulai'ilé;  mais  ce  que  l'on  voit  et  ce  que 
vous  devez  c'percevoir  vous-mêmes,  c'est 
le  môme  amour-propre,  la  même  recherche 
de  vos  aises  et  de  vos  commodités;  ;'est 
le  njôme  attachement  à  vos  lumières,  à 
votre,  jugement,  >  voire  volonlé  ;  c'est  en 


un  mot,  la  môme  langueur,  la  même  lâcheté, 
la  même  tiédeur,  la  môme  indifférence 
pour  votre  avancement  spirituel. 

Ah!  Mesdames,  une  seule  communion 
pourrait  et  devrait  nous  faire  des  ;sainis  et 
tant  de  communions  multipliées  ne  servent 
quelquefois  qu'à  nous  rendre  moins  reli- 
gieux, moins  parfai's,  el  par  là  moins  agréa- 
bles aux  yeux  de  notre  Dieu  ;  car,  prenez 
garde,  s'il  vous  plait,  el  ce  que  je  vais  vous 
dire,  c'esl  d'après  les  plus  grands  maîtres 
de  la  vie  spirituelle,  le  sacrement  eucha- 
ristique est  un  remède,  mais  qui  ne  peut 
être  inditrérent  ;  s'il  ne  guérit  pas,  il  se 
tourne,  pour  l'ordinaire,  en  poison. 

Si  cela  est,  me  direz-vous,  s'il  faut  tant 
et  de  si  saintes  disposilions  pour  bien  com- 
munier, s'il  est  si  facile  Jet  si  préjudiciable 
de  mal  communier,  il  est  donc  plus  conve- 
nable et  plus  sûr  de  s'abstenir  absolument 
de  la  communion?  Ah  I  Mesdames,  je  suis 
bien  éloigné  de  tirer  avec  vous  une  consé- 
quence opposée  tout  à  la  fois  aux  intentions 
de  notre  Dieu  Sauveur,  aux  vœux  de  l'Eglise, 
à  l'esprit  de  votre  saint  état  et  à  votre  pro- 
pre intérêt  ;  ainsi,  si  j'ai  dit  que  recevant, 
dans  la  communion,  un  Dieu  d'une  gran- 
deur et  d'une  sainteté  infinies,  vous  devez 
le  recevoir  saintement,  je  dis  aussi  que,  re- 
cevant dans  la  communion  un  Dieu  d'une 
bonté  etd'une  libéralité  infinies,  vous  devez 
l'y  recevoir  fréquemment. 

II.  Oui,  Mesdames,  nous  nejiouvons  tous 
comme  chrétiens  négliger  la  communion, 
sans  aller  contre  l'esprit  de  l'Eglise  noire 
mère;  quoiqu'elle  n'oblige  les  fidèles  et 
sous  peine  d'anathème,  d'approcher  qu'unu 
fois  cîiaque  année  de  la  table  sainte,  dans 
tous  les  temps  el  surtout  assemblée  dans 
le  saint  Concile  de  Trente,  elle  a  témoigné 
combien  elle  souhaitait  que  tous  ses  enfants 
se  nourrissent  souvent  de  ce  pain  céleste.  Ce 
n'est  au  reste  l'intention  de  l'Eglise  de  Jésus- 
Christ,  que  pat  ce  que  c'est  l'intention  de  Jésus- 
Christ  lui-u)ême.  Ce  Dieu  Sauveur  ne  s'est 
mis  en  effel  dans  ce  sacrement  sous  les  es- 
])èces  si  communes  du  iniin,  que  pour  nous 
iaire  entendre  qu'il  désirait  d'être  notre 
nourriture  de  chaque  jour;  il  n'y  cache, 
sous  de  simples  syniboles,  sa  gloire  el  sa 
divinité,  que  pour  nous  inspirer  pour  lui 
l)lus  d'attrait  et  pour  nous  donner  auprès 
de  lui  un  accès  [)lus  libre  et  fdus  facile; 
c'est  pour  cela  qu'il  nous  [)roleste  que  ses 
délices  sont  u'ôlie  avec  nous,  (pi'il  nous  in- 
vile de  recourir  à  lui  pour  èlre  soulagés 
dans  nos  misères  el  consolés  dans  nos  pei- 
nes. Vous  convenez  de  tout  ceci  avec  moi, 
vous  qui  vous  êtes  fait  un  plan  d'approcher 
rarement  de  la  sainte  lubie;  vous  admirez, 
vous  louez,  dites-vous,  l'attrait  sensihltj 
que  monîrenl  plusieurs  de  vus  sœurs  pour 
la  comujunion  et  la  fréquente  communion; 
mais  [lour  vous,  ajoutez-vous,  votr.e  propre 
indignité  vous  arrête;  ce  que  l'Apôtre  vous 
dit  sur  cela  vous  effraye;  vous  craignez  de 
recevoir  dans  de  luauvaises  dispositions 
voire  Dieu  infiniment  grand,  inlinunenl  re- 
douU'ble;  mais   celle  indignité  que   vous 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  UL'ATUIEME  JOLR. 


îillégiiez,   il  n'est  personne  qui  ne  pnisse 
l'alléguer  comme  vous;  qui  jamais    pour- 
rait se  rendre  parfaitement  digne    de  rece- 
voir son  Dieu  ?  Dans  ce   cas,    le  Seigneur 
aurait  donc   inutilement  institué  ce  sacre- 
ment et  l'Eglise  aurait  fait  injustement  un 
précepte  d'y  participer.  Mais  cette  indignité 
(|ue  vous  alléguez,  pour  vous  (Jispenser  de 
la  communion,  vous  pouriiez  l'alléguer  éga- 
li  ment  |)our  vous  priver   îles  autres  sacre- 
ments, oourvous  dispenser  de  la  prière  et 
de  tous  les   autres   exercices   du   christia- 
nisme en  général  et  de  votre  saint  état  en 
jiariiculier.  En  èles-vous  plus  digne?   Mais 
prenez  garde,  s'il  vous   plait,  que  ce  n'est 
pas  seulement  les  loris  et    les   saints   que 
Jésus-Christ  invite  h  sa  table,  ce  sont  encore 
les  fa  blés  et  les  infirmes,  les  boiteux  et  les 
aveugles  qu'il  force  même  d'entrer  dans  la 
salle  du  banquet.  Mais  si   saint  Paul   vous 
dit  que,  manger  et  boire    indignement   le 
corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ,  c'est  boire 
et  manger,  s'incorporer  sa  propre  condam- 
nalicn  (ICor.,  XI, 29),  ce  qui  doit  vous  faire 
craindre  avec   raison,   Jésus-Christ    a    dit 
aussi  lui-même  que  quiconque  ne  mangera 
point  sa  chair  et  ne  boira   point  son  sang, 
n'aura  point  la  vie  en  soi  (/oan.,  VI,  Si),  ce 
qui  doit  vous  rassurer;   deux  vérités    que 
vous  ne  devez  ni  oublier  ni  sé|)arer,  et  qui 
bien  entendues,  vous  porteront  et  à  com- 
munier fréquemment  et  à  communier  sain- 
tement; ainsi  si  citle  raison  de  votre  pro- 
pre indignité   que    vous  alléguez,  comme 
tant  d'autres  peut  être  dans  vous  un  senti- 
ment de  religion,  de  respect  pour  les  saints 
mystères,  elle  pourrait   bien    n'être   aussi 
qu'une  tentation,  qu'une  illusion  ou  qu'un 
prétexte  pour  res  er  et  pour  vous  autoriser 
dans  votre  tiédeur,   dans   un    relâchement 
<iue  vous  sentez  bien  devoir  peu  se  conci- 
lier avec  la  fréquente   communion  et   dont 
vous  n'avez  pas  la  force,   disons  plutôt  le 
courage  et  la  volonté  de  vous  guérir;  ah  I 
je  jugerais   de    vous   favorablement  si  je 
vous  voyais  sérieusement   occuiiée  à  vous 
rendre  digne  de  la  communion,  à  prendre 
pour  cela  des  moyens  efficaces   pour   vous 
corriger  de  vos  défauts,    pour  acquérir  les 
vertus  qui  vous  manquent,   j)Our  vous  éle- 
ver à  la  perfection  que  demande  votre  saint 
étal;  mais  quoi  !   convaincue   comme  vous 
Iiaraissez  l'ôlre  de   votre  propre  indignité, 
l'on  ne  vous  voit  rien  faire  pour  en  sortir 
et   |)our   vous   rendre  autant   qu'il  est   en 
vous  digne  d'approcher  et  fréquemment  do 
la  table  sainte.   Soyez  denc  ici    de   bonne 
foi;  vous  n'ignorez  pas  que  pour  recevoir 
souvent  au  dedans  de  vous  votre-Dieu  Sau- 
veur, ce  Dieu  de  toute  sainteté,  il  faut  tra- 
vailler sérieusement  à  devenir  une  sainte, 
à  réforruer  en  vous  tout   ce    qui   est  con- 
traire à  la  sainteté,  h  mener  une  vie  recueil- 
lie et  mortifiée;  et  voilà,  accoutumée  h  vous 
laire  peu  de  violence,  à  quoi  vous  ne  pouvez 
vous  résoudre:  je  dois  donc  conclure  que  la 
ré.Uona  ce  que  vous  montr(  z  pour  la  fré- 
quente communion  est  plutôt  une  illusion, 
un  faux  orélextc,  qu'un  vrai  respect  pour  lo 


«85 

sacrement,    qu'une    sainte   fiayeur  qu'ont 
eue  quelques  âmes  saintes,  mais  qui,  plus 
éclairées  et  plus  dociles  que  vous  no  s'éloi- 
gnèrent jamais  pour  cela  do  la  sainte  table. 
Peut-être  encore,  outre  votre  propre  in- 
dignité,  m'alléguerez-vous  l'indignité  des 
autres;    vous   me   direz   que  celles  de  vos 
sœurs,  que,  quelques-unes  du  moins,  qui 
communient  souvent,   ne  vous    paraissent 
pas,  pour  cela,  plus  [larfaites  et  plus  sain- 
tes; qu'elles  montrent  autant  et  plus  de  dé- 
fauts quelquefois  que  celles  qui,   comme 
vous,  communient  plus  rarement.  Mais  d'a- 
bord n'y  a-t-il  point,  sur  cela,  de  l'aveu- 
glement, des  préjugés  dans  votre  esprit,  do 
l'injustice  et  de  la   malignité    même  dans 
vos  jugements?  N'exigez -vous   point   de 
celles  qui  communient  souvent  une  perfec- 
tion chimérique  et  mal  entendue?  Ne  pre- 
nez-vous point,   et  malicieusement  peut- 
être,  pour  fautes  graves,  des  fautes  légères, 
des  imperfections,  des   misères  insépara- 
bles de  l'humanité?  Car  enfin  les  saints, 
pour  être  des  saints,  n'en  sont  pas  moins 
des  enfants  d'Adam  ,  faibles  et  fragiles  par 
conséquent  ;   le  juste   tombe  jusqu'à   sept 
fois  le  jour,  dit  le  Saint-Esprit,  sans  cesser 
d'être  juste,  mais  si  vous  remarquez  des 
défauts  dans  celles  qui  approchent  souvent 
de  la  table  sainte,  que  serait-ce  si  elles  en 
approchaient  rarement?  Mais  je  veux  con- 
venir ici,  pour  un  moment,  avec  vous,  qu'il 
en  est,  même  dans  l'état  religieux,  qui  abu- 
sent de  la  communion  fréquente;  qui,  par 
un  aveuglement  des  plus  pitoyables,  allient 
avec  elle  l'orgueil,  l'amour  d'elles-mêmes, 
un  attachement  scandaleux   peut-être  à  leur 
aise,  à  leurs  commodités;  une  légèreté  d'es- 
prit,  une  dissipation   habituelle,  qui  leur 
fait  ou  transgresser  ou  mal  observer  les  de- 
voirs et  les  exercices  de  leur   saint  état. 
Mais  qu'en  conciurez-vous?  que  c'est  la  fré- 
quente communion  qui  les  rend  aussi  im- 
parfaites? Rien  ne  serait  plus  injuste;  dites 
plutôt  que  l'on   peut  abuser,  et  que  l'oa 
abuse  en  elfet  de  tout  dans  la  religion.  Qui 
pourrait  approuver  des  communions  aussi 
défectueuses,  pour  ne  rien  dire  de  plus? 
Mais  pour  une  religieuse  que  vous  verrez 
abuser  visiblement  de  la  communion  fré- 
quente, je  pourrais  vous  en  montrer  mille 
qui  profitent   de   cette  nourriture  céleste; 
qu'on  voit  s'avancer,  chaque  jour,  dans  la 
voie  de  la  perfection  et  du  salut;  qui  font 
des  progrès  sensibles  dans   le  détachement 
des  créatures  et  d'elles-mêmes,  dans  l'ac- 
complissement  des  devoirs   de   leur    état, 
dans  la  mortification  des  sens,  dans  le  désir 
des  biens  du  ciel,  dans  l'amour  surtout  de 
leur  céleste  Epoux,  et  dans  l'application  à 
lui  plaire.  Voilà  ce  que  l'on  a  vu,  dans  tous 
les  temps;  jamais  les  fidèles  ne  furent  plus 
fervents  et  plus   parfaits  que  dans  les  pre- 
miers siècles  de  l'Eglise,  parce  que  jamais 
la   table  sainte  ne  fut  plus  fréquentée;  et 
voilù  ce  que  nous  voyons  encore  à  présent, 
et  jusqu'au  milieu  du  monde,  malgré  toute 
sa   corruption  ,  et   dans  tous   les  étals  ;  de 
vrais   chrétiens    sérieusement    occupés   a 


ffi5 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE   MONTIS. 


184 


plaire  h  Dieu  et  h  se  sauver,  mais  qui  tous   ■ 
Gommunienl  souvent,  qui  ont  un  vrai  désir, 
une  sainte  faim  de  ce  pain  céleste;  voilà  co 
qui  se  voit,  encore  plus,  dans  les  commu- 
nautés régulières  et  ferventes  ;  leur  ferveur 
et  leur  régularité,  prendre  sa   source  dans 
la  communion   fréquente  :  vérité  si  sensi- 
ble, que  celles  qui   paraissent  aujourd'hui 
avoir  abandonné  l'esprit  de  leur  institut, 
n'ont   commencé  à   s'en     éloigner    et  à  le 
perdre,  qu'en   se  dégoûtant  et   en  s'éloi- 
gnaiit    peu   h   peu  do  la  table   sainte,  et  ne 
persévèrent  dans  la  dissipation  et  le  relA- 
i-hement  que  par  cet  éloignement  et  ce  dé- 
goût. Ah!  s'il  n'était  permis  aux  (dirétiens, 
dans  quelque  état  qu'ils  fussent,  de  ne  rece- 
voir qu'une  seule  fois,  dans  sa  vie,  Jésus- 
Christ  dans    le    sacrement   eucharistique, 
connaissant  son  excellence  et    les  grands 
avantages  qu'il   procure,  ils  gémiraient  du 
s'en    voir   si   longtemps    privés;  ils  atten- 
draient, avec  une  vive  et  sainte  impatience, 
ce  jour  heureux  auquel  il  leur  serait  libre 
d'y  participer.  Tous,  et  toujours,  et  tous  lus 
jours,  nous  (jouvons  nous  |)rocurer  ce  bon- 
lieur;  combien  cependant,  je  ne  dirai  pas 
seulement  parmi   les  chrétiens  du   siècle, 
peu  instruits,  ia  plupart,  de  l'excellence  de 
ce  sacrement,  mais  même  parrui  les  minis- 
tres et  les  épouses  de  Jésus-Christ,  qui  ne 
|)0uvent  ignorer  les  grands  biens  qu'il  |)ro- 
cure,  et  qui  ne  montrent  cependant  aucune 
ardeur,  aucun  désir  de  se  nourrir  de  ce 
()ain   des  anges,  qui  ne  le  reçoivent  que 
rarement    et    Irès-rarement  1    Qu'il    est    à 
craindre ,  qu'après   avoir  négligé  un  aussi 
grand   bien,  pendant  la   vie,    le  Seigneur, 
pour    [lunir    ces   personnes   de  leur  indif- 
férence,   ne    [)ermette   qu'elles   eu    soient 
privées   à   la   mort,  et  par  là,  de  grands 
secours  si  nécessaires,  dans  ces  derniers 
moments. 

Ah  !  Seigneur,  que  ces  grandes  vérités 
que  je  viens  d'entendre,  ont  fait  naître  de 
réflexions  dans  mon  es|irit  et  produit  de 
regrets  dans  mou  cœurl  Hélas  1  ce  n'est 
point  d'avoir  communié  rarement  ou  d'avoir 
eu  trop  d'éloignemenl  pour  la  communion, 
que  je  me  reproche  dans  ce  moment;  les 
instructions  solides  que  j'ai  reçues  depuis 
que,  par  votre  grâce,  j'ai  été' introduite 
dans  cette  sainte  maison,  les  bons  exem- 
ples que  m'ont  donnés  mes  sœurs,  les  [iro- 
grès  que  je  les  ai  vu  faire  dans  la  sainteté 
m'ont  bien  convaincue  des  grands  avantages 
que  procure  la  coujinunion  et  la  fréquente 
communion.  Mais  ce  que  je  dois  me  repro- 
cher et  ce  que  je  me  reproche  bien  sincère- 
ment, c'est  d'avoir  si  peu  profité  des  com- 
inunions  sans  nombre  que  j'ai  faites,  depuis 
que  je  me  suis  consacrée  entièrement  à 
vous  ;  c'est  d'avoir  allié  avec  la  communion 
fréquente  une  conduite  idche,  tiède  et  im- 
parfaite; c'est,  en  (larticipant  si  souvent  h 
votre  corps  adorable,  d'avoir  si  peu  parti- 
cipé à  votre  esprit,  d'avoir  si  peu  travaillé  à 
me  perfectionner,  à  me  sanctifier.  J'en 
prends  dans  ce  moment  la  résolution,  ô 
mon  céleste  E[)0ux;  je  ne  cl^ercherai  point 


désormais  à  diminuer  le  nimbrc  cie  mes 
communions,  parce  que  je  sais  que  votre 
volonté  est  que  dans  mon  saint  état  je 
communie  souvent ,  mais  je  m'appliquerai 
plus  que  par  le  passé  h  rendre  fructueuses 
et  saintes  toutes  mes  communions.  A 
l'exemple  d'un  grand  saint,  les  jours  qui 
s'écouleront  d'une  communion  à  l'autre  , 
j'en  ferai  des  jours  d'actions  de  grâces  pour 
la  dernière  communion  que  j'aurai  faite,  et 
tviut  à  la  fois  de  préparation  [)our  In  première 
communion  que  j'aurai  le  bonheur  de  faire, 
en  m'appliquant  surtout  à  me  corriger  de 
mes  défauts  et  à  acquérir  les  vertus  propres 
de  mon  étal;  par  là,  tous  mes  jours  se- 
ront pleins,  agréables  à  vos  yeux,  et  n)é- 
ritoires  de  vos  récompenses  éternelles. 
Ainsi  soil-il. 

OUATRIEME  JOUR 

Second  discours. 

SUR    LE    SILENCE. 

Si  qiiis  puUt  se  religiosum  esse,  non  rcfrenans  lin- 
guam  su.im,  tiiijus  vana  eslteligio.  {Jac,  \,  26.) 

Si  (judqu'nn  d'entre  vous  croit  avoir  de  In  religion, 
cl  qu'il  ne  retienne  pas  sa  langue,  su  religion  est  vaine'. 

C'était,  Mesdames,  à  tous  ceux  qui  avaient 
reçu  l'Evangile  de  Jésus-Christ  et  embrassé 
la  foi  du  chrislianisnip,  (pie  l'apôtre  saint 
Jacques  adressait  ces  paroles  :  Si  l'on  ne 
savait  pas  gouverner  sa  langue,  se  con- 
server dans  le  recueillement  et  dans  le  si- 
lence, il  ne  croyait  pas  qu'on  pût  avoir,  je 
ne  dirai  pas  cette  religion  spéculative  (jui 
consiste  à  croire  les  mystères  que  le  Dieu 
Sauveur  est  venu  enseigner  aux  hommes, 
mais  de  plus  cette  religion  pratique  c^ui  porte 
à  lemplir  tidèlenjcnl  les  préceptes  et  les 
devoirs  qu'il  prescrit  dans  l'Evangile,  et 
qui  sont  absolument  nécessaires  [>our  lui 
plaire  et  pour  se  sauver. 

Mais  si  tel  était  l'avis  du  saint  apôtre, 
jiar  rapport  à  tous  les  fidèles  en  général, 
et  s'il  pensait  que  sans  cet  amour  et  cette 
pratiijue  du  silence,  ils  ne  pouvaient  avoir 
une  vraie  religion,  une  piété  solide,  un  sin- 
cère attachement  à  Jésus-Christ  et  à  son 
Evangile,  à  combien  plus  forte  raison  son 
jugement  doit- il  être  appliqué  aux  |)erson- 
nes  chrétiennes  qui,  comme  vous,  Mesda- 
mes, ont  embrassé  l'Evangile  dans  toute  sa 
perfection  qui,  non  contentes  d'en  obser- 
ver les  préceptes  se  sont  obligées  de  plus 
à  en  pratiquer  les  conseils  ,  à  s'en  faire 
môme  autant  de  préceptes;  qui  ont  l'hon- 
neur d'appartenir  à  Jésus-Christ,  non  seu- 
lement comme  ses  disciples,  mais  encore 
comme  ses  épouses,  et  qui,  en  celte  qualité 
font  profession  de  tendre  ix  la  perfection,  à 
la  sainteté  et  à  la  plus  haute  perfection,  à 
la  plus  sublime  sainleté  ;  c'est  donc  pour 
vous  engager  à  entrer  de  i)lus  en  plus  dans 
l'esprit  de  votre  saint  état,  et  à  ne  rien  né- 
gliger de  tout  ce  qui  peut  contribuera  vous 
y  perfectionner,  à  vous  y  sanctifier,  que 
l'entreprends  de  vous  entretenir  ici  de  la 
prati(]uc  du  silence,  qui  l'ait  un  des  articles 
de  votre  règle  et  de  vos  constitutions.  Pour 
traiter  celle  matière  d'une  façon  égalemcni 


!R5 


niSCOLRS  DE  RLiRAITE.  —  QlJATUlLMi:  JOUR. 


ISO 


"solide  et  .nslruclive,  jai,  fo  semble,  aeiix 
choses  h  l'aire  dans  ce  discours;  c'est,  en 
premier  lieu,  de  vous  bien  convaincre  do 
la  nécessilô  oii  vous  êtes,  d'observer  le  si- 
lence, de  vous  metlre  ici  devani  les  yeux 
les  motifs  qui  doivent  vous  porter  h  l'ob- 
server, ce  silence.  C'esi,  en  second  lieu,  de 
vous  montrer  la  manière  de  l'observer,  do 
vous  donni  r  des  règles  sûres  pour  le  bien 
observer;  je  veux  dire,  pour  l'observer 
d'une  fiiçon  qui  soit  tout  à  la  fois  agréable 
à  votre  Dit  u  et  avantageuse  pour  vous-mê- 
mes :  Ainsi  tout  simplement  et  en  deux 
mots.  Pourquoi  devez-vous  observer  le  si- 
lence ;  ce  sera  le  sujet  de  la  première  partie 
de  ce  discours  :  comment  devez-vous  ob- 
server le  silence;  oe  sera  le  sujet  de  la 
seconde  partie.  Honorez-moi,  s'il  vous 
plaît,  de  toute  votre  attention.  Ave,  Maria. 

PREJUÊRE    PARTIE 

Telle  a  été,  Mesdames,  la  fin,  l'inlenlion 
de  votre  Dieu,   en  vous  séparant   par  une 
prédilection  toute  spéciale  du  commun  des 
chrétiens,  et  en  vous  admettant   par    préfé- 
rence à  une  inliriité  d'autres,  au  rang  illus- 
tre de  ses  épouses,  dans  le  saint  ét:it  de  la 
religion,    telle  a  été  son  intention  de  vous 
procurer  des  moyens  plus  abondants,  et  des 
moyens  plus  sûrs,  plus  faciles  qu'aux  chré- 
tiens du  monde,  de  vous  sanctitier,  de  vous 
sauver;  Itlle  adû  être  aussi    et  telle  a    été 
on  effet  voire  intention  à  vous-mêmes,   en 
correspondant  à    tous   les  desseins  du  Sei- 
gneur sur  vous,  de  vous  servir    fidèlement 
de  tous  ces  moyens  de  perfection   et  de  sa- 
lut, qu'il  veut  bien  vous  donner  pour  aller 
à  lui.  Or,  un  de  ces  moyens,  c'est  le  silence 
qui  vous  est  prescrit  dans  do  certains  temps 
de  la  journée;  vous  ne  pouvez   lo    néglij^er 
sans  aller  contre  ses  volontés  et  contre    les 
engagements  que  vous  avez  contractés  avec 
lui;  pourvous  le  prouver,  .Mesdames, j'avan- 
ceici  trois  proposiliousJes  quelles  vouscon- 
naîlrez  aisément  la  vérité.  C'est  en  premier 
lieu  que  vos  constitutions    vous  le  prescri- 
vent ce  silence  ;   vous   ne   pouvez  donc   y 
uian(iuer  sans  leur  désobéir.  C'est,   en  se- 
cond lieu,    que   le  bien  général  de  votre 
communauté  le  demande  ;   vous  ne  pouvez 
donc  le  rompre,  sans  lui  causer  un  vrai  pré- 
judice. C'est,  en    troisième  lieu,  qu'il   est 
de  votre  intérêt  personnel,   de  votre    bien 
particulier,  que  vous  l'observiez  ;   vous   ne 
pouvez  donc  le  négliger  saas  vous  nuiie  à 
vous-mêmes.  Ainsi,  je  dis  que  vous  devez 
observer  le  silence,  et  par  obéissance  à  vos 
constitutions,  et  pour  l'utilité  de  vos  sœurs, 
et  pour  votre  |)ropre    avantage;    trois    rai- 
sons qu'il  me  sera  aisé  de  vous  rendre  sen- 
sibles. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  vous  devez 
observer  Je  silence,  parce  que  vos  consti- 
tutions vous  le  prescrivent.  Vous  le  savez, 
Mesdames,  et  je  n'ai  rien  sur  cela  à  vous 
op|)rendre;  cent  et  cent  l'ois  depuis  que 
vous  vous  êtes  consacrées  à  voire  Dieu  , 
dans  cette  sainte  maison,  vous  avez  entendu 
lire  cet  arlide  de  vos  coDslilutions,  et  cent 


et  cent  tois,   vous   l'avoz  lu  vous-mêmes; 
mais  ce  que  je   dois   vous  ajouter  et  vous 
faire    remarquer   ici ,    pour  vous    prouver 
l'importance  de  cette  prali(jue,  c'est  qu'elle 
n'est  point    une    pratique     particulière   h 
votre  institut,  et  (|ui  ne  se  trouve  quedans 
vos  constitutions;  tous  les  grands  hommes, 
ces    saints  et    illustres   personnages    qui, 
pleins  du  désir   de   la   gloire  do  Dieu  et  du 
salut  des  âmes   ont    été  dans  l'P'.gliso  des 
fondateurs,  des  instituteurs  d'ordres   reli- 
gieux de  l'un  et  de  l'autre  sexe  ont  tous  re- 
commandé, prescrit   même  le  silence  dans 
les  règles    et  les    constitutions  qu'ils  leur 
ont  données,  parce    qu'ils   l'ont   tous   jugé 
un  moyen  nécessaire  pour  travailler  ellica- 
cemeni  à  leur  avancement  spirituel,   à  leur 
perfection.  Tous  ces  hommes  de  Dieu  n'ont 
fait  en  cela.  Mesdames ,    qu'imiter  oes   an- 
ciens  Pères   du    désert,  ces  hommes  qui, 
dans   un   corps   mortel,    menaient  une  viii 
angélique  ,   et  (pii,    quoitpie  sur  la  terre, 
avaient  comme  lo  dit  l'Apôlrc,  leur  conver- 
sation  dans   le    ciel  {Philip.,  \U.  20);  ces 
hommes  qui,  par  la  sublimité  de   leur  sain- 
teté et  par  leur  parfaite    union  avec   Dieu, 
avaient  un  si  grand    crédit  auprès  de   lui, 
que  les   plus  étonnants    |)rodiges    parais- 
saient ne  leur  rien  coûter,  qui    avaient  ac- 
quis un  si   grand  empire  sur  les  créatures, 
qu'elles  paraissaient  toutes    se  plier  à  leui- 
volonté;  ces  hommes  parfaitement   éclairés 
dans  les  voies  de  Dieu,   ils  étaient   si   con- 
vaincus et  par  leur  pro|)re  expérience,  que 
le  silence  était  absolument  nécessaire  pour 
se  sanctifier  dans  la  retraite,  que   lorsqu'il 
se    présentait  à    eux    quelqu'un  pour  être 
reçu  au  rang  de   leurs  disciples,    une  des 
premières  pratiques  qu'ils  lui  prescrivaient 
c'était  de  ne  |)oint  parler,  de  garder  un  pro- 
fond silence,  la  regardant  cette  disposition, 
cette   pratique   comme   absolument  néces- 
saire, pour  pouvoir  écout<'r  avec   irait    les 
leçons  de  vertu  et  de  sainteté  qu'ils  venaient 
recevoir  dans   le   désert.   Cette  vérité,  au 
reste,  est  si  sensible  qu'elle  n'a   point   été 
ignorée    môme   des     philosophes    païens; 
quelques-uns  d'entre  eux  et  des  plus  célè- 
bres ne  commençaient    à  initier  dans    les 
mystères  de  la  philosophie  ceux  qui   s'é- 
taient faits  leurs  disciples,  qu'après  les  avoir 
obligés  de  garder  des    années   entières   et 
plusieurs  années   le    plus   profond  silence. 
Vous  ne  devez   donc   point    être   étonnées. 
Mesdames,  si  toutes  les  règles  ellesconsti- 
tulious  des  ordres  religieux,  et  si  les  vôtres 
en    particulier  sont   si  exactes  à  exiger  de 
vous  celte  sainte  pratique.  .  

Mais,  me  dira  ici  quelqu'une  d'entre  vous 
peut-être  :  oui,  je  lésais,  notre  règle,  nos 
constitutions  nous  ordoinient  le  silence; 
mais,  si  je  fais  bien  de  l'observer,  dans  de 
certains  temps  marqués,  ce  silence  qu'elles 
me  prescrivent,  je  sais  aussi  que  lorsque  je 
ne  l'observe  j)oint,  je  n'olfense  poinl  Dieu, 
je  ne  me  rends  coupable  d'aucun  péché. 

J'ai  déjà  répondu,  dans  un  autre  dis- 
cours, è  celle  objection  ;  mais  pour  votre 
satisfaction,  ma  chère  sœur,  cl  pour  votre 


1S7                                         ORATEURS  SACRES.  L'ABBL  jDE  MONTIS.                                           1S8 

instruction  jo  veux  bien  y  répondre  encore  égard,  vous  i'éloignoz   de  vous,  el  vous  lo 

ici  ;  je  conviens  donc  avec  vous  (car  jnninis  forcez  par  voire  conduite  à    vous  priver  de 

vous  ne  me  verrez   vous   rien  exagérer  ni  bien  des  grâces  qui,    reçues  avec   lidélité, 

vouloir  vous  charger  d'un  fardeau   que  le  vous  en  eussent  attiré    une  infinité  d'au- 

Seigneur  et  vos  sainis  fondateurs  ne  vous  1res;    or,    n'est-ce  donc   rien    pour  vous, 

oui  point  imposé),  je   conviens   avec  vous  épouse   de  Jésus-Christ,  d'indisposer  ainsi 

que  vous  pouvez,    par  rap;iort  au  silence,  ce  Dieu  Sauveur,  jusqu'à  le  forcer  de  vous 

enfreindre,  ou   pour   parier   plus  justi'  no  [iriver  de  ses  grâces  et  de  ses  faveurs?  Pour 

pas  observer  vos  constitutions,  sans  péché;  peu  qu'il  vous  reste  de  désir  de  voire  per- 

uiais,  en  premier  lieu,  quelle  idée  me  don-  feclion  et  de  votre   saint,  pouvez-vous  re- 

nez-vous  des   dispositions  de  votre  âme?  garder,  d'un  œil  indifférent,  et  votre  con- 

Quoi  I  il  n'y  a  donc  que  \i\  crainte  du  péché  duite  à  l'égurd  de  votre  céleste   époux,  et 

qui  doive  vous  arrêter  ou  vous  faire  agir  la  conduite  de  votre  céleste  éi)oux  à  votre 

dans  votre   état?   Ne   vous   étesvous    pas  égard? 

engagée,  lorsque  vous  l'avez  solennelle-  Mais  ce  n'est  pas  tout  :  j'ai  h  vous  dire  de 
ment  embrassé  ce  saint  étal,  à  plaire  en  plus,  en  troisième  lieu,  el  d'après  les  doc- 
tout,  et  toujours  à  votre  céleste  Epoux?  leurs  elles  casuites,  et  d'après  saint  Tho- 
Avez-vous  alors  distingué  entre  co  qui  est  mas  et  saint  François  de  Sales  surtout, 
péché,  et  ce  qui  ne  l'est  pas?  Si  dans  le  temps  qu'il  vous  est  plus  plus  facile  que  vous  no 
lie  vos  épreuves  vous  aviez  montré  ouver-  (tensez  de  vous  tronqier,  de  donner  sur 
lement  ces  sentiments,  ces  dispositions,  cela  dans  l'illusion;  car  enfin,  quoique 
dans  lesquelles  vous  paraissez  être  aujoiir-  vous  puissiez  absolument  rompre  le  silcnci^ 
d'iuii,  qu'aurail-on  pensé  de  vous?  Croyez-  prescrit  par  la  règle  sans  vous  rendre  cou- 
vons (jue  la  communauté  à  laquelle  vous  ap-  pat)le  de  péché,  il  est  bien  rare  ce|)endant 
!  ai  tenez  présentement,  vous  voyant  si  peu  que  vous  ne  pécfjiez  en  effet,  parce  que, 
d'attrait, sipeu  dezèlepourvolreavancement  comme  ils  le  disent,  lorsque  vous  rom[)fz 
s.irituel,  |)our,  voire  perfection,  vous  eût  le  silence,  il  y  a  toujours  alors,  ou  mépris 
admise  et  reçue  dans  son  sein?  Mais  vous-  de  la  règle,  ou  scandale,  et  quelquefois  l'un 
menus  j'en  atteste  ici  votre  [)ropre  cœur,  et  l'autre.  Je  dis,  mé|)ris  de  la  règle  au 
iiial^zré  votre  façon  de  penser  et  de  vous  moins  indirect,  car  si  vous  en  faisiez  tout 
conduire,  quelle  idée  auriez-vous  de  ces  le  cas  que  vous  devez  en  faire,  et  qu'elle 
jeunes  personnes  .qui  parcourent  actuelle-  mérite,  vousseriez  certainement  plus  exacte 
ment,  dans  le  noviciat,  leur  carrière  do  à  l'observer;  de  plus,  vous  ne  rompez  lo 
|)réparalion  et  d'épreuve,  si  elles  vous  pa-  silence  prescrit  que  par  dissi|)alion,  par 
raissaient  déterminées  à  ne  se  point  cou-  légèreté  d'esprit,  jtar  amour  do  votre  li- 
former  à  ce  que  [irescrivent  sur  le  silence  berté,  fOur  vous  satisfaire,  et  qu'en  vous 
la  règle  el  les  constitutions  qu'elles  dési-  prêtant  aux  suggestions  du  malin  esprit, 
rent  enlb^a^ser,  sous  ce  prétexte  qu'elles  qui ,  sachant  le  préjudice  (|ue  vous  vous 
|)ourronl  le  rompre,  ce  silence,  sans  olfen-  causez  par  là,  n'omet  rien  pour  vous  exciter 
série  Seigneur?  Quelle  idée,  encore  une  à  le  rompre,  ce  silence;  or,  vous  conjui- 
fois,  en  auriez-vous?  Les  jugericz-vous  sant  par  de  i)areilles  impressions,  êtes-vous 
bien  appelées  au  saint  état  delà  religion,  sûre  d'éviter  toute  espèce  de  faute  en  par- 
i)ien  propres  à  y  édifier  leurs  sœuis  el  à  s'y  lanl?  J'en  appelle  ici  et  à  l'expérience  el  à 
sanclilier  elles-mêmes?  Et  lorsqu'il  s'agi-  votre  propre  témoignage.  Mais  quand  il  n'y 
rait  de  leur  sort,  vous  scntiriez-vous  bien  aurait  aucun  mépris  de  la  règle  et  que  vous 
p/Orlée  à  leur  accorder  votre  suffrage?  pourriez  m'en  ré|)ondre,  me  répondriez- 
Mais  je  dois  vous  dire,  en  second  lieu,  vous  avec  autant  d'assurance  qu'il  n'y  a 
qu'en  co  iveuanl  avec  vous  que  vous  pou-  aucun  scandale,  ni  par  rapport  à  celles 
vez  absolument  transgresser  la  loi  du  si-  avec  lesquelles  vous  roiiipez  le  silence, 
lence  sans  péché,  c'esl  toujours  une  témé-  ni  part  rapport  à  d'autres  (]ui  en  sont 
rilé  pour  vous  de  ne  pas  l'observer;  car  témoins?  Me  répondiiez-vous  aussi  sûie- 
vous  n'ignorez  pas,  et  vous  ne  pouvez  igno-  menl  des  suites  que  cette  Iransgicssion, 
ler  qu'il  est  des  grâces  spéciales  attachées  légère  en  elle-même,  si  vous  vouliz,  peut 
à  tout  ce  que  vous  faites  de  bien  et  à  tout  avoir  pour  les  unes  cl  {)Our  les  autres? 
ce  qui  vous  est  prescrit  dans  la  religion;  Celle  question  me  conduit  naturellement  à 
grâces  très-avantageuses,  très-précieuses  la  seconde  raison  que  j'ai  alléguée  pour 
fiour  vous  par  conséquent,  puisqu'elles  vous  engager,  Mesdames,  à  garder  le  si- 
vous  servent  à  vous- acquitter  de  vos  de-  lence;  c'est  que  le  bien  général  de  la  com- 
voirs,  et  à  praticjuer  vos  exercices  de  reli-  munauté  [tarait  l'exiger, 
gion,avec  jjIus  de  facilité,  de  feiveur  et  11.  Dans  toute  société,  dans  toute  com- 
U'amour,  ei  (ju'eiles  concourent  par  là  à  munauté,  el  surtout  dan.s  une  communauté, 
augmenter  le  nombre  de  vos  mérites,  à  dans  une  société  de  vierges  consacrées  spé- 
ajouter  à  votre  couronne  de  gloire  pour  cialement  au  Seigneur,  vous  le  savez,  lou- 
réternité.  Que  faites-vous  donc  lorsque  les  les  personnes  qui  la  composent  doivent 
*ous  rompez  ainsi,  sans  scrupule,  le  si-  concourir  à  son  bien,  à  y  conserver,  à  y 
lence  qui  vous  est  prescrit?  Vous  déplaisez  mainienir  en  tout  la  régularité,  qui  est  un 
sûrciiient  à  votre  célesle  époux;  quoicpic  des  plus  grands  biens  dont  elle  j)uisse 
vous  ne  l'oll'ensiez  pas  formellement,  vous  jouir;  que  quelques-unes,  (pi'une  seule 
refroidiiSi.'Z   cependant  soii  cœur   à    votre  mêuic  de  ces  jiersunnes  |sc  donne  sur  cela 


(89 


niscoLiis  Di:  ultuami 


Ql  ATRIl.Mi;  JOUR. 


tWt 


dos  libeili^s  qoi  .y  soient  coniraires,  dès  loi  s 
le  bel  Didre,  celle  liarnioiiie  .uiiviiraljle  (nii 
la  ri'iid  égaleiiieiil  agréable  à  Dieu  ol  chère 
h  riiglise,  est  «lérangt'C,  est  troublée;  or, 
voilà  le  inauvai.s  ellet  que  produit  cette  li- 
berté de  parler,  dans  un  temps  prescrit, 
pour  le  silence  ;  car  enfin  vous,  ma  chère 
sœur,«qui  la  prenez  sans  scrupule  et  qui  la 
prenez  souvent,  celle  lib'^rlé,  sons  prétexte 
(jii'il  n'y  a  point  de  péché,  pouvez-vous 
nmipre" ainsi  le  silence  sans  induire  quel- 
()u'une  de  vos  sœurs  à  le  roni|>re  avec  vous? 
Non,  sans  doute  ;  soit  que  vous  soyez  la 
|ircniière  à  parler  à  votre  sœur,  soit  que 
vous  répondiez  à  votre  sœur(pii  vous  parle, 
le  premier  reprnche  que  vous  fait  votre 
conscience,  c'est  (pie  vous  portez  l(>s  nuîres 
ù  enfieiniire  un  article  de  votre  règle,  ou 
que  du  moins  vous  y  concourez  avec  elles; 
que  vous  êtes  cause  d'un  scandale  pai'  cou- 
séquenl,  scandale  d'autant  |)lus  grand  (|uo 
vous  engagez  un  plus  grand  nombre  de  vos 
sœurs  à  rompre  le  silence,  ou  qu'un  plus 
grand  nouibre  se  trouve  témoin  do  voire 
infraction  ;  scandale  qui  deviendrait  beau- 
cou()  plus  grand  encore  si,  par  voire  rang, 
|)ar  la  place  que  vous  occu|)iZ  ou  par  vulre 
âge,  votre  ancienneté  dans  la  relifiion,  vous 
étiez  plus  obligée  de  donner  l'exemple  à 
vos  sœurs  ;  or,  n'est-ce  rien  devant  Dieu 
de  scandaliser  celles  que  vous  devez  édi- 
lier,  que  vous  vous  èles  engagée  d'édifier 
en  entrant  dans  la  religion?  il  s'en  trouve 
parmi  elles  d'une  conscience  timorée,  qui 
croiraient  mal  faire,  offenser  Dieu,  si  elles 
romp.aieut  le  silence,  sans  raison,  sans  né- 
cessité ;  vous  les  y  poitez  cependant  par 
votre  conduite;  est-ce  là  agir  charilabie- 
luent  à  leur  égard?  Elles  font  mal  de  se 
scandaliser,  dites-vous;  cela  peut  ôtrc; 
mais  ne  lievez-vous  donc  pas  respecter  leur 
conscience,  leur  faiblesse  même,  si  vous 
voulez?  Ali  !  l'apôtre  saint  Paul  pensait  et 
agissait  bien  différcmmenl,  lui  (pji  disait 
quesi,  manger  de  la  chair  qui  lui  était  per- 
mise par  l'Evangile,  par  la  loi  de  Jésus-Christ, 
scandalisait  ses  fières,  encore  iroji  altechés 
à  la  loi  de  Moïse,  il  n'en  mangerait  jamais. 
Mais  d'ailleurs,  ce  que  vous  faiies,  vous, 
celle  liberté  que  vous  vous  donnez  de  [)arler 
d;ins  le  temps  de  silence,  de  rompre  le  silen- 
ce, et  que  vous  cro_5  ez  pouvoir  vous  donner, 
toutes  vos  sœurs  peuvent  se  croire  en  droit 
de  le  rouifire  comme  vous,  et  si  elles  le  lom- 
pent  en  tlfet,  que  devient  alors  la  commu- 
nauté entière?  Où  est  1^;  bon  ordre?  Que  de- 
vient cotle  précieuse  régularité?  Qu'une 
l'crsonne  séculière  soit  introduite,  pour 
(quelque  raison  ,  dans  une  communauté  où 
I  on  ne  se  fait  aucune  peine  de  parler  en 
tout  temps  et  en  tout  lieu,  ciuelle  idée  s'en 
formera-t-elle?  Ne  la  regardera-t-elle  pas 
plutôt  comme  une  assemblée  de  personnes 
di.ssi|jées  et  toutes  mondaines,  que  comme 
une  société  de  religieuses,  do  véritables 
épouses  de  Jésus-Christ?  N'en  sorlira-t-elle 
pas  aussi  mal  édiliée  qu'elle  eût  été  édifiée, 
si  elle  l'eût  trouvée  au  contraire  dans  un  pro- 
luud  silence? 


ÎMaisje  vais  plus  loin  encore,  Mesdames, 
et  je  dis  (pi'une  coinmunanté  qui  ne  connaît 
point, qui  n'observe  |)oint  le  silence,  ne  peut 
jamais  être  une  communauté  régulière  sur 
tout  le  reste  ;  ci  Ile  dissipation  générale  sup- 
pose dans  toutes,  dans  le  plus  grand  nom- 
bre du  moins,  |)eu  d'estime  et  peu  d'amour 
pour  leur  saint  état  et  pour  tout  ce  qui  peut 
contribuera  les  y  perfectionner,  et  beaucoup 
d'inclination,  d'attrait  à  se  satisfaire  ,  à  ne 
se  gêner,  à  ne  se  mortifier  en  rien.  Aussi  un 
très-grand  personnage,  très-versé  dans  les 
voies  de  Dieu  eî  dans  la  direction  des  per- 
sonnes religieuses,  disait  qu'on  lui  donnru 
à  conduire  une  communaulé  la  moins  ré- 
gulière, que  s'il  pouvait  l'engager  à  obser- 
ver exactement  le  silence,  il  osait  promettre 
de  la  changer,  delà  réformer  entièrement; 
il  disait  aussi  de  la  communauté  la  plus  ré- 
gulière, la  plus  édifiante,  (jue  si  le  silence 
n'y  était  plus  observé,  il  était  assuré  qu'elle 
perdrait  bientôt  cette  grande  régularité  et 
donnerait  insensiblement  dans  les  plus 
grands  désordres.  Ceci  est  fondé  sur  l'ex- 
périence. Vous  verrez.  Mesdames,  au  juge- 
ment de  Dieu,  que  bien  des  communautés 
religieuses,  qui  avaiijiit  longtemps  édifié  et 
consolé  l'Eglise,  par  leur  ferveur,  leur  ré- 
gularité, ne  se  sont  livrées  à  une  dissipation 
habituelle,  et  ne  sont  tombées  dans  un  scan- 
daleux relâchement,  que  |)our  n'avoir  point 
fait  assez  de  cas  du  silence.  Mais  avançons; 
j'ajoute  que  vous  devez  observer  le  silen- 
ce, pour  votre  bien  [larticulier.  Troisième 
raison. 

m.  Je  n'ai  pour  cela  ,  Mesdames ,  qu'à 
vous  faire  remarquer  la  lin  que  vous  vous 
êtes  proposée,  en  entrant  en  religion;  g'a 
été  pour  vous  perfectionner,  et  pour  plaire 
à  votre  Dieu  en  vous  perfectionnant  :  or 
■vous  le  savez,  le  jiremier  degré  de  la  per- 
fection, c'est  d'éviter  le  [léché,  et  non-seu- 
lement le  péché  grief  qui  donne  la  mort  à 
l'âme,  mais  jusqu'au  péché  le  plus  léger  et 
tout  ce  qui  peut  déplaire  au  Seigneur;  et 
voilà  le  premier  avantage  que  procure  le 
silence  bien  observé,  il  produit  le  recueil- 
lement extérieur,  et  ce  recueillement  est  un 
moyen  de  voir  de  loin  et  pour  éviter  les 
occasions  (jui  peuvent  se  présenter  d'offen- 
ser Dieu  et  de  lui  déplaire;  comme  au  con- 
traire l'atlrait  à  parler  porte  facilement  à 
commettre  des  fautes,  des  infidélités  :  le 
Saint-Esprit  l'a  dit,  qu'on  ne  peut  parler 
beaucoup,  sans  se  rendre  cou|)al)le  de  pé- 
ché et  l'expérience  ne  lo  confirine  que  troji; 
on  commence  par  des  propos  indifférents 
et  l'on  finit,  par  en  obtenir  d'indiscrets  et 
de  mauvais  quelquefois;  le  démon  toujours 
allenlif  à  proliter  des  [lenchants,  des  dis- 
posilions  du  cœur,  après  avoir  engagé  uno 
personne  religieuse  à  transgresser  un  arti- 
cle de  sa  règle,  a  beaucoup  moins  de  peine 
à  la  faire  aller  plus  loin;  s'élant  mise  par 
sa  légèreté  dans  une  situation  à  tiéplaire 
à  son  Dieu  et  à  no  devoir  plus  compler  sur 
i.es  grâces  f)rivilégiées  (jui  font  repousser, 
avec  facilité  et  avec  succès,  les  assauts  du 
lualiu  esprit ,  elle  succombe  loti  aisément 


!91 


ORATEURS  SACRES    L'ABBE  DE  MONTIS 


192 


à  SCS  suggestions.  Ju'iine  rolii^ieuse  qui 
dans  le  jour,  et  quelquefois  plusieurs  fois 
lejour'ne  se  fait  aucun  scrupule  de  rom- 
pre le  silence,  fasse  le  soir  son  cxnuien 
avec  une  sérieuse  adenlinn ,  elle  trouvera 
sûrement  à  se  reprocher  bien  des  railleries, 
des  médisances  contre  ses  sœurs,  bien  des 
censures,  des  plaintes,  des  murmures  pcut- 
ôtre  contre  ses  supérieurs,  bien  des  fautes, 
en  un  mot,  et  de  toute  espèce;  mais  quanil 
cela  ne  serait  pas,  quand  elle  pourrait  s'as- 
surer rje  ne  jamais  charger  sa  conscience 
de  quelque  péché,  ce  qui  est  contre  l'ex- 
périence, elle  conviendra  du  moins  avec 
moi ,  que  le  temps  qu'elle  emploie  à  parler, 
et  qui  est  consacré,  par  la  règle,  au  silence, 
est  un  temps  absolument  perdu  pour  elle  , 
pour  le  ciel  ,  pour  son  éternité  :  or  est-il 
permis,  surtout  à  une  épouse  do  Jésus- 
Christ  qui  doit  employer  tous  les  inslants 
de  sa  vie,  que  son  céleste  Epoux  lui  a  mé- 
rités au  piix  de  tout  son  sang ,  et  qu'il  lui 
a  mérités  uniquement  afin  qu'elle  les  em- 
ployât à  sa  perfection,  à  son  salut,  lui  est- 
il  permis  de  les  employer  à  des  riens,  h  te- 
tir  des  propos  qui  au  moins  déplaisent  tou- 
jours au  Seigneur,  s'ils  ne  l'otï'ensent  pas? 
Ah!  le  Saint-Esprit  dit  expressément  que 
nous  rendrons  un  jour  à  notre  Dieu  un 
compte  exact  et  rigoureux  ,  même  d'une 
parole  oiseuse:  quel  com,-)te  une  personne 
religieuse  n'aura-t-elle  donc  pas  à  lui 
rendre  d'une  infinité  do  paroles,  de 
propos,  d'entretiens  tenus  contre  sa  vo- 
lonté l 

Mais  un  autre  degré  de  la  perfection,  c'est 
de  pratiquer  la  vertu  et  toute  espèce  de  ver- 
tus; de  saisir  avec  zèle  toutes  les  occasions 
de  se  rendre  agréable  au  Seigneur;  c'est 
aussi  le  second  avantage  que  procure  la  pra- 
tique du  silence.  Au  lieu  que  le  désir  de 
parler  porte  naturellement  à  la  dissifjalion, 
qu'il  la  produit  et  l'entretient  ;  que  cette 
dissipation  ,  devenue  bientôt  habituelle  , 
donne  du  dégoût  pour  les  observances,  pour 
s'tniretenir  avec  Dieu;  qu'elle  empêche 
môme  qu'on  ne  l'entende,  lorsqu'il  daigne 
p.iilerau  coiur,  l'amour  du  silence  produit 
des  effets  tout  opposés  et  bien  propres  à 
sanctifier  une  personne  religieuse,  en  la 
retenant  daHs  le  recueillement,  dans  un 
calme  intérieur  qui  lui  sert  et.  à  se  bien 
connaître  et  à  connaître  tous  ses  devoirs;  il 
lui  inspire  cons6iiJcmment  le  goût  de  l'o- 
raison, le  désir  de  s'entretenir  avec  Dieu; 
il  la  rend  également  attentive  et  docile  aux 
inspirations  de  la  grûce,  et  de  là,  quels 
grands  biens,  quels  avantages  pour  celte 
âme  1  Que  d'actes  de  fidélité  I  que  de  vertus 
l)raliquées  dans  un  seul  jour  I  Par  consé- 
quent, que  de  nouveilies  grâces,  que  de 
nouveaux  mérites,  que  de  nouveaux  degrés 
de  gloire,  pour  le  ciel  !  Ce  que  j'avance  ici, 
Mesdames,  est  encore  fondé  sur  l'expé- 
rience ;  quelle  difl'érence  en  effet  entre  une 
personne  religieuse,  tidèle  à  observer  le 
silence,  et  celle  qui  ne  se  fait  aucune  peine 
de  le  rompre  I  La  première  se  tient  dans  un 
recueillement   qui  se    manifcsle  sensible- 


ment an  dehors;  l'intérieur  de  son  âme 
paraît  peint  sur  son  visage  ;  on  jugerait,  en 
la  voyant,  qu'elle  marche  continuellement 
en  la  présence  de  son  céleste  Epoux  et 
qu'elle  s'entretient  habituellement  avec  lui  ; 
toujours  vis-h-vis  d'elle-même,  elle  aper- 
çoit aisément  les  pièges  que  lui  tend  l'esprit 
tentateur  et  les  moyens  les  plus  propres 
pour  s'en  garanlir;ce  silence  fidèlement 
observé  lui  inspire  le  recueillement,  et  le 
recueillement  augmente  réciproquement 
son  goût  pour  le  silence  et  tout  à  la  fois 
son  attrait  pour  l'oraison,  pour  s'entretenir 
avec  son  Dieu;  elle  sort  toujours  en  effet 
de  ce  saint  exercice,  avec  plus  d'estime  de 
son  état  et  de  désir  de  sa  perfection. 

Alais  qu'il  en  est  bien  autrement  de  !a 
religieuse  qui  ne  sait  pas  rolenir  sa  langue  1 
elle  fait  assez  connaître  qu'elle  n'a  pas  un 
grand  attrait  pour  les  pratiques  do  son  saint 
état,  ni  pour  le  recueillement.  Une  personne, 
et  une  personne  religieuse  surtout,  grande 
parleuse,  ne  fut  jamais  une  religieuse  inté- 
rieure, une  fille  d'oraison  ;  livrée  à  une  dis- 
sipation qui  ne  se  manifeste  que  trop  au 
dehors,  elle  sent  au  dedans  d'elle-même, 
une  répugnance  pour  tout  ce  qui  peut  la 
rappeler  h  son  Dieu;  les  temps  consacrés  à 
s'entretenir  avec  lui  dans  l'oraison,  ou  à 
chanter  ses  louanges,  elle  les  emploie  sans 
goût,  sans  consolation,  dans  une  distraction 
coiilinuelle  ;  ces  temps  lui  paraissent  tou- 
jours trop  longs;  elle  les  abrège  le  plus 
qu'elle  peut;  elle  en  attend  du  moins  la  fin 
avec  impatience  pour  pouvoir  se  livrer  sans 
gêne,  sans  contrainte  h  son  penchant  h  se 
répandre,  à  se  communiquer  au  dehors; 
aussi,  bien  lo'n  de  faire  des  progrès  dans  la 
vertu,  de  s'avancer  dans  la  voie  de  la  per- 
fection, elle  ne  fait  que  retourneren  arrière; 
le  démon,  toujours  attentif  à  saisir  les 
moyens  de  la  perdre,  lui  fournit  des  occa- 
sions de  se  satisfaire,  aux  dépens  de  ses  de- 
voirs; c'est  une  place  sans  fortificalions, 
sans  défense,  qu'il  attaque  comme  il  veut 
et  toujours  avec  succès,  et  qu'il  n'abandonne 
point,  qu'il  ne  lui  ait  fait  perdre,  par  quel- 
que faute  griève,  la  grâce  et  l'amitié  de  Dieu; 
car  voilà  le  malheureux  effet  que  produit  le 
plus  souvent,  dans  une  religieuse,  cette 
dissipation  habituelle  qui  la  porte  à  se  satis- 
faire, à  parler  dans  des  temps  que  la  règle 
lui  interdit. 

Ce  n'est  donc  pas,  comme  vous  lo  voyez, 
une  chose  aussi  peu  importante  qu'on 
le  pense  et  qu'on  !e  dit  quelquefois,  de 
ne  pas  observer  Je  silence  ,  dans  ;  la  reli- 
gion, de  le  rompre  facilement  et  sans  scru- 
pule ;  si  vous  aimez  sincèrement  votre  saint 
état,  si  vous  désirez  véritablement  de  vous 
rendre  en  tout  agréables  à  votre  céleste 
époux,  vous  devtz  donc  observer  le  silence, 
vous  venez  do  le  voir  :  mais  comment  de- 
vez-vous l'observer,  ou  plutôt,  quelles  dis- 
positions doivent  accompagner  votre  silence, 
afin  qu'il  plaise  au  Seigneur,  et  qu'il  vous 
soit  utile  à  vous-uiômes;  ''est  le  sujet  de 
la  seconde  partie. 


iOS 


DISCOURS  DE  RETRAITR 

SECONDE    PARTIE. 


Ce  n'ost  point,  Mosd.imes,  à  parler  [pro- 
prement, do  faire  le  bien,  qui  nous  rend 
dignes  de  récom(iense,  aux  yeux  de  noire 
Dieu  ;  c'est  de  le  bien  l'aire,  ou  |)our  parler 
plus  juste,  ce  n'est  plus  f.iire  le  bien,  j'en- 
teiids  un  bien  méritoire  du  ciel,  de  ne  le 
l>;is  bien  faire;  l'on  peut  se  livrer  en  eCfct  J» 
des  nclions  bonnes  et  saintes  en  ap|)areiice, 
mais  qui  cessent  d'être  telles,  lorsqu'on  ne 
les  fait  j)as  dans  un  esprit  droit,  et  avec  des 
dispositions  saintes;  plusieurs,  et  dans  les 
étals  les  plus  saints,  a|)rès  avoir  paru  livrés 
à  des  œuvres,  et  à  ûc6  praliques  saintes  en 
elles-mêmes,  seront  cepemlant,  à  la  lin  de 
leur  course,  sans  aucun  mérite,  pour  avoir 
agi  dans  des  dispositions  mauvaises  ou  i^eu 
cbréliennes  ;  quoique  riciies  et  opulents  eu 
apparence,  ils  se  trouveront,  comme  le  dit 
la  Uoi-Proplièle,  les  mains  vides,  et  ,vrai- 
n)enl  pauvres  en  mérites  au  jugement  du 
Seigneur,  Ce  principe  général  dont  vous 
sentez  la  vérité,  Mesdames,  je  l'applique  à 
U»  pratique  du  silence  et  je  dis  que  si  vous 
ne  l'observez  pas  avec  une  intention  pure 
et  droite  ou  dans  tous  les  temps  qu'il  vous 
est  prescrit,  on  selon  les  règles  de  sagesse 
qu'il  exige  vous  n'entrez  point  dans  les 
vues  qu'ont  eues  vus  saints  fondateurs  lors- 
qu'ils en  ont  fait  un  article  de  vos  cons- 
titutions; ainsi  atin  que  voire  silence  soit 
<igreabie  à  votre  célesle  Epoux  et  méritoire 
pour  vous,  je  dis  que  vous  devez  l'obser- 
ver saintement ,  que  vous  devez  l'observer 
constamment  ;  que  vous  devez  l'observer 
prudemment;  c'est  ce  que  je  vais  vous  ex- 
jiliquer  si  vous  voulez  m'accorder  encore 
quelques  moments  de  votre  atlenticn. 

1.  Je  dis  en  premier  lieu  que  vous  devez 
observerle  silence  saintement  c'est-i-Jire, 
avec  un  motif  ,pur  une  intention  droite  et 
saillie.  Vous  me  deuiandez  peut-être  ici,  si 
l'un  peut  l'observer  ce  silence  et  ne  point 
avoir  cette  pureté  d'intention.  Je  vous  ré- 
ponds que  cela  se  peut  ;  dans  ceci  comme 
dans  tout  le  bien  que  nous  avons  à  faire  et 
que  nous  faisons,  il  peut  aisément  se  mê- 
ler des  intentions  purement  naturelles  qui 
le  rendent  sans  mérite  devant  Dieu,  inutile 
par  conséquent  pour  le  salut  qui  le  rendent 
mauvais  même  et  condamnable,  si  le  motif 
est  tel  aux  yeux  du  Seigneur.  Une  religieuse 
garde  le  silence  mais  c'est  par  une  espèce 
(Je  paresse  naturelle,  parce  (ju'elle  ne  veut 
jms  se  donner  la  peine  de  [larler;  car  l'on 
vuit  des  caractères  qui  portent  l'indolence 
jusque-là;  ou  elle  le  garde  si  vous  voulez 
par  pbilosopbie,  par  amour  d'elle-même, 
par  un  goût  naturel,  parce  (ju'elle  aime  la 
solitude;  ou  si  vous  le  voulez  encore  elle 
l'observe  par  amour  de  sa  liberté,  parce 
qu'elle  ne  veut  pas  se  gêner  ni  déjtendre 
de  personne.  Qui  ne  voit  que  de  pareils 
motifs  ne  sont  pas  sufiisants  [)Our  rendre 
son  silence  religieux  agréable  à  son  céleste 
époux  et  méritoire  pour  elle?  Une  religieuse 
observe  le  silence,  mais  par  tem[)éraiuent 
nar  une    liumeur  sombre  cl    mélancolique 


.  —  QUATRIEME  JOl  R.  IKl 

qui  la  domine  et  qu'elle  n'a  jamail  Irava  lié 
à  surmonter,  qui  fait  que  bien  loin  de  vou- 
loir parler  (juand  la  règle  le  défend  ,  elle 
s'en  abstient  môme  quand  la  règle  le  per- 
met ou  qu'elle  l'ordonne;  humeur  qui  l'ait 
([u'ellefuit  ses  sœurs,  que  leur  compagnie 
lui  est  h  charge  et  lui  dé()laît  ;  est  ce  là  un 
motif  bien  pur  qui  puisse  être  agréable  à 
Dieu  et  susceptible  de  ses  récom|)enses? 

Une  religieuse  observe  le  si'euce  mais 
|)ar  politique  par  respect  humain,  j)ar  os- 
lenlalion,  par  hy|iocrisie,  parce  (ju'elle  est 
bien  aise  de  se  faire  une  réputation  parmi 
ses  sœurs,  de  ne  pas  enfreindre  sa  règle  et 
ses  eonstitutions,  ou  t>arce  qu'elle  redoiile 
les  avis  les  réprimandes  de  ses  supérieur 
ou  parce  qu'elle  a  des  vues  quelqu'inlérèt 
h  se  conserver  leur  estime  et  leur  alleclion, 
Soiil-ce  là  encore  des  motifs  dignes  d'une 
épouse  de  Jésus  Christ,  qui  s'est  engagée 
à  se  rendre  agréable  à  ses  yeux  en  tendant 
en  tout  à  la  perfection? 

Quand  donc,  Mesdames,  votre  silence 
sera-i-il  un  silence  vraiment  religieux,  qui 
plaise  à  votre  Dieu  et  qui  vous  soit  méri- 
toire? C'est  lorsque  ce  sera  véritablement 
le  silence  de  la  religion  que  vous  observe- 
rez, je  veux  dire,  lorsque  vous  l'observerez 
pour  Dieu,  par  amour  pour  lui.  Il  esc  bon 
de  garder  nos  paroles^  mais  pour  Dieu,  pour 
sa  gloire,  dit  saint  François  de  Sales;  ce 
sera  lorsque  vous  n'aurez,  en  les  gardant, 
d'autre  motif  que  de  [)laiie  à  votre  célesle 
Epoux,  que  d'obéir  à  votre  règle,  à  vos 
constitutions;  que  d'entrer  dans  les  vucn' 
qu'ont  eues  vos  saints  fondateurs,  en  vous 
le  prescrivant;  je  veux  dire  [)our  vous  con- 
server dans  un  saint  recueiileme'il,  si  pro- 
pre à  vous  rendre  familier  l'exercice  de  la 
présence  de  Dieu,  à  vous  entretenir  avec 
fruit,  avec  lui,  dans  l'oraison  ;  à  vous  rendre 
mieux  disposées  à  entendre  sa  voix,  lors- 
qu'il daigne  parler  à  votre  cBur,  et  plus  do- 
ciles aux  inspirations  de  sa  grdce;  à  vous 
acquitter,  avec  moins  de  distractions  et 
avec  plus  de  fruit,  par  conséquent,  de  tous 
vos  exercices  et  de  toutes  vos  pratiques  de 
piété.  Il  sera,  votre  silence,  vraiment  re- 
ligieux, lorsque  vous  aurez  intention,  en 
l'observant,  de  ne  pas  nuire  à  votre  com- 
munauté, de  ne  pas  troubler  le  bon  ordre, 
la  régularité  qui  y  règne,  do  ne  pas  scan- 
daliser vos  sœurs!;  que  vous  aurez  dessein 
même  de  leur  donner  bon  exemple,  de  les 
éditier.  Quand  de  pareils  motifs  vous  feront 
agir,  qu'il  vous  porteront  à  obéir  à  vos 
conslitutionsen  observant  le  silencequ'elles 
vous  prescrivent,  soyez  assurées  alors  que 
votre  céleste  époux  vous  regardera  avec 
complaisance,  et  comme  des  épouses  selon 
son  cœur,  et  sur  lesquelles  il  se  plaira  à  ré- 
[)andre  ses  grâces  et  ses  bénédictions.  Je 
dis  plus  présentement,  c'est  que  si  c'est  su- 
blimes motifs  vous  déterminent  à  observer 
le  silence,  vous  l'observerez  constamment. 
Seconde  disposition. 

Ce  n'est  qu'à  la  constance,  qu'à  la  persé- 
vérance, vous  le  savez.  Mesdames,  que  votre 
ueifection  coui'jiy  votre  salut  est  attachée. 


Î'JS 


ORATF/lRS  sacres.  I/AUr.L  l)K    MONilS. 


198 


Si  i!nns  un  Jemps  vous  vous  rendiez  lidèles 
à    ce  (lue  vous   |)rest:rivenl  voire  roi^le  cl 
vos    coDSlilulions,   el   que   (J.ins  un  autre, 
vous  vous  donnassiez  la  liberté  d'y  contre- 
venir, ou  eu  i'aisanl  ce  qu'elles  vous  défen- 
dent, ou  en    vous  obslenaut   cle  ce  qu'elles 
vous   prescrivent,   je  vous  l'ai  déjà    dit,  et 
l'on  ne  j^eul  trop  vous  le  redire,  vous  mon- 
treriez (pie  vous   asi;issez  bien  plus  par   ca- 
liriee,  par  légèreté  ou  [lar  queLpieaulre  mo- 
tif naturel   et  lout  humain,  (pie  par  un  vé- 
rital)le   amour   jiour    voire    Dieu    el    pour 
voire  sailli    état  ;  vous    ferie?   évidemuient 
connaître  alors    que    vous   n'avez   jias    un 
vrai  zèle,  un  désir  ardent  et  bien  sincère  de 
voire  avancement  spiriluel,  el  de  (ilaire,  en 
y  travaillant  ,  à   votre  céleste  époux,  com- 
bien cependant  qui,  sur  cet  article  de  vos 
constitutions   que  je    Iraco   ici     montrent 
une  légèreté  d'esjirit,  une  ineonstance,  ou, 
si  vous  voulez,  une  inconséquence  de  con- 
duite qui  suflit  pour  persuader  à'  ceux  el  à 
Cl  lies  (pii  les  voient  agir,  que  ce  n'est  point 
véritablement  l'esprit  de  Dieu  qui  les  anime. 
Ou  observe.le  silence  dans  un  temps,  el  on 
.'c  rompt  dans   un  autre;   à  l'ajifjroche  do 
quelques  fêles,  de  quelques  grandes  solen- 
nités ou  pendant  une  relraite,  l'on  pense  à 
se  mettre,  comme  l'on  dit,  en  dévotion  ;  ou 
allecte  alois   la  |)lus  grande   régularité;  on 
se  ferait  scrupule  de  manquer  au  silence; 
rien  de  [ilus^éditiant  que  celte  conduite,  que 
celle    evaclitude;  mais    malheureusement, 
elle  dure   [teu;  la  fêle  une  l'ois  passée,  la 
solennilé  célébrée,  la  relraite  terminée,  on 
rejjiend  sa  première  conduite  ;  même  dissi- 
pation, même  liberté  de    [larler  quaujiara- 
vanl  ;  l'on  se  dédommage   par  là,  en  (piel- 
(pie  sorte,  de  la  gène,  de  la  violence  qu'on 
s'étail  faite  pendant  quelques  jours. 

On  observe  le  silence,  mais  c'esl  dans  un 
lieu  plut(jt  que  dans  un  aulre  ;  on  ne  vou- 
<lrait  pas  parler,  par  exemple,  dans  le  lieu 
consacré  à  adorer  le  Seigneur,  destiné  à  le 
(irier  et  à  chanler  ses  louanges,  on  se  le 
j'cprocherait  comme  une  grande  prévari- 
cation ,  el  j'avoue  <  n  ell'el,  Mesdames,  Ique 
sa  donner  celte  liberté  dans  un  lieu  saint, 
de  parler  au  choeur  sans  née  sAé,  unique- 
4uent  pour  parler,  c'esl  uiu;  faute  plus  con- 
sidérable (|uo  de  parler  en  lout  aulre  lieu; 
mais  oulie  que  dans  une  maison  religieuse, 
toutes  les  parties  qui  la  couqiosenl  sonl 
san(;liliées  par  la  consécration  (jui  en  n  été 
laite  au  Seigneur,  pour  y  servir  de  séjour 
a  ses  épouses,  je  dois  vous  faire  remarquer 
que  vos  constitutions,  lorsqu'elles  vous 
pres'.Tivent  le  silence,  ne  font  aucune  dis- 
linciion  entre  lieu  et  lieu  ;  que  l'iiilenlion 
et  de  ceux  qui  les  ont  composées  ces  coiis- 
lilutions,  el  de  l'iiglise  notre  mère  ([ui  les 
n  approuvées,  c'esl  que  le  silence  soil  ab- 
soluuien*  observé  dans  toute  la  maison  ; 
qu'il  suit  universel  [»ar  rap[)orl  aux  lieux 
comme  par  rapport  aux  temps  prescrits.  Ou 
observe  le  silence,  mais  c'esl  avec  quelques 
personnes  plul(jl  qu'avec  d'autres  ;  on  se 
trouve  placée  dans  un  endroit  avec  une 
sueur  qui  ne  plaii  jias,  el  qui  n'est  [las,  si 


vous  voulez,  d'un  caractère  à   plaire,  avec 
laquelle,  dit-on,  il   est   impossible  de  sym- 
paliiiser  ;  on  oltserve  «'xaclement  le  sib-ncc 
avec  elle  ;  s'il  lui  aiTive  de  parler,  de  faire 
quebiue  cpiestion,  fût  jce  même  avec  (luel- 
que  espèce  de  raison  el  de  nécessité,  on  ne 
lui  ré|)Ond   pas,  ou  on  ne   lui   répond  (juc 
pour  lui  objecter  la  loi  et  le    tem|)S  du  si- 
lence ;  il    est  bien   clair  alors  que  ce  n'est 
plus  Dieu,  mais  soi-même  qu'on  cherche  ; 
que   ce    n'est  point   par  amour  pour  Dieu 
(ju'on  se  conduit,  mois  par  amour  pour  soi- 
même;  cela  eït  si  vrai  que  si,  au   lieu  de 
celle  sœur  peu  aimable  et  jieu  aimée  avec 
la(|uelle  on  se  trouve,  la  Providence,  par  la 
voie  de  la    supérieure,  donnait   pour  aide, 
pour  com[)agne,  celle  pour   laquelle  on  se 
sent    une   inclination   naturelle  qui   ne   se 
manifeste  que  trop  peut-être,  el  qu'on  ne  tra- 
vaille point  assez  à  déraciner,  l'on  n'aurait 
certainement   plus    la   même  fidélilé   el   la 
même  exaciilude  au  silence  ;  on  ne  se  ferait 
aucune  peine,  aucun  scrupule  de  parler,  de 
lier  peut-être  d'assez  longues  conversations, 
malgré    les   remords  de    la  conscience.    Or 
voulez-vous,    Mesdames,   plaire    vénlable- 
meiit  à  votre  céleste  Epoux  et  vous  avancer 
chaque  jour,  chaque  instant  même,  dans  la 
voie  de   la    perfection?    n'ayez  que  lui  en 
vue  ;  obéissez  à  votre  règle  et  à  vos  ciaisti- 
lulions  uniquement  jour  lui  el  par  zèle  de 
votre  sanctilication  ;  cl  alors  vous  ne  ferez 
sûrement  aucune  réserve,  aucune  distinc- 
tion des  personnes,  des  teiups  ni  des  lieux; 
tous  les  lieux,   tous   les  temps,  toutes  les 
personnes   seront    pour  vous   les    mêmes, 
dès  qu'il  s'agira  de  pialiquer  le  silence. 

Hé  quoil  Mesdames,  ce  Dieu  toul-pnis- 
sanl  et  inlinimenl  aimable  que  vous  servez, 
cl  pour  lequel  seul  vous  devez  faite  loul  ce 
que  vous  faites,  ne  mériic-t-il  pas  telle  al- 
teiiliou  de  votre  part,  celle  consance  à  ac- 
complir lout  ce  qui  vous  esl  prescrit,  pour 
lui  jdaire?  N'est-il  pas  toujours  le  même,  à 
voire  égard,  toujours  voire  Dieu  el  votn; 
é|»oux,  mais  un  Dieu  plein  de  boné,  un 
éjjoux  rempli  d'amour  pour  vous  ?  Chaque 
jour,  chaque  iiiSlant  du  même  jour  el  de  la 
nuit,  il  prend  soin  de  vous,  il  veilo  sur  \ouo 
toutes  et  sur  chacune  do  vous,  comme  .«-i 
elle  était  seule  l'objet  de  sa  providence  et  de 
tous  ses  soins.  11  vous  comble  do  ses  bien- 
faits dans  l'ordre  de  la  naluie  il  de  la  grAce; 
àcluHjue  inslanl,  il  vous  donne  des  marques 
sensibles  de  son  amour,  en  vous  commun. - 
quant,  presqu'à  clia(|ue  instant,  de  nouvel- 
les grices,  de  nouveaux  secours,  pour  vous 
faire  |)iali(iuer  la  veilu  ei  Irav.iiiler,  av.,c 
succès,  au  grand  ouvrage  de  votre  perfec- 
tion et  de  votre  salut.  Pourriez-vous  donc, 
en  |ieiisaiil  sérieusement  à  lout  ce  (|u'il  e*l 
à  votre  égard,  à  loul  ce  qu'il  continue  de 
faire  pour  vous,  lui  refuser  ces  légirs  lé- 
nioignagcs  do  voire  attachement?  Pourcjuoi 
lui  refuser  ces  petites  marques  de  votre  li- 
délité  (ju  il  vous  demande  el  que  vous  sen- 
t  z  bien,  au  fond  de  votre  cœur,  qu'il  vous 
demande,  par  les  troubles,  le>  reproches, 
les  remords  que  vous  éi)rouvjez,  toutes  ks 


197 


DlSœniS  DE  RETRAITE.—  QUATRIEMi;  JOIR. 


1?8 


fois  que  vous  vous  donnez  la  liberté  do  rom- 
jirc  le  silence,  dans  un  Icmps  défendu  el 
Siuis  néeessilé?  Vous  devez  donc,  si  vous 
avez  sincéieinent  à  cœur  de  plaire,  on  loul, 
à  voire  céleste  Epoux,  et  d"av;\ncer  sans 
cesse  d;uis  la  voie  de  la  perfection,  vous 
devez  observer  saintement  el  constamment 
le  silence;  mais  cela  ne  suffît  pas,  il  faut  de 
plus,  l'observer  prudemment  :  troisième  et 
dernière  disposition. 

III.  Que  veu\-je  dire  par-là?  Le  voici, 
Mesdames;  c'est  qu'en  observant  le  silence, 
vous  devez  user  de  discrétion  ;  discrétion 
qui  e5t  une  vertu,  mais  qui  n'est  point  as>ez 
i:onnue  parmi  les  personnes  relij^icuses  ; 
vertu  que  les  anc:ifns  Pères  du  désert,  les 
jihis  éclairés,  les  plus  versés  dans  la  spiri- 
tualité, ilans  les  voies  de  Dieu,  cslimaienl 
beaucoup,  qu'ils  recommandaient  avec  soin 
à  leurs  disciples,  vertu  qui  consiste  à  se  te- 
nir toujours  dans  le  milieu,  à  éviter  les  ex- 
liÔMies  cù  le  bon  ne  se  trouve  jamais  ;  verlu 
qui  fait  qu'on  s'acquitte  de  tous  ses  devoirs, 
qu'on  fait  inèmc  toutes  ses  actions  avec 
cet'.e  modération,  cette  sagesse,  celle  pru- 
dence chrétienne  qui  est  absolument  néces- 
saire, pour  leur  donner  un  véritable  prix, 
ou  du  moi  is  qui  en  augmente  le  mérite  a.ux 
yeux  de  Dieu.  Or  cette  discrétion,  cet  e 
prudence  par  rapjiort  au  silence,  consiste 
d'abord  à  ne  iioinl  l'étendre  au-delh  du 
temps  prescrit  :  une  sœur  observe  à  la  vé- 
rité exactement  le  silence,  dans  tous  les 
tenq)s  où  elle  doit  l'observer;  mais  silen- 
cieuse par  caractère,  par  humeur,  par  tem- 
pérament, ce  silence  qu'elle  observe,  loul 
le  temps  (jue  la  lègle  l'ordonne,  |iarce  qu'il 
est  de  son  goût,  elle  l'observe  également 
iiu-tJelà,  (Ile  aUecle  même  et  s'opiniâtre  ii 
le  garder,  même  au  teu)ps  des  ré<.'réal:o:is  ; 
ce  n'esl  plus  alors  entrer  dans  l'esprit  de 
ses  fondateurs,  et  observer  fidèlemenl  ses 
eonstitulions.  Le  Saint-Esprit  l'a  dii,  qu'il 
est  uu  temps  de  parler,  et  un  temps  pour  se 
laire  :  or  le  temps  de  jiarler  pour  vous,  mu 
chère  sœur,  c'est  le  temps  qui  vous  est  ac- 
cordé pour  reliicher  un  peu  votre  espiit  el 
soulager  votre  corps.  Si  vous  crojez  devoir 
le  [)asser  dans  le  silence,  vos  sœurs  croi- 
rout  avoir  le  môme  droit  que  vous,  et  alors 
cet  exercice  ordonné  très-sagement,  connne 
les  autres,  par  vos  constitutions,  ne  sera 
plus  observé  par  votn^  faute 

Mais  non-seulement  la  vertu  de  prudence, 
tie  discrétion  ne  permet  pas  de  garder  lo 
silence,  lorsqu'il  n'est  pas  ordonné  ;  mais 
elle  exige  de  plus  quelquefois  qu'on  le  cell 
rompe  Uans  le  temps  même  où  il  est  jires- 
cril.  Une  religieuse,  par  exemi)le,  à  raison 
do  son  emploi  ou  pour  quelque  autre  cause, 
lera  une  question  à  une  de  ses  sœurs  ;  mais 
parce  que  c'est  le  temps  du  silence,  celle-ci, 
par  une  délicatesse  de  conscience  mal  pla- 
rée,  s'abtient  de  lui  répondre  el  la  lorce 
par-là  de  manquer  à  (juelque  chose  de  son 
«inploi;  qui  ne  voit  que  la  discrétion,  la 
prudence  lui  permettait,  lui  prescrivait 
môme  de  parler  et  de  réiiondre  A  la  (jucs- 
Uou  qu'on  lui  a  faite?  Lue  sueur  un  peu  trop 


parleuse,  si  vous  voulez,  vous  adresse  la 
parole  dans  le  temps  du  silence,  du  grand 
silence  même  ;  elle  vous  parle  de  plus, 
sans  la  moindre  nécessité;  failes-luientcii- 
dre,  à  la  bonne  heure,  par  qnehpie  signe  et 
avec  un  air  surlout  de  douceur  et  d'amilié, 
qu'elle  prend  mal  sou'tcmps  ;  mais  sans  y 
avoir  égard,  ol!e  s'ob>tine  à  vouloir  que 
vous  lui  répondiez;  si  vous  vous  obsljnez, 
vous,  à  garder  le  silence,  vous  l'injpalien- 
Icz,  vous  l'aigrissez,  vous  iis(]U('z  à  'a  met- 
tre en  humeur,  en  vivacité,  à  lui  faire  olfeii- 
scr  Dieu,  par  consé(|uent.  Que  faut-il  donc 
faire  alors?  vous  rappeller  ce  (pie  dit  saint 
François  de  Sales,  que  la  complaisance, 
que  la  charilé  envers  le  prochain  doit  t'Ui- 
nager  sur  tout,  que  vous  devez  l'exercer 
jusiju'au  péclié  exclusivement  ;  c'est  consé- 
quemmenl  d'avoir  égard  à  la  faiblesse  de 
votre  sœur  de  ne  vous  faire  aucune  peine 
de  lui  répondre;  parlez-lui  donc,  mais  com- 
me vous  le  prescrit  le  môme  saiiil,  lardivr- 
mcnt,  doucement  et  brièvement.  Turdiveiueni, 
en  lui  faisant  connaîire  (jue  vous  ne  vous 
déterminez  à  lui  répondre  que  par  purii 
complaisance,  que  pour  ne  lui  causer  au- 
cune peine;  doucement,  en  accompagnant 
votre  réponse  d'atrabililé,  do  cordialité  c^ui 
la  fasse  se  retirer  d'au[irès  de  vou-;  égale- 
ment satisfaite  et  édiliée  ;  enlln  brièvemcni, 
en  ne  liant  point  avec  eilu  une  conversa- 
tion longue  et  inutile,  el  en  répondani  en 
peu  de  mots  et  d"un  ion  qui  se  ressente  du 
silence.  En  gardant  ces  règles  de  disirétiou 
et  de  prudence ,  vous  pouvez  être  tran- 
quille; bien  loin  d'avoir  quelque  faute  à 
vous  reprocher,  vous  aurez  fait  au  contraire 
un  acte  de  charité  (pii  peut  avoir  môme  un 
meilleur  eliel  et  un  plus  grand  mérite  que 
vous  ne  pensez,  en  donnant  lien  à  celto 
sœur  de  rétlécliir  sur  sa  pro[)re  indiscré- 
tion, et  sur  la  conduite  sage  el  discrète 'quo 
vous  avez  tenue  envers  elle  ;  en  lui  fai- 
sant prendre  |)eut-ê(re  encore  la  résolu- 
tion do  proliter  de  votre  exemple  ,  et 
d'être  plus  circonspecte  et  plus  régulière  à 
l'avenir. 

Liilin,  Mesdames,  celte  prudence,  celle 
sage  discrétion,  si  elle  ne  vous  interdit  pas 
absolument  de  parler  quehpiefois  dans  lo 
temps  consacré  au  silence,  elle  exige  aussi 
que  vous  vous  énonciez  toujours  alors  en 
peu  de  i)aroles,  avec  toute  la  gravité,  la 
modestie  et  le  recueillement  dont  vous  êtes 
cai'ables  ;  que  vous  pailiez  toujours  d'un 
Ion  à  no  jamais  troubler  ni  scandaliser 
celles  de  vos  sœurs  qui  pourraient  vous 
voir  ou  vous  entendre;  elle  exige  de  plus 
que  vous  pensiez  devant  Dieu  à  ce  que 
vous  avez  à  ié|)ondi-i;  et  de  quelle  maniéie 
vous  devez  ré[)ohdre,  alin  de  n'avoir,  eu 
parlant,  aucun  reproche  à  vous  faire;  c'est 
un  avis  qu^e  donne  le  Saint-Es|iril,  el  qui 
était  si  bien  prati(pjô  par  les  anciens  soli- 
taires, ([u'ils  n'ouvraient  jamais  la  bouche, 
(]u'après  avoir  élevé  leur  cœur  à  Dieu  ; 
aussi  un  d'eux,  à  la  mort,  disait-il  à  ses 
frères  assemblés  autour  de  lui,  qu'il  ne  se 
rappelait    pas   d'avoir  jauiais    [iroféré  une 


K9 


ORATiaRS  SACRES. 


I  nrolc,  dont  il  eûl  à  se  ropcntii-.  Si  vous 
n'en  êtes  pas  à  ce  dejjré  de  perfeclion,  Mes- 
dames, n'aver-vous  rien  du  looiiis  à  vous 
reproclier  sur  celle  pratique  du  silence,  si 
rucorainandée  dans  tous  les  inliluls  et  dans 
le  vôtre  en  ()arliculitT?  Un  relour  ici  sur 
vous-aiÊmes  ;  alil  quand  Jésus-Clirist  exi- 
gerait de  vous  des  observances  mi. le  t'ois 
jilus  dilTiciles,  vous  devriez  vous  y  confor- 
lueravec  plaisir.  Hélas  I  bien  des  religieu- 
ses ne  sont  si  peu  tidèles  à  cet  article  de 
leurs  constiluiions ,  que  parce  qu'elles 
regardent  le  silence  comme  une  source 
d'ennui.  Qu'elles  sont  dans  l'illusion  ITout 
ce  qu'on  fait  pour  Dieu,  cl  surtout  dans 
votre  saint  état,  vous  le  savez  par  ex[)é- 
rience,  Mesdames,  est  accompagné  de  con- 
solations qui  ne  sont  bien  connues,  à  la  vé- 
rité, que  des  religieuses  ferventus  et  cons- 
tamment régulières;  avec  l'apparence  de  la 
tristesse,  elles  sont  intérieurement  dans  la 
joi>i,  comme  le  dit  l'apôlre  saint  Paul  : 
Quasi  tristes,  semper  aulem  gaudenles.  (  Il 
Coi-.,  VI,  10.)  Mais  quand  il  y  aurait  quel- 
que peine,  une  épouse  de  Jésus-Christ 
n'est  véritablement  telle  à  ses  yeux  qu'au- 
tant quelle  travaille  à  se  mortitier,  à  soul- 
liir  comme  lui  et  pour  l'amour  de  lui. 

Ah  1  Seigneur  ,  je  le  conçois  et  je  le  re- 
connais aujourd'hui ,  que  le  silence,  dans  la 
religion,  n'est  point  une  protique  indillé- 
renle;  que  c'est  même  un  moyen  très-pro- 
pre à  s'avancer  dans  la  voie  de  la  perluclion, 
parle  rtcueiilemenl  intérieur  qu'il  j)roduit 
et  qui  l'accouqiagne.  Hélas  1  si  apiès  tant 
d'années  passées  dans  ce  saint  état,  je  me 
trouve  si  peu  })arfaite,  une  des  causes  peut- 
ôlre,  c'est  ma  trop  grande  dissipation  qui 
m'a  empêchée  de  me  soumettre  h  des  prati- 
ques que  j'ai  trop  regardées  jusqu'ici  comme 
peu  importantes  ;  on  me  l'a  dit  tant  de  l'ois, 
que  dans  la  religion  il  n'y  a  rien  de  petit, 
lien  à  négligei-  ;  (jue  les  actions  éclalanlcsy 
sont  [)eu  communes;  que  c'est  la  tidéliié 
aux  petites  choses  qui  t'ait  la  religieuse  fer- 
vente aux  yeux  du  céleste  époux.  Je  le  re- 
connais aujourd'hui,  et  plus  que  jamais, 
û  mon  Dieu  ;  je  prends  donc,  dès  ce  mo- 
ment, la  résolution  de  me  rendre  plus  h- 
dèle  è  observer  le  silence  dans  tous  les 
temps  prescrits  par  mes  constiluiions  ;  met- 
tez vous'iiième.  Seigneur,  une  garde  à  mes 
lèvres  :  Poiie  custodiam  ori  meo  (l'sat. 
CXL,3),  atin  que  tidèle  à  cette  pratique 
si  sagement  ordonnée,  si  utile  aux  so- 
ciétés religieuses,  si  avantageuse  jiour  moi 
en  particulier,  je  puisse  par  le  recueillement 
intérieur  qu'elle  produira  dans  moi ,  croître 
chaque  jour  en  vertu ,  en  (>eiieciioii  ,  en 
sainteté,  el  mériter  par  là  vus  giâces  dans 
le  temps,  el  vos  récunipen>cs  dans  l'éterni- 
lé.  Ainsi  soil-il. 


L'ABBE  DE    MONTIS.  iOO 

QUATRIÈME  JOUR. 

rioisième  discours. 

SLR  LA  TIÉDELK. 

ll.ibeo  adversum  l«,  quod  charitalem tuam  primani  re!i- 
quisii.  {Apoc,  II,  4.) 

J'ai  un  reproche  à  vous  faire,  qui  est  que  vous  vom  êtes 
relâché  de  votre  première  charité. 

C'est ,  Mesdames ,  à  l'évêque  d'Ephèse, 
que  bien  des  interprètes  croient  être 'iimo- 
lliée ,  ce  disciple  de  ra|)ôtre  saint  Paul ,  que 
Jésus-Christ  faisait  ce  reproche  :  depuis 
surtout  qu'il  avait  été  élevé  à  l'épiscopat ,  il 
avait  mené  une  vie  digne,  ce  semble,  de 
celte  redoutable  dignité;  le  Seigneur  recon- 
naît en  effet  qu'il  s'est  livré  à  toutes  sorles 
(le  bonnes  œuvres  :  Scio  opéra  tua  {Apoc, 
11,  2.j;  il  rend  justice  à  l'ardeur  de  son 
zèle,  qui  le  portait  à  ne  pouvoir  môme  sii) - 

orler  les  méchanls:  Non  paies  suslineremu- 


1)0 


ios  Jlbid.),  h  recher>  hi'r'cl  à  éloigner  du 
divin  bercail  ceux  qui,  ()Our  séduire  les 
Ames,  se  gloriliaient  faussement  du  titre 
d'apôtres;  le  Seigneur  convient  de  plus 
que  cet  évèque  a  soulfert  avec  la  plus 
grande  patience  et  en  mémo  temps  avec  la 
plus  grande  fermeté  ,  fiour  la  gloire  de  soh 
nom  ;  et  cependant  quoiqu'il  parût  remplir 
si  fidèlement  ses  devoirs  ,  il  n'est  point  s.ms 
tache  aux  youx  du  Seigneur;  il  s'était  re- 
lâché de  sa  première  ferveur:  Charitalem 
tuam  primam  rdiquisli  ;  son  cœur  s't  lait 
insens, blemenl  relroidi  pour  son  Dieu  ; 
à  une  vie  active  et  toute  d'amour  avait 
succédé  un  état  languissant  et  de  tiédeur  ; 
voilà  ce  que  le  Seigneur  lui  reproche  ;  tt-l 
est  l'état  d  où  il  le  presse  de  sortir  et  pour 
lequel  il  l'exhorte,  il  lui  ordonne  môme  de 
faire  promplcment  pénitence,  s'il  ne  veut  pas 
éprouver,  dès  cette  vie,  ses  chûlimenls  et 
son  indignalioii. 

Hélas  I  Mesdames  ,  ce  reproche  el  ces  me- 
naces que  le  Seigneur  faisait  à  cet  évoque 
de  la  primitive  Eglise,  ne  pourrait-il  pas  le 
faire  ou  ne  pourrait-on  |)as  le  faire  de  >a 
part,  je  ne  dis  pas  seulement  à  ces  chréiie.is 
qui  au  milieu  du  UiOnde  lont  f)rofession 
de  le  servir,  mais  de  plus  à  ces  personnes 
qui,  après  avoir  tout  quitté  ,  se  sont  entiè- 
rement consacrées  à  lui  dans  la  relraile? 
Combien  qui  vivent  dans  la  tiédeur,  dans 
une  langueur  Sjiirituelle  eniièiem.  ni  oppo- 
sée à  l'esprit  du  saint  état  qu'elles  ont  em- 
brassé 1  Ah!  saint  Bernard  disait  qu'il  y 
avait  peu  de  maisons  religieuses  où  il  n'y 
eût  des  âmes  tièdes;  si  cela  éiait  de  sou 
temps,  que  devons-nous  penser  du  nô.re? 
C'est,  Mesdames,  pour  vous  faire  craindre 
cet  état,  el  pour  vous  en  préserver,  que  j'en- 
treprends ici  de  vous  le  faire  connaître,  et 
dans  sa  nature  et  dans  ses  ell'e's.  Je  dis  pour 
cela,  en  premier  lieu,  que  l'état  de  tiédeur 
est  très-mauvais,  considéré  ei  lui-même, 
parce  qu'il  nous  éloigne  de  Dieu  ;  ce  sera 
le  sujet  de  la  première  partie  de  cet  en-re- 
lien.  Je  dis,  en  second  lieu,  que  l'élal  ne 
liédeur  est  Irès-lunesle  considéré  dans  ses 
ftleis ,  parce  qu'il  éloigne  Dieu  de  nous; 
ce  sera  le  sujet  de  la  seconde  |  artie  :  a  tcn- 
lion  ,  je  vouspiic.  Ave,  Maria. 


201 


DISCOURS  DE  RETRAlTi:.  -  QUATftlE.Ml::    JOUR. 

PnHUlÈUE    PAUTIE. 


202 


Avant,  Mesdames,  de  vous  f.iire  considi^- 
rer  la  tiédeur,  soil  par  rapporta  Dieu,  soit 
iiar  rapport  à  nous,  il  convient,  ce  semble, 
de  fixer  vos  idt'es  et  de  vous  luire  couutiîU-e 
ce  tiue  c'est,  dans  la  reliai"!!  sur  eut,  d'élre 
(innsla  tiédeur  :  ainsi  être   tiède    pour  une 
personne  religieusi!,  c'est,  à   la  vérité,  ne 
jias  se  livrer  ouverloinont  au   crimi'  ,  mais 
c'est    aussi  ne  pas  pratiquer  lidèlenifut  la 
vertu  ;  c'est  ne  pas  scandaliser  par  un   mé- 
I  ris  formel  des  rèi^les  et  des  observances  , 
tuais  c'est  aussi  ne  pas  édifier  par  une  pra- 
li(|ue  exacte  et  continuelle  de  toutes  les  rè- 
gles et  des  moindres  observances;   c'est,  si 
vous  voulez,  rem|iiir  à  l'extérieur  ses  de- 
voirs, mais  c'est  ne  les  rem|>lir  qu'à  l'exté- 
rieur; c'est,  au  lieu  de  faire  toutes  ses  ac- 
tions avec  f)urelé  d'intention,  uniquement 
vu  vue  de  plaire  à  Dieu  ,  de   lui  obéir,  de 
lui    témoigner  son  amour  et  de   travailler 
par-là  à  son  avancement  s|)iriluel ,  à  sa  per- 
r«!otion,  c'est   se  conduire  en  tout  par  des 
motifs  non  |)as  aLyiolument  criminels,  mais 
purement  nalurels  et   tout  huuiains  ;~  c'est 
agir  par  coutume,  par  bienséance  ,  par  res- 
pect bumain;    ainsi   on   ne  peut   pas   dire 
qu'une  personne  religieuse  dans  la  tiédeur 
baisse  absolument  son  étal,    mais  aussi  ne 
peut-on  ttas  dire  qu'elle  l'aime  assez  pour 
en  remplir  les   devoirs    avec    zèle  et  avec 
f.  uit  :  elle   n'a  pas  h  la  -vérité   un  éloigne- 
mont  constant  pour   la   vertu;   mais  aussi 
eiien'a  pas  pour  la  vertu  assez  d'attachement 
pour   la  pratiquer  en  lout  temps  et  en  toute 
occasion;  elle  est  inôiiie  vertueuse,    mais 
par  intervalle  et  jusqu'à  un  ceitain  degré  ; 
l'humilité  ,  elle  la  pratiquera  ,  mais  pourvu 
que  rien  alors  ne  blesse  son  amour-propre  ; 
tu  mortification    elle  s'y  livre  ({uelquelois  , 
luais  enneujie  de  touie  gèni! ,  de  toule  con  - 
irainte,  elle  se   ménage  avec  soin  dans  le 
leojps  même  où  elle  paraît  se  mortifier,  et 
manque  peu  les  occasions  qui  se  présentent 
de  se  procurer  ses  aises  et  ses  commodités  ; 
la  charité,  la  condescendance,  elle  se  pi  été 
mi  soulagement  du  prochain  par  naturel, 
par  tempérament  peut-être  ,  mais  elle  est 
uieu  éloignée  de  vouloir  souffrir  et  encore 
moins  de  se  sacrifier  par  amour  pour  lui  ;  la 
douceur,   la  patience,  elle  en  donne  quei- 
qcjt'fo.s  des  marques  ,  mais  en  choses  légères, 
et  pourvu  qu'elle  ne  soit  [)as  trop  exercée, 
trop  contrariée;  l'obéissance ,  elle  la  prati- 
que à  l'extérieur  ,  elle  y  met  inôme  du  zèle, 
bi  la  chose  commandée  est  do  son  goût,  ou 
SI  la  personne  qui  commande  lui  est  agréa- 
ble ,    mais  pour  l'obéissance  de  res|)rit  qui 
consiste  à  juger  et  bon  et  bien  ce  qui  lui  est 
commandé,  elle  ne  s'y  croit  point  obligée, 
cl  se  dédommage  de  la  gêne  que   lui  cause 
ion  obéissance  extérieure  et  apparente,  par 
une   censure   et   une   révolte  iniérieure   et 
(.achée  ;  la  («auvreté  ,  elle  n'est  pas  sans  dé- 
sir ft  sans  cupidité  ;  elle  sait  à  la   vérité  se 
passer  dans  son  état  de  ce  qu'elle  ne   peut 
•ibsolument    se    procurer,  mais  bien   loin 
<raimer  les  privations  et  u'être  dans  un  dé- 

OUATELRS    SACUÉ5.    LXVIJI. 


lacliemenl  absolu,  universel ,  quo  le  dé- 
tours et  de  moyens  elle  emj.ioie  à  se  pro- 
curer ce  qu'elle  désire,  puis  ipie  d'illusions, 
que  de  faux  prét'^xles  pour  s'excuser  et  se 
iranquilliser  sur  des  uioyens  qu'elle  voit 
bien  n'èlre  pas  conformes  à  la  sainteté  de 
ses  vœux  ,  de  ses  engagements  1  Ainsi  , 
mesdames  ,  comme  vous  le  voyez,  une  per- 
sonne tiède  dans  la  religion  ce  n'est  point 
une  personne  scandaleuse,  elle  paraît  à  l'ex- 
térieur remplir  ses  devoirs;  ce  n'est  point 
une  hypocrite,  elle  n'a  point  l'ambition  de 
|)asser  pour  une  sainte;  c'est-à-dire  qu'à 
proprement  parler  elle  est  sans  attrait  pour 
le  péché  ,  et  sans  goût  pour  la  vertu  ;  qu'elle 
n'est  ni  bonne  ni  mauvaise  ,  ou  pour  me 
servir  de  l'expression  du  Saint-Esprit,  elle 
n'est  ni  froide  ni  chaude  :  Utinam  frigidus 
esses  aut  calidus'J  [Apoc  ,  III ,  15.) 

Ah  !  Mesdames,  cette  légère  peinture  de 
l'état  de  tiédeur,  devrait  suffire  pour  vous 
en  insi  irer  une  crainte  et  un  éloignement 
infini  ;  mais  pour  exciter  encore  |)lus  efiî- 
cacement  ces  sentiments  dans  votre  cœur, 
je  dis  présentement  que  cet  état  est  très- 
mauvais  en  lui-même,  parce  qu'il  ne  tend 
qu'à  nous  éloigner  de  Dieu  et  pour  vous  le 
prouver  j'avance  ici  quelques  principes 
dont  je  me  flatte  que  vous  sentirez  toute  la 
vérité;  c'est  en  premier  lieu,  quo  le  Dieu 
que  nous  adorons  ne  nous  a  créés  que 
pour  le  servir  dans  l'état  et  selon  la  manière 
qu'il  n  fixée  dans  ses  décrets  éternels:  c'est 
en  second  lieu,  qu'en  quelqu'état  et  dans 
queliiuc  situation  qu'il  nous  ait  mis  sur  la 
terre,  c'est  autant  par  amour  pour  nous 
que  pour  sa  gloire  ;  c'est  par  un  elfet  de  cet 
amour  pour  nous  qu'il  nous  a  comblés  et 
qu'il  nous  comble  sans  cesse  d'une  infinité 
(Je  grâces  et  de  bienfaits  c'est  en  troisième 
lieu,  que  notre  Dieu  ne  nous  a  point  mis 
sur  la  terre  et  dans  tel  et  telétatpouryderaeu- 
reréternèllement,  mais  qu'après  l'avoir  servi 
quelque  tem[)S,  dans  l'étatoù  il  nousa  placés, 
il  nous  destine  à  une  récompense  ou  à  une  pei- 
ne proportionnée  ou  auxmérites  que  nous  au- 
rons acquis,  ou  aux  fautes  que  nous  aurons 
commises  dans  cet  état.  Ainsi,  Mesdames,  ces 
principes  une  fois  ()0sés, voici  les  consé  luen- 
ces  que  nous  en  devons  naturellement  tirer. 

C'est,  en  premier  lieu,  que  nous  devons 
nous  soumettre  humblement  aux  volontés 
d'un  Dieu  infiniment  puissant  qui  a  tout 
droit  sur  nous.  C'est  en  second  lieu,  que 
nous  devons  nous  , montrer  parfaitement 
reconnaissants  envers  un  Dieu  infiniment 
bon  qui  nous  comble  de  ses  grâces  et  de 
ses  bienfaits.  C'est  en  troisième  lieu,  que 
nous  devons  craindre  et  redouter  un  Dieu 
infiniment  juste,  lequel  s'il  doit  nous  ré- 
compenser de  nos  bonnes  œuvres,  doit 
aussi  nous  punir  de  lout  ce  que  nous  au- 
rons fait  dans, notre  état  de  désagréable  à 
ses  yeux:  or  cela  étant ,  je  dis  présente- 
ment que  tout  chrétien  et  à  plus  forte  rai- 
son que  toute  personne  religieuse,  no  peut 
se  tenir  dans  un  état  de  tiédeur,  d'  lan- 
gueur, dans  le  service  do  Dieu,  sans  se 
rendre  tout  à  la  fois  et  rebelle  aux  volontés 


$os 


OHÀlLlIkS  SACRES.  I/AB«E  DÉ  MONTIS. 


S»4 


(lesjii  Dieu  cl  ingfiiU'  <iiix  hioiilails  de  sou 
Dieu  el  insensible  aux  proun^ssos  et  aux 
menaces  de  son  Dieu  ,  el  ct)nsé(|ueniraenl 
sans  mépriser  forniellemenl  el  la  puissance 
el  la  bonlé  el  la  justice  de  son  Dieu.  Sui- 
vez-moi s'il  vous  plaît. 

1.  Oui ,  Mesdames,  mépris  formel  de  la 
puis'^ance  de  Dieu,  voilà  la  première  injure 
que  lui  fait  1  /Ime  tiède  dans  la  religion  ;  ce 
Dieu  lout-|iuissan(,  el  je  vous  l'ai  «léjh  dit, 
(fui  de  toute  éternité  se  suflisait  parfaite- 
ment à  lui-même,  aurait  pu  nous  laisser 
lous  et  pour  toujours  dans  les  ahimes  du 
néani  ;  mais  aussi  nous  eu  ayant  tirés,  par 
un  etforl  de  sa  puissance  et  nous  ayant 
faits  créatiwes  raisoiniahles,  capaljles  de  le 
connaître  el  de  l'ainrer,  il  n'a  pu  nous  for- 
mer que  pour  sa  gloire^,  de  là  l'obligation 
étroite  dans  laquelle  nous  sommes  tous, 
de  ne  rien  l'aire  i|ui  puisse  lui  déplaire;  ce 
n'est  point  assez,  de  là  l'obligation  d'en- 
trer dans  loutes  ses  vues  cl  lie  le  servir 
précisément  dans  l'état  et  de  la  manière 
dont  il  veut  que  nous  le  servions  ;  car,  vous 
le  savez,  Mesdames,  c'est  iui-même,  c'est 
notre  Dieu  qui  a  fait  tous  l«s  états  et  qui 
nous  a  destinés  tous  el  de  toute  élerniiéà 
(]uelqu'un  de  ces  états,  et  vous  comprenez 
aisément  |)ar  là  ,  combien  il  serait  dérai- 
sonnable el  dangereux  môme  de  se  choisir 
lin  état,  sans  consu'ter  sa  volonté,  et  encore 
plus,  comme  il  ariive  cependant  quelque- 
fois, contre  sa  volonté. 

Or,  dans  ces  étals  si  multipliés  el  si  diffé- 
reiiis  les  uns  des  aulres,  il  est  des  obliga- 
tions communes  h  tous,  il  en  est  de  S()écia- 
les  et  propies  à  chaque  étal;  tendre  à  Dieu, 
l'aimer  et  le  servir,  éviter  de  lui  dé|ilaire  et 
de  l'offenser,  travailler  au  contraire  à  lo 
glorifier  par  des  œuvres  saintes  et  inéritoi'- 
res,  faire  le  bien  en  un  mot,  el  s'abstenir 
du  mal,  voilà  ce  qui  est  co.mmun  à  tout 
état  ;  voilà  les  devoirs  indispensables  à  tout 
clirétien,  dans  quelque  état  qu'il  se  trouve; 
mais  pour  la  manière  de  servir  Dieu  et  de 
lui  plaire;  pour  la  qualité  des  œuvres  qu'il 
faut  faire  ,oour  entrer  dans  ses  vues  et  pour 
le  glorifier  ;  ()Our  les  degrés  de  [)eiiectioii 
et  de  sainteté  qui  doivent  accompagner  ces 
œuvres;  [lour  l'esprit  en  un  m'jDl,  qui  doit 
animer  la  conduite  et  les  actions,  tout  cela, 
Mesdames,  est  diirérent  en  chaque  étal; 
vùilà  ce  qui  spécifie  el  co  qui  caractérise 
cliaque  état,  ce  qui  dislingue  un  élat  d'un 
autre  étal  :  dans  les  uns  il  y  a  beaucouj»  de 
devoirs,  il  en  est  beaucoup  moins  dans  les 
autres  ;  ceux-ci  paraissent  plus  doux  et  plus 
aisés  et  ceux-là  plus  difficiles  el  plus  aus- 
tères ;  il  en  est  qui  paraissent  compatir 
avec  les  honn(;urs,  les  richesses  el  avec 
tous  les  avantages  que  le  monde  procure; 
il  en  est  d'autres  qui  ne  subsistent  que  par 
la  privation  de  ces  mômes  avantages  ;  voilà 
la  différence  que  le  Tout-Puissant  a  voulu 
mettre  en  ce  monde  dans  la  manière  de  le 
servir;  c'est  là  celle  belle  el  admirable  va- 
riété qui  fait  l'ornement  et  la  beauté  de  l'E- 
glise il  peu  près  comme  les  ditrérenls  corps 
dt;  biumeiilà  deslmés  à  dill'érenls   usages, 


font  la  beauté  d'un  palais  ou  comme  ce 
iiond)ie  prodigieux  d'étoiles  au  ciel  ,  de 
poi.ssons  dans  la  mer,  d'animaux  sur  la 
teire  et  d'oiseaux  dans  les  airs,  font  la  ma- 
gnilicence  de  ce  vasie  univers  et  annoncent 
la  gloire  el  la  puissance  de  celui  qui  l'a  créé. 

Or,  Mesdames,  la  première  conséquence 
(|uo  vous  devez  tirer  de  tout  ceci  c'est  que  , 
comme  ces  êtres  inanimés  tendent  tous 
chacun  à  sa  manière  à  glorifier  leur  créa- 
teur, en  suivant  toujours  et  aveuglément 
SCS  volontés,  vous,  créatures  raisonnables 
que  Dieu  par  un  |)rivilègt!  tout  spécial  a^ 
|ilacées  dans  un  étal  saint  et  parfait  ,  vous' 
devez  donc  le  servif  avec  plus  de  perfec- 
tion et  de  s-ainteté  que  celles  qu'il  a  placées 
dans  le  monde  et  qu'il  a  mises  au  rang  du 
commun  des  chrétiens;  ce  que  vous  devez 
conclure  encore,  c'est  que  lorsque  vous  ne 
servez  pas  votre  Dieu  avec  toute  la  perfec- 
tion et  toute  la  ferveur  donl  vous  êtes  ca- 
pables, qu'il  attend  de  vous  et  qu'exige  vo- 
ire étal,  dè.î  lors  vous  détruisez,  autant 
qu'il  est  en  V(Uis ,  cet  ordre, cette  économie 
admirable  de  la  >ages^e  de  votre  Dieu  ;  vous 
vous  rendez  rebelles  aux  volontés  de  votre 
Dieu,  volontés  que  vous  ne  pouvez  ignorer 
et  par  conséquent  vous  paraissez  mépriser 
la  grandeur  et  la   [niissaiicc  de  votre  Dieu. 

Ame  tiède  el  lâche  s'il  en  était  ici  quel- 
qu'une,  [leut-ôlre  dans  ce  moment,  fr.ippén 
de  ces  grandes   vérités,  demandez-vous  in- 
térieurement pourquoi  votre  Dieu  a  voulu 
plus  exiger  de  vous  que  de  beaucoup  d'au- 
tres, en  vous  plaçant  dans   un  état  dont  les 
devoirs  sont   el  en  si   grand   nombre  el  si 
dilfieiles  à  remplir;  âme  aveugle,  je   pour- 
rais vous  répondre  que  vous  vous  lrom[)ez 
dans  le  jugement  que  vous   portez,  sur  les 
ditférenls  états  qui  parlageiii  le  chrisiianis- 
me.   Je  pourrais  vous  dire  que   ceux   que 
vous  regardez  i)eut-ètre  avec  envie,  ()rocu- 
leiit  inlinimenl  i)lus  de  peines  et  d'inquié- 
tudes, plus  de  leniations  el  plus  d'ob>taili's 
au  salut  par  conséquent,  que  celui  dans  le- 
quel vous  vous  trouvez  et  que  bien  loin  do 
vous  [ilaindre  des  disi)Ositions  de  la  provi- 
dciice  à  Totre  égard,  vous  lui  avez  une  obli- 
gation toute  S()éciale,  mais  je  n'ai  sur  cela 
qu'une  réponse  à  vous  faire;  c'est  (jue  vo- 
tre  Dieu  VOUS  ayant  créée  et  placée  sur  la 
terre  jiour  lui  el  uniquement  pour  lui ,  il  a 
été  le  maître  de  votre  destinée;  que  !e  po- 
tier, |)Our  me   servir  de  la    comparaison  de 
l'apôlie  saint  Paul,  emploifi   l'argile  à  faire 
tel  vase   qu'il    lui  plaît,  sans  que   celui-ci 
puisse  lui  en  demander  la  raison;  qu'cl;inl 
tous  sous  la  main  toute-puissante  de  notre 
Dieu  et  que  lui  appartenant  tous  à  titre  de 
créatures,  il  serait  déraisonnable,  injuste, 
im|)ie    môme,   de    vouloir   lui  faire    rendre 
compte    de   la  conduite   qu'il   tient  à  notre 
égard  ;    qu'ayant   comme    notre  Créateur, 
tout  droit   sur  nous  il  peut  par  conséquent 
faire   de   nous   ce  qu'il    lui    |)laît  et   nous 
desiiner  à  toUe  condition,   à  tel  étal  sans 
que    nous  ayons   droit   do  nous   plaindre  ; 
qu'il  doit   nous  suffire  de  savoir  qu'il  agit 
en  toul  ot  qu'il  ne  peut  même  agir  en  tout, 


SOS 


DISCOLllS  DK    RKÏIIAITF.  —  QUATRIEMK  JOUR. 


208 


(j'ic  pour  sa  gloire  et  pour  notre  boiilioiir, 
et  que  nous  uo  pouvons  par  consécpicnt  ni 
nous  plaror  diins  un  état  où  il  rie  nous  veut 
pas>  ni  vivre  dans  l'él.it  où  il  nous  veut,  au- 
Ireoaeiit  qu'il  le  souhaite,  sans  aller  direc- 
teiuent  contre  sa  volonté  suiirême  et  par 
Conséfiuent  sans  un  inéprià  formel  de  sa 
grandeur  et  de  sa  puissance. 

II.  Mais  un  autre  injure  que  fiiil  h  son 
Dieu,  une  personne  religieuse  tiède  et  indo- 
lente h  son  service,  c'est  de  mépriser  son  in- 
finie bonté;  plus  nous  éprouvons  les  effets 
de  celte  bonté  inépuisable,  plus  aussi  de- 
vons-nous lui  en  témoigner  n<)tre  reconnais- 
sance. Si  cela  est,  Mesdames,  pour  qui  cette 
obligation  est-elle  pi  us  étroite  que  pour  vous? 
Auxquelles  de  toutes  les  créatures  O'^t-il  don- 
né plus  qu'à  vous,  des  témoignages  de  son 
amour  et  de  sa  prédilection?  Oui  vous,  ma 
chère  sœur>  vous  ijui  portez  aujourd'hui 
un  cœur  froid  et  languissant,  qui  ne  dit  tien 
et  qui  ne  sent  rien,  pour  votre  Dieu,  ah  î 
pour  vous  guérir  de  cette  insensibilité,  je 
ne  veux  ici  que  vous  rappeler,  un  moment, 
vous-même  à  vous-même,  que  vous  faire, 
on  peu  de  mots,  l'histoire  des  miséricordes 
de  votre  Dieu  à  votre  égard;  je  ne  vous  rap- 
pellerai pas  même  toutes  ces  grâces  qui  vous 
sont  communes  avec  le  commun  des  chré- 
tiens, et  qui,  considérées  attentivement,  se- 
raient capables  de  gagner,  pour  loujouis,  un 
cœur  à  son  Dieu;  je  ne  veux  vous  parler 
que  de  ce  qui  vous  est  propre  et  [)ersonnel  ; 
rappelez-vous  donc,  dans  ce  moment,  avec 
quelle  bonté,  votre  Dieu  a  permis  que  vous 
ayez  puisé,  dans  la  retraite  peul-êlre^  et 
peut-être  aussi  dans  cette  sainte  maison, 
une  éducation  vraiment  chrétienne,  dont 
tant  d'autres  ont  été  privées,  et  qui  en  eus- 
sent beaucoup  mieux  |irofilé  que  vous;  rap^ 
p>€loz-vous  ces  premiers  sentiments  de  chris- 
tianisme et  de  piété  que  vous  conçûtes  dès 
votre  jeunesse,  qui  vous  portèrent  dès-lors 
à  mépiiser  le  monde,  avec  tous  ses  char- 
mes, qui  vous  tirent  sentir  le  faux  de  tous 
les  biens  et  de  tous  les  avantages  du  monde, 
ft  cela,  dans  un  temps,  et  dans  un  âge  où 
tant  d'autres  ne  respirent  qu'au  moment  de 
les  posséder  et  d'en  jouir.  Rappelez-vous 
'jomment  ces  désirs  de  renoncer  à  tout,  par 
amour  pour  votre  Dieu,  et  de  vous  consa- 
crer entièrement  à  lui,  dans  la  retraite,  s'ac- 
LTurenl  insensiblemcnl  etsefortitièreni,  mal- 
gré les  obstacles  ;  hé  1  que  dis-je,  par  les 
obstacles  même  que  vous  suscitèrent  les  en- 
nemis de  votre  salul,  et  par  (juels  moyens 
votre  Dieu  vous  mil  à  portée  de  les  satis- 
faire ces  bons  désirs;  au  dedans  de  vous, 
que  de  troubles,  que  d'incertitudes,  que  de 
dégoûts,  suscités  par  le  malin  esprit!  Au 
dehors,  et  de  la  part  des  créatures,  que  do 
(JiQicultés,  que  d'obstacles!  Cependant,  par 
la  grâce  de  votre  Dieu,  toutes  ces  lenlalions 
furent  dissipées  ;  tous  les  ennemis  de  votre 
salut  furent  confondus  ;  toutes  les  dillicultés 
furent  surmontées,  avec  un  succès  qui  vous 
j>arut,  plus  d'une  fois,  tenir  du  [)rodige,etqui 
vous  porta  si  souvent  à  en  rendre  de  vives 
actions  do  grâces  à  votre  Dieu,  doilvous  ne 


pouviez  méconnaître  l'infinie  bonté  à  voire 
égard.  Prête  h  vous  consacrer  entièrement  à 
votre  Dieu,  rap[)elez-vous,  avec  quel  empres- 
sement et  quelle  sainte  impatience  vous  at- 
tendîtes ce  jour  auquel  vous  deviez  consom- 
mer votre  sacrifice;  avec  quelle  joie,  avec 
(juelle  jaiisfaction  vous  le  vîtes  arriver,  avec 
quelle  allégresse,  avec  quelle  dilatation  de 
cœur,  vous  prononçâtes  les  |)arolesd'un  en- 
gagement solennel  avec  votre  Dieu;  vous 
en  versâtes  des  larmes  dejoie,  vous  en  fîtes 
verser  à  ceux  qui  furent  les  témoins  de  vo- 
tre courageux  sacrifice;  qu'un  pareil  spec- 
tacle causa  déplaisir  dans  le  ciel,  et  d'édili- 
cation  dans  l'Église  I  une  fois  consacrée,  et 
toute  à  votre  Dieu,  setisibic  à  tout  ce  qu'il 
avait  fait  pour  vous  attirer  et  Vous  attacher 
irrévocablement  à   lui,   à  quels  senliuicnis 
de  reconnaissance  et  d'amour  ne  vous  li- 
vrâtes vous  [)ointl  Combien  de  fois,  dans  !a 
ferveur  de  vos  oraisons  surtout,  vous  r<ip=. 
pelant  tant  de  faveurs  singulières  que  vous 
ne  pouviez  méconnaître,  dîtes-vous  comme 
le  Roi-Prophète:  Que  rendrai-jeau  Seigneur, 
et  que  pourrai-je  lui   rendre  pour  tout   ce 
qu'il  a  bien  voulu    faire  pour  moi?   Quid 
retribttam  Domino  pro  omnibus  quœ  rclnbuit 
tnihi?  (  Ptal.  CXV,   12.)  Combien  de  Ibis, 
seule  avec  votre  divin   époux,  réfléchissant 
sur  la  grandeur  du  bienfait  de  voire  voca- 
tion, vous  arriva-t-il  de  lui  dire,  comme  ce 
saint  roi:  Vous  avez  rompu,    ô  mon  Dieu, 
tous  les  liens  qui  m'attachaient  aux  créa- 
tures, et  par  là  ,   vous  m'avez  mise  dans 
l'heureux  état  d'être  uniquement  à    vous  : 
Dirnpistivinculamea.  [Ibid.,  17j.  Jamais,  non 
jamais,  une  faveur  aussi  singulière  ne  sor- 
tira de  ma  mémoire;  toute  ma   vie,  je  ne 
cesserai    de    vous    offrir,    par  reconnais^ 
sance,  des  sacrifices  de  louange  :  tibi  sacri- 
ficabo    hostiam    laudis.  [Ibid.)     Avec   quel 
zèle   en  effet,  et  avec  quel  courage  ne  Vous 
vit-on   pas    marcher  dans    cette    nouvelle 
carrière  où  vous  étiez  entrée  !  Quelle  ailen- 
tion   à  éviter  jusqu'aux  fautes  les  plus  lé- 
gères! Quelle  fidélité  à  remplir  jusqu'aux 
moindres  observances  !  Quel  empressement, 
quelle   ardeur  à  plaire  en  tout  au  céleste 
époux  1  Or  pourquoi  vous  êtes-vous  ralen- 
tie? Ce  que  l'apôire  saint  Paul  écrivait  aux 
Galales,  permettez^moi  de  vous  le  dire  ici, 
âme  tiède  et  languissante;  i.  y  a  quelques 
années,  iVous  couriez  si  bien  dans  la  voie 
du   salut    et    de   la   perfection,    currebalis 
bene,  qui  a  donc  pu  vous  arrêter  ou  vous 
relarder  dans  votre  course?  Quis   errjo  vos 
impedivil?  {Galat.,  V,  7.)  Hé  quoi!  ce  Dieu 
que  vous  serviez  si  fidèlement,  dans  les  pre- 
miers jours  de  voire  consécialion,    n'esl-il 
pas  encore  aujourd'hui,  comiue  alors,    le. 
Dieu,  l'unique    Dieu   de  voiro  cœur!  S;'s 
bienfaiis,  pour    être   anciens,  eu   sont-ils 
moins  des  bienfaits?  Hé  1  que  dis-je,   aux 
bienfaits  anciens,  n'en  a-t-il  pas  ^ajouté   de 
nouveaux?  Pouvez-vous  les  méconnaître? 
Vous   ne  [louvez  donc  vivre  à  son  service; 
dans  le  relâchement  et  la  tiédeur,  sans  faire 
injure  à  sa  bonté.  Mais  ce  n'est  pas  tout  en- 
core ;  non-seulement  l'âme  tiède  dans  la  re.r, 


i(!7 


OKATF.l'US  SACHKS.  L'ABBK  DE    MOM  IS. 


ses 


li'^ion,  ni6[iiiso  la  pui.vsance  el  la  boulé  do 
son  Dieu,  mais  elle  se  rend  coupable,  do 
plus,  d'un  mépris  roraiel  de  sa  jiislico. 

111.  Hélas  1  Mesdames,  vous  ôteslrepinslrui- 
tfs  |iOurl'ignoier,  mais  peul-ôtre  aussi   n'y 
pensez- vous  point  assez  ;  lorsque  voire  Dieu 
vous    a    ajipelées  ii  vous  détacher  de  toul, 
par  amour  j)0ur  lui,  el  ci  mener  dans  la  le- 
traite  une  vie  plus  parlaile  que  le  commun 
des  chrétiens,  il  a  eu  dessein  et  il   vous  l'a 
solennellement  promis,  de  vous  donner  un 
jour  dans  le  ciel  une    récompense   [)ro[)or- 
lionîiée  à  la  grandeur  el  à  l'héroïsme  de  vos 
sacrifices,  récompense  bien  su|»érieure  par 
conséquent  à  celle  qu'il  réserve  au  commun 
«les  chrétiens  lidèles  5  sa  loi;   en  altendaiit 
la  récom[)ense  du  ciel,    celte    récompense 
<ilernelle  ,     il     vous    a    promis,    de     plus, 
une    récompiense  du   temps  ,  de    vous  dé- 
donima;:,er  dès  cette  vie  deloutce  que  vous 
♦  piilliez  pour  lui,  par  un  centu[)le  en  grâces, 
t'U  douceurs,  on  consolations,  en  tranquilliié 
que  vous  avez  en  etl'el  éprouvées  dès  V(.treeii- 
liéedaiis  la  religion,  et  qu'il  n'eût  tenu  (pi'à 
vous  d'éprouver  jusqu'à  ce  jour.  Mais  auss', 
Mesdames,  voire  Dieu  ne  s'en  est  pas  tenu 
là  à  votre    égard;   connaissant    et   toute   la 
fragilité  de  votre  cœur  et  louie  la  vigilance 
des  ennemis  de  votre  salut,  |)0ur  vous  fixer 
irrévocablement  à  son  service,  il  a  joint  les 
menaces  aux  promesses  ;  s'il  vous  a  donné 
lieu  d'espérer  les  récompenses  de  sa  libé- 
rale bonté,  il  a  voulu  aussi  que   vous   crai- 
gnissiez les  chtltiments  de  sa  justice  redo;i- 
labie;  et  vous  voyez   par  celle  conduite  de 
vo;re  Dieu,  que,  sur  la  n)anière  de  se  com- 
porter à    votre    égard  ,   il  ne   vous  a  point 
lai.ssé  une  pleine  et  entière  liberté ,  puis- 
([ue  s'il   est  tlisposé   h    vous  récomp-enscr 
d'une  manière  proportionnée  à   voire  tidé- 
lilé,  il  est  aussi  bien    résolu  de   vous  faire 
exjner  vos  trangressions  et   vos  inlidélilés, 
par  des  peines  pro[)Ortionnées  el  très-rigou- 
leiises. 

Hélas  I  ma  chère  sœur,  vous  qui  vous  êtes 
formé,  depuis  longtem[)s  peut-èlre,  un  plan, 
un  système  de  conduite  si  opposé  à  la  ()er- 
.feclion  de  votre  saint  étal,  el  si  éloigné  des 
vues  que  Dieu  a  sur  vous  ,  vous  n'ignorez 
pus  ces  vérités  (jue  je  vous  prêche;  mois 
peut-être  vous  rassurez-vous  mal  à  pro[)OS 
sur  vos  dispositions  et  sur  l'état  c'e  voire 
Unie  :  vous  savez  bien  que  ce  Dieu  que  vous 
servez,  a,  dans  les  trésors  de  sa  colère,  des 
peines  souveraines  et  éternellesdont  il  doit 
punir  les  âmes  qui  se  seront  rendues  cri- 
minelles uses  yeux  par  des  transgressions 
essentielles;  vous  vous  aimez  trop  \)oui 
vouloir  vous  exposer  à  d'aussi  alfreuv  lour- 
jiients,  et  h  vous  voir  privée  pour  loule  l'é- 
ternité ,  de  votre  Dieu  ;  mais  redoutez-vous 
également  d'en  être,  pour  un  temps,  séparée 
après  votio  mort  ?  Craignez-vous  de  subir 
-les  peines  temporelles  par  lesquelles  il 
jacliève  de  purifier. les  Ames  dans  l'autre  vie, 
et  de  les  rendre  dignes  de  jouirdans  le  ciel 
de  sa  présence?  Or,  si  cela  n'esl  |)as,  cette 
disposition   do    voUt    cœur,    dans  un  élat 


aussi  sublime  el  qui  exin^e  autant  d«  sain- 
teté, est  seule  capable  de  vous  perdre  ;  je  no 
larderai  [tas  à  vous  prouver  combien  vous 
pouvez  vous  méprendre,  et  que  dans  le 
leuq)s  que  vous  ne  prétendez  que  vous  ex- 
poser aux  effets  passagers  de  la  colère  de 
voire  Dieu,  vous  êtes,  dès  à  présent,  peut- 
être,  ou  vous  risquez  de  vous  mettre  dans 
la  suite,  dans  un  état  à  mériter  ses  chûli- 
nients  et  ses  supplices  éternels. 

Mais  (|uand    vous  auriez   sur  voire   élat 
actuel    une  assuiance  que  les  ûmes  mên)o 
les  ])lus  ferventes  n'ont  jamais  en  celle  vie, 
et  qu'à  plus  forte  raison,  vous  ne  pouvez  pas 
avoir  vous-même;  je  pourrais  insister  ici 
sur  la  grièveté  des  [leines  [)assagères  de  l'au- 
tre vie.  Ah  I  si  je  vous  faisais  ici  une  peinture 
de  tout  ce  qu'ont  à  soulfrir   ces    personnes 
tièdcs  autrefois,  et  peu  attentives  à  plaire  à 
leur  Dieu,  qui  sont  sorties  de  ce  monde, 
sans  avoir  satisfait  pleinement  à  la  justice 
(le  leui-  Dieu  ;  si  je  voulais  recueillir  ici,  et 
vous  citer  tout  ce  que  les  Pères  el   les  doc- 
teurs de  l'Eglise  out   dit  sur   l'état  de  ces 
ûmes  souffrantes,  quelqu'assurée  que  vous 
■  |)uissiez  êlre,je  vous  effraierais  sans  doute. 
Mais  je  laisse  toutes  ces  considérations,  el 
je  dis  que  non-seulement  vous  faites  injure 
a  la  bonté  de  votre  Dieu,   en  résistant  sans 
cesse  k   ses   giâces,   en   paraissant  n'avoii* 
aucun  égard  h  tout  ce  ([u'il  a  fait  pour  vous, 
el  à  tout  ce  qu'il  est  disposé  à  faire  encore, 
mais,  que,  de  plus,  vous  jiaraissez  ne  faire 
aucun  cas  de  ses  menaces  el  de   ses   châti- 
ments, tt  (|ue  par  conséqueiit   vous  vous 
rendez  coupable  encore  d'un  mépris  formel 
de  sa  justice  :  or,  malheur,  malheur  à  l'âme 
qui  mé[trise  ainsi  son  Dit'U,  et  qui  le  mé- 
prise dans  ses  perfections  les  plus  essen- 
tielles, parce  que  Dieu  saura  bien  se  venger 
de  tous  ses  mépris  par  un  mépris  récipro- 
que! mais  mépris  de  Dieu  pour  sa  créiituro, 
bien  différent  dans  ses  ell'els,  de  celui  que 
sa  créature  peut  avoir  pour  lui.  Celle-ci,  en 
effet,  en  méprisanlson  Dieu,  lui  fail  injure, 
à  la  vérité;  mais  elle  lie  peut  ajirès   loul 
porter   préjudice  ni  à  la  grandeur  de   son 
être,  ni  à  sa  félicité,  au  lieu  que  le  mépris 
(lue  Dieu  fail  d'une  âme  qui  lui  est  infidèle, 
el  surtout  de  l'âme  religieuse  qui  lui   doit 
plus  que  loule  autre,   ne  peut  qu'être  infi- 
niment préjudiciable    à   celle   âme;:  car  si 
l'élal  de   tiédeur  est   très-mauvais  en  lui- 
même  parce  (}u'il   nous  éloigne   de   Dieu, 
j'ajoute  présentement  que  cet  étal  est   des 
plus  funestes  en  ses  effets,  [)arce  qu'il  éloi- 
gne Dieu  de  nous;   c'est  le  sujet  de  la  se-' 
coiide  partie. 

SECO.NnE     PARTIE. 

Si  notre  Dieu,  maître  absolu  de  tous  les 
êtres,  a  destiné  ses  créatures  .raisonnables 
aux  différents  étals  qu'il  a  créés  el  dans 
lesquels  elles  doivent  nécessairem'ent  entrer 
pour  se  conformer  h  sa  volonté  suprême, 
il  a  aussi,  par  une  suite  de  celte  volonté  et 
do  celle  puissance  souveraine,  attaché  à 
chaque  élat. des  grâces  propres  cl  particu- 
lières ;  je  dis  plus  eni'ore,  il  a  des'iiné,  dans 


5a'j 


DlSCOlJXS  Dt  UETRÂITF..  —  gUATUlDMK  JOl'H 


iiini|Hf  éini  cl  à  cli;u|iio  |)(.'rsoiiiie,  une  ccr- 
laiiie  niosîire,  un  cerlaiii  nouihre  ilc  gifKîes 
<|iii,  s9SiicceiJ.ini  les  unes  jmix  iuilros,  doi- 
vent servir  b  les  sani;titier  sur  la  terre  et  h 
les  faire  arriver  par  \h,  .m  boniiour  d,ii  ciel  ; 
grâces  d'autant  [)'ms  abondantes  et  d'autant 
plus  fortes  (jne  l'éiat  est  pins  relevé,  mais 
aussi  jirâces  dont  il  esl  inliiiiincnl  dange- 
reux pour  le  sailli  d'inteiioniiire  le  cours 
et  de  romitre  renrhainenimil. 

Or  voilfi  cependant,  Mesdames,  ce  que 
fuit  l'Ame  reli;iiruse  tpii  vil  dans  la  lAchelé, 
dans  la  liédcur  ;  plaiiée  dans  un  élat  saint 
ot  des  plus  saints  de  tous  ceux  que  Dieu  a 
formés,  elle  a  droit  parr.onséquenl  de  comp- 
ter sur  les  secours  abondants,  sur  les  grAces 
spéciales  que  le  Seigneur  y  a  attachées  : 
ujais  que  fait  l'Ame  en  relusanl  d'entrer 
dans  les  vues  de  perfection  (jue  Dieu  a  sur 
elle?  elle  arrête  pour  ainsi  dire  le  bras 
de  Dieu;  elle  indispose  contre  elle  lo  cœur 
de  son  époux  céleste,  et  se  privo  par  là  des 
grâces  qu'il  était  disposé  h  lui  communi- 
quer et  qui  doivent  la  sanctifier;  de  là  qu'ar- 
rive-l-il  ?  Ah  !  Mesdames,  concevez-le  l)ien 
aujourd'hui,  et  fasse  le  ciel  que  vous  n'en 
fassiez  jamais  une  triste  épreuve!  c'est  que 
privées  de  ces  grâces  d'étut  qui  étaient  des- 
tinées tout  à  la  fois  h  éclairer  son  esiuil  et 
à  échauÛ'er  son  cœur,  celte  religieuse  tiède, 
infidèle,  tombe  dans  un  étal  absolument 
op})osé  h  ces  deux  grands  avantages;  je 
\eux  dire  qu'au  lieu  de  ces  grandes  lumières 
que  produisent  ces  grâces,  son  esprit  s'obs- 
curcit de  plus  en  [dus  sur  tout  ce  qui  lui  est 
le  plus  important  de  bien  savoir;  et  ce  qui 
esl  plus  funeste  encore,  son  cœur  s'habilue 
à  l'inlidélilé  et  ^'endurcit  insensiblement 
dans  une  résistance  conlisuielle  à  son  Dieu; 
ainsi  aveuglement  de  l'esprit,  endurcisse- 
ment du  cœur,  voilà  les  deux  elfels  funestes 
que  ne  manque  jamais  de  produire  l'étal 
lie  tiédeur;  en^core  quelques  moments  de 
votre  attention,  je  vous  prie. 

J.  Oui ,  Mesdames,  aveuglement  dans 
l'esprit;  voilà  le  premier  effet  de  la  tiédeur, 
tl  le  piemier  chAlimenl  que  Dieu  exerce 
envers  une  religieuse  tiède  et  lâche  à  son 
service;  aveuglement  qui  se  répand  sur 
toute  sa  conduite,  mais  qui  se  manifeste 
surtout  et  sur  la  nature  des  fautes  qu'elle 
commet,  et  sur  les  moyens  de  perfection 
qu'elle  em()loie.  Je  dis  sur  la  nature  des 
uiutcsqu'ellecoHimet;  d'un  côté,  vivantdans 
une  dissipûlion  continuelle,  au  moins  inté- 
rieure, se  trouvant  d'ailleurs  privée  de  celle 
foi  vive  et  lumineuse  qui  éclaire  parfaite- 
ment l'esprit  sur  toutes  les  choses  célestes 
et  qui  ont  rapport  au  salut,  que  de  fautes 
et  de  toute  espèce  elle  commet  I  que  d'in- 
lidélilés  lui  écha()pent  qui  contristenl  lo 
Saint-Jisprit  et  indisposent  contre  elle  It 
télesle  KpouxlMais  ce  qu'il  y  a  de. plus 
etfra.yanl  aux  yeux  de  la  foi,  c'est  le  juge- 
ment qu'elle  porte  sur  les  |)écbés  quelle 
commet;  c'est  ce  malheureux  sysîème  dans 
lequel  elle  esl  et  qui  est  ordinaire  dans  les 
âmes  tièdes,  de  s'en  tenir  précisément  à 
ivitci  les  fautes  cousidérabWs,  les  [léchos 


2;o 

gi  id's  ;  oui  ,  tandis  (lue  la  religieuse  fer- 
vente est  sans  cesse  sur  ses  gardes,  qu'elle 
re  loiiio  jusqu'à  l'apparence  nuMiie  du  mal, 
(pTclle  tien!,  à  l'excmiile  du  Hoi-Propliète. 
toujours  son  Ame  eniro  ses  mains,  pour  ne 
rien  faire  qui  puisse  déplaire  à  son  Dieu, 
que  jusqu'aux  fautes  du  pure  fragilité,  in 
séf)arabl(!S  pour  ainsi  tlire  do  l'humaniié, 
elle  se  les  refiroche  avec  sincérité,  qu'elh» 
s'en  accuse  avec  douleur,  qu'elle  travaille  h 
les  expier  par  des  œuvres  de  mortification, 
(jue  rien  en  un  mot  ne  paraît  léger  à  ses 
yeux  dès  qu'il  alta()ue  la  majesté  siiprèm" 
de  son  Dieu,  la  religieuse  tiède  au  conlrairo 
nié|)rise,  intérieuremciil  au  moins,  ces  dé- 
licatesses de-  conscience  qu'elle  traite  do 
scru|Hile;  elle  regarde  comme  d<*s  petits 
génies  celles  qui  évitent  avec  soin  les  l'aulcs 
môme  les  plus  légères,  qui  se  rendent  fidèles 
jusqu'aux  moindres  observances;  (dus  sage 
et  plus  éclairée  à  ses  propres  yeux,  elle  se 
livre  è  mille  transgressions  qu'elle  juge 
n'ôlre  pas  considérables,  quoiqu'elles  le 
soient  quelquefois  aux  yeux  de  Dieu,  di-s 
fautes  sur  lesquelles  les  docteurs  les  pliis 
éclairés  sont  souvent  incertains  et  erv 
suspens  ;  après  un  sérieux  examen  ,  ils 
n'osent  décider  si  elles  éteignent  tout  à  fait 
la  charité  ou  si  elles  ne  font  que  la  dimi- 
nuer et  rallaiblir,  s'il  faut  les  meltre  dans 
le  genre  du  grief  ou  du  léger,  du  véniel  ou 
du  inorlel  ;  cette  religieuse  tiède,  avec  bien 
moins  de  lumières  et  de  connaissances,  se 
décide  hardiment  ;  elle  les  commet  sans  in- 
quiétude ces  fautes  comme  fautes  légères  ; 
à  peine  daignc-t-ello  en  faire  mention  au 
tribunal  de  lu  pénitence,  ou  du  moins  les 
déclaru-t-elle  sous  des  enveloppes  et  dans 
des  termes  qui  servent  à  faire  illusion  au 
m  nibtre  de  Jésus-Christ  et  à  le  tromper. 
Mais  si  celle  âme  liéde  est  si  aveugle  sup 
la  nature  des  fautes  qu'elle  commet,  elle  no 
l'est  pas  moins  sur  les  moyens  de  perfec- 
tion qu'elle  emploie  ;  car  avec  ses  disposi- 
tions et  malgré  cet  élat  de  lâcheté  et  do 
tiédeur,  elle  paraît  tendre  quelquefois  à  la 
perfection  ;  non-seulement  il  ne  paraît  rien 
et  elle  a  grand  soin  qu'il  ne  paraisse  rion 
dans  elle  qui  puisse  scandaliser,  mais  elle 
fait  quelquefois  des  œuvres  et  des  démar- 
ches qui  pourraient  faire  croire  qu'elle  a 
du  zèle  pour  sa  sanclitication  :  mais  Dieu 
qui  voit  le  fond  de  son  cœur,  permet,  par 
un  terrible  mais  juste  châtiment,  qu'elle 
s'égare  même  dans  le  bien  qu'elle  paraît 
faire.  On  en  voitjcn  effet  dans  des  commu- 
nautés de  ces  personnes  tiédes  et  indiffé- 
rentes pour  leur  Dieu,  qui  paraissent  vou- 
loir se  perfectionner  par  des  voies  extraor- 
dinaires et  nullement  propres  à  leur  élat  ; 
si  elles  font  des  lectures  spirituelles,  elles 
choisissent  les  livres  et  les  auteurs  qui  leur 
conviennent  le  moins,  à  tous  égards,  et, 
laissent  là  ceux  qui  ,  proportionnés  à 
l'esprit  de  leur  institut,  seraient  propres 
à  le  ressusciter  en  elles.  Dans  les  |)rali(pies. 
de  piété  et  de  mortification  même  aux- 
(pielU's  elles  se  livrent  ,  elles  sonl  guJtJées- 
non  par  la  ferveur,  non  par  amour  p>u;' 


■±\i 


ORATEURS  SACRES.  I/ARBE  DE  MONTIS. 


ÎIS 


leur  ct'!cst«  Epoux ,  rriflis  par  caprice  et 
jmr  l'oiiiour-propre  :  Ji  les  suivrfi  i]o  près,  cl 
»jiii  pourrait  sonder  jusqu'à  l'inlcrieur  de 
leur  volonté,  venait  clairement  que  dans 
lout  ce  qu'elles  font  ou  ce  qu'elles  parais- 
sent faire  de  bien,  ce  qui  les  anime,  ce 
n'est  ni  le  désir  de  la  sainteté,  ni  l'esprit  do 
leur  saint  état;  jusque  dans  le  choix  d'un 
guide  spirituel,  p.iraît  visiblement  quelque- 
lois  leur  aveui^leu^ent  ;  jamais  contentes  de 
celui  qui  leur  est  présenté  [lar  l'autorité  su- 
périeui'C,  cl  qui,  h  parler  en  général,  a 
))lus  de  griïce  que  tout  autre,  pour  les 
conduire,  elles  en  veulent  un  qui  leur 
plaise,  el  dont  le  p'us  grand  talent  et  l'uni- 
que talent  quelquefois  est  de  leur  plaire. 
Ce  n'est  pas  ceiiendanl,  Mesilamcs,  que  je 
prétende  condamner  lf)utes  celles  qui  croient 
avoir  besoin  d'un  secours  extraordinaire, 
j)our  la  direction  de  leur  conscience,  je  «ais 
qii'afin  qu'une  épouse  de  Jésus  Chrisi  puisse 
])roriler  des  lumières  et  des  conseils  du 
ministre  auquel  elle  découvre  ses  misères, 
ses  infirmités  spirituelles,  ce  qu'il  y  a  de 
plus  intime  et  de  plus  seciet  dans  son 
Âme,  elle  doit  avoir  en  lui  une  confiance 
qu'on  peut  bien  conseiller  mais  qu'on  ne 
peut  ordonner  el  qui  ne  se  trouve  j)as 
toujours  ;  je  sais  que  s'il  est  des  ministres 
jtieux  el  éclairés,  de  vrais  Ananies  envoyés 
])ar  le  Seigneur  pour  conduire  ses  épouses 
et  qui  mérileol  toute  leur  confiance,  il  en 
est  aussi  qui  osenl  prophéiiser  au  nom  du 
Seigneur ,  quoique  le  Seigneur  ne  les 
ait  point  envoyés,  qui  par  des  vues  basses 
el  toutes  naturelles,  ambitionnent  d'autant 
plus  la  direction  de  ces  âmes  d'élite,  qu'ils 
sont  moins  propres  à  les  conduire  à  la 
perfection.  Je  conviendrai  de  plus  que 
ceux  et  celles  qui  gouvernent  des  commu- 
nautés où  se  trouvent  ces  guides  aveugles 
el  déplacés  sont  dans  une  étroite  obligation 
d'avoir  égard  aux  désirs,  aux  besoins  el 
aux  sollicitations  de  celles  qui  soulIVenl 
d'une  pareille  direction.  Agir  autrement, 
ce  serait  pécher  également  contre  la  pru- 
dence et  la  charité  chrétienne,  tenir  une 
conduite  direclemeiil  op|>osée  à  res|)ril 
de  Jésus-Christ,  à  l'intention  de  l'Eglise  et 
aux  disposilions  des  saints  fondateurs 
d'ordres. 

Mois  pour  revenir  présentement  h  mon 
suj»l,  ce  qui  fait  le  mal  de  la  religieuse 
tiède  et  lâche,  et  ce  qui  |)rouve  son  aveu-^ 
glemenl,  c'est  que  le  droit  qu'elle  croit 
avoir  de  s'adresser,  pour  sa  conscience,  à- 
lel  guide  qu'il  lui  plaira,  elle  n'en  use  qu'à 
ROn  préjudice;  c'est. qu'au  lieu  de  consulter 
dans  ce  ciioix  le  plus  grand  bien  de  son  âujp, 
la  volonté  de  Dieu  et  de  ses  supérieurs,  ne 
.«iuivanl  au  contraire  que  son  goût,  son 
caprice,  et  des  vues  quelquefois  liumaines. 
et  plus  condanu)abIes  encore,  par  une  per- 
mission de  Dieu,  qui  est  une  première  pu- 
nition de  ses  infidélités,  elle  s'adiesse  à 
celui  qui",  n'ayant  |toinl  grâce  pour  elle,  ne 
jieul  que  l'emretenir  dans  son  relâchcmenl 
lit  sa  tiédeur;  elle  lui  donne  toute  sa  con- 
UiUicç,  elle  lui  montre  un  attachement,  elle 


affecte  m^me  de  montrer  à  l'extérieur  pour 
lui,  un  attachement  tout  naturel,  attache- 
ment qtipjipiefois  n'eiproque,  également  pi- 
toyable et  ridicule  dans  le  directeur,  et 
dans  la  dirigée,  el  qui  suffîrait  pour  faire 
juger  que,  pour  un  pareil  choix  ,  Dieu  n'a 
[Joint  été  consulté. 

II.  Mais  à  cet  aveuglement  de  l'esprit 
déjà  si  funeste  à  l'âme  religieuse,  dans  la 
tiédeur,  se  joint  l'endurcissement  du  cœur, 
j)lus  funeste  encore,  puisfpi'il  la  conduit, 
pour  l'ordinaire,  à  l'impénitence  tin-de. 
L'âmo  tiède  ne  peut  rester  longtemps  dans 
cd  état  sans  résisler  à  bien  des  grâces  ;  q'io 
de  remords  de  conscience  qu'elle  étoutfe  1 
que  de  re[)roches  intérieurs  (pi'elle  ne 
veut  point  entendre!  que  d'inspirations 
secrètes  auxquelles  elle  n'a  aucun  égard; 
or  (|ue  produit  pour  l'ordinaire,  celte  rt-- 
sistance  habituelle  à  son  Dieu?  Ah  I  Mes- 
dames, ce  que  l'on  ne  voit  que  trop  sou- 
vent, l'enilurci^sement  du  cœur;  une 
espèce  d'insensibilité  pour  Dieu,  el  pour 
toutes  les  choses  de  Dieu;  après  s'être 
contrainte  quelque  teutps ,  elle  se  tasse 
enfin  de  cette  violence;  la  nature  est  sr 
faible,  la  volonté  est  si  portée  au  mal,  que 
dès  qu'une  âme  se  trouve  abandonnée  h 
elle  même,  dépourvue  des  se(;ours  du  ciel, 
au  moins  de  ces  secours  abondanls  e^t 
elRcaces  cpie  le  Seigneur  prodigue-,  dans  la 
Feligion,  à  ses  épouse-s  tidè-les,  lasse  de 
traîner  le  joug  du  Seigneur,  no  pouvant 
plus,  pour  ainsi  dire,  supporter  le  poids  di« 
jour  el  de  la  chaleur,  elle  se  met  enfin  ;> 
son  aise;  se  borBant  à  sauver  les  appa-» 
rences,  elle  donne  une  libre  carrière  à  ses 
goûts  el  à  ses  penchants  ,  l'endurcissemenl 
se  forme  alors  insensiblemen-t,  et  s'accioîfc 
comme  par  degrés:  les  confessions  et  les 
comHJunions  dont  cette  religieuse  tiède  so 
dispei>se  le  plus  (ju'elle  peut,  mais  qui  sont 
encore  assez  fréi^uenles,  les  fêtes  les  plus 
dévotes,  les  lectures  les  [tins  pieuses,  les 
prédications  les  plus  pathétiques,  les  évé- 
nements même  les  plus  frajtpants ,  les 
plus  etlVayants  dont  elle  est  témoin  quef- 
quefo-isj  rien  de  lout  cela  n'est  capable  do 
la  loucher,  de  l'émouvoir;  son  indo-lence, 
celte  paresse  spirituelle  la  réduit  eiilin, 
comme  le  dit  le  Saint-Esprit,  à  une  espw;e 
de  léthargie  dont  rien  ne  peut  la  tirer  : 
l'igredo  tinmillit  soporcin.  {Prov.,  XIX,  15.} 
Dans  cet  étal  d'engcjurdissemenl,  de  fai- 
blesse du  côté  de  la  volonté,  d'oubli  cl 
d'aUandoH  du  côté  de  Dieu,  qu'il  survienne 
quelque  tentation  violente,  l'ennemi  du 
salul  sait  s'en  piévaloir;  après  quelques 
laibles  et  légères  résistances,  on  succombe 
enfin.  Il  est  vrai  (juc  celte  âme  paraît  se 
réveiller  alors;  une  faute  griève  la  trouble 
et  la  déconcerte  ;  elle  recourt  au  sacremeùl 
de  pénitence,  niais  sans  une  vraie  douleur, 
sans  une  vivacité  de  ref)eiilir  proportionnée 
à  i'énormité  de  sa  faute.  U'aulres  occasions 
de  péché  se  présentent  bienlôî,  reiinemi 
du  salut  a  grand  soin  de  les  faire  naître  ; 
on  retombe  plus  facilement  (pie  la  pre- 
uuèrc  fois;  on  se  relève  ensuile;  on  re- 


51? 


DISCIU  i;s  M.  KKIIIVI 


loirb)  encore  ;  iiisonsihlomenl  oii  s'iiccnii- 
lumo  à  ces  recliillos  ;  plus  elles  se  mulli- 
plient,  mnius  eHos  elfraicnl,  parce  qu'on 
se  imillip)iaiU,  l'espril  s'aveugle  et  le  cœur 
s'endurcil  de  plus  en  plus  :  on  se  rassure 
sur  ce  que  l'on  a  recours  au  sacreinont  de 
pénilence.  Dieu  permet  que  le  ministre 
s'aveugle  i^galemeul,  qu'il  juge  n'y  avoir, 
dans  celte  i\me,  (]ue  de  la  faiblesse,  de  la 
fragilili^,  tandis  que  Dieu  n'y  voit  qu'un 
esprit  et  un  cœur  également  séiJuits  et 
corrompus  ;  ce  n'est  pas  que  celte  ûme  ne 
s'alarme  quelquefois  sur  son  état  :  car  l'en- 
durcissement  n'est  jamais  si  complet  que 
la  grâce  ne  se  fasse  sentir  encore.  Hélas  I 
placée  dans  un  lieu  saint,  ayant  sans  cesse 
de  saints  exemples  devant  les  yeux;  tou- 
jours, ou  presque  toujours  dans  des  exer- 
cices de  Religion  et  du  sainlelé,  souvent 
seule  et  vis-à-vis  d'elle-même,  elle  ne  peut 
s'empêcher  de  retomber  quelquefois  sur 
elle  et  de  faire  une  triste  et  effrayante 
comparaison  de  son  état  présent  avec  l'état 
passé  ;  mais  que  fait  alors  l'esprit  lonla- 
hiur?  Pour  conduire  infailliblement  cette 
âme  à  sa  perte,  il  s'applique  à  lui  rappeler 
toutes  les  grâces  singulières  qu'elle  a  re- 
çues de  son  Dieu,  et  lui  fait  entendre  que 
ce  Dieu  de  bonté,  ayant  autant  fait  pour 
elle,  ne  permettra  point  qu'elle  meure  dans 
le  péché;  il  la  rassure  sur  les  derniers 
secours  spirituels  qu'on  a  toujours  pronip- 
lement  et  facilement  dans  son  saint  état, 
et  par  des  exemples  de  quelqueS'Unes  qui, 
«près  une  vie  |)assée  dans  la  tiédeur,  n'ant 
)(oinl  été  privées  do  ces  secours  è  la  mort  : 
ainsi,  ce  qm  devrait  la  faire  rentrer  en 
flle-Bi6me,  et  exciter  dans  son  cœur  les  plus 
vifs  regrets,  cet  amour  infini  et  toujours 
constant  de  son  Dieu,  à  son  égard  ,  c'est  là 
précisément,  par  une  permission  de  Dieu 
qui  est  la  première  et  la  plus  terrible  puni- 
tion (ju'il  puisse  exercer  sur  celte  âme, 
dans  celle  vie,  c'est  là  ce  qui  la  tranquillise 
et  ce  qui  la  retient  pendant  bien  des  années 
quelquefois  dans  celle'es[)èce  d'indilléreûce 
et  de  léthargie  sur  son  saltit. 

Mais  enfin  le  temps  arrive  oiî  le  Seigneur 
a  résolu  de  l'appeler  à  son  jugement,  celle 
é[)Ouse  Hifiilèle:  ce  n'est  point,  si  v-ou*  vou- 
lez, par  une  de  ces  morts  subites  ou  précipi-^ 
tées  qui  ne  laissent  aucun  temps  à  la  ré^ 
llexion  et  au  re|)enli-r;  hélas!  ce  n'est  pas 
seulement  au  milieu  du  monde  qu'on  meurt 
ainsi;  vous  le  savez,  Mesdames,  jusque 
dans  le  sein  de  la  religion,  Dieu  exerce 
ipieiijuefois  de  pareils  jugements.  Mais  ja 
veux  que  celte  personne  religieuse,  depuis 
longtemps  dans  des  dispositions  si  con- 
l'-aires  à  la  sainteté  de  son  élal,  voie  la 
mort  s'approcher,  comme  de  loin  et  à  pas 
It-flts,  pour 'ainsi  dire,  et  qui  laissent  tout 
lieu  à  la  réflexion,  el  tout  le  temps  do  re- 
cevoir les  secours  spirituels  qu'on  donne 
jtour  l'ordinaire,  dans  les  derniers  moujenls  ; 
en  protilera-t-elle?  On  en  voit  à  la  vérité, 
(pii,  accoutumées  à  se  tromper  et  à  se  Halter, 
se  llattent  el  se  trompent  jus(ju'à  la  niori, 
quij.'vprcs  un  grand  nombre  d'annéi^s  passées 


TK.  -  Qi vruiivui:  join.  ?!* 

d;uis  un  élal  q.ui  alarme  ccnv  et- celles  qui  le 
connaissent  ,  se  tionnenl  elles-mêmes  dans 
la  plus  grande  sécurité;  séduites  et  aveu- 
glées jusqu'à  la  fin,  elles  passent  tranquille- 
ment du  lit  de  la  mort  au  tribunal  de  leur 
Dieu,  sans  paraître  redouter  le  compte  ter- 
rible qu'elles  vont  lui  rendre  île  ses. graines 
cl  de  leurs  infidélités;  mais  il  faut  aussi 
convenir.  Mesdames,  que  le  nombre  do 
celles-ci,  esi  peu  considérable  :  quehju'as- 
suranceel  quelque  Iranquillitéjqu'on  ail  eues 
pendant  la  vie,  il  s'en  faut  bien  qu'on  en 
jouisse  dans  ces  derniers  moments;  tout 
cliangfe,  lout  se  réforme  à  la  mort;  à  mesure 
que  les  créatures  s'éloignent  el  dispa- 
raissent, les  penséi.'S  et  les  jugements 
changent  et  se  rectifient.  On  voit  alors  les 
choses  non  comn^e  autrefois,  telles  qu'on 
voudrait  qu'elles  fussent,  mais  telles  qu'elles 
sonl  en  elfet  ;  c'est-à-dire,  que  le  vice  et  la 
vei'tu,  le  relAchement  et  la  régularité,  la 
tiédeur  et  la  ferveur,  paraissent,  aux  yeux 
d'une  religieuse  mourante,  ce  qu'elles  sont 
en.  elles-môines,  aux  yeux.de  Dieu;  ces 
idées  si  fausses  el  si  dangereuses  qu'on  s'é- 
tait formées,  sur  la  perfection  et  sur  son 
étendue,  ces  préjugés,  ces  erreurs,  ces  pres- 
tiges, toul  se  dissipe  alors  el  fait  place'à  la 
vérité.  Dans  cet  état,  une  âme  religieuse  se 
rappelle  ces  grâces  signalées  et  sans  nombre 
qu'elle  a  reçues  de  son  Dieu;  elle  se  rap- 
pelle CGS  premiers  temps,  ces  années  de  sa, 
jeunesse,  où  fidèle  à  la  grâce,  elle  faisait 
chaque  jour,  de  nouveaux  |)rogrès  dans  le 
délachement  du  monde  et  d'elle-même,  et 
dans  l'allachemeiî-t  de  son  Dieu  ;  elle  se 
rappelle  cette  prédileclioii  de  son  Dieu 
qui  l'a  mise,  par  préférence  à  une  infinité 
d'autres,  au  rang  de  ses  épouses;  elle  se 
rappelle  ces  jours  heureux  qui  suivirent  sa 
consécralion  à  son  Dieu;  celte  attention, 
celte  docilité  aux  inspirations,  et  aux  moin- 
dres inspirations  de  la  grâce;  cette  fidélité, 
celte  ponctualité  à  tous  ses  exercices;  cette 
crainte,  cette  horreur  du  péché,  el  de  tout 
ce  qui  avait  l'apparence  du  péché,  ce  con- 
tentement intérieur,  cet  amour  de  son  saint 
élal  ;  ce  désir  de  s'unir  à  son  Dieu,  de  s'en- 
tretenir avec  lui,  de  croître  sans  cesse,  en 
son  saint  amour.  Cet  élat  si  heureux,  et  qui 
n'est  plus,  elle  est  forcée  de  le  comparer 
avec  l'état  de  dissipation,  de  tiédeur,  d'in- 
différence, de  dégoût  de  ses  devoirs,  dans 
lequel  elle  est  loujbée  par  sa  faute;  ah  I  elle 
ne  peut  s'empêcher  de  dire  alors,  comme  le 
saint  homme  Job  :  Qui  me  donnera  de  me 
trouver,  comme  dans  les  temps  passe's  :  «  Quis 
rnihi  iribuai  ut  simjuxta  menses  pristinos  !» 
{Job,  XXIX,  2.) 

Heureuse  encore,  celle  âme,  si  cette  con- 
naissancesi  parfaite  d'elle-même  l'engageait 
à  retourner  |)romplement  vers  son  Dieu  I 
jamais  il  no  rejeta  uii  cœur  contrit  et  humi- 
lié; mais  (lu'arrive-l-il  le  plus  souvent?  ié- 
duile  et  tromuée  depuis  longtemps  par  l'en- 
nemi de  son  salut,  elle  l'esl  encore,  el  plus 
(|ue  jamais,  dans  ses  derniers  moments, 
l'endanl  la  vie,  lorsque  la  grâce  excitait  des. 
Irc!uble5  et  des  remords  dans  boa  c.'jm;,  ii, . 


2r3 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


9.i<i 


t.-liorchsit  à  la  rassurer  sur  les  disposilinns 
ijnns  losquellcs  elle  paraissait  ôiro  de  ne 
vouloir  rien  conimellre  de  morlei,  de  crl- 
niiiicl  aux  yeux  de  Dieu;  il  lui  faisait  en- 
ItTidrn  qu'il  viendrait  un  leit)ps  où  il  lui 
serait  aisé  de  réparer  ses  infidélités,  et  de 
reprendre  son  ancienne  i'i'rv(  iir  ;  qu'au 
moins  à  la  rnorl,  environnée  de  secours 
spirituels,  elle  pom  rail  l\iiie  une  eoiife>sion 
exacte  de  toutes  ses  fautes,  délester  ses 
jours  de  rclAcheiuenl  et  de  tiédeur,  et  se 
rendre  par  là,  son  Juge  et  son  Epoux  favo- 
rable :  mais  arrivée  au  ternie  de  sa  vie,  l'es- 
prit tentateur  tient,  à  son  égard,  une  con- 
duite tout  opposée.  Pendant  la  vie,  il 
;l'enlretenait  dans  son  relâchement,  par  l'es- 
jpérance:  il  l'y  reiicnl  à  la  mort,  par  le 
désespoir;  tout  ce  qu'il  lui  avait  fait  re- 
garder, comme  fautes  légères,  et  sans  con- 
iséquence,  il  les  lui  représ;  nie  alors,  comme 
ides  péchés  griefs,  comme  des  crimes 
'énormes;  il  s'a|)pliquo,  et  il  réussit  assez 
souvent,  à  l'effrayer  par  celle  mullilude 
innombrable  de  fautes  qu'il  grossit  à  ses 
yeus;  il  lui  fait  enlendre  qu'elle  est  trop 
éloignée  de  son  Dieu,  pour  pouvoir  se  rap- 
procher de  lui,  et  que  son  Dieu  est  trop 
irrité  contre  elle,  pour  qu'elle  puisse  jamais 
Je  fléchir;  qu'il  n'est  plus  de  ressource  pour 
elle;  avec  de  pareilles  idées,  quel  avantage 
pourrait-elle  tirer  des  secours  spirituels? 
On  les  lui  procure,  je  le  suppose  ;  mais  bien 
loin  d'e  servir  à  la  purifier  et  à  la  tranquil- 
liser, ils  ne  font  que  la  rendre  plus  trou- 
blée et  pius  coupable  à  ses  propres  yeux; 
tout  ce  qu'un  ministre  de  Jésus-Christ,  qui 
connaît  ses  dispositions  intérieures,  et  té- 
moin de  ses  alarmes,  lui  dit  alors,  pour  la 
rassurer,  ne  sert  au  contraire  qu'à  augmen- 
ter sa  douleur  et  son  désespoir  :  cette  bonté 
infinie  de  son  Dieu,  qui  l'a  recherchée  et 
choisie  par  prédilection,  pour  être  à  lui,  et 
ehlièremenl  à  lui;  toutes  les  grâces  singu- 
lières et  sans  nombre  qu'il  lui  a  prodiguées, 
depuis  qu'elle  s'est  consacrée  à  son  service, 
c'est  là  précisément  ce  qui  la  fait  Ireinbler, 
S'il  lui  ditque  l'Epoux  céleste  est  prêt  à  venir 
è  elle,  et  à  la  recevoir  dans  ses  sacrés  taber- 
nacles ;  ah  !  ce  n'est  plus  pour  eWel  un  Epoux 
chéri  et  plein  de  bonté,  il  n'est  à  ses  yeux 
qu'un  juge  sévère,  prêt  à  lui  faire  sentir 
tout  le  poids  de  sa  colère.  Quelle  situation! 
qu'elle  est  ditl'érenle  de  celle  d'une  reli- 
gieuse fidèle  et  fervente  qui,  toute  sa  vie, 
s'est  appliquée  à  remplir  les  devoirs  de  son 
étal!  Celle-ci,  plus  elle  voit  s'approcher  cet 
heureux  moment  qui  doit  terminer  sa  course 
et  ses  combats,  et  qui  doit  la  réunir  pour 
toiijours  à  son  céleste  Epoux,  plus  elle  se 
sent  pénétrée  de  joie  et  de  consolation.  En 
vain  l'esprit  tentateur  cherche  à  la  troubler, 
par  le  souvenir  de  ses  fautes,  elle  se  les  est 
^ouvent  reprochées,  elle  s'esl  longtemps 
appliquée  à  les  expier,  par  la  pénitence; 
elle  se  lès  rappelle  encore  avec  douleur, 
mais  avec  une  douleur  tranciuille  qui  ne 
rempôche  point  de  mettre  loule  sa  conliance 
dans  son  époux  et  son  Dieu;  elle  meurt 
avec  une   paix    cl  une  sérénilé  d'iime  qui 


annonce  sensiblement  sa  sainteté,  et  qui  est 
comme  un  indice,  un  avant-goût  du  bon- 
heur éternel,  dont  elle  va  bientôt  jimir. 
Mais  la  religieuse  tiède  et  infidèle,  au  lit  de 
la  mort,  rien  n'est  ca|iable  de  la  tranquil- 
liser, de  la  rassurer;  on  la  voit  dans  des 
troubles,  dans  des  agita  lions  qu'on  atiribiio 
aux  maux  violents  que  cause  une  mort 
prochaine,  mais  qui  sont  bien  plus  quelque- 
fois, les  etl'ets  des  frayeurs  de  l'âme  que  des 
douleurs  du  corps;  et  tandis  qu'un  mi- 
nistre de  l'Eglise,  et  que  ses  sœurs  touchées 
de  son  état,  [irosternées  autour  d'elle,  se 
répandent  en  gémissements  et  en  prières, 
pour  lui  obtenir  la  grâce  de  mourir  dans  le 
baiser  du  Seigneur,  le  Seigneur  l'appelle  à 
lui,  pour  lui  faire  rendre  de  toute  sa  vie,  un 
compte  exact,  redoulable  à  tout  chrétien, 
mais  infiniment  plus  redoulable  encore, 
pour  une  âme  que,  par  un  privilège  spé- 
cial, il  avait  placée  dans  un  état  plus  saint 
et  plus  parfait  que  le  commun  des  chré- 
tiens. 

Alil  Mesdames,  à  ce  léger  portrait  que  je 
viens  de  vous  tracer  de  la  religieuse  tiède 
et  de  sa  déplorable  fin,  il  n'en  est  aucune 
de  vous,  j'ose  le  présumer  et  m'en  llaller, 
qui,  réilécliissant  sur  elle-même,  puisse  s'y 
reconnaître,  qui  ne  sente  même  intérieure- 
ment un  éloignemenl  infini  [)Our  ce  mal- 
heureux et  si  funeste  élat.  Il  me  reste  donc 
en  terminant  ce  discours,  à  vous  conjurer, 
avec  tout  le  zèle  que  m'inspire  le  ilésir 
ardent  que  j'ai  de  voire  sanctification,  de 
vous  en  préserver  le  reste  de  vos  jours;  et 
pour  cria  pensez  souvent  au  litre^dont  vous 
êles  honorées,  au  rapport  glorieux  que 
vous  avez  avec  votre  Créateur,  aux  enga- 
gements solennels  cl  sacrés  que  vous  avez 
conlraclés  avec  lui,  au  courage  avec  le(pud 
vous  les  avez  conlraclés  ces  engagements, 
et  aux  jours  de  fidélité  et  de  ferveur  qui 
les  ont  suivis  ;  demandez-vous  souvent 
comme  saint  Bernard,  pourquoi  vous  avez 
renoncé  au  monde  et  vous  êles  venues 
dans  la  retraite;  rappelez-vous  tout  ce  que 
ce  Dieu  de  bonté  a  fait  pour  vous  attacher 
spécialement  à  lui  :  ces  grâces  privilégiées 
et  sans  nombre  dont  il  vous  a  comblées, 
depuis  vos  premières;  années  jusqu'à  ce 
jour;  surtout  excitez  de  plus  en  plus  votre 
cœur  à  l'i^mour  de  votre  céleste  éfioux. 
Ah  !  Mesdames,  s'il  est  des  peines  et  des 
dillicullés  à  servir  constamment  le  Sei- 
gneur (il  en  est  sans  doute,  je  ne  dois  pas 
le  dissimuler  ici),  c'est  l'amour  qui  les  fait 
surmonter;  je  dis  plus  même, d'après  saint 
Grégoire,  il  n'y  a  que  l'amour  qui  nous 
fasse  rougir,  pour  ainsi  dire,  de  trouver 
des  difiicultés  au  service  de  notre  Dieu. 
l'ro,iosez-vous  pour  modèles  les  saintes 
qui  vous  ont  précédées  dans  votre  institut 
et  dans  celte  sainte  maison;  comparez  la 
paix  (lu  cœur,  les  consolations  intérieures 
(pie  [jrocure  la  ferveur,  avec  les  peines  et 
les  remords  inséparables  de  l'état  de  tié- 
deur: enfin,  proposrez-vous,'pendaiit  celle 
retraite  et  promettez-le  souvent  à  vj[n> 
célesle  Ej)Oux,  de  le  servir  le  resle  do  V(js 


217 


DISCOURS  DE  RETRArn:.  -  CÎNQllKME  JOUR. 


218 


jours,  nvcc  In  plus  grande  ferveur,  la  j^liis 
exncte  tidélilé. 

Oui,  Seijiiieur,  je  vous  promets  dans  ce 
momcîil  do  les  faire,  ces  considéralioiis 
snhUaires,  et  de  prendre  ces  résolu lio-is 
saintes  qu'on  me  propnse  ici;  hé,  piiis-je 
prendre  trop  de  i  récaution  pour  éviter  ce 
malheureux  état  de  langueur,  de  tiédrur.si 
i;idigne  d'une  de  vos  é[ioui;es,  si  préjudicia- 
l)le  à  sa  perfection  et  à  son  salut?  Oui,  Sei- 
Kneur,  oubliant,  ci  Tt-ïeniide  de  l'apôtre  saint 
Paul,  tout  ce  que  j'ai  fait  ponr  vous  jusqu'ici, 
je  vais  ren)|ilir  avi-c  plus  de  fidélité  que  ja- 
mais la  carrière  qui  me  reste  à  parcourir, 
hélas  !  et  qui  est  peut-être  |>lus  avancée  que 

I'e  no  le  iieiise  :  bien  loin  de  mettre  ûas 
lornes  à  ma  perfection,  je  suis  bien  résolue 
d'entrer  dans  touies  vos  vues  cl  de  corres- 
|)oiidre  à  tous  les  desseins  de  sancliticalion 
que  vous  avez  sur  moi.  Ali!  heureuse  et 
mille  fois  heureuse,  celle  qui  vit  loin  du 
monde  et  de  ses  dangers,  (jui  appelée  à  la 
retraite  et  dans  le  saint  (tai  de  la  religion, 
eu  remplit  tous  les  devoirs,  avec  celle  fidé- 
lité, celle  proîupliludo  et  cotle  gaielé  qui, 
nu  senliiiient  de  saint  FruPçois  de  Sales, 
font  la  vraie  ferveur  à  vos  yeux  !  heureuse, 
dès  cette  vie,  par  les  grâces  et  les  consola- 
tions S|)irilu(.lles  dont  vous  ne  cessez  de  la 
combler,  mais  intinimcnt  plus  heureuse, 
dans  l'autre,  par  les  biens  immenses  dont 
vous  rérompenserez  sa  ferveur,  dans  vos 
labernatles  éternels!  Ainsi  soit-il. 

ClNQLlî-ME  JOUR, 

Ptemier  discours. 

Sl-I»    I.'OBHISSANCE. 

Oboiliie  i>r,Tiiosilis  vcslris  el  subjacete  eis.   illebr., 
XIII.  17.) 
Obéissi'i  à  vos  supcrimrs  et  soyez-leur  soumis. 

C'était  ,  Mesdames  ,  à  tous  ceux  qui 
avaient  enibrassé  la  loi  de  Jésus-Christ  , 
que  saint  Paul  adressait  ces  paroles.  Après 
avoir  donné  lui-même  des  preuves  de  son 
entière  obéissance,  de  sa  parfaite  docilité 
au  Seigneur,  dès  l'instant  qu'il  se  convertit 
h  lui,  persuadé  que  l'obéissance  était  [)Our 
tous  les  chrétiens  un  des  moyens  les  plus 
[iropres  pour  plaire  à  leur  Dieu  et  pour  as- 
surer leur  salut,  il  leur  en  recommandait 
la  pralicpie,  envers  ceux  que  la  Providoiîce 
avait  placés  sur  leurs  tôles:  Obedite  prœ- 
positis  vcstris.' Ov  si  le  saint  Apôlre 
jugeait  celle  vertu  si  avanlageusc  et  né- 
cessaiie  môme  à  tout  fidèle  on  général, 
pour  se  sauver,  de  quel  avantage  et  de 
quelle  nécessité  n"esl-elle  donc  pas  pour 
vous,  Mesdames,  qui,  outre  les  obligations 
qui  vous  sont  communes  avec  tous  les 
chrétiens,  avez  contracté  avec  votre  Dim, 
dans  la  religion,  des  engagements  plus 
étroits  encore,  et  celui  en  particulier,  de 
renoncer  pour  toujours  à  votre  volonté,  à 
vûlre  liberté? 

Cependant,  malgré  ces  engageraenls  sa- 
crés l'on  ne  voit  que  trop  souvent  dans  la 
religion,  des  vierges  chrélionnes  qui,  [)ar 
leur  conduite  paraissent  les  avoir  oubliés  ; 
oui  ^e  soublrajeiit  sans  scru|)ule  à   l'aulo- 


riti'"  supérieure,  ou  qui  du  moins  pra'iquent 
rol)éissancy  avec  des  dispositions  qui  la 
reudeiii  désagréable  au  Seigneur  el  sans 
fruit,  sans  mérite  pour  olles-mêmos.  Quoi- 
que, grAco  au  Seigneur,  vous  |)araissioz, 
vous.  Mesdames,  sur  cette  grande  ot  belle 
V'^rtu,  dans  des  dispositions  saintes,  con 
venables  à  votre  saint  étal,  pour  vous  en- 
gager à  y  persévérer  le  reste  do  vos  jours, 
j'ai  cru  devoir  vous  en  enirelenir  ici,  et 
pour  cola,  vous  montrer  tout  à  la  fois  les 
molits  qui  doivent  vous  eng-iger  à  prati- 
quer la  sainte  vertu  d'ohéissance  :  co  sera 
le  sujet  de  la  première  partie  de  ce  discours  ; 
et  les  qualités  que  doit  avoir  cette  obéis- 
sance pour  être  pratiquée  avec  fruit  :  ce' 
sera  le  sujet  de  la  seconde  partie.  Honoroz- 
moi,  s'il  vous  plaît,  de  toute  votre  attention. 
Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PAUTIE. 

Vous  le  savez.  Mesdames,  dans  quoKjuo 
étal  que  nous  puissions  être,  nous  ne  devons 
juger  de  toul,  dans  celle  vie,  que  par  les 
vues  do  la  foi,  que  par  rapport  à  la  vie 
éternelle,  que  par  rapport  à  notre  salut; 
nous  ne  devons  estimer  les  choses,  parcon- 
sé(|uenl,  qu'autant  qu'elles  no  nous  détour- 
nent point  de  !a  voie  du  salut,  qu'autant 
qu'elles  nous  conduisent  au  salut.  Or  si  c'est 
le  jugement  (|uo  tout  chrétien  doil  porter,  à 
plus  forte  raison  devez-vous  pensisr  ainsi, 
vous,  Mesdames,  qui,  comme  épouses  deJé- 
sus-(ihrist,  avez  le  bonheur  de  vous  houver 
dans  un  étal  tout  de  peifection  et  de  sainte-, 
lé.  Vous  devez  prendre  les  moyens  les  plus 
prop.res  h  plaiie  à  votre  céleste  épolix,  p;ircc 
(jne  ce  sont  eux  qui,  en  vous  faisant  mar- 
cher, avec  le  plus  dt;  sûrelé,  dans  le  chemin 
do  cette  [xrfection  que  vous  avez  embrassée, 
vous  3^  font  march'r  aussi  avec  le  plus  de 
paix  et  do  satisfaction.  Or  voilà  ,les  excel- 
lents clfots  que  produit  la  sainte  vertu  d'o- 
1,'éissance  ;  elle  est  pour  vous  loul  à  la  fois, 
la  voie  la  plus  sûre  el  la  voie  la  plus  con- 
solante, dans  Tordre  du  salut. 

1.  Je  dis,  la  voie  la  plus  sûre,  et  cela  pour 
deux  raisons:  c'est,  en  premier  lieu,  que 
Jésus-Christ,  qui  doit  être  on  tout,  votro 
modèle,  a  pratiqué  loule  sa  vio,  cotte  vertu  ; 
c'est,  en  second  lieu,  que  vous  vous  êtes 
engagées  vous-mêmes  à  |)ratiquer  cetio  ver- 
tu; ainsi  rexem[)le  de  votro  céleste  Époux, 
vos  propres  engagements,  deux  motifs 
puissants  dont  vous  allez  senlir  toute  l'im- 
porlance. 

Je  dis,  premièrement,  l'exemple  deJésus- 
Christ:  oui.  Mesdames,  quoique  lo  Dieu- 
Sauveur  ail  fait  éclater,  pendant  sa  vie  mor- 
telle, toutes  les  vertus,  il  en  est  cependant 
dont  il  a  jugé  la  pratique  plus  nécessaire 
pour  nous,  et  (pi'il  a  aussi  paru  pratiquer 
plus(|ue  les  autres;  or  il  n'en  est  point  qui 
ail  plus  brillé  dans  lui,  que  celle  de  l'obéis- 
sance; s'il  quille  le  séjour  de  sa  propre 
gloire.  S'il  descend  sur  la  letro,  s'incarner 
dans  le  sein  d'une  Vierge,  c'est  pour  obéir 
aux  ordres  de  son  Père  oiornol  ;  lovit  ce  qu'il 
a  fait,  dani  loul  le  cours  du  sa  vio  mortelle, 


aitt 


oriATi:ijRS  s.vcHiS.  LABiî;:  d;:  «).\iis. 


1^^ 


SI  liiile  en  Egypte,  dès  les  prem'ers jours  lie 
sa  naissance,  ses  missions  dans  la  suite,  ses 
courses,  ses  V03'ages,  ses  prédii  aiion*,  ses 
soins  et  ses  travaux,  pour  sauver  les  ïimes, 
lout  a  été,  j>our  obéir  à  son  Père  éternel  ; 
l'état  de  misère,  de  pauvreté  dans  lequel  il 
a  vécu  ,  les  injures,  les  calomnies;  les  persé- 
cutions auxquelles  il  a  été  exposé  de  la  part 
des  Juifs  ses  ennemis,  tout  ce  qu'ils  lui  ont 
failsoull'rir  dans  sa  Passion,  le  mépris  et 
les  opprobres  dont  il  a  été  rocouvert,  les 
différents  supplices  qu'ils  lui  ont  fait  subir, 
lout  ce  qu'il  a  fait  en  un  mot  et  tout  ce  qu'il 
a  souHerl  depuis  le  premier  instant  do  son 
incarnalion,  jusqu'au  dernier  soupir  de  sa 
▼ip,  il  l'a  fait  et  souflert  pour  remplir  les 
décrels  de  son  Père  éternel  ;  il  a  été  obéis- 
sant, pour  me  servir  de  l'expression  de  l'A- 
l>ôlre  ,  jusqu'à  mourir  et  h  mourir  sur  une 
(  roix  :  Obediens  usque  nd  mortem  cnicis. 
{Philip.,  ]I,  8.)  Non-seulement  il  a  montré 
la  j)lus  parfaite  obéissance  aux  ordres  de 
son  Père  éternel ,  mais  il  s'est  abaissé  de 
[>lu&  jusqu*à  obéir  aux  créatures  ;  quoique 
le  maître  lui-même,  comme  Dieu  ot  le  Créa- 
teur de  tous  les  êtres,  il  a  voulu  obéira 
Marie  et  à  Joseph,  leur  être  soumis  comme 
le  tils  le  |ilus  docile;  c'est  môme  la  seule 
vertu  de  sa  jeunesse  dont  parle  l'Evangile  : 
EraC  subditus  illis.  {Luc,  IJ,  51.)  C'est  cette 
vertu  qui  l'a  porté  encore,  quoique  le  Uoi 
des  rois,  le  Souverain  des  souverains,  h  se 
soumettre  aux  rois,  aux  souverains  de  l'u- 
nivers, à  leur  payer  le  tribut,  à  obéir  enfin 
à  ses  ennemis,  à  ses  bourreaux  eux-mêmes. 

Or  vous  le  savez.  Mesdames,  tous,  en 
qualité  de  chrétiens,  de  discif)les  de  ce 
Dieu  Sau^'eur,  qualité  que  nous  avons  re- 
çue dans  le  baptême,  nous  sommes  dans 
l'obligation  de  nous  conformer  eu  tout  à  Jé- 
sus-Christ, d'imiter  ce  Dieu  Sauveur  dans 
les  vertus  qu'il  a  pratiquées  pendant  sa  vie 
mortelle,  et  dans  une  obligation  si  étroite 
que,  sans  celle  conformité,  dit  saint  Cy- 
pricn,  nous  ne  méritons  pas  le  nom  de  chré- 
tiens; à  plusforle  raison,  vous,  Mesdames, 
qui,  à  ce  litre  de  chrétiens,  de  disciples  de 
Jésus-Christ, avez  ajouté  celui  d'épouses  de 
ce  Dieu  Sauveur,  vous  trouvez-vous  dans 
une  obligaiion  plus  étroite  encore  que  le 
r(Sle  des  chrétiens,  de  voui  rapprocher  le 
plus  qu'il  vous  sera  possible  de  ce  divin 
modèle,  en  sorie  que  vous  ne  pouvez  vous 
regarder,  et  qu'il  ne  vous  regarde  en  eifet 
lui-même,  comme  des  épouses  dignes  de 
lui  et  selon  son  cœur  qu'autant  que  vous 
travaillez  à  l'imiter,  que  vous  pratiquez 
toutes  les  vertus  qu'il  a  pratiquées  lui-même, 
ot  par  conséquent  la  sainte  vertu  d'obéis- 
sance, qui,  comme  l'a  dit  saint  François  de 
Sales,  a  été  la  chère  vçrlu  de  l'Epoux  dans 
laquttle  et  pour  laquelle  il  a  voulu  naître , 
vivre  et  mourir. 

Mais  un  autre  motif  capable  lui  seul  de 
vous  porter  à  la  pratique  de  cette  vertu  , 
ce  sont  les  engagements  que  vous  avez  pris 
avec  voire  Dieu,  et  la  promesse  que  vous 
lui  avez  faite  en  entrant  dans  la  religion, 
{Tomesse  authcnliijue,  engagements  irré- 


vncables  auxquels  vous  ne  pouvez  pas  vous 
rfiidro  infidèles  sans  une  criuiinelle  préva- 
rication. Oui,  Mesdames^  lorsque  vous  eni- 
brassAles  la  saint  état  de  la  religion,  vous 
renonçâtes  hautement  à  votre  propre  vo- 
lonté, h  votre. liberté;  vous  proniHes  à  votr<i 
Dieu  d'obéir  en  tout  et  pour  tout  à  ceux 
qui  vous  tiendraient  sa  place  sur  la  terre  : 
tel  fut  le  vœu  que  vous  files  alors,  vœu 
solennel  et  sacré  ;  c'est  au  pied,  des 
saints  autels  et  en  présence  de  votre  Dieu 
que  vous  en  prîtes  à  témoin,  que  vous  le 
prononçâtes;  vœu,  j'ose  le  dire,  le  plus  ex- 
cellent de  ceux  que  vous  fîtes  alors.  Par  le 
vœu  do  pauvreté,  vous  n'avez  renoncé 
qu'aux  richesses  de  la  terre,  qu'à  ce  qui 
était  hors  de  vous  par  conséquent  ;  par  lo 
vœu  de  chasteté  vous  avez  renoncé  aux 
désirs  des  sens,  et  à  tout  ce  qui  pouvait  flat- 
ter votre  chair  et  la  satisfaire.  Mais  par  le 
vœu  d'obéissance,  c'est  à  ce  qu'il  y  a  do 
vous,  et  dans  vous,  de  plus  intime,  de  plus 
précieux  et  de  plus  cner  pour  vous  par 
conséquent  ;  c'est  h  votre  propre  volonté, 
à  votre  liberté,  c'est  à  vous-même  et  h  tout 
vous-mêmes  que  vous  avez  renoncé.  Vœu 
le  plus  excellent  encore,  parce  qu'à  le  bien 
prendre,  il  renferme  les  deux  autres  et  les 
comprend  si  bien  que,  dans  quelques  ins- 
tituts, comme  dans  celui  de  saint  Benoît, 
on  ne  prononce  que  celui-là;  ce  qui  a  fait 
dire  à  saint  Thomas  et  à  sainteThérèse  qu'i; 
était  le  plus  important  des  trois  ;  à  sainte  di) 
Cl)anlal,  que  sans  lui  une  religieuse  n'était 
qu'un  fantôme  de  religieuse,  et  à  tous  les 
maîtres  de  la  vie  sfiirituelle],  qu'il  était  la 
base  et  le  fondement  de  la  perfection  reli- 
gieuse :  vœu  si  excellent  qu'il  a  la  vertu, 
pour  l'ordinaire  au  moins,  d'anéantir  ceux 
que  vous  auriez  pu  faire  avant  d'eutrer  en 
religion,  et  que  vous  pourriez  faire  y  élant 
entrée;  vœu  d'ailleurs  de  la  plus  grande 
étendue,  par  les  obligations  qu'il  renferme, 
conuTie  vous  le  verrez  dans  la  suite  de  ce 
discours. 

Voilà  donc  l'engagement  sacré  que  vous 
avez  contracté,  non  avec  les  hommes,  mais 
avec  votre  Dieu  ,  et  qu'il  a-  bien  voulu 
accepter  en  vous  recevant  au  rang  de  ses 
épouses  ;  vous  ne  pouvez  donc  pl-usy  contre- 
venir sans  les  rompre,  ces  engagements,  et 
par  conséquent  sans  prévarication  et  sans 
crime,  crime  et  prévarication  d'auiaut  plus 
énormes  que  la  matière  de  votre  désobéis^ 
sance  serait  plus  im[)Orlante.  Oiii,  Mesda- 
mes, et  voilà  la  différence  qni  se  trouve 
entre  les  devoirs  que  renferment  vos  vœux 
et  les  observances  que  vous  prescrivent 
vos  constitutions;  celles-ci,  absolument 
parlant,  comme  l'enseignent  saint  Thomas, 
saint  François  de  Sales  et  tous  les  docteurs, 
n'obligent  point  sous  pein-e  de  péché,  en 
sorte  que  s'il  ne  se  trouve  ni  mépris  ni  scan- 
dale qui  accompagne  la  transgression,  ce 
qui,  à  dire  vrai,  en  est  rarement  exempt, 
l'on  ne  peut  pas  dire  qu'il  y  ait  une  otfense 
de  Dieu,  un  vrai  péché.  Mais.il  n'en  est 
pas  ainsi  de  vos  vœux  et  de  celui  de  l'obéis- 
saucc  jiar   consé^^uenl  ;  vous    ne    pouv&?. 


»1 


DISCOURS  DE  RETRAlTb:.  —  CI.NQLIKMK  JOUR. 


in 


los  oiirreiiidrc  sans  otTensorlo Seigneur,  snns 
comintltn;  un  piVlié  qui  est  [)lus  ou  moins 
grit'f,  cl  propurlion  que  \a  transgression  est 
plus  ou  moins  considL^rahle;  en  sorte  que 
toutes  les  fois  que  vous  désobéissez  h  celle 
qui,  dans  la  religion,  a  reçu  de  Dieu  la  mis- 
sion pour  vous  gouverner  et  vous  com- 
mander; dès  lors,quel(|uo  légère  que  puisse 
^Ire  la  matière  de  votre  désobéissance,  elle 
est  ]iour  vous  une  vraie  faute,  un  vrai  pé- 
ché, une  espèce  même  de  sacrilège  ,  par  le 
mauvais  usage  que  vous  faites  d'une  vo- 
lonté, d'une  liberté  (lui  n'est  plus  à  vous, 
que  vous  avez  toute  consacrée  au  Seigneur. 
Eh  quoi  !  si  vous  aviez  pris  quehjue  enga- 
gement avec  les  créaiuies  ,  vous  seriez  11- 
dèle  à  les  remplir;  vous  regarderiez  comme 
un  déshoimeur,  comme  un  cri ine,de  manquer 
à  votre  parole,  à  vos  promesses;  comment 
donc  pourriez-vous  man(|uer  h  celles  que 
vous  avez  faites  à  votre  Dieu,  qui,  au  jour 
de  ses  vengeances,  vous  en  fera  rendre  un 
com|>te  exact  et  rigoureux?  Car  c'est  sur- 
tout ce  vœu  d'obéissance  que  vous  avez 
lait  de  votre  jiropre  volonté,  tpii  sera  l'ob- 
jet de  votre  examen  dans  ce  grand  jour; 
ceux  qui  résistent  à  la  puissance  légitime 
résislenl  à  Tordre  de  Dieu,  dit  saint  Paul ,  et 
se  soumeltint  h  la  condamnaiion  ;  Sihi  dam- 
nationem  acquirunt.  {Itom.,  XIII,  2.)  C'rsl  de 
tout  inférieur  que  |)arlait  l'Apôtr'3:  (pi'uùt-il 
dit  et  pensé  de  ceux  et  de  celles  qui  ont  lait 
h  leur  Dieu  un  sacrifice  solennel  el  sacré 
de  leur  propre  volonté  dans  la  religion? 
,  11.  Mais  non-seulement  l'obéissance» 
.nprès  le  vœu  que  vous  avez  fait,  est  la  voie 
lu  plus  sûre  pour  votre  salut,  soit  parce 
(ju'elle  vous  approche  de  i)Iusprès  de  votre 
oélcsle  Kpoux,  ^Qil  parce  (ju'elle  vous  rend 
fidèles  h  des  eiigagcmeiiis  solennels  que 
yous  avez  contractés  avec  lui  i  mais  elle  est 
de  plus  |io\ir  vous  la  voie  la  plus  satisfais 
sanle,  la  plus  consolante  ;  le  plus  grand 
bien,  je  dis  même,  l'unique  bien  réel 
el  soliue  que  vous  |)uissiez  vous  procu- 
rer en  celte  vie,  vous  le  savez,  Wesda- 
nies,  c'ttbt  la  tranquillité,  le  contenlement 
de  l'âme,  la  paix  du  cœur;  voilà  l'avatilage 
que  pn  cure  l'obéissance  religieuse.  Quoi 
lie  plus  consolant,  en  elfet,  que  de  penser 
qu'on  est  entièrement  el  pour  toujours  sous 
la  main  de  Dieu,  que  c'est  a  Dieu  qu^on 
obéit  en  obéissant  à  ses  supérieurs,  qu'on 
ne  peut  alors   s'égarer  ni  l'olfenser? 

Dans  le  monde,  avec  la  plus  grande,  la 
j)Ius  sincère  volonté  de  travailler  à  son  sa- 
lut t'id'enlrcr,  sur  celle  importante  aifaire, 
dans  toutes  les  vues  de  Dieu,  ou  ne  sait 
quelquefois  qu'entreprendre;  entre  plu- 
t^ieurs  movens  de  sanclilicalion  qui  se  |)ré- 
seutent  à  l'esprit,  l'on  est  incertain  lequel 
sera  plus  agréable  au  Seigneur.  Si  l'on  n"a 
jias  pour  se  conduire  un  de  ces  guides  sages 
pieux  el  éclairés,  qui  malhcureusemenl  ne 
sont  i)as  cou)muns,on  peut  aisément  se 
tromper  dans  le  choix  :  l'esprit  des  ténè- 
bres (|ui  sail  se  transformer  en  ange  de 
lumière,  suggère  quelquefois  des  moyens 
qui,  bien  loin  de  sanctilicr,  ne  servenlquà 


-  nourrir  l'amour-propre  et  à  éloigner  de  la 
voie  (bi  salut.  Mais  dans  la  religion,  en 
suivant  exactement  ce  qui  est  ordonné  par 
la  règle  ou  ce  que  prescrivent  les  sni)é« 
rieurs, on  ne  peut  être  exposé  aux  illusions 
do  l'espril  tentateur;  Ion  est  srtr  do  faire 
In  volonté  do  Dieu  el  de  travailler  edlcace- 
raenlà  sa  perfection,  à  son  salut.  C'est  on  ce 
sens  (jue  le  Saint-Kspril  a  dit  que  celui  qui 
se  conduit  habituellement  par  l'obd'issance 
doit  remporter  el  chanter  des  victoires  :  Vir 
obediens  loquetur  victorias.  (Prov.  XXI,  2S  ) 
Que  de  mérites  en  elfet  unO:  personne  leli- 
^ieusc  acquiert  alors  et  cliaque  jour  I 
Comme  il  n'est  presque  pas  d'instant  où  ellu 
ne  fasse  quelque  sacrifice  de  sa  propre  vo- 
lonté pour  [»laire  à  son  céleste  Epoux  ; 
aussi  n'est-il  pas  un  instant  où  le  céleslc 
époux  ne  la  regarde  avec  complaisance  et 
où  il  ne  lui  accorde  de  nouvelles  grâces, 
de  nouveaux  secours  qui  la  rendent  de  jour 
en  jour  plus  agréable  à  ses  yeux  et  qui 
son',  en  même  tem|)S,  pour  elle  une  sourct» 
des  plus  solides  consolalions. 

Quoi  de  plus  consolant  en  effet  que  de 
savoir  qu'on  obéit  à  un  maître  intiiiiuient 
grand ,  au-dessus  de  tous  les  êtres,  toul- 
puissanl,  qiii  peut  récompenser,  et  qui  a 
dessein  de  récompenser  ce  qu'on  fait  pour 
lui,  par  des  biens  immenses  et  éternels!  A 
un  maître  inliniment  aimable,  plein  d'a- 
mour el  do  bonté,  pour  ses  créatures,  qui 
le  servent  avec  fidélité  I  A  un  maîire  ipii  , 
jiar  sa  science  infinie,  connaît  tout ,  el  voit 
lout  ce  qu'on  fait  pour  lui,  qui  ne  l'oubliera 
pas,  qui  ne  peut  môme  l'oublier!  A  un 
maître  infmiment  é(piilnble  ,  qui  n'ordonne 
rien  que  de  raisonnable  ,  qui  dans  loul  ce 
qu'il  ordonne,  a  aulaul  égard  h  1  intérêt , 
au  bonheur  de  ses  créatures  qu'à  son  pro[)re 
inlérôt ,  qu'à  sa  propre  gloire  ;  qui  agit  de 
plus,  avec  elles,  qui  les  aide  par  ses  gril- 
cos,  à  accomplir  toul  ce  qu'il  leur  ordonne  1 
A  un  maître  bien  différent  par  là  ,  des  maî- 
tres de  la  terre,  assez  souvent  durs,  in- 
traitables, injustes,  impuissants  ou  in- 
grats. 

Quoi  de  plus  consolant  encore,  que  de 
sentir  qu'en  obéissant ,  on  |)lail  à  ses  supé- 
rieurs; qu'on  se  rend  agréable  à  leurs  yeux, 
qu'on  allège,  autant  qu  il  est  en  soi,  le  far- 
deau de  la  supériorité,  fardeau  duquel  il 
faut  être  chargé  ,  pour  eu  connaître  el  en 
sentir  tout  le  (loids,  mais  qui  devient  plus 
pesant  encore ,  par  l'indocilité  des  esprils 
qu'on  a  à  conduire  !  Obéissez  à  ceux  qui  sant 
placés  sur  vos  têics,  dit  saint  Paul  ,  soyez- 
leur  soumis  :  «  Obedite.  »  La  raison  qu'eu 
donne  l'x\i)ôlre ,  c'esl  qu'ils  rendront  un 
compte  exact  au  souverain  Juge  de  leur 
conduite,  comme  supérieurs.  Voilà  ce  qui 
a  loujours  fait  trembler  les  saints,  ei  les 
plus  grands  sainls,  lorsqu'on  a  voulu  les 
placer  au-dessus  des  autres  ;  voilà  ce  (pii 
le;:r  a  fait  employer  toute  sorte  de  moyens 
pour  se  préserver  des  honneurs  et  des  dign'- 
lés  ,  ce  qui  les  a  pénétrés  de  chagrin  lors- 
(|u'ils  se  sont  vus  forcés  de  les  acce[)lei . 
Mais  à  cette  raison  ((u'allôgue  l'A  polie  iiu'^f 


ORATiaUS  SACRi:S.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


m 


nigagor  les  fidèles  àobi'irh  leurs  siipriieiirs, 
il  en  jni'il   une  autre   bien  impnrlnnle  en- 
core,   c'est   ;ilin   que    les  su[)érieurs   s'ac- 
«(iiitient  (le  leur  cm|tioi    avec  joie  et  con- 
vrilaiion,  olnonavec  chagrin  eten  ^^(^missant  : 
('um  gatidio et  non gcmcnCcs,  {fJcb7'.,\]U,  17); 
(|ui  nepeiilCtreqnelrôs-préjudiciableaux  in- 
lérieurs,  ajoute  l'Apôtre  :  Non  cxpedit  vobis. 
[Ibid.)  Ah  I  qu'il  est  dangereux  on  otrel,  pour 
une  [lersonne   religieuse  de  déplaire  ,   [)ar 
son  indocilité  ,  à  celle  qui  lui  tient  la  place 
do  Dieu ,  sur    la    terre!   Que    les   gémisse- 
ments  do   celle-ci,  que   les   larmes  qu'elle 
répand  quelquefois  devant  le  Seigneur,  sont 
funestes  à  celles  qui  lui  causent  ces  gémis- 
sements et  ces  larmes  1  Qu'il  est  à  craindre 
«pie  le  Seigneur  no  leur  fasse  entendre  in- 
lérieuromeut ,  ce  qu'il  dit  au  prophète  Sa- 
nmel,   qui    gémissait  en    sa    présence  ,  de 
l'indorililé  des  Juifs  qu'il  avait  à  conduire  : 
Ces  espiits  indociles  refusent  de  vous  écou- 
ler, parce  qu'ils  ne  veulent  pas  m'écoiiler 
nioi-nièrae  ;  c'est  sur  moi   que  retombe  le 
mépris  qu'ils  osent  faire  de  vos  avis  et  de 
vos  ordres  ;  mais  prenez  patience  ,  un  jour, 
je  me  vengerai   de   ces  révoltes  et  de  ces 
mépris;  je  n'attendrai  pas  même,  pour  cela, 
le  grand  jour  de  mes  vengeances,  pour  leur 
faire  éprouver  mon  indignation  et  ma  colère. 
De  là  en  ellet    quelquefois  les  maux  corpo- 
rels et  spirituels  qui  affligent  ces  personnes 
indociles;  de  là  du  moins,  ces  troubles  in- 
térieurs, ces  remords,  ce  dégoùl,  cet  ennui, 
ce  mécontenten)ent  de  leur  état  qui  les  ob- 
sèdent et  qui  les  suivent  partout,  et  jusqu'au 
lit  de    la    mort.   Hé  1  en  peut-il  être  autre- 
ment? Peut-on  n'être  pas  dans  le  trouble, 
accablé  de  remords,  quand  on  sait  et  qu'on 
ne  peut   se   dissimuler  qu'on  contrevient  à 
des    engagements  sacrés  qu'on  a  contractés 
volontaireiuenl  avec  son   Dieu;    quand  on 
voit  que  par  sa  conduite  on  déplaît  à  sa  su- 
périeure ,  qu'on   est  sa  croix  et   tout  à  la 
lois  un  sujet  de   scandale   pour  toute  une 
«;ommunauté;  qu'on  est  condamné  par  tout 
ce  (]ui  s'y  trouve  de  plus  régulier,  île  plus 
sailli?  Non,  non,  en   vain  une  re  igieuse 
indocile  allecte  quelquefois    beaucoup  de 
tranquillité,  de  contentement    au-dehors  , 
sa  conduite  qu'elle  sait  déplaire  à  Dieu  et  à 
ses  supérieurs,  lui  cause  souvent  des  cha- 
grins et  des  remords  qui  la  déchirent  d'au- 
laut    plus   cruellement   au -dedans  d'elle- 
même,  qu'elle  allecte  davantage  de  les  ca- 
cher au-dehors. 

■  Bien  différente  par-là  de  la  religieuse 
obéissante  et  docile  ;  comme  celle-ci  fait  son 
bonheur  de  ses  devoirs  et  à  obéir  aux  per- 
sonnes qui  lui  tiennent  la  place  de  Dieu  sur 
la  terre,  Dieu  veut  bien,  pour  l'ordinaire, 
récompenser  son  obéissance,  dès  cette  vie, 
})ar  un  {contentement  intérieur,  par  des 
consolations  spirituelles  qu'il  faut  éprouver 
jiour  les  bien  connaître;  t)leine  de  foi,  con- 
sidérant toujours  sou  Dieu  dans  ses  supé- 
rieurs, quelque  opposition  qu'elle  puisse 
avoir  pour  ce  qui  lui  est  commandé,  elle 
l'exécute  avec  docilité,  avec  plaisir  même, 
parce  qu'elle  sait  que  c'est  la  volonlo  de 


son  Dieu   qu'elle  accomplit;  elle  sait  et  se 
rappelle  souvent,   qu'après    tout,  elle    ne 
peut   aller  au   ciel  que   par  la  voie  par  la- 
quelle y  est  entré  son   céleste  Epoux,  j(> 
veux  dire,  par  les  peines  et  les  souffrances  ; 
elle  sait  que   les  souffrances  les  plus  pro- 
pres à   la   sanctifier,  à  la  conduire  au  ciel, 
sont  non  les  souffi-ances  de  son  propre  choix, 
mais  celles  qui  lui  viennent  par  la  disposi- 
tion de  la  divine  Providence  ;  elle  sait  qu'elle 
ne  peut  se  tromper  en  obéissant  à  ses  supé- 
rieurs, qu'il  n'y  a  qu'à  gagner  pour  ello, 
que  la  plus  petite  action  faite  par  obéissance 
est  méritoire  aux  yeux  de  Dieu  ;  elle  sait 
que  cette  obéissance  la  préserve  d'une  in- 
finité de  tentations  et  de  dangers  pour  son 
salut,  qu'elle  ne  peut  que  lui  procurer  une 
abondance  de  grâces  et  de  secours,  qui  lui 
rend,  chaque  jour,  plus  facile  l'affaire  im- 
portante de  sa  perfection 'et  de  son  salut; 
elle  sait  que  colle  obéissance  la  f<jrti(ie  do 
plus  en  plus;  contre   un  des  plus  redouta- 
bles ennemis  de  son  salut  qui  esl  sa  propre 
volonté;  elle  sait  que  (juand   elle  ne  réus- 
sirait pas  dans  ce  qui  lui  esl  recommandé, 
<  lie  n'en  serait  pas  moins  agréable  à   Dieu 
et  n'en  mériterait   pas   moins   une  récom- 
pense pour   l'éternité,   |)arce  que  ce  n'est 
poirii  le   succès,  mais  l'action,  l'obéissance 
qu'il  lui   demande;  elle   sait  tout  cela,  ello 
en  est  inlimement  convaincue:  voilà  ce 'pji 
la  rend    si  contente.  Souvent  et  très-j;:».j- 
vent,  elle  bénil  le  Seigneur  de  l'avoir  mise 
dans  un  étal  aussi  consolant  en  lui-niôiiie 
qu'il    est  avantageux  pour, elle;  elle    sent" 
tellement,   au-dedans  d'elle-même,    l'avau- 
l;ige  et  la  nécessité  d'être  sous  robéissaoce, 
quelle  serait  tentée  de  dire,  comme  autre- 
fois un  jeune  solitaire  :  Ah!  (ilûl  à  Dieu, 
qu'au    lieu    d'une    supérieure  le  Seigneur 
m'en    eût   donné  plusieurs,  je  marcherais 
plus  sûrement  encore  dans  la  voie  du  salut  1 
Voilà,  au  milieu  des  peines,  des  tentations, 
des  obstacles  qu'elle  icnconire  quelijuefois 
dans  son  état,  voilà   ce  qui  la   tient  dans  la 
plus  grande  sécurité;   semblable  à   un  pas- 
sager qui  dort  tranquillement  sur  le  vais- 
seau qui  le  porte,   comptanl  sur   l'habileté 
du  pilote  chargé  de  le  gouverner,  elle  se 
rassure  également  sur  les  lumières   et   la 
prudence  de  celle  que  la  divine  Providence 
a  mise  en  sa  place  pour  la  conduire;  elle 
dit  souvent  comme  le  Uoi-Prophète  :  Que 
peut-il  m'arriver  et  que  pourrait-il  me  man- 
quer [lùisque  le  Seigneur  me  conduit  lui- 
même  :  Dominus  regil  rnc  et  nihil  inihi  décrit. 
[P^al.,  XXII,  1.) 

Oui,  tandis,  que  la  religieuse  indocile, 
plus  attachée  à  sa  volonté  qu'à  celle  do  ses 
supérieurs,  passe  sa  vie  dans  l'amerlumc, 
dans  des  peines  intérieures,  qu'elle  ne  peut 
ni  cacher  aux  autres,  ni  se  dissimuler  à 
ellc-môme,  et  qu'elle  la  termine,  celte  vie, 
dans  des  agitations,  dans  des  remords  qui 
lui  font  tout  craindre  pour  l'avenir  el  qui 
la  jettent  quelquefois  dans  le  plus  affreux 
désespoir,  la  religieuse,  au  conlraire,  (jui  a 
toujours  aimé  l'obéissance  et  (jui  se  conduit 
en  tout  par  celle  belle  vertu,  coule  jusqu'à 


iih  Disr.oi  us  Di;  retr uti;.  —  cinoiiemi:  jour.  î2C 

Ifl  (,n  (Ips  jours  lieuieiix  cl  iranquilli-s  ilans  solidiié.  Ronoiivcloz-inoi,  pour  cela,  je  tous 

la  paix  ol  avec  des  consolations  intéiit'ures  i)rio,  volri*  allention. 

qui  sont  pour  ccllos  (pii  la  voienl  leriiiiiier         I.  Jo  dis,   en  pix'nuer  lion,  que  rolxHs- 

sa  cnirièrt',  un  indice  fccrlain  qu'elle  nieurl  sance  doit  Cire  |irorri[)te,  dans    l'exéculion, 

vérilalilrmeol  dans  le  Seii^neur,  et  qiii  sont  Sans  celte  (lualilé,  elle  n'a    |)lus  lo  niênic 

pour   Llli'-uiêino  ,    un     pressenti  i  eut ,    un  prix;  c'est   sur  cela,  en    cllel,   qu'on   jugi; 

avant-i;oili  de  la    |)aix  cl  dos  délices  éler-  cominunéiiicnl ,  et  jusque  dans  le   inonde, 

ncîles.  Voilà  donc,  Mestlauies,    les   grands  du  ni(^rile  et  de  ratiacluMiient  de  la  person- 

hiens  que  procure  loujoins  la  sainte  vertu  ne  qui    ohéit.  Un  sujet  ,  un   courtisan  qui 

(l'ob'5issance  à  celles  qui,  ilans  no.'ro  saint  inetirail  <le  la  Irtileur  et  des  délais  5  ren> 

l'inl,  la   praliciueul  avec  liiléliié  ;  lels  son!,  p!ir  les  volontés   du  souverain  ,  tnanifesle- 

par  coiiséipient,   les   uiolil's    |inissaiits    (|ui  rail  par-là,  el  son  peu  de  zôle  à  le  servir, 

doivent  vous  onj^agor  à  la  praiiqiier  liclèle-  el  sou    peu    d'alla';lienienl  à  sa   personne; 

luenl  vous-mônies  toute  voire  vie.   .Mais  je  aussi  voyons-nous  ceux  (jui  l'approchenl  do 

ne  dois  |)oii<l  en  rester  là;  après   vous  les  f)lus    près,nietlre    le  plus  d'ardeur    et  do 

avoir  fail  considérer,  ces  nioiifs,  je  dois  de  proiiiptilude  à  exécuter  ses  ordres.  Or    si 

plus    vous  l'aire    voir  quelles  qualités  doit  une  créatuie  niOfitre  celle  lidélilé,  pour  une 

avoir  votre  obéissance  pour  plaire  au  Sci-  autre   créature  qui   ne   lui  est  supérieure 

gnourel  pour  vous  élro  utile  à  vnus-niéiurs:  que  par  lo  rang  distingué  qu'elle   occupo, 

c'est  le  sujtl  de  la  seconde  partie.  quel    zèle  el   ([uel   eui|iresseraenl   ne   doit 

(Jonc    pas  avoir  une  siuq)le   créalure  lors- 

SECONDE  PAKTiE.  ((u'olle  obéil  à  son  Créateur  el   son  Dieu? 

Car,  comnie  le  dit  saint    Ignace    dans     sa 

D'après  lout  ce  que  je  viens  de  vous  dire,  lettre  sur  l'obéissance,  lorsque  votre  supé- 

Mcsdames,  vous  avez  di\  conclure  que  de  rieur  vous  appelle,  vous  ne  devez  pas  dou- 

loutes  les  vertus  cluélieniies  el  religieuses,  ter  (jiie  ce   ne  soit  Jésus-Christ   qui    vous 

l'obéissance  est  la  plus  essenlielle  ol  tout  à  apjxdlo,  et  qui  vous   commande  lui-même; 

la  lois  la   plus  excellente.  Toi  est,  en  effel,  coniinent  donc  metlriez-vous  de  la  lenteur 

le  senliiuenl   des   Pères   de    l'Eglise  el   de  dans  l'exécu  ion  d()  ses  ordres?  Ne  serait-co 

saint  Grégoire,   |ia|)e  ,  surtout  :  la   raison  pas  lui  témoigner  que  vous  n'avez   i)as  un 

qu'en  donne  ce  saint  docteur,  c'est  qu'elle  vrai  désir,  un  virenq)ressemenl  à  lui  plaire, 

est  la  seule  qui,  à  propren.enl  /larler,  corn-  cl  jk  r  conséquent  un  l'è>-grand  ai:acliement 

mande   toutes   les   autres  vertus  el   qui  las  à  sa  peiso'ine  ?  Le  vér  lablo  obéissant ,  dit 

conserve.  Cf!|)endant,  ipjelque  oxiellenle  el  saint  Rernard  ,  no  sait  melire  aucun    relar- 

quelque  nécessaire  (ju'elle  soit  celle  vertu,  dément   dans   rcxéculion  (les   coiiimando- 

el  dans  tous  les  étals,  qu'elle  est   race,  ce-  menls  (pii  lui  sont  faits, 
pondant,    au    moins,    la    vraie    et    parfaite  Vo;l:i ,  en  etfel,  ce  qui  fit  le   mérite  d'A- 

obéissance,  même  dans   les  étals  qui    con-  brabam  ;  au  premieiordre  que  Dieu  lui  don- 

duisenl,  par   eux-mêmes,   à  la   perfection  1  ne  de  quitter  sa  jialrie  ,  il  l'exécute  à  l'ins- 

Voiis  me  demandez  sans  doute  ici,  Mesda-  tant;  il   part  au   milieu  môme  de    a  nuit, 

mes,  ce  (|ue  j'entends  par  une  vraie  el  par-  Voilà  ce  qu'ont  fail  les  aiiùlres;  à   l'instani 

laite  obéissance,  et  quelles  qualités  elle  doit  (juo  Jésus-Clirisl  leur  ordonna  île  le  suivre, 

hfoir  pour  èlre  telle  aux  yeux   de  Dieu  ;  j(!  ils  qu  ttôrenl  tout  el  se   mirent  à  sa  suite., 

jiourrais,  pour  vous   répondre,  n'eu   exiger  Voilà  ce  que  tirent  Marie   el  Joseph,  lors- 

(|u'une,  qui  est  l'amour  :  Aillle^,  pourrai  -jo  (|ue  l'ange  leur  ordomia  de  la  part  du    cid 

vous  dire,  aimez  sincèi-euionl  votre  Dieu,  cle  (piiUer  Nazaioli  ;  ils  |)arlonl  sanSrelar- 

obéissez    en    loul,    par  amour    pour    votre  demenl  et   |  orient  Jésus  enfant  en   Egypte. 

Dieu,  el  voire  obéissance  aura  tout  ce  (pj'il  Voilà  ce  que  tirent  les  mages  el  ce  qui  U'ur 

faut  pour  lui  (ilaire.  Mais  pour  vous  don-  f)rocura   di*  se  coiivcrlii- à  la  foi  de  l'Evan- 

ner  une  instruction  plus  étendue, je  dis  que  glle  ;  dès  qu'ils  a|ierçurenl  la  nouvelle  éloi- 

volre  obéissance  ne  sera  jamais  pai'faile,  si  le,  ils    abandoiirièrenl   leur  peuple  et    leur 

tous  lardez  à  exécuter  ce  qui  vous  est  près-  patrie,  pour  aller  reconnaitre  ol  adorer  le 

(fil,  ou  si  vous  exécutez  absolument  elsaiis  Messie.  Et  voilà  ce  (pjo   font  el  ce  (lu'onl 

distinction,cequi  vouseslproscril,ou  si  vous  fail  dans  tons  ios  lemi)s,  ks  personnes  reli 

entreprenez  d'examiruu' el  .de  juger  ce  qui  gieuses,  saintes  el  ierventos;au    promiei- 

vous  est   iirescrit,  ou  enlin  si  vous  ne  mei-  signal   de  la    volonté  de   Dieu  ,  manifestée 

lez  pas  le  même  zèle  et  la   même  lidélilé  à  par  leur  règle  ou  par  leurs   supérieurs,  <ui 

exécuter  tout  ce  qui    vous  est   prescrit.  Do  les    a    toujours    vues   iiuitter   tout  ,    obéir 

loul   ceci    vous   devoz    conclure    avoc    moi  prom()lemoiil  ;  elles  n'ont  môme  été  lecon- 

(pie  l'obéissance  religieuse,  pour  être  sans  nuts  saintes  ol  foi  veines, distinguées  dcsliè- 

liéfaut  aux  yeux  de  Dieu  el  méritoire  |)Our  dos  et  di  s  impaifaile>;,  quo  par  celte  exac- 

vous,  doit   être,  tout  à  la   fois,   une  oliéis-  iilude,  cttlo  pont  tu..l.lé  si  ossenliolle,  on  ef- 

sance  promjde,  ipiant  à   l'exéculion;  uni-  fe',  qu'elle  a  toujours  éié  recommandée  par 

verselle,  quant    à    l'objet;    aveugle,  cpiaiit  tous  les  maUios  do  la  vie  spirituelle,   par 

au  jugemeit;  enlin,  cons'anle,  quant  à  lu  lous  les  fondalours  ou  insliluleurs  d'ordres 

piuliquo.    DéveIO|i|ions    toutes   ces    idées,  el   toujours  mise  en   vigueur,  par  ceux  el 

elles  donneioirl  lieu  à  un  détail  de  priiici-  colles  qui,  placés  par  la  Providence  à  la  lêlo 

j»es  el  du  consé(juences  des(iu(;lles  je  m'as-  dos  autres,  oui  eu  le    plus  de  zèle   [lour  le 

sure  que  vous  sentiicz  l'importante  ol  la  uiaiiUien  delà  régularité,  et  pour  la  per- 


Sî? 


ORATEURS  vSACRES. 


fection  des  âmos  ronfiées  à  leur  soin.  Evac- 
liliido,  poDclualité  si  essentielle,  si  agii'iib'e 
à  Dieu,  que  plus  d'une  fois  il  a  paru  l'ap- 
prouver par  (les  prodiges.  Vous  le  savez, 
Mesdames,  et  je  vous  i  ai  déjà  rapporlé,  ce 
Irait  de  ce  solitaire  qui,  laissant  en  sa  cel- 
lule, pour  obéir  plus  |)ionipteuient ,  une 
Uttre  à  demi  formée,  la  trouva  à  son  retour 
achevée  en  or.  Mais  exactitude  du  moins, 
que  le  Seigneur  récompense  toujours,  dès 
cette  vie  même  par  des  grâces  abondantes 
qu'il  répand  sur  ceux  et  celles  qui  la  [ira- 
liquent  :  aussi  le  démon  qui  voit  combien 
cette  ponctualité  a  de  force,  pour  détruire 
son  empire,  n'omet  lien  pour  en  détourner 
les  personnes  religieuses  ;  il  leur  fait  enten- 
dre que,  pourvn  qu'elles  obéissent,  il  im- 
porte peu  (|u'clles  monlreni,  en  obéissant, 
une  si  scrupuleuse  exactitude,  qu'il  y  a 
même  de  la  petilesse  d'esprit  à  s'astreindre 
b  ce  i)rcmier  instant;  et  dès  qu'il  a  pu  réus- 
sir à  faire  nieîtie  quelque  délai  dans  l'exé- 
cution de  ce  qui  est  reconunandé,  il  ci'oit 
n'avoir  pas  tout  perdu,  et  avoir  même  causé 
uti  vrai  préjudice  a  l'âme,  en  la  privant 
par-l.T  de  la  grâce  atlacliée  à  cetle  ponctua- 
lité.. V'ous  sentez  par-là,  Mesdames,  com- 
bien il  est  important  d'obéir  proUiple- 
nienlet  sans  délai;  vous  devez  être  dans 
la  disposition  de  ce  pro|iliète  lorsqu'il 
disait  au  Seigneur  :  Mcvoici,  envoyci- 
inoi:  *  Ecce  ego,  mille  me.  »  {Isa.,  VI,  8.) 
Vous  devez  due  comme  le  Uoi-Proplièle  : 
Mon  cœur  est  prêt ,  Seigneur,  mon  cœur 
est  prêt  à  exécuter  tout  ce  qui  me  seia 
commandé  de  voire  part  :  l'arutuin  cor 
tveiim.  (Psal.  LVl ,  8.)  L'obéissance  pour 
êire  méritoire  doit  donc  être  promple , 
mais  elle  doil,  de  plus,  être  universelle  , 
c'est-à  dire  s'étendre  à  tout  :  seconde  qua- 
lité. 

11.  C'est  cependant ,  Mesdames,  je  dois  le 
dire  ici,  ce  que  l'on  ne  voit  pas  toujours 
dans  les  coiumunaulés,  même  les  plus  ré- 
gulières quelquelois  :  quand  ce  qui  est  or- 
d(jnné  plaît  et  se  trouve  confoinie  àceipn! 
l'on  désire,  ah!  î'on  montre  alors  la  plus 
gr.inde  docilité;  mais  en  est-il  de  même 
lors(jue  les  choses  couuuaiidées  répugnent 
et  dé(»laibent  ?  Que  de  moyens  l'on  cherche 
alors,  pour  se  dispenser  d'accoui|ilir  ce  qui 
e.>l  ordonné,  sans  |  arailie  désobéir  formel- 
lement! On  ne  se  conknle  pas  >i'alléguer 
soi-même  à  sa  snpéiieure  des  raisons  (jui 
lie  sont  rien  moins  que  convanicantes  , 
(|u'on  a  puisée  dans  sa  lépugnanec,  dans 
s.)n  umour-proj»re,  on  les  comniuniiiue  de 
plus,  avec  un  Ion  de  conlitleuce  et  un  air 
du  bonne  foi, aux  [lei sonnes  propres  à  faire 
changer  d'idées  et  de  volo;ité  à  la  supérieu- 
re; l'on  se  |)laiiu  amèrement  quelquefois,  do 
ses  préjugés,  de  ses  prédilections  ,  on  les 
exagèie;  ponit  d'adresse,  de  détours  ([u'oii 
(  mploie  pour  la  laïuener  à  ce  que  l'on  sou- 
haite. On  réussit  en  ell'cl  pai-là  quelquefois 
use  faire  défendre,  ce  qui  ne  plaît  pas,  ou 
a  se  laiiu  ordonner  ce  qui  plaît;  on  se  pro- 
cure adroileiueni  des  permissions  des  or- 
dres, des  d.s]ien»es,(ies  singularités  toujours 


L'ADBE  .de  MONTIS.  îâi 

préjudiciables  au  bien  général  d'une  com- 
munauté; or,  je  vous  le  demande,  est-ce  là 
accomplir  véritablement  le  vœu  d'obéissan- 
ce! N'est-ce  pas  plus  faire  sa  propre  volon-  1 
lé  que  celle  de  sa  sufiérieure,  ou  pluiût 
faire  sa  firopre  volonté,  en  paiaissant  obéir 
à  sa  supérieure?  Alil  une  religieuse  aussi, 
imparfaite  peut  bien  faire  illusion  aux  au- 
tres, et  se  la  faire  à  elle-même;  mais  elle 
ne  peut  tromper  Dieu  qui,  voyant  de  pa- 
reilles dispositions  dans  son  i  oeur,  bien  loin 
d'approuver  tout  ce  qu'elle  fait ,  n'y  répand 
aucune  bénédiction  :  aussi  se  trouve-l*elle , 
cette  religieuse,  sans  goût,  sans  consolation 
parce  qu'elle  voit  bien  et  qu'elle  ne  peut  se 
dissimuler,  qu'elle  n'est  point  dans  l'ordre, 
(pi'elle  se  reclierche  elle-même  ,  dans  le 
le  leîïips  et  dans  des  clioses  où.  elle  ne  de- 
vrait chercher  que  Dieu,  n'avoir  que  Dieu 
en  vue. 

Voulez-vous  donc.  Mesdames,  travailler 
véritablement  à  voire  pe'fection,  et  n'avoir 
rien  à  vous  re[)roelier,  par  rapport  à  votre 
V(eu  d'obéissance?  Ne  faites  aucune  distinc- 
tion dans  tout  ce  qui  |)eut  en  être  l'objet; 
montiez  la  mêiiie  di  cilité,  la  mô.ue  fidélilé 
aux  ordres,  aux  commandemenis  qui  vous 
ré|)ug'ient  et  à  ceux  qui  vous  plaisent,  et 
que  vous  pouvez  désirer;  soyez  bien  per- 
suadées que  v(uis  vous  tendiez  d'autant  |)lus 
agtéables  à  Dieu  el  que  vous  aocjUcrrez 
d'autant  plus  de  mérite  (pie  vous  sentirez 
|(lus  (l'opposition  et  que  vous  vou$  ferez  plus 
de  violence  pour  obéir;  vous  n'aurez  point 
à  craindre  alors  d'agir  par  le  mouvement  de 
votre  profue  volonté,  de  i'amour-propre  qui 
corromjit  souvent  les  actions  les  plus  sain-* 
tes.  Klendez  cetle  soumission,  cetle  docili* 
té,  non-seulement  à  ce  qui  peut  regarder 
le  bien  de  votre  communauté  en  général  , 
mais  encore  à  tout  ce  qui  a  rapport  à  Votre 
conduite  particulière;  ne  faites  rien,  e« 
gei:re  de  jirières,  do  priilifiues,  de  niorîiti- 
calions,  de  bonnes  œuvres  qui  ne  soit  mar- 
qué au  coin  de  rohé.ssancc  ;  souvenez-vous 
de  ce  que  dit  le  Seigneur  aux  Juifs,  par  ua 
prophèie  :  Vos  jeûnes  et  vos  solemnilés  me 
déjilai-ctii,  je  les  ai  rejetée?,  parce  que 
votre  ptoj.re  volonté  s'y  trouve:  Jnvenilur 
loluiUis  tua.  [Isa.,  LVIll,  3.)  Combien  en 
elfet ,  |)af  là  ,  de  bonnes  œuvres,  de  prières 
d'austérités  perdues  pour  le  ciel  1  L'absti- 
nence laite  conire  l'obéissance,  ou  sans, 
l'obéissance,  dit  saint  François  de  Sales,' 
Ole  le  |iéehé  du  corjis,  pour  le  me. Ire  dans: 
le  cœur.  Llle  rlfaiblit  le  corps,  dil-il  encore 
et  elle  lot  tilie  l'aiiniui-ptopre.  Si  donc  vous 
voulez  |)iaiie  au  Seigneur  en  obéissant, 
fiites  (jue  votre  obéissance  soit  sans  res- 
triction,  sans  .'éserve;  ([u'elle  s'éteilde  éga- 
leuienl  à  tout  ce  (lue  l'on  peut  vous  oi don- 
ner et  à  tout  ce  que  vous  aurez  à  faire  ;  c'a 
toujouis  été  la  pratique  des  personnes  re- 
ligieuses, vérilablemetit  saintes  :  plus  elles 
ont  été  saintes  et  |)lus  elles  se  sont  ap[)li- 
quées  à  combattre  en  tout,  leur  propre  vé- 
lo ilé.  ALus  cela  ne  suflit  i)oint;  alin  que 
voire  obéissance  soit  parfaite,  elle  doit  ôtro 
encore  aveugle  :  troisième  qualité. 


2s«j                             hisroiiis  ni:  hkti'.aiti..  (.inqiîemf,  Join.  âSo 

m.  Voilà  cepeiiil.uil  unandi»  alms  assez  lùivain  .illégiieriez  -  vous  encore  les  d(5- 
ooramun  dans  la  religion  :  on  obt'it  .'i  la  faiils  de  celli!  (jiii  vous  conimaniJo  :  jo  pour- 
vérité,  mais  ou  se  iléJoniinage,  en  (juolijue  rais  vous  dire  (|uo  c'est  voire  indocilité  et 
sorte,  de  la  contrainte  qu'il  a  fallu  se  faire  votre  ainour-jMOpre  qui  vous  font  imputer 
pour  obéir,  en  raisonnant  sur  ce  qui  a  été  à  votre  supérieure  des  défauts  (|u"elle  n'eut 
conuiKindé;  on  juge  sa  supérieure,  non-  jamais,  ou  exagérer  ceux  qu'elle  peut  avoir; 
seulement  au-dedans  do  soi  ,  mais  avec  que  si  vous  éiiez  plus  humble,  plus  déla- 
d'aulres  (juelipiefois;  on  lui  impute  des  chéu  de  vuu>-mC'Mie  et  plus  docile  surtout, 
motifs  tout  naturels  et  peu  cliréticns;  on  vous  la  jugeriez  bien  plus  laVoiablemenl  ; 
tombe  indirectement  du  moins,  sur  ses  dé-  vous  ne  verriez  (pie  ses  bonnes  qualités, 
fauls,  sur  sa  conduite  dans  le  gouverne-  «lue  ses  vertus  ;  mais  enfin,  quand  Dieu  ali- 
ment. Rien  cependant  de  |ilus  injuste,  j'ose  lail  permis  qu'il  se  trouvât  à  votre  télé  uno 
le  dire,  que  celle  liberté  de  juger,  do  cen-  liersonue  qui  aurait  les  défauts  que  vous 
surer  ses  su|)érieurs,  parce  (ju'ils  ont  sou-  lui  imputez,  et  de  plus  considérables  eu- 
vent  pour  agir,  pour  commander,  des  rai-  core,  ils  ne  pourraient  être  pour  vous  une 
sons  que  b  s  inférieures  ne  peuvent  péné-  raison  du  no  pas  vous  soumettre  à  ses  or- 
irer  ;  parce  que  si  la  cliarité  onlonne  de  dres;  ce  ne  sont  point  des  anges  quo  lo 
juger  toujours  favorablement  do  son  pro-  Seigneur  commet  pour  gouverner  les  en- 
cliain ,  en  général,  Ji  plus  forte  raison  fanls  dAdanj  ,  mais  des  enfants  d'Adan» 
l'exige-t-elle,  pour  le  procbain  supérieur  :  eux-mômes,  sujets  par  conséquent  aux  fai- 
ie  dis  plus,  parce  (jue,  quand  la  supérieuio  blesses  de  ,1  humanité  ;  ainsi,  quelque  im- 
n'aurail  pas  une  inlention  bien  droite,  un  pai faite  que  pourrait  élre  celle  qui  voui 
motif  bien  pur,  dans  le  commandement  commande,  vous  lui  déviiez  toujours  une 
iju'eile  fait,  dès  que  ce  commandement  n'a  soumission  aveugle  et  entière;  elle  adroit 
rien  de  contraire  aux  préceptes  du  Sei-  dej'exiger  de  vous;  pensez  qu'avec  tous 
gneur  et  à  l'esprit  de  l'institut,  on  doit  lui  ses  délauls,  elle  vous  tient  la  place  de  Diou 
obéir.  A  la  vérité,  elle  réJlOndra.^  Dieu  de  sur  la  terre;  (|ue  c'est  donc  îi  Dieu  que  vous 
l'ordre  qu'elle  a  donrjé  et  du  motif  (juilo  obéissez  eu  lui  obéissant;  que  ce  n'est 
lui  a  fait  donner;  mais  pour  la  |)ersonne  |  oint  au  visage  de  voire  supéiieur.e  (|ue 
religieuse,  elle  ne  réjiondra  à  Dieu  (pie  do  vous  devez  regarder,  dit  saint  François  de 
sa  docilité,  ou  de  son  indocilité.  Voilà  co  Sales;  moins  elle  aurait  de  quoi  vous 
(jiii  faisait  dire  à  saint  Ignace,  que  si  le  j'Iaire,  et  moins  vous  aurl(  z  à  craindre  de 
chef  de  l'Eglise,  Si  le  pajie  lui  ordonnait  de  f"ire  pour  l'amour  de  la  créature  ce  que 
s'exposer  sur  la  mer  dans  un  vaisseau,  vous  devez  faire  uniquement  |)Our  l'amour 
sans  provision,  sans  pilote,  sans  gouver-  du  Ciéateui-,  et  de  perdre  par-là  lo  mérite 
nail,  il  ne  balancerait  pas  à  obéir,    a]  puyé  de  votre  obéissance. 

sur  celte  belle  maxime,  qui  n'est  point  as-  -Mais,  me  direz-vous  encore,  celte  obéis- 
siz  Cl  nnue  dans  la  religion,  que  la  pru-  sance  aveugle  (jue  vjus  exigez  interdil-elle 
(lance  est  toute  pour  la  personne  qui  com-  toute  représentation  à  sa  supérieure?  N-in, 
mande.  Vuilà  ce  qui  engageait  ces  anciens  Aîesdames,  mon  dessein  nefuljamaisde  rien 
solilaires,  si  éclairés  dans  les  voi*  s  de  la  exagérer  :  il  est  bien  vrai,  je  vous  lai  déjà 
peilfCtiou,  à  commander  à  ceux  qui  leur  lait  voir,  qu'il  est  beaucoup  plus  parlait 
élaicnl  soumisdes  actions  inutiles,  et  (|uel-  d"obéir  sans  porter  aucun  jtigeuient  sur  la 
(juelois  ridicules  en  apjunence,  auiant  (Jaiis  chose  commandée;  c'a  touj(;urs  été  la  |)ra- 
la  vue  d'anéantir  leur  propre  jugement  t.(jue  des  personnes  religieuses  les  plus 
(jue  de  rompre  leur  pio|)re  volonté.  Ce  (jui  suintes  et  les  plus  parfaites  ;  mais  je  dois 
prouve  qu'en  cela  ils  étaient  animés  de  l'es-  convenir  aussi  qu'il  n'est  aucun  mal  à  faire 
prit  de  Dieu,  c'est  que  |ilus  d'une  fois  il  a  à  sa  su|)érieure  des  représentaiions,  pour- 
paru  approuver  l'obéissance  de  pareilles  vu  loatehjis  qu'elles  soient  faites  avec  pru- 
aclions  par  de  vrais  miracles.  11  ne  sullit  deiiee  et  avec  docilité;jedis  avec  prudence, 
donc  pas,  pour  une  parfaite  obéissance,  c'est-à-dire  apiès  avoir  bien  pesé  devant 
d'obéir  simplement  de  la  volonté,  d'exécuter  D.eu  s'il  est  nécessaire  ou  convenable,  du 
ce  qui  est  ordonné  ;  mais  elle  exige  de  plus  moins,  de  les  faire  ces  représenlalio.'is  ;  |o 
une  soumission  de  jugement,  un  ac(pjies-  dis  avec  docilité,  parce  i|U'après  les  avoir 
cernent  intérieur  de  reS[)rit  à  te  qui  est  faites  avec  dioilure  et  avec  respect,  une  ré- 
ordonné, ligieuse  doit  se  tenir  dans  un  é|uilibro 
lui  vain  allégueriez-vous  que  vous  noju-  de  volonté,  dans  une  parlaile  indilléience 
Kcz  votre  supérieure  (jue  sur  les  petites  snr  le  jugement  qu'en  portera  sa  supé- 
(Ikjscs  qu'elle  vous  cemmande  ;  vous  pou-  rieure,  et  toujours  dans  une  sincère  dispo- 
vez  aisément  vous  tromper  et  juger  |)uu  lui-  sitioii  d'obéir  ;  et  si  celle-ci  n'y  a  aucun 
portant  en  soi  ce  qui  l'est  beaucoup  peut-  é^ard,  elle  doit  se  retirer  aussi  satisfaite  , 
elle  à  ses  yeux  et  aux  yeux  de  Dieu.  Qn'é-  aussi  tranquille  du  moins  ,  (|ue  si  sa  supé- 
tait-ce  en  apjiarence  que  de  manger  ou  de  rieure  lût  eiitr(Je  dans  ses  vues.  Avec  ces 
ne  pas  manger  une  pomme?  C'était  cepeh-  disjiositions,  j'ose  dire  que  les  représonla- 
dani  à  celte  tléfense  (]u'était  attaché  le  sort  lions  no  feront  point  perdre  le  mérite  de  l'o- 
du  genre  humain;  le  malheur  d'Adam  et  béissance,  qui  uon-seulemenl  doit  eue 
•lEve,  et  qui  rejaillit  sur  toulo  leur  {)0sté-  prompte,  universelle  et  aveugle;  mais  du 
riié,  fut  d'a'.oir  raison  lé  sur  la  défense  du  plus  constante  :  (jualrième  et  deraièie  (lua- 
Seigiic'jr.  i.lj. 


231 


ORAÏELKS  SACUKS.  LABBE  DE  MONTIS. 


232 


IV.  C'est-à-dire,  Mosdaaies,  qu'il  ne  siiflil 
pas  d'obéir  quelque  temps  en  tout,  mais 
(|u'il  faut  obéir  en  tout  cl  toujours,  qu'il  faut 
persévérer  dans  celle  disposition  jusqu'à  In 
iiioi-t.  Voilà  l'esem|)le  (|ue  vous  a  donné 
voire  céleste  Epoux  :  7/  a  été  obéissant,  dit 
l'Ai  ô;re,  et  Jusqu'à  la  mort.  «  Obediens  usque 
ad  mortem.  ;>  {Fhilip.,  II,  8.)  Il  n'e^l  donc 
ni  litre,  ni  âge,  ni  emploi  qui  fiuisseni  dis- 
penser ses  épouses  de  la  pratique  (ie  l'obéis- 
sance; car  de  prétendre,  par  exvmple,  que 
l'ancienneté,  dans  la  religion,  soit  une  rai- 
son pour  se  souslraiie  à  l'autorité  supé- 
rieure, c'est  une  illu^ion,  un  abus.  Il  est 
vrai  qu'une  supérieure  doit  avoir  des  égards 
pour  le  grand  âge,  pour  l'ancienneté,  et 
surtout  pour  les  inlirmités  qui  l'accompa- 
gnent assez  souvent;  mais  cette  attention 
la  regarde  uniquement  :  le  devoir  des  in- 
férieuies,  dans  quelque  situation  qu'elles 
puissent  être,  est  luujours  d'obéir.  Plus 
môme  elles  conqitent  d'années  de  religion, 
plus  eWes  doivent  cet  exemple  aux  autres; 
s'en  dispenser,  c'est  un  scandale  toujours 
préjudiciable  à  une  communauté  et  ilunt 
elles  rendront  un  compte  rigoureux  à  leur 
céleste  Epoux.  Aussi  a-t-on  toujours  vu, 
dans  la  religion  ,  les  personnes  les  plus 
avancées  eu  âge,  mais  aussi  également 
avancées  eu  peii'ection,  en  s;iinlei.é,  mon- 
trer jusqu'à  la  mort  la  plus  scrupuleu.'ie  do- 
(•ililé  à  leur  supérieure;  et  un  des  plus 
beaux  éloges  qu'on  croie  l'aire  d'elles,  lois- 
que  l'e  Seigneur  les  a  appelées  à  lui,  c'est  de 
due  (jue  ni  leur  grand  Age,  ni  les  impor- 
tants services  qu'elles  ont  rendus  à  leur 
communauté,  m  môme  k'urs  inlirmiiés,  ne 
les  ont  point  empêchées  de  praliijuer  en 
tout  eljus(|u'o  la  lin  de  leur  course,  la  s:;i  )le 
vertu  d'obéissance,  et  avec  autant  de  (idélilé 
tpie  dans  les  premières  années  de  leur  pru- 
iession., Ce  n'est  donc,  Mesdames,  qu'a  celte 
constanle  obéissance  !|Ue  votre  saiictilica- 
lion,Ji  toutes,  est  attachée  ;  il  ne  servirait  de 
rien  d'avoir  bien  commencé  si  vous  tini>siez 
mal.  Cette  belle  vertu  est  tellement  alta- 
chée  à  votre  saint  état  qu'elle  le  distingue 
des  autres  étals  du  monde,  el  qu'elle  vous 
constitue  vraiuient  religieuses,  vraiment 
épouses  de  Jesus-Chiist  ;  cesser  de  la  pi'ati- 
uuer,  ce  serait  cesseï  de  u;é.iler,  ce  litre 
Si  honorable,  si  avantageux  lout  ensemble 
])Our  cette  vie  et  jiuur  l'auire. 

Ah!  Seigneui-,  si  je  veux  faire  ici  un  sé- 
rieux retour  sur  luoi-mème ,  par  rapport  à 
la  |)rati(jue  de  celle  vertu  de  l'obéissance, 
qui  n'esl  point  de  simple  conseil  pour  moi, 
mais  d'une  obligation  étroite  depuis  mes 
engagements  solennels  dans  la  religion;  si 
je  viens  à  c(jmparer  les  dernières  années  de 
ma  vie  religieuse  avec  les  premières,  quel:e 
ditféreuce  1  que  de  reproches  à  me  l'aire  ! 
que  de  [irétextes,  que  de  détours  [lour  élu- 
der les  ordres  de  mes  supérieurs  ou  poul- 
ies ramener  à  mes  volontés!  Que  de  juge- 
ments téméraires,  que  de  pro[)os  indiscrets 
sur  leur  conduite  dans  le  gouvernement! 
Q;ie  de  murmures,  que  de  plaintes,  que  de 
resislaiiLes  ouvertes  ou  indirectes  du  moins  I 


One  d'imperfection  encore  dans  les  actes 
d'obéissance  I  Que  de  défauts  1  Ah  1  Sei- 
gneur, je  le  reconnais  et  le  confesse  ici,  en 
votre  sainte  présence  :  depuis  longtemps  je 
n'ai  point  fait  de  celte  sainte  vertu  d'obéis- 
sance tout  le  cas  que  je  devais  en  l'aire,  ou 
j'ai  trop  lot  oublié  les  engagements  que  j'ai 
contractés  aux  [)ieds  de  vos  saints  autels, 
de  la  [iratiquer  lidèlcment  et  toute  ma  vie, 
celle  belle  vertu,  si  (iropre  à  me  détacher 
de  moi-même  et  à  m'attachera  vous;  quelle 
grâce  vous  m'avez  faite,  ô  mon  céleste 
Epcmx,  en  m'ap[)elant  au  détachemenl  ab- 
solu de  ma  propre  volonlc^,  de  ma  liberté! 
Hélas  I  si  funeste  à  tant  d'autres,  celle  li- 
berté, elle  m'eût  été  également  funeste  à 
moi-même  ;  j'en  aurais  abusé  pour  vous 
offenser  et  pour  me  [lerdre.  Ah  I  dans  ce 
moment,  j'y  renonce  de  nouveau  el  pour 
toujours;  dans  ce  moment  je  la  renouvelle 
avec  plaisir  cette  |)romesse  solennelle  que 
)e  vous  ai  faite  de  iiasser  mes  jours  dans 
l'obéissance  et  dans  la  plus  parfaite  obéis- 
sance. J'ai  besoin  pour  cela  de  votre  grâce, 
ô  mon  divin  Sauveur;  je  vous  demande  cette 
obéissance,  mais  une  obéissance  ,siiii[)le, 
aveugle,  qui  ne  raisonne  point;  [iromple, 
littérale,  qui  ne  mette  aucun  délai,  qui 
s'empresse  d'agir,  d'exécuter  ;  entière  ,  gé- 
nérale, (lui  n'aiimetle  aucune  restriclioii, 
qui  s'étende  à  lo;;!;  constante,  courageuse, 
(jui  ne  se  rtbnle,  ne  se  dégoûte  jamais; 
pure,  alfectueuse,  qui  n'ait  que  vous  en 
vue,  qui  me  lasse  obéir  uniquement  par 
amour  [;our  vous.  Quel  bonheur  pour  moi, 
si  je  passe  le  reste  de  mes  jours  dans  la 
prali(iue  d'une  obéissance  aussi  parfaite  ! 
Quelle  paix  ,  quel  contenlement  intérieur! 
quelle  abonlanco  de  grâces  et  de  secours 
jeu  letireiai  dans  lo  lemiis  !  quels  degrés 
de  récompense  el  de  gloire  elle  ,me  i)rocu- 
rera  dans  l'éternité  I  Ainsi  soil-il. 

CINQUIÈME  JOUU. 

Seioiid  (liscoius. 

SUR      LES     RÉCIIKATIONS. 

Vciiile  seorsum,  el  req\iicscilc  pusillum.   (ilnrc  ,  VI, 

31-)  .       .  „, 

^  Vend  vous  retirer  a  l  écart,  et  vous  rc})oser  tin  j:;u. 

Telle  élail.  Mesdames,  la  bouté,  la  cha- 
rité du  Dieu-Sauveur  envers  ses  disciples  ; 
dans  le  temps  que  lout  occupé  lui-mônio 
du  grand  ouvrage  de  la  rédemption  des 
honuues,  il  passait  ses  jours  à  |)arcourir 
les  villes  et  les  bourgades  de  la  Judée,  que 
son  zèle  le  taisait  courir  avec  ardeur  ajirès 
les  brebis  égarées  de  la  maison  d'Israël, 
jusqu'à  se  fatiguer  et  à  oublier  ses  propres 
besoins,  il  voulait  que  ceux  qu'il  avait  as- 
sociés à  son  ujinistère  se  délassassent  un 
peu  de  la  fatigue  des  missions  dont  il  les 
chargeait,  et  qu'ils  prissent  de  temps  en 
temps  un  repos  qu'il  ne  prenait  jias  lui- 
môme,  ou  qu'il  ne  i)renait  que  pour  les  en- 
gager à  suivre  sou  exemple  :  liequiescitc 
pusillum. 

Ces  grands  el  saints  personnages  qui  ont 
été  inspirés  de  fonder  des  ordres  religieux 
do  l'un  et  de  l'autre  sexe,  ont  cru  devoir  so 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  CLNQUIEME  JOUR. 


r.i 


conformer  on  cela,  comme  on  toul  le  reste, 
î>  la  coi'.diiile  lie  nnlre  aimable  S.-uiveur  ; 
<|uelqueauslère.(HiefiUla  vie  que  quelque- 
rtiis  surlouloiil  prescrile  h  ceux  el  à  celles 
qui  lievaient  embrasser  leur  inslilut,  ils 
oui  voulu  (|ue  liaus  certains  temps,  el  que 
cha(jue  jour  mùmo,  ils  prissent  uu  peu  de 
ilélasseuienletde  repos:  mais  prenez  '^ixrda 
aussi,  mesdames  ,  que  rmteulion  de  vos 
saints  fondateurs,  que  celle  de  l'Eglise elle- 
luôme,  en  app.rouvaul  votre  règle  et  vos 
constitutions,  a 'été,  non  de  vous  porter  à 
la  dissipation  elau  relâclieuieiit,  mais  de 
vous  soulager,  de  reposer  tout  à  la  fois  et 
votre  es[.rit  el  votre  corps,  atin  de  vous 
rendre  plus  projires  à  soutenir  les  travaux 
pénibles,  et  à  remplir  les  devoirs  assujettis- 
sants du  saint  (Haï  de  la  religion.  Ainsi, 
pour  bien  entrer  dans  leurs  vues,  vos  ré- 
créations sont  un  exercice  que  vous  devez 
sanctitier,comuie  touslcsautres  qui  remplis- 
sent \olrejournée;c'eslcequej'enlreprends 
de  vous  prouver  dans  ce  discours  :  U)ais 
pour  le  rendre  d'une  instruction  plus  solide 
cl  plus  élendue,  j'irai  plus  loin  encore. 
A|>rès  vous  avoir  |)rouvé  que  vous  devez 
sancliOer  vos  récréations,  je  vous  montre- 
rai de  plus  qu'il  est  aisé  de  les  sanctilier, 
qu'il  est  une  manière  de  les  prendre  qui 
peut  les  rendre  agréables  à  Dieu  et  méri- 
toires pour  vous.  En  deux  mots,  lus  motifs 
qui  doivent  vous  engager  à  vous  récréer 
saintement;  ce  sera  le  sujet  de  la  première 
partie  de  ce  discours  ;  les  dispositions  dans 
lesquelles  vous  devez  être,  pour  vous  ré- 
créer sainiemeni  ;  ce  sera  le  sujet  de  la  se- 
conde partie.  Honorez-moi,  je  vous  prie, 
de  toute  votre  atleniion.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Tout  chrétien,  et  encore  plus  toute  per- 
sonne spécialeruent  consacrée  au  Seigneur, 
dans  le  saint  étal  de  la  religion,  doit  se 
rappeler  souvent  ce  que  le  divin  Maître  di- 
sait à  ses  apôtres  et  à  ses  disciples,  et  dans 
leurs  personnes  à  tous  ceux  qui  devaient 
comme  eux,  el  d'après  eux,  embrasser  toute 
la  perleclion  de  son  Evangile,  que  si  la  vie 
luluie  devait  leur  procurer  un  repos  el  un 
boiilieur  parfaits,  la  vie  présente,  qui  ne 
leur  élait.dunnée  que  pour  se  procurer  celle- 
là,  ils  devaient  la  pa;ser  dans  les  |)eines 
et  les  coiilraJicliorjs,  dans,  la  nioililica- 
lionel  da:is  les  souOrances;  qu'ils  veiiaient 
le  monde  el  les  partisans  du  monde  se  li- 
vrer à  la  joie,  aux  ris  el  aux  plaisirs,  mais 
(jue  pour  eux,  les  mépris,  les  [lerséculions 
el  les  larmes  devaient  être  leur  partage.  Ce- 
pendant, .Mesdames,  quelque  sévères  que 
çaraissuiil  d'abord  cette  [)iédiclion  et  ces 
maximes  du  Dieu  Sauveur,  el  quelque  in- 
tention qu'il  ait  elle  de  voir  tous  ceux  qui 
sont  vérilableuient  a  lui  s'y  conformer,  il 
eonnaissail  pariailement  la  faiblesse  des 
enfants  d'Adam,  el  combien  ils  sont  peu  ca- 
pables de  su()porler  une  gêne  continuelle, 
une  application  suivie  de  l'esprit,  un  tra- 
vail du  corps  non  mlerrompu.  lia  donc  fait 
Yûir,  par  la  conduite  qu'il  a  tenue  envers 
OniTEURS   S*CRf:S     LXVlll. 


ses  apôtres,  qu'il  ne  désapprouvait  point 
que  ceux  qui  ,  {i.ar  un  abandon  total  du 
monde,  se  sont  entièrement  consacrés  5  sni 
Service  dans  la  retraite,  se  donnassent 
quelque  relAche  pour  pouvoir  plus  long- 
lem|)s,  el  pour  sa  gloire,  se  livrer  aux  exer- 
cices de  l'état  de  pénitence  auquel  il  lésa 
lui-môme  appelés.  Ainsi,  Mesdames,  vous 
pouvez  sans  vous  éloigner  de  l'esprit  de  vo- 
tre céleste  époux ,  prendre  chaque  jour 
quelques  moments  pour  lécréer  votre  es- 
prit el  délasser  votre  corps  ;  mais  en  vous 
permettant  ce  délassement,  vous  devez  vous 
rappeler  encore  une  autre  maxime  et  un 
autre  devoir  que  vous  prescrit  l'Evangilu 
que  vous  professez  ;  c'est  qu'il  n'est  point 
d'action,  quelque  naturelle,  etquelqu'in- 
dilférenle  qu'elle  puisse  êirc  en  el.'e-môine, 
que  vous  ne  puissiez  el  (]ue  vous  nedeviez 
ra()porler  à  Dieu  et  rendre  dignes  parla  de 
ses  récomiienses  éternelles  ;  c'est  [irécisé- 
menl  ce  que  vous  dit  l'apôlre  saint  Paul  : 
Soit  que  vous  mangiez  ou  que  vous  buviez, 
soit  que  vous  fassiez  toute  autre  action,  vous 
devez  en  la  faisant,  ne  point  perdre  de  vue 
votre  Dieu,  agir  en  tout  pour  sa  gloire,  (i 
Cor.,  X,  31).  Or  si  pour  toute  action,  en  gé- 
néral, [)Our  toul  exercice,  vous  devez,  pour 
plaire  au  Seigneur  el  mériter  ses  récompen- 
ses, avoir  celle  (lure,  celte  droite  intention, 
j'ose  dire  que  vous  devez  l'avoir  plus  spé- 
cialement encore,  si  l'action  à  laquelle  vous 
vous  livrez  n'est  point  telle  que  vous 
puissiez  la  faire  ou  ne  la  point  faire  à  votre 
choix,  et  encore  i>lussice  n'est  point  une 
action  i)assagère,  et  qui  se  fasse  rarement 
el  de  loin  en  loin,  el  enfin  si  ce  n'est  point 
une  action  qui,  comme  plusieurs  autres, 
porto  directement  el  par  elle-même  au  re- 
cueillement et  à  la  piété,  mais  dans  laquelle 
il  soit  aisé  de  s'oublier  el  de  dé[)laire  au 
Seigneur,  Or  voilà.  Mesdames,  cequej'ap-' 
plique  à  vos  récréations,  et  je  dis  que  ce 
qui  doit  vous  engager  à  les  prendre  pour 
Dieu,  à  vous  y  livrer  sainiemeni,  c'est,  en 
piemier  lieu,  que  c'est  un  exercice  qui 
n'est  |)oiiil  de  votre  choix,  mais  qui  vous 
est  prescrit  par  voire  règle  et  vos  consti- 
tutions ;  qu'en  second  lieu,  ce  n'est  point 
un  exercice  qui  revienne  rarement,  mais 
qui  se  rét'ète  souvent,  qui  se  répète  chaque 
jour;  (jue  c'est,  en  troisième  lieu,  un  exer- 
cice qui  (lorte  parlui-môme  à  la  dissipation, 
à  riuimortilicalion,  dans  lequel  on  peut  ai- 
sémenl  oublier  les  règles  de  la  modération 
que  doit  toujours  garder  une  vierge  chré- 
tienne, une  é|)Ouse  de  Jésus-Christ  ;  sa  ré- 
création est  donc  toul  à  la  lois  un  exercice 
ordonné,  un  exercice  fréquent,  un  exer- 
cice dangereux  :  trois  raisons  bien  capa- 
bles de  vous  engager  à  vous  y  livrer  sain- 
tement. 

1.  Je  dis  d'abord  exercice  ordonné:  vous 
le  savez.  Mesdames,  la  récréation  est  un 
articlede  vosconslitutions  ;  elles  vous  pres- 
crivent cet  exercice  comme  elles  voas  pres- 
crivent tous  les  autres,  et  en  cela,  je  ne 
puis  m'empêcher  d'admirer  et  vous  devez 
admirer   avec    moi    to   zèle   de  vos   saicl» 


33ê 


ORATEURS  SACRES.  L 


fondateurs,  zèle  sage  et  prudent  qui  les 
a  portés  à  pourvoir  h  tout  ce  qui  pou- 
vait contribuer  à  vous  sanctifier,  li  si  bien 
réi^ler  et  distribuer  vos  jours  et  vos  mo- 
ments, que  dans  tout  ce  que  vous  faites  il 
n'y  eût  rien  d'indilférent,  d'inutile  à  votre 
«vaiictiment  spirituel,  rien  qui  ne  lenilît  à 
la  gloire  de  Dieu  et  à  voire  sanctification; 
voilà  le  grand  avantage  que  vous  trouvez 
dans  voire  saint  (5tat  et  que  n'ont  point  les 
chrétiens  du  monde;  ceux-ci  passent  sou- 
vent à  déiil)érer  sur  ce  qu'ils  doivent 
faire  un  temps  qu'ils  devraient  employer 
à  agir;  ils  suivent  le  plus  souvent,  dans  ce 
qu'ils  entreprennent,  non  les  lumières  de 
la  raison  ou  les  principes  de  la  religion, 
mais  plutôt  la  légèreté  de  leur  esprit  et  le 
caprice  de  leur  volonté,  et  c'est  surtout  dans 
le  choix  de  leurs  récréations  et  des  pla'sirs 
:uixquels  ils  se  livrent,  qu'ils  paraissent 
bien  peu  raisonnables  et  bien  peu  chré- 
tiens. Pour  vous,  Mesdames,  vous  n'a- 
vez sur  cela  aucune  inquiétude  h  avoir; 
vous  savez  et  vous  êtes  parfaitement  con- 
vaincues que  vous  ne  pouvez  déplaire  à 
votre  Dieu  dans  les  récréations  que  vous 
prenez,  parce  que  vous  ne  pouvez  ignorer 
fjue  vous  faites  absolument  sa  volonté  en 
exécutcint  ce  que  vous  prescrivent  vos 
conslitulions,  et  vous  devez  ôfrc  trarquilles 
cl  sur  l'esjjèce  de  délassement,  de  récréa- 
tion que  vous  prenez,  et  sur  le  temps  et 
l'élendue  du   temps  que  vous  y  employez. 

Mais, de  cette  vérité,  il  est  aussi  quelques 
conséquences  que  je  dois  tirer  et  que  vou^s 
devez  tirer  avec  moi  ;  c'est,  en  premier  lieu, 
que  si  vos  récréations  vous  sont  prestriies 
par  vos  constitutions  comme  tous  vos  autres 
exercices,  vous  ne  devez  donc  pas  plus  vous 
dispenser  decelui-ei  sans  nécessité  et  de 
votre  propre  volonté  que  de  tous  les  autres. 
Je  sais  bien,  et  j'en  suis  déjà  convenu  avec 
Yous,  que  généralement  parlant  ces  consti- 
îations  ne  vous  obligent  point  sous  peine 
do  péché,  mais  je  sais  aussi  et  je  vous  l'ai 
dit  encore,  qu'une  religieuse  qui,  sous  ce 
piélexte,  transgresse  ces  constitutions,  qui 
s'abionle  de  la  récréation,  surtout  si  cela 
lui  arrive  fréquemment  et  sans  raison,  sans 
permission,  ne  i)eut  guère  s'en  dispenser 
sans  une  espèce  de  mé[)ris  de  ces  conslitu- 
lions ;  que  c'est  du  moins  montrer  bien  peu 
d'estime  pour  elles  et  pour  les  saints  qui 
les  ont  composées,  bien  peu  d'amour  pour 
son  saint  état,  et  bien  peu  de  zèle  pour  sa 
perfection;  mais  je  dis  de  plus  qu'elle  ne 
peut  s'en  absenter,  souvent  au  moins,  sans 
quelque  scandale;  que  c'est  induire,  par 
son  mauvais  exemple,  ses  sœurs  à  s'en  dis- 
penser comme  elle,  et  se  montrer  par  là 
bien  peu  ferveutu  et  très-peu  fidèle  à  ses 
observances. 

Mais  une  autre  conséquence  que  vous  de- 
vez tirer  de  celte  dernière  considération. 
Mesdames,  c'est  que  pour  entrer  dans  l'es- 
prit de  vos  constitutions  et  de  ceux  qui  les 
o[il  com[)Osées,  il  ne  suffit  pas  d'assister  à 
la  récréation  comme  vos  sœurs ,  mais  que 
vous  devez  la  prendre  comme  elles  ;  car  il 


ABBE  DE  .MONTIS,  23(5 

en  est  de  cet  exercice  comme  do  tous  les 
autres  qui  partagent  votre  temps  dans  la 
religion,  qu'on  peut  faire  bien  ou  mal,  se- 
lon les  dispositions  qu'on  y  apporte:  ainsi 
une  religieuse  qui,  unie  à  ses  sœurs  au 
temps  et  au  lieu  de  la  récréation,  bien  loin 
do  se  récréer  affecterait  de  garder  un  morne 
silence;  qui  par  humeur,  par  caprice,  ne 
voudrait  contribuer  en  rien  au  relâchement, 
à  la  joie  commune,  irait  contre  les  inten- 
tions de  ses  fondateurs  et  de  ses  supérieurs, 
elle  nuirait  même  par  là  à  ses  sœurs  en  les 
empêchant,  par  son  air  et  ses  manières,  do 
se  livrer  à  une  honnête  gaieté,  nécessaire 
pour  délasser  l'esprit  et  le  corps,  et  ne  pour- 
rait compter  par  conséquent  sur  les  grâces 
attachées  à  cet  exercice  comme  à  tous  les 
autres.  La  récréation  est  donc  un  exercice 
ordonné,  mais  c'est  de  plus  un  exercice  fré- 
quent :  seconde  raison  pour  s'en  acquitter 
saintement. 

II.  Tel  est.  Mesdames,  l'avantage  que  vous 
trouvez  dans  votre  saint  état,  qu'il  n'est 
aucun  instant  de  votre  vie  qui  ne  soit  con- 
sacré au  service  de  votre  Dieu,  qu'il  n'est 
par  conséquent  aucune  action,  aucun  exer- 
cice qui,  avec  une  fin  particulière,  n'en  ait 
une  générale  qui  est  de  vous  perfectionner, 
devons  sanctifier,  de  plaire  à  votre  Dieu 
et  de  mériter  ses  recompenses  éternelles 
en  vous  perfectionnant,  en  vous  sanctifiant; 
mais  vous  devez  juger  aussi  qu'afin  que 
toutes  ces  actions,  ces  exercices  produisent 
en  vous  ces  excellents  effets,  il  ne  suffit  pas 
précisément  de  les  faire,  ces  actions,  de  s'ac« 
quitter  de  ces  exercices,  mais  qu'il  est  es- 
sentiel de  les  bien  faire,  de  s'en  acquitter 
saintement,  je  veux  dire  avec  des  disposi- 
tions qui  répondent  à  la  fin  qu'ont  eue  vos 
saints  fondateurs  en  vous  les  prescrivant. 
Si  cette  maxime  est  vraie  pour  toute 
action,  [)our  tout  exercice  en  général,  à  plus 
forte  raison  doit-elle  être  appliquée  à  une 
action,  à  un  exercice  qui  se  fait  fréquem- 
ment, tel  qu'estceluidont  je  vous  parle  ici; 
chaque  jour,  et  deux  fois  le  jour  f)Our  l'or- 
dinaire, vous  employez  près  de  deux  heures 
à  ivos  récréalions  ^ans  parler  de  quelques 
autres  d'une  plus  longue  durée  que  la  règle 
vous  permet  et  qui  vous  sont  accordées 
quelquelois  ;  or  je  prétends  que  la  répé- 
tition fréquente  de  cet  exercice  est  un  motif 
de  plus  pour  vous  do  vous  en  acquitter  d'une 
façon,  je  ne  dirai  pas  seulement  qui  ne 
puisse  pus  nuire  à  votre  âme,  mais  de  plus, 
qui  vous  rende  agréables  au  Seigneur  et  qui 
augmente  vos  mérites  à  ses  yeux  ;  que  par 
conséquent,  du  bon  ou  du  mauvais  usage 
que  vous  pouvez  en  faire,  il  y  a  beaucoup 
à  perdre  ou  à  gagner  |)Oiir  vous.  Hélas  1 
Mesdames,  vous  le  savez,  il  n'est  pas  une 
heure,  i)as  un  instant,  de  tout  le  temps  que 
nous  avons  à  passer  siir  la  terre,  duquel 
nous  n'ayons  un  jour  h  rendre  un  couipte 
rigoureux  au  souverain  juge,  parce  que  tout 
le  temps  de  celte  vie  le  Dieu  Sauveur  nous 
l'a  acheté,  il  nous  l'a  mérité  au  [)rix  de  ses 
souffrances  et  de  tout  le  sang  qu'il  a  ré.- 
pandu  dans  sa  passion  ;  mais  il  ne  i»ous  l'a 


«1 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  -  CINQUIEME  JOUR. 


233 


procure  qu'nfin  quo  nous  l'employions  À 
assurer  notre  bonlicuréternel  dans  le  séjour 
de  sa  gloire,  en  correspondant  îi  lous  ses 
desseins  sur  nous,  cl  en  remplissant  avec 
fidélité  lous  les  devoirs  de  l'élat  où  sa  di- 
vine providence  nous  a  placés;  cela  est  si 
vrai  que  cette  seule  perte  de  temps,  sans 
se  rendre  coupables  d'autres  crimes,  suffira 
peur  causer  la  réprobation  éternelle  d'une 
infinité  de  chrétiens  livrés  à  l'inaction,  à 
l'oisiveté.  Ce  n'est  donc  point  une  chose 
indifférente :en  elle-même;  il  est  donc  bien 
important  |)Our  vous,  Mesdames,  de  ne  vous 
ponit'  faire  illusion  et  de  bien  faire  une 
action  <]ue  vous  répétez  tant  de  fois  dans  le 
cours  d'une  année,  que  vous  avez  répétée 
une  infinité  de  fois  dans  le  cours  de  votre 
vie, et  qui  se  trouvera  [)ar  conséquent  avoir 
absorbé  une  bonne  partie  du  temps  que 
vous  aurez  passé  sur  la  terre,  en  sorte  que 
si  vous  aviez  le  malheur  de  mal  employer 
ce  temps,  vous  vous  trouveriez  à  la  fin  do 
voire  course  privées,  par  voire  faute,  d'une 
inlinité  de  giûces  attachées  à  tous  vos  exer- 
cices, attachées  par  conséquent  à  celui-ci 
comme  au\  autres,  et  dénuées  de  plus 
d'une  inlinité  do  mérites  que  vous  auriez 
pu  et  que  vous  auriez  dû  acquérir,  et  dont 
vousêtesstîres  de  rendre com{)leà  votreDieu. 
La  récréation  est  donc  un  exercice  ordonné; 
c'est  de  plus  un  exercice  fréquent,  journa- 
lier ;  mais  c'est  encore  un  exercice  dange- 
reux et  Irès-'dangereux  par  lui-même;  troi- 
sième raison  qui  doit  vous  engager  à  vous 
en  acquitter  saintement. 

m.  Dans  quelqu'état  que  nous  puissions 
être,  et  quelque  saint  que  puisse  être  l'état 
dans  lequel  nous  sommes,  jamais  cependant 
nous  ne  sommes  entièrement  à  l'abri  des 
dangers  du  silut.  Le  vôtre,  Mesdames,  tout 
saint  et  tout  sanctifiant  qu'il  est  par  lui- 
tuème,  n'en  est  point  exempt;  s'il  vous 
préserve  de  quelques  dangers  auxquels 
sont  exposés  les  chrétiens  du  monde,  il  en 
est  d'autres  que  vous  avez  à  craindre  et 
contre  lesquels  vous  avez  à  vous  (irécau- 
tionner;  un  de  ces  dangers  et  des  plus 
communs  dans  la  religion,  est  une  négli- 
gence à  s'acquitter,  ou  en  s'ar.quiltanl  des 
devoirs  et  des  exercices  qu'elle  impose. 
Hélas  1  jusque  dans  les  actions  les  5)lus 
saintes  qui  tendent  le  plus  par  elles-mêmes 
à  la  perfection,  à  la  sainteté,  il  est  à  crain- 
dre, par  le  défaut  d'une  intention  droite  et 
pure,  ou  faute  de  dis|)Ositions  nécessaires, 
qu'elles  ne  se  fassent  sans  mérites,  et 
qu'elles  ne  soient  désagréables  aux  yeux 
lie  Djeu  ;  mais  si  cela  est  viai  en  général 
et  'J'exjjénonce  pour  tous  vos  cxeicices, 
même  les  plus  saints,  à  plus  forte  raison 
devez- vous  le  craindre  pour  un  exercice  qui 
porte  beaucoup  moins  que  les  autres  au 
«ecueillemenl  et  à  la  sainteté ,  telle  qu'est 
la  récréation.  Oui,  Mesdames,  ce  qui  rend 
cet  exercice  si  dangereux,  c'est  qu'au  lieu 
que  dans  les  autres  vous  cherchez  à  répri- 
nier  les  [mendiants  de  la  nature  et  à  la  mor- 
litier,  dans  celui-ci,  au  contraire,  vous  lui 
procurez    un  soulagement,    un   repos   qui 


peut  aisément  produire,  et  qui  ne  produit 
que  trop  souvent  en  efl'et  l'immortilicat'on, 
la  dissipation  et  le  relâchement.  Je  veux 
croire  que  ce  n'est  point  là  votre  motif  e:) 
prenant  votre  récréation;  une  bonne  oî 
sainte  religieuse  n'y  doit  chercher  qu'à 
donner  à  son  esprit  et  à  son  corps  un  délas- 
sement honnête  qui  lui  donne  la  force  de 
rera[)lir  tous  les  devoirs  de  son  saint  étal, 
et  les  emplois  qu'elle  y  occupe;  mais  jo 
sais  aussi,  et  vous  devez  en  convenu- 
avec  moi,  que  rien  n'est  plus  difficile 
(jue  de  s'y  tenir  dans  un  juste  milieu, 
que  de  garder  toujours  la  modération  dans 
les  délassements;  l'esprit  de  l'homme  est 
si  naturellement  porté  à  la  dissipation, 
sa  volonté  a  un  penchant  si  violent  pour 
tout  ce  qui  peut  la  fiatter  et  la  satisfaire; 
son  cœur  setit  un  attrait  si  vif  pour  la  sen- 
sualité, pour  le  plaisir,  qu'il  lui  est  bien 
difficile,  en  se  récréant,  de  no  pas  donner 
dans  quelque  excès,  de  s'en  tenir  toujours 
au  plaisir  innocent  et  modéré,  en  sorte 
qu'il  lui  est  beaucoup  plus  facile  de  se  pri- 
ver de  toute  satisfaction ,  de  tout  plaisir 
que  de  s'arrêter  et  de  se  modérer  dans  ce- 
lui qu'il  prend  :  voilà  ce  qu'ont  reconnu, 
dans  tous  les  temps,  ceux  qui  ont  le  mieux 
étudié  et  connu  le  cœur  humain  et  tous  ses 
penchants,  et  voilà  ce  qui  est  en  effet  d'uno 
expérience  journalière. 

Mais>  Mesdames,  ce  qui  rend  plus  dan- 
gereux encore  cet  exercice  de  la  récréation, 
c'est  le  temps  auquel  vous  vous  y  livrez; 
ce  sont  les  circonstances  qui  l'accompa- 
gnent ;  c'est  après  votre  repas,  c'esl-à-diro 
après  avoir  foriilié  votre  cor/)s,  après  avoir 
donné  à  votre  chair,  en  la  soulageant,  plus 
d'activité  et  de  forte  pour  se  satisfaire  et 
pour  se  révolter  contre  l'esprit.  Il  est  vrai 
que  dans  ce  temps  qui  suit  immédiatement 
la  nourriture  que  vous  avez  donnée  à  votre 
corps,  votre  esprit  est  moins  propre  à  se 
recueillir  qu'en  tout  autre  temps  ;  l'âme, 
qui  participe  pour  ainsi  dire  à  toutes  les 
atleclions  du  corps,  se  trouve  alors  comme 
lui  dans  une  espèce,  d'engourdissement 
qui  la  rend  incapable  d'une  appliciiliou 
suivie: c'est  donc  en  effet  le  temps  le  plus 
convenable  pour  donner  à  l'un  et  à  l'autre 
le  repos  et  le  délassement  dont  ils  ont  be- 
soin. Aussi  tous  les  fondateurs  et  institu- 
teurs d'ordres  se  sont-ils  accordés  à  dési- 
gner ce  temps  d'après  les  repos,  pour 
l'heure  de  la  récréation,  des  conversations: 
mais  quui(juece  soit  le  temps  le  plus  con- 
venable jiour  se  récréer,  il  n'en  est  pas 
moins  viai  que  c'est  aussi  le  temps  le  plus 
dangereux.  Si  avant  de  se  livrer  à  une  re- 
création l'on  sortait  d'un  exercice  saint  par 
lui-même,  si  l'on  venait  d'offrir  au  Sei- 
gneur ses  vœux  et  ses  prières,  ou  de  s'en- 
tretenir avec  lui  dans  l'oraison,  l'esprit 
rempli  de  saintes  i)ensées,  le  cœur  pénétré 
de  ideuses  affections,  on  se  tiendrait  natu- 
rellement sur  ses  gardes,  ou  craindrait  plus 
d'otrenser  1-e  Seigneur  et  de  lui  déplaire; 
ces  pensées  et  ces  sentiments  de  piéiédoni 
l'âme  se   sentirait  remplie  arrèlcryiçnl  ot 


259 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS, 


2ïa 


tieridiaient  en  quelque  snrto  en  respect 
toutes  les  facultés  de  l'Aïue,  et  comme  en- 
chaînées toutes  les  passions  et  les  inclina- 
tions raturelies  :  mais  il  n'en  est  pas  ainsi; 
celle  réciéalion  se  prend  après  que  la  na- 
ture venant  d'être  l'efaile,  pour  ainsi  dire, 
a  ac(iuis  une  nouvelle  force,  pour  satisfaire 
ses  inclinalions  et  ses  passions,  toujours  et 
essentiellement  opposées  à  l'esprit  du  chris- 
tianisme, et  encore  plus  à  celui  de  i'élal  reli- 
gieux. Mais  ce  n'est  pas  tout,  Mesdames,  ce 
quiaugmenleencoie le dangerde  vouséelia])- 
per  en  rétréalion,  de  vous  y  comporter  de 
façon  à  déplaire  au  Seigneur,  c'est  la  liheité 
que  vous  avez  alors  de  paiier,  de  vous  en- 
tretenir les  unes  avec  les  auties  :  Celui,  dit 
l'apôtre  saint  Jacques,  qui  ne  pèche  pas  par 
la  langue,  est  véritablcmcnl  parfait.  (Joe, 
III,  2.)  Il  faut  convenir  qu'en  elfet  ce  genre 
de  perfection  n'est  pas  commun;  lieu  de 
plus  rare  que  de  converser  quelaue  temps 
sans  avoir  de  fautes  h  se  reprocher;  c'est 
ce  que  reconnaissent  souvent  les  personnes 
religieuses  véritab'e.nent  zélées  pour  leur 
avancement  spirituel,  et  qui  ne  manquent 
jamais  de  s'examiner  sérieusement  sur  la 
manière  dont  elles  se  sont  comportées,  tant 
qu'elles  ont  eu  à  [)arler  et  à  converser  avec 
le  prochain  ;  les  paroles  soiit  les  signes  et 
les  expressions  non-seulement  des  idées 
de  l'es|)rit,  mais  encore  des  sentiments,  des 
«(Tections,  des  passions  du  cœur  :  or  c.^t-:l 
une  personne,  quelque  sainte  el  quelque 
parfaite  qu'on  jjuisse  la  supposer,  qui  n'ait 
toujours  quelque  inclination  naturelle  op- 
posée à  la  perfection,  à  la  sainteté?  sainteté 
qui  consiste  bien  moins,  après  tout,  à  n'a- 
voir aucune  passion,  aucun  défaut  q'j'à  les 
réprimer,  à  les  morlilier,  à  les  coiriger. 
Ce  n'est  donc  que  par  la  plus  grande  vigi- 
lance, que  par  une  attention  réOéchie  et 
(continuelle,  autant  sur  ses  propos  que  sur 
sa  conduite,  qu'on  peut  réussir  à  éviter  hs 
loUtes,  à  morlilier  ses  passions,  à  réprimer 
ses  mauvais  [)eneliaiils.  Mais  de  tous  les 
tenqis  de  la  journée  el  de  tous  les  exercices 
qui  la  remplissent,  il  n'en  est  point,  vous 
le  sentez  assez.  Mesdames,  où  l'on  soit 
moins  disposé  à  se  morlilier, à  se  contrain- 
dre, à  s'observer,  que  celui.de  la  récié;ition: 
réunie  h  ses  sœurs,  uniquement  pour  don- 
ner quelque  relâche  à  son  es[)rit,  nu  jieu 
de  repos  à  son  corps,  on  se  croit  en  droit 
de  se  dissiper  un  peu,  de  dilater  son  cœur  ; 
de  là  cette  pente  naturelle  à  se  salisfaire  en 
tout  ce  qu'on  ne  croit  pas  péché;  de  là  celle 
liberté  qu'on  se  donne  de  manifester,  par 
ses  propos,  ses  pensées,  les  jugeuients  de 
son  esprit,  comme  les  alfections,  les  senli- 
luenls  de  son  cœur  :  or  est-il  bien  aisé  de 
se  donner  sur  tout  cela  une  pleine,  une 
entière  liberté,  sans  passer  les  bornes  et 
sans  se  rendre  coupable  de  quelques  fautes, 
et  de  fautes  considérables  ujême  quelque- 
lois.  Voilà,  Mesdames,  les  dangers  auxque.s 
vous  exposent  vos  récréatioiis  ;  je  croi?, 
sur  cette  ciaiière  comme  sur  touie  autre, 
Il  avoir  r, en  outré,  rien  exagc-ré;  plus  d'une 
t'.tis    peut-ètiC;  eu  m'écoutant,  ôtes-vous 


convenues  intérieuremont  (ju'en  eiTet  tout 
ce  que  je  vous  disais  était  fondé  sur  l'ex- 
périence et'  sur  votre  [irijpre  expérience.  Il 
vous  est  donc  bien  im|)Orlf;nt  de  veiller  at- 
tentivement sur  vous  au  temps  de  vos  ré- 
créations, de  vous  appliquer  à  vous  récréer 
saintement,  vous  venez  do  le  voir;  maisqua 
devez-vous  faire  et  dans  quelles  disposi- 
tions devez-vous  6tre  pour  vous  récréer 
saintement?  c'est  le  sujet  de  la  seconde 
partie. 

SECONDE   PAUTIE. 

•  Vous  le  savez,  Mesdames,  nos  actions, 
quelles  qu'elles  soient,  ne  peuvent  être  sain- 
tes,e'esl-à-dire  agréables  à  Dieu  et  méritoires 
pour  nous, qu'autant  qu'elles  sont  faites  dans 
do  saintes  dispositions.  Il  faut  convenir  ce- 
[  endant  que  toutes  n'exigent  pas  Je  même 
genre  de  dispositions.  Celles  qui  ont  un 
ra{)port  plus  immédiat  à  Dieu  et  à  son  ser- 
vice, comme  la  jjrière,  la  méditation,  la 
confession,  la  communion,  demandent  sans 
doute  des  dispositions  plus  intérieures  et 
plus  parfaites  que  celles  qui,  quoique  de- 
vant toujours  lui  être  rapportées,  ne  regar- 
dent pas  son  culte  d'une  façon  aussi  directe, 
telles  que  le  travail  manuel,  les  repas,  le 
sommeil  et  la  récréation,  de  laquelle  je  vous 
enireiiens  ici  :  or,  pour  juger  quelles  disf)0- 
sitions  sont  nécessaires  pour  s'acquitter 
saintement  do  cet  exercice  ,  il  n'y  a  qu'à 
voir  les  défauts  dans  lesquels  on  tombe  le 
plus  communément  en  s  y  livrant;  les  ver- 
tus opposées  à  ces  défauts  :  voilà  les  dispo- 
sitions nécessaires  pour  s'en  bien  acquitter. 
Quels  sont-ils  donc,  ces  défauts  les  plus  or- 
dinaires? Les  voici:  le  premier  que  je  re- 
marque, c'est  que  sous  le  prétexte  de  se  ré- 
créer et  de  donner  quelque  relâche  à  son 
esprit,  on  se  livre  à  un  trop  grand  épan- 
chement,  à  une  trop  grande  dissipation; 
or,  le  remède,  c'est  de  conserver,  j)endant 
cet  exercice,  un  certain  recueillement  qui 
n'est  point  i"ncom|)atible  avec  le  délasse- 
ment et  le  repos  qu'on  y  prend  ;  le  second 
défaut  dans  lequel  on  tombe  lacilement  (n 
récréation,  c'est  d'y  chercher  trop  à  se  sa- 
tisfaire ,  c'est  de  se  rechercher  trop  soi- 
même,  de  retomber  trop  sur  soi-ujême,  de 
trop  vouloir,  en  un  mot,  0(CU()er  les  autres 
de  soi  ;  or,  le  remède  à  ce  défaut,  c'est  de 
conserver,  à  la  lécréation  comme  p.irlout 
ailleurs,  de  bas  senliments  de  soi-même, 
d'éviler  toulcequi  pourrait  flatler  et  nour- 
rir l'amour-propre.  Enfin  un  troisième  dé- 
faut, et  trop  commun  dans  les  récréations, 
et  qui  Cbt  comme  une  buile  du  précédent, 
c'est  d'être  trop  indiilérent  pour  les  autres, 
de  manquer  d'attention,  de  complaisance  a 
leur  égard  ;  or  le  remède,  c'est  de  chercher 
à  leur  plaire  ,  et  de  se  montrer  toujouis 
charitable  à  leur  égard.  Ainsi,  Mesdames, 
esprit  de  recueillement,  esjjrit  d'humilité, 
esprit  de  charité  ;  voilà  les  disposilions  qui 
me  paraissent  les  plus  nécessaires  pour 
prendre  saintement  vos  récréations.  Encore 
quelques   moments  de   votre  altentioi!,  je 

vous   I);  i 


î:î 


DISCOURS  DE  RETRAlTt:.  —  CINQUIEME  JOUR. 


25-2 


1.  Je  dis,  eu  preuiic-r  non,  esprit  <ie  re- 
cueillemeiil ;  mais  prenez  garde  ici,  Mesda- 
nios,  que  je  ne  demaiule  pas,  <i  vos  rè- 
tnt'alions  ,  le  même  rocueiliemont  qu'au 
saciifii'O  de  la  messo,  par  exemple,  qu'à 
l'oraison,  h  l'oflice  divin,  ou  dans  la  ré- 
ception des  sacrements  :  dans  ces  cxer- 
i  icos  tout  de  religion  et  de  piété,  vous  ne 
I)ouve2trop  vous  melire  dans  un  saint  et 
profond  recueillement,  qui  vous  porte  à 
rentrer  entièrement  au  dedans  de  voiis- 
mônios,  à  vous  unir  élroilement  à  voire 
Dii  u  ;  qui  vous  tienne,  pour  ainsi  dire,  tou- 
tes pénétrées  de  votre  Dieu,  toutes  abîmé,  s 
en  voire  Dieu  ;  non,  le  recueillement  que 
je  dis  nécessaire  pour  vos  récréalions 
n'exige  pas  tout  cela,  parce  que  tout  cela 
n'est  pas  compatible  avec  le  repos,  le 
délassement  de  l'esprit  et  du  corps.  Ce  que 
je  demande,  c'est  un  recueillement  qui. 
au  milieu  du  délassement  et  de  la  joie  qui 
l'accoiripagne,  laisse  assez  de  présence  d'es- 
jirit  pour  n'y  jamais  perdre  la  discrétion,  la 
modération,  modération  qui  doit  se  mani- 
lesler  d'abord  dans  tout  l'intérieur,  qui  fait 
qu'on  reste  dans  on  maintien  honnête  et 
dévof,  qui  empêche  qu'on  ne  se  livre  à  un 
enjouement  excessif,  à  une  dissipation  ou- 
trée, à  des  rires  immodérés  comme  les  pei- 
sonnes  du  monde.  Celles-ci  ne  croient  se 
bien  réjouirqu'autant  qu'ellesdonnent  dans 
l'excès,  et  dans  les  plus  grands  excès  (juel- 
quefois  ;  tout  [dais'r  décent  et  modéré,  par 
la  même,  leur  déplaît,  et  ne  peut  suffire  à 
leur  cspri!  trop  dissipé,  et  h  leur  cœur  dé- 
|travé  et  corrompu  :  mais  les  plaisirs,  les 
amusements  des  personnes  spécialeujent 
coi)Saciétsà  leur  Dieu,  doivent  toujours  se 
ressentir  de  la  sainteté  de  leur  état  ;  on  s'y 
livrant,  elles  ne  doivent  jamais  oublier  ni 
perdre  de  vue  les  engagements  qu'elles  ont 
contractés  avec  le  Seigneur,  et  l'obligation 
uans  laquelle  eiles  sont,  eu  (jualilé  de  ses 
épouses,  de  suivre  en  lout  ses  leçons,  de 
Uiarchcr  sur  ses  traces,  et  de  passer  leurs 
jours,  comme  lui  par  conséque!:t,  dans  la 
tristesse,  dans  les  tribulations  et  dans  les 
larmes.  Ainsi,  si  leur  règle,  leur  consti- 
tution leur  permettent  d'employer  quelque 
temps  à  se  récréer,  leurs  récréalions  doi- 
vent être  bien  moinsde  vraisplaisirs  qu'une 
courte  et  légère  suspension  do  la  prière,  de 
l'application  et  du  travail.  Celte  modération 
fait  cûcore  qu'on  ne  s'épanche  pas  trop  au 
dehors,  qu'on  ne  donne  pas  une  trop  grande 
carrière  à  ses  sens,  de  façon  à  ne  pouvoir 
pli;s  les  retenir,  la  récréation  finie.  Si  elle 
permet,  si  elle  exige  même  qu'on  parle, 
qu'on  s'entretienne  avec  ses  sœurs,  elle  in- 
leriiit  aussi  un  flux  excessif  de  [)aroles  qui 
les  fatigue,  et  qui  les  empêche  de  parler  è 
b'ur  lour;  elle  interdit  de  plus  touteparole, 
lout  propos  qui  manifeste  la  connaissance 
et  l'amour  du  monde,  et  de  tout  ce  que  le 
monde  estime  le  jdus,  et  (jui  puisse  l'inspi- 
rer aux  autres.  Mais  ce  qu'elle  interdit  sur- 
tout, (elle  modération,  c'est  tout  discours 
trop  libre,  trop  licencieux,  qui  puisse  alar- 
mer la  modestie.  Mesdames,  un  seul  mot 


iiu|)ru(iemment  lAcne  en  recréalion,  a  plus 
d'une  fois  troublé  des  conscie  ^ces  tendres 
et  délicates.  Celte  modéralion  fait  (pi 'en 
se  récréant  on  se  tient  en  ];i  présence  de 
Dieu  :  ces  deux  choses  ne  sont  |ioinl  incom- 
p.ffibles.  On  a  vu,  et  l'on  voit  encore,  quoi- 
(pie  malheureusement  plus  rarement  qu'au- 
trefois, des  personnes  religieuses  no  pas 
perdre,  dans  tout  le  cours  de  la  journée,  la 
piéseiice  de  Dieu.  Si  vous  n'êlesjias  oneoro 
parvenues  à  ce  degré  de  [)erfectioii,  colle 
modération  vous  portera  du  moins  l\  vous 
rappeler  de  tonqis  en  temps  cette  présence 
de  Dieu,  à  élever,  au  milieu  de  votre  ré- 
création, voire  esprit  et  votre  cœur  vers 
Dieu,  pratique  si  utile,  que  dans  quelques 
communautés,  une  religieuse  est  pré()Oséc 
pour  rappeler  à  Dieu,  dans  ce  temps,  loutea 
sessœurs,etpourleur  fa  ire  élever  leurs  cœurs 
vers  lui.  Cette  modération  s'élendant  à  loul, 
et  interdisant  tout  excès,  emiiêche  encore 
qu'on  n'use  d'une  trop  grande  familiarité, 
soit  dans  les  expressions,  soit  dans  les  ac- 
tions, dans  la  conduite  ;  familiarité  toujours 
nuisible  à  une  communauté,  lorsqu'elle  y 
règne,  et  qui  souvent  a  été  la  source  do 
bien  des  désordres  ;  elle  fait  donc,  ceil(! 
modération,  qu'en  se  parlant  on  allie  un 
air  et  un  ton  de  cordialité  et  d'amitié,  avec 
les  égards  et  un  certain  res|)cct  qu'on  se 
doit  mutuellement,  et  qu'exige  toujours  la 
qualité  d'épouses  de  Jésus-Christ.  Voilà, 
Mesdames,  les  bons  effets  que  produit  cet 
esprit  de  recueillement,  lorsqu'on  le  porte 
à  la  récréation,  et  qu'on  l'y  conserve  ;  il  em- 
pêche qu'on  ne  se  rende  coupable,  et  qu'on 
n'ait,  en  sortant  do  cet  exercice,  bien  des 
fautes  à  se  reprocher:  il  lait  plus  encoiv, 
il  fait  qu'on  passe  aisément  et  sans  peine 
de  cet  exercice  naturellement  dissifianl  aux 
exercices  les  plus  sérieux  et  les  {dus  dé- 
vols ;  mais  pour  passer  saintement  ses  ré- 
créalions, cet  esprit  de  recueilleiueul  no 
suffit  pas,  il  faut  de  plus  un  esprit  d'humi- 
lilé. 

II.  L'humilité,  vous  le  savez,  Mesdaïae; 
est  la  première  de  toutes  les  vertus,  la 
base  et  le  fondement  de  la  vraie  perfec- 
tion, de  la  vraie  sainteté  ;  c'est  une  vertu 
nécessaire  par  conséquent  à  tout  chrélien, 
et  encore  plus  à  des  épouses  de  Jésus- 
Christ  ;  c'est  à  elles  surtout,  que  le  divin 
Sauveur  dit,  comme  il  le  disait  à  ses  dis- 
ciples :  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et 
humble  de  cœur  {Matth.,  IV,  29j  ;  et  si  l'on 
voit  dans  la  religion  si  peu  do  personnes 
s'élever  à  la  perfection  qu'exige  leur  saint 
éial,  c'est  le  plus  souvent  au  défaut  do 
celte  vertu  qu  il  faut  l'atlribucr.  Mais  s'il 
est  un  temps  où  une  épouse  de  Jé.sus- 
Clirist  doive  mettre  cette  belle  vcrlu  en 
pratique,  c'est  au  temps  de  la  'récréation, 
parce  que  c'est  celui  où  il  est  aisé  el  assez 
commun  de  se  laisser  aller  à  des  défaut'; 
qui  lui  sont  0|»posés.  Une  religieuse  so 
trouvant  alors  dans  une  plus  grande  liberl» 
que  dans  tous  les  autres  temj)S  de  la  journée, 
si  elle  n'est  véritablement  huiidjle,  il  est 
bien   à  craindre  qu'elle   n'idjuse   de  celle 


fÀZ 


ORATFAIRS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


3i4 


liberté   pour  flatter  son  amour-propre,  tt 
pour  satisfaire  sou   orgueil;  de  là  en  effet, 
quand  on  ne  s'observe  pas,  cette  facilité  à 
parler  de  soi  et  des  siens,  à  insinuer  adroi- 
tement quelques  mots  sur  ses  bonnes  qua- 
lités, et  quelquefois  au«si   sur  ses  défauts, 
sur  son  peu  de  capacité  et  de  mérite,  mais 
qui  n'ont  pour  but  que  de  se  faire  estimer 
davanliige  de  celles  avec  lesquelles  on  con- 
verse ;  de  là  celte  intention,  cette  adresse, 
li  se  joindre  aux  personnes  distinguées  par 
leur  naissance,  par  leur  emploi,  ou  par  leurs 
belles  qualités,  et  quelquefois  aussi,  à  s'u- 
nir à  celles   qu'on  juge  inférieures  à  soi, 
dans  l'intention  de  primer,  de  dominer  sur 
elles;  de  là  ce  ton  de  supériorité    qu'on 
prend  sur  les  j^jlres,  cette  liberté  qu'on  se 
lionne  de   les  interrompre,    de   combattre 
leurs  idées,  leurs  sentiments,  de  proposer 
les   siens  avec  empire,   de   vouloir   qu'ils 
soient  écoulés,  et  de  plus,  universellement 
approuvés;    de   là  celte  délicatesse,    cette 
jiauleur,  ces  pnroles   sèclies,  aigres,  offen- 
santes, lorsqu'on  les  voit  contredits  et  com- 
battus; de  là  cet  entêiement  à  les  défendre; 
cette  vivacité,  cette  chaleur  dans  la  dispute, 
et  qui  trouble  souvent  autant  la  paix  avec 
soi-même,  qu'avec  les  autres:   or  ces  dé- 
fauts qui  se  commettent  et  qui  se  manifes- 
tent dans  les  récréations,  si  vous  voulez  y 
faire  attention,  Mesdames,  partent  tous  du 
même  principe,  de  l'aniour-propre,  de  l'or- 
gueil qui  porte  à  se  préférer  aux  autres,  à 
vouloir  l'emporter  en  tout   sur  les  autres; 
le  remède   par  conséquent,  pour  s'en  cor- 
riger, et  le  plus  grand  préservatif  pour  les 
éviter,   c'est    l'humililé.  Oui,  qu'une   reli- 
gieuse   soit    sincèrement,  intérieurement 
liumble,  on  la  verra,  en  récréation,  conser- 
ver là,  comme  ailleurs,  et  plus  qu'ailleurs 
encore,   de  bas    senliments    d'elle-même; 
quelque  nom  qu'elle  i)Orte,  quelques  talents 
qu'elle   ait,   de  quelques  bonnes    qualités 
qu'elle  soit  douée,  elle  sera  bien   éloignée 
de  s'en  enorgueillir,  de  se  faire  valoir;  on 
no  la  verra  point  y  chercher  à  se  faire  es- 
timer de  ses  sœurs;  jamais   on  ne  l'enten- 
dra parler  ni   de  ses  défauts,  pas  plus  que 
de  ses  verlu>:,  ni  de  sa  naissance,  de  ses 
parents  et  du  rang  qu'ils  peuvent  tenir  dans 
Je  monde  ;    ayant   la   même   estime    et  les 
mêmes  égards  pour  toutes  ses  sœurs,  elle 
se  ferait  scrupule  de  préférer  les  unes  aux 
autres  ;   elle  se  joindra   tout  simplement, 
sans  chois,  sans  prédilection,  avec  les  pre- 
mières aue  la  Providence  lui  présentera,  ou 
avec  celles  que  l'obéissance  lui  prescrira; 
si  elle  avait  un  choix   à  faire,  une  préfé- 
rence à  donner,  pour  suivre  l'exemple  de 
son  céleste  Epoux,  qui  ne  dédaignait  pas 
de  converser  avec  des  disciples  simples  et 
i^rossiers,    son   humilité  la    porterait  à    se 
joindre   à  celles  qui  paraissent  les  moins 
i'onsidérables    et    les    moins   recherchées  : 
bien  loin  de  vouloir  primer,  tenir  le  pre- 
mier rang  dans  les  cercles  où  elle  se  trouve, 
cornme  elle  ne  parlera  que  parce  qu'elle  s'y 
croi.t  obligée,  pour  soutenir   la  conversa- 
tion, elle  n'aura  point  la  petite  vanité  d'j 


faire  briller  son  esprit,  de  vouloir  être 
écoulée,  louée  et  ajiplaudie  :  bien  éloignée 
de  désirer  qu'on  pense  comme  elle,  et 
qu'on  adhère  en  tout  à  ses  propos,  à  ses 
opinions  ;  toujours  animée  des  sentiments 
d'une  vraie  humilité,  on  la  verra  déférer  en 
toui  aux  avis  des  autres,  rechercher  tou- 
jours bien  plus  à  faire  paraître  ses  sœurs 
qu'à  paraître  elle-même.  Voilà,  Mesdames, 
les  bons  effets  que  produit  la  sainte  vertu 
d'humilité,  lorsqu'elle  règne  véritablement 
dans  l'âme;  au  lieu  que  l'orgueil,  que  l'a-, 
mour-propre  fait  commettre  une  infinité  do 
fautes,  et  dans  une  seule  récréation  quel- 
quefois, l'humilité  au  contraire,  non-seule- 
ment préserve  de  toutes  ces  fautes,  mais 
elle  fait  pratiquer  bien  des  vertus,  ,et  aug- 
menter, par  là,  le  nombre  des  mérites, 
dans  un  exercice  bien  capable,  si  l'on  n'y 
prend  garde,  de  faire  perdre  ceux  qu'on 
avait  acquis  dans  les  autres. 

111.  Mais  si  le  recueillement  et  l'humilité 
sont  des  vertus  si  nécessaires  à  une  per- 
sonne de  communauté,  à  une  religieuse, 
pour  se  conduire  saintement  au  temps  de 
la  récréation,  il  en  est  une  troisième,  et  j'ose 
le  dire,  d'une  plus  grande  nécessité  encore, 
c'est  la  charité,  Mesdames;  c'est  cette  bella 
vertu,  la  reine  de  toutes  les  vertus,  qui  pro- 
duit l'union,  un  des  plus  grands  biens,  di- 
sons même  le  plus  grand  bien  dont  puisse 
jouir  sur  la  terre  une  sociéié  religieuse, 
mais  bien,  je  puis  l'ajouter  ici,  qui ,  quel- 
que désirable  et  quelque  avantageux  qu'il 
soit,  ne  se  trouve  [las  toujours,  môme  par- 
mi des  épouses  de  Jésus-Christ  :  il  ne  s'y 
trouve  que  trop  souvent  des  caractères  que 
la  divine  Providence  semble  n'y  avoir  pla- 
cés que  pour  exercer  les  autres,  et  leur 
procurer  par  là  un  moyen  de  plus  de  méri- 
ter  et  de  se  sanctifier;  caractères  plus  pro- 
pres à  causer  le  trouble  qu'à  maintenir  la 
paix,  et  qui  ne  se  manifestent  jamais  mieux 
que  dans  les  récréations  :  or  ces  caractères 
peu  profires  à  la  société,  parce  qu'ils  sonl 
peu  doués  de  charité,  ce  sont  des  personnes 
diliiciles  et  impatientes  qui  ne  peuvent  rien 
souffrir,  qui  veulent,  qui  prétendent  qu'on 
supporte  les  défauts  qu'elles  peuvent  avoir, 
mais  qui  ne  peuvent  prendre  sur  elles  de 
supporter  Ks  défauts  des  autres,  qui  por- 
tent.leur  impatience  jusqu'à  se  choquer, 
dans  leurs  sœurs,  des  défauts  naturels 
quelquefois;  ce  sont  des  personnes  ombra- 
geuses et  sensibles,  qui  pleines  d'elles- 
luêuies,  s'imaginent  toujours  qu'on  parle 
d'elles,  qu'on  les  examine  et  qu'on  les  cen- 
sure ;  qui  interprètent  toujours  mal  ce  que 
l'on  peut  dire,  ou  que  le  moindre  mot  de 
raillerie,  dit  quelquefois  simplement  et 
sans  malice ,  offense  grièvement;  ce  sont 
des  personnes  entières  et  volontaires,  in- 
capables de  la  moindre  complaisance,  qui 
ne  savent  janiais  se  piier  aux  inclinations 
des  autres,  esprits  contrariants  et  bizarres 
qui  se  font  comme  une  loi  non-seulement 
de  ne  pas  penser  comme  les  autres,  mais 
encore  d'agir  toujours,  de  se  comporter  en 
«.out  autrement  que  les  autres  ;  ce  sont  des 


S4S 


DISCOURS  DE  RKTRMTE.  —  CINQUIKMK  JOUR. 


!ir. 


personnes  brûles  et  grossières,  sans  édu- 
cation, sans  politesse,  qui  ne  savent  dire 
ou  répondre  rien  de  gracieui,  qui  se  plai- 
sent à  dire  des  rriallionnêlelés  ;  ce  sont  des 
[)ersonnes  vives  et  bouillantes,  peu  accou- 
tumées à  ré()rinier  leur  impétuosité  natu- 
relle, qui  prennent  leu  au  moindre  inoi 
(jui  les  choque,  qui  ne  manquent  jamais  do 
laire  éprouver  leur  ressentiment  par  des 
jiaroles  dures  et  oireiisantes  ;  ce  sont  des 
personnes  naturellement  portées  à  la  criti- 
que, à  la  raillerie,  qui  trouvent  h  censurer 
tout,  à  se  moquer  de  tout ,  qui  cédant  sans 
résist;ince  à  ce  pencliant,à  cetle  [lassion 
de  censurer  et  de  railler,  purlnnt  leur  cen- 
sure et  leur  raillerie  non-seulement  sur 
leurs  sœurs,  mais  encore  sur  la  conduite 
des  personaes  préjiosées  pour  les  gouver- 
ner ou  pour  Ksdi.igcr;  qui  aiment  mieux, 
otlenser  lepri^liain  et  lui  déplaire,  que  de 
i'abstenir  d'uu  mot  également  plaisant  et 
ulTensant;  ce  sont  des  personnes  qui  atTec- 
leut  de  paraître  en  tout  mystérieuses  et 
cachées,  qui  dans  leur  conduite  et  leurs 
discours  ne  monlrenl  rien  (io  franc,  de  na- 
turel ;  qui  sont  si  accouluuiées  à  la  dissi- 
mulation, que  jusque  dans  les  choses  les 
plus  sim|)les,  les  plus  coiuuiunes,  elles  font 
les  réservées ,  comuie  dit  saint  François  de 
Sales,  en  ne  s'expriniant  jamais  comme 
elles  pensent ,  et  |)arlant  le  plus  souvent 
tout  aulreuient  qu'elles  ne  pensent.  Tous 
ces  carartéres,  vous  les  comprenez  comme 
moi.  Mesdames,  non-seulement  ne  concou- 
rent ()oint  au  bien  général,  mais  ils  ne  [)eu- 
vent  que  lui  nuire  beaucou[)  en  éloignant 
celle  pais,  cetle  concorde,  celle  union  qui 
doit  l'aire  tout  le  bonheur  d'une  société 
religieuse,  d'une  troupe  d'épouses  de  Jésus- 
^lirisl.  Or  tous  ces  défauts  étant  esseu- 
liellement  opposés  à  la  charité,  absolument 
incompatibles  avec  la  charité,  il  ne  faut 
donc,  pour  s'en  préserver  ou  pour  s'en  cor- 
riger, que  se  livrer  à  la  pratique  de  cetle 
Vertu,  que  s'alferujir  dans  celte  sainte  et 
belle  vertu.  Qu'une  religieuse,  en  elfet, 
soit  véritablement  charitable,  on  la  voit  dès 
lors  toujours  au  lemps  des  récréations  édi- 
fier ses  sœurs  et  leur  plaire  à  toutes,  parce 
qu'on  la  voit  sup[)orler  leurs  délauts  , 
(juels  qu'ils  puisseul  être,  ne  pas  s'en  aper- 
cevoir, les  excuser  même  dans  les  occa- 
sions et  chercher  à  les  dédommager  en 
quelque  sorte  par  ses  bonnes  façons,  des 
rebuis  et  des  dédains  qu'elles  ont  à  essu.yer 
quelquefois,  u'iguorant  pas  la  belle  maxime 
de  saint  François  de  Sales,  quNI  faut  ôlre 
complaisant  pour  le  i)iochain  jusqu'au  pé- 
ché exclusivuuienl  ;  ou  la  voil  ne  tenir  ja- 
mais à  ses  goûts,  à  ses  penchants,  à  ses 
iaclinaiions  naturelles;  on  la  voit  les  sacri- 
ti.  r  ujêuie  volontiers"  et  avec  plaisir,  aux 
/oùts  et  aux  inclinations  des  autres  ;  se 
faire  toujours  beaucoup  plus  de  plaisir  de 
faire  leur  volonté  que  la  sienne  projire  ; 
bien  éloignée  de  vouloir  mortiûer  ses  sœurs, 
de  leur  répondre  avec  humeur  et  vivacité, 
elle  souifre  j).ilieinmenl  et  avec  la  plus 
grande  égalité  d'ûinc_  les  paroles    vives  cl 


pou  mesurées  qu'on  peut  lui  dire,  ou  les 
(irocédés  peu  agréables  f|u'oti  peut  avoir 
à  son  égard  ;  ne  perdant  jamais  cette  dou- 
ceur qui  fait  son  caractère,  quelque  sen- 
sible (lu'elle  soit  <i  ces  mauvais  procédés, 
elle  a  soin  d'étouffer,  dès  leur  naissance, 
les  petits  ressentimenls  qui  peuvent  s'é- 
lever dans  son  cœur,  et  do  ne  répondre 
à  ces  procédés  que  par  des  cordialilés, 
des  attentions ,  [)ropres  <»  se  gagner  les 
cœurs  les  moins  disposés  pour  elle  : 
constamment  occupée,  et  uniquement  occu- 
p.ée  de  l'ouvrage  de  sa  ()erfection,  jauiais  ou 
no  la  voil  censurer,  bh\mer,  condamner  les 
actions  d'autrui;  et  bien  loin  de  se  donner 
cetle  liberté,  touchant  les  personnes  supé- 
rieures, elle  se  ferait  un  point  de  conscience 
de  l'exercer  même  à  l'égard  de  la  dernière 
de  la  communauté  :  par  ce  même  |)rincipe, 
sachant  combien  les  railleries  sont  propres 
à  offenser,  et  que  les  plus  spirituelles  sont 
celles  souvent  qui  offensent  le  plus,  elle 
éviîe  avec  soin  de  badiner,  de  railler  per- 
soinie;  extrêmement  compalissante,  car  on 
l'est  toujours,  quand  la  charité  règne  dans 
le  cœur,  on  la  voit  s'intéresser  sincèrement 
pour  celles  que  le  Seigneur  daigne  visiter 
par  des  infiiniités  corporelles,  ou  par  des 
peines  de  l'esprit,  [dus  douloureuses  en- 
core que  celles  du  corps  ;  on  la  vo.l  se  join- 
dre à  elles,  leur  d(jnner  les  secours,  les  avis 
et  les  consolations  dont  elles  sont  suscep- 
tibles; en  un  mot,  sans  avoir  aucune  amilié 
particulière,  qu'elle  évite,  qu'elle  abhorre 
même  comme  la  ruine  des  communautés, 
elle  montre,  dans  les  temps  do  récréations, 
comme  partout  ailleurs,  un  attachement 
égal  pour  toutes  ses  sœurs,  quelques  dé- 
fauts qu'elles  puissent  avoir,  et  quelque 
peu  aimables  qu'elles  puissent  être;  sa  cha- 
rité |ne  lui  fait  apercevoir  dans  elles  que 
des  sœurs  qui  lui  sont  chères,  que  des  épou- 
ses de  Jésus-Chrit,  destinées  5  vivre  comme 
elle  et  avec  elle,  au  séjour  élernel  de  la' 
gloire;  pleine  de  charité  en  un  mot,  il  ne 
lient  [loint  h  elle  qu'il  ne  règne  dans  toute 
la  maison  et  dans  tous  les  cœurs  une  paix, 
une  concorde  universelle  et  [iarfaite.  Que! 
spectacle  en  effet  plus  agréable,  plus  ravis- 
sant qu'une  troupe  de  vierges,  qui,  appe- 
lées par  le  Seigneur  à  le  servir  dans  un 
même  lieu  et  soiis  les  mêmes  lois,  parais- 
sent, au  temps  de  leur  récréation  surtout, 
oij  elles  se  trouvent  toutes  réunies,  vivre 
dans  une  union  parfaite,  n'avoir  toutes,  à 
l'exemple  des  premiers  lidèles,  qu'un  cœur 
et  qu'une  àme,  se  léjouir  toutes,  mais  véri- 
tablement, dans  le  Seigneur,  supporter  uiu- 
luellemenl, leurs  défauts,  leurs  misères,  tou- 
jours inséparables  de  la  faible  humanité, 
s'honorer,  se  prévenir  ,  se  respecter  les 
unes  les  autres,  s'aimer  toutes  également, 
dans  Dieu  et  pour  Dieul  Quel  spectacle  en- 
core une  fois  !  Qu'il  serait  édifiant  aux  yeux 
des  fidèles,  qui  en  seraient  léujoins,  et  qu'il 
est  agréable  aux  yeux  du  Seigneur,  leur  di- 
vin époux,  qui  les  voit  1  11  représente,  en 
quehiue  sorte,  le  séjour  de  fa  gloire,  où  tout 
est  dans  la  joie  et  dans  la  pai^  ;  mais  héi&i  1 


i.l 


ORATEURS  SACRES. 


il  fjiul  en  convenir  ici,  il  n'est  pas  aussi 
commun  qu'il  devrait  l'ôtrr^,  même  dans  les 
loriimunaulés  quelquefois,  qui  ont  une  rc^- 
l^ulariié  ;  que  de  fautes  se  commettent, 
dans  les  r(''cri^ations,  contre  la  sainte  vertu 
de  cliarité!  Combien  d'épouses  do  Jésus- 
C.lirisl,  auxquelles  cet  exercice,  qu'on  peut 
rendre  méritoire,  comme  tous  les  autres,  a 
été  l'occasion  de  bien  des  divisions,  des  aii- 
ti|  atbics,  des  aversions  môme  nourries  et 
conservées  quelquefois  ju<;(ju*à  la  mort,  et 
le  |)rincipe  par  là  de  leur  répr  )balion  I  Com- 
bien du  moins  qui,  dans  les  examens  qu'el- 
les font  en  terminant  la  journéi',  se  trou- 
vent couiables  par  rap|)orl  à  cet  exercice, 
d'une  inlînilé  de  fautes,  et  de  fautes  con- 
sidérables quelquefois! 

Ah  1  Seigneur,  cela  n'est  que  trop  vrai, 
pour  moi  du  moins;  combien  de  fois,  au 
sortir  de  la  récréation,  j'ai  eu  5  me  repro- 
cher de  m'élre  comportée,  dans  cet  exer- 
cice, non-seulement  sans  charité,  mais  do 
plus  sans  humilité,  et  avec  une  dissipation 
que  j'ai  portée  ensuite  aux  plus  saints  exer- 
cices, et  qui  m'ont  enqiêcliée  de  m'en  ac- 
quitter, comme  je  le  devais  I  Que  de  fautes 
et  de  toute  espèce  en  pensées,  en  senti- 
ments, en  paroles,  en  actions,  dont  je  me 
suis  rendue  cou(rable,et  par-là,  que  de 
fautes  encore  j'ai  fait  commettre  aux  autres 
peut-être!  Combien  de  fois,  je  me  les  suis 
leprochées,  et  vous  me  les  avez  inlérieure- 
nient  roi  rochées  vous-même.  Seigneur! 
Combien  de  fois  je  les  ai  portées  au  tribu- 
nal de  la  pénitence,  nie  résolvant  toujours, 
et  toujours  promettant  de  veiller  plus  sur 
moi,  et  faute  d'attention,  de  vigilance,  y 
retombant  toujours  1  Hélas!  cet  exercice 
peut  me  sanctifier;  il  doit  me  sanctifier, 
comme  tous  les  autres;  que  de  vertus  h  y 
pratiquer  lorsqu'on  y  porte  un  esprit  chré- 
tien et  religieux!  que  de  mérites  par  con- 
séquent j'ai  perdus!  lise  répète  si  souvent 
cet  exercice.  J'ai  donc  rendu,  par  ma  faute, 
absolument  inutile,  pour  mon  salut,  une 
partie  considérable  de  ma  vie;  quelle  affli- 
geante réflexion  !  Quelle  perte  1  Ah!  je  vais 
travailler  à  la  réparer  démon  mieux;  j'en 
j'rends  la  résoiulion  dans  ce  moment,  ô  mon 
l^ieu  ;  tout  ce  temps  que  vous  voudrez  bien 
m'accorder,  pour  me  reposer,  pour  me  ré- 
créer, je  vous  promets  de  l'employer  désor- 
mais (l'une  façon  conforme  à  res[)rit  do  ma 
lègle  et  de  mes  constitutions  ;  pour  cela,  je 
vous  aurai  toujours  présent  à  mon  esprit, 
et  encore  plus  dans  ruon  cœur;  je  veillerai 
et  me  ferai  une  heureuse  habitude  de  veil- 
ler, pendant  cet  exercice,  sur  mes  pensées, 
sur  mes  jugements,  sur  mes  affections,  sur 
mes  f)aroles,  sur  mon  maintien,  sur  toute 
ma  conduite  en  un  mot,  afin  qu'il  ne  se 
trouve  rien  que  d'édifiant,  pour  mes  sœurs, 
et  rien  pour  moi  que  de  digne  de  vos  récom- 
penses éternelles.  Ainsi  soit-il. 


L'ABBE  DE  MONTIS. 

CINQUIEME  JOUR. 


«kS 


Troisième  discours. 

SUR     I.A     FIDÉLITÉ      AUX      INSPIRATIONS    DE      LA 
GRACE. 

Exliorlamur  ne  in  vacuum  graliam  Dei  recipialis.  (Il 
Coc.VIJ.) 

Nous  vuns  exhortons  à  ne  pus  recevoir  en  vain  la  grâce 
de  Dieu. 

Tel  était,  Mesdames,  le  zèle  de  Tapôtre 
saint  Paul  pour  le  salut  et  la  perfection 
d(.'S  âmes  qu'il  avait  gagnées  à  Jésus-Christ  : 
sachant  que  ces  nouveaux  chrétiens  qu'il 
avait  faits  no  (pouvaient  se  soutenir  dans 
la  foi  et  dans  l'amitié  de  leur  Dieu,  dont  ils 
étaient  devenus  le  temple  et  la  demeure, 
(]ue  par  une  grande  fidélité  à  cette  grâce 
qui  les  avait  enfantés  h  Jésus-Christ,  il  se 
cro.yait  obligé  de  les  exhorter  à  ne  la  ja- 
mais recevoir  en  vain,  à  se  prêter  fidèJe- 
ment  à  ses  inspirations  qui  les  portaient 
sans  cesse  à  des  retranchements,  h  des  mor- 
tifications, h.  des  œuvres  saintes,  propres  à 
faire  mourir  le  vieil  homme  et  à  perfec- 
tionner l'homme  nouveau,  formé  dans  eux 
par  le  saint  baptême. 

Mais  hélas  !  qu'elle  est  rare,  cette  parfaita 
fidélité  aux  inspirations  de  la  grâce,  non- 
seulement  parmi  Jes  chrétiens  du  siècle; 
sans  cesse  environnés  de  oaille  objets  qui 
les  occupent  et  qui  les  distraient,  ils  sont 
bien  peu  capables  d'entendre  le  Saint-Es- 
prit lorsqu'il  parle  à  leur  cœur  ;  mais  de 
plus,  parmi  les  personnes  qui,  ayant  fait  un 
divorce  éternel  avec  le  monde,  se  sont  en- 
sevelies pour  le  reste  de  leurs  jours  dans 
la  retraite,  à  dessein  d'y  accomplir  plus 
exactement  l'Evangile  de  Jésus-Christ  et 
d'y  mener  une  vie  plus  parfaite  que  les 
chrétiens  du  siècle!  Combien  parmi  elles, 
combien  de  ces  épouses  de  Jésus-Christ 
qui  ne  font  aucun  [)rogrès  dans  la  voie  de 
la  perfection  et  de  la  sainteté  ,  parce 
qu'elles  refusent  d'écouter  la  voix  du  Sei- 
gneur et  encore  moins  de  s'y  rendre  doci- 
les 1  Ne  pourrait-on  pas  leur  dire  ce  que 
saint  Etienne  disait  aux  Juifs  ses  persécu- 
teurs? Vous  résistez  et  vous  vous  êtes  l'ait 
une  malheureuse  habitude  de  résister  au 
Saint-Esprit  et  à  tout  ce  qu'il  vous  inspire 
pour  votre  sanctification,  pour  vous  rendre 
agréables  à  votre  céleste  Epoux  :  Semper Spi- 
rilui  rcsi$litis.{Act.,  VII,  51.)  Hélas!  Mesda- 
mes, que  de  reiiroches  intéiieurs,  que  de 
bons  mouvements,  que  de  saintes  pensées, 
que  de  vues  d'amendement,  de  sacrifice,  de 
perfection  vous  avezchaquejour,el  plusieurs 
fois  le  jour,  et  qui,  par  voire  faute,  devien- 
ntîiit  absolument  inutiles,  nuisibles  même  à 
votre  âme!  Ce  sont  autant  d  inspirations  do 
la  grâce  que  vous  rejetez  et  auxquelles  vous 
ne  craignez  point  de  résister.  Le  zèle  dont 
je  dois  être  animé  et  queje  ressens  en  effet 
f)Our  votre  sanctification,  pour  votre  perfec- 
tion, me  porte  à  vous  exhorter  aujour- 
d'hui, à  l'exemple  de  l'Apôtre,  à  ne  ja- 
mais recevoir  en  vain,  les  grâces  que 
votre  céleste  Epoux  vous  communique. 
Ees  raisons  sur  lesquelles  je  vais  appuyer 


*49                                       WSCOURS  DK  RKTRAITE.  —  ClNQl'IEMK  JOUR  250 

rot  imnorlanl  avis  seioiil  bien  propres  h  irô.s-injiirieusn  è  râiiio  ijui  les  rcjcltc;  sui- 
vons lâiro  prendra  plus  (|iie  jamais  celle  vezinoi  j(>  vous  prie  et  vous  en  convien- 
rèsolnliou  pour  l'avenir  :  in.iis  j'irai  plus  tirez  aiséinenl  avec  moi. 
loin;  après  vous  avoir  prouvé  combien  il  1.  Je  tlisen  [iremier  lieu, que  (otilo  résis- 
esl  essenliel  pour  vous  de  ne  point  résister  lance  aux  inspiralions  de  la  grAce,  surtout  si 
aui  inspirations  de  la  grûce,  je  tâcherai  do  elle  est  habituelle,  est  très-injurieuse  5  Dieu; 
vous  montrer  comment  vous  devez  vous  y  comment  cela?  Le  voici.  C'est  que  celte  ré- 
[ir(Mer  et  y  correspondre  :  en  deux  mois,  sislaiice  annonce  toujours  un  caractère  do 
les  motifs  qui  doivent  vous  enj:ager  à  être  nif''|)ris  et  un  caractère  d'ingratitude  envers 
(idèles  aux  inspirations  de  la  grâce  ;  ce  sera  Dieu.  Je  dis,  caractère  de  mépris.  O  vous  qui 
le  sujet  de  la  première  partie  de  ce  di>-  depuis  que  vous  avez  eu  le  bonlieur  d'èlro 
cours  :  les  qualités  (]ue  doit  avoir  votre  li-  admise  au  rangiies  épousesdo  Jésus-Chrisf, 
déhlé  aux  ins(>iralions  de  la  grâce  ;  ce  sera  dans  la  religion  ,  avez  élé  ftivorisée  d'une 
le  sniet  de  la  seconde  partie.  Honorez-moi,  inliiiilé  de  grâces,  d'une  infaiité  d'inspira- 
s'il  vous  plail,  de  toute  votre  attention,  ^i-e,  lions  qui  toutes  tendaient  h  voire  avancement 
Marin.  Sjiiriluel,  à  vous  faire  prali(]uer  des  actes  do 
PUEMiiinE  PAUTiE.  verlu  proprcs  à  vot  re  Sailli  état,  mais  (juï  vous 

èlesfailcommeunemalheureuse  habitude  de 
Vous  le  savez,   Mesdan'cs,    et   c'est    une  n'y  pas  correspondre,  sous  prétexte  peut-être 
vérité   de  foi  que  sans   la    grâc(î  nous  ne  (]u'il  no  s'agissait  pas  pour  vous  d'actes  fort 
pouvons  être  agréables  h  notre  Dieu  ;  c'est  importants,  d'obligations  essentielles;  avez- 
elle,  c'est  celte  grâce  sanctifiante  qui   rési-  vous  jamais  fait  réflexionque  la  moindre  de 
dant  au  fond  de  notre  cœur,   nous  fait  ses  ccsgrâcesque  vous  regardez  commesi()euile 
vrais  serviteurs  et  ses  amis,  qui  nous  dis-  chose,  a  coûté  le  sang  d'un  Dieu?  que  c'est 
lingue  des  infiiièles,  des  hérétiques  et  des  pour  vous  les  procurer,  ces  grâces  et  ces  ins- 
pécheurs,  qui,  tous  privés  de  cette  grâce,  ne  pirations,  que  le  Fils  de  Dieu  a  quitté  le  sein 
[icuvent  être  que  des  objets  de  haine  et  de  de  sa  gloire,  qu'il  a  vécu  sur  la  terre  dans  la 
eolère  à  ses  yeux:  mais  outre  celte  grâce  pauvreté  et  les  soulfrances,  qu'il  est  mort  sur 
sanctifiante  et  habituelle   que   nous  avons  une  croix  au  milieu  des  plus  alfrrux  suppli- 
reçue  dans  le  saint  baptême    et   que    nous  ces?  Lorsque  vous  avez  tant  do  fois  résisté 
recouvrons  par  les  autres  sacrements,  lors-  à  ces  grâces  et  rejeté  ces  inspiration.^,  avez- 
que  nous  avons  eu  le  malheur  de  la  perdre  vous  jamais  fait  ces  réflexions?  Rien  n'est 
par  le  péché,  il  en  est  d'autres  que  les  Ihéo-  plus  vrai  cependant, ce  sont  autant  de  vérités 
logiens  appellent   grâces  aciuelles,   grâces  de  foi  que  vous  nii  pouvez  révoquer  en  doute. 
qui    nous   sont   si    nécessaires   pour   faire  Vous  devez  doncen  conclure  que  toutes  les 
le  bien,  que  sans  elles,   comme  le  dit  l'a-  fois  que  vous  n'avez  pas  [)rofilé  et  que  vous 
poire   saint  Paul,   nous  ne   pouvons  faire  ne  |irofitez  pas  encore  de  ces  grâces   sans 
la  moindre  action,  avoir  même  une   seule  nombre  qu'il  vous  a  données,  et  qu'il  con- 
pensée  qui  soit  agréable  au  Seigneur  el  mé-  tinue  de  vous  donner,  que  tout(!S   les  fois 
riloire  du  ciel  que  vous  les  rejelez,  c'est  un  mépris  de  ces 
Or,   de  ces  grâces  actuelles,  il  en  est   de  giands  dons  du  ciel  dont  vous  vous  rendez 
deux  sortes;  il   en  est   qui   opèrent    avec  coupable.  Or,  ce  njé()ris  ,ne  doil-il   pas  re- 
Dous,  qui  nous  aident  à    faire   le   bien,  en  tomber  naturellement  sur  celui  de  qui  vous 
sorte  que  ce  bien  que  nous  faisons  est  au-  le  recevez?  Ne  lui  montrez-vous  pas  par  là 
tant  l'ouvrage  de  la  grâce   que    le  nôtre,  que  vous  ne  faites  pas  une  grande  estime 
comme  le  dit  l'Apôtre  :  Graiia  Dei  mecuin.  de  tout  ce  qu'il  fait  pour  vous  '!  Ah  I  et  pre- 
(1  for.,  XV,  10.)  Il  en  est  d'autres  qui  opè-  nez  bien  garde  à  ceci;   ce  Dieu  Sauveur, 
rcnt  sans  nous,  dans  notre  àine,  qui   nous  volie  célesle  Epoux,  par  toutes  ces  grâces 
préviennent  et  nous  avertissent  de  ce  (pje  qu'il  vous  fait,  n'a  d'autre  dessein  que  de 
nous  devons  faire  ou  éviter  pour  nous  saiic-  vous  instruire  de  vos  devoirs  ,  que  de  vous 
lifier,  grâces  qui   éclairent    notre  ente  ide-  montrer  les  moyens  les  [dus  propres  pour 
ment,  qui  excitent  noire   volonté,   qui    la  aller  à  lui   et  pour  lui  plaire,  que  de  vous 
pressent,  qui  la  sollicitent;  ce  sont  ces  der-  faire  avancer  dans  le  chemin   de  la  perl'ec- 
nièrcs  grâces  que  j'appelle  inspirations  du  lion   dans  lequel  il  vous  a  fait  entrer;   et 
Saint-Esprit,  et  auxquelles  je  dis  qu'il  est  vous,  au  lieu  de  correspondre  à  ses  soins,  à 
liès-im|)ortanl  pour   vous,    Mesdames,   de  ses  desseins  sur  vous,  vous  osez   lui  dire 
correspondre,  qu'il  est  même   très-dange-  comme  les  im[)ies  dont    il  est   [)arlé    dans 
reux  et  très-funeste  de  rejeter.   Pour  vous  l'Ecriture  :  Vous    venez  à  moi,    Seigneur, 
c:i   convaincre,    considérons-les,  je    vous  et  vous  vous  aoprochez  de  moi  pour  ui'é- 
prie,  ces  grâces,  ces  insi)iralions,  soit  par  clairer   et  pour  m'instruire,  ut  moi  je   ne 
r.q)porl  à  Dieu  qui  les  donne,  soit  par  rap-  veux   être  instruile   ni  éclairée  par  vous; 
porta  la  personne  qui  les  reçoit  :  or  je  dis  retirez-vous  de  moi  :n  Recède  a  nobis;  »  v  lUs 
(|u  à  les  considérer  par  rapport  à  Dieu,  les  voiilez  me  conduire  vous-même,  me  monlier 
rejeter,    n'y     pas    correspondre,    c'est   lui  les  voies  les  plus  propres  pour  ma  sanctiti- 
laire  injure;  c'est  l'outrager.  Je  dis  qu'à  les  cation  et  pour  vous  plaire;  ces  voies  me  dé- 
considérer, ces    grâces,   par    rapport  à    la  plaisent,  je    ne   les   suivrai   point:  Scien- 
{tersonne  qui  les  reçoit,  c'est  se  causer  un  tiamviurumtuarumnotumus.  {Job,X\l,Vv.) 
irès-grand  jiréjudice;  la  résistance  aux  ins-  ^'ollà  ce  que  vous  avez  dit  et  ce  que  vous 
pirations  de  la  grâce  est  donc  loul   à  la  fois  dites  toutes   les  fois  que  vous    résistez  à 


W1 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE'MONTIS. 


2i» 


quoique  grâce,  à  quelque  inspiration  du 
Saint-Esprit,  qui  tend  h  vous  rendre  meil- 
leure et  plus  parfaite;  vous  ne  prononcez 
pas  (le  bouchn,  è  la  vérité,  ces  [laroles  do 
rébellion  et  de  mépris;  vous  auriez  horreur 
de  proférer  do  |)areils  blasphèmes;  mais 
voire  conduite  pleine  de  résistance,  de  dé- 
sobéissance, a  suffisamment  manifesté  vos 
sentiments  et  les  dispositions  de  votre 
tœur.  Voilà  donc  la  |)remière  injure  que 
vous  avez  faite  et  que  vous  continuez  de 
faire  h  Jésus-Chrisl,  toutes  les  fois  que  vous 
rejetez  ses  grâces  et  ses  inspirations;  vous 
le  mé|)risez,  vous  le  rejetez,  vous  rendez 
inutiles,  à  votre  égard,  les  travaux  de  sa 
passion,  vous  foulez  aux  pieds,  comme  dit 
l'apôlre  saint  Paul  {Hebr.,  X,  29),  le  sang 
que  ce  Dieu  Sauveur  a  répamJu  pour  vous  ; 
vous  anéantissez,  autant  qu'il  est  en  vous, 
la  vertu  et  le  mérite  de  sa  croix.  Quel  mé- 
pris I  Quelle  injure  I  Ah  1  pour  vous  rendre 
cette  vérité  plus  sensible,  si  vous  voyiez 
une  d'enire  vous  ne  faire  aucun  cas  des 
avis  que  lui  donnerait  celle  que  la  divine 
Providence  a  mise  à  votre  tête,  pour  vous 
conduire  et  vous  faire  marcher  tidèlenient 
et  constamment  dans  le  saint  état  que  vous 
avez  embrassé;  si  cette  sœur,  au  lieu  de 
prendre  les  moyens  que  lui  proposerait  sa 
supérieure,  vous  paraissait  n'y  faire  aucune 
attention;  si  vous  la  voyiez  vivre  toujours 
avec  ses  défauts  et  ses  imperfections,  qu'en 
diriez- vous?  qu'en  penseriez -vous?  du 
moins,  ne  jugeriez-vous  pas  avec  raison 
qu'elle  ra<in(]uo  d'égards  et  de  respect  en- 
vers celle  qui  lui  tient  la  place  du  Seigneur 
sur  [la  terre?  Hésileriez-vous  à  appeler  in- 
jure et  mépris  une  pareille  conduite?  Qu'est- 
ce  donc,  à  l'égard  de  votre  Dieu?  Quelle  in- 
jure ne  lui  fjiles-vous  pas,  el  de  quel  mépris 
ne  vous  rendez-vous  pas  coupable  à  son 
égard,  lorsque  vous  rejetez  et  que  vous  vous 
la  tes  une  habitude  do  rejeter,  de  ne  [las  pa- 
raître même  écouter  les  avis  secrets  ot  in- 
térieurs qu'il  vous  donne  sans  cesse  pour 
l'embellissement  de  votre  âme,  pour  voire 
porfection  et  voire  salut?  Mais  ce  n'est  pas 
tout;  rejeter,  ou  si  vous  voulez,  ne  pas  se 
prêter  aux  inspirations  de  la  grùce,  ce  n'est 
pas  seulement  se  rendre  coupable  de  mépris 
à  l'égard  de  Dieu,  c'est  do  plus  lui  donner 
des  marques  d'ingratitude. 

Vous  le  savez,  Mesdames,  et  vous  ne 
pouvez  môme  l'ignorer,  c'est  pour  lui,  [)Our 
sa  gloire  que  voire  Dieu  est  occupé  de  voire 
[  erfection  et  de  votre  salut;  s'aimant  né- 
cessairement lui-même,  il  n'a  pu  ne  uas 
avoir  ce  motif,  cette  tin,  en  tirant  du  neanl 
des  créatures  raisonnables ,  capables  de  le 
connaître  et  de  le  servir,  et  de  celles  sur- 
tout qu'il  s'est  attachées  par  des  liens  [dus 
«étroits  et  plus  sacrés.  Mais,  outre  cette  tin 
sublime  qui  est  inséparable  de  tout  ce  qu'il 
fait  hors  de  lui,  en  vous  donnant,  Mesda- 
mes, toutes  ces  grâces,  ces  ina[)irations  qui 
vous  attirent  de  [)Ius  en  plus  à  lui,  qui  vous 
montrent  tout  à  la  fois,  et  les  motifs  et  les 
moyens  de  vous  saiictiiier,  de  vous  perfoc- 
fioiiner  el  de  lui  ith'irc  en  vous  perleclluu* 


nant,  en  vous  sancliiianl;  il  a  eu  une  autri» 
fin,  un  aulre  motif  qui  vous  regarde,  c'est 
voire  propre  bonheur,  c'est  de  vous  rendre 
par  votre  fidélité  à  ses  grâces,  à  ses  inspi- 
rations ,  souverainement  heureuses  dans 
l'autre  vie  ,  et  d'autant  plus  heureuses  que 
votre  fidélité  aura  été  plus  grande  et  plus 
constante.  C'est  donc  l'amour,  et  un  amour 
infini  qu'il  a  pour  vous,  qui  l'engagea  vous 
donner,  à  vous  prodiguer  toutes  ces  grâces; 
oui,  cet  amour  qui  Ta  porté  à  se  dépouiller 
pour  un  temps  de  sa  propre  gloire,  à  venir- 
se  revêtir  sur  la  terre  de  notre  humanité  et 
avec  elle  de  toutes  ses  misères,  cet  amour 
qui  lui  a  fait  mener  la  vie  la  [)Ius  pauvre  et 
la  plus  mortifiée,  et  souffrir  pour  vous  une 
mort  accompagnée  de  tourments  et  d'igno- 
minie; c'est  ce  môme  amour  qui  le  porto 
encore  à  s'occuper  sans  cesse  de  vous,  à 
vous  montrer  et  à  vous  fournir  tous  les 
moyens  que  cet  amour  lui  a  fait  trouver 
pour  vous  rendre  heureuses,  à  prendre  au- 
tant de  soin  de  vous,  que  si  son  propre 
bonheur  était  attaché  au  vôtre,  qu'il  dépen- 
dît absolument  du  vôtre. 

Ah  I  Mesdames,  si  dans  le  monde  una 
personne  avait  à  un  grand,  à  un  souverain 
les  plus  grandes  obligations;  si  ce  souve- 
rain, si  ce  grand  n'avail  ri»n  négligé  pour 
procurer  à  cette  personne  un  élat  d'éléva- 
tion et  d'opulence  qui  l'eût  rendue  des  plus 
heureuses  sur  la  terre,  s'il  avait  fait  de 
grands  travaux,  soulTert  même  bien  drs 
maux  pour  lui  [)rocurer  une  aussi  heureuse 
situation,  s'il  n'eût  cessé  de  lui  donner  les 
avis  les  plus  sages  ;  les  conseils  les  plus 
utiles,  les  plus  propres  à  se  maintenir  dans 
sa  haute  fortune,  à  l'accroître  môme  encore; 
quels  témoignages  de  reconnaissance  cette 
personne  ne  devrail-elle  pas  à  son  bienfai- 
teur? Mais  si  au  lieu  de  lui  témoigner  toute 
sa  reconnaissance,  elle  paraissait  au  con-r 
traire  inditTérente  et  comme  insensible  à 
ses  soins,  à  toutes  ses  bonlés  à  son  égard; 
si  elle  ne  daignait  pas  même  écouler  ses 
bons  conseils  ou  si  elle  les  écoutait  sans 
vouloir  s'qïx  servir,  les  suivre;  qu'en  pen- 
seriez-vous?  Pourriez-vous  vous  empêcher 
de  l'accuser  d'ingratitude  et  de  la  plus 
noire  ingratitude?  Voilh  cependant  ce  que 
vous  faites  et  ce  que  vous  êlos ,  lorsque 
vous  rejetez  ces  grâces,  ces  inspirations 
que  vous  donne  si  souvent  votre  Dieu,  pour 
travailler  efficacement  à  votre  perfection  ot 
par  conséquent  à  votre  salut  éternel.  En 
rejetlant  ces  grâces  ces  inspirations,  en 
n'y  correspondant  pas,  vous  montrez  que 
ces  dons,  ces  bienfaits,  tous  témoignages  de 
son  amour  pour  vous,  vous  affectent  peu. 
Au  lieu  de  lui  rendre  amour  [lour  amour, 
vous  ne  répondez  aux  témoignages  conti- 
nuels (ju'il  vous  en  donne  que  par  dei 
irails  d'indifférence  et  d-'ingratitude  el  d'une 
ingratitude  d'aulant  plus  condamnable  que 
vous  n'ignorez  pas  qu'en  qualité  de  ses 
épouses  il  vous  uonne  des  témoignages  de 
son  amour  en  plus  grand  nombre  et  do 
plus  considérables  qu'aux  chrétiens  du 
siècle  en  vous  faisant  plus  de  part  qn'à  eux 


IS5  DISCOURS  DE  RKISAITE 

Je  SOS  grâces  el  de  ses  dons  spirituels.  Quoi 
de  plus  capal)le  de  porter  un  bon  cœur  à  so 
rendre  attenlif  et  docile  aux  inspirations 
de  la  grince  I  Mais  pour  vous  y  engager 
eniore  plus,  après  vous  avoir  lait  consi- 
tltVer  ces  grâces,  ces  inspirations  du  côté 
de  Dieu  et  par  l'injure  que  vous  lui  faites 
lorsque  vous  n'y  correspondez  pas,  je  veux 
de  plus  vous  les  faire  considérer  par  raj)- 
port  h  vous-mêmes  par  le  préjudice  que 
TOUS  vous  causez  en  les  rejetant. 

11.  Oui,  Mesdames,  puisque  comme  je 
Tiens  de  vous  le  dire  et  je  me  flatte  que 
vous  en  êtes  bien  persuadées,  puisque  c'est 
pour  vous,  pour  votre  bien  que  ces  grâces, 
ces  inspirations  du  ciel  vous  sont  données 
et  pour  le  plus  grand  de  tous  les  biens  qui 
est  voire  salut,  votre  félicité  éternelle,  il 
s'ensuit  que  ce  n'est  point  entendre  vos  in- 
lérêis  ;  que  c'est  vous  causer  un  très-grand 
[•réjudiee  de  négliger  ces  grâces,  de  ne 
point  mettre  à  profit  ces  inspirations;  pour 
vous,  en  convaincre,  écoutez,  je  vous  prie,  et 
soytz  attentives  à  une  suite  de  vérités  bien 
propres  à  vous  rendre  plus  que  jamais  do- 
ciles à  In  voie  du  Seigneur. 

Première  vérité.  Ces  grâces,  ces  inspi- 
rations que  vous  recevez,  ne  vous  sont 
ftoint  dues  :  elles  ne  sont  môme,  comme 
e  dit  l'apôtre  saint  Paul  ,  ap[)elées  grâces 
que  parce  que  nous  n'y  avons  aucun 
droit,  qu'elles  nous  viennent  de  l'inlinie 
bonté,  de  la  pure  libéralité  de  notre  Dieu. 
Pren?z  garde  à  ceci,  je  vous  prie  :  Jésus- 
Christ,  par  sa  mort,  nous  a  bien  mérité  à 
lous  et  nous  donne  en  effet  tous  les  secours 
suffisants,  toules  les  grâces  nécessaires  pour 
opérer  notre  salut;  penser  autrement  ce 
serait  tomber  dans  une  erreur  justement 
proscrite  par  l'Eglise:  mais  pour  telles  et 
telles  grâces,  et  surtout  pour  telles  inspi- 
ratioris  en  particulier  ii  no  nous  les  doit 
point;  c'est  par  amour  pour  nous  qu'il 
nous  les  donne  :  son  esprit  souffle  où  il  veut, 
dit  saint  Jean.  {Joan.,  111,  8.)  Ainsi  lorsque 
nous  refusons  de  correspondre  à  ces  grâces, 
à  ces  inspirations,  dans  l'idée  et  avec  l'es- 
pérance qu'elles  reviendront  et  que  nous 
pourrons  nous  les  procurer  une  autrefois, 
nous  nous  faisons  illusion,  nous  nous  trom- 
pons. 

Car  et  voici  une  seconde  vérité;  il  est, 
dons  les  décrets  de  notre  Dieu,  un  certain 
nombre  de  ces  grâces,  de  ces  inspirations, 
lequel  une  fois  épuisé,  le  Seigneur  se  re- 
lire et  ne  se  fait  plus  entendre  au  moins 
aussi  sensiblement  et  aussi  intimement  à 
notre  cœur;  je  dis  aussi  intimement,  parce 
que,  outre  ces  grâces  générales  et  suffisan- 
tes que  le  Seigneur  s'est  engagé,  en  vertu 
dts  mérites  de  sa  passion  ,  de  ne  nous  pas 
refuser  et  avec  lesquelles  nous  pouvons 
toujours  éviter  le  péché  et  pratiquer  la 
vertu,  il  est  des  grâces  spéciales  dépure 
[irédilection  qui  nous  éclairent  et  qui  nous 
exciient  plus  sensibleinenl,  plus  fortement 
à  nous  conformer  à  ce  que  noire  Dieu  exi- 
ge de  nous  :  telles  sont  ces  inspirations  se- 
ciètes,  ces  mouvements  inlérieurs  que  nous 


CINQUIEME  JOUI\.  254 

sentons  et  qui  agissent  nu  dedans  de  nous, 
dans  de  certains  moments,  en  certaines  cir- 
constances et  qui  nous  portent,  nous  exci- 
tent vivement  à  quelque  acte  de  vertu,  à 
quelque  sacrifice  agréable  à  notre  Dieu  et 
utile  à  notre  perfection:  or  c'est  eette  es- 
pèce de  grâces,  ce  sont  ces  inspirations 
particulières  que  je  dis  qu'il  est  dangereux 
de  rejeter,  parce  que  le  nombre  n'en  est 
pas  illimité,  parce  que  le  Seigtieur  nous  lo 
donne  pour  ainsi  dire  avec  poids  el  mesure, 
parce  que ,  comme  il  a  fixé  le  nombre  do 
nos  jours  et  de  nos  moments,  de  même  a-t- 
il  déterminé  celui  de  ces  grâces,  de  ces  ins- 
pirations particulières  ajirès  lequel  nous  ne 
devons  plus  en  espérer. 

Mais  ce  qui  doit  encore  puis,  Mesdames, 
vous  engager  à  une  parfaite  lidéliié  à  tou- 
les les  inspirations,  c'est  que  ce  nombre 
fixe,  déterminé  par  lo  Seigneur,  n'est  pas  le 
même  j'our  tous  les  fidèles:  troisième  vé- 
rité. Oui,  notre  Dieu  distribue  ses  dons 
con^me  il  lui  plaît  et  ci  qui  il  lui  plaît;  il 
est  telle  âme  à  laquelle  il  semble  prodiguer 
ses  grâces  et  dont  le  nombre  est  infini  pour 
ainsi  dire;  il  en  est  d'autres  auxquelles  il 
ne  les  donne  qu'avec  réserve  el  en  fielit 
noiiibri!  ;  vouloir  sonder  ses  décrets  et  cher- 
cher la  raison  de  celle  ditféreiite  conduite 
à  l'égard  des  âmes  qu'il  a  toutes  rachetées 
et  qu'il  appelle  toutes  5  jouir  de  sa  gloire 
dans  le  ciel,  ce  serait  une  témérité  ;  le  mo- 
tif qui  le  fait  agir  est  entièrement  caché, 
dit  saint  Augustin;  mais  il  ne  peut  être 
injuste  :  Occulta,  non  injusla.  C'est  à  nous 
d'en  profiler  avec  d'aulant  plus  de  fidélité 
que  ce  nombre  de  grâces,  d'inspirations, 
déterminé  et  ditlérent  pour  chacun  de  nou>, 
nous  est  absoluuienl  inconnu,  Qualrièmu 
vérité. 

Si  nous  pouvions,  Mesdames,  compter 
sur  une  certaine  mesure,  sur  un  certain 
nombre  d'inspirations,  nous  serions  encore 
coupables  et  nous  ferions  toujours  injure  à 
l'inlinie  bonté  de  notre  Dieu  de  n'y  pas 
correspondre  fidèlement  ;  mais  nous  ne 
nous  exposerions  pas  au  moins  à  des  ris- 
ques aussi  considérabh.'S  ;  l'usage  que  nous 
ferions  des  inspirations  suivantes  pour- 
rait nous  dédommage'  et  réparer  en  (|uel- 
que  sorte  la  perte  et  l'abus  des  inspirations 
précédentes;  mais  ii  n'en  peut  être  ainsi: 
iion-seulement  le  Seigneur  ne  nous  a  point 
promis  que  ses  grâces,  que  ses  bontés  pour 
nous  seraient  inépuisables  ou  qu'elles  se- 
raient en  tel  nombre,  en  telle  (juantité  ; 
mais  dans  mille  endroits  des  divines  Ecri- 
tures il  nous  fait  entendre  le  contraire. 
C'est  pour  cela  qu'il  nous  exhorte  à  écouler 
sa  voix  lorsqu'elle  se  lait  entendre  à  noire 
cœur,  à  lui  ouvrir  lorsqu'il  frappe  h  la  porte, 
à  aller  à  lui  lorsqu'il  nous  appelle;  c'est 
j)Our  cela  qu'il  menace  ceux  qui  l'auront 
méprisé,  de  les  mépriser  à  son  tour.  Vous 
résistez  h  la  volonté  de  votre  Dieu  ,  vous 
refusez  d'aller  à  lui  et  de  lui  répondre,  il 
viendra  un  temps  où  vous  l'appellerez,  vous 
l'invoquerez,  où  vous  désirerez  qu'il  parlo 
encore  à  voire  cœur,  mais  en  vain  ;  irrité  de 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOJNTIS. 


2::6 


V  ^s  lésislancos  et  de  vos  mépris  il  fera  la 
S'Mirde  oreille.  Oui ,  tandis  Mue  les  diues 
il  ièlf'S  h  SOS  inspirations  et  h  toutes  ses  vo- 
lontés puisent  avec  abondance  h  !a  source 
de  ses  grâces,  que  leur  fidélilé  .^  une  ins- 
I  iraijon  leur  en  procure  une  autre  à  laquelle 
elles  se  rendent  également  dociles,  vous , 
î\me  infidèle,  âme  ingrate  qui  vous  faites 
une  habitude  et  coninie  un  jeu  de  mépriser 
ses  avis  intérieurs,  de  rejeter  ses  inspira- 
tions, ses  so'lici'ations,  il  \iendra  un  temps 
où  vous  en  éprouverez  la  soif  la  plus  cruelle; 
oui,  cette  rosée  du  ciel  qui  depuis  si  long- 
temps et  toujours  inutilement  est  tombée 
sur  votre  cœur,  n'y  lon:bera  plus  et  le  lais- 
sera dans  la  sécheresse,  dans  une  cruelle 
aridité.  Mais  ce  qui  doit  vous  causer  plus 
de  frajeur  encore,  et  je  vous  l'avouerai 
Iraiicheraenl  ici,  Mesdames,  ce  qui  m'en 
cause  beaucoup  à  moi-même , 'ce  qui  doit 
vous  engager  et  me  porter  moi-même  h 
cette  parfaite  fidélité  à  toutes  les  ins[>iia- 
lions  du  Saint-Esprit ,  c'est  que  celle  qui, 
dans  le  dessein  de  Dieu  doit  être  la  der- 
nière et  mettre  le  comble  a  la  mesure,  n'est 
pas  d'une  autre  nature  et  n'est  pas  souvent 
plus  considérable  que  les  autres:  cinquiè- 
me et  dernière  vériié. 

Le  dernier  pas  qui  fait  tomber  dans  un 
précipice,  n'est  |.as  d'une  autre  es(>èce  que 
ceux  qui  l'ont  précédé;  ainsi  en  est-il  de  la 
dernière  grâce,  de  la  dernière  inspiration. 
Non,  Mesdames,  le  Seigneur,  à  la  vérité,  a 
des  grâces  fortes  et  d'éclat,  par  lesquelles  il 
appelle  quelquefois  les  âmes  à  lui,  et  les 
engage  efficacement  à  son  service  :  telles 
furent  celles  qui  convertirent  un  Paul,  un 
Augustin,  urie  Madeleine,  une  Marie  l'Egyp- 
lienne  et  tant  d'autres;  mais  il  en  est  aussi 
di;  moins  éclatante^,  de  [)!us  communes,  des- 
(juelles  il  se  sert  ordinairement  pour  se 
gagner  les  cœurs  et  se  les  rendre  fidèles;  or 
c'est  quelquefois  à  une  grâce  qui  paraît  lé- 
gère en  a[)iiarence,  c'est  à  une  inspiraiion 
peu  considérable  pnr  elle-même  qu'il  a  at- 
taché notre  préJeslination,  notre  salut.  Vous 
vous  sentez  inspirée  de  faire  telle  mortifica- 
tion, <ie  vous  livrer  ch  lelle  pratique,  de  faire 
tel  sacrifice  h  votre  Dieu;  cela  vous  [)arait 
peu  considérable;  au  lieu  de  vous  y  rendre 
fidèle,  à  pe:ne  y  failes-vous  attention.  Mais 
si  c'était  à  cette  pratique  légère,  en  appa- 
rence, à  cette  mortification,  à  ce  petit  sacii- 
lice  que  Dieu  eût  attaché  votre  prédestina- 
tion, si  c'était;  là  la  dernière  démarche  qu'il 
eût  résolu  de  faire  auprès  de  vous,  le  der- 
nier assaut  particulier  qu'il  voulût  livrer  à 
votre  cœur;  si  cette  gr-âcte,  si  celte  inspira- 
t:on,  une  fois  négligée,  méprisée,  rejelée, 
son  cœur  devait  se  refroidira  votre  égard, 
s'éloigner  de  vous,  et  vous  laisser  désor- 
mais vous  livrera  votre  tiédeur,  à  voire  lâ- 
cheté, la  regarderiez-vous  comme  si  peu  de 
chose?  y  feriez- vous  si  peu  d'attention? 
Vous  n'en  savez  rien  ;  cela  peut  être  cepen- 
dant. Vous  devez  donc,  si  vous  avez  sincè- 
rement votre  sakit  h  cœur,  ne  rien  né- 
gliger ;  vous  devez  vous  rendre  constam- 
ment fidèles  à  toutes   ks  s'Aces,  îi  toutes 


les  inspirations  particulières  de  voire  Dieu. 
'     Hélas)  Mesdames,  s'il  nous  était   donné 
de  voir  tant  d'épouses  de  Jésus-Christ  qui 
gémissent  et  qui  pleurent  [iréscntoment,  et 
(]ui    pleureront  éternellement  leurs  infidé- 
lités  dans  l'enfer;   vous  et  moi,  pourrions- 
nous  adresser  5  une  de  ces  âmes  infortu- 
nées, et  lui  demander,  qui  ilonc  a  pu,  dans 
l'étal  saint  et  sultlime    où  son  Dieu  l'avait 
placée   sur  la  terre,  la  conduire  et  la  préci- 
piter dans  ce  lieu  d'horreur,  dans  cet  abîme 
de   tourments   et  de  désespoir   qu'elle   ha- 
bite ;  elle  nous  répondrait  sûrement  (]ue  ce 
sont  ses  iufidélilés,    ses   résislances    habi- 
tuelles aux  gr'âces    et  aux  inspirations  du 
Saint-Esprit,  qui  ont   causé  sa  perle  éter- 
nelle, A[)rès  quelques  années  de  fidélité  et 
de  ferveur,  dans  mon  saint   état,  nous  di- 
rait-elle, je  me  suis    relâchée   insensible- 
ment; je  sentais  souvent,  et  dans  les  com- 
menc(;ments    surtout,    des    reproches   in- 
térieurs,   de   vifs    remords  :  ils   m'étaient 
importuns  ,    je   cherchais    à    les    étouffer. 
Combien  de  fois  mon  céleste  Epoux  (ah  I  ce 
nom  prononcé  augmente  mon  désespoir  et 
mes  tourments),  combien  de  fois  il  m'a  ap- 
pelée, sollicitée,  menacée  môme;  il  rue  de- 
mandait plus  d'assiduité  et  plus  d'attention 
h  mes  exercices,    à    mes  observances,    plus 
dM  mortification  extérieure  et   intérieure  ; 
moins  d'amour  de  moi-même,  moins  de  re- 
cherches de  mes  aises  et  de   mes  commo- 
dités :  plus  de   fidélité,  en  un  qioI,  à  mes 
engagpments,  aux    devoirs   de   mon   saint 
étal.  Après  avoir  longtemps  résisté  à   tant 
de  grâces,  après  avoir  rejeté  tant  d'inspira- 
tions, il   s'est  lassé  enfin,  il  s'est  indigné 
contre  une  épouse  aussi  infidèle;  il  a  com- 
mencé par  s'éloigner  de  moi;  ces  grâces  de 
prédilection,  ces  inspirations  particulières, 
je  ne  les  sentais  plus,  elles  ont  cessé;  jo 
n'ai  plus  entendu   sa  voix  au  fond  de  mon 
cœur;  sa    [)i'édiction    et  ses   menaces,  que 
j'avais  tant  de  fois  entendues,  que  j'avais 
lues  moi-même  si  souvent  dans  les  divines 
Ecritures,  elle  se  sont  accomplies  sur  moi  : 
npi'ès    m'avoir    longtemps    appelée ,    a[)i-ès 
m'avoir   souvent  invitée  de   revenir  à  lui, 
a|)rès  avoir  [)arlé  plusieurs  années  h  mon 
cœur  infidèle   et  (lissij)é  ;  voyant  que  je  ne 
ré[)ondais  à  tant  d'invitations    quu  par  des 
négligences,  par  des  résislances  et  des  mé- 
jitis,  il  s'est  enfin  retiré  :  celte  soustraction 
de  glaces  et  d'inspirations  dont  il  m'avait 
menacée,  je   l'ai   éprouvée  en  effet  :  il  m'a 
abandonné  dans  sa  colère  à  tous  mes  dé- 
sirs, à   toutes  les  affections  dépravées  de 
mon  cœur;   de  là  un  aveuglement  de  l'es- 
prit  qui  m'a  empêchée  de  bien  voir  le  nom- 
bre et  la  grièveléde  mes  infidéliiés,.et  tout 
le  danger  de  mon  malheureux    état;   mais 
plus  que  tout  cela,  de  là  un  endurcissement 
de  cœur  qui  a  fait  disparaître  en  moi   tout 
acte  et  tout  sentiment  de  dévotion;  endur- 
cissement, qui  des  petites   fautes,  des  infi- 
délités légères,  m'avait    fait  tomber  insen- 
sibliment  et  comme   par   degrés  dans  les 
fautes  les  plus  grièves,   dans  un  oubli  to- 
tal, et  dans  une  transgression  habituelle  des 


S&7 


DISCOURS  DE  RETRAITE.   -  CINQUIEME  JOUR. 


2:i8 


(lavoirs  les  plus  essenliels  de  iiioii  c'f;il; 
nveuyl^inoiil  ut  cndurcissoment  qui  liront 
l'ail  que  s'accioîlre  jusqu'aux  derniers  jours 
de  ma  vie,  cl  qui  ui'oul  coiiduile  cnjin  et 
nrécipik^e  dans  l'abîuie  de  uialheurs  où  je 
suis  nujounriiui  plongée,  cl  pour  toujours. 
Voilà  ,  Mesdames,  le  que  vous  dirail  sû- 
rement une  épouse  de  Jésus-Clirist  infidèle 
el  réprouvée;  la  source,  la  vraie  cause  de 
la  réprobation  de  celle  religieuse,  chois io 
par  le  Seigneur,  enlre  des  millions  d'aulres, 
poi;r  ôlre  un  jour  et  pour  toujours  avec  lui 
dans  sa  gbdre,  c'est  l'abus  de  ses  giûces, 
de  ses  inspirations;  une  dernière  méprisée, 
rojetée  en  a  rempli  la  mesure  el  a  nds  par 
là  le  sceau  h  sa  perle  éternelle.  Ueconnais- 
sez  donc  ici,  Mesdames,  qu'il  n'est  rien, 
non-seulement  'de  plus  injurieux  à  votre 
Dieu,  que  de  ne  pas  correS|^ondre  aux  ins- 
pirations de  sa  grâce,  mais  encore  de  idus 
dangereux  pour  vous,  de  plus  préjudiciable 
à  vulre  âme.  Mais  n'en  restons  pas  là;  pour 
avoir  une  inslrucliou  plus  complète  sur 
celte  importante  matière,  après  avoir  consi- 
tlérô  les  motifs  qui  doivent  vous  engager  à 
vous  reiidie fidèles  à  ces  inspirations,  voyons 
présentement  quelles  qualités  doit  avoir 
votre  fidélité,  a(in  qu'elle  puisse  concoui  ir 
à  votre  sanclilication  ;  c'est  le  sujet  de  la 
seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Il  est  certain,  el  de  foi  même,  qu'il  nous 
est  libre  de  correspondre  ou  de  ne  pas  cor- 
respondre aux  inspirations  de  la  grâce;  que 
MOUS  pouvons  toujours  les  recevoir,  ou  les 
rejeter.  Il  est  également  certain  et  de  loi 
que  nous  rendrons  tous  un  jour  à  notre 
Dieu  un  corajile  exact  et  rigoureux  de  ces 
grâces,  de  ces  inspirations  que  nous  aurons 
reçues,  du  bon  ou  du  mauvais  usage  que 
nous  en  aurons  l'ait.  Hélas  I  Mesdames,  il 
n'est  personne,  dans  votre  saint  état  surtout 
où  l'on  est  beaucoup  mieux  instruit  des 
voies  de  Dieu  el  de  l'obligalion  d'y  corres- 
pondre qu'on  ne  l'est  communément  dans 
le  siècle,  il  n'est  personne  qui  ne  soit  per- 
suadée de  ces  vérités  :  mais  malgré  celle 
persuasion  et  ces  lumières,  qu'il  en  est  peu 
qui  monlrenl  au  Seigneur  celle  fidélité  en- 
lièrc  et  parl'aite  à  ses  inspirations.  On  ne 
se  dit  pas  à  la  vérité,  on  aurait  bonté 
môme  de  se  ie  dire,  qu'on  ne  veut  pas  cor- 
respondre aux  desseins  de  Dieu  et  se  prêter 
Bux  inspirations  de  sa  grâce;  mais  avec  une 
volonté  vague,  générale  et  indéterminée  ue 
les  suivre  dans  la  pratique,  on  ne  les  suit 
pas,  on  y  résiste;  on  su  sent  souvent  iiis- 
jdré  de  luire  pour  son  avancement  spiri- 
tuel, pour  sa  perfection,  une  action,  un 
acte  de  morlilication,  un  relrancbeinent,  un 
sacrifice;  mais  ou  l'on  hésite,  ou  balance, 
on  perd  le  temps,  et  l'inspiration  passe  et 
s'évanouit;  ou  l'on  se  pro|)0.se  d'être  dans 
la  suite,  fidèle  à  une  autre  ou  d'une  aulre 
espèce;  et  avec  cette  illusion,  on  rend  inu- 
tile celle  qui  se  présente,  parce  qu'elle  |)ii- 
lait  lro[)  comballre  les  inclinations  de  la 
nature;  ou  bien  encore,  après  avoir  résisté 


à  de  véritables  insfurations,  qu'on  ne  pou- 
vait s'empèclier  de  regarder  comme  ielles,^ 
on  s'arrête  |)ar  caprice  quelquefois  a  cel  es 
(jui  sont  fausses,  qui  ne  sont  que  des  sug- 
gestions de  l'amour-propre,  ou  du  démo.'i. 
Or,  Mesdames,  pour  éviter  ces  défauts  si 
préjudiciables  à  la  vie  intérieure  et  toute 
sainte  que  vous  devez  mener  dans  vo'.re 
élal.jedis  (jue  votre  fi<iélité  aux  inspira- 
lions  du  Saint-Es|irit  doit  être  prom[)le  et 
sans  délai,  universelle  el  sans  choix,  pru- 
dente el  sans  illusion  :v'est  ce  que  je  vais 
vous'cxpliquer  ;  conlinuez-moi,  je  vous  prie, 
toute  votre  attention. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  la  fidélité 
aux  inspirations  de  la  grâce  doit  èl^^e  prorap- 
t(^  el  sans  délai.  Oui,  sans  doute,  Mesdames. 
Qu'est-ce,  en  effet,  que  cette  inspiration? 
Une  lumière  subite  qui  éclaire  tout  à  coup 
l'esprit,  qui  lui  montre  une  faute  à  éviter, 
un  jjien  à  faire,  un  nouveau  mérite  à  acqué- 
rir; c'est  une  secousse,  un  mouvemeni  mo- 
mentané (]ui  excite  Ta  volonté,  qui  l'invite, 
la  sollicite  à  faire  ce  bien,  à  éviter  cette 
faute,  à  se  |)rocurer  ce  nouveau  mérite; 
c'est  comme  un  rayon,  un  éclair  prompt  et 
|)assager  :  si  vous  ne  da'gi:ez  pas  y  fairtj 
attention,  ou  si  y  faisant  aiteniion  vous  ne 
prenez  pas  sur  vous  de  vous  y  prêter,  d'y 
acquiescer,  vous  rendez  inutile  celle  lu- 
mière surnaturelle,  ce  bon  mouvemeni, 
cette  inspiration  secrète  de  la  grâce  :  elle 
passepour  vous  etne  revient  plus:  celtegrâce 
négligée,  rejetée,  vous  en  fait  perdre  une  infi- 
nité d'autres  que  votre  fidélité  à  celle-ci  vous 
eût  sûrement  procurées  ;  vous  interromiiez 
par-là,  el  vous  rompez  par  voire  faute  un  en- 
chaînement précieux  de  grâcesetdejinérites; 
de  grâces  de  la  part  de  votre  Dieu,  de  méri- 
tes de  voire  part,  et  qui,  dans  les  desseins 
de  Dieu,  devait  concourir  à  votre  p^rlec- 
lion,  enrichir  votre  couronne  de  gloire  et 
vous  conduire  au  ciel.  Ah  !  la  grâce  du 
Saint-Esprit,  dit  saint  Augustin,  ne  |)ermeî 
aucun  délai,  ne  souH're  aucun  retardement; 
il  faut  saisir  avec  soin  l'occasion  qui  sa 
présente  et  que  Dieu  vous  présente  lui- 
même,  de  lui  plaire,  de  lui  témoigner  votre 
fidélité  el  votre  amour  :  c'est  lui-même  qui 
daigne  venir  à  vous,  (pii  frap|)e  à  la  porte 
de  votre  cœur  :  Slo  ad  ostiuin  et  pulso. 
{Apoc,  111,  20.)  Si  dans  le  moment  qu'il 
vous  fait  sentir  sa  [)résence  vous  n'êtes 
promptes  à  lui  ouvrir  el  à  le  recevoir,  il  se 
relire  olfensé.  Ce  qui  fil  le  malheur  des 
vierges  insensées;  dont  le  Dieu  Sauveur 
[)arle  dans  l'iivangile,  ce  (pii  les  exclut  pour 
toujours  de  la  salle  et  de  la  société  de  l'E- 
poux, ce  fut  le  retardement  qu'elles  appor- 
tèrent à  le  recevoir;  elles  y  étaient  dispo- 
sé(!s,  à  la  vérité,  mais  elles  temporisèrent, 
elles  ne  mirent  pas  la  promptitude  el  l'at- 
feclion  qu'il  exigeait  d'elles  et  qu'il  méri- 
tait; quand  elles  se  présentèrent,  la  jorle 
élail  fermée;  elles  eurent  la  douleur  de 
s'entendre  diie  qu'on  ne  les  connaissait 
[loinl  :  Ncscio  vos.  {Mallli.,  X.XV,  12.) 

Héhis,!  Mesdames,  voire  céleste  Epoux  «e 
présenlG  souvent  à  vous:  sa  venue  ycj» 


S59 


ORATEURS  SACRES.  LABBE  DE  MONTIS. 


200 


est  annoncée  par  les  inspirations  de  sa  grâ- 
ce :  c'esl  par  là  qu'il  veut  entrer  dans  votre 
cœiir  pour  le  perfectionner,  le  sanctifier, 
pour  en  jouir  de  plus  en  plus;  vous  devez 
donc  entrer  dans  toutes  ses  vues,  corres- 
pondre fidèlement  et  promptement  surtout 
à  tous  ses  desseins  sur  vous  :  c'est  à  cette 
promptitude  qu'il  reconnaîtra  votre  atta- 
chement, votre  amour  pour  lui;  qu'il  vous 
distinguera  de  ces  é|)Ouses  tièdes,  lâches 
et  indifTérenles  pour  lui  :  c'est  h  cette  mar- 
que qu'on  juge  de  l'atTeotion  des  créatures  ; 
c'est  à  celle  promptitude  à  exécuter  ses  or- 
dres, à  satisfaire  ses  désirs,  à  les  prévenir 
môme  en  quelque  sorte,  qu'un  souverain 
juge  de  l'amour  de  ses  sujets,  de  ses  cour- 
tisans; qu'un  maîire  juge  de  rattachement 
de  ses  serviteurs,  un  ami  de  celui  de  son 
ami.  Si  vous  avez  un  sincère  et  un  ardent 
amour  pour  votre  céleste  Epoux,  vous  cher- 
cherezdonc  àlui  en  donner  des  preuves, |yous 
saisirez  les  occasions  de  satisfaire  ses 
désirs.  C'est  par  amour  pour  vous  qu'il 
vous  donne  ce^  grâces,  ces  inspirations; 
en  vous  les  communiquant  ,  il  a  aulai.t 
en  vue  voire  bonheur  éternel  que  sa  pro- 
pre gloire  :  vous  devez  donc  lui  rendre 
amour  pour  amour  et  vous  montrer,  par  ce 
sublime  et  excellent  molit,  fidèles  et  |)romp- 
tement  fidèles  aux  inspirations  de  sa 
grâce. 

Mais  ce  que  je  conclus  de  là,  Mesdames, 
et  ce  que  vous  devHZ  en  conclure  avec  moi, 
c'esl  que  s'il  est  si  important  de  correspondre 
promptement  et  sans  délai  aux  invitations 
du  Seigneur  et  aux  inspirations  de  sa  grâce, 
il  faut  donc  vous  rendre  allentives  à  ces 
inspirations,  vous  tenir  pour  cela  toujours 
en  recueillement  et  vis-à-vis  vous-mômes: 
vos  yeux  et  les  oreilles  de  votre  cœur  doi- 
vent toujours  être  fixés  \evs  votre  Dieu 
pour  connaître  et  pour  entendre  ses  volon- 
tés sur  vous;  comme  les  yeux  d'un  bon 
sirvitcur  se  tournent  continuellement  sur 
son  maître,  jjour  connaître  et  pour  exécu- 
ter ce  qu'il  exige  de  lui  :  car  enfin  que  vous 
servirait  d'être  disposées  à  ()rofiier  de  ces 
glaces  et  de  ces  inspirations  quand  elles  se 
présenteront  à  vous,  si  vous  êtes  habituel- 
lement si  dissi[)ées  et  tellement  hors  de 
vous  (jue  vous  n'ai)erceviez  pas  môme 
quand  olles  se  présentent;  si  votre  es|)rit 
était  tellement  renqili  des  objets  créés  et 
de  tout  ce  qui  vous  environne  qu'il  ne  lût 
|)oint  alleclé,  ou  que|très-mé(liocrement, 
des  opérations  du  Sainl-lisprit  en  vous, 
t-ctte  ailenlion,  celle  présence  d'esprit  est 
d'autant  plus  importante  que  ces  inspira- 
lions  viennent  en  tout  temps  ol  dans  le 
lem{)s  quelquefois  où  l'on  s'y  allend  le 
moins,  quelles  [lassent  rapidement  comme 
un  éclair  et  qu'il  n'est  point  en  notre  pou- 
voir de  les  rappellcr  el  de  nous  eu  procu- 
rer. Votre  fidélité  aux  inspirations  de  la 
grâce  doit  donc  être  prompte  :  première 
<JiS[)osilion  ;  mais  elle  doit  être  de  plus, 
universelle ,  il  faut  n'en  rejeter  aucune: 
seconde  disposition,  t 
,    II.  Celui  qui  crainl  véritable  ncnl  le  Sei- 


gneur, ne  néglige  rien,  dit  .e  Sainl-lisprit  : 
«  Qui  timet  Vominum ,  nihxl  negligit.  » 
{Eccle.,  VU,  19.)  Il  est  vrai,  Mesdames,  et 
j'en  conviens  ici,  ces  grâces,  ces  inspirations 
de  la  grâce  du  Seigneur,  dans  votre  saint 
état,  n'ont  ordinairement  pour  objet  que 
des  pratiques,  des  privations,  des  sacrifices 
qui  paraissent  peu  considérables  en  eux-s 
mêmes;  mais  faites  réflexion,  je  vous  prie,f 
que  ce  n'est  point  à  faire  de  grandes  œuvres, 
des  actions  d'éclat,  que.  le  Seigneur  vous  a 
destinées,  en  vous  appelant  au  saint  étal  de 
la  religion  ;  si  vous  ailendicz,  [)0ur  le  servir, 
et  pour  lui  donner  des  preuves  de  votre  at- 
tachement et  de  votre  fidélité,  des  occasions 
de  faire  do  grandes  cho^e-:,  vous  passeriez 
bien  des  années,  el  toute  votre  vie  même, 
dans  l'inaction,  et  sans  rien  faire  pour  votre 
perfection  et  voire  salut.  Considérez  de  plus, 
que  ce  n'est  point  sur  l'importance  et  sur 
l'éclat  de  nos  œuvres,  que  Dieu  nous  ju- 
gera, et  qu'il  nous  jugera  tous;  mais  sur  la 
pureté  de  nos  intentions,  sur  notre  exacti- 
tude à  nous  conlormer  à  tous  ses  désirs,  et 
surtout,  sur  l'amour  avec  lequel  nous  aurons 
agi  pour  lui.  Pensez  encore  à  ce  que  dit  le 
Saint-Esprit,  que  la  personne  qui  se  montre 
fidèle  dans  les  petites  ciioses  le  sera  sûre- 
ment dans  les  [dus  considérables;  et  qu'au 
coniraire,  celle  cpii  mant^ue  de  ceUe  fidélité 
que  le  Seigneur  lui  demande,  dans  les  pe- 
tites choses,  se  rendra  infidèle  dans  les 
grandes;  que  c'est  môme  se  disfioser  à  de 
grandes  chutes,  à  des  fautes  considérables, 
que  de  se  livrer  facilement  aux  petites. 
Pensez  enfin  à  ce  que  dit  saint  Augustin, 
que  ce  n'est  point  petitesse,  faiblesse  d'es- 
prit, comme  on  l'entend  dire  quelquefois, 
même  à  des  épouses  de  Jésus-Chrisl,  de  se 
rendre  fidèle  à  Dieu,  dans  les  plus  petites 
choses,  de  correspondre  aux  plus  peiiti'S 
inspirations  de  la  grâce;  que  c'esl  au  con- 
traire la  preuve  d'un  grand  cœur,  d'un  cœur 
noble  et  généreux. 

lin  elfel,  Mesdames,  quand  Dieu  inspire 
à  une  âme  quelqu'aelion  d'éclat,  quehpie 
grand  sacrifice,  cette  âme  recueille  alors, 
pour  ainsi  dire,  toutes  ses  forces;  comme  il 
ne  s'agit  de  se  taire  violence  que  pour 
quelques  moments,  on  s'arme  de  courage, 
ramour-[)ropre  s'en  môle  quelquefois;  ou 
ne  peul  se  djssimuler  que  cette  action  heu- 
reusement terminée,  on  en  tirera  une  grande 
satisfaction  et  un  grand  fruit,  pour  soi,  ou 
pour  les  autres  :  tout  cela  excite  l'âme,  et 
la  soutient  :  il  n'est  donc  point  étonnant 
qu'on  s'y  porte  avec  courage,  et  avec  plaisir 
môme;  mais  lorsqu'il  s'agit  de  se  rendre 
fidèle  à  mille  inspirations,  à  mille  petites 
piaiiqiies  légères  en  apparence,  qui  le  plus 
souvent  ne  sont  connues  que  de  Dieu  et  de 
l'âme  qui  les  reçoit,  et  de  s'y  rendre  iidèle, 
non  une  l'ois,  el  de  loin  à  loin,  mais  sou- 
vent, mais  tous  les  jours,  mais  plusieurs 
l'ois  le  jour  :  convenez-en  ici,  Mesdames,  il 
faut  un  grand  courage;  il  n'esl  qu'une  âme 
forte,  généreuse,  (qui  soit  capable  d'une 
pareille  fidélité.  Hélas  1  on  en  juge  ainsi 
dans  le  monde  :  ce  n'esl  point  à  de  graiu  es 


261 


actions,  è  <]es  trails  éclnlanis  de  générosité, 
qu'on  juge  de  l'amilié,  de  rnllacliemenl  du 
cœur;  c'est  par  mille  petites  attentions, 
c'est  à  un  soin  journalier  et  momentané, 
pour  ainsi  dire,  de  plaire  h  la  personne 
aimée,  de  lui  donner  des  marques  de  cet 
ûltacliement.  Il  en  doit  être  ainsi,  à  l'é^'anl 
de  votre  céleste  épou\.  Mesdames  :_  il  n'a 
aucun  besoin  de  vous,  vous  ne  pouvez  ni 
rien  ôler,  ni  rien  ajouter  à  sa  gloire  essen- 
tielle :  il  se  sudil  parfailement  à  lui-môme, 
mais  il  a  attaché  ses  gr;lces,  ses  bienfaits, 
ses  récompenses,  pour  le  temps  et  pour 
l'éternité,  à  une  fulèle^et  totale  corresjjon- 
dance  5  tous  ces  désirs  qu'il  vous  fait  sen- 
tir, au  fond  de  votre  cœur,  par  les  insf»ira- 
lioiis  de  sa  grâce;  n'y  faire  aucune  alleiUion, 
OU  n'y  pas  correspondre,  c'est  lui  témoigner 
une  indiirérence,  un  mépris  môme,  auquel 
il  ne  peut  être  insensible,  et  qui  ne  peut 
que  vous  être  préjudiciable. 

Voilà  à  quoi  ne  pensent  point  assez  une 
infinité  de  personnes,  et  d'épouses  de  Jésus- 
Christ  surtout;  livrées  5  la  retraite,  à  une 
l'Ius  grande  solitude  que   les  chrétiens  du 
siècle,    le    Seigneur    leur  fait    ()]us    sentir 
aussi,  les  louches  et  l'onction  de  sa  grâce  : 
plus  jaloux  de  leur  perfection  et  de  leur  sa- 
lut, il  leur  montre  aussi  j)lus  souvent  et 
plus  sensiblement  les  moyens  d'y  parvenir  : 
mais  qu'arrive-l-il?  C'est  que  séduites  par 
l'esprit  tentateur,  qui  connaissant  coii.'bien 
une  entière  lidélilé  aux  inspirations  de  la 
grâce,  leur  serait  avantageuse,   et  contri- 
buerait à  les  sanciifier,  il  leur  fait  regarder 
ces  inspirations,  comme  de  peu  de  consé- 
quence; il   les  enirelienl  dans  ce  malheu- 
reux préjugé,  qu'après  tout,  ces  infidélités, 
ces  résistances  ne  Jes  rendent  pas   crimi- 
nelles aux  yeux  du  Seigneur;  que  si  elles 
manquent  à    celle  qui    se    présente,   elles 
pourront  se  rendre  fidèles  à  d'autres    qui 
leur  seront  olferles  dans  la  suite,  et  aux- 
quelles cependant  lorsqu'elles  se  présentent, 
elles  ne  sont  pas  plus  fidèles    qu'à  celles 
qui  ont  précédé;  ainsi,  au  lieu   de  joindre 
fidélité  à  fidélité,  ce  qui  seul  peut  contri- 
buer à  leur  avancement   spirituel,  à  leur 
perfection,   et  à  augujenler  sans   cesse  le 
nombre  de  leuis  mérites  cl  leur  couronne 
de  gloire,  pour  l'éternité  ;  elles  ajoutent  au 
contraire,  infidélité  à  injidélilé,  résistance  à 
résistance.  Ainsi,  tandis  (jue  rép()use  fidèle 
et  fervente,  par  sa  constante  (iocilité  aux 
lusjiiraiions  du    SaiiU-lisprit,   se   rend    de 
plus    en     plus,     favorable     à     son    céleste 
iîpoux;  et  se  [irucure  sans  cesse,   de  nou- 
velles grâces  ;  l'épouse  iufidèla  au  contraire, 
le  force,  par  ses   résistances,  à  s'éloigner' 
d'elle;  éloignemenl  des  [ilus  tuncsles  à  son 
âme,  que  son  aveuglement  et  sa  dissipation 
l'empèchenl  d'apercevoir,  mais  qui  n'en  est 
pas  moins  réel  et  véritable.  Il  est  donc  bien 
important.  Mesdames,  que  voire  fidélité  aux 
grâces  et  aux  inspirations  du  Seigneur,  soit 
iion-seulemenl  prompte,  mais  de  plus  uni- 
verselle; qu'elle  s'étende  à  toute  espèce  do 
grâces  et  d'inspirations  :  mais  cela  ne  suQit 
l'as,  il  faut  encore  que  cette  tidélilé  soit 


DISC0L1R4  DE  RETRAITE.  —  CINQUIEME  JOUR.  262 

sngo  et   prudente  :   troisième  et   dcrnièro 


qualité, 

m.  Je  veux  dire  qu'il  faut  du  discerne- 
ment pour  bien  connaîlre  les  opérations  du 
Saini-Esprit,  parce  que  s'il  est  des  inspira- 
tions qui  sont  son  ouvrage,  il  en  est  do 
fausses  qui  ne  n;érilenl  pas  ce  nom,  et  qui 
viennent  de  l'esprit  tentateur.  Vous  l'avoz 
souvent  entendu  dire.  Mesdames,  cl  cela 
n'est  malheureusement  que  trop  vrai;  Sa- 
tan, cet  ange  de  ténèbres,  se  transforme 
quelquefois  en  ange  de  lumière;  que  de 
personnes,  et  de  [)ersonnes  religieuses  sur- 
tout, ont  é!é  séduites  et  se  sont  perdues 
par  là!  C'est  pour  cela  que  l'apôlre  nous 
exhorte  à  ne  pas  croire  à  tout  esprit  :  Noliu 
omni  spiritui  credere.  (I  Joan..  IV,  1.)  Ma  s 
comment  connaître  si  l'on  n'est  point  le 
jouet  du  démon,  et  si  l'on  ne  lui  obéit 
point  dans  le  temps  qu'on  croit  faire  la  vi- 
lonlé  de  Dieu?  Est  il  sur  cela  des  règles 
sûres  qu'on  puisse  suivre,  et  qui  puissent 
préserver  de  ces  dangereuses  illusions? 
Oui,  Mesdames,  il  en  est  et  de  si  sûres  qu'en 
les  suivant,  l'on  ne  peut  se  tromper  ni  être 
trompé  :  en  voici  quelques-unes  que  je 
vous  propose,  écoutez-les,  je  vous  prie. 

Première  règle.  Voyez  si  l'inspiration  qui 
vous  vient  vous  porte  à  la  perfection,  et  si 
elle  est  utile  à  voire  avancement  spirituel  ; 
si  ce  que  vous  vous  sentez  inspirées  de 
faire,  tend  à  la  pratique,  à  un  acte  d'humi- 
lité ,  par  exemple  de  mortification ,  de  déta- 
chement de  vous-mêmes,  do  chaiilé,  de 
pauvreté,  à  quelque  acte  de  vertu  en  un 
mot  ou  chréiienne  ou  religieuse;  concluez 
dès-lors  que  c'est  Dieu  qui  vous  le  deman- 
de ;  Satan  ne  peut  être  contraire  à  lui-même; 
tout  ce  qui  tend  à  vous  rendre  plus  hum- 
bles, plus  mortifiées,  plus  détachées,  plus 
saintes  par  conséquent  et  plus  agréables  h 
votre  céleste  Epoux,  déplaît  trop  à  cet  en- 
nemi de  tout  bien  et  le  fait  trop  souff'iir 
pour  qu'il  puisse  jamais  en  être  raulcur 
et  vous  le  suggérer. 

Seconde  règle.  Considérez  si  l'inspiration 
qui  vous  vient  vuus  porte  à  quelque  acte 
extraordinaire,  qui  vous  donne  à  l'exté- 
rieur et  vis-à-vis  vos  sœurs,  un  air  de  sin- 
gularité, et  qui  ne  tende  point  à  réformer 
votre  intérieur.  Si  cela  était,  défiez-vous 
en  ;  dès  que  cette  prétendue  inspiration 
contribuerait  plus  à  exciter  et  à  nourri.- 
votre  amour-i)ropre  qu'à  le  mortifier  et 
vous  perfectionner,  je  vous  le  dis  hardi- 
nient,  elle  ne  vient  point  et  ne  peut  venir 
du  Saint-Esprit;  vous  devez  la  rejeter, 
parce  que  vous  devez  vous  conduire  en 
tout,  comme  le  ()lus  grand  nombre  des  per- 
sonnes régulières  et  ferventes  avec  les- 
quelles vous  vivez;  la  vie  commune,  voilà, 
généralement  parlant,  ce  que  Dieu  exige 
do  vous  :  malheur  à  ces  |)ersoiines  qui, 
dans  les  communautés  religieuses,  affectent 
en  tout,  dans  la  pratique  même  du  bien,  de 
se  distinguer,  de  montrer  de  l'extraordi- 
naire dans  leur  conduite  qui,  souvent 
cho(iue  leurs  sœurs  et  les  scandalise  plus 
qu'il  ne  les  édifie  ;  après  avoir   beaucoup 


'■HJTj 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


Sti 


»  lait,  disons  mieux,  oprès  avoir  paru  et  cru 
faire  beaucoup,  elles  ne  se  trouveront  pas 
moins  les  mains  vides  et  sans  mérites,  un 
un  jour,  aux  veux  de  leur  céleste  Epoux. 

Troisième  rèijle.  Et  voici  même,  Ma- 
danies,  la  plus  importante  et  la  f)lus  sûre. 
Examinez  si  l'inspiration  qui  vous  vient  est 
bien  conforme,  je  ne  dirai  pas  seulement, 
à  l'esprit  du  saint  état  de  la  religion  eti 
général,  mais  de  plus  à  l'esprit  de  voir'e 
saint  inslilut  en  {)articnlier  ;  car  si  elle 
y  était  vérilablement  contraire,  si  ce  que 
vous  6les  iiisj)irées  de  ^'aire  combatiait 
visiblement  votre  recèle  et  vos  consliiu- 
tions,  si  vous  étiez  inspirées  de  faire  co 
qu'elles  vous  défendent  ou  uiômc  ce  quelcs 
ne  vous  ordonnent  pas,  dès-lors  je  n  hésiie 
point  à  vous  le  dire,  quelque  apparence  de 
bien  que  puisse  avoir  la  chose  inspirée, 
c'est  une  in.spiralion  fausse  et  illusoiie; 
(juand,  au  lieu  d'une  simple  ins[)iration,  un 
ange  vous  a[>[)araîtrait ,  sous  une  forme 
sensible,  pour  vous  en  donner  l'ordre,  de 
lii  part  du  Seigneur,  c'est  j'ange  de  ténè- 
l'res  qui  se  montrerait  à  vous  sous  la  li- 
gure d'un  ange  do  lumière;  dites  lui  har- 
diment et  promptemeni,  anathôme. 

Au  reste,  Mesdauies,  voulez-vous  vous 
eonduire  sûrement,  par  rapport  aux  inspi- 
ralions,  et  ne  pas  devenir  le  jouet  de  l'es- 
jirit  tentateur  '?  Consultez  toujours,  avant 
d'agir,  au  moins  pour  une  action  un  peu 
importante,  consultez  celle  que  le  Seigneur 
a  placée  pour  veiller  à  votre  conduite; 
consultez  également  l'homme  de  Dieu, 
qu'il  vous  a  donné  pour  vous  instruire  et 
vous  diriger  dans  la  voie  du  salut  et  de  la 
perfection;  l'un  et  l'autre  doivent  vous 
conmîtie  et  savoir  ce  qui  j)eut  être  uiile 
ou  préjudiciable  à  votre  avancement  spiri- 
tuel ;  en  écoutant  et  en  suivant  leurs  con- 
seils ,  vous  n'aurez  point  à  craindre  de 
vous  égarer  de  prendre  pour  inspiralion 
du  Saint-Esprit  ce  qui  ne  serait  que  l'e^fei 
d'une  imagination  échauffée ,  ou  quune 
sugession  du  malin  esprit.  En  su[)posanl 
même  qu'ils  vous  décidassent  contre  la 
volonté  (Je  Dieu  jiourvu  qu'il  n'y  eût  rien 
d'opposé  à  ses  commandements,  à  sa  sainte 
loi,  vous  ne  feriez  rien  qui  lui  fût  désa- 
gréable et  qui  pût  [)réjudicier  au  bien  de 
votre  âme.  Ce  que  je  vous  dis  ici,  c'est 
(l'a|)rès  h.'S  plus  grands  maîtres  de  la  vie 
.sjiirituelle,  d'après  sainte  Thérèse.  Vous 
ï.avez  sans  doute  ce  Irait  de  la  vie  de  cette 
grande  sainte.  Honorée  des  visites  de 
Jésus-Chiist ,  sous  une  forme  sensible , 
elle  recevait  l'ordie  de  son  directeur  de 
renvoyer  celui  qui  lui  apparaissail  ,  de 
former  môme  sur  elle  et  sur  lui  le  signe  du 
salut;  quoiqu'inliniiuent  jilus  éclairée, 
plus  habile  dans  les  voies  extraordinaires 
Gt  surnalurelies  que  ce  directeur,  quel- 
qu'assurée  qu'elle  lût  de  la  vérité  de  ces 
apparitions,  quelque  répugnance  qu'elle 
sentît  à  faire  une  action  (jui  tendait  à  la 
priver  do  la  bienheureuse  présence  de  son 
très-aimal)le  Epoux,  elle  n'hé.sitait  |)oint  à 
obéir,  ap.puyée  sur  cette  maxime  si  vraie,  si 


utile  dans  la  pratique,  qu'il  était  plus 
avantageux  pour  elle  et  nlus  agréable  à 
Jésus-Christ  de  paraître  lui  déplaire  que 
de  désobéir  au  ministre  qu'il  lui  avait 
envoyé  [)nur  la  conduire.  En  suivant  celle 
sage  maxime.  Mesdames,  votre  fidélité 
aux  inspirations  de  la  grâce,  sera  non- 
seulement  prompte  et  universelle,  mais 
encore  accompagnée  d'une  prudence  qui 
vous  préservera  des  illusions  de  l'amoui- 
propre  et  des  pièges  de  l'esprit  ten- 
tateur. 

Ah  I  Seigneur,  si  je  veux  présentement 
jeter  les  yeux  sur  tant  d'années  qui  se 
sont  écoulées  depuis  que  j'ai  eu  le  bon- 
heur de  me  consacrer  solennellement  à 
vous ,  au  lieu  de  celte  constante  et  parfaite 
fidélité  à  toutes  vos  grâces,  à  laquelle  j'au- 
rais dû  me  livrer,  et  qui  m'aurait  rendue, 
chaque  jour,  plus  parfaite  et  plus  sainte  à 
vos  yeux,  que  d'infidélités  au  contraiie 
j'aperçois  !  Que  de  résislances,  que  de  faux 
prétextes  pour  m'autoriser  dans  mes  déso- 
iiéissances  et  mes  révoltes  I  Je  projetais 
sans  cesse  de  vous  être  plus  fidèle  à  la- 
venir,  et  toujours,  je  vous  ai  montré  ia 
môme  résislance,  la  môme  indocilité.  Que 
de  glaces,  que  d'inspirations  saintes  j'ai 
leçues  de  votre  infinie  libéralité,  qui  au- 
raient fait  de  moi,  une  de  vos  épouses 
selon  votre  cœur,  si  j'eusse  été  fidèle  h  y 
correspondre  !  Hélas  1  avec  beaucoup  moins 
de  ces  glaces,  de  ces  inspirations,  plusieuis 
autres  se  sont  sanctifiées  ;  elles  sont  môme 
parvenues  à  un  éminent  degré  de  sainteté. 
Ma  vie  religieuse  surtout  a  été  un  enchaî-^ 
nement  de  grâces  et  d'infidélités  ;  quel 
compte,  et  quel  terrible  compte  à  vous 
lendre  un  jour  1 

Alil  Seigneur,  je  reconnais  aujourdh'ui 
mon  aveuglement,  et  dès  (jue  vous  permet- 
tez que  je  le  reconnaisse,  et  que  je  m'en 
humilie,  en  voire  sainte  piétence  ,  je  dois 
croire  que  vous  no  voulez  i>as  me  traiter 
dans  votre  colère,  et  vous  éloigner  de  moi. 
Hélas!  je  n'éprouve  que  trojtque  j'ai  lassé 
votre  patience;  mon  âme,  def)uis  longtemps, 
est  dans  une  langueur  et  dans  une  séche- 
resse qui  doit  me  faire  tout  craindre  pour 
l'avenir.  Ah  1  ce  que  je  dois  plus  redouter, 
après  tant  de  résislances  à  vos  grâces,  et 
ce  que  je  redoute  le  plus  aussi ,  c'est  votre 
silence  :  ne  l'employez  pas  davantage,  ô 
mon  céltfSle  époux  :  A'e  sileas  a  me.  {Pial. 
XXVII,  7.)  Je  [irends  ici  la  résolution  ,  et  je 
vous  le  promets,  de  me  rendre  f»lus  atteji- 
live  que  jamais,  aux  touches  de  votre  grâce, 
à  tout  ce  que  vous  daignerez  m'inspirer, 
|)our  ma  sanctificalion:  je  n'en  resterai  point 
là.  Hé!  (jue  me  servirait  d'entendre  votic 
voix,  si  je  ne  m'y  rendais  docile;  jo  vous 
promets  de  [)lus ,  cette  [tarfaite  docilité 
que  vous  exigez  de  moi  ;  j'espère  réparer 
par  elle,  mes  ingratitudes  et  mes  inlidéli- 
lés  passées,  croître  sans  ce.^se  en  sainteté, 
à  vos  yeux,  et  mériter,  par  là,  un  accrois- 
sement continuel  de  vos  grâces  et  de  vos 
inspiralioiiS ,  qui  me  procurera  enfin,  dans 
le  sein  de  votre  propre  gloire,  une  récoa- 


^65 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  SIXIEME  JOUR. 


2GG 


pense  proportionnée  à  ces  grûoes  que  j'au- 
rai reçues  de  vous  ,  et  h  ma  fidélité  à  y  cor- 
resDondro.  Ainsi  soit-il. 

SIXIEME  JOUR 

Premier  discours. 

SUB  LA  VIE  IJiTÉRIEURE 

Vila  veslra  abscondita  est  cum  CliriMo  in  Deo. 
{Col.,  m,  5.)  ,   . 

Votre  vie  est  cachée  en  Dieu  avec  Jésus-Chrtst. 

Voilà,  Mesdames,  l'engagement  qu'ont 
contracté  tous  ceux  qui  ont  été  régénérés 
dans  les  eaux  salutaires  du  baptême  *  et 
qui  ,  par  là,  oui  été  inscrits  au  catalogue 
des  disciples  de  Jésus-Clirist.  Ils  sont  moris, 
et  ils  ont  été  ensevelis  avec  le  Dieu  Sau- 
veur, pour  reprendre  avec  lui  et  par  lui, 
une  vie  nouvelle  et  toute  spirituelle  ,  c'esl- 
à-dire,  qu'ils  sont  morts,  ou  qu'ils  ont  dû 
mourir  à  tous  les  penchants  de  la  nature, 
à  tous  les  désirs  de  la  chair,  à  tous  les 
avanlages  du  sièclCj  à  toute  créature  en  un 
uiol,  |)Our  ne  plus  vivre  qu'à  la  grâces  qu'à 
Dieu,  et  que  pour  Dieu,  en  se  conformant, 
avec  fidélité,  aux  exemples  ,  et  à  la  vie  de 
Jésus-Clirist,  aux  règles  et  aux  maximes  de 
sou  Evangile  qu'ils  ont  embrassé;  c'est  là 
cette  vie  intérieure,  celte  vie  cachée  en 
Dieu  que  l'Apôlre  désirait  dans  tous  ceux 
qu'il  avait  convertis  à  la  religion  chrétienne; 
Vie  cachée  plus  convenable  et  plus  à  désirer 
encore  dans  les  personnes  qui,  comme  vous. 
Mesdames,  se  sont  séparées  entièrement  du 
monde,  |)Our  se  sanciifier  |)lus  sûrement, 
dans  la  retraite  ,  [lour  s'allacher  plus  étroi- 
tement au  Dieu  Sauveur,  et  pour  approcher 
de  plus  près  de  ce  divin  modèle.  Vie  cachée, 
et  toute  en  Dieu,  heureux  état  qui  rend 
une  âuie  semblable,  en  quelque  sorte,  aux 
anges  et  aux  bii  nheureux  ,  et  plus  habi- 
lame  du  ciel  qu'elle  dé.<îire,  que  de  la  terre 
qu'elle  habile. 

Mais  hélas  I  qu'elle  est  rare  celle  vie 
toute  intérieure  ,  même  [)armi  les  épouses 
de  Jésus-Christ!  Ahl  Mesdames,  qu'il  en 
est  peu ,  même  dans  votre  saint  état  j  qui  la 
coiuiaissent  cette  vie  sublime  et  toute  cé- 
leste, ou  qui  veuillent  du  moins  se  mettre 
dans  les  dispositions  propres  à  y  entrer  I 
On  la  regarde*  pour  l'ordinaire,  comme  un 
élut  pénible  qui  ne  peut  porter  que  l'ennui 
et  le  dégoût  dans  le  cœur;  ou  si  l'on 
aperçoit  les  grands  biens  qu'elle  procure, 
on  u  a  |)as  le  courage  de  faire  ce  qu'il  con- 
viendrait pour  l'embrasser.  Quoique  par  la 
miséricorde  de  Dieu,  vous  soyez,  vous. 
Mesdames,  bien  éloignées  de  ces  mauvaises 
dispositions,  quoique  vous  désiriez  bien 
buicèrement  au  contraire,  de  correspondre 
toujours,  et  en  tout,  dans  votre  saint  état, 
au\  desseins  de  voire  Dieu  sur  vous,  et  do 
\ous  rendre  de  plus  en  plus,  des  épouses 
dignt-s  de  lui,  et  selon  son  cœur,  pour  vous 
alkrmir  dans  ces  pieux  sentiments,  et  pour 
accroître  môme  vos  bons  désirs,  j'enlre- 
preuds  de  vous  donner  ici  une  idée  de  celle 
Vie  intérieure  et  cachée  en  Dieu  ;  de  vous 
faire  connaître  combien  elle  est  utile,  avan- 
tageuse à  l'âme  religieuse  qui  s'y  livre,  et 

Ohatëcks  sacrés.  LXVIll. 


à  la  lois,  de  vous  montrer  les  voies  qui  y 
conduisent  sûrement,  et  qui  sont  propres  à 
vous  conserver  dans  cet  heureux  état.  En 
deux  mots,  les  grands  avanlages  que  pro- 
cure la  vie  intérieure,  ce  sera  le  sujet  de  la 
première  partie  de  ce  discours.  Les  moyens 
nécessaires  pour  entrer  dans  cette  vie  inté- 
rieure; ce  sera  le  sujet  de  la  seconde  par- 
tie. Honorez-moi,  s-'il  vous  plaît,  de  toute 
votre  attention.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE     PARTIE, 

Pour  vous  faire  bien  connaître,  Mes- 
dames, les  avantages  considérables  que  pro- 
cure la  vie  intérieure  et  cachée,  qui  a  été 
si  louée  et  si  recommandée  par  tous  les 
maîtres  de  la  vie  spirituelle,  et  pratiquée 
par  tous  les  Saints  et  les  saintes  solitaires 
surtout,  il  sullirait  presque  de,vous  la  défi- 
nir; vous  dire  ce  qu'elle  est,  vous  manifes- 
ter sa  nature  et  ses  effets,  c'est  vous  faire 
connaître  son  excellence  et  les  grands  biens 
qu'elle  procure  à  l'âme  qui  s'y  livre; 
qu'est-ce  donc  que  cette  vie  intérieure  et 
cachée  en  Dieu  avec  Jésus-Christ  ?  Ah  I 
Mesdames,  je  pourrais  vous  dire  d'abord 
qu'il  n'y  a  que  ceux  qui  ont  le  bonheUr  de 
vivre  de  celle  vie  toute  céb.sie  qui  la  con- 
naissent, et  qui  puissent  en  parler  digne- 
ment ;  le  peu  cei)endanl  que  je  pourrai 
vous  en  dire,  en  suivant  mes  lables  lu- 
mièresj  et  en  bégayant,  pour  ainsi  dire,  sur 
celte  sublio^e  et  importante  matière,  sufiira^ 
j'ose  le  dire,  pour  vous  faire  convenir  que 
c'est  la  pcrio  de  TEvangilej  ce  trésor  caché 
qui  mérite  bien  qu'on  se  donne  toulcs  les 
I)eines,  et  qu'on  fasse  les  plus  grands  efforts 
pour  se  la  procurer. 

Vivre  d'une  vie  intérifiure  et  toute  ert 
Dieu,  c'est  être  intimement  et  habituelle- 
ment convaincu  de  la  grandeur,  de  la  ma^ 
jesté  infinie  de  Dieu,  de  sorl  immensité,  de 
sa  présence  dans  tout  l'univers,  et  surtout 
dans  son  propre  cœur  ;  c'est  ne  pas  perdre 
de  vue  ce  Dieu  présent  paitoul,  et  marcher 
continuellement  en  sa  présence;  c'est  ban- 
nir de  son  esprit  tout  autre  objet,  ne  s'oc- 
cuper que  de  ce  Dieu,  Créateur,  Rédemp- 
teur, sanctificateur  et  bienfaiteur  tout  en- 
semble ;  c'est  se  [)laire  à  l'adorer,  à  le  louer, 
à  rendre  hommage  à  ses  perfections  infi- 
nies ;  c'est  le  porter  autant  dans  son  cœur 
que  dans  son  esprit,  l'aimer  ardemment, 
et  n'aimer  que  lui  ;  c'est  ruettre  toute  sa 
satisfaction,  tout  son  bonheur  à  le  servir, 
à  lui  plaire,  à  n'agir  en  tout  que  pour  sa 
gloire  et  par  amour  pour  lui.  Vivre  d'une 
vie  intérieure  et  toute  en  Dieu,  c'est  ne 
plus  tenir  à  la  terre  que  (lar  les  liens  du 
corps  ;  c'est  avor  toute  sa  conversation  dans 
le  ciel,  comme  dit  l'apôtre  saint  Paul  ;  c'est-à- 
dire,  tourner  toutes  ses  pensées,  toutes  ses 
affections,  tous  ses  désirs  vers  le  ciel  et 
pour  le  ciel.  Vivre  d'une  vie  intérieure  et 
cachée  en  Dieu,  pour  une  épouse  de  Jésus- 
Christ  surtout,  c'est  ne  vivre,  n'aspirer,  et 
no  respirer  que  pour  le  céleste  Epoux  ;•  c'est 
n'avo;r  d'autre  désir  et  d'autre  a[)pliiation 
qu'à  éviter  ce  qui  pourrait  lui    déplaire, 

9 


267 


ORATEURS  SACHES.  L'AUBE  DE  MONTIS. 


2C8 


qu'à  faire  loul  ce  qui  peut  lui  êlre  agréable  ; 
c'est  meitre  loul  son  bonheur  en  celle  vie, 
à  penser  à  lui,  h  se  remj^lir  de  son  esprit, 
de  ses-  maximes,  de  ses  sentiments,  de  ses 
exemples  ;  à  le  prendre  en  loul  pour  son 
modèle;  vivre  en  un  mol,  d'une  vie  inté- 
rieure et  cachée  avec  Jésus-Chrisl,  c'est  faire 
régner  absolument  Jésus-Christ  dans  son 
cœur,  ou  plutôt,  c'est  comme  l'éprouvait 
le  môme  Apôtre,  cl  comme  il  le  disait  lui- 
même  ,  ne  plus  vivre  soi-même,  sentir 
qu'on  ne  vil  plus  soi-même,  mais  que  c'est 
Jésus-Chrisl  qui  vil  en  soi. 

Voilà,  Mesdames,  une  idée  de  celle  vie 
intérieure  si  excellente  et  malbeusement 
Irop  peu  connue;  quelque faiblie  qu'elle  soit 
celle  idée,  elle  a  dû  sans  doute  exciter 
dans  voire  cœur,  un  ardent  désir  de  vous  y 
conformer  ;  mais  pour  augmenter  dans  vous 
ces  bons  désirs,  je  ne  dois  point  m'en  tenir 
là  ;  pour  remplir  mes  engagements,  je  vais 
vous  faire  considérer  plus  en  détail  les  ad- 
mira'bles  effets  qu'elle  produit  et  vous  prou- 
ver par  là,  qu'elle  est  un  des  plus  sûrs 
moyens,  je  dirais  môme  le  moyen  unique 
d'arriver  à  la  [)!us  sublime  perfection,  et 
cela  pour  trois  raisons  dont  vous  sentirez 
toute  la  vérité;  c'est  en  premier  lieu  que 
dans  cette  vie  intérieure  on  craint  d'otfenscT 
Dieu,  on  redoute  même  de  lui  déplaire, 
par  la  plus  légère  infidélité.  C'est,  en  se- 
cond lieu,  qu'on  fait  plus  encore,  qu'on  est 
tout  occupé  à  lui  plaire;  qu'on  saisit  avec 
ardeur  les  moindres  occasions  de  se  ren- 
dre de  plus  en  plus  agréable  à  ses  yeux  ; 
c  es-l,  en  troisième  lieu,  que  dans  cet  état  une 
âme  religieuse  ne  tenant  plus  à  la  terre  et 
à  tout  ce  qu'elle  contient,  n'étant  occupée 
que  de  son  Dieu  et  du  soin  de  lui  plaire, 
elle  se  tient  aussi  parfaitement  unie  à  lui 
que  son  état  de  voyageuse  sur  la  terre  peut 
le  lui  permettre;  je  dis  donc  que  la  vie  in- 
térieure et  cachée  on  Dieu,  fait  éviter  avec 
soin  le  péché  et  tout  ce  qui  a  l'apparence 
du  péché;  qu'elle  fait  pratiquer  avec  fidé- 
lité la  vertu  et  toute  espèce  de  vertu  j  qu'elle 
procure  par  là  une  union  étroite  et  cons- 
tante avec  Dieu;  l'âme  religieuse  peut-elle 
trouver  sur  la  terre  rien  de  plus  consolant, 
de  plus  avantageux  pour  elle  et  un  moyen 
plus  efficace  de  perfection  et  de  sainteté? 

1.  Je  reprends  et  je  dis  que  le  premier 
effet  de  la  vie  intérieure  et  le  premier 
avantage  qu'elle  procure,  c'est  de  faire  évi- 
ter le  péché  et  touie  espèce  de  péché.  Vous 
le  savez,  Mesdames,  la  première  voie  du 
salut  et  le  premier  moyen  de  perfection  , 
c'est  d'éviter  le  mal  et  qui  conduit  à  un  au- 
tre plus  parfait  encore,  qui  est  de  faire 
le  bien;  mais  ce  qui  relève  infiniment  la 
vie  intérieure,  et  ce  qui  en  prouve  l'excel- 
lence, c'est  que  ce  n'est  pas  seulement  de 
grands  désordres,  des  péchés  griefs  qui  font 
perdre  la  grâce  et  l'amitié  de  Dieu  qu'elle 
préserve:  hélas  1  dans  le  saint  état  de  la 
religion,  quoiqu'on  y  éprouve  comme  dans 
tout  autre  état  des  tentations,  qu'on  y  ren- 
contre des  obstacles  au  salut,  il  faut  cepen- 
dant convenir  qu'ils  sont  bien  moins  fré- 


quents et  bonucoup  moins  nangorcux  que 
dans  le  monde;  et  si  les  ennemis  du  salut 
livrent  des  combats  à  ceux  et  à  celles  qui 
habitent  une  sainte  solitude,  il  faut  conve- 
nir aussi  que  les  secours  et  les  moyens  de 
sanctificalion  qu'on  y  trouve  pour  repous.ser 
les  assauts  ûi^a  ennemis  du  salut  y  sojil 
bien  plus  abondants  et  beaucoup  plus  effi- 
caces que  ceux  qui  sont  offerts  aux  chré- 
tiens qui  vivent  au  milieu  du  siècle.  Mais 
si  la  personne  religieuse  se  trouve  commu- 
nément à  l'abri  des  jurandes  tentations,  dos 
chutes  considérables  ;  il  faut  avouer  que 
l'état  saint  qu'elle  a  embrassé,  l'obligeant  à 
travailler  sans  cesse  à  sa  perfection  ,  l'as- 
treignant surtout  à  une  infinité  de  devoirs, 
d'exercices  et  d'observances  qui  demandent 
des  soins  et  une  altenlion  continuelle  sur 
elle-même  ,  elle  se  trouve  par  là  exposée 
plus  que  les  chrétiens  du  siècle,  à  bien  des 
fautes  légères,  à  raille  infidélités  qui  offen- 
sent toujours  le  céleste  Epoux,  époux  ja- 
loux ,  qui  exige  de  toutes  celles  qu'il  a  ho- 
norées du  litre  auguste  de  ses  épouses  un 
accroissement  perpétuel  d'amour  et  de  sain- 
teté. 

Or,  voilà  ,  Mesdames,  le  grand  avantage 
que  procure  la  vie  intérieure  et  cachée  : 
non-seulement  elle  fait  éviter  les  fautes  con- 
sidérables, les  péchés  griefs,  mais  une  per- 
sonne religieuse  ,  dans  cet  heureux  élat ,  se 
trouvant  absolument  dégagée  des  créatures 
et  d'elle-même ,  n'y  ayant  plus  de  milieu 
pour  ainsi  dire  entre  son  Dieu  et  elle,  plus 
pénétrée  par  là  de  sa  faiblesse,  de  ses  im- 
perfections,  de  ses  misères,  elle  se  tient 
aussi  dans  une  défiance  continuelle  d'elle- 
même,  elle  met  toute  son  attention  à  éviter 
jusqu'aux  plus  petites  fautes,  jusqu'aux  lé- 
gères inobservances.  Oui,  tandis  que  la  reli- 
gieuse peu  intérieure,  trop  épanchée  au- 
dehors,  trop  dissipée,  ne  réfléchissant  point 
assez  et  sur  la  sainteté  de  son  étal,  et  sur 
la  grandeur  du  Dieu  auquel  elle  appartient , 
se  rend  coupable  de  mille  infidélités  que  sa 
trop  grande  dissipation  l'empêche  d'éviter, 
tandis  qu'elle  commet  une  infinité  de  fau- 
tes, sans  presque  s'en  apercevoir,  ce  qui  ne 
l'excuse  point  aux  yeux  de  son  céleste  époux 
qui  voit  ce  qu'elle  est  et  ce  qu'elle  devrait 
être,  tandis  qu'elle  les  commet  ces  fautes, 
facilement  et  hardiment,  qu'elle  ressent  et 
qu'elle  montre  peu  de  douleur,  après  les 
avoir  commises,  qu'elle  ne  pense  pas  même 
à  s'en  accuser  au  sacré  tribunal,  ou  qu'elle 
s'en  accuse  plutôt  i)ar  habitude  que  par  un 
vrai  motif  de  religion  et  de  repentir  ;  la  re- 
ligieuse intérieure  et  vraiment  intérieure, 
agit  bien  dilléremment  parce  qu'elle  pense 
bien  différemment  aussi;  la  loi  vive  dont 
elle  est  animée,  la  tenant  dans  une  convic- 
tion habituelle  do  la  grandeur  infinie  du 
Dieu  qu'elle  sert  et  auquel  elle  s'est  donnée 
sans  réserve ,  et  de  l'élévation  de  l'état 
qu'elle  a  embrassé,  persuadée  que  cet  é-tat 
l'oblige  à  travailler  avec  application  et  sans 
interruption  au  grand  ouvrage  de  sa  per- 
fection, de  sa  sainteté,  également  convain- 
cue que  le  péché  el  tout  péché*,  quelque  lé- 


id} 


DISCOURS  DE  RETRAITE. 

oflonso  (ou 


siaiëme  jour. 


270 


ger  qu  on  puisse  le  supposer 
jours  la  majeslé  iilliiiie  d'uni  Dieu  qui  mô- 
rile  (J'èlre  servi ,  loué,  adoré  et  ^lorilié  [uir 
loules  ses  créatures  raisonnables  el  p.ir 
celles  surtout  qu'il  a  élevées  par  une  pré- 
dilection spéciale,  au  rang  de  ses  épouses 
et  être  servi  et  glorifié  par  elles,  de  In  iu;i- 
nière  la  plus  parfaite  dont  elles  peuvent 
être  capables;  pleine  de  ces  grands  senti- 
meiils,  elle  évite  avec  soin  ,  je  ne  dirai  pas 
seulement  tout  ce  qui  pourrait,  en  genre  dtj 
péché,  ollenser  ce  Dieu  intinimciit  aima- 
ble et  qui  l'a  inliiiinieiit  aimée,  mais  de 
plus  ,  tout  ce  qui  |)ourrait  lui  déplaiie 
en  genre  d'imperfedion  ;  presque  point 
distraite  par  aucun  objet  créé  l'esprit  el  le 
cœur  également  tournés  pai*  une  heureuse 
habitude  vers  son  Dieu,  elle  lient  pour 
ainsi  dire,  continuellement  son  Ame  entre 
ses  mains;  elle  s'observe  aVec  la  plus  scru- 
puleuse attention,  afin  de  ne  rien  l'aire  qui 
puisse  en  ternir  Téclal  el  la  beaulé;ce  n'est 
pas  qu'avec  ces  dispositions,  qu'avec  toute 
son  attention  à  plaire  en  tout  à  son  céleste 
Kjioux,  elle  n'ait  encore  quelquefois  des 
taules  el  des  iraperfeclions  à  se  repro- 
cfier.  Hélas!  le  cœur  humain  ,  quelqu'alla- 
clié  qu'on  le  suppose  à  son  Créateur,  est 
toujours  si  faible,  si  fragile  que  le  plus 
juste,  le  plus  parfait  tombe,  et  plusieurs 
fois  le  jour,  selon  l'expression  même  du 
Saint-Esprit;  mais  ces  fautes,  j'ose  le  dire, 
ne  nuisent  point  el  ne  peuvent  nuire  à  sa 
perfection,  à  sa  sainteté,  parce  qu'oulre 
qu'on  doit  les  regarder  plutôt  comme  des 
faiblesses  inséparables  de  l'iiurtianité,  que 
comme  des  fautes  réfléchies  et  volontaires  ; 
c'est  que  le  regret  qu'elle  en  conçoit,  celle 
épouse  fidèle  de  Jésus-Christ,-  Ja  douleur 
avec  laquelle  elle  s'en  accuse  dans  Je  sacré 
tribunal ,  les  résolutions  saintes  qu'elle 
prend,  les  promesses  sincères  et  réitérées 
qu'elle  fait  à  son  céleste  Epoux  de  s'obser- 
ver davantage  à  l'avenir,  d'éviter  avec  plus 
de  soin,  ces  infidélités  qu'elle  se  reproche 
et  qui  lui  déplaisent,  tout  cela  sert  à  la  pu- 
rifier, à  la  sancliQer  de  plus  en  plus,  à  l'at- 
tacher toujours  plus  étroitement  à  son  Dieu 
el  à  attirer  sur  elle  une  plus  grande  abon- 
dance de  grâces  et  de  bénédictions.  Voilà 
donc  le  |)remier  avantage  que  procure  à 
l'âme  religieuse  celle  vie  intérieure  et  ca- 
chée, c^est  de  lui  faire  éviter  le  péché  et 
jusqu'à  l'apparence  môme  du  péché;  mais 
un  autre  uvanlage  qu'elle  lui  procure  en- 
core, c'est  de  lui  faire  pratiquer  la  vertu  et 
toute  espèce  de  vertu. 

lî.  Quand  on  seul  au-dedans  de  soi  un 
grand  éloignemenl  pour  le  péché  et  pour 
loul  péché,  on  est  alors  tout  disposé  à  faite 
le  bien ,  à  pratiquer  la  vertu.  Une  personne 
religieuse  qui  craint  véritablement  d'olfeu- 
ser  Dieu,  qui  s'observe  conliiuiellemenl 
pour  ne  pas  déplaire  à  son  céleste  Epoux, 
n'eu  resle  pas  là  pour  l'ordinaire;  elle  cher- 
che à  lui  plaire  et  à  se  rendre  en  tout  agréa- 
ble à  ses  y  eux;  or,  n'ignorant  pas  que  le  moyen 
le  plus  sûr,  que  l'unique  moyen  même  de  lui 
l*laire,c'esl  de  II  availler  sans  relâche  à  l'ouvra- 


ge de  sa  perfection  selon  les  engagements 
SMcrés  qu'elle  a  pris  avec  lui,  elle  s'applique 
continuellement  à  orrier  son  âme  de  toutes 
les  vertus  ,  el  de  celles  surtout  qui  sont  les 
plus  conformes  el  les    plus  proportionnées 
au  saint  état  qu'elle  a  embrassé.   Voilà    te 
bon  elfel  que  [)roduil  toujours  la  vie  inté- 
rieure el  cachée  ,  el  (ju'ello  seule  peut  [)ro- 
duire.  Oui,  Mesdames,  une  religieuse  qui 
ne  connaît  jioint  celle  vie  de  recueillement 
et  loute  en   Dieu,  une  religieuse  qui  rentre 
peu  en  elle-même,  qui  s'est  malheureuse- 
ment accoutumée  à   (lissipe^  son   esprit  et 
son  cœur,  à  les  tourner  beaucoup  plus  veis 
les    objets   tréés  que   vers   l'objet  iiicréé , 
vers  son  Dieu,  ne  produira  jamais  de  grands 
actes  do  vertu  ,  el  no  peut  devenir   vérila- 
blemeril  sainte  et  parfdte;  si  elle  ne  mène 
pas  une  vie  entièrement  Ofjposéë  à  la  sa  n- 
toté  de  son  état,  si  elle  ne  porte  pas  la  dis- 
sipation jusqu'à  manquer  à  ses  devoirs  les 
plus   importants,  jusqu'à   transgresser  ses 
observances  les  plus  essentielles  el  à  scan- 
daliser ses  sœurs  par  une  conduite  peu  lé- 
gulière;  elle  ne  fait  du   moins  aucun  pro- 
grès dans  le  chemin  de  la  perfection  ;   elle 
resle  là  el  retourne  même  en  arrière ,  t)ar- 
ce  que,  comme  le  disent  les  maîtres  do  l;< 
vie  spirituelle,  c'est  reculer  que  de  ne  [loint 
avancer  dans  la  voie  de  la  sainteté.  Toute 
son  attention  se  borne  à  sauver  les  appa- 
rences, à  ne  pas  s'altirer  des  réprimandes 
ou  des  reproches;  toutes  les  vertus  qu'elle 
paraît  pi-aliquer  sont  purement  extérieures, 
fondées  le  plus  souvent  sur  des  motifs  na- 
turels et  tout  humains;  elle  vit  sans  mérite 
par  conséquent   aux   yeux  de  son  céleste 
Epoux.  Que  d'occasions  en  elfel  de  faire  le 
bien  et  de  lui  plaire  se  présentent  chaque 
jour  dans  son  sainl  étal  que  la  trop  grande 
dissipation  de  son  esprit  l'empêche  d  aper- 
cevoir, ou  si  elle  l'aperçoit,  la  tiédeur  dan» 
laquelle  elle  vit  et  qui  est  toujours  l'effet  de 
sa  dissipation  les  lui  fait  omettre;  que  de 
moyens  de  sanctification  elle  néglige  1  Que 
d'inspirations  secrètes  elle  rejette!  Que  de' 
remords  qui  s'élèvent  quelquefois  dans  sort 
âme  et  qu'elle  étoulfe  1  Que  de  grâces  et  da 
toute  espèce  dont  elle  abuse  et  qu'elle  rend 
inutiles?  Ah  1'  que  dis-je,  plût  à  Dieu  qu'el- 
les ne  fussent  qu'inulffesl  mais  de   l'abus 
desquelles  elle   rendra  un  jour  un  compte 
rigoureuî    à    son    Dieu    et    qui  serviront- 
peu  l-ôtfe  à  sa  réprobation.  Mais  bien  diffé- 
reiile  est  l'a  conduite  de   la  religieuse  q.ui 
lùène  une  vie  vraiment  intérieure  el  cachée; 
ne  voyant  en  tout  qua   son  céleste  Epoux, 
marchant  sans  cesse  en  sa  présence  et  sous 
ses  yeux,  loul  autre  objet  ne  peut  plus  ni 
rafl'ecler  ni  la  distraire  :  animée  de  l'unique 
désir  de  lui  plaire,  de  se  rendre  sans  cesse 
agréable  à  ses  yeux  ,  et  ttiujours  [)Ius  digne 
par  là  du  lilre  auguste  de  son  épouse  dant 
il  l'a  honorée  ;  elle  saisit  avec  ardeur  tou- 
tes les  occasions  qui  peuvent   se   présenter 
et  qui   se   |)résenlent  si  souvent  à  elle  de 
pratiquer  la  vertu  ,  de  se  sanctifier  j  ell«  pc- 
gurderail  comme  une  faute  ,  comme  un  cri- 
me de  négliger  aucun  des  moyeiis  de  sanc- 


271 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOiNTIS. 


272 


lificalion  qu'eUe  trouve  dans  son  saint  état  : 
de  là  celte  fidélité  à  s'ncquilter  avec  la  plus 
scrupuleuse  exactitude,  non-seulement  de 
ses  devoirs  les  plus  essentiels,  mais  encore 
des  moindres  observances  que  lui  pres- 
crivent sa  règle  et  ses  constitutions  ;  de  là 
celte  soumission  aveugle  aux  moindres  vo- 
lontés de  ses  supérieurs  ;  de  là  celte  égalité 
d'humeur,  celte  douceur,  celle  condescen- 
<iance,  celte  charité  universelle  pour  ses 
sœurs  qui  la  fait  estimer  et  aimer  tout 
ensemble  ;  de  là  celte  afiplication  à  s'acquit- 
ter avec  une  scrupuleuse  exactitude  des 
fonctions  et  des  emplois  dont  elle  se  trouve 
chargée;  de  là  celte  religion,  ce  saint  re- 
cueillement dans  ses  prières  et  dans  tous 
ses  exercices  qui  regardent  le  culte  de 
Dieu;  de  là  celte  piété,  celte  ferveur  dans 
la  réception  des  sacrements  et  dans  ses 
communions  surtout,  de  là  celle  allenlion 
à  correspondre  à  toutes  les  inspirations  du 
Saint-Esprit;  presque  point  distraite,  elle 
aperçoit  et  sent  promptement  en  elle  les 
moindres  opérations  de  la  grâce  ;  son  céleste 
Epoux  n'a  qu'à  remuer  les  lèvres,  pour  me 
servir  de  rex|)ression  de  sainte  Thérèse , 
aussitôt  elle  l'entend  ,  elle  le  comprend  et 
lui  obéit.  Eh  !  quelle  abondance  de  nouvel- 
les grâces  ne  lui  procure  pas  cette  parfaite 
docilité!  Grâces  dont  l'accroissement  jour- 
nalier la  fait  croître  chaque  jour  aussi  en 
perfection  et  en  sainteté;  de  là  ce  dégoût, 
cet  éloignement  de  tout  ce  qui  pourrait  la 
distraire  et  la  priver  de  la  présence  de  son 
Dieu  et  de  ses  doux  entreliens  avec  lui  : 
ainsi  ayant  bien  moins  de  distractions , 
étant  beaucoup  moins  exposée  aux  tenta- 
lions  des  ennemis  de  son  salut,  en  rece- 
vant une  infinité  de  grâces  et  de  secours 
pour  les  vaincre,  on  ne  doit  point  être 
étonné  de  lui  voir  faire  chatpio  jour  des 
progrès  sensibles  dans  la  vole  de  la  sainteté, 
et  qui  établissent  enfin  son  âme  dans  une 
union  étroite  et  constante  avec  son  Dieu  : 
troisième  effet  de  la  vie  intérieure  et  ca- 
chée, et  troisième  avantage  qu  elle  produit 
et  qui  suit,  comme  naturellement,  des  deux 
premiers. 

111.  Oui,  Mesdames,  comme  une  grande 
attention  à  éviter  tout  ce  qui  pourrait  offen- 
ser le  Seigneur  et  lui  déplaire,  porte  natu- 
rellement à  le  servir  et  à  lui  plaire  par  la 
pratique  des  vertus  et  de  tout  le  bien  dont 
on  est  capable;  de  même  aussi  cet  éloigne- 
ment du  mal  et  celte  pratique  habituelle  du 
bien  met  l'âme  dans  une  situation  qui  l'at- 
tache à  son  Dieu  et  qui  attache  son  Dieu  à 
elle,  qui  forme,  par  conséquent,  entre  son 
Dieu  et  elle  une  union  intime,  et  la  plus 
inlime  que  puisse  permettre  le  séjour  de 
la  terre.  Ici,  Mesdames,  je  dois  vous  avouer 
mon  insulfisanceet  ma  faiblesse;  la  matière 
que  je  traite  est  trop  au-dessus  de  moi  pour 
que  je  puisse  vous  la  rendre  sensible  et  telle 
qu'elle  est;  pour  en  bien  parler,  il  faudrait 
en  avoir  joui  de  cette  intime  et  admirable 
union  de  l'âme  avec  Dieu,  et  encore  les  âmes 
qui  ont  ce  précieux  avantage  d'en  jouir,  à 
peine  peuvenl-elles  la  faire  connaître  aux  au- 


tres; elles  la  sentent,  elles  la  goûtent  et  ne 
la  comprennent  pas.  Ah  1  Seigneur,  daignez 
dans  eu  moment,  sans  égard  à  mon  indi- 
gnité, piiiifier  mes  lèvres  de  ce  charbon 
ardent  et  tout  céleste  qui  purifia  celles  de. 
votre  prophète,  afin  que  je  puisse  bien 
faire  connaître  et  inspirer  à  vos  épouses, 
et  à  des  épouses  qui  n'aspirent  qu'à  se 
sanctifier  et  à  vous  plaire,  le  moyen  le  plus 
sûr  d'y  réussir.  Qu'esl-ce  donc  que  cette 
union  inlime  avec  son  Dieu  pour  une  per- 
sonne religieuse  qui  s'est  toute  livrée  à  une 
vie  intérieure  et  cachée?  Ah  î  Mesdames, 
c'est  du  côté  de  l'âme,  ne  plus  vivre,  ne 
plus  respirer  que  pour  le  céleste  Epoux  ; 
c'est  ne  chercher,  no  vouloir  que  lui;  c'est 
mettre  toute  son  occupation, toute  sa  félicilé 
sur  la  terre  à  s'entretenir  avec  lui,  à  n'agir 
que  pour  lui.  Ahl  toutes  les  créatures  dé- 
plaisent alors;  on  enfuit  la  vue  et  le  com- 
merce; il  n'y  a  que  la  nécessité,  que  le  de- 
voir qui  lès  rende  supportables;  comme 
Madeleine,  l'amante  de  ce  Jésus,  on  dési- 
rerait pouvoir  être  jour  et  nuit  en  sa  pré- 
sence et  à  ses  pieds;  on  voudrait  s'occuper 
sans  cesse  de  ses  amabilités,  de  ses  per- 
fections, s'en  entretenir  sans  cesse  et  sans 
cesse  en  entretenir  les  autres;  tout  autre 
pro[)OS,  tout  entretien  qui  n'y  tend  pas,  qui 
ne  l'a  pas  |)our  objet,  ennuie  et  fatigue;  à 
l'exeu'ple  du  Roi-Prophète  (Psal.  LXXll, 
24),  cette  épou«e  intérieure  s'écrie  souvent  : 
Ah!  Seigneur,  qu'y  a-t-il  sur  la  (erre  ou  dans 
le  ciel  qui  puisse  me  plaire ,  que  je  puisse 
désirer,  hors  devons  !  Comme  l'Apôtre  (Rom., 
Vlll,  35,  39),  elle  se  plaît  à  protester  et 
à  répéter  à  son  céleste  Epoux  que  rien  dans 
le  ciel,  sur  la  terre  ou  dans  l'enfer,  ne 
pourra  jamais  la  séparer  de  lui,  ni  affai- 
blir l'attachement,  l'amour  ardent  qu'elle  a 
conçu  pour  lui. 

Qu'est-ce  encore  que  celte  union  de  la 
religieuse  vraiment  intérieure  avec  sou 
Dieu,  à  la  considérer  du  côté  de  Dieu  lui- 
même?  Ah!  Mesdames,  c'est  le  commerce 
le  plus  intime,  le  plus  pur,  le  plus  conso- 
lant, le  plus  avantageux  qu'un  Dieu  puisse 
avoir  sur  la  terre  avec  la  créature;  aucun 
autre  objet  ne  l'interrompant  cet  admirable 
commerce,  ce  Dieu  de  toute  bonté  qui  ne 
cherche  qu'à  se  communiquer  à  nous,  re- 
garde alors  son  épouse  avec  des  yeux  de 
complaisance;  il  la  chérit,  il  lui  fait  con- 
naître sensiblement  son  amour  pour  elle, 
il  lui  communique  les  moyens  les  plus  efli- 
caces  et  les  plus  abondants,  afin  qu'elle  se 
rende  de  jour  en  jour  plus  agréatjle  à  ses 
yeux  et  plus  digne  de  lui.  Que  de  grâces, 
et  de  toute  espèce,  il  répand  dans  celte 
âme,  qu'il  voit  disposée  à  les  recevoir! 
Que  de  vives  lumières,  que  de  connaissan-r 
ces  sublimes,  que  de  vérités  toutes  célestes 
il  lui  communique,  et  qui  ne  servent  qu'à 
la  convaincre  de  i)ius  en  plus  du  vide,  du 
néant  des  créatures,  et  en  même  temps  des 
grandeurs,  des  amabilités,  des  perfections 
infinies  de  son  Dieu  I  Que  de  secours,  que 
de  moyens  il  lui  prodigue  chaque  jour  et 
[)resque  à  chaque  instant,  qui  lui  font  pra- 


275 


DISCOURS  DE  UETIIAITE.—  SIXIEME  JOUR. 


274 


tiquer  sans  cesse  la  verîu,  accomplir,  avec 
la  plus  grande  fidélilé,  tous  les  devoirs  do 
chrétienne  et  de  religieuse,  et  qui,  par  là, 
lui  font  faire  des  progrès  sensibles  et  con- 
linuels  dans  la  voie  de  la  perfection  et  de 
la  sainteté!  Mais  de  plus  que  de  communi- 
cations intimes,  que  de  douceurs,  que  de 
consolations.que  de  faveurs,  que  de  caresses 
elle  reçoit  du  céleste  Epoux,  qui  lui  pro- 
curent quelquefois  des  ravissements,  des 
extases,  sous  lesquelles  l'iiumanité  trop 
faible  est  prête  à  succomberl  Extases,  ra- 
vissements qui  lui  font  goûter,  en  quelque 
sorte,  dès  celte  vie,  les  suavités,  les  délices 
du  ciel,  et  qui  la  forcent  de  s'écrier,  d'après 
le  Prophète-Roi  :  Oh  !  que  te  Seigneur  est 
bon  ,  quil  est  doux  à  ceux  qui  ont  le  cœur 
droit,  cl  qui  sont  entièrement  à  luil  Quam 
suavisest  Dominus!(PsaL  LXXII,  1;XXX11I, 
9.)  0  qu'il  est  consolant,  qu'il  est  avanta- 
geux pour  moi  d'être  entièrement,  d'être 
toute  à  mon  Dieu  1  Mihi  adhœrere  Deo  ho- 
«MH.  est.  {Psal.  LXXIJ,  28.) 

Ce  n'est  cependant  |)as.  Mesdames,  que 
cet  état  d'une  félicité  sensible  soit  fixe  et 
de  durée,  que  la  religieuse  intérieure  se 
trouve  toujours  comblée  de  consolations 
et  de  douceurs  :  oh  1  non  :  Jésus-Christ  a 
passé  sa  vie  dans  les  tribulations,  dans  les 
souffrances;  ce  n'est  que  par  elles  qu'il  est 
rentré  dans  le  séjour  de  sa  gloire;  il  veut 
que  ceux  et  celles  qui  sont  le  plus  à  lui,  et 
ses  épouses  surtout,  y  entrent  par  la  môme 
voie  :  c'est  pour  cela  qu'il  tem[)ère,  pour  l'or- 
iiaire,  ces  grâces  sensibles,  ces  faveurs  sur- 
naturelles, par  des  peines,  des  souffrances, 
et  de  toute  espèce,  qui  les  rendent  plus 
semblables  à  lui.  Tantôt  ce  sont  des  ténè- 
bres épaisses  dans  l'esprit,  qui  empêchent 
son  épouse  de  voir  et  de  sentir  les  vérités 
saintes  de  la  religion,  jusqu'à  se  regarder 
sans  croyance  et  sans  foi;  tantôt  ce  sont  dus 
sécheresses, des  aridités  dans  le  cœur;  c'est 
un  éloignement,  un  abandon  du  célflste 
Epoux,  un  délaissement  total  qui  l'affl'ge 
et  la  désole,  qui  l'entretient  dans  une  pen- 
sée accablante  d'avoir  encouru  son  indigna- 
lion,  de  se  croire  digne  do  sa  colère  éter- 
nelle et  destinée  aux  flammes  de  l'enfer; 
quelquefois  ce  sont  des  croix,  des  mépris, 
des  persécutions  de  la  part  des  créatures, 
et  de  celles  souvent  dont  elle  aurait  cru 
devoir  espérer  des  consolations  et  des  se- 
cours ;  d'autres  fois  c'est  l'esprjl  malin  qui 
a  la  permission  d'attaquer  celte  âme,  de  la 
troubler,  de  l'agiler  par  des  tentations  de 
toute  espèce,  et  des  plus  horribles  quelque- 
iois  ;  ce  sont  encore  des  souffrances  dans  le 
corps,  ce  sont  des  douleurs  cruelles  qu'on 
ne  ()eut  expliquer  ni  faire  conn<iître,  que 
tous  les  remèdes  ne  peuvent  soulager,  et 
qui  les  aigrissent  môme  et  les  augmentent 
le  plus  souvent  :  mais  au  milieu  de  tant  de 
peines  et  dépieuves,  la  religieuse  vraiment 
intérieure  n'est  p'iiui  à  plaindre, parce  qu'au 
milieu  de  toutes  ces  peines  elle  aperçoit  la 
main  de  son  Dieu  qui  la  frappe;  elle  adore 
ses  desseins  sur  elle;  elle  reçoit  tousses 
coups  avec  soumission,  elle  les  aime  :  elle 


fait  tellement  son  bon  plaisir  du  plaisir  que 
Dieu  prend  à  la  faire  souffrir,  que  quelque 
grandes  que  soient  ses  souffrances  elle  s'é- 
crirait volonliers,  comme  nn  saint  Fran- 
çois Xavier  :  Encore  davantage.,  Seigneur, 
encore  davantage;  ou  comme  une  sainte 
Thérèse  :  Vous  voulez  que  je  souffre,  ô 
mon  céleste  Epoux,  je  veux  donc  souffrir; 
je  désire  si  ardemment  de  souffrir  pour 
vous  plaire  ,  que  sans  cela  la  vie  me  serait 
à  charge,  ou  souffrir,  ou  mourir;  ou  plus 
encore,  comme  une  autre  amante  du  Dieu 
Sauveur  :  Vous  voulez  que  je  vive  et  que  je 
souffre  ;  eh  !  bien,  je  le  veux  ;  ah  1  je  le  dé- 
sire aussi  ;  souffrir,  oui  souffrir,  et  ne  point 
mourir.  V^oilà,  Mesdames,  jusqu'où  va  la 
religieuse  livrée  à  la  vie  intérieure  et  ca- 
chée ;  elle  trouve  sa  paix,  sa  joie,  tout  son 
bonheur  dans  son  Dieu  :  infiniment  éloi- 
gnée de  tout  ce  qui  pourrait  déplaire  h  son 
céleste  Epoux,  toute  occupée  de  plus  à  sai- 
sir les  moyens  et  les  occasions  de  lui  plaire, 
elle  passe  ses  jours  dans  une  union  si 
étroite  avec  lui,  qu'aucun  autre  objet  ne 
peut  l'occuper  et  la  distraire  de] cette  in- 
time et  inexprimable  union  :  état  heureux, 
et  le  plus  heureux  des  étals  qu'on  puisse 
concevoir  et  se  procurer  sur  la  terre  1  Mais, 
hélas  !  je  dois  l'avouer  ici,  qu'il  est  rare  cet 
état  1  Ah  1  c'est  que  l'on  en  voit  peu,  même 
parmi  les  épouses  de  Jésus-Christ,  qui  cher- 
chent et  qui  se  plaisent  dans  celte  vie  in- 
térieure et  cachée  en  Dieu,  qui  seule  ce- 
pendant peut  procurer  cet  heureux  état.  Je 
ne  doute  point.  Mesdames,  que  ce  portrait 
que  je  viens  do  vous  en  faire,  tout  faible 
qu'il  est,  ne  vous  ait  inspiré  de  l'attrait  et 
du  désir  pour  elle  :  ainsi,  après  vous  avoir 
entretenu  des  grands  biens  qu'elle  procure, 
il  convient  de  vous  faire  connaître  la  voie 
et  les  moyens  d'y  entrer  et  d'y  persévérer  : 
c'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

SECONDE    PAUTIE. 

Ce  serait  une  illusion.  Mesdames  ,  de 
penser  que  celle  vie  intérieure  de  laquelle 
je  viens  vous  faire  connaître  l'excellence, 
est  un  état  extraordinaire,  auquel  le  Sei- 
gneur n'appelle  par  une  faveur  particulière 
que  quelques  âmes  d'élite  ;  il  faut  la  grâce, 
à  la  vérité,  et  bien  des  grâces  pour  y  par- 
venir à  cet  heureux  étal,  comme  pour  tout 
ce  qui  est  de  perfection,  et  méritoire  aux 
yeux  de  Dieu  :oui  sans  doute,  mais  avec 
ces  grâces  qui  ne  nous  manquent  jamais, 
tous  et  dans  tout  état,  nous  pouvons  nous 
le  procurer  :  ce  ne  sont  pas  seulement  les 
personnes  religieuses  et  ensevelies  dans  la 
retraite  qui  y  parviennent;  jusqu'au  mi- 
lieu du  monde,  jusque  dans  le  centre  des 
grandeurs  et  de  l'opulence  du  siècle,  on 
peut  y  parvenir;  et  on  en  a  vu  en  effet  qui 
ont  vécu,  et  qui  sont  morts  dans  celle  vie 
intérieure  et  toute  en  Dieu  :  il  faut  cepen- 
dant convenir,  quedans  la  religion,  loin  du 
monde  et  de  ses  tenlalions,  on  trouve  bien 
moins  d'obstacles  et  beaucouj)  plus  de 
moyens  pour  s'y  établir.  Pourquoi  donc, 
ujôme  dans  ce  saint  étal  se  trouvo-l-il  si  peu 


27  J 


ORATEURS  SACRES.  LABBE  DE  MONTIS. 


276 


do  personnes  qui  paraissaient  vt^ri  table- 
mont  intérieures,  et  qui  se  plaisent  à  vivre 
toutes  cachées  en  Dieu?  Ah  I  Mesdames, 
c'est  que  pour  parvenir  à  cet  étal,  il  faut 
bien  des  efforts,  des  démarches  ,  des  sacri- 
fices qui  cotltentet  qui  répugnent  à  la  na- 
ture, qui  la  mortifient,  et  auxquels  on  n'a 
pas  le  courage,  disons  plutôt,  auxquels  par 
un  excessif  amour  de  soi-raôme,  on  n'a 
pas  la  volouté  de  se  livrer.  Pour  vous  en 
convaincre,  Mesdames,  et  pour  vous  faire 
connaître  tout  ce  qu'il  convient  de  faire 
poyr  entrer  dans  cet  heureux  et  sublime 
état,  je  dois  vous  rappeler  ri<lé(;  que  je 
vous  en  ai  donnée,  dès  le  commencement 
de  ce  discours.  Vivre  d'une  vie  intérieure 
et  cachée,  c'est  vivre  de  la  vie  ta  [)lus  déga- 
gée, la  plus  pure,  la  i)Ius  parfaite  qui  soit 
possiLilc  sur  la  terre  ;  ou  pour  réunir  tout 
sous  une  seule  idée,  vivre  d'une. vie  véri- 
tablement inlérieure  et  cachée,  c'est  vivre 
(le  la  vie  de  Jésus-Christ,  le  prendre  en  tout 
p'urson  modèle,  le  représenter  sensible- 
uiciil  en  to,ute  sa  conduite  :  or,  vous  le  sa- 
vez. Mesdames,  quoique  le  Dieu  Sauveur 
.*e  soit  donné  à  nous  comme  le  modèle  de 
louies  les  vertus  qu'il  a  pratiquées,  dans  le 
d<^gré  le  plus  éminent  ;  il  en  est  cependant 
dui  ont  paru  dans  lui,  ce  semble  avec  plus 
d'éclat,  et  dont  il  nous  a  recommandé  la 
pratique  comme  des  moyens  plus  sûrs  de 
perfection.  Je  remarque  d'abord  que,  depuis 
sa  naissance  jusqu'à  sa  mort, il  aparus'hur 
milier,  s'anéantir;  bien  loin  de  rechercher 
J'estime  et  les  louanges  des  hommes,  il  a 
fui  constamment  les  honneurs,  et  a  paru  se 
nourrir  en  quelque  sorte  ,  de  mépris  et 
d'ignominie.  Je  remarque' en  second  lieu, 
qu'étant  venp  sur  la  terre  pour  rétablir  la 
gloire  de  son  Vèreélernel,  en  travaillant  à 
Ja  rédemption  des  hommes,  il  se  retirait 
souvent  et  Içs  nuits  surtout,  dans  des  lieux 
solitaires  et  écartés  pour  s'entretenir  et 
traiter  avec  lui  dé  ce  grand  ouvrage.  Je  re- 
marque enfin,  qu'on  établissant  une  loi 
sainte,  quiprometla.it  à  ceux  qui  l'embras- 
seraient et  qui  rDjjservcraient  fidèlement, 
lin  contentement,  un  bonheur  intini  dans 
l'autre  vie,  il  leur  enjûigaait  de  vivre,  en 
celle  ci,  dans  les  peines  et  au  milieu  des 
croix;  que  lui-même  leur  en  a  donné  l'e- 
xemple en  vivant  dans  les  souffrances,  et 
rn  mourant  parles  plus  affreux  su[iplices: 
ainsi,  humilité,  mais  une  humilité  sincère; 
oraison,  mais  une  oraison  continu^^lle  ; 
mortification,  mais  une  mortification  uni- 
verselle :  voilà  de  toutes  les  vertus  du  chris- 
tianisme, celles  qui  me  paraissent  les  plus 
propres  à  faire  vivre  de  cette  vie  inlérieure 
et  toute  en  Dieu  qui  conduit  à  la  plus  su- 
blime perfection,  ou  plutôt  qui  est  la  per- 
fection la  plus  sublimé  elle-même;  pour 
vous  en  convaincre,  je  vous  i^emande  en- 
core quelques  moments  de  votre  altentio'i. 
I.  Je  dis  en  premier  lieu  l'humilité.  Kile 
■,'st  cette  vertu,  vous  le  savez,  Mesdames, 
-^'u  t'ile  doit  être  du  moins,  la  vertu  de  tous 
ies  chrétiens  ;  c'est  à  tous  ses  discijiles  sans 
excejttion,  à  tous  les  fidèles  que   J,e  Dieu 


C 


Sauveur  a  dit:  Apprenez  de  moi  que  je  suis 
humble  de  cœur  [Malth.,  XI,  29)  ;  à  plus  forte 
raison  l'exigc-rt-il  de  ceux  et  de  celles  qui, 
dans  un  état  plus  parfait  que  les  simples 
fidèles,  doivent  s'appliquer  è»  se  perfection- 
ner et  à  lui  devenir  semblables.  Mais  pre- 
nez garde.  Mesdames,  quej'ai  dit  humilité 
bien  sincère,  c'est-à-dire,  une  humilité  de 
cœur  et  toute  intérieure  ;  c'est  celle-ci  qu*il 
exige  de  ses  épouses,  parce  que  c'est  celle-ci 
qu'il  a  pratiquée  lui-même  :  jamais  il  n'a  mi,s 
de  complaisance  en  lui-même  :  Nonsibipla- 
cuit  ;  jamais  il  n'a  cherché  sa  propre  gloire 
mais  uniquement  la  gloire  de  son  Pèro 
éternel  ;  il  ne  s'est  point  borné  à  des  signes 
extérieurs,  et  souvent  équivoques  d'humi- 
lité :  il  a  été  jnsqu'à  s'anéantir  comme  le 
dit  l'Apôtre,  exinanivit  scmetipsum  [Philip., 
Il,  7);  jusqu'à  se  déclarer  l'opprobre  et  le 
rebut  des  hommes  ;  jusqu'à,  souffrir  les  per- 
sécutions les  plus  humiliantes,  la  mort  la 
lus  ignominieuse.  Disciples,  et  tout  ensemr 
le  épouses  de  Jésus-Christ ,  voilà  votre 
modèle  ;  voulez-vous  véritablement  l'imiter , 
vivre  de  la  vie  de  ce  Jésus,  votre  céleste 
Epoux?  Ne  cherchez  ni  à  vous  complaire 
en  vous-mêmes,  ni  à  plaire  aux  créatures. 
Si  je  cherchais  à  plaire  aux  hommes,  di- 
sait le  grand  Apôtre  des  nations,  je  ne  se- 
rais pas  véritablement  le  serviteur  de  Jésus" 
Christ,  {Galat.,  I,10.)Evitezavec  soin  toutes 
les  occasions  dans  lesquelles  vous  pourriez 
paraître,  et  vous  attirer  l'estime  ei  les  louan- 
ges des  créatures.  Désirez-vous  sincèrement 
vivre  de  cette  vie  inlérieure  et  cachée,  de 
vivre  en  Dieu  et  toutes  en  Dieu?  Ne 
vivez  plus  .^  vous,  renoncez  à  vos  lumières, 
à  votre  esprit,  à  votre  jugement,  à  tout 
vous-même  ;  en  un  mot,  vous  ne  pouvez 
entrer  dans  cette  voie,  sublime  de  perfection 
et  de  sainteté,  de  vous-mêmes  et  par  vos 
propres  forces;  il  vous  faut  des  secours  du 
ciel,  des  grâces  du  Seigneur,  d'autant  plus 
abondantes  et  plus  fortes  que  vous  êtes  plus 
éloignées  de  cette  voie  de  perfection,  que 
vous  avez  plus  à  combattre  vos  passions  et 
à  vaincre  les  inclinations  de  la  nature  :  or 
vous  ne  pouvez  compter  ces  grâces  extraor- 
dinaires, qu'autant  que  vous  serez  vérita- 
blement humbles.  Gè  n'est  point  dans  les 
lieux  élevés  et  sur  les  hautes  montagnes, 
que  tombe  Ja  pluie  qui  féconde  la  terre, 
c'est  sur  les  lieux  bas;  ce  sont  les  vallées 
qu'elle  arrose  et  sur  lesquelles  elle  s'ar- 
rête. Il  en  est  de  même  de  la  grâce  ;  c'est 
sur  les  petits  et  sur  les  humbles  qu'elle  so 
répand  avec  abondance  :  jamais  le  Seigneur 
n'écouta  les  désirs  des  cœurs  enflés  d'or- 
gueif;  il  leur  résiste,  et  les  rejette  au  con- 
traire :  Superbis  resistit  [Jac,  IV,  C);  ce 
n'est  c^ue  sur  ceux  qui  sont  convaincus, 
pénétrés  de  leur  néant,  qui  sont  alfeclés 
(l'une  sincère  et  parfaite  humilité,  qu'il 
jette  des  regards  de  bonté  et  auxquels  il 
communique  les  trésors  de  sa  grâce  :  Hu- 
milibus  dat  graliam  [Ibid);  ce  sont  en  un 
mot,  les  cœurs  vides  d'eux-mêmes,  qu'il  se 
plaît  à  rcm.p!:.'' ds  ses  grâces.  Hélas  I  vous, 
ma  chère  sœur,  qui  manifestez  quelquefois 


577 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  -  SIXIEME  JOUR. 


278 


(ie  granas  désirs  de  vous  élever  vers  votre 
Dieu,  de  vous  unir  étroilemcnl  à  voire  Diou, 
vous  qui  lorsque  vous  lisez,  ou  que  vous 
eiHendez  lire  l'histoire   de  ces   personnes 
vraiment  parfaites,  qui  jiarvenues  dans  la 
religion,  à  un  étal  sublime  (fe  sainteté,  mar- 
chaient continuellement  en  la  [irésonce  de 
Dieu,  qui  ont  vécu  de  longues  années  dans 
un  délacheraenl  absolu,  universel  des  créa- 
tures, ahîinées  toutes   en   Dieu,  vivant  de 
cette  vie  intérieure  etcachée  en  Dieu  ;  vous, 
dis-je,  qui  sentez  alors  un  grand  désir  d'i- 
niiier  ces  grandes  âmes,  ces  vraies  épouses 
de  Jésus-Christ,  et  qui  vous  étonnez  môme 
quelquefois  de  ce  qu'avec  tant  de  désirs,  de 
prières  et  d'etl'orts,  vous  avancez  si  peu,  de 
ce  que  vous  êtes  si   éloignée  de  celte  vie 
sublime    et   toute  en   Dieu.   Ah!    la  vraie 
cause  de  votre  peu  de  succès,    la   voici  ; 
vous  tenez  trop  à  vous-même  ;  l'amour^pro- 
pre  habile  et  règne  trop  dans  votre  cœur; 
vous  ne  faites  rien  ou  vous  ne  faites  point 
assez  pour  combattre   et  détruire  cet   en- 
nemi, et  le  plus  redoutable  ennemi  de  vo- 
ire salut  et  de  votre  perfection;  vous  l'en- 
Irelenez  au  contraire;  vous  l«  nourrissez  i>ar 
mille    pensées,    mille    retours    sur   vous- 
même;  vous  cherchez  adroitement,  par  vo- 
ire conduite  et  par  vos  propos,  l'estime  et 
les  louanges  des  créatures,  vous   redouiez 
et  vous  évitez  avec  soin  jusqu'au  |)lus  léger 
mé()ris;    vous  ne  pouvez  supporter  d'être 
ignorée,   oubliée,   d'être  censurée,   répri- 
mandée; comment,  dans  cet  état  et  avec  ces 
dispositions,  pourriez-vous  vivre  de  celte 
vie  intérieure  et  cachée?  Voulez-vous  donc 
çincèrement  y  entrer  et  y  faire  les  grands 
progrès  qu'y  ont  faits  tant  d'autres  vierges, 
dans  votre  élal,  dans  votre  saint  institut  et 
dans  celle  maison  même  que  vous  habitez, 
exercez-vous,  comme  elles  et  aussi  sérieu- 
sement qu'elles  l'ont  fait,  à  la  pratique  de 
l'humilité;   soyez,  comme  elle,   véritable- 
ment humble  de  cœur  et  d'esprit;  je  veux 
dire,   soyez  petite   et    anéantie   devant   le 
Seigneur  et  à  vos  propres  ^yeux  ;  mellez- 
vous,  en  esprit  du  moins,  aux  pieds  de  tou- 
tes vos  sœurs,  reconnaissez  que  vos  péchés 
et  vos  intidélités  vous  ont  rendue  indigne 
du  titre  auguste  d'épouse  de  Jésus-Christ 
que  vous  portez;  recevez  toujours,  avec  la 
plus  parfaite  résignation,  les  mépris  et  les 
liumilialions  qui  peuvent  vous  arriver;  al- 
lez plus  loin  encore,  désirez-les  ces  humi- 
liations et  ces  mépris,  aimez-les,  recevez-les 
avec  joie,  remerciez  le  Seigneur  de  ce  qu'il 
vous  iraite  en  épouse  chérie;  quelque  con- 
duite qu'on  puisse  tenir  à  votre  égard,  pen- 
sez qu'il  n'est  point  de  mauvais  iraitemenls 
que  vous  ne  méritiez;  en  un  mol,  aimez  à 
C'ire  ignorée  cl  comptée  pour  rien,  même 
|)armi  vos  sœurs,  cet  avis  dit  et  renferme 
lout.  Lorsque  vous  serez  parvenue  à   colle 
vraie  et  sincère  humilité,  vous  deviendrez 
alors,  si  j'ose  le  dire,  une  épouse  de  Jésus- 
Christ  digne  de  lui,  et  selon  son   cœur;  il 
vous  regardera  avec  des  yeux  de  complai- 
sance ;  il  vous  comblera  de  ses  grûces  qui 
vous  élèveront  à  Iik,  qui  vous  attachant  c' 


vous  unissant  de  plus  en  |)lus  h  lui,  vous 
feront  marcher  constamment  dans  celte  voie 
intérieure  et  cachée.  Humilité  et  une  véri- 
table humilité,  voilà  donc  le  premier  moyen 
et  le  premier  degré  pour  parvenir  h  cet 
lieureux  étal;  mais  il  en  est  un  autre 
aussi  nécessaire,  c'est  la  méditation,  l'o- 
raison. 

11.  Pourquoi  cela?  Ah  1  Mesdames,  c'est 
que  cet  exercice  de  l'oraison  porte  naturel- 
lement à  imiter  Jésus-Christ,  et  à  aimer 
Jésus-Christ,  deux  sentiments  qui  ne  peu- 
vent que  détacher  le  cœur  de  lout  objet 
créé,  que  produire  le  recueillement,  la  vie 
intérieure.  Je  dis  à  imiter  Jésus-Christ,  rien 
de  plus  naturel,  de  plus  commun  que  do  se 
conformer  h  ceux  qu'on  voit,  qu'on  fré- 
quente, et  qu'on  aime  le  plus  ;  pourrions- 
nous  donc  converser  souvent  avec  Jésus- 
Christ,  penser  et  méditer  souvent  tout  co 
qu'a  fait  ce  Dieu  Sauveur,  pendant  sa  vie 
mortelle,  et  ne  pas  désirer,  ne  pas  travailler 
à  le  prendre  en  toute  notre  conduite,  pour 
notre  modèle  ?  Comment  réfléchir,  chaque 
jour,  et  plus  d'une  fois  le  jour,  sur  l'altraît 
qu'a  eu  ce  Dieu  Sauveur  pour  la  vie  cachée 
qui  l'a  porté  à  passer  les  trente  premières 
années  de  sa  vie,  dans  la  retraite,  absolu- 
ment inconnu,  ignoré;  attrait  qu'il  a  fait 
paraître  également,  pendant  les  trois  années 
qu'il  a  employées  i  l'ouvrage  de  noire  ré- 
demption, ne  se  montrant  en  public  qu'au- 
tant que  la  gloire  de  son  Père  et  le  salut 
des  âmes  semblaient  l'exiger,  se  retirant 
souvent,  ou  seul,  ou  avec  ses  apôtres,  dans 
des  lieux  déserts,  pour  s'occuper  à  la  mé- 
ditalion,  à  la  prière.  Ah!  quand  on  pense 
sérieusement  à  celte  conduite  admirable  du 
Dieu  Sauveur,  quand  on  médite  attentive- 
ment et  souvent  sur  ses  actions,  sur  la 
conduite  qu'il  a  tenue  et  de  plus,  sur  les 
désirs,  sur  les  sentiments  qui  ont  occupé 
son  cœur  sacré,  on  se  fait  alors  un  devoir, 
un  honneur,  un  plaisir  de  penser  comme 
lui,  d'agir  et  de  se  conduire  en  lout  comme 
lui  et  d'après  lui  ;  on  fait  plus  encore  alors, 
on  conçoit  et  l'on  sent  croître  de  plus  en 
plus  dans  son  cœur  un  vif  attachement, 
un  ardent  amour  pour  lui,  un  désir  violent 
de  ne  vivre  qu'en  lui  et  tout  pour  lui.         , 

Car  voilà  un  autre  effet  que  produit  la 
méditation,  l'oraison  :  plus  on  s'occupe  des 
perfections  et  des  amabilités  de  ce  Dieu 
Sauveur,  plus  on  réfléchit  sur  ce  que  son 
amour  pour  les  hommes  lui  a  fait  opérer 
et  souffrir,  et  plus  on  sent  son  cœur  péné- 
tré de  sentiment  et  de  reconnaissance,  d'at- 
tachement et  d'amour  :  or  point  de  moyen 
plus  propre  à  l'imitation  que  cet  attache- 
ment ;  on  cherche  toujours  à  se  rendre  sem- 
blable à  l'objet  auquel  on  a  livré  son  cœur, 
parce  qu'on  sait  (jue  le  moyen  le  plus  efli- 
cace  de  lui  plaire,  le  témoignage  d'amour 
le  moins  équivoque  qu'on  puisse  lui  don- 
ner, c'est  de  l'imiter,  c'est  de  paraître  eri 
tout^  penser,  parler,  agir  comme  il  pense, 
comme  il  parle  et;comme  il  agit  ;  ce  qui  a 
fait  dire  à  sainl  Augustin  que  le  moyen  lo 
plus  sûr  d'exécuter  ce  (jue  l'on  désire  pour 


279 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


280 


plaire  à  Dieu,  c'est  de  l'airaer  :  Ama  et  fac 
quod  vis.  Rien  ne  coule  quand  le  cœur  est 
gagné  ;  on  saisit  alors  tous  les  moyens 
pour  réussir  et  pour  surmonter  tous  les 
obstacles  avec  facilité.  Et  ceci,  Mesdames  , 
est  fondé  sur  l'expérienee  ;  une  religieuse 
adonnée  au  saint  exercice  de  l'oraison  , 
qu'on  peut  appeler  une  fille  de  l'oraison  , 
est  toujours  recueillie  et  vraiment  inté- 
rieure; à  l'exemple  du  divin  Maître,  son 
céleste  Epoux,  çlle  fuit  le  monde  et  tout 
commerce  avec  la  créature;  elle  aime  et 
recherche  le  ])Ius  qu'elle  peut  la  soliîude; 
tandis  que  la  religieuse  qui  ne  se  livre  à  ce 
saint  exercice  qu'à  l'extérieur,  que  par  cout 
tume,  par  respect  humain,  n'en  retire  au- 
cun fruit;  que  toute  hors  d'elle-même, 
elle  ne  cherche  que  des  occasions  de  dissi- 
per son  ennui  ;  qu'elle  se  plaît  à  voir  le 
iponde,  à  entendre  parler  de  ce  qui  s'y 
passe,  ^  s'entretenir  avec  les  personnes 
qui  l'habitent;  ^a  religieuse  qui  aiiiie  à 
converser  avec  son  Dieu, 9  méditer  ses  per- 
fections, qui  fait  surtout  de  la  vie  et  des 
souffrances  du  Dieu  Sauveur  l'objet  le  plus 
fréquent  de  ses  méditations,  son  coeur  s'en- 
flamme de  plus  en  plus  pour  son  céleste 
Epoux,  elle  entre  insensiblement  dans  tous 
ses  sentiments;  son  esprit  se  remplit  de 
ses  maximes  ;  comme  lui,  elle  fuit  et  dé- 
teste le  monde,  ce  monde  corrompu  que  la 
crainte  de  participer  à  sa  corruption  lui 
a  fait  abandunner;  à  l'exemple  du  Dieu  Sau- 
veur,  elle  cherche  la  solitude  plus  pro- 
pre à  l'entretenir  dans  un  saint  et  habituel 
recueillement;  les  entretiens  des  habilants 
du  siècle  la  fatiguent  et  l'ennuient  ;  elle  les 
fuit  et  ne  s'y  prête  que  par  bienséance 
ou  par  nécessité;  elle  ne  consent  à  com- 
muniquer avec  les  créatures  qu'autant  que 
la  gloire  de  Dieu,  que  son  salut  et  ses 
devoirs  jiaraissenl  l'exiger;  tout  son  at- 
trait, son  plaisir,  c'est  d'être  loin  de  tout 
objet  créé,  avec  lui  seul;  dans  les  i'vé- 
quenlset  sublimes  entretiens  qu'elle  a  avec 
lui,  son  esprit  s'élève  iijsensiblement ,  il 
s'éclaire  ,  il  acquiert  sans  cesse  de  nou- 
velles connaissances  qui  ne  font  que  la 
convaincre  de  plus  en  plus  du  néant  des 
créatures,  qu'à  augmenter  son  dégoût  pour 
elles,  et  en  môme  temps  qu'à  lui  donner 
chaque  jour  de  plus  grandes  idées  des  per- 
fections de  son  Dieu,  qu'à  lui  inspirer  un 
désir  ardent  d'être  unie  à  lui  dans  le  séjour 
de  sa  gloire  ;  comme  le  Roi-Proiihète  ,  elle 
gérait  idors  sur  la  trop  longue  durée  de  son 
pèlerinage;  au  sortir  de  son  oraison, de  ses 
colloques  tout  de  feu  aver  son  céleste 
Epoux,  sa  plus  grande  peine  est  de  se  voir 
obligée  de  retourner  vers  les  créatures; 
quelque  parfaites,  quelque  saintes  que  puis- 
sent être  celles  avec  lesquelles  elle  vit , 
elles  ne  sont  point  son  Dieu;  il  n'y  a  que 
lui  qui  puisse  lui  plaire  et  dans  qui  elle 
puisse  mettre  sa  consolation  et  son  repos  ; 
ainsi  quoique  encore  sur  la  terre,  ses  pen- 
sées, ses  désirs,  toute  sa  conversation  est 
dans  lec\o\iPhilipp.  111,20);  et  voilà,  Mes- 
dames, cette  vie  intérieure  et  toute  cachée 


en  Dieu,  malheureusement  trop  peu  connue. 
Une  sincère  humilité  et  l'exercice  habituel 
de  l'oraison  produisent  cet  heureux  état; 
mais  il  est  une  troisième  vertu  propre  à  y 
faire  persévérer:  c'est  la  mortification;  mais 
une  mortification  universelle, 

111.  La  vie  du  chrétien  est  une  vie  de  pé- 
nitence et  de  croix  ;  prétendre  aller  au  ciel 
par  une  autre  voie,  c'est  se  faire  illusion  ; 
c'est  par  là,  je  vous  l'ai  dit,  que  Jésus-Christ 
est  entré  dans  sa  gloire;  c'est  aussi  par  là 
qu'il  veut  que  nous  y  entrions  tous.  Epou- 
ses de  ce  Dieu  Sauveur,  vous  qui,  en  cette 
qualité,  avez  contracté  une  obligation  plus 
étroite  encore  de  marcher  sur  les  traces  do» 
votre  céleste  Epoux,  vous  comprenez  de 
quelle  importance  il  est  pour  vous  de  me- 
ner une  vie  dure  et  mortifiée;  mais  ce  qui 
doit  vous  y  engager  encore,  c'est  qu'elle 
est  un  excellent  moyen  de  vous  rendre  vrai-, 
ment  intérieures.  Oui,  Mesdames,  mortifi- 
cation; mais  j'ai  dit  moriilication  univer- 
selle ,  c'est-à-dire  mortification  intérieure 
et  extérieure;  l'une  et  l'autre  sont  égale- 
ment nécessaires  pour  vivre  de  cette  vie 
cachée  qui  doit  faire  sur  la  terre  l'objet  do 
vos  plus  grands  désirs.  Je  dis  mortification 
intérieure;  pourquoi  voit-on  si  peu  de  re-» 
iigieuses,  quoique  dans  la  solitude,  vrai- 
ment intérieures?  Hélas!  Mesdames,  c'est 
qu'on  en  voit  peu  qui  s'appliquent  à  se 
mortifier  ;  avec  de  l'eiactilude,^  le  plus  sou- 
vent par  routine,  par  habitude  aux  jeûnes 
de  l'Eglise  et  de  la.  règle  et  aux  pratiques^ 
de  mortification  qu'elle  prescrit,  on  vit 
dans  une  mortification  continuelle,  on  veut 
tout  voir,  tout  entendre,  savoir  tout  ce  qui 
se  passe  dans  l'intérieur  de  la  maison,  et 
môme  ce  qui  se  dit,  ce  qui  se  passe  au  de-, 
hors  et  au  milieu  du  monde  ;  jusque  dans 
les  lectures  de  piété,  c'est  la  curiosité  plu- 
tôt que  le  désir  de  la  perlection  qui  les  fait 
choisir;  jusque  dans  les  pratiques  de  re- 
ligion, on  cherche  bien  moins  à  plaire  au 
Seigneur  et  à  se  sanctifier  qu'à  satisfaire 
son  gotlt  et  ses  caprices;  au  lieu  de  ^cher- 
cher à  mortifier  sa  chair  et  ses  sens,  sous 
prétexte  de  quelques  infirmités,  et  quel- 
quefois imaginaires,  on  montre  pour  son 
corpsji  pour  sa  santé,  une  inquiétude  et  des 
attentions  souvent  aussi  fatigantes  pour  les 
autres  que  pour  soi-ujême;  avec  une  pa- 
reille conduite,  comment  pouvoir  devenir 
intérieure?  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  et  ce 
qui  y  forme  un  plus  grand  obstacle,  c'est 
qu  a  l'immortification  extérieure  et  du  corps 
on  joint  l'intérieure,  riramortificaiion  du 
cœur  :  on  a  fait  à  son  Dieu  un  sacrifice  uni- 
versel des  créatures  et  de  soi-même  ;  et 
cependant  on  retire  de  dessus  l'autel  une 
partie  et  la  plus  excellente  partie  de  la 
victime  qu'on  y  avait  placée;  je  veux  dire 
qu'après  un  pareil  renoncement  on  con- 
serve mille  atiachements  qui  déplaisent  au 
céleste  Epoux  qui  arrêtent  le  cours  do  ses 
grâces  et  qui  «mpèchent  les  intimes  com- 
municatioiis  avec  lui;  on  tient,  et  avec  ex- 
cès quelquefois,  à  une  famille;  on  prei'd  Je 
plus  vif  intérêt  à  tout  ce  qui  la  regarde -j  ou 


331 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  SIXIEME  JOUR. 


2S2 


lient  à  certaines  personnes,  on  se  lie  étroi- 
tement avec  quelqu'une  de  ses  sœurs,  on 
se  fait  ensuite  coaarae  un  devoir  d'approu- 
ver et  de  suivre  sa  façon  de  penser  et  d'a- 
gir, on  épouse  ses  niéconlentementi:,  ses 
intérêts;  on  entretient,  et  quelquefois  ou- 
vertement avec  cette  sœur,  une  amitié  par- 
ticulière qui  scandalise  toutes  les  autres; 
on  tient  à  de  petites  choses,  après  avoir 
solennellement  renoncé  aux  plus  grandes 
quelquefois;  on  s'attache  à  de  petits  meu- 
bles, è  des  livres,  à  des  pratiques,  à  des 
riens,  mais  qui  occupent  le  cœur  et  qui  of- 
fensent le  céleste  Epoux.  Hélas  I  et  plus  que 
tout  cela,  on  tient  à  soi-même  ou  plutôt  on 
ne  tient  à  tout  cela  que  parce  qu'on  tient  à 
soi-même,  à  ses  jugements,  à  ses  désirs,  à 
sa  propre  volonté;  on  en  a  fait  autrefois 
un  entier  sacrifice  au  Seigneur,  et  l'on 
trouve  cependant  dans  raille  occasions  l'art 
de  la  satisfaire  cette  volonté  propre,  de  la 
Ipréférer  à  la  volonté  de  ses  supérieurs,  mal- 
gré les  remords  d'une  conscience  qui  crie 
Suelquefois  bien  haut;  mais  qu'on  lâche 
'apaiser  sous  mille  prétextes  et  par  mille  il^ 
iusions  suggérées  fiar  l'amour- propre  et 
par  le  démon  intéressé  à  entretenir  une 
religieuse  dans  une  habitude  d'immortir 
ficalion  :  or  est-il  étonnant,  Mesdames, 
que  ,  dans  cet  état  ,  on  ne  parvienne 
point  à  celte  vie  intérieure  et  cachée, 
qu'on  s'en  éloigne  même  de  plus  en  plus? 
Voulez-vous  donc  vous  procurer  cet  heu- 
reux avantage,  pensez  que  comme  chré- 
tiennes, et  encore  plus  comme  religieuses, 
vous  êtes  dévouées  à  une  vie  de  pénitence 
et  de  croix  ;  livrez-vous  courageusement  à 
une  mortification  intérieure  et  extérieure 
tout  ensemble;  ap{)liquez-vous  à  retenir 
vos  sens  dans  un  parfait  recueillement; 
faites  si  bien  que  vous  n'entendiez  et  ne 
vo_yiez  que  ce  que  vous  devez  voir  et  en- 
tpndre  ;  tuyez  tant  que  vous  pourrez  les 
entreliens,  avec  le  monde  surtout  ;  une  reli- 
gieuse qui  aime  le  parloir,  et  qui  le  fré- 
quente, en  sort  toujours  moins  religieuse 
et  plus  mondaine  qu'elle  n'y  est  entrée; 
soyez  sobre  dans  vos  paroles  ;  aimez  le 
silence;  on  l'a  dit  souvent,  et  cela  est  vrai, 
une  religieuse  grande  parleuse  ne  fut  jamais 
une  religieuse  intérieure  ;  à  ce  silence  de  la 
langue,  joignez  celui  de  l'esprit,  je  veux 
dire,  ne  pensez  qu'à  Dieu  et  à  des  choses 
saintes,  utiles  à  votre  âme;  travaillez  de 
plus  à  soumettre  la  chairà  l'esprit,  saisissez 
les  occasions  de  la  mortifier  et  de  l'affaiblir  ; 
sans  la  livrer  à  des  austérités  extraordinai- 
res, indiscrètes,  suggérées  quelquefois  par 
un  subtil  amour-propre,  livrez-vous  avec 
fidélité  à  celles  que  vous  prescrit  votre 
rè^le;  souffrez,  en  esprit  de  pénitence,  les 
infirmités  que  le  Seigneur  vous  envoie  ;  en 
conservant  raisonnablement  votre  corps, 
pour  vous  rendre  plus  longtemps  utile  à  la 
communauté  à  laquelle  il  a|ipartienl,  évitez 
d'en  prendre  un  soin  immodéré,  |)lus  nui- 
sible souvent  qu'utile  à  la  santé  ;  celle  mor- 
tification du  corps  vous  disposera  à  la  mor- 
tification du  cœur,  la  plus  essentielle,  qui 


règle  la  première,  et  lui  donne  tout  son  mé- 
rite; renoncez  donc  pour  cela  h  votre  pro- 
pre volonté ,  dans  tous  les  événements, 
même  les  plus  désagréables  ;  ne  voyez  que 
Dieu  et  sa  souveraine  volonté;  purifiez 
votre  cœur  de  tout  attachement,  de  toute 
passion;  aimez  toutes  vos  sœurs,  et  toutes 
en  Dieu  et  pour  Dieu  ;  par  le  motif  de  cet 
amour,  supportez  paliemment  leurs  défauts, 
leurs  humeurs,  leurs  caprices  ;  compatissez 
à  leurs  imperfections,  à  leurs  faiblesses; 
cherchez  à  plaire  également  à  toutes,  com- 
battez sans  cesse  les  inclinations  de  la  na- 
ture, ne  tenez  absolument  à  rien,  quelqu'ap- 
parence  de  bien  que  vous  voyiez,  qu'à  la 
volontéde  Dieu,  et  h  cellede  vos  supérieurs, 
interprèles  sûrs  de  celle  de  Dieu  ;  bien  loin 
de  chercher  l'estime  et  les  louanges,  pré- 
férez et  ambitionnez  l'oubli,  l'indifférence 
et  les  mépris  ;  ne  désirez  pas  même  les  con- 
solations spirituelles;  pensez  que  les  séche- 
resses et  les  épreuves  sont  plus  propres  à 
vous  faire  mourir  à  vous-smêines,  et  à  vous 
rendre  plus  agréables  au  Seigneur  ;  être,  en 
un  mot,  dans  une  mortification  intérieure, 
pour  une  religieuse  ,  c'est  diriger  et  appli- 
quer toutes  les  puissances  de  son  âme,  son 
esprit,  sa  méujoire,  sa  volonté,  son  cœur 
tout  entier  à  louer,  à  aimer  et  à  imiter  le 
céleste  Epoux,  moyen  sûr  d'entrer  dans  la 
vie  intérieure  et  cachée,  disons  plutôt,  qui 
est  lui-môme  la  vie  intérieure  et  oachéf». 

Hélas  1  il  n'est  que  trop  vrai,  ô  mon  Dieu, 
ma  propre  expérience  sufi^it  pour  m'en  con- 
vaincre, que  si  jusqu'ici  j'ai  été  si  peu  re- 
cueillie, si  peu  intérieure,  c'est  que  j'ai  peu 
aimé  et  bien  peu  pratiqué  la  mortification; 
il  ost  bien  temps  que  j'entre  dans  vos  vues 
que  je  ne  puis  ignorer,  que  je  me  sanctifie 
dans  l'état  saint  où  votre  divine  miséricorde 
m'a  placée;  mais  je  ne  puis  me  rendre 
sainte  sans  une  vie  intérieure  et  cachée  ; 
vous  m'en  inspirez  aujourd'hui,  et  plus  que 
jamais,  le  désir;  je  vais  donc  prendre  les 
nioyens  les  plus  propres,  pour  y  parvenir; 
j'entreprendrai,  pour  cela,  une  guerre 
sainte  contre  moi-même  ;  je  saisirai  les  oc- 
casions qui  se  [)résenteront  de  me  faire  vio- 
lence, de  mourir  en  tout,  à  moi-môme;  à 
cette  mortification,  je  joindrai  la  pratique 
de  l  humilité,  sans  laquelle  je  ne  puis  vous 
ressembler,  ni  vous  plaire;  je  m'entretien- 
drai dans  de  bas  sentiments  de  moi-même. 
Hélas!  je  trouverai  toujours,  au  dedans  de 
moi,  assez  de  motifs  de  m'humilier,-  dô 
m'anéantir  à  vos  yeux  ;  j'accepterai  avec 
résignation  les  humiliations,  de  quelque 
part  qu'elles  me  viennent,  je  ferai  plus,  je 
les  aimerai,  je  les  rechercherai ,  je  m'appli- 
querai encore, et  plusquejen'aifait  jusqu'ici, 
h  ra'entretenir  avec  vous,  dans  l'oraison  ; 
c'est  en  rentrant  souvent  dans  mon  cœur, 
que  j'apprendrai  à  me  .nerdre  et  à  vous  trou- 
ver, à  me  procurer  par  là  cette  vie  intérieure 
et  toute  cachée  en  vous.  Heureux  étati 
Peut-on  le  connaître  et  ne  le  pas  désirer? 
Peut-on  le  désirer  et  ne  pas  prendre  les 
moyens  les  plus  propres  pour  y  parvenir? 
J'en  [irends  la  résolution,  et  en  votre  saint© 


283 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOISTIS. 


18i 


présence,  6  Epoux  chéri  de  mon  cœur,  c'est 
vous  qui  me  l'inspirez,  donnez-moi  la  force 
de  l'accomplir,  afin  que  je  ne  vive  plus  que 
dans  vous,  que  par  vous,  et  que  pour  vous, 
dans  le  temps  comme  dans  l'éternité.  Ainsi 
sûit-il. 

'SIXIEME   JOUR. 
Second  discours. 

SUR    LA    PAUVRETÉ, 

Si  vis  perfeetiis  esse,  vade,  vende  quse  l>abes,  et  veni, 
«cquere  me.  {Malth  ,  XIX,  2t.) 

Si  vous  voulez  être  parjail,  allez,  vendez  ce  que  vous 
avez,  venez  et  me  suivez. 

,  Ce  fut,  vous  le  savez.  Mesdames,  la  ré- 
ponse que  Jésus-Christ  fil  à  ce  jeune  homme 
qui,  dès  sa  jeunesse,  s'était  montré  fidèle 
observateur  des  préceptes  de  la  loi  ;  pressé 
intérieurement  du  dé.'^ir  d'une  plus  grande 
perfection,  il  demande  au  Dieu  Sauveur  ce 
qui  lui  reste  à  faire,  pour  y  arriver  :  Quid 
faciam?  {Matth.,  XIX,  16.)  Allez,  lui  dit  le 
divin  Maître,  vendez  tout  ce  que  vous  avez, 
hâlez-vous  de  vous  dépouiller  de  toutes 
vos  possessions,  vende  quœ  habes  ;  par  ce  dé- 
tachement universel,  vous  mériterez  d'être 
mis  au  rang  de  mes  disciples,  de  marcher 
è  ma  suite  :5ei7M«re  me  {Ibid.,  21);  heureux 
ce  jeune  Israélite,  si,  docile  à  la  grâce  qui 
lui  parlait  par  la  houclie  de  l'Auteur  lui- 
même  de  la  grâce,  il  eût  exécuté  fidèlement 
et  promptement  ce  qu'elle  exigeait  rie  lui  ; 
mais  il  était  riche,  il  possédait  môme  de 
grandes  richesses  :  Mullas  habebat  possessio- 
nes;  et  ce  qu'il  y  eut  de  plus  malheureux 
pour  lui,  il  tenait  à  ses  richesses,  il  les  ai- 
mait ;  au  lieu  de  suivre  Jésus-Christ,  il  se 
retira  tout  triste  à  la  vérité,  abiil  trislis 
(f6id., 22), fâché  dene  poiivoirserésoudreau 
dépouillement  qu'on  exigeait  de  lui;  mais 
manquant  à  un  conseil  qui  devenait  un  pré- 
cepte pour  lui,  il  manqua  tout  à  la  fois,  et  à 
la  grâce  de  la  vocation  et  à  son  salut  éternel. 
Plus  heureuses  vous,  Mesdames,  et  plus 
fidèles  que  ce  jeune  homme  aux  inspira- 
lions  du  Seigneur,  dès  qu'il  vous  a  fait  en- 
tendre, que  pour  obtenir  une  place  dans  son 
royaume,  vous  deviez  renoncer  à  tout  et  lo 
prendre  seul  pour  votre  partage,  l'on  vous 
a  vu  sacrifier  généreusement  et  par  des  vœux 
solennels,  tout  ceque  vous  pouviez  avoir  ou 
espérer  des  biens  et  des  avantages  du  monde, 
et  préférer  dans  la  reh'gion  la  qualité  de 
pauvres  épouses  d'un  Dieu  pauvre  aux  ti- 
tres du  monde  les  plus  flatteurs  et  les  plus 
pompeux.  Mais  disons-le  ici,  Mesdames,  et 
convenons-en  de  bonne  foi,  qu'il  en  est  de 
ces  épouses  de  Jésus-Christ  qui ,  après 
s'être  mises  volontairement  dans  cet  état  de 
pauvreté  évangélique  oublient,  dans  la 
suite,  l'étendue  des  cngagemenis  sacrés 
qu'elles  ont  contractés  avec  le  Seigneur; 
qui  n'ayant  plus  la  même  estime  et  le  môme 
attachement  pour  un  état  qui  doit  faire  ce- 
oendantun  jour  toute  leurgloire  et  tout  leur 
bonheur,  transgressent  sans  scrupule  le 
vœu  solennel  de  pauvreté  qu'elles  ont  fait, 
qui  commettent,  du  moins,  bien  des  fautes 
opposées  à  la  perfection  de  ce  vœu  et  qui 
se  j)rivent  par  là  des  grâces  privilégiées  et 


abondantes  altachées  h  leur  saint  état. 
Quoique,  par  la  miséricorde  de  Dieu,  Mes- 
dames, vous  soyez  bien  éloignées  de  ces 
mauvaises  dispositions,  pour  vous  affermir 
dans  la  résolution  où  vous  êtes  d'observer, 
avec  une  constante  fidélité,  le  vœu  de  renon- 
cement à  tout  que  vous  avez  prononcé  avec 
tant  de  courage  et  que  vous  renouvelez 
chaque  année  avec  autant  d'édification  pour 
les  fidèles  que  de  consolation  pour  vous  , 
j'entreprends  de  vous  entretenir  ici,  et  des 
grands  avantages  que  vous  procure  l'état  do 
pauvreté  évangélique  que  vous  avez  em- 
brassé, et  les  grandes  obligations  que  vous 
avez  contractées  en  i'embrassant.  En  deux 
mots  :  l'excellence  du  vœu  de  pauvreté  ;  ce 
sera  le  sujet  de  la  première  partie  de  ce 
discours.  L'étendue  des  obligations  du  vœu 
de  pauvreté;  ce  sera  le  sujet  de  la  seconde 
partie;  la  matière  est,  vous  le  voyez  des 
plus  intéressantes,  je  vous  demande,  s'il 
vous  plaît,  toute  votre  attention.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Pour  vous  prouver  ici.  Mesdames,  com- 
bien ce  vœu  de  pauvreté  que  vous  avez  fait 
en  entrant  en  religion  est  excellent  en  lui- 
même,  je  n'ai  qu'à  vous  faire  remanjuer  que 
c'est  à  Dieu  lui-même  que  vous  [l'avez  fait 
ce  vœu,  que  c'est  pour  suivre  la  volonté  de 
votre  Dieu,  pour  remplir  ses  desseins  sur 
vous,  pour  lui  donner  un  témoignage  au- 
Iheniique  de  votre  attachement  et  de  voire 
amour;  que  c'est  de  plus  aux  pieds  des 
saints  autels  et  à  la  face  du  ciel  et  de  la 
terre  que  vous  l'avez  fait  ;  or  est-il  rien  de 
plus  noble,  de  plus  héroïque,  de  plus  ex- 
cellent parconséquent  qu'un  sacriûca,  qu'un 
vœu  fait  dans  de  pareilles  vues  et  avec  de 
pareilles  circonstances?  Mais  je  dois  vous 
faire  considérer  de  plus  que  vous  l'avez  fait 
ce  vœu,  non-seulement  pour  plaire  à  Jésus- 
Christ  qui  vous  ap.ielait  à  un  état  de  per- 
fection plus  grand  que  celui  des  chrétiens 
du  siècle,  mais  encore  pour  suivre  son 
exemple  et  pour  marcher  sur  ses  traces; 
or  est-il  rien  de  plus  grand,  de  plus  hono- 
rable pour  vous,  que  d'avoir  en  celle  vie 
une  ressemblance  particulière  et  la  plus 
parfaite  avec  ce  Dieu  Sauveur  que  vous  avez 
choisi  pour  votre  époux  ?  Mais  ce  n'est  pas 
tout  encore  ;  en  prononçant  ce  vœu  de  pau- 
vreté, vous  vous  êtes  par  là  comme  assurées 
un  bonheur  éternel  pour  l'autre  vie,  et  pour 
celle-ci  une  abondance  de  grâces,  de  se- 
cours et  d'avantages  de  toute  espèce,  pro- 
pres à  vous  le  procurer  ce  bonheur  éternel, 
avantages  que  vous  n'eussiez  point  trouvés 
dans  toute  autre  situation,  en  (out  autre 
état.  Je  me  borne  à  ces  deux  derniers  traits, 
cl  je  dis  que  ce  vœu  de  pauvreté  que  vous 
avez  fuit,  est  pour  vous  tout  à  la  fois  et  une 
source  de  gloire  et  une  source  de  bonheur; 
dévelop|)ons  ces  idées,  elles  sont  bien  pro- 
pres à  vous  convaincre  do  l'excellence  de 
voire  vœu. 

I.  Je  dis  en  premier  lieu  que  .a  pauvreté 
que  vous  avez  embrassée  solennellement 
en  eulranl  en    religion,  est  une  source  da 


i33 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  SIXIEME  JOUR. 


280 


gloire  pour  vous  :  pourquoi  cela?  Pnrco 
qu'elle  vous  approche  de  plus  près  de  voire 
Dieu  Sauveur  et  qu'elle  vous  procure  une 
ressemblance  plus  particulière  et  plus  par- 
faite avec  lui.  Si  j'avais  à  parler  aux  cliré- 
liens  du  monde,  accoiilumés  à  se  g'orifier 
de  titres  honorables,  de  naissance  illustre, 
d'oeuvres  éclatantes,  propres  à  flatter  leur 
orgueil  ou  même  d'œuvres  mauvaises  et 
criminelles  quelnuefois ,  condamnées  par 
la  religion  et  l'évangile  qu'ils  professent, 
mais  qu'ils  jugent  propres  à  se  concilier 
l'estime  d'un  homme  pervers  et  corrompu, 
ennemi  déclaré  de  Jésus-Christ  et  de  ses 
saintes  maximes,  je  croirais  devoir  m'ap- 
pliquer  à  leur  prouver  que  ce  n'est  point 
en  tout  cela  qu'ils  doivent  mettre  l'honneur 
et  la  gloire,  mais  à  se  rendre  chaque  jour 
plus  chrétiens  en  imitant  Jésus-Christ  leur 
Dieu  Sauveur,  le  modèle  comme  l'auteur 
de  la  vraie  sainteté  ;  je  leur  dirais  qu'il  n'y 
a  que  celte  imitation  dont  ils  puissent  se 
glorifier  sur  la  terre,  parce  qu'elle  seule 
peut  les  glorifier  dans  le  ciel.  Mais  je  parle 
à  des  personnes  vraiment  chrétiennes,  qui 
pénétrées  dès  la  jeunesse  de  ces  grands 
sentiments  de  religion  et  de  foi,  n'ont  point 
hésité,  pour  mieux  assurer  leur  éternité 
bienheureuse,  d'embrasser  la  perfection 
du  christianisme,  en  joignant  à  l'accom- 
plissement des*  préceptes  de  l'Evangile  ce- 
lui des  conseils,  et  qui  sont  bien  convain- 
cues qu'il  n'est  pour  elles  de  vraie  gloire 
sur  la  terre,  que  celle  de  se  conformer  en 
tout  à  Jésus-Christ,  de  le  prendre  en  tout 
pour  leur  modèle.  Voilà  en  eCfet,  vierges 
chrétiennes,  l'avantage  que  vous  avez  trouvé 
à  vous  dépouiller  de  tout  pour  Jésus-Christ; 
car  vous  le  savez,  ce  Dieu  Sauveur,  des- 
cendant du  séjour  de  sa  gloire ,  habitant 
parmi  les  hommes  pour  les  racheter  et  les 
sauver,  a  tellement  pris  la  pauvreté  en  af- 
fection, qu'il  a  voulu  s'incarner  dans  le 
sein  d'une  vierge  pauvre,  naître  dans  une 
étable  abandonnée,  y  manquer  de  tout  se- 
cours; que  pendant  sa  vie  mortelle  il  n'a 
rien  possédé,  qu'il  n'avait  pas  môme,  comme 
il  le  disait,  à  reposer  sa  tête,  qu'il  est  enfin 
expiré  nu ,  sur  une  croix,  et  a  été  enseveli 
dans  un  suaire  et  mis  dans  un  sépulcre  qui 
n'était  point  à  lui  ;  voilà  jusqu'où  a  été  son 
attrait  pour  la  pauvreté,  attrait  si  grand 
qu'on  peut  dire  que  la  [iremière  et  la  der- 
nière leçon  que  nous  a  donnée  ce  Dieu 
Sauveur,  a  été  une  leçon  do  pauvreté;  or 
ce  qui  est  honorable  et  infiniment  honora^- 
bie  ponr  vous,  Mesdames,  c'est  d'imiter  ce 
Dieu  Sauveur  dans  la  pratique  de  celte 
vertu  ;  c'est  .Tapi>rocher,  par  voire  saint 
éiaf,  de  ce  divin  modèle,  le  plus  parfaite- 
n)ent  qu'il  est  possible  en  cette  vie,  et  de 
vous  élever  bt-aucoup  par  là  au-dessus  des 
simples  chrétiens.  Kl  quand  je  dis  des  sim- 
ples chrétiens,  je  n'entends  pas  seulement 
pHrIer  ici  des  chréiicns  du  momie,  qui  n'en 
ont  que  le  nom,  qui  sont  bien  plus  remplis 
de  l'esprit  et  des  maximes  du  monde  que 
de  l'esprit  de  Jésus-t^lirist  et  des  maximes 
de  son  Evangile,  qui  bien  loin  d'çalimer  la 


sainte  vertu  de  pauvrelé,  de  l'aimer,  de  la 
pratiquer,  la  méprisent  au  contraire,  qui 
en  rougissent,  qui  l'évitent  avec  soin,  qui 
paraissent  n'estimer  que  les  richesses,  qui 
pour  s'en  procurer,  aux  moyens  honnêtes 
et  légitimes  ,  en  ajoutent  d'illégitimes  et 
quelquefois  de  criminels.  Tous  ces  mauvais 
chrétiens  composent  ce  monde  que  notre 
Dieu  Sauveur  a  haï  et  condamné,  et  qu'il  a 
frappé  de  malédictions  et  d'anathèmes  ;  il 
y  aurait  bien  peu  d'honneur  pour  vous  à 
ne  pas  ressembler  à  tous  ces  indignes  chré- 
tiens; je  parle  de  plus,  des  vrais  chrétiens, 
de  ceux  qui,  vivant  au  milieu  du  monde, 
sont  bien  éloignés  de  l'aimer  ce  monde,  de 
se  conformer  à  ses  maximes  corrompues, 
qui  n'ignorent  pas  que  si  les  richesses  no 
sont  point  absolument  condamnées  dans 
l'Evangile,  elles  y  sont  représentées  commo 
de  grands  obstacles  au  salut,  qui  n'en  usent 
en  effet  que  comme  n'en  usant  point,  c'est- 
à-dire  avec  un  vrai  détachement  de  cœur  et 
d'esprit  ;  qui  se  comportent,  en  un  mot, 
sur  cela,  d'une  façon  conforme  à  ce  qu'exige 
ce  Dieu  Sauvrur  et  son  Evangile  qu'ils  pro- 
fessent et  dont  ils  ne  rougissent  point.  Ce 
sont  ces  chrétiens  fidèles,  ces  vrais  chré- 
tiens du  monde  que  vous  surpassez  de  beau- 
coup dans  l'imitation  du  Dieu  Sauveur; 
quelque  vrais  chrétiens  que  nous  les  sup- 
posions, ils  ne  le  suivent  après  tout  que  de 
loin,  et  ne  l'imitent  que  bien  imparfaite- 
ment; il  n'a  rien  possédé  pendant  sa  vie 
mortelle,  et  ceux-ci  [lossèdent  et  se  trou- 
vent quelquefois  dans  une  prodigieuse  opu- 
lence; quoique  sans  attachement  aux  ri- 
chesses, quoique  disposés  à  les  perdre,  si 
tels  étaient  les  desseins  do  la  divine  Provi- 
dence, ce  qui  fait  tout  leur  mérite  à  ses 
yeux,  ils  jouissent  cependant  des  aises,  des 
commodités  toujours  attachées  à  la  posses- 
sion des  richesses.  Mais  pour  vous,  Mes- 
dames, vous  ne  vous  bornez  point  à  ce  dé- 
tachement purement  intérieur,  à  ce  déta- 
chement du  cœur  si  diŒcile  à  concilier  avec 
la  possession,  et  qu'on  croit  avoir  quelque- 
fois sans  l'avoir  en  effet;  ce  qui  vous  rend 
véritablement  conformes  à  Jésus-Christ, 
votre  céleste  Epoux,  c'est  qu'à  ce  renonce- 
ment du  cœur,  à  cette  pauvreté  spirituelle, 
vous  avez  ajouté  un  renoncement  absolu 
el  universel,  une  pauvreté  réelle;  vous 
faisant  gloire  déjuger  des  richesses  comme 
Jésus-Christ  en  a  jugé  lui-même,  vous  avez 
paru  les  mépriser  comme  il  lésa  méprisses 
lui-même  ;  comme  lui,  vous  avez  voulu  no 
posséder  rien  en  propre,  ne  tenir  absolu- 
ment à  rien  sur  la  terre;  grandeurs,  ri- 
chesses, plaisirs,  aisances,  commodités, 
vous  avez  absolument  et  solenn^ellemenl 
renoncé  à  tout  ;  c'est  là  cette  ressemblance 
parfaite  avec  votre  Dieu  Sauveur  qui  fait 
toute  votre  gloire,  comme  elle  fit  celle  des 
chrétiens  de  la  [)rimiiive  Eglise.  Le  vœu 
(le  pauvrelé  que  vous  avez  fait  dans  la  re- 
ligion vous  est  donc  infiniment  honorable, 
première  raison  de  son  oscellcnce;  mais 
il  vous  est  de  plus  infiniment  avanlagcu5^ 
seconde  raison. 


287 


ORATEURS  SACRES.  L'ARBE  DE  MONTIS. 


288 


II.  Et  voilà  ce  que  ne  peuvent  compren- 
dre ces  chrétiens  du  monde  qui  font  con- 
sister tout  le  bonlieur  de  ceUe  vie  dans  la 
possession  des  richesses  :  nous  avons  ce- 
pendant pour  garant  de  cette  vérité  la  Vérité 
éternelle.  Jésus-Christ  lui-même  qui  ne  pou- 
vant ni  se  tromper,  ni  nous  tromper,  a  dé- 
claré hautement  dans  l'Evangile,  qu'heu- 
reux sont  les  pauvres  :  «  Beati  pauperes 
(Maith.,  V,  3j;  »  qui  a  comparé  les  riches- 
ses de  la  terre  à  des  éniiies  qui  font  souf- 
frir et  qui  tourmentent;  qui  a  porté  des 
malédictions  contre  les  riches  ;  qui  a  pro- 
rois hautement  à  tous  ceuY  qui  auraient 
abandonné  leurs  biens,  leurs  possessions, 
jiar  amour  pour  lui,  non-seulement  la  pos- 
session du  ciel,  la  vie  éternelle,  mais  de 
plus,  dès  celte  vie,  le  centuple  de  tout  ce 
qu'ils  auront  généreusement  sacrifié  pour 
ini  :  promesse  du  Dieu  Sauveur  qui,  comme 
vous  le  voyez,  Mesdames,  ne  renferme  pas 
seulement  les  biens  de  la  grâce  et  de  la 
{gloire,  des  avantages  spirituels,  mais  des 
avantages  môme  temporels. 

Je  dis  en  premier  lieu,  avantages  tempo- 
rels. Oui.  Mesdames,  quoique  ce  n'ait  point 
été  15  votre  vue,  en  renonçant  au  monde  et 
à  tous  les  biens  du  monde,  le  Seigneur  ce- 
pendant, qui  ne  se  laisse  jamais  vaincre 
en  générosité,  a  voulu  vous  faire  participer 
dans  un  sens  au  bien-être  des  chrétiens  du 
monde,  vous  faire  jouir  des  avantages  du 
temps  et  d'une  façon  môme  plus  satisfai- 
sante que  n'en  jouissent  les  chrétiens  du 
monde;  car  enfin,  comme  le  dit  et  l'a  fait 
remarquer  un  grand  maître  de  la  vie  spi- 
rituelle, pour  des  parents  que  vous  avez 
abandonnés,  en  quittant  le  monde,  vous 
avez  trouvé  dans  la  religion  des  supérieurs, 
des  pères  spirituels,  pleins  de  charité,  de 
bonté,  de  tendresse  pour  vous,  qui  veillent 
avec  la  plus  grande  attention  à  tous  les  be- 
soins tout  à  la  fois  de  votre  corps  et  de 
votre  âme;  vous  y  avez  trouvé  une  supé- 
rieure surtout,  mère  charitable  et  bienfai- 
sante qui  se  montre  bien  plus  occupée  de 
ses  chères  filles  que  d'elle-même, qui,  dans 
toute  occasion,  vous  donne  des  témoigna- 
ges non  équivoques  de  son  amo\ir  mater- 
nel; en  sorte  qu'à  vous  considérer  de  ce 
côté-là  môme,  vous  êtes  mieux  peut-être 
que  vous  n'eussiez  été  dans  le  monde,  oii 
des  parents  souvent  tout  occupés  d'eux- 
mêmes,  étouffent  quelquefois  dans  eux  les 
sentiments  de  la  nature  ;  pour  les  biens,  les 
prétentions,  les  espérances  que  vous  avez 
sacrifiées  en  disant  un  éternel  adieu  au 
monde,  vous  êtes  entrées  en  participation 
de  tous  les  biens  et  de  toutes  les  commodi- 
tés de  la  communauté,  que  vous  avez  choi- 
sie pour  y  servir  le  Seigneur  et  qui  s'est 
engagée  en  vous  recevant  dans  son  sein,  à 
ne  vous  laisser  manquer  de  rien  de  tout  ce 
qui  pourrait  vous  être  nécessaire  :  vête- 
ments, nourriture,  habitation,  soulage- 
ments en  santé  ou  en  maladie  ;  tout  vous 
est  donné,  sans  que  vous  soyez  presque 
dans  le  cas  de  faire  connaître  sur  tout  cela 
vos  désirs  et  vos  besoins;  en   sorte  qu'on 


peut  vous  mettre  par  voire  situation,  au 
rang  de  ces  chrétiens  dont  parlait  l'apôtre 
saint  Paul  ,  qui  n'ayant  rien,  possédaient 
tout,\K  nihil  habentes,  omnia  possidentes 
(II  Cor.,  VI,  10),  »  et  qui  les  possédez  avec 
bien  moins  de  peine  et  d'inquiétude  que  les 
personnes  du  monde;  combien  parmi  celles- 
ci  sont  dans  le  besoin  et  manquent  du  né- 
cessaire et  qui  sont  d'autant  plus  à  plain- 
dre quelquefois,  que  n'osant  faire  connaî- 
tre au  dehors  leur  triste  situation,  leur  in- 
digence, elles  se  trouvent  par  là,  dans  l'im- 
puissance de  recevoir  aucun  secours  :  mais 
parmi  ceux  qui  possèdent  des  richesses, 
que  «l'alarmés,  que  de  crainte  de  les  per- 
dre! Que  d'accidents  et  de  toute  espèce, 
qui,  malgré  tous  leurs  soins,  les  leur  font 
perdre  en  effet  ;  que  de  chagrin  alors  de 
s'en  voir  privés!  Mais  quel  embarras 
pour  se  procurer  tous  ses  besoins  dans, 
le  monde,  et  pour  s'assujettir  à  mille  va- 
nités, à  mille  superfluités  qui  y  sont  en 
usage  !  Plus  on  y  a  de  bien,  de  possessions  , 
de  litres,  de  serviteurs,  et  plus  on  y  esl  à 
plaindre,  plus  on  y  gémit  souvent  sur  son 
malheureux  sort.  Hélas!  ne  le  voyez-vous 
pas  vous-mêmes,  Mesdames,  lorsque  vous 
vous  trouvez  dans  l'occasion  et  dans  la  néces- 
sité de  les  entretenir  quelques  moments, 
ces  personnes  du  monde,  de  quoi  vous  par- 
lent-elles le  plus  souvent  ?  Des  peines 
qu'elles  ont,  des  discussions,  des  procès 
que  leur  occasionnent  les  biens  qu'elles 
possèdent;  ne  les  entendez-vous  pas  quel- 
quefois vous  juger  bienheureuses  de  n'avoir 
pointa  éprouver  dans  votre  état,  de  n'3' 
avoir  pas  même  à  craindre  les  fraudes  et 
les  injustices;  les  contre-temps,  les  injures 
des  saisons,  de  vous  trouver  à  l'abri  de 
raille  accidents  et  de  mille  chagrins  insépa- 
rables des  états  du  monde  et  de  la  posses- 
sion des  richesses.  Voilà  en  effet  l'avantage 
que  vous  trouvez  dans  voire  étal  de  pau- 
vreté :  c'est  là,  selon  saint  Jérôme,  ce  cen- 
tuple que  Jésus-Christ  vous  a  promis  dès 
celte  vie,  pour  avoir  tout  quitté  par  amour 
pour  lui.  Mais  d'autres  Pères  de  l'Eglise, 
élevant  leurs  pensées  plus  haut,  ne  se  bor- 
nent point  à  ce  centuple,  au  bien-être  de 
celte  vie,  à  des  avantages  purement  tem- 
porels, communs  après  tout,  aux  bons  et 
aux  mauvais,  et  dont  jouissent  môme  pour 
l'ordinaire,  bien  plus,  les  mauvais  que  les 
bons;  c'est  dans  les  avantages  spirituels 
attachés  au  dépouillement  évangélique, 
qu'ils  le  font  consister  ce  centuple. 

Qu'ils  sont  grands  en  effet,  Mesdames, 
ces  avantages  1  qu'ils  sont  considérables! 
Les  avez-vous  jamais  bien  connus?  Et  d'a- 
bord que  de  fautes,  que  de  péchés  il  pré- 
serve, ce  dé|)Ouillement  :  sainl  Paul  l'a  dit, 
et  l'expérience  ne  le  manifeste  que  trop, 
que  les  richesses  et  l'amour  des  richesses 
sont  comme  une  malheureuse  racine  d'où 
sortent  une  infinité  de  criroes  :  Radix  om- 
nium inulorum,  cupiditas.  (I  Tim.,  VI, 
10.) 

Quels  sont|en  effet  dans  le  monde  les  chré- 
tiens qui  se  livrent  le  plus  au  péché,  qui  vi- 


28» 


DISCOURS  DK  RETRVITE.  —  SIXIEME  JOUR. 


290 


vent  ordinairement  dans  riiabiluilodupéché, 
qui  commelient  le  plus  d'espèces  de  péchés, 
qui  montrent  le  |ilus  d'éloignement  pour 
les  devoirs  que  leur  prescrit  l'Evangile, 
qui  en  rougissent  le  plus»  qui  paraissent  le 
moins  disposés  à  suivre  son  esprit  et  ses 
Iniaiimes  ?  Vous  le  savez,  ce  sont  les  riches, 
ce  sont  ceux  qu'on  appelle  les  opulents  du 
siècle.  Que  de  traits  d'irréligion,  d'indévo- 
lion  ,  d'impiété  dans  leurs  propos  1  Que  de 
marques  d'orgueil,  de  faste,  d'ambition  dans 
leur  conduite  I  Que  d'actes  de  fraude,  d'in- 
justice, de  dureté  dans  leurs  procédés  1 
Que  d'inJiiréretico,  (|ue  de  Iroideur  pour 
leur  Dieu  I  Pensent-ils  à  lui  rendre  le  culte 
et  les  devoirs  qu'ils  lui  doivent?  Quelle 
insensibilité,  quelle  indififérence  pour  les 
biens  du  ciel  !  quel  oubli  de  leur  salull 
Hélas  1  ils  vivent  et  le  plus  souvent  ils 
meurent  sans  s'en  occuper,  sans  y  [)enser  : 
voilà  les  malheureux  effets  que  produisent 
les  richesses  pour  l'ordinaire,  mais  dont  la 
pauvreté  religieuse  préserve  une  épouse  de 
Jésus-Christ;  ne  possédant  rien,  ne  pou- 
vant rien  posséder,  elle  se  trouve  par  là 
délivrée,  comme  d'un  seul  coup,  d'une  in- 
finité de  désirs,  de  tentations  et  d'une  inli- 
jiité  u'obsiacles  au  salut  par  conséquent; 
hors  d'état,  par  les  engagements  sacrés 
qu'elle  a  contractés  avec  son  Dieu ,  de  se 
procurer  des  richesses ,  à  peine  l'esprit 
infernal  la  tente*l-il  de  quelques  désirs 
toujours  faibles,  et  par  là  toujours  faciles 
à  repousser. 

Mais  ce  n'est  pas  là  le  seul  avantage  que 
vous  trouvez,  vierges  clirélieniies ,  dans 
votre  étal  de  pauvreté  évangélique  ;  non- 
seulement  il  vous  préserve  d'une  infinité 
de  maus,  de  tentations,  de  péchés  attachés 
à  la  possession  des  richesses,  mais  il  vous 
procure  de  plus  une  infinité  de  biens,  de 
grâces,  de  mérites  dans  l'ordre  du  salut. 
Que  de  vertus  en  effet  ne  produit  [)as  cette 
veriu  de  pauvreté  I  L'humilité  :  qu'on  est 
peu  porté  à  se  remplir  d'idées  avantageuses 
de  soi-même,  à  s'élever  au-dessus  des  au- 
tres, à  les  méjiriser,  lorsqu'on  vit  loin  du 
monde,  privé  de  tous  les  biens  du  monde l 
qu'on  est  peu  porté.aux  sentiments  de  fâsle, 
(Je  hauteur,  d'ostentation  qu'inspirent  les 
rh;hesses  et  qu'on  voit  en  effet  dans  les 
riches  1  Qu'on  comprend  aisément  alors,  et 
qu'on  pratique  facilement  cette  maxime  de 
Jésus-Christ  :  Apprenez  de  moi  que  je  suis 
doux  et  humble  de  cœur  1  {Matth.,  XI,  29.) 
La  mortification  :  qu'est-ce  qui  rend  les 
mondains  si  dissipés,  si  portés  aux  plaisirs 
des  sens  et  à  se  satisfaire?  Ce  sont  leurs 
richesses;  ils  ne  pensent  et  ils  ne  s'occu- 
pent autant  à  flatter  leur  chair  et  à  satis- 
faire leurs  passions,  que  parcB  qu'ils  trou- 
vent dans  leur  abondance  les  moyens  de 
remplir  tous  leurs  désirs  :  mais  une 
ép<juse  de  Jésus-Christ  qui  a  tout  aban- 
donné, qui  se  trouve  dans  un  dénuement 
universel,  ah!  qu.'elie  pense  peu  à  se  flatter, 
à  se  satisfaire  1  Elle  porte  avec  plaisir  la 
croix  de  Jésus-Christ  dont  elle  s'est  volon- 
tairement chargée  ;  elle  suisil  avec  ardeur 


les  occasions  de  se  mortifier  qui  se  pré- 
sentent si  souvent  dans  la  religion,  où 
malgré  les  attentions  de  celles  qui  gou- 
vernent, on  se  trouve  dans  le  cas  de  man- 
quer quelquefois,  môme  du  nécessaire. 
Soumission  5  la  volonté  de  Dieu  i  pleine  do 
foi,  sachant  que  rien  ne  nous  arrive  que 
par  l'ordre  ou  la  permission  de  la  divine 
Providence,  qu'en  tout  elle  agit  autant  pour 
notre  bonheur  que  pour  sa  gloire,  elle  est 
bien  éloignée,  cotte  religieuse,  de  ces  plain- 
tes, de  ces  murmures  qui  échappent  si  sou- 
vent aux  chrétiens  du  monde,  dans  les  re- 
vers do  fortune  qu'ils  éprouvent  ;  dans  tout, 
elle  adore  les  desseins  de  Dieu  sur  elle,  et 
s'y  soumet;  c'est  ce  qui  la  tient  dans  une 
égalité  d'humeur  qui  ne  se  di^meiil  point, 
dans  une  paix  inaltérable.  Cliarité  pour  ses 
sœurs  :  en  étant  beaucoup  plus  occupée  que 
d'elle-même,  elle  ne  cherche  qu'à  les  sou- 
lager; ce  qui  rend  communément  les  chré- 
tiens du  monde  si  peu  sensibles  aux  besoins 
de  leurs  frères,  c'est  cet  attachement  ex- 
cessif à  leurs  richesses,  c'est  que  craignant, 
et  quelquefois  même  au  milieu  de  la  plus 
grande  abondance,  de  manquer  du  néces- 
saire, ou  par  un  défaut  tout  opposé  em- 
ployant leurs  richesses  à  satisfaire  tous 
leursdésirs,  ils  se  trouvent  ou  par  leur  dissi- 
pation ou  par  leur  avarice,  dans  une  situa- 
tion à  ne  pouvoir,  ou  à  ne  pas  vouloir  sou- 
lager les  indigents  :  mais  une  religieuse 
bien  appelée,  se  plaisant  dans  son  état  de 
pauvreté,  se  trouve  sans  attachement,  sans 
désir;  ces  attentions  que  les  gens  du  monde 
ont  pour  eux-mêmes,  elleles  lourne  vers  ses 
sœurs;  on  la  voit  s'oubliait  elle-même,  s'oc- 
cuper de  leurs  besoins,  employer  tous  les 
moyens  que  l'obéissance  et  ses  emplois  peu- 
vent lui  permettre,  à-les  leur  procurer^ 
Amour  de  Dieu  :  ah  1  les  mondains  et  les 
riches  mondains  surtout,  ne  l'aiment  point 
ce  Dieu  si  bon,  si  aimable  en  lui-même  ;  à 
peine  pensent-ils  à  lui  quelquefois;  l'es* 
prit  et  le  cœur  remplis  des  créatures  et 
d'eux-mêmes,  ils  ne  paraissent  occupés  qu'à 
se  faire  une  fortune,  qu'à  la  conserver,  qu'à 
l'augmenter*  Hélas I  bien  loin  d'aimer  et  de 
servir  leur  Dieu,  que  d'offenses,  que  d'in- 
justices, que  de  crimes  leur  opulence  et 
leur  cupidité  leur  fait  commettre  1  mais  une 
personne  lelig  euse,  qui  a  tout  abandonné^ 
tout  sacrifié  par  amour  i)0ur  son  Dieu,  peut- 
elle,  dans  son  saint  état,  n'être  pas  occupée 
de  lui,  et  du  soin  de  lui  plaire?  Elle  l'a 
pris  pour  son  j  artage,  pour  le  tom|)S  comme 
pour  léternilé  ;  elle  le  regarde  donc  comn  e 
l'unique  objet,  l'unique  bien  qui  [)uisse 
remplir  son  cœur  et  le  satisfaire;  elle  ne 
veut  et  ne  désire  que  lui  ;  il  est  pour  elle 
toutes  ses  richesses,  tous  ses  trésors;  il  est 
son  tout  :  Deus  meus  et  omnia.  Voilà,  Mes- 
dames, les  saintes  dispositions  que  produit 
la  pauvreté  religieuse,  dans  une  âme  qui 
s'y  est  vouée  pour  toujours  :  au  lieu  que  la 
cupidité  enfante  tous  les  vices,  cette  seule 
vertu  au  contraire,  comme  le  dit  un  Père 
de  l'Eglise,  est  la  source  de  toutes  les  ver- 
tus; elle  les  fait  naître,  elle  les  nourrit,  eHo 


-291 


ORATEURS  SACRES. 


les  enlreliftiil,  les  cûiiservoj  et  procure  par 
l.'i,  une  infinilé  de  grâces,  de  secours,  de  lu- 
mières et  de  consolations.  j 
Mais  si  la  pauvreté  religieuse  est  si  avan- 
tageuse, pendant  la  vie,  à  une  âme  qui  a  eu 
le  courage  de  l'embrasser,  quels  grands 
biens  ne  lui  procure- t'elle  fias  encore  à  la 
niorl  I  Ah!  c'est  alors  que  paraît  bien  sen- 
siblement la  dillérence  qui  se  Irouve  entre 
un  riclie  du  siècle  et  un  pauvre  de  Jésus- 
Christ;  celui-là  ne  peut  même  penser  à  la 
niort  sans  trouble  et  sans  clfroi  ;  l'atlache- 
nii  nt  qu'il  a  eu,  toute  sa  vie,  po\ir  des  biens 
faux  et  périssables,  et  qui,  bien  loin  de  s'é" 
teindre  ou  de  diminuer  dans  ses  derniers 
jours,  ne  fait  que  s'accroître  au  contraire; 
ce  dépouillement  universel  et  forcé,  dans 
lequel  il  va  bientôt  se  trouver;  les  suites 
affreuses  et  inévitables  de  ce  déjtouillement; 
le  compte  terrible  qu'il  va  rendre  à  son 
Oéateur,  du  mauvais  usage  qu'il  a  fait  de 
ses  richesses,  voilà  ce  qui  lui  cause  les  plus 
justes  alarmes,  et  ce  qui  le  f)longe  quelque- 
fois dans  le  plus  affreux  désespoir  :  mais  la 
religieuse  vraiment  pauvre,  bien  loin  de 
redouter  la  morl,  la  regardant  comme  la  iin 
de  toutes  ses  peines,  et  le  conmiencement 
de  son  souverain  bonheur,  elle  la  désire 
avec  ardeur;  elle  l'attend  avec  une  vive  et 
sainte  impatience;  etj  lorsqu'elle  en  est 
frappée,  on  la  voit  terminer,  dans  la  paix 
et  dans  les  consolations,  des  jours  saints, 
passés  dans  la  mortification  et  dans  la  pau- 
vreté. Voilà  les  grands  avanlages  que  ()ro- 
Gure  ce  dépouillement  évangélique,  et  si 
une  personne  religieuse  m'avouait  qu'elle 
ne  les  connaît  point,  ces  grands  avantages, 
qu'elle  ne  les  a  point  éprouvés,  elle  devrait 
en  conclure,  et  j'en  conclurais  moi-même, 
qu'après  avoir  embrassé  cette  sainte  vertu, 
dans  la  religion,  elle  ne  l'a  point  pratiquée 
dans  toute  son  étendue  ;  c'est  ce  qui  m'enga- 
ge, après  vous  en  avoir  fait  voir  toute  l'excel- 
lence, à,  vous  en  (retenir  des  obligations  qu'el- 
le impose;  c'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

SECONDE   PARTIE. 

il  faut  en  convenir  ici.  Mesdames,  il  n'est 
rien  dans  la  religion,  sur  quoi  il  soiî  plus 
aisé,  j'ajoute^  et  qui  soit  plus  commun,  que 
de  se  tromper  sur  ce  qui  regarde  la  sainte 
vertu  de  pauvreté  ;  comme  elle  embrasse 
tout  el  qu'elle  s'étend  à  tout,  sans  la  plus 
grande  vigilance,  que  de  fautes  on  peut 
commettre I  On  ne  voit  en  effet  que  trop 
souvent,  des  personnes  consacrées  au  Sei- 
gneur dans  la  religion,  qui  en  remplissent, 
avec  édilication  tous  les  devoirs,  toutes  les 
observances,  mais  qui,  sur  la  pauvreté,  se 
permettent  bien  ilt'S  choses  qui  attaquent 
l'essence  du  vœu  qu'elles  en  ont  fait,  ou  qui 
se  trouvent  du  moins  0{)posées  à  sa  perfec- 
tion. Combien  par  là,  de  religieux  et  d'é- 
pouses de  Jésus-Christ  se  trouveront,  sur  ce 
seul  article  peut-être,  condamnables  au  ju- 
gement de  Dieu  !  Pour  vous  préserver,  Mes- 
dames, de  ce  souverain  malheur ,  j'entre- 
prends de  vous  bien  faire  connaître  ici,  touie 
1  éttndue  du  vœu  soK-nnel  de  pauvreté  que 


L'ABBE  DE  MONTIS.  '■^'-^'^ 

vous  avez  fait,  et  ics  grandes  obligations  * 
qu'il  vous  impose;  et  pour  cela,  je  dis,  en 
premier  lieu,  que  vous  devez  avoir,  dans 
le  fond  de  votre  âme,  une  estime  et  un 
amour  véritable  pour  cette  sainte  vertu 
que  vous  avez  embrassée;  je  dis,  en  se- 
cond lieu,  que  dans  toute  votre  conduite, 
vous  devez  avoir  la  plus  grande  attention  à 
ne  rien  faire  qui  y  soit  contraire;  c'est  à 
dire,  que  votre  pauvreté  doit  être  tout  à  la 
fois,  intérieure  dans  son  principe,  et  univer- 
selle dans  la  pratique  :  deux  vérités  dont  il 
me  sera  aisé  de  tirer  des  conséquences  que 
vous  ne  pourrez  désavouer,  et  qui  vous 
porteront  à  vous  examiner  sérieusement 
sur  ce  devoir  important,  et  un  des  plus  im- 
portants de  votre  état. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  votre  pau- 
vreté doit  ^tre  intérieure^  qu'elle  doit  pren- 
dre son  principe  dans  votre  cœur,  être  vrai- 
ment l'objet  de  votre  amour,  et  c'est  même 
ce  qui  dislingue  la  pauvreté  religieuse  de 
tant  d'autres  espèces  de  pauvreté  que  l'on 
voit  dans  le  monde.  On  y  voit  en  effet  des 
pauvres,  des  indigents  qui  sont  nés  dans  cet 
état  ;  mais  sonl-ce  là  des  pauvres  de  Jésus- 
Christ?  Non  ;  parce  que  bien  loin  d'aimer 
leur  état  de  pauvreté,  ils  le  souffrent  impa- 
tiemment ,   ils  se  servent  quelquefois  ^.de 
moyens  illicites  et  criminels  pour  en  sortir; 
bien  loin  d'adorer  les  desseins  de  la  divine 
Providence  et  de  s'y  soumettre,  ils  attirent 
le  plus  souvent  sur  eux,  par  leur  murmure 
et  leur  révolte,  son  indignation  et  sa  colère; 
l'on  voit  encore,  dans  le  mondes  des  pau- 
vres qui  sont   nés  avec  des   richesses  cl 
quelques  -  uns  avec    d'abondantes    riches- 
ses, mais  qui,  par  leur  mauvaise  conduite, 
par  leur  débau  he,  par  un  luxe  immodéré^ 
ou  quelquefois  par  des  entreprises  témé- 
raires faites  par  ambition  ou  par  cupidité^ 
sont    totïibé3  dans   l'indigence  :  sonf-ce  là 
des  pauvres  de  Jésus-Christ?  Non;  parce 
qu'ils  n'aiment  point  leur  pauvreté,  et  que' 
bien  loin  de  l'aimer  ils  la  détestent,  qu'ils 
regrettent  leurs  richesses  et  n'omettent  rîeii 
pour  s'en  [irocurer  encore.  L'on  a   vu  au- 
trefois dans  le  monde,  des  philosophes,  des 
sages  du   paganisme  renoncer  à   leurs  ri- 
chesses, jeter  volontairement  leurs  trésors 
au  fond   de  la    mer;  mais  eeux-là  même 
étaient-ils  pauvres  de  Jésus-Christ?  Non; 
outre  qu'ils  n'étaient  point  éclairés  des  lu- 
mières de  l'Kvangile,    c'était  bien  moins 
l'amour  de  la  pauvreté  qui  les  faisait  agir, 
que  l'amour  d'eux-mêmes  :  c'était   par   on 
esprit  d'ostentation  et  de  faste,  comme  ils 
se  le  sont  reproché  quelquefois,  qu'ils  ont 
foulé  aux  pieds  le  faste  et  les  richesses  de 
la  terre  ;  ainsi  peut-on  le  dire,  le  monde  et 
le  démon  ont  leurs  pauvres,  mais  pauvres 
réprouvés  comme  eux.  Quels  sont  donc  les 
vrais  pauvres,  les  j)auvres  de  Jésus-Chris  ? 
Ah  !  .Mesdames,  ce  sont  ceux  et  celles  qui, 
comme  vous,  ont  renoncé  par  amour  pour 
lui  et  pour  suivre  son  exemple,  au  monde 
et  à  tous  les   biens-  du  monde,  qui,  après 
avoir   généreusement   embrassé   la    sainte 
vertu  de  [lauvreté,  l'aimeni,  la  chérissent 


293 


DISCDURS  DE  RETR  VITE.  -  SIXIEME  JOUR, 


291 


celle  belle  vertu,  qui  sont  inliraement  con- 
vaincus do  celle  sentence  qu'a  firononcée  le 
divin  Sauveur,  et  que  ne  j^reuvent  goûter  ni 
entendre  le   monde  et  tous  ses   j^fartisans, 
qu'heureux,  dès  cette  vie,  sont  les  pauvres 
et  les   pauvres  d'esprit  et  de  cœur  :  Beali 
pauperes  spiritu.  {Matlh.,  V,  3.)  Il  ne  suflit 
donc  pas  pour  être  vériiableraent  pauvres 
aux  yeux  du  divin  Maître,  d'avoir  renoncé 
absolument  à  ses  richesses,  à  ses  espérances 
dans  le  siècle,  il  faut  de  plus  n'en  faire  au- 
cun cas,  il  faut  les  mépriser  véritablement 
cl  surtout  n'avoir  aucun  attrait,  aucun  aita- 
cliemcnt  [lour  elles;  il  faut  les  haïrsincère- 
inent    aussi   bien    que  le  monde  qui  les 
donne;  c'est  là  cet  esprit  de  pauvreté  que 
demande  Jésus-Ciirist,  môme  dans  les  cliié- 
tions  du  siècle,  qui   les  possèdent   ces  ri- 
chesses, mais  qu'il  exige  d'une  façon  plus 
éminente  et  plus  parfaite  encore  dans  ceux 
et  celles  qui  ont  tout  quitté  pour  s'attacher 
à  lui  :  esprit  de  pauvreté  qui  caractérise  les 
pauvres  évangéliqués  et  qui  les  dislingue  de 
tous  les  autres  pauvres  qui  se  trouvent  dans 
le  monde;  esprit  de  pauvreté  qu'avaient  les 
apôtres,   qui,   selon   la  belle  remarque  de 
saint  Grégoire  pape,  ne  possédant  rien,  se 
glorifiaient  cependant    d'avoir   tout  quitté 
pour  Jésus-Christ,  parce  qu'ils  avaient  re- 
noncé jusqu'au  désird'avoiret  de  posséder. 
La  pauvreté  évangélique  et  religieuse  doit 
donc  être  d'abord  intérieure,  mais  elle  doit 
être  de  plus  universelle  :  seconde  qualité  qui 
suit  même  naturellement  de  la  première. 
II.  Car  enfin,  si  la   pauvreté   est  vérita- 
blement dans  le  cœur,  elle  s'étendra  à  tout 
cl  sur  tout:  cela  s'entend  assez  :  mais  il 
s'ensuit  de  là  qu'une  religieuse  qui  est  vé- 
ritablement pauvre,  qui   a  l'esprit  de  pau- 
vreté, doit,  en  fait  de  biens,  de  richesses, 
ne  rien  désirer,  ne  rien  donner  ni  recevoir, 
ne  rien  posséder  comme  à  soi  :  autant  de 
conséquences    et  très-importantes  que  je 
dois  développer  ici. 

Je  dis,  en  premier  lieu,  ne  rien  désirer; 
il  n'est  point  permis,  dit  l'auteur  du  livre 
de  \'lmitalion,ûe  désirer  ce  qu'il  n'est  pas 
permis  de  posséder;  vous  pensez  aux  ri- 
chesses, vous  les  désirez  ;  si  ces  richesses 
ne  sont  pas  dans  vos  mains,  elles  sont  dans 
votre  cœur,  et  dès  lors  vous  n'êtes  plus 
pauvres  d'esprit  et  d'affection  :  Pauperes 
spirilu;  vous  n'tïles  donc  ()lus  véritablement 
pauvres  de  Jésus-Christ.  En  vain  m'allé- 
gueriez-vous  que  ce  n'est  point  pour  vous 
que  vous  formez  ces  désirs,  que  c'est  pour 
soulager  les  pauvres  ou  pour  votre  com- 
munauté; je  vous  réponds  que  l'état  de 
pauvreté  réelle  que  vous  avez  vouée  au  Sei- 
gneur, vous  dispense  et  vous  interdit  même 
de  pareils  désirs,  que  vous  devez  vous  bor- 
ner à  prier  pour  les  personnes  qui  sont  pour 
vous  un  objet  de  comjiassion,  et  abandon- 
ner votre  communauté  aux  soins  do  la  di- 
vine Providence,  surtout  si  vous  n'êtes  pas 
chargée  par  quelque  emploi,  d'administrer 
ses  biens  et  ses  revenus;  j'ose  avancer  que 
ces  désirs  auxquels  vous  vous  livrez  ,  ne 
peuvent  être,  pour  vous,  riu'une  source  de 


dislraciions,  de  peines  rt  d'inquiétudes,  et 
vous  porter  de  plus  quelquefois  à  des  solli- 
citations, h  des  demandes  indiscrètes,  inju- 
rieuses à  la  sainteté  de  votre  état,  et  qui 
édilieraient  peu  les  personnes  du  monde 
auxquelles  vous  vous  adresseriez,  quelque 
disposées  qu'elles  vous  parussent  à  satis- 
faire vos  désirs. 

Je  dis  ,  en  second   lieu,  que  celte   pau- 
vreté intérieure  et    universelle  doit   vous 
engager  à  ne   rien  donner  ni  recevoir  sans 
une  permission  expresse  et  légitime  de  vo- 
tre supérieure.  Prenez  garde,  s'il  vous  plaît. 
Mesdames,  je  dis  ,   permission   expresse, 
parce  qu'en  ceci    lasim[)le   présomption  no 
suflit  pas  ;   quelque    persuadées  que  vous 
puissiez  être  de  la  bonne  volonté  de  votre 
supérieure,  il  faut  ()Our  la  sûreté  de  votre 
conscience    et    pour   vous  préserver  de  la 
transgression  de  votre  vœu,  une  permission 
formelle  et  explicite  ;  je  dis  permission  lé- 
gitime, parce  que,  si  vous  demandez  à  don- 
ner ou  à  recevoir,  sans  une  vraie  raison, 
sans  une  vraie  nécessité,  la  permission  que 
vous  demandez  et  qu'on  vous   accorde  est 
nulle  devant  Dieu,   parce  que  votre  su|>é- 
rieure  n'est  point  au-dessus  de  votre  règle, 
qu'elle  lui  est  soumise  comme  une  sim()le 
particulière  ,  qu'elle  ne   peut  absolument 
vous  dispenser  des  vœux  que  vous  avez 
prononcés  solennellement  ;  en  sorte  que  la 
permission  qu'elle  vous  donne   est   moins 
une  dispense  de  votre  vœu,  qu'un  jugement 
qu'elle  porte,  et  que,   comme  supérieure, 
elle  est  en  droit  de  porlerque,  dans  tel  cas, 
dans    telle  circonstance  que   vous    lui  ex- 
posez, votre  vœu  ne  vous  oblige  point;  sans 
cela,  ce  que  vous  donnez  ou  recevez,  est 
un  vrai  larcin  fait  à  votre   communauté  à 
laquelle  appartient  ce  que  vous  vous  ap- 
propriez ;  larcin  qui  est  un    péché  morttl, 
de  sa  nature,  selon  tous  les  casuistes,  mais 
qui  peut  n'être  que   véniel  à  raison   de  la 
légèreté  de  la  matière. 

Je  dis,  en  troisième  lieu,  que  cette  pau- 
vreté intérieure  et  universelle  que  vous 
avez  vouée,  vous  oblige  à  ne  rien  avoir,  à 
ne  rien  conserver  d'inutile  et  de  superflu, 
ni  directement,  ni  indirectement.  Voilà  ce- 
pendant, Mesdames,  un  abus  qui  n'est  que 
trop  commun  dans  la  religion  :  on  est  à  la 
vérité,  bien  éloigné  de  regretter  les  biens 
qu'on  a  quittés  dans  le  monde,  ou  auxquels 
on  avait  droit  de  prétendre  ;  mais  apiès  avoir 
fait  quelquefois  les  plus  grands  sacrifices 
pour  se  consacrer  au  Seigneur,  on  tient  à 
do  petites  choses,  à  des  riens  ;  le  cœur  s'oc  - 
cupe  de  livres,  d'images,  de  petits  meubles, de 
petites  commodités  auxquelles  on  sent  bien 
qu'on  est  attaché,  sur  lesquels  la  conscience, 
dans  de  certains  moments  surtout, fait  de  vifs 
reproches,  maissur  lesquelleson  cherche  par 
des  raisonnements  dictés  par  l'amour-propre, 
à  se  faire  illusion;  mais  attachement  qui 
indispose,  qui  refroidit  le  céleste  Epoux, 
époux  jaloux  qui  veut  le  cœur,  et  tout  le 
cœur  de  ses  épouses,  et  dont  le  refroidis- 
sement prive  une  leligieusc  d'une  infinité 
de  grâces  et  do  consolations,  et  la  conduit 


295 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


296 


quelquefois  insensiblement  et  par  degrés 
à  la  perle  éternelle.  Tous  les  maîtres  de  la 
vie  spirituelle,  tous  les  instituteurs  d'or- 
dres surtout,  onl  été  si  convaincus  de  cette 
vérité,  qu'il  n'est  point  de  précautions 
qu'ils  n'aient  prises  pour  préserver  leurs 
enfants  de  cet  attachement  aui  petites 
choses.  Saint  Ignace  veut  que  les  supé- 
rieurs aient,  sur  cet  important  article,  la 
plus  grande  attention,  qu'ils  éprouvent 
souvent  les  religieux  qu'ils  gouvernent  et 
qu'ils  les  privent  absolument  de  tout  ce  à 
quoi  ils  pourraient  paraître  attachés.  Saint 
François  de  Sales,  ce  prélat  si  éclairé  dans 
les  voies  de  Dieu,  le  plus  grand  directeur 
des  âmes  qui  ait  paru,  atin  d'entretenir  ses 
filles  de  la  Visitation  dans  un  dégagement 
total  du  cœurj  dans  un  détachement  uni- 
versel qu'il  jugeait  nécessaire,  pour  tendre 
à  la  perfection  religieuse,  ordonne,  dans 
ses  constitutions,  que  chaque  année,  elles 
changent,  non-seulement  de  cellules,  mais 
encore  de  tout  ce  qui  peut  ^(ro  à  leur 
usage  ;  en  sorte  que  ces  saintes  filles  se  re- 
gardent, en  quelque  sorte,  par  là,  comme 
des  étrangères  et  des  voyageuses,  jusque 
dans  leur  propre  habitation.  Il  faut  donc, 
Mesdames,  pour  être  vraiment  pauvres  de 
Jésus-Christ,  ne  rien  avoir,  ne  rien  possé" 
der  ;  mais  prenez  garde  que  j'ai  ajouté,  ni 
directement  ni  indirectement:  je  dis  di- 
lectement,  c'est-à-dire,  de  n'avoir  et  de  ne 
conserver  dans  votre  cellule,  ni  argent  ni 
meuble,  ni  quoi  que  ce  soit  sans  la  permis- 
sion des  supérieurs.  Vous  savez  sans  doute 
l'hisloire  qu*a  faite  saint  Grégoire  pape, 
d'un  relig  eux.  qui  fut  trouvé,  après  sa 
mort,  pos>éder  quelques  pièces  d'argent; 
ce  saint  et  éclairé  fiontife,  instruit  de  celte 
prévarication,  et  interrogé  sur  ce  qu'on 
devait  faire,  ordonna  qne  ce  religieux  se- 
rait enterré  avec  son  argent,  hors  du  mo- 
nastère et  dans  du  fumier,  et  que  chaque 
religieux  irait  jeter  de  la  terre  sur  la  fosse* 
en  disant  les  paroles  que  saint  Pierre  dit  à 
Simon  le  Magicien  :  Que  ton  argent  périsse 
avec  toi  {  Act.,  Vil,  20);  et  saint  Gré- 
gloire  ajoute  que  l'exécution  de  cette 
sentence  leur  causa  lant  d'etfroij  que  tous* 
dans  la  crainte  d'avoir  du  superlîu,  allè- 
rent porter  presque  tout  ce  qu'ils  avaient  à 
leur  supérieur.  Il  faut  convenir  que  d'avoir 
de  l'argent  en  sa  cellule  est  un  désordre 
peu  commun;  mais  j'ai  dit  de  plus,  ne  rien 
posséder  indirectement;  et  c'est  ici,  Mes- 
dames, où  je  ne  i)uis  m'empêcher  de  gémir 
surun  abus  malheureusement  trop  commun, 
dans  des  communautés  religieuses  et  des 
plus  régulières  même  quelquefois.  A  la  vé- 
rité, on  est  bien  éloigné  d'avoir  chez  soi  et 
en  sa  possession,  rien  de  contraire  au  vœu 
de  pauvreté  ;  mais  l'amour  de  soi-même, 
de  soti  bien-être  a  fait  imaginer  un  moyen 
{luur  se  satislaire,  qu'on  croit  ou  pour 
mieux  dire,  qu'on  voudrait  se  persuader 
être  innocent,  mais  qui  ne  l'est  ceriaine- 
nient  point  devant  Dieu,  c'est  d'avoir  ou  sa 
pension,  ou  quelqu'autre  argent  qu'on  re- 
çoit en   main  tierce;  et  sous  le   prétexte 


qil'On  n'en  fait  usage  que  du  consentement 
de   la  supérieure,  l'on  croit  être  en  sûreté 
de   conscience,   mais  bien   mal-à-ftropos, 
j'ose  le  dire;  c'est  un  abus  qui,  pour  être 
assez  commun*  n'en  est  pas  moins  un  abus 
contraire  à  l'esprit  de  Jésus-Christ   et  de 
son  Eglise,  et  au  vœu  solennel  de  pauvreté 
qu'a  fait  une  personne  religieuse;  car  enfin, 
quelle   différence    peut^elle   mettre   entre 
posséder   par  elle-même,  et  posséder  par 
autrui,  entre  avoir  chez  elle  ou  avoir  chez 
une  autre?  Si*  pour  une  vraie  propriété,  il 
fallait  conserver  soi-même  ses    richesses, 
les  plus  grands  et  leS  plus  riches  du  monde 
seraient   dits   les  plus   pauvres,   puisqu'ils 
ont,  pour  l'ordinaire,  des  intendants,  des 
trésoriers   qui    reçoivent ,  et   qui   gardent 
leurs  trésors.  Mais  ,  pourra  me  dire  une  re- 
ligieuse qui  se  trouve  dans  le  Tcas  et  dans 
les  dispositions  que  je  condamne  ici,   ces 
Opulents    du   siècle   regardent   leurs   reve- 
nus, leurs  richesses,   comme  à  eux,   ils  y 
sont  attachés;   et   moi,  grâces  à  Dieu,  je 
n'ai  aucun  attachement  à  cette  pension  qui 
m'a  été  donnée,  ni  à  l'argent  qu'elle  me  pro- 
cure. Vous  n'y  avez  aucun   attachement? 
Vous  le  dites,  et  vous  le  croyez  sans  doute; 
mais  qu'il  vous  est  aisé  sur  cela  de  vous 
faire  illusion  !  Quoi,  cet  argent  est  donné 
pour  vous,  pour  votre  usage,  il  est  mis  en 
réserve  pour   cela,  vous  ne  l'ignorez  pas* 
vous  le  savez  si  bien  que  vous  ne  demandez 
à  votre  supérieure  défaire  quelque»  dépense, 
que  parce  que  vous  le  savez;  que*  si  vous 
étiez  sûre   au   contraire ,  qu'il   ne    restât 
plus  rien  de  cette  pension,   vous  n'auriez 
point  de  désirs  ou  vous  ne  jenseriez  point 
à  les  satisfaire;  que,  pour  le  genre  de  dé- 
pense que  vous  voulez  fairej  vous  Calculez, 
vous   comptez  avec  vous-même,  que  vous 
ne  demandez  la  permission  de  faire  une 
dépense  qu'au-dessous  et  jamais  au-dessus 
de  cet   argent    mis  en  dépôt  pour  vous; 
que,  si  votre  supérieure  désire  en  faire  un 
usage  étranger  à  vos  besoins,  elle  croit  de- 
voir vous  en  parler,  elle  vous  en  parle  de 
façon  à  paraître  vous  demander  un  consen- 
tement,  et  vous  lui  répondez  toujours  de 
façon  à  paraître  le  lui  donner;  que  si  elle 
en  usait  autrement  à  votre  égard,  vous  en 
seriez  sûrement  affectée,  du  moins  au  de* 
dans   de   vous-même  si   vous   n'alliez   pas 
jusqu'à    montrer   du   mécontentement   au 
dehors:  or,  je  vous  le  demande,  soyez  ici 
de  bonne  foi*  tout  cela  ne  suppose-t-il  dans 
l'âme  aucun  attachement,  aucun  sentiment 
de  propriété?  Mais  je  veux  qu'en  ellet  vos 
sentiments  soient  aussi  purs  que  vous  le 
dites,  et  que  vous  soyez  pour  cet  argent, 
sans  aucun  attachement;  qu'en  conclure? 
Que  vous  n'êtes  point,  à  la  vérité,  coupable 
de  transgression  de  votre  vœu  de  pauvreté, 
et  en  péché  mortel   par  conséquent,  mais 
aussi,   que  vous  n'êtes    point  sans   faute, 
sans  'péché  aux  yeux  de  Dieu,  parce  que,  si 
vous  n'attaquez' pas  directement  l'essence 
de  votre  vœu,  vous  allez  du  moins  contre 
la  perfection  de  ce  vœu,  et  vous  vous  met- 
tez dans  un  danger  continuel  de  le  Irans- 


*)7 


DISCOURS  Dt;  RETRAITE.  —  SIXIEME  JOUR. 


2D8 


presser  :  or  une  religieuse  ijni,  par 'son  élat, 
sVsl  engagée  solennellement  h  tenJro  sans 
cesse  à  la  perfection,  y  tend-elle,  y  Iravaille- 
t-elle  sérieusement  en  tenant  une  pareillo 
conduite?  ■ 

Mais,  mo  dira  encore  cette  religieuse  à 
pension  et  à  grosso  pension  peut-être;  ou- 
tre que  je  n'ai  assurément  aucun  atlaclie- 
Mient  à  cet  argent,  je  n'en  fais  jamais  usago 
sans  une  permission  expresse  de  ma  supé- 
rieure et  voilà  ce  qui  me  rassure.  Prene? 
garde;  si  vous  Clés  véritablement  devant 
Dieu  sans  aucun  allacliement  et  dans  une 
disposition  sincère  de  vous  conformer  à  la 
volonté  de  voire  supérieure,  son  consente- 
ment vous  met  à  l'abri  du  crime  de  proprié- 
té, mais  il  ne  vous  excuse  pas  de  toute  faute 
devant  Dieu,  pour  les  raisons  que  je  viens 
(le  vous  dire  ;  il  est  bien  vrai  que  votre  su- 
périeure en  vous  donnant  cette  permission 
t'St  beaucoup  plus  coupable  que  vous  en 
la  dem^indant;  en  supposant  qu'elle  n'ait 
point  introduit  cet  usage  dans  sa  commu- 
nauté, elle  serait  toujours  très-coupable 
di.-vanl'Dieu,  d'enlietenir  et  de  ne  point 
abolir  unecouiume,  un  abusqui,  quelqu'an- 
(ifU  qu'on  puisse  le  supposer,  reste  tou- 
jours abus;  elle  rendrait  certainement  un 
jour  au  Seigneur  un  compte  rigoureux 
d'avoir  exposé  par  15,  les  âmes  contiées  à 
ses  soins,  à  une  lentalion  perpétuelle  de 
transgresser  un  vœu  delà  religion,  compte 
d'autant  plus  rigoureux,  que  par  sa  place, 
elle  était  obligée  d'éloigner  d'elles  tout 
obstacle  à  leur  perfection,  à    leur  sainteté. 

Mais  c'est  l'intention  de  mes  parents,  do 
ceux  (]ui  me  donnent  ces  secours,  qu'ils  ne 
soient  que  pour  moi,  que  pour  de  petits  be- 
soins que  la  couimunauté  ne  donne  point. 
AIjI  ma  chère  sœur,  si  vous  vous  condui- 
siez on  tout  dans  la  religion  selon  les  in- 
tentions de  vos  parents,  vous  seriez  cer- 
tainement une  mauvaise  et  très-mauvaise 
religieuse;  quelque  religion  que  vous  leur 
supposiez,  ils  connaissent  si  peu  l'esprit 
et  les  devoirs  de  votre  saint  état  et  ce 
qu'exigent  vos  vœux  surtout  que,  pour  sui- 
vre parfaitement  leur  intention,  vous  de- 
vriez avoir  en  votre  cellule  cet  argent  qu'ils 
vous  donnent  et  en  disposer  absolument  à 
votre  volonté. 

Quant  à  ces  besoins  que  vous  dites  que 
la  communauté  ne  donne  [>as  ;  s'il  en  était 
ainsi,  ce  serait  une  énorme  injustice,  dont 
vos  supérieures  se  cliargeraient  devant 
Diou,  et  quelquefois  aussi  celle  devossœurs 
chargée  du  temporel,  si  par  un  excès  d'é- 
cenoiiiic,  ce  qui  se  voit  quelquefois,  elle 
I.Uiait  des  dillicuilés  et  des  refus  injustes 
cl  mal  à  propos;  en  vous  recevant  dans  son 
seni,  la  cuiumunauté  s'est  engagée  à  vous 
duiiner  tout  ce  qui  pourrait  vous  être  né- 
cessaire; ellene  [>euiymanijuer sans  injus- 
tice et  sans  désobéir  au  saint  concile  de 
'ircnte, qui  lui  entait  une  obligation  expres- 
se ;  mais  i)renez  garde  aussi  que  si  votre 
communauté,  par  des  accidents,  par  des  re- 
vers, qui  ne  sunl  que  trop  communs,  se 
trouve  i'ius  p.rès  de  rindigen,:e  que  de   l'o- 

UlUTELUS  SACntS.   LX\  111. 


pnlence,  vous  devez  avoir  égnrdà  sa  péni- 
ble situation  et  la  partager /jvec  toutes  vos 
sœurs;  il  ne  serait  pas  juste  que  vous  eus- 
siez des  soulagements  dont  elles  sont  pri- 
vées; la  lin  que  vous  vous  êtes  proposée 
en  entrant  en  religion,  a  été  de  vous  livrer 
au  déniiment,  aux  privations,  h  la  péni- 
tence; tout  00  qui  peut  en  détourner  doit 
vous  être  suspect  et  interdit. 

Mais,  medirez-vous  enfin,  cette  morale 
si  sévère  que  vous  nous  prêchez  n'est  point 
générale  :  des  ministres  pieux  et  éclairés 
m'ont  assuré  qu'avec  les  précautions  que  je 
prends,  je  pouvais  m'en  tenir  à  mon  ancien 
usage.  A  cela,  ma  chère  sœur,  j'aurais  bien 
des  questions  à  vous  faire;  et  d'abord  si 
lorsque  vous  êtes  entrée  en  religion,  vous 
aviez  sur  cela  quelques  doutes,  et  si  au  no- 
viciat vous  trouviez  ma  morale  outrée  et 
trop  sévère,  si  cela  était,  vous  pouviez  re- 
tourner an  siècle  et  garder  vos  (lossessions, 
personne  ne  vous  ayant  forcée  à  les  sacri- 
fier; mais  une  fois  le  sacrifice  fait,  il  n'y  a 
plus  à  revenir,  vous  ne  pouvez  sans  injus- 
tice et  sans  crime  retirer  de  dessus  l'autel 
la  moindre  partie  de  l'offrande  que  vous 
avez  faite  volontairement  à  votre  Dieu  ; 
mais  je  me  borne  ici  à  une  seule  question  : 
que  voudrez-vousavoiri'aiià  la  mort?Serez- 
vous  plus  satisfaite  alors  d'avoir  écouté 
quelques  docteurs  un  peu  relâchés ,  qui 
avaient  peut-être  quelqu'inlérôt  à  décider 
selon  vos  désirs  et  vos  penchants,  que  d'a- 
voir suivi  la  décision  de  ceux  qui  vous 
paraissent  aujourd'hui  iropsévères?Ne  vous 
direz-vous  pas  alors,  ce  que  vous  devriez 
vous  dire  dès  à  présent,  qu'après  tout,  dans 
le  doute,  il  étaitplus  prudent  de  suivre  le 
plus  sûr,  par  la  raison  que  c'était  le  plus 
parfait?  Ne  vous  reprocherez-vous  point 
alors  d'avoir  autant  consulté  sur  cetarticle, 
et  ne  conviendrez-vous  point  que  c'était 
l'amour  de  vous-même,  de  vos  aises,  do 
vos  commodités  qui  vous  a  fait  proposer 
des  cas,  et  chercher,  mendier  des  décisions 
qui  vous  fussent  favorables?  Quand  on  veut 
être  tout  à  Dieu,  ne  mettre  aucune  borne  à 
sa  perfection,  on  n'a  point  tant  de  questions 
à  faire,  tant  do  cas  à  proposer  ;  on  voit  alors 
d'un  seul  coup-d'œil  ce  qui  est  le  plus  par- 
fait, et  on  l'embrasse  avec  courage  :  telle 
est  la  conduite  des  religieuses  les  \,\us 
ferventes.  Ali!  Mesdames,  à  la  mort,  car 
c'est  toujours  par  ce  point  de  vue  qu'il  faut 
juger  de  tout,  à  la  mort  les  préjugés  ces- 
sent, les  ténèbres  se  dissipent ,  les  senti- 
ments naturels  s'anéantissent  :  on  voit  alor.ï 
que  dans  ces  consullalions,  on  n'a  agi  de 
bonne  foi,  ni  avec  Dieu,  ni  avec  les  autres, 
ni  avec  soi-même.  Heureuse  encore  la  reli- 
gieuse qui,  reconnaissant  dans  ces  demi,  rs 
moments  ses  erreurs,  s'en  humilie  devant 
Dieu  et  se  condumno  dans  le  temps,  pour 
n'être  pas  condamnée  dans  l'éternité;  mais 
que  fait  alors  l'esprit  tentateur?  Adroit  à 
prolilcrdu  trouble  decette  âme,  il  tâche  de 
lui  [)ersuader  que  par  ses  sentiments  et  sa 
conduite,  elle  s'est  mise  hors  de  la  voie  du 
salut  ;  pendant  la  vie,  il  réussissait  ï\  laras- 

10 


290 


ORATEURS  SACRES.  L  ARBE  DE  MONTIS. 


300 


surer  contre  ses  remords,  h  les  éloufTer  :  h 
la  mort, au  conlvairp,  il  les  lait  renaître  et 
les  augmente,  ces  remords  ;  il  lui  fait  voir 
clairement  la  fausseté  des  principes  sur  le.-- 
quels  elle  s'appuyait,  le  peu  de  fond  qu'il 
y  avait  à  faire  sur  des  décisions  données, 
ou  par  ignorance  ou  par  complaisance; 
les  plus  légères  fautes  contre  la  pauvreté, 
il  lui  en  fait  aulant  do  crimes  énormes,  et 
réussit  quelquefois,  par  le  trouble  et  le  dé- 
sordre qu'il  met  dans  son  âme  ,  à  la  jeter 
dans  le  désespoir,  et  à  lui  ôter  toute  espé- 
rance en  la  miséricorde  do  Dieu  ,  et  toute 
ressource  au  salut. 

Après  toutes  ces  réflexions,  Mesdames, 
voyez  sérieusement  et  devant  Dieu,  si  vous 
n'avez  rien  à  vous  reprocher,  sur  votre  vœu 
de  pauvreté;  sondez  mais  bien  sincèrement, 
votre  propre  cœur;  ce  que  je  puis  vous  assu- 
rer ici,  ce  que  j'ai  entendu,  plus  d'une  lois, 
de  la  bouche  des  ministres  les  plus  occupés 
h  la  direction  des  personnes  religieuses,  ce 
(jue  j'ai  jugé  moi-môme  depuis  tant  d'an- 
nées que  la  divine  Providence  m'a  appliqué 
à  ce  saint  ministère,  c'est  qu(>  bien  des 
épouses  de  Jésus-Christ  seront  réprouvées 
^)our  la  seule  transgression  de  leur  vœu  de 
•pauvreté. 

Ah!  Seigneur,  si  je  le  sonde  ici  de  bonne 
'foi,'raon  cœur,  que  je  découvrirai  de  fautes 
commises  contre  la  sainte  vertu  de  pau- 
'vreté  I  Hélas  !  si  je  n'ai  pas  des  transgressions 
importantes  à  me  reprocher,  que  de  satis- 
factions passagères  1  que  d'aliacheraenl  h 
des  choses  inutiles  et  sui)er{lues,  contraires 
du  moins  à  la  |>erfection  de  mon  vœu,  qui 
•vous  ont  déplu  et  qui  ont  arrêté  sur  moi  lo 
cours  de  vos  griices  I  Ah  1  Seigneur,  c'est  par 
une  prédilection  toute  particulière  que  vous 
m'avez  ap[relée  à  ce  renoncement  universel, 
à  -ce  déiK)uillem«ni  total  des  biens  du 
monde.  Hélas!  si  je  les  av-als  possédés,  ces 
•biens,  ils  ne  m'auraient  servi,  commeà  une  in- 
finité d'autres,  qu'à  vous  offenser  et  à  me 
l»erdre  ;  vous  l'avez  dit,  quedilïïcilement  les 
riches  entreront  dans  le  ciel  ;  la  conduite 
•<ies  riches  du  siècle  ne  confirme  que  trop 
•celle  terrible  sentence;  c'est  de  tout  mon 
cœur  que  je  vous  ai  fait  le  sacrifice  de  tous 
les  biens  périssables  de  la  terre,  c'est  dans 
les  mêmes  sentiments  que  je  vous  le  renou- 
velle dans  ce  uioment  et  que  je  vous  pro- 
mets de  ne  rien  faire,  sur  cet  objet  impor- 
tant, qui  puisse  me  rendre  désagréable  à 
vos  yeux;  vous  seul,  ô  mon  Dieu,  pouvez 
remplir  mon  cœur  el  le  satisfaire;  vous 
seul  l'occuperez  el  le  satisferez  le  reste  de 
mes  jours,  comme  vous  seul,  je  l'espère  do 
vos  miséricordes  infinies,  l'occuperez  et  le 
rendrez  souverainement  heureux  dans  les 
iiècies  des  siècles.  Ainsi  soit-il. 

SIXIEME  JOUR. 

Troisième  discours. 

SUR    LA    LECTURIi  SPIRITUELLE. 

Aliende  lecUoiii.  (1  Uni.,  IV,  13.) 
Appliquez-voui  à  lu  lecture. 

C'était,  Mesdames,  un  des  avis  que  l'afjô- 
ire  saint  l'aul  donnait  à  son  cher  discii>le 


Timolhée,  afin  qu'il  pût  s'avancer  dans  la 
voie  (le  la  sainteté  et  y  conduire  plus  sûre- 
ment les  autres.  C  est  l'avis  qu'ont  donné, 
dans  tous  les  temps,  les  maîtres  de  la  vie 
spirituelle  et  les  directeurs  des  consciences, 
h  ceux  el  à  celles  de  la  conduite  desquels  la 
divine  Providence  les  a   chargés;  plus  ils 
ont  eu  de  zèle  pour  leiviiul  et  la  |)erfeclioii 
de  ces  âmes  confiées  à  leurs  snins,  et  |)lus  ils 
ont  eu  d'attention  à  leur  recommander  de 
saintes  lectures;  les  regardant  comme  un 
moyen  |des  plus  propres  à  les  instruire  de 
leurs  devoirs  et  à  les  leur  faire  accompjir; 
c'est  ce  qui  est   recommandé  surtout  aux 
personnes  qui,  éloignées  par  étal  du  com- 
merce du  monde,  sont  consacrées  plus  spé- 
cialement, dans  la  retraite,  au  "service  du 
Seigneur.   Il  n'est  point  d'institut,    point 
d'ordre  religieux  dont  les  conslitutions  ne 
prescrivent,  dans  la  journée,  soit  en  com- 
mun,  soit  en   particulier,  une  lecture  do 
piété  ;  elle  vous  est  prescrite  à  vous,  Mes- 
dames, comme  aux  autres  épouses  de  Jésus- 
Christ;  chaque  jour  vous  employez  toutes 
un  certain  tein[)s  à  ce  ineux  el  saint  exer- 
cice;  mais   [)crraettez-moi  d«  vous  le  de- 
mander ici,  en  retirez-vous  tout  le  fruit  que 
vous  pourriez  et  que  vous  devriez  en  reti- 
rer? Depuis  tant  d'années  que  vous  enien- 
dez  lire  ou  que  vous  lisez  vous-mêmes  tant 
et  de  si  excellents  ouvrages  do  piété,  quel 
profit  vous  en  est-il  reveuu,pour Je.bien  de 
votre  âme?  Pourquoi  un  moyen  si  propre 
à  porter  des  épouses  de  Jésus-Christ  à  la 
vertu,  à  les  sanctifier,  en  rend-il  un  grand 
nombre  si  peu  vertueuses,  si  peu  saintes? 
Je  crois  et  vous  en  conviendrez  sûrement 
avec  moi,  Mesdames,  je  crois  pouvoir  l'at- 
tribuer, ce  peu  de  fruit  des  lectures  spiri- 
tuelles, à  deux  causes  :  au  peu  de  cas  qu'on 
fait  de  ce  saint  exercice  et  aux  mauvaises 
dispositions    avec   lesquelles  on   s'en   ac- 
quitte; je  veux  dire  qu'une  religieuse  n'a 
pas,  le  plus  souvent,  une  assez  grande  idée 
de  la  lecture  spirituelle,  qu'elle  n'est  point 
assez  convaincue  de  son  eiricacilé   pour  la 
conduire  à  la  sainteté,  et  que  de  plus,  elle 
ne  s'en  acquitte  point  de  façon  à  en  res- 
sentir   les   salutaires  effets.  Ventreprends 
donc  ici.  Mesdames,  pour  vous  rendre  cet 
exercice  plus  utile,  plus  avantageux  à  votre 
âme,  de  réformer  ou  plutôt  d'étendre  et  de 
perfeciionner  sur  cela  vos  idées  el  vos  dis- 
positions; vos  idées,  en  vous  prouvant  que 
ïâ    lecture    spirituelle  est    un  des   grands 
moyens  (jue   vous   ayez,  dans   votre   saint 
élat,   de  vous  sanctifier  ;  ce  sera  le  sujet  du 
la  première  partie  de  ce  discours  :  v;)s  dis- 
positions, en  vous  montranl  que  la  lecture 
ne  peut  vous  sanctifier  qu'autant  que  vous 
la  ferez  d'une  manière  propre  à  produire  en 
vous  ce  bon  effet  ;  ce  sera  le  sujet  de  la  se- 
conde partie.   En  deux  mots,  les  motifs  qui 
doivent  vous  engager  à  vous  rendre  fidèles 
à  la    lecture    spirituelle,    les   dispositions 
avec  lesquelles  vous  devez  faire  la  lecture 
spirituelle  ;  c'est   toute   la  matière  de  cet 
enlretien.  Honorez-moi  ,  s'il  voui  plaît,  du 
toute  votre  aliention.  Ave,  Marin. 


501 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  -  SIXIEME  JOt'R 

PRKMlfeRE    PARTIE. 


Ai 


Nous  no  pouvons,  Mcsdanies,  assez  ad- 
mirer et  janiais  assez  reconnaitre  l'infinie 
bonté  de  notre  Dieu  ,  qui  après  nous  avoir 
donné  son  pro[)re  Fils  pour  notre  libéra- 
teur, pour  notre  Sauveur,  nous  a  de  plus, 
en  conséquence  de  ce  grand  bienfait  de  la 
rédem[ition,  procuré  une  intlnité  de  moyens 
propres  à  nous  faire  travailler  efTicacement 
h  notre  salut;  un  de  ces  moy.ens,  c'est  la 
lecture  des  ouvrages  que  des  hommes,  éga- 
lement habiles  et  expérimentés  dans  les 
voies  de  Dieu,  ont  composés,  dans  la  vue  de 
faire  connaître  aux  chrétiens,  dans  quelque 
état  qu'ils  puissent  se  trouver,  l'excellence 
de  la  vertu,  les  avantages  de  la  dévotion, 
l'étendue  de  leurs  devoirs  et  les  moyens 
de  les  accomplir.  Or  ces  motifs  purs  et  re- 
ligieux, qui  ont  porté  ces  pieux  auteurs  à 
composer  des  ouvrages  de  dévotion  ,  doi- 
vent également  nous  engager  à  proûter  de 
leurs  travaux  et  à  les  lire  avec  fruit.  Je  dis 
'Jonc  pour  cela.  Mesdames,  que  ce  qui  doit 
vous  engager  à  faire  assidûment  vos  lec- 
tures spirituelles,  c'est  qu'elles  sont  propres 
tout  à  la  fois  à  vous  faire  bien  connaître  la 
vertu  ,  à  vous  faire  aimer  la  vertu,  à  vous 
taire  pratiquer  la  vertu. 

1.  Je  reprends  et  je  dis,  en  premier  lieu, 
que  la  lecture  spirituelle  fait  connaître  la 
vertu  ;  et  d'abord ,  Mesdames,  par  ce  terme 
de  vertu  ,  je  n'entends  pas  parler  ici  île  cette 
vertu  stoique,  purement  naturelle  et  toute 
humaine,  de  laquelle  se  paraient  avec  faste 
les  anciens  philosophes  et  de  laquelle  ceux 
de  nos  jours,  qui  quoique  infiniment  éloi- 
gnés des  modèles  qu'ils  atlecientde  suivre, 
se  glorifient  encore  ;  Aiorlu  feinte  qui  con- 
siste bien  moins  à  réprimer  ses  passions 
quà  (laraître  les  réprimer;  à  se  montrer 
i)on  et  juste  dans  les  occasions  où  il  n'y  a 
ni  un  grand  intérêt  ni  de  grandes  diflicultés 
h  le  paraître;  vertu  fausse  et  toute  exté- 
rieure qui  subsiste  avec  l'orgueil,  l'amour- 
pro[)re,  quelquefois  avec  l'irréligion  et  l'im- 
piété et  le  plus  souvent  avec  les  vices  les 
plus  grossiers  et  les  passions  les  filus  bru- 
tales; je  parle  d'une  vertu  surnaturelle^et 
toute  céleste,  de  la  vei  tu  chrétienne  et  reli- 
gieuse qui  consiste  à  mortilier  les  passions, 
à  craindre  le  péché  et  jusqu'à  l'apparence 
même  du  péché,  à  s'en  préserver,  à  éviter 
avec  soin  tout  ce  qui  pourrait  oll'enser  le 
Seigneur  et  lui  déplaire;  vertu  qui  porte  à 
accomplir  en  tout  ses  volontés,  à  se  rendre 
de  plus  en  plus  agréable  à  ses  yeux,  à  rem- 
plir pour  cela  avec  une  scrupuleuse  exac- 
titude tous  les  devoirs  de  l'état  auquel  la 
divine  Providence  a  appelé;  vertu  en  un 
mot  qui  consiste,  comme  le  dit  le  Roi-Pro- 
l>lièle,  à  se  préserver  du  mal  et  à  faire  le 
bien  :  Déclina  a  malo  cl  fac  bonum.  [Psal. 
XXXVl,  21.)  Or  le  premier  avantage  que 
(irocure  la  lecture  spirituelle  ,  c'est  delà 
bien  faire  connaître,  cette  vertu ,  d'en  don- 
ner une  juste  idée ,  d'en  montrer  l'excellen- 
ce et  les  avantages,  et  cela  en  faisant  con- 
naître d'abord  le  [)éché  qui  lui  est  directe- 


ment opposé:  par  elle  en  effet  on  découvre 
sa  nature  et  sa  malice,  les  effets  funestes 
qu'il  produit,  les  ravages  qu'il  fait  dans  un 
cœur  qui  devient  son  esclave;  par  elle  ou 
connaît  toute  la  haine  que  Dieu  lui  porte, 
toute  l'opposition  (|u'il  a  avec  la  sainteté 
du  christiaiiisme  en  général  et  de  l'état  re- 
ligieux en  particulier;  par  elle  une  reli- 
gieuse apprend  à  connaître  ses  différents 
devoirs  de  chrétienne  et  de  religieuse  ,  les 
moyens  qu'elle  doit  employer  pour  s'en  ac- 
quitter dignement  et  qui  peuvent  la  condui- 
re à  la  perfection  à  laquelle  elle  doit  tou- 
jours tendre  ,  dans  son  état.  Par  elle,  elle 
connaît  les  voies  diverses  et  admirables  dont 
Dieu  se  sert  pour  attirer  une  ûme  à  lui, 
pour  la  délacher  des  créatures  et  d'elle- 
même,  pour  l'élever  à  la  plus  sublime  sain- 
teté. C'est  par  la  lecture  spirituelle,  en  un 
mot ,  qu'une  religieuse  apprend  à  con- 
naître et  à  juger  sainement  de  tout ,  de  la 
vertu  et  du  péché,  du  bien  et  du  mal,  des 
avantages  et  des  maux  qui  se  trouvent  mê- 
lés et  confondus  sur  la  terre,  des  plaisirs  et 
des  disgrâces  qu'on  éprouve  successivement 
dans  le  monde;  je  dis  à  en  juger  sainement, 
c'est-à-dire,  non  en  aveugle  et  selon  les 
fausses  idées,  les  préjugés  de  ce  monde 
pervers  et  corrompu  et  de  ses  insensés  par- 
tisans ,  mais  selon  ce  qu'en  a  jugé  le  Dieu 
Sauveur  lui-même,  selon  les  maximes  do 
son  Evangile,  selon  les  principes  de  la  re- 
ligion sainte  qu'il  est  venu  établir  sur  terre; 
en  sorte  qu'on  peut  dire,  par  i)roportlon,des 
livres  de  piété,  de  ceux  surtout, qui  ont  été 
composés  par  des  saints  animés  de  l'esprit 
de  Dieu,  ce  que  l'apôtre  saint  Paul  disait 
à  Timothée  des  livres  saints  dictés  par  le 
Saint-Esprit:  Qu'ils  sont  propres  et  utiles  pour 
éclairer,  pour  corriger,  pour  instruire  des 
moyens  de  se  conserver  dans  la  justice  et 
de  parvenir  à  la  perfection  :  Ucilis  ad  docen- 
dum,  ad  erudiendum  injustilia,  ut  sit  homo 
perfeclus.  (II  Tiin.,  111,  16.j  Que  de  vives 
lumières,  en  effet,  acquiert  par  de  pieuses 
lectures  une  chrétienne  et  surtout  une  re- 
ligieuse, une  épouse  de  Jésus-Christ,  lors- 
qu'elle s'y  livre  avec  assiduité  et  avec  do 
saintes  dis()Osilions!  Que  de  vérités  subli- 
mes et  toutes  célestes  elle  découvre  chaque 
jour!  Que  de  connaissances  importantes  et 
solides  elle  se  procure,  qui  servent  à  lui 
montrer  de  plus  en  plus  les  moyens  de 
plaire  à  Dieu,  de  se  rendre  plus  agréable 
à  ses  yeux,  de,  s'avancer,  de  faire  môme  do 
grands  piogrès  dans  la  perfection  qu'exige 
le  saint  étal  qu'elle  a  embrassé  !  Voilà  donc 
le  preiiiieravantage  que  retire  de  la  lecture 
des  ouvrages  de  piété,  la  religieuse  qui  s'y 
livre;  c'est  de  bien  connaître  la  vertu,  d'en 
sentir  tout  le  prix.  Un  autre  avantage  |)l.us 
essentiel  encore,  c'est  après  l'avoir  bien 
connue,  de  concevoir  de  l'amour,  de  l'atta- 
chement pour  elle. 

II.  Car  voilà,  Mesdames,  la  différence 
qui  se  trouve  entre  la  vraie  vertu  et  ces 
prétendues  bonnes  qualités  que  possèdent 
les  philosophes  moiuiains,  et  qui  les  font 
regarder  comme  d'honnCles  gens,  des  gens 


505 


ORATEURS  SACRES.  L'ABRE  DE  MONTIS. 


504 


estimables;  pour  peu  qu'on  veuille  les  re- 
gnrder  de  près,  ces  (jualilés,  et  surtout 
avec  les  lumières  de  la  foi,  et  selon  les 
principes  de  l'Evangile,  on  s'aperçoit  bien- 
tôt, qu'elles  ne  sont  rien  moins  que  ce 
qu'elles  f)araissent  à  l'extérieur  :  on  les 
voit  toutes  fondées  sur  des  défauts,  sur  des 
vices  même,  ce  qui  porte  naturellement  à 
les  mépriser,  ces  fausses  vertus,  et  h  mé- 
priser également  ceux  qui  s'en  glorifient; 
mais  pour  la  \raie  vertu,  j'enlends  la  vertu 
clnéticnne  et  religieuse,  comme  elle  est 
loule  fondée  sur  la  pureté  du  christianisme 
et  la  sainteté  de  l'Evangile  ;  comme  elles  ne 
peut  produire,  et  qu'elle  ne  produit,  en  ef- 
fet, que  d'excelhiuls  fruits,  qu'elle  (end  en 
tout  à  procurer  la  j^loire  de  Dieu  et  la  per- 
fection des  ûmes,  le  bonheur  et  le  repos  de 
tous  les  étals,  plus  elle  est  connue,  plus 
elle  est  estimée,  et  plus  on  conçoit  d'es- 
lime  pour  elle,  plus  aussi  on  l'aime,  on 
s'attache  à  elle  ;  voilà  encore  l'heureux  ef- 
fet que  produit  la  lecture  spirituelle  lors- 
qu'on s'y  livre  avec  de  saintes  dis[)Ositions  ; 
après  avoir  connu  par  elle  le  prix  de  la 
vertu,  combien  elle  est  estimable  en  elle- 
même,  de  l'estime  elle  fait  passer  à  l'atla- 
chement,  à  l'amour;  on  l'aiuie  dans  les 
autres,  on  ne  peut  liie  et  considérer  les 
prodigieux  effets  qu'elle  a  |)roduils,  dans 
tant  d'âmes  qui  se  sont  sanctifiées  par  elle, 
sans  se  sentir  du  penchant,  et  un  certain 
attachement  pour  elle  :  on  va  plus  loin  en- 
core; on  désire  de  la  posséder,  celte  ai- 
mable, cette  i)récieuse  vertu,  de  devenir 
vertueux,  comme  ceux  qu'on  admire.  Com- 
ment une  religieuse,  par  exem|)le,  qui  lit, 
avec  allcntion  et  assiduité,  des  livres  qui 
l'instruisent  de  l'obligation  de  son  saint 
étal,  (|iii  lui  font  conuailrc  les  moyens  de 
les  accom|ilir,  peut-elle  n'être  pas  portée  à 
l'aimer,  à  le  chérir,  cet  état  auiiuel  le  Sei- 
gneur l'a  appelée,  [tar  préférence  5  une  in- 
finité d'autres,  à  airuer  ces  devoirs,  ces 
exercices,  ces  pratiques  qui  lui  procurent 
des  avantages  aussi  considérables  et  sans 
nombre?  Peut-elle  s'empêcher  de  i'ormer 
et  de  grands  désirs,  et  de  grands  projets 
de  s'y  lendre,  plus  que  jamais,  fidèle?  Com- 
ment peut-elle  surtout  lire  la  vie  et  les  ac- 
tions saintes  de  celles  qui  l'ont  précédée 
dans  la  religion,  et  auxquelles  la  sainte 
Eglise  a  décerné  un  culte  public,  qu'elle 
propose  h  sa  vénération  et  ii  son  imitation, 
ou  de  celles  qui,  sans  avoir  élé  |)lacées  sur 
les  autels,  ont  vécu,  dans  ce  saint  état, 
dans  son  institut  et  dans  sa  propre  maison 
jieut-èlre,  en  vraies  et  |)arfailes  épouses  de 
Jésus-Christ,  et  qui  sont  mortes  en  odeur 
de  sainteté?  Comment  pourrait-elle  lire  en 
détail  les  actions  saintes  qui  ont  rempli 
leurs  jours  et  qui  les  ont  sanctifiées,  leur 
fidélité  h  tous  leurs  devoirs  et  jusqu'à  leurs 
plus  ()etites  observances,  leur  amour  pour 
leur  céleste  époux,  leur  intime  et  conti- 
nuelle union  aveclui,  leur  a()()iication  cons- 
tante à  lui  plaire,  à  entrer  dans  toutes  ses 
vues,  à  correspondre  à  tons  ses  desseins 
sur  elles;  leur  charité  envers  leurs  sœurs  , 


leur  mortification,  leur  patience  à  suppor- 
ter tranquillement  et  avec  amour  les  mé- 
pris, les  contradictions,  les  persécutions 
même  quelquefois  auxquelles  elles  ont  été 
exposées,  ou  les  maux,  les  infirmités,  et 
n)ille  autres  espères  de  croix  intérieures  et 
extérieures,  par  lesquelles  le  céleste  Epoux 
se  piaît  à  éprouver  et  à  purifier  les 
épouses,  et  les  épouses  les  plus  chéries? 
Comment  pourrait-elle  lire  tant  de  mer- 
veilles de  la  grâce,  dans  des  personnes  (pii 
ont  été  faibles  comme  elle,  et  |)lus  faibles 
qu'elle  peut-être,  sans  se  sentir  de  l'attrait, 
non-seulement  [tour  ces  saintes  peisonnes, 
mais  encore  pour  la  vie  sainte  qu'elles  ont 
menée,  pour  ces  actions  de  piété  auxquelles 
elles  se  sont  livrées,  pour  toutes  ces  vertus 
chrétiennes  et  religieuses  qu'elles  ont  pra- 
tiquées, dans  le  degré  le  plus  éminenl,  et 
avec  la  plus  grande  |)ersévéranee,  cl  qui 
les  ont  conduites  insensiblement  à  la  plus 
grande  peifeclion,  à  la  sainteté  la  (dus  su- 
blime? Peut-elle  alors  ne  pas  désirer  de 
ressembler  à  ces  saintes  qu'elle  ne  peut 
s'emjiêclier  d'admirer  et  d'aimer;  de  vivre 
et  de  mourir,  couiuie  elles,  dans  l'amour 
du  céleste  époux?Dclà,  er.(  clfet,  ces  sen- 
timents de  religion,  de  piété,  d'amour  pour 
Dieu,  d'attrait,  d'atiachenient  pour  son 
saint  état,  de  désir  de  sanctification  dont 
elle  se  trouve  pénéirée,  a|)rès  une  boinie  et 
sainte  lecture.  De  là  ce  dégoût,  cet  éloi- 
gnement  qu'elle  conçoit  [lour  le  monde, 
l^oui-  tous  les  avantag'es  faux  et  tronqieurs 
qu'il  odVe  et  qu'il  prodigue  quelquefois  à 
ses  partisans.  De  là  celte  crainte,  celte  hor- 
reur qu'elle  ressent,  je  ne  dirai  pas  seule- 
ment pour  les  fautes  grossières,  pour  ces 
péchés  qui  donnent  la  mort  à  l'âme  et  qui 
la  rendent  ennemie  de  Dieu  et  digne  de  ïa 
colère  éternelle;  mais  de  plus,  pour  les 
moindres  fautes,  pour  les  |)lus  légères  in- 
fidélités, pour  tout  ce  qui  peut  déplaire  au 
céleste  é|)0ux.  Ahl  l'on  se  trouve  quelque- 
fois après  une  lecture  de  piété  comme  après 
une  niédilation,  tout  changé,  transformé 
en  un  autre  soi-même;  de  tiède,  de  lâche, 
de  peu  attachée,  et  peu  fidèle  qu'était  une 
religieuse  à  tousses  devoirs,  à  ses  obser- 
vances, elle  se  sent  (licine  de  bons  désirs, 
rem|)]ie  d'amour  pour  son  saint  état  et  pour 
ses  saintes  |)raliques,  cl  surtout  pleine  de 
bonne  volonté  pour  l'avenir,  aniuiée  d'une 
résolution  ferme  de  s'y  rendre  plus  fidèle 
que  jamais;  car  voilà  le  troisième  effet  et 
le  troisième  avantage  que  procure  la  lec- 
ture spirituelle  :  non-seulement  elle  fait 
e:>timer  la  vertu,  elle  la  fait  aimer;  mais 
surtout,  et  ce  qui  est  essentiel,  elle  engage 
à  la  [jrati(iuer. 

III.  Que  seiai(-ce  en  effet.  Mesdames, 
d'avoir  do  restimo  pour  la  vertu,  de  con- 
cevoir même  un  certain  ai:rail,  un  allache- 
mcnl  pour  elle,  [tour  les  devoirs  qu'elle 
prescrit,  si  on  en  restait  là  ?  Les  plus  grands 
|>écheurs,  les  ira[)ies  eux-mêmes  ne  peu- 
vent s'empôchir  de  l'estimer  cl  de  sentir, 
au  dedans  d'eux-mêmes,  un  certain  pen- 
chant pour  elle,  dans  le  lemjis  même  (jue, 


503 


DISCOI'IIS  DE  RETRAITE.  —  SIXIEME  JOUR. 


'.06 


pour  s'anloriser  dans  leurs  ddrt^glcnients  et 
(l;iiis  leur  iin|ii(?ti^,  ils  |ior<iisscril  au  deliors 
la  mépriser,  (pi'ils  la  railleni  cl  la  (lersécu- 
Icnl  qucli|uetbis;  les  démons  eux-môines, 
l.)ul  onueinis  tpi'ils  sont  de  la  vcrlu,  (|ue!- 
([u'acliarnés  iju'ils  soient  à  la  combattre,  h 
la  détruire,  sont  couime  forcés  de  lui  rendre 
liommagç,  de  reconnaiiro  tout  son  priv  et 
d'estimer  ceux  u.ui  la  pratiquent  sincèrc- 
nient,  ce  qui  no  sert  qu'il  augmenter  leur 
désespoir  et  leurs  tourments;  ce  n'est  donc 
point  seulement  dans  restimc  et  dans  l'a- 
mour du  bien  que  consisie  le  salut  et  que 
le  Seigneur  a  mis  ses  récompenses  éter- 
nelles; c'est  à  le  prali quer,  à  s'y  livrer; 
c'est  de  l'aire,  de  mellre  la  main  à  l'œuvre 
qui  nous  rend  agréables  au  Seigneur,  dignes 
•le  son  amour  et  de  ses  grâces  dans  le 
temps,  de  sa  bienveillance  et  de  ses  récom- 
penses dans  l'éternilé  ;  or  voilà  l'heureux 
eU'et  que  |  mduit  la  lecture  spirituelle; 
après  avoir  donné  une  vraie  itlée  et  la  plus 
grande  idée  de  la  venu,  après  avoir  inspiré 
de  l'allrail  et  un  véiilable  allacliement  pour 
elle,  elle  (lorle  nalurellement  à  s'y  livrer,  à 
la  pratiquer.  Oui,  Mesdames,  comme  la  lec- 
ture des  mauvais  livies,  de  ces  ouvrages 
coui|)Osés  pour  comballre  notre  sainte  reli- 
gion et  pour  l'anéantir,  si  elle  pouvait  l'être, 
aveugle  l'esprit,  pour  l'ordinaire,  qu'elle  af- 
faiblit la  foi  sur  les  mystères  cl  sur  toutes  les 
saintes  vérités  du  clirislianisme,  qu'elle  ins- 
pire de  l'éloignemenl,  du  dégoût  pour  tout 
ce  tiu'il  jirescrii  de  praliipies  et  de  devoirs; 
comme  la  lecluro  de  ces  livres  composés 
avec  art,  5  dessein  de  porter  aux  plaisirs 
sensuels,  ne  manque  jamais  de  corr(jm- 
pre  le  cœur,  d'exciter  et  de  lonienler  le  dé- 
règlement des  passions,  de  môme  ausst  la 
lecture  des  choses  saintes  porte  naturelle- 
ment h  la  sainteté;  l'onction  de  la  grûce  qui 
accompagne  ces  bonnes  lectures  se  répand 
insensiblement  dans  le  cœur;  après  avoir 
éclairé  et  convaincu  l'esiuit,  elle  louche  la 
volonté,  elle  l'ébranlé  et  la  détermine  enlln 
ii  [iratiquer,  à  imiler  ce  dont  les  yeux  et 
Icsprit  viennent  de  s'occuper  :  voilà  ce  qui 
est  d'expérience,  ce  que  l'on  a  vu  cent  et  cent 
fois.  Oui  est-ce  (pii convertit  saint  Augustin? 
qui  d'un  homme  tout  livré  à  ses  passions, 
aux  dérèglements  de  la  chair,  en  lit  un 
iiomme  pénilent  et  morlilié,  un  vrai  chré- 
tien, un  saint  cl  un  grand  sainl?  La  lecture 
des  épities  de  saint  Paul  ;  c'est  là  ce  qui  lui 
ouvrit  enfin  les  yeux,  sur  ses  désordres,  co 
(^ui  lui  en  lit  concevoir  la  plus  grande  hor- 
reur, ce  qui  l'engagea  u'en  sortir  |  romp- 
lement,  do  se  C'inverlir  sincèrement  à  son 
Dieu.  Vous  savez  sans  doute.  Mesdames,  co 
que  rappoil"^  ce  saint  docteur  lui-même,  do 
ces  deux  ollicieis  de  l'empereur  qui,  as- 
sistant, par  hasrird,  h  la  lecture  de  la  vie  do 
saint  Antoine,  furent  également  touchés  et 
éclairés,  et  se  dirent  l'un  à  l'autre.  Que  fai- 
sons-nous? A  quoi  se  teiinimra  la  vie  que 
nous  menons?  Quel  fruit  et  quelle  récom- 
pense tirerons  nous  de  tous  ces  travaux,  de 
ces  services  cpie  nous  rendons  à  un  homme 
uiortol  comme  nous  ?  Hélas  !  celui  dont  nous 


venons  d'en'entlro  -lire  les  actions,  et  une 
infinilé  d'aulres,  ont  vécu,  comme  lui,  dans 
réloigiicment  du  monde,  dans  le  mépris  des 
honneurs,  des  richesses  et  des  plaisirs  de  la 
terre;  il  se  sont  livrés  au  recueillement,  à  la 
[iénitence,  ils  ont  paru  uniquement  occupés 
de  plaire  au  Seigneur,  en  pratiquani  fidèle- 
ment sa  loi,  en  se  conformant,  non-seule- 
ment aux  préceptes,  mais  encore  aux  sim- 
ples conseils  de  l'Evangile  de  Jésus-Chrisl, 
et  a|)rès  avoir  vécu  heureux  et  contents  sur 
la  (erre,  ils  ont  ravi  le  ciel,  et  se  sont  as- 
suré une  récompense  souveraine  et  éier- 
nelle;  et  nous,  après  avoir  employé  nos  la- 
lents,  épuisé  nos  forces,  noire  sanlé,  nos 
richesses,  au  service  d'un  grand  du  monde, 
incapable,  avec  toute  sa  grandeur  el  tout 
son  pouvoir,  de  nous  rendre  parfaitement 
heureux,  que  pouvons-nous  en  attendre? 
Quel  bien  peul-il  nous  faire,  en  cette  vie, 
et  dans  l'autre  surtout?  Ces  sages  et  solides 
réflexions  les  portèrent  enfin  à  préférer  le 
service  du  maître  souverain  de  l'univers  à 
celui  d'un  prince  de  la  terre,  et  à  se  consa- 
crer pour  toujours,  dans  la  retraite,  aux 
œuvres  île  sainteté  et  de  salut. 

Qu'est-ce  qui  changea  entièrement  le 
cœur  de  saint  Ignace?  Qui,  d'un  brave  guer- 
rier, en  fil  un  courageux  soldat  de  Jésus- 
Christ,  le  fondateur  d'un  ordre  célèbre,  qui 
a  rendu  à  l'Eglise  les  plus  grands  services? 
Une  lecture  de  la  vie  des  saints,  entreprise 
même  plutôt  pour  charmer  l'ennui  où  le 
|)longeait  un  repos  forcé,  que  pour  s'édifier 
et  s'instruire;  le  Seigneur  s'en  servit  ce- 
pendant pour  lui  ouvrir  les  yeux,  pour  lui 
faire  sentir  le  vide,  le  néant  des  honneurs 
el  de  la  gioire  qu'il  avait  recherchés  jusque 
là  avec  tant  d'avidilé.  Ignace,  tout  changé, 
transformé  en  un  autre  homme,  tourne  ses 
vues,  ses  desseins,  ses  démarches,  non  plus 
vers  une  gloire  vaine,  chimérique  et  pas- 
sagère, mais  à  se  procurer  la  gloire  souve- 
raine el  éternelle  du  ciel,  en  travaillant 
courageusement  à  celle  de  Dieu.  Combien 
d'aulres  exemples  de  pareilles  conversions 
ne  pourrais-je  point  vous  citer  ici,  Mesda- 
mes, occasionnées  par  des  lectures  de  piété 
suivies  et  assidues  !  Mais  pour  vous  en  con- 
vaincre, (lu'ai-je  besoin  d'exemples  étran- 
gers? Je  n'hésiterai  point  à  en  appeler  à  vo- 
tre iiroi're  expérience.  Combien  do  fois, 
ai)rès  une  lecture  sainle,  après  avoir  lu  avec 
attention  un  trait  des  miséricordes  du  Sei- 
neur  envers  les  âmes,  ou  quelques  vérités 
les  plus  iujporlanles  de  la  religion,  nvez- 
vous  été  intérieurement  émues  et  touchées  ? 
Combien  de  fois,  après  avoir  lu  les  avanta- 
ges que  procure  la  vertu,  dès  celte  vio,  el 
dans  l'autre  surtout,  el  les  maux  au  con- 
traire qu'attire  le  péché,  ne  vousêles-vous 
pas  senties  sollicitées  intérieurement  do 
prendre  plus  que  jamais  les  moyens  d'évi- 
ter ces  maux,  et  de  vous  procurer  ces 
avantages,  et  pour  cela  de  vous  ac(iuittcr, 
avec  plus  de  fidélité  que  jamais,  de  vos  de- 
voirs de  chrétiennes  et  de  religieuses,  de  no 
rien  négliger  |iour  plaire  h  votre  céleste 
époux  el  pour  vous  sauclitior?  Combien  do 


5C7 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


508 


fois,  après  avoir  lu  tout  ce  que  votre  Dieu 
a  fait  pour  t')us  les  lioiniues  en  général  et 
pour  vous  en  pnriiculi;  r,  après  avoir  lu  tous 
ces  bienfaits  généraux  et  particuliers,  des- 
quels il  vous  a  comblées  et  desquels  il  ne 
cesse  de  vous  combler;  après  avoir  lu  l'his- 
toire de  ses  peines,  de  ses  travaux,  de  sfs 
humiliations,  de  ses  souffrances,  par  les- 
quelles il  a  mérité  votre  réderaplion,  volie 
sniictiflcalion,  combien  de  fois  une  pareille 
lecture  vous  a-t-elle  conune  forcées  de  re- 
tomber sur  votre  conduite  passée,  sur  vous- 
mêmes,  de  vous   reprocher  de  n'avoir  pas 
correspondu  assez    fidèlement   à    tous  ses 
desseins  sur  vous,  de  n'avoir   point  assez 
profité  de  tous  ces  moyens  de  sanctification 
qu'il  vous  a  offerts  et  comme  prodigués;  de 
n'avoir  point  rendu,  par  là,  ses  souffrances, 
son  sang  et  sa  mort  aussi  efficaces,  à   votre 
égard,  que  vous  l'auriez  pu  et  que  vous  l'au- 
riez dû  ?  Avez-vous  pu  vous  livrer  à  toutes 
ces  'réflexions  et  vous  faire   tous  ces  re- 
proches, sins  prendre  des  résolutions  sain- 
tes, sans  former,  pour  l'avenir,  des  pro- 
ieis  de  réf)rme  et  de  fidélité?  Combien  de 
fois  encore,  en   lisant  la  vie,   les  actions 
saintes    et    héroïques  de  ceux    et  de  cel- 
les qui  se  sont  sanctifiés  dans  le  christianis- 
me et  dans  votre  saint  institut,  peut-être, 
combien  de   fois   vous  êtes-vous  reproché 
de  ce  que,  dans  le  même  état,  avec  les  mê- 
mes secours,  les  mêmes  moyens  de  sancti- 
licalion,  vous  en  avez  si  peu  profité  et  en 
profitez  si  peu?  Combien  de  fois  vous  est-il 
arrivé  de  vous  dire  à  vous-mêmes  ce  que  se 
disait  saint  Augustin?  Hé  quoi  I  écouterai- 
je  toujours  mes  répugnances,  mes  inclina- 
lions  naturelles,  ma  lûchelé?  Pourquoi  ne 
pourrais-je  pas  ce  que  tels  et  telles  ont  pu  : 
Niimqiiiapoterisquodistielislœ?Wavez-\ous 
pas  ensuite,  comme  lui,  pris  la  résolution 
de  prendre  pour  modèles  de  votre  conduite 
à  l'avenir,  ces  justes  dont  vous  admiriez  la 
sainteté?  De  profiler,   à  l'exemple  de  ces 
grandes  âmes,  des  grâces  considérables  at- 
tachées à  votre  saint  état  ;  de  vous  rendre, 
plus  que  jamais,  fidèles  aux  engagements 
sacrés  que  vous  avez  contractés  avec  votre 
Dieu  !  De  travailler  pour  cela,  avec  plus  de 
zèle  et  d'application  que  par  le  passé,  au 
grand  ouvrage  de  votre  perfection?  N'a-t-on 
jias,  en   effet ,   aperçu  du  changement  en 
vous,  et  n'avez-vous  pas,  pendant  quelque 
temiis  du  moins,  montré  plus  d'exactitude 
et  de  fidélité  à  tous  vos  devoirs,  mené  une 
vie  plus  recueillie,  plus  mortifiée,  plus  fer- 
vente, plus  religieuse,  en  un  mot?  Voilà 
donc.  Mesdames,  les  plus  admirab'es  effets 
que  produisent  des  lectures  saintes;  après 
avoir  donné  une  véritable  idée  de  la  vertu, 
apiès  en  avoir  fait  connaître  tout  le  pris  et 
les  grands  avanlages  qu'elle  procure  à  l'âme 
(]ui  s'y  livre  ;  après  lui  avoir  inspiré  le  gotît 
el  l'amour  de   la  vertu,  le  désir  sincère  de 
l'embrasser,  de  s'acquitter  de  ses  devoirs, 
de  se  perfectionner  et  do  se  sanctifier,  elle 
finit  |)ar  t)Orter  la  volonté  à  s'y   livrer  en 
elfel,  5  travailler  uniquement  et  consfam- 
uieni  à  sa  sanctification,  h  éviter  pour  ccia, 


avec  soin,  le  péché,  les  infidélités,  les  im- 
perfections môme  qui  la  détourneraient  de 
ta  voie  dé  la  perfection  et  de  la  sainteté,  qui 
l'empêcheraient  du  moins  d'y  marcher,  d'y 
courir,  pomme  elle  le  doit,  et  à  employer 
couragtMisemetit  tous  les  moyens  qui  peu- 
vent concourir  à  la  perfectionner,  à  la  sanc- 
tifier. Mais,  Mesdames,  afin  que  la  lecture 
spirituelle  produise  ces  excellents  effets,  il 
ne  suffit  pas  de  se  livrer  à  cet  exercice,  il 
faut,  de  plus,  s'en  bien  acquitter.  Ainsi, 
après  avoir  considéré  les  grands  avantages 
que  peut  procurer  la  lecture  spirituelle, 
voyons  présentement,  comment  et  avec  quel- 
les dispositions  il  faut  la  faire  pour  en  re- 
tirer du  fruit  et  profiter  de  ces  avantages,; 
c'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

SECONDE   PARTIE. 

Ce  n'est  pas,  Mesdames,  vous  le  savez, 
de  faire  une  action  sainte  en  elle-même  qui 
nous  rend  agréables  à  Dieu,  et  qui  nous 
sanctifie,  c'est  de  la  faire  saintement.  Com- 
bien qui,  dans  ce  qu'ils  font,  ou  dans  ce 
qu'ils  paraissent  faire  pour  Dieu,  le  ren- 
dent absolument  inutile  et  se  mettent  dans 
le  cas  de  n'en  recevoir  aucune  récompense, 
par  le  défaut  d'intention  pure,  de  disposi- 
tions saintes?  Appliquons  cette  vérité  au 
sujet  que  je  traite  ici.  Bien  des  chrétiens, 
les  personnes  religieuses  surtout, sont  com- 
munément exactes,  assidues  à  la  lecture 
spirituelle;  chaque  jour,  on  les  voit  se  li- 
vrer à  ce  saint  exercice.  Pourquoi  donc  et 
coaiment  se  peut-il  que  [)lusieurs  n'en  re- 
tirent aucun  fruit  et  n'en  deviennent  pas 
plus  saintes?  Le  voici  :  c'est  qu'elles  pè- 
chent, ou  dans  la  fin  qu'elles  se  proposent 
dans  leur  lecture  ou  dans  leur  conduite  après 
leur  lecture.  Voulez-vous  donc.  Mesdames, 
que  vos  lectures  spirituelles  soient  toujours 
saintes,  utiles  et  (irofitables  à  votre  âme? 
Ayez  soin,  avant  de  lire,  de  bien  purifier 
votre  intention;  apportez,  en  lisant,  louto 
l'attention  ,  toute  l'application  dont  vous 
êtes  capables;  raeltez  en  pratique,  après 
avoir  lu,  les  sentiments  et  les  moyens  de 
salut  et  de  perfection  que  votre  lecture 
vous  aura  indiqués;  En  trois  mots,  infenlioa 
pure  avant  de  lire;  application  suivie  en 
lisant;  docilité  constante  après  avoir  lu  : 
voilà  ce  que  je  vais  vous  exjiliquer  si  vous 
voulez  m'accordor  encore  quelques  moments 
do  votre  attention.  i 

L  Je  dis  que  la  première  disposition  né- 
cessaire pour  faire,  avec  fruit,  une  lecture 
spirituelle,  c'est  une  grande  pureté  d'inten- 
tion; c'est  là.  Mesdames,  ce  qui  donne  le 
I)rix  et  la  valeur  à  toutes  nos  actions;  les 
plus  considérables  faites  sans  ce  motif  ne 
sont  rien  devant  Dieu;  comme  au  contraire 
les  plus  petites,  les  moins  importantes,  en 
apparence,  dès  qu'elles  sont  accompagnées 
d'un'.molif  surnaturel,  d'uneintention  droite 
et  sainte,  sont  toujours  agréables  et  méri- 
toires à  SCS  yeux.  Un  verre  d'eau  froide 
donné  jiar  le  motif  d'une  vraie  charité  ne 
sera  point  sans  récompense,  a  dit  le  Fils  de 
D  eu  :  or,  une  religieuse  ne  l'a  point^  ce 


500 


DISCOURS  I)L  RETRAITE.  —  SIXIEME  JOUR. 


510 


inotifsurnalurel,  celte  intention  pure  elagréa- 
Mo  an  Seigneur,  lorsqu'elle  cniroprend  une 
ieoture  spirituelle  par  un  esprit  d'orgueil, 
de  ruriosilé,  d'amusement,  lorsqu'elle  elicr- 
clie  et  se  procure  des  livres  peu  co'ivenn- 
bles  h  ses  dispositions,  à  son  étal,  des  li- 
vres à  la  mode,  si  je  puis  m'exprimcr  ainsi, 
qui  ont  de  la  réputation,  qui  sont  d'un  stylo 
lieuri  et  recherché  ou  qui  traitent  des  ma- 
tières d'une  spiritualité,  d'une  mysticité 
extraordinaire  ou  dangereuse  pour  elle 
peut-ôtre;  elle  ne  l'a  point,  celte  intention 
pure,  lorsqu'elle  lit  de  bons  livres  pour 
pouvoir  en  parler  comme  les  autres  et 
dire  qu'elle  les  a  lus;  ce  n'est  [)Oint  avoir 
une  intention  pure  et  sainte  de  lire  par 
amour-propre  pour  se  former  des  idées  et 
parler  lelangagedela  piété,  delà  spiritualité, 
pour  passer  pour  mystique  dans  l'esprit 
des  autres,  ou  bien  encore  pour  pouvoir 
s'élever  à  un  état  et  à  des  voies  extraordi- 
naires auxquelles  le  Seigneur  ne  l'appelle 
point  et  qui  peuvent  la  jeter  dans  l'illusion, 
clans  l'égarement. 

Ainsi,  pouravoir  cette  pureté  d'intention, 
Mesdames,  vous  devez  donc  ne  rechercher 
dans  vos  lectures  que  la  gloire  de  Dieu, 
et  la  plus  grande  sanctification  de  vos  âmes; 
vous  devez  désirer  et  avoir  intention  de 
vous  instruire  de  plus  en  plus  des  moyens 
propres  à  vous  avancer  dans  la  voie  de  la 
|.orfeclion,  dans  laquelle  vous  êtes  entrées  ; 
mais  pour  cela,  vous  ne  devez  donc  lire  que 
des  livres  propres  à  produire  en  vous  ces 
bons  elfets.  Loin  de  vous  par  conséquent 
toute  autre  espèce  décrits,  quelqu'ins- 
truclifs  d'ailleurs  qu'ils  puissent  être;  en 
vous  consacrant  au  Seigneur,  dans  la  reli- 
gion, vous  avez  dû  renoncer,  et  vous  avez 
renoncé  en  eifet  à  tout  ce  qui  pouvait  être 
contraire  à  votre  perfection:  or  le  moindre 
danger  que  vous  jpuissiez  courir,  à  lire  des 
histoires  ou  d'autres  ouvrages  profanes, 
c'est  de  dissiper  votre  esprit,  de  dessécher 
votre  cœur,  et  de  vous  dégoûter  par  là,  non- 
seulement  des  livres  de  piété,  mais  encore 
de  la  piété  elle-même.  Il  est  cependani,  sur 
cela,  une  exception  à  faire;  il  est  des  reli- 
gieuses que  l'emploi  qu'elles  occupent  dans 
la  religion,  que  l'éducation  de  la  jeunesse, 
dont  elles  sont  chargées,  autorisent  à  faire 
des  lectures  propres  à  la  former  et  h  Tins- 
Iruire  ;  mais  encore,  dans  ce  cas,  outre  un 
motif  bien  pur,  bien  religieux  qu'elles  doi- 
vent avoir,  il  est  pour  elles  de  sages  précau- 
tions à  prendre,  soit  dans  le  choix  des  li- 
vres, suit  par  rapport  au  temps  de  ces 
lectures,  aûn  qu'elles  ne  puissent  nuire  à 
leur  âme,  à  'a  perfection  qu'elles  doivent, 
toujours  et  en  tout,  avoir  principalement 
en  vue,  dans  leur  saint  état. 

Mais  si  vous  devez.  Mesdames,  généra- 
lement parlant,  ne  lire  que  des  livres  de 
piélé,  ce  n'est  pas  une  raison  pour  vous  de 
lire  indifféremment  tous  les  livres  de  piété. 
Hélas!  combien  aujourd'liui  surtout  et  plus 
que  jaujais,  qui  niérileut  bien  peu  ce  titre  ! 
Combien  de  ces  livres  conqiosés  sans  ordre, 
sons  ouclion,  sansciialeur,  ouvrages  dictés 


le  plus  souvent  par  -l'amour-propre,  et  par- 
la toujours  aussi  préjudiciables  <»  ceux  (pii 
les  font,  qu'inutiles  à  ceux  qui  les  lisent  1 
Loin  de  vous  surtout.  Mesdames,  je  ne  dis 
pas  seulement  ces  livres  do  doctrine  qui  ne 
contiennent  que  l'erreur,  et  uniquement 
composés  pour  la  défendre  et  pour  porter 
les  esprits  à  la  révolte  conire  l'Eglise,  je 
dis  de  plus,  ces  livres  de  piété  dictés  par 
l'esprit  de  nouveauté  ;  c'est  par  eux,  vous 
no  l'ignorez  pas,  que  l'erreur  est  entrée 
dans  une  infinité  de  monastères,  qu'elle  s'y 
soutient  et  qu'elle  conduit  une  infinité 
d'épouses  de  Jésus-Christ  à  la  réprobation 
éternelle.  Ces  livres,  ne  fussent-ils  ni  con- 
damnés ni  erronés,  dès  que  vous  êtes  as- 
surées que  leur  auteur  était,  par  ses  sen- 
timents, ennemi  de  Jésus-Christ  et  de  son 
Eglise,  l'Esprit-Saint  n'ayant  point  présidé 
h  son  travail,  jamais  ils  ne  pourraient,  ces 
livres,  vous  porter  à  une  vraie  piété,  et  con- 
tribuer 5  vous  perfectionner,  à  vous  sancti- 
fier. Rien  en  effet,  je  dois  vous  le  dire  ici, 
rien  qui  ait  moins  d'onction,  qui  porte 
moins  à  la  dévotion,  que  ces  prétendus  li- 
vres de  piélé  composés  par  quelques  réfrac- 
taires,  desquels  on  exalte  cependant  asse-z 
souvent,  et  avec  autant  d'emphase  que  de 
fausseté,  le  mérite  et  l'excellence. 

Voulez-vous  donc.  Mesdames,  que  vos 
lectures  spirituelles  vous  soient  véritable- 
ment utiles,  cherchez  et  préférez  toujours 
des  ouvrages  faits  par  des  saints,  reconnus 
tels  par  l'Eglise,  ou  qui  soient  morts  ses 
vrais  enfants,  et  en  odeur  de  sainteté;  ils 
l'ont  prêchée  [lar  leurs  actions  pendant  leur 
vie,  ils  la  prêchent  encore  et  l'inspirent 
après  leur  mort  dans  leurs  écrits.  Quelle 
onction  répandue  dans  les  écrits  d'un  saint 
Bernard,  d'un  saint  Bonavcnture,  d'un  saint 
François  de  Sales,  d'une  sainte  Thérèse,  et 
de  tant  d'autres  que  nous  avons  le  bonheur 
de  posséder,  et  que  nous  n'estimons  point 
assez  I  On  ne  peut  les  lire  sans  se  sentir  in- 
térieurement porté  à  pratiquer  la  vertu,  à 
l'aimer  sans  se  reprocher  et  sans  rougir  de 
n'être  pas  ce  que  l'on  doit  être,  et  ce  qu'il 
est  si  facile  d'être. 

Mais  parmi  les  vrais,  les  bons  livres  de 
piété,  et  c'est  un  autre  avis  que  ie  crois  de- 
voir vous  donner  ici,  Mesdames,  préférez 
toujours  et  à  tous  les  autres,  ceux  qui 
traitent  de  l'excellence  et  des  devoirs  de 
votre  saint  état  ou  de  votre  saint  institut,  oa 
ceux  du  moins  qui  y  ont  le  plus  de  ra|i- 
port;  ce  sont  ceux-là  qui  vous  instruiront 
solidement,  et  desquels  par^conséquent  vous 
retirerez  plus  de  fruit.  Et  ne  me  dites  point 
ici,  ce  que  j'ai  entendu  dire  plus  d'une  fois, 
que  vous  les  avez  tant  lus,  ces  livres,  que 
vous  les  savez  par  cœur;  car  h  cela  je  vous 
répondrais  en  premier  lieu,  que  vous  vous 
trompez;  qu'il  y  a  dansées  livres  une  in- 
finité do  vérités  utiles,  de  principes  solides, 
qui  vous  ont  échappé;  qu'un  excellent  livre 
d.e  piélé,  un  livre  ûe'V Imitation  de  Jéfus- 
Christ,  par  exem|)le,  est  une  mine  richa  et. 
inépuisable,  dans  laquelle  on  découvre  sans 
cosse  de  nouveaux  trésors;  qu'à  une  ceu" 


su 


ORATEURS  SACRES.  LABRE  DE  MONTIS. 


512 


lième  Icc'ure,  (et  ceci  est  d'expérience)  on 
aperçoit  des  vérités  qui  avaient  échappé  à 
totiies  les  précéflentcs. 

Mais  je  vous  dirais,  en  second  lien,  que 
quand  il  serait  vrai   que  vous   les  sussiez 
jiar  cœur,  ces  bons  livres,  ce  n'est  pas  là  de 
quoi  il  s'agit;   l'essentiel  est  de  les   avoir 
dans  le  cœur,  d'en  goûter  les  niaxiaies  et  la 
doctrine,  de  l'aimer,  de  la  pratiquer  :  or  en 
ôles-vous    15,  je   vous  le  demande  ?  Saint 
Tliomas,  ce  grand  docteur  de  l'Eglise,  disait 
que  le  moyen  de  devenir  savant,  était  de  ne 
lire  qu'un  livre  :  ce  n'est  donc   point  un 
moyen  de  devenir  habile  dans  la  science 
des    saints,    do  parcourir    rapidement   un 
grand  nombre  de  livres,  de  s'en  procurer  et 
surtout   d'en    posséder  un  grand  nombre. 
Abus,  Mesdames,  (pour  le  dire  ici  en  [)as- 
sant)  assez  commun  dans  les  monasières; 
des  religieuses  exactes  d'ailleurs,  délicates 
même  sur  la  pratique  du  vœu  de  pauvreté, 
ne  se  font  quelquefois  aucun  scrupule  d'a- 
voir beaucoup  de  livres,  de  se  former  dans 
leur  cellule  une  pelile  bibliothèque,  s'ap- 
puyant   et  cherchant   à    tranquilliser    leur 
conscience,  quoique  mal  à  propos,  sur  une 
permission  qu'elles  n'auraient  pas  dû  de- 
mander, et  que  la  supérieure  n'aurait  pas 
dû  m.corder,   et  qui  à  la  mort  ne  les  pré- 
servera point  de  vifs  remords,  et  au  tiibu- 
nal  de  Dieu,  des  reproches  d'avoir  lians- 
gressé  sur  cet  article  un  vœu  solennel  qui 
ne  soulfrait  aucune  exception.  Une  inten- 
tion bien  pure,  l'unique  motif  de  s'instruire 
et  de  s'avancer  dans  la  voie  de  la  perfec- 
tion, remédierait  par  lui-même  à  de  pareils 
abus.  Mais  à  cette  première  disposition,  il 
en  fout  ajouter  une  autre,  c'est  une  applica- 
tion suivie  pendant  la  lecture. 
•  .  1.  C'est  le  défaut  de  celte   application. 
Mesdames,  qui  rend  souvent  inutile  et  sans 
fruit  la  lecture  spirituelle.  Combien  en  eil'et, 
surtout  dans  les  communautés  religieuses, 
qui,  outre  les  lectures  communes  qu'elles 
entendent,  en  l'ont  chaque  jour  de  particu- 
lières, qui  sont  même   exactes  et   fidèles  à 
cet   exercice,  qui  cependant  ne  contribue 
en  rien  h  leur  avancement  spirituel,  faute 
de  celte  allenlion,  de  celle  conslante  appli- 
calionlCombieneneffeten  esl-il  auxquelles, 
tn  interrompant   leur  lecture,  on   pourrait 
dire  ce  que  le  saint  diacre   Philippe    dit   h 
l'eunuque    de  la    reine  de  Candacc,   qu'il 
rencontra  lisant  un  prophète!   Conqjrenez- 
vous  bien  ce  que  vous  lisez? Hé  1  comment 
le  comprendraient-elles?  Elles  portent  à  ce 
saint  exercice  un   esprit  naturellement   et 
habituellement   dissipé,   occupé   do   toute 
autre  affaire  que  de  celle  de  leur  perfection 
et    de   leur  salut.    Comment  le  compren- 
drttienl-elles?  Elles  lisent  avec  tant  dodis- 
traction  et  si  peu  d'application  que  leur  lec- 
ture  terminée,  si    on  leur    demandait   ce 
qu'elles  viennent  de   lire,  quelle  matière 
et  quel  j)Oint  de  doctrine  ou  de  spiritualité 
leur  lecture  a  eu  pour  objet,  à  peine  j)0ur- 
laienl-elles  le  dire,  bien  loin  d'être  en  état 
(le  rendre  compte  des  pensées  cl  des  son- 
limenls  qu'elle  leur  a  fait  concevoir.  Com- 


ment le  comprendraient-files?  EHcs  lisent 
avec  une  préci(iilalion  qui  ne  leur  permet 
pas  de  faire  la  moindre  réflexion,  le  f)lus 
petit  retour  sur  elles-mêmes;  c'est-è-dire 
qu'elles  lisent  pour  pouvoir  dire  j'ai  lu, 
pour  dévorer  promplement  un  volume, 
dans  la  vue  d'en  prendre  un  aulre  qu'elles 
désirent  de  lire,  désir  purement  naturel, 
fondé  uniquement  sur  la  petite  vanité  de 
pouvoir  se  glorifier  d'avoir  lu  un  tel  livre, 
d'en  porter  un  jugement  bien  plus  fondé 
sur  les  idées  des  autres  que  sur  leurs  pro- 
f)res  idées,  ou  [)Our  pouvoir  se  glorifier  en- 
core qu'elles  ont  fait  lecture  de  tant  de  vo- 
lumes dans  une  année,  lecture  qui,  plus 
elle  a  été  rapide  et  abondante,  plus  aussi 
a-l-elle  été  stérile  et  infructueuse.  Com- 
ment comprendraient  elles  ce  qu'elles  li- 
sent? Elles  mettent  toute  leur  attention, 
non  aux  bonnes  maximes,  aux  vérités  sain- 
tes que  le  livre  contient,  mais  à  la  façon  et 
au  style  avec  lequel  ces  vérités  et  ces  maxi- 
mes sont  exprimées. 

Désirez-vous  donc.  Mesdames,  profiter  de 
vos  lectures, demandez  d'abord  au  Seigneur 
qu'il  vous  inspire  un  grand  désir  de  les 
mettre  en  pratique;  demandez- lui  plus 
d'une  fois  cette  grâce  dans  le  cours  de  vo- 
tre lecture,  et  surtout  lorsque  vous  ne 
comprenez  pas  ces  vérités  saintes,  ou 
qu'elles  vous  affectent  peu;  appliquez-vous 
ensuite  à  vous-ihêmes  ce  que  vous  lisez; 
sondez,  interrogez  votre  propre  cœur;  exa- 
minez vos  dispositions  actuelles;  deman- 
dez-vous à  vous-mêmes  si  vous  n'avez  rien 
à  vous  reprocher,  si  votre  conduite  se 
trouve  conforme  à  ce  que  vous  lisez;  lors- 
que vous  vous  sentez  touchées,  arrêtez- 
vous  alors,  revenez  sur  ce  qui  vous  a  fait 
impression,  relisez-le  plus  d'une  fois,  c'est 
un   moyen  sûr  do    l'imprimer  de  plus  en 

&lus  dans  votre  esprit  et  dans  votre  cœur, 
ne  excellente  pratique  encore,  c'est  d'é- 
crire, en  peu  de  mots,  ce  qui  vous  a  frap- 
pées et  touchées,  afin  de  le  relire  de  temps 
à  autre,  et  surtout  lorsque  vous  vous  sentez 
lièdes  et  lâches,  sans  goût,  sans  attrait 
pour  la  piété,  ce  qui  arrive  eux  âmes  les 
plus  saintes  et  les  [)Ius  [jarfailes  quelque- 
fois; ces  petits  écrits,  fruits  dn  vos  lectu- 
res, vous  réveilleront,  pour  ainsi  dire,  ils 
vous  ranimeront  :  vous  vous  demanderez 
alors  p'^urquoi  vos  dispositions  sont  chan- 
gées ;  &i  vous  n'avez  pas  toujours  le  même 
Dieu  à  servir,  le  même  époux  à  satisfaire, 
le  môme  ciel  à  conquérir,  les  mômes  en- 
gagements à  remplir,  la  môme  âme  h  per- 
Icctionner  et  à  sauver;  à  l'exemple  de  la 
sainte  Vierge  qui,  œmme  le  dit  l'évaiigé- 
lisle,  conservait  dans  son  cœur,  et  qui  ré- 
fléchissait sur  tout  ce  qui  regardait  son 
cher  Fils  Jésus-Christ  {Luc,  II,  51);  vous 
vous  rappellerez  souvent  les  vérités  saintes 
qui  vous  auront  occupées  ;  mais  vous  n'en 
resleroz  pas  là;  vous  vous  sentirez  inspi- 
rées, et  vous  en  prendrez  la  résolution  d'a- 
gir, iio  réduire  en  pratique  ce  qui  vous  a 
touchées,  ce  que  vous  av^z  jugé  propre  à 
vous  eauctifior,  à  vous  rendre   de  plus  en 


S13 


DISCOUlîS  DE  RETRAITE.  —  SIXIEME  JOUR. 


5U 


plus  agrCaliIe'S  Ji  volrc  célosto  é|>oiix  ,  dor- 
nièro  disposition  qui  doit  suivre  vos  lec- 
tures S|iiriluclles. 

m.  Que  vous  servirait  en  olTot,  Mesda- 
mes, de  choisir  de  bons  livres,  dos  ouvra- 
ges propres  à  vous  instruire  dans  les  voies 
de  la  perfection  et  à  vous  y  faire  marclior? 
Que  vous  servirait  encore  de  les  lire  avec 
toute  l'allention  dont  vous  ôtes  capables, 
d»^  faire,  sur  ce  que  vous  lisez,  les  ré- 
flexions les  plus  sérieuses,  les  plus  utiles  h 
voire  avancement  spirituel,  si  vous  en  res- 
tiez là?  Vous  deviendriez  alors  comme  cette 
personne  dont  parle  l'apôtre  saint  Jacques 
(7ac.,I,23),  qui,  après  s'être  considérée 
dans  un  miroir,  se  relire,  et  ne  pense  plus 
h  ôjer  les  taches  qu'elle  avait  aperçues  sur 
son  visage;  ainsi  après  avoir  considéré, 
dans  une  bonne  et  sainte  lecture,  ce  que 
vous  devez  faire  et  ce  que  vous  ne  faites 
pas,  après  avoir  remarqué  ce  que  vous  Wi- 
les  et  ce  que  vous  ne  devez  pas  faire, 
après  avoir  aperçu,  en  un  mot,  le  bien  que 
vous  nefaiiespas,  les  vertus  que  vous  no 
pratiquez  pas,  les  œuvres  de  n)ortificalion, 
de  cl.arité,  de  sainteté  auxquflles  vous 
fiourriez  et  devriez  vous  livrer,  et  que  vous 
négligez  cependant,  après  avoir  considéré 
dans  vous  tel  el  tel  défaut,  telle  et  telle  in- 
lidéliié,  telle  et  telle  imperfection  qui  est 
entièrement  opposée  h  l'esprit  de  [)erfec- 
lioii  que  vous  avez  vouée,  dans  votre  saint 
élal,  l'essentiel  est  do  vous  armer  do  cou- 
rage, d'entreprendre  prom|)tcment  et  sans 
liésiter  tout  le  bien  que  vous  jugez  devoir 
faire  pour  vous  perfectionner,  pour  vous 
sanclilier;  sans  cola  vous  vous  rendriez 
beaucou|)  plus  coupables  aux  yeux  de  Dieu 
que  celles  qui,  dans  votre  saint  état,  se 
trouveraient  moins  instruites  et  moins 
éclairées  que  vous.  Le  serviteur,  dit  le  Fils 
de  Dieu,  qui  connaît  la  volonté  de  Sun  maî- 
tre et  qui  ne  la  fait  pas,  est  bien  plus  ré- 
piéhonsible  et  plus  digne  de  chillinient  que 
celui  qui  ne  la  connaît  pas. 

Voilà  donc,  Mesdames,  quel  doit  être  io 
fruit  el  la  (in  unique  de  vos  lectures  spiri- 
tuelles ;  c'csl  do  vous  rendre  meilleures, 
plus  saintes,  [>lus  parfaites  aux  yeux  de 
voire  céleste  éj)0ux;  le  résultat  de  vos  ré- 
Ik'xions,  de  ces  retours  sur  vous-mêmes 
(juc  vous  n'avez  [m  vous  empêcher  de  faire 
en  lisant,  c'est  de  prendre  des  résolutions, 
mais  particulières,  mais  eflicaces,  relatives 
à  la  lecture  que  vous  avez  faite  ,  et  conve- 
!i,ib!es  à  voire  étal,  aux  bes!)ins  de  volrc 
.iiue.  Prenez  garde ,  s'il  vous  plaît,  je  dis 
résolutions  eflicaces,  c'est-à-dire,  que  vous 
mettiez  véritablement  à  exécution  ;  car  en- 
lin  ,  il  arrive  assez  souvent,  surtout  lors- 
qu'on lit  des  livres  de  piété,  avec  attention  , 
et  dans  do  -'ainles  dispositions,  do  former 
dos  jirùjets  pour  l'avenir,  de  |)rendro  des 
résolutions,  do  f.dre  des  [iromessos  au  Sei- 
gneur, mais  assez  souvent  aussi,  on  ne  va 
I  as  jjIus  loin,  c'esl-à-dire  (lu'oii  est  tout  do 
feu  pour  les  résoluliims ,  el  tout  do  glace 
(>our  laclion  ;  au  lieu  do  mettre,  et  piouqi- 
temeni,  la  main  ■»  l'œuvre,  ou  écoute  su  lû- 


clielé,  l'amour  de  ses  ais(  s,  de  ses  commo- 
dités; et  sous  mille  faux  prélexles  suggérés 
par  l'ospril  leiitateur  ,  ou  par  l'amour  [)ro~ 
pre,  on  ne  fait  rien  do  tout  ce  qu'on  avait 
projeté  do  faire  et  de  ce  qu'on  sent  bien 
qu'il  faudrait  faire  pour  plaire  au  Seigneur: 
on  ne  se  dit  pas,  à  la  vérité,  qu'on  ne  veut 
pas  agir,  se  combattre, se  mortifier;  non,  on 
n'en  vient  pas  jusque-là;  mais  on  remet 
sans  cesse  à  un  autre  temps,  et  à  un  temps 
qui  ne  vient  jamais,  ce  qui  fait  qu'on  reslo 
toujours  aussi  lâche,  aussi  tiède,  aussi  im- 
parfaite, et  qu'au  milieu  de  tant  do  secours, 
de  moyens  de  perfection,  de  sainteté,  on 
meurt  dans  sa  lâcheté,  dans  sa  liédeuret  avec 
tous  ses  défauts,  toutes  ses  imperfections. 
Hélas  1  Mesdames,  il  y  a  longtemf)s  qu'on 
l'a  dit,  et  cela  n'est  que  trop  vrai  :  l'enfer 
est  rempli  de  bons  desseins,  de  grands 
projets,  de  saintes  résolutions;  l'essentiel, 
pour  la  sainteté,  est  donc  d'agir,  d'exécu- 
ter, et  promptoment,  lout  ce  qu'on  a  jugé, 
devant  Dieu,  devoir  faire  pour  so  sancti- 
fier et  pour  lui  plaire. 

Ah  !  Seigneur,  est-ce  ainsi  que  je  me  suis 
conduite  depuis  tant  d'années  que  j'ai  le 
bonheur  d'ôlie  dans  la  religion?  Je  me  li- 
vre, à  la  vériié,  avec  assez  d'exactitude,  à 
des  lectures  saintes  et  propres  h  me  sanc- 
tifier, et  qui  en  ont  sanctifié  une  infinité 
d'autres;  cependant  combien  peu  de  fruit 
j'en  ai  retiré  jusipi'ici  1  No  serait-ce  point 
que  j'ai  plutôt  cherché  à  satisfaire  et  à 
nourrir  mon  esprit  qu'à  réformer  et  à  sanc- 
tifier mon  cœur?  Que  de  livres  j'ai  lus  par 
pure  curiosité,  el  que  je  jugeais  même  pou 
propres  à  me  perfectionner,  ou  si  j'ai  fait 
des  lectures  convenables,  quelle  atïenlioii 
y  ai-je  donnée?  Combien  do  ^fois  j'y  ai 
porlé  un  esprit  distrait  et  dissi[)é  qui  m'a 
empêché  do  faire  d'uliles  réflexions  et  de 
prendre  des  résolutions  do  me  corriger  !  Si 
j'en  ai  prises  quelquefois,  hélas!  je  les  ai 
toujours  rendues,  par  ma  faute,  inellicacos; 
mais  puisque  vous  permellez,  ô  mon  Dieu, 
que  je  sois  éclairée  aujourd'hui  et  que  je 
connaisse  les  obstacles  qui,  jusqu'à  présont, 
ont  empêché  le  fruit  de  mes  lectures,  je 
me  profjoso  de  les  éviler  à  l'avenir  :  je  ne 
mo  livrerai  donc  jamais  à  ce  saint  exercice 
que  je  n'aie  purifié  devant  vous  mon  in- 
tention et  invoqué  les  lumières  de  votre 
Esprit  Saint;  j'y  porterai  ensuite  un  re- 
cueillement, une  allontion  qui  ne  mo  fasse 
rien  perdre  des  vérités  saintes  dont  j'occu- 
perai mon  esprit.  Je  no  quillorai  point  la 
lecture  sans  (irendro  quelques  résolutions 
particulières,  coidurmes  à  ce  cjuc  j'aurai  lu 
el  aux  besoins  do  mon  âme;  je  regarderai 
les  ouvrages  do  piélé  que  je  lirai  comme 
dus  lellres  pleines  d'avis  salutaires  quo 
m'écrivcsnt  ceux  et  celles  qui  se  sont  sanc- 
tifiées sur  la  terre  cl  ([ui  jouissent  présen- 
tement du  bonheur  de  vos  élus,  ou  comme 
des  écriis  dans  lesquels  vous  me  déclarez 
vos  volunlés.  Avec  ces  pensées  el  dans  do 
panilles  dispositions,  mes  lectures  seront 
véritablemoiit  utiles  à  Uion  âme;  elles  la 
i'eifcctionneronl,  elles  la  sanctifieront  et  la 


315  ORATEURS  SACRES    L'AIÎBE  DE  MONTIS. 

rendront  enfin  par  là  plus  digne  de  vous  et 
de  vos  récompenses  éternelles.  Ainsi  soit-jl. 

SEPTIEME  JOUR. 

Premier  discours. 


116 


SUR    L  AMOUR    DE    DIEU.. 

Diliges  Doniiiium  Deiim  luiim  ex  lolo  corde  liio,  et 
ex  tola  anima  liia,  et  ex  omnibus  viribiis  luis,  el  ex 
omni  nienle  Uia.  {Veut.,  VI,  17,  3;  Luc,  X,  27.) 

Vous  (limerez  le  Seigneur  votre  Dieu  de  (oui  voire 
cœur,  de  toute  votre  àme,  de  toutes  vos  {orccs,  et  de  tout 
votre  esprit. 

Tel  est,  Mesd.imos  ,  le  pri'cepte  que  Dieu 
donna  par  lerainislère  de  Moïse  à  son  peu- 
|)le ,  ot  que  Jésus  Christ  a  renouvelé  dans 
sou  Evangile  en  l'appelant  le  [)reinier  et  le 
plus  grand  des  préceptes.  Le  premier,  par- 
ce qu'il  est  à  la  tête  de  tous  ceux  que  le 
Seigneur  a  laits;  le  plus  graïul ,  parce  qu'il 
nous  porte  à  l'accomplissement  de  tous  les 
aulres,  qu'il  les  relève  infiniment,  qu'il  nous 
aliache  si  étroitement  à  noire  Dieu,  que 
pour  réunir  dans  ufi  seul  mot  de  saint  Au- 
Kiislin  tous  les  éloges  que  les  Pères  de 
l'Eglise  lui  ont  donnés,  il  nous  rend  en 
(pielque  sorte  dcis  dieux  nous-mêmes  : 
Deum  ditigis ,  Deus  eris.  Que  nous  sommes 
donc  heureux.  Mesdames,  de  pouvoir  ai- 
mer nolrt)  Dieu  I  Ah  1  s'il  ne  nous  l'eût  per- 
mis ,  la  considération  et  de  son  infinie  graiî- 
d'ur  el  de  noire  extrême  bassesse  ,  de  notre 
néant,  nous  eût  sans  doute  empêchés  de  pré- 
tendre à  ce  bonheur;  mais  non-sçulement 
il  nous  le  permet;  jaloux,  pour  ainsi  dire, 
de  la  possession  de  nos  cœurs  il  nous  invite, 
il  nous  presse,  il  nous  sollicite,  il  nous 
commande  môme  de  l'aimer  :  Diliges  Do- 
miniini  Deum  tuum.  Mais  que  devons-nous 
le  plus  admirer  ici ,  ou  la  bonlé  d'un  Dieu 
qui  sollicite,  qui  veut  l'amour  de  l'homme, 
ou  l'insensibilité  de  l'homme  qui  refuse  à 
Dieu  son  amour?  Car,  sans  parler  .de  tant 
de  milliers  d'infidèles  qui  bien  loin  de  l'ai- 
mer ne  le  connaissent  pas,  qu'il  eA  rare 
cel  amour,  même  parmi  les  chrétiens,  mô- 
me parmi  les  personnes  attachées  à  son  ser- 
vice d'une  façon  j)lus  parliculièrc,  plus  i)ar- 
laite  que  le  comnuui  des  chrétiens  I  C'est 
donc,  épouses  de  Jésus-Christ,  pour  exciter 
de  {)lus  en  plus  vos  cœurs  à  aimer  votre 
Dieu,  et  à  l'aimer  coaune  il  exige  lui-même 
que  vous  l'aimiez,  que  je  viens  vous  remet- 
tre devant  les  .yeux,  et  les  motifs  puissants 
qui  doivent  vous  engager  à  aimer  Dieu  :  ce 
sera  le  sujet  de  la  première  partie  de  ce 
discours;  et  les  qualités  que  doit  avoir  vo- 
tre amour  pour  être  sincère  et  véritable  : 
ce  sera  le  sujet  de  la  seconde  partie.  En 
deux  mots:  Pourquoi  devez-vous  aimer  vo- 
tre Dieu?  Comment  devez-vous  aimer  voire 
Dieu?  Deux  réflexions  des  plus  intéressan- 
tes; honorez-moi,  s'il  vous  plait,  de  toute 
votre  attention.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Pour  vous  engager  efiricacement,  Mesda- 
mes, et  pour  nous  engager  tous  à  aimer 
notre  Dieu  ,  je  n'ai,  ce  semble,  qu'à  vous 
faire  considérer   dllentivemcut   ce  qui  se 


passe  dans  notre  cœur  par  rapport  aux 
créatures;  il  en  est  en  effet  que  nous  ai- 
mons paraîtrait,  par  inclination  naturelle, 
parce  qu'elles  possèdent  des  perfections,  des 
qualités  qui  nous  les  rendent  aimables,';  il 
en  est  d'autres  que  nous  aimons  par  grati- 
tude, par  reconnaissance,  parce  que  nous 
en  avons  reçu  autrefois  des  bienfaits,  ou 
que  nous  eu  recevons  peut-être  encore  ac- 
tuellement :  ainsi  nous  aimons  naturelle- 
ment ou  ce  qui  est  aimable  en  soi  ou  ce 
qui  a  de  l'amour  pour  nous.  Cela  élant. 
Mesdames,  je  dis  que  tout  doit  vous  porter 
à  aimer  votre  Dieu,  parce  que  si  vous  le 
considérez  en  lui-môme,  c'est  un  être  doué 
d'une  infinité  de  perfections  :  pourriez-vous 
donc  ne  pas  aimer  un  Dieu  infiniment  aima- 
ble en  lui-même  ?  Si  vous  le  considérez  par 
rapport  à  vous-mêmes,  vous  remarquerez 
une  infinité  de  bienfaits  dont  il  vous  a  com- 
blées et  dont  il  vous  comble  tous  les  jours; 
pourriez-vous  donc  ne  pas  aimer  un  Dieu 
qui  vous  a  aimées  et  qui  vous  aime  infi- 
niment? Ainsi  les  perfections  infinies  de  vo- 
tre Dieu  ;  les  immenses  bienfaits  de  votre 
Dieu;  deux  puissants  motifs  par  lesquels 
je  prétends  lui  attacher  aujourd'hui  et  plus 
que  jamais  tous  vos  cœurs. 

1.  Et  d'abord.  Mesdames,  si  j'entreprends 
de  vous  faire  connaître  votre  Dieu  pour 
vous  engager  à  l'aimer,  je  ne  prétends  pas 
vous  en  donner  une  idée  paifaite  et  (jui 
renferuic  tout  ce  qu'il  est  en  lui-môme. 
Non,  ce  serait  une  témérité  do  l'enlrepren- 
dre;  nous  pourrons  bien  un  jour  le  voir  el 
le  posséder;  mais  jamais,  jamais  nous  ne 
le  pourrons  comprendre;  quelqu'incompré- 
hensible  cependanl  (ju'il  soil  en  lui-même, 
je  ne  crains  point  d'avancer  que  ce  que  no- 
tre faible  raison  soutenue  des  lumières  de 
la  foi  nous  en  découvre  ,  est  bien  capable 
de  nous  engager  à  l'aimer  et  à  l'aimer  de 
tout  notre  cœur  ;  car  je  dis  et  je  vous  prie 
de  le  remarquer  avec  luoi  ;  je  dis  que  Dieu 
possède  une  infinité  de  perfections  éuiinem- 
raent,  qu'il  les  possède  purement,  qu'il  les 
possède  constamment;  il  les  possède  émi- 
nemment, f)arce  qu'il  les  {)Ossôde  sans  bor- 
ne ni  limite;  il  les  possède  purement,  parce 
qu'il  les  possède  sans  aucun  mélange  d'im- 
(lerfeciion  ;  il  les  possède  constamment, 
parce  qu'il  les  possède  sans  craindre  de  les 
perdre  jamais:  autant  de  qualités  qui,  ne  se 
trouvant  dans  aucune  créature,  devraient 
nous  détacher  de  toutes  pour  nous  altacher 
uniquement  à  notre  Dieu  Créateur. 

Je  dis  donc,  en  premier  lieu,  cpie  Dieu  pos- 
sède une  infinité  de  perl'eclions  éminemmeiil, 
c'est-à-dire  sans  borne  ni  limite.  Oui ,  Mes- 
dames, notre  Dieu  est  l'Etre  suprême,  cet 
Etre  par  excellence,  indépendant  de  loul 
être,  qui  n'ayant  pu  ôire  borné  ni  limité  à 
un  certain  nombre,  à  un  certain  degré  do 
perfection,  en  possède  par  conséquent  une 
infinité  et  dans  un  degré  infini.  Keprésen- 
tez-YOus  donc  un  objet  parmi  les  créatures, 
qui  renferme  en  lui-môme  tout  ce  qu'il  peut 
y  avoir  de  plus  beau,  de  plus  parfait,  de 
plus  ca[>able  do  concilier   votre  estime  et 


317 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  SEPTIEME  JOUR. 


S18 


de  gagner  voire  cœur  :  donnez  ,  donnez 
pour  cela  tout  l'essor  à  voire  esprit  et  à 
votre  imagination  ;  puis,  dites-vous  h  vous- 
mêmes  :  tout  cela  n'est  point  mon  Dieu  ; 
tout  cela  n'est  rien,  comparé  à  mon  Dieu; 
toutes  ces  beauU'^s  et  toutes  ces  perfections 
ne  sont  que  dos  ombres  légères,  des  traits 
l)ien  imparfaits  des  l)eaulés  et  des  perfec- 
tions inlinies  que  Dieu  a  bien  voulu  impri- 
mer sur  ses  créatures,  mais  qui,  à  parler 
proprement,  ne  méritent  pas  le  nom  de  per- 
fections :  grandeur,  sagesse,  puissance, 
douceur,  raagniliccnce ,  bonté,  non,  vous 
n'êtes  rien,  lorsque  je  vous  considère  bors 
lie  mon  Dieu;  lui  seul  est  véritablement 
grand,  parce  que  lui  seul  ne  reconnaît  au- 
cun être  au-dessus  de  lui  et  qu'il  n'a  au- 
cun besoin  de  ses  créatures  pour  se  soute- 
nir; sa  grandeur,  ainsi  que  toutes  ses  au- 
tres perfections,  ne  reconnaissant  d'autre 
borne  que  l'infini  :  Et  înagnitudinis  ejusnon 
est  finis.  {Psal.  CXLIV,  3.)  Lui  seul  est 
donc  infiniment  grand,  infiniment  puissant, 
infiniment  riche,  infiniment  sage,  lui  seul 
par  conséquent  est  infiniment  aimable. 
Ah!  Mesdames,  nous  avons  tous  un  |)en- 
cfiant,  une  inclination  naturelle  pour  ce 
qui  est  aimable  ;  je  ne  dois  point  la  con- 
damner ici,  celle  inclination,  c'esl  le  Créa- 
teur lui-môme  qui  l'a  mise  au  fond  de  no- 
tre cœur  :  mais  ce  que  je  voudrais,  ou  plu- 
tôt ce  qu'il  exige  de  nous,  lui-même,  c'est 
qu'elle  ne  se  tourne  jamais,  cette  inclination, 
vers  aucun  objet  indigne  de  notre  cœur; 
aimons,  à  la  bonne  heure,  mais  aimons  ce 
qui  mérite  véritablement  d'être  aimé  :  or 
Dieu,  et  Dieu  seul  mérite  notre  amour, 
parce  que  lui  seul  possède  de  véritables 
perfections.  Et  pourquoi,  dit  saint  Anselme, 
iriez-vous  chercher  dans  les  créatures  ce 
que  vous  trouvez  dans  le  Créateur?  Aimez, 
aimez  votre  Dieu  et  vous  avez  tous  les 
biens  que  vous  pouvez  désirer  et  posséder, 
accoutumez-vous  à  aimer  le  Créateur  dans 
ses  créatures.  Hé  quoi  !  s'il  se  trouve  dans 
elles  du  beau  et  du  parlait,  celui  qui  leur  a 
donné  ces  beautés  et  ces  perfections  n'esl- 
il  pas  infiniment  plus  beau  et  plus  parfait 
lui-même? 

Mais  non-seulement  noire  Dieu  possède 
émi[icmment  ses  perfections,  c'est-à-dire, 
dans  un  déliré  infini,  mais  il  les  possède 
encore  purement,  c'est-à-dire,  sans  aucun 
niélangf  d'imperfection.  Quiind  il  se  trou- 
verait. Mesdames,  de  vraies  perfections 
dans  les  créatures;  hélas!  vous  le  savez, 
elles  sont  mêlées  de  tant  de  défauts  et  d'im- 
perfections, que  cela  seul  devrait  suflTiro 
pour  nous  en  détacher  entièrement  ;  en  est- 
il  quelqu'une  qui  en  soit  exempte?  Les 
plus  belles  qualités  ne  sont-elles  pas  même, 
le  plus  souvent,  accompagnées  des  plus 
grands  défauts?  Voilà  eu  elfet  ce  qui  fait 
courir  et  voltiger  le  cœur  de  riiomme  d'ob- 
jet en  objet,  sans  qu'il  (>uis3e  jamais  se 
lixcr  et  st  satisfaire  ;  ah  I  n'en  soyons  même 
(las  surpris  :  nous   attribuons   ce   change- 

ent,  pour  l'ordinaire,  à  inconstance,  à  lé- 


m 


gèrclé  :  mois  d'où  vicnl-clle,  celle  incons- 


tance elle-même?  Le  voici  :  c'esl  que  lors- 
qu'on veut  considérer  de  près  les  créatures, 
toutes  ces  prétendues  perfections,  qu'on 
avait  cru  apercevoir,  s'évanouissent  bien- 
tôt et  ne  laissent  plus  entrevoir  dans  elles 
qu'un  vide  affreux,  incapable  de  satisfaire 
pleinement  le  cœur.  Mais  il  n'en  est  pas 
ainsi  de  notre  Dieu  :  bien  loin  de  remar- 
quer en  lui  le  moindre  défaut,  la  plus  lé- 
gère imperfection,  plus  on  lo  considère  et 
plus  on  y  découvre  de  beautés  et  de  per- 
fections. Oui,  Mesdames ,  pendant  toute 
l'éternité,  l'occupation  des  anges  et  des 
saints,  dans  le  ciel,  sera  de  le  contempler, 
sans  ennui,  sans  dégoûl,  parce  que,  pen- 
dant toute  l'élernité,  ils  découvriront  sans 
cesse  en  lui  de  nouvelles  beautés,  et  par 
conséquent  de  nouvelles  raisons  de  l'aimer 
et  de  s'atlacher  à  lui.  Esprits  célestes,  et 
vous,  âmes  bienheureuses,  qui  possédez 
dès  à  [)résent  votre  Dieu,  que  ne  pouvez- 
vous  nous  manifester  ici  tout  ce  que  vous 
éprouvez  dans  la  contemplation  d'un  objet 
aussi  parfait  et  si  digne  d  être  aimé  1 

Mais  non-seulement  notre  Dieu  possède 
éminemment  ses  perfections,  c'est-à-dire, 
d.ins  un  degré  infini;  non-seulement  il  les 
possèae  purement,  c'est-à-dire,  sans  défaut 
ni  imperfection  :  mais  je  dis,  en  troisième 
lieu,  qu'il  les  [)Ossède  constamment,  c'est- 
à-dire,  sans  craindre  de  les  perdre  jamais. 
L'amour  tend  par  lui-même  à  rendre  heu- 
reux :  or  pour  être  véritablement  heureux 
on  aimant,  il  faut  être  sûr  de  posséder  tou- 
jours l'objet  auquel  on  a  livré  son  cœur; 
d'où  je  conclus  que  tout  ce  qui  n'est  pas 
Dieu,  ayant  ce  défaut  de  durée  et  de  stabi- 
lité, nous  no  pouvons  raisonnablement  y 
attacher  notre  cœur.  Je  veux,  en  effet,  que 
nous  ayons  trouvé  parmi  les  créatures,  un 
objet  rempli  de  perfections  et  exempt  de 
tous  les  défauts  qui  les  accompag  lenl  pour 
l'ordinaire  ;  j'ose  dire  que  nous  n'en  som- 
mes que  |)lus  malheureux,  parce  qu'enfin 
cet  objet  perdra  bientôt  pour  nous  tous 
ces  agréments  qui  ont  su  nous  plaire  el 
gagner  n-otre  cœur,  soit  par  sa  destruction, 
soit  par  la  nôtre;  l'expéiience  journalière 
ne  nous  permet  pas  de  douter  do  celle  vé- 
rité: hélas!  peut-être  mêu^e,  avant  cette 
cruelle  séparation,  quelqu'accident  imprévu 
les  ravira-t-il  ces  agréments,  ces  perfections, 
à  cet  objet  de  notre  aitachemenl  ;  vous  le  sa- 
vez, quelques  moments  suffisent  quelque- 
fois pour  changer  la  créature  la  plus  parfaite. 

Il  n'y  a  donc  que  vous,  ô  mon  Dieu ,  qui 
ne  pouvez  rien  perdre  de  vos  perfections, 
parce  que  vous  seul  êtes  essentiellement 
ce  que  vous  êtes,  essentiellement  parfait; 
toutes  les  créatures  sont  sujettes  aux  vicis- 
situdes, au  changement:  mais  ce 'que  vous 
êtes,  ô.Dieu  unique,  ô  le  Dieu  de  mon  cœur, 
vous  le  serez  éternellement.  Consolez-vtius 
donc,  vous  surtout  vierges  chrétiennes, 
épouses  de  Jésus-Christ,  vous  qui  par  un 
généreux  mépris  de  tout  ce  qui  n'est  pas 
votre  Dieu  ,  pouvez  vous  glorifier,  comme 
saint  Paul,  d'être  mortes  et  crucifiées  au 
monde,  et   pour  qui  le  monde  est   égalt;- 


519                                        OllAIEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS.  320 

ment  criicifiô;   consoloz-vous  ,    réjouissez-  h   volro    Dion    pour  vous   avoii'   tirées   du 

vous,  tressaillez  de  joie,  vous  aimez  votre  néant,  que  ne  lui  devez-vous  point   pnur 

Dieu,  vous   lui  avez   livré  et  promis   pour  vous  avoir  délivrées  de  l'esclavage  du  dé- 

toujours  volro   cœur:   ah!  cela  vous  suflll,  mon  cl  du  péciié  ?  Second  bienfait  qui  sur- 

ne  craignez  point  de  le  perdre  jam.n's;  éler-  passe  d'autant  le  premier  que  la  grAce  elle- 

nellement  il  sera  votre  épo\ix  et  voire  Dieu,  môme  est  au  dessus  de  la  nature.  Vous  le 

mais  un  Dieu,  un  Epouxétcrnellemonl  beau,  savez:  l'homme  créé  d'abord  dans  la  jus- 

élernellemerit  iiarl'ait,  et  par  conséquent  un  lice  et  dans  la  sainteté,  f)lac(^  dans  un  lieu 

époux,  un  Dieu  éternellement  digne  d'ôtre  de  délices,  comblé  de  Ions  les   dons   de  la 

aimé.  Mais  si  vous  devez  Cire  [)orlées  (lar  nalureel  de  la  grâce,  se  trouva  bientôt,  par 

iitlrait,  par  inclination  à  aimer  votre  Dieu,  sa  désobéissance  h  scm  Dieu,  privé  de  tous 

parce  qu'il  est  infiniment  aimable    en  lui-  ces  grands  avantages,  déjiouillé  de   toutes 

même,  vous  devez  encore  l'aimer  à  titre  do  ces  illustres  prérogatives  et  condamné  aux 

reconnaissance,    parce  qu'il  vous  a  aimées  peines  et  aux   ina'lieurs  que  nous,  sa  mal- 

et  qu'il  vous  aime  inliniment.  lieureuso  postérité,  nous  éprouvons  encore 

II.  Il  n'est  rien,  dit  saint  Augustin,  qui  tous  les  jours;  état  d'autant  plus  déplora- 
pagne  plus  sûrement  le  ca'ur  de  riiomme,  ble  do  l'homme  après  son  péché,  qu'ayant 
que  de  lo  prévenir  par  les  bienfaits  ;  et  il  offensé  Ln  Dieu  d'une  grandeur  et  d'une 
faudrait,  ajoute  le  saint  docteur,  (pi^il  fût  majesté  infinie,  il  ne  pouvait  par  lui-mênie, 
bien  dur,  bien  insensible  ce  cœur  si,  n'ai-  faible  et  Impuissante  créature,  réparer  l'in- 
niant  le  premier,  il  ne  rendait  au  moins  jure  faite  à  son  Dieu  :  or  qu'a  fait  tu)tre 
amour  pour  amour.  Il  n'est  point  de  vertu  Dieu?  Toujours  |)leiu  de  bonté  et  do  com- 
en  effet,  Mesdames,  dont  nous  nous  glori-  passion  pour  l'ouvrage  deses  mains,  malgré 
fions  plus  que  de  la  reconnaissance  :  cela  son  infidélité,  il  a  bien  voulu  se  charger 
étant,  je  dis  que  vous  ne  pourriez,  sans  la  lui-ménio  de  sa  réconciliation;  son  pro[)re 
plus  énorme  ingratitude,  vous  dispenser  Fils  a  (juilté  pour  cela  le  sein  de  sa  gloire; 
d'aimer  votre  Dieu  à  cause  des  grands  bien-  il  est  descendu  habiter  parmi  les  coupables, 
faits  dont  il  vous  a  comblées  et  dont  il  vous  et  par  une  vie  pleine  do  sviud'rancos  et  par 
comble  tous  les  jours;  bier)faits  généraux  une  mort  de  supplices  et  d'ignomirjie,  il  a 
qui  vous  sont  communs  avec  lo  reste  des  déchire,  dit  l'apôtre  saint  Paul,  i'arrôt 
chrétiens,  bienfaits  particuliers  qui  vous  do  proscription  jtorlé  contre  nous  tous, 
regardent  personnellement,  tous  vous  on-  (Col.,  H,  14.)  Tel  a  été  l'amour  d'un  Dieu 
gagent  à  aimer  votre  Dieu  et  à  l'aimer  de  pour  nous  :  ce  n'est  point  un  ange  de  sa 
tout  votre  cœur.  cour  qu'il  a  envoyé   pour  opérer  notre  ré- 

Le  premierdeces  bienfaits  est  sans  doute,  conciliation:   c'est   lui-même  qui  est  des- 

Mosdames,   de    vous  avoir    donné    l'être;  ccndu  pour  cela  du  ciel  en  terre;    ce  n'est 

liélas  I    peut-être   n'avez -vous  jamais  fait  point   par  quelque  courte  satisfaction,    la 

attention  à  la  grandeur  de   celui-ci,  parce  plus  légère  eût  été  plus  que  suffisante  :  une 

que  jamais  peut-être  vous  n'avez  fait  de  se-  serJe  laraie,  un  seul  soiqiir,  une  seule  goutte 

rieuses  réflexions  sur  votre  origine.  Quelle  de  son  sang  eût  pu  nous  réconcilier  parfai- 

bonté  cependant  de  votre  Dieu,  (|ui  de  toute  temcnl  Hvec  Dieu  son  Père  ;  mais  son  amour 

éternité  se  suffisant  parfaitement  à  lui-mê-  nour  nous  lui  a  fait  soulfiir  les  louruienls 

me,   n'avait  aucun  besoin  de  ses  créatures  les  plus  cruels  et  les  plus  ignominieux,  el 

[)our  son    bonheur:    quelle  bonté  d'avoir  répandie  jus(pi"h  la  dernière  goutte  de  son 

été    vous   chercher   dans   les  profondeurs,  sang  sur  la  croix.  Oui,  Mesdames,  c'est  en 

dan?  les  abîmes  du  néant,  de  vous   avoir  vertu  de   ce  grand  bienfait   de  la  rédemp- 

clioisics  et  préférées  à  une  infinité  d'autres  tion,  que  nous  avons  été  faits  de  nouvelles 

qu'il    pouvait   créer  à   votre   i)lace  !    Mais  créatures,  connue  parle   l'Apôtre  (11    Cor. 

(juelle  bonté  encore,  parmi  ces  espèces  d'ê-  V,  17j  ;  que  d'objets  de  colère  el  d'indigna- 

Ires  possibles  à  Tinlini,  de  vous  avoir  faites  lion  que  nous  étions  aux  yeux  de  Dieu  par 

créatures  raisonrinbles,  de  vous  avoir  com-  le  pcclié,  nous  sounues  devenus  les  enfants 

municjué  une  petite  portion  do  sa  divinité,  adoplifs  du  l'ère  éternel,  les  frèies  el  ies 

comme  parlent  les  Pères  de  l'Eglise,  par  la-  cohéritiers  du  Fils  de  Dieu  ,  les  temples  et 

quelle   en  vous   connaissant  vous-mêmes,  la  drtzueure  du  Saint-Esprit  ;  or  si  l'on  juge 

vous  êtes  comme  forcées  de  le  reconnaître  pour  l'ordinaire  de  la  nature  de  l'amour  par 

pour  voire  preii:ier   iirincijie  el  pour  votre  la  qua.ilé  des  bieniails,  jugeons  par  la  giari- 

dernièrc    fini  Car  voilà,  Mesdames,   votre  deur  de  celui-ci ,  jusqu'à  quel  point  notre 

noble  origine ,  voilà  la  mienne:  toutes  les  Dieu  nous  a  aiuiés. 

créatures,  c'est  j>our  nous,  pour  notre  usage  Mais  que  ne  lui  devons-nous  |)oint  en- 
que  Dieu  les  a  tirées  du  néant  :  mais  |)0ur  core,  vous  el  moi,  pour  nous  avoir  appliqué 
nous,  ô  mon  Dieu,  nous  devons  tous  le  re-  ce  bienfait  de  la  rédeuq)lion  d'une  façon  si 
connaître,  d'après  saint  Augustin,  c'f  s*  pour  spéciale;  car  enfin  combien  de  milliers  d'in- 
vous  seul  et  lellenient  l'Our  vous  seul  que  fidèles,  qi}'\  par  un  dessein  de  sa  divine 
vous  nous  avez  formés,  que  toutes  les  créa-  providence,  (jue  nous  devons  plutôt  adorer 
turcs  ensemble  ne  sero'it  jamais  capables  (iu'aitprofondir,  demeurent  ensevelis  dans 
de  satisfaire  notre  cœur,  cl  qu'il  sera  lou-  les  ténèbres  de  l'intidélilé,  tandis  que  pour 
jours,  ce  cœur,  dans  une  agitation  conti-  nous,  dès  les  premiers  instants  do  notre 
nuelle  ,  tandis  qu'il  ne  vous  possédera  pas.  naissance,  il   nous  a  éclairés  des  lumières 

Mais,  Mesdame-,  si  vous  èles  bi  redevables  de   lu   foi  par  le  saint  baplêiuo  I  Combien 


521 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  SEPTIEME  JOUR. 


encore,  parmi  es  cnrélions  cus-rnômes  , 
qui  naissent  cl  meurent  tous  les  jours  il;uis 
le  sein  de  l'erreur,  tandis  (jue  pour  nous, 
ou  il  noii-s  en  a  lin5s  dès  nos  plus  londres 
iinnécs  peul-ôlre,  ou  il  nous  a  lait  naîiro 
de  parents  callioliquos,  qui  nous  ont  (■levés 
avec  soin  dans  toute  la  pureté  do  la  foi  ! 
Combien  qui,  après  avoir  malheureuse- 
ment perdu  la  grâce  du  baptémo  par  le  (lé- 
elié,  ont  été  sur[)ris  par  la  mort  sans  pou- 
voir se  reconnaître,  et  plusieurs,  après  un 
premier  péché  mortel  I  au  lieu  quo  pour 
nous,  npiès  bien  t\GS  péchés  réitérés,  après 
mille  et  mille  rechutes  (>eut-ètre,  il  nous  a 
toujours  donné  le  temps  de  retourner  à  lui 
par  la  pénitence,  et  a  toujours  agi  avec  mi- 
séricorde à  notre  égard.  Or  celle  seule 
bonté  de  noire  Dieu  à  toujours  nous  souf- 
frir, à  nous  allendre  et  à  nous  pardonner 
toujours,  malgré  tant  de  rechutes  et  d'in- 
(idélités,  ne  devrait-elle  pas  nous  enga- 
ger à  I  aimer,  et  à  l'aimer  de  tout  notre 
cœur? 

Mais,  Mcsdaïucs  ,  outre  ces  grands  avan- 
tages qui  vous  sont  communs  avec  tant 
d'.iulres,  que  de  bienfaits  qui  vous  re.nar- 
di'ul  personnellement,  et  dont  vous  êtes 
encore  redevables  à  rinfinie  bonté  de  votre 
i'ieu  !  Ah!  (juand  il  n'y  aurait  que  celui  de 
>olre  vocatio:i  au  saiiIl  état  de  la  religion  ; 
(juavez-vous  fait  à  voire  Dieu  pour  |u'il  je- 
tât sur  vous  des  i  égards  de  miséricorde,  pour 
(ju'il  vous  fît  surmonlor,  comuje  par  miracle, 
pour  ainsi  dire,  une  iuliniié  d'obstacles  qui 
vous  paraissaient  à  vous-niômcs  iieut-ôire 
insurmontables,  pour  qu'il  vous  délivrât, 
connue  d'un  seul  coup, de  tous  les  dangers 
du  monde,  et  que  par  préférence  à  une  infi- 
nité d'autres,  il  vous  mît  au  rang  do  ses 
épouses,  cl  dans  un  ordre  et  dans  une  com- 
munauté qui  conservant  heureusement  l'es- 
I  rit  de  son  saint  institut,  vous  uiontre  et 
vous  procure  les  moyens  d'en  remplir 
exactement  tous  les  devoirs?  Mais  que  de 
bienf.iils  particuliers,  que  de  grûces  spé- 
ciales ont  suivi  ce  bienfait  et  cette  grâce  de 
la  vocation  1  Sans  parler  do  plus  d'une  oc- 
casion peut-être  où  vous  auriez  péii  misé- 
rableiuent,  si  Dieu  n'eûi  veillé  d'une  façon 
toute  Sjiéciale  à  votre  conservation  ,  que  de 
faveurs  singulières  dont  il  vous  a  coiublées 
depuis  que  vous  vous  éles  solennellement 
consacrées  à  luil  Ah!  Mesdames,  en  est-il 
(luelqu'une  parmi  vous,  ()ui  no  soit  forcée 
de  convenir  ici  intérieurement  qu'en  eiïet 
elle  a  éprouvé  plus  d'une  fois,  depuis 
qu'elle  est  dans  la  religion,  des  eil'els  d'une 
bouté  toute  particulière  du  Seigneur  à  son 
égard? Que  do  secours,  que  de  grûces,  et  de 
toute  espèce!  Que  de  saintes  pensées!  Que 
de  bons  seniiuienls  l  Que  d'insjiiralions 
secrètes!  Que  île  pressantes  sollicitations 
de  travailler  plus  que  jamais  à  l'ouvrage  do 
votre  perleciion!  Que  de  reproches  inté- 
rieurs lorsque  vous  avez  commencé  à  né- 
gliger sou  service  et  à  vous  éloigner  de 
lui  1  Que  de  i.-aresses  de  sa  part  au  con- 
Ifaire ,  que  de  consolations  spirituelles, 
lorsque  vous  l'avez  servi  avec  fidélité  I  Que 


d'occasions  do  péché  éloignées  !  Que  de 
lentalions  assoupies!  Quo  de  pieuses  lec- 
tures 1  Que  do  ferventes  instructions  (pii 
ont  touché  et  eiillammé  môme  votre  coeur  I 
Que  d'oxcniiiles  édiliants  dont  vous  avez 
été  sans  cesse  environnées,  et  qui  vous 
ont  vivement  excitées  h  la  sainteté!  Tels 
sont  les  bienfaits  quo  vous  avez  reçus 
et  (]ue  vous  recevez  chaque  jour  et  pres- 
qu'à  chaque  instant  do  la  libéralité  de 
votre  Dieu  :  bienfaits  qui,  quelque  |)eu  con- 
sidérables qu'ils  vous  paraissent,  sont  ce- 
pendant inUniment  grands,  si  vous  voulez 
les  considérer,  et  par  rapport  à  l'infinie 
grandeur  du  Dieu  qui  vous  les  donne,  et 
par  rapport  à  l'amour  infini  avec  lequel  il 
vous  les  donne,  et  par  rapport  à  la  lin  inli- 
niment  avanlagiMise  (lour  laquelle  il  vous 
les  donne,  qui  est  voire  salut  éternel.  Ah! 
Mesdames,  si  un  prince,  un  roi  de  la  terre, 
hé,  quo  dis-jc,  si  la  peisonne  la  plus  com- 
mune vous  av.iit  rendu  un  service  essen- 
tiel, vous  useriez  do  retour  <i  son  égard,  et 
si  vous  ne  [louviez  lui  rendre  bienfait  pour 
bienfait,  vous  lui  rendriez  au  moins  amour 
pour  amour.  Et  votre  Dieu,  dont  les  bien- 
faiis  sont  et  si  grands  et  en  si  grand  nom- 
bre, quel  droit  n'a-(-il  donc  pas  il'exiger 
votre  amour?  Pour  toute  reconnaissance  de 
tout  vous-mêmes,  vous  ne  [louvcz  lui  don- 
ner et  il  ne  vous  demande  aussi  que  votre 
cœur;  el  encore  do  ce  cœur  que  vous  lui 
avez  autrefois  livré  avec  tant  de  solennité 
el  tant  de  courage,  il  n'en  demande  que 
l'amour,  el  de  cel  amour  que  la  |»référence. 
Aiioez-le  donc,  Mesdames,  ce  Dieu  si  digne 
d'être  aimé,  tout  vous  y  engage,  et  ce  qu'if 
est  en  lui-même  et  ce  qu'il  est  par  rapport 
à  vous,  et  ses  perlèclions  el  ses  bienfaits. 
Mais  alin  que  votre  amour  pour  Dieu  soit 
sincère  el  véritable  ,  quelles  qualités 
doit-il  avoii"?  C'est  le  sujet  de  la  seconde 
()artio. 

SECONDE    PARTIE. 

Rien  déplus  juste  elde  plus  essentiel  dans 
le  chrislianisme  que  l'amour  de  Dieu,  jo 
viens  de  vous  le  prouver;  rien  cependant, 
j'ose  le  dire,  do  plus  rare  parmi  les  chré- 
tiens et  quelquefois  môme  parmi  ses  épou- 
ses que  cet  amour,  j'entends  un  amour  sin- 
cère el  véritable;  car  si  pour  aimer  vérita- 
blement Dieu,  il  suffisait  de  lui  en  faire  de 
bouclie  quelques  proteslations,  j'avoue  que 
cet  amour  ne  serait  point  aï  rare;  mais 
l'amour,  le  véii table  amour  de  Dieu  ne  se 
borne  point  à  ces  marques  équivoques  et 
superficielles;  pour  être  tel,  il  exige  et  sur- 
tout de  vous,  épouses  de  Jésus-Christ,  cer- 
taines disjiositions  (jui  doivent  répondre  aux 
idées  que  vous  avez  de  votre  Dieu.  Or  vou$ 
savez  el  vous  venez  de  le  voir,  qu'il  possède 
en  lui-môme  une  infinité  de  perfections  , 
qui  le  mellent  infiniment  au-dessus  de  tous 
les  êtres  qu'il  a  créés  :  voire  amour  pour 
lui  doil  donc  être  d'abord  un  amour  d'estime 
au-dessus  de  tous  les  ôires,  de  préférence 
à  lous  les  litres.  Vous  savez  encore,  el  volr.e 
propre  cœur  vous  rend  ce  témoignage,  qu'il 
vous  a  manifesté  lui-même  son  amour  par 


525 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE   MONTIS. 


Mi 


«ne  infinité  do  bienfaits  :  votre  .imour  pour 
lui  ne  doit  donc  pas  ôtre  un  amour  simple- 
ment spéculatif,  mais  un  amour  qui  se  dé- 
montre surtout  par  les  bienfaits.  Ainsi, 
Mesdames,  toutes  les  qualités  de  l'amour 
de  Dieu  ,  je  les  réduis  à  deux  principales, 
selon  l'idée  qu'il  nous  en  donne  lui-môme 
dans  son  précepte,  l'une  qui  regarde  l'es- 
prit et  l'autre  la  volonté;  et  je  dis  que,  pour 
être  sincère  et  véritable,  il  doit  être  a^ifiré- 
cialif  par  rapport  à  l'esprit  :  diliges  ex  tota 
mente  tua;  et  eireclif  [)ar  rapport  à  la  vo- 
lonlé  :  diliges  ex  loto  corde,  et  ex  omnibus 
viribus  tuis.  Je  vais  vous  expl  iquer  ces  deux 
propositions,  si  vous  voulez  bien  me  renou- 
veler toute  votre  attention. 

I.  Quoiqu'à  parler  proprement,  l'amour 
et  tout  amour  prenne  son  principe  dans  le 
cœur,  on  peut  dire  cependant,  dans  un  sens 
plus  étendu,  qu'il  est  un  amour  d'estime  que 
l'esprit  produit,  amour  d'estime  qui,  étant 
fondé  sur  la  connaissance  de  l'objet,  précède 
pour  l'ordinaire  et  qui  devrait  môme,  pour 
être  raisonnable,  précéder  toujours  celui  du 
cœur.  Lors  donc  que  j'ai  avancé  que  l'amour 
de  Dieu  doit  être  appréciatif  par  rapport  à 
l'esprit,  j'ai  voulu  dire,  Mesdauies,  que  vous 
deviez  aimer  votre  Dieu,  non  pasauiantqu'il 
le  mérite,  votre  â:ne  n'étantpas  ca[iable  d'un 
amour  infini,  mais  du  moins  autant  que 
vous  le  pouvez:  c'est-à-dire,  que  vous  devez 
ne  rien  aimer  et  estimer  au-dessus  de  votre 
Dieu,  ne  rien  aimer  et  estimer  môme  autant 
que  votre  Dieu,  et  ne  rien  aimer  et  estimer 
que  par  rapport  à  votre  Dieu  ;  reprenons. 

Je  dis  d'abord  que  vous  ne  devez  rien 
aimer  et  estimer  au-dessus  de  voire  Dieu. 
Cela  n'est-il  pas  bien  juste  ?Si  votre  Dieu  est 
nar  l'excellence  de  son  ôtre  au-dessus  de  tous 
les  êtres  qu'il  a  créés,  ne  doit-il  tlonc  pas  ôtre 
aimé  et  estimé  par  préférence  à  tous  les  êtres  ? 
Est-il  donc  rien  de  plus  injuste  et  de  plus 
déraisonnable  que  de  donner  la  première 
place,  dans  son  esprit,  aux  créatures  et  la 
dernière  au  Créateur  ?  Ali  1  Mesdames,  nous 
sentons  tous  assez  l'injustice  do  celle  pré- 
férence, nous  la  condamnons  tous,  dans 
noire  cœur;  mais,  dans  notre  conduite, 
n'en  sommes-nous  point  coupables  nous- 
mêmes?  Car  enfin,  n'est-il  point  quelque 
bien,  quelqu'avanlage,  quoiqu'objet,  sur  la 
terre,  que  nous  estimions  plus  que  noire 
Dieu?  Ne  cherchons-nous  point  à  nous  les 
procurer  au  risque  de  lui  déplaire?  Si  cela 
était,  en  vain  lui  proteslerîons-nous  que  nous 
l'aimons,  notre  conduite  prouverait  assez 
que  notre  protestation  n'est  pas  sincère. 

Mais  non-seulement,  Mesdames,  vous  de- 
vez ne  rien  aimer  au-dessus  de  votre  Dieu, 
mais  vous  "devez  de  plus  ne  rien  aimer  et 
;  estimer  autant  que  voire  Dieu;  seconde  vé- 
rité qui  suit  nécessairement  de  la  première  : 
car  si  Dieu  ne  reconnaît  aucun  égal,  il  ne 
doit  donc  y  avoir  aussi  aucune  égalité  dans 
voire  estime  et  dans  votre  amour.  Non, 
Mesdames,  le  monde,  à  la  vérité,  avec  lous 
ses  avantages,  n'en  exigera  jamais  autant, 
l'illusion  serait  trop  grossière;  aussi  con- 
.sent-il  que  nous  ayons  quelqu'amour  pour 


Dieu,  pourvu  qu'il  le  partage  avec  lui  :  mais 
votre  Dieu,  c'est  un  Dieu  jaloux  qui,  ayant 
un  domaine  absolu  sur  vous,  surtout  en  qua- 
lité de  ses  épouses,  ne  peut  souffrir  le 
moindre  partage  avec  qui  que  ce  soit  dans 
votre  cœur.  Ne  croyez  donc  pas  l'aimer  ja- 
mais sincèrement,  tandis  que  vous  aimerez 
quelqu'autre  objet  avec  lui  et  autant  que 
lui;  l'amour  que  vous  devez  à  votre  Dieu, 
pour  ôtre  vrai,  doit  être  souverain,  c'est 
même  là  sa  qualité  la  plus  essentielle  :  or 
pour  ôtre  souverain,  il  doit  êlre  unique, 
dit  saint  Augustin.  Hé  quoi.  Mesdames,  si 
vous  étiez  capables  d'un  amour  infini,  vous 
devriez  aimer  infiniment  votre  Dieu,  et  un 
cœur  aussi  faible  et  aussi  borné  qu'est  le 
vôtre,  et  que,  de  plus,  vous  lui  avez  livré 
entièrement  et  pour  toujours  en  vous  con- 
sacrant solennellem.eiit  à  lui,  vous  le  [larta- 
geriez,  vous  le  diviseriez  encore?  Non,  non, 
mon  Dieu,  je  le  dis  ici,  d'après  saint  Augus- 
tin, ce  n'est  point  vous  aimer,  que  d'aimer 
quelqu'objet  avec  vous  et  auianlque  vous. 
Mais  quoi,  me  direz-vous,  pour  aimer  vé- 
ritablement notre  Dieu,  ne  devons-nous  donc 
rien  aimer  et  estimer  sur  la  terre?  Ce  n'est 
pas,  Mesdames,  ce  que  j'ai  voulu  dire;  je 
saisque  nous  pouvons, que  nousdevons  mô- 
me aimer  notre  prochain.  Dieu  lui-môme 
nous  en  a  fait  un  préreple;je  sais  encore  que 
nous  pouvons,  dans  un  sens  et  chrétienne- 
ment, nous  aimer  nous-mêmes,  puisqueDieu 
veut  que  nous  réglions  l'amour  que  nous 
devons  au  prochain  sur  celui  quenous  avons 
pour.nous  ;  je  sais  encore  que  nous  pouvons 
avoir  une  certaine  estime,  un  certain  at- 
tachement pour  l'étal,  l'emploi,  la  situation 
où  la  Providence  nous  a  placés,  aussi  bien 
que  pour  les  |)orsonnes  auxquelles  elle  nous 
a  associés;  ainsi,  si  j'ai  dit  que  vous  ne 
deviez  rien  aimer  et  estimer  au-dessus  de 
Dieu,  ou  môiue  autant  que  Dieu  ,  je  dis 
aussi  que  vous  pouvez  raisonnablement 
vous  aimer  vous-mêmes  et  aimer  et  estimer 
les  autres  créatures,  pourvu  que  celte  es- 
time et  cet  amour  soient  subordonnés,  à 
l'estime  et  à  l'amour  que  vous  devez  à  votre 
Dieu.  Pour  mieux  comprendre  ceci,  distin- 
guons avec  saint  Augustin  deux  sortes  d'a- 
mour :  un  amour  fixe  et  permanent  qui  ne 
se  rapporte  à  aucun  aulre  objet ,  et  un 
amour  indirect  et  passager  qui  doit  néces- 
sairement se  rapporter  à  un  autre  :  or  c'est 
de  ce  dernier  amour  que  vous  pouvez  vous 
aimer  et  aimer  les  autres  créatures,  parce 
que  cet  amour  que  vous  leur  portez  doit 
nécessairement  être  rapporté  à  votre  der- 
nière fin  qui  est  Dieu,  en  sorte  que  l'amour 
de  Dieu  doit  être,  pour  m'expr  jmer  d'après 
un  Père  de  l'Eglise,  comme  un  grand  fleuve 
qui  reçoit  et  qui  absorbe  tous  vos  autres 
attachements,  comme  autant  de  ruisseaux 
qui  viennent  se  décharger  dans  son  sein,  ou 
comme  un  centre  commun  où.  doit  néces 
sairement  tendre  tout  l'amour  que  vous 
portez  aux  créatures.  De  là  quelles  consé- 
quences !  Ahl  Mesdames,  les  avez -vous 
jamais  bi^in  comprises? De  là  il  s'ensuit  que 
pour  aimer  véritablement  Dieu,  vous  n'êtes 


3i3 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  SEPTIEME  JOUR. 


3^26 


pas,  h  la  vérilt^,  obligées  d'abandonner  ac- 
tuellemeiU  voire  pairie  et  le  lieu  que  vous 
haiiilozj't'lal,  la  silualion  où  vous  vous  trou- 
vez, les  personnes  qui  vous  plaisent,  que 
vous  aimez  et  avec  lesquelles  vous  vivez; 
mais  il  s'ensuit  que  vous  devez  ôlro  acluol- 
lemcnl  disposées  à  abandonner  tout, h  sacri- 
fier tout  ce  que  vous  avez  de  plus  cher  sur 
la  terre  ,  si  cela  était  nécessaire,  et  qu'il 
l'exigeAt  de  vous  en  témoignage  de  votre 
amour;  et  c'est  en  ce  sens  que  vous  devez 
entendre  ces  paroles  de  Jésus-Christ  si  ré- 
voltantes d'abord  et  si  sévères  h  la  natu- 
re, et  que  vous  avez  entendues  on  effet 
lorsque  i'ous  avez  renoncé  absolument  au 
monde  :Que  celui  qui  ne  hait  pas  son  père 
et  sa  mère,  ses  frères  et  ses  sœurs,  et  qui 
ne  se  hait  pas  soi-même,  n'est  pas  digne 
de  lui  et  ne  peut  Ctre  son  disciple.  De  là  il 
s'ensuit  que  pour  aimer  véritablement  Dieu, 
vous  n'ôtes  point  obligées  de  lui  sacrifier  ac- 
tuellement votre  repos,  votre  santé,  votre 
répulation,  votre  vie  même;  mais  il  s'en- 
suit que  vous  devez  Cire  actuellement  dis- 
posées à  lui  faire  tous  ces  sacrifices,  quoi 
qu'ils  (lussent  vous  coûter,  si  cola  était  né- 
cessaire, pour  témoigner  à  Dieu  votre 
amour.  Telle  était  la  disposition  intérieure 
de  l'apôtre  saint  Paul  lorsqu'il  osait  défier 
le  ciel  avec  toute  sa  puissance,  l'enfer  avec 
toute  sa  malice,  l'univers  entier  avec  tout 
ce  qu'il  peut  avoir  de  plus  redoutable  ou 
Je  plus  séduisant,  de  lui  faire  perdre  l'a- 
mour de  son  Dieu  :  disposition,  Mesdames, 
qui, quelque  sublime  qu'elle  vous  [laraisse, 
n'avait  rien  d'excessif  ni  d'outré;  si  vous 
n'y  6les  pas,  si  nous  n'y  sommes  pas  nous- 
mêmes  dans  celte  disposition,  dès-lors  nous 
préférons  la  créature  au  Créateur,  et  dès- 
lors  nous  n'aimons  plus  notre  Dieu  de  cet 
amour  d'eslinie  et  de  préférence  que  j'ai 
appelé  appréciatif  par  rapport  à  l'esprit,  et 
qui  doit  être  encore  effectif  par  rapport  à  la 
volonié. 

II.  L'amour  de  Dieu,  le  véritable  amour 
de  Dieu  ne  f»eut  être  oisif;  c'est  un  feu  à 
qui  l'activilé  est  tellement  e.-sentielle,  dit 
saint  Grégoire  pape,  que  s'il  ne  produit 
aucun  effet,  ce  n'est  plus  un  amour  véri- 
table. Ainsi,  Mesdames,  afin  que  le  vôtre 
soit  sincère,  non -seulement  votre  esprit 
doit  estimer  Dieu  au-dessus  de  tout  et  par 
préférence  à  tout;  mais  voire  volonté  doit 
encore  agir  soit  au-dedans  d'elle-même. 
Soit  au  dehors;  au  dedans  par  les  affec- 
tions qu'elle  doit  produire  :  Oiliges  ex  tolo 
corrfe  (»o;  au  dehors  par  les  œuvres  aux- 
quelles elle  doit  se  livrer  :  Diliges  ex  omni- 
bus viribus  luis.  Prenez  garde  ,  s'il  vous 
j.laîl;  lorsque  je  disque  la  volonté  doit 
produire  des  affections,  je  ne  prétends  pas 
cependant  exiger  dans  l'amour  de  Dieu  une 
ceitaine  lendrcsse  ou  sensibilité  que  le 
e(eur  y  éprouve  quelquefois.  Ahl  je  le  sais, 
il  est  bien  rare  d'aimer  sincèrement  sans 
qu'elle  se  trouve,  celle  sensibilité  ;  tous  les 
jous  en  effet,  nous  l'éprouvons  dans  l'amour 
des  créatures  ;  qu'on  nous  parle,  qu'on 
nous  entretienne  de  ce  ({uo  nous  aimons. 


nous  no  lardons  pas  à  mnnifeslor  au  dehors 
l'affoclion  que  nous  portons  au  dedans.  Jo 
dois  cependant  convenir  ici,  d'afirès  saint 
Thomas,  (jne  Dieu  étant  un  [lur  esprit  qui 
ne  'peut  tomber  sous  les  sens  comme  les 
créatures,  nous  pouvons  par  conséquent  les 
aimer  avec  plus  de  sensibilité,  sans  cepen- 
dant les  aimer  plus  que  notre  Dieu  ;  je  dis 
plus  encore,  d'après  ce  saint  docteur,  je  dis 
iiu'il  est  môme  beaucoup  plus  méritoire 
d'aimer  Dieu  dans  celle  vie,  sans  éprouver 
cette  tendresse,  celte  sensibilité  qui  cause 
|K)ur  l'ordinaire  des  douceurs,  des  consola- 
tions, des  ravissements  même  quelquefois  et 
des  extases  qui  après  lout  ne  rendent  l'âme 
ni  meilleure  ni  plus  parfaite,  qui  ne  sont 
point  en  noire  pouvoir,  dont  Dieu  favorise 
quelques  âmes  d'élile  et  de  lout  temps  in- 
nocentes surtout,  mais  qu'il  no  doit  à  per- 
sonne en  cette  vie.  Ainsi,  Mesdames,  lors- 
que j'ai  dit  que  votre  volonté  devait  pro- 
duire des  affections,  j'ai  voulu  dire  que 
pour  témoigner  à  Dieu  voire  amour,  vous 
deviez  de.  temps  en  temps  en  produire 
des  actes  qui  peuvent  bien  s'exf)rimer  |)ar 
les  paroles,  mais  qui  doivent  surtout  |)ar- 
tir  du  fond  du  cœur  et  de  l'intérieur  de 
la  volonté;  et  ce  n'est  point  ici  un  simple 
conseil,  une  pratique  arbitraire  de  dévo- 
tion que  jo  vous  propose  :  si  vous  aimez 
véritablement  votre  Dieu,  rien  de  plus  in- 
dispensable, de  plus  essentiel  que  do  lui  en 
faire  quelquefois  des  proleslations. 

Mais  dans  quel  temps,  me  direz-vous, 
sommes-nous  précisément  obligés  de  pro- 
duire ces  actes  d'amour?  Ahl  dans  quel 
temps?  Celte  question,  j'ose  le  dire  ici,  ne 
vous  paraîi-elle  pas  injurieuse  à  votre  Dieu? 
Hé  quoi!  ne  devez-vous  donc  lui  dire  que 
vous  l'aimez,  que  lorsque  vous  ne  pouvez 
vous  en  dispenser  sans  l'offenser?  Dovrait- 
il  donc  y  avoir  sur  cela  quelque  règle  ou 
quelque  précepte?  Voire  Dieu  n'esl-il  pas 
toujours  infiniment  aimable  en  lui-même? 
Chaque  jour,  chaciue  instant  môme  do  vo- 
tre vie  n'esl-il  pas  marqué  par  quelqu'une 
de  ses  grâces,  accompagné  de  quelqu'un  de 
ses  bienfaits?  Pourquoi  donc  à  chaque  ins- 
tant ne  lui  témoigneriez-vous  pas  votre 
amour?  Mais  si  vos  occupations,  et  encore 
plus  la  légèreté  de  votre  esprit,  ne  vous  per- 
mettent pas  ce  saint  exercice  qui  fait  toule 
l'occupation  des  bienheureux  dans  le  ciel, 
pourquoi  du  moins  lorsque  vous  pensez  à 
ses  perfections  ou  à  ses  bieiif.iiis,  ()Ourquoi 
dans  vos  médi talions  et  dans  vos  prières, 
pourquoi  en  commençant  et  en  terminant 
la  journée,  ne  lui  ))rolesteriez-vous  pas  que 
vous  l'aimez  ei  que  vous  l'aimerez  toule 
votre  vie,  el  de  tout  votre  cœur  ? 

Mais  non-seulcraent  votre  volonté  doit 
produire  des  actes  au-dedans  d'elle-même, 
mais  elle  doit  encore»  agir  au  dehors,  et  cela 
en  accomplissant  les  œuvres,  les  devoirs  do 
clirélicnnes,  el  ceux  auxquels  vous  ôîes  en- 
gagées, et  que  vous  prescrit  le  saint  état 
que  vous  avez  embrassé;  dernière  qualité 
lie  l'amour  de  Dieu,  la  plus  sûre  môme,  et 
la  moins  équivoque.  Kn  effet,  Mesdame5,  et 


327 


OUATKURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS.  ï 


528 


prenez-y  garde,  s'il  vous  pliiîl,  vous  pouvez 
aisémenl  vous  faire  illusion  sur  ce  griuid 
précepte  de  l'amour  divin;  vous  |)ourriez 
vous  persuader  que  vousaiinoz  Dieu,  [larco 
que  vôtre  esprit  conçoit  de  lui  quelquefois 
des  idées  sublimes  et  relevc'-es;  vous  pour- 
riez encore  vous  flatter  d'avoir  de  l'amour 
poiir  lui,  parce  que  votre  bouche  en  [iro- 
nonce  quelquefois  des  actes,  ou  qu'il  se 
forme  dans  votre  cœur  quelques  senti- 
ments alfeclueux,  sentiments  que  Tertul- 
lien  appelle,  avec  raison,  des  saillies,  dos 
élancements  d'une  âme  ,  qui  uniquement 
créée  pour  son  Dieu,  se  tourne  quelque- 
fois, comme  [lar  une  ponte  naturelle,  vers 
lui,  sans  pour  cela  Tuimor  véritablement. 
Quand  donc  pourrcz-vous  vous  rendre  à 
vous-mêmes  ce  témoignage  si  consdlanl , 
que  vous  aimez  sincèrement  votre  Dieu  ?  En- 
core une  fois,  c'est  lors(juo  vous  agirez  à 
l'exléricur,  (pie  vous  obscrx  erez  fidèlement  sa 
loi  et  ses  préceptes;  c'est  I  rsijue  vous  vous 
nionlrerez  fidèles  à  observer  voire  règle  el  vos 
constitutions  ;  c'est  en  un  mot,  lorsque  vous 
vous  reridrez  exactes  à  accomplir  vos  de- 
voirs de  chrétiennes  et  de  reli.ieuses;  mais 
prenez  garde,  qu'il  faut  [)uur  cela  les 
accomplir,  ces  devoirs,  entièrement  el  sans 
aucune  réserve:  l'amour  de  Dieu  est  indi- 
visil)le  dans  son  objet,  comme  la  foi  dans  le 
sien;  en  sorte  que,  comme  l'on  perd  la  foi 
sitôt  qu'on  doute  d'un  seul  article  de  la  re- 
ligion, quoiqu'on  croie  à  tous  les  autres,  de 
niêrae  aussi  n'a-t-on  jdus  d'amour  pour 
Dieu,  quand  on  transgresse  une  seule  de 
ses  volontés,  quoique  d'ailleurs  on  accom- 
plisse toutes  les  autres.  Il  laut  les  accom- 
plir constamment,  ces  devoirs,  c'est-à-dire 
sans  interruption  ;  car  de  les  accomplir 
dans  un  temps  avec  fid(^lilé  el  dans  un  au- 
tre y  manquer  sans  scrupule,  c'est  agir  alors 
plutôt  Dar  caprice  et  par  légèreté  que  par 
un  vrai  motif  d'amour.  La  preuve  la  |)lus 
sensible  que  vous  puissiez  donner  à  Dieu 
de  votre  amour,  c'est  donc  d'observer  tout 
ce  que  vous  prescrit  l'Evangile  que  vous 
prolessez,  d'observer  de  plus  avec  une  cons- 
tante fidélité  tout  ce  que  vous  prescrivent 
la  règle  el  les  constitutions  que  vous  avez 
embrassées.  Je  dis  enfin  qu'il  faut  les  ac- 
complir saintement,  tous  ces  devoirs  ;  c'est- 
à-dire,  Mesdames,  que  vous  devez  suivre 
à  la  lettre  l'avis  important  que  donnait  l'a- 
pôtre saint  Paul  aux  fidèles  deCorinllie,  do 
faire  toutes  leurs  actions  dans  l'auiuur  de 
J)ieu  :  Omnia  vestra  in  charitate  fiant [l  Cor., 
XVI,  U);  non  que  je  veuille  cependant 
qu'il  n'y  ail  d'autres  vertus  dans  le  chris- 
tianisme que  l'amour,  ou  que  ces  autres 
vertus  n'aient  des  motifs  propres  et  méri- 
toires par  eux-mêmes;  non  que  je  préten- 
de qu'il  soit  absolument  nécessaire  d'accom- 
j'agner  chacune  de  vos  actions  en  particu- 
lier; chacun  de  vos  exercices,  d'un  molif  ou 
d'un  acte  explicite  d'amour,  ou  que  toute  ac- 
tion, que  tout  exercice  fait  sans  ce  motif 
d'amour,  soit  autanld'aclions  défectueuses, 
criminelles  môme  aux  yeux,  de  Dieu;  loin 
de    moi    des    sentiments   plus  d'une  fois 


proscrits  par  l'Eglise!  niais  lorsque  je  vous 
exhorte,  d'après  l'Apôtre,  à  faire  toutes  vos 
actions  dans  l'amour  de  Dieu ,  c'est  parce 
qu'avec  cet  amour,  j'entends  cet  amour  par- 
fait qui  est  incompatible  avec  le  péché  mor- 
tel et  que  les  théologiens  appellent  amour 
de  charité,  c'est,  dis-je,  qu'avec  cet  amour 
vos  moindres  bonnes  actions  sont  méritoi- 
res pour  votre  salut,  et  que  sans  cet  amour 
au  contraire,  les  plus  grandes  et  les  plus 
éclatantes  en  af^parcnce  ne  sont  d'aucun 
prix  aux  yeux  de  Dieu  et  ne  peuvent 
vous  mériter  un  seul  degré  de  gloire  pour 
le  ciel. 

Un  retour  présentement  sur  vous,  Mes- 
dames :  pouvez-vous  vous  flatter  d'un  amour 
sincère  el  véritable  pour  votre  Dieu  ?  Inter- 
rogez ici,  mais  de  bonne  foi,  votre  propre 
cœur, en  sorte,  comme  le  dit  saint  Augustin, 
fiue  ce  soit  votre  cœur  qui  réponde  :  Respon- 
àeat  cor  vestruin;  si,  pour  aimer  véritable- 
ment Dieu,  il  faut  l'estimer  au-dessus  do 
tout  et  ()ar  préférence  à  tout,  en  avez-vous 
conçu  jusqu'ici  assez  d'estime  [>our  être  du 
moins  dans  une  disposition  habituelle  de 
lui  faire  tous  les  sacrifices  el  les  plus  grands 
sacrifices  qu'il  puisse  exiger  de  vous?  Ah  ! 
combien  de  fois,  même  depuis  que  vous 
avez  renoncé  au  monde,  avez-vous  mis  dans 
votre  esprit  el  dans  votre  conduite  surtout 
la  créature  au-dessus  du  Créateur  ?  Si,  pour 
aimer  véritablemenl,  il  faut  de  temps  en 
temps  lui  en  faire  des  protestations,  avez- 
vous  été  fidèles  à  ce  devoir,  indispensat)lo 
selon  tous  les  théologiens  ?  ou  du  moins 
dans  les  actes  d'amour  que  vous  produisez 
(juelquefois,  votre  cœur  est-il  de  concert 
avec  vos  lèvres,  el  sentez-vous  intérieure- 
ment ce  que  vous  exprimez  au  dehors?  Enfin 
si  pour  aimer  vérilablemenl  Dieu  il  faut  ac- 
complir ses  préceptes  el  tousses  précei  tes, 
vous  acquitter  de  tous  les  devoirs  que  vous 
prescrit  votre  saint  état,  remplir  exactement 
tous  les  engageraenls  que  vous  avez  con- 
tractés en  rendjrassahl,  y  êlcs-vous  fidèles? 
Les  remplissez-vous,  ces  engagements?  du 
moins  les  remplissez-vous  entièrement  sans 
en  rien  retrancher  et  cons'amment  sans  ja- 
mais vous  relâcher? Quel  fond  de  morale  et 
de  réflexions  1  Quels  reproches  votre  cons- 
cience n'aurait-ellti  pas  sur  cola  peut-être  à 
vous  l'aire  ! 

Oui,  mon  Dieu,  je  suis  forcée  de  l'avouer 
ici  à  ma  conlUsioii,  comme  saint  Augustin  ; 
si  jusqu'ici  j'ai  eu  si  peu  d'amoui' pour  vous, 
c'est  |)Our  vous  avoir  connu  trop  lard ,  ô 
beauté  toujours  ancienne  et  toujours  nou- 
velle I  Sero  te  amavi,  sera  te  cognovi  ;  mais 
[)résentemenl  du  moins  que  je  vous  recon- 
nais pour  un  Dieu  infiniment  aimable  en 
vous-même  et  qui  m'avez  infiniment  aimée  ; 
également  pénétrée  de  la  grandeur  de  vos 
bienfaits,  dès  ce  moment  je  m'attache  et 
[)lus  que  jamais  à  vous;  je  neveux  plus 
aimer  que  vous.  Hé!  peut-il  donc  y  avoir  un 
plus  grand  inaltn.'ur  sur  la  terre  que  de  ne 
vous  pas  connaître  el  de  ne  vous  point  ai- 
mer, ô  mon  J>ieu?  Mais  quoique  sineère 
que   soit  la  résolution  que  je  prends,  ou 


;) 


DISCOURS  DE  RETRAITE. 


SEPTIEME  JOUR. 


;^o 


plutôt  que  jo  ronoiivelle  aujourd'hui  de 
vous  ainiorot  de  n'ainicrque  vous,  rendez- 
la  eHîc.iro,  ô  Dieu  lout-puissanl ,  par  voire 
sainte  grAce,  car  je  puis  bien  vous  olïenser 
sans  vous,  mais  sans  vous  je;  ne  saurais 
vous  aimer.  Daignez  donc  imprimer  de  plus 
en  plus  dans  mon  esprit  l'idée  de  vos  per- 
fections infinies;  rendez  surtout  mon  cœur 
toujours  plus  sensible  aux  grâces  particu- 
lières et  sans  nombre  dont  vous  m'avez 
comblée  et  dont  vous  ne  cessez  de  me  com- 
bler dans  le  saint  état  auquel  vous  avez  bien 
voulu  ra'appder,  par  préférence  à  une  in- 
finité tfaulres.  FaiU'S,  ô  mon  Dieu,  que  ce 
cœur  qui  vous  appartient,  c>  tant  de  titres 
quejovousai  livré  solennellement  autre- 
fois et  sans  aucune  réserve,  vous  soit  dé- 
sormais inviolablement  attaché,  afin  qu'a- 
près vous  avoir  aimé  sincèrement  et  de 
tout  m(ui  cœur,  dans  le  temps,  je  puisse 
trouver  toute  ma  félicité  à  vous  aimer  et  à 
vous  posséder  dans  l'éternité.  Ainsi  soit-il. 
SEPTIEMF.  JOUR. 
Second  discours. 

SLR    L'tMOX  DES   COEURS. 

IIpc  est  praeceptuiu  n]euin,ul  diligalis  iuviccm.  {Joan., 
XV.  1-2.) 

C'est  «n  comman(kiU£Ul  que  je  vous  fais,  de  vous  aimer 
les  uus  les  autres. 

Voilà,  Mesdames,  ce  que  Jésus-Christ 
exigeait  de  tous  ceux  qui  s'attachaient  h  lui; 
ce  (juMI  leur  recommandait  surtout,  c'était 
ramour  du  procliain  ,  c'était  de  tenir  tou- 
jours, les  uns  .\  l'égard  des  autres,  une  con- 
duite pleine  de  douceur,  de  condescen- 
dance et  de  charité;  cependant,  quoique 
dans  les  intentions  de  notre  iMeu  Sauveur, 
cet  amour  du  prochain  doive  régner  dans 
If  christianisme,  faire  même  ,  avec  Tamour 
de  Dieu  du()uel  il  dérive,  la  base  et  le  fon- 
dement de  toute  vraie  sainteté,  qu'il  est 
rare  |)armi  1rs  chrétiens  cet  amour!  qu'il 
en  est  peu  qui  |)uissent  se  glorifier  et  se 
rendre  à  euy-iuêmes  ce  témoignage  si  con- 
solant, qu'ils  aiment  le  i-rochain,  ou  qu'ils 
l'aiment  avec  toute  l'étendue  et  toute  la  per- 
fection que  Jésus-Clirist  a  donnée  au  pré- 
cepte (ju'il  en  a  fait  I  Kh  !  plût  h  Dieu  que  >  e 
ne  fût  que  parmi  les  chréiiens  du  siècle, 
que  cette  union,  cette  charité  si  louée,  si 
recommandée  par  le  divin  Maître,  fût  aussi 
rare  ou  aussi  imparfaite  1  mais  jusqui;  dai  s 
ces  sociétés  qui  se  sont  engagées,  et  (|ui 
foui  profession  de  tendre  à   la  perfection, 


vous  en  entretenir  ici,  vous  bien  faire  con- 
naître sa  nécessité,  ses  avantages  et  tout  à 
la  fois  les  qualités  qu'elle  doit  avoir  pour 
être  agréable  Ji  Dieu,  utile  à  votre  perfec- 
tion et  méritoire  |)Our  votre  salut.  Je  dis 
donc  pour  cela,  en  premier  lieu,  qu'il  est 
très -important  à  une  communauté  reli- 
gieuse de  c  'Userver  cette  union  des  cœurs, 
cette  chanté;  je  dis,  en  second  lieu,  qu'il 
n'est  pas  si  facile  (lu'on  le  pense  de  la  con- 
server cet  e  union,  qu'on  y  trouve  bien  des 
obstacles  qu'il  est  essentiel  de  bien  coniai- 
Ire,  pour  êlre  plus  en  état  de  les  éviter,  de 
les  surmonter.  Eu  deux  mots,  Mesda.nes. 
les  motifs  puissants  qui  doivent  engager 
des  épouses  de  Jésus-Chrisl  h  conserver 
entre  elles  l'union  et  la  charité;  ce  sera  le 
sujet  de  la  première  partie  de  ce  discours. 
Les  moyens  les  [)lus  eflicaces  que  doivent 
employer  des  épouses  de  Jésus-Christ  [lour 
conserver  entre  elles  cette  union  et  cette 
charité;  ce  sera  le  sujet  de  la  seconde  par- 
tie. La  maiière  est,  comme  vous  le  voyez,  des 
plus  intéressantes;  honorez-moi,  s'il  vous 
plaît,  de  toute  votre,  attenti  )U.  Ave,  Maria. 

PBEMIFRE    PARTIE. 

Si  l'état  religieux  préserve  de  bien  des 
dangers  du  salut,  de  beaucoup  d'écueils 
auxquels  sont  exposés  les  chrétiens  qui  vi- 
vent au  mil  eu  du  monde;  il  faut  cep.-ndant 
convenir,  Mesdames,  qu'il  ne  préserve  pas 
entièrement  et  absolument  de  tous.  Or,  un 
de  ces  écueils  malheureusement  trop  com- 
mun dans  la  religion,  comme  dans  le  s'ècle, 
c'est  la  division,  la  désunion  des  esprils  et 
des  cœurs  ;  c'est  une  antipatliie,  un  éloigne- 
me  il  qu'on  y  conçoit  quelqurfois,  les  uns 
envers  les  autres, "et  qu'il  est  même  plus 
facile,  j'ose  le  dire,  d'y  concevoir  que  dans 
lemouile;  les  personnes  qui  riiabitent,  et 
qui  se  trouvent  obligées,  par  état,  de  vivre 
ensemble,  peuvent  se  perJre  de  vue  quel- 
quefois.; mille  événements,  mille  circo'ii^- 
lauces  contribuent  à  les  séparer  pour  uii 
temps  du  moins,  pour  quelques  heures  dans 
"la  journée;  (lar  là  elles  se  trouvent  moins 
exposées  à  voir  et  à  souffrir  des  défau's, 
des  humeurs,  des  travers,  les  unes  des  a  - 
1163  ;  mais  dans  la  religoi,  celles  qui  s'y 
trouvent,  étant  sans  cesse  ensoinble  chaque 
jour,  les  mêmes  exercices  h  s  réunissant  et 
les  mettant  continuellement  à  |  o;  lée  de  se 
voir,  de  se  pat  1er,  d'agir  ensemble,  qu'ji  est 
à  craindra  que  la  désunion,  le  dégoût,  l'a- 


de  joindre  à  raccomplissement  des  précep-      version   même  et  la  haine  quelquefois,  ne 


les  de  i  Evangile  celui  de  ses  conseils,  au 
lieu  de  l'union,  de  la  charité  qui  devrait 
animer  ceux  et  celles  qui  les  composent, 
l'on  voit  assez  souvent  ,  el  «luelquefois 
même  avec  scandale,  régner  parmi  elles  la 
désunion,  la  discorde.  Grâces  à  la  divine 
miséricorde,  l'on  n'a  rien  de  pareil  à  vous 
reprocher.  Mesdames;  quelque  estime  i|ue 
vous  fassiez  de  celle  union xles  cœurs,  de 
celte  belle  verlu  de  la  charité,  el  quelque 
aitenlion  que  vous  ayez  à  la  pratiquer  pour 
vous  engagiîr  à  l'aimer  de  [ilus  en  plus,  et  à 
ne  rien  négliger  pour  l'entretenir  el  la  con- 
server au  milieu  de  vous,  j'ai    cru  devoir 

OnATELRS  SACRÉS.   LXVIIL 


prennent  la  [  liCe  de  la  vraie  charité  1  Ce- 
liendani,  Mesda.ues,  si  cette  ch;irité  esl  né- 
cessaira  ,  parmi  les  simples  chrétiens,  el  si 
nécessaire  que,  sans  cesse,  il  n'y  a  plus,  aux 
yeux  du  Seigneur,  de  vrai  christianisme,  de 
véritable  sainteté;  à  plus  t'orle  raison  e.-t-elle 
nécessaire  parmi  des  viei'gei  chrétiennesqui,  i 
en  embrassant  le  suinl  éiat  de  la  religion,  , 
se  sont  engagées  à  |  r.iti  juer  le  chri>ti  - 
nisme  dans  toute  son  é  e  idue.  dans  toute  la 
perfection  de  la  sainteté  qui,  plus  encore 
que  les  simples  chr  tiens ,  doivent  entrer 
dans  toutes  les  vues  de  leur  céleste  Ejioux, 
accomplir  toutes   ses   volontés,  et  qui  ne 

il 


553 


ORATEIIUS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOiSTlS. 


532 


pc-uvenl  'sans  cela  ospôrcr  de  pafx,  de  bon- 
heur dans  le  temps  comnm  pour  l'élernité. 
Voici,  en  effet,  Mesdames,  les  motifs  puis- 
sants qui  doivent  vous  engager  à  conser- 
ver,  à  faire  croître  même  encore  entre  vous, 
s'il  est  possible,  celle  cliarilé,  cette  union 
des  cœurs  ;  c'est  en  premier  lieu,  que  telle 
est  la  voloîilé  du  Seigneur;  c'est,  en  second 
lieu,  que  c'est  votre  propre  avanlage,  que 
de  là  dépend  voire  salisfiiclion  el  votre  bon- 
heur; deux  véritf^s  qui,  bien  conçues,  de- 
vraient faire,  je  ne  dirai  pas  seulement  d'une 
communauté,  mais  même  de  toute  la  terre, 
un  paradis. 

I.  Je  dis  donc,  en  premier  lieu,  que  ce 
qui  doit  vous  engager  h  entretenir  en  vous 
la  plus  grande  union,  à  conserver  les  unes 
envers  les  autres  la  j  lus  parfaite  charité, 
c'est  que  telle  est  la  vnlnulé  du  Seigneur. 
Il  n'est  rien  on  effet  qu'il  ait  paru  avoir  plus 
h  ea^ur,  et  dont  il  ait  plus  recommandé  la 
pratique  à  ses  apôtres  et  à  tous  ses  disci- 
y)\es:Amez-vous,  leur  disait  souvent  ce  divin 
'Slctïlre,  aimez-vous  les  uns  les  ouvres.  Et  ce  n'é- 
tait pas  un  simple  conseil  qu'il  leur  donnait  et 
qu'ils  pussent  négliger  sans  crime  :  c'était  un 
commandement,  un  précc[)te,  et  son  pré- 
cepte, comme  il  l'appelait  :  Hoc  est  prœcep- 
tum  meum,  el  un  précepte  nouveau  ,  parce 
que,  quoiqu'il  eût  éié  déjà  donné  dans  l'an- 
cienne loi  à  nos  pères,  il  l'a  renouvelé  et 
mis  en  vigueur,  qu'il  lui  a  donné  un  motif 
plus  pur,  plus  parfait  en  l'étendant  aux  en- 
nemis, et  en  le  [lurgeant  des  fausses  inter- 
prélations  inventées  parles  scribes  elles 
pharisiens;  précepte  d'aiœer  le  prochain,  si 
essentiel,  (]ue  ce  Dieu-Sauveur  le  joint  au 
précejjte  d'aimer  Dieu,  qu'il  déclare  que  ces 
deux  amours  de  Dieu  el  du  prochain  par- 
tent du  même  [)rincipe,  qu'on  doit  les  re- 
garder comme  deux  ruisseaux  qui  coulent 
de  la  même  source,  et  comme  deux  actes 
produits  parla  même  habitude;  que  dans 
eux  consistent  la  loi  el  les  pro|)liètes  :  pré- 
ce|)le  si  imporlant,  qu'il  déclare  encore  à 
SCS  disciples,  que  ce  qu'ils  feront  au  moin- 
dre de  leurs  frères,  [)ar  ce  principe,  par  ce 
sentiment  d'amour,  il  le  regardera  elle  ré- 
compensera unjourcomnie  fait  à  lui-même: 
précepte  si  excellenl,  qu'il  en  établit  la  pra- 
tique sur  l'amour  qu'il  a  lui-même  j)our 
les  hommes  :  Sicut  ùilexi  vos.  (Joan.,  XV, 
12.)  Je  dis  plus  encore,  qu'il  en  donne  pour 
modèle  l'union  qui  est  entre  son  Père  et  lui, 
l'amour  qu'il  avait  lui-même  pour  son  Père, 
et  que  son  Père  avait  pour  lui  :  Ulsintunum 
sicut  el  nos.  {Joan.,  XVil,  11.)  Aussi  les 
apôtres  pleins  de  l'esprit  el  des  maximes  de 
leur  divin  Maître  et  qu'ils  prenaient  en  tout 
pour  leur  modèle,  se  sont-ils  appliqués  à 
inspirer  à  tous  les  chrétiens,  cette  'union 
des  cœurs,  cette  charité  universelle.  Saint 
Jean  surtout,  qu'on  peut  ap|)eler  l'apôtre 
'Je  la  charité,  et  que  saint FraïK^ois  do  Sales 
appelle  l'apôtre  de  la  belle  l  dilection  , 
saint  Jean  leur  répétait  sans  cesse  ces 
belles  paroles  :  Mes  enfants  ,  aimez-vous 
les  uns  les  autres.  Et  [lour  les  y  enga- 
ger, il  n'hésitait  point  à  décider  que  celui 


qui  n'aimait  point  ses  frères  qu'il  voyait, 
ne  pouvait  aimer  Dieu  qu'il  ne  voyait  pas  ; 
que  celui  qui  disait  qu'il  aimait  Dieu,  et 
qui  n'aimait  pas  ses  frères,  parlait  conlie 
la  vérité,  qu'il  était  un  menteur;  jusqu'à  la 
plus  extrême  vieillesse,  il  ne  cessa  de  leur 
reconniiandcr  la  pratique  de  celte  belle 
vertu;  et  les  voyant  surpris  do  ce  qu'il  leur 
répétait  conlinuellemenl  la  même  leçon,  il 
leur  déclara  ce  qu'il  avait  appris  du.diviii 
Maître;  que  le  précepte  de  la  charité  était 
le  préci.^ple  par  excellence;  qu'il  suffi- 
sait :  Hoc  sufficit,  parce  qu'il  renfermait, 
en  quelque  sorte  en  lui-môme,  tous  les 
aulres  préceptes;  que  celui  qui  ne  l'ac- 
complissait i)as  ne  connaissait  pas  Dieu, 
qui  est  amour  et  charité  ;  et  que  quehpie 
vivant  qu'il  parût  à  l'extérieur,  il  était  vé- 
rilablemenl  mort  à  la  grâce  et  aux  yeux  de 
Dieu  :  Qui  non  diligii,manctinmorte.  [Joan., 
111,  \*.)  Sain!  Paul,  cet  autre  apôtre  qui 
avait. puisé  dans  son  ravissement  les  con- 
naissances les  plus  élevées,  les  vérités  les 
plus  sublimes,  ne  cessait  également  dans 
SCS  épîlres,  d'exhorter  les  lidèles  auxquels 
il  les  adressait,  d'aiiuer  le  prochain  :  Surtout, 
écrivait-il  aux  Colossiens,  ayez  entre  vous 
une  vraie  charité.  (Co/.,  111,  ik.)  Est-il  néces- 
saire, écrivait-il  encore  aux  fidèles  de  Thes- 
salonique,  que  je  m'étende  beaucoup  pour 
vous  exhorter  à  pratiquer  entre  vous  la  cha- 
rité, puisque  c'est  du  Seigneur  lui-même 
que  vous  avez  appris  à  vous  aimer  les  uns 
les  autres?  A  Deo  didicistis,  ut  d'digatis  in- 
vicem  (1  Thess.,  IV,  9)  ;  et  une  autre  raison, 
qu'à  l'exem^tle  de  saint  Jean,  il  leur  allé- 
guait, c'est  que  toute  la  loi  est  i  enfermée 
dans  ce  précepte  de  l'amour  de  Dieu  et  du 
prochain  :  In  une  sermone  impletur  [Gai.,  V, 
14);  qu'il  en  est  comme  la  plénitude  :  Ple- 
nitudo  legis,  dilectio.  [Rom.,  Xlll,  10.)  Rien 
donc  de  plus  essentiel  dans  le  christianisme, 
qui  est  une  religion,  une  loi  d'amour,  que 
cette  charité  muiuelle  et  réciproque  :  elleesl 
comme  l'abrégé  de  l'Evangile  et  de  toute  la 
morale  chrétienne,  ont  dit  les  Pères  de  l'E- 
glise, et  saintBernard  surtout  :  Totius  Evan- 
yelii  breviarium.'EUii  est  un  moyen  sûr  de 
s'élever  à  l'amour  de  Dieu,  dit  saint  Augus- 
tin. Parelle,  dit  saint  Grégoire,  pape,  i'a- 
niour  de  Dieu  s'augmente  et  se  fortilie; 
l'on  ne  i)eut  en  négliger  la  pratique  sans 
aller  contre  l'esprit  de  l'Evangile  et  contre 
les  intentions  et  la  volonté  de  Jésus-Christ. 
Aussi  ce  divin  Sauveur  a-t-il  déelaié  pen- 
dant sa  vie  mortelle,  que  c'est  à  la  pratique 
de  cette  vertu  et  à  l'observation  de  ce  pré- 
cepte de  la  charité  du  prochain,  qu'il  recon- 
naîtrait ses  vrais  disciples.  Or,  Mesdames, 
s'il  parlait  ainsi  des  simples  tidèles,  pour- 
rait-il regarder,  je  ne  dirai  pas  seulemeni 
comme  ses  disciples,  mais  encore  comme 
ses  éjiouses  at  des  épouses  selon  son  cœur, 
des  vierges  chrétiennes  destinées  dans  les 
desseins  de  sa  providence  à  vivre  ensemble 
sous  la  même  règle,  et  à  mériter  par  l'ob- 
servation exacte  ue  cette  règle,  la  môme 
récompense,  le  séjour  de  sa  gloire,  qui, 
bien  loin  de  pratiquer  entre  elles  cette  cha- 


ôii 


DISCOURS  DE  ULTR.VITE.  —  SEPTIEME  JOUR. 


554 


'itiWiu'il  leur  ;i  (aiil  rocominandée,  seraient 
divisées,  i|iii  oonstTveraionl  les  unes  en- 
vers les  aiihes  de  la  froideur,  do  l'éloi^ne- 
nienl,  de  l'anlipalliie,  cl  fieut-ôtre  niôine, 
des  seîiliiniMit»  d'aversion  el  de  haine  ?  Vous 
(levez  donc  praliquer  avec  une  grande  (klé- 
lité  celle  belle  vcitu  de  la  cliarilé,  parce 
que  (elle  esl  la  volonté  du  Seigneur,  parce 
que  c'est  un  coraniandement,  un  précepte 
qu'il  vous  a  donné;  vous  n'en  pouvez  dou- 
ter :  mais  un  aulrc  molif  et  bien  puissant 
encore  f!our  vous  y  engager,  c'est  votre  pro- 
pre bien,  ce  sont  les  grands  avantages  qui 
sont  allacliés  à   la  pratique  de  celte  vertu. 

11.  Oui,  Mesdames,  au  sentiment  d'un 
Père  do  l'Église,  tous  les  co-mmanderaents 
que  le  Seigneur  a  lails  et  tous  les  préceples 
qu'il  nous  a  donnés  sont  autant  do  marques 
de  sa  bonté  pour  nous,  autant  do  bieiitails 
dont  il  nous  a  honorés  :  Oinne  mandalum, 
beneficnim.  Mais  c'est  surtout  du  précepte 
de  la  charité,  de  l'amour  du  prochain  qu'on 
doit  le  dire  :  car  sans  parler  ici  des  biens 
du  ciel,  des  récompenses  éternelles  qu'il 
procure  infailliblement  dans  l'autre  vie , 
puisque  c'est  la  charité  qui  ouvre  aux jusles 
les  portes  du  ciel,  qu'il  n'y  a  que  ceux  qui 
auront  pratiqué  cette  vertu  ,  qui  pourront 
espérer  d'y  entrer,  que  Jésus-Christ  a  dé- 
claré dans  l'Evangile, /]u'au  grand  jour  de 
ses  vengeances,  c'est  sur  l'accomijlissement 
de  ce  précepte  do  la  charité  qu'il  nous  ju- 
gera tous  ;  qu'il  n'y  fera  miséricorde  qu'à 
ceux  qui  auront  été  miséricordieux  envers 
leurs  hères,  qu'il  proportionnera  les  tré- 
sors de  sa  gloire  dans  le  ciel,  aux  œuvres 
de  charité  opérées  sur  la  terre.  Sjus  parler 
do  ces  biens  do  l'éternilé,  de  ces  grands 
avantages  de  l'autre  vie,  quels  avantages 
ne  nous  procure  pas  dans  ie  temps  el  dès 
telle  vie,  cette  union  clirélieuno,  cette 
charité  exercée  envers  le  prochain!  Kl  d'a- 
bord, Mesdames,  n'est-ce  pas  un  grand 
avantage  [)0ur  nous  que  ce;te  chaiité  envers 
le  prochain,  puisque,  comme  nous  l'assure 
l'apôtre  saint  Piene,  elle  couvre  la  multi- 
tude de  nos  péchés,  c'est-à-dire,  que  quel- 
que cunsidérabies  que  puissent  être  les 
lautes,  los  iniquités  dont  nous  nous  som- 
mes rendus  coupables  envers  le  Seigneur, 
dès  que  nous  exerçons  hdèlement  et  parlai- 
lement  la  charilé  envers  nos  frères,  cette 
belle  vertu  l'engage  el  le  force  en  quelque 
sorte  à  les  oublier  entièrement  ces  iniqui- 
tés, et  à  agir  envers  nous,  comme  si  nous 
ne  les  eussions  jamais  commises  :  OperiC 
itnillUudinefn  pcccalorum?  {l  Petr.,  iy,8.) 
y  est-ce  pa->  un  grand  avantage  que  celui 
dont  nous  parle  l'ai)ùlre  saint  Joan,  que 
lorsque  nous  nous  aimons  les  uns  les  au- 
ires,  non-seulement  nous  demeurons  dans 
notre  Dieu,  in  ipso  muncinus  (l  Joan.,  IV, 
I3y,  mais  que  de  plus  notre  Diou  deiueure 
en  nous,  in  nobis  tnanel  (l  Joan,,  111,  2'jj , 
c'esl-a-uire,  qu'à  raison  do  celte  bonne  et 
sainte  disposition  de  noue  part,  il  se  i)laità 
faire  sa  résidoiice  au  milieu  de  nolro.cœur; 
qu'aluis  il  nous  comble  d'une  inlia'ité  de 
grâces,  de  secours,  défaveurs,  qui  nous  ion- 


(huit  [)lus  propres  à  remplir  tons  nos  de- 
voirs, à  sunnonler  toutes  les  tentation-,  et 
à  repousser  tous  les  assauts  des  ennemis 
de  notre  salut,  nous  rendent  plus  justes, 
plus  saints,  plus  agréables  à  ses  yeux  el 
plus  dignes  de  son  amour?  Aussi  aprf'S  ces 
gi'aiides  maximes,  puis-jo  dire,  s  iiis  crainle 
(fexagérer  qu'un  corps,  (lu'u-ie  socié  é  re- 
ligieuse surtout,  au  milieu  de  laquelle  règne 
une  parfaite  union,  une  vraie  charité,  doit 
être  regardée,  pour  me  servir  des  paroles 
du  Saint-Esprit,  par  les  grâces,  les  béné- 
dictions abondantes  qu'elle  reçoit  du  ciel, 
comme  une  armée  rangée  en  bataille,  terri- 
ble et  formidable  à  tout  l'enfer  :  Terribilis 
ni  casiroruin  acies  ordinaia.  [Cant.,  VI,  9.) 
,.'  Mais  U'i  autre  avantage,  Mesdames,  que 
procure  toujours  cette  union,  cette  charité, 
lorsqu'elle  règne  dans  tous  les  cœurs,  et 
qui  est  une  suite  naturelle  de  ceux  dont  je 
viens  de  vous  parler,  c'est  la  paix  ;  je  no  dis 
pas  une  paix  ap|)arente,  simplement  exté- 
rieure, mais  une  paix  intérieure  et  vérita- 
ble, le  plus  grand  bien,  disons  môme,  l'u- 
ni(jue  bien  solide  et  véritable  qu'il  soit  en 
nuire  [)Ouvoir  de  nous  [procurer  sur  la  terre. 
Oui,  cette  paix  que  le  monde  ne  ()eut  don- 
ner, qu'il  ne  connaît  pas  môme;  cette  paix 
que  tous  les  biens,  tous  les  avantages  et 
tous  les  plaisirs  de  la  terre  n'ont  jamais  pro- 
curée, et  qii'ilsne  peuvenljamais  procurer; 
celte  paix  que  les  impies,  que  les  pécheur.^ 
ne  goûtent  jamais,  pas  même  lorsqu'ils  se 
glorilient  le  plus  d'être  dans  la  paix  :  c'esi 
celte  paix  intérieure  et  toute  céleste,  celle 
aimable  paix  qu'éprouvent  et  que  goûtent 
des  âmes  fidèles,  des  vierges  deJésus-Chrisi 
surtout  qui  se  trouvent  unies  entre  elles, 
non-seulement  par  la  môme  habitation  et 
par  la  profession  du  même  étal,  mais  de. 
[ilus  par  les  liens  d'une  véritable  charité; 
que  souvent  elles  peuvent  s'écrier  alors 
avec  le  lloi  iirophèto  -.Ah!  qu'il  est  ayréa- 
ble,  qu'il  est,  Oun,  qu'il  est  avantageux  pour 
nous  d'iiabiier  ensemble,  et  de  vivre  dans  une 
parfaite  union'.  {Psal.  CXXXU,  9.)  Non-seu- 
lement elles  la  goûlent  au  dedans  d'elles- 
mêmes,  cette  paix  délicieuse,  mais  elles  la 
manifestent  sensiblement  au  dehors  :  elles 
se  la  communiquent  réciproquement  par 
des  manières  pleines  d'alïabilité,  d'atten- 
tion, de  [irévenance.  Quelle  ditférence  en 
elfet,  entre  une  communauté  où  règne  uno 
union  parfaite,  uno  concorde  universelle, 
et  celle  où  les  esprits  et  les  cœurs  sont  di- 
visés !  Quels  troubles  dans  celle-ci  1  que  de 
prévarications  1  que  d'associalions  illicites  I 
que  d'amitiés  particulières  et  le  plus  sou- 
vent criminelles  aux  yeux  do  Diou  1  Que  do 
soupçons  injusles!  que  <ie  jugomenls  té- 
méraires 1  que  do  contidences  indiscrètes! 
que  de  rapnorts  peu  fondés!  (juo  de  haines! 
que  a'aversions  secrètes!  que  de  murmures! 
(jue  de  brigues  !  quede  cabales!  que  ('.'éclats 
[lubiics  (juolqueluis  et  scanJaleux  par  consé- 
quent! quodagitalions  on  un  mot,  dans 
les  esprits  !  que  d'elfervesconc(;  dans  les 
cœurs!  Ah!  une  communauté  divisée,  je  nu 
crains  iioint  de  lo.Jire,  c'est  l'imago  de  l'on- 


S35 


ORATEURS  SACRES.  LABRE  DE  MONTIS, 


538 


fer.  Les  d(^mons,  les  réprouvés  qui   l'iiabi- 
lerit,  ce  lieu  de  leurs  supplices,  sans  cesse 
I  fci)  guerre  les  uns  avec  les  autres,   ne  sont 
'  occupés  qu'à  se   délester,  qu'à  cbercher  à 
se  nuire,   qu'à  s'acrabler  luuluellement  de 
reproches   et  d'injures  ;  c'est  un  séjour  de 
Iroubles  et  de  calamités.  Ainsi  en  est-il,  [)ar 
proportion,  d'une  communauté    désunit; 
les  personnes  qui  Ihabilenl,  entretenant  la 
division  |  arrai  elles,  se  déplaisent  mutuel- 
lement ;  elles  s'ofTensenl  les  unes  les  autres: 
en  se  déplaisant,  en  s'olTensanl,  elles  dé- 
plaisent à  leur  Dieu;  elles  olTensent  griève- 
ment leur  Dieu,  ce  Dieu  de  paix  et  de  cha- 
rité, la  charité  cssenlieUc.  Ainsi  opposées  à 
Dieu  et  au  prochain,  en  guerre  avec  leur 
Dieu  et  avec  le  prochain,  comment  pour- 
raient-elles ôlre  en   jiaix,  comment  pour- 
raienl-elles   n'être  pas    en  guerre  et  dans 
une  guerre    perpétuelle  avec  elles-mômcs  ? 
Mais  quelle   dill'érence,  quel   spectacle  au 
contraire  qu'une  communauté  au  milieu  de 
!a(}uelle  règ'ie  une  parfaite  union,  une  cha- 
rité universelle!  Quel  |)lus  beau  spectacle, 
plus  agréable  au  ciel  et  à  la  terre,  aux  anges 
et  aux   hommes,  qu'une  troupe  de  viei'ges 
qui,  toutes  épouses  du  même  Dieu,  desti- 
nées  à    vivre  ensenible    et  sous  la  môme 
règle,    se  conduisent  f)ar  le  môme  esprit; 
qui  participant  souvent  par  la  sainte  com- 
munion au  corps  ^■doruble  de  Jésus-Christ 
leur  céleste  Epoux  ,   paraissent  participer 
toutes   également  à  son  esprit,  qui  est  un 
esprit   de  paix,  de  douceur,  de  patience  et 
de  charité;  qui  se  rassemblent  chaquejour  et 
jdusieursfois  le  jour  pour  chanter  ses  louan- 
ges, en  unissant  leurs  voix  y  réunissent  éga- 
lement leurs  cœurs;  qui,  dans  leurs  différen- 
tes fonctions  et  danslesemploisdiversqu  el- 
les exercent,  paraissent  agir  et  ne  se  conduire 
que  par  un  véritable  esprit  de  charité;  qui, 
malgré  lescontie-temps,  les  contradictions, 
les  humeurs  qu'elles  ont  quelquefois  à  es- 
suyer des  caiacières  souvent  diliiciles  avec 
lesquels  elles  habitent,  montrent  ce()endant 
toujours  la  même  patience,  la  même  égalité 
(l'âme,  qui  se  sup[)ortent  mutuellement  dans 
leurs  défauts,  dans  leurs  misères,  toujours 
inséparables   delà  faible  humanité  et  atta- 
chées à   la  condition    de  tous    les  enfanls 
d'Adam;  qui  se  supporleni  et  se  pardonnent 
sans  peine  les  petits  tons,  les  impatiences, 
les    vivacités    qui   échajipent  quehjuefois, 
même  aux  plusdouceset  aux  plus  parfaites. 
Quel  spectacle  encore  une  fois  plus  conso- 
lant  I  our  leurs  supérieures,  pour  l'Eglise 
8lle-mênie  I  plus  édifiant  pour  les  personnes 
du  monde  qui  se  trouvent  quelquefois  dans 
le  cas  de  les  voir  et  de  lus  connaître  !  Quoi 
tle  plus  ag'  éable  pour  le  ciel,  pour  les  anges 
et  jjour  les  saints  1  Le  bonheur  de  ceux-ci, 
dans  le  séjour  de  la  gloire,  c'est  d'être  par- 
faitement  unis  eniie  eux,  de  n'avoir  tous 
qu'une  seule  et  unique  volonté  qui  est  de 
se  conformer  parfaitement  à  la  volonté  de 
Dieu,  de  n'avoir  qu'un  seul  et  unique  désir, 
qui  est  que   leur  Dieu  soit  glorifié,  comme 
il  le  mérite,  par  toutes  ses  créatures,   de 
n'avoir  qu'un  seul  et  unique  attachement. 


qu'un  seul  et  unique  amour  qui  est  l'amour 
de  leur   Dieu;  et  voilà   par  proportion,  au- 
tant que  la  faiblesse  humaine  peut  le  per- 
mettre, ce  que  font  dès  à  présent  des  vierges 
et  des  épouses  de  Jésus-Christ  parfaitement 
unies   entre  elles;  leurs  pensées,  leurs  af- 
fections,  leurs   désirs,  leurs  actions,  tout 
est    pour  leur   Dieu  ;  elles  pensent,    elles 
désirent,  elles  agissent  également  et  toutes 
ensemble  pour  jilaire  à  leur  Dieu,  [)our  se 
coniVinner  en  tout  à  la  volonté  de  leur  Dieu; 
'On    les  voit  travailler  toutes  de  concert  et 
autant  qu'il  est  en  elles  à  la  gloire  de  leur 
Dieu.  Ah  1  ce  Dieu  de  toute  bonté,  peut-il 
alorsnepas  jeter  un  regard  de  com()laisatice 
et   de    miséricorde   sur  des  âmes  qui,  par 
leurs  sentiments  et  leur  conduite,  se  trou- 
vent aussi    agréables  à  ses  yeux?  Que  do 
grâces,  que  de  secours,  que  de  consolations 
il  leur  prodigue  1  Oui,  tandis  qu'il  regarde 
avec    indignation   des  vierges   qui     vivent 
dans  une   division  qui  les  conduit  toujours 
à  l'oubli  de  leurs  devoirs  les  plus  essentiels 
quehpiefois  et  qui  ne  se  tient  pas  toujours 
dans    l'intérieur  de    la  communauté,   mais 
qui,  perçant  et  se  manifestant  assez  souvent 
au  dehors,  ne  |  eut  que  scandaliser  les  vrais 
(idèles  :  tandis  qu'il  jirive  de  ses  grâces  de 
f»rédilection  des  épouses  aussi  iididèles  et 
peu   dignes  de  cet  auguste  titre,  il  se  |)l,;î' 
au  contraire  à    répandre   sur  celles-là  les 
bénéiiiclions    les    plus    ;  b:,ndantes.   Ainsi 
forlitiées  et  consolées  tout  ensemble  par  des 
grâces  sans   nombre  (jue  le  céleste  1'4)ouï 
leur  communique  à  toutes  avec  une  espèce 
de  I  rofuiion,  s'.iimant  toutes  dans  leur  Dieu 
et  pour  leur  Dieu,  s'excitant  muluellement 
au  service  de  leur  Dieu,  travaillant  ensemble 
et  comme   à   l'envi  à   (  laire'à   leur  Dieu, 
elles   coulent  des  jours  heureux  et  Iran- 
quilles,  et  quoique  encore  sur  la  terre  el  au 
milieu  des  peines  insé|)arables  de  celte  vie 
mortelle,    elles    goûtent  on  quelque  sorte 
les  douceurs  du  ciel  et  particif)eni  aux  dé- 
lices de    la  vie  éternelle.  Loisque  la  mort 
vient  enlever  (juelqu'ui.o  d'entre  elles,  cette 
sép-aralion    leur  fait  à  la   vérité  verser  d(!S 
larmes    et    leur  cause  de  sincères  regrets, 
parce  qu'elles  s'aiment  sincèrement;    mais 
après  avoir  jiayé  ce  peiit  tribut  à  la  nature 
que  la  religion  n'intcrdt  pas,  elles  se  con- 
sulenl  par  les  vues  d;  la  loi  selon  l'avis  de 
rA[)ôlr(',  [)leine5  d'uni' ferme  esjiéranceque, 
dans  (pielijues  années,  el  es  se  trouveront 
toutes    réunies   en  Dieu.  Voilà  donc,  Mes- 
dames, le  grand  bien  que  [uocure  pour  tou- 
jours à  de  dignes  é[)ouses  de  Jésus-Christ 
cette    charité   qu'elles    exeicent   avec  une 
constante  tidélilé  les  unes  envers  les  au  res. 
Tels   sont   les    grands  avantages  que  leur 
procure   celte  union  des  cœurs,  celte  paix 
universelle  i|u'el!es  ont    soin  d'entieienir 
entre  elles  ;  vous  en  êtes  bien  convaincue-, 
vous  les  connaissez  ces  grands  avantage  s, 
vous  luéritez  de  les  épiouvoi',  et  vous  bs 
éprouvez  en   elfet.   Dieu    mieux  que   moi 
vous  seriez  en  état  de  les  exprimer  et  de 
les  bien   faire  connaîre  aux  autres  ;   mais 
aussi  plus  vous  les  connaissez  et  les  éprou- 


557 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  SEPTIEME  JOUR. 


ÔZè 


vc/,  plus  vous  en  sentez  le  prix,  plus  aussi 
vous  devez  craindro  de  les  perdre  et  devez, 
pour  cela,  prendre  les  moyens  les  plus  pro- 
pres et  les  plus  eOicaces  pour  l'enlrelenir 
Ht  pour  la  conserver  parmi  vous  cette  cha- 
riiL^,  celte  union  des  cœurs,  ciui  seule  peut 
vous  les  proeurer  ces  grands  avantages  ; 
mais  que  laut-il  faire  pour  cela,  et  quels 
sont-ils  ces  moyens?  C'est  ce  que  j'espère 
vous  montrer  dans  la  seconde  oarlie. 

SECONDE    PARTIE. 

Il  faut  en  convenir  ici.  Mesdames,  s'il  est 
une  obligation  pour  nous  d'aimer,  et  d'ai- 
mer sincèrement  le  prochain,  nous  éprou- 
vons souvent,  à  l'accomplir  cette  obligation, 
beaucoup  de  répugna:ice  et  de  peine.  Que 
noire   Dieu  nous  fasse  un  précepte  de  l'ai- 
mer, nous  trouvons  dans  les  perfections  in- 
tinies  qu'il   possède,  et  dans  les  immenses 
bienfaits  dont  il  nous  a  comblés  et  dont  il 
ne  cesse  de  nous  combler,  les  plus  grands 
motifs,  les  mo  ifs  les  plus  puissants  de  nous 
attacher  à  lui,  de  l'aimer  de  tout  notre  cœur; 
mais  qu'il  nous  fasse  le  même   coramande- 
nienl,  par  r.ippart  au  |)rochain  et  à  tout  pro- 
chain, voilà  co  qui  nous  paraît  d'une  praii- 
(pie  la  plus  diflicile  quelquefois  ;  nous  ren-     cel 
controns  assez  souvent,  dans  les  défauts  de 
ce  prochain,  dans  ses  actions,  dans  ses  ma- 
nières, dans  la  conduite  qu'il  tient  à  notre 
égard,  les  plus  grands  oltslacles  à  nous  at- 
tacher f<  lui,  et  à  l'aimer  Cependant,  Mes- 
dames, le  commandement  de  notre  Dieu  y 
est  exjtrès,  nous  ne  ()Ouvons   en  douter  : 
Vous  aimerez,  nous  a-t-il  dit,  votre  Dieu  de 
tout  votre  cœur,   et  voire  prochain   comme 
vous-mêmes.  {Matlh.,  XXll.  37.)  Il  s'agit  donc 
de  trouver  l(;s  moyens  de  l'accomplir  ce  pié- 
re[)te  Uu  Seig' eur,  et  de  surmonter  les  obsta- 
cles (;ui  s'oppos'jnl  à  son  accomi  Ksseinentjde 
conserver,  vis-à-vis  de  ce  prochain   surtout, 
avfc  lequel  nous  sommes  obligés  de  passer 
LOS  jours,  celle  charité,  celte  union  sans  la- 
quelle nous  ne  pouvons  absolument  plaire  à 
notre  Dieu;  et  pour  cela,  considérons  ici,  un 
nionienl  avec  attenlion,  ce  qui  trouble,  pour 
l'ordinaire,  celle  paix,  celle  union,  jusque 
dans  les  maisons  de  ret-aiio,  de  sainlelé,  et 
parmi  les  épouses  elles-mêmes  de  Jésus- 
Chiist  :  le  voici,  ce  me  semble,  Mesdames, 
je  me  Halte  que  vous  en  conviendrez  aisé- 
niont  avec  moi  ;  c'est  en  premier  lieu,  qu'on 
n'a  pas  toujours   pour  ses  sœurs,  dans  sa 
ton.luite  el  dans  ses  procédés,  toute  la  dé- 
Irrence   et   tous   )es   égards   qu'on  devrait 
avoir;  c'est  en  second  lieu  qu'on  s'afieete  trop, 
qu'où  se  montre  trop  sensible,  à  la  conduite, 
aux  procédés  de  ses  sœurs  :  or,  pour  remé- 
dier à  ces  deux  sources  de  divisions,  que 
faul-il   faire?  Le    voici;  c'est   d'avoir    des 
sentiments  el  de  tenir  une  conduite  entière- 
ment opposée  à  ces  défauts;  je  veux  dire, 
qu'une    religieuse   qui    dé*ire  d'entret(  nir 
la  paix,  l'union  avec  ses  sœurs,  doit  tout  à 
la  fois,  se  considérer  par  rajifiort  à  ses  sœurs, 
et  considérer  ses  sœurs  par  rapport  à  elle; 
en  se  considérant,  par  rapport  è  ses  sœurs," 
clic  doit  user  de  la  plus  grande  circonspec- 


tion, pour  ne  pas  leur  déplaire,  je  dis  plus, 
pour  leur  plaire  en  tout  ;  en  considérant 
ses  sœurs  |)ar  rapporta  elle,  elle  doit  user 
de  la  plus  grande  patience,  pour  ne  point 
s'oiïcnser  de  ce  qui  peut,  dans  elles,  lui  dé- 
plaire. Ainsi  ,  Mesdames  ,  attention,  mais 
attention  scrufiuleuse;  patience,  mais  pa- 
tience inaltérable  :  voilà  deux  dispositions 
peu  communes,  il  en  faut  convenir,  mais 
excellentes,  mais  très-utiles,  nécessaires 
Diême,  pour  conserver  loujours,  avec  le  ()ro- 
ch.-iin,  l'union  et  la  charité.  Dévelo|)()ons  ces 
deux  idées,  etenirons  dans  quelques  détails  ; 
et  pour  cela,  renouvelez-moi,  je  vous  prie, 
votre  attention, 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  qu'une  reli- 
gieuse, en  se  considérant  par  rapport  à  ses 
sœurs,  doit  veiller  attentivement  sur  elle- 
même,  pour  ne  rien  dire  ou  ne  rien  faire 
qui  puisse  leur  dé()laire,  je  dis  plus  encore 
pour  ne  rien  sentir  et  ne  rien  penser  de 
contraire  à  la  charité  qu'elle  leur  doit;  c'est 
à-dire,  qu'elle  doit  {lorter  une  scrupuleuse 
attention  tout  à  la  fois,  sur  ses  actions,  sur 
ses  paroles,  sur  ses  sentiments  et  sur  ses 
pensées.  Je  dis  attention  sur  ses  actions  : 
quelles  sont  en  elfet,  dans  une  communauté, 
celles  qui  conservent  le  moins  la  paix  et 
l'union  avec  les  autres?  Ne  sont-ce  pas  celles 
qui  se  regardant  elles-mêmes,  bien  plus  que 
le  prochain,  craignent  peu  de  leur  causer 
quelques  peines,  pouvu  qu'elles  se  satisfas- 
sent ;  or  la  vraie  charité  ne  cherche  point  ses 
propres  intérêts,  dit  l'apôtre  saint  Paul  : 
«  Nonquœrit  quœsuasunt{l  Cor.,  Vlll,5),  » 


elle  exige  au  contraire  qu  on  suive  ce  prin- 
cipe de  la  loi  naturelle,  de  no  pas  faire  à 
autrui,  ce  qu'on  ne  veut  pas  qui  soit  fait 
à  soi-même.  Quoi,  vous  prétendriez  conser- 
ver l'union  et   la  paix  avec  vos  sœurs,  et 
vous  ne  voulez  pas  avoir  la  même  complai- 
sance pour  elles?  Vous  refusez  souvent  de 
leur  rendre  service,  et  dans  le  temps  quel- 
quefois que  vous  exigez  d'elles  à  la  rigueur, 
tout  ce  qu'elles  vous  doivent,  ou  si  vous  leur 
rendez  service,    c'est  de   mauvaise  grâce, 
avec  une  répugnance  dont   elles   s'aperçoi- 
vent, et  dont  vous  voulez  bien  qu'elles  s'a- 
perçoivent;   vous   vous  conduisez    envers 
celles  qui  n'ont  pas  le  don  de  vous  plaire,, 
d'une  façon  qui  ne  manifeste  que  trop  vos 
sentiments  à  leur  égard;  vous  prenez  vis-à- 
vis  d'elles,  un  air  de  hauteur,  des  manières, 
flores  et  dédaigneuses  ;  vous  affectez,  comme, 
dit  saint  François  de  Sales,  des  contenances 
réfrogneuses  :  or  je  vous  le  demande,  est-ce 
l'esprit  d'une  vraie  charité   qui  vous  anime 
alors?  Cet  espritqui,  lorsqu'il  règne  dans  un 
cœur,  le  dispose  aux  plus  grands  sacrifices, 
qui  inspirait  à  l'afjôlre   saint  Paul,   le  désir 
de  se  faire  mêmeanalhème  pour  ses  frères? 
J'ai  dit  attention  sur  les  paroles;  et  voilà. 
Mesdames,  j'ose  le  dire,   la  source  la  plus 
commune  des  divisions  dans  les  commu- 
nautés;   si   chacune  des  personnes  qui  les 
composent  prenait  sur    elle  de   no  jamais 
rien  dire  qui  pût  aigrir  les  esprits  et  les 
cœurs,  on  y  verrait  régner  une  charité,  une 
paix  universelle,  mais  suivant  son  carac- 


339 

tère  vif  et  imiuMueux,  une  sœur  s'échappe 
et  fait  sentir  son  humeur  par  des  paroles 
brusques,  par  des  réponses  peu  honnêtes, 
offensantes  même;  il  n'en  faut  pas  davan- 
tage pour  indis[)Oser  un  cœur  trop  sensible 
peut-être,  et  point  assez  vertueux  ;  de  là 
une  indisposition  intérieure,  une  antipa- 
thie qui  se  convertit  ensuite  on  ressenti- 
ment, en  aversion.  Hélas,  Mesdames,  et  vous 
le  verrez  clairement  dans  l'autre  vie,  com- 
bien de  fois  une  parole^  offensante  et  p(Mi 
mesurée  a-t-elle^élé  le  principe  d'une  haine 
réciproque  qui,  pour  ne  pas  avoir  été  com- 
batti;e,  étouffée  dès  sa  naissance,  a  séjourné 
dans  !e  cœur,  toute  la  vie  et  jusqu'à  la 
mort  !  Mais  si  l'on  s'abstient  de  parler  mal 
à  ses  sœurs,  on  ne  s'abstient  pas  toujours 
d'en  parler  mal  ;  rulre  source  de  division  ; 
on  se  donne  la  liberté  de  censurer,  de  con- 
damner des  défauts  assez  considérables 
peut-être,  avec  des  gémissements,  si  vous 
voulez,  mais  qui  n'empêchent  pas  que  la 
charité  ne  soit  blessée  ;  sous  prétexte  que 
la  personne  est  connue,  on  ne  se  fait  aucune 
peine  de  révéler  des  taits  ignorés  de  plu- 
sieurs, on  enfait  des  confidences  indiscrètes, 
<.;on(idences  qui,  îiar  la  raison  que  ce  qui  se 
dit  en  secret  dans  une  communauié  ne, peut 
être  longtemps  secret,  passent  de  liouche 
on  bouche  jusqu'à  celle  qui  en  est  l'objet  ; 
confidences  jqui  ne  servent  qu'à  aigiir  les 
esprits,  qu'à  inspirer  de  l'éloigneraent  et  du 
mé|  ris,  et  contre  celle  de  qui  on  a  |)arlé, 
etaussiquelquefois  contre  celle  quia  parlé:  or 
la  charité'interdit  tout  discours,  toute  parole 
capable  de  nuire  au  prochain  ;  si  elle  em- 
pêche qu'on  ne  s'en  offense,  elle  défend 
aussi  d'irriter  par  là  et  d'offenser;  mais  cela 
ne  suflît  pas. 

J'ai  dit,  de  plus,  attention  sur  les  senti- 
ments du  cœur;  que  servirait  de  ne  rien 
dire  ou  de  ne  rien  faire  de  contraire  à  la 
charité,  si  on  livrait  son  cœur  à  des  sonti- 
ments  d'aigreur  et  d'aversion?  Que  serait-ce, 
au  yeux  du  céleste  Epoux,  que  cette  con- 
duite extérieure,  si  file  n'était  accompagnéi; 
et  même  l'eflet  de  la  charité  intérieure? 
elle  n'aurait  alors  d'autre  mérite  à  ses  yeux 
que  celui  des  gens  du  monde  qui  passent 
j)0ur  raisonnables  et  paisibles,  mais  qui  peu 
remplis  de  l'esprit  et  des  maximes  de  l'E- 
vangile, cherchent  en  philoso[)hes  par  des 
motifs  naturels  et  tout  humains  et  le  plus 
souvent  par  amour  pour  eux-mêmes,  à  con- 
server lu  paix  avec  les  autres;  di.^onsde 
|)ius  qu'une  religieuse  qui  n'aurait  point 
dans  son  cœur  une  vraie  charité  pour  ses 
sœurs,  ne  pourrait  longtemps  la  conserver 
à  l'extérieur  et  la  conserver  également  à 
J'égard  de  toutes;  dans  raille  occasions  dé- 
licates qui  se  présentent  souvent,  la  raison 
seule  ne  fera  point  des  efforts  que  la  reli- 
gion demande  et  que  la  grâce  seule  peut 
opérer.  Vous  devez  dnnc  vous  ap[)liquer 
surtout.  Mesdames,  à  bien  établir  datis 
votre  cœur  un  amour  sincère,  une  charité 
véritable  et  universelle  pour  vos  sœurs; 
je  dis  égale  parce  que  si  vous  ne  devez  ex- 
clure  aucune  d'elles  de  votre   cœur,  vous 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS 


340 

ne  devez  aussi  y  donner  a  aucune  une 
place  singulière,  n'en  aimer  aucune  d'une 
amitié  particulière;  amitié  particulière,  ami- 
tié fausse,  purement  naturelle,  toujours 
opposée  à  la  vraie  charité;  amitié  [)articu- 
lière ,  amitié  injuste  qui  ne  s'entretient 
qu'aux  dépens  et  au  préjudice  de  la  chariié 
commune;  amitié  également  funeste  aux 
deux  sœurs  qui  s'y  livrent  et  par  les  infidé- 
lités, les  péchés  qu'elle  leur  fait  commettre 
et  la  soustraction  des  grâces  qu'elle  leur 
cause;  amitié,  au  sentiment  de  sainte  Thé- 
rèse et  de  tous  les  maîtres  de  la  vie  spiri- 
tuelle, la  ruine  <ies  communautés;  amitié 
aussi  que  tous  les  instituteurs,  les  fondateurs 
d'ordre  ont  tous  défendue;  votre  charité 
pour  être  vraie  doit  donc  être  égale  et 
universelle.  Ah  1  je  sais  bien  que  toutes  vos 
sœurs  ne  peuvent  pas  vous  être  également 
agréahles;  jesais  que,  comme  on  sent  pour 
quelques  personnes  un  certain  penchant 
naturel,  on  é[irouve  aussi,  pour  d'autres, 
un  éloignement,  une  aniii)alhie  dont  on  no 
pourrait  souvent  expliquer  la  cause  ;  je  veux 
de  plus  que  cet  éloignentent,  que  cette  an- 
tipathie soit  fondée,  qu'elle  soil  l'effet  des 
défauts,  des  mauvaises  qualités  de  votre 
sœur,  de  son  caractère,  de  son  humeur, 
de  sa  conduite  envers  vous  ;  je  dis  que  tout 
cela  ne  doit  point  refroidir  votre  cœur  à 
son  égard,  que  vous  devez  l'aimer  sincè- 
rement comme  toutes  les  autres,  que  pour 
plaire  conslanjaient  à  votre  céleste  Epoux, 
vous  ne  lievez  faire  aucun  discernement, 
que  vous  devez  étouffer  promptemenl  tout 
éloignement,  toute  antipathie  dès  que  vous 
la  sentez  naître  dans  voire  cœur,  que  vous 
devez  même  donner  des  marques  d'affection 
et  de  cordialité  encore  plus  marquées  à 
celles  pourlesquelles  vous  sentez  au  dedans 
de  vous  moins  de  penchant  et  d'attrait. 

J'ai  dit  enfin  attention  sur  les  pensées  et 
les  jugements.  Oui,  Mesdames,  il  faut  aller 
jusque-là  si  vous  voulez  conserver  dans  votre 
cœur  une  vraie  charité,  une  union  parfaite 
avec  toutes  vos  sœurs;  car  si  vous  donnez 
sur  cela  libre  carrièreà  votre  es[)rit,  si,  sur 
ce  que  vous  voyez  dans  vos  sœurs,  vousen- 
tre[)renez  de  les  soupçonner,  de  les  juger, 
ces  soupçons,  ces  jug'ements,  dès  que  vous 
ne  les  rejetez  pas  de  l'esprit  qui  les  a  for- 
més, passeront  bientôt  dans  la  volonté  qui 
les  adoptera,  et  dès  lors  vous  vous  rendrez 
cou[)ables  de  fautes  contre  la  cliarilé,  et 
d'autant  plus  grièves  que  votre  jugement 
aura  été  plus  considérable.  Je  sais  bien  en- 
core qu'un  ne  peut  queltiuefois  s'empêcher 
de  voir  des  fautes  ou  des  défauts  qui  sau- 
tent aux  yeux,  pour  ainsi  dire.  Je  sais  que 
la  vraie  charité  n'oblige  point  déjuger  blanc 
ce  qui  est  noir;  mais,  je  sais  aussi  qu'il  est 
très-aisé  de  se  tromper  dans  les  jugements 
qu'on  porte  sur  le  |)rochain,  qu'il  ne  faut 
[»as  le  )uger  facilement  et  à  la  rigueur,  de 
peur  d'être  jugé  de  même,  un  jour,  par  le 
Seigneur.  Je  sais  que  la  charité  veut  qu'on 
interprète  toujours  en  bien  tout  ce  qui  en 
est  susceptible,  que  si  une  action  de  dix 
faccs^n'en  montrait  qu'une  favorable,  c'est 


Ml 


DISOOllIlS  l»E  KETnAlTi:.  —  SEniEMK  JOUR. 


342 


(  elle-Ià  qu'il  f;iuilr;ii(  ndoplcr.  Je  sais  (|ii(! 
la  charité  exige  que  qii.iii'l  on  iio  peut  juger 
tMi  bien  une  aclion  du  prochain,  on  la  cou- 
vre autant  (|n*on  le  peut,  t)ien  loin  tle  la 
faire  ronuaîlre  ;  qu'on  se  borne  alors  à  prier 
pour  la  |)erso;iiio  et  h  on  remettre  le  juge- 
mont  au  Seigneur.  Je  sais  encore  que  la 
charité  lienianile  que,  pour  avoir  moins  de 
pensées  et  de  jugements  sur  le  prociiaiii,oii 
n'ait  pas  les  yeus  si  ouverts  sur  ce  qu'il 
fait;  (lu'on  soit  toujours  beaucoup  plus  dis- 
pnso  à  voir  ses  vertus  pour  les  imiter  et 
s'en  édifier,  que  ses  défauts  pour  les  con- 
ilnniupr  et  s'en  scandaliser  ;  qu'il  vaut  in- 
liniment  mieux  tourner  les  yeux  sur  soi- 
même,  parce  que  si  l'on  n'a  pas,  par  sa 
pl."Ce,  autorité  sur  les  autres,  on  no  doit 
répondre  au  souverain  Juge  que  de  sa  pro- 
pre perleclion.  Voilà  tout  ce  que  dicte  l'es- 
prit lie  charité  qui  est  l'esprit  de  Jésus- 
('hrisl;'cn  s'y  conlormanl,  on  réussit,  dans 
une  communauté,  à  conserver  l'union  et 
la  paix. 

Il  me  semble  ici  entendre  une  sœur  nie 
ilire'quc  cesiuaxiu;os  que  je  lui  débite,  sont 
irés-sages,  très-chrétiennes,  mais  qu'elles 
)>e  sont  presque  pas  praticables  quand  on 
vit  en  communauté;  qu'elle  souhaiterait, 
|)0ur  m'en  convaincre,  que  je  pusse  liabiter, 
quelques  jours  seulement,  iiarmi  elles  et 
connaître  les  ditférents 'caractères  avec  les- 
quels il  faut  vivre.  A  cela  je  réporuls  à  celle 
chère  sœur  que  je  conviens  qu'il  n'est  point 
aisé  do  conserver  la  paix  avec  toutes  sortes 
d'esprits  et  de  caractères';  mais,  qu'après 
tout,  le  Seigneur  l'exigeant,  comme  une 
disposition  nécessaire  |  our  lui  plaire  et 
pour  se  sanciifior  dans  la  religion,  il  faut 
chercher  et  saisir  tous  les  moyens  propres 
à  y  réus-ir.  C'est  pour  cela.  Mesdames, qu'a- 
près vous  avoir  fait  voir  qu'à  se  considérer 
jiar  rapport  au  prochain  ,  il  faut  la  plus 
grande  atlention  pour  ne  pas  lui  déplaire, 
.l'ajoute  (|u'à  considérer  le  prochain,  par 
rapport  à  soi.  il  faut  la  jiliis  grande  patien- 
ce, pour  qu'il  ne  déplaise  |»as. 

11.  Oui,  Mesdames,  il  faut  en  convenir, 
ot  j'en  suis  déjà  convenu,  avec  vous,  de  bon- 
r.e  toi,  il  se  trouve,  et  assez  fréquemment, 
dans  les  communautés  de  ces  personnes 
p:  u  sociable*,  do  ces  caraclèrcs  incapables 
(;'■  nlieienir  1  union  et  la  paix  avec  le  pro- 
ch.iin  ;  je  vous  les  ai  dépeints  dans  un  autre 
U:C)urs.  Hélas!  une  seule  |)ersonne  réunit 
t|USlquet'ois  plusieurs  de  ces  défauts  qui, 
comme  on  s'exprime  assez  souvent,  la 
rendeni  insupportable  :  mais,  ma  chère 
sœur,  vous  surtout  qui  trouvez  diilicilo 
dans  la  pratique,  colle  morale  que  je  vous 
prèihe,  c'est  [irécisément  parce  qu'elle  vous 
fiaraîl  insupportable  celle  sœur,  que  vous 
di'vcz  vous  appliquer  davantage  à  la  sup- 
puhr;  pour  vous  y  engager,  je  pourrais 
vous  dire,  que  plus  vous  sonlez  li'opposilion 
p.iur  elle,  (pje  plus  vous  vous  faites  de  vio- 
lence |)0ur  la  supjiorter,  plus  aussi  vous 
vous  rendez  agréable  à  votre  céleste  Epoux, 
et  digne  de  ses  grâces;  je  pourrais  vous 
dire  que  celle  sœur,  quoique  pleine  de  dé- 


fauts, est  destinée  à  vivre  éternellement 
avec  vous  dans  le  ciel,  qu'elle  y  sera  plus 
élevée  que  vous  pout-étro,  (lu'elle  fait  fieut- 
ètre  encore  pour  si;  corriger  de  ses  défauts, 
plus  d'ell'orts  que  vous  n'en  faites  pour 
vous  corriger  des  vôtres.  Je  pourrais  vous 
dire,  d'après  saint  François  de  Sales,  qu'iino 
communauté  religieuse,  n'est  point  une 
assemblée  de  parfaites,  mais  do  [lorsonnos 
qui  travaillent  à  le  devenir.  Jo  pourrais 
vous  dire  qu'il  n'est  pas  une  personne  sur 
la  terre,  quelque  sainte  qu'elle  soii,  cpii 
n'ait  des  défauts;  que  la  sainteté  eon.sislo 
Inen  moins  h  n'en  point  avoir,  (|u'à  les 
combattre,  qu'à  s'en  servir  pour  s'humilier 
et  s'anéantir  avec  Dieu;  (|uo  c'est  pour  cela 
qu'il  permet  que  les  saints  en  aient  qui  se 
manifoslent  sensiblement  qiiehjuefois.  Je 
pourrais  vous  dire,  ma  clioro  sœur,  (ju'ac- 
couiuuiéo  comme  vous  l'êtes,  à  censurer 
votre  sœur,  à  nourrir  dans  votre  cœur  l'é- 
loignement,  ranlijialhie  (lue  vous  avez  con- 
çue contie  elle,  il  n'est  point  étonnant  que 
tout  dans  elle,  vous  déplaise;  (pie  vous 
exagérez  ses  défauts  dans  v(;tre  esprit,  que 
vous  en  supposez  peut-être  (ju'ello  n'a  pas, 
(]ue  c'est  là  ce  (juc  produit  la  prévoniicu 
|)Our  l'ordinaire;  que  cela  est  si  vrai,  que 
tout  d:ins  elle,  et  jusqu'au  bien  qu'elle  l'ait, 
vous  révolte  :  je  pourrais  insister  sur  towt 
cola;  mais  je  veux  bien  sup|)0ser,  |)our  sn 
moment,  que  celte  sœur  est  telle  que  vous 
la  déjieignoz,  qu'elle  a  des  torts  tiès-consi- 
dérables  vis-à-vis  de  vous,  je  n'ai  qu'unu 
seule  chose  à  vous  diie,  et  (Ui'une  seulo 
(]uesiion  à  vous  faire  :  conmiont  votre  Dieu 
en  a-l-il  agi  jus(prici  avec  vous,  et  com- 
ment en  agit-il  tous  les  jours?  Vous  le  savez, 
et  ra|)peloz-le-vous  dans  ce  niomonl;  il  vouj 
a  donné  des  témoignages  de  son  amour, 
jusqu'à  souffrir  et  à  mourir  pour  vous,  et 
dans  le  temps  qu'il  p:évoyait  vos  péchés,  et 
toutes  vos  ingratitudes  à  son  égard  :  il  n'en 
est  pas  domeuié  là;  par  une  prédilection 
toute  particulière,  il  vous  a  tirée  comme 
par  miracle  peut-être,  de  la  contagion  du 
siècle,  il  vous  a  iniroduite  dans  une  maison 
sainte,  il  vous  a  mise  là  au  rang  do  ses 
épouses;  il  n'a  cessé,  depuis  col  heureux  mo 
mont,  de  vous  combler  do  ses  grâces,  mal- 
gré des  fautes,  des  rechutes  et  des  inlidé- 
lités  sans  nombre,  que  vous  ne  pouvez 
vous  dissimuler,  et  (pie  dans  ce  moment 
vous  vous  ro{>roclioz  intorieureiuent.  Or 
pour  tous  ces  témoignages  do  son  amour, 
malgré  votre  indignité  il  vous  demande  ce 
Dieu- Sauveur  voire  Ejioux,  que  vous  ai- 
miez le  prochain,  son  épouse  à  laquelle  il 
vous  a  associée  malgré  ses  torts  et  ses  dé-' 
fauts,  que  vous  raiiiiioz  pour  l'amour  do 
lui  ;  il  vous  déclare  cju'il  n'agréera  point 
vos  proteslaliotis  d'amour  pour  lui,  bien 
plus  encore  (juo  vos  prolostalioiis  d'amour 
pour  lui  no  seront  point  sincères  si  vous 
n'aimez  vérilablement  votre  prochain  et 
tout  votre  jirochain.  Pourriez-vous ,  après 
cela  sans  ingratitude ,  lui  refuser  ce  qu'i'l 
vous  demande?  C'est  donc,  Mesdames,  l'iu- 
leiition  de  votre  céloslc  époux  eu  vous  réu^ 


3Î3 


ORATEURS  SACRES.  LADCE  DE  MONTIS. 


Mi 


nissant  sous  la  même  règle,  que  vous  vous 
aimiez  sincèrement  les  unes  les  autres  ;  que 
vous  vous  donniez  réciproquement  et  sans 
exoefilion  ,  des  témoignages  d'attachement, 
«lue  vous  vous  supportiez  toutes  eliaritable- 
nxMit  malgré  les  défauts  et  avec  les  défauts 
quo  vous  pouvez  avoir.  Ainsi  l'apôtre  saisit 
l';iul  le  prescrivait-il  aux  simples  fidèles  ,  fi 
lous  les  disci()les  de  Jésus-Christ  :  Aller  al- 
ierius  onera  porlale.  (Galal.,  Yl,  2.)  Soyez 
patients  envers  tom,  leur  écrivail-il  encore  : 
J^'atienles  estole  ad  omnes.  (1  Thess.,  V,  14-.) 
l'renez  g.iid',  Mesdames, il  dit  envers  tous, 
paice  qu'il  savait  (jue  la  charité,  îa  vraie 
charité  doit  s'élendn;  à  tous.  Hé  quoi!  si 
vous  vous  bormz  à  .limer  celles  de  vos 
^œlir■iqtli  ont  des  qualités  du  cœur  et  deKes- 
pr  t  qui  les  r(  ndenl  aimables  ou  qui  vous 
donnent  des  marques  iJe  leur  amitié,  quel 
méii:e  avez-vuiis  auprès  de  voire  Dieu  ,  et 
quelle  réx;o;npcnse  pouvoz-vous  en  allen- 
uiu?  Vous  ne  faites  a'ois  que  ce  que  font 
les  infidèles  qui  sans  religion  et  sans  foi, 
suivant  les  sentiments  de  la  nature,  se  bor- 
nent h  aimer  ceux  qui  leur  plaisent  ou  qui 
leur  font  du  bieii.  La  vraie  chanté,  la  cha- 
ri  é  (hré  ieune  et  religif  use  consiste  donc  à 
aimer  le  |  rochiin  queliiue  peu  aimable  qu'.l 
nous  paraisse  et  quelque  peu  d'amour  qu'il 
ail  pour  nous.  Voulez-vouî  donc,  vous  sur- 
tiul  ma  chère  sœur,  qui  jusqu'ici  vous  êtes 
livrée  sans  beaucoup  de  scrupule  à  des 
sentimonls  peu  conformes  à  cette  belle  ver- 
tu de  la  charité,  voulez-vous  donner  à  voire 
eélesle  Epoux  des  témoignages  non  équi- 
voques de  votre  amour?  Ah  1  si  je  le  veux  , 
il  le  sait  bien  lui-même,  que  je  veux  l'aimer 
cet  Epoux  si  aimable,  si  d  giie  de  mon 
amour;  c'est  l'unique  bien-aimé  de  mon 
cœur;  j'ai  tout  fait  pour  lui;  je  ne  crains 
point  de  l'en  prendre  lui-même  à  témoin, 
j'ai  renoncé  absolument  à  lout  et  pour  tou- 
jours pour  être  toute  à  lui ,  [)Our  lui  donner 
des  témoignages  constants  et  non  équivo- 
«juesde  mon  amour.  Eh  bien! je  le  crois, 
ma  chère  sœur;  mais  si  cela  est,  aimez 
donc  votre  prochain,  aimez  donc  sincère- 
ment et  de  lout  voire  cœur,  vos  sœurs,  et 
toutes  vos  sœurs,  su|)pO( tez-les  toutes  avec 
leurs  défauts  ;  montrez-leur  par  votre  con- 
duite pleine  de  coidialilé  que  vous  avez 
oublié  les  torts  qu'elles  oui  pu  avoir  à  votre 
égard;  éloulfez  jusqu'aux  plus  petits  res- 
sentiments, surtout  lorsqu'elles  viennent 
réparer  auprès  de  vous  ce  qui  a  paru  dans 
elles  vous  olfenser:  ah!  recevez-les  alors 
avec  amitié,  faites-leur  connaître  par  tout 
votre  extérieur  que  vous  leur  pardonnez, 
mais  bien  sincèrement ,  mais  de  tout  votre 
cœur;  au  lieu  de  vous  entretenir  intérieu- 
rement de  leurs  procédés  à  votre  égard  , 
pensez  souvent  à  ce  que  vous  devez  à  Dieu, 
à  votre  prochain  et  à  vous-même;  et  ne  me 
dites  point  que  celte  sœur  qui  fait  votre 
tourment  est  d'un  caractère  à  ne  pouvoir 
vivre  en  paix  avec  elle ,  que  mil'e  fois  vous 
avez  fait  à  son  égard  des  avances  qui  n'ont 
servi  qu'à  l'aigrir,  à  l'indisposer  encore 
plus  contre   vous,   quo  vous  n'êles  pas  la 


seule  dans  la  communauté  qui  éprouviez 
ses  mauvaises  façons,  que  vous  seriez  dis^ 
posée  à  souffrir  de  toute  autre,  mais  qu'i 
decelIe-15,  vous  l'avouez,  cela  est  plus 
fort  qu?  vous,  Ahl  ma  chère  sœur,  ne  m'al- 
léguez ici ,  ,je  vous  en  conjure  ,  que  les  rai- 
sons et  les  excuses  que  vous  pourrez  allé- 
guer légitimement  au  jugement  de  vctie 
Dieu  :  or  je  vous  le  demande ,  soyez  de 
bonne  loi,  croyez-vous  que  votre  céleste 
Epoux  devenu  alors  voire  Juge  veuille  les 
recevoir  ces  raisons  et  ces  excuses?  Oserez- 
vous  môme  les  lui  alléguer?  Hé  ([uoi  I  lors- 
qu'il nous  a  rcconimaiidé  à  tous,  la  cha- 
rité, l'union,  la  patience,  a-t-il  distingué 
entre  esprit  el  esprit,  entre  caractère  et 
caractère?  Ne  nous  a-l-il  pas  ordonné  d'ai- 
mer même  nos  ennemis  ,  du  leur  pardonner 
sincèrement  el  pour  l'amour  de  lui ,  de  leur 
faire  tout  le  bien  qui  déiiendail  de  nous  ?  Et 
lui-même  ne  nous  a-t  il  pas  donné  cet 
exemple?  Qu'était-ce  que  ses  ennemis? 
En  vii.-on  jamais  déplus  injustes  et  de  plus 
barbares?  Cependant  sur  la  croix  il  a  prié 
pour  eux  son  Père  éternel,  il  a  soulferl  pour 
eux  les  tourments  les  plus  alfr^ux,  la  mort 
la  plus  ignominieuse  et  la  plus  cruelle, 
autant  pour  nous  donner  l'exemfjle  que 
pour  opérer  notre  salut  :  or  tout  ce  que 
vous  avez  souffert  ou  à  souffrir  ^  ost-il  com- 
parable à  ce  qu'a  soulfert  voire  célesle 
Epoux?  Reconnaissez,  reconnaissez  donc 
les  illusions  de  l'amour-propre  et  les  pièges 
que  vous  tend  rennemi  de  votre  salut  ;  pen- 
sez que  votre  Dieu  ne  peut  rien  vous  com- 
mander de  trop  au-dessus  de  vos  forces, 
qu'il  vous  donne  toujours  des  secours  pro- 
portionnés à  ce  qu'il  exige  de  vous;  dire  ou 
penser  le  contraire,  ce  serait  une  erreur, 
une  impiété.  Votre  Dieu  vous  ordonne 
d'aimer  sincèrement  vos  sœurs  et  toutes, 
vos  sœurs,  vous  devez  donc  les  aimer  toutes 
je  dis  plus,  vous  pouvez  donc  les  aimer 
toutes.  Pensez  que  les  efforts  que  vous  fe- 
rez pour  éteindre  en  vous  tout  ressentiment, 
toute  aigreur  conîre  cette  sœur  qui  vous  a 
déplu  ,  et  pour  lui  donner  en  toute  oc- 
casion des  preuves  de  votre  patience,  de 
votre  cordialité  ,  ne  pourront  être  que  très- 
agréables  à  votre  céleste  Epoux,  et  très- 
avantageux  pour  vous  par  conséquent. 

Ail  !  heureux,  dit  Jésus-Christ,  heureux 
les  doux ,  «  bcati  miles.  »  Heureux  les 
pacifiiiHes  ,  «  bcali  pacifici.  »  Parce  quils 
posséderont  la  terre  [Matlh.,  V,  4,  9), 
c'esi-h- dire ,  les  avantages,  et  le  plus 
grand  avantage  qu'on  puisse  se  procurer 
sur  la  terre,  qui  est  la  paix  de  l'âme,  le 
contentement  du  cœur  :  mais  hélas  !  où 
sont-ils  ces  esprits  vraiment  amis  de  la 
paix,  qui  sans  égard  aux  défauts  .du  pro- 
chain, l'aiment  uni(juemont,  dans  Dieu  et 
[îour  Dieu  ?  0\x  se  trouvent-ils  ces  carac- 
tères doux  et  pacifiques,  pleins  d'égards 
.pour  le  prochain,  incapables  de  rien  faire 
qui  puisse  lui  déplaire,  toujours  attentifs 
au  contraire  à  saisir  les  occasions  de  lui 
faire  du  bien,  toujours  disposés  pour  cela 
à  sacrifier  leurs  iulérèls  et  leurs  penchants? 


DISCOURS  DE  RETIIAITE.  —  SEPTIEME  JOtU. 


546 


Ou  se  l!Oiivonl-i!s  ces  caractères  d'une  liu- 
meiir  toujours  <?gale,  d'une  patience  inallé- 
r.ibio,  que  les  injures,  les  mauvais  pronédt^s 
n'nigrissc;  l  poi.  t  que  les  pins  gnmdcs  in- 
jusiices  n'irritent  noint,  qui  se  nioiilront 
comme  insensibles  .'i  tout  le  mal  que  le 
prochain  |)i'ut  leur  l'airo,  qui,  bien  loin  (Je 
lui  on  téiiioi.uner  le  moindn;  ri^ssonlimonl, 
rt'doublenl  d'altcMtion  et  de  boiini'S  ma- 
nières h  son  égard  ?  N'exagérons  rien  ici  : 
l'on  en  voit  encore  du  c^s  ciractf^res  lien- 
reux,  si  |>roi'res  à  contribuer  an  bonheur 
li"  la  socirlé.  Chaque  communauté  en 
possède  ;  et  celle-ci,  plus  peul-tMrc  que  bien 
(I  autres:  mais  ne  le  dissimulons  point 
aussi,  ils  sont  rares;  rien  de  plus  commun, 
même  dans  h.'s  connnunauîés  les  mieux 
composées  et  les  plus  régulières,  que  de 
voir  de  ces  esprits  moins  propres  h  entrete- 
nir la  paix  et  la  charité,  qu'h  causer  des 
divisions,  (pii  prennent  toujours  leur 
source  dans  ramour-propre,dans  un  amour 
excessif  de  soi-même. 

Ali  !  Seigneur,  si  je  veux  rentrer  ici  sé- 
rieusement en  moi-même,  me  rappeler  la 
conduite  que  j'ai  tenue,  depuis  que  j'ai  le 
lionhcnr  d'être  dans  la  religion,  que,  de 
fautes  jai)erçois  contre  le  prochain  auquel 
vous  m'aviez  associée  ;  que  de  divisiofis, 
que  d  anlipathies,  que  d'aversions  même 
conçues  et  entretenues  dans  mon  cœur,  et 
qui  trop  connues,  n'ont  pu  que  mal  édifier 
mes  Sœurs  !  Quand  j'ai  éviié  les  scandales 
et  les  éclats,  et  bien  plus  p;ip  respect  hu- 
main, que  par  amour  pour  vous,  que  de 
fautes  dont  je  me. suis  rendue  coupable  1 
Que  de  défauts  d'attention ,  de  complai- 
sance !  Que  de  paroles  de  censure,  de  rail- 
lerie, de  vivacité  1  Que  de  refus  de  service 
pour  n'avoir  pas  voulu  me  mortifier  et  me 
contraindre  1  Que  d'occasions  encore  où  j'ai 
montré  à  mes  sœurs,  combien  peu  je  sup- 
portais leurs  défauts  !  Combien  de  fois  j'en 
ai  parié  de  ces  défauts,  je  les  ai  exagérés, 
je  les  ai  découverts  à  u'aulres,  je  leur  ai 
communiqué  mes  dégoûts,  mes  répu- 
gnances, mes  antipathies  I  Combien  de  fois 
je  m'en  suis  entretenue  avec  moi-même,  et 
me  suis  livrée  à  des  pensées,  à  des  juge- 
ments, qui  n'ont  servi  qu'à  indisposer 
encore  plus  mon  cœur  1  Voilà,  Seigneur, 
les  fautes  que  je  me  reproche,  en  votre 
sainte  présence;  c'est  l'amour-propre,  cet 
•unour  excessif  de  moi-même,  qui  me  les  a 
fait  commeltre  ;  je  le  reconnais  aujourd'hui: 
aussi  suis-je  bien  résolu  de  le  combattre 
•  •t  de  le  morlirier  cet  ennemi  de  ma  fier- 
fcclion;  je  sais  (lue  je  ne  puis  vous  plaire, 
iju'aulant  que  j'entretiendrai,  avec  toutes 
mes  sœurs,  une  charité,  une  union  cons- 
lanie  et  parfaite,  et  que  je  serai  disposée  à 
laire  les  plus  grands  sacrilices,  pour  la 
(onserver  cette  union.  C'est  la  résolution 
(]uo  je  prends,  dans  ce  moment,  ô  mon 
Dieu,  et  que  j'aurai  soin  de  renouveler  de 
temps  en  temns ,  et  dans  les  occasions 
surtout  ,  où  j  aurai  à  souffrir  de  mon 
jirochain.  Faites,  par  votre  grâce,  que  le 
reste  de  mesjours,  la  ,divine  charité  règne 


d.ins  mon  cœur,  (iik;  je  croisse  même, 
chaque  jour,  en  (euvres  inspirées  parcelle 
reine  des  vertus,  alin  qu'après  l'avoir 
fidèlement  pratiquée  dans  celte  vie,  elle 
puisse  me  conduire  un  jour,  et  pour 
toujours,  dans  vos  sacrés  tabernacle^.  Aiisl 

S0!l-il. 

SEPTIEME  JOUU. 

Troisième  discours. 
SUR  l'obéissance  a  l'egmsi.. 

Si  Eoclesiam  non  audiprit,  sit  libi  siciil  clliuiiiis  cl 
pnblicar.us.  (Muttlt.,  XVIII,  17.) 

Si  quelqu'un  n'écoute  pasl'Eglise,  regnrdez-le  comme  un 
païen  el  comme  un  publicain. 

Ce  ne  sont  point.  Mesdames,  les  docleurs 
ou  les  pasteurs  de  l'Eglise  qui  ont  [)ro- 
noncé  celle  terrible  sentence  ;  on  pourrait 
les  soupçonner  d'avoir  voulu  s'allribuer 
une  autorité  absolue  et  excessive,  ou  s'ils 
la  prononcent  (juelquofois  celte  senlenco, 
ce  n'est  que  d'après  Jésus-Christ,  le  |)re- 
mier  pasteur  de  celte  Eglise  qu'il  a  insti- 
tuée sur  la  terre  par  ses  travaux  el  par  l'el- 
fusion  de  son  sang  sur  la  croix,  pour  nous 
ouvrir  à  tous  les  portes  du  ciel.  Malheur 
donc  à  Ceux  qui,  nés  [)ar  une  grâce  spéciale 
dans  le  sein  de  celle  Eglise,  lui  rei'iisent 
l'obéissance,  ou  du  moins  une  obéissance 
entière  et  parfaite I  Car  vous  le  savez.  Mes- 
dames, vous  l'avez  a[>pris  avec  les  élémenls 
de  la  religion  :  c'est  dans  celle  Eglise  de 
Jésus-Christ,  comme  le  dil  saint  Augustin, 
qu'on  aiiprend  et  à  bien  croire  et  f^  bien 
vivre  :  In  qua  bene  creditur  et  bene  viviCur  ; 
et  qui,  ayant  reçu  du  Dieu-Sauveur  le  fiou- 
voir  de  conduire  ses  enfants  par  la  sainlelé 
de  sa  morale,  et  de  les  instruire  par  la  f)u- 
reté  de  sa  doctrine,  a  droit  aussi  d'eviger 
d'eux  une  double  obé'ssance  :  l'obéissance 
de  la  volonté  pour  accomi)lir  ce  qu'elle  leur 
prescrit,  et  l'obéissance  de  l'esprit  pour 
croire  ce  qu'elle  leur  enseigne.  Mais  hélas! 
l'on  a  vu,  dans  tous  les  siècles,  de  ses  en- 
fants, ou  désobéissants  à  ses  préceptes,  ou 
indociles  à  ses  décisions.  C'est  de  cette  der- 
nière désobéissance  que  j'entreprends  de 
vous  entretenir  ici.  Mesdames,  comme  la 
plus  funeste  au  salut,  parce  qu'en  aveuglant 
i'espril  et  en  endurcissant  le  cœur,  elle  ne 
laisse  pour  l'ordinaire  aucune  ressource  h 
la  conversion.  J'entreprends  donc  de  vous 
entretenir  dans  ce  discours  de  l'obéissance 
que  vous  devez  et  que  nous  devons  tous  à 
l'Eglise,  quant  à  sa  doctrine,  à  ses  décrets 
sur  sa  doctrine.  Je  vous  montrerai  pour 
cela,  en  premier  lieu,  les  motifs  puissants 
qui  doivent  engager  tous  les  fidèles  à  obéir 
aux  décisions  de  l'Eglise;  ce  sera  le  sujet 
de  la  première  partie  de  ce  discours  :  mais 
comme  il  esl  aisé  de  se  faire  illusion,  et 
qu'il  n'arrive  en  effet  que  trop  souvent 
qu'on  se  fait  illusion  sur  l'étendue  que  doit 
avoir  celle  obéissance  ,  je  vous  montrerai 
de  plus  les  qualités  qu'elle  doit  avoir  pour 
être  agréable  à  Dieu  et  utile  au  salut  :  C', 
sera  le  sujet  de  la  seconde  partie.  Quoique, 
par  la  miséricorde  de  Dieu  vous  soyez  tou- 
tes. Mesdames,  enfants  dociles  de  l'Eglis».;, 
^ue  celle  communauté  se  soit  môme  de  lu  il 


547 


ORATEUUS  SACRES.  LABBE  DE  MONTiS 


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temps  distinguée  par  son  îillocbeincnt  h  la 
foi,  autant  que  par  son  exacte  régularité, 
j'ai  cru  cependant  que  vous  entendriez  avec 
plaisir  des  vérités  qui  ne  peuvent  que  vous 
aireraiir  dans  voire  soumission  à  l'Eglise, 
el  vous  faire  rendre  do  |)lus  en  plus  des  ac- 
tions (le  grâce  au  Seigneur  de  vous  avoir 
préservées  des  séductions  de  l'erreur.  Ho- 
norez-moi, s'il  vous  plaît,  de  toute  voire 
attention.  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

1. 'apôtre   saint    Paul  l'a    dit,   Mesdames, 
qu'il  faut  qu'il  y  ait  dcf  hérésies  :  «  Oportet 
ethœre.scs  esse  (1  Cor.,    XI,    19);  et   la    rai- 
son qu'il  on  apporte,  c'est  qu'elles  servent 
à  faire  connaître  les  justes,  les  vrais  servi- 
teurs de  Jésus-Christ.  Le  Dieu-Sauveur  lui- 
incmc  a  prédit  h  ses  apôtres  qucson  Eglise, 
(Ct'e  barque  nr-stérieuse  dans   laquelle   se 
îrouveiit  égaleineiit  U-s  bons  et  les  mauvais, 
les   justes    el    les    pécheurs,     serait    sans 
cesse  agitée  par  les  vents  de  la  [lersécution 
el  de  l'erreur.  Dans  presque    tous    les   siè- 
cles, en  effet,  il  s'est  trouvé  de  ces  esprits 
orgueilleux    et    pleins    d'eux-mêmes    qui, 
mettant  leur  gloire  à  ne  pas  penser  sur   ia 
religion  comrue  le  commun  des  tidôles,  ont 
refusé  opiniâtrement  de   se  soumettre  aux 
l'useignements  et  aux  décisions  de  l'Eglise. 
Heureuse  encore  cette  Eglise,  ou    moins  à 
plaindre  si  elle  n'avait  eu  à  géuiir  que  sur 
raveuglemenl  et   la  désobéissance  de  quel- 
(jues  novateurs  I  mais  ce  qui,  dans  tous  biS 
l'Miips,  l'a    le   [ilus    affligée,  c'est   que  peu 
contenîs  de  se  révolter  contre  elle,  ces  no- 
vateurs, ils  ont  entraîné  dans  leur  révolte 
une  inlinitéde  chrétiens  de  l'un  et  de  l'au- 
tre sexe  qui,  séduits  par  le  goût  de  la  nou- 
veauté et  aussi  par  un  air  de  réforme  que 
ces  hérésiarques  ont   presque   toujours  af- 
fecté pour  en  imposer  par  là  el  se  faire  plus 
ai-émenl  des  partisans,    sont   sortis  de   la 
voie  du  salut  :  chrétiens  aveugles  el  dignes 
<le  toute  compassion,  après  avoir  volontai- 
rement perdu  de  vue  celte  étoile  lumineuse 
.|ui  seule  a  reçu  de  Jésus-Christ  le  droit  de 
les  éclairer    el   de    les    conduire  sûrement 
dans  les  roules  do  la  foi,  ils    errent   pour 
ainsi  dire  à   l'aventure  et  au    gré  de  leurs 
propres  idées,  de   leurs  préjugés,   dans  les 
.-^entiers  de  l'incertitude  et   de  l'erreur,   et 
ne  [)euvent  par  conséquent  goûter  la  paix  et 
les  consolations  que  ressentent  les  enfants 
<ie  l'Eglise  sincèrement  attachés  à  leur  mère 
el  dociles  à  toutes  ses  décisions.  Voilà  en 
effet,  Mesdames,  les  deux  grands  avantages 
que  trouvent  les  vrais  hdèles  dans  leur  at- 
tachement el  dans   leur   soumission  à   l'E- 
glise. En  premier  lieu,   toute   leur  sûreté; 
et  en  second  lieu,  lout  leur  bonheur  :  deux 
puissants  motifs  bien  propres  à  nous   enga- 
ger tous  à  celte  obéissance  entière  el  par- 
faite. 

1.  Je  dis  en  premier  lieu  ,  que  le  fidèle 
dans  quelqu'état  qu'il  soit,  trouve  sa  sûreté 
dans  une  parfaite  soumission  à  l'Eglise:  jo 
dis  plus  môme,  qu'il  no  peut  la  trouver  que 
dans  celte  soumission  onliôfo  et  parfaite. 


Vous  le  savez,  Mesdames,  il  no  nous  swiFit 
pas  d'agir,  de  faire  des  œuvres  saintes  en 
apparence,  pour  être  des  saints,  pour  nous 
procurer  réicrnelle  félicité  à  laquelle  notre 
Dieu  nous  a  tous  destinés.  Il  faut  croire  de 
plus;  il  faut  avoir  la  foi:  disons  môme  que 
sans  la  foi  tout  (;e  que  nous   pouvons  faire 
de  i)ien  ne  peut  être  méritoire  du  ciel,  par- 
ce que   sans  ta  foi,  dit  l'ApoIre,  il  est  im- 
possible de  plaire  à  Dieu.  {Ilehr  ,  XI,  5.)  Or 
notre  Dieu  Sauveur,  en  nous  ordonnant  do 
croire,  en   nous  montrant  l'objet  de   notre 
croyance,  de  notre  foi ,  nous  a  de  plus  pro- 
curé un  motif  sûr,  un  fondeuient  solide  sur 
lequel  nous  pouvons  et  itous  devons  apiili- 
quer  noire  croyance,  c'est  l'autorité  de  l'E- 
glise: lorsqu'après  s'être  choisi  des  apôtres 
et  leur  avoir  ordonné  d'aller  prêcher  son 
nom  à  toutes  les  nations,   de  leur  appren- 
dre la  dnclrino  du  salut  qu'il  leur  avait  ap- 
f)rise  à  eux-mêmes  :  Jte  et  docete  {Mallh., 
XXVIII,  19),  il  leurpromit  en  même  temps 
tout  ce   qui    pouvait    engager   ceux   qu'ils 
convertiraient  el  qu'ils  feraient  entrer  dans 
son  Eglise,  à  les  écouler,  à  ajouter  foi  à  ce 
(pi'ils  leur  enseigneraient;   il  leur   |)rorait 
de  leur  envoyer  son    Saint-Espril,  et  que 
cet  Esprit  de  sainteté  et  de  vérité  tout  en- 
semble serait  toujours  avec   eux,  qu'il   les 
assisterait  et  les  dirigerait  dans  toutes  leurs 
décisions  sur  la  foi  et  sur  les  mœurs,  dans 
lout  ce  qu'ils  presciraient  à  faire  ou  à  croire 
aux  enfants  de  son  Eglise.  C'est  là,  Mesda- 
mes, cette  Eglise  enseignante,  h'S  apôtres 
el  les  successeurs  des  apôtres  ;  c'est  à  eux, 
et  n(m  à  tous  les  fidèles,  comme  l'ont  iméi- 
giné  les  novateurs  qui,  pour  s'autoriser  dans 
leur  révolte,  ont  confondu   grossièremen' 
l'Eglise  enseignée  el  l'Eglise  enseignante, 
les  brebis  et  ies  pasteurs,  h^s  lidèles  el  les 
pontifes;  c'est  seulement  aux  a|)ôlres  el  à 
leurs   successeurs,    qu'il   a  dit  :    Qui  vous 
écoute  m'écoule,  et  qui  vous  méprise  me  mé- 
prise. {Luc,  X,  16.)  C'est  à  eux  seuls  qu'il  a 
dit  qu'il  serait  avec  eux  par  l'assistance  de 
son   Saint-Esj)rit ,    qu'il  y  serait    tous    les 
jours,    omnibus   diebus  ;   c'est  à   eux   seuls 
(ju'il  a  ()romis  que    son  Eglise   enseignante 
qu'ils    représentaient  ,     subsisterait    dans 
tous  les   siècles  et  jusqu'à  la  lin    des   siè- 
cles,    usque    ad     consummalioncm     sœculi 
{Matth.,  XXVIII,  20)  ;  que  malgré  les  guer- 
res,  les  persécutions  qu'elle  aurait  à  sou- 
tenir du  dehors,  malgré  les  révoltes  de  ses 
|)ropres  enfants  et   les   cliagrins  qu'ils   lui 
causeraient,   les  portes  de  l'enfer   ne  pré- 
vaudraient jamais  contre  elle;  que  toujours 
attaquée  jamais  elle  ne  serait  vaincue  el  dé- 
truite: paroles  (jui  prouvent  (lue  ces  pro- 
messes   d'assistance     et    d'infaillibilité    ne 
doivent  point  se  borner  aux  seuls  aiiôtres, 
mais  de  plus  à  leurs  successeurs;   qu'elles 
doivent  également  s'étendreà  tous  les  temps 
soit  que  les  pontifes  soient  assemblés,  soit 
qu'ils  se  trouvent  dispersés,  Jésus-Christ 
n'ayant  fait  sur  cela  aucune  distinction  ;  et 
celte   distinction   étant  même   enlièremenl 
opposée  à  l'énoncé  de  ses  [iromesses  qui 
dans  tous  les  temps  ont  eu  leur  effet  :  celle 


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DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  SEPTIEME  JOUR. 


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T'glise  loujours  ft^-me,  toujours  subsistante, 
a  vu  pnssér  en  effet  et  s'anéanlir  snccessi- 
vement  des  royaumes  el  des  empires.  Dès 
les  premiers  siècles  de  son  établissement, 
elle  a  en  h  souffrir  d'honibies  persécutions  : 
presque  dans  tous  les  siècles  des  ennemis 
puissants  font  attaquée  et  ont  voulu  la  dé- 
truire, mais  ses  ennemis  ont  élé  détruits 
eux-mêmes.  Les  persécutions  ont  cessé: 
elle  est  restée,  cette  Eglise  ,  victorieuse  et 
triomphante  ;  dans  tous  les  temps  elle  a  vu 
de  ses  enfants  orgueilleux  et  indociles,  l'af- 
fliger, la  déchirer,  combattre  par  des  dog- 
mes impies,  la  doctrine  sainte  qu'elle  te- 
nait de  Jésus  Christ.;  mais  dans  tous  les 
temps  elle  a  dit  anathème  aux  novateurs  : 
leurs  erreurs,  quelques-unes,  après  avoir 
fait  (le  grands  ravages,  se  sont  enfin  éva- 
nouies; celles  qui  subsistent  auront  infail- 
liblement le  môme  sort;  la  parole  de  Jésus- 
Christ  y  est  expresse,  les  portes  de  l'enfer 
ne  prévaudront  point  contre  elle. 

Voilà  donc.  Mesdames,  le  fondement  de 
noire  foi,  voilà  le  motif  sur  lequel  nous 
devons  appuyer  notre  croyance  et  notre 
obéissance  à  l'Eglise,  son  infaillibilité  pro- 
mise par  Jésus-Christ  ;  tant  que  nous  nous 
tiendions  unis  au  vicaire  de  Jésus-Christ, 
successeur  de  Pierre,  et  aux  premiers  pas- 
teurs successeurs  des  apôires,  nous  n'avons 
point  à  craindre  de  nous  tromper  ni  d'être 
trompés;  si  nous  l'étions,  je  ne  crains  point 
de  le  dire  ici,  ce  serait  Jésus-Christ  lui- 
même  qui  nous  induirait  en  erreur,  puis- 
qu'il veut  que  nous  les  écoulions  ces  pas- 
teuis,  comme  parlant  en  son  nopj  et  assis- 
tés de  son  Esprit.  Aussi  depuis  l'établisse- 
ment de  l'Eglise,  on  les  a  Vus  user  de  ce 
droit,exercer  cette  autorité  que  leur  a  don- 
née le  divin  maître  ;  on  les  a  vus  s'appliquer 
à  éclairer,  à  instruire  les  fidèles,  s'élever 
contre  toute  doctrine  contraire  à  la  foi,  et 
dire  constamment  anathème  à  tous  ceux 
qui  ont  refusé  de  se  soumettre  h  leurs  ju- 
gements et  d'adopter  luurs  décisions.  Voilà 
encore  une  fois  ce  qui  doit  fixer  et  rassurer 
tous  les  enfants  de  l'Eglise,  tous  les  fidèles, 
dans  quelqu'état  et  dans  quelque  situation 
qu'ils  puissent  être,  quelques  lumières  et 
(juelques  talents  qu'ils  puissent  avoir,  es- 
prits sublimes  ou  bornés,  doctes  ou  igno- 
rants, grands  ou  petits,  monarques  ou  su- 
jets,-; voilà  leur  sûreté  à  tous,  voilà  ma  sû- 
reté à  moi-môme;  dès  que  je  liens  à  l'Eglise 
enseignante,  àce-cor|is  des  pasteurs  que 
Jésus-Christ  a  établis,  |onr  m'éclairer  et 
me  conduire  et  auxquels  il  a  promis  son 
assistance  perpétuelle,  dès  lors  je  n'ai  plus 
rien  à  craindre,  il  ne  me  reste  qu'une  seule 
chosu  à  faire  et  dt^s  plus  faciles,  c'est-  de 
connaître  et  de  voir  si  cette  Eglise  a  véri- 
taldement  parlé,  si  c'est  bien  le  vicaire  de 
Jésus-Christ,  avec  le  corps  des  pasteurs, 
qui  me  propose  une  décision,  un  décret  : 
dès  (jue  j'en  suis  assuré,  dès  lors  je  suis 
sûr  aussi  do  tenir  à  la  vérité,  à  la  foi  ; 
au  lieu  que  si  je  refuse  d'écouler  la  voix 
des  premiers  pasteurs  et  do  me  soumettre 
à  leurs   décisions,  à  leurs  lumières,  dans 


quel  Iab3rintlic  je  m'engage!  Dans  quel 
abîme  de  doutes  et  de  dillicultés  je  me 
préci|)ite  !  Car  enfin  je  me  trouve  forcé 
alors  d'en  croire,  ou  à  mon  propre  esprit, 
ou  à  quelques  docteurs  particuliers  :  or 
rien  de  moins  raisonnable  td  de  moins  sûr 
que  ces  deux  partis;  si  je  veux  suivre  mon 
propre  esprit,  esprit  faible  et  borné,  à  quels 
égarements  ne  m'exposé-je  pas?  Hélas! 
il  prend  si  souvent  cet  esprit,  l'erreur  pour 
la  vérité,  môme  dans  les  objets  les  plus 
naturels  et  les  plus  proportionnés  à  ses  lu- 
mières, comment  pourra-t-il  me  guider  sû- 
rement et  saisir  le  vrai,  lorsqu'il  eiitre- 
()r(  ndra  déjuger  sur  des  objets  surnatureLs 
et  intiniment  au-dessus  do  lui?  Dansquelles 
erreurs;  je  dis  plus,  dans  quelles  absurdités, 
dans  quelles  folies  n'ont  pas  donné  ceux 
qui  ont  voulu,  en  matière  de  religion,  se 
conduire  par  leur  propre  esprit  ?  Opinions 
les  plus  bizarres,  les  plus  insensées,  doc- 
trine la  plus  monstrueuse,  la  plus  abomi- 
nable, voilà  ce  que  dans  l'Eglise  ont  produit 
si  souvent  ces  esprits  orgueilleux  qui, 
après  s'être  soustraits  à  l'autorité  légitimn 
préposée  par  le  Dieu  Sauveur,  pour  les  in- 
struire, onl  voulu  penser  et  juger  sur  la 
religion  et  sur  la  doctrine,  uniqtiement 
d'après  eux-mêmes,  cl  qui,  au  lieu  de  sou- 
meltre  humblement  leurs  lumières  aux 
décisions  de  l'Eglise,  ont  osé  appeler  des 
décisions  (le  l'Eglise,  et  les  soumettre  aux 
faibles   lumières  de  leur  esprit. 

Mais,  Mesdames,  y  a-t-il  beaucouj»  plus 
de  sûreté  pour  un  fidèle,  lorsqu'il  se  borne 
à  croire  quelques  docteurs  particuliers  el  à 
se  conduire  aveuglément  par  leurs  lu- 
mières, par  leurs  décisions?  Quoi  de  plus 
injuste,  de  plus  téméraire  I  Je  dois  ajouter, 
quoi  de  plus  insensé  que  de  ne  vouloir 
écouter  ni  le  vicaire  de  Jésus-Christ,  ni  le 
corps  entier  des  premiers  pasteurs,  parlant 
avec  lui  et  d'après  lui,  ni  son  propre  pas- 
teur, son  évoque  uni  au  vicaire  de  Jésus- 
Christ  et  au  corps  des  pasteurs,  pour 
jiréférer,  à  leurs  conseils  et  à  leurs  déci- 
sions ,  les  décisions  et  les  conseils  do 
(luelques  docteurs  particuliers,  esprits  in- 
dociles qui  assez  communément  cachent, 
sous  le  manteau  d'une  régulaiité  extérieure 
et  hypocrite,  une  conduile  quelquefois  la 
plus  déréglée,  qui  du  moins  ne  s'enlretien 
nent  et  qui  ne  s'appliquent  à  entretenir  des 
âmes  simples  et  malheureusement  trop 
crédules,  dans  la  désobéissance,  dans  la 
révolte  contre  l'Eglise,  que  par  des  prin- 
cij«es  d'entêtement  et  d'orgueil  ;  qui  qprès 
s'être  jetés  témérairement  dans  le  parti  de 
l'erreur,  n'ont  pas  assez  d'humil'ité,  de 
religion  et  de  bonne  foi,  pour  convenir 
(ju'ils  se  sont  trompés,  ou  cpii  ne  tiennent 
aussi  opiniâtrement  au  parti  l'ebelle  que 
par  des  vues  de  c.ipidité,  d'intérêt,  que 
jiarce  qu'ils  trouvent  dans  la  trédulilé  des 
personnes  qu'ils  ont  séduites,  d'abondantes 
ressources,  des  secours  qu'ils  n'ont  pas  le 
courage  de  sacrifier  à  la  fui,  à  la  vérité; 
«luelle  témérité  encore  une  fois  dans  une 
persoiHie  qui  se  conduit  el  qui  se  fait  gloiro 


3!:ii 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MO.NTIS. 


bSS 


d'èlre  conduite  par  de  pareils  guides  1  Peut- 
elle  jamais  se  rendre  à  elle-même  ce  témoi- 
gnage si  consolant  qu'elle  prend  le  parti  le 
[ilus  sûr,  pour  ne  pas  errer  en  matière  de 
fui  el  pour  s'assurer  le  ciel  par  conséquent  ? 
Le  vrai  moyen  et  l'unique  moyen  de  se 
tranquilliser  et  d'aj^ir  avec  sécurité  sur  un 
objet  aussi  imiiorlant,  c'est  donc,  INk'sdames, 
d'obéir  aux  premiers  pasteurs  unis  au  vi- 
caire de  Jésus-Clirist,  de  se  tenir  toujours 
au  tronc  de  l'aibre;  ainsi  le  conseilla  un 
fameux  et  trop  fameux  sectaire,  à  un  parent 
qui  le  consultait  sur  le  parti  qu'il  devait 
prrndre  dans  les  disputes  qui  agilaient 
l'[v^lise,  conseil  qui  suffira  pour  le  con- 
(iamner  au  grand  jour  de  la  manifestation 
ries  consciences,  et  qui  prouvait  ouverte- 
ment l'inconséquence  et  l'injustice  de  sa 
c  induitu  f^nvers  l'Eglise;  mais  si  une  obéis- 
sance entière  et  bien  sincère  à  l'Eglise  fait 
toute  notre  sûreté,  j'ajoute  de  plus  qu'elle 
fait  toute  notre  consolation  ,  tout  notre 
bonheur;  notie  bonheur  pour  l'autre  vie, 
noire  bonheur  pour  celle-ci. 

IL  Je  dis  bonheur  pour  1  autre  vie  ;  quel- 
ques bonnes  œuvres  que  nous  |)uissions 
faire,  quelque  éclatantes  qu'elles  puissent 
ôire  à  l'extérieur,  c'est  une  vérité  de  foi, 
Mesdames,  qu'elles  ne  s  nt  vraiment  sain- 
tes et  méritoires  du  ciel,  qu'autant  qu'elles 
s')nl  opérées  par  la  chanté,  j'entends  la  clia- 
lité  habituelle  et  sanctifiante,  qui  seu'e  peut 
nous  rendre  agréables  à  notre  Dieu  et  di- 
gnes de  ses  récompenses  éternelles;  mais 
celle  vertu  ne  sub^isla  jamais  dans  un  chré- 
tien, dans  une  chrétienne  rebelle  à  l'Eglise  ; 
dès  qu'elle  lui  refuse  la  soumission  qu'elle 
lui  doit,  dès  lors  elle  n'est  plus  véritable- 
ment son  enfani,  quoiqu'elle  paraisse  lui 
être  encore  atlachée  à  l'extérieur;  Jésus- 
Christ  l'a  déclaré  expressément  et  a  déclaré 
également  que  hors  de  son  Eglise  il  ne  peut 
y  avoir  de  salut  :  cette  doctrine  du  divin 
Maitre,  les  Pères  et  les  docteurs  de  1  Egli- 
se l'ont  tous  et  constamment  enseignée. 
Celui-là  ne  [)eut  avoir  Uieu  pour  père,  dit 
saint  Augustin ,  qui  n'a  pas  l'Eglise  pour 
mère;  ce  n'est  plus  être  véritablement  chré- 
tien, dit  encore  !e  môme  saint  docteur,  de 
ne  plus  tenir  à  l'Eglise  de  Jésus-Christ;  et 
la  raison  qu'il  en  donne,  c'est  (^ue  celui  qui 
lui  refuse  la  soumission  qu'elle  exige  de 
lui,  ne  peut  avoir  au  dedans  de  soi,  l'esprit 
de  Jésus-Christ  qui  seul  |)eut  vivifier  les 
bonnes  œuvres  et  les  rendre  méritoires  du 
ciel.  Hélas!  Mesdames,  je  le  dis  en  gémis- 
sant et  la  plus  vive  douleur  dans  le  cœur; 
combien  de  ()ersonnes  dans  le  monde, après 
des  bonnes  œuvres  mullipliées  presqu'à  l'in- 
lini,se  trouvent  cependant,  à  la  mort,  faute 
de  cette  soumission  à  toutes  les  décisions 
de  l'Eglise,  dignes  des  analhèmes  et  de  la 
colère  éternelle  du  souverain  Jugel  Com- 
bien de  personnes  religieuses,  après  une 
vie  des  plus  longues  peul-êlre,  passée  dans 
l'exercice  de  la  mortification  et  dans  la  [)ra- 
tique  des  devoirs  pénibles  de  leur  saint 
état,  se  trouvent  également  par  ce  défaut  de 
soumission,  non-seulement  sans  mérite"^. 


devant  h'  Seigneur,  mais  de  plus  cou- 
pables ,  criminelles  et  réprouvées  à  ses 
yeux!  Elles  paraissent,  à  la  vérité,  ces  per- 
sonnes, livrées  h  des  œuvres  saintes;  priè- 
res, oraisons,  austérités,  communions,  tout 
se  fait  au  deliors  avec  piété,  avec  religion, 
tout  parait  sain!  ;  mais,  hélas!  ce  sont  dus 
arbres  (^ui,  avec  la  jilus  belle  fapparencc, 
sont  sans  aucun  fruit;  elles  ne  sont  riches 
ces  vierges  chrétiennes,  qu'en  apparence  ; 
au  grand  jour  de  la  discussion  des  cons- 
ciences, elles  se  Irouveront  les  mains  vi- 
des dans  une  pauvreté  réelle,  dans  un  dé- 
tiûment  total  de  grâce  et  de  mérites,  dou- 
blement mortes  aux  yeux  du  Seigniîur  et 
par  le  défaut  do  foi  et  par  le  défaut  de  cha- 
rité. 

Oui,  voilà,  Mesdames,  le  mallieureux 
état  de  ces  |)ersonnes  qui  séduites  et  trom- 
pées par  des  docteurs  du  mensonge  ou  qui 
aveuglées  par  des  préjugés  de  la  naissance 
ou  du  l'éducation,  refusent  d'ouvrir  les  yeux 
à  la  lunjière  qu'on  leur  présente  et  qui  per- 
sistent opiniâtrement  à  refuser  à  l'Eglise, 
l'obéissance  qu'elles  lui  doivent  ;  on  les  en- 
tend dire  quelquefois  que  la  charité  défend 
déjuger  et  de  condaujner  personne,  qu'à 
Dieu  seul  appartient  le  jugement  des  créatu- 
res. Oui,  sans  doute;  mais  l'apôlie  saint 
Paul  ne  la  possédait-il  jjas  celte  belle  vertu 
de  la  charité  et  mcuie  au  plus  grand  degré, 
puisqu'il  désirait  de  se  rendre  an;ithème 
pour  ses  frères;  et  cependant  ne  condani- 
nair-il  personne,  lorsqu'il  écrivait  aux  Co- 
rinthiens que  les  avares,  les  médisants  et 
lait  d'autres  espèces  de  pécheurs  dont  il 
fait  l'éuumération,  n'entreraient  jauiaisdans 
le  royaume  des  cieux?Ne  condanuiail-il 
personne  lorsqu'il  écrivait  à  son  disci[)le 
Timoihée,  qu'un  cerlain  Alexandre  lui  avait 
fait  beaucoup  de  mal,  mais  que  Dieu  lui 
rendrait, selon  ses  œuvres?  (lli'tm.,lV,  14.) 
Tant  de  pontifes,  de  pasteurs,  de  ministres 
de  Jésus-Christ  ne  condamnent-ils  jamais 
|)ersonne,  ou  sont-ils  donc  sans  charité, 
lorsqu'ils  déclarent  publiquement  dans  les 
chaires  ou  secrètement  au  sacré  tribunal  à 
tous  ceux  qui  ne  suivent  ()as  l'esprit  et  les 
maximes  de  l'Evangile  qui  uiènent  une  vie 
licencieuse,  indigne  du  caraclère  de  chré- 
tien qu'ils  ont  reçu  dans  le  saint  baptême, 
qu'ils  courent  à  leur  |)erle  éternelle?  Mais 
ces  i)ersonnes  elles-mêmes  qui  se  plai- 
gnent ainsi  à  ceux  qui  leur  font  sentir  le 
danger  de  leur  état,  lorsqu'elles  voientquel- 
qu'un  pour  qui  elles  s'inléressent ,  refuser 
de  se  réconcilier  avec  un  ennemi,  de  re- 
noncer à  une  habitude  criminelle  ,  croient- 
elles  manquer  à  la  charité  ,  en  disant  à  ce 
p.ireni,à  cet  ami,  que  s'il  reste  dans  ses 
mauvaises  dispositions,  il  n'y  a  point  de 
salai  à  espérei-  pour  lui  ,  que  l'enfer  sera 
sùieiui  nt  son  jiartage?  Voilà  précisément. 
Mesdames,  ce  que  nous,  ministres  de  Jé- 
sus-Clirisl,  nous  disons  aux  j)ersonnes  que 
nous  voyons  dans  une  désobéissance  for- 
melle à  quelque  décision  de  l'Eglise;  nous 
ne  prétendons  pas  les  condamner  absolu- 
ment, les   réprouver,  à   Dieu   ne   iilaise  I 


DISCOURS  DE  RETRAlTi:.  —  SEPTIEME  JOl'R 


OitO 

comme  r.i|iôirc  .«nint  Paul, nous  devons ôlio  , 
disposés  à  sncrilier  jusiiu'c»  noire  propre 
vie ,  pour  les  sauver  :  nous  n'ignorons;pas 
qu'ù  Dieu  seul  a|)i)nrtieiit  le  jugemcnl  des 
«luies;  que  d'ailleurs,  ses  n)isériconics  sont 
infinies  ;  (jue  jusqu'au  dernier  soupir,  dans 
quelque  mauvais  élat  qu'une  ûme  pui-iise 
ôlrc,  elle  peut  toujours  retourner  à  lui,  par 
un  sincère  repentir  :  niais  ce  que  nous  leur 
disonset  ce  (]ue  nous  devons  leur  dire,  c'est 
que  si  elles  persistent  jusqu'à  la  mort  dans 
celle  malheureuse  disposition  de  désobéis- 
sance, il  ne  peut  y  avoir  de  salut  à  espérer 
pour  elles  ;  nous  leur  disons  et  nous  devons 
leur  dire  que  ce  n'est  pas  croire  et  avoir  la 
foi  que  de  n'élre  pas  soumise  toutes  les  dé- 
cisions de  l'Eglise,  et  que  si  Jésus-Clirisl  a 
dit  que  celui  fjui  croit  sera  sauvé,  il  a  dit 
aussi  que  celui  qui  ne  croit  passera  condam- 
né :  Qui  non  credideril  condemnabilur.  (Marc, 
XVI,  IG.) 

Mais  s'il  faut  croire  et  obéir  en  tout  à  l'E- 
glise, pour  se  procurer  un  bonheur  éternel, 
le  bonheur  de  l'autre  vie,  je  dis  de  (dus  que 
celte  obéissance  peut  seule  nous  procurer  le 
bonheur  du  temps,  nous  rendre  véritable- 
ment heureux  dès  celle  vie.  Hélas  1  dans  ce 
lieu  de  noire  exil,  dans  cette  vallée  de  n)i- 
sères  et  de  larmes,  peut-on  as|)irer  à  un  vé- 
ritable bonheur?  \'ous  surtout,  Mesdames, 
qui  [)0ur  uueux  vous  assurer  le  bonheur  du 
ciel,  avez  embrassé  un  élat  de  perlectiou  (  t 
de  croix  qui  vous  pi'ive  de  tous  les  avan- 
tages que  le  monde  |«résente  à  ceux  qui  vi- 
rent au  milieu  de  lui,  et  par  lesquels  il  _""ré- 
tend,  quoKjue  bien  lau  s.ment,  les  rendie 
heureux,  |)ouvez-vous  vous  rendre  heureu- 
ses sur  la  terre?  Oui,  Mesdames,;  quoique 
dans  un  élat  de  moriiticatioti  et  de  croix,  il 
est  un  bonheur  que  vous  pouvez  vous  [  ro- 
curer,  et  que  vous  pouvez  goûter  dès  celle 
vie,  que  goûtent  en  ellel  les  âmes  qui  sont 
sincèrement  el  toutes  à  Dieu  ;  c'est  un  cer- 
tain contentement  inlérieur,  c'est  la  paix  du 
cœur;  bonheur  réel  et  véritable  qui  est  au 
dedans  de  nous,  el  qui  dépend  de  nous  ;  bon- 
heur que  les  pécheurs,  el  tous  les  ennemis 
de  Dieu  ne  peuvent  se  procurer.  Or  celle 
paix  solide,  cette  paix  du  cœur,  une  per- 
sonne, une  épouse  de  Jésus-Ciirist  peulelle 
la  posséder  loiS(iue  rélléchissanl  sur  elle- 
même,  elle  se  trouve  dans  un  élat  habituel 
de  désobéissance  à  l'Eglise?  Peut-elle  l'avoir 
celte  paix,  loisque  les  suiiérieurs  préposés, 
par  II;  Seigneur,  pour  la  conduire,  lui  disent 
que  pour  élre  vrai  enlanl  de  l'Eglise,  il  faut 
se  soumelire,  de  cœur  el  d'espiil,  à  toutes 
ses  décisions;  (pie  lorsque  le  souverain 
poiilile  a  porté  son  jugemeiilsur  un  ouvrage, 
quel  qu'il  puisse  èlre,  el  que  le  corps  des 
jiremieis  jiasteurs  a  adhéré  à  ce  jugemeni, 
tout  fidèle,  dans  quelque  étal  qu  il  soii, 
doit  s'y  jSoumellre  ;  que  refuser  sa  sou- 
niission  alors,  c'est  se  rendre  coupable  d'un 
péché  grief,  ciue  persister  dans  ce  refus  de 
soumiss.on,  c  est  se  tenir  dans  une  disposi- 
tion, dans  une  habitude  criminelle  par  con- 
séquent, que  c'est  s'exposer,  je  -dis  plus, 
que  c'est  faire  vérilablement,  autant  de  sa- 


554 


criléges  qu'elle  reçoit  de  sacromenis?  Quoi  1 
lorsque  le  souverain  pontife,  le  vicaire  do 
Jésus-Christ  lientformellement  ce  langage  à 
un  simple  fidèle,  .'i   une  religieuse;  lorsque 
ses  supérieurs,  lorsque  son  évèque,  lorsque 
tous  les  évéques,  Ions  les  imnlifes  de  l'EgUso 
se  joigneiil  au  vicaire  de  JéMis-ChrisI,  jioup 
lui  tenir  le  même  laiigag<',  elle  aura,  cette 
religieuse,  en  ne   les  écoulant  pas,  l'esprit 
tranquille,  la  paix  dans  le  cœur?  Non,  non, 
s'il  reste  encore,  dans  celle  âme,  quehjues 
sentiments  de  religion,  quelques  désirs  de 
salul  ;  si  une  longue  et  opiniâtre  ré'islance, 
et  si    un  abus   fré^pient  des  choses   saintes, 
n'ont  pas  tout  à  fait  aveuglé   son    esprit  et 
endurci  son  cœur,  non,  je  ne  croirai  jamais 
qu'elle    puisse  avoir  la     paix    au    dedans 
d'elle  même   :  en  vain    me    proteslera-l-ellei 
de  sa    iranquillilé  ,    du    repos   de  sa   con- 
science ;  je  lui  dirai  hardiment  qu'elle  cher- 
che  h   se   faire  illusion!;    dans   de   certains 
momenls  suriout.de  réflexion  plus  sérieuse, 
où    la  grâce   agil   plus   fortemeni    sur  son 
cœur,  ()eut-elle  s'empôcher  de  se  dire  à  elle- 
même  :  mais  si  je   venais  à    me  tromper, 
mais  si  mes  su|iérieiirs,  si  le  vicaire  de  Jé- 
sus-Clirisl,  .'■i  lous   les    évêques,  qui,  après 
tout,  sont  plus  écliiiiés  que  moi,  et  ipie  Jé- 
susChiisl  m'a  donnés  pour  m'inslruiie,  s'ils 
nie  (lisent  vrai,  où  en  suis-je  ?  Quel  est  mon 
étal  ?  Quel  sera  mon  sorl?  Si  comme  ils  me 
l'assurent  lous,  ce  défaut  de  soumission  iiio 
rend  criminelle  aux  yeux  de  Dieu,   tout   lo 
bien  que  je  fais,  dans  mon  saint  étal,  est  Jonc 
réellement  sans  mérite  pour  moi  ;  mais  s:  je 
meurs  dans  celle  di-position,  je  n'ai  don»; 
plus  de   ressource;  une  élern'elle  réproba- 
tion sera  donc  en  elfet  le  fruit  de  ma  crimi- 
nelle résistance,   f)endant  toute  I  éleriiiié  : 
moi,   épouse   de  Jésus-Christ,   de^tinée  en 
ce'le  qualité,  à  occuper  une  des  premières 
places,  dans  son  royaume,  je  terai  donc  ré- 
duite à   foimer,  dans  l'enfer,  sur  ma  mal- 
heureuse in. locililé,  des   regrets  inutdes  et 
éternels?  Une  religieuse  qui  peui  faire,  et 
qui  fui:  en  ell'et  quelquefois,  comme  malgré 
elle,  CCS  raiscnnements,  peut  elle  être  heu- 
reuse el  tranquil.e?  Non,  non,  je  k'[ré[ète, 
quoi  qu'elle  en  dise,  sa  conscience  doit  s  )U- 
venl  l'agiter,  la  tourmenter;  qui  peul  donc 
la  retenir,:dans  son  attachement  à  ses  idées? 
Ah  1  le  voici,  Mesdames  ;  el  si  jamais  elle  re- 
vientdeses  préjugés, elle  l'avouera  tie  bonne 
foi,  comme  bien  d'autres  l'ont  avoué  en  ef- 
fet; c'est  bien  moins  une  intime  persuasion 
qu'elle  est  uans  la  voie  la  plus  sûre;  ce  qui 
nepeut  être  queie  respect  liumain,  le  qu'en- 
diia-l-on;  c'est  qu'elle  ne  veut  pas  déplaire 
à  certaines  personnes;  c'est  i'amour-|)ropre 
el  bien  mal  entendu,  puisqu  il  est  plus  glo- 
rieux devant   les   hommes  comme  devant 
Dieu,  d'avouer  qu'on  s'est  trom|)é,  que  de 
persiïti  r  dans  l'erreur  ;  c'est  peul-êlre  en- 
core, la  crainte  d'une  trop  grande  réforme, 
d'être  obligée  de  revenir  sur  le  passé,  de 
refaire  des  confessions  dont  on  voit  bien  la 
nullité.  Voilà  les  motifs  qui  retiennent  une 
épouse  de  Jésus-Christ   dans  sa  désobéis- 
sance à  l'Eglise;  el  tandis  qu'elle  alfecle 


5^o 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOÎSTIS. 


'}j(i 


beaucoup  do  trnnquillilé  au  deliofs,  elle 
reste  agitée  par  des  remords  cruels  qu'elle 
porte  jusqu'au  loudjeau  ;  car  voilà  ()Our  l'or- 
dinaire sa  funeste  fin;  après  avoir  long- 
temps résisté  h  la  grâce  qui  la  sollicitait  de 
prendre  la  voie  la  f)lus  sûre,  l'unique  voie 
})Our  opéi'er  son  salut,  on  obéissant  à  ses 
pasteurs  légitimes,  après  s'être  laissé  long- 
temps séduire,  elle  est  encore  sédui-te  alors; 
ce  n'est  pas  que  dans  ces  derniers  moments, 
la  grâce  n'agisse  encore  sur  son  cœur  :  mais 
accoutumée  à  lui  résister,  Dieu,  plus  irrité 
que  jamais  contre  cette  éjjouse  infidèle, 
permet  (pi'elle  se  fasse  illusion  jusqu'à  la 
tin,  et  que  malgré  des  agitations,  des  trou- 
bles qui  ne  se  manifestent  que  trop  au  dc- 
Iiors,  elle  meure  dans  la  désobéissance  à 
l'Eglise,  et  dans  l'inimilié  de  son  Dieu 
par  conséquent  :  bien  [ditrérente  de  la 
religion  véritablement  soumise,  celle  -  ci 
sincèrement  attachée  à  l'Eglise  ,  se  dé- 
fiant avec  raison,  des  lumières  de  son  es- 
prit, redoutant  tout  ce  qui  a  l'apparence  de 
nouveauté,  parfaitement  soumise  aux  déci- 
sions des  premiers  pasteurs,  fidèle  d'ailleurs 
à  tous  les  devoirs  de  son  saint  état,  coinme 
elle  a  vécu  sans  remords  et  dans  la  paix  inté- 
rieure, elle  voit,  sans  inquiétude,  la  mort 
s'aj)proclier,  dans  l'espérance  que  le  souve- 
lain  Juge  lui  pardonnera  ses  fautes  et  ses 
faiblesses  ;  elle  meurt  dans  le  baiser  du 
Soigneur,  avec  une  paix,  une  tranquilliié 
<|ui  fait  l'admiration  et  l'édilicalion  de  tou- 
tes ses  sœurs.  Tels  sont,  Mesdames,  les 
grands  avantages  que  procure  une  entière 
et  parfaite  obéissance  à  l'Eglise  :  une  sé- 
cui'iié,  une  assurance  intime  qu'on  ne  peut 
se  tromper;  et  do  plus,  outn.'  la  récompense 
du  ciel,  dans  l'autre  vie,  dès  celle-ci,  un 
bonheur  réel  qui  consiste  à  vivre  et  à  mou- 
rir dans  la  paix,  du  cœur.  Mais  pour  y  par- 
ticiper à  ces  grands  avantages,  il  faut  aussi 
que  cette  obéissance  à  l'Eglise  soii,  comme 
je  l'ai  dit,  entière  et  parfaite,  et  pour  cela 
qu'elle  soit  accompagnée  de  certaines  dis- 
positions qui  vont  faire  la  matière  de  la  se- 
conde partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Nous  sommes  tous,  Mesdames,  si  convain- 
cus qu'en  qualité  d'enfants  de  l'Eglise, 
nous  lui  devons  l'obéissance,  non-seulement 
sur  les  préce|)tes  qu'elle  nous  impose,  pour 
régler  nos  mœurs,  mais  encore  sur  les  dé- 
cisions qu'elle  nous  présente  ,  pour  fixer 
notre  croyance  ,  qu'on  n'a  point  vu  d'héré- 
siai(jues  et  de  sectaires  qui  n'aient  |)roleslé 
qu'i;s  étaient  soumis  à  celte  Eglise  ,  et 
qui  n'aient  tenté  de  prouver  cette  soumis- 
sion ,  par  des  professions  de  foi ,  fausses  à 
Ja  véi'ilé,  cai)tieuses  et  insullisanies  par 
conséquent;  ainsi  ils  se  disent  soumis  à 
l'Eglise,  et  ils  ne  le  sont  ()as  véritablement, 
parce  qu'ils  ne  le  sont  que  de  bouche  et 
non  du  fond  du  cœur;  ils  se  disent  soumis 
à  l'Eglise  et  ils  ne  le  sont  jias  entièremeiit, 
parce  (}u"ils  exceptent  et  qu'ils  rejettent 
quelqu'une  de  ses  décisions,  quelques-uns 
de  ses  décrets.  Or,  afin  que  votre  soumis- 


sion, votre  obéissance  à  l'Eglise  soit  agréa- 
ble à  Dieu  et  à  l'Eglise  elle-même,  elle  doit 
être  exemjtte  de  ces  deux  défauts,  je  veux 
dire  (ju'elle  doit  être,  en  premier  lieu,  sin- 
cère, partir  du  fond  du  cœur;  et  en  second 
lieu,  universelle,  renfermer  tout  ce  qui  i^ent 
en  être  l'objet.  Ces  deux  réfiexions  étant 
de  la  jilus  grande  importance;  je  vous  prie 
de  me  renouveler,  pour  quelques  moments, 
toute  votre  attention. 

1.  Je  dis,  en  [iremier  lieu,  que  l'obéis- 
sance àl'Eglise,  pour  ôlre  véritable,  doit 
être  sincère  et  ir.térieuie.  Oui,  Mesdames, 
c'est  de  la  bouche  qu'il  faut  confesser  la  foi, 
et  la  manifesterau  dehors,  pour  être  sauvé  : 
Ore  confessio  pi  ad  salulem  ;  mais  c'est  dans 
le  cœur  :^ue  cette  foi  doit  être,  si  l'on  veut 
paraître  juste  aux  yeux  de  Dieu  :  corde  cre~ 
ditur  adjustitinm.  {Itom. ,  X,  10.)  Aussi 
l'Eglise  l'a-t-elle  toujours  exigée  cette  sou- 
mission intérieure.  Jamais  elle  ne  regarda 
comme  enfants  dociles  ,  que  ceux  (jui  ont 
cru  intérieurement  la  doctrine  qu'elle  leur 
a  enseignée  :  à  la  vérité  ,  il  n'en  est  pas 
ainsi  dans  la  société  civile;  un  père  qui  fait 
un  commandement  à  ses  enfants  ,  ou  un 
roi  qui  intime  des  ordres  à  ses  sujets, 
n'exige  point  absolument  une  soumission 
intéiieure  et  du  cœur  ,  elle  est ,  à  ta  vérité, 
plus  convenable  ,  comme  plus  parfaite; 
mais  un  souverain  n'ayant  qu'à  mai-itenii' 
l'ordre  et  la  police  dans  ses  Eiats.etun 
père  n'ayant  qu'à  veiller  sur  le  gouverne- 
ment extérieur  de  sa  famille,  l'un  et  l'autic 
s'inquiètent  peu  ap;ès  toui,  qu'on  les  ap- 
prouve intérieurement  dans  ce  q-.i'ils  or- 
donnent .  ou  dans  ce  qu'ils  délendent , 
pourvu  qu'on  se  conforme,  et  (iu'oi  paraisse 
se  conformer  à  leur  volonté:  mais  pour 
l'Eglise  notre  mère,  il  n'en  est  pas  ainsi  ; 
comme  elle  a  été  instituée  par  le  Dieu- 
Sauveur,  non-seulement  pour  régler  la  con- 
<luite  extérieure  de  ceux  qui  sont  à  lui  , 
mais  de  plus,  et  surtout  pour  régler  leur 
intérieur  ,  et  les  conduire  par  là,  à  la  sain- 
teté, et  par  la  sainteté  ,  au  bonheur  du  ciel, 
elle  ne  peut  se  contenter  d'une  soumission 
purement  extérieure,  qui  se  bornerait  à  la 
main,  pour  ainsi  dire,  mais  (]ui  n'alfecterait 
lioinl  i'dme,et  ne  la  rendrait  point  vraiment 
soumise  :  ainsi  ,  quand  l'Eglise  présente  à 
tous  ses  fidèles  ,  un  nouveau  décret  qui 
condamne  une  erreur  nouvelle  ou  renouve- 
lée, et  déjà  condamnée,  tout  fidèle  est  obli- 
gé d'y  adhérer,  de  s'y  soumettre  de  cœur 
etd'espiit,  parce  qu'alors,  comme  le  dit 
saint  Bernard  ,  la  loi  de  la  bruche  ne  vaut 
rien  sans  la  fui  du  cœur:  Non  vuklfides  oris, 
sine  fîde  cordis.  Cii  n'est  donc  point  entrer 
dans  res|)!it  de  l'Eglise,  être  vraiment  en- 
Jant  de  l'Eglise  ,  de  s'en  tenir  sur  le  décret, 
à  un  silence  respectueux  ,  comme  on  l'ap- 
fielle  :  silence  qui  n'est  qu'un  subterfuge 
niventé  par  les  hérétiques  ,  pour  se  sous- 
traire réellement  à  l'obéissance  ;  silence 
qu'ils  allèguent,  et  qu  ils  loiit  beaucoup  va- 
loir ,  lorsqu'on  les  presse  de  se  soumettre, 
mais  q'u'ils  n'observent  guère:  silence  faus- 
sement aj)pelé  rcspeclueux,  pu-isqu'il  oiar- 


557  DISCOURS  BK  UETRAITF, 

(HIC  nu  oonliaire  leur  peu  do  rospcci  pour 
l'Kglise  :  disons  mieux,  silenco  réolleiuonl 
injurieux  à   l'Eglise,  puistiu'ils   ne    rnl)scr- 


SKPTlKMr:  JOUR. 


z:i» 


vent  et  ne   ralièiiiient  (pie    parce  (pi'ils  no 
sont  pas  persuadés  inu^rieuronient  de  l'au- 
lorilé  infaillible   de    l'Eglise ,    el  du    droit 
cju'elle  a  d'exiger,  do   tous  ses  enfants,  une 
soumission  sineère  et  intérieure  ,   sur  tous 
ses  décrets.  Ce  n'est  point  encore  vive  véri- 
tablement eii/ant  de  l'Eglise  ,  de  s'en  tenir 
à  une  espèce  (io  neutralité,  (Je  ne  vouloir 
être,  comme  l'on  dit,  d'aucun  parti  ;  langage 
ordinaire  de  ceux  el  de  celles  qui  ne  veu- 
lent pas  se   soumettre,  el    qui   uianil'eslent 
également   leur   faconde  penser;    langage 
qui  n'est  ((ue  sur  les  lèvres,  et  pour  en  iui- 
jioscr  aux  sii|)érieurs  ecclésiastiques,  mais 
qui  n'empêche  pas,  que  dans  les  occasions  où 
l'on   croit   pouvoir  agir  et  |)arler  librement. 
Ton  ne  montre  de  la  chaleur  et  le  plus  vif 
intérêt     pour   la  mauvaise   cause    qu'on   a 
inalheureusemeut    endjrassée  :  mais  je    dis 
plus,  langage  injuste  ,  s'il  était  sincère  et 
injurieux    à   l'Eglise.    Je    dis    injurieux   à 
l'Eglise,  parce  que  c'est  là  supposer  fausse- 
ment un    parti  opposé  ù  un  autre  parti,  ce 
qui  n'est  pas  ,    et   ne  |ieul  être.  Toutes  les 
hérésies  qui  ont  pai'u  ,  l'Eglise  ,   usant    du 
droit   que   lui    a  donné  Jé>us-Cliri,st,  les  a 
toujours  conu'amnées  ;  elle  ne  doit  pas  plus 
êlre  regardée  comme  un   parti  opposé  à  un 
autre,  qu'un  souverain  qui    enlreprendrail 
de  souMictlrede  ses  sujets  ,  qui  a.yanl  formé 
un  parti  (Kuis  l'Etat  ,   se    seraient    révoltés 
contre   lui:  mais   j'ai  dit  de    [ilus,    langage 
injuste  et  très-injuste  ,  parce  tiue,  lorsqu  i) 
s'agit  de  foi  et  de  soumission    à  l'Eglise,  la 
neutralité   ne  peut  être  permise.  Celui  qui 
n'est  pas  pour  moi,  a  dit  le  Fils  de  Dieu  lui- 
môme,  est    véritablement  contre    moi  :  Qui 
non  est  mecum,  conlra  me  est  {Luc.,Xl,2'3)  ; 
celui  par  conséquent  qui  n'est  pas  ouverte- 
ment pour  l'Eglise,  soumis  à  loules  les  déci- 
siùnsde  l'Eglise^  à  laquelle  ce  Dieu  Sauveur 
a  comiDUuiqué  son  autorité,  esldonc  formel- 
lement contre  l'Eglise,  rebelle   à  1  Eglise: 
vuilà  ce  qu'ont  enseigné  conslamineut  les 
Pères  et  lesdocteuis.  Tout  c:iié>ien  est,  en 
celle  qualité ,  soldat  de  Jésus-Christ,  dit 
Tertullien  :  J7r  Christiunus,  miles.    Or   uu 
soldat,  qui  d;ins  les  occasions,  se    tiendrait 
à  l'écart,  qui  refuserait  d'obéiià  son  [iriuce, 
de  défendre  sa  [talrie,  serait  ngardé,    avec 
raisou,  comme  un  Iraitre  tout  à  la  fois,  à  sa 
patrie,  et  à  son  roi  :  de  môme  une  personne, 
enfant  de  l'Eglise,  dansquei(jue  étal  qu'elle 
l-.uiss(;  être,  qui  refuse  de  rendre  raisou  de 
sa  croyance  à  ceux  qui  sont  préposés  pour 
la  lui  demamler,  ou  qui  voyant  l'Eglise  al- 
la(iuée,  calomniée  ()ar  des  rebelles,  se  borne 
au  silence,  se  rend  coupable  de  trahison,  de 
lâcheté ,  et  ne  peut  être  regardée   comme 
vrai  enfant  de  celte  Eglise.  Je  sais  qu'il  faut 
delà  niodéiation,  de  la  prudence,   dans  la 
défense  de  l'Eglise  et  de    la   foi;   un   zèle 
trop  vif,  téméraire  el  indiscret,  est  plus  pro- 
pre à  nuire  à  l'Eglise,  qu'ù  la  servir  et   à  la 
défendre  :  aussi  suis-je  bien  éloif^né  d'ap- 
[)rouver  des  excès  que  Jésus-Christ  et  son 


Eglise  elle-même  interdisent  et  condamnent, 
l^lais  si  un  zèle  excessif  et  peu  mesuré  est 
condamnable,  une  indillérence  allectée  , 
lors(]u'il  faut  manifester  sa  foi,  l'est  égale- 
nu;iil;  c'est  rougir  alors  de  Jésus-Christ. 
Or  il  a  déclaré  (|u'il  rougira  un  jour,  devant 
son  Père,  de  ceux  qui  auront  rougi  de  lui 
devant  les  hommes.  Hé  quoi!  l'on  a  vu, 
dans  tous  les  temps,  et  nous  le  voyons  en- 
core, avec  douleur,  les  partisans  de  l'er- 
reur, la  défendre  avec  un  zèle,  une  ardeur 
singulière;  rien  no  leur  cotite,  lorsciu'il 
s'agit  d'accréditer  leur.fausse  doctrine,  de 
se  conserver  des  prosélytes,  ou  d'en  aug- 
menter le  nombre;  et  une  personne,  une 
religieuse  qui  se  dit  catholique,  sincère- 
ment attachée  h  l'Eglise,  croirait  remplir 
toute  justice,  en  se  tenant  tranquille,  en  re- 
fusant de  parler  el  de  s'ex[)liquer,  lorsqu'il 
serait  utile  et  nécessaire  même,  pour  l'édi- 
licalion  et  [>our  empêcher  tout  soupçon  sur 
sa  foi,  qu'elle  fil  connaître  ses  senlimenls? 
Non,  non,  Mesdames,  tenir  une  {)areille  con- 
duite, alfecter  une  pareille  indifférence  , 
c'est  prouver  (|u'on  n'a  j)as  une  soumission 
intérieure  el  sincère  à  l'Eglise;  c'est  l'ol- 
finser  par  conséquent  el  l'outrager;  c'est 
olfeiiser  el  outrager  Jésus-Christ  son  chef 
et  son  auteur.  La  soumission,  l'obéissance 
à  l'Eglise,  pour  être  vraie,  doit  donc  être 
sincère  el  se  montrer  telle  :  mais  elle  doit, 
de  plus,  èlre  universelle,  s'étendre  à  tout 
ce  qui  en  est  l'objet  ;  seconde  qualité  aussi 
nécessaire  au  s;iiut,  que  la  première. 

11.  Voilà   ce|)enda'it,  j'ose   le   dire  ici,   à 
quoi  on  reconnaît  le  plus   sûrement,    une 
personne  ()eu  soumise  à  l'Eglise  ;  si  elle  se 
tiouvj  dans  quelques  circonstances  qui  la 
forcent,  pour  ainsi  dire,  de  rendre    raison 
de  sa  joi,   à   ses  supérieurs,    rien  de  plus 
beau,  de  plus  étendu  que  sa  profession  do 
foi  :  elle  ne  fera  aucune  dilliculté  de  con- 
damner toutes  les   erreurs  qui  ont  été  jus- 
(^u'ici  cond.im'iées  par  l'Eglise,   mais  sans 
faire   jamais    menlion    de  celle  à    laquelle 
elle  est  uialheureusemeiit   attachée,    ou  au 
parti  qui  la  soutient;  elle  se  dira  soumise  à 
tous  les  décrets  de   l'Eglise,  mais   t0Uj0ur.-> 
en  mettant  de  côlé,eii  exceptant  celui  qui 
condamne  les  novateurs  du   temps  [trésent 
el  le  seul  cependant  pour  lequel  ses  supé- 
rieurs exige  d'elle  el  formellemeul,  expres- 
sément ,   sa   soumission.   Voilà   au    reste , 
Mesdames,  ce  que  l'on  a  vu  dans  tous  les 
t.inps.  Les   pélagiens  condamnait  nt  sincè- 
reuienl  les  dogmes  d'un  Arius,  d'un  Nes- 
lorius  el  de  tous  les  hérésiarques  qui   les 
avaient  précédés,  mais  non  la  doctrine  de 
Pelage  leur  luaître.  Les   luthériens,  les  cal- 
vinistes disaient  et  ont  toujours  dit  volon- 
tiers anathème  à  Pelage  el  à  lous  les  autres 
novateurs,  mais  jamais  à  Luther,  à  Calvin. 
Or,  ji;  le  (Jemande  ici,  esl-ce  là  une  con- 
duite droite  et  suivie?  N'esl-ce  pas  avoir 
un  poids  et  un   poids,  une   mesure  et  une 
mesure?  Ah  1  Mesdames,  poi^r  peu  qu'une 
jiersonne  opiniâtrement  allachée  à  un  poii  t 
de  doclriue  condamné  [lar   l'Eglise,   voullii 
réiléchir  sérieusement  sur   sa  conduite,  ei 


5:9                                        ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS.                                            560 

df^poser  d'anciens  et  mallieurcnx  préjugés,  tours  eux-raômcs  acquiescer,  parce  que  ces 
n'jiecoiitiaîlrait-elle  pas  une  incorii^équoncc  décrets  n'avaient  aucun  rapport  à  leur  mau- 
sensible  ,  une  évidente  contradiction?  Ne  vaise  doctrine  I  Mais  cnfin-je  demande  si  c'est 
nous  y  liompons  pas,  la  toi  est  indivisible  ne  rien  condamner  que  de  déclarer  qu'un  tel 
dans  son  objet,  comme  l'amour  de  Dieu  livre,  qu'un  loi  ouvrage  contient  des  propo- 
dans  le  sien  ;  en  soi  te  que,  conmie  on  n'a  sitions.  et  telles  proftositions  qu'ondésigne, 
plus  un  véritable  amour  pour  Dieu,  quand  dont  les  unes  sont  hérétiques,  les  autres 
on  transgresse  volontairement  un  seul  de  scandaleuses,  les  autres  blasphématoires,  et 
ses  préceptes,  quand  d'ailleurs  on  accora-  le  reste;  je  demande  si  la  soumission  est  cen- 
plirait  tous  les  autres,  de  luôme  on  n'a  sée  portée  sur  rien,  quand  on  croit,  d'après 
plus  une  vraie  loi,  une  soumission  en-  le  jugement  du  souverain  poniife  et  des 
lière  et  parfaite  à  l'Eglise,  quand  on  la  re-  évêques,  que  toutes  ces  propositions  sont 
fuse  à  un  seul  de  ses  décrets,  quoique  telles  en  elfet  que  les  qualilie  le  décret  qui 
d'ailleurs  on  se  dise  soumis  à  tous  les  au-  les  condamne?  N'est-ce  pas  pour  un  enfant 
très.  Tel  est  le  sentiment  de  tous  les  doc-  de  l'Iiglise,  vouloir  s'aveugler  et  avoir  peu 
leurs  de  l'Eglise.  Hé  quoi  I  Jésus-Christ,  de  docilité  dans  l'esprit,  que  de  se  souuiet- 
loisqu'il  nous  a  ordonné  de  l'écouter  cette  Ire  à  ce  décret",  fiarce  qu  il  ne  lui  dit  |uis 
Eglise  et  do  lui  ol>éir,  a-t-il  distingué  en-  expressément,  c'est  cette  proposition  qui 
tre  décision  et  décision,  entre  décret  et  est  hérétique,  colle-là  est  scandaleuse?  Ah  1 
décret?  Quoi  1  l'on  paraît  se  soumettre  à  un  Mes. lames,  quand  une  personne,  une  reli- 
décret  ()ui  a  toutes  les  formalités  requises  gieuse  surtout  est  sincèrement  attachée  à 
pour  en  faire  un  décret  de  l'Eglise,  et  Ton  l'Eglise  et  à  Jésus-Christ  son  célesteÉpoux, 
refuse  sa  soun.'ission  à  un  autre  qui  est  e'.lo  est  bien  éloignée  de  pareils  sentiments 
absolument  revêtu  des  nièmes  formalités?  et  (Je  tenir  une  pareille  conduite.  Vous  avez 
Quelle  contradiction!  quelle  inju>tice  I  Ce  sans  doute  enleiulu  parler  de  l'acte  géné- 
n'est  donc  plus  l'autoiité  iidaillible  de  reux  de  soumission  et  de  docilité  d'un  pré- 
l'iiglise  qui  ins|dro  celle  soumission;  ce  lat  des  plus  vertueux,  et  des  j)lus  é>laiiés 
n'est  donc  qu'a|)rès  avoir  examiné,  jugé  un  du  siècle  dernier;  un  de  ses  ouvrages  fut 
décret,  qu'on  le  reçoit  ou  iju'on  le  rejette;  déféréau  vicaire  de  Jésus-Chiisl,  (jui,  après 
on  devient  donc  véritablement  soi-même,  un  iiiûr  examen,  le  condamna  par  un  de- 
juge  de  l'Eglise  :  quel  aveuglement  1  quelle  cret  :  les  évéques  de  Franco  assemblés  ac- 
témériié!  ceplent  le  décrel.  Dès  que  le  prélat  l'ap- 
Mais  comment  se  soumettre  h  un  décret  prend,  c'en  est  assez  pour  lui  :  il  reconnaît 
qui  ne  condamne  et  qui  ne  spécitie  aucune  que  l'Eglise  a  parié;  peu  content  de  se 
erreur?  Sur  quoi  tombe  la  condamnation,  soumettre  de  cœur  et  d  osjirit  à  la  décision 
et  surijuoi  doit  lombcr  notre  soumission  V  du  souverain  pontife,  il  monte  en  chaire  et 
Voilà,  Mesdames,  une  objeclion  qu'allé-  donne  à  ses  diocésains  l'exemple  de  la  [)lu(> 
gnenl  bien  des  personnes,  pour  refuser  à  parfaite  obéissance  ;  il  condamne  lui-mômt) 
l'Eglise  la  soumi.N3!on  qu'elle  exige  d'elles  ?  sou  livre  et  leur  en  défenii  absolument  la 
Mais  pour  y  réiondie,  je  pourrais  dire  à  lecture  :  voilà  ce  que  produira  toujouis 
une  personne  qui  me  la  ferait  celte  objec-  l'humilité  chrétienne,  quand  e.'le  règtio  vé- 
lion,  (ju'à  la  vérité  l'Eglise  notre  mère,  en  rilablement  dans  un  cœur, 
condamnant  tel  livre  en  particulier,  aurait  Mais  quoi  I  obliger  des  lilles  ignorantes 
pu  spécilier  chaque  erreur  et  les  faire  con-  qui  ne  doivent  savoir  que  leur  règle  et  les 
Jiaîlre  aux  fidèles  ;  oui  sans  doute;  mais  devoirs  du  saint,  d'être  tliéf  logieimes,  de 
quoi,  parce  qu'elle  n'a  {)as  jugé  à  (irupos  parler  de  doctrine  quelles  n'enlendeut  pas, 
d'en  agir  ainsi,  un  fidèle  se  croira  en  tlio.t,  cela  est-  I  juste  et  raisounable?  N.,n,  Mes 
par  celte  seule  raison,  do  n  jeter  son  dé-  dames,  je  conviens  volonliers,  avec  vous 
cret  ot  de  ne  s'y  fias  sounieilre?  Quoi  de  que  des  le  igieiises  ne  doivent  point  connaî 
plus  injuste!  Cette  su})position  va  vous  le  Iro  et  savoir  des  dogmes  qui  piiS^ent  la  por- 
faii'e  sentir.  Un  homme  a  un  fils  qu'il  tée  de  leur  esprit!;  ce  no  fut  aussi  jamais  là 
aime  lendremeiil;  {dein  de  sagesse,  il  lui  l'intention  des  ^upérieurs  ecciésiasliques, 
défend  d'aller  dai;s  un  tel  lieu,  ou  de  b  é-  qui  souhaiteraient,  au.  contraire,  que  ces 
ciuenler  une  telle  personne,  lui  alléguant  filles  ignorassent  toutes  et  absolument  ces 
qu'il  a  de  bonnes  raisons  pour  lui  faire  celte  disputes  qui  divie  il  les  fidèles  et  aflligoiit 

l'Eglise.  Uien,  en  ell'et,  ne  les  console  plus 


défense,  sans  lui  rien  dire  de  plus;  ce  fils 
refuse  d'obéir  à  ce  bon  jtère,  par  la  raison 
qu'il  ne  lui  a   pas   spécifié  en   détail,   les 


ces  supérieurs  que  do  \oir  des  communau- 

,.       .          .                             ,     --  tés,  sans  diversité  de  senlimenls,  qui  bien 

dangers  qu'il  y  aurait  pour  lui,  à  fréquenter  unies  entre  elles  et  par  ieniiment  soumises 

ce  lieu  ou  cette  personne?  Quelle  idée  au-  à  toutes  les  décisions  de  I  Eglise,  no  s'en- 

riez-vous  de  cet  enfant  et   de  sa  docilité?  Ireliennent  jamais  des  maiières  qui  en  sont 

Cependant,  absolument   parlant,    ce    père  l'objet;  ils  en  bénisbent  le  Seigneur  et  ne 

j)ourrait  se  tromper,  dans  les   motifs  de  sa  sont  occupés  alors  qu'à  écai  1er  les  loups  do 

délense,  au  lieu  que  l'Eglise  toujours  diri-  ces  pures  et  saintes  bergeries;  mais  quand 

gee  par  le  Saint-Esprit,  ne  peut  errer,  lors-  ils  voient,  au  contraire,  de  ces  vierges  chré- 

qu  elle  entreprend  de  diriger  notre  foi  et  de  tiennes  qui,  malheureusement  séduites  par 

régler  nos  mœurs;  mais  de  plus,  combien  de  faux  docieuis,  sont  dans  une  disposi- 

d  erreurs  que  l'Eglise  a  condamnées,  par  de  tion  de  désobéissance  à  un  décrel  porté  par 

pareilsdécrets,elauxquelsona  vudesnova-  l'Eglise,  qui  oblige   tous   les  fidèles  h  s'y 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  SEPTIEME  JOUR. 


SCÎ 


I 


soumcllre,  el  sous  les  peines  los  plus  rigou- 
reuses; quand  ils  voient  que  ces  vierges, 
par  leur  désobéissance,  encourent  vérila- 
bleuient  ces  peines  canonirjiies,  (|u'elles  de- 
viennent par  là  criminelles  aux  yeux  de 
Dieu,  que  tonl  ce  qu'elles  foui  de  bien,  dans 
cet  étal,  se  trouve,  par  ce  défaut  de  soumis- 
sion, sans  mérite  devant  Dieu;  quand  ils 
voient  qu'elles  fréquenlenl  peu  les  sacre- 
ments, ou  (pi'aussi  mal  dis|)Osées,  elles 
u'en  approchent  que  pour,  les  profaner; 
quand  ils  voient  ou  quand  ils  savent  du 
moins,  (jue  bien  loin  de  garder  un  silence 
qu'elles  font  tant  valoir,  lorsqu'on  les  ex- 
Ijorte  à  se  soumollre,  elles  se  rassemblent 
secrètement  pour  discourir  et  s'encouraj^er 
récipro(juement  dans  leur  désobéissance, 
que  malgré  les  défenses  de  leur  supérieur, 
de  leur  évè(|ue,  elles  lisent  des  livres  em- 
poisonnés qui  ne  peuvent  que  les  confirmer 
et  les  entretenir  dans  leurs  mauvaises  dis- 
positions; pour  peu  qu'ils  aient,  ces  supé- 
rieurs, de  zèle  de  la  gloire  de  Dieu  et  du 
salut  des  âmes,  peuvent-ils  rester  dans 
l'inaction,  laisser  se  perdre  des  âmes  pré- 
cieuses à  Jésus-Cljrisl,  dont  le  soin  leur  a 
été  confié  et  dont  ils  doivent  lui  rendre,  un 
jour,  un  comité  rigoureux?  Qui  peut  donc 
les  blâmer,  s'ils  travaillent  à  ramener  au 
divin  bercail  ces  brebis  égarées?  Ali  I  ce 
(]ui  serait  injuste  et  blâmable  dans  eux,  ce 
serait  d'abuser  de  leur  autorité  par  des  ma- 
nières dures  et  rebutantes;  ministres  de 
Jésus-Chrisl,  ils  doivent  toujours  se  mon- 
trer aniinés  de  cet  esprit  de  douceur,  de  pa- 
tience et  de  cliarilé  dont  leur  divin  Mailre 
leur  a  donné  l'exemple,  môme  envers  les 
jilus  grands  pécheurs;  un  zèle  ardent,  im- 
pétueux el  trop  vif  ne  fut  jamais  propre  quà 
éloigner  les  esprits  et  à  indisposer  les  cœurs; 
mais  quand  il  se  montre  ce  zèle,  aceonipa- 
gné  de  douceur  et  de  cordialité,  ce  qu'il  y 
a  de  condamnable  alors,  c'est  la  censure 
qu'on  en  fait  el  la  résistance  qu'on  lui  mon- 
tre. 

Mais  il  est  une  loi  du  prince  qui  défend 
de  parler  de  ce  décret,  sur  lequel  on  exigo 
la  soumission  et  de  tout  ce  qui  y  a  rappoit; 
les  supérieurs  ne  peuvent  donc  en  parler 
eux-mêmes  sans  désobéir  au  prince.  Pour 
jépondre à  celle  objection,  que  ne  manquent 
jamais  de  faire  ceux  et  celles  qui  se  tiou- 
vent  pressés  [lar  de  fortes  raisons  :  je  dis, 
en  premier  lieu,  que  ce  n'est  point  aux  in- 
férieurs à  censurer  la  conduite  de  leurs  su- 
|)éi leurs;  que  quand  on  a,  pour  eux,  un 
véritable  respect,  on  les  juge  toujours  fa- 
vorablement, el  l'on  présume  qu'il  ne  font 
rien  et  qu'ils  sont  incaiiables  même  de  rien 
faire  contre  leur  devoir  :  mais  je  réponds 
plus  directement,  en  second  lieu  ,  que  le 
prince  peut,  à  la  vérité,  pour  de  sages  rai- 
sons, inlerdiie  .ù  ses  sujets  dts  écrits  el  des 
disputes,  qui  tendent  bien  moins  à  décou- 
vrir el  à  défendre  la  vérité  qu'à  animer  les 
esprits,  qu'à  faire  naître  et  à  entretenir  des 
troubles  et  des  divisions,  des  guerres  intes- 
tines, toujours  préjudiciables  b  l'Etal  :  mais 
je  dis  aussi  (]ue,  par  cette  loi  du  silence,  le 

OuATELilS   SACHES.   LXN'ill. 


souverain  n'a  jamais  |>rélendu  fermer  la 
bouche  aux  évôipies  el  à  ceux  qui  los  repré- 
sentent, (ju'il  l'a  ainsi  formellement. déclaré 
lui-même.  Hé!  comment  fiourrail-on  croire 
(ju'un  monar(|ue  [qui  se  glorilie  du  lilro  do 
roi  Irès-chrélien  et  de  tils  aîné  de  PPlgiiS", 
qui  s'est  montré  attaché  h  la  cliaiiede  Pierre, 
soumis  h  ses  décrels  el  ennemi  de  toute 
nouveauté,  qui  a  paru  connaître  les  devoirs 
des  évèques  el  la  mauvaise  foi  desTréfrac- 
laires,  ail  eu  intention,  par  la  loi,  de  favo- 
riser ceux-ci  et  d'em|)èeher  teux-îà  d'ins- 
Iruire  les  tiilèles  ronliés  à  leur  soin  et 
d'exercer  un  mtnislère  qu'ils  tiennent  de 
Jésus-dhrist,  et  du(iuel  ils  doivent  lui  ren- 
dre compte  un  jour;  alléguer  h  ses  supé- 
rieurs la  loi  du  silence,  est  donc  une  pure 
défaite  el  une  marque  évidente  de  désobîis- 
sance  à  l'Eglise,  Ajucs  avoir  réfuté,  AJos- 
dames,  les  diilicullés  qu'on  fait,  pour  l'or- 
dinaire, pour  se  n>aiiitenir  dans  des  sonli- 
menls  de  révolte,  je  joins  ici  une  ré/lexion 
qui  paraîtra  équitable  à  tout  esf)rit  sans 
prévention  ;  c'est  que  tant  d'objections  el  de 
répliques  sont  un  fort  préjugé  contre  la 
personne  qui  les  fait  :  c'est  qu'il  faut  que 
la  cause  qu'elle  défend  soil  bien  mauvaise 
pour  se  voir  comme  f(jrcée  d'alléguer  les 
mènies  difficultés  et  faire  les  objections 
qu'ont  faites,  dans  tous  les  temps,  les  hé- 
rétiques et  ceux  mêmes  que  cette  personne 
regarde  comme  tels,  de  tenir  le  môme  lan- 
gage, d'employer  les  ujêmes  moyens  de  dé- 
fense, d'user  des  mômes  détours,  des  mêmes 
subterfuges.  Ah!  Mesdames,  la  vérité  a  une 
marche  bien  plus  droite  et  bien  |)lus  sim- 
|ile  :  la  vraie  foi  montre  bien  plus  de  can- 
deur el  d'humilité  :  je  dis  d'humilité  sur- 
tout ;  car  si  l'on  montre  tanl  de  résistance 
à  ses  sujiérieurs,  à  son  évôqu(%  à  toute  l'E- 
glise; je  l'ai  déjà  dit  et  je  ne  puis  trop  lu 
répéter,  c'est  l'attachement  à  son  propre 
sens,  c'est  l'orgueil.  Qu'une  religieuse  soit 
véritablement  humble,  |)etite  à  ses  propres 
yeux,  qu'elle  se  délie  de  ses  lumières  ;  qu'elle 
ail  d'ailleurs  un  vrai  désir  de  se  sanclitier 
dans  son  saint  état,  quehfue  aveuglée  qu'elle 
jiuisse  être  par  des  préjugés  de  naissance 
ou  d'éducalion,  j'ose  |)rometlre  de  lui  faire 
sentir  bientôt  la  vérité  et  de  la  remettre 
dans  la  voie  de  la  foi  el  du  salut. 


aurait  à 
quelques 


Conclusion,  pour  la  reli(jieuse  qui 
se  reprocher  de  ta  résistance  à 
décisions  de  l'Eglise, 

Ahljelevois  el  le  reconnais  présente- 
ment, ô  mon  Dieu,  que  c'est  l'orgueil  qui 
m'a  retenue  jusqu'ici  dans  l'erreur;  oui, 
CL-l  orgueil  (|ui  a  perdu  Lucifer,  qui  a  pré- 
cipité tant  d'liérésiar(pjes,  de  novateurs, 
(le  sectaires  dans  l'enfer,  c'est  ce  môme 
orgueil  (pii  m'a  dominée  el  (^ui  m'a  ren- 
due sourde  aux  avis  les  plus  charitables 
de  mes  su[)éiieurs,  qui  m'a  f.iit  employer 
pour  défendre  ce  que  j'appelais  fausse- 
ment la  vérité  des  moyens  que  ma  cons- 
cience me  re|irochail.  Ah  I  .Seigneur,  vous 
n'avezjjas  permis  à  mon  égard,  ce  que  vous 
le      avez  permiïà  l'égaid  d'une  inliiiiléd'aulies, 

12 


:;6;! 


0RA'[E11RS  SACRES.  L'A-BDE  DE  MONTIS. 


zu 


moins  coupables  que  moi  [)eul-6lre,  que  la 
mort  me  surprît  dans  ma  désobéissance;  c'est 
un  effet  de  votre  miséricorde,  dont  jo  no 
veux  plus  rae  rendre  indigne.  Dès  ce  mo- 
ment, ô  mon  Dieu,  j'en  f)rends  la  résolu- 
tion ;  chaque  jour  je  vais  vous  adresser  de 
ferventes  prières  pour  assurer  ma  foi  et 
mon  salut;  à  ces  prières  jo  joindrai  des 
instructions  et  des  lectures  ,  que  la  crainte 
do  me  soumettre  à  Ja  vérité  uj'onl  fait  re- 
fuser tant  de  fois.  Daignez,  Seigneur,  les 
accompagner  de  votre  grûce  ;  pour  l'obte- 
nir, je  vais  rem[)iir  avec  plus  de  fidélité  que 
iamais  les  devoirs  et  les  observances  de 
mon  saint  état;  eh  I  que  me  servirait  d'y 
avoir  été  fidèle,  si  je  manquais  de  soumis- 
sion à  l'Eglise,  sans  laquelle  je  ne  puis  ac- 
quérir aucun  mérite  et  vous  plaire.  Quelle 
douleur  pour  moi  à  la  mort,  quel  déses- 
poir dans  l'éternité,  si  je  persistais  à  fermer 
Jes  yeux  à  la  vérité?  Hélas!  citée  à  votre 
redoutable  tribunal,  qu'auiais-je  à  vous  al- 
léguer pour  ma  justification?  Serait-ce  une 
excuse  légitime,  à  vos  yeux,  d'avoir  préféré 
mes  propres  lumières  à  celle  des  premiers 
pasteurs  et  à  l'autorité  de  l'Eglise  entière? 
Ne  permettez  pas.  Seigneur,  que  mes  pré- 
jugés m'aveuglent  plus  longtemps;  daignez 
ui'éciairer  vous-même  et  m'attaclier  uni- 
quement à  vous,  afin  qu'après  avoir  vécu 
sur  la  terre,  dans  la  foi  et  dans  la  charité, 
je  puisse  un  jour  participer  dans  le  ciel  à 
vos  récompenses  éternelles.  Ainsi  soil-il. 

Conclusion  pour  une  religieuse  docile  et  sou- 
mise à  toutes  les  décisions  de  l'Eglise. 
Ah  1  Seigneur,  quel  aveuglement  1  Qu'el- 
les seraient  dignes  de  compassion  et  cou- 
pables à  vos  yeux,  ces  vierges  vos  épouses, 
qui  devant  vous  montrer  et  à  votre  Eglise, 
plus  d'attachement  et  de  soumission  que  les 
sim[)les  fidèles  refuseraient  d'ouvrir  les 
yeux  à  la  vérité,  et  vivraient  dans  une  ha- 
bitude de  révolte  contre  les  premiers  pas- 
teurs I  Quel  malheur  pour  elles,  après  une 
vie  de  retraite  et  de  mortification,  de  se 
voir,  par  une  orgueilleuse  et  criminelle  dé- 
sobéissance, privées  [)our  toujours  de  votre 
vue  et  des  joies  du  ciel  qui  en  devaient 
être  la  récompense  1  AhJ  je  le  sais,  qu'il  est 
irès-diliicile  de  se  défaire  des  préjugés  de 
]a  naissance  ou  de  l'éducation.  Quelles  ac- 
tions de  grâces  n'ai-je  donc  pas  à  vous  ren- 
dre, ô  mon  Dieu,  do  m'avoir  lait  naître,  par 
jiréférence  à  une  intinité  d'autres,  dans  le 
sein  de  la  véritable  Eglise,  et  de  m'avoir 
procuré  de  plus,  une  éducation  dans  la- 
quelle j'ai  puisé,  avec  des  sentiments  de 
religion  et  de  piété,  ('elui  d'un  attachement 
sincère  à  la  foi  et  surtout  de  m'avoir  placée 
dans  une  sainte  maison  qui  se  glorifie  de  la 
plus  entière  soumission  à  toutes  les  déci- 
dions de  votre  Eglise,  et  qui  m'a  conlirmée 
ii-.oi-même  dans  ces  saintes  dispositions. 
Mais  que  rae  servirait ,  ô  mon  céleste 
lipoux,  d'avoir  cru  si  je  ne  vis  pas  d'une 
façon  conforme  à  ma  croyance?  Hélas  1 
parmi  ce  grand  nombre  de  vos  épouses  re- 
Ijelles,  il   en   est   peut-être  qui  rempiic^st  nt 


|)lus  exaclement  (juc  uioi  les  devoirs  de 
noire  saint  état;  pour  me  condamner  ne  me 
les  citerez  vous  [)Oint  au  grand  jour  de  vos 
vengeances?  Quelle  confusion  ne  doivent 
pas  m'inspirer  ces  réflexions  I  Mais  ce  que 
celle  confusion  doit  produire  surtout,  c'est 
de  me  faire  joindre  désormais  à  la  soumis- 
sion, à  la  foi  dans  l'esprit,  la  charité,  fa 
piété,  )a  , ferveur  dans  le  cœur;  j'en  prends 
la  résolution  dans  ce  .moment.  Oui,  Sei- 
gneur, avec  le  secours  de  votre  grâce,  je 
vais  liavailler  plus  que  jamais  à  ma  perfec- 
tion, en  mettant  plus  de  recueillement  dans 
ma  conduite,  plus  d'exactitude  à  mes  de- 
voirs et  aux  observances  de  mon  saint  élal, 
plus  d'attention  à  orner  mon  âme  de  toutes 
les  vertus  nécessaires  à  vos  épouses;  au 
motif  de  ma  sanctification  j'ajouterai,  dans 
cette  conduite  régulière,  celui  d'obtenir  de 
votre  miséricorde  la  conversion  de  ce  grand 
nombre  de  vos  épouses  qui,  par  un  défaut 
de  soumission  à  l'Eglise,  courent  en  aveu- 
gles à  leur  perte  éternelle.  Après  avoir  tra- 
vaillé par  là  sur  la  terre,  autant  qu'il  esl  eu 
moi,  à  votre  gloire,  j'aurai  le  bonheur,  je 
l'espère  de  voire  miséricorde,  d'y  partici|)er 
un  jour  et  pour  toujours  dans  le  ciel.  Ainsi 
scii-il. 

HUITIEME  JOUR. 
Premier  discours. 

SUR    LE    BONHECR    DU    CIEL. 

Justi  in  perpeluum  vivent,  et  apud  Dorainum  est 
merces  eorum.  {Sap.,  V,  16.) 

Lesjustes  vivront  éleniellement,  et  c'est  du  Seigneur 
qu'Us  reçoivent  leur  récompense. 

Tel  esl.  Mesdames,  l'heureux  sort  de  ces 
justes  et  de  ces  épouses  du  Dieu  Sauveur 
surtout,  qui  ont  terminé  leur  course  dans  sa 
grâce  et  dans  son  amitié;  en  payant,  comme 
les  autres,  le  tribut  à  la  mort;  elles  ont 
paru,  à  la  vérité,  aux  yeux  des  faux  sages 
du  siècle,  juivées  du  bonheur  de  la  vie  ; 
mais  qu'elle  leur  a  été  avantageuse  cette 
privation,  puisqu'on  les  délivrant  de  toutes 
les  peines  inséparables  de  celte  vie  mor- 
telle, elle  les  a  mises  en  possession  d'une 
vie  constante  et  éternelle!  Jusli  in  perpe- 
tuum  vivent.  Cependant,  Mesdames,  ce  n'est 
[)oinl  précisément  à  vivre  éternellement 
que  consiste  le  bonheur  des  élus  dans  le 
ciel;  à  ne  considérer  que  celle  subsistance 
éternelle  en  elle-même,  il  n'ont  rien  en 
cela  que  de  commun  avec  les  réprouvés 
dans  l'enfer;  mais  ce  qui  fait  le  souverain 
bonheur  des  uns  et  le  malheur  souverain 
des  autres,  c'est  que  ceux-ci  ne  subsiste- 
ront que  pour  servir  d'éternelles  victimes 
à  la  colère  de  leur  Dieu  qu'ils  auront  irrité 
l)ar  leurs  crimes,  et  que  ceux-là  au  con- 
traire vivront  éternellement  pour  jouir  do 
leur  Dieu  comme  d'une  récompense  qu'il 
leur  aura  accordée,  pour  lui  avoir  été  fidèle 
sur  la  terre.  Vous  n'en  doutez  pas,  Mesda- 
mes, de  celle  récompensedu  ciel;  la  parole 
de  voire  céleste  Epouxy  est  iroj)  ex()resse  ; 
vous  en  avez  de  plus,, un  sentiment  trop 
profondément  gravé  dans  votre  cœur.  Ce- 
pendant mettez-vous ,    avez-vous  mis   du 


>r.5 


DISCOURS  DE  RETR  UTF:. 
tout   le  zèle  et  tout 


HUITIKME  JOUR. 


moins  jusqu'h  présent 
l'empressement  qui  dépend  do  vous,  pour 
vous  assurer  ce  bonheur  du  ciel  ?  C'est  donc 
pour  en  exciter  ou  pour  en  augmenter  dans 
vous  le  dc^sir,  cpie  je  viens  vous  en  entre- 
tenir ici.  De  quoi  s'agil-il  donc  pour  vous  ? 
Quelle  est  donc  celle  récompense  du  (ici 
qui  vous  est  oiïerte  et  qui  nous  est  otlerle 
à  tous?  C'est,  dit  saint  Augustin  ,  un  état 
dans  lequel  Dieu  lui-môme  rendra  parfaite- 
ment heureux  notre  esprit  et  notre  cœur; 
noire  esprit  en  se  communiquoiit  à  lui, 
comme  un  principe  fécond  de  lumière  etde 
vérilé;  noire  cœur  en  se  communiquant  à 
lui  comme  une  source  abondante  de  paix 
et  de  coiisolaticns.  Je  m'arrête  à  cette  pen- 
sée du  saint  docteur,  et  je  dis  que  dans  le 
ciel  notre  esprit  sera  parfaitement  heureux, 
par  les  connaissances  sublimes  et  abondan- 
tes que  Dieu  lui  communiquera  ;  ce  sera  le 
sujet  de  la  |iremière  partie  de  ce  discours. 
J'ajoute  que,  dans  le  ciel,  notre  cœurjouira 
d'un  bonheur  également  parfait,  par  lajoie 
pure  et  solide  dont  Dieu  la  pénétrera  ;  ce 
Sera  le  sujet  de  la  seconde  paitie.  La  ma- 
tière est  comme  vous  le  voyez,  Mesdames, 
et  des  plus  intéressantes,  et  tout  à  la  fois 
des  plus  consolantes.  Je  nie  tlatte  que  vous 
voudrez  bien  m'honorer  de  toute  votre  al- 
leulion.  ^t-e,  Maria. 

PREMIÈUE    PABTIE. 

Si  je  viens  ici,  Mesdames,  vous  entretenir 
du  bonheur  du  ciel,  ce  n'est  pas   cependant 
que  je  prétende  vous  en  donner   une   idée 
parfaite,  et  qui  renferme  tout  ce  qu'il  est  eu 
lui-même  ;  non,  ce  serait  une   témérilé  de 
l'entreprendre  :  les  saints,  les   esprits   cé- 
lestes eux-mêmes  qui    le   possèdent  dès  à 
présent  ce  boidieur  ne  le  comprennent  {)as, 
et  ne  le    comprendront    jamais.    Hé!   qui 
pourrait  sur  la  terre,  nous  en   donner    une 
parfaite  connaissance?  Si,   comme    l'ai-ùtro 
saint  Paul,  nous  consultons  nos  sens,  quel- 
ques beautés  que  nous    puissions   aperce- 
voir dans  ce  vaste   univers,    elles   ne    peu- 
vent être  comparées  aux  beautés  du  ciel  ;^  et 
quelque    magnitiques    descriptions    qu'on 
puisse  nous  en  faire,   elles  ne    répondront 
jamais  à  cequ'il  est  en  lui-même;  si  nous 
consultons  notre  propre  cœur,  quelqu'insa- 
liable    qu'il  nous  paraisse;    ah  I    ce  qu'un 
Dieu  [)ré(iare  dans  le  ciel    à   ses  élus,  sur- 
passe inlinimenl  l'immensité  de  ses  désirs  ; 
si  nous  consultons  les  Pères  de  l'Eglise,  ces 
hommes  si  éclairés  dans  les  choses  célestes 
et  divines,  quelques  etl'orts  qu'ils  aient  faits 
|)Our  nous  taire  connaître    le   bonheur  du 
ciel  :Hé!  que  de    merveilles   n'onl-ils  pas 
publiées  de  vous,  ô  cité  de  mon  Dieu?    Jls 
nous  répondront  tous,  d'après  saint  Augus- 
liu,  qu  on  [)eul  bien  l'acquérir  ce  bonheur, 
mais   qu'on    ne    peut  jamais   l'estimer  ce 
(ju'il  vaut;  que  semblable    au    Dieu  qui  en 
fsl  l'objet,  il  est  bien  plus  aisé  d'en  dire  ce 
qu'il  n'est  pas,  que  ce  qu'il  est;  et  qu'en  un 
mot,  il  sur()asse  inliniment   en   excellence 
et  en  beauié,  tout  ce  qu'on  en  pourrait  ja- 
luais  dite  ou  {tensur.  Après  cela,  Mesdames, 


tout  ce  que  je  pourrai  vous  en  dire  moi- 
même  ne  sera-t-il  pas  plus  profiro  h  en  di- 
minuer la  gloire  h  vos  yeux,  qu'A  vous  eu 
donner  une  véritable  idée?  Pour  remplir 
co|)cndant  voire  attente  et  mon  ministère, 
essayons,  en  suivant  les  lumières  de  notre 
foi,  et  par  coaiparaison  avec  les  avantages 
de  la  terre  de  connaître  qutd  est  donc  cet 
objet  de  notre  es|)érance,  et  quelles  sont 
les  richesses,  comme  dit  saint  Paul, 
de  cet  héritage  qu'un  Dieu  nous  destine 
dans  le  ciel. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  dans  le 
ciel,  notre  esprit  sera  parfaitement  heureux 
par  les  connaissances  que  Dieu  lui  commu- 
niquera. Nous  désirons  nalurellement  tout 
savoir  et  tout  connaître  ;  désir  après  tout, 
de  tous  ceux  que  nous  pouvons  former  en 
cette  vie,  un  des  |)lus  raisonnables,  parce 
qu'il  est  un  des  plus  conformes  à  la  nature 
d'une  substance  toute  spirituelle,  telle  qu'est 
notre  âme  :  mais  ce  n'est  point  sur  la  terre 
que  nous  pouvons  le  satisfaire  ce  désii'. 
Pourquoi  cela  ?  Ah  !  Mesdames,  c'est  qu'à 
quelque  étude  que  nous  nous  livrions,  nous 
no  pouvons  savoir  (|ue  |)eu  ;  c'est  que  ce  peu 
de  savoir  nous  coûte  encore  bien  de  l'ap- 
plication, bien  du  travail;  c'est  que  ce  peu 
de  savoir  est  d'ailleurs  toujours  mêlé  de 
beaucoup  d'erreurs  et  d'incertitudes  ;  c'est 
qu'entin  nous  oublions  aisément  cefieuqu;; 
nous  apprenons  si  dillicilement  :  mais  dans 
le  ciel,  notre  esprit  n'aura  rien  à  craindre 
de  tous  ces  inconvénients.  Non,  Mesilames, 
et  voici  la  différence  ;  iesconnaissances  quo 
nous  pouvons  acquérir  dans  cette  vie  soûl 
courtes  et  bornées,  et  celles  qu'un  Dieu 
nous  communi(|uera  dans  le  ciel  seront 
universelles  dans  leur  objet  ;  nos  connais- 
sances sur  la  terre  sont  diflîciles  et  fati- 
gantes, et  celles  du  ciel  seront  faciles  dans 
leur  acquisition  ;  nos  connaissances  sur  la 
terre  sont  obscures  et  incertaines,  et  celles 
du  ciel  seront  infaillibles  dans  leur  motif; 
nos  connaissances  enlin  sur  la  terre  sont 
changeantes  et  [)assagères,  et  celles  du  ciel 
seront  constantes  dans  leur  durée.  En  moins 
de  mots  dans  le  ciel,  nous  saurons  tout 
absolument  ou  sans  rien  ignorer;  noussau- 
rons  tout  facilement  ou  sans  nous  fatiguer; 
nous  saurons  tout  infailliblement  ou  sans 
nous  tromper;  nous  saurons  tout  conslam- 
nietil  ou  sans  janiais  l'oublier. 

Je  com(irends  et  je  dis  en  premier  lieu, 
fiue  dans  le  ciel  nous  saurons  tout  absolu- 
ment ou  sans  rien  ignorer.  Avec  celte  cu- 
riosité qui  nous  est  si  naturelle,  avec  cette 
avidité  de  tout  a[)prendre  et  de  tout  savoir, 
que  savons-nous  et  que  pouvons-nous  sa- 
voir? Supposons  la  personne  la  plus  sa- 
vante, joignons  à  l'esprit  le  plus  solide  et  le 
plus  pénétrant,  l'étude  la  plus  longue  et  l;i 
plus  infatigable  ;quo  saura-t-clie,  après  tout, 
ou  i)lulôl  que  n'ignorera-t-elle  point  en- 
core, si  nous  la  consultons  celte  personne 
(pie  nous  regardons  pent-ôlre  comme  un 
londs  inépuisable  do  science  et  d'érudition? 
Elle-même  nous  avouera,  si  elle  est  de 
lionne  ]oi,queilo  ne  sait  lien  ou  que  ie  peu 


ORATEURS  SACRÉS.  L'ADBE  DE  MONTIS. 


308 


de  connaissances  qu'elle  a  acquises  n'ont 
servi  qu'à  lui  en  fiiire  apercevoir  une  infi- 
nité d'autres  (ju'ello  n'a  point  ol  qu'elle 
prévoit  ne  pouvoir  jamais  acquérir.  Mais 
dans  le  ciel,  noire  âme  n'y  sera  pas  plus  tôt 
introduite,  que  la  vue  de  notre  Dieu  la  rem- 
plira d'une  infinité  de  connaissances  et  de 
connaissances  les  plus  sublimes.  Oui,  Mes- 
dames, notre  esprit,  cet  esprit  a  présent  si 
faible  et  :si  borné  dans  le  ciel,  Dieu  rélè- 
vera au-dessus  de  lui-même,  il  le  fortifiera, 
et  par  la  lumière  de  gloire  qu'il  lui  com- 
munique, il  nous  donnera,  non  pas  de  le 
connaître  par  rétlexion  et  en  énigme,  comme 
en  ce  monde,  dit  l'Apôtre  :  Per  spéculum  in 
anigmale,  mais  de  le  voir  à  découvert  et 
tel  qu'il  est  en  lui-môme  :  Facie  ad  faciem, 
sicuti  est.  (I  Cor.,  XIll,  12.)  11  ne  sera  donc 
plus  pour  nous  notre  Dieu  dans  le  ciel,  un 
Dieu  d'une  lumière  inaccessible  ;  ce  ne  sera 
plus  ce  Dieu  terrible  qui,  posant  autrefois 
des  barrières  sacrées  au  pied  de  la  montagne 
qu'il  habitait,  ne  manifestait  sa  présence 
que  par  le  tonnerre  et  par  les  éclairs,  et  ne 
faisait  entendre  sa  voix  que  du  fond  d'un 
épais  nuage;  ce  sera  un  Dieu  aimable  et 
infiniment  aimable  qui ,  après  nous  avoir 
introduits  jusque  sur  la  montagne  sainte  de 
Sion,  dans  le  propre  séjour  de  son  repos  , 
nous  permettra  de  le  voir,  de  l'approcher,  de 
contempler  ses  rayons  éternels,  celte  ma- 
jesté infinie,  sans  crainte  d'en  ôtre  opprimés 
])ar  sa  gloire. 

Oui,  Mesdames,  c'est  par  le  secours  de 
celte  lumière  de  gloire  que  nous  connaî- 
trons parfaitement  alors  en  Dieu  cette  gran- 
deur, celle  puissance,  celle  sagesse,  cette 
justice,  cette  bonté,  toutes  ces  perfeclions 
infinies  que  nous  ne  pouvons  connaître  dans 
cette  vie,  que  par  les  elTels  admirables 
qu'elles  pioduisent;  c'est  avec  cette  lu- 
mière de  gloire  que  nous  connaîtrons  par- 
faitement alors  tous  ces  mystères  ineffables 
qui  font  à  [)résent  l'objet  de  notre  foi,  et 
qui  sont  le  fondement  de  notre  religion;  un 
Dieu  seul  en  trois  dillérentes  personnes; 
la  Divinité  elle-même  unie  étroitement  avec 
l'humanité;  que  nous  comprendrons  claire- 
ment alors  cet  abaissement,  cet  anéantisse- 
ment infini  de  la  part  du  Créateur,  cette 
grandeur,  celte  élévation  également  infinie, 
j)Our  ainsi  dire,  du  côté  de  la  créature;  que 
nous  verrons  alûis  l'adorable  humanité  de 
ce  Dieu-Homme,  non  plus,  comme  autre- 
fois, dans  les  souffrances  et  chargée  de  nos 
misères;  mais  toute  rayonnante  de  gloire 
et  comme  un  vêlement  resplendissant  de  la 
Divinité.  C'est  par  celle  lumière  de  gloire 
que  nous  connaîtrons  parfailement  alors 
lous  ces  effets  si  prodigieux  de  la  rédemp- 
tion des  hommes,  ces  décrets  éternels  et 
bienfaisants  d'un  Dieu  pour  des  créatures 
toujours  ingrates  et  toujours  aimées;  ces 
voies  im})énétiables  de  prédestination,  ces 
moyens  elficaces  de  sanctification,  cette  in- 
finité d'événcmenls  tous  dirigés-  pour  le 
bien  de  ses  élus,  cet  enchaînement  mysté- 
rieux de  grâces  et  de  faveurs  à  l'égard  de 
toutes  ses  créatures  raisonnables,  et   sur- 


tout à  noire  égard.  Oui,  vous.le  verrez  alors, 
vous,  épouses  de  Jésus-Clirisl,  tout  ce  que 
ce  Dieu  de  bonté  aura  fait  pour  vous  et 
pour  chacune  de  vous;  lous  ces  bienfaits 
généraux  et  particuliers  dans  l'ordre  de  la 
nature  et  de  la  grâce  ;  toutes  ces  faveurs, 
ces  grâces  spéciales. dont  il  vous  a  com- 
blées, vous  appelant  à  l'état  religieux  et 
depuis  qu'il  vous  a  fait  entrer  dans  ce  saint 
élat;  vous  verrez  cette  correspondance, 
cette  fidélité  de  votre  pari,  foules  ces  œu- 
vres d'obéissance,  de  détachement  et  de 
mortification,  de  justice  et  de  sainteté,  qui 
auront  composé  votre  couronne  de  gloire 
jusqu'5  vos  chutes  et  vos  infidélités  que 
votre  Dieu,  par  les  sentiments  de  repentir 
que  vous  en  aurez  conçus,  aura  fait  servir 
à  votre  perfection  et  a  votre  salut;  toutes 
vos  démarches,  en  un  mot,  par  lesquelles 
il  vous  aura  conduites  au  ciel  comme  par 
la  main,  depuis  le  premier  instant  de  vo- 
tre raison  jusqu'au  dernier  soupir  de  votre 
vie. 

C'est  avec  cette  lumière  de  gloire  que 
nous  connaîtrons  parfaitement  alo.''s  ces 
cieux  immenses,  ces  astres  éclatants,  toutes 
ces  parties  si  variées  et  si  magnifiques  qui 
composent  ce  vaste  univers;  que  nous  con- 
templerons à  loisir  tous  ces  rapports  singu- 
liers qu'elles  ont  les  unes  avec  les  autres; 
que  nous  verrons  clairement  tous  ces  res- 
sorts de  la  nature  qui  font  à  présent  le  su- 
jet de  notre  admiration  et  de  nos  recher- 
ches, mais  sur  lesquels  nous  ne  pouvons 
donner  que  de  faibles  conjectures.  C'est 
encore  avec  celte  lumière  de  gloire  que 
nous  connaîtrons  parfailement  alors  cette 
multitude  presqueinfinie  d'esprit  célestes, 
avec  toutes  les  perfections  sublimes  dont 
Dieu  les  a  ornés  dès  leur  création  ;  que 
nous  verrons  également  le  corps  entier  des 
élus,  ce  troupeau  chéri  et  jirédestiné  du 
divin  Pasteur,  cette  Eglise  Jieureuse  et 
triomphanie,  tous  les  saints  et  la  Reine 
elle-même  de  tous  les  sainls,  avec  tous  les 
diirérents  degrés  de  gloire  dont  il  aura  ré- 
compensé leurs  mérites;  que  vous  verrez, 
vous,  Mesdames,  loutcis  celles  de  vos  sœurs 
qui,  dans  celte  maison  et  dans  votre  saint 
institut,  se  seront  distinguées  par  leur  ré- 
gularité,'par  leur  sainteté,  que  vous  aurez 
prises  pour  vos  modèles  et  qui  auront  con- 
tribué par  là  à  votre  sanctification;  que 
nous  verrons  tous  et  avec  une  consolation 
indicible,  tous  ceux  de  ces  élus  qui  nous 
auront  été  unis  dans  ce  monde  par  les  liens 
du  sang  ou  de  l'amitié,  lous  ceux  qui  se 
seront  spécialement  intéressés  à  notre  salut 
ou  au  salut  desquels  nous  nous  seront  spé- 
cialement intéressés  nous-mêmes.  C'esl,  en 
un. mot,  {)ar  le  secours  de  celte  lumière  de 
gloire  que  nous  connaîtrons  parfaitement 
dans  le  ciel  tout  ce  qui  se  peut  connaître, 
et  que  nous  saurons  .tout  ce  qui  se  peut 
savoir;  plus  d'ignorance  alors,  plus  de  foi 
môme,  p;^rce  que  celle  vertu  suppose  l'i- 
gnorance :  nous  saurons  tout  absolument, 
sans  rien  ignorer,  nous  saurons  tout  encore 
facilement  et  sans  nous  fatiguer. 


56D 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  -  HUITIEME  JOUR. 


370 


II.  Beaucoup  do  lumières  et  de  sagesse, 
dit  le  Sainl-Es|)rit ,  suppose  beaucoup  do 
peine  et  do  dégoût;  et  vouloir,  ajoute  lo 
Sage,  acquérir  toujours  de  nouvelles  con- 
naissances,  c'est  vouloir  s'imposer  sans 
cesse  de  nouveaux  travaux.  Quelque  cour- 
tes en  effet  et  quelque  bornées  que  soient 
les  connaissances  que  nous  pouvons  acqué- 
rir en  celte  vie,  qu'il  nous  en  coûte  ce[)en- 
danl  pour  nous  les  procurer!  Que  de  nuits 
à  percer!  Que  de  recherches  à  faire!  Que 
de  difficultés  à  résoudre!  Que  de  préjugés 
h  combattre!  Que  do  volumes  à  dévorer! 
Mais  dans  le  ciel,  le  premier  instant  de  la 
vue  de  notre  Dieu  sera  le  premier  instant 
de  la  perfection  de  toutes  nos  connais- 
sances :  il  ne  nous  en  coûtera  pour  tout 
savoir  que  d'ouvrir  les  jeux  et  de  voir 
notre  Dieu.  Ce  ne  seront  plus  alors  quel- 
ques heureux  et  rares  génies  qui  auront 
acquis  à  grands  frais  et  avec  beaucoup  de 
peines  et  de  travaux,  le  titre  de  savants  ; 
les  bienheureux  le  deviendront  tous  au 
premier  moment  de  leur  entrée  dans  le  ciel. 
Oui,  Mesdames,  cette  personne  à  présent 
ignorante  et  grossière,  celte  personne  si 
simple  et  si  bornée,  qu'elle  vous  paraît  à 
peine  capable  de  réflexion;  si  jamais  elle 
entre  dans  le  séjour  do  la  gloire,  la  voilà  I 
tout  à  coup  remplie  de  la  science  de  Dieu 
même  :  la  voilà  par  conséquent  et  dans  un 
instant,  inflniment  plus  éclairée  que  tous 
ces  vasles  génies  ensemble,  que  tous  ces  égale  lacil 
savants  si  renommés  qui  ont  fait  l'ornement 
cl  l'admiration  de  leur  siècle.  Pensée  bien 
consolante  pour  ces  âmes  chrétiennes,  ou 
peu  éclairées,  ou  qui  sacrifient  leurs  lumiè- 
res à  leur  sanctification,  pour  ces  ûmes  qui 
préfèrent  à  la  science  profane  qui  enfle,  la 
science  du  salut  qui  édifie  el.qui,  à  l'exem- 
ple de  ra{)ôlre  saint  Paul,  n'ambitionnent 
sur  la;lerre  que  de  savoir  Jésus-Christ  et 
Jésus-Christ  crucihé;  qu'elles  seront  un 
jour  abondamment  dédommagées  dans  le 
ciel,  puisque  nous  y  saurons  tout  facile- 
ment et  sans  nous  fatiguer,  tout  encore  in- 
failliblement et  sans  nous  tromper. 

m.  Hélas!  Mesdames,  peut-on  appeler 
science  en  celte  vie  quelques  connaissan- 
ces mêlées  de  tant  d'erreurs  el  d'incerti- 
tudes :  nous  courons  tous,  j'en  conviens, 
nous  courons  tous  après  la  vérité,  nous  pa- 
raissons lous  la  chercher  avec  empresse- 
ment, avec  avidité  :  mais  do[)uis  la  chute 
du  iiremier  homme,  notre  esprit  toujours 
rempli  de  doutes  et  de  ténèbies,  à  peine 
quelquefois  la  pouvons-nous  apercevoir, 
cette  pure,  cette  aimable  vérité  :  toujours 
infiniment  élevée  au-dessus  do  nous,  nous 
no  parvenons  presque  jamais  jusqu'à  elle; 
toujours  environnée  de  nuages  épais,  rare- 
ment la  pouvons-nous  découvrir;  et  lors 
môme  que  nous  nous  flattons,  que  nous 
nous  glorifions  le  plus  de  la  tenir  et  do  la 
posséder;  hélas!  elle  nous  échappe  et  nous 
ne  tenons  le  plus  souvent  à  sa  place  (pio 
l'erreur  et  le  mensonge.  Mais  dans  lo  ciel, 
quelle  dilférencel  «  U  heureuse  région,  » 
s'iicrie  un  Père  de  l'Eglise,  «  où  Israël  sera 


sans  cesse  rassasié  do  la  vérité  !  »  Que  notre 
science  en  eUet,  Mesdames,  y  ressemblera 
peu  h  cette  s(;ience  obscure  et  ténébreuse 
do  cette  vie  !  Nous  y  puiserons  la  vérité, 
non  dans  ces  ruisseaux  troubles  et  bour- 
beux comme  à  présent,  mais  à  la  source 
même  :  <lès  que  notre  Dieu  se  sera  montré 
à  nous,  comme  le  soleil  qui  dissipe  dans  un 
instant  tous  les  nuages,  et  qui  par  l'éclat  de 
ses  rayons  fait  disparaître  les  autres  astres, 
de  môme  notre  Dieu  dissipera  tout  à  couj) 
les  ténèbres  de  notre  esprit,  et  en  nous 
communiquant  une  infinité  do  connaissan- 
ces, il  nous  fera  part  en  môme  temps  de  sa 
certiludo  et  de  son  infaillibilité  :  |)lus  de 
doutes  par  conséquent  dans  le  ciel,  plus 
de  ténèbres  pour  les  élus;  pour  être  sûrs 
et  infaillibles  dans  leurs  connaissances,  il 
ne  leur  faudra  point  recourir  à  des  lumières 
étrangères,  consulter  des  génies  supérieurs, 
se  livrer  à  de  longues  et  à  de  profondtiS 
méditations,  parce  que  la  divine  vérité  les 
éclairera  elle-même,  parce  quo  Dieu  porte- 
ra lui-môme  ses  purs  rayons  de  lumière, 
jusqu'au  fond  de  leur  âme  :  Dominas  Deiis 
illuminabil  illos.  {Apoc,  XXII,  5.) 

IV.  J'ai  dit  enfin  que  dans   le  ciel  nous 
saurons  tout  constamment  el  sans  rien  oii- 

)licr.  Tel  est,  Mesdames,  un  autre  défaut 
de  toutes  nos  connaissances  en  cette  vie, 
qu'après  les  avoir  acquises  avec  beaucoup 
de  diiriculté,  nous  les  perdons  avec  une 
iié.  Les  connaissances  d'un  âge 
font  oublier  pour  l'ordinaire  les  connais- 
sances de  l'clge  qui  a  précédé  ;  elles  se  suc- 
cèdent en  quelque  sorte  les  unes  aux  autres 
et  se  détruisent  comme  nos  jours  et  nos 
■  années  :  nous  ne  devons  pas  en  être  surpris  ; 
elles  participent  à  la  nature  de  tous  les 
êtres  créés  qui  en  sont  l'objet;  elles  on  ont, 
par  conséquent,  toute  l'inslabililé  :  mais 
dans  le  ciel,  par  une  raison  tout  opposée, 
nos  pensées  et  nos  connaissaucos  ne  seront 
sujettes  à  aucune  révolution,  dit  saint  Au- 
gustin, parce  que  l'objet  infini  dont  s'occu- 
pera notre  esprit  ne  sera  lui-môme  sujet  à 
aucun  changement;  parce  qu'il  sera  pour 
nous  une  lumière  qui  subsistera  autant  que 
lui-même,  uno  lumière  élerniille  par  con- 
séquent, dit  un  prophète  :  Erit  tibi  in  lu- 
cem  sempitcrnam.  [Isa.,  LX,  19.) 
r^ï.Oui,  Mesdames,  ce  Dieu  aimable  et  de 
toute  bonté  qui  voudra  bien  être  notre  bon- 
heur dans  le  ciel,  les  angos  le  coiilcmplent 
depuis  le  premier  moment  do  leur  fidélité, 
avec  un  plaisir  toujouis  nouv(iau;  les  élus 
également  s'occuperont  do  lui  [)cndant  l'é- 
lernité,  sans  discontinuer  et  sans  le  moindre 
dégoût,  parce  qu'il  no  sera  jamais  moindre 
à  leurs  yeux,  et  que  les  uns  et  les  autres 
découvriront  sans  cesse  en  lui,  et  pendant 
tous  les  siècles,  de  nouvelles  beautés,  des 
perfections  toujours  nouvelles.  Voilà  ce  qui 
les  tient,  et  ce  qui  les  tiendra  dans  des 
extases  et  dans  des  ravissements  éternels  : 
voilà  ce  qui  leur  fait  clianler,  et  ce  qui 
leur  fera  chanter  à  jamais,  en  l'honneur  de 
ces  porluclions  infinios,  do  ces  beautés  tou- 
jours auciennes  en  ollos-uiùmcs,  mais  tou- 


Zii 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS, 


jours  nouvelles  pour  eux,  un  cantique  lou- 
Jours  nouveau  :  Cantubunt  canticum  novum. 
(Psal.  CXLllI,  9.)  Tel  sera  donc  l'heureux 
sort  (ie  tous  les  élus  dans  le  ciel  ;  tel  sera  le 
vôtre,  Mesdames,  tel  sera  le  mien,  si  vous 
et  moi  avons  le  bonheur  d'être  de  ce  nom- 
bre. Dès  que  notre  Dieu  se  manifestera  à 
noire  esprit,  tout  pénétré  de  la  divinité, 
perdu,  abîmé  dans  la  divinité,  il  cessera, 
en  (luelque  sorte  d'être  notre  esprit,  pour 
devenir  l'esprit  de  Dieu  lui-même,  selon 
i'exj)re3sion  de  saint  Augustin  :  Péril  mens 
humana,  et  fit  divina.  Mais  ce  ne  sera  là 
cependant,  qu'une  }iartie  de  notre  félicité  ; 
car  si  Dieu  doit  se  communiquer  è  noire 
esprit,  comme  le  principe  de  toute  vérité, 
il  se  communiquera  encore  à  notre  cœur 
couuno  la  source  de  tout  bien  et  de  toute 
consolation  :  en  sorte  que  si  notre  esprit 
doit  êli'c  d.ins  le  ciel,  parfaitement  heureux, 
par  les  connaissances  subliujes  et  abon- 
dantes que  Dieu  lui  communiquera,  notre 
cœur  jouira  d'un  bonheur  également  par- 
lait, (lar  la  joie  pure  et  solide  dont  il  le  |)é- 
nétrera.  C'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

La  joie,  selon  l'idée  qu'en  donne  la  philo- 
sophie, est  un  contenleiuent  du  cœur  qui  se 
repose  dans  la  possession  d'un  objet  qu'il 
regarde  comme  capable  de  le  satisfaire.  Or, 
afin  que  celte  joie  soit  légitime  et  parfaite, 
vous  en  conviendrez  aisément  avec  moi, 
Mesdaiiios,  quatre  conditions  sont  abs(jlu- 
inent  nécessaires  :  il  faut  en  premier  lieu, 
que  cet  objet  ne  soit  pas  un  bien  en  idée, 
tin  bien  purement  imaginaire;  autrement 
notre  cœur  ne  serait  [)as  sans  illusion  :  il 
faut,  en  second  lieu,  que  cet  objet  ne  soit 
pas  un  bien  partagé  un  bien  qui  en  sup[)Ose 
d'autres;  autrement  notre  cœur  ne  serait 
(las  sans  désir  :  il  faut,  en  troisième  lieu, 
que  cet  objet  ne  soit  pas  un  bien  mêlé  ou 
accompagné  de  maux,  de  défauts  et  d'im- 
perfections, autrement  notre  cœur  ne  serait 
pas  sans  amertume;  il  faut  enlin  que  cet 
objet  ne  soit  pas  un  bien  fragile,  un  bien 
de  nature  à  fiouvoir  être  perdu;  autiement 
notre  cœur  ne  serait  pas  sans  crainte,  sans 
inquiétude.  Cela  étant,  je  dis  que  ce  ii'est 
point  sur  la  terre,  mais  uniquement  dans  le 
ciel,  que  nous  pourrons  jouir  d'une  joie  vé- 
ritable et  parfaite,  d'une  joie  pure  et  solide, 
parce  (jue  ce  n'est  que  dans  le  ciel  (jue 
nous  posséderons  tout  à  la  fois,  un  bien 
sans  illusion,  qui  nous'salisfera  solidement, 
et  un  bien  sans  [tarlage,  qui  nous  satisfera 
pleinement,  et  un  bien  sans  défaut,  qui 
nous  satisJera  purement;  et  un  bien  sans 
un,  qui  nous  satisfera  éternellement.  Fasse 
le  Seigneur  que  ce  |)arailèle  que  je  vais 
continuer,  d'une  façon  plus  sensible  encore 
et  plus  étendue  que  je  ne  J'ai  fait,  des  avan- 
tages du  ciel  et  de  ceux  de  la  terre,  nous 
inspire  à  tous,  un  n;épris  souverain  de 
ceux-ci,  et  un  désir  ardent  do  nous  pro- 
curer ceux-là;  renouvelez-moi,  s'il  vous 
plaît,  toute  votre  alleniion. 

1.  Nous  sc'uimcs  tous  laits,  Mesdames,  et 


tellement  faits  pour  être  lieurcux,  que  dans 
toutes  nos  démarches,  sans  presque  nous 
en  apercevoir,  nous  ne  travaillons  que  pour 
cela.  Mais  hélas!  aveugles  que  nous 
sommes,  nous  cherchons  presque  toujours 
notre  bonheur  sur  la  terre;  et  ce  n'est  que 
dans  le  ciel  que  nous  pourrons  le  trouver. 
Oui,  .Mesdames,  c'est  uans  le  ciel  que  nous 
serons  parfaitement  heureux,  parce  nous  y 
posséderons  notre  Dieu.  Or,  en  possédant 
Dieu,  nous  posséderons  d'abord  un  bien, 
sans  illusion,  qui  nous  satisfera  solidement. 
Les  biens  de  la  terre  peuvent  bien  nous 
distraiie  et  nous  occuper  quelques  mo- 
ments :  mais  ils  sont  Irop  vides,  et  notre 
cœur  est  trop  immense,  pour  qu'il  puisse 
s'en  faire  une  félicité  parfaite;  et  en  effet,  à 
quelque  point  d'élévation  qu'une  personne 
soit  parvenue,  elle  voit  toujours  des  degrés 
à  monter,  et  dès  lors,  tous  les  honneurs 
dont  elle  jouit,  ne  font  qu'exciter  son  am- 
bition, bien  loin  de  la  satisfaire  :  quelqu'a- 
boudautes  que  soient  ses  richesses,  elle 
sent  toujours  qu'elle  peut  les  augmenter, 
et  dès  lors,  tout  ce  qu'elle  possède,  ne  fait 
qu'irriter  sa  cupidité,  bien  loin  de  l'apaiser  : 
quel(]ue  vils  que  soient  ses  plaisirs,  elle  y 
cherche  toujours  des  douceurs  qu'elle  n'y 
trouve  point,  et  dès  lors,  tous  ceux  aux- 
(juels  elle  se  livre,  ne  fruit  qu'enflammer  sa 
jiassion,  bien  loin  de  l'éteindre.  Ainsi,  de 
(juel(pie  coté  que  l'homme  se  tourne  dans 
ce  monde,  il  voit  partout  un  videalfreux; 
et  dès  qu'il  veut  s'attacher  aux  créatures, 
ah  !  il  sent  aussitôt  dans  son  cœur,  quelque 
chose  de  plus  vaste  que  l'univers  entier. 
Lh  I  devons-nous  en  être  surfiris,  ô  mou 
Dieu?  Toutes  les  créatures,  c'est  pour  nous, 
c'est  pour  notre  usage,  que  vous  les  avez 
tirées  du  néant  :  mais  pour  nous,  nous  no 
pouvons  longtemps  nous  v  méprendre,  et 
nous  sommes  forcés  d'en  convenir,  d'a[)rès 
saint  Augustin;  c'est  |)our  vous  seul,  et 
tellement  pour  vous  seul,  que  vous  nous 
avez  l'oimés,  que  toutes  les  créaiures  en- 
seiuble  ne  sei'Ont  jamais  capobles  de  satis- 
faire parfaiteaient  notre  cœur,  et  qu'il  sera 
toujours,  ce  cieur,  dans  une  agitation  con- 
tinuelle, tandis  qu'il  ne  vous  possédera 
l>oint. 

Ah  1  Mesdames,  dans  le  saint  état  oft  le 
Seigneur  \ous  a  placées  et  du  fond  de  votre 
retraite,  gémissez  sur  l'aveuglement  de  ces 
mondains^  qui ,  pour  satisfaire  une  folle 
ambition,  recherchent,  avec  tant  d'empres- 
sement,  de  vains  et  chimériques  honneurs  : 
|)Our  vous,  touinez,  tournez  toute  votru 
ambition  vers  le  ciel,  c'est  là  qu'elle  sera 
pleinement  satisfaite,  parce  que  c'est  là 
que  les  élus  participent  à  la  gloire  elle- 
même  de  leur  Dieu  ;  c'est  là  qu'ils  reçoi- 
vent de  leur  Dieu,  une  couronne  mille  fois 
plus  précieuse  que  toutes  les  couronnes  do 
la  terre,  et  qu'ils  sont  mis  en  possession 
u'un  royaume  intiniment  plus  grand  que 
les  ro.yaumes  de  mille  mondes  entiers. 
Plaignez,  ])laignez  ces  mondains  qui  sont 
tous  occuj)és  à  se  procurer  des  biens  ol 
dis  richesses.  Hé  quoi  1  pourrait  on  dire  à 


57r 


DIS(:OURS  Di:  rvETRAlTi:.  —  HUITIEME  JOUR. 


un  de  ces  insensés,  d'après  saint  Augnsdn, 
vous  vous  arrôlez  au\  biens  do  la  terre,  ah  1 
que  vous  vous  uu^|)renez  et  que  vous  vous 
avilissez  1  Vous  aimez  la  terre,  et  vous  seul 
valez  plus  que  tous  les  trésors  de  la  terre 
ensemble  :  Terram  amas,  mclior  es  ;  vous 
aimez  la  terre,  et  vous  seul  valez  plus  que 
l'univers  entier.  Oui,  ces  cieux  dtmt  vous 
admirez  l'élévation  et  la  magniliceni^e,  vous 
ôtes  d'une  nature  infiniment  plus  élevée  et 
plus  excellente  vous-même:  Cœlum  con- 
Cemplaris,  altior  es.  Oui,  cet  astre  brillant, 
00  soleil  dont  vous  admirez  l'éclat  et  la 
beauté,  vous  êtes,  aux  yeux  de  votre  Dieu, 
une  créature  intiniment  plus  belle  et  plus 
parfaite  vous-même:  Solem  miraris ,  pul- 
chrior  es.  Apprenez  donc  à  vous  connaître 
et  à  régler  vos  désirs  sur  votre  élévation  ; 
sachez  qu'il  n'y  a  que  votre  Dieu  qui  soit, 
par  la  grandeur  de  son  être,  au-dossus  de 
vous  :  il  n'y  a  donc  que  votre  Dieu  qui 
puisse  vous  satisfaire  parfaitement  ;  il  n'est 
donc  que  le  ciel  que  vous  puissiez  légiti- 
mement désirer.  C'est  là  en  effet,  Mes- 
dames, que  Dieu  sera  inOniment  prodigue  à 
votre  égard,  parce  que  c'est  là  qu'il  vous 
mettra  en  possession  de  ,lous  ses  biens  ;  ce 
n'est  point  dire  assez,  c'est  là  qu'il  se 
donnera  lui-même  à  vous  pour  récompense; 
quelle  bonté  et  quelle  magnificence  de 
votre  Dieul  Pourrait-il  donc  vous  donner 
rien  de  meilleur  que  lui-môme?  Mais  aussi 


trop  avare,  je  vous  le  dis  d'après  un  grand 
saint,  oui,  trop  avare  serait  votre  cœur,  si 
un  Dieu  ne  lui  suflisait  pas.  Gémissez  en- 
core sur  la  folie  de  ces  chrétiens  du  monde 
qui  courent  avec  ardeur  après  les  plaisirs 
qu'il  leur  présente:  des  plaisirs  charnels 
et  grossiers  sont-ils  donc  proportionnés  à 
la  noblesse  de  leur  âme,  et  peuvent-ils 
véritablement  la  satisfaire?  Non,  non,  Mes- 
dames, les  vrais  plaisirs  ne  sont  que  dans 
le  ciel  ;  c'est  là,  en  effet,  qu'un  fleuve  dé- 
licieux arrose  et  réjouit  sans  cesse  la  cité 
du  Seigneur;  c'est  là,  je  ne  dirai  pas  qu'un 
Dieu  entre  dans  ses  élus;  il  est  un  bien^trop 
immense  et  leur  cœur  serait  trop  étroit  pour 
le  contenir;  mais  c'est  là  que  les  élus  en- 
trent eux-mêmes  dans  leur  Dieu,  qu'ils 
participent  à  la  joie  et  à  la  félicité  de  leur 
Dieu  :  Jnira  in  gaudium  Dominitui.  [Mallh., 
XXV',  23.)  C'est  là  que  toujours  avides  de 
[ilaisirs,  ils  en  goûtent  sans  cesse  de  nou- 
veaux, sans  que  leur  désir  leur  cause  la 
moindre  peine,  et  leur  abondance,  le  moin- 
dre dégoût  ;  c'est  là,  c'est  dans  ce  séjour  de 
félicité,  qu'enivrés  de  joie  et  de  consolation, 
ils  nagent  sans  cesse,  dans  un  torrent  de 
délices  et  de  voluptés  :  Torrenle  voluptalis 
potabis  eos.  [Psal.  XXXV,  9.) 

il.  Mais  en  possédant  Dieu,  non-seule- 
ment nous  posséderons  un  bien  sans  illusion 
qui  nous  satisfera  soliJe.iieni,  miiis  nous 
posséderons  encore  un  bien  s;uis  paitago 
"jui  nous  s.it  sfera  pleinement.  QueUiue 
heureux  qu'on  puisse  èlre  sur  la  terre, 
Mesdames,  on  ne  peut  cependant  [)0sséder 
tous  les  biens  et  tous  les  avantages  qui  s'y 
tiouvenl;   plusieurs  suul  incomjuitiljlcs   et 


s'excluent  les  uns  les  autres;  ainsi  l'éléva- 
tion et  les  honneurs  ne  peuvent  guère  com- 
patir avec  le  repos  et  la  liberté;  la  paix  de 
l'âme  et  la  santé  du  corps  subsistent  rare- 
ment avec  l'opulence  et  les  plaisirs  ;  mais 
des  avantages  qui  ne  s'excluent  pas  formel- 
lement ne  se  supposent  fias  nécessairement, 
je  veux  dire  qu'il  ne  suffit  pas  de  posséder 
un  des  biens,  un  des  avantages  de  la  lerro 
pour  avoir  nécessairement  tous  les  autres  : 
ainsi  la  vertu  et  le  mérite  ne  supposent  pas 
toujours  de  l'estime  et  de  la  réputation,  et 
une  rép/Ulation  faite  n'annonce  pas  toujours 
un  vrai  mérite  ;  ainsi  les  richesses  ne  sup- 
posent pas  nécessairement  de  l'esprit  et  du 
savoir,  et  la  science  et  l'esprit  ne  donnent 
pas  toujours  les  richesses  ;  ainsi  les  grandes 
places  ne  supposent  pas  toujours  de  grands 
talents,  de  vastes  connaissances,  et  les  con- 
naissances et  les  talents  ne  procurent  pas 
toujours  les  places  et  une  situation  propre 
à  les  faire  valoir;  nul  bien  en  un  mol,  nul 
avantage  dans  le  monde  qui  donne  ou  qui 
suppose  nécessairement  tous  les  autres,  et 
voilà  par  conséquent  de  quoi  n'y  être  jamais 
parfaitement  heureux.  Qu'un  mondain  pos- 
sède tous  les  biens  et  tous  les  avantages  do 
la  terre,  mais  qu'un  seul  lui  manque; 
voilà  de  quoi  désirer  pour  son  cœur,  et  ce 
seul  désir  suffira  pour  lui  faire  oublier,  et 
compter  pour  rien  tout  ce  qu'il  possède 
pour  no  s'occuper  que  de  ce  peu  qu'il  ne 
possède  pas.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  dans 
le  ciel  ;  en  possédant  Dieu,  nous  posséde- 
rons un  bien  qui  nous  tiendra  lieu  de  tous 
les  biens,  parce  qu'il  renferme  en  lui-même 
tous  les  biens,  dit  saint  Chrisostome  : 
Ipsum  unum  omnia  nobis  erit.  Oui,  Mes- 
dames, en  possédant  notre  Dieu,  nous  possé- 
derons ensemble  tous  les  biens,  tous  les 
avantages,  toutes  les  {)erfections  et  toutes 
les  qualités  que  nous  pouvons  désirer,  et 
qui  peuvent  no. .s  rendre  heureux  ;  ainsi 
nous  serons  grands  de  la  grandeur  de  Dieu 
même,  sages  de  sa  sagesse,  puissants  de  sa 
j)uissance,  riches  de  ses  richesses  :  Unum 
omnia  nobis  eril  ;  c'est  un  bien  infini  qui 
nous  rem()lira  entièrement,  non  par  des 
Is  voies  étrangères  et  en  s'épuisant  comme 
les  |)rince3  de  la  terre,  mais  en  se  commu- 
niquant lui-iuôme  à  nous;  en  sorte  que, 
cOiUmedans  le  ciel,  en  voyant  notre  Dieu, 
nous  verrons  tout  en  lui,  également  en  le 
possédant,  nous  posséderons  et  nous  se- 
rons sûrs  de  posséder  tout  dans  lui  et  avec 
lui. 

m.  Mais  en  le  possédant  nous  posséde- 
rons encore  un  bien  sans  défaut,  ([ui  nous 
satisfera  purement.  Telle  est,  vous  le  sa- 
vez, Mesdames,  la  nature  de  tous  les  biens 
de  la  terre, que  non-seulement  ils  sont  faux 
en  eux-mêmes,  et  par  là  absolument  inca- 
pables de  nous  satisfaire  véritablement, 
mais  qu'ils  sont  de  plus  toujours  juôlés  de 
défauts  et  d'imperfections,  et  toujours  ac- 
compagnés d'ailleurs  d'une  iniiiiilé  do  mi- 
sères qui  devraient  suffire  pour  nous  eu  dé- 
tacher entièrement.  Nul   bien  en  ellel,  nul 


avantag''  dans  ce  mon  le  qui  ne  porte  pour 


373  ORATEURS  SACRES;  L'AfcBE  DE  MONTIS 

«insi  dire  son  mal  ol  son  d(;s;ivaniag(3  nvt-c 
lui;   les    lioMieurs  ne   se   (rouvcnil   jani.-iis 


sans  do  grands  soins,  sans  de  vives  inquié- 
tudes; lus  places  les  (dus  iionoral'ks  soi.t 
les  plus  fatigantes;  on  voudrait  èlre  tout  h 
soi,  et  il  faut  vivre  le  pins  souvent  tout 
jiour  les  autres.  Si  nous  considérons  avec 
allentioi)  la  nature  des  lichessos  qui  sont 
l'objet  de  la  cupidité  des  habitants  du  siè- 
cle, quoi  de  [ilus  imparfait  I  Que  do  peines, 
que  de  travaux  pour  se  les  procurer!  Que 
d'attention,  que  de  soins  pour  se  les  con- 
server! Que  d'alarmes,  que  de  crainte  lie 
ks  perdre!  Que  de  douleurs,  que  de  cha- 
grins lorsqu'elles  leur  écliappcnt  en  eil'el  1 
Mais  tout  ce  que  nous  appelons  plaisir  sur 
la  terre  est-il  moins  mêlé  de  défauts  et  d'iin- 
perfuctions?  Qu'y  trouvc-l-on  pour  l'ordi- 
naire? Hélas!  Mesdames,  vous  le  savez, 
sinon  par  votre  expérience,  du  moins  par 
ee  que  vous  en  avez  entendu  dire,  ou  par 
ce  que  vous  en  avez  vu  souvent  dans  Us 
antres,  lorsque  vous  viviez  dans  le  monde: 
ennui,  dégoût  peri)étuel,  peines,  travaux 
inévitables,  maux  réels,  iuOrmilés  fréquen- 
tes, cris  do  la  conscience,  remords  cuisants; 
voilà  les  fruits  ordinaires  des  plaisirs  de  ce 
monde. 

Mais  quand  les  honneurs,  Tes  richesses 
et  les  plaisirs  de  la  terre  ne  seraient  pas 
mêlés  d'aulant  de  défauts  et  d'imperfec- 
tions, li'S  mondains  seraient-ils  exem()ts 
•  l'une  infinité  de  misères  nécessairement 
attachées  à  notre  humanité  ;  misères,  vous 
le  savez,  Mesdames,  misères  de  toutes  parts; 
misères  dans  l'ordre  de  la  nature;  misères 
par  ra(iport  à  l'es{)rit  ;  trop  ou  trop  peu  de 
lumières  et  de  connaissances  font  souvent 
également  notre  tnalheur;  au  défaut  de 
maux  réels  notre  esprit  ne  se  feint-il  pas 
le  i>lus  souvent  pour  nous  tourmenter  des 
maux  imaginaires?  Misères  par  rapport  au 
cœur;  h  combien  de  faiblesses  n'est-il  pas 
sujet?  A  combien  de  tentations  n'es'-il  pas 
exposé  ?  De  combien  de  mouvements,  de 
caprices  et  de  désirs  n'esl-il  [las  sans  cesse 
a^'ié?  De  combien  do  passions  n'est-il  jias 
le  jouet?  Misères  par  rajjport  au  corps  ;  (|ue 
de  maux  dont  il  est  sans  cesse  environné! 
Que  de  douleurs,  <]ue  de  soulfrances  quand 
il  en  est  attaqué  1  que  de  remèdes,  que  de 
nouveaux  tourments  par  conséquent  pour 
l'en  délivrer!  Mibôres  même,  misères  dans 
Tordre  de  la  grâce;  e^l-on  dans  l'état  (iu 
péché?  Quelle  situation  de  se  voir  l'ennemi 
de  son  Dieu  et  sans  cesse  exposé  à  des  sup- 
plices éternels  !  Qui  jamais  a  pu  être  en 
}  aix  avec  soi  quand  il  a  osé  faire  la  guerre 
à  son  Dieu,  dit  le  saint  homme  iob  ?  Kst-on 
en  état  de  grâce!  Ah  1  l'on  se  voit  alors  at- 
taqué par  tous  les  ennemis  du  salut,  enne- 
mis d'aulant  plus  à  craindre  que  sans  cesse 
autour  de  nous,  avec  nous,  au  dedans  de 
nous,  ils  nous  livrent  des  combals  loujours 
nouveaux  :  or,  à  tous  ces  combats  il  faut 
autant  de  victoires  ;  une  seule  défaite  de 
notre  part  nous  ferait  perdre  le  fruit  de 
tous  nos  triomphes;  et  encore  avec  toute 
fclte  altention,  et  malgré  toute  cette   per- 


57a 

sév'i'rance,  hélas  1  nous  avons  sans  cesse  h 
nous  délier  de  notre  [)ropre  cœur,  et  nous 
demeurons  loujours  incertains  si  nous  som- 
meç  dignes  d'amour  ou  de  haine.  Voil<i, 
dan3  cette  vallée  de  larmes  que  nous  habi- 
tons, notre  situation  à  tous,  dans  quelque 
état  que  nous  puissions  être;  les  avantages 
que  nous  rencontrons  sont  bien  peu  consi- 
dérables, et  les  maux  que  nous  avons  h 
craindre  y  sont  sans  nombre;  les  biens  quo 
l'on  estime  tant  sont  tous  faux  ou  imagi- 
naires, et  les  maux  (}ue  nous  soulfrons  ne 
sont  que  trop  réels,  nous  les  ressentons 
tous;  nous  ne  sommes  même  jamais  plus 
éloquents  que  lor'^que  nous  gémissons  sur 
tous  ces  maux  et  que  nous  faisons  le  détail 
de  toutes  ces  misères. 

Mais  dans  le  ciel  plus  de  maux,  plus  de 
défauts,  plus  d'imperfections,  plus  de  mi- 
sère et  d'aucune  espèce.  Non,  Mesdames, 
les  hoiineurs  que  nous  y  recevrons  ne  nous 
y  seront  point  à  charge  ;  notre  gloire  n'y 
sera  obscurcie  d'aucun  nuage;  notre  éléva- 
tion y  sera  toute  pour  nous  :  nous  régne- 
rons avec  noire  Dieu,  mais  sans  peine, sans 
in(]uiétude,  comme  notre  Dieu.  Les  riches- 
ses que  nous  y  p>osséderons  seront  Dieu  lui 
même,  bien  souverainement  parfait,  et  par 
l'assemblage  d'une  infinité  de  perfections, 
dans  un  degré  infini,  et  par  l'exclusion  de 
tout  défaut,  de  la  plus  légère  imperfection. 
Nos  {ilaisirs  y  seront  purs;  loin  de  nous 
toute  idée  grossière  de  volupté  charnelle; 
voir  noire  Dieu,  le  connaître  et  l'aimer,  le 
voir  et  l'aimer  encore;  se  plaire  infiniment 
dans  celle  vue,  dans  cet  amour,  voilà  les 
plaisirs  du  ciel  :  nous  ne  les  comprenons 
pas  à  la  vérité,  mais  ce  que  la  foi  m'a[)i)rend, 
c'est  que  ces  plai>irs  surpasseront  d'autant 
et  mille  fois  plus  les  jilaisirs  des  sens,  quo 
le  ciel  lui-môme  est  au-d(  s-ius  de  la  terre, 
et  que  l'espiit  est  su[)érieur  au  cor|)s.  Plus 
de  trouble,  plus  d'agitation  pour  res()rit 
dans  le  ciel  :  uniquement  occupé  de  son 
Dieu,  nul  autre  olijel  ne  pourra  le  distraire 
de  cette  délicieuse  contemplation;  plus  de 
faiblesses  pour  le  cœur;  plus  de  passions 
déréglées  ;  plus  do  désirs  illégitimes,  plus 
d'attachements  criminels  :  l'amour  de  son 
Dieu  le  tiendra  dans  une  conformité  si  par- 
faite à  toutes  ses  volontés,  que  jamais  il  ne 
pourra,  ce  cœur,  aimer  ou  haïr  que  ce  quo 
son  Dieu  trouvera  digne  d'amour  ou  do 
liame.  Plus  de  guerre,  plus  de  division 
dans  le  ciel  ;  les  élus  seront  tous  dos  rois, 
mais  des  rois  qui  auront  tous  les  mêmes 
vues,  des  intérêts  communs  :  leurs  cou- 
ronnes, quoique  do  différents  [irix,  ne  se- 
ront [)oinl  pour  eux  des  objels  d'une  envie 
et  (t'une  jalousie  réciproque,;  le  ciel  sera  le 
séjour  d'une  paix  et  d'une  charité  parfaite. 
Les  élus  s'aimant  tous  dans  leur  Dieu  et 
pour  leur  Dieu,  se  réjouiront  également  et 
se  trouveronl  égalemen.l  heureux  ;  et  de 
leur  propre  bonlieur,  et  du  bonheur  do 
leurs  Hères.  Plus  d'adversités  dans  le  ciel, 
plus  do  contradictions,  plus  de  croix.  Vé- 
rité bien  consolante  pour  ceux  qui  pleurent 
et  qui  souillent  en  cette  vie.  Oui,  Mesdames, 


577 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  HUITIEME  JOUR. 


578 


Dieu  se  plaira  h  essuyer  leurs  larmes  et  à 
les  dédommager  de  leurs  peines,  par  les 
plus  abondantes  consolations;  non,  on  n'en- 
tendra point  dans  le  ciel  les  plaintes  et  les 
gémissements  des  misérables,  parce  que 
tout  moyen  d'affliction  en  étant  banni, il  ne 
s'y  trouvera  point  de  misérables  par  consé- 
(luent.  Plus  dans  le  ciel  d'inquiétude  sur  sa 
destinée  éternelle,  plus  de  ces  crucifiantes 
incertitudes  sur  son  salut,  parce  qu'il  n'y 
aura  plus  d'ennemis  à  combattre,  plus  de 
tentations  h  repousser,  plus  de  chutes  à 
craindre  :  l'esprit  tentateur,  après  avoir 
longtemps  servi  à  la  fidélité  des  saints,  en- 
chaîné enfin  par  l'ange  du  Seigneur,  n'aura 
plus  le  pouvoir  de  leur  nuire,  et  les  saints 
n'auront  plus  qu'à  chanter  leurs  triomphes 
et  à  jouir  du  fruit  de  leurs  victoires,  i 

Plus,  dans  le  ciel,  de  ces  besoins  du  corps 
si  fréquents,  de  ces  nécessités  si  humilian- 
tes :  ornés  des  qualités  glorieuses  dont  Dieu 
les  revêtira,  les  corps  des  élus  participeront 
dans  le  ciel  h  toute  la  béatitude  dont  ils  se- 
ront susceptibles,  sans  ressentir  aucun  de 
tous  ces  maux  qui  les  accablent  dans  ce 
monde.  Oui,  .Mesdaïues,  ce  coips,  cofnnie 
le  dit  l'apùtre  saint  Paul  qui,  poussière  et 
terre  dans  son  origine,  aura  été  rendu  à  la 
terre  et  sera  redevenu  poussière,  ce  même 
corps  ressuscitera  un  jour;  et  a[)rès  avoir 
été  rinslrumenl  des  mérites  de  l'âme  sur  la 
terre,  il  ira  dans  le  ciel  ,  parlicijier  à  sa 
gloire;  ce  corps  qui  aussilôt  sa  séiaralion 
;d'avec  l'ûme,  aura  élé  enseveli  dans  le  loui- 
beau  et  qui,  par  sa  corruption,  séia  devenu 
lia  nourriture  des  vers,  ce  même  cor|)s  re- 
jprendra,  un  jour  sa  première  forme  et  de- 
jviendra  dans  te  ciel,  plus  brillant  que  les 
^astres  et  incorruptible,  en  quelque  sorte, 
jcomnie  Dieu  lui-môme  :  ce  corps  qui  aura 
[été  sujet  sur  la  terre  à  tant  de  faiblesses, 
^(ie  douleurs  et  d'infirmités ,  dans  le  ciel,  il 
'ii'é[)rouvera  aucune  do  ces  uiisères,  et  après 
.avoir  été  une  fois  sujet  à  la  mort,  i!  se  Irou- 
jVera  pour  toujours  soustrait  à  son  em|)ire  ; 
,ce  corps  entin  ([ui,  [)ar  celle  pente  ualurelie 
avec  laquelle  il  se  porte  vers  le  centre  de  la 
terre,  paraît  tenir  de  la  nature  des  plus  vils 
animaux;  dans  le  ciel,  parl'agililé  que  Dieu 
lui  communiquera,  i!  parcourra  dans  un 
instanl  les  espaces  immenses  de  la  Jérusa- 
lem céleste,  et  |)ar  la  sublililé  de  tous  ses 
membres,  il  paraîtra  plutôt  un  esprit  qu'un 
corps. 

IV.  Mais  ce  qui  mettra  le  comble  au  bon- 
heur des  élus  dans  le  ciel,  c'est  qu'en  (los- 
sédnnl  Dieu  ils  posséderont  un  bien  sans 
fin  qui  les  satisfera  éternellement.  Quand 
il  serait  vrai,  Mesdames,  qu'il  y  aurj^il  des 
biens  réels  en  ceile  vie;  quand  nous  pour- 
rions parvenir  à  posséder  tous  ses  biens 
ensemble,  quand  tous  ces  biens  ne  seraient 
môles  d'aucun  des  maux  qui  les  accomjja- 
gneiit  pour  l'ordinaire  ,  je  dis  toujours  que 
nous  ne  serions  {)as,  pour  cela,  parfaitement 
heureux;  pourquoi  cela?  Ah  !  vous  me  pré- 
venez, sans  doute  :  c'est  que  tous  ces  biens 
ne  sont  oiuès  tout,  que  les  biens  du  temps 
bien  passagers  et  périssables  comme  lui  ; 


au  lieu  que  les  biens  du  ciel,  qui  sont  l'ob- 
jet de  notre  espérance,  sont  les  biens  de 
l'éternité,  bien  lises  et  durables  comme  elle 
par  conséquent.  Qu'a-t-on  vu,  en  effet,  dans 
tous  les  leinps,  dans  le  monde,  et  que  voyons- 
nous  encore?  Do  grandes  fortunes  renver- 
sées], des  hommes  élevés  jus(ju"aux.  nues 
disparaître  tout  à  coup  et  laisser  à  peine 
quelque  vestige  de  leur  élévation;  des  ri- 
ches qui  paraissaient  par  leur  cupidité  de- 
voir envahir  toutes  les  possessions,  réduits 
h  une  extrême  indigence.  Mais  si  tous  ces 
heureux  du  siècle  n'éprouvent  pas  ces  re- 
vers, que  devient  leur  prétendue  félicité  à 
tous,  lorsque  la  mort  vient  les  enlever  à 
tout  ce  qu'ils  avaient  de  plus  cher  en  ce 
monde?  Hélas  1  ils  en  sortent  avec  quel- 
qu'éclat,  à  la  v'érité  :  mais  à  peine  sont-ils 
dans  le  tombeau  que  toute  leur  grandeur  et 
jusqu'à  leur  souvenir  s'y  ensevelit  avec 
eux.  Il  n'est  donc  point  de  vrai  bonheur 
où  il  ne  peut  y  avoir  d'assurance  d'une 
éternité,  dit  saint  Augustin. 

Ah  1  Mesdames, que  nous  sommes  grands 
vous  et  moi  par  notre  destinée;  nous  n'y 
pensons  point  assez,  que  nous  sommes 
grands,  puis(iue  pour  notre  parfait  bonheur 
il  ne  nous  faut  rien  moins  qu'un  bien  sou- 
verain et  éternel  tout  ensemble  1  en  sorte 
que  comme  la  possession  môme  élernello 
do  tout  autre  objet  que  notre  Dieu,  ne  pour- 
rait nous  rendre  parfaitement  heureux,  de 
môme  la  possession  môme  de  notre  Dieu, 
mais  qui  ne  serait  |ioint  éternelle,  ne  pour- 
rail  sullire  h  notre  cœur;  mais  aussi,  pos- 
séder son  Dieu  et  le  posséder  toujours  et 
être  sûr  de  le  posséder  toujours  ;  toujours 
jouir  de  son  Dieu  et  sentir,  dans  cette  jouis- 
sance une  joie,  une  félicité  toujours  nou- 
velles, quelle  situation  I  Ah!  Mesdames, 
dans  l'impossibililé  où  je  me  trouve  de  vous 
la  faire  parfaitement  connaître,  cette  heu- 
reuse situation  d'un  élu  du  ciel,  voulez-vous 
du  moins  vous  en  former  vous-raûmes,  par 
comparaison,  une  légère  idée?  Considérez 
ces  âmes  chrétiennes  et  religieuses  surtout 
qui,  sincèrement  détachées  du  monde  et 
d'elles-mêmes,  servent  leur  Dieu  dans  la 
retraite  avec  un  cœur  pur  et  sans  paita:^e. 
Vous  en  connaissez,  sans  doute,  car  il  en 
est  encore,  quoique  malheureusement  en 
petit  nombre,  de  ces  âmes  vraiment  saintes 
que  Dieu  chérit  parce  qu'il  en  est  sincère- 
ment et  ardemment  aimé;  voyez  et  peut- 
être  l'avez-vous  éprouvé  vous-mêmes  dans 
de  certains  moments  surtout  où  il  veut  bien 
se  communiquer  à  l'Aine  d'une  façon  plus 
marquée,  quelle  paix  t  quelles  douceurs! 
queJles  consolations  !  Or  si  dans  ce  lieu 
d'exil  et  dans  celte  vallée  de  larmes,  Dieu 
est  si  bon  à  tous  ceux  et  à  ses  épouses  sur- 
tout, qui  ont  le  cœur  droit  et  qui  sont  sin- 
cèrement à  lui,  que  ne  fera-t-il  point  pour 
elles,  arrivées  au  terme  et  introduites  dans 
ses  sacrés  tabernacles  ?  Si  présentement 
quelques  gouttes  de  consolations  qu'il  laisse 
comme  distiller  sur  la  surface  de  leur  cœur, 
leur  causent  des  joies,  des  suavités,  des 
transports,^  des  ravissemenls  même  quel- 


5?9 


OBATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTlS. 


?80 


quefois  et  di^s  eîîases  sons  lesquelles  l'hu- 
nianilé  (rop  faible  est  prête  h  succomber; 
que  sera-ce  donc,  lorsque  ce  Dieu  de  toute- 
puissance  et  de  toute  bonté,  mettra  tout  son 
pouvoir  à  les  rendre  heureux,  qu'il  leur 
prodiguera  ses  caresses  dans  le  ciel  et  qu'il 
fera  couler  au  milieu  de  leur  cœur,  ces  tor- 
rents de  voluptés  et  de  délices  qui  ne  tari- 
ront jamais. 

Voilà  donc  ce  qu'un  Dieu  réserve  dans  le 
ciel  à  ses  élus.  Mais,  Mesdames,  à  cette  vé- 
rité si  consolante  dont  je  viens  de  vous  en- 
tretenir.je  croisdevoir  en  ajouter  une  autre 
bien  dilîférenle  et  aussi  certaine  cependant  ; 
c'est  que  ce  bonlieur  du  ciel  si  grand,  si 
immense,  peu  et  très-peu  le  posséderont; 
Jésus-Christ  l'a  dit  lui-môme  :  Pauci  electi. 
(Malfh.,  XX,  16.)  Ce  n'est  pas  que  le  Sei- 
gneur ne  nous  l'offre  à  tous  ;  mais  combien, 
non-seulement  parmi  les  chrétiens  du  mon- 
de, mais  même  parmi  ses  épouses,  se  mon- 
trent indifférentes  pour  les  biens  éternels  I 
On  ne  se  borne  tout  au  plus  qu'à  des  désirs 
faii)les,  généraux  et  ineflTicaces.  Cependant 
ne  nous  abusons  point  ici,  nous  n'avons 
pas  un  droit  absolu  sur  le  bonheur  du  ciel  ; 
c'est  notre  héritage  à  tous,  à  la  vérité,  mais 
(jui  ne  sera  cependant  que  pour  ceux  d'en- 
tre nous  qui  se  seront  rendus  les  co-héri- 
liers  de  Jésus-Christ,  en  se  faisant  sembla- 
bles à  lui;  c'est  une  récompense  qui  nous 
est  promise,  mais  qui  ne  sera  que  pour  ceux 
qui  auront  observé  avec  fidélité  la  loi  du 
Soigneur  et  accompli  constamment  les  de- 
voirs de  leur  état  ;  c'est  un  royaume  qui 
nous  est  otTert,  mais  dont  la  conquête  est 
réservée  à  ceux  qui  auront  combattu,  toute 
leur  vie,  les  ennemis  du  salut.  En  un  mol. 
Mesdames,  le  bonheur  du  ciel,  c'est  le  com- 
ble de  la  gloire,  mais  vous  et  moi  n'y  par- 
viendrons que  par  l'humilité  la  plus  pro- 
fonde :  c'est  un  trésor  infini  de  biens  et  do 
richesses,  mais  nous  ne  pouvons  l'acquérir 
que  par  un  véritable  esprit  de  délacheuient 
et  de  [)nuvreté  :  c'est  le  séjour  des  vraies  et 
pures  délices  ;  mais  nous  n'y  entrerons  sû- 
rement que  par  la  mortitication  des  sens  et 
l'exercice  de  la  pénitence  :  voilà  les  condi- 
tions, elles  sont  dures,  à  la  vérité. 

Mais,  Seigneur,  peut-il  donc  trop  m'en 
coiiler  pour  me  rendre  souverainement  heu- 
reuse et  heureuse  à  jamais?  Mais  quelque 
dures  qu'elles  soient  ces  conditions,  avec 
te^  secours  de  voire  grâce,  qui  jamais  ne 
m'abandonne,  est-il  rien  que  je  ne  puisse 
entreprendre  avec  succès?  Mais  quand  vous 
exigeriez  plus  de  moi  encore,  y  aurait-il  à 
hésiter  puisqu'il  n'est  aucun  milieu  pour 
moi  entre  le  ciel  et  l'enfer,  et  que  tout  ce 
qui  ne  mène  point  à  une  éternelle  félicité 
conduit  infailliblement  à  un  malheur  éter- 
nel ?  Ah  I  quand  je  n'aurais  rien  à  espérer 
pour  l'autre  vie  je  devrais  encore  vous  ser- 
vir avec  fidélité,  vous,  mon  Dieu,  mon  Créa- 
teur et  mon  Epoux,  infiniment  aimable  en 
vous-même  et  qui  m'avez  témoigné  votre 
amour,  par  une  infinité  de  bienfaits;  mais 
puisque  vous  voulez  bien  m'allirer  à  vous 
l'ar  l'espoir  des  récompenses  ,  je  me  servi- 


rai donc  de  ce  motif  si  inléressanfpour  moi; 
ayant  sans  cesse  devant  les  yeux  ma  desti- 
née éternelle,  je  me  considérerai  et  plus 
que  jamais  comme  une  voyageuse  et  une 
étrangère  en  ce  monde;  toutes  mes  pensées, 
tous  mes  désirs,  toutes  mes  actions  ne  ten- 
dront plus  que  vers  la  céleste  patrie  ;  je  ne 
jugerai  désormais  de  tous  les  objets  de  la 
terre  que  par  rapport  au  ciel;  et  puisqu'il 
n'est  pas  un  instant  même  od  je  ne  puisse 
ajouter  à  ma  couronne  éternelle,  je  tiendrai 
sans  cesse  mon  âme  entre  mes  mains,  pour 
ne  rien  faire  qui  puisse  vous  déplaire;  je 
me  livrerai  de  plus  dans  mon  saint  état  et 
avec  une  constante  fidélité,  à  la  pratique  des 
vertus  et  à  l'accomplissement  des  devoirs 
et  des  observances  qu'il  me  prescrit,  afin 
qu'après  avoir  vécu  de  la  vie  de  ,1a  grâce, 
dans  le  temps,  je  puisse  vivre  avec  vous  et 
dans  vous,  de  la  gloire  dans  l'éternité.  Ainsi 
soit-il 

HUITIEME  JOUR. 
Second  discours. 

SUR  LA    PRÉSENCE    DE    DIE[J. 

Médius  vestrum  slelit,  quem  vos  nescilis.  (  Mallh., 
I,  16.) 

Il  est  au  milieu  de  vous,  celui  que  vous  ne  connaissez 
pas. 

C'était,    Mesdames  ,  le   reproche  que  le 
divin  précurseur  faisait  aux  Juifs  ;  ils  atten- 
daient avec  impatience  le  Messie,  ce  libé- 
rateur d'Israël  annoncé  si  souvent  et  depuis 
si  longtemps  promis  par  les  prophètes;  il 
était  déjà  au  milieu  d'eux,  il   ne  cessait  et 
par  ses  discours  et  par  ses  prodiges  do  les 
convaincre  de  sa  présence;   aveugles  et  in- 
sensés, ils   s'obslinaient  à  le  méconnaître, 
et  toujours  ils  attendaient  celui  qu'ils  pos- 
sédaient. Hélas!  ce  reproche  que  Jean-Bap- 
tiste faisait  aux  Juifs,    ne   pourrait-on  [las 
nous  le  faire  à   nous-mêmes?  Non-seule- 
ment ce  Dieu  sauveur  est  sans  cesse,  comme 
tel,  au  milieu  de    nous,    non-seulement  il 
résido  corporollement    dans    nos   temples 
sous  les    espèces   sacramentelles,  mais  la 
très-sainte  Trinité  elle-même  est  au  milieu 
de  nous  ;  ce  Dieu  en  trois  personnes  est  sans 
cesse  avec  nous,  et  tellement  avec  nous,  que 
nous  sommes   toujours   présents   à  lui,  et 
qu'il  est  toujours  présent  à  nous  et  présent 
partout,  ce  Dieu  qus  nous   faisons   profes- 
sion d'adurer  et  de  servir.  Nous  le  croyons, 
Mesdames,  et  en  cela,  nous  sommes  moins 
aveugles  que  les  Juifs;  mais   ce    qui  nous 
rend   aussi    coupables    et    |)lus    coupables 
<iu'eux  encore,  c'est  que  bien  loin  de  nous 
conduire  en  tout  d'une  manière  conforme  à 
celle  foi  de  la  présence  de  Dieu,  nous  nous 
conduisons  au  contraire,  le  plus  souvent  au 
moins,  comme  si  nous  ne   le  croyions  pas. 
C'est  donc  de  celle  vérité  de  la  présence 
de  Dieu  dont  j'entreprends  de  vous  entrete- 
nir ici  :  véiiié  lro[)  négligée  dans  les  chaii'es 
chréliennts,  |)arce  qu'on  la  juge  [leut-èlre, 
quoique  injustemeni,  peu  [iroporlionnéo  au 
commun  des  chrétiens,   mais   que  je  crois 
moi,  d'une    pratique  aisée    pour  tout  chré- 
tien, et   encore   plus  pour  des  épouses  do 
Jésus-Christ,  cl  que  je  regarde  par  consé- 


581 


DISCOUllS  DE  RETR.VITE. 


HUITIEME  JOUR. 


qtient  comme  un  moyen  de  sanclificaiion 
pour  vous,  Mesdames,  et  cela  pour  deux 
raisons  qui  vont  laire  la  malière  de  ce  dis- 
cours. C'est,  en  premier  lieu,  (|ue  l'etercice 
de  la  présence  do  Dieu  est  un  moyen  des 
plus  propres  à  faire  éviter  le  péché;  ce  sera 
le  sujet  de  la  première  partie.  C'est,  en  se- 
cond lieu,  que  l'exercice  de  la  présence  de 
Dieu  est  un  moyen  des  plus  ellicaces  pour 
faire  pratiquer  la  vertu  ;  ce  sera  le  suy:t  de 
la  seconde  jinrtie.  Je  m'estimerais  heureux 
et  ne  croirais  pas,  iMesdames,  ma  petite 
mission  auprès  de  vous  sans  fruit,  si,  eii  la 
terminant,  je  pouvais  vous  porter  toutes  à 
la  pratique  de  ce  saint  exercice;  je  l'espère 
avec  le  secours  de  la  gnlce.  Honorez-moi, 
s'il  vous  [)lail  de  toute  votre  attention,  ^i-e, 
Maria. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Ne  nous  le  dissimulons  point  ici,  Mesda- 
mes, pour  peu  que  nous  veuillions  rétlécliir 
sur  nous-mêmes,  nous  remarquerons  aussi- 
tôt dans  notre  volonté,  bien  plus  de  |)en- 
cliant  nu  mal  que  d'allrait  |)0ur  le  bien  : 
effet  déplorable  de  la  chute  du  premier 
iiomme  I  avec  assez  de  lumières  pour  con- 
naître le  bien  et  pour  l'approuver,  nous  nous 
livrons  le  plus  souvent  au  m  il  que  nous  re- 
connaissons et  que  nous  désapprouvons; 
co[ien(!anl  lous  créés  pour  jouir  ne  notre 
Dieu  dans  le  ciel,  et  ne  pouvant  nous  pro- 
curer ce  bonheur  de  l'élernilé  qu'autant 
(pie  nous  aurons  été  fidèles  dans  le  temps 
à  nous  [)réserver  du  mal,  à  éviter  le  péché, 
nous  devons  donc  autant,  par  intérêt 
que  par  devoir,  chercher  et  employer  tous 
les  moyens  qui  peuvent  servir  à  nous  le 
faire  éviter  :  or,  un  de  ces  moyens  et  des 
plus  eflicnces,  c'est  l'exercice  de  la  présence 
de  Dieu.  En  elfet,  Mesdames,  nous  pouvons 
considérer  Dieu  présent  à  nous  sous  trois 
dillérenis  respects,  par  son  essence,  par  sa 
puissance  et  par  sa  science  :  par  son  essence, 
c'est  un  Dieu  infini  en  lui-nsême  qui,  par 
l'immensité  de  son  être,  environne,  remplit 
et  pénètre  lous  les  êtres  qu'il  a  créés  :  par 
sa  puissance,  c'est  un  Dieu  dont  le  jouvoir 
est  absolu  et  sans  borne,  et  qui  agit  en  tout 
au  dehors  de  lui-même  pour  les  créatures 
et  avec  ses  créatures  :  par  sa  science,  c'est 
un  Dieu  dont  les  connaissances  infinies  s'é- 
tendent à  tout,  qui  voit  par  conséquent 
toutes  les  démarches  de  ses  créatures  rai- 
sonnables, et  qui  les  voit,  pour  les  punir 
ou  (>our  les  récompenser  selon  le  bien  ou  le 
mal  qu'elles  auront  fait.  Or,  ces  principes 
une  lois  i)0sés,j'en  lire  trois  conséquences 
Lien  imporlantos  pour  nous;  c'est,  en  pre- 
ujier  lieu,  que  si  Dieu  est  [irése^t  partout 
par  son  essence,  c'est  donc  toujours  dans 
le  sein  même  de  ce  Dieu,  noire  créaleur, 
que  nous  péchons;  c'est,  en  second  lieu, 
que  si  Dieu  est  pré^elIt  partout  par  sa  ()uis- 
saiice,  c'est  donc  toujours  par  le  moyen 
même  de  ce  Dieu  i;otre  bienfaiteur  que  nous 
j)échons;  c'est  enfin  que  si  Dieu  est  [)résent 
partout  iiarsa  scienci;,  c'est  donc  toujours 
sou?  les  yeux  même  de  ce  Dieu  uolie  juge, 


583 

que  nous  péchons.  Trois  réflexions  qui, 
bien  a|)profondies  ,  seraient  capables  do 
lions  inspirer  pour  le  péché  et  |iour  toute 
espèce  de  péché,  toule  l'horreur  qu'il  mé- 
rite. 

I.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  Dieu  est 
présent  partout  4)ar  son   immensité;  c'est 
ici,  Mesilarnes,    une  vérité  de  foi  :  Je  rem- 
plis, nous  dit-il  lui-même,  y«  remplis  le  ciel 
el  la  terre  de  ma  présence  :  «  Cœlum  et  terram 
impleo.n  (Jerem.,  XXIlI,2i-.)  Il  ne  nous  faut 
donc  point  aller  bien  loin  pour  trouver  notre 
Dieu,  dit  l'apôtre  saint  Paul  ;  il  est  sanseessa 
îivcc  nous,   autour  de   nous,  au  dedans  do 
nous,  je  dis  plus  encore,  d'a[)rès  l'Apôire, 
nous  sommes    nous-mêmes  dans  lui.  C'est 
dans  lui,  dans  le  propre  sein  de  sa  divinité 
que  nous  vivons,  que  nous  existons,  que 
nous  agissons  :  In  ipso  vivimus,  movemur  et 
sumus.  {Ad.,  XVll,  28.)  Oui,   ce  Dieu  plus 
grand,  plus  immense  que  le  monde  entier, 
le  Dieu  que  mille   mondes  ne  ()Ourraient 
contenir,  sa  grandeur  ne  reconnaissant  d'au- 
tre borne  que  rmtiiii,  il  csl  cependant  dans 
moi  el  je  suis  dans  lui  ;  sa  divinité  est  plus 
présente  à   mon    urne   que   mon   âme  elle- 
même  ne  l'est   à  mon  corps,    puisque  mon 
Ame  est  inséparable  de  la  Divinité,  que  sem- 
blable à  une  éponge   au   milieu  de  la  mer, 
elle  est  toute  environnée,  toule  pénétrée  de 
la  Divinité.  Ah  I  que  je  me  suis  loiiglemi»s 
mépris,  ô  mon  Dieu,  disait  saint  Augustin, 
revenu  de  ses  égarements,  que  je  me  suis 
longtemps  mépris!  Je  sentais  bien  que  j'é- 
tais fait  pour  vous,  et  uniquement  pour  vous; 
je  vous  cherchais,  je  me  suis  longtemps  fa- 
tigué à  vous  chercher  hors  de  moi,  et  vous 
étiez  dans  moi,   vous  habitiez   au   fond  de 
mon  cœur  :  Intus  eras,  ec  ego  foris  le  quœre- 
bam.  De  là  aussi,  de  celte  première  vérité, 
que   devons-nous  conclure?  Ah!  c'est  que 
nous  sommes  aussi  toujours   présents  à  la 
Divinité  ;  c'est  que  lorsque  nous  agissons, 
c'est  donc  toujours  dans  le  sein  même  de 
cette  Divinité  que  nous  agissons,  c'est  par 
conséquent  que  quand  nous  péchons,  c'est 
toujours  dans  le  sein  môme  de  la  Divinité 
que  nous  péchons.  Oui,  Mesdames,  et  celle 
vérité,  les  seules  lumières  de  la  raison  ont 
suffi  pour  l'établir.   Le  philosophe  romain, 
assez  éclairé  [lour  connaître  que  le  Dieu  de 
l'univers  ne  [louvail  être  véritablement  Dieu 
s'il  n'était  partout  par  son   immensité,  fut 
assez  judicieux   pour  en    conclure  que  le 
moyen  do  ne  rien  f^ire  d'indigne  de  l'hon- 
nêle  homme,  c'était  de  penser  souvent  à  la 
présence  de  ce  Dieu  qui  est   partout.    Mais 
nous,  à  plus  forte   raison,  éclairés   des  lu- 
mières de  la  foi  qui  nous  rend  tout  autre- 
ment sensible  celte   vérité,   quelle  impres- 
sif^n  ne  devrail-elle  pas  faire  sur  nos  es[)rils 
et  sur  nos  cœurs  ?  Ah  !  dit  saint  Ambroise, 
quel  esl  noire  aveuglement   et  notre  lémé- 
riié?Quol!  nous   ciaigoons    les  yeux    des 
hommes  ;  lorcjuo  nous  voulons  nous  livrer 
à  des  actions  indignes,  nous   savons  nous 
dérober  à  leurs  regards,  et  nous  osons  les 
commeltre    sous  les  yeux   de  noire  Dieu  ! 
Quoi  !  la  présence  d'un  grand,  d'un  roi  de 


585 


ORxVTEURS  SACRES.  LABBE  DE  MONTIS. 


S8i 


la  terre  suffirait  pour  réprimer  en  nous  les 
passions  les  plus  violentos;  et  la  présence 
du  Koi  des  rois,  la  présence  du  Dieu  du 
ciel  et  de  la  terre  ne  ferait  aucune  impres- 
sion sur  nous  1  Quoi  !  cet  être  souverain  de- 
vant lequel  les  chérubins  par  respect  se 
couvrent  de  leurs  ailes,  celui  en  la  f)résence 
duquel  les  séraphins  et  tous  les  esprits  cé- 
lestes tremblent  et  s'anéantissent,  nous, 
vers  de  terre,  poussière  et  cendre,  bien  loin 
de  trembler  devant  ce  Dieu  toul-puissant, 
autant  notre  Dieu  que  le  Dieu  des  anges, 
bien  loin  de  lui  rendre  les  devoirs  de  res- 
pect et  d'ddoralion  que  nous  lui^  devons, 
nous  irions  jusqu'à  nous  élever  téméraire- 
ment contre  lui,  jusqu'à  souilleraulanl qu'il 
est  en  nous  son  immensité  par  nos  crimes, 
comme  il  s'en  plaint  par  un  de  ses  pro- 
phètes :  Inquinabar  inmedio  eorum.  {Ezech., 
XXII,  2G.1  Ah!  si  vous  voulez  pécher  im- 
punément, disait  saint  Augustin,  cherchez, 
chercliez  donc  un  endroit  oiî  votre  Dieu  ne 
se  trouve  pas. 

II.  Miiis  si  Dieu  est  présent  partout,  pat- 
son  essence,  [)ar  son  irhmensilé,  il  I  est 
encore  par  sa  puissance.  Vous  le  savez. 
Mesdames,  Dieu  ayant  fait  l'homme  unique- 
ment pour  lui,  pour  sa  gloire,  il  a  voulu 
aussi  qu'il  tînt  tout  de  lui,  qu'en  tout  et 
pour  tout,  il  dépendît  absolument  de  lui, 
et  si  absoluhient,  que  s'il  retirait  un  seul 
instant  son  bras  tout-puissant  qui  le  sou- 
tient, il  retomberait  aussitôt  dans  le  néant 
d'où  il  l'a  tiré.  Par  lui  en  effel,  et  par  lui 
seul,  l'homme  produit  ses  pensées,  il  forme 
ses  projets,  il  exécute  ses  volontés  et  celle 
dépendance  de  son  Dieu,  dans  l'ordre  de  la 
grûce,  puisque,  bien  loin  de  pouvoir  s'éle- 
ver à  l'état  de  sainteté  et  de  s'y  soutenir  par 
lui-môme,  il  n'est  pas  même  capable,  comme 
ledit  l'Apôlie  (II  Cor.,  lil,  5)  sans  le  se- 
cours de  son  Dieu,  de  la  moindre  bonne 
])eusée  dans  l'ordre  du  salut;  ainsi  sans 
son  Dieu,  l'homme  ne  peut  rien,  comme  il 
peut  luul  avec  son  Dieu  ;  mais  je  dois  vous 
dire  quelque  chose  de  plus  encore.  Mes- 
dames. Kli  !  que  ces  vérités  sont  consolantes 
pour  désunies  qui  aiment  à  se  renifilir  des 
|)ensées  ei  des  sentiments  de  la  foi!  C'est 
que  si  Dieu  a  fait  l'homme  pour  lui,  [jOur 
sa  gloire,  et  si  pour  cela  il  est  et  agit  sans 
cesse  avec  lui;  comme  il  a  fait  également 
toutes  les  autres  créatures  pour  riiouime, 
])our  l'usage  de  l'homme,  c'est  aussi  pour 
l'homme  qu'il  est  et  qu'il  agit  dans  elles  et 
par  elk'S,  en  sorte  que  [lar  elles  il  l'édaii©, 
par  elles  il  l'échaulle,  il  le  nourrit,  il  le  sou- 
lage, il  le  recrée  et  le  conserve.  Voilà  donc 
ce  qu'est  ce  Dieu  de  bonté  à  mon  égard,  il 
est  pour  moi  dans  toutes  les  créatures, 
non-seulement  il  les  conserve  pour  moi, 
mais  [)Our  nioi  il  agit  dans  toutes  et  par 
toutes,  en  sorte  qu'il  paraît  occupé  de  moi, 
comme  si  j'éiats  le  seul  être  dans  l'univers 
qui  exigeât  tous  ses  soins.  Mais  aussi,  Mes- 
dames, si  cela  est,  si  Dieu  est  sans  cesse 
avec  moi  et  sans  cesse  occu[)é  de  moi,  je 
dois  donc  m'occuper  égal-emenl  de  lui;  s'il 
n'el  sa  gloire  à  luire  agir  pour  moi  toutes 


ses  créatures,  je  dois  donc  moi,  mettre  mon 
attention  et  tout  mon  plaisir  à  agir  en  tout 
de  concert  avec  lui,  à  ne  chercher  que  lui, 
que  sa  gloire,  dans  l'usage  de  ses  créatures. 
Voilà  en  effet  ce  qu'ont  fait  tous  les  saints, 
et  ce  qui  les  a  faiisdes  saints;  leur  foi  vive 
leur  faisait  voir,  ce  n'est  point  dire  assez, 
leur  faisait  aimer  le  Créateur  dans  ses  créa- 
tures, et  dans  les  moindres  de  ses  créatures; 
le  plus  [letit  objet,  une  fleur  des  champs,  un 
brin  d'herbe  a  suffit  à  quelques-uns,  pour 
les  ravir  en  Dieu,  [lour  les  remplir  d'admi- 
ration, d'amour  et  de  reconnaissance  envers 
leur  Dieu;  de  là  cette  intention  non-seu- 
lement à  n'abuser  d'aucune  de  ses  créa- 
tures, mais  do  plus  à  les  faire  servir  à  sa 
gloire.  Maisaussi  voilà,  parune  raison  toute 
opposée,  ce  qui  nous  rend  si  coupables  à 
ses  yeux  lorsque  nous  nous  livrons  au  pé- 
ché, parce  que  de  quelque  nature  qu'il 
puisse  être  ce  péché,  c'est  toujours  par  noire 
Dieu,  par  ses  secours  et  les  moyens  qu'il 
nous  donne  que  nous  le  commettons.  Ahl 
Mesdames,  ne  pas  penser  à  un  Dieu  qui 
pense  sans  cesse  à  nous  ;  ne  pas  nous  plaire 
en  la  présence  d'un  Dieu  qui  paraît  sans 
cesse  occupé  de  nous,  c'est  déjà  un  grand 
mal  ;  déplaire  à  un  Dieu  qui  est  sans  cesse 
avec  nous  [lour  nous  conserver  et  pour 
nous  aider  dans  toutes  nos  démarches,  of- 
fenser un  Dieu  qui  multiplie  ses  bienfaits, 
àj  notre  égard,  en  mullifiliant  les  instants 
de  notre  existence,  c'est  un  mal  plus  grand 
encore:  mais  nous  servir  de  plus  de  ce  Dieu 
de  bonté  pour  lui  déplaire  et  l'offenser, 
juais  tourner  contre  lui  tous  les  bienfaits 
que  nous  en  avons  reçus,  et  que  nous  en 
recevons  à  chaque  instant,  santé,  esprit, 
lumières,  tous  les  talents  de  l'âme  et  du 
corps,  les  employer  tous  contre  son  Dieu, 
et  par  là  le  faire  servir  lui-môme,  comme  il 
s'en  plaint  par  un  de  ses  prophètes,  à  nos  ini- 
quités :  Servire  me  fecistis  in  iniquilalibus  ve- 
«^rts. (/sa. ,XLU,  24..)  Voilà,  Mesdames, le  plus 
grand  de  tous  les  désordres,  et  voilà  cepen- 
dant ce  que  toute  personne  qui  se  livre  au 
péché,  pijut  et  doit  se  reprocher. 

111.  Mais  une  troisième  raison  bien  ca- 
pable de  nous  faire  éviter  le  péché,  c'est 
que  non-seulement  Dieu  est  sans  cesse  avec 
nous,  par  son  essence  et  par  sa  puissance, 
mais  qu'il  l'est  encore  par  sa  science;  je 
veux  dire  que  non-seulement  Dieu  est  dan.s 
nous,  et  nous  sommes  dans  lui,  que  non- 
seulement  il  agit  en  tout  par  nous,  f)0ur 
nous  et  avec  nous,  et  que  nous  agissons 
dans  lui  et  par  lui,  mais  que  de  [tins,  et  par 
une  suite  nécessaire  de  cette  [irésence  im- 
médiate et  continuelle,  il  voit  tout  ce  que 
nous  faisons,  et  le  voit,  non  pas  en  témoin 
indillérent,  mais  comme  Juge  souverain 
qui  se  servira  un  jour,  de  celte  connaissance, 
pour  nous  récompenser  ou  pour  nous  pu- 
nir, selon  ce  qu'il  aura  vu  en  nous,  de  bien 
ou  de  mal.  Oui,  Mesdames,  point  de  vérité 
plus  clairement  énoncée  dans  les  divines 
Eciilures.  Lorsque  les  proiihètes  voulaient 
retirer  le  peuplo  de  Dieu  de  ses  prévarica- 
tions, ils  no  croyaient  pas  le  pouvoir  faire 


385 


DISCOURS  DE  RETRAITE. 


HUITIEME  JOUR. 


58« 


avec  plus  de  succès,  qu'en  le  rappelant 
h  celle  présence  de  son  Dieu,  qu'en  lui  ré- 
pétant souvent  que  Diou  avait  sans  ,  cesse, 
les  yeux  fixés  sur  lui;  c'était  aussi  cette 
vérité  dont  se  servait  le  Roi-Prophète, 'pour 
s'exciter  à  servir  fidèiemont  son  Dieu,  ot 
à  accomplir  parfaitement  sa  sainte  loi  :  Où 
pourrais-je  aller,  ô  mon  Dieu,  pour  me  dé- 
rober à  la  pénétralioti  de  votre  esprit,  et  où 
fuirnis-je  pour  me  soustraire  à  la  lumière  de 
votre  visage?  disait  ce  saint  roi  pénitent: 
«  Quo  ibo  a  spiritu  tuo,  et  quo  a  facie  tua 
fugiam?  »  Quand  je  pourrais  m' élever  jusque 
dans  les  deux  vous  y  êtes,  vous  y  faites  voire 
demeure:  «  Si  ascendcro  in  cœlum,  tu  illic 
es:  »  Si  je  descendais  jusqu'aux  abîmes  de 
Venfer,  je  vous  y  trouverais  encore  :  «  Si  de- 
scendero  in  infermtm,  ades.  »  Quand  il  me 
serait  donné  de  me  transporter,  avec  des  ailes, 
au  delà  des  mers  et  jusqu'aux  extrémités  de 
la  terre,  bien  loin  de  pouvoir  me  dérober  à 
vos  regards,  ce  serait  vous-même,  6  mon  Dieu, 
qui  m'y  conduiriez,  et  votre  main  seule  me 
soutiendrait  dans  ma  course:  «  Manus  tua 
deducel  me,  cl  tenebit  me  dextera  tua.  »  Je 
rai  dit  encore,  que  peut-être  les  ténèbres  me 
cacheraient  à  vos  yeux:  «  Dixi  :  Forsitan  te- 
nebrœ  conculcabunt  me.  »  Mais  la  nuit  elle- 
même  devient  toute  lumineuse  pour  me  dé- 
couvrir à  vous,  et  jusque  dans  mes  actions 
les  plus  secrètes  :  u  El  nox  iltuminutio  mea 
in  deliciis  meis.  »  Non,  les  ténèbres  les  plus 
épaisses  n'ont  aucune  obscurité  pour  vous,  et 
la  nuit  la  plus  noire  est  pour  vous,  comme 
un  beau  jour:  «  Nox  sicut  dies  illumina- 
bitur.  »  [PsaL  CXXXVlll,  7  seq.) 

Cette  grande  vérité,  Mesdames,  dont  ce 
saint  roi  ()araissait  si  pénétré,  elle  est  si 
jjjen  gravée  dans  le  cœur  de  l'homme,  qu'on 
a  vu  dans  tous  les  temps,  les  pécheurs  alTec- 
ter  de  la  combattre  et  travailler  à, s'en  dé- 
l'aire  pour  pouvoir  s'autoriser  dans  leurs 
désordres.  Qui  est-ce  qui  me  voit?  Ainsi  le 
Saint-Esprit  fait-il  parler,  dans  les  divines 
Ecritures,  un  de  ces  pécheurs  impies,  déter- 
uiiné  à  satisfaire  ses  désirs  déréglés  et  à 
éloutler  les,  cris  de  sa  conscience:  Qui  est- 
ce  qui  me  voit?  «  Quis  videt  me?  »  Les  ténè- 
bres m'environnent ,  les  murs  me  couvrent  de 
toutes  parts,  je  ne  suis  vu  de  personne  :  «  Ne- 
ino  circumspicit  me  ;  »  qui  craindrais-je  donc  ? 
Le  Très-Uaut  ?  Mais  quand  il  verrait  mes 
crimes,  il  ne  s'en  souviendra  point  .-«iVo/i  ??ie- 
viorabitur.)>[tccli.,  XX.lil,  iio,  20.)  Voilh  ce 
qu'il  a  dit  ce  pécheur  impie;  et  dès  là , 
qu'est-il  arrivé  ?  Ah  !  iJesdamus,  c'est  que, 
délivré  de  cette  fitnsée  importune  d'un 
Dieu  présent  partout  et  présent  au  fond  de 
son  cœur,  ses  passions,  comme  une  mer 
agitée  qui  a  eniin  rompu  la  digue  qui  s'op- 
posait à  ses  tlots  en  fureu.'-,  se  sont  déchaî- 
nées :  il  a  chassé  absolument  son  Dieu  de 
son  esprit;  et  dès  lors,  dit  le  Roi-Prophète, 
ses  voies  ont  été  souillées  par  le  crime  :  «  In- 
quinatœsuntviœ  ejus.»{Psal.  X,  5.)  Tuile  fut 
en  cllel  la  conduite  ue  ces  deux  iufûmfis 
vieillards  qui  osèrent  attenter  h  la  vertu  de 
la  chaste  Suzanne  :  apiès  s'être  bien  assurés 
d'être  tachés  aux  y<ux   des  h  mines,  pour 


s'enhardir  dans  leur  abominable  dessein» 
ils  cherchèrent  à  éviter  les  regards  du  Sei- 
gneur :  ils  commencèrent  h  détourner  leurs 
yeux  du  ciel  ,  pour  ne  pas  penser  au  Dieu 
qui  y  réside.  Hommes  aveugles  qui  se  flit- 
taient  vainement  qu'en  no  pensant  plus  à 
leur  Dieu,  leur  Dieu  ne  penserait  plus  éga- 
lement à  eux.  Voilà,  Mesdames,  ce  que  l'on 
voit  et  ce  que  l'on  ne  voit  (jne  trop  souvent 
dans  les  ))écheurs;  les  péchés  au\(pjels  ils 
se  livrent,  alfaiblissent  insensiblement  la 
foi  de  la  présence  de  Dieu  ;  et  celle  foi 
ainsi  affaiblie  et  quelquefois  absolument 
éteinte  dans  l'esprit,  le  cœur  se  livre  sans 
ménagement  au  péché  et  h  tous  les  désor- 
dres du  péché;  le  pécheur  fait  ordinaire- 
ment rim[)ie  et  l'impie  soutient  et  perfec- 
tionne pour  ainsi  dire  le  pécheur,  il  com- 
mence i)ar  souhaiter  que  Dieu  ne  voie  pas 
ses  crimes  ;  et  il  en  vient  cnlin  en  les  com- 
mettant et  en  les  multipliant  sans  cesse  à  se 
persu;ider  que  Dieu  ne  les  voit  point  en 
effet  :  insensé  il  se  flatte  que  le  Diou  de  Ja- 
cob )ie  le  voit  point,  ou  qu'il  ne  fait  aucune 
attention  èses  démarches.  Quoi  I  ce  Dieuf 
par  qui  tout  a  été  fait  et  qui  a  tout  fait  pour 
lui,  pour  sa  gloire,  serait  donc  comme 
ces  dieux  de  pierre  ou  d'argile,  que  les 
piyens  se  fabriquaient  do  leurs  propres 
mains  ;  coiimie  ces  vaines  idoles,  il  au- 
rait des  yeux  et  il  ne  verrait  fias;  des 
oreilles  et  il  n'entendrait  [)as  :  ce  Dieu,  qui 
lui-même  a  formé  dans  l'homme  ces  sens  et 
ces  organes,  par  lesquels  il  enti-nJ  et  il  voit  : 
ce  Dieu  tout-puissant  lui-même  serait  sans 
voir  et  sans  entendre  1  Non,  non,  ce  Dieu 
que  maigié  tous  ses  efforts,  le  pécheur  ne 
peut  absolument  méconnaître,  voit  tout, 
rien  n'échappe  à  ses  regards,  omnia  videt  ; 
toutes  nos  œuvres,  hé!  que  dis-je,  jus- 
qu'aux pensées  les  plus  secrètes  de  notre 
esprit,  jusqu'aux  sentiments  les  [ilus  inti- 
mes de  notre  cœur  :  tout  dans  nous  lui  est 
présent:  Omnia  nuda  oculis  ejus,  {Hcbr., 
IV,  13.)  Oui ,  Mesdames,  les  bomnies  ne 
peuvent  voir  que  nos  œuvres  extérieures, 
mais  notre  Dieu  pénètre  jusque  dans  l'in- 
térieur de  nous-mêmes:  Intuetur  cor.  (I  Reg.f 
XVI,  7.),  Nos  pensées  et  nos  désirs  il  les 
voit  lorsque  nous  les  formons;  je  dis  plus 
encore,  ô  mon  Dieu,  et  sans  cela,  seriez- 
vous  véritablement  mon  Dieu  ?  Mes  pensées, 
je  ne  les  ai  pas  encore  conçues  et  déjà  de- 
puis longtemps,  elles  sont  présentes  à  vo- 
ire esjirit  :  Intellexisti  cogilaliones  meas  de 
longe.  [Psal.  CXXXVlll,  3.)  Tuutes  mes 
démarciies,  en  un  mot,  longtemps  avant 
que  j'en  forme  le  projet ,  vous  les  avez  pré- 
venues :  Omnes  vias  meas  prœvidisti.{lbid., 
4.)  Mais  ce  que  je  dois  surtout  vous  faire 
remarquer  ici ,  Mesdames  ;  et  ce  dont  en 
oûet  il  est  bien  important  pour  nous  do 
nous  bien  convaincre,  c'est  (lue  notre  Dieu 
ne  voit  tout  en  nous  que  pour  nous  juger 
sur  tout:  c'est,  comme  le  dit  saint  Augus- 
tin,  qu'après  avoir  été  le  témoin  de  notre 
conduite  en  cette  vie,  il  en  sera  dans  l'au- 
tre le  juge,  et  un  juge  inexorable;  et  voilà 
une  des  raisons  et  'a  oriucipale  raison  qui 


5«7 


ORATEURS  SA€RES. 


a  porlé  les  gentils  à  rejeter  le  Dieu  dos 
chrétiens.  Ceux  qui  plaçaient  des  dieux 
partout  ,  n'en  voulaient  point  dans  leur 
cœur:  ils  ne  pouvaient  se  résoudre,  remar- 
que un  ancien  auteur,  à  reconnaître  un 
Dieu  qui  examinait  avec  une  trop  curieuse 
altenlion  ,  même  les  désirs  et  les  pensées. 
Mais  nous,  qui  éclairés  des  lumières  de  la 
loi,  faisons  profession  de  croire  à  un  Dieu 
qui  voit  et  qui  connaît  tout,  qui  par  la  per- 
f'iction  de  son  être,  ne  peut  même  s'empê- 
cher de  tout  voir  et  de  tout  connaître,  nous 
qui  ne  pouvons  ignorer  que  ce  Dieu  ég;i- 
iement  éclairé  et  tout-puissant,  se  servira 
un  jour  de  ses  coniiaissances  pour  nous 
jiiger,  pourrions-nous  vivre  et  nous  plaire 
dans  la  transgression  de  sa  sainte  loi  1 

Ah!  Dieu  me  voit,  ses  pensées  comme 
mes  actions,  mes  iniquités  comme  mesjus- 
lices,  tout  est  présent  h  mes  yeux;  tout  le 
sera  également  à  ce  moment  auquel  il  me 
jugera  :  je  dois  donc  éviter  de  l'offenser  et 
de  lui  dé|)laire;  voilà  la  conséquence  que 
je  dois  nécessairement  tirer  si  je  prends 
quelque  intérêt  au  bien  de  mon  âme,  à  mon 
salul  éterui'h  Hélas!  si  je  ne  la  tirais  |)as 
cette  ccnséquence,  ou  si  elle  ne  faisait  au- 
cune iuipression  sur  moi,  ne  serail-cc  pas 
une  pr(!uve  que  le  Seigneur  se  serait  déjà 
éloigné  de  moi,  et  m'aurait  livié  dans  sa 
colèYe  aux  désirs  déréglés  de  mon  cœur? 
Conséquence  si  juste,  si  naturelle,  qu'un 
des  piemiers  ai)ologistes  de  la  religion 
chrétienne  ne  croyait  jias  pouvoir  mieux 
que  parla  défendre  les  iidèles  accusés  au- 
près (le  l'empereur,  de  commettre,  dans 
leurs  assemblées,  des  crimes  infâmes. 
«  l'rince,  disait  Tertullien  à  Marc-Aurèle, 
les  chrétiens,  que  vous  ne  connaissez 
point  assez,  et  qu'on  s'etîorte  de  noircir 
dans  votre  esprit,  font  profession  de  croire 
à  un  Dieu  qui  voit  tout,  qui  connaît  jus- 
qu'à leurs  pensées  les  [)lus  secrètes,  et  qui 
doit  un  jour  les  punir  ou  les  récomjienser, 
selon  le  bien  ou  le  mal  qu'il  aura  vu  dans 
eux;  comment  donc  pourraient-ils, sous  les 
yeux  de  ce  Dieu  auquel  ils  ne  peuvent  se 
soustraire,  commettre  des  crimes  que  la 
raison  seule  doit  faire  délester?  »  El  voilà 
en  elfet  la  conséquence  que  lira  la  vei- 
lueuse  Suzanne  dans  la  situation  la  plus 
dangereuse  et  la  plus  critique  pour  elle; 
obligée  ou  de  déplaire  aux  hommes  ou  d'ol- 
lenser  son  Dieu,  convaincue  que  ce  Dieu, 
auquel  rien  n'échappe,  a|)rès  avoir  été  le 
témoin  de  son  innocence,  en  serait  un 
jour  le  rémunéraleur,  elle  ne  balança  point 
à  conclure  qu'il  valait  mieux  pour  elle  loin- 
ber  innocente  entre  les  mains  de  ses  per- 
sécuteurs que  de  se  rendre  criminelle  aux 
yeux  de  son  Dieu  et  digne  de  ses  châtiments 
éieniels.  Mais  ce  n'est  |  as  là  le  seul  avan- 
tage que  nous  procure  l'exercice  de  la  pré- 
sence de  Dieu  :  non-seulement  il  seit  à 
r.ous  faire  éviter  le  péclié,  il  est  encore  un 
moyen  sûr  do  nous  faire  pratiquer  la  vertu: 
c'est  le  sujet  de  la  seconde  partie. 


L'ACBE  DE  MONTIS. 

SECONDE    PAUTIE. 


Î88 


Ce  serait,  Mesdames,  une  illusion  et 
une  illusion  bien  dangereuse  pour  nous  de 
croire  remplir  toute  justice  à  l'égard  de  no- 
tre Dieu  ,  en  nous  bornant  à  éviter  le  péché. 
A  la  vérité  commettre  des  actions  qu'il  nous 
défend,  c'est  lui  déplaire  et  l'offenser  :  mais 
nous  abstenir  des  œuvres  qu'il  prescrit  à 
chacun  de  nous  dans  l'étal  où  sa  Provi- 
dence nous  a  placés,  c'est  également  lui 
déplaire  cl  travaillera  notre  perte  éternelle; 
cen'tist  pas  seulement  le  serviteur  débau- 
ché qui  a  dissipé  ses  talents  ,  qui  est  con- 
damné dans  riivangile;  c'est  encore  le  ser- 
viteur paresseux  qui  ,  au  lieu  de  les  faire 
valoir,  s'est  contenté  de  les  enfouir.  Ainsi 
le  litre  de  chrétien  et  de  vrai  chrétien,  et 
encore  plus  celui  de  nlic^ieuse,  d'épouse  de 
Jésus-Christ ,  dit  nécesja  renient  deux  cho- 
ses :  éviter  le  mal  et  faire  le  bien  :  Déclina 
a  malo  et  fac  bonum  [Psal.  XXXVI,  27)  ;  s'ab- 
stenir du  péché  et  pratiquer  la  vertu.  Or, 
Mesdames,  dans  l'idée  du  christianisme,  et 
selon  les  principes  de  l'Evangile  ,  pratiquer 
la  vertu  c'est  s'acquitter  hdèlement  de  ses 
devoirs  et  de  tous  ses  devoirs  ;  mais  pour 
nous  en  acquitter  avec  fidélité  de  ces  de- 
voirs, il  faut  d'abord  les  connaître ,  et  dési- 
rer môme  bien  sincèrement  do  les  connaî- 
tre :  il  faut,  après  les  avoir  connus,  être 
aussi  sincèrement  disposés  à  les  pratiquer; 
et  voil^  le  double  avantage  que  nous  pro- 
cure encore  l'exercice  de  la  présence  do 
Dieu  :  il  nous  fait  connaître  le  bien  et  il 
nous  le  fait  pratiquer;  il  nous  conduit  h  la 
connaissance  de  nos  devoirs;  il  nous  excite 
à  raccomplissemenl  de  nos  devoirs.  Encore 
quelques  , moments  de  votre  attention  ,  je 
vous  prie. 

I.  Je  (lis  en  premier  lieu  que  rexercici-  de 
la  présence  de  Dieu  nous  conduit  à  la  con- 
naissance de  nos  devoirs.  Je  vous  donnerai, 
nous  dit  le  Seigneur  dans  les  divines  Ecri- 
tures, je  vous  donnerai  l'intelligence  né- 
cessaire pour  comprendre  mes  volontés,  et 
ce  que  vous  devez  faire  pour  moi  :  je  vous 
enseignerai  la  voie  dans  laquelle  vous  devez 
marcher  pour  me  plaire  :  Inlellectum  libi 
dabo  et  instruam  te  in  via  hac  qua  gradieris- 
{Puai.  XXXI,  8.)  Mais,  Seigneur,  permettez- 
moi  de  vous  le  demander;  que ferez^-vous  pour 
cela?  Par  quels  moyens  me  donnerez-vous 
cette  connaissance  si  nécessaire  et  si  avan- 
tageuse [lourmoi?  M'enverrez-vous  quel- 
qu'un de  vos  esprits  célestes,  ou  un  de  vos 
prophètes  pour  m'intimer  vos  ordres  ?  Non  , 
je  ne  ferai  que  hxer  mes  yeux  sur  vous,  je 
me  rendrai  présent  à  votro  esprit;  et  par-là 
je  vous  rendrai  vous-même  occupé  de  ma 
présence,  et  par  conséquent  occupé  de  vos 
devoirs  :  Firmabo  super  te  oculos  meos 
[Ibid,),  moyen  srlr  et  facile  de  nous  raj)|)eler 
bientôt  tout  ce  qui  est  dii  à  cet  Etre  tout- 
))uissant ,  de  qui  nous  tenons  tuul ,  et  à  qui 
par  conséquent  nous  devons  tout  raj)porter  ; 
moyen  ({n'employait  e;i  etfel  le  Roi-Propiiète 
une  fois  revenu  à  son  Dieu  {)Our  se  tenir  fi- 
dèle aux  proiuesses  qu'il    lui   avait  laJle> 


589 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  -  HUITIEME  JOUR. 


S{>9 


d'observer  oxaclemeiil  le  rcsie  de  ses  jours 
sa  saillie  loi;   il  letiail  sans  cesse  les   yeux 
tournés  vers  lui  :  Ociili  wfi  scmper  ad  Do- 
minum.  [Psal.  XXn.lo.)  Sans  cesse  il  avait 
présent  à  son  esprit  ce  Dieu  qui  voit  tout  : 
Providebam  Dominum  in  conspeclu  meo  scm- 
per {Psal.  XV,  8);   et    voilà   ce   que  nous 
é(irouverons  nous-mêmes,  si  nous  voulons 
nous  rendre  familier  ce  sain!  exercice.  Hé- 
hisl  nous  envions   quelquefois  le  sort  des 
apôtres  et  des  disciples  de  Jésus-Christ  qui 
toujours  dans  la  compagnie  du   divin  Maî- 
tre étaient  à  portée  d'entendre  souvent  ses 
salutaires  instructions.  Il  nous  semble  encore 
que  si  nous  eussions  vécu  du  temps  de  ces 
saints  et  illustres  personnages  dont  on  nous 
lait  quelquefois  de  si  raagnifujues  éloges, 
nous  n'eussions  pas  manqué  de  profiter  de 
leur  zèle  et  de   recourir  à  leurs  lumières 
|)Our  apprendre  à  travailler  comme  eux  ef- 
licaceniont  à  notre  salut.  Ah  1   Mesdames, 
le  plus  souvent  nous  sommes  nous-mêmes 
(Je  concert  avec  l'esprit  tentateur  pour  nous 
laire  illusion  ;  outre  que  nous  ne  manque- 
rons jamais  d'Ananies  pour   connaître   les 
volontés   du  Seigneur  sur   nous  lorsque  , 
comme  Saul ,  nous  serons  sincèrement  dis- 
})osés   à^  nous  en   instruire ,    nous    avons 
sans  cesse  notre  Dieu  avec  nous;  pensons 
(ju'il  est  là  présent  et  qu'il  nous  voit  :  moyen 
facile  pour  nous  rappeler  promptemenl  ce 
que  nous  lui  devons.  Oui ,  Mesdames ,  nous 
nous  trouvons  quelquefois  dans  des  cir- 
constances  délicates   oili  notre    penchant, 
notre  intérêt  se  trouve  en  compromis,  pour 
ainsi    dire  avec   notre   conscience  :   nous 
voudrions   nous   satisfaire,  mais  nous  ne 
voudrions  pas  offenser  le  Seigneur  ;  le  ie- 
rail-il  ?  Voilà    le  doute  dans  lequel  nous 
sommes  quelquefois  et  avec  lequel  nous  ne 
pouvons  passer  outre,  sans  1  offenser  en 
ellel.  Or,  je  dis  que  si  nous  pensions  alors 
que  Dieu   nous  voit  pour  nous  punir  ou 
pour   nous    lécompenser,    communément 
parlant  nous  ne  serions   pas  longtem{)s  à 
voir  ce  qui  est  le  plus  conforme  à   la  vo- 
lonté et   à   la  disposition  de  la  loi  :  je  dis 
communément    parlant,    car  je  sais  bien 
qu'il  peut  y  avoir  des  doutes  qui  sufiposent 
l'ignorance  de  quelques  principes  de  mo- 
rale que  tout  particulier  n'est  pas  absolu - 
iijeni  oliligé  de  savoir  et  qui  exigent  par 
conséquent  qu'on  recoure  à  des  lumières 
supérieures;  mais  j'ose  avancer  que  dans 
une  infinité  de  circonstances,  ce  seul  sou- 
venir d'un  Dieu  présent  est  ca[>able  de  ré- 
I  andre    tout  à  coujidans   res])ril  assez  de 
lumières   pour   faire  afipercevoir  ce   qu'il 
convient  de  faire  ou  d'éviter,  en  sorte  que 
celte   [)résence    de    Dieu    est  comme   les 
rayons  du  soleil  qui,  en   éclairant  le  lieu 
jta-r  lequel  ils  passent ,   loiil  découvrir  une 
inOnité  d'objets  qui  sans'eux  échapperaient 
à  la  vue,  ou    comme    une  glace  de  miroir 
quii  fait  apercevoir  des   taches  qu'on    tût 
ignorées  sans  elle.  Voilà  ,  Mesdames,  pour 
vous  rendre  par    une  autre    comparaison 
celte  vérité  plus  sensible  encore,   vyilà  ce 
qui  se  pasoe  dans  le  monde  et  dans  le  grand 


monde  surtout.  Qu'un  sujet  se  présente 
devant  le  souverain,  non-seulement  il  évite 
avec  soin  tout  ce  qui  pourrait  blesser  ses 
regards  et  lui  déplaire;  mais  cette  seule 
pensée  qu'il  est  en  la  présence  de  son 
prince  va  jusqu'à  lui  rappeler  tout  ce  qu'il 
doit  faire  pour  lui  plaire  et  pour  prévenir 
jusqu'à  ses  désirs. 

II.  Mais  non-seulement   l'exercice  de  la 
présence  de  Dieu  a  la  vertu  d'éclairer  notre 
esprit  sur  nos   devoirs  et   sur  tous  nos  de- 
voirs,  mais   il  a  encore   celle  d'échauffer 
notre  cœur,  d'exciter  notre  volonté,  do  dis- 
siper sa  langueur,  son  indolence,  de  l'ani- 
mer   elTicacement  à  accomplir  ces  devoirs 
qu'il    lui  fait    connaître  et  à   les  accomplir 
tout  à  la  fois  pleinement,  facilement  et  par- 
faitement.  Je  dis    (deinement  c'est-à-dire. 
Mesdames,  que  quand  nous  penserons  que 
Dieu  a  sans  cesse  les  yeux  fixés  sur  nous, 
nous  ne  nous  bornerons  point  à  quelques- 
uns  de  nos  devoirs  pour  en   négliger  d'au- 
tresquelquefois  aussi  essentiels;  convaincus 
de  celle  grande  vérité  que  Dieu  n'est  témoin 
de  toutes  nos  démarches  que  pour  nous  en 
punir   ou  nous  en    récompenser  un  jour, 
nous  nous  appliquerons  également  et  à  évi- 
ter tout  ce  que  la  loi  sainte  nous  défend, 
et  à  pratiquer  tout  ce  qu'elle  nous  ordonne; 
persuadés  de  plus  que  non-seulemenl  Dieu 
voit  l'extérieur  de  nos  œuvres,  mais  qu'il 
pénètre  également  jusqu'au  fond  de  notre 
âme,  qu'il  en  voit  clairement  les  pensées 
et  les  désirs,  nous  ne  bornerons  point  notre 
fidélité   à  son    égard  à  régler  nos  œuvres, 
à  ne  rien  faire  à  l'extérieur  qui  puisse  l'of- 
fenser, mais   nous  veillerons  encore  scru- 
puleusement et   sur  toutes  les  pensées  de 
noire  esprit,  et  sur  tous  les  mouvements  et 
toutes  les  affections  de  notre  cœur;  nous 
j)rendrons  garde  qu'il  n'y  ait  rien  et  hors 
de  nous  et  au-deda'ns  de  nous  qui  ne  soit 
dans  l'ordre  et  agréable  aux  yeux  de  Dieu  ; 
el  voilà  en  effet  ce  qui  rendait  le  saint  Koi- 
Pro[)hèle  si  exact  à  accomplir  les  comman- 
aemenls  et  tous  les  commandemenls  du  Sei- 
gneur;  c'est,  comme  il  le  dit  lui-même, 
qu'il    savait  et  qu'il  se   rapf)elait  souvent 
que  son  Dieu  l'observait  sans  cesse,  el  que 
toutes  ses   voies  étaient  toujours  présentes 
à  ses  yeux  :  Servavi  mandata  tua,  quia  om- 
nesviœ  mece  in  conspeclu  tuo.{PsaL  CXVllI, 
168.) 

J'ai  dit  que  l'exercice  de  la  présence  de 
Dieu  nous  fait  accomplir  nos  devoirs  faci- 
ment.  Ah  !  Mesdames,  lors(jue  nous  nous 
sentons  sollicités  intérieurement  par  la 
glace  d'être  plus  fidèles  à  notre  Dieu,  con- 
venons-en ici  de  bonne  loi,  iious  nous  ex- 
cusons sur  noire  faiblesse  el  sur  les  cir- 
conslances  dans  lesquelles  nous  nous  trou- 
vons; nous  prétendons  trouver  dans  la  loi 
même  do  noire  Dieu  el  dans  les  devoirs 
qu'elle  nous  prescrit,  des  difficultés,  des 
ira|)Ossibililés  qui  nous  arrêtent;  or  pour 
j)Our  nous  guéiir  d'une  illusion  qui  ne  peut 
que  nous  entieteuir  dans  l'inaciioM  et  nous 
conduire  par  là  à  une  |)erte  éternelle,  lo 
moyen   de   nous   bien  convaincre  de  celle 


501 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOMIS. 


502 


vérité  qu'a  prononcée  le  Fils  de  Dieu  lui- 
môme  que  son  joug  est  doux  ot  son  far- 
deau léger,  c'est  de  nous  familiariser  jiour 
ainsi  diift  avec  la  présence  de  Dieu.  Pour- 
rions-nous en  effet  être  convaincus  que  ce 
Dieu  lout-[)uisS'nnt  qui  ne  nous  a  n)is  sur 
la  terre  que  [jour  le  servir  et  nous  procurer 
par  là  une  récompense  éternelle,  a  sans  cesse 
les  yeux  fixés  sur  nous  et  ne  pas  nous  en- 
courager à  son  service.  Eh  !  que  dis-jc,  ne 
pas  trouver  doux,  aimable,  facile  tout  ce 
qu'il  exige  de  nous  pour  lui  plaire  et  pour 
mériter  cette  récoiii|)ense  infinie  qu'il  nous 
offre  ?  Ah  !  un  soldait  qui  combat  et  qui  sait 
qu'il  combat  en  |irés<!iice  et  sous  les  yeux 
de  son  général  ou  de  son  prince,  avec  quelle 
ardeuril  agit  I  avec  quelle  aisance  il  affronte 
les  plus  grands  dangers  I  avec  quelle  inlré- 
pidiléil  surraonle  les  plus  grands  obstacles. 
Hélas  1  Mesdames,  ces  services,  quelque 
importants  qu'on  les  suppose,  s'ils  ne  peu- 
vent être  ignorés  de  ceux  de  qui  il  a  droit 
d'en  attendre  la  réconq)ense,  ils  peuvent 
cire  oubliés  du  moins  et  ils  le  sont  sou- 
vent en  effet;  mais  ce  qui  doit  nous  encou- 
rager et  nous  soutenir  dans  le  service  de 
Dieu,  c'est  que  s"ila  sans  cesse  les  yeux 
fixés  sur  nous,  il  n'oubliera  point  et  qu'il 
ne  peut  même  oublier  elne  pas  reconnaître 
tout  ce  que  nous  faisons  pour  lui,  motif 
bien  puissant.  Il  soutint  autrefois  un  géné- 
ral du  peuple  de  Dieu  ;  le  brave  Judas  >ia- 
chabée  se  trouvant  avec  un  petit  nombre  de 
soldats  vis-à-vis  une  armée  nombreuse, 
s'appliqua  à  les  convaincre  de  cette  pré- 
sencede  leur  Dieu  dont  il  était  si  convaincu 
lui-même,  et  aussitôt  soutenus  et  consolés 
j)ar  celte  sainte  pensée,  dit  le  texte  sacré  : 
Prœsentia  Dei  deleclati  {\l  Mach.,  XV,  27j, 
ils  attaquent  courageuscmeni  le  général  Ni- 
canor,  et  malgré  sa  grande  supériorité,  ils 
le  défont,  le  tuent  et  mettent  eu  fuite  son 
armée  entière.  Et  voilà.  Mesdames,  ce  qui  a 
soutenu  autrefois  tant  de  saints  martyrs  au 
milieu  des  plus  affreux  tourments  ;  si  tous 
n'ont  pas  vu  réellement,  comme  saiiii 
Etienne,  les  cieux  ouverts  et  Jésus-Christ 
dans  sa  gloire,  tous  l'ont  vu  des  yeux  de 
la  foi  ;  voilà  ce  qui  les  faisait  souffrir,  je  ne 
dirai  pas  seulement  avec  courage  et  patience, 
mais  encore  avec  joie  et  avec  des  consola- 
tions qui  étonnaient  également  et  les  mi- 
nistres et  les  s[)ectateurs  de  leurs  sufjplices. 
Voilà  ce  qui  a  soutenu  et  ce  qui  soutient 
encore  tant  de  justes  au  milieu  des  croix 
par  lesquelles  le  Seigneur  les  éprouve  ;  celle 
seule  j)ensée  que  Dieu  les  voit  leur  rend 
facile,  agréable  môme  tout  ce  qu'ils  ont  à 
souflrir  [)Our  lui.  Voilà  ce  qui  a  soutenu  et 
ce  qui  en  soutient  d'autres  dans  les  di- 
verses tentations  (lue  leur  livrent  les  en- 
nemis de  leur  salut;  ils  savent,  comme  le 
dit  saint  Ephrem,  que  non-seulement  ils 
ont  les  anges  pour  témoins  mais  encore  le 
Dieu  des  anges  lui-même  pour  spectateur 
dans  leurs  combats  :  voilà  ce  qui  les  rend 
fermes  et  intré[)ides  ;  assurés  aussi  bien  que 
le  Roi-Prophète  qu'ayant  leur  Dieu  à  leur 
côté  ils  ne.peuvenl  être  vaincus,  ils  se  mon- 


trent inébranlables.  Voilà  enfin  ce  qui  fait 
marcher  tant  de  justes,  ce  n'est  point  dire 
encore  assez  :  vo.là  ce  qui  les  fait  courir 
dans  la  voie  et  des  commandements  et  des 
conseils  du  Seigneur;  car  cet  exercice  de 
la  présence  de  Dieu  fait  qu'on  s'acquitte 
de  ses  devoirs  non-seulement  pleinement  et 
facilement,  mais  encore  parfaitement. 

Je  veux  dire.  Mesdames,  pour  ra'exprimer 
d'après  un  des  prélats  des  plus  éclairés  et  tout 
à  la  fois  des  plus  pieux  du  siècle  dernier, 
que  cet  exercice  de  la  présence  de  Dieu  est 
le  vrai  ressort  de  la  perfection.  Marchez  en 
ma  présence,  dit  autrefois  le  Seigneur  au  pa- 
triarche Abraham,  marchez  en  ma  présence 
el  soyez  parfait:  «  Ambula  coram  me  cl  eslo 
perfeclus.  »  (Gc«.,  XVII,  1.)  Prenez  garde, 
s'il  vous  plaîl  ;  le  Seigneur,  ne  dit  pas  à  ce 
père  des  croyants:  Marchez  en  ma  présence 
el  vous  deviendrez  parfait,  mais  dès  lors 
vous  ,  êtes  i  parfait,  pourj,  nous  faire  en- 
tendre que  si  l'on  ne  peut  êire  parfait  sans 
l'exercice  de  la  [irésence  de  Dieu,  l'on  i)ar- 
vieiit  aussi  à  cet  état  de  perfection,  dès 
qu'on  est  dans  l'exercice  de  la  présence  de 
Dieu.  Au^si  les  divines  Eciitures,  lors;]u'elles 
nous  parlent  d'un  Al)el,  d'un  Abraham, d'un 
Noé,  de  ces  saints  de  l'Ancien  Testament  , 
elles  |)araissent  borner  leur  éloge  à  ce  seul 
trait,  qu'il  a  marché  toute  sa  vie  en  la  pvé- 
sencc  de  Dieu  :  Ambidavit  coram  Deo ;  et 
tous  les  jours  encore,  lorsque  nous  voulons 
louer  quelqu'un  de  ces  saints  qui  se  sont 
sanctifiés ,  soil  au  milieu  du  monde,  soit 
dans  le  secret  de  la  solitude,  nous  ne  croyons 
pas  pouvoir  mieux  prouver  le  sublime  do 
ses  verlus  et  de  sa  sainteté  qu'en  disant 
qu'il  s'était  fait  une  heureuse  habitude  de 
penser  toujours  à  Dieu,  qu'au  milieu  des 
occupations  quelquefois  les  plus  distrayan- 
tes, il  ne  perdit  jamais  la  présence  de  Dieu. 

Et  en  eifel,  el  ceci  parait  vous  regarder 
plus  spécialement,  vierges  ctiréliennes,  qui, 
en  qualité  d'épouses  de  Jésus-Christ,  vous 
tiouvez  dans  une  obligation  plus  étroite  que 
le  commun  des  chrétiens,  de  tendre  sans 
cesse  à  la  jjcrfection  ;  qu'est-ce  que  celte 
perfection  en  elle-même?  C'est  d'agir  en 
tout  })ar  les  vues  les  plus  pures  et  les  plus 
relevées,  c'est  entretenir  avec  son  Dieu  la 
liaison  la  plus  intime,  l'union  la  |)lus  étroi- 
te jiar  une  foi  vive,  par  une  charité  ardente, 
par  une  conformité  entière  de  pensées,  de 
senliments  et  de  désirs  avec  son  Dieu  ;  c'est 
ne  [)lus  voir  et  ne  plus  vouloir,  en  tout, 
que  son  Dieu  ;  c'est  être  dans  une  dispro- 
l)ortion  totale  de  soi-même,  c'est  mourir  et 
mourir  continuellement  à  soi-même  pour 
ne  vivre  qu'à  son  Dieu  el  pour  son  Dieu; 
la  perfection  en  un  mol  el  la  vraie  perfeclion, 
c'est  l'amour  el  l'amorir  parfait,  le  [lur 
amour:  or  un  moyen  bien  i^ropre  à  mettre 
dans  cet  heureux  et  sublime  état  qui  ne 
peut  être  bien  connu  que  de  ceux  et  de 
celles  qui  en  jouissent,  c'est  de  marcher 
sans  cesse  en  la  prései,ce  de  Dieu,  c'est  de 
se  bien  convaincre  de  cette  vérité  que  Dieu 
nous  voit.  Voilà  en  effet  ce  qui  snutinl 
Wiiysc  dans  une  tcnlalion  des  plus  délicates; 


S93 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  HUITIEME  JOUR. 


394 


se  représentant  des  yeux  de  la  foi,  comme 
présenta  lui, ce  Dieu  invisible  qu'il  adorait, 
]l  ne  balança  point  h  préférer  de  soufTriravec 
ses  frères,  plutôt  que  de  jouir  dans  le  pa- 
lais de  Pharaon,  d'une  vie  heureuse  et 
tranquille.  Voilà  ,  malgré  la  corru[)lion  de  I 
noire  siècle,  voilà  ce  qui  fait  marcher,  di- 
sons môme,  voilà  ce  qui  fait  courir,  voler 
tant  de  saints  de  l'un  et  de  l'autre  sexe, 
non-seulement  dans  la  voie  des  commande- 
ments du  Seigneur,  mais  encore  dans  celle 
(le  ses  conseils.  Ali  !  quand  on  est  bien  con- 
vaincu de  celle  vérité,  on  se  fait  alors  com- 
me un  oratoire  au  fond  de  son  cœur,  et  là 
on  se  plaîlà  y  voir  Dieu,  à  !ui  rendre  tous  les 
hommages  d'adoraiion,  de  respect  de  soumis- 
sion el  d'amour,  dont  onestca[)able;  non-seu- 
lement on  s'abstient  alors  de  tout  ce  qui 
pourrait  otTenser  ce  Dieu  aimable  et  lui  dé- 
jilaire,  mais  on  s'applique  de  plus  à  si  bien 
régler  el  «on  intérieur  et  son  extérieur, 
qu'il  n'y  ait  rien  qui  ne  soit  conforme  à  ses 
désirs.  On  ne  se  borne  point  alors  au  bien 
qui  est  de  précefile,  on  cherche  à  faire  lo 
meilleur  el  le  plus  parfait  qui  n'est  que  de 
conseil.  DaTis  tout  ce  que  l'on  entreprend, 
bien  loin  de  se  rechercher  soi-même ,  on 
s'applique  à  si  bien  purifier  ses  intentions, 
que  tout  soit  fait  uni(|uemenl  pour  la  gloire 
de  ce  Dieu  qui  voit  loul.  Dès  lors  plus  de 
goût,  plus  d  allachemenl  pour  les  créatures; 
comme  on  ne  voit  plus  que  Dieu  en  elles, 
on  ne  peut  plus  les  aimer  que  pour  Dieu  et 
dans  Dieu;  toutes  les  pensées  de  l'esprit, 
tous  les  désirs  du  cœur,  tous  les  mouve- 
ments de  la  volonié  se  portent  alors  natu- 
rellement vers  Dieu  ;  comme  le  Roi-Pro- 
phète, on  peut  prolester  que  dans  le  ciel  et 
sur  la  terre,  il  n'y  a  rien  qu'on  puisse  dé- 
sirer si  ce  n'est  Dieu  :  Quid  mihi  est  in  cœlo 
et  a  ie  quid  volui  super  lerram?  [Psal. 
LXXII,  25. j  Comme  Tajiôlre  saint  Paul,  on 
ose  défier  les  puissances  du  ciel,  de  la  terre 
el  (le  l'enfer,  de  faire  même  oublier  ce  Dieu 
inliniment  aimable,  qui  occupe  également 
l'esprit  el  le  cœur.  Oui ,  celte  seule  pensée, 
Dieu  me  voit,  me  rend  loui  h  coupS(jumis 
el  docile  à  (oui  ce  que  Ditu  peut  ordonner 
ou  permellie  à  mon  égard;  Dieu  me  voit, 
et  dès  lors,  élévation  ou  abaissement,  ri- 
rhesses  ou  pauvreté,  eslime  ou  mépris, 
santé  ou  maladie,  satisfactions  ou  dégoûts, 
consolallons  ou  sécheresses,  croix, souffran- 
ces, délaissements,  persécution,  crucifiement 
tout  m'est  égal  ;Dieu  me  voit  :  ah  I  dès  lors,  si 
j)Our  sa  gloire  il  faut  abandonner  patrie, 
parents,  biens,  amis  ;  s'il  faut  traverser  de 
vastes  mers,  courir  d'une  extrémité  du 
monde  à  l'aiitre  ,  rien  ne  me  coûtera  ;  la 
chair  et  le  sang  ne  pourront  rien  sur  moi  :  eh  ! 
qu'importe  après  tout  où  je  sois  placé  sur 
la  terre,  pourvu  que  mon  Dieu  soit  à  mes 
côtés,  pourvu  qu'il  ne  me  perdejamais  de 
vue  et  que  moi-même  j'aie  toujours  les 
yeux  fixés  sur  lui  ?  De  là  cette  paix  du  cœur, 
ce  calme  intérieur  au  milieu  des  peines  et 
des  croix  inséparables  de  cette  vie  mortel- 
le. Ainsi,  celle  pensée  de  la  présence  de 
Dieu,  sujet  de  désespoir  pour  les  pécheurs, 

OBATCliUS    SACRÉS.    LW'lll. 


est  non-seulement  pour  les  justes  le  princi- 
pe de  leur  perfection  et  de  leur  sainteté  el 
parla  celui  de  leur  félicité  dans  l'auire  vie, 
mais  elle  devient  encore,  dès  celle-ci  la 
source  de  leur  bonheur  et  de  leur  tranquil- 
"ité.  Vous  ne  pouvez  en  disconvenir,  vier 
ges  de  Jésus-Christ  qui  m'écoulez,  mai* 
peut-être  regardez-vous  ce  saint  exercice 
comme  trop  sublime  et  trof)  difficile.  Ah  1 
si  cela  est,  vous  vous  trompez;  c'est  d'une 
vérité  pratique  que  j'ai  prétendu  vous  en- 
tretenir ici  ;  à  la  vérité,  il  s'en  trouve  sur- 
tout dans  la  religion,  qui,  après  s'être  en- 
tièrement détachées  des  créatures  et  d'elles- 
mêmes,  ont  acquise  une  heureuse  habitu- 
de de  penser  toujours  à  leur  Dieu,  de  ne 
perdre  jamais  leur  Dieu  de  vue  ;  mais  c'est 
là  un  don  particulier  du  ciel ,  une  de  ces 
grâces  extraordinaires  que  Dieu  leur  accor- 
de en  récompense  des  grands  sacrifices 
qu'elles  lui  ont  faits  et  de  la  parfaite  fidé- 
lité qu'elles  lui  monlrent,  mais  qui  n'est 
point  absolument  essentiel  à  cet  exercice, 
il  en  est  d'autres  qui  se  représentent  Dieu 
comme  une  lumière  qui  les  pénètre  ou 
comme  une  mer  qui  les  environne,  ou  qui, 
avec  les  mômes  secours  de  l'imaginaliou 
se  rei)résenlenl  la  [)ersonno  sacrée  de  Jésus- 
Christ  toujours  à  leur  côté.  Ces  exercices 
sont  bons  et  louables  sans  doule;  car  de 
prétendre  qu'il  puisse  y  avoir  sur  la  terre 
un  élat  de  foi,  d'adoraiion  sublime,  de  pur 
amour  oiî  l'âme  n'admette,  oii  elle  doive 
même  rejeter  les  objets  sensibles  et  jusqu'à 
l'adorable  humanité  du  Dieu  Sauveur;  c'est 
une  doctrine  des  faux  mystiques  que  l'Egli- 
se a  justement  proscrite  :  mais  si  ces  exerci- 
ces sont  bons  en  eux-mêmes,  ils  ne^sont 
point  cependant  nécessaires  ,  on  ne  doit 
même  en  user  qu'avec  modération;  trop  d'ef- 
forts d'imagination  pourraient  nuire  égale- 
ment à  l'esprit  et  au  cor{)s.  En  quoi  donc, 
l'exercice  de  la  présence  de  Dieu  peul-il 
être  facile  et  à  la  portée  de  tous?  Le  voici. 
Mesdames,  c'est  de  faire  de  temps  en  temps 
des  actes  de  foi ,  sur  la  présence  de  Dieu 
el  sur  son  immensité  ;  c'est  en  consé- 
quence de  cotte  foi ,  de  former,  envers  ce 
Dieu  présent  ,  des  actes  d'adoraiion  et 
d'amour;  c'est  lorsque  nous  rencontrons 
du  beau  et  du  parfait,  dans  ce  monde  ,  de 
nous  élever  aussitôt  jusqu'à  notre  Dieu,  de 
passer  rapidement,  comme  le  faisait  saint 
Augustin,  de  l'admiration  des  créatures  à 
celle  du  Créateur,  infiniment  plus  beau  el 
plus  f)arfait  lui-même.  C'est  lorsque  ce  Bieu 
de  bonlé  nous  fait  sentir  sa  présence,  d'une 
façon  [dus  marquée,  par  quelques  bienlals 
ou  même  par  des  aflliclions  et  par  des  croix, 
de  nous  tourner  aussitôt  vers  lui,  d'adorer 
el  d'aimer  sa  |)rovidence  à  notre  égard,  de 
nous  mettre  en  sa  sainte  présence,  dans 
une  disposition  de  cœur  conforme  à  notre 
situation  et  à  ses  désirs  ;  c'est  enfin  que,  si 
nos  occuiialions  et  encore  plus  peut-être,  la 
légèreté  de  notre  esprit,  noire  dissipation 
naturelle  ne  nous  permettent  pas  u'e  nous 
occuper  continuellement  do  notre  Dieu,  d'y 
fcnscr  ou  moins,  de   temps  on  temps,  de 

>^  13 


593 


ORATEURS  SACRES.  L'ADRE  DE  xMONTlS. 


396 


faire  plusieurs  fois  dnns  le  jour,  liommage 
à  ce  Dieu  si  bon,  qui  ne  reste  avec  nous, 
présent  à  nous,  que  pour  nous  conserver  et 
nous  faire  du  bien  ;  c'est  d'envier  au  moins 
l'état  de  ces  saints  qui,  libres  et  dégigés  de 
lout  objet  créé,  passent  leurs  jours  dans  un 
recueillement  parfait,  sans  cesse  occupés 
de  la  présence  de  leur  Dieu. 

Ah  !  qu'heureuses  en  effet,  ù  mon  Dieu, 
sont  les  âmes,  en  cette  vie,  qui,  après  avoir 
tout  quitté  pour  vous,  ne  voient  plus  que 
vous,  dans  la  sainte  retraite  à  laquelle  vous 
les  avez  appelées  I  Heureuses  les  ûmes  que 
tous  les  objets  créés  ne  peuvent  plus  dis- 
traire, qui,  lout  occupées  de  vous,  vivent 
«lans  une  union  parfaite  et  constante  avec 
vous  !  Appelée,  [)ar  votre  sainte  gr5c  ',  à  cet 
étal  de  retraite,  do  séparation  du  monde, 
laites  également,  ô  mon  Dieu,  que  je  sois 
du  nouibi'e  de  ces  âmes  vraime)il  parfaites, 
vraiment  saintes,  afin  qu'après  avoir  mis 
comme  elles  tout  mon  bonheur  sur  la  terre 
h  vous  voir  des  yeux  de  la  foi,  par  ré- 
flexion et  en  énigme,  comme  le  dit  l'AfJÔlre 
(I  Cor.,  Xlil,  12),  je  puisse  un  jour,  et  pour 
toujours,  mettre  avec  elles  et  avec  tous  les 
t.ainls,  toute  ma  félicité  à  vous  voir,  dans 
le  ciel,  face  h  face  et  tel  que  vous  êtes  en 
\0us-même.  Ainsi  soit-il. 

HUiTlEME  JOUR. 

Troisième  discotirs. 

SUR  LES  FKllTS  DE  LA  RETRAITK. 

Quid  rclribuam  Lomino,  pro  omnibus  quas  relribuil 
niilii-'  [Psal..  i;XV,l-2.) 

Que  rcndrai-je  au  Seigneur  vour  tous  les  biens  qu'il 
tit'u  laili'/ 

Tels  furent,- Mesdames,  les  sentiments  de 
David  à  la  vue  de  tout  ce  que  son  Dieu 
avait  daigné  faire  pour  lui;  s'il  fut  un  temps 
où  il  parut  oublier  ce  qu'il  lui  devait,  en  se 
livrant  au  jiéché,  en  demeurant  même  tran- 
quillement dans  le  malheureux  état  du  i)é- 
ché,  revenu  tout  à  coup  h  lui  après  les  re- 
proches que  lui  lit  un  prophète  de  la  part 
du  Seigneur,  pénétré  de  douleur  et  de  re- 
gret d'avoir  tenu  envers  S(jn  Dieu  une  con- 
duite aussi  criminellH,  il  s'humilia  en  sa 
présence,  il  recoiuiut  hautement  (|u'il  avait 
péché  et  grièvement  péché  :  l'eccoti  (11  Reg  , 
XU,  13),  et  p.ar  la  sincérité  et  la  vivacité 
de  son  repentir,  il  mérita  d'apfirendre  de  la 
bouche  de  ce  môuie  prophète  que  le  Sei- 
gneur ,  louché  de  la  conversion  de  son 
cœur,  lui  avait  pardonné  ses  pédiés  ;  plein 
d'admiration  à  la  vue  des  grandes  miséri- 
cordes du  Seigneur  à  son  égard,  il  ne  les 
oublia  jamais,  et  désira  le  leste  de  ses 
jours  pouvoir  lui  donnei'  des  témoignages 
de  la  plus  vive  reconnaissance  :  Quid  retri- 
bunm  Domino  pro  omnibus  quœ  rtlribuit 
mihi? 

Moins  coupables  à  la  vérité,  Mesdames, 
aux  _veux  de  voire  Dieu  ,  que  le  Uoi-Pro- 
phùle.il  n'en  est  cependant  aucune  de  vous 
qui  ne  l'ait  oOensé  et  qui  n'ait  à  se  repro- 
cher, môme  depuis  qu'elle  s'est  consacrée 
h  lui  dans  le  saint  état  de  la  religion  bien 
des  iaules,  grand  nuubre  d'inlid^'iltés ,  lié- 


las  !  peut-être  mémo,  comme  David,  aviez- 
vous  vécu  jusqu'ici  dans  une  es|)èce  de  sé- 
curité, dans  une  aveugle  tranquillité  sur 
-toutes  ces  fan  les,  sur  tant  d'infidélités.  Mais 
entin  le  Seigneur  a  permis  qu'un  de  ses 
ministres  soit  venu  vous  ouvrir  les  yeux 
et  vous  faire  connaître  cl  tout  ce  que  vous 
avez  été  et  tout  ce  que  vous  devriez  être, 
non-seulement  comme  chrétiennes,  comme 
disciples  de  Jésus-Cluist, mais  encore  comme 
épouses  de  ce  Dieu  Sauveur.  Revenues  à 
vous-mêmes,  également  frappées  et  des  im- 
portantes vérités  du  salut  et  des  grandes 
obligations  de  votre  état  qu'on  vous  a  ex- 
posées par  ordre  et  en  détail  ,  vous  avez 
compris  le  danger  auquel  ,  par  vos  infidé- 
lités ,  vous  avez  exposé  votre  âme;  tou- 
chées intérieurement  par  la  grâce,  vous 
av{(z  pris,  tout  m'engage  à  le  su[)poser 
ici ,  vous  avez  pris  les  moyens  les  plus 
propies  pour  vous  réconcilier  parfaitement 
avec  le  Seigneur  cl  |)0ur  vous  conserver, 
le  reste  de  vos  jours,  dans  la  régularité, 
dans  la  ferveur  et  par  là  dans  sa  giâce  et 
dans  sonamitié,  A  la  vuede  ce  nouveau  bion- 
fiit,  de  cette  nouvelle  grâce  que  vous  a  faite 
votre  Dieu,  avez-vous  pu  et  pouvez-vous 
ne  pas  vous  écrier  souvent  comme  le  Roi- 
Prophète:  Que  rendrai-je  au  Seigneur  pour 
celle  nouvelle  grâce  qu'il  m'a  faile,  et  que 
l)oarrai-je  faire  pour  lui  en  témoigner  tmile 
ma  reconnaissance  ?  (?iu'(/  retribuam  Domi- 
no, pro  omnibus  quœ  relribuil  mihi  ?  C'es\, 
Mesdames,  pour  exciter  de  plus  en  plus 
dans  vos  cœurs  ces  sentiments  de  la  plus 
vive  reconnaissance  envers  votre  céleste 
lipoux ,  et  augmenter  encore  ces  désirs 
(l'attachement  et  de  fidélité  à  son  service 
que  vous  avez  conçus,  que  j'enire()rends, 
dans  ce  discours ,  le  dernier  qui  rae  reste  à 
vous  prononcer,  de  vous  rappeler  toutes  les 
grâces  qu'il  vous  a  faites  dans  ces  jours 
(jue  vous  venez  de  f)nsserdans  le  recueille- 
ment et  la  retraite,  et  de  vous  indi(]uer,  de 
plus,  la  conduile  que  vous  devez  tenir  dé- 
sormais pour  profiler  de  toutes  les  grâces 
que  vous  avez  reçues.  En  deux  mots,  tout 
ce  que  votre  Dieu  a  fait  pour  vous  pendant 
la  retraite,  ce  sera  le  suji  l  de  la  première 
partie  de  ce  discours.  Tout  ce  que  vous  de- 
vez faire  [our  votre  Dieu  après  la  retraiie» 
c'est  le  sujet  de  la  seconde  partie.  Hono- 
rez-moi comme  à  l'oidinaire,  je  vous  t"'ie, 
de  toute  votre  a  lien  lion.  Ave,  Maria. 

l'UEMlÈKE   PARTIE. 

A  juger  des  choses  dans  les  vues  et  selon 
les  régies  de  la  foi,  il  n'est  de  vrai  bien,  et 
vous  ne  devez  regarder,  vous  surtout.  Mes- 
dames, couune  de  vrais  biens,  comme  des 
avantages  réels  en  celte  vie  que  ceux  qui 
ont  rai»[)ort  à  votre  sanctification  et  qui 
|teuvenl  par  là  vous  conduire  au  ciel  au- 
quel vous  êtes  spécialement  destinées.  Cela 
étant,  je  dis  que  la  retraite  vous  a  procuré 
trois  avantages  considérables  [)ar  rap{)Or;  h 
votre  salut,  et  d'autant  ()lus  considérables 
tju'ils  sont  absolument  contraires  aux  elfels 
lunLSUîS  ([ue  produit  le  péché,  qui  seul  peut 


507 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  HUITIEME  JOUR. 


3i)» 


uiellrc  obstacle  au  salul.  Pour  bien  vous  en 
convaincra,  remarquez,  je  vous  prie,  avec 
moi  que  le  péché,  pour  peu  qu'il  subsiste 
dans  l'Ame  d'une  |)crsonne  chrélieune  el 
ei.core  plus  d'une  épouse  de  Jésus-Christ, 
aveugle  son  esprit,  qu'il  (^ndurcii  son  cœur 
el  qu'il  la  rend  par  là  l'ennemie  de  sou 
Dieu  ;  or,  je  trouve  que  la  retraite  a  produit 
heureusement  dans  vous,  Mesdames,  trois 
avantages  entièrement  opi)Osés  h  ces  mal- 
heureux effets  du  péché;  car  je  dis  qu'elle 
a  éclairé  votre  esprit ,  qu'elle  a  touché 
votre  cœur,  et  qu'eu  vous  engageant  par  \h 
h  purifier  votre  conscience,  elle  vous  a  par- 
faitement réconciliées  avec  votre  Dieu.  At- 
leution  à  tout  cela,  je  vous  prie. 

1.  Je  dis  donc  que  le  premier  effet  de  la 
retraite,  et  le  premier  avantage  qu'elle  vous 
a  procuré,  c'est  d'éclaircir  voire  esprit  : 
comment  cela?  Le  voici.  En  vous  donnant, 
par  rapport  au  grand  ouvrage  de  votre  per- 
fection et  de  votre  salut,  des  connaissances 
que  vous  n'aviez  pas,  et  de  plus,  en  per- 
leil'onnant,  sur  cet  important  objet,  les  lu- 
mières et  les  connaissances  que  vous  aviez. 
Je  dis  d'abord,  connaissances  que  vous 
n'aviez  pas;  combien,  en  effet,  de  nouvelles 
lumières,  cette  suite  de  vérités  les  [ilus 
importantes  que  vous  avez  entendues  tous 
ces  jours  et  que  vous  avez  méditées,  n'a- 
l-elle  pas  fait  entrer  dans  votre  ân)e?  Que 
de  réQoîions,  el  de  réilexions  solides  vous 
avez  faites,  el  que  vous  n'aviez  jamais 
faitesl  Que  de  saintes  vérités,  les  unes 
effiayanles ,  d'autres  consolantes  se  sont 
présentées  à  votre  esprit  et  s'y  sont  pré- 
sentées pour  la  première  fois  peut-ôire, 
depuis  que  tous  vous  êtes  consacrées  à  votre 
Dieu  dans  la  religion  !  Or,  cette  augmenta- 
tion sensible  de  lumières,  de  connaissan- 
ces, de  vérités  du  salut  est  déjà  un  grand 
bien  pour  vous;  votre  foi  par  là  a  pris  un 
nouvel  accroissement  el  bien  salutaire; 
c'est  présentement  un  grand  avantage  pour 
vous  de  penser  plus  chrétiennement  el 
plus  reli;Sieusemeni  que  vous  n'aviez  pensé 
jusqu'ici;  mais  ce  qui  est  un  plus  grand 
avantage  i)Our  vous  encore,  c'est  qu'outre 
les  nouvelles  connaissances  relatives  à 
votre  perfection  et  à  votre  salul  que  vous 
avez  puisées  dans  la  retraite,  elle  a  déplus 
perletlionné  celles  que  vous  aviez. 

Oui,  Mesdames,  à  la  vérité,  elje  dois  le 
dire  ici,  je  vous  dois  cette  justice;  vous 
connaissez  déjà  vos  obligations  et  de  chré- 
tiennes ei  de  religieuses.  Après  une  éduca- 
lioii  vraiment  chrétienne,  puisée  dans  la 
leiraite  peut-être,  et  dont  vous  aviez  heu- 
reusement conservé  le  fruit,  môme  au  mi- 
lieu du  monde;  appelées  dans  la  suite  par 
le  Seigneur  à  un  état  plus  saint  el  j)lus  par- 
lait que  ie  commun  des  chrétiens,  en  corrts- 
pu;;ddnl  aux  vues,  aux  desseins  de  votre 
Dieu  sur  vous,  en  suivant  votre  vocation; 
et  après  l'avoir  suivie,  l'on  vous  a  vues 
dans  le  lem.ns  de  vos  épreuves  5urtout , 
vous  instruire  vous-même  avec  soin  et  re- 
cevoir avec  docilité  toutes  les  instructions 
qu'où  vous  a  données,  sur  les  devoirs  atta- 


chés à  votre  vocation  :  m;iis  avec  tout  cela, 
vous  devez  en  convenir  ici  avec  moi, quelle 
force,  quelle  étendue  n'ont  |)as  procurées  h 
à  toutes  ces  instructions  chrétiennes  et  re- 
ligieuses, les  réflexions  nouvelles  et  sui- 
vies que  vous  avez  faites  pendant  votre  re- 
traite ?  Ainsi  l'on  vous  avait  bien  dit  que 
vous  deviez  travailler  conslanmKmt  et  clîi- 
cacemont  à  l'ouvrage  de  votre  |)erfection  et 
de  votre  salut,  que  c'était  votre  grande, 
votre  unique  affaire,  que  vous  n'étiez  sur 
la  terre  et  dans  la  religion  que  fiour  cela. 
L'on  vous  avait  bien  dil  qu'il  fallait  pour 
cela  éviter  le  péché, qu'un  seul  péché  mor- 
tel sufiisait  pour  vous  rendre  à  jamais  un 
objet  de  la  haine  et  de  la  colère  de  votre 
Dieu  ;  que  pour  léviier  ce  péché  mortel,  il 
fallait  craindre  et  éviter  jusqu'au  péché  vé- 
niel, jusqu'aux  fautes  les  [)lus  légères,  qui 
y  conduisent  insensiblement;  qu'il  n'éiait 
rien  de  plus  affreux,  que  de  joindre  la  morl 
avec  le  péché,  qu'on  tombait  alors  entre  les 
mains  d'un  juge  terrible,  qui,  après  avoir 
fait  rendre  un  compte  rigoureux  de  toute  la 
vie,  condamnait  une  personne  morte  dans 
le  péché  à  des  flammes  éternelles  ;  qne  l'u- 
nique moyen  d'éviter  ces  peines  élernclles 
et  de  se  procurer  au  contraire  le  bonheur 
des  élus,  c'était  d'expier  pendant  la  vie,  ses 
[léchés,  par  les  travaux  de  la  pénitence; 
oui,  l'on  vous  avait  bien  dit  tout  cela  ;  vous 
le  saviez  cent  et  cent  fois,  vous  l'aviez  en- 
tendu dire ,  et  vous  vous  l'étiez  dil  autant 
de  fois  à  vous-mêmes  :  mais  vous  le  saviez 
en  général,  et  de  la  pointe  de  l'esprit,  si  je 
puis  m'ex[)rimer  ainsi. 

Mais  dans  ces  jours  que  vous  venez  de 
passer  dans  la  retraite,  en  méditant  sérieu- 
sement sur  toutes  ces  grandes  vérités,  que 
de  pensées  nouvelles  vous  sont  venues  ! 
Que  do  réflexions  solides  vous  avez  faites 
el  que  vous  n'aviez  jamais  faites  1  Que  do 
conséquences  ira|)ortanles  vous  avez  ti- 
rées el  relatives  à  volr(!  état  ,  et  auxquel- 
les vous  n'aviez  jamais  pensé!  Ainsi  sur 
votre  salut,  vous  avez  appris  à  juger,  el 
mieux  que  jamais  de  son  excellence  et  de 
sa  nécessité,  et  par  le  cas  que  Dieu  lui-mê- 
me en  a  fait,  par  loulcequ'il  a  opéré,  pour 
vous  le  procurer,  et  par  les  maux  affreux  et 
inévitables  que  vous  vous  procureriez  en  le 
négligeant.  Ainsi  sur  le  })éché,  vous  avez 
vu  et  vous  avez  compris  clairement  que  ce 
n'est  passeulemenl  celui  qui  donne  la  mort 
à  I  âme,  qui  est  funeste  à  la  religieuse,  mais 
encore  le  péché  véniel,  par  l'injure  qu'elle 
fait  à  son  Dieu  el  les  uails  d'ingratitude 
dont  elle  se  rend  coupable  à  son  égard,  par 
les  grands  biens  dont  elle  se  prive,  et  par 
les  grands  maux  qu'elle  se  procure,jusqu'à 
se  mettre,  en  s'y  livrant,  en  danger  de  sa 
réprobation;  sur  la  mort  dans  le  péché, 
vous  avez  compris  l'état  de  douleur  et  do 
désesi)0ir  dans  lequel  se  trouve  une  épouse 
de  Jésus-Christ,  qui  meurt  dans  la  haine 
de  son  céleste  Époux,  et  par  la  vue  des  pé- 
chésqu'ellea  commis,  el  des  grâces  dont 
elle  a  abusé,  et  par  l'aljandon  général  des 
créatures,  cl  oar  l'étal  affreux  où  elle  va 


599 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


400 


se  trouver:  sur  le  jugement  dernier,  vous 
vous  ôles  transportées  en  esprit  au  tribunal 
du  souverain  Juge,  vous  avez  réfléGlii  mû- 
rement sur  le  compte  torriblo  qu'il  y  fera 
rendre  un  jour  h  une  épouse  intidèle,  et  do 
tout  le  mal  qu'elle  aura  fait,  et  de  lout  le 
bien  qu'elle  n'aura  pas  fait  ou  qu'elle  aura 
mal  fait  ;  vous  n'avez  pu  qu'être  elfrayées 
de  la  sentence  également  terrible,  juste  et 
irrévocable  qu'il  portera  contre  elle  en  la 
prétipitant  dans  l'enfer;  sur  cet  enfer, 
(juelssenlimenis  et  quel  elfroi  n'a  pas  excités 
dans  votre  cœur,  la  jjcnsée  des  maux  terri- 
bles que  fait  souffrir  à  une  âme  religieuse, 
un  feu  vengeur,  instruiuent  de  la  justice  et 
de  la  colère  de  son  Dieu,  et  la  pensée  sur- 
tout de  la  perte  et  de  la  perle  élernelle  de 
ce  Dieu,  qui  devait  iaire  lout  son  bonheur 
dans  l'élernilé?  Sur  la  pénitence,  vousavez 
compris  et  mieux  que  jamais,  combien  elle 
vous  élait  iiécessaire,  pour  obtenir  le  pardon 
de  vos  péchés  pour  les  expier  et  pour  les 
évitera  l'avenir;  mais  qu'il  fallait  pour  cela 
qu'elle  fut  sincère  celle  pénitence,  constan- 
te, universelle.  Voilà,  Mesdames,  les  gran- 
des et  sérieuses  réflexions,  ijuc  vous  a  fait 
faire  votre  relraile  sur  ces  vérités  imporlau- 
tesdu  salut, qui  vous  sont  couimunes  avec 
le  reste  des  chréliens  :  mais  elle  vous  a  pro- 
curé ce  mêmn  avantage  encore  sur  les  vé- 
rités et  les  obligations  qui  vous  sont  parli- 
culièreset  jiropres  à  votre  sainl  état.  A  la 
rérilé  ,  dejiuis  que  vous  avez  le  bonheur 
d'être  dans  la  religion,  bien  des  fois,  vous 
aviez  entendu  dire  et  vous  vous  éliez  dit  à 
vous-mêmes,  que  vous  n'y  étiez  enlrées 
que  pour  observer  la  règle  et  les  constilu- 
lions  de  l'institut  que  vous  avez  embrassé  ; 
que  vous  deviez  surtout  observer  vos  vœux, 
avec  la  |ilus  scru[)uleuse  attention,  et  vous 
acquitter  avec  exaclilude  de  tous  vos  exer- 
cices, et  surtout  de  l'oraison  et  de  l'oilice 
divin;  que  tout  ctjiisqu'à  vos  récréations 
tendait  à  vous  sanctitier;^  qu'il  fallait  sur- 
tout éviter  l'élal  de  liédeur  toujours  funeste 
à  une  âme  religieuse;  qu'un  des  grands 
moyens  de  vous  conserver  dans  la  régula- 
rilé,  dans  la  ferveur,  c'é  a)t  de  vous  tenir 
dans  le  recueillement,  en  observant  le  si- 
lence i  de  vous  Iaire  une  habitude  de  la  pré- 
sence du  Ditu,  mais  surtout,  de  vous  rendie 
attentives  et  dociles  aux  inspirations  de  la 
grâce;  d'exciter  sans  cesse  votre  cœur  à  l'a- 
u)Our  de  votie  Dieu,  et  de  [lenser  souvent 
aux  biens  du  ciel;  de  vous  encourager  à  la 
persévérance,  par  rcs[)oir  des  récompenses 
éternelles.  Voila  ce  que  vous  saviez  encore, 
ce  que  vous  n'avez  [)U  même  ignorer,  de- 
puis que  vous  êtes  dans  la    religion. 

AJais  dans  la  relraile,  que  de  nouvelles 
lumières  vous  sont  connues,  en  méditant 
sur  toutes  ces  vérités,  et  eu  rélléchissant 
sur  ces  devoirs,  ces  observances,  ces  prati- 
(ju(;5  attachées  à  votre  saint  état  1  Que  do 
nouvelles  connaissances  vous  avez  acquises, 
ft  qui  vous  ont  également  surprises,  instrui- 
tes et  consolées!  Ainsi  sur  l'observance 
de  votre  règle  el  de  vos  con>titulions  vous 
avez  couJi>ris  tlairemeul,  que    c'était   un 


moyen  suret  nécessaire  de  satisfaire  vos  su- 
périeurs, d'édifier  vos  sœurs,  et  de  travailler 
avec  fruit  <^  voire  sanctification  ;  mais  qu'il 
fallail,  pour  cela,  les  observer  ces  règles,  et 
sans  réserve,  et  sans  délai  et  sans  interrup- 
tion. Quant  à  vos  vœux, sur  celui  de  l'obéis- 
sance, vous  vous  êtes  convaincues  qu'il 
élait,  dans  votre  saint  état,  un  moyen  de  sa- 
lut tout  à  la  fois  et  le  })lus  sûr  et  le  [)lus 
consolant,  mais  que  pour  éprouver  ces  bons 
etfels,  votre  obéissance  devait  être  prompte, 
universelle,  aveugle  et  conslante.  Sur  la 
pauvreté,  vous  avez  vu  qu'elle  était  pour 
vous  une  source  do  gloire  et  de  bonheur 
tout  ensen)ble,  pour  celte  vie  et  pour  l'au 
Ire;  mais  que  |iour  cela,  elle  devait  être  in- 
térieure, partir  du  fond  de  votre  cœur;  et 
universelle,  en  ne  tenant  et  en  ne  vous  at- 
tachant à  rien.  Sur  l'oraison,  vous  avez  dé- 
couvert'avec  [ilaisir  les  grands  avantages 
qu'elle  vous  procure,  en  vous  faisant  con- 
naître vos  devoirs,  et  en  vous  les  faisant  ac- 
complir avec  autant  de  facilité  que  de  con- 
solation; mais  qu'il  fallait,  peur  les  gnûler, 
ces  grands  avantages,  un  vrai  recueilleaient 
dans  res[)ril,  une  grande  pureté  dans  le 
cœur  el  une  parfaite  docilité  dans  la  vo- 
lonté. Sur  l'oflice  divin,  vous  n'avez  j)as  eu 
de  peine  h  vous  convaincre  qu'étant  une 
prière,  et  une  (irière  adressée  directement  à 
votre  Dieu,  el  au  nom  de  l'Eglise,  que  vous 
lui  adressez  aussi  fréquemment,  il  élait, 
soit  avant  de  le  réciter,  soit  en  le  récitant, 
soit  ajirès  l'avoir  récité,  des  dis[)Osition3 
saintes  que  vous  ne  deviez  nullement  négli- 
ger. Sur  vos  délassements  môme,  sur  vos 
réc.réalions ,  vous  avez  vu  qu'élmt  pour 
vous  un  exercice  ordonné  par  vos  consiilu- 
lions,  qui  d'ailleurs  se  répèle  souvent,  el 
un  exercice  de  plus,  très-dangereux  en  lui- 
même,  vous  deviez  |)0ur  vous  en  acquitter 
saintement  y  ap{)orler  lout  à  la  fois  un  es- 
[irit  de  recueillement,  d'humililé  el  de  cha- 
nté. Sur  la  tiédeur,  vous  avez  appris  à 
craindre  et  à  vous  [(réserver  d'un  état  des 
plus  funestes  à  une  é{)ouse  de  Jésus-Christ, 
puisqu'il  |)roduit  dans  elle  le  malheureux 
elfei  de  l'éloigner  de  son  Dieu  et  d'éloigner 
son  Dieu  d'elle,  jusqu'à  la  conduire  à  uno 
perle  éternelle.  Sur  le  silence  vous  avez 
jugé  qu'il  était  imi'orlatit  pour  vous,  de  l'ob- 
server, et  pour  obéir  à  vos  constitutions,  et 
pour  édifier  vos  sœurs,  et  pour  vous  avancer 
vous-mêmes  dans  la  voie  de  la  [)erfection, 
mais  (pi'alin  qu'il  eût  en  vous  ces  bons  ef- 
iets,  vous  deviez  l'observer,  et  avec  ()urelé 
d'inieniion,  et  bvcc  persévérance,  el  avec 
une  sainte  prudence.  Sur  la  [irésence  de 
Dieu,  vous  avtiz  dû  concevoir  un  grand 
aurait  pour  ce  saint  exercice,  après  vous 
être  bien  convaincues  qu'il  est  un  moyeu 
des  [ilus  ellicaces ,  tout  à  la  fois,  jiour 
vous  préserver  du  péché  ,  et  pour  vous 
faire  pratiquer  la  vertu.  Sur  l'amour  de 
Dieu,  en  voyant  combien  il  est  aimabU; 
en  lui-même  ,  el  condjien  il  vous  a  ai- 
mées; en  méditant  ainsi  sur  ses  perfections 
el  sur  ses  bienfails,  et  surtout  sur  les  im- 
menses el  singulieis  bienfails  dont  il  vous 


401 


DISCOURS  DE  RETRAITE.  —  HUITIEME  JOUR. 


402 


a  combliVs  jusqu'ici,  avez-vous  pu  ne  pas 
exciter  votre  cœur  h  un  amour  appréciatif, 
qui  vous  le  fît  préférer  à  tout,  et  effectif, 
qui  vous  fit  accomplir  constamment  tou- 
tes ses  volonlés.  Sur  le  bonlieur  du  ciel, 
quL'ls  ardents  désirs  n'a  pas  excité  dans  vous, 
Ja  pensée  qu'un  Dieu  ,  en  se  donnant  h 
vous,  vous  rendra  un  jour,  souverainement 
heureuses,  et  par  les  connaissances  subli- 
mes qu'il  communiquera  à  votre  esprit,  et 
par  la  joie  pure  et  éternelle  dont  il  pénétrera 
V'ire  cœur.  Encore  une  fois,  Mesiiames, 
sur  toutes  ces  grandes  vérités  du  christia- 
nisme, vous  devez  en  convenir  ici,  et  sur 
les  devoirs  les  plus  essentiels  de  votre  saint 
étal,  le  Seigneur  vous  a  donné,  ces  jours 
ci,  une  infinité  de  lumières  et  de  connais- 
sances toutes  nouvelles  pour  vous,  bii^n 
propres  ti  vous  taire  concevoir  plus  claire- 
ment que  jamais  les  engagements  sacrés 
que  vous  avez  contractés  avec  lui,  et  comme 
cinéliennes  et  comme  religieuses  :  voilà 
donc  le  premier  effet  qu'a  produit,  dans 
vous,  la  retraite,  et  le  premier  avantage 
que  vous  en  avez  retiré,  votre  esprit  éc'airé, 
parfailement  instruit  sur  tout  ce  qu'il  est 
important  que  vous  saciiiez,  pour  bien  ser- 
vir voire  Dieu,  et  pour  travailler  elficace- 
nienl  à  votre  salut  :  mais  elle  a  de  plus,  cette 
retraite,  touché  votre  cœur,  second  effet  et 
second  avantage  plus  considérable  encore. 

11.  Car  ce  n'est  pas,  Mesdames,  f)récisé- 
ment  de  croire  qui  fait  le  vrai  chrétien,  la 
vraie  religieuse  aux  yeux  de  Dieu;  la  foi, 
h  la  vérité,  est  absolument  nécessaire  pour 
cela,  mais  elle  ne  suflit  pas.  Combien  do 
personnes,  dans  la  religion  qui,  ayant  reçu 
comme  vous  une  éducation  vraiment  chré- 
tienne, n'ont  point  perdu  les  principes  de 
foi  qu'on  s'élait  appliqué  à  inculquer  dans 
leur  esprit;  elles  croient,  mais  elles  s'en 
tiennent  15  malheureusement.  Hélas!  la  foi 
se  trouve  môme  dans  l'enfer;  les  réprou- 
vés, les  démons  eux-mêmes  croient  les 
vérités  de  notre  sainte  religion,  ils  croient 
et  ils  tremblent,  dit  l'apôtre  saint  Jacques  : 
Credunt  et  contremiscunt.  (Jac,  II,  19.)  Co 
n'est  donc  point  assez  d'avoir  la  religion 
dans  l'espril,  il  faut  de  plus  l'avoir  dans  lu 
cœur,  parce  que  c'est  la  cœur  qui  la  fait 
mettre  en  pratique.  Or,  voilà  ce  qu'a  pro- 
duit voire  retraite;  non-seulement  la  grâce 
qui  l'a  accompagnée,  a  éclairé  votre  esprit, 
mais  elle  a  de  plus  touché  sensiblement 
votre  cœur.  Eh!  cela  pouvait-il  n'être  pas, 
Inrsijue  vous  avez  réfléchi  sérieusement  sur 
tout  ce  que  ce  Dieu  de  bonté  a  fait  pour 
vous  attirer  à  lui  et  pour  vous  sauver;  sur 
toutes  CCS  grâces  dont  il  vous  a  comblées, 
Cràces  générales  qui  vous  sont  communes 
avec  le  reste  des  cliréiiens,  mais  surtout, 
grâces  particulières  qui  vous  regardent  per- 
sonnellement; lorsque  vous  avez  rétléchi 
sur  cette  prédilection  toute  gratuite,  [lar  la- 
quelle il  vous  a  tirées  de  tous  les  dangers 
du  monde,  et  vous  a  placées  dans  la  leli- 
gion  et  mises  au  rang  de  ses  épouses,  par 
jirélérence  à  une  intinilé  d'autres  qui 
eussent  beaucouji  mieux  iirofité  de  ces  gran- 


des  grâces    que    vous    peut-être;   lorsque 
vous  avez  réflécdi  sur  celle  patience  à  vous 
souffrir  avec  les  mauvaises  dispositions  de 
votre  cœur,  à  attendre  votre  retour  toutes 
les  fois  (]ue  vous  avez  paru  vous   éloigner 
de  lui,  tandis  qu'il  a  exercé  ses  jugements 
et  ses  vengeances  sur  une  infinité  d'autres 
de     ses    épouses   moins  coupables    à    ses 
yeux   que  vous?  En  réflécliissant  ainsi  sur 
celte  bonté  toute  spéciale,  sur  cette  miséri- 
corde infinie  do  votre  Dieu    à   voire  égard, 
sur  tant   de    grâces,    tant  de   secours,   sur 
tant  de  bienfaits   dont  il  vous  a  comblées, 
et  dont  il  ne  cesse  de  vous  combler,   votre 
cœur  a-l-il  pu  n'être  pas  louché  et  attendri 
jiisipi'aux    larmes?   Oui   sans  doute,  il    l'a 
été,  et  plus  d'une  fois,  je  dois  l'augurer  de 
la    bonté  de    vos    cœurs  ;  de  là  dans  vous, 
en  effet,  ces  sentiments  de   reconnaissance 
et  d'amour.  Ah!  condjien  de  fois,  dans  ces 
saints  jours,   ne  vous   êtes-vous   pas  dit  à 
vous-mêmes    :   E!i!    qu'ai-je    fait    à    mon 
Dieu,  pour   qu'il   ait  agi   envers   moi   avec 
tant   de  bonlé?   Non,  jamais  elles   ne  sor- 
tiront do  ma   mémoire;  volontiers  comme 
le  Rùi-Prophèle  :  Je  chanterai  à  jamais  ses 
miséricordes  infinies  à  mon  égard  :  «  Miseri- 
cordias  Domini  in ceterniim  cantabo.    {Psal.  » 
LXXXVIU  ,  2.)  Ah  !   pourrais-je    un   seul 
instant  ne  pas  aimer  un  Dieu  infiniment  ai- 
mable en   lui-même,  mais  de  plus,  infini- 
ment bon  pour  moi,  qui,  depuis  que  j'existe, 
n'a  cessé  de   me   donner   des   témo'giages 
sensibles  do   son  amour?  De  là   ces  résolu- 
tions saintes,  ces  promesses  réitéré  s  de  le 
servir  le  reste  de  vos  jours  avec  une  par- 
faite  et  constante    fidélité  ;  d'entrer,    pour 
cola  dans  toutes  ses   vues,  de  correspondre 
à_  tous    ses  desseins  sur   vous,    et  surtout 
d'éviter  avec  soin  tout  ce  qui   lourrait  lui 
déplaire  et  1  offenser  ;  de  là   ces  projets  de 
réforme,   ces  bons  propos  de  vivre  désor- 
mais dans  votre  saint  élat,   avec   une  plus 
grande  régularité  que  par  le  passé,  do  rem- 
plir fidèlement  tous  les  devoirs  et  jusqu'aux 
plus  petites,  aux  plus  légères  observances: 
projets,    résolutions,    promesses   (pii   n'ont 
point  été  l'effet  de  quelques  moments  d'une 
lerveur  sensible  et  passagère,  mais  qui  ont 
été  le  fruit  de  vos  profondes  méditations,  et 
que  vous  avez  renouvelés  souvent  et  avec 
consolation  même,   pendant  votre  retraite. 
Ah  I  vous  avez  fail  plus  encore;  j'ai  lieu  de  le 
présumer  du  moins  :  [lour  vous  convaincre 
vous-mêmes  de  la  sincérité   de   vos  senli- 
nienls  et  de   vos  |)roniesses  j)Our  ne  les  ja- 
mais  oublier,    et   pour  pouvoir  plus  sûre- 
ment les  mettre  en  praliiiue,  vous  les  avez. 
tracées  do  votre  propre  main  sur  le  pafjier, 
afin  dans  des   temjts  d'ennui,  de  dégoût,  de 
lenlations  qu'éprouvent    quelquefois  même 
les  âmes   les  plus  saintes,  de  pouvoir  vous 
les    représenter   à  vous-mêmes,   et  en  les 
lisant,  devons  animer,  de  vous  encourager 
à   la   [lersévérance.    De    15    enfin,    cet  em- 
[iressemeiil,    ces    démarches  pour  (jurifier 
entièrement    votre  cœur,    pour    vous    ré- 
concilier  parfailement    avec    votre    Dieu; 
lioisièmc   cUet    de   votre    retraite,   et  Iroi- 


403 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


iU 


sièrae  avantnge  qu'elle  vous  a  procuré. 
m.  C'est  quel(}ue  chose  à  la  vérité,  d'a- 
voir rendu  son  esprit  vraiment  chrétien, 
vraiment  relij^ieux,  des'êlrebien  convaincu, 
et  des  grandes  vérités  du  christianisme,  et 
des  devoiis  essentiels  de  son  étal:  c'est 
J)eaucoup  plus  encore,  si  ces  vérités  ont 
fait  une  vive  impression  sur  le  ((eiir,  jus- 
qu'à le  toucher  et  à  lui  faire  produire  des 
sentiments,  des  désirs,  des  résolutions 
d'une  réforme  absolue  et  générale:  tout 
cela  est  Irès-avanlageux  sans  doute;  mais 
cependant  tout  cela  ne  suffît  pas  pour  opé- 
rer le  salut.  Il  y  a  longtemps  qu'on  l'a  dit, 
et  je  vous  l'ai  déjà  dit  moi-même,  Mes- 
dames, l'enfor  est  rempli  de  bons  désirs: 
Combien  de  personnes  religieuses  actuelle- 
ment dans  ce  lieu  de  tourments  qui,  tandis 
qu'elles  étaient  sur  la  terre,  touchées  dans 
'Je  cerlains  moments  par  la  grâce,  et  plu- 
sieurs après  une  retraite  sont  rentrées  en 
elles-mêmes,  ont  reconnu  leurs  égaremen'.s, 
se  sont  proposé  d'en  sortir,  ont  faitsurcela 
de  belles  promesses  au  Seigneur,  mais  qui 
malheureusement  s'en  sont  tenues  à  des  pro- 
messes, et  qui,  pour  n"avoir  pas  corres- 
pondu à  la  grâce  lorstpi'elle  lesappelait,sont 
mortes  selon  la  prédiction  de  Jésus-Clirist, 
dans  leur  péclié  1  Grâces  en  soient  rendues 
à  l'infinie  miséricorde  de  mon  Dieu  1  L'on 
no  peut  point  vous  reprocher,  Mesdames, 
et  vous  n'avez  point  à  vous  re[)roclier,  j'ai 
même  la  plus  grande  confiance  que  jamais 
vous  n'auiez  à  vous  reprocher  de  pareilles 
infidélités.  Si  [lendant  votre  retraite  vous 
avez  entendu  la  voix  du  Seigneur,  i)ien  loin 
d'endurcir  vos  cœurs  par  des  résistances  à 
sa  grâce,  vous  vous  êtes  fait  un  devoir  et 
une  consolation  u;ême  d'y  correspondre. 
Touchées  et  confuses  d'avoir  été  jusqu'ici 
si  peu  fidèles  à  voire  Dieu,  vous  ne  vous 
fîtes  point  bornées  a  des  désirs,  à  des  ré- 
solutions, à  des  promesses;  vous  avez  mis 
à  l'inslant,  pour  ainsi  dire,  la  main  à  l'oeu- 
vre pour  iravailler  effîcacement  à  votre  ré- 
forme, à  voire  sanctification;  vous  avez 
inontré  le  plus  grand  empressement  à  pu- 
rifier votre  conscience  de  tout  ce  qu'il  pou- 
vait y  avoir  de  désagréable  aux  yeux  de 
votre  céleste  Epoux  ;  vous  ne  vous  êtes  pas 
môme  bornées  pour  cela  à  une  déclaration 
ordinaire  de  vos  fautes;  dans  la  crainte  de 
n'avoir  pas  toujours  apjiorté  au  sacrement 
de  pénJlence  toutes  les  dispositions  néces- 
saires pour  en  bien  profiler;  dans  la  vue  de 
réparer  tous  les  défauts  qui  auraient  pu  se 
trouver  dans  vos  autres  confessions,  vous 
avez  cru  devoir  revenir  sur  ces  confessions, 
l'aire  une  revue  plus  détaillée  et  qui  ))ût 
vous  tranquillisera  l'avenir;  ou  si  l'homme 
de  Dieu  auquel  vous  avez  confié  le  soin  de 
votre  âme  n'a  pas  jugé  à  propos  de  vous 
permettre  sur  cela  J'entrer  dans  un  grand 
détail,  quel  soin  du  moins  vous  avez  pris 
et  (|uello  jnéitaratiou  vous  avez  apportée 
l'Our  approcher  du  «■acremect  de  pénilencel 
Quelle  alleiilion  à  bien  sonder  voire  cœur! 
U'ielle  application  à  vous  exciter  à  une  vraie 
eJouleui',  à  une  sincère   componction,  à  un 


ferme  propos  de  ne  pius  offenser  volro 
Dieu  !  Quel  contentement  aussi,  quelle  con- 
solation vous  avez  ressentie  lorsque  le  mi- 
nistre de  Jésus-Clirist  a  prononcé  sur  vous 
les  paroles  de  la  réconciliation  I  Ah  1  il 
vous  a  semblé  dans  ce  moment  que  jamais 
le  pécliô  n'entrerait  dans  voire  cœur,  que 
vous  choisiriez  plutôt  mille  fois  la  mort  que 
de  vous  exi)Oser  à  le  commettre.  C'est  dans 
ces  saintes  dispositions  que  vous  avez  reçu 
voire  Dieu  dans  la  communion  ;  c'est  la 
dernière  grâce  qu'il  vous  a  faite,  grâce  qui 
a  mis  pour  ainsi  dire  le  comble  à  toutes  les 
aulres,  et  que  vous  avez  regardée  comme 
un  gage  autlienlique  de  son  amour  pour 
vous,  et  de  votre  amour  pour  lui.  Voilà 
donc.  Mesdames,  les  giands  avantages  que 
vous  avez  trouvés  dans  volro  retraite; 
voire  esprit  a  été  éclairé,  votre  cœur  a  été 
touché,  votre  conscience  a  été  jturifiée; 
vous  éies  devenues  et  plus  que  jamais  les 
amies  et  les  vraies  épouses  de  votre  Dieu; 
quels  grands  biens,  quels  fruits  f)lus  con- 
sidérables," plus  importants  pouviez-vous 
retirer,  vous  qui  après  avoir  renoncé  géné- 
reusement et  pour  toujours  à  tous  les  biens 
et  à  tous  les  avantages  de  la  terre,  avez 
déclaré  solennellement  que  vous  preniez  et 
que  vous  vouliez  avoir  uniquement  votre 
Dieu  pour  voire  partage  dans  le  temps 
comuie  dans  l'éternité  ?  Mais  j)our  protiler 
de  ces  grands  avantages,  pour  conserver 
ces  fruils  {irécieux  que  vous  avez  recueillis 
dans  la  retraite,  que  faut-il  faire?  C'est  le 
sujet  de  la  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Plus  les  grâces  que  nous  avons  reçues  du 
Seigneur  sont  considérables  en  elles-mêmes 
et  propres  à  nous  attacher  à  lui,  plus  aussi, 
Mesdames,  nous  nous  rendrions  coupables 
u'ingratitude  A  ses  yeux  si  jamais  il  nous 
arrivait  de  les  oublier  ou  d'en  abuser.  Hé- 
las 1  combien  de  |)ersonnes  cependant,  et 
dans  tous  les  étais,  qui  après  avoir  éprouvé 
et  quelquefois  d'une  façon  la  plus  sensible, 
les  bontés  et  les  miséricordes  du  Seigneur, 
se  montrent  dans  la  suite  peu  fidèles  à  leurs 
promesses,  aux  engagements  qu'elles  avaient 
contractés  avec  luil  Que  de  personnes,  que 
d'épouses  même  de  Jésus-Christ  pleurent 
actuellement,  gémissent  dans  l'enfer  et  s'y 
désespèrent,  pour  avoir  rendu  inutiles  les 
grâces  que  le  Seigneur  leur  avait  faites 
cJans  une  retraitel  L'es|)rit  éclairé,  convain- 
cu, et  des  grandes  vérités  de  la  religion,  et 
des  grandes  obligations  de  leur  état,  le 
cœur  louché,  pénétré  et  des  bontés  infinies 
du  Seigneur,  et  de  leurs  infidélités,  de  leur 
ingraliludeà  son  égard,  elles  n'avaient  rien 
Omis  pour  se  réconcilier  avec  lui,  [tour  re- 
couvrer ses  faveurs  et  son  amitié.  Kien  nn 
liarut  plus  saint,  plus  édifiant  que  leurs  dis- 
positions, dans  leur  retraite  et  que  leur 
conduite,  afjrès  en  êlre  sorties  :  mais  fauto 
de  [trécautious,  de  vigilance,  que  ces  dispo 
sitions  saintes  ont  peu  duré!  Elles  pleurent, 
elles  géiijissent  ces  vierges  infidèles;  elles 
pleureront,  elles  gémiront,  elles  se  déscs* 


403 


DlSCOl'RS  DE  RtTRAlTt.  —  HUITIEME  JOUR. 


4oa 


pèleront  pendant  l'élernilé,  mais  inulilo- 
inenl,  sur  leur  peu  de  persévérance.  C'est, 
Âlesdames,  pour  vous  faire  éviter  celle  in- 
constance dans  le  service  de  votre  Dieu  si 
jiréjudiciable  à  la  perfection  cl  au  salut; 
c'est  pour  vous  préserver  des  maux  atlVeux 
qu'attire  après  lui  ce  défaut  de  persévé- 
rance, que  je  crois  devoir  terminer  ces  ins- 
tructions par  vous  proposer  des  moyens 
jtropres  à  vous  faire  persévérer  dans  les 
dispositions  saintes  dans  lesquelles  j'ai  la 
Consolation  de  vous  voir.  Or  tous  ces 
moyens,  je  les  réduits  à  quatre,  mais 
que  je  regarde  comme  essentiels  ;  les 
voici.  C't^st  en  premier  lieu  de  vous  rappe- 
ler souvent  les  grandes  vérités  que  vous 
avez  méditées  pendant  la  retraite.  C'est  en 
second  lieu  d'exécuter  avec  lidélité  les  réso- 
iiitions  saintes  que  vous  y  avez  prises. 
C'est  en  troisième  lieu  de  vous  délier  beau- 
coup (le  vous-mêmes,  de  vos  propres  foices. 
C'est  en  quatrième  lieu  de  fréquenter,  mais 
de  fiéquenter  saintement  les  sacrements  : 
quatre  moyens  de  persévérance  que  je 
crois  si  sûrs,  que  si  vous  éliez  bien  lidèles 
à  les  employer,  j'oserais  moi,  vous  promet- 
tre que  vous  serez  le  reste  de  vos  jours 
toutes  à  votre  Dieu  :  qualro  moyens  dont 
chacun  demanderait  pour  être  bien  traité 
un  discours  entier  ;  j'espère  cependant, 
sans  abuser  de  votre  patience,  en  dire  assez 
pour  vous  fciire  prendre  devant  Dieu  la  ré- 
solution de  les  mettre  lidèlement  et  cons- 
tamment en  pratique. 

1.  Je  dis  d'abord  qu'il  faut  vous  rappeler, 
et  souvent,  les  grandes  vérités  méditées 
dans  la  retraite.  Mesdames,  c'est  la  dissi- 
j)alion  de  l'espril,  je  v(ms  l'ai  dit,  qui  cause 
pour  l'o.-dinaire  le  dérèglement  du  cœur; 
quand  on  perd  de  vue  les  vérités  de  la  reli- 
gion, insensiblement  la  foi  diminue  et  s'é- 
teint entin,  et  quand  il  n'y  a  j)lus  de  foi,  il 
n"y  a  presque  plus  de  ressource  au  salut. 
Pourquoi  voit-on,  non-seulement  dans  le 
monde,  mais  encore  dans  le  saint  élat  de  la 
religion,  des  personnes  qui,  aprèj  avoir  re- 
noncé à  tout  et  quel(]uelois  à  tout  ce  qu'il 
y  avait  de  plus  flatteur,  de  [)lus  avantageux 
dans  le  monde,  pour  se  donner  entièrement 
à  Dieu,  pourquoi  les  voii-on  vivre  dans 
l'outdi  de  leur  salut  et  dans  une  négligence 
tiabitueile  des  devoirs  de  leur  samt  élal? 
Pourquoi  les  voil-on  si  rarement  rentrer  en 
elles-uiêmes,  et  se  convertir?  Pourciuoi 
meurent-elles  toutes,  ou  (iresque  toutes 
tomme  elles  ont  vécu?  Ab!  c'est  qu'elles  ne 
réfléchissent  jaiuais  sur  tout  ce  qui  pourrait 
les  ra|.f)eler  à  leur  Dieu  et  à  elles-jiômes  ; 
cesl  que  si  quelques  occasions,  quelques 
événements  les  furcent,  [lOiir  auisi  due,  à 
des  réflexions  sérieuses,  e.les  les  éloignent 
avec  soin,  elles  emploient  toute  espèce  do 
moyens  j.our  se  distraire  et  pour  chasser 
de  leur  esprit  des  pensées  qu'elles  jugent 
importunes  et  lro[»  sérieuses,  et  (lui  seraient 
bien  propres  cependaiil  à  changer  leur 
tueur  et  h  le  convertir.  Il  est  donc  bien  im- 
porluntpour  vous,  Mesdames,  si  vous  vou- 
lez vous  50ulen:r  dans  la  régularité  dans  la 


pratique  des  devoirs  de  votre  <5tat,  de  rap- 
peler souvent  à  votre  esprit  les  grandes  vé- 
rités que  vous  avez  méditées  pendant  votre 
retraite,  et  celles  surtout  qui  ont  fait  le  plus 
d'impression  sur  vous;  cela  vous  esl  d'au- 
tant I  lus  nécessaire,  a|)rès  les  bons  senti- 
ments que  vous  avez  conçus,  dans  ces  jours 
de  grâce  et  de  salut,  et  ajirès  les  rés'du- 
tions  saintes  que  vous  avez  prises,  que  le 
démon  redoublera  ses  elforts  pour  vous  les 
faire  oublier,  et  pour  vous  replonger  dans 
le  relâchement  et  la  tiédeur.  N'allez  pas 
croire,  au  reste,  que  ces  pensées,  ces  ré- 
flexions saintes  auxquelles  vous  vous 
livrerez,  vous  causent  de  l'ennui,  et  niel- 
lent de  la  tristesse  dans  votre  esprit.  Héhis  I 
vous  l'avez  entendu  dire  peut-être,  c'est  du 
moins  ce  que  disent  ces  personnesdu  mon- 
de livrées  à  une  dissipation  excessive  et 
habituelle,  et  qui  prétendent  par  là  s'auto- 
riser dans  une  manière  de  vivre  que  leur 
conscience  leur  reproche  souvent,  qu'elles 
aiment  et  qu'elles  ne  veulent  pas  changer. 
Mais  .vous  le  savez,  Mesdames,  vous  l'avez 
déjà  éprouvé,  et  il  ne  tient  qu'à  vous  de 
l'éprouver  encore,  on  n'est  jamais  plus  en 
paix,  on  ne  goûte  jamais  une  joie  plus 
pure,  plus  solide,  que  lorsque  le  coeur  ab.- 
horre  véritablement  le  péché,  et  qu'il  esta 
Dieu  et  tout  à  Dit^.  Or  voilà  l'heureux  clïiit 
qu'a  produit  et  que  produira  toujours  la 
{leiisée  de  la  moit,  des  jugements  de  Dieu, 
des  peines  de  l'enfer  et  de  toutes  les  véri- 
tés im|)ortantes  du  salut  ;  voilà  ce  (m'ont 
toujours  éprouvé  et  ce  qu'éprouveront  tou- 
jours ces  personnes  vraiment  religieuses 
qui  les  ont  sans  cesse  dans  l'esprit ,  ces 
grandes  vérités,  qui  les  méditent,  et  qui, 
chaque  jour,  travaillent  à  s'en  convaincre; 
qui  en  conséquence  de  celle  conviction  so 
livrent,  dans  quelques  instituts  surtout,  à 
de  grandes  et  de  continuelles  austérités. 
Demandez-leur  quel  ellel  produisunl  dans 
elles  ces  méditations  fréquentes  des  ventés 
les  plus  terribles  de  la  religion  ;  voyez-les 
seulement,  suivez-les  dans  les  dillérenls 
exercices  quilesoccupeîit,  et  à  cet  extérieur 
de  tranquillité,  de  sérénité,  je  dirais  à  cetto 
joie  môme  qui  se  manifeste  si  sensiblement 
au  dehors,  vous  jugerez  aisément  de  laiiaix 
et  du  conlentement  de  leur  cœur.  La  pre- 
mière condition  nécessaire  pour  rendre 
persévéïants  les  fruits  de  voire  retraite, 
c'est  donc  de  rappeler  souvent  à  votre  es- 
{uit,  les  vérités  du  salut  et  de  perlectioi» 
que  vous  y  avez  méditées  ;  mais  une  autre 
aussi  essentielle,  c'est  de  vous  rendre  lidè- 
les aux  résolutions  que  vous  avez  prises,  et 
aux  promesses  que  vous  avez  faites  à  votre 
Dieu. 

il.  A  la  vérité.  Mesdames,  et  c'est  une 
justice  queje  dois  vous  rendre,  et  que  jo 
vuus  rends  ici  avec  pluisir,  vous  avez  mon- 
tré pendant  toute  celte  retraite,  la  plus 
grande  exactitude  à  vus  exercices,  et  de 
plus,  de  lre;-grandes  dispositions  à  corres- 
pondre aux  inspirations  de  la  grâce;  té- 
moins les  unes  les  autres,  de  votre  régula- 
rilé  et  de  vos  saintes  dispoiilions,  vuus  vous 


i07 


ORATEURS  SACHES  L'ABBE  DE  MONTIS. 


êles  réciproqueraenl  édifii^es,  consolées  et  ' 
encouragées  et  ça  été  pour  moi-même,  qui 
n'ai  pu  l'ignorer,  un  sujet  fie  la  plus  sensible 
consolation;  plus  d'une  fois  j'ai  béni  et  re- 
mercié le  Seigneur  de  tout  ce  qu'il  a  fait  dans 
vous  par  sa  grâce.  Eh  1  pouvais-je  concevoir 
d'aiilres  sentiments?  Il  m'est  témoin  que  je 
désire  votre  salutavec  aulant  d'ardeur  que  je 
désire  le  iiiien  propre  ;  mais  ce  que  je  lui  ai 
demandé  surtout  etce  que  je  necesserai  de 
lui  demander |)0ur  vous,  c'est  de  vous  con- 
server dans  ces  heureuses  et  saiules  dispo- 
sitions, et  [)Our  cela,  de  vous  rendre  fidèles 
à  vos  résolutions  et  à  vos  promessss;  car 
je  dois  vous  on  prévenir  ici,  vous  ne  serez 
pas  toujours  dans  celle  firveur  sensible  que 
vous  avez  éprouvée  peul-être,  et  qui  vous  a 
soulenues  dans  le  coûts  de  votre  retraite; 
vous  vous  trouverez  dons  quelque  temps,  et 
bientôt  peut-être,  exposées  à  de  nouveaux 
pièges  de  l'ennemi  de  votre  salut,  vous  se^ 
rez  tentées  d'ennui,  de  dégoût,  d'abandon- 
ner un  genre  de  vie  tout  de  contrainte,  de 
pénitence,  de  mort  à  vous-mêmes.  C'est 
alors,  Mesdames,  que  vous  devez  vous  rap- 
peler les  résolutions  saintes  que  vous  avez 
prises,  pendant  voire  retraite;  il  sera  l)ien 
important  pour  vous  de  recourir  alors  à  la 
lecture  de  ces  éciils,  pleins  des  [)ieuses 
réflexions  que  vous  avez  faites,  et  des  ré- 
solutions saintes  que  vous  avez  prises; 
vous  vous  deri  andercz  alors  dans  quelles 
dispositions  étciil  votre  Aaie,  [lendaiit  ces 
jours  heureux  que  vous  avez  passés  dans 
la  solitude,  et  pour  quelles  raisons  vous 
avez  écril  vous-mêmes  ces  réflexions 
et  ces  lésolulions.  Vous  vous  deman- 
derez encore  si  ces  raisons  ne  subsis- 
tent plus,  si  vous  n'avez  pas  toujours  le 
mêmeDieu  à  servir,  les  mêmes  engagements 
à  remplir,  le  même  enfer  à  éviter,  le  même 
ciel  à  conquérir,  la  môme  âme  à  perfection- 
ner et  à  sauver.  De  pareilles  rctïexions 
vous  rappelleront  à  vous-mêmes;  elles  vous 
porteront  à  résister  courageusement  à  toute 
tentation  et  à  remplir,  avec  fidélité,  les  pro- 
messes que  vous  avez  faites  et  renouve- 
lées, de  tout  voire  cœur,  à  votreDieu.  Mais 
cela  ne  suffit  point  encore,  Mesdames  :  en 
vain  voire  cœur  serait  sincèrement  disposé 
à  accomplir  vos  résolutions  et  promesses  ; 
tout  cela  j'ose  le  dire,  vous  deviendrait  inu- 
tile, sans  une  vertu  encore;  c'est  la  dé- 
liance  de  vous-mêmes. 

m.  Oui,  Mesdames,  dans  les  sentiments, 
et  avec  les  saintes  dispositons  dans  les- 
quelles vous  avez  le  bonheur  d'être  présen- 
tement, il  vous  semble  que  c'en  est  fait, 
■que  vous  avez  embrassé,  |>our  le  reste  de 
jvos  jours,  la  pratique  de  la  perfection;  la 
conduite  des  religieuses  tiècles  et  impar- 
faites vous  paraît  si  déraisonnable,  si  in- 
sensée, que  vous  êles  bien  résolues  de  ne 
vous  y  conformer  jamais;  que  vous  ne  pou- 
vez môme  comprendre  comment  une  per- 
sonne consacrée  à  son  Dieu,  dans  le  saint 
t'tal  de  la  religion,  peut  s'y  livrer  :  mais, 
pudgré  toute  l'équité  et  la  sincérité  de  ces 
iPPUincnls,  il    tsl   une  autre  vérité,    qu'il 


408 

est  important  que  vous  sachiez,  et  que  je 
ne  dois  pas  vous  dissimuler  ici,  c'est  qu'une 
religieuse,  une  é[)Ouse  de  Jésus-Christ, 
quoiqu'à  l'abri,  dans  son  élal,  de  bien  des 
tentations  auxquelles  sonl'exposés  les  chré- 
tiens du  monde  ,  n'est  pas  cependant 
exemple  de  toute  tentation;  c'est  que,  jus- 
que dans  son  saint  état,  elle  trouve  des 
obstacles  à  son  salut,  soit  au  dehors,  soit 
au  dedans  d'elle-même,  et  souvent  de  très- 
grands  obstacles  ;  c'«st  que  comme  enfant 
d'Adam  ,  elle  sent  sans  cesse  au  dedans 
d'elle-même  une  loi  de  péché  qui  s'oppose 
à  la  loi  de  vertu  et  de  sainteté  qu'elle  a  em- 
brassée ;  qu'elle  sent  une  pente,  une  incli- 
nation naturelle  pour  la  liberté  et  pour  la 
satisfaire;  c'est  que,  malgré  les  grands,  les 
puissants  secours  qu'elle  trouve  dans  son 
élal,  pour  résister  aux  tentations  et  pour 
combattre  ses  inclinations  naturelles  et  dé- 
pravées, elle  peut  succomber  et  se  rendre 
infidèle  h  son  Dieu;  c'est  qu'avec  tous  ces 
secours,  })Iusieurs  épouses  de  Jésus-Christ 
succombent  en  eifet,  se  rendent  inlidèles  h 
leur  céleste  Epoux,  vivent  et  meurent  dans 
leur  infidélité.  Or  le  vrai  moyen  ,  Mes- 
dames, d'éviter  tous  ces  pièges,  de  résister 
constamment  aux  tenlalions  des  ennemis  de 
votre  salut,  de  vous  rendre  fidèles  aux  réso- 
lutions saintes  que  vous  venez  de  prendre, 
c'est  de  vous  craindre  vous-mêmes,  de  vouj 
défier  beaucoup  de  vous-mêmes,  c'est  d'être 
bien  convaincues  de  votre  propre  faiblesse, 
de  voire  {)iopre  fragilité,  que  vous  avez 
tant  de  fois  éprouvée,  malgré  toutes  les 
promesses  que  vous  aviez  faites  à  votre 
Dieu;  celle  crainte,  celle  défiance  de  vous- 
mêmes,  vous  portera  à  élever  souvent  vo- 
tre esprit  et  votre  cœur  vers  le  ciel,  à  re- 
courir sans  cesse  à  votre  céleste  Epoux, 
|)ar  la  prière,  à  le  conjurer  d'achever  sou 
œuvre  en  vous,  de  vous  soutenir  par  sa 
grâce.  C'est  celte  défiance  de  vous-mêmes, 
qui,  dans  la  vue  d'obtenir  des  secours  abon- 
dants de  votre  Dieu,  vous  tiendra  fidèles 
à  tous  vos  devoirs,  à  toutes  vos  observan- 
ces et  surtout  à  fréquenter  saintement  lei 
sacrements  :  quatrième  et  dernière  disfio- 
sition  nécessaire  pour  conserver  les  fruits 
de  la  retraite. 

ly.  Prenez  garde,  s'il  vous  plaît.  Mes- 
dames, je  dis  saintement;  je  n'ignore  point 
que,  dans  voire  saint  éiâf,  vous  les  fré- 
quentez ces  sacrements;  chaque  semaine, 
et  [)lus  d'une  fois  même  dans  la  semaine, 
l'on  vous  voit  déposer  vos  péchés  aux 
pieds  d  un  prêtre,  puis  vous  présenter  à  la 
table  sainte;  mais  je  snis  aussi  que,  sur 
cet  objet  important,  on  peut  se  conduire, 
sans  presque  s'en  apercevoir,  par  routine, 
[lar  bubilude,  ou  par  quelque^  autre  motif 
purement  naturel. Combien,  en  effet,  même 
dans  le  saint  étal  de  la  religion,  se  fami- 
liarisent trop  avec  les  sacrements  et  les 
reçoivent  sans  fruit  1  Combien  qui,  depuis 
bien  des  années  peut-être,  se  confessent 
souvent  et  communient  de  même  sans  se 
corriger  d'aucun  défaut,  sans  acquérir  au 
cune  vertu,   sans  faire  un  pas  par  consé- 


409 


DiSCOLRS  DE  RETRAITE.  —  HUITIEME  JOUR. 


4iC 


quenl  dans  la  voie  de  la  perfeclion  1  Ainsi, 
Mesdames  ,  je  ne  saurai»  Irop  vous  exhorlcr 
h   continuer  de  vous  confesser  et  de  com- 
munier souvent;  mnllieur  à  moi  si  j'enlre- 
[irunais  de  vous  détourner  d'une  pratique 
si  conforme  à  l'esprit  cl  aux  intentions  de 
Jéïus-Christ  et  de  son  Eglise,  et  des  plus 
propres  à  vous  perfectionner,  à  vous  sanc- 
tifier I  mais  ce  que  je  désire  et  à  quoi  je  ne 
jniis  trop    vous  exhorter,  et  ce  que  je  re- 
garde comme  un  des  mo\-ens  des  [)ius  effi- 
caces, pour  vous  maintenir  dans  les  saintes 
dispositionsdans  lesquelles  vousavez  le  bon- 
heur d'être,  pour  rendre  elficaces  les   réso- 
lutions sainies   que  vous   avez  prises   dans 
votre  retraite,    c'est    d'apporter    toujours, 
dans  la  réception  des  sacrements  toutes  les 
dispositions  qui  dépendent  de  vous,  c'est  de 
vous  présenter  toujours  au  sacré  tribunal, 
avec  cet  esprit  d'humilité,  de  douleur,  de 
componction  qui  seul  peut  vous  assurer  le 
pardon  de  vos  fautes,  et  vous  procurer  une 
parfaite  réconciliation  avec  votre  Dieu  ;  c'est 
île  recevoir  toujours  Yolrecéleste  Epoux,  dans 
la  communion,  avec  des  sentiments  de  reli- 
gion,d'anéantissement,  de  reconnaissance  et 
d'amour, qui  seuls  peuvent  vous  procurerces 
grâces  abondantes  etconsolantesqu'il  se  plaît 
à  prodiguer  quelquefois,  dans  ce  sacrement, 
aux  âmes  bien  disjiosées;  c'est  en  un  mot,  de 
faire  toujours  ces  deux  actions  avec  auiant 
d'attention  et  de  pré|)aralicn,  que  si  vous 
les  faisiez  pour  la  dernière  fois.  Voilà,  j'ose  le 
dire  ici,  Mesdames,  les  moyens  les  plus  pro- 
pres à  vous  faire  persévérer  dans   la  grâce, 
et  dans   une  exacte  tidélilé  à  tous  vos  de- 
voirs, et  aux  résolutions  saintes  que  vous 
venez  de  prendre,  dans  ces  jours  de  grâce 
fct  de  salut.  Mais  si  malgré  ces  résolutions 
que  vous  avez  prises,  et  ces  promesses  que 
vous  avez  faites  et  réitérées  plus  d'une  fois  à 
votre  Dieu,  si  n)algré  les  bons  sentiments 
clces  dispositionsde  piété,  de  sainteté  dans 
lesquelles  vous  êtes  présentement,  vous  ve- 
ciezà  manquerdetidélité.s'il  vousarrivaitde 
tomber  dans  quelque  faute,  quelque  griève 
qu'elle  pût  être,  ne  vous  découragez  pas; 
relevez-vous   i)romptement,  ne  lardez  pas 
à  purifier  votre  âme  dans  les  eaux  salutaires 
de  la  [lénitence.  Nous  avons  un  Dieu  plein  de 
bonté  et  de  miséricorde,  qui  n'ignore  pas 
de  quel  limon  il  nous  a  formés;  il  connaît 
nuire  fragilité,  noire  faiblesse;  il  est  tou- 
jours prêt  à  nous  rendre  son  amiiié,  à  nous 
pardonner,  dès  que  nous  lui  témoignons  une 
vraiedouleur,  un  repentir  sincère.  Mais  sans 
tomber  dans   des  fautes  considéral)les,    si 
vous  vous  trouviez  tentées   dans  la  suite, 
d'ennui  et  de   dégoût,  soyez  courageuses  à 
les    surmonter  :  pensez  alors  comme   l'A- 
[lôtre,  que  si  de  vous-môn-es,  vous  ne  pou- 
vez rien,  dans  l'ordre  de  votre  salut,  vous 
pouvez  loul  dans  votre  Dieu  et  avec  votre 
Dieu,  qui  vous  aide  et  qui  vous  soutient  par 
sa  grâce  ;  rappelez-vous  alors  les  pensées  de 
l'iéié,  les  sentiments   de   ferveur  que  vous 
avez   eus  dans  votre   retraite;   pensez  aux 
bons   dés.rs  que  vous  y  avez  conçus,   aux 
résolutions  saintes  que  vous  y  avez  formées. 


Pensez  alors  h  tout  ce  que  vous  voudrez  avoir 
fait,  lorsque  vous  vous  trouverez  à  vos  der- 
niers moments, prêles  à  terminer  votre  car- 
rière, et  surtout  lorsque  vous  vous  trouverez 
au  tribunal,  et  aux  pieds  de  votre  céleste 
Epoux,  devenu  alors  votre  examina  leur  et  vo- 
trejuge,pourIui  rendreuncomple  exact  et  ri- 
goureux de  toutes  les  pensées  de  volreesprit, 
de  tous  les  senlimenls,de  toutes  les  affections 
de  voire  cœur,  de  toutes  les  actions  de  votre 
vie,  et  pour  l'entendre  décider  de  voire  sort 
éternel.  Lorsque  vous  éprouverez  quelque 
peine  au  service  de  votre  Dieu,  que  vous 
aurez  des  efforts  et  des  sacrifices  à  faire, 
des  répugnances  à  surmonter,  ah  1  pensez 
alors  que,  dès  celte  vie  même,  vous  serez 
abondamment  récompensées  de  la  violence 
que  vous  vous  ferez  et  des  victoires  que 
vous  remporterez  sur  vous,  par  le  calme  de 
la  bonne  conscience,  par  la  paix  du  cœur, 
le  [)lus  grand  bien,  l'unique  bien  même  so- 
lide et  réel  que  vous  puissiez  vous  procu- 
rer en  celte  vie;  mais  pensez  surtout  aux 
grandes,  aux  immenses  récompenses  que 
vous  vous  procurerez  et  qui  vous  attendent 
dans  l'autre  ;  pensez  que  le  ciel,  que  la  pos- 
session éternelle  de  votre  Dieu  dans  le  sé- 
jour de  sa  gloire,  méritent  bien  que  vous 
souffriez  quelques  instants  sur  la  terre  et 
que,  comme  vous  le  dit  l'apôtre  saint  Paul, 
quelques  moments  de  peines  et  de  tribula- 
tions auxquelles  vous  aurez  été  exposées 
vous  procureront  un  poids  injmense  et  inex- 
primable d'une  gloire  et  d'un  bonheur  qui 
ne  finiront  jamais. 

Fasse  le  ciel  qu'il  en  soit  ainsi!  je  l'es- 
père. Mesdames;  j'ai  la  plus  grande  con- 
fiance que  ces  saints  exercices  que  vous 
venez  de  faire  avec  autant  de  fruit  pour 
vous  que  d'édification  et  de  consolation 
pour  moi,  influeront  sur  le  reste  de  vos 
jours;  que  jamais  vous  n'oublierez  et  les 
grâces  que  le  Seigneur  vous  y  a  faites,  et 
les  promesses  que  vous  y  avez  faites  vous- 
mêmes  au  Seigneur. 

Oui,  mon  Dieu,  je  l'espère  aujourd'hui 
et  je  me  complais  dans  cette  consolante  es- 
pérance; vous  savez  que  l'unique  motif 
qui  m'a  porté  à  entretenir  ces  vierges,  vos 
épouses,  et  des  grandes  vérités  de  notre 
sainte  religion  et  des  devoirs  les  plus  im- 
[)ortants  de  leur  saint  état,  a  été  de  les  dé- 
tacher plus  que  jamais  des  créatures  et 
d'elles-mêmes  et  de  les  attacher  irrévoca- 
blement à  voire  service;  vous  les  avez  vues 
tous  les  jours  attentives  aux  instructions , 
aux  leçons  de  salut  et  de  perfeclion  que 
voire  ruinislre,  quelqu'indigne  qu'il  solide 
cet  honorable  titre,  leur  a  données  de  votre 
part  ;  vous  les  avez  vues  dociles  aux  inspi- 
rations de  votre  grâce,  résolues  de  vous 
plaire  en  tout  désormais  et  de  ne  plaire 
qu'à  vous. Daignez, ô  mon  Dieu,  achever  votre 
ouvrage  ;  continuez  de  jeter  des  regards  de 
bonté  et  de  miséricorde  sur  ces  cœurs  qui 
vous  appartiennent  à  tant  de  titres  ;  con- 
servez-les dans  les  sentiments  de  piété,  de 
ferveur  et  d'amour  qui  les  animent  au- 
jourd'hui; soulcnez-lcs  pai' votre  H^âce  au 


41) 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOMIS. 


412 


milieu  des  écueils  et  coiilre  (ouïes  les  alla- 
que-s  des  ennemis  do  leur  perfection  et  de 
leur  salut;  faites  qu'elles  ne  pertlent  jamais 
de  vue  les  enjiageiuenls  solennels  et  sacrés 
qu'elles  ont  contractés  avec  vous  ;  que  toute 
leur  vie  elles  mettent  leur  attention,  leur 
plaisir  même  et  leur  consolation  à  remplir 


exactement  tous  leurs  devoirs, a  vous  servir 
et  à  vous  plaire,  alin  qu'après  avoir  acquis 
à  vos  yeux,  le  mérite  et  le  litre  de  vos  fi- 
dèles é|)ouses  dans  le  temps,  elles  reçoi- 
vent toutes  un  jour,  et  moi  avec  elles,  vos 
récompenses  dans  l'élernité.  Ainsi  soil-il. 


ANALYSE   DES  DISCOURS. 


LA  VEILLE  DE  LA  RETRAITE. 

SUR   LA   RETRAITE. 

Tout  le  temps  que  le  Seigneur  nous  ac- 
corde doit  être  employé  à  noire  salut;  mais 
le  plus  propre  à  y  travailler  avec  succès,  ebl 
celui  d'une  retraite. 

Premier  point.  —  Les  motifs  qui  doivent 
eni^a^er  une  religieuse  à  faire  la  retraite. 

I.  Elle  lui  est  nécessaire  si  elle  est  dans 
l'état  du  péché.  Après  avoir  passé  ses  pre- 
mières années  de  religion  dans  la  régularité 
et  la  ferveur,  elle  n'a  oublié  dans  la  suite 
son  Dieu  et  son  salut,  que  parce  qu'elle  a 
cessé  de  se  recueillir  el  de  méditer.  Or  la 
retraite  la  fait  rentrer  en  elle-même:  elle 
lui  fait  connaître  de  nouveau  sa  lin  dernière, 
ses  obligations  comme  chrétienne  et  comme 
religieuse;  sa  foi  se  rallume  sur  les  grandes 
vérités  de  la  religion.  Pénétrée  alors  de  dou- 
leur sur  le  lassé,  elle  forme  de  bons  propos 
pour  l'avenir  :  que  de  saints  dans  le  ciel, 
que  de  justes  encore  sur  la  terre  doivent 
leur  conversion  à  ces  saints  exctrcices  1 

II.  La  retraite  est  nécessaire  à  la  religieuse 
qui  est  en  état  de  grâce.  Quoique  juste, elle 
a  des  défauts  à  corriger,  des  passions  à  ré- 
primer; elle  a  des  confessions  el  des  com- 
munions lièdes,  imparfaites  à  réparer;  elle 
a  de  puissants  ennemis  à  couiballre,  le  dé- 
mon, le  monde  et  sa  propre  chair.  Or  la  re- 
traite, 1°  éclaire  son  es{irit  en  lui  faisant 
connaître  ses  faib'esses,  ses  imperfections 
el  ses  fautes;  2"  elle  écliauffe  sa  volonté, 
elle  oxcile  dans  son  cœur  une  horreur  du 
péché  et  de  tout  péché,  de  vifs  regiet.s  sur 
le  f)assé,  des  désirs  ardents  de  se  corriger  à 
l'avenir  et  de  se  perfectionner;  3"  elle  met 
parla  son  âme  dans  une  paix  qu'elle  ne 
goûtait  point  lorsqu'elle  était  infidèle  et  peu 
fervente. 

Second  point. —  Lesdis  positions  néces- 
saires à  une  religieuse  pour  bien  faire  la 
retraite. 

L  Disposilions  intérieures:  1°  désir  bien 
sincère  d'en  profiter,  fondé  sur  l'estime 
qu'elle  doit  en  avoir,  la  regardant  comme 
un  temps  très-précieux  f)ropre  à  purifier  el 
à  sanctifier  son  cœur  ;  2"  docilité  parfaite, 
qui  la  rende  attentive  aux  inspirations  de 
la  grâce  el  bien  disposée  à  y  corresfjondre; 
3"  grand  courage  pour  entreprendre  tout 
ce  que  son  Dieu  lui  demandera  jioursa  ré- 


forme et  sa  perfection  ;  sans  cela,  il  n'y  au- 
rait dans  elle  ni  vrai  désir,  ni  vraie  doci- 
lité. 

II.  Oispositions  extérieures  :  1°  exacti- 
tude \  tous  les  exercices;  malgré  les  tenta- 
tions d'ennui  et  de  dégoût  que  le  démon  lui 
suggérera  ;  2°  un  grand  recueillement  ;  sans 
celle  disposition  ,  toutes  les  dispositions 
Seraient  inutiles;  garder  pour  cela  un  pro- 
fond silence,  fermer  les  yeux  et  les  oreilles 
à  tout  ce  qui  pourrait  distraire. 

Conclusion.  Combien  de  retraites  j*ai  fai- 
les  jusqu'ici  sans  en  profiler  1 

Résolutions,  i"  De  m'appliquera  bien  faire 
celle-ci;  2"  do  me  mettre  pour  cela  dans  les 
disposilions  intérieures  et  extérieures  que 
je  viens  de  méditer;  3'  de  me  rendre  sur- 
tout attentive  et  docile  aux  ius()iralions  de 
la  grâce. 

PREMIER  JOUR. 
PREMIER  DISCOURS. —  Sur  le  salut. 

Le  salut  «st  l'unique  affaire  qui  doive 
nous  occup'îr  sérieusement  ;  ce()endant  c'est 
la  plus  négligée,  non-seulement  par  les 
ctirétiens  du  siècle,  mais  même  quelquefois 
par  les  personnes  religieuses. 

Premier  POINT.  —  Le  salut  est  l'affaire  la 
plus  im[)orlanle. 

I.  Considérée  par  rapport  à  Dieu.  C'esl 
pour  nous  sauver  (|u'il  nous  a  tous  tirés  du 
néant;  c'est  pour  celle  fin  qu'il  s'est  choisi 
un  peuple  |)urticulier  dans  l'ancienne  loi; 
que  dans  la  nouvelle,  il  a  envoyé  sur  la 
terre  son  propre  Fils;  c'est  pour  celte  fin  que 
ce  Dieu  Sauveur  a  vécu  dans  la  pauvreté  et 
dans  les  soulfrances,  et  qu'il  est  mort  dans 
les  tourments  el  sur  pne  croix;  qu'il  a  fon- 
dé son  Eglise;  qu'il  y  a  établi  des  pontifes 
et  des  docteurs  qui  ont  le  pouvoir  do  re- 
mettre les  péchés  ;  qu'il  a  institué  des  sa- 
crements qui  nous  communiquent  la  griko 
sancliliante.  Admirez  la  bouté  infinie  de 
notre  Dieu. 

II.  Le  salut  est  l'affaire  la  |)Ius  impor- 
tante, considérée  par  rap()Ort  à  nous.  C'est 
une  affaire,  1°  personnelle,  qui  regarde  di- 
reclemenl  notre  âme,  à  laquelle  nous  de- 
vons travailler  nous-:nèmes  el  non  par  d'au- 
tres ;  2"  indispensable,  les  autres  regardent 
lo  temps  et  jieuvent  être  négligées  :  de 
celle-ci  dépend  notre  éternité;  3°  très-pres- 
sée :  nous  n'avons,  pour  y  travailler,  quo 


415 


ANALYSr:  DES  DISCOURS. 


PRKMIEII  JOUR 


4U 


le  Icmps  de  noire  vie,  toujours  court  et 
incertain;  'i-''  irrc'-parable  :  houreusement 
terminée,  je  jouirai  Je  mon  Pieu  (^aiis  l'éter- 
nité; une  fois  manquée,  je  gémirai  <5ternel- 
lemenl  lie  sa  perle  dans  les  llammes  de 
l'enfer.  Que  sert  présenlemont  aux  réprou- 
vés d'avoir  joui,  sur  la  Icrre,  des  biens  du 
monde? 

Second  point.  —  L'afT.iire  du  salut  est  la 
plus  diflicile.  Quoique  Dieu  veuille  nous 
sauver  tous,  nous  pouvons  tous  nous  per- 
dre; une  inlinilé  et  dans  tous  les  étais,  se 
perdent  en  effet. 

I.  Le  salut  est  très-difTicile  à  une  reli- 
gieuse, considéré  par  rapport  à  Dieu.  Il  lui 
impose,  pour  cela,  de  grandes  obligations  : 
1*  générales,  communes  à  tous  les  chré- 
tiens; ses  préceptes  et  ceux  de  son  Eglise. 
Il  faul  k's  accomplirnécessairemcnl;  il  n'est 
qu'une  impossibilité  réelle  qui  puisse  en 
dispenser...  11  faul  les  accomplir  universel- 
lomcnl  ;  un  seul  transgressé  rend  criminel 
à  ses  yeux...  Il  faut  les  accomplir  constam- 
ment; ce  n'est  qu'à  la  persévérance  que  le 
salut  est  allaclié.  2°  Obligations  particuliè- 
res à  une  religieuse  :  Elle  doil  accomjdir 
les  conseils  de  l'Evangile,  devenus  des  pré- 
ceptes i)0ur  elle.  Elle  doil  encore  plus  (|ue 
les  ciirétiens  du  siècle,  imiter  eu  tout  Jésus- 
Christ,  pratiquer  et  aimer  comme  lui,  l'iiu- 
mililé,  la  pauvreté, -la  morliOcalion  et  les 
croix.  3'  Obligations  [)arliculières  à  son 
inslitui;  elle  doit  se  remplir  de  son  esprit 
et  le  suivre  en  toute  sa  conduite. 

II.  Le  salut  est  Irès-iiilliriie,  considéré 
par  rapport  à  la  religieuse.  Elle  a  de  puis- 
sants ennemis  à  comballre  :  le  démon,  d'au- 
tant plus  acharné  à  sa  perle,  qu'il  la  voit 
idus  appliquée  à  son  salut  :  le  inonde,  qui, 
malgré  sa  séparation  d'avec  lui,  vient  la 
trouver  dans  sa  solitude  et  lui  débiter  ses 
pernicieuses  maximes  :  elle-même,  toujours 
bien  plus  portée  ou  mal  qu'au  bien.  Que  de 
tentations  elle  éprouve  et  de  toute  espèce  1 
Que  de  vigilance  par  conséquent  à  avoir  1 
Que  de  violence  à  se  faire! 

Conclusion.  Que  de  reproches  j'ai  à  me 
faire!  Combien  j'ai  négligé  mon  salut  jus- 
qu'ici ! 

Résolutions  :  1°  de  penser  souvent  à  une 
heureuse  ou  malheureuse  éternité  qui  m'at- 
tend ;  2°  de  ne  rien  négliger  pour  éviter 
celle-ci  et  pour  me  procuTor  celle-là;  3°  d.'c- 
viter,  sur  ce  grand  objet  et  la  pusillanimité 
et  lu  présomption,  me  confiant  en  mon  Dieu, 
qui  veut  sincèrement  me  sauver. 

PREMIER  JOUR.      . 

SECOSD  DISCOURS.  —  Sur  l'office  divin. 

C'est  une  obligation  pour  tous  les  chré- 
tiens d'adresser  à  Dieu,  pour  tous  leurs  be- 
soins, des  vœux  et  des  prières.  Elle  esl  plus 
étroite  pour  les  minisires  do  Jésus-Christ 
et  pour  toutes  les  personnes  religieuses 
obligées,  comme  eux  par  l'Eglise,  à  réciter 
l'ofilce  divin.  • 

l'nKMiER  poi.vT.  —  Les  motifs  qui  doivent 
engager  une  religieuse  à  bien  réciter  l'of- 
tice  divin, 


I.  C'est  une  prière  adressée,  non  à  un 
souverain  de  la  terre,  mais  à  Dieu,  le  maî- 
tre et  le  souverain  de  tous  les  rois  de  l'uni- 
vers. Offices  dos  mysières  de  Jésus-ChrisI, 
de  ceux  de  la  très-sainte  Vierge,  des  anges 
et  des  saints  :  Tout  se  rapporte  à  Dieu  ; 
c'est  faire,  en  partie,  ce  que  font  les  anges 
et  les  saints  dans  le  ciel  ;  quoi  de  |»Ius  ho- 
norable ! 

II.  C'est  une  prière  publique  faite  par 
ordre  de  l'Eglise  et  en  son  nom.  Elle  enjoint 
à  ia  religieuse,  comme  à  ses  ministres,  do 
rendre  à  Dieu  le  culte  qui  lui  est  dû,  de  le 
prier  pour  la  conversion  des  infidèles,  des 
hérétiques  et  des  pécheurs,  pour  la  persé- 
vérance des  justes,  pour  la  délivrance  des 
âmes  du  purgatoire,  jiourles  fondateurs  et 
les  bieidaiti.'urs  de  son  ordre  en  particulier 
et  de  sa  communaulé;  enfin,  pour  toutes 
ses  sœurs  et  pour  ell<  -inéme.  Elle  se  trouve 
par  là  comme  associée  au  saint  ministère. 

III.  C'est  une  prière  fré(|uente  qui  se  ré- 
pète tous  les  jouis  et  plusieurs  fuis  le  jour. 
Que  de  fautvs  mulli()liées,  par  conséc^uent, 
si  elle  s'en  acquille  mal  !  Que  de  grâces,  au 
contraire,  que  de  secours  elle  se  procure,  si 
elle  le  remplit,  comme  elle  le  doit  !  Quoi  de 
plus  édifiant  (lu'une  troupe  de  vierges  qui 
chantent  ovec  recueiliemenl  et  piété,  les 
louanges  du  Seigneur!  Mais  aussi  quel 
scandale,  lorsqu'elles  paraissent  les  chanter 
avec  précipilatioD  et  indévotion! 

Second  point.  —  Les  dispositions  avec 
lesquelles  une  religieuse  doit  réciter  l'ol- 
fice  divin. 

I.  Dispositions  avant  /'o/'/icc,  1°  Recueillir 
son  esprit.  C'est  la  |)lus  nécessaire;  penser 
qu'elle  va  parler  à  Dieu,  l'adorer  et  le  prier. 


Eloigner  tout  sujet  <le  dislraclion.  Il  faut 
{'our  cela  un  recueillement  non  ()assager  et 
pour  le  moment,  mais  habituel.  2°  Purifier 
son  cœur.  Comment  oserait-elle  paraîtra 
devant  Dieu  et  espérer  d'en  être  écoulée,  si 
elle  se  trouvait  coupable  de  péché  grief  ou 
môme  d'affection  au  péché  véniel?  Elle  doit 
donc  lui  présenter  un  cœur  pur,  innocent, 
contrit  de  toutes  ses  fautes  et  déterminé  à 
n'en  commettre  aucune.  3"  Diriger  son  in- 
tention ;  ne  pas  s'en  acquitter  |)ar  coutume, 
par  respect  humain,  mais  pour  adorer  Dieu 
et  solliciter  ses  grûces;  renonçant  à  toute 
distraction,  implorant  dévotement  son  se- 
cours en  disant  :  Deus,  in  adjuloriuin, 

II.  Dispositions  pendant  l'oflicc  divin. 
1°  Altenlion.  Le  réciter  avec  des  distrac- 
tions volontaires,  ce  n'est  pas  satisfaire  au 
I)réce|)te;  c'est  otienser  Dieu,  bien  loin  de 
le  prier.  Elle  doit  l'appli  |uer,  sinon  au  sens 
des  paroles,  si  elle  ne  les  entend  pas,  mais  à 
Dieu  (jui  en  esl  l'objet  et  la  lin;  2°  dévo- 
tion. C'est  son  cœur  surtout  qui  doil  prier  ; 
il  doil  être,  pour  cela,  rempli  de  l'amour  de 
Dieu,;  3°  exactitude.  Par  rapport  au  lieu,  le 
réciter  au  chœur  ei  en  commun,  comme  sa 
règle  l'ordonne.  S'en  dispenser  sans  raison, 
c'est  une  faute  et  un  scandale. .  .  Par  rap- 
port au  temps,  (juitler  tout,  dès  que  la  clo- 
che appelle  à  l'oirice.  Il  y  a  une  grâce  atia- 
chée  à  celte  ionclualité...  Par  rapport  au 


415 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MOÎNTIS. 


116 


(•hanf,  se  dispenser  de  chanter,  sans  raison, 
c'est  n'êlre  au  ciiœur  que  de  corps  ,  et  ne 
pas  remplir  son  devoir. 

III.  Dispositions  après  l'office.  1°  Remer- 
cier Dieu  d'avoir  permis  à  une  pauvre  pé- 
cheresse de  lui  rendre  hommage  et  de  chan- 
ter ses  louanges  ;  2°  réfléchir  un  instant  sur 
ses  fautes  et  ses  distractions,  pendant  l'of- 
fice; 3°  en  demander  pardon  au  Seigneur,  et 
promettre  [)lus  d'attention  h  l'avenir. 

Conclusion.  Quelle  idée  ai-jo  eue  jusqu'ici 
de  l'office  divin  ,  et  comment  m'en  suis-je 
acquittée? 

Itéiolulions.  VDe  penser  souvent  h  l'excel- 
lence età  la  sainteté  de  cet  exercice;  2°  de  ne 
mabsenler  jamais  du  chœur,  sans  une  vraie 
nécessité;  3°  d'y  assister  toujours  avec  un  re- 
cueillement iniérieur  et  extérieur  tout  en- 
semble, qui  fjuisse  [ilaire  à  Dieu  et  édifier 
mes  sœurs. 

PREMIER  JOUR. 

TROISIÈME  uiscouus.  —  Sur   la  mort   d'une 

religieuse  dans  le  péché. 

Combien  de  chrétiens  dans  le  monde,  môme 
d'épouses  de  Jésus-Christ  dans  la  religion, 
éprouvent  celte  terrible  prédiction  qu'il  fit 
aux  Juifs,  qu'ils  mourraient  dans  leur  péché! 

Phemier  POINT.  —  Première  réflexion  qui 
commence  l'état  de  douleur  et  de  regrets 
d'une  mauvaise  religieuse  à  la  mort  :  la  vue 
du  pa5sé.  Sa  foi  qui  avait  paru  éteinte  de- 
puis longtemps  se  rallume  alors,  et  lui  fait 
voir  clairement  tout  ce  que  son  Dieu  a  fait 
pour  la  sauver,  et  tout  ce  qu'elle  a  fait  pour 
se  periJre.  1°  Vue  de  ses  péchés.  Mais  com- 
n)cnl?  elle  les  voit  tous.  Péchés  contre  Dieu, 
contre  le  prochain  et  contre  elle- même  ; 
péchés  propres  et  péchés  d'autrui,  aucun 
n'échoppe  à  sa  mémoire.  Elle  les  voit  tous 
ensemble.  Ils  se  réunissent  dans  sa  mé- 
moire pourl'accabler...  Elle  les  voit  sans  in- 
terru[)tion;  elle  ne  peut  plus  comme  autrefois 
en  détourner  la  vue  et  se  distraire...  Elle 
les  voit  avec  toute  leur  malice.  Elle  ne  peut 
les  diminuer,  les  excuser  comme  lorsqu'il 
lui  plaisaient.  Le  démon,  pour  la  plonger 
dans  le  désespoir,  grossit  môme  à  ses  yeux 
les  fautes  les  plus  légères.  Quel  état  [)Our 
une  épouse  de  Jésus-Christ. 

2"  La  vue  de  toutes  les  grâces  qu'elle  a 
reçues  de  son  Dieu;  grâces  générales  et 
communes;  grâces  particulières  et  do  |)ré- 
(lik'Ction,  toutes  se  présentent  à  sa  mé- 
moire; elle  voit  l'abus  qu'elle  en  a  fait,  elle 
voit  qu'il  lui  était  facile  d'y  correspondre, 
de  vaincre  avec  elles  toutes  les  teiilalions  ; 
en  vain  demande-l-elle  5  Dieu  un  peu  de 
temps  pour  se  convertir;  ce  temps  lui  est 
refusé. 

Second  point.  —  Seconde  réflexion,  qui 
met  le  comble  à  la  douleur  et  aux  regrets 
d'une  mauvaise  religieuse  :  la  vue  de  l'a- 
venir. Tant  qu'elle  est  dans  la  voie,  elle  a 
toujours  des  grâces  suffisantes  pour  se  con- 
vertir; mais  au  lieu  d'y  travailler,  elle  s'oc- 
cu()e  de  pensées  désespérantes. 

I.  La  pensée  des  créatures  qu'elle  est 
forcée  d'abandonner.  1"  Abandon  de  son 


corps  qu'elle  a  livré  à  la  sensualité,  au  lieu 
de  le  mortifier.  2°  Abandon  de  son  état,  de 
ses  emplois  auxquels  elle  s'est  attachée  par 
des  motifs  tout  naturels,  pour  sa  satisfaction 
[larticulière.  3°  Abandon  des  personnes 
qu'elle  a  aimées  d'un  amour  désordonné,  et 
plus  que  son  céleste  Epoux. 

IL  La  pensée  de  l'état  funeste  oij  elle  va 
se  trouver.  1°  Un  jugement  terrible  à  subir  : 
son  céleste  Epoux  qui  va  devenir  son  Juge, 
mais  un  juge  infiniment  éclairé,  à  qui  rien 
n'échappera  de  toute  sa  vie  et  qui  discutera 
tout...  Tout-Puissanf,  aucjuel  rien  ne  peut 
résister...  Infiniment  é(|uitable,  disposé  à 
tout  punir  comme  à  tout  récom|)cnser... 
Inexorable,  qui  ne  se  laissera  plus  toucher 
de  miséricorde. 

III.  La  pensée  de  la  sentence  qu'elle  va 
subir.  Destinée  par  son  Dieu  à  une  ()lace 
élevée  dans  le  ciel,  elle  voit  qu'elle  va  être 
jirécipilée  dans  l'enfer  avec  les  démons  et 
les  réprouvés.  Et  cela  fiour  toujours;  la  vue 
de  cette  éternité  surtout,  la  réduit  au  plus 
grand  désespoir.  Sur  quelques  signes  de 
religion  et  de  repentir,  elle  reçoit  les  der- 
niers sacrements;  elle  expire  enfin,  et  tan- 
dis qu'on  fait  des  prières  pour  elle,  le  Sei- 
gneur la  cite  h  son  tribunal,  la  juge  et  la 
condamne  au  feu  éternel.  Quel  fond  de 
réflexions,  surtout  pour  une  religieuse  in- 
fidèle à  ses  devoirs. 

Conclusion.  Mourrai-je  sainte  ou  réprou- 
vée? question  que  je  puis  résoudre  moi- 
même.  Comment  vivé-je?  Telle  est  la  vie, 
telle  est  la  mort,  dit  saint  Augustin. 

Résolutions.  1°  De  penser  de  temps  en 
temps  à  la  différence  de  la  mort  d'une  reli- 
gieuse fervente,  ou  d'une  infidèle;  2  de  me 
tiansjiorter  souvent  en  esprit,  au  lit  de  la 
mort,  et  de  me  demander  ce  que  je  voudrais 
avoir  fait  alors;  3  de  demander  tous  les 
jours,  au  Seigneur,  de  mourir  de  la  mort 
des  justes. 

SECOND    JOUR. 

PREMIER  DISCOURS. — Sut  le  péché  vénlet. 

Tout  chrétien  ,  et  encore  plus  une  reli- 
gieuse, ne  peut  travailler  efficacement  à  son 
salut,  si  elle  n'évite  non -seulement  le  pé- 
ché mortel,  mais  encore   le  véniel. 

Premier  point.  —  Le  péché  véniel  est 
très-injurieux  à  Dieu.  La  religieuse  qui  le 
commet,  surtout  facilement,  se  rend  cou- 
pable. 

1.  De  mépris  envers  son  Dieu.  Il  l'a  créée 
uniquement  pour  lui  ;  il  l'a  mise  pour  cette 
fin  dans  l'état  de  la  religion;  il  lui  a  pres- 
crit tout  ce  qu'elle  devait  faji-e  pour  lui 
|)laire  ;  elle  le  sait  :  ce|)endant,  iJans  mille 
occasions  elle  ne  craint  point  do  lui,  déso- 
béir; elle  sait  qu'il  a  une  0(i|)osilion  si 
essentielle  avec  le  péché,  que  quand  il  s'a- 
girait de  tirer  toutes  les  âmes  du  |)urgutoire 
et  celles  de  l'enfer  même,  il  ne  serait  pas 
l)ermis  de  commettre  le  plus  léger.  Cepen- 
dant elle  le  commet  sans  scru{)ule;  quel 
mépris  1 

11  D'ingratitude  envers  son  Dieu.  Qu'elle 
se  rrqipelle  les  bienfaits  qu'elle  en  a  reçu?. 


417 


ANALYSK  DES  DISCOURS.  -  DEUXIEME  JOUR. 


418 


ceux  surloni  qui  lui  sont  pnrliculiors  ;  sa 
vociition  à  l'élal  reliyicMix,  par  priîféroricc 
à  une  infinilo  li'aulres;  les  ol»slacIes  qu'il  a 
levés,  pour  l'y  faire  entrer;  les  grâces  dont 
il  l'a  con)l)l('ie  depuis  :  pour  toute  recoriuais- 
sance,  il  lui  diTuamie  de  lui  ôtrc  fidèK',  en 
évitant  loule  espèce  de  péché;  cependant 
elle  en  coinniel  facilenieni,  sous  prétexte 
qu'ils  ne  sont  |)as  mortels,  et  les  mulliplie; 
esi-ce  là  lui  témoigner  sa  reconnaissance  et 
son  amour? 

Second  poI^•T.  —  Le  péché  véniel  est  (rès- 
préjudiciajjle  à  la  religieuse  qui  le  commet. 

I.  Il  la  prive  des  grâces  du  ciel,  sinon  dos 
générales,  du  moins  des  spéciales  et  de 
prédilection.  Il  refroidit  le  cœur  de  Dieu  à 
son  ég.ird  ;  comme  il  réconifiense  un  acte 
de  fidélité  par  une  nouvelle  grâce,  il  punit 
aussi  un  acte  d'infidélité  par  une  soustrac- 
tion de  grâce.  Elle  met  donc,  par  là,  ohsiacle 
à  l'ouvrage  de  sa  perfection;  de  là  des  re- 
mords continuel?,  la  perle  de  la  paix  inté- 
rieure dont  jouit  la  religieuse  fidèle  et 
fervente. 

II.  Le  péché  véniel  la  conduit  insensible- 
ment au  mortel.  Ce  n'est  point,  à  la  vérité, 
sou  intention;  mais  1"  elle  se  trompe  dans 
le  jugement  qu'elle  porte  de  ses  péchés. 
2'  Le  mépris  des  petites  choses  conduit  à  de 
grandes  chutes  ;  le  Saint-Esprit  l'a  prédit,  et 
l'expérience  le  confirme.  3°  Les  péchés  vé- 
niels multipliés  affaiblissent  peu  à  [leu  la 
charité  qui  s'éteint  enfin  entièrement.  Com- 
bien, par  là,  d'âmes  infidèles  se  croient 
justes,  et  qui  ne  le  sont  [ilus  ! 

IIL  Le  f)éché  véniel  la  conduit  h  l'impé- 
iiitence  finale.  Une  religieuse  actuellement 
dans  l'enler,  si  on  pouvait  l'interroger,  di- 
rait que  c'est  sa  facilité  à  commeitre  le 
péché  véniel  qui,  |)eu  à  peu,  l'a  conduite  au 
mortel;  qu'elle  s'est  accoutumée,  par  là,  à 
résister  à  la  grâce,  et  jusqu'à  la  mort;  une 
personne  jiiongée  dans  de  criminelles  habi- 
tudes, touchée  tout  à  coup,  revient  quel- 
quefois plus  aisément  à  Dieu,  que  celle 
qui,  par  des  fautes  vénielles,  est  tombée 
enfin  dans  le  péché  mortel. 

Conclusion.  Ai-je  jamais  regardé  le  pectié 
véniel  aussi  injurieux  à  Dieu  et  aussi  fu- 
neste à  l'âme  qu'il  l'est  en  eU'et. 

Résolutions.  1°  D'éviter  avec  soin  jus- 
qu'aux fautes  les  plus  légères.  2°  De  m'exa- 
ujiner  scrupuleusement  sur  cela  et  de  m'en 
confesser  avec  une  vraie  douleur.  3"  De 
penser  souvent  combien  la  facilité  à  com- 
nieilre  les  fautes  vénielles  est  opposée  à  l'é- 
lal de  perfection  que  j'ai  vouée  à  mon  Dieu. 

SECOxND  JOUR. 

SECOND  DISCOURS.  —  Sur  l'observation   de   la 
règle  et  des  constitutions. 

C'est  Dieu  qui  destine  aux  dilférenls 
étuis.  Les  personnes  qu'il  relire  de  la  con- 
t.igiun  du  luonde  en  les  appelant  h  l'état  re- 
ligieux, sont  les  plus  heureuses;  mais  pour 
cela  elles  doivent  observer  fidèlement  leur 
règle  et  leurs  cunslilulions. 

Pkeuieh  puint.  —  Pourquoi  une  religieuse 


doit-elle  observer  sa  règle  et  ses  conslilu- 
tiofis? 

1.  Pour  la  consoialion  de  ses  supérieurs; 
non  qu'elle  ne  doive  avoir  en  vue  que  de 
leur  plaire,  ce  serait  hypocrisie;  mais  aussi 
les  persomies  supérieures  étant  établies 
pour  maintenir  la  régularité,  une  religieuse 
qui  n'est  pas  fidèle  à  sa  règle  leur  désobéit, 
et  à  Dieu  par  conséquent  dont  elles  tien- 
nent la  [)lace;  lesp'aintes  qu'elles  lui  font 
ne  peuvent  être  que  très-préjudiciables  à 
une  religieuse  infidèle. 

il.  Pour  l'édification  de  ses  sœurs.  Tous 
les  chrétiens  en  général  sont  obligés  de 
s'édifier  ;  à  plus  forte  raison  les  personnes 
religieuses,  parce  qu'elles  sont  plus  occu- 
pées que  les  chrétiens  du  nsonde  du  service 
de  Dieu....  Parce  que  leurs  obligaliotissont 
d'une  plus  grande  étendue...  Parce  que  leurs 
fautes  peuveut  moins  se  cacher  que  dans  le 
monde...  Parce  que  des  fautes  légères,  qui 
ne  scandaliseraient  pas  dans  le  monde, 
scandalisent  dans  la  religion. 

III.  Pour  sa  propre  sanctification.  Dans 
tous  les  états,  pour  se  sauver,  il  faut  en 
a(;comj>lir  les  devoirs  ..  A  la  vérité,  on  ne 
pèche  pas  en  manquant  à  la  règle  et  aux 
constitutions...  Mais  1°  Tous  les  casuisies 
couvienneut,  d'après  saint  Thomas,  qu'en 
y  manquant  il  y  a  presque  toujours  mépris 
de  la  règle  ou  scandale,  et  péiché  par  con- 
séquent. 2°  On  n'a  jamais  vu  une  religieuse 
se  sanctifier  en  transgressant  la  règle  elles 
constitutions  qui  lui  ont  été  données  comme 
le  plus  grand  moyen  de  sanctification. 

Second  poikt. —  Comment  une  religieuse 
doi  t-e  1 1  (;  obser  v  er  sa  règle  et  ses  consli  lu  lions? 

I.  Entièrement  et  sans  réserve.  C'est  à  cet 
accomplissement  total  que  sa  sanctification 
est  attachée.  Quand  elle  se  livreraii  à  toute 
autre  œuvre,  quelque  sainte  qu'elle  parût, 
elle  irait  contre  la  volonté  de  Dieu.  Mal- 
heur à  celle  qui  distingue  ce  qu'il  y  a  d'im- 
poitant  d'avec  ce  qui  ne  l'est,  pasi  II  n^  a 
rien  de  petit  dans  la  religion.  Il  y  a  des 
grâces  attachées  aux  plus  légères  pratiques. 
Ainsi  pensent  et  agissent  les  saintes  reli- 
gieuses. Excuse  qu'on  allègue  souvent. 
1"  Son  em[)loi  ;  mais  que  d'observances 
omises  et  compatibles  avec  l'emploi  1  2° 
La  coutume.  Mais  si  elle  est  un  abus,  quel- 
que ancienne  qu'elle  soit,  il  faut  la  réfor- 
mer. 3°  La  permission  de  sa  supérieure. 
Mais  elle  n'est  f)0inlau-dessus  de  la  règle; 
si  elle  dispense  sans  raison,  elle  pèche  et 
celle  qui  se  sert  de  la  dispense. 

II.  Prompteraent  et  sans  délai.  Au  pre- 
mier signal,  il  faut  tout  quitter,  c'est  Dieu 
qui  appelle.  Il  y  a  une  grâce  attachée  à  cette 
ponclualilé,  c'est  pour  cela  que  le  démon 
lente  de  (lilîérer.  C'est  ce  qui  priva  les 
vierges  folles  de  la  compagnie  de   l'Epoux. 

III.  Constainment  et  sans  interruption. 
On  monlre  de  l'exactiiude  dans  les  pre- 
mières années  de  religion,  puis  on  se 
relâche.  Il  en  est  de  môme,  après 
une  retraite  ou  une  grande  fête.  Celte 
inconstance  prouve  que  ce  n'est  pas  Dieu 
(ju'on  cherche.  Une    ferme  constance  du- 


4i9 


ORATEURS  SACRES.  L'ABDE  DE  MONTIS. 


420 


mande  da  cournge;  il  faut  se  faire  violence; 
mais  elle  est  nécessaire  pour  ravir  le  ciel.... 
Il  faut  ne  pas  regarder  l'avenir,  tentation 
du  démon  pour  décourager,  mais  ne  pen- 
ser qu'au  moment  présent.  Quelle  dilîé- 
rence,  à  la  mort,  entre  une  religieuse 
qui  a  toujours  été  fidèle  à  sa  règle,  et  celle 
qui  ne  l'a  été  que  par  caprice,  i)ar  intervalle  I 

Conclusion.  Que  j'ai  de  reprociies  à  me 
faire  sur  ce  qui  regarde  ma  règle  et  mes 
constitutions!  Que  d'infractions!  que  de 
négligences! 

Résolutions.  1°  De  penser  souvent  que  je 
ne  puis  être  heureuse  dans  l'autre  vie,  ni 
aaême  dans  celle-ci,  que  par  une  fidélilé 
entière  etconslanteà  It  «observer;  2°  de  pro- 
mettre tous  les  malins,  h  nio:i  céleste  Epoux, 
cette  fidélilé  pour  toute  la  journée;  3°  de 
me  confesser  exactement  des  moindres 
négligences  dont  je  me  trouverai  coupable. 

SECOND  JOUR. 
TROISIÈME  DiscocRS. — Sw  Ic  jugement  dernier . 

Nous  redoutons  tous  la  mort,  surtout  à 
cause  du  terrible  jugement  qui  doit  la  sui- 
vre. C'est  ce  qui  fait  trembler  les  pécheurs 
dans  leurs  derniers  momt-nts,  et  encore  plus 
une  mauvaise  religieuse. 

Premier  point.  —  La  sagesse  de  Dieu  ma- 
nifestée aujugement  dernier  par  l'exameu 
qu'il  fera  dé  la  mauvaise  religieuse. 

I.  Il  l'examinera  1°  sur  le  mal  qu'elle  aura 
fait,  sur  tous  les  péchésqu'elle  aura  commis. 
Péchés  de  l'esprit,  péchés  du  cœur,  péchés  de 
paroles,  péchés  d'actions,  péchés  propres, 
péchés  d'auîrui;  le  Seigneur  lui  montrera 
tous  ces  péchés  dans  un  instant  avec  toute 
leur  diirormilé.  Il  les  montrera  de  plus  à  tous 
les  hommes  assemblés.  Quelle  confusion 
pour  elle  !  2°  Sur  le  bien  qu'elle  n'aura  pas 
fait  et  qu'elle  aurait  dû  faire.  Omission  de 
ses  devoirs,  de  sa  règle,  do  ses  constitu- 
tions; négligences  dans  ses  emplois;  abus 
de  ses  talents,  des  lumières  de  son  esprit, 
des  qualités  de  son  cœur,  de  tous  les  dons 
de  la  nature  et  de  la  grâce.  3"  Sur  le  bien 
qu'elle  aura  mal  lait.  Celui  qu'elle  aura  lait 
dans  l'état  du  péché,  rejelé  étant  sans  mérite. 
Celui  qu'elle  aura  fait  en  état  de  grâce,  mais 
]iar  des  motifs  naturels,   également   rejeté. 

II.  Le  Seigneur  la  convaincra  de  tout  le 
mal  qu'il  trouvera  dans  elle.  1°  Par  sa  reli- 
gion, lui  montrant  une  conlradiclion  entre 
sa  foi  et  sa  conduite  ;  entre  ses  vœux  de 
baptême  et  de  religion  et  ses  œuvres.  2°  Par 
sa  raison.  Que  de  fautes  commises  contre 
ses  lumières,  contre  sa  conscience  dont  ol  e 
étoulfait  les  remords  !  3"  En  réfutant  toutes 
les  excuses  qu'elle  pourra  alléguer  pour  sa 
justification,  il  la  forcera  par  là  de  s'avouer 
indigne  de  toute  miséricorde. 

Second  point.  La  justice  de  Dieu  niani- 
fesiée  au  jugement  dernier  par  la  sentence 
qu'il  portera  contre  la  mauvaise  religieuse. 

\.  Sentence  extrêmement  redoutable.  Pe* 
sez  chaque  parole.  Retirez-vous  de  moi, 
maudits.  (  A/a//A.,XXV,41.)  Un  Dieu  parlera 
ainsi  à  son  épouse  qu'il  avait  destinée  à 
être  éternellement  heureuse  avec  lui.  Allez 


au  feu;  feu  dont  elle  avait  paru  douter  peut- 
être,  avec  les  impies  du  siècle,  pour  y  souf- 
frir tous  les  tourments  dont  son  âmo  et  son 
corjiS  seront  susceptibles  ;  ^fernc/,  pour  y 
demeurer  autant  de  temps  qu'il  sera  son 
Dieu  et  qu'elle  sera  son  ennemie. 

il.  Sentence  infinimeni  équitable.  En  ap- 
pellera-l-elleà  sajustice?  mais  il  l'en  avait 
menacée  de  cette  sentence...  Mais  dans  le 
doute,  elle  devait  prendre  le  plus  sftr...  Mais 
si  elle  lui  eût  éié  fidèle,  elle  eût  reçu  une 
récompense  éternelle...  Mais  si  toute  l'éter- 
nité, il  l'eût  laissée  sur  la  terre,  elle  n'eût 
cessé  de  l'olfenser.  En  appellera-t-elle  à  sa 
boulé?  Mais  il  lui  rappellera  tout  ce  qu'il  a 
fait  pour  la  sauver;  tous  ces  bienfaits  géné- 
raux et  particuliers  dont  il  l'a  comblée  et 
auxquels  elle  n'a  répondu  que  par  la  plus 
énorme  ingratitude. 

III.  Semence  absolument  irrévocable  ;  par 
la  raison  mêmeciu'elle  sera  infinimeni  équi- 
table, ce  sera  d'ailleurs  un  juge  infiniment 
éclairé,  incapable  de  se  tromper...  Un  juge 
suprême  qui  ne  reconnaît  aucun  être  au-des- 
sus de  lui  ;  un  juge  désintéressé  que  tous  les 
trésors  de  l'univers  ne  pourront  corrompre  ; 
un  juge  irriré  qui  ne  se  laissera  plus  loucher 
de  compassion  ;  un  juge  absolu  sans  égards  ni 
prédilection...  Celte  religieuse  sera  donc 
sans  ressource  alors.  A  qui  aurait-elle  re- 
cours? A  la  sainte  Vierge?  Elle  en  a  né- 
gligé le  culte;  elle  l'a  méprisé  et  raillé 
peut-être,  dans  les  aulres...  A  son  ange 
gardien?  Elle  en  a,  sans  cesse,  rejeté  les 
inspirations...  Aux  bienheureux  du  ciel? 
Uniquement  occu})és  de  la  gloire  du  Sei- 
gneur, ils  le  solliciteront  de  la  venger,  dans 
cette  épouse  infidèle.  Ainsi  sans  espérance, 
au  'nioinenl  qu'elle  verra  tous  les  justes  en- 
trer dans  le  ciel  avec  Jésus-Christ,  elle  se 
verra  piéci|»itée  avec  tous  les  réfirouvés 
dans  l'enfer. 

Conclusion.  Je  crois  à  ce  jugement  re- 
doutable; m'y  suis-jebien  préparée  jusqu  à 
présent? 

Résolutions.  1°  De  m'examiner  souvent 
moi-même  et  exactement,  surtout,  pour  mo 
confesser.  2"  De  travailler  à  expier  mes  pé- 
chés, par  un  accomplissement  fidèle  des 
devoirs  el  des  observances  de  mon  état. 
3°  De  me  transporter  de  temps  en  temps, 
en  esprit,  au  tribunal  du  souverain  Juge, 
et  de  méditer  la  sentence  qu'il  portera  con- 
tre les  réj)rouvés 

TROISIÈME  JOUR. 

premier   discours.   —  Sur   l'exercice  de  ta 

pénitence. 

Il  y  a  une  infinité  de  pécheurs  dans  lo- 
monde;  très-peu  se  livrent  à  la  pénitence  : 
ils  la  renvoient  au  cloîlre.  Plusieurs,  dans 
la  religion,  ou  s'en  dispensent  ou  la  font 
sans  fruit. 

Premier  point.  —  Les  motifs  qui  doivent 
eng.iger  une  religieuse  à  faire  i)éni:ence. 
Outre  les  litres  de  fille  d'Adam,  de  chré- 
tienne et  de  religieuse  qui  l'y  obligent. 

l.  La  pénitence  lui  est  nécessaire,  pour 
obtenir  le  pardon  de  ses  péchés.  En  péchant, 


sn 


ANALYSE  DKS  DISCOURS.  —  TROISIKMK  JOIR. 


422 


elle  n  oulragi^  son  Dion  ;  elle  ne  peut  snvoir 
jibsolunieiil  s'il  lui  a  par.innm^.  Le  ii)oy(Mi 
(le  se  rassuicr  sur  cel?),  c'e^l  'le  faire  p<^- 
nilciice,  parce  cpie  Dieu  proiiiel,  dans  les 
divines  Ecriluros,  le  pardon  à  la  pénilence  ; 
aussi  l'Eglise  n'a  jamais  réconcilié  les  pé- 
cheurs, sans  leur  enjoindre  quelque  j)éni- 
ten(;e. 

H.  La  pénilence  lui  est  nécessaire,  pour 
expier  ses  péchés.  Quand  elle  serait  sûre 
d'en  avoirobtenu  le  pardon  ;  oiilre  la  coulpe, 
il  reste  toujours  la  |ieino,  que  d'éternelle 
Dieu  a  bien  voulu  changer  en  temporelle, 
et  qu'elle  doit  subir,  ou  dans  celle  vie  ou 
dans  le  purgatoire,  donl  les  peines  sonl  in- 
fniiinenl  plus  rigoureuses  c|ue  tout  ce  qu'elle 
peut  soullrir  en  ce  monde. 

111.  La  pénitence  lui  est  nécessaire,  [tour 
ne  plus  retomber  dans  ses  |)écliés.  Pour  n'y 
plus  retomber,  elle  a  besoin  de  grAces,  el 
d'au'ant  plus  Ibries,  qu'elle  a  plus  ()éciié  : 
or  ces  grâces  l'ortes,  Dieu  ne  les  donne 
qu'aux  personnes  vraiment  converlies,  (^ui 
se  livrent  à  la  [)énilence.  il  est  d'expérience, 
qu'il  n'y  a  que  celles-là  qui  persévèrent  ;  les 
autres  sont  des  rechutes  continuelles. 

Second  roi.\T.  — Les  dispositions  dans  les 
quelles  une  religieuse  doit  faire  pénitence. 

I.  Sa  pénileiice  doit  être  pure  dans  sun 
motif.  N'avoird'autre  inleiiliun  que  d'apai- 
ser la  colère  de  Dieu  et  de  satislaire  à  sa 
justice  :  en  voilà  l'esprit  ;  t.aus  cet  esprit  on 
peut  se  livrer  aux  rigueurs  même  de  la  pé- 
nitence par  orgueil  pour  paraître  i)énitent  , 
ou  pour  un  temps,  dans  la  vue  d'obtenir 
une  I  romfite  absolution  ;  ou  par  coutume, 
pour  faire  comme  les  autres  ;  ou  pour  se  dé- 
livrer de  quelque  mal  temporel  ,  comme 
Antiochus. 

II.  Universelle  dans  son  objet.  Tout  ce 
qui  est  dans  elle  et  liors  d'elle  lui  a  servi  à 
otlenser  Dieu  ,  tout  doit  donc  être  employé 

à  sa  (léiiitence Son  cor[)s  qui  du  tem|)le 

du  Saint-KsjMil  est  devenu  par  le  péché  la 
demeure  de  Satan,  elle  doit  le  livrer  aux 
jeûnes  tl  aux  macéiations...  Mais  la  péni- 
tence intérieure,  celle  du  cœur,  est  néces- 
saire surtout;  elle  doit  donc  combattre  ses 
passions,  la  dominante  surtout;  elle  doit 
renoncer  h  tout  attachement  terrestre,  à 
toute  dissipation  et  Oisiveté,  è  une  vie  com- 
mode et  sensuelle  ;  elle  doit  s'appliquera 
réformer  entièrement  son  cœur  et  accepter 
en  espiit  de  pénitence  toutes  les  croix  que 
le  Seigneur  lui  envoie. 

ilL  Loiisiaiite  dans  son  exercice.  Un  seul 
péché  mortel  lOmmis  sufîit  pour  cela  ,  parce 
qu'elle  n'est  jamais  certaine  d'en  avuir  ob- 
tenu le  pardon.  L'est  d'ailleurs  le  moyen  do 
jouir  de  la  paix  du  cœur  et  des  consolations 
du  ciel. 

Conclusion.  Coupable  de  tant  dépêchés  , 
si  je  néglige  de  faire  pénitence  en  cette  vie 
je  tomberai  sûrement  après  ma  mort  entre 
les  mains  d'un  Dieu  qui  se  fera  une  exacte 
justice   par    lui-même. 

HésoluCions.  l"  De  penser  souvent  à  tout 
le  que  mes  péchés  ont  mérité  et  à  ce  (pae  je 
voudrais  avoir  fait  a  la  moil  pour  les  expier. 


2"  De  demander  souvent  an  Seigneur  l'espril 
dooomiiotiction  qu'ont  eu  tous  les  saints  pé- 
nitents, -i'  D'accepler  en  esprit  de  pénilenf^e 
tomes  les  peines  que  Dieu  m'enverra  et  de 
nie  livrer  courageusement  à  toutes  les  prati- 
quesdemortilication  prescrites  parraa  règle. 

TROISIÈME  JOUR 
SECOND    DISCOURS. —  Sur  Voraisoïi  mentale. 

Elle  a  été  pratiquée  par  tous  les  saints, 
recommandée  par  lous  les  maîtres  de  la  vie 
spirituelle  et  prescrite  par  lous  les  fonda- 
teurs d'ordres. 

Pkemier  point.—  Les  granilsavantages  que 
l'oraison  nienlale  procure  à  une  religieuse. 

I.  Elle  l'éclairé  sur  l'étendue  de  ses  devoirs. 
Très-peu  de  chrétiens  dans  le  monde  sont 
fidèles  à  leurs  obligations  parce  qu'ils  ne  ré- 
fléchissent point  j.ureux-niémes,  et  qu'ils  ne 
s'entrctiennenljamaisavec  Dieu  ;  c'estceiine 
fait  chaque  jour  une  épouse  de  Jésus-Christ. 
Que  de  lumières,  que  de  connaissances 
elle  acquiert  par  là  sur  la  grandeur  et  les 
perfections  infinies  de  son  Dieu,  sur  la 
giièveté  du  pc'ché,  sur  les  am.ibililés  de  la 
vertu,  sur  le  néant  du  monde,  sur  la  subli- 
mité de  son  saint  état!  C'est  dans  l'oraison 
qu'elle  aperçoit  ses  fautes,  ses  imperfec- 
tions, ses  mauvais  penchants  el  en  même 
temps  les  moyens  les  plus  propres  pour  se 
réformer  el  se  perfectionner. 

II.  L'oraison  l'excile  à  l'accomplissement 
de  sesdevoirs.  Il  ne  lui  suffit  pas  de  con- 
naître f)our  se  sauver,  elle  doit  agir  ;  or 
l'oraison  lui  fait  joindre  la  pratique  à  la 
spéculalion.  Elle  la  [)0rle  à  haïr  et  à  fuir 
le  péché  et  louie  espèce,  de  péché.  Soncœur 
s'eiillimme  du  désir  d'ôlre  tout  à  Dieu; 
elle  se  sent  disposée  alors  à  faire,  pour 
plaire  à  son  céleste  Epoux,  les  plus  grands 
sacrilices.  Les  religieuses  his  [)lus  exactes 
à  tous  leurs  devoirs  ont  toujours  été  adon- 
néesà  l'oraison. 

III.  L'oraison  la  fortifie  el  la  console, 
dans  raccom[)lissemenl  de  ses  devoirs.  Il 
est,  dans  le  service  de  Dieu,  des  tentations, 
des  coniradiclions,  des  é[>reuves.  Une  reli- 
gieuse fervente  est  souvent  raillée,  mépri- 
sée môme  dans  sa  communauté  quelque- 
fois; elle  est  sujette  à  des  ennuis,  à  des 
dégoûts;  le  Seigneur  lui-même  l'éprouve, 
soit  par  des  f)eiiies  inlérieures,  |)ar  des  té- 
nèbres et  des  aridités,  soit  par  des  inlirmi- 
tés  ç<)rporelles;  qu'elle  s'entretienne  lidèle- 
nieiit  avec  lui  dans  l'oraison,  elle  en  sort 
tuule  consolée, fortifiée  et  i)lus  dis[)osée  que 
jamais  à  tout  faire  et  à  tout  soulfrir  pour  lui. 

Second  point. —  Lesdisposilionsnécessai- 
res  à  une  religieuse  [loiirbien  faire  l'oraison. 

I.  Recueillement  de  l'esprit.  Jésus-Christ 
a  recommandé  à  ses  apôires  de  se  retirer 
dans  une  chambre ,  la  porte  fermée  pour 
prier.  Il  s'agit  dans  l'oiaison  de  s'occuper 
de  sa  [lerfection,  de  parler  à  Dieu,  de  solli- 
citer ses  grâces,  d'entendre  ce  qu'il  dit ,  de 
méditer  les  vérités  célestes,  do  sonder  et 
de  bien  connaître  son  propre  cœur;  tout 
cela  demande  la  plus  grande  altention,  et 
j.'ar  conséquent  un  grand  recueillement,  qui 


423  OUATEURS  SACRES. 

soil  môme  liabiluel  on  conservant  son    es- 
prit et  ses  sens,  dans  la  morlidcation. 

II.  Pureté  de  cœur.  La  fin  de  l'oraison  est 
d'adorer  Dieu  cl  do  lui  d(Miinndcr  tous  ses 
besoins,  dans  l'ordre  du  salut  surtout;  il 
fiiut  donc  pour  cela,  qu'elle  se  rende  agréa- 
ble à  ses  yen\,  quelle  évite  de  l'oflenser 
non-seulement  par  le  péché  mortel,  mais 
encore  par  louts  faute  vénielle,  bien  volon- 
taire; il  faut  que  son  cœur  soit  dégagé  de 
toute  an'eclion  terrestre,  et  d'elle-même 
surtout;  qu'il  soit  de  plus  orné  de  toutes 
les  vertus  |)ro|ires  de  son  étal,  et  de  l'Iiu- 
înilité  surtout;  l'orgueil  est  le  pUis  grand 
obstacle  aux  fruits  de  l'oraison  :  Le  Seigneur 
résiste  aux  superbes,  el  donne  sa  grâce  aux 
humbles.  {\Pelr.,  V,  5.) 

III.  Dociliié  de  la  volonté.  No  faisant 
oraison  que  pour  se  lemlro  parfaite,  elle 
doit  se  montrer  docile  à  tout  ce  que  Dieu 
exige  d'elle.  Il  lui  demande  quelquefoisdes 
sacrifices  qu'elle  lui  refuse,  parce  qu^elle 
s'est  fait  un  système  de  conduite  (lu'elle 
ne  veut  pas  abandonner.  Docilité  encore  à 
sesoumelire  h  toutes  les  voies  du  Seigneur 
à  son  égard  dans  l'oraison,  à  accepter  les 
ténèbres  el  les  aridités  par  lesquelles  il 
conduit  souvent  ses  épouses  les  plus  sain- 
tes et  les  plus  chéries,  comme  les  lumières 
et  les  consolations. 

Conclusion.  Que  de  grûces  et  de  mérites 
dont  je  me  suis  privée  jusipi'ici,  pour  avoir 
négligé  le  saint  exercice  de  l'oraison,  ou  pour 
m'en  Être  mal  acquittée! 

Résolutions,  i'  De  m'y  rendre ,  chaqno 
jour,  très-exacte.  2°  D'éloigner  avec  soin, 
tout  ce  qui  m'empêcherait  de  la  bien  t'iire 
el  d'en  profiler.  3"  D'y  prendre  des  résolu- 
lions  pratiques  que  Dieu  m'y  inspirera  et 
de  les  exécuter. 


TROISIÈME   JOUR. 
TROISIÈME  DISCOURS.   —  Sur  l'cnfcr. 

Quelle  afïrcuse  destinée  ,  surtout  pour 
une  épouse  de  Jésus-Christ,  de  se  voir  pré- 
cipitée pour  toujours  ,  avec  les  réprouvés, 
dans  les  flammes  de  l'enter  ! 

Premier  point.  —  La  religieuse  inalbeu- 
reusedans  l'enfer,  par  le  mal  qui  la  tour- 
mente. Le  Seigneur,  pour  venger  sa  gloire, 
de  toutes  les  créatures  a  choisi  le  feu;  il 
est  de  foi  qu'il  y  a  un  feu  réel  dans  l'enfer. 

1.  Le  feu  fait  soull'rir  à  la  religieuse  une 
complication  parfaite  tle  tous  les  maux  :  1° 
11  la  fait  souffrir  dans  tous  ses  sens;  elle 
ne  voit  qu'un  lieu  d'horreur  et  de  ténèbres; 
elle  n'entend  que  jurements,  qu'impréca- 
tions, que  blasphèmes  contre  Dieu.  Elle 
éprouve  sans  cesse  une  faim  dévorante,  et 
une  soif  ardente  causée  [)ar  le  liel  et  l'amer- 
tume. Elle  ne  touche  que  du  feu;  elle  en 
est  toute  pénétrée.  T  Ce  feu  lui  fait  souf- 
frir tous  les  maux  à  la  fois  ;  il  n'en  est  point 
d'incompatibles,  dans  l'eiifer.  3"  Ce  feu  lui 
fait  S(juifrir  dès  à  présent  aussi  sensible- 
ment tous  ces  maux,  que  si  son  corjjs  était 
déjà  réuni  à  son  âme. 

il.  Le  feu  lui  fuit  souffrir  une   com[>lica- 


L'ABBE  DE  MONTIS.  424 

lion  parfaite  de  tous  les  maux,  dans  foule 
leur  ri,  ueur.  1°  Elle  souffre  tous  les  maux 
imnginables,  dans  tout  le  degré  de  violence 
que  Dieu  f)eut  leur  communiquer.  2°  Elle 
les  souffre  sans  interruption.  3°  Elle  les 
souffre  sans  espérance  d'aucun  soulagement; 
elle  est  môme  certaine  qu'elle  n'en  recevra 
jamais  aucun,  h-"  Elle  les  souffre  sans  pou- 
voir s'y  habituer.  5°  Elle  les  souffre  sans 
pouvoir  se  distraire  et  sans  la  moindre  con- 
solation. Si  celte  légère  peinture  de  l'en- 
fer effraye,  que  sera-ce  de  l'enfer  lui-même, 
pour  une  religieuse  surtout  qui  aura  abusé 
d'une  infinité  de  grâces  de  son  Dieu  ? 

Second  point.  —  La  religieuse  ()lus  mal- 
heureuse encore  dans  lenfer,  par  la  perte 
du  plus  grand  de  tous  ses  biens,  qui  esl  son 
Dieu.  Trois  réflexions  l'occupenl  sans  cesse 
pour  la  désespérer. 

Première  réflexion.  J'ai  perdu  mon  Dieu, 
el  en  le  perdant  j'ai  tout  perdu.  Elle  se  rap- 
pelle l'éducation  chrétienne  qu'elle  a  re- 
çue ;  les  sentiments  de  piété  qui  l'avaient 
fait  renoncer  au  monde;  ses  temps  de  fer- 
veur dans  la  religion;  puis  ses  infidélités, 
ses  péchés,  toutes  ses  rechutes  dans  le  pé- 
ché ;  elle  est  convaincue  (qu'elle  n'a  pu  être 
faite  que  pour  son  Dieu; la  On  dernière,  son 
centre  unique,  qui  lui  fait  sentir  tout  ce  qu'elle 
a  perdu,  en  le  perdant;  de  là  des  efforts 
continuels,  pour  s'approcher  de  lui,  quoi- 
que toujours  repoussée  et  rejetée;  de  là  des 
désirs  sans  lin  de  son  anéantissement, 
quoique  toujours  assurée  de  n'être  jamais 
anéantie. 

Seconde  réflexion.  J'ai  perdu  mon  [Dieu 
par  ma  faute.  Elle  voit  qu'il  ne  tenait  qu  à 
elle  d'éviter  l'enfer,  et  de  se  procurer  le 
ciel  ;  toutes  les  grâces  qu'elle  a  reçues  de 
son  Dieu  et  dont  elle  a  abusé,  se  présentent 
à  son  esprit  pour  la  déses|)érer;  il  en  est 
de  même  de  tous  les  péchés  quelle  a  commis, 
et  qu'avec  le  sec«urs  do  ses  grâces,  elle 
pouvait  ne  fias  commettre.  De  là  ces  re- 
grets de  n'avoir  pas  avoir  imité  ses  sœurs 
ferventes,  de  les  avoir  même  raillées  et  mé- 
prisées; d'avoir  rejeté  et  étouffé  une  infi- 
nité de  remords;  c'est  là  ce  ver  rongeur  qui 
la  désespère. 

Troisième  réflexion.  J'ai  perdu  mon  Dieu 
pour  toujours.  Etre  sûre  de  souffrir  tous  les 
maux,  [>endant  rélernilé;ôtre  sûre  d'avoir 
(lerdu  son  Dieu  pour  toujours  ;  voilà  pré- 
cisément ce  jqui  fait  son  enfer,  et  ce  qui 
met  le  comble  à  son  désespoir.  O  éternité  1 
éternité  1  on  ne  [)eut  la  comprendre, quelque 
su|)j)osiiion  et  quelque  comparaison  qu'on 
fasse. 

Conclusion.  J'ai  cent  et  cent  fois  mérité 
cet  enfer  éternel.  Hélas!  ne  le  mériié-je 
[loint  encore  ? 

Résolutions.  1"  De  descendre  souvent  en 
esprit,  dans  l'enfer,  pour  y  considérer  le 
malheureux  élat,  surtout  des  religieuses 
réprouvées.  2°  Dans  les  temps  de  dégoût  et 
de  tentations,  de  me  demander,  si  je  jiourrai 
habiter  dans  des  brasiers  éternels.  3'  De 
prier  souvent  le  Seigneur  de  m'insj)irerune 
sainte  fraveur  de  l'enfer. 


«15  ANALYSE  DES  DISCOURS. 

QUATUIÈME  JOUR. 
PREMIER  DISCOURS.  —  Sut  lu  communion. 

Un  Dieu,  après  s'ôlre  soumis  pour  nous 
sauver  aux  souifrances,  aux  ignominies  et 
à  la  mort,  a  voulu  encore  nous  nourrir  de 
sa  pro|)re  chair  Quelle  bonté!  Combien  ce- 
pendant, même  dans  la  religion,  le  reçoi- 
vent rarement  ou  indignement  1 

PREMIER  POINT.  —  Lcs  avantagcs  que  la 
communion  procure  à  une  religieuse.  Dé- 
sirer des  honneurs,  s'attacher  aux  créatures  : 
deux  effets  funestes  de  l'amour-propre, 
jusque  dans  la  religion.  La  communion  les 
corrige. 

I.  La  religieuse,  par  la  communion,  re- 
çoit un  Uieu  d'une  grandeur  intinie,  voilà 
son  élévation.  C'est  le  môme  Dieu  qui 
d'une  parole  a  créé  l'univers,  qui  se  donne 
à  elle,  non-seulement  par  sa  gràt  e,  comme 
dans  les  autres  sacrements,  mais  qui  se 
donne  lui-même,  et  qui  s'unit  à  elle,  de 
l'union  la  plus  excellente,  en  sorte  qu'elle 
devient  une  avec  lui;  quel  honneur I 

II.  Par  la  communion  elle  reçoit  un  Dieu 
d'une  bonté  infinie  ;  voilà  sa  ricliesse.  Il 
l'enrichit  en  etfet  de  toutes  ses  grâces. 
1*  Grâces  de  secours  les  plus  puissants  qui 
la  lortifient  contre  tous  les  ennemis  de  son 
salut  ;  une  seule  communion  a  souvent  fiorté 
des  martyrs  à  souffrir  les  plus  alfreux  sup- 
plices pour  leur  Dieu.  2°  Grâces  de  consola- 
lions  les  plus  solides.  Les  personnes  les 
plus  saintes  participent  le  plus  aux  peines 
et  aux  croix  ;  or  la  communion  préserve 
des  dégoûts;  elle  console  et  met  le  calme 
et  la  paix  dans  le  cœur,  jusqu'à  [iroduire 
quelquefois  des  ravissements  et  des  extases. 

SECOND  poi?«T,  —  Les  dispositions  néces- 
saires à  une  religieuse  pour  bien  commu- 
nier, i 

I.  Si  elle  reçoit  un  Dieu  d'une  grandeur 
intinie,  elle  doit  donc  par  respect  le  recevoir 
sainleincnl.  Elle  doit,  en  participant  au 
corps  de  Jésus-Christ,  participer  à  son  es- 
prit, penser  et  agir  comme  Jésus-Christ  a 
agi  et  pensé  sur  la  terre;  pratiquer  l'humi- 
lité et  toutes  les  vertus  qu'il  a  pratiquées; 
n'être  occupée  que  de  lui  ;  prendre  garde  de 
ne  pas  communier  [)ar  respect  humain,  par 
coutume;  s'appliquer  avant  lu  communion. 
à  bien  puriûer  son  cœur;  à  confesser  tou- 
tes ses  fautes  avec  une  vioio  doulour,  à 
remplir  tous  ses  devoirs  avec  la  plus  grande 
exactitude. 

il.  Si  elle  reçoit  un  Dieu  d'une  bonté  in- 
Qnie,  elle  doit  donc  le  recevoir  fréquem- 
ment. C'est  son  intérêt  personnel.  C'est  de 
plus  l'intention  de  l'Eglise  et  de  Jésus- 
Christ  lui-même  ;  c'est  pour  cela  qu'il  s'est 
mis  dans  le  sacrement  sous  les  espèces  si 
communes  du  pain.  Il  invite,  il  presse  de 
venir  à  lui  ;  il  menace  si  on  ne  vient  pas. 
On  allègue  quelquefois  son  indignité;  mais 
personne  n'en  peut  être  parfaitement  digne; 
mais  ce  sont  les  faibles  et  les  inlirmes  qu'il 
invile  à  son  banquet;  mais  il  déclare  que 
qui  ne  le  recevra  pas,  n'aura  pas  la  vie  en 
lui.  C'est  souv.'ut  un  prélcxle  pour  rcs- 
Oratllrs  sacré?.  LXV'iM 


—  QUATRIEME  JOUR.  445 

ter  dans  sa  lâcheté  ;  le  négligor,  pendant 
la  vie,  c'est  s'exposer  à  en  être  jirivé  à  la 
mort. 

Conclusion.  Que  de  communions  j'ai  fixi- 
tés sans  préparation  et  sans  me  réformer  I 
De  combien  je  me  suis  privée  par  ma  fautel 

Résolutions.  1°  De  désirer  de  communier 
souvent.  2°  De  me  mettre  en  état  de  faire 
au  moins  toutes  les  communions  de  règle. 
3°  De  ne  rien  négliger  pour  m'y  bien  dispo- 
ser et  pour  en  tirer  du  fruit. 

QUATRIÈME  JOUR. 

SECOND  DISCOURS.  —  Suf  le  sUcncë. 

Les  personnes  du  monde  qui  vivent  dans 
la  piété ,  s'appliquent  à  gouverner  leur 
langue;  elles  observent,  autant  qu'elles 
peuvent,  le  silence;  c'est  une  plus  grande 
obligation  encore  pour  des  religieuses 
qui  doivent  tendre  à  la  plus  grande  per- 
fection. 

PREMIER  POINT.  —  Pourquoi  une  religieuse 
doit-elle  observer  le  silence? 

I.  Pour  obéir  à  ses  constitutions  qui  h; 
lui  })rescrivent.  Tous  les  fondateurs  d'or-^ 
dres  l'ont  ordonné  comme  un  moyen  propre 
à  conduire  à  la  perfection  ;  ils  ont  imité  en 
cela  les  anciens  pères  du  désert  qui  impo- 
saient, pour  première  pratique,  le  silence  à 
ceux  qui  voulaient  être  leurs  disciples.  On 
dit  pour  s'excuser  que  ce  n'est  point  un  pé- 
ché de  rompre  le  silence.  Cela  est  vrai,  ab- 
solument parlant;  mais  1°  qu'est-ce  qu'une 
religieuse  qui  ne  craint  de  déplaire  à  Dieuj 
que  par  le  péché  ?  Est-ce  l'engagement 
qu'elle  a  pris  avec  lui?  Que  penserait-elle 
d'une  novice  qui  serait  dans  ces  disposi- 
tions ?  2°  Il  y  a  toujours  des  grâces  attachées 
à  l'observation  du  silence;  c'est  donc  en 
faire  peu  de  cas.  3°  Il  y  a  presque  toujours 
du  péché  à  le  rompre, à  cause  ou  d'un  mé- 
pris au  moins  indirect  de  la  règle,  ou  du 
scandale:  car, 

II.  Elle  doit  observer  le  silence  pour  l'uti- 
lité de  sa  communauté  qui  no  peut  se  sou- 
tenir que  par  une  exacte  régularité.  En  rom- 
pant le  silence,  elle  engage  d'autres  à  le 
rompre; -elle  scandalise  surtout  les  faibles. 
Une  personne  séculière  qui  verrait  une 
communauté  peu  exacte  au  silence,  se 
scandaliserait  ;  cette  liberté  de  parler  sup- 
pose toujours  une  grande  dissi()aiion  qui 
produit  insensiblement  le  relâchement  et  le 
désordre. 

m.  Elle  doit  observer  le  silence  pour  sofi 
avantage  particulier,  il  produit  en  elle  le 
recueillement  qui,  1°  la  porte  à  éviter  les 
plus  petites  fautes;  2"  lui  inspire  du  goût 
pour  l'oraison  et  pour  la  pratique  de  ses 
devoirs  et  des  vertus  de  son  état.  Différence 
sensible  entre  une  religieuse  grande  par- 
leuse, et  une  qui  aime  le  silence  et  qui 
l'observe. 

SECOND  POINT.  —  Comment  une  religieuse 
doit-elle  observer  le  silence  ? 

I.  Saintement.  C'est-à-dire,  non  par  pa- 
resse, parce  qu'elle  ne  veut  pas  se  donner 
la  peine  de  [)arler  ;  non  [)ar  amonr  d'elle- 
même,  paice  (lu'ellc  ne  veut  pa^s  se. gêner; 

U 


m 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


421 


non  par  une  hu-meur  sombre,  mélancolique, 
qiii  lui  fasse  fuir  la  sociélo  de  ses  soeurs  ; 
non  par  respect  humain ,  par  oslenlation 
pour  passer  pour  exacte  et  régulière  ou 
pour  plaire  à  ses  supérieurs,  mais  par  un 
raolif  pur,  uniquement  pour  plaire  h  Dieu, 
pour  obéira  sa  règle,  pour  édifier  ses  sœurs 
j)Our  s'acquitter  avec  fruit  de  tous  ses  exer- 
tices. 

II.  Constamment.  L'observer  dans  un 
temps,  le  rompre  dans  un  autre-;  l'observer 
i\  l'approche  des  grandes  fêtes,  se  dédom- 
mager ensuite  de  la  contrainte  qu'elle  s'est 
faite;  l'observer  dans  un  lieu -et  non  dans 
tous;  l'observer  avec  une  sœur  qu'on  aime 
peu,  le  lompre  avec  une  autre  qu'on  aime 
davantage  ;  c'est  agir  alors  par  des  vues  na- 
turelles et  non  par  religion,  par  piété.  Elle 
doit  donc  l'observer  pour  plaire  à  Dieu  en 
tout  temps,  en  tout  lieu  et  avec  toutes  ses 
sœurs. 

Jll.  Prudemment.  C'est-à-dire  avec  dis- 
crétion, vertu  peu  connue,  recommandée 
j)ar  les  Pères  du  désert  et  qui  fait  éviter  en 
tout  les  extrêmes.  Pour  cela,  ne  point  éten- 
dre le  silence,  hors  le  temps  prescrit;  j)ar- 
1er  au  temps  des  récréations  ;  le  rompre 
môme  quelquefois  dans  le  temps  prescrit 
par  charité  pour  répondre  à  une  sœur  afin 
de  ne  la  [)oint  mécontenter,  mais  parler  bas 
alors  et  en  peu  de  mots  pour  ne  {las  scan- 
xlaliser  les  autres. 

'Conclusion.  Que  j'ai  de  reproches  h  me 
faire  sur  le  silence  1  Que  je  l'ai  peu  estimé 
et  peu  observé  jusqu'ici. 

Résolutions.  1°  De  le  regarder  désormais 
comme  un  moyen  propre  à  me  faire  tendre 
à  la  perfection.  2°  D'êlre  iidèle  à  l'observer 
dans  tous  les  temps  et  dans  tous  les  lieux 
prescrits.  3°  Lorsqu'il  m'arrivera  [  de  le 
rompre  sans  nécessité  ,de  m'en  confesser 
loujours  avec  une  vraie  contrition. 

QUATRIÈME  JOUR. 

TROISIÈME  DISCOURS.  —  Suv  la  tiédeur. 

Le  reproche  que  le  Seigneur  fit  à  l'évêque 
^'Ephèse  d'être  déchu  de  sa  première  fer- 
veur, d'être  tombé  ,daiis  la  tiédeur,  à  com- 
bien de  .personnes  religieuses  ne  pourrait- 
on  pas  le  faire  ? 

PREMIER  POINT.  —  L'état  dc  tiédeur  con- 
sidéré en  lui-même  est  très-mauvais  dans 
une  religieuse,  parce  qu'il  l'éloigné  de 
Dieu.  Qu'est-ce  que  vivre  dans  la  tiédeur? 
C'est  ni  commettre  le  crime,  ni  pratiquer  la 
vertu.  Une  religieuse  tiède  ne  hait  pas  son 
état,  mais  elle  ne  l'aime  pas  assez  pour  en 
accomplir  tous  les  devoirs  ;  elle  est  sans  at- 
trait pour  le  péché,  mais  aussi  sans  goût 
pour  la  piété;  elle  n'est  ni  hypocrite  ni 
j>caiidaleuse,  ni  bonne  ni  mauvaise  ;  or  cet 
olaU'éloignedeDieu.  Première  vérité.  Dieu 
nous  a  tous  créés  pour  le  servir  dans  l'état 
auquel  il  nous  a  appelés.  Seconde  vérité  : 
11  nous  a  mis  en  tel  état  autant  pour  notre 
bonheur  que  pour  sa  pro|)re  gloire.  Troi- 
sième vérité  :  Il  ne  nous  a  point  rais  en  tel 
état  pour  toujours  ;  mais  après  l'.y  avoir 
servi  quelque  temps,  il  nous  destine  à  une 


récompense  ou  h  une  peine  éternelle.  De  le, 
première  conséquence  :  nous  devons  donc 
obéir  à  un  Dieu  tout-puissant  qui  a  tout 
droit  sur  nous.  Seconde  conséquence  :  nous 
(levons  donc  témoigner  noire  reconnaissance 
à  un  Dieu  infiniment  bon  qui  veut  nous 
rendre  infiniment  heureux.  Troisième  con- 
séquence :  nous  devons  donc  redouter  un 
Dieu  infiniment  juste  qui  peut  nous  punir 
comme  il  peut  nous  récompenser.  Cela 
posé,  une  religieuse  tiède  se  rend  coupable: 
1°  de  mépris  de  la  puissance  de  son  Dieu 
en  refusant  de  le  servir  comme  il  le  désire 
dans  l'état  saint  où  il  l'a  placée.  2°  De  mé- 
pris de  son  infinie  bonté;  mépris  d'aulanl 
plus  grand  qu'il  l'a  comblée  de  [)lus  de  fa- 
veurs et  de  grâces,  et  avant  son  entrée,  et 
depuis  son  entrée  dans  la  religion.  3°  De 
mépris  de  sa  justice.  Elle  n'ignore  pas  que 
son  Dieu,  pour  l'engager  à  le  servir  avec 
plus  de  fidélité,  a  joint  les  menaces  aux 
promesses,  les  châtiments  aux  récompenses  j 
cefiendant,  en  se  livrant  à  la  lâcheté,  à  la 
tiédeur,  elle  paraît  peu  redouter  les 
peines  temporelles,  même  celles  du  purga- 
toire. 

SECOND  POINT.  —  L'étal  de  tiédeur  consi- 
déré dans  ses  efïeis,  est  très-funeste  à  la 
religieuse  parce  qu'il  éloigne  Dieu  d'elle. 
Il  a  attaché  à  son  étal  des  grâces  dont  il  est 
dangereux  d'interrompre  le  cours;  c'est  ce 
que  fait  la  religieuse  tiède;  elle  indispose 
son  céleste  Epoux  contre  elle;  de  là  pre- 
mier châtiment  :  aveuglement  de  son  es- 
prit 1°  Sur  la  nature  de  ses  fautes  :  elle  en 
commet  une  infinité  sans  presque  s'en  aper- 
cevoir ;  elle  se  trompe  sur  le  jugement  qu  elle 
en  porte,  ou  elle  ne  s'en  confesse  point,  ou 
elle  s'en  confesse  sans  douleur.  2°  Aveu- 
glement sur  les  moyens  de  perfection 
qu'elle  emploie.  Elle  laisse  les  communs 
pour  en  [irendre  d'extraordinaires;  dans 
ses  lectures,  dans  ses  prières,  même  dans 
ses  actes  de  mortification,  jusque  dans  lo 
choix  d'un  guide  spirituel.  Dieu  permet 
qu'elle  s'égare  et  qu'elle  se  trompe. 

Second  châtiment  :  l'endurcissement  de 
son  cœur.  Après  avoir  résisié  à  une  infi- 
nité de  grâces.  Je  Seigneur  irrité  ne  lui 
donne  plus  de  ces  grâces  fortes  et  privilé- 
giées, ce  qui  la  réduit  à  une  insensibilité 
prodigieuse  pour  Dieu  et  pour  sa  perfec- 
tion. De  là  des  chutes  et  des  rechutes  sans 
nombre  dans  des  fautes  même  grièves.  Le 
démon,  quand  il  lui  vient  quelque  remords, 
la  rassure  sur  sa  conversion  à  l'avenir  ;  il 
la  trom})e  jusqu'à  la  mort  en  exagérant  ses 
fautes;  en  lui  faisant  trop  redouter  les  ju- 
gements de  Dieu,  il  la  jette  enfui  dans  le 
désespoir  de  son  salut. 

Conclusion.  N'ai-je  po^nt  été  dans  ce  fu- 
neste étal  de  tiédeur?  N'y  suis-je  point  en- 
core ? 

Résolutions.  V  De  penser  souvent  à  mes 
engagements  dans  la  religion.  2"  D'exciter 
sans  cesse  mon  cœur  à  l'amour  de  mon  cé- 
liiste  Epoux  et  au  désir  de  le  servir  comme 
il  l'exigodemoi.  De  prendre  pour  modèles 
les  saintes  de  mon  institut,  et  de  ne  mellre, 


429  ANAL\SE  DES  DISCOURS 

comme  elles,  aucune  borne  à  maperfeclion. 
CINQUIÈME  JOUR. 

PREMIER  DISCOURS. —  Siir  l'obéissance. 

Tout  chrélien  et  encore  plus  la  religieuse 
doit  obéir  à  ses  supérieurs  qui  lui  tiennent 
sur  la  lerre    la  place  de  Dieu. 

PREMIER  POINT.  —  Les  molifs  qui  doivent 


CINQUIEME  JOUR. 


430 


engager  la   religieuse  à  pratiquer  l'obéis- 


sance. 

I.  Elle  est  pour 
pour  se    sauver.   1° 
en  a  donné   l'exenip 
ait  plus  éclaté  dans 


elle  la  vie  I»  p!us  sûre 
Parce  Jésus-Christ  lui 
le.  Point  de  verlu  qui 
lui.  Sa  naissance,  sa 
vie,  ses  missions ,  ses  souffrances  et  sa 
mort,  tout  a  élé  pour  obéir  à  son  Père  éter- 
nel ;  il  a  été  obéissant  jusqu'à  la  niort  de 
la  croix.  Il  a  obéi,  non-seulement  à  Marie 
et  à  Joseph,  mais  encore  à  ses  persécuteurs 
et  à  ses  bourreaux.  2°  Parce  que  entrant 
en  religion,  elle  a  fait,  aux  pieds  des  saints 
autels,  un  vœu  solennel  de  renoncer  pour 
toujours  à  sa  propre  volonté,  vœu  le  plus 
excellent  de  tous  ceux  qu'elle  a  faits,  parce 
qu'il  louthe  de  plus  près  et  qu'il  comprend 
dans  un  sens  les  deux  autres;  le  rompre» 
en  matière  importante  surtout,  c'est  donc 
une  prévarication. 

II.  Elle  est,  pour  elle,  la  voie  la  plus  con- 
solante. Elle  lui  procure  le  plus  grand  des 
biens  de  cette  vie,  la  paix  du  cœur.  Les  per- 
sonnes du  monde,  avec  les  intentions  les 
plus  pures,  peuvent  douter  et  être  inquiètes 
sur  ce  qu'elles  ont  à  faire  pour  servir  Dieu, 
mais  la  religieuse  obéissante  à  sa  règle  et 
à  ses  supérieurs,  sait  qu'elle  obéit  à  Dieu, 
maître  infiniment  éclairé,  qui  voit  tout  et 
déterminé  à  tout  récompenser.  Quoi  de  plus 
consolant  1 

SECOND  POINT.  —  Lcs  qualités  que  doit 
avoir  l'obéissance  d'une  religieuse. 

1.  Elle  doit  être  prompte,  quant  à  l'exécu- 
tion. Un  sujet  n'est  estimé  do  son  roi, 
qu'autant  qu'il  exécute  ses  ordres,  sans 
hésiter;  que  doit-ce  donc  être,  quand  Dieu 
lui-même  commande  à  sa  créature  ?  Exem- 
ples des  apôtres  qui  quittent  tout,  au  pre- 
mier signal;  de  Marie  et  de  Joseph  fuyant 
en  Egypte;  des  m;iges,  dès  qu'ils  voient 
l'étoile.  Celte  promptitude  dislingue  les 
religieuses  régulières  et  ferventes,  des 
lièdes  et  des  imparfaites.  Dieu  l'a  souvent 
approuvée  par  des  prodiges,  et  la  récom- 
pense toujours,  par  des  grâces  spéciales. 
Le  démon  qui  le  sait,  lait  tous  ses  efforts 
pour  l'empêcher. 

IL  Elle  doit  êlre  universelle,  quant  à  l'ob- 
jet. Obéir  également  quand  la  chose  com- 
luandée  déplaît,  comme  lorsqu'elle  plaît. 
Se  servir  de  voies  indirectes  pour  ne  point 
obéir,  c'est  faire  alors  sa  propre  volonté  et 
déplaire  à  Dieu  ;  plus  on  se  fait  de  violence 
pour  obéir,  plus  l'obéissance  est  méritoire. 

IIL  Elle  doit  êlre  aveugle,  quant  au  juge- 
ment. Ne  point  juger  ses  supérieurs;  ils 
jnl  souvent  des  mulifspour  ordonner,  que 
les  inférieurs  ne  peuvent  pénétrer;  il  y  a 
toujours  du  niérile  à  obéir.  Délies  disposi- 
tions de  saint  Ignace  et  des  anciens  solitaires, 


qui  obéissaient  à  des  commandements  inuti- 
les quel(]uefois  eu  ridicules.  Nejuger  rien  de 
[)etit  de  ce  qui  est  commandé;  ne  point  re- 
garder les  défauts  de  la  personne  qui  com- 
mande. On  peut  faire  des  représentations, 
mais  avec  prudence  et  avec  docilité,  tou- 
jours disposé  à  obéir. 

IV.  Elle  doit  être  constante,  quant  à  la 
pratique.  Obéir  en  tout  et  toujours,  jusqu'à 
la  mort,  comme  Jésus-Christ.  Nul  âge,  nul 
emploi  ne  doit  en  dispenser.  Les  anciennes 
doivent,  sur  cela,  l'exemple  aux  autres. 
Elles  les  scandalisent,  quand  elles  s'en  dis- 
pensent sans  raison. 

Conclusion.  Que  de  reproches  je  dois  me 
faire  sur  la  pratique  de  l'obéissance  1 

Résolniions.  1°  Lorsque  je  sentirai  de  Ja 
répugnance  à  obéir,  de  penser  au  vœu  so- 
lennel d'obéissance  que  j'ai  fait.  2"  De  re- 
noncer chaque  jour  à  ma  propre  volonté. 
3"  De  regarder  toujours  mon  céleste  ïilpoux» 
dans  la  personne  de  mes  supérieurs. 

CINQUIÈME  jour! 

SEC0?<D  DISCOURS.  — Sur  les  récréations. 

Pres(]ue  tous  les  fondateurs  d'Ordres  Ont 
prescrit  dans  leurs  règles  des  temps  de  dé- 
lassements, de  récréations;  c'est  un  eier- 
cice  duquel  il  est  aisé  et  assez  commun 
d'abuser. 

PREMIER  POINT.  —  Les  motifs  qui  doivent 
engager  une  religieuse  à  se  récréer  sainte- 
ment. 

I.  C'est  un  exercice  prescrit  par  la  règle. 
Donc  1°  elle  ne  peut  s'en  dispenser  sans 
permission  et  fréquemment,  sans  mépriser 
la  règle  el  sans  scandaliser  ses  sœurs.  2°EIIe 
doit  véritablement  s'y  récréer; s'y  montrer 
taciturne,  par  humeur,  par  caprice,  ce  se- 
rait un  mal  et  nuire  à  ses  sœurs. 

II.  C'est  un  exercice  fréquent.  Donc  si 
elle  s'en  acquille  mal,  elle  fait  bien  des 
fautes,  et  se  prive  d'une  inlinité  de  grâces 
attachées  à  cet  exercice,  comme  aux  autres, 
et  dont  elle  rendra  un  compte  rigoureux  au 
Seigneur. 

III.  C'est  un  exercice  dangereux.  1°  Les 
autres  tendent  à  mortifier  l'âme  et  à  la  per- 
fectionner; celui-ci  est  pour  soulager  Je 
corps  et  l'esprit  :  or  il  est  plus  aisé  de  se 
I)river  de  tout  plaisir  que  de  se  modérer 
en  s'y  livrant.  2*  On  prend  cet  exercice 
ajtrès  les  repas,  après  avoir  fortifié  la  chair. 
3°  On  y  a  la  liberté  de  parler;  autant  de 
dangers  d'y  faire  bien  des  fautes,  si  Tonne 
veille  sur  soi. 

SECOND  POINT.  —  Les  disposilious  néces- 
saires à- une  religieuse,  pour  se  récréer 
saintement.  Elles  doivent  êlre  opposées  aux 
fautes  qu'on  y  commet  ordinairement. 

I.  Esprit  de  recueillement,  non  pas  tel 
qu'il  le  faut  dans  les  exercices  de  religion 
et  de  piété;  mais  qui  laisse  assez  de  |)ré- 
sence  d'es|)rit,  pour  se  tenir  dans  la  modé- 
ration qui  empêche  de  trop  se  dissiper,  ou  do 
trop  parler  ou  de  rien  dire  d'indécent  ou  de 
prendre  Irop^de  familiarité  ;  ce  qui  est  tou- 
jours préjudiciable  h  une  communauté. 

II.  Esprit  d'humililé,  qui   empêche  do 


45i 


ORATEURS  SACRES.  L'ABBE  DE   MONTIS. 


452 


s'occuper  de  soi,  de  parler  do  ses  parents, 
de  prendre  la  supériorité  sur  ses  sœurs,  de 
les  interrompre,  de  les  contredire,  de  sou- 
tenir ses  sentiments  avec  chaleur. 

111.  Esprit  de  charité,  qui  produit  l'union 
des  cœurs,  le  plus  bel  ornement  d'une  com- 
munauté, aux  yeux  de  Dieu  et  des  hommes  ; 
qui  porte  à  souffrir  patiemment  les  diffé- 
rents caractères  qui  s'y  trouvent  nour  l'or- 
dinaire. 

Cvnclusion.  Combien  oe  fois,  au  sortir 
d'une  récréation,  ai-je  eu  h  me  reprocher 
de  m'y  être  montrée  peu  chrétienne  et  peu 
religieuse! 

Résolutions.  1°  Avant  la  récréation ,  de 
l'offrir  à  Dieu,  et  de  lui  promettre  d'y  éviter 
toute  espèce  de  fautes.  2°  Pendant  la  ré- 
création, de  me  le  rendre,  de  temps  en 
temps,  présent  à  mon  esprit,  comme  un 
moyen  propre  à  me  faire  observer  ma  pro- 
messe. 3°  Après  la  récréation,  de  penser 
un  moment  comment  je  m'y  suis  con- 
duite, et  d'expier,  par  quelques  petites 
•mortifications,  les  fautes  que  j'y  aurai  com- 
mises. 

CINQUlÈiME  JOUR. 

TROISIÈME  DISCOURS.  —   Sur  la  fidélité  aux 

inspirations  de  la  grâce. 

Elle  est  rare,  celle  parfaite  fidélité,  non- 
seui«mentj>armiles  chréUens  du  siècle,  trop 
dissipés  pour  entendre  la  voix  du  Seigneur, 
mais  encore  parmi  les  personnes  religieuses. 

PREMIER  POINT. —  Pourquoï  unc  religieuse 
doil-ell«  être  fidèle  aux  inspirations  de  la 
grâce  ? 

I.  En  y  résistant,  elle  fait  injure  à  Dieu. 
1"  En  se  rendant  coupable  de  mépris  en- 
vers l;uiî  la  moindre  de  ces  grâces  a  coûté 
tout  le  sang  de  l'Horame-Dieu,  c'est  lui  fSire 
connaître  qu'elle  n'en  fait  pas  grand  cas, 
qu'elle  ne  veut  pas  suivre  ses  avis.  Ce  serait 
un  crime  de  tenir  cette  conduite,  vis-à-vis 
ses  supérieurs,  qu'est-ce  donc  de  la  tenir 
envers  son  Dieu  *?  2°  En  se  rendant  coupa- 
ble d'ingratitude  envers  Dieu.  En  commu- 
niquant ses  grâces  à  son  épouse,  il  a  autant 
en  vue  son  bonheur  que  sa  propre  gloire  ; 
c'est  pour  la  rendre  souverainement  heu- 
reuse dans  l'éternité  ;  Ws  rejeter  ces  grâ- 
ces, c'est  donc  lui  témoigner  qu'elle  est  peu 
sensible  à  tout  ce  qu'il  a  fait  pour  elle  :  que 
penserait-elle  d'une  personne  qui  aurait  les 
plus  grandes  obligations  à  un  souverain,  à 
un  grand,  et  qui  refuserait  de  suivre  les 
bons  conseils  qu'il  lui  donnerait  ? 

II.  En  résistant  à  ces  grâces,  elle  se  fait 
tort  à  elle  môme.  Une  suite  de  vérités  le  lui 
prouvera.  1»  Ces  inspirations  ne  lui  sont 
point  dues  ;  elles  sont  purement  gratuites; 
elte  ne  peut  donc  y  compter  pour  raveuir. 
2°  Il  est  pour  chaque  âme  une  mesure  do 
ces  grâces  spéciales,  a()rès  lesquelles,  le 
Seigneur  irrité,  n'en  donne  plus  que  de 
communes.  3°  Celte  mesure  n'est  pas  la 
même  pour  tous  ;  il  les  distribue  comme  il 
lui  [)laîl.  4°  Il  menace  dans  les  divines 
Ecritures  de  se  retirer,  quand  on  ne  répond 
pus  à  ses  inspirations.  5°  La  dernière  grâ:o 


spéciale  qu'il  donne,  n'est  pas  d'une  autre 
espèce  que  les  autres  ;  elle  est  quelquefois, 
en  apparence,  des  moins  considérables.  Qne^ 
d'épouses  de  Jésus-Christ  pleurent  et  se  dé- 
sespèrent dans  l'enfer,  pour  avoir  résisté 
aux  inspirations  de  la  grâce  ! 

SECOND  POINT.  — Comment  une  religieuse 
doit-elle  être  fidèle  aux  inspirations  de  la 
grâce  ? 

I.  Sa  fidélité  doit  être  prompte  et  sans  dé- 
lai. Une  inspiration  est  un  éclair,  un  mouve- 
ment subit  et  passager  ;  n'y  pas  correspon- 
dre aussitôt,  c'est  la  perdre  et  bien  d'autres 
qui  l'auraient  suivie  ;  c'est  rompre  volon- 
tairement un  enchaînement  de  grâces  et  de 
mérites  qui  devaient  la  sanelifier.  C'est  ce 
qui  fil  rejeter  les  vierges  folles  de  la  société 
de  l'Epoux.  C'est  à  cette  promise  correspon- 
dance que  Jésus-Christ  recoimaît  la  fidélité 
et  l'attachement  de  ses  épouses. 

H.  Sa  fidélité  doit  être  universelle  et  sans 
choix.  C'est  quelquefois  une  inspiration  de 
faire  une  pratique  qui  paraît  peu  considéra- 
ble en  elle-même  :  mais  Dieu  demande  ra- 
rement à  ses  épouses,  des  actions  d'éclat; ce 
sont  les  petites  pratiques  qui  doivent  les 
sanclitier  dans  leur  état  ;  c'est  sur  cela  qu'il 
les  jugera  un  jour,  et  sur  l'amour  avec  le- 
quel elles  auront  agi,  et  qui  se  manifeste 
plus  dans  les  petites  choses  que  dans  les 
grandes. 

m.  Sa  fidélité  doit  être  prudente  et  sans 
illusion.  Satan  se  transforme  quelquefois 
en  ange  de  lumière,  pour  séduire  les  épou- 
ses de  Jésus-Christ. 

Règles  pour  éviter  sa  séduction  :  l"  Voir  si 
rins{)iration  tend  à  l'avancement  spirituel, 
à  la  fTatique  des  vertus,  à  quoi  le  démon 
n'engagera  jamais.  2°  Voir  si  l'inspiration 
porte  à  la  singularité,  à  flatler  l'amour-pro- 
|)re  ;  s'en  défier  alors  et  préférer  toujours 
la  vie  commune.  3°  Voir  si  rins[)ir<iiion, 
quoique  sainte  en  elle-même,  est  conforme 
à  l'état  de  la  religion  en  général  et  à  son  in- 
stitut en  particulier.  Rejeter  hardiment  loul 
ce  qui  est  opposé  à  sa  règle  et  à  ses  consti- 
tutions. 4°  Dans  le  doute,  consulter  son  con- 
fesseur et  sa  supérieure  et  leur  obéir  exac- 
tement, à  l'exemple  de  sainte  Thérèse. 

Conclusion.  Si  je  jette  la  vue  sur  lanl 
d'années  passées  dans  la  religion,  que  de 
résistances,  que  d'infidélités  aux  inspirations 
de  la  grâce  1 

Résolutions.  1°  De  me  rendre  désormais 
bien  attentive  aux  mouvements  de  la  grâce  ; 
2"  d'exécuter  avec  fidélité,  tout  ce  que  le 
Seigneur  m'inspirera,  pour  lui  plaire  et  m© 
sanctifier;  3°  de  m'iraposer  avec  la  permis- 
sion de  mon  confesseur,  quelque  pénitence» 
lorsque  j'y  aurai  été  infidèle 

SIXIEME  JOUR. 

PREMIER  DISCOURS.  —  SuT  la  vie  intérieure. 

Tout  chrétien,  par  le  baptême,  s'est  en- 
gagé âne  vivre  qu'à  Dieu,  et  que  [lOurDieu. 
C'est  un  engagement  [)lus  étroit  encore, 
pour  les  peisonnes  qui  ont  renoncé  au  siè- 
cle, pour  se  sanctifier  dans  la  religion. 

PREMIER  POINT.  —  Lcs  grands  avantages 


435 


ANALYSE  DES  DISCOURS.  —  SIXIEME  JOUR. 


45  i 


que  la  vio.  iiilérieuro  et  cacht^o  |)rocuro  îi 
iiiio  religieuse.  Qu'est-ce  que  celte  vie?  En 
deux  mots,  faire  réguer  Jésus-Christ  tout 
seul  dans  son  cœur.  ; 

I.  Cette  vie  intérieure  lui  fait  éviter  le  pé- 
ché et  tout  péché.  Au  lit^u  que  la  religieuse 
peu  intérieure,  tro[)  épanchée  vers  les  créa- 
tures, commet  une  infinité  de  fautes,  sans 
remords,  sans  presque  s'en  aporcevoir,  la 
religieuse  intérieure,  absolument  dégagée 
iJi'S  créatures  et  d'elle-même,  toute  occupée 
«le  son  Dieu  et  du  désir  de  lui  plaire,  évite 
avec  soin  même  les  fautes  les  plus  légères. 

M.  Elle  lui  fait  pialiciuer  la  vertu,  et 
toute  vertu.  C'est  une  suite  de  cet  éloigne- 
nientdu  péché.  Elle  voit  clairement  que  l'u- 
nique moyen  de  pl.iire  à  son  Diru,  c'est  de 
travailler  à  sa  perfection ,  en  ornant  son 
âme  de  toutes  les  vertus  propres  de  son  état  ; 
de  là  dans  elle,  une  obéissance  aveugle  à 
ses  supérieiis,  une  charité  sans  bornes  en- 
vers le  prochain,  un  détachement  universel, 
un  dégoût  perpétuel  de  tout  ce  qui  n'est 
pas  son  Dieu. 

m.  Elle  la  tient  dans  une  union  intime 
avec  Dieu.  Etfel  naturel  de  son  éloignement 
du  péché  et  de  son  application  à  pratiquer 
!a  vertu.  Union  si  excellente  qu'on  ne  peut 
la  connaître  qu'en  l'éprouvant,  et  qu'on  no 
j>eul  la  faire  connaître,  lorsqu'on  l'éprouve. 
C'est  pour  l'âme  de  la  religieuse,  ne  plus 
respirer  que  pour  son  céleste  Epoux,  mettre 
toute  sa  félicité  sur  la  terre  ,  à  s'occuper  de 
lui  et  à  s'entretenir  avec  lui.  C'est,  du  côté 
du  Seigneur,  une  complaisance  à  voir  son 
épouse  dans  des  dispositions  aussi  saintes, 
et  une  bonté  infinie  à  la  combler  de  grâces, 
de  secours,  de  caresses  et  de  consolations, 
lors  môme  qu'il  l'éprouve  par  des  croix. 

SKCOND  POINT.  —  Les  moyens  nécessaires 
à  une  religieuse,  pour  entrer  dans  cette  vie 
intérieure  et  cachée.  C'est  vivre  de  la  vie  de 
Jésus-Christ  :  elle  consiste  donc  5  l'imiter. 
Ainsi,  premier  moyen,  une  humilité  pro- 
fonde qui  soit  véritablement  dans  le  cœur, 
à  l'exemple  du  Dieu  Sauveur,  qui  a  été 
humble  jusqu'à  s'anéantir  et  à  se  déclarer 
l'opprobre  des  hommes.  Elle  doit  pour  cela 
renoncer  sincèrement  à  ses  lumières,  à  son 
esprit,  à  tout  elle-même. 

Second  moyen,  une  oraison  continuelle. 
l"  Elle  porte  à  imiter  Jésus-Christ.  Com- 
ment s'entretenir  souvent  avec  lui,  et  ne 
pas  désirer  de  lui  ressembler,  et  surtout, 
dans  sa  vie  cachée  de  trente  ans?  2°  Elle  porte 
à  aimer  J-ésus-Christ  :  cominoiit  s'occuper 
souvent  de  ses  perfections  et  de  SiiS  bien- 
laits,  et  ne  jias  s'attacher  à  lui?  La  plus 
grande  saiisfaclion  d'une  religieuse  adonnée 
à  l'oraison,  est  en  etfet  d'être  dans  la  soli- 
tude, toute  occupée  de   son  céleste  Epoux. 

Troisième  moyen,  une  mortiliuation  uni- 
verselle :  1°  Extérieure.  Une  religieuse  qui 
aime  à  voir  et  à  satisfaire  ses  sens  ne  sera 
jamais  fort  iniérieure.  2'  Inléricure.  La 
uiorlilicalioa  du  cœur;  sans  celle-ci,  l'exté- 
rieure est  inutile.  Une  religieuse,  pour  être 
intérieure,  ne  doit  être  attachée  ni  à  sa  fa- 
mille, ni  à  sci  iojuis,  ni  à  ce  rpij  est  à  son 


usa;j;e,  ni  même  aux  consolations  spiri- 
tuelles. 

Conclusion.  O  vie  intérieure  et  caoliée; 
heureux  état  pour  une  épouse  de  Jésus- 
Christ,   que  je  t'ai  peu    connue  jusqu'^ici  ! 

Résolutions.  1°  De  demander  tous  les  jours 
au  Seigneur,  la  grâce  do  devenir  véritable- 
ment intérieure  ;  2°  d'embrasser  avec  zélé 
les  trois  moyens  projwsés  pour  y  parvenir  ; 
3"  d'imiter,  le  plus  que  je  pourrai,  celles  de 
mes  sœurs  qui  me  paraissent  les  plus  inté- 
rieures. 

SIXIÈME  JOUR. 

SECOND  DISCOURS.  — Sur  la  pauvTeléi 

Heureuses  les  personnes  que  le  Seignenr 
a  appelées  à  un  détachement  universel; 
mais  plus  heureuses  celles  qui  n'ont  point 
oublié  le  vœu  solennel  qu'elles  en  ont 
fait. 

PREMiEn  POINT.  —  L'excellence  du  vœu 
do  pauvreté. 

I,  11  est,  pour  une  religieuse,  une  source 
de  gloire.  1*  Elle  suit  l'exemple  de  Jésus- 
Christ,  qui,  après  avoir  quitté  par  amour 
pour  nous  le  séjour  do  sa  gloire,  a  voula 
naître  et  vivre  dans  la  plus  extrême  pau- 
vreté, jusqu'à  n'avoir  pas  à  reposer  sa  tôle. 
2°  Cet  état  la  dislingue  non-seulement  de 
tous  les  mauvais  chrétiens  du  monde,  mais 
encore  de  ceux  qui  y  servent  Dieu,  mais  qui 
ne  sont  pauvres  que  de  cœur  et  d'esprit. 

IL  Ce  vœu  est  pour  elle  une  source  do 
bonheur.  1°  Il  lui  procure  de  grands  avan- 
tages temporels.  Elle  trouve  dans  la-reli- 
gion plus  qu'elle  n'a  quitté  en  renonçant  au 
monde,  en  père  et  mère,  en  nourriture,  en 
biens,  en  commodités.  Elle  est  exempte  des 
soins,  des  inquiétudes  et  des  revers  de 
fortune  qu'éprouvent  les  habitants  du  siè- 
cle. 2°  Il  lui  procure  des  avantages  spirituels 
plus  grands  encore.  Il  la  préserve  d'une  in- 
finité de  fautes  et  de  tentations  auxquelles 
les  riches  du  siècle  sont  exposés.  Il  lui  fait 
acquérir  les  [)lus  belles  vertus.  L'humilité, 
la  mortification,  l'amour  de  Dieu,  la  con- 
formité à  sa  volonté,  la  patience,  la  charilé 
envers  le  prochain;  au  lieu  que  les  riches- 
ses portent  aux  vices  contraires  à  ces  ver- 
tus, à  l'orgueil,  à  l'immonificalion  des  sens, 
à  l'oubli  de  Dieu,  à  la  ifcvolte  contre  ses 
lois,  à  la  dureté  envers  le  prochain.  Il  la 
comble  à  la  mort  de  paix  et  de  consola- 
tions. 

SECOND  POINT.  —  L'éteuduo  des  obliga- 
tions du  vœu  de  |)auvrelé. 

1.  Elle  doit  être  intérieure  dans  son  prin- 
cipe. Pour  êlre  vraie  pauvre  de  Jésus-Clirisl, 
une  religieuse  doit  mépriser  les  richesses, 
aimer  la  [lauvreté  et  ditlérer  en  cela  des 
pauvres  du  monde  qui  la  détestent  pour 
l'ordinaire. 

IL  Elle  doit  être  universelle  dans  sa  pra- 
li(iue.  Elle  doit  la  porter  :  l"  à  ne  rien  dé- 
sirer ni  pour  elle  ni  pour  d'autres;  ce  lui 
serait  une  source  do  distractions  ;  2'  à  ne 
rien  donner  ni  recevoir,  au  moins  sans  une 
permission  non  inter|)rétée,  mais  expresse, 
et  dy  plus,  légitime,  sa  sujiéricure  ne  pou- 


455 


ORATEURS  SACHES.  L'ABBE  DE  MONTIS. 


456 


yani,  sans  une  vraie  raison,  la  dispenser 
(le  son  vœu;  3°  à  ne  rien  posséder  d'inutile 
et  superflu;  ne  tenir  à  aucun  meuble,  ni 
directemeni,  l'ayant  chez  soi,  ni  indireclc- 
nienl,  l'ayant  chez  un  autre,  comme  de  l'ar- 
gent ou  sa  pension.  Abus  consiilérable  sur 
«et  article,  toléré  par  des  supérieurs  ou  des 
directeurs  trop  relâchés,  mais  qui  sera  un 
jour  pour  eux  et  pour  leurs  filles  spiri- 
tuelles, un  sujet  de  reproches  et  de  con- 
damnation peut-être. 

Conclusion.  Si  je  veux  sonder  mon  cœur 
sur  le  vœu  de  pauvreté,  que  j'ai  de  fautes  à 
me  reprocher  1 

Résolutions.  1°  Do  remercier  souvent  le 
Seigneur  de  m'avnir  appelée  au  renonce- 
ment des  richesses  ,  cause  de  la  réprobor 
tion  de  tant  de  chrétiens;  a»"  d'examiner, 
pendant  ma  retraite  si  je  n'ai  point  de  su- 
|)erflu  dans  ma  cellule  ;  3°  de  me  défaire 
pourageusement  de  tout  ce  que  je  jugerai 
être  peu  conforme  à  la  plus  exacte  pauvreté 
religieuse. 

SIXIÈME  JOUK. 

TROISIÈME  DISCOURS..  —  Sur  la  lecture  spi- 
rituelle. 

Les  directeurs  des  consciences  la  recom- 
fnandenl  toujours  comme  un  moyen  efTicace 
de  salut  et  de  porfeciion.  Elle  est  prescrite 
et  d'usage  dans  toutes  les  communautés  re- 
ligieuses, 

PREMIER  POINT.  —  Les  motifs  qui  doivent 
porter  une  religieuse  ,à  se  rendre  exacte  à 
|a  lecture  spirituelle. 

I.  Elle  lui  fait  connaître  la  verlv»;  non  la 
vertu  des  philosophes,  fausse  et  purement 
pxtérieure,  mais  la  vertu  chrétienne  et  re- 
ligieuse qui  tend  h  réformer  l'âme  et  à  la 
sanctifier  en  lui  faisant  connaître  le  péché 
qui  lui  est  opposé;  ses  devoirs  de  chré- 
tienne et  de  religieuse,  en  lui  apprenant  à 
juger  de  tout,  selon  les  vues  de  la  foi;  en 
lui  communiquant  une  infinité  de  connais- 
sances dans  l'ordre  du  salut. 

IL  Elle  lui  fait  aimer  la  vertu.  Elle  ne 
peut  la  bien  coiuiaître  sans  l'estimer,  ni  l'es- 
timer sans  l'aimer,  d'abord  dans  les  autres, 
puis  sans  désirer  de  la  posséder.  La  lecture 
dos  vies  saintes  surloi>t,  produit  ce  bon  efiel. 
Que  de  bons  désirs  ,  de  pieux  sentiments 
fie  saintes  résolutions  après  une  lecture  bien 
faite  I 

IIL  Elle  lui  fait  pratiquer  la  vertu.  Il  lui 
serait  inutile  de  la  connaître  et  de  l'eslimcr 
si  elle  en  restait  là  ;  c'est  à  la  pratique  que 
Dieu  a  attaché  ses  grâces  et  ses  récompen- 
ses :  or,  la  lecture  touche  la  volonté,  elle 
l'ébranlé  et  la  détermine  au  bien.  C'est  elle 
qui  a  converti  saint  Augustin,  les  officiers 
de  l'empereur  dont  parle  ce  saint  docteur, 
saint  Ignace  et  une  infinité  d'autres. 

SECOND  POINT-  —  Les  dispositions  avec 
lesquelles  une  religieuse  doit  faire  la  lec- 
ture spirituelle. 

I.  Intention  pure  avant  la  lecture.  Elle 
seule  donne  le  prix  à  nos  actions.  Ne  point 
Jire  des  livres  profanes  ou  peu  convenables 
^  son  étal,  ni  des  livres  de  piété  faits  par 


des  hérétiques  ou  auteurs  suspects.  Préfé- 
rer ceux  qui  ont  été  composés  par  des  saints, 
et  ceux  qui  ont  ra()port  à  l'état  religieux. 
Ne  point  lire  ceux-ci  par  curiosité,  jiar 
amour-propre,  pour  paraître  spirituelle,  ou 
pour  s'élever  à  des  voies  extraordinaires, 
mais  chercher  uniquement  à  s'instruire  et  à 
se  sanctifier. 

IL  Application  suivie  pendant  la  lecture. 
N'avoir  pas  pour  cela  un  esprit  habituelle- 
ment dissipé;  ne  pas  se  livrer  en  lisant  h 
des  distractions  volontaires.  Ne  pas  lire  avec 
précipitation.  Avoir  plus  d'attention  aux 
choses  qu'au  style  et  à  la  manière  de  l'au- 
teur. Réfléchir  sur  soi  en  lisant.  Prier  de 
temps  en  temps  le  Seigneur  d'éclairer  l'es- 
prit et  de  toucher  le  cœur.  Relire  ce  qui  a 
louché,  l'écrire  même  en  peu  de  mots  pour 
se  le  rappeler  dans  le  temps  des  tentations 
et  des  dégoûts. 

m.  Docilité  constante  après  la  lecture. 
Mettre  en  pratique  ce  qu'on  a  lu.  Sans  cela 
les  luniières,  les  réflexions,  les  résolutions 
même  lui  seraient  inutiles  et  la  rendraient 
plus  coupable  que  celle  qui  ne  les  aurait  pas 
faites;  l'enfer  est  rempli  de  bons  désirs  et 
de  saintes  résolutions.  Elle  doit  donc  exé- 
cuter promptement  ce  qu'elle  a  résolu  pour 
sa  perfection. 

Conclusion.  Hélas  I  quel  fruit  ai-je  lire 
jusqu'à  présent  de  tant  de  lectures  pieuses 
que  je  fais  exactement  chaque  jour? 

Résolutions.  1°  D'implorer  toujours  les 
lumières  du  Saint-Esprit  avant  de  commen- 
cer ma  lecture  spirituelle;  2°  de  lire  avec 
toute  l'attention  dont  je  serai  capable; 
3"  d'exécuter  fidèlement  tout  ce  que  le  Sei- 
gneur m'y  aura  inspiré  pour  me  réformer 
et  pour  lui  plaire. 

SEPTIÈME  JOUR. 

PREMIER  DISCOURS.  —  Sur  l'amour  de  Dieu. 

Quelle  bonté  de  notre  Dieu  I  il  ne  nous 
permet  pas  seulement  de  l'aimer,  il  nous 
le  commande.  Cependant  qu'il  est  peu 
aimé  ! 

PREMIER  POINT.  —  Les  motifs  qui  doivent 
engager  une  religieuse  à  aimer  son  Dieu, 

I.  Ses  perfections  infinies.  1°  Il  les  pos- 
sède éminemment,  sans  borne  ni  limite.  Il 
est  l'Etre  par  excellence,  indépendant  de 
tout  être.  Toutes  les  perfections  des  créa-; 
tares  sont  des  traits  bien  imparfaits  des 
siennes.  2°  Il  les  possède  purement,  sans 
aucun  mélange  d'imperfections  qui  se  trou- 
vent dans  les  créatures  les  [)liis  parfaites, 
ce  qui  est  cause  que  le  cœur  qui  s'attache  à 
elles,  n'est  jamais  jileinenient  satisfait.  3°  Il 
les  possède  constamment  sans  craindre  de 
les  perdre  jamais,  au  lieu  que  la  créature 
la  plus  parfaite  peut  perdre,  dans  un  ins- 
tant, et  [)erd  à  sa  mort  du  moins,  toutes 
ses  perfections.  Quel  bonheur  pour  une 
épouse  de  Jésus-Clirist  de  s'être  attachée  à 
un  Dieu  qui  sera  le  nième  pour  elle  pen- 
dant l'éternité! 

IL  Ses  immenses  bienfaits.  1°  Il  l'a  créée 
par  préférence  à  une  infinité  d'autres.  Il  lui 
n  donné  une  âme  capable  de  le  conna|irç? 


457  ANAJ.YSE  DES  DISCOURS 

et  de  l'aimer.  2'  Il  l'a  délivrée  du  l'esclavage 
du  démon  et  du  péclié  en  mourant  sur  la 
croiï.  3"  Il  l'a  éclairée  des  lumières  de  la 
foi  par  le  baptême  et  l'a  fait  naître  dans  le 
sein  de  l'Eglise,  grâce  qu'il  n'a  pas  faite  à 
une  infinité  d'autres.  4°  Il  lui  a  pardonné 
une  infinité  de  péchés  qu'elle  a  commis. 
5'  Il  l'a  préservée  de  la  contagion  du  monde 
(Bt  l'a  mise  au  rang  de  ses  épouses,',  et,  en 
celte  qualité,  il  l'a  comblée  d'une  intinilé.de 
grâces. 

SECOND  POINT.  —  Lcs  qualitésiquo  doit 
avoir  lamour  d'une  religieuse  oour  son 
Dieu. 

I.  Il  doit  être  appréciatif  par  rapport  à 
l'esprit,  c'est-h-dire,  1"  ne  rien  aimer  et  es- 
timer au-dessus  de  Dieu  ;  cela  est  bien 
juste,  puisqu'il  est  infiniment  au-dessus 
de  tous  les  êtres  qu'il  a  créés;  2°  ne  rien 
ainuT  et  estimer  autant  que  Dieu.  C'est  un 
<?poux  jaloux  qui  Veut  et  qui  mérite  tout 
ie  coeur;  il  ne  peut  soutfrir  le  moindre  par- 
tage; S-"  ne  rien  aimer  et  estimer  que  par 
raftporl  à  Dieu;  en  sorte  qu'elle  soit  dis- 
posée à  tout  perdre  et  à  tout  sacrifier  pour 
lui  témoigner  son  amour. 

II.  Il  doit  être  effectif  par  rapport  à  la 
volonté.  1^  Au  dedans,  par  des  actes  d'a- 
mour qui  partent  surtout  du  fond  du  cœur, 
et  qu'elle  doit  produire  même  plusieurs 
fois  le  jour.  2°  Au  dehors,  en  se  livrant  à 
des  actions  chrétiennes  et  religieuses,  en 
accomplissant  tous  les  devoirs  que  son  état 
lui  prescrit,  mais  qu'elle  doit  accomplir  en- 
tièrement, n'en  omettant  aucun;  constam- 
ment, sans  jamais  se  relâcher;  saintement, 
par  le  motif  d'un  véritable  et  pur  amour 
pour  Dieu. 

Conclusion.  Si  je  veux  sérieusement  in- 
terroger mon  cœur,  que  j'ai  peu  aimé  mon 
Dieu  jusqu'ici  1  Combien  de  fois  j'ai  donné 
sur  lui  la  préférence  aux  créatures  I 

Résolutions.  1°  De  m'appliquer  à  détacher 
mon  cœur  de  toute  créature  et  de  moi-même 
surtout;  2°  de  m'habituera  |)roduire  sou- 
vent, et  du  ff)nd  du  cœur,  des  actes  d'amour 
de  Dieu;  .3*  d'agir  en  tout,  et  de  tout  souf- 
frir par  ce  motif  si  parfait  et  si  méritoire  do 
J'amour  de  Dieu. 

SEPTIK.ME  JOUl\. 

SECOND  Di  COURS.  —  SuT  l'union  des  cœurs. 

Celle  union  fondée  sur  l'amour  du  pro- 
chain, si  recommandée  par  Jéi-us-Christ, 
est  rare  parmi  les  chrétiens  du  monde,  et 
ne  règne  pas  toujours  dans  les  communau- 
tés religieuses. 

PREMIER  POINT.  —  Lcs  motifs  qui  doivent 
engager  une  religieuse  à  conserver  cette 
union  avec  ses  sœurs. 

I,  C'est  la  volonté  du  Seigneur.  Il  n'a 
rien  tant  recommandé  è  ses  disciples  que 
de  s'aimer  les  uns  les  autres.  Il  a  appelé 
l'amour  du  prochain  son  préce[)le,  parce 
qu'il  l'a  renouvelé  et  en  a  étendu  la  i)ratique 
aux  ennemis.  Les  apôtres  et  tous  les  saints 
ont  imité  en  cela  leur  divin  Maître. 

II.  Ces!  son  avantage,  l' l'our  l'autre  vie. 
Ue  Seigneur  jugera  un  jour  et  récou)pensera 


SEPTIEME  JOUR. 


458 


selon  les  œuvres  et  les  degrés  de  charité. 
2*  Dès  cette  vie.  Le  Seigneur  remet  les  pé- 
chés à  ceux  qui  exercent  la  charité.  Il  se 
plaît  à  combler  de  grâces  et  de  bénédic- 
tions, une  communauté  dans  une  parfaite 
union  ;  bien  différente  de  celle  qui  n'y  est 
pas,  elle  jouit  d'une  paix  solide  qui  en  fait 
un  paradis  sur  terre. 

SECOND  POINT.  — Lcs  moycns  qu'une  re- 
ligieuse doit  employer  pour  conserver  l'u- 
nion avec  ses  sœurs. 

I.  Se  considérant  par  rapport  à  elles.  At- 
tention scrupuleuse.  1°  Sur  ses  actions;  ne 
faisant  rien  qui  puisse  leur  déplaire,  agis- 
sant môme  en  tout  pour  leur  plaire.  2°  Sur 
ses  paroles;  ne  disant  rien  qui  puisse  les 
offenser;  n'en  parlant  jamais  mal,  mémo 
par  ('onfidence.  3°  Sur  ses  sentiments;. sans 
cela  sa  charité  serait  purement  extérieure. 
Elle  doil  aimer  également  toutes  ses  sœurs, 
évitant  les  amitiés  particulières,  toujours 
funestes  à  une  communauté,  4°  Sur  ses  ju- 
gements et  ses  pensées ;-iuterprélani,  autant 
qu'il  est  possible,  tout  en  bien. 

II.  En  considérant  ses  sœurs  par  rapport 
h  elle.  Patience  inaltérable.  Ayant  à  vivre 
avec  des  caractères  de  toute  espèce  et  quel- 
ques-uns peu  sociables,  elle  pensera  que 
Dieu  la  souffre,  avec  tous  ses  défauts,  qu'il 
l'a  aimée  malgré  toutes  ses  ingratitudes, 
que  c'est  lui  qui  lui  ordonne  de  souffrir  de 
son  prochain  avec  patience,  et  qu'il  lui  en 
a  donné  l'exemple. 

Conclusion.  Que  de  fautes  contre  la  cha- 
rité et  de  toute  espèce  dont  je  me  suis  ren- 
due coupable  envers  mes  sœurs,  pour  m'ê- 
Ire  trop  aimée  moi-même! 

Résolutions.  1°  De  m'observer  attentive- 
ment pour  ne  leur  poinl  déplaire  ;  2°  de  ré- 
parer, dans  le  moment  et  avec  humilité, 
les  plus  petites  fautes  contre  la  charité; 
3°  de  lu'appliquer  à  préférer  toujours  la  sa- 
tisfaction de  mes  sœ.irs  à  la  mienne. 

SEPTIEME  JOUR. 

11^» 


TROISIÈME   DISCOURS.  — Sur   Vob^issance   à 
l'Eglise. 

Ce  n'est  pas  seulement  parmi  les  chré- 
tiens du  siècle  qu'on  trouve  des  réfractai- 
res  aux  décisions  de  l'Eglise;  l'on  en  voit 
malheureusement  encore  parmi  les  épouses 
de  Jésus-Christ. 

PREMIER  POINT. —  Lcs  lootifs  qui  doivent 
engager  une  religieuse  à  obéir  à  l'Eglise. 

I.  iÉile  trouve,  dans  son  obéissance,  toute 
sa  sûreté.  Dieu  a  proniis  l'inlaillibilité  à 
à  son  Eglise,  qui  est  le  corps  des  pasteurs 
réuni  à  son  vicaire  le  Souverain  Pontite  ; 
voilà  ce  qui  doil  la  rassurer  et  lui  faire  pré- 
férer leurs  décisions  à  son  propre  esprit, 
si  sujet  à  se  lrom[)er  et  au  jugement  do 
(juelques  docteurs  particuliers,  indociles 
par  orgueil  et  le  plus    souvent  par  intérêt. 

II.  Elle  trouve,  dans  son  obéissance,  son 
l>oiiheur.  1°  Pour  l'autre  vie.  Tout  ce  qu'elle 
opère  de  bien  no  peut  être  méritoire  du 
ciel  sans  la  charité  habituelle  qui  ne  réside 
poinl  dans  une  personne  rebelle  à  l'Eglise. 
Que  de  mérites  perdus  pur  là!  Que  de  [ici'. 


45î^ 


ORATEURS  SACRES.  L'ARBE  DE  MONTIS. 


440 


sonnes  qni  paraissent  vivantes  et  qui  sont 
mortes  aux  yeux  do  Dieu  par  le  défaut  de 
foi  1  2°  Bonlieur  pour  celte  vie.  Par  le  ret>os 
intérieur,  par  la  paix  du  cœur  qu'une  épouse 
do  Jésus-Clirislne  ppui  posséder,  lorsqu'elle 
refuse  d'obéir  à  l'Eglise  par  orgueil,  par, 
respect  humain.  Que  de  jours  passés  dans 
le  trouble,  dans  l'inquiétude,  dans  les  re- 
mords, malgré  son  atrectation  à^  se  dire 
tranquille  1 

SECOND  POINT.  —  Les  dispositions  dans 
lesquelles  une  religieuse  .doit  obéir  à  VE- 
glise. 

I.  Son  obéissance  doit  ôlre  sincère  et  inté- 
lieure.  L'Eglise  l'a  toujours  exigé  de  ses  en- 
fants. Le  silence  respectueux  ne  suilit  donc 
pas  et'  lui  fait  injure.,  La  neutralité  est  éga- 
lement condamnable;  n'être  pas  pour  elle, 
cest  être  contre  elle  et  contre  Jésus- 
Christ.  Elle  doit  donc  montrer  du  zèle  pour 
la  défense  de  la  foi,  mais  un  zèle  sage  et 
prudent,  convenable  à  son  sexe  et  à  son 
état. 

H.  Son  obéissance  doit  être  universelle. 
La  foi  est  indivisible  dans  son  objet  ;  no 
pas  soumettre  son  esprit  à  un  seul  article, 
c'est  se  rendre  coupable;  soit  que  l'Eglise 
condamne  les  erreurs,  en  général  ou  en 
particulier,  elle  exige  une  égale  soumission. 
L'ignorance  qu'on  allègue  est  un  prétexte. 
C'est  une  raison  de  plus  d'obéir  à  l'Eglise. 
Autre  prétexte.  La  loi  du  silence.  Le  sou- 
verain n'a  eu  intention  que  d'empêcher  les 
troubles  dans  l'Etat,  et  non  de  fermer  la 
lîouche  aux  évêques  chargés  par  Jésus- 
Christ  d'instruire  les  âmes  confiées  à  leurs 
soins. 

Conclusion  pour  une  religieuse  réfraclaire. 
Je  le  reconnais  présenlement,  si  jusque  ici 
j'ai  refusé  de  me  soumettre  à  l'Eglise,  c'est 
inon  orgueil,  ce  sont  des  vues  tout  humai- 
nes qui  m'ont  séduite. 

Résolutions.  1°  De  demander,  tous  les 
jours  à  Notre-Seigneur  la  grâce  de  connaî- 
tre la  vérité;  2°  d'écouter  avec  respect  et 
docilité  les  instructions  et  les  avis  de  mes 
supérieurs  ;  3°  de  m'acquilter  iidèlemetit  de 
lous  mes  devoirs  ,  pour  mériter  la  grâce 
tl'ètre  éclairée. 

Conclusion  pour  une  religieuse  soumise. 
flélasl  je  plains  souvent  les  épouses  do 
Jésus-Christ,  que  des  préjugés  de  naissance 
ou  d'éducation  retiennent  dans  l'erreur; 
mais  que  me  servira  d'avoir  cru  si  je  vis 
mal? 

RésolVftions.  1°  De  remercier  souvent  le 
Seigneur  de  m'avoir  procuré  une  éducation 
chrétienne  et  catholique;  2"  de  rendre  cha- 
que (jour  ma  |fui  [dus  active,  en  m'ac(|uil- 
tant  îidèlement  de  tous  mes  devoirs;  3°  do 
faire  toutes  les  semaines  quelques  prières 
pour  la  conversion  des  religieuses, non  sou- 
mises à  l'Eglise. 

HUITIÈME  JOUR. 
PREMIER  DISCOURS.  —    Sui  U  bonlieur  du 

ciel. 
On  ne  doute  point  do  cette  consolante 
vérité  «'u  bonheur  éternel  des  élus  dans  le 


ciel,  mais  jusque  dans  la  religion  on  no 
s'en  occupe  point  assez. 

PREMIER  POINT.  —  Daus  lô  ciel  l'esprit 
d'une  religieuse  sera  parfaitement  heureux 
par  les  connaissances  sublimes  que  Dieu  lui 
communiquera. 

I.  Connaissances  universelles  dans  leur 
objet.  Par  la  lumière  de  gloire  qu'il,  lui 
communiquera,  elle  le  connaîtra,  avec  tou- 
tes ses  inOnies  perfections;  elle  connaîtra 
tous  les  mystères  de  notre  sainte  religion; 
tout  ce  que  Dieu  a  fait  pour  la  sauver;  tou- 
tes les  parties  si  variées  de  l'univers,  lous 
les  esprits  célestes,  tous  les  élus. 

IL  Connaissances  faciles  dans  leur  acqui- 
sition. Sans  études,  sans  travail ,  au  pre- 
mier instant  de  son  entrée  dans  le  ciel, 
elle  sera  éclairée  de  la  science  de  Dieu 
môme. 

IlL  Connaissances  infaillibles  dans  leur 
motif.  Plus  d'erreurs  dans  le  ciel,  plus  de 
doutes,  d'ignorance,  de  ténèbres,  parce  que 
la  divine  Vérité  elle-même  l'éclairera. 

IV.  Connaissances  constantes  dans  leur 
durée.  Elles  ne  seront  sujettes  comme  celles 
de  cette  vie  ,  à  aucune  révolution.  Pendant 
toute  l'éternité  elle  contemplera  son  Dieu 
sans  'ennui,  sans  dégoût ,  parce  qu'elle  dé- 
couvrira sans  cesse  en  lui  de  nouvelles 
beautés. 

SECOND  POINT.  —  Daus  le  ciel,  le  cœur 
d'une  religieuse  sera  parfaitement  heureux 
par  la  joie  solide  dont  Dieu  le  pénétrera. 

L  Elle  possédera  un  bien  sans  illusion 
qui  la  satisfera  réellement.  Honneurs,  ri- 
chesses, plaisirs,  tout  y  sera  vrai,  [)arco 
qu'elle  trouvera  tout  cela  dans  son  Dieu. 

H.  Elle  possédera  un  bien  sans  partage 
qui  la  satisfera  pleinement,  parce  que  son 
Dieu  lui  tenant  lieu  de  tous  les  biens,  elle 
ne  |>ourra  |)lus  rien  désirer. 

IlL  Elle  possédera  un  bien  sans  défaut 
qui  la  satisfera  purement.  Plus  de  misères 
dans  le  ciel  et  d'aucune  espècej;  plus  de 
peines,  d'inquiétudes  pour  l'esprit;  plus 
de  chagrins,  de  passions,  de  faiblesses  pour 
le  cœur  ;  plus  d'infirmités,  de  douleurs,  de 
souHVances  pour  le  corps. 

IV.  Elle  possédera  un  bien  sans  fin  qui  la 
satisfera  éternellement.  Il  ne  peut  y  avoir 
un  vrai  bonheur,  où  il  n'y  a  point  d'assu- 
rance d'une  éternité;  or,  en  possédant  son 
Dieu,  elle  le  possédera  et  seia  intimement 
convaincue  qu'elle  le  possédera  éternelle- 
ment. 

Conclusion.  Qu'il  est  grand  ce  bonheur 
du  ciel  I  Mais,  hélasl  très-peu  le  posséde- 
ront. Le  mérilais-je?  Ai-je  fait  jusqu'ici 
tout  ce  qu'il  faut  pour  le  posséder? 

Résolutions.  V  De  m'exciler  à  la  fidélité 
à  tous  mes  devoirs,  en  pensant  souvent  à  la 
grandeur  des  récompenses  éternelles;  2°  de 
demander  tous  les  jours  pardon  à  Dieu,  des 
péchés^qui  ont  pu  me  fermer  pour  toujours 
les  portes  du  ciel  ;  3"  de  me  livrer  f)lus  que 
jamais  à  la  pénilence,  afin  de  faire,  s'il  se 
piiul,  tout  mon  purgatoire  on  celte  vie  et  de 
jouir  plus  tôt  de  mon  céleste  Epoui^. 


441  ANALYSE  DES  DISCOIRS. 

HUITIÈME  JOUR. 

second"  discocrs.  —  Sur  la  présence  de 
Dieu. 

CVst  un  moyen  de  sanclificalion  qui  est 
Itop  négligé,  convenable  cependant  à  tout 
(  liiétien,  et  encore  plus  aux  épouses  de  Jé- 
siis-Ciirist, 

PREMIER  POINT.  —  Ccl  exercice  esf  très- 
propre  à  préserver  une  religieuse  du  pé- 
ché. Première  vérité.  Dien  qui  a  loul  créé, 
e^l  présent  partout,  par  son  immensité,  il 
.-emplit  et  pénètre  tout  jusqu'à  son  cœur  : 
c'est  donc  toujours  dans  le  sein  de  Dieu  son 
Créateurqu'elle  pèche.  Seconde  vérité.  Dieu 
fst  présent  partout,  par  sa  puissance;  il  agit 
dans  tout  avec  ses  créature?;  c'est  donc 
toujours  par  le  secours  de  son  Dieu  bien- 
laiifur  qu'elle  pèche.  Troisième  vérité. 
Dieu  est  présent  partout  par  sa  science,  il 
voit  tout,  rien  ne  peut  lui  être  caclié  ;  c'est 
donc  toujours  sous  les  yeux  de  Dieu,  son 
jugp,  qu'elle  pèche. 

SECOND  POINT.  —  Cct  excrcico  est  très- 
propre  à  porter  une  religieuse  à  la  vertu. 

I.  Il  Ja  conduit  à  Ja  connaissance  de  ses 
devoirs.  Qu'elle  pense  que  Dieu  la  voit,  elle 
n'aura  plus  de  doute,  sur  ce  qu'elle  doit 
faire  pour  lui  plaire. 

II.  Il  la  porte  à  l'accomplissement  de^  ses 
devoirs;  1°  à  les  accoraiilir  tous.  Qu'elle 
pense  que  Dieu  la  voit,  elle  ne  négligera 
rien  de  tout  ce  qu'elle  lui  doit  ;  2°  h  les  ac- 
complir plus  facilement.  Qu'elle  pense  que 
Dieu  la  voit,  rien  ne  lui  coulera  de  tout 
ce  qu'il  exige  d'elle  ;  3°  h  les  accomplir  par- 
faitement. Qu'elle  pense  que  Dieu  la  voit, 
elle  agira  en  tout,  par  le  :molif  du  pur 
amour,  qui  fait  la  vraie  perfection. 

Conclusion.  Que  j'ai  négligé  jusqu'ici  cet 
eiercice  de  la  présence  de  Dieu,  si  propre 
cependant  à  me  perfectionner! 

Résolutions.  1.  De  faire,  plusieurs  fois  le 
jour,  des  actes  de  foi,  de  la  présence  de 
Dieu  :  Dieu  me  voit;  2°  lorsque  je  serai 
tculée  de  quelque  infidélité,  de  me  dire;  si 
je  succombe,  Dieu  me  verra;  3"  lorsque 
j'aurai  commis  quelque  faute,  de  me  dire 
pour  m'exciter  dans  le  moment  à  la  con- 
trition :  Dieu  m'a  vue. 

HUITIEME  JOUR. 

TROISIÈME  DISCOURS.  —  SuT  les  fruits  de    la 
retraite. 

Après  avoir  fait  une  retraite,  il  est  bien 
juste  de  témoigner  au  Seignenr,  sa  recon- 
naissance, pour  les  grâces  qu'on  en  a  reçues, 
et  de  prendre  les  moyens  d'en  profiter* 

PREMIER  POINT.  — Les  grands  fruits  qu'une 
religieuse  a  retirés  de  sa  retr.iite. 

1.  Son  esprit  a  été  éclairé,  1°  elle  a  ac- 


ULITIEME  JOUR. 


412 


quis  (les  connaissances  importantes  qu'elle 
n'avait  pas.  Que  de  nouvelles  lumières,  en 
méditant  les  grandes  vérités  de  la  religion, 
et  les  principaux  devoirs  de  son  élall  2°  les 
connaissances  qu'elle  avait  ont  été  perfec- 
tionnées. Que  de  nouvelles  idées  lui  sont 
venues,  en  méditant  sur  le  salut,  sur  le  pé- 
ché, sur  la  sévérité  des  jugements  de  Dieu, 
sur  la  mort,  l'enfer,  etc.,  puis  sur  les  prin- 
cipales observances  de  son  saint  état,  sur 
l'ofiice  divin,  l'oraison,  le  silence,  etc.,  et 
sur  les  vœux  de  la  religion  surtout  ! 

11.  Son  cœur  a  été  touché.  Pouvait  -  il  no 
l'être  pas,  en  méditant  sur  les  perfections 
infini(.'s  de  son  Dieu,  et  en  se  rappelant  tous 
ses  bienfaits,  toutes  les  grâces  générales  et 
spéciales  qu'elle  en  a  reçues,  la  grâce  de  sa 
vocation  surtout? 

IIL  Sa  conscience  a  été  purifiée.  Les  re- 
grets qu'elle  a  formés  sur  le  passé,  et  les  ré- 
solutions qu'ellea  prises  pour  l'avenir,  l'ont 
j)Ortée  à  faire  une  revue  exacte,  accompa- 
gnécsurtout  d'une  vraiedouleur,  qui  a  sup- 
j)iéé  à  bien  des  confessions  faites  avec  trop 
I)eu  d'examen  et  de  contrition. 

SECOND  POINT.  —Les  moyens  qu'une  reli- 
gieuse doit  prendre  pour  conserver  ^  les 
l'ruiis  de  la  retraite. 

II.  Se  rappeler  souvent  les  grandes  véri- 
tés qu'elle  y  a  méditées,  et  celles  surtout  qui 
l'ont  le  plus  touchée. 

H.  Exécuter  fidèlement  les  résolutions 
qu'elle  a  prises,  malgré  l'état  de  langueur, 
d'ennui  et  de  dégoût  dans  lequel  elle  pourra 
se  trouver  dans  la  suite. 

III.  Se  défier  beaucoup  d'elle-même,  en  se 
rajipelant  souvent  ses  chutes  passées  ,  et 
en  pensant  que  plus  le  démon  la  verra  ap- 
pliquée à  se  perfectionner,  plus  il  fera  d'ef- 
forts pour  la  perdre;  ce  qui  la  fera  recou- 
rir sans  cesse  au  Seigneur  et  dans  la 
prière. 

IV.  Fréquenter  les  sacrements.  Mais  sain- 
tonienl  avec  religion  et  piété,  et  non  [)ar  ha- 
bitude, ce  qui  est  assez  ordinaire  aux  reli- 
gieuses qui  se  confessent,  et  qui  commu- 
nient souvent. 

Conclusion.  En  sera-l-il  de  cette  retraite, 
comme  de  tant  d'autres  que  j'ai  laites»  et  qui 
n'ont  point  servi  à  me  réformer. 

Résolutions.  1  De  faire,  chaque  mois,  un 
jour  de  retraite,  où  je  lirai  les  écrits  que  j'ai 
faits,  dans  celle-ci,  et  où  j'examinerai  soi- 
gneusement les  progrès  que  j'aurai  faits 
dans  la  verJu;  2  d'employer  fidèlement  les 
moyens  de  persévérer  dans  la  ferveur  que 
je  viens  de  méditer;  3  si  j'ai  le  malheur  de 
tomber  dans  quelque  faute  un  peu  considé- 
rable surtout,  de  ne  point  me  décourager, 
mais  de  m  'exciter  5  une  vive  douleur,  et 
d'aller  promptement  me  purifier  dans,  les' 
eaux  salutaires  de  la  pénitence  \ 


NOTICE  SUR  CHARLES  LE  BOURG  DE  MONMOREL- 


Charles  Le  Bourg  de  Monmorel.néàPonl- 
Audemer,  fut  fait  aumônier  de  la  duchesse 
deBourgogneen  1697.  L'abbaye  de  Lannoi  lui 
la  récompense  de  son  talent  pour  la  chaire, 
autant  que  l'effet  de  la  protection  de  Madame 
de  Mainlenon.  Nous  avons  de  lui  un  recueil 
iVHomélies  estimées,  sur  les  évangiles  des 
dimanches,  des  jours  du  carême  et  des  mys- 
tères de  Jésus-Christ  et  de  la  sainte  Vierge. 
Celle  collection  précieuse  aux  curés  de 
campagne  et  môme  à  ceux  des  villes,  forme 
10  volumes  in-12.  L'auteur  écrit  avec  sim- 


plicité, avec  précision,  et  ne  s'éloigne  guère 
de  la  méthode  et  du  style  des  saints  Pères, 
dont  il  place  h  propos  les  plus  belles  sen- 
tences. Nous  ignorons  l'année  de  sa  mort. 
Nous  avons  été  assez  heureux  pour  dé- 
couvrir quelques-uns  de  ses  sermons  iné- 
dits ,  remis  par  un  de  ses  [larenls  à  un 
ecclésiastique  du  diocèse  de  Bayeux.  Le  ton 
plus  soutenu  de  ces  sermonf.  nous  permet 
de  les  éditer  dans  notre  Collection  des  Ora- 
teurs ;  mais  nous  réservons  les  Homélies 
j>our  notre  Cours  de  Prônes. 


ŒUVRES   ORATOIRES 

DE 

CHARLES  DE  MONMOREL. 

INEDITES. 


SERMONS. 


SERMON  PREMIER 

,  SLR    LA     CHAUITÉ. 

Homo  quidam  eratdivesel  induebalur  purpura  el  bysso 
et  e'pulabalur  quotidie  splen  lide,  el  eral  quidam  meii- 
dicus  nomine  Lazarus  qui  jacebal  ad  januam  cjus  cupieiis 
salurari  de  micis  quie  cadebanl  de  mensa  divilis  el 
iiemo  illidabat.  (Luc,  XVI,  1.) 

Il  y  avait  un  cerlain  riche  qui  était  vêtu  de  pourpre  et 
de  fin  lin  et  faisait  tous  tes  jours  grande  chère,  et  il  y 
avait  un  mendiant  nommé  Lazare  qui  était  couché  à  sa 
porte  ne  vuulant  que  les  miettes  qui  tombaient  de  la  table 
du  riche,  el  personne  ne  les  lui  donnait. 

Toute  l'Ecrilure  sainte,  dil  le  grand  Augus- 
tin,ne  blâme  proprement  qu'uneseule  chose, 
et  ne  recommande  qu'une  seule  chose.  Elle 
blâme  la  cupidité,  elle  recommande  la  cha- 
rité. Voilà  à  quoi  se  rapportent  tous  ses 
préceptes  et  ses  conseils,  tous  ses  exemples 
et  ses  paraboles  ,  tous  ses  mouvements  et 
ses  figures  ;  déraciner  la  cupidité  du  cœur 
de  l'homme,  y  planter  la  charité  en  la  place, 
c'est  régler  en  un  moment  sa  vie  et  ses 
mœurs,  et  il  n'en  faut  pas  davantage  pour 
en  faire  un  juste  sur  la  terre  ou  un  bieii- 
houreux  dans  le  ciel.  Mais  cet  esprit  de  l'E- 
criture qui  règne  partout,  paraît  d'une  façon 
particulière  dans  l'évangile  d'aujourd'hui. 
Nous  y  voyons  la  cupidité  d'un  riche  dans 
tout  son  jour.  C'est  un  homme   (jui  n'aime 


que  lui  et  qui  rapporte  tout  h  lui;  mogni 
fique  en  habits  ,  délicat  en  viandes  et  en 
mets;  uniquement  occupé  de  ses  commo- 
dités et  de  ses  aises,  et  le  cœur  si  bien  fermé 
pour  tout  le  reste,  qu'un  misérable  couché 
à  sa  porte,  n'ayant  besoin  que  des  miettes 
de  sa  table,  il  ne  les  peut  obtenir.  D'un  autre 
côté,  le  pauvre,  moins  occupé  de  son  indi- 
gence que  du  bon  usage  qu'il  en  sait  faire, 
détaché  des  biens  de  la  terre  autant  qu'il  en 
est  privé,  lève  des  mains  pures  au  ciel.  Jl 
ne  murmure  contre  personne;  il  honore  et 
aime  ce  riche  dont  la  cruauté  le  tue.  Eh  ! 
qu'en  arrive-l-il.  Messieurs?  La  mort  dé- 
pouille le  riche  et  revêt  le  pauvre.  Le  riche 
est  enseveli  dans  les  enfers.  Voilà  le  par- 
tage de  la  cupidité.  Le  pauvre  est  porté  par 
les  anges  jusque  dans  le  soin  d'Abraham. 
Voilà  la  récompense  de  la  charité.  C'est  de 
ce  défaut  de  charité  que  j'ai  dessein  de  vous 
entretenir.  Dans  ce  discours,  je  ne  m'attache- 
rai ni  à  l'ambition  du  riche,  ni  à  sa  mollesse, 
ni  à  son  avarice,  ni  à  sa  dtirelé,  ni  au  mau- 
vais usage  de  ses  biens.  En  vous  parlant  de 
son  défaut  de  charité,  je  vous  parle  de  loul. 
La  cupidité  était  son  crime  (!t  la  source  de 
tous  ses  crimes  ;  ou  pour  mieux  dire  la  cu- 
pidité était  seule  tousses  crimes  ensemble. 


4i5 


SERMONS.  —  SERM.  I,  SUft  LA  CHARITE. 


U6 


Charité  chréliciine,  amour  «iu  |irocli<iin,  plé- 
nitude de  la  loi,  Aine  de  l'Eglise,  coninian- 
dement  de  Jés;:s-Christ  par  excellence,  tou- 
jours si  nécessaire  et  [tourlanl  aujourd'hui 
si  refroidie  et  môme  si  ignorée,  plaise  à 
l'Esprit  de  charité  et  d'amour  que  je  te  fasse 
aimer,  ou  du  moins  que  je  le  fasse  con- 
naître. C'est,  divin  Esprit,  la  grâce  que  je 
vous  demande  par  les  niériles  de  voire 
Epouse.  Ave,  gracia  plena. 

Trois  sortes  de  personnes  manquent  de 
charité  et  pèchent  contre  la  (harilé,  car  les 
uns  n'ont  pour  le  (irociiain  qu'un  amour 
vicieux,  imparfait  ou  naturel.  Les  autres  au 
lieu  d'aimer  le  prochain  le  haïssent  et  divi- 
sent le  corps  de  Jésus-Christ  par  des  partia- 
lités et  des  dissentions,  Enlin  les  troisièmes 
se  vantent  de  ne  haïr  aucun  de  leurs  frères 
t't  d'être  en  bonne  intelligence  avec  tous. 
Mais  c'est  un  amour  languissant  et  inutile 
et  qui  consiste  à  ne  leur  point  faire  de  mal 
plutôt  qu'à  leur  faire  du  bien.  Les  premiers 
pèchent  contre  la  nature  de  la  charité,  les 
seconds  contre  l'étendue  de  la  charité,  les 
troisièmes  contre  les  devoirs  de  la  charité. 
Or  à  ces  trois  maux  il  faut  lûcher  d'appor- 
ter (rois  remèdes.  Je  dis  donc  aux  premiers 
que  la  charité  doitètre  surnaturelle  et  divine, 
voilà  sa  naiure.  Je  dis  aux  seconds  qu'elle 
doit  être  universelle,  voilà  son  élenduc.  Je 
dis  aux  troisièmes  qu'elle  doit  être  agissante 
et  secourable,  voilà  ses  fonctions  et  ses  de- 
voirs. Trois  caractères  de  ia  charité,  dans  les- 
quels je  trouverai  tous  les  traits  qui  me  sont 
nécessaires  pour  vous   en  faire  le  tableau. 

PREMIÈRE     PARTIE. 

Comme  l'homme  est  né  pour  la  société  et 
que  le  lien  d'une  société  raisonnable  ne  sau- 
rait être  que  l'amour,  il  faut  de  nécessité 
que  les  hommes  qui  vivent  ensemble  aient 
ou  feignentau  moins  quehjue  sorte  d'amour 
les  uns  pour  les  autres.  Un  homme,  dit  saint 
Chrysostome,  qui  ne  veut  être  qu'à  lui,  qui 
ne  veut  vivre  que  pour  lui  et  qui,  ayant 
besoin  de  ses  semblables,  ne  veut  pas  leur 
rendre  des  offices  réciproques,  est  un  homme 
qui  ne  doit  pas  êlre  compté  et  qui  n'est  pas, 
sans  douie,  de  notre  espèce.  Ainsi,  mes 
frères,  l'homme  partagé  qu'il  est  entre  la 
cupidité  et  la  société,  la  cupidité  qui  le 
porte  à  vivre  pour  soi,  la  société  qui  l'oblige 
à  vivre  pour  les  autres,  parce  qu'il  y  va  de 
l'intérêt  de  sa  cupidité  même  de  servir  les 
uns  et  de  ménager  les  autres;  il  se  forme 
naturellement  entre  les  hommes,  dans  tous 
les  états  et  dans  tous  les  pays,  une 
sorte  d'union  imparfaite  qu'une  intinité  de 
divisions  particulières  ne  laissent  pas  de 
troubler  et  où  ce  besoin  que  l'on  a  d'autrui 
et  la  dépendance  mutuelle,  entretiennent 
une  i)aix  apparente  et  une  liaison  intéressée. 

Dans  une  société  pareille  on  n'y  traiique 
pas  seulement  des  choses  nécessaires  à  l'u- 
sage do  la  vie,  il  s'y  fait  encore  un  tralic 
continuel  de  services,  de  soins,  de  complai- 
sances, d'assiduités  qui  s'échangent  contre 
des  biens  de  pareille  nature  ou  contre  d'au- 
tres plus  solides  et  plus  réels;  car  ce  qu'on 
tiomie  on  le  donne  taut  qu'il  se  peut  à  usu- 


re ;  l'on  loue  pour  être  flatté ,  l'on  prôl« 
des  paroles  pour  avoir  des  choses  ;  l'on  ris- 
que peu  dans  l'espérance  de  retirer  beau- 
coup. Voilà,  mes  frères,  ce  qui  s'appelle  l'ha- 
bileté et  même  l'honnêteté  du  monde.  Si  la 
cupidité  des  particuliers  voulait  prendre  un 
autre  route  et  aller  brusquement  à  ses  tins, 
elle  n'y  trouverait  pas  son  compte;  tous 
s'opposeraient  aux  entreprises  d'un  seul, 
mais  ce  qu'on  ne  peut  faire  par  force  on  y 
réussit  par  arlitices.  Vous  diriez  qu'on  veut 
flatter  l'amour-propre  des  autres,  et  ce  ne 
sont  quedes  voies  détournées  par  lesquelles 
on  tend  à  satisfaire  le  sien.  La  plupart  sem- 
.blent  travailler  pour  autrui,  et  personne  ne 
travaille  dans  la  vérité  que  pour  soi.  Ainsi, 
les  mêmes  choses  qui  divisent  les  hommes 
les  réunissent;  ainsi  tous  trompent  et  se 
laissent  tromper.  L'union  paraît  au-dehors; 
mais  le  principe  de  la  division  règne  tou- 
jours au  dedans.  La  complaisance  n'est  qu'un 
métier,  la  libéralité  qu'une  avarice,  la  paix 
qu'une  politique;  celui  qui  loue  méprise 
dans  le  fonds  de  son  âme  ;  celui  qui  obéit 
voudrait  commander;  celui  qui  pardonne, 
attend  une  occasion  pour  se  venger;  celui 
qui  observe  les  lois  de  la  société  est  au  dé- 
sespoir de  ne  les  pouvoir  enfreindre. 

Il  n'y  a  jamais  eu  que  le  royaume  de 
Jésus-Christ  oiî  un  amour  élevé  au-dessus 
de  la  nature  établit  entre  les  chrétiens  une 
union  sincère  et  une  société  parfaite.  La 
cupidité  n'y  est  point  contraire  à  la  société, 
jiarce  que  la  charité  y  détruit  la  cupidité. 
Les  biens  do  la  terre  y  entrent  pour  quel- 
que chose;  mais  les  chrétiens  en  font  peu 
de  cas  et  ces  sortes  de  biens  ne  sont  capa- 
bles ni  de  les  unir  ni  de  les  diviser.  Ceux 
qui  en  ont,  en  prennent  ce  qui  leur  en  faut 
et  distribuent  le  surplus  à  ceux  qui  n'en 
point.  Des  biens  d'un  ordre  supérieur  tit  d'un 
autre  prix  sont  la  matière  principale  du 
commerce;  et  ces  biens  spirituels  étant 
d'une  nature  à  ne  se  point  diminuer  par  lo 
.partage,  ils  ne  sont  sujets  ni  aux  usurpa- 
lions  de  l'injustice,  ni  aux  désordres  do 
l'ambition,  ni  aux  querelles  de  l'avarice,  ni 
aux  concurrences  de  l'envie.  Tous  s'aident  à 
mériter  ou  à  posséder  un  même  bien;  le 
grand  nombre  augmente  la  joie,  et  la  pos- 
sessionde  tousn'ôte  rienàla  possession  d'un 
seul,  puisque  la  félicité  d'un  seul  devient  au 
contraire  la  félicité  de  tous.  Tel  est  cet  amour 
céleste  que  le  Fils  de  Dieu  est  venu  nous 
inspirer;  telle  est  la  société  qu'il  a  prétendu 
former  sur  la  terre;  telle  était  la  manière 
dont  les  hommes  devaient  vivre  (es  uns 
avec  les  autres  suivant  les  premiers  des- 
seins de  leur  création.  Car  pour  remonter 
jusques  à  l'origine  des  choses,  c'est  une 
solide  pensée  du  grand  Augustin  que, 
dès  le  commencement  du  monde ,  Dieu 
commença  [)ar  mettre  dans  les  hommes 
des  principes  et  des  impressions  de  charité. 
Il  leur  en  lit  même  une  importante  leçon, 
ajoute  ce  Père,  par  la  dllférenle  manière 
dont  il  produisit  l'homme  et  les  bêles;  en 
cllel,  de  chaque  espèce  d'animaux  il  en 
créa  plusieurs  individus  à  la  foisj  mais  il 


4i7 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


4iS 


ne  forma  qu'un  seul  liomme  et  voulu!  qiin 
tous  les  autres  descendissent  de  celui-là  :  Ex 
«no,  dit  l'Ecriture  , /ec?7  omne  yenus  homi- 
niiminhabitaresuper  terram{Acl.  XVII,  26). 
Ainsi,  me?  frères,  le  genre  humain  ne  de- 
vait être  qu'une  famille,  el  les  hommes  de 
(DUS  les  temps  et  de  tous  les  lieux,  prove- 
nus d'un  seul  mariage,  portaient,  à  l'égard 
les  uns'des  autres,  les  principes  d'un  aaiour 
inviolable  et  d'une  charité  fralernelle.  Le 
péché  troubla  cet  ordre,  révoltant  l'homme 
contre  lui-même,  il  le  révolta  contre  ses 
semblables,  et  la  chair  d'Adam  qui  devait 
être  une  source  d'union,  devint  une  source 
de  division.  Ce  n'étaient  plus  que  meur- 
tres, que  guerres,  qu'injustices  de  toutes 
parts.  La  loi  de  Moïse  commença  à  rappe- 
ler les  hommes  de  leurs  excès  et  de  leurs 
égarements,  en  attendant  que  la  loi  de  l'E- 
vangile vint  réunir  en  un  seul  peuple  toutes 
les  nations  de  la  terre.  Elle  fit  voir,  dans 
un  peuple  particulier  el  séparé,  l'idée  d'uno 
société  paisible;  elle  en  rétablit  les  règles  ; 
elle  ordonna  d'aimer  le  prochain  comrue 
soi-même;  mais  cette  loi  qui  condamnait 
la  cupidité  sans  avoir  la  force  de  la  détruire, 
laissa  toujours  dans  l'homme  le  principe 
fécond  des  divisions  et  des  désordres. 

C'était  donc  à  vous,  mon  divin  Sauveur, 
qu'il  était  réservé  par  les  décrets  d'une  pré- 
destination éternellede  venir  être  surla  terre 
le  Législateur  el^le  grand  Apôtre  do  la  cha- 
rité. C'élaiten  vous  et  par  vous  que  tout  de 
vait  être  réconcilié.  Oui ,  mes  frères,  le  se- 
cond Adam  prend  la  |)lace  du  premier.  Jé- 
sus-Christ, chef  et  [)ère  de  tous  les  hommes 
d'une  manière  toute  nouvelle,  les  enfante 
par  sa  grâce,  les  attache  les  uns  aux  autres 
par  son  amour.  Le  cœur  el  les  entrailles  de 
Jésus-Christ,  voilà  le  centre  de  la  charité, 
voilà  où  tous  les  hommes  se  rassemblent, 
voilà  où  l'apôtre  saint  Paul  nous  souhaite: 
Quomodo  cupiam  vos  in  visceribus  Christi. 
(Plntip.,1,8.) 

Mais  écoulons  la  manière  dent  ce  divin- 
Législateur  s'en  eslex[)liqué  lui-môrae:  Hoc 
e$t  prœceptiiin  meiim  ut  diligatis  invicem  sic- 
ut  dilexi  vos.  (Joan.,  XV,  12).  C'est  ici  mon 
commandement  et  mon  précepte.  Il  l'ap- 
pelle son  commandement,  comme  si  tous  les 
autres  n'étaient  pas  les  siens,  comme  s'il  ne 
s'attachait  qu'à  celui-là  ou  que  l'observation 
de  tous  les  autres  dé|)onUîl  uniquement 
de  l'observation  de  celui-là:  Hoc  estprœcep- 
tum  meum.  C'est  ici  mon  commandemenl , 
que  vous  vous  aimiez  les  uns  les  autres  com- 
me  je  vous  oi  aimés  ;  quel  modèle  de  charité, 
quelle  perfection  et  quelle  nalure  d'amour  I 
Èlen  un  autre  endroit  il  ajoute  :  v  Manduium 
novumdo  vobis  ut  diligaUs  invicem  sicul  dilexi 
vos.  (Joan.,  XMI ,  iii.)  »  Jcvous  faisun  com- 
mandement nouveau,  que.  vous  vous  aimiez 
les  uMs  les  autres  comme  je  vous  ai  aimés.  Ici 
le  grand  Augustin  demande  pourquoi  le  Fils 
de  Dieu  apiielle  ce  précepte  de  la  charilé 
un  commandement  nouveau,  car,  disent-ils, 
n'avait-il  pas  été  déjà  ordonné  dans  l'Ancien 
Testament d'aimerson  prochain,  commesoi- 
Uiôine,  elles  Israélites  ne  regardaieotijs  pas 


co  préceple,  comme  un  dos  [iliis  grands  et 
(les  plus  iti(li<;[)onsables  -le  la  loi?  El  proxi- 
tnum  tuumsicut  leipsum  [Mallh.,  XXII,  39). 
Appliipiez-vous,  mes  chers  auditeurs,  à  la 
solution  de  ce  Père  qui  vous  fera  compren- 
dre de  quelle  nature  est  l'amour  que  le  Sei- 
gneur nous  demande  pour  le  prochain,  oi 
combien  il  doit  être  élevé  au-dessus  de  la 
raison  el  des  sens. 

Les  Juifs  étaient  bien  obligés  d'avoir  de 
la  charilé  les  uns  pour  les  autres,  mais  à 
considérer  comme  ils  observaient  ce  pré- 
ceple, il  se  trouve  une  extrême  différence 
entre  les  Israélites  et  les  chrétiens:  car  la 
nature  produisait  cet  amour  en  eux,  et  rien 
que  la  grâce  ne  le  peut  former  en  nous.  Ils 
aimaient  le  prochain,  comme  ils  s'aimaient 
eux-mêmes,  c'est-à-dire  d'une  manière  sensi- 
ble et  charnelle  ;  el  le  modèle  de  noire  amour 
est  de  nous  aimer  comme  Jésus-Christ  nous 
a  aimés.  Ils  ne  s'aimaient  les  uns  lesaulres 
que  par  rapport  à  cette  terre  délicieuse  et 
à  ces  biens  matériels  el  périssables  qu'ils 
devaient  posséder  ensemble;  mais  la  fin  do 
l'amour  des  chrétiens,  c'est  de  s'unir  pour 
la  conquête  du  ciel,  c'est  de  s'avancer  en- 
semble vers  la  possession  d'un  môme  Dieu. 
Car  voilà  les  véritables  caractères  de  la  cha- 
rilé chrétienne:  Un  Dieu  en  est  le  prin- 
cipe, un  Dieu  en  est  le  terme  et  la  fin.  Que 
si  dès  le  temps  de  l'ancienne  loi  quelques 
justes  se  sont  trouvés  marqués  de  ce  glorieux 
cyraclère,  on  peut  dire  que  dès  lors  ils  ap- 
partenaient à  la  loi  de  grâce  ;  car  la  loi  a  été 
donnée  par  Moïse,  el  la  grâce  n'a  jamais 
été  donnée  que  par  Jésus-Christ. 

N'est-ce  donc  pas  un  commandement  bien 
nouveau  que  celui  qui  nous  élève  ainsi  au- 
dessus  de  la  nature  et  do  nous-mêmes? 
N'est-ce  pas  un  commandement  bien  nou- 
veau que  celui  dont  l'observation  nous  sanc- 
tifie intérieurement  el  nous  renouvelle  ? 
N'esl-ce  pas  un  commandemenl  bien  nou- 
veau que  celui  qui.  nous  a  été  donné  par 
ce  nouvel  homme  qui  nous  le  fait  observer 
par  sa  grâce,  non  pas  selon  l'ancienneté  do 
la  lettre,  mais  selon  la  nouveauté  de  l'es- 
prit? Confessons-le  par  notre  propre  expé- 
rience, mes  frères,  s'aimer  de  cette  manière, 
c'est  s'aimer  d'une  manière  bien  extraordi- 
cl  bien  nouvelle:  Mandatum  novum  do  vo- 
bis ut  diligatis  invicem,  sicut  dilexi  vos. 

C'est  pourtant  ainsi  que  s'oimaienî  tous 
ces  pren;iers  chréliens  dont  nous  ne  pou- 
vons lire  riiisloire  sans  admiration  et  sans 
honte.  Dégagés  de  toutes  les  aUections  im- 
pures, indifférents  pour  tous  les  objets  pé- 
rissables, le  sang  du  Fils  de  Dieu  |)ar  lequel 
ils  avaient  été  régénérés  formait  entre  eux 
une  alliance  non-seulement  l>ien  [)lus  sainte, 
mais  encore  bien  plus  éUoile  que  la  proxi- 
iiiilé  d'un  sang  profane.  Tant  d'iiommes  dif- 
férents qui  ne  s'élaient  jamais  vus  comj)0- 
saienl,  non  pas  une  même  famille,  mais  un 
môme  corps,  une  seule  âuio  aniiuait  tout  ce 
corps  mystique  dont  Jésus-Christ  était  le 
chef;  un  seul  esprit  le  remuait.  Se  trouver 
tous  à  certaines  heures  dans  le  lemple;  unir 
leurs  prières  et  leurs  vœux  comme  pour 


149 


SERMONS.  —  SERM. 


allaquer  le  ciel  par  la  force  ou  remporter 
par  la  multitude,  rompre  et  manger  ensem- 
ple  le  pain  s;icr^,  mystère  de  charité  et 
d'union,  s'aider  en  tout,  no  se  contredire  en 
rien,  supporter  les  défauts  et  partager  les 
afflictions  les  uns  des  autres;  point  de  con- 
testations ni  de  disputes,  si  ce  n'rlait  d'hu- 
milité et  de  modestie  ;  beaucoup  do  joie  et 
do  sinc(^rilé  au  dedans,  beaucouj)  d'union 
et  d'éiiiticalioii  au-dehors;  voilh  un  peu  de 
mots  les  mœurs  et  les  occupations  de  cette 
Eglise  naissante.  Pour  les  biens  et  les  ri- 
chesses de  la  terre  ils  les  mettaient  en  com- 
mun. Ainsi,  ayant  un  certain  nombre  de 
riches,  ils  étaient  sûrs  de  ne  point  avoir  de 
pauvres;  le  plus  ou  le  moins  n\-ivait  pas  de 
lieu  (tarmi  eus  et  ils  estimaient  que  toutes 
choses  devaient  être  égales  entre  ceux  qui 
n'avaient  qu'une  môme  foi  et  un  même 
Jésus-Christ  et  à  qui  Jésus-Christ  était  tou- 
tes choses. 

Encore  du  temps  de  Terlullien  on  recon- 
naissait les  chrétiens  à  cet  amour  fraternel. 
«  Voyez,  voyez,  se  disaient  les  païens,  en  se 
les  montrant,  comme  ils  s'aiment  les  uns  les 
autres  et  comme  ils  sont  prêts  de  mourir  les 
uns  pour  les  autres I  Vide  ut  se  invicem  di- 
liganl  et  quomodo  pro  alterulrum  mori  sint 
para/i.  «Combien  de  fidèles  cachés  que  cette 
marque  innocente  découvrait  à  leurs  per- 
sécuteurs et  livrait  aux  supplices  et , aux 
bourreaux!  Aujourd'hui,  mes  frères,  recon- 
naîtrait-on les  chrétiens  à  celte  marque? 
Y  eùt-il  jamais  moins  de  charité  parmi  les 
païens  ou  plus  de  division  [)armi  les  bar- 
bares? Ce[)endant  sans  cela  point  de  chris- 
tianisme ni  de  salut;  car,  ne  nous  y  trom- 
pons point,  quelque  parfaite  que  soit  cette 
charité,  elle  n'en  est  pas  moins  d'obligation, 
quelque  sublime  qu'elle  nous  paraisse,  c'est 
{'Ourtant  le  premier  degré  par  où  l'on  com- 
mence d'être  chrétien  ;  c'est  la  marque  à 
laquelle  on  reconnaît  les  vrais  disciples  de 
Jésus-Christ.  Èh  !  n'est-ce  pas  Jésus-Christ 
iui-même  qui  nous  le  dit  :  In  hoc  cogno- 
scent  quia  discipuli  mei  eritis  si  dileclionem 
habueritis  ad  invicem?  [Joun.,  XIll,  35)  Or 
ce  que  le  Fils  de  Dieu  a  dit,  il  fie  l'a  pas  dit 
pour  un  temps,  il  l'a  dit  pour  loule  la  suilo 
des  siècles  :  In  hoc  cognoscent.  C'est  propre- 
ment à  cela  que  l'on  verra  si  vous  êtes  mes 
<jisciples,  si  vous  avez  de  la  charité  les  uns 
pour  les  autr'^s.  En  effet,  dit  ici  le  grand 
Augustin,  toute  autre  marque  est  équivo- 
que. Les  biens  de  la  nature  et  de  la  fortune 
sont  inditléremment  possédés  et  par  ceux 
qui  connaissent  Jésus-Christ  et  par  ceux 
qui  ne  le  connaissent  [tas;  la  foi,  les  sacre- 
ments et  tous  les  autres  biens  spirituels  sont 
coujmuns  aux  justes  et  aux  impies.  N'en 
verra-t-on  pas  ({ui  diront  un  jour  au  Fils  de 
Dieu  ;  Seigneur  nous  avons  fùil  des  miracles, 
nous  avons  chassé  les  démons  en  votre  nom,  et 
auxquels  le  Fils  de  Dieu  répondra  :En  vérité, 
je  nevous  connais  point.  [Mutth  ,Vll,22,)Sans 
parler  ici  de  ceux  dont  par  le  l'apotre  saint 
Paul,  qui  distribueraient  tous  leurs  biens 
aux  pauvres,  qui  livreraient  leurs  corps  aux 
llamiiies,qui  parleraient  de  nos  mystères 


I,  SUR  LA  CHARITE.  i.m 

comme  des  anges  et  qui,  n'ayant  point  la 
charité  ne  devraient  être  regardés,  que  comme 
un  airain  sonnant  dont  la  vaine  agitation 
ne  fait  que  battre  l'air  et  produire  quelque 
résonnemenl  aux  oreilles,  tant  il  est^  vrai 
que  sans  la  charité  l'homme  n'est  rien, 
qu'avec  la  charité  il  est  tout  ce  qu'il  peut 
être,  parce  qu'il  n'appartient  qu'à  la  charité 
de  nous  incorporer  à  Jésus-Christ ,  parce 
que  cette  charité  est  le  lien  qui  nous  atta- 
che à  son  corps  mystique.  D'où  il  s'ensuit 
que,  manquant  de  celte  charité,  nous  som- 
mes étrangers  h.  son  égard,  et  que  ce  n'est 
que  par  celte  charité  que  nous  sommes  vé- 
ritablement à  lui  et  que  nous  pouvons  pas- 
ser pour  être  véritablement  ses  disciples  : 
In  hoc  cognoscent  quia  discipuli  mei  eritis 
si  dileclionem  habueritis  ad  invicem.  Encore 
un  coup  avoir  le  cœur  animé  de  cet  amour 
surnaturel  et  divin  qui  est  la  vie  de  nos 
âmes  et  par  lequel  nous  aimons ,  non- 
seulement  Jésus-Christ,  mais  encore  tous 
les  chrétiens  qui  sont  les  frères  de  Jésus- 
Christ  et  les  nôtres;  voilà  à  quoi  le  disciple 
bien-aimé  dans  ses  Epîtres  ;  voilà  à  quoi 
l'apôtre  saint  Paul  et  Jésus-Christ  même 
réduisent  toutes  les  obligations  du  christia- 
nisme. Aimons-nous  donc  les  uns  les  autres, 
conclut  le  grand  Augustin,  mais  aimons- 
nous,  non  comme  s'aiment  ceux  qui  se  cor- 
rompent :  Non  sicut  se  diligunt  qui  corrum- 
punl  ;  non  tomme  s'aiment  les  hommes  qui 
ne  se  regardent  que  comme  hommes  :  Non 
sicut  se  diligunt  homines  quoniam  homines 
sunt,  mais  comme  se  doivent  aimer  des 
chrétiens,  parce  qu'ils  sont  dieux,  enfants 
d'un  même  Dieu  et  fret  es  de  ce  Fils  unique 
avec  lequel  ils  doivent  posséder  un  même 
héritage  :  Scd  sicut  se  diligunt  quoniam  dii 
sunt,  et  filii  Altissimi  omnes,  et  Fitii  ejus  unici 
fratres  et  cohœredes. 

Non  pas  comme  s'aiment  ceux  nuise  cor- 
rompent; car  il  en  est  une  infinité  dans  le 
monde  de  ces  sortes  d'amours  dont  le  péché 
est  le  lien.  L'on  croit  aimer  l'objet  d'une 
f)assion  impure  et  tout  le  but  de  celte  af- 
fection maudite  est  de  séduire  celte  per- 
sonne, de  la  précipiter  dans  un  abîme  de 
corruption  et  de  malheurs,  de  la  rendre  in- 
fâme devant  Dieu  et  devant  les  hommes  ; 
tous  elfels  d'un  amour  mille  fois  plus  cruel 
et  plus  dangereux  que  la  haine.  L'un  se  pi- 
que d'être  fidèle  à  ses  anjis;  nuiis  l'on  le- 
garde  comme  le  devoir  d'une  amitié  fidèle 
et  constante  de  soutenir  non-seulement 
leurs  intérêts,  mais  encore  leurs  (lassion.s 
et  leurs  désordres  ;  mais  l'on  se  lait  une  ha- 
bitude et  une  affaire  de  se  prêter  des  armes 
les  uns  aux  autres  à  mesure  qu'on  en  a  be- 
soin. Qu'i!  en  coûte  quelque  injustice  à  ce 
magistrat,  quelque  prévarication  à  cet  hom- 
me qui  d'ailleurs  se  pique  de  probité  dans 
sa  profession,  une  violence  à  celui-ci,  une 
fourberie  à  celui-là,  c'est  à  ces  coiiditions 
que  l'on  est  ami  ,■  et  l'on  n'est  pas  di^Mie 
d'un  si  beau  nom  si  l'on  hésite  ou  si  l'un 
recule  pour  si  peu  de  chose.  Que  vous  di- 
rai-je  davantage  ;  l'on  s'associe  pour  la  dé- 
bauche, l'on  se  ligue  pour  une  vengeance 


I3i 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


A&l 


commune,  l'on  entre  en  sociélé  d'un  gain 
honleux  et  inique  qui  enrichit  les  particu- 
liers et  qui  ruine  le  public.  L'on  fait  des 
cabales  odieuses  dans  les  compagnies  les  plus 
graves  ou  les  plus  saintes;  ceux  qui  sont  cou- 
pables des  mêmes  crimes  travaillent  de  con- 
cert à  s'assurer  une  môme  inipunité.  Voilà 
ce  que  le  monde  appelle  des  amilies  ;  mais 
voilà  ce  que  la  raison  et  la  foi  ne  jieuvent 
reg^arder  que  comme  de  véii tables  coinfilici- 
tés  :iVon  sicut  se  diligunt  qui  corrumpunt. 

Il  est  encore  une  autre  espèce  d'amour 
qui  n'est  fias  criminel  comme  celui-ci,  mais 
qui  ne  laisse  pas  d'être  fort  imparfait  et 
beaucoup  au-dessous  des  obligations  du 
chrisiianisme.  Non  sicut  se  diligunt  homines 
guonian  homines  sunt.  L'on  aime  ses  pro- 
ches et  ses  amis,  mais  l'oi!  no  lient  à  ses 
proches  (|ue  par  la  chair  et  le  sang,  mais 
l'on  ne  s'unit  à  ses  amis  que  pour  des  fins 
naturelles,  iiiditf(^rentes  ou  imparfaites; 
l'on  se  fait  des  émis  de  vanité  et  des  amis 
d'inclination;  l'on  s'attache  à  celui-ci  par 
une  vue  de  fortune,  à  celui-là  [lar  une  règle 
de  bienséance  ;  l'on  se  joint  [)Our  jouir  en- 
sernble  des  agréments  et  des  commodités 
de  la  vie;  l'on  ne  cherche  qu'à  former  des 
sociétés  agréables  et  même  des  liaisons 
honnêtes,  où  certaines  vertus  morales  pré- 
dominent. Tout  cela  serait  bon  pour  d'hon- 
nêtes païens,  mais  pour  des  disciples  de 
Jésus-Christ,  les  devoirs  de  la  charité,  les 
inlcrêls  de  la  charité,  les  joies  que  produit 
la  charité,  voilà  ce  qui  les  doit  occuper; 
voilà  ce  qui  les  doit  unir.  Toute  liaison  que 
la  charité  ne  forme  point  est  indigne  d'eux 
et  est  une  espèce  de  prévarication  pour  eux. 
La  nature  de  la  charité  est  donc  d'être  éle- 
vée et  de  nous  élever  nous-mêmes  au-des- 
sus de  la  nature.  Que  si  elle  doii-être  toute 
divine  dans  sa  nature,  elle  doit  ôuoencoie 
universelle  dans  son  étendue  et  c'est  la  deu- 
xième partie  de  ce  discoins. 

SECONDE    PAKIE. 

La  diversité  dus  hommes,  l'inégalité  de 
leurs  rangs  et  la  contrariété  de  leurs  inté- 
rêts et  de  leurs  humeurs  sont,  ce  mesembie, 
trois  grands  obstacles  qui  s'opposent  a  l'é- 
tendue de  la  charité  et  qui  la  pourraient 
renfermer  dans  des  bornes  trop  étroites  et 
trop  injustes.  En  ell'et,  la  diversité  des  honi- 
njes  les  éloigne  les  uns  des  autres  ;  leur 
inégalité  les  place  les  uns  au-dessus  des 
autres  et  leur  contrariété  les  soulève  les 
uns  contre  les  autres.  iMais  le  propre  de  la 
chariié,  quand  elle  aniuje  vérilablement  le 
cœur  d'un  chrétien,  c'est  de  surmonter  tous 
ces  obstacles  et  de  s'étendre  et  sur  cette 
diversité  et  sur  celle  inégalité  et  sur  celte 
coutrariété;  sur  cette  diversité  des  hommes 
pour  les  ra[tprocher,  sur  cette  inégalité 
pour  les  égaler,  et  sur  celle  contrariété  pour 
les  réconcilier. 

Sur  celte  diversité  des  hommes  pour  les 
rapprocher;  car  n'est-ce  pas  là  le  grand 
ouvrage  de  la  venue  du  Fiis.de  Dieu  et  le 
grand  etfel  de  cette  chariié  "qui  en  fui  le 
iruit.  Tous  les  peuples  étaient  étrangers  les 
uns  à  l'égard  des  autres;  autant  de  nations, 


autant  de  mœurs  différentes.  Point  de  lien 
pour  réunir  ceux  que  les  terres  ou  les  mers 
séparaient.;  mais  à  peine  commence-t-on  à 
annoncer  Jésus-Christ  dans  Jérusalem,  que 
toutes  les  nations  se  rassemblent.  La  mu- 
raille qui  séparait  le  peuple  de  Dieu  d'avec 
les  gentils  est  abattue;  les  hommes  autre- 
fois divisés  par  la  diversité  des  langues  re- 
trouvent le  don  des  langues  comme  le  signal 
qui  les  rappelle.  Les  Juifs  et  les  Grecs,  les 
Mèdes  et  les  Perses,  les  Scvthes  et  les  Ara- 
bes entendent  les  apôtres  parler  leurs  dif- 
féients  langages  et  se  soumettent  aux  mô- 
mes lois.  Tous  les  peuples  ne  sont  plus  qu'un 
peuple  ;  tous  les  pays  ne  sont  qu'une  même 
Eglise.  De  tant  d'hommes  si  éloignés  et  si 
différents,  il  s'en  forme  un  seul  corps  qui 
est  le  corps  de  i'E|>ouse  dont  Jésus-Christ 
est  l'Epoux.  Vouloir  borner  celte  Eglise  à 
uii  moindre  espace  que  l'univers,  c'est  vou- 
loir déchirer  celle  robe  de  Jésus-Christ  qui 
ne  se  divise  point  et  qui  n'est  que  d'un 
seul  tissu.  Ah  I  disait  legrand  Augustin  aux 
donatistes,  qui  prétendaient  que  l'Eglise  du 
Fils  de  Dieu  n'était  proprement  que  dans 
l'Afrique  et  parmi  eux,  le  Père  éternel  a 
donné  à  son  Fils  toutes  les  nations  pour  son 
héritage  et  vous  voulez  réduire  tout  ce  grand 
héritage  à'si  peu  de  chose?  Eiil  n'esl-ce  pas 
la  principale  de  toutes  les  luarques  aux- 
quelles les  saints  docteurs  ont  toujours  pré- 
tendu qu'on  devait  reconnaître  l'Eglise  et 
la  distinguer  de  toutes  les  sociétés  sehis- 
maiiques?Elre  une  et  être  universelle, voilà 
ce  qui  ne  peut  convenir  qu'à  la  religion  du 
Fils  de  Dieu.  11  y  a  partout  des  hérétiques, 
remarque  judicieusement  saint  Augustin  , 
mais  ce  sont  des  hérésies  différentes.  Il  y  a 
partout  des  catholiques,  mais  ce  n'est 
qu'une  même  Eglise.  Dans  l'Afrique  les  do- 
natistes,  dans  l'Orient  les  eunomiens;  com- 
me si  nous  disions  aujourd'hui  :  ici  les  lu- 
thériens, là  les  calvinistes;  mais  dans  tou- 
tes les  parties  du  monde  toujours  cette  so- 
ciété universelle  de  laquelle  toutes  ces  sec- 
tes particulières  se  sont  retirées.  Il  en  est 
donc,  conclut  admirablement  ce  Père,  com- 
me de  la  vigne  et  de  quelcjues  sarments; 
l'Eglise  qui  est  la  vigne  du  Seigneur,  a 
étendu  ses  branches  [)ar  toute  la  terre;  et 
toutes  ces  branches  qui  sont  unies  les  unes 
aux  autres,  font  un  seul  arbre  et  vivent 
d'une  même  vie.  Mais  les  héréliiiues  ou  les 
schismatiqiies  sont  coiiaue  auiaiit  de  sar- 
ments nuisibles  qu'on  a  coupés  en  divers  en- 
droits et  qui  y  sont  demeurés,  qui  ne  vivent 
plut;  de  la  vie  commune,  et  qui,  n'ayant  plus 
d'union  avec  les  tidèles,  n'onl  j)as  même  do 
liaisons  ensemble.  Jlla  lanquam  vilis  cre- 
scendo ubique  diffusa,  ilti  lanquam  sarmenla 
inulilia  qna  ubi  prœcisa  sunt  ,  ibi  remanse- 
runt  ;  alii  hic,  alii  ibi;  nu^quam  désuni;  ipsi 
lamen  se  non  noverunl. 
y  Or  ce  que  nous  disons  du  corps  de  l'E- 
glise se  doit  dire  de  ia  cliarité  qui  en  est 
làaie  ;  car  comme  c'est  la  superbe  qui  sé- 
pare et  qui  disperse  les  hérétiques  ,  c  est  la 
ciiarilé  qui  unii  et  qui  lie  tous  les  membres 
do  l'Eglibc.  Ainsi  cette  charJlJ  doit  être  une 


-i55 


SERMONS.  —  SEUM.  1,  SUR  LA  CHARITE. 


iU 


et  universelle  tout  à  la  fois  :  une  pour  rns- 
sembler  tous  les  fidèles,  universelle  pour 
s'étendre  et  se  communiquer  à  tous  les  fi- 
dèles. Mais  admirez  ,  mes  frères,  comme  la 
charité  chrétienne  réduit  tout  à  une  par- 
faite union  ou  plutôt  à  une  parfaite  unité  ; 
car  il  n'en  est  pas  comme  d'une  société  ci- 
vile où  chacun  vit  séparément,  et  cherche 
son  intérêt  particulier  et  ses  avantages.  Ici 
cliacun  travaille  pour  les  autres,  et  les  au- 
tres Iravaillent  pour  lui  ;  les  biens  sont  com- 
muns, les  grâces  appartiennent  également 
à  tous;  celui-ci  a  reçu  le  don  de  prophétie, 
cet  autre  le  don  des  miracles;  mais  c'est 
un  même  esprit  qui  opère  tout  dans  un  mê- 
me corps.  Peut-être  ,  (Jit  le  grand  Augustin, 
n'avez-vous  reçu  aucun  de  ces  dons,  mais  si 
vousaimez,  vousiesaurcz  tous. Si  vousainiez 
l'unilé  ,  tous  ceux  qui  les  ont  reçus  les  ont 
reçus  pour  vous.  Olez  votre  envie,  ce  que 
j'ai  esta  vous  ;  que  j'aie  banni  la  jalousie  de 
mon  cœur,  ce  que  vous  avez  est  ù  moi.  La 
charité  unit  ce  que  la  cupidité  sépare.  L'œil 
ne  voit  pas  pour  lui,  il  voit  pour  tout  le 
corps;  la  main  ne  travaille  pas  pour  elle, 
elle  travaille  pour  tout  le  corps.  Qu'un  chré- 
tien fasse  des  prières  ou  de  bonnes  œuvres, 
fût-il  aux  extrémités  de  l'univers,  comme 
il  fait  avec  moi  partie  d'un  même  corps  je 
ressens  le  fruit  de  sa  bonne  vie.  Je  |)arli- 
cipe  au  mérite  de  ses  prières  et  du  ses  ban- 
nes œuvres  :  Particeps  ego  sum  omnium  li- 
mentium  te  el  custodienlium  mandata  tua. 
\Psal.  CXVIU,  93.)  Mais  aussi  quelque  peu 
de  commerce  que  j'aie  d'ailleurs  avec  un 
chrétien,  quelque  inconnu  qu'il  me  soit,  je 
suis  obligé  île  mon  côté,  non-seuleujenl  de 
prier  pour  lui  en  général  mais  encore  de 
lui  rendre,  quand  l'occasion  s'en  présente, 
de  bous  ofBces  en  particulier.  Hé  I  quoi, 
ajoutcsaintAugustin,  ce  chrétien  manque  du 
nécessaire  et  vous  avez  du  superflu  I  II  est 
traîné  en  prison  par  des  créanciers  nupi- 
loyables  et  vous  pouvez  aisément  l'aider 
dans  cette  nécessité  urgente  I  Mais,  dites 
vous,  c'est  un  homme  que  je  n'ai  jamais  vu, 
je  n'ai  nulle  liaison  avec  lui;  s'il  était  do 
mes  amis  ou  de  mes  proches  je  n'hésileruis 
pas  à  le  secourir.  Oh  1  que  vous  connaissez 
peu  la  nature  de  la  charité  1  Un  chrétien 
peut  bien  vous  être  inconnu,  mais  un  chré- 
tien peut-il  vous  être  inditl'érent  '!  Un  chré- 
tien {)eut-il  être  étranger  à  l'égard  d'un  au- 
tre clirétien?  Ah  1  si  vous  aviez  un  peu  de 
charité,  n'auriez- vous  pas  pour  tous  les 
membres  de  Jésus-Christ  un  amour  plus 
sincère  el  plus  fort  que  tous  ces  amours  vi- 
cieux ou  imparfaits  qu'inspirent  le  monde 
et  la  nature  1  Quoi?  vous  ne  [irélendez  exer- 
cer la  charité  chréli«hne  qu'envers  ceux 
dont  les  intérêts  vous  sont  chers  el  recorn- 
maudabies  d'ailleurs  1  Ce  n'est  donc  pas  la 
charité  qui  vous  pousse,  c'est  la  chair  el 
le  «ang  qui  vous  déterminent  ;  car  si  votre 
charité  était  véritable  elle  serait  universelle. 
A^-ez-en  pour  un  de  vos  frères  vous  en  au- 
rez infailliblement  pour  tous;  n'eu  ayez 
point  pour  tous,  il  est  bien  stir  que  vous 
n'eu  avez  pour  aucun. 


Passons  h  rinégalité|des  rangs,  des  condi- 
tions etdesélats,  car  c'est  le  second  obstacle 
qui  s'ofifiose  à  l'étendue  de  la  charité  chré- 
tienne. Et  en  effet  cette  inégalité  de  rangs 
et  d'emplois  abaissant  ceux-ci  ju^qnes  dans 
la  boue,  élevant  C(  ux-là  jusqu'aux  situa- 
lions  les  plus  sublimes,  comn)e  si  c'éiaient 
des  hom:i  es  d'une  autre  espèce,  les  sépare 
les  uns  des  autres  et  les  em|)êclie  d'avoir 
de  liaison  et  de  société  les  uns  avec  les  au- 
tres. Or  le  propre  de  la  chaiité.est  de  ré- 
duire toutes  ces  inégalités  à  une  égalité 
parfaite,  égalité  non-seulement  en  ce  qui 
regarde  les  biens  spirituels  ,  mais  encore  en 
ce  qui  regarde  l'usage  des  biens  et  des 
avantages  temporels. 

Egalité  dans  les  biens  spirituels,  parce 
queiiDieu  il  n'3' a  point  d'acception  deper- 
sonnes  el  que  tous  sont  égaux  à  ses  yeux. 
Vous  /citis,  disait  l'apôlre  Saint  Paul  aux  Co- 
rinihiens,  tous  <0MS  qui  avez  été  baptisé  en  Jé- 
sus-Christ, vous  êtes  revêtus  de  Jésus-Christ  et 
ce  testament  précieux  qui  vous  est  communvous 
rend  égaux  et  cache  toutes  les  différences  ex- 
térieures qui  vous  distinguaient  aup<<ravant, 
car  en  Jésus-Christ  il  n'y  a  ni  différence  do 
nations,  cdmnie  de  Juifs  el  de  Grecs,  ni  diffé- 
rence de  conditions  comme  d'esclave  et  de  li- 
bre, ni  différence  de  sexe  comme  d'hom-Ties 
et  de  femmes,  d'autant  que  vous  n'êtes  tous 
qu'une  même  chose  en  Jésus-Christ.  Omnes 
enimvosunuin  estisin Christo  J esu.  [Galut.WX, 
26-29.)  L'original  grec  porte  d'autant  que 
vous  n'êtes  tous  qu'une  même  personne.  Cum 
enim  vos  unus  estis.  El  en  eflel,  mes  frères  , 
oii  il  n'y  a  qu'un  cœur  el  qu'une  âme,  il 
n'y  a  sans  douie  qu'un  seul  homme.  Le 
grand  Augustin  ajoute,  d'autant  que  vous 
n'êtes  tous  qu'un  môme  Jésus-Christ  qui 
aime  et  qui  est  aimé;  qui  aime  ses  mem- 
bres et  que  ses  membres  aiment  en  s'aimant 
mutuellement  eux-mêmes.  Qu'on  ne  nous 
parle  donc  [)lus  de  l'inégalité  des  biens  de 
ce  monde;  vous  possédez  également  les 
biens  de  la  grâce.  Vous  aspirez  également 
aux  biens  éternels  ;  qu'on  ne  nous  cite  plus 
l'inégalité  de  la  naissance,  cette  première 
naissance  est  effacée  ;  tous  les  chrétiens  sont 
frères  depuis  qu'ils  sont  tous  devenus  en- 
fants de  I)ieu.  Or  quand  on  est  égal  dans  des 
qualités  de  celte  importance  ,  l'inégalité  qui 
se  trouve  dans  des  choses  de  néant,  doit- 
elle  ou  peut-elle  encore  être  comptée? 

Egalité  en  ce  qui  regarde  l'usage  et  la  dis- 
tribution des  biens  et  des  avantages  tempo- 
rels ;  car  quoique  la  charité  ne  détruise  pas  el 
quecesoil  elleau  contraire  qui  entretienne  le 
plus  solidement  cet  ordre  du  monde  visible, 
qui  est  l'ouvrage  de  la  Providence  et  dans  le- 
quel il  fautnécessairemeiil  qu'il  entre  del'in- 
égalité  et  de  la  subordination,  les  uns  étant 
destinés  pour  commander,  les  autres  pour 
obéir,  ceux-ci  en  étal  de  donner,  ceux-là  en 
étal  de  recevoir.  Néanmoins  la  charité  apporie 
de  si  justes  tempéraments  à  toutes  ces  diffé- 
rences que,  dans  cette  inégalité,  tous  sont 
égaux, el  que,  dans  cette  subordination,  tous 
se  irouvenl  satisfaits.  Ce  n  est  donc  pas  que, 
les  riches  se  défassent  de  leurs  richesses, 


4S5 

mais  c'est  qu'ils  se  défont  de  leur  avarice; 
ce  n'est  donc  pas  que  les  grands  renoncent  h 
leur  grandi'ur,  riuiis  c'est  qu'ils  renoncent 
à  leur  anibilioii.  Ainsi,  mes  frères,  l'amour 
de  l'ordre  relenaMl  celui  qui  obéit  dans  la 
situation  oii  il  doit  être  à  l'égard  de  celui 
qui  commande,  l'humilité  ne  laisse  pas  d'a- 
baisser celui  qui  commande  jusques  à  la 
situation  de  celui  qui  obéit.  Ainsi  le  pau- 
vre ne  pouvant  ni  ne  voulant  pas  s'élever 
jusqu'il  l'élat  du  riche;  une  compassion 
c}irétienne  ne  manque  pas  de  faiie  descen- 
dre le  riche  dans  toutes  les  nécessités  du 
pauvre.  Ainsi  cette  inégalité  bitn  loin  de 
détruire  l'union  est  plutôt  ce  qui  l'acca- 
sionne  et  ce  qui  la  fortifie.  Si  Ions  les  horn- 
mes  étaient  égaux,  personne  n'aurait  besoin 
de  personne;  mais  dans  l'état  présent,  le 
riche  a  besoin  du  pauvre  et  le  pauvre  a  be- 
soin du  riche  ;  car  le  pauvre  sert  le  riche  et 
le  riche  nourrit  le  pauvre;  le  riche  distri- 
bue des  biens  temporels  au  pauvre ,  le  pau- 
vre lui  procure  les  spirituels.  Ce  que  cha- 
cun a  de  trop,  il  le  donne;  ce  qu'd  a  do 
trop  peu,  il  le  reçoit.  Que  voire  abondance , 
dit  l'apôtre  Saint  Paul,  rempiisse  le  vide  de 
leur  pauvreté ,  afin  que  voire  défaut  soit  aussi 
suppléé  par  leur  abondance  et  qu'il  se  fasse 
une  égalité  :  «  Veslru  abundanlia  illorum  in- 
opiani  suppléai  ul  et  illorumabundunlia  vestrœ 
inopiœ  sit  supplementuin  et  fiai  œqualilas.  » 
(tl.  Cor.  VIII,  H.) 

Uien  que  la  cu|)idilé  ne  peut  détruire 
celte  égaillé  parfaite;  car  qu'esi-ce  que  la 
cujiidité?  demande  le  grand  Augustin,  si 
ce  n'est  souhaiter  des  biens  périssables  plus 
qu'il  n'en  faut  ?  Est  aulem  cu])iditas  telle 
plusquam  sufficil  !  Soit  qu'on  prétende  !>lus 
deslime  qu'un  n'en  mérite,  et  c'est  ce  qui 
s"ap})clle  orgueil;  soit  qu'on  veuille  trop 
de  gloire,  et  c'est  ce  qui  s'appelle  ambi- 
tion, soit  qu'on  travaille  à  amasser  trop  de 
richesses,  et  c'est  ce  qui  s'appelle  avarice, 
soit  qu'on  recherche  excessivement  le  |)lai- 
sir,  et  c'est  ce  qui  s'appelle  la  convoitise  de 
la  chair,  car  voilà,  mes  frères,  la  source  de 
toutes  les  divisions.  Et  en  etlet ,  si  chacun 
ne  voulait  des  biens  et  des  commodités  de 
la  terre  qu'autant  qu'il  lui  en  faut,  il  y  en 
aurait  assez  pour  tous;  mais  dès  lors  que 
plusieurs  en  prennent  trop ,  il  y  en  aura 
sans  doute  beaucoup  qui  n'en  auront  pas 
assez,  et  de  là  l'usurpation  des  plus  forts 
et  l'oppression  des  plus  faibles;  de  là  les 
injustices,  les  envies,  les  meurtres,  les  usu- 
res et  les  larcins. 

Mais  ôtez  celte  cupidité  et  mettez  la 
charité  à  la  place,  vous  rétablissez  en  un 
moment  la  paix  et  l'égalité  partout.  Egalité 
encore  une  fois  non  dans  les  rangs  ,  mais 
dans  les  cœurs  ,  non  dans  les  biens,  mais 
dans  une  distribution  équitable  des  biens. 
Car  dès  que  la  charité  s'en  môle,  personne 
n'a  plus  sujet  de  se  plaindre.  Tous  sont  par- 
tagés à  proportion  de  leur  indigence  et  de 
leur  emploi.  Ce  chrétien  a  moins  de  coui- 
modilés  que  cet  autre,  par  rap[»ort  à  ce  qu'il 
a;  mais  il  en  a  autant  par  rapport  à  ce  qu'il 
est,  ou    plutôt  à  ce  qu'ils  sont    tous  deux, 


ORATEURS  SACRES.  DE  MOîSMOREL.  456 

comme  dans  le  corps  de  l'homme  (car  c'est 
toujours  la  com|)araison  de  saint  Paul) 
comme  dans  le  corps  de  l'homme  où  cha- 
(|ue  partie  lire  do  la  nourriture  autant  qu'il 
lui  en  faut,  et  communique  le  surplus  aux 
autres.  Grande  diversité  entre  les  parties 
qui  forment  ce  corps,  grande  inégalité, 
mais  toujours  néanmoins  une  parfaite  éga- 
lité ;  diversité  dans  leurs  situations  et  dans 
leurs  ligures,  inégalité  dasîs  leur  dignité 
et  dans  leurs  emplois;  égalité  dans  leur 
corres|)ondance  ,  dans  les  offices  qu'ils 
se  rendent  et  dans  les  secours  qu'ils  se 
se  prèient. 

Excellente  leçon  pour  ces  dieux  de  la 
terre  et  pour  ces  ricîies  du  monde  qui  ne 
sont  que  pour  eux-mêmes,  et  qui  voudraient 
que  tous  les  autres  ne  fussent  que  pour  eux; 
qui,  eu  lieu  d'éiudier  les  obligations  de  leur 
rang  et  de  se  souvenir  que  les  grands  sont 
bien  plus  fails  pour  servir  ceux  qui  leur 
sont  soumis,' que  les  inférieurs  ne  sont  faits 
pour  servir  les  grands,  emploient  to.ite 
l'autorité  qu'ils  ont  sur  les  autres  non  pas 
à  les  soutenir  et  à  les  proléger,  mais  à  les 
o[»primer  et  les  accabler;  gens  sans  sensi- 
bilité pour  des  maux  dont  ils  n'ont  aucune 
expérience  ,  ne  pouvant  souHVir  la  vue 
d'une  misère  qui  peul-êlre  leur  reproche 
celle  dont  la  fortune  les  a  tirés  ;  inaccessi- 
bles dans  leur  hauteur  ,  tyrans  dans  leurs 
humeurs,  scandaleux  dans  leurs  plaisirs, 
emportés  dans  leurs  passions,  irréconcilia- 
bles dans  leur  colère,  insatiables  dans  leurs 
usurpations ,  notre  évangile,  mes  frères , 
nous  en  produit  un  de  ces  riches  coupables 
qui  se  renfermant,  pour  ainsi  dire,  dans  la 
circonférence  de  leur  fortune  et  de  leurs 
plaisirs,  n'en  sortent  jamais  pour  se  ré- 
pandre sur  la  misère  d'autrui.  Un  malheu- 
reux est  à  sa  porte;  il  n'a  besoin  que  des 
miellés  de  sa  table  et  il  ne  les  saurait  obte- 
nir. Mais  hélas!  mon  Dieu,  pour  un  mauvais 
riche  qui  paraît  dans  notre  évangile;  com- 
bien en  est-il  aujourd'hui  dans  nuire  Eglise 
bien  plus  durs  et  bien  [)lus  iuij)itoyables 
que  lui;  combien  de  malheureux  qui  gé- 
missent à  leur  porte  et  que  l'un  ne  regarde 
point  ;  qui  demandent  ce  qui  lyur  est  dû, 
et  que  l'on  ne  satisfait  point,  auxquels  oii 
reîienl  ce  qui  est  à  eux,  au  lieu  de  leur 
donner  ce  qui  est  à  soi;  que  l'on  rebute  au 
lieu  de  les  écouter,  que  l'on  insulte,  au  lieu 
de  les  soulager,  que  l'on  dépouille  au  lieu 
de  les  revêtir,  que  l'on  ruine  au  lieu  de  les 
enrichir. 

Eulin,  mes  frères,  un  troisième  obstacle 
qui  s'oppose  à  l'étendue  de  la  charité  chi-é- 
tienne  et  qui  la  renferme  dans  d'injustes 
bornes  ,  c'est  la  conlrariélé.  Contrariété 
d'humeurs,  conlrariélé  d'iulérèls,  conlra- 
riélé dans  les  dissensiou-s  et  dans  les  ini- 
miliés. 

Conlrariélé  d'humeurs  ;  car  combien 
voyons-nous  tous  les  jours  de  scand.des 
contre  la  charité,  qui  ne  viennen:  que  de  là? 
combien  d'aversions  sans  raison  et  de  pur 
caprice  ?  combien  d'anlipatliie»  naturelles  , 
(jui  dégénèrenl  en  inimitiés,  d'î^utanl  plu* 


4u< 


SF.R.MONS.  —  SERM.  I,  SUR  LA  CHARITF. 


im 


irréconcili«Tbles  que  la  muse  secnMe  de  la 
division  consiste,  non  pas  dans  des  hiens 
qu'on  peut  céder,  ou  dans  des  prélonlions 
donl  on  peut  décider  ,  mais  dans  le  fond 
d'un  tempérament  qu'on  ne  veut  et  que 
môme  on  no  peut  [)as  réformer.  Combien 
de  confrères  dans  un  môme  corps  tiui  ont 
pris  riiabilude  de  se  contredire  en  tout  et 
qui  ne  peuvent  jamais  èlre  d'un  même  sen- 
timent sur  rien  ?  Combien  de  proches  dans 
uneméme  maison  qui  ne  sauraient  coin paiir, 
le  temjis  qui  use  les  autres  inimiliés  ne 
f.iisant  tous  les  jours  (ju'aigrir  et  renGuv(!- 
ier  celles-là  ?  Combien  do  femmes  qui,  mal- 
gré la  fréquenlation  des  sacrements,  trou- 
blent tous  les  jours  la  paix  domesliijue  par 
de  nouveaux  emporleuienls,  ou  plutôt  pnr 
un  em[)ortemenl  continuel,  et  qui  ne  tait 
que  changer  incessamment  de  malièfe  ? 
Combien  qui,  au  lieii  de  se  faire  un  devcjir 
capital,  de  bien  vivre  avec  cefui  au(|uel  la 
providence  les  a  attachées  et  h-s  a  môme 
soumises,  en  viennent  à  des  ruptures  d'éclat, 
comme  si  cette  piété  dont  elles  l'ont  une 
profession  extérieure,  et  qui  condamne  si 
sévèrement  de  pareils  divorces,  était  capa- 
be  de  les  justifier  aux  3'eux  du  public? 
Remontez  jusqu'à  la  source  :  une  compldi- 
saiice  en  telle  occasion,  un  ménagemtMit, 
un  sacrifice  d'un  ressentiment  |)eut-6lie 
d'ailleurs  bien  fondé,  [)réviendrait  tous  ci'S 
désordres  ;  or  c'est  à  ces  sortes  de  sacrifices 
que  vous  oblige  non-seulement  la  prudence 
humaine,  mais  encore  la  charité  chrétienne. 
Car  enfin,  demande  le  grand  Augustin, 
comment  iie  devons-nous  [loint  aimer  la 
charité,  puisque  c'est  par  elle  que  nous  ai- 
mons toutes  les  autres  choses  de  la  ma- 
nière qu'elles  doivent  être  aimées.  Un  chré- 
tien, mes  frères,  serait  indispensableaient 
obligé  de  donner  sa  vie  pour  les  intéiôis 
de  la  charité,  et  une  personne  qui  se  |iré~ 
tend  vertueuse  ne  voudra  pas  pour  cela 
faire  une  violence  à  son  humeur,  risquer 
une  complaisance,  ni  relâcher  des  droits  de 
sa  vanité  ou  de  la  bizarrerie  de  son  amour- 
propre  1 

Contrariété  d'intérêts;  car  n'est-ce  pas 
là,  demande  l'apôtre  saint  Jacques,  la  source 
la  plus  couMiiiine  des  querelles  et  des  ini- 
mitiés qui  iléihirenl  l'Eglise  de  Jésus-Christ  : 
Unde  bella  et  liles  in  vobis  ^  nisi  ex  concupi- 
icenliis  vestris?  [Jac,  IV,  1.)  D'où  peuvent 
procéder  tant  de  guerres  et  tant  de  dissen- 
sions parmi  vous,  si  ce  n'est  de  vos  con- 
voitises ?  Vous  (iréiendoz  à  la  possession 
des  mêmes  biens,  et  vous  vous  imisez  les 
uns  aux  antres.  C'est  de  là  qu'on  voit  les  ini- 
mitiés se  foraier,  les  guerres  s'allumer,  les 
jalousies  se  produire,  et  môme  les  meurtres 
et  les  homicides  se  commettre  :  Concupi- 
scilii  et  non  habetis,  el  non  poteslis  adipisci: 
litiyatis  et  belligeralis,  zelalis  et  occidilis. 
{JOid.,  2.j  Or  ce  que  l'apôtre  saint  Jacques 
reprochait  aux  premiers  fidèles,  dans  ce 
lemps'de  charité  et  de  ferveur,  à  combien 
plus  forte  raison  le  devoiis-tious  reprocher 
aujourd'hui  aux  chrétiens  ? 

Quand  il  n'y  aurait  que  la  seule   fureur 

OaATELRS   SACRÉS.    LXVlll. 


des  procès,  jusqu'à  quelle  extrémité  n'est- 
elle  point  parvenue?  Pour  un  intérêt  de 
néant  et  soiivent  nour  des  contestations  où 
rentôteraenl  et  I  animosilé  ont  bien  plus 
de  part  que  l'inlèret  môme,  l'on  se  traduit 
devant  les  tribunaux,  et  dès  lors  plus  d'ac- 
commoden^eiit  ni  de  concili.ilion  :  l'on  n'a 
garde  d'en  faire  les  proportions;  l'on  a 
bien  de  la  peine  à  les  écouter.  Honneur  du 
monde,  bienséance,  intérêt  temporel,  on 
ménage  tout,  on  veut  sauver  tout,  excepté 
la  charité  que  l'on  abandonne  sans  [teino 
et  que  l'on  sacrifie  sans  remords.  Ahl  disait 
l'apôtre  saint  Paul  aux  Corinthiens,  n'est-ce 
pas  déjà  un  crime  pour  vous  qu  il  soit  besoin 
de  tant  de  jugements  et  de  tant  de  tribunaux 
parmi  vous  ?  «  Jam  quidem  omnino  delictum 
est  in  vobis,  quod  judicia  habelis  inter  vos 
(l  Cor.,  VI,  7);  »  car  si  vous  êtes  disciples 
de  Jésus-Christ,  quenendurez'VousIplutôt  les 
injures,  que  ne  souffrez-vous  plutôt  les  fraudes 
el  les  violences  ?  «  Quarenon  mugis  injuriam 
accipitis^quare  non  magis  fraudent  patimini!» 
{Ibid.)  .Mais  au  lieu  de  souffrir  l'injustice, 
vous  lacommettez;  bien  lnin  d'endurer  le  tort 
qu'on  vous  fait,  c'est  vous-mêmes  qui  le 
faites  et  qui  le  faites  à  vos  frères  :  Sed  vos 
injuriam  facilis  et  fraudalis^et  hoc  fratribus 
{Ibid.  ,  8.)  El  en  elfet,  mes  frères,  jiour  ne 
pas  sortir  de  la  «.alière  où  nous  sommes 
entrés,  (lour  une  atfaire  juste  que  l'on  sou- 
tient, combii.n  d'injustes  que  l'on  entre- 
l»rend  ?  et  par  quelles  voies  les  soutient-on, 
el  avec  quelles  dispositions  les  poursuit-  m? 
Vous  le  savez,  chrétiens  ,  là  où  le  procès 
commence,  on  peut  dire  (|ue  la  chaiié  hnit. 
Dès  lors  qu'on  s'est  dé<;laré  celte  maudite 
guerre  ,  quelque  proche  que  l'on  soit, 
quelque  ami  que  l'on  ail  été,  |d(is  de  com- 
merce, plus  de  société  ,  i  lus  d'ofTices  réci- 
proques, quelquefois  (>lus  de  |.robité  ni  de 
bonne  foi;  se  surprendre  les  u-is  les  autres 
par  des  artilices  donl  on  a  f  lit  un  métier, 
se  consommer  par  des  procédures  inutiles, 
se  susciter  mille  nouvelles  ati'aires  ()our  se 
chagriner,  prévenir  les  juges  par  des  sup- 
positions spéci'iuses,  tenter  l'avarice  do 
celui-ci,  chercher  à  profiter  de  quelqu'autie 
faible  que  l'on  connaît  à  celui-là,  se  décrier 
par  des  médisances  particulières,  se  déchi- 
rer ()ar  des  libelles  scandaleux  ou  ]mv  des 
déclamations  publiques,  prostituer  sans 
aucune  nécessité  le  secret  et  l'hoineur  des 
familles,  tirer  les  morts  de  leur  sépulcre 
()Our  leur  ôier  leur  réputation  après  leur 
mort,  comme  une  espèce  de  seconde  vio 
qui  leur  était  encore  restée,  voilà  comme 
les  chrétiens  praticiuent  la  charité  sur  cette 
malière,  voilà  comme  en  usent  les  disciples 
de  l'Evangile,  eux  à  qui  le  FilsdeDieu  avait 
si  expressément  recommandé  que  quand 
on  leur  demanderait  la  robe,  de  donner  en- 
core le  manteau,  et  quand  on  les  frapfierait 
sur  une  joue,  de  tendre  l'autre;  c'est-à-dire 
auxquels  le  Fils  de  Dieu  avait  ordonné  de 
tout  perdre  plutôt  que  de  perdre  la  charité, 
el  de  tout  soulfrir  plulôl  que  de  souffrir  la 
ruine  ou  l'altération  de  la  charité.  «  En  vé- 
rité, disait  le  ^rand  bainl  Chrysoslome   à 


^r;9 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


iGO 


son  peuple,  quainl  je  fais  rc^tloxion  ?)  co  qui 
s(^  (i.TSso  parmi  nous,  quand  jo  vois  (les 
fhréliens  enrôlés  non  j)as  (ians  n;ie  milice 
prolane  et  sous  un  même  ca|)ilaine  ,  mais 
dans  une  religion  toute  sainte  et  sous  un 
même  Jésus-Clnist,  tourner  les  armes  les 
lins  (;onlre  les  aulres,  entretenir  des  guer- 
res civiles  et  irréconciliables  dans  l'Kgiise, 
s'altaquer,  se  combattre,  se  détruire,  s'ôier 
les -uns  aux  aulres  souvent  l,i  vie  de  l'hon- 
neur ,  (quelquefois  la  vie  du  corps,  toujours 
la  vie  de  la  grûce,  par  une  mort  bien  plus 
t(Mrible  que  celle  que  des  armes  moti^'- 
riclles  peuvent  doinier,  je  ne  sais  p!us 
où'j'en  suis,  et  je  ne  nie  trouve  ni  assez 
de  regrets,  ni  assez  de  larnn  s  pour  |)laindre 
et  pour  pleurer  dignement  de  si  cruelles 
et  dé  si  funestes  tragédies.  »  Mais  je  passe 
insensiblement,  mes  frères,  à  la  demièie 
espè(e  de  contrariété  qui  divise  les  chrétiens, 
et  qui  consiste  dans  les  haines  et  dans  les 
inimitiés. 

En  effet,  malgré  le  précepte  de  Jésus- 
Ghrist,  qui  nous  a  recommandé  par  toute 
son  autorité  d'aimer  nos  ennemis  ;  malgré 
l'exemple  de  Jésus-Clirist  qui,  altaché  à  la 
croix,  a  prié  pour  ses  bourreaux  ;  malgré  les 
promesses  de  Jésus-Christ  ijui  a  mis  noire 
salut  à  ce  prix  et  qui  nous  crie  dans  son 
Evangile  :  Pardonnez  et  il  vnuxsera  pardonné: 
u Ditnillileet dimilletur  vobis {Luc,  VI,  37);» 
malgré  les  menaces  de  Jésus-Chrisi,  qui  nous 
assure  qu'on  ne  fera  point  de  miséricorde  à 
ceux  qui  n'en  auront  point  fait  à  leurs  frères  , 
on  voit  encoredes  chrétiens  entretenir  contre 
(les  chrétiens  des  inimitiés  éternelles;  on 
voit  des  créatures  usurper  les  droits  de 
celte  vengeance  que  Dieu  s'est  si  ()articuliè- 
remeut  et  si  solennellement  r(^servée;  on 
voit  des  hommes  qu'on  ne  peut  apprivoiser 
avec  des  hommes,  pendant  qu'on  y  ajjpri- 
voise  les  animaux  les  plus  farouches  elles 
plus  sauvages.  Mille  conjonclui'es  favorables 
à  la  réconciliation  se  présentent  :  les  amis 
s'entremettent,  les  ministres  du  Seigneur  se 
l'ont  entendre,  les  sacrements  se  reçoivent, 
les  années  se  passent,  et  les  haines  ne  ti- 
nissent  point.  Ni  la  raison,  ni  la  grâce,  ni 
les  hommes,  ni  le  Seigneur,  ni  la  nécessité 
du  salut,  ni  la  crainte  de  l'enfer,  ni  ce  sang 
du  Fils  de  Dieu  qui  a  lout  pacitié  dans  le 
ciel  et  sur  la  leire,  et  que  les  chrétiens 
vont  offrir  et  recevoir  en  commun  dans  ce 
sacriOce  de  réconciliation  et  dans  ce  mys- 
tère de  |)aix,  qui  est  le  symbole  et  le  centre 
de  te  charité,  ne,  peuvent  triompher  du 
cœur  de  ce  chrétien  ni  de  son  obstina- 
tion. Quoiqu'il  proleste  quelquefois  qu'il 
ne  veut  point  de  mal  à  son  ennemi,  il  ne 
peut  pourtant  s'empêcher  ni  de  parler  de 
lui,  ni  d'y  penser,  et  quand  il  en  parle,  ce 
n'est  jamais  sans  médisance  ou  s.nns  aigreur, 
et  quand  il  y  pense,  ce  n'esl  jamais  sans 
iimertumeou  sans  aversion;  ses  prospérités 
lui  font  toujours  de  la  peine,  ses  disgrâces 
lui  font  toujours  un  secret  plaisir.  Il  pré- 
tend ne  le  point  haïr;  mais  il  ne  [)rétend 
pas  l'aimer,  ni  le  voir.  El  tout  cela  le  plus 
souvent,  si  nous  voulons  remonter  à  l'ori- 


gine des  choses,  pour  un  discours  mal  rap- 
porté et  qu'on  n'aura  pas  pris  la  peine  d'é- 
claircir  ;  pour  un  mauvais  ofiiceque  ce  chré- 
tien nous  aura  rendu  sans  avoir  intention 
de  nous  le  rendre  f)cut  être;  pour  un  mé- 
rite qu'une  envie  secrète  (pii  est  en  nous 
ne  lui  saurait  pardonr.(îr.  Eh  I  quand. il  nous 
aurait  le  plus  cruellement  outragé  sans 
avoir  ri'en  l'ait  de  notre  part  pour  nous  at- 
tirer de  pareils  outrages,  aurions-nous 
droit  pour  cela  de  violer  tout  ce  qu'il  y  a 
de  plus  sacré?  Faudrait-il  nous  en  prendre 
au  Fils  de  Dieu  et  nous  vtnger  sur  noire 
salut,  du  prétendu  tort  que  cet  homme  in- 
juste aurait  l'ail  à  noire  fortune  ou  à  notre 
Innuieur  ?  «  Ah!  mon  cher  auditeur,  dit  ici 
le  grand  Augustin,  si  lu  ne  veux  plus  avoir 
de  sociéié  avec  ce  chrétien,  songe  que  tu 
ne  saurais  plus  en  avoir  avec  Jésus-Chrisi. 
En  eff'et,  ce  chrétien  fait  jiarliedu  cor|>s  do 
Jésus-Christ  comme  toi  ;  si  tu  le  sépares 
des  [)arties  de  ce  corps,  il  est  évident  que 
lu  te  sépares  du  corps;  et  si  tu  le  sépares 
du  corps,  lu  n'as  plus  de  communication 
avec  le  chet.  Car,  tu  as  beau  le  séparer. du 
corjis  de  Jésus-ChrisI,  Jésus-Christ  ai'mo 
son  corps  et  il  ne  s'en  séparera  pas  [lour 
cela,  il  n'y  aura  que  loi  qui  demeurera»  S('- 
paré  et  du  chef  et  des  membres  lout  à  la 
iois.  Ah  1  si  ton  frère  a  péché  contre  toi, 
souviens-loi  donc  qu'il  ne  fait  qu'un  mémo 
tout  et  qu'il  n'est  qu'une  même  chose  avec 
toi,  et  sui)porte  ses  fautes  comme  tu  sup- 
|)orlerais  les  tiennes,  si  tu  te  voyais  tombé 
dans  un  crime  et  que  tu  commençasses  h 
avoir  du  goût  et  de  l'estime  pour  la  verlu, 
ou  si  tu  no  l'épargnes  pas  pour  l'amour  de 
lui,  épargne  au  moins  Jésus-Christ  en  sa 
personne;  car  par  quel  bizarre  partage 
prétendrais-tu  honorer  un  chef  cl  maltrai- 
ter un  corps  q\ii  lui  est  uni?  Si  lu  blesses 
le  pied,  la  langue  ne  criera-l-elle  pas:  Tu 
me  blesses.  Ce  n'est  |)as  qu'on  ait  touché  h 
la  langue,  mais  c'est  qu'on  a  touché  à  son 
corjis.  Quand  Saul  persécute  les  tidèles  de 
Jésus-Chri.st,  Jésus-Christ  ne  crie-t-;l  pas  du 
haut  des  cieux  :  Saul,  Saul,  pourquoi  me 
persécules-tu?  {Act.,  IX,  4^.)  Oui,  mes  frères, 
conclut  saint  Augustin,  car  tout  ceci  est  de 
lui,  oui,  mes  frères,  *ésus-Chrisl  est  déjà 
monté  dans  le  ciel,  et  il  y  est  monlt'i  le  [)remier 
[larce  qu'il  esl  notre  chef,  mais  les  tidèles 
qui  sont  le  corps  de  Jésus-Christ, sont  encore 
rampants  sur  la  terre.  Gardes-loi  bien ,  [>ar 
conséquent,  de  blesser  aucune  partie  de  ce 
corps,  si  tu  nerveux  blesser  celui  (jui  nous 
assure  que  ce  qu'on  fait  au  moindre  des 
siens  on  le  fait  à  lui-même.  » 

Il  me  resterait  à  vous  faire  voir  que  celle 
même  chai ilo  qui  doit  être  surnaturelle  et 
univ(Mselle,  doit  encore  être  elhcace  ;  mais 
qu'il  me  sullise  ici  de  vous  dire  que  c'est 
une  erreur,  à  la  vérité  bien  commune,  mais 
en  même  temps  bien  grossière,  de  s'imagi- 
ner qu'on  satislail  au  précepte  de  la  chanté 
quand  on  ne  fait  pas  de  mal  au  prochain, 
sans  se  mellre  en  peine  de  lui  faire  du 
biei!.  Ecoulez  co  que  dit  l'apôtre  suint 
Paul  :   La  charité  n'csi  point  envieuse,   elle 


m 


SKiniONS.  —  SER.M.  I 


ne  s'enfle  point,  elle  n'est  point  ambitieuse, 
elle  ne  cherche  point  ses  intérêts,  elle  ne  se 
réjouit  point  du  mal  du  prochain:  voilà 
ce  que  l.i  cli<irilc  (léfeiid;  mais  ne  dil-il  pas 
au  même  endroit  pour  nous  faire  enleii- 
dre  les  obligations  positives  que  cotte  vertu 
irnf)Ose  :  La  charité  est  bénigne,  elle  est  pa- 
tiente, elle  soujfre  tout,  elle  croit  ,  elle  espère 
tout  (I  Cor.,  XIII,  4-7),  c'est-à-dire,  qu'elle 
est  toujours  dans  l'action,  dans  les  travaux 
et  dans  les  peines. 

Ajoutons  à  ceci  ce  que  dit  si  souvent  l'a- 
pôtre saint  Jean  :  Mes  enfants,  que  notre 
amour  ne  soit  pas  sur  noire  langue  et  ne  con- 
siste pas  en  paroles,  mais  en  œuvres  et  en  vé- 
rité [l  Joan.,  III,  18),  pour  nous  inspirer, 
que  là  oij  il  n'y  a  que  des  paroles,  il  n'y  a 
jioint  ■d'amour,  cl  qu'une  cnarilé  sans  œu- 
vres ne  peut  patser  pour  une  charité  véri- 
table. E-t  ne  dites  pas,  ajoute-t-il  en  un 
autre  endroit,  que  vous  aimez  Dieu  lorsque 
vous  n'aimez  pas  ou  que  vous  n'assistez  pas 
TOtre  frère  ;  car  si  vous  n'aimez  pas  votre 
Irère  que  vous  voyez,  comoTent  pouvons- 
I10U5  croire  que  vous  aimiez  un  Dieu  que 
vous  ne  voyez  point?  (1  Joan.,  IV,  20.) 

Pour  comprendre  aisément  la  pensée  et  le 
raisonnement  de  cet  apôtre,  remarquez, 
s'il  vous  plaît,  qu'on  peut  distinguer  deux 
sortes  d'amour,  un  amour  de  spéculation  et 
un  amour  de  pratique  :  pour  ce  qui  est  de 
l'amour  de  spéculation,  qui  ne  consiste  que 
dans  des  alfections,  il  ne  dépend  point  de 
nos  sens  et  n'est  point  attaché  à  nos  œu- 
vres, la  foi  nous  représentant  la  Divinité 
comme  un  objet  infiniment  plus  aimable 
que  toutes  les  créatures.  Il  nous  est  iacile 
d'aimer  Dieu,  ou  du  moins  de  nous  per- 
suader que  nous  l'aimons  de  cette  sorte  d'a- 
mour, quoique  nous  ne  le  voyions  pas,  beau- 
coup plus  que  toutes  les  créatures  que  nous 
voyons.  Mais  l'apôtre  saint  Jean  parie  ici 
de  celte  deuiièrae  espèce  d'amour  qu'il  re- 
garde comme  l'essentiel  et  le  solide,  qui 
est  toute  action  et  qui  consiste  en  œuvres 
charitables  et  en  bons  oflices.  Or  la  nicjesté 
et  l'indépendance  de  Dieu  le  mettant  hors 
d'état  de  recevoir  ces  marques  d'amour  et 
ces  secours  Je  charité  de  notre  part,  si  nous 
les  refuions  aux  chrétiens ,  inutilement, 
conclut  cet  apôtre,  prétendrons-nous  aimer 
la  Divinité  et  le  prochain;  inulilement 
prélenduns-nous  aimer  le  prochain,  puis- 
que nous  lui  refusons  ces  marques  essen- 
tielles de  notre  amour,  qui  doivent  passer 
jiour  notre  amour  même,  et  inutilement 
prétendons-nous  aimer  le  Seigneur,  puis- 
que le  Seigneur  étant  hors  delà  portée  de 
LOS  sens  et  de  nos  biens,  nous  manquons  à 
lu  servir  de  la  seule  manière  dont  il  le  [tuut 
et  donl  il  le  veut  être,  c'est-à-dire,  eu  la 
personne  de  ses  pauvres  et  de  nos  Irères, 
ses  images  et  ses  enfants,  dans  lescjuels 
il  a  voulu  se  rendre  visible.  Qui  enim  non 
dili(jit  fralrem  suum  quem  videt  ,  Deum 
quenx  non  videt  quomodo  polest  diligere? 

Or  à  quoi  se  réduisent  tous  les  devoirs  et 
loulesles  fonctions  de  cette  charité  eliicaco 
el  agissante?  A  procurer,  mes  frères,  autant 


,  SUR  LA  CIIARITF:.  402 

qu'il  est  en  noire  pouvoir  deux  sortes  de 
biens  au  prochain,  les  biens  temporels  el 
les  biens  spirituels. 

A  lui  procurer  les  biens  temporels;  car 
si  quelqu'un  possède  les  biens  el  la  subs- 
tance de  ce  monde  el  que  voyant  son  frère 
qui  en  a  besoin,  il  fernie  impitoyablement 
son  cœur  et  ses  entrailles  à  la  pitié,  com- 
ment peut-on  croire  que  la  charité  demeure 
en  lui?  Ainsi,  mes  frères,  assister  les  pau- 
vres, consoler  les  aflligés,  délivrer  les  oaj)- 
lifs,  secourir  les  malades  ;  c'est-à-dire  don- 
ner à  manger  à  Jésus-Christ  quand  il  a 
faim,  lui  donnera  boire  quand  il  a  soif,  le 
revêtir  quand  il  est  nu,  le  visiter  quand  il 
est  infirme,  le  délivrer  quand  il  est  dans 
les  prisons,  voilà  la  preraièie  occupation 
de  la  charité  chrétienne.  Oculus  eram  cœco 
et  pes  claudo,  disait  le  saint  homme  Job  en 
parlant  du  temps  de  son  abondance  :  »  J'étais 
l  œil  de  l'aveugle  et  le  pied  du  boiteux  (Job, 
XXII,  15),  »  c'est-à-dire,  j'étais  le  refuge 
de  tous  les  misérables  ;  je  suppléais  à  tous 
leurs  besoins  ;  ils  étaient  stlrs  de  trouver  en 
moi  tout  ce  qui  leur  manquait.  Mais  parce 
que  les  premières  intentions  de  la  charité 
se  portent  et  s'élèvent  à  des  biens  plus  no- 
bles et  plus  solides; la  deuxième  et  princi- 
pale fonction  de  celte  vertu  est  (le  s'aider 
les  uns  les  autres  à  acquérirles  biens  de  la 
grâce,  à  obtenir  les  biens  de  la  gloire,  rap- 
l)0rlant  même  toujours  les  temporels  aux 
éternels.  Car  ne  vous  imaginez  pas  qu'il 
n'appartienne  qu'aux  pasteurs  de  l'Eglise 
et  aux  ministres  de  Jésus-Christ  de  «onlri- 
buer  à  la  sanctification  des  âmes;  travail- 
ler à  se  sanctifier  les  uns  les  autres,  s'en- 
courager et  s'enflammer  les  uns  les  autres 
dans  la  pratique  de  la  vertu,  s'aider  à  faire 
ensemble  le  chemin  de  la  gloire,  voilà  la 
vie  des  chrétiens,  c'est  pour  cela  qu'ils  sont 
en  ce  monde,  c'est  pour  cela  qu'ils  sont  dans 
l'Eglise.  El  par  quelles  voies  s'acquitter  ùd 
cet  im{)0it;inl  devoir?  Par  les  bons  exem- 
ples, mes  chers  frères,  que  l'on  doit  donner 
continuellement  à  son  prochain,  par  les  dis- 
cours de  religion  et  de  piété  qui  devra, ent 
l>rendre  la  place  de  tant  de  conversations  pro- 
fanes el  scandaleuses  qui  aujourd'hui  règnetil 
si  fort  dans  le  monde  •  par  la  correction  pru- 
dente et  charitable  qu'il  faut  faire  à  ceux  qui 
sont  tombés  dans  quelque  désordre;  par 
l'inslruclion  qu'on  doit  si  iiidis()ensablement 
à  ceux  qui  dépendent  de  nous,  si  l'on  ne 
veut  tomber  dans  le  cas  du  grand  Apôlre  qui 
dit  qu'un  chrétien  qui  n'a  pas  soin  de  son 
domestique  est  pire  qu'un  infidèle  (I  Tim., 
V,8);  par  les  châtiments  salutaires  donl  on 
est  obligé  de  se  servir  quand  on  a  l'auloriié 
en  main,  pour  ramener  à  la  vertu  ceux  qui 
s'en  sont  écartés.  Que  vous  dirai-je  davan- 
tage! évitant  avec  soin  lou'  ce  qui  peut  éloi- 
gner les  hommes  de  Dieu  et  tâchant  toujours 
de  les  attirer  el  de  les  porter  à  Dieu,  ceux- 
ci  par  notre  humilité,  ceux-là  par  noire  dé- 
sintéressement, nos  amis  par  une  sainte 
fidélité,  nos  ennemis  (lar  une  invincible 
patience  ,  les  plus  indifférents  par  nos  ser- 
vices, ceux  avec  qui  nous  n'avons  aucun 


iCZ 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


iCi 


cominercG  par  la  biejiveiiliiiice,  tous  panies 
oi'lices  conlinuels  el  par  une  vie  sans  repro- 
che et  pleine  d'édification;  n'y  ayant  rien,  h 
le  bien  prendre,  dans  la  vie  à  quoi  l'on  ne 
puisse  donner  l'esprit  el  le  mérite  de  la 
charité  :  Omnia  veslra  in  charilale  fiant. 
!lCor.,X.\l,  14.)  Point  d'aU'aire  qui  ne  doive 
être  une  allaire  de  charité,  point  d'action 
qui  ne  doive  être  une  action  de  charité  ,  si 
nous  voulons  remplir  les  devoirs  infinis 
de  cette  vertu  et  nous  rendre  tout  à  lors,  à 
l'exemple  du  grand  Apôtre. 

Je  finis,  mes  frères,  par  celte  belle  exhorta- 
tion que  taisait  i'apôtre  saint  Paul  aux  Colos- 
sieus  {Coloss.,  III.  8  et  seqq.j  :  Nunc  ergo 
deponite  et  vos  oj?mta;  maintenant  donc  que 
l'on  a  tâché  de  vous  développer  le  mystère 
et  de  vous  faire  comprendre  les  obligations 
<Je  la  charité  chrétienne,  dépouillez-vous 
de  tout  ce  qui  peut  y  être  conlraire.  Iratn, 
indignatioriem,  maliliam,  turpem  sermonem: 
mêliez  bas  ces  colères, ces  haines,  ces  jalou- 
sies, ces  indignations  contre  le  prochain,  ces 
malices,  ces  discours  qui  oti'ensent  ou  qui 
scandalisent.  Induite  vos  autem  sicut  electi 
Dei  viscera  miser icor diœ ,  benignitatem,  hu- 
militatem,7nodesliam,patientiam:  mais  revè- 
tez-vous  au  conlraire  des  entrailles  de  la  mi- 
séricorde, de  celle  bénignité,  de  celle  hu- 
milité, de  celte  modestie,  de  telle  patience 
et  de  toutes  ces  autres  vertus  qui  sonl  les 
compagnes  insé()arables  de  la  chariié  chré- 
tienne. Supportantes  invicem  et  donantes 
vobismetipsis  sicut  et  Dominus  donavit  f  o- 
bis  :  vous  supportant  les  uns  les  aulies  et 
vous  relâchaiil  les  uns  envers  les  autres  de 
vos  droits,  comme  le  Seigneur  qui  a  lanl 
relâché  des  siens  envers  nous.  Super  omnia 
autem  charitalem  habete,  quod  est  vinculum 
perfectionis  :  eiiiin  ayez  la  charité  qui  est 
le  lien  de  la  perlection  ,  el  la  menez  au- 
dessus  de  tout,  au-dessus  de  toutes  tes 
liaisons,  au-dessus  de  tous  ces  biens  pé- 
lissables  que  la  cupidité  convoite,  que  le 
crime  entretient;  au-dessus  de  tous  ces 
amours  que  la  naiure  inspire.  Qu'elle 
triomphe  de  tout,  qu'elle  réunisse  tout; 
si  vous  êtes  éloignés,  qu'elle  vous  rappro- 
che; si  vous  èles  inégaux,  qu'elle  vous 
égalise;  si  vous  ôles  contraires,  qu'elle 
Vous  réconcilie.  Donnez  tout  j/our  I  obtenir 
et  vous  donnez  vous-mêmes,  piulol  que  de  la 
perdre.  C'est  un  lien  de  perfection,  mais 
t'est  un  lien  d'obligation  ;  c'est  elle  qui  lait 
les  justes  sur  la  terre,  c'est  elle  qui  lait 
les  bienheureux  dans  le  ciel  où  nous  con- 
duise, etc. 

SERMON  II. 

Pour  le  jour  des  Cenares. 

SUR  LA  MunT. 

Memenlo,  nomo,  quia  pulvis  es  el  in  pulvercm  rever- 
leris.  (Gen.,  Ht,  19.) 

Sotwiem-loi,  homme,  que  tu  es  poudre,  el  que^tu  re- 
lournerat  en  poudre. 

Est-il  donc  possible,  mes  fi  ères,  que 
l'homme  le  puisse  oublier,  el  pendant  que 
toutes  les  créatures  lui  rendent  téiuoionage 
de  ce  qu'il  est,  et  l'avertissent  de  ce  qu  il 
doit  être,  faut-il  que  Tliglise  prenne  encore 


le  soin  de  lui  redire  de  temps  en  lemps: 
Mémento,  homo,  quia  pulvis  es  et  in  pulrerem 
reverteris.  Ah,  mes  frères,  tout  nous  parle 
de  la  brièveté  de  notre  vie,  tout  nous  parle 
(le  ce  néant,  d'où  nous  sommes  à  peine  sor- 
tis que  nous  commençons  à  y  rentrer.  Si  jo 
lève  les  yeux  au  ciel,  j'y  vois  des  aslresdonl 
le  mouvement  mesure  ma  vie,  et  qui,  for- 
mant des  jours  el  des  nuits,  me  font  souve- 
nir que  mes  jouis  sont  comptés  el  qu'après 
avoir  encore  éprouvé  duranl  quelque  temps 
celle  succession  de  lumière  et  de  ténèbres, 
la  mort  me  doit  plonger  dans  une  éternel  e 
nuit.  Si  je  porte  mes  regards  sur  les  objets 
qui  m'enviionneni,  la  mort  qui  enlève  les 
hommes  à  tous  moments  sans  aucune  dis- 
tinction d'âge  ni  de  condilions,  me  donne 
de  cruelles  alarmes,  el  la  vicissitude  des 
saisons,  les  combats  des  éléments  et  la  dé- 
cadence de  la  nature  qui  rebâtit  incessam- 
ment sur  ses  [nopres  ruini.s,  m'avertissent 
que  tout  passe  et  que  je  ne  suis  ici  qu'eu 
passant.  Si  je  ramène  mes  réllexions  sur 
moi-même,  les  douleurs  et  les  maladies, 
les  divers  besoins  d'une  vie  défaillante  el 
attaquée  de  toutes  parts,  les  chaiigemeuis 
du  lemj)éramenl  el  de  i  âge  me  font  com- 
prendre que  la  ujort  me  suit,  qu'elle  m'ac- 
compagne, (|u'elle  m'attend  ;  qu'elle  me  suit 
des  moments  qui  m'é- 
sont  à  elle  dès  qu'ils  ne 
;  qu'elle  m'accompagne,  se 
et  m'emporlanl  toujours 
en  attendant  qu  elle  m'em- 


pour  recueillir 
chappenl  et  qui 
sonl  plus  à  moi 
mêlant  partout 
quelque  chose 


porle  moi-môme,  et  qu'elle  m'attend,  me 
dressant  des  embûches  pour  me  surprendre 
et  me  poiler  le  coup  fatal,  quand  j'y  pen- 
serai le  moins.  £n  un  mot  si  je  rabaisse 
les  yeux  jusque  sur  celle  terre  qui  me 
souiient,  j'y  trouve  tout  à  la  fois  et  mon 
commencement  et  ma  fin,  et  ma  destruction 
et  mon  origine;  et  ces  tombeaux  el  ck'S  épi- 
laplies  me  disent  pur  un  silence  bien  plus 
élo(juenl  :  Mémento,  homo,  quia  pulvis  es  el 
in  pulverem  reverleri."!  Ah  I  Seigneur,  la  va- 
nité el  la  dissipation  de  mon  esprit  me 
lauiaienl  fait  oublier,  mais  je  commence  à 
m'en  souvenir  :  l'Iioiume  n'était  qu'une 
poignée  de  poussière  que  vous  prîtes  dans 
vos  mains  el  que  vous  animâtes  de  votre 
souille;  el  dès  que  vous  venez  à  retirer  cet 
esprit  qui  en  fait  toute  la  liaison  el  la  con- 
sistance, celle  poussière  so  dissout,  et  cet 
homme  rentre  dans  sa  première  nature  : 
Auferesspiritum  eorumet  déficient,  et  in  pul- 
verem suum  revertentur.[Psul.  CIIl,  29.]  Mais, 
Seigneur,  ce  que  vous  files  pour  l'homme, 
daignez  le  faire  pour  le  chrélien.  Voilà  des 
cendres  salutaires  sur  cet  auiel  que  1  Eglise 
a  préjjaiées  pour  être  répandues  sur  nos 
lèles,  animez-les  de  voire  esprit,  el  par  ce 
nouveau  mélange,  vous  formerez  en  nous 
des  hommes  d'une  créalinn  nouvelle  : 
Einitles  spiritum  tuutn  et  creabuntur.  [Ibid., 
30.)  Demandons  celte  grâce,  mes  frères,  par 
l'intercession  de  Marie.  Ave,  Maria. 

De  toutes  les  religions  du  monde,  c'est 
sans  doute  la  religion  chrétienne  qui  a  jugé 
le  plus  saineiûeni  de  la  nature  el  de  l'un- 


453 


SERMONS.  —  SERM. 


lité  do  la  mort.  Dans  les  aiilres  religions,  li;  Fil 
mes  frèro«,  bien  loin  (le  se  servir  de  la 
mort  (tour  sanclifier  tout  ce  qu'ils  avaient 
de  profane,  los  jteuples  mal  instruils  ne  la 
rrovaient  rnpftbl(!  que  de  profaner  tout  ce 
qu'ils  avaieni  do  sacré  Les  Romains  avaionl 
exprcsst^ment  défendu  qu'on  cnlPriiU  les 
corps  dans  leurs  (eraples,  s'imaginant  que 
des  sacrifices  offerts  en  présence  des  moi  ts 
n'auraient  pu  avoir  que  des  effets  désavan- 
tageux et  funestes  :  Ne  funeslentur  sacra, 
disait  un  grand  jurisconsulte  sur  ce  sujet. 
Parmi  les  Juifs  mêmes,  c'était  assez  d'avoir 
rencontré  ou  touché  le  corps  d'un  niort 
pour  être  réputé  impur,  et  dès  iors  il  n'é- 
tait plus  permis  d'avoir  de  commerce  avec 
)es  hommes,  ni  de  s'approcher  des  autels 
qu'après  avoir  été  purifié  par  les  cérémonies 
de  la  loi. 

Jl  n'en  est  pas  ainsi  parmi  nous  :  c'est  la 
mort  qui  nous  purifie  ;  c'est  dans  nos  églises 
que  nfnis  enterrons  les  corps  des  chré- 
tiens. Il  faut  passer  par-dessus  ces  corps 
pour  s'approcher  du  corps  de  Jésus-Christ 
qui  réside  sur  cet  autel,  et  au  lieu,  disait 
excellemment    saint  Chrysostome,    faisant 


.nllusion  à  la  cnutume  de  son  siècle  oi!j  l'on 
enterrait  déjà  les  morts  non   pas  dans  les 
églises,  mais  à  l'entrée  et  sous  les  vestibules 
des  églises,   au   lieu   que   Moïse  avait   fait 
mettre  à  l'entrée  du  tabernacle  des  miroirs 
où  les  enfants  d'Israël  avaient  coutume  de 
se  regarder  pour  se  mettre  en  état  d'assisler 
avec  plus  de  décence  nu  sacrifice,  et  pour 
étudier  la  poslure  d'humiliation  aveclaquelle 
ils  devaient   se   présenter   devant   le  Sei- 
gneur, nous  voyons  h  l'enlrée  de  nos  tem- 
ples des  sépulcres  de  ces  morts  qui  sont 
comme  les  miroirs  de  nos  âmes,  destinés  à 
nous  faire  rentrer  en  nous-mêmes  et  h  exci- 
ter en  nous  ces  disposilionns  d'humilité  et 
de  pénitence  que  demandent  la  sainieté  de 
ros    mystères  et  la  majesté  du   Dieu  que 
nous  adorons.  Ce  n'est  pourtant  pas  assez 
de  penser  à  la  mort  dans  nos  temples  ;  la  re- 
ligion que  nous  professons  nous  oblige  d'y 
penser  partout,  et  si  vous  demandez  h  Ter- 
tullicn   la  définition  d'un  chrétien,  il   vous 
dira  que   los  chrétiens   sont  des   hommes 
destinés  à  la  mort,  qui  se  familiarisent  avec 
la  (non,  (pii  ne  s'occupent  que  de  la  moit, 
(|ui  ne  travaillent  que  pour  la  niort.  Voilà, 
mes  f[ères,  Ti-xcellente  matière  dont  l'Eglise 
m'engage  à  vous  parler  aujourd'hui,  favo- 
riscz-moi  de  votre  attention,  et  dans  ce  pre- 
mier discours  qui  doit  servir  de  préparation 
h  tous  les  autres,  je  tâcherai  de  vous  faire 
voir  l'abrégé  de  toute  la  science  et  de  tous 
les  devoirs  du  chrétien;  l'abrégé  de  toute 
la  science  du  chrétien  dans  la  science  de  la 
mort,  et  l'abrégé  de  tous  les  devoirs  du  chré- 
tien dans  la  [)ratique  de  la  mort.  Méditer  la 
rnort;  voilà  notre  élude;  |)ratiquer  la  mort, 
voilà  notre  emploi,  et  c'est  aussi  ce  qui  doit 
faire  tout  le  partage  de  ce  discours. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Personne    ne  i'ignoro    plus  aujourd'hui, 
ks  prédicateurs  vous  Tout  dit  cent  fois  et 


11,  SUR  LA  SIORT.  ¥fi 

Fils  de  Dieu  est  lui-raôrao  descendu  du 
ciel  pour  nous  le  dire  :  que  la  vie  présente 
n'est  rien;  que  nos  passions  sont  aveugles; 
que  nos  attachements  sont  injustes;  que 
nos  désirs  sont  corrompus;  que  la  vanité 
nous  séduit  ;  que  le  faux  éclat  des  ciéatures 
nous  trompe,  et  que  si  nous  étions  raison- 
nables dans  la  matière  du  monde  o('^  il  nous 
est  le  plus  important  de  l'être  et  le  plus 
pernicieux  de  ne  l'être  pas,  l'unique  parti 
que  nous  aurions  à  prendre  serait  de  nous 
attacher  à  la  loi  de  Dieu,  de  mépriser  tous 


les  biens  périssables ,  de  nous  mépriser 
nous-mêmes,  et  de  travailler  sans  cesse  à 
nous  acquérir  dans  le  ciel  des  trésors,  des 
honneurs,  des  plaisirs,  qui  nous  feront  par- 
tager avec  Dieu  môme  l'éternité  d«  son 
bonheur  et  la  souveraineté  de  son  enjpire. 
Voilà  en  deux  mots  l'abrégé  de  toute  la 
morale  chrétienne;  voilà  ce  que  le  Fils  de 
Dieu  nous  fait  entendre  encore  a(jjourd'hui 
dans  son  Evangile  :  Tfiesaurizale  vobis  tke- 
saurox  in  cœlo,  ubi  nec  œrugo,  nec  linea  de- 
molilur,  nec  fur  es  effodiunt.  (Mallli. ,yi,  20.) 
Vous  êtes  chrétiens,  mes  frères,  et  vous 
croyez  par  conséquent  toutes  ces  maximes 
fort  vraies  ;  cepenilani  l'expérience  fait  voir 
que  vous  vous  conduisez  le  plus  souvent 
comme  si  vous  ne  doutiez  point  qu'elles 
ne  fussent  fausses.  Or  je  prétends  qu'il  ny 
a  rien  de  plus  efficace  pour  nous  ramener  à 
ces  grandes  vérités,  pournousen  [)ersuader 
et  nous  en  convaincre,  que  la  pensée  de  la 
mort,  le  souvenir  de  la  mort,  la  méditation 
de  la  mort  :  Mémento,  homo,  quia  pulvis  es  et 
in  pulverem  reverteris. 

Pour  bien  entendre  ceci,  mes  frères,  re- 
marquez, s'il  vous  plaît,  que  le  Seigneur 
nous  avait  donné  trois  sortes  de  lumières 
pour  nous  conduire,  la  lumière  des  sens, 
la  lumière  de  la  raison  et  la  lumière  de  la 
foi  :  la  lumière  des  sens,  pour  connaître 
les  choses  matérielles  et  qui  nous  sont  com- 
munes avec  les  bêtes  ;  la  lumière  de  la  rai- 
son, pour  connaître  les  choses  humaines 
et  qui  nous  sont  communes  avec  les  hom- 
mes ;  la  lumière  de  la  foi,  pour  connaître  les 
choses  divines  et  qui  nous  sont  communes 
avec  les  anges.  Mais  qu'arrive-t-il  ?  les  sens 
se  laissent  tromper  par  les  objets  matériels 
et  périssables  ;  la  raison  se  laisse  corrompre 
par  les  sens ,  et  la  foi  se  trouve  souvent  al- 
térée et  alfaiblie  par  le  mélange  de  la  rai- 
son. Quel  moyen  donc  de  rectifier  tout  cela  ? 
Eludions  la  mort,  chrétiens^  méditons  la 
mort;  appliquons-nous  à  la  mort,  et  dans 
cetteseule  vuede  la  mort  nous  trouveronset 
la  convicliou  de  nos  sens,  et  la  conviction 
de  notre  raison,  et  la  conviction  de  notre  foi. 
Que  dis-je,  la  conviction  de  nos  sens  ? 
les  sens  sont-ils  capables  de  conviction  ? 
et  quand  il  s'agit  principalement  de  reli- 
gion el  de  christianisme,  les  sens  n'y  sont- 
ils  [)as  inutiles  et  même  entièrement  oppo- 
sés ?  Oui,  mes  frères,  en  toutes  sortes  do 
sciences,  beaucoup  plus  en  ce  qui  regarde 
la  science  du  salut,  les  sens  y  sont  d'abord 
nécessaires;  mais  ils  se  trouvent  dans  la 
suite  inutiles  et   dangereux,  Car  il  en  ost 


V.7 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


im 


(Jcsseiis,  dit  le  ginn»}  A\ifiustin,  à  peu  près 
comme  des  vaisseaux  qui  sont  nécessaires 
sur  la  mer  el  sans  lesquels  il  n'est  pas  pos- 
sible d'arriver  à  la  terre  ferme;  mais  dès 
que  l'on  est  arrivé  au  bord,  l'on  quitte 
I»  vaisseau.  Un  reste  d'agitation  vous  fait 
peut-être  chanceler  encore  aux  premierspas, 
mais  bientôt  vous  vous  lassurez  el  vous 
pouvez  aller  d'un  pas  ferme  où  votre  vo- 
lonté vous  porte  et  où  votre  raison  vous 
conduit.  De  même,  il  n'est  guère  possible 
à  l'homme  de  rien  apprendre  si  d'abord  les 
sens  ne  -j'en  mêlent.  La  foi  même,  dit  l'apô- 
tre saint  Paul,  etilre  dans  l'esprit  par  l'o- 
reille :  Fiâcs  ex  auditu  {Rom.,  X,  17),  mais 
dès  que  l'homme  est  parvenu  à  quelque 
connaissance  de  la  vérité,  après  s'être  servi 
de  ses  sens,  il  faut  qu'il  s'en  défasse  el 
(|u'eiraçanl  autant  qu'il  se  peut  toutes  les 
impressions  qui  lui  en  sont  restées,  il  com- 
mence à  avancer  d'un  esprit  ferme  dans  la 
reciierche  de  la  vérité,  ne  suivant  plus  d'au- 
tres guides  que  sa  raison  ou  la  religian  :  sa 
raison  s'il  s'agit  de  choses  naturelles,  et  sa 
religion  s'il  s'agit  de  choses  révélées. 

Il  n'y  a  que  la  mort,  mes  frères,  qui 
molle  une  exception  à  ce  principe  si  géné- 
ral et  si  solide,  car  le  propre  d(!  la  mort 
c'est  de  nous  apprendre  la  vérité  par  les 
sens;  c'est  d'affermir  môme  notre  raison  et 
notre  foi  par  le  témoignage  des  sens,  c'est 
de  nous  désabuser  des  erreurs  des  sens  et 
de  nous  en  désabuser  par  les  sens;  Ainsi 
en  toute  autre  occasion  l'on  doit  écarler  les 
sens,  et  il  en  est  comme  des  serviteurs  d'A- 
braham qu'il  faut  laisser  au  pied  de  la  mon- 
tagne, parce  qu'ils  ne  feraient  qu'inter- 
rompre le  sacritice  ;  mais  dès  qu'il  est  ques- 
tion de  la  mort,  il  faut  les  rappeler  et  les 
rapprocher.  Il  faut  que  les  yeux  voient, 
que  l'odorat  flaiie,  que  les  mains  louchent, 
el  alors  ce  témoignage  des  sens,  sanclitiés 
el  convaincus  {)ar  la  présence  de  la  morl, 
nous  met  en  un  moment  dans  toutes  les 
dispositions  où  la  religion  nous  demande, 
el  cela  par  une  im|)ressian  semblable  à  ces 
preuves  géoméliiques  qui  se  font  à  l'œil 
el  qui  au  lieu  de  paroles  convainquent  en 
un  instant  par  des  exemples  contre  lesquels 
il  n'est  pas  possible  de  rien  opposer. 

Que  ne  m'est-il  permis,  chrétienne  as- 
semblée, de  vous  rendre  aujourd'hui  la 
mort  présente  de  celle  manière  1  Vous  savez 
(|u'il  se  fait  quelquefois  dans  la  médecine 
des  déuionbtralions  analomiques  des  corps; 
l'on  ex[)05e  les  corps  à  la  vue  des  assistants  , 
l'on  examine  les  parties  qui  les  comj)Osent 
et,  par  une  inspection  exacte  du  morl,  l'on 
l'ait  des  remar(iues  qui  peuvent  beaucoup 
contribuer  à  l'iiislrucliuii  ou  à  la  conserva- 
tion des  vivants.  Je  voudrais,  mes  hères, 
par  une  anaioniie  de  religion,  pouvoir  ex- 
jjoser  ainsi  un  mort  à  vos  yeux  nour  l'uli- 
i:ié  et  la  sancliticalion  de  vos  âmes.  Je  le 
ierais  observer  soigneusement  à  mon  audi- 
toire. Je  dirais  à  ce  riche  avare  :  Tiens,  vois 
la  nudité  de  ce  corps;  lu  l'as  connu,  cet 
Itomme,  il  avait  une  fortune  bien  plus  con- 
sidérable   que    la    tienne;   mais     regarde 


comme  la  moi  l  l'a  dépouillé,  el  juge  après 
cela  si  lu  as  raison  d'amasser,  aux  dépens 
de  ta  conscience  et  de  ton  salut,  tant  do 
biens  inutiles  dont  la  brièveté  de  la  vie  ne 
le  permettra  |)as  de  jouir,  el  si  ra[)ôlre 
saint  Paul  était  mal  fondé  quc7nd  il  disait 
à  son  disciple  Tirnolhée  :  Nous  n'avons 
rien  apporté  en  ce  monde,  et  nous  n'en  em- 
porterons rien;  pourvu  donc  que  nous  ayons 
le  vivre  et  le  vêlir,  ne  nous  embarrassons 
pus  du  surplus  :  (.  Habentes  autem  alimenta 
et  quibus  tegamur,  his  conlenti  simus.  » 
(I  Tim.,  VI,  7,  8.We  dirais  à  cet  homme 
de  qualité  si  entêté  de  sa  naissance,  de  ses 
litres  ou  de  ses  emplois  :  Tiens,  \&is  cet 
homme  autrefois  si  élevé  au-dessus  des 
autres  ;  regarde  comme  la  mort  l'a  humilié, 
y  resle-t-il  encore  quelque  apparence  de 
distinction  ?  Et  ne  comprends-tu  pas  main- 
tenant Id  justice  de  ce  reproche  que  le  Sage 
laisait  5  ceux  (jui  se  repaissent  deschimère* 
de  leur  orgueil  :  Terre,  pourquoi  l"élèves-lu; 
cendre,  pourquoi  te  méconnais-lu  '!  Quid  sa- 
perais, lerraet  cinis?{Eccli.,X,  9.)  Je  dirais  à 
celle  personne  qui  a  pour  son  cor|)S  des 
complaisances  si  excessives  :  Viens  ,  vois 
jusqu'où  la  morl  a  poussé  celle  créature 
autrefois  le  charme  des  yeux,  mainlenant 
le  supplice  des  sens  ;  vois,  vois  ces  yeux 
[)rivés  et  de  lumière  et  de  feu,  ce  teint 
|)lombéel  livide,  ces  traits  défigurés,  ce  vi- 
sage qui  fait  peur,  celle  chair  que  de  vils 
insectes  dévorent  ;  voilà  le  funeste  état  où 
ton  corps  doit  être  réduit,  et  conclus,  après 
cela,  si  lu  as  raison  d'en  faire  une  idole,  et 
si  Salomon  n'avait  pas  raison  de  dire  que  la 
grâce  du  corps  n'est  qu'illusion,  que  la  beau- 
té n'est  que  mensonge,  et  que  la  femme  qui 
fait  de  la  crainte  du  Seigneiir  son  élude  et 
son  ornement  est  la  seule  qui  méiile  do 
l'eslimo  et  des  louanges  :  Fallax  gratta  et 
vnna  est  pukhritudo ,  mulier  timens  Domi^ 
numipsa  laudubitur.  {Prov.,  XXXI,  36.)  En 
un  mol,  je  m'adresserais  à  toutes  les  condi- 
tions et  ("i  tous  les  élals  ;  je  j)arlerais  à  tous 
ceux  qui  me  voudraient  entendre  :  ou  plu- 
tôt je  ne  leur  dirais  rien  ;  je  laisserais  par- 
ler le  mort,  je  l'écoulerais  comme  les  au- 
tres. A  la  vue  de  cel  objet  allreux,  nous  nous 
entretiendrions  en  secret  du  néant  de  loules 
les  grandeurs  humaines,  el  de  loules  les 
choses  périssables.  Alors  le  charme  se  trou- 
vant heureusement  rompu,  j'ouvrirais  les 
yeux  pour  admirer  mon  aveuglement,  j)our 
me  détromper  de  mes  erieurs,  pour  me  dé- 
faire de  mes  préjugés,  pour  désavouer  l'in- 
juslice  de  mes  passions,  pour  briser  les 
chaînes  qui  m'attachent  à  la  créature  et  au 
monde.  Et  après  une  intinilé  de  pensées  so- 
lides et  salutaires,  s'jI  me  jirenail  envie  do 
roujpre  le  silence,  ce  ne  sérail  que  pour  dé- 
plorer le  sort  et  l'impruden'  e  des  aveugles 
mortels.  Vivement  persuadé  el  brûlant  de 
persuader  lys  autres,  j'iiais  presser  tous  les 
hommes  d'accourir  à  cel  utile  spectacle;  si 
quelque  amateur  du  monde  refusait  de  ve- 
nir à  i'école  de  la  morl,  je  lui  ferais  une 
pointure  lidèle  de  ce  qu'il  ne  voudrait  pas 
voir,clje  troublerais  au  moins  sa  félicité  ci 


IflO 


SKRMONS.  —  SEUM.  Il,  SIJU  LA  MOUT. 


m 


sa  fausse  paix  par  ccl  avertissenveiil-  lugii- 
lii(«  :  Memcnlo,  homo,  quia  puliis  es  cl  in 
pulverein  reverleris! 

()ii(3  si  ce  iiioil  n'est  pas  loiijoiirs  pré- 
StMil  à  nos  yeux,  du  moins  poul-il  ôlre  pré- 
sent à  nos  esprits  ;  car  la  mort  ne  nous  ins- 
Iruil  pas  souleinenl  [lar  les  sens,  elle  nous 
convainc  encore  par  la  raison.  El  en  elfet, 
mes  frères,  c'est  assez  d'être  raisonnable  et 
d'ôtro  mortel  pour  mépriser  tons  les  biens 
d"ici-bas  et  pour  en  reconnaître  l'imposture 
nialgré  ce  faux  éclat  qui  les  environne  et  cjui 
nouséblouit.  Cet  a  tiacheruen  tau  monde,  celte 
préoccupation  en  faveur  du  monde,  ces  em- 
porteraents  d'une  jeunesse  eifrénée  qui  no 
respire  que  les  amusemenisdu  monde  et  qui 
ne  reconnaît  d'autre  divinité  que  le  monde, 
sont  choses  vaines;  la  vérité  est  élernelle 
mais  l'erreur  ne  le  saurait  être  ;  tôt  ou  lard 
la  raison  de  l'homme  se  désabiis,  et  secouant 
le  joug  des  passions,  elle  condamne  ses  ju- 
gements et  confesse  iiautenient  la  vanité 
de  toutes  les  choses  moitelles  ;  mais  il  en 
est  qui  rendent  ce  témoignage  bien  plutôt 
et  bien  plus , facilement  que  les  autres.  Les 
philosophes  le  rendaient  volonlaiiement  et 
de  fort  bonne Iieure,  pressés  qu'ils  en  étaient 
par  la  force  de  la  vérité  et  par  la  lumière 
de  la  mort,  dans  la  méditation  de  laquelle 
ils  faisaient  consister  la  véritable  sagesse. 
Salomon  cl  une  infinité  d'autres  qui  lui  res- 
semblent en  cela,  se  sont  détrou)|)és  et  se 
détrom[)ent  tous  les  jours  par  l'expérience 
plutôt  que  par  la  spéculation  ;  et  .après 
avoir  erré  longtemps  de  plaisir  en  plaisir  et 
de  créature  en  créature,  convaincus  enfin 
d'une  maxime  qu'ils  ont  afiprise  aux  dé- 
pens de  leur  innocence,  on  les  entend  crier: 
Vanité  des  vanités  el  tout  est  vanité  !  {Eccle., 
I,  2.)  Il  en  est  d'autres  à  qui  les  misères  et 
les  chagrins  de  la  vie  tirent  cet  aveu  de  la 
bouche  ;  car,  dit  excellemment  le  grand  Au- 
gustin, les  adversités,  les  peines  el  les  dou- 
leurs do  ce  monde  sont  dans  l'ordre  de  la 
providence  ce  que  les  tortures  des  criminels 
sont  dans  l'ordre  de  la  jusiice  des  hommes. 
Kiles  pressent  l'homme  ÎJe  s'accuser  et  l'obli- 
gent à  confesser  malgré  lui  le  néant  des 
créatures  et  l'injustice  de  ses  jiassions  et  do 
ses  attachements  :  Incumbil  corpori  quœ- 
slionarius  ûolor.  .Mais  pour  ceux  que  ni  la 
médila  iun,  ni  l'expérience,  n:  ri!islal)ililé 
ÛGS  l'iaisirs,  ni  la  force  de  la  douleur  n'ont 
f>as  encore  persuadés  durant  la  v.e,  ils  ne 
manquent  pas  au  moins  d'èlre  persuadés  à 
la  mort.  Voulez-vous  savoir  ce  que  c'est  (lue, 
le  monde  ?  ne  le  demandez  pas  à  ceux 
qui  en  jouissent,  ils  en  sont  Iroj)  entêtés  ; 
demandez-le  à  ceux  qui  en  ont  joui  et  qui, 
étant  près  de  mourir,  n'ont  plus  dintérêl  à 
se  déguiser  ce  qui  en  est,  ni  à  le  déguiser 
aux  autres.  Deuiandez-Ie  aux  rois  et  aux 
conquérants  qui  oiit  passé  toute  leur  vie 
dans  les  poujpes  et  dans  les  délices  du  mon- 
de, et  vous  les  entendrez  à  la  lin,  fidèles 
interprètes  de  cette  vérité  qui  les  éclaire  et 
les  instruit,  prononcer  d'une  voixjlrem- 
blanle,  mais  d'un  esprit  ferme  el  assuré,  des 
oracles  merveilleux  sur  le  mépris  el  la  va- 


nité du  monde  :  témoin  ce  grand  et  célèbre 
sultan  d'Egypte  (jui  ayant  conquis  Jérusa- 
lem et  la  Palestine,  et  après  avoir  remporté 
tant  (Pédalantes  victoires  sur  les  chrétiens, 
(iiMit  il  avait  été  la  terreur,  se  voyant  mou- 
rir parmi  la  magnilicence  et  la  gloire,  vou- 
lut qu'un  de  ses  |iriiici|)aux  officiers,  prenant 
le  suaire  oii  il  allait  ôlre  enseveli,  l'aitachât 
au  bout  d'une  lance,  et  qu'ayant  levé  ce  nou- 
vel étendard  qui  était  comme  l'étendard  de 
la  mort,  il  allât  criei'  par  toutes  les  places 
publiques  de  la  ville  :  «  Voilà,  voilà  tout 
ce  qui  va  rester  à  l'empereur  de  ses  ricties- 
ses,  de  son  autorité,  et  de  ses  conquêtes  !  » 
tant  il  est  vrai,  mes  chers  frères,  que  toutes 
les  choses  du  monde  nous  découvrent  en- 
fin leur  faible,  el  que  l'amour  (jui  nous  atta- 
che aux  créatures  ne  manque  pas  de  se  dé- 
mentir el  de  se  déliuiro  aux  approches  do 
la  mort,  comme  si  l'aveu  sincère  du  néant  et 
d(>.  la  vanité  du  monde  étant  un  tribut  légi- 
time (lue  l'homme  doit  à  la  vérité,  la  Provi- 
dence ne  p')uvait  permettre  qu'il  sortît  do 
ce  monde  sans  avoir  payé  ce  tribut. 

D'où  je  conclus,  mes  frères,  qu'il  est 
im()os'-ible  que.nous  ne  soyons  ()as  désabu- 
sés des  erreurs  de  nos  passions  ou  par  la 
présence  de  la  mort,  ou  par  la  médilation 
delà  mort;  parla  présence  de  la  mort,  lors- 
que le  s|)ectacle  d'une  mort  prochaine  et 
inévitable  saisissant  tout  d'un  coup  nolr« 
raison,  la  mort  elle-même  nous  effrayera, 
nous  détrompera ,  nous  convaincra.  Par  la 
méditation  de  la  mort,  lorsque  notre  raison 
au  contraire  saisissant  la  mort  par  avance» 
elle  s'allache  à  l'examiner,  à  l'étudier,  et 
en  tire  toutes  les  lumières  nécessaires  jioiir 
la  conduite  de  notre  vie.  Mais  il  y  a  celle 
différence  entre  ces  deux  manières  dont  la 
mort  nous  désabuse ,  que  souvent  la  i)ié- 
sence  de  la  mort  nous  désabuse  inutile- 
ment, et  que  la  méditation  de  la  mort  nous 
éclaire  toujours  utilement  ;  car  la  mort  n» 
nous  faisant  voir  le  néant  du  monde  qu'au 
moment  que  nous  sommes  prêts  de  lo 
quitter,  c'est  une  lumière  qui  souvent  ne 
j)ioduil  en  nous  que  de  vains  regrels  et  un 
inutile  désesjjoir,  au  lieu  que  la  pensée  de 
la  mort  se  répandant  sur  toute  la  suite  de 
noire  vie  nous  instruit,  tandis  que  nous 
sommes  encore  en  élat  défaire  un  bon  usage 
des  lumières  el  des  insiiuclions  qu'elle 
liOiis  donne.  Heureux  [)ar  conséquent  si, 
sans  attendre  la  mort,  nous  nous  occupons 
de  bonne  heure  à  l'étude  et  à  la  médilation 
de  la  m(»rt  1  Heureux  si ,  au  lieu  d'allendre 
à  connaîire  le  monde,  que  le  monde  nous 
ail  trompés,  nous  le  connaissons  assez  lot 
pour  ein.|>êcher  (ju'il  ne  nous  trompe!  «Heu- 
reux, ajoute  te  grand  Augustin,  si  nous 
nous  iiAloiis  de  dire  u'ileiiieiit  :  Tout  pusse, 
pour  n'ètie  pas  réduits  à  la  nécessité  malheu- 
leiise  (II;  dire  toujours  inutilement,  l'out  est 
passé:  -^  Modo  fructuose  dicainus:  Transeunl, 
ne  lune  dicamus  infructuose  :  Transierunt.» 

Mais  ijue  sera-ce,  mes  chers  auditeurs,  si 
aux  lumières  de  la  raison  el  de  la  mort  nous 
ajoutons  celles  do  la  foi  ,  c'est-à-dire  si 
après  avoir  considéré  la  mort  par  les  sens 


47J 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


172 


et  par  la  raison  nous  la  considérons  encore 
par  les  vues  de  la  religion  el  du  clirislia- 
nisme.  loi  tout  change  de  faco,  un  nouvel 
ordre  de  choses  se  présente  h  mou  es|)rit; 
rélernité  elfaie  le   te/nps,    la    mort  nVsi 
plus  une  fin,  mais  un  commencement.  Un 
autre  monde,  une  aulre  vie,  d'autres  biens 
el  d'autres  maux,  tout  y  est  nouveau,  tout 
y  est  grand,  tout  y  est  sans  fin.   Or  je  pré- 
tends que   la   mort  ainsi  considérée  est   la 
chose  du  monde  la  plus  propre  pour  exci- 
ter notre  foi,  fiour  l'Hllermir,  pour  l'animer 
et  pour  la  rendre  agissante.  Eu  effet,  ôlcz  la 
méditation  de  la  mort,  cette  gloire  qu'on  me 
jiromet,  cet  enfer  dont  on  me  metuice,   ce 
jugement  de  Dieu  auquel   on  m'avertit  do 
me  préparer,  loutes  ces  vérités  appartenant 
à  un  puire  monde,  je  ne  les  vois  que  dans 
un  grand  éloignement,  et  cet  éloignement 
affaiblit  rim|iression  qu'elles  devraient  faire 
sur  moi,  et  U'e  prive  de  la  meilleure  pariie 
du  fruit  que  l'on  eu  pourrait  attendre.  Mais 
la  mort  nj'approche  tous  ces  grands  objets  ; 
elle  me  les  rend  présents  ;  elle  me  les  rend 
sensibles.  Il  faut  mourir;  dans  ceite  seule 
jiroposition  ,  dès  lors  que  je  suis  chrétien, 
je  découvre  tous  mes  devoirs,  comme  autant 
de  conséquences  renfermées  dans  leur  prin- 
cipe. 11  faut  mourir,  et  par  conséquent,  il  faut 
croire;  car  de  quelque  manière  que  j'affecte 
aujourd'hui  de  me  distinguer  du  reste  des 
hommes  par  des  sentiments  [«articuliers,  je 
mourrai  comme  eux,  et  en  mourant  je  vou- 
drai croire  comme  eux,   n'osant  pas  alors 
prendre  sur  moi   le  risque  de  mourir  dans 
mon  libertinage.  Il  faut  mourir  :  ce  serait 
donc  à   moi   une  grande  extravagance   de 
borner,  pour  ainsi  dire,  la  fortune  de  mon 
âme  à  celte  vie  malheureuse  et  périssable; 
car,   dit   admirablement    saint  Augustin, 
comme  un   homme  qui  n'est  dans  un  pays 
(pi'en  passant  ne  songe  pas  à  s'y  faire  de 
grands  éiabiissements  ,  mais  envoie  f)lutôt 
ses  biens  par  avance  au  lieu  où  il  do't  faire 
un  séjour  perniancnt:  de  n)ftrae  le  chrétien 
qui  ne  sait  le  jour  ni  l'heure  qu'il  doit  par- 
tir de  ce  monde,  ne  doit  travailler  qu'a  en- 
voyer SOS  mérites  et  ses   bonnes  œuvres 
dans  cette  régioti   céleste  où  il  espère  de 
faire  un  séjour  éternel,  et  ce  d'autant  plus 
(ju'après  cette   vie,  il  n'y  aura   plus  moyen 
de  rien  acquérir  et  qu'il  ne  trouvera  dans 
l'aulre  que  ce  qu'il  s'y  sera  procuré  par  le 
bon  ou  le  mauvais  usage  de  celle-ci.  Il  faut 
mourir:  cette  seule  vérité  m'explique  foules 
ces  autres  vérités  :  Bienheureux  ceux  qui 
pleurent,  parce  quils  seront  consolés:  Bien,' 
heureux  ceux  quisouji'rent  :  Bienheureux  ceux 
qui  sont  en  bulle  à  ta  persécution  et  à  l  injus- 
ttce{Matlh.y\,  5,10),  et  méfait  convenir  de 
tant  d'autres  maximes  évangéliques  si  con- 
traires d'ailleurs  à  n)es  inclinations  et  aux 
lausses  lumières  d'une  nature  corrompue. 
Il  faut  mourir:  donc  la  restitution  des  biens 
}nju»lement  acquis  n'est  plus  une  affaire; 
le  détachement   du   monde  est   une   pru- 
dence; la  mortification  des  sens  est  encore 
plus  raisonnable  (ju'elle  ne  me  paraît  diffi- 
cile. Voilà,  mes  chers  auditeurs,  la  manière 


dont  les  chrétiens  ont  toujours  raisonné  sur 
ce  sujet.  Tempus  brève  est,  disait  l'apôlre 
saint  Paul  aux  Corinthiens  :  «  Le  temps  de  la 
vie  est  court.  »  Hé  !  que  s'ensuit-il  de  là? 
Reliquum  est  ut  qui  utuntur  hoc  mundo  tan- 
quain  non  utenles  sint,  et  qui  fient  tatiquam 
non  fli-ntes,  et  qui  yaudent  lanquamnon  gau- 
dentes,  et  qui  emunt  lanqunm  non  possiden- 
tes  :  'xll  s'ensuit  que  ceux  qui  sont  possesseurs 
des  commodités  de  la  terre  doivent  en  jouir 
comme  s'ils  n'en  jouissaient  point;  que  ceux 
qui  pleurent  doivent  être  comme  s'ils  ne  pleu- 
raient point;  que  ceux  qui  se  réjouissent 
doivent  se  réjouir  comme  s'ils  ne  se  rrjouis- 
saienl  point  ;  que  ceux  qui  achètent  doivent 
être  comme  s'ils  ne  devaient  pas  posséder  ce 
qu'ils  auront  acheté;  car  la  figure  de  ce 
inonde  passe  (16'or.,  Vil,  29-31),»  et  nous 
nous  avançons  sans  cesse  vers  un  monde 
qui  ne  ()as.sera  point.  Il  faut  mourir,  encore 
un  coup,  mais  je  ne  sais  quand  je  dois 
mourir  et  il  n'y  a  point  de  moment  où  je 
ne  puisse  cesser  de  vivre.  Il  ne  faut  donc 
pas  différer  ma  pénitence  d'un  nicment; 
toujours  en  garde  contre  mes  passions,  loii- 
jouis  préparé  à  la  mort  et  toujours  m'y  [)r<''- 
{/arant,  il  ne  me  reste,  suivant  le  conseil  du 
Fils  do  Dieu,  qu'à  veiller  incessamment 
parce  que  je  ne  sais  le  jour  ni  l'heure,  et 
qu'il  me  faut  paraître  devant  un  juge  qui 
peut-être  mo  surprendra  ,  ou  plutôt  qui 
ra'ayant  averti  qu'il  me  surprendra ,  ne 
manquera  pas  encore  de  me  surprendre  de 
quelque  manière  que  je  me  sois  attendu  à 
ôtro  surpris. 

Mais  (jue  ne  puis-je  vous  représenter  ici 
les  sentiiuenis  et  les  dispositions  d'un  chré- 
tien qui,  ayant  négligé  toutes  ces  lumières 
durant  la  coups  de  la  vie,  se  trouve  néan- 
moins prêt  à  paraître  devant  le  tribunal  du 
Seigneur  !  Je  souhaitais  tantôt,  mes  chers 
auditeurs,  vous  pouvoir  exposer  le  corps 
d'un  mort,  ïiiaisje  souhaiterais  présentement 
vous  pouvoir  exposer  l'âme  d'un  mourant. 
Je  ne'sais  si  vous  prétendez  vous  (>iquer 
sur  ce  sujet  de  constance  et  de  force  d'esprit, 
mais  croyez-moi,  c'est  un  étrange  état  que 
de  se  voir  dans  le  lit  de  la  mort,  un  crucifix 
à  la  main,  l'âme  sur  les  lèvres,  le  corps 
tourmenté  de  mille  douleurs,  l'esprit  agité 
de  mille  peines,  enviionné  de  ses  proches 
el  de  ses  amis  qui  fondent  eu  larmes:  mais 
abandonné  à  soi-même,  attendre  le  mo- 
ment décisif  non-seulement  de  sa  vie  et  de 
sa  mort,  mais  encore  de  son  salut  et  de  sa 
damnalioii  éternelle.  Cette  agonie  et  ces 
convulsions  qun  forment  dans  cet  honmie 
les  derniers  efforts  de  la  nature  ne  sont 
qu'une  faible  image  de  ce  qui  se  passe  dans 
son  âme;  ce  n'est  pas  la  perle  de  la  vie  qui 
l'embarrasse,  la  crainte  de  la  mort  est  la 
moindre  de  ses  craintes.  Un  Dieu  irrité, 
des  démons  furieux,  un  enfer  ouvert,  des 
crimes  si  souvent  réitérés,  des  grâces  anéan- 
ties, des  occasions  de  salut  perdues  et  irré- 
parables, voilà  ce  qui  occupe  une  âme  ainsi 
placée  dans  les  confins  de  la  vie  et  de  ht 
mort  et  comme  dans  les  bornes  communes 
de   l'éternité  et   du    temps.    Vous   savez, 


AU 


chrétiens,  l'état  où  se  trouva  notre  prernier 
père  après  son   péché.   Le  Seigneur   Tap- 
[)elle;  il  cherche  inutilement  à  se  cacher, 
et   à   peine   son   trouble  et  sa   crainte  hii 
laissent-ils  la  forcée  île  prononcer  ces  |)aroles: 
Timiii  eo  quod  nudiis  esscm,  et  abscondi  tne. 
{Gen.,  111,10.)  Ah  I  Sei|;iienr,  l'état  où  je 
nip  suis  vu  m'a  fait  h-mio,  votre   voix  m'a 
fait  peur,  je  cliercliais  à    me  dérober  h  vos 
veux  et  à  vos  justes  reproches.  Telle,  dit 
briiiène,  et  mille  lois  plus  funeste  encore 
est  la  disposition  d'un  |>éclieur  mourant  et 
dénué  de  mérites.  Il  reconnaît,  jiour  ainsi 
dire,   la   nudité  de  son  i)me,  mais  il    ne 
dépend    plus     do    lui     de    la    revêtir;    il 
voudrait    ditlérer,  mais    la   voix     de    son 
juge  l'ai'pello;  il  cherche  à  se  cacher;  mais 
on  le  force  de  comparaître.  Le  silence  serait 
SON  parti,   mais  il  faut  répondre  à  un  Dieu 
(^ui  veut  entrer  en  jugement  avec   lui.  Au- 
jourd'liiii  l'un  se  forme  un  Dieu  miséricor- 
dieux par  excès  :  alors  on  le   verra  armé  de 
foudres  et  de  carreaux,  prêt  à  faire  éclater 
toute  la  sévérité  de  sa  colère.  Aujourd'hui 
l'on  se  contente  de  faire  des  projets  de   pé- 
nitence,  dont  on  re:net  l'exécution  à  l'ave- 
nir; alors  il   n'y  aura  f)lus  d'avenir  pour  la 
faire,  et  l'on  se  trouvera  arrivé  au  dernier 
instant  de  la  vie  sans    l'avoir  faite.  Quelle 
sera  donc  alors,  mes  chcrs  auditeurs,  votre 
consolation  et  voire  ressource  ;  avec  quelle 
confiance  vous  adresser  à  ce  Dieu  que  vous 
aurez  outragé  quand  il  était  en  votre  pou- 
voir de  lui  rendre  des  hommages  volontai- 
res et  agréables?  Avec  quelle  facilité  mé- 
riter la  rémission  de  vos  péchés,  lorsque  la 
douleur  et   la  maladie  vous  permettront  à 
neine  de  penser  aux  choses  qui  vous  étaient 
les   plus    familières?    Avec    quelle  sûreté 
vous  on  reposer  sur  la  sincérité  de   votre 
contrition,  tandis  que  votre  cœur  corrompu 
vous  rendra  malgré  vous  mille  secrets  té- 
moignages de  son   impénitence?  Ehl    que 
pourrez-vous  alléguer  pour  votie  justitica- 
lion?   Prétendrez -vous   que    les  créatures 
Tousont  séduits, elles  qui  vous  avaient  don- 
né tant  de  marquesde  leur  vanité  et  de  leur 
inconstance?  semblables  à  ces  roseaux  qui 
se  courbent  sous  la   main  de  ceux  qui    s'y 
appuient,  comme  pour  les  avertir  de  ne  s'y 
pas  appuyer.    Vous  plaindrez-vous  de  n'a- 
voir pas  été  assez  instruits,  après  avoir  mé- 
prisé tant  de  fois  les  inspirations   du  Sei- 
gneur et  les  instructions  de  ses  ministres? 
Pourrez-vous  soutenir  que  vous  n'avez  |)as 
eu  assez  de  temps  pour  la  pénitence,  en 
ayant  tant   donné  à  vos  passions  et  à   vos 
plaisirs?   Serez-vous  bien   fondés    à   vous 
plaindre  de  la  brièveté  de  la  vie  ou  de  la 
surftrise  de  la  mort,  a|)rés  en   avoir  été  si 
souvent  et  si  solennellement  avertis?  Que 
nous  resle-t-il  donc,  mes  frères,  sinon  d'é- 
tudier  la  mort,  de  consulter  la  mort,  d'é- 
couter la  mort,  de  prévenir  souvent,   par 
de  sérieuses  méditations,   les  sentiments  et 
les  dispositions  où  nous  nous  trouverons  à 
la  mort,   de  commencer  dès  aujourd'hui  à 
régler   nos  jugements  sur  ceux  que   nous 
leruns  en  niourant,  à  estimer  ce  que  nous 


SERMONS,  —  SEKJi.  II,  SLR  LA  MORT.  47» 

(■stimerons  en  mourant,  îi  condamner  ce  (|ue 
nous  condamnerons  en  mourant.  Mais  ce 
n'est  pas  tout,  et  pour  être  un  vérilablo 
chrétien,  il  faut  joindre  la  pratique  de  la 
mort  cl  la  science  de  la  mort;  c'est  ce  que 
j'ai  encore  à  vous  l'aire  voirdans  la  deuxiè- 
me partie  de  ce  discours. 


DEUXIÈME  PARTIE. 

Ce  n'est  donc  pas  assez  de  prévenir  les 
lumières  de  Va  mort,  il  faut  encore  préve- 
nir les  coups  de  la  mort,  en  emprunter  les 
traits,  s'accoutumer  h  mourir  avant  que 
nous  mourions,  et,  par  un  utile  apprentis- 
sage, lâcher  de  nous  faire  volontairement 
à  nous-mêmes  ce  que  la  mort  nous  doit  faire 
un  jour  malgré  nous.  Voilà  ce  que  les  sages 
du  siècle  n'ont  point  compris  ;  car  si  vous 
voulez  savoir,  dit  saint  Jérôme,  la  ditlé- 
rencequise  trouve  sur  ce  sujet  entre  les 
philosophes  et  les  chrétiens,  voyez  la  diffé- 
rente manière  dont  ils  s'en  expliquent.  Pla- 
ton (lit  que  sa  pliilosophie  est  une  médita- 
tion de  la  moi  t  :  Medilalio  mords;  mais 
saint  Paul  dit  que  sa  vie  est  une  n)ort  con- 
tinuelle: Quotidie  moriur  (ICor.,  XV,  31.) 
Ainsi  Platon  pense  à  la  mort  et  la  regarde 
de  loin  pour  s'y  f)réparer  et  pour  s'y  ré- 
soudre ;  mais  saint  Paul  se  familiarise  avec 
la  mort,  et  par  une  généreuse  impatience, 
il  anticipe  la  mort.  11  y  a  donc,  conclut  saint 
Jérôme,  une  perfection  dans  le  chrétien  bien 
au-dessus  de  celle  du  philosophe;  car  la 
philosophe  se  contente  de  vivre  comme  un 
liomme  qui  songe  qu'il  doit  mourir,  et  le 
chrélieu  s'occupe  à  mourir  comme  un 
homme  qui  ne  songe  filus  h  vivre:  Aliud 
enim  vivere  moriluruin,aliud  mori  victuruin. 
C'est,  mes  frères,  cette  mort  s|)irituello  et 
intérieure  qui  nous  est  si  recommandée 
dans  les  Ecritures  de  la  loi  nouvelle;  c'est 
de  cette  mort  que  parlait  le  grand  Augustin 
quand  il  disait  :  «  Ali  !  Seigneur,  nous  sa- 
vons que  nos  âmes  doivent  un  jour  être  dé- 
liichées  de  nos  corps;  mais  avant  que  nous 
mourions  de  celte  mort  naluielle,  fniles- 
nous  la  grâce  de  mourir  de  cette  mort  évan- 
gélique,  qui  est  si  précieuse  devant  vous, 
et  qui  est  la  mort  ou  plutôt  la  vie  do  vos 
justws  et  de  vos  élus  :  Da  nobis  mortem  is- 
lam evangelicam  prius  mori.  »  Mais,  [)OUi- 
njourir  de  celle  mort  évangélique  et  chré- 
tienne, que  laul-il  faire?  Je  vous  l'ai  déjà 
dit,  chrétiens,  il  n'y  a  qu'<i  faire  en  nous 
volontairement  et  |>ar  avance  tout  ce  que 
la  mort  y  doil  faire  un  jour  i/ifailliblement 
et  lualgré  nous.  Or  il  me  semble  que  les 
elfels  de  la  mort  se  peuvent  réduire  à  trois, 
principaux:  la  mort  égale  .toul ,  la  mort 
séjiare  tout,  la  mort  anéantit  tout  ;  car 
nous  pouvons  prévenir  cette  égalité,  cette 
séparalion.  cet  anéanlissement  :  cette  éga- 
lité de  la  mort  en  nous  humiliant,  cette  sé- 
paration en  nous  mortiliant,  et  cet  anéan- 
tissement de  la  mort  en  nous  sacrifiant. 

La  mort  égale  tout  :  elle  renverse  les. 
trônes,  elle  abaisse  toute  hauteur,  elle  roiupt 
tous  les  rangs,  elle  confond  toutes  les  dif- 
férences. Tant  que  dure  cette  vie  pénssa- 


475 


ORATEURS  SACRES,  DE  MOiNMOREL. 


476 


ble,  ,  un  osl  riclio,  l'autre  est  pauvre,  l'un 
maître,  l'autre  esclave  ;  celui-ci  roi,  celui- 
là  sujet;  mais  dans  l'empire  de  la  mort, 
tout  y  est  semblable,  tout  y  est  poussière, 
tout  y  est  néant;  el  sur  celte  poussière,  à 
laquelle  la  mort  nous  réduit,  elle  n"y  laisse 
pas  la  moindre  trace  de  supériorité  ni  de 
distinction.  Les  Pères  de  l'Eglise  recher- 
chent la  raison  de  cetfeconduite  et  de  cette 
providence  particulière,  qui  voulut  ôter 
aux  enfants  d'Israël  la  connaissance  du 
tombeau  de  Moïse;  quelques  soins  qu'ils 
y  a[)portassent,  ils  n'en  eurent  jamais  de 
nouvelles.  Plusieurs  estiment  que  ce  lut 
pour  ôter  à  ce  peuple  une  occasion  d'idolâ- 
trie; Dieu,  prévoyant  que  si  les  Israélites 
eussent  trouvé  le  corps  de  ce  prophète, 
I)oiir  le(iut'l  ils  avaient  une  si  gramle  véné- 
ration, ils  n'auraient  pas  manqué  d'en  l'aire 
l'objet  d'une  adoration  sacrilège.  Mais  non, 
reprend  admirablement  le  grand  Augustin, 
ce  ne  lut  pas  pour  celte  raison  (jue  Dieu 
en  usa  de  la  sorte  ;  l'on  ()ourrait  plulôt  ido- 
lâtrer un  corps  vivant,  mais  l'on  n'ido- 
laire  point  un  corps  mort,  el  ce  lut  sans 
doute  par  un  principe  tout  contraire 
que  Dieu  voulut  que  celui  de  Moïse  de- 
meurAt  caché.  S'ils  avaient  vu  le  corps  de 
Moïse  corrompu  et  réduit  en  cendre,  eux 
qui  avaient  vu  autrefois  ce  grand  homme 
tout  environné  de  gloire,  lorsqu'ildescendil 
de  la  montagne  pour  leur  apporter  la  loi  , 
c'eût  été  ruiner  cet  ascendant  que  Moïse, 
tout  mort  qu'il  était,  devait  conserver  sur 
eux.  Autrefois,  pour  se  proportionner  à 
leur  faiblesse,  il  s'était  vu  obligé  dévoiler 
son  visage  dont  ils  ne  pouvaient  supfiorler 
l'éclat.  Mais  depuis  que  la  mort  a  déliguré  ce 
même  visage,  il  faut  que  |)0ur  ménager  la 
faiblesse  de  ce  peuple  la  Providence  prenne 
le  soin  de  le  cacher  sous  d'autres  voiles,  et 
que  par  une  obscurité  mystérieuse,  elle 
entretienne  le  res|)ecl  qui  est  dû  et  à  la 
mémoire  du  législateur  et  à  l'autorité  de 
la  loi.  Grandeur,  autorité,  noblesse,  for- 
tune, titres,  emplois,  rien  de  tout  cela  ne 
descend  dans  le  tombeau  ;  diverses  inscrip- 
tions au  dehors,  même  poussière  et  même 
cc)rru|)tion  au  dedans,  car  il  en  est  de  la 
ditléronce  des  rois  à  peu  près  comme  do 
ces  arbres  qu'on  voit  dans  les  forêts  :  tant 
qu'ils  sont  en  pied,  on  en  sait  les  espèces 
et  les  noms,  on  en  remarque  la  dilTérenle 
hauteur,  mais  que  le  feu  y  ait  passé,  l'on  n'y 
recormaîl  plus  rien;  les  cendres  du  cèdre 
ne  se  peuvent  distinguer  dans  celles  du 
plus  petit  arbrisseau.  Que  si  la  mort  abaisse 
tout,  si  la  mort  égale  tout,  qui  fera  en  nous 
cette  preujière  fonction  de  la  mort?  Ce  sera 
l'iiumililé,  mes  frères,  car  c'est  l'humilité 
qui  nous  abai.^se  el  qui  nous  anéantit,  non- 
seuleiiicnt  à  l'égard  de  Dieu,  mais  encore  h 
l'égard  des  hommes,  réduisant  tous  les  chré- 
tiens à  se  ranger  les  uns  au-dessous  des 
autres,  et  malgré  la  distinction  des  conditions 
et  des  états,  nous  mettant  dans  une  position 
sincère  de  ne  nous  croire  au-d'jssus  de 
personne  et  de  croire  plutôt  tous  les  autres 
au-dessus  de  nous;  el  c'e^l  ce  que  l'Eglise 


prétend  par  la  cérémonie  d'aujouril'hui, 
lorsque  jetant  une  même  poussière  sur  la 
lôte  de  tous  ses  enfants,  elle  leur  dit  à 
chacun  d'eux  :  Mémento,  homu,quiapulvis  es 
et  in  pulverem  reverteris.  Car  c'est  comme  si 
elle  disait  à  cet  homme  que  sa  naissance  ou 
sa  fortune  ont  placé  dans  une  situation  si 
sublime  :  Aujourd'hui  tu  es  un  peu  plus 
grand,  un  peu  plus  élevé  que  les  autres, 
mais  bienlôt  le  jour  arrivera  que  lu  repren- 
dras aussi  bien  qu'eux  la  figure  de  celle 
même  poussière  dont  lu  as  été  tiré  comme 
eux.  Poussière  de  la  mort,  que  tu  es  un 
contre-poison  admirable  contre  le  venin 
de  notre  orgueil  1  Souvenir  de  la  mort,  que 
lu  es  nécessaire  i)our  nous  maintenir  dans 
notre  devoir,  par  h;  considération  de  notre 
néant  I  C'est  de  celte  pensée  salutaire  que  les 
Césars  mêmes,  quelque  païens  qu'ils  fussent, 
sentaient  bien  qu'ils  avaient  besoin,  prin- 
cipalement dans  les  plus  grands  jours  de  leur 
vie  el  dans  les  cérémonies  do  leurs  triom- 
phes ,  puisque ,  suivant  la  remarque  de 
ïerlullien,  il  marchait  toujours  immédiate- 
ment a[)rès  le  char  de  l'empereur  un  hérault 
qui  lui  criait  de  teiniis  en  temps  :  Memen/o 
leesse  hominem:  n  Souvenez-vous  que  vous 
êtes  homme,  »  de  peur  que  la  magniticence 
et  l'éclat  dont  il  se  voyait  environné,  lui 
laissant  oublier  les  misères  de  sa  condition 
mortelle,  il  n'allât  se  perdre  dans  les  idées 
d'une  vanité  qui  n'aurait  pu  lui  être  que 
très-funeste.  Mais  c'est  aussi  celte  même 
pensée  que  le  dévot  saint  Bernard  revêtait 
d'expressions  si  chrétiennes,  lorsque,  par- 
lant au  pape  Eugène  avec  tout  le  respect 
qu'un  religieux  devait  à  un  souverain  Pon- 
tife, mais  en  même  temps  avec  toute  la  li- 
berté qu'un  maître  se  pouvait  donner  à 
l'égard  de  son  ancien  disciple,  il  lui  adres- 
sait ces  paroles  :  «  Saint  Père,  je  sais  que 
vous  êtes  le  grand  prêtre  de  la  loi  nouvelle, 
le  premier  des  évoques  et  l'héritier  des 
apôtres.  Je  sais  que  vous  réunissez  en 
voire  auguste  personne  le  gouvernement 
de  Noé,  l'ordre  de  Melcliisédech,  la  dignité 
d'Aaron,  l'autorité  de  Moïse,  l'onction  de 
Jésus-Chrisl  même;  mais  pour  être  devenu 
ce  que  vous  n'étiez  pas,  pour  cela  vous  n'eu 
êtes  pas  moins  ce  que  vous  étiez.  Dé|)Ouil- 
Icz-vous  donc  un  peu  de  cette  gloire  qui 
vous  entoure,  de  celte  |)om()e  qui  vous  oc- 
cupe et  de  tous  ces  vains  ornements  qui  ne 
sont  i)roprement  à  l'égard  de  l'homme  que 
comme  ces  feuilles  dont  notre  premier  pèro 
se  couvrit  dans  le  paradis  terrestre.  Otez, 
quand  ce  ne  serait  que  pour  un  moment, 
celle  pourpre,  ces  tiares,  ces  palais,  ce 
grand  embarras,  cette  foule  de  domestiques 
et  de  suppliants.  Eh  1  que  Irouverez-vou» 
sous  tani  el  de  si  précieuses  enveloppes? 
Un  homme  pauvre  et  misérable  qui  n'est 
que  cendre,  que  corruption  et  que  péché, 
se  [ilaignant  de  ce  qu'il  est,  ne  rougissant 
pas  de  ce  qu'il  est  nu,  et  reconnaissant  que 
tel  qu'il  est  il  est  destiné  pour  le  travail,  et 
non  [)as  pour  le  plaisir  ni  pour  la  grandeur. 
Voilci,  grand  j)onlife,je  ne  dis  pas  ce  que 
vous  avez  élé  ou  ce  que  vous  serez  un  jour, 


477 


SERMONS.  —  SFRM.  Il,  SUR  LA  MORT. 


iT8 


mais  ce  que  vous  êtes  dès  à  [présent,  el  ce 
que  veus  devez  tâcher  de  vous  paraître 
continuellement  à  vousrinôme,  en  atten- 
dant que  la  mort  vous  le  fasse  paraître  à 
l'égard  des  autres.  »  Or,  mes  frères,  ce  que 
saint  Bernard  rei)résenlait  à  ce  pontife,  c'est 
ce  que  nous  devons  nous  représenter  aussi 
chacun  à  proportion  de  notre  condition  et 
de  notre  état  ;  car  si  celte  pensée  de  la 
mort  est  ca})able  de  contrebalancer  l'éléva- 
tion des  plus  grandes  dignités  de  la  terre, 
comment  ne  serait-elle  pas  capable  (ie  sou- 
tenir les  personnes  du  commun  dans  une 
juste  et  ()arfaile  modération  ?  Si  nous  nous 
appliquions  de  temps  en  temps  [cette  pous- 
sière originelle,  comme  le  Fils  de  Dieu  ap- 
pliqua une  boue  mystérieuse  sur  les  yeux 
de  l'aveugle  auquel  il  rendit  la  vue,  il  n'en 
faudrait  pas  davantage  [)Our  nous  empocher 
de  nous  méronnaître  el  [lOiir  guérir  l'aveu- 
glement de  cet  orgueil  qui  tait  aujourd'hui 
de  si  grands  désordres  dans  le  monde;  de 
Cil  orgueil  qui  nous  porte  îl  nous  élever 
sons  cesse  sur  les  ruines  des  autres,  quoi 
(pi'il  nous  en  puisse  couler  du  côté  do  la 
religion  el  de  la  conscience  ;  de  cet  orgueil 
qui  rend  la  domiiialion  dus  grands  si  dure 
et  si  odieuse,  et  l'obéissance  des  intérieurs 
si  im|)arfaiie  et  si.conlrainle  ;  do  cet  orgueil 
qui,  nous  faisant  au  moins  imittr  ceuv  que 
nous  ne  pouvons  égaler,  nous  fait  donner, 
par  désaffections  de  grandeur,  dans  des  ri- 
dicules que  le  monde  même  ne  peut  souf- 
frir; de  cet  orgueil  qui,  étant  accompagné 
de  puissance,  est  la  source  féconde  detaiil 
de  cruautés  et  d'usurpations,  sous  lesquel- 
les la.  faiblesse  et  la  justice  se  trouvent 
malheureusement  opprimées;  de  cet  orgueil 
qui,  s'en  prenant  à  Dieu  même,  attaque  in- 
solemment sou  autorité,  soit  par  des  ré- 
voltes de  l'esprit  contre  sa  religion,  soit 
par  des  murmures  contre  sa  providence, 
soit  par  une  rébellion  du  cœur  contre  ses 
préceptes  et  ses  volontés  ;  de  cet  orgueil  en 
un  mot  qui  est  le  commencement  et  la  con- 
sommation de  tout  péché,  le  péché  ne  con- 
sistant que  dans  une  prétendue  indépen- 
dance par  laquelle  la  créature  aime  mieux, 
se  plaire  à  elle-même  et  ne  dépendre  iiue 
d'elle-même  que  de  s'assujettir  à  [tbiireà  Dieu 
etdese  ranger  sous  la  dépendance  des  lois  de 
Dieu.  Encore  une  fois,  si  nous  nous  occu- 
|uons  du  souvenir  de  la  mort,  il  n'en  fau- 
drait pas  davantage  |)our  nous  faire  souve- 
nir de  ce  que  nous  sommes  el  pour  nous 
retenir  dans  la  situation  .où  no  .s  devons 
être.  Personne  ne  s'élèverait  plus  au-dessus 
du  rang  que  la  providence  lui  a  marqué. 
On  serait  ol)éissanl  à  1  égard  de  Dieu  et 
jialient  à  l'égard  des  hommes.  Ou  rendrait 
justice  aux  autres  et  on  se  la  rendrait  à  soi- 
même.  Ainsi  l'humilité  égalerait  tous  les 
états  et  les  entretiendrait  en  même  temps 
dans  une  parfaite  subordination  ;  car  on  lie 
laisserait  pas  lie  garder  les  dehors  de  la 
grandeur,  mais  l'on  y  joindrait  l'intérieur 
et  même  les  dehors  de  la  modestie  et  de  la 
douceur  chrétienne;  el,  par  une  distinction 
éjuilable  de  la  dignité  et  de  la  personne, 


la  personne  serait  toujours  humiliée,  el  la 
dignité  ne  manquerait  ,pas  de  se  trouver 
soutenue. 

La  mort  égale  tout,  mais  j'ai  dii  en  se- 
cond lieu  que  la  mort  sépare  tout  :  Siccine 
séparai  amara  mors?  Est-ce  ainsi  que  la 
mort  cruelle  sépare?  »  disait  autrefois  ee  roi 
malheureux,  qui  venait  d'entendre  pronon- 
cer l'arrêt  de  sa  mort  et  qui,  ayant  été  vaincu 
et  emmené  captif  par  le  roi  d'Israël,  afirès 
son  royaume  et  sa  liberté,  était  encore  près 
perdre  la  vie  :  Siccine  séparât  amara  mors  ? 
{l  Reg.f  XV,  32.)  Est-ce  ainsi  que  la  mort 
cruelle  sépare?  Elle  nous  sépare  en  effet  do 
nos  amis,  de  nos  proches  et  de  tous  les 
hommes  tout  à  la  fois  ;  elle  nous  arracho 
nos  biens  ou  plutôt  elle  nous  arrache  à  nos 
biens,  à  nos  plaisirs,  à  nos  dignités  et  à  nos 
attachements;  elle  sépare  en  un  mot  les 
deux  parties  essentielles  qui  nous  compo- 
sent, et,  pendant  que  l'homme  quille  tout  ce 
monde  visible,  elle  le  réduit  à  l'étrange  né- 
cessité de  se  quitter  soi-même  et  de  se  diro 
à  soi-même  un  triste  et  rigoureux  adieu. 
Séparation  universelle  de  la  mort,  second 
objet  de  notre  imitation,  deuxième  règle  de 
notre  conduite.  Mais  qui  fera  en  nous  cette 
seconde  fonction  delà  mort?  ce  sera,  mes 
frères,  la  mortification  chrétienne;  l'humi- 
lité égale  loul,  mais  c'est  à  la  mortification 
à  nous  séparer  de  tout.  C'est  ce  glaive  que 
le  Fils  de  Dieu  est  venu  apporter  sur  la  terre 
pour  séparer  le  frère  d'avec  le  frère,  le  fils 
d'avec  le  père,  et  la  femme  d'avec  l'époux  ; 
c'est  cette  vertu  qui  portant  ses  impressions 
salutaires  jusque  dans  le  fond  de  notre 
intérieur,  nous  éloigne  du  monde,  nous 
ap[»rend  à  nous  passer  du  monde,  divise 
l'esprit  d'avec  la  chair,  et  nous  détache  el 
des  créatures  et  de  nous-mêmes.  «  C'est  par 
cette  vertu,  dit  ïertullien,que  les  premiers 
chrétiens  travaillaient  à  se  préparer  au 
martyre,  s'exerçant  à  la  feraîelé  el  à  la 
douleur  par  le  retranchement  des  plaisirs, 
el  s'établissant  peu  à  peu  dans  l'état  d'une 
généreuse  liberté  qui  leur  faisait  mépriser 
la  mort,  après  avoir  couf)é  pour  ainsi  diro 
tous  les  liens  par  les(|uels  nous  avons  cou- 
tume de  tenir  h  la  vie  :  Soient  enim  ad 
hanc  obstinationem  abdicalione  voluptatum 
erudiri  quo  facilius  vitam  contemnant,  ain- 
pulalis  quasi  retinaculis  ejus.  »  Eu  un  nmt 
c'est  cette  vertu  qui,  tirant  son  nom  de  la 
mort,  la  doit  regarder  coiiune  son  modèle; 
la  mortification  n'étant  autio  chose  qu'un 
essai  et  uuo  ()rali(|ue  continuelle  de  la 
mort.  Morluiestis,  disait  sur  ce  sujet  l'apôtre 
saint  Paul  aux  premiers  tidèles.  Ne  vous  y 
trompez  pas,  mes  frères,  si  vous  êles  de 
véritables  cliiélieiis  vous  êles  de  véritables 
morts  ;  (juoique  vous  soyez  encore  dans  lo 
monde,  vous  notes  pourtant  plus  du 
monde  et  on  peut  dire  qu'il  n'y  a  plus 
de  monde  pour  vous.  Crucifiés  avec  Jésus- 
Christ  et  ensevelis  avec  Jésus-Christ,  vous 
avez  éloulîé  la  vie  de  la  nature  et  des  sens, 
et  la  seule  vie  où  vous  devez  désormais 
pi  étendre,  c'est  celte  vie  secrète  etglorieuso 
(lui  est  cachée  uvoc  Jésus-Ctirisl  daus  le 


179 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


480 


foin  de  la  Divini  é  :  Morlui  eslis  et  vita  ve- 
stra     ahscondila  est    cum    Christo    in    Deo. 
(Col.,  111,  3.)  En  lin  mot,  dit  exnellemment 
S.  Prosper,   n'êlro  touché  ni  de  ralliait  des 
plaisirs,  ni  de  l'éclat  des   richesses,   ni  de 
la  vanité  des  honneurs,  avoir  des  yeux  qui 
re  voient  point,  une  langue  qui  ne  parle  point, 
des  sens  qui  n'agissent  point,   ôlre  exempt 
cl  lies  illusions  de  l'orgueil,  et  des  fureurs 
de  la  colère,  et  des  chagrins  de  l'envie,  et 
du  trouhle  des  aulres  passions,  également 
insensible  et  aux  louanges  qui  flattent  et 
flux   railleries  qui  chofjuent,  et  aux  insultes 
<iui  outragent,  et  h   tous  les   étals   oti   l'on 
se  Irouve,  et  à  tous  les  accidents  qui   arri- 
vent ;   dans   le    monde,    mais    séparé    du 
monde,    sans    aucun    commerce    avec    le 
monde,  sans  aucune  attention  aux  choses 
<iu  monde,  sans  aucun  mouvement  à  l'égard 
du  monde,  voilei  proprement  l'état  du   mort 
et  l'obligation  du  chrétien.  Mais  parce  qu'il 
n'est  pas  possible  que  nous  nous  trouvions 
jamais,  ici-bas  du  moins,  que  nous  demeu- 
rions   longtemps   dans  une  disposition  si 
parlaiie  ei  que  celte  malheureuse  convoi- 
tise qui  subsiste  jusf|u'à    la  mort    dans  les 
plus  justes  et  dans  les  plus  saints,  y  excite 
toujours,    malgré    eux,   quelques  mouve- 
menls  de  péché  et  entretient  toujours  dans 
leurs  cœurs  quelques  restes   de   la  vie  du 
monde,  que  nous  reste-t-il,  mes  chers  audi- 
teurs, sinon  de  faire  peu  à  peu  ce  que  nous 
lie  pouvons  pas  faire  tout  d'un  coup;  car 
voilà  quelle  doit  être  la  grande  occupation 
des  chrétiens,  de  combattre  cette  convoitise 
qui  les  combat,  de  travailler  sans  cesse  à  la 
diminuer  et  à  l'affaiblir,  de  nous  détacher 
de   quelques-uns  de   ces   objets   qui   nous 
arrêtent  et  nous  cafilivent,   nous  exerçant 
ainsi  à  mnuiir,  pour  ainsi  dire,  à  diverses 
reprises  et  en   plusieurs  fois,  puisqu'il  ne 
nous  est  pas  possible   de  mourir  en   une 
seule.  Je  meurs  tous  les  jours;  disait  l'apô- 
tre saint  Paul  aux  Corinthiens  :  «  Quolidie 
morior.ïi  (I  Cor.,  XV,  31.)  Dans  l'ordre  de  la 
nature,  on  peut  dire   que   i;ous  mourons 
tous  les  jours;  il  n'est  pas  d'heure  qui  ne 
nous  Ole  une  heure  de  notre   vie.  Chaque 
instant  nous  retranche  une  portion  de  nous- 
mêmes.   Mais  si    nous   mourons    tous   les 
jours  dans  l'ordre  de  la  nature,  il  faut  tâcher 
de  mourir  tous  les  jours  par  les  ojjérations 
lia  la  grâce  :  Quotidiemorior.ll  faut  quitter 
toutes  les  créaluies  les  unes  après  les  au- 
lres, aussi  bien  serait-il  trop  dilficile  de  les 
abandonner  loulcîsà  la  fois,  comme  ce  grand 
conquérant  de  l'antiquité  qui,  ne  pouvant 
faire  passer  un  fleuve  à  ses  troupes,  à  cause 
de  sa  rapidité  et  de  sa   prol'ondeur,  le  lit 
sé|)arer  en  un  grand  noml)re  de  petits  ruis 
seaux  et  le  rendit  guéal)le  par  ce  moyen. 
Ahl  rien  n'est  plus  malaisé  quand  un  hom- 
me est  près  de  mourir  que  de  rompre  tout 
d'un  coup  avec  toutes  les  créatures  de  l'uni- 
vers. Quelle  affliction,  quelle  douleur,  quel 
désespoir  1  Mais  quand  on  a  encore  quel- 
que temps  à  vivre,  quoi  de  plus  facile  que 
ue  romi)re  insensiblement  toutes  ses  atta- 


ches, que  de   mourir  aujourd'hui  à  l'égard      I 


d'une  passion  et  demain  à  i  egaro  n  une  au- 
tre; que  de  se  priver  tantôt  d'un  plaisir  illé- 
gitime et  lanlôld'un  {)laisir  innocent;  que 
de  s'ôter  soi-même  une  partie  des  biens  par 
les  aumônes,  une  partie  des  honneurs  par 
les  humilialions,  une  partie  des  commodi- 
tés de  la  vie  par  de  saintes  austérités;  en 
un  mol,  que  de  se  dépouiller  de  toutes  les 
choses  dont  on  peut  se  [lasser,  et  de  se  dé- 
tacher au  moins  de  toutes  celles  dont  on  ne 
peut  pas  se  dépouiller;  prévenant  ainsi  la  ri- 
gueur de  la  perte   générale  par  plusieurs 
perles   successives,   et   la    dilliculté  d'une 
privation    forcée  |»ar  plusieuiîs  privations 
volontaires.  Car  enfin  si  nous  étions  dans 
la   disposition    où   de   véritables  chrétiens 
doivent  ôlre  sur  lalerre,nous  nous  ferions 
une  habitude  de  pratiquer  ainsi  la   mort, 
et    nous  nous   metliions    j)eu    à   peu   hors 
d'état  de  craindre  la  mort,  puisqu'elle  no 
pourrait  plus  nous  faire  (jue  ce  que  nous 
nous  serions  déjà  fait  avant  (Ile.  Ingredieris 
in  abundanlia  sepulcruin,  disait  un  des  amis 
de  Job  h  cet  illustre  patriarthi.    (Job,  V, 
26.)    Maintenant  que  vous   voilà  dépouillé 
de  tous  les  biens  de  la  terre,  vous  entrerez 
dans  le  touibeau  avec   une  lieurc  use  abon- 
dance. Les  princes  et  les  grands  du  monde,, 
que  la  mort  dépouille  tout  d'un  couj),  et  le 
plus  souvent  à  l'imjtrovisle,  dt*  leurs  biens, 
de  leurs  avantages  et  de  leur  autorité,  en- 
trent dans  le  tombeau  avec  une  grande  di- 
sette; oiais  pour  ceux  qui,  en  ayant  été  dé- 
pouillés par  des  coups  de  la  Providence  ou 
»'en   étant   dépouillés  volontairement   eux- 
mêmes,  ou  en  ayant  au  moins  retiré  leur 
atleclioii,onl  eu  soin,  comme  le  saint  homme 
Job,  de  se  remplir  des  biens  de  la  grâce,  on 
peut  dire  que  la  mort  leur  ôte  bien  moins 
quelle  ne  leur  donne, et  qu'ils  enlrent  (ians 
le  sépulcre  avec  une  sainte  abondance  et 
avec  une  parfaite  tranquillité   :  Ingredieris 
in  abundanlia  sepulcrum. 

lînhn,  mes  frères,  une  troisième  vue  et 
un  troisième  usage  de  la  mon  ,  consiste  à 
la  considérer,  par  raftporl  à  Dieu,  comme 
une  deslruction  qui  nous  anéantit  devant 
lui  et  comme  un  sacrifice  que  nous  lui 
pouvons  olfrir.  C'est  [lar  le  sacrilice  que  les 
hommes  ont  toujours  lâché  de  s'acquitter 
envers  Dieu  de  toutes  leurs  obligations,  et 
ce  saciihce  renferme  essenlieilemeni  la 
destruction  de  la  victime  ;  car  la  créaturo 
n'élanl  pas  ca|)abiede  |)roduire  ce  qui  n'est 
pas,  elle  ne  peut  honorer  Dieu  que  parla 
destruction  de  ce  qui  est.  Dieu  nous  donuo 
l'être,  mais  nous  ne  saurions  lui  rendre  que 
le  néant,  parce  que  l'être  est  à  lui  et  qu  il 
n'y  a  que  le  néant  qui  soit  à  nous.  Or, 
comme  J'hoiiime  n'a  rien  de  plus  cher  ni  de 
plus  précieux  que  soi-même,  il  s'ensuit 
que  l'homme  ne  [)eut  jamais  mieux  hono- 
rer la  Divinité  que  i)ar  la  destruction  de 
soi-même;  et  que  le  plus  grand  sacrifice 
que  l'homme  puisse  jamais  olfrir  au  Sei- 
gneur esl  le  sacrifice  de  sa  vie  ;  mais  il  faut 
conclure  que  ce  grand  sacrilice  ne  peut  con- 
sister que  dans  une  aixepiation  libre  et  vo- 
otilair'j  de  ^a  mort,  laissant  à  la  Providence 


SERMONS.   -  SERM.  111,  SUR  LAIRECIILTE  DANS  LE  PECHE. 


481 

lo  soin  u  en  délerminor  lo  temps,  le  gfiiire 
et   les   circonslances,  et  se  conleiilanl  do 
rnc('e[)ler,  avec  un  esprit  de  patience  et  de 
l'oirrir  à  Dieu  avec  un  esprit  do  rel-gion  ; 
voilà,  mesciiers  auditeurs,  le grandsacriiice 
ai-Kpu'l  nous  devons  contiuuelleinent  nous 
préparcr.Le  Fils  de  Dieu  mourant  sur  la  croix 
dans  le  moment  et  de  la  manière  que  le  Père 
célesle  lui  avait  marqué  à  olferl  (^e  sacrifice 
avant  nous,  et  nous  le  devons  otliir  après  lui. 
Mais  le  Fils  de  Dieu  l'aolFerl  pour  les  pt^cliés 
d'autrui  ;  et  nous,  nous  devons  TollVir  pour 
les    nôtres.    C'est    ce    sacrilice  que  l'apôtre 
saint  Paul  avait  sans  cesse  ilevant  les  jeux 
et  qui  lui  faisait  dire  :  Ego  enim  jam  delibor 
€l  tempus  resoliUionis  ineœ    inslat  (II  Tim,, 
IV,  6);  car  je  sens  bien  (jue  le  teuj|)S  de  ma 
tlfcslruclion  approche,  et  je  suis  proprement 
conmie  une  vicliine  qui  ne  fait  (qu'attendre 
le  coup  qui  la  doit  inifnoier,  et  qui  a  déjà 
reçu  l'aspersion,  c'est-à-dire  qu'on   a  déjà 
fait  sur  elle  les  cérémonies    préliminaires 
du  sacrifice.  Sans  ce  sacrilice,  mes  frères, 
la  mort  n'a  rien  que  d'alfreux  pour  les  hom- 
lues,  rien  que  de  désespérant  pour  les  pé- 
cheurs; mais  le  propre  de  ce  sacrifice  est 
de  faire  changer  celle  mort  de  nature  et  de 
nous  la    rendre   môme  filus   uiile  et  plus 
souhaitable  i|ue  la  vie  ;  car  mourir  dans  un 
esprit  de  viclime  où  un  chrétien  doit  mou- 
rir, c'est   mourir  comme  Jésus-Christ    est 
inorl.  L'ouvrage   de  notre  prédestinalioi, 
c'esl  de  donnera  Dieu  tout  ceque  lacréaluro 
lui  peut  donner,  honorer  toutes  s-  s  perlec- 
tions  et  nous  acquitter   de    tous   nos    de- 
voirs; c'est  par  un   secret  admirable  de   la 
grâce  nous  faire  un  mérite  devant  lui,   de 
la  chose  du  monde  qui  dépend  le  moins  do 
notre   choix  ;   d'un    supplice,    une    vei  lu; 
d'une  peine,  une   olfrande;    d'un    effet  du 
péché,   un   instrument    et   une  source  de 
grâce.  Mon  Dieu,   devons-nous  donc  dire, 
toutes  les  fuis  que  nous  pensons  qu'il  (aui 
mourir,  alin  de  le  pouvoir  dire  avec  plus  de 
facilité   quand   il  faudra   mourir   en   edet, 
mon  Dieu,  je  reconnais  devant  votre  majesté 
adorable  l'équilé  de  vos  immuables  ariêts; 
je  confesse  que  je  mérite  la  morl,  non-seu- 
lement par  le  péché  que  j'ai  contracté  dès  ma 
naissance,  mais  encore  par  tous  ceux  que  j'ai 
commis  dans  toute  la  suite  de  ma  vie. Je  suis 
sorti  volontairement  de  l'ordre  de  la  sagesse, 
et  jevfux  rentrer  volontairement  dans  celui 
de  voire  justice;  voilà  le  criminel   qui   se 
prosterne  devant  votre  tribunal,  non  pour 
demander   une  grâce,  mais  pour  lecevoir 
une  peine;  voilà  une  viclime  fugitive  (jui 
revient  au  pied  de  l'aulel  el  qui  se  présente 
d'elle-même  au  sacrilice.  Je  vous  offre  donc 
uaa  morl,  comme  un  sacrifice  |»ro|)iliatoire 
l'our  mes  péchés.  J'accejile  de  lion  cœur  la 
séparalion  de  mon  âme  u'avec  mon  corps  ; 
celte   solitude    effroyable,  celle    piivalion 
universelle,   ce  divorce    éternel  qu'il  faut 
faire  avec    toutes  les  créatures,  te   débiis 
d'une  chair  imjmre  que  j'ai   tant  aspu'ée  ; 
celle  poussière  et  toutes  les  autres  rigueurs 
de  la  morl,  si  contraires  aux  inclinations 
de  ma  nature.  Je  meurs  dans  un  aveu  siii- 


m 

cère  de  mon  néant;  dans  un  repentir  véri- 
table de  mes  offenses;  dans  une  cerlitudo 
entière  de  votre  religion  :  trop  heureux, 
mon  divin  Seigneur,  si,  par  cette  punition 
de  mes  crimes,  j'apaise  voire  colère;  si 
par  cet  nnéanlissen:ent  démon  ôlre  je  puis 
rendre  iiommage  h  la  souveraineté  du  vôtre, 
et  si  par  ce  sacrifice  do  ma  vie  j  honore  vo- 
tre immortalité,  voire  sagesse  el  toutes  vos 
perlVrlions  infinies.  Je  Unis,  mes  frères, 
par  où  j'ai  commencé  ;  Souvenez-vous  que 
vous  êtes  poudre  el  que  vous  retournerez 
en  poudre;  et  en  vous  en  souvenant  priez 
aussi  le  Seigneur  qu'il  s'en  souvienne  el  lui 
dites  souvent  avec  le  saint  homme  Job  : 
Mémento,  quœso,quodsicut  lutum  feceris  me, 
et  in  pulverem  reduces  me.  [Job,  X,  9.)  Alil 
Seigneur,  souvenez-vous-en,  (]ue  je  ne  suis 
que  |)Oussière,  que  vous  avez  choisi  là  la 
niatièie  la  plus  (iropre  ()ar  son  indignité 
à  faire  éclater  voire  puissance  ;  souvenez- 
vous-en,  et  que  ce  souvenir  vous  désarme; 
car  (juplîe  gloire  pour  vous  d'employer  une 
force  infinie  conlre  un  néant  animé?  quel 
honneur  pour  ce  bras  tout-puissant  de  lou- 
droyer  de  la  boue?  Oui,  mes  cliers  audi- 
teurs.il  ii'G\\so\is'utn\:l{ecordatusesl  quoniam 
pulvis  sitmus.  [Psal.  CIJ,  14.)  Il  est  disposé 
à  nous  faire  grâce  ;  disposons-nous  de  notre 
côté  û  la  recevoir;  mé  litons  la  mort,  pra- 
tiquons la  mort;  méditons  la  mort  et  nous 
servons  de  ses  lumières  pour  détromper 
nos  sens,  pour  éclairer  notre  raison  elpour 
animer  notre  foi;  prati(juons  la  mort  et 
dans  la  vie  humilions-nous,  mortifions- 
nous,  sacrifions-nous  :  ainsi  nous  devien- 
drons de  parfaits  chrétiens,  el  en  nous  sa- 
crifiant coiitinuellement  ici-bas,  nous  nous 
rendrons  dignes  de  vivre  éternellement 
dans  la  gloire,  où  nous  C(niduise,  etc. 
SKU.MON  m. 

SUR    I.A    UECUUTlî  DANS   I.E   PK^'-HÉ. 

Cum  imimindus  spirilus  cxieril  de  lioniiiie,  dicit:  Re- 
verlar  in  doiiium  meani  unde  exivi;  el  lune  vadil  el  assu- 
iiiil  spplem  alios  spiritus  iiequiores  se,  et  iiigressi  dalji- 
lanl  ibi  el  liuni  novis^iina  liominis  illiuspeiora  prioribus 
{Luc.,\\,  24,26.) 

L esprit  impur  ayant  été  chassé  hors  de  l'homme,  il  iHt: 
Je  retournerai  en  ma  maison  d'où  je  suis  sorti  ;  et  alors  il 
s'en  va  et  prend  sept  autres  esprits  plus  méchants  que  lui, 
el  y  étant  entrés,  ils  i(  habitent,  el  te  second  état  de  cet 
homme  devient  bien  pire  que  le  premier. 

L'Evangile  d'aujourd'Jiui  a  deux  faces 
bien  différentes.  Dans  la  première  partie 
nous  y  voyons  Jésus-Chrisl  victorieux  du 
démon,  le  faire  sortir  avec  empire  du  corps 
d'un  malheureux  auquel  cet  esprit  infernal 
avait  ôlé  jusqu'à  l'usage  de  la  parole  ;  car  le 
Fils  de  Dieu  rendit  tout  d'un  coup  la  parole 
à  ce  muet  et  la  liberté  à  ce  possédé,  el  rem- 
plit d'admiration,  par  ce  prodige,  tous  ceux 
qui  en  furent  les  témoins  :  Erat  Jésus  ejiciens 
dœmonium  etitluderat  mutum,  et  cumejecis- 
set  dœmonium,  loquebalur  mutusel  mirabantur 
turbœ.  (Luc,  XI,  i^.)  Mais,  dans  la  seconde 
partie,  nous  y  jvoyons  le  démon  victorieux 
en  quelque  manière  de  Jéaus-Chiisl.  Ce 
n'est  pas  (pi'il  retourne  dans  ce  même 
corps  d'où  il  vient  d'être  chassé,  mais  c'esl 
que  Jésus-Christ,  lu.»aiême,  prenant  occasion 
de  nous  parler  de  la  possession  de  l'âme  au 


ZS: 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMORLL. 


484 


sujet  lie  la  possession  du  corps,  qui  n'en 
est  que  la  ligure,  nous  représente  le  déiuon 
(|ui  rentre  avec  une  es|)èce  de  lrionif)lie 
dans  une  âme  d'où  la  grâce  l'avait  obligé  de 
se  retirer,  et  qui  y  rentre  avec  une  nou- 
velle escorte,  y  amenant  sept  aulres  esprits 
plus  rnéchanls  que  lui,  pour  y  hahiler  avec 
lui,  d'où  il  arrive  que  le  second  état  de  ce 
pécheur  devient  bien  plus  funeste  et  plus 
pitoyable  que  le  premier  :  Et  tune  vadit  et 
assumit  septem  alios  spiritus  nequiores  se,  et 
ingressi  hubilant  ibi,  et  fiitnt  novissima  homi- 
nis  illius  pejora  prioribus.  De  sorte,  mes 
frères,  que  si  nous  rassemblons  le  com- 
mencement et  la  fin  de  noire  Evangile,  nous 
y  trouverons  une  peinture  fidèle  de  ce  qui 
se  passe  tous  les  jours  dans  l'âme  des  chré- 
tiens, où  Jésus-Christ  et  le  démon  parais- 
sent alternalivement  vaincus  et  victorieux 
par  les  diverses  vicissitudes  de"  la  grâce  et 
du  péché  ;  car  que  font  autre  chose  la  plus 
grande  partie  des  chrétiens  d'aujourd'hui, 
que  d'aller  confesser  les  péchés  qu'ils  ont 
commis,  et  de  recommencer  ensuite  à  com- 
mettre les  péchés  qu'ils  ont  confessés, 
comme  s'ils  se  repentaient  tour  à  tour,  sui- 
vant l'expression  deSalviun,  tantôt  de  leurs 
crimes  et  tantôt  de  leur  pénitence.  Voilà, 
sans  doute,  l'une  des  plus  grandes  plaies  do 
l'Kglise;  voilà  l'une  des  plus  dangereuses 
illusions  de  ce  siècle  ;  voilà  l'une  des  plus 
importanles  matières  dont  on  puisse  jama  s 
vous  entretenir.  Ames  saintes  et  religieu- 
ses, qui,  ayant  généreusement  rompu  noii- 
seuleuieut  avec  le  démon,  mais  encore  avuc 
le  monde  et  avec  vous-mêmes,  êtes  venues 
dans  ces  cloîtres  sacrés  y  fixer  votre  vertu 
et  y  assurer  votre  constance  ;  uniquement 
oicupées  à  garder  une  entière  fidélité  à 
votre  divin  Epoux,  permettez-moi  de  choi- 
sir aujourd'hui ,  à  l'exemple  du  grand  Apô- 
tre, ce  qui  doit  être  plus  utile  et  ce  qui 
doit  être  utile  à  un  plus  grand  nombre. 
J'espère  même  que  celte  matière  ne  sera 
pas  sans  utilité  .nour  tous,  j)uisqu'ello  vous 
donnera  lieu  non-seulement  de  louer  la 
miséricorde  de  Dieu,  voyant  les  ténèbres  et 
les  abîmes  dont  sa  grâce  vous  a  [)réservées, 
mais  encore  d'opérer  de  plus  en  plus  voire 
salut  avec  tremblement  et  avec  crainte,  et 
d'exercer  votre  charité,  en  demandant  sans 
cesse  au  Seigneur  qu'il  vous  rende  dignes  de 
faire  une  véritable  pénitence.  Commeii(;ons 
|)arimplorer  tous  pour  ce  sujet  lagrâcedu  S.- 
E<pril, par  l'intercession  deMarie.j4tie,A/ariV/. 
Que  doil-on  penser  d  un  chrétien  qui 
étant  rentré  en  grâce  avec  le  Seigneur,  et 
après  avoir  fait  une  sincère  et  légitime  |>é- 
nilence, vient  à  succomber  de  nouveau 5  une 
plus  forte  attaque  du  démon  et  retombe 
malheureusement  dans  le  [)éché.  Le  Fils  do 
Dieu,  mes  frères,  nous  a  déjà  répondu  que 
le  joug  du  démon  s'a[)i)esanlit  sur  cet 
hnnmie ,  qu'il  le  charge  de  nouvelles  chaî- 
nes bien  plus  dilliciles  à  rompre  que  les 
premières,  que  le  nombre  de  ses  tyrans  se 
multiplie,  et  que  le  second  étal  où  il  se  ré- 
duit est  incomparablement  plus|  funeste  et 
plus  dangereux  que  celui  d'où  il  avait  été 


lire.  Mîiis  (pio  doit-nn  fienscr  d'.in  chrétien 
qui  ,  (ie['uis  un  fort  long  temps,  s'est  fait 
nue  bizaire  habitud*,'  de  passer  éternelle- 
ment du  péché  au  sacrement  de  la  péni- 
tence et  du  sacrement  au  péché.  Il  me  sem- 
ble, qu'en  suivant  le  même  principe,  on 
peut  croire  que  ce  chrétien  est  bien  éloi- 
gné de  la  grâce,  que  son  âme  est  bien  con- 
firmée dans  le  crime,  qu'il  y  a  môme  bien 
de  l'illusion  dans  ces  vains  extrcices  d'une 
piété  ap|)arenle ,  qui  n'est  jamais  suivie 
que  d'abominations  et  de  rechutes,  et  que 
malgré  toutes  ces  prétendues  réconcilia- 
lions  avec  Dieu,  il  vient  un  temps  où  Jé- 
sus-Christ, tant  de  l'ois  chassé  de  ce  cœur, 
n'y  entre  plus  et  n'y  règne  plus,  non  pas 
même  allernaliveraenl  avec  le  péché.  Le 
démon  s'y  étant  enfin  établi  comme  ce  con- 
quérant, dont  il  est  |)arlé  dans  la  suite  de 
notre  Evangile  ,  qui  possèiie  sans  trouble  et 
en  repos  une  place  où  il  s'est  rendu  le  maî- 
tre, it  d'où  il  ne  peut  plus  être  chassé  que 
par  de  grandes  et  extraordinaires  violences  : 
Cum  fortis  armatus  ciistodit  atrium  sHum^ 
in  pace  sunt  ea  quœ  possidet.  [Ibid.,  21.) 

Appliquez-vous,  mes  chers  auditeurs,  à 
développer  avec  moi  ce  mystère  d'iniquité, 
car  mon  dessein  est  de  vous  faire  com- 
{)rendre,  s'il  m'est  possible,  combien  on 
doit  faire  peu  de  cas  de  ces  pénitences  in- 
fructueuses, dont  l'effet  dure  si  peu,  et  qui 
sont  toujours  suivies  de  rechutes,  et  com- 
bien on  doit  craindre  et  éviter  ces  rechutes 
qui  sont  de  si  grands  et  de  si  invincibles 
obstacles  à  la  pénitei;ce.  Je  dis  donc,  pre- 
mièrement, que  les  rechutes  fréquentes 
rendent  la  pénitence  fort  suspecte,  et  jedis, 
eu  second  lieu,  qiie  ces  mêmes  rechutes 
rendent  la  péiiilence  fort  diliieile,  pour  ne 
pas  dire  njoralement  impossible.  Les  re- 
chutes habituelles  dans  le  péché  rendent 
la  pénitence  très-suspecte,  et  un  chrétien  qui 
fréquente  les  sacrements  et  commet  tou- 
jours les  mômes  crimes  nous  donne  lieu 
de  croire  qu'il  ne  s'est  pas  encore  bien  con- 
verti. Les  rechutes  ordinaires  dans  le  péché 
lendenl  la  pénitence  très-difhcile  et  un 
chrétien  qui  s'aiiprocho  de  temps  en  tem|)S 
des  sacrements,  et  retombe  toujours  dans 
le  désordre,  nous  donne  lieu  de  craindre 
(pi'il  ne  se  convertisse  jamais  :  deux  véri- 
tés qui  feront  tout  le  partage  do  mon  dis- 
cours et  tout  le  sujet  de  votre  attention. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Quand  la  pénitence  qui  est  toujours  sui- 
vie de  rechutes  pourrait  être  sincère  et  légi- 
time, il  faud  ait  toml)er  d'accord  qu'elle  ne 
Serait  pas  fort  utile;  lui  donner  une  si  tOjr>e 
durée  et  des  boi  nés  si  éuoites,  c'est  du  moins 
ôtt  r  à  sa  ve:  tu  tout  ce  qu'on  ôte  à  soi  éten- 
due, et  dès  lois,  nous  la  pounions  cumpa- 
ler  à  ces  viandes  (jui  ne  nourrissent  pas  le 
malaue,  [)arce  que  la  laiLLsse  de  son  esto- 
mac les  lui  fait  rejeter  aussitôt  qu',1  les  a 
prises,  ouàces arbres  qui  ne  peuvent  se  fane 
déracines,  ni  produire  de  fleurs  ni  de  fruits, 
parce  qu'on  les  transplante  trop  souvent;  tant 
j1  est  vrai  que  les  choses  les  [>\u8  prolilables 
deviennent  inutiles  auand  on  n'ai,  reçoit  les 


485 


SERMONS.  —  SERM.  III,  SUR  LA  RECHUTE  DANS  LE  PECHE. 


466 


impressions  qu'en  passant.  Disons  d'avan- 
tnge:  le  Fils  de  Dieu  nous  avaiu  api  ris  Lpie 
le  nouvel  état  où  le  pécheur  se  précipiie  par 
son  inconstance  est  toujours  plus  mauvais 
et  plus  funeste  que  celui  d'où  il  avait  été  ru- 
liré,  il  s'en  suit  que  ces  pénitences,  tou- 
jours suivies  des  mêmes  désonlres,  ne  ser- 
virnienl  qu'à  rendre  le  chrétien  plus  cou- 
pable, qu'à  redoubler  In  crime  de  son  in- 
gratitude et  à  donner  de  plus  en  plus  au 
démon  de  nouveaux  avantages  et  un  plus 
grand  empire  sur  lui. 

Mais  je  passe  plus  loin,  et  je  dis  que  ces 
pénilemes,  que  la  plupart  des  chrétiens  ont 
couiume  de  faire  toute  leur  vie,  alternati- 
vement avec  le  péché,  sont  toujours  aes  pé- 
nitences très-suspectes  et  souvent  des  péni- 
tences très-fausses.  Et  pour  bien  comprendre 
ma  pensée,  il  n'y  a  qu'à  se  souvenir  que  le 
véritable  repentir  est  un  don  de  Dieu,  qui  le 
donne  quand  il  lui  plaît  et  à  qui  il  lui  plaît, 
suivant  ceque  dit  TEci  iture,  que  l'esprit  sou- 
fle  15  où  il  veut.  Spirilus  ubi  vull spiral  [Joan., 
Jll,  8);  que  m4me  quand  Dieu  est  résolu  de 
Je  donm^r  au  pécheur,  il  n'a  guère  coutume 
de  le  lui  donner  tout  d'un  coup,  se  plaisant  à 
lui  faire  sentir  son  indignité  et  à  lui  iaire 
acheter  sa  grâce  par  les  gémissements  et  par 
Jes  larmes,  par  les  jeûnes,  par  les  mortifica- 
tions et  par  les  aumônes,  conformément  à 
ce  que  disait  autrefois  Daniel,  à  ce  roi  su- 
perbe et  profane  :  Rachetez  vos  péchés  par 
vos  aumônes,  peut-être  Dieu  se  rendra-i-il  fa- 
vorable à  vos  désirs  et  propice  à  vos  ini- 
quilés  :  n-Forsitan  ignoscet  deliclis  tuis.^{Dan., 
IV,  2i.)  Et  en  eflel,  mes  frères,  cette  dou- 
leur uécei-saire  pour  effacer  le  péché  sup- 
pose un  renouvellement  entier  dans  l'âme 
du  pénitent,  consistant  5  se  dépouiller  du 
vieil  homme,  pour  se  revêtir  du  nouveau, 
à  changer  toutes  ses  passions  de  situation 
et  de  place,  à  aimer  tout  ce  qu'on  avait  haï, 
à  haïr  tout  ce  qu'on  avait  aimé,  à  faire 
passer,  selon  l'expression  de  l'Ecriture,  la 
colère  de  Dieu  dans  le  cœur  de  l'homme: 
In  me  transierunt  irœ  tuœ  {Psal.  LXVIl , 
17j,  et  à  nous  armer  d'une  juste  sévérité 
contre  nous-mèujes,  jiour  le  venger  pleine- 
ment de  nos  révoltes  et  de  nos  ingratitudes  : 
wi  un  mot,  à  jurer  une  guerre  éternelle  à 
tout  ce  qui  s'aj)pelle  péché,  et  cela,  m(!S 
chers  frèies,  n.n  pas  par  les  apparences 
d'une  pénitence  arlilicicuse  et  hypocrite, 
tomme  ceux  qui  se  font  une  habitude  et  un 
honneur  des  dehors  de  la  |)éiiilence  et  de 
la  vertu,  pour  satisfaire  à  la  bienséance, 
pour  arriver  à  leurs  lins  et  [lour  gagner 
fesiime  des  hommes,  plutôt  qua  pour  at- 
tirer la  miséricOide  do  Dieu  ;  non  pas  p;!r 
Jes  vues  de  la  chair  et  du  sang,  et  par  une 
douleur  lâcheineni  intéressée,  comme  coux 
qui,  fatigués  dan»  la  voie  de  l'iniquité,  se  dé- 
goûlciit  Ou  péiihé,  [)arce  qu'il  los  a  couverts 
li  infamie  ou  qu'il  les  a  léduils  ii  queltiue 
misère  lemporelie,  bit-n  plus  coiitnls  de  la 
{leine  (jue  de  i'oireiise,  bien  plus  t  .uchés  de 
l'eHelquedc  la  caase,  et  voulant  néanmoins 
que  Dieu  prenne  pour  lui  celle  se;isibilité 
naturelle  qu'ils  Ont  pour  leurs  propres  in- 


térêts ;  non  pas  encore  par  une  douleur  lé- 
gère et  superlicielle,  et  psr  une  réconcilia- 
tion qui  n'est  pour  ainsi  dire  que  de  céré- 
monie, comme  tant  de  chrétiens  qui  vien- 
nent au  moins  tine.fois  laii  témoignera 
Dieu  qu'ils  ont  du  ressentiment  de  Teurs  dé- 
sordres, sans  êlre  fâchés,  à  Te  bien  prendre, 
de  toutes  ces  actions  criminelles  qui  of- 
fensent Dieu,  mais  étant  plutôt  fâchés  que 
Dieu  s'en  ottense,  et  demeurant  toujours  en 
effet  dans  les  mêmes  engaj^ements  et  daifs 
les  mêmes  commerces:  non  pas,  en  un  moi. 
par  une  espèce  (de  douleur  involontaire  et 
forcée  comme  ceux  qui,  à  l'article  (Je  la  mort, 
disent  adieu  au  (léché,  les  larmes  aux  yeux 
et  avec  de  sensibles  regrets,  se  persuadant, 
dit  saint  Bernard,  être  fâchés  d'avoir  mal 
vécu,  lorsqu'ils  ne  sont  fâchés  que  de  ne 
pouvoir  [)lus  vivre  de  même:  mais  au  con- 
traire, par  les  molif-i  d'une  contrition  sin- 
cère, suriiatureile,  intérieure,  vol  'ntaire  et 
nniviT-«LlIe,  élevée  infiniment  ai. -dessus  de 
la  naliiie  f.l  des  sens,  qui  s'élend  à  tous  les 
péchés  du  pa^sé  et  de  l'avenir,  et  à  toutes 
les  circonstances  des  temps  et  des  lieux , 
établissant  l'homme  dans  une  disposi  ion 
secrète,  de  perdre  tous  les  biens  et  de  souf- 
frir tous  les  maux  de  la  vie,  plutôt  que  do 
retomber  dans  le  péché,  [larce  que  la  grâce 
a  triomphé  de  son  cœur,  et  l'ai  tache  à  son 
devoir  {lar  des  chaînes  plus  fortes  que  tou- 
tes les  passions  desquelles  il  se  voit  heu- 
reusement affranchi. 

Telle  est  cette  grande  et  salulaire  dis()o- 
sillon  de  pénitence  et  de  grâce  que  Dmmi 
seul  peut  opérer  dans  l'âme  du  péclieui; 
car,  comme  raisonne  excellemment  le  grand 
Augustin,  si  l'homme  pouvait  se  donner  uiio 
pareille  disposition  à  lui-même,  il  faudrait 
dire,  par  une  conséquence  nécessaire,  mais 
par  un  blasphème  des  i)lus  impies  tt  des  plus 
extravagants,  que  la  créature  pourrait  se 
faire  elk-môme  bien  meilleuie  que  Dieu  no 
l'a  faite,  car  Dieu  nous  a  fait  jjommes,  et 
nous  nous  furionsjustes.  L'ouvrage  de  l'hom- 
me serait  donc  plus  parlait  et  plus  excel- 
lent que  celui  de  Dieu!  Ah  !  dit  ce  Père,  si 
l'homme  a  quelque  pou\oir  de  lui-môme,  ce 
n'est  que  le  pouvoir  de  se  perdre.  Comme 
dans  l'ordre  de  la  nature  il  peut  bien  s'ôlcr 
la  vie,  mais  non  passe  ressusciter;  de  même, 
dans  l'ordre  de  la  grâce,  il  peut  bien  seul 
tomber  dans  le  péché,  mais  il  ne  peut  pas 
s'en  relever.  Faites-y  réilexion,  iiws  chers 
auditeurs:  du  moment  que  vous  commettez 
un  péché  noiable,  vous  vous  précipitez  dans 
un  abîme,  et  vous  vous  engagez  volonlaire- 
ment  dans  un  étal  duquel  ni  vos  inutiles 
étions  ni  toutes  les  créatures  ensemble  no 
vous  pourront  jamais  tirer  :  Deditme  inma- 
num  de  qua  non  polero  surgere.  {Thren.. 
1,  ik.)  Il  faudra  pour  cela  la  main  loule- 
puissanle  de  ce  même  Dieu  que  vous  méprisez 
et  qae  vous  rendez  votre  ennemi  [)ar  vo- 
tre désobéissance,  rien  moins  qu'un  mira- 
cle de  sa  bonlé  ne  pourra  vous  rétablir  dans 
votre  [)remicr  état,  et  alin  de  ,rengagrr  à  le 
faire,  larmes,  gémissements,  austérités ,  il 
faudra  tout  uicllrc  en  usage,  pour  lâcher  de  l\ù- 


487 


ORATELUS  SACnKS.  DE  JIONMOREL. 


488 


chir  d'iibord  son  juste  courroiiic.  Que  dis-jo, 
vous  ne  l'apaiserez  jamais  si!  ne  s'est  iui- 
inôrae  premièrement  apaisé  ,  et  vous  de- 
meurerez à  jamais  dans  la  r(^gion  eldans  les 
ombres  de  la  mort,  si  un  regard  favorable 
de  ses  yeux  ne  porte  la  lumière  dans  voiro 
âme  et  ne  vous  donne  la  pensée  de  retDur- 
ner  à  lui,  et  si  par  un  secours  miséricor- 
dieux et  prévenant  il  ne  vous  attire  et  ne 
vous  presse  lui-même,  et  ne  \ons  fait  faire 
toutes  les  démarches  nécessaires  pour  com- 
mencer à  vous  rapprocher  de  lui  (1). 

C'est  donc  h  Dieu  à  former  la  contrition. 
Mais  si  c'est  <i  Dieu  à  la  former,  ajoutons 
que  c'est  au  temps  et  <i  la  persévérance  du 
pécheur  h  la  «iécouvrir  et  à  la  faire  con- 
naître aux  honmies;  car  souvent  la  nature 
prend  la  place  et  les  apparences  de  la  grâce, 
l'amour-propre  tire  de  son  fonds  une  eSj)èco 
de  contrition  sufiposée  qu'il  ne  laisse  pas 
de  faire  |)asser  pour  légitime.  Le  pécheur 
prend  queh^ues  désirs  de  conversion  pour 
la  conversion  môme,  sa  passion  prédomi- 
nante se  sauve  dans  cet  embarras,  et  parce 
qu'elle  ne  se  soucie  que  d'être,  il  lui  est 
l)ien  inditférent  d'êlre  délruile  en  idée, 
pourvu  qu'elle  subsiste.  En  efl'et  :  Quis  scit 
ii  convertatur?  «  Quipeut  donc  savoir  s'il  est 
véritablement  converti?  »  {Joël,  Xll,i '-t.)  Quis 
scit  ;  qui  peut  démêler  tous  ces  divers  niou- 
veaients  do  la  grâce  et  de  la  nature?  L'Ecri- 
ture remarque  trois  sortes  de  troubles  dans 
le  pécheur;  le  trouble  des  yeux,  le  trouble 
de  l'âme,  le  trouble  du  cœur.  Souvent  le 
pécheur  est  troublé  par  la  crainte  des  juge- 
ments de  Dieu;  son  trouble  paraît  jusque 
dans  ses  yeux.  On  le  voit  qui  veise  quelques 
iarnîes:  Turbatus  est  oculus  meus.  {Psal.  VI, 
8.)  Maisquui  !  reprend  admirablement  Pierre 
deBiois,  lesiariues  ne  viennent-elles  pasaux 
yeux  dans  les  spectacles  qui  excitent  la  pi- 
tié, et  quelquefois  dans  une  représentation 
profane  aussi  bien  que  dans  une  confes- 
sion. Alors  on  s'alHige  des  maux  d'auirui, 
ol  pour  des  maux  qu'un  sait  fort  bien  n'être 
pas  réels.  Or  il  vous  demande  après  cela  si 
ces  pleurs  qu'on  donne  ainsi  à  une  douleur 
feinte,  doivent  passer  pour  les  signes  in- 
faillibles d'une  douleur  véritable.  Vous  rae 
direz  que  ce  trouble  n'est  pas  seulement 
dans  les  yeux  ou  dans  l'imagination,  qu'il 
est  encore  dans  le  fonds  de  I  âme,  et  qu3 
c'est  elle  qui  est  troublée  par  lénormilô 
des  crimes  tpi'elle  a  commis,  et  par  l'ap- 
j)réhension  des  sup|)lices  qui  la  ruenacent: 
Animaviea  conturbata est. [Psal.  XL1,7.)  C'est 
beaucoup,  mais  ce  n'est  l'as  encore  assez, 
car  ilfaulque  ce  trouble  aille  jusqu'au  cœur: 
Jn  me  lurbatum  est  cor  tueum.  [Psal.  CXLII, 
4.)  ;Lui  seul  peut  traiter  utilement  cetie 
grande  affaire  avec  Dieu,  et  si  le  cœur  ne 
s'en  mêle,  s'il  n'est  louché,  s'il  n'est  vérita- 
blement changé,  dès  lors  on  peut  s'assurer 
que  tout  le  reste  n'est  rien.  Or,  de  discerner 
dans  un  pécheur  qui  gémit  si  c'est  l'ima- 
gniation  qui   est  agitée,  ou  le  cœur  qui  est 


converti,  c'est  sans  doute  ce  qui  passe 
tout  le  pouvoir  et  toute  la  lumière  des  hom- 
mes. Ce  chrétien  qui  demeure  attaché  h  son 
crime  est  tellement  déguisé,  que  hii-même, 
dit  saint  Grégoire,  il  ne  s'aperçoit  pas  du 
déguisement.  Il  croit  être  un  parfait  péni- 
tent et  il  ne  l'est  point,  tandis  qu'un  autre 
qui  l'est,  craint  au  contraire  de  ne  l'être 
})as.  Il  trompe  les  yeux  de  ceux  qui  le 
voient,  il  trompe  toute  la  |)rudence  de  son 
confesseur,  il  se  trompe  comme  les  autres. 
Il  n'y  a  que  Dieu  seul  qui  ne  peut  se  trom- 
per, et  (|ui  examinant,  souffrez  que  je  me 
serve  de  l'ex[)ression  de  Tertullien,  et  q\ii, 
examinant  si  celle  pénitence  est  de  bon  aloi, 
sonde  le  cœur  jusqu'au  fond,  et  n'en  accepte 
les  sentiments  qu'aulant  qu'il  y  reconnaît 
la    marque  et  les  caractères  de  sa  grâce. 

Ainsi,  riios  frères,  à  ne  juger  que  par  les 
dehors  de  la  (lénitence  de  deux  grands  rois 
dont  il  est  parlé  dans  l'Ecriture,  je  veux 
dire  de  Manassès  et  d'Antiocims,  nous  au- 
rions sujet  d'avoir  des  sentiments  égale- 
ment favorables  de  tous  les  deux,  car  An- 
tiochus  lit  paraître  la  même  huu)iliié  et  le 
môme  empressement  queManassès;  le  même 
repentir  de  ses  fautes,  la  môme  envie  de 
s'en  corriger  à  l'avenir,  et  de  réparer  toiit 
le  passé  par  des  moriilicalions,  par  des  au- 
mônes et  par  des  restitiilions  ahondanles. 
Néanmoins  Dieu  en  décida  autrement,  il 
agréa  la  pénitence  de  Tun,  et  il  rejeta  les 
larmes  et  les  gémissements  de  l'autre.  Que 
si  Antiochus  avait  survécu  à  sa  prétendue 
conversion,  il  n'aurait  pas  manqué  de  justifier 
la  colère  du  ciel  par  ses  rechutes,  étions 
ces  sentiments  de  pénitence,  que  la  seule 
crainte  de  la  mort  avait  formés  irrégulière- 
ment et  à  la  hâte,  n'auraient  duré  guère 
plus  que  le  péril  qui  les  avait  fait  naiire, 
Manassès,  au  contraire  ,  soutint  l'honneur 
de  la  grâce  par  sa  fermeté  et  par  sa  conduite, 
et  la  durée  de  sa  pénitence  ne  laissa  pas 
lieu  de  douter  de  la  vérité  de  sa  conversion. 

En  un  mot,  on  ne  doute  |)oint  que  Dieu 
ne  puisse  achever  une  conversion  aussitôt 
qu'd  la  commence,  et  que  sans  avoir  égard 
aux  lois  ordinaires  de  la  grâce,  laquelle  a 
coutume  aussi  bien  que  la  nature  de  pren- 
dre du  teujps  pour  donner  la  perfection  à 
ses  ouvrages,  il  ne  sache  faire  des  saints  en 
un  moment,  comme  il  peut  produire  des 
tleurs  et  des  fruits  et  leur  donner  la  matu- 
rité sans  attendre  la  longueur  et  la  vicissi- 
tude des  saisons.  Mais  outre  que  ce  sont, 
dit  saint  Bernard,  des  miracles  et  non  [)as 
des  exemples, remarquez,  s'il  vous  plaît,  que 
quand  Dieu  en  use  de  la  sorte,  et  qu'il  con- 
vertit et  sanctifie  en  un  instant  un  saint 
Matihieu,  un  saint  Paul, une  Madeleine,  ces 
conversions  miraculeuses  ne  manquent  [)as 
d'être  sout(uiues  dans  la  suite  par  la  per- 
sévérance et  f)ar  les  austérités  de  ces  mô- 
mes péclieurs  qui  ont  été  convertis.  Car  ne 
croyez  pas,  mes  chers  auditeurs,  que  Dieu 
prétende  les  dispenser  des  devoirs  de  la 


(1)  Il  est  facile  de  voir  que  l'auicur  écrivait  iluii!»  un  temps  où  'es  esprits  éiaicnt  imbus  des  doctrine» 
•antenisies,  condamnées  par  l'Eglise. 


4oJ 


SER^fONS.  —  SERM.  III,  SLR  I.A  RECHUTE  DANS  LE  PECHE. 


4<)0 


pi^nilence,  il  ne  î'ail  qu'on  dilïérer  Taccoin- 
plissenient  à  leur  égard,  ne  croyez  pas  qu'il 
n'en  coule  rien  à  ces  péihoiirs  qui  «onl  si 
subilemenl  saiiclifiés,  ils  feront  <ij>rès  leur 
conversion  ce  qu'ils  auraient  dû  faire  au[)a- 
ravant,  et  de  quelciuc  manière  que  la  raisé- 
ricorde  de  Dieu  en  ait  usé  envers  eux,  ils 
ne  laisseront  pas  lot  ou  taid  de  désintéresser 
sa  justice.  Mais  quand  on  voit  un  cliré- 
lien  qui  se  convertit  en  nn  instant  et  qui 
retombe  aussitôt  ajirès,  et  cela  non  pas  une 
fuis,  mais  une  infinité  de  fois,  jusqu'à  s'en 
faire  une  habitude  qui  dure  autant  que  la 
vie,  comme  s'il  était  en  droit  (Je  disposer  de 
Jésus-Christ  et  de  ses  grâces  de  la  môme 
manière  que  leceiilenier  de  l'Evangile  dis- 
posait de  ses  domesli(]ues  et  de  ses  soldais 
en  les  faisant  aller  et  venir,  en  les  renvn\ant 
et  les  rappelante  son  gré  -.Eldico  haie  :  Vade, 
et  ladil;  et  alii.-Verii,  et  vcnit  {Malth.,  VI 11, 
9.),  j'en  aUcsle  votre  loi  et  voire  raison, 
Messieurs,  n'y  a-t-il  point  lieu  de  douter 
de  la  vérité  de  ces  sortes  de  conversions, 
ou,  pour  parler  plus  jusle,  peul-on  douter 
qu'elles  ne  soient  visiblement  fausses  et 
pleines  d'illusion  el  d'iiypocrisie? 

Ici,  mes  chers  auditeurs,  je  me  sens  obligé 
de  vous  remettre  sommairement  devant  les 
yeuxces salutaires  rigueursque  riîgliseexer- 
çait  autrefois  envers  ses  enfants  au  sujet  de 
la  pénitence,  et  ces  précautions  admirables 
qu'elle  prenait  pour  la  rendre  sincère.  Qu'un 
chrétien  eûi  été  assez  malheureux  pour 
perdre  la  grâce  de  son  baptèuic  et  pour 
commettre  quelque  péché  qui  fût  jugé  di- 
gne d'une  pénitence  exemplaire,  savez-vous 
comme  on  le  traitait,  je  ne  dis  pas  quand 
il  demeurait  attaché  opiniâtrement  à  son 
crime,  je  dis  quand  il  le  venait  confesser 
avec  douleur  et  qu'il  en  demandait  la  ré- 
mission? Pendant  des  années  entières,  tout 
péniiont  qu'il  était,  on  le  traitait  comme  un 
excommunié.  La  seule  société  qu'il  avait 
avec  les  fidèles  dans  le  temple  consistait  à 
pouvoir  encore  entendre  la  parole  de  Dieu 
avec  eux;  mais  l'explication  de  l'Evangdc 
Unie,  personne  nigiiore  qu'avant  la  célébra- 
lion  des  divins  mystères  le  diacre  ne  fît 
sortir  trois  sortes  de  [lersonnes  hors  de 
l'église  :  ceux  qui  élaient  en  pénilence;  les 
catéchumènes,  c'est  à-dire  ceux  qui  n'é- 
taient pas  encoie  baptisés;  et  les  énergu- 
iiiènes,  c'esl-à-dire  ceux  qui  étaient  |)u^sé- 
dés  du  démon.  Cependant  le  |)énitent  exilé 
du  saint  aulel  et  retranché  de  la  cuinmii- 
niûti  des  lidèles,  était  occupé  à  des  exei- 
cices  morlitianls  et  laborieux  ;  celle  priva- 
lion  des  mystères  el  des  saciements  de 
1  "Eglise  lui  metlail  devant  les  yeux  le  fu» 
note  état  de  ces  réprouvés  qui  seront  sé- 
parés d'avec  les  ouailles  de  Jésus-Christ  el 
exclus  pour  jamais  de  son  céleste  royaume, 
el  la  vue  d'un  pardon,  quoique  éloigiié, 
qu'on  lui  faisait  espérer,  le  soulenait  dans 
la  pratique  de  ces  oeuvres  pénibles  et  hu- 
miliantes des(juelles  il  ne  se  seiail  jamais 
acquitté,  du  moins  avec  tant  do  conuilioa 
et  de  ferveur,  si  on  lui  avait  accordé  d'a- 
iiord  une  indulgence  |irccipitée  ;  car  le  i)é- 
OBAiiiiiiis  SAcniis,     LWIII, 


iluMir,reniar(iue  judicieuseineni  Tertullien, 
n'est  jamais  si  bien  disposé  à  se  punir  de 
SOS  crime  que(piaiid  il  voit  le  glaive  de  la 
justice  qui  lui  pend  pour  ainsi  dire  sur  la 
tète,  le  temps  de  la  pénilence  étant  celui 
où  Dieu  nous  menace,  et  non  pas  celui  où 
il  nous  pardonne,  parce  que  le  temps  de  la 
pénilence  doit  ôlre  un  temps  de  péril  et  de 
crainle  :  Ctim  pendcntc  vcnia  pœna  prospU 
cilur;  CHin  Deus  comminatur  non  cuin  igno^ 
scil,  quia  tcmpus  pœnitentiœ  idem  est  quod 
pcriculi  et  timoris.  Ce  que  vous  pouve;4 
vous-môines,  cluéliens,  con'.inner  (lar  vos 
firopres  expériences;  car,  quand  on  vous 
suspend  la  grâce  de  l'absolution  pour  quel- 
que temps,  n'est-ce  pas  alors  que  vous  fui" 
les  de  idus  sérieuses  réflexions  sur  l'énor- 
mité  de  votre  péché,  que  vous  Iravaillex 
plus  volontiers  à  en  mériter  le  pardon,  au 
lieu  qu'ayant  reçu  promplemonl  une  ab- 
solution bonne  ou  mauvaise,  on  arrête  là 
tous  ses  remord?,  on  coni;  te  que  c'est  uriQ 
bonne  alfaiie  linie  avec  Dieu,  el  l'on  ne  so 
met  plusguères  en  peine  d'expier  des  pé- 
chés que  l'on  suppose  être  remis,  ni  d'at- 
tirer une  grâce  que  l'on  croit  avoir  obtenue» 

Mais  s'il  arrivait  que  le  pénitenl,  après 
avoir  oblrnu  la  grâce  de  la  réconcilialion, 
vînt  à  retomber  dans  le  môme  ou  dans 
quelque  semblable  désordre, c'est  ici,  Mes- 
sieurs, où  la  sévérité  était  exlrcuu';  car  dès^ 
lors  il  n'y  avait  plus  de  discipline  pour  lui. 
Nous  ne  voyons  pas  qu'on  lui  accordât  l'im- 
|iosiiion  des  mains,  môme  à  l'article  de  la 
mort  ;  en  un  mot  on  l'abandonnait  ou  à  sa 
pénilence  particulière,  ou  à  son  impéni- 
tence ;  à  son  impéoitence  si,  ayant  perdu 
la  voie  du  ^alut,  il  continuait  à  suivre  les 
désirs  et  les  égareinenls  de  son  cœur;  à  sa 
l)énilence  pariiculière  si,  touché  d'un  nou- 
veau repentir,  il  travaillait  à  apaiser  la  co- 
lère du  ciel  et  tâchait,  par  ses  gémisse^ 
metits,  par  ses  auslérilés,  par  ses  aumônes 
et  par  la  ferveur  de  son  amour,  de  suppléer 
devant  Dieu  le  déiaul  de  cette  absolution 
qui  lui  était  rofusée. 

Je  ne  dis  pou; tant  pas  que  tous  les  pé* 
chés,  même  les  plus  secrets,  fussent  sujets  ;i 
celte  espèce  de  [)énitence  qui  était  propre^ 
ment  ce  que  nous  appelons  la  pénitence 
publique.  Le  grand  Augusliii,  dans  la  der- 
nière de  ses  cinquante  homélies,  nous  dit 
positivement  qu'il  dépendait  de  la  prudence 
et  de  l'équité  du  |)asleur  de  proportionner 
la  |)énitence  à  la  qualité  des  olî'enses  dont 
le  pécheur  ^'accusait,  et  de  la  rendre  pu- 
blique et  exemplaire  quand  il  le  jugeait  à 
propos  pour  réjiarer  quelque  scandale.  Je 
nedispasnon  plus  qu'o;i  ne  pi'ut  jamais, 
après  le  baptême,  recevoir  l'absolution  sa» 
crameiitellé  qu'une  fois.  11  est  certain  que 
la  pénilence  publique  ne  se  réitérait  jamais  ; 
sans  i)arler  ici  de  la  manière  dont  l'Egliso 
en  usait  à  l'égard  des  péchés  secrets  el  moins 
énormes,  nous  n'avons  qu'à  lire  les  canons 
de  la  pénitence,  si  nous  voulons  voir  da 
combien  d'années  élait  puni  un  seul  pé- 
ché ,  par  combien  d'austérités  il  fuilait 
passer   pour  en  obtenir   la  rémission,  el  à 

je 


431 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


A2^ 


quelles  éprouves  FFlglise  meltail  un  péni- 
tent, nlin  de  s'assurer  de  sa  sincérité  et  de 
sa  cnnslanco. 

Il  csl  vrai,  me  répondrez-vous  peut-ftlre, 
mais  aujourd'hui  les  choses  ont  bien  chan- 
gé de  face,  et  les  chrétiens  autorisés  par 
la  discipline  présente,  peuvent  bien  s'en 
tenir  à  un  usage  plus  doux.  C'est  ici,  mes 
chers  auditeurs,  où  j'ai  besoin  du  renou- 
vellement de  votre  attention  pour  vous 
faire  voir  l'illusion  du  pécheur  el  la  faus- 
seté des  conséquences  qu'on  a  coutume  de 
tirer  de  ce  changement  de  disci[)line.  L'E- 
glise ne  change  point  d'esprit  ,  mais  elle 
jieul  changer  de  conduite.  Sa  sévérité  n'est 
jamais  que  pour  le  salut  des  âmes;  et  s'il 
arrive  que  les  chrétiens,  étant  devenus, 
quoique  par  leur  faute,  trop  faibles  pour 
la  supporter,  ne  s'en  fassent  plus  qu'un  nou- 
veau sujet  de  transgression  et  de  scandale, 
n'esl-il  pas  à-propos  qu'un  peu  de  douceur 
et  de  condescendance  s'y  joigne.  Ainsi,  mes 
frères,  ces  temps  funestes  et  marqués  par 
l'Ecriture  étant  arrivés  où  la  charité  se  de- 
vait refroidir,  el  les  chrétiens,  peuple  au- 
trefois si  saint,  ayant  rompu  peu  à  peu  les 
digues  que  les  sacrés  canons  avaient  oppo- 
sées à  leurs  passions,  et  par  un  déborde- 
ment d'iniquités  ayant  commencé  à  se  li- 
cencier avec  des  païens,  à  toutes  sortes  de 
crimes;  que  fera  l'Eglise,  brûlant  de  zèle 
pour  le  Seigneur,  et  d'amour  pour  ces  chré- 
tiens. Elle  cherche  des  tempéraments 
pour  les  réunir  ;  elle  est  la  première  à  faire 
des  avances,  cédant  deson  autorité  et  deses 
droits,  courant  après  les  chrétiens  fugitifs 
et  révoltés,  employant  à  son  tour  les  larmes 
et  les  prières  auprès  d'eux,  el  leur  faisant 
pour  leur  réconciliation  avec  Dieu,  les  me- 
nus poursuites  qu'ils  avaient  coutume  de 
lui  faire  à  elle-même  quand  ils  étaient 
plos  raisonnables  et  plus  soumi^i,  pour  me 
servira  l'égard  des  pécheurs  de  la  belle 
comparaison  dont  le  grand  Augustin  se 
servait  à  l'égard  des  hérétiques.  Quand  on 
veut  enter  une  greffe  sur  un  arbre,  fait-on 
dilliculté  de  faire  une  incision  à  cet  arbre  ? 
do  môme  quand  il  est  question  de  gagner  un 
pécheur,  l'Eglise  veut  bien  qu'il  lui  en 
coûte  quelque  chose  ;  elle  souiiiira  s'il  en 
est  besoin  qiielque  plaie  en  sa  discipline  : 
Fit  quidem  aliquid  lanquam  in  cortice  arbo- 
ris  malris  contra  integrilalem  severilalis. 
Mais  la  charité  qui  couvie  la  multitude  des 
péchés  fermera  cette  plaie,  et  ce  pécheur 
étant  rentré  en  société  avec  les  justes,  el 
participant  avec  eux  à  cet  esprit  de  vie  que 
Jésus-Christ  communique  à  son  Eglise, 
ne  laissera  pas  do  produire  dans  la  suite 
aussi  bien  qu'eus,  des  fruits  de  sainteté  et 
de  grâce  :  Verumtamen  ad  Dei  misericor- 
diam  precibus  fusis,  coalescenle  insitorum 
pace  ramorum,  chantas  coopcrit  mullitudi- 
ncin  peccatorum. 

Ainsi,  mes  frères,  la  facilité  de  l'Eglise 
n'est  (]ue  pour  favoriser  votre  pénitence  cl 
ce|)enclanl  vous  vous  en  servez  pour  favori- 
ser votre  impénitence.  L'on  vous  donne  plus 
souvent   les   sacrements  el   vous  en  faites 


des  sacrilèges;  l'on  vous  accorde  plus  aisé- 
ment la  rémission  des  péchés,  et  vous  ne 
faites  presque  rien  pour  vous  en  assurer. 
Croyez-vous  que  la  corruption  des  mœurs 
ait  rendu  le  chemin  du  ciel  plus  aisé  et  qu'à 
mesure  que  les  crimes  se  sont  multipliés, 
la  justice  de  Dieu  en  soil  devenue  plus  trai- 
table  et  la  grâce  plus  facile  à  obtenir?  Con- 
cluez plutôt,  si  vous  voulez  raisonner  juste, 
que  c'est  cette  indulgence  de  l'Eglise  qui 
vous  doit  faire  trembler;  car  enfin  si  l'Eglise 
vous  dispense  à  son  égard  de  la  rigueur 
de  sa  disci|)line,  elle  ne  vous  en  dispense 
pas  à  l'égard  de  Dieu.  Ainsi  plus  elle  vous 
est  indulgente,  plus  Dieu  vous  sera  rigou- 
reux ;  plus  elle  emprunte  à  sa  miséricorde, 
plus  il  faudra  que  vous  rendiez  à  sa  justice; 
moins  vous  lui  permettrez  de  [irendre  de 
précautions  [)Our  s'assurer  de  la  vérité  de 
voire  conversion,  et  plus  toutes  ces  conver- 
sions vous  doivent  être  suspectes. 

Sur  quoi  nous  devons  encore  soigneuse- 
ment distinguer  entre  l'indulgence  de  l'E- 
glise et  l'indulgence  de  ses  ministres,  car 
l'indulgence  de  l'Eglise  n'est  jamais  exces- 
sive et  ne  prend  la  place  de  la  sévérité 
qu'autant  que  la  sévérité  se  trouverait  inu- 
tile ou  pernicieuse.  Lisez  le  saint  concile 
de  Trente,  et  vous  verrez  quelles  sont  les 
inlenlions  de  l'Eglise  sur  ce  sujet,  quelle 
envie  elle  aurait  eu  de  rétablir  l'ancienne 
discipline,  combien  elle  a  fait  de  nouveaux 
canons  plus  convenables  au  temps  et  aux 
circonstances  présentes,  comme  elle  charge 
les  confesseurs  de  tous  les  péchés  qu'ils 
entretiennent  par  leur  facilité  et  pour  les- 
quels ils  n'imposent  pas  des  satisfactions 
assez  grandes,  el  comme  elle  déclare  après 
les  Pères,  que  la  pénitence  étant  un  baplô- 
me  laborieux  ,  baptismus  laboriosus,  c'est 
une  règle  contre  laquelle  ni  le  relâchement 
du  siècle,  ni  la  délicatesse  des  chrétiens  ne 
sauraient  prescrire,  que  la  grâce  perdue 
après  le  baptême  ne  peut  jamais  se  recou- 
vrer que  par  des  larmes  abondantes  el  de 
grands  travaux  :  Non  sine  magnis  noslris 
flelibus  et  luboriOiis.  Quand  donc  il  se  ren- 
contre dans  l'Eglise  de  ces  minisires  lâches 
ou  complaisants  qui  ne  songent  qu'à  absou- 
dre le  pénitent  sans  jamais  Iravaillor  à  le 
convenir,  qui,  pour  parler  avec  le  prophète, 
annoncent  la  paix  lorsqu'il  n'y  a  point  de 
paix  el  mettent  des  coussins  sous  la  tête  du 
pécheur  pour  lui  aider  à  s'endormir  dans  son 
crime,  malheur  à  eux  i  puisqu'au  lieu  de 
vous  délier  ils  se  lient  eux-mêmes  avec 
vous.  Mais  malheur  à  vous  lorsque,  négli- 
geant les  médecins  habiles  el  expérimentés 
qui  pourraient  travailler  ulilemenl  à  vous 
rendre  la  santé,  vous  en  allez  chercher  quel- 
qu'un qui  ne  fasse  que  couvrir  p.romple- 
ment  vos  plaies, au  lieu  d'y  ai)pliquer  à  loi- 
sir les  reuièdes  qui  seraient  nécessaires 
pour  les  fermer  el  pour  les  guérir. 

Que  dis-je  1  si  vous  obtenez  si  facilement 
une  [iréteiidue  absolution  de  quelques  mi- 
nistres de  l'Eglise,  n'est-ce  pas  le  plus  sou- 
vent que  vous  les  lromj)ez,  el  peul-on  dire 
que  vous  observiez  les  maximes,  même  les 


495 


SERMONS.  —  SERM.  lîl,  SUR  LA  RECHUTE  DANS  LE  PECHE. 


plus  relûohéos  qui  pourraient  en  quelque 
manière  vous  favoriser.  Vous  ne  doutez  |)as 
au  moins  que,  pour  obtenir  la  rémission  de 
vos  crimes,  il  ne  faille  les  détester  et  les 
haïr,  les  confesser  sans  aucune  omission  ni 
déguisement,  en  rom|)re  les  liens,  on  quit- 
ter les  occasions  ;  [leut-on  dire  que  vous 
vous  acquittiez  de  ces  devoirs?  Un  moment, 
avant  que  de  s'approcher  du  sacré  tribu- 
nal ,  l'on  lâche  d'être  fâché  d'avoir  offensé 
Dieu,  l'on  va  chercher  dans  sa  mémoire 
quelques  sentiments  de  religion  qui  y  sont 
restés;  il  s'en  imprime  pour  ainsi  dire  quel- 
ques faibles  vestiges  sur  la  surface  de  l'âme  ; 
ron  s'étourdit  quelque  temps  pour  ne  pas 
faire  de  réûexions  à  ses  attachements  se- 
crets. L'on  trouve  dans  un  livre  une  formule 
de  contrition  toute  prêle,  l'on  dit  qu'on  est^ 
fâché  d'avoir  offensé  Dieu  :  mais  est-ce  le 
cœur  qui  le  dit  et  qui  le  fait  dire  à  la  bou- 
cha, ou  n'est-ce  point  plutôt  la  bouche  qui 
tâche  de  le  faire  répéter  au  cœur.  Qu'est-ce 
donc  que  cette  conversion  dont  on  se  flatte  ? 
un  mouvement  de  lèvres,  une  pensée  de 
l'esprit,  un  tour  d'iraagirialion.  Vous  vous 
«ccusez  de  vos  péchés,  mais  comment  vous 
en  accusez-vous  ?  avec  une  infinité  d'omis- 
sions, cet  examen  si  prompt  et  si  superficiel 
que  vous  avez  l'ait  de  votre  conscience  n'a- 
yant pas  été  suffisant  pour  vous  faire  remar- 
quer le  nombre  et  les  circonstances  des  cri- 
mes que  vous  connaissez,  ni  pour  vous  en 
découvrir  une  multitude  qui  vous  échap- 
pent, ou  que  [)eut-êlre  vous  ne  connaissez 
pas.  Vous  vous  accusez  de  vos  |)échés  et 
vous  vous  confessez  avec  assez  de  naïveté 
de  certaines  offenses  où  la  cupidité  ne  prend 
pas  beaucoup  d'intérêt;  mais  pour  ceux 
qu'elle  réclame  et  oui  sont  la  première 
source  de  tous  les  désordres  de  voire  vie, 
que  fait-on?  l'on  en  supprime  les  princijiales 
circonstances,  Ton  ne  parle  point  des  ncca- 
sions  qui  nous  y  engagent  ni  des  habitudes 
que  nous  en  avons  contractées,  et  parce  qu'il 
n'v  a  point  de  ministres  de  l'Eglise,  quelque 
relâché  qu'il  pût  être,  qui  tolérât  longtemps 
l'abus  de  ces  pénitences  hypocrites,  qui 
sont  toujours  suivies  des  mêmes  rechutes, 
l'on  cheiche  toujours  de  nouveaux  confes- 
seurs et,  par  une  malheureusedissimulation, 
on  les  engage  à  traiter  comme  une  inlirmilé 
passagère,  des  crimes  invétérés  dont  on  ne 
Veut  pas  qu'ils  [)énètrent  le  secret  ni  qu'ils 
troublent  la  possession;  que  si  c'est  un  péché 
moins  grossier  où  le  raisonnement  puisse 
quelque  chose,  c'est-à-dire  qu'on  |)uibse 
couvrir  de  quelque  prétexte  ou  soutenir  de 
(pielque  excuse,  dès  lors  on  a  la  témérité 
ue  le  soustraire  au  jugement  de  l'Eglise  et 
l'on  se  décharge  soi-même  de  l'obligation 
de  s'en  accuser,  parce  qu'on  ne  veut  pas  se 
charger  de  l'obligation  de  s'en  corriger.  Au 
le^le,  à  peine  eat-on  retiré  des  pieds  du 
prêtre  qu'on  se  retrouve  à  peu  près  dans  la 
même  ilisposilion  qu'auparavant,  du  moins 
ménage-i-un  toujours  les  occasions  du  pé- 
c.jé;  on  en  rajipelle  lesidées,  onen  aime  les 
intrigues.  Non,  l'on  ne  se  résoudra  point  à 
rompre  ce  commerce,  l'on  se  promet  scule- 


4!)i 

ment  de  le  rectifier,  l'on  avoue  que  Q'a  été 
une  source  de  désordres  [)ar  le  passé,  mais 
l'on  cherche  à  se  sauver  sur  la  fidélité  de 
l'avenir,  l'on  se  flatte  de  n'aller  plus  jus- 
qu'au crime,  mais  on  veut  aller  jusqu'aux 
(iernièrcs  bornes  qui  le  séparent  d'avec  la 
vertu.  Ainsi,  Messieurs,  [lécheur  par  pro- 
fession et  par  état,  pénitent  seulement  par 
intervalles  et  en  passant,  l'on  déteste  tou^ 
jours  le  péché  et  on  ne  le  quitte  jamais,  et, 
par  un  aveuglement  qui  n'est  aujourd'hui 
que  trop  commun,  il  se  trouve  ainsi  que 
toute  la  religion  d'un  chrétien  ne  consiste 
qu'à  aller  déclarer  de  temps  en  temps  à  un 
prêtre  qu'il  mène  une  vie  toute  criminollo 
et  toute  païenne.  Je  conclus  que  toutes  ces 
sortes  de  pénitences  qui  ne  sont  soutenues 
d'aucun  amendement,  sont  très-souvent 
fausses  et  doivent  toujours  être  fort  sus- 
pectes; mai.»  si  elles  sont  suspectes  pour  le 
passé  ,  elles  sont  aussi  fort  dangereuses 
|)Our  l'avenir.  C'est  ce  qu'il  me  reste  à  vou3 
i'aiie  voir  dans  la  deuxième  et  dernière  par» 
tie  de  ce  discours, 

DEUXIÈME    PARTIE. 

Ce  serait  peu  que  les  conversions  qui  no 
sont  pas  véritables  fussent  inutiles.  Le  maU 
heur  est  que  quand  elles  ne  sont  pas  vraies, 
elles  sont  criminelles,  et  que  quand  elles  ne 
sont  pas  utiles  elles  sont  pernicieuses.  Point 
de  milieu  entre  un  sacrement  qui  donne  la 
grâce  et  un  sacrement  qui  se  tourne  en  pen- 
ché et  en  sacrilège.  Ainsi  les  pénitences 
qui  se  trouv.ent  fausses  faute  de  contri- 
tion et  d'amendement,  ne  sont  pas  seule'- 
ment  insullisantes  pour  le  salut,  mais  elles 
mettent  le  salut  en  un  danger  imminent  ;  et 
dès-lors  qu'elles  ne  convertissent  pas  le  pé» 
cheur,  elles  deviennent  eiles-rtjêraes  de 
très-grands  obstacles  à  sa  conversion.  Ce 
qui  sera  fort  aisé  à  vous  faire  comprendre, 
soit  que  nous  considérions  ces  fausses  con-^ 
versions  à  l'égard  du  pécheur,  soit  que 
nous  les  considérions  à  l'égard  de  Dieu. 

A  l'égard  du  pécheur  rien  ne  l'éloigné  tant 
de  la  pénilencequecequiproduiten  luil'eU' 
durcissement  du  cœur,  funeste  image  de  la 
damnation,  visible  caractère  d'une  léproba'r 
tion  presque  certaine.  Or  il  est  aisé  de  faire 
voir  que  rien  au  monde  ne  produit  cette 
malheureuse  disposition  dans  une  âme  , 
comme  les  fausses  pénitences  et  les  fréquent 
les  rechutes,  et  cela  pour  deux  ou  trois  rai- 
sons que  je  vous  prie  de  bien  entendre. 

La  première  c'est  que  les  fréquentes  re^ 
chutes  multiplient  le  péché  jusqu'à  l'infini, 
et  en  fortifient  par  conséquent  de  plus  en 
plusI'habilude.KL'ennemidemon  salut,»  dit 
le  grand  Augustin,  «s'était  emparé  de  ma  vo- 
lonté et,  sans  qu'il  eût  d'autres  liens  pour  me 
retenir  que  cette  volonté  môuie  que  le  péché 
avait  rendue  dure  et  inflexible,  il  m'en 
avait  fait  comme  une  chaîne  de  fer,  de  lar 
quelle  il  ne  m'était  pas  possible  de  me  dé-r 
gager.  Eh  1  comment  s'était  formée  cette 
chaîne?  insensiblement  et  [leu  è  peu.  De  !a 
tentation  du  [)éché  j'étais  d'abord  passé  à 
la  complaisance  ,  de  la  complaisance  à 
l'acte,  do  l'acte   a  la  rechute.   La   rechulf? 


iiî 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMORFJ.. 


/,% 


avail  produit  l'atlacliemenl  au  péché.  L'al- 
taclioincnl  avait  passé  en  habitude,  et  l'ha- 
bitude émit  devenue  une  nécessité,  et  cette 
nécessité  s'élail  enfin  tournée  en  une  espèce 
de  désespoir  :  voilà  tous  les  anneaux  de  ma 
chaîne,  voilà  tous  les  degrés  de  ma  servi- 
tude. En  vain  je  travaillais  h  ma  liberté, 
tous  mes  inutiles  elforis  ne  servaient  qu'à 
me  faire  mieux  connnîire  mon  impuissance. 
Il  est  vrai  que  je  ne  demeurais  sous  la  loi 
du  péché  que,  parce  que  j'y  voulais  bien 
demeurer,  njais  c'était  par  cette  raison-lù 
même  que  ju  n'en  sortais  point,  et  que  je 
n'en  pouvais  sortir,  car  je  voulais  toujours 
l«  péché,  et  pour  en  sortir  il  eût  fallu  ne  le 
vouloir  plus.  Ainsi  mes  liens  en  étaient 
d'autant  plus  torts  qu'ils  faisaient  pour 
ainsi  dire  puilie  de  raoi-môrae  ;  ce  n'étaient 
point  dos  liens  formés  de  quelque  matière 
étrangère,  il  eût  été  plus  facile  de  s'en  dé- 
barrasser; ma  volonté  liait  et  était  liée,  elle 
était  la  chaîne  et  la  captive  tout  5  la  fois.  » 
Appliquez-vous  ceci,  mes  cliers  auditeurs, 
•el  jugez  de  là  combien  le  joug  du  péché 
s'ap{)esanlit  sur  vous  et  combien  votre  con- 
version devient  dillicile  à  mesure  que  vous 
continuez  à  aimer  le  péché,  à  commettre  le 
réelle  et  à  entretenir  plus  longtemps  les 
habitudes  et  les  atlachemenls  au  péclié. 

La  deuxième  raison  pour  laquelle  ces  pé- 
nitences dont  nous  parlons  sont  periiicieu- 
ses,  c'est  qu'étant  fausses  et  étant  néan- 
moins regardées  comme  légitimes  et  véii- 
tables,  elles  étoullent  dans  le  pécheur  la 
^oix  et  les  remords  de  sa  conscience.  Il 
n'est  personne  de  vous  qui  ne  la  connaisse 
.par  expérience,  cette  voix  intérieure  qui 
nous  reprend  quand  il  en  est  besoin,  qui 
nous  avertit,  qui  nous  presse,  qui  nous 
exhcrte,  qui  nous  menace,  celte  syndcrèso 
que  Dieu  a  mise  au  milieu  dii  nous,  poury 
soutenir  ses  intérêts,  pour  y  faire  valoir 
son  autorité  et  pour  nous  faire  souvenir  do 
ce  tribunal  redoutable  où  il  rendra  à  chacun 
selon  ses  œuvies ;  celte  loi  ou  cette  lumière 
.secrète  parlacjuelle  les  lois  sont  observées, 
la  grâce  écoulée,  les  crimes  condamnés,  les 
pécheurs  confondus,  les  pénitents  ramenés, 
les  ignorants  instruits,  les  justes  consolés, 
celte  conscience,  en  un  ujoi,  qui  se  scan- 
dalise des  désordres  d'aulrui  et  qui  ne  peut 
consentir  aux  noires,  qui  se  fait  entendre 
à  nous,  malgré  nous,  qui  môle  des  amer- 
luinesaux  plus  doux  [)laisirs,  qui  juge  et 
(|ui  condamne  ceux  qui  sont  assis  sur  les 
tribunaux,  qui  fait  trembler  ceux  qui  font 
tiembler  l'univers.  C'est  de  cette  cons- 
cience que  le  grand  Augusiiu  explique  mys- 
tiquement ces  |iaroles  du  Fils  de  Dieu  :Esto 
consenliens  adversario  luo  clum  es  in  via,  ne 
forte  Irudat  le  judici,  et  judext  radat  te  mini- 
slro  {Mallh.,  V,  25]  :  Prends  bien  soin  de 
l'accorder  avec  ton  adversaire,  tandis  qu'il 
est  en  chemin  avec  toi,  de  peur  qu'il  ne 
le  livre  au  juge,  et  que  le  juge  ne  te  li- 
vre aux  ministres  do  ses  ro(tuutàbles  ven- 
geances ;  car  c'est  celte  conscience,  en 
ellet,  (jui  est  toujours  en  cette  vie  l'ennemi 
déplorabie  du  [lécheur,  avec   lequel    il  ne 


peut  se  réconcilier  que  par  la  vertu,  qui 
l'accusera  devant  le  souverain  Juge  et  qui 
l'ayant  fait  livrer  aux  démons  se  joindra 
à  eux  pour  le  tourmenter,  se  changeant  en 
un  ver  secret  (\\n  le  rongera  toujours  et  no 
mourra  jamais.  Ainsi,  Messieurs,  f)Our  par- 
ler sainement  des  différents  effets  de  la  con- 
scie!ice  par  rapi)ort  aux  différents  états  des 
hommes,  il  faut  dire  que  le  malheur  des 
damnés,  c'est  d'avoir  éternellement  le  péché 
cl  le  remords  du  [léché,  parce  qu'ils  ont  éter- 
nellement ijii  remords  qui  [)unit  le  péché  et 
qui  ne  le  saurait  ellacer.  Le  bonheur  des 
justes  en  celle  vie  et  on  l'auire,  c'est  que 
la  giAce  les  a  heureusement  délivrés  et  du 
péché  et  du  remords  du  péché.  L'avantage 
du  commun  des  chiéliens  c'est  qu'étant 
tombés  dans  le  péché,  ils  ont  un  salutaire 
remords  qui  les  sollicite  d'expier  ce  péché  el 
de  rentrer  dans  la  voie  du  sa!ut  par  la  pra- 
tique de  la  pénitence.  Mais  le  malheur  des 
pécheurs  endurcis  ou,  si  vous  voulez,  des 
reprouvés  en  celte  vie,  c'est  de  séparer  le 
remords  d'avec  le  péché,  c'est  de  garder  le 
péché  elde  se  défaire  du  remords.  Or  il  n'y 
a  que  deux  voies  par  lesquelles  le  |)éi;heur 
impénitent  se  puisse  défaire  de  ce  remords  : 
1.1  première  c'est  quand,  h  force  de  crimes 
cl  de  désordres,  il  vient  enfin  à  bout  d'ou- 
blier sa  religion  et  d'étouffer  la  voix  de  sa 
conscience;  l'iiof-ie,  dit  l'iicriture,  étant  par- 
venu jusqu'au  fond  de  l'abîme,  méprise  tout 
parce  qu'il  ne  sent  plus  rien  :  Jmpius ,  cum 
in  profandiim  vencrit ,  contemnit.  [Prov., 
XVill,  3.)  Mais  une  seconde  voie  de  se  dé- 
faire du  remords  plus  abrégée  et  plus  ordi- 
naire, c'est  de  se  tromper  soi-même  par  de 
fausses  pénitences,  c'est  d'interrompie  de 
temps  en  temps  le  cours  de  ses  désordres 
par  la  réception  de  quehiues  sacrements 
infructueux  qui  au  lieu  de  détruire  le  pé- 
ché n'cMentque  le  remords  du  péché  el  qui 
bien  loin  de  donner  la  grâce,  ne  donnent 
qu'une  malheureuse  tranquillilé  qui  entre- 
tient le  pécheur  dans  ses  ciésordres  el  lui 
Ole  les  moyens  qui  lui  seraient  nécessaires 
pour  on  sortir.  Et  celte  seconde  voie  est  en 
un  sens  encore  plus  dangereuse  (jue  la  pre- 
mière; car  enfin,  quelque  abandonné  que 
soit  un  liberlin,  il  est  dillicile  que  cet  éloi- 
gnemenl  de  toute  religion,  cette  siuguiarilé 
ou  [)lutôt  cette  irrésolution  dans  sa  créance, 
cedéréglementdans  toute  sa  conduite,  cette 
corruption  dans  les  mœurs  ne  le  troublent 
de  temps  en  temps  et  ne  fassent  d'assez  for- 
tes impressions  sur  son  âme.  Mais  le  [)écheur 
au  contraire  qui  hante  les  sacrements  de 
l'Eglise  (el  c'est  ici  ma  ieconde  raison),  le 
pécheur,  dis-je,  qui  hante  les  sacrements 
de  l'Eglise  ne  se  délivre  pas  seulement  des 
reproches  de  sa  conscience  ,  il  se  remplit 
encore  d'une  fausse  confiance  et  d'une  mal- 
heureuse présomi)tion.  Celte  fréquentation 
des  sacrés  mystères  l'éblouil;  semblable  à  ce 
Pharisien,  sij[)erbe  dont  il  est  parlé  dans  l'E- 
vangile, ii  s'ai)|)laudit  au  pied  des  autels,  re- 
merciant le  Seigneur  des  prétendues  grâces 
qu'il  lui  fait,  méprisant  les  autres  pécheurs, 
no  compianl  ses  désordres  que  pour  lOM 


457 


SERMONS.  —  SERM.  lîî,  SLR  LA  HhXIlLTE  DANS  LE  rECHE. 


m 


pi'U  el  comptant  ses  vertus  et  ses  pratiques 
hypocrites  pour  beaucoup.  Comment  vou- 
lez-vous qu'il  fasse  [)LWiitei.cc  ?  il  ne  croit 
pas  en  avoir  hesoin,  el  d'ailleurs  il  ne  la 
connaît  plus,  il  en  a  perdu  l'idée,  il  (irond 
pniir  p(5nilence  ce  qui  n'est  aux  yeux  de 
Dieu  qu'une  impénilence  formée.  Cliose 
éiiangc,  s'il  était  plus  élitij^né  des  sacre- 
nienls,  s'il  était  jilus  ahantlonné  au  crime, 
il  S'rait  moins  éloi^çné  de  la  gràfe.  Le  mal- 
lieureus  état  où  il  se  verrait,  l'obligerait 
peut-être  de  songer  aux  moyens  d'e  i  sor- 
tir ;  mais  par  un  i>iivcrsement  funeste,  les 
moyens  par  où  les  autres  eu  sortent  sont 
ceux  qui  i'y  engagent  de  plus  en  pins.  Les 
sacremunis  des  autres  sont  ses  sacrilèges  ; 
au  lieu  d'antidote  il  y  trouve  un  nouveau 
poison,  et  ce  venin,  dit  Hugues  de  Saint- 
Victor,  esl  com-ue  celui  des  aspics  :  Vene- 
nuin  (tspidtim  insunabile ;  car,  û\l  ce  Pèri', 
ce  qui  rend  la  piqûre  de  l'aspic  mortelle  el 
incurable,  c'est  qu'elle  commence  par  en- 
dormir celui  quia  été  piqué  cl  le  met  ainsi 
bors  d'éla!  de  prendre  les  remèdes  néces- 
saires pour  en  empêcher  le  dernier  elfel.  La 
fausse  pénilence  en  fail  autant  ;  elle  endort 
lepécbeur  dansses  désordres  et  lui  [)rocuro 
un  l'unesle  repos  el  une  malheureuse  con- 
liancequi  lui  ôte  la  liberté  de  songer  à  sa 
guérison  el  à  soii  salul.  Cependant,  dit  ex- 
rellemmenl  sainl  Bernard,  l'Ecrilure  nous 
assure  que  du  cùlé  que  l'arbre  sera  tombé 
il  y  demeurera  toujours  :  Ubi  cecideril  ar- 
bor,ibi  erit.  [Eccle.,  XI,  3.)  Mais  comment 
savoir  de  quel  cùlé  il  doit  tomber?  il  n'y  a 
qu'à  regarder,  répond  ce  Père,  le  cô;é  où  il  est 
!e  plus  souvculel  vers  lequel  il  penche  le  plus; 
car  de  quelque  manière  qu'il  soit  agité  par 
les  venls,  il  y  a  bien  de  ra|)parence  qu'à  la 
tin  il  tombera  de  c(;lu;-!à.  Ne  nous  Ilallons 
point,  chrétiens  ;  quoique  il  ne  soit  pas  im- 
possible qu'un  homme  qui  a  toujours  vécu 
dans  le  j'éclié  meure  dans  l'état  de  grâce, 
comme  il  n'est  pas  iuipossible  qu'un  homme 
qui  a  toujours  vécu  dans  l'état  de  grûco 
meure  dans  celui  du  péché,  néanmoins, 
selon  les  règles  ordinaires,  il  esl  bi(!n  plus 
vraisemblable  qu'il  meure  comme  il  a  vécu, 
que  sa  disposition  prédominante  emporte 
enfin  la  balance,  el  que,  n'ayaul  faii  que 
de  fausses  pénitences  durant  sa  vie,  il  ne 
peut  guère  en  faire  de  véritables  à  l'heure 
de  la  mort. 

Tels  sont  les  funestes  présagi'S  (|ue  les 
pénitences  fausses  et  inutiles  nous  donnent 
de  rim[)énileuce  finale  el  de  la  réprobation 
du  pécheur;  que  sera-ce  si  nous  les  consi- 
déions  par  rapporta  Dieu  el  lanl  qu'ellessont 
les  objets  de  sa  justice  el  les  causes  de  son 
abandonnemenl?  car  !a  luème  Ecriture  qui 
nou>.  apprend  qucleS''J(jneur  ne  souhaite  pus  la 
mort  de  l'impie,  mais  qu'il  veut  plutôt  quil 
se  convertisse  el  qu'il  vive  [Ezech.,  XX.X.1II, 
11),  nous  a[)pre[id  aussi  que  la  patience  du 
Seigneur  a  ses  bornes  et  qu'il  est  une  me- 
sure de  péchés  après  laquelle  la  justice 
prend  la  jilace  de  la  miséricorde;  (pie  le 
père  de  famille  ôte  le  talent  au  serviteur 
inutile  el  (lu'on  prive  les  ingrats  du  royauuie 


de  Dieu  qu'ils  avaient  au  milieu  d'eux  pour 
lo  transporter  à  des  âmes  moins  coupables 
el  |)his  lidèles  ;  qu'inulilemi'iil  le  juste  gé- 
mit  devant    le  Seigneur    pour  un  pécheur 
qu'il    a    rejeté   de  devant  sa  face,  (jue  lui - 
même  il   endurcit  lo  cœur  des  tyrans,  que 
lui-même  il  livre  les  âmes  superbes  el  cor- 
rompues   à  leur  sens  réprouvé  et  aux  dé- 
sirs  de  leurs  passions;   eu  sorte  qu'après 
cela  ils  voient  el  ne   voient  ()lus,  ils  écou- 
tent et  n'enlendenl  plus,  et  qu'enfin   il  est 
des   hommes   qui ,  ayant     méprisé   Jésus- 
Christ,  le  cherchent  el  ne  le  sauraient  trou- 
ver; d'où  il  arrive  qu'ils  meurent    malheu- 
reusement dans  le  crime.  Que  si  vous  vou- 
iez voir  toute  cette  terrible  doctrine  ramas- 
sée dans  un  seul  passage,  il  n'y  a  qu'à  écou- 
ler ce  que  le  Seigneur  nous  dit  dans  le  pre- 
mier chapitre  des  Proverbes:  Je  vous  ai  ap- 
pelés el  vous  avez  refusé  d'obéir  à  ma  voix  ; 
je  vous  tendais  la  main  el  vous  ne  me  regar- 
diez pas  seuleujenl  ;  vous  avez  transgressé 
mes  préceptes,   vo;:s  avez  négligé  mes  re- 
proches, vous  avez  méprisé  mes  menaces. 
Ué!  qu'en  arrivera-l-ile:ilin? c'est  qu'à  l'iieuro 
de    voire  mort  je   vous    négligerai  à  mon 
tour,   je  vous   mépriserai   et  par   de  justes 
moqueries  j'insulterai    encore    à    tous  vos 
malheurs.   El  quand  ce  que  vous  craignez 
vous  sera  arrivé,  (juaud  celte  mort  toujours 
plus   prom[)lo    que  vous   ne    |)ensiez   vous 
aura    surpris  comme  un  furieux  orage  au- 
quel on  ne  s'altenJail  pas,  alors  vous  m'in- 
voquerez el  je  ne  vous  exaucerai  point;  vous 
emploierez   beaucoup   de  diligence   h    me 
chercher  el   vous   ne  me    trouverez   point. 
(Prov.,    I,  28    seq.)    Or    de    savoir,    mes 
iVères,  quand  Dieu  doit  abandonner  le  pé- 
cheur el  quelle  mesure  il  a  jn-escrile  à  nos 
crimes  et   à    sa  patience,  c'esl  ce  qui  n'est 
pas  au  [)ouvoir  de  la  créature,  car  qui  a  été 
son  conseil  et  quel  autre  que  lui  peut  don 
ner  des  bornes  à  sa  miséricorde  ?  vu,  prin- 
cipalement qu'étant  le  aiaîlre  de  ses  grâces, 
il  a  jiilié    de  ceux  dont  il  veut  avoir  f)itié, 
el  que,  sans  que  personne  ail  droit  de  lui 
demanJi  r  pourquoi  en  usez-vous  ainsi?  il 
fait  comme  bon  lui  semble,  plus  de  miséri- 
corde aux    uns  el  plus   de  justice  aux  au- 
tres. Ce   qu'il  y  a  de  certain,  mes    frères, 
c'est  que  deux  choses  contribuent  davantage 
à  éloigner  la  grâce  el  à    nous  en  rendre  in- 
dignes, premièrement  le  grand  nombre  des 
péchés,  et   en  second  lieu   leur  malice  et 
leur   énormité   particulière.  Or,   ces  deux 
choses  se  rencontrent  dans  un  [técheur  qui 
s'est  fail  une  coutume  do  hanter  les  sacre- 
ments   et   de  commettre  élernellement  les 
mômes  crimes.  Qui   peut  nombrer  les  pé- 
chés d'un  homme  qui  ne  s'est  [)resque  ja- 
mais rien   refusé,  emporté  par   la  violence 
des  habitudes  et  soutenu  par  la  vaine  con- 
fiance  des  pénitences  qu'il  avait  faites  ou 
de  celles  qu'il  prétendait  faire?  Et  pour  ce 
qui  est  de  l'énormilé,  sans  parler  ici  des 
|)écliés  qui  ont  fait  le  désordre  et  l'allache- 
ment  de  sa  vie,  quoi  de  plus  énorme  que  le 
sacrilégii,   quoi    de  plus  énorme  el  do  plus 
luucsle  que  d'abut>er  des  mystères  les  plus 


^!> 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


500 


terribles  de  la  religion  que  de  fouler  aux 
pieds  le  sans  de  Jésus-Cbrisl  renfermé  dans 
nos  sacrements,  qu(!  de  traiter  son  corps 
adorablecomme  ufi  aliment  profane,  que  de 
manger  si  tous  moments  sa  condamnation 
et  son  jugement?  Ah  !  disait  le  grand  prêtre 
h  ses  enfants  :  Comment  et  pourquoi  vous 
êtes-voiisabandonnésà  commettre  des  crimes 
deccttesorle,  des  crimes  les  plus  grands  qui 
se  puissent  imagner  :  Qunre  facitisres  hujus- 
cemodi,  rcs  pessimas?  (I  Reg.,  11,  23.)|Vous of- 
frez des  sacrifices,  il  est  vrai,  mais  vous  les 
offrez  indignement,  et  vous  ne  cessez  de  les 
profaner  par  votre  avarice  et  par  des  larcins 
abominables.  Ah  Is'il  arriveà  l'hommede  pé- 
cher contre  un  a  utrehomme,le  Seigneur  peut 
sansdouie  lui  remettre  cette  offense, mais  si 
l'homme  s'allaque  à  Dieu  et  pèche  contre 
Dieu  même,  qui  osera  prier  pour  lui  ou  qui 
pourra  lui  être  propice?  [Ibid.,  25.)  J'en  dis 
autant  de  ceuxquis'approchenlindignemenl 
des  sacrements  de  l'Eglise.  Si  cechrélien  avait 
commis  toute  autre  sorte  de  péché,  il  pour- 
rait avoir  recours  au  sacrement  de  péni- 
tence, mais  il  a  violé  son  asile,  il  a  pro- 
fané l'autel  de  sa  réconciliation.  Il  a  été  in- 
sulter à  son  Sauveur  jusque  dans  les  mys- 
tères qu'il  avait  établis  pour  lui  faire  grâce, 
croyez-vous  donc  au'il  lui  soit  si  facile 
d'obtenir  celle  miséricorde  qu'il  a  tant  et 
tant  de  fois  outragée  ? 

Après  tout,  mes  frères,  ne  nous  laissons 
pas  tromper  par  les  apparences.  Une  péni- 
tence fausse  ressemble  à  une  pénitence  sin- 
cère; surtout  quand  il  est  question  d'al- 
ler paraître  devant  le  tribunal  du  Sei- 
gneur, tous  les  chrétiens  font  à  peu  près 
les  mêmes  choses;  l'on  voit  une  grande  dif- 
férence de  mœurs  et  de  conduite  durant 
la  vie,  mais  on  ne  voit  que  des  justes  à  la 
mort;  mais  qui  doute  que  Dieu  ne  distingue 
ce  que  nous  ne  pouvons  et  ne  devons  pas 
distinguer?  Ce  chrétien  qui  a  vécu  toute  sa 
vie  dans  le  désordre  et  qui  ne  fait  qu'at- 
tendre le  moment  qui  décide,  non-seule- 
ment de  sa  vie,  mais  encore  de  son  éter- 
iiilé,  reçoit  les  sacrements  de  l'Eglise  avec 
de  grandes  démonstrations  de  piété  et  de 
douleur,  car  la  crainte  d'une  damnation  pro- 
chaine est  capable  de  faire  faire  bien  des 
figures  à  l'amour-propre.  Il  ne  manque  rien, 
dit-on,  à  cette  pénitence.  Les  assistants  en 
sont  édifiés  et  attendris,  chacun  souhaite- 
rait de  mourir  de  même,  et  on  espère  vo- 
lontiers pour  autrui  un  pardon  dont  on  sent 
bien  que  l'on  a  besoin  pour  soi  ;  mais  Dieu 
qui  pénètre  le  fond  des  cœurs  enjuge  bien 
autrement.  Ce  pécheur  secrèleraenl  encore 
attaché  è  son  crime,  piie,  soupire,  témoigne 
un  grand  rei)enlir,  et  la  Seigneur  s'irrite  de 
ses  prières,  il  mé(trisc  ses  soupirs,  il  n'est 
point  louché  de  ses  regrets;  au  moment  où 
il  va  rendre  lâuie,  quelques  actes  de  con- 
trition mal  articulés  roulent  encore  sur  ses 
lèvres,  mais  il  en  est  comme  de  quelques 
gouttes  d'eau  qui  coulent  sur  une  pierre,  qui 
ne  pénètrent  point,  et  ne  sont  [las  capables 
de  la  laver,  et  malgré  cet  appareil  d'une 
douleur  ajipareutc  et  exeiuplano,  l'arrèl  de 


K 


ce  pécheur  est  prononcé,  ol  loule  ceiie  pré- 
tendue pénitence  au  lieu  d'attirer  la  misé- 
ricorde du  ciel,  n'est  qu'une  espèce  de  ré- 
aration  forcée  qu'avant  d'être  livré  à  ses 
bourreaux  le  Seigneur  l'oblige  de  faire  pu- 
bliquement à  sa  justice. 

Je  finis,  mes  chers  auditeurs,  en  vous 
adressant  [)ar  avance  ces  paroles,  qu'à  la 
fin  de  cette  sainte  quarantaine  on  vous  ré- 
pétera tant  de  fois  dans  les  divins  offices: 
Jérusalem,  Jérusalem,  convertere  ad  Ûomi- 
num,  Deum  tuum.  {Jer.,  IV,  1.)  Ame  chré- 
tienne, depuis  si  longtemps  f)Oursuivie  par 
les  bienfaits,  par  les  grâces,  par  les  repro- 
ches et  par  les  menaces  de  ion  Dieu,  prends 
enfin  une  sincère  et  sérieuse  résolution  de 
te  convertir.  Ouvre  les  yeux  à  des  vérités 
|sur  lesquelles  lu  n'as  peut-être  jamais  fait 
que  de  Irès-légères  réflexions,  reconnais 
la  profanation  de  tous  ces  sacrements  que 
tu  as  si  indignement  reçus,  la  fausseté  de 
les  contritions,  l'inutilité  de  tes  confessions, 
le  défaut  de  les  satisfactions,  et  l'importance 
de  les  rechutes  !  apprends  de  saint  Grégoire  le 
Grand,  qu'on  ne  doit  jamais  croire  un  pé- 
cheur véritablement  converti,  que  quand  il 
achève  par  ses  œuvres  ce  qu'il  a  commencé 
par  ses  paroles,  et  que  le  Fils  de  Dieu 
ayant  donné  sa  malédiction  à  l'arbre  qui 
avait  de  si  belles  feuilles  et  qui  n'avait  point 
détruit,  il  no  faut  pas  se  persuader  qu'il 
agrée  l'appareil  de  la  confession  sans  les 
fruits  de  la  pénitence.  Apprends  de  saint 
Ambroise,  que  la  véritable  pénitence  impose 
un  parfait  changement  de  mœurs,  qu'elle 
afflige  le  pécheur  pour  tout  le  reste  de  sa 
vie,  et  que  les  chrétiens  qui  l'ont  faite 
comme  il  faut,  ne  peuvent  guère  se  réduire 
à  la  triste  nécessité  de  la  faire  jamais  do 
nouveau.  Ap()rends  par  la  réflexion  du 
grand  saint  Augustin,  que  le  Fils  de  Dieu 
n'a  jamais  guéri  deux  fois  un  même  lépreux, 
ni  deux  fois  rendu  la  vue  à  un  même  aveu- 
gle, ni  ressuscité  deux  fois  une  même  per- 
sonne, pour  nous  faire  comprendre,  dit-il, 
par  l'exemple  de  ces  miracles  corporels, 
qui  n'étaient  que  la  figure  des  spirituels, 
qu'un  pénitent  doil  bien  craindre  la  re- 
chute, et  que  le  Seigneur  ne  fait  pas  tou- 
jours si  souvent  qu'on  le  pense  miracle  sur 
miracle,  pour  convertir  tant  de  fois  un 
même  pécheur. 

Que  conclurons-nous  de  (oui  ce  discours? 
conclurons- nous  qu'il  vaut  donc  mieux  s'é- 
loigner des  sacrements  de  l'Eglise,  et  ne 
s'en  pas  approcher  si  souvent,  de  peur  do 
mettre  son  salut  en  danger  par  des  profa- 
nations et  par  des  sacrilèges?  A  Dieu  ne 
j)laise  que  de  tous  ces  principes  solides  que 
nous  avons  posés,  nous  eu  tirions  une  si 
fausse  et  si  pernicieuse  conséquence,  comme 
si  c'était  un  moyen  pour  nous  sanctifier, 
que  de  renoncer  aux  moyens  que  le  Fils  de 
Dieu  a  établis  pour  notre  sanctification,  et 
et  qu'il  y  eût  f)!us  de  facilité  à  opérer  son 
salut  en  négligeant  les  instruments  qui 
doivent  opérer  notre  salut,  et  sans  lesquels 
il  n'est  |)as  possible,  selon  les  lois  ordi- 
naires de  la  Providence,  de  faire  uolre  sa- 


SOI 


SERMONS.  -  SKRM.  IV,  SUR  LE  SAINT  SACRIFICE  DE  LA  MESSE. 


502 


lui  ;  voilà  pourtant  en  quoi  cousiste  le  dé- 
règlement et  la  bizarrerie  de  l'esprit  des 
hommes,  toujours  prôts  à  donner  dans  des 
oxtréujiiés  vicieuses,  au  lieu  de  s'ei)  tenir 
à    ce   juste   milieu     et   à   ce  tempérament 
équitable  qui  est  la  [ilace  et  la  situation  de 
la  vérité  et  de  la  vertu.  Les  uns  |irofaneiit 
les  sacremenis,  et  les  autres  les  négligent  ; 
les  uns  s'en  approchent  trop  souvent  eu  égard 
à  l'état  indigne  et  à  la  disposition. oii  ils  soiil, 
et  les  autres  ne  s'en    approchent  point   du 
tout.  Les    premiers  attirés,  disent-ils,  par 
la  douceur  et   l'ellicacité  du  sacrement,  les 
seconds  rebutés  par   sa  sainteté  et  par  son 
élévation  ;  ceux-là  donnant  tout  à  une  con- 
flance  téméraire  et  qui  n'est  pas  œuvre  de 
dist;erneme/it  et  de  respect  ;  ct'ux-ci  défé- 
rant trop  à  un  respect  mal  entendu,  et  qui 
n'est  pas  accompagné   de  confiance  ;  et  co 
qu'il  y  a   de  plus  déplorable,    les  uns   no 
laissant  pas  détendre  à  la  même  fin,  et  les 
autres   réussissant  également  à   entretenir 
leur  impénitence,   ou  par  cette  fréquenta- 
lion  impie  des  sacrements  ou  parcet  éloigne- 
ment  injuste  des  sacrements.  Et  moi  je  vous 
dis,  chiétiens,  que  si  vous  voulez  travailler 
sérieusement  à   votre    salut,  le   seul   parti 
que   vous  avez  à  prendre  c'est  de  vous  ap- 
procher souvent  des   sacrements,   pourvu 
que  vous  ne   vous  en  approchiez  pas  indi- 
gnement. Et  je  dis  outre  cela  que,  presque 
le  seul  moyen  de  vous  en  approcher  digne- 
ment, c'est  de  vous  en  approcher  souvent, 
pourvu  que  vous  soyez  do  bonne  foi  avec 
Dieu,  et  que  celle  fréquentation  des  sacre- 
ments  se   trouve   soutenue   par  l'amende- 
ment de  voire  vie,  et  par  des  effets  qui  ré- 
pondent de  la  vérité  de  votre  conversion,  et 
de  la  sincérité  de  vos  intentions  ;  car  enfin, 
mes  chers  auditeurs,  s'approcher  rarement 
des  sacrements  et  s'en  approcher  digneruent, 
sont  deux  clioses  impossibles  à  concilier; 
vous  prétendez  ne  vous  approcher  des  sa- 
crements de  l'Eglise    qu'une   fois    l'année, 
eh  1  quelle  apparence  de  vous  maintenir  si 
longtemps  dans   un   étal  de   sagesse  et   de  \ 
grâce  ,  sa:is  vous    unir  au   principe  de   la 
grâce!  et  sans  éprouver  bientôt,  dans  un  sens 
inysiérieux  et  moral,  la   vérité  de  ces  pa- 
roles   que    disait    autrefois    le    saint     roi 
David  :  Mon  cœur  est  devenu  tout  faible  et 
tout  languissant,  parce  que  j'ai  négligé  de 
mangerco|iain  qui  était  destiné  pour  me  for- 
tifier et  me  faire  vivre  :  Et  nruit  cor  meum, 
quiaoblilussumcomederepanemmeum.  {Psal. 
Ll,  5.)   Quedis-je?  n'est-il  [)as  visible  que 
la  plupart  de  ceux  qui  s'a[)i)rochent  si  ra- 
rement des  sacrés    mystères,  ne  diûerent 
si   longtemps   à  s'en  approcher   que  f)Our 
avoir  lieu  de  demeurer  plus  longtemps  dans 
le  crime  et  ditféreraienl  encore  davantage, 
si  le  [)réceple  de  l'Eglise  ne  les  engageait 
enfin,  à  faire  quelques  efforts  faibles  et  sou- 
vent inutiles  pour  en  sortir?  En  un  mot,  ou 
vos   pénitences  sont  suivies  d'amendement 
el  de  changement  de  vie,  et  alurs  qui  pour- 
rait vous  empêcher  de  fréquenter  les  divins 
mystères,    et   scricz-vous    assez   cruels    et 
assez  injustes  cuvcrs  vous-mômes, pour  vous 


priver  d'un  secours  si  nécessaire  et  si  es- 
sentiel ;  ou  vos  pénitences  sont  toujours  sui- 
vies de  rechutes,    et    alors    quelque   rares 
que   soient  ces  prétendues  pénitences,  n» 
voyez-vous   pas   évidemment  que    tout  (••() 
ce  que  j'ai  dit  contre  ceux  qui  fréquentent 
les  sacrements  et  commettent  toujours  les 
mêmes  crimes  retombe  pareillement  contre 
vous  ?  Encore  une  fois,  rien   de  plus  impie 
(|ue  des'approchcr  souvent  des  sacrements, 
et  de  s'en  approcher  indignement  ;  rien  de 
plus  difficile  et  de  [)Ius  contraire  que  de  s'en 
approcher  rarement  el  de  s'en  approcher  di- 
gnement; rien  déplus  nécessaire  que  de  s'en 
approchersouvent  etdignemenlloutà  la  fois. 
Prenons  donc  ce  parti,  mes  chers  frères,  et 
si  jusqu'à  présent  nous  avons  vécu  dans  le 
crime,  commençons    par  demander  au  Sei- 
gneur  avec  larmes   et  avec  gémissements, 
la  grâce   d'une  véritable    conversion.    Dé- 
testons sérieusement  le  péché  ;  mettons-nous 
entre    les   mains  de  quelque    minisire   de 
l'Eglise    sage   et  expérimenté,    qui    puisso 
juger  sainement  de  nos  maladies  et  de  notre 
santé,  et  qui  soit  capable  de  nous  conduire 
sûiemenl  dans  le  chemin  du  salut:  faisons  dea 
fruits  de  pénitence,  travaillons  à  nous  ren- 
dre dignes  de  la  fréquentation  de  ces  divins 
mystères;  enfin,  hâtons-nous  de  chercher  le 
Seigneur  pendant  qu'on  le  peut  encore  trou- 
ver, mais  cherchons-le  avec  droiture  et  avec 
simfdicité,  et  quand  nous   l'aurons  trouvé* 
ne  le  perdons  plus,  mais  possédons-le   tou- 
jours  ici  par  la  grâce,  pour  nous  mettre  en 
état   de  le    posséder    éternellement  par  la 
gloire.  Ainsi  soit-il. 

SERMON  IV. 

SUR    LE    SAINT    SACRIFICE    DE    LA    MESSE. 

Elinvenil  in  lemplo  vendonles  boves  el  oves  et  co- 
lunibas,  eloinnes  ejecll  de  lemplo, oves  qtioque  el  boves, 
el  his  qui  veiidebaiit  colurabas  dixit  :  Aul'erie  isla  liinc, 
{Joan.,  11,14,  16.) 

Kt  il  trouva  dans  le  temple  ceux  qui  veiidaieut  des  bœu(s , 
des  moutons  et  des  colombes,  et  il  les  chassa  tous  du  tem- 
ple et  en  fil  sortir  lui-même  les  moutons  el  les  bœufs,  et  il 
dit  à  ceux  qui  vendaient  des  colombes  :  Olez  tout  cela  d'ici. 

Cette  colère,  unes  frères,  dont  le  Fils  de 
Dieu  paraît  aujcurd'hui  si  animé  dans  le 
temi)le  n'est  pas  seulement  sainte  et  édifian- 
te, elle  est  encore  mystérieuse.  II  châtie  les 
profanateurs  du  tem()le,  mais  il  rebute  en 
même  temps  toutes  les  victimes  qui  étaient 
destinées  aux  sacrifices  de  la  loi  ancienne, 
auferle  ista  hinc  «  otez  tout  cela  d'ici  ,  » 
et  par  le,  dit  l'auteur  do  VOavrage  im- 
parfait que  plusieurs  attribuent  à  saint 
Chrysostome,  il  nous  fait  entendre  qu'à  ces 
anciennes  victimes  et  à  ces  anciens  sacrifi- 
ces il  est  près  de  substituer  de  nouveaux 
sacrifices  et  de  nouvelles  victimes  ;  que  ia 
grâce  va  accomplir  et  |)erfecîionner  la  loi, 
que  le  Saint-Esprit  va  succéder  aux  colom- 
bes et  que  les  hommes  faisant  mourir  dans 
leur  cœur  les  passions  criminelles  et  les 
inclinations  corromj)ues  seront  immolés  dé- 
sormais en  la  place  de  ces  hosties  matéri- 
elles el  irraisonnables.  Ainsi  dit  ce  Père  ; 
chasser  du  teiii|)le  ceux  (jui  vendaient  des 
victimes  [)Ourles  sacrifices;  les  châtier  et  lfc3 


mz 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


50  i 


reprendre,  c'est  proprement  comme  si  le  Fils 
(le  Dieu  disait  aux  Juifs  ce  qu'il  leur  avait 
(l(''ja  tant  dit  par  la  houclie  des  prophètes  : 
Jh  n'accepterai  point  vos  boucs  ni  vos  tau- 
laux;  vos  cérémonies  et  vos  solemnilés  me 
sont  en  abomination  ;  immolez  au  Seigeur  le 
sacrifice  de  louanges  et  lui  rendez  vos  hom- 
inages  et  vos  vœux,  car  il  ne  veut  point 
(l'ofîrandes;  mais  je  veux  de  la  piété  et  delà 
loi  ;je  ne  veux  plus  d'boslies  mais  je  veux  des 
cœurs  ou  plulôt  je  veux  que  la  foi  soit  l'of- 
irande,  que  le  cœur  devienne  l'Iiostie  et  que 
les  hommes  s'immolant  d'une  manière  tou- 
te spirituelle  soient  eux-mêmes  les  sacitica- 
teurs  et  les  victimes.  Mais  en  quel  lieu  de- 
vons nous  principalement  nous  acquitter  de 
ce  devoir,  si  ce  n'est  dans  nos  temples,  et  en 
quel  temps  si  ce  n'est  quand  Jésus  Christ  se 
sacrifie  lui -môme  sur  l'autel  et  que  nous 
«ssisions  à  son  sacrifice?  C'est,  mes  frères,  de 
celte  obligation  de  nous  iiiimoler  nous-mê- 
mes avec  le  Fils  de  Dieu  et  de  la  manière 
loute  intérieure  et  toute  sainte  dont  nous 
devons  assister  au  sacrifice  et  contribuer  à  ce 
sacrilice,  que  j'ai  pris  dessein  de  vous  en- 
tretenir aujourd'hui.  Rien  de  plus  capable, 
cerne  semble  d'intéresser  votre  piété  et  do 
mériter  votre  aiteniion,  puisqu'il  s'agit  d'une 
action  si^  im[iorlante  et  si  ordinaire  tout  à 
la,  fois  ;  c'est  l'action  la  plus  importante  et  la 
plus  excellente  de  la  vie,  et  l'Eglise  et  les 
jiaïens  mômes  en  ont  été  si  persuadés  qu'ils 
ont  appelé  le  sacrifice  l'action  par  excellence, 
comme  si  J'homroe  n'était  censé  agir  que 
lorsqu'il  traite  de  sa  religion  avec  Dieu  et 
qu'il  ne  fût  censé  traiter  de  sa  religion  avec 
Dieu  que  quand  il  lui  offre  le  sacrifice,  qui 
en  est  l'acte  le  plus  essentiel  et  le  |)lus  au- 
guste. Mais  c'est  encore  une  des  actions  ks 
}»lus  ordinaires  dans  la  religion  que  nous 
professons  ;  il  n'est  personne  qui  ne  doive 
«ssistor,  et  il  n'en  est  guère  qui  n'assiste  tous 
les  jou  rs  au  sacrifice  de  la  messe.  Quel  désor- 
dre par  conséquent  si  l'on  s'acquitte  mal  de  ce 
devoir  et  quel  intérêt  n'a  t-on  pas  de  savoir 
bien  faire  ce  quel  on  doit  faire  si  souvent?  Es- 
jirit-Saint,  accordez-nous  vos  lumières  el  vos 
grâces  pour  cet  effet,  vous  qui  préparâtes  la 
matière  du  sacrifice  de  la  loi  nouvelle  dans 
le  sein  de  la  divine  Marie,  lorsqu'un  ange 
lui  dit  comme  nous  allons  faire  :  Ave  Maria. 
Comme  la  corruption  el  la  lâcheté  do 
l'homme  le  portent  toujours  à  diminuer  ses 
obligations,  quand  on  dit  aux  chrétiens  que 
Je  Fils  de  Dieu  est  venu  abolir  les  sacrifices 
des  Juifs  et  qu'il  s'est  substitué  lui-môme 
en  la  place  de  toutes  les  victimes  de  la  loi 
«ncienne,  il  leur  est  assez  naturel  et  assez 
ordinaire  de  conclure  de  \h  qu'ils  sont  donc 
quittes  de  l'obligation  du  sacrifice,  que  s'il 
leur  en  reste  encore  quelques  uns  à  otï'rir 
ce  ne  sont  que  des  sacrifices  imparfaits  qui 
L-onsistenten  prières,  en  aumônes,  en  bonnes 
œuvres  et  dont  la  détermination  particulière 
dépend  assez  de  leur  liberté  et  de  leur  choix; 
qu'au  surplus  Jésus-Christ  se -sacrifie  lui- 
même  pour  eux,  et,  qu'assistant  à  son  sacri- 
lice, ils  peuvent  et  doivent  se  décharger  de 
toutes  leurs  dettes  sur  celte    adorable  vic- 


time qui,  étant  d'un  prix  infini,  est  plus  que 
sufi^sante  pour  les  acquitter  pleinement  en- 
vers la  divinité.  Aussi  voyons-nous  assez  de 
chréliens  qui  ont  soin  d'assister  au  sacrifice 
et  même  de  faire  olfrir  le  sacrifice,  mais 
h  peine  en  vojons-nous  qui,  assistant  au  sa- 
crifice de  Jésus-Chrisi,  songent  à  se  sacrifier 
eux-mêmes,  ou  pour  mieux  dire  quisfvient 
persuadés  que  ce  n'est  que  par  le  sacrifice 
de  soi-même  qu'on  peut  dignement  assis- 
ter et  utilement  participer  au  sacrifice  de 
Jésus-Chrisl.  Voilà,  mes  frères,  la  grande  et 
solide  vérité  que  je  veux  tâcher  d'établir  et 
de  développer  dans  ce  discours. Non,  le  Fils 
de  Dieu  sacrifié  ne  nous  dispense  pas  de 
l'obligation  du  sacrifice,  puisque  son  sacri- 
fice au  contraire  nous  impose  l'obligation  de 
nous  sacrifier;  le  Fils  de  Dieu  sacrifié  ne  lais- 
se pas  à  notre  choix  la  détermination  du 
sacrifice,  puisque  c'est  le  sien  au  contraire 
qui  doit  déterminer  la  forme  et  la  mesure 
du  nôtre.  Jésus-Christ  immolé,  première  vic- 
time de  notre  sacrifice.  Jésus-Christ  immolé 
unique  modèle  de  notre  sacrifice  en  qualité 
de  victime;  je  vous  le  répète,  il  s'immole 
pour  nous  et  nous  oblige  à  nous  immoler 
avec  lui;  en  qualité  de  modèle,  il  nous 
apprend  à  nous  immoler  comme  lui  :  deux 
propositions  qui  feront  tout  le  partage  de- 
ce  discours. 

PUEMIÈRE    PARTIE. 

C'est  par  le  sacrifice  que  les  hommes  ont 
toujours  tâché  de  s'approcher  de  la  divinité 
et  de  se  réconcilier  avec  la  divinité  ;  mais 
ce  n'était  que  parle  sacrifice  de  la  loi  nou- 
velle qu'ils  pouvaient  obtenir  ces  grands  et 
salutaires  effets,  une  seule  victime  étant 
capable  de  leur  procurer  ce  qu'ils  auraient 
toujours  attendu  fort  inutilement  de  toutes 
les  autres.  En  effet,  mes  frères,  si  vous 
ôtez  Jésus-Christ  aux  hommes,  que  seront 
à  l'égard  de  Dieu  toutes  les  victimes  qui 
lui  ont  jamais  été  ou  qui  lui  pourraient  ja- 
mais être  offertes?  Que  sont-elles  même 
à  notre  égard  ?  des  êtres  mortels  et  périssa- 
bles comme  nous,  des  créatures  autant  ou 
[•lus  imparfaites  que  nous.  Or,  qu'elle  appa- 
rence que  le  pécheur  puisse  être  réconcilié 
avec  Dieu  par  un  médiateur  aussi  coupable 
que  lui,  ou  que  l'homme  pût  être  ramené  à 
la  divinité  par  une  créature  qui  en  serait 
aussi  éloignée  que  lui  ?  C'est  donc  pour  cela 
que  le  Seigneur  nous  a  donné  son  Fils  unique, 
c'est  pour  cela  que  dans  les  projets  de  sa 
providence  el  de  sa  miséricorde  éternelle, 
il  a  su  préparer  une  victime  capable  d'ho- 
norer dignement  toutes  ses  perfections  et 
de  satisfaire  abondamment  à  tous  nos  be- 
soins, c'est  pour  cela  qu'il  a  placé  comme 
dans  une  situation  moyenne  entre  le  ciel  et 
la  terre  un  homme-Dieu,  qui  tenant  tout  à 
la  fois  à  notre  nature  et  à  la  sienne,  ras- 
semble le  ciel  et  la  terre,  réconcilie  Dieu  et 
les  hommes  en  sa  divine  personne,  gagc^ 
commun  et  réciproque  de  l'amour  du  Sei- 
gneur et  du  nôtre,  qu'il  nous  a  donné  et 
que  nous  lui  rendons;  qui  lui  offre  nos 
prières  et  qui  nous  communique  ses  bien- 
faits ;  par  lequel  il  ne  dédaigne  [>as  de  se  rap- 


5)3 


SÎ.RMONS.  —  SI;RM.  IV,  SLU  LE  SAINT  SACRIFICE  DE  LA  MESSE. 


5flS 


procher  de  nous,  el  par  lequel  il  nous  est 
facile  de  Tiens  ixMinir  à  lui.  Avant  cfla, 
dis»iil  l'apôlre  saint  P.iul  aux  prenii(M-s  clné- 
lirns  :  Vous  étiez  loin  de  la  Diviiiilt^:  Era- 
tis  enim  longe  [Ephes.,  II,  13),  car,  quelle 
plus  grande  dislance  que  d'une  créature  à 
lin  Dieu  el  d'une  créalure  coupable  à  un 
Dieu  juste  et  irrité;  Setl  facli  cslis  prope  in 
sanguine  CItristi,  «  mais  vous  êtes  devenus 
proches  dans  le  sang  de  Jésus'Clirisl.  »  {Ibid.} 
Sans  cela  que  nous  servirait-il  de  connaître 
Dieu  puisqu'il  nous  serait  inaccessible,  et 
quelleconsolalion  de  savoir  le  ternie  quand 
on  ne  sait  point  do  voie  pour  y  arriver? 

De  ce  principe,  mes  frères,  il  en  résulte 
que  personne  n'a  jamais  approché  de  Dieu 
que  par  Jésus-Chrisi,  que  nulle  créature  n'a 
jacDais  pu  apaiser  la  Divinité  que  par  le  sa- 
crifice de  Jésus-Christ,  ce  qui  fait  avancer 
au  grand  saint  Augustin  une  proposition 
dont  il  ne  sera  pas  dillicile  de  vous  faire 
convenir,  qu'à  ()arler  pro|iremenl  et  exacte- 
ment il  n'y  a  jamais  eu  de  véritable  sacri- 
fice que  celui-ci,  tous  les  aulres  ne  pouvant 
être  appelés  des  sacrilices  qu'auiaul  qu'ils 
perticijjenl  à  ctlui-ci  ou  qu'ils  ont  quelque 
rapport  ou  quelque  liaison  avec  celui-ci. 
En  elTet,  le  disciple  bien  aimé  étant  entré 
dans  la  céleste  Jérusalem  et  dans  le  temple 
de  la  gloir»)  des  bienheureux,  il  n'y  voit 
qu'un  seul  autel  et  qu'une  seule  victime. 
J'ai  vu,  dit-il,  un  agneau  vivant,  mais  ayant 
ides  apparences  de  mort.  Or,  c'est  cet  inno- 
cent agneau  dès  l'origine  du  monde  qui  est 
venu  etfacer  les  péchés  du  monde  :  Agnus  oc- 
cisusab  originemundi[Àpoc.,W\\,%),  c'esl-o- 
dire  toujours  p'résenteldans  le  temps  et  dans 
l'élernité  aux  yeux  de  Dieu  ;  au  mérite  et  à 
la  mort  duquel  il  a  toujours  accordé  et  accor- 
dera toujouis  toutes  les  grâces  qu'il  a  jamais 
faites  et  qu'il  fera  jamais  aux  hommes. 

Et  pour  mieus  comprendre  cette  vérité 
capitale  de  notre  religion,  il  n'y  a,  dit  saint 
Augustin,  qu'à  bien  distinguer  ces  quatre 
choses  :  l'oblation  du  sacrifice,  la  |)rédic- 
lion  et  les  figures  du  sacrifice,  l'imitation 
et  les  fausses  copies  du  sacrifice,  la  conti- 
nuation et  la  mémoire  du  sacrifice.  L'obla- 
tion du  sacrifice  de  l'Agneau  s'est  faite  sur 
l'autel  de  la  croix,  où  le  Fils  de  Dieu  a  versé 
son  sang  et  a  été  immolé  en  odeur  desuavité 
\\  son  divin  Père.  C'est  à  celte  unique  obla- 
lion  que  se  rappoi  talent  loules  les  oblations 
el  tous  les  sacrifices  de  la  loi  ancienne,  qui 
n'en  étaient  que  les  prédictions  el  les  ligures  ; 
sacrifices  que  le  précepte  de  Dieu  avait  mul- 
lijdiés  à  l'infini,  parce  qu'il  en  fallait  une  in- 
finité pour  expliquer  les  dilférenls  carac- 
tères et  les  vertus  infinies  de  celui-ci. 
Pour  ce  qui  est  des  sacrifices  des  païens, 
ils  ne  doivent  être  regardés  que  comme  de 
fausses  imitations  du  i-acrifice  de  notre  re- 
ligion, inspirées  ()ar  cet  ange  superbe  el  apos- 
tat qui  avait  autrefois  [irétendu  usurper  le 
trône  de  Dieu,  et  lait  encore  de[)uis  tous  ses 
cO'orts  pour  usurper  son  autel  et  pour  s'attri- 
buer le  souverain  culte  (]ui  lui  est  dû.  Il  n'y 
a  donc  jamais  eu  que  le  sacrifice  de  la  croix 
qui  ail  dû  j^asscr  pour  un    véritable  sacri- 


fice. Cl  lui  de  nos  autels  n'en  est  paj  un 
au'.re,  il  n'en  est  que  la  continuation  et  la 
mémoire;  faites  ceci  en  niéuioiro  de  moi, 
dit  le  Fils  de  Dieu  à  ses  apûlres  ;  et  l'apûlre 
saint  Paul  ajoute  :  Toutes  les  fois  que  vous 
mangerez  ce  pain  et  que  vous  boirez  ce  calice^ 
vous  annoncerez  la  mort  du  Seigneur.  (1  Cor.f 
XI,  20.)  Ici,  mes  frères,  il  me  souvient  de  ce 
que. Moïse  disait  au  peujile  d'Israël  en  l'ns- 
Iriïisanlsurles  cérémonies  et  sur  les  précep- 
tes do  la  loi.  Quand  donc,  lui  disait-il,  on 
vous  demandera  que  signifient  ces  témoi- 
gnages et  ces  cérémonies  :  Quid  sibi  volunt 
Icstitnonia  hœc  et  cwrimonial  {Peut.,  VI,  20) 
vous  réiiondrez  :  Nous  élions  enclaves  de 
Pharaon,  el  le  Seigneur  nous  ayant  tirés 
d'une  manière  merveilleuse  et  inouïe  du 
pays  et  de  la  puissance  de  ce  tyran,  il  nous 
a  ordonné  d'en  user  ainsi  pour  célébrer  à 
jamais  la  mémoiie  de  notre  délivrance  elle 
pouvoir  de  notre  divin  libérateur  :  Servi 
cramus  Phiiraonis  et  eduxit  nos  Dominus  de 
JEgijpto  in  manu  forli,  prœcepitque  nobis 
ut  faciamus  omnia  légitima  hœc.  [Ibid. , 
21-24.)  N'en  puis-je  pes  dire  autant  on  ce 
qui  regarde  nos  secrets  mystères  ?  Si  l'on 
nous  demande:  quesignifient  ces  cérémonies, 
que  veut  dire  cet  autel,  celte  oblation,  ce 
corps  d'un  côlé  et  ce  sang  de  l'autre?  Nous 
élions  esclaves  du  démon,  el  le  Fils  unique 
du  Très-Haut  nous  ayant  tirés  par  l'effusion 
de  son  projiro  sang  do  colle  dure  captivité, 
il  nous  a  commandé  d'observer  ces  cérémo- 
nies pour  célébrer  à  jamais  le  bienfait  de 
notre  Piédemption  et  l'excès  de  ses  infinies 
miséiieordes.  Oh  I  que  l'hérétique  no  dise 
donc  p>as  que  le  sacrifice  do  l'Fucharistie 
déshonore  le  sacrifice  de  la  croix,  comme 
s'il  n'avait  pas  été  sufifisant  pour  nous  ré- 
concilier avec  Dieu.  Bien  loin  de  le  désho- 
norer, il  n'a  été  institué  que  [)Our  l'honorer 
el  le  faire  honorer  par  tous  les  chrétiens. 
Bien  loin  de  sujjposer  que  le  sacrifice  de 
la  croix  n'ait  été  que  d'une  valeur  limitée,  il 
fait  voir  évidemment  que  le  mérite  de  ce  sa- 
crifice n'a  point  de  bornes  ;  car  quelle  [ilus 
grande  preuve  que  le  prix  d'une  victime  et 
d'un  sacrifice  est  infini,  que  d'offrir  tous  les 
jours  celte  môme  victime,  que  d'appliquer 
tous  les  jours  les  fruits  de  ce  sacrifice  sans 
crainte  d'en  voir  jamais  la  fin  ni  que  la  va- 
leur de  celte  victime  et  de  ce  sacrifice  ne 
s'épuisenl.  En  quoi,  mes  frères,  il  est  néces- 
saire de  faire  remarquer  une  belle  différence 
entre  les  sacrifices  de  la  loi  ancienne  et  le 
sacrifice  de  la  nouvelle;  car,  ce  qui  faisait 
voir  l'insuffisance  des  sacrifices  de  la  lot 
ancienne,  c'est  que  les  Lévites,  si  vous  y 
prenez  garde  ,  en  olfraient  tous  les  jours  de 
différeras  et  de  nouveaux,  témoignant  ain- 
si qu'ils  eussent  bien  voulu  obtenir,  par 
cet  le  multiplicité  d'hosties  qui  se  succédaient 
les  unes  aux  aulres,  ce  qu'une  seule  n'était 
pas  capable  de  mériter.  Mais  le  Fils  do  Dieu, 
dit  l'apùlro  saint  Paul,  n'a  jamais  otl'ert 
qu'un  sacrifice;  et  par  ce  sacrifice,  dont  la 
valeur  est  infinie  et  dont  lo  mérite  dure 
toujours,  il  a  oblenu  pour  ton?  les  pécheurs 
une  abulilioii   entière  et   une  réconciliation 


507 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


508 


éternelle  :  Ilic  autem  unam  pro  peccalis  of~ 
ferens  hostiam  una  oblatione  consummrtvit 
in  s  empiler  num  snticlificatos.  (Hebr.,  X,  12, 
14-.)  Or  c'est  colle  même  victime  elce  môme 
sacrifice  quo  nous  offrons  incessamment  au 
Seigneur,  et  que  nous  lui  remellons  tous 
les  jours  devant  les  yeux.  Ahl  disait 
excellemment  saint  Gaudence,  évéque  de 
Brescia,  en  f)arlant  de  l'agneau  pascal: 
Chaque  famille  parmi  les  Juifs  offrait  un 
agneau  différent,  et  on  recommençait  tous 
les  ans  à  en  offrir  de  nouveiux.  Mais  dans 
l'Eglise  d(!  Jésus-Glirist,  il  n'y  a  qu'un  seul 
aj^neau  qui  suffît  pour  tous,  c'est  le  même 
qui  a  été  immolé  sur  la  croix  et  qui  est 
immolé  sur  l'autel;  celui  que  les  premiers 
chrétiens  offraient  est  celui  que  nous  of- 
frons aujourd'hui,  c'est  le  môme  qui  est 
offert  par  tous  les  |)euples  et  dans  tous  les 
temples  de  l'univers,  toujours  immolé  et 
toujours  vivant,  inépuisable  dans  sa  va- 
leur comme  il  est  immortel  dans  sa  durée. 

Voilà,  mes  frères,  les  graftdes  idées  que 
le  chrétien  doit  avoir  du  sacrifice  de  Jésus- 
Christ;  voilà  les  grands  principes  de  reli- 
gion dont  il  se  doit  renqilir  quand  il  vient 
dans  nos  temples  assister  à  ce  sacrifice  et 
s'acquitter  de  ce  devoir  si  auguste,  si  es- 
sentiel et  si  inif)0itaiit.  Quelle  affaire  se 
traite  sur  cet  autel?  car  c'est  ainsi  qu'il  se 
doit  parler  secrètement  à  lui-même  ;  quel 
ouvrage  s'y  accomplit?  quelle  victime  s'y 
immole?  quelle  alliance  s'y  contracte?  C'est 
la  grande  affaire  de  tous  les  siècles,  c'est  ce 
grand  ouvrage  de  la  rédemption  du  genre 
humain  que  tant  de  rois  et  de  prophètes 
avaient  souhaité  de  voir,  et  «lui  nous  a  été 
réservé  par  les  soins  d'une  miséricorde  of- 
ficieuse. C'est  cette  adorable  victime  sans 
laquelle  nulle  créature  n'a  jamais  obtenu 
rien,  avec  laquelle  nous  sommes  bien  sûrs 
d'obtenir  tout,  n'y  ayant  point  d'autre  nom 
dans  le  ciel  ni  sur  la  terre  par  lequel  nous 
puissions  être  sauvés.  C'est  en  un  mol, 
l'alliance  de  Dieu  et  des  hommes  qui  se 
renouvelle.  Jésus -Christ ,  faisant  encor(i 
couler  sur  nos  autels  ce  môme  sang  qu'il 
a  répandu  sur  le  Calvaire,  en  sorte  que  les 
chrétiens  de  tous  les  temps  et  de  lous  les 
lieux  ,  devenus  itrésents  par  eux-mêmes  à 
ce  grand  œuvre  de  la  réconciliation  des  hom- 
mes, chacun  tâche  d'en  remporter  la  part 
qui  lui  doit  écheoir  et  qu'il  peut  es[)érer  à 
la  Rédemption  de  Jésus-Christ.  Heureux  si 
nous  savons  profiter  de  ces  avantages  et  si 
nous  remplissons,  de  notre  côté,  les  condi- 
tions de  l'alii'ince  que  le  Fils  de  Dieu  est 
tenu  de  nous  faire  contracter  avec  le  Sei- 
gneur. 

Loin  d'ici  ces  esprils  aveugles  et  corrom- 
pus qui,  par  une  erreur  extravagante  dans 
la  spéculation,  mais  qui  n'est  que  trop  com- 
mune, dans  la  pratique,  se  persuadent 
que  Jésus-Christ  ayant  satisfait  pour  eux,  il 
ne  leur  reste  plus  rien  à  faire  pour  leur 
salut,  et  par  un  abus  sacrilège  de  ses  mé- 
rites infinis,  non  contents  de  mettre  leur 
confiance  on  lui,  fondent  secrètement  sur 
lui  leur  orésomplion ,  leur  lâcheté  et  leur 


impénitence,  comme  si  le  Fils  de  Dieu  n'é- 
tait monté  sur  la  croix  que  pour  se  rendre 
le  protecteur  de  nos  crimes,  et  qu'au  lieu 
de  les  détruire  par  la  grâce  il  fût  venu  les 
fomenter  par  l'impunité. 

Jésus-Christ,  immolé  sur  la  croix,  sur 
nos  autels,  n'est  pas  seulement  la  victime 
de  notre  réconciliation  ,  mais  il  doit  encore 
être  regardé  comme  le  signe  de  ce  sacrifice 
spirituel  et  invisible  que  tous  les  chrétiens 
sont  obligés  d'offrir  intérieurement  au  Sei- 
gneur; ap(iliquez-vous  à  cette  pensée. 

Comme  il  n'y  a  rien  dans  le  monde  naturel 
de  meilleur  ni  de  plus  parfait  que  l'homme,  cl 
qu'il  n'y  a  rien  dans  l'homme  de  meilleur  que 
son  esprit  et  sa  volonté,  ce  sont  sans  douty 
les  premières  et  les  principales  victimes  que 
Dieu  ,  dès  le  commencement  du  monde, 
avait  voulu  qui  lui  fussent  offertes.  Tous 
les  sacrifices  extérieurs  n'ont  jamais  été 
dans  son  intention  que  les  signes  visibles 
de  ce  sacrifice  intérieur  et  invisible,  à  peu 
près,  dit  le  grand  Augustin,  comme  les  pa- 
roles qu'on  [)rononco  sont  les  signes  des 
choses  qu'on  pense  ;  et  c'est  pour  cela, 
dil-il  ensuite,  qu'on  n'a  jamais  pu,  sans  im- 
piété et  sans  idolâtrie ,  offrir  à  d'autres 
qu'au  Souverain  Etre  même  le  sacrifice  ex- 
térieur, parce  qu'étant  la  marque  de  ce  dé- 
vouement absolu  par  lequel  la  créature  rai- 
sonnable se  consacre  à  la  Divinité,  il  ne 
faut  par  conséquent  accorder  l'un  qu'à  celui 
qui  a  droit  de  prétendre  à  l'autre,  et  l'on  ne 
doit  immoler  des  hosties  malérielles  qu'à 
cet  être  adorable  dont  nous  devons  être,  en 
esprit,  le  sacrifice  et  les  victimes.  Les  Juifs 
ne  eomprenaient  point  celte  obligation,  ou, 
s'ils  ne  manquaient  pas  à  la  comprendre, 
du  moins  manquaienl-ils  beaucoup  à  s'en 
ac({uitter;  car,  n'est-ce  pas  e<!  qui  faisait  le 
sujet  le  plus  ordinaire  des  reproches  que  le 
Seigneur  avait  coutume  de  leur  adresser  par 
la  bouche  de  ses  |)roi)hèles.  «  Ehl  à  quoi 
bon  toutes  ces  victimes,  leur  disait-il  ?  |)Our- 
quoi  vous  obstinera  m 'offrir  des  sacrifices? 
en  vain,  voulez-vous  que  je  mange  la  chair 
de  vos  taureaux  ou  que  j'en  boive  le  sang. 
Songez,  songez  à  vous  purifier  de  vos  ini- 
quités; cessez  de  faire  le  mal,  commencez 
à  faire  le  bien  ;  immolez  au  Seigneur  le  sa- 
crifice de  louange  et  portez  vurs  lui  vos  dé- 
sirs, vos  afi'ections  et  vos  cœurs.  »  {PsaL 
XLIX,  9-15.)  Or,  mes  frères,  vous  êtes  trop 
éclairés  en  ce  qui  regarde  notre  religion, 
pour  vous  persuader  que  celte  obligation 
ait  cessé  par  la  venue  du  Messie,  et  pour 
ne  pas  savoir,  au  coniraire,  que  c'était  à  la 
loi  de  l'Evangile  qu'il  était  résiervé  d'offrir 
le  sacrifice  du  cœur. 

«  Femme,»  disait  le  Fils  de  Dieub  la  Sa- 
maritaine, «voici  le  temps  que  l'on  ne  sacri- 
fiera jilus  ni  dans  le  temple  de  Salomon,  ni 
sur  la  montagne  où.  vos  pères  ont  adoré, 
mais  où  les  vrais  adorateurs  adoreront, 
c'est-à-dire,  comme  l'expliiiuenl  les  Pères, 
sacrifieront  en  es\m[  et  en  vérité.  »  [Joan.. 
IV,  21.)  Et,  n'est-ce  pas  dans  ce  même  es- 
prit, (jue  loulcs  les  Ecritures  du  Nouveau 
Tcblameni  nous  remettent  si  souvent  de- 


soa 


SERMONS.  —  SEHM.  lY,  SLR  LE  SAINT  SACRIFICE  DE  LA.  MESSE. 


510 


vant  les  yeux  l'obligation  de  ce  sacrilice 
S()iiiliiel ,  nous  Jisanl  tantôt  (|iio  nous  som- 
mes les  temples  (iu  Dieu  vivant  :  Vos  eslis 
temphwi  Dei  vivi  (!I  Cor.,  VI,  16);  taniftt 
que  tous  les  cliréliens  se  doivent  considé- 
rer eux-in(>tiies  comme  une  nation  sainte  et 
comme  un  sacerdoce  roval  :  Gens  sancta,  re- 
gale sacerdolium  (1  Pelr.,  il,  9);  tantôt  qu'il 
faut  nous  iii'moler  commodes  hosties  vi- 
vantes :  tiostiam  viventcin.  (Rom.,  \ll,  1.) 
L'Ecriture  nous  dit  que  nous  sommes  les 
temples  du  Dieu  vivant,  pour  nous  faire  en- 
tendre que  ce  n'est  pas  seulement  dans  ces 
temples  matériels  et  inanimés,  mais  que 
c'est  dans  nous-mêmes  que  se  doit  faire  la 
cérémonie  de  notre  sacrifice.  Elle  nous  dit 
ensuite  qm*  les  chrétiens  sont  une  nation 
sainte  et  un  sacerdoce  royal,  pour  nous 
insinuer  qu'en  ce  qui  rcgaide  cette  obliga- 
tion, nous  ne  devons  pas  nous  en  ra[ipor- 
tcr  à  ceux  qui  pourraient  olfiir  des  sacri- 
fices pour  nous,  mais  (ju'en  un  certain  sens 
chaque  chrétien  doit  ôtre  lui-môme  le  prê- 
tre de  son  sacrifice.  En  un  mot,  elle  ajoute 
qu'il  faut  être  des  hosties  vivantes,  pour 
apprendre  qu'il  ne  faut  pas  se  contenter 
d  ofTi  ir  au  Seigneur  des  victimes  étrangères, 
en  sorte  que  le  chrétien,  ne  donnant  à  Dieu 
que  ce  .qui  est  hors  de  soi,  se  garde  soi- 
même  pour  soi;  mais  qu'étant  les  temples 
et  les  sacrificaieurs,  il  est  d'un  devoir  indis- 
pensable que  nous  soyons  aussi  les  victimes. 

Or,  en  quel  lieu  ou  en  quel  temps,  ainsi 
que  je  vous  l'ai  déjà  dit,  le  chrétien  s'ac- 
quillera-t  il  de  ce  grand  devoir,  si  ce  n'est 
au  pied  dos  autels,  et  dans  ces  moments 
précieux  oiî  le  Fils  de  Dieu  s'immole  lui- 
même  pour  nous  et  nous  donne,  dans  sa 
personne,  l'exemple  d'un  sacrifice  tout  in- 
visible, tout  spirituel  et  tout  intérieur?  Les 
sacrifices  des  Juifs  étaient  trop  extérieurs 
et  leur  donnaient  lieu  de  répandre  toute 
leur  religion  au  dehors,  mais  le  sacrifice  de 
l'Eucharistie,  mystère  de  foi,  nous  fait  ren- 
trer en  nous-mêmeset  nous  excite  à  faire  in- 
térieurement en  nous  mêmes  tout  ce  que  la 
religion  nous  apprend  que  le  Fils  de  Dieu 
fait  en  lui. 

Ainsi  l'avait  prédit  le  propliète  Malachie, 
que  cet  Ange  du  Testament,  que  les  Juifs 
cherchaient  et  attendaient  depuis  si  long- 
temps, viendrait  enfin  dans  son  temple, 
qu'alors  le  sacrifice  de  Juda  plairait  infini- 
ment au  Seigneur  :  Et  ptacebit  Domino  sa- 
crificium  Juda  {Malac,  Jll,  4),  et  qu'en 
même  temps  il  y  aurait  des  sacrificateurs 
qui  lui  olliiraient  des  sacrifices  de  jus- 
tice: Et  erunt  offerentes  Domino  sacrificia  in 
jusliii^.  (Ibid.,  3.)  Il  parle  d'un  seul  sacri- 
fie e  ,  et  néanmoins  il  parle  de  plusieurs  sa- 
crifices. 11  parle  d'un  seul  sacrifice  qui  est  le 
sacrifice  de  Jésus-Christ  plus  agréable  au  Sei- 
gneur que  tous  ceux  qui  lui  ont  jamais  été 
ou  qui  lui  pourraient  jamais  être  otferts; 
mais  il  parle  de  plusieuis  sacrifices,  sacri- 
ces  de  justice  que  les  chrétiens  devaient 
offrir  au  Seigneur,  en  immolant  leurs  |)as- 
sions  et  leurs  inclinations  corrompues; 
mais  sacrifices  qui  se  réunissent  à  ce  seul 


et  incomparable  sacrifice,  lorsque  les  chré- 
tiens, assistant  au  sacrifice  de  Jésus-Christ, 
y  viennenidonner  publiquemenlauSeigneur 
des  témoignages  sincères  de  leur  dépen- 
dance, de  leur  soumission  et  de  leur 
amour,  s'immolant  avec  ce  divin  Messie 
qui  s"immole  lui-même  pour  eux. 

En  effet  dit  le  grand  Augustin,  le  Fils  de 
Dieu  immolé  dans  l'eucharistie,  n'est  pas 
seulement  la  victime  de  notre  sacrifice  et  le 
signe  de  notre  sacrifice,  mais  il  y  doit  en- 
core ôtre  regardé  comme  la  première  et  la 
plus  excellente  portion  du  sacrifice  que 
tous  les  chrétiens  doiventotfrir,  et  pour  en- 
tendre ce  grand  mystère,  il  n'y  a  qu'à  nous 
souvenir  de  deux  belles  qualités  que  l'apô- 
tre saint  Paul  donne  à  Jésus-Christ.  Il  l'ap- 
pelle le  premier  né  de  toute  créature:  Pri- 
mogenitus  omnis creaturœ  (Coloss.,  1,  15)  et 
en  un  autre  end.-oit  il  dit  que  lePère  céleste 
l'a  établi  chef  de  toute  l'Eglise  :  Ipsum  po- 
suitcapul  super  omnemEcclesiam.(Eph.,l,2'-l.) 
Jésus-Christ,  premier-né  de  toute  créature 
s'olfre  lui-même  sur  l'autel  et  en  s'oEfrant 
lui-même,  il  offre  toutes  les  créatures  avec 
lui.  Semblable,  dit  saint  Chrysostome,  à 
ces  premiers-nés  de  l'ancienne  loi  qui  avaient 
droit  d'offrir  le  sacrifice  pour  tous  ceux  qui 
étaient  nés  après  eux.  Il  n'en  est  donc  pas 
ici  comme  d'une  personne  particulière  qui 
ne  parlerait  que  pour  soi,  qui  ne  sacrifierait 
que  pour  soi.  Jésus-Christ,  produit  avant 
tous  les  êtres,  Jésus-Christ,  Dieu  et  homme 
tout  ensemble  et  rassemblant  par  consé- 
quent en  son  adorable  personne  toute  la 
différence  des  êtres,  Jésus-Christ,  en  un 
mot  à  la  tête  de  tous  les  êtres,  parle  pour 
tous  les  êtres,  sacrifie  pour  tous  les  êtres  et 
sacrifie  même  tous  les  êtres.  Dj  sorte,  Mes- 
sieurs, qu'en  nous  saciifiant  avec  lui,  nous 
ne  faisons  pour  ainsi  dire,  que  ratifier  ce 
que  Jésus-Christ  a  fait  pour  nous,  entrant 
par  un  consentement  particulier  et  volon- 
taire dans  cette  offrande  générale,  dans  la- 
quelle il  ne  peut  tenir  qu'à  nous  que  nous 
ne  soyons  compris. 

Mais  il  y  a  quelque  chose  de  plus  parti- 
culier pour  tous  les  chrétiens,  car  Jésus- 
Christ  étant  le  chef  do  son  Eglise,  et  tous 
les  chrétiens  étant  ses  membres,  c'est  l'in- 
tention du  Seigneur  dit  le  grand  Augustin, 
que  de  ce  chef  et  de  ces  membres  réunis, 
il  ne  s'en  fasse  au  pied  des  autels  qu'un  seul 
corps  et  qu'une  même  offrande.  Le  Fils  do 
Dieu  s'est  offert  lui  même  sur  le  Calvaire 
pour  son  Eglise,  mais  celte  Eglise  qui  ne 
faisait  que  de  naître,  n'était  pas  encore  en 
état  ni  d'offrir  ni  d'y  être  offerte.  C'est  donc 
proprement  dans  nos  temples  que  se  con- 
somme le  sacrifice  de  Jésus-Christ,  c'est 
dans  nos  temples  que  Jésus-Christ  offrant 
son  Eglise,  s'offre  lui -môme  avec  elle 
et  que  l'Eglise  offrant  Jésus-Christ ,  s'olfre 
elle-même  avec  lui.  C'est  dans  nos  tem- 
ples que  s'accomplit  cette  belle  parole  , 
de  l'apôtre  saint  Paul ,  qui  dit  que  le  Fils  * 
de  Dieu  n'a  répandu  son  sang  que  pour  pu- 
rifier un  peuple  qu'il  avait  dessein  d'offrir 
à  son  Père  et  pour  le  rendre  digne  d'être 


511 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


oM 


offert  et  d'ôlre  accfipté:  Ut  mundaret  popu- 
lum  acceplabilein  {TU.,  II,  l'i^);  et  cet  autre 
do  l'apôtre  saint  Pierre  qui  dit  que  le  Fils 
d(!  Dieu  n'a  souffert  que  pour  nous  mettre 
en  t'iat  d'être  |)rése!Ués  à  Dieu  comme  des 
victimes  après  nous  y  avoir  pi-é|)arés  par  la 
mortifieation  du  cor[)s  et  par  la  vie  cl  la 
consf^rralion  de  l'esprit:  Ut  nos  offenet  Dco 
mortificaton  quidem  carne,  vivificatos  nutem 
spiritu  (I  Petr.,  III,  18);  si  bien,  Messieurs 
(]ue  le  Fils  de  Dieu  ayant  prononcé,  par  la 
bouclie  du  prêtre  ces  paroles  eOicaccs  sur 
le  pain  qui  est  consacré  :  Hoc  rst  corpus 
meum  :  a  Ceci  cl  mon  corps  (Mallh.,  XXVI, 
2G),  »  on  peut  dire  qu'il  en  étend  la  sii^nifi- 
cationsur  lous  les  lidèles,  comme  s'il  disait 
on  parlant  de  tout  le  peu|)lc  qui  assiste  au 
sacrifice  ;  ceci  est  encore  mon  corjis  com- 
posé de  tous  les  chrétiens  qui  sont  mes 
membres,  ceci  est  mon  corps,  vivant  de  ma 
vie.  animé  d«  mon  esprit  et  nourri  de  ma 
propre  subslance;  ceci  est  mon  corps  mys- 
tique que  j'unis  par  ce  sacrement  h  mon 
corps  naturel  connue  un  cor|)s  (pii  doit  te- 
nir à  son  clier|)our  ne  faire  plus  de  tous  les 
deux  qu'un  seul  tout  et  un  mémo  saorillce. 
Quelle  consolation  pour  un  chrétien  1  mais 
en  même  temps  qu(;lle  obligation.  Quelle 
consolation,  piiisqu'étant  iniis  h  Jésus-Christ 
nous  ne  Taisons  jiUis  qu'une  même  chose 
avec  lui  et  ne  saurions  manquer  de  j)artici- 
per  à  sa  sainteté,  h  sa  force,  à  sa  grandeur; 
à  sa  sainteté  malgré  nos  péchés,  à  sa  force 
malgré  nos  infirmités,  à  sa  grandeur  malgré 
notre  indignité  et  notre  bassesse;  bien  silrs 
de  tout  oblenir  de  Dieu  et  ne  craignant  plus 
qu'il  nous  n.'fuse  rien  pourvu  que  nous  joi- 
gnions seulement  notre  attention  au  sacri- 
lice  de  Jésus-Christ,  nos  prières  <i  ses  mé- 
rites, notre  foi  à  son  sang,  notre  fidélité  à 
ses  grilces,  nos  es[>rits  à  son  esprit,  nos 
cœurs  à  son  cœur  et  tout  ce  que  nous  som- 
mes à  tout  ce  qu'il  est.  Mais  (pielle  obli- 
jjation?  puisque  jtonr  être  uni  à  ce  divin  chef 
il  faut  avoir  quelque  sorte  de  proportion 
avec  lui;  des  mend)res  qui  n'ont  pas  de  pro- 
portion avec  le  chef,  n'étant  pas  capables, 
dit  saint  Chrysostome,  de  comparer  un  cor|)5 
avec  le  chef  si  ce  n'est  un  corps  monstrueux 
et  tel  que  le  corj)S  do  Jésus-Christ  ne  peut 
pas  être.  Or  quelle  confora)ité  avons-nous 
avec  le  Fils  do  Dieu  lorsque  nf»us  assistons  à 
son  sacrifice,  ou  plutôt  quelle  contrariété 
n'y  a-l-il  pas  entre  lui  et  nous?  Quelle  con- 
solation néanmoins  lorsqu'un  (hrélicn  qui 
assiste  au  sacrifice  de  la  messe,  se  sentant 
en  la  présence  de  son  Dieu,  accablé  de  con- 
fusion et  de  crimes,  embarrassé,  pour  ainsi 
dire,  de  la  grandeur  de  Dieu  et  de  son  pro- 
pre néant,  de  la  justice  de  Dieu  et  de  ses 
propres  désordres,  de  la  bonté  dont  Dieu  lui 
a  donné  tant  de  marques  et  de  la  malice  et 
des  ingratitudes  qui  viennent  en  foule  se 
représenter  à  sa  mémoire,  il  peut  tout  d'un 
coup  ranimer  son  courage  et  relever  ses 
espérances,  en  disant  seulement  au  Père 
éternel  avec  le  prophète  :  Uespice  in  faciem 
Christitui.  (Psal.  LXXXIII,  10.)  Père  ado- 
rable, jetez  les  yeux  sur  la  face  et  sur  la 


personne  de  votre  Christ,  car  si  je  n'étais 
pas  soutenu  par  ses  mérites  et  par  sa  pré- 
sence, quelle  témérité  serait-ce  à  moi  de 
me  firésenler  devant  vous  et  que  pourrais- 
je  atltmdre  de  vous,  que  de  funestes  effets 
de  celte  colère  que  j*ai  tant  et  tant  de  fois 
provofjuéo?  Le  voilà,  ce  Fils  bien-aimé,  le 
seul  objet  de  vos  complaisances,  qui  par 
l'effet  d'une  miséricorde  infinie,  prie  pour 
moi,  satisfait  pour  moi  et  vous  représente 
qu'il  a  souffert  les  douleurs  les  plus  cru- 
elles pour  moi;  qui  par  les  liens  d'une  cha- 
rité admirable  m'unit  h  lui ,  me  justifie  en 
lui  et  me  confond  heureusement  avec  lui  ; 
ne  me  regardez  donc  pas  sans  lui  et  ne  me 
séparez  pas  d'avec  lui.  Si  vous  considérez 
les  outrages  que  je  vous  ai  faits,  considérez 
l'honneur  et  la  gloire  qu'il  vous  rend.  Si 
vous  voyez  mes  révoltes,  voyez  ses  abais- 
sements. Si  vous  méprisez  mon  indignité 
et  ma  bassesse,  envisagez  sa  dignité  et  sa 
grandeur.  Si  vous  pesez  l'énormité  de  mes 
fautes,  pesez  le  prix  et  la  valeur  de  son  sang. 
Si  vous  jetez  les  yeux  sur  les  dérèglements 
de  ma  vie,  jetez-les  en  môme  temps  sur  les 
mérites  et  sur  la  cruauté  do  sa  mort  ;  car 
enfin  tous  les  pécheurs  ensemble  ne  sau- 
raient vous  ôter  autant  de  gloire  qu'il  vous 
en  donne,  et  je  puis  dire  que  dans  ce  sacri- 
fice il  fait  pour  moi  bien  plus  que  je  n'ni 
jamais  fait  contre  vous:  Respice,  respice  in 
fdciem  Chrisli  lui. 

Mais  (pielle  obligation,  mes  chers  audi- 
teurs, quand  nous  venons  à  faire  réfiexion  que 
pour  |)ro!iler  de  ces  mérites,  de  ces  humi- 
liations, de  ces  douleurs,  de  cette  mort  et 
de  ce  sacrifice  de  Jésus-ChrisI,  il  est  indis- 
pensablemeut  nécessaire  d'entrer  dans  les 
saintes  dispositions  de  Jésus-Christ,  de  co* 
opérer  à  ses  mérites,  de  prati(]uer  ses  hu- 
miliations, de  porter  en  nous  les  sacrés  ca- 
ractères de  sa  mort  et  do  ses  douleurs,  en 
un  mot,  de  mourir  après  lui  et  de  nous  sa- 
crifier avec  lui  ;  et  que  le  Père  éternel,  nous 
adressant  les  mêmes  paroles  que  nous  lui 
avons  adressées,  a  droit  de  nous  dire,  do 
son  côté,  par  un  équitable  retour  :  Hospice, 
respice  in  faciem  Chrisli  tui.  Ah!  chrétien, 
jette,  jette  toi-même  les  yeux  sur  rexemi)!o 
et  sur  la  personne  de  ton  Christ  ;  si  tu  veux 
(lue  je  le  regarde  comme  ton  médiateur, 
regarde-'e  donc  comme  ton  modèle  ;  si  tu 
veux  que  son  innocence  me  fasse  oublier 
tes  crimes,  déteste  donc  tes  crimes  et  te  re- 
vêts de  son  iiuiocence;  si  tu  veux  que  je  le 
pardonne  pour  l'amour  de  lui ,  travaille 
donc  à  me  satisfaire  comme  lui.  En  effet, 
Messieurs,  le  sacrifice  que  Jésus-Christ 
olfre  nous  détermine  la  forme  et  la  mesure 
de  celui  que  nous  devons  offrir.  Il  en  est  la 
première  victime,  mais  il  en  doit  être  en- 
core l'exemjjlaire  et  le  modèle,  et  c'est  ce 
que  jo  dois  vous  faire  voir  dans  la  deuxième 
partie  de  ce  discours. 

SECONDE    PARTIE. 

Comme  toutes  les  actions  du  Fils  de  Dieu 
doivent  être  la  règle  des  nôtres  et  que  d'ail- 
leurs son  sang  et  le  nôtre  ne  doivent  être 


si: 


SERMONS.  —  SERM.  IV,  SIR  LE  SAINT  SACRIFICE  DE  LA  MESSE. 


51  i 


que  les  dilTérenios  portions  d'un  sou'  ot 
unique  sncrifice,  il  s'cnsuil  évidcnniiciU  que 
pour  bien  savoir  ce  que  nous  devoîis  i'airo 
jiu  pied  do  l'oulel,  il  n'y  a  qu'à  bien  étudier 
lout  ce  que  Jésus-Christ  fait  sur  i'.iulel  el 
de  quelle  nature  est  le  sacrifice  qu'il  .v  otl're; 
à  quoi  le  grand  saint  Léon  nous  réjiond, 
d'abord  en  général  que  coiunie  tous  les 
autres  sacrifices  représentaient  celui-là,  ce- 
lui-là représente  aussi  tous  les  autres  ;  il 
est  lui  seul  de  la  nature  de  tous  les  autres. 
Mais  saint  Tliomas  nous  explique  ceci  plus 
en  détail.  Il  y  a,  dit-il,  quatre  perfertions 
en  Dieu  qui  exigent  princijialement  le  sa- 
crifice :  sa  grandeur,  sa  justice,  sa  miséri- 
corde et  sa  bonté  ;  car  dans  tous  les  sacri- 
fices que  les  liomnies  doivent  oll'rir,  ils  ne 
peuvuntse  proiiosir  (|ue  ces  quatre  fins  :  de 
reconnaître  la  grandeur  de  Dieu,  ou  d'a- 
paiser sa  justice,  ou  de  remercier  sa  boulé 
et  sa  miséricorde,  ou  d'en  obtenir  de  nou- 
velles grâces,  de  nouveaux  bienfaits.  Et  en 
effet,  toutes  les  différentes  boslies  de  la 
loi  ancienne  se  rapportaient  à  ces  qujitre 
cliefs;  car  l'iiolocausle  où  toute  la  victime 
était  consumée,  tendait  à  recon.naîire  la 
grandeur  de  l'être  de  Dieu  ()ar  lu  néant  oià 
cette  victime  était  réduite.  L'Iiostie  propi- 
tiatoire était  ollurle  à  la  justice  divine  pour 
le  péché,  et  les  deux  dernières,  qui  s'ap- 
pelaient hosties  pacifiques,  honoraient  la 
bonté  et  la  miséricorde  de  Dieu,  [)uisqu'elles 
lui  étaient  offertes,  l'une  fiour  le  remercier 
de  ses  dons  et  l'autre  pour  en  impétrer  de 
nouveaux.  El  c'est,  dit  saint  Thomas,  sous 
ces  différentes  idées  que  nous  pouvons 
considérer  Jésus  -  Christ  dans  son  sac'i- 
lice  ,  puisiiu'ii  s'ulfie  tculd'un  cou()  au  Père 
éleriiel  et  coujme  holocauste  [lour  recon- 
naître sa  grandeur,  et  comme  hostie  [)ro- 
pitiatoire  pour  apaiser  sa  justice,  et  co. urne 
hostie  pacifique  pour  remercier  et  pour  at- 
tirer sa  boulé  et  sa  mi.>éricorde.  Voilà,  mes 
frères,  ce  que  Jésus-Christ  immolé  fait  sur 
l'autel  et  ce  (pie  nous  devons  lAclier  de 
faire  avec  quelque  sorte  de  proportion 
comme  lui.  Je  m'arrèle  [irincipalement  aux 
deux  [)remières  considérations  et  oommeuco 
par  la  grandeur  île  Dieti  et  par  l'holocauste 
qui  lui  est  offert. 

Le  propre  de  l'holocauste  est  donc  d'ho- 
norer le  souverain  être  de  Dieu  et  sa  sou- 
veraine indépendance,  en  témoignant,  par 
la  destruction  et  l'anéanlissement  de  la 
victime,  que  Dieu  est  par  excellence  celui 
qui  est  :  E(jo  sum  qui  suin  [lixod.,  ill,  IV)  ; 
et  que  toutes  les  nations  sont  devant  lui 
comme  si  elles  n'étaient  pas  :  «  Omnes  génies 
coram  illo  quasi  non  sint.»  (/sa.,  XL,  17.}  En 
effet,  Dieu  existe  par  lui-ujôme  et  la  créa- 
ture n'cxise  que  par  emprunt;  Dieu  est  la 
source  de  l'ètie,  le  cenUe  de  l'être,  le  pro- 
priétaire de  l'être,  el  la  créature  n'est  d'elle- 
même  que  néant,  retourne  d'elle-même  dans 
le  néant,  n'a  rien  qui  soit  prO|)remenl  à  elle 
que  le  néant.  Si  donc  nous  voulons  oi'rir  à 
Dieu  quelque  chose  (jui  soit  à  nous,  il  faut 
lui  offrir  lu  néant.  Il  nous  donne  l'être,  mais 
nous  ne  saurions  lui  rendre  que  le  néaul.  lit 


parce  que  la  créature  n'a  [)as  même  le  pou- 
voir d'anéanlir  ce  qui  est,  comme  elle  n'a 
pas  celui  de  produire  ce  qui  n'est  pas,  c'est 
pourcela  que  les  honmics  voulant  au  moins 
détruire    la  victime   autant  qu'il  leur  était 
possible  de  la    détruire,  ont   toujours  em- 
fdoyé  le   feu  comme  le  plus  actif  des  êtres 
d'ici-bas;  en   sorte  que  cette  victime  étant 
réduite  en  cendres  cl  n'étant  plus  ce  qu'elle 
était,  rendait  au  moins  par  cette  espèce  de 
destruction  un    témoignage   public  et   so- 
lennel  à  cet  être  indépendant  et  immortel, 
que  rien   ne   peut  détruire  et  qui   ne   peut 
jamais  cesser  d'être  ce  qu'il  est.  Mais  quoi  ! 
disait  le  prophète  Isaïe,  quand  on  couperait 
aujourd'hui    toutes    les    forêts  et  que,    no 
faisant  qu'un   bûcher  de  toute   la  terre,  on 
y  brûlerait  tous  les  animaux  de  l'univers, 
de   quel  prix  serait  un   tel  holocauste  aux 
yeux  du  Dieu  que  nous  adorons,  et  quelle 
proportion    pourrait   avoir  un  fiareil   hom- 
mage avec  ses  perfections  infinies?  Il  fallait 
donc,  mes  fières,  au  Seigneur,  un  holocauste 
d'une  autre   espèce  et   une   victime   d'une 
autre   nature;   il   fallait  qu'un   Dieu  mémo 
s'anéantît  el  s'immolât.  Or,  c'est  ce  que  le 
Fils  de  Dieu  est  venu  faire  dans  la  loi  nou- 
velle :  Exinnnivil   semetipsum  :  «    ]l   s'est 
anéanti  ltii-méine.»{Pliilip.,U,l .)  Voilà,  chré- 
tiens, le  grand  mystère   de  notre  religion; 
le  néant  d'un  Dieu  honore  l'être  d'un  bien. 
C'est  sur  la  croix   que  Jé>us-Christ  a  com- 
mencé ce  sacrifice,    mais   c'est   sur   l'autel 
qu'il    le   consomme,    et   comme  il  y  avait 
dans  le  lem[)le  deux  différents  autels,  l'au- 
tel   des    victimes    oà  les   animaux   étaient 
égorgés,   et  l'autel  des   holocaustes  oià  ces 
victimes  élaienl  brûlées  el  réduites  en  cen- 
dres, c'est   sur  la  croix  coujmo   sur  l'autel 
des  victimes  que  le  Fils  de  Dieu  a  répandu 
son    sang;   mais  c'est  sur  l'autel  des  hnlo- 
caustes  qu'il  se  consume    pour  la  gloiie  du 
Seigneur,  y  brûlant  de  ce  feu  sacré  (|ui  le 
dévore,  je  veux   dire  de  ce  parfait  amour 
par  lequel  il  s'offre  éternellement  à  son  di- 
vin Père   toujours   vivant  et  toujours  sous 
des  apparences  de  mort;   toujours    vivant 
pour  offrir,    toujours    mourant   pour  être 
offert  ;  ne  voulant  jias  sur  cet  aulel  ni  jouir 
tout  à  fait  de  l'être  parce  qu'il  ùterail  à  son 
Père    la  gloire  de  son  anéantissement,  ni 
tomber  tout  à  fait  dans  le  néant,  parce  qu'il 
ôterait  à  son  Père  la  gloire  qu'il  lui  procure 
par  le  bon  usage  de  lêlre;  mais  se  balançant 
lui-même,  pour  ainsi  dire,  entre   lêlre  el 
le  néant,    se  donnant  à  l'un  sans  s'ôter  à 
l'autre,  et  honorant  lout  d'un  coup  le  Pôro 
éternel  p'ar  tous  les  deux. 

Voilà  un  sacrifice  qui  vous  paraît  sans 
doute  bien  élevé,  mais  il  ne  laisse  |)as  d'être 
à  la  portée  de  votre  imitation;  car  il  faut 
offrir  un  parfait  holocauste  comme  Jésus- 
Christ,  s'anéantir  comme  Jésus-Christ, 
être  consumé  par  un  feu  sacré  comme  Jésus- 
Christ.  Parlons  sans  figure,  mes  frères,  il 
faut  entrer  dans  les  sentiments  d'une  pro- 
fonde humilité,  el  c'est  en  cela  que  doit  con- 
sister votre  anéantissement;  il  faut  aimer 
le  Seigncurpar-des.sus  toutes  choses,  et  c'oit 


515 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


-M  6 


ct'l  amour  el  celte  chaiilé  fervente  qu'on 
peut  regarder  en  tout  corarae  le  feu  qui  doit 
brûler  la  viclimn  et  echever  riiolocausle. 
Je  dis  en  premier  lieu  qu'il  faut  com- 
mencer par  s'humilier  el  s'anéantir  devant 
le  Seigneur.  Grands  de  la  terre  quand  vous 
venez  assister  au  sacrifice  de  la  messe,  son- 
gez que  vous  venez  rendre  vos  hommages 
à  une  grandeur  infinie;  apprenez  de  Jésus- 
Christ  immolé  que  plus  vous  êtes  grands, 
plus  vous  vous  devez  à  l'iiumililé.  Il  est  plus 
grand,  mais  il  est  en  même  temps  plus  hum- 
ble que  vous  ne  sauriez  jamais  le  devenir, 
élevez-vous  tant  qu'il  vous  plaira,  vous  ne 
monterez  jamais  si  haut;  humiliez-vous 
tantgue  vous  f)Ourrez,  vous  ne  descendrez 
jamais  si  bas.  Cependant,  quand  vous  as- 
sistez au  sacrifice,  peut-on  dire  que  vous 
vous  acquittiez  comme  il  faut  de  ce  devoir 
si  essentiel  à  la  créature,  el  qui  consiste  à 
donner  à  Dieu  des  témoignages  de  votre 
dé|)endance  et  à  lui  faire  un  aveu  sincère 
de  voire  néant?  Car  si  vous  êtes  dans  les 
senlimenls  où  vous  devez  être  sur  ce  sujet, 
jiourquoi  celle  ditricuilé  à  vous  occuper  des 
pensées  d'humiliation  que  la  religion  vous 
suggère  ;  pourquoi  celle  facilité  a  vous  oc- 
cuper de  vous-mêmes  el  de  vos  prétendus 
avantages,  vous  regardant  toujours  par  les 
endroits  qui  vous  meltenl  au-dessus  des 
autres  el  jamais  par  ceux  qui  vous  sont 
communs  avec  les  autres,  el  pensantjusques 
au  pied  des  «ulels,  presque  toujours  à  ce 
que  vous  êtes  à  l'égard  des  hommes  et  pres- 
que jamais  à  ce  que  vous  ôles  à  l'égard  de 
Dieu;  pourquoi  toute  celte  alfoclation  d'une 
pompe  et  d'une  prééminence  jirofane,  ne 
pouvant  en  rien  vous  mettre  sur  le  pied  des 
dmes  fidèles,  cherchant  à  vous  distinguer 
jusque  dans  les  actes  de  la  religion  que 
vous  professez,  el  voulant  ainsi  donner  à 
voire  humilité  même  îe  caractère  de  votre 
orgueil.  Ah  I  défaites-vous,  quand  ce  ne  se- 
rait que  pour  un  moment,  de  ce  luxe  qui 
vous  environne,  de  ce  faste  qui  vous  éblouit, 
de  celle  vanité  qui  vous  trompe,  de  celle 
llatlerie  qui  vous  séduit,  de  ces  qualités 
qui  vous  liront,  de  tous  ces  avantages  qui 
sont  peut-être  en  vous,  mais  qui  no  sont 
point  à  vous.  En  un  mol,  rendei:-vous  vous- 
même  à  vous-même  el  alors  vous  décou- 
vrirez vos  misères  el  vos  fa  blesses,  vos 
crimes  el  vos  défauts;  el  alors  ayant  dé- 
pouillé ce  néant  déguisé  de  toutes  les  appa- 
rences dont  il  élait  revêtu,  vous  le  retrou- 
verez tel  qu'il  est,  et  pour  vous  acquitter 
enveis  le  Seigneur,  vous  lui  rendrez  digni- 
tés el  prérogatives,  et  ces  avantages  comme 
des  biens  qui  sont  à  lui,  el  vous  lui  offrirez 
votre  néant  comme  la  seule  chose  qui  soit 
à  vous.  En  vérité,  disait  le  grand  Augustin, 
en  parlant  de  l'incarnalion  du  Fils  de  Dieu, 
qui  est  venu  guérir  notre  orgueil  par  le 
mérite  de  ses  humiliations,  c'est  une  grande 
ruiséricorde  qu'un  Dieu  humble,  mais  c'est 
une  grande  misère  qu'un  homme  suj)eibe  : 
Magna  misericordia  Dcus  liumilis ,  magna 
miseria  liomo  stiperbus;  maJs  hélas,  mes 
che:s  audiieurs, que  ces  deux  prodiges  dont 


l'un  devait  détruire  l'aulre,  se  renconlreiit 
encore  souvent  dans  nos  temples,  lorsqu'au 
même  lenq)S  (|ue  le  Fils  de  Dieu  s'anéantit 
sur  l'aulel,  le  chrétien  superbe  se  remplit 
d'orgueil  au  pied  de  l'aulel  I  Quel  spectacle 
aux  yeux  du  Père  éternel,  quand  il  voit 
d'un  côté  ce  Dieu  humble,  et  de  l'autre  cet 
homme  superbe;  d'un  côté  ce  Dieu  humilié 
pour  expier  l'orgueil  de  ce  chrétien, et  de 
l'autre  ce  chrétien  moins  soumis  el  plus 
indépendant  que  jamais;  d'un  côté  un  Dieu 
qui  s'est  rendu  obéissant  jusqu'à  la  mort 
(Je  la  croix,  elqui  renouvelle  encore  dans 
son  sacrifice  la  mémoire  el  les  témoignages 
de  son  obéissance,  el  de  l'autre  ce  chrétien 
qui  secoue  le  joug  de  l'Evangile,  et  qui  se 
révolte  contre  toutes  les  lois  el  toutes  les 
volontés  du  Toul-Puissanl.  Quel  renverse- 
ment quand  ce  Dieu  de  gloire  devant  qui 
les  choses  qui  sont  comme  si  elles  n'étaient 
pas,  voil  ce  pécheur  qui  n'est  rien  et  qai 
affecte  de  paraître  quelque  chose,  pendant 
que  cet  auguste  médiateur  qui  possède  la 
plénitude  de  l'être,  em[)loie  sa  puissance  et 
fait  des  mircicles  pour  honorer  la  Divinité 
par  son  néant.  Ali!  mes  frères,  si  nous 
avions  un  peu  de  foi,  en  viendrons-nous 
jusqu'à  'Je  jiareils  excès,  assisterions-nous 
aux  redoutables  mystères  autrement  que 
dans  des  pensées  el  des  vues  continuelles 
de  nos  misères,  de  nos  faiblesses,  de  noire 
néant,  de  nos  crimes,  de  notre  dépendance, 
el  nous  meltrions-nous  dans  un  étal  tel  que 
l'humilité  du  Fils  de  Dieu,  dans  son  sacri- 
fice, au  lieu  d'êlre  le  remède  de  noire  or- 
gueil en  devienne  la  plus  terrible  el  la  plus 
inévitable  condamnation  ? 

Il  faut  donc  que  l'humilité  nous  anéan- 
tisse, mais  il  faut,  en  môme  lemns  que  lo 
feu  de  la  charité  nous  consume,  lu  aimeras 
le  Seigneur  Ion  Dieu  de  tout  ton  cœur,  d". 
tout  ton  esprit,  de  toute  ton  âme,  de  toutes 
tes  forces.  Voilà,  mes  frères,  le  grand  pré- 
cepte, voilà  le  premier  précepte,  voilà  le 
seul  précepte  el  la  loi  ;  c'est  le  grand  pré- 
cepte el  tous  les  autres  ne  sont  que  des 
conséquences  de  celui-ci;  c'est  le  seul  pré- 
cepte et  tous  les  autres  se  trouvent  renfer- 
més dans  celui-ci;  mais  si  c'est  le  grand 
précepte,  le  premier  [)récepte,  le  seul  pré- 
cepte que  le  Seigneur  nous  a  fait,  c'est  aussi 
le  don,  le  grand  don,  le  premier  don,  le 
seul  don  que  nous  lui  pouvons  faire  el  le 
don  général  el  parfait  véritablement  digne 
de  lui  el  dans  lequel  Ions  les  autres  dons 
se  trduveiil  cominis.  C'est  un  don  que  nous 
faisons  au  Seigneur,  et  quoi(ju'il  soit,  vrai 
que  le  Seigneur  a  un  souverain  empire  sur 
nous  et  que  tout  ce  qui  api  arlienl  à  la  créa- 
ture est  toujours  bien  jilus  à  lui  qu'à  elle- 
même,  il  est  vrai,  pourtant,  que  le  Seigneur 
a  mis  l'homme,  comme  parle  l'Ecriture,  en 
la  main  de  son  conseil.  Il  n'y  a  que  la  li- 
berté de  l'homme,  dit  Teilullien,  qui  ba- 
lance remi)iie  de  Dieu  el  qui  semble  don- 
ner quelque  li  u  de  douter  si  Dieu  a  un 
domaine  absolu  sur  tous  les  êlres  :  Sola 
hominis  libertas  dominium  Dci  reddit  ambi- 
(juum.  Il  dépend  donc  de  nous  do  donnor 


5i7  SERMONS.    -  SERM.  IV,  SUR  LE 

nolro  amour  .'i  Dion  el  il  nous  le  demnnJe 
cuiimie  un  don  :  Mon  fils,  donne  moi  ton 
cœur  :  «  Fili,  prœbc  milii  cor  luum.  [Pror., 
XXIIl,  20.)  C'est  le  granci  don,  car  nios 
frères,  qu'avons-nous  de  plus  précieux  que 
noire  amour,  et  ne  savons-nous  pas  que  les 
hommes  mt-mes  ne  comptent  pour  rien  tous 
les  autres  dons  si  nous  leur  refusons  celui- 
ci  ?  C'est  le  premier  don,  car  on  ne  donne 
jamais  rien  qu'à  ceux  qu'on  aime  et  à  cause 
qu'on  les  aime,  d'où  il  s'ensuit,  évidem- 
ment, que  tous  les  autres  dons  supposent 
celui-ci  et  ne  peuvent  jamais  être  que  des 
suites  de  celui-ci;  c'est  même  le  seul  don 
que  nous  puissions  faire  à  Dieu,  car  tout  le 
reste  est  à  lui.  il  n'y  a  que  notre  amour 
qui  soit  à  nous  :  Meœ  sunl  ferœ sylvarnm, 
jumenta  in  monlibus  et  baves.  [Psal.  XLIX, 
10.)  Tous  ces  animaux,  disait-il  au  prophè- 
te, tous  ces  animaux  que  lu  me  jiourrais 
immoler  ne  sont-ils  pas  à  moi  et  ne  sont-ils 
pas  sortis  de  mes  mains?  si  donc  tu  me 
veux  oH'rir  quelque  cho."^e  qui  soit  à  toi  , 
immole  au  Seigneur  le  sacrilice  de  louanges 
et  lui  donne  les  affections  et  tes  vœux  : 
Immola  Dca  sacrificium  laudis  et  redde  Al- 
tiisimo  vola  tua.  (Jbid.,  14.)  C'est  encore 
un  don  vérilablemtint  digne  de  Dieu,  car, 
dit  le  grand  Augustin,  Dieu  élant  la  bonté 
essentielle,  il  pe  peut  être  bien  honoré  que 
par  l'amour,  et  comme  c'est  une  bonté 
souveraine,  i!  ne  saurait  être  bien  honoré 
que  par  un  amour  souverain.  Enfin,  mes 
fières  ,  c'est  un  don  général  et  qui  com- 
prend tous  les  autres  dons.  Les  autres  ver- 
tus ne  font  à  Dieu  que  des  présents  parti- 
culiers et  limités.  L'aumône  lui  donne  des 
biens  temporels,  la  continence  donne  le 
corps,  la  loi  donne  l'esprit  ;  mais  la  charité 
donne  tout,  elle  consacre  tout,  elle  consu- 
me tout,  elle  met  le  Seigneur  en  possession 
de  tout.  El  en  ellei,  dès  qu'on  aime  véritable- 
ment Dieu,  on  ne  saurait  plus  lui  refuser 
rien,  ni  lui  désobéir  en  rien.  Les  autres 
vertus  ne  sont  donc  que  des  sacrifices  par- 
ticuliers et  communs;  mais  la  charité  est 
un  véritable  et  un  parlait  holocauste.  Peut- 
on  dire,  mes  frères,  que  vous  l'otfriez  au 
Seigneur,  et  n"aurais-je  pas  plutôt  lieu 
de  'lire,  aujourd'hui  ce  (lu'lsaac  disait  au- 
trefois à  Abraham  au  pied  de  la  montagne  : 
Ecce  ignis  et  ligna  sed  ubi  est  victima  holo- 
causti  :  u  Foi7«  le  feu  et  le  bois  où  est  la  vic- 
time de  l'holocauste?»  (Gm.,XXlI,  7.)Hélas, 
cet  amour  de  Dieu  semble  èlre  enlièremenl 
aboli  dans  le  christianisme.  Saint  Pjul  ful- 
minait autrefois  des  anaihèmes  contre  ceux 
qui  n'aimaient  pas  le  Seigneur  et  les  chré- 
tiens sembleril  persuadés  ,  au  moins  par 
leur  conduite,  que  si  c'est  une  grande  vertu 
de  l'aimer,  ce  n'est  point  un  si  grand  crime 
de  ne  l'aimer  pas.  Ce  précepte  ne  passe  que 
pour  un  conseil,  ce  grand  [irécepte  n'e>t 
irailé  que  comme  s'il  était  le  plusitelit; 
ce  premier  précepte  n'est  regardé  que  com- 
me celui  qu'on  doit  observer  le  dernier,  ce 
seul  précepte  est  peut-être  le  seul  qu'on 
révoque  en  doute,  et  celui  dont  on  a  le  plus 
de  diUiculté  à  convenir.  Au  lieu  de  brûler 


SAINT  SACRIFiCE  DE  LA  MESSE. 


518 


d'un  feu  sncré,  la  jilupart  des  chrétiens  n'ap- 
porlenl,  comme  les  enfants  d'Aaron,  qu'un 
feu  profane  au  sacrilice  et  n'ont  le  cœur 
sensible  que  pour  des  objets  périssables, 
dont  la  cupidité  les  rend  les  esclaves  et 
les  victimes.  Aveugles  que  vous  êtes,  vous 
ne  voudriez  pas  offrir  à  la  créature  le  sacri- 
fice visible  et  extérieur,  et  vous  lui  offrez, 
le  sacrifice  intérieur  et  invisible  dont  l'autre 
n'est  que  la  figure,  et  qui  est  celui  dont 
Dieu  est  uniquement  jaloux.  Voilà  pour- 
tant la  disposition  vu  sont  peut-être  la  plus 
grande  partie  des  chrétiens.  Vous  aimez 
Dieu,  moucher  auditeur,  plus  que  telle  et 
telle  créature,  mais  vous  aimez  ceite  autre 
créalure  |)Ius  que  Dieu;  vous  assistez  au 
saint  sacrifice,  mais  vous  y  apportez  un 
allacheraent  criminel,  mais  vous  entretenez 
toujours  une  habitude  contraire  à  la  loi  di- 
vine, mais  une  passion  prédominante  dis- 
pute à  votre  Dieu  et  lui  enlève  même  l'em- 
pire de  votre  cœur.  Allez,  vous  êtes  un  ana- 
thèmc  ,  vous  êtes  un  ingrat  envers  Dieu, 
qui  lui  refusez  le  seul  don  qu'il  vous  de- 
mande et  le  seul  don  que  vous  lui  pourriez 
offrir;  vous  êtes  une  créature  révoltée,  qui 
transgressez  ce  grand  précepte  qui  renferme 
tous  les  autres  et  sans  lequel  il  nous  est 
inutile  d'observer  tous  les  autres;  vous 
ôles  un  im[»ie  qui,  semblable  aux  enfants 
d'Héli,  profanez  le  sacrifice  et  retirez  indi- 
gnement de  l'autel  une  |)Ortion  de  la  victi- 
me qui  était  destinée  au  Seigneur;  vous 
êtes  un  idolâtre  qui,  manquant  à  rendre  à 
la  Divinité,  le  culte  que  vous  lui  devez, 
avez  encore  la  témérité  de  rendre  ce  même 
culte  à  un  objet  matériel  et  périssable.  Alil 
conclut  le  grand  Augustin,  persuadons- 
nous  une  bonne  fois  de  cette  obligation  si 
indispensable  et  si  essentielle,  et  commen- 
çons tout  de  bon  à  briller  du  feu  de  la  cha- 
rité :  Incipiamus  ardere  charilule;  mais  brû- 
lons-cn  sans  cesse  jusqu'à  ce  que  ce  feu  ait 
consuu)é  en  nous  tout  ce  qu'il  y  a  de  maté- 
riel et  d'impur  :  Donec  lolum  moriale  con- 
sumalur,  et  que  tout  ce  qui  échapi>era  aux 
flammes  de  cet  amour,  redevienne  inces- 
samment la  matière  d'un  nouveau  sacrifice  : 
Et  quod  consiimptiim  non  fuit  transeat  in 
saci'ificium  Dei.  Voilà,  mes  fières,  ce  que 
j'appelle  un  véritable  holocauste,  s'anéantir 
devant  Dieu  et  aimer  i)arfaitenienl  Dieu; 
c'est  ainsi  que  font  toujours  pratiqué  les 
véritables  serviteurs  de  Dieu.  Examinez  lus 
senliments  les  plus  secrets  de  ce  juste  qui 
se  consume  au  (lied  de  l'aulel.  Ouvrez  le 
cœur  de  celte  victime,  tout  y  est  feu  ou 
cendres,  ce  sont  les  cendres  de  fhumililé 
avec  les  flammes  de  la  charité  :  vous  n"y 
trouverez  rien  autre  chose. 

Mais,  me  direz-vous,  il  est  bien  dilTicile 
d'être  d'abord  dans  ce  parfait  esprit  de  sa- 
crifice que  vous  nous  demandez  et  que  fa 
refigion  nous  demande,  et  si  l'un  se  trou- 
vait par  malheur  dans  un  état  de  péché, 
faut-il  donc  pour  cela  se  retirer  de  la  société 
des  fidèles  et  s'excommunier  soi-même  du 
sacrilice  de  Jésus-Christ?Gardez-V(/us  bien, 
mes  chers  auditeurs,  de  donner  dans  colle 


519 


nilATEL'HS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


MO 


funeste  exlrémilé.   Nous  ouvrons  la  porte 
du  lemplo  à  tous  les    pécheurs,  parce  c'est 
là  qu'ils  doivent  être  sanctifiés  et  convertis, 
et  où  le  Fils  de  Dieu  étaii  auliefois  envi- 
ronné de  malades  qui  le  suivaient  pour  tâ- 
clier  d'obtenir  de  lui  leur  guérison.    Il   ne 
s'olTense  pas  que  son  autel  soit  environné 
de  pécheurs,  quand  principalement  ces  pé- 
cheurs souhaitent  et  lui    demandent  sincè- 
rement la  giâce  de  leur  conversion.   Ainsi, 
nies  clicrs  auditeurs,  si  vous  êtesdans  l'étal 
du  péché,  vous  trouverez  une  ressource  et 
un  remède  à  votre  péché  dans  le  sacritice 
môme  de  Jésus-Christ;  car  le  Fils  de  Dieu, 
dans  ce  sacrifice,   n'honore   pas   seulement 
la  grandeur  et  la    souveraineté   du   Père 
Eternel,  il  travaille  encore  à   y  apaiser  sa 
justice,  rappelant    pour  cela   ses  humilia- 
tions et  ses  douleurs,  rouvrant   pour   ainsi 
dire  ses  plaies;  en  un  mot,  paraissante  ses 
yeux   comme  une  hostie    propitiatoire,   et 
faisant  à  là  face  de  l'univers  une  espèce  de 
pénitence  publique   pour   tous    les  péchés 
des  hommes.  Sur  quoi,  mes  frères,   il    me 
semble   que  nous   devons  soigneusement 
distinguer  enire  l'effet  du  sacritice  de  l'au- 
tel et  l'etlet  du  sacrement  do  la  pénitence^ 
en  ce   qui  regarde  la  sanclitication  du  pé- 
cheur. Car  le  sacrement    confère   la   grâce 
au  chrétien  pourvu  qu'il    soit  dis|)osé  à  la 
recevoir  ;  mais  c'est  le  propre  du  sacrifice 
de  lui  obtenir  cette    salutaire   disposition 
qui  le  prépare  à  celle  grâce.  Ainsi,  le  sacre- 
ment suppose  le  changement   du  cœur  et  le 
sacrifice  nous  le   [)rocure.  En  un  mot,   le 
sacrement  nousjustitie  et  le  sacrifice  nous 
convertit.  Et  c'est  en  ce   sens  que  le  saint 
concile  de  Trente  nous  assure  que    le  Sei- 
gneur, ajiaisépar  le  mérite  de  celte  adorable 
victime,  a  coutume  de   nous  remellre    les 
péchés  les  [dus  énormes  :  Uujus  obtalione 
placatus  crimina   eliam    ingentia    dimitlit ; 
faisons  rétlexion,  mes  frères,  à  une    vériié 
si  im[)ortanle   et  si  pleine    de  consolation 
pour  nous,  et  de  quelque  manière  que  nous 
nous  sentions  coupables    ne  laissons  pas  de 
venir  assister  avec  confiance  au   sacrifice 
de  Jésus-Christ.  Mais   si   nous  y  assistons 
dans  l'étal  de  péché,  ne  soyons    pas   assez 
malheureux  pour  y  assister  dans   une   ac- 
tuelle disposition  au  |)éché  et  dans  la  vo- 
lonté formée  de    retourner  au  péché.  Que 
laites  vous,   mon  divin  Sauveur?  vous  de- 
mandez pardon  pour  ce  chrétien,   et  il   ne 
le  demande  [)as  lui-même;  vous  faites  [)éni- 
leuce  pour  lui,  et  il   veut  demeurer   impé- 
nitent;  vous    prétendez   apaiser   la  justice 
du  Père  éternel  en  sa  faveur,   et  il  prétend 
coulinuer  à  lui  faire   des  outrages,  t^alll^- 
sant    votre  médiation    par  sa  conduite  et 
désavouant  ouverlemeni   tout   ce  que  vous 
faites  pour  lui.  Ah  I    mes  frères,  dans   les 
premiers  siècles   do   l'Eglise,  les  i)écheurs 
qui  étaient  dans  l'exercice  actuel   de  la  pé- 
nilence  n'étaient  |)asjugés dignes  d'assister 
au  sacrifice,  et  peisonne  avant  la  célébra- 
lion  oes  saints  mystères  n'ignore  quel'ins- 
iruclioQ  ou  rexplicalionde  l'Evangile  finie, 
le  diacro  ue  fit  soi  tir  Irois  sortes  de  per- 


sonnes hors  de  l'Eglise;  les  pénitents,  les 
cntéchumèneî,  c'esl-h-diro,  ceux,  qui  n'é- 
taient pas  encore  baptisés,  et  les  énergu- 
mènes,  c'est-h-dire,  ceux  qui  étaient  pos- 
sédés du  démon.  Aujourd'hui  l'Eglise  per- 
suadée que  ses  enfants  ne  sont  plus  capa- 
bles d'une  discipline  si  sévère,  et  que  cet 
éloignemerit  des  mystères  de  leur  religion, 
qui  les  ramenait  autrefois  à  leur  devoir  no 
ferait  plutôt  que  les  confirmer  dans  leur 
impénitence,  l'expérience  prouve  qu'au  lieu 
de  suivre  en  cela  les  saintes  instructions  de 
l'Eglise,  il  s'en  trouve  un  nombre  infini  assez 
hautains  pour  assister  pendant  di's  années 
entières  ausacrificeavecl'altacliement  actuel 
au  péché,  ayant  pris  souvent  leurs  mesures 
pour  aller  an  sortir  de  l'Eglise  commettre 
le  péché  ;  disons  davantage,  qui,  pendant 
l'action  redoutable  du  sacrifice,  ne  s'occu- 
pent que  des  idées  du  [)éché,  et  qui  au  lieu 
de  faire  au  moins  quelque  réflexion  sur  la 
sainteté  de  ces  adorables  mystères,  ne  font 
au  conlrairo  que  les  j)rofaner,  ou  [lar  des 
pensées  seciè;es  et  criminelles  ,  ou  même 
par  des  irrévérences  publiques  et  scanda- 
leuses. Car,  mes  frères,  les  choses  en  sont 
venues  jusqu'à  cet  excès.  Aulrel'ois,  dit  le 
grand  saint  Chrysostome,  toutes  les  maisons 
des  chrétiens  eussent  pu  passer  pour  autant 
d'églises;  aujourd'hui  toutes  les  églises 
semblent  être  devenues  auiant  de  n;aisons 
profanes,  sans  aucun  égard  pour  ces  re- 
doutables mystères  qui  fonl  trembler  ies 
anges  de  frayeur.  Pendant  l'action  même  du 
sacrifice,  l'on  tourne  le  dos  à  l'autel,  l'on 
s'emporte  à  des  rires  éclatants  et  dissolus, 
l'on  s'entretient  de  choses  iudilférentes,  l'on 
y  |)aiie  même  des  choses  les  plus  criminelles, 
l'on  y  devise  de  médisance,  l'on  y  fait  à  l'ob- 
jet d  une  [lassion  impure  des  proleslalions 
d'un  dévouement  impie.  Quel  horrible  ren- 
versemenilQuelIc  merveille,  continue  saint 
Chrysostome,  que  la  foudre  ne  tombe  pas  au 
ciel  et  ne  réduise  en  cendres  et  ce  lemple 
ainsi  profané,  et  ces  insensés  qui  le  profa- 
nent, et  ces  ministres  qui  ont  lu  lâcheté  du 
le  laisser  profaner  ;  el  ne  croyez  point,  con- 
tinue ce  Père,  que  ce  soit  ici  des  exagéra- 
tions, car  il  est  vrai  que  ces  sortes  do 
scandales  et  d'irrévérences  méritent  la 
foudre. 

Quoi  vous  deviez  venir  au  sacrifice  pour 
apaiser  le  Seigneur,  el  il  semble  que  vous 
n'avez  dessein  que  de  le  venir  insulter; 
vous  lui  deviez  des  satisfactions,  et  vous 
choisissez  son  temple  pour  y  .commeilre 
de  nouveaux  crimes  I  Vous  voulez  assister 
à  la  médiation  de  ce  divin  Uédem[ileur  qui 
offre  à  la  divinité  son  sang  et  ses  mérites 
pour  nous,  et  par  un  emportement  furieux, 
au  lieu  de  vous  mettre  en  état  de  [)rofiler 
de  cette  médiation  ,  vous  ne  faites  qu'oulra- 
gerelle  médiateur  ella  divinité  loul  à  la  fois. 
Ah!  chrétiens  quel  le  action, a  utrefoissisain  le 
mainlenaiit  si  profane  et  si  corrompue?  Est- 
ce  là  ce  que  tu  rends  au  Seigneur?  Est-ce 
ainsi  que  tu  t'acquiltes  de  les  obligations 
euvers  lui?  Voilà  pourtant  les  seules  mar- 
ques qu'une  iutiuilô^do  chréliens  douuoul 


h2t 


SLRMONS.  —  Si:UM. 


V,  SI  U  LE  JOlUl  DE  PAQUES. 


K22 


aiijourd'liui  dolcur  religion  ;  voil^  ios  seuls 
ados  qu'ils  on  exercent.  Mais,  ô  Dieu!  di- 
sait le  grand  Angnslin  aux  païcms  en  leur 
reprochant  l'impureté  de  leurs  sacriOces  , 
car  les  chrétiens  nous  réduisent  à  leur  faire 
les  mémos  reproches,  par  la  manière  dont 
ils  se  comportent  dans  la  religion  la  plus 
pure  et  dans  les  cérémonies  les  plus  sain- 
tes ,  ô  Dieu  !  quel  sera  votre  liburtinagc,  si 
c'est  là  voire  religion,  quels  seront  vos  scan- 
dales, si  votre  piété  est  un  scandale,  et 
quels  peuvent  être  vos  crimes,  si  c'en  sont 
là  les  expiations;  Quœsunt  sacrilegia,  siilta 
sac7'a,  aut  qua  inquinutio,si  illalavatio?  As- 
sistons au  sacrilice,  mes  frères,  mais  assis- 
tons-y, aussi  bien  que  Jésus-Christ,  comme 
des  hosties  propitiatoires,  en  posture  depé- 
nilenls,  dans  un  esprit  de  contrition  et  de 
douleur,  et  joignant  nos  salisfaciions  à 
celles  du  Rédempteur,  en  sorte  que  ce  qui 
manque  à  la  valeur  des  nôtres  puisse  être 
suppléé  par  le  mérite  des  siennes.  Trois 
sortes  de  personnes,  dit  saint  Ambroise, 
assistèrent  diiréremment  au  sacritice  de  la 
croix:  Les  preuiiers  étaient  ceux  qui  fai- 
saient (les  outrages  à  Jésus-Christ  comme 
les  Juifsot  les  bourreaux  ;  les  secondsélaient 
ceux  qui  regardaient  ce  tragique  spe(-lacle 
d'une  manière  indiU'érente  et  en  jiassant  ; 
les  iroi.'^ièmes  qui  n'étaient  qu'en  bien  petit 
iiouibre,  étaient  ceux  qui,  comme  iecente- 
nier,  furent  touchés  des  douleurs  et  des 
vertus  de  cet  houuue  juste,  et  qui,  remplis 
de  toutes  les  merveilles  qui  s'étaient  pois- 
sées à  sa  mort,  s'en  retournaient  frappant 
leurs  poitrines  et  disant  :  Celui-là  était  véri- 
tablement Fils  de  Dieu.  «  Vere  fiUus  Dei 
eratisle,  »  (iUa<i/j.,XXVll,  5'+.)  La  môme  dil- 
lereiice  ne  se  trouve-t-elie  pas  encore  dans 
nos  égises  où  ce  grand  sacritice  se  renou- 
velle tous  les  jours;  les  uns  n'y  sont  occu- 
pés qu'à  déslionorer  la  diviniié  et  à  ou- 
iiagur  Jésus-Christ  jiar  leurs  sacrilèges  et 
par  leurs  irrévérences;  les  autres  ne  s'y 
trouvent  que  comme  en  passant,  sans  [ires- 
que  aucun  sentiment  de  religion  :  Prœter- 
euntes  (Maith,.,  XXVll,  33),  y  assistant 
par  des  vues  purement  humaines,  jiar  cou- 
lumr,  par  politique,  par  bienséance  ;  mais 
les  troisièmes,  mes  chers  auditeurs,  dont  il 
faut  faire  en  sorte  que  nous  soyons  tous, 
sont  ceux  qui,  étant  persuadés  par  les  lumiè- 
res d  une  vive  foi  que  c'est  véritablement 
le  Fils  de  Dieu  qui  s'immole  sur  cet  autel  : 
yereFilius  Dei  crat  iste,  délestent  sérieuse- 
ment leurs  péchés  y  poussent  des  soupirs 
de  pénitence,  Iruvaillenl  coiiiuie  Jésus- 
Christà  y  aiiaiser  la  justice  d'un  Dieu  ir- 
rité et  s'en  retournent  lra[)[)aiit  leur  [joi- 
irine  jiar  le  luouvemenl  d'une  sincère  dou- 
leur :  ii7  revertvbanlur  percutienies  peclora 
sua.  (Luc,  XXlll,it8.) 

Il  mu  resterait  à  vous  faire  voir  que  le 
1-ils  ne  Dieu  s'oll're  au  Père  Kternel  uaiis  le 
saint  sacritice  pour  le  remercier  desgiûces 
qu'il  nous  fait  incessamment  et  pour  lui 
eu  demanderde  nouvelles,  et  cpi'eii  cette  qua- 
lité, Duus  devons  jojihire  fius  prières  aux 
siennes  et  nus  remercîuients  au  xsiens;  mais 
OuATi.tRS  SiCWÉS.  LXVlll. 


tout  ce  que  je  vous  al  dit  jusqu'à  présent 
vous  fera  sans  doute  assez  com()rendie  tout 
cecjueje  pourrais  vous  dire  Ih-dcssus.Tout  ce  , 
(lui  n'est  (loint  péché  en  nous,  toutce  charme 
en  nous,  tout  co  qui  nous  appartient  ou  qui 
nous  peut  appartenir  dans  l'ordre  de  la  na- 
ture et  de  la  grâce  est  sans  doute  l'ouvrago 
du  Seigneu"-  et  l'elfet  de  sa  libéralité. "il 
est  donc  juste  de  le  remercier  pour  le 
passé  et  de  solliciter  tous  les  jours  sa  bonté 
et  sa  miséricorde  pour  l'avenir;  mais  parce 
que  nos  actions  de  grâces  ne  sont  pas  di- 
gnes de  lui  être  oll'ertes  ,  c'est  pour  cela  que 
le  FiL-.de  Dieu  sar  l'autel  remercie  pournous 
et  que  nous  venons  assister  à  son  saLTifico 
pour  joindre  notre  reconnaissance  à  la  sienne 
et  pour  l'olfrir  lui-môme  au  Seigneur  comme 
le  supplément  oe  cette  reconnaissance. 
Mais  parce  que  nous  vivons  dans  une  si 
grande  dépendance  des  dons  du  Seigneur  et 
que  nous  ne  pouvons  par  nous-mêmes  mé- 
riter que  ses  châtiments,  c'est  pour  cola 
que  nous  intéressons  le  Fils  de  Dieu  dans 
nos  prières.  Et  ce  divin  Sauveur  se  sacrifiant 
entièrement  pour  nos  intérêts  ,  il  prie 
dans  tous  nosbesûins,  il  prieavecnous,  il  prie 
pour  nous,  il  prie  en  nous;  et  nous  obtenons 
infailliblement  par  lui  ce  que  nous  ne  pour- 
rions jamais  obtenir  sans  lui.  Ap[)rochons- 
nous  donc,  mais  approchons-nous  avec 
confiance  de  cet  autel.  En  olfranl  Jésus- 
Christ  au  Père  Eternel,  nous  lui  donnons  de 
quoi  nous  acquitter  de  toutes  nos  dettes, 
nous  lui  olfrous  de  quoi  [)ayer  toutes  ses 
grâces.  Adorons-le  par  Jésus-Christ  ,  apai- 
sons-le par  Jésus-Christ,  remercions-le 
par  Jésus-Christ,  sollicitons-le  |)ar  Jésus- 
Christ;  mais  demandons  lui  surtout  la  grâce 
d'une  véritable  conversion  par  les  mérites 
de  Jésus-Christ,  ahn  que  nous  puissions 
mériter  de  le  louer  à  jamais  avec  Jésus- 
Christ  dans  tous  les  siècles  des  siècles. 
Ainsi-soit-il. 

SERMON  V. 

SLU   LE    JOUR    DE   PAQUL» 

Hsec  (lies  quam  fecil  Uominus;  exsullenius  et  laetemur 
in  eu.  {Psal.  CXVII,  24.) 

Voici  le  jour  que  te  Seigneur  a  fait  et  auquel  il  faut 
abandonner  nos  cœurs  à  la  jOie. 

Ce  serait  se  faire  une  peinture  peu  fidèle 
et  peu  agréable  de  la  religion  que  nuus  pro- 
fessons, de  s'imaginer  qu'elle  n'eût  donné 
aux  chrétiens  que  la  mortilication  en  partage, 
comme  si  n'ayant  rien  que  de  funeste  ou  d'in- 
commode à  nous  annoncer,  elle  ne  pouvait 
produire  en  nous  que  des  sentiments  do 
douleur  et  de  tristesse;  mais  le  mystère  de 
la  rébUi  rectiun  suilil  pour  la  justilier  de  co 
r(:,iroche.  Ces  jours  passés,  chrétiens  audi- 
teurs, nous  avons  ressenti  les  tristes  impres- 
sions delà  mort  d'un  Dieu,  nous  avons  mêié 
nos  larmes  à  son  sang,  lie!  n'était-t-il  pas 
bien  juste  de  nous  atiliger  avec  lui,  [)uisqu'il 
no  souilVait(jue  pournous;  mais  aujourd  iiui 
sa  résurrccliuii  triomphante  commence  h 
nous  donner  autant  de  joie  qu'elle  lui  donne 
de  gloire  ;  ce  n'est  plus  cejour  do  conlusion 
et  de  désordre  où  la  jmissance  des  ténèbrtis 
sortie  des  eniers  el  exer(^a:il  un  pouvoir  ty- 

17 


525 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


'>24 


lannique  sur  la  terre;  avait  ôié  la  pu;ieur  au 
crime  ,  l'éclat  h  l'innocence,  la  lumière  aux 
astres,  la  pitié  aux  hommes  et  môme  la  vie  à 
un  Dieu  ;  c'est  un  jour  d'allégresse  et  de  lu- 
mièrequi  rend  l'éclat  à  un  soleil  éclipsé,  qui 
raiïermit  une  terre  ébranlée  et  qui,  rétablis- 
sant l'ordre  et  la  sérénité  partout,  redonne 
la  vie  à  Jésus-ChrisI,  le  salut  aux  hommes, 
la  joie  aux  anj^es,  remet  les  pécheurs  en  li- 
berté, les  créatures  dans'Ieur  situation,  la 
mort  dans  les  lie-ns,  le  démon  et  le  péché 
dans  l'esclavage;  jour  où  l'Eglise,  transpor- 
tée hors  d'elle-même  et  pour  la  gloire  de 
son  époux  et  pour  ses  propres  avant.iges,  ré- 
[)and  une  joie  innocente  dans  le  cœur  deses 
enfants,  ne  leur  permettant  pas  seulement  de 
se  réjouir  mais  les  y  engageant  par  des 
invitations  et  par  son  exemple,  et  s'inter- 
rompanl  elle-même  dans  toutes  les  louan- 
ges qu'elle  donne  au  Seigneur  par  cet  adora- 
ble cantique  qu'elle  redit  incessamment  : 
hœc  dies  quamfecit  Dominus,  ejcsullertnus  et  lœ- 
leinur  in  ea  ;  Esprit  saint,  divin  consolateur 
do  nos  âmes,  dégoillez-nous  de  toutes  ces 
joies  impures  qui  ne  sont  fondées  que  sur 
la  vanité  et  sur  le  mensonge,  et  donnez-nous 
en  faveur  du  mystère  que  nous  célébrons 
quelque  avant-goût  de  celle  béatitude  cé- 
leste qui  éclate  dans  Jésus-Christ  triom- 
phant, et  à  laquelle  sa  résurrection  nous  per- 
met aujourd'hui  d'aspirer;  et  vous,  divine 
Mari'e,  qui  apprenez  avec  un  si  grand  plai- 
sir que  ce  Fils  adorable  est  sorti  glorieuse- 
ment du  tombeau,  au  lieu  de  vous  saluer 
pleinedegrâce,  nous  allons  vous  saluer  plei- 
ne de  joie  et  vous  dire  avec  l'Eglise  :  liegi- 
na  cœlif  lœtare. 

Quelque  sublime  que  soit  le  mystère  de 
la  résurrection  du  Fils  de  Dieu  il  peut  être 
pourtant  regardé  et  comme  l'objet  de  notre 
espérance  et  comme  celui  de  notre  imita- 
tion. 11  y  a  des  mystères  dans  la  religion 
chrétienne  qui  ne  font  qu'exercer  notre  loi  ; 
mais  celui-ci  doit  animer  nos  désirs  et  régler 
notre  conduite  ;  que  dis-je,  la  plupart  des 
autres  pour  sanctitier  l'àuje  morlitient  le 
corps,  au  lieu  que  la  résurrection  de  Jésus- 
Christ  promet  la  félicité  au  corps  comme  elle 
opère  la  sainteté  dans  les  âmes.  Que  le  cœur 
ellachair  se  réjouissent  doncau  Dieu  vivant 
(Psal.  LXXXlll,  3),  et  vous,  mes  chers  au- 
diteurs, préparez-vuus  à  recueillirces  deux 
fruits  de  grâce  etdejoie  qui  sont  attachés  à 
la  résurrection  du  Fils  de  Dieu  et  qui  faisaient 
Ja  double  matière  de  toutes  les  instruc- 
tions que  l'apôtre  SaintPauI  donnait  aux  pre- 
niierschréliens  sur  cesujel.  Jésus-Christ  res- 
suscité, principe  delà  résurreclion  à  la  gloire: 
ce  sera  mon  premier  jioiut;  Jésus-Christ  res- 
suscité,modèle  de  la  résurreclion  à  la  grâce:  ce 
.sera  le  second;  etdans  l'un  et  dansl'aulreexa- 
niinant sérieusement  notre  conscience  et  no- 
tre conduite,  nos  dispositions  et  nos  mœurs, 
il  nous  sera  facile  de  conclure  si  nous  som- 
mes en  droit  de  nous  promettre  cette  résur- 
rection future  et  de  nous  flatter  de  cette  ré- 
burreclion  présente. 

PREMIER    POINT. 

La  crainte  de  la  mon  et  le  désir  de  l'im- 


mortalilé  sont  les  deux  sentimenis  du 
monde  les  plus  naturels  à  l'homme.  L'on 
craint  la  uiort  par  ce  mouvement  commun 
à  tous  les  êtres,  qui  leur  fait  chercher  ce 
qui  les  contente,  et  éviter  ce  qui  les  dé- 
truit. Placez  l'homme  en  tel  degré  de  gran- 
deur et  de  félicité  qu'il  vous  plaira,  et 
qu'une  maladie  pressante  vous  oblige  à  lui 
porter  la  nouvelle  de  sa  mort,  vous  le  ver- 
rez Irombler  h  la  seule  prononciation  d'un 
nom  de  si  mauvais  augure;  son  rang,  sa 
()rospérilé,  sa  fortune,  ses  grandes  riches- 
ses, bien  loin  de  le  défendre  de  celle  frayeur, 
ne  servent  qu'à  l'augmenter:  ce  sont  autant 
de  nouvelles  dépouiilesque  la  mort  lui  doit 
enlever,  et  qui  contribuent  à  lui  rendre  ce 
S()ectre  plus  formidable.  En  vain  s'armera-t-il 
du  secours  de  la  raison;  quelque  concertés 
et  hypocrites  que  soient  les  philosophes  sur 
cesujel,  il  n'en  est  point  qui  ne  se  trou- 
ve saisi  d'épouvante  au  s|)eclacle  de  la 
mort  d'autrui,  ou  qui  ne  pâlisse  aux  appro- 
ches de  la  sienne.  En  vain  rappellera-l-il 
tout  son  courage  pour  en  soutenir  l'idéeou  la 
présence.  Il  faut  trembler  quand  on  la  voit 
qui  vient  détruire  et  anéantir  tout,  jusque* 
à  ce  courage  par  lequel  on  la  méprise,  jus- 
ques  à  ces  raisonnements  qui  semblaienl 
nous  armer  contre  elle.  Celte  séparation 
cruelle  de  l'âiiie  d'avec  le  corps,  cet  adieu 
universel  et  involontaire,  celte  privation 
de  toutes  choses,  ce  triste  débris  d'un  corps 
que  l'on  aimait  tanl,  qui  de  corps  devient 
cadavre  et  qui  d'un  cadavre,  lequel  conservait 
au  moins  un  reste  de  ligure  humaine,  de- 
vient ensuite,  selon  la  remarque  de  Terlul- 
lien ,  un  je  ne  sais  quoi  qu'on  perd  de  vue 
et  qui  n'a  pas  même  de  nom  dans  aucun» 
langue;  tout  cela  trouble  les  plus  tranquil- 
les, alarme  les  [)lus  vertueux  ,  ébranle  les 
plus  fermes  et  accable  les  plus  forts. 

Mais  de  cette  crainte  de  la  moit  cjui  est 
si  naturelle  et  si  bien  fondée,  jirocède  le 
désir  de  l'immortalité;  si  l'homme  corrompu 
ne  [)eut  parvenir  à  être  immortel,  du  moins 
y  tend-il  continuellement  par  ses  désirs. 
Le  malheur  est  que  le  désir  de  l'immorta- 
lité et  la  crainte  de  la  mort,  ces  deux  dis- 
positions qui  lui  sont  également  naturel- 
les lui  sont  également  inutiles,  li  a  beau 
craindre  la  m(u't,  il  n'en  meurt  pas  moins; 
il  a  beau  souhaiter  i'iuimorlalité,  il  n'y  ar- 
rive pas  davantage;  en  vain  tous  ces  artili- 
ces  que  la  vanité  lui  suggère  pour  tâcher 
de  se  survivre  à  soi-même  ;  en  vain  cette 
douce  illusion  d'un  père  qui  croit  se  voir 
renaître  dans  ses  enfants;  en  vain  ce  soin 
passionné  que  prennent  les  hommes  de  leur 
mémoire,  de  leurs  cendres,  do  leurs  funé- 
1  ailles;  en  vain  ces  j)ortraits,  ces  statues, 
ces  monuments,  ces  mausolées,  pour  se 
conserver  dans  le  monde  en  effigie,  lors- 
qu'on ne  peut  plus  y  demeurer  en  etfet;  en 
vain  ces  soins  empressés  de  se  faire  |)lacer 
dans  l'histoire  pour  sauver  au  moins  son 
nom  de  ce  naufrage  général,  Tiisles  conso- 
lations, vains  etforls  [)ar  lesquels  on  s  g t- 
furce  inutilement  de  soustraire  quelque 
[lurlion  de  vie  à  l'empire  de  la  mort. 


5iS 


SERMONS.  —  SERM.  V.  SU 


Il  csl  vrai  que  la  plupart  des  païens  et 
surtout  les  pliilosophos"!  ont  porlé  leurs 
pensées  et  leurs  espérances  plus  loin.  Ils 
ont  compris  que  nous  étions  immortels  du 
côté  de  l'âme.  Ils  n'ont  pas  même  douté 
qu'on  ne  dût  attendre  une  béatitude  dans 
l'autre  vie  ;  mais,  pour  ce  qui  est  du  corps, 
ils  n'ont  pas  prétendu  qu'il  dût  y  avoir  au- 
cune part ,  le  croyant  mortel  sans  aucun  re- 
tour et  supposant  que  l'âme  en  le  quittant 
s'en  séparait  pour  toujours  et  n'avait  qu'à 
lui  dire  un  éternel  adieu. 

O  pauvres  mortels,  s'écrie  le  grand  Au- 
gustin, vous  voilà  donc  condamnés  irrévo- 
cablement à  la  mort,  mais  que  ne  donneriez- 
vous  pas  pour  l'aire  changer  cet  arrêt,  que 
ne  leriez-vous  point  pour  vivre  toujours  «-t 
pour  vivre  non  pas  d'une  vie  malheureuse 
et  sujette  à  tant  de  peines  et  de  chagrins 
comme  celle  que  vous  menez  ici-bas,  mais 
d'une  vie  glorieuse  et  iraraorlelle,  exemple 
de  toutes  sortes  de  maux  ,  comblée  de  tou- 
tes sortes  de  biens.  Levez,  levez  les  yeux 
vers  cet  homme  qui  s'appelle  Jésus-Christ, 
cl  par  une  promesse  aussi  avantageuse 
qu'inouie  et  dont  il  donnera  de  solides  as- 
surances, vous  l'entendrez  vous  adresser 
ces  paroles  :  Celui  qui  croit  en  moi  pour  être 
mort  ne  laissera  pas  de  revivre  :  et  celui  qui 
est  vivayit  et  qui  croit  en  moi  je  le  ferai  vivre 
à  jamais  {Jonn.,  XI,  25,  26.) 

Or,  Messieurs,  cette  (iromesse  que  le  Fils 
de  Dieu  nous  avait  faite  pendant  sa  vie,  il 
nous  la  confirme  aujourd'hui  par  le  mys- 
tère de  sa  résurrection.  En  effet,  que  le  Sau- 
veur du  monde  nous  eût  promis  et  nous  eût 
mérité  par  sa  mort  une  immortalité  glo- 
rieuse, c'eût  été  beaucoup,  mais  ce  n'eût 
pas  été  encore  assez,  et  il  fallait  que,  pour 
ménager  notre  faiblesse  dans  une  matière 
si  diilicile  et  si  importante  tout  à  la  fois,  il 
en  montrât  dès  cette  vie  un  exemple  écla- 
tant et  une  preuve  inconleslable  dans  sa 
personne.  Et  c'est  ce  qu'il  a  fait  en  se  res- 
suscitant lui-même  et  en  se  faisant  voir  ainsi 
glorieux  et  ressuscité  à  une  multitude  d'a- 
pôlres  et  de  disciples  qui  ont  signé  celte 
vérité  lie  leur  sang.  Cesse  donc,  cesse  faible 
raison,  de  troubler  la  tranquilliléde  ma  foi 
et  ne  viens  plus  par  des  raisonnements  té- 
méraires t'op|)oser  aux  douces  idées  que 
Dousdonnent  l'espoirel  l'allenledela  vie  fu- 
ture. Jésus-Christ  est  ressuscité,  qui  |)eut 
m'erapêcher  de  croire  que  je  dois  ressusciter 
conuiie  lui?  et  ce  Jésus-Chrisl  ressuscité 
porte  encore  les  marques  toutes  sanglantes 
de  ses  humiliations  el  de  ses  douleurs.  Pour- 
<pjoi  donc  désespérer  que  celle  même  chair, 
aujourd'tmi  sujette  à  tant  de  misères,  ne 
puisse  un  jour  devenir  im[)assible  el  glo- 
rieuse comme  la  sienne,  d'autant  plus  que, 
su  ivanll'expression  de  l'Apôtre,  Jésus-Chrisl 
est  ressuscité  comme  le  premier-né  des  morts 
{Coloss.,  I,  18J  ;  el  que,  dans  l'ordre  de  sa 
divine  Providence,  il  a  voulu  que  sa  résur- 
rection lût  regardée  comme  le  gage  et  le  pré- 
jugé de  la  nôtre  [Ephes.,  J,  \.k)\  fut-il  jamais, 
mes  chers  audi  leurs,  unjour  plus  avantageux 
el  plus  fortuné  pour  nous?  Au  coramence- 


R  LE  JOUR  DE  PAQUES.  526 

ment  de  cette  sainte  quarantaine,i'on  ne  vous 
parlait  que  de  mort,  el  le  ministre  des  au- 
tels, revêtu  d'flrnements  lugubres,  vous  se- 
mait des  cendres  sur  la  lèto  el  vous  répé- 
tant le  même  arrêt  que  la  justice  d'un  Dieu 
irrité  prononça  à  notre  premier  père,  vous 
disait  d'une  voix  triste  el  touchante  :  Sou~ 
viens-loi,  ô  homme ,  que  tu  es  terre  cl  que  tu 
retourneras  en  terre.  (Gen.,  IH,19.)  Mais  au- 
jourd'hui, dit  ici  le  grand  saint  Chrysostome, 
en  vous  monlranl  co  nouvel  Adam  qui  a 
pris  la  place  du  premier  et  qui  est  votre 
chef  aussi  bien  que  le  premier,  nous  avons 
de  quoi  vous  faire  de  plus  heureux  présa- 
ges et  l'on  peut  vous  dire  avec  confiance  : 
Souviens-toi,  homme,  que  tu  es  ciel  et  que 
lu  retourneras  au  ciel. 

Qui  nous  empêche,  mes  frères,  d'être  sen- 
sibles à  cet  espoir  et  de  goûter,  par  avance, 
la  gloire  de  cette  résurrection.  J'en  remar- 
que plusieurs  causes  qu'il  est  important  de 
découvrir  et  que  peut-être  vous  reconnaî- 
trez dans  votre  cœurau  momentque  je  vous 
les  remettrai  devant  les  yeux. 

On  ne  participe  point  à  la  joio  de  ce  mys- 
tère :  premièrement  parce  qu'on  n'est  |)as 
peut-être  assez  pleinement  et  assez  vérita- 
blement persuadé. 

En  effet  il  subsiste  au  milieu  de  l'Eglise 
une  espèce  de  libertins  qu'on  ne  connaît 
pas  pour  tels  el  qui  seraient  fâchés  de  se 
l'avouera  eux-mêmes,  soit  que,  par  une  juste 
punition  de  leurs  désordres,  lisaient  i.erdu 
le  don  de  la  foi,  soit  que  rintérét  qu'ils  ont 
à  craindre  une  autre  vie  les  {)orio  à  douter 
qu'il  y  en  ait  ou  à  se  flatter  qu'il  n'y  en  a 
point.  Incertains  et  chancelants,  ils  doutent 
en  secret,  ils  agissent  comme  persuadés  en 
public;  chrétiens  en  certains  cours  de  l'an- 
née, pécheurs,  el  peut-être  imjiies,  dans  tout 
le, reste  ;  fidèles  dans  les  temples,  libertins 
en  certaines  compagnies  :  en  un  mot,  croyant 
el  ne  croyant  pas  selon  les  temps,  les  lieux 
et  les  différentes  situations  <le  leurs  âmes. 
Mais  ils  ne  songent  pas,  les  insensés,  qu'être 
chrétien  de  la  sorte  c'est  être  véritablement 
impie,  puisque  douter  de  la  foi  c'est  être  in- 
lidèle,  et  qu'en  matière  de  religion  c'est 
prendre  parti  que  de  n'en  prendre  point. 
Mais  ne  nous  arrêtons  pas  à  ces  monstres  ; 
serait-il  juste  de  troubler  aujourd'hui  !a  piélé 
de  mes  auditeurs  parces  idées  de  libertinage 
ou  d'ôler  le  pain  de  le  parole  aux  enfants  de 
l'Eglise  pour  ledonnerà  ses  eniiemis  secrets. 

En  second  lieu,  si  on  ne  partici[)e  point  à 
la  joie  du  mystère  (|ue  nous  célébrons,  ce 
n'est  pas  que  la  plupart  des  chrétiens  n'aient 
la  foi  de  la  résurrection,  mais  c'est  qu'ils  n'y 
pensent  point.  Le  croirions-nous  si  notre 
|)ropre  expérience  ne  nous  ôlail  tout  lieu 
d'en  douter,  celle  immortalité  glorieuse  que 
Jésus-Chrisl  est  venu  nous  mériter, par  1  ef- 
fusion de  son  sang,  celte  béatitude  de  l'au- 
tre vie  pour  laquelle  seule  nous  sommes  en 
celle-ci,  cet  unique  nécessaire  auquel  la 
vraie  (irudence  doit  sacrifier  tout  le«re,ste, 
celte  fin  bienheureuse,  ce  seul  terme  digne 
de  tous  nos  désirs, cette  Jérusalem  céleste  où 
nos  cœurs  devraient  être  déjà  moulés  avec 


S27 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


528 


Jésus-Christ  à  peine  Irouve-l-clle  place  en 
noire  mémoire,  à  peine  y  pense-l-on  sérieu- 
sement une  fois  en  toute  l'année,  que  n'ai-je 
dit  en  toute  la  vie.  Où  est  donc  noire  foi,  mes 
chers auditeur-s,  qu'avons-nous  fait  de  noire 
raison?  QuandSaint  Paul-prêclia  Ja  résurrec- 
tion future  dans  Je  célèbre  Aréopage,  les  uns 
s'en  moquaient,  les  autres,  plus  indulgenls, 
lui  répondirent  :  Nous  vous  entendrons  sur 
celte  matière  quelqu'aulre  fois.  Qui  doute 
que  les  prédicateurs  de  l'Evangile  ne  trou- 
vent de  pareils  esprits  dans  le  sein  de  l'E- 
glise même?  Il  y  en  a  peu  qui  tournent  nos 
mystères  en  raillerie,  mais  combien  y  eu 
a-l-il  qui  difièrent  loujouis  à  y  penser  et  qui 
disent  secrètement  comme  les  aréofiagites  : 
Aiidiemus  te  de  hoc  ilerum.  {Act.,  XVII,  32.) 

On  croit  le  mystère  de  la  résurrection  ; 
on  pense  même  quelquefois  à  celte  gloue 
future  ;  mais  si  on  y  pense,  on  iie  la  goûle 
point  :  pourquoi  ?  parce  que  le  cœur  des 
chrétiens,  corrompu  |)ar  la  cupidité  et  par 
l'usage  des  plaisirs  de  ce  monde,  ne  peut 
plus  avoir  que  du  dégoiit  pour  ceux  que  le 
Seigneur  nous  promet.  L'houjiue  aninjfil  ne 
conçoit  rien  au-dessus  de  la  [lorlée  de  l'a- 
nimal ;  toule  son  âme  est  dans  ses  sens  ; 
plus  de  béatitude  pour  lui ,  s'ils  n'y  ont  la 
meilleure  part.  Il  en  est  clone  comme  de  ces 
lâches  Israélites  de  la  tribu  de  Kuben  et  de 
Gad  qui,  prêls  à  passer  le  Jourdain  et  à  en- 
trer dans  la  terre  })romise,  disaient  à  Josué  : 
Nous  avons  trouvé  ici  un  pays  fort  bon  pour 
l'entretien  de  nos  troupeaux,  nous  vous  le 
demandons  pour  noire  partage,  permellez- 
lious  d'y  fixer  noire  demeure  (  Nuin. , 
XXXÎI,  4  ;  Josue,  I,  12  seq.  )  ;  et  uo  se 
trouverait-il  pas  peut-être  jiarmi  nous  un 
nombre  dechréliens  qui,  enchantés  p;ir  leurs 
jjassiuns,  renonceraient  volontiers  aux  pro- 
iuesses  de  l'élernilé,  Irojj  conlenls  de  leur 
sort  si,  évitant  les  fâcheux  passages  de  ce 
monde  en  l'autre, ils  pouvaient  demeurer 
ici-bas  pour  y  nourrir  leurs  ajjpélils  brutaux 
de  ces  aliments  grossiers  que  lournisseiil 
les  biens  et  les  plaisirs  de  la  terre. 

Enfin,  une  dernière  raison  qui  nous  em- 
pêche de  particij)er  à  la  voie  du  ujyslere 
que  nous  célébrons,  et  d'aspirer  à  celle  im- 
ujorialité,  que  la  résurrection  du  Fils  de  Dieu 
olfre  à  notre  espérance,  c'est  que,  si  nous  la 
croyons,  si  nous  y  {)ensons,  si  nous  la  goû- 
tons, au  moins  sentons-nous  bien  que  nous 
ne  la  méritons  point;  car  1  apùiie  saint  Paul 
nous  dit  en  une  inlinilé  d'endroits  que,  pour 
partager  la  gloire  de  Jésus-Christ,  il  luut 
avoir  auparavant  partagé  ses  humiliations  et 
)  ses  soutiVances.  (II  Cor.,  1,7.)  Ainsi,  mes 
Irères,  celle  bienheureuse  iiumorluliie  nous 
cliarme,  mais  les  condilions  auxquelles  on 
nous  l'otfre,  nous  refroidissent.  Le  myslèie 
d'aujourd'hui  nous  en  approche,  mais  no- 
tie  indignité  nous  en  éloigne.  Le  triomphe 
de  Jésus-Christ  nous  allire,  mais  sa  croix 
nous  confond.  Les  exemples  de  tant  de 
héros  du  christianisme  accueillent  nos  dé- 
sirs, mais  leur  sainleté  rebule  noire  cou- 
rage. Eu  ell'et  les  saints,  suivant  les  ves- 
ligesdeleur  divin  chef,  oui  tout  entrepris  et 


tout  enduré  pour  parvenir  h  celle  vie  iur 
mortelle.  Ils  ont  été  lapidés,  coupés  par 
morceaux  lapidait  sunt,  secti  snnt;  éproo- 
vés  par  les  plaisirs  et  par  les  peines,  fuyant 
le  monde,  eux  dont  le  monde  n'était  pas 
digue,  menant  une  vie  cachée  dans  dos  dé- 
serts ou  la  perdant  sur  des  échafauds;  et 
tout  cela,  dit  le  grand  Apôtre,  pour  arriver 
à  la  gloire  de  cette  résurrection  bien  meil- 
leure que  cette  vie  qu'ils  perdaient,  que 
celte  grandeur  et  ces  plaisirs  du  monde 
qu'ils  méprisaient,  ut  meliorem  invertirent  re- 
aurreclionem.  {Hebr.,  XI,  35,38.)Quelaisons- 
nous  de  semblable,  nous  qui  croyons  et  qui 
espérons  la  uiême  chose,  ne  prendrons-nous 
jamais  notre  parti,  et  la  religion  sera-t-elle  la 
seule  malière  où  des  hommes  raisonnabhiS 
agiront  d'une  manière  toule  contraire  à  leurs 
principes?  Vous  êtes  chrétiens,  mes  frères, 
et  vous  vivez  comme  si  vous  ne  deviez  ja- 
mais mourir,  ou  plutôt  comme  si  vous  de- 
viez mourir  pour  toujours  et  que  vous  ne 
dussiez  jamais  revivre;  mais  écoulons  l'A- 
pôlre  sauitPauI  :  Omnes  quidem  resurgemus 
sed  non  omnes  immutabimur  :  «  Nous  ressus- 
citerons tous  tant  que  nous  sommes,  mais 
nousnercssuscilerons  pas  tous  pour  la  gloire.ïf 
(I  Cor.,  XV,  51.)  En  elfel,  mon  cher  auditeur, 
s  il  dépendait  de  toi  de  ressusciter  ou  de  ne 
ressusciter  [)as,  ou  s'il  était  en  ton  [(Ouvoir 
de  rendre  par  une  brutale  conduite  Ion  âme 
mo!  telle  comme  ton  corps, alors  tes  crimes  ne 
te  laisseraient  rien  àcraindre  aprèscette  vie; 
ei  lu  le  llatlerais  de  rentrer  dans  le  néant 
comme  dans  un  relranchement  conlre  la 
colère  du  Seigneur,  ou  si  tu  pouvais  au 
moins  empêcher  que  ce  corps  ne  se  réunit 
un  jour  à  Ion  âme,  il  en  serait  quitte  pour 
èlre  mangé  par  des  vers,  et  ce  serait  une 
moilié  de  loi-inêine  qui  écha[)perait  à  la 
vengeance  divine.  Mais,  hélas!  il  faut  res- 
susciier;  au  lieu  de  rendre  ton  âme  mor- 
telle comme  ton  corps.  Dieu  saura  le  moyen 
de  rendre  ton  coprs  immortel  comme  loii 
âme.  La  justice  fca  toutes  les  résurrec- 
tions que  la  miséricorde  ne  fera  pas.  Elle- 
même  elle  ouvrira  les  tombeaux, 'et  faisant 
une  juste  violence  à  la  poussière  et  à  la 
mort,  elle  les  forcera  de  lui  rendre  son  cou- 
])able,  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  effrayant,  c'est 
que  ce  corps  de  jiéché  sera  donné  en  [iroie  à 
des  flammes  vengeresses  qui  le  brûleront 
sans  le  consumer,  Dieu  ayant  résolu  de 
le  faire  toujours  vivre  pour  le  faire  Um- 
jours  mourir,  et  d'enirelenir  à  jamais  son 
suj^plice  {)ar  de  funestes  miracles. 

Mais  n'allons  point  troubler  la  joie  de  ce 
jour  solennel  parde  si  iristes  augures.  Pre- 
nons une  ferme  résolution  de  travailler  sé- 
lieusemenl  à  nous  rendre  dignes  d  une 
résurreclion  glorieuse.  Le  Fils  de  Dieu  nous 
en  montre  aujourd'hui  le  clieuiin,  el  s  il  esi 
le  principe  de  la  résurreclion  à  la  gloire,  il 
veul  être  encore  le  modèle  de  la  résurrec- 
tion à  la  grâce;  c'est  la  seconde  et  dernière 
parlie  do  ce  discours. 

I)EUXIh;ME    POINT. 

Quand  le  premier  homme  eut  transgresse 
le  précepte  qui  le  menaçait  de  la   mort,  il 


titiO 


Sr;RMONS.  —  SERM.  V, 


ne  laissa  pas  île  survivre  à  sa  désobéissatico  ; 
son  âme  mourut  h  l'iunire  inème  par  le  |)t'- 
ch(^,  mais  sou  corps  vécut  encore  des  siècles 
entiers,  ne  faisant  nt^annioinsquctrainerune 
malheureuse  vie  qui  pouvait  déjà  passer 
pour  une  espèce  de  mort.  Mais,  dit  saint 
IJcrnord,  le  même  ordre  qui  s'est  trouvf^ 
dans  la  chute  de  l'homrue  se  doit  garder 
aussi  dans  sa  réfiaration,  car  comme  son 
corps  était  mort  le  di^rnier  ;  i!  ne  doit_ res- 
susciter que  le  dernier,  mais  comme  l'iime 
et  it  morte  la  première,  c'est  par  elle  cpie 
doit  commencer  la  résurrection.  Un  jour 
vit  ndra  que  le  Fils  de  Dieu  réformera  ces 
corps  vils  et  corrorofius  et  les  rendra  immor- 
tels et  glorieux  comme  le  sien.  Mais  cepen- 
dant il  faut  travailler  h  ressusciter  ces  Ames 
que  le  péché  a  fait  mourir.  C'est  sans  doute 
cette  résurreclion  de  l'âme  que  saint  Jean 
appelle  dans  son  Apocaly|)se  la  résurreclion 
première,  et  c'est  (le  cette  résurreclion  mys- 
tique et  mor.ile  que  le  Fils  do  Dieu  nous 
])rescril  aujourd'hui  toutes  les  règles  par 
plusieurs  belles  circonstances  du  mysièie 
que  nous  honorons,  qui  doivent  être  i'ob|et 
de  notre  imitation,  en  sorte,  dit  l'apôtre 
saint  Paul,  que  comme  Jésus-Chri-^t  est  res- 
suscité des  morts,  nous  tâchions  de  ressus- 
citer de  même  par  une  vie  sainte  et  nou- 
velle qui  exprime  en  nous  tous  les  traits 
de  ce  Sauveur  glorieux  et  ressuscité  :  Ut 
quomodo  Christus  surrexit  a  mortnis  ita  et 
nos  innovttate  vitœ  ambulemus  (Rom.,  VI,  '+). 
La  première  de  ces  circonstances  exem- 
))Iaires,  c'est  la  promptitude  avec  laquelle 
le  Fils  de  Dieu  ressuscite  ;  car  il  n'était  pas 
possible  qu'il  demeurât  longtemps  entre  les 
bras  de  la  mort,  et  les  [)rophètes  ayant  pré- 
dit que  le  Fils  de  Dieu  ressusciterait  le 
troisième  jour,  sitôt  que  le  troisième  jour 
vient  à  paraître,  Jésus-Christ  sort  de  son 
tombeau,  n'y  denieurant  qu'autant  qu'il 
en  est  besoin  pour  ne  pas  démentir  la  vé- 
rité des  prophéties.  En  vain  les  saintes 
femmes  se  reufient-elles  5  son  sépulcre  dès 
leplusgrand  matin  :  Valdemane  {Marc.,Wi, 
2)  ,  il  en  est  déjà  sorti  et  l'on  ne  l'y  trouve 
plus.  Excellente  leçon  pour  les  chrétiens 
qui  ont  été  assez  malheureux  'pour  mourir 
de  !a  mort  du  péché,  et  qui  leur  apprend  à 
ne  [)as  demeurer  longtem|is  en  ce  pitoyable 
état  ;  car  voulez-vous  .savoir  pourquoi  la 
plupart  des  chrétiens  ont  tant  de  peine  à 
rentrer  dans  la  vie  de  la  grâce,  c'est  qu'ils 
séjournent  trop  longtemps  dans  le  tombeau 
du  péché.  On  vous  les  a  fait  observer  cent 
fois,  mes  chers  auditeurs,  ces  difficultés  si 
particulières  et  si  mystérieuses  que  le  Fils 
de  Dieu  apporta  à  la  résurrection  du  Lazare; 
Il  enfrémit,  il  en  pleura,  il  s'adressa  extraor- 
(iinairement  à  son  Père  pour  l'opération  de 
ce  prodige.  Il  lui  fallut  même  appeler  le  mort 
d'une  voixforte eltonnante  ,  et  tout  cela,  di- 
sent les  Pères,  parce  qu'il  y  avait  déjà  quatre 
jours  que  le  Lazare  était  mort  et  enfermé 
dans  le  sépulcre  :  Jam  fœlft  quatriduanus. 
(7oan.,  XI,  39.)  Fh  !  combien  de  chrétiens 
qui  demeurent  dans  l'étal  ilu  péché,  non 
l»as  (Quatre  jours  ni  quatre  mois,  mais  des 


SL'I\  LE  JOUR  DE  PAQUES.  MO 

années  entières  o'  qui  no  songeraient  ja- 
mais ^  la  résurre(;lion  do  leurs  âmes,  si  la 
tète  do  la  résurrection  n'arrivait.  Alors  on 
les  voit  en  foule  dans  nos  églises  ([ui  clier- 
client  à  s'accuser  de  leurs  crimes,  jioussés 
[lar  la  nécessité  du  précepte  |ilutôt  (|ue  par 
le  mouvement  d'une  sincère  douleur,  et  tra- 
vaillant à  faire  une  confession  à  la  hâte, 
qu'on  doit  regarder  comme  la  cérémonie  du 
temps  plutôt  que  comme  la  pénitence  du 
cœur  :  encore,  après  avoir  croupi  des  lem|)s 
infinis  dans  leurs  désordres,  veulent-ils  que 
le  ministre  de  Jésus-Christ  les  ressuscite;  eu 
un  mol,  ne  pouvant  souifrir  qu'il  y  apporte 
la  moindre  dillicullé.  Hélas!  les  chrétiens 
de  la  primitive  Eglise,  qui  n'avaient  ni 
alfaire  à  un  autre  Dieu  ipie  nous,  ni  plus 
d'intérêt  à  se  sauver  que  nous  en  avons 
pour  avoir  passé  quelques  moments  dans  le 
péché,  passèrent  des  années  entières  dans 
les  exercices  d'une  rigoureuse  pénitence. 
David  mê(ue,  ajoute  saint  Ambroiso,  David 
qui  vivait  sous  une  loi  beaucoup  moins 
sainte  et  moins  parlaileque  la  nôtre,  n'ayant 
commis  (ju'un  seul  crime  d'impureté,  lavait 
toutes  les  nuits  son  lit  de  ses  larmes;  mais 
les  chrétiens  d'aujourd'hui  [)Ortant  leurs  dé- 
sordres jusque  dans  les  règles  les  |)lus  in- 
violables de  leur  religion,  que  font-ils?  lis 
s'abandonnent  au  crime  durant  tout  le  cours 
de  l'année,  et  se  contentent  d'en  gémir  un 
moment  à  la  fête  de  la  Utsurrcction,  c'est-à- 
dire  qu'ils  abrègent  la  pénitence  au  lieu  d'a- 
bréger le  jiéché,  et  qu'ils  prolongent  le  péché 
comme  ils  devraient  prolonger  la  pénitence. 
La  seconde  circonstance  que  je  remar(|uu 
dans  la  résurrection  de  Jésus-Christ,  c'est 
sa  lidélité  dans  ses  promesses":  Resurrexit 
sicut  dixil  :  «  Jl  est  ressuscilé  comme  il  Va 
dit.»  [Office  de  l'Efjlise.)  Il  l'avait  promis  a 
ses  aj'ôtres,  et  il  a  tenu  sa  |)arole.  Ali  I  mon 
cher  auditeur,  combien  de  fois  as-tu  pro- 
testé au  ministre  de  Jésus-Christ  que  lu 
voulais  ressuscitera  la  grâce,  et  que  tune 
retomberais  plus  dans  le  péché?  Combien 
y  a-l-il  d'années  que  tu  promets  la  mèiuo 
chose  et  que  tu  en  viens  faire  un  serment 
solennel  au  pied  des  autels  sur  le  cor[is  et 
sur  le  sang  de  Jésus-Christ.  Mais  ces  pro- 
messes ont  toujours  été  rétractées,  ces  ser- 
ments violés,  ces  lumières  éteintes,  ces 
grâces  et  ces  résolutions  anéanties.  Ne  veux- 
tu  donc  pas  être  dans  cette  communion  pas- 
cale plus  fidèle  et  plus  sincère  que  les  au- 
tres fois?  Oui,  mon  Dieu,  nous  le  voulons, 
mais  pendant  que  nous  faisons  quelques 
faibles  efforts  pour  sortir  du  tombeau  du 
[léché,  em|)loyez  la  force  de  votre  bras  pour 
opérer  ce  prodige  en  notre  faveur  ;  car  en 
vain  y  travaillons-nous  si  vous  n'y  travail 
lez,  et  en  vain  disons-nous  que  nous  vou- 
lons ressusciter,  si,  par  un  effet  de  votre 
puissance  et  de  votre  miséricorde,  vous  ne 
dites  à  chacune  de  nos  âmes  comme  à  la 
fille  du  prince  de  la  Synagogue  :  Puella,  tibi 
dico,  surye.  [Marc,  V,41.j  Ame  pécheresse, 
c'est  moi  qui  le  le  dis,  lève-toi  et  sors  de  ce 
cercueil  où  tes  (tassions  et  de  funestes  en- 
gagements le  retiennent. 


531 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


532 


La  troisième  circonstance  que  je  remar- 
aue  dans   le  mystère  que  nous  célélirons, 
c'est  la  vérité  de  la  résurrection  du  Fils  de 
Dieu  :  Surrexit  Dominus  vere  :  a  Le  Seigneur 
est  ressuscité  véritablement.  »  Les   apôtres 
ont  d'abord  bien  de  la  peine  5  le  croire.   Ils 
traitent  de  vision  tout  re  que  les  saintes 
femmes  leur  disent;  et  Thomas,  plus  opi- 
iii.llre  que  les  autres,  proteste  qu'il   n'en 
ctoiia  rien  si,  par  une  expérience  cruelle, 
Je  Sauveur  ne  lui   permet  de  toucher  et  de 
rouvrir  ses  sacrées  plaies;  mais  le  Fils  de 
Pieu  ne  refuse  rien  à  ses  disciples  de  tout 
ce  qui  peut  contribuer  à  affermir  la  créance 
de  ce  mystère.  II  veut  bien  que  Thomas, 
qui  est  comme  la  main  de  i'Kgiise  touche 
pour  tous  les  chrétiens  les  cicatrices  de  ses 
plaies;  et  il  demeure  même  quarante  jours 
avec  s^es  apôires  pour  leur  donner  à  loisir 
toutes  les  preuves  et  les  assurances  possi- 
bles d'une  vérité  si  essentielle.     Chrétiens 
qui  avez  solennisé  la  Pâques  par  la  récep- 
tion des  redoutables  mystères,  vous  vous 
ilaitez  (i'ôlre  ressuscites  à  la  grâce,  mais 
ôles-vous    ressuscites     véritablement  ?   No 
sonl-ee  point  (jufclques  fantômes  de  résur- 
lection  comme  celui  que  l'enchanteresse  fit 
voir  h  Saiii,  après  lui  avoir  promis  de  res- 
susciter à   ses  yeux   le  prof)hète  Samuel; 
n'êtes -vous    point    comme   ces   sépulcres 
dont  il  est  [)arlé  dans  l'Evangile,  blam  his 
au  di  hors  par  une  bienséance,  où  la  fêle  de 
la  résurrection  vous  engage,  mais  toujours 
riMiiplis'au  dedans  de  corruption  et  de  pour- 
liiurc.  Car  ne   vous  y  trompez  [)as ,  mes 
frères,  ceux  qui  sont  ressuscites  aux  yeux 
de  Dieu  et  ceux  qui  ne  sont   ressuscites 
qu'aux  yeux  des  hommes  se  ressemblent. 
On  les  voit  dans  ces  jours  sacrés  confondus 
au  pied  des  autels  également  revêtus  des 
apparences  de  la  piété;  cependant  les  uns 
sont  morts  et  les  autres  sont  vivants;  les 
uns  ont  quitté  le  f)éché,  les  autres   y  sont 
demeurés  attachés;    les    uns  ont   fait   une 
sainte  communion  et  les  autres  n'ont  lait 
qu'un  sacrilège.  Mais   me  direz-vous,  rien 
lie  nous  force  à   nous  aller  accuser  de  nos 
péchés,  et  dès  lors  que  nous  nous  résolvons 
à  remplir  ce  devoir,  on  ne  doit  pas  douter 
que  nous  ne  soyons  de  bonne  foi  envers  le 
Seigneur  et  que  notre  repentir  ne  soit  vé- 
ritable. Kl  moi  je  vous  ré()onds  qu'a  l'égaid 
d'un  grand  nombre  de  cinétiens,  il  n'est 
presque  pas  possible  de  douter  du  contraire; 
car  s  il  faut  aujourd'hui  vous  développer  ce 
mystère  d'inifiuité,  voici,  ce  me  semble,  la 
raison   pourquoi  une  intinilé  de  chrétiens 
font  tigure  do  se  convertir  quoiqu'ils  ne  se 
convertissent  pas.  En  effet,  tant  que  le  pé- 
cheurn'estpas  tombé  dans  l'abime  de  1  im- 
piété et  qu'une  bienséance  humaine  ou  un 
reste  de  remords  t'oblige  à  garder  encore 
quelques  mesures  de  religion,  il  n'a  garde 
de  manquer  à  certains  devoirs  essentiels 
dont   l'accomplissement  est  capable,   à  ce 
qu'il  lui  semble,  de  réparer  tous  les  désor- 
ores  de  sa  conduite,  et  dont  l'omissiun  le 
cliargerôil  aux  yeux  d'aulrui  et  à  ses  pro- 
jiies  yeux  d'u:i   reproche  d'.nélig'.oii  qu'il 


serait  fâché  de  s'attirer.  Ainsi,  mes  frères, 
le  précepte  de  la  communion  pascale  le 
pressant  d'un  côté  et  ses  passions  de  l'autre, 
ne  pouvant  souffrir  le  poids  de  son  iniquité 
qui  l'accable,  ni  s'engagera  une  vie  morli- 
fiaiate  qui  le  rebute,  que  fait-il  ?  Il  trouve 
un  tempérament  entre  ces  extrémités  :  il 
f)rendra  et  du  péché  et  de  la  pénitence  ce 
qu'il  y  a  de  commode,  il  en  écartera  ce  qu'il 
y  a  de  fâcheux;  il  retient  son  attachement 
au  péché  pour  se  défendre  de  l'austérité  de 
la  pénitence,  il  va  chercher  de  la  tranquil- 
lité et  se  revêtir  d'une  piété  extérieure  dans 
le  sacrement  de  la  pénitence,  pour  se  garan- 
tir des  reproches  d'aulrui  et  de  ses  propres 
remords;  et  parce  qu'une  bonne  et  une 
mauvaise  confession  se  ressemblent,  on 
laisse  le  soin  à  l'amour-propre  de  nuus  per- 
suader qu'elle  est  bonne  pendant  que  notre 
impénilence  secrète  ne  manque  pas  de  la 
rendre  mauvaise. 

La  quatrième  perfection  que  je  vois  écla- 
ter dans  la  résurrection  de  Jésus-Christ 
c'est  la  sainteté,  car  c'est  en  effet  Téloge 
que  l'Eglise  lui  donne  quand  il  appelle  ce 
iiiystère  saint  par  excellence  :  Per  sanctam 
resurreclionem  luain.  Pour  bien  entendre 
ceci,  mes  frères,  remarquez  s'il  vous  plaît 
que  le  Fils  de  Dieu,  pendant  qu'il  menait 
une  vie  mortelle,  avait  encore,  malgré  son 
innocence,  trois  grandes  liaisons  avec  Je 
péché  :  il  conversait  avec  les  pécheurs,  il 
portait  la  ressemblance  du  péché,  il  était 
chargé  de  la  dette  du  péché;  mais  le  mys- 
tère de  la  résurrection  qui  répand  sur 
lui  l'éclat  d'une  gloire  céleste  et  d'une  sain- 
teté divine,  dissipe  ces  ombres  de  péché  et 
détruit  toutes  ces  apparences.  Je  dis  qu'il 
était  obligé  de  converser  avec  les  pécheurs  : 
et  ne  savez-vous  pas  que  les  pharisiens 
s'en  faisaient  un  scandale  et  voulaient  lui 
en  faire  un  crime;  mais  par  la  gloire  de  sa 
résurrection  il  est  séparé  d'avec  les  pé- 
cheurs ainsi  que  parle  l'Ap/ôtre  :  Segregatus 
a  pecmtoribus.  [Ilebr.,  VH,2G.)  Si  Made- 
leine veut  baiser  ses  [)ieds,  il  la  rejette  et 
ne  permet  plus  qu'elle  s'approche  de  lui. 
Lorsque  j'étais  encore  avec  vous,  dit-il  à  ses 
apôtres  :  «  Ciim  adhuc  essem  vobiscum.  » 
{Ltic,  XXIV,  kk.)  Eh  quoi!  demande  le 
grand  Augustin  ,  n'esl-il  pas  encore  ^vec 
eux?  il  leur  parle,  il  les  écoule,  il  leur  ré- 
pond. Non,  depuis  qu'il  est  ressuscité  il 
n'est  plus  avec  personne,  car,  dit  saint  Au- 
gustin, tel  est  le  caractère  de  la  sainteté  de 
Dieu  :  il  est  partout  par  son  imiuensilé, 
mais  il  est  séfiaré  de  tout  par  sa  sainteté. 

Que  si  le  Fils  deDieu  quitte  la  compagnie 
des  pécheurs,  il  quitte  aussi  l'apparence 
du  péché.  En  effet ,  dit  l'apôtre  saint  Paul, 
depuis  que  Jésus-Christ  est  ressuscité  on- ne 
le  connaît  plus  selon  la  chair  :  Non  juin 
eum  secundum  carnem  novimus.  (Il  Cor.,  V, 
16.)  Pourquoi?  jiarcequecette  chair  adorable 
qui,  durant  tout  le  cours  de  sa  vie  mortelle, 
jiassait  pour  une  chair  pécheresse,  ne  peut 
plus  passer  que  pour  une  chair  innocente  ; 
elle  avait  porté  les  traits  de  la  ressemblance 
du   {)éclié,  mais  elle  ne  porte  plus  que  des 


SERMONS.  —  SERM.  V.  SLR  LE  JOUR  DE  PAQUES. 


554 


caraclùres  de  sainteté  et  de  grAce.  Kiilin 
Jésus-Clirisl  n'a  pas  seulemcnl  quille  l'ap- 
parence du  péché,  mais  il  en  a  payé  toutes 
les  dettes.  Il  s'était  chargé  de  nos  crimes  et 
il  les  H  étouiïés  dans  son  sang.  Il  avait  pris 
sur  lui  toutes  nos  langueurs  et  il  les  a  gué- 
ries en  sa  divine  personne.  Le  mystère  d'au- 
jourd'hui nous  le  l'ail  voir  glorieusement 
sorti  de  tous  ses  engagements.  Il  a  vaincu 
nos  ennemis  sur  le  Calvaire,  mais  il  en 
triomf)ho  dans  sa  résurrection. 

A'oilà,  chrétiens  auditeurs,  ce  que  nous 
di'vons  l'aire  après  notre  auguste  modèle; 
mais  voiif»  poul-t^tre  tout  le  contraire  de  co 
ijue  nous  faisons.  L'on  prétend  être  ressus- 
cité à  la  grâce;  mais  quitte-l-on  pour  cela 
la  compagnie  des  pécheurs?  Au  contraire, 
l'on  voit  toujours  les  mômes  personnes,  l'on 
entretient  toujours  les  mêmes  liaisons,  l'on 
veut  faire  dans  le  monde  la  môme  figure, 
étant  pénitent,  qu'on  y  a  faite  étant  pécheur. 
Non,  l'on  ne  lompra  pas  ce  commerce,  mais 
on  se  promet  de  le  rectifier;  l'on  avoue  ([ue 
c'a  été  une  source  de  désordres  par  le  passé, 
juais  on  cherche  à  se  sauver  sur  la  fidélité 
de  l'avenir;  l'on  se  fîatte  de  n'aller  plus 
jusqu'au  crime,  mais  on  veut  encore  aller 
jusqu'aux  dernières  bornes  qui  le  sépa- 
rent de  la  vertu.  Abus,  chrétiens,  abus.  Pour 
être  parfaitement  ressuscité,  il  faut  quitter 
la  compagnie  des  pécheurs,  il  faut  môme 
quitter  l'apparence  du  péché,  c'est-à-dire 
qu'il  faut  renoncer  à  certaines  choses  qui, 
n'étant  pas  criminelles  en  elles-mêmes, 
portent  néanmoins  la  ressemblancedu  crime. 
Vous  avez  des  conversations  trop  fréquen- 
tes avec  cette  [lersonne;  je  veux  que  ce 
commerce  soit  innocent,  mais  le  monde 
s'en  scandalise.  11  faut,  dit  le  grand  Apôtre, 
non-seulement  vousabslenir  du  péché,  mais 
encore  vous  dépouiller  de  l'apparence  du 
péché  :  Ab  omni  specie  peccali  abstinele  vos. 
(I  Thess.,  V,22.)  Vous  dites  que  vous  n'êtes 
point  mal  avec  cet  ennemi,  mais  vous  l'éviiez 
ap:ès  Pâques  comme  vous  l'évitiez  aupara- 
vant; il  faut  que  le  public  soit  témoin  de 
votre  réconciliation  comme  il  l'a  été  de  vos 
dissensions.  Enfin, après  vous  être  séparé  de 
la  compagnie  des  pécheurs  et  avoir  détruit 
en  vousjusqu'à  la  ressemblancedu  péché,  il 
ne  vous  rester.i  plus  qu'à  voir  si  vous  en  avez 
expié  la  peine,  si  vous  en  avez  payé  toutes 
les  dettes  :  Expurgate  velus  fermentum  (I, 
Cor.j  V,  9),  vous  dit  aujourd'hui  l'Eglise 
a()rès  ra|)ôtre  saint  Paul.  Purgez  ce  vieux 
levain,  délivrez-vous  de  ces  restes;  faites 
en  sorte,  par  vos  prières,  par  vos  jeûnes, 
par  vos  aumônes,  que  bientôt  vous  ne  deviez 
plus  rien  au  péché,  atin(|ue  vous  soyez  une 
créature  nouvelle  qui  n'ait  plus  rien  à  dé- 
mêler avec  le  [)é(  hé  :  Expurgate  vêtus  fer- 
mentum ut  sitis  nova  conspersio. 

La  cinquième  et  dernière  perfection  qui 
éclate  dans  la  résurrection  du  Fils  de  Dieu, 
c'est  son  immortalité  :  Chrislus  resurgens  ex 
niortuis  }am  non  vioriiur  :  «  Jésus-Christ 
étunl  resuscilé  ne  meurt  plus  ;  »  Mors  illi  uî- 
tra  non  dominubitur  :  «  La  mort  n'aura  plus 
d'empire  sur  lai.»  lltoin.,  M  ,  0.;  Voilà,  mes 


chers  auditeurs,  l'un  des  points  les  plus  es- 
sentiels de  la  résurrection  de  nos  âmes. 
Beaucoup,  si  vous  le  voulez,  ressuscitent  à 
la  fête  de  Pâques;  mais,  hélas I  c'est  pour  si 
peu  de  temps,  et  ils  retombent  si  tôt  dans 
le  péché,  que  cet  intervalle  de  grâce  ne  doit 
presque  être  compté  pour  rien  :  Vidi  irnpiuin 
firma  radice ,  disait  le  saint  homme  Job  : 
«  J  ai  vu  l'impie  qui  avait  jeté  de  fort  profon- 
des racines.  »  (Job  V,  3.)  En  vain  fai'-il  sem- 
blant de  vouloir  se  tourner  du  côté  du  ciel, 
vous  diriez  cette  fleur  qui  paraît  avoir 
du  penchant  à  suivre  le  cours  du  soleil  : 
eilo  s'agite,  elle  change  un  peu  de  situation  ; 
mais  ce  n'est  pas  pour  aller  bien  loin  ,  car 
tous  ses  mouvements  dépendent  d'une  ra- 
cine qui  la  retient.  Voilà  l'état  de  la  plupart 
des  chrétiens  :  sitôt  que  la  résurrection  de 
Jésus-Christ  arrive,  sitôt  que  ce  soleil  de 
justice  commence  à  monter  glorieux  et 
triomphant  sur  l'horizon  de  l'Eglise,  vous 
diriez  qu'ils  se  vont  convertir;  ils  s'appro- 
chent des  divins  mystères,  ils  font  quel- 
ques faibles  efforts  pour  se  détacher  du  cri- 
me; mais  ils  tiennent  toujours  à  la  terre, 
et  bientôt  ils  se  retrouvent  dans  les  mômes 
dispositionsoùilsélaient  auparavant.  Etran- 
ge aveuglement  d'un  chrétien  qui,  après 
avoir  été  réconcilié  avec  le  Seigneur,  re- 
commence à  faire  alliance  avec  le  péché  et 
avec  la  mort.  Qu'aurait-on  dit,  mes  chers 
auditeurs,  pendant  que  Jésus-Christ  con- 
versait avec  les  hommes,  si  l'un  de  ces 
morts  qu'il  avait  ressuscites  se  fût  plongé  le 
poignard  dans  le  sein,  et,  par  une  fureur 
liizarre,  eût  voulu  s'ôier  à  lui-môme  cette 
vie  nouvelle  qu'il  avait  reçue  par  un  mira- 
cle? Telle  est  pourtant  la  conduite  d'un  chré- 
tien qui  méprise  la  grâce  de  sa  réconcilia- 
tion et  retombe  volontairement  dans  lo- 
péché. 

Je  finis,  mes  frères,  par  celte  parole  de 
l'Evangile  de  saint  Jean:  Venit  Itora ,  et 
nunc  est,  quandomortui  audient  vocem  Filii 
Del  {Joan. ,  IV,  23)  :  Chrétiens,  l'heure  est 
venue  et  nous  voilà  dans  le  temps  sacré 
où  les  raoris  entendent  la  voix  du  Fils  do 
Dieu.  O  vous,  morts,  que  le  péché,  l'oubli 
de  Dieu,  des  passions  infâmes,  des  liaisons 
scandaleuses,  des  habitudes  prolongées  re- 
tiennent tout  vivants  dans  un  sépulcre  où 
vous  n'avez  que  les  ténèbres  et  la  corrup- 
tion en  partage,  écoutez  la  voix  de  ce  divin 
libérateur  qui  vous  appelle  ;  souffrez  que  lu 
ministre  de  Jésus-Christ  lève  celle  pierre, 
et  (jue,  par  l'autorité  que  le  Seigneur  lui  a 
conliée,  il  écarte  ce  scandale,  celle  occasion 
funeste,  ce  commerce  abominable  qui,  de- 
puis si  longtemps,  vous  empêche  de  sortir 
du  malheureux  état  où  vous  ôles  et  vous 
prive  de  la  grâce  et  de  la  lumière  du  ciel.' 
Mais  en  quittant  le  péché,  quittez-le  parfai- 
tement ei  sans  nulle  réserve  ;  car  je  remar- 
que une  belle  différence  entre  la  résurrection 
du  Lazare  et  celle  de  Jésus-Christ.  Le  Lazare 
sort  de  son  tombeau,  mais  il  en  sort  avec 
son  cercueil  et  son  suaire  ,  les  pieds  et  les 
mains  liés  :  «  Ligatis  pedibus  et  manibus 
[Matlh.,  XXII,  13}  ;m  au  lieu  (lue  les  feininas 


535 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


5Ô6 


saintes  Iroiivonl  dans  le  toiiili(\nu  du  Fils 
do  Dieu  loiil  ce  qui  avait  servi  îi  I  ensevelir. 
Bel  exerajMe  qui  nous  aftprend  qu'en  ressus- 
citant h  la  grâce  il  faut  laisser  dans  le  tom- 
beau tous  ces  liens  du  péché,  tous  ces  en- 
gngeuieiits  au  péché,  toutes  ces  intrigues  du 
péché  qui  sont  les  sources  fatales  de  notre 
inconstance  et  de  nos  rechules.  Que  si  nous 
nous  sentons  en  disposition  de  ressusciter 
ainsi,  nous  n'avons  qu'à  nous  réjou'r  et  nous 
pouvons  solenniser  avec  une  piarfaile  con- 
liance  celle  Pàque  sacrée  qui  sera  pour  nous 
une  source  de  consolations  et  de  grâces.  Ce 
terme  de  Pâques  signifie  passage.  Puissions- 
nous  donc  passer  dans  cette  auguste  solen- 
nité, du  péché  h  la  grâce,  et,  par  une  sainte 
persévérance,  nous  mettre  en  élat  de  pas- 
ser un  jour  de  la  grâce  à  la  gloire  où  nous 
conduise,  etc. 

SERMON  VI. 

POUR  LE  JOUR    DE  l'aSCENSION. 

Viri  Galilai,  quid  stalis  aspicienles  in  cœlum?  hic 
Jésus  qui  assumptus  est  a  vobis,  véniel  quemadmodura 
vidistis  eum  euiuem  in  cœlum  (Acl.,l,  11.) 

Hommes  de  Galilée,  pourquoi  demeurez  si  longtemps 
à  regarder  ainsi  vers  te  ciel  ?  Ce  même  Jésus  qui  vient  de 
vous  être  enlevé,  en  descendra  un  jour  de  la  même  manière 
que  vous  l'y  avez  vu  monter. 

Ce  sont  des  anges  qui  adressent  ces  |)a- 
roles  à  des  apôtres.  Ils  les  reprennent  au 
lieu  de  les  consoler;  et,  sans  leur  donner 
le  loisir  de  se  remettre  delà  surprise  et  de 
la  douleur  où  l'ascension  de  Jésus-Chri:-t 
les  avait  laissés,  ils  viennent  d'abord  inler- 
rorapre  leur  admiration  et  redoubler  leur 
surprise  en  leur  disant  de  la  part  de  Jésus- 
Chrislmême  :  Viri  Galilœi,  quidslalis  aspi- 
cienles in  cœlum?  hommes  de  Galilée,  pour- 
quoi vous  arrêter  à  promener  ainsi  d'inu- 
tiles regards  vers  le  ciel?  Que  dites-vous  , 
mes  frères,  de  la  conduite  des  anges  et  de 
celle  des  apôtres.  Ces  anges  r.e  sont-ils  pas 
bien  sévères,  ces  apôtres  ne  vous  semblent- 
jls  point  plus  dignes  d'être  plaints  que  d'ê- 
tre blâmés?  car  n'esl-il  pas  bien  naturel  par 
exemple  lorsque  l'on  a  dit  adieu  sur  le 
rivage  à  un  auji  qui  s'est  embarqué  sur  la 
mer,  de  se  tenir  encore  quelque  temps  après 
son  départ  à  regarder  fixement  l'endroit  où 
son  vaisseau  a  commencé  à  le  dérober  à  nos 
^-eux,  et  les  apôtres  pouvaient-ils  être  blâ- 
mables d'en  user  ainsi  à  l'égard  de  leur  di- 
vin Maître  qui  venait  de  s'élever  dans  l'air 
et  de  disparaître  dans  les  nues  ?  Mais  qui 
sonunes-nous,  pour  justifier  leur  conduite, 
quand  ce  sont  des  anges  et  des  anges  en- 
voyés de  la  part  dun  Dieu  qui  se  mêlent  ue 
les  corriger  ou  de  les  reprendre?  Oui,  les 
apôtres  étaient  cou[)ubles,  et  leur  imperfec- 
tion était  telle,  qu'après  avoir  passé  des  an- 
nées entières  en  la  compagnie  du  Fils  de 
pieu,  au  lieu  des  impressions  de  sa  givîcu, 
ils  ne  se  portaient  encore  vers  lui  que  |)ar 
des  mouvements  humains  et  naturels,  ils 
admiraient  ses  mystères  selon  la  chair  et 
ne  se  meil.iient  point  en  élat  de  les  ressen- 
tir selon  l'esprit.  Aujourd'hui  ils  ne  con- 
templent son  ascension  que  comme  un  beau 
Sjtectacle  qui  occupe  leurs  yeux  cl  qui  en- 


chante leurs  sens,  et  c'est  pour  leur  ropro- 
clier  ce  désordie  que  l'ange  leur  dit  :  Hom- 
mes de  Galilée,  h  quoi  bon  celte  extase  et 
celte  admiration  inutiles;  au  lieu  de  lever 
vos  yeux  au  ciel,  élevez-y  vos  esprits  et  vos 
cœurs,  et  sans  vous  arrêter  à  admirer  le  mys- 
tère do  l'ascension  de  Jésus-Christ  comme 
une  pompe  étrangère  à  laquelle  vous  n'au- 
riez aucune  part,  sachez  que  votre  Maître 
ne  vous  en  a  rendus  les  témoins  que  pour 
vous  en  faire  tirer  des  conséquen(-es  qui 
soient  glorieuses  pour  lui  et  profitables 
pour  tous.  Mais  nous  ,  chrétiens,  qui  som- 
mes sans  doute  bien  plus  imparfaits  que  les 
apôtres  dans  les  voies  du  salut  et  en  tout  ce 
qui  regarde  les  mysières  du  christianisme, 
ne  devons-nous  pas  nous  appliquer  tous  les 
fiu'ts  de  cette  importante  leçon? 

Je  peux  dire  que  voici  l'un  des  plus  beaux 
fruits  et  l'un  des  plus  nécessaires  de  toute 
la  morale  chrétienne,  puisqu'il  s'agit  de 
vous  faire  entendre  comment  ces  tnysières 
que  le  Fils  de  Dieu  n'aO|)érés  que  [oour  votre 
salut,  doivent  opérer  ici-bas  votre  sanctifi- 
cation, et  quelles  sont  les  imi)ressions  in- 
térieures que  tous  ces  mysières  en  général- 
et  celui  de  l'ascension  eu  particulier,  doivent 
faire  dans  notre  cœur  et  dans  nos  âmes.  De- 
mandons pour  ce  sujet  la  grâce  du  Saint- 
Esprit,  et  comme  ce  sont  des  anges  qui  nous 
doivent  prêcher  aujourd'hui  en  nous  a.dres- 
sanlles  mômes  fiaroles  qu'ils  ont  adressées 
aux  apôtres,  ce  sera  aussi  un  ange  qui  nous 
[uophétisera  des  paroles  pour  implorer  le 
crédit  de  Marie  et  pour  lui  dire  :  Ave,  gra- 
tia  plcna. 

Il  est  des  mystères  dans  le  christianisme 
qui  ne  peuvent  être  l'objet  que  de  notre 
spéculation  ou  de  notre  foi  ;  il  en  est  d'au- 
tres qui  sont  les  objets  de  notre  imitation 
et  l'exemple  de  notre  conduite,  et  il  en 
est  d'une  troisième  sorte  qui  sont  les  ob- 
jets de  nos  désirs  et  comme  le  germe  de 
nos  espérances;  mais  ces  choses  qui  sont 
paitagées  ailleurs,  se  trouvent  réunies  dans 
le  mystère  que  nous  célébrons  qui  est  le 
commencement  des  autres,  et  comme  le 
centre  où  tous  les  mystères  de  l'incarnation 
de  Jésus-Christ  aboutissent  ;  car  il  y  a  en 
etfel  dans  l'ascension  du  Fils  de  Dieu  non- 
seulement  de  quoi  coiitemj)ler ,  mais  encore 
de  quoi  imiter,  et  non-seulement  de  quoi 
imiter,  mais  encore  de  quoi  espérer.  Or  les 
apôtres  manquaient  également  à  tout  cela. 
Ils  contemplaient  ce  mystère  avec  une 
grande  atlenlion,  mais  ils  ne  le  regardaient 
que  sous  des  vues  l'oit  imparfaites  et  fort 
humaines,  leurs  esprits  n'étant  encore  que 
grossièreté  et  qu'ignorance.  Les  apôtres 
mamiuaient  à  imiter  ce  mystère,  puisqu'au 
lieu  de  détacher  leurs  cœurs  de  la  terre 
comme  Jésus-Christ  en  éloignait  son  corps, 
ils  avaient  encore  pour  son  humanité  sainte 
un  attachement  tout  matériel  et  tout  terres- 
tre ;  les  apôtres  ne  trouvaient  pas  de  quoi 
espérer  dans  ce  saint  mystère,  [luisque,  ne 
|)Ouvanl  suivre  le  Fils  de  Dieu  dans  son 
élévalioii  glorieuse  et  ne  croyant  pas  qu'il 
vuukU  revenir  avec  eux,  ils  désespérèrent 


557 


SFRMONS.  —  SEIl.M.  VI,  POliR  LE  JOl'Il  DE  L'ASCENSION. 


S58 


de  se  reiroiivor  jamais  avec  lui  ;  mais  les  an  - 
pps  onrrijtcnt  |iar  leurs  paroles  ces  Irois  dé- 
iaiils  dans  les  a|iôlres  et  dans  les  cluLHieiis, 
ainsi  riue  nous  le  verrons  dans  la  suite  ,  car 
ils  élèvent  leurs  esprits  pour  contempler; 
ils  relèvent  leurs  cœurs  pour  imiter; 
ils  relèvent  leurs  courages  povir  espi'^rer. 
Ce  que  nos  es|)rils  doivent  priiici|ialenient 
contemjder  dans  ce  mystère,  ce  que  nos 
cœurs  y  doivent  imiter;  ce  que  nos  corps  y 
doivent  alleiidre  et  espérer  et  quelles  dis- 
positions sont  requises  pour  tout  cela,  c'est 
ce  que  j'ai  dessein  de  vdus  i'aire  voir  dans 
les  trois  parties  Je  mon  discours. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

La  pompe  et  la  niagniticence  du  mystère 
de  l'ascension  de  Jésus-Clirist  ont  de  quoi 
nous    éblouir,  et    pour  le  proportionner  à 
notre  vue,  j'ai  cru  qu'il  fallait  en  lenifiérer 
le  brillant  par   le   ménagement    nécessaire 
des  ondjres  et  des  obscurités  qui  se  trouvent 
dans  les   humiliations.  Et  en  elFet   l'on  ne 
saurait  contempler  la  gloire  de  Jésus-Christ 
d'une  maniète  plus  édifiante  et  plus  solide 
qu'en    la  considérant  par  rapport  h  ses  au- 
gustes bassesses  qui  en    ont  été  les  vérita- 
bles principes.  Lesapôlres  avaient  coutume 
de  séparer  mal  à  propos  Jésus-Christ  souf- 
frant d'avec  Jésus-Chiist  glorieux.  Quand 
il  était  dans  les  opprobres  et  dans  les  dou- 
Je-jrs,  ils   l'abandonnaient  lâchement  et  ne 
tenaient  plus  aucun   compte   de  sa  gloire  ; 
cl  quand  ils  le  voyaient  glorieux  et  honoré, 
ilsse  persuadaient  aussitùlquil  avait  changé 
de  nature  et  ne  songeaient  i)lus  à  ses  dou- 
leurs ni  à  ses  opprobres.  El  en  effet,  ils  ne 
contemplent  son   ascension  que  comme  un 
spectacle  extraordinaire  qui  attire  leur  cu- 
riiisité.  Or,  Ton  peut  dire  que  leurs  es[)ri(s 
demeurent    inutiles   afin    de   donner   Iroj) 
d'occupation   à    leurs    yeux,   tant  ils  sont 
accoutumés  à  ne  juger  de  tous  les  mystères 
que  |iar  les  impressions  dilférenles  que  ces 
mystères  font  sur  leurs  sens,  et  c'est  pour 
les    reprendre  de  ce  défaut  que  l'ange  leur 
dit  :  Viri  Galilœi,  quid  slalis  aspicienles  in 
cœlum?  hommes  de  G.iJilée,  eh  !  à  (jijoi  vous 
amusez-vous,    vuus   regardez  votre   maître 
comme  si  vous  ne  le  comiaissiez  plus;  mais 
s'il   a  changé  d'étal,    il  n'a  pas  cliaiigé  de 
nature   ni  d'inclination;   hic  Jésus  qui  as- 
sumplus  est  a  vobis,   c'est  ce  même  Jésus 
qui  a  tant    été    parmi  vous,  uù.   il   est  tou- 
jours lui-môme  par  l'estime  qu'il  a  pour  les 
huniilialions  et    |)our  les  souffrances.  Oui, 
cet  Homme-Dieu    que    nous  voyons  juste- 
ment as.sis  à  la  droite  du  Père  Eiernel,  est 
celui-là   même  que   vous    avez  vu  crucifié 
avec  un  larron  à  la  sienne;  nous  le  voyons 
couronné  de  gloire   et   vous  l'avez  vu  cou- 
ronné d'épines;  c'est  ce  Jésus-Christ  qui  a 
été  trahi    si  lâciiement  et  (jui  a   été  fouetté 
si    cruellement,  qui  a  exjiiré  à  vos  yeux  et 
pour  vos  péchés  d'une  mort  si  honteuse  et 
si  tragique,  hic  Jcsus,  et   non-seulement  ce 
Jésus   que   vous    voyez  si  glorieux   est  ce 
même  Jésus  qui  a  souffert  toutes  ces  choses, 
uiajsvou,';  ne  le  veinez  pas  glorieux,  s'il  ne 


les  avait  soullVrlos  et  il  n'est  glorieux  tpie 
parce  (ju'il  a  été  assez  humi)le  et  assez 
obéissant  pour  les  souffrir. 

L'apôtre  saint  Paul  eidre  dans  les  mêmes 
sentiments   quand  il  prend  tant  de  peine  à 
nous  faire  remarquer  (jue  celui  qui  est  élevé 
au-dessus   de    tous   Ic^    cieux    est  celui-là 
même  qui    était   descendu  jusi]ue  dans  le 
centre  de  la  terre;  car  voilà  en  deux  mots 
tout    le  mystère    d'aujourd'hui  :  Quoniain 
qui  asccndit,  ipsc  est  et  qui  descendit  primuin 
in  inferiores   parles   terrœ.  [Ephes.,  IV,  9.) 
Et  voilà,  en  effet,  chrétiens,  comme  la  Pro- 
vidence  a   voulu    que  les  huniiliations  de 
Jésus-Christ  servissent  à  balancer  ses  gran- 
deurs et  que  ses  grandeurs  servissent  à  re- 
lever ses  humiliations  ;  sur  quoi  saint  Bo- 
naventure  dit  excellemment  (|ue  le  repos  do 
la  foi   des  chrétiens  se  trouve  dans   la  hau- 
teur   et  dans  la  [irofondeur  :  Quies  fidei  in 
subliinilale    et   profnndilale.    Prenez  garde 
que  les  choses  élevées  n'ont  point  de  lepos; 
elles    tombent    souvent    par    leur   propre 
poids;  remarquez  que  les  choses  basses  se 
remuent  sans  cesse,  elles  cherchent   natu- 
rellement à   s'élever.  Ainsi,   mes  frères,  si 
la  foi  du  chrétien  n'avait  que  des  mystères 
sublimes  ou  que  des  mystères  bas  et  ram- 
pants, il    lui    serait  malaisé  de  se  souteiur; 
Uiais   elle   est  appuyée  sur  la  grandeur  et 
sur  la  bassesse  comme  sur  deux  pôles  qui 
la   rendent    ferme   et    immobile.  Qiiaml  le 
chrétien  se  voit  rebuté  par  la  honte  et  jiar 
les   opprobres  de  la  croix  de  Jésus-Christ, 
il  a  de  quoi  corriger  cet  excès  par  le  souve- 
nir de  sa  grandeur  et  de  sa  gloire,  et  quand 
la   gloire    de  Jésus-Christ   vient  h   lui  pa- 
raître trop   au-dessus  de  sa  ()ortée,  il  peut 
ap|)orter  un  tempérament  à  cet  autre  excès 
par  le  mélange  des  humiliations  et  des  oj)- 
probres  de  sa  croix. 

Mais  c'est  ici  que  nous  avons  besoin  de 
nous   élever   avec  Jésus-Christ  par  l'ascen- 
sion morale  de  nos  esprits,  pour  tâcher  d'aller 
apprendre  dans  les  secrets  de  la  prédestina- 
lion  éternelle,  pour  quelle  mystérieuse  rai- 
son Dieu  a  voulu  faire  monter  son  Fils  à 
la  gloire  par  ce  chenun   si  étrange  des  dou- 
leurs et  des  humiliations.  Voici  l'excellenlo 
raison  que  sanit  Bcriiai'il  nous  en  donne  : 
C'est,  dit  ce  Père,  que  Dieu    iiyant  été  dé- 
shonoré  d'abord    |)ar  l'orgueil  de  Lucifer, 
il  a  voulu,  pour  s'en  faire  à  lui-môme  une 
réparation  aullieiitiquo    et    pour  donner  à 
tfjules  les  créatures   la  plus  mémorable    de 
toutes    les   inslruclions,  que  son.  Fils,  son 
propre    Fils    prit    en    tout    et   partout   le 
ciinirej)ied   de  la  conduite  de  cet  ange  su- 
perbe, Lucifer  avait   dit  :  Je  montera*,  et  le 
Fils    de   Dieu  dit  :   Je  descendrai;  Lucifer 
avait  dit  :  Je  monterai  et  je  me  rendrai  sem- 
blable au  Très-Haut  :  «  Asccndam  et  similis 
ero  AUissimo.»  {Isa.,   XIV,  ik.)  El  moi,  dit 
le  Fils  de  Dieu,  je  m'anéantirai  et  me  rendrai 
semblable  à  une  vile  créature:   Exinanivit 
semelipsum  formam  servi  accipiens,  in  simi- 
liludincm  hominum  j'uclus.  {Philip.,   11,  7.) 
Mais   ce    Lucifer    su[)erbe  a  été  humilié  et 
Jésus-Clirist  humble  a  été  exalté.  L'on  peut 


539 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


5i0 


dire  ilo  Lucifer  quo  celui  qui  voulait  mon- 
ter si  haut,  est  celui-là  même  qui  est  tombé 
si  bas;  et  l'on  dit  de  Jésus-Christ  que  celui 
qui  est  descendu  si  bas,  est  celui-là  même 
qui  est  monté  si  liaut.  Voilà  les  deux  grands 
spectacles  du  temps  et  de  l'éternité  ;  voilà 
l'exécution  solennelle  de  ce  double  arrêt 
qui  est  gravé  dans  le  cœur  de  Dieu  et  dont 
il  nous  a  donné  dans  l'Iivangiie  uni>  copie 
en  ces  termes  :  Qui  se  exaltât,  humiliahitur, 
el  qui  se  humiliai, exattabilur.iMalth.,X\l\l, 
12.)  Voilà  comme  nous  pouvons  dire  de 
notre  Dieu  ce  qu'un  profane  disait  du  sien, 
que  sa  grande  occupation  était  d'élever  tout 
ce  qui  est  bas  et  de  renverser  tout  ce  qui  est 
élevé;  occupation  véritablement  digne  d'un 
Dieu.  Et  voilà,  en  un  mot,  comme  pour 
nous  instruire  par  des  exemples  plutôt  que 
par  des  paroles,  il  a  voulu  donner  à  toutes 
les  créatures  et  à  tous  les  siècles,  en  la  per- 
sonne de  Lucifer,  l'exemple  d'une  superbe 
humiliée,  et  en  la  personne  de  Jésus-Christ 
le  modèle  d'une  humilité  exallée. 

C'est  de  celle  manière  que  nous  devons 
''ontenipler  le  mystère  de  l'ascension  de 
Jésus-Clirist,  si  nous  voulons  le  méditer 
avec  fruit;  car  si  nous  ne  prétendons  le  re- 
garder qu'avec  des  vues  humaines,  et  |)ar 
cet  éclat  extérieur  qui  paraît  agréable  à  nos 
sens  et  qui  peut  flatter  noire  vanité,  dès  lors 
nous  méritons  qu'on  nous  dise  :  Viri  Gali- 
lœi,  quid  aspicilis  in  cœlum.  Hommes  chré- 
tiens, pourquoi  regarder  le  Fils  de  Dieu 
raonlant  au  ciel,  si  vous  ne  voulez  le  re- 
garder soutl'ranl  et  humilié  sur  la  terre?  Il 
est  assez  remar(iuable  que  quand  Jésus- 
Christ  monte  sur  la  croix,  il  y  monle  à  la 
face  de  tout  l'univers.  Il  no  s'en  cache  [loint 
et  nous  ordonne  même  de  le  regarder  :  Ins- 
7)îce,  dil-ilà  chacun  de  nous,e<  fac  secundum 
exemplarquod  tibi  in  monte  monstratumest. 
«  Regarde  et  travaille  sur  le  modèle  que  je  t'ai 
donné  sur  cetlemontagne.v  {Exod.,W\,kO.) 
Mais,  quand  il  est  question  de  monter  au 
ciel,  il  choisit  pour  cela  un  lieu  écarté  et  no 
veut  |)oint  qu'on  le  regarde  :  Viri  Galilœi, 
quid  aspicilis  in  cœlum.  Ajoutons  que  quand 
il  avait  voulu  paraître  glorieux  dans  sa 
transfiguration,  piour  y  faire  comme  le  i)ré- 
lude  du  mystère  d'aujourd'hui,  il  avait 
choisi  unesolitude,  je  veuxdirela  montagne 
du  Thabor,  pour  être  le  premier  théâtre  de 
sa  gloire,  ne  prenant  que  trois  apôtres  avec 
lui  pour  les  en  rendre  témoins;  mais  ce 
n'est  pas  tout,  on  ne  parle  pas  à  ces  trois 
apôtres  de  faire  aucun  usage  de  leurs  yeux, 
on  leur  parle  seulement  de  faire  usage  do 
leurs  oreilles  :  Jpsum  audite  :  «  Ecoutez-le.» 
{Maltfi.,  XVII,  5.)  Ehl  [)Ourquoi  l'écouter? 
Ahl  c'est  sans  doute  que  ie  Fils  de  Dieu 
parlait  avec  Moïse  et  avec  Elie  sur  le  Tha- 
bor, de  la  mort  qu'il  devait  endurer  en  Jé- 
rusalem :  Loquebantur  de  excessu  quem 
completurus  eral  in  Jérusalem.  {Luc,  IX, 
31. j  11  n'eût  pas  été  avantageux  aux  apôtres 
de  ne  s'arrêter  qu'à  voir  la  gloire  de  sa 
transtiguration,  et  il  leur  était  plus  utile 
d'écouter  le  discours  de  ses  humiliations  et 
de  ses  soulfrances. 


Or,  tout  cela  ne  tend  qu'à  nous  apprendre 
qu'il  ne  faut  jamais  séparer  sa  gloire  dans 
ses  humiliations,  et  que  c'est  dans  les  mys- 
tère? de  sa  gloire  que  se  trouvent  les  plus 
belles  leçons  de  l'humilité  chrétienne.  C'est- 
là  que  cette  vertu  me  paraît  dans  son  plus 
beau  jour,  et  pour  moi,  je  vous  avoue 
qu'elle  me  semble  bien  plus  éloquente  sur 
le  mont  des  Olives  que  sur  le  Calvaire.  Elie 
y  emprunte,  du  Fils  de  Dieu,  tout  l'éclat  de 
la  majesté  qui  l'environne  ;  c'est  une  humi- 
lité couronnée  contre  laquelle  on  n'a  plus 
aucun  prétexte  de  se  révolter,  et  si  jusqu'à 
présent  nous  avons  refusé  d'être  humbles 
par  le  molif  de  l'humilité  ,  elle  nous  invite 
h  nous  hunjilier  par  le  motif  de  la  gran- 
deur môme.  D'où  il  s'ensuit,  mes  chers 
auditeurs,  qu'il  y  a  bien  de  la  différence 
entre  l'humilité  de  Jésus-Christ  et  l'humi- 
lité d'un  chrétien.  Car  l'humilité  du  Fils  de 
Dieu  offrait  une  humilité  honteuse  qu'il  a 
été  cherciier  dans  la  pauvreté,  dans  la  bas- 
sesse et  dans  le  mépris  au  elle  faisait  avant 
lui  toute  sa  splendeur.  Mais  l'humilité  des 
chrétiens  est  une  humilité  glorieuse  qu'ils 
[)rennent  dans  Jésus-Christ  même,  qui  l'a 
honorée  dans  sa  personne  et  qui  la  rend  ho- 
norable dans  les  nôtres.  Humilions-nous 
donc,  soit  parce  que  Jésus-Christ  s'est  hu- 
milié avant  nous,  soit  parce  qu'il  a  été 
exalté,  et  que  nous  pouvons  prétendre  à 
être  un  jour  glorifiés  comme  lui.  Mais  com- 
ment nous  humilier?  En  lâchant,  par  exem- 
ple, de  nous  anéantir  devant  la  grandeur  de 
Dieu,  reconnaissant  de  bonne  foi  que  nous 
sommes  devant  lui  comme  si  nous  n'étions 
pas  ;  qu'il  n'y  a  en  nous  que  péché,  que  cor- 
iU[)lion  et  que  misère, ou  du  moins  que  tout 
le  surplus  est  absent,  s'il  est  bien  vrai  qu'il 
y  ait  quelque  chose  de  surplus  et  qui  nous 
mettra  en  état  dédire  intérieurement  avec 
le  Prophète  :  Grâces  au  Seigneur,  je  suis 
un  homme  qui  connais  assez  ma  pauvr.etéel 
mon  indigence  :  Ego  vir  videns  paupertatent 
meam.  {Thren.,  111,  1.)  Mais  comment  nous 
humilier? Enassujeltissant  noire  esprità  tous 
les  dogmes  de  la  religion  et  en  nous  assu- 
jettissant nous-mêmes  à  toutes  les  lois  de 
l'Eglise,  et  à  tous  les  devoirs  du  christia- 
nisme, quoi  qu'il  en  puisse  couler  à  noire 
amour-[iropre  et  à  celle  fausse  graiuleur 
d'âme  qui  veut  dominer  partout ,  et  qui  ne 
saurait  se  soumettre  en  rien.  Mais  couiment 
nous  humilier  ?  En  profitant  do  toutes  les 
disgrâces  de  la  fortune,  de  toutes  les  misè- 
res de  la  vie,  de  tous  les  chagrins  qui  nous 
accablent,  do  toutes  les  adversités  qui  nous 
arrivent,  et  regardant  tout  cela  par  rapport  à 
la  Providence,  à  laquelle  il  est  juste  que 
nous  soyons  soumis,  suivant  ce  que  dit  si 
bien  le  Sage,  qu'il  doit  y  avoir  de  la  subor- 
dination entre  Dieu  et  l'homme,  et  qu'il 
n'est  pas  raisonnable  que  l'homme  veuille 
aller  de  pair  avec  Dieu  :  Justum  est  homi- 
nem  subditum  esse  Deo  et  non  paria  sentire. 
(liM«c.,lX,  12.)  Mais  comment  nous  humi- 
lier? Eu  souffrant  avec  patience  toutes  les 
l'aillerics  et  tous  les  outrages  de  nos  enne- 
mis; on  élouifaiil  tous  ces  sentiments  de 


541 


SERMONS.  —  SERM.  YI,  POUR  LE  JOUR  DE  L'ASCENSION. 


US 


vengeance  qui  ne  peuvent  provenir  que  (ie 
l'orgueil,  eu  panlounant  Ji  ceux  cpii  nous 
persécutent,  en  disant  «lu  bien  de  ceux  qui 
nous  caioninienl,  appuyés  sur  ee  fomle*- 
luent  que  s'ils  disent  de  nous  quoiqije  mal, 
ijui  n'est  point  en  nous,  il  y  en  aussi  bien 
d'autres  qu'ils  ne  disent  |>as,  et  qu'ainsi  il  y 
a  ilieu  de  faire  une  compensation  utile  de 
leurs  médisances  (lubliques  avec  nos  imper- 
teolions  secrètes  ;  qu'à  part  tout,  nous  étant 
nous-mêmes  si  fort  décriés  devant  Dieu, 
par  nos  crimes  et  par  nos  péchés,  nous  no 
devons  pas  compter  pour  grand  cliose ,  si 
ce  n'est  pour  eu  faire  un  usa^'e  de  péni- 
tence, qu'on  nous  fasse  perdre  notre  répu- 
tation devant  les  hommes;  puisqu'enfin  ce 
n'est  ni  l'estime  des  hommes  ignorants  ou 
intéressés,  ni  la  nôtre  qui  nous  rend  consi- 
dérables, mais  le  jugement  que  le  Sei- 
gneur porte  en  faveur  de  nos  actions  et  de 
notre  conduite. 

Mais  comment  nous  humilier?  En  allant 
quelquefois  au-devant  de  l'humiliation, 
sans  attendre  qu'elle  nous  vienne  chercher, 
comme  leFils  deDieu,  quiétantsi  glorieux 
dans  le  ciel,  est  venu  exprès  chercher  à 
s'humilier  sur  la  terre,  tous  ses  abaisse- 
ments n'étant  qu'un  effet  de  sa  liberté  et  de 
son  choix  :  car,  dit  l'apôlre  saint  Paul, 
auand  il  a  été  question  d'humilité:  Jésus- 
Christ  s'esi  humilié  lui-même.  «  Humiliavit 
semelipsum.»  Mais, quand  il  a  été  question  de 
gloire  et  de  grandeur,  il  a  laissé  à  son  Père 
le  soin  de  l'exalter  :  Propter  quod  el\  Veus 
cxaltavit  illum.  [Philip.,  11,9.)  Ah  1  lors- 
qu'il fallait  monter  sur  le  Calvaire,  l'Ecri-  '; 
lure  dit  qu'on  l'y  menait  et  il  y  allait  de 
son  bon  gré  :  Ducebant  eum  ut  crucifigere- 
tur  [Matth.,  XXVII,  31);  mais  lorsqu'il 
s'agit  de  monter  glorieusement  au  ciel, 
l'Ecriture  dit  qu'il  y  est  porté;  comme  si 
son  inclination  ne  l'y  jiorlait  pas  :  El  fcre- 
balur  in  cœlum.  [Luc,  XXIV,  51.)  Elle  dit 
encore  qu'il  est  enlevé  :  Hic  Jésus  qui  as- 
sumptus  est  [Act.,  I,  II),  pour  nous  dire 
|que  son  humilité  souffre  en  cette  rencontre 
fune  espèce  de  violence.  Car,  pour  parler 
avec  saint  Bernard  ,  le  Fils  de  Dieu 
sachant  combien  nous  étions  passionnés 
pour  la  grandeur,  a  voulu  nous  frayer 
un  chemin  bien  sûr  à  la  gloire  et  consa- 
crer, par  l'humilité,  une  élévation  que 
l'orgueil  rendrait  toujours  profane  ou  mal  as- 
surée :  Suo  descensu  salubrem  nobis  conse- 
cravit  ascensum,  en  un  mot,  dit  ce  Père, 
nous  donner  l'alternative  dans  le  mystère 
d'aujourd'hui,  ou  de  nous  élever  avec  lui, 
en  nous  humiliant,  ou  de  nous  firécipiter 
avec  Lucifer,  en  nous  exaltant.  Il  faut  donc 
humilier  nos  esprits  dons  la  conlemplalion 
de  la  grandeur  vl  de  l'ascension  de  Jésus- 
Christ,  luais  il  faut  détacher  nos  cœurs  de  la 
terre,  si  nous  voulons  suivre  la  suite  de  ce 
mystère;  c'est  la  deuxième  inijinssion  qu'il 
doit  faire  en  nous  et  la  deuxième  partie  do 
mon  discours. 


SECONDE    PARTIE. 


Los  apôlros  s'étaient  rétablis  dans  les 
dispositions  d'une  joie  tranquille,  par  les 
preuves  incontestables  que  le  Fils  de  Dieu 
leur  avait  données  de  sa  résurrection;  mais 
sitôt  qu'il  vint  à  leur  parler  de  départ,  il 
n'en  fallut  pas  davantage  pour  les  remettre 
dans  la  consternation  et  pour  les  plonger 
autant  que  jamais  dans  une  profonde  tris- 
tesse :  Sed quia  hœc'Jocii tus  snmvobis,  trisli- 
tia  implevit  cor  vestrum.  (Joan.,  XVI,  6.) 
11  avait  beau  leur  reprocher  qu'ils  ne  l'ai- 
maient point  puisqu'ils  ne  voulaient  point 
sacrifier  aux  intérêts  de  sa  grandeur  la  sa- 
tisfaction sensible  qu'ils  avaient  de  sa  pré- 
sence :  Si  diligerelisme,  gauderctis  utique, 
quia  vado  ad  Patrem.  [Joan  ,  XIV,  28.)  Il 
avait  beau  leur  dire  qu'il  était  expédient 
pour  eux  qu'il  s'en  allât:  Expedit  vobis 
ut  ego  vadam  (Joan.  XVI,  7)  ,  et  que  s'il  ne 
moulait  au  ciel,  le  Saint-Esprit  ne  descen- 
drait point  :  Nisiabiero,  Paracletus  non  véniel 
(Ibid.);  ni  la  gloire  du  Fils  de  Dieu,  ni 
la  descente  du  Saint-Esprit,  ni  l'intérêt  de 
leur  propre  sanctification  n'étaient  pas  des 
motifs  assez  forts  pour  l'emporter  dans 
leur  cœur  sur  cet  attachement  opiniAtro 
qu'ils  avaient  à  leur  satisfaction  sensible. 
Voili^  en  quoi  consistait  proprement  cette 
dureté  de  cœur  que  Jésus-Christ  leur  re- 
procha en  les  quittant:  Exprobravilduri-' 
tiamcordiseorum.  [Marc,  Wl,i'*-)  C'étaient 
des  cœurs  rampants  qui  ne  pouvaient  s'é- 
lever au-dessus  des  choses  sensibles,  et 
s'ils  avaient  eu  la  liberté  d'un  tel  choix,  ils 
auraient  mieux  aimé  parle  goût  de  leur 
amour-[iropre  que  le  Fils  de  Dieu  lût  de- 
meuré avec  eux  sur  la  terre  que  de  monter 
avec  lui  dans  le  ciel.  Nos  inler()rètes  ont  re- 
marqué que  les  anges  reprochent  aux  a})ôtres 
cette  disposition  par  ces  paroles  :  Viri 
Galilœi,  quid  admiramini  aspicienles  cœlum  ; 
car  ils  prétendent  que  c'est  comme  si  on 
leur  disait:  0  vous  qui  n'êtes  |)lus  de  ce 
monde,  vous  qui  êtes  en  possession  de 
vous  considérer  déjà  comme  les  citoyens 
du  ciel  et  les  domestiques  de  Dieu,  pour- 
quoi donc  regarder  encore  le  ciel  avec 
celle  admiration  avec  laquelle  on  regarde 
les  pays  étrangers  :  Admiramini  aspicienles 
in  cœlum.  Or,  mes  frères,  c'est  celle  même 
disposition  qui  esl  aujourd'hui  si  universelle 
dans  les  chrétiens  de  regarder  le  ciel  avec 
le  môme  éloignement  qu'on  devrait  avoir 
de  la  terre,  et  de  regarder  la  lerre  avec  les 
mômes  attachements  qu'on  devrait  avoir 
pour  le  ciel,  et  c'est  cette  môme  dis[)osilion 
que  le  mystère  de  l'ascension  de  mon  Sau- 
veur doit  détruire  dans  nos  cœurs,  en  les 
élevant  avec  lui  au-dessus  de  tous  les  ob- 
jets matériels  et  périssables;  car  voila  sans 
doute  un  des  points  les  plus  essentiels  de 
la  morale  chrétienne,  que  tous  les  mys- 
tères du  Fils  de  Dieu  doivent  [lorter  dans  nos 
cœursuneffetdegrâce  particulier  et  différent, 
et  que  loute  l'économie  de  la  vie  spirituelle 
ne  consiste  que  dans  les  diverses  impulsions 
que  son  huinanilé  sainte  fait  dans  îios  âmes, 


tilô 


ORATEURS  SACRES.  DE   MO?\MOREL. 


selon  les  divers  élals  où  l'Eglisu  nous  le 
représente.  Celte  proposition  se  Ironve  éln- 
blie  dans  toiili'S  les  inslriiclions  de  saint 
Paul.  Quand  il  parle  de  l'incarnai  ion  du 
Verbe,  il  prétend  que  nous  ressentions  en 
nous-mêmes  celle  môme  incarnation  qui  en 
est  conimiî  le  caractère  et  que  l'anéantisse- 
nienldu  Verbe  fait  chair  anéantisse  tous  les 
fidèles  :  Hoc  enim  sentite  in  vobis  quod  et  in 
CfiristoJcsu,  qui  cum  in  forma  Dei  esset,  se- 
tnetipsum  exinanivil  formam  servi  accipiens. 
(Philip.,  II,  7.)  Quand  il  nous  instruit  sur  la 
passion  du  Fils  de  Dieu,  il  dit  que  celte 
mort  doit  avoir  en  nous  nne  opération  edi- 
cace,  etque,  non  content  de  faire  mourir  par 
les  influences  salutaires  de  la  mort  d'un 
Dieu  toutes  les  passions  dans  nos  âmes  ,  il 
faut  encore  en  porter  les  livrées  sur  notre 
corps  fiar  la  morlificalion  de  nos  sens  : 
Semper  morlifîcalionem  Jesii  in  corpore  no- 
slro  circumferenles,  (H  Cor.,  IV,  10.)  Quand 
il  Iraile  de  la  résurrection  du  Verbe  incar- 
né ,  il  prélend  nous  ressusciter  avec  lui  ;  et, 
supf)0sant  que  la  gr;lce  nous  ait  déjà  ôlé  la 
vie  de  la  nature  corrompue  comme  on  avait 
ôlé  à  Jésus-Cluisl  la  vie  mortelle  ou  passi- 
ble, il  veut  nous  l'aire  enlrei-  dans  l'usage 
d'une  vie  toute  divine  sur  le  modèle  de  la 
vie  glorieuse  avec  laquelle  le  Fils  de  Dieu 
sort  de  son  tombeau  :  Ut  quomodo  Christ  us 
surrexit  a  wortnis ,  ita  et  nos  in  novitale 
vitœ  ambiilemvs.{Roin.,  VI,  k.)  Kiitin  quand 
il  parle  du  mystère  ûq  l'ascension,  il  dé- 
clare que  le  fruit  de  la  grâce  de  ce  niyslère 
est  de  nous  détaclier  de  la  terre  et  de  nous 
enlever  avec  le  chef  dont  nous  sommes  les 
membres,  c'esi-à-dire  avec  Jésus-Christ, 
jusqu'à  la  droite  du  Père  Eternel  où  il  est 
i\ss\s  :  Quœ  sursum  sunt  quœrite  ;  ubi  Chri- 
slus  est  in  dexlera  Dei  sedens;  quœ  sursuin 
sunt  sapite  non  quœ  super  terram.  (I  Cor., 
Jll,  1,  2.)  C'est  par  là  que  nous  apprenons 
ritilention  du  Verbe  incarné,  savoir  quo  lout 
ce  qui  s'est  passé  dans  son  cor()s  naturel  se 
réitère  dans  son  corps  mystique.  C'est  de 
celle  manière  qu'il  vilen  nouslorsque  toutes 
les  circonstances  de  la  vie  mortelle  et  de  la 
vie  glorieuse  se  rc^présenlent  dans  nos  per- 
sonnes. Et  saint  Bernard,  qui  était  si  bien 
\i^rsé  dans  celte  sublime  théologie,  distin- 
guait par  ce  principe  tous  les  chrétiens  en 
jilusieurs  espèces:  II  y  en  a,  dit-il,  en  qui 
Jésus-Christ  n'esl  |)as  ué:  sunt  quibus  non- 
dum  nalus  est,  et  ce  sont  ceux  qui  n'ont 
|)as  encore  assujetti  leur  esprit  à  l'humi- 
lité de  la  foi;  car  c'est  celle  humilité  qui 
seule  peut  nous  faire  dire  que  ce  petit  en- 
f.int  nous  est  né.  Il  y  en  a  en  qui  Jésus- 
Christ  est  né,  mais  en  qui  il  n'esl  pas  en- 
core assez  robuste  (lour  souO'rir  :  Sunt  qui- 
bus nondum  passus  est,  et  ce  sont  ceux  qui, 
ayant  tâché  de  se  convertir,  ne  travaillent 
pas  néanmoins  à  la  mortilicalion  de  leurs 
sens. 

Il  y  en  a  d'autres  en  qui  Jésus-Christ  a 
imprimé  le  mystère  de  sa  mort,  mais  en  qui 
il  n'est  pas  encore  ressuscité  ;  Sunt  quibus 
nondum  surrexit.  Et  ce  sont  ceux  (]ui,  fai- 
sant une    rigoureuse    pénitence    de    leurs 


péchés  ne  goûtent  pas  encore  les  plaisirs  et 
la  sensibilité  de  la  grâce.  Enfin  il  y  en  a  en 
qui  Jésus-Chi'ist  est  ressuscité,  mais  à  l'é- 
gard desquels  il  n'est  pas  encore  monté  au 
cil  I  ;  sunt  quibus  nondum  ascenditin  cœlum; 
et  ce  sont  ceux  qui,  étant  dans  la  même 
disposition  que  les  apôtres,  ont  pour  Jésus- 
Christ  môme  un  attachement  simple  et 
grossier,  dévots  par  tempérament,  cher- 
chant dans  les  exercices  de  la  piété  de  quoi 
satisfaire  leur  humeur  ou  leur  amour-pro- 
pre, ou  n'ayant  pour  les  choses  de  la  grâce 
qu'une  sensibilité  qui  se  confond  avec  celle 
de  la  nature. C'est  pources  âmes  qu'il  est  ex- 
pédient que  le  Fils  de  Dieu  s'en  aille.  Il  faut 
que  la  présence  sensible  leur  soit  ôlée,  il 
faut  qu'on  les  sèvre  de  ce  lait  s|)irituel,  atin 
que,  se  nourrissant  d'un  aliment  plus  soli- 
de, ils  se  mettent  en  étal  de  devenir  plus 
robuste.  D'où  il  s'ensuit,  conclut  excellem- 
ment saint  Thomas,  que  le  mystère  de  l'as- 
cension est  un  mystère  de  consommation 
et  d'enlèvement,  non-seulement  à  l'égard 
do  Jésus-Christ,  mais  encore  à  l'égard  de  la 
vie  spirituelle  et  de  la  perfection chiétienne; 
car  la  perfection  chrélienne,  dit  saint  Tho- 
mas, consistant  proprement  en  deux  cho- 
ses, à  être  attaché  à  Dieu  par  amour  et  par- 
faitement détaché  de  tout  ce  qui  n'esl  pas 
Dieu,  c'est  le  mystère  de  l'ascension,  [)ri- 
vativenient  à  tous  les  autres,  qui  opère  ces 
ellets  dans  les  apôtres,  c'est  ce  mystère  qui 
d(''gage  le  cœur  des  at)ôlres,  non-seulement 
de  tous  les  objets  criminels  ou  indiiférents 
mais  encore  de  l'attachement  imparfait  et 
profane  qu'ils  avaient  pour  l'objet  du  monde 
le  plus  sacré,  et  c'est  un  miyslère  qui,  les 
ayant  détachés  de  tous,  les  attache  à  Dieu 
|iar  un  amour  spirilue!  et  plein  qui  n'est 
plus  fondé  sur  la  passion  corporelle  de  Jé- 
sus-Christ, et  qui  n'a  plus  'ien  de  connnun 
avec  les  sens,  double  disposition  de  grâce 
ac(]uise  indispensabiementdans  les  apôtres 
pour  les  [)réparer  h  la  réception  du  Saint-Es- 
prit, et  qui  nous  fait  comprendre  combien  le 
Fils  de  Dieuavait  de  raison  de  leuradresser 
ces  paroles  :  Nisi  abiero,  Paracletus  non  vé- 
niel, (/oan., XVI,  7.)  Ne  vous  y  trompez  pas, 
nies  chers  disciples,  il  faulque  vous  receviez 
le  Saint-Esprit,  mais  il  tant  qu'il  vous  en 
coûte  ma  présence  cor[)orelle  et  sensible, 
et  si  je  ne  monte  au  ciel,  cet  Esprit  saint 
ne  descendra  point  sur  la  terre;  mais,  chré- 
tiens, il  est  temps  de  vous  demander  si  vous 
sentez  que  le  mystère  de  l'ascension  pro- 
duise aujourd'hui  ces  grands  etfets  dans  sos 
âmes  ou  plutôt  où  en  ètes-vous  ?  Le  Fils  de 
Dieu  esl-il  né  en  vous?  y  a-l-il  soullerl  ?  y 
est-il  ressuscité?  y  est-il  monté  au  ciel? 
Avez-vous  seulement  jamais  pensé  à  celle 
obligation  indispensable  de  faire  en  vous- 
mêmes  une  expression  tidèle  de  tous  les 
mystères  du  Verbe  incarné.  Mais  savez- 
vous  bien  qu'on  ne  peut  prétendre  au  salut 
sans  avoir  recule  Saint-Esprit  qui  est  la  fin 
et  l'âme  de  l'ÉvangUe.Or  savez-vous  que  cet 
Esprit-Sainl  ne  peut  opérer  rien  que  dans  un 
cœur  dégagé  do  toutes  les  affections  de  la 
terre,  (juc  Jésus-Christ  a  sanclilié  par  ses 


SERMONS.  —  SERM.  VI,  POUR  LE  JOUR  DE  L'ASCENSION. 


mystères  el  par  ses  places,  cl  dans  leciiiol 
il  a  fourni,  pour  ainsi  dire,  loulesa  cirrière. 
Al)  1  mes  irèros,  (iit  le  dévot  saint  Bernard, 
ne  nous  laissons  point  abuser  par  la,  llalle- 
rie  d'une  contiance  trompeuse  ;  si  le  Fils  de 
Dieu  n'a  pu  accorder,  en  faveur  de  ses  apô- 
tres, sa  |>résence  h  laquelle  ils  étaient  trop 
attachés  avec  la  |»résence  du  Saint-Es|)rit, 
oh  1  comment  pourrions-nous  faire  compatir 
cetEs()ril-S3int  avec  tantd'atlachemenis  que 
nous  avons,  non  pas  pour  un  Homme- 
Dieu,  mais  pour  tant  de  viles  et  ditrérenles 
Cl  éalures;  non  pas  pour  la  personne  de  Jésus- 
Christ,  n)ais  pour  nous-mêmes;jnon  pas  pour 
une  chair  divine,  mais  pour  une  chair  de  pé- 
ché, pour  une  chair  corrompue,  pour  une 
chair  abominable  devant  Dieu.  Le  Saint-Es- 
prit s'acconimodera-t-il  mieux.de  nos  désor- 
dres que  de  l'imperfection  des  apôtres,  et 
croyons-nous  que  le  Fils  de  Dieu  veuille  a  voir 
pour  nous  une  indulgence  qu'il  ne  put  avoir 
pour  eux?  Après  tout,  ajoute  saint  Bernard, 
l'on  ne  peut  recevoir  la  grâce  de  la  Penie- 
cùte  sans  avoir  reçu  celle  de  l'Ascension  : 
Or  l'Eglise  qui  demande  Imijours  dans  cha- 
que fêle  la  grâce  qui  est  attachée  h  chaque 
niy>lèie,  sup[)lie  aujouid  hui  la  divine  Ma- 
jesté que  comme  Jé?us-Chiist  a  quitté  la 
terre  par  sou  ascension  ,  de  même  nos 
cœurs  et  nos  esprits  soient  transportés 
dans  le  ciel,  pour  y  faire  avec  lui  une  rési- 
dence éternelle  :  Uc  aicut  UnigeniCum  tiiuin 
ad  cœlos  ascendisse  credimus  ,  ila  nos  quo- 
que  mente  in  cœlesùhus  habiteinus.  El  en 
tllet  un  chrétien  qui  a  reçu  cette  grâce, 
c'est-à-dire  ,  un  chrétien  véritablement 
chrétien,  se  porte  jusque  dans  le  sein 
de  la  diviuilé,  par  le  mouveiuent  d'un 
amour  généreux  et  sincère,  persuadé  qu  il 
est  que  le  cœur  doit  être  là  où  est  son  tré- 
sor; tout  son  cœur  est  dans  rélernilé  parce 
qu'il  n'y  a  plus  de  trésor  pour  lui  dans  le 
lemps.  Jl  ne  se  considère  que  comme  un 
élranger  ici-bas.  11  ne  compte  la  vie  que  pour 
une  espèce  de  jièlerinagc  ,  la  plus  grande 
prospérité,  que  jiuur  un  beau  jour  de  clie- 
uiin,  les  j.'lus  superbes  jtalais  que  pour  des 
lieux  de  passage,  et  tous  les  divertissements 
du  siècle  que  pour  des  amusements  vers  les- 
quels il  n'a  pas  le  temps  de  se  distraire. 
Cependant  il  soupire  vers  sa  céleste  patrie, 
et  n'y  pouvant  si  tôt  arriver,  il  y  envoie  p.ir 
avance  toutes  ses  [)enï>éeset  ses  désirs,  s'en 
[trenant  avec  indignation  à  son  corj  s  qui 
refuse  de  suivre  son  âme  :  que  vous  dirai- 
je  davantage?  11  regarde  d'un  même  œil  tous 
les  biens  et  tous  les  maux  de  ce  monde,  n'y 
mettant  d'autre  dillérence  que  celle  que  le 
bon  ou  le  mauvais  usage  y  peuvent  mettre, 
Se  consolant  de  tout,  ne  se  passionnant 
pour  rien,  sans  attachement  pour  la  vie, 
sans  appréhension  [lour  la  mort ,  sans  d  s- 
solution  dans  ses  joies,  sans  impatience 
dans  «es  maux  et  sans  dérèglement  dans 
ses  désirs,  voilà  les  elfetsde  celle  ascension 
de  cœur  que  le  Fils  de  Dieu  nous  demande 
j)0ur  imiler  aujourd'hui  la  sier.ne.  Ct\  donc, 
mes  chers  auditeurs,  sursum  corda:  qua 
chacun  fiorie  son  cœur  en  haut,   pour  sui- 


546 


vre  et  jiour  imiter  le  triomphe  de  Jésus- 
Christ,  sursum  corda  ;  car  c'est  ainsi  que  le 
grand  Augustin  exhortait  autrefois  son  peu-  • 
pie  sur  le  mystère  que  nous  célébrons.  Ça,  ' 
chrétiens,  élevez-vous  au-dessus  du  len'ips 
pour  respirer  un  peu  l'air  de  la  bienheureuse 
éternité,  llelevez  ces  cœurs  et  ces  esj>rits 
accablés  sous  le  joug  de  tant  de  crimes, 
sous  la  tyrannie  de  tant  de  passions,  sous 
le  poids  de  tant  d'atfaires.  Un  peu  de  cou- 
rage (lour  rompre  tous  ces  liens  profanes 
qui  vous  amusent  deuuis  si  longtemos  sur 
la  lerre. 

L'Ecriture  nous  dit  que  le  Fils  de  Dieu 
montant  au  ciel  menait  comme  en  triomphe 
la  ca[riivilé  caplive,  captivam  duxit  captivi~ 
intem.  {Ephcs.,  IV,  8.}  "^e  ne  sont  pas  des 
captifs  qu'il  traîne  après  lui,  car  ces  cap- 
lils  ne  le  sonl  plus  dès  lors  qu'ils  sont  à  la 
suite  de  Jésus-Christ  ;  ce  n'est  qu'à  la  c.q)- 
tivité  qu'on  en  veut  et  c'est  c^llii  qu'il  retient 
caplive  pour  mieux  assurer  noire  liberté  : 
captivam  duxit  caplivilatem.  Mais  quelle 
est  celle  captivité  dont  il  nous  dégage  ? 
C'est  lacapliviié  du  péché.  Avez-vou.s  aimé 
jus(ju'à  présent  les  biens  delà  terre,  c'était 
l'avarice  qui  étail  v(jtre  ca;)tivilé;  avez-vous 
été  passionné  pour  les  grandeurs  ou  pour 
les  plaisirs  de  ce  monde,  c'était  l'ambition, 
c'était  la  volu[)lé  qui  était  voire  esclavage, 
et  c'est  une  caplivité  qu'il  faut  que  le  Fils  de 
Dieu  rende  captive;  ce  sonl  ces  pussions  qu'il 
faut  attacher  à  son  char  de  triomphe,  ce  sont 
ces  liens  d'or  ou  d'argent,  ce  sont  ces  chaî- 
nes formées  parla  chair  et  par  le  sang  qu'il 
faut  briser;  en  sorleque  notre  cœur,  j^iarfai- 
temenl  délaclié  de  tout  cela,  jiuisse  pren- 
dre son  essor  vers  le  ciel  avec  Jésus-Christ. 
Nous  y  sommes  obligés  non-seulement  pour 
imiter  ce  mystère,  mais  encore  pour  nous 
luellre  en  état  d'y  attendre  la  gloire  et  le 
retour.  C'est  à  nos  esprits  à  contempler  la 
gloire  de  l'ascension  de  Jésus-Christ ,  c'est 
à  nos  cœurs  à  l'imiier;  mais  ajoutons  que 
c'esl  encore  à  nos  cor[is  à  s'y  préparer, 

TUOISliiME    PARTIE. 

C'est  ce  que  les  anges  font  encore  enten- 
dre aux  apôtres  par  ces  paroles  de  mon 
texte  :  Hic  Jésus  qui  assumptus  est  a  vobis 
sic  véniel  queino.dmodum  vidistis  eum  eun- 
tem  in  ccelum.  Car  c'esl  comme  s'ils  leur  di- 
saient :  Ne  croyez  pas  avoir  fie.'du  la  pré- 
sence de  votre  niailre  pour  toujours;  un 
jour  viendra  qu'il  descendra  du  ciel  avec 
autant  de  pOiu[)e  et  de  majesté  qu'il  y 
monte,  revenant  sur  la  terre  revêtir  vos 
corps  (le  la  même  gloire  dont  le  sien  éclate 
présentement  à  vos  yeux.  Et  le  Fils  de  Dieu 
s'en  était  expliqué  lui-même  dune  façon 
encore  plus  claire  lorsqu'il  leur  avait  (jil  : 
Mes  chers  discij)les,  je  m'en  vais  au  ciel 
vous  jnéiiarer  des  trônes  et  dos  couronnes, 
el  je  reviendrai  ensuite  vous  rendre  glo- 
rieux eoiiime  moi,  parce  que  ma  félicité  ne 
me  semblerait  pas  entière  si  je  ne  la  parta- 
geais avec  vous  :  Vado  parure  vobis  locum, 
et  cuin  prœparavero  vobis  locum,  ileruin  vz~ 
itiam  el  accipiam  vos  ad  mcipsum  ul  ubi  ego 


5i7 


OPxATEURS  SACRES.  DE  MONMOUEL. 


KiS 


8um  illic  et  vos  silis,  {Joan.,  XIV,  2.)  C  est 
pourquoi  les  Pères  publient  que  l'ascension 
de  nos  cœurs,  que  l'on  nous  demande,  n'est 
que  le  gage  de  l'ascension  de  nos  corps  que 
l'on  nous  promet  et  qui  ne  saurait  manquer, 
pourvu  que  nous  nous  y  pcéparicjns  comme 
il  faut. 

L'Apôtre  dit  bien  davantage  ;  car  il  ajoute 
que  dès  <i  présent  nous  sommes  assis  avec 
Jésus-Christ  à  la  droite  du  Père  Eternel  : 
Consedere  nos  fecit  in  cœlestibus  in  Christo 
Jesu.  (Ephes.,  U,  6.)  Jît  tout  cela  fondé  sur 
ce  grand  principe  qu'il  établit  en  un  autre 
endroit  que  le  Fils  de  Dieu  a  voulu  former 
son  Eglise  sous  Vidée  d'un  corps  dont  il  a 
été  décl.u-é  le  chef  :  Ipsum  posuit  caput 
super  omncm  terram.  (  Ephes. ,  1 ,  22.  )  Car 
de  là  il  résulte  deux  conséquenGcs .  la 
première  que  le  chef  étant  couronné  de 
gloire,  il  faut  tôt  ou  tard  que  ses  membres 
lui  soient  unis  dans  cet  état  glorieux,  puis- 
qu'autrement  ce  serait  quelque  chose  de 
monstrueux  de  voir  éternellement  d'un  côté 
un  chef  sans  membres  et  de  l'autre  des 
membres  sans  chef.  Aujourd'hui  que  le 
chef  et  les  membres  sont  dans  des  lieux  et 
dans  des  états  différents,  le  Fils  de  Dieu  est 
obligé  de  souffrir  pour  un  temps  cette  sépa- 
ration violente  et  l'état  présent  du  corps  de 
l'Eglise  peut  élre  naïvement  exprimé  par 
celui  de  ces  petits  poissons  qu'on  trouve 
dans  rEgy[)te  après  le  débordement  du  Nil 
cl  qui  ayant  la  tête  formée,  n'ont  encore 
que  de  la  tête  et  de  la  boue  au  lieu  de 
corps,  parce  que  la  trop  grande  prompti- 
tude des  eaux  à  se  retirer  n'a  pas  laissé  ù 
la  nature  assez  de  loisir  pour  achever  ce 
qu'elle  avait  commencé.  Chrétiens,  Jésus- 
Christ  est  déjà  formé  à  la  gloire,  c'est  un 
chef  dont  nous  sommes  les  membres  et  nous 
pouvons  conclure  le  voyant  ainsi  glorieux 
que  son  corps,  pour  n'être  encore  que  boue 
el-que  fange,  ne  laissera  pas  d'entrer  bien- 
tôt en  participation  de  ses  avantages  :  Quo 
prœcessit  gloria  capilis ,  dit  saint  Léon,  eo 
spes  vocalur  et  corporis. 

La  deuxième  conséquence  qui  se  doit  ti- 
rer du  même  principe,  c'est  que  ce  qui  ap- 
partienl  à  chacun  des  membres  appai tenant 
à  tout  lo  corps  et  ce  qui  se  dit  des  |)arlies 
devant  être  attribué  au  tout,  il  s'ensuit  que 
puisque  le  Fils  de  Dieu  nous  a  fait  entrer 
avec  lui  en  société  d'un  mênie  corps  ,  sa 
gloire  doit  être  regardée  comme  la  nôtre. 
Ainsi  l'on  dit  que  tout  l'homme  est  couron- 
né, quoique  la  tête  seule  poite  la  couronne  : 
Gloria  et  honore  coronasli  eum.  {Hebr.,  11, 
7.)  L'Apôtre  a  donc  raison  d  avancer  quo  le 
Fils  de  Dieu  étant  monté  au  ciel,  tous  les 
chrétiens  y  sont  montés  en  sa  personne  et 
que  ce  divin  Sauveur  étant  assis  à  la  droite 
(lu  Père  Eternel,  nous  y  sommes  tous  assis 
avec  lui  :  Consedere  nos  fecit  in  cœlestibus  in 
Christo  Jesu.  [Ephes.,  il,  6.) 

Mais  a[)rès  que  lapôtie  saint  Paul  nous  a 
entretenus  de  ces  glorieux  avantages,  après 
nous  avoir  j/laces  jusques  à  la-  droite  de 
Dieu,  savez-vous  ce  qu'il  iiilère  de  tout 
ceia?  !e  voici,  mes  IVères,  en  deux  mois  ; 


Mortificate  ergo  incmbra  vcstrn  quœ  siint  su- 
per terram.  [Coloss.,  III,  5.)  Et  par  consé- 
quent  morlitiez  vos  corps  qui   sont  sur  la 
terre.   Ah!    que   celte   théologie  est  belle. 
Remarquez  bien  ces  termes  :  super  terram, 
vos  cor|is  qui  sonl  sur  la  terre,  car  quand 
nos   corps  seront  dans  le  ciel ,   ce  ne  sera 
plus  le  temps  de   les  mortifier,  ce  sera   le 
temps  de  les  glorifier;  et  vous  convenez  ai- 
sément par  là,  qu'en  qualité   de   membres, 
nous  avons  deux  rehitions  différentes  avec 
Jéjus-Christ ,  une   relation  à   Jésus-Christ 
glorieux  et  une  autre  relation  à  Jésus-Christ 
crucifié  ,   et  comme  les   membres  doivent 
avoir  du   rapport  et  de  la  conformité  avec 
le  chef  auquel   ils  sont  unis   pour  ne  pas 
faire  un  corps  qui  soit  dissemblable  à  lui- 
même,  il  est   naturel,  pour  ainsi  dire,  que 
les  chrétiens  soient  glorieux   dans  l'éter- 
nité, parée  qu'ils  y  sont  joints  à  un  chef  qui, 
étant  lui-même  glorieux,  ne  peut  leur  y  com- 
muniquer que  des  sentiments  et  des  influ- 
ences de  gloire  ;  mais  il  faut  aussi  quo  les 
chrétiens  soient   mortifiés   dans    le  temps, 
puisque,  s'ils  sont  véritablement  chrétiens, 
ils  y  sont  inséparablement  unis  à  un  chef 
qui    ayant  été   lui-même    atlbgé  de    mille 
douleurs  sur  la  terre,  ne  peut  leur  commu- 
niquer que  des  seniimenls  et  des  iniluences 
de   douleur  et   de  morlitication.  Et  voilù  , 
mes  cliers  auditeurs,  en  quoi  consiste  tout 
le   christianisme   de   ce  monde   et   tout   le 
christianisme  de  l'autre,  d'être  entièrement 
scn)blabies  à  Jésus-Christ  soulfrant  et  en- 
suite d'être  semblables  à  Jésus-Christ  glo- 
rieux; et  la  même  Ecriture  qui  nous  apprend 
que   la  croix  était  l'unique  voie  par  oij  le 
l'iis  de  Dieu  devait  entrer  dans   sa  gloire, 
nous   redit  aussi  cent  et  cent  fois  que  la 
moi  tilicalion  est  le  seul  moyen  par  oii  nous 
pouvons   arriver  à  la  noire.  Hé  1  comment 
rentendez-voiis  donc,  chrétiens,  vous  qui 
méconnaissez    le  nom  de  la  mortification  , 
vous  qui  semblez  n'avoir  reçu  un  corps  que 
pour  en  flatter   tous  les  dés;rs  et  pour  en 
satisfaire  toutes  les  inclinations,  et  qui,  au 
lieu  de  le  pré{)arer  à  des  plaisirs  étcinels 
I)ar  quelque  douleur  passagère,  ne  travail- 
lez au  contraire  C|u'à  le  (iréparer  aux  sup- 
plices de  l'éiernité  |)Our  des  voluptés  d'un 
moment.  Eh  !  do  bonne  foi,  mes  frères,  ce 
corps  qui  ignore  ainsi  toutes  les  douleurs  et 
tous   les   mystères  de  la  mortification,  ce 
corps  qui  n'a  jamais  embrassé  la  croix  do 
Jésus-Christ ,  ce  corps  vil  e^clave  de  toutes 
les  passions  et  de  toutes  les  faiblesses  hu- 
maines,   ce   corps   nourri  depuis  si  long- 
temps dans  l'iniiiuité,  dans  les  déli<;es,  cor- 
rompu   par  la  volupté,  enflé  i)ar  la  vanité, 
devenu  incapable  dd  toute  discijiline  et  de 
l)uto  règle   par    une   longue    habitude   de 
sensualité  et  ce  corps  étant  réduit  à  l'état 
où   vous  savez  (ju  il  est  et  que  je  vous  le 
représente,  vous  semble-l-il  un  sujet  piopre 
à    recevoir  les  iiupiessioiis  de  ia  gloire  de 
Jésus-Christ,  n'a-l-il  pas  plutôt  l'air  et  l'oj;- 
[)arence  d'une  victime  quo  vous  n'avez  en- 
graissée   jusiju'à    présent   que    pour    être 
sacrdiée  h.  sa  justice?  He!  ne  savez-vous  jias 


SF.RMO^S.-  SKUM.  VU,  TOI  11  I>A  FETK  DR  LA  TOUSSAINT. 


fin 

que  le  Roi  tie  la  gloire  ol  le  Uni  dos  veriiis 
ne  sont  qu'une  même  chose.  Dominus  tir- 
tutiitn  ipse  est  rex  glorke  {Psal.  XXIU,  10  ) 
el  si,  par  une  supposilion  impossible,  voire 
corps  venait  à  Iriomplicr  aujonrd'liui  avec 
Jésus-Clirisl,  ne  seiail-ce  pas  le  triomphe 
du  péché  piulôt  ([ue  le  Iriomplie  do  la  vertu? 
ne  serait-ce  point  mettre  les  récompenses 
de  la  croiv  et  de  l'Kvangile  hors  de  k'ur 
|)lace,-  transporter  à  la  vanité  ce  qui  n'ap- 
pnrtient  qu'à  riuimanilé,  au  plaisir  ce  cpii 
doit  être  pour  la  mortitication ,  au  crime  ce 
(jui  tst  réservé  pour  la  pénitence,  élever  le 
monde  sur  le  Irùne  de  Jésus-Christ,  faire 
posséder  le  royaume  de  Dieu  par  la  chair 
el  par  le  sang,  et  emprunter  les  couronnes 
de  la  grâce  et  de  la  gloire  [lour  honorer  nu- 
bli<jucment  la  nature  corrompue?  Ah  !  mes 
frères,  si  nous  prétendons  à  la  gloire  du  mys- 
tèieque  nous  célébrons,  prenons  donc  une 
ferme  résolution  do  travailler  sérieusement 
à  la  mortilica'ion  ;  tr.ais  nous  ne  saurons 
moiiitier  nos  sens  si  nous  ne  détsclions  nos 
cœurs  et  nous  ne  pouvons  réussir  à  déta- 
cher nos  cœurs,  si  auparavant  nous  n'avons 
humilié  nos  esprits.  Humilions  donc  nos 
esprits  sous  la  main  toute-puissante  de  Dieu. 
Détachons  nos  cœurs  de  tous  les  objets 
périssables ,  affligeons  nos  corps  par  les 
douleurs  salutaires  de  la  mortilication  cl  de 
la  [)énilence,  car  c'est  ainsi  que  nous  rece- 
vrons la  grûce  du  mystère  de  l'ascension 
en  ce  monde  pour  en  obtenir  la  gloire  en 
l'autre. 

SI-UMON  VII. 

POtR    LA    FÊTE    DE  LA   TOUSSAINT. 

Gloria  bœc  est  omnibus  saiiclis  ejus  {Psal.  CXLIX,  9.) 
C'esl  celte  gloire  qu'il  a  préparée  à  tous  ses  suints. 

SI  jamais  un  orateur  a  trouvé  |dans  son 
sujet  de  quoi  disposer  lavorablement  son  au- 
ditoire, c'est  un  avantage,  mes  frères,  que 
les  {irédicateurs  évangéliques  ont  aujour- 
(1  hui,  lorsqu'ils  viennent  entretenir  les  chré- 
tiens de  la  béatitude,  et  qu'api)uyés  sur 
l'autorité  infaillible  du  Dieu  qui  les  a  faits 
ses  ministres,  ils  leur  découvrent  un  che- 
min sûr  pour  arriver  ii  la  gloire,  car  ce  n'est 
que  pour  celte  béatitude  et  pour  celle  gloire 
que  travaille  tout  le  monde  |)olilique  et 
raisonnable;  c'est  celle  gloire  que  les  con- 
quérants ont  cherchée  dans  le  succès  de 
leurs  entreprises,  les  philosophes,  dans  la 
forme  de  leurs  raisonnements,  les  braves, 
dans  le  mépris  de  leurs  vies,  les  tyrans,  dans 
l'usurpation  de  leur  puissance,  mais  que 
tous  ensemble  ont  cherché  inutilement, 
puisque  c'est  un  bien  qu'on  ne  peut  tenir 
que  de  la  main  de  Dieu,  et  que  c'est  une  ré- 
cofupense  qu'il  ne  destine  que  pour  les 
saints  :  Gloria  hœc  est  omnibus  sanclis  ejus. 
Confessons  néanmoins  la  vérité.  Celle  im- 
portante et  agréable  matière  ne  fait  pas 
dans  les  esprits  des  chrétiens  tout  l'elfet 
qu'on  en  devrait  raisonnablement  atten- 
dre, et  jf  les  trouve  là  dessus  dans  deux 
dispositions  bizarres  également  opposées  et 
à  leurs  intérêts  et  à  leur  devoir,  et  qui  me 


S50 

font  comprendre  que  si  Ihommo  est  un 
chef  d'reuvre  dans  la  nature,  il  doit  passer 
pour  une  esp.èce  de  monsire  dans  la  nio- 
rale.  En  effet,  on  lui  découvre  une  gloire 
élernello,  une  félicité  inlinie,  plus  grande 
que  ses  espérances,  plus  vaste  que  tousses 
désirs,  à  laquelle  non-senlemcnt  il  peut  f>ré- 
tendre  sans  crime,  mais  à  laquelle  c'est  un 
crime  pour  lui  que  de  no  prétendre  pas,  et 
il  demeure  insensible  à  celle  découverte. 
On  lui  donne  des  facilités  [lOur  parvenir 
à  celle  béalilude  ;  on  lui  en  apprend  les 
moyens.  On  le  sonlient  par  les  exemples  de 
ceux(iui  y  sotil  déjà  arrivés,  et  il  demeure 
malgré  cela  dans  une  oisiveté,  dans  une  né- 
gligence et  dans  un  éloignement  qu'on  ne 
peut  comprendre.  Voilà,  mes  frères,  deux 
grands  désordres  que  je  me  suis  proposé  de 
combattre  dans  les  deux  parties  de  ce  dis- 
cours, l'oubli  et  l'ignorance  de  l'homme  à 
l'égard  de  sa  béatitude  el  de  sa  (in  ;  sa  négli- 
gence el  son  aversion  à  l'égard  des  moyens 
iiui  y  conduisent.  Entrons  jusque  dans  lo 
fond  de  son  cœur  pour  démêler,  s'il  se  peut, 
tout  ce  qui  s'y  passe  sur  ce  sujet.  Esprit 
saint,  c'est  vous,  qui  suivant  la  pensée  du 
grand  Augustin,  êtes  le  soulïle  adorable,  à  la 
faveur  duquel  les  chréliens  portés  sur  la 
croix  de  Jésus-Christ  comme  sur  le  vais- 
seau de  leur  imagination,  après  avoir  vo- 
gué sur  la  mer  orageuse  de  ce  monde,  doi- 
vent arriver  toujours  au  port  ue  la  bienheu- 
reuse éternité;  commencez  donc  à  y  tourner 
dès  à  présent  les  désirs  et  les  affections  de 
mes  auditeurs,  je  vous  en  conjure  par  les 
mérites  de  votre  épouse,  à  laquelle  nous 
allons  dire  :  Ave,  Maria. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Il  est  des  objets  dans  la  religion  dont 
l'homme  n'aime  pas  ualurelleraenl  à  s'oc- 
cuper. Parlez-lui  des  peines  de  l'enfer  ou 
des  horreurs  du  jugement  dernier,  son 
esprit  se  trouble  ou  Se  révolte  à  des  vérités 
si  terribles,  el  s'il  y  pense  quelquefois  par 
intérêt,  au  moins,  peut-on  dire  qu'il  n'y 
[;enso  jamais  par  inclination.  Mais  il  n'en 
est  pas  ainsi  de  la  gloire  du  ciel.  EI!o 
n'olfre  rien  à  noire  esprit  qui  ne  soit  con- 
forme à  noire  penchant,  en  tlattant  ce  f)re- 
mier  désir  de  l'homme,  auquel  tous  ses  au- 
tres désirs  se  rapportent,  qui  est  celui  de  se 
rendre  heureux.  C'esl  proprement  dans  ce 
point  de  christianisme  que  la  foi  confine 
avec  la  raison  et  que  la  nature  se  trouve 
d'accord  avec  la  grâce.  Néanmoins,  il  ne  pa- 
raît pas  que  les  chrétiens  pensent  à  la  béa- 
titude pi  us  souvent,  ni  [il us  volontiers  qu'aux 
autres  articles  de  leur  foi.  Quoique  le  Fils 
de  Dieu  soit  venu  nous  découvrir  el  nous 
promellre  des  biens  éternels  et  infinis,  en 
la  place  de  ces  biens  matériels  et  terrestres 
qui  faisaient  toute  l'occupation  et  toute 
l'espérance  des  Juifs,  .l'on  |)eut  faire  encore 
aujourd'hui  la  même  plainte  que  faisait  le 
Sage  d''ins  l'ancienne  loi  :  Nescit  homo  fincm 
suum.  [Eccle.,  IX,  12.)  L'homme  ne  connaît 
[)()int  la  lin  pour  laquelle  il  a  été  créé,  ou 
s'il    la    connaît  ,    l'oubli    volontaire   dans 


riKi 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


55-2 


lequel  il  vil  ordinairemoiit  sur  ce  sujet, 
faisant  en  lui  l'ellel  de  I  ignorance,  le  met 
dans  le  rang  de  ceux  qui  ne  la  connais- 
sent pas. 

Je  ne  parle  point  ici  à  ces  chrétiens  cor- 
rompus et  aveuglés  par  une  longue  suite  de 
désordres,  qui,  portant  partout  ailleurs  leur 
orgueil  et  leurs  prétentions  si  haut,  dou- 
tent néanmoins  de  l'excellence  et  de  V\n\- 
mortalilé  de  leurs  âmes,  et  se  réduisent  sur 
le  chapitre  de  la  félicilé,  non  pas  à  l'espé- 
rance des  Juifs,  mais  à  la  condition  des  bê- 
tes. Tout  homme  raisonnable  doit  avoir 
meilleure  opinion  de  son  âme  que  de  celle 
des  animaux,  et  la  nature  même,  sans  !a 
religion,  dit  agréablemet  Laclance,  semble 
nous  avoir  voulu  distinguer  p;ir  la  ditrérenco 
de  la  situation,  tournant  la  tête  et  les  yeux 
des  animaux  vers  la  terre,  conune  pour 
dire  que  c'est  là  qu'ils  doivoni  V(,'nir,  et 
élevant  la  tête  et  les  yeux  des  hommes  vers 
le  ciel,  pour  leur  insinuer  que  c'est  là  qu'ils 
doivent  tendre. 

Je  parle  à  des  chrétiens  persuadés  de  tout 
ceci,  non  pas  par  des  autorités  humaines, 
mais  [lar  une  autorité  divine,  et  qui,  malgré 
cette  persuasion,  ne  laissent  pas  de  vivre 
dans  un  oubli  et  dans  une  iiidiiïérence  dé- 
j)lorables  à  l'égard  de  celte  fin  bienheureuse 
où  la  Providence  les  a[ipelle.  Que  si  vous 
voulez  vous  examiner  inlérieurcment  sur 
ce  désordre,  il  vous  sera  facile  d'en  décou- 
vrir les  causes  et  l'origine;  car,  en  premier 
lieu,  nous  regardons  la  gloire  du  ciel  com- 
me quelque  chose  de  trop  élevé  au-dessus 
de  notre  nature.  La  félicité  de  ce  monde 
nous  scrid)le  plus  proportionnée  à  nosgoûls 
et  à  nos  faiblesses  ;  quel  moyen  de  penser 
tans  cesse  à  un  étal  oià  l'un  ne  peul  rien 
comprendre  ?iVotts  avons  bien  delà  peine, 
dit  le  Sage,  àeonnaîlre  les  choses  qui  sont 
sur  la  terre:  «Difficile  œstimamus  quœ  in 
terra  sunt.  w  (Sap.,  IX,  16.)  Il  faut  bien  du 
travail  pour  démêler  celli-s  qu'une  dislance 
un  peu  considérable  dérobe  à  nos  yeux  tlà 
nos  connaissances  :  A'f  quœ  in  prospeclu 
sunt  invenimus  cuni  labore.  [Ibid.)  Qui  donc 
[jourra  faire  monter  son  esprit  au-dessus 
des  éléments  et  des  astres,  [>our  aller  exami- 
ner ce  qui  se  [)asse  dans  le  ciel  :  Quœaulem 
incœlis  sunt  quis  investigare poleril  ?  (Ibid.) 
En  second  lieu,  les  créatures  nous  en- 
chantent; elles  arrêtent  [)Our  ainsi  dire  nos 
désirs  et  nos  alfections  au  passage;  elles 
ca[)livent  nos  esprits  et  nos  cœurs,  et  l'a- 
mour-propre  d'intelligence  avec  les  sens 
trouve  bien  mieux  son  compte  à  des  biens 
présents  et  cor[)orels,  qu'on  peul  voir  et 
posséder  tout  à  la  lois,  qu'à  des  biens  spi- 
rituels et  éloignés  qu  on  ncconnaiiqu'avec 
beaucoup  d'obscurilé,  et  qui  ne  peuvent 
Cire  ici-bas  que  les  objets  de  notre  espé- 
rance. 

Mais  enfin,  les  maux  de  ce  monde  nous 
occupent  eficore  [dus  que  ses  biens.  Les 
chagrins  nous  viennent  de  toutes  paris,  les 
adversités  nous  abattent,  les  maladies  nous 
accablent,  mille  accidents  imprévus  et  iâ- 
tliuux   nous   sur|)rennent   et  nous    traver- 


sent si  bien,  qu'au  lieu  do  songer  à  nous 
rendre  heureux  dans  l'autre  vie,  il  setrou- 
ve  que  c'est  une  nssez  grande  occupation 
que  de  songer  à  nous  défendre  d'être  mal- 
heureux en  celle-ci.  Hé  quoi  dom- !  la 
séjour  de  la  terre  qui  ne  doit  être  qu'un 
passage  pour  nous  conduire  à  notre  fin, 
n'esl-il  propre  que  pour  nous  en  éloigner, 
et  le  Seigneur  au  liiu  de  nous  donner  des 
moyens  p-our  parvenir  à  la  béatitude,  a-t-i! 
prétendu  nous  faire  trouver  partout  des 
obstacles?  Ahl  chrétiens,  ne  chargeons  pas 
la  Providence  de  nos  désordres  et  accusons 
nous  plutôt  nous-mêmes  du  mauvais  usage 
que  nous  faisons  de  tous  ces  moyens,  qui 
devraient  entretenir  dans  nos  âmes  la  pen- 
sée et  le  désirde  la  gloire.  Car,  pour  ex.i- 
niinerpiir  ordre  tous  ces  prétendus  obsta- 
cles, si  la  béatitude  est  si  élevée  au-dessus 
de  iiotre nature,  n'est-ce  pas  ce  qui  nous 
doit  piquer  d'une  noble  envie  de  parvenir 
à  cet  état  glorieux;  n'est-ce  pas  ce  qui  nous 
doit  donner  en  cette  vie  une  passion  plus 
loi'ti.'  de  le  connaître  ?  Saint  Grégoire  de 
Nysse  explique  cela  par  une  belle  suppo- 
sition. Si  un  enfant  renfermé  dans  le  sein 
de  sainère  était  capable  de  raisonnement, 
et  qu'il  entendît  faire  la  peinlure  de  ce  mon- 
de, qu'on  l'entretint  de  ces  cieux  et  de 
ces  astres  qui  roulent  sur  nos  têtes  et  qui, 
ayant  deux  mouvements  opposés,  de  l'un 
l'ont  la  variélédes  saisons,  et  de  l'aulrelasuc- 
cession  lies  jours  ei  des  nuits;  qu'on  lui  fit  un 
récit  fidèle  des  éléments, des  mélaux,  des  ar- 
bres, (!es  plnnleset  de  tant  d'animaux  divers, 
ou  qui  marchent  sur  la  terre,  ou  qui  volent 
en  l'air,  ou  ijui  nagent  dans  l'océan  ,  mais 
surtout  (]u'élant  d(;sliné  pour  régner,  on  lui 
parlai  de  la  magnilicence  dos  palais  ijui  lui 
seraient  destinés,  de  l'éclat  de  son  trône, 
des  divertissements  et  des  liomieurs  qui 
seraient  un  jour  les  suites  et  les  apanages 
de  sa  digniléet  de  son  rang,  quelle  serait 
sa  disposition  à  de  si  surprenantes  et  de  si 
agréables  nouvelli  s  ;  quels  etl'orls  d'imagi- 
nation pour  tâolior  do  se  former  de  jus;es 
idées  do  tout  ce  qu'on  lui  en  dirait  !  quelle 
curiosité  pour  tout  ce  qu'on  ne  lui  en  di- 
rait pas!  Quelle  impatience  de  se  voir  en 
liberté,  et  en  élal  de  jouir  de  ces  bi.  ns  et 
de  ces  avantages  dont  il  n'aurait  qu'une 
connaissance  imparfaite  et  confuse  !  Voilà, 
dit  saint  Grégoire  de  Nysse,  voilà  l'élal  du 
chrélien,  tandis  (}u'il  est  renfermé  dans  lo 
sein  de  l'Eglise,  qui  le  doit  enfanter  à  la 
gloire;  la  môme  dillerence  qui  se  trouve 
enire  le  sein  de  nos  mères  et  ce  giaml  uni- 
vers, se  trouve,  ii;es  frères,  entre  cède  terre 
de  ténèbres,  d'e\il  et  de  misères  (pie  nous 
liabilons,  et  la  Jérusalem  céleste  que  nous 
devons  un  jour  habiter;  l'on  nous. parie  do 
sa  beauté  et  de  sa  grandeur,  des  avantages 
et  des  couronne»  (jui  nous  y  attendi  ni  ;  ce 
S(»n!  des  plaisirs  el  des  biens,  dont  les  !)iens 
et  les  [)laisirsdece  liiondunefournisseni  que 
des  idées  trè;-défectiieu>es  et  trèi-gio^^sières. 
L'apôlre  saint  l'iinl  donne  la-dessus  le  dé.i 
à  nos  imaginalions;  en  faut-il  davaniage  [)uur 
occuj'cr  nos   déiirs,   nos   idrclions,   a[rè?_ 


t«5 


SERMONS.  ~  SERM.  VU,  POUR  LA  FETE  DE  LA  TOUSSAINT. 


ii 


toul  l'application  et  l'étude  de  l'enfant  dont 
nous  avons  parlé  ne  contribueraient  en 
rien  à  la  jouissance  des  biens  qu'il  serait  en 
droit  d'espérer.  Mais  l'élude  de  notre  fin 
dernière  est  une  condition  essenliollc  pour 
y  parvenir,  et  c'est  ce  qui  nous  devrait  obli- 
ger à  ne  la  [)erdre  jamais  de  vue,  puisqu'on 
ne  peut  [)osséder  la  béatitude  sans  la  méri- 
ter, ni  la  mériter  sans  la  désirer,  ni  la  désirer, 
sans  la  rendre  souvent  présente  à  son  ima- 
gination et  à  sa  pensée. 

Mais  vous  me  dites  que  les  créatures 
nous  dissipent  et  nous  occupent,  et  que 
les  biens  et  les  joies  do  ce  monde  nous 
font  prendre  le  change.  Autre  dérégle- 
raenl  ,  dit  saint  Augustin  ,  puisque  le 
Seigneur  ne  nous  avait  donné  ces  biens 
visibles  que  pour  nous  porter  à  la  connais- 
sance des  invisibles  ;  biens  imparfaits,  oij 
Dieu,  par  un  beau  trait  de  sagesse,  faisant 
un  juste  mélange  de  perfections  et  de  dé- 
fauts ,  a  voulu  qu'il  y  eût  assez  de  défauts 
pour  nous  en  dégoûter,  quand  nous  sommes 
en  péril  de  nous  y  trop  attacher,  et  y  a  mis 
néanmoins  assez  de  perfections  pour  en 
faire  comme  des  ébauches  de  la  béatitude, 
et  pour  nous  donner  dans  le  temps  quelque 
avant-goût  des  joies  qui  nous  attendent 
dans  l'éternité.  Car  c'est  ainsi  ,  dit  saint 
Augustin,  que  l'esprit  d'un  chrétien  peut 
passer  des  uns  aux  autres,  et  qu'à  la  vue  de 
loutes  ces  grandeurs  de  la  terre  qui  nous 
surprennent  ,  de  ces  richesses  qui  nous 
éblouissent,  de  ces  beautés  qui  nous  cap- 
tivent; de  ce  soleil,  de  cet  Océan,  de 
ces  éléments  et  de  tous  ces  êtres  qui  ne 
se  meuvent  dans  la  nature  et  ne  travaillent 
que  pour  nos  intérêts,  nous  devons  nous 
dire  intérieurement  en  nous-mêmes  :  Ah  1  si 
le  Seigneur  a  formé  tout  cela  pour  nos  corps, 
pour  ces  corps,  dis-je,  si  vils  et  si  méprisa- 
bles à  ses  yeux,  que  n'aura-t-il  point  fait 
pour  nos  âmes?  S'il  a  été  si  libéral  jiour  des 
pécheurs,  ne  le  sera-t-il  pas  pour  des  jus- 
tes? Sil  nous  traite  ainsi  dans  une  prison 
el  dans  ce  lieu  d'exil  et  de  passage,  que  se- 
ra-ce, ou  plutôt  que  ne  sera-ce  point  dans 
son  palais  et  dans  ce  séjour  éternel  qui  a 
été  formé  proprement  pour  nous  et  pour 
lequel  nous  avons  été  formés?  Gardons-nous 
donc  bien  de  juger  de  sa  magnificence  \iav 
les  elfets  qui  nous  en  a|)i)araisseiU  ici-bas; 
car,  dit  le  f)rophèle  Isaïe,  le  Seigneur  n'est 
point  magnifique  partout  ailleurs  que  dans 
le  ciel  :  «  Jbi  solum  modo  magni ficus  est  Domi- 
nas noster.  »  [ha.,  XXXI1I,21.)  Ces  cieuxet 
ces  asires  nesont  à  la  Jérusaleui  céleste  que 
comme  des  dehors  négligés;  ces  créatures  et 
ces  biens  (jue  nous  voyons  avec  lant  decom- 
plaisance,  que  nous  désirons  avec  tant  d'ar- 
deur, que  nous  poursuivons  avec  tant  d'em- 
pressement, ne  sont  destinés  que  [)Our  la 
consolation  des  misérables:  mais  ne  croyez 
pas  qu'ils  soient  propres  à  faire  le  sort  des 
bienheureux. 

J'en  atteste  votre  expérience,  mes  frères, 
quelque  préoccupés  que  vous  soyez  à 
l'égard  des  biens  et  des  plaisirs  de  ce  monde, 
ne  les  trouvez-vous  pas  mêlés  d'ainerluraes 

OuATEtRS  SACRÉS.   LXVllI. 


et  de  défauts?  Quelque  lieu  que  vous  ayez 
de  vous  louer  de  cette  vie  mortelle,  n'avez- 
vous  pas  mille  sujets  de  vous  en  plaindre? 
Quelle  vie,  si  nous  y  faisons  réfli'xion  ?  in- 
certaine dans  sa  durée,  inconstante  dans 
ses  prospérités,  laborieuse  dans  ses  emplois, 
incommode  dans  ses  besoins,  funeste  dan», 
ses  accidents,  criminelle  dans  ses  attache'. 
Quelle  vie  1  qui  lient  plus  de  la  mort  que 
de  la  vie,  où  les  divers  changements  des 
âges,  des  tempéraments  et  des  saisons  nous 
ôtent  incessamment  quelque  chose  et  nous 
font  mourir  pour  ainsi  dire  en  détaill  Quelle 
vie,  encore  un  coup,  sujette  aux  emjiorte- 
ments  de  la  jeunesse  et  aux  incommodités 
de  la  vieillesse  ,  aux  dérèglements  de  la 
prospérité  et  aux  chagrins  de  l'adversité, 
aux  fureurs  de  i'envie  et  aux  insultes  de 
la  médisance,  à  l'injustice  des  hommes  et  à 
l'illusion  des  démons,  à  la  diversité  des 
maladies  et  à  la  nécessité  de  la  mort  1 

Mais  quelle  conséquence  devons-nous  ti- 
rer de  tous  ces  maux?  Ah  !    mes  frères,    le 
dessein  du  Dieu  que  nous  adorons,  est  qu'ils 
servent  à  nous  dégoûter  des  créatures.  Ce 
sont  des  amertumes  salutaires  qu'une  mi- 
séricorde officieuse    a  ré()andues  sur  les 
douceurs  empoisonnées  de  ce  monde;  ce  sont 
autant  d'avertissements  qu'elle  nous  donne 
de  mépriser  tout  ce  qui  n'est   pas   Dieu  et 
de  penser  sans  cesse  à    l'état  bienheureux 
qui  nous  doit  délivrer  de  ce   corps    mortel 
et  de  toutes  les  misères  qui  y  sont  insépa- 
rablement attachées.  L'abbé  Rupert  explique 
ceci  par  la   comparaison  des    Israélites   gé- 
missant  en  Egypte   sous    la    tyrannie  de 
Pharaon.  «(.Car,  dit  ce  Père,  toutes  les  peines 
qu'ils  y  enduraient,  tous  les    ennuis   dont 
iiss'yvirentaccablés, avaient  été  projetés  et 
ordonnés  par  le  Seigneur,  de  peur  qu'ils  no 
s'attachassent  à  cette  terre  barbare,  el  pour 
leur  donner  lieu  d'envoyer  par  avance  leurs 
soupirs  et  leurs  aflections  vers  celte  terre 
promise  dont  il  leuravait  fait  espérer  la  pos- 
session. »  De  sorte,  mes  frères,  que  si  nous 
entrons  dans  celle  pensée,  il  n'y  aura  filus 
de  maux  ni  de  chagrins  dans  la  vie  qui  ne 
portent  leur  consolation    avec  eux;  les  lar- 
mes que   nous  versons  sur  la  terre    nous 
feront  recourir  à  celui  qui  nous  a  promis 
de  les  essuyer  dans  le  cÀe\.  Les  doul/.'urs  (t 
les  maladies  nous   feront  souvenir  de  cet 
élatoiila  santé  des  hommes  ne  sera  plus 
capable  d'aucune    altération;  la   mort  qui 
nous  elfraye  aussitôt  que  nous  y  pensons, 
el  qui  se  présente  à  nos  yeux  sous  tant  de 
formes  si  ditférentes  el  si  hideuses,  nous 
portera  à  souhaiter  une  vie  dont  l'iiiimorla- 
litéest  un   des  principaux  caraclères.  Que 
vous   dirai-je  davantage?   nos   dissensions 
nous  feront  asp'rer  à  la  paix  dont  jouissent 
les  bienheureux,   nos  troubles  à  leur  repos, 
nos  craintes  à  leur  sûreté,  nos  déplaisirs  à 
leur  joie,  nos  besoins  à  leur  abondance,  nos 
désordres  à  leur  sainteté,  et  la  diversité  do 
nos  maux  à  la  plénitude  de  leurs  biens. 

Mais  l'amour -propre  no  s'accommode 
guère  de  tout  ceci.  Rapporter  toutes  choses 
à  la  béatitude,  est  une  contrainte  qui  le  gêue 

18 


55B 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


r,m 


el  il  ne  veut  point  «Mrs  conlrninl;  les  l)iens 
de  lj  gloire  lui  paraissent  des  hiens  éloignés, 
et  il  no  veut  point  attendre  ;  les  plaisirs  de 
l'autre  vie  sont  spirituels  et  demandent  un 
homme  spirituel,  et  il  ne  peut  se  résoudre  à 
abandonner  le  parti  de  son  corps  el  de 
ses  sens.  V^oiià,  mes  frères  ,  les  grands  (ié- 
sordres  de  l'honiuie,  voilât  sa  grande  corrup- 
tion. Disonsdoncqu'encequi  regardela  béa- 
titude,le  cœur  a  bien  plus  detort  que  l'esprit, 
el  que  c'est  proprement?!  l'égard  du  cœurque 
nous  devons  dire  :  A^cscj/ /tomo  fmem  suiim, 
que  «  l'homme  ne  connail  point  sa  fin  ;  »  car 
l'esprit  est  assez  persuadé  que  la  der- 
•nière  (in  des  créatures  raisonnables  ne  sau- 
rait être  quele  Créateur.  La  religion  l'ensei- 
gne aux  chrétiens,  la  raison  môme  en  a 
convaincu  les  philosophes,  mais  le  cœur  s'é- 
igare  volontairement  dans  la  roule  que  la  foi 
lui  a  tracée.  Ne  pouvnnt  atteindre  si  tôt  la  l'é- 
■  licilé  oi^elleesl,  il  s'etTorce  de  la  trouver  el 
de  rétablir  où  elle  n'est  pas;  il  s'en  forme 
:nne  infinité  de  fausses  copies  et  ne  déses- 
père fias  quaprès  s'être  fait  une  béati- 
tude en  ce  monde,  il  ne  puisse  parvenir 
encore  à  l'autre;  déserte  qu'un  mouvement 
<ie  eu[iidité  el  d'intérêt  ne  lui  permettant 
ipas  do  renoncer  à  celle  qui  est  la  plus  pro- 
che, il  se  flatte  ainsi  de  les  posséder  suc- 
cessivement toutes  deux.  Dans  cette  dispo- 
sition criminelle,  s'il  se  trouve  quelque 
créature  àson  gré,  il  s'y  attache  paramour; 
s'il  est  question  de  la  posséder  ou  de  lui 
plaire,  il  ne  lient  plus  aucun  compte  do  la 
Divinité  ni  de  ses  lois,  et  cet  objet  dont  il 
l'ait  sa  priiici[)ale  affaire,  n'étant  plus  à  son 
égard  dans  le  rang  des  créatures  ni  des 
moyens,  parce  qu'il  lui  ôte  toute  sorte  de  su- 
bordination à  l'égard  de  Dieu,  c'est  une  fin  der- 
nière qu'il  a  contrefaite,  c'est  une  idole  qu'il 
s'est  formée, c'est  unedivinitédesafaçonà  la- 
quelle il  rend  uncullesacrilége  [larson  affec- 
tion elparses  soins.  En  effet,  notre  amourest 
noire  véritable  religion,  etce.qucnous  aimons 
préférablement  à  tout  le  reste  doit  passer,  dit 
Origène,  pour  la  divinité  que  nous  adorons. 

Je  ne  m'arrête  point  à  vous  faire  ici  le  dé- 
tail de  tous  ces  objets  auxquels  vous  pou- 
vez vous  altacherpar  une  all'eclion  déréglée  ; 
votre  conscience  vous  les  représente  assez; 
ce  sont  les  richesses  de  la  terre,  ce  sont  les 
plaisirs  de  la  vie,  ce  sont  les  grandeurs  de 
Ja  fortune,  ce  sont  toutes  les  créatures  en- 
semble, parmi  lesquelles  votre  cœur  incons- 
tant promène  ses  désirs  vagabonds,  sans  rien 
trouver  qui  le  satisfasse.  Et  souvent,  sans 
idier  plus  loin,  on  peul  dire  que  c'est  vous 
qui  êtes  les  idoles  el  les  adorateurs  tout  à 
ia  fois,  vous  faisant  de  vous-mêmes  une  lin 
dernière  et  une  divinité  à  laquelle  vous  rap- 
portez lout  le  reste  sans  aucun  rapport  aux 
ordres  de  Dieu. 

Ne  sonl-ce  pas,  mes  chers  auditeurs,  les 
dispositions  où  vous  êtes,  et  y  en  a-t-il 
beaucoup  parmi  vous  qui  ne  trouvent  point 
à  se  reconnaître  dans  ce  portrait?  Mais 
qu'arrivo-t-il  de  lout  cela  ?  C'est  qu'étant 
ainsi  entélés  des  biens  de  ce  monde,  dès  lors 
nous  n'avons  plus  que  du  dégoût  pour  les 


biens  do  l'étornité;  c'est  que  les  discours 
nous('iinuienl,c'estqueIapensée  même  nous 
en  fatigue,  c'est  qu'attachés  à  celte  vie  mor- 
telle par  les  liens  d'une  convoitise  ou  d'une 
cupidité  insatiable,  nous  ne  craignons  rien 
au  monde  tant  que  d'en  sortir  ;  c'est  que  cet 
amour  que  nous  avons  iléplacé  ne  peut  plus 
nous  ramener  à  son  objet  légitime  ;  c'est  que 
ce  cœur  enchanté  des  créatures  renoncerait 
i!  Dieu  pourjaniais,  pourvu  qu'on  lui  assu- 
rât une  possession  éternelle  et  tranquille  de 
tous  les  plaisirs  el  de  toutes  les  commodités 
dont  onpcut  jouir  ici-bas;  c'est  que  l'esprit, 
s'égarant  aussi  de  son  côté,  commence  à 
douter  de  tout  et  ne  convient  plus  de  rien, 
s'élant  soustrait  par  orgueil  à  la  conduite 
de  la  foi.  Il  s'évanouit  désormais  et  se  perd 
dans  la  confusion  de  r.es  raisonnements  el 
de  SCS  pensées.  Ah  1  Seigneur,  ne  perraellez 
pas  que  nous  tombions  jamais  dans  un  si 
pitoyable  état,  ou  si  par  malheur  nous 
élions  soilisde  l'ordre  de  votre  Providence, 
faites-nous  y  rentrer  par  la  force  de  votre 
grâce  toute-puissante  :  Notum  fac  mihi,  Do- 
mine, finem  me  am  :  «  Oui, Seigneur,  failcs-moi 
connaître  ma  fin  [Psal.  XXX  VIH,  5)  ;  »  fui- 
tes-moi comprendre  que  ces  objets  périssa- 
bles sont  faits  pour  moi,  mais  que  je  ne  suis 
pas  fait  pour  eux,  et  qu'ayant  été  formé  de 
voire  main,  ce  n'est  pas  à  mon  ânieà  se  faire 
une  fin  selon  mon  humeur  et  mon  caprice, 
mais  que  c'est  h  moi  à  tendre  incessamment 
à  celle  à  laquelle  vous  m'avez  destiné.  Fai- 
tes-le connaître  à  mon  esjirit ,  mais  faites- 
le  sentir  à  mon  cœur;  el  après  les  avoir 
tournés  tous  deux  du  côté  de  la  béatitude, 
donnez-moi  encore  assez  de  courage  et  de 
fermeté  pour  embrasser  el  pour  pratiquer 
constamment  tous  les  moyens  qui  y  con- 
duisent; car,  ne  vous  y  trompez  pas,  mes 
frères,  cette  félicité  n'est  que  pour  les  saints  : 
'<  Glorm  hœc  est  omnibus  sanctis  ejus.  » 
Cependant  les  chrétiensy  prélen  dent  et  no 
laissent  pas,  en  y  prétendant,  de  })renlre 
des  chemins  tout  contraires  à  celui  qui  y 
mène;  c'est  un  second  aveuglement,  c'est 
un  second  désordre  que  je  dois  combattre 
dans  la  seconde  partie  démon  «liscours. 

SECONDE    PARTIE. 

N'est-ce  pas,  en  effet,  un  dérèglement 
bien  étrange,  que  les  créatures  les  plus  in- 
sensibles tendant  h  leur  tin  sans  la  connaî- 
tre, l'homme  qui  connaît  la  sienne  ne  fasse 
le  plus  souvent  que  s'en  éloigner.  Ce  iral- 
heur  de  l'homme  est  pourtant  une  suite  do 
sa  dignité  et  de  ses  grandeurs;  caries  au- 
tres créatures  étant  dépourvues  de  connais- 
sances ou  du  moins  de  liberté,  elles  n'ont 
pas  à  délibérer  sur  la  lin  ni  sur  les  moyens, 
el  c'esl  proprement  l'alfaire  d'une  sagesse 
éternelle  et  infaillible  de  régler  hnirs  mou- 
vements el  de  les  conduire  au  terme  pour 
lequel  elle  les  a  destinées.  Mais  l'homme 
étant  le  maître  de  ses  actions  et  de  son 
choix,  il  a  le  pouvoir  de  s'égarer,  parce  qu'il 
a  la  faculté  de  se  conduire,  et  ce  qui  le  f'aJl 
manquer  aux  desseins  de  Dieu,  c'esl  qu'il  a 
en  sa  disposition  de  les  suivre  ou  de  ne  les 
suivre  pas.  Il  ne  lient  donc  pas  au  Seigneur 


587 


SERMONS.  —  SF.RjI.  VU,  POUR  LA  FFTE  DE  LA  TOUSSAINT. 


5:i8 


que  les  hommes  n'arrivent  à  leur  fin.  Jésus- 
Clirist  est  même  descendu  du  ciel  pour 
nous  en  apprendre  le  chemin  et  pour  lever 
etôler  les  obstacles  que  le  péché  y  avait  op- 
posés. Notre  nature  était  corrompue  et  il 
îious  a  mérité  la  grâce;  notre  esprit  ne  se 
conduisait  que  par  l'erreur,  et  il  nous  h  ap- 
porté sa  loi;  nos  actions  n'étaient  plus  que 
des  scandales,  et  il  nous  a  donné  des  exem- 
ples. C'est  cette  grâce  qu'il  est  venu  répan- 
dre dans  nos  cœurs  ;  c'est  cette  loi  qu'il  a 
tracée  dans  son  Evangile;  ce  sont  ces  exem- 
ples qu'il  a  rendus  visibles  dans  sa  personne 
et  en  celle  de  tous  ses  saints.  Néanmoins, 
mrs  frères,  comme  le  cœur  de  l'homme 
cherche  toujours  à  qui  se  prendre  de  ses 
désordres,  nous  nous  plaignons  de  tous  ces 
moyens.  Cette  grûce  nous  paraît  trop  in- 
certaine ;  t;f  tle  loi  nous  semble  tro|)  dure  ; 
ces  exemples  nous  semblent  trop  éloi- 
gnés ou  trop  faibles.  ïaisez-vous,  lâcheté 
humaine;  la  solennité  d'aujourd'hui  vous 
ferme  la  l)Ouche ,  et  comme  c'est  la  tin  qui 
donne  la  perfection  aux  moyens,  on  peut 
dire  que  la  béatitude  des  saints  achève  de 
résoudre  toutes  ces  difficultés.  Et,  en  effet, 
quand  je  pense  comme  il  faut  à  la  béatitude, 
je  trouve  qu'elle  me  répond  du  secours  de 
cette  grâce,  qu'elle  m'adoucit  la  didiculté 
de  cetieloi,  et  qu'elle  fortifie  merveilleuse- 
ment l'autorité  de  ces  exemples. 

Oui,  la  béatitude  me  répond  du  secours 
de  la  grâce,  car  quand  je  fais  réflexion  à  la 
fin  pour  laquelle  je  suis  destiné,  c'en  est 
assez  pour  me  convaincre  que  Dieu  ne  man- 
quera pas  de  me  fournir  les  secours  qui  sont 
nécessaires  pour  y  parvenir.  Je  sais  bien 
que  l'homme  a  mérité,  par  sa  chute,  que 
Dieu  l'abandonnât  à  sa  misère  et  h  son  im- 
j)uissance;  mais  cet  homme  n'a-t-il  pas  été 
lâcheté  par  les  mérites  de  Jésus-Christ? 
Mais  depuis  cette  corruption  générale,  Dieu 
îi-t-il  cessé  de  créer  des  âmes  raisonnables? 
El  comme  sa  sagesse  ne  lui  permet  pas  de 
rien  produire  sans  le  destiner  à  quelque  fin  , 
dirons-nous  avec  Calvin,  qu'il  ail  produit 
la  plus  grande  partie  de  ces  âmes  pour  l'en- 
fer, ou  ne  dirons-nous  pas  plutôt  avec  l'E- 
glise qu'il  les  a  toutes  créées  |)Our  la  gloire  ? 
N'ordonne-t-il  pas  à  tous  les  hommes  d'es- 
pérer la  béatitude,  et  comme  l'espérance 
suppose  un  bien  possible  qui  lui  sert  d'ob- 
j»;t,  n'esl-il  pas  aisé  de  conclure  que  Dieu, 
nous  commandant  d'espérer,  s'engage  par 
ce  [)récepte  à  nous  donner  une  grâce  sans 
laquelle  l'acquisition  de  la  gloire  serait  ab- 
solument impossible  à  toutes  les  .forces  de 
1.1  nature.  N'allons  donc  (loint  nous  embar- 
lasser  mal  à  propos  dans  les  secrets  impé- 
nétrables du  mystère  de  la  prédestination. 
Je  sais  que  ceux  qui  seront  sauvés  ne  le 
peuvent  être  que  par  un  pur  ellet  de  la  mi- 
ïéricorde  de  Dieu  ;  mais  je  sais  aussi  que 
Ceux  qui  seront  réprouvés  ne  le  peuvent 
être  que  par  un  arrêt  éijuitdble  de  sa  jus- 
tice ;  et  de  là  je  conclus  que  comme  il  laisse 
à  ceux  qui  se  sauvent  assez  de  liberté  pour 
.'•e  perdre,  il  ne  faut  pas  douter  qu'il  ne 
donne  à  ceux  qui  se  damnent  assez  de  grâce 


pour  se  sauver.  D'accorder  maintenant  celle 
prédestination  et  cette  grâce  de  Dieu  avec 
ce  mérite  et  cette  liberté  de  l'homme,  c'est  co 
qiieje  ne  puis  otquc  je  nedois  pas  entrepren- 
dre, car  je  veux  profiler  de  ce  bel  avis  que 
donne  le  Si^^a dans  l'Ecclésinsliyne.c.  III,  v. 
21  :  Alliora  te  ne  qitœsicris  et  fortiora  te  ne 
scrulntns  fucris  :  v  Garde-toi  bien  d'examiner 
des  choses  qui  sont  au-dessns  de  toi.  nSedqiiœ 
tibi  prœcipit  Deus  illa  cogita  semper.  «  Mais, 
au  lieu  d'occuper  son  esprit  à  des  mystères 
qui  te  [lassent,  songe  aux  préceptes  que 
Dieu  t'a  commandé  d'oservcr.  »  lin  ctret,nou;! 
avons  affaire  à  un  Dieuriui  ne  veut  pas  que 
la  créature  connaisse  pour  connaître,  mais 
qui  veut  qu'elle  ne  connaisse  que  pour  agir; 
ainsi,  ne  pensant  qu'.^  réduire  en  pratique 
ce  que  je  vois,  je  laisse  à  la  sagesse  et  à  la 
miséricorde  de  Dieu  ce  que  je  ne  comprends 
pas.  Si  je  tombe  dans  quiilque  péché,  au 
lieu  de  m'en  prendre  au  défaut  de  la  grâce, 
je  n'en  accuse  (]ue  ma  liberté;  si  je  fais 
quelqu'œuvre  de  vertu,  bien  loin  d'en  don- 
ner la  gloire  h  ma  liberté,  j'en  rapporte 
tout  l'honneur  et  tout  le  mérite  à  la  grâce  ; 
et  m'établissanl,  pour  l'avenir  aussi  bien 
que  pour  le  présent,  dans  une  disposition 
mêlée  de  confiance  et  de  crainte;  je  me 
mets  en  état  de  travailler  à  mon  salut  en  la 
présence  de  mon  Dieu  avecautant  de  crainla 
et  d'humilité  que  s'il  ne  dé[)endait  que  de 
lui,  et  avec  autant  de  confiance  et  de  tidé- 
lilé  que  s'il  ne  dépendait  que  de  moi. 

Il  est  vrai,  mes  frères,  que  la  loi  de 
l'Evangile  nous  impose  de  grandes  et  do 
pénibles  obligations  ;  mais  y  a-t-il  rien  qui 
soit  plus  capable  de  nous  adoucir  la  rigueur 
et  la  difficulté  do  celte  loi  que  l'espérance 
de  la  béatitude,  surtout  quand  nous  venons 
à  faire  réflexion  que  tout  ce  qu'on  nous 
demande  est  si  peu  de  chose  à  l'égard  de  ce 
qu'on  nous  promet  ?  Magna  jubet,  sed  ma- 
jora promittit.  Voilà  proprement  ce  qui  a 
fait  tant  de  saints;  voilà  ce  qui  a  confiné 
tant  d'anachorètes  dans  les  déserts;  voilà 
ce  qui  a  fait  descendre  du  tiône  tant  de 
])rinces  et  de  monarques;  voilà  ce  qui  a  fait 
monter  tanl  de  martyrs  sur  l'échafaud;  voilà 
ce  qui  a  rendu  les  pierres  douces  à  un  saint 
Etienne,  le  feu  agréable  à  un  saint  Laurent, 
la  croix  aimable  à  un  saint  André  :  Aspicic- 
bant  enim  in  remuneralionem  {Hebr.,  XI,  26}  : 
car  ils  avaient  en  vue  celle  récompense  qui 
élail  destinée  à  leurs  soutfr;inces  cl  à  leur 
lidél'té.  Ça  donc,  mes  chers  auditeurs,  un 
peu  de  religion  et  de  courage  I  L'on  nousofl're 
la  môme  gloire  qu'à  eux,  mais  l'on  ne  jtré- 
lend  pas  qu'il  nous  en  coûte  tanl.  Il  ne  s'a- 
git pour  cela  que  de  régler  nos  passions  sur 
les  maximes  de  l'Evangile.  Hé  1  quel  motif 
plus  pressant  pour  nous  y  obliger  que  ce- 
lui de  la  gloire  dos  saints?  11  est  des  esprits 
forts  qui  se  font  un  mérite  cl  un  honneur 
d'être  [)eu  sensibles  à  la  crainte;  mais  où 
sont  les  cœurs  bien  fa^ts  qui  ne  se  laissenl 
loucher  à  l'espérance  de  la  gloire?  El  si  la 
seule  idée  d'une  gloire  mondaine  et  profane 
a  fait  entrepiendre  cl  exécuter  dus  choses 
si  sur()rcnanles  aux  hommes  et  aux  con- 


559 


ORATEURS    SACRES.  DE  MONMOREL 


560 


quérants  de  l'antiquiie,  la  promesse  d'une 
gloire  solide  el  élernelio  n'est-elie  pas  ca- 
pable d'animer  les  chrélicns  les  plus  laii- 
guissanls  el  les  plus  lâches ?N'avez-vous ja- 
mais fait  réflexion  à  ces  animaux  mysté- 
rieux qui  tirent  le  cliariot  dont  il  est  ()arl6 
dans  Ezéchiel  ?  Rien  de  plus  réglé  que  leurs 
mouvements,  rien  de  plus  impétueux  que 
leur  course.  Ce  n'est  pas  seulement  un  aigle 
qui  vole,  c'est  un  lion,  c'est  un  homme, 
c'est  un  bœuf,  le  plus  pesant  de  tous  les 
animaux,  lis  avancent  tous  de  compagnie 
el  ne  s'arrêtent  jamais.  Mais  il  y  a  une  cir- 
constance bien  remarquable  et  qui  fait 
extrêmement  à  mon  sujet  :  Similitudo  fir- 
mamenli  super  capila  eorum  (Ezcch.,  I,  22)  ; 
c'est  que  l'imas^e  du  tlrmament  est  peinte 
au-dessus  de  leurs  tôles,  car  c'est,  en  eflet, 
la  félicité  du  firmament,  c'est  la  félicité  du 
ciel  qui  doit  régler  les  mouvements  de  nos 
passions,  les  faire  toutes  servir  à  la  gloire 
de  Jésus-Christ  et  les  attacher  à  son  char 
pour  la  patrie  céleste,  soit  que  ce  soient  des 
passions  élevées  el  représentées  par  l'aigle, 
comme  l'esjtérance  et  le  désir;  soil  que  ce 
soient  des  passions  douces  et  représentées 
j)ar  riiomrae,  comme  l'amour  el  la  joie  ; 
soit  que  ce  soient  des  passions  cruelles 
et  représentées  par  le  lion,  la  vengeance 
et  la  haine  ;  soit  que  ce  soient  des  passions 
pesantes  et  représentées  par  le  bœuf,  la 
paresse  et  la  tristesse. 

En  un  mol,  si  nous  avons  besoin  de  modè- 
les pour  travaillera  l'ouvrage  de  notre  salut, 
la  religion  nous  donne  encore  après  l'exem|)le 
de  Jésus-Christ  celui  d'une  infinité  de  saints 
de  toutes  conditions,  de  tout  sexe,  de  tout 
étal  qui  en  suivant  ses  maximes  ont  mérité 


de  régner  glorieusement  avec  lui.  Faisons- 
nous  justice,  mes  frères;  le  plus  souvent 
nous  regardons  les  saints  comme  des  hom- 
mes extraordinaires  qui  ne  peuvent  nous 
servir  de  règle  ;  soit  ,qu'on  les  considère 
dans  les  humiliations  qu'ils  ont  éprouvées, 
ou  dans  la  félicité  où  ils  sont,  l'on  se  ré- 
volte également  contre  ces  augustes  mo- 
dèles. L'éclat  de  leur  gloire  nous  éblouit  ; 
il  les  élève  au-dessus  de  notre  portée;  quand 
on  nous  les  montre  en  cet  état  nous  disons 
volontiers  à  leur  égard  ce  que  les  Israélites 
disaient  deshabitantsde  la  Palestine  -.iSequa- 
qumn  adhuticpoimlum  vulemus  ascendere,quia 
forlior  nobis  esl  :  uNous  ne  pouvonspus  arri- 
ver jusqu'à  la  terre  où  ce  peuple  s'esl  établi, 
parce  quil  a  bien  plus  de  force  que  nous.  » 
(Num.,  XUI,  32.)  {^uQ  si  au  contraire  nous 
considérons  la  manière  dont  les  saints  ont 
-vécu  tant  qu'ils  ont  été  ici-bas,  alors  leurs 
austérités  el  leurs  humiliations  nous  dé- 
j)lai!3ent;  ce  n'est  plus  l'éclat  de  la  grandeur 
qui  nous  éblouit,  mais  trop  de  bassesse  qui 
nous  rebute;  notre  orgueil  nous  inspire  du 
dégoût  pour  ce  qu'ils  ont  été,  el  bien  loin 
de  croire  ces  grands  hommes  au-dessus  de 
nous,  nous  ne  pouvons  nous  résoudre  à 
nous  abaisser  jusqu'à  eux.  Mais  que  fait 
aujourd'hui  l'iiglise  pour  nous  ôter  cette 
faible  excuse?  Elle  mel  comme  dans  un 
uiôme  point  de  vue    leurs  mérites  et  leur 


gloire,  leurs  travaux  et  leurs  récompenses  ; 
ce  qu'ils  ont  fait  sur  la  terre  et  ce  qu'ils 
possèdent  dans  le  ciel.  Voyez-vous  cette 
multitude  innombrablede  bienheureux,  ce 
sont  des  hommes  qui  ont  été  ce  que  nous 
sommes  ;  que  le  monde  a  méconnus,  qui 
ont  passé  leur  vie  dans  l'humiliation,  mais 
aussi  dans  l'exercice  des  vertus  <;hrétien- 
nes;  ils  se  sont  sanctifiés  au  milieu  des 
obstacles  que  nous  éprouvons  nous-mêmes 
h  chaque  pas.  Il  les  ont  vaincus,  el  ils 
triomphent  aujourd'hui  dans  le  ciel.  C'est 
ainsi  qu'en  réunissant  ce  que  les  saints  ont 
de  plus  glorieux  et  ce  qu'ils  ont  de  plus 
méprisable  aux  yeux  des  hommes,  et  trou- 
vant tout  d'un  coup  dans  leurs  difl'érents 
états  de  quoi  animer  notre  lûchelé  et  de 
quoi  confondre  notre  orgueil,  il  ne  nous 
reste  [dus  qu'à  imiter  leur  conduite,  fondés 
sur  celte  espérance,  que  nous  ne  pouvons 
manquer  à  être  ce  qu'ils  sont ,  pourvu  que 
nous  fassions  ce  qu  ils  ont  fait  tandis  qu'ils 
étaient  ce  que  nous  sommes.  Cependant, 
chrétiens,  admirez  notre  bizarrerie  et  notre 
injustice  :  nous  voulons  posséder  la  gloire 
des  saints  el  nous  ne  voulons  point  imiter 
leurs  exemples  ni  leurs  vertus;  el  si  vous 
y  prenez  garde,  il  en  est  peu  parmi  nous 
qui  ne  fasse  des  souhaits  conformes  à  celui 
de  ce  malheureux  prophète  dont  il  esl  parlé 
dans  le  livre  ûesNombres,  c.  XXIIl,  v.  10  : 
Morintur  anima  mea  morte  justorum,  et 
fiant  novigsima  mea  horum  similia  :  «  Que 
mon  âme,  dit-il,  meure  de  la  mort  des  justes, 
et  que  ma  fin  soit  semblable  à  ta  leur.  »  Tel 
esl,  dit  le  dévot  saint  Bernard,  tel  est  le 
dérèglement  des  chrétiens  ;  ils  veulent  mou- 
rir comme  les  justes,  mais  ils  ne  veulent 
pas  vivre  comme  eux;  ils  veulent  ressem- 
bler aux  saints  dans  l'autre  vie,  mais  ils  no 
parlent  pas  de  leur  ressembler  en  celle-ui. 
Dans  toutes  les  affaires  du  monde,  quand 
on  veut  la  fin  on  commence  par  en  prendre 
les  moyens  ;  l'on  met  tout  en  usage  el  l'on 
profite  incessamment  de  toutes  les  occasions 
qui  peuvent  avoir  quelque  rapport  avec 
cette  fin  qu'(m  se  propose  jusqu'à  ce  qu'on 
ail  réussi  à  se  la  [)rocurer;  la  seule  aifairo 
du  salut,  la  plus  importante  de  toutes,  se 
traite  tout  autrement;  el  vous  diriez  que 
l'homme  renonce  en  celle  reiicontre,  non- 
seulement  aux  lumières  de  la  loi,  mais  en- 
core à  celles  de  la  raison  ;  car  il  passe  toute 
sa  vie  comme  s'il  avait  dessein  d'êiro 
damné,  el  néanmoins  il  prétend  (|ue  sou  sa- 
lut se  trouve  fait  tout  d'un  coupa  l'arlich) 
de  la  mort  et  sans  qu'il  ait  jamais  pensé  à 
le  f.iire.  Ah  1  chrétiens,  reconnaissons  au- 
jourd'hui notre  aveuglement.  Nous  nous 
piquons  d'avoir  de  la  conduite  pour  les 
choses  de  ce  monde,  sera-l-il  dit  que  nous 
en  manqutM'ons  dans  la  seule  où  il  esl  si 
nécessaire  de  ne  pas  en  manquer  ?  Ah  1  sou- 
venons-nous que  la  vraie  prudence,  suivant 
la  doctrine  des  philosophes  profanes,  con- 
siste à  connaître  la  fin  et  à  prendre  les 
moyens  qui  y  conduisent.  Levons  donc  les 
yeux  vers  la  béatitude  éternelle,  faisons- 
vo    noire  princij»ale    occupation  ;  rappoi'- 


5G1 


SEUMONS.  —  SEPvM.  VIII,  POUR  LA  DEDICACE  D'UNE  EGLISE. 


563 


lons-y  loules  nos  affections,  et  ayons  en 
liorreur  tout  ce  qui  peut  en  éloigner  nos 
ilésirs,  ne  regardons  plus  les  biens  de  ce 
monde  que  comme  des  moyens  qui  peu- 
vent nous  servir  à  y  arriver  plus  incré- 
ment. Demandons  sans  cesse  le  secours 
do  cette  grûco  qui  nous  y  doit  conduire; 
cbservons  avec  oxaclilule  toutes  les  lois 
et  toults  les  maximes  de  l'Evangile;  en  un 
mol,  imitons  avec  fidélité  l'exemple  des 
saints  et  nous  nous  mettrons  en  état  de 
participer  élernellement  h  leur  gloire. 

SERMON  VIII. 

POUR    LA    DÉDICACE    d'uXE    ÉGLISE. 

El  andivi  voccm  de  Uiroiio  dieentem:  Kcce  labeniacu- 
lura  Dei  cuni  honiinibus,  el  habitabilcum  e.\t.{Apoc.,  XXI, 
5) 

fc"J  j'ai  enUndu  une  voix  qui  parlait  itu  Irôiie,  et  qui  di- 
sait :  Voici  le  tubernadc  de  Dieu  avec  les  hommes,  et  il 
habitera  parmi  eux. 

Monseigneur, 
Il  n'est  pas  besoin  d'avoir  recours  aux 
figures  pour  interpréter  celle  révélation  de 
l'AiiOcalypse,  el  la  cérémonie  d'aujouni'hui 
y  donne  un  sens  bien  naturel  el  bien  lillé- 
ral.  Car  ce  lemfde  nouvellement  construit 
doit  élre  regardé  comme  un  tabernacle  où 
Dieu  va  se  jnetlre  pour  ainsi  dire  à  la  por- 
tée des  bommes;  et  la  voix  du  trône,  Mon- 
seigneur, celle  voix  céleste  et  etiicace,  qui 
annonce  la  sainielé  du  tabernacle,  elquien 
achève  la  consécration,  n'est  auireque  vo- 
tre parole,  q'ii  par  la  force  des  prières  de 
l'Eglise  vient  de  changer  la  nature  de  ces 
pierres  el  de  ces  matériaux  profanes,  nous 
obligeiint  de  la  itart  >  e  Dieu  à  regarder  cet 
éditice  comme  une  nouvelle  région  de  grâce 
où  le  ciel  et  la  terre  se  rassemblent,  el  où 
Dieu  elles  lionmies  doivent  entretenir  dé- 
sormais un  saint  et  admirable  commerce  : 
f:t  audivi  voceni  de  tlirono  dieentem  :  Ecce 
tabernaculum  Dei  cuin  hominibus,  et  habita- 
bit  cum  eis.  Disons  davantage  :  s'il  est  un 
trône  dans  le  ciel,  qui  est  le  Irône  de  Dieu, 
il  est  des  trônes  sur  la  terre,  qui  sont  les 
trônes  des  rois  :  mais  Votre  Grandeur  s'est 
fail  entendre  ici  comme  la  voix  de  ce  dou- 
ble Irône:  Et  audivi  vocem  de  throno.  Au- 
jourd'lmi,  Monseigneur,  vous  y  venez  delà 
part  de  Dieu  pour  y  répandre  ses  grûces,  et 
déjà  vous  y  aviez  annoncé  les  libéralités  de 
notre  incomparable  monarque,  précieux 
gages  el  obligeants  ellels  de  sa  jtiété  solli- 
cilée  par  la  vôtre.  Et  voilà.  Monseigneur, 
en  deux  mots,  vosoccujialions  continuelles; 
médiateur  entre  Dieu  et  les  créatures,  mé- 
diateur entre  le  monarque  et  les  sujets, 
tantôt  vous  représentez  à  la  Divinité  les 
besoins  des  hommes,  tan  loi  vous  répandez 
sur  les  hommes  lesbénédiclions  elles  grâces 
que  le  Seigneur  altacho  à  vos  fondions  el 
à  votre  ministère;  lanlôt,  vous  faites  servir 
au[»rès  du  prince  la  contiunce  dont  il  vous 
honore  à  la  [)rotecliou  des  (larliculiers  el  à 
i'uiiiilé  des  peuples;  tantôt  vous  réveillez 
le  zèle  el  l'amour  des  [»euples  rassemblant 
leurs  vœux,  et  leur  ordonnant  des  prières 
solennelles  pour  la  conservation  du  [irince; 
quelquefois   vous   expliquez   la  loi  du  Sei- 


gneur en  public,  et  nous  faites  enlenare  ses 
divines  volontés  conune  l'oracle  du  sanc- 
tuaire, el  comme  une  voix  qui  ravit  les  es- 
prits el  qui  <  ouverlil  les  cœurs  :  Vox  de 
throno  ;  sn\i\enl  nous  vous  voyons  revêtu 
de  l'aulorité  du  prince,  décider  ce  grand 
nombre  d'affaires  qu'il  commet  à  vos  lu- 
mières et  à  vos  soins,  vous  rendant  lui- 
niônie  l'un  dés  oracles  de  sa  justice  et 
comme  la  voix  de  son  trône  :  Vox  de  throno; 
toujours  à  Dieu,  toujours  au  prince,  tou- 
jours à  l'Eglise,  toujours  aux  chrétiens, 
toujours  aux  peuf)les,  et  |)armi  tant  d'oocu" 
palionsel  d'embarras,  toujours  parfaitement 
à  vous-mômei  Seigneur,  [)uisniio  le  taber- 
nacle est  [)réparé,  et  que  la  voix  du  trône 
s'est  fail  enlendro,  il  est  tem[)s  que  votre 
gloire  et  votre  majesté  viennent  remplir  ce 
temple  que  l'on  a  bâti  en  votre  honneur,  et 
que  l'on  a  consacré  à  voire  nom.  Descendez-y 
donc  avec  la  plénitude  de  vos  grâces,  et 
nous  apprenez  la  n)aniàre  dont  nous  devons 
nous  y  comj)orler  pour  n'en  pas  profaner  la 
sainielé,  el  pour  y  profiler  de  voire  auguste 
présence.  Unissotis-nous,  mes  frères,  pour 
y  exercer  ensemble  le  premier  acte  de  reli- 
gion, el  pour  y  recevoir  les  premières  grâ- 
ces du  ciel,  que  nous  allons  demander  [lar 
l'inleroession  de  Marie.  Ave,  Maria. 

Monseigneur, 
Deux  sentiments  bien  différents  m'occu- 
pent loul  à  la  fois;  la  joie  et  la  douleur  me 
partagent.  A  la  vue  de  cet  édifice  nouveau, 
de  ces  magnifiques  ornements,  de  celle  foule 
de  chrétiens,  de  celle  piélé  dont  on  voit  des 
marques  partout,  en  un  mol,  de  celle  au- 
gustecérémonieoù  l'Eglise,  épousede  Jésus- 
Christ,  paraît  dans  son  plus  grand  appareil, 
je  me  trouve  saisi  d'une  joie  semblable  à 
celle  que  témoignèrent  les  prêtres  de  la 
Synagogue  et  tout  le  peuple  d'Israël,  lors- 
que le  temple  étant  bâti,  les  autels  élevés, 
et  le  tabernacle  achevé,  l'on  transporta  l'ar- 
che du  Seigneur  dans  le  lieu  qui  lui  était 
pré[)aré,  et  qu'on  célébra  la  solennité  de  la 
consécration  du  temple  par  des  sacrifices, 
par  des  chants  de  louanges,  el  par  des  accla- 
mations publiques.  Mais  en  même  temps  un 
mouvement  de  tristesse  vient  troubler  ma 
joie  ;  il  me  souvient  de  l'élat  où  était  la  Fils 
de  Dieu,  lorsqu'altachanl  ses  regards  et  ses 
pensées  sur  la  ville  de  Jérusalem,  il  s'allen- 
dril  et  versa  des  larmes  :  Videns  civilatem, 
fîevil  super  illam  (Luc,  XIX,  41)  ;  il  |)ré~ 
voyait  la  destruction  de  la  sainte  cité,  et 
surtout,  dit  saint  Jérôme,  la  profanation  du 
leuifile,  el  les  sacrilèges  que  les  Romains 
devaient  commettre  un  jour  jusqu'au  pied 
des  autels.  Chrétiens,  la  manière  dont  vous 
vous  comportez  dans  les  autres  églises  nie 
fail  prévoir  malgré  moi  le  sort  funeste  de 
celle-ci.  Au  moment  que  ce  prélat  la  con- 
sacre, je  songe  que  vous  la  profanerez;  le 
Seigneur  y  sera  honoré,  mais  il  y  sera  mé- 
prisé ;  l'on  y  administrera  des  sacrements, 
mais  l'on  y  commellra  des  sacrilèges.  Je. 
m'uUache,  mes  frères,  a  cejte  deuxième  idée; 
je    veux,   s'il   m'tst  possible,  prévenir,  voa 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


504 


irrévérences,  assurer  l'honneur  de  ces  .mu- 
le!s,  el  vous  représentant  d'un  côté  la  sain- 
teté (Jes  églises,  el  de  l'autre  les  pi()fana- 
tions  dont  la  plupart  des  cliréliens  s'y  ren- 
dent coujiables,  mettre  toiume  dans  un 
[loint  de  vue  votre  reiijjMon  et  votre  irré- 
ligion ,  vos  devoirs  et  vos  déréglemenls  ;en 
un  mot,  tout  ce  que  vous  laites  dans  nos 
temples  opi)Osé  à  tout  ce  que  vous  y  devez 
faire.  Pourquoi  vo  us  re  I  en  ir|)l  us  longtemps? 
la  religion  demande  riiOHiuJO  tout  entier. 
11  f;iut,  dit  l'apôtre  saint  Paul,  que  le  cœur 
croie,  mais  il  faut  que  la  bouche  confesse. 
[Rom  ,  X,  10);  il  faut  delà  j)iélé  pourl'àmo, 
mais  il  en  faut  aussi  pour  le  corps.  Néan- 
moins vous  détruisez  cet  le  double  piété  dans 
nos  églises,  la  piété  i/jtérieure  par  ladissi- 
jtalion  de  vos  esprits,  la  piélé  extérieure 
par  vos  irrévérences,  et  par  vos  scandales. 
Comprenez  donc  ma  pensée,  mes  frères  :  la 
religion  chrétienne  doit  être  intérieure,  et 
vous  la  rendez  dans  nos  temples  toute  ex- 
térieure et  toute  hypocrite;  elle  doit  être 
extérieure,  publique  et  éditiante,  et  vous  la 
rendez  scandaleuse  :  deux  sortes  do  profa- 
nation auxquellesse  rapportent  toutes  lesau- 
ires,  et  que  j'ai  dessein  de  dévelop[)er  el  de 
comballredanslesdeux  parties  de  ce  discours. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Saint  Thomas  donne  trois  fonctions  à  la 
religion,  adorer,  prier,  sacrifier;  trois  fonc- 
tions qui  s'exercent  principalement  dans  nos 
tem[)les,  mais  trois  fonctions  qui  s'exercent 
|)rin(:ipalement  par  l'esprit.  Néanmoins  les 
clirétiens  n'y  emploient  le  plus  souvent  que 
le  corps,  et  c'est  en  cela  que  consiste  leur 
premier  désordre,  puisqu'ils  réduisent  la 
religion  à  être  purement  extérieure,  et  en 
ce  qui  regarde  l'adoralion,  et  en  ce  qui  re- 
garde la  prière,  et  en  ce  qui  regarde  lu  sa- 
critice.  Je  commence  par  l'adoration. 

L'on  peut  adorer  Dieu  partout,  mais  il 
vaut  pourtant  mieux  obéir  autant  qu'il  se 
peut  à  cet  oracle  de  l'Ecriture  :  Adorate 
Dominum  in  atrio  sancto  ejus:  «  Adorez  le 
Sciyneur  et  l'adorez  dans  son  temple  [Psal. 
XGV,  9),»  car  ce  temple  est  saint,  et  une  ac- 
tion aussi  sainte  est  comme  hors  de  sa  (ilace 
dans  un  lieu  profane.  Mais  en  quoi  consiste 
cette  adoration? 

Adorer  Dieu,  c'estreconnaîlre  sa  grandeur 
el  sa  souveraineté  intinie,  lui  rendre  hom- 
mage et  de  tout  ce  qui  est  à  nous,  et  de 
tout  ce  que  nous  sommes  nous-mêmes; 
l'invoquer  comme  notre  premier  principe, 
l'honorer  comme  notre  dernière  lin,  rap- 
porter intérieurement  tout  ce  qu'on  doit 
croire  à  sa  parole,  tout  ce  qu'on  doit  faire 
à  sa  loi,  tout  ce  qu'on  doit  devenir  à  sa 
conduite  ;  attribuer  ce  que  nous  sommes  à 
sa  puissance,  ce  que  nous  avons  à  si  bonté, 
ce  que  nous  soullrons  à  sa  justice  ;  nos  grâ- 
ces à  sa  miséricorde,  nos  lumières  à  sa 
sagesse.  En  un  mot,  lui  référer  tout,  le  pré- 
lérer  à  tout,  le  louer  do  tout,  et  dans  un 
aveu  sincère  do  son  excellence  et  de  notre 
i)assesse,  lui  protester  <^  la  face  des  autels 
(ju'il  est  tout  et  que  nous  ne  sommes  rien, 


ce  qu'il  a  mis  en  nous  par  la  créalion  pou- 
vant bien  passer  pour  un  être  à  l'égard  du 
néant,  mais  ne  pouvant  passer  que  pour  un 
néant  à  l'égard  de  son  divin  être. 

Or  il  est  évident  que  cette  adoralioii  ainsi 
conçue  est  I  allaire  de  l'esprit  et  non  pas  du 
corps,  et  que  l'homm.e  intérieur  et  caché 
qui  consiste  en  raison  el  en  volonté  est 
proprement  celui  qui  adore.  Les  idolâtres 
ne  rendaient  à  leurs  dieux  qu'un  culte  cor- 
porel et  extéi'ieur,  et  le  dénion,  caché  sous 
la  figure  et  dans  les  slalues  de  ces  divinités 
supposées,  ne  leur  en  demandait  pas  da- 
vantage, bien  sûr  que  l'âme  de  ses  adora- 
teurs était  à  lui,  pourvu  qu'elle  fût  aux  ob- 
jets périssables  de  ce  monde.  Pour  ce  qui 
est  des  Juifs,  ils  connaissaient  le  vrai  Dieu, 
mais  toutes  leurs  cérémoiiies  n'étaient  que 
des  figures  et  des  ombres.  Attachés  à  la  chair 
et  au  sang,  on  ne  peut  pas  dire  qu'ils  fus- 
sent véritablement  au  Seigneur,  mais  ils 
exprimaient  par  les  actes  de  leur  religion 
la  manière  dont  les  chréiiens  y  devaient 
être,  et  voilà  poui'quoi  le  Fils  de  Dieu  dit 
à  la  Samaiitaine  :  Venil  tempus  cumveri  ado- 
ratores  adorabunt  in  spirilu  el  vcritate: 
«  Femme,  voici  le  temps  que  tes  vrais  adora- 
teurs adoreront  en  esprit  et  en  vérité.  »  (Joan., 
IV,  23.)  Ils  adoreront  en  esprit,  pour  se  dis- 
tinguer des  païens  qui  n'adorent  que  du 
corps,  et  ils  adoreront  en  vérité  ,  pour 
se  distinguer  des  Juifs  qui  n'adorent 
qu'en  figures.  Lt  il  ajoute  '  ensuite  fiour 
prouver  l'excellence  et  la  nécessité  de  ce 
nouveau  culte  :  Spiritus  est  Oeiis  et  eos  qui 
adorant  eum  in  spiritu  et  veritate  oporïet 
adorare.  {Ibid.,  24.)  Car  c'est  comme  s'il 
disait  h  tous  les  hommes:  si  Dieu  était  un 
corps,  les  humiliations  du  corps  pourraient 
ou  le  tromper  ou  le  satisfaire;  mais  Dieu 
est  un  esprit  et  il  faut  par  conséquent  que 
ceux  qui  l'adorent  l'adorent  en  esprit  et  en 
vérité.  Ainsi,  mes  frères,  réduire  la  religion 
comme  vous  faites  le  plus  souvent  dans  nos 
temples  à  quelques  postures  d'humiliation, 
à  quelques  génuflexions,  à  quelque  piété 
apparente,  à  quelques  cérémonies  exté- 
rieures, c'est  sans  doute  ne  rien  entendre 
au  christianisme,  c'est  détruire  l'essentiel 
de  votre  culte,  c'est  ruiner  l'excellence  de  la 
loi  évangélique,  c'est  être  païens  ou  Juifs 
dans  le  sein  même  de  l'Eglise,  ce  n'est  pas 
adorer  le  Seigneur  en  Dieu,  c'est  l'adorer 
en  idole. 

Passons  à  la  prière,  car  c'est  la  deuxième 
fonction  que  la  religion  doit  exercer  dans 
nos  églises.  Nous  ne  sommes  tous  ensem- 
ble, disait  Tt;rtullien  aux  idolâtres,  nous 
ne  sommes  qu'un  corps  dont  la  religion  est 
l'âme.  Nous  nous  assemblons  dans  nos  tem- 
ples comme  pour  attaquer  le  ciel  par  la 
force  et  l'emporter  par  la  multitude.  Là 
nous  formons  des  vœux  pour  les  empereurs 
et  pour  tous  les  besoins  de  l'Etat.  Là  par 
des  prières  ferventes  et  par  des  chants  mé- 
lodieux et  touchants,  nous  nourrissons  no~ 
ire  foi,  nous  élevons  noire  espérance,  nous 
ranimons  notro  ciiarilé  ;  oll'rant  au  Sei- 
gneur, non  pas  quel(]ues  gi'ains  d'encen.j, 


mi 


SERMONS.  —  SERAI.  Mil,  POUR  LA  DEDICACE  DUNE  EGLISE. 


5G5 


c  est  à-(lire  les  larmes  d'un  nrbre  d'Arabie, 
mais  nos  larmes  el  nos  gémissements;  non 
pas  le  sang  d'une  viclime  massacrée,  mais 
un  cœur  volontairement  contrit;  non  pas 
(les  paroles  superstitieuses  et  inutiles,  mais 
une  oraison  sainte  et  dévote  qui  part  d'une 
cliair  pure,  d'une  àme  iimooenle,  et  à  la 
lorination  de  laquelle  l'Esprit  de  Dieu  tra- 
vaille fui-méme  intérieurement  avec  nous  : 
Sed  orntionem  de  carne  pudica,  de  anima  in- 
nocenti,  de  Spiritii  saiiclo  profettam. 

Telle  était  la  conduite  et  la  façon  de 
prier  des  premiers  chrétiens  ;  aujourd'liui, 
reconnaissons-le  à  notre  confusion  ,  la  plu- 
|-/art  de  nos  oraisons  ne  consistent  que  dans 
le  mouvement  dos  lèvres.  L'on  lient  un  livre 
dans  une  église  et  l'on  ne  s'occupe  qu'à  y 
réciter  beaucoup  de  prières  vocales,  mal- 
gré l'instruction  du  Fils  de  Dieu  qui  nous 
avait  défendu  si  expressément  de  faire 
comme  ces  païens  qui  s'imaginaient  qu'à 
force  de  crier  ils  se  faisaient  entendre  et 
exaucer  de  leurs  dieux.  Ainsi  l'on  s'amuse 
à  parler,  mais  l'on  ne  songe  point  à  prier, 
mais  l'on  ne  reiitre  point  en  soi ,  mais  tel 
chrétien  qui  prie  ne  pense  ni  à  Dieu,  ni  à 
lui,  et  souvent  la  distraction  emportant  l'es- 
prit ailleurs  donne  lieu  à  un  juste  repro- 
che de  saint  Cyprien.  Hé!  mon  frère,  com- 
ment prétendre  que  le  Seigneur  l'entende 
lors(iue  lu  ne  t'entends  pas  toi-même!  L'on 
frappe  sa  poitrine  avec  le  prêtre  en  certains 
endroits  du  sacrifice;  mais  à  quoi  peut-il 
servir,  dit  saint  Augustin,  que  la  poitrine 
soit  fiappée  quand  le  cœur  n'est  pas  touché? 
l'on  prononce  tout  bas  les  louanges  de  la 
Divinité  pendant  que  les  ministres  de  l'au- 
lel  les  chantent  tout  haut,  mais  ces  louan- 
ges se  trouvent  démenties  par  une  âiae  im- 
pure dont  les  sentiments  forment  un  langa- 
ge tout  ojiposé,  déshonorant  le  Seigneur  par 
autant  de  blasphèmes  secrets  qu'elle  entre- 
lient d'habitudes  et  do  passions  criminelles. 
Que  vous  dirai -je  davantage?  Beaucoup 
pressent  le  Seigneur  par  leurs  prières  de 
faire  ce  qui  leur  phùt,  mais  presque  point 
qui  se  mettent  en  peine  de  vouloir  ce  qu'il 
veut,  ni  de  faire  ce  qu'il  ordonne,  d'où  il 
arrive,  suivant  l'expression  d'un  prophète, 
(}ue  les  chrétiens  ne  donnant  à  Dieu  que 
des  paroles  et  ne  paraissant  à  ses  yeux  qu'a- 
vec un  intérieur  i'em|)li  de  désordres  :  Us 
fie  font  que  semer  du  vent  pair  ne  moisson- 
ner que  des  tturOillons  :  «  Ventum  semina- 
bunl  et  lurOinem  meienl.  »  [Ose.,  Vlli ,  7.j 
C'est-à-direquepar  ces  oraisons  prétendues 
dont  ils  battent  l'air  inutilement,  ils  ne 
lont  (lu'irriter  la  majesté  do  Dieu  et  s'atti- 
rer les  tlé.iux  de  sa  justice  par  les  moyens 
mômes  qui  auraient  dii  leur  concilier  les  fa- 
v(;urs  de  sa  miséricorde.  Ah!  disait  autre- 
fois le  saint  roi  David,  qui  par  !e  privilège 
d'une  grâce  anticipée  s'était  fait  une  habi- 
tude de  prier  u'une  manière  si  chrélionne 
parmi  les  Juifs  el  avanl  le  cluistianismo 
même:  Ah  Seigneur,  c'est  mon  cœur  qui 
vous  il  parlé,  c'e-t  lui<pji  vous  garantit  lèse  x- 
jiressions  de  ma  langue  :  Tibidtxit  cor  meuni. 
[l'sut.  X\VJ,8j  Au    moment  ({uo  j'catre 


dans  vos  sacrés  tabernacles,  il  n'est  rien  en 
moi  qui  ne  ressente  les  impressions  de 
votre  auguste  présence.  Mes  yeux  se  bais- 
sent, mes  genoux  se  lléchissent,  mes  mains 
se  joignent,  ma  bouche  s'ouvre,  mais  c'est 
mon  cœur  qui  prend  la  parole,  ou  si  ma 
bouche  dit  quelque  chose,  elle  ne  dit  que 
ce  que  mon  cœur  lui  fait  dire:  Tibi  dixit 
cor  meum. 

Enfin  la  troisième  chose  pour  laquelle  on 
va  dans  les  temples,  c'est  pour  y  offrir  des 
sacrifices  : /n^rojôo  in  domum  luam  in  ho- 
locaustis  [Psal.  LXV,  13):  car  c'est  un  sen- 
timent gravé  dans  le  fond  de  la  nature  et 
que  le  péché  n'a  |iu  effacer,  qu'il  faut  une 
religion  et  <|ue  toute  religion  demande  des 
autels  el  des  sacrifices,  comme  si  l'homme 
convaincu  secrètement  de  sa  faiblesse  cher- 
chait à  appuyer  du  témoignage  de  tous  les 
êtres  les  hommages  qu'il  rend  à  la  divinité 
qu'il  adore,  faisant  parler  pour  cela  le  sang 
des  victimes  et  la  voix  des  créatures  mou- 
rantes. 

Mais  autant  que  la  religion  chrétienne 
diû'èredes  autres  religions,  autant  son  sa- 
crifice est-il  différent  des  antres  sacrifices. 
Vous  le  savez  ,  mes  frères,  ce  qui  s'offre 
tous  les  jours  sur  nos  autels.  Grûce  à  Jé- 
sus-Christ, nous  ne  sommes  plus  dans  ces 
siècles  d'idolàlrie  et  d'aveuglement  ou  les 
hommes  abusés  olfraioiil  non-seulement  des 
animaux,  mais  mémo  des  hommes  à  des 
divinités  ennemies.  Nous  ne  sommes  plus 
dans  ces  premiers  teaqis  où  les  anciens  pa- 
triarches allaient  choisir  dans,  leurs  trou- 
peaux de  quoi  faire  leurs  offrandes.  Il  n'est 
plus  même  question  d'a[»porter  des  pièces 
de  monnaie  pour  acheter  des  hoslies.  Jé- 
sus-Christ a  chassé  les  vendeurs  et  les  ache- 
teurs du  temple.  L'Agneau  sans  lâche  que 
personne  n'a  besoin  d'ai  heler,  parce  qu'il 
apparlientà  lous,  est  la  victime  qui  se  donne 
sans  violence  et  qui  est  immolée  sans  car- 
nage, prérogative  admirable  de  la  religion 
chrétienne,  car  dans  les  autres  religions, 
c'est  aux  sacrificateurs  <i  fournir  la  victime. 
Ici  au  contraire  c'est  Dieu  qui  la  fournit 
ou  plutôt  c'est  lui-môme  qui  la  devient. 

Mais  pourquoi  cela,  mes  chers  auditeurs? 
Il  ne  s'ensuit  pas  que  aous  puissions  par- 
ticiper au  sacrifice  sans  y  contribuer  enqu(d- 
que  chose;  non,  disait  le  saint  roi  David 
à  celui  qui  lui  voulait  céder  gratuitement 
un  fonds  où  il  avait  pris  dessein  de  bâiir  le 
temple,  non,  il  ne  sera  pas  dit  qucjefusseau, 
Seigneur  mon  Dieu  des  olJ'randes  quineme  cou- 
lent rien:  uNcquaquam,  etnonofferani  Domino 
Deo  liolocausluiçiraluila,  (\l  Itey  ,WlV,2'i.} 
En  cllet,  quanti  il  est  question  d'honorer  la 
divinité,  les  peuples  les  plus  bai'bares  con- 
vienneiil  que  chacun  y  doit  employer  ce 
qu'il  a  de  |dus  précieux  et  de  meilleur;  et 
ilans  le  sacrifice  même  de  nos  autels  où  la 
viclime  descend  du  ciel  toute  prèle  h  être 
ollerle,  n'en  coùte-t-il  jias  encore  une  vie 
saciamenlelle  ù  Jésus-Christ,  des  adorations 
aux  anges,  des  vœux  cl  des  prières  aux 
ministres  de  l'Eglise,  une  espèce  d'anôan- 
lisscment  à  lu  substunco  du  [)ain  et  du  vii!? 


IGl 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOKEL. 


508 


Or  je  vous  demande  après  cela  si  le  cliré- 
lien  iissislaiit  au  sacrifice,  n'y  doit  pas  a|)- 
porler  de  son  côté  loiU  ce  qui  dépend  de  sa 
piélé  t't  de  ses  soins.  Ah  1  puisque  la  victi- 
me ne  lui  coûte  rien,  il  faut  au  moins  qu'il 
tire  de  son  rœur  des  senlimenls  j)ropres  à 
s:  condei"  l'oHVande  d'un  si  excellent  sacri- 
lice!  Ah  !  puisque  la  cérémonie  se  lait  [)Our 
nous,  i!  faut  réunir  en   nous  tout  ce  qui 
s'.y  passe,  mourir  d'une  mort  mystique  avec 
Jésus-Christ,  adorer  avec  les  anges,  prier  et 
ollVir  avec  les   jirôtres ,  s'anéantir   et  ôtre 
transformé  comme  les    éléments  qui  sont 
convertis  au  corps  et   au  sang  du  Fils  de 
Dieu!  Il  faut  entrer  dans  les  desseins  et  dans 
les   dispositions  du  Sauveur,  détester  nos 
(léchés,  parce  qu'il  les  expie,  se  mettre  en 
élat  de  recevoir  des  grâces,  parce  qu'il  en 
demande,  le  présenter  au  Seigneur  [lendanl 
qu'il  s'immole,  s'humilier  lorsqu'il  s'humi- 
Jie,  étouffer  nos  passions  puisqu'il  se  prive 
dans  l'Eucharistie  de  l'usage  de  tous  les 
sinis,  pratiquer  intérieurement  les   verius 
puisqu'il  y  en  donne  de  si  gr.inds  exenifiles, 
louer  le  Père  Eternel  avec  ce  divin  Média- 
teur qui  le  loue,  le  ^loritier  avec  le  Fils 
bien-aimé  qui  le  glorifie,  en  un  mot  join- 
dre nos  prières  h  ses  mérites,  notre  foi  à 
son  saiig,  notre  fidélité  à  ses  grâces,  nos  es- 
prits à  son  esprit,  nos  cœurs  à  son  cœur, 
nos  corps  à  son  corps,  et  tout  ce  que  nous 
somnies  à  tout  ce  qu'il  est,  en  sorte  que  de 
lui  et  de  nous,  c'est-à-dire  du  Fils  de  Dieu 
et  des  hommes,  du  médiateur  et  des  fidè- 
les, du  chef  et  des  membres,  il  ne  s'en  fas- 
se qu'un  seul  corps,  une  seule  victime  et 
nne  même  offrande.  Car  voilà,  dit  le  grand 
Augustin,  le  dessein  du  Fils  de  Dieu  sacri- 
fiant et  sacrifié  sur  l'autei,  voilà  en  quoi 
consistent  sur  ce  sujet  les  obligations  des 
chrétiens;  mais  la  plupart  n'y  font  aucune 
réflexion.  L'on  vient   au  sacrifice  par  habi- 
tude ou  par  bienséance,  l'on  n'y  assiste  le 
I)lus  souvent  que  de  corps  et  cependant 
j'espiit  du  chrétien  indocile  et  corrompu 
refusant  de  faire  des  réflexions  utiles  et  sé- 
rieuses, ne  se  trouve  occupé  que  de  baga- 
telles, que  d'intrigues,  que  de  pensées  in- 
diiférentes,  que  d'idées  de  fortune  et  de 
plaisir,  que  de  passions  criminelles,  que  do 
joies  ou  de  tristesses  profanes.  Ahl  mes 
chers  auditeurs,    tous  viennent  à  la  messe 
et  le  plus  souvent  personne  n'y  est.  Hé! 
comment  se  peut-il  faire  que  Ja  sainte  Jéru- 
salem soit  déserte,  lorsqu'elle  est  pleine  de 
peuple?  Quomodo  sedet  sota  civitus  plenu 
populo?  [Thren.,  1,  1.)  Elle   est   pleine  de 
peu[)le;  personne  ne  manque  de  s'y  rendre 
à  certaines  heures  ou  du  moins  à   certains 
jours:  Plma  populo  ;  mais  néanmoins  elle 
est  désfiile:  Sola  çivilas,  et  ce  sont  vos  dis- 
sipations, ce  sont  vos  absences  d'esprit  et 
de  cœur  t|ui  font  celte  solitude.  Rendons- 
nous  justice,  mes  frères,  l'on  se  [)rosterne 
au  [)ied  de  iautel  ,  l'on  adore  la  sainte  vic- 
time, mais  parmi  ce  grand  nombre  de  chré- 
tiens dont  la  foule  environne  Jésus-Christ, 
<»ù  est  l'âiiie  qui  comme  la  femme  liémo- 
rhoisse  le  louche  par  la  foi  et  s'en  retourne 


Songez-vous  à  le  détester  lorsqu'i 
tion  de  paraître  devant   ce    Dieu 


guérie  de  ses  infirmités;  où  est  le  chré- 
tien qui  assistant  au  sacrifice,  en  prenne 
la  disposition  et  l'esprit  ;  où  est  celui  qui 
touché  d'un  sentiment  de  religion  pendant 
qu'on  célèbre  les  redoutables  mystères  y 
produise  un  acte  de  foi  ou  d'amour  de 
Dieu,  y  pousse  un  soupir  de  contrition,  y 
verse  une  larme  de  pénitence?  Ahl  s'il 
était  permis  de  fouiller  jusque  dans  le 
secret  de  vos  cœurs,  quelles  abominations 
au  contraire  n'y  découvrirait-on  pas  à  Irar 
vers  ces  dehors  hypocrites  dont  vous  vous 
parez  pour  ménager  l'estime  des  hommes! 
J'en  atteste  vos  consciences,  chrétiens,  pen-r 
dant  que  l'Agneau  deDieu  s'immole  sur  nos 
autels,  n'est-ce  pas  en  ce  temps  et  dans  ce 
lieu  comme  dans  les  autres,  que  res[)rit 
recueilli  en  lui-même  s'occupe  des  pas-r 
sions  les  plus  criminelles  et  les  plus  hon- 
teuses, que  l'on  flatte  une  sotte  vanité  par 
des  réflexions  ridicules,  que  l'on  Jiiachino 
les  vengeances,  que  l'on  trameles  perfidies, 
que  l'on  conçoit  les  impuretés  et  les  adul- 
tères, apposant  ainsi,  comme  les  entants 
d'Aaron,  un  feu  profane  en  la-place  du  feu 
sacré  et  joignant  par  un  bizarre  et  funeste 
mélange,  le  ciel  à  l'enfer  et  le  sacrifice  au 
sacrilège.  Que  si  vous  n'êtes  pas  assez  im- 
pies pour  venir  en  la  présence  de  Jésus- 
Christ  commettre  les  actes  du  péché,  n'y  e^ 
ap()orlez  vous  pas  au  moins  les  habitudes? 

est  ques- 
dont  les 
yeux  ne  sauraient  regarder  le  mal  et  qui 
ne  peut  souffrir  l'iniquité?  Quel  monstre 
dans  la  morale,  mon  cherauditeur  ;prélends- 
lu  être  l'adorateur  de  Ion  Dieu  et  son  en- 
nemi toutà  la  fois?  Tes  genoux  se  fléchis- 
sent devant  lui  et  ion  cœur  superbe  se  rér 
voile  contre  lui  ;  tu  fui  rends  un  hommage,  et 
des  mesures  sont  prises  au  sortir  de  là,  pour 
l'offenser  et  le  trahir.  Pourquoi  venir  dans 
ce  saint  lieu?  Est-ce  pour  adorer  ou  pour 
insulter?  Misérables  que  nous  sommes, 
s'écrie  saint  Jérôme,  puisque  les  vices  des 
pharisiens  ont  passé  ()ar  une  succession 
fatale  jusqu'à  nous!  Ils  avaient  corrompu 
l'Ancien  Testament,  et  comment  traitons- 
nous  le  Nouveau?  Il  avaient  perdu  l'esprit 
de  la  loi,  hé!  qu'avons-nous  fait  de  l'esprit 
de  l'Evangile,  et  si  le  Seigneur  venait  une 
seconde  lois  sur  la  terre,  n'aurait-il  j)as 
lieu  de  nous  faire  le  mênie  reproche  qu'il 
leur  faisaii?//?//)ocrite,  hypocrites  que  vous 
êtes,  car  qu'est-ce  donc  que  l'hyfjocrisie, 
si  ce  n'est  faire  paraître  au  dehors  uns 
|)iélé  que  l'on  ne  ressent  j  oint  au  dedans? 
honorer  le  Seigneur  des  lèvres  pendant 
que  le  cœur  le  déshonore?  donner  quelques 
apparences  à  la  vertu  et  entretenir  in- 
térieurement le  péché  ?  IJypocritœ,  bene  de 
tobis  prophclavit  Jsaias;  que  le  prophète 
Isaïe  vous  a  naïvement  dépeints,  en  disant: 
Populus  hic  labiîsinc honorât,  cor  aulem  eo~ 
rum  loiuje  est  a  me.  {Matlh.,  XV,  78.)  Ce 
peuple  garde  encore  quelques  mesures; 
ils  inlioiiorent  des  lèvres^  mais  leur  cœur 
csl  bien  éloujné  de  moi!  Convenez  donc  de 
la  véiilé  de  mon  premier  reoroche:  la  rcli- 


509 


SERMONS.  —  SEH.M.  MU.  POUR  LA  DEDICACE  D'UNE  EGLISE. 


gion  doit  ^Ire  intérieure  el  vous  la  reniiez 
loJle  extérieure  et  toute  liypocrite.  Mais 
ce  n'est  pas  tout,  la  religion  doit  ô(re  exté- 
rieure, public]  ue  et  édifiante,  el  vous  la  ren- 
dez scandaleuse  ;  autre  dérèglement  dont  il 
nie  reste  à  vous  parler  dans  la  deuxième 
partie  de  mon  discours. 

SECONDE  PARTIE. 

C'est  beaucoup  que  la  religion  soit  inté- 
rieure ;  mais  ce  n'est  pas  assez,  il  faut 
qu'elle  soit  extérieure  et  publiijue.  Il  faut 
qu'elle  soit  extérieure,  dit  saint  Thomas,  et 
que  l'esprit  intéresse  le  corps  dans  les  tiom- 
niages  qu'il  rend  à  la  Divinité:  soit,  dit  ce 
grand  docteur,  parce  (jue  le  corps  apparte- 
nant à  Dieu  aussi  bien  que  l'ûme,  il  doit 
par  conséquent  l'honorer  et  le  reconnaître 
en  sa  manière  ;  soit  parce  que  l'âme  sujette 
à  être  touchée  et  souvent  à  être  séduite  par 
les  sens,  ne  saurait  mieux  faire  que  de  les 
occuper  à  certaines  cérémonies,  lesiiuelles 
étant  les  marques  de  !a  piété  intérieure  en 
deviennent  les  causes  el  servent  à  la  redou- 
bler et  à  l'entretenir;  soit  parce  que  les 
chrétiens  qui  sont  obligés  h  croire  sont  en- 
core obligés,  suivant  l'expression  de  l'E- 
criture, à  confesser  leur  religion  devant 
les  hommes,  et  à  la  répandre  au  dehors 
par  des  œuvres  sensibles  et  édifiantes. 
J)'où  il  s'ensuit  que  celte  môme  religion 
qui  doit  être  exlérieuredoitêire  encore  pu- 
blique. En  effet  les  honneurs  publ'cs  hono- 
rent bien  plus  que  les  hommages  secrels, 
et  l'on  ne  doit  pas  douter  que  Dieu  se 
trouve  honoré  d'une  manière  bien  plus 
digne  de  lui,  à  mesure  que  la  religion  a 
plus  d'éclat,  el  qu'il  y  a  un  plus  grand 
nombre  d'adoraleurs  qui  s'assemblent  en 
SQn  nom.  El  d'ailleurs  la  religion  doit  être 
uniforme;  il  faut  donc  que  ceux  qui  la 
professent  en  exercent  les  actes  ensemble, 
puisque  c'est  celle  union  qui  entretient 
celle  uniformité,  el  qu'elle  ne  manquerait 
pas  de  contracter  des  qualités  étrangères 
et  de  changer  bienîùt  de  face,  si  on  en  lais- 
sait l'usage  à  la  bonne  foi  ou  au  caprice  des 
particuliers.  En  un  mot  les  hommes  qui 
iOnt  fragiles  et  inconslanis,  onl  besoin  les 
uns  lies  autres  [)Our  se  niaiiilenir  et  pourso 
foilitier  dans  la  pialique  de  la  vertu;  ce 
qui  faisait  dire  à  saint  Jérùiue  que  c'était 
un  élat  bien  dangereux  que  celui  de  ces 
ermites  qui  vivaient  seuls  el  éloignés  de 
toule  société  dans  les  déserls,  au  lieu  que 
les  religieux  qui  vivent  en  commun,  se  sou- 
liennenl  par  le  bon  exemple,  chacun  proli- 
l.intde  la  vertu  des  autres  sans  leur  en  rien 
ôler,  el  contribuant  de  son  chef  à  augmen- 
ter la  leur  sans  rien  diminuer  de  la 
sienne. 

Mais,  mes  frères,  admirons  ou  plutôt  dé- 
plorons la  corruption  des  chrétiens  d'au- 
jourd'hui. Il  serait  malaisé  de  définir  si 
leur  religion  est  intérieure  ou  extérieure, 
pui«;que  le  plus  souvent  elle  n'est  ni  l'un 
ni  l'autre.  La  plupart  bien  loin  de  rendre 
au  Seigneur  les  hommages  du  cœur  el  de 
l'âme,  ne  gardent  jiab  uiOmv  les  dehors,  et 


570 

bien  loin  de  lui  rendre  des  iiommnges  ex- 
térieurs, ils  lui  font  (les  outrages  fxiblics. 
Vous  diriez  qu'ils  ne  s'assemblent  dans  nos 
églises  que  pour  l'outrager  de  concert  : 
ainsi  le  temple  devient  le  théûlre  de  l'im- 
[)iélé,  el  la  religion  n'est  plus  qu'un  scan- 
dale déshonorant  la  Divinité  au  lieu  de 
l'honorer,  et  pervertissant  les  chrétiens  au 
lieu  de  les  édifier. 

Autrefois  le  Seigneur  enleva  le  prophète 
en  esprit  et  l'avant  placé  dans  le  temple  d« 
Jérusalem  il  lui  dit  :  Prophète,  perce  la  mu- 
raille :  Fode  parietem  {/îzech.,  VIII,  8), 
et  lu  verras  les  abominations  qui  se  passent 
jusque  dans  le  sanctuaire.  Mais  hélas!  il 
n'est  pas  besoin  aujourd'hui  d'aller  cher- 
cher le  crime  derrière  les  murailles;  il  ne 
faut  plus  de  don  de  prophétie  pour  le  décou- 
vrir dans  le  fond  des  consciences;  il  n'y  a 
qu'à  ouvrir  les  yeux,  il  se  produit  de  toutes 
paris.  Je  vous  disais  tantôt  que  nos  temples 
sont  destinés  pour  adorer  ,  pour  prier 
et  pour  sacrifier,  mais  les  chrétiens  y 
prennent  le  contre-pied  de  tout  cela. 

Au  lieu  d'adorations  ce  ne  sont  que  pos- 
tures indécentes,  que  génuflexions,  pour 
ainsi  dire  estropiées,  que  distractions  visi- 
bles, qu'irrévérences  scandaleuses.  Chré- 
tiens, Jésus-Christ  s'immole  pour  vous  et 
vous  lui  tournez  le  dos;  les  sacrés  vieil- 
lards de  VApocahjpse  se  prosternent  devant 
le  trône  de  l'Agneau,  et  vous  êtes  debout 
ou  assis  ;  les  anges  tremblent,  el  vous  vous 
emportez  à  des  rires  éclatants  etdissolus;  lo 
Fils  de  Dieu  s'anéantit  sur  l'autel ,  et 
vous  dispuiez  au  pied  de  l'autel  d'une  vaino 
préséance  ;  et  vous  afleclez  d'y  venir  avec 
tout  l'appareil  d'une  pompe  superbe  et 
mondaine  !  Les  femmes  assises  sur  des 
carreaux,  promenants  des  regards  vaga- 
bonds et  les  ramenant  seulement  de  temps 
en  temjjs  dans  un  livre,  au  lieu  d'y  prati- 
quer la  modestie  chrétienne,  semblent  y 
avoir  oublié  la  modestie  de  leur  sexe.  Les 
hommes  se  contentant  de  mettre  un  genou  en 
terre  au  moment  le  plus  essentiel  et  lo 
plus  auguste  du  sacrifice,  font  bien  voir 
qu'ils  songent  à  toute  autre  chose  qu'a 
pieu,  et  que  ce  mystère  adorable  est  l'objet 
de  leur  mépris  plutôt  que  de  leur  apulica- 
tion. 

Il  n'y  a  pas  moins  d'abus  en  ce  qui  re- 
garde la  prière.  Bien  loin  de  prier  du  cœur 
l'on  ne  prie  pas  seulement  des  lèvres,  et  au 
lieu  de  prononcer  au  iiioins  de  la  langue 
les  louanges  du  Seigneur,  l'on  s'entretient 
de  choses  indilférentes.  Que  dis-je?  l'on  y 
I)arle  des  choses  les  |)lus  criminelles,  l'on 
y  débile  des  médisances,  l'on  y  sème  des 
calomnies,  l'on  y  fait  de  piquantes  critiques 
de  ceux  qui  vont  et  qui  viennent  ;  l'on  y 
tient  des  discours  de  galanterie,  ou  plutôt 
se  laissant  aller  aux  différentes  agitations 
d'une  imagination  déréglée,  et  employant 
alterpaliveuient  sa  langue  à  des  usages  infi- 
niment opposés,  l'on  y  récite  une  (irière 
et  ensuite  l'on  y  lance  un  trait  do  satire; 
l'on  commence  une  oraison  et  on  l'inlcr- 
romi>l  l'our  faire   une   raillerie   contre  lo 


571 


ORATEURS  SACRES.  T)E  MONMORKL. 


572 


prochain;  l'on  s'miresse  au  Seigneur  et 
on  le  quitte  pour  dire  une  [laiterie  .'i  une 
vile  créature:  Ah  1  dit  l'apôtre  saint  Jac- 
ques, comment  se  peut-il  faire  que  d'une 
inêmesource  il  coule  des  ruisseaux  si  dif- 
férents ,  et  que  d'une  même  houche  il 
sorte   des    discours   si    contraires  ?  [Jac, 

m.  11.) 

El  après  cela  quelle  part  pouvez-vous 
avoir  au  sacrifice  puisque  vous  n'y  contri- 
buez que  par  des  mépris,  par  des  abomi- 
nations et  des  sacrilèges  ?  Generatio  prava 
atque  perversa,  hœccine  reddis  Domino,  po- 
pule  stulleet  insipiens?  {Deul.,  XXXll,  5,6.) 
Chrétiens,  race  autrefois  si  sainte,  mainte- 
nant si  profane  et  si  corrompue  ,  hé  I 
comment  as-tu  si  fort  dégénéré  de  I.t  no- 
blesse de  ton  origine  ?  Tu  avais  été  formée 
du  sang  précieux  d'un  Homme-Dieu,  et  lu 
foules  ce  sang  aux  pieds  !  Jésus-Christ, 
que  les  ingratitudes  n'ont  pu  encore  faire 
changer,  recommence  tous  les  jours  sur 
l'autel  è  offrir  de  nouveau  sa  vie,  sa  njort 
cl  ses  mérites  pour  loi,  et  au  lieu  de  secon- 
der son  sacrifice  lu  le  profanes,  et  au  lieu  de 
joindre  les  vœux  aux  prières  dece  divin  mé- 
diateur, lu  l'insultes,  et  au  lieu  d'offrir  celle 
innocente  victime  à  la  Divi  ni  té  offensée.lu  ou- 
trages et  la  divinité  cl  ia  victime  tout  à  la  fois  I 
Peuple  slu|iide  et  insensé  1  est-ce  là  ce(]uolu 
rends  au  Seigneur  ?  Hœccine  reddis  Domino  ? 
Les  anciens  patriarches  lui  rendaien  Ides  ani- 
maux et  des  fruits  comme  iin  tribut  do  leur 
l'econnaissance.  Les  Juifs  qui  ne  recevaient 
de  sa  libéralité  que  des  biens  corruptibles 
et  temporels,  ne  manquaient  pas  malgré  la 
dureté  de  leurs  coeurs,  de  lui  porter  dans  le 
temple  les  prémices  de  tous  les  biens  de  lu 
terre.  Ces  peuples  barbares  et  sauvages, 
auxquels  le  Seigneur  n'a  communiqué 
qu'un  léger  rayon  de  sa  divine  lumière,  no 
laissent  pas  de  lui  en  rendre  quelque  chose 
par  ces  regards  qu'ils  portent  au  ciel  dans 
leurs  afflictions  et  dans  leurs  besoins,  |)ar 
ces  remords  qui  les  tourmentent  après 
leurs  crimes,  et  par  tous  ces  autres  senli- 
ments  que  Tertullien  appelle  les  instincts 
de  la  religion  et  les  témoignages  d'une  ilme 
naturellement  chrétienne.  Le  seul  chrétien 
lui  doit  tout  et  ne  lui  rend  rien.  Je  me 
trompe,  il  lui  rend  pour  tant  de  lumières  et 
de  bienfaits  des  irrévérences  dans  nos 
églises,  des  scandales  au  pied  des  autels, 
des  mépris  de  la  religion  et  du  sacrifice  : 
Hœccine  reddis  Domino,  papule  stuUe  et  insi- 
piens ?  Quel  horrible  éloignement  des  des- 
seins du  Fils  de  Dieu  1  11  failait  sacritier  nos 
passions  au  pied  do  l'autel,  et  c'est  \h  où. 
ou  les  fait  triompher  avec  plus  d'éclat;  il 
fallait  immoler  nos  cœurs  à  ce  Dieu  qui, 
rebutant  tous  les  anciens  sacrifices,  ne  veut 
plus  que  celui  du  corps  de  Jésus-Chrisl  et 
celui  du  cœur  des  chrétiens;  et  c'est  là  ou 
l'on  a  la  témérité  de  l'offrir  à  la  créature, 
la  préférant  ouvertemeiilau  Créateur,  et  pi- 
quant ainsi  d'émulation  ce  Dieu  jaloux  au- 
quel un  oppose  non  pas  une  idole  de  bois 
ou  de  marbre,  mais  une  idole  de  chair  qui 
l'enqiorle  à    ses   yeux  sur  son  autorité  et 


sur  tousses  droits  1  semhlabieà  celle  idole 
que  le  |)rophôte  vit  à  la  ()orte  du  temjile, 
qu'on  appelle  l'idoledu  zèle  et  qui  ne  sem- 
blait placée  dans  une  situation  si  sainte» 
que  pour  attirer  le  courroux  et  pour  pro- 
vo(|uer  toute  la  Jalousie  du  Seigneur:  £/ 
eral  slatulum  idolum  zeli  ad  provocandam 
œmulationem.  {Ezech.,  VIII,  3.)  Et  ce  qu'il 
y  a  de  plus  effroyable,  c'est  que  les  chré- 
tiens qui  assistent  ainsi  au  sacrifice  croient 
satisfaire  par  là  aux  devoirs  de  la  religion 
qu'ils  professent;  car  voilà  les  seules  luar- 
ques  qu'ils  en  donnent  et  les  seuls  actes 
qu'ils  en  exercent;  c'est  parla  qu'ils  se 
distinguent  des  hérétiques  et  des  idolâtres. 
C'est  ainsi  qu'ils  adorent  la  divinité  et  qu'ils 
l'apaisent.  Mais,  ô  Dieu,  disait  le  grand  Au- 
gustin aux  paï(!ns,  en  leur  reprochant  l'in- 
taniie  et  l'impureté  de  certains  sacrifices, 
car  les  chrétiens  nous  réduisent  à  leur 
faire  les  mêmes  reproches  par  la  manière 
dont  ils  se  comportent  dans  la  religion  du 
monde  iaplus  [lureet  dans  les  cérémonies  les 
plus  saintes,  ô  Dieu,  quel  sera  votre  liberti- 
nage, si  c'est  là  votre  religion?  quels  seront 
vos  scandales  si  voire  piété  est  un  scandale? 
quels  seront  vos  sacrilèges,  si  ce  sont  là 
vos  sacrifices,  ou  quelles  jieuvent  être  vos 
crimes  si  c'en  sont  là  les  expiations?  Quœ 
sunt  sacrilegia  si  illa  sacra,  aut  quœ  inqui- 
nalio  si  illa  lavutio  ?  Mes  frères,  on  voudrait 
que  vous  eussiez  de  la  piété  [larloul,  mais 
si  vous  avez  à  être  iuqîies  que  cetne  soil 
pas  dans  nos  églises. 

Saint  Jérôme  écrivant  avec  toute  i  ardeur 
de  son  zèle  à  un  certain  Sabinien  qui 
avait  osé  enlever  à  Jésus-Christ  l'une  des 
vierges  sacrées  qui  vivaient  en  commun 
dans  la  crèche  de  Bethléem,  et  qui  y  pra- 
li(iuaient  la  vertu  sous  la  conduite  de  ce 
grand  homme  :  Infelicissime  mortalium,  lui 
disait-il,  ô  le  plus  malheureux  et  le  plus 
coupable  des  moi-tels  :  in  spetuncam  illum 
in  qua  Filius  Dei  nalus  est,  et  veritas  de 
terra  or  ta  est,  de  stupro  condicturus  ingre- 
deris  :  il  est  donc  vrai  que  tu  as  eu  le  fronl 
d'eiiUer  dans  celle  grotte  sacrée  où  le  Fils 
de  Dieu  est  descendu  du  ciel  et  où  la  vé- 
rité a  pris  naissance  de  la  terre,  pour  y 
parler  d'impurelé  à  l'une  de  ses  ép<juses. 
Tu  songeais  à  corrompre  une  vierge  dans 
ce  lieu  sacré  où  une  Vierge  nous  a  donné 
un  Sauveur:  In  Virginis  cubiculum  virgi- 
ncmdecepturus  irrepis,  et  il  ajoute  ensuite  : 
An  non  timebas  ne  de  prœsepiovagirel  in  fans  ? 
Ah  1  ne  craignais  lu  poinl  (]uo  le  fils  do 
Marie  ne  se  fit  entendre  du  fond  de  sa  crè- 
cfie,  et  que  par  ses  cris,  il  ne  révélât  tes 
désordres  et  ne  condamnât  ce  qu'il  con- 
damnera un  jour  à  la  face  de  l'univers, 
d'une  voix  terrible  et  lonnanle? 

Or  ceque  saint  Jérôme  disait  à  Sabinien, 
ne  le  [)ûurrait-il  pas  dire  à  plusieurs  chré- 
tiens ?  J'en  laisse  l'ajiplicalion  à  vos  cons- 
ciences ;  mais  je  vous  prie,  mes  chers  audi- 
teurs, de  faire  avec  moi  une  réflexion.  Si 
jamais  il  vous  arrivait  de  voyager  dans  les 
pays  consacrés  par  la  présence  visible  de 
Jésus-Chrisl  et  i»ar   les  mystères   de  uoiro 


d75 


SERMONS.  —  SERM.  Vlll,  POIR  LA  DEDICACE  D'L.NE  EGLISE. 


■i 


rédemption  ;  si  ce  clirélien  se  voyait  dans 
la  crèche  oiî  le  Sauveur  a  pris  naissance,  s'il 
se  trouvait  dans  le  cénacle,  s'il  montait  sur 
le  Calvaire,  ali  !  sans  avoir  plus  de  religion 
(ju'il  n'en  a,  n'est-il  pas  vrai  que  son  cœur 
se  trouverait  attendri,  que  les  sentiments 
du  christianisme  It^s  plus  vifs  et  les  plus 
ardents  se  rallumeraient  en  lui,  qu'au  moins 
ses  passions  demeureraient  alors  en  sus- 
pens? Néanmoins  ces  lieux  ne  sont  sain's 
que  i)ar  les  nivslères  (]ui  s'y  opérèrent  au- 
trefois ;  aujourd'hui,  ils  sont  [)rofanés  par 
des  cérémonies  sacrilèges,  et  par  les  su- 
perstitions des  ennemis  du  nom  chrétien. 
Nos  temples,  au  contraire,  sont  saints  [lar 
lopéralioii  de  ces  mêmes  mystères  qui  s'y 
renouvellent  tous  les  jours  sous  nos  yeux  ; 
en  vain  clicrche-t-on  h  Jérusalem  les  iraces 
du  sang  do  Jésus-Christ  ou  les  vestiges  de 
>es  pieds,  et  l'on  ne  les  trouve  («lus.  Ici, 
l'on  adore  son  corps  et  l'on  boit  son  sang, 
chacune  de  nos  églises  étant  proprement 
unccrèche  où  Jé^is  Christ  prend  naissance, 
un  cénacl^^où  il  nous  fait  asseoir  à  sa  ta- 
ble, un  Calvaire  où  il  s'immole  pour  nous. 
Mais  ce  ([ui  fait  notre  inseusibiliié  dans 
jios  temples,  c'est  que  nous  y  sommes  tous 
les  jours,  la  coutume  et  l'iiabilude  détrui- 
sent nos  réflexions:;  s'iJ  n'y  avait  qu'une 
seule  église  au  monde,  chacun  s'empres' 
serait  d'y  courir,  ei  [lersonne  ne  serait  as- 
sez impie  pour  manquer  de  religion  ;  mais 
il  y  en  a  partout,  et  de  là  on  (irend  insen- 
siblement occasion  de  diminuer  du  res- 
pect qu'on  doit  aux  lieux  saints.  Ensuite, 
on  les  traite  comme  des  lieux  profanes,  et 
cnlin  l'on  en  vient  jusqu'à  cet  excès  de  s'y 
comporter  comme  si  c'étaient  des  lieux  de 
débauche  et  de  scandale. 

Mais  vous.  Mesdames,  qui  souvent  êtes 
les  causes  ou  les  occasions  de  ces  désor- 
dres, je  ne  puis  finir  ce  discours  sans  vous 
en  faire  des  reproches  au  nom  de  Jésus- 
Christ;  et  devant  ces  mômes  autels  dont 
vous  profanez  la  sainteté  par  les  irrévéren- 
ces, par  les  immodesties  cl  par  les  scanda- 
les que  vous  commettez  ou  que  vous  faites 
com  mettre.  Où  est  votre  piété,  où  est  votre 
religion,  où  est  votre  foi?  A  quoi  bon  ce 
luxe  profane  et  ces  alfectalions  de  vanité  et 
de  lasle?  Kst-ce  dans  nos  églises  qu'il  faut 
faire  parade  de  vos  pi  étendus  avantages? 
Est-ce  au  pied  de  l'autel  que  la  créature 
doit  recevoir  de  l'encens?  Est-ce  dans  le 
sanctuaire  qu'il  faut  travailler  à  se  faire 
des  adorateurs  ?  N'avoz-vous  [)as  des  mai- 
5<jns  qui  ne  sont  déjà  que  trop  profanées, 
et  faul-il  profaner  encore  l'église  de  Dieu? 
Je  sais  bien  que  ie  plus  souvent  vousy  sau- 
vez les  apparences,  et  que  par  une  modes- 
lie  feinlH  ou  véritable,  vous  vous  y  conser- 
vez cette  répulationde  piété  qui  est  altachée 
au  sexe.  Mais  ne  comptez-vous  pour  rien 
de  n'y  venir  que  pour  voir  ou  (lOiir  ôlro 
vues?  Mais  n'avez-vous  point  de  remords 
dt;  cttic!  ambiti(»n  secrète,  (pii  par  un  al- 
teiilal  semblable  à  celui  de  l'ange  a|)ûslat, 
vous  porte  à  usurper  le  trône  de  Dieu,  5  lui 
enlever  des  cœurs   el  5   vous  faire    aimer 


en     sa     présence    préférabicraent    à    lui? 

Ministres  du  Seigneur,  corrigez  publique- 
ment ces  désordres;  ne  souffrez  pas  que  ces 
idoUîS  entrent  en  concurrence  avec  le  Dieu 
d'Lsraél,  ni  que  Dagon  se  fasse  adorer  au- 
près de  l'arche.  Nous  ne  sommes  plus  au 
temps  où  le  fou  descendait  du  ciel  pour 
consumer  ceux  (jui  apporteraient  un  feu 
profane  dans  le  sanctuaire  :  mais  c'est  à 
votre  zèle  à  prendre  la  cause  de  votre  maî- 
tre, et  à  venger  sa  querelle.  Jésus-Christ  ne 
paraît  [ilus  visiblement  dans  les  temples 
|)Our  chasser  les  profanateurs,  mais  il  vous 
a  confié  son  autorité  pour  les  chasser  eu  son 
nom. 

Mais  à  quoi  sert-il  de  parler  à  des  chré- 
tiens (|ui  ont  là  lémérilé  de  mépriser  le  Sei- 
gneur? x\uroni-ils  plus  de  resjiect  |)0ur  la 
parole  ?  Les  femmes  chrétiennes  sont  sou- 
vent ou  tout  à  fait  vertueuses  ou  tout  à  fait 
éloignées  de  la  vertu;  les  ministres  sont 
(]uelquefois  ou  timides  ou  intéressés  :  c'est 
donc  à  vous.  Divinité,  que  l'on  doit  révé- 
rer en  ce  lieu,  que  je  dois  adresser  ma  voix. 
Je  me  |)lains  à  vous  des  irrévérences  quo 
l'on  commet  contre  vous  :  Deus,  venerunù 
génies  in  hœreditulem  tuam ,  poUuerunt 
templum  sanctum  tuum  :  «  Seigneur,  les 
nations  profanes  sont  enlrées  dans  voire 
héritage  el  ont  souillé  la  sainteté  de  vo- 
tre demeure.  [Psul.  VIH ,  1.)  Autrefois 
les  Romains  profanèrent  le  temple  de  Jé- 
rusalem, et  du  temps  de  nos  pères  les 
hérétiques  onl  démoli  nos  églises,  dépouillé 
nos  autels,  brûlé  les  sacrées  hosties  ;  mais 
si  les  uns  et  les  autres  agissaient  contre  les 
lumières  de  notre  foi,  du  moins  suivaient-ils 
les  [irincipes  de  la  leur  ;  laissons  donc  les 
ennemis  do  l'Eglise  :  je  me  plains  de  ses  en- 
fants. Par  un  em[)orLement  que  nulle  nation 
n'a  jamais  vu,  ils  méprisent  le  Dieu  qu'ils 
adorent  ;  ils  manquent  de  respect  [)Our  leurs 
propres  temples  et  |)Our  les  cérémonies  do 
leur  religion;  ([uand  des  étrangers  l'ont  at- 
taquée, ils  onl  pris  les  aimes  |)our  la  défen- 
dre; on  les  à  vus  passer  les  mers  pour  aller 
soutenir  l'Evangile  contre  rAlcoran,et,  sans 
sortir  de  ce  royaume,  n'a-t  on  [las  vu  les  fidèles 
sujets  d'un  roi  très-chrétien  prodiguant 
leur  sang  et  leur  vie  contre  des  réformateurs 
prétendus  qui,  sous  prétexte  do  réédifier 
l'église  ne  tiavaillèrenl  (ju'à  la  démolir  el  à 
la  détruire?  El  néanmoins  si  on  cherche  des 
catholiques  en  la  [.ersonne  de  ses  défen- 
seurs zélés,  l'on  n'y  trouvera  le  plus  sou- 
vent (|ue  des  [irjfanaleurs  pul)lics.  Et,  voil  , 
Seigneur,  ce  ijui  fait  aujourd'hui  notre  hon- 
te :  Facti  suinus  opprobrium  vicinis  noslris, 
et  derisio  his  qui  in  circuitu  noslro  sunt 
[Psal.  XLIU,  14j  :  la  religion  du  Christ  est 
changée  en  op|)robre  ;  nous  sommes  deve- 
nus un  sujet  d'insulte  et  de  raillerie  aux 
étrangers  et  à  nos  voisins. 

Le  prophète  Ezéchiel  annonçait  aux  Juifs 
de  la  paii  du  Seigneur  que  leurs  abomina- 
lions  robligcraient  à  se  retirer  de  son  sanc- 
tuaire :  llccedain  de  sancluurio  meo.  {fJzech., 
Vlll,  6)  Qui  sait,  mes  frères,  s'il  ne  s'est 
j  uinl  déjà  retiré  de  nos  églises?  L'on  y  eu- 


575 


ORATEURS  SACRES.  DE  MOiNMOREL. 


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Ire  et  l'on  n'en  est  plus  toiichcS  l'on  y  prê- 
che la  parole  de  Dieu  el  elle  ne  lait  aucun 
fruit,  l'on  s'accuse  au  pied  de  ces  sacrés 
Irihunaux  et  l'on  no  se  convertit  point,  l'on 
va  prendre  le  corps  de  Jésus-Christ  à  cet 
autel,  et  l'on  retombe  toujours  dans  les  mô- 
mes crimes;  l'on  assiste  tous  les  jours  au 
sarrificp,  et  à  peine  y  a-t-on  un  sentiment 
de  religion.  Ouvrez  les  yeux,  mes  chers  au- 
diteurs, à  des  vérités  sur  lesquelles  vous 
n'avez  peut-être  jamais  fait  que  de  très-lé- 
gères réflexions,  et  que  j'ai  jugé  à  propos 
de  vous  déduire  dans  une  assemblée  aussi 
célèbre  et  dans  une  occasion  aussi  solem- 
nelle  que  celle-ci.  Ah  !  mon  cœur,  le  Sei- 
gneur est  véritablement  ici  el  tu  ne  le  sa- 
vais pas,  ou  du  moins  lu  faisais  comme  si 
tu  n'en  eusses  rien  su  ;  mhis  désormais  il 
n'en  sera  pas  ainsi,  au  moment  que  je  pren- 
drai le  dessein  de  venir  dans  ces  sacrés  ta- 
bernacles, l'idée  de  la  saiiilelé  et  de  la  gran- 
deur de  mon  Dieu  bannira  de  mon  esprit 
tous  les  objets  et  toutes  les  pensées  profa- 
nes; en  entrant  dans  celte  église,  cette  eau 
mystérieuse  que  je  répands  sur  mon  front 
me  fera  souvenir  de  laver  les  taches  de  mon 
âme-  et  de  détester  mes  péchés  pour  me 
mettre  en  état  de  paraître  avec  quelque  sor- 
te de  décence  devant  une  majesté  adorable  : 
les  images  et  les  reliques  sacrées  de  tous 
ces  héros  du  cbristianisrise  qui  ont  soute- 
nu la  religion  que  je  professe  par  l'austérité 
(le  leur  vieou  |iar  lacruautéde  leurmortme 
feront  goûter  les  vérités  de  ma  foi  et  rani- 
meront ma  pieté  et  mon  zèle  à  la  vérité  de 
ces  incomparables  exeu)ples  ,  même  ces 
morts  ensevelis  sous  mes  pieds  me  désabu- 
seront des  et  reurs  des  sens  el  me  remettront 
devant  les  yeux  l'inconslance  el  la  brièveté 
de"  tous  les  plaisirs  et  de  toutes  les  gran- 
deurs de  la  lerre  ;  alors  j'adorerai  le  Sei- 
gneur avec  tremblement  et  avec  crainte  : 
Adorabo  ad  tcmplum  sanclum  luum  in  timoré 
tuo  [Psal.  V,  8  );  et  pendant  que  mes  genoux 
se  courberont  devant  sei  auleis  uion  esprit 
s'anéantira  devant  lui  ;  alors  je  prierai  de 
l'âme  comme  des  lèvres  :  Psallam  spiritu, 
psallam  et  mente.  (1  Cor.,  Xllll,  15.)  Etau  lieu 
de  m'en  tenir  à  la  prononciation  de  quel- 
ques prières  vocales,  je  m'attacherai  à  [)ro- 
duire  intéiieurement  des  actes  de  foi,  d'es- 
pérance de  charité  et  de  toutes  los  vertus 
chrétiennes.  Alors  j'accompagnerai  le  sacri- 
fice de  nos  autels  d'une  multitude  de  sacri- 
fices volontaires:  Voluntarie  sacrificabo  liOi. 
(  Psal.  LUI,  8.  )  El  pendant  que  Jésus-Christ 
immole  son  corps,  mon  ame  sera  toute  à  lui, 
et  je  la  ré{)andrai  devant  lui,  et  pendanKju'il 
honore  le  Seigneur  j'honorerai  le  Seigneur 
avec  lui,  et  pendant  qu'il  lui  rend  des  ali- 
tions de  grâce  je  le  remercierai  comme  lui; 
el  [)endant  qu'il  apaise  sa  justice  je  mêle- 
rai mes  larmes  à  son  sang  et  mes  satisfac- 
tions à  ses  mérites.  Je  finis,  mes  chers  audi- 
teurs, par  la  même  révélation  de  l'Apocalypse 
par  laqucdiej'ai  commencé  ce  discours:  l'a- 
pôlro  saini  Jean  après  avoir  oui  la  voix 
du  irOrie,  ajoute  que  celui  (pit  éla  t  assis  sur 
ic  Irùue  cria  tout  haut  :  t'cce   nova  facio 


omnia  {Apoc,  XXI,  o)  :  «  Voici  ce  que  je  fais 
tout  nouveau  »,  vous  avez  commencé  un  nou- 
veau leraple,  mes  frères,  et  en  cela  l'on  ne 
peut  assez  louer  votre  piété  et  un  zèle  qui 
vous  |)nrt(ronlà  l'achever  sans  doute  bien- 
tôt ;  mais  ce  serait  peu  qu'il  n'y  eût  que  l'égli- 
se qui  lût  nouvelle,  il  faut  des  cœurs  nou- 
veaux, des  esprits  nouveaux,  des  chrétiens 
nouveaux,  de  nouvelles  adorations,  de  nou- 
velles prières,  de  nouveaux  sacrifices,  une 
ferveur  nouvelle,  une  piété  nouvelle,  une 
application  nouvelle.  Ecce  nova  facio  omnia. 
Répondez  par  votre  fidélité  aux  desseins  do 
la  grâce  qui  doit  opérer  ce  sacré  renouvelle- 
ment en  vous,  et  qui,  de  ce  temple  matériel 
et  périssable,  vous  fera  monter  un  jour  dans 
le  lemple  de  la  bienheureuse  éternité,  pour 
y  glori.fier  le  Seigneur  dans  tous  les  siècles 
des  siècles. 

SERMON  IX. 

POUR   LA    FETE   DE     SAINT    JOSEP'H. 

Intiiemiiii  qua'itiis  sit  hic.  (Hebr  ,  I,  4.) 
Considérez  combien  celui-là  est  grand. 

C'est  ce  que  l'apôtre  saint  Paul  disait  au- 
trefois de  Melchisédech,  ce  grand  homme 
dont  l'Ecriture  avait  négligé  de  nous  ap- 
prendre les  parents  et  les  alliances  selon  l<-v 
chair,  parce  qu'il  en  avait  de  bien  plus  no- 
bles et  de  bien  plus  considérables  selon 
l'esprit;  paraissant  dans  l'Ecriture,  comme 
un  homme  tombé  du  ciel,  pour  être  la  figure 
du  sacerdoce  de  Jésus-Christ  :  mais  c'est 
ce  que  j'applique  au  glorieux  saint  Joseph,, 
ce  grand  homme  qui  n'a  point  d'autre  gé- 
néalogie que  celle  d'un  Dieu  fait  homme, 
sans  songer  qu'il  est  fils  de  David  ,  ne  so 
glorifie  que  d'être  père  de  Jésus,  et  d'une 
manière  où  la  chair  et  le  sang  n'ont  point 
de  part  ;  en  un  mot,  qui  n'a  pas  été  la  figure 
des  offices  et  des  fonctions  que  le  Fils  do 
Dieu  venait  exercer  sur  la  terre,  mais  qui 
en  a  été  le  témoin  et  le  confident  ;  car  c'est 
pour  vous  inviter  à  reconnaître  son  excel- 
lence et  ses  [)rérogatives,  que  je  vous  ré- 
pèle aujourd'hui  ces  paroles:  Inluemini 
quantus  sit  hic.  Considérez  avec  attention 
combien  celui-là  est  grand.  Les  grandeurs 
de  la  terre  ne  tiennent  pas  longtemps  contre 
nos  méditations  ;  pour  peu  que  nous  les 
examinions  par  les  lumières  de  la  raison  et 
de  la  foi,  nous  en  découvrons  bientôt  la  pe- 
titesse, et  |)Our  se  conserver  leur  faux 
éclat,  elles  ont  besoin  d'un  faux  jour  que 
notre  vanité  leur  ménage.  11  n'en  est  pas 
ainsi  des  grandeurs  qui  sont  fondées  sur  la 
vertu  el  sur  la  grâce  ;  nos  lumières  les  dé- 
couvrent el  ne  les  dissi[)ent  pas,  et  la  vertu 
jette  un  brillani  qui  la  fait  même  respecter 
de  ses  ennemis;  pendantque  le  vice  n'ad'^al- 
tiails  que  pour  ses  partisans  et  pour  ses 
esclaves.  Disons  davantage,  la  sainteté  ex- 
posée aux  yeux  de  Dieu  ne  se  dément  poiu.t, 
elle  a  de  quoi  soutenir  ses  regards.  La  nU' 
jeslédu  Seigneur  etface  toutes  les  grandeurs. 
|)rol'anes,  mais  elle  ne  fait  qu'éclairer  le  mé- 
rite de  la  sainlelé  et  de  la  grâce;  c'est  [)0ur- 
quoi  quand  l'Ecriture  parle  d'un  saint,  elle 
ne  dit  {)as  qu'il  est  grand  aux    yeux   des 


î;77 


SERMONS.  —  SERM.  IX,  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  JOSEPH. 


S78 


hommes  ou  à  ses  propres  yeux,  car  cela 
ii'esl  rien,  mais  elle  dit  qu'il  est  grand  aux 
yeux  de  Dieu  cl  cela  est  tout:  Erit  7}wgnus 
coram  Domino.  [Luc,  1,  15.)  Tel  est  le  mé- 
rite de  Joseph  ;  pour  le  bien  connaître  et 
pour  le  bien  l'aire  valoir,  il  faut  le  considé- 
rt-r  par  rapport  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
grand,  et  dans  l'ordre  de  la  grAce,  et  dans 
celui  de  la  gloire;  et  an  lieu  que  les  flatteurs 
qui  font  les  panégyriques  des  grands  du 
monde,  et  qui  cherchent  à  leur  assurer 
beaucoup  d'élévation  et  de  gloire,  ne  les 
considèrent  que  parrajiport  à  ce  qui  est  au- 
dessous  d'eux,  il  no  faut  comparer  un  saint 
qu'à  ce  qui  est  au-dessus  de  lui.  Or  il  ne 
voit  au-dessus  de  lui  que  trois  cl)0ses:  la 
Divinité,  Jésus-Christ,  la  divine  Marie:  la 
Divinité  à  qui  il  faut  demander  d'abord  des 
lumières  pour  son  éloge,  Jésus-Christ,  dans 
lequel  il  faut  aller  chercher  la  source  de 
toutes  les  grandeurs  de  Joseph,  et  la  di- 
vine Marie  son  épouse,  à  laquelle  nous 
allons  dire:  Ave,  Maria. 

L'ordre  de  la  nature,  l'ordre  ae  la  grAce, 
celui  de  la  gloire  et  celui  de  l'union  hypos- 
tatique  sont  quatre  ordre  diflérenls,  que  la 
Providencedivine  a  élevés  les  uns  au-dessus 
des  autres,  pour  nous  élever  nous-m6n)es 
et  nous  conduire  jusqu'à  Dieu.  Et  en  efl"el, 
comme  le  rang  de  la  créature  ne  se  prend 
que  de  la  liaison  qu'elle  a  avec  la  Divinité, 
plus  celle  liaison  est  élroile,  plus  la  créa- 
ture se  trouve  dans  un  état  parfait  et  dans 
une  situation  élevée.  Or  il  est  certain  que 
dans  l'ordre  de  la  nature,  l'homme  ne  lient 
à  Dieu  que  par  la  sujétion  et  ia  dépen- 
dance. Dans  l'ordre  de  la  grâce,  le  chrétien 
s'unit  à  Dieu  par  la  grâce  sanclifianle,  mais 
ce  n'est  pas  un  lien  indissoluble,  puisqu'il 
ne  faut  qu'un  seul  péché  pour  le  rompre. 
Dans  l'ordre  de  la  gloire,  l'union  des  bien- 
heureux avec  Dieu  est  indissoluble  el  éter- 
nelle, et  elle  est  même  si  étroite,  que  la 
créature  n'en  aurait  jamais  pu  imaginer 
une  plus  parfaite.  Néanmoins,  l'union  hy- 
postalique  est  beaucoup  plus  admirable, 
{)uisque,  dansia  personne  du  Rédempteur, 
Dieu  s'est  uni  à  l'homme  jusqu'à  devenir 
homme  lui-môme,  l'etTel  el  le  terme  de  celle 
liaison  et  de  ce  mystère  n'étant  ni  la  créa- 
tion d'un  homme  comme  dans  l'ordre  de  la 
nature,  ni  un  saint  comme  dans  l'ordre  de  la 
grâce,  ni  un  bienheureux  comme  dans  l'or- 
dre de  la  gloire,  mais  un  Dieu-Homme  inli- 
nimenl  élevé  au-dessus  de  tous  les  hommes, 
de  tous  les  saints,  de  tous  les  bienheureux, 
et  de  tous  les  êtres  ;  et  c'est  par  rapport  à 
te  dernier  ordre  que  je  veux  considérer  le 
glorieux  sainl  Joseph,  Je  pourrais  vous  le 
faire  voir  dans  loua  les  autres  et  vous  ré- 
péter à  chacun  :  Jntuemini  quantus  sil  hic. 
Vous  le  verriez  dans  l'ordre  de  la  nature 
comme  un  grand  homme,  formé  du  sang 
des  rois  d'isracl  et  de  Juda,  recorninan- 
dableparsa  prudence, par  safidélité;  et,  par 
de  pareilles  qualités,  vous  le  verriez  dans 
l'ordre  de  la  grâce,  comme  un  grand  saint, 
pratiquer  avec  un  zèle  et  une  patience  in- 
fatigable, les  vertus  les  plus   héroïques  et 


les  plus  rares.  Vous  le  verriez  dans  l'ordre  de 
la  gloire,  comme  un  bienheureux  que  le 
Seigneur  a  pris  soin  de  distinguer  dans  le 
ciel  par  le  caractère  glorieux  d'une  béati- 
tude particulière;  mais  dans  tout  cela,  vous 
n'y  verriez  qu'indirectement  l'époux  de 
Marie  cl  le  père  de  Jésus,  puisque  ce  sont 
des  qualités  attachées  à  l'incarnation  du 
Verbe,  et  conséquemment,  à  l'ordre  de  l'u- 
nion hypostatique  :  ordre  admirable  oii  je 
vois  entrer  trois  sortes  de  personnes  qui 
contribuentà  le  composer,  et  avec  lesquelles 
Joseph  a  des  liaisons  bien  glorieuses  et 
bien  intimes.  Marie  qui  a  été  le  principe  de 
l'incarnation  sur  la  terre.  Dieu  qui  en  est 
le  principe  dans  le  ciel,  et  Jésus-Christ  qui 
en  est  le  terme  et  qui  appartient  el  au  ciel, 
et  à  la  terre  tout  à  la  fois.  Marie,  Jésus- 
Christ,  la  Divinité,  trois  noms  de  grandeur 
et  d'excellence  qui  comprennent  luut  ce 
qu'il  y  a  de  grand  dans  l'êiro  créé  et  dans 
l'être  incréé,  tout  ce  qui  a  été,  tout  ce  qui 
est,  et  tout  ce  qui  sera  grand  dans  le  temps 
et  dans  l'éternilé,  el  par  rapport  auxquels 
je  veux  vous  faire  juger  de  la  grandeur  et 
des  avantages  de  Joseph  :  Intucmini  quantus 
sit  hic.  Considérez  donc  bien  ces  trois  gran- 
des liaisons  dans  Joseph,  ce  qu'il  est  à 
l'égard  de  Marie,  ce  qu'il  est  à  l'égard  do 
Jésus,  ce  qu'il  est  à  l'égard  de  toutes  les 
personnes  divines  ;  la  grandeur  de  Jose|)h, 
parraj)port  à  la  grandeur  de  Marie,  ce  sera 
mon  premier  [toint;  la  grandeur  de  Josepli, 
par  rapport  à  la  grandeur  de  Jésus,  ce  sera 
le. second;  la  grandeur  de  Joseph  par  rap- 
port à  toutes  les  personnes  divines;  voilk 
tout  le  fruit  de  son  éloge,  pendant  lequel 
nous  pouvons  [)ar  réflexion, envisager  noire 
petitesse,  et  dans  lequel  faisanl  entrer  toutes 
les  vertuspar  lesquelles  ce  grand  saint  a  sou- 
tenu son  élévation  et  ses  avantages,  je  tire- 
rai des  conséquences  pour  nous,  capables 
de  nous  porter  à  cette  humilité,  à  cette  ti- 
délilé,  àcet  amour  de  Dieu  et  à  toutes  ces 
vertus,  qui  seules  peuvent  faire  notre  véri- 
table grandeur. 

PREMIER    POINT. 

Trois  qualités  difl'érenles  ont  contribué, 
ditns  Marie,  à  l'incarnation  du  Verbe  divin  : 
sa  virginité,  sa  fécondité  el  son  innocence  ; 
mais  sa  virginité  devait  demeurer  cachée, 
sa  lécondilé  devait  ôlre  accompagnée,  et  son 
innocence  avait  besoin  d'être  défondue. 
Comprenez  donc,  s'il  e.^t  possible,  quelle 
csl  la  gloire  et  l'excellence  de  Josepli  :  In- 
tuemini  quantus  sit  hic.  Puisque  Dieu  la 
choisi  piéférablcment  à  tous  les  hommes, 
pour  cacher  celto  virginilé,  i»our  accompa- 
gner cette  fécondité,  el  pour  défendre  celle 
innocence.  Il  cache  la  virginité  de  Marie, 
parce  ([u'il  est  époux.  Il  accompagne  'a  fé- 
condité de  Marie,  parce  qu'il  est  viorgo.  Il 
défend  l'innocence  de  Marie,  parce  (ju'il 
est  juste.  Voilà  les  trois  grands  ollices  qu'il 
rend  à  Marie  et  les  trois  liaisons  qu'il  a 
avec  elle. 

Je  dis,  en  premier  lieu,  qu'il  cache  lo 
mvslère  de  la*  virginité  de  Marie,  car  tout 


579  ORATEURS  SACRES 

le  monde  voit  bien  que  Mnrie  est  mère, 
mais  personne  ne  sait  qu'elle  est  viorge,  et 
le  mariage  de  Jose[iI)  est  un  voile  sacré  qui 
couvre  d'un  coup  rincarnalion  du  fils  et  la 
virgitiilé  de  la  mère.  Ainsi,  dans  l'ancienne 
loi,  il  fallut  qu'une  nue  enveloppât  le  taber- 
nacle av;in'  que  la  majesté  de  Dieu  le  remplît  : 
Operuilnuhes  tabernaculum  et  gloria  Dotnini 
implevit  illud.  {Exod.,  XL,  3^.)  Ainsi,  dans 
la  loi  nouvelle,  quand  le  Verbe  divin  est  pro- 
duit sur  nos  autels,  il  ne  veut  pas  y  paraître 
d'une  njanière  éclatante,  il  se  dérobe  exprès 
à  nos  yeux,  et  se  renfermant  sous  leses|)è- 
Ces  du  sacrement,  pendant  qu'il  se  fait  con- 
naître aux  lidèles,  il  se  met  à  l'abri  de  la  cu- 
riosité des  profanes.  C'est  donc  ici  oij  je 
peu-x  (lire  avec  l'apôtre  saint  Paul  :  Sacra- 
menttim  hoc  magnum  est.  {Ephes.,  V,  32.) 
Oui,  le  mariage  de  Joseph  et  de  Marie  est 
un  grand  sacrement,  c'est  un  mystère  qui 
cache  le  plus  grand  de  tous  nos  mystères. 
Concluez  donc  combien  celui-là  est  grand, 
h  qui  son  mariage  donne  une  autorité  légi- 
time sur  une  créature  qui  n'a  que  Dieu  au- 
dessus  d'elle  etqui  voit  toutes  les  créatures 
au-dessous.  Les  autres  époux  n'ont  jamais 
eu  d'autorité  que  sur  des  femmes,  et  saint 
Pau!  m'apprend  que  la  virginité  est  libre  et 
indépendante,  mais  cette  virginité,  revêtue 
qu'elle  est  de  la  qualité  de  Mère  de  Dieu, 
se  soumet  à  la  puissance  et  à  l'autorité  de 
Joseph. 

Il  es!  vrai  que  si  Marie  est  vierge,  Joseph 
est  vierge  de  son  côté.  11  cache  la  virginité 
de  Marie  parce  qu'il  est  son  époux ,  mais  il 
accompagne  sa  fécondité  parce  qu'il  est  vierge 
comme  elle.  Dans  la  formation  du  mon  de. 
Dieu  ayant  créé  le  [irooiier  hoinnie  :  7^  ncst 
pasbon,  dit-il (Ge/i.,  l\,  18),  que  l'homme  soit 
seul  :  «  Nonesl  bonnm  hominem  esse  solum.  » 
Faisons-lui  un   aide  qui  lui  soit    semblable. 
lit  l'Ecriture  ajoute  que,  dans  toute  la  terre, 
il  n''y   avait  point    de   créature  semblable  à 
Adam  ni  qui  put  lui  servir  d'aide;  il  ne  s'y 
trouvait  que  des  animaux  incapables  d'entrer 
en  sociétéavec  lui  :  «Ada-vero  noninvenieba- 
tur  adjutorium  simile  sibi.  »  {Ibid.,'2.0.)Ma\s 
dans  la  réparation  de  l'homme,  dit  saint  Ber- 
nardin de  Sienne,  cet  ordres'est  trouvé  chan- 
gé. Ce  n'a  pas  été  un  homme,  maisunefemme 
bénie  entre  toutes  les  femmes,  qui  a  été  for- 
mée d'abord  ;i  la  grâce;  Marie  ,  destinée  à 
être  la  mère  île  Jésus,  est  la  première  créa- 
ture qui  paraît  dans  ce  monde  nouveau.   Or 
il  n'était  pas  bon  qu'elle  fîit  seule:  elle  avait 
besoin  d'un  aide  |)our  accompagner  sa  fécon- 
dité et  i)Our  assurer  sa  réput.ition.  Mais  en 
vain  lui    chercherez-vous   parmi  toutes  les 
créatures  de  l'univers  un   aide  qui  lui   soit 
semblable;  l'on   ne  trouvera  dans  tous  les 
enfants  des  hommes  quecorruption  et  impu- 
reté, et  c'est  |>our  cela  que  la  puissance  de 
Dieu  forme  Joseph  et   le  donne  à  Marie; 
c'est  un  aide  qui  a   une  juste    proportion 
avec  elle;  c'est  un  aide  qui  lui  est  sembla- 
ble; la  pureté  de  Joseph  est  semblable  à  la 
pureté  de  Mario;    l'humilité  de  Joseph  est 
semblable  à  l'humilité  de  Marie  ;  la  charité 
(le  Josej)h    est  •  semblable  à  la   charité  de 


DE  MOiNMOlVEL. 


380 


Marie.  En  un  mot,  tout  Josepli  est  formé" 
Siir  elle,  parce  qu'il  n'est  formé  que  pour 
elle,  et  c'est  pour  cela  que  lange  lui  vient 
dire  de  la  [>art  de  Dieu  :  Joseph,  noli  tim'ere 
accipere  Mariam  conjugrm  lunm:  «  Joseph, 
ne  craignez  pas  de  prendre  Marie  pour  votre 
épouse. r>  {Matlh.,  1,20.)  Car  c'est  comme  s'il 
lui  disait,  suivant  la  pensée  de  saint  Chry- 
sostome  :  Joseph,  ne  vous  troublez  point, 
Marie  est  vierge  aussi  bien  que  vous.  Sa 
qualité  de  mère  fera  naître  votre  respect, 
mais  votre  qualité  d'époux  doit  rappeler 
votre  confiance.  La  loi  a  commencé  votre 
mariage  et  la  grâce  le  confirme;  un  Dieu  en 
est  l'auteur,  un  Dieu  en  sera  le  fruit,  et  un 
ange  vient  en  être  le  ministre.  La  virginité 
de  Marie  a  besoin  d'être  accompagnée  ;  le 
ciel  vous  en  établit  le  gardien;  conduisez 
cette  épouse  dans  ses  voyages,  consolez-la 
dans  ses  déplaisirs,  servez-la  dans  ses  be- 
soins, soyez  tout  <i  elle  et  elle  sera  tout  ;» 
vous  :  Joseph,  noli  timere  accipere  Mariam 
conjugem  luara. 

11  fallait  donc  que  Joseph  fût  vierge  pour 
accompagner  la  fécondité  de  Marie,  mais  il 
fallait  encore  qu'il  fiit  juste  pour  défendro 
Sun  innocence,  et  c'est  à  quoi  il  ne  manque 
pas  ;   quelque  suspecte  que  puisse  devenir 
l'innocence  de  Marie  aux  yeux  des  hom- 
mes, elle  n'a  rien  à  craindre  pourvu  que  Jo- 
seph en  soit  le  juge.  Aussi,  mes  lrères,pro- 
nonce-t-il  en  sa  faveur  parce  qu'il  est  juste, 
et  il  la  justifie  dans  son  cœur,  malgi'é  tout  son 
embarras  et  toutes  les  apparences   contrai- 
res :    Joseph  autem  cum  esscl  justus  noluiC 
traducere  eam  {Ibid.,  19);  mais  en  la  justi- 
fiant à  son  égard,  il  |la  protège  à  l'égard  des 
autres.  Car    voilà,  dit  saint  Thomas,  la  rai- 
son  pour  laquelle  ce    mariage  était   d'une 
nécessité  indispensable.  Oiez  Joseph  de  la 
famille  de    Jésus,   que    deviendra  Marie? 
comment  se  défendre  de  la  calomnie,  com- 
ment se  garantirde  la  sévérité  de  la  loi  ?  Je 
îais  bien     que  cet  adorable  enfant  qu'elle 
porte  dans   son  sein  est  l'ouvrage  de  l'Ks- 
prit-Saint  :   Quod  enim  in  ea  nalum  est  de 
Spiritu  sanclo  est  [Ibid.,  20)  ;  mais  quelqui; 
soin  qu'on  eût  pour  en  persuader  les  Juifs, 
le  crime  n'aurail-il  pas  toujours  été  pour 
eux  beaucoup    plas    vraisemblable    que  le 
mystère.  Ah!    chrétiens,   pour  donner  un 
é|)0ux  à  Marie,  il   semble  qu'il   y  avait  ù 
balancer  si  on  lui  donnerait  un  Dieu  ou  un 
honmie,  un  Dieu  seul  pouvait  bien  former 
le  Verbe  dans  son  sein,  mais  il  ne  pouvait 
pas  être  son  époux  visible  pour  la  défendre 
de   la    calomnie    et   pour    la    servir   exté- 
rieurement dans  ses   besoins.  Un  homme 
seul   pouvait  bien  lui  rendre  ces  derniers 
offices,  mais  il  ne  pouvait  pas  être  le  [)rin- 
cipe    pur    et   fécond    de    l'incarnation   du 
Verbe.  Ce  Dieu  n'eût  été  que  pour  sa  vir- 
ginité,  cet  homme  n'eût  été  que  pour  sa 
ré()ulation,  et  il   fallait  les  garantir   toutes 
deux  ;  n)ais  qu'a  fait  le  Père  éternel  ?  il  a 
donné  tout  d'un  couj)  à  Marie  le  Saint-Es- 
prit et  saint  Joseph,  un  Dieu  et  un  homme, 
tous  deux  vierges,  tous  deux  époux  de  cette 
Vierge,   tous  deux  sainteaient  associés  à 


>gl 


SERMONS.  —  SERM.  IX,  POUR  L.\  FETE  DE  SAINT  JOSEPH. 


celte  qualité,  tous  deux  lui  ont  fait  onii)ro 
vn  leur  numière  :  El  rirlus  Allissimi  obum- 
brabit  iWi.  {Luc,  l,  35.)  Le  Saiiil-Espril, 
;ui  dedans  d'elle-m^me,  Josepii  au  doliors  ; 
le  SaiiU-Espril  la  protégeant  contre  les  dé- 
mons, Joseph  contre  les  hommes;  et  comme 
s'ils  avaient  eu  en  quelque  façon  bosdi-i  do 
la  coopération  l'un  de  l'autre,  le  Saint-Es- 
prit s'est  chargé  de  la  formation  de  Jésus- 
Chrisl,  et  Joseph  a  été  comme  substitué  en 
la  place  du  Saint-Esprit  pour  tout  ce  qui 
regardait  la  protection  extérieure  de  Marie, 
et  peut-être  sont-co  là  ces  deux  cachets  ei 
ces  deux  sceaux  qu'on  veut  donner  à  notre 
sainte  épouse  dans  le  Cantique  :  Pone  me 
nt  signanilum  super  cor  luum  :  «  Mettez-moi 
com>ne  un  cachet  sur  votre  cœur  {Cant., 
VIll,  6)  ;  »  voilà  le  langage  du  Sainl-Es['ril  : 
Pone  me  ut  signaculum  super  brachium 
tuum  :  «  Mettez-moi  comme  un  cachet  sur 
votre  bras  {ibid.)  ;  »  voilà  le  partage  et  l'of- 
tice  de  Joseph.  Le  Sainl-Ksprit  est  comme 
le  cachet  du  cœur,  il  ferme  le  cœur  de 
Marie,  en  sorte  que  rien  de  profane  n'y 
puisse  entrer,  et  il  imprime  dans  le  sein  de 
Marie,  par  l'application  de  sa  vertu,  l'image 
vivante  et  la  tigure  substantielle  de  la  Di- 
vinité. Mais  Joseph  est  comme  le  cachet  du 
bras;  il  scelle,  pour  ainsi  dire,  le  mystère 
de  l'incarnation  du  sceau  de  son  mariage,  et 
le  Verbe  incarné,  qui  en  est  le  fruit,  porte 
tellement  le  caractère  de  Fils  de  Joseph  que 
tous  ceux  qui  le  voient  se  demandent  1rs 
uns  aux  autres  :  N'est-ce  pas  le  fils  de  Jo- 
seph :  «  Nonne  hic  est  filius  fubri?  »  {Mat th., 
XIII,  53.) 

I?e  tout  ceci,  mes  chers  auditeurs,  tâchez 
de  vous  en  former  quelque  idée  conforme  à 
la  grandeur  et  à  la  sainteté  de  Joseph,  et 
surtout  souvenez-vous  de  ce  beau  principe 
de  .'>aint  Thomas,  que  quand  Dieu  destine 
les  hommes  à  quelque  emploi,  il  ne  man- 
que jamais  Je  leur  donner  les  grâces  qui  y 
sont  proportionnées,  et  dont  ils  ont  besoin 
pour  s'en  acquitter  dignement.  D'où  il  s'en 
suit  que  le  Seigneur  ayant  destiné  Joseph 
à  des  emplois  si  sublimes  et  si  glorieux,  il 
n'a  pas  manqué  de  verser  en  lui  toiile  la 
plénitude  de  ses  bénédictions  et  de  ses  di- 
vines faveurs.  Mais  ce  que  Jose[ih  a  fait  Je 
son  côié  a  été  de  soutenir  l'excellence  de 
celle  vocation  |)ar  une  grande  fidélité,  d'en 
remplir  exactement  les  devoirs,  d'en  con- 
server la  grâce  et  de  l'augmenter  inces- 
samment par  le  bon  usage  qu'il  en  savait 
faire. 

Et  c'est  ici,  par  conséquent,  oiî  je  peux 
dire  à  tous  les  cliréliens,  ajirès  l'apùtre  saint 
Paul  :  Videte  vocalionem  vestram.  {ICor.,  I, 
26.)  Voyez,  examinez  et  ap[irofondissez  vo- 
ire vocation;  Joseph  a  été  établi  dans  la 
famille  de  Jésus-Christ  pour  y  faire  les  fonc- 
tions auxquelles  le  ciel  l'avait  destiné,  et 
nous,  mes  frères,  dès  lors  que  nous  sommes 
cliréliens  n'avons-nous  pas  été  établis  dans  la 
maison  de  Jésus-Chrisl,  qui  est  son  Eglise, 
jiour  y  remplir  les  devoirs  auxquels  la  re- 
ligion nous  eng.ige?Gensdu  monde,  nevous 
y  troiiq.ez  pas,  do  quelque  distinction  que 


vous  vous  flaltioz,  à  quelques  ditTéren- 
tos  occupations  que  votre  propre  choix  ou 
une  élection  honorable  vous  ait  attachés, 
votre  première  et  voire  principale  qualité 
c'est  d  (Hie  chrétiens, et  si  cette  qualité,,  qui 
vous  est  commune  avec  tous  les  lidèles, 
autorise  ou  souffre  quelque  variété  en  vous, 
c'est  pour  vous  imposer  des  obligations 
|>liis  petites,  plus  bornées  ou  plus  étendues, 
suivant  la  diversité  des  places  (pie  vous 
remplissez  ou  des  |)Ostes  que  vous  occupez. 
Tels  sont  les  desseins  et  les  intentions  de 
la  Providence,  et  j'ose  dire  qu'il  n'aurait 
pas  élé  en  son  pouvoir  d'en  disposer  autre- 
ment, puisque  suivant  les  règles  d'une  loi 
éternelle  el  inviolable,  la  nature  n'ayant  été 
formée  que  pour  la  grâce,  tout  ce  qui  est 
temporel  ne  doit  jamais  ôlre  (ju'un  moyen 
pour  tendre  et  pour  arriver  à  ce  qui  est  spi- 
rituel, et  que  suivant  celte  belle  suiiordina- 
tion  que  rA()ôtre  à  si  noblement  exprimée, 
toutes  les  créatures  étant  pour  l'homme, 
l'homme  ne  saurait  être  que  fioiir  Jésus- 
Chrisl,  comme  Jésus-Christ  ne  saurait  être 
que  pour  le  Seignour.  Cupendaiil,  chacun 
pense  à  ce  qu'il  doit  faire  pour  le  mouvie, 
el  jiersonno  ne  pense  à  ce  qu'il  doit  faiie 
pour  la  religion.  Les  grands  songent  à  être 
grands,  mais  songent-ils  à  être  humbles,  et 
c'est  pourtant  dans  celte  profession  d'hu- 
milité que  consiste  la  vraie  figure  qu'ils 
sont  obligés  de  faire  dans  l'Eglise,  au  Fils 
de  Dieu  ?  Les  riches  travaillent  toujours  à 
être  riches;  mais,  hélas  !  ils  ne  pensent  |  oint 
que  si  le  Seigneuries  a  fails  riches, c'est  pour 
distribuer  ces  biens  périssables,  el  non  pas 
pour  les  retenir,  pour  en  faire  part  aux  pau- 
vres (]ui  sont  les  membres  du  corps  mysti- 
que de  Jésus-Christ  et  non  pas  pour  en  faire 
des  amas  inutiles  et  superflus.  Ceux  mêmes 
que  la  sainteté  de  leur  niinistèVe  aitacho 
jiar  un  devoir  plus  spécial  aux  intérêts  do 
la  religion,  oublient  quelquefois  l'Eglise 
dans  l'église  même  :  uniquement  occupés  h 
chercher  dans  la  maison  du  Fils  de  Dieu 
celle  gloire  profane  ou  celte  utilité  sordide 
que  les  gens  du  siècle  vont  chercher  sur 
les  Ihéâlres  de  la  vanité  ou  dans  les  lieux 
destinés  au  trafic  et  à  l'avarice.  Enfin,  mes 
frères,  on  le  peut  dire  avec  le  [)r0[)liète,  que 
firesque  lous  se  sont  égarés  de  leur  voie  : 
ce  dérèglement  général  introduit  insensi- 
blement dans  la  sainte  Jérusalem  toute  la 
confusion  de  Babylone  el,  jior  un  renverse- 
ment déplorable,  tous  ces  rangs  el  tous  ces 
emplois  divers  qui  parlageul  les  fidèles 
d'aujourd'hui,  au  lieu  d'une  difrérence  de 
vertus  ne  se  trouvent  bien  souvent  luarqués 
que  par  une  différence  de  crimes  plus  énoi- 
mes  ou  plus  légers,  plus  rares  ou  plus  fré- 
quents, plus  secrets  ou  plus  scandaleux, 
suirant  la  diversité  des  états,  des  occasions 
et  des  bienséances.  Quel  remède  à  do  si  ef- 
froyables abus  ?  Videte  vocalionem  vestram  ; 
souffrez,  mes  chers  audileurs,  que  je  vous 
ramène  aux  princi|)es  de  votre  vocation. 
Vous  avez  élé  appelés  au  christianisme, 
soyez  donc  ce  qu'il  vous  plaira,  mais  com- 
mencez toujours  par  être  chrétiens.  Il  est 


K8" 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


S84 


vrai  que  la  vorlu,  h  laquelle  celte  qualité 
vous  oblige,  doit  être  diiïérenle,  etj'ajoule 
même  qu'elle  doit  ôlre  inégale.  Ah!  quela 
qualité  d'époux  de  Marie  imposait  h  Joso[)h 
de  grandes  et  de  singulières  obligations. 
Tel  degré  de  pureté  qui  eût  été  sudisaut 
dans  un  autre  éiat  eût-il  été  suffisant  pour 
celui-là?  Telle  ferveur  qui,  partout  ailleurs, 
aurait  fait  des  saints  ii'aurait-elle  pas  fat 
de  Joseph  un  homme  tiède  et  im[)arfail? 
Telle  vertu  qui  serait  héroïque  pour  nous 
n'aurail-elle  pas  été  une  espèce  de  préva- 
rication pour  lui.  Appliquons-nous  ceci, 
mes  frères,  et  ne  croyons  pas  qu'on  doive 
mettre  sur  un  autre  pied  la  vertu  de  tous 
les  cliréliens  qui  sont  dans  l'Eglise.  La  sain- 
teté d'un  ministre  des  autels  doit  être,  sans 
doute,  bien  autre  que  celle  d'un  homme 
profane;  la  sainteté  d'une  é[)Ouse  de  Jésus- 
Christ  doit  être  bien  plus  entière  et  plus 
parfaite  que  celle  d'une  personne  du  mon- 
de. Le  zèle  du  salut  des  Ames  qui  peut  suf- 
fire à  un  chrétien  ne  suffira  pas  à  un  pas- 
leur.  Combien  de  gens  se  damnent  dans 
l'état  qu'ils  ont  embrassé,  qui  peut-être  au- 
raient eu  assez  de  vertu  pourse  sauverdans 
un  autre?  Cet  homme  qui  gouverne  mal 
aurait  de  la  disposition  à  bien  obéir,  cet 
autre  qui  est  superbe  dans  l'abondance  se- 
rait humble  dans  la  paurrelé  ;  et,  cependant, 
mes  frères,  Dieu  vous  jugera,  non  pas  sur 
ce  que  vous  feriez,  mais  ()lulôt  sur  ce  que 
vous  faites,  et  il  condamnera  jusqu'à  la  vertu 
que  vous  avez  par  celle  que  vous  n'avez 
pas  et  que  votre  état  vous  oblige,  néan- 
moins, d  avoir. 

Je  vous  le  répèle  encore  une  fois  :  Vi- 
dete  vocalionem  vestram.  Chrétiens  qui 
voulez  faire  votre  salut  ,  étudiez  votre 
vocation,  examinez-en  les  règles,  suivez-en 
les  principes,  aimez-en  les  obligations  et 
les  conséquences.  Je  dis  que  vous  en  aimiez 
les  obligations,  car  souvent  vous  prenez  le 
change;  non,  personne  ne  veut  êlre  ce  qu'il 
est,  chacun  veut  êlre  ce  qu'il  n'est  pas,  et 
quand  môme  vous  êtes  bien  résolus  à  quit- 
ter le  péché,  l'on  vous  voit,  le  plus  souvent, 
courir  à  quelque  vertu  déplacée  et  qui  n'est 
point  la  vertu  de  votre  élat.  Une  femme 
voudra  faire  l'oraison  lorsqu'il  est  question 
de  songer  à  des  affaires  essentielles  et  do- 
mestiques. Un  homme  qui  se  doit  au  pu- 
blic voudra  imiter  la  relrailed'un  solitaire  ; 
un  solitaire  voudra  porter  dans  le  monde 
un  zèle  scandaleux  et  mal  réglé.  Ah!  mes 
chers  auditeurs,  travaillez  à  faire  votre  de- 
voir et  ne  travaillez  point  à  faire  celui  des  au- 
tres, faites  comme  ces  animaux  mystérieux 
du  charriot  d'Ezéchiel,  dont  il  est  dit  que 
chacun  suivait  sa  roule,  que  chacun  mar- 
chait devant  soi  :  llnumquodque  coram  facie 
sua  ambulabat.  (Ezech.,  1, 12.)  Ou  pour  nous 
<ionnerun  plus  excellent  modèle,  jetez  les 
yeux  sur  notre  Siiinl,  vous  avez  vu  comme 
il  s'est  acquitté  de  ce  qu'il  devait  à  Marie. 
Vous  allez  voir  comme  il  s'acquille  de  ce 
qu'il  doii  à  Jésus,  c'est  la  deuxième  partie 
de  mon  discours. 


DEUXIÈME  POINT. 


Deux  choses  font  le  mérite  et  la  grandeur 
de  Joseph  considéré  par  rapport  au  Fils  de 
de  Dieu:  l'autorité  qu'il  a  sur  Jésus-Chrisl 
et  l'amour  qu'il  a  pour  Jésus-Christ  ;  l'auto- 
rité qu'il  a  sur  Jésus-Chrisl,  voilà  la  gran- 
deur de  Joseph;  l'amour  qu'il  3  pour  Jésus- 
Christ  ,  voilà  la  sainielé  et  le  mérile  de 
Joseph.  Le  Père  éternel  lui  donne  cette 
autorité,  et  le  Saint-Esprit  lui  donne  cet 
amour.  Le  Père  Eternel  qui  a  produit  son 
Verbe  dans  l'éternité,  fournit  à  Jose[)h  le 
titre  de  père;  le  Saint-Esprit  qui  l'a  formé 
dans  le  temps,  donne  à  Joseph  un  cœur  de 
père;  ce  sont,  mes  frères  ,  les  deux  belles 
liaisons  qui  attachent  Joseph  à  cet  Homme- 
Dieu  que  le  ciel  lui  ordonne  de  regarder  et 
de  traiter  comme  son  fils. 

C'est  du  Père  éternel,  dit  l'apôtre,  que 
provient  toute  paternité  :  Ex  quo  omnis 
palernitas  [Ephes.,  1!I  ,  15)  ;  aussi ,  est-ce 
dans  le  Père  éternel  que  je  vais  chercher 
d  abord  la  paternité  de  Joseph.  Joseph  est 
stérile  parce  qu'il  est  vierge;  Joseph  a  re- 
noncé au  désir  de  la  postérité  qu'il  aurait  pu 
laisser  après  lui;  mais  par  quels  principes 3- 
a-t-il  renoncé?  Par  un  principe  de  religion  et 
de  respect;  par  le  respect  qu  ila  pour  son  Dieu, 
par  le  respect  qu'il  a  pour  Marie,  et  c'est 
pourcelaquelePèreéternel,  pour  récompen- 
ser cette  stérilité  volontaire  de  Jose{»h,  lui 
donne  son  fils  pour  le  sien  :  Accipepuerum  et 
malrem  ejus :  «  Joseph,  lui  dit-il,  prenez  le  fils 
et  lamère{Mallh.,lK.,1i3),  «la  mère  est  votre 
épouse,  il  faut  encore  que  le  fils  soit  votre 
enfant.  Mais,  mes  frères,  ce  qu'il  y  a  déplus 
singulier,  c'est  l'autorité  que  le  Père  éter- 
nel donne  à  Joseph  sur  son  Verbe,  autorité 
que  le  Père  éternel  n'avait  pas  avant  le 
mystère  de  l'incarnation.  Pour  entendre 
ceci,  il  n'y  a  qu'à  remarquer  que  les  pères 
ont  régulièrement  deux  qualités  à  l'égard 
de  leurs  enfants  :  de  la  fécondité  pour 
les  produire  et  de  l'autorité  pour  les  gou- 
verner. Dans  l'élernité  bienheureuse,  Ij 
Père  a  la  fécondité  nécessaire  pour  pro- 
duire son  Verbe,  mais  il  n'a  point  d'auto- 
rité sur  lui,  puisque  le  Fils  est  égal  au  Père: 
Non  rapinam  arbitrnliis  est  esse  se  œqualein 
Deo.  {Philip.,  11,  6).  Mais  dans  la  plénitude 
des  temps  on  voit  le  contraire  en  la  per- 
sonne de  Joseph;  car  Joseph  gouverne  le 
Verbe  de  Dieu,  mais  il  ne  le  produit  pas. 
L'on  trouve  donc  dans  le  Père  éternel  à 
l'égard  du  Verbe  incarné,  une  génération 
sans  autorité,  et  l'on  trouve  dans  Joseph  à 
l'égard  du  Verbe  incarné,  une  autorité  sans 
génération.  C'est  ainsi.  Père  adorable,  quo 
vous  en  usez  quelquefois  avec  vos  créatures; 
du  fond  de  leur  néant  vous  les  faites  arri- 
ver jusqu'à  vous  et  parut)  piodige  depuis- 
sauce  et  de  bonté,  vous  ne  dédaignez  point 
d'employer  toute  la  force  de  voire  braj! 
pour  élever  les  enlunts  des  hommes  jusqu'au 
trône  et  jusqu'à  la  participation  cJe  votre 
grandeur:  Secundum  altitudinem  tuamuul- 
liplicasti  (ou  comme  porte  une  autre  ver- 
sion :  elevasli)  filios  hominum.  {Psal.  XI,  9.) 


68  > 


SERMONS.  —  SER.M.  IX,  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  JOSEPH. 


rM 


Après  cela,  mes  frères,  pourrait-on  douter 
de  1a  graïuienr  de  Josepli?  Admirez  une  si 
belle  silnalion;  placé  entre  le  Père  Eternel 
et  Jésus,  il  représente  la  personne  de  ce 
Père,  il  commande  avec  autorité  à  ce  Fils. 
Quelle  excellencepour  Joseftli  qui  comman- 
de, quelle  nouvella  espèce  d'humilité  pour 
Jésus  qui  obéit!  Ah!  je  vous  disais  tantôt 
que  la  grandeur  de  Joseph  se  devait  tirer 
de  la  grandeur  de  Jésus-Christ  ;  je  me  suis 
•  rompe,  ce  n'est  point  de  la  grandeur  de 
Jésus-Christ,  c'est  de  son  abaissement,  c'est 
de  riiumilialion  de  ce  Dieu  qu'il  iaut  pren- 
dre rélévaliou  de  cet  homme;  et  voilà,  mes 
frères,  ce  qui  met  Joseph  infiiiimeiU  au- 
dessus  de  tous  les  hommes,  de  tous  lesjus- 
tes  ,  de  tous  les  saints,  puisque  Jésus- 
Christ  s'étant  abaissé  devant  Joseph,  il 
n'y  a  plus  de  grandeur,  je  ne  dis  pas  dans 
la  nature  ou  dans  la  fortune  ,  je  dis  dans  la 
grâce  ni  dans  la  gloire  qui  ne  rende  hom- 
mage à  la  sienne  ;  car  c'est  ici  où  nous 
pouvons  nous  servir  de  ce  beau  raisonne- 
ment de  saint  Paul  qui'  a  donné  lieu  aux 
paroles  de  mon  texte  :  Intuemini  quantus 
sit  hic,  dissit-il  aux  Hébreux  en  leur  par- 
lant de  Melchisédech  ,  dont  l'excellence  lui 
servait  à  prouver  rexcellence  de  Jésus- 
Christ  :  Considérez  quel  peut  être  ce  grand 
hom  m  e,  Cm  «  et  décimas  dédit  Abraham  palriar- 
cha  ;  auquel  le  patriarche  Abraham  paya 
des  dîmes  et  rendit  de  si  grands  honneurs. 
Car,  ajoute  saint  Paul,  si  Abraham  a  recon- 
nu la  dignité  et  l'autorité  de  ce  pontife,  esl- 
ce  aux  Israélites  à  la  contester,  eus  qui  se 
glorifient  d'être  les  enfants  d'Abraham  et 
qui  en  ce  temps-là,  étant  tous  encore 
tenlermés  dans  le  sang  de  ce  patriarche, 
sont  censés  avoir  rendu  avec  lui  les  raôn)es 
li'ommages  qu'il  a  rendus.  {Hebr.,V[l,  4-10;) 
J'en  dis  autant  de  Joseph  ;  anges  du 
ciel,  hommes  de  la  terre  ,  comprenez,  s'il 
vous  est  possible,  quelle  peut  être  l'éléva- 
tion de  ce  saint,  puisque  le  Verbe  incarné 
qui  est  l'Abraham  de  la  loi  nouvelle  et  le 
vrai  père  des  croyants  a  bien  voulu  lui 
être  soumis;  Eu  erai  subditus  illis  {Luc,  II, 
51);  car  enfin,  quand  Jésus  obéissait  à 
Joseph,  tous  les  saints  qui  ont  jamais  été 
et  qui  seront  à  jamais  ,  tant  de  vierges  et 
de  solitaires,  tant  de  confesseurs  et  de  mar- 
tyrs, tant  d'apôtres  et  de  docteurs,  tout  cela, 
(lis-je,  n'esi-il  pas  contenu  dans  le  sang 
<)u  Fils  de  Dieu  comme  dans  un  germe  fé- 
cond d'où  ils  ont  été  tirés?  Ce  sont  donc 
des  enfants  qui  ont  été  soumis  à  Joseph  par 
la  soumission  de  ce  Rédempteur  et  de  ce 
Père. 

Telle  est  l'autorité  que  le  Père  Eternel 
donne  à  Joseph  ,  mais  le  Saint-Esj)rit  y 
ajoute  de  l'amour  et  de  la  tendresse.  Mais 
pourquoi  ne  dirons-nous  pas  que  le  même 
kspriiqui,  de  Marie  vierge  en  a  fait  la  mère 
de  Jésus-Christ,  de  Joseph  vierge,  en  a  fait 
aussi  le  père  de  Jésus-Christ  quoique  d'une 
manière  bien  différente.  Oui,  mes  frères, 
cet  esprit  a<Jorable  opérait  tout  à  la  fois  et 
aans  le  sein  de  l'épouse  et  dans  le  cœur 
de  l'époux  ;  par  la  première  de  ces  opéra- 

ORiTKlKS  SACRÉS.     LWllI. 


lions,  il  était  porté  non  plus  sur  les  eaux 
comme  dans  la  création  du  monde,  mais  sur 
le  sang  de  Marie  pour  rn  faire  une  ciéalion 
nouvelle  et  pour  y  former  un  enfant  sans 
père,  'et  par  la  dernière  de  ces  opéralions, 
il  était  porté  sur  le  cœur  de  Joseph  qui  est 
une  source  d'amour  et  de  vie  pour  y  faire 
un  autre  prodige,  et  pour  y  former  un  père 
sans  enfant.  Ainsi  pour  faire  de  cette  épouse 
une  mère  de  Jésos-Clirisf,  il  fa'liil  qu'elle 
donnât  son  sang;  et  pour  faire  de  cet  épi)ux 
un  père  de  Jésus-Christ,  il  fallut  seulement 
qu'il  prêtât  son  consenlemonl  et  son  cœur. 
Que  dis-je?Ce  n'est  plus  le  cœur  de  Joseph, 
ce  divin  Esprit  lui  en  donne  un  autre. 

Dabo  vobis  cor  novuin;  n  Je  vous  donne- 
vcrai  un  cœur  nouveau,  »  disait  Dieu  à  son 
peuple  [)ar  la  bouche  de  son  prophète. 
(Ezech.,  XXXVI,  2G.)  V;)ilà  ce  que  le  Saint- 
Esprit  fait  à  Jose|)h  ,  il  lui  ôte  son  cœur  et 
lui  donne  un  cœur  de  père,  et  de  là  cet 
amour  si  tendre  que  Joseph  a  pour  Jésus, 
de  là  ces  soins  et  ces  empressemenis  de  ce 
père  pour  ce  fils;  de  là  cette  douleur  quand 
il  le  perdit,  et  celte  joie  quand  il  l'eût  re- 
trouvé dans  le  temple.  Faut-il  gagner  à  la 
sueur  de  son  front  de  quoi  faire  vivre  cet 
enfant?  Faut-il  abandonner  son  pays  et  courir 
dans  des  terres  étrangères  pour  l'enlever  à 
la  persécution  de  ses  ennemis  ,  Joseph  tra- 
vaille et  renonce  à  son  travail  ;  Jose[)h 
emporte  Jésus  dans  l'Egypte  et  le  ramène 
dans  la  Judée  ;  il  le  nourrit,  il  l'élève,  il  le 
défend;  préparé  à  tout,  ne  trouvant  jamais 
de  dillieulté  à  rien.  Enlin  il  est  destiné  pour 
avoirsoin  de  Jésus,  voilà,  en  un  seul  mot,  tout 
ce  qu'il  fait;  ou  s'il  fait  quelqu'autre  chose, 
il  ne  le  fait  que  pour  cela.  Amour  de  Joseph 
toujours  agissant  et  toujours  égal  comme 
un  feu  qu'on  ne  peut  trouver  sans  mouve- 
mept,  que  tu  me  parais  adînirable!  Kemai- 
quez  s'il  vous  plait,  mes  frères,  queJose[)ti 
dans  toute  la  suite  de  l'Evangile  ne  dit  pis 
un  mot  ;  que  les  anges  lui  viennent  faifL* 
des  commandements  de  la  part  de  Dieu,  il 
écoute  et  obéit  sur-le-champ,  mais  il  obéi*, 
sans  rien  dire;  et,  en  effet,  quand  il  est 
question  des  volontés  ou  des  intérêts  de  ce 
(|ue  Ton  aime,  la  réponse  n'est  pas  la  pa- 
role, ce  doit  être  l'action.  Hé  poun|uoi  Jo- 
seph parlerait-il  ?  il  n'est  élab!i  que  pour 
agir,  aussi  ne  voyons-nous  rien  de  lui  (jue 
son  action  et  son  silence,  et  voilà  ce  (jue 
j'appelle  un  amour  |)arfait. 

Belle  leçon  [)Our  tous  les  chrétiens,  et 
bien  conforme  à  ce  grand  avis  que  leur 
donne  l'apôtre  saint  Jean  :  FilioU,  non  dili- 
gainus  lingua  neque  verbo,  sed  opère  et  vcri- 
tute  :  Mas  enfants,  leur  dit  il,  que  notre 
aiuour  ne  soit  pas  seulement  dans  notre 
bouche  et  sur  nos  lèvres,  mais  s'il  est  vé- 
ritablement dans  nos  cœurs,  qu'il  (claie 
par  nos  actions  et  par  nos  œuvres  :  Scd 
opère  el  veritale.  (i  Joan.,  III,  18.) 

Nous  ne  somujes  pas  les  i)ères  d'un  Dieu 
conime  Joseph,  mais  nous  sommes  les  en- 
fants d'un  Dieu  par  le  privilège  d'une  filia- 
tion ou  la  chair  et  le  sang  n'ont  |)oiiii  (k; 
liait  non  jilu-  qu'a  la  jialeiinlé  de  cesaiiii: 


S87 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


Qui  non  ex  sanguinibiis  nequc  ex  voluntate 
carnis,  scd  ex  Deo  nati  snnl.  (Joan.,  1,  13  ) 
Le  Fils  l'avait  adoplé  pour  son  père  elle 
Pèrenous  a  adopl(^s  pour  ses  enfants,  on 
plutôt  ce  même  Père  et  ce  même  Esprit 
qui  ont  contribué  à  la  paternité  de  Jose|)h 
contribuent  aussi  à  noire  adoption,  car  c'est 
le  Père  Eternel  qui  nous  a  donné  le  litre 
d'enfants,  et  c'est  le  Saint-Esprit  qui  nous 
en  donne  l'esprit  etl'uaiour.  Voyez  quelle 
est  la  i)onlédu  Père  céleste,  dit  saintJean, 
(l'avoir  voulu  non-seulement  qu'on  nous 
appelle  enfants  de  Dieu,  mais  encore  que 
nous  le  so^'ons  en  effet  !  Videte  qualem  cha- 
rilalem  dedil  nobis  Paler,  lit  Fitii  Dei  no- 
minemur  et  simus.  (1  Joan.,  III,  1.)  L'amour 
de  Dieu,  dit  saint  Paul,  a  été  répandu  dans 
nos  coeurs  par  cet  Esprit-Saint  qui  nous  a 
été  donné,  et  qui  nous  met  en  droit  d'appeler 
Dieu  notre  Père  :  «  Charitus  Dei  diffusa  est 
in  cordibus  nostris  per  Spiritum  sanctum 
qui  datas  est  nobis  in  quo  clamamus:  Abba 
J'ater.  ■»  (Rom.,  Y,  6.)  El  \o'\\h,  mes  frères, 
en  deux  mois  l'essentiel  et  labrégé  du  chris- 
tianisme ;  être  enfants  de  Dieu  [lar  la  grâce, 
aimer  Dieu  comme  noire  Père  [lar  la  charité; 
voilà  toute  la  morale  de  l'Evangile  .  Voilà 
dit  incessamment  l'apôtre  saint  Paul  dans 
toutes  ses  épîlres  ,  voilà  ce  qui  nous  dis- 
lingue des  Juifs  qui  n'étant  que  sur  le  pied 
d'esclaves  dans  la  maison  du  Seigneur 
avaient  un  cœur  dur  pour  Dieu  et  don- 
naient leur  amour  aux  biens  et  aux  plaisirs 
de  la  terre. 

Mais  hélas  1  mes  chers  auditeurs,  quelles 
sont  vos  dispositions  sur  ce  sujet  1  Avez- 
vous  celte  qualité  d'enfants  ?  En  avez-vous 
l'esprit  et  l'amour?  Je  vous  demande  .^i 
vous  avez  la  qualité  d'enfants,  car  il  j  a 
telle  ditlereuce  entre  la  nature  et  la  grâce 
que  dans  l'ordre  de  la  nature,  un  fils  qui 
esl  désobéissant  et  révolté  ne  cesse  pour- 
tant pas  d'ôlre  tils,  parce  que  celle  qualité 
est  fondée  sur  la  nature  môme,  et  que  la 
nature  demeure  en  lui,  malgré  ses  révoltes 
et  ses  désobéissances.  Mais  les  chrétiens 
n'étant  enfants  de  Dieu  que  par  la  grâce,  (il 
la  glace  étant  incompatible  avec  le  péciié; 
ils  cessent,  par  conséquent,  d'ôlre  enfants 
au  moment  qu'ils  commencent  à  être  pé- 
cheurs. Aii  1  mes  frères,  si  pur  un  événe- 
ment que  la  grâce  du  Seigneur  et  la  tidélité 
de  Joseph  rendaient  impossible,  si  Juseph, 
dis-je,  avait  renoncé  a  la  qualité  de  père  de 
Jésus-Christ, s'ill'avait  méprisée,  s'il  avait 
négligé  les  soins  et  les  devoirs  qui  y  étaient 
attachés,  et  qu'abaiiduniiant  la  sainte  fa- 
mille dont  il  était  le  chef,  il  eût  osé  cher- 
cher ailleurs  des  occupations  el  des  amuse- 
moTàts  inutiles.  Alil  la  seule  [tensée  de  ce 
<iésordre  vous  l'ait  iiurieur,  bien  qu'il  ne 
vous  paraisse  pas,  sans  doute,  aussi  grand  et 
aussi  etl'royabie  qu'il  aurait  été  dans  co 
saint.  Mais  ce  même  dérèglement  est  en 
vous  tel  que  celle  sui>posilion  vous  le  fait 
paraître  en  lui  :  Car  enhn,  le  Seigneur  vous 
avait  adoptés  [lour  ses  enfants,  el  qu'avez- 
vous  fait  de  celle  adoption?  Vous  y  renoncez 
|)vur  rien,  un  plaisir,  un  honneur,  un   vil 


intérôt,  c'est  tout  ce  qui  vous  lient  lieu 
d'une  qualité  si  sublime  et  si  glorieuse,  et 
après  l'avoir  perdue  vous  passez  les  années 
entièrps,  sans  vous  mettre  en  devoir  ni  mô- 
meen  peinede  la  recouvrer.  Semblables  à  cet 
insensédont  parle  l'Ecriture  qui, ayant  enga- 
gé sa  primogéniture  à  si  vil  prix  n'en  était  pas 
pour  cela  plus  affligé:  Abiit  parvipendcns 
quod  primogenita  vendidissel.  (Gen.,  XXV, 
3k.)  Mais  en  cela  bien  [)lus  insensés  que  lui, 
parce  qu'on  prétend  qu'on  peut  mépriser 
les  biens  de  la  terre  sans  un  grand  aveugi  - 
ment,  et  qu'on  ne  peut  pas  sans  une  espèce 
de  fureur  estimer  les  biens  de  l'éternité  parla 
foi,  y  avoirdroit  par  la  grâce,  et  y  renoncer 
pour  des  choses  dont  la  raison  seule  et  l'ex- 
périence ne  manquent  f)oint  au  moins  par 
intervalles,  à  nous  faire  sentir  la  vanité  et 
le  néant.  Cet  aveuglement,  chrétiens,  nous 
empêche  de  plaindre  noire  infortune, 
mais  il  n'empêche  pas  le  Seigneur  do  se 
plaindre  de  nos  outrages  :  Ciel  écoule,  terre 
prends  des  oreilles  pour  entendre,  car  c'est 
ainsi  qu'il  s'explique  ()ar  la  bouche  de  son 
prophète.  Et  que  va-l-il  dire  après  avoir 
ainsi  rendu  tout  l'univers  attentif  ?  Fj'/ios 
exaltavi  et  enulrivi,  ipsiautem  spreverunl  me  : 
Je  m'étais  formédesenfanls  du  fond  de  leur 
néant  et  de  leur  i)Oussière,  je  les  avail  éle- 
vésjusqu'à  une  si  noble  alliance;  je  les 
avais  enrichis  de  mes  grâces,  comblés  de 
mes  faveurs,  nourris  d'unalimenl  tout  divin 
et  tout  céleste,  et  après  cela  qu'en  esl-il 
arrivé?  I psi  autem  spreverunl  me  :  Ils  se  sont 
révoltés  contre  moi,  ils  me  négligent  et  me 
méprisent.  (Isa.,  I,  2.j 

Que  si  vous  avez  la  qualité  d'enfants  de 
Dieu,  en  avez-vous  l'esprit  et  l'amour?  Est- 
ce  cet  esfirit  qui  vous  anime  ?  Kst-ce  cet 
amour  qui  vous  possède? Car  ne  nous  Hât- 
ions pas,  meschersauditeurs;  l'on  n'estchré- 
tien  qu'autanl  que  l'on  est  enfant  de  Dieu 
et  l'on  n'est  enlant  de  Dieu,  dit  l'Apôtre  , 
qu'autant  qu'on  est  animé  de  son  esprit: 
Qui  spirilu  Dei  aguntur,  ii  sunt  filii  Dei. 
[Rom.,  VllI,  14.) 

Et  que  dirons-nous  donc  d'une  infinité 
de  chrétiens  qui  à  peine  ont  jamais  ressenti 
les  effets,  ni  les  impressions  de  cet  amour; 
qui,  au  lieu  d'obéir  à  Dieu  avec  une  ten- 
dresse d'enfants,  murmurent  contre  ses 
commandements  comme  des  esclaves;  qui 
bien  loin  de  se  laisser  conduire  par  l'esprit 
de  Dieu  n'ont  d'autre  règle  qu'une  pruden- 
ce de  chair  et  une  sagesse  criminelle  el  cor- 
rompue dont  le  christianisme  n'a  jamais 
été  jusqu'au  cœur,  ne  consistant  que  dans 
quelques  actions  extérieures  qu'ils  s'urru- 
chenl  de  temps  en  temps,  et  qu'ils  donnent 
à  la  bienséance  ou  quelquefois  à  l'hypocri- 
sie, qui  font  des  biens  de  la  terre  -eur  capi- 
tal, et  qui  regardent  ceux  de  l'autre  vie 
tout  au  plus  comme  un  accessoire  ;  qui,  bien 
loin  de  souffrir  ou  d'agir  pour  Dieu  ne 
trouvent  que  du  chagrina  en  entendre  par- 
ler ;  en  un  mot,  qui  au  lieu  de  recoimaître  l'a- 
mour divin  comme  un  souverain  bien  cher- 
chent à  l'éviter,  comme  un  ennemi;  deman- 
dent même  s'il  est  de  conseil  ou  de  pré- 


S89  SERMONS.  —  SERM.  l\.  POUR 

cepio,  comme  un  enfant  qui  liispiilerait  de 
l'obligalioii  li'airaer  son  père.  Que  dirons- 
nous,  dis-je,  de  ces  sortes  de  gens  ou  qu'en 
pourrions-nous  dire  autre  chose,  sinon  que 
re  sont  des  fantômrs  de  ciiréliens  qui  en 
ont  l'.ipparence  sans  en  avoir  la  réalité  ;  des 
statues  qui  en  ont  le  dehors  sans  en  avoir 
le  dedans  ;  des  ca  davres  qui  en  ont  le  corps 
sans  en  avoir  l'âme;  ou,  si  vous  voulez,  des 
monstres  composés  (ie  plusieurs  espèces, 
qui  ont  le  cœur  du  Juif  avec  le  corps  du 
chrétien,  l'esprit  de  l'esclave  avec  la  qualité 
de  l'enfant,  qui  ont  touie  la  disposition  de 
la  loi  et  qui  n'ont  que  les  cérémonies  de  la 
grâce.  Mes  frères,  voulons-nous  être  chré- 
tiens? Il  faut  aimer  le  Seigneur  et  l'aimer 
d'un  amour  d'enfants  comme  Joseph  l'a 
aimé  d'un  amour  de  père  ;  agir  comme  Jo- 
seph, obéir  comme  Joseph,  servirDieu  sans 
réi)ugnance  et  sans  interruption  comme 
Joseph;  car  c'est  ce  qui  a  fait  le  mérite  de 
cfi  saini,  el  c'est  aussi  ce  qui  doit  faire  le 
nôtre.  Continuons   et  achevons  son  éloge. 

TROISIÈME    POlSr. 

II  me  reste  encore  à  vous  faire  voir  les  lia'- 
sons  de  Joseph  avec  toutes  les  personnes 
divines,  et  peut-être  que  les  deux  premières 
parties  de  ce  discours  nous  auront  déjà  con- 
vaincus par  avance  de  celles-ci.  Rassem- 
blons donc  tout  ce  que  nous  avons  dit  jus- 
qu'à présent,  et  nous  imaginons  que  les  per- 
sonnes divines  redisent  en  faveur  de  Joseph, 
ce  qu'elles  dirent  autrefois  pour  la  for- 
mation du  premier  homme  :  Faciamus  ho- 
minem  ad  imaginem  el  similitudinem  noslram. 
(Gen.,1,26.) 

Lorsque  Dieu  eut  fait  le  ciel  et  la  terre, 
les  personnes  divines  tinrent  comme  un 
conseil  particulier  pour  la  formation  de 
riiomme  :  Faisons  l'homme,  se  dirent-elles, 
à  noire  image  et  ressemblance.  Ce  n'est  f)as 
que  Dieu  n'eut  laissé  quelque  vesli!;^e  de 
ses  perfections  et  quelijue  image  de  ce  qu'il 
est  dans  les  différentes  créatures  qui  étaient 
sorties  de  ses  mains.  Le  soleil  et  les  astres 
pariaient  de  ses  lumières  iiiactessibles. 
L'océan,  le  vas'e  océan  repiésLMitait  son 
iiiirnensilé,  la  tene  figurait  la  s  abilité  de 
son  être,  incapable  de  tout  cluin^emenl.  La 
succession  [urpétueile  des  lenips  marquait 
l'éternité  de  sa  durée,  el  l'univers  erili:  r 
était  comme  un  léger  crayon  de  sa  divine 
honié.  Le  premier  homme  fut  créé  è  )  i- 
muge  de  Dieu,  parce  que  Dieu  lui  c(jii)- 
niunicpia  ceilaines  perfections  de  réserve 
dont  les  autres  créatures  étaient  privées.  Le 
Seigneur  est  immortel,  tous  ces  êtres  natu- 
rels sont  passagers  et  périssables;  il  donna 
son  immortalité  à  l'homme.  L';  Seigneur  est 
libre,  il  est  la  raison  primitive  et  essen- 
tielle, tous  ces  êtres  ne  sont  ni  libres  ni 
raisonnables;  il  donna  à  l'honmie  la  li- 
berté el  une  portion  de  sa  raison.  Le  Sei- 
gneur est  saint,  toutes  ces  créatures  ne  sont 
pas  capables  de  l'être;  il  lit  oart  de  celle 
sainteté  à  l'homme. 

Or,  nous  f)Ourrions  dire  que  les  per- 
sonnes adorables  qui  sont  en  Dieu,  firent 


LA  FETE  DE  SAINT  JOSEPlV  ^01 

quelque  chose  ue  pareil  ers  f.iveuf  d<»  l'in- 
compar-ablc  Joseph,  le<;  traitant  5  l'éganl  d» 
tous  les  hommes,  comme  elles  avaient 
traité  le  premier  homme,  à  l'égard  de  tons 
les  êtres.  Le  Sei^;neur  formant  le  monde  île 
la  grâce,  a  distribué  diverses  perfections  aux 
justes  el  aux  saints  qui  sont  comme  les 
jiarties  raisonnables  qui  le  composent.  A 
tous,  il  leur  a  don  né  la  sa  in  télé,  qui  est  connue 
le  [»remier  degré  de  l'être  surnaturel  ;  mais 
outre  celte  sainteté,  il  a  donné  la  sagesse 
aux  uns,  comme  aux  profihèles  cl  aux  doc- 
leurs,  sa  force  aux  autres  comme  aux  apô- 
tres et  aux  martyrs,  sa  pureté  aux  vierges, 
sa  puissance  à  tous  ceux  qui  se  sont  rendus 
célèbres  par  leurs  miracles  ,  mais  il  tail 
quelque  cliose  de  plus  pour  Joseph,  il  lui 
communiciua  certaines  perfections  de  réser- 
ve, qui  non-seulement  sont  particulièi-es  à 
la  Divinité,  mais  qui  même  sont  particulières 
à  chacune  des  personnes  qui  sont  en  Dieu. 

Joseph  est  à  l'image  des  trois  personnes, 
parce  qu'elles  lui  communiquent  non-seule- 
raenl  les  perfections  qui  sont  particulières 
à  la  Divinité,  mais  encore  certaines  pré- 
rogatives qui  lui  sont  personnelles;  cha- 
cune de  ces  trois  personnes  lui  confère  ce 
qu'elle  a  de  plus  personnel  ou  de  plus  cher. 
Le  Père  céleste  a-t-il  quel(|ue  chose  de  plus 
personnel  que  sa  divine  paternité,  il  en  (it 
part  à  Joseph,  autant  que  Joseph  en  est  ca- 
pable. Le  Verbe  divin  a-t-il  rien  qui  le  dis- 
lingue davantage,  du  moins,  à  l'égard  des 
hommes,  que  celte  humanité,  de  laquelle  il 
est  révolu;  il  soumet  celte  humanité  à  la 
conduite  de  Joseph?  Le  Saint-Esprit  a-t-il  ja- 
mais eu  avec  les  créatures  une  liaison  ()ln.s 
sainte,  que  celle  qui  l'altache  en  qualité 
d'époux  à  la  divine  Marie?  Quod  enim  in  en 
nalumesl  deSpiritu  sancto  est.  (Mallli.,!, '•20.) 
il  confie  celte  épouse  s)  la  fidélilé  de  Joseph, 
si  bien,  mes  frères,  que  Joseph  n'esl  sur  la 
terre  el  dans  la  famille  de  Jé^us-Christ  que 
pour  y  représenter  ces  trois  personnes  ado- 
rables :  Faciamus  hominem  ad  imaginem  et 
shnililudinem  noslram.  il  est  l'image  du 
Pèie,  parce  qu'il  est  père  comme  lui;  il  e>t 
l'image  du  Fils,  parce  qu'il  esl  le  chef  de  sa 
famille  au  lieu  de  lui;  il  esl  l'image  du 
Saint-Esprit,  parce  qu'il  est  époux  de  Marie 
avec  lui;  il  exerce  sur  le  Fils  de  Dieu  la 
même  autorité  qu'aurait  le  Père  Eternel,  s'il 
avait  un  corps;  il  gouverne  la  Jaunile  de 
Jésus-Christ, comme  Jésus-Christ  la  gouver'- 
nerail  lui-même,  s'il  était  dans  un  âge  plus 
avancé;  il  rend  à  Marie  les  mêmes  oliices 
que  lui  rendrait  rEs|)ril-Saint,  s'il  |)araissait 
visiblement  à  ses  yeux. 

Mais  parmi  toutes  ces  liaisons  de  gran- 
deur que  Josepti  a  avec  toutes  les  personnes 
divines,  n'oublions  pas  deux  ressemblan- 
ces particulières  qu'il  a  encore  avec  leVerbo 
fait  chair,  et  qui  seront  plus  uliles  pour 
l'édiQcalion  de  nos  âmes.  Je  veux  dire  celte 
liaison  d'humilité  el  celle  conformité  d'hu- 
miliation qui  l'attachent  el  qui  le  font  res- 
semblera Jésus-Christ.  Non,  mes  frères, 
rien  n'est  plus  grand  que  Joseph,  mais  rien 
n'est  en  même  temps,  ni   plus  humble,  ni 


fifll 


ORAILLUS  SACRES.  DE  AlOiNMOHEI.. 


S'j'i 


plus  luiiuilié  que  Josepli.  Rien  n'est  plus 
humble,  et  pendant  qu'il  commande  à  un 
Dieu,  vous  le  vo^ez  dans  l'Evongile,  obéir 
à  des  anges  avec  une  soumission  et  une 
promptitude  qui  surprend.  Rien  n'est  plus 
humble,  et  peul-ôlre  est-il  le  saint  le  plus 
caché  et  le  plus  inconnu  de  lous  ceux  qui 
ont  été  connus.  Il  ne  veut  vivre  que  pour 
Dieu  seul  et  dans  lo  secret  de  son  cœur. 
Le  monde  est  è  l'égard  de  Joseph,  et  Joseph 
à  l'égard  du  monde  comme  s'ils  n'étaient 
point  tous  deux.  Rien  n'est  plus  iiurable, 
car  Josei)h  a  toujours  Jésus-Christ  devant 
les  yeux,  et  c'est  ce  qui  ciilrelient  en  lui  la 
pensée  do  son  indignité  et  de  son  néant,  La 
grandeur  enfle  quand  on  la  regarde  par 
rapport  aux  homujes,  mais  la  grandi-ur  hu- 
milie quand  on  la  regarde  par  rapfiorl  à 
Dieu. 

J'ajoute,  mes  chers  auditeurs,  que  rien 
n'est  plus  humilié;  car  n'est-ce  pas  une 
grande  humiliation  pour  ce  saint,  quoique 
ies  anges  le  trailent  encore  de  fils  de  David, 
que  les  hommes  ne  le  regardent  plus  que 
conarae  un  malheureux  artisan,  réduit  à  l'é- 
tat d'une  pauvreté  honteuse?  Humilité  de 
mon  Sauveur,  vous  êtes  la  source  de  la 
grandeur  de  Joseph,  mais  vous  ôles  en  mê- 
me ttmps  la  source  de  toutes  les  humilia- 
lions  de  Joseph.  Remarquez,  s'il  vous  plaît, 
que  quand  Dieu  (it  à  David  la  promesse  de 
)  incarnation  de  son  Fils,  David  était  un 
prince  assis  sur  son  trône  dans  l'éclat  et 
dans  la  magnificence;  mais  à  mesure  que  le 
temps  de  l'accomplissement  de  celle  pro- 
messe vint  à  s'approcher,  la  famille  de  Da- 
vid tomba  insensiblement  en  décadence, 
c'est-à-dire  que  la  grandeur  du  siècle  des- 
cendait comme  par  degré  pour  venir  rendre 
houimage  à  l'humililé  d'un  Dieu.  Voilà  le 
principe  des  humiliations  de  Joseph,  voilà 
Ja  cause  de  sa  pauvreté,  de  sa  mortification 
et  de  ses  peines. 

N'avez-vous  pas  fait  réflexion,  mes  frères, 
que  tout  ce  qui  apf^rochait  de  la  personne 
adorable  de  Jésus-Christ  pendant  qu'il  était 
ici-bas,  devait  être  humble  et  méprisable 
selon  le  monde  ?  Sa  divine  mère,  Joseph, 
qui  lui  tenait  lieu  de  père,  ses  apôtres,  ses 
disciples  furent  lires,  vous  le  savez,  des 
étals  les  moins  considérables,  ou  des  profes- 
sions les  plus  abjectes  ;  et  l'Evangéliste  nous 
apprend  que  le  Fils  de  Dieu,  conversant 
avec  les  hommes,  1  on  ne  vit  croire  en  lui 
qu'un  fort  petit  nombre  de  ceux  qui  avaient 
quehiue  [irééminence,  et  qui  tenaient  quel- 
que rang  illustre  parmi  les  Juifs  :  Non  enim 
mulli  ex  principibus  crediderunt  in  cum  (Ij. 
Ce  n'est  pas  que  dans  la  suite  i!  n'ait  triom- 
phé de  toute  la  grandeur  du  siècle,  el  qu'il 
n'ait  assujetli  à  sou  empire  les  plus  grands 
monarques  de  l'univers ,  mais  il  voulait 
commencer  par  les  humbles  et  par  les  pau- 
vres; et  tel  était  le  projet  de  sa  divine  sa- 
gesse, non  pas  d'employer  ce  qu'il  y  avait 

(1)  Ce  lexle  ne  se  trouve  pas  «lans  rtcriture, 
Il  tail  geiilenienl  ullusioii  aux  paroles  de  saint 
t'aii!    dans    l'Epiire    1"   aux  Uoriuiliieus    (c    i, 


de  plus  foi't  (l;ins  l'uniVers  pour  soumettre 
ce  qu'il  y  avait  de  plus  faible,  mais  de  choi- 
sir ce  qu'il  y  avait  de  plus  faible  pour  at- 
terrer ce  qu'il  y  avait  de  plus  fort.  Encore, 
quand  il  reçoit  à  son  service  les  puissants 
et  le»  i)olenlats,  n'est-ccjamais  qu'à  condi- 
tion qu'ils  se  dépouilleront,  sinon  de  leur 
grandeur,  au  moins  de  leur  faste  et  de  leur 
orgueil  ;  et  que  remontant  à  cette  fausse 
élévation  dont  la  religion  de  Jésus-Christ 
les  trouve  ordinairement  enlêlés,  ils  vien- 
dront au  pied  de  sa  croix,  imiter,  par  une 
cond;;ile  salutaire,  ce  divin  modèle  qui  n'a 
frayé  aux  hommes  pour  arriver  à  la  gloire, 
d'autre  chemin  que  celui  de  l'humilité  et 
de  l'abjeciion. 

Voilà,  mes  chers  auditeurs,  ce  qu'on 
vous  répèle  tous  les  jours  ;  voilà  ce  que  vous 
lisez  vous-mêmes  presque  dans  toutes  les 
pages  de  l'Evangile,  et  malgré  tout  cela 
peut-on  se  flatter  que  ces  saintes  maximes 
aient  pu  s'établir  jusqu'à  présent  d;ins  vos 
cœurs?  Hélas  1  rendons-nous  justice  :  y  eùl- 
il  jamais  chez  les  idolâtres  plus  de  vanité  et 
|)lus  de  faste  qu'il  y  en  a  parmi  nous?  Votre 
luxe,  votre  magnificence,  vos  suporfluités, 
vos  manières,  vos  alfecialions,  vos  en  vies, vos 
vengeances,  vos  points  d'honneur  poussés 
jusqu'à  l'extravagance  ou  jusqu'au  ridicule 
et  pardessus  tout,  cette  ambition  insatiable 
dont  une  âme  est  possédée,  toujours  prête 
à  se  former  de  nouveaux  projets,  quoiqu'il 
en  coûte  à  la  [)robité,  à  la  religion,  à  la 
vertu  pour  les  faire  réussir,  tout  cela  sont-ce 
les  témoignages  que  vous  rendez  à  l'humi- 
lité de  Jésus-Christ?  Hé  quoi  I  s'il  est  ques- 
tion de  vous  approcher  de  lui  et  de  venir 
lui  rendre  vos  hommages  dans  ce  lieu  saint, 
vous  affectez  même  d'y  paraître  avec  tout 
l'appareil  d'une  pompe  superbe  et  profane, 
comme  si  vous  vouliez  vous  distinguer  jus- 
qu'au pied  des  autels,  et  donner  à  voire  hu- 
milité même  le  caractère  de  votre  orgueil  1 
Que  vous  dirai-je  davantage?  Si  les  minisires 
de  la  parole  de  Dieu  entrent  un  peu  dans  le 
détail  des  humiliations  du  Fils  de  Dieu  ,  ne 
s'aperçoit-on  [)as  que  cela  vous  rebute  et 
vous  scandalise?  La  qualité  d'artisan  vous 
fait  peine  dans  Josejih,  la  profession  de  pê- 
cheurs vous  choque  dans  les  apôtres;  il 
faut  ménager  là-dessus  vos  dispositions  et 
votre  délicatesse,  voilà  oià  nous  en  sommes 
réduits  et  peut-être  sommes-nous  des  pré- 
varicateurs qui  cherchons  lâchement  à  ac- 
commoder l'humilité  de  la  religion  aux  sen- 
timents de  votre  vanité,  au  lieu  que  ce  se- 
rait à  vous  à  corriger  votre  vanité  et  à  ré- 
former vos  senlimenls  parles  lumières  de 
la  religion  et  sur  les  maximes  fondamenta- 
les de  l'Evangile.  Non ,  ce  n'est  point  à 
nous  à  changer  de  langage,  c'est  à  vous  à 
vous  défaire  de  vos  jiréoccupations  et  de  vos 
erreurs.  Ah  1  Seigneur ,  s'écrie  ici  le  granu 
Augustin  ,  les  hommes  veulent  vous  res- 
sembler ,  mais,  hélas  1   qu'ils  s'y  prennent 


-IG,  27.)  S.  Jean  dit  an  contraire ,  cli.  xn, 
}irincipibits  multi  creduleruiu  in  eum. 


£■-• 


SERMONS.  -  SERM.  X,  POIR  LA  FETE  DE  SAINT  AUGUSTIN. 


mai  !  Vous   tMes  grornJ  et  vous  èles  saiiU. 
Ils  veulent  è[ro  graiuls  comme  vous,  mais 
ils  MO  veiilont  point  ôlre  saints  comme  vous  ; 
fcpcndanl   pour  arriver  ii  ce  qu'ils  veulent 
il    faudrait    faire  le  contraire  de  ce    qu'ils 
font.  Qu'ils  ne  s'attachent  ipi'à  la  sainteté, 
et  tous  iLMirs  vœux  seront  satisfaits;  car  en- 
lin  ils  ne  trouveront  jamais  la  sainteté  dans 
la  grandeur,   mais  il   est  infaillible  qu'ils 
trouveraient  la  grandeur  dans  la  sainteté;  et, 
comme  le  Fils  de  Dieu  est  venu  nous  aj)- 
prendre  que  la  vraie  sainteté  est  foiKlée  sur 
les  humiliations,  il  ne  faudi-ail  qu'être  lium- 
bies,  mes  frères,  et  nous  nous  trouverions 
bientôt  et   grands,  et  saints,   et   humbles 
(oui  à  la  fois.   Je   vous  laisse  l'exemple  de 
Joseph  pour  vous  convaincre  de  cette  im- 
portante  v('\'\[é:  Intuonini  quanlus  sit   hic, 
«{Hehr.,  VII ,  4-,)»  considérez  combien  celui-là 
est  ^rn/u/;_  mais  d'oii  a-t-il  tiré  sagrandeui? 
list-ce  do  la  fortune   ou  de  la   grûce,   de 
ses  biens  tenqiorels  ou  de  ses  vertus,  de  son 
orgueil  ou  de  son  humilité,  des  liai>ons  ho- 
liorables  qu'il  avait  avec  les  hommes  ou  do 
celles  qu'il  a  eues  avec  le  Seigneur?  Ah  1 
mon    cieur,  jusqu'à    présent    nous    avons 
ignoré  le  vrai  chemin  de  la  gloire;  nous  la 
clierciions  oiî  elle  n'est  pas  et  nous  la  né- 
gligeons oii  elle  est.  Cesse  ,  cesse  de  cou- 
rir après  de  faux  honneiws  que  la  religion 
interdit,  car  qu'y  gagnerais-tu    de  vouloir 
l'agrandir  malgré  le  Seigneui-?  N'a-t-il  pas 
plus  de  puissance  pour  l'abatt.eque  tu  n'as 
de  force  pour  l'élever?  Oui,  mon  Dieu,  je 
commence  à  ouvrir  l'>s  yeux  à  vos  divines 
lun)ières.  Celle  grandoLir  solide  et  durable 
qui  se  trouve  en  vous,  me  fait  voir  le  néant 
et  la  vanité  de  toutes  celles  que  l'on  pré- 
tend trouver  hois  de  vous.   Je    cherchais  à 
plaire  aux   hon)mes  ou  à  me  jilaire  à  moi- 
njème  ;  mais  à  l'avenir  toute  mon  ambition 
sera  (ie  vous  plaire,  toute  ma  gloire  seia  de 
vous  aimer,    iou;e   mon  élévation  sera  de 
me  souujetlré  à   vos   saintes   lois.  Si  votre 
Providfiice  a  attaché  au    rang  où  je    suis 
q'iclqui  s  honneurs  !em,iOrels  et  périssables, 
je  les  verrai  sans  émotion,  je  les    possé- 
derai  sans  attachement,  je   les  soutiendrai 
sans   atf: dation   et  me   mellrai   en  état  de 
m'en  voir  dépouiller   sans  chagrin  et  sans 
dé|ilaisir.  Ma  grande  élude  sera  de  remplir 
les  devoirs  de  ma  vocation   et  non  |ias  (Je 
faire  valoir  les  droits  et  les  préférences  de 
mon  état.  Mon  premier  empk)i  sera  d'être 
chrétien  et  de  vivre  en  chrétien,  de   vous 
liaiti T  en  Père,  puisque  vous  m'avez  traité 
en  lils,  et  de  soutenir,  par  un  amour  sincère 
et    par  une  exacte   lidélité,   cette   alliance 
euleste  à    laquelle  vous  m'avez    élevé.   Ma 
grande  disposition  à  l'égard   des  honneuis 
tl  des  riciiesses  de  la  terre  sera  d'appren- 
dre à  les  mépiiser,  et  non  pas  de  travailler 
a  les  acquérir  ou  à  les  augmenter  ;  car  voilà 
les  sentiments  où  il  laut  revenir  lot  ou  tard 
et  je  sens  que  mon  cœur  n'est  fait  qiie  pour 
(lia.  Kn    un  mot,njon   divin   Seigneur,  je 
(  omprends  avec  votre  saint  prophète  que  la 
goire,  le  nom  ,  la  félicité  de  ceux  qui  s'é- 
ioijincnt  de  vou;  uc  seront  gravés  (juu  sur  la 


5fi.t 


poussière  :  Hecedentes  a  te  in  terra  scriOenlur 
{Jerem.,  XVll,  13),  et  que  le  [iremier  souQle 
de  votre  colère  dissipera  ces. vains  caractères 
de  grandeur  et  anéantira  ces  faibles  ouvra- 
ges; mais  l'exemple  de  vos  saints  me  con- 
vainc (jue  ceux  qui  s'attachent  à  vous  seront 
heureux  dans  le  tem|is  et  dans  l'éternité; 
dans  le  temps  par  le  grAce,  et  dans  l'éter- 
nité par  la  gloire;  je  vous  la  souliaite. 
SERMON   X. 

POUR    LA    FETE    DE    SAINT    AUGUSTIN. 

Non  habemiis  Pontificein  qui  non  possit  computi  iii- 
Ormalitnis  nostris  lent.Umn  per  omiija.  (Hcbv.,  IV,  ir;.) 

Ce  n'est  pas  ici  un  Pontife  qui  suit  insensible  à  nos  maux 
tl  qui  miisse  être  sans  compassion  pour  nos  fiiiblessus, 
puisqu'il  a  éprouvé  en  sa  personne  tout  ce  que  nous  éprou- 
vons dans  les  nôtres. 

Do  quehiue  manière  que  nous  regardions 
les  saints,  notre  lâcheté  nous   les  fait  ton- 
jours  paraître  comme  des  hommes  extraor- 
dinaires qui  ne  peuvent  nous  >ervir  de  rè- 
gle :    soit  que  nous   les  considérions   dans 
l(_-s  humiliations  où   ils  ont  été  ou  dans  la 
félicité  où  ils   sont,    nous   nous    révoltons 
également   contre   ces    augustes    modèles. 
L'état  de   leurs   humilialions    et   de   leurs 
soutfrances  rebutent  la  délicatesse  de  notre 
amour- propre.  Celui  de  leur  gloire  et  do 
leur  bonheur  désespère  la  faiblesse  de  no- 
tre nature  ;  et  c'est   ainsi    que  l'esprit  de 
l!homme  toujours  bizare,  toujours  ennemi 
de  lui-môme,  se  rend  tous  les  exemples  des 
saints   iiuitiles,    parce   que    séparant  leur 
nature  d'avec  leur  gloire,   et   leur  félicité 
d'avec  leurs  humiliations  ,   il   méprise  d'un 
côié    ces   humiliations    comme    étant  troj» 
au-dessous   de  lui   pour   les    éviter,   et    de 
l'autre    il    renonce   à   cotte  félicité  comme 
étant  lui-même  trop  au-dessous  d'elle  pour 
y  prétendre.  Mais  que  faut-il  faire  pour  re- 
médier h  ce  désordre?  Il  faut  faii'e  comme 
saint   Paul  qui,  voyant  que    les  chrétiens 
tombaient  à  l'égard  de  Jésus-Christ  ,  dans 
les  mômes  dispositions  où  nous  sommes  à 
l'égard  des  saints,  avait  coutume  de  join- 
dre  Jésus-Ciirist   crucilié   à   Jésus 'Christ 
glorieux.  11  faisait  servir  sa  croix   de  eon- 
lre-poi(Js  à  l'éiévalioii   de  sa   gloire,    et   le 
mettait  tout  d'un  coup   devant  leurs  yeux 
comme  un  |)onlife  rempli  de  gloire  et  com- 
me une  victime  chai  géode  plaies,  afin  de 
ranimer   leur   espérance    et    de  leur  faire 
counaitre,  |)ar  l'amonreuso  expérience  que 
ce  divin  Sauveur  avait  voulu  faire  de  tous 
leurs  maux,  la  compassion  qu'il  avait  sans 
doute  i)Our  eux   et  la   conOinee   (pi'ils  de- 
vaient avoir  en  lui:  JSon  habemus  Ponlifi- 
cein  qui  non    possil   compati  infirmilatibus 
noxlris  lenlatuin  per   omnia.    C'est  de  celte 
manière  que  j'ai  dessein  de  vous  représen- 
ter aujourd'hui  le  grand   Augustin.  Je  ne 
veux  point   séparer  ses   avantages   de  ses 
faiblesses,  et  je  veux  vous  en  fa,re  un  por- 
trait auquel  la  science,  les  vertus  el  la  grâ  e 
serviront  de  lumière  el  de  couleurs,  et  dont 
les  erreurs,  le  péché  el  le  libertinage  de  sa 
jeunesse  seront  les  nuances  el  les  ombres. 
Ne  croyez  pas  que  je  puisse  le  suivre  ton- 
jtjurs  dans  les  extases   de  son  amour,  ou 


595 

dans  les  élévations  de  sa  doclrine.  Il  faul 
regarder  cet  incomparable  original  par 
quelque  endroit  qui  soit  à  notre  portée,  ei, 
sans  rien  dérober  àj  l'éclat  de  ses  mérites  , 
faire  voir  que  si  nous  ne  pouvons  pas  être 
de  grands  saints  et  de  grands  docteurs  com- 
me Augustin  ,  nous  devons  au  moins  êtie 
|)énitents  conune  lui,  parce  qu'il  a  été  pé- 
clieur  comme  nous,  et  qu'en  un  mot  nous 
sommes  en  droit  d'attendre  de  ce  sacré  Pon- 
I  it'e,  de  la  compassion  et  de  l'assistance  pour 
toutes  nos  faiblesses,  puisqu'il  lésa  person- 
nellement éprouvées.  Non  habemus  Ponli- 
ftcem  qui  non  possit  compati  infirmitali- 
tnis  noslris  Icntalum  per  omnia.  Esprit- 
Saint  qui  avez  é!é  le  seul  auteur  de  ses  lu- 
mières et  de  ses  grâces,  donnez-nous  tou- 
tes celles  qui  sont  nécessaires  pour  en  par- 
ler et  pour  en  |)nrler  avec  édification.  Je 
viius  en  conjure  par  les  mériles  de  Marie 
h  qui  nous  albuis  dire  :  Ave,  Mann. 

Quoique  le  Fi's  de  Dieu  soit  devenu  par 
son  incarnation  un  nioilèle  que  nous  som- 
mes obligés  d'imiter,  nous  regardons  pour- 
tant toutes  les  vertus  en  sa  personne  com- 
me étant  trop  au-dessus  de  nos  forces.  Nous 
opposoiis  à  un  si  bel  exemple  que  Jésus- 
Cbrist  était  un  Dieu  et  que  nous  ne  som- 
mes qiie  des  hommes,  qu'il  n'avait  piis 
ciiiDiue  nous  de  diiïiculté  pour  la  vertu,  ni 
d'inclination  pour  le  vice;  que  s'il  a  été  sujet 
aux  peines  du  corfis,  il  n'a  [las  été  sujet 
aux  tentations  de  l'âme;  ei  nous  faisons 
servir  en  un  mot  toutes  les  ditférences  avan- 
tageuses qui  s'élèvent  au-dessus  de  nous 
ou  de  prétextes  à  notre  libertinage,  ou 
d'excuses  à  noti'e  malice.  Ainsi  il  a  été  de 
la  conduite  de  la  Providence,  pour  pousser 
è  bout  !a  lûclielé  du  chrétiei)  et  pour  la 
poursuivre  jusque  dans  ses  retranche- 
ments, de  nous  faire  voir  la  vertu  dans  des 
originaux  qui  fussent  |)lus  proportionnés 
à  nos  forces  et  plus  conformes  à  noire  fai- 
blesse. C'est  [lour  cette  laison  qu'on  nous 
met  une  ii  linilé  de  sainis  devant  les  jeux 
dont  les  uns  nous  montrent  une  sainlelé 
innocente,  et  les  autres  une  sainteté  péni- 
tente; dont  les  uns  ont  été  libertins  et  les 
autres  hérétiques  ;  les  uns  très-savants  1 1 
les  autres  Irès-grossieis,  [lour  nous  ensei- 
gner que  la  vertu  est  de  tous  les  états, com- 
me elle  est  de  tous  les  temps  et  de  tous  les 
lieux  ;  que  dans  le  palais  de  la  gloire  il  y  a 
des  modèles  et  des  exem[)laires  pour  tous 
ceux  qui  veulent  travailler,  et  qu'il  n'est 
point  d'obstacles  à  noire  salut  non-seule- 
ment que  nous  ne  puissions  surmonter, 
mais  encore  que  d'autres  n'aient  déjà  sui- 
montés.  Mais  il  me  semble  que  ce  qui  est 
commun  à  tous  les  saints  est  particulier  à 
rincomparabbî  saint  Augustin.  Soulfiez- 
moi  donc  de  l'envisager  aujourd'hui  ,  enn- 
uie le  noble  supplément  des  exenqdes  de 
Jésus-Christ,  comme  un  pécheur  qui  a  pos- 
sédé toutes  les  grâces  qu'on  peut  rencon- 
trer dans  un  chiétien,  mais  qui  a  éprouvé 
toutes  les  faiblesses  qui  se  [)euvenl  trouver 
dans  un  homme,  et  qui  a  vaincu  en  soi  tou- 
tes  les  diilicultés    qui   s'opposent  à  notre 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


.W6 


sanctification.  En  effet  ces  ditïicullës  peu- 
vent se  réduire  à  trois  chefs.  Premièremi'iit 
nous  venons  au  monde  avec  l'intidélité , 
nous  sommes  pour  ainsi  dire  hérétiques 
nés.  Il  se  forme  souvent  dans  nos  esprits 
un  combat  dangereux  de  la  raison  contre 
la  foi.  Secondement,  nous  vivons  dans  les 
habitudes  du  péché,  nous  avons  de  la  peine 
à  nous  convertir,  et  la  nature  entretient 
dans  nos  âmes  une  guerre  irréconciliable 
contre  la  grûce.  Troisièmement,  quand 
nous  sommes  convertis  nous  avons  de  la 
peine  à  bien  aimer,  et  il  demeure  dans  no- 
tie  cœur  une  cupidité  malheureuse  qui  ré- 
fléchit tout  notre  amour  sur  nous-mêmes, 
et  qui  arrôle  tous  les  progrès  de  la  charité 
et  tous  les  mouvements  de  l'amour  de  iiieu. 
Le  Fils  de  Dieu  n'a  point  éprouvé  ces  trois 
sortes  do  laiblesses;  s'il  nous  a  donné  des 
leçons  de  la  foi,  de  la  pénitence  et  de  la  vic- 
toire que  nous  devons  remporter  sur  l'a- 
mour-propre,  il  ne  nous  en  a  point  donné 
d'exemples.  Il  ne  croyait  pas  les  choses  p-T 
la  foi,  parce  qu'il  les  voyaient  clairemerit 
par  la  lumièie  de  gloire.  Il  n'a  [)oint  été 
un  sujei  capable  de  pénilence,  parce  qu'il 
n'a  pu  être  un  sujet  capable  d'aucun  péché 
Il  n'a  jamais  lemiiorté  de  victoire  sur  la 
conv(jilise,  sur  les  passions,  parce  que  la 
convoitise  ni  les  passions  ne  lui  ont  jamais 
livré  des  combats.  Mais  Augustin  a  été  su- 
jet à  tous  ces()érils.  il  a  passé  par  tous  nos 
désortires;  libertins,  il  a  été  hérétique;  pé- 
cheurs, il  a  été  pécheur;  chrétiens  lâches, 
il  a  été  imparfait.  Cependant  cet  hérétique 
est  devenu  le  plus  illustre  et  le  plus  infail- 
lilde  de  tous  les  docteurs  de  notre  religion 
et  de  notre  foi,  ce  sera  ma  première  partie. 
Ce  jiécheur  après  avoir  été  sujet  à  toutes 
les  corruiilions  de  la  nature  est  devenu  le 
plus  cher  de  tous  les  favoris  de  la  grâce. 
Ce  sera  la  seconde.  Cet  homme,  si  rempli 
de  |)assions  et  d'amour-proiue  est  devenu 
le  plus  achevé  de  tous  les  modèles  de  l'a- 
mourdii'in,  ce  sera  la  troisième.  C'est  ain.-i 
que  cet  auguste  pontite  ayant  éprouvé  loi.- 
tfS  nos  faiblesses,  peut  trouver  dans  le  sou- 
venir des  siennes,  des  motifs  de  compassion 
pour  les  nôtres.  C'est  ainsi  (pie  l'expérien- 
ce qu'il  en  a  faite  doit  animer  notre  conti- 
ance,  puisqu'il  a  triomphé  en  sa  personne 
et  f)our  lui  et  pour  nous  de  tout  ce  qui  peut 
nous  alfaiblir;  de  la  faiblesse  de  noire  rai- 
son d.uis  ce  qui  regarde  la  foi,  de  la  faiblesse 
de  noire  nature  daiiS  ce  qui  regarde  la  grâ- 
ce, et  de  la  faiblesse  de  notre  amour  dans 
ce  qui  regarde  la  perfection.  Non  habemus 
Ponlificem  qui  non  puifsit  compati  iufirmita- 
iibus  nostris  tenlulu>n  per  omnia; c'esi  touie 
la  matière  de  son  éloge  et  tout  le  pariago 
de  mon  discours. 

PREMIÈRE    PàRTlft. 

C'est  la  première  épreuve  et  la  première 
diiïiculté  de  l'homme  chrétien  d'être  obligé 
de  croire  des  choses  qu'il  neco'oprend  poini. 
Son  entendeuieiit  qui,  d'ans  toutes  les  au- 
tres matières,  a  coutume  de  ne  croir.-  de  ses 
objets  (jue  ce   qu'il  en  voit  et   qui  est   eu 


5.97 


SKRMONS.— SERM.  X,  l'OL'U  LA  FETK  DE  SAINT  AUGUSTIN. 


598 


possession  d'ôlre  juge  el  témoin  en  sa  |irn. 
pre  cause,  doit  renoncera  tous  ces  privilé- 
g<?s  dès  i|u'il  s'agit  des  mystères  de  la  reli- 
gion. Il  faut  (pi'ils'en  rapporte  au  jugement 
el  à  la  disposition  d'aiilrui,  que  ses  propres 
lémoign'nges  lui  soient  suspects  et  qu'il  se 
donne  à  lui-niôme  le  démenti  de  tout  ce 
qu'il  croyait  voir,  pour  commencer  à  croire 
ce  qu'il  ne  voit  |ias.  C'est  ce  qui  fait  dire  à 
Guillaume  de  Paris  que  cet  entendement 
est  comme  un  petit  souverain  qui  règne 
fort  paisiMement,  si  ce  n'est  quand  la  foi 
vient  lui  déclarer  la  ^ut^rre:  Ex  omnibus  acli- 
bus  intellcctus  solum  creare  bellum  Itabet;  et 
c'est  ce  qui  fait  aussi  que  la  fui  se  trouve  si 
so\ivent  aux  piises  avec  la  raison,  et  que  la 
raisou  est  si  ran  ment  dans  une  bonne  in- 
itdiigence  avec  la  foi.  Le  chrétien,  en  cet 
élal,  est  dans  le  même  embarras  où  serait 
un  liomme  si  ses  deux  yeux  voyaient  les 
choses  dilléiemment  et  lui  en  faisaient  des 
rapports  Cuuiraiies;  car  il  ne  saurait  lequel 
des  deux  croire  au  préjudice  de  l'autre.  Et 
en  efl'et  la  foi  et  la  raison  sont  connue  les 
deux  yeux  de  notre  âme  ;  la  raison  est  l'œil 
de  la  nature,  la  foi  est  l'œil  de  la  grâce. 
Mais  ces  deux  \eux  voient  quelquefois  les 
choses  d'une  manière  toute  contraire.  Celle 
contrariété  excite  du  trouble  et  cle  la  sédi- 
tion dans  l'entendement  de  l'homme,  et 
I  homme,  en  cette  rencontre,  ue  peut  jamais 
avoir  l'esprit  tranquille ,  s'il  ne  fait  aider 
sa  raison  par  sa  foi,  ou  si  faisantcomme  l'é- 
pouse du  sacré  Cantique,  quand  elle  veut 
gagner  le  cœur  de  I  Epoux,  il  ne  ferme  un 
de  ses  yeux,  c'est-à-dire  l'œil  de  la  nature, 
pour  ne  se  conduire  plus  que  par  l'autre, 
r'est  à-dire  [lar  l'œil  de  la  foi  et  de  la  grâce, 
Vulnerasli  cormeum  in  uno  oculorumtuorum. 
[Cant.,  IV,  9.) 

Le  grand  Augustin  est  sans  doute  un  des 
chrétiens  qui  a  été  le  plus  lidèle  et  le  plus 
soumis.  Il  est  peut-être  celui  de  tous  qui 
a  rendu  les  plus  grands  services  à  notre 
foi  ;  m.His  on  peut  dire  qu'il  est  aussi  un  de 
ceux  qui  a  trouvé  le  plus  de  difficultés  à 
s'y  soumettre.  0  Dieu  ,  quand  Augustin 
voudra  embrasser  la  religion  catholique, 
pourra-t-il  bien  renoncer  aux  lumières  de 
son  esprit?  Quelle  apparence  qu'Augustin 
puisse  se  délier  dans  les  matières  de  notre 
créance  de  ce  bel  esprit  qui  l'a  servi  si  fidè- 
lement dans  la  connaissance  de  tous  les 
êtres;  de  cet  esprit, dis-je,  si  subtil  et  si  su- 
blime, qui  par  sa  seule  pénélraiion,  et  sans 
autre  maîire  que  lui-même,  avait  su  venir 
à  bout  de  l'obscurité  des  caiégories  dAris- 
!ole  ;  de  cet  es{)rit  qui  se  fai>ait  jour  dans 
la  profondeur  de  tous  les  sccrels  de  la  na- 
tuie,  el  qui  trouvant  toutes  l(;s  sciences  dans 
son  propre  fonds,  semblait  les  inventer  ou 
ne  faire  que  s'en  souvenir  (junnd  il  venait 
à  les  a[iprendre.  La  beauté  de  l'esprit  d'Au- 
guslin  était  accompagnée  d'un  grand  or- 
gueil. Il  ne  faut  |ias  sélonner  s'il  ne  vou- 
lait se  raïq'orter  qu'à  lui-^nème  de  sa  reli- 
gion el  de  sa  conduite.  Il  donne  dans  l'hé- 
résie des  manichéens  par  cette  seule  raison 
uu'ils   blâmaient   hautement  la  prétendue 


iyranr)ie  que  la  religion  catholique  exerce 
sur  nos  esfirils,  et  que  par  une  clause  spé- 
ciale ih  lui  prometlaieni  de  lui  laisser  son 
tîsprit  d'information  et  d'enquête.  C'est  dans 
cette  secle  qu'Augustin  commence  h  faire  la 
guerre  à  la  véritable  religion  et  remporte 
tous  les  jours  mille  avantages  contre  elle 
par  ses  discours  et  par  ses  écrits,  dans  les 
disputes  publiques  et  dans  les  conversations 
particulières.  Mais  une  erreur  comme  celle 
des  manichéens  ne  pouvait  tenir  longtemps 
contre  la  subtilité  et  contre  le  discernement 
d'Augustin.  Que  fera-l-il  donc?  son  es[)ril 
qui  est  nature llemenl  amoureux  de  la  vérité, 
la  cherche  partoutoiiil  y  a  quelque  apparence 
de  la  trouver.  Il  lit  même  l'Ecriture  sainte  ; 
mais  comme  il  la  lit  avec  un  esprit  de  suffi- 
sance, il  se  dégotlte  de  la  simplicité  de  son 
style,  et  ne  pénèlrepoitit  dans  la  profondeur 
deses  mystères. C'eslainsi  qu'Augustin  privé 
de  la  foi,  promène  dans  les  es|)aces  imaginai- 
res de  mille  opinions  chiméri(|ues ,  un  esprit 
vagabond,  chancelant  et  incertain  comme 
un  |)ilote  qui  a  perdu  la  tramontane  et  qui 
au  lieu  de  conduire  son  vaisseau,  le  laisse 
tloiter  à  l'aventure  au  gré  des  vagues  et 
des  vents,  au  hasard  de  le  voir  s'échouer 
sur  le  sable  on  se  briser  contre  les  r(»chers. 
Mais  la  vérité  se  découvrira  enfin  à  mon 
saint,  il  ne  la  peut  pas  trouver  sur  la  terre, 
elle  descendra  du  ciel  en  sa  faveur.  Il  se 
détachera  peu  à  peu  de  toutes  les  préoccupa- 
tions qu'il  a  prises  contre  la  religion  catho- 
lique. Il  en  examinera  les  principes,  non 
[)lus  avec  un  esprit  prévenu,  mais  avec  un 
esprit  désintéressé  qui  demandera  de  bonne 
foi  à  s'instruire.  En  un  mot,  sa  raison  éclai- 
rée par  la  grâce,  avouera  ingénument  que 
sans  la  soumission  de  la  foi,  elle  ne  saurait 
-lie  tranquille,  et  après  tant  de  mouve- 
ments inquiets,  elle  tiouvera  dans  celte  foi 
comme  l'aiguille  de  la  boussole  dans  le 
point  de  l'étoile  polaire,  de  quoi  borner 
toutes  ses  recherches  et  de  quoi  fixer  tou-  • 
tes  ses  inconstances. 

Mais ,  Messieurs ,  avant  de  pousser 
plus  loin  l'éloge  du  grand  Augustin,  il  mo 
semble  que  nous  pouvons  faire  deux  ré- 
flexions utiles  sur  son  infidélité.  Car  nous 
pouvons  dire  de  lui  ce  qu'il  a  dit  lui-même 
des  patriarches  de  l'antiquité,  qu'ils  nous 
instruisent  par  leursdéfauts  aussi  bien  que 
par  leurs  vertus,  et  que  ce  sont  des  astres 
qui  ne  laissent  pas  de  nous  éclairer  dans 
leurs  éclipses.  Jnstruunt  nos  non  solum  do- 
centes  sed  etiam  errantes,  La  première  ré- 
flexion consiste  à  vous  faire  voir  la  diffé- 
rence qu'il  y  a  entre  la  conduite  d'Augus- 
tin et  celle  de  nos  libertins.  Augustin  est 
dans  l'erreur,  mais  Augustin  qui  est  un 
esprit  raisonnable,  cherche  incessamment 
le  parti  de  la  vérité.  11  en  demande  des  nou- 
velles partout,  au  lieu  que  nos  libertins, 
doutant  assez  souvent  de  la  vérité  de  leur 
religion,  ne  songent  point  à  s'en  éclaircir, 
demeurent  dans  un  assoupissement  lélha."- 
gique  sur  ce  sujet  et  s'en  rapportent  à  tout 
ce  qui  en  peut  êlre,  sans  prendre  seulement 
la  peine  de  s'informer  de  ce  qui  en  est.  Je 


5«9 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


600 


ne  saurais  blâmer  ceux  qui  vouant  à  entrer 
dans  notre  religion,  examinent  d'abord  avec 
un  esprit  d'huriiililé  et  de  prudence,  les 
choses  qu'on  leur  commande  do  croire,  qui 
doutent  une Tois  pour  ne  douter'plus  jamais, 
qui  br<)ii!enl  pours'alfermir,  comme  une  mer 
qui  s'agite  de  ()eur  d'être  agitée,  et  qui, pour 
parler  avec  un  (uof.me,  se  remuent  eux- 
mêmes  par  fermeté,  pour  se  précnutionner 
contre  les  mouvements  de  l'incoiislance  : 
Ipsa  Constantin  concussi  sunt  adversiis  in- 
ronstantiœ  concussioncm.  Mais  je  ne  puis 
souffrir  ces  esprits  foris  ou  f)lulôt  ces  es- 
nrils  faibles  qui  se  niellent  sur  le  pied  de 
nier  tout  ce  qui  ne  leur  snuto  point  aux 
yeux,  qui  méprisent  nos  mystères  parce 
qu'ils  ne  les  peuvent  comprendre,  et  qui 
attribuent  encore  à  la  force  de  leur  esprit , 
ce  qui  ne  vient  que  de  la  faiblesse  de  leur 
raison,  qui,  par  la  plus  grande  injustice  du 
monde,  veulent  juger  souverainement  de  la 
religion,  sans  vouloir  seulement  lu  connaî- 
tre, qui  la  condammnt  parce  qu'elle  les 
condamne  et  qui  comme  le  singe ,  vou- 
draient casser  le  miroir  qui  leur  représente 
leur  laideur.  Cet  lionune  ,  ce  liber- 
tin avoue  intérieurement  qu'en  cas  que 
la  religion  soit  véritable  et  telle  qu'on  la  re- 
présente, il  faut  qu'il  soit  nécessairement 
damné.  Il  confesse  que  son  sort  éternel  dé- 
pend de  la  solution  de  cette  question  im- 
portante. Néanmoins  c'est  assez  pour  lui 
que  la  chose  ne  soit  pas  évidente  pour  faire 
comme  s'il  était  bien  assuré  qu'elle  fût 
fausse.  Il  se  retranche  daiis  les  ténèbres 
de  son  ignorance,  comme  dans  un  fort  im- 
prenable, et  de  celte  même  incertitude  qui 
devrait  le  faire  trembler,  s'il  avait  un  peu 
de  raison,  il  s'en  sert  pour  se  mettre  inté- 
rieurement en  repos.  Ce  monstre  de  morale 
se  contente  de  se  maintenir  toujours  ciuiant 
qu'il  peut  dans  des  dispositions  probléma- 
tiques. Il  doute  do  tout  et  ne  s'infoinie  de 
rien,  comme  si  en  doutant  de  tout  il  pou- 
vait s'assurer  de  quel(]ue  chose,  et  comme 
si  c'était  assez  pour  empêcher  que  les  vé- 
rités chrélieimes  fussent  de  dire  que  peut- 
être  elles  ne  sont  pas. 

La  deuxième  rëllexion  que  nous  pouvons 
faire  sur  l'infidélité  de  saint  Augustin  ;  c'est 
que  la  Providence  divine  semble  l'avoir  per- 
mise |iOur  servir  de  remède  à  la  nôtre.  Ce 
Dieu  qui  sait  tirer  l'être  du  néant,  la  lumiè- 
re des  ténèbres  et  la  grâce  du  péché,  sait 
trouver  aussi  en  notre  faveur  une  source  de 
foi  dans  un  abîme  d'infidélité.  La  foi  de  l'E- 
glise est  principalement  appuyée  sur  les 
apôtres  et  sur  les  docteurs;  mais  parmi  ces 
apôtres,  il  a  fallu  qu'il  y  eut  un  Thomas 
incrédule,  et  [)armi  ces  docteurs  il  a  fallu 
qu'il  y  eut  un  Augustin  infidèle.  Thomas 
a  voulu  toucher  au  doigt  la  vérité  du  corps 
naturel  de  Jésus-Christ,  et  Augustin  a  vou- 
lu toucher  au  doigt  la  vérité  de  son  corps 
mystique  qui  est  l'Eglise;  Thomas  a  t'ait  une 
épreuve  corporelle  de  notre  foi,  et  Augus- 
tin en  a  fait  une  épreuve  spirituelh;  celle 
foi  roule  sur  ces  deux  pôles,  elle  [lorte  sur 
ces  deux  Atlas  qui  en  sont  devenus  plus  fer- 


mes après  avoir  été  cnancelants.  Si  leur  foi 
a  ruiné  noire  infidélité,  leur  infidélité,?»  ser- 
vi utilement  notre  foi. On  peut  dire  de  cha- 
cun des  deux  que  ses  ténèbres  font  le  mê- 
me effet  que  ses  lumières  :  sicut  tenebrœejiis 
itn  et  lumen  ejus.  Ah  ne  disons  donc  point, 
mes  frères,  que  nous  ne  croirons  pas  si 
nous  n'examinons  jusqu'au  fonds  les  prin- 
cipes de  la  religion  ;  Augustin  l'a  déjà  dit 
avant  nous,  et  il  n'est  plus  besoin  que  nous 
le  disions  après  lui  :  il  s'est  dit  à  lui-môme 
tout  ce  que  nous  pouvons  nous  dire  sur  ce 
sujet.  Ce  grand  génie  est  comme  la  pierre 
de  louche  de  notre  foi  et  l'on  fieut  dire  do 
la  foi  d'Augustin  en  particulier  ce  que  saint 
Paul  a  dit  de  la  foi  en  général:  qu'il  est  une 
preuve  convaincante  des  mystères  les  plus 
obscurs  et  un  argument  inlaillible  des  cho- 
ses qui  nous  paraissent  le  moins.  Argu- 
tnentum  non  appnrenlium.  (  Hebr.,  XI,  1.  ) 
i  Que  si  l'inlidélité  d'Augustin  est  si  élo- 
quente sur  le  sujet  de  la  religion,  que  ne 
dirons-nous  point  de  sa  science  et  de  sa 
foi.  Ah  I  mes  frères,  tous  ceux  qui  auraient 
quelijue  difficulté  sur  noire  cioyance  n'au- 
raient qu'à  aller  consulter  les  écrits  de  ce 
grand  docteur  qui  sont  connue  les  archives 
de  noire  foi.  Certes  le  grand  saint  Jéiôme 
écrivant  5  Augustin  en  f)ersonne  lui  protes- 
tait, dès  ce  tenips-l;i,  qu'il  n'y  avait  pointdo 
catholique  qui  ne  le  regardât  comme  le  ré- 
parateur et  pour  exprimar  ses  termes  dans 
toute  leur  signitication  comme  le  nouveau 
créateur  de  l'ancienne  foi  de  l'Eglise  catho- 
licjne.  «  Te  conditorcm  antiquœ  rursum  fidei 
teneranttir  atque  suspiciunt  ;  »  mais,  que  ce 
qui  était  un  plus  grand  préjugé  de  sa  gloi- 
re et  de  son  mérite,  c'est  qu'il  n'y  avait  pas 
un  hérétique  en  particulier  qui  ne  le  re- 
gardât comme  son  tléau  personnel  et  qui  ne 
le  délestât  comme  le  destructeur  tie  sa  sec- 
te: et  quodsignnm  mnjoris  gloriœ  est,  omnes 
liœrelici  delestantur.  En  ell'et,  mes  frères,  il 
n'y  a  point  d'hérésie  qu'Augustin  n'ait  ren- 
versée, point  d'hérétique  (|u'il  n'ait  confon- 
du, point  d'objection  qu'il  n'ait  prévenue, 
point  de  mystère  qu'il  n'ait  expliqué,  point 
de  question  qu'il  n'ait  décidée.  Ce  grand 
soleil  de  grâce  esl  comme  le  soleil  de  la  na- 
ture, il  est  de  tous  les  tem{)S  el  de  tous  les 
lieux,  il  porte  sa  lumière  dans  tous  les  siè- 
cles, il  ne  s'est  pas  contenté  d'étoulfer  les 
erreurs  de  son  temps,  il  en  a  encore  étoulfé 
une  infinité  avant  leur  naissance;  il  a  parlé 
de  tout,  il  a  décidé  de  tout,  et  l'on  peut  dire 
avec  vérité  qu'il  n'y  a  jamais  eu  depuis  Au- 
gustin et  qu'il  n'y  aura  jamais  dans  l'Eglise 
aucune  diificullé  nouvelle  à  laquelle  on  ne 
puisse  trouver  dans  Augustin  une  solution 
ancienne.  S'il  s'agissait  de  compter  les  mer- 
veilleux exploits  qu'il  a  faits  pendant  sa  vie 
et  tous  les  succès  qu'il  a  obtenus, ce  serait  n'en 
rapporter  qu'une  partie  que  de  dire  qu'il  a 
défendu  et  conservé  au  Père  éternel  sa  qua- 
lité de  créateur  du  ciel  el  de  la  terre  conlre 
les  rêveriesdes  manichéens;  au'Verbedivin, 
sa  qualité  de  Fils  de  Dieu  malgré  les  blas- 
phèmes des  ariens  ;  à  Jesus-Christ  sa  qua- 
lité de  Rédempteur  conlre  l'orgueil  des  péia- 


601  SERMONS— SLUM.  X,  POIR  LA  FETE  DE  S.VINT  AUGUSTIN.  C02 

gietis;M'Eglis('sa  qualité  d'universelle  on  (le  vont  Aiigusliii  consulte  l'Eglise  pour  savoir 

catholique  nialgrélcs  scliismos  et  les  itarli.i-  ce  qu'il  doit  croire,  mais  Irôs-soLivetit  aussi 

lités  (les  (io'uiliàles,  et  à  la  religion,  sa  qna-  l'Eglise   consulte   Augustin  pour  savoir  ce 

iité  d'ortlioilose  et  de  vér  table,  contre  Tira-  qu'elle  doit  enseigner,  jus(]ue-là  que  nous 

piétt^  des  libertins,  conire  l'endurcisseniont  voyons  des  conciles  généraux  et  œcnniéni- 

drs Juifselconlrelasupeis'iliondesidolàlres.  ques  dont  les  canons  ne  sont  formés   que 

Au  reste,  mes  frères,  un  des  grands  avan-  des  pensées  et  même  des  propres   [laroles 

lages  qu'avait  Augustin  contre  l'erreur,  ve-  du  grand  Augustin  ;  comme  si  rÈglise  ne  dé- 

nait,  ce  roe  semble,  de  ce  qu'il  avait  été  en-  daignait  pas  d'être  quelquefois   I'tcIjo  de 

gagé  Ini-môme  dans  l'erreur.  Rien   de   plus  cet  illustre  docteur,  comme  si  toutes  leurs 

fort  qu'Augustin  contre  les  hérétiques  par-  [lensées  et  toutes  leurs  paroles  étaient  en 

ce  qu'il  avait  été  hérétique.  Il    savait  com-  commun,  et  commfi  si  l'Egiise  voulait  bien 

inent  il   les  fallait  attaquer,   el   par   où  ils  être  la  langue  et  l'organe  d'Augustin,  com- 

avaitnt  de  la  peine  à  se  défendre,   comme  me  Augustin  a  été  la  langue  et  i'oi'gane  de 

ces    capitaines   qui,  ayant    servi    quelque  l'Eglise.   Voila,  mes  frères,  une  [)artie  des 

temps  dans  le    |  arti  ennemi ,    tirent  de  là  boiis  oiïices  qu'il  a  rendus  i\    la  foi  :  voyons 

avantage  [lour  le  détruire,  parce  qu'ils  con-  ensuite  ceux  que  la   grâce  lui   a   rendus  et 

naissent  le  terrain  el  qu'ils  savent   de   Ion-  qu'il  a  rendus  à  la  grâce,  c'est  la  deuxième 

gue  main  le  fort  et  le  faible  de  ceux  à    qui  uartie  de  mon  discours, 
ils  ont  alfaire.  Augustin,  entrant  dans  l'Egli- 
se, n'y   vint  pas  sans  armes  et  sans  délen-  ueuxié;me  partie. 
se.  Le  |)arli  de   l'erreur  a^'ait   pris  soin  de 

l'armer  sans  savoir  que  c'élait  [)Our  sa  firo-  Il  y  a  bien  de  la  différence  entre  la  grâce 
pre  ruine.  Augustin  sortant  des  ténèbres  qui  était  donnée  b  l'homme  innocent  et 
de  l'inlidélilé  lit,  pour  lui  r(^ndre  à  lui-mê-  celle  qui  a  été  donnée  à  l'homme  pécheur, 
me  une  pensée  qu'il  m'a  prêtée,  comme  les  La  grAce  de  l'homme  innocent  était  une 
Israélites  qui  en  sortant  de  rEgy()le  empor-  giâce  tranquille  qui  aidait  à  la  nature  sans 
lèrent  tous  les  bijoux  et  toutes  les  richesses  la  combattre,  et  qui,  n'ayant  rien  à  démêler 
des  Egyptiens  qu'ils  avaient  eu  soin  de  leur  avec  la  volonté  du  premier  homme  ,  n'était 
emprunter  et  dont  ils  avaient  dessein  de  destinée  que  pour  agir  de  concert  et  pour 
faire  des  offrandes  à  Dieu.  Augustin  a{)por-  travailler  paisiblement  avec  elle;  mais  la 
la  dans  l'Eglise  toutes  les  sciences  profanes  grâce  de  l'homme  fiécheur  est  une  grâce 
et  y  apporta  toutes  les  connaissances  des  guerrière  qui  est  armée  de  toutes  pièces, 
païens,  comme  leur  rhétorique,  leur  philo-  qui  attaque  la  nature,  qui  surmoale  la  vo- 
sophie  et  surtout  une  grande  subtilité  d'ex-  lonté,  qui  ne  fait  que  livrer  des  combats 
prit  qui  était  à  l'épreuve  des  plus  grandes  et  (]ue  remporter  des  victoires.  Mais  paruîi 
dilHiultés.  11  apporta  tout  cela  aux  pieds  des  toutes  les  victoires  qu'elle  a  jamais  rempor- 
autels  pour  en  faire  un  sacrifice  à  la  foi.  tées,  on  peut  dire  que  celle  qui  la  mit  en 
Mais  après  avoir  consacré  cts  armes  profa-  possession  du  cœur  d'Augustin  ,  a  été  une 
lies  par  cette  offrande,  il  les  reprit  de  la  des  plus  importantes  et  une  des  plus  célè- 
main  de  l'Eglise  qui  les  lui  remit  entre  les  bres.  Si  la  grâce  surmonta  la  nature  dans 
mains.  Il  recommença  à  s'en  servir  mieux  ce  cœur,  la  nature  y  coujbaîtit  fortement  la 
que  jamais,  il  destina  tous  ses  talents  à  un  grâce.  Augustin  était  tombé  dans  une  cor- 
aulre  usage  et  les  ornements  de  sa  vanité,  ru[)!ion  si  générale  qu'il  n'y  avait  rien  en 
il  en  fit  comme  autant  de  boucliers  pour  la  lui  qui  n'eût  pris  parti  pour  la  n;iture  cor- 
religion  et  pour  la  loi.  Il  faut  avouer  que  rompue;  c'était  peu  que  son  esprit  fût  hé- 
c'était  un  des  plus  grands  avantages  que  la  rétique,  si  son  cœur  n'eût  pas  été  volup- 
foi  pouvait  se  procurer  h  elle-même  (jue  de  tueux  ;  mais  il  avait  hien  plus  d'atlachemcnt 
meltie  le  grand  Augustin  dans  ses  intéiêfs.  à  ses  jilaisirs  qu'à  ses  o|)inions  11  laliait 
En  gagnant  Augustin  elle  gagnait  sans  au-  que  la  grâce  lit  en  lui  tout  ce  qu'elle  avait 
cun  combat  une  infinitédebatailles;  et  quand  jamais  fait  séparément  dans  les  aufres.  En 
sa  raison  qui  avait  été  révoltée  contre  cette  effet,  Messieurs,  si  la  grâce  attaque  David 
foi  vint  à  lui  être  réconciliée  et  à  combat-  dans  l'ancienne  loi,  elle  n'a  à  combattre  que 
Ire  sous  ses  enseignes,  il  est  certain  que  ce  l'impureté  de  son  corps  ;  si  elle  attaque 
fut  un  coup  d'état  pour  l'Eglise;  aussi  ne  saint  Pierre  dans  la  nouvelle,  elle  n'a  à  com- 
ful-elle  pas  longtemps  sans  le  leconnatlre  battre  que  l'iiitidélité  de  son  esprit;  si  saint 
comme  le  plus  ferme  de  ses  appuis,  comme  Paul  est  pécheur,  ce  n'est  que  parce  (lu'il 
le  plus  inl;itigable  de  ses  soldats  et  comme  est  infidèle;  si  Madeleine  est  pécheresse,  ce 
le  [)lus  infaillible  de  ses  docteurs.  Je  dis,  mes  n'est  que  parce  qu'elle  est  impudique  ;  mais 
frères,  qu'il  est  le  plus  infaillible  quoiqu'il  Augustin  est  iîifidèle  et  impudique  tout  à 
aiibeaucoujt  plus  éciit  que  tous  les  autres;  la  fois. 11  faut  réduire  son  esprit  et  son  corps, 
car  dans  tous  les  autres  vous  y  trouvez  fou-  p.uce  qu'ils  se  sont  également  révoltés.  Ah  l 
jours  quelque  dogme  particulier  qui  n'a  (jiielle  victoire  pour  la  grâce ,  mais  quelle 
point  él'' approuvé'de  l'Eglise.  Mais  Augus-  dilhcullé  pour  Augustin.  Il  nous  dit  lui- 
lin  depuis  sa  conversion  n'a  jamais  ensei-  même  qu'il  était  comme  un  monstre,  cf.n:- 
gné  ni  écrit  la  moindre  erreur,  Augustin  et  posé  de  deux  volontés  dirTérentes;  il  tou- 
l'Eglise  disent  toujours  la  même  chose  et  lait  et  il  ne  voulait  |ias,  ne  pouvant  com- 
c'esl  assez  d'écouter  l'un  ou  l'autre  pour  prendre  comment  le  corps  obéit  si  facile- 
savoir  la  [lensée  de  tous  les  deux  :  très-sou-  ment  à  l'esprit  dans  les  actions  naturelles, 


G05 


ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL. 


C9i 


cl  comment,  pour  celh's  de  la  ^rûce,  son 
(spnl  avnil  laiil  de  poine  fi  se  commander 
et  h  s'ohéirà  soi-nièmi'.  Ildemanciait  ci  Dieu 
la  (;oii(incnpe,  cl  il  craignail  qu'il  ne  la  lui 
donnât.  Au  inoins  eûl-il  élé  bien  aise  que 
c.o.  n'eût  |)as  élé  silôl, •amant  mieux  le  plai- 
sir lie  salisfaire  sa  ronvoiliso  que  l'avanlage 
<l.>  la  voir  éteinte.  C'était  alors,  dit  ce  grand 
lionunc,  que  les  voluptés,  mes  anciennes 
amies,  venaient  niurn)urer  h  mes  oreilles, 
cl.  connne  si  elles  m'cussenl  tiré  par  der- 
rière, semblaient  me  dire  tout  bas  d'un  lan- 
gage doux  et  flatteur  :  C'est  donc  h  ce  coup 
(|ue  tu  nous  quilles?  Peux-tu  bien  nous 
dire  adieu  pour  toujours,  et  nous  abandon- 
ner pour  jamais?  Si  cette  voix  n'était  pas 
assez  puissanie  pour  me  faire  relourner 
sur  mes  pas,  elle  l'élait  assez  pour  me  faire 
arrêter  tout  d'un  coup.  Je  ne  recuhiis  point, 
niais  je  demeurais  en  suspens  corauje  un 
bomme  qui  reprend  haleine  et  qui  n'en 
IK'ut  i»lus,  me  voj'ant  tout  proche  de  nn)n 
but,  cl  perdant  presque  l'espérance  de  l'at- 
teindre. Mais  enliii  ce  moment  saeré,  m  ii- 
i|né  par  les  soins  d'une  (irédeslin.ition  él' i- 
nelle  pour  la  conver.sion  d'Augustin,  était 
arrivé,  et  Augustin  s'était  rencontré  dans 
ce  jaruin  et  sous  ce  figuier  qui  était  comme 
le  rendez-vous  que  la  miséricorde  avait 
donné  à  ce  pécheur.  La  grâce  commença 
une  si  célèbre  cérémonie  par  l'elfusion  d'un 
lorreni  de  larmes  qui  prit  naissance  dans 
Je  cœur  d'Augustin  et  qui  vint  à  couler  i)ar 
ses  yeux.  Il  enlcndil  une  voix  d'en  haut 
(|ui  iui  criait:  Prends  cl  lis.  Il  lut  dans  les 
É()îtres  de  saint  Paul  qui  se  trouvaient  en- 
tre ses  mains,  ce  célèbre  passage  qui  porte 
qu'un  chrétien  ne  doit  plus  avoir  rien  de 
commun,  ni  avec  les  plaisirs  de  riin[)ureté, 
ni  avec  la  sensualité  du  goût,  ni  avec  les 
prétentions  de  l'orgueil,  ni  avec  les  cha- 
grins de  l'ennui,  et  que  toute  son  occu|)a- 
lion  sur  la  terre  doit  consister  à  se  rcélir 
peu  à  peu  des  livrées  et  des  vertus  de  son 
adorable  Sauveur  :  Non  in  cubilibus  et  im- 
pudicitiis,  non  in  cowmessalionibus  cl ebrietn- 
liùus;  non  in  conlenlione  cl  œinulatione,  sed 
induimini  Dominum  Jesmn  ClirisCum.  [Rom. 

XIII,  14-.)  Ayant  rejoint  A'ijjius  qui  était 
venu  dans  le  racme  jardin  avec  lui,  ils  trou- 
vèrent que  la  suite  du  texte  portait  ■.Jn/irmuni 
aulem  in  fide  assumile.  Ayez  soin  de  ména- 
ger avec  charité  la  foi  et  les  dispositions 
(l'ini  chrétien  nouvellement  converti.  [Rom. 

XIV,  1).  Comprenant  que  ces  paroles  s'a- 
dressaient à  ce  cher  ami,  il  lui  demanda  le 
secours  de  sa  direction  et  de   sa  conduite. 

Voilà  Augustin  converti  pour  toute  sa 
vie,  pour  le  temps  et  pour  l'éti  rnilé.  Qu'. 
fera  ce  nouvel  Augustin?  Il  prendra  en 
tout  et  partout  le  coiilre-pied  de  l'ancien  ; 
Il  se  rendra  la  caution  de  ses  dettes,  il  satis- 
fera pour  lui,  ou  plutôt  cet  Augustin  se  fera 
son  procès  à  lui-même.  Il  préviendra  les 
jugements  de  Dieu,  el,  suivant  la  belle 
pensée  de  Terlullien  (|ui  dil  que  la  péni- 
tence est  la  vi(  e-géranle  de  la  justice,  il  s'en 
prononcera  les  arrêts  el  les  exécutera  sur 
sa  personne. 


En  effet, Messieurs. quedoit  fairela  justice 
divine  dans  l'autre  vie? Le  Prophète  nous  le 
dit  en  deux  mots  :  Judic(diil  in  nalionibtiSr 
implebit  ruinas  [Psal.  CIX,G)  :  le  Seigneur  ju- 
gera les  nations  el  il  réparera  lesruiiies;  c'est- 
à-dire,  disent  les  interprètes,  qu'il  remettra 
toutes  choses  dans  l'ordre,  (ju'd  fera  ren- 
trer dans  l'ordre  de  la  ju'^lice  ceux  qui  au- 
ront vo  du  sortir  de  celui  de  la  miséricorde  ; 
qu'il  corrigera  les  dérèglements  du  [)écheur 
el  qii'il  ellaccra  toutes  les  taches  dont  K^ 
['éclié  semblait  avoir  marqué  la  conduite  de 
sa  Providence.  Un  pécheur  dans  l'abondan- 
ce, un  juste  dans  la  misère,  le  vice  sur  le 
trône,  la  vertu  dans  les  fors,  le  criminel 
dans  les  honneurs,  l'innocent  dans  le  mé- 
jn  is  sont  comme  autant  de  taches  h  la  gloire 
de  Dieu,  comme  autant  de  brèches  que  io 
péclié  fait  h  la  Providence.  Le  Seigneur, 
dans  le  jugeinerd  dernim-,  remettra  chnqm; 
chose  à  sa  place;  il  essuyera  toutes  ces  ta- 
ches; il  remplira  toutes  ces  brèches  :  lin- 
plcbil  ruinas.  La  pérniencc  qui,  selon  saint 
Thomas,  est  une  partie  de  la  justice  vindi- 
cative fait  la  Uième  chose  dans  Augustin. 
Augustin  |)écheur  n'avait  pas  -en  lui  une 
aU'ecliou  qui  ne  fut  déréglée  par  une  pas- 
sion qui  ne  fût  hors  de  sa  place;  mais 
Augustin  [)énilent  fait  raison  h  la  Provi- 
dence de  tous  ses  désordies.  1!  trouve  chez 
lui  un  pécheur  dans  les  délices,  il  le  con- 
damne à  des  mortifications  (jui  dureront 
autant  que  sa  vie;  il  y  trouve  un  orgueil- 
leux et  un  esprit  fort,  il  l'abbat  et  le  rem- 
plit de  confusion  et  de  honte;  il  y  trouve 
un  hérétique,  il  le  soumet;  il  y  trouve  un 
iinpu(li(iue,  il  le  punit;  il  lui  ordonne  des 
châtiments  à  proportion  de  ses  plaisirs  ou 
plutôt  il  ne  garde  aucune  mesui'e  avec  lui  ; 
il  le  pousse  à  bout  et  le  maltraite  jusqu'à  la 
mort.  Mais  ce  n'est  pas  assez;  Augustin  a 
fait  triompher  publiquement  l'erreur  de  la 
vérité;  il  a  insulté  impunément  aux  secta- 
teurs de  la  véritable  religion  ;  il  a  scandalisé 
les  forts,  il  a  perverti  les  fail)le>;  ce  sont 
autant  de  ruines  (lu'il  faut  relever,  autant 
de  brèches  qu'd  faut  réparer  :  Implebit  rui- 
nas,  et  il  les  réparera.  Il  rendra  à  la  gloire 
de  Dieu,  mais  il  lui  rendra  avec  usure 
tout  ce  qu'il  lui  a  ôlé;  il  lui  payera  les 
intérêts  de  ses  funestes  relardements.  S'il 
a  prêté  sa  voix  et  sa  plume  à  la  défense 
de  l'hérésie,  il  les  consacrera  pour  jamais 
aux  intérêts  de  la  religion  catholique; 
s'il  a  élé  l'avocat  du  mensonge,  il  de- 
viendra l'oracle  de  la  vériié;  [)Our  quelques 
personnes  qu'il  a  perverties,  il  en  conver- 
tira une  infifiité  dans  le  monde  par  ses 
exemples,  par  ses  préu. calions  el  par  ses 
écrits  :  hnphbil  ruinas.  En  un  mol,  ce  chré- 
tien qui  a  éprouvé  toutes  les  corruijtions 
de  la  nature  deviendra  tout  d'un  coup  le 
[dus  cher  de  tous  les  lavoris  de  la  grAce  ; 
el,  en  effet,  il  me  semble  qu'il  se  conlracle 
une  alliance  particulière  entre  la  grâce  et 
Auguslin  dans  le  moment  de  sa  conversion. 
C'était  sous  un  arbre  que  Adam  et  Eve 
avait  perdu  la  grâce,  et  c'est  sous  un  arbre 
(lu'AugusUn  l'a  retrouvée  :  Sub  arbore  malo 


f.OS 


SERMONS.  —  SERM.  X,  POUR  LA  FETE  DE  SAINT  AUGUSTIN. 


606 


susciCavi  te  ;  ibi  corrupla  est  mater  tua,  ibi 
violata  est  qenilrix  tua.  .Mais  au  lien  d'une 
^j-ilce  qui  avail  olé  ^  l;i  mefci  du  franc  aiibi- 
iVe  dans  l'étal  .le  la  jiislico  originelle  el  qui 
avait  succombé  sous  rcITorl  de  la  liberté 
(i'Adam,  il  se  trouve  d'intelligence  avec 
une  grâce  victorieuse,  dont  les  attraits  ont 
une  puis>ance  inévitable  pour  gagner  le 
(œurde  l'homme,  el  [lour  lui  faire  trouver 
son  plaisir  et  sa  gloire  dans  sa  défaite. 

Nous  lisons  dans  le  livre  des  Juges  que  la 
sage  Débora,  (|ui  était  l'illustre  prophétesse 
d'Israël  et  comme  la  générale  des  armées  du 
Seigneur,  ayant  à  entrejirendre  une  guerre 
loi  i  importante  ,  voulut  associer  le  vaillant 
Barac!)  ïi  la  gloire  de  ses  conquêtes.  Elle 
lui  proposa  île  le  mettre  à  la  léle  de  dix 
mille  hommes  (lour  marcher  contre  ce  cé- 
lèbre Pisara  qui  était  la  terreur  du  peuple 
do  Dieu.  Barach  réfiond  'i  celle  propo.Nilion 
en  ces  termes  :  Si  venis  mecum  vadam,  si 
nolueris  venire  nonpcrgam;  Si  vous  voulez 
y  venir  j'irai  volontiers;  mais  si  je  suis  tout 
seul  je  n'irai  pas.  Débora  lui  réplique  : 
Jbo  qtivJem,  sed  in  hac  vicevictoria  i-eputabitur 
in  manu  midieris  :  J'irai  donc,  puisque 
vous  le  voulez,  mais  souvenez-vous  aussi 
que  quoique  ie  péril  du  combat  doive  être 
jiartagé  entre  nous,  tout  l'honneur  do  la 
victoire  sera  néanmoins  pour  moi.  {Judic, 
IV,  8.)  Ah!  Messieurs,  que  ceci  nous  repré- 
sente tidèlement  l'union  de  la  grâce  de  Jé- 
sus-Christ avec  le  franc  arbilre  de  l'homme 
et  l'alliance  de  cette  même  grâce  avec  le 
cœur  et  l'esprit  d'Auguslin.  Dans  l'élat  de 
l'imiocence,  la  grâce  et  l'homme  combat- 
laent  ensemble,  mais  c'était  l'homme  qui 
commandait.  La  grâce  élail  pour  ainsi  due 
à  ses  gages;  elle  avançait  ou  reculait  au 
gré  de  son  franc  arbilre,  et  quand  l'Iiomme 
remporlait  quelque  victoire,  il  en  méiilait 
la  louange  et  en  avait  presque  tout  l'hon- 
neur. Mai.sia  volonté  de  l'homme  ayant  été 
corrompue  et  élant  devenue  malade,  lâi  he 
el  impuissante  par  le  péché,  il  a  fallu  don- 
ner le  commandement  à  la  grâce.  Au  lieu 
d'un  secours  qui  secondait  les  forces  de 
riiouime  innocent ,  l'on  donne  à  l'homme 
criminel  une  force  indomptable  qui  triom- 
phe de  sa  faiblesse.  Au  lieu  que  la  grâce 
n'agissait  que  par  le  branle  et  par  le  mou- 
inent  de  la  volonté,  la  volonté  n'agit  plus 
(pie  par  le  branle  el  par  le  mouvemenl  de 
la  glace.  Elles  ne  comballenl  jamais  l'une 
sans  l'autre;  mais  quand  ou  perd  la  bataille, 
on  ne  s'en  prend  qu'à  la  liberté,  et  quand 
ou  remporte  la  victoire,  on  n'en  donne 
l'honneur  qu'à  la  grâce.  Voilà  de  quelle 
manière  la  grâce  s'allie  à  la  volonté  du  t)é- 
ciieur;  mais  cette  même  grâce  comme  une 
autre  Débora,  fait  aujourd'hui  un  Iraité  su- 
li  nnei  avec  Augustiu  comme  avec  un  autre 
Barach.  Celte  illustre  conquérante  qui  com- 
bat dans  nos  âmes  tout  ce  qui  s'opfiose  à 
la  gloire  de  Dieu,  etqi'i  est  comme  le  lieu- 
lei.ant  générai  de  ses  armées,  intéresse 
Augustin  dans  son  parti  el  lui  veut  donner 
une  commis>ion  honoialde  i  our  aller  com- 
battre, contre  les  péiagieiis,  l'orgueil  de   la 


nature  corrompue,  [)0ur  aller  soutenir  par- 
tout la  nécessilé  de  la  grâce  de  Jésus-Christ 
el  f)Our  aller  défendre  la  cause  de  sa  mort 
et  de  son  sang,  Augusiin  y  consent.  Animé 
d'un   si   beau    zèle,   honoié   d'un   si    grand 
emploi,  il  sacrifia  tontes  choses  h  une  (]ue- 
relle  si  importante;  mais  il  sent  bien  (ju'il 
no  saurait  pas  faire  un  pas  si   cette  même 
grâce   qu'il  va   défendre   ne  le   soutient,  si 
elle  ne   l'accompagne  partout,  et  si  elle  ne 
fait  avec  lui  ce  qu'il  a  dessein  de  faire  pour 
elle  :  Si  venis  mecum  vadam,  si  nolueris  ve- 
nire non  pergam.  Oui,   Augusiin,  la  grâce 
vous   accompagnera    toujours    et    no   vous 
abandonnera  jamais;   vous  la   ferez  triom- 
pher dans  l'Eglise  comme  elle  aura  triom- 
phé dans  votre  cœur:  elle  travaillera  pour 
vos   intérêts   et   vous  travaillerez  pour  les 
si'ens;  elle  viendra  à   bout  de  la  révolte  do 
vos   passions    et   vous  viendiez  à  bout  de 
l'insolence   de  ses  ennemis;  vous  irez  ar- 
borer   j)arlout  ses  élendards;    vous  la  ren- 
drez victorieuse  des  oatliDliques  et  des  liber- 
tins,   des    hérétiques  et  des  inlidè!(!S,    des 
lâches  et  des  orguidlleux;   vos   exemples  et 
vos  actions,  vos    éirits   et    vos  livres,  vos 
iJisputes  c<i  vos  sermons,  vos  travaux  et  vos 
veilles,    voire    pénitence   et   voire   amoui', 
voire  cor,)s  et  votre  âme,  enfin  toutes  (dio- 
ses  ne  seront  en  vous  que  les  armes  offen- 
sives et  défensives  de  la  grâ;e.  Dans  les  fa- 
tigues que  vous  souffrirez  |)Our  les  inlérêls 
et  dans  les  combals  (pie  vous  livrerez  pour 
sa  vengeance,  vous  en  aur.z  toute  la  peine 
el  vous  lui  en  donnerez  foule  la  gloire,  vous 
sèmerez  et  elle  moissonnera;  vous  courrez 
mille  hasards  dans  vos  b  dailles,  et  elle  rem- 
portera  tout  l'avantage   de    vos    victoires, 
voire  humilité   le  veut   ainsi,   el  c'est   une 
des  clauses  du  traité  que  vous  avez  fait  avec 
la  grâce,   llluslre    alliance  d'AugUbtin,  avec 
la  grâce  de  Jésus-Chrisl,  Augustin  lui  lient 
lieu  de  toutes  choses;  Augustin  est  l'esciave 
de  la  grâce  ;  il  a  élé  surmonté  et  pris  par  la 
grâce  en  juste  guerre;  il  se  fait  unfilaisirde 
porter  ses  chaînes;  il  sera  soumis  éternelle- 
ment à  son  autorité  elà  ses  lois;  et  comme 
par  la  disposition  du  droit  tout  ce  que  les 
esclaves  acquièrent,  ils  ne  l'acquièrent  que 
pour  leur  maître  :  Quidquid  servusacquirit, 
domino  acquirit  ;  de  même  tout  ce  que  fait 
Augustin,  il  ne   le  fait  que  pour  la  grâce; 
toutes  ses  acquisitions  sont   pour  elle.  Au- 
gustin est  l'eulant  bien-aimé  do  la  grâce; 
la  grâce  l'a  enfanté  avec  beauccuip  de  peine, 
mais  dans  cet  enfantement  mystérieux,  on 
peut  dire  (jue  ça  élé  l'enfant  (jui  a  enduré  les 
tranchées  de  la  mère.  Augustin,  après  mille 
peUiCS  el  mille  diflicullés    esl  devenu  l'en- 
fani  le  plus  chéri    do  celle  grâce  et  de  celle 
mère.    Augusiin  est   rajiôlre  de   la    grâce; 
c'est  d'elle  qu'il  a   reçu   sa  ujission.  il  no 
prêche  que  la  grâce,  H   ne  parie  que  de  la 
grâce.  Augusliii  est  le  secrétaire  et  le  tru- 
chement de  la  grâce;   c'ist  par  lui  qu'elle 
s'exprime;  c'est  [lur  lui  ()u  elle  nous  parle, 
nous  pouvons  lui  dire  avec  le  Prophète  quo 
la  grâce    et  répandue  sur   ses    livres  :  iJif- 
fusa  est  gralia  m  (ahiis  tàis.{l*sol,  XLIV,  3.) 


fi07                                               ORATEURS  SACRES.  DE  MONMOREL.  COS 

cl  il  peut  nous  dire  qu'elle  esl  aussi  répan-  (jcli<ip|)or.   Aussi    [)Oiil-oa    tiiro  que  sa    tuo- 

due  dans  tous  ses  ouvi-Hgos  et   que  sa  !an-  raie  esl  la  |ilus  pure  morale  qui  fût  jaujais, 

gue  et   sa   plume    prclent  également   leur  parce  qu'elle  est   toute  fondée  sur  la   soli- 

minist^re  à  la  beauté  et  h  la  promptitude  de  dite  du  saint  amour.  Dans  l'école  de  saint 

ses  expressions  :  Lùîgrua  wm  cfi/'iHMfs  scribe  Augustin,  l'amour  divin  et  l'amour-propre 

velociter  scribentis.   {Psal.  XLIV,  2.)  Enfin  sont  deux    célèbres    rivaux    qui    partagent 

Augustin  est   l'arbitre  de  la  grâce  ;  si  on  lui  tous   les   cœurs  et   toutes   les  actions  des 

conlestequelque  chose,  sion  veut  retrancher  liommes,    la   moindre    pensée,  le   moindre 

de  sa  domin.ition  et  de  ses  droits  ,  elle  s'en  mouvement   de  l'ilme  qui  n'a()partient   pas 

rapportée  Augustin,  elle  passera  par  tout  à  l'amour  divin,  appartient  infailliblement 

ce  qu'Augustin  en  aura  dit.  Si  bien,  Mes-  à  l'amour-propre.  Ce  sont  deux  pôles  sur 

sieurs,   qu'il  y  a  une  infinité  do  relations  quoi  roule  toute  la  vie  humaine  et  Uiesur© 

entre  Augustin  et  la  grâce  de  Jésus;  leurs  toute  la  vie  chrétienne  ;  l'on  ne  s'ap|)rociK; 

idées  sont  si   étroitement  unies  qu'on  ne  de  l'un  qu'à  mesure  qu'où  s'éloigne  de  l'au- 

saurail  penser  à  Augustin  sans  penser  5  la  Ire.    Ce  sont  deux  fameux    architectes  qui 

grâce,  pi-nser  à  la  grâce  sans  penser  à  Au-  ont  bàlideux  villes,  lesquelles  seront  d'une 

guslin.  Car  s'il  est  le  favori  et  le  docteur  de  éternelle    durée.  L'amour  que  nous    avons 

la  grâce,  il  ester/core  le  docteur  et  le  modèle  pour  Dieu  et  qui  va  jusques  au  mépris  do 

del'amourdivjnqu'il  fait  Iriompherde  toutes  nous-mêmes,  a  bâti  la  sainte  cité  de  Jérusa- 

les  attaques  de  l'amour-propre,  c'est  la  der-  lem;  et  l'amour  que  nous  avons  pour  nous- 

nière  partie  de  uion  discours.  mêmes  et  qui  va  jusiiuesau  mépris  de  Dieu 

TiioisiisME  PARTIE.  ^  ^^'■'  '"  ^^^^  abominable  de   Babylone,  Cet 

L'amour-propre  fait  deux  choses  à  l'é-  amour  de  Dieu  qui  s'ap[)elle  charité,  est  un 
gard  de  l'amour  divin.  Quelquefois  il  l'ai-  nionument  qui  nous  porte  à  jouir  de  Dieu 
l'ère  el  le  corronq)!,  quelquefois  il  limite  V^^''  Dieu  même,  et  à  nous  servir  seule- 
et  le  falsifie.  En  premier  lieu  l'amour-pro-  "'^'"'  ^^  ^^al  le  reste  pour  l'amour  de  lui. 
pre  altère  l'amour  divin  el  le  détruit  eiitiô-  Cet  amour-propre  qui  s'appelle  cupidité, 
remenldans  nos  cœurs,  comme  quand  il  le  est  un  mouvement  par  lequel  nous  rélléchis- 
combal  à  force  ouverte,  qu'il  lève  le  masque  sons  sur  :ious-mêmes  celle  jouissance  qui 
et  que,  secondé  de  l'orgueil,  il  nous  donne  ne  doit  être  que  pour  la  dernière  lin,  nous 
pour  les  lois  de  Dieu  un  mé[)ris  que  nous  arrêtant  aux  créatures  pour  l'amour  d'elles 
devrions  avoir  pour  nous-mêmes,  ou  qu'il  ou  [>lulôt  pour  l'arnour  de  nous.  De  15  cet 
nous  donne  pour  nous-mêmes  un  attache-  incomparable  docteur  conclut  que  la  vertu 
iiicnt  et  une  complaisance  que  nous  de-  n'esta  le  bien  prendre,  que  la  règle  de  I  a- 
vrions  n'avoir  que  pour  Dieu.  En  second  uiour:  Vir lus  esl  ordo  amoris,  qnciionnini  ii 
lieu,  l'amour-propre  imite  el  falsifie  l'amour  n'y  a  qu'une  passion  chez  les  Sioïques,  qui 
divin;  c'est  lorsque  par  un  siratagème  qui  est  lamour,  le  ressort  el  le  ()remier  mobile 
lui  estforl  ordinaire,  il  tâche  de  se  substi-  de  toutes  les  autres,  de  même,  il  n'y  a 
tuer  en  la  place  de  son  ennemi,  el  que  nous  qu'une  vertu  parmi  les  cliréiiens,  qui  est 
déguisant  ce  cpi'il  est,  il  se  fait  passer  à  nos  l'amour  sans  laquelle  toutes  les  autres  doi- 
yeux  pour  ce  qu'il  n'est  pas.  Une  infinité  vent  être  comptées  pour  rien,  et  qui  seule 
de  chrelieiiss'imaginent  qu'ils  aiment  Dieu,  renferme  généralement  toutes  les  autres 
ils  9  en  rapportenl  à  quehpies  actions  e\té-  qui  ne  sont  que  ses  espèces  et  ses  modiîi- 
I  ieures,à  quelques  devoirs  de  piété,  à  quel-  cations  ;  qu'aiiisi  la  tem|)érance  n'est  qu'ui 
ques  mouvements  airectifs  qui  n'en  sont  amour  sobre,  la  justice  qu'un  amour  éiiu- 
que  des  preuves  fort  trom|)euses  et  des  table,  la  pudeur  qu'un  amour  discret,  la 
marques  fort  équivoques.  Or  le  plus  sou-  force  qu'un  amour  constant,  et  toutes  les 
vent  toute  cette  piété  et  tout  cet  amour  vertus  ensemble,  qu'auianl  de  ditlérenls 
n'est  qu'un  fantôme  d'amour  divin  de  la  amours,  ou  plutôt  un  seul  amour  qui  cot 
façon  de  leur  auiour-(MO[)re.  Cependant  un  toujours  le  même  malgré  la  diveisaé  de 
homme  s'applaudit  en  secret  de  cette  vertu  ses  matières  et  la  diflérence  de  ses  opéra- 
prétendue  ;  les  autres  y  sont  trompés  et  il  lions,  que  la  religion  Cdlholi({uenedemar!de 
y  est  trom[ié  lui-môme.  C'est  une  fausse  que  cet  amour  au  chrétien,  et  que  ()0U!- 
monnaie  qui  ne  laisse  [>oinl  d'avoir  cours,  vu  qu'il  aime,  il  n'a  qu'à  faire  ensuite 
parce  qu'elle  a  foule  la  hgure  et  toute  la  loul  ce  qu'il  \oudva  :  A  ma  et  fac  quod  vis, 
ressemblance  de  la  bonne.  Le  grand  Au-  {)arce  que  accomplir  ce  préce[)le,  c'est  ac- 
guslln  remédie  à  ces  deux  désordres.  Pie-  complir  tous  les  autres, el  qu'accomplir  les 
mièrcment,  il  nous  fait  connaître  le  vérila-  autres  sans  celui-ci,  c'est  n'en  accomplir 
ble  amour  ;  deuxièmement,  il  nous  le  lait  aucun. Qu'en  un  moi,  l'amour  divin  txpli- 
^enti^.  Il  nous  le  fait  connaître  par  sa  doc-  ([ué  de  cette  manière,  esl  le  fruit  de  la 
trine,  et  il  nous  le  fait  senlir  par  son  nouvelle  loi,  le  caractère  du  clirélien  qui 
exemple.  11  le  discerne  [tar  ses  lumières,  et  le  dislingue  du  juif,  le  sceau  cjui  marque 
il  en  l'ait  le  premier  essai   sur  sa  personne,  les   enfants  de  Dieu,  l'Imile  qui  nous  adou- 

Jamais  aucun  docteur   n'a   connu   la  na-  cil  le  joug  de  la  loi  cl  de  l'Evangile.  La  vie 

lure  de  l'amour   divin  el  celle  de  l'amour-  de  l'âme,  l'âme   des  vertus  et  la   vertu  des 

propre  comme  le  grand  Augustin.  Il  y  était  chrétiens  qui  sont  sur  la  terre,  el  des  saints 

savant  par  sa  [)ro[)re  expérience,  il  n'avait  (jui  sont   dans  le  ciel,   vodà   ce  que    uion 

garde  de  se  laisser  surprendre  jamais  à  des  saint  nous  a  appris  de  l'amour  de  Dieu, 

pièges  aux(picls  il  avait  eu  tant  de  peine  à  Que  si  de  sa  doctrine  nous    voulons  pas- 


COn 


SrRMONS.—  SEUM.  X,  POl  R  LA  FETE  DE  SAINT  AUGUSTIN. 


c:o 


sera  SCS  cxeiuplos,  vous  vorrrz  qu'il  ni' 
fjiil  pas  unejiclion  qni  ne  soit  animée  yi\r 
lin  si  noble  niolif,  soil  que  nous  le  rej;;ir- 
dionsd.nns  sn  vie  conlemplalive  ou  dans  sr. 
vieaclivo,  ilans  les  emplois  de  son  épiscn- 
pat  ou  dans  les  temps  précieux  qu'il  donne 
h  In  solitude  et  à  la  retraite.  Augustin  est 
toujours  Augustin,  c'esl-^-dire,  lonjonis 
aiin.int  et  toujours  cnllamméde  ce  feu  que 
son  Sauveur  était  venu  allumer  sur  la  terre. 
Mais  si  vous  le  regardez  dans  ses  extases, 
vous  l'y  verrez  non  pas  comme  un  homme, 
mais  comme  un  sérapliin  mortel  h  qui  la 
rliair  sert  de  matière,  et  à  qui  la  cliarilé 
sert  de  forme  ,  se  consumera  tous  moments 
en  désirs  dans  la  contemplation  de  celi(; 
Vérité  éternelle  qu'il  avait  méconnue  si 
longtemps,  et  de  celte  beauté  infinie  (ju'il 
avait  aimée  si  lard;  tanlùt  il  poussait  mille 
soupirs  et  s'abandonnait  à  mille  sensibles 
regrets  d'avoir  prodigué  si  longtemps  son 
amour  à  des  êtres  qui  ne  méritaient  ([ue 
son  aversion  et  sa  haine  ;  tantôt  il  se  re- 
prochait sa  folie,  qui  lui  avait  tiré  si  sou- 
vent des  larmes  des  yeux  en  faveur  de  la 
mort  de  Didon,  laquelle  n'avait  pas  voulu 
survivre  à  la  perle  d'Enée,  pendant  qu'il  était 
lui-même  insensible  à  la  mort  de  son  âme, 
laquelle  avait  élé  sans  vie  tout  le  temps 
(ju'elleavailété  à  l'égard  de  Dieusansamour; 
tantôt  il  déplorait  l'aveuglement  des  mor- 
tels, qui  s'amusent  à  chercher  inulilenient, 
dans  la  vanité  des  créatures,  cet  amas  de 
beauté  et  de  bonté  qui  ne  se  peut  trouver 
que  dans  l'unité  du  Créateur,  qui  chercherit 
toute  la  vie  leur  félicité  où  elle  n'est  point, 
et  qui  ne  la  cherchent  point  où  elle  est; 
tantôt  il  se  sentait  enflammé  d'un  si  vio- 
lent désir  de  voir  el  de  [)Osséder  son  Dieu, 
que  son  corps  s'en  détachait  de  ses  sens,  et 
que  son  âme  s'en  détachait  presque  de  son 
corps.  Ahl  mon  Dieu,  disait-il,  dans  ses 
amoureu-x  transports,  jusques  à  quand  soui- 
frirez-vous  que  l'on  m'insulte  et  que  l'on 
me  demande  :  où  estdonc  Ion  Dieu,  sans  que 
je  puisse  le  faire  voir,  parce  que  je  ne  le 
vois  pas  encore?  quelle  raison  pouvez-vous 
avoir  pour  vous  cacher  davantage  à  mes 
yeux,  et  pour  vous  refuser  encore  à  la  pas-» 
sion  innocente  que  mon  cœur  sent  pour 
vous? si  vous  me  dites  qu'il  faut  mourir 
pour  vous  voir,  j'accepte  celte  condition 
volontiers  ;  que  je  vous  voie  donc,  atin  que 
je  meure,  et  que  je  meure  afin  que  je  vous 
voie  :  Eia,  Domine,  moriar  ut  te  videam,  vi- 
deam  ut  hic  moriar;  car  je  compte  la  mort 
pour  rien,  ou  plutôt  je  la  compte  pour  beau- 
coup, si  c'est  elle  qui  doit  me  mettre  en 
possession  de  l'objet  adorable  de  mes  sou- 
pirs. 

Est-ce  donc  Augustin,  mes  chers  frères, 
que  nous  entendons  parler  ainsi;  est-ce  lii 
cet  Augustin  autrefois  si  rempli  d'amour- 
l)roprc,  autrefois  si  amoureux  de  lui-même, 
qui  n'aimait  que  des  beautés  mortelles,  et 
qui  ne  cherchait  qu'à  en  être  aimé.  Oui, 
sans  doute,  c'est  cet  Augustin  autrefois  si 
libertin,  autrefois  si  vûlu{)tueux,  autrefois 
SI  impudique,  ou  plutôt  ce    n'est  plus  lui, 


(t  la  grâce  l'a  tellement  changé,  qu'i  Ile  n'a 
presque  pins  rien  laisséen  lui  de  lui-môme. 
El  après  cela,  |)ouvons-nous  dire  qu'il  y 
ail  de  l'impossibilité  dans  nos  conversions  ? 
Ouello  rr-i^nn  nous  em[)6cho  de  nous  con- 
vertit? Avons  nous  de  l'ataeliemcnt  |)our 
le  monde,  mais  Augustin  en  avait  pour  In 
moins  au'.ant  que  nou«.  Avons-nous,  de  la 
diflicuiléà  renoncer  aux  nlaisirs?  mais  Au- 
gustin y  a  eu  plus  de  diniculté  cpie  per- 
sonne. Avons-nous  quelque  malheureux 
tempérament  qui  nous  sollicite  iiicessam- 
ment  au  péché,  quelque  habilnde  qui  nous 
y  entretienne,  quelque  occasion  (jui  nous  y 
engage,  (pielque  créature  qui  nous  y  en- 
lraîn(>:  mais,  mes  frères,  nous  n'avons  pas 
une  faiblesse  Ih-dessus  que  noire  augusie 
ponlifo  n'ait  éprouvée  :  pas  un  seul  obsta- 
cle nes'oppose  à  notre  salut  qui  ne  se  s  it 
opposé  au  sien.  Nous  sommes  en  droit  d'at- 
tendre aujourd'hui  du  secours  et  de  la 
compassion  de  sa  {»art,  pourvu  qu'il  vo'e 
quelque  courage  et  quelq-.ie  fidélité  de  la 
nôtre.  Non  habcmus  Ponli/lcem  qui  nonpos- 
sil  compati  iufirmitatibus  noslris.  Augustin 
a  soulfert  toutes  nos  peines,  \\  a  soutenu 
tous  nos  combats,  il  a  surmonté  tous  nos 
ennemis  :  Tentatwnper  omnia.  Esl-cela  rai- 
son qui  donne  de  la  peine  à  notre  foi  ?  est- 
ce  la  nature  qui  étouffe  en  nous  les  senti- 
ments de  la  grâce?  est-ce  l'amour-firoi)ro 
qui  emi)6clie  dans  nos  âmes  le  progrès  de 
l'amour  divin  ?  Augustin  nous  a  fait  raison 
de  tout  cela,  Tentatum  per  omnia.  Sd  peux 
dire  de  lui  ce  que  saint  Paul  a  dit  de  Jésus- 
Christ,  qu'il  a  étoulle  toutes  sortes  d'inimi- 
tiés en  lui-même:  !nterficiens  inimicilias  in 
scmctipso  {Ephcs. ,\l,i6j;  l'inimitié  delà  rai- 
son et  de  la  foi,  l'i^iimilié  de  la  grâce  et  de 
la  nature,  l'iniujitié  de  la  charité  et  de  la 
cupidité.  Mais  ce  n'est  ()as  assiz  qu'Augus- 
tin ail  vaincu  dans  sa  personne,  il  veut 
encore  vaincredans  les  nôtres;  il  veut  éten- 
dre ses  victoires  jusque  sur  nous.  La  grâce 
a  triomjihé  dans  Auguslin,  et  Augustin  a 
triomphé  par  la  grâce;  mais  la  grâce  et  Au- 
guslin qui  ont  toujours  été  invincibles  quand 
ils  ont  élé  ensemble,  se  réunissent  aujour- 
d'hui pour  triompher  du  cœur  des  chré- 
tiens. Avouez,  mes  frères,  que  l'exemple 
d'Auguslin  est  quelque  chose  de  bien  fort 
et  de  bien  puissant;  c'est  un  esprit  qu'on 
peut  appeler  véritablement  un  esprit  fort  ; 
il  n'y  a  point  de  faiblesse  à  croire  ce  qu'il 
croit,  et  à  nous  laisser  persuader  de  ce 
qu'il  nous  dit;  c'est  un  savant  qui  a  exa- 
miné toutes  les  religions  et  toutes  les  sec- 
tes; il  est  imfiossible  qu'il  n'ait  pus  choisi 
la  meilleure.  C'est  un  saint  quia  [^assé  par 
tous  les  plaisirs  de  la  vie;  sa  vertu  n'est 
point  une  verlu  de  tempérament,  sa  rc" 
traite  n'est  point  un  elfet  de  mélancolie; 
c'est  un  pécheur  qui  nous  attire  par  sympa- 
thie, et  il  est  cerluin  qu'un  pécheur  conver- 
ti est  bien  plus  propre  h  faire  des  conver- 
sions qu'une  infinité  de  justes  qui  n'auront 
jamais  [/éché.  Un  j)écheur  s'en  rapporlo 
plus  volontiers  à  un  pénileni,  el  liouve  un 
I)laisir  secret    à  imiter  plutôt  la    vertu  lie 


611 


ORATEUlîS  ^.\CUi::S.  DE  MONMOREL. 


CI2 


ceux  qui  lui  ont  é{6  semblables  dans  le 
vice.  En  un  mot,  Augustin  est  un  pénitent 
qui  nous  fait  voir  que  la  pénitence  a  des 
avantages  que  l'innocence  n'a  Jamais  tnis, 
et  qui  nous  ins'nue,  par  son  exemple,  que 
comme  Dieu  trouve  sans  comparaison  plus 
de  gloire  dans  la  conversion  d'un  pécheur, 
quediins  la  sainteté  d'un  grand  nombre 
d'innocents  ,  nous  devons  renoncer  de  bon 
cœur  à  tous  nos  désordres,  dans  cette  pen- 
sée pleine  de  consolation,  que  Dieu  en 
pourra  faire  des  sources  de  gloire  pour  lui, 
et  que  peut-ôlre  il  se  plaira  à  faire  abon- 
der la  grâce  là  où  le  péché  aura  abondé; 
cai  il  ne  faut  [loint  douter  que  le  libertin.tge 
d'Augiisli')  ne  fasse  en  lui  un  très-grand 
honneur  à  la  grAcc.  Si  Augustin  n'avait 
point  été  héréti'jue,  il  ne  serait  pas  surpre- 
nant de  le  voir  le  plus  grand  de  tous  les 
docteurs  de  l'Iîglise;  s'il  n'avait  pas  élé  li- 
bertin, sa  sainteté  serait  privée  d'une  bon- 
ne partie  de  son  éclat;  s'il  n'avait  jamais 
aimé  le  monde,  i!  n'y  aurait  pas  lanl  de 
merveille  à  le  voir  si  passionné  d'amour 
pour  son  Dieu.  Qu'aUemions-nous  dofic, 
mes  frères,  à  '"aiic  comme  le  grand  Augu;- 
tin?Ne  vo\ilons-nous  |  as  conlnbuerde  tou- 
tes nos  forces  à  faite  un  si  bon  usage  do 
ii'is  péchés  ?  voulons-nous  nous  opjiuser 
plus  longtemps  aux  vie  loues  et  aux  opéra- 
tions de  la  giâre  ?  Ah  I  mes  frères,  si  vous 
m'en  croyez,  allons  nous  jeter  aux  pieds 
de  notre  illustre  ponlilé  :  Adeamusergo  ciim 
fiducia  ad  llironum  gruliœ  ejits,ut  mistricor- 
dimn  consequamur  et  graliam  inveniamus  in 
au.rilioopportuno,  conclut  saint  l*au\(Hebr., 
XIV,  16),  après  les  paroles  de  mon  texte. 
Approchon^-nous  de  cet  autel  oij  l'on  ho- 
nore ce  gra:  d  saint;  demandons-lui  sa 
compassioi)  pour  nos  misèies,  et  le  secours 
de  sa  charité  et  de  ses  |  rièies  pour  nous 
obtenir  de  puissants  etfets  de  la  miséri- 
corde divine.  Augustin  est  le  Irôiie  vivant 
delà  grâce;  elle  a  régné  en  lui  et  par  lui; 
c'est  là  où  luKis  la  devons  aller  chercher.  Il 
iaut  rcndie  les  armes  à  la  gtâce  et  à  ce 
grand  ca|)i(a:ne  dont  elle  se  seit  encore  au- 
jourd'liui  pour  nous  soumettre  ;  préparons- 
leur  de  nouveaux  triomphes,  ajoutons  quel- 
que chose  à  leurs  Irojjhées;  mettons  au 
pied  de  cet  autel  une  raison  soumise,  étei- 
gnons son  llaujbeau,  et  renonçons  à  toutes 
les  connaissances  qui  peuvent  être  con- 
traires aux  sentiments  de  notre  foi  ;  don- 
nons-y le  coup  mortel  à  la  nature;  lâchons 
d'y  égorger  l'amotir-propre,  porions-y  des 
cœuis  contrits,  ajoutons-y  des  vices  sur- 
montés et  des  passions  étouffées,  alin  que 
par  cet  appareil  nous  puissions  rendre  quel- 
que honneur  à  la  mémoire  d'Aiiguslin  et  à 
la  souveraineté  de  la  grâce  ;  ou  si  nous  ne 
pouvons  pas  étouffer  nos  passions,  tâchons 
de  les  consacrer  en  les  faisant  changer 
d'objet;  donnons  à  la  Divinité  la  tendresse 
de  cet  amour  que  nous  avons  pour  le  monde. 
Ayons  pour  la  gloire  de  Dieu  ce  zèle  au- 
dacieux qui    nous  anime   pour  les  intérêts 


de  la  nôtre;  transportons  aux  biens  du  ciel 
cet  empressement  que  l'avarice  nous  a 
inspiré  pour  ceux  de  la  terre.  Commen- 
çons h  sanctifier  [)ar  une  offrande  salutaire 
toutes  les  puissances  de  notre  âme  et  toutes 
les  facultés  de  notre  corps,  en  les  em- 
ployant à  de  nouveaux  usages,  afin  decom- 
balire  le  démon  par  ses  propres  armes,  ot 
en  changeant  en  instruments  de  salut,  les 
passions  qui  nous  conduisaient  à  la  perle 
de  nolrj  âme. 

Cependant, mes  révérer.ds Pères,  si  l'exem- 
ple d'Augustin  convertit  véritablement  ces 
pécheurs, c'est  à  vous  à  les  recevoir  entre 
vos  bras  pour  faire  fructifier  en  eux  les  se- 
mences de  la  sainteté  et  de  la  vertu  ;  c'est  l\ 
vous  que  je  dois  adresser  ces  paroles  que 
saint  Augustin  adressa  à  son  cher  Alipius 
dans  le  moment  de  sa  conversion,  en  lui  de- 
mandant le  secours  de  sa  conduite  :  infir- 
mum  in  fidc  assumite.  Prenez  soin  de  ces 
nouvelles  productions  de  la  grâce;  char- 
gez-vous (le  défendre  les  conquêtes  de  no- 
ire Père  et  de  lui  en  faire  de  nouvelles. 
Vous  avez  entre  vos  mains  les  armes  dont 
lu  grand  Augustii  se  servait  pour  combattre 
le  péché,  et  pour  convertir  les  pécheurs. 
Sa  doctrine  est  dans  vos  esprits,  sa  pénitence 
sur  vos  corps  et  sa  charité  dans  vos  cœurs  ; 
vous  êtes  les  enfants  de  son  amour,  les  hé- 
ritiers légitimes  de  son  zèle,  et  comme  les 
suppléments  de  ses  glorieux  desseins.  Au- 
gustin a  fait  dans  rinslilulion  de  votre  saint 
ordre  ce  (pie  Jésus-Christ  a  fait  dans  l'éta- 
blissement (le  son  Eglise;  Jésus -Chri>t 
avait  un  corps  naturel  qui  ne  pouvait  pas 
demeurer  toujours  sur  la  terre,  il  a  mis  e;i 
sa  place  un  corps  mystique  qui  agit  en  son 
nom,  qui  souffre  en  son  nom,  et  qui  animé 
de  l'esprit  de  Jésus,  i)oursuit  ses  desseins 
etajouto  incessamment  à  ses  victoires.  Au- 
gustin ne  pouvant  demeurer  toujours  ici- 
bas  par  une  imitation  ingénieuse  de  son 
amour,  a . substitué  aussi  en  la  place  de  sou 
corps  naturel,  un  corps  mystique  qui,  étant 
animé  de  son  esprit,  fait  partout  ce  qu'Au- 
gustin ne  pouvait  faire  que  dans  un  lieu, 
et  fait  toujours  ce  qu'Augustin  n'a  pu  faire 
que  dons  un  temps,  soil  qu'il  faille  soutenir 
les  intérêts  de  la  foi  contre  l'erreur,  ou  ceux 
de  la  grâce  contre  la  nature  accomplie,  ou 
ceux  de  l'amour  divin  contre  l'amour-pro- 
pre. C'est  ainsi,  mes  frères,  qu'Augustin 
est  comme  un  modèle  éternel  que  nous 
[)Ouvons  ne  perdre  jamais  de  vue,  et  qui 
se  présente  toujours  à  nos  yeux,  en  la  pei-^ 
sonne  de  ces  saints  religieux,  ou  comme  un 
docteur  qui  nous  instruit,  ou  comme  un 
pénitent  qui  nous  édifie,  ou  comme  u't 
amant  qui  nous  enflamme;  tâchons,  mea 
frères,  desuivie  ces  illustres  exemples,  et 
de  profiter  de  la  vertu  du  père  et  de  celle 
des  enfants,  afin  (ju'après  avoir  reçu  la  grâce 
parle  minislère  de  son  docteur  et  de  so'i 
plus  cher  favori,  nous  puissions  un  jour 
participer  à  la  gloire  que  je  vous  souhaite 
au  nom  du  Père,  etc. 


NOTICIi 


SUR  BARTIIELEMI    MALUEL 


Bartliélemi  Maurel  naqiiil  dans  le  mois 
de  juin  17o8,  an  lien  de  Lascovdomines, 
pnroisse  de  Faba.«,  dans  le  diocèse  d'Albi, 
Il  (Ommença  ses  éludes  dans  le  lieu  de  sa 
naissance.  Ses  lienreiiscs  dispositions  en- 
gagèrent ses  pareiils  <^  l'envoyer  de  bonne 
heure  au  collège  d'AII)i,  qui,  depuis  le  dé- 
part des  jésuites,  se  trouvait  dirigé  par  une 
société  d'ecclésiastiques,  non  moins  distin- 
gués par  leurs  vertus  que  par  leur  science, 
et  dont  la  mémoire  est  encore  en  vénération 
auprès  de  ceux  qui  les  connurent.  Sous  ces 
maîtres  habiles  le  jeune  élève  fil  de  rapi- 
des progrès;  on  remarquait  surtout  en  hii 
une  imagination  vive  et  féconde,  un  dis- 
cernement sûr,  une  grande  facilité  pour 
écrire,  une  raison  précoce  :  heureuses  qua- 
lités qui,  réunies  à  la  piété  franche  el  sin- 
cère qui  l'anima  de  bonne  heure,  el  à  un 
grand  amour  de  l'étude,  semblaient  annon- 
(  tr  la  carrière  distinguée  qu'il  devait  par- 
courir. 

Après  avoir  terminé  son  cour  de  philoso- 
phie, il  s'adonna  tout  entier  à  l'étutle  de  la 
théologie.  Alors  commencèrent  à  se  i^raver 
l'urtonienl  dans  son  esprit  les  princijies  (Je 
celte  loi  qu'il  a  défendue  avec  tant  de  zèle, 
et  de  cette  morale  de  Jésus-Christ  cpi'il  a 
annoncée  avec  tant  de  dignité  et  d'é.'o- 
quence. 

S.  Em.  le  cardinal  de  Bénis,  archevêque 
d'Albi,  se  trouvant  à  Rome,  l'abbé  Maurel 
fut  envoyé  à  Castres,  où  il  reçut  les  saints 
ordres.  Bientôt  après  on  olfrit  à  ce  jeune 
jirètre,  dont  le  talent  commençait  à  se  faire 
connaître,  la  chaire  de  |)hilosuphie  au  col- 
lège d'Albi  el  en  même  temj)S  un  emploi 
plus  impor;anl  à  Toulouse.  Le  nouveau 
prêtre,  rempli  de  l'esjjrit  de  son  état,  tit  le 
sacrifice  des  avantages  que  lui  offrait  le 
séjour  d'une  grande  ville,  el  accepta  la 
la  cliaiie  du  collège,  emploi  plus  modeste, 
qu'il  occupa  d'une  manière  plus  distinguée 
lundanl  plusieurs  années,  tt  où  il  eut  la 
consolation  de  vivre  avec  une  société  de 
\eriueux  t'cdésiastiques. 

Lu  1788,  il  fut  nommé  vicaire  de  Sainte- 
Marliunne  d'Albi.  11  eut  pour  émule  dans 
le  saint  ministère  un  frère  décédé  curé  à 
Cablres,  et  qui  fut  le  modèle  des  prêtres. 
•M.  Maurel,  qui  voj'ait  avec  douleur  s'é- 
teimlre  chaque  jour  le  llund)eau  de  la  foi, 
b'occupa  d'opposer  de  son  côté  une  digue 
aux  progrès  ellrayanls  de  l'incrédulilè;  il 
établit  dans  la  paroisse  qu'il  desservait  des 
coniércnce>  sur  la  religion  qui  furent  sui- 
vies avec  em|)resseraeni. 


Ce  fut  \h  (|ue  l'abbé  Maurel  commença  S 
faire  connaître  son  inébranlable  attache- 
ment h  la  foi  catholique  :  aussi  parut-il 
comme  un  homme  dangereux  aux  ennemis 
de  la  religion,  qui  préparaient  tant  de  maux 
à  notre  malheureuse  patrie.  Il  ."efusa  le 
serment  ci  la  Constitution  civile  du  clergé. 
Dès  lors  la  réputation  dont  il  jouissait  et 
son  opposition  bien  connue  au  nouvel  or- 
dre de  choses  le  signalèrent  à  la  haine  du 
parti  dominateur;  il  ne  dut  la  conservation 
de  ses  jours  qu'à  la  Providence,  qui  parut 
aveugler  ses  persécuteurs  pour  le  dérober 
h  leurs  regards  et  à  leurs  poursuites 

L'abbé  Maurel  fut  obligé  de  quitter  Albi  ; 
il  se  retira  dans  le  pays  de  sa  naissance,  où 
il  s'occup.a  avec  courage  h  faire  connaître  à 
ses  compatriotes  les  erreurs  conlenues  dans 
la  nouvelle  Constitution. 

Aussitôt  que  l'arrêt  de  déportation  fut 
publié,  le  confesseur  de  la  foi  partit  pour 
l'exil;  il  se  réfugia  en  Italie.  Il  se  reiiilit 
d'abord  à  Nice,  de  là  à  Home  et  Ancône. 
Pendant  trois  ans  qu'il  habita  ces  contrées 
il  se  livra  avec  la  plus  grande  ardeur  h  l'é- 
tude, à  la  composition  de  ses  sermons.  Il 
s'aidait,  dans  ce  précieux  travail,  des  lu- 
mières et  du  bon  goût  de  quelques  ecclé- 
siastiques français,  qui  partageaient  son 
exd  ;  il  soutui  liait  ses  ouviages  à  leur  ci  i- 
lique.  Ce  fut  durant  ce  temps  qu'il  composa 
ces  discours  solides,  [ileins  d'onction,  re- 
marquables par  la  manière  élégante  et  facile 
dont  ils  sont  écrits,  et  qui,  dans  la  suite, 
devaient  produire  en  b'rance  de  si  heu- 
reux fruits  de  conversion  et  de  salut. 

L'abbé  Maurel  voulut  quitter  l'Italie, 
mais  où  aller?  Les  mouvements  do  son  cœur 
et  de  sa  foi  guidèrent  ses  pas;  il  partit 
pour  la  France  :  il  n'était  encore  que  con- 
fesseur, il  aspira  au  litre  glorieux  de  mar- 
tyr. 

Au  commencement  de  1796  il  rentra  dans 
ses  foyers.  Quelle  fut  sa  douleur  quand  il 
fut  le  témoin  des  ravages  qu'avaient  faits 
dans  le  lieu  de  sa  naissance  et  les  paroisses 
voisines  l'esprit  d'impiété,  el  ces  malheu 
reuses  doctrines  qui  avaient  plongé  la  Fran- 
ce di.ns  un  abîme  de  maux.  11  s'occupa  k 
faire  revivre  parmi  ses  compatriotes  les 
précieux  enseignements  de  la  foi,  à  rame- 
ner les  esprits,  [)acifier  les  cœurs,  calmer 
les  ressentiments,  fermer  en  un  mol  les 
plaies  profondes  faites  à* la  religion  et  à  la 
société.  Les  plus  heureux  succès  couron 
nèreul  ses  ell'oils  1  La  haine  des  cnneaii» 
de  la  leligion   lut  impuissante;  plusieurs 


615 


ORATEURS  SACRES.  MALREL, 


616 


fois  sa  liberté  failiil  ôlrc  compromise , 
mais  rien  ne  put  affaiblir  son  zèle;  et  lors- 
qu'on 1801  il  quitta  lo  lieu  de  sa  naissance, 
il  eut  la  consolation  de  voir  rentrer  dans  le 
soin  de  l'Eglise  romaine  un  grand  nombre 
de  paroisses  qu'il  avait  évangélisées,  et  les 
croyances  chrétiennes  refleurir  dans  ces 
contrées. 

A  cette  époque,  il  se  rendit  à  Albi,  où 
Ton  conservait  le  souvenir  de  ses  vertus  et 
de  ses  talents.  Deux  stations  qu'il  y  prôciia 
peu  de  temps  après  placèrent  tout  à  ctiup 
l'abbé  Maurel  au  rang  des  orateurs  les  plus 
distingués.  Ses  succès  dans  la  chaire  mon- 
trèrent en  lui  un  homme  supérieur;  il 
réunissait  toutes  les  qualités  d'un  élo- 
quent apôtre  :  un  raisonnement  solide,  un 
goût  sûr,  un  style  énergique,  la  connais- 
sance du  cœur  humain,  une  élude  appro- 
fondie des  saintes  Ecritures,  un  débit  noble 
et  majestueux,  une  action  vive  et  variée, 
une  voix  sonore,  forte  et  flexible;  une  phy- 
sionomie expressive,  une  éminente  piété, 
un  grand  amour  de  l'étude,  des  intentions 
pures,  un  zèle  ardent  et  éclairé  pour  le  sa- 
lut des  ûmes. 

Sa  réputation  comme  orateur  chrétien  et 
les  précieuses  qualités  qu'il  possédait,  lui 
avaient  assuré  dans  les  rangs  du  clergé  dos 
provinces  du  midi  de  la  France  une  pbice 
iionorable.  M.  l'abbé  de  Candel  fit  connaître 
ce  pieux  et  éloquent  prédicateur  à  Monsei- 
gneur d'Aviau  ,  archevêque  de  Bordeaux. 
Cet  illustre  et  sivant  prélat  invita  M.  Mau- 
rel à  se  rendre  dans  son  diocèse  pf)ur  y 
exer(;er  son  zèle  apostolique.  IM'enlendit, 
il  admira  son  talent  et  ses  veilus,  et  depuis 
lors  il  chercha  h  le  fixer  auprès  de  lui.  L'es- 
poir d'être  utile  à  la  religion  lui  fit  quitter 
son  |ia>s  natal.  11  s'établit  bientôt  tinlre 
M.  Maurel  et  ce  digne  archevêque  la  il  us 
touchante  inliuiité;  et  le  plus  bel  éloge 
que  l'on  p.uisso  faire  de  ce  vertueux  prê- 
tre, c'est  de  dire  qu'il  fut  digne  d'être 
l'aii.i  d'un  des  plus  grands  prélats  qu'ait 
eus    l'Kglise 


Monscigurui 


^ô'ise,  une   des  gloires 
Animé  des  mêmes  in- 


de  France.  Le  souvenir  de 
d'Aviau  est  encore  dans  tous 
les  cœuis;  son  nom  est  en  vénération  :  il 
fui  l'hoiineur  de  l'Ej; 
de  notre  épisco[)at. 
lenlions,  et  n'ambitionriant  que  le  triomphe 
de  la  religion,  le  salut  des  peuples  et  la 
conversion  des  méchants,  ce  saint  arche- 
vêque formait  avec  lui  les  plus  heureux 
projets  pour  parvenir  5  ces  consolants  ré- 
sultats. M.  Maurel  fut  nommé  chanoine 
titulaire  de  l'église  mélropolit.iiiie  de  Saint- 
André.  Il  a  constammenl  rempli  avec  le 
plus  grand  succès  le  ministère  de  la  [uédi- 
cation  dans  la  plupart  dos  diocèses.  L'on 
se  rappelle  avec  quel  empressement  ses 
stations  étaient  suivies  :  il  instruisait  par 
ses  paroles,  il  édifiait  par  sa  piété. 

Lorsque  des  jours  heureux  semblèrent  se 
lever  pour  noire  malheureuse  patrie,  et  que 
la  religion  florissait  à  l'ombre  d'un  pouvoir 
tulélaire,  il  fonda  à  Bordeaux  l'élablisse- 


ment  des  Missions.  Son  zèle  sembla  pren- 
dre un  nouvel  essor;  et,  à  l'exemfilo  de 
Vincent  de  Paul,  il  apostoiisa  les  villes  et 
les  campagnes,  et  ramena  à  Dieu  un  grand 
nombre  de  pécheurs  el  de  chrétiens  faibles 
et  timides  qu'il  savait  persuader  et  con- 
vaincre. En  1822,  il  se  consacra  aux  retrai- 
tes ecclésiastiques,  tâche  importante  et  dif- 
ficile, puisqu'il  s'agit  d'instruire  les  doc- 
teurs de  la  loi,  et  de  conduire  dans  la 
voie  de  la  perfection  les  guides  mêmes  du 
salul.  La  raodeslio  de  M.  Àlaurel  refusait  un 
un  si  redoutable  ministère  :  ce  fut  une  de 
ses  vertus  favorites;  le  bien  seul  de  la  re- 
ligion put  triompher  de  sa  résistance. 

Un  prélat  vénérable  (1),  el  dont  le  nom 
est  cher  à  l'Eglise  de  France,  faisait  revi- 
vre à  celte  époque  [larmi  le  clergé  l'adini- 
ble  institution  des  retraites  ecclésiastiques. 
Il  connut  M.  Maurel,  et  apprécia  bientôt  les 
talents  de  notre  com()alriote.  Nous  sommes 
heureux  de  rapporter  l'extrait  d'une  lettre 
de  ce  prélat,  alors  vicaire  général  de  Cham- 
béry,  adressée  à  M.  Maurel.  Tout  éloge 
serait  ici  superflu:  il  sutTit  de  citer  fidèle- 
ment : 

«  Oui,  certes,  mon  digne  confrère  et  ami, 
vous  remplirez  dignement  les  saintes  fonc- 
tions des  retraites  ecclésiastiques;  n'en 
douiez  pas,  Dieu  vous  a  donné  abonda.ii- 
ment  tout  ce  qui  contribue  à  faciliter  ce  re- 
ligieux ministère.  Ajoutez  à  la  salutaire  in- 
fluence de  vos  exem|)les  l'entraînement  do 
vos  puissantes  paroles  ;  parlez  aux  gardiens 
du  sai;cluairo  :  heureux  quand  on  peut, 
comme  vous,  se  présenter  à  eux  sous  la 
double  autorité  de  la  vertu  et  de  la  science. 
Et  ensuite,  le  grand  ressort  pour  mettre 
tout  cela  en  œuvre,  c'est  le  Credidi  propier 
quod  locutus  sum.  (Psal.  CXV,  10.)  Oui, 
uion  digne  et  vénérable  confrère,  Credidi  . 
tout  est  là.  Eh!  la  foi  dans  un  prêtre  te. 
que  vous,  grand  Dieu!  que  ne  peut-elle 
opérer?  Les  prêtres  fussent-ils  comme  des 
montagnes,  ou  bien  y  eût  il  des  montagnes 
de  prêtres,  vdus  les  transporteriez  où  vous 
voudriez.  Vous  savez  qui  j'ai  pour  garant 
de  cette  vérité.  » 

M.  Maurel  a  oonné  des  retraites  ecclé- 
siastiques dans  la  plupart  des  diocèses,  et 
en  particulier  dans  ceux  du  midi  de  la 
France.  Sa  carrière  de  prédicateur  a  duré 
jusqu'en  1825,  où  il  éprouva  une  première 
attaque  d'apoplexie  au  milieu  de  ses  tra- 
vaux apostoliques.  Il  avait  été  désigné  pour 
|)rêcher  h  la  cour  le  carême  de  1826;  mais 
son  étal  éiait  trO[)  languissant.  Sa  longue  ma- 
ladie fut  un  acte  continuel  de  résignation;  el 
sa  mort  celle  d'un  saint  prêtre.  Il  rendit 
son  âme  à  Dieu  le  18  mai  1829. 

On  a  toujours  reconnu  dans  le  pieux  et 
savant  ecclésiastique  dont  nous  venons  de 
parler,  un  homme  (ilein  Je  l'esprit  de  Dieu, 
méditant  ses  sermons  au  pied  de  la  croix, 
et  ne  soupirant  qu'après  le  salut  des  âmes. 
Parmi  les  vertus  qu'il  possédait,  et  qui  eu 
faisaient  un  prêtre  selon  le  cœur  de  Dieu, 


(1)  Monseigneur  de  Rey,  ancien  évcque  de  Pygnerol,  depuis  évéque  d'Annecy. 


617  RETRAITE.  -  INSTRUCT.  I,  OUVERTURE  DE  LA  RETRAITE 

on  remarquait  une  piélé  rare,  qui  s'esl 
constaujuieul  souleuue  duranllecours  d'une 
vie  viainieiit  sacordolale  ;  une  liumililé 
profondH,  qui  lui  faisait  repousser  avpo  une 
certaine  brusquerie,  les  louanges  qu'on  lui 
donnait  :  on  l'a  vu  déchirer,  avant  d'en  avoir 
terminé  la  lecture,  des  lettres  où  on  lui  don- 


618 


nait  des   éloges  ;   un    grand   désintéresse- 


ment, qui  se  manifestait  assez  fiar  ses  abon- 
dantes charités  ;  une  foi  ardente,  qui  bril- 
lait dans  toutes  les  circonstances  de  sa  vie, 
qu'on  remarquait  dans  son  idngag»,  ses 
actions  et  les  conseils  qu'il  était  appelé  à 
donner;  enfin,  urie  angélique  pureté,  qui  le 
faisait  vén(;rer  comme  un  saint  prêtre. 


ŒUVRES  COMPLETES 

DE  B.   MAUREL* 


RETESAITE  ECCLESIASTIQUE 


ou 


CHOIX  D'INSTRUCTIONS  SLR  Ll^S  TRINCIPAUX  DEVOIRS  DES  l'RETRES. 


INSTRCCTION    I. 

OCVKUTURE  DE  LA  RETRAITE. 

Beiiovamini    spirilii  mentis  veslraî  el  induite  novum 
bcc.;«)m.  (E;j/i€S.,IV,23.) 

Messieurs, 

Le  sacerdoce  est  aussi  élevé  au-dessus  de 
toutes  les  grandeurs  humaines,  que  le  ciel 
l'est  au-dessus  de  cette  terre  que  nous  ha- 
bitons. Au  moment  qu'uri  faible  mortel  est 
consacré  prêtre,  il  cesse  en  quelque  sorte 
d'ôtre  compté  parmi  les  enfants  des  honi- 
nics,  il  meurt  au  monde  el  va  prendre  une 
seconde  naissance  dans  le  ciel  ;  el  c'est  du 
ciel  qu'il  eSt  envoyé  ensuite  par  le  Très- 
Haut,  comme  fut  envoyé  son  Fils  éternel, 
pour  être  sur  la  terre  l'ambassaileur  de  la 
Divinité  et  le  représentant  de  Jésus-Christ 
auprès  dos  peu[)les,  pro   Chrislo  iegalione 
fnngimur  (Ephes.,  VI,  20);  pour  procurer 
Sans  cesse,  comme  lui,  lia  gloire  de  Dieu  ; 
annoncer  la  sainteté  de  son  nom^  inspirer 
le  désir  de  son  royaume,  et  y  conduire  les 
âmes  confiées  à  ses  soins. 

Telles  sont,  Messieurs,  vous  le  savez,  les 
nobles  fonctions  auxquelles  nous  fûmes 
destinés  au  moment  de  notre  sacerdoce  ;  et 
nos  sentiments  durent  être  en  harmonie 
avec  ces  fonctions.  Dès  ce  moment  il  ne  dut 
y  avoir  en  nous  rien  de  terrestre;  tout  en 
nous  dut  porter  l'empreinte  du  doigt  de 
Dieu  qui  venait  de  nous  associer  au  minis- 
tère du  Prêtre  éternel.  Nos  pensées,  nos 
désirs,  nos  actions ,  notre  vie  tout  entière 
durent  être  une  image  continuelle  des  (len- 
Sées ,  des  désirs,  des  actions,  de  la  vie 
même  de  Jésus-Christ.  Voilà,  vénérables 
confrères,  l'esprit  de  notre  vocation  que 
l'Apôtre  nous  exhorte  à  renouvulei' :  Heno- 

OhaTKURS   SACRÉS.      LXVIM; 


vamtni  spirîtit  mentis vcstrœ  [Ephes.,  IV,  23); 
et  c'est  pour  opérer  ce  graiiil  rehouvelle- 
raenl  et  former  en  nous  un  homme  nouveau 
que  nous  nous  sommes  réunis  dans  ce  lied 
de  recueillement  et  de  prière. 

Qui  peul,  en  effet,  renouveler  le  cœur  dé 
l'homme,  sinon  celui  qui  en  est  l'auieni^. 
qui    le   tient    sans    cesse  dans    ses   mains 
comme  un   vase  d'argile,  et  peut  seul  lui 
donner   la   forme  qu'il  lui  pl.iit?  et  à    qui 
le  Créateur  du  sacerdoce  actorde-l-il  l'es- 
prit du  sacerdoce,  sinon    à  ceux  qui  sont 
affamés  de  la  justice  el  dés  vertus  sacer- 
dotales?  Qui  esuriunt  et  siliûnl  jusiitiam. 
(Matlh..,  V,  6.)  C'est  au   nom  de  Dieu  que 
nous    nous    trouvons    rassemblés;    Jésus- 
Chribl  est   ici  au  n^ilieu  de   nous,  suivant 
l'oiacle  sorti  de  sa  bouche  divine.  Que  le 
monde   cesse  donc  de  nous  vanter  ces  as- 
semblées solennelles  présidées  pal-  des  rois, 
et  quelquefois  toutes  composées  de  rois  : 
que  sont-elles  auprès  d'une  réunion  prési- 
dée par  le  Roi  des  rois,  par  le  Roi  immortel 
des   siècles?   Oui,   Messieurs,   c'est  Jésus- 
Christ   lui-même    qui    nous    préside    d'une 
manière  visible  dans  la  personne  de  son  au- 
guste  pontife,    et   d'une   manière   cachée, 
non-seulement   [)ar   Sa    présence    dans    ce 
sanctuaire,  mais  encore  par  l'influence  dé 
sa  grâce  et  les  lumières  de  son  esprit. 

O  mon  Dieu!  daignez  abaisser  les  regard.^ 
de  voire  miséricorde  sur  tous  les  membres 
de  celle  assemblée,  et  en  particulier  sur  le 
dernier  de  tous,  qui  pourrait  vous  dire  avec 
bien  plus  de  raison  que  votre  j)rophète  i 
Ncscio  loqui  {Jcrëin.,  I,  27),  et  que  sans 
iloute  vous  n'avez  choisi  pour  annoncer 
vos  vérilés,  lui  (pji  devrait  bien  plutôt  loS 
écouler   de   la  bouche    de   ses    auditeurs) 

20 


619 


ORAIEURS  SACRES.  MAUREL. 


1520 


qu'afin  de  continuer  celte  marche  adornlde 
lie  votre  Providence,  dont  parle  voire  Apô- 
tre :  Infirma  tmindi  elegit  Deus,  et  ignohilia 
et  contemptibilia.  (1  Cor.,  1,  27.)  Heureux, 
Messieurs,  d'avoir  pour  appui  de  ma  fai- 
blesse rindulg;ence  de  vos  lumières  et  de 
vos  vertus,  et  surtout  la  sagesse  d*un  prélat 
qui  daigne  m'associcr  momentanément  aux 
travaux  de  son  zèle  et  me  rendre  témoin  do 
la  ferveur  de  son  clergé  I 

Dans  ce  premier  entretien  nous  nous  oc- 
cuperons de  la  nécessité  de  nous  renouveler 
dans  l'esprit  de  notre  vocation,  et  du  grand 
moyen  quo  Dieu  nous  alfre  dans  -cette  re- 
traite pour  opérer  ce  renouyellement. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Avant  de  commencer  cette  sainte  car- 
rière, daignez.  Messieurs,  me  permettre 
une  réflexion  qui  nous  donnera  h  vous  et 
à  moi  une  entière  liberté  de  cœur  et  d'es- 
prit, si  nécessaire  au  succès  de  cette  re- 
traite. Vous  me  croyez  sans  doute  asse-z 
raisonnable  pour  ne  pas  me  dissimuler 
(|L!'on  doit  parler  à  des  prêtres  autrement 
(|u'h  des  laïques,  et  pour  ne  pas  sentir 
qu'il  y  aurait  en  moi  autant  d'injustice 
()ue  de  ridicule  de  prétendre  instruire  qui 
(lue  ce  sf'il  d'entre  vous,  rien  de  co  qut'  je 
dirai  ne  vous  est  inconnu.  Oh  1  il  serait 
tro|)  à  plaindre  le  prêtre  qui  ignorerait  les 
dovoirs  et  les  vertus  du  sacerdocei  Mais, 
hélas  1  on  est  si  exposé  à  négliger  dans  la 
pratique  et  môme  à  perdre  insensiblement 
de  vue  les  vérités  que  l'on  connaît  le  mieux  1 
io  viens  donc  les  rappeler  en  votre  pré- 
sence et  me  les  appliquer  à  moi-môme;  je 
viens  gémir  sous  vos  yeux  de  mes.  propres 
faiblesses  et  de  mes  innombrables  inlidé- 
tités.  Chacun  de  vous  sans  doute  en  fera 
autant  au  fond  de  son  cœur,  et  ainsi  co 
sera  la  conscience  de  chacun  qui  sera  son 
juge,  et  le  prédicateur  ne  fera  autre  chose 
que  ce  que  forait  un  livre  qu'on  lirait  à 
haute  voix  ;  mais  du  r«sle  ce  sera  un  livre 
très-simi)lo,  qui  rappellera  les  vérités  les 
jilus  graves  et  les  plus  sublimes  sans  au- 
cune espèce  d'ornement,  sans  aucun  de 
ces  tours  recherchés  qu^on  emploie  quel- 
quefois pour  captiver  l'attention  d'un  peu- 
])le  léger  et  irréfléchi.  Il  serait  bien 
trompé  celui  d'entre  vous  qui  attendrait 
ici  quelque  chose  d'extraordinaire  qui  le 
saisît  et  rontraînât  presque  malgré  lui.  Le 
succès  de  celte  retraite  ne  sera  dû  qu'à  la 
réflexion  et  à  la  prière;  et  si  quelqu'un  se 
sentait  peu  touché,  c'est  qu'il  aurait  peu  prié 
ou  peu  réfléchi. 

Pour  établir  la  nécessité  où  nous  sommes 
do  nous  renouveler  dans  res|)rit  de  notre 
vocation,  nous  n'aurons  qu'à  considérer  d'a- 
bord le  clergé  en  général,  et  ensuite  cha- 
:.un  de  nous  en  particulier. 

Il  semble,  Messieurs  que  les  secousses 
violentes  qu'a  éprouvées  le  clergé  pendant 
.ilus  de  trente  ans  auraient  dû  opérer  en 
\\i\  un  renouvellement  parfait,  et  ramener 
jaiis  l'Kglise  les  avantages  des  premières 
[)erséculiui)s,  el  faire  revivre  ces  jours  heu- 


reux de  furveur,  de  modestie,  de  désinté- 
ressement, de  zèle,  de  piété,  où  les  pre- 
miers disciples  de  Jésus-Christ  présentaient 
un  spectacle  digne  de  fixer  les  regards  du 
ciel  et  l'admiration  de  la  terre.  Jl  semble 
que,  dépouillés  des  anciennes  propriétés  d-e 
l'Eglise,  et  ayant  à  peine  le  nécessaire  pour 
soutenir  notre  existence,  nous  aurions  dû 
retirer  nos  alfeclions  de  cette  terre  mau- 
dite, et  ne  regarder  les  richesses  et  toutes 
les  choses  d'ici-bas  que  comme  de  la  boue 
et  de  l'ordure,  suivant  l'expression  de  l'A- 
pùlre,  et  ne  soupirer  qu'après  les  richesses 
impérissables  du  sièc'e  futur.  Il  senble 
qu'abreuvés  tous  les  jours  d'ignominie  et 
accablés  des  railleries  du  libertinage  et  des 
sarcasmes  de  l'impiété,  nous  ne  devrions 
plus  chercher  notre  gloire  que  dans  la  croix 
de  Jésus-Christ,  et  nous  féliciter  avec  ses 
apôtres  d'avoir  été  trouvés  dignes  de  quel- 
que opprobre  pour  son  nom;  que,  privés 
des  commodités  du  luxe,  jadis  accumulées 
par  Topulence,  et  forcés  de  nous  arracher 
aux  douceurs  du  repos  pour  écha(>per  aux 
angoisses  de  la  misère,  nous  devrions  san- 
clitier  nos  privations  et  nos  soulfrances  par 
des  motifs  chrétiens,  el  édifier  un  mondo 
pervers  par  une  patience  et  une  souraissifui 
inaltérables.  Il  semble,  en  un  mot,  qu'é- 
prouvés par  tous  les  genres  d'amertumes, 
une  vie  pénitente,  retirée,  sobre,  modeste, 
laborieuse,  devrait  faire  aujourd'hui  le  ca- 
ractère distinctif  de  tous  les  ministres  de 
Jésus-Christ. 

C'était  sans  contredit  une  des  vues  de  la 
Providence  en  frappant  le  clergé  de  tant  de 
plaies,  car  ses  coups  dans  celte  vie  partent 
toujours  d'une  main  paternelle;  et  c'était 
une  des  espérances  qui  consolaient  les 
bons  prêtres  (j'en  ai  été  le  témoin)  dans 
les  commencements  de  la  tourmente  révo- 
lutionnaire. Oui,  en  gémissant  des  rava- 
ges de  l'impiété  et  des  défections  scanda- 
leuses de  plusieurs  de  leurs  eonfrèies,  en 
adorant  la  sagesse  d'un  Dieu  qui  corrigea 
toujours  les  grands  désordres  |)ar  de  gran- 
des tribulations,  ils  disaient  au  fond  de 
leur  cœur  :  «  Mais  du  moins  l'Eglise,  si 
fortement  agitée,  va  se  renouveler  et  rajeu- 
nir comme  l'aigle  :  Renovabititr  ut  aguilœ 
juveîitus  tua  [Psal.  eu,  5);  mais  du  moins 
nous  aurons  un  clergé  pur,  chaste,  pieux, 
ap[)liqué  à  ses  devoirs,  détaché  des  vanités 
et  des  plaisirs  de  la  terre,  plein  d'ardeur 
pour  les  choses  du  ciel  et  la  gloire  de  Jé- 
sus-Christ. L'ambition  el  la  cupidité  ne  le 
détourneront  plus  de  la  sainteté  de  ses 
fondions;  le  luxe  et  la  volupté  ne  le  jette- 
ront plus  dans  le  tourbillon  du  monde  et 
n'amèneront  plus  les  grands  scandales  qui 
ont  si  souvent  affligé  la  terre;  nous  verrons 
enlin  les  prêttes  tels  qu'ils  doivent  être, 
uniquement  occupés  de  la  prière,  de  l'in- 
struction des  peuples,  de  la  sanctification 
des  ûmes ,  et  les  grands  exemples  laissés 
par  les  Apôtres  ne  seront  pas  seulement 
un  monument  de  l'hisloire  et  un  objet  d'ad 
miiation;  nous  l»^s  verrons  renouvelés, 
ressuscites  en  quelque  sorte,   et  opérau' 


C2I 


UETRAITE.  -  INSTRUIT.  I.  OUTERTUUE  DE  LA  RETRAITE. 


Cli 


sur  les  peuples  les  mômes  prodiges  de  grâce 
et  de  s.ilut.  » 

Vénérables  vieillards  dont  le  zèle  el  la 
fermeté  ont  soulenu  dans  ces  jours  de 
deuil  l'Eglise  consternée,  n'est-ce  pas  par 
ces  belles  cs[)éranccs  que  vous  consoliez 
sa  ilouleur  cl  la  vôIre?  Mais,  hélas!  ces 
espérances  se  sonl-ellcs  pleinement  réali- 
sées ?  s'esl-il  l'ait  dans  les  mœurs  du 
clergé  toutes  les  réformes  que  vous  aimiez  à 
vous  promettre?  Sans  doute  les  grands 
coups  dont  Dieu  l'a  frajipé  en  ont  fait  dis- 
paraître de  grands  désordres  ;  mais  n'y 
reste-l-il  plus  rien(iui  blesse  l'oeil  de  Jésus- 
Christ  et  arrête  les  progrès  de  son  Evan- 
gile? Le  luxe,  loisivilé,  la  sensualité,  grûf^e 
aux  clumgemeuls  opérés  p.iriJii  nous,  n'y 
sont  plus  si  communs  ;  niais  en  sont-ils 
entièrement  bannis?  Mais  n'y  règne-l-il 
pas  d'autres  désordres  que  le  malheur  des 
temps  n'a  pas  supprimés,  qu'il  a  peut-ôtre 
accrus;  le  dirai-jel  peut-être  fait  naître? 
N'y  a-t-il  pas  encore  de  fausses  vocations, 
provenant  du  môme  principe  d'ambition  et 
de  cupidité;  les  ressources  du  sacerdoce, 
quelque  faibles  qu'elles  soient  aujourd'hui, 
ne  sont-elles  pas  néanmoins  pour  certaines 
classes  le  môme  écueil  que  l'étident  pour 
des  classes  plus  distinguées  les  richesses 
du  temps  passé?  aujourd'hui  comme  alors 
Tavarice  ne  pousse-t-elle  pas  dans  les  rangs 
du  sacerdoce  des  ministres  indignes  que 
Dieu  rejette? 

Je  pourrais  pénétrer  plus  avant  dans  le 
sanctuaire,  et  vous  y  montrer  quelques  se- 
crètes désolations  et  de  grandes  pluies. 
Vous  y  verriez  l'Eglise  aflligée  répandant 
des  larmes  amères  sur  ces  désordres  qui  la 
déshonorent.  C'en  est  assez  :  Ne  cherchons 
pointa  rappeler  plus  longtemps  ici  ses  pro- 
londes  douleurs.  En  portant  vos  regards  sur 
le  clergé.  Messieurs,  vous  verrez  d'un  côté 
de  sublimes  vertus,  d'immenses  travaux, 
fruits  heureux  d'un  zèle  ardent  el  éclairé; 
el  de  l'autre,  des  abus  et  des  scandales  qui 
forment  de  loin  en  loin  comme  des  ombres 
])assagères  a  ce  magnitlque  tableau. 

Mais,  Messieurs,  si  d'un  côté  les  désor- 
dres qui  régnent  encore  dans  l'Eglise  doi- 
vent être  pour  nous  un  motif  puissant  do 
nous  renouveler  dans  l'esprit  de  notre  vo- 
cation, l'état  où  se  trouve  chacun  de  nous, 
juste  ou  pécheur,  devient  un  nouveau  mo- 
tif de  cette  nécessité. 

Ce  n'est  pas  seulement  à  ceux  d'entre 
nous  qui,  par  un  aveuglement  lamentable, 
se  trouveraient  cng.-igés  dans  des  habitudes 
et  des  passions  évidemment  criminelles,  ni 
h  ceux  qui  auraient  des  doutes  fondés  sur 
l'étal  de  leur  conscience,  elqui,  malgré  ces 
doutes,  ne  craindraient  pas  d'a|tprocher  du 
saint  autel,  c'esl-à-Jire  de  profaner  tous 
les  jours  le  sang  de  Jésus-Chrisi  ;  ce  n'est 
pas,  dis-je,  seulement  aux  prêtres  prévari- 
cateurs que  ce  renouvellement  est  néces- 
saire ;  il  l'est  à  tous,  môme  aux  prêtres  les 
plus  réguliers  el  les  plus  fervents. 

El  en  effet.  Messieurs,  qui  de  nous  ose- 
rait se  Ualter  d'avtjjr  atteint   le   degré  do 


perfection  auquel  Dieu  nous  appelle?  Qui 
de  nous  oserait  so  dire  sans  défauts  et  sans 
faiblesses?  Or  tant  qu'on  a  des  défauts,  ne 
faut-il  pas  se  comballre,  se  réprimer,  s'ex- 
ciier,  s'encourager,  travailler  sans  relAche 
à  former  en  nous  cet  homme  nouveau,  ceC 
homme  intérieur,  recueilli,  religieux  ;  cet 
homme  de  piière,  d'oraison,  de  saints  dé- 
sirs ;  cet  homme  de  paix,  de  mansuétude, 
de  piété,  d'humilité;  cet  homme  de  Dieu, 
en  un  mol,  qui  ressemble  à  Jésus-Christ 
ou  qui  en  approche.  Et  pour  arriver  là,  ô 
mes  chers  confrères,  que  de  chemin  il  nous 
reste  à  faire  1  Que  de  changements!  Que  de 
retranchements  1  Que  de  sacrifices  !  Que  do 
combats  contre  nous-mêmes,  contre  notre 
humeur,  notre  lâcheté,  notre  inconstance, 
noire  paresse  1 

Hélas  I  nous  sentons  la  nécessité  de  celte 
réforme;  un  remords  secret  nous  en  avertit 
tous  les  jours;  mille  fois  la  voix  de  la 
grâce  a  parlé  5  noire  cœur,  mille  fois  nous 
nous  sommes  rej^roché  cotte  vie  tiède  et 
dissipée,  celte  multitude  de  négligences  el 
de  fautes  journalières,  cette  insensibilité, 
celte  froideur,  colle  séi.heresse  an  milieu 
des  fonctions  les  plus  saintes  et  des  mystè- 
res les  plus  touchants.  Nous  senlons  quo 
nous  ne  sommes  pas  ce  que  nous  devrions 
être;  une  paix  parfaite  n'habite  pas  dans 
notre  cœur,  et  nous  formons  sans  cesse  la 
résolution  de  la  recouvrer  pir  une  vie  plus 
fervente.  Mais,  hélas  1  jusqu'à  quand  nous 
en  tiendrons-nous  à  des  résolutions?  N'est-il 
pas  lefnps  enfin  de  les  réaliser?  Hora  est 
jam  nos  de  somno  surgere.  {Rom.,  XIII,  11.) 

Et  ce  qui  doit  suit  lut  nous  faire  trembler 
dans  cet  étal  d'indiiféreace  et  d'apalhie,  c'est 
que  les  secours  el  les  moyens  ordinaires 
qui  réveillent  les  simples  fidèles  nous  trou- 
vent froids,  et  nous  laissent  presque  tou- 
jours insensibles.  Les  vérités  saintes ,  en 
éclairant  les  âmes  aveuglées,  les  loucheni , 
les  ramènent  peu  h  peu  à  Dieu  ;  el  nous  ,  à 
force  d'annoncer  ces  vérités,  nous  nous  y 
accoutumons  et  nous  n'en  sommes  plus 
fraf)pés.  On  dirait  <iue  notre  devoir  se  borne 
à  les  prêcher  sans  en  proliler:  aussi,  en 
préparant  nos  instructions  ,  sommes-nous 
plus  occupés  de  l'impression  qu'elles  pour- 
ront faire  sur  les  autres  quo  de  nous  en  pé- 
nétrer nous-mêmes  el  de  les  appliquer  à 
nos  besoins.  Le  tribunal  de  la  pénitence 
offre  tous  les  jours  aux  ti'dèles  bien  disposés 
le  remède  cl  le  préservatif  du  |)éché ,  la 
guérison  de  leurs  passions  el  l'accroisse- 
ment de  leurs  vertus;  pour  nous,  c'est  une 
pure  cérémonie  el  une  affaire  d'habitude: 
nous  nous  présentons  quelquefois  sans 
douleur,  et  nous  nous  relirons  sans  chan- 
gement. La  table  sainte  ranime,  échauffe, 
euibrase  les  âmes  pieuses  et  les  fait  courir 
à  grands  pas  dans  les  voies  de  la  perfection  ; 
pour  nous  ,  ie  saint  autel  n'est  plus  qu'une 
source  journalière  de  froideu.-  et  de  dégoût , 
et  peut-être  de  malédictions  el  d'anathèmes. 
Les  événemiHils  terribles,  les  morls  frap- 
jiantcs  et  imprévues,  raniment  les  âmes  les 
plus  endurcies;  [»our  nous,   ce  sont  des 


ùi5 


ORATKUUS  SACRKS.  MAUIŒL. 


02  i 


speclacles  uses  qui  ne  nous  éionnenl  plus  , 
qui  no.  disent  rien  à  noire  cœur  et  ie  lais- 
sent dans  son  aveuglement.  Les  infirmités 
de  l';1ge,  l'iihandon  des  créatures,  les  ap- 
[iroclies  de  sa  tin  font  souvent  dans  un  11- 
dèie  une  impression  utile  ;  il  se  détache 
d'une  vie  qui  va  lui  échapf)er,  il  songe  enlin 
î^  un  Dieu  qui  est  près  de  le. juger;  mais, 
dans  un  prêtre  làclio  ou  infitièle,  riiabiludc 
de  voir  des  mourants  fait  que  la  mort  n'a 
plus  rien  qui  l'eirr.iye;  la  crainte  de  Dieu  , 
au  lieu  de  se  réveilk-r,  s'émousse  et  s'éteint 
tous  les  jours,  à  proportion  que  les  années 
succèdent;  1  âge  n'apporte  en  lui  d'autre 
thangement  que  de  mulli|)lier  ses  transgies- 
sioris  et  d'accroître  l'aveuglement  qui  en 
résulte:  le  long  usage  des  fonctions  saintes 
l'a  familiarisé  avec  ce  qu'il  y  a  de  |)lus  sacré 
et  de  plus  terrible  dans  la  religion,  et  de  la 
familiarité  au  mépris  il  n'y  a  qu'un  pas.  Ce 
mépris  s'accroît  avec  les  années  :  aussi  dans 
cerlains  prêtres  âgés  ne  relrouve-t-on  pres- 
que |)lus  de  décence  pour  les  choses  saintes. 

Oli  I  quelle  serait  funeste  l'erreur  d'un 
jeune  prêtre  qui  se  (iromettrait ,  après  une 
jeunesse  passée  dans  la  dissipation  et  la  va- 
nité, une  vieillesse  |)ieuse  et  fervente  1  Hé 
(juoi,  Messieurs,  le  mot  de  l'Esprit-Saint  : 
Adolescens  juxta  viam  suani,  etiam  cum  se- 
rt lier  il ,  non  recedet  ab  ea  (Prov.,  XXII,  G), 
ne  se  véiifie-t-il  pas  tous  les  jours  dans  les 
prêtres  d'une  manière  encore  plus  terrible 
(jne  dans  les  lidèles  !  et  quels  sont,  je  vous 
prie,  les  désordres  d'un  ministre  infidèle 
qui  s'éteignent  avec  i'i'ige?  Est-ce  i'avarice? 
est-ce  la  volupté  ?  est-ce  l'intempérance  ? 
le  manque  de  zèle,  le  dégoût  de  l'étude, 
lie  l'oraison,  de  Tnistruction  ilo  son  peuple? 
Ouvrons  les  yeux,  mes  chers  confrères,  et 
nous  verrons  qu'un  prêtre  (|ui  fut  déréglé 
d»'is  la  première  moitié  de  sa  vie,  l'est  or- 
ilinairemenl  le  reste  de  ses  jours,  et  de- 
vient môme  pire  à  la  lin  do  sa  course;  que 
les  passions  peu  réprimées  dans  la  jeu- 
nesse ,  loin  do  s'affaiblir,  se  fortifient  et 
s'accroissent  avec  les  années  ;  que  les  vices 
de  l'adolescence,  comme  dit  encore  l'Es- 
jull-Saint,  poursuivent  le  vieillard  jusqu'à 
la  Un  de  sa  carriète;  (ju'ils  pénètrent  dans 
la  moelle  de  ses  os;  qu'ils  infectent  jusiju'ci 
sa  caducité  ,  et  vont  doronr  avec  lui  au  fond 
du  tombeau,  jusqu'au  grand  jour  de  la  ré- 
vélation, où  tout  sera  manifesté  aux  yeux 
lie  l'univers:  Oisa  ejus  imptebuntur  vitiis 
adolescenliœ  ejus,  cl  cum  eo  in  pitivere  dor- 
vàent,  [Job  ,  XX.,  11.) 

Et  ce  (ju'il  y  a  de  |iarticulier  peur  nous 
dans  cet  oracle,  c'est,  je  le  répète,  qu'il 
s'accomplit  dans  les  prêtres  d'une  manièi'e 
encore  plu»  terrible  que  dans  le  commun 
des  cliréliens.  Vous  demandez  pourquoi? 
Eh*!  Messieurs,  c'est  qu'ajipelé  à  une  sain- 
teté plus  sublime,  un  prêtre  est  toujours 
plus  coupable  dans  ses  désordres  que  les 
siaqdes  tidèles;  c'est  qu'il  abuse  de  plus  de 
gitlces,  c'est  qu'il  ehange  les  ressources  de 
salut  dont  i!-est  le  dispensateur,  en  moyens 
do  perdition;  c'est  que  le  sang  de  Jésus- 
Chiisl  f  (|u'il  a  mille  et  mille  fois  profané  , 


appelle  par  des  cris  plus  terl'ibles  les  ven- 
geances du  Ciel ,  et  en  fait  descendre  un 
endurcissement  [dus  profond  et  des  malé- 
dictions plus  éclalanles. 

O  jeunes  prêtres,  précieuse  espérance  de 
l'Rglise  ,  appliquez- vous  donc  sans  plus 
larder  à  vous  renouveler  dans  l'esprit  de 
votre  vocation  ,  h  ressu.-'Citer  en  vous  cet 
esprit  de  grâce  et  de  prière  qui  vous  fut 
communiqué  dans  le  jour  solennel  de  votre 
sacerdoce.  Et  nous  qui  touchons  au  bout 
de  notre  course,  qui  voyons  déjà  le  tom* 
beau  ouvert  devant  nous  ,  voudrions-nous 
apporter  au  tribunal  de  Jésus-Christ  cette 
mollesse  de  mœurs  et  cette  tiédeur  de  zèle 
que  nous  savons  être  si  opposées  à  la  sain- 
teté de  notre  é/al?  Hora  csljam  nos  de  sonino 
surgere  [Rom.,  Xlll,  11)  :  Ce  mot  s'adiesse 
à  tous  ,  aux  jeunes  comme  aux  vieux;  et  le 
grand  moyen  de  nous  renouveler,  Dieu 
nous  l'offre  à  tous  dans  celte  retraite.  Sujet 
du  second  point. 

SECONDE   PARTIE. 

A  la  fin  de  ces  jours  de  salut,  chacun  de 
nous  renouvellera  entre  les  mains  du  pre- 
mier pasteur  les  engageraens  sacrés  de  sort 
sacerdoce  ,  et  nous  dirons  tous  à  Dieu  ,  en 
présence  des  anges  du  ciel  et  des  fidèles  de 
la  terre:  Dominus  pars  hœredilalis  mcœ  et 
calicïs  mei.  {Psal.  XV,  5.)  Heureux  si  ce  re- 
nouvellement des  promesses  sacerdotales 
est  l'expression  et  le  fruit  du  renouvelle- 
ment sincère  de  notre  cœur!  heureux  si 
cette  retraite  détruit  en  nous  toutes  les  af- 
fections terrestres  ,  tous  les  désirs  des 
choses  d'ici-bas  ,  et  nous  remplit  d'ui.»e 
sainte  ardeur  pour  les  choses  de  Dieu  et 
d'une  douce  et  ferme  espérance  de  son 
royaume  !  car  c'est  en  cela  que  consiste  le 
lemjuvellement  auquel  nous  exhorte  notre 
grand  A|)ôtre.  Et  quel  moyen  plus  efficace 
pour  l'opérer,  que  les  réflexions,  les  l>ons 
exemples,  les  prières  ferventes  qui  rempli- 
ront ces  huit  jours  de  recueillement? 

Je  dis  les  réfiexions  :  pour  se  corriger  il 
faut  se  connaître,  et  pour  se  connaître  il 
faut  réfléchir,  méditer  la  loi  de  Dieu  et  la 
comparer  avec  notre  conduite;  rappeler  nos 
devoirs  et  nos  infidélités  ;  placer  devant 
nous,  d'un  côté,  le  tableau  des  vertus  sa- 
cerdotales, et  de  l'outre,  celui  de  nos  dé- 
fauts ,  de  nos  négligences,  de  notre  lâcheté. 
La  source  de  toutes  nos  fautes,  c'est  l'irré- 
flexion :  Vesolatione  desolata  esl  oinnis  terra  ^ 
quia  nullut  est  qui  recogilcl  corde.  {Jerem  , 
XU,  11. j  N'esl-ce  })as  à  nous.  Messieurs, 
plus  encore  qu'aux  simpb  s  fidèles,  que  ce 
reproche  est  adressé?  Hélas  I  combien  de 
prêtres  légers  et  irréfléchis  qui  ne  médi- 
tent ja^mais ,  qui  agissent  sans  cesse  au  ha- 
sard, par  humeur,  j)ar  cai,)rice  ;  qui  vivent 
d'une  manière  souvent  plus  inconsidéiée  et 
plus  imprudente  que  certains  laïques  1  Sans 
ce^se  entraînés  ou  par  la  multitude  souvent 
accablante  de  leurs  lonctions,  ou  par  la  dis- 
si[)aiion  de  leur  caractère,  ou  parle  tu- 
multe de  leurs  affaires  temporelles,  de  leurs 
voyages,  de  leurs  rapports  avec  le  monde^ 


&2:i 


RETRAITE.  —  INSTUUCT.  I,  OUYERTUUE  DE  L\  RETRAITE. 


G26 


pcijl-ùlre  (lo  ItMirs  amusements  ol  île  leurs 
pl.iisirs  .jamais  ils  ne  renlrenl ,  jamais  ils 
n'Iial^ileiU  en  eux-mêmes.  Leur  propre 
l'œur  leur  osl  aussi  étranger  qu'une  région 
inconnue;  leur  conscience  est  à  leurs  yeux 
cou):ue  quelqu'une  de  ces  terres  lointaines 
tju'uu  voyjigeur  n'aperçoit  que  comme  en 
pa>s.inl. 

Kt  (le  là  une  mullitudc  de  fautes  qu'on 
ne  (iélesie  jamais  assez  et  dont  on  ne  se 
cor.  i^e  jamais,  parce  que  ja;uais  on  ne  Its 
aperçiiii  ;  ou  si  on  les  voit,  ce  n'est  que  de 
loin,  et  elles  nous  paraissent  si  petites  et 
.-i'Iégères,  (pie  nous  croyons  devoir  les  uiO- 
piiser:  tandis  que  vues  de  près,  elles  nous 
paraîtraient  peut-être  énormes  et  mons- 
trueuses. C'est  ainsi,  Messieurs,  que  se 
forme  cet  aveuglement  si  terrible,  surtout 
dans  les  prêtres,  qui  conduit  peu  à  peu  au 
sacrilège,  à  l'endurcissement,  à  la  mort 
d  ns.le  péché.  Ah!  félicilons-nous  d'avoir 
été  conduits  par  la  m;iin  de  Dieu  dans  ce 
lieu  de  retraite,  où,  ?i  l'abri  pendant  quel- 
(pies  jours  des  dislnictions  du  monde,  il 
no'is  sera  enfin  permis  de  penser  à  nous, 
et  de  ne  penser  qu'à  nous. 

C'est  ici,  mes  cliers  confrères,  que  rappe- 
lant ()Our  nous-mêmes  les  grandes  vérités 
de  la  religion,  que  ()eut-ôlre  nous  n'avons 
jamais  méditées  que  jiour  les  autres,  nous 
n:)us  dirons  dans  le  silence  et  le  recueille- 
ment :  Où  en  suis  je  pour  mon  salut,  dont 
la  pensée,  hélas  !  m'a  bien  souvent  échappé? 
voudrais-je  mourir  dans  l'état  où  je  me 
trouve?  Si  le  souverain  Juge  m'appelait  à 
l'heure  même  au  tribunal  de  sa  justice, 
quelle  sentence  y  entendrais-je  ?  Que  de 
îautis,  grand  Pieu  I  dejiuis  le  premier 
usage  de  ma  raison,  et  peut-être  depuis 
mon  entrée  dans  le  sacerdoce  1  Les  ai-je  ex- 
piées ?  en  ai-je  reçu  le  |)ardon?  puis-je 
croire  que  la  justice  éternelle  soit  satisfaite 
de  mes  [)énitences  passées?  y  a-t-il  eu  do 
la  sincérité  dans  l'accusation,  de  la  viva- 
cité dans  le  repentir?  la  houle,  la  honte! 
ne  m'a-^-clle  pas  lié  la  langue  sur  certains 
désordres  humiliants?  une  passion  mal 
éteinte  ne  m'a-t-elle  pas  ramené  aux  mômes 
occasions?  Que  ^lenser  de  tant  de  rechutes, 
piécédées  de  tant  de  [)rouiesses?  N'ai-je 
aucun  motif  de  craindre  d'avoir  abusé  des 
sairements,  d'avoir  peut-être  accumulé  sa- 
crilège sur  sacrilège? 

O  mon  Dieu  I  j'ai  peut-être  besoin  du  mê- 
0ie  exaiuen  que  faisait  avec  tant  de  cruu- 
poncllou  le  loi  Ezéchias  :  liecogilabo  libi 
oiiines  annos  meos  in  amariludine  animœ 
mœ.  {Isa.,  XXXVIII,  13.)  Jai  peut-être  be- 
soin de  faire  pénitence  de  mes  pénitences 
mêmes,  de  me  repentir  de  m'ôlre  si  mal 
repenti  :  et  jusqu'ici  je  me  suis  aveuglé 
sur  un  objet  si  im[)0rtantl  et  je  n'ai  •  pas 
craint  de  monter  à  l'autel  avec  une  con- 
science douteuse,  embarrassée,  incertaine, 
(|ue  j"aveuglais  encore  davantage  en  cher- 
chant à  la  calmer  1  Oh  I  quel  besoin  n'ai-jo 
donc  pas  de  cette  retraite  !  Il  faut  eiilin 
sortir  de  ce  sommeil  mortel  où  je  suis 
plongé;  il  l'aut  enlin   arrêter  le  cours  de  ces 


sacrilèges,  et  surtout  de  cette  passion  invé- 
(èrée  qui  en  a  été  la  source.  Non,  plus  de  re- 
tard dans  un  ouvrage  duquel  dépend  mon 
éternité  :  dès  aujourd'hui  je  commencerai 
à  interroger  sévèrement  ma  conscience,  et 
j'irai  ensuite  en  ex|toser  le  détail,  non  pas 
à  un  prêtre  lûctie,  peu  zélé,  peu  instruit, 
qui  me  flatterait  et  me  laisserait  dans  mon 
aveuglement,  mais  à  un  ministre  fidèle, 
qui  ait  assez  de  force  pour  me  dire  toute 
vérité, et  assez  do  charité  pour  com|iatir  à 
ma  faiblesse,  pour  m'encourager  à  tous  les 
sacrifices  et  me  montrer  dans  le  Père  des 
miséricordes  le  remède  à  tous  mes  maux. 

O  vous,  dépositaires  vénérables  du  secret 
des  consciences,  qui  exercez  l'auguste  et 
consolant  ministère  de  réconcilier  des  prê- 
tres avec  Dieu,  ah  I  plus  que  jamais,  vous 
vous  rappellerez  la  touchante  parabole  du 
Samaritain  ;  vous  verserez  sur  ces  plaies, 
peut-être,  hélas  !  trop  profondes,  cette  huile 
bienfaisante  qui  les  adoucit,  et  ce  vin  mys- 
térieux qui  fortifiera  des  membres  encore 
languissants.  Dilatez  vos  entrailles,  vénéra- 
bles prêtres  de  Jésus-Christ,  dites  h  cet  in- 
firme :  Courage,  mon  frère,  lo  Seigneur 
vous  guérira  ;  mais  dites-lui  aussi  avec  une 
douce  fermeté  :  Si  mantis  tua  scnndalizet 
te,  abscide  eam.,.;  si  pes,  amputa  illum...;  si 
oculus,  erue  ewn.  {Matth.,   XVIII,  6  seq.) 

Mais  les  avantages  de  cette  retraite  ne  se 
ItornerojU  pas  au  bienfait  inappréciable 
de  nous  tirer  de  notre  aveuglement,  soit 
p.ar  nos  propres  réflexions,  soit  par  les  lu- 
mières el  la  sagesse  d'un  bon  directeur  : 
nous  y  trouverons  encore  un  secours  qu'où 
trouve  si  rarement  ailleurs,  surtout  dans 
les  campagnes  et  les  postes  isolés  ;  je  veux 
dire  les  bons  exemples  d'une  multitude  d-' 
confrères  dont  le  recueillement,  le  silence, 
la  componction,  la  piété,  l'assiduité  à  tous 
les  exercices,  l'attitude  respectueuse  au  pied 
des  saints  autels,  nous  instruiront,  nous 
toucheront,  nous  encourageront  bien  plus 
élocjuemment  que  tous  les  discours.  Les. 
vérités  qui  auront  frap()é  nos  oreilles,  nous 
les  verrons  à  l'instant  |)ratiquées  par  nos 
voisins  et  nos  amis,  et  pour  ainsi  dire  déjà 
écrites  dans  leur  conduite  et  leur  ferveur. 
Oh  l  que  ce  langage  muet  sera  persuasif! 
On  peut  résister  à  une  vérité  entendue; 
mais  comment  résister  à  un  bon  exemple 
dont  on  est  le  témoin?  comment  ce  pièirc 
cou[)able  pourra-t-il  ne  pas  gémir  de  ses 
désordres  en  voyant  un  piôtre  pieux  ver- 
ser des  larmes  sur  ses  fragilités?  comment 
ce  prêtre  vain,  présomptueux,  indocile  à 
l'autorité  de  ses  supérieurs,  [>ourra-l-il  ne 
pas  éprouver  une  sainte  confusion  de  son 
orgueil  en  voyant  une  multitude  de  prêtres 
vénérables  entourer  chaque  jour  avec  tous 
les  témoignages  du  respect  le  premier  pas- 
teur, le  consulter  avec  modestie  su?  les 
difficultés  les  |)lus  graves  du  saint  minis- 
tère, recueillir  avec  avidité  les  paroles  de 
vérité  et  de  sagesse  qui  sortiront  do  sa 
bouche,  et  rappeler  avec  foi  le  mot  divin 
adriissèaux  Apôtres  el  à  leurs  successeurs: 
{Jui  vos  audit,  me  audit"!  ILuc,   X,  Iti.]   ou 


«27 


ORATEURS  SACRES.  MALRLI. 


mi 


<*elui  aarcssé  aux  disciples  d'Emmaùs  : 
Nonne  cor  notirum  ardens  erat,  dum  loque- 
relur  nobis?  (Luc,  XXIV,  32.) 

Le  silence  lui-môtiie  qui  régnera  dans 
cet  asilo,  hors  le  temps  des  récréations, 
sera  une  voix  éloquente  qui  parlera  h  tous 
les  cœurs.  En  entrant  dans  quelques-uns 
de  ces  lieux  solitaires  où  la  piété  s'est 
vouée  à  Dieu  et  s'est  retirée  pour  tou- 
jours du  tuniullo  du  monde,  on  est  frappé 
du  silence  religieux  qui  y  règne  et  presque 
tenté  de  regarder  ce  lieu  si  paisible  comme 
irihahité.  Mais  l'élonnement  et  le  respect 
sont  bien  plus  grands  lorsqu'on  aperçoit 
un  nombre  considérable  de  religieux  occu- 
pés d'emplois  divers,  et  les  exerçant  tous 
<lans  le  silence  du  recueillement  le  plus 
profond.  A  ce  spectacle,  l'étranger  étonné 
se  trouve  aussi  sans  parole;  il  n'a  que  des 
yeux  pour  admirer  et  un  cœur  pour  scnlir, 
et  la  méditation  et  la  componction  entrent 
malgré  lui  dans  son  âme.  Voilà  le  spectacle 
édifiant  que  va  offrir  pendant  huit  jou^s 
cette  maison  de  retraite;  et  alors  quelle 
facilité  pour  le  saiiil  exercice  de  la  prière! 

Car,  vous  îo  sentez,  Messieurs,  ce  renou- 
vellement et  celte  réforme  dont  le  désir 
nous  a  conduits  ici  ne  peuvent  être  que 
l'effet  de  la  prière,  et  d'une  prière  fervente. 
Dieu  seul  peut  agir  sur  nos  cœurs  et  les 
tirer  do  la  tiédeur  oii  ils  se  trouvent;  Dieu 
seul  peut  renouveler  nos  âmes  dans  la  piété 
et  la  ferveur,  et  il  n'accorde  ses  dons  qu'à 
ceux  qui  les  sollicilent  :  pour  les  obtenir, 
il  faut  demander,  frapper,  cherclier  :  et  quel 
moyen  plus  favorable  à  cette  recherche  que 
cette  suite  non  interrompue  de  prières,  do 
méditations,  de  saints  gémissements  qui 
nous  occuperont  dans  cette  retraite? 

Dans  le  reste  de  l'année,  que  de  prières 
faites  à  la  hâte,  sans  foi,  sans  respect,  sans 
recueillement,  et  par  suite  sans  succès! 
Ici,  tout  nous  portera  au  recueillement  et 
h  la  componction.  Le  Seigneur  n'habite  point 
dans  le  trouble;  l'Esprit-Saint  ne  se  com- 
munique I  as  dans  le  tumulio  du  monde  et 
des  passions;  mais  il  a  (iromis  de  parler 
au  cœur  de  l'âme  fidèle  qu'il  a  conduite 
dans  la  solitude.  C'est  à  l'ombre  de  l'autel, 
c'est  aux  pieds  do  Jésus-Christ  qu'une  âme 
tranquille  et  bien  préparée  peutdire, comme 
Samuel,  avec  une  humble  et  saiuie  com- 
ponction :  Loquere,  Domine,  quia  audit  ser- 
vus  tuus.  (I  Reg.,  lli,  9.) 

Et  où  Dieu  a-l-il  parlé  h  ses  grands  ser- 
viteurs? où  les  a-t-il  forlifiés  dans  l'esprit 
de  leur  vocation,  sinon  dans  le  calme  de  la 
reiraile  et  de  l'oraison?  Ignorons-nous  que 
le  ministère  de  Moiso  fui  précédé  de  qua- 
rante ans  de  retraite  dans  los  déserts  de 
Madian  ;  que  les  prophètes  n'ont  annoncé 
los  vérités  saintes  qu'après  les  avoir  n)é- 
ditées  à  loisir  dans  los  montagnes  et  dans 
le  croux  des  rochers,  m  montibus  et  spclun- 
cis  ;  que  le  précurseur  de  l'Hoinme-Dieu  se 
r»Hira  dès  son  enfance  dans  le  désert,  et 
n'en  sortit  que  pour  accomplir  son  subUmo 
ministère  et  aller  dire  h  un  roi  ailullèie: 
Aon  Itcet  tibd  {Mattli.,  IV,  '*};  el  muurir  en- 


suite victime  de  son  zèle;  que  Jésus-Christ 
lui-même,  Jésus-Christ!  qui  sans  doute 
n'avait  aucun  besoin  de  recueillement, 
voulut  cependant,  pour  confirmer  ses  le- 
çons par  ses  exemples,  se  préparer  à  la 
prédication  de  son  Evangile  par  trente  an- 
nées de  retraite,  el  ne  la  commencer  qu'a- 
près quarante  jours  et  quarante  nuits  pas- 
sés dans  le  jeiïne  et  la  prière  ;  que  les  Apô- 
tres n'entreprirent  la  conversion  de  l'uni- 
vers qu'après  avoir  attiré  l'esprit  de  Dieu 
par  dix  jours  de  recueillement  et  d'oraison? 

Les  hommes  apostoliques  qui  ont  paru 
dans  la  suite,  les  Athanase,  les  Grégoire, 
les  Basile,  les  Jérôme,  les  Hilaire,  les  Be- 
noît, les  Bernard,  où  ont-ils  puisé  les  grâ- 
ces extraordinaires  que  Dieu  répandit  sur 
leurs  travaux,  sinon  dans  le  silence  de  la 
solitude  et  la  ferveur  de  la  prière?  El  nous 
prétendrions  partager  leurs  succès  sans 
prendre  les  mêmes  précautions  el  les  mê- 
mes moyens!  nous  surtout,  dont  la  vie,  ha- 
bituellement plus  dissipée  que  la  leur,  sem- 
blait exiger,  s'il  était  possible,  des  retours 
bien  plus  sérieux  surnous-mômes,  et  des 
gémissements  bien  plus  fréquents  sur  l'ex- 
cès de  nos  faiblesses  el  tes  périls  de  nos 
fondions! 

Grands  saints  au  ministère  desquels  nous 
avons  l'honneur  de  succéder,  vous  surtout, 
saints  pasteurs,  saints  prêtres,  qui  sancti- 
fiâtes ce  diocèse  par  vos  prières  et  vos 
sueurs,  quel  touchant  spectacle  ne  doit  pas 
offrir  à  vos  yeux  celle  pieuse  assemblée  I 
Vous  voyez  ici  les  émules  de  votre  zèle  el 
les  continuateurs  de  vos  travaux  :  les  mô- 
mes paroisses  qui  entendirent  votre  voix 
entendent  la  leur;  les  mêmes  temples,  les 
mêmes  lieux  où  brilla  votre  sainteté,  sont 
témoins  de  leurs  vertus;  ils  instruisent  les 
enfants  de  ceux  que  vous  avez  instruits 
vous-mêmes;  ils  prêchent  le  même  Evan- 
gile, le  même  Dieu  que  vous,  el  rencon- 
trent les  mômes  obstacles,  et  de  plus  grands 
peut-ôtre,  au  succès  de  leur  ministère. 
Leurs  besoins,  leurs  dangers  vous  sont 
connus.  Eh  I  ne  diraient-ils  rien  à  votre 
cœur?  pourriez-vous  ne  jias  vous  inté- 
resser aux  fiasteurs  du  môuie  troupeau  que 
soigna  votre  tendresse,  aux  cultivateurs  do 
la  môme  vigne  qu'arrosèrent  si  souvent  vos 
larmes  et  vos  sueurs?  Vous  êtes  à  la  source 
de  toutes  les  grâces,  et  ils  sont  entourés  de 
tant  d'ennemis,  accablés  de  tant  de  sollici- 
tudes 1  Ils  ont  interrompu  pour  quehpies 
instants  leur  ministère  atin  de  respirer  un 
peu,  at)rès  tant  de  fatij^ues,  et  demander  à 
l'auteur  de  tout  bien  des  lumières  et  des 
forces  nouvelles.  Oh  I  daignez  leur  obtenir, 
et  s'il  m'est  permis  de  m  associer  à  l'inté- 
rêt que  je  réclame  pour  eux,  daignez  nous 
obtenir  à  tous  cet  esprit  do  grâce  et  do 
prière,  cet  esprit  de  forée  et  de  sagesse  à 
qui  vous  dûtes  les  saintes  ardeurs  do  votre 
zèle  et  le  succès  de  vos  travaux. 


629  RE  TUAI  IL.        i.t^ittov^i.  ii,  ouu  l.l,  o.h-iU  i   ui^a  tuunti^oi 

INSTRUCTION  II. 

LE    SALUT     DES     PRÊTRES. 


650 


Ecce  nunc  tempiis  accfptabile,  ecce  nunc  dies  salu- 
lis.  (li  Cor.,  VI,  2.) 

Messieurs, 

Quand  on jttle  un  coop  d'^œil  altenlif  sur 
la  conduite  journalière  du  Irès-grand  nom- 
bre (les  hommes,  peut-on  ne  pas  gémir  do 
celle  indifférence  monstrueuse  qu'ils  témoi- 
gneni  pour  leur  salut?  Ils  croient  cepen- 
dant, du  moins  la  plupart,  qu'ils  n'ont  été 
placés  sur  la  terre  que  pour  adorer  Dieu  et 
le  servir,  et  mériter  ainsi  un  bonheur  éter- 
nt'l;  ils  croient  qu'au  sortir  de  cette  vie  ils 
seront  tous  jugés  par  ce  Dieu  suprême,  et 
reçus  dans  le  cie/  s'ils  sont  morts  dans  la 
justice,  ou  précipités  dans  l'enfer,  s'ils  sont 
morts  dans  le  péché.  D'après  cette  croyance 
générale,  loules  leurs  pensées,  tous  leurs 
travaux,  tous  les  instants  de  leur  vie  ne 
devraient-ils  pas  être  employés  à  se  pré- 
server de  cet  épouvantable  malheur  destiné 
au  crime  et  à  mériter  le  bonheur  suprême 
promis  à  la  venu?  Et  cependant,  hélas  1 
c'est  la  chose  qui  les  occupe  le  moins.  Tout 
absorbés  dans  leurs  aflaires  ou  leurs  plai- 
Mrs,  ils  ne  songent  qu'à  la  vie  présente, 
jamais  à  l'éternité  :  ils  n'en  ont  pas  le 
temps,  disenl-ils  ;  un  terrent  de  .xollicilu- 
des  et  desoins eraporlo  tous  leurs  moments 
et  n'en  laisse  aucun  pour  le  salut. 

Nous  gt'missons,  mes  vénérables  confrè- 
res, sur  cet  inconcevable  aveuglement  ;  mais 
n'anrions-nous  pasjusqu'à  un  ceriain  point 
le  malheur  de  le  partager?  Tout  occupés  du 
salut  de  nos  frères,  ne  serions-nous  pas 
assez  imprudenis  pour  négliger  le  nôtre, 
et  pour  dirf!  comme  les  gens  du  monde,  que 
nous  n'avons  jias  non  plus  le  temps  d'y 
penser.  Ah  1  du  moins  celte  pitoyable  ex- 
cuse ne  peut  avoir  lieu  dans  ces  jours  de 
retraite.  Nous  voici  séparés  momentané- 
ment de  nos  iravaux  |)0ur  nous  occuper 
de  nous-mêmes  et  de  nous  seuls;  pour  don- 
ner enfin  une  attention  plus  suivie  à  notre 
propre  salut;  pour  inter-f-oger  avec  plus  de 
soin  notre  conscience,  nous  demander  à 
nou5-mêmes  un  compte  plus  sévère  de  nos 
œuvres,  et  préparer  avec  plus  d'exactitude 
celui  que  bientôt  peut-èlre  nous  aurons  à 
rendre  au  souverain  Juge.  Il  faut  que  ce 
peu  de  jours  de  recueillement  etde  réflexion 
nous  assurent  une  éternité  de  bonheur.  Il 
faut  que  dans  ces  jours  de  ()rière  et  de  mé- 
ditation nous  affermissions  en  nous  les 
fondements  d'une  sainleié  solide,  qui  en- 
suite aille  toujours  croissant  et  ne  se  dé- 
mente jamais. 

Oh  1  quelle  abondance  de  trésors  spiri- 
tuels, que  de  consolations  inelfables  nous 
allons  tous  recueillir  dans  tes  jours  de  sa- 
lut, si  nous  avons  le  courage  de  descendre 
au  fond  de  nos  cœurs,  et  d'écouter  avec  at- 
tention la  voix  du  remords,  et  surtout  la 
voix  de  l'Esprit-Siiint,  à  laquelle  peut-être 
nous  avons  résisté  jusrpi'ici  I 

Je  vais  m'enlielcnir  avec  vous,  mes  chers 


confrères,  de  l'objet  le  plus  important  de 
la  morale  chrétienn*,  de  la  n-écessité  <lu 
salut  et  de  la  manière  d'y  travailler.  .Mon 
Dieu,  soyez  dans  ma  bouche,  soyez  dans 
nos  cœurs,  et  faites-nous  entendre  à  tous 
les  paroles  de  la  vieéternelle  l 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Mille  fois,  mes  chers  confrères,  vous 
avez  expliqué  à  vos  peuples  cette  parole 
évnngélique  :  Porro  unuui  est  necessarium. 
{Luc.,\,  4^2.)  Voici  le  moment  de  nous 
l'appliquera  nous-mêmes.  Oui,  la  chose  la 
plus  nécessaire,  c'est  le  salut  ;  disons  mieux, 
le  salut  est  la  seule  chose  véritablement 
nécessaire.  Approfondissons  ces  deux, 
grands-  princi[)es,  d'où  nous  tirerons  quel- 
ques conséquences. 

Et  d'abord,  mes  chers  confrères,^  est-il 
rien  de  plus  nécessaire  à  l'homme  que  son 
vrai  bonheur  ?  et  le  bonheur  véritable  est- 
il  autre  chose  que  le  salut,  c'est-à-dire  la 
jouissance  éternelle  de  ce  Dieu  qui  est  la 
source  do  la  joie  et  de  la  paix,  hors  duquel 
on  netrouveque  tristesse  etqu'amertunie? 
c'est-à-dire  la  possession  éternelle  du 
royaume  de  Dieu,  de  ce  royaume  où  l'on 
n'a  rien  à  souffrir,  rien  à  désirer,  rien  à 
craindre,  parce  qu'on  y  possède  tous  les 
biens  avec  la  certitude  de  ne  les  perdre  ja- 
mais ?  car  voilà  le  salut. 

Qu'importe  la  destinée  passagère  que  la 
terre  peut  nous  offrir  ?  Hélas  1  cette  vie 
n'est  qu'un  instant  :  quelles  que  soient  les 
jouissances  que  l'on  [)eut  y  trouver,  elles 
vont  finir;  nous  touchons  à  la  mort,  l'éler- 
inïié  va  s'ouvrir  devant  nous.  Or  quelle  sera 
pendant  l'éternité  la  dcsiinée  de  l'homme, 
s'il  ne  se  sauve  pas  ?  Où  ira-t-il,  s'il  est  ex- 
clu du  royaume  de  Dieu  ?  Que  lui  restera- 
t-il,  que  possèdera-i-il,  s'il  est  privé  de  ce 
bonheur  suprême  que  Dieu  promet  à  la 
vertu,  mais  ne  promet  qu'à  la  vertu  ? 

Ici,  vénérables  confrères,  la  foi  se  réveille, 
et  l'imagination  la  plus  intrépide  s'épou- 
vante. Quoi,  des  tourments  affreux  1  un  feu 
dévorant  et  éternel  1  une  éternité  de  remords, 
de  rage,  de  désospoirl  car  hors  du  ciel  rf 
n'y  a  que  cela;  et  le  salut  ou  gagné  ou  perdu 
n'est  autre  chose  qu'un  bonheur  infini  ou 
qu'un  malheur  sans  tin. 

0  mes  chers  confrères ,  et  comment 
donc  la  concevoir,  cette  indifférence  mons- 
trueuse pour  le  salut  qu'on  a|)erçoit  ()arloul, 
et  qui  afflige  votre  zèle,  même  dans  des 
hommes  ([ui  se  disent  chrétiens  ?  Forcés 
d'avouer  qu'ils  sont  malheureux,  môme  au 
sein  de  la  prospérité,  sans  cesse  agiles  par 
des  craintes  et  des  désirs  qui  renaissent 
sans  cesse  ;  tourmentés  par  des  passions 
fougueuses  qui  ne  leur  laissent  pas  un  seul 
instant  de  repos  et  de  tranquillité,  Dieu 
leur  montre,  Dieu  leur  promet,  s'ils  sont 
fidèles  à  sa  loi,  une  éternité  de  bonheur 
parlait;  mais  il  les  menace,  s'ils  la  trans- 
gressent, cette  loi  sainte,  d'une  éternité  de 
feux  et  ue  su|)plices  ;  et  ces  grands  specia- 
ces  ne  le»  touchent  pas  ;  que  dis-je  ?  ils  ne 


(131 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


Çja 


(iaigneiil  pas  môme  y  nrrêler  leurs  regards; 
ils  les  écartent,  ils  les  éloignent  de  leur 
pensée  comme  des  souvenirs  importuns; 
et  sans  cesse  aveuglés  par  des  penchants 
honteux,  tout  absorbés  dans  leurs  affaires, 
leurs  travaux,  leurs  vanités  et  leurs  plai- 
sirs, ils  tiennent  sans  cesse,  comme  les  ani- 
^naux,  leurs  yeux  et  leur  cœur  alt^chés  aux 
objets  de  !a  terre;  decelte  terre  qui  va  s'é- 
crouler sous  leurs  pieds,  de  cette  terre  où 
ils  ne  posséderont  dans  peu  d'années  que 
l'étroit  espace  qui  servira  de  demeure  ^ 
leur  cadavre  elaux  vers  qui  les  dévoreront! 
Qui  pourrait  concevoir  une  semblable  folie 
si  l'on  n'en  voyait  des  traces  à  chaque 
pas? 

Mais,  ô  mon  Dieu  !  aurait-elle  pénétré, 
celle  inconcevable  folie,  dans  votre  propre 
maison?  dans  ce  sanctuaire  même  qui  doit 
être  l'asile  de  toutes  les  lumières  et  de 
toutes  les  vertus  ?  Se  trouverait-il  parmi 
nous  quelque  esprit  assez  irréfléchi  [)Our 
partager  l'aveuglçuient  et  le  malheur  des 
gens  du  monde  ?  de  ce  monde  que  nous 
sommes  chargés  d'instruire  et  d'édifier  pins 
encore  i)ar  nos  exemples  que  par  nos  dis- 
cours ?  Y  aurait-il  parmi  nous  quelque 
uiinistro  infidèle  à  qui  le  grand  Apôln;  pût 
léiîétcr  ces  foudroyantes  paroles  :  «  Confi- 
dis  Içipsum  esse  ducem  cœcorum,  lumen  eo- 
rum  qui  m  lenebr;is  sunt  ;  erudilorem  ins.i- 
pievtfium,  magislrum  infantium ,  habentem 
forinam  scieiiliœ  et  veritatis.  Qui  crgo  alium 

doces O   mus   cliers  confrères  I    qui    de 

nous  ne  tremblerait  en  entendant  relenlir, 
pour  ainsi  dire,  du  haut  des  cieux  ces  terri- 
bles reproches  :  Qui  ergq  alium  doc§s,  te- 
ipsutii  non  doces  ;  qui  px«çiicas  non  fur an- 
dum,  furaris;  qui  dicis  non  mœchnn^um, 
mœcharis....  qu\  abominaris  idola,  sacrile- 
yium  facis  ?  [Rom.,U,  19,  22.) 

Quel  serait  dot.'C  notre  but,  vénérables 
confrères,  en  partageant  les  vanités,  les 
cupidités,  les  désordres  et  les  scandales 
d'un  monde  que  nous  devons  guérir  de  sa 
corruption  ?  Penserions-nous  arriver  par  là 
au  vrai  bonheur  ?  Mais  nous  savons  que  la 
route  du  vrai  bonheur,  c'est  do  craindre 
Dieu  et  d'observer  ses  commandements; 
que  c'est  même  là  lout  l'homme,  et  que  sans 
cela  l'homme  n'est  rien  :  Hoc  est  eniin  om- 
nis  hotno.  {Eccle.  Xll,  13.)  Mais  nous  prê- 
chons et  à  l'eiifiiiice  et  à  la  vieillesse  que 
l'homme  n'a  élé  créé  que  pour  «idorer  Dieu 
sur  la  terre,  et  le  posséder  dans  l'élernilé; 
ou,  en  d'autres  termes,  que,  pour  parvenir 
au  salut,  posuit  nos  Deus  in  acquisitionem 
salulis.  (l  Tliess.,  V,  9.)  Ces  vérités  fonda- 
mentales ne  regarderaient-elles  que  les  laï- 
ques ?  Les  ministres  du  Dieu  immortel 
u'auraient-ils  aucun  intérêt  à  s'occuper  de 
cette  vie  future,  ou  éternellement  hou- 
leuse ou  éternellement  malheureuse, 
qui  nous  attend  tous,  prêtres  et  fidèles, 
au  delà  du  tombeau  ?  Car  en  vain  vou- 
drions-nous nous  aveugler,  l'une  ou  l'au- 
tre de  ces  deux  éternités  sera  pour  tous,  qui 
que  nous  soyons,  noire  fiarlage  inévitable. 
Pendant  la  courle  durée  de  notre  mortalité, 


nous  sommes   tous  placés  et  comtne  sus- 
pendus entre  ces   deux   éternités;   un  fil, 
hélas  1  bien  facile  à  se  rompre,  nous  tient 
allachés  à    la  terre.  Le   moment   approche 
où  ce  fil  si  fragile  sera  tranché  par  le  glaive 
de  la  mort.  Et  alors  1....  grand  Dieu  I  quelle 
alternative  1  et  alors  de  deux  choses  l'une  ; 
ou  notre  âme  sera    transportée  par  les  es- 
prits immortels  dans  le  séjour  du  Dieu  do 
paix,  ou  elle  sera  entraînée  par  les  démons 
elle  poids  de  ses  crimes  dans  l'abîme  éter- 
nel du  désespoir.  Yoilà  ce  que    nous    sa- 
vons,  voilà  ce  que  nous  croyons;  et  nous 
défions  l'impie  de  pouvoir  jamais  détruire 
celle  grande  et  majestueuse  vérité.  Elle  est 
émanée  de  la  bouche  de  Dieu  môme,  et  la 
l'arole  de  Dieu   ne  périra  point.  Les   mé- 
chants descendront  dans  un  supplice  éter- 
nel, et  les  bons    entreront  dans  une  gloire 
immortelle  :    Ibunt  fii  in  supplicium  œUr- 
num,jusli  auteinin  vitam  ceternam.  [Matth., 
XXV,  iG.)  Qu'on   serait  à   plaindre  si  l'on 
était  insensible  à  de  telles  vérités  I  Le  pre- 
mier principe  est  donc  démontré  ;  rien   de 
plus  nécessaire  que  le  salut,  ou  en  d'autres, 
termes  que  la  possession   du  royaume  de 
Dieu,  puisque,  si  l'on  est  exclu  de  ce  royau- 
me, on  tombe  par  cela  seul  dans  un  abîme 
de  maux   éternels.   Après    la  mort,  ou   le 
ciel  ou  l'enfer;  il  n'y  a  pas  de  milieu.  Donc 
rien  de  plus  nécessaire  que  d'éviier  le  pé- 
ché  mortel,  ou   d'en   sortir  au  plus  tôt   si 
l'on  y  est  tombé,  puisque    le  péché   mortel 
est  le  grand  obstacle  au   salul.  Que  médit 
la  conscience  sur  cet  article  ?  suis-je  cou- 
pable dequel"]ue  péché  mortel  queje  n'aie 
pas  encore  ex()ié  ?  suis-je  dominé  par  quel- 
qu'une de  ces  passions   que  je    condamne 
si  hautement  dans  les  autres?  ai -je  jamais 
célébré  avec  une  conscience  criminelle  ou 
douteuse  ?  Àh  !  sans  plus   tarder,  pénileiH 
ce,  changement  de  vie,  douleur  profonde, 
confession  sincère  !  sans  quoi,  hélas!  point 
de  salut. 

Rien  de  plus  nécessaire  que  le  salut  : 
donc  je  dois  préférer  le  salut  à  tout,  et  il 
n'est  point  de  sacrifice  que  je  ne  doive  faire 
plutôt  que  de  com|)rometlre  mon  salut  : 
donc  je  dois  être  disposé  à  tout  perdre,  for- 
tune, santé,  réputation;  à  tout  souffrir, 
humiliations,  injustices,  persécutions,  plu- 
tôt que  de  m'exppser  à  me  perdre.  O  mon 
Dieu!  plutôt  la  mort  du  corps,  à  l'exemple 
des  martyrs,  que  de  donner  la  mort  à  mon 
ûme  par  quelque  aciion,  quelque  lAcheté  ou 
quelque  crainte  criminelle.  Et  [)Ourquoi? 
parce  qu'il  n'est  rien  de  plus  nécessaire 
que  le  salut.  Ajoutons,  et  c'est  ici  le  second 
principe,  parce  (jue  le  salut  est  la  seule 
chose  véiiîablement  nécessaire,  unwn  ne- 
cessurium.  {Luc,  X,  h2  ) 

Eu  effet,  pour  être  véritablement  heu- 
reux, car  c'est  là  mon  grand  d^sir,  il  n'est 
pas  nécessaire  que  je  sois  riche,  estimé, 
considéré,  applaudi  ;  il  n'est  [)as  nécessaiio 
(|ue  j'aie  telle  (jualilé  de  l'esprit,  tel  avan- 
lage  du  corps  ;  que  je  goûte  telle  satisfac- 
tion, queje  réussisse  dans  telle  entreprise; 
il  n'est  pas  nécessaire  que-je  parvlçune  à 


6.^5 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  II,  SUR  LE  SALUT  DES  PRETRES. 


m 


telle. place,  h  tel  emploi;  qiiojosois  îi  ra!)ri 
de  telle  cnnirailiclion,  de  telle  intirmité  -,  (]iio 
je  prolotigo  ma  vie  jusqu'à  telle  (époque; 
rien  de  tant  cela  ii'esl  nécessaire,  i\  mon 
bonheur  :  et  quand  j'aurais  tout  cela,  jo 
ne  serais pourlanl  pas  heureux;  il  me  man- 
querait encore  bien  des  choses  ;  je  serais 
(lu  moins  allli|ié  par  la  crainte,  disons 
mieux,  par  la  certitude  de  perdre  bientôt 
ce  que  je  posst^dais.  La  crainte  de  la  mort 
cmpécliera  toujours  le  vrai  bonheur  :  aussi 
qui  jamais  a  été  heureux  dans  celle  vie? 
Pour  être  véritablement  heureux,  il  est  né- 
cessaire, absfdumenl  nécessaire  que  je  me 
sauve;  mais  il  n'y  a  que  cela  de  nécessaire: 
car  si  je  me  sauve,  je  suis  assuré  d'une  im- 
mortelle félicité;  et  si  je  venais  à  me  per- 
die,  je  tomberais  dans  un  malheur  irrépa- 
rable. 

Donc  le  salut  est  tout,  et  sans  le  salut 
tout  le  reste  n'est  rien.  Le  siiliil  yagné,  tout 
«  st  gagné  ;  le  salut  penlu,  tout  est  perdu. 
Donc  je  dois  travailler  à  mon  salut  sans  re- 
ladie,  tous  les  jours,  tous  les  instants  du 
jour,  et  ne  m'occuper  des  autres  choses  que 
licfns  la  vue  do  me  sauver.  Il  m'est  conso- 
lant, ô  mon  Dieu  I  de  pouvoir  trouver  mon 
salut  dans  tout  ce  que  je  fais,  en  le  faisant 
pour  vous  plaire  1  Donctoqtes  les  positions 
où  Dieu  jugera  à  propos  de  me  placer  doi- 
vnt  m'ôire  indill'érentes,  puisque  je  puis 
les  faire  servir  toutes  à  mon  salut.  Qu'im^ 
porte  la  vie  Iranquide  ou  agitée,  obscure 
<iu  éclatante  c|ue  j'aurai  menée  sur  la  (erre, 
pourvu  que  je  parvienne  à  la  gloire  de  l'ér 
ternelle  félicité?  Ahl  c'est  donc  veis  ce 
grand  but  que  doivent  se  diriger  tous  mes 
olforts,  tous  mes  projets,  tous  mes  travaux, 
toutes  mes  craintes,  toutes  mes  espérances. 
Non,  je  ne  dois  désirer  que  le  salut,  je  ne 
dois  craindre  que  la  perte  du  salut;  tout  lo 
reste,  je  dois  le  laisser  entre  les  mains  de 
la  Providence,  bien  assuré  qu'elle  ne  négli- 
gera rien  de  ce  qui  peut  èlre  utile  h  mon 
vrai  bonheur,  c'est-à-dire  à  mon  salut. 
Cherchez  avant  lou[,  dit  Jé-^us-Glirist,  le 
royaune  de  Dieu  et  sa  justice,  et  laissez 
le  soin  du  reste  à  voire  Père  céleste  ;  il  vous 
le  donnera  parsurcroit  dans  la  m(!sure  que 
sa  sagesse  trouvera  convenable.  Quel  ne 
serait  pas  votre  aveuglement,  continue  Jé- 
sus-Christ, si  vous  alliez  vous  jeter  dans  le 
trouble  et  l'.igilalion  pour  les  besoins  ou 
les  jouissances  de  cutie  vie  !  nolUi;  sollicili 
tsse.  [Matlh.,  VI,  31.) 

Eh  I  que  sert  à  l'homme,  ajoutet-il,  de 
chercher  à  s'élever,  à  s'agrandir,  à  se  dis- 
tinguer, à  obtenir,  s'il  était  [lossible,  lis  ri- 
chesses ou  lesapp'audisseraenls  delouiruni- 
\ers,s'il  vient  à  |ieidreso!i  àm{.'lQuid  prodest 
homini  si  mundum  universum  lucn-tur,  aui- 
mœ  ver 0 suœ  détriment um  patiahir?  [Luc.  XI, 
!25.)  Paroles  sublimes  dans  voire  siiii[)!ic.lé, 
n*occu|)erez-vous  jamais  notre  pensée  ?  De- 
puis dix-huit  cents  ans  yods  lelentissez  dans 
les  chaires  chrétienni-s,  ne  relentircz-vous 
jamais  au  fond  de  nos  cœurs,  lorsque  nous 
ne  cessons  de  vous  rappeler  aux  simples 
tidèies?  C'est  .vous  qui    dûiuiûles  jadis  à 


riïglise  tant  de  martyrs,  et  au  ciel  tant  de 
sainis  personnages;  c'est  vous  qui  arra- 
châtes au  monde  tant  d'esclaves  du  vice, 
et  peuplâtes  les  déserts  d'anachorètes  et  de 
pénitents;  c'est  vous,  précisément  vous, 
qui  trans|)ortûles  François  Xavier  de  la  ca- 
|)itale  de  ce  royaume  jusqu'au  fond  des  In- 
des, et  qui  convertîtes  par  son  ministère 
des  milliers  d'infidèles;  c'est  vous  qui  avez 
fourni  aux  lionunes  apostoliques  do  tous 
les  siècles  ces  lrailsd'élo(|uence,  ces  pein- 
tures énergiques  des  vanités  mondaines  qui 
triomphaient  des  cœurs  les  plus  obstinés. 
Que  sert  à  l'homme,  s'écriaient  ces  grands 
saints  avec  cet  accent  de  feu  que  donne 
l'Esprit-Saint,  que  sert  à  l'homme  de  gagner 
tout  l'univers,  d'obtenir  les  sulfrages  et  la 
confiance  de  toute  la  terre,  s'il  vient  à  per- 
dre son  âme,  quid  prodest?  Et  à  ces  paro- 
les l'avare  frémissait,  l'orgueilleux  s'humi- 
liait, les  plus  grands  pécheurs  se  hâtaient 
do  se  convertir.  N'y  aurait-il  que  nous, 
prêtres  de  Jésus-Christ,  que  des  paroles 
si  touchantes  ne  loucheraient  |)as  ? 

Donnons  l'essor  à  notre  imagination,  réu- 
nissons dans  notre  pensée  tout  ce  qui  com- 
pose le  prétendu  bonheur  do  ce  monde  : 
esprit,  science,  beauté,  réputation,  riches- 
ses, plaisirs,  dignités  ,  a[)plaudissements 
fjuhlics,  célébrité  dans  tout  l'univers  :  à 
quoi  tout  cela  servi ra-î'.-il  si  l'on  tombe 
apfès  la  mort  dans  un  abîme  de  feu  et  de 
désespoir?  Qu'a  servi  à  ces  |)réten  lus  grands 
hommes  dont  l'histoire  a  occupé  nos  pre-; 
mières  études,  à  ces  brillants  génies,  à  ces 
héros  conquérants,  à  ces  orateurs,  à  ces 
artistes  fameux  dont  la  gloire  a  rempli 
tout  l'univers;  que  leur  a  servi  celte  écla- 
lanle  renommée,  s'ils  ont  sacrilié  leur  salut 
au  désir  de  la  célébrité,  et  qu'ils  n'aient 
eu  d'aul/e  but  dans  leurs  ouvrages  que 
cette  vaine  immortalité  qui  n'est  rien  au 
delà  de  ce  monde?  Celle  gloire  si  bruyanlo 
les  a-l-elle  garantis  du  jugement  de  Dieu? 
a-t-elle  désarmé  le  bras  de  sa  justice  ?  Ah  ! 
dit  saint  Augustin,  leur  nom  est  célébré 
sur  une  tetre  où  ils  ne  sont  plus,  et  leur 
âme  est  tourmentée  dans  un  abîme  où  ils 
seront  toujours,  laudantur  ubi  non  sunt , 
crucinntur  ubi  sunt. 

Nous,  vénérables  confrères,  qui  sans  doute, 
n'aspirons  [)as  à  lanlde  célébrité,  mais  qui 
([ui  peul-ètre  prétendons  à  des  distinc- 
tions, à  des  çm|)lois,  à  des  postes  plus  ho-, 
norables  ou  plus  lucraliis,  à  une  répula- 
lio,  1  dé  science  et  de  lalent  (lui  nous  élève 
au-de.ssus  du  vulgaire,  à  quoi,  je  vous  lo 
demande,  nous  serviraient  ces  avantages 
humains,  si,  à  rexenq)le  de  ces  faïucux 
hérétifjues  enllés  de  leurs  talents,  des  Arius, 
des  Neslorius,  des  Pholius,  si  l'orgueil  et 
la  cupidité  étaient  le  mobile  de  notre  con- 
duite ;  si  c'était  la  vanilé  [ilutôt  que  la  piété, 
l'œil  des  hommes  plutôt  que  l'œil  de  Dieu, 
(pji  encouragi'âl  nos  lrav;iux,  à  quoi  tout 
cela  nous  servirait-il,  et  à  vous  et  à  moj, 
dans  ce  moment  redoutahie  et  peul-ôtre 
[irochain  où  nous  paraîtrons  devant  lo  tri- 
bunal d'un  Dieu  qui  jugf  les  justices  inôiues, 


633 


ORATEURS  SACRES.  MACREL. 


6S6 


et  ne  récompense- que  ce  que  l'on  a  fait  pour 
lui  plair?? 

QuaiMl  bien  même,  par  une  apparence  de 
zèle  ou  certains  dons  extérieurs,  nous  tra- 
v.iillerions  utilement  à  la  sanclificalion  et 
au  salut  de  nos  frères  ;  quand  bien  même 
nous  opérerions  des  conversions  éclatantes, 
et  que  nous  viendrions  à  bout  de  ramener  à 
Ôieu  toute  une  paroisse,  toute  une  contrée, 
l'univers  enlier,  à  quoi  tout  cela  nous  ser- 
virail-ilrSi  nous  négligions  notre  salut,  et 
qu'à  la  tin  de  noire  course  nous  entendis- 
sions cette  parole  altérante:  Ouvriers  d'ini- 
quité, retirez-vous  de  moi,  je  ne  vous  con- 
nais point,  je  ne  vous  connus  jamais  :  Nun- 
qnam  novi  vos?  (Matlh. ,yil,  23.) 

Vénérables  confrères,  n'oublions  donc 
jamais  que  la  chose  la  plus  nécessaire,  la 
seule  véritablement  nécessaire,  unum  ne- 
cessarium,  c'est  le  salut.  Mais  comment  de- 
vons-nous y  travailler?  c'est  ce  qui  nous 
reste  à  examiner. 

SECONDE  PARTIE. 

Comment  faut-il  travailler  à  son  salul? 
Premièrement,  avec  courage,  î;«re7j7er  agite, 
et  confortetur  corvestrum  [Psal.  XXX,  23)  ; 
secondement,  avec  confiance,  confidite,  ego 
viei  mundum.  {Joan.,  XVI, 33.)  Pourquoi  avec 
courage?  parce  que  le  salul  présente  beau- 
coup de  difficultés  qu'on  ne  peut  vaincre 
sans  eCorts,  sans  sacrifices,  sans  une  vo- 
lonté intrépide,  énergique,  fortement  pro- 
noncée. 

Je  nesais,  vénérables  confrères,  si  jamais 
vous  avez  fait  une  réflexion  qui  me  parait 
frappante.  Il  me  semble  que  le  mot  saluC 
annonce  par  lui-même  quelque  chose  de 
difficile  et  de  rare  où  peu  de  gens  réussis- 
sent. Quand  on  veut  exprimer  le  bonheur 
de  quelqu'un  qui  a  échappé  avec  peine  aux 
dangers  d'un  incendie,  d'un  naufrage,  d'une 
bataille  sat)glante,  d'une  contagion  désas- 
treuse qui  ravage  tout  un  pays,  on  dit  qu'il 
s'est  sauvé  de  cet  incendie,  de  ce  naufrage, 
de  ce  combat,  de  celte  contagion  où  lant 
d'autres  ont  péri;  il  est  aisé  de  voir  dans 
ces  quatre  exemples  autant  d'images  dos 
dangers  sans  nombre  que  nous  courons 
dans  la  carrière  si  difficile  du  salut  éternel. 

Eh!  quel  incendie  plus  terrible  que  celui 
où  le  feu  des  passions,  souvent  allumé  par 
l'imprudence,  enflammé  par  la  curiosité, 
alimenté  par  la  présomption  et  le  plaisir, 
dévore  tout  ce  qu'il  peut  atteindre,  accroît 
sa  vivacité  par  le  nombre  même  de  ses  vic- 
times, étend  et  porte  au  loin  ses  ravages 
par  les  étincelles  brûlantes  qu'il  jette  de 
toutes  parts!  O  mon  Dieu!  vous  le  voyez 
du  haut  de  votre  trône,  il  ne  faut  quelque- 
fois qu'un  mauvais  prélre  qui  a  laissé  s'al- 
lumer au  fond  de  son  cœur  une  flamme  im- 
pure, pour  causer  dans  toute  une  paroisse 
un  incendie  de  volupté  et  d'incontinence, 
dont  il  est  responsable,  puisqu'il  en  est  l'au- 
teur. 

Quel  naufrage  plus  affreux  que  celui  qui, 
au  milieu  de  ce  monde  pervers,  justement 
comparée  une  mer  orageuse,  engloutit  tous 


les  jours  tant  d'âmes  infortunées  dans  les 
abîmes  du  péché  et  de  la  mort  1  Kl  le  sa- 
cerdoce, qui  semblerait  être  un  port  assurié, 
luet-il  toujours  à  l'abri  de  ce  naufrage?  ne 
voil-en  pas  tous  les  jours  un  nombre  d'ec- 
clésiastiques vains  et  légers  aller  perdre 
dans  les  sociétés  et  les  amusemenls  du 
monde  celte  piété,  cette  pudeur,  cette  in- 
nocence de  mœurs  qu'ils  avaiefit  puisée  et 
qu'ils  auraient  conservées  dans  le  calme  de 
la  retraite? 

Quel  combat  plus  sanglant  que  celui  que 
le  prince  de  l'enfer,  à  la  tète  de  toutes  les 
passions ,  livre  sans  cesse  aux  enfants 
d'Adam,  qu'il  trompe  par  ses  pièges,  qu'il 
effraye  par  ses  menaces,  qu'il  séduit  par 
l'appât  du  plaisir  ou  de  l'inlérôtr  et  qu'il 
immole  à  ses  fureurs  1  contre  qui  dnrigti-t- 
il  avec  plus  d'acharnement  ses  cou[)S  meur- 
triers, sinon  contre  les  chefs  de  l'armée 
qu'il  combat,  je  veux  dire  contre  les  prê- 
tres ? 

Quelle  contagion  plus  funeste  que  celle 
du  mauvais  exemple ,  qui ,  semblable  à  une 
peste  ou  à  une  vapeur  empoisonnée,  entre 
par  les  yeux,  par  les  oreilles,  par  tous  les 
organes  du  corps,  par  toutes  les  facultés  de 
l'esprit,  et  porte  le  venin  du  vice  et  le 
coup  de  la  morl  au  fond  d'une  âme  jusque- 
là  innocente  I  Combi-en  de  prêtres  n'ont-ils 
pas  trouvé  dans  le  commerce  d'un  confrère, 
je  ne  dirai  pas  corrompu,  mais  dissipé,  oi- 
sif, relâché  ,  l'exlinciion  d'un  zèle  et  d'une 
piété  jusqu'alors  si  édifiants! 

Voilà,  mes  cliers  confrères,  un 
aperçu  de  nos  périls  les  plus  ordinaires,,  et 
il  en  est  tant  d'autres  que  je  n'ai  ni  le  temps 
ni  le  courage  de  nommer.  Or  quelle  force 
ne  faul-il  pas  pour  vaincre  lanl  d'ennemis, 
et  pour  marcher  d'un  pied  ferme,  au  milieu 
de  tant  de  dangers,  dans  la, roule  de  la 
sainteté;  c'est  trop  peu  dire,  de  la  perfec- 
tion ecclésiastique,  seule  capable  de  nous 
conduire  au  salut! 

Aussi,  vous  le  savez,  quand  nous  prê- 
chons aux  gens  du  monde  qi:e  le  royaume 
des  cieux  soulfre  violence ,  et  que  ce  n'e>t 
que  par  la  force  qu'on  le  r.ivit;  que  la  porte 
de  la  vie  est  étroite,  et  qu'on  n'y  entre  que 
par  de  grands  etforts  ;  que  la  couronne  im- 
morteile  n'est  décernée  qu'aux  combats  et 
aux  victoires,  et  qu'aussi  il  en  est  peu  qui 
l'obticnn^nl,  parce  qu'il  en  est  peu  qui 
veuillent  se  gêner  et  se  vaincre,  l'âme  in- 
dolente qui  avait  conçu  quelque  désir  (te 
salut  se  sent  tout  interdite  et  déconcertée. 
Si  nous  ajoutons,  comme  conséquence  né- 
cessaire de  ces  [irincipes  ,  que,  pour  se  sau- 
ver, il  faut  non-seulement  s'éloigner  de  tou- 
tes ses  forces  des  dangers  du  péché,  non- 
seuienient  renoncer  aux  objets  qui  ont  été 
jusqu'ici  pour  nous  une  occasion  de  chute, 
mais  se  renoncer  soi-même  ,  abneget  semel- 
ipsum  (Malth.f  X.Vlf'ik);  mais  combattre 
sans  cesse  les  défauts  de  son  caractère, 
mais  réprimer  avec  force  une  passion  nais- 
sante ,  mais  lutter  tous  les  jours  contre  les 
désirs  de  l'ambition  et  l'aiguillon  do  la  vo- 
lupté, coiilie  les  emporlemcnls  de  la  colère 


légep 


637  RKTRAITE.  —  INSTRLC  T.  Il, 

ell'injoumission  h  la  Providence,  contre  les 
iiinximes  du  monde  et  les  craintes  du  res- 
pect huinain,  nous  avons  la  douleur  de  voir 
que  l'âiue  lAclie  ,  en  entendant  le  délai!  de 
ces  précautions  et  de  ces  combats,  loin  de 
se  relever  et  de  fortitier  son  courage ,  se  li- 
vre à  un  abattement  plus  sensible,  et  que 
les  armes  du  salut  lui  tombent  presque  des 
mains.  Mais  si  nous  rappelons  l'oracle  de 
Jésus-Christ,  que  pour  se  sauver  il  faut 
persévérer  dans  ces  lutles  et  ces  elTorls 
jusqu'à  la  fin  de  sa  course,  et  que  ce  n'est 
qu'à  cette  coniinuilé  non  interrompue  de 
vigilance,  de  zèle,  tle  renoncements  et  de 
s.icrifices ,  que  le  salut  est  promis,  l'àrae  in- 
dolente, tout  épouvantée ,  s'écrie  en  frémis- 
sant :  Hhl  qui  pourra  donc  être  sauvé?  a  quis 
poterit  salvus  esse?  »  (Marc,  X  ,  26.) 

Le  voilà,  mej  chers  conirèrts,  l'ennemi 
le  plus  dangereux  du  salut,  celte  lAche  pu- 
sillanimité qui  recule  d'elfroi  à  l'aspect  des 
obstacles  1  La  crainte  sans  doute  est  néces- 
saire dans  l'ouvrage  du  salut  :  le  grand 
Apôtre  en  était  pénétré,  le  roi  pénitent 
frémissait  au  souvenir  de  ses  crimes;  mais 
c'élail  une  crainte  active  ot  laborieuse,  qui, 
loin  de  les  abattre,  réveillait  leur  zèle  et 
soutenait  leur  vigilance  :  leur  courage  s'en- 
flammait en  proportion  des  obstacles.  La 
première  chose  que  rEspril-Saint  nous  re- 
commande, c'est  sans  doute  de  craindre 
Dieu  :  Deum  time  ;  mais  il  ajoute  de  suite  : 
et  observez  ses  commandements,  el  manda- 
tn  ejus  observa.  {Eccle.  XII,  13.)  Il  nous  dit 
ailleurs  que  ce  n'est  que  par  les  bonnes 
œuvres  qu'on  assure  son  salut. 

A  quoi  peut  conduire  une  crainte  lâche 
el  pusillanime  qui  éteint  toute  ardeur  el 
arrête  tout  elTori?  écliappe-t-on  à  un  dan- 
ger [lar  la  seule  crainte  de  ne  pouvoir  s'y 
soustraire?  Un  soldat  jette-t-il  les  armes 
parce  qu'il  est  entouré  d'ennemis  furieux? 
Les  obstacles  du  salut  sont  terribles ,  j'en 
conviens  ;  mais  ,  souffrez  que  je  vous  le  de- 
mande en  m'interrogeant  moi-même  le  pre- 
mier, serait-il  moins  terrible  de  tomber 
dans  un  feu  dévorant?  Qui  de  vous  ,  s'écrie 
un  prophète,  pourra  habiter  avec  des  ar- 
deurs éternelles?  Il  faut  pourtant  opter  en- 
Ire  le  salut  et  un  supplice  éternel. 

Ame  pusillanime  I  si  par  malheur  il  s'en 
trouvait  ici,  rougissez  donc  de  votre  lâ- 
cheté; et  sur  les  traces  de  tant  de  saints, 
aussi  faibles  que  vous,  qui  ont  livré  une 
guerre  à  mort  à  leurs  pussions  et  à  leurs 
vices;  et  sur  les  traces  de  lanl  do  mar- 
tyrs qui  ont  affronté  les  glaives  et  les 
bûchers,  el  ont  vaincu  la  crainte  de  la 
douleur  par  l'espérance  de  l'immortalité; 
que  dis-je?  Et  sur  les  traces  de  tant  de 
chrétiens,  de  tant  de  bons  prêtres  encore 
vivants,  qui  luttent  chaque  jour  avec  suc- 
cès contre  des  occasions  et  des  penchants 
malheureux  ,  élancez-vous  aussi  avec  cou- 
rage dans  la  carrière  du  salut,  viriliter  agi- 
te, el ,  comme  eux,  vous  vaincrez  tous  les 
obstacles,  non  par  vos  propres  forces, 
vous  connaissez  le  mot  de  Jésus-Christ  : 
'Sans  moi  tous  ne  pouvez  rien  [Joan. ,  XV  , 


SUR  LE  SALUT  PES  PRETRES. 


638 


5);  mais  par  la  force  de  ce  Dieu  sauveur 
(|ui  disait  à  ses  disciples  :  Confiez-vous  en 
moi  ;  fai  vaincu  le  monde,  et  par  moi  vous 
le  vaincrez  aussi l  «  Con/idite,  ego  vici  mun- 
dum.  yy  [Juan. ,  XVI ,  33.) 

Voilà*  le  second  sentiment  qui  doit  nous 
animer  dans  l'ouvrage  du  salut,  la  confiance 
en  Dieu  ,  mais  une  confiance  sans  bornes  , 
puisque  la  puissance  et  la  bonté  divines  sont 
infinies.  Je  puis  tout,  disait  le  grand  Apô- 
tre, dans  celui  qui  me  fortifie.  Je  sais  le  mot 
terrible  de  Jésus-Christ ,  peu  d'hommes  se 
sauvent  ;  et  même  peu  de  j)rêtres,  ajoute  en 
tremblant  saint  Chrysostome;  mais  je  sais 
aussi  qu'il  ne  péril  que  ceux  qui  veulent 
périr.  Hé  quoi  1  mes  cliers  CDnfrères  ,  Dieu 
veut ,  vous  n'en  doutez  pas,  le  salut  de  nous 
tous  :  ce  ne  peut  être  de  sa  pari  une  volonté 
impuissante  -,  Dieu  nous  ordonne  à  tous  d'o- 
pérer  notre  salut  :  il  ne  nous  fait  pas  un 
précepte  impossible;  Dieu  nous  promet  à 
tous  la  grâce  du  salut  :  il  ne  nous  donne 
pas  une  espérance  illusoire. 

Qu'y  a-t-il  donc  dans  le  salut  qui  doive 
nous  décourager?  Serait-ce  la  multitude  el 
l'énormité  de  nos  crimes?  Mais  ignorons- 
nous  que  Dieu  ne  veut  la  perte  de  personne, 
nolens  aliquos  perire  (Il  Petr.,  111,  9)  ;  pas 
même  de  l'impie  :nolo  mortem  impii{Ézech., 
XXXIII,  11.);  et  qu'il  n'est  aucun  coupa- 
ble à  qui  ne  soit  ouvert  ce  tribunal  de  mi- 
séricorde où  le  pardon  suit  toujours  le  re- 
pentir ?  Pœnitemini ,  et  convertimini ,  ut  de- 
Icantur  peccata  vestra.  {Act.,  III,  19.) 

Seraii-ce  ce  chaos  d'occupations,  d  embar- 
ras, de  sollicitudes  attachés  à  un  ministère 
gui  devient  tous  lesjours  et  plus  pénible  el 
plus  dangereux? Mais  celte  foule  d'hommes 
apostoliques  qui  nous  ont  précédés,  les 
Athanase,  les  Grégoire,  les  Xavier,  les 
Charles  Borromée,  étaient-ils  moins  occu- 
pés, moins  exposés  que  nous?  Les  temps 
où  ils  ont  vécu  étaient-ils  moins  difficiles, 
moins  orageux?  Et  cependant  ils  se  sont 
sauvés. 

Serait-ce  l'excès  de  notre  faiblesse  el  la 
violence  de  nos  tentations?  mais  sont-elles 
plus  violentes  que  celles  d'un  Paul ,  d'un 
Jérôtne,  d'un  Augustin?  Hommes  de  peu  do 
foi  !  pourquoi  donc  nous  défier  de  ce  Dieu 
lou:-puissant  qui  est  témoin  de  nos  combats 
et  nous  prépare  la  victoire?  Nous  accusons 
peut-être  la  rigueur  de  sa  providence  et  la 
lenteur  de  son  secours  :  mais  ne  savons- 
nous  pas  que  ce  sont  les  grandes  épreuves 
qui  enfantent  les  grandes  vertus?  Mais 
ignorons-nous  qu'une  sainteté  éminente 
fut  toujours  précédée  et  souvent  accompa- 
gnée de  fortes  tentations?  Ahl  soutenons 
donc  avec  courage  cette  lutte  terrible,  et  es- 
pérons en  co  Dieu  puissant  qui  ne  délaisse 
jamais  ceux  qui  sentent  leur  faiblesse  el  in- 
voquent son  secours.  Du  sein  de  nos  dan- 
gers, disons-lui ,  comme  le  Prophète,  avec 
celle  humble  confiance  qui  fut  toujours 
exaucée:  Non,  Seigneur,  je  ne  craindrai 
point  cette  mulliludo  d'ennemis  qui  m'as- 
siègent de  toutes  parts  ;  Non  timebo  millia 
populi  circumdantis  me.    [Psal.  111,7.)  Ce 


6Sa 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


610 


sont,  li  est  vrai,  comme  des  lions  rugis- 
s.inls  prêts  h  mo  dévorer;  mais.ô  mon 
Dieu  1  leurs  dents  meurlrièrcs  seront  bri- 
sées par  la  force  de  votre  bras  ,  et  leurs 
morsures  deviendront  impuissantes  ,  denses 
peccatorum  CiWtrivisli.  {Psal.  III,  8.) 

Mes  chers  confrères,  c'est  un  principe  si 
consolant  de  notre  foi,  que  Dieu  ne  per- 
mettra jamais  que  nous  soyons  tentés  au- 
dessus  de  nos  forces  1  que  dis-je  ?  qu'il  nous 
fera  trouver  dans  la  tentation  môme  une 
source  de  vertu  et  de  mérite,  faciet  cutn 
Untatione  proventiim!  {{  Cor.,  X,  13.)  Oh  I 
ce  n'est  pas  la  grâce  qui  nous  manque,  c'est 
1.1  volonté  de  correspondre  à  la  grâce.  Don- 
nez-moi un  prêtre  fortement  résolu  do  se 
sauver  quoi  qu'il  en  coûte;  un  prêtre  coura- 
geux ,  iMlré[>ide,  qui  ne  craigne  que  Dieu  et 
ses  jugements:  placez-le  dans  une  circon^ 
stancefucheu.se,  à  la  tête  d'une  paroisse, 
d'un  eni[)lûi  difficile;  suprosez-le  assailli 
(l'une  tentation  ,  d'une  persécution  violent 
te,  et  vous  lentpndrez  s'écrier  avec  géné- 
rosité :  «  Quoi  !  pour  un  plaisir  d'un  mo- 
ment ,  pour  une  fortune  de  boue,  pour  une 
réputation,  une  considération  passagère  ,  je 
voudrais  perdre  une  éternité  de  gloire  et  de 
bonheur  I  Quoi  1  je  craindrais  les  railleries, 
les  calomnies,  les  menaces  de  quelques 
mortels  ,  et  je  ne  craindrais  pas  la  justice 
élernelle  du  Dieu  vivant!  »  Voil5  les  senti'^ 
raents  qui  triomphent  de  teus  les  obsta- 
cles. 

An^es  pusillanimes,  ranimez  donc  votre 
confiance  et  méprisez  ces  vains  fantômes 
qui  semblent  a.ssiéger  la  carrière  du  salut 
et  vous  en  défendre  l'entrée.  Atfronlez-les 
courageusement ,  et  ils  disparaîtront  ;  mar- 
chez à  la  victoire,  et  vous  vaincrez.  Ne  di- 
tes plus  :  Je  voudrais  bien,  c'est  l'expres- 
siao  des  lâches  ;  mais  veuillez  fermement 
vous  sauver,  et  vous  vous  sauverez  ;  non, 
je  le  réi)ète  ,  par  vos  propres  forces,  qui 
ne  sont,  hélas  1  que  faiblesse,  mais  par  la 
force  de  celui  qui  a  vaini;u  le  monde  et  en-. 
chaîné  .'enfer,  et  qui  a  promis  tout  seouu:s 
il  la  prière. 

Ici,  mes  chers  confrères,  il  me  semoh; 
voir  le  séjour  des  élus  s'ouvrir  sur  nos  lêtes 
et  déployer  à  nos  yeux  tout  l'éclat  de  sa 
gloire  et  de  sa  magnilicence,  tandis  que 
l'enfer  développe  sous  nos  pieds  l'épouvan- 
table horreur  de  ses  feux  ut  de  ses  suppli- 
ces; et  en  même  temps  il  me  semble  en- 
tendre une  voix,  partie  du  trône  de  Dieu 
qui  nous  crie  h  tous  :  «  Il  s'agit  dans  cette 
retraite  de  vous  décider  pour  l'une  ou  l'au- 
tre de  ces  deux  demeures.  Voulez-vous 
posséder  éternellement  les  richesses  et  la 
gloire  du  ciel,  ou  voulez-vous  habiter  éter- 
nellement dans  les  abîmes  et  les  horreurs 
de  l'enfer?  Choisissez  entre  ces  deux  éter- 
uilés,  et  vivez  ei;i  conséquence.  Pour  en- 
trer dans  le  ciel,  il  faut  observer  jusqu'à  la 
mort  toute  l'étendue  de  ma  loi;  pour  tom- 
ber dans  l'enfer,  c'est  assez  d'un  seul  crime 
que  la  pénitence  n'a  point  expié.  Votre  sort 
mains,  choisissez;  mais  hâ- 
murt  est   là  ;   et  après  la 


est  entre  vos 
Icz-vous,  car  la 


mort,  il  n'y  aura  plus  de  choix  à  faire» 
il  n'y  aura  qu'un  jugement  irrévocable  h 
subir.  » 

O  mon  Dieu  !  il  y  a  bien  longtemps  que 
mon  choix  est  fait  et  que  je  vous  ai  pris 
pour  mon  unique  partage  :  Dominns  pars 
hœredilatis  meœ.  {Psal,  XV,  5.)  Pour(|uoi 
faut-il  que  mon  inconstance  soit  venue  si 
S'uvent  trahir  mes  résolutions  et  m'arra^ 
cher  à  voire  service?  Ah  I  je  rcs|)ère,  celte 
retraite  la  réprimera,  l'enchaînera,  coite 
inconstance  criminelle.  Non,  ([uoi  qu'il  m'en 
coule,  je  ne  veux  plus  quitter  les  saintes 
voies  du  salut.  Quoi  1  tomber  dans  l'enfer 
après  qu'un  Dieu  est  mort  pour  m'en  pré-> 
server  1  quoi  I  tomber  dans  l'enfer  après 
avoir  peut-être  introduit  tant  d'âmes  dai;s 
le  ciel  !  0  Jésus  1  j'attends  aussi  de  vos  mé- 
rites et  de  votre  sang  la  possession  éter- 
nelle de  votre  royaume. 

INSTRUCTION  III. 

LE  PÉCniJ   MORTEL. 

Quisex  voDis  arguel  me  de  peccato   (Joan.,  VIII,  46.) 

Messieurs, 

Dans  les  jours  de  sa  vie  mortelle,  le  Fil.s 
fie  Dieu  donna  bien  des  preuves  éclatantes 
de  sa  divinité.  Les  morts  sortis  des  tom- 
beaux, les  aveugles,  les  muets,  les  paraly- 
tiques subitement  guéris;  une  multitud© 
atfamée  rassasiée  dans  le  désert;  tant  de 
prodiges  dont  Jérusalem  et  Samarie  furent 
tour  à  tour  les  témoins;  cette  force  invin- 
cible par  laquelle  il  attirait  tous  les  hom- 
mes à  sa  suite;  enfin  la  sublimité  d'une 
morale  inconnue  jusqu'à  lui,  tels  étaient  les 
glorieux  témoignages  qui  annonçaient  que 
son  origine  était  divine.  Cependant  una- 
des  preuves  les  plus  frappantes  que  Jésus- 
Christ  a  données  de  sa  divinité,  c'est  celle 
noble  assurance  avec  laquelle  il  défie  la 
malice  de  ses  ennemis  de  trouver  dans  sa 
conduite  la  plus  légère  faute  :  Quis  ex  vobis 
arguet  me  de  peccalo.  Placés  au  milieu  des 
peuples  pour  perpétuer  son  ministère  et 
annoncer  son  Evan^Mle,  nous  devrions  aussi 
pouvoir  défier,  comme  lui,  la  malice  des 
enfants  du  siècle,  el  leur  dire  :  Portez  un 
regard  inquiet  sur  toute  notre  conduite, 
examinez  nos  actions,  consultez  toutes  nos 
démai'ches,  interrogez,  si  vous  le  voulez, 
tous  nos  pas;  qui  de  vous  nous  convaincra 
de  péché  :  Quis  ex  vobis  arguet  me  de  pec- 
cato? Ne  pensez  pas,  Messieurs,  que  ce 
noble  défi  fût  en  nous  une  présomption  té- 
méraire; c'est  là  ce  qu'ont  fait  tous  les 
saints  :  par  l'étenduf,  la  perfeclion,  la  per-, 
sévér.uice  de  leur  sainteté,  ils  ont  toujours 
défié  le  monde.  Et  n'était-ce  pas  ce  que  di- 
sait autrefois  le  grand  Apôtre,  lorsque,  s'a- 
drcssant  aux  fidèles  de  la  primitive  Eglise, 
il  s'écriait  :  Non,  je  n'ai  rien  à  me  reprocher 
à  vo.s  yeux  :  «  kihil  inihi  conscius  swn.  » 
(1  Cor.,  IV,  4.)  Peut-être  aux  yeux  de  Dieu 
ne  suis-je  pas  pour  cela  justifié;  mais  enfin 
ma  vie  est  irréprochable  et  au-dessus  de  la 
critique  d'un,  monde  sévère  observateur  de 
la   vertu  :  Nifiil  mihi  conscius  sum 

Pouvons-nous,    Messieurs,   tenir  aujour- 


G4! 


IIETRAITE.  —  INSTRUCT. 


d'hni  le  môme  langage?  Hélas I  les  |ilaics 
de  rKgliso  sont  prolbtjdes,  sa  douleur  est 
ainèro  ;  le  prùtre  pèche  comme  le  peuple  : 
tii  une  vocation  sublime,  ni  l'abondance  des 
grAt-es  reçues,  ni  la  grandeur  d'un  niinis- 
lère  augusle,  ni  la  IVtSjuentalion  des  mys- 
tères redoutables,  ni  la  prédication  de  la 
parole  sainte  ne  mettent  un  prêtre  de  Jé- 
sus-Christ h  l'abri  d'une  funeste  chute.  Il 
désoie  donc  cette  vigne  chérie  du  Seigneur, 
(jue  sa  main  elle-même  a  plantée,  ce  mons- 
tre allVeux,  le  plus  grand  ennemi  de  I  hom- 
me 1  O  Dieu  I  protégez  votre  héritage  ;  et  si 
le  péché  règne  dans  le  monde,  (pfil  épar- 
gne du  nioins  voire  Eglise.  11  l'épargnera, 
Messieurs,  si  nous,  (]ui  sommes  ses  minis- 
tres sur  la  terre  ,  non  contents  d'apprendre 
aux  fidèles  h  fuir  le  péché,  qui  est  le  seul 
mal  véritable,  nous  travaillons  h  entretenir 
dans  nos  esprits  une  horreur  loujou'rs  re- 
naissante pour  lui.  Nous  devons  le  crain- 
dre :  les  plus  justes  sont  ceux  qui  le  re- 
doutent le  f)lus,  |)arco  qu'éclairés  des  lu- 
mières d'en  haut,  ils  savent  mieux  en  a|  pié- 
cierla  malice.  Nous  aussi  nous  chercherons 
maintenant  à  la  découvrir  tout  entière  dans 
ce  discours,  dont  voici  tout  le  partage  : 
l'énormité  du  péché  mortel  dans  un  prêtre; 
eflets  terribles  qu'il  produit  en  lui  ,  tel  est, 
Messieurs,  l'objet  de  votre  attenliou. 

PREMIÈRE    PÀ&TIE< 

Si  les  peuples  que  nous  instruisons  tous 
les  jours  du  haut  des  chaires  chrétiennes 
assistaient  niaintenant  à  ce  discours,  et  que, 
portant  leurs  regards  sur  cette  vénérable 
assemblée,  ils  me  vissent  au  milieu  de 
vous,  vous  annonçant  la  parole  divine^  et 
qu'ils  m'entendissent  [lailer  du  péché  à  des 
prêtres,  seraient-ils  étonnés  du  sujet  de 
notre  entretien?  Nnn,  Messieurs,  ils  ne  le 
seraient  [)as,  car  ils  ne  savent  que  ti'op  que 
l'iniquité  pénètre  quelquefois  dans  la  terre 
des  saints;  que  la  perlection  d'un  élat  ne 
rend  pas  iaipeccable  celui  qui  s'y  trouve 
jtlacé  ;  que  l'ange  a  péché  jusque  dans  le 
ciel  môme,  le  premier  homme  dans  lu 
paradis  de  délices,  le  Prince  des  apôtres 
dans  un  des  moments  les  plus  dou'oureux 
de  la  vie  de  son  divin  Maîlie;  qu'en  un 
mot,  les  colonnes  qui  paraissent  les  plus 
inébranlables  [leuvent  être  facilement  ren- 
versées. Ah  1  Messieurs,  si  nous  employons 
toutes  les  ressources  de  notre  zèle  pour 
éloigner  !es  simples  fidèles  du  péché,  en 
aurons-nous  moins  pour  nous  engagera  le 
fuir  nous-mêmes? 

Se  révolter,  leur  disons-nous,  contre  un 
Dieu  créateur,  qui  ne  nous  a  faits  à  son 
image  que  |)our  tiouver  en  nous  des  imita- 
teuis  de  sa  sainteté  ,  qui  nous  ordonne  de 
n'adf)rer  et  de  ne  servir  que  lui,  quelle  au- 
dace 1  Attaquer  un  Dieu  tout-puissant  qui  a 
son  trône  au-^  lessus  des  astres,  un  Dieu  in- 
lininieiit  plus  fort  «jue  nous ,  qui  d'un 
souille  peut  nous  détruire,  comme  dit  le 
Projdièlo,  et  qui  a  creusé  un  abîme  de  feux 
et  de  supplices  pour  punir  les  infracteurs 
de  sa  loi,  (pielle  témérité  I  quelle  folie  lOu- 


ilt,  SIK  I.R  PECIIK  MORTEL.  642 

tragcr  un  Dieu  dont  l'essence  est  la  bonté 
et  la  miséricorde,  (jui  nous  aime  avec  plus 
de  tendresse  que  le  meilleur  des  pères 
n'aime  ses  enfants  ;  qui  nous  fait  du  bien 
chaque  jour,  à  clia(|ue  instant  du  jour, 
hélas  1  5  l'instant  même  que  nous  l'olfcn- 
sons,  puisqu'il  ne  cosse  de  nous  conserver 
la  vie  et  la  l'orce  dont  nous  abusons  contre 
lui  1  quelle  ingratitude!  Insulter  à  un  Dieu 
sauveurijui  nous  a  aimés  jusqu'à  se  livrer 
à  la  mort  pour  nous  ;  le  crucifier  de  nouveau 
|iar  nos  crimes,  cet  aimable  Uéderapteurj 
qui  ne  cesse  du  haut  de  sa  croix  de  nous 
appeler  à  lui,  de  nous  prévenir  de  sa  grâce, 
do  nous  présenter  ses  plaies  et  son  cœur 
ouverts  pour  nous  recevoir,  et  de  nous 
montrer  dans  les  cieux  Ja  récompense  de 
notre  amour  pour  lui,  quelle  cruauté! 
quelle  noirceur! 

C'est  par  toutes  ces  réflexions  que  nous 
tâchons  de  faire  naître  dans  le  cœur  des 
fidèles  des  sentiments  de  repentir  et  de 
componction  ;  ces  vérités  touchantes,  ces 
images  attendrissantes  les  émeuvent  quel- 
quefois jusqu'aux  larmes.  N'y  aurait-il  que 
les  prêtres  qui  opposeraient  à  tant  de  mo- 
tifs une  coupable  indiUéience?  les  piètres, 
en  qui  on  devrait  trouver  le  modèle  et  la 
perfection  de  toutes  les  vertus!  qui,  du 
moins,  s'ils  ont  eu  le  malheur  de  pécher, 
devraient  être  inconsolables  de  leur  chute, 
toujours,  hélas!  beaucoup  plus  grande  que 
celle  ÛGS  laïques!  Et  c'est  là  une  rétloxiou 
sur  laquelle  il  convient  d'insister. 

Oui,  mes  chers  confrères,  le  péché  mor- 
tel dans  un  prêtre  est  beaucoup  plus  énor- 
me, et  par  suite  beaucoup  plus  |)unissablo 
que  dans  un  simple  fidèle.  Pourquoi?  i' 
Parce  que  nous  connaissons  mieux  la  loi  da 
Dieu  et  l'obligation  de  l'observer;  2°  parce 
que  nous  avons  tout  à  la  fos  plus  de'  mo- 
tifs et  plus  de  moyens  d'y  être  fidèles  ;  3" 
parce  que  le  péché  mortel  est  toujours  en 
nous  une  espèce  de  sacrilège  qui  profane 
la  consécration  de  notre  personne  et  la 
sainteté  de  notre  état. 

N'est>il  pas  d'abord  évident  que  la  gran- 
deur du  péché  augmente  en  proportion  de 
la  connaissance  qu'on  a  de  sa  malice,  et 
que  plus  on  est  instruit  de  ses  devoirs, 
})lus  on  est  ca[)able  d'y  manquer?  Pourquoi 
le  péché  des  anges  rebelles  Irrila-t-il  si 
fort  la  justice  du  Très-Haut,  et  pourquoi 
fut-il  si  promptemenl  et  si  sévèrement 
puni,  sinon  parce  que  ces  esprits  célestes, 
placés  autour  du  trône  du  Dieu  éternel^ 
avaient  une  connaissance  plus  el:iire  de  la 
grandeur  de  ses  perfections  et  de  la  soumii- 
sion  que  lui  doivent  ses  créatures  ?  Et  nous, 
vénératjles  confières,  appelés  par  l'E'pril- 
Sainl  ks  anges  de  la  terre  et  la  lumière  dv 
monde  ;  nous,  placés  dans  le  sanctuaire 
môme  du  Dieu  trois  fois  saint,  recevant  les 
premiers  rayons  de  sa  grûce  et  de  sa  vérité  ; 
nous,  chargés  d'annoncer  aux  houimes  ses 
divins  enseignements;  obligés  d'étudier^ 
de  méditer,  d'expliquer  sa  loi  ;  et  délivré», 
pour  nous  consacrer  avec  plus  de  soin  à  ce 
noble  ministère,  des  sollicituiles  et  dos  eu- 


C43 


ORATEURS  SACRES.  MAIIREL. 


6i4 


Itarrasdu  siècle;  nous  qui  tenons  sans  cosse 
dans  nos  ni«ins  les  livres  sacr(^s  où  sont  con- 
signés celle  loi  el  les  docunienls  de  l'E- 
glise qui  la  développent;  nous,  qui  savons, 
qui  jirêclions  que  la  seule  pensée  volon- 
taire du  crime  est  un  crime  :  Perversœ  co- 
gitationes  séparant  a  Deo  {Sap.,  1,  3);  nous, 
qui  avons  chaque  jour  l'occasion  d'appliquer 
les  principes  de  la  morale  évangélique,  qui 
par  conséquent  ne  pouvons  ni  les  ignorer 
ni  en  perdre  le  souvenir;  nous  enfin,  envi- 
ronnés de  tant  de  lumières,  si  à  portée  d'é- 
clair cir  nos  moindres  doutes,  ayant  un  accès 
si  facile  auprès  de  l'Esprit  de  vérité  el  des 
pontifes  do  l'Eglise,  qui  en  sont  les  inler- 
prèles,  croirions-nous,  vénérables  confrè- 
res, n'être  pas  beaucoup  plus  coupables 
dans  nos  intidéliiés  ou  nos  prévarications 
que  le  commun  des  cbréliens,  la  plupart 
sans  éducation,  sans  lettres,  souvent  sans 
intelligence,  sans  moyens  d'instruction,  at- 
lacliés  par  la  nécessité  à  des  travaux  tumul- 
tueux, plongés  dans  les  atfaires  et  les  soins 
de  la  terre,  dont  nous  sommes  dégagés  ? 

Les  laïques  sans  doute,  quoique  bien  sou- 
vent coupables  dans  leur  ignorance,  parce 
<iu*ils  fuient  ou  rejettent  la  lumière,  peu- 
vent cependant,  dans  bien  des  circonstan- 
ces, nous  répéter  avec  une  sorte  de  raison 
ce  mot  du  grand  Apôtre  :  Jgnorans  feci 
(i  TiiH.,  J,  13),  je  ne  savais  pas  que  celle 
action  fût  un  péché,  je  no  croyais  pas  qu'il 
y  eût  en  cela  un  si  grand  maî.  Mais  nous, 
Messieurs,  nous  siérait-il  d'apporter  celle 
excuse?  serait-elle  recevable  sortant  d'une 
Louche  qui  doit  être  le  siège  môme  de  la 
science  et  de  la  doctrine?  Labia  sacerdotis 
cuslodienl  scientiam  ,  el  legem  requirent  ex 
ore  ejus.  {Malach.,  Il,  2.) 

Hé  quoi  I  vénérables  confrères  ,  nous  ne 
cessons  de  dire  au\  tidèles  :  Craignez  Dieu 
t't  observez  ses  commandements  ,  fuyez  le 
péché  comme  vous  fuiriez  à  l'aspect  d'une 
bôle  féroce,  à  l'approche  d'une  couleuvre, 
d'uiie  vipère,  qui  viendrait  pendant  la  nuit 
partager  votre  couche  ,  quasi  a  facie  colubri, 
fuge  peccata  [Eccli.,  XXI,  2);  arrachez  l'œil 
el  coupez  la  main  qui  vous  scandalise  ; 
éloignez-vous  de  l'occasion  du  péché;  abs- 
leiiez-vous  de  tout  ce  qui  a  l'apjiarence  du 
mal;  plutôt  la  mort  que  de  transgresser  en 
un  seul  point  la  loi  sainte  de  voire  Dieu  I 
el  après  ses  touchantes  exhortations ,  nous 
irions  nous-mêmes  l'enfreindre,  celle  loi 
immortelle  que  nous  aurions  si  éloquem- 
nient  préchée  1  Quoi,  nous  aurions  repré- 
senté Dieu  comme  seul  grand  ,  seul  ado- 
rable ,  seul  digne  des  hommages  et  de 
l'amour  des  mortels,  et  notre  cœur  ne  serait 
rempli  que  do  l'amour  de  nous-mêmes  et 
des  créatures  1  noire  zèle  apparent  pour  les 
intérêts  delà  religion  n'aurait  d'autre  prin- 
cipe que  la  vaine  gloire  ou  la  cupidité!  les 
mômes  vices  que  nous  aurions  condaujnés 
dans  leslidèles:  l'injustice,  l'inlempériince, 
la  haine,  la  jalousie,  la  détraction,  se 
trouveraient  aussi  en  nous-mêmes l  nous 
serions  un  objet  de  scandale  et  de  chute 
pour  les   faibles!    O  mon  Dieu!    ne   [>or- 


raeltez  pas  que  nous  vous  forcions  de  nous 
dire  un  jour  :  De  ore  tuo  le  judico  ,  serve 
nequam  [Luc. ,  XIX,  22j  :  ministre  infidèle, 
votre  jugement  est  sorti  de  voire  liouche. 
Qu'avez -vous  enseigné  et  qu'avez-vous 
fait?  pensiez -vous  qu'il  y  eût  un  autre 
Evangile  pour  les  prêtres  que  [)0ur  les 
laïques?  el  ignoriez-vous  que  la  connais- 
sance plus  distincte  de  ma  loi  en  rendait  la 
transgression  plus  criminelle  et  plus  punis- 
sable? Qui  coguovit .  et  non  fecit  ,  vapulabit 
multis.  {Luc. ,  XII ,  47.) 

Une  autre  considération  bien  propre  à 
nous  faire  sentir  que  nos  péchés  sont  plus 
graves  que  ceux  d'un  simple  fidèle,  c'est 
que  nous  avons  plus  de  motifs  et  plus  de 
moyens  de  nous  attacher  à  Dieu  et  à  sa  loi, 
tdus  de  motifs,  n'y  en  eût-il  d'autres  que  les 
faveurs  sans  nombre  dont  Dieu  nous  a  com- 
blés depuis  l'instant  heureux  où  il  nous  per- 
mit de  dire  :  Dominus  pars  hœreditatis  meœ 
et  calicis  mei.  (Psal.  XV,  5.)  Qu'élions-nous 
avant  le  sacerdoce?  et  que  serions-nous 
sans  le  sacerdoce  ?  Je  no  parle  pas  de  quel- 
ques avantages  temporels  que  cet  état  su- 
blime nous  a  peut-être  procurés,  et  en  plus 
grande  abondance  que  nous  n'eussions  pu 
les  trouver  dans  le  siècle  :  plus  de  moyens 
d'éducalion  ,  plus  de  ressources  pour  la  cul- 
ture de  l'esprit  et  du  cœur,  plus  de  consi- 
dération ,  plus  do  réputation  ,  peut-être 
môme,  malgré  la  position  actuelle  du  cler- 
gé, plus  d'aisance  et  de  fortune.  Quelle  ne 
serait  pas  notre  ingratitude  S),  au  lieu  de 
faire  servir  ces  avantages  à  la  gloire  de 
celui  qui  en  est  l'auteur,  nous  en  abusions 
|)Our  satisfaire  notre  ambition  ou  noire 
vanité?  combien  ne  serions-nous  pas  nial- 
hcureux,  si  le  Seigneur  pouvait  nous  adres- 
ser le  môme  reproche  qu'il  faisait  à  son 
ancien  peuple  ;  Filios  enulrivit  et  exaltavi; 
ipsi  auleinspreverunt  me.  {Psal.  1,2.) 

Mais  des  avantages  bien  supérieurs  vien- 
nent s'otfrir  ici  à  notre  reconnaissance,  et 
accuser  notre  ingratitude.  Que  serions-nous 
devenus  dans  le  monde,  si  Dieu,  par  une 
grâce  privilégiée,  n'eût  daigné  nous  reti- 
rer de  celte  région  de  ténèbres  et  de  raort  ? 
comment  aurions  nous  opéré  notre  salut, 
au  milieu  de  ce  torrent  d'iniquités  et  de 
scandales?  Hélas!  Messieurs,  pour  faire 
sentir  aux  simples  fidèles  le  bienfait  inap- 
préciable de  leur  vocation  à  la  foi ,  et  l'in- 
gralitude  dont  ils  se  rendent  coupables  en 
abusant  de  celte  grâce  privilégiée,  nous 
comparons  les  lumières  ,  les  secours  sans 
nombre  quelle  christianisme  fournit  h 
l'homme  pour  le  conduire  à  un  bonheur 
immortel ,  avec  cette  ignorance  profonde  , 
celte  corruption  monstrueuse,  cet  étal  d'a- 
bruiissement  qui  règne  dans  le  paganisme. 
Pour  nous,  vénérables  confrères,  si  la  li- 
cence de  nos  mœurs  contrariait  la  sainteté 
de  notre  élat ,  n'aurions-nous  pas  intini- 
ment  plus  de  motifs  de  rougir  de  notre  in- 
gratitude, nous,  distingués  des  fidèles  parle 
sacerdoce;  élevés,  non-seulement  à  la  dignité 
d'enfants  de  Dieu,  mais  à  celle  de  ses  mi- 
nistres; nous  que  Dieu  honore,  je  ne  dis 


645 


RETRAITE.  —  INSTRl'CT.  III,  SUR  LE  PECHE  MORTEL. 


6i6 


pas  du'litre  cie  ses  serviteurs,  mais  de  celui 
(Je  ses  .-imis  :  Jam  noti  dicam  vos  servos ,  vos 
outem  dixi  amicos  (Joan.,  XV,  15)  ;  iious, 
ap|)el6s ,  non-seuicmcnl  à  la  lahie  du  Sei- 
gneur, mais  à  son  autel,  à  cet  aulel  où  coule 
to«us  les  jours  par  nos  mains  le  sang  de  la 
Victime  sans  tache,  à  cet  aulel  d'où  sortent 
jTflr  noire  ministère  toutes  les  gr;lccs,  toutes 
■les  lumières,  tous  les  trésors  de  sainteté  et 
de  salut  que  Dieu  répand  sur  la  lace  du 
monde? 

Hé  quoi  1  mes  cliers  confrères  ,  tous  les 
jours  nous  tenons  dans  nos  mains  le  récon- 
ciliateur des  hommes  avec  Dieu,  et  nous 
serions  nous-mên)es  ses  ennemis!  tous  les 
jours  nous  distribuons  aux  fidèles  le  pain 
•de  vi^,  le  gage  de  l'immortalité,  et  nous 
serions  nous-mêmes  dans  un  étal  de  mort 
^.l  de  damnation  1  tous  les  jours  nous  nous 
nourrissons  de  cet  aliment  céleste  dont  les 
anges  mêmes  se  trouveraient  indignes,  et 
Jious  mangerions  noire  jugement  el  noire 
condamnation  1  Au  sortir  de  celte  nouvelle 
lène  ,  nous  irions  ,  nouveaux  Judas  ,  livrer 
h  ses  ennemis,  je  veux  dire  à  nos  liassions, 
cet  Agneau  divin  qui  se  serait  donné  à  nousl 
Tandis  que  la  pitié  des  fidèles  retirera  de  la 
table  sainte  un  accroissement  de  ferveur  et 
d'amour  pour  le  Dieu  qu'elle  a  reçu,  nous 
ne  trouverons,  nous,  au  saint  autel ,  qu'une 
nouvelle  source  de  froideur,  d'indillérence 
el  de  mépris  pour  ce  sang  auguste  que  nous 
avons  profané,  el  qui,  du  fond  de  nos  cœurs, 
va  infiniment  plus  haut  que  celui  d'Abel 
vers  le  trône  des  vengeances  divines  I 

Voilà,  Messieurs,  ce  qui  nous  rend  en- 
tièrement inexcusables;  c'est  qu'avec  plus 
de  motifs,  nous  avons  aussi  plus  de  moyen's 
de  nous  garantir  du  péché.  En  effet,  tous 
les  trésors  de  la  grâce  ne  sont-ils  pas  dans 
nos  mains?  ne  pouvons-nous  pas  ouvrir  à 
notre  gré  tous  les  canaux  de  la  miséricorde 
divine?  quel  moyen  ,  quelle  source  de  salut 
j  a-t-il  dans  la  religion  que  Dieu  ne  nous 
ait  confiés?  El  au  mileu  de  tant  de  secours, 
nous  nous  perdrions  I  Quoi  ,  absoudre  du 
péché,  et  vivre  soi-meuie  dans  le  péché! 
purifier  les  consciences,  et  garder  soi-même 
une  conscience  souillée!  ouvrir  aux  autres 
la  roule  du  ciel,  et  marcher  soi-même  dans 
c»»lie  de  l'enfcrl  comment  concevoir  une 
pareille  monstruosité? 

Lorsque  les  simples  fidèles  se  plaignent  à 
nos  pieds  qu'ils  manquent  de  force  pour 
résister  aux  tentations,  nous  nous  empres- 
sons de  les  exhorter  à  une  vive  confiance 
en  Dieu,  à  une  vigilance  perpétuelle  sur 
rux-mômes  ,  à  la  prière ,  aux  saintes  lec- 
tures ,  à  la  fuite  des  occasions,  el  surtout  à 
la  confession  fréquente.  Mais  tous  ces 
moyens  ne  sont-ils  pas  infiniment  plus  aisés 
el  plus  puissants  pour  nous  que  pour  eux? 
n'avons-nous  pas  mille  fois  plus  de  facilités 
de  recourir  à  Dieu  ,  de  méditer  sa  loi ,  el  de 
nous  raj)peler  que  ses  grâces  sont  toujours 
proportionnées  à  nos  besoins;  qu'il  est  sans 
cesse  à  nos  côtés  prêt  à  nous  secourir;  qu'il 
ne  permet  jamais  que  les  tentations  soient 
au-dessus  de  nos  forces  ;  qu'il  ne   délaisse 


jamais  ceux  qui  l'invoquent  avec  confiance? 
A  qui  toutes  ses  vérités  soKt-elles  plus  pré- 
sentes qu'à  un  prêtre,  qui  les  rencontre 
sans  cesse  dans  son  bréviaire ,  dans  ses 
études,  cl  dans  les  instructions  qu'il  pré- 
pare pour  les  fidèles?  Qui  |)eut  plus  facile- 
ment qu'un  prêtre  s'éloigner  des  occasions 
dangereuses  ,  lui  à  qui  son  minisière  ne 
permet  de  paraître  dans  le  monde  que  par 
nécessité  ou  par  charité;  lui  que  l'opinion 
publique  contraint  de  se  surveiller,  et  en- 
toure, pour  ainsi  dire  ,  d'un  rempart  do 
modestie  el  de  circonspection  ;  lui  que  son 
habit  seul  avertit  de  mener  une  vie  grave  «l 
retirée? 

Puisque  nous  connaissons  donc,  Mes- 
sieurs, la  loi  de  Dieu  mieux  que  les  simples 
fidèles;  puisque  nous  avons  plus  de  motifs 
et  plus  de  moyens  de  l'observer,  avouons  en 
gémissant  que  nos  fautes  sont  toujours 
beaucoup  plus  grandes  que  les  leurs,  et 
que,  comme  l'enseigne  le  dernier  concile, 
ce  qui  n'est  en  eux  que  péché  léger  et  vé- 
niel ,  est  souvent  en  nous  péché  grave  et 
mortel;  qu'une  |)arole,  une  raillerie  qui  no 
seraient  dans  la  bouche  d'un  laïque  qu'une 
simple  légèreté  ,  prennent  souvent  dans  la 
nôtre,  dit  saint  Bernard,  le  caractère  du 
blasphème;  qu'un  regard,  une  attitude,  une 
familiarité  indiscrète  qu'on  remarque  à 
peine  dans  un  homme  du  monde,  sont  sou- 
vent un  scandale  dans  un  homme  de  Dieu  ; 
qu'une  irrévérence ,  une  dissipation  dans 
le  lieu  saint,  qu'on  pardonne  à  un  simple 
fidèle,  sonlsouvent  en  nous  une  profanation 
et  un  sacrilège. 

Que  dis-je,  Messieurs  ,  chacune  de  nos 
fautes  n'esl-eile  pas,  où  qu'elle  soit  commise, 
une  espèce  de  sacrilège  qui  profane  la  con- 
sécration de  nos  personnes  et  la  s:,inleté  si 
sublime  de  notre  état?  Eu  elfet.oùquenous 
soyons,  ne  porlons-nous  pas  avec  nous  le 
caractère  el  les  engagements  sacrés  qui 
nous  lient  à  Dieu  ?  Je  ne  dis  pas  seulement 
l'engagement  du  baptême  qui  nous  est  com- 
mun avectous  les  chrétiens,  par  lequel  nous 
renonçâmes  à  Satan,  à  ses  pompes  el  à  ses 
œuvres;  mais  surtout  l'engagement  particu- 
lier qui  signala  noire  entrée  dans  l'étal  ec- 
clésiastique, par  lequel  nous  renonçâmes 
aux  espérances  du  siècle  pour  n'avoir  d'au- 
tre héritage  que  le  Seigneur;  mais  ce  vœu 
solennel  de  chasteté,  qui  n'a  d'autres  bor- 
nes que  celles  delà  vie,  et  qui  s'étend  mê- 
me aux  désirs  et  aux  pensées;  mais  cette 
onction  sainte  qui  consacra  nos  mains  à 
Jésus-Christ ,  el  en  fit  des  instruments  de 
religion, de  charité,  desainielé  ;  ensorteque 
la  personne  tout  entière  d'un  prêtre  esluno 
victime  dévouée,  consacrée  à  Dieu,  reliréo 
des  travaux,  des  négoces,  des  agitations  du 
monde,  et  destinée  uniquement  à  un  mi- 
niiilèrede  paix  et  <ie  salut.  Après  des  enga- 
gements si  sacrés,  nous  ne  craindrions  pas 
de  prosliluer  ces  mains  sanctifiées  par  une 
onction  céleste  à  des  trafics  ignobles,  à  des 
œuvres  de  ténèbres;  ce  cœur  qui  sert  tous 
les  jours  de  trône  à  Jésus-Christ,  à  dos  af- 
fections Icrrcstrcs,  à  des  vues  d'ambition  el 


(547  ORATEURS  SACRES 

»le  vanilé  ;  oetio  bouche  tous  les  jours  leinle 
(lu  si'.ng  (le  Jésus-Chrisl.  h  des  railleries 
iiiJécenles,  el  à  des  paroles  oeut-êlre  trop 
libres  I 

Si,  selon  le  langage  des  Pères,  l'énormilé 


MALREL. 


648 


(lu  péclié  csl  eu  proportion  avec  la  digiiil^ 
du  coupable,  tnnto  niajus  peccnlu7n,  dit 
saint  Isidore,  qixanlo  major  qui  peccat ,  qui 
jourra  mesurer  la  cuipabilili^  d'un  prôlre, 
aussi  élevé  au-dessus  du  reste  des  hommes, 
niômedes  [irinces  et  des  t(^les  couronnées, 
j.ar  la  sublimité  de  son  ministère,  que  le 
ciel  l'est  au-dessus  de  la  terre;  d'un  prêtre 
qui  devrait  égaler  en  sainteté  les  anges 
mêmes,  qu'il  surpasse  en  dignité  ?  D'un  au- 
tre côté,  si  le  re|)enlirdoit  être  proportion- 
né à  l'énormilé  de  la  faute,  à  quels  gérais- 
îiomehts,  à  quelle  amertume  tie  douleur  et 
de  componction  ne  doit  pas  se  livrer  un 
prêtre  colipable  1  et  quel  ne  serait  pas  son 
malheur,  s'il  allait  dé(;larer  ses  fautes  avec 
la  môme  froideur,  la  même  sécheresse,  et 
peut-être  la  même  dissimulation  qui  le  fe- 
iaietJt  gémir  dans  un  sitnple  fidèle  1  mais 
cette  nécessité  d'un  repentir  profond^  et 
amer  sera  encore  mieux  sentie  par  l'ex- 
posé des  ellets  terribles  que  produit  le 
péché  mortel  dans  un  prêtre.  Sujet  du  se- 
cond point. 

SECONDE   PARTIE. 

Si  la  gloire,  l'honneur  et  la  paix  sDht  le 
partage  de  quiconque  fait  le  bien,  dit  le 
grand  Afxjlre  :  Gloria,  et  honor,etpax  omni 
operanCi  bonum  ;  l'affliction,  l'opprobre  et 
la  douleur  sont  la  justi^  punition  de  qui- 
conque fait  le  mal,  Iribulalio  et  angustia 
in  omnem  animam  operanlis  malnm;  et  cela 
regarde  le  prêtre  plus  encore  quelesimjdo 
Wûh\Q,  Judœi  primum  et  Grœci.  [Rom.,  II, 
9,10.) 

En  effet.  Messieurs,  tandis  que  le  bon 
prêtre,  toujours  content  au  fond  de  son  | 
cœur,  parce  qu'il  fait  en  vue  de  Dieu  tout 
ce  qu'il  p.eul,  jouit  de  la  considération  de 
SCS  supérieiiis  et  de  ses  confrères,  môme 
<ies  gens  du  monde  j  forcés,  au  milieu  de 
leurs  désordres,  d'estimer  la  vertu;  tandis 
que  surtout  il  a  la  consolation  de  posséder 
la  contiance  et  l'amour  de  ses  ouailles, 
qu'il  est  sans  cesse  encouragé  dans  ses  tra- 
taux  |)ar  les  fruits  de  son  ministère,  qu'il 
voit  s'accroître  tous  les  jours  (et  c'est  là, 
mes  chers  confrères,  un  bonheur  qui  est  dû 
à  Vos  vertus,  et  qu'éprouve  sans  doute  i)lus 
Ou  moins  chacun  de  vous),  dans  quelles 
angoisses,  dans  quels  troubles  et  quels  re- 
mords ncst  pas  plongé  un  mauvais  prêtre! 
dans  quelle  ignominie  et  quelle  abjection 
iie  Iraîne-t-il  jias  une  existence  [)énible, 
cruelle,  i)arce  qu'il  sent  qu'elle  est  non- 
Seulement  inutile  à  l'Eglise,  mais  funeste 
et  scandaleuse! 

Nul  de  vous  n'ignore  l'oracle  de  l'Esprit- 
Saint  contre  les  [)rêties  inlidèles,  qui ,  en 
m'éprisant  leur  ministère,  attirent  sur  eux- 
mêmes  les  mépris  publics  :  Ad  vos,  o  sacer- 
dotes,  qui  despicilisnomcn  meum.(Mutac.,  1, 
6.)  Vos   recessislis   de  via,  cl  scandudzatis 


plurimos  in  leije  (Malac,  II,  8.)  Propler 
qiiod  et  eqo  dcdi  vos  contcmpciOiles  et  Inimi- 
les  omnibus  populis.  (//>id.,9.)  Oui,  vénéra- 
bles confrères,  le  trouble,  l'amertume,  le 
remords  au  fond  du  cœur;  )e  mépris,  l'op- 
probre, l'avilissement  au  milieu  des  peu- 
ples :  voilà  le  partage  d'un  mauvais  prêtre. 
Un  prêtre  [)révaricat''nr  I  hélas!  c'est  une 
plaie,  un  fli^au  pour  l'Eglisf»,  et  un  suji-'t  de 
douleur  pour  tous  les  gens  de  bien.  Que 
dis-jeî  les  méchants  eux-mêmes,  en  i'ap- 
})laudissant  quelquefois  par  intérêt,  le  ciui- 
damrienl  et  le  maudissent  en  secret.  Le 
monde,  tout  impie  qu'il  est,  disons  mieux, 
précisément  parce  qu'il  est  impie,  s'acharne 
à  le  déchirer,  à  grossir  même  ses  désordres, 
et  à  chercher  dans  ses  égarements  une 
arme  de  plus  contre  la  religion  dont  il  est 
l'indigne  minisire  :  îvirtout  on  le  fuit,  par- 
tout on  le  rejette;  il  i)romône  de  iiaroisse 
en  paroisse  le  scandale  de  son  inconduite 
et  l'indécence  de  ses  mœurs,  jusqu'à  ce 
qu'enlin,  fatigués  des  clameurs  et  de  l'indi- 
giiaiion  publi()ue,  les  supérieu  s  se  voie'U 
forcés  de  lui  retirer  un  ministère  qu'il  pro- 
fane. Je  n'insisterai  pas  davantage  sur  ces 
tristes  détails,  bien  persuadé  qu'ils  ne  trou- 
veraient ici  aucune  application. 

Mais  pourrais-je  omettre ,  sans   frustrer 
Votre  attente  et  votre  piété,  ces  coups  bien 
plus    terribles,  ces  châlimenls   bien    p'us 
éclatants  dont  le  bras  de  Dieu  a  frappé  clans 
tous  les  siècles  les  prêtres  infidèles?  Ou- 
vions  les  livres  saints,  consultons  l'histoire 
de    l'Eglise;  voyez    Nadab   et   Abiu,    pour 
avoir    employé    dans    le   sacrifice    un    feu 
étranger,  consumés,  à  l'instant  même   par 
une  tlamuie  dévorante  sorlie  du  sanctuaire  ; 
voyez  Dalhan  et  Abiron,  pour  avoir  résist(î 
à  l'autorité  d'Aaron  et  de  Moïse,  engloutis 
tout  vivants  dans  les  entrailles  de  la  terre; 
voyez   les  enfants  d'Héli,  pour  avoir,   par 
leur  cupidité,  éloigné  le   peuple  des  sacri- 
fices, périssant  tous  les  deux  le  même  jour 
d'une  mort  sanglante,    ainsi    qu'Héli   lui- 
môme   complice,  par  sa  mollesse,  de  leurs 
prévarications;  voyez  l'imprudent  Osa...;, 
grand  Dieul  quel  châtiment,  et  pour  quelle 
faute!....  Voyez  l'iruprudent  Osa,  en  puni- 
tion d'un  zèle  trop  vif  et  troj)  indiscret  pour 
1  arche    du   Seigneur,  fra|)pé  de   mort,   et 
tombant  aupiès  de  cotte  arcihe  redoutable. 
Que  dirai-je  du    |)remier  mauvais  prêtre 
(ju'ait  eu  la  loi  nouvelle,  du  prêtre  choisi 
et  sacré  par  Jésus-Christ  lui-môme  ;  du  per- 
fide Judas,  déchiré  après  sa  trahison  par  un 
repentir  aussi   amer  qu'inutile,  se  cJélrui- 
sant  lui-même  dans  le  désesi)oir,  et  se  [)ré- 
cipitant  de  ses  propres  mains  dans  l'abîme 
de  l'enfer?  que   dirai-je  d'un  Arius,    d'un 
NestoriuSj  et  de  cette  longue  suite  (J'héré- 
siarques  et  de  prêtres  scandaleux,  de  Ces 
rava.^jeurs  de  l'Eglise  de  Jésus-Christ,  qui 
l)resque  tous  ont  leiininé  une  vie  criminelle 
par   une   mort   violente  et   ignominieuse? 
car,  mes   cheis  confrères,   il  est  rare  quCj 
pour  couvrir  d'un  juste  opprobre  .les  désor- 
dres d'un  mauvais  prêtre,  et  corriger  parla 
le  scandale  qui  en  résulte,  Dieu  ne  le  fiap|.e< 


649 


RETRAITE.  —  INSTRtCT.  III,  SUR  LE  PECHE  MORTEL. 


(>50 


ne  l'Iiumilio  d'une  manière  éclatante,  et 
n'imprinio  ou  sur  sa  vie  ou  sur  sa  mort, 
quelquefois  sur  l'une  et  sur  l'autre,  le  sceau 
de  su  colère  et  de  son  indignation. 

Le  souvenir  de  ces  cliâliments  exléiieurs 
est-il  donc  nt^cessaire  pour  inspirer  aui 
bons  jirèlres  une  vive  horreur  du  péché,  et 
aux  coupables  une  douleur  profonde  de 
l'avoir  commis  ?  n'est-ce  donc  pas  assez  des 
ravages  intérieurs  qu'éprouve,  à  l'insu  des 
hommes,  une  âme  criminelle?  Qu'il  est  af- 
freux, l'état  de  cette  âme  que  le  péché  a  sé- 
parée de  Dieu,  et  privée  de  la  vie  de  la 
grâce  1  quelle  est  terrible,  celle  mort  spiri- 
tuelle qui  éieiiit  en  nous  l'esprit  de  Dieu, 
qui  force  cet  esprit  sanctificateur  de  s'éloi- 
gner de  nous,  qui  nous  soumet  aux  aua- 
thèmes  de  la  justice  et  de  la  colère  d'un 
Dieu,  et  fait  de  notre  âme  un  objet  d'hor- 
reur mille  fois  plus  hideux  aux  yeux  de  la 
foi  que  ne  l'est  un  cadavre  aux  yeux  de  la 
nature  ! 

Mais  quoi,  un  prêtre  privé  de  la  grâce 
sàiiclilianle,  dont  il  est  f<our  les  autres  le 
dispensateur!  un  prêtre  ennemi  de  Dieu, 
frappé  de  mort  aux  sources  mônjes  de  la  vie  1 
mais  comment  se  former  une  idée  d'un  mal- 
heur qui  esl  au-dessus  de  tout  malheur? 
Quoi,  ce  prêtre  qui,  dans  les  premiers  jours 
de  son  sacerdoce,  en  était  par  sa  piété  le 
plus  brillant  ornement,  qui  ûxait  par  sa 
modestie  et  sa  candeur  l'admiration  des  an- 
ges et  des  hommes  ;  ce  prêtre,  dans  le  cœur 
duquel  Jésus-Christ  venait  lous  les  jours  se 
reposer  avec  tant  de  complaisance,  est  au- 
jourd'hui l'ennemi  de  Jésus-Christ,  tout  en 
accomplissant  les  fonctions  de  son  minis- 
tère 1  quoi,  l'esprit  de  Jésus-ChrisI  n'habite 
plus  en  lui  !  il  n'y  a  plus  d'amitié,  plus  de 
confiance,  plus  d'intimité  entre  lui  et  Jésus- 
Christ  1  cette  âme,  jadis  si  belle,  cet  or  si 
pur,  s'est  chaiigé  en  un  vil  métal!  au  lieu 
de  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ  qu'il  ré- 
pandait jadis  par  ses  vertus,  il  ne  sort  au- 
jourd'hui de  ce  ministre  infidèle  qu'une 
odeur  de  mort,  de  pourriture  et  d'infection  1 
quoi,  ce  n'est  plus  qu'un  cadavre  qui,  en 
montant  à  l'autel,  porte  l'ellroi  dans  celte 
multitude  d'esprits  célestes  dont  le  sanc- 
tuaire est  environné,  et  qui  s'écrient,  mais, 
hélas!  en  vain  :  Sancta  sanclis...  Pavete  ad 
sanctnarium  meum  {LeviL,  XXVI,  2)!  ce 
n'est  plus  qu'un  cadavre  qui,  en  s'avançaiit 
vers  la  chaire  évangélique,  entend  la  voix 
formidable  dont  parle  le  Prophète  :  Pecca- 
toriaulem  dixit  Ùeus  :  Quare  lu  enarrasjus- 
titias  meas  [Psat.  XLIX,  16j?  ce  n'esl  plus 
qu'un  cadavre  qui,  assis  dans  le  tribunal 
saint,  aperçoit  la  justice  éternelle  le  frapper 
d'autant  d'anathèmes  qu'il  prononce  d'ab- 
solutions, el  entend  sa  conscience  indignée 
lui  crier  avec  horreur  :  Medice,  cura  (eip- 
«»m/ (Luc,  IV,  23.) 

Cependant  il  ne  sort  de  la  bouche  de  ce 
jnêlre  que  des  paroles  édifiantes;  ses  con- 
seils sont  bons,  ses  avis  sages,  sa  démarche 
modeste,  son  extérieur  recueilli,  sa  vie  la- 
borieuse, son  zèle  actif,  tendre  et  compatis- 
sant ;  toutes  ses  œuvres  portent  l'empreinte 
Obatuurs  saches.  LXVMl. 


de  la  charité  :  Nomen  habes  quod  vives,  et 
mortuus  es.  {Apoc.,111,  1.)  Les  hommes  ne 
voient  que  les  a|)parences  :  Dominns  autitn 
iiUuctur  cor  (I  lieg.,  XVI,  7)  ;  et  c'est  dnns 
ce  cœur  hypocrite  que  le  péché  a  enfanté  la 
mort  :  Pcccatum  générât  mortem.  {Jac,  I,  15.) 

Oui,  dit  Tertullien,  tout  pécheur  est  un 
homicide:  vous  demmdez  qui  a  été  tué: 
ah!  ce  n'esl  pas  un  éiranger,  ce  n'est  pas 
môme  un  ami  ;  c'est  sur  lui-môme  qu'il  a 
porté  une  main  meurtrière;  ol  avec;  (|uellcs 
armes?  en  transgressant  la  loi  du  Sei^îieur. 
Homicida  est  qui  admisit  pcccatum  :  quœris 
quem  occiderit  :  non  exlroneum,  non  inimi- 
cum,  sed  seipsum;  que  telo?  offensa  Dei. 
Quoi,  Messieurs,  un  prêtre  homicide!  et  ce 
malheur,  qui  devrait  le  rendre  inconsola- 
ble, a  été  peut-être  pour  lui  un  jeu,  un 
amusement,  un  triomi)ho  dont  il  s'applau- 
dit! 

Omon  cher  confrère  lia  mort  d'un  parent, 
d'un  ami,  vous  arrache  des  pleurs,  remar- 
que saint  Augustin,  et  la  moit  de  votre 
âme  est  pour  vous  un  sujet  de  joie!  Les 
anges  pleurent,  l'Rsprit-Saint  est  dans  la 
tristesse  à  l'aspect  de  cette  âme  toute  cou- 
verte de  plaies,  et  ces  plaies  sont  voire  ou- 
vrage !  Oui,  ajoute  saint  Ambroise,  c'e-t 
vous  qui  l'avez  livrée  à  la-mort,  cette  âme 
infortunée,  en  la  livrant  au  péché  :  Animain 
tuam,  miser, perdidisti;  c'est  vous  qui  l'avez 
percée  d'autant  de  traits  mortels  que  vous 
avez  commis  de  crimes;  et  dans  un  prêtre 
prévaricateur,  qui  pourrait  dire  le  nombre 
de  ces  crimes,  hélas!  ne  iû'.-co  que  les  sa- 
crilèges qu'il  accumule  lous  les  jours  et  à 
chaque  fonction  de  son  ministère  !  Vous  la 
portez  au  dedans  de  vous,  cette  âme  crimi- 
nelle, comme  un  cadavre  hideux  que  le 
tombeau  de  l'enfer  esl  près  d'engloulir  : 
Ipse  ambulans  ftinus  tuum  portare  cœpisti, 
et  vous  ne  poussez  pas  des  tris  de  douleur, 
l'on  n'entend  pas  retentir  sans  cesse  vos 
gémissements  el  vos  sanglots!  non  acriler 
planyis,  non  jugiler  ingemiscis! 

Mais  comment  gémirait-il  sur  le  triste 
ét^t  de  son  âme?  il  ne  le  connaît  même 
p;is.  Et  voilà,  Messieurs,  le  malheur  le  plus 
déplorable  d'un  prêtre  f)révaricateur  :  cet 
aveuglement  profond  qui  lui  c:)chc,  peut- 
être  depuis  longues  années,  les  plaies  sai- 
gnantes de  sa  conscience  et  l'urgente  néces- 
î«ité  d'y  porter  remède,  aveuglement  qui  a 
lieu  sans  doute,  plus  ou  moins,  dans  toute 
espèce  de  coupal)les;  mais  qui,  dans  un 
mauvais  prêtre,  est  presque  toujours  ex- 
tiême,  et  souvent  sans  retour;  aveugle- 
ment qui  résiste  quelquefois  même  à  l'im- 
presiion  extraordinaire  d'une  retraite  à 
laquelle  le  coupable  n'assiste  que  par  forme 
et  par  respect  humain;  aveuglement  qui  lui 
fait  chercher  dans  les  principes  les  plus 
clairs  des  exceptions  favorables,  qui  l'en- 
tretient, au  milieu  des  plus  grands  désor- 
dres, dans  une  épouvantable  sécurité,  et  le 
fait  monter  tous  les  jours  tranquillement  a 
l'autel,  tandis  qu'il  devrait  se  tenir  au  fund 
du  temple  dans  l'immiliation  et  la  douleur, 
et  s'écrier  avec  le  put>licain  :  Deus^  propi- 

21 


eM 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


6S2 


tins  csto  mihi  peccatori  {Luc,  XVIll ,  13)  ; 
nveuglemonl  qui  lui  ferme  les  yeux,  même 
sur  (Tes  (l(';sor<ires  qui  frappent  les  regards 
publics!  Hélas  I  combien  de  fois  n'a-l-on 
y)as  vu  des  paroisses  entières  gémir  tout 
bas  de  certains  dérèglements  dans  leur  pas- 
leur,  que  lui  seul  ne  voulait  point  voir  1 
C'est,  dit  saint  Augustin,  |iour  punir  ces 
passions  abnminaldes  que  Diei:  répand  sur 
l'esprit  les  f»lus  énateses  lénèbres,  sparg:ns 
pœnales  cœcilates  super  U'icHns  cupiditates. 

Mais  ce  n'est  pa?  t(  i.t  De  l'aveuglemenl 
ci  l'endurcissement  il  n'y  a  qi  'ur  pas  ;  et  ce 
jias  terrible  n'a-l-il  pas  été  franchi  par  ce 
jirOtie  insensible  que  rien  n  touche,  que 
rien  n'émeut,  ni  les  remords  de  la  con- 
science, qu'il  est  venu  à  bout  d'étouder,  ou 
qui  ne  lui  paraissent  que  de  vains  scrupu- 
les ;  ni  les  avis  d'un  ami  généreux,  d'un 
confrère  zélé,  qu'il  taxe  de  prévention  ou 
de  jalousie;  ni  le  tribunal  de  la  pénitence, 
qu'il  ne  connaît  que  pour  les  autres,  dont  il 
{■"éloigne  pour  lui-niême  des  années  entiè- 
res,ou  auquel  il  n'af)porte  quedéguiscmenl 
el  indocilité;  ni  les  vérités  les  plus  terri- 
bles, qu'il  prêche  sans  doute  aux  fidèles, 
inais  qui  n'ont  pour  lui  rien  de  frappant, 
parce  qu'elles  n'ont  rien  de  nouveau;  ni  le 
.spectacle  de  la  mort,  aVec  lequel  il  s'est  fa- 
miliarisé, et  dont  il  ne  médite  jamais  les 
.suites  formidables;  ni,  ledirai-je?  les  abî- 
mes de  l'enfer  eux-mêmes,  dont  il  écarte 
liuiporlun  souvenir,  ou  dont  peut-éire,  hé- 
las 1  il  a  perdu  la  foi  1  Un  prôire  qui  à  force 
de  crim(!S  s'est  endurci  méprise  tout,  dit 
lEsprit-Saint  :  Cum  in  profundwn  peccala- 
riim  venerit,  conlemnit.  (Prov.,  XV11J,3.)  Il 
riH  craint  ni  Dieu  ni  les  hommes,  ajoute 
saint  Bernard  :  Nec  Deum  timetiHec  homines 
vereSur. 

Où  aboulira-l-il  donc, ce  prêtre  infortuné? 
s'accomplira-t-elle  en  lui,  cette  menace  af- 
freuse qu'il  a  si  souvent  annoncée  aux  cou- 
pables qui  lui  ressemblent  :  Mors  peccatc- 
rtm  pessima  l  {PsuL  XXXHI,22.)  Ah  l  Mes- 
sieurs, si  l'abus  des  grâces  conduit  ordinai- 
rement la  plupart  des  pécheurs  h  cette  lin 
lamentable,  que  n'a  pas  à  craindre  un  prêtre 
qui  a  résisté,  qui  résiste  sans  cesse  à  tous 
les  moyens  de  salut  1  Mais  la  crainte  est  loin 
de  lui;"il  est  plongé  dans  cette  fausse  paix 
dont  parle  l'Espril-Saint,  mille  fois  plus  ter- 
rible que  la  guerre  ;  et  c'est.  Messieurs,  celte 
alTreuse  sécurité,  cette  épouvuntable  insen- 
sibilité qui  réalise  tous  les  jours  le  mot  de 
l'Ecriture  :  Cor  durum  hahebil  maie  m  no- 
vissimo.  lEccli.,ni,  27.)  Oui,  un  prêtre  en- 
durci meurt  ordinairement  comme  Judas, 
dans  le  désespoir  :  Irès-souvent  c'est  une 
mort  subite  qui  l'emiiorte,  au  milieu  de  ses 
sacrilèges  et  de  ses  désordres  ;  et  s'il  a  le 
temps  de  rentrer  en  lui-môme,  il  n'en  a  pas 
le  courage  ;  il  n'ose  espérer  en  un  Dieu  qu'il 
a  toujours  outragé  :  le  souvenir  de  ses  cri- 
mes le  confond,  le  trouble,  le  consterne,  mais 
ne  le  change  pas  ;  en  vain  la  voix  charitable 
d'un  confrère  vient  l'exhorter  è  la  con- 
tiance;  le  sang  de -Jésus-Christ,  qu'il  a  pro- 
fané pendant  tant  d'années,  celle  mullilude 


de  sacreraens  et  de  fondions  saintes  qu'il 
a  convertis  en  sacrilèges,  ont  formé  à  ses 
yeux  comme  un  torrent  de  vengeance  et  de 
fureur  qui  l'entraîne.  La  vue  du  tribunal 
éternel  où  il  va  comparaître,  la  présence 
di'S  démons  qui  l'entourent,  tout  prêts  à 
saisir  son  âme  au  sortir  du  corps,  et  cette 
place  alTreuse  qu'il  aperçoit  nialgré  lui  aa 
fond  des  enfers,  tous  ces  objets  d'horreur 
l'épouvantent,  le  désespèrent,  lui  ôlenl  tout 
usage  de  sa  raison  et  de  sa  foi;  il  meurt 
comme  il  a  vécu» 

Vénérables  confrères,  craignons  cette  mort 
effroyable,  moins  rare  peut  être  que  nous  ne 
pensons,  et  bâlons^nous  de  la  prévenir  en 
retranchant  les  causes  qui  pourraient  l'a- 
mener. Descendons  avec  courage  au  fond 
de  cette  conscience  aveuglée,  qui  peut-être 
nous  a  été  toujours  inconnue;  4ondons-en 
la  profondeur,  interrogeons-la  avec  sévé- 
rité, et  disons-nous  chacun  à  nous-mêmes, 
dans  un  sens  bien  did'érent  de  celui  des  juifs 
au  Précurseur  :  Tu  qtiis  es?  (Jean.  1,  22), 
qui  es-tu?  Es-tu  un  homme  dominé  par 
1  orgueil  et  la  vanité?  Satan  est  dans  l'enfer 
en  ()uniiionde  ce  vice.  Aurais  tu  le  malheur 
de  vivre  dans  cette  attache  criminelle  qui 
perdit  Judas,  l'amour  de  l'argent?  serais-tu 
l'esclave  de  cette  passion  d'ignominie  qu'on 
ne  peut  nommer  sans  fiissonner  d'horreur  : 
Nec  nominetur?  [Ephes.y  V,  3.)  Parcourons 
ainsi  la  série  des  passions;  et  lorsque  nous  au- 
rons rencontré  celle  qui  nous  domine,  li- 
vrons-lui un  combat  h  mort,  el  ne  cessons  do 
combattre  que  nous  ne  l'ayons  exterminée, 
comme  on  poursuit  sans  relâche  un  loup 
furieux  jusqu'à  ce  qu'on  ait  délivré  la  con- 
tréequ'i!  ravage.  Malheur  à  nous.  Messieurs, 
sidanscegraud  combat  nous  nous  laissions 
vaincre  par  le  découragement  1  Hélas  1  c'est 
ordinairement  faute  de  contiante  que  les 
conversions,  surtout  dans  les  i)rêtres,  sont 
si  rares  :  on  craint  trop,  et  on  tspèro  trop 
peu. 

Cependant,  Messieurs,  ignorons-nous 
l'immensité  des  miséricordes  divines?  est-if 
un  coupable,  quelque  alfreuse  qu'ait  été  sa 
vie,  qui  ne  puisse,  je  ne  dis  passe  convertir, 
mais  devenir  un  grand  saint  ;  témoin  un  saint 
Paul,  un  saint  Augustin  ;  et  ces  miracles 
se  font  quelquefois  en  un  instant.  On  a 
vu,  vous  le  savez,  des  libertins,  des  im[)ies 
se  convertir  tout  è  coup,  comme  saint  Bo- 
niface,  en  contemplant  ou  en  médiiant  le 
courage  des  martyrs,  devenir,  par  un  élan 
sublime,  martyrs  eux-mêmes,  et  passer  dans 
un  instant  des  horreuis  du  crime  au  séjour 
des  élus. 

Mon  Dieu  1  votre  bras  n'est  pas  raccourci  ; 
opérez  encore,  si  vous  le  croyez  néces- 
saire, de  semblables  inodiges,  et  renouve- 
lez la  face  de  la  terre,  en  renouvelant  celle 
du  clergé. 

INSTRUCTION    IV. 

LE  PÉCHÉ  VÉNIEL. 

Ab  orani  specie  mala  abslinele  vos.  (I  TUsi.,  V,  21) 

Messieurs, 
Ce  n'était  {>as  assez  pour  le  grand  Apôtre 


^53 


RETRAITE.  -  INSTRUCT.  lY,  SU«  LE  PECHE  VENIEL. 

PREMIÈRE   PARTIE. 


«51 


(l'avoir  nrrnché  Ips  peuples  onx  superstilions 
de  l'iJo.'ilirie  et  à  lou^>  les  désordres  qui  en 
étaient  les  funestes  suites;  ce  n'était  pas 
assez  pour  lui  de  leur  avoir  appris  à  fuir  les 
crimes,  les  abominations,  les  grandes  ini- 
quités dont  ils  avaient  été  jusqu'alors  les 
tristes  esclaves  :  il  devait  perfectionner  son 
ouvrage  »^l  les  exhorter  à  s'obstenir  même 
des  fautes  légères, pouraccomplir  dans  toute 
son  étendue  l'Evangile  qu'il  leur  annon- 
çait, et  qui  devait  être  désormais  la  ré^lode 
leurs  mœurs.  Aussi  leur  disait-il  :  Abste- 
nez -  tous  de  Vapparence  même  du  mal  : 
«  Ab  omni  specie  niala  abstinete  vos.  Ma- 
xime salutaire,  et  sur  laquelle  repose  toute 
la  perfection,  je  ne  dis  pas  seulement  du 
christianisme,  mais  encore  plus  du  sa- 
cerdoce :  car  si  le  simple  fidèle  est  obli- 
gé pour  être  vraiment  chrétien  de  fuir  les 
fautes  les  plus  légères,  le  prêtre,  dont 
l'état  est  si  vénérable  et  si  saint,  que  ne 
doit-il  pas  faire  pour  les  éviter?  maxime 
cependant  trop  malheureusement  oubliée 
par  des  hommes  qui  paraissent  redouter  à 
peine  les  péchés  dignes  de  la  colère  du 
ciel,  et  qui  ne  craignent  pas  de  tomber  tous 
les  jours  dans  une  multitude  de  fautes  lé- 
gères, sous  le  fiivole  prétexte  qu'elles  ne 
donnent  point  la  mort  à  l'âme,  et  ne  ra- 
vissent pas  l'amitié  de  Dieu.  C'est  là,  Mes- 
sieurs, une  des  illusions  les  plus  dange- 
reuses où  puisse  nous  jeter  l'ennemi  de 
notre  salut;  car  l'oracle  de  l'F.spril-Saint 
s'accomplit  tous  les  jours  à  nos  yeux  :  Ce- 
lui qui  méprise  les  petites  choses  tombera  in- 
sensiblement dans  l'abime  :  «  Qui  spernit 
modica  paulalim  decidet.  »  {EccU.,  XIX,  i .) 
Une  étincelle  mai  éteinte  cause  souvent  un 
vaste  incendie;  la  plus  petite  ouverture 
sullit  pour  remplir  d'eau  un  navire  et  le 
submerger  au  milieu  des  llols.O  Dieu,  ne 
cesserons-nous  jamais  de  traiter  de  léger  le 
péché  véniel  et  d'en  mépriser  les  suites 
iuneslesl 

De  toutes  les  vérités  qu'on  peut  offrir  à 
la  méditation  d'une  assemblée  vertueuse, 
je  u'en  connais  pas  de  plus  utile  que  celle- 
ci  :  il  faut  nous  pénétrer  d'une  sainte  hor- 
reur pour  ces  fautes  légères.  Le  péché 
mortel  eflVaie  par  lui-même  toute  âme  qui  a 
la  foi;  l'ennemi  de  notre  salut  ne  le  sait 
que  lioj),  aussi  ne  commeuce-t-il  jamais  à 
tenter  cette  ûme  par  de  grandes  fautes;  il 
sait  l'amener  insensibleruenl  dans  ses  piè- 
ges, on  lui  faisant  commettre  dos  péchés 
légers  qui  ne  lui  laissent  aucun  remords, 
qu'elle  accuse  sans  repentir,  avec  lesquels 
elle  se  familiarise,  et  qui,  en  l'éloignant  de 
J>ieu,  lui  enlèvent  enfui  ce  précieux  trésor 
de  la  grâce  sanctifiante,  qui  était  son  plus 
bel  ornement;  malheur  digne  de  nos  larmes 
et  de  nos  regrets,  et  qu'il  faut  éviter  pour 
ainsi  dire  avec  autant  de  soin  que  la  perte 
iiiêine  de  la  grâce.  C'est  dans  ce  dessein, 
Messieurs,  que  je  viens  aujourd'hui  vous 
parler  du  péché  véniel.  Deux  réflexions  fe- 
ront le  partage  de  cet  entretien  :  1°  nous 
devons  éviter  avec  soin  le  péché  véniel; 
2*  nous  drivons  en  craindre  l'habitude. 


Lorsque  je  viens  vous  entretenir.  Mes- 
sieurs, du  péché  véniel,  je  n'entends  pas 
parler  ici  d&ces  fuites  de  fragilité,  d'inad- 
vertance et  de  surprise,  qui  échappent  à  la 
faiblesse  humaine,  môme  ii  l'âme  la  plus 
fervente,  et  qu'elle  désavoue  aussitôt  qu'elle 
vient  de  les  commettre  :  ces  sortes  de  fautes 
irréfléchies  et  involontaires  ne  sont  que  trop 
le  triste  partage  des  hommes  sur  la  terre; 
les  plus  parfaits,  les  plus  grands  saints  eux- 
mêmes  ,  n'en  étaient  pas  entièrement 
exempts  ;  et  c'était  là  le  sujet  perpétuel 
de  leur  crainte  et  de  leur  douleur,  comme 
souvent  le  moyen  dont  Dieu  se  servait  pour 
les  humilier,  les  éprouver,  réveiller  et  sou- 
tenir leur  vigilance.  Je  ne  parle  ici  que  des 
péchés  véniels  commis  avec  intention,  do 
propos  délibéré,  avec  maturité  et  réflexion, 
contre  les  lumières  de  l'esprit  et  le  cri  do 
la  conscience.  Or,  Messieurs,  les  différents 
motifs  qui  doivent  nous  [)orter  5  éviter  avec 
soin  ces  péchés,  sont  très-propres  à  faire  une 
impression  profonde  sur  notre  esprit,  à 
éclairer  notre  jugement  et  à  nous  conduire 
dans  la  voie  de  la  perfection  ecclésiastique. 
En  effet,  nous  devons  fuir  le  péché  véniel, 
1°  parce  que  ce  péché  est  un  très-grand  mal, 
beaucoup  plus  grand  qu'on  ne  le  pense 
d'ordinaire  ;  2°  parce  que  Dieu  le  ])unit  avec 
beaucoup  de  sévérité;  3°  parce  qu'il  est 
souvent  douteux  si  le  péché  qu'on  re- 
garde comme  véniel  n'est  pas  mortel. 

Oui,  Messieurs,  le  péché  véniel  est  un 
mal  très-grand  ;  plus  grand  ,  disent  les  doc- 
teurs, qne  tous  les  maux  sensibles  de  cette 
vie;  plus  grand  que  la  destruction  d'une 
ville,  d'une  province,  d'un  empire,  de  tout 
l'univers;  plus  grand  que  la  mort  de  tous 
les  hommes  et  l'anéantissement  de  tous  les 
êtres  créés;  en  sorte  que  s'ils  no  pouvaient 
être  conservés  que  par  un  péché  véniel,  il 
vaudrait  mieux  qu'ils  périssent  plutôt  que 
ce  péché  ne  fût  commis  :  aussi  a-t-on  vu, 
même  de  nos  jours,  de  saints  prêtres,  do 
pieux  fidèles ,  préférer  le  sacritice  de  leur 
vie  à  un  léger  mensonge  :  et  en  effet,  que 
sont  tous  les  maux  des  créatures  auprès  de 
l'offense  du  Créateur?  Tout  péché,  quelque 
léger  qu'il  paraisse,  est  une  violation  de  la 
loi  de  Dieu,  une  désobéissance  à  l'autorité 
de  Dieu,  un  manque  de  respect  pour  la  ma- 
jes:é  de  Dieu,  un  défaut  de  soumission  à 
la  providence  de  Dieu,  une  ingratitude  en- 
vers l'infinie  bonté  de  Dieu,  une  insulte  à 
la  véri.é,  à  la  pureté,  à  la  sainteté  de  Dieu, 
une  indifférence  pour  les  intérêts  de  la 
gloire  de  Dieu  et  de  la  religion,  et,  pour 
tout  dire  en  un  mot,  une  préférence  du 
néant  Je  la  créature  à  la  souveraineté  du 
Créateur.  Oui,  quiconque  pèche,  môme  en 
matière  légère,  préfère  le  coupable  plaisir, 
le  frivole  avantage  qui  lui  revient  de  celti; 
faute,  à  l'autorité  et  à  la  grandeur  de  celui 
(|ui  la  défend;  il  aime  mieux  déplaire  au 
Seigneur  que  de  se  priver  d'une  misérable 
satisfaction. 

Qu'on  dise  ensuite  :Ce  n'est  là  qu'un  pé- 


«5^ 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


656 


thé  véniel  I  Oui,  mais  c'est  cependant  en  un 
sens  un  mal  infini,  puisqu'il  blesse  une  mn- 
jeslé  intiiiie.  Sans  doule  Dieu  le  pardonne 
plus  facilement  que  les  grands  crimes,  et 
voilà  pourquoi  on  l'appelle  vétliel  ;  mais  ce 
pardon  n'est  jamais  accordé  sans  repentir; 
et  ce  repentir  serait  im|)Ossible  à  l'homme 
sans  les  niériles  du  Rédempteur.  Quoi,  se 
faire  un  jeu  d'une  faute  qui  ne  peut  être 
effarée  que  par  le  sang  de  Jésus-Christ! 
Elle  est  légère  1  elle  coûte  donc  peu  h  évi- 
ter; est-on  excusable  de  se  la  permettre? 
Dieu  a  droit  d'exiger  de  nous  les  sacrifices 
les  [)lus  pénibles,  [)Ourquoi  lui  refuser  ceux 
qui  sont  faciles?  Elle  est  légère  I  elle  ne  sera 
cependant  pas  oubliée  au  tribunal  du  sou- 
verain Juge  :  ne  fût-ce  qu'une  parole  oi- 
seuse ,  qu'une  pensée  inutile,  on  en  rendra 
compte,  reddent  ralionem.  (Alallh. ,X\l,3G.) 
Elle  est  légère!  elle  est  cependant  un  obs- 
tacle à  la  possession  du  royaume  de  Dieu, 
où  rien  d'impur  n'entre  jamais.  Tant  que 
celte  faute  sul)sistera,  le  ciel  restera  fermé 
au  coupable.  Comruent  peul-on  mépriser  ce 
qui  éloigne  du  souverain  bonheur,  co  qui 
exclut,  du  moins  pour  un  temps,  de  la  pré- 
sence du  Roi  de  gloire? 

Biliges  Dominum  Deum  titum  ex  toto  corde 
tiio,  et  ex  Iota  anima  tua,  et  ex  (oia  mente 
i'ua,et  extotavirtutetua  (MoH/i., XXII,  37)  : 
voilà  la  première,  la  plus  grande  des  véri- 
tés; voilà  le  fondement  de  toute  la  religion. 
Or,  Messieurs,  qu'on  cite  un  seul  péché  vé- 
niel qui  ne  soit  en  O|»po:iition  avec  ce  com- 
mandement,avec  cet  amour  souverain,  cet 
amour  sa!is  bornes  qui  est  dû  à  Dieu  à  tant 
de  titres,  ei  qu'il  réclame  dune  manière  si 
expresse  et  si  solennelle. De  boime  foi.  Mes- 
sieurs, avons-nous  jamais  bien  compris, 
quoique  nous  ne  cessions  de  le  prêcher, 
toute  l'étendue,  toute  la  force  de  ce  grand 
précepte?  et  si  nous  en  avons  une  juste  idée, 
d'où  vient  que  le  péché,  môme  le  plus  lé- 
ger, ne  nous  contrisle  pas  jusqu'au  fond  du 
cœur?  S'il  nous  éclwpfie  une  parole  incon- 
sidérée à  l'égard  d  une  personne  que  nous 
iiimnns  ou  que  nous  respectons,  nous  nous 
hâions  de  lui  en  témoigner  nos  regrets;  une 
inadvertance,  un  oubli,  un  manque  d'égards 
dans  la  société,  nous  rendent  confus,  et 
quelquefois  inconsolables;  d'où  vient  que 
»ious  n'éprouvons  rien  de  semblable  dans 
certains  manquements  à  iV-g-ird  de  Dieu? 
d'où  vient  que  nous  ne  surveillons  [)as  sans 
cesse  les  mouvements  de  notre  cœur,  nos 
pensées,  nos  souvenirs,  les  images  qui  se 
pré.^enlent  à  notre  esprit,  nos  jugements, 
iius  soupçons,  nos  iiaroies,  nos  regards  et 
nos  moindres  actions,  afin  que  jamais  notre 
volonté  n'admette  rien  qui  i)uisse  déplaire  à 
Dieu  et  conlrister  l'Esprit-Sainl?  ngarde- 
rions-nous  comme  un  bon  (ils  celui  qui  se 
bornerait  à  ne  pas  contrarier  la  volonté  do 
son  père  en  choses  graves,  qui  ne  craindrait 
pas  de  le  choquer  sans  cesse  en  des  choses 
légères,  et  qui  n'aurait  pour  lui  aucune  at- 
tention, aucujie  prévenance,  aucun  empres- 
sement à  seconder  ses  désirs?  Passc-t  il 
pour  un  bon  ami,  celui  qui  ne  manque 


pas,  il  est  vrai,  à  son  anii  dans  les  gran- 
des circonstances,  dans  les  services  im- 
portants; mais  qui  dans  tout  le  reste  se 
montre  froid,  oublieux,  inattentif,  indif- 
férent? 

Nous  ne  servirions  Dieu  que  lorsqu'il  s  a- 
git  d'éviter  l'enfer!  nous  sommes  donc  dos 
mercenaires  et  des  esclaves,  et  le  beau  liire 
d'enfants  de  Dieu  ne  nous  appartient  |)as. 
Nous  conlestons  avec  lui,  nous  lui  refusoiw 
tout  ce  qu'il  n'exige  pas  sous  peine  de  mortî 
cl  nous  osons  lui  dire  que  nous  l'aimons 
de  tout  notre  cœur,  de  toute  notre  âme  el 
de  toutes  nos  forces  !  Nous  savons  que  le 
péché  morte!  crucifie  de  nouveau  le  Fils  de 
Dieu,  et  nous  ne  voulons  pas  grossir  le  nom- 
bre de  ses  persécuteurs;  mais  nous  ne  crai- 
gnons pas  de  lui  l'aire, de  légères  insultes, 
ou  d'être  indifférents  aux  opprobres  qu'il 
reçoit  ;  et  nous  o>ons  nous  compter  parmi 
ses  disci|)les  et  ses  amis!  Nous  ne  perçons 
pas,  il  est  vrai,  ses  [)ieds  et  ses  mains  ;  nous 
n'enfonçons  f)as  la  lance  dans  son  cœur; 
mais  nous  ne  sommes  pas  à  ses  côtés,  comme 
Marie,  pour  (ompatir  à  ses  douleurs;  mais 
nous  ne  le  suivons  ,  comme  Pierre,  que  do 
loin  ;  mais  nous  craignons  de  nous  compro- 
mettre en  nous  déclarant  hautement  pour  lui. 
Est-ce  là  cet  amour  généreux  ,  inlréiiido, 
aussi  fort  que  la  mort?  est-ce  là  cette  cha- 
rité brtllante  qui  faisait  dire  à  saint  Paul  : 
Quis  nos  separubit  a  charitate  Christi?  (Rom,, 
VIII,  35.J  El  l(>rsque  nous  répétons  en  (-haiie 
les  mômes  paroles,  n'est-ce  j)as  une  espèce 
de  mensonge  public  que  nous  proférons?  O 
mon  Sauveur!  par  qui  donc  sera  accompli 
dans  toute  sa  plénitude  le  grand  précepte  do 
votre  amour,  s'il  ne  l'est  par  vos  prêtres? 
qui  vous  aimera  donc  parfaitement ,  si  ce 
n'est  vos  ministres?  eux  que  vous  nourris- 
sez tous  les  jours  de  votre  chair  el  de  voir© 
sang; eux  qui  doivent,  non-seulement  vous 
être  unis,  mais  ne  faire  qu'un  avec  vous, 
et  n'avoir  d'autre  vie  que  la  vôtre  :  Viva^ 
jam  non  ego,  vivil  vero  in  me  Christus.  (fia- 
lut.,  Il,  20.) 

Quand  nous  n'envisagerions  la  malice  du 
peclié  véniel  que  du  côté  de  nous-mêmes, 
i)ouvons-nous  dire  que  c'est  un  mal  légt.-r? 
Sans  doute  qu'il  ne  donne  pas  la  mort  à 
notre  âme;  mais  que  de  blessures  ne  lui 
fait-il  pas!  de  combien  de  plaies  dangereu- 
ses ne  la  couvre-t-il  pas!  (luelle  horrible 
dilfoimité  n'imprime-t-il  pas  sur  cette  âme 
jadis  SI  belle  et  si  brillante  dans  le  temps  de 
sa  ferveur!  Saint  Augustin  compare  les  pé- 
chés véniels  à  des  ulcères,  à  une  lèpre  hi- 
deuse, qui  ternissent  l<i  beautéde  cetieâin© 
et  la  rendent  indigne  des  chastes  embra.>>S(> 
nients  du  céleste  époux  ;  je  veux  dire  de  ces 
faveurs  privilégiées,  de  ces  grâces  de  pré- 
dilec.ion  que  Dieu  n'accorde  qu'aux  ardeurs 
de  la  piété. 

Mais  la  diminution  des  grâces  n'est  pas  la 
seule  punition  du  péché  véniel.  Ouvrons  les 
Livres  saints,  el  nous  verrons  les  châtiments 
les  plus  terribles  infligés  pour  les  fautes  en 
apparence  les  plus  légères.  Pourquoi  la 
femme   de;   Lot   éprouva-l-elle   tout  à  coup 


6.'>7 


HETRAITE.  —  LNSTRUCT.  lY,  SUR  LE  PECHE  VENIEL. 


6jS 


III)  SI  flianiio  cliaiigemeiit  ?  pour  une 
siijif''^^  curiosilé.  Poui'(]iioi  Moïse  et  Aaroii 
sonl-ils  exclus  de  la  terre  promise?  pour 
une  légère  défiance.  Pourquoi  David  voii-il 
la  pesle  ravager  ses  Etais?  pour  un  molif  de 
vanjlé.  Pourquoi  Aiiaiiie  et  Sapliire  totnbcnt- 
iis  morts  aux  pieds  de  saint  Pierro?pour  un 
simple  mensonge. 

Que  sont  tous  les  maux  de  celle  vie  auprès 
des  châlimonts  du  siècle  fulur,  auprès  de 
ce  purgatoire  dont  nous  iapf)elons  sans 
cesse  la  pensée  aux  peuples,  sons  jamais  en 
craindre  pour  nous-môuies  les  rigueurs?Oui, 
nous  prêchons  que  ces  cachols  ténébreux, 
CCS  flammes  dévorantes,  celte  privation  si 
terrible,  quoi(]ue  temporaire,  de  la  gloire 
céleste,  seront  apiès  la  mort  le.  cliiltimont 
des  fautes  légères  qui  n'auront  pas  été  ex- 
piées dans  culte  vie;  et  ccpondanl  lii  mulli- 
lude  de  ces  l'an  les  ne  nous  etl'raie  jamais  1 
•.|»e  d:s-je?  nous  nous  complaisons  dans  ces 
retours  d'amour-propre,  dans  celle  frivolité 
de  désirs,  dans  ces  jalousies,  ces  avers  ons 
passagères,  dans  cette  légèreté  de  regards, 
dans  Celle  indiscrétion  de  paroles,  dont  l'ex- 
pialion  nous  coûtera  peut-èlre  des  années, 
peut-éire  des  siècles  de  tourments!  OiJ  est 
notre  foi,  vénérahies  confrères?  Quoi  1  si 
nous  étions  certains  que  telle  visite  inuiile, 
telle  heure  de  le.nps  perdue,  telle  impa- 
tience, telle  saillie  d'humeur,  telle  dissipa- 
lion  dans  le  lieu  saint,  telle  raillerie  dépla- 
cée, telle  sensualité,  telle  inlempérance , 
seront  punies  promplement  par  la  privation 
de  nuire  liberlé,  de  noire  santé  et  de  nos 
biens,  oserions-nous  nous  les  permelire? 
el  nous  ne  craignons  pa^  les  ardeurs  du 
purgatoire? 

Je  parle  ici  à  des  prèfrcs  dont  quelques- 
uns  pour  n'être  [tas  assez  vigilans  sur  eux- 
iiièoies,  d'autres  pour  être  coupables  peut- 
f  Ire,  n'en  sont  cependant  pas  moins  animés 
d'une  foi  vive  :  je  me  contenterai  de  leur 
rapjieler  ce  que  les  saints  Pèies,  saint  Au- 
gustin en  particulier,  el  la  constante  tradi- 
iion  de  lEglise,  nous  apprennent  sur  ces 
prisons  souterraines  oiî  la  main  de  Dieu 
chûlie  les  âmes  encore  redevables  h  sa  sou^ 
veraine  justice  :,le  plus  terrible  cliâtimenl 
qu'elles  y  éprouvent,  c'esl  la  privation  de 
la  présence  de  Dieu.  Ce  langage  sera  d'au- 
tant mieux  compris  ici,  qu'il  s'adresse  à 
des  prêtres,  plus  capables  que  les  fidèles 
d'apprécier  tout  ee  que  cette  privation  a  de 
douloureux  pour  une  âme  qui  conserve 
l'amour  de  son  Dieu. Que  ces  pieux  lévites, 
que  ces  âmes  ferventes  et  privilégiées 
Tiennent  nous  raconter  tout  ce  qu'ils 
éprouvent  de  satisfaction  et  de  bonheur 
lorsqu'ils  se  sentent  animés,  soutenus  et 
consolés  par  la  présence  de  Jésus-Christ. 
Que  ces  bons  pi  êtres  dont  les  hautes  vertus 
el  la  tendre  ferveur  reçoivent  tous  les  jours 
de  si  puissants  encouragomeiits,  de  si  nobles 
et  si  pures  récompenses  dans  les  inellables 
délices  qui  accompagnent  la  réception  du 
plus  auguste  de  nos  sacrements,  et  dont  la 
vie  tout  angéli(|ue  les  rend  dignes  de  par- 
lici|.ei-  eux  célestes  extases  du  grand  A^'è- 


Ire;  qu'ils  viennent,  dis-je,  nous  raconter, 
s'ils  le  peuvent,  les  admirables  ravisseiiiGiicS 
d'une  cime  comblée  de  «lélices  par  Jésus- 
Christ,  et  enrichie  des  trésors  de  sa  grâce l 
Or,  après  notre  mort,  vous  le  savez,  noln^ 
âme,  délivrée  do  la  servitude  du  corps,  se 
rapprochera  beaucoup  plus  de  sa  céleste 
origine,  comprendra  clairement  la  fin  où 
elle  tend,  qui  est  Dieu;  el  en  se  manifestant 
<i  celte  âme  dégagée  de  tout  ce  qu'elleavait 
du  mortel.  Dieu  lui-même  lui  rend  bien 
plus  douloureux  le  premier  supplice  du  pur- 
gatoire, qui  est  la  privation  de  sa  divine 
présence.  Je  n'insiste  pas,  vénérables  con- 
frères, sur  ce  feu  dévorant,  qui  ne  diffère 
di-  celui  de  l'enter  (pie  parce  qu'il  aura  un 
terme,  allumé  [»ar  Dieu  lui-même,  qui  fera 
éprouvera  l'âme  fidèle  des  tourments  auprès 
«lesquels  tous  les  maux  de  la  lerre,  tons  les 
supplices  inventés  par  la  malice  des  hom- 
mes, ne  sont  rien.  S'il  y  a  beaucoup  de 
prêtres  en  enfer,  combien  doil-il  y  en  avoir 
dans  le  purgatoire!  Ah!  s'il  leur  était  donné 
de  pouvoir  nous  raconter  ce  qu'ils  soutfrent 
pour  l'expiation  d'un  péché  véniel,  avec 
quel  soin  extrême,  vénérables  confrères,  no 
vous  attacheriez-vous  [tas  à  le  fuir  désor- 
mais !  C'esl  au  nom  de  la  bonté  divine,  au 
nom  de  ces  pasteurs  que  vous  avez  connus, 
qui  vous  ont  édifiés,  mais  qui  ex|)ient  en- 
core dans  les  flammes  du  purgatoire  leurs, 
fautes  légères,  que  je  viens  vous  indiquer 
les  moyens  de  les  éviter,  en  fuyant  jusqu'à 
l'ombre  du  |iéclié  :  Ab  omni  specie  mala 
absdnete  vos. 

Ce  qui  rend  ici  notre  aveuglement  encore 
plus  déplorable,  c'est  qu'il  y  a  une  foule 
de  circonstancLS  od  il  est  très-douteux  si 
ce  qui  ne  nous  semble  que  véniel  n'est  pas 
mortel:  il  n'y  a  là-dessus  aucune  règle  bien 
claire,  et  aussi  les  docteurs  les  plus  habiles 
sonl  très-ôouvent  embarrassés.  Nous  savons 
sans  doute,  en  général,  que  (;e  qui  tient  le 
péché  dans  les  limites  du  véniel,  c'est  ou 
la  légèreté  de  la  matière  ou  le  défaut  d'ad- 
vertance  et  de  consentement;  mais  ces 
deux  points  sonl-ils  toujours  bien  faciles  h 
décider?  Sans  doute  il  y  a  une  ligne  de  dé- 
marcalion  où  finit  le  péché  véniel  et  où 
commence  le  péché  mortel;  mais  cette  li- 
gne est-elle  toujours  bien  sensible?  Qui 
pourra  nous  assurer  que  dans  cette  multi- 
tude de  fautes  que  nous  aimons  à  croire 
toutes  légères,  quoiqu'elles  présentent  des 
nuances  si  dilférentes,  il  n'y  en  a.  eu  au- 
cune où  l'objet  de  l'infraction  ait  été  grave 
et  la  volonté  consommée?  Qui  nous  assu- 
rera que  tel  égarement  d'esprit  pendant 
le  saint  sacrifice,  que  tel  défaut  de  zèle  à 
l'égard  d'un  malade  mort  sans  sacrements, 
d'un  enfant  mort  sans  bapléme,  n'ont  été 
que  légers?  Qui  nous  assurera  que  tel  res- 
sentiment, telle  parole  injurieuse,  telle  mé- 
disance, n'ont  pas  éleinl  en  nous  la  charilé 
fiaternelle?  Qui  nous  assurera  que  celle 
misérable  vanité,  ce  désir  de  la  gloire  bu- 
raaine  qui  agit  sans  cesse  en  nous,  ne  nou& 
a  |)as  séparés  entièrement  du  cœur  de  Dieu, 
comme  les  Pharisiens,  et  que  dans  les  con- 


659 


ORATEURS  SACRES.   MAUREL. 


660 


sfMis  de  sa  jusiice  ce  suprême  scrutateur 
n'a  pas  déjà  dii  de  nous,  coinme  d'eux  :  Re- 
ceperunt  mercedem?  (Matlh.,Yl,  5.)  Qui  nous 
assurera  que  celle  liaison  si  sensiijie,  ces 
entrevues  secrètes  et  prolongées,  ces  fami- 
Jiarités  peu  réservées,  n'ont  pas  été  jusqu'à 
J'in'quilé? 

^  Toutes  les  fois  que  l'amour  des  créatures 
l'emporte  sur  l'amour  divin  el  forme  la  dis- 
position dominante  du  cœur,  le  péché  est 
mortel.  Ce  principe  est  sans  doute  très- 
clair;  mais  l'application  en  est-elle  toujours 
bien  facile?  Hé  qui  peut  sonder  l'abîme 
impénétrable  du  cœur  humain?  Qui  peut 
en  connaître  tous  les  ressorts,  en  mesurer 
tous  les  mouvements,  en  démêler  toutes  les 
affections;  qui  peut  suivre  ces  innombra- 
bles sinuosités  oij  se  cachent  souvent  à 
notre  insu  l'amour-propre  el  la  cupidité? 
Qui  le  peut,  sinon  celui  qui  l'a  formé,  ce 
tœur  si  variable,  si  caché,  qui  ne  le  perd 
pas  un  seul  instant  de  vue,  et  qui  en  con- 
naît à  fond  la  corruption,  l'orgueil,  la  sen- 
sualité, le  degré  de  résistance  qu'il  oppose 
à  la  grâce,  et  la  violence  du  penchant  qui 
l'entiaîne  vers  les  créatures?  La  grièvelé 
d'une  faute  dépend  de  tant  de  choses  :  de 
l'objet  de  l'action,  des  circonstances  qui 
l'accompagnent,  du  lieu,  du  temps,  des  per- 
sonnes, du  scandale  et  surtout  de  l'inten- 
tion et  des  motifs.  Comment  être  sûr  que 
dans  tout  cela  il  n'y  a  rien  eu  que  de  léger, 
surtout  de  la  part  d  un  prêtre,  tenu  par  son 
état  à  une  sainteté  éminente,  obligé  de  don- 
ner en  tout  l'exemple  'de  la  perfection?  De 
la  part  d'un  prêtre  qui  prêche  avec  saint 
François  de  Sales  aux  simples  fidèles,  que 
pour  être  digne  de  communier  tous  les  huit 
jours,  il  faut  avoir  détruit  toute  espèce  d'af- 
fection au  péché  véniel,  et  qui  ne  craint  pas 
de  monter  lui-même  tous  les  jours  à  l'autel 
avec  une  mulitude  d'affections  déréglées? 
De  la  part  d'un  prêtre  sans  cesse  observé 
par  la  malignité,  dont  les  moindres  fautes 
l'euvent  causer  souvent  un  grand  scandale, 
et  à  qui  Dieu  impute  souvent  comme  cri- 
me, dit  le  concile  de  Trente,  ce  qui  ne  se- 
rait dans  un  laïque  que  faute  légèie  :  Levia 
eliam  delicta  quœ  in  ipsis  maxima  forent, 
effugienl. 

Quelqu'un  dira  peut-être  que  toutes  ces 
réflexions  ne  sont  bonnes  qu  a  faire  naî  le 
des  scrupules.  Non,  vénérables  confrères, 
l'effet  naturel  de  ces  réflexions,  et  le  but 
de  celui  qui  les  projiose,  c'est  d'entretenir 
ou  de  former  une  conscience  eiaete  et  ti- 
morée; et  malheur  à  un  prêtre  qui  ne  l'au- 
rait {)as  telle  1  S'il  élait  si  facile  de  distin- 
guer le  péché  mortel  du  péché  véniel,  pour- 
quoi donc  le  grand  Apôtre  craignait-il  si 
fort  d'avoir  perdu  l'état  de  justice  ;  Nihil 
mihi  conscius  sum,  sed  non  in  hoc  justifica- 
tus  sum?  (l  Cor.,  IV,  4.)  Pourquoi  le  {iro- 
pliète  soUicilait-il  avec  tant  d'instances  le 
jiardon  de  ses  fautes  cachées  :  Ab  occuUis 
tneis  munda  me?  [Psal.  XVill,13.)  Pourquoi 
coraplail-il  ses  ignorances  au  nombre  de 
ses  péchés  les  plus  dangereux  :  Jgnoranlias 
mzas  ne  memineris?  {Psal.  XXIV,  7.) 


Donc,  mes  chers  confrères,  craignons  plus 
que  la  mort,  et  effaçons  par  nos  larmes  les 
fautes,  même  les  plus  légères.  Elles  déphii- 
sont  à  Dieu,  n'est-^ce  pas  assez  pour  déplai- 
re à  une  âme  chrétienne,  el  surtout  à 
une  âme  sacerdotale?  Elles  seront  sévè- 
rement punies  par  la  justice  de  Dieu,  si 
elles  ne  le  sont  par  notre  pénitence  :  ne 
serait-ce  pas  être  ennemis  de  nous  mêmes 
que  de  nous  les  permettre  ou  de  ne  pas  les 
expier?  11  est  souvent  douteux  si  elles  ne 
vont  pas  jusqu'au  péché  mortel  :  voudrions- 
nous  compromettre  notre  salut  en  les  mé- 
prisant? Nous  devons  donc  éviter  avec  le 
plus  grand  soin  de  commettre  délibérément 
un  seul  péché  véniel  :  que  ce  soit  là,  pour 
le  reste  de  nos  jours,  une  maxime  fonda- 
mentale qui  demeure  toujours  écrite  dans 
nos  esprits;  mais  surtout  nous  devons 
craindre  d'en  contracter  l'habitude  :  seconde 
maxime  que  je  vais  développer. 

SECONDE   PARTIE.  î 

Qu'est-ce  que  l'habitude  du  péché  véniel  ? 
C'est  celte  malheureuse  facilité  de  tomber 
dans  des  fautes  légères  qu'on  commet  ordi- 
nairement sans  remords  el  qu'on  accuse 
presque  toujours  sans  repentir.  Or,  Mes- 
sieurs, pour  éloigner  à  jamais,  ou  pour  dé- 
truire, si  par  malheur  elle  existait,  cette 
funeste  habitude,  il  m'a  paru  important  de 
considérer  avec  vous  :  1°  l'extrême  faciiit6 
avec  laquelle  on  la  contracte;  2"  le  danger 
terrible  auquel  elle  expose;  3"  les  remède? 
d'un  mal  si  dangereux. 

Et  d'abord  l'habitude  du  péché  véniel  est 
d'autant  plus  redoutable  qu'elle  se  forme 
avec  une  extrême  facilité.  Ici,  mes  chers 
confrères ,  nous  n'avons  besoin  d'autres 
preuves  que  de  notre  [iropre  expérience. 
Hélas  1  nous  sommes  si  ennemis  de  la  gêne 
et  de  la  contrainte,  si  portés  à  rechercher 
ou  du  moins  à  accueillir  ce  qui  flatte  nos 
penchaiils,  que  pour  peu  qu'on  néglige  les 
précautions  de  la  vigilance ,  on  manque 
bientôt  à  la  loi  de  Dieu  en  quelque  |)oinl. 
Le  plaisir  qu'on  a  trouvé  dans  celte  faut© 
nous  invile  à  une  seconde,  et  celle-ci  à  une 
troisième,  qu'on  se  reproche  encore  moins 
que  la  première,  parce  que  ce  qui  nous 
(laite  nous  semble  toujours  excusable  sous 
quelque  rapport  :  voilà  le  commencement 
do  l'habitude.  Ohl  malheur  à  celui  qui  ne 
se  hâtera  pas  d'écraser  ce  serpent  naissant  l 
Principiis  obsla.  Il  esl  facile,  sans  doute,  à 
l'aide  de  la  prière  el  de  la  réflexion,  de  cou- 
per dans  sa  racine  celte  habitude  d'autant 
plus  dangereuse  qu'elle  est  plus  effrayante; 
mois  si  l'on  se  livre  au  dégoût  alors  si  na- 
turel de  la  prière,  mais  si  l'on  néglige  la 
méditation,  les  saintes  lectures,  la  pensée 
de  Diea  et  de  ses  jugeraenls,  oh  1  quels  pro- 
grès el  quels  ravages  ne  fera  pas  en  peu  de 
temps  celte  funeste  habitude  1  Rendons  ceci 
sensible  par  quelques  suppositions  qui  ne 
se  sont,  hélas l  que  trop  souvent  réalisées. 
Veuillez  excuser.  Messieurs,  la  familiarité 
de  ces  exemples,  malheureusement  juslitié& 
par  l'expérieuce  de  tous  les  jours. 


6G1 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  IV 


3 


Pénéiré  de  ces  grauiles  maximes  :  Sancti 
estote,  quia  eqo  sanctus  sum  {Lcvit.,  X.  k'-t)  ; 
Eslote  pcrfecli  sicut  Pater  tester  cœlestis 
perfectus  est  (Matth.,  V,  îtS),  un  prôtre  s'é- 
tait fait  une  loi  de  ne  paraîlre  dans  le  monde 
ue  lar  nécessité  ou  par  charité,  et  surtout 
e  s'interdire  ces  vains  amusements  qu'on 
regarde  seulement  comme  propres  à  distrai- 
re, mais  qui  souvent  coraprometlenl  rinno-« 
cence.  Engagé  un  jour  à  se  prêter  h  une 
partie  de  jeu,  il  s'en  défend  avec  honnêteté; 
on  insiste,  il  s'excuse  encore,  mais  avec  un 
peu  de  faib'esse  ;  on  le  presse,  et  il  se  rend, 
avec  regret  sans  doute,  mais  il  se  rend.  La 
partie  s'engage,  on  le  trouve  ainialde,  on 
vante  la  douceur  de  son  caractère  et  les 
charmes  de  sa  piété  :  c'est  ainsi,  lui  dit-on, 
qu'il  faut  s'y  prendre  pour  convertir  les 
gens  du  monde;  on  ne  gagne  rien  avec  eux 
que  par  l'aménité.  La  pariie  tinie,  on  l'in- 
vite à  revenir  un  autre  jour;  il  y  revient, 
on  le  trouve  encore  plus  aimable.  Dans  peu 
de  temps,  il  aura  contracté  l'hahilude  du 
jeu,  et  peut-être  l'esprit  du  monde. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  Rentré  chez  lui 
deux  ou  trois  heures  plus  tard  que  de  cou- 
tume, le  plan  de  ses  orcupalions  se  trouve 
dérangé  :  sa  lecture  spirituelle  n'est  pas 
faite,  son  office  n'est  pas  dit,';  tout  cela  se 
fait  précipitamment.  Ce  n'est  pas  tout  en- 
core, 11  s'est  couché  plus  tard,  il  se  lève 
plus  tard;  sa  méditation  est  à  peine  com- 
mencée qu'on  vient  l'avertir  qu'il  est  at- 
tendu au  confessional  ou  h  l'autel.  Tout  se 
préci|iile,  tout  s'embarrasse  :  point  de  cal- 
me dans  l'esprit,  point  de  liberté  dans  le 
cœur  et  peut-être  point  de  modestie  dans 
les  mouvements  du  corps.  Le  lendemain, 
c'est  le  même  désordre;  un  jour  apprend 
sa  malice  à  un  autre  jour.  Bientôt  toute  sa 
conduite  présente  un  dérangement  .univer- 
sel. Ce  n'est  |)Ius  le  même  homme,  or»  s'en 
étonne,  on  en  cherclie  la  cause.  La  cause"? 
c'est  une  complaisance  déplacée. 

Encore  une  autre  supposition  :  Un  prêtre  a 
réussi   dans  quelque  fonction  de  son  mi- 
nistère, et  on  lui  en   fait  compliment.  De 
tous  côtés  ce  ne   sont   que  félicitations, 
qu'applaudissements.  Il  n'y  est  pas  insen- 
sible; la  vanité  s'insinue  dans  son  cœur  : 
que  de  ravages  elle  va  y  causer  1  II  rappelle 
avec  complaisance  tout  ce  qu'on  lui  a  dit  de 
flatteur,  et  il  se  croit  des  talents  et  une 
airesse     que    jusquMci     il     n'avait     pas 
même  soui)çonnés  ;    le!   de  ses  confrères 
n'est  pas  si  heureux;  il  l'en  plaint,  et  il  se 
met  dons  son  cœur  au-dessus  de  lui.  Bien- 
tôt il  le  méprise,  bientôt  il  se  regarde  com- 
me un  être  privilégié;  et  la  vamlé  empoi- 
sonnera toutes  ses  œuvres  et  tarira  la  source 
de  ses  mérites;  et  la  témérité  présidera  à 
ses   démarches  ,   et  le  jettera    dans   raille 
('■cueils;  et  la  présomption  et  la  fierté  lui 
ôt(;ronl  la  confiance  et  lui  raviront  des  cœurs 
que    l'humilité  et  la   modestie  lui   avaient 
gagnés.  Et  quelle  aura  été  la  cause  de  lant 
(le  maux?  un   mouvement  d'orgueil  qu'il 
u'aura  pas  réprimé. 
|e  voulais  cxpo?cr  souleracol  avec  quelle 


,  SUR  LE  PECHE  VEMEL.  6i5i 

facilité  on   contracte  l'habitude  dos  fautos 
légères;  ot  voilji  que  déjà  j'en  ai  montré  lo 
danger.   Ce  danger,   dignes   confrères,    est 
d'autant  plus  grand,  qu'il  est  d'abord  moi'is 
aperçu.  Souffrez  que  je  vous   lo   demande: 
parmi  les  prêtres  lûches  et  tièdcs  (et  la  ti '•• 
deur   n'est  autre   chose  cpie  l'iiabilude  du 
péché  véniel  ),  parmi  en\  ,  dis-je  ,  en  est-il 
aucun  qui   soit  fortement  convaincu  de  co 
grand   principe,  de   celle  esjièce  d'axionio 
enseigné  par  l'esprit  de  vérifé  :  Qui  spernit 
modica,  paulatim  decidel?    On    le  lit,    o  i 
le  prêche ,  on  le  voit  se  réaliser  dans;   les 
autres,    et  jamais   ou  n'en   craint    l'elïet 
pour   soi-même.   Voilà  la  so.urce  de   tout 
le  mal  :  oui,  la    première  cause  des   plus 
grands  désordres    c'est    précisément  celle 
fausse    sécurité  qui   entraîne   peu    à    t'cil 
de   négligence  en    négligence,    de   chute 
en  chute,  jusque  dans  l'abîme  du  péché 
mortel,  et  souvent  sans  qu'on  s'en  aperçoi> 
ve;  car,  je  le  disais  tout  à  l'heure,  on  peut 
devenir  ennemi  de  Dieu  5  son  insu,  et  sans 
le  croire  ;  la  limite  qui  sépare  le  véniel  du 
mortel  n'a  pas  toujours  des  caractères  bien 
marcjués;  on  y  arrive  insensiblement  satis 
s'en  douter.  Il  est  rare  qu'on  perde  tout  h 
coup  la    vie   de   la  grâce  :    Nemo    repente 
fit  scelestus;  il  en  est  de  la  mort  de  l'âme 
comme  de  celle  du  corps,  l'une  et  l'autre 
s'opèrent  par  degrés:  un  malade  s'alTaibli', 
agonise,  s'éleinl  peu  à  peu  ;  on  le  croit  en- 
core en  vie,  et  il  est  mortl...  0   mes  chers 
confrères!  n'en  est-il    pas    peut-être  ainsi 
de  quelqu'un  d'entre  nous  ?  Nomen  habea 
quod  vivas,  et  mortuus  es  !  {  Apoc,  Ul ,  i.) 
Ce  mot  terrible  ,  vous  le  savez  ,  a  été  dit 
d'un    homme  de  Dieu  qui  jouissait   d'une 
grande  réputation  de  vertu  ;  c'est  l'évêque 
de  Sardes  :  les  hommes  admiraient  sa  piété 
son  zèle,  sa  régularité  ;  mais  Dieu,  qui  voit 
le  fond   des   cœurs,  ne  jugeait  pas  comme 
les  luimmes:  Non  invenio  opéra  tua  plena 
{Jbid.,  2):  voilà  la  cause   de   sa  morl.  Ses 
œuvres  étaient  édifiantes,  mais  elles  n'a- 
vaient pas  celle  plénitude,  cette  perfection 
de  sainteté  que  Dieu  exige  de  ses  ministres: 
Non  invenio  opéra  tua  plena.  Vous  deman- 
dez ce  qui  lui  manquait?  l'Espril-Saint  n'a 
pas  jugé  à  propos  de    nous  en   instruire: 
peut-être  élail-ce   un  défaut  de   rectitude 
«lans  l'intention,  quelque  motif  humain  que 
Dieu  réprouvait.  Quoi  qu'il  en  soit,  véné- 
rables confrères,  rentrons  en  nous-»mêmes 
et  faisons-nous  chacun   cetlo  question  :  Y 
a-t-il  dans  mes  œuvres  celle  plénitude  sans 
laquelle  on   se    trouve,  et  souvent  sans  le 
croire,  dans  un  étal  de  morl?  Mon  Dieu! 
que  celte  incertitude  esl  terrible  pour  un 
bon  prêtre  1    Ah  I    dignes   confrères,    elle 
l'est  bien  davantage  pour  un  prêtre  tiède; 
el  malheureusement  il   n'en  est  pas  frappé 
comme  le  bon  prêtre.  N'y  a-l-il   pas   j)eul- 
Ctre  quelque  défectuosité  grave  qui  échap- 
pe h  tout  autre  œil  qu'à  celui  de  Dieu? 

Mais  quand  même  nous  serions  certains 
que  nous  tenons  encore  par  un  faible  lien 
à  la  vie  de  la  grâce,  qui  pourrait  ne  j)a$ 
trembler  on  rappelawi  les  paroles  adressées 


6C3 


ORATEURS  SACRES.  MAl'REL. 


m 


par  l'Espril-Sainl  î»  un  autre  évoque  ,  celui 
•Je  Laodicée  :  Je  connaig  vos  œuvres,  et  je 
sais  que  vous  n'êtes  ni  froid  ni  chaud  :  il 
serait  à  souhaiter  que  vous  fussiez  /'un  ou 
rautre  :  dùns  le  dernier  état,  vous  auriez 
toutes  mes  complaisances;  dans  le  premier 
vous  seriez  effraya  de  vous-même,  et  une 
sainte  confusion  vous  ramèner.iit  h  mes 
pieds  :  Mais  parce  que  vous  êtes  tiède ,  je 
commencerai  à  vous  rejeter  de  ma  bouche, 
comme  on  rejette  une  boisson  d(^goû'.anle  : 
sed  quia  tepidus  es,  incipinm  le  evomere  ex 
ore  meo.  {Apoc,,  III,  16.)  11  fallait  la  plume  de 
l'Esprit-Sainl  pour  peindre  avec  celte  éner- 
gie le  malheur  et  le  danger  do  l'âme  tiède  : 
elle  n'est  pas  encore  rejelée  de  Dieu  ,  mais 
elle  va  commencer  à  l'être,  incipiam  te  evo' 
mère.  Dieu  l'a  gardée  jusqu'ici  par  un  ex- 
cès do  raiséiicorde ;  depuis  longtemps  elle 
pèse  sur  son  coeur,  et  lui  cause,  pour  ainsi 
dire,  des  dégoûts  ;  il  s'est  retenu,  et  a  com- 
primé l'envie  de  s'en  délivrerai  a  supporté 
avec  patience  ses  infidélités,  ses  vanités,  ses 
légèretés,  ses  négligences,  ses  caprices; 
mais  enfin  son  indulgence  divine  est  pous- 
sée à  bout;  il  est  prêt  à  la  rejeter.  Il  altenr 
dait  que  cette  âme  lâche  se  réveillât  de  son 
engourdissement,  et  reprît  sa  ferveur  pri- 
mitive; mais,  hélas  1  elle  s'en  écarte  tous 
les  jours  davantage;  nulle  vigilance,  nul 
retour  sérieux  sur  elle-même,  nul  géaiisse- 
jnent  intérieur  sur  ses  misères  ;  ce  sont 
toujours  les  môm'ss  habitudes  de  la  vie  : 
toujours  des  confessions  sans  repentir,  tou- 
jours des  fautes  sans  désir  de  se  corriger, 
sans  clTorls  pour  se  vaincre  ;  le  Seigneur  est 
las  de  la  supporter;  il  va  la  rejeter  de  sa 
bouche  et  de  son  cœur,  incipiam  te  evomere 
ex  ore  meo;  et  en  la  rejetant,  il  ne  fera 
qu'accomplir  la  malédiction  annoncée  par 
son  prophète  :  Malediçtus  qui  facit  opus  Dei 
rtegligenter!  {Jerem.,  XLVIII,  10.)  Car  celle 
malédiction  n'est  autre  chose,  dit  saint  Au- 
gustin, que  l'abandon  de  Dieu,  Deus  négli- 
gentes deserere  consuevil. 

Mais  quoi,  l'abandon  de  Dieu!  Oui, 
pieu  refuse  au  prêtre  lâche  et  tiède,  non 
pas  toute  espèce  de  secours ,  mais  ces 
secours  privilégiés,  ces  grâces  eïtraurdi- 
naires  qui  soutiennent  le  prêtre  fervent  au 
milieu  des  tentations  et  des  dangers  d'un 
ministère  difficile,  et  le  font  marcher  de 
victoire  en  victoire  ,  de  vertu  en  vertu  ; 
tandis  que  réduit  aux  secoursordinairos,  le 
prêtre  indolent  se  traîne,  i)lulôt  qu'il  ne 
marche  dans  la  carrière  de  ses  devoirs. 
Comme  il  n'apporte  aucun  remède  à  sa  lâ- 
cheté, sans  cesse  elle  augmente  :  à  force  do 
s'oublier  et  de  perdre  de  vue  les  vérités  de 
la  foi,  les  lénébrss  de  son  aveuglement  s'é- 
paississent tous  les  jours:  tous  les  jours  ses 
fautes  se  multiplient,  ses  négligences  s'ag- 
gravent, et  par  suite  son  âu)e  s'atl'aiblil, 
t'aU'aisse,  se  soutient  à  peine;  une  forte 
Icnialiun  survient  tout  h  coup,  il  chancelle 
et  il  succombe  1  Du  fond  de  l'abîrue  oiî  il 
est  tombé,  il  aperçoit  en  haut  le  prêtre  fer- 
vent, victorieux  par  une  grâce  parti^cu- 
lière  d'une  tentation  semblable,  marchera 


grands  pas  dans  les  voies  de  la  perfection. 

Hé  quoi  !  Messieurs,  Dieu  serait-il  tenu 
d'être  généreux  et  prodigue  envers  celui 
qui  est  avare  à  son  égard  ?  n'a-t-il  pas  dit 
dans  les  Livres  saints:  Qui  parce  seminat  ^ 
parce  et  metet  (II  Cor.,  IX,  6);  Omni  ha-, 
benti  dnbitur,  et  abundahit;  ei  aulem  qui  non 
habet ,  et  quod  videtur  habere ,  auferetur  ab 
eo.  (Matih.,  XXV,  29.)  Qu'y  a-t-il  du  reste, 
dans  cette  marche  de  la  Providence  qui 
doive  nous  étonner?  n'esi-ce  pas  ainsi  que 
nous  en  agissons  nous-mêmes  envers  nos 
amis?  si  un  serviteur  nous  sert  avec  em- 
pressement, si  chaque  jour  et  à  chaque  ins- 
tant nous  le  trouvons  prêt  à  exécuter,  h 
prévenir  môme  notre  volonté,  n'ajoulons- 
nous  pas  au  prix  de  son  travail  des  dons 
gratuits,  des  soifis,  une  attention  particu- 
lière h  adoucir  son  existence?  et  nos  amis 
ne  reçoivent-ils  pas  de  nous  des  marques 
d'nmitié  toujours  proportionnées  à  l'ardeur 
de  celle  qu'ils  nous  témoignent? 

Or,  Messieurs,  si  la  tiédeur,  c'esl-àrdire 
cette  hahiluile  des  fautes  légères  sans  cesse 
renouvelées  et  jamais  expiées,  d'un  côté 
augmente  notre  faiblesse,  naturellement  si 
grande,  et  de  l'autre  diminue  les  secours 
de  la  grâce,  seuls  capables  de  nous  soute- 
nir, faul-il  s'étonner  qu'il  se  vérifie  tous 
les  jours,  cet  oracle  terrible  que  je  ne  ces- 
serai de  répéter  :  Qui  spernit  modica,  pau- 
lalim  decidet  !  le  mépris  des  fautes  légè- 
res conduit  pou  à  peu  h  de  véritables 
crimes.  Ne  vo.yons-nous  pas  de  nos  pro- 
pres yeux  celte  prophétie  de  l'Esprit-Saint 
sans  cesse  confirmée  par  l'expérience? 
Nul  de  nous  vraisemblablement  qui  n'ait 
été  témoin  de  quelque  grande  chute  dans 
quelqu'un  de  nos  confrères;  qu'avons- 
nous  dit  aussitôt  ?  Je  n'en  suis  pas  étonné  ; 
il  y  avait  bien  longtemps  que  je  le  vo)[ais 
léger,  vain,  dissipé,  inexact  à  ses  devoirs, 
imprudent  dans  ses  liaisons,  avide  des  jeux 
et  des  plaisirs  du  monde  ;  s'absentant  sou* 
vent  de  son  poste,  marchant  à  grands  pas 
dans  les  sentiers  d'une  coupable  négli- 
gence. 

Mais  que  dis-je?  nous-mêmes,  n'avons- 
nous  jamais  fait  (Quelque  grande  chute  ,  du 
moins  secrète?  ne  son>mes-nous  pas  forcés 
de  convenir  quelle  fut  précédée  tl'une  mul- 
titude de  fautes  légères  que  nous  négligions? 
Ah  1  c'est  donc  à  nous  aussi  que  s'aiires- 
sent  les  paroles  de  l'Esprit-Saint  h  l'ange 
(i'E[)hèse  :  Je  connais  vos  anciennes  bonnes 
œuvres,  vos  travaux,  votre  zèle,  voire  pa- 
tience; mais  j'ai  un  reproche  à  vous  faire, 
c'est  que  vous  avez  abandonné  votre  pre- 
mière ferveur  :  Ki  Sed  habeo  adversum  te,  quod 
charilalcm  tuamprimam  reliquisli.  »  [Apoc, 
II,  4.)  Rappelez  ce  que  vous  étiez  dans  les 
commencements  do  volro  sacerdoce  ,  et 
voyez  ce  que  vous  êtes  aujourd'hui  :  vous 
n'êtes  plus  exact  à  l'oraison ,  vous  vous 
confessez  trop  raremeut,  vous  avez  quitté 
certaines  pratiques  qui  soutenaient  voire 
piété;  on  vous  voit  trop  répandu  dans  le 
monde,  et  ce  n'est  pas  toujours  le  zèle  qui 
vous  y  conduit;  vous  négligez  le  caléchis- 


665 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  Y,  SUR  L'ENFER. 


66(5 


pour 
et  je 


n>e,  le  son  des  malades,  rinstriicUon  do 
voire  p(Mi[ile,  le  SMiiit  Iribiinal  do  la  péni- 
tence, l'élude  1  Vous  étiez  jadis  si  exact  à 
tous  ces  devoirs  I  Conlomplez  l'élévation 
d'où  vous  êtes  tombS  et  hûlez-vous  de  faire 
pénitence  et  de  retourner  aux  premières 
œuvres  de  voire  piélé  :  Memor  esto  unde 
excideris ,  et  âge  pœnilentiam  ,  et  prima  opé- 
ra fac  (Ibid.,  5.) 

Voil.'i  les  deux  grands  remèdes  de  in  tié- 
deur. Je  n'en  dirai  qu'un  mol:  le  pretnier 
consiste  dans  la  pénitence,  âge  pœnilenliam  ; 
mais  une  pénitence  sincère,  courageuse, 
elTicace,  qui  aille  jusqu'à  déraciner  du  cœur 
ces  petites  passions ,  qui  mènent  peu  à  peu 
Bux  grands  excès  :  la  vanité,  la  légèreté  ,  la 
dissipation,  le  penchant  à  la  raillerie,  la 
paresse,  la  jalousie,  l'impatience,  la  sus- 
ceptibilité ,  l'esprit  d'intérêt  ,  l'amour  du 
jeu  et  de  la  bonne  chère.  Ces  fautes  légères 
font  en  nnsens  plus  de  ra;il(|ue  lesgratidcs, 
parce  qu'on  redoute  celles-ci ,  au  lieu  qu'on 
pe  se  méfie  [)ns  de  celles-là  :  aussi  saint 
Cbrysoslome  s'appliquail-il  à  inspirer 
le  péché  véniel  une  horreur  encore 
vive  que  pour  le  mortel. 

Hélas!  Messieurs,  je  l'ai  déjà  dit, 
le  répèle,  il  est  rare  qu'on  déteste  sincèrê- 
luenl  le  péché  véniel:  on  le  commet  sans 
remords,  et  on  l'accuse  sans  douleur.  Et 
que  faut-il  penser  de  ces  sortes  de  confes- 
sions? sont-elles  simplement  nulles?  sont- 
elles  sacrilèges  ?  C'est  un  point  qui  sera  dé- 
cidé au  tribunal  de  Dieu  ;  il  l'est  déjà  dans 
le  cœur  d'un  prêtre  timoré  qui  ne  veut  pas 
compromeltre  son  salut.  Nous  enseignons 
que  la  partie  la  plus  essenlielle  de  la  péni- 
tence,  c'est  la  contrition;  ô  mon  Dieu  l  et 
après  avoir  iTèché  colle  doctri'ie,  nous  nous 
présenterions  nous-inêmes  au  tribunal  re- 
doutable par  routin;!  cl  par  manière  d'ac- 
quit, sans  un  véritable  rOj'ret  ,  sans  un 
désir  sincère  de  changerde  vie!  Sans  doute, 
mes  chers  confières,  nous  sommes  loin  de 
penser  que  ce  malheur  nous  soit  jamais  ar- 
rivé; mais  cependant ,  les  seules  manques 
satisfaisantes  du  vrai  repentir  sont  les  ef- 
forts qu'on  fait  ensuite  pour  tenir  ses  réso- 
lutions. N'aurions-rnous  rien  à  nous  repro- 
cher sur  un  objet  aussi  grave? 

Le  second  remède  de  la  tiédeur,  c'est  de 
reprendre  les  saintes  pratiques  qui  soiile- 
naienl  jadis  notre  piété,  prima  opéra  fac: 
l'examen  de  conscience,  l'oraison,  la  lec- 
ture s|):rituelle  ,  la  pensée  habituelle  do 
Dieu,  la  iVéquenle  co'ifession  et  lesaulies 
œuvres  de  (ùélé.  Malheur  à  nous  si  ces  pra- 
tiques nous  paraissent  un  joug  insup|)iir- 
table  1 

Ignorons-nous,  dignes  confrères  ,  celle 
grande  vérité  qui  a  peuplé  les  déserts ,  et  a 
fdit  trembler  les  plus  grands  saints:  Quam 
arda  via  est  quœ  ducil  ad  vilam  ,  et  pauci 
sunl  qui  inveniunt  eam  1  {Malth.,  Vil,  14..) 
Serail-re  parce  que  la  route  du  ciel  est 
étroite,  que  nous  voudrions  élargir  notre 
conscience,  et  nous  faire  de  notre  propre 
autorité  des  principes  commodes ,  contredits 
pir  l'Évangile?  heynum  cc^lurum  vim  pali- 


tnr,  etviolentirapittnt  illud  (Malth.,  XI,  12)  ; 
Contendite  iutrare  per  angustam  portam. 
{Luc.,  X1!I,  2ï.)  Ah!  le  souvet)ir  de  ces 
maximes  peut-il  laisser  le  moindre  doute 
sur  les  deux  grands  remèdes  que  je  viens 
d'exposer! 

O  mon  Dieu!  quand  ferez-vous  roflounr 
dans  votre  clergé  cette  ferveur  apostoliijue 
qui  étonna  l'univers  et  le  convertit!  (|uaiid 
verrons-nous  d'autres  Paul  se  féliciter  d'ar 
voir  renoncé  à  tout  pour  l'amour  de  Jésus- 
Christ;  regarder  toutes  les  choses  d'ici-bas 
comme  un  néant,  dans  l'espérance  de  ga- 
gner Jésus-Christ,  et  malgré  ces  sentimens 
sublimes  ne  pas  croire  cependant  avoir  at- 
teint le  degré  de  perfection  auquel  il  est 
appelé;  mais  oubliant  ce  qu'il  a  déjà  fait  et 
soulferl  pour  son  Maître,  tant  de  travaux  , 
tant  de  courses,  tant  de  persécutions,  tant 
de  peuples  convertis  à  la  foi,  poursuivre 
avec  courage,  sans  regarder  en  arrière,  la 
route  qui  lui  reste  à  parcourir,  et  s'élancer 
sans  cesse,  par  des  elforls  tous  les  jours 
renouvelés,  vers  le  prix  immortel  que  lui 
destine  Jésus  Christ?  Quœ  relro  sunt  otli- 
Viscens  ad  ea  vero  quœ  sunt  priora .  extendeus 
meipsum  ,  ad  destinaluin  persequor,  ad  bra- 
vium  supernœ  vocalionis  Ôei  in  CItrislo  Jcsu, 
[Philip  ,  111,  13,  U.) 

INSrRUCïlON   V. 
i/enfeu. 
Quis  non  timebit  le,  o  Rex  genlium  !  (Jerem.,  X,  7.) 
Messieurs  , 

Qu'il  serait  insensé,  celui  qui  ne  crain- 
drait pas  le  dominateur  des  rois  el  des  peu- 
ples, le  juge  suprême  de  tous  les  hommes, 
le  maître  absolu  du  temf)s  et  de  l'éternité  î 
Mais,  au  contraire,  qu'il  est  raisonnable, 
qu'il  est  même  heureux  ce'ui  qui  ne  craint 
autre  chose  que  la  puissance  et  la  justice  de 
ce  Dieu  immortel!  Hé,  Messieurs ,  |iour- 
quoi  craindre  autant  les  hommes,  qui  ne 
sont  fiar  eux-mêmes  que  faiblesse,  et  qui 
vont  sitôt  disparaître?  (piel  mal,  a[>rès  tout, 
peuvenirils  nous  faire?  nous  censurer,  nous 
contredire  ,  nous  mépriser,  nous  calomnier» 
nous  enlever  notre  réputation  ,  nous  dé- 
pouiller de  nos  biens  ,  nous  priver  de  nos 
emplois;  allons  plus  loin,  nous  arracher  la 
vie?  certes  leur  puissance  et  leur  malice  ne 
peuvent  aller  au  delà. 

Mais  que  sont  tous  ces  maux  temporels 
auprès  des  vengeances  éternelles  ?  Le  seul 
malheur  vérll.ible  ,  c'est  le  malheur  éternel . 
parce  que  c'est  le  seul  qui  ôte  toute  res- 
source: hélas!  il  ravit  jusqu'à  l'espérance, 
premier  fondeiHent  d:u  bonheur.  Les  mar- 
tyrs ne  se  tiouvaient  pas  malheureux  au 
lond  des  cachots  ,  au  milieu  des  glaives  el 
des  bûchers  ,  parce  qu'en  perdant  la  liberté 
et  la  vie,  ils  avaient  l'espérance  de  l'im- 
mortalité, et  d'une  immortalité  souverai- 
neiuenl  heureuse.  Mais  la  mort  dans  le  pé- 
ché ,  et  ce  jugement  alfreux  et  irrévocable 
(jui  en  est  la  suite  ;  mais  cette  éternité  de 
feux  et  de  sup[)lices  qui  doit  être  le  partage 
du  réprouvé;  mais  ce  déses|toir,  celle  rage, 
ces  remords,  cel  enchainemeul  de  tourments 


667 

qui  ne  doivent  jamais  finir,  c'est  IJi  le  seul 
malheur  véritable.  Ahl  dit  Jésus-Clirisl  , 
ne  craignez  donc  pas  ceux  qui  peuvent  loiit 
an  plus  tuer  votre  corps,  et  ne  peuvent  tuer 
votre  âme;  mais  craignez  celui  qui  peut 
pr.rdre  votre  âme  et  votre  corps,  et  les  pré- 
cipiter pour  toujours  dans  l'aOîme  de  l'en- 
fer :  c'est  citluilà  que  vous  devez  craindre  : 
«  Hune  timete!  »  {Malth.,  X,  28.) 

C'est  celle  crainte,  don  précieux  de  l'Ks- 
pril-Sainl,  commencement  de  la  sagesse  et 
de  la  juslificatiun  ,  que  nous  allons  lâcher 
d'exciter  dans  nos  cœurs,  en  ra|i|)elaiit  les 
jirincipes  de  notre  foi  sur  les  lotiruiens  et 
la  durée  de  l'enfer.  Qui  a  plus  besoin  que 
les  prôlrcs  de  médit  r  et  de  s'appliquer  à 
eux-mêmes  ces  vérités  redoutables  I  Hélas, 
Messieurs  ,  pour  ramener  les  pécheurs  à 
Dieu,  et  maititenif  les  justes  dans  l'obser- 
vance de  la  loi,  nous  nous  attachons  à  les 
ftlfrajer  par  la  f.einture  de  ses  jugemens  el 
de  ses  vengeances;  et  souvent  nous-mêmes 
nous  y  sommes  insensibles;  les  âmes  les 
plus  ferventes  Iremblenl ,  répandent  à  nos 
pieds  des  lai  mes  ,  et  nous,  plus  coupables 
qu'elles ,  nous  conservons  une  épouvanlablo 
sécurité;  il  semble  que  la  justice  divine  ne 
pui.ose  nous  atteindre. 

Cependant,  Messieurs,  puisque  les  pé- 
ciiés  des  prêtres  ,  nous  l'avons  déjà  dit , 
sont  plus  énormes  que  ceux  des  laïques  ; 
puisque  d'ailleurs  nos  fonctions  les  plus 
saintes  sont  environnées  de  mille  écueils  et 
de  mille  dangers ,  qui  fdus  que  nous  doit 
trembler  de  tomber  dans  l'enfer?  Laissons 
lin  monde  aveuglé  repousser  avec  une  sorte 
de  fureur  nos  instructions  sur  cette  matière. 
Tour  nous  ,  sur  les  traces  des  Ei>hrem  ,  des 
Jérôme,  des  Bernard,  de  tous  les  saints, 
descendons  reiaintenant  en  esprit  jusqu'au 
fond  des  enfers,  afin  de  ne  pas  y  descendre 
réellement  après  la  mort.  Aussi ,  pour  éviter 
ce  malheur,  nous  examinerons  dans  cette 
méditation  ce  que  c'est  que  l'enfer  des  urè- 
tres, et  à  quels  prêtres  il  est  destiné. 

PREMIÈRE   PÂRTIK. 


Heureux  t  Messieurs ,  de  n'avoir  pas  be- 
soin, comme  les  simples  lidèles,  d'affermir 
notre  foi  sur  la  vérité  et  l'éternité  de 
l'enfer  1  C'est  une  grâce  privilégiée  dont 
pous  devons  remercier  tous  les  jours  la 
divine  miséricorde  :  car,  hélas  1  qu'est-ce 
qu'un  homme  qui  ne  croit  pas  à  l'enfer?  et 
que  serait  un  prêtre  dont  la  foi  chancelle- 
rait sur  cet  article  fondamental?  La  raison 
elle-même  nous  apprend  que  le  crime  res- 
tant si  souvent- impuni  sur  la  terre,  il  est 
indubitable  qu'il  sera  puni  après  la  mort  ; 
sans  quoi  Dieu  ne  serait  pas  juste  ,  Dieu  no 
ferait  pas  Dieu  ;  et  la  foi  nous  enseigne  que 
le  sup[)lice  des  méchans  qui  meurent  dans 
l'inipénitence  sera  éternel  :  Ibunt  ht  in  sup- 
vlicium  œternum  {Matth.,  XXV,  46];  que  le 
ver  qui  les  rongera  ne  mourra  jamais  ,  ver- 
mis  eoruin  non  moritur.  [Isa  ,  LXVI ,  2V.) 

Mais  quel  est  ce  suj)li(:e,  quel  est  ce  ver 
rong^'ur  ?  J'ouvre  rÉv-ingtlo,   et  je  lis   la 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL.  668 

sentence  formidable  que  les  méchans  enten- 
dront un  jour  de  la  bouche  du  souverain 
Juge  :  Discedite  a  me,  matedicli,  in  ignem 
œternum.  {Ibid.,  kl.)  Voilà  en  peu  de 
mots  ce  que  c'est  que  l'enfer  :  la  séparation 
élernelle  de  Dieu  et  le  supplice  d  un  feu 
qui  ne  s'éteindra  jamais  ;  c'est  Dieu  lui- 
même  qui  nous  enseigne  cette  grande  véri- 
té; el  c'est  son  propre  Fils  qui  l'a  annoncée 
à  la  terre,  au  milieu  des  mir.icles  les  plus 
éclatants  :  0  roi  des  nations!  qui  ne  craindra 
pas  votre  justice?  «  Quis  non  timcbit  te,  o 
llex  gentium  ?  » 

Quel  moment,  Messieurs,  que  celui  qui 
leruiine  la  vie  d'un  mauvais  prêtre  que  ni 
les  remords  de  sa  conscience,  ni  les  con- 
seils de  ses  confrères,  ni  les  avis  de  ses 
supérieurs,  ni  les  vérités  saintes  qu'il  a 
mille  fois  lues  et  prêchées,  ni  les  exemples 
terribles  dont  il  a  été  témoin,  n'ont  pu  re- 
tirer du  désordre,  et  qui  meurt  comme  il  a 
vécu  !  Je  me  le  figure  ce  prêtre  avare,  ce 
prêtre  voluptueux,  ce  prêtre  sacrilège  ,  qui 
se[)romellail,  il  y  a  peu  de  jours,  une  longue 
CJirrière,  arrêté  par  le  Tout-Puissant  au  rai- 
lieu  de  ses  crimes,  et...  je  ne  dirai  pas  frap- 
pé de  mort  à  l'instant  même,  ce  qui  cepen- 
dant arrive  tous  les  jours,  mais  enchaîné 
sur  un  lit  do  douleur.  Ah  1  s'il  voulait  s'hu- 
nnlier  sous  la  main  puissante  de  ce  Dieu 
qu'il  a  jusqu^ici  méconnu,  s'il  invoquait 
avec  confiance  coDieu  de  miséricord»,  tou- 
jours prêt  à  écouter  la  voix  du  repentir, 
même  dans  un  prêtre  prévaricateur,  il  [)0urr 
rail  encore  désarmer  le  bras  de  sa  justice. 
Mais  que  vois-je  ?  Trompé  et  maîtrisé  par 
ces  esprits  de  mensonge  dont  il  a  été  jus- 
qu'ici l'esclave;  qui,  sortis  du  fond  des  abî- 
mes, entourent  son  lit  funèbre,  et  s'eflor- 
cenl  d'éteindre  dans  son  cœur  toutes  les  lu- 
mières de  la  foi,  et  surtout  tous  les  senti- 
ments de  l'espérance,  je  le  vois,,  ce  mal- 
heureux prêtre,  insensible  i  la  voix  d'un 
confrère  qui  cherche  à  le  toucner,  bien  plus 
af^igé  des  douleurs  de  son  corps  que  des 
plaies  de  son  âme,  bien  plus  occupé  de  ses 
allWires  temporelles  que  de  l'éternité  qui 
va  souvrir  devant  lui,,  je  le  vois  lutter  a;vec 
des  efTorls  insensés  contre  le  glaive  de  la 
mort,  qu'il  apperçoit  prêt  à  tomber  sur  sn 
tête.  Cependant,  on  essaie  de  tous  les 
moyens  de  guérison;  on  s'empresse,  on  s'a- 


gite autour  de  lui;  mais  soins  inutiles;,  il  n'y 
a  plus  d'espoir  :  peu  à  [)eu  ses  forces  s'é- 
puisent, mais,  hélas  !  sa  foi  ne  se  ranime 
pas  ;  son  agonie  s'avance,  mais  son  âme  ne 
se  détache  pas  de  la  terre  ;  sa  langue  s'em- 
barrasse,  ses  yeux    s'éteignent ;   tout  à 

coup  j'entends  crier  :  il  expire  I  il  est 
mort  !....  Le  voila  tout  tremblant  aux  pieds 
de  Jésus-Christ  !.... 

Malheureux  !  lui  dit  le  souverain  Juge, 
dans  quel  état  |)arais-tu  devant  moi,  et  que 
peux-tu  attendre  de  mon  inllexible  équité  ? 
Je  l'avais  fait  pour  être  heureux,  et  heureux 
de  mon  propre  bonheur  ;  si  ma  loi  eûl  été 
la  règle  constante  de  ta  vie,  j'eusse  été  moi- 
môme  la  récompense  élernelle.  J'étais  mort 
pour  te  sauver,  tout  mon  sang  avait  coulé 


669 


RETRAITE.  —  INSTRLCT 


sur  la  croix  pour  l'ex|>ialion  dP  tes  crimes  ; 
et  >i  lu  eusses  voulu  les  expier  loi  inônie, 
en  partageant  ma  [)énileure  et  imiiaril  mes 
vertus ,  tu  parl.jgerais  élernellemenl  ma 
gloire  et  ma  héaiilude  ;  m;iis  puisque  lu 
as  vnuhi  vivre  séparé  de  moi  par  le  péché, 
tu  en  seras  malgré  loi  séparé  pour  toujours. 
Ame  criminelle  I  lève  les  yeux  et  considère 
ce  que  (u  as  perdu  I  vois  cette  félicité  que 
je  t'avais  destinée  ;  contemple  ces  trônes 
de  lumière,  où  sont  assis  tant  de  bons  ()ré- 
Ires  dont  le  zèle  avait  souvent  ravi  ton  ad- 
niiraiion  ;  eniends  les  cris  d'all(''gresse.  les 
chants  de  triomphe  qui  ont  succédé  à  leurs 
Kémissemenls  ;  tu  serais  le  compagnon  de 
leur  gloire,  si  tu  l'avais  été  de  leurs  travaux 
et  de  leurs  vertus.  Prêtre  infidèle  1  emporte 
avec  toi  ces  images  déchiranle*,  et  va  loin 
de  moi  pleurer  à  jamais  ton  ingratitude  :  Dis- 
cedile  a  f/ie,  maledicti  ! 

Quel  coup  de  foudre  1  être  à  jamais  sépa 
ré  de  Dieu,  de  ce  Dieu  qui  est  le  centre  de 
tout  bonheur,  hors  duquel  on  ne  trouve 
qu'amertume  et  que  désespoir  1  de  ce  Dieu 
qui  avait  oifert  à  ce  malheureux  toutes  les 
richesses  de  son  royaume,  et  dont  il  a  dé- 
daigné les  promesses  et  rejeté  les  secours! 
de  le  Dieu  que  ce  prêtre  ingrat  approchait 
de  si  près  sur  la  terre,  qu'il  a  tenu  si  sou- 
vent dans  ses  mains,  qu'il  a  otferl,  reçu, 
distribué  mille  et  mille  fois  1  de  ce  Dieu 
dont  il  était  le  ministre»  l'ami,  le  confident  1 
de  ce  Dieu  dont  il  dispensait  les  trésors,  les 
grâces,  les  sacrements,  les  miséricordes  I 
Quoi  1  Messieurs,  être  exclu  à  jamais  de  la 
présence  et  de  l'amitié  de  ce  Dieu  qui  iui 
»vail  permis  d'agir  aveclui  si  familièrement, 
et  qui  ne  sera  plus  son  Dieu,  qu'il  ne  pour- 
ra plus  appeler  des  notas  si  aimables  de  Pè- 
re et  de  Sauveur  1  Ah  I  je  le  sens,  il  faudrait 
ici  des  larmes,  plutôt  que  des  paroles. 

Toute  la  gloire,  toute  la  magnificence  de 
ce  Dieu  immortel  étaient  promises  à  cet  in- 
fortuné, et  il  les  a  perdues  ;  perdues  par 
sa  faute,  perdues  pour  toujours  !  pensées 
désespérantes  qui  le  tourmenteront  pen- 
dant l'éternité  entière.  C'est  là,  Messieurs, 
ce  ver  rongeur  et  immortel  dont  nous  par- 
lions tout  à  l'heure,  et  qui  n'est  autre  cho- 
se que  le  souvenir  des  moyens  qu'on  a  eus 
de  se  sauver,  le  reraods  d'avoir  abusé  de 
ces  moyens,  et  la  certitude  qu'on  ne  pour- 
ra plus  les  obtenir.  Je  pouvais  être  heu- 
reux, et,  par  ma  faute,  je  ne  le  serai  jamais  1 
A  chaque  instant  de  ma  vie,  j'aurais  pu  mé- 
riter une  éternité  de  bonheur  ;  hélas  l  J'a- 
vais en  main  les  grâces  sans  nombre  de 
l'auteur  de  tout  mérite,  et  par  ma  finie,  jo 
ne  le  puis  plus,  ni  ne  le  pourrai  jamais.  Au 
sein  de  mes  désordres,  je  conservais  cepen- 
dant l'espérance  d'obtenir  ce  bonheur,  par- 
ce que  j'espérais  meconvertir,  et  jiour  avoir 
dilléré  ma  conversion,  celte  double  espé- 
rance m'est  ôlée  [lour  toujours  :  non,  plus 
de  ressources,  plus  de  moyen  de  salut  ;  il 
se  trouve  maintenant  sur  la  terre  des  pé- 
clieurp  plus  coupables  que  moi  qui  y  par- 
viendront, à  ce  salut  éternel,  |>urce  qu'ils 
feroul  péuiteuce  ;  el  uioi,  mibéiuble  I  lu  pé- 


Y,  SUR  L'ENFER.  670 

nitence  m'est  désormais  iD:ipossible,  le  ciel 
à  jamsis  fermé  ! 

A  chaque  instant  ces  affreuses  pensées  se 
présenleiil  ii  son  esprit,  et  viennent  déchi- 
rer son  cœur;  sans  cesse  il  entend  une  voix 
qui  crie  dans  les  cieux  ;  Prôlrf-s  fidèles  l 
goûtez  el  voyez  combien  le  Seigneur  est 
doux  à  ceux  qui  l'ont  aimé  et  fait  aimer  : 
Gustate  et  vidcle  quoniam  suavis  est  Domi- 
nus  !  {Psal.  XXXlll,  9.)  En  même  temps  les 
voûtes  de  l'enfer  retentissent  de  ces  paroles 
lugubres  :  El  toi,  malheureux  !  sens  et  vois 
combien  il  est  dur  et  amer  d'avoir  aban- 
donné le  Seigneur  Ion  Dieu,  el  d'avuir  élé 
un  scandale  jiour  tes  frères  :  Scilo  cl  vide 
quia  malum  et  amarum  est  dereliquisse  le  Do- 
minum  Deuin  tuum  !  {Jerem.,  U,  19.  ) 

Le  mauvais  prêtre  trouve  sur  la  terre 
qu'il  est  doux  el  facile  de  vivre  éloigné  de 
ce  Dieu  dont  le  nom  cependant  est  sans 
cesse  sur  ses  lèvres  ;  il  redoute  couirae  un 
tourment  le  souvenir  de  sa  présence  ;  tout 
ce  qui  pourrait  lui  en  rappeler  la  pensée, 
médilalions, saintes  lectures,  réfleiians pieu- 
ses, il  l'nbîiorre;  il  se  fait  dans  le  délire 
de  ses  passions  un  affreux  système  de  l'ou- 
blier, comme  si  cet  oubli  le  dérobait  à  ses 
regards.  Oh  l  s'il  pouvait  comprendre  com- 
bien il  est  terrible  d'en  être  séparé  après  la 
mort  l  Séduit  mainleiianl  par  l'éclat  trom- 
peur des  créatures,  il  y  trouve  une  esfièco 
de  consolation,  inca|)able  sans  doute  de  le 
satisfaire,  mais  qui  sudlt  pour  lui  cacher 
jusqu'à  quel  point  Dieu  est  nécessaire  à 
son  bonheur.  Les  choses  visibles  sont  les 
seules  qui  le  frappent  ;  les  objets  de  ses 
passions,  les  seuls  qui  l'intéressent  ;  les  ri- 
chesses, la  gloire,  les  plaisirs,  les  seuls 
biens  qu'il  ambitionne.  Dieu  n'entre  pour 
rien  dans  le  plan  de  son  bonheur,  parce  au'il 
ne  voit  pas  que  Dieu  seul  peut  remplir  1  im- 
mensité de  ses  désirs. 

Mais  lorsque,  arraché  par  la  mort  à  tous 
les  vains  objets  qui  le  séduisent,  il  com- 
mence enfin  à  sentir  que  l'homme  ne  peut 
être  heureux  sans  Dieu  ,  il  le  cherche, 
il  l'appelle  ,  il  l'invoque  ,  ce  Dieu  im- 
mortel dont  il  sent  un  besoin  si  pressant; 
mais,  hélas  I  c'est  trop  lard  1  Prêtre  infidèle  1 
il  fallait  le  chercher  pendant  la  vie  :  alors 
tu  l'aurais  trouvé!  Mais  que  dis-je?  il  le 
trouve  sans  douter  est-il  de  lieu  oïl  il  ne 
soit  pas?  mais  que  Irouve-t-il  en  lui?  un 
Dieu  irrité,  un  juge  inflexible,  uu  vengeur 
implacable. 

11  était  si  facile  à  apaiser  pendant  la  vie! 
il  désirait  alors  d'être  désarmé  ;  il  en  indi- 
quait, il  en  offrait  les  moyens.  Avec  quelle 
ardeur  ce  père  tendre  ne  soupira-t-il  pas 
après  le  retour  de  ce  (ils  dissi|v3leur!  avec 
quel  empressement  ce  bon  pasleur  no  cou- 
rail-il  pas  après  cette  brebis  égarée,  ne 
cessant  de  l'appeler  par  les  cris  touclianls 
de  sa  grâce  1  Combien  de  fois  Jésus-Chrjst 
n'avait-il  pas  jeié  sur  ce  prêlre  coupable, 
comme  autrefois  sur  le  premier  de  ses 
apôlres,  un  regard  de  bonté  et  de  tendresse, 
pour  l'exciter  à  la  p  iiiitence  î  combien  de 
fois  U'j  lui  avail-il  pas  dit  iulOrieurem.en:l» 


671 

comme  nu  discii)Ic'  perfide  :  Mon  ami  1  que 
Initcs-vous?  tous  k-s  jours  à  l'autel  vous 
trahissez  le  Fils  de  l'homme  par  un  baiser  1 
Osculfl  Filium  hominis  tradis  !{Liic.t  XXII, 
48.)  Combien  d'autres  coupables  se  sont 
rendus  h  la  douceur  de  ses  invitations,  et 
chantent  naainlenant  dans  les  cieux  les 
bienfaits  de  son  Amour!  Ce  malheureux 
était  destiné  au  môme  bonheur;  il  avait, 
pour  l'obtenir,  les  mômes  moyens,  les  mô- 
mes grâces,  les  mômes  lumières,  les  mêmes 
exemples,  les  mômes  avis,  les  mêmes  re- 
mords, la  même  retraite;  pourquoi  donc 
l'a-t-il  perdu,  ce  bonheur  si  facile  à  acqué- 
rir? Hélas!  pour  contenter  une  vaine  am- 
bition, qu'il  n'a  pu  même  satisfaire;  pour 
assouvir  des  désirs  injustes,  des  passions 
criminelles,  dont  le  souvenir  le  perce  de 
remords!  Cruelle  voluplél  c'est  toi  qui 
ni 'as  ravi  la  beauté  immortelle  1  détestable 
avarice»  c'est  toi  qui  m'as  fernié  la  sourc  c 
de  tous  les  biens!  abominable  orgueil, 
c'est  toi  qui  m'as  rendu  le  compagno.n  du 
démon  lui-même!  funeste  indolence,  c'est 
toi  qui  m'as  plongé  dans  cet  abîme  de  dé- 
sespoir! 

Sans  cesse  tourmenté  par  ces  noires  pen- 
sées, ce  malheureux  élève  des  yeux  en- 
flammés vers  lo  bonheur  qu'il  a  perdu;  et 
ce  spectacle,  dit  le  Prophète,  l'abreuve  d'a- 
mertume :  Peccator  videbit,  et  irascetur. 
(Psal.  CXI,  10.)  11  les  voit  dans  le  sein  de 
Dieu,  ce  petit  nombre  de  bons  prêlresqui 
furent  jadis  l'objet  de  ses  railleries,  peut- 
être  de  ses  persécutions  ;  ce  voisin  f.rvent 
dont  il  blâmai!  la  retraite  et  contrariait  lo 
zèle  ;  ce  confesseur  charitable  dont  il  mé- 
prisa les  avis  et  censura  la  fermeté  ;  ce  su- 
périeur prudent  dont  il  condamna  la  vigi- 
lance et  la  trop  nécessaire  sévérité;  il  les 
voit  dans  le  sein  de  Dieu,  et  lui,  en  puni- 
tion de  son  orgueil  el  de  son  aveuglement, 
il  en  est  séparé  pour  toujours.  Mais  que 
dis-je?  il  les  voit  au  milieu  de  celle  multi- 
tude de  fidèles  qui  trouvèrent  leur  salut 
dans  la  docilité  à  ses  propres  instructions, 
tant  de  pécheurs  ignorants  qu'il  éclaira, 
tant  dhorames  injustes  qu'il  convertit,  tant 
de  libertins,  tant  de  femmes  perdues  qu'il 
arracha  à  leurs  passions;  il  les  voit  au  faîte 
de  la  gloire,  inondés  de  joie  et  de  délices  ; 
et  à  cette  vue,  il  grince  des  dents,  el  fréujit 
de  rage  et  de  désespoir  :  Dentxbus  suis  [remet 
et  tabescet.  {Ibid.)  Pressé  par  îa  soif  du 
J)Onheur,  car  celte  soif  est  immortelle,  il 
s'agite,  il  s'élance  à  chaque  instant  vers  ce 
lieu  fortuné  oij  habilenl  ses  frères;  et  re- 
poussé à  chaque  instant  par  une  main  toulc- 
puissanie,  il  retombe  accablé  sous  le  poids 
de  ses  chaînes.  Oh  !  si  je  pouvais,  s'écrie- 
t-il  en  frémissant,  retourner  sur  la  terre 
pour  y  expier  mes  crimes  et  réparer  mes 
scandales!  oh!  s'il  m'était  donné  de  tra- 
vaillera la  conversion  de  tant  d'âmes  que 
j'ai  négligées  et  laissées  dans  le  péché! 
Désirs  stériles,  vœux  impuissants,  qui  ne 
servent  qu'à  le  tourmenter!  Desiderium 
pcccatorum  peribit.  [îbid.).  11  voudrait  l'ai- 
uier,  le  glorilier,  ce  Dieu  qui!  voit  muiale- 


ORATEUUS  SACRES.  MAUREL.  ,  672 

nanl  si  magnifique,  si  aimable,  si  dign«  des 
hommagi^s  de  ses  créatures,  et  il  est  forcé 
de  le  haïr  el  de  le  blasphémer  ;  il  voudrait 
obtenir  de  ce  Dieu  si  bon  au  moins  un  re- 
gard favorable,  et  sans  cesse  il  en  est  mé- 
prisé, rejelé,  abhorré;  et  sans  cesse  il  en- 
tend cet  arrêt  formidable  :  Retire  toi  de 
moi,  ministre  prévaricateur!  Discedite  a 
me,  maledicti. 
'  Le  voilà,  Messieurs,  le  plus  grand  sup- 
plice do  l'enfer  :  l'allreuse  certitude  de  ja- 
mais ne  posséder  un  Dieu  qu'on  désire 
sans  cesse,  et  hors  duquel  on  ne  trouve 
c|u'araertume;  la  certitude  qu'on  sera  tou- 
jours plongé  dans  ce  désespoir,  et  qu'après 
des  millions  de  siècles,  on  sera  forcé  de  sa 
dire  :  J'ai  perdu  mon  Dieu,  je  l'ai  perdu 
par  ma  faute,  je  l'ai  perdu  pour  toujours  ! 

Mes  vénérables  confrères,  nous  ne  som- 
mes pas  surpris  qu'un  peuple  charnel  et 
terrestre  soit  peu  effrayé  de  cet  épouvan- 
table supplice  ,  qui  est  cependanl  aussi 
grand,  dit  saint  Augustin,  que  Dieu  lui- 
môme  est  grand.  Accoutumé  à  ne  juger  des 
choses  que  par  les  sens,  et  ne  pouvant  voir 
des  yeux  du  corps  les  amabilités  infinies 
de  l'auteur  de  tout  bien  et  de  tout  bonheur, 
l'homme  du  monde  ne  peut  avoir  qu'une 
idée  très-laible  de  la  douleur  d'en  être  privé. 
Mais  un  prêtre,  dont  la  foi  est  plus  éclairée 
sur  les  perfections  de  Dieu  el  sur  l'impos- 
sibilité d'être  heureux  sans  lui  :  mais  un 
prêlre,  qui  a  tous  les  jours  tant  de  rapports 
de  confiance  el  de  tendresse  avec  Dieu, 
qu'il  serait  à  plaindre  de  n'être  pas  louché 
de  l'elfroyable  malheur  de  l'avoir  perdu  1 
Mon  Dieu  1  au  milieu  des  secours  humains 
que  je  puis  avoir  ici-bas,  vous  êtes  cepen- 
dant mon  seul  véritable  refuge,  ma  seule 
vraie  consolation;  c'est  dans  voire  sein 
paternel  que  j'aime  à  répandre  mes  peines, 
et  je  sens  que  nul  autre  que  vous  iie  peut 
les  adoucir;  el  lorsque  je  serais  [)rivé  des 
créatures,  vous  aussi  vous  seriez  loin  do 
moi  I  j'aurais  njôme  perdu  toute  espérance 
de  m'approcher  de  vous  !  Quoi,  je  serais 
seul  pendant  l'élernité  entière,  livré  sans 
ressource  au  désespoir  de  vous  avoir  perdu  ! 
Ah!  je  ne  puis  soutenir  celle  épouvanta- 
ble pensée  1  Non,  mon  Dieu,  vous  ne  mo 
manquerez  [las  dans  l'autre  vie,  parce  que 
j'espère  ne  pas  vous  abandonner  dans  celle- 
ci  ;  je  vivrai  de  manière  à  ne  jamais  me 
séparer  de  vous  par  le  péché.  Oui,  mon 
Dieu!  je  vous  aimerai  pendant  ma  vie;  je 
mourrai,  je  lesiière,  en  vous  aimant,  et  je 
vous  aimerai  pendant  l'élernilô  tout  erii 
tière. 

Atin  que  ces  vérités  saintes  produisent 
dans  nos  âmes  une  impression  salutaire, 
considérons  encore.  Messieurs  ,  l'affreuse 
destinée  d'un  ecclésiastique  qui  tombe  dans 
les  mains  du  Dieu  vivant.  Que  deviendra 
ce  malheureux  prêtre,  séparé,  éloigné  de 
son  Créateur,  banni  à  jamais  de  la  présence 
el  du  cœur  de  son  Dieu,  condamné  à  ne 
jamais  le  voir,  cet  être  infini  dans  ses  per- 
fections, dont  la  beauté  fera  é'e-nelleiDetit 
la  joie  des. élus?  que  devicndra-l-il?  où 


675 


RETRAITE.  -    INSTRUCT.  V.  SUR  L'ENFER. 


674 


ira-l-il  ?  Quel  sora  son  partage?  Quel  sera 
son  S(^jour?.  ..   Holas  I  .Messieurs,  nous   le 
savons,   mais   nous  craignons  d'y  penser  : 
on  nous  l'a  appris  dus  noire  enlancc,  mais 
nous  en  écartons  sans  cesse   le   souvenir, 
comme  si    l'oubli   pouvait   en   détruire  la 
réalité.  Quel  sera  le  partage  et  le  séjour  de 
ce  [irôlre  infortuné?  Un  l'eu   dévorant,  ré- 
pond  Dieu    lui-même,  et  un   feu  éternel  : 
In  ignem  œiernum;  un  feu  qui  ne  s'éteindra 
jamais  :  Jgnis  eurum  nonexstinguitur  {Marc, 
JX,  i3),  un  feu  qui  brûlera  toujours  sa  vic- 
time sans  jamais  la  détruire  :  Desiderabunt 
mori,  et  fugiet  mors  ab  eis  [Apoc,  IX,  G)  ; 
un  feu  inconcevable  dans  ses  horreurs,  et 
intiniment  supérieur,  dit  saint   Auj^uslin  , 
<l  toute   l'activité  du  feu    terrestre,  qui  est 
co{)endanl  si  alfrcuse  :  Non  erit  isle  ignis, 
sicul  focus  tuus;  un  feu  qu'on  chercherait 
en  vain  à   exjiiiquer,  parce  que  la  justice 
qui  l'a  allumé  est   inexplicable;  mais  qui 
est  de  nature  à    tonrnienter  sans  cesse  le 
malheureux  qui- s'y  trouve  plongé  :  Crucior 
in  hac  flamma  [Luc,  XVI,   2i)  ;  qui  réunit, 
dit  saint  Jérôme,  dans  son  Implacable  vo- 
racité,   tous    les   tourments   ensemble  :  In 
uno  igné  omnia  tormenta  sunt ;  un  feu  que 
saint Chrysostorae  appelle  en  quel(|ue  ^Olte 
intelligent  ot  judicieux,  jiarce  qu'il  saura 
distinguer  entre   coupable  et  coujiable,  et 
proportionner  la  grandeur  des  tourments 
a  la  multitude  et  à  l'énormité  de  leurs  cri- 
mes ;  Quantum  exegerit  culpa,  tanlwn  sibi 
de  homine   quœdatn  flammœ  ralionis  disci- 
plina vindicabit  :  un  feu  qui  sera  surtout 
très-rigoureux  contre    les   coupables    qui 
auront  été  chargés  de  la  conduite  des  au- 
tres :  Durissimum  judicium  his  qui  prœsunt, 
fiet ,   un   feu   qui    tourmentera   avec  force 
ceux  qui  sur  la  terre  auront  été  au-dessus 
des  autres  :  Patentes  patenter  tormenta  pa- 
tientur.  [Sap.,  VI,  7).  Ah  !  mes  chers   con- 
frères, si!  n'est  rien  ici-bdsde  plus  sublime 
que  la  dignité  d'un  prêtre,  si  les  {)échés,  si 
les  scandales  d'un  piètre  sont   beaucoup 
plus  énormes,  je  ne  ccsseiai  du  le  réi)éler, 
que  ceux  des  tidèles,  qui  pourra  donc  me- 
surer   le    muliieur  de   ce  prêtre  précipité 
dans   la    profondeur  dos  enfers,  sous  tes 
pieds  des  autres  coupables,  ayant  sur  sa 
lête  et  à  ses  côtés  des  montagnes  de  feu? 
Le  saint  bonmie  Job  nous  dit  que  l'enfer 
est    une    légion    de    mort,   de   ténèbres  et 
d'horreurs  :    Lbi  umbra   mortis,   et  nullus 
ordo  ;    sed    sempilernus    horror   inhabital. 
{Job,  X,  '22).  Le  l.vre  de  la  Sagesse  nous  le 
dépeint    comme    une   mer  de  l'eu,  d'uij  il 
.s'élève  des  vap-curs  enflammées  et  des  mon- 
tagnes brûlantes  :  Excundescel  in  iltos  aqua 
maris  (Sap.,  V,  23.)  Dieu    disait  aulreiuis 
par  son   proi»liète,  en  parlant  de  ces  lerri- 
ban  vengeances  :  Complebo  furoremmeum  , 
et  requicscere   fuciuni    itidignaiionem    meam 
in  eis.  {Ezech.,   V,  13. j  Nuire  divin  Maître 
lui-mêmo    nous  avertit  que    l'on  n'entend 
dans  l'enfer   que  des  cris,   des   regrets  et 
•J'elTroynbles  gémissements  :  Ubi  erit  fletus 
!t  strxdor  denlium.  [Mattlt.,  VIII,  12.)  Oui, 
Vénérables   confrères,   l'enlor  est  la   oriva- 


tion  de  tous  les  biens,  Ja  réunion  de  tous 
les  maux;  c'est  une  /)uissance  infinie  qui 
a  à  sa  disposition  un  feu  et  des  tourments 
infinis,  dont  les  malheureuses  victimes  ne 
cesseront  j.imais  de  soiiirrir. 

Ici,   Messieurs,   toutes  les  idées  se  con- 
fondent,   et   la   foi    môme   serait    presque 
ébranlée,  si   nous    n'avions   la  parole    de 
Dieu  pour  garant  des  vérités  que  j'expose. 
Quoi,  être  plongé,  englouti  dans  un  lac  do 
feu,  dans  un  étang  de  soufre  et  de  bitume, 
coinmo  parle  l'Esprit-Sainl!  n'avoir  d'autre 
demeure  qu'une    maison  de    feu,  d'autre 
couche  qu'un  lit  de  feu,  d'autres  vêtements 
que  des  habits  de  feu,  d'autre  nourriture 
que  des  flammes,  d'autre  spectacle  que  des 
flammes,  d'autre  société  que  des  malheu- 
reux enveloppés  de  flammes,  poussant  des 
cris  aflreux,  se  maudissant  les  uns  les  au- 
tres, se  reprochant  les  uns  aux  autres  la 
cause  mutuelle  de  leur  malheur;  et  cela 
toujours,    toujours  1   sans    relâche,   sans 
espoir  de  sortir  jamais  de  ce  lieu  de  tour- 
ments 1  Les  années  s'écouleront,  les  géné- 
rations se  renouvelleront,  les  empires  tom- 
beront, l'univers  entier  s'engloutira,  et  ce 
prêtre  infidèle  sera   toujours  dans  le  feu  ! 
et  lorsque,  après  la  chute  du  monde,  il  t.e 
sera    écoulé  autant   de  millions  de  siècles 
qu'il  y  a  de  gouttes  d'eau  dans  l'immensité 
des  mers,  ou  de  grains  de  sable  sur  le  bord 
de  leurs  rivages,  ce  malheureux  n'aura  pas 
diminué  d'un  seul  instant  cette  éterni  é  de 
feu  1  sans  cesse  il  la  verra  tout  entière  se 
présenter  devant  lui  avec  toutes  ses   hor- 
reurs,  et  venir  le  désesjjérer  au  milieu  do 
ses  tourments  par  la  pensée  uu'elle  ne  doit 
jamais  finir 

Encore  une  lois.  Messieurs,  on  ne  lient 
pas  à  CCS  réflexions  ;  l'imagination  épouvan- 
tée se  jierd  dans  ces  abimes  sans  fond  ;  mais 
du  moins  la  foi  se  soutient;  la  jiarole  de 
Dieu  est  expresse  :  Jn  ignem  œternum. 

Hé  qui  de  vous,  s'écrie  un  prophète, 
pourra  donc  habiter  avec  ce  feu  dévorant? 
«  Quis  poteril  habitare  de  vobis  cuni  igné 
dévorante?  »  [Isa.,  XXX,  Ik.)  Qui  de  nous 
pourra  rester  étendu  et  immobile,  non  pas 
une  heure  ni  une  année,  mais  une  éternité 
de  siècles  dans  ces  ardeurs  inextinguibles, 
cum  ardoribus  sempiternis?  (Ibid.)  Qui  le 
pourra:  Quis?  Sera-ce  ce  prêtre  sensuel,  ce 
|)iêtre  voluptueux,  ce  prêtre  environné  de 
luxe  et  mollesse,  compagnon  assidu  des  plai- 
sirs, des  jeux  et  des  festins  du  monde;  ce  prê- 
tre immortifié  qui  peut-être  n'a  jamais  fait  de 
sa  vie  une  méditation  sérieuse  sur  ce  feu 
éternel?  Vénérables  confrères  1  si  la  seule 
pensée  de  ce  feu  dévorant  est  insupporta- 
ble, comment  donc  en  supporter  la  réalité? 
Ali  ?  je  ne  suis  plus  surpris  de  voir  les  Po- 
lycarpe,  les  Laurent,  celle  multitude  de 
martyrs  qu'on  faisait  mourir  au  milieu  des 
flammes,  qu'on  étendait  sur  des  charbons 
ardents,  qu'on  appliquait  à  des  lils  de  fer 
rougis  au  feu,  qu'on  couvrait  de  bilume, 
et  qu'on  aliumait  ens'iile  comme  des  flam- 
beaux peiidaii'l  li!  nuil  ;  non,  je  ne  suis  pli'S 
supris  ue  voir  ces  héros  de  la  toi  soufliir 


675 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


676 


avec  calme,  o,l  bénir  Dieu  «u  milieu  de  leurs 
tortures;  ils  voulaient  par  ces  feu  1  passa- 
gers échapper  aux  flammes  éleriiolles  de 
l'enfer.  Mais  ce  qui  doit  nous  étonner, 
Messieurs,  et  en  môme  temps  nous  con- 
fondre, c'est  de  nous  trouver  si  faibles,  si 
lâches,  si  impatients,  au  milieu  des  épreuves 
légères  et  momentanées  que  Dieu  nous 
envoie  tout  exprès  pour  nous  épargner  les 
tourments  affreux  de  l'éternité.  Ce  qui  doit 
nous  étonner,  c'est  que  nous  ne  cherchions 
pas  à  éteindre  le  feu  de  nos  passions  dans 
le  «ouvenir  du  l'eu  éternel.  Ici,  mes  chors 
contrères,  permettez-moi  une  supjiosilion 
(|ui  devrait,  ce  me  semble,  nous  être  fami- 
lière : 

Je  suppose  qu'au  moment  oij  nous  serions 
tentés  de  nous  livrer  à  une  action  hon- 
teuse, à  une  familiarité,  à  une  entrevue 
indécente,  Dieu  permît  que  l'abîme  de  l'en- 
fer s'ouvrît  à  nos  pieds,  que  nous  enten- 
dissions les  rugissements,  les  hurlements 
des  victimes  qui  y  soutiront;  que  nous 
aperçussions  les  flammes  qui  les  entourent 
s'élever  dans  les  airs,  et  qu'en  même  temps 
une  voix  partie  des  cieux  vînt  nous  crier  : 
Si  tu  succombes  à  celte  infAme  tontalion, 
à  l'instant  même  tu  seras  précipité  dans  ce 
gouflre  de  feu  ;  je  vous  le  demande,  qui  de 
nous  ne  se  sentirait  aussitôt  une  force 
toute-puissante  pour  triompher  de  resi)rit 
impur?  Hé,  mes  chers  confrères,  n'est-ce 
pas  ainsi  que  les  Joseph,  les  Suzanne,  les 
Jérôme,  tous  les  saints,  ont  remporté  des 
victoires  si  étonnantes?  ils  se  sont  armés 
de  la  pensée  de  l'enfer,  et  les  légions  de 
l'enfer  ont  été  vaincues. 

Est-il  l)esoin  d'exciter  encore  dans  vos 
âmes  de  salutaires  frayeurs,  de  vous  retra- 
cer le  langage  que  Dieu  lui-même  se  plaît 
h  tenir  dans  nos  divines  Ecritures,  quand 
il  em|)runte  les  sentiments  de  l'indignaliori 
et  de  la  haine  pour  raconter  ses  terribles 
vengeances?  Hé  que  ne  peut  pjs  la  tjaine 
d'un  Dieu  tout-puissant,  créateur  de  toutes 
choses  1  Je  pourrais  continuer  à  mettre 
sous  vos  yeux  le  texte  de  nos  divines  Ecri- 
tures; mais  vous  me  devanceriez  encore  dans 
Je  récit  des  fiassages  de  nos  livres  saints 
qui  nous  retracerrt  les  horreurs  de  l'enler. 
J'en  appelle  d  ailleurs  à  votre  foi  à  vos  sou- 
venirs, à  vos  senliiuenls  et  à  vos  jiropres 
réflexions,  pour  suppléer,  dans  un  sujet 
au-»si  grave,  à  la  faiblesse  dis  moyens  de 
celui  qui  vous  parle,  et  qui  cherche  moins 
à  vous  instruire  qu'à  vous  éditier  et  à  s'é- 
diticr  lui-même  avec  vous.  Réveillez  donc 
votre  foi,  vénérables  confrères,  sur  les  chA- 
timenls  inouïs  qui  attendent  les  prêtres 
prévaricateurs  au  fond  (.\es  enfers,  et  ()er- 
ineltez-moi,  après  vous  avoir  exposé,  quoi- 
que bien  faiblement  sans  doute,  ce  que 
c'est  que  l'enfer,  de  vf)us  monlrer  en  se- 
cond lieu  à  quels  prêtres  il  est  destiné. 

SECOiNDE  PARTIE. 

Si  les  simples  lidèles,  si  les  chrétiens 
fervents  auxquels  vous  rompez  vous-mêmes 
ie  pain  de  lu  divine  parole,  et  qui  mettent 


en  pratique  les  sublimes  enseignements  de 
l'Evangile,  étaient  réunis  au  pied  de  cette 
chaire,  ou  se  confondaient  dans  vos  rangs, 
vénérables  confrères,  pour  assister  a  nos 
saints  excercices,  quelle  serait  leur  surprise 
en  m'entendant  parler  de  l'enfer  à  une  as- 
semblée de  iirêtres,  en  m'entendant  suppo- 
ser que  des  prêtres  soient  capables  de 
tomber  dans  les  flammes  éternelles.  Sans 
doute  ils  savent  bien  que  le  sacerdoce  ne 
nous  rend  pas  impeccables,  que  le  lévite 
pèche  et  transgresse  quelquefois  la  loi  de 
Dieu  ;  mais  ils  ne  sauraient  admettre  lidée 
d'un  [)rêlre  coupable  qui  ne  se  convertit 
pas,  et  qui,  mauvais  prêtre  jusqu'à  son 
dernier  soupir,  meurt  dans  l'impénitence 
finale.  Quoi,  un  prêtre  dans  les  enfers  1  s'é- 
crieraienl-ils.  Grand  Dieu  I  quel  est  donc  le 
sort  qui  nous  attend,  nous  misérables  pé- 
cheurs, si  nos  guides,  nos  juges,  nos  direc- 
teurs tombent  eux-mêmes  dans  ce  lieu  de 
tourments,  qu'ils  s'appliquent  à  nous  faire 
éviter?  Quoi,  ce  prédicateur  si  éloquent 
qui  convertit  les  impies  et  arrache  les  lar- 
mes aux  plus  grands  pécheurs  ;  ce  confes- 
seur si  habile  qui  répand  la  lumière  dans 
les  consciences  les  plus  aveuglées,  et  l'a- 
mour divin  dans  les  âmes  les  plus  endur- 
cies; ce  pasteur  si  zélé,  si  chéri,  qui  jouit 
de  la  confiance  et  de  l'estime  générale, 
seraient  condamnés  à  blasjthémer  Dieu  et 
à  brûler  éternellement  avec  les  hypocrites 
et  les  malfaiteurs  1  Quoi,  a{)rès  avoir  con- 
duit tant  de  coupables  au  royaume  de  Dieu, 
ils  en  seraient  eux  mêmes  exclus,  et  ilsdes- 
cendraienl  avec  les  méchanis  dans  ces  ca- 
chots ténébreux  où  la  justice  éternelle 
dé()loie  sans  cesse  la  rigueur  de  son  brast 
On  pourrait  répliquer  à  ce  fidèle  étonné  : 
Il  n'est  malheureusement  que  trop  possible 
que  les  prêtres  eux-mêmes  tombent  en  en- 
fer, il  est  même  certain  qu'il  y  en  a.  Parmi 
les  prêtres  de  la  loi  nouvelle ,  le  premier 
que  la  mort  a  frap()ée  n'est-il  pas  une  viciirae 
de  l'enfer?  Et  qu'est-ue  qui  l'y  a  précipité? 
une  seule  passion  qui  l'entraîna  de  crime  en 
crime;  l'amour  de  l'argenla  conduit  Judas  au 
sacrilège,  à  la  trahison,  au  désespoir,  au  sui- 
cide, à  l'enfer.  Oh  1  Messieurs,  sous  les  yeux 
mômes  de  Jésus-Christ,  dans  la  société 
même  de  Jésus-Christ,  à  l<i  vue  des  miracles 
et  des  venus  de  J'';sub-Christ,  un  homme 
privilégié,  choi-i  de  Dieu  môme  pour  être 
une  des  colonnes  de  son  Eglise,  tombe 
dans  l'enfer  1  Qui  ne  tremblerait  après  une 
chute  si  étonnante,  et  si  quelqu'un  ne  trem- 
blait pas,  ne  p')uirait-on  pas  lui  dire  avec 
vérité  :  C'est  pour  vous  que  l'enfer  a  été 
creusé;  car  il  est  de  foi  que  sans  la  crainte 
on  ne  peut  être  justifié  ;  que  sans  la  crainte 
on  ne  peut  opérer  son  salul;  que  sans  la 
crainte  on  n'a  pas  même  commencé  de  ser- 
vir Dieu.  Malheur  donc  à  ce  prêtre  lâche 
et  négligent  qui  vit  dans  une  présomp- 
tueuse sécurité,  qui  se  re()Ose  sur  certaines 
bonnes  œuvres  extérieures,  sans  puriiier 
l'intérieur  de  son  âme,  et  surtout  le  motif 
de  ses  actions  ;  qui  n'a  aucune  règle  dans  sa 
cooduil^',  ni  aucune  réserve  dans  ses  pr.ro- 


611 


nETRAITfe.  —  l.NSTRU 


les;  qui  moule  j»  rniilel  sans  préparalinn, 
qui  prie  sans  recueillement,  qui  ouvre  tous 
ses  sens  aux  créatures,  et  oublie  la  pré- 
sence du  Créateur;  qui  néglige  ce  qu'il  ap- 
pelle petites  choses,  lesquelles  sont  souvent 
si  imfiorlonles,  que  de  là  dépend  son  salut; 
je  veux  dire  l'oraison  journalière,  la  fré- 
quente confossiot^  la  modestie,  l'éloigno- 
inent  du  monde,  la  fidélité  à  certaines  pra- 
tiques 1  Malheur  h  ce  prêtre  négligent  s  il  ne 
se  réveille  F'romplenient  de  son  sommeil; 
peu  à  peu  il  tombera,  comme  Judas,  dans 
les  plus  grands  crimes,  et  il  se  perdra  :  Pau- 
lalim  decidet.  (Eccli.,  XIX,  1) 

Pour  qui  l'enler  a-l-i!  été  creusé?  Le 
grand  Apôtre,  dans  la  première  Epilre  aux 
Corinthiens,  a  répondu  à  celte  question  ;  et 
combien  de  fois  chacun  de  f.ous  n'a-t-il  pas 
répété  au  peuple  cette  réponse?  An  nescitis 
quia  iniqui  regnum  Dei  non  possidebunt  ? 
Ignorez  -  vous  que  les  méchants  n'entre- 
ront |)oint  dans  le  royaume  de  Dieu?  et 
quels  sont-ils  ces  méchants?  Ahl  ne  nous 
y  trompons  pas  :  Nolite  errare;  ce  ne 
sont  pas  seulement  les  assassins,  les  sui- 
cides, les  empoisonneurs,  les  incendiai- 
res; ce  sont  tous  ceux  qui  vivent  et  meu- 
rent dans  le  péché  mortel;  car,  ajoute  l'A- 
[lôtre  :  Neguefornicarii,  neque  idolis  servien- 
tes,  neque  adulteri,  neque  molles,  neque  mas- 
culorum  concuhitores,  neque  fures ,  neque 
avari,  neque  ebriosi,  neque  maledici,  neque 
rapaces  regnum  Dti  possidebunt.  {l  Cor.,  VI, 
9,  10.)  Ce  détail  ,  lomme  vous  le  savez,  est 
encore  plus  étendu  dans  VEpitre  aux  Ro- 
mains. 

Ici,  Messieurs,  je  ne  demanderai  point  si 
quelqu'un  de  nous  ne  se  trouverait  peut- 
être  pas  dans  cette  longue  série  rie  coupa- 
bles :  la  quoilion  serait  injuri  use;  mais  je 
demanderai  si  nous  ne  serions  pas  compli- 
ces de  quelqu'un  de  ces  crimes  par  un  dé- 
faut de  zèle,  de  vigilance»  de  douceur, 
de  fermeté.  N'aurions-nous  pas  pu  empo- 
cher dans  les  âmes  contiées  h  nos  soins 
quelqu'un  do  ct-s  grands  désordres?  Car, 
ajoute  encore  l'Apôtre,  non-seulement  les 
auteurs  de  ces  crimes  sont  dignes  do  mort, 
mais  encore  ceux  qui  les  approuvent  et  y 
coopèrent:  Digni  sunt  morte,  non  solum 
qui  ea  faciunt,  sed  etiam  gui  consentiunt  fa- 
cientiùus.  {Rom.,  l,  32.)  Oh  I  queces  paroles 
sont  terribles,  surtout  pour  un  prêtre! quoi, 
je  puis  être  damné  non-seulement  pour  mes 
péchés  personnels,  mais  pour  les  f)échés 
d'aulrui  que  ma  négligence  n'aura  pas  em- 
pêchés !  Éh  I  qui,  a  cette  pensée,  pourra  se 
défendre  de  l'clfroi  qu'ont  éprouvé  les  plus 
grands  saints  ? 

Pour  qui  a  éié  allumé  le  feu  de  l'enfer?  Mes- 
sieurs, vous  connaissez  les  |)aroles(le  Jésus- 
Clirisl:  Pauci  electi{Matth.,  XXII,  U)  :  quam 
arda  via  est  quœ  ducitad  vilnm,  et  pauci  sunt 
^M»  invcniunl  eam  I  {Mutlh.,  \ll,  14.)  Mais  me 
^era-!-il  permis  de  vous  rappeler  l'applica- 
tion bien  plus  lenibleque  saintChrysostomo 
a  cru  devoir  faire  de  ces  paroles  aux  minis- 
tres mêmes  do  Jésus-Christ?  Ce  nesl  pas 
témérairement  et  sans  réflexion  que  je  parle. 


CT.  V,  SUR  L'ENFER.  6?8 

dit  00  Vère  ;  je  m'exprime  comme  je  suis  af- 
fecté et  comme  je  sens  :  «  Non  temere  dico,  std 
ut  offrctus  sum  ac  sentio;  »  je  ne  crois  pas 
que  parmi  les  prêtres  il  y  en  ait  beaucoup  qui 
se  sauvent  ;  je  crois  au  contraire  qu'il  y  en  a 
beaucoup  plus  qui  se  perdent  :  «  non  arbitrât 
inter  sacerdotes  multos  esse  qui  sahi  fiant, 
sed  multo  plures  qui  pereant.  »  Mais  oserai- 
je  rafjpelerun  passage  de  ce  Père,  bien  jilus 
terrible  encore  sur  les  pasteurs  des  âmes  : 
il  va  jusqu'à  être  surpris  qu'il  s'en  rencon- 
tre quelqu'un  qui  se  sauve,  tant  il  est  ef- 
frayé des  dangers  qui  entourent  ce  minis- 
tère !  Miror  si  quem  ex  rectoribus  salvum 
fieri  contingat.  Je  sens,  Messieurs,  qu'un 
passage  si  terrible,  a  besoin  déire  expliqué, 
vous  savez  que  le  langage  des  orateurs  est 
relatif  aux  circonstances  où  ils  se  trouvent 
et  aux  dispositions  de  leur  auditoire.  Or 
dans  le  siècle  de  saint  Chrysostorae  il  n'y 
avait  qu'un  petit  nombre  de  bons  prêtres 
qui  étaient  du  reste  d'une  sainteté  émi- 
nenle.  La  masse  du  clergé  était  plongée 
dans  la  corruption  :  et  de  là  l'énergie  et  les 
craintes  du  saint  orateur.  Ah  1  s'il  etlt  parlé 
à  l'assemblée  qui  m'honore  de  son  atten- 
tion, il  eût  tenu  sans  doute  un  langage  dif- 
lérent. 

Cependant,  mes  chers  confrères,  les  mo- 
tifs qui  faisaient  trembler  saint  Chrysos- 
lome  sur  le  salut  du  clergé  et  qui  l'éloignè- 
rent  lui-môme  pendant  si  long-temps  du 
redoutable  fardeau  du  sacerdoce,  ne  nous 
sont  peut-être  pas  étrangers;  les  dangers 
de  nos  Ibnctions  sont  aujourd'hui  les  mêmes 
qu'alors  :  nous  avons  à  combattre,  non-seu- 
loment  nos  propres  passions,  mais  les  pas- 
sions des  [)euples  dont  le  salut  nous  est 
confié,  mais  l'astuce  el  les  railleries  d'une 
im[)iélé  orgueilleuse  que  nous  devons  cher- 
cher à  éclairer;  mais  les  séductions  elles 
attraits  d'un  monde  perfide  que  nous  ne 
pouvons  éviter  ni  fréquenter,  mais  que  nous 
devons  tâcher  d'inslruire  sans  le  découra- 
ger, el  de  corriger  sans  l'aigrir. 

Est-il  donc  étonnant  que  le  salut  d'un 
prêtre  soit  si  diinci!e?et  lorsque*  nous  lisons 
dans  Isaïo  que  I  abîme  de  l'enler  a  dilaté  ses 
affreuses  entrailles  ;  Dilatavil  infernus  ani- 
mam  suam ;  qu'il  élargit  sans  mesure  son 
épouvanlai)le  cratère,  et  aperuit  os  suum 
absque  ulto  termina;  que  des  milliers  de 
coujiabl'  s  de  tout  âge  et  de  tout  rang  y 
toml)oiil  j)èle-!iiêlo  tous  les  jours  et  à  cha- 
que instant  du  jour  ;  el  descendent  fortes  ejus, 
et  populus  ejus ,  et  sublimes ,  ghriosique 
{Isa.,  V,  ik)  :  pourrions  nous  ne  pas  crain  ire 
pour  nous-uiêiues,  plus  exposés  que  le  sim- 
ple peuple  à  pécher  et  à  nous  perdre?  Je 
sais  sans  doute,  car  à  Dieu  ne  plaise,  que  je 
me  permette  dans  ce  sujet  surtout  la  moin- 
die  exagéralion  ;  je  sais  sans  doute  qu'un 
piètre  pieux  el  fervent,  qui  médite  nuit  el 
jour,  comme  le  Prophète,  la  loi  du  Seigiieur, 
qui  craint  le  j'éché  plus  que  la  mort,  qui 
gémit  sans  cesse  de  ses  fragilités,  et  dont  le 
zélé  el  les  travaux  sont  animés  d'un  désir 
pur  de  plaire  à  Dieu  tt  de  procurer  sd 
gloire,  ne  se  perdra  pas,  pourvu  qu'il  perȔ- 


«79 


ORATEtRS  SACRES.  MAUllEL. 


680 


vère  jusqu'à  la  mort  (lans  sa  ferveur.  Je  sais 
aussi  qu'un  prêtre  coupable  qui  s'est  jelé 
clans  les  excès  les  plus  monstreux,  mais 
qui  est  revenu  à  i)'\eu  avec  une  coraponc- 
lion  sincère,  et  qui  s'applique  tous  lesjours 
h  réparer  ses  scandales  avec  une  humilité 
profonde  et  un  zèle  modeste,  ne  se  perdra 
j)as  non  plus,  pourvu  que  sa  pénitence, 
comme  celle  de  saint  Pierre,  dure  autant  que 
&a  vie. 

Mais,  Messieurs,  ne  nous  aveuglons  pas, 
sommes-nous  de  ce  nombre?  Malgré  les  vé- 
rités effrayantes  que  je  r<i|)pelle,  nous  so"^- 
nies  tran(juilles;  et  pourquoi?  parce  que 
sans  doute  notre  conscience  ne  nous  rejiro- 
che  rien  qui  puisse  nous  rendre  dignes  du 
mallieur  des  réprouvés.  Mais  cetle  jiersua- 
slon  u'esl-elle  peul-ôlre  pas  retlVl  de  l'ir- 
réllexion  et  de  l'aveuglement?  Rentrons 
enfin  en  nous-mêmes,  et  méditons  sérieu- 
senjent  :Sur  l'état  actuel  de  notre  âme.  Nous 
avons  fait  des  fauies,  et  des  fautes  graves  : 
sommes-nous  cei  tains  de  les  avoir  réjiarées, 
et  d'en  avoir  obtenu  le  pardon  ?  sommes- 
nous  certains  d'être  en  ce  moment  dignes 
d'amour  et  en  ét;it  de  grâce?  sommes-nous 
certains  que  si  le  souveiain  Juge  nous  ap- 
jieiait  à  l'instant  n»ême  au  pied  de  son 
trône,  nous  entendrions  de  sa  bouche  une 
sentence  favorable?  Hélas,  les  plus  grands 
saii.ts  l'ignoraient,  et  celte  incertitude  les 
faisait  trembler. 

Nous  qu'un  orgueil  secret  condamne  peut- 
être  aux  yeux  de  Dieu,  tandis  que  les  hom- 
mes nous  louent  de  quelques  vertus  appa- 
rentes ;  nous  jileins  d'aigreur  cl  de  jalousie 
contre  quelqu'un  de  rios  confrères,  lors 
même  que  l'opinion  publique  nous  force  do 
paraître  son  ami;  nous,  qui  sous  prétexte 
de  cirlarns  besoins  futurs,  de  cei  tains  pro- 
jets de  charité,  conservons  une  attache  cri- 
minelle à  l'argent  ;  nous,  qui  sous  prétexte 
de  zèle  ou  de  reconnaissance,  entretenons 
certaines  liaisons,  certaines  fréquentations 
que  réprouve  la  décence  sacerdotale;  ou 
qui  peut-être,  hélas!  sommes  aveuglés  et 
enchaînés  pai'  quelque  passion  désordon- 
née, doul  la  honte  ne  nous  fra|)pe  pas,  parce 
que  nous  la  croyons  ignorée  du  public; 
nous  qui  tiégligeons  depuis  si  longlenqis 
d'accuser  certains  péchés  que  la  crainte  nous 
a  lait  taire,  d'éclaircir  certains  doutes  qui 
embarrassent  notre  conscience;  et  avec  les- 
quels cependant  nous  ne  craignons  pas  de 
monter  tous  les  jours  à  l'autel,  c'est-à-dire 
d'aicumuler  sacrilège  sur  sacrilège,  nous 
sommes  tranquilles  I  Et  |tcui-ètre  que  celle 
retraite  n'aboutira  pour  nous  qu'à  une  con- 
version simulée  I  Ah  1  faut-il  ôlie  suriwis  du 
mol  de  saint  Clirysoslome  :  Jl  y  aura  peu 
de  prêtres  sauvés!  Pénétions-nous  donc  d'une 
sainte  fiayeur,  vénérables  conlVères.  Oui, 
au  mcu)«*ni  mémo  où  je  parle,  (jue  dâuies 
coupables  qui  tombent  dans  l'enter,  que  de 
prêtres  prévaricateurs  qui  vont  expier  dans 
rélerniié  le  crime  de  n'avoir  pas  répondu  à 
la  sainteté  de  leur  vocation  !  vous  les  voy  z 
des  yeux  do  lu  loi  se  précipiter  dans  ces 
abîmes  de  feu  et  do  dcscs|'Oir.  Ah  1  que  ces 


Irisles  pensées  réveillenl  plus  que  jamais, 
notre  zèle  pour  le  salut  des  âmes  confiées  à 
nos  soins,  pour  celui  de  nos  confrères  et  dé 
nous-mêmes  surtout  ! 

Encore  un  mol, Messieurs,  et  je  vous  laisse 
à  vos  (iropres  réflexions,  qui  feront  bien 
plus  que  mes  paroles.  Je  suppose  qu'un 
ange  envoyé  des  cieux  allât  sur  les  bords 
de  l'enfer,  et  qu'au  milieu  des  tourbillons 
de  fumée  qui  sélancent  de  ce  lieu  de  tour- 
ments, au  milieu  des  cris  de  rage  et  de  dé- 
sespoir dont  retentit  cetle  prison  de  feu, 
cet  envoyé  céleste  fît  entendre  ces  conso- 
lantes paroles  :  Ames  infortunées,  prêtres  infi- 
dèles, ouvrez  enfin  vos  cœurs  à  l'espérance, 
revenez  sur  la  terre  pour  expier  vos  péchés, 
cl  le  ciel  Vous  sera  ouvert,  quelle  consola- 
lion  ne  répandraient  pas  ces  courtes  i  aroies 
dans  l'abîme  du  désespoir  I  Croyez-vous 
que  ces  malheureux  délivrés  de  leurs  chaî- 
nes abusassent  de  nouveau  de  leur  liberté, 
et  ne  prissent  pas  toutes  sortes  de  précau- 
tions pour  ne  pas  retomber  entre  les  mains 
d'un  Dieu  vengeur?  croyez -vous  qu'ils 
trouvassent  trop  pénibles  les  rigueurs  de 
la  pénitence,  l'éloignement  de  certaines  oc- 
casions et  une  vigilance  continuelle  et  sé- 
vère sur  eux-mêrnes? 

Hélas!  Messieurs  ,  vous  le  savez,  cette 
grâce  ne  sera  jamais  accordée  aux  réprou- 
vés; ce  n'est  quà  vous  et  à  moi,  capables 
encore  d'un  repentir  utile,  que  Dieu  fait 
entendre  des  paroles  de  salut  :  les  réprouvés 
sont  perdus  pour  jamais;  jamais  ils  ne  sor- 
tiront de  ce  leu  terrible  qui  les  dévore; 
jamais  ils  n'écliapperont  à  la  main  venge- 
resse qui  les  frappe;  toujours  ils  se  repro- 
cheront d'avoir  [)erdu  par  leur  faute  un 
Dieu  bon  et  magnitique  qui  voulait  les  ren- 
dre heureux  ;  toujours  ils  sécheront  d'envie, 
et  do  rage  à  la  vue  du  céleste  séjour  oij  ils 
verront  les  élus  el  où  ils  pouvaient  entrer 
eux-mêmes;  leurs  tOiirmen;s,  I  urs  remord-", 
leur  désespoir,  seront  éternels.  El  c'est 
l'iiiée  toujours  présente  de  cette  affreuse 
éternité ,  Messieurs ,  qui  doit  être,  ce  me 
semble,  pour  chacun  de  nous  le  fruit  de  ce 
discours 

O  éternité,  tu  as  converti  les  fiécheurs 
les  plus  scandaleux;  le  cœur  d'un  prêtre 
.«erail-i!  assez  endurci  pour  te  résister? 
Non,  mon  Dieu,  nous  ne  résisterons  pas  à 
la  plus  grande  des  grâces!  Ah!  vous  nous 
montrez  bien  aujourd'hui  que  vous  ne  pu- 
nissez qu'à  regret,  el  que  le  penchant  de 
votre  cœur  c'est  de  pardonner  :  car  si  vous 
vouliez  nous  perdre,  nous  avertiriez-vous 
du  danger  qui  nous  menace?  Un  méchant 
ne  prévient  pas  son  ennemi  du  mal  qu'il 
veul  lui  faire;  au  contraire,  il  le  Halte,  il  le 
trompe,  il  l'endort,  et  l'enlraîiie  sans  qu'il 
s'en  doute  dans  le  piège  qu'il  lui  a  tendu. 
Il  n'y  a  qu'un  père  qui  avertisse  d'avance, 
qui  se  plaigne,  t\\i\  menace,  qui  tonne,  pour 
être  dispensé  do  frapper  :  et  voilà,  ô  mon 
Dieu,  ce  que  vous  venez  de  faire  à  notre 
égard. 

Ah!  cette  grâce  privilégiée  ne  sera  pa» 
perdue,  connue  tairt   d'aulres  ;   vous    avez 


GSl 


HETUAITE.  —  INSTKUCT.  VI,  SIR  LE  PARADIS. 


C82 


parlé  h  nos  cœurs,  vous  y  avez  f;iif  n;iîlre 
une  crainte  saiulnire.  Nous  allons  chacun 
oxamir)er  de  bonne  foi  le  fond  do  noire 
conscience;  nous  nous  demanderons  fran- 
chement :  Y  a-t-il  en  moi  quoique  chose  qui 
puisse  me  rendre  diiiçne  de  l'enfer?  et  à 
i'inslant  même  nous  nous  occuperons  avec 
courage  de  changer,  de  corriger,  de  suppri- 
mer tout  ce  qui  pourrait  vous  déplaire  en 
nous.  Nous  ne  nous  épargnerons  pas,  dans 
l'espérance  que  vous  daignerez  nous  épar- 
gner. Oli  I  quel  bien  aura  fait  h  noire  Ame 
cette  méditation î  ce  sera  vraiment  pour  nous 
un  jour  dy  salut  ;  de  ce  jour  datera  le  renou- 
vellement de  notre  ferveur  et  de  notre  zèle. 
Non  ,  nous  n'oublierons  jamais  que  vous 
n'avez  ouvert  aux  yeux  do  notre  foi  les  abî- 
mes elTrayants  de  votre  justice,  que  pour 
ouvrir  à  noire  repentir,  à  notre  persévé- 
rance le  séjour  éternel  de  vos  miséricordes. 
Misericordias  Domini  in  œlcrnum  canlaho. 
{PsaL,  LXXXVIll,  2  ) 

INSTRUCTION   VI. 

LE    PARADIS. 

Qux  siirsuni  siml  qiisprile.  iibi  f  liri>.liis  est  in  dpxlera 
Dei  scdens  qua>  sursiini  suiit  sapiie,  non  quae  super  ter- 
rain  (Coloss  ,  m,  1,  2  ) 

Messieurs, 

A  qui  le  grand  Apôtre  adressait-il  ces 
touchantes  paroles?  Vous  le  savez,  à  des 
hommes  récemment  éclairés  des  lumières 
de  la  foi,  tout  embrasés  de  ce  feu  divin  que 
donnent  les  commencements  de  la  grâce, 
et  prêts  à  sceller  de  leur  sang  les  vérités  de 
l'Evangile  ;  à  des  hommes  tout  remplis  des 
dons  de  l'Esprit-Saint ,  qui  venaient  de 
prendre  le  Seignrur  |)0ur  leur  unique  par- 
tage, dont  les  pensées  et  les  travaux  n'a- 
vaient d'autre  but  que  l'avènement  de  son 
règne;  è  des  hommes  enlin  qui  avaient  ar- 
raché jusqu'aux  dernières  racines  de  la  cu- 
jiidité  en  se  dépouillant  de  leurs  biens  et 
l'es  api'Ortant  aux  pieds  des  Apôtres ,  qui 
disaient  sans  cesse  analhème  à  l'ambition, 
aux  vanités  du  monde;  ne  tenaient  plus  par 
awcun  lien  à  la  terre,  et  dont  la  conversa- 
lion  était  dans  les  Cieux.  C'est  h  de  tels 
hommes  que  saint  Paul,  ce  grand  apôtre 
descendu  du  troisième  ciel,  ne  cessait  de 
répéter  :  Elevez  vos  affections  en  haut,  ne 
laissez  pas  ramper  vos  cœurs  sur  la  terre  ; 
cherchez  les  biens  immortels  et  méprisez 
Its  choses  périssables  :  Quœ  sursum  sunt 
quœrite,  non  quœ  super  terram. 

Que  dirail-il  aujourd'hui,  Mci^sieurs,  cet 
élocioenl  Aj  ôlre,  si  descendant  des  demeu- 
r^-s  éternelles,   il    venait  évaugéiiser,    non 

f)lus  ces  chrétiens  fervents  qui  illustrèrent 
e  berceau  do  l'Eglise,  et  tracèrent  à  tous 
Jtes  siècles  le  modèle  de  touios  les  vertus, 
mais  des  hoiumes  tels  que  ceux  de  nos 
jours,  aveuglés  par  les  ctiurmes  des  créa- 
tures, amollis  et  enchaînés  par  des  passions 
honieuses,  ne  sou[iirant  quapiès  les  ri- 
chesses, les  vanités,  les  jouissances  du 
monde,  vivant  en  un  mot  comme  si  tout 
devait  finir  avec  celle  vie,  et  qu'il  n'y  eût 
rien  à  attendre  au-delà  du  tombeau?  avec 

Ol» ATI  LUS    SACRÉS.    l.XVIIl. 


quelle  force  le  zèle  do  cet  Apôtre  ne  s'éle- 
verail-il  pas  contre  cet  affreux  oubli  des 
biens  éternels! 

Mais  quels  ne  seraient  pas  son  étonnement 
et  sa  douleur  si  parmi  ces  hommes  terres- 
tres, plongés  dans  la  boue  des  passions  et 
indifférents  an  bonheur  de  la  vie  future,  il 
rencontrait  quelque  ministre  de  Jésus- 
Christ  !  un  prêtre  attaché  .'i  l'argent,  aux 
vanités,  aux  commodités  de  ce  nionde,  et 
indifférent  pour  les  richesses,  la  gloire, 'les 
plaisrs  de  l'éternité!  un  prêtre,  qui  dit  tous 
les  jours,  et  plusieurs  fois  le  jour  :  adve- 
niat  regnum  tnum  {Matlh.,  VI,  10),  et  qui, 
loin  de  soupirer  a[)rès  ce  royaume,  n'y 
pense  même  pas,  tient  son  cœur  sans  ces^o 
courbé  vers  la  terre,  ne  songe  qu'à  des 
moyens^  d'existence  et  de  bien-être,  et  se 
refuse  l'unique  consolation  qui  puisse  adou- 
cir ses  peines,  l'unique  encour.igement  qui 
puisse  le  soutenir  dans  ses  travaux;  je 
veux  dire  l'espérance  du  Ciel  !  ô  mon  Dieu  ! 
que  le  sort  de  ce  prêtre  est  à  f)laindre! 
Hâtons-nous  d^  recourir  au  remède  d'un  si 
déplorable  aveuglement  ;  ranimons  notre  foi 
sur  la  grandeur  du  bonheur  éternel  que  je 
propose  à  votre  méditation. 

Mon  dessein  est  de  vous  montrer  dans 
deux  réflexions,  1°  l'étendue,  2°  la  perfection 
de  ce  bo'iheur  qui  nous  attend. 

;  PREMIÈRE   PARTIE. 

Je  sais,  Messieurs,  qu'ayant  à  vous  par- 
ler de  l'étendue  du  bonheur  du  ciel,  ma 
tâche  est  dilUcile,  quelque  heureux  qu'il 
puisse  être  |>our  nous  de  nous  entretenir  de 
cette  éternelle  félicité.  La  vérité  habite  en- 
core un  sanctuaire  impénétrable,  et  ce  n'est 
que  comme  une  énigme  et  à  travers  d'ob- 
scures images ,  dit  l'Apôtre,  que  nous  pou- 
vons l'apercevoir.  (16'or.,lH,  22)  L'éclat 
(ju'elle  jette  est  cependant  si  vif  ,  qu'il 
perce  les  nuages  qui  la  couvrent  et  nous 
permet  de  jouir,  quoique  de  loin  encore,  de 
sa  bienfaisante  lumière.  Vous  dirai-je,  vé- 
nérables confrères,  pour  vous  donner  une 
laible  idée  du  bonheur  du  ciel ,  que  dans 
ce  séjour  de  la  gloire  nous  n'aurons  rien  à 
souffrir,  rien  à  désirer?  mais  que  nus  paro- 
les sont  faibles,  que  nos  idées  sont  grossiè- 
res pour  retracer  l'étendue  de  cette  féliciié  ! 
Qu'il  nous  soit  cependant  permis  de  faire  sur 
celte  matière  quelques  réffexions ,  et  do 
méditer  ensemble  sur  un  sujet  aussi  vaste 
et  aussi  sublime. 

Nous  le  savons  ,  vénérables  confrères  , 
riiomme  esl  né  pour  être  heureux,  et  s'agite 
sans  cesse  |)Our  le  devenir.  L'ulliail  du  bon- 
heur paraît  le  C3i»tiverau  moment  même  de 
sa  naissance  ;  il  le  tourmente  toute  la  vie, 
h;  poursuit  jusqu'au  tombeau,  sans  que  ses 
vœux  [)uissent  jamais  être  accomplis  :  et 
c'iiSt  là  une  preuve  que  le  vrai  bonheur  ne 
réside  pas  sur  la  terre.  Qu'est-ce  qui  peut 
en  etlet,  remplir  l'immensité  du  cœur  de 
l'homme,  sinon  l'immensité  d'un  Dieu? 
Mais,  vous  le  savez.  Dieu  ne  veut  commu- 
niquer aux  hommes  ce  bonheur  inlini  dont 
il  est  la  source,  qu'en  récompense  de  leur 


633 


ORAfEtitlS  SACRES.  MAUUEL. 


6S4 


fiilélilé  h  SOS  préo(^ples.  La  vie  l'résenle  est 
(loslinée  ci  honorer  Dieu  et  à  pratiquer  sa 
loi  ;  l'éternité  est  deslinée  à  réeomp.^nser 
riiomme  rie  son  obéissance  à  son  Créateur. 
Pour  nous  encour<iger  dans  cette  obéissan- 
ce, pres(|ue  toujours  pénible  5  la  nature, 
é'evoits  sans  cesse  nos  regards  vers  ce  royau- 
me éternel  où  Jésus-Clirisl  nous  a  préparé 
à  chacun  une  place;  je  veux  dire  un  trône 
de  gloire  et  de  lumière.  Le  vrai  bf)nlieur, 
le  bonheur  parfait  qui  ronlenle  pleinement 
le  cœur  de  l'honime,  no  se  trouve  que  dans 
le  ciel. 

Oui,  Messieurs,  ce  n'est  que  dans  le  ciel 
qu'on'  n'a  rien  à  soullrir.  La  souffrance,  tant 
que  nous  serons  sur  la  terre,  sera  notre 
partage  inévitable.  Quel  est  lo  mortel  qui 
n'éprouve  ici-bas,  môme  au  sein  de  la  pros- 
périté, des  contradictions  et  des  amertumes? 
quel  est  le  lieu  de  l'univers  qui  ne  reten- 
tisse de  plaintes  et  de  gémissements?  Hé- 
las! sans  parler  des  souil'rances  attachées  à 
la  maladie,  à  l'infirmité,  h  l'indigence,  aux 
besoins  toujours  renaissants  de  la  vie,  aux 
travaux,  aux  sollicitudes  que  ces  besoins 
néeessilent  sans  cesse ,  parmi  ceux  même 
(]ui  ne  manquent  do  rien  du  côté  de  lasanié 
et  de  la  fortune  ,  en  est-il  aijcun  qui  ne  se 
plaigne  de  son  sort?  Que  de  soucis  invisi- 
bles, que  de  chagrins  amers  au  milieu  des 
plaisirs  et  desjoiesdu  monde  !  Que  de  crain- 
tes, que  d'anxiétés,  que  de  peines  secrètes 
sous  le  voile  du  bonheur!  Si  nous  pouvions 
sonder  le  fond  des  cœurs,  nouii  verrions 
peut-être  que  les  plus  malheureux  des 
hommes  sont  souvent  ceux-là  même  dont 
la  deslinée  paraît  plus  désirable.  Quel  tour- 
ment que  la  soif  insatiable  de  l'avarice  , 
que  les  projets  tumultueux  de  l'ambition, 
que  les  prétentions  et  les  craintes  de  la  va- 
nité, que  les  chagrins  journaliers  de  l'en- 
vie, que  les  suites  fâcheuses  de  l'intempé- 
rance, que  l'amertume  dévorante  de  la  hai- 
ne, que  la  honte  et  l'esclavage  de  la  vo- 
lu|)tél 

Fiii-on  môme  à  l'abri  des  passions,  il  est 
tant  d'événements  fâcheux,  tant  de  contra- 
riétés soit  de  la  part  des  hommes,  soit  de 
la  part  des  choses  qui  em[ioisonnent  le  sort 
le  plus  doux  et  le  plus  tranquille!  Et  quand 
tout  nous  réussirait  au  dehors,  ne  serait-ce 
pas  assez  de  nous-mêmes,  de  nos  défauts, 
lie  nos  vivacités,  de  nos  ennuis,  de  nos  dé- 
goûts, de  nos  caprices,  pour  nous  faire  sen- 
tir que  notre  cœur  est  bien  loin  d'être  con- 
tent? 

Nous  nous  attacherions  à  cette  vie  si  mi- 
sérable! nous  nous  obs'inerions  à  y  cher- 
cher un  bonheur  qu'aucun  mortel  n'y  trou- 
va jamais  1  et  malgré  les  leçons  d'une  si 
longue  expérience,  malgré  cette  foule  de 
uiaux  qui  pèsent  plus  ou  moins  sur  nous  , 
nous  ne  jiorlons  |tas  un  regard  ,  nous  ne 
poussons  ])as  un  soupir  vers  le  ciel ,  cette 
terre  fortunée  où  Dieu  a  promis  d'essuyer 
toutes  les  larmes  et  de  réjjandre  la  sérénité 
dans  tous  les  cœurs,  abstergct  omnem  lucry- 
vtam!  (Apoc,  VII, 17. j  Veis  le  ciel,  celle  ai- 
mable [lalrie,  où  la  tristesse  de  notre  exil 


sera  changée  en  une  joie  abondanle  :  Tri  li- 
lia  vestra  verlctur  in  gaudiuml  {Joan  ,  XVI 
20|,  vers  le  ciel,  ce  lieu  do  calme  e;  do  re- 
pus, où  l'on  n'enlendra  ni  cris,  ni  plaintes, 
ni  gémissements  :  Neque  luctus,  nec/ue  cla~ 
mor,  nef/uedolor  e.it  ultra!  {Apoc  ,  XXI,  4,) 
Quel  est  donc  notre  aveuglement,  mes  chers 
confières,  de  soupirer  sans  cesse  après  le 
bonheur,  et  d'oublier  le  séjour  même  du 
bonlieur  I 

Quand  le  ciel  ne  serait  autre  (hose  que 
la  délivrance  des  maux  de  celte  vie,  ne  sc- 
rail-oe  pas  assez  pour  le  désiier  arienunent? 
Que  dis-je  le  seul  espoir  des  biens  cé'est  s 
n'est- il  pas  déjh  un  adouciss  ment  à  vos 
souffrances  et  un  commencement  de  bon- 
heur, même  dès  cette  vie?  Un  malade  ne 
se  sent-il  pas  soulagé  dans  ses  douleurs  oar 
l'espérance  d'une  guérison  prochaine?  Un 
navigateur  battu  par  la  tempête,  et  près  de 
faire  naui'rege,  ne  s'encourage-:-il  pas  dans 
ses  dangers  en  apercevant  le  port  où  il  va 
aborder,  et  se  re|ioser  enfin  après  tant  do 
périlleuses  fatigues?  Un  prisonnier  à  qui 
l'on  annonce  la  fin  de  sa  captivité  ne  conj- 
menee-l-il  pas  à  jouir,  même  dais  ses  cliaf- 
nes,  du  bienfait  de  la  liberté?  Ce  ne  sont 
cependant  15  que  des  déliviances  imparfai- 
tes et  momenianées  :  on  ne  sort  ici-b;is 
d'une  misèie  que  pour  tomber  dans  mille, 
aulres  qui  nous  attendent.  Mais  le  ciel  doit 
nous  aflVanohir  de  toute  misère  et  p  ur  lou- 
jours  :  Neque  luctus  neque  dolor  erit  ultra. 
Comment  n'être  pas  consolé  par  ce, le  gran- 
de et  magnifique  espérance?  N'et-ce  p.as 
celte  es|  érance  qui  a  rendu  dans  tous  lus 
siècles  les  élus  si  soumis  et  si  patients  d ms 
les  revers?  Qu'est-ce  q^i  soutenait  les  ma  - 
tyrs  au  milieu  des  tortures ,  S'non  l'cspé- 
rance  de  l'imiuortaliié  ?  Spes  illorum  iinmor- 
talitate  plena  est.  {Sap.,  III,  k,)  Qu'tsl-te 
qui  tempérait  dans  Jub  la  violence  de  ses 
douleurs  ,  siiion  la  gloire  de  son  Rédemp- 
teur,  qu'il  espérait  partager?  Reposila  est 
hœc  spes  mea  in  sinu  meo.  (Job,  XIX,  27.)  Et 
pour  dire  quelque  chose  qui  nous  louche 
de  plus  près,  (]u'esl-ce  qui  allégeait  au 
grand  Apôtre  le  fardeau  du  saint  mini-tère, 
sinon  la  couronne  que  lui  réservait  la  boulé 
de  son  nuiîire?  Je  souifre,  s'éoriai.-il  dans 
ses  travaux  et  ses  persécutions  ,  pafio;-;  et 
je  soutfre  cruellemenl,  soit  au  dedans,  soit 
au  ûahovs ,  foris  puynœ ,  inlns  timorés  (Il 
Cor.,  Vil,  o),  el  je  soutire  jusqu'à  Irouvti- 
insupporiabie  le  fardeau  de  la  vie,  tceclet 
me  vilœ  mcœ  (Il  Cor.,  I,  8),  maisjenesuis 
pas  pour  cela  al)allu  ni  découragé!  Je  saii 
à  qui  .je  confie  le  déjiôt  du  mes  sonlf  auce^, 
scio  cui  credidi  (Il  Tim.,  1, 12),  je  sais  qu'il 
y  a  dans  les  cleux  un  juge  e(juaable  qui 
rendra  à  chacun  selon  ses  œuvres.  Quand 
viendra  l'heureux  moment  où,  dé:ivré  de 
ce  corps  mortel,  je  quitterai  enfin  celte  vie' 
laborieuse,  |)Our  aller  me  re.ioser  dans  !e' 
sein  de  Jésus-Chrisl  ;  desidci  iuin  liubcns  dis- 
solvi,  €l  esse  cum  Christo  !  (Philip.,  1,  '23.) 

Pourquoi  ,  mes  chers  confrères  ,  au  uii- 
lien  de  nos  travaux  et  des  contraditt.ons 
qui  en  empêchent  si  souvent  le  suc  es  ;  au 


C35 


lŒTRAITE.  —  INSTUUCT.  VI,  SLR  LE  PARADIS. 


686 


milieu  (le  l'indocililé  de  nos  peuplos  el  des 
perséculiuns  qu'on  suscilo  à  noire  zèle, 
poiirciuoi  ne  pas  nous  consoler  avec  ce 
grand  Apùlrc  ,  mille  fois  jilus  traversé  et 
plus  pcrsécul(^  que  nous,  par  l'espérance 
du  repos  et  de  la  récompense  que  Dieu 
dosline  à  ses  serviteurs,  et  surtout  aux  mi- 
nistres de  sor.  Evangile,  (ju'il  appelle  ses 
amis?  Sans  cosse  nous  nous  consumons 
dans  de  vains  désirs  qui  rencontrent  sans 
cesse  des  obstacles.  i\Iais  ignorons-nous  que 
ce  n'est  que  dans  le  ciel  que  lous  nos  dé- 
sirs seront  satisfaits?  Quand  bien  môme 
toutes  les  prospérités,  toutes  les  Jouissan- 
ces ,  toutes  les  consolations  de  l'univers 
viendraient  se  réaliser  el  s'accumuler  au- 
tour de  nous ,  rempliraient-elles  un  cœur 
plus  vaste  que  l'univers?  Ici,  mes  cliers 
confrères,  je  le  sens  ,  pour  dissiper  nos  il- 
lusions il  faut  des  exemples,  bien  plus  que 
des  raisonnements.  Hé  bien,  appliquons- 
nous  à  nous-mêmes  un  fait  célèbre  que 
nous  avons  si  souvent  cilé  aux  simples  li- 
dèlps. 

Jl  parut  sur  la  terre  il  y  a  trois  railJe  ans 
un  mortel  privilégié  que  Dieu,  pour  l'in- 
struction de  tous  .'es  siècles,  daigna  com- 
bler de  tous  les  avantages  qu'il  est  possible 
de  trouver  dans  la  nature.  Ce  mortel  élait 
un  monarque  qu'aucun  monarque  n'a  égalé 
en  richesse,  en  magnilicence ,  en  célébrité. 
A  la  splendeur  du  plus  brillant  des  diadè- 
mes, à  toutes  les  commodités  et  h  tous  les 
plaisirs  qne  l'opulence  avait  réunis  autour 
de  son  trône,  il  joignait  une  érudition  si 
vaste  el  si  profonde,  qu'aucun  savant  n'a 
jamais  pu  l'atleindre  :  le  mérite  de  cette 
science  prodigieuse  était  rehaussé  par  une 
sagesse  el  une  vertu  que  tous  les  siècles 
ont  célébrées,  et  qui  le  rendaient  les  déli- 
ces de  son  peuple  et  l'admiration  des  peu- 
jiles  voisins.  Lis  princes  étrangers  venaient 
contempler  de  leurs  |)ropres  yeux  ce  que  la 
lenommée  racnniail  (ie  ce  prodige,  el  ils 
étaient  hors  d'eux-môiues  en  voyant  que 
la  réalité  surpassait  de  beaucoup  la  renom- 
mée. Hé  bien.  Messieurs,  que  pensait,  que 
disait  Saloamn  au  milieu  de  ce  bonheur 
extraordinaire  dont  la  terre  n'a  vu  aucun 
autre  exemple?  Ahl  n'oublions  jamais  des 
paroles  si  instructives,  si  louchantes:  J'ai 
joui  de  tout,  s'écriait  le  plus  sage  des  hom- 
mes ;  je  n'ai  rien  refusé  h  mes  sens  ;  et,  je 
suis  forcé  de  l'avouer,  je  n'ai  trouvé  dans 
toutes  ces  jouissances  qu'un  vide  désolant 
cl  une  alllicliun  profonue  :  )'idi  in  omnibus 
tanilalein  et  affliclionem.  [Eccle.,  11,  11.) 
Après  un  aveu  si  solennel,  nous  poursui- 
vrions encore  une  ombre  de  bonheur  qui 
nous  fuit  sans  cesse,  en  insultant,  pour 
ainsi  dire,  à  notre  illusion!  nous,  minis- 
tres d'un  Dieu  crucitié  ,  nous  oserions  for- 
mer des  projets  d'ambition  et  de  fortune  I 

Ame  imiiiorlelle,  quel  est  donc  le  délire 
qui  t'egare?  Reconnais  enlin  la  grandeur  de 
la  destinée,  (^l  élève  les  pensées  vers  un 
monde  supérieur.  Ce  qui  |iéril  a>  ec  le  luiiips 
n'est  pas  fuit  |iour  conlenter  un    cœur  qui 


doit  vivre  toujours;  des  jouissances  bornées 
ne  sauraient  remplir  des  désirs  immenses. 
Non,  dit  saint  Augustin,  il  n'est  qu'un  bien 
infini,  il  n'est  que  Dieu  qui  puisse  suOlre 
.^  une  Urne  formée  à  l'image  de  Dieu.  Aussi, 
Messieurs,  vous  le  savez,  est-ce  Dieu  lui- 
même  qui  veut  être  notre  récompense  : 
Ego  sum  merces  tua{Gen.,  XV,  1);  Dieu  lui- 
même  qui  veut  nous  associer  à  sa  propre 
joie  et  à  son  propre  bonheur,  intra  in  gau- 
f/j«mL'0H;i'njfi{(',(J/af//t.  XXVI, 21);  Dieu  lui- 
même  qui  veut  remplir  notre  ûme  de  l'a- 
bondance do  ses  biens,  replebimur  in  bonis 
domustuœ.{Psal.  LXIV,  5.)  Mais  quels  sont- 
ils,  ces  biens  ?  Ont-ils  quelque  ressem- 
blance avec  ceux  qui  enflamment  ici-bas 
notre  cu|)idité  ?  avec  l'or,  l'argent,  ia  pos- 
session de  grands  biens,  la  jouissance  de 
lous  les  plaisirs  terrestres  ?  Nous  serions  h 
plaindre  si  nous  appliquions  à  un  bonheur 
divin  les  idées  grossières  de  quelques  pré- 
tendus sages  de  l'antiquité  et  d'un  sectaire 
fameux,  qui  ne  comi)rirent  pas  les  immor- 
telles destinées  ilo  la  créature.  Non,  dit 
l'Espiit-Saint,  rœ(7  n'a  jamais  vti,  Voreille 
n'a  jamais  compris  ce  que  Dieu  prépare  à 
ceux  qui  l'aimenl  (I  Cor.,  II,  9)  ;  les  pro(>hèie3 
eux-mêmes,  quoique  inspirés  d'en  haut, 
n'ont  pu  l'exprimer  que  par  un  silence 
d'admiration.  Pour  peindre  le  ciel,  il  fau- 
drait en  avoir  vu  les  merveilles.  Alais  que 
dis-je  ?  Paul  y  avait  élé  élevé,  et  cepen- 
dant cet  éloquent  apôtre  n'a  pu  nous  en 
dire  autre  chose,  sinon  que  c'est  une  ma- 
gnilicence qu'il  est  impossible  à  l'homme  de 
raconter:  Arcana  vcrba  quœ  non  ticet  ho- 
mini  loqui.  (II  Cor.,  XII,  i.)  Mais,  du  reste, 
quelle  plus  haute  idée  pouvait-il  nous  don- 
ner des  biens  célestes,  qu'en  nous  décla- 
rant qu'ils  sont  au-iessus  de  toutes  nos 
idées,  et  que  nous  n'en  (lourrons  jamais  sur 
la  terre  concevoir  l'étendne  el  la  perfec- 
tion ? 

Tout  ce  que  nous  pouvons  en  dire  d'a- 
près les  livres  saints,  et  ce  qui  suffit  sans 
doute  pour  enflammer  nos  désirs,  c'est  que 
nous  serons  remplis  de  l'abondance  de  ces 
biens,  replebimur  ;  que  nous  en  serons  ras- 
sasiés, satiabor  ;  que  nous  en  serons  inon- 
dés, comme  d'un  torrent,  torrenle  potabis 
eos(Psal.  XXXV,  9);  que  nous  en  serons 
pour  ainsi  dire  enivrés,  inebriabunlur{ibid.). 
Tout  ce  que  nous  pouvons  en  dire,  c'est 
([ue  ces  biens  ne  seront  autre  chose  que 
Dieu  lui-mêuie,  qui  se  manifestera  tout 
entier  à  nous,  qui  remplira  notre  esprit  par 
le  spectacle  éblouissant  de  ses  grandeurs, 
qui  rassasiera  notre  cœur /par  les  elfusious 
inellables  deson  amour,  qui  embellira  nos 
corps  de  la  gloire  môme  de  son  propre 
Fils. 

Oui,  Messieurs,  si  notre  vie  est  conforme 
à  notre  foi,  un  jour  ce  Dieu  si  grand,  si 
|)uissanl,  si  magnilique,  qui  habite  une  lu- 
mière maintenant  inaccessible,  et  dont  la 
grandeur  esl  encore  environnée  pour  nous 
de  nuages  el  d'une  mystérieuse  obscurité, 
se  manifestera,  se    dévoijeia  à  nous  dans 


G87 


ORATEURS  SACRF:S.  MAUREL. 


ess 


tout  l'éclat  de  sa  gloire  et  de  sa  splendeur. 
Nous  le  verrons,  nous  le  contemplerons , 
non  plus  à  travers  des  énigmes,  et  comme 
dans  un  obscur  lointain;  mais  tel  qu'il  est 
en  lui-même,  et,  pour  ainsi  dire,  face  à  face, 
(lit  l'Esprit-Sainl;  et  par  cette  vue,  il  nous 
élèvera,  il  nous  agrandira,  il  nous  transfor- 
mera d'une  manière  si  sublime,  que  nous 
(deviendrons,  selon  l'étonnante  expression 
d'un  apôlre,  semblables  à  sa  divinité:  Si- 
miles  et  erimus,  quoniam  videbimus  eum  si- 
culi  est.  (IJoan.,  111,  2.) 

Si  c'est  aux  prêtres  surtout  que  doivent 
maintenant  s'appliquer  ces  paroles  du  Fr(t- 
phêle  :  Ego  dixi  DU  eslis  ,  et  filii  excelsi 
omnes,  «  vous  êtes  Ions  des  dieux,  et  les  en- 
fants du  Très-Haut  {Psal.  LXXXIl,  G),  » 
combien  à  plus  furie  raison  ce  sublime  pri- 
vilège ne  sera-t-il  pas  noire  pailage  lors- 
que la  vue  de  Dieu  nous  rendra  pai  tieip mis 
de  sa  gloire,  de  sa  puissance,  de  ses  divi- 
nes clartés,  de  toutes  ses  perfections.  C'est 
alors  que  la  lumière  de  Dieu,  infiniment 
plus  éclatante  que  celle  du  soleil,  dissipera 
€nlin  ces  ténèbres  affligeantes  que  le  péché 
a  répandues  dans  noire  esjiril  ;  c'est  alors 
que,  mêlés  avec  ces  grands  docteurs  qui 
ont  éclairé  l'Iîglise  de  Dieu,  avecles  Basile, 
les  Grégoire,  les  Jérôme,  les  Augustin,  il 
nous  sera  donné  de  contempler  avec  eus 
dans  son  origine  même  l'éclat  immortel  de 
la  vérité,  de  celte  vérité  qui  lait  ici-bas  le 
tourment  de  noire  espiil,  et  dont  l'élude  la 
plus  approfondie  ne  [>eul  nous  oUVir  qu'un 
bien  faible  rayon,  souvent  alléré  par  l'er- 
reur; de  celte  vérité  que  l'homme  sent  si 
nécessaire  à  son  bonheur,  qu'il  la  cherche, 
ou  du  moins  se  flatte  de  la  chercher,  lors 
même  qu'il  la  fuit.elquy  le  mensnnj^o  ne 
peut  lui  plaire  qu'autaiil  qu'il  emprunte  les 
couleurs  aimables  de  la  vérité  I 

Que  de  lumières  ne  réi)andra  pas  dans 
notre  esprit  le  soleil  éternel,  source  inta- 
rissable de  toute  lumière  I  Religion  subli- 
me, dont  l'augusle  ubscurilé  étonne  et  con- 
fond nolie  laisoii,  vous  serez  alurs  sans 
voile  et  sans  mystère;  Providence  intlfable, 
dont  nous  adorons  maintenant  l'impénétra- 
ble profondeur,  vous  n'auiez  plus  alors  de 
voies  cachées  ;  el  toi  aussi,  nature  téné- 
breuse, livrée  mainlenant  aux  disputes  des 
savants,  lu  seras  alors  un  livre  ouvert  oiî 
l'esprit  le  plus  borné  pourra  lire  toute  la 
njagniticence  d'un  Dieu  créateur  qtii  s'y 
seia  manifesté  dans  toute  la  suite  ues  siè- 
cles. 

Si  les  merveilles  de  celte  nature  si  riche 
dans  ses  productions,  el  si  brillante  dans 
ses  ornements;  si  la  pompe  du  lirmament, 
la  majesté  des  mers  et  l'inépuisable  lécon- 
diléde  la  terre,  donnent  acjà,  dit  saint  Au- 
gustin,unesi  haute  idée  de  celouvrier  tout- 
puissant  de  qui  émane  tout  ce  qu'il  y  a  de 
beau  et  de  grand  dans  l'univers,  que  sera- 
ce  lorsque  nous  le  verrons  lui-môme,  non- 
seulement  dans  la  magnificence  de  ses  ou- 
vrages, mais  dans  le  propre  éclat  de  sa 
gloire  el  de  sa  majesté  ?  Non,  dit  un  pro- 
i'iièle.  le  Seijiiieur  n'est  vraiment  maj^iiifi- 


qno  qu'au  milieu  de  ci»  torrent  de  lumière 
dont  il  inonde  ses  élus,  solummodo  ibi  mn- 
gnificus  est  Dominus  noster.  {Isa.,  XXXUî, 
21.) 

Mais  celte  lumière  ineETable  ne  fera  pas 
seulement  le  bonheur  de  notre  espr  t;  elle 
remplira  aussi  tous  les  désirs,  tous  les 
vœuï  de  notre  cœur  :  car,  Messieurs,  peut- 
on  contempler  le  plus  beau,  le  plus  luajes- 
tueuxel  le  plus  ravissant  des  êtres,  sans 
l'aimer,  et  peut-on  l'aimer  sans  être  heu- 
reux ?  L'amour  est  l'aliment  nécessaire  du 
cœur;  mais  si  c'est  un  amour  profane  qui 
s'arrête  aux  créatures,  ce  n'est  alors  qu'une 
illusion  grossière  qui  se  change  bientôt  en 
tourment,  et  quelquefois  en  fureur  et  en 
désespoir.  Si  l'amour  s'élève  jusqu'au  Créa- 
teur, seul  digne  d'être  aimé  [lour  lui-même, 
c'est  alors  sans  doute  le  [ilus  do-jx,  lu  plus 
délicieux  des  sentiments.  Mais  ce  senti- 
ment ne  peut  être  que  irès-faible  danscei'e 
vie,  oii  nous  n'avons  de  Dieu  qu'une  con- 
naissance très-im[)arfaile ,  et  où  d'ailleurs 
rasjiecl  des  c:éaluies  vient  si  souvent  nous 
disiraire  de  la  c'ontem[)lalion  du  Créa- 
teur. 

Ce  n'est  que  dans  le  ciel  oh  la  beauté  de 
Dieu,  vue  enfui  sans  voile  et  sans  myslère, 
captive  toute  la  vivacité  de  l'esprit,  et  en- 
chaîne par  un  charme  irrésistible  toute 
l'aclivilé  du  cœur,  que  nous  pouvons  ap- 
[irécier  combien  l'amour  divin  doit  être  vif, 
pur,  tendre  el  déiiiicux.  Bienheureux  élu.-l 
inondés  des  douceurs  d'un  senlimenl  si 
beau,  que  no  vous  csl-il  permis  de  nous  ra- 
cfjnler  ce  qu'éprouve  votre  cœur  I  ces  con- 
tinuelles ardeurs,  ces  brûlants  Iransfiorls, 
ces  saints  ravissements  d'une  âme  qui,  dé- 
gagée des  liens  du  cor[)s,  et  trans()orléo 
li)Ut-h-coup  de  celte  région  de  ténèbres 
diîiis  le  S(jour  de  la  lumière,  voit  cntiii 
clans  tout  bOn  éclat  la  beauté  immortelle, 
qui  la  conleiii[)le  sans  nuage,  qui  la  \tos- 
sèdesaiis  anxiété,  qui  s'enivre  à  cha^iue 
instant  de  ses  allrails,  qui  se  plonge  et  se 
perd  sans  cesse  dans  l'océan  de  ses  per- 
fections! 

Quel  moment.  Messieurs,  que  celui  où 
l'Eglise  vient  annoncer  à  un  prêtre  fidèle  la 
fin  de  sa  cap.ivité,  el  lui  dit  avec  l'accent 
de  l'espérance  :  Parlez,  ûme  chrétienne  ! 
sortez  de  ce  monde,  |)ûur  lequel  vous  n'é- 
tiez point  l'aile,  où  vous  n'avez  trouvé  que 
misères  el  dégoûts;  allez  è  votre  Dieu,  (jui 
vous  leml  les  bras,  et  veut  vous  consoler 
de  toutes  vos  peines  !  Digne  ministre  de 
Jésus-Christ,  allez  le  coniempler  sur  le 
trône  de  son  amour,  ce  Roi  de  gloire,  tout 
rayonnant  de  splendeur  et  de  majesté,  et 
jouissez,  dans  les  doux  embrassem.ents  de 
sa  tendresse,  de  la  récompense  qu'il  a  pro- 
mise à  la  pénitence,  à  la  piété,  à  la  ch.is- 
lelé,  à  la  charité,  à  l'amour  de  la  orière,  à 
la  fuite  des  phiisirs  et  des  vanités  du  monde, 
h  la  pratique  de  l'oraison  et  de  la  re.raile, 
aux  travaux  et  aux  fatigues  d'un  j)éiiib.o 
ministère. 

Je  ne  dirai  rien  de  lagloire  éciatanie  qui 
alleiid  le  corps  des  élus  au  grand   jour  de 


\ 


la  résiirr.îcMon  ;  c'est  assez  de  savoir  que 
ce  sera  la  gloire  même  de  Jésus-Christ  qui 
rejaillira  sur  eu\,  et  les  reudra  plus  r.i- 
dieux  que  les  astres,  et  plus  briliatils  que 
la  lumière.  Mais  je  demanderai  comnieiit 
il  peut  se  faire  qu'un  bonheur  si  parfait  no 
soii  pas  l'unique  but  où  se  diligent  sans 
cesse  nos  pensées,  nos  projets,  iia.>  tnlents, 
nos  désirs,  nos  espérances,  nos  entreprises 
el  tous  les  travaux  de  no'.re  minisière  : 
Qiiœ  stirsxim  sunt  (/nœrite,  non  qttœ  super 
lerram.  {Coloss.,  III.) 

Où  esl  donc  notie  foi,  vénérables  con- 
frères? Qu'un  idolâtre  et  un  païen,  qui  ue 
connaissent  pas  la  ma!,'nificen('e  du  Dieu  de 
l'Evangile,  bornent  leurs  désirs  et  leurs 
alTeclions  aux  biens  trompeurs  de  celle  vie, 
je  n'en  suis  pas  étonné  ;  je  suis  mèuie  peu 
surf>ris  que  la  plupart  des  chrétiens  qui 
connaissent,  il  est  vrai,  les  promesses  de 
ce  Dieu,  mais  qui  en  sont  sans  cesse  dis- 
Irails  par  une  multilude  d'affaires  el  de 
soins  terrestres,  élèvent  rarement  leur 
cœurs  vers  ce  bonheur  invisible  que  la  foi 
no'is  montre  au-dessus  de  nos  têtes.  Mais 
que  nous,  hommes  ilc  I>ieu,  occupés  |)ar 
état  des  choses  de  l'éternité,  rappelés  sans 
cesse  par  nos  études  el  par  nos  fonctions  5 
la  pensée  de  l'éternilé,  placés,  pour  ainsi 
dire,  entre  le  ciel  et  la  lerre,  pour  élever 
T\o<  frères  de  la  terre  au  ciel  et  les  aider  à 
y  enirer,  nous  oubliassions  nous-mêmes 
celte  demeure  éternelle,  pour  nous  occu- 
])er  de  je  ne  sais  (luelles  misères  qui  nous 
dégradent,  nous  avilissent,  et  souvent  nous 
soiiillent  et  nous  corrompent,  avouons-le, 
Messieurs,  une  telle  inditférence  n'annon- 
cerail-elle  pas  en  nous  une  foi  chancelante, 
<iu  un  cœur  perverti,  ou  le  plus  déplorable, 
le  plus  monstrueux  des  aveuglements  ; 
j'ai  presque  dit  la  plus  inconcevable  des 
folies? 

Nous  j)Ourrions,  vénérables  confrère^., 
nous  rappeler  à  nous-mêmes  les  passages 
de  nos  divines  écritures  qui  nous  donnent 
une  idée  de  la  beauté  des  demeures  éler- 
nelles  el  du  bonheur  qui  nous  attend; 
mais  que  sont  ces  descriptions  empruntées 
à  tout  ce  que  la  terre  nous  présente  de 
grand  et  de  magnifique,  auprès  de  l'idée 
(l'un  Dieu  rémunérateur  et  créateur  de 
tontes  choses?  C'est  la  présence  de  ce  Dieu 
juste  el  bon,  ne  l'oublions  jamais,  vénéra- 
bles confrères,  qui  sera  notre  plus  grande 
et  notre  plus  glorieuse  récompense;  elle 
sera  pour  nous  une  béatitude  consommée, 
qui  nous  tiendra  lieu  de  tout,  parce  que 
nous  trouverons  en  elle  la  plénitude  du 
bonheur,  du  repos  et  de  la  joie:  parce  que 
celte  récompense  sera  |)Our  nous  i'aUran- 
chissement  de  tout  mal  el  la  |)Osses6ion  de 
tout  bien.  Telles  sont,  Messieurs,  les 
considérations  propres  à  réveiller  notre 
foi  sur  l'étendue  du  bonheur  que  Dieu 
nous  a  préparé  de  toute  éternité.  Médi- 
tons mainteiianl  sur  la  perfection  de  ce 
bonheur. 


RETR.^ITE.  —  INSTllL'CT.  VI,  SUR  LE  PARADIS. 

SECONDE    PARTIE. 


G'tO 


Quand  je  parle.  Messieurs,  de  la  |)erfec- 
tion  du  bonheur  du  ciel,  j'entends  ce  senti- 
ment profond  de  sécurité  qui  nous  en  as- 
surera l'éternelle  possession,  et  qui  exclura 
toute  crainte  de  le  perdre  jamais.  Vous 
le  savez,  nous  ne  vivons  ici-bas  que  d'ap- 
préhensions el  d'espérances  ;  les  unes  se 
réalisent  bien  plus  loi  que  les  autres.  La 
crainte  nous  portée  désespérer  que  le  bien 
que  nous  souhaitons  nous  arrive,  ou,  nous 
suscitant  sans  cesse  des  présages  funestes, 
elle  nous  fait  redouter  le  moment  où  sa 
possession  nous  échappera. 

Qui  ftonrrail  énumérer  les  craintes  per- 
pétuelles qui  agitent  l'homme  sur  la  lerre? 
Que  ne  craint-il  pas?  Il  craint  de  ne  pas 
obtenir  ce  <]u'il  désire,  de  ne  pas  réussir 
dans  ce  qu'il  entreprend,  de  perdre,  du 
moins  en  partie,  ce  qu'il  possède;  il  craint 
les  censures,  les  mépris,  l'injustice,  la 
cruauté  des  hommes  ;  il  craint  la  rigueur 
des  saisons,  la  fureur  des  éléments,  les  ra- 
vages des  tem|iêles;  il  craint  la  pauvreté, 
le  déshonneur,  l'ennui,  la  fatigue,  l'infir- 
mité, les  douleurs;  il  craint  surtout  la 
mort,  qu'il  sait  inévitable,  el  dont  le  mo- 
ment et  les  circonstances  lui  sont  incon- 
nus; il  craint  justju'à  l'ombre  du  danger, 
jusqu'à  de  vains  faulôines;  il  craint  le  |)é- 
cbé,  el  celle  crainte,  la  plus  sage  sans 
doute  et  la  plus  nécessaire,  n'est  pas,  sur- 
tout dans  un  bon  prêtre,  la  moins  pénible  ; 
il  craint  les  suites  et  les  châtiments  du  pé- 
ché; il  craint  l'enfer,  et  l'incertitude  de  sa 
destinée  éternelle  esl  pour  lui  un  sujet  con- 
tinuel d'anxiété. 

Olil  mes  chers  confrères,  réjouissons- 
nous  dans  l'espérance  de  l'immortalité  ;  au- 
cune de  ces  ciainles  n'entrera  jamais  dans 
le  séjour  des  élus;  ils  sont  certains  que 
leur  bonheur  durera  toujours  ;  ce  n'est  pas 
assez,  ils  sont  certains  que  ce  bonheur 
sera  toujours  le  même  el  ne  s'altérera  ja- 
mais. Ce  sont  là,  vous  le  savez,  deux,  véri- 
tés fondamentales  que  la  religion  nous 
rappelle,  et  (pie  je  soumets  dans  ce  mo- 
ment à  votre  méditation  : /usfi  in  perpe- 
tuum  vivent  {Sap.,  V,  16)  ;  credo  vilam  œter- 
nam.  {Rom.,  VI,  2-2.)  Serait-il  possible  qu'a- 
vec la  foi  de  cette  vie  éternelle  dont  l'ex- 
pression termine  chacune  de  nos  instruc- 
tions chrétiennes,  nous  fissions  quelque  at- 
leiilion  è  la  ligure  d'un  monde  qui  n'a  de 
constant  (jue  sou  inconstance  ?  Mandas 
transit,  el  concupiscenlia  ejus.  [IJoan., 
II,  17.) 

Ouvrons  les  yeux,  mes  chers  confrères; 
qu'est-ce  que  la  vie  de  l'homme,  qu'un  flux 
et  nn  rellux  continuel  d'élévations  et  de 
chutes,  de  prospérités  et  de  revers,  de 
plaisirs  momentanés  et  de  longues  amertu- 
mes? Et  malgré  celle  effrayante  instabilité, 
nous  cliercherions  à  nous  établir,  à  nous 
fixer  sur  une  terre  minée  par  des  volcans, 
et  prêle  à  s'échapper  sous  nos  pas?  Quoi, 
Messieurs,  au  milieu  de  tant  de  révolutions 
oui  agitent   cl  bouieversuiit   sans  cesse  la 


69!' 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


^n 


demeure  des  mortels,  au  milieu  de  lanl 
de  fortunes  qui  s'élèvent  rapidement  et 
s'écroulent  à  l'instant  même  qui  semblait 
en  assurer  la  durée;  de  tant  d'iiommes 
puissants  qui  brillent  pendant  quelques 
jours,  et  disparaissent  en  un  clin -d'oeil 
.•^ans  laisser  après  eux  de  vestiges,  nous 
poursuivrions  encore  une  ombre  de  bou- 
lii'ur  qui  peut  nous  échapper  à  tout  mo- 
ment, et  qui  doit  inéviiablea'ent  dispa- 
raître dans  peu  d'années  1 

Mais  qu'il  en  sera  bien  autrement,  ô  mon 
Dieu  !  de  la  félicité  qui  nous  attend  dans 
votre  royaume  !  Aussi  durable ,  aussi 
éternelle  que  vous,  puisque  ce  sera  vous- 
même  qui  serez  cette  filicilé,  elle  n'aura 
h  redouter  ni  les  orages  des  révolutions, 
ni  l'inconstance  de  la  fortune,  ni  l'in- 
justice des  hommes,  ni  les  ravages  de  la 
mort.  Vous  l'avez  promis,  ô  mon  Dieu  1 
et  vos  promesses  sont  infaillibles  ;  vos 
élus  jouiront  à  jamais  d'une  paix  et  d'une 
SL^curité  parfaites  ;  personne  ne  pourra 
leur  ravir  cette  joie  pure  et  inaltérable 
qu'ils  goûteront  dans  le  sein  de  votre 
nmour  :  Gaudium  vestrum  nemo  loUet  a  vo- 
bis.  {Joan.,  XVI,  22.) 

Voilà,  Messieurs,  le  grana  et  le  sublime 
motif  que  l'Apôtre  proposait  aux  [)ren)iers 
lidèles  pour  les  encourager  dans  les  tribu- 
Jations  et  les  épreuves  passagères  de  colle 
vie.  Pourquoi  vous  laisseriez-vous  abattre, 
leur  disait-il,  à  l'aspect  des  travaux,  des 
s.icrifices,    des    renoncements,    de   cette 
sainte  violence  qu'exige  le  royaume  des 
cieux  ?  Ignorez-vous  que  les  combats  de  la 
vertu  ne  dureront  que  peu  d'années,  et  que 
Ja  récompense  en  sera  éternelle?  œlernum 
qloriœ  pondus.  (II  Cor.,  IV,  17.)  Ah  1  com- 
battez donc  avec  courage  et  résistez  jusqu'à 
i.\  tin  aux  tentations,  aux  fatigues   et  aux 
dégoûts,  dans   l'espérance  de  ce  poids  im- 
mortel de  gloire  et  de  bonheur.  Voyez  les 
athlètes  du  monde,  comme  ils  s'élancent 
avec  ardeur  dans  la  carrière  de  l'ambition 
et  de  la  cupidité!  Comme  ils  courent  jus- 
qu'au   bout   sans    s'arrêter,    sans    perdre 
un  instant  1  Pourquoi?  Pour  obtenir   une 
«couronne  corruptible,  quelques  biens  que 
<a  mort  va  leur  ravir,  quelques  sulfrages, 
quelques   applaudissements    qui    vont    se 
jierdre   dans   les    airs  :  El    illi  quidem  ut 
corruplibilein   coronam   accipiant.   (I   Cor., 
IX,  25,)  Et  nous,  athlètes  de  Jésus-Christ; 
quedis-je?  nous,   chefs   de   ces  athlètes; 
nous,  placés  au  premier  [rang  dans   la   mi- 
lice sainte,  nous  abandonnerions  la  noble 
carrière  qu'il  nous  a  tracée  lui-même,    et 
que    tant  de  prêtres    fidèles,     vainqueurs 
Ju   monde  el  de  la   chair,   ont   parcourue 
après  lui  !  Ou  nous  nous  y  traînerions  avec 
une  lâcheté   et    une   indolence  honteuse, 
nous  qui  attendons  de  ses  promesses  une 
gloire   impérissable,    une  couronne  incor- 
ruptible :  nos   auLem    incorruplam!   (iOid.) 
Aimons   à    nous    rappeler  souvent   que   le 
bonheur  des  élus  sera  toujours  le   même; 
nul  pressentiment  secret  qu'il  nous  échap- 
pe, nulle    api)réheusiou  de   le   [lerdre  ja- 


mais; et  ce  profond  sentiment  de  sécurité, 
dont  l'instabilité  des  choses  humaines 
ne  nous  permet  que  d'avoir  une  idée  con- 
fuse, ajoutera  un  prix  infini  à  leur  bon- 
hi  ur.  Leur  espérance  sera  fondée  sur  l'im- 
mnrlalilé  qui  leur  est  promise  :  Spes  illo- 
rutn  immortalilale  plena  est.  (Sap.,  ill,  4.) 
Nous  avnus  pour  garant  de  cette  vérité  la 
souveraine  véracité  et  la  souveraine  justice 
de  Dieu. 

Mais  ce  n'est  pas  assez  que  les  élus  soient 
à  l'abri  de  toute  crainte  de  perdre.leur  bon- 
heur; ils  sont  en  outre  certains  que  ce  bonheur 
ne  s'altérera  jamais  ;  je  veux  dire  qu'il  sera 
toujours  également  vif,  également  délicieux, 
également  senti;  et  c'est  ici  une  dernière 
différence  qui  le  distingue  avec  tant  de 
suf)ériorité  du  bonheur  de  la  terre,  essen- 
tiellement faux,  essentiellement  périssable, 
mais  de  plus,  inconstant  dans  ses  fausses 
douceurs  :  car.  Messieurs,  vous  le  voyez, 
on  a  beau  conserver  ici-bas  les  mêmes  biens, 
les  mômes  plaisirs  extérieurs;  on  n'est  pas 
toujours  également  content;  un  jour  na 
ressemble  presque  jamais  à  un  autre  .-s'il 
en  est  de  sereins,  combien  n'en  est-il  pas 
de  nébuleux?  D'où  vient  que  cet  honjme 
qu'on  trouvait  hier  si  gai  et  si  riant,  est 
aujourd'hui  si  sombre  et  si  triste?  il  n'a 
cependant  perdu  aucune  de  ses  jouissances. 
11  faut  si  peu  de  chose.  Messieurs,  pour 
troubler  ici-bas  notre  sérénité:  un  dérange- 
ment dans  notre  état  habituel,  une  idée 
fâcheuse  qui  s'empare  de  notre  âme,  un 
avis  sérieux  qui  contriste  l'amour-propre, 
une  prévention,  une  contradiction,  une  ter- 
reur souvent  imaginaire,  le  spectacle  de 
nos  défauts,  qui  nous  humilie,  et  souvent 
nous  décourage;  le  remords  de  nos  fautes, 
qui  empoisonne  plus  ou  moins  nos  i)laisirs  ; 
un  obstacle  imprévu  qui  arrête  nos  projets, 
la  froideur  d'un  ami,  les  succès  d'un  con- 
current, l'indifférence  d'un  protecteur;  que 
sais-je  ?  une  inattention,  ua  oubli,  nu 
manque  d'égards  dans  la  société,  suflisent 
pour  altérer  la  paix  de  notre  âme. 

O  élus  de  Dieu!  que  vous  êtes  heureux 
d'être  à  l'abri  de  toutes  ces  vicissitudes! 
Mais  comment  ne  le  seriez-vous  pas?  en 
quittant  la  terre,  vous  y  avez  laissé  toutes 
les  faiblesses  de  l'humanité  :  plus  de  nuages 
dans  l'esprit,  plus  de  passions  dans  le  cœur, 
I)lus  d'ambition,  surtout  [)lus  d'amour-pro- 
pre source  ordinaire  de  nos  peines.  Entourés 
des  rayons  de  ia  véi'ilé,  rien  ne  vous  trompe; 
affermisdans  la  justice,  rien  nevousébranle; 
enchaînés  les  uns  aux  autres  par  la  charité, 
rien  ne  vous  aigrit;  sans  cesse  unis  dans  le 
sein  du  Dieu  de  f)aix,  vous  ne  faites  tous 
ensemble  qu'un  seul  et  même  cœur. 

Car,  Messieurs,  ce  serait  bien  mal  con- 
naître celte  auguste  el  imposante  réunion 
des  élus  de  Dieu  que  de  la  croire  susceptible 
de  ces  envies  secrètes  ,  de  ces  soupçons 
|)énibles,  de  ces  préventions  fâcheuses,  de 
ces  petitesses  de  ia  vanité  qui  altèrent  si 
souvent  ici-bas  la  paix  avec  nos  frères  ! 
Que  i)0urraient  s'envier  les  élus,  puiscjue 
tous  ont  ce  qu'ils  désirent?  Eu  quoi  pour- 


69S 


RETRAITE.  —  INSTRUCT 


r 


mi^nl-ils  se  ronlriirier,  puisque  iineamili4 
inalt(^rnl)le  lour  rend  coiainiiH  à  t04is  lo 
bonheur  df  ch.-iciiri  ?  Il  l'aut  sans  doale  (|u'il 
y  ail  dans  le  Ciel  dilléreiiles  demeures  pdur 
récompenser  les  divers  degrés  de  mérite, 
niais  celle  diversité  de  récompense  et  de 
gloire  peu'-ello  enfanter  aucune  jalousie 
enlre  iles  amis  qui  possèdent  tous  dans  lo 
sein  du  môme  Dieu,  non-seulement  tout  le 
bonheur  dont  chacun  est  digne,  mais  tout 
cebii  dont  chacun  est  capable. 

Qil'esi-ce  donc  qui  pourrait  troubler  leur 
félicité?  Serait-ce  la  satiété  et  le  dégoûl? 
Ici-bas,  sans  doule,  le  sort  le  plus  doux 
nous  fatigue  à  la  fin  fiar  la  seule  continuité  : 
nous  nous  lassons  de  tout  ;  nous  avons  beau 
multiplier,  varier  nos  jilaisirs,  nous  portons 
au  dedans  de  nous  un  fand  de  tristesse  et 
d'inquiétude  qui  en  émousse  la  vivacité. 
Cond)ien  de  fois  la  joie  est-elle  peinte  sur 
nos  figures,  quand  les  chagrins  on  l'ennui 
dévorent  en  secrel  notre  âme?  Faut-il  en 
être  surpris?  Les  créatures  ont  tant  de  dé- 
fauts qu'on  ne  découvre  que  par  l'usage  et 
L'expérience:  on  se  laisse  d'abord  séduire 
par  des  apparences  i)rillantes,  mais  peu  à 
peu  on  découvre  son  erreur,  et  au  plaisir 
succède  le  dégoût. 

Comment  pourrait-on  se  dégoûterde  vouf, 
ô  mon  Dieu  1  dont  la  beauté  toujours  an- 
cienne et  toujours  nouvelle  commandera 
sans  cesse  une  nouvelle  admiration?  Après 
une  intinité  de  siècles,  serez-vous  moins 
grand,  moins  aimable,  moins  magnilique? 
Gomnn  ni  donc  vos  élus  i)oiirraienl-ils  se 
lasser  de  contempler  volte  gloire,  de  chérir 
Votre  bnnté,  de  célébrer  vos  grandeurs? 
lar  voilà,  dit  suint  Augustin,  ce  qui  fera 
éiernellement  l'occupation  et  la  béatitude 
dis  élu-.  Ils  verront  Dieu  sans  relâche,  ils 
l  aimeront  sans  dégoût,  ils  le  loueront  satis 
falig^ue  :  u  Sine  fine  rideOilur,  sine  fustidio 
amahilur,  sine  faligalione  laudabitur.  »  Tou- 
jouis  rassasiés  et  toujours  avides,  plus  ils 
eoi.templeront  la  splendeur  de  la  beauté 
iDuiiortelie,  et  plus  ils  seront  épris  de  ses 
attraits;  leurs  désirs  toujours  satisfaits  re- 
naîtront sans  cesse  pour  être  sans  cesse 
satisfaits  de  nouveau:  ce  sera  une  conti- 
nuité non  inlerrom|)ue  d'amour,  d'admira- 
tion, de  sainte  ivresse,  de  transports  ravis- 
sants qu'il  est  inifiossible  de  peindre,  |)arce 
(]ue  l'image  ne  s'en  trouve  nulle  part  dans 
la  u.iture.  Hé  que  peuvent  avoir  de  commun 
les  plaisirs grossiersdes sensavec l'éleinelle 
béalilude? 

Si  quelque  chose  de  mortel  pouvait  oll'rir 
une  idée  de  la  céleste  félicité,  ce  seraient  ces 
consolations  vives,  mais  momentanées,  que 
l'on  goûte  (juclquefois  dans  les  ardeurs  de 
l'amour  divin.  O  vous,  âmes  privilégiées, 
[)rêlres  |)ieux  et  fervents,  sur  qui  Dieu  se 
piaîl  à  répandre  ^\i^s  celle  vie  une  partie  des 
tlouceuis  dont  il  inonde  les  Saints  dans  le 
séjour  de  sa  gloire,  dites-nous,  si  vous 
pouvez,  ce  qu'éjtrouve  votre  cœur  dans  ces 
jjeuieux  moments,  sons  quels  attraits  se 
présente  n  vos  }eux  l'objet  de  voire  amour. 
Les  (  hosos  de  la  terre  sont  olnis  bien  loin 


.  VI,  SUR  LE  PARADIS.  C'Ji 

devons:  attendris,  embrasés,  s-iinlement 
pa^sit)n-nés,  vous  no  sentez  (|iit!  Dieu  et  le 
plaisir  de  l'aimer. Oii'«"i-'S  sont  consol.intes, 
ces  larmes  célestes  cpii  coulent  alors  de  vos 
yeux!  (jnel  stnitiment  profane  peut  être 
(•om[iaré  à  ces  élans  (l'amour  que  pousse 
alors  votre  cœur,  \\  celle  abondance  (le  sua- 
vité qu'y  répand  l'onction  divine?  Ces  mo- 
ments sont  courts  ;  mais  comme  ils  sont  dé- 
licieux I 

Parlez  ici  à  ma  place,  ô  vous,  heureux 
anacliorètes,  qui  goûtiez  dans  les  antres  des 
déserts  et  le  creux  des  rochers  des  délices 
ignorées  dans  le  palais  et  sur  le  Irône  des 
Césars;  ô  Paul!  ô  Antnine!  qui  passiez  les 
nuits  entiè'-es  h.  admirer  les  grandeurs  do 
Dieu,  et  qui,  surpris  [par  l'aurore  au  milieu 
de  vos  ravissements,  reprocliicz  à  l'aslre  du 
jour  de  venir  troubler  la  douceur  de  vos 
contemplations,  venez  nous  instruire  sur  I© 
néant  des  plaisirs  de  la  terre.  Et  vous,  afiôtre 
des  Indes,  immortel  Xavier^  retracez-nous 
ces  torrents  de  consolation  dont  vous  consu- 
mait l'ardeur  brûlante  de  l'amour  divin;, 
raconlez-nous  les  prodiges  de  grâce  qui 
s'opéraient  au  fond  de  votre  coeur  lorsque, 
ne  pouvant  résister  à  celte  abondance  de 
douceurs  célestes,  on  vous  entendait  vous 
écrier  dans  un  saint  transport:  C'est  assez, 
Soigneur  ;  c'est  assez  ! 

Hélas,  Messieurs,  qu'est-ce  donc  que 
cette  misérable  vie  oij  la  faiblesse  de  notre 
mortalité  ne  peut  soutenir,  seulement  [)en- 
dant  quelques  instants,  un  rayon  devrai 
bonheur?  Quelle  heureuse  transformation 
ne  doit  pas  éprouver  l'ara"  fidèle  dans  ce 
séjour  de  gloire  et  de  paix,  où  Dieu  verse 
dans  le  cœur  de  ses  éius,  non  par  intervalles, 
mais  sans  inierruption  ;  non  goutte  à 
goutle,  mais  f)ar  tlols  et  par  torrents,  ces 
imruortelles  délices  dont  ils  sentirent  sur 
la  terre  une  faible  émanation  1 

La  voilà,  mes  chers  confrères,  non  pas 
telle  qu'elle  est,  mais  telle  que  lEsfjril- 
Saint  a  jugé  à  propos  de  nous  la  dépeindre, 
celte  récompense  magnifique,  infinimen-t 
au-dessus  de  toutes  nos  idées  et  de  toutes 
nos  expressions,  puisqu'elle  est  aussi  grande 
que  Dieu  njôme  1  la  voilo,  celle  mesure  de 
bonheur,  pressée,  entassée,  surabondante, 
que  Dieu  a  promise  à  tous  les  mortels,  et 
et  surtout  à  ceux  qui  en  tracent  la  roule  à. 
leurs  frères. 

Le  moyen  de  l'obtenir,  vénérables  con- 
frères, qui  de  vous  l'ignore?  Deux  choses 
sullisent  pour  obtenir  la  couronne  céleste; 
et  je  résume  ici  en  deux  mots  toute  la  [pra- 
tique des  devoirs  du  chrétien  et  du  prêtre; 
savoir  :  la  conviction  intime  qu'on  peut  la 
méi'iler,  et  la  volonté  décidée  et  soutenue 
de  la  mériter  en  ettet.  Je  puis  parvenir  au 
ciel,  et  je  veux  sincèrement  y  parvenir. 
Tout  est  là  :  si  je  réalise  cette  bonne  volon- 
té, le  ciel  m'a[)|»artient. 

Oui,  je  puis  parvenir  au  bonheur  du  ciel, 
j'en  SUIS  certain  :  ([uel  que  soit  l'état  actuel 
de  mon  âme,  dans  quelques  abîmes  d'iui- 
quilé  que  je  me  sois  plongé,  quelque  né- 
gligence que  j'aie  apportée  justiu'ici  dans 


C93 


CrATEURS  SACRES.  JifAnUCL 


696 


les  fonctions  de  mon  ministère,  quand  je 
.«(■rais  '^n  ce  moment  sur  les  bords  de  I  en- 
fer et  prêt  à  y  tomber,  je  puis  parvenir  à 
la  demeure  éternelle  des  élus.  Wais  com- 
nipnt  ?  parce  que  je  puis  me  convertir, 
vivre  ensuite  comme  ils  ont  vécu,  et  mou- 
rir comme  ils  sont  morts.  Oui,  je  puis  par- 
venir au  bonheur  du  ciel  :  et  qui  m'en  em- 
pêcherait ?  Dieu ,  qui  m'y  appelle,  qui  me  l'a 
promis,  qui  ne  m'a  créé  que  pour  le  ciel  ? 
Jésus-Christ,  qui  est  mort  pour  m'en  ou- 
vrir la  route,  qui  m'y  a  préparé  une  place, 
qui  sollicite  sans  cesse  auprès  de  son  Père 
les  secours  dont  j'ai  besoin  pour  l'obtenir? 
les  sainls,  qui  bi  ûlent  de  m'y  voir,  qui  me 
t(?ndent  leurs  bras  et  m'otlrent  leur  protec- 
tion? le  démon,  que  les  saints  ont  vaincu, 
et  que  je  puis  vaincre  comme  eux,  [luisque 
j'ai  les  mômes  armes?  le  monde,  dont  j'ab- 
horre le?  maximes,  et  dont  je  veux  fuir  les 
vanités  et  les  scandales  ;  qui  m'est  étranger, 
et  avec  lequel  je  n'ai  d'autres  rapports  que 
ceux  de  la  charité  ?  mes  passions  ?  Mais 
sont-elles  plus  puissantes  que  la  toule- 
piiissance  de  la  grAceque  Dieu  a  promise  à 
la  prière?  Je  puis  parvenir  au  ciel  :  nul 
obstacle  ne  peut  m'empêcher  de  suivre  les 
traces  de  tant  de  saints  |)rêlrcs  qui  y  sont 
parvenus.  Quel  motif  d'encouragement,  ô 
mon  Dieu  1  et  pourruis-je  ne  pas  me  réveil- 
ler enfin  de  ma  lâcheté  et  de  mon  indo- 
lence 1 

Je  puis  parvenir  au  bonheur  du  ciel ,  et 
je  le  veux  I  Je  prends  la  ferme  résolution 
de  ne  pas  tomber  dans  les  abîmes  de  l'en- 
fer 1  Quoi  qu'il  puisse  m'en  coûter,  je  veux 
partager  la  gloire  des  élus;  et  je  l'espère, 
parce  que  je  le  veux  d'une  volonté  eflicace, 
dis|iosé  à  expier  mes  fautes,  à  remplir  tous 
mes  devoirs,  et  à  les  rem|)lir  en  vue  de 
Dieu,  qui  récompense  tout  ce  qu'on  fait 
pour  lui  plaire;  parce  que  je  le  veux  d'une 
volonté  généreuse,  prêt  à  faire  à  Dieu  tous 
les  sacrifices  qu'il  exigera,  à  me  priver  de 
telle  lecture,  de  tel  plaisir,  de  telle  fréquen- 
tation que  sa  loi  ru'interdit  ;  parce  que  je 
le  veux  d'une  volonté  intrépide,  prêt  à  en- 
treprendre tout  ce  que  Dieu  m'ordonnera 
Î)ar  l'organe  de  mes  supérieurs,  sans  me 
aisser  effrayer  ni  do  la  grandeur  de  mes 
obligations,  ni  de  la  difficulté  du  poste  où 
je  serai  placé,  ni  des  dangers  attachés  à  mon 
ministère,  ni  des  railleries  et  des  censures 
d'un  monde  aveugle,  ni  de  la  difiiculté  de 
vaincre  mes  passions  et  mes  habitudes,  ni 
des  [)iéges  sans  nombre  que  me  tendra  l'en- 
nemi de  mon  salut. 

Oui,  je  veux  décidément  parvenir  au 
ciel  ;  et,  avec  le  secours  de  Dieu,  j'y  par- 
viendrai :  un  des  grands  moyens  que  j'em- 
ploierai sera  la  pensée  journalière  du'bon- 
heur  que  l'on  y  goûte.  Oh  !  céleste  Jérusii- 
lem  ,  votre  image  consolante ,  toujours 
présente  à  mon  esprit  et  gravée  au  fond  de 
mou  cœur,  viendra  sans  cesse  encourager 
mes  étions  et  adoucir  la  rigueur  de  mes 
souffrances;  et  s'il  m'est  permis  dans  cette 
vallée  de  larmes  de  me  donner  quelijue 
repos,  et  d'oublier  en  passant  que  je  suis 


malheureux,  nh  !  ma  principale  consola- 
tion sera  dans  le  souvenir  de  cette  joie 
inaltérable  qui  m'attend  dans  votre  roy- 
aume ! 

Eiernelle  cité,  dont  Dieu  lui-même  est 
l'architecte  et  le  fondatmr,  que  ma  main 
droite  se  dessèche,  que  ma  langue  s'attache 
à  mon  palais,  plutôt  que  d'oublier  la  magni- 
ficence de    vos    murs    et  la  paix    ineffable 
de  vos  habitants  1  Si  oblittts  fuero  tuiJcrit- 
salem,  oblivioni  detur  dextera  mea;  adhœ- 
reat  lingua  mea  fnucibus  meis  si  non  meini- 
nero  lui!  (Psnl.  CXXXVI,  5,  6.)  Qu'ils  sont 
heureux,  ô  mon  Dieul  ces  enfants  de  voire 
amour,   ces  prêtres  vénérables,  qui  à  côté 
des  prophètes    et   des   apôtres,   entourent 
votre  trône,  et  contemplent  sans  cesse  l'é- 
clat de  votre  majesté!  Oh!  quand   viendra 
le  moment  oii  je  pourrai  chanter  avec  eux 
les  merveilles   de   votre   puissance   et   les 
douceurs  de  votre  amour?  Quand  pourrai- 
je  m'écrier  avec  cette  âme  fervente  dont 
parle  l'Esprit-Saint,  avec  l'épouse  des  Can- 
tiques: Je  Tai  enfin  trouvé,  ce  Dieu  si  aimable 
qui  occu|)ait  tous  les  vœux  de  mon  cœur  : 
fnvenit    quem   ditigit   anima   mea  !  Il    est  à 
moi,  et  je  ne  crains   point   de   le  perdre, 
tenui  euin,  nec  dimillam  !  [Canl  ,  III,  4.)  Hâ- 
tez, Seigneur,  ce  moment  délicieux;  brisez 
les   liens  de  ma  captivité    q.uii  deviennent 
tous  ks  jours  plus  pesants,  et  trans|)Ort(!Z- 
moi  de  cette  région  de  ténèbres  et  de  mort 
dans  le  séjour  de   la   lumière  et  de  la  vie 
éternelle.  Que  je  m'y  trouve,  ô  mon  Dieu, 
avec   tous   les    membres    d'une   assemblée 
dont  l'indulgence  doit  excuser  ma  faiblesse 
et  soutenir  mes  efforts  1  Prêtres  de  Jésus- 
Christ,   puissions-nous  à   la   lin    de    notre 
carrière    apostolique    nous    appli(]uer   ces 
paroles  de  saint  Paul  à  son  disciple  Tiino- 
ihée  :  J'ai  été  constant  dans  la  foi  ;  il  ne  me 
reste  qu'à  attendre  la  couronne  de  justice  qui 
m'est  réservée  et  que  le  Seigneur  en  ce  jour 
me  donnera,  connue  juste  juge,  non-seulement 
à  moi,  mais  à  tous  ses   fidèles  serviteurs  : 
«  Cursum  consummavi,  fidem  servavi,  in  reli- 
quo  reposita  est  mihi  corona  justitiœ  quam 
reddet  mihi  Dominus  in  illa  diejuslusjudex, 
non  solum  autem  mihi,  sed  ils  qui  diiigunt 
adventum  cjus.  »  (Il  Tiin.,  IV,  7,  8  .)  lit  eus 
dernières  paroles  ne  reçoivent-elles  |)as  une 
heureuse  application  dans  ce  ministre  lidèle 
qui  entre  dans  le  ciel,  où  il  trouve  une  mul- 
titude d'ûmes  (lue  son  zèle  y  a  fait  parve- 
nir, après  en  avoir   laissé  d'autres  sur  la 
terre  qui,  suivant  ses  conseils  et  ses  exem- 
ples, viennent,  le  rejoindre  dans  le  séjour 
de  la  gloire?  O  mon  Dieu!  ajcordez-nous 
le  bonheur  de  nous  voir  un  jour  tous  réu- 
nis dans   votre  royaume,  comme   nous   le 
sommes  ici  dans  votre  amour  et  dans  le  zèle 
de  voire  gloire.  Oh!  qu'il  n'en  soit  pas  de 
cetteassemblée  comme  de  celle  des  quarante 
maityrs,  d'où  il  sortit  un  lâche  et  un  apos- 
tat; ni,  liélas!  comme  de  celle  de  vos  a[)ô- 
tres,  où  il  se  trouva  un  enfant  de  perdition. 
Que  nous  tous  qui  sommes  entrés  dans  cette 
retraite,    nous    nous    trouvions    dans    le 
séjour  de  votre  gloire,  pour  chanter  tous 


097 


RETRAITE.  —  INSTUUCT 


ensombU   les    bienfaits  de   voire   niiséii- 
coi'do  1 

Prions,  mes  cliers  confrères,  les  uns  pour 
les  autres,  et  prions  sans  cesse  pour  obte- 
nir cet  inefliible  bonheur  :  Orale  pio  invi- 
cem  nt  sdlvemini  ;  mitltum  enim  valel  depre- 
calio  justi  assidiia.  {Jac,  V,  16.) 

INSTRUCTION   VII. 

Li    PRIÈRE. 

KITuiidam  siippr  doraura  David  spirilum  gralioe  el  pie- 
cum.  {Zacli.,\\,  10.) 

Messieurs, 
En  portant  nos  regards  sur  la  faiblesse 
liuniaino,  il  est  facile  de  reconnaître  com- 
bien nous  avons  besoin  de  cet  esprit  de 
grilce  et  de  prière,  de  cet  esprit  de  sagesse 
el  do  piété  qui  touche  et  attendrit  le  cœur, 
(]ui  le  dégoûte  des  choses  d'ici-bas,  et  lui 
insi-ire  le  désir  des  biens  éternels;  qui  le 
fait  gémir  sans  cesse  dans  ce  lieu  d'exil  sur 
s?s  misères  personnelles,  sur  les  maux  et 
les  scandales  de  l'Eglise  1  Apprenons  à  con- 
naître combien  nous  est  nécessaire  ce  re- 
cueillement intérieur  qui  règle  les  sens, 
cette  vie  de  foi  et  d'amour  qui  entretient 
dans  l'âme  une  disposition  continuelle  h 
s'élever  vers  Dieu,  en  s'iiuuiiliant  à  ses 
pieds,  et  à  se  rendre  digne  de  ses  bienfaits, 
en  lui  présentant  le  spectacle  de  notre  in- 
digence 1  car  c'est  en  cela,  vous  le  savez, 
que  consiste  l'esprit  de  prière. 

N'est-il  lias  étrange  qu'au  milieu  des  dan- 
gers sans  nombre  qui  nous  enlourtnl,  des 
sollicitudes  qui  nous  obsèdent,  des  travaux 
qui  nous  accablent,  des  passions  qui  nous 
Agitent,  des  chutes  journalières,  et  souvent 
humiliantes  qui  attellent  notre  faiblesse, 
nous  sentions  si  peu  rexliêuie  besoin  que 
nous  avons  du  secours  d'en  haut,  et  que 
nous  soyons  si  peu  empressés  à  le  demander? 
Que  les  gens  du  monde  soient  dégoûtés 
de  la  prière,  et  qu'ils  abandonnent  ce  saint 
exercice,  ou  ne  s'y  traînent  qu'avec  répu- 
gnance, rien  en  cela  d'étonnant  :  ou  ils  ont 
perdu  la  foi,  qui  est,  dit  saint  Augustin,  la 
source  de  la  prière,  ou  ils  sont  aveuglés 
sur  leurs  devoirs  el  sur  leurs  fautes,  et  cet 
aveuglement  est  presque  universel;  ou  ils 
ne  sentent  pas  la  violence  de  leurs  passions, 
jtarce  qu'ils  s'y  laissent  entraîner  sans  ré- 
sistance; ou  enlin,  à  force  de  crimes,  ils  se 
sont  fait  un  cœur  de  fer  qui  ne  sent  plus 
rien,  pas  même  le  besoin  qu'il  a  d'être 
amolli. 

Mais  nous.  Messieurs,  entourés  de  tout 
l'éiîlatdes  lumières  des  vérités  saintes,  con- 
naissant l'étendue  immense  de  nos  obliga- 
tions et  l'excès  de  notre  faiblesse,  é()rou- 
vant  tous  les  jours  les  attaques  de  l'esprit 
de  ténèbres;  mais  nous,  exposés  sans  cesse 
aux  séductions  d'un  monde  corrompu,  que 
nous  sommes  chargés  de  sanctifier,  et  qui 
trouve  si  souvent  le  moyen  do  nous  perver- 
tir ;  ujais  nous,  sans  cesse  entourés  des  en- 
nemis de  notre  salut,  sansccs^^e  sur  le  champ 
de  bataille,  et  ne  pouvant  vaincre  que  par 
des  aiLues  divines,  couiincul  se  peut-il  (juc 


Ml,  SUR  LA  PRIIIRE.  6'.»8 

nous  recourions  si  rarement  h  l'auteur  de 
tout  secours  el  à  l'unique  soutien  de  notre 
faiblesse? 

C'est  cet  éloignement,  ce  dégoût  de  la 
prière  qui  cau>>e  toutes  nos  chutes  et  qui 
rend  notre  ministère  inutile  et  souvent  fu- 
neste à  l'Eglise.  Hàlons-uous  d'ap[)liquer  le 
remède  à  un  mal  si  dangereux,  et  convain- 
quons-nous, je  ne  dis  pas  de  l'importance, 
maisdel'indispensablenécessiiédela  prière. 
Nécessité  considérée  du  côté  de  Dieu,  du 
côté  de  l'Eglise  et  du  côté  de  nous-mêmes  : 
tel  sera,  Messieurs,  le  partage  de  cel  entre- 
tien. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Adorer  Dieu,  se  soumettre  à  sa  provi- 
dence, croire  à  sa  parole,  craindre  sa  justice, 
se  confier  en  sa  bonté,  le  remercier  de  ses 
dons,  solliciter  ses  secours,  s'humilier  à  ses 
pieds  de  ses  fautes,  lui  promettre  une  obéis- 
sance plus  jiarfaite,  s'exciter  à  celte  obéis- 
sance par  l'espoir  des  récompenses  qui  y 
sont  attachées,  désirer  ce  royaume  immor- 
tel, où  nous  n'aurons  plus  riwi  à  désirer  ni 
à  craindre  :  voilé  une  continuité  d'hom- 
magi'S  que  le  Créateur  réclaine  de  tous  les 
hommes,  et  h  plus  forte  raison  do  ses  mi- 
nistres; voilà  des  devoirs  fondés  sur  la  na- 
ture, sur  la  raison,  sur  les  rapports  de  la 
créature  avec  le  Créateur  :  aussi  point  de 
peujile,  môme  parmi  les  païens  et  les  sau- 
vages, qui  n'ait  adoré  et  invoqué  l'auteur 
de  l'univers. 

Mais  combien  ces  d(!Voirs  ne  deviennent- 
ils  pas  |)lus  sacrés  pour  un  chrétien,  et  sur- 
tout |)Our  un  prêtre,  qui  connaît  le  grand 
préce|)te  que  Dieu  lui  a  fait  de  l'adorer  et 
de  le  prier,  Dominum  Deum  luum  adorabis 
{Luc,  IV,  8)  ;  de  l'adorer  d'esprit  jiar  la  mé- 
ditation de  sa  loi,  de  l'adorer  de  cœur  par 
la  soumission  h  ses  volontés,  de  l'adorer  de 
bouche  par  le  chant  de  ses  louanges  et  la 
reconnaissance  de  ses  bienfaits,  de  l'adorer 
dans  son  temple  par  le  spectacle  religieux 
d'une  âme  recueillie  et  d'un  corps  anéanti, 
de  l'adorer  en  tous  lieux  par  le  souvenir  et 
le  respect  de  sa  présence? 

Ce  qu'il  y  a  surtout  d'encourageant  dans 
le  précepte  de  la  prière,  c'est  la  promesse 
que  Dieu  y  a  attachée  d'exaucer  nos  v(eux 
lorsque  nous  demandons  ce  qu'il  faut,  c'est- 
à-dire  des  choses  utiles  à  noire  salut;  et  de 
la  manière  qu'il  le  faut,  c'esl-à-dire  avec 
respect  et  coutiance.  Demandez,  nous  dil-il, 
et  vous  recevrez;  cherchez,  et  vous  trou- 
verez; frap|)ez,et  il  vous  sera  ouvert.  Peut- 
on  commander  avec  plus  d'autorité  et  plus 
de  bonté?  et  n'est-il  pas  étrange  qu'un  pré- 
cepte si  avantageux  trouve  tant  de  viola- 
teurs? Je  vous  le  demande.  Messieurs,  si 
un  roi  de  la  terre  était  assez  généreux  pour 
faire  une  semblable  [aomes.'e,  et  assez 
jiuissant  pour  la  tenir:  demandez,  et  vous 
recevrez;  je  suis  prêt  à  remplir  les  vœux 
de  tous  mes  sujets;  mon  trône  est  acces- 
sible à  tous,  mes  trésors  sont  ouverts  à  tous, 
tous  l'objet  de  ma  tendresse,  tous  le  seront 
de  mvs  bienfaits  ;  si,  dis-je,  u-c  plonu'i^so 


639 


ORATEURS  SACRi:S.  MALRtL. 


700 


si  m<nginri(iiie  émanait  de  la  bouche  d'un 
roi  de  la  lerrc,  serait-il  nécessaire  d^exhor- 
ler  ses  sujets  à  dtMiiander?  Avec  quelle  ar- 
deur n'accourrait-on  pas  de  tous  l<'S  points 
de  son  royaume  à  un  souverain  si  généreux? 
Avec  quel  eui[)resseraent  grands  et  petits, 
riches  et  pauvres,  n'iraienl-ils  pas  exposer 
leurs  besoins  et  leurs  désirs  !  Cependant, 
(|uelle  que  fiïl  la  richesse  et  la  munificence 
de  ce  prince,  il  ne  pourrait  accomplir  qu'une 
partie  de  ses  promesses  :  aucun  mortel  ne 
sera  jamais  capable  de  sou-lager  toutes  les 
misères  et  de  contenter  tous  les  désirs. 

Mais  ici,  ce  n'est  pns  un  prince  mortel, 
ce  n'est  pas  un  roi  de  la  terre,  toujours  fai- 
ble, malgré  sa  puissance;  c'est  le  roi  im- 
mortel des  siècles,  c'est  l'auteur  de  tous  les 
biens,  le  dispensateur  de  tous  les  dons,  le 
consolateur  de  tous  les  malheureux,  le  pro- 
tecteur de  tous  les  faibles,  le  père  de  tous 
les  hommes;  c'est  Dieu  hii-mème  qui  nous 
dit  à  tous  avec  cette  bonté  toute-puissante 
qui  n'appartient  qu'à  lui  :  Demandez,  et 
vous  recevrez;  ne  mettez  ()as  de  bornes  à 
vos  vœux,  il  n'en  est  pas  h  ma  générosité; 
ne  craignez  pas  d'épuiser  mes  richesses, 
elles  sont  au-dessus  de  vos  besoins;  petite 
et  accipielis.  (Juan.,  XVI,  2'*.) 

Comment  se  peut  il,  je  le  réj)ète,  qu'un 
précepte  si  doux  et  une  promesse  si  magni- 
iiipie  nous  trouvent  si  froids  et  si  inditfé- 
renls?  Tous  les  jours  on  va  fatiguer  du  ré- 
cit de  ses  besoins  les  grands  et  les  riches 
delà  terre;  d'où  vient  qu'on  s'adresse  si 
rarement  à  Dieu,  de  qui  seul  émanent  tous 
les  biens,  de  qui  seul  dépend  notre  vrai 
bonheur,  et  qui  veut  nous  accorder  tout  ce 
qui  peut  nous  y  conduire?  Qu'y  a-!-il,  en 
elfet,  qu'il  voulût  nous  refuser?  Il  nous 
ordonne  sans  dcsute  de  demander  et  de 
chercher  avant  tout  son  royaume  et  sa  jus- 
tice, parce;  qu'il  n'y  a  que  cela  ([ui  puisse 
nous  roiidce  solidement  heureux  ;  mais  il 
nous  ordonne  aussi  et  nous  promet  de  nous 
accorder  même  les  secours  temporels,  dans 
le  degré  qu'il  jugera  coinenable  h  noli-e 
salut,  panem  noslrum  quotidianum  da  nobis 
hodie  {Luc,  XI,  3),  hœc  omnia  adjicienliir 
vobis.  (Lmc,  Xll, 31.)  Ainsi,  Mcssieuis,  jiré- 
sentoiis-nous  à  Dieu  avec  la  conliance  que 
c'est  un  bon  père  qui  veut  le  bonheur  de 
ses  enfanis.  et  nos  prières  seront  toujours 
exaucées.  Sommes-nous  dans  l'aflliclion,  il 
nous  consolera  ;  dans  Tignorance,  il  nous 
éclaiicra;  dans  l'incertitude,  il  nous  soula- 
gera ;  dans  la  tiédeur,  il  nous  échaullera  ; 
dans  la  tentation,  il  nous  soutiendra;  dans 
le  crime  peut-être  et  l'esclavage  de  quelque 
passion,  il  nous  délivrera,  il  nous  conver- 
tira; il  l'a  promis  :  mais  il  veut  (jue  nous 
implorions  son  secours,  petite;  et  que  nous 
l'implorions  avec  foi,  dans  la  ferme  persua- 
sion qu'il  |)eut  et  qu'il  veut  nous  accorder 
d'une  manière  ou  d'une  autre  tout  ce  qui 
est  nécessaire  à  notre  vrai  bonheur  :  crédite 
quia  accipietis  et  evenient  vobis.  (Marc. XI, 2V.) 

Je  dis  d'une  manière  ou  d'une  autre, 
parce  que  souvent  il  nous  exauce  5  notre 
insu,   non  en  nous  accordant  précisément 


l'ôhjet  de  nos  désirs,  mais  quelque  chose 
qu'il  juge  meilleur  et  [>lus  utile,  par  exem- 
ple la  charité  po!ir  un  ennemi,  au  lieu  de 
nous  soustraire  à  ses  vexations;  l'humilité 
dans  un  revers,  au  lieu  do  la  gloire  dange- 
reuse du  succès;  l'i  patience  dans  une  in- 
firmité, au  lieu  d'une  vigueur  et  d'une 
santé  dont  il  prévoit  que  nous  abuserions; 
la  soumission  dans  l'indigence,  au  lit  u  du 
bienfait  si  souvent  funeste  des  riches?es  ;  la 
force  de  lutter  avec  mérite  contre  certains 
défauts,  certaines  imperfections,  au  lieu 
de  nous  ôter  l'objet  de  ces  combats  et  do 
ces  victoires. 

Dirons-nous,  pour  excuser  notre  dégoût 
pour  la  prière,  que  nos  besoins  se  muiti 
pliant  et  se  renouvelant  sans  cesse,  il  nous 
faut  toujours  recourir  à  la  prière?  Ah!  ne 
craignons  pas  à  l'égard  de  Dieu  l'indiscré- 
tion que  nous  pourrions  craindre  à  l'égard 
des  hommes  :  ceux-ei  se  fatiguent  bientôt 
d'entendre  toujours  les  mômes  demandes;, 
en  Dieu,  c'est  tout  le  contraire  :  la  prière 
est  un  hommage  qu'il  exige;  plus  souvent 
nous  le  prions,  plus  souvent  nous  l'hono- 
rons. Peul-ôlrene  permet-il  la  multiplicité 
de  nos  besoins  que  pour  multiplier  les  mé- 
rites que  nous  procure  la  prière  et  les  mar- 
ques de  tendresse  qu'il  nous  donne  en  nous 
secourant 

Nos  besoins  sont  sans  nombre  et  renaissent 
sans  cesse  :  c'cit  pour  cela  que  Dieu  nous 
ordonne  de  le  prier  toujours,  de  le  |  rier  en 
tout  temps,  de  le  prier  sans  cesse  :  Oportet 
semper  orare,  et  non  deficere  [Luc  ,  XXI,  30); 
oranles  omni  tempore  [Luc,  XVIII,  ij;  sine 
intermissione  orale.  (I  l'hess.,  V,  17.)  Ce  qui 
d  lit  nous  rendre  ce  |)récepte  encore  plus 
précieux,  c'est  que  Jésus-ChrisI,  qui  en  est 
Tauteur.  a  daigné  nous  en  donner  lui-même 
l'exemple;  nuhe  action  de  sa  vie  oui  ne  fût 
précédée,  accompagnée  et  suivie  de  la  prière;, 
il  priait  en  secret,  il  priait  en  [lublic,  dans 
le  temple,  dans  le  désert,  sur  la  montagne, 
dans  les  maisons,  dans  lejardin,  sur  la  croix: 
en  tous  lieux  il  invoquait  la  puissance  de 
son  père.  Sans  cesse  uni  à  lui  par  une  .«ainte 
habitude  d'adoration  et  de  soumission,  il. 
ne  se  bornait  pas  à  prier  dans  le  jour;  il 
passait  quelquefois  les  nuits  onlières  dans 
l'oraison  ,  erat  pernoctans  in  orutione  Dei. 
[Luc,  VI,  12.)  Et  depuis^ qu'il  est  de  retour 
aux  deux,  cesse-1-il  un  stMil  instant  d'inter- 
céder, à  la  droite  de  son  Père,  pour  les  be- 
soins de  son  Eglise?  Mais  que  dis-je?  même 
sur  la  terre,  ne  prie-t-il  pas  sans  cesse  dans 
le  Sacrement  auguste  qui  le  renferme?  Le 
jour  et  la  nuit  n'élève-t-il  pas  du  fond  de 
nos  sanctuaires  des  mains  suppliantes  vers 
les  cieux  pendant  l'adorable  sacrifice  ?  Que 
doit-ce  êlrc  d'un  i)rôtre?  inspice  et  fac  secun- 
dum  exemplar.  (Ztxod.,  XXV,  40.) 

Je  sais  sans  doute  que  notre  laiblesse  ne 
pourrait  soutenir  une  continuité  non  inter- 
rompue d'oraison  et  d'altenlion  à  Dieu  ;  mais 
aussi  le  précepte  ne  va  pas  jusque-là.  Elever 
fréquennnenl  notre  cœur  vers  l'auteur  de 
tout  bien  et  de  tout  secours,  rappeler  sou- 
vent ea  présence,  nous  entretenir  souvent 


701 


RETRAITE.  —  LNSTUUCT.  Ml,  SUR  LA  PRIERE. 


70-2 


nvt'C  lui  do  nos  besoins  el  des  bosoi'iis  d-es 
âmes  donl  il  dous  a  cliargi^s,  le  consuiler 
d;ins  nos  doutes,  lui  ex|ioser  nos  embarras, 
lui  otl'rir  nos  travaux,  n'avoir  en  vue, que 
de  lui  plaire  et  d'exécuter  ses  volontés  : 
voilà,  vous  le  savez,  en  quoi  con  i>te  la 
prière.  Alors,  je  vous  ledeirande,  qu'ya-t-ii 
dans  ce  préeeftle,  je  ne  dis  pas  d'impossib'e  , 
n)ais  de  difliciid?  Est'il  de  moment,  de  cir- 
constance, de  position  dans  la  vie  où  le 
cœur  ne  soit  libre  de  s'élever  à  Dieu  et  de 
gémir  à  ses  pieds?  Pour  nous  surtout,  dont 
les  ionclions  sont  toutes  saintes,  et  nous 
rappellent  sans  cesse  la  présence  de  celui 
donl  nous  sommes  les  ministres  ;  dans  les 
agitations  et  le  tumulte  du  monde  où  nous 
somuies  quelquefois  forcés  de  nous  trouver, 
connue  dans  le  silence  el  le  calme  de  la  re- 
traite, qui  doil  taire  nos  plus  chères  délices, 
n'est-il  pas  en  notre  pouvoir  d'adorer  ense- 
trel  la  majesté  de  Dieu  et  d'implorer  son 
secours? 

Si  les  Moïse  dans  la  conduite  d'un  grand 
peii|)le,  si  les  Samuel  dans  les  fonctions  de 
la  magistrature,  si  ksMacliabées  au  milieu 
des  aimées  et  la  licence  des  camps,  si  les 
Joseph,  les  Daniel,  les  Mardochée  dans  le 
gouvernement  des  empires  et  la  dissipation 
des  cours  trouvaient  le  moyen  d'être  sans 
cesse  unis  h  Dieu,  ne  pourrions- nous  pas, 
nous,  dans  les  fondions  plus  |)aisibles, 
éprouver  avec  eus  que  la  prière  continuelle 
n'est  pas  moins  facile  à  lame  que  la  respi- 
ration l'est  au  corps  :  et  en  eUel,  le  libeilin 
aiu)e  sans  cesse  cet  objet  voluptueux  qui 
enchaîne  son  cœur;  l'avare  aime  sans  cesse 
ce  trésor  qui  occupe  toutes  ses  pensées; 
l'ambitieux  soupire  sans  cesse  après  cet 
em;iloi,  ce  posie  éclatant  qui  enflau)me  sa 
cupidité.  Donnons  un  autre  objet  ù  nos  al- 
feclions  el  à  nos  désirs;  tournons-les  vers 
Dieu,  et  nous  le  ()rierons  sans  cesse  :  ne 
cessons  de  désirer  la  gloire  de  son  nom,  l'a- 
vènemenl  de  son  lègne,  la  [irospéri'c  do  son 
Eglise,  l'accomplissement  de',  sa  volonté,  le 
secours  immortel  de  sa  grâce,  le  pardon  de 
nos  crimes,  la  victoire  de  nos  passions,  la 
délivrance  de  tous  les  maux  qu'eMl'anle  le 
péché,  el  notre  cœur  répétera  sans  cesse  la 
plus  belle,  la  ()lus  loucliunie,  la  plus  néces- 
saire de  toules  les  prières  :  Paler  noster^ 
qui  es  in  cœlis  [Malth.,  VI,  9)  :  car,  dit  sainl 
Augustin  ,  qu'est-ce  que  la  prière  conli- 
uuello,  binon  un  désir  continuel  des  choses 
de  Dieu  ?  Conlinuum  desiderium  ,  continua 
orulio. 

Aussi,  pour  nous  faciliter  celle  prière  con- 
tinuelle, si  nécessaire  à  tout  chrétien,  el 
bien  plus  encore  à  ses  minisires,  l'Eglise 
a-l-elle  jugé  à  propos  de  nous  commander, 
uon-seulemenl  de  prier  sept  fois  par  jour,  à 
l'exemple  du  PruphèU;,  seplies  indie  laudem 
dixi  ttbi  {Psal.  CW'Ul,  16i);  mais  deiréu- 
nir  à  certaines  époques  le  peuple  dans  nos 
temples,  atjn  de  rendre  à  la  majesté  du  Très- 
Haut  des  hommages  [ilus  éclatanls  el  |)lus 
solennels;  mais  de  joindre  à  toutes  nos  cé- 
rémonies des  prières  particulières  qui  en 
retracent   l'esiirit  et  la  sainteté,  (^ar  ,  Mes- 


sieurs, si  la  nécessité  de  la  prière  considérée 
du  côté  de  Dieu,  qui  nous  en  fait  un  pré- 
c('[)te,  esl  indispensable  pour  nous,  elle  ne 
l'est  pas  moins  du  côlé  de  l'Eglise,  qui  nous 
l'impose  comme  ini  tribut  :  ce  nlest  pas 
comme  simples  particuliers  que  nous  payons 
celte  dette  sacrée  ;  c'est  au  nom  do  ioule 
ri*'glise, donl  nous  sommes  les  représentants; 
c'e>t  elle  qui  nous  députe  vers  Dieu  pour 
lui  rendre  par  notre  ministère  un  culte  pu- 
blic d'adoration,  d'invocation,  et  d'actions 
de  grâces;  c'est  elle  qui  nous  place  entre 
le  ciel  el  la  terre  pour  être  ses  interces- 
seurs, ses  médiateurs  auprès  de  la  Majesté 
suprême.  Chaque  fidèle  est  sans  doute  ob- 
ligé de  |)rier;  malheur  au  chrétien  qui  ne 
prieiait  pas!  par  cela  seul,  il  se  mettrait 
hors  des  voies  du  salut.  Mais  combien  qui 
oublient  ce  premier  de  tous  les  devoirs,  ou 
qui  sont  distraits  par  la  continuité  de  leurs 
affaires  el  de  leurs  travaux  !  C'est  pour  sup- 
pléer è  ce  défaut  que  l'Eglise,  en  nous  ad- 
mellanlau  rang  de  ses  ministres,  nous  char- 
gea de  prier  pour  tous  ses  enfants,  de  pré- 
senter aux  pieds  de  Dieu  la  multitude  de 
leurs  besoins  et  de^leur  ouvrir  le  sein  de  sa 
miséricorde  :  c'est  pour  remplir  ce  noble 
ministère,  qui  nous  assimile  aux  habitants 
du  ciel,  que  nous  sommes  déchargés  des  sol* 
liciludes  el  des  emplois  du  siècle. 

Toules  nos  forces,  tous  nos  lalenîs,  tous 
nos  travaux,  lous  les  moments  de  notre  vie 
doivent  être  consacrés  aux  besoins  de  l'E- 
glise; nja;s  le  premier,  le  plus  important 
devoir  qu'elle  exige  de  nous,  c'est  la  prière: 
aux  yeux  de  l'Eglise,  la  prière  fiasse  avant 
tout,  même  avant  la  prédication,  ce  grand 
moyen  établi  de  Dieu  pour  f)lanler  el  con- 
server la  foi  :  c'est  ainsi,  vous  le  savez, 
qu'en.jugeaienl  les  ApùUas:  Nos  mUem  ora- 
tioni  ei  ininisterio  verbi  instantes  erimus. 
{Act.,  VI,  k.)  Aussi,  avant  do  j,)rôcher,  ils 
commencèrent  par  prier.  Ce  fut  par  les  ar- 
deurs de  la  prière  qu'ils  firent  descendre 
des  cieus.  cet  Esjiril  de  vérité  el  du  sagesse 
qui  dissipa  les  ténèbres  de  la  genliliié,  cet 
es[)ritde  force,  de  patience,  de  charité,  qui 
subjugua  la  puissance  des  Césars  et  soumit 
la  terre  entière  à  Jésus-Christ.  Oui,  Mes- 
sieurs, c'i'St  la  prière  qui  a  posé  les  fonde- 
ments du  Chiislianisme,  c'est  la  (irière  qui 
les  soutient,  el  c'est  la  prière  qui  rend  l'K- 
glise  invincible  au  milieu  des  scandales  du 
monde  et  des  assauts  de  l'enfer. 

Si  la  foi  n'est  pas  éteinte  par  le  souffle  de 
l'inqiiété,  si  la  lumière  de  l'iivangile  se  ré- 
pand chez  les  peuples  inhdèles  à  mesure 
qu'elle  s'allaiblit  hélas  l  chez  les  nations 
chrétiennes  ;  si  l'on  voit  encore  régner  la 
droiture,  la  chasteté,  la  pudeur  sur  la  terre; 
si  malgré  ce  lorrenl  de  corruption  qui  en- 
tiaîne  lous  les  âges  et  tous  les  rangs,  il  se 
présente  tous  les  jours  aux  pieds  de  l'Eglise 
des  pécheurs  humiliés  qui  viennent  la  con- 
soler, la  réjouir  par  leur  pénitence,  n'esl-co 
[)as  aux  prières  de  cette  éjjouse  de  Jésus- 
Christ,  aux  saints  gémissements  Ue  celte 
cl^iste  colombe  chérie  des  Cieux,  que  nous 


703 


ORATEURS  SACRES.    MALREL. 


704 


devons  ces  prodiges  de  grûce  et  du  .sain- 
teté ? 

Or,  Messieurs,  c'est  nous  qui  sommes  les 
iulerfirèles  el  les  organes  de  l'Eglise;  c'est 
pir  nous  qu'elle  prie  et  qu'elle  gémit  entre 
le  vestibule  et  l'autel  ;  c'est  de  nos  prières 
qu'elle  attend  la  force  dans  ses  dangers,  la 
fialience  dans  ses  persécutions,  la  vicloire 
dans  ses  combats,  la  lumière  pour  tant  d'en- 
fants aveuglés  qui  déchirent  son  sein,  la 
conversion  de  tant  de  pécheurs  endurcis, 
raffermissement  de  tant  de  justes  ébranlés,^ 
la  tranquillité  des  emi)ires,  le  calme  des 
familles,  la  paix  des  consciences,  tous  les 
secours  dont  elle  a  besoin  pour  suivre  les 
traces,  porter  la  croix  de  son  fondateur,  el 
pour  entrer  un  jour  dans  le  séjour  de  la 
gloire.  Quel  malheur  pour  elle,  quel  crime 
pour  nous,  si  elle  était  frustrée  dans  son 
aitenle,  et  qu'elle  pût  attribuer  à  la  rareté 
ou  à  la  froideur  de  nos  j)rières  la  perte 
éternelle  de  quel.|u'un  de  ses  enfants! 

De  là  l'obligation  indispensable  de  dire 
tous  les  jours  cette  prière  publique,  cet 
oftice  divin  dont  l'Eglise  nous  ordonne  la 
récitation.  Nous  (ionnuissons  tous  l'impor- 
tance de  ce  précepte;  nous  savons  que  l'o- 
mission volontaire  d'une  partie  notable  de 
l'offlce  serait,  à  moins  d'une  impossibilité 
morale,  un  péché  mortel,  digne  de  l'enfer. 
Mais  faisons-nous  attention  que  c'est  violer 
un  I  récepte  que  (Je  le  mal  remplir?  El  si 
nous  ne  cessons  d'uverlirnos  peupicsqu'on 
ne  satisfait  pas  au  devoir  pascal  par  une 
communion  sacrilège,  pourrions-nous  pen- 
ser qu'on  satisfit  au  précepte  de  l'office 
f»ar  une  récitation  précipitée,  irrespectueuse 
et  inatteniiv8?En  ellet,  Messieurs,  la  prièie 
n'esl-elle  pas  essentiellement  une  éléva- 
tion de  cœur  è  Dieu  ?  donc  si  le  cœur  est 
éloigné  de  Dieu,  il  n'y  a  point  de  piièrt. Ou 
ne  manque  pas  de  dire  que  ces  égarements 
sont  involontaires  ;  mais  peut-on  assurer 
qu'on  n'y  a  don.. é  aacune  occasion  ni  avant 
la  [irière,  par  un  défaut  de  préparation,  ni 
pendant  la  prière,  par  un  défaut  de  vigi- 
lance et  de  recueillement? 

Sans  doute,  un  prêtre  réglé  et  vertueux, 
exact  à  [)uritier  sa  conscience  et  à  en  ban- 
nir la  première  source  ues  égarements  dans 
la  jirière,  je  veux  dire  l'attache  au  pécl)é  et 
aux  occasions  du  péché;  un  prêtre  qui 
uime  son  état,  qui  ne  se  [)luît  qiic  dans  ies 
fonctions  de  son  ministère,  et  qui  par  con- 
séquent n'aime  pas  le  monde,  dont  les  ima- 
ges tumultueuses  el  souvent  indécentes 
viennent  troubler  le  recueillement  de  la 
})rière  ;  un  prêtre  qui  médite  tous  les  ma- 
tins la  loi  du  Seigneur  et  ra|)pelle  fréquem- 
ment dans  la  journée  le  l'ésultal  de  sa  mé- 
ditation; un  prêtre  qui  possède  habituelle- 
ment son  âme  dans  la  jiaix,  parce  qu'il  la 
tient  bbre  des  passions,  qui  n'a  d  autres 
vues,  d'autres  pensées,  d'autre  ambition 
que  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  de  ses  fiè- 
res  ;  un  prêtre  qui  regarde  i'oftice  divin, 
nou  comme  un  fardeau  pénible  et  une  ser- 
vitude gônanie,  mais  comme  l'acte  de  reli- 
gion le  i>lus  nécessaire  et  le  plus  consolant, 


après  celui  du  saint  sacrifice  ;  qui,  avant  du 
le  commencer,  se  recueille,  s'humilie,  gé- 
mit de  ses  fautes  et  récite  de  cœur  plus 
encore  que  de  bouche  cette  belle  prière 
préparatoire  oii  l'Eglise  nous  rappelle  en 
quatre  mots  toutes  les  dispositions  qui  doi- 
vent accompagner  la  récitation  du  Bréviaire: 
Digne,  allente,  inlegre  ac  dévote;  un  tel  prê- 
tre peut  être  cru  lorsqu'il  assure  qu'il  n'a 
donné  aucun  consentement  aux  distractions 
qui  sont  venues  ,  malgré  lui ,  troubler  sa 
piété. 

Mais  un  prêtre  qui  peut-être,  hélas  I  ne 
l'esl  devenu  que  par  des  vues  d'ambition  et 
d'intérôl,  el  qui  a  porté  dans  le  sacerdoce 
des  espérances  el  des  prétentions  qu'il  eût 
été  incapable  de  réaliser  dans  le  siècle; 
mais  un  prêtre  qui  se  trouve  plus  à  sa  place 
dans  les  sociétés  et  les  amusements  da 
monde  que  dans  les  fonctions  du  saint  mi- 
nistère, qui  rapporte  de  ce  monde,  toujours 
dangereux,  mille  idées  de  vanité,  de  sen- 
sualité, et  peut-être  de  voluplé  et  de  crime; 
mais  un  prêtre  qui  ne  donna  jamais  une 
attention  sérieuse  à  ses  devoirs  et  à  ses 
fautes,  qui  ne  connaît  pas  son  cœur,  ou 
n'en  connaît  que  la  surface,  et  ne  l'a  peul- 
êtrejamais  purihé  d'une  raanièie  eflicace  ; 
mais  un  |)rêlre  qui  ne  lit  la  parole  de  Dieu 
que  pour  en  laue,  aux  yeux  do  public,  un 
étalage  de  vanité,  et  non  pour  s'instruire  et 
se  réformer  lui-môme;  mais  un  prêtre  qui 
mène  une  vie  lâche,  tiède,  dissi[)ée,et  peut- 
être  à  son  insu  criminelle  ;  mais  un  prêtre 
qui  ne  voit  dans  l'oflice  divin  qu'  un  j)oids 
accablant  dont  il  veut  se  débarrasser  au. 
j)lus  tôt,  qui  n'y  apporte  aucune  (irépara- 
lioii  ni  d'esprit  ni  de  corps,  qui,  au  sortir 
d'une  conversation,  d'un  jeu,  d'une  alfaire, 
la  tèle  pleine  d'idées  |)ro!anes  qui  le  pré- 
occupent, pour  ne  rien  dire  de  plus,  com- 
mence de  suite  son  entretien  avec  Dieu  do 
cette  môme  langue  qui  vient  de  se  livrera 
des  plaisanteries,  à  des  discussions  animées,, 
lui  dont  la  conversation  devrait  être  dan» 
le  Ciel  ;  un  tel  (irôlre  peut-il  être  cru  lors- 
qu'il assure  qu'il  ne  veut  pas  les  distrac- 
tions qui  lui  viennent  dans  l'oflice?  Il  ne 
les  veut  pas!  et  toute  sa  vie  est  un  éloigne- 
111  eut  volunlairedeDieu  ;  comme,  t  lui  serait- 
il  uni  pendant. la  ()rière  ? 

Ici,  Messieurs,  je  me  sens  accablé,  pres- 
que altéré  j)ar  une  i  étlexion  qui  se  inésente; 
veuillez  la  méditer  avec  moi.  Parmi  les  ti- 
dèles,  il  en  est  si  peu  qui  prient  de  cœurl 
Nulle  assemblée  religieuse  à  qui  ou  ne 
puisse  [ilus  ou  moins  appliquer  le  mol  ter- 
rible (le  l'Jivangile  :  Populus  hic  labiis  me 
honorai;  cor  autem  corum  longe  est  a  me. 
[Mallh.,  XV,  8.)  El  les  prêtres  seraient 
aussi  du  nombrede  ces  hypocrites  IGeserait 
aux  prêtres  que  s'adresserait  aussi  l'oracle 
qu'ils  ont  sans  Cesse  à  la  bouche:  Maledi- 
clus  qui  facit  opus  Dei  negligenler,  [Jerem., 
XLViH,  10.)  L'esjiril  de  prière,  aussi  étran- 
ger aux  [irôlres  qu'aux  laïques,  serait  en- 
tièrement banni  de  la  terre!  Je  me  trompe, 
ô  mon  Dieu  !  votre  Eglise  est  sainte,  et  ren- 
feimcra  toujours  des  adorateurs  eu  esprit 


703 

ot  en   vérité 


RETRAITE.  —  LNSTRUCT.  VIÎ,  SUR  LA  PRIERE. 


700 


Mais  qui  doit  présider  à  co 
noble  ministère  que  les  anges  remplissenl 
sans  cosse  dans  les  cioux,  sinon  les  prôlros, 
losanges  de  la  terre?  De  là  la  nécessité 
(|ue  l'Eglise  nous  impose  do  prier;  de  là 
cet  esprit  de  prière  dont  elle  nous  t'ait  un 
religieux  devoir.  Il  me  reste  à  vous  montrer 
maintenant  la  nécessité  du  précepte  par 
ra()j)ort  à  nous-mêmes. 

SECONDE  PARTIE. 

C'est  un  article  de  foi  enseigne  en  raille 
endroits  des  Livres  saints,  que  sans  le  se- 
cours d'en  haut  nous  ne  pouvons  rien,  ali- 
solument  rien,  dans  l'ordre  du  solut,  pas 
niême  en  former  le  désir,  pas  môme  en  avoir 
la  pensée:  Sine  we  niliil potcstis  facere (Joan., 
XV,  5);  non  quod  sufficienlcs  simus  cogitare 
oliquida  nobis,  quasi  ex  nobis;  sed  sufficientia 
noslra  ex  Deo  est.  (I  Cor.,  111,5.)  Voilà, 
Messieurs,  vous  le  savez,  la  grande  preuve 
de  la  nécessité  de  la  prière  api)liquée  à  I 
nous-mêmes. 

En  elfet,  sans  la  grâce  point  de  salut.  Mais 
sans  la  prière,  comment  aurons-nous  la 
grâce?  par  conséquent  comment  nous  sau- 
ver si  lous  ne  prions  ?  Par  justice  rigou- 
reuse. Dieu  ne  nous  doit  rien:  l'unique 
fondement  de  notre  espérance,  c'est  sa  bonlé 
et  ses  promesses  ;  mais  celte  bonté  est  libre: 
Dieu  est  maître  de  ses  dons  ;  il  peut  les  ac- 
corder quand  il  veut,  à  qui  il  veut,  aux 
conditions  qu'il  veut.  Donc,  s'il  lésa  atta- 
chés il  la  prière,  et  que  nous  refusions  de 
prier,  quel  droit  auions-nous  de  com|>ter 
sur  son  secours?  Or,  Messieurs,  à  Texcep- 
lion  des  premières  grâces  (jui  nous  dispo- 
senl  et  nous  aident  à  prier,  et  que  Dieu,  sans 
en  être  sollicité, nous  accorde  à  chaque  ins- 
lai  t;  il  n'a  promis  de  secourir  que  ceux  qui 
V\i\\oquvvA:Dem'atidcz,etvousrecevrez{Joan., 
XVI,  '2'4-);  n'est-ce  pas  nous  dire,  si  vous  ne 
demandez  i)as  vous  n'obtiendrez  pas  ?  Dieu 
sans  doute  peut  faire  des  exce])iions  à  cette 
règle  générale;  sa*  miséricorde  ne  sera  ja- 
mais enchaînée  ;  il  peut  accorder  des  se- 
cours aux  ingrats  même  (]ui  dédaignent  de 
l'invoquer.  Mais  l'a-t-il  promis  ?  et  ne  serait- 
ce  pas  une  témérilé  criminelle  d'y  compter? 

Donc,  Messieurs,  en  ne  priant  pas,  ou  en 
priant  mal,  on  se  met  volontairement  dans 
l'impuissance  d'éviter  le  mal  que  Dieu  nous 
défend,  de  pratiquer  le  bien  qu'il  nous  com- 
mande, de  sup[>orter  les  épreuves  qu'il  nous 
envoie,  trois  considérations  que  j'exposerai 
sommairement,  et  desquelles  il  résultera, 
je  l'espère  ,  cette  vérité  pratique  que  par 
devoir,  comme  {)ar  inlérèl  pour  lui-même, 
le  prêtre  doit  sans  cesse  vaquer  au  saint 
exercice  de  la  prière. 

Je  dis  d'abord  qu'en  ne  priant  pas  on  se 
met  dans  l'impuissance  d'éviter  le  mal  que 
Dieu  nous  défend.  Comment  triompher  sans 
le  secours  d'en  haut  des  tentations  sans 
nombre  qui  nous  viennent  soit  de  Satan, 
soit  du  monde,  soit  de  nous-mêmes?  de 
Satan,  qui  aitaque  un  ministre  de  Dieu  avec 
mille  fois  plus  de  force  qu'un  simplelidèle, 
parce  qu'il  se  promet  de  la  perte  du  j)asleur 


la  perle  de  tout  le  troupeau,  h  peu  près 
comme  sur  un  champ  de  bataille  on  dirige 
les  princi|)aux  cou[)s  vers  les  chefs  de  l'ar- 
mée, dans  l'espoir  que  leur  chute  entraîne- 
ra la  défiile  de  l'armée  entière  :  de  'à  le  mot 
de  Jésus  Christ  h  ses  apôîies:  Eccc  Satanns 
expetivit  vos,  utcribrarel sicut  trilicHm{Luc., 
XXll,  31)  ;  du  monde,  qui  observe  avec  ma- 
lignité la  conduita  d'un  |)rêtre,  cherche 
adroitement  à  l'enlraîner  dans  quelque  im- 
prudence qui  le  couvre  d'opprobre,  et  rende 
son  ministère  inutile  en  le  rendant  odieux; 
de  nous-mêmes,  qui,  malgré  la  sainteté  de 
notre  caractère,  portons  au  dedans  de  nous 
le  germe  de  lr)utes  les  passions  ;  et  ces  pas- 
sions, si  elles  ne  sont  réprimées,  causent 
en  nous,  vous  le  savez,  mille  fois  plus  de 
ravage  et  de  scandale  que  dans  un  laïque, 
corruptio  boni  pessima.  A  quels  excès,  grand 
Dieu  !  ne  se  porte  pas  un  |)rètre  que  domine 
ou  la  passion  de  l'orgueil,  ou  la  passion  de 

ugunt,  ou  quelque  passion  plus  délealable 
encore. 

Or,  Messieurs,  comment  les  vaincre, 
ces  passions  furieuses? Comment  triompher 
des|)iégcsde  Satan  et  des  artitices  du  mon- 
de, si  l'on  n'appelle  sans  cesse  la  for- 
ce du  Toui-Puissant  au  secours  de  notre 
faiblesse?  Serions-nous  excusables  de  dire 
avec  les  mondains  que  nos  penchants  sont 
invincibles  et  la  loi  de  Dieu  impraiicab.e  ? 
Ah  I  sans  doute,  pourrait  nous  réponiire 
ce  Dieu  irrité,  vous  ne  pouvez  l'accomplir 
par  Vos  propres  forces;  mais  cette  impuis- 
sance n'esî-elle  pas  votre  ouvrage?  Ne  suis- 
je  pas  là  pour  vous  aider?  N'ai-je  pas  pro- 
mis à  la  prière  le  soutien  de  votre  fa.'blesse? 
Et  si  ma  grâce  vous  manque,  n'est  ce  i.as 
pane  que  vous  la  rejetez,  en  négligeant  do 
l'implorer? 

On  s'éionne  quelquelois  que  certains  prê- 
tres qui  vivent  depuis  longtemps  dans  Tha- 
bilude  du  désordre  ne  donnent,  malgré  les 
avis  réitérés  de  leurs  supérieurs  et  de  leurs 
confesseurs ,  aucun  signe  consolant  de  re- 
pentir :  on  s'étonne  l)ien  davantage  que 
certains  autres,  qui  ont  été  pendant  un 
temps  un  modèle  de  zèle  et  de  ferveur,  se 
relâchent ,  se  refroidissent  et  tombent  peu 
à  [)eu  dans  une  inditférence  et  une  tiédeur 
plus  scandaleuses  souvent  que  les  actions 
criminelles  des  grands  couftables.  Voulez- 
vous  en  savoir  la  cause,  c'est  qu'ils  ont 
manqué  à  la  précaution  si  sévèrement  pres- 
crite |iar  l'Evangile  :  Orale  ut  non  intretis 
inlentationem.  {Marc,  XIV,  38.)  Non,  Mes- 
sieurs ,  sans  prière  on  ne  se  convertit  pas; 
sans  prière  on  ne  résiste  pas  aux  tentations, 
sans  prière  on  succombe  et  l'on  se  perd. 

Que  sert  la  récitation  d'un  office  qu'on 
dit  par  habitude,  sans  respect,  sans  re- 
cueillement, sans  piété?  Que  sert  môme  la 
célébration  du  plus  saint  des  sacrifices  oii 
l'on  ajiporte  un  cœur  froid  et  une  conscience 
mal  purifiée,  peut-être  douteuse  ou  crimi- 
nelle ,  si  l'on  ne  cherche  à  ranimer  sa  foi , 
ou  à  soutenir  sa  ferveur  [)ar  l'exercice  jour 
nalier  de  la  prière,  par  cies  retours  sérieux 
sur  soi-même  ,  par  l'osameu  réfiéchi  de  ses 


707  OUATEURS  SACRES.  MAUREL: 

devo.rs  et  de  ses  faotfcs,  par  des  gémisse- 
raenis  fréquents,  par  des  soupirs  enflammés 
vers  le  ciel?  Ce  qu'il  y  a  ici  de  plus  déplo- 
rable ,  c'est  qu'on  ne  désire  pas,  c'est  qu'on 
ne  sent  pas  même  le  besoin  de  sortir  de  cet 
état  d'indifférence  et  de  froideur.  Les  se- 
maines, les  mois  entiers,  hélas!  et  quel- 
quefois les  années  se  passent  <lans  l'oubli 
ce  Dieu  :  les  so'ennilés  même  les  plus  tou- 
chantes ne  nous  touchent  pas , les  événe- 
ments les  plus  frapi'ants  ne  nous  frappent 
pas ,  les  exemples ,  les  conseils  les  plus 
capables  de  nous  réveiller  ne  disent  rien  à 
notre  cœur  :  on  est  tout  de  ^lace  envers 
Dieu.  Est-il  étonnant  que  Dieu  aussi  s'at- 
tiédisse ,  pour  ainsi  dire,  à  notre  égard  ; 
que  ses  secours  diminuent,  que  noire  fai- 
blesse augmente,  et  que  l'abandon  ou  la 
rareté  de  la  prière  finisse  p-ar  nous  entraîner 
de  chute  en  chute  dans  l'abîme  de  la  perdi- 
tion? 

Je  dis  en  second  lieu,  que  î)ar  le  défaut 
de  prière  ou  par  les  mauvaises  dispositions 
qu'on  y  apporte  on  se  met  dans  Pimpuis- 
sance  de  pratiquer  le  bien  que  Dieu  nous 
ordonne,  je  veux  dire  d'exercer  saintement 
nos  fonctions  et  de  les  rendre  autant  qu'il 
est  en  nous  utiles  et  avantageuses  aux  fidè- 
les; car  voilà  le  bien  que  Dieu  commande 
à  un  prêtre  :  Pnsce  oves  meas,  pasce  oçjnos 
nieos,  (Joan.  ,  XXI,  16,  17.)  Or,  rcmplira- 
t-il  ce  beau  ministère,  s'il  n'est  un  homme 
d'oraison,  un  homme  intérieur  qui  s'enire- 
lienne  fréquemment  avec  Dieu  et  le  con- 
jure sans-cesse  de  bénir  ses  travaux,  ses 
instructions,  tous  les  efforts  qu'il  fait  pour 
retirer  les  âmes  du  vice  et  les  affermir  dans 
la  vertu?  Hé  quelle  impression  [)Ourront 
faire  sur  un  peu|)le  charnel  livré  à  la  vanité, 
au  plaisir,  à  la  cupidité,  des  instructions 
que  n'aura  pas  sanctifiées  le  fou  sacré  de  la 
prière  ,  qui  n'auront  pas  été  méditées  au 
pied  de  la  croix  ,  sur  lesquelles  on  n'aura 
pas  conjuré  le  Père  des  lumières  et  des  mi- 
séricordes de  ré()andre  cet  esprit  de  vé-ilé, 
de  sag(!sse,  de  force,  d'onction  et  de  piété, 
qni  peut  seule  les  rendre  utiles  et  leur  ou- 
vrir l'entrée  des  cœurs? 

Non  ,  Messieurs  ,  nous  ne  prêchons  utile- 
ment ((u'autant  que  l'Esprit  de  Dieu  parle 
par  notre  bouche,  et  va  iui[)riuier  au  fond 
des  ûmes  les  vérités  saintes  (jue  nous  an- 
nonçons. Mais  croyons-nous  que  cet  esprit 
se  communique  à  un  prêtre  dissipé,  plein 
de  lui-même  et  vide  de  Dieu  ,  plus  occupé 
des   affaires  de   la   terre  que  du  désii'  de 


708 

tions ,  d'oublier  leurs  infidélités  cl  de  les 
mettre  à  l'abri  du  reproche  dont  parle  le 
Prophè'.e  :  Peccatori  autem  dixil  Deus  : 
Qnnre  tu  ennrras  ju.Hitins  meus  .  cl  assiimis 
(c.^ldincitlum  mcum  pcr  os  tuum  !  {Psal.  XLIX, 
16.) 

Heureux  les  ministres  évangéliques  qui, 
convaincus  qu'ils  ne  sont  par  eux-mêmes 
qu'ignorance  et  faiblesse,  que  leurs  efforts, 
leurs  veille.«,  leurs  talents  ne  peuvent  avoir 
aucune  proportion  avec  la  fin  sublime  de  la 
prédication  ,  je  veux  dire  la  conversion  et 
la  sanctification  des  âmes,  supplient  le  maî- 
tre des  cœurs  de  les  ouvrir  lui-même  à  l'im- 
pression de  la  vérité,  d'écarter  les  illusi^ns 
et  les  préjugés  qui  pourraient  enemjiêchep 
l'effet,  et  de  parler  de  sa  voix  puissante  à 
l'oreille  intérieure,  en  môme  temps  que  leur 
faible  organe  ira  frapper  l'oreille  du  corps  ! 

Heureux  l'homme  de  Dieu  qui  ,  au  sortir 
de  la  chaire,  loin  de  s'arrêter  à  quelques 
misérables  éloges,  moins  inspirés  par  le  mé- 
i-ite  du  prédicateur  que  par  l'ignorance  ,  lu 
respect-humain,  l'amour-propre  des  audi- 
teurs, va  se  prosterner  aux  pieds  du  Dieu 
qu'il  vient  de  prêcher,  et  le  conjure  de  faire 
fiuctifier  les  vérités  saintes  et  de  ne  pas 
permettre  qu'elles  servent  à  condamner  ni 
celui  qui  les  a  annoncées  ni  ceux  qui  les 
ont  entendues!  O  mon  Dieu!  quand  rem- 
plirez-vous  les  ministres  de  voire  parole  do 
cet  esprit  de  prière  ,  d'onction  ,  d'humilité  I 
C'est  alors  ,  Messieurs  ,  que  nous  prêche- 
rons utilement  et  ([ue  les  pécheurs,  sainte- 
ment consternés  et  touchés  ,  iront,  non  pas 
nous  louer  dans  les  sociétés,  mois  nous 
pailer  ni  gémir  aux  pieds  du  saint  tribunal. 
Si  la  prédication  produit  aujourd'hui  si  r;i- 
remenl  ces  heureux  effets  qu'elle  a  toujours 
produits  par  le  ministère  des  saints  ,  quelle 
est  la  cause  de  cette  stérilité,  sinon  l'extinc- 
tion de  res|)rit  de  prière  dans  les  prédi- 
cateurs, sinon  i)orce(^ue  très  souvent  le 
ministère  de  la  parole  n'est  ni  précédé,  ni 
accomj)agiié ,   ni  suivi  delà  prière? 

des  autres 


glorifier  Dieu,  qui  ne  sait  [nis  converser 
avec  lui  avant  de  parler  de  sa  part  aux  hom- 
mes, ni  tirer  de  la  |)ralique  de  l'orriison 
ces  traits  vifs  et  pénétrants,  cette  onction 
toute-puissante  qui  éclaire  et  convertit? 
Heureux  les  i)ré(Jicateurs  (|ui  préparent  en 
[trésence  de  Dieu  ce  qu'ils  doivent  annoncer 
en  son  nom,  qui  le  prient  de  leur  inspirer 
b;s  sentiments,  les  idées ,  le  langage  qu'il 
sait  devoir  être  utiles;  qui  écrivent,  en 
(pielque  sorte,  sous  sa  dictée  et  éclairés  de 
la  lumière  d'en  haut,  qui  loconjureut  avant 
de  monter  en  chaire  de  purifier  leurs  inlen- 


Si  nous  entrions  dans  le  détail 
fonctions  sacerdotales,  il  nous  serait  aisé 
de  montrer  que  si  le  tribunal  delà  pénitence 
offre  si  rarement  des  conversions  solides  et 
durables,  c'est  que  les  confesseurs  ne  de- 
mandent pas  assez  ni  la  prudence  pour  eux- 
mêmes  ni  la  componction  pour  leurs  péni- 
tefils;  que  si  les  avis  particuliers  d'un  pas- 
teur sont  si  rarement  utiles  ,  c'est  que  la 
manière  et  relfel  n'en  ont  pas  été  assez 
[)réparés  aux  pieds  de  Dieu  dans  le  calme 
de  l'oraison  ;  que  si  les  enfants  sont  si  dé- 
goûtés de  l'instruction  qui  leur  convient  et 
si  lents  h  en  profiter,  si  les  malades  dési- 
rent si  peu  les  secours  de  la  religion  et  les 
visites  de  leur  [)asteur,  si  les  peuples  sont  si 
peu  empressés  à  accourir  à  nos  temples  et  h 
frétjuenter  les  sacrements,  c'est  que  ]e()as- 
teur  n'est  pas  un  homme  d'oraison ,  c'est 
qu'il  n'a  pas  puisé  dans  le  cœur  adorable 
du  Sauveur  des  hommes  celte  piété  douce, 
ce  zèle  tendre  et  insinuant  qui  attire  ,  (jui 
attache,  qui  rend  la  vertu  aimable  et  la  re- 
liiiion  consolante. 


709 


RETRAITE.  —  INSTULH.T.  VIH,  SUR  LA  MEDITATION. 


7<0 


C'est  dans  la  pralique  de  la  prière  qiio 
nous  trouverons  en  Iroisièine  lieu  le  rcinù- 
de  h  nos  maux  et  la  force  nécessaire  pour 
supporter  les  épreuves  qu'il  p'ait  à  la  di- 
vine'Providence  de  nous  envoyer.  Noire 
intérêt  seul  nous  fait  donc  un  devoir  de  re- 
courir à  la  priùro,  puisque  la  [iratique  de 
ce  précepte  allège  le  fardeau  de  nos  misè- 
res. 

Comment  un  prêtre  dépourvu  de  l'es[)rit 
de  prière  cli<!rclierait-il  à  consoler  son  peu- 
ple? 11   ne   cherche  pas  à  se  consoler   lui- 
uifime   au-miîieu    do   ses    tribulations.    Si 
quelqu'un  de  vous  est  attristé,  dit  rEsjirit- 
Saint,  qu'il  prie  :  Trislatiir  aiiquis  vestrum^ 
orel.{Jac.,  V,  13.)  Quel  besoin  n'avons-nous 
donc  pas  du  secours  de  la   prière!  Qui  de 
nous  est  à  l'abri  des  (roubles  ,  des  chagrins, 
des  coniradiclions  ?  Ne  fût-ce  que  les  épreu- 
ves altachécs  à  noire  ministère,  le  sort  d'un 
prêtre  a-t-il  jamais  été  plus  dé|iiorabie  que 
dans  ces  teEups  malheureux  où  l'impiété  a 
rendu  si  incertaines  les  destinées  du  sacer- 
doce, dics  mali  sunt.  {Ephes.,  V,  16.)  Je  ne 
p;)rle  pas  de  ce  qui  peut   nous  manquer  du 
coté  des  besoins  de  la  vie  :  car  je  suppose 
qu'un  prôlre  n'a  point  oublié  ces  paroles  du 
grand  Apôtre  :  Scio  esurire  et  peimriam  pa~ 
li   [Philip.,  IV,  12);     habenles   alimenta  et 
quibits  tegamur  his  contenti  sumus,  (l    Tim. 
Vi,8).   Ne  lût-ce  encore   que  le  dégoût  et 
lus  travaux   attachés    au    saint    ministère, 
qu'est-ce  que  la  vie  d'un  ministre  de  Jésus- 
Christ,  qu'une  immolation  perpétuelle,  un 
enchaînement  de  sollicitudes  et  de  soins  qui 
se  renouvellent  tous  les  jours?  Kl  le  plus 
souvent  quel  en  est  le  succès?  Mille  obsta- 
cles qui   entravent  chaque  jour  la  marche 
de  l'Eglise  et  augmentent  l'audace  de  l'im- 
piété ,  des  |)euples  indociles  qui  résistent  à 
tous  nos  soins  et    nous  font   un  crime  de 
notre  zèle,  des   ()euples  ingrats  qui  ne  ré- 
pondent à  noire  atl'ection  pour  eux  que  par 
un  éloignemenl  qui   nous  humilie,  à  nos 
services  que  par  des  calomnies  et  quelque- 
fois des  ii.jures;  des  pécheurs  que  nous  no 
jiouvons  ni  attirer  au  saint  tribunal  ni  con- 
vertir quand  ils  y  sont;   des  scandales  pu- 
blics qu'on  ne  |)eut  arrêter,    des  mariages 
invalides  qu'on  ne  peut  légitimer ,  unejeu- 
iiesse  impie  et  volujnueuse  qui  méprise  nos 
instructions,  des  parents  aveugiés  qui  au- 
torisent par  leur   mollesse  et    souvent  par 
leur   exemple    les   désordres  de    leurs  en- 
fants :  ô  mon  Dieu,  con)nient  ne  ()as  sentir 
que  vous  seul  pouvez  aJoucir  tant  d'amer- 
tucnes,  et  comment  ne  pas  crier  vers  vous 
avec  le  Prophète  :  De  profundis  clamavi  ad 
te.    Domine.    Parce   Domine,  parce  populo 
tuo!  (Psal.,  CXXIX,  1.) 

Ahl  Messieurs ,  ces  saints  gémissements 
nous  seraient  bien  plus  utiles  que  les  |)!ain- 
les  éternelles  que  nous  nous  ()ermeltons 
sur  la  stérilité  de  notre  ministère,  et  sur- 
tout que  les  dégoûts  et  le  découragement 
où  nous  jettent  ."i  souvent  des  dlfiicultés 
sans  cesse  renaissantes.  Si  jamais  nous 
n'eûmes  plus  besoin  d(;  la  force  et  du  cou- 
rage    dont    lurent    investis    les    apôtres, 


croyons  au«si  que  jamais  Dieu  ne  fut  plus 
disposé  h  les  accorder  et  h  renouveler  les 
|)rodiges  de  grAce  qui  sanclifiùrent  le  ber- 
ceau de  son  Eglise.  Comptons  plus  sur  nos 
prières  (pie  sur  nos  travaux,  et  n'oublions 
jamais  ces  paroles  si  consolantes  :  Deus  ira- 
possibitianon  jubcf.  ;  scd  jubendo  monet  fa- 
ccre  quod  possis  ;  petcre  quod  non  pos- 
sis,  et  adjurât  ut  possis. 

Recourons  donc  avec  empr(  ssement  à  Tan- 
leur  de  tout  secours,  el  jetons-nous  avec 
confiance  dans  le  sein  de  sa  boulé  :  Adea- 
mus  crgo  cum  fiducia  ad  thronum  gratiip, 
[Hebr.,  W,  16)  ;  ne  le  regardons  pas  comme 
un  maître  sévère  dont  l'approche  est  redou- 
table, mais  comme  nn  ami  plein  de  douceur 
à  qui  rien  ne  pîoît  autant  que  la  ifranchiso 
et  la  simt)licilé.  Il  est  mille  peines  secrètes 
qu'on  n'oserait  conlier  à  aucun  mortel  ;  nu 
rougissons  point  de  les  ra|)porter  à  Dieu, 
et  ne  craignons  de  sa  [)art  ni  rebuis  ni  mé- 
pris :  nous  tojiim<^s  sfln  ouvrage-,  il  ne  dé- 
daignera rien  de  ce  qu'il  a  fail;  nous  som- 
mes ses  eiif'anls,  et  jamais  père  eut-il  des 
sentimenls  aussi  tendres?  Ne  craignons 
point  de  lui  exposer  avec  candeur  [onUi 
l'étendue  de  nos  besoins;  entrons  av3c  lui 
dans  le  détail  de  nos  misères  les  plus  se- 
crèles  et  les  plus  humil  anles  :  il  a  des  re- 
mèdes tout  jirôts  pour  chacun  de  nos  maux, 
et  il  n'attend  ))Our  nous  secourir  que  d'être 
invoqué. 

Non,  Messieurs,  nous  m?  compterons  do 
jours  heureux  que  ceux  que  la  prièri\  ol 
surtout  la  médiialion  auront  sanctitiés.  F,|;e 
de  la  sagesse,  la  ()rière  attire  après  elle 
tous  les  biens,  et  il  n'y  a  pas  de  n  aux  qu'elle 
ne  I  revienne  ou  ne  guérisse,  ou  du  moins 
n'adoucisse.  Oh  1  qu'elle  soit  donc  à  l'ave- 
nir noire  compagne  (idèle,  qu'elle  assiste  à 
noire  réveil,  qu'eile  commence  nos  jour- 
nées, qu'elle  préside  h  nos  travaux,  qu'elle 
anime,  qu'elle  soulienne  toutes  nos  fonc- 
tions ;  qu'elle  bénisse  nos  repas,  qu'elln 
consacre  nos  délassements ,  qu'elle  nous 
suive  dans  nos  voyages,  dans  nos  visitas  ; 
qu'elle  soit  sans  cesse  à  nos  côlés,  le  jour 
el  la  nuit,  dans  nos  joies,  dans  nos  peines, 
dans  le  calme  de  la  retraite  et  dans  le  tu- 
multe du  monde. 

Mon  Dieu  !  j'ai  bien  des  grâces  à  vous 
demander  ;  mais  je  me  borne  en  ce  morne  it 
à  une  seule,  qui  est  la  source  de  toutes, 
c'rst  l'esprit  de  la  prière.  Donnez-moi  le 
goût,  la  f.ici'ité,  la  sai'nle  habitude  de  con- 
verser avec  vous,  de  vous  ouvrir  mon  cœur 
et  d'admirer  la  bonté  du  vôtre,  de  vous  con- 
sulter dans  mes  doutes  de  vous  commun  - 
quer  mes  projets,  do  vous  olîiir  mes  entre- 
prises, d'attendre  de  vous  seul  le  succès  de 
mes  travaux,  et  surtout  la  récora|)ense  im- 
mortelle dont  vous  avez  promis  de  les  cou- 
ronner. 

INSTRUCTION  VIII. 

I.A    MK-niTATlON. 

Ii:  medilalionc  mea  cxaiilcscct  igriis.  (Psal.  XXXVIII, 


*■) 


Messieurs , 
Ce  feu  sacré  dont  |)arlo  ici  le  Prophèlo 


71  i 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


7!2 


est  celui  que  Jésus-Cbnsl  osl  venu  allumer 
sur  la  (erre,  et  dont  il  désire  .que  tous  les 
cœurs  soient  embrasés  :  Ignem  veni  millere 
in  terrain,  et  quid  volo,  nisi  ut  accendatur 
(Luc,  XII,  U9);  le  môme  qui  descendit  sur 
les  apôtres  après  ces  dix  jours  de  retraite  et 
(l'oraison  qui  précédèrent  !a  conversion  de 
l'univers  ;  le  même  qui  avait  rendu  le  vi- 
sage de  Moïse  si  éclatant ,  lorsqu'il  descen- 
dit de  la  montagne  pour  manifester  aux 
Juifs  ce  qu'ils  avaient  recueilli  de  la  bouche 
de  Dieu  même,  et 'qu'il  leur  dit  avec  celte 
onction  pénétrante  qui  n'appartient  qu'aux 
envoyés  du  Très-Haut:  Vous  aimerez  le  Sei- 
gneur votre  Dieu  de  tout  votre  cœur,  de  toute 
votre  âme  et  de  toutes  vos  forces  [Mcitt.,  XXII, 
37);  le  même  qui  était  figuré  par  ce  feu  malé- 
ricl  que  les  prêtres  de  l'ancienne  loi  étaient 
cbargés  d'allumer  tous  les  matins  et  d'en- 
tretenir pendant  tout  le  jour  sur  l'aule!  du 
Seigneur:  ig'nî's  in  ultari  meosemper  ardebit, 
quem  nutriet  sacerdos,  subjiciens  ligna  mane 
per  singiilos  dies.  (Levit.,  VI,  12.) 

Oui,  mes  cliers  confrères,  le  cœur  du 
prêtre  est  le  véritable  autel  du  Seigneur  oiî 
doit  fMre  allumé  tous  les  matins  et  enlre- 
lenu  pendant  lout  le  jour  le  feu  sacré  de 
I  amour  divin.  Le  bois  mystérieux  qui  sert 
d'aliment  à  ce  feu  céle>te,  c'est  la  médi- 
tation :  m  vieditutione  mca  exardescel  ignis. 
Le  cœur  d'un  piêlre,  dans  le  .Mlence  et  le 
recueillement  de  l'oraison,  devient  comme 
un  fojer  oiJ  se  rassemblent  tous  les 
rayons  du  soleil  de  vérité  et  de  justice, 
et  d'où  ensuite  ces  rayons  et  ces  ar- 
deurs se  réfléchissent  et  se  répandent  sur 
les  cœurs  des  fidèles.  Voilà  ce  qui  explique 
les  prodiges  de  grûce  et  de  sainteté  qu'ont 
opérés  dans  tous  les  siècles  les  bommes 
vraiment  aposloli(jues ,  et  les  ell'orls  stéri- 
les de  tant  d(^  prêtres  dont  le  zèle  bruyant 
et  tumultueux  frappe  l'orLille  sans  atlein- 
(ire  le  cœur.  Abl  mes  chers  confrères,  c'est 
que  les  [iremiers  étaient  des  bommes  d'o- 
raison ;  c'est  l'oraison  qui  doimait  tant  de 
puissance  à  leurs  paroles  et  à  leurs  œu- 
vres! 

Comment  remplir  saintement  les  subli- 
mes Ibnclions  de  notre  ministère  sans  le  se- 
cours Iréquei.t  et  journalier  de  la  médita- 
lion  ?  On  nous  dit  i^ue  c'est  assez  pour  un 
prèlre  de  bien  réciter  son  bréviaire;  mais, 
grand  Dicu'l  comment  le  diseiu  ceux  qui 
n'ont  pas  l'usage  de  la  méditation?  Qu'ob- 
liennenl-ils  par  celte  récitation  précipitée, 
inaltentive  et  souvent  indécente,  (|ue  des 
fléaux  peut-être  et  des  calamités  sur  l'E- 
glise? Comment  s'approchent -ils  de  cet 
autel  redoutable  oij  une  foi  vive,  une  cons- 
cience [)ure,  une  piété  aH'oclueuse,  sont 
stules  dignes  de  monter?  Quels  peuvent 
donc  être  les  motifs  de  ce  dégoût  i»resi|Ut' 
univer>el  pour  un  exercice  si  salutaire?  \\ 
faut,  Messieurs,  que  l'usage  de  la  ujédila- 
tion  soit  quelque  chose  de  bien  agréable  à 
Dieu  et  de  bien  utile  h  l'Iiomme,  puisque 
l'ennemi  de  notre  salut  fait  tant  deilorts 
pour  nous  en  éloigner;  malheureusement, 
notre  paresse  et  nos  passions  se  trouvent 


d'accord  là-dessus,  comme  sur  tant  a'autres 
choses,  avec  cet  esprit  de  mensonge.  On 
s'exagère  les  (lifTicultés  de  loraison  men- 
tale, on  en  méconnaît  ou  l'on  en  diminue 
les  avantages,  on  va  presque  jusqu'à  se  per- 
suader qu'elle  est  inuiile,  ou  qu'elle  n'est 
bonne  lout  au  plus  que  pour  les  séminaiies 
et  les  cloîtres,  comme  si  un  prèlre  devait 
ê!re  moins  [)arfait  qu'un  religieux  ou  un 
séminariste.  Cependant,  mes  chers  confrè- 
res, formons-nous  une  idée  exacte  de  celte 
sainte  pratique,  et  nous  verrons  qu'il  n'est 
rien, 'pour  un  prêtre  surtout,  de  plus  facile, 
de  plus  nécessaire,  de  plus  avantageux,  que 
l'habitude  de  la  méditaiion. 

Mon  Dieu,  vous  le  voyez,  tout  le  bien  do 
celte  retraite  dépend  de  celte  insiruction. 
Un  prêtre  qui  médite  n'a  pas  besoin  d'au- 
tres secours.  El  à  quoi  lui  serviraient-ils 
s'il  ne  médite  pas?  Daignez  donc  pré|)arer 
nos  cœurs  ,  et  les  rendre  dociles  à  une  des 
vérités  les  plus  importantes  <lans  l'exercice 
des  fonctiuns  sacerdotales. 

PREMIÈRE   PARTIE. 

Pour  dissi})er  d'abord  les  vains  prétextes, 
qu'on  oppose  à  la  méditation,  commençons 
pareil  monlrer  la  futilité.  Qu'est-ce  que  la 
méditation,  ou  en  d'autres  teimes  l'oraison 
mentale?  C'est  une  application  d'esprit  et 
une  élévation  de  cœur  à  Dieu,  dont  le  but 
est  de  nous  retracer  les  vérités  et  les  de- 
voirs du  christianisme,  et  d'obtenir  la  grâce 
de  les  mettre  en  pratique.  Il  y  a  une  grande 
ditférence  entre  l'étude  de  la  religion  et  la 
niédituiion.  L'étude  n'exige  que  l'app  ica- 
tion  de  l'esprit,  et  la  raédilaiion  demande 
de  plus  le  mouvement  du  cœur.  Le  but  ()ro- 
chain  de  l'élude,  c'est  d'augmenter  nos 
connaissances;  le  but  prochain  de  la  médi- 
talion,  c'est  d'accroître  notre  piété.  Ainsi 
l'élude  de  la  théologie  ou  l'élude  d'un  ser- 
mon n'est  pas  ce  qu'on  appelle  méditation  : 
c'est  une  sainte  pratique  qui  procure  une 
parlie  des  fruits  de  la  médiiation,  d'élever 
de  temps  en  temps  pendant  ces  éludes  son 
cœur  à  Dieu  ,  et  d'appliquer  les  vérités 
qu'on  étudie  à  la  réforme  et  à  la  perfection 
de  ses  mœurs. 

Il  y  a  aussi,  comme  lout  le  monde  sait, 
une  grande  difl'érence  entre  la  médiiation 
et  la  prière  vocale.  Celle-ci  exige  sans  doute 
rattenlion  de  l'esprit  et  le  mouvement  du 
cœur  :  malheur  à  celui  qui  ne  prierait  que 
des  lèvres  !  Mais  celle  attention  se  donne 
momentanément  aux  choses  qu'on  dit  ou 
qu'on  demande,  sans  se  fixer  à  aucune  en 
particulier  :  tandis  que  la  méditation  s'at- 
taelie  pendant  un  lem()s  plus  ou  moins  long 
à  une  seule  vérité  princiiiale,  pour  en  tirer 
des.  conséquences  pratiques  et  exciter  dans 
le  cœur  des  sentiments  analogues. 

Quand  je  dis  pendaiil  un  temps  plus  ou 
moins  long,  ce  n'est  pas  qu'il  ne  soit  très- 
utile  de  se  livrer  fréquemment,  à  l'exemple 
des  saints,  à  des  all'ections  momentanées, 
qui,  s'élevant  comme  un  trail  du  fond  de 
notre  âme  vers  Dieu,  sont  d'autant  jlus 
cllicaces,  qu'elles  sont  plus  vives  et  plu?  ai- 


713 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  Mil,  SUR  LA  MEDITATION. 


n\ 


dente?.  C'est,  comme  vous  savez,  ce  qu'on 
appelle  oraisons  jaculatoiros.  Les  prêtres 
fervents  se  servent  do  tout  pour  s'élever  à 
Dieu  avec  la  ra[)idiié  de  l'écKiir.  Ainsi,  en 
contemplant  la  magnificence  et  les  merveil- 
les de  la  nature,  ils  s'élèvent  à  l'auteur  de 
toutes clioses,  ets'écriont  avec  le  Proplièie  : 
Cœli  enarrani  gloriam  Dei,et  opéra  manuum 
ejuf  annunliut  fînnamenlum{PsuL  XV11I,Î), 
ou  avec  saint  Augustin  :  5»  hœc  magna  sunt, 
quanlus  est  ipse?  Si  un  objet  visible  les 
IVappe  par  sa  beauté,  ils  rappellent  la  beauté 
immortelle  du  Créateur  dont  la  jiossession 
sera  la  récompense  des  privations  d'ici-bas 
et  de  la  garde  de  nos  sens;  ils  s'écrient: 
Quid  milti  ei^t  in  cœlo,  et  a  le  quid  volui  su- 
per terrain?  Dciis  cordis  mei,  et  pars  mea  in 
œlernum.  {Psal.  LXXII,  23.)  Dans  une  ten- 
tation ou  une  peine,  ils  répètent  les  paroles 
d'Ezéchias  :  Domine,  vim  palior;  responde 
pro  me.  (Isa.,  XXXVIII,  18.)  A  la  vue  d'un 
mort  ou  d'un  mourant,  ils  désirent  |)0ur 
eux-mêmes  une  mort  précieuse  :  Moriatur 
anima  mea  morte  juslorum.  [Num.,  XXIIl, 
10.)  A  l'aspect  d'une  croix,  quede  réflexions 
se  présentent  en  foule  a  l'esprit  d'un  prêtre 
fervent  :  Dilexit  me,  et  tradidit  semetipsum 
pro  me  !  {Galiit.fU,  20.)  L'amour  immense 
d'un  Dieu  qui  s'est  immolé  pour  les  hom- 
Djes,  l'ingratitude  des  hommes  qui  le  cru- 
cifient sans  cesse  par  leurs  crimes  î  Oh  1 
qu'il  serait  à  plaindre  ce  prêtre  insensible 
en  qui  la  vue  du  signe  de  notre  salut  ne  ré- 
vt'illerait  aucune  idée  aucun  sentiment  de 
i-eligion  ! 

Mais  outre  ces  raéditalions,  aussi  rapides 
qu'elles  peuvent  être  fréquentes,  puisque 
l'occa.sion  s'en  présente  a  chaque  instant, 
(  t  qui  facilitent  la  pratique  du  précepte  : 
Oporlet  iemper  orare  et  non  deficere  (Luc, 
XVlll,  1),  un  bon  prêtre  ne  manque  ja- 
mais, à  moins  d'une  impossibilité  morale 
ou  physique,  de  consacrer  tous  les  jours 
au  moins  une  demi-heure  à  des  réllexions 
plus  suivies  sur  quelque  vérité,  ou  quelque 
vertu,  ou  quelque  vice,  et  surtout  sur  le 
vice  ou  défaut  qui  domine  en  lui,  qui  exige 
de  sa  vigilance  des  combats  continuels. 
Vous  savez,  Messieurs,  la  méthode  ordi- 
naire qu'on  suit  diais  cet  acte  si  essentiel 
de  la  \ie  religieuse.  Permeltez-moi  de  vous 
rappeler  d'une  manière  tout  à  fait  simple 
ces  règles  que  vous  mettez  sans  doute  en 
pratique,  mais  qui  conviennent  au  sujet  que 
je  traite,  et  veuillez,  en  faveur  des  motifs 
qui  m'animent,  excuser  la  familiarité  des 
détails  dans  lesquels  je  serai  forcé  d'entrer. 
Vous  savez  que  la  méditation  est  compo- 
sée de  trois  parties  :  la  préparation,  le  cor|)S 
de  l'orai&on  et  la  conclusion.  La  pré[)aration 
est  composée  de  trois  actes  :  1°  se  mettre 
en  la  présence  de  Dieu  et  l'adorer;  2"  s'hu- 
milier et  se  re|)entir  de  ses  fautes  ;  3"  invo- 
quer lus  lumières  et  l'assistance  de  l'Esprit- 
baint.  Le  corps  de  l'oraison  comprend  aussi 
trois  choses  :  1°  réiléchir  sur  la  vérité  qu'on 
a  en  vue,  en  rap[»eler  les  motifs  et  les  preu- 
ves ;  voila  ce  qui  s'appelle  proprement  m^- 
dùer;  2' s'appliquer   à   soi-même  la   vérité 

OBATMiBS  SACUÉS.  LXViJL 


méditée,  examiner  en  (juoi,  dans  quelles 
circonslaiices  particulières  on  y  manque, 
gémi''  do  sa  faiblesse,  et  demander  h  Dieu 
qu'il  daigne  nous  fortifier  et  nous  changer  : 
c'est  |)rincipalemenl  en  cela  que  consiste 
V  oraison  mentale  ;  3"  prcMve  des  résolutions, 
particulières  et  non  générales,  relatives  à 
noire  position  ;  dire  par  exemple  :  Dans 
telle  circonstance  Je  ferai  cela,  dans  telle 
autre  j'éviterai  ceci  ;  je  vais  tûcher  de  répa- 
rer telle  faute  que  j'ai  faite,  de  me  rappro- 
cher de  telle  persoine  que  j'ai  aigrie.  Enfin, 
la  conclusion  de  l'oraison  renferme  aussi 
trois  choses:  1° remercier  Dieu  des  lumière? 
qu'il  nous  a  données  et  des  résolutions 
qu'il  nous  a  inspirées;  2°  le  prier  de  les  bé- 
nir et  de  nous  donner  la  force  de  les  suivre  ; 
3°  recueillir  quehjues-unes  des  pensées  qui 
nous  ont  le  plus  frappé  dans  l'oraisOn  pour 
s'en  nourrir  et  les  rappeler  souvent  dans 
le  reste  do  la  journée.  Un  exemple  rendt-a 
tout  ceci  plus  sensible.  Je  suppose  quejo 
veuille  méditer  sur  le  péché.  Je  fais  d'avance 
quelque  lecture  sur  celte  matière:  la  mé- 
ditation sans  lecture  expose,  dit  saint  Ber- 
nard, aux  égarements  d'une  imagination 
vagabonde,  et  quelquefois  aux  illusions 
d'un  cœur  aveuglé,  meditatio  sine  lectiono 
erronea.  Après  m'être  humilié  devant  Dieu 
et  avoir  imploré  ses  lumières,  je  me  figure 
le  péché  comme  une  bête  féroce  qui  ravagé 
la  terre,  qui  en  veut  particulièrement  à  moi  ; 
et  comme  ce  monstre  est  d'autant  plus  h 
craindre  qu'il  a  souvent  l'adresse  de  se 
rendre  invisible  et  de  surprendre  sa  victime, 
je  mêle  représente  comme  caché  à  mon  ré- 
veil dans  le  lieu  que  j'habite  observant 
tous  mes  mouvements,  me  suivant  à  mon 
insu  lorsqueje  sors,  s'altachant  à  tous  mes 
pas,  et  épiant  le  moment  de  tomber  sur  moi 
et  de  me  dévorer.  Celle  image,  comme  vous 
savez,  est  de  l'apôtre  saint  Pierre,  qui  nous 
représente  Satan,  père  du  péché,  comme 
un  lion  furieux  qui  tourne  sans  cesse  au- 
tour de  nous,  qui  est  d'intelligence  avec 
une  passion  qui  nous  domine,  la  colère, 
par  exemple,  ou  la  lâcheté  ou  la  volupté  : 
chacun  a  la  sienne,  et  souvent  plus  d'une. 
Pour  me  garantir  de  ce  monstre,  qui  du 
reste  ne  peut  me  nuire  qu'autant  que  je  la 
voudrai,  je  vais  considérer  l'outrage  queje 
ferais  à  Dieu  et  les  maux  queje  me  cau- 
serais à  moi-même  en  me  livrant  au  péché. 
D'abord,  quoi  outrage  ne  ferais-je  pas  à 
un  Dieu  créateur  qui  m'a  formé  àsonimage, 
qui  m'a  donné  l'existence  et  tout  ce  queje 
l)0ssède,  qui  me  conserve  chaque  jour  la 
vie,  la  force,  la  faculté  de  penser  et  d'agir, 
si  j'avais  le  malheur  de  méconnaître  son  au- 
torité, sa  puissance,  ses  bienfaits,  et  de  me 
révolter  contre  sa  loi  I  Quel  outrage  ne  fe- 
rais-je pas  à  un  Dieu  rédem|)teur  qui  m'a 
aimé  jusqu'à  mourir  pour  moi,  qui  m'a  dé- 
livré de  la  damnation  éternelle,  racheté  au 
prix  de  son  sang  et  assuré  une  place,  ,un 
irône  dans  les  cieux,  si  j'allais  par  le  péché 
renouveler  ses  douleurs  et  ses  op[)robresi 
et  rendre  inutiles  à  mon  égfjrd  les  mérite^ 
du  3a  mort  1  ;jucl  outrage  ne  ferais-ju  [lUS  à 

23 


Vi§ 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


7!(î 


un  Dieu  sanctificateur  qui  m'a  éclairé  de 
ses  lumières,  enrichi  de  ses  dons,  comblé 
de  ses  grâces,  si  je  résistais  à  ses  mouve- 
ments, si  je  rejetais  ses  inspirations,  si  je 
cherchais  à  m'aveugler  et  à  étouflfer  les  re- 
mords de  ma  conscience,  pour  suivre  le  dé- 
sir de  mes  passions  ! 

Telle  serait  ma  culpabilité  en  qualité  de 
chrétien.  Mais  si  je  me  considère  comme 
prêtre,  comme  honoré  d'un  ministère  su- 
périeur à  ceJui  des  anges,  comme  chargé 
(le  dispenser  les  trésors  de,  la  grâce  et  les 
mystères  de  Dieu  ,  de  prêcher  en  son  nom 
les  vérités  du  salut,  de  conduire  les.  autres 
dans  les  roules  de  la  sainteté  et  de  leur  don- 
ner l'exemple  de  toutes  les  vertus,  com- 
bien je  serais  coupable  de  manquer  moi^ 
même  à  la  doctrine  que  j'enseigne  et  de 
perdre  par  mes  scandales  ces  âmes  pré- 
cieuses dont  le  salut  m'est  confié!  Et  cepen- 
dant n'ai-je  jamais  eu  ce  malheur?  n'y  en 
s-t-il  aucune  dont  les  dérèglements  et  i'im- 
pénitence  n'aient  pris  leur  source  dans  mes 
mauvais  exemples  et  dans  la  froideur  ou 
l'imprudence  de  mon  zèle,  et  dont  je  puisse 
me  reprocher  la  perte? 

Je  considère  ensuite  le  péché  par  rap^ 
port  aux  maux  qu'il  cause  au  coupable. 
Perdre  la  vie  de  la  grâce  et  tomber  dans  un 
élitt  de  mort  aux  yeux  de  Dieu,  percer  son 
âme  d'autant  de  traits  mortels  qu'on  com- 
met de  crimes,  et  la  rendre  mille  fois  plus 
liideuse  qu'un  cadavre  ;  n'avoir  [)lusde  droit 
au  royaume  céleste,  avoir  quitté  la  route 
qui  y  conduit  et  marcher  sans  cesse  sur  les 
bords  de  l'enfer,  exposé  à  y  tomber  à  cha- 
que instant;  s'aveugler,  s'endurcir  de  plus 
en  plus  à  projiortion  qu'on  persévère  dans 
le  crime,  et  courir  à  grands  pas  à  l'impéni- 
lence  tiuale  et  à  la  mort  dans  le  péché,  ô 
mon  Dieu  1  quel  étatl 

Cet  affreux  étal  n'est-il  pas  le  mien?  Ne 
suis-je  |)as,  peut-être  à  mon  insu,  coupable 
de  quelque  péché  mortel?  Je  ne  suis  que 
trop  certain  d'en  avoir  commis  dans  ma 
vie;  mais  suis-je  certain  d'en  avoir  fait  une 
vraie  pénitence?  Que  de  ravages  n'a  pas 
causas  en  moi  pendant  ma  jeunesse  celle 
})assion  honteuse!  était-elle  enlièrement 
éteinte  lorsque  j'entrai  dans  le  sacerdoce? 
Hélas!  l'tist-elle  du  moins  en  ce  moment? 
ne  vit-elle  fias  encore  au  fond  de  mon  cœur 
sous  le  masque  d'une  vertu  apparente? 
telles  paroles,  telles  libertés,  telles  fautes 
qui  m'ont  paru  légères,  qui  le  seraient 
peut-être  dans  un  simple  tidèle,  ne  sont- 
elles  pas  en  moi,  prêtre  d'un  Dieu  trois  lois 
saint,  des  fautes  graves?  Dans  ce  doule,  je 
n'ai  pas  recouru  à  la  piscine  sainte,  ou  je 
n'y  suis  allé  que  pour  m'aveugler  davan- 
tage !  dans  ce  doute,  je  n'ai  pas  craint  de 
monter  à  l'autel,  c'est  à-dire  de  profaner  le 
sang  de  Jésus-Christ  I 

O  mon  Dieu  !  qui  donnera  à  mes  yeux 
une  source  intarissable  de  larmes?  Non,  je 
ne  veux  plus  dill'érer  de  régler  ma  con- 
science; et  une  fois  rentré  dans  les  voies 
de  la  vertu,  je  ne  veux  plus  m'en  écarter  : 
telle  |>récaution    m'est    nécessaire,  je  la 


prendrai  :  plutôt  la  mort,  6  mon  Dieu,  qu^ 
de  me  livrer  à  telle  faute;  plutôt  la  nrort 
que  de  continuer  cette  vie  lâche  et  tiède, 
sans  recueillement,  sans  méditation,  qu"i 
conduit  infailliblement  au  péché  mortel! 
Daignez,  ô  mon  Dieu!  recevoir  et  bénir 
celte  résolution  sainte  que  je  prends  à  vos 
pieds.  Je  n'oublierai  plus  qu'il  en  a  coûté  à 
Jésus-Christ  tout  son  sang  pour  expier  lé 
péché,  et  que  je  dois  le  fuir  comme  je  fui- 
rais à  l'aspect  d'une  bête  féroce.  Que  f,'^ 
rais-je  si  le  soir  avant  mon  repos  j'aperce  v;ii s 
un  énorme  serpent  étendu  dans  ma  couche? 
irais^je  la  partager  avec  lui?  Quasi  a  facie 
colubri  fuge  peccata.  [Eccli.,  XXI,  2.) 

Ici,  mes  ehers  confrères,  je  ne  deman- 
derai pas  si  ces  réflexions,  ces  sentiments, 
ces  résolutions  vous  paraissent  utiles;  mais 
je  demanderai  si  cet  exercice  vous  semble 
difficile.  Voilà  cependant  ce  que  c'est  que 
méditer  :  éclairer  l'esprit  pour  émouvoir 
le  cœur,  rappeler  avec  attention  la  vérité, 
s'excitera  la  mettre  en  pratique  et  gémir 
de  l'avoir  violée;  tout  est  là.  Je  sais  bien 
qu'on  ne  peut  y  réussir  sans  le  secours  de 
la  grâce  ;  mais  aussi  a-t-on  le  soin  de  la  de- 
mander soit  avant,  soit  pendant,  soit  après 
la  méditation.  Comment  donc  osera-t-on 
dire  qu'on  n'est  })as  c.ipable  de  .'iiédiler? 
Toul  homme,  quel  qu'il  soit,  et  à  plus  forte 
raison  un  prêtre,  n'esl-il  pas  capable  de 
réfléchir,  de  prendre  une  résolution  et  de 
la  suivre?  la  méditation  est-elle  autre 
chose?  Quoi,  on  peut  s'occu[)er  d'une 
affaire,  d'un  procès,  d'une  étude,  d'un  ser- 
mon, d'un  cas  de  conscience,  et  l'on  ne 
[)eul  s'occuper  des  besoins  de  son  âme! 

Ecoutons  les  prétextes  qu'allèguent  l'oi- 
sivelé  et  la  tiédeur  pour  se  dispenser  de 
la  sainte  pratique  de  la  méditation.  Mes 
fonctions  ne  me  laissent  pas  le  temps  de 
vaquer  à  l'exercice  de  l'oraison.  Que  di- 
tes-vous là,  mon  cher  frère!  on  trouve  le 
tem|)s  nécessaire  pour  s'occuf)er  de  raille 
frivolités,  et  l'on  ne  le  trouverait  pas  pour 
la  plus  .importante,  la  plus  nécessaire  de 
toutes  les  affaires,  celle  du  salut,  qui  ne  se 
fait  pas  sans  doute  sans  y  réfléchir!  on 
trouve  le  temps  nécessaire  pour  satisfaire 
aux  besoins  de  la  vie  cl  soigner  le  corps; 
l'on  n'en  trouverait  pas  pour  donner  à  l'â- 
me le  soin,  l'aliment,  le  repos  qui  lui  con- 
vient! Ces  sortes  de  prétextes  nous  font 
[lilié  dans  un  luique;  que  sera-ce  dans 
un  prêtre? 

Mais  j'ai  l'esprit  si  léger,  l'imagination  si 
volage;  je  suis  naturellement  ti  distrait  1 
Autre  [uétexle  des  gens  du  monde  :  nous 
leur  disons  qu'ils  ne  sont  pas  si  distraiis 
[)Our  leur  commerce,  leurs  iningues,  leurs 
afïaires  ;  qu'ils  savent  bien  se  fixer  sur  un 
projet,  sur  une  entreprise  qui  doit  grossir 
leur  fortune  et  étendre  leur  réputation. 
Faudra-t-il  qu'on  répète  cette  réponse  à  un 
prêirequi  l'a  si  souvent  faite  lui-même  aux 
simples  fidèles?  Vous  avez  l'esprit  léger  ! 
raison  de  plus  pour  l'appli(iuer  à  la  raédi- 
talion,  qui  le  tixera.  D'ailleurs,  ignoro)is- 
nous,  mes  chers  confrères,  que  les  d  s- 


71< 


RKTRAITE.  —  INSTUUCT.  VIII,  SUR  LA  MEDlTATIOiN. 


il^ 


traitions  sont  lu  partage  de  la  faihi-esso  hu- 
maine, et  (]u'('lles  ne  sont  coupables  dans 
la  prière  (m'aulaiil  qu'elles  sont  volotilai- 
res  ou  en  olles-mtimes  ou  dans  l'ocoàsion 
qu'on  y  d(;nne,  soit  en  no  se  recueillaiU  pas 
avant  de  prier,  snileu  menant  une  vie  lia- 
tiituelleiuent  dissipée  et  déréglée?  igno- 
rons-nous que  les  égarements  involontai- 
res, loin  de  nuire  à  la  méditation,  en  aug- 
mentent le  mérite  par  la  patience  à  les  sup- 
porter et  la  vigilance  à  les  érailer? 

Mais  JH  n'ai  jamais  su  méd  ter,  ni  ne  le 
saurai  jamais  :  cette  méthode  qu'on  ensei- 
gne dans  l»s  séminaires,  et  qu'on  tt-ouve,* 
j'en  conviens,  dans  tant  de  livres,  peut  être 
Irès-honne  et  très-utile  ;  mais  elle  est  si 
cuni]iliquée,  si  endjarrassée  1  Convenons, 
mes  chers  coiifières,  que  c'est  le  dél'aut 
d'habitude  qui  nous  la  lait  trouver  telle,  et 
que  ce  manque  d'habitude  est  l'ouvrage  de 
notre  |)aresse  et  de  notre  lâcheté.  Mais  en- 
fin n'importe  la  forme,  attachons-nous  au 
lond  :  si  une  méthode  qui  a  été  suivie  et 
enseignée  par  les  hommes  de  Dieu  les  plus 
reconimandabies  en  science  et  en  sainteté, 
par  les  Ignace,  les  François  de  Sales,  les 
Vincent  de  Paul;  si,  dis-je,  cette  méthode 
parait  trop  (aiigante  à  notre  dissipation, 
employons  du  moins  celte  méthode  simple 
et  lacile  que  l'on  conseille  aux  gens  du 
monde;  elle  s'exprime  en  trois  mots  :  liseZf 
réfléchissez,  priez. 

Lisez  soit  avant,  soit  pendant  la  médita- 
tion :  la  leciure  lixe  les  esprits  troj)   vifs  et 
excite   les  imaginations  trop   lentes;   mais 
lisez  avec  attention  et  réfléchissez  :  la  lec- 
ture est  utile  pour  aider  la  réflexion,  et  la 
réflexion  est  nécessaire   pour  émouvoir  le 
cœur  ;  prieZj  voilà  l'essentiel  de  la  médita- 
lion  :  élever  son  âme  à  Dieu,  s'humilier  à 
ses  pieds,  gémir  de  ses  faiblesses,  implorer 
le  secours  de  la  grâce,  s'armer  de  contiance 
et  de  courage,  déclarer  une  guerre  à  mort 
à  ses  vices  ou  à  ses  défauts,  renouveler  tous 
les  jours  la  résolution  de  se  combattre  et  de 
se  vaincie,  et  faire  tous  les  jours  de  nou- 
veaux etibrts  pour  acquérir  les  vertus  qui 
nous  manquent.  Quand   on  a  excité  dans 
son  cœur  cei  saints  mouvements,  on  a  bien 
médité,    quelque   méthode  qu'un  ail  em- 
ployée. 4 
il  est  donc  bien  clair,  mes  chers  confrè-  ' 
res,  qu'il  nesl  rien  de  plus  facile  pour  les 
hommes  de  boiuie  volonté,  liominibas  bonœ 
voluntutis  [Luc,  H,  lij,  que  l'exercice  de 
la  méditatiun;  qu'on  n'a  aucune  raison  de 
s'en    disj;enser,  et   que   si  dans  quelques 
circonstances  rares  on  se  trouvait,  soit  par 
maladie,  soi',  par  des  occupations  extraor- 
dinaires, dans  limpussibililé  de  donner  un 
temps  suivi  à  ce  saint  exercice,  il  est  facile 
d'y  suppléer  en   élevant  plus  souvent  dans 
le  jour  son   cœur  à  Dieu  par  des  oraisons 
jaculatoires    qui    forment   proprement   ce 
qu'on  appelle  l'esprit  de  prière,  cet  eSprit 
SI   familier   aux    saints    et   aux   véritables 
liommes  de  Dieu. 

Les  obstacles  à    la  méditation    une  fois 
levés,  et  toutes  les  jiréveulious  dissijjées, 


appliquons-nous,  pour  nous  y  encouragei-, 
à  en  coiuiaitre  les  avantages  et  la  nécessité. 

SECONDE  PARTIE. 

Tout  ce  que  je  viens  de  dire  sur  ta  nature 
et  la  facilité  de  la  méditation  en  prouve 
aussi  les  avantages  et  la  nécessité,  vous 
avez  pu,  Messieurs,  vous  en  convaincre. 
Ce  que  j'ajouterai  sera  propre  à  vous  faire 
apprécier  l'importance  de  l'exercice  qui 
fait  l'objet  de  cet  entretien. 

Tous  les  saints,  tous  les  hommes  aposlo- 
liqueâ,  tous  les  docteurs  de  l'Eglise  n'ont 
qu'une  voix  pour  célébrer  les  avantages  et 
les  fruits  merveilleux  de  la  méditation  : 
tantôt  ils  la  représentent  comme  une  chaîne 
d'or  qui  esiatiachée  au  ciel,  et  qui  descend 
jusqu'à  la  terre:  c'est  par  là  que  nos  dé- 
sirs s'élèvent  à  Dieu  et  que  ses  grâces  des- 
cendent à  nous;  tantôt  ils  la  comparent  à 
l'échelle  de  Jacob,  qui  touche  de  la  terre 
au  ciel,  et  le  long  de  laquelle  les  anges 
montent  et  descendent  sans  cesse  pour 
porter  nos  demandes  à  Dieu  et  nous  en  rap- 
porter ses  bénédictions;  tantôt  ils  l'appel- 
lent la  clef  du  ciel,  qui  en  ouvre  toutes  les 
portes  et  tous  les  Irésors.  Oraiio  jusli  clavis 
est  cœli. 

Qu'est-ce  que  la  méditation  au  jugement 
dé  saint  Jean  Climaque?  C'est  le  canal  de 
toutes  les  grâces,  là  destrucliou  de  tous  les 
vices,  la  lumière  des  esprits,  la  nourriture 
de  l'âme,  son  trésor  et  sa  fichesse;  la  mé- 
ditation égale  les  hommes  aux  anges.  Quels 
sont  les  fruits  de  la  méditation  au  Jugement 
de  saint  Bernard?  D'abord,  dit  ce  Père,  elle 
puritie  la  source  même  d'où  elle  tire  sou 
origine,  je  Veux  dire  l'esprit;  ensuite,  elle 
gouverne  leiJ  mouvements  du  cœur,  dirige 
les  actions,  corrige  le.s  excès,  règle  les 
mœurs,  établit  la  décence  et  le  bon  ordre 
dans  la  vie. 

On  dira  peul-êtré  qu'il  n'est  pas"  éton- 
nant que  des  solitaires  aient  parlé  ainsi.  Je 
pourrais  d'abord  répondre  que  ces  solitaires 
faisaient  tout  ce  que  nous  taisons  :  ils  étu- 
diaient, ils  prêchaient,  ils  confessaient,  ils 
catéchisaient,  ils  administraient  les  mala- 
des, ils  gouvernaient  des  sociétés  souvent 
plus  nombreuses  que  nos  paroisses;  et 
c'est  dans  la  tnéditalion  qu'ils  puisaient  la 
grâce  d'excercer  saintement  toutes  ces 
fonctions.  Les  Augustin,  les  Grégoire,  les 
Chrysostorae  n'étalent  pas  des  solitaires; 
et  Cependant  ont-ils  parlé  autrement  de  la 
méditation? 

•^.  Mais  voici  une  lîutorité  plus  moderne 
qu'aucun  |)rêtre  n'oseia  sans  doute  récuser  ; 
c'est  celle  d'un  gràti  J  et  savant  jionlife,  dont 
les  écrits  ont  obtenli  le  suffrage  de  toute  la 
catholicité,  et  feront  la  .règle  des  siècles 
futurs.  Vous  connaissez  tous  là  fameuse 
bulle  de  Benoît  XIV,  qui  a  polir  objet 
d'exhorter  les  tidôles,  et  à  [)lus  forte  raison 
les  piètres,  h  l'oraison  mentale  ;  vous  con- 
naissez les  indulgences  qu'il  accorde  soit  à 
ceux  qui  sont  assidus  à  cette  pratique,  soit 
à  ceux  qui  i  enseignent  aux  autres,  soit  a 
ceux  (iuichercheijt  à  s'en  instruire;  voua 


719 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


1-20 


savez  que  a  a[»res  colle  bulle,  en  faisant 
choque  jour  une  demi-heure  ou  au  moins 
un  quart  d'heure  de  méditation,  on  peut 
gagner  chaque  mois  une  indulgence  plé- 
nière.  Eh  bien  1  dans  colle  bulle  si  célèbre, 
quelles  grandes  idées  celte  illustre  pontife 
ne  nous  donne-l-il  pas  de  l'excellence  do 
l'oraison  mentale,  qu'il  appelle  uneéclielie 
mystérieuse  par  laquelle  l'âme  s'élève  de 
ia  terre  au  ciel,  une  recherche  des  choses 
élernclles,  un  désir  des  biens  invisibles, 
une  union  délicieuse  avec  l'Esprit-Saint, 
une  conversation'  familière  avec  Dieu,  une 
participation  sacrée  5  ses  ineffables  lu- 
mières !  De  quels  développements  ne  se- 
raient pas  susceptibles  ces  grandes  et  no- 
bles pensées!  Appliquons -nous  à  les 
méditer,  pour  nous  encourager  à  l'exercice 
qu'elles  recommandent,  et  dont  elles  nous 
donnent  une  idée  si  consolante.  Heureux 
le  [lasteur  qui  s'appliquera  à  les  donner  à 
son  peuple,  ces  saints  développements,  et 
qui  fortifiera  ses  inslruclions  par  la  prati- 
que! Comment  parler  dignement  de  l'orai- 
son sans  être  soi-même  un  homme  d'o- 
raison ?  Heureux  le  prêtre  qui,  en  prêchant 
aux  simples  fidèles  les  avantages  inappré- 
ciables de  la  méditation,  sera  convaincu 
qu'elle  est  avantageuse  et  nécessaire  pour 
lui-même!  Permettez-moi,  vénérables  con- 
frères, de  donner  quelques  développemenls 
à  la  pensée  de  ce  grand  pape,  en  vous  mon- 
trant en  peu  de  mots  l'oraison  mentale 
comme  une  source  de  lumières,  de  sainteté, 
de  force,  de  joie  et  de  consolation. 
.  Je  dis  premièrement  une  source  du  lu- 
mières qui  nous  découvre  d'un  côté  l'abîme 
de  notre  néant,  et  de  l'autre  la  grandeur 
infinie  de  Dieu;  d'un  côté  la  corruption  de 
notre  cœur  et  la  multitude  de  nos  défauts, 
et  de  l'autre  les  dangers  qui  nous  environ- 
nent. Or,  qui  |»lus  qu'un  prêtre  a  besoin 
des  lumières  d'en  lj;iut,  soit  pour  se  con- 
duire lui-même  dans  les  fondions  loue  les 
Jours  plus  dilHciles  de  son  ministère,  soit 
pour  conduire  les  autres,  à  travers  mille 
obstacles  et  mille  dangers,  dans  las  routes 
tortueuses  du  salut?  or,  où.  puisera-t-il  ces 
lumières,  sinon  dans  une  union  habituelle 
et  des  entretiens  journaliers  avec  Dieu? 
Accedite  ad  eum,  el  illuininamini.  {Psal. 
XXXIH,  6.)  Saint  Thomas  et  tant  d'autres 
saints  avouaient  (]u'ils  en  avaient  bien 
moins  a[)pris  dans  les  livres  qu'au  pied 
du  crucifix.  La  méditation  fera  tous  les 
jours  sur  nous  ce  (lue  fit  l'Esprit-Sainl  le 
jour  de  la  Pentecôte  sur  les  apôtres;  elle 
nous  enseignera  toute  vérité  :  ;'.  Docebit  vos 
omnem  veritatem.  [Luc,  Xll,  12.)  Un  prêtre 
qui  ne  médite  pas,  ne  connaît  pas  Dieu  ; 
Dieu  lui  est  étiangor.  On  dit  tous  les  jours 
que  p-^ur  connaître  quelqu'un  il  faut  le  fré- 
quenter; on  ne  fréquente  Dieu  que  par  l'orai- 
son :  un  prêtre  qui  ne  médite  pas,  ne  connaît 
p«s  la  religion;  il  n'a  pas  même  une  iUéejuste 
des  vérités  qu'il  prêche.  Cette  connaissance 
est  un  sentiment  que  l'Esprit-Sainl  peut  seul 
donner;  et  cet  esprit  divin  ne  se  commu- 
niiiue|ias  aux  {)! êtres  dissipés  qui  le  fuient. 


Un  prêtre  qui  ne  médite  pas  no  se  coii- 
naît  pas  lui-même;  il  habite  loin  de  son 
cœur;  il  ne  le  visite  jamais.  Comment  le 
connaîtrait-il  ?  Le  monde  compte  ses  fautes, 
censure  ses  défauts,  blâme  ses  impruden- 
ces ;  lui  seul  les  ignore.  Victime  des  illu- 
sions de  son  amour-propre,  il  marche  sans 
cesse  au  hasard,  sans  règle,  sans  principes, 
sans  appui,  et  presque  tons  ses  pas  sont 
marqués  par  des  chutes. 

Un  prêtre  qui  ne  médite  pas,  ne  connaît 
pas  le  cœur  humain  ;  il  ignore  les  arlifices 
el  les  remèdes  des  passions,  les  nuances 
infinies  des  caraclères  et  la  variété  des 
moyens  propres  à  les  diriger,  le  jusle  tem- 
pérament qu'il  faut  mettre  entre  la  fermeté 
el  la  douceur  :  un  tel  prêtre  est  un  aveugle 
qui  conduit  d'autres  aveugles;  où  peuvent- 
ils  aboutir?  C'est  la  méditation  qui  nous 
découvre  les  illusions  qui  trompent  la  plu- 
part des  hommes  sur  la  brièveté  de  la  vie 
et  la  fragilité  des  biens  terrestres,  sur  celte 
estime  des  hommes  et  cette  soif  de  renom- 
mée qui  déshonorent  le  ministère  de  cer- 
tains prêtres;  c'est  la  méditation  qui  nous 
apprend  que  c'est  folie  de  chercher  le 
bonheur  sur  la  terre.  Ah  I  qui  pourrait  ici 
nous  rendre  heureux  !  ce  que  nous  pour- 
rions posséder  nous  alfranchiraii-il  des 
infirmités  du  corps,  des  défauts  de  notre 
caractère,  des  contradictions  et  de  l'injus- 
tice des  hymraes  et  de  laiit  d'accidents  qui 
troublent  le  repos  de  notre  âme  et  la  plon- 
gent dans  l'amertume;  c'est  enfin  la  médi- 
tation qui  tient,  pour  ainsi  dire,  nos  yeux 
fixés  vers  le  ciel,  source  ineffable  de  toute 
science.  Voilà  les  secours  que  nous  trou- 
vons dans  la  méditation;  voilà  les  précieux 
enseignements  que  Dieu  se  plaît  à  commu- 
niquer à  un  homme  d'oraison.  La  médita- 
tion est  donc  une  source  de  lumière. 

Jo  dis  en  second  lieu  que  la  méditation 
est  une  source  de  sainteté.  Vous  le  savez, 
vénérables  confrères,  la  sainteté  n'est  autre 
chose  que  l'assemblage  de  toutes  les  vertus,' 
l'union  habituelle  avec  Dieu  ,  lasoumissioa 
constante  à  sa  volonté,  l'attention  à  ne 
jamais  le  contrarier,  le  désir  de  procurer 
sa  gloire ,  la  crainte  de  lui  déplaire  ,  même 
dans  les  choses  en  a[)parence  légères. 

Or,  c'est  surtout  aux  prêtres  que  s'adres- 
sent ces  paroles  :  Sancti  eslole,  quoniam  ego 
sanctus  sum  (Levit.,  XI,  45);  Estote  perfecli 
sicut  Pater  cœlestis  perfectus  est.  {Mattli.,  V, 
i8.)  Où  trouver  une  aulro  source  de  colle 
sainteté  parfaite  que  l'habitude  de  l'oraison? 
La  cause  de  toutes  nos  fautes,  c'est  l'oubli 
de  Dieu  :  car  qui  oserait  l'otfenser,  s'il  fai- 
sait attention  qu'il  est  là  ,  qu'il  nous  voit  et 
nous  entend  ?  Mais  la  présence  de  Dieu  nous 
sera-l-elle  bien  familière,  sans  l'habitude 
do  passer  tous  les  jours  un  certain  tem[)S  à 
ses  pieds  pour  lai  exposer  nos  besoins  et 
gémir  de  nos  faiblesses  ?  Ce  saint  entrelien 
laisse  toujours  .au  fond  du  cœur  quelque 
ciiose  qui  nous  rappelle  à  Dieu  dans  le  cours 
de  la  journée.  Aussi,  parmi  les  prêtres  as- 
sidus à  la  méditation,  trouvoz-ea  un  déré- 


H\ 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  M».  SUR  LA  MEDITATIOiN. 


7-2:1 


plé  IS'il  l'élail  d'abord,  il  cliangorail  bicii- 
lôt ,  el  parmi  ceax  qui  ne  méditent  jamais, 
ou  presque  jamais .  trouvez-en  un  seul  qui 
ne  soit,  sinon  manifesiement prévaricateur, 
tiu  moins  lâche,  tiède,  inexact  à  plusieurs 
ikivoirs  et  voisin  de  quelque  grande  cliule 
dont  peut-être  il  ne  s'apercevra  pas,  elqui 
ne  sera  connue  que  de  Dieu. 

Un  prêtre  qui  ne  médite  pas  se  confesse 
rar(Mnent ,  el  jjresque  toujours  sans  fruit  :  il 
sadresse  à  un  directeur  qui  lui  ressemble, 
et  qui  n'ose  l'exhorter  à  ce  qu'il  ne  fait  pas 
kii-même.  Un  prêtre  qui  médite  choisit  pour 
confesseur  un  homme  d'oraison  et  fait  tous 
les  jours  des  progrès  sensibles  dans  la'piété; 
il  croît  sans  cesse  dans  la  science  de  Dieu  , 
comment  ne  croilrail-il  pas  dans  son  amour? 

Je  dis  en  troisième  lieu  que  la  méditation 
rst  une  source  de  force,  de  cette  force  aposto- 
lique qui  nous  est  nécessaire  dans  l'exer- 
cice de  notre  ministère. 

Qui  plus  qu'un  prêtre  a  besoin  de  courage, 
(lieujaiinanimiléîet  où  la  trouvera-t-il,  sinon 
(Xins  l'oraison  ,  celle  force  qui  animait  saint 
Paul,  el  lui  faisait  dire  :  Quis  nos  separabil  a 
charitate  Christi;  tribnlalio  ,  an  auguslia  ,  an 
famés? {Rom.,  ViJl,  35.)  La  force  chrétienne, 
vous  le  savez,  consiste  h  faire  et  à  souffrir 
pour  Dieu  de  grandes  choses  ,  magna  facere 
el  pâli.  Fut-elle  jamais  plus  nécessaire  h  un 
pasteur,  à  un  ministre  évangélique?  tant  de 
d«;lïicul  lés  à  vaincre,  tant  de  dangers  à  préve- 
nir, tant  de  dégoûts  è  dévorer,  tant  de  con- 
Ir.idiclions  à  supporter,   tant   de   caractères 
uillicilesà  ménager,  tanldepréventioiiS  défa- 
vorables à  dissi|)erl    et  celte  stérilité  d'un 
ininislère  qui  trouve  à  chaque  pasdes  cœuis 
itidociles,  ou  des  obstacles  insurmontables; 
et  cette  ingratitude  toujours  croissante  d'un 
lïeujile  aveuglé  qui  ne  paye  nos  services  que 
d|iiiditférence,  de  murmures  et  quelquelois 
d'insultes   et  d'outrages;  qui   ne   veut    ni 
fournir  à  nos  besoins  ,  ni  se  prêter  aux  dé- 
penses du  culte,  ni  avoir  égard  aux  saintes 
iègles   qui  nous  forcent   de  contrarier    ses 
désirs  et   de  rejeter  ses  demandes  1   Quelle 
force,   quelle  élévaiio:i  de  sentiments    ne 
faut-il  pas  pour  se  conduire  dans  cescircon- 
slances  avec  mesure,  avec  prudence ,  avec 
une   sainte  énergie   tempérée  par  la  dou- 
ceur ;   pour  ne  se  laisser  ni   abattre  par  la 
crainte,  ni  amollir  par  la  flatterie,  ni  décou- 
rager  par  des  travaux  souvent  excessifs, 
et  plus  souvent ,  hélas  !  infructueux  I  El  où 
trouver  celte  force  que  la  nature    ne  peut 
donner,  sinonaux  pieds  de  ce  Dieu  qui  pro- 
tège les  feibles  et  fait  la  volonté  de  ceux  qui 
le  craignent?  Où  Jésus-Christ,  noire  mo- 
dèle, puisa-i-il  la  force  héroïque  qu'il  mon- 
tra dans  sa   passion,   sinon  dans  ces  trois 
heures  d'oraison  qui  précédèrent  ses  op- 
|)robres?  où    croyez- vous  que  ces  grands 
saints  donl  les  exemples  sonl  d'autant  plus 
frapi-ants  qu'ils  son!  plus  près  de  nous,  lus 
Burromée,  les  François  de  Sales,  les  Vin- 
cent de  Paul ,  avaient  puisé  la  force  néces- 
saire pour  réussir  dans  un  si  grand  nombre 
d'entreprises  si  difficiles  el  si  laborieuses  , 
binon  dans  l'oiaison? 


Ah  1  mallicur  au  prêtre  imprudent  qui 
dans  les  circonstances  difficiles  ne  court 
])ns  avec  Moïse  au  pied  du  tabernacle  con- 
sulter le  Seigneur,  et  lui  demander  la  lu- 
mière pour  connaître,  el  la  force  pour  agirl 
malheur  au  f)rêlre  dissifié  qui  n'examine  pas 
devant  Dieu  et  avec  Dieu  ,  quels  moyens  il 
doit  prendre  pour  cori-iger  tel  désordre, 
pour  ramener  tel  pécheur,  pour  réussir 
dans  telle  entreprise  !  livré  à  lui-même, 
emporté  par  son  humeur  ou  entraîné  par 
des  considérations  purement  humaines,  ce 
prêtre  inconsidéré  marchera  d"iiiq)rudenco 
en  imiirudenco,  tombera  d'écueil  en  écueil 
et  hnira  par  renlre  son  ministère  inutile, 
et  peul-ôtre  funisle,  en  le  rendant  odieux. 
AJais  heureux  celui  qui  tous  les  matins, 
après  s'être  humilié  de  ses  fautes,  examine 
avec  soin  dans  le  calme  de  la  méditation 
quelle  conduite  il  a  à  tenir  dans  la  journée, 
(|ui  met  avec  confiance  sous  les  yeux  do 
Dieu  ses  peines  ,  ses  embarras,  ses  incerti- 
tudes,et  lui  dit  avec  saint  ï*au\  :  Domine , 
quid  me  vis  facere?  {Act.,  IX,  6.)  ou  avec 
Saloraon:  Dumihi,  Domine,  sedium  tuarum 
Gssistricem  sapienliam.  {Sap.,  IX,  h.)  Vous 
m'avez  donné  un  peuple  nombreux  et  diffi- 
cile ;  donnez-moi  la  sagesse  pour  le  con- 
duire ,  aidez-moi  à  le  sanctifier  et  à  le  sau- 
ver ;  que,  parmi  tant  d'enfants  dont  vous  m'as 
vez  établi  le  père ,  il  ne  se  rencontre ,  ô  mon 
Dieu  !  je  vous  le  demande  avec  larmes  ,  au- 
cun enfant  de  perdition.  Oh  1  mes  chers 
confrères,  qui  pourrait  peindre  la  force,  la 
lumière ,  l'espérance  et  le  bonheur,  qui  sont 
le  résultat  ordinaire  de  ces  pieux  entretiens? 
Je  dis  enfin  que  le  prêlre  fidèle  trouvera 
dans  l'oraison  une  source  abondanle  de  joie 
el  de  consolation. 

Lorsque  nous  lisons  dans  les  Vies  des 
saints  les  délices  qu'ils  goûtaient  dans  l'exer- 
cice de  l'oraison ,  ces  torrents  de  suavité  qui 
les  inondaient,  les  transportaient  hors  d'eux- 
mêmes  ,  les  élevaient  jusque  dans  les  cieux; 
lorsque  nous  les  entendons  s'écrier  dans  un 
saint  enthousiasme  :  Oh!  que  le  Seigneur 
esi  bon  à  ceux  qui  le  cherchent  avec  droi- 
ture [Psal.  LXXII,  1)  !  Qui  me  donnera  des 
ailes  comme  à  la  colombe  ,pour  m'envoler 
vers  lui  el  me  reposer  dans  son  sein?  {Psal. 
LIV,  7.)  Oh!  quand  viendra  l'heureux  mo- 
ment où,  introduit  dans  ses  tabernacles,  j« 
pourrai  enfin  conlemplerla  beauté  de  sa  facel 
Alors,  dis-je,  que  nous  voyons  les  saints 
trouver  tant  de  douceurs  dans  un  exercice 
qui  ne  nous  semble,  héiasi  qu'une  source 
d'ennui  elde dégoût,  nous  sommes  étonnés. 
Ah  !  prenons  enfin  la  généreuse  résolution  de 
voir  [)ar  nous-mêmes  tout  ce  que  l'exercice 
de  l'oraison  a  d'avantageux;  suivons,  au 
moins  de  loin,  la  trace  des  saints,  qui  furent 
d'abord  des  hommes  conime  nous,  faibles, 
làche«,  imiportifiés ,  dominés  par  les  mêmes 
passions:  enfants  d'Adam  comme  nous  ,  ils 
étaient  soumis  à  la  môme  concupiscence. 
Qu'ont-ils  fait  pour  la  vaincre  el  pour  par- 
venir il  cet  état  do  paix,  de  liberté,  de  joie 
intérieure  qui  ravit  uotr'eadmira lion  ?  Ils  ont 
médité,  ils  oui  prié  ,  el  la  grâce  les  a  reu- 


725 


ORATEURS  SACRES,  MAUHEL. 


724 


dus  victorieux  d'eux-mêmes  ;  il-s  ont  per- 
sévéré dans  l'oraisoii  :  Erant  persévérantes 
in  oratione.  (Act.,  1  ,  l'i)  ;  et  la  paix  de  leur 
flme  devenait  tous  les  jours  plus  sensible: 
car  il  ne  faut  pas  croire  qu'ils  soient  par- 
venus tout  à  coup  à  ces  consolations  su- 
blimes qui  nous  étonnent  ;  elles  ont  été  le 
fruit  lent  et  progressif  d'une  oraison  assi- 
due. Ayons  le  courage  des  saints,  et  nous 
ne  serons  plus  surpris  de  leur  bonheur,  parce 
que  nous  le  goûterons  plus  ou  moins  en 
proportion  du  zèle  que  nous  mettrons  à  les 
imiter.  Vous  avez  tous  lu  la  Vie  de  saint 
Ignace:  comment  s'arracha-t-il  aux  vanités 
d'une  vie  mondaine?  Ce  fut  en  se  livrant  à 
des  réflexions  sérieuses  sur  la  vie  de  Jésus- 
Christ  et  des  saints  j  il  les  prit  pour  modèles 
et  tiouva.  comme  eux  dans  l'oraison  des  dé- 
lices ineffables. 

Ecoulons  le  langage  d'une  âme  lâche  et 
tiède:  Je: conviendrai  que  la  méditation  ne 
peut  être  qu'infiniment  utile  et  avanta- 
geuse ,  qu'elle  est  une  .'•ource  de  lumière  , 
de  sainteté,  de  force,  de  douceur  et  de 
paix  ;  je  conviens  de  tout  cela;  mais  est-elle 
indispensablemcnt  nécessaire  pour  le  salut  ? 
Oh!  qu'il  serait  à  plaindre,  me$  chers  con- 
frères,  un  [  rélre  qui  raisonnerait  ainsi  et 
voudrait  se  borner  slriciemenl  au  pur  né- 
cessaire! qu'il  serait  à  craindre  qu'il  y  man- 
quât ,  à  ce  pur  nécessaire  ,  à  peu  près 
comme  un  homme  qui,  voulant  franchir  un 
précipice,  se  proposerait  de  n'era|)loyer  tout 
juste  que  la  force  qu'il  lui  faut  pour  parve- 
nir au  bord  opposé,  s'exposerait  à  ne  [las 
l'atteindre  et  à  tomber  dans  le  précipice  1 

Mais  précisons  davantage  la  question.  La 
méditation  esl-olle  absolument  nécessaire? 
Voici  ma  réponse,  qui  est  celle  de  tous  les 
docteurs  :  Je  dis  d'abord  que ,  sans  parler  de 
l'obligation  particulière  qu'on  peut  s'être 
içpposéeà  soi-môme  par  des  vœux  ou  sim- 
ples ou  solennels,  il  n'y  a  aucun  précef)te 
qui  détermine  la  méthode,  la  durée  et  les 
autres  circonsl;mces  de  la  méditation  ;  mais 
je  di§  que  ce  q.ui  en  fait  l'essence  et  le  fond, 
et  qui  consiste  à  réfléchir  sur  les  vérités  et 
les  moyens  du  salut,  et  h  dç*mander  h  Dieu 
la  force  de  Les  suivie,  est  pour  un  prêtre 
d'une  nécessité  absolue  et  indispensable. 

Est-ce  assez,  mes  vénérables  confrères, 
pour  nous  convaincre  do  la  facilité,  des 
avantages  et  de  la  nécessité  de  la  médita- 
tion ?  S  il  nous  restait  encore  quelque  doute 
sur  le  besoin  extrême  que  nous  en  avons, 
rappelons  quelques  passages  de  l'Écriture, 
par  lesquels,  je  finirai  cet  entretien.  Peut- 
on  éviter  le  péché  sans  méditer  les  vérités 
éternelles  t  Memorure  novissima  tua,  et  in 
œlernum  noti  pecçabis?  {E,ccli.,  VI]  ,  kQ.) 
CiOmmenl  se  sauver  sans  iaiie  pénitence, 
et  comment  le  faire  sans  contiaîlre  nos  fau- 
tes,  comment  les  connaître  sans  méditer  la 
loi  de  Dieu  et  les  exemples  de  l'Église  ?  Si 
la  pénitence  est  si  rare  parmi  les  prêtres, 
quelle  en  est  la  cause,  sinon  cet  aveugle- 
ment qui  nous  iait  dire:  En  quoi  suis-je 
coupable?  NuHus  est  qui  agat  pcnntcntiatn 
super  peccato  suo   dicens  ,  quid  feci?  {Jer.j 


Vllf,  G.)  N'esl-çe  pas  la  négh'gonce  de  l.i 
méditation  qui  est  h  source  des  maux  qui 
désolent  la  terre,  dit  le  Prophète:  Desoiri- 
tione,  desolala  est  omnis  terra,  quia  nullus 
est  qui  recogitet  corde.  {Jer.,  XII,  11.)  Hélas! 
celte  affreuse  désolation  ,  le  clergé  ne  peut- 
il  pas  se  l'attribuer  lui-même?  Tout  prêtre 
ii'est-il  pas  obligé  de  s'avancer  dans  les  voies 
de  Dieu?  quel  moyen  plus  efficace  que  la 
méditation?  ne  doit-il  'pas  s'appli(pier  ces 
paroles  de  Dieu  à  Josué  :  Non  recédât  votu- 
men  legis  ab  ore  tuo,  sed  meditaberis  in  eo 
diebus  ac  nocLibus  ,  ut  custodins  et  facias 
omnia  quœ  scripta  siinl^  in  eo.  Tune  diriges 
viam  tuam,  et  inteliiges  enm?  [Josue,  I,  8.) 
Enfin,  un  prêtre  ne  doit-il  pas  tendre  à  la 
perfection?  quel  est  le  moyen  plus  sûr 
que  la  méditation  des  vérités  éternelles? 

Aussi ,  que  nous  fut-il  dit  le  jour  même 
de  notre  ordination?  Vt  in  lege  Dei  die  ac 
nocle  méditantes  quod  legerint  credant,  qaod 
crediderint  doceant ,  quod  docuerint  imilen- 
lur.  Celte  vérité  essentielle,  l'Église  nous 
l'a  répétée  encore  dans  un  grand  nombre  de 
conciles  :  Cum  in  sortem  Domini  vocati  sitis , 
in  lege  ejus  die.  ac  nocle  meditemini.  Imprimis 
loto  castissimi  animi  sensu  incumbile  medita- 
tioni. 

INSTRUCTtON  IX. 

LA  CONFESSION. 

Quorum  remiserilis  peccala,  remiUuntur  eis,  et  quo- 
rum relinueriUs,  relenla  sunt.  (Joan.,  XX,  25.) 

Messieurs, 

A  quel  degré  de  puissance  et  do  gloire 
Dieu  élève-t-il  un  faible  mortel  I  Quoi!  un 
privilège,  qu'aucun  ange,  qu'aucun  ar- 
change n'a  jamais  eu,  dit  saint  Chrysosto- 
me;  un  pouvoir  qui  n'appartient  qu'à  Dieu 
et  qui  semblerait  ne  devoir  être  exercé  que 
par  lui  seul,  est  délégué  à  un  homme!  et  à 
un  homme  pécheur!  Un  pécheur  a  le  droit 
de  remettre  les  péchés  !  les  clefs  du  royaume 
céleste  lui  sont  confiées!  Tout  ce  qu'il  liera 
ou  déliera  sur  la  terre,  sera  lié  ou  délié 
dans  le  ciel.  Oui,  Messieurs,  telle  est  l'au 
gusle  prérogative  du  sacerdoce  :  les  prêtres 
seuls  ont  le  pouvoir  d'absoudre  les  pé.- 
cheurs.  Le  salut  éternel  des  âmes  dépend 
en  quelque  sorte  de  nous  ;  tous  les  trésors 
de  la  clémence  divine  sont  dans  nos  mains  ; 
le  ciel  s'ouvre  sur  la  tête  d'u,n  coupable  au 
moment  que  nous  l'absolvons,  àmoiusque 
par  son  impénilence  il  n'arrête  refiicacilé 
de  notre  uiinistôre,ou  que  nous-mêmes  nous 
l'exercions  sans  l'aulorilé  ou  contre  les  rè- 
gles de  l'Eglise. 

Quelles  actions  de  grâces,  mes  ohers  con- 
frères, ne  devons-nous  donc  pas  au  l'ère 
des  miséricordes,  à  l'auteur  de  to.ut  don 
parlait,  qui  a  daigné  nous  confier  un  pou- 
voir si  sublime  et  si  saiulaire  !  Mais  prenons 
garde  qu'en  nous  l'accordaul  il  nous  oi- 
donne  d'en  user  avec 'sagesse  ;  et  uudheur  à 
nous,  si  notre  indolence  le  rendait  inulilu 
ou  notre  témérité  préjudiciable!  Que  di- 
rions-nous d'un  homme  de  guerre  qui,  au 
moment  d'un  combat,  laisserait  son  épée 
dans  le  fourreau,  ou   la  tournerait  conlro, 


72S 


RETRAITE.  ^  INSTRUCT.  IX,  SUR  LA  CONFESSION. 


riô 


son  pruire?  C'est  Timage  d'un  prùlre  qui, 
au  milieu  des  besoins  saiis  nouibre  où  se 
trouve  l'Eglise,  au  milieu  de  celte  affligeante 
pénurie  dj  confesseurs,  et  surtout  de  bons 
conlessours,  se  refuserait  sans  raison,  au 
niinislère  de  la  confession,  ou  ne  l'exerce- 
rait qu'avec  lâcheté  et  au  détriment  dos 
âmes,  au  lieu  de  les  aider  à  se  sauver  il 
contribuerait  à  leur  |)erte  éternelle. 

C'est  pour  prévenir  plutôt  que  pour  cor- 
riger ce  double  désordre,  queje  vais  tâcher 
d'encourager  le  zèle  sacerdotal  au  ministère 
de  la  conlcssion.  Il  faut  confesser  et  bien 
confesser  :  (elles  sont  nos  obligations. 

Je  me  crois  dispensé,  Messieurs,  devons 
rappeUT  l'imporlance  du  sujet  que  je  vais 
essayer  de  traiter  devant  vous  en  em- 
ployant toujours  un  langage  simple  et  dé- 
pourvu d'oruemenis,  approprié  d'ailleurs 
à  la  faiblesse  de  celui  qui  vous  parle,  qui 
trouveryit  des  m;iî  rcs  et  des  modèles  dans 
l'auditoire  qui  l'écoute,  et  dont  il  sollicite 
l'indulgence.  J'exposerai  dans  une  première 
partie  1  étroite  obligation  où  se  trouve  un 
prêire  de  se  livrer  au  ministère  de  la  con- 
fession. Pans  la  seconde  partie  de  cet  en- 
tretien, et  dans  le  suivant,  je  traiterai  des 
qualités  d'un  bon  confesseur. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Tout  homme  est  obligé  de  travailler  au 
salut  de  ses  frères  ;  Mandavit  unicuique  de 
profimo  suo  {Eccli.,  XVll,  12.)  Or,  le  sa- 
lut ne.peut  s'obtenir  que  par  la  rémission 
des  péchés,  et  les  péchés  ne  peuvent  être 
remis  que  par  le  sacrement  de  pénitence; 
les  prêtres  seuls  sont  les  ministres  déco 
sa'jremenl  :  donc  les  prôlres  sont  tenus  de 
confesser.  Les  pasteurs  et  leurs  collabora^ 
leurs  y  sont  obligés  par  charité  et  par  jus- 
lice;  mais  étant  aujourd'hui  si  peu  nom- 
breux, ii  est  évident  qu'ils  ne  peuvent  suf- 
lire  à  l'immensité  des  besoins  du  peu|)le  : 
donc  les  prêlres  libres  sont  tenus  par  cha^ 
rite,  de  les  aider  dans  ce  saint  ministère,  à 
moins  que  l'impuissance  ou  d'autres  occu- 
pations nécessaires  ne  contrarient  sur  ce 
point  leur  bonne  volonté. 

Ces  [irlnci()es  sont  évidents.  Que  fait  l'en- 
nemi du  salut  pour  en  détruire  l'impres- 
sion? il  clierche  à  nous  inspirer  un  excès 
de  crainte  pour  les  peines  comme  pour  les 
dangers  qui  sont  attachés  aux  fonctions  de 
confesseur.  Le  ministère  de  la  confession 
(Si  pénible;  il  est  très-dangereux  :  donc  il 
iaul  s'en  éloigner  autant  qu'on  le  [)eut  : 
voilà  la  condusiou  de  l'esprit  de  ténèbres. 
Je  viens  combattre  ce  double  prétexte;  et 
en  le  réfutant  j'exposerai  les  gra-nds  motifs 
qui  doivent  animer,  encourager  le  zèle  d'un 
prêtre  dans  l'exercice  d'un  ministère  très- 
pénible  sans  doute,  mais  nécessaire  ;  très- 
dangereux,  mais  entouré  des  lumières  et 
des  secours  d'en  haut.  11  faut  de  la  force 
pour  entreprendre  ce  redoutable  ministère, 
pour  y  persévérer  et  en  supporter  les  dé- 
goûts ;  il  en  faut  pour  suivre,  en  l'exer- 
çant, les  principes  de  1  Evangile  et  les  rè- 
jjles  de  l'iiglise. 


Oui,  vénérables  confesseurs,  voire  mi- 
nistère est  extrêmement  pénible  ;  et  peut- 
êire  que  le  récit  de  ces  peines  contribuera 
à  votre  consolation  :  car  on  trouve  une 
sorte  de  soulagement  <i  ses  souffrances  en 
les  racontant  ou  les  entendant  raconter. 
El  d'abord,  quels  sacrifices,  quelles  priva- 
tions ne  présente  pas  la  seule  entrée  du 
saint  tribunal  !  S'arracher  au  commerce  de 
la  vie,  aux  douceurs  du  repos,  aux  charmes 
de  la  liberlé  et  de  l'indépendance,  pour  aller 
s'enfermer  dans  une  espèce  de  [irison,  et 
y  |)asser  une  partie  de  sa  vie  ;  s'assujettira 
la  diversi-té  des  caractères,  aux  volontés, 
aux  caprices,  aux  heures,  aux  indiscrétions 
d'une  multitude  presque  toujours  inquiète, 
ingrate  et  grossière;  prêter  l'oreille  au  dé- 
tail fastidieux  des  innombrables  misères  du 
cœur  humain,  et  à  tout  ce  que  les  passions 
peuvent  offrir  de  plus  triste,  de  plus  mal- 
heureux et  de  plus  déchirant;  voler  au  se- 
cours des  malades  et  des  moribonds,  au 
risque  même  de  sa  propre  santé  et  de  sa 
vie,  parmi  les  glaces  et  les  frimats,  au  sein 
des  ténèbres  et  des  dangers  de  la  nuit,  à 
travers  les  ravages  et  les  périls  d'une  con- 
tagion et  d'un  fléau  dévastateur  :  ce  n'est 
là  que  le  commencement  des  peines  qui 
attendent  un  prêtre  au  tribunal  sacré. 

Mais  y  entrer  avec  la  certitude  qu'on  va 
rencontrer  des  ignorants,  qui  ne  veulent  ni 
s'instruire  ni  se  laisser  instruire,  qui  ne  sa- 
vent ni  s'examiner,  ni  s'accuser,  ni  môme 
répondre  aux  questions  qu'on  leur  fait  ;  des 
pécheurs  dissimulés  ou  enchaînés  par  la 
lionle,  qui  s'enveloppent,  qui  se  déguisent, 
qui  ne  montrent  que  la  surface  de  leurâine, 
et  cachent  au  fond  de  leur  cœur  les  crimes 
les  plus  énormes  ;  des  pécheurs  aveuglés, 
obstinés,  déraisonnables,  qu'on  ne  peul 
arrachera  la  fausseté  de  leurs  idées,  qu'on 
ne  peut  déterminer,  je  ne  dis  pas  à  se  cor- 
riger de  leurs  désordres,  mais  même  à  con- 
venir qu'ils  sont  coupables;  des  pécheurs 
d'habitude  vieillis  dans  le  crime,  qui  ont 
passé  une  grande  partie  de  la  vie  dans  les 
passions  les  plus  injustes  et  les  plus  hon- 
teuses, el  qui  pourtant,  ou  par  leur  dupli- 
cité ou  par  l'imprudence  des  confesseurs, 
ont  trouvé  le  moyen  de  se  faire  absoudre, 
eise  sont  t)longés  dans  un  abîme  de  sacri- 
lèges d'où  il  faut  les  tirer  ;  des  pécheurs  en- 
durcis aussi  froids  que  la  glace  et  aussi  durs 
que  le  fer,  que  d'abord  les  rétlexions  les 
plus  touchantes  ne  toucheront  pas,  que  les 
vérités  les  plus  terribles  n'ébranleront  pas, 
(jtii  résisteront  pendant  longtemps  à  tout 
ce  que  le  zèle  [)eul  employer  de  plus  per- 
suasif, et  qui  peut-être  ne  se  conveitiront 
entin  que  pour  reprendre  bientôt  après 
leurs  habitudes  et  devenir  pires  qu'avant 
leur  conversion.  Quelle  triste  pers|)ective 
pour  un  jeune  confesseur  1  de  quel  courage 
ne  doit-il  pas  s'armer,  avec  quelle  ferveur 
ne  doit-il  pas  implorer  l'esprit  de  force  et 
de  sagesse  avant  d'entreprendre  un  minis- 
tère aussi  [lénible  1 

Mais  ce  n'est  pas  encore  tout  :  une  fois 
cnlré  dans  ce  saint,  ujais  redoutable  minis- 


727 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


lèro,  queue  force,  quelle  patience  ne  faul-il 
pa»  pour  en  supporter  les  amertumes  et  les 
dégoûts  sans  cesse  renaissants,  pour  dévo- 
rer un  ennui  dont  souvent  Dieu  seul  doit 
être  témoin,  pour  surmonter  des  diflicullés 
If's  unes  plus  embarrassantes  que  les  autres, 
dont  souvent  on  ne  peut  encore  s'ouvrir 
qu'c'i  Dieu  seul,  et  fpii  forcent  d'étudier,  de 
lénéchir,  de  consulter,  si  toutefois  on  le 
peut  ;  qui  souvent  après  toutes  ces  recher- 
ches embarrassent  encore;  pour  soutTrir 
dans  le  silence  les  plaintes,  les  censures, 
les  calomnies  qu'attire  quelquefois  le  zèle 
môme  le  plus  prudent,  et  sur  lesquelles  le 
sceau  du  sacrement  interdit  jusqu'à  une 
larole,  jusqu'à  un  geste  de  justification  I 
Je  sais  que  ce  ministère  olfre  de  grandes 
consolations,  des  effets  merveilleux  de  la 
grâce,  des  conversions  qui  étonnent  et  ra- 
vissent d'admiration;  mais  je  sais  aussi 
qu'on  ne  parvient  à  de  semblables  résultats 
qu'après  des  travaux  longtemps  soutenus  et 
des  prodiges  de  zèle  et  d'un  dévouement 
jilein  de  piété 

Avouons-lo,  mes  chers  confrères,  si  le 
mérite  correspond  à  la  peine,  et  on  n'en 
peut  douter;  si  les  trésors  spirituels  qu'a- 
masse pour  lui-même  un  confesseur  zélé 
sont  en  proportion  de  ce  qu'il  souffre  pour 
enrichir  ses  frères  des  dons  de  la  grâce, 
oh  !  quelle  magnifique,  quelle  brillante  cou- 
ronne doit  lui  être  réservée  dans  ce  lieu  où 
le.  suprême  Rémunérateur  ne  laisse  rien 
sans  récompense,  pas  même  un  verre  d'eau 
froide  donnée  en  son  nom  1  N'csl-ce  pas 
l'espoir  de  cette  couronne,  si  clairement 
promise  à  nos  travaux,  qui  attache  les  bons 
prêtres  au  tribunal  sacré?  l'nusquisque,  dit 
l'Apôtre,  propriqm  mercedem  aecipiel,  secun- 
dum  suum  laborem.  (I  Cor.,  III,  8.) 

Oui,  sans  doute,  elles  sont  grantles  les 
peines  attachées  au  ministère  de  la  confes- 
sion, plus  grandes  peut-être  que  je  ne  sais 
l'exprimer;  et  cependant,  Messieurs,  de- 
[)uis  dix-huit  siècles  quel  grand  nombre  de 
prêtres  zélés,  animés  de  l'esprit  de  Dieu  et 
du  désir  de  sa  gloire,  que  ces  pénibles  tra- 
vaux, ces  amertumes  et  ces  dégoûis  n'ont 
pu  et  ne  peuvent  décourager]  Celle  force 
surhumaine,  qui  n'a  jamais  manqué  et  ne 
manquera  jamais  dans  l'Eglise  catholique, 
nous-mêmes  ,  vénérables  confrères  ,  n'en 
sommes-nous  pas  tous  les  jours  les  témoins 
elles  admirateurs?  Quelle  multitude  de 
prêtres  respectables,  et  c'est  ici.  Messieurs, 
voire  histoire  que  je  fais,  qui  se  dévouent, 
s'enchaînent,  s'immolent  à  ce  pénible  mi- 
nistère, qn'ils  remplissent  saintement  quel- 
quefois depuis  un  demi-siècle,  qui  consu- 
ment un  reste  de  vigueur  et  de  vie  sous  ce 
fardeau  accablant,  que  les  anges  mêmes 
trouveraient  formidable,  et  qui,  dans  cei- 
taines  circonstances,  portent  I  héroïsme  jus- 
qu'à afTronler  le  péril  même  de  la  mort, 
tlans  l'çspoir  de  sauver  une  âme  que  l'en- 
fer s'apprête  à  dévorer  I  II  n'en  faut  pas 
;louler,  Messieurs,  un  dévouement  si  cons- 
tant de  la  part  d'un  prôlre,  disons  mieux  , 
ce  iirodige  continuel  de  la  grâce  qui  ailuche 


les  ministres  de  l'Evangile  à  des  fonctions 
si  redoutables,  est  une  des  preuves  les  plus 
frappantes  de  la  divinité  de  la  confession. 
La  force  que  Dieu  inspire  aux  coupables 
l)0ur  aller  s'huniilier,  et  aux  prêtres  pour 
s'immoler  tous  les  jours  au  tribunal  de  la 
pénitence,  est  un  signe  évident  que  l'insti- 
tution de  ce  tribunal  est  due  à  Jésus-Christ. 
11  en  coûte,  quand  on  est  pécheur,  d'avouer 
ses  faiblesses  et  ses  turpitudes;  mais  celle 
peine  n'a  lieu  qu'une  fois  et  ne  dure  qu'un 
instant;  il  en  coûte  bien  davantage  à  uu 
prêtre  d'entendre  ces  détails  fastidieux, 
sans  cesse  répétés;  de  voir  sans  cesse  des 
plaies  profondes  et  invétérées ,  dont  le 
malade  repousse  la  guérison.  Quelle  tâche, 
ô  mon  Dieu  I  vous  avez  imposée  à  vos  mi- 
nistres en  leur  disant  :  Quorum  rerniseritis 
peccata,  remilluntur  eis,  el  quorum  retinue- 
ritis,  retenta  siint!  Uoan.,  XX,  23.)  Mais, 
chers  confrères,  quelque  pénible  qu'elle 
soit,  cette  tâche,  ne  craignons  pas  qu'elle 
surpasse  jamais  nos  forces  :  elle  nous  vient 
de  la  main  de  Dieu,  nous  refuserait-il  le 
courage  nécessaire  pour  la  remplir? 

Soyez  béni,  ô  mon  Dieu!  des  soins  pa- 
ternels que  vous  donnez  à  votre  Eglise,  du, 
courage  et  de  la  force  invincible  que  vous 
inspirez  à  ses  minisires.  Un  courage  si  su- 
blime, des  travaux  si  constamment  soute- 
nus n'enflammeraient-ils  pas  d'une  sainte 
émulation  ce  prêire  tiède  et  indifférent  ? 
On  verrait  la  froideur,  l'amour  du  repos  et 
de  la  liberté,  de  ses  aises  et  de  ses  plaisirs, 
l'éloigner  lâchement  de  cette  arène  glo- 
rieuse, oi>  tant  de  courageux  ministres 
remportent  tous  les  jours  sur  l'enfer  des 
victoires  si  éclatantes  I  Lorsque  David  invi- 
ta Urie  à  aller  se  reposer  dans  le  sein  de 
sa  famille,  quoi  1  s'écria  ce  vaillant  capi- 
taine, en  ce  moment  les  chefs  d'Israël  et  de 
Juda  habitent  sous  des  tentes,  au  milieu 
des  [)lus  rudes  travaux,  et  moi  j'irais  me 
livrer  mollement  aux  plaisirs  et  aux  dou- 
ceurs domestiques!  Et  nous,  Messieurs, 
tandis  que  nos  confrères  sont  occupés  nuit 
et  jour  dans  le  saint  tribunal  à  couiballre 
les  légions  de  l'enfer  et  à  lui  arracher  des 
enfants  de  Dieu  qu'il  retient  dans  les  chaî- 
nes, nous  irions  f)asser  les  journées  entiè- 
res, dans  des  voyages  inutiles,  au  jeu,  à  la 
chasse,  dans  les  sociétés  et  les  amusements 
d'un  monde  ennemi  de  Jésus-Christ  1  Quelle 
excuse  pourrions-nous  a[>porter  au  juge- 
ment de  Dieu ,  lorsque,  à  côlé  de  ces  ou- 
vriers infatigables  qui  présenteront  à  Jé- 
sus-Christ une  multitude  d'âmes  sauvées 
par  leurs  soins,  qui  feront  alors  surtout 
leur  gloire  et  leur  couronne,  nous  ne 
pourrions,  nous,  lui  présenter  qu'une  vie 
inutile,  vide  de  travaux  el  de  mérites,  et 
nous  entendrions  l'anathème  éternel  qui 
foudroiera  le  serviteur  paresseux  :  Servum 
inntilem  ejicite  in  tenebras  exteriores!  [Matth.f 
XXV,  30.) 

Oui,  je  l'avoue,  le  ministère  de  la  con- 
fession est  pénible  :  mais  aussi  combien 
ji'est-il  pas  utile;  et  pourquoi,  au  lieu  de 
se  laisser  efirayer  i»ar  les  fatigues ,  ne  pas 


729 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  IX,  SUR  LA  COiNKESSION. 


750 


s'encourager  h  l'aspect  des  avantages  de  co 
heau  niinislère?  Je  vous  le  demande,  mes 
chers  confrères,  si  malgré  la  rage  de  Tim- 
piélé,  les  coiilradiclions  des  gens  du  monde 
et  les  obstacles  de  loul  genre  qu'éprouve 
le  ministère  pastoral  ,  on  voit  encore  do 
temps  en  temps  des  eflets  merveilleux  do 
la  grâce,  des  conversions  qui  étonnent  et 
préparent  la  voie  à  d'autres  conversions, 
des  restitutions,  des  réconciliations  ,  des 
réparations  de  scandales,  la  suppression 
de  grands  désordres,  le  maintien  des  plus 
grandes  vertus,  le  retour  de  la  décence 
dans  les  mœurs,  de  l'intégrité  dans  le  coni- 
raerce,  de  la  concorde  dans  les  familles,  de 
la  fidélité  dans  les  mariages,  de  la  piété 
dans  tous  les  âges  et  dans  tous  les  rangs; 
si  des  paroisses,  autrefois  scandaleuses, 
jirésentent  aujourd'hui  une  imposante  réu- 
nion d'âmes  pieuses  qui  font  rougir  le 
vice  déconcerté;  si,  dis-je,  des  fruits  si 
précieux  viennent  de  temps  en  temps  con- 
soler le  zèle  sacerdotal ,  à  quoi  les  devons- 
nous?  à  la  prédication? 

Sans  doute,  la  prédication  est  la  mère  de 
la  foi,  et  la  foi  est  le  fondement  do  toutes 
les  vertus  ;  mais  les  instructions  détaillées, 
particularisées  qui  se  donnent  au  confes- 
sionnal, ne  sont-elles  fias  infiniment  plus 
pro|)res  à  ranimer  et  alïermir  la  foi  que  les 
grands  principes  et  les  grandes  maximes 
qu'on  développe  en  chaire  ?  Que  dis-je,  l«s 
personnes  grossièrement  ignorantes,  et  le 
nombre  en  est  grand  ,  peuvent-elles  6lre 
instruites  ailleurs  qu'au  tribunal  de  la  |ié- 
nitence,  ou  dans  des  entretiens  simples  et 
familliors  ?  Les  sermons  sont  utiles  pour 
ébranler  les  consciences,  pour  engager,  at- 
tirer les  [jécheurs  à  la  confession  ;  mais 
c'est  dans  les  secrets  du  tribunal  qu'on  les 
instruit  vérilablement,  qu'on  leur  afiprend 
ce  qui  leur  est  le  plus  nécessaire,  et  qu'on 
n'a  pu  dire  en  public;  qu'on  leur  enseigne 
ou  qu'on  leur  rappelle,  d'une  manière  clai- 
re et  conforme  à  leur  ignorance  ,  qu'il  y  a 
un  Dieu  en  iiois  personnes,  et  que  le  Fils 
de  Dieu  s'est  fait  Homme  et  est  mort  sur 
une  croix  i)our  noire  salut  1  vérités  élémen- 
taires que  les  sermons  supposent  plu- 
tôt qu'ils  ne  les  enseignent.  Aussi  il  n'y  a 
guère  que  ceux  qui  savent  au  moins  les  élé- 
njents  de  la  religion,  qui  puissent  profiter 
d'unserujon,  et  môuie  d'un  prône,  genre 
d'instruction  [)lus  simple  et  plus  familier. 
Ce  n'est  que  dans  l'intimité  du  tribunal  qu'on 
peut  entrer  dans  tous  les  détails  relatifs  à 
l'emploi,  au  caractère,  à  la  position,  aux 
besoins  particuliers  de  chacun  ;  dissi|)er  ses 
illusions,  réfuter  sus  prétextes,  éclaircirses 
doutes,  et  aplanir  les  difficultés  qui  l'éloi- 
gnent  du  salut.  Les  détails  de  la  chaire, 
nécessairement  vagues,  ne  s'adressent  qu'à 
la  masse  des  auditeurs;  ceux  du  confes- 
sionnal s'adressent  à  chaque  individu.  Aus- 
si a-t-on  jugé  dans  tous  les  temps  que  le 
ministère  delà  prédication  est  peu  utile, 
s'il  n'est  joint  à  celui  de  la  confession. 
L'homme  vraiment  apostolique  les  réunit 
tous  les  deux  ;  on  l'entend  souvent  en  chai- 


re, et  on  le  trouve  plus  souvent  au  tribu- 
nal sacré. 

D'ailleurs,  vous  le  savez,  il  est  si  peu  de 
gens  qui  soient  capables  de  suivre  le  déve- 
lofipement  des  idées  et  l'enchainement  d'un 
discours;  il  en  est  si  peu  qui  réfléchissent, 
qui  s'appliquent  à  eux-mêmes  les  vérités 
générales  énoncées  dans  la  chaire  I  Mais  un 
confesseur  supjilée  à  tous  ces  défauts,  et 
leur  dit  clairement  à  chacun  ,  comme  Na- 
than h  David:  Prenez  garde,  mon  cher  frè.- 
re,  vous  êtes  cet  homme:  Tu  es  illevir  (II 
Reg.,  Xll ,  7)  ;  cette  vérité  vous  regarde  ,  ce 
contrat  que  vous  avez  fait  est  usuraire  ,  ce 
procès  que  vous  soutenez  est  injuste,  ce 
bien  que  vous  retenez  n'est  pas  à  vous  ;  cet 
enneuii  que  vous  croyez  aiuier,  vous  le 
haïssez,  cette  lecture  qui  vous  plaît  est 
criminelle;  ces  danses,  ces  spectacles  sont 
une  source  de  désordres;  cette  fréquenta- 
tion que  vous  dites  innocente  est  scanda- 
leuse ;  cette  manière  de  vous  comporter 
dans  l'état  conjugal  est  criminelle. 

Vous  sentez,  Messieurs,  quelle  abour 
dance  de  lumières  doit  résulter  de  ces  ap- 
plications individuelles.  Que  de  fausses 
consciences  redressées!  Que  de  devoirs  es- 
sentiels retracés!  Que  de  doutes  éclaircisl 
Que  de  remords  précieux  excités,  et  sou- 
vent que  de  craintes  chimériques  dissipées! 
Quelle  tranquillité  rendue  à  des  âmes  alar- 
mées mal  à  propos  !  Combien  de  personnes, 
s'élant  fait  une  fausse  idée  de  la  religion, 
se  représentent  certains  obstacles  au  saint 
comme  invincibles,  et  à  qui  il  ne  faut,  pour 
les  détromper  et  les  encourager,  que  les 
notions  détaillées,  appropriées  que  donne 
h  chacun  un  confesseur  prudent  et  éclairé! 

Je  ne  parle  pas  des  avantages  que  ce  con-, 
fesseur  trouve  pour  lui-même  dans  l'exer- 
cice de  son  ministère  :  il  est  si  doux  de 
consoler  les  aliligés,  et  c'est  surtout  au  tri- 
bunal qu'on  les  découvre;  dej  relever  les 
âmes  abaltues,  d'encourager  les  pusillani- 
mes, de  ranimer  les  tièdes,  d'arracher  du, 
bourbier  des  passions  les  malheureux  es- 
claves du  vice,  de  soutenir,  en  l'admirant, 
la  ferveur  des  âmes  pieuses,  dont  l'exem- 
ple nous  excite  et  nous  anime  à  notre  tourl 
Hélas  I  Messieurs,  nous  trouvons  quelque- 
fois de  ces  âmes  privilégiées,  mille  fois  plus 
parfaites  que  nous,  plus  dociles  à  l'impres 
sion  de  la  grâce,  jilus  attentives  à  se  sur- 
veiller, à  se  contraindre,  5  éviter  jusqu'à 
l'ombre  du  péché.  Quelle  leçon,  quel  sujet 
de  confusion  |)Our  nous,  docteurs  si  inq)ar- 
faits  de  la  perfection!  Quels  motifs  n'avons- 
nous  pas  de  suivre  ces  âmes  choisies  de 
Dieu  qui  nous  devancent  dans  les  voies  de 
la  perfection,  et  qui  croient  cependant,  dans 
leur  humilité,  se  trouver  derrière  et  bien 
loin  do  nous  1 

Le  ministère  de  la  confession  est  péni- 
ble! mais  croyons-nous  qu'il  en  coûte  moins 
aux  fidèles  de  s'accuser  qu'à  nous  do  les* 
entendre?  Que  leur  disons-nous  pour  les 
aider  5  vaincre  cette  répugnance?  que  la 
confession  est  un  précepte  de  Dieu  ,  dont 
l'observalioD  est  indispensable  pour  Iç  sa- 


731 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


7-'i 


lut;  que  la  peine  d'avouer  ses  fautes  est  le 
pranti  moyen  de  les  expier;  que  le  ciel  ne 
s'achèle  que  par  des  sacrifices  et  des  croix  ; 
qu'on  n'y  arrive  pas  sans  se  gêner  et  se  con- 
traindre. Mais  loules  ces  réflexions,  évi(Jen- 
les  sans  doute  pour  les  fiiièies,  le  sont-elles 
moins  pour  nous,  et  ne  devrions-nous  pas 
nous  les  a[)pliquer?  S'il  y  a  pour  les  fidèles 
un  précepte  de  se  confesser,  par  là  mêffie 
n'y  en  a-t-il  pas  un  pour  les  prêtres  de  les 
entendre?  et  le  prétexte  de  la  peine  est-il 
moins  frivole  pour  les  uns  que  pour  lus 
autres?  Les  prêtres  n'ont-ils  pas  aussi  des 
péchés  à  ex[)ier,  une  croix  à  porter,  dus 
répugnances  à  vaincre,  di-s  sacrifices  à  faire 
pour  obtenir  le  salui?  Y  a-l-il  des  peines 
i:)Ius  méritoires  que  celles  de  la  charité? 
Quoi,  Messieurs,  tanilis  que  des  milliers 
d'âmes,  aveuglées  par  l'ignorance  ou  entraî- 
nées par  le  vice,  marchent  à  grands  |ias 
dans  les  voies  de  la  perdition  ;  tandis  qu'une 
foule  de  malades  meurent  tous  les  jours 
sans  sacrements  et  tombent  sans  appui  et 
sans  garantie  entre  les  mains  de  la  justice 
éternelle,  un  pi  être,  au  sein  de  l'indolence 
ou  livré  à  des  occupations  étrangères  à  son 
état,  verra  indilléremment  ce  spectacle  dé- 
chirant, et  s'éloignera  de  ces  âmes  inforlur 
pées  qui  vont  périr  sans  son  secours,  sous 
prétexte  qu'il  est  trop  pénible  de  les  secou- 
rir 1  L'erreur  de  ce  prêtre  serait  bien  grande, 
et  les  suites  de  son  aveuglement  bien  fu- 
nesies  pour  lui.  Ainsi,  vénérables  confrè- 
res, se  trouvent  réfutés  ces  vains  prétextes 
qu'un  prêtre  peut  alléguer  pour  se  dispen- 
ser du  ministère  delà  confession,  ()arce  que 
ce  ministère  est  pénible  à  remplir. 

Mais,  ajoute-t-on,  ce  ministère  n'est  pas 
seulement  pénible,  il  est  très-dangereux,  et 
dois-je  compromettre  mon  [)ropre  salut  pour 
le  salut  des  autres  :  Modicœ  fidei,  quare  dubi- 
tasli?  {Mallh. ,\iy,  31.j  Les  périls  qui  vous  ef- 
frayentsont-ils  inconnus  de  Dieu?  Si  vous  vous 
y  exposez  pour  l'intérêt  de  sa  gloire,  croyez- 
vous  qu'il  ne  sera  pas  assez  fort  [lour  vous 
soutenir?  Oui,  sans  doute,  le  ministère  de 
Ja  confession  est  dangereux,  et  même,  per- 
mettez-moi de  le  dire,  plus  dangereux  que 
lie  semblent  le  croire  certains  prêtres  témé- 
raires, qui  s'y  jettent  sans  préparation  avec 
une  aveugle  sécurité  1  II  est  entouré  des  plus 
graves  difficultés  que  souvent  on  ne  voit 
pas;  et  au  milieu  de  tant  d'obstacles  com- 
ment s'arrêter  dans  de  justes  bornes?  Dan-? 
ger  de  tomber  dans  un  excès  de  fermeté  qui 
dégénère  en  rigorisme,  ou  dans  un  excès 
de  clémence  qui  devient  mollesse  et  lâche- 
té; danger  dans  les  interrogations  qu'on 
peut  pousser  troj)  loin,  et  apprendre  le  mal 
qu'on  ignore,  ou  ne  pas  assez  les  multi- 
plier, et  pour  négliger  de  faire  accuser  le 
nombre  des  chutes,  les  circouitanccs  qui 
t'a  changent  ou  en  aggravent  la  nature,  le 
degré  d'habitude  et  de  penchant  qui  y  en- 
U'aîne,  laisser  dans  le  cœur  une  ^jariie  du 
venin  qui  le  corrompt;  danger  dans  les 
épreuves  qu'on  peut  trop  prolonger  et  dé- 
courager des  coupables,  d'ailleurs  bien  dis^ 
|JOsés,  ou  ne  pas  les  prolonger  assez  et  ab- 


soudre des  impénitents,  qui  n'ont  que  les 
deliors  de  la  conversion;  danger  dans  les 
ré[)arations  qu'on  exige  qui  peuvent  être 
ou  trop  faibles  et  blesser  la  justice  à  l'égard 
des  personnes  lésées,  ou  trop  fortes  et  la 
blesser  à  l'égard  du  coupable;  danger  dans 
les  pénitences  qu'on  impose  qui  peuvent 
n'être  [las  pro|)Oitionnées  à  la  gravité  des 
péchés  ou  aux  forces  du  pécheur,  et  sur- 
tout n'être  pas  appropriées  à  ses  besoins, 
à  ses  tentations,  et,  en  punissant  les  péchés 
commis,  ne  pas  prémunir  assez  contre  la 
rechute;  danger  surtout  à  l'égard  de  cer- 
tains péchés  qu'il  est  défendu  do  nommer 
ailleurs  qu'au  tribunal  suint,  et  là  encori^ 
faut-il  n'en  parler  qu'avec  réserve  et  mo- 
destie, et  éviter  les  questions  inutiles;  dan-i 
ger  à  l'égard  de  certaines  personnes  dont 
le  sexe,  l'âge,  la  fragilité  deviennent  un 
écueil  continuel  pour  le  médecin  qui  cher- 
che h  les  guérir.  Mais  tous  ces  dangers, 
fussent-ils  iencore  en  plus  grand  nombre, 
peuvent-ils  excuser  la  paresse  ou  la  pusiU 
iatiimité?  El  qu'on  cite  une  seule  fonction, 
même  dans  les  emplois  humains,  qui  ne 
soit  périlleuse.  Partout  où  il  y  a  des  devoirs; 
il  y  a  des  dangers;  mais  aussi  il  y  a  des 
préservatifs.  Croyons-nous,  je  le  ré()cte, 
qu'en  établissant  le  sacrement  de  la  péni- 
tence Dieu  n'ait  pas  prévu  cette  multitude 
d'écueils  et  de  périls  qui  l'environne  et 
qu'il  n'ait  pas  préparé  à  ses  ministres 
les  moyens  de  s'en  garantir?  Nous  disons 
tous  les  jours  qu'il  y  a  des  grâces  d'état  :. 
l'étal  le  plus  |)érilleux  en  serait-il  privé? 
Croyons-nous  que  la  [)rière,  l'élude,  la  ré- 
flexion, le  conseil  des  sages,  la  pensée  ha^ 
biiuelle  de  Dieu  et  le  souvenir  de  sa  pré- 
sence ne  soient  pas  des  armes  assez  fortes 
pour  nous  rendre  victorieux,  au  confession- 
nal comme  ailleurs,  de  tous  les  pièges  de 
Satan?  On  craint  tant  de  se  [lerdre  dans  les 
fonctions  les  plus  nécessaires  du  zèle  et 
de  la  chariié,  et  l'on  ne  craint  pas  de  trou- 
ver sa  perte  dans  la  paresse,  l'indolence, 
la  défiance  de  Dieu,  l'indiflérence  pour  le 
salut  de  tant  d'âmes  rachetées  du  sang  dtî 
son  Fils, et  confiées  solidairement  aux  soinsi 
de  ses  ministres,  j 

O  vous  donc  qui  avez  trop  craint  jusqu'ici 
une  fonction  encore  plus  utile  et  plus  néces-». 
sairc  qu'elle  n'est  dangereuse,  prenez  con- 
fiance, et  entrez  avec  courage,  si  vos  su- 
périeurs l'approuvent,  dans  la  plus  belle  et 
la  plus  sainte  des  carrières  ;  Dieu  y  sera 
avec  vous.  Pour  vous  qui  y  marchez  depuis 
longues  années  avec  tant  de  succès  et  tant 
de  mérites,  soutenez-en  avec  constance  les 
fatigues  et  les  périls  ;  voyez  devant  vous  les 
traces  glorieuses  d'une  multitude  de  saints 
ouvriers  qui  vous  ont  précédé,  et  quil 
jouissent  dans  les  cieux  ,  avec  les.  ânies 
qu'ils  ont  sauvées,  de  la  récompense  di 
leurs  veilles  et  de  leurs  travaux.  Ah!  tant 
de  pauvres  pécheurs  réclament  voire  se- 
cours ,  ils  vont  périr  sans  votre  ministère: 
voudriez-vous  les  abandonner,  et  sous  pré- 
texte de  ne  pas  compromettre  votre  salut , 
manquer  au  devoir  do  la  cbarilé,  sans  ia- 


:33> 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  IX.'SURrA'CONFESSlOK 


T34 


quelle  il  n'est  point  de  salu!?  Forti  animo  esto, 
noli  (imere.  (Tob.,  VU,  20.)  Que  ciiiiiidriez- 
vous?  votre  faiblesse?  Mais  Dieu  n'est-il 
l'as  loul-puiss.inl?  mais  l'Esprit-Saitii  ii'a- 
i-il  pas  promis  .'i  l'Église  d'être  avec  ses  rai- 
nislres  jusqu'à  la  fm  des  siècles,  et  de  ne 
point  permettre  que  leurs  épreuves  et  leurs 
périls  soient  jamais  au-dessus  de  leurs 
lorces  ?  Ne  doutez  pas  que  cet  esprit  de  sa- 
gesse et  de  lumière  ne  soit  à  vos  côtés  pour 
vous  consoler  dans  vos  peines,  vous  sou- 
tenir dans  vos  dangers,  vous  éclairer  dans 
vos  doutes,  vous  suggérer  et  mettre  dans 
Votre  bouche,  au  moment  qu'il  faudra  pair 
1er,  les  paroles  de  salut,  les  décisions  ,  les 
avis  qui  seront  nécessaires  :  Spirilus  sanclus 
docebil  vos  in  ipsa  hora  quid  oporleal  vos  di- 
cere.  [Liic,  XII  ,  12.  ) 

Il  nous  Sera  facile  de  tirer  maintenant  des 
conséquences  pratiques  de  ce  qui  vient 
d'être  dit.  Ceux  qui,  sous  de  vains  prétex- 
tes ,  on!  refusé  de  se  charger  de  l'honorable 
ministère  de  la  confession  ,  doivent  éclairer 
leur  esprit ,  dissiper  les  illusions  de  la 
crainte  ou  d'une  fausse  prudence,  bannir 
leurs  erreurs  secrètes  et  se  dévouer  immé- 
diatement aux  travaux  du  saint  tribunal  : 
tel  est  leur  devoir.  De  son  accomfjj'issement 
dépend  leur  salut  élerncl.  Ceux  qui,  plus 
heureux,  se  livrent  depuis  longtemps  ave'c 
succès  à  ce  ministère  doivent  s'eDcoura» 
ger  dans  Ja  pratique  de  ces  pénibles  fonc- 
tions, accroître  leur  zèle  et  leur  ferveur,  et 
maicher  à  grands  pas  dans  les  voies  delà  per- 
lection  sacerdotale.  Mais  les  obligations  d'un 
prêtre  ne  se  bornent  [)as  à  entendre  les 
cenfessions,  il  faut  encore  rendre  profi- 
tables à  lui-même,  à  ses  pénitents,  pour  le 
présent  comme  pour  l'avenir,  les  fondions 
de  son  ministère,  en  faisant  une  application 
des  principes  et  des  règles  qui  constituent 
l'art  si  diiricile  de  diriger  les  ûmes,  il  faut 
que  le  prêtre  possède  des  qualités  indis- 
pensables qui  le  rendent  digne,  en  deve- 
nant le  dépositaire  des  secrets  des  conscien- 
ces, de  tenir  la  place  de  Jésus-Christ  même  : 
Pro  Christo  legalione  fungimur.  (Il  Cor.,  V, 
20.)  C'est  l'examen  sulIisammentai)profondi 
do  ces_  diverses  qualités  qui  va  nous  oc- 
cuper. 

SECONDE    PARTIE. 

Nul  de  vous.  Messieurs,  n'ignore  les  qua- 
lités que  saint  Charles  exige  dans  un  CDii- 
fessenr,  et  que  je  réduis  à  quatre  :  la  pru- 
dence, la  piété,  la  fermeté  et  la  douceur. 
Je  commeticerai  par  exposer  les  deux  pre- 
mières. 

La  prudence,  ce  grand  régulateur  des  ac- 
tions humaines,  ^.st  en  général  la  science 
de  bien  vivre,  de  bien  faire  ce  que  l'on  est 
tenu  de  faire,  recta  ralio  agendorum.  l]n 
homme  prudent  cherche  les  moyens  pour 
parvenir  à  un  but;  il  les  emploie  avec  dis- 
cernement et  molération,  avec  courage  et 
persévérance.  S'il  agit  ainsi  pour  les  choses 
de  cette  vie,  c'est  une  prudence  humaine, 
qui  est  bonne  ou  mauvaise,  suivant  .l'objet 
qu'il  a  en  vue  et  les  luovens  qu'il  emploiç 


pour  l'atteindre.  On  sait  que  la  prudence 
du  siècle,  la  prudence  de  la  chair,  est  rér 
prouvée  de  Dieu  :  Prudentia  carnis,  mors 
est.  (Rom.,  VIII,  6.)  Si  c'est  pour  les  choses 
du  salut,  c'est  alors  la  prudence  chrétienne 
qui  cherche  h  connaître  en  tout  la  volonté 
de  Dieu  et  à  raccora()lir  parfaitement. 

Appliquons  ces  principes  au  ministère 
de  la  confession.  Le  but  de  ce  saint  minis- 
tère, c'est  d'arracher  les  <1mes  au  péché,  de 
les  corriger  de  leurs  habitudes,  de  les  rét 
concilier  avec  Dieu,  et  do  les  conduire 
dans  les  voies  de  la  sainteté.  La  connais- 
sance et  l'application  des  moyens  les  [)lus 
propres  à  obtenir  ce  résultat,  voilù  cj 
qu'on  appelle  la  prudence  du  confesseur. 
Or,  ces  moyens  ne  sont  autre  chose  que  les 
maximes  de  l'Iîyangile  et  les  règles  de  l'E- 
glise, consignées  et  développées  dans  les 
ouvrages  des  Pères,  des  docteurs  et  des 
théologiens.  Ainsi  le  fondement  de  la  pru-? 
dence  dans  un  confesseur,  c'est  la  science 
de  la  théologie;  et  un  prêtre  qui  entrerait 
dans  le  tribunal  sans  l'avoir  bien  étudiée, 
sans  en  avoir  une  connaissance  suffisante, 
serait  un  imprudent,  un  téméraire  qui  tom- 
berait de  faute  en  faute,  qui  tromperait, 
égarerait,  f)erdrait  les  âmes  et  se  perdrait 
lui-même. 

Mais  cette  science  Ihéologique  doit-elle 
être  bien  étendue  ?  aussi  étendue  que  la 
sphère  immense  des  actions  humaines  ;  car 
il  n'est  pas  une  action,  pas  même  une  pen- 
sée qui  ne  puisse  devenir  matière  de  con- 
fession ou  de  direction,  et  sur  laquelle  un 
confesseur  ne  puisse  dire  avec  raison  : 
ceci  est  bien,  cela  est  mal.  Il  faut  donc 
qu'outre  la  connaissance  du  dogme,  néces- 
saire pour  éclairer  la  foi,  il  connaisse  et 
ail  même  approfondi  les  principes  Ihéolo- 
giques  sur  les  actes  humains,  sur  le  péché, 
sur  le  décalogue,  sur  la  justice,  sur  les  sa- 
crera'ints,  surtout  ceux  de  la  (lénilence  et 
du  mariage,  en  faisant  aux  diverses  condi-i 
lions  de  'a  vie  humaine,  une  sage  applica- 
tion de  ces  principes.  Il  faut  de  plus  qu'il 
ait  lu  et  médité  quelques-uns  de  ces  bons 
ouvrages  qui  ont  pour  but  la  direction  des 
consciences,  et  où  les  règles  do  cet  art  diffi- 
cile sont  développées  avec  clarlé,  et  appli- 
quées aux  besoins  des  diverses  personnes 
qui  peuvent  se  présenierau  Irrbunal. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  que  de  connaître, 
les  principes,  il  faut  savoir  les  ap[)liquer,t 
et  les  appliquer  avec  justesse,  sans  les  ou- 
trer ni  les  allaiblir,  et  les  comparer  les  uns 
avec  les  autres  ;  car  la  décision  d'un  seul 
cas  exige  quelquefois  plusieurs  prirtcipes^ 
et  si  une  seule  circonstance  tie  ce  cas! 
vient  à  changer,  il  faut  recourir  à  d'au- 
tres princii)es.  lîclaircissons  ceci  pat- 
un  exemple  ;  deux  personnes  sont,  l'une 
pour  l'autre,  occasion  prochaine  de  pé/hés 
graves;  le  grand  principe,  c'est  de  les  obli- 
ger à  s'éviter,  à  s'éloigner  l'une  de  l'autre  : 
,Sj  scandnlizaverit  te  rnantis  tua,  abscide  il- 
luiii.  {Marc,  IX,  42.)Alais  l'application  de  ço 
principe  peut  lairo  naître  les  plus  sérieu- 
ses diliicullés  et  entraîner  les  olus  graves 


IZ^ 


ORATEUUS  SACRES.  MAURBL. 


738 


inconvénients  ;  la  paix  des  familles,  le  bon- 
heur des  époux,  la  réputation  du  prochain, 
la  charité  chrétienne  viennent  malheureu- 
soment  trop  souvent  compliquer  une  ques- 
tion si  délicate  ^ie  sa  nature,  et  dont  la  so- 
lution présente  tant  d'embarras  et  tant  d'obs- 
tacles à  un  jeune  confesseur. 

Heureux,  dans  ces  circonstances,  un 
confesseur  qui  joint  aux  connaissances 
théologiques  les  lumières  de  l'expérience, 
et  qui  a  d'ailleurs  un  esprit  droit,  juste, 
exercé  à  la  réflexion,  et  assez  étendu  pour 
envisager  un  objet  sous  toutes  ses  face?, 
fiour  en  sontler  la  profondeur  et  en  déve- 
lopper les  plis  et  les  re[)lis,  pour  prévoir 
les  suites  d'une  décision  et  en  éviter  les 
inconvénients,  pour  peser  mûrement  et  à 
loisir  toutes  les  circonstances,  pour  rappe- 
ler les  divers  principes  relatifs  à  la  ques- 
tion et  ne  pas  s'attacher  à  un  seul  aux  dé- 
pens des  autres;  pour  s'aider,  s'il  le  faut, 
dans  cette  rccherclie  des  lumières  et  de 
l'expérience  d'aulrui. 

Malheur  aux  esprits  étroits  et  inconsidé- 
rés, peu  avancés  dans  la  science,  qui  ne 
voyant  que  la  surface  d'un  objet,  n'en  pé- 
nètrent pas  la  nature,  surtout  si  à  la  fai- 
blesse de  leurs  lumières  ils  joignent  un  dé- 
faut d'expérience  et  de  maturité,  et  que 
guidés  par  la  présomption  et  l'amour-pio- 
|)re,  ils  méprisent  les  doctrines  des  sages, 
les  observations  quelquefois  judicieuses  de 
leurs  pénitents,  iisprécipilent  les  décisions 
et  prononcent  sur  les  dilTicullés  les  plus 
graves  au  g:  é  (k  leur  caprice  et  de  leur  hu- 
meur !  Ah  !  faudra-t-il  s'étonner  des  tristes 
résultats  de  leurs  imf)rudenees  et  du  mé- 
contentement général  qu'elles  causeront 
dans  les  personnes  sensées  1  Un  confesseur 
peu  instruit,  surtout  s'il  est  jeune,  qui  ne 
consulte  pas  sans  cesse,  est  un  fléau,  une 
calamité  pour  l'Eglise  de.  Dieu.  Mais,  hé- 
las 1  comment  consulter  si  l'on  n'a  au  moins 
des  doutes?  et  le  niojen  de  douter  si  oti 
n'est  passablement  in.siruit  ?  Et  nunc  erudi- 
viini  qui  judicatis  terram.  {Psal.    Il,  10.) 

C'est  d'un  défaut  d'instruction,  surtout 
s'il  est  joint  à  un  manque  de  zèle  et  de 
piélé,  que  provient  ])r6sque  toujours  cette 
afihgeante  diversité  dans  les  directioMS  qui 
éternise  les  désordres  et  autorise  les  hlas- 
plièmes.  Permettez-moi  d'entrer  ici,  Mes- 
sieurs, dans  quelques  explications. 

Je  dis  en  premier  lieu  :  qui  éternise  les 
désordres.  Vous  le  savez  et  vous  en  gémis- 
sez, en  voyant  qu'il  puisse  y  avoir  dans  une 
contrée  un  seul  de  ces  [)rétres  faciles,  dé- 
pourvus d'instruction  et  de  zèle,  et  avides 
de  la  confiance  populaire  ;  son  ministère 
paraîtra  plus  utile  et  plus  profitable,  sur- 
tout dans  une -certaine  classe  de  personnes, 
que  celui  de  tous  les  prêtres  du  voisinage; 
lès  gens  du  monde,  dont  la  conduite  est 
douteuse,  et  la  foi  presque  éteinte,  s'adres- 
seront à  lui  ;  on  le  trouvera  tolérant,  et  on 
lui  supposera  de  grandes  lumières;  sts 
confrèies  instruits  et  pieux  s'armeront  en 
vain  d'une  sainte  fermeté  soit  en  chaire, 
boil  au  confessionnal,    [lour  détruire  cer 


tains  scandales,  certains  abus  qui  se  perpé- 
tuent dans  les  paroisses;  lui  seul  paraly- 
sera tous  leurs  efforts;  les  jugements  do 
leur  sagesse  seront  cassés  au  tribunal  de 
son  ignorance  et  de  sa  lâcheté.  On  frémit 
quand  on  pense  au  compte  épouvantable 
qui  attend  ce  ministre  prévaricateur  aux 
pieds  du  souverain  Juge. 

Honneur  donc,  et  mille  fois  honneur  à  la 
fermeté  des  pontifes  et  à  !a  sage  sévérité 
de  leurs  collaborateurs  qui  ont  le  courage, 
non-seulement  de  fermer  l'entrée  du  sacer- 
doce à  ceux  des  jeunes  élèves  qu'ils  voient 
incapablesd'en  remplir  saintement  les  fonc- 
tions, mais  d'éloigner  du  ministère  des 
paroisses,  du  moins  temporairement,  ces 
prêtres  dépourvus  de  lumières  et  de  piélé 
qui  ravagent  l'Eglise  de  Jésus-Christ.  Hé  I  ne 
vaut-il  pas  mieux  que  les  paroisses  restent 
sans  pasteur  que  d'en  avoir  de  semblables? 
Un  mauvais  {)rôlre  fait,  à  lui  seul,  mille  fois 
plus  de  mal  que  dix  bons  prêtres  ne  font 
de  bien. 

Je  dis  en  second  lieu  que  cette  aftlit 
géante  diversité  autorise  les  blas|)hèmes  ? 
comment  se  peul-il,  s'écrie  tous  les  jours 
un  monde  malin,  que  le  même  cas,  accom- 
pagné des  mômes  circonstances,  soit  décidé 
par  divers  confesseurs  d'une  manière  toute 
contraire?  Quelle  est  donc  la  religion  qu'on 
nous  prêche?  y  a-t-il  autant  d'évangiles 
quede  prêtres?  Vous  connaissez.  Messieurs, 
la  réponse  des  confesseurs  qui  donnent  lieu 
à  ces  plaintes  aflhgeantes.  L'un  s'excuse  en 
disant  qu'il  fait  de  son  mieux,  qu'il  suit  sa 
conscience,  et  agit  de  bonne  foi ,  que  du 
reste  il  n'est  pas  étonné  que  certains  con- 
fesseurs déciuent  autrement  que  lui,  parco 
qu'il  n'ignore  pas  que  sur  certaines  ques- 
tions difficiles,  non  décidées  jiar  l'Eglise» 
les  0[)inions  des  plus  graves  docteurs  sont 
quelquefois  partagées;  que  saint  Bonaven- 
ture  n'était  pas  en  tout  du  môme  avis  que 
saint  Thomas. 

Cette  excuse  est  quelquefois  légitime, 
mais  quand  ?  quand  on  a  la  science  sulli- 
sante  et  un  véritable  zèle  ;  quand  on  est  ca- 
pable d'apprécier  les  motifs  des  diverses 
0()inions,el  qu'on  apris,principalemenldai]s 
les  cas  épineux,  les  [)récaulions  exigées  par 
la  prudence,  qu'on  a  relu  les  principes, 
qu'on  a  rétléchi,  consulté,  et  surtout  in- 
voqué l'Esprit  de  lumières;  alors,  en  adop- 
tant le  parti  qui  fiaraît  plus  conforme  à  la 
vérité,  on  est  réellement  de  bonne  foi,  et  si 
l'on  se  tronqie,  l'erreur  est  excusable.  Mais 
la  bonne  foi  est-elle  compatible  avec  une 
ignorance  cou[)able  qu'on  a  pu  et  dû  corri- 
ger? mais  esi-on  excusable  quand  on  ne 
ne  sait  pas  ce  qu'on  est  tenu  de  savoir,  et 
qu'on  néglige  d'étudier  et  de  consulter,  et 
(jue,  par  suite  de  cette  négligence,  on  dé-, 
cide  tout  autrement  que  le  commun  des 
diicieurs  et  des  bons  confesseurs?  mais  alors 
n't-sl-on  pas  reponsable  de  tous  les  dé- 
sordres qu'on  autorise  par  une  fausse  dé» 
cisioii  ;  (le  toutes  les  restitutions  qu'on 
exige  sans  fondement,  ou  qu'on  n'exige  pas 
!oi:<qu'clles  sont    nécebïaire»  ;  de    tous  les 


757 


RETRAITE.  —  INSTRLCT.  IX,  SLR  LA  CONFESSION. 


738 


scandales,  eu  fait  de  ruœurs  ou  d'amuse- 
ments indéceiils,  qu'on  ne  condamne  [>as, 
tandis  que  les  bons  confesseurs  les  condam- 
nent? Et  quelle  immense  étendue  n'a  pas 
souvent  celte  terrible  responsabilité  1 

Un  autre  dira  qu'il  décide  comme  tel  et  tel 
de  ses  confrères,  qui  peut-être  h  leur  tour 
s'appuient  de  son  exemple;  qu'il  suit  l'u- 
sage, la  coutume,  c'est-h-dire  une  vieille  rou- 
tine qui  n'est  souvent  (ju'une  vieille  erreur. 
Mais  remarque  Tertullien  ,  Jésus-Christ  ne 
s'est  pas  a[)pelé  la  coutume,  il  a  dit  :  Je  suis 
la  vérité,  «  ego  sum  veritas  «  (Joan.,  XIV, 
G.).  Or,  celte  vérité,  invariable  puisqu'elle 
est  éternelle,  permet-elle  d'absoudre  les 
ignorants  qui  ne  veulent  pas  s'instruire, 
ceux  qui  ne  veulent  pas  se  corriger;  les 
amateurs  des  plaisirs  ,  des  spectacles,  des 
romans,  des  scandales  d'un  monde  maudit 
j)i<r  Jésus-Christ,  une  jeunesse  voluptueuse 
qui  ne  veut  renoncer  ni  à  ses  passions  ni 
aux  occasions  qui  les  enflamment;  les  usu- 
riers qui,  loin  de  restituer,  ne  veulent  [)as 
môme  convenir  de  leurs  fraudes?  Et  n'ou^ 
Liions  pas  que  Dieu  lui-même  a  pris  soin 
de  délinir  l'usure;  qu'il  entend  par  usu- 
riers ceux  qui  reçoivent  au  delà  du  prêt  : 
Ad  usuram  non  commodaverit  et  amplius 
non  acceperil  {Ezech. ,  XVIII ,  7) ,  et  que  la 
parole  de  Dieu  est  au-dessus  de  tous  les 
raisonnements  de  l'homme. 

Permet-elle  celte  vérité  aussi  pure  que 
Dieu  môme,  d'absoudre  les  profanaleius 
de  la  sainteté  du  mariage  qui  cachent  sous 
le  voile  du  sacrement  les  passions  les  plus 
désordonnées;  lus  vindicatifs  qui  ne  veu- 
lent ni  se  réconcilier ,  ni  abandonner  un 
procès  injuste;  les  ûmes  lâches  qui  man- 
quent liabiluelleujent  aux  devoirs  les  plus 
graves  de  leur  élat  ;  en  un  mot,  celte  multi- 
tude de  coupables  aveuglés  de  qui  on  n'ob- 
tient que  de  vaines  promesses,  toujours 
suivies  de  rechutes,  et  jamais  ces  sacriUces, 
ces  elTorls  généreux  qui  seuls  annoncent 
un  cœur  changé  et  vérilat)lement  conver- 
ti? 

Mais  d'après  ces  règles,  me  dira-l-on, 
les  absolutions  vonl  élre  rares!  Et  faul-;l 
qu'elles  soient  plus  nombreuses  que  les 
conversions?  Nous  le  savons,  mes  chers 
confrères,  la  conversion  d'une  âme  est  oi- 
dinairemenl  bien  dillicile  :  Perversi  difficile 
corrigunlur  [Eccle.,  1,  15.)  Il  faut  quelque- 
fois les  années  entières,  hélas!  et  après  des 
années  on  n'est  pas  toujours  consolé  (lar  le 
succès.  Mais  enfin  pouvons-nous  pour  abré- 
ger nos  peines  ,  profaner  les  choses  saintes? 
et  parce  que  la  maladie  est  longue,  sora-t- 
il  |)eriuis  de  tuer  le  malade? 

Après  avoir  fait  une  judicieuse  ap;  lication 
des  vrais  priiicii)es,  il  faut  faire  goûler  au 
pénitent  la  nécessité  de  cette  api)lication  , 
la  lui  faciliter,  la  lui  adoucir,  la  lui  ren- 
dre, sinon  aimable  ,  du  moins  praticable;  lo 
déterminer  cnlin  à  s'y  soumettre,  ce  qui  est 
la  même  chose  quu  le  convertir;  et  c'est  ici 
le  chef-d'a'uvre  de  la  p.rudence.  Quelle 
adresse  no  faut-il   pas  poui-  gagner  d'abord 


la  confiance  des  grands  conpab'es,  s'absb;- 
nanf  à  leur  égard  de  paroles  sèches  et  do 
reproches  amers  ,  leur  parlant  de  l'immen- 
sité des  miséricordes  do  Dieu  avant  de  leur 
peindre  les  rigueurs  de  sa  justice,  les  en- 
courageant à  s'accuser  avec  sincérité,  les 
aidant  à  tirer  de  leur  cœur  tout  le  venin 
qu'il  renferme  et  les  préparant  peu  à  peu 
aux  décisions  pénibles  qu'on  aura  ensuite  à 
leurdonner  ! 

Quelle  discrétion!  pour  éviter  toute  accep- 
tion de  personnes ,  pour  soigner  avec  lo 
même  zèle  le  pauvre  et  le  riche  ,  l'ignorant 
et  le  savant;  pour  ne  préférer  dans  nos 
soins  que  ceux  qui  on  ont  un  besoin  {)lus 
grand  et  plus  pressant,  par  exemple  les  hom- 
mes aux  femmes,  les  grands  pécheurs  aux 
Ames  pieuses;  et  encore  faui-il  trouver  le 
moyen  d'écarter  l'odieux  que  pourrait  pré- 
senter une  préférence  si  légitime. 

Quelle  sagesse  pour  |)arler  à  chacun  sui- 
vant son  âge,  son  sexe  ,  son  rang,  ses  dis- 
positions, ménageant  l'amour- |)ropre  de 
tous,  les  traitant  tous  avec  bonté  et  cha- 
rité, leur  appliquant  pour  les  guérir,  non 
pas  toujours  les  remèdes  qui  sembleraient 
les  meilleurs ,  mais  ceux  que  leur  faiblesse 
peut  su[)porler  1 

Quelle  modération,  pour  leur  exposer 
avec  calme  l'obligation  indispensable  de  tel 
sacrifice  ,  de  lelle. séparation  ,  de  telle  resti- 
tution ,  et  cela  sans  les  exaspérer,  sans  les 
décourager,  ne  leur  disant  pas  tout  dans  le 
môme  entrelien  ,  ne  les  pressant  pas  troj), 
mais  leur  laissant  le  temps  de  réfléchir  aux 
motifs  qu'on  leur  suggère;  leur  en  propo- 
sant lanlôl  de  forts  et  de  terribles,  tantôt 
de  doux  et  de  consolanls  ;  les  faisant  des- 
cendre au  fond  des  enfers,  dont  la  bonté 
divine  les  a  jusrpi'ici  préservés,  et  puis 
mouler  au  sommet  du  Calvaire  ,  et  du  Cal- 
vaire au  haut  des  cieux,  oii  les  attend  la 
couronne  destinée  à  leurs  renoncements  et 
à  leurs  elTorls  1 

Quelle  patience  pour  supporter  leur  aveu- 
glement, leurs  rechutes,  leurs  résistances, 
leur  grossièreté,  quelquefois  leurs  injures  1 
quelle  dextérité  pour  réfuter  victorieuse- 
ment les  préceptes  qu'ils  allèguent,  pour 
aplanir  les  obstacles  qui  les  effrayent,  pour 
leur  faire  sentir  que  même  leur  avaniago 
temporel  exige  les  sacrifices  que  Dieu  leur 
commande,  qu'ils  n'auront  de  repos  et  de 
tranquillité  que  quand  ils  les  auront  faits  I 

Voilà  ,  Messieurs,  si  je  ne  me  trompe  ,  eu 
quoi  consiste  la  prudence  dans  Je  tribunal  : 
connaître  les  vrais  principes,  les  appliquer 
avec  justesse,  et  en  persuader  l'application 
au  pénitent.  Mais  cette  persuasion  est  moins 
l'ouvrage  de  la  science  que  de  la  piété,  se- 
conde (jualité  nécessair'e  à  un  ,  confes- 
seur. 

La  piété!  cet  amour  tendre  pour  Dieu, 
et  compalissant  pour  les  hommes,  ce  zèle 
ardent  pour  la  gloire  do  celui  dont  nous 
sonunes  les  ministres  et  dont  nous  devons 
venger  les  intérêts  (lour  le  salut  éternel  des 
âmes  que  la  charité  do  Jésus-Christ  a  com- 
liées  à  nos   soins!  La  piété  1  ce  sentiraen; 


7r59 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


740 


de  foi,  cette  onction  de  l'Espril-Saint  qui 
nous  touche  ,  nous  attendrit  »  nous  arrache 
des  larmes  à  la  vue  d'un  infortuné  qui  sa 
perd  et  nous  fait  courir  après  lui  pour  le 
garantir  du  précipice  où  il  va  tomtJer  1  La 
piété  I  qui  est  utile  à  tout,  dit  l'Apôtre, 
est  surtout  nécessaire  dans  le  tribunal  :  car 
je  vous  le  demande  j  comment  dissiper  le 
charme  des  passions ,  comment  fondre  la 
glace  des  coeurs  ,  si  Dieu  ne  nous  prête  la 
lumière  et  les  ardeurs  de  son  esprit?  Nous 
les  donnera-t-il  si  nous  ne  «orames  unis  à  lui 
par  ia  firière  ,  la  pureté  d'intention  ,  l'atten- 
tion à  le  consulter,  le  désir  continuel  de  lui 
plaire?  Couament  toucherons-nouis  les  pé- 
cheurs ,  s'ils  ne  nous  voient  nous  mêmes 
touchés  de  Dieu  et  remplis  de  son  amour? 
Àh  I  mes  chors  confrères,  il  n'y  a  que  les 
saints  qui  persuadent  la  sainteté  :  un  con- 
fesseur pieux  qui  joint  à  des  lumières  sudi- 
santes  un  grand  zèle  et  une  grande  charité 
fait  raille  fois  plus  par  ses  prières  ,  sa  mo- 
destie ,  son  humilité  qu'un  confesseur  sa- 
vant ,  mais  d'une  vertu  médiocre  ,  par  toute 
la  solidité  de  ses  exhortations  et  dé  ses 
avis. 

C'est  la  piété  qui  gagne  la  confiance  ,  qui 
iiispire  la  sincérité,  qui  encourage  la  timi- 
dité,  qui  réveille  les  remords  ,  qui  fournit 
ces  expressions  embrasées ,  ces  traits  de 
fcu  qui  vont  droit  au  cœur ,  parce  qu'ils 
sont  partis  du  fond  du  cœur. 

C'est  la  piété  qui  invite,  qui  exhorte,  qui 
presse  foHement  en  chaire  les  pécheurs  de 
Se  convertir,  et  qui  ensuite  les  reçoit  à  bras 
ouverts  dans  le  tribunal,  admire  avec  eux  la 
puissance  de  la  grâce,  les  remercie  en  quel- 
que sorte  de  la  joie  qu'ils  lui  donnent  par 
leur  retour  à  Dieu,  leur  témoigne  la  même 
all'eclioii,  et  leur  prodigue  les  mênies  soins, 
j'ai  pres()ue  dit  les  mêmes  caresses  qu'une 
nourrice  à  son  enfant:  Tanquain  si  nuùrix 
foveat  filios  suos.  (1  Thess.,  11,  7.) 

C'est  la  piété  qui,  à  force  d'exhortations, 
de  soins,  de  zèle,  et  surtout  d'assiduité  au 
confessionnal,  parvient  enfin  à  établir  dans 
une  paroisse  la  fréquentation  des  Sacrements, 
et  commence  à  former  une  réunion  d'âmes 
ferventes,  la  plus  forte  barrière  qu'on  puisse 
opposer  au  torrent  du  vice. 

C'est  la  piété,  inséparable  de  la  bonté  et 
de  la  douceur,  qui  attire  les  petits  enfants  à 
ia  confession  aussitôt  qu'ils  sont  capables 
de  connaître  le  mal,  qui  ouvre  leur  cœur  à 
la  confiance  et  leur  bouche  à  la  sincérité, 
qiii  leur  rend  aimable,  mais  en  môme  temps 
respectable,  Id  pratique  la  plus  nécessaire 
du  christianisfùe,  qui  ne  se  borne  pas  à  les 
Confesser  une  fois  par  an  et  à  la  hâte,  par 
manière  d'acquit,  avec  une  sécheresse  rebu- 
tante ou  une  familiarité  pernicieuse,  mais 
çui  les  traite  avec  un  soin  religieux,  comme 
('es  âmes  raisonnables,  comme  des  amis  de 
J'ésus-Christ ,  auxquels  elle  prépare,  plu- 
sieurs années  d'avance,  un  sanctuaire  dans 
leur  cœur. 

C'est  la  piété  qui,  apprenant  qu'un  malade 
est  en  danger,  quitte  tout  pour  volera  son 
Secours,  et  pour  sauver  une  âme  qui  peut- 


être,  hélas!  n'a  jamais  songé  h  son  salut. 
Ah!  c'est  alors  surtout  qu'un  confesseur  a 
besoin  d'entrailles  de  miséricorde,  t-îscero 
muericordife.  [Luc,  1,  78.)  Mais  malheur  à 
lui  s'il  oubliait  que  ce  doit  être  la  miséri- 
corde d'un  Dieu  aussi  juste  que  clément, 
que  le  péché  n'est  jamais  rerais,  môme  à  la 
mort,  sans  contrition,  et  que  la  contrition 
n'existe  pas  sans  réparation,  autant  qu'on 
le  peut,  des  injustices  et  dos  scandales. 

C'est  la  piété  qui,  sachant  que  la  conver- 
sion d'un  fœur  ne  peut-être  opérée  que  par 
le  maître  des  cœurs,  le  conjure  d'éclairer 
lui-même  ses  pénitents,  de  les  toucher,  de 
les  amollir,  de  briser  cette  chaîne  de  fer  qui 
les  tient  liés  à  leurs  habitudes.  Aussi,  que 
d'âmes  endurcies  (}ui  .avaient  résisté  aux 
froides  exhortations  d'un  prêtre  indifférent 
et  étranger  à  l'oraison,  se  trouvent  touchées 
lorsqu'elles  sont  dirigées  par  un  prêtre 
pieux,  sans  se  douter  peut-être  que  c'est 
Ijien  moins  à  ses  paroles  qu'à  ses  prières 
qu'elles  doivent  leur  changement. 

C'est  enfin  la  piété  qui  adoucit  toutes  les 
peines  et  surmonte  fous  les  périls  attachés 
au  plus  saint  des  ministères,  qui  immole 
tous  les  jours  un  confesseur,  qui  l'arrache 
aux  do'iceurs  de  la  vie,  qui  l'enchaîne,  qui 
le  consume,  qui  le  rend  esclave  et  victime 
de  la  charité.  O  le  glorieux  esclavage  1  ô  le 
noble  et  sublime  dévouement  !  Sans  doute 
un  prêtre  caché  dans  les  ténèbres,  assis  au 
tribunal  sacré,  n'est  rien  aux  yeux  du  mon- 
de ;  que  dis-je?  il  est  souvent  l'ubjet  des 
satires  de  l'impiété  et  des  insultes  du  liber- 
tinagBj  qui  se  trouve  traversé  dans  ses  in- 
trigues par  le  zèle  de  ce  prêtre.  Qu'il  est 
grand  aux  yeux  de  Dieu  et  de  l'Eglise  1 
qu'ils  sont  importants  les  services  qu'il 
rend  à  la  société  des  fidèles  ! 

C'est  unjuge,  un  magistrat  sacré  qui,  du 
haut  d'un  tribunal  divin,  prononce  avec 
pleine  autorité  sur  l'état  des  consciences  ; 
et  les  anges  présents  partent  aussitôt  pour 
aller  porter  ses  jugements  aux  pieds  de  la 
majesté  suprême;  c'est  un  libérateurrevôtu 
de  la  toute-puissance  divine,  qui  brise  les 
chaînes  des  esclaves  du  péché,  qui  com- 
mande avec  Jésus-Christ  à  l'eâprit  immonde 
de  sortir  de  leur  cOrps,  et  cet  esprit  fré- 
missant obéit  à  sapai'olé;  C'est  un  des  chefs 
do  la  milice  de  Jésus-Christ  qUi  cOmbat 
pour  la  gloire  de  son  n-aître  contre  les  lé- 
gions de  l'enfer  :  Jésus-Christ  le  contemple 
avec  joie  et  le  soutient  de  sa  puissance  et 
de  ses  lumières  ;  toute  la  force  des  mérites 
de  Jésus-Christ  est  confiée 'i  sa  sagesse  et  à 
son  autorité;  le  sang  de  Jésus-Christ  could 
en  quelque  sorte  [)ar  ses  mains  sur  les  âmes 
souillées,  et  leur  rend  la  beauté  primitive 
qu'elles  trouvèrent  jadis  dans  les  eaux  sa- 
crées du  baptême.  A  ce  spectacle  les  démons 
rugissent,  l'imidélé  se  déchaîne,  toutes  les 
passions  se  révoltent  ;  mais  les  passions 
sont  vaincues,  l'enfer  est  confondu  ,  et  le 
ciel  retentit  des  cantiques  d'allégresse  1 

11  me  semble.  Messieurs,  que  pour  nous 
encourager  dans  un  ministère  bien  pénible 
sans  doute  et  bien  dangereux,   uiais  aussi 


RETRAITE.  —  INSTRLCT.    X,  SUR  LA  CONFESSION. 


7^! 

le  plus  grnnd,  le  plus  important,  le  plus 
iiécess.'iiie  pour  le  salut  du  niondo,  nous 
devrions  toutes  les  fois  que  nous  allons  au 
confessionnal  m<5diter  un  moment  cotte 
grande  vérité,  qui  a  stimulé  le  zèle  de  tous 
les  saints,  paui'i  electi :  et  nous  dire.'i  nous- 
mêmes  je  vais  augmenter  le  nombre  dos 
élus.  Car,  mes  cliers  confrères,  pourquoi 
celte  multitude  innombrable  d'àmes  toutes 
créées  jiour  le  ciel,  toutes  rachetées  du 
sang  de  Jésus-Christ,  lomhent-elles  pour  la 
plu[)arl  dans  les  abîmes  de  l'enfer  ?  Ah  1 
c'est  en  grande  partie  parce  qu'il  n'y  a  pas 
assez  de  bons  confesseurs!  c'est  qu'on 
n'exhorte  pa«,  qu'on  ik*  presse  pas  assez 
vivement  les  tidèles  de  se  confesser.  Et  (pie 
faudrait-il  dire  si  c'était  pour  s'épargner  la 
peine  de  It'S  entendre?  C'est  qu'on  n'est  pas 
assez  assidu  au  confessionnal,  qu'on  ne 
veut  pas  se  gêner,  qu'on  prolonge  trop  sou 
sommeil  ou  ses  plaisirs,  qu'on  n'a  |)as  d'or- 
dre dans  sa  conduite,  et  que  le  temps  man- 
<juepour  une  des  obligations  les  plus  es- 
sentielles; tandis  que,  bien  ménagé,  il 
pourrait  suflire  à  tous  les  devoirs;  c'est 
qu'un  grand  nombre  de  confessions  au 
moins  inutiles,  pour  ne  pas  dire  sacrilèges, 
ne  le  son!,  hélas!  que  jiar  la  faute  descon- 
fesseurs, qui  n'apportent  |)as  au  tribunal 
saint  assez  de  lumières,  assez  de  prudence, 
assez  de  piété  et  de  véritable  zèle.  Mon 
Dieu  !  permstlrez-vous  que  votre  peuple 
soit  la  vicliine  de  nos  erreurs,  et  que  tant 
de  pauvres  âmes  rachetées  par  le  sang  de 
votre  Fils  trouvent  leur  perte  dans  notre 
inditîérence  ou  dans  noire  imprudence  ! 
Prions  Dieu  ,  vénérables  confrères,  qu'il 
écarte  de  nous  cet  effroyable  malheur,  .et 
que  ce  ne  soit  pas  [)our  la  ruine,  m;iispour 
le  salut  de  plusieurs  que  nous  avons  reçu 
les  clefs  du  royaume  céleste. 

INSTRUCTION  X. 

SUR   LA    CONFESSION.  {Suite.) 

Qui  coiiverii  feeerit  peccatorem  ab  ejus  errore  viae 
suxsalvabit  aiiimam  ejus  a  moi'le.(j6!<;.,  V,  20.) 

Messieurs, 

Diverses  conditioniS  ont  eié  attachées  à 
l'exercice  des  augustes  fonctions  que  nous 
remplissons  au  milieu  des  peuples  :  c'est  en 
les  observant  que  nous  assurons  le  succès 
de  notre  ministère.  Tout  est  grave  et  essen- 
tiel dans  le  sacerdoce,  tout  est  important 
dans  l'administration  des  sacrements  ;  toais 
celui  de  la  pénitence  exige  le  plus  de  pré- 
cautions, et  im[)Ose  de  grandes  obligations 
h  ceux  qui  sont  chargés  de  l'administrer, 
lleprésentanl  de  Jésus-Christ  sur  la  terie, 
le  prêtre  exerce  tout  à  la  fois  les  fonctions 
de  juge  et  de  père  :  comme  juge,  il  con- 
diiinne  et  [lunil;  comme  père,  il  doit  con- 
soler le  pécheur  repeutiuit,  confjndre  ses 
regrets  avec  les  siens,  mêler  ses  lurmes  aux 
siennes  et  soulager  celte  âme  allligée  de 
bien  des  maux.  La  confession,  qui  met  un 
IVein  à  touies  les  passions  de  l'homme,  qui 
guérit  toutes  les  blessures  faites  au  cœur, 
qui  calme  la   haine,  fait  restituer  le  Lien 


7V2 

mal  acfjuis;  qui  désarme  le  crime,  qui 
présente  en  un  mot  à  tous  les  vices  la  bar- 
rière la  plus  insurmontable,  regardée  par 
les  ennemis  môme  de  la  religion  comme  le 
chef-d'œuvre  de  la  sagesse  divine,  devait 
en  effet  exiger  du  ministre  de  ce  sacrement 
d'éminentes  qualités.  L'Eglise  demande  de 
nous  que  nous  soyons  des  confesseurs 
éniairés,  nourris  dans  les  maximes  des 
saints  Pères,  instruits  dans  les  vrais  |)rin- 
cipes,dans  les  règles  de  la  discipline  ecclé- 
siastique; attentifs  h  sonder  la  dispositinn 
des  consciences,  à  nous  assurer  de  la  sin- 
cérité du  refienlir;  el!e  veut  que  nous  évi- 
tions surtout  de  com|)romeltre  notre  salut 
et  celui  de  nos  pénitents  par  des  absolu. ions 
précipitées.  Ce  n'est  qu'en  suivant  es 
saintes  règles  que  nous  serons  les  guides 
de  ses  enfanîs  dans  les  voies  de  l'éternité 
et  les  dignes  dis|)ensateurs  des  mérites  in- 
finis du  sang  de  l'aiigusle  victime  par  qui 
tous  les  hommes  ont  été  rachetés. 

Mais  pour  remplir  de  si  sublimes  fonc- 
tions applicpions-nous  à  bien  connaître  les 
règles  qui  doivent  diriger  le  confesseur 
dans  l'exercice  de  son  ministère,  et  les  qua- 
lités qu'il  doit  avoir.  C'est  encore  l'examen 
de  ces  qualités  qui  va  nous  occuper;  et 
après  vous  avoir  parlé  de  la  prudence  et  de 
la  piété,  je  vous  entretiendrai  maintenant 
de  la  fermeté  et  de  Ja  douceur,  précieuses 
qualités  qui  ne  sont  pas  moins  nécessaires 
pour  un  confesseur  quelesdeux  premières. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Le  grand  caractère  qui  éclate  dans  toutes 
les  œuvres  de  la  sagesse  élernelle,  c'est, 
dil  l'Esprit-Sainti  un  mélange  de  force  et  do 
douceur  :  force  dans  les  choses,  douceur 
dans  les  moyens  :  Attingit  a  fine  ad  fintm 
[orlitcr,  et  disponit  omnia  suaviter  (Sap., 
VllI,  1)  ;  tel  doit  être  le  caractère  d'un  [)rê- 
Ire,  surtout  dans  le  minislère  de  la  fténi- 
tence.  Fermeté  douce  et  insinuante,  dou- 
ceur ferme  et  intrépide,  voilo  ce  qui  fait  les 
bons  confesseurs,  parce  que  ce  sont  là  les 
deux  caractères  de  la  charité,  dont  ils  sont 
les  ministres  :  Forlis  est  ut  mois,  dilectio 
{Cant.yYUl,  8);  charitas bcnignaest,{lCor,, 
Xiil,  i.)  Mon  Dieu  !  vous  seul  pouvez  nous 
le  dounei',  ce  zèle  ferme  et  doux,  parce  que 
vous  seul  êtes  la  charité  dont  il  est  l'elfet. 

La  fermeté  d'un  confesseur  consisie  prin- 
cipalement à  ne  jamais  s'écarter  des  véri- 
tables règles  et  de  la  saine  doctrine,  à  ne 
jamais  absoudre  des  indignes,  pour  quelque 
considération  que  ce  puisse  èire,  quand  il 
s'agirait  d'éviter  des  persécutions,  des  vio- 
lences, même  la  mort,  fortis  est  ut  mors, 
dilectio.  Exposons  en  peu  de  mots  combien, 
cette  fermeté  est  nécessaire  et  les  diveis 
obstacles  qu'on  a  à  vaincre  pour  l'acquérir. 

Ne  perdons  jamais  de  vue,  vénérables 
confrères,  que  dans  un  minislère  si  divm  (C 
ne  sont  pas  nos  idées  qu'il  faut  suivre,  ma, s 
les  principes  immuables  que  Dieu  lui- 
même  a  écrits  de  sa  propre  main  dans 
riivangile,  et  qu'il  nous  dévelopne  et  nous 
explique  par  l'organe  de  son  Eglise.  Sans 


7  45 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


7  H 


doute  ces  principes  sont  sévères  :  ils  pros- 
crivent toutes  les  passions  et  commandent 
toutes  les  vertus;  ils  ne  laissent  au  péclieur 
d'autr«  ressource  que  la  pénitence  :  une 
jéniience  proportionnée  à  la  gravi-lé  de  ses 
crimes,  et  une  pénitence  clairement  mani- 
lestée  par  une  vie  nouvelle  et  par  la  répa- 
ration des  injustices  et  des  scandales  passés; 
mais  celte  sévérité  n'esl-elle  pas  l'ouvrage 
de  Dieu,  et  pouvons-nous  réformer  ce  qu'il 
a  fait,  ou  contredire  ce  qu'il  a  dit?  Nous 
appartient-il  de  changer  les  conditions  aux- 
quelles i\  a  attaché  le  pardon  du  péché? 
'Jes  conditions  nesoni-elles  pas  une  partie 
essentielle  de  celte  loi  suprême  qui  a  pour 
auieur  l'auteur  même  de  la  vérité  et  de  la 
justice?  Malheur  donc  à  nous  si  nous  atten- 
tions à  la  pureté,  à  l'iritégrilé  de  celte  loi 
immortelle  qui  doit  survivre  à  la  chute 
du  monde!  Cœliim  et  terra  transibunt, 
terba  autem  mea  non  prœteribunt.  (Matth  > 
XXIV,  35.) 

Un  magistral,  un  juge  de  la  terre  obéit 
fidèlement  aux  lois  émanées  de  la  volonté 
de  son  souverain  ;  il  serait  punissable  si  ses 
jugements  étaient  contraires  à  ces  lois  :  et 
nous,  juges  des  consciences,  nous  nous 
écarterions  du  code  évangéliquo  que  Dieu 
lui-même  a  dicté!  et  parce  que,  à  la  faveur 
du  secret  de  notre  ministère,  nous  pour- 
rions i)eui-être  échapper  à  l'œil  de  l'Eglise, 
nous  croirions  échapper  aussi  à  cet  œil  in- 
visible et  sévère  qui  éclaire  les  ténèbres, 
et  qui  manifestera  un  jour  aux  yeux  de 
l'univers  nos  infidélités  les  plus  cachées! 
Quoi  1  Dieu  a  dit  en  mille  endroits  des  livres 
saints  qu'il  rejette  les  superl)es,  et  n'accorde 
sa  grâce  qu'aux  humblts  {Jac,  IV",  6)  ;  (|u'il 
abhorre  les  cœurs  durs  el  impénitents,  et 
n'écoule  que  les  soupirs  d'un  cœur  contrit 
et  humilié  [Psal.  L,  17);  qu'il  ne  pardon- 
nera qu'à  ceux  qui  pardonnent  {Matth.,  VI, 
lij,  et  qu'il  n'aura  de  uiiséricorde  que  pour 
les  miséricordieux  (Jac,  II,  13],  Il  a  dil  que 
son  royaume  était  fermé  à  l'avarice,  h  la  ra- 
pine, à  l'usure,  à  l'inlempérance,  à  la  vo- 
lupté, à  toutes  les  passions  (I  Cor.,  VI,  10)  ; 
il  a  dit  que  pour  entrerdans  son  royaume  il 
iaut  porter  sa  croix,  réprimer  les  désirs  et 
les  passions  de  la  chair  et  se  défendre  de 
la  corruption  du  momie  (Matth. ;W\,  2k)', 
il  a  dit  que  ce  monde  pervers  est  l'ennemi 
de  Jésus-Christ,  et  qu'un  feu  éternel  est  ré- 
servé à  ses  scandales  et  à  ses  blasphèmes  I 
[Matth.,  XIII). 

Et  nous,  malgré  ces  maximes  d'une  éter- 
nelle vérité,  nous  prétendrions  réconcilier 
avec  Dieu  des  impénitents  qu'il  repousse, 
et  absoudre  des  pécheurs  qu'il  condamne 
et  qu'il  ne  peut  évidemment  se  dispenser  do 
condamnfr!  car  enfin  peut-il  ()ardonncr 
sans  repentir,  sans  changement  de  vie? 
Quoi,  Messieurs  ;  ce  Dieu  qui  est  la  justice, 
la  saintelé,  la  sagesse  éternelle,  pardonne- 
rait à  des  coupables  qui  ne  veulent  point 
cesser  de  l'outrager,  qui  sont  prêts  à  l'ou- 
trager un  instant  après  leur  pardon,  qui 
perse v'èrent  obstinément  dans  leurs  habi- 
tudes, el  par  conséquent  dans  l'aireclion  au 


péché:  qui,  loin  de  s'éloigner  avec  courage 
des  occasions  du  crime,  ne  cessent  de  les 
rechercher;  qui  refusent  de  pardonner  eux- 
mêmes  à  leurs  ennemis,  qui  ne  veulent  ni 
réparer,  ni  discontinuer  leurs  injustices,  ni 
peut-être,  hélas  1  les  reconnaître;  qui  n'ont 
la  contrition  que  sur  les  lèvres,  dont  le 
cœur  conserve  toujours  une  attache  secrète 
aux  objets  de  leurs  passions,  et  dont  la  con- 
duite contredit  sans  cesse  leurs  promesses 
et  leurs  prétendues  résolutions  1 

Mais  de  bonne  foi,  en  pardonnant  à  des 
coupables  qui  no  veulent  pas  cesser  de 
l'être,  Dieu  ne  serail-il  pas  censé  les  au- 
toriser, les  encourager  dans  le  crime,  et  en 
devenir  en  quelque  sorte  le  complice?  Or, 
Messieurs,  si  Dieu  ne  veut  ni  ne  peut  par- 
donner sans  repentir,  sans  changement  de 
vie,  comment  oserions-nous  absoudre  des 
coupables  souvent  vieillis  dans  le  crime, 
sans  nous  être  assurés,  non  par  luurs  pa- 
roles, mais  parleurs  œuvres;  non  par  des 
promesses  et  des  protestations  qui  ne  coû- 
teiit  rien, mais pardes  épreuves,  des  efforts, 
des  sacrifices,  qu'ils  sont  véritablement  re- 
pentants et  convertis? 

A  quoi  aboutirait  cette  sacrilège  témérité 
d'absoudre  des  indignes,  et  de  donner  les 
choses  saintes  à  dosâmes  impures?  Nous  di- 
rions sur  la  terre  :  f  absous,  et  le  ciel  dirait  : 
je  condamne;  hélas!  et  celte  condamnation 
ne  tomberait  pas  seulement  sur  l'iiypocrito 
prosterné  à  nos  pieds,  mais  sur  nous-mêmes, 
bien  plus  coupables  que  lui.  Car,  Messieurs, 
quel  crime  que  de  tromper  les  âmes  dans 
une  circonstance  où  il  s'agit  de  leur  des- 
tinée éterncdle,  que  de  les  rassurer  el  alfer- 
niir  par  une  cruelle  indulgence  dans  la  voie 
de  la  perdition,  au  lieu  de  les  amener  peu 
à  peu,  par  une  sage  fermeté,  dans  celle  du 
salut!  Quel  crime,  que  de  profaner  avec 
elles  le  sang  de  Jésus-Christ,  et  de  les  en- 
gager av^ec  nous  dans  un  enchaînement  de 
sacrilèges  où  la  mort  peut-être  les  sur- 
prendra, et  nous  surprendra   nous-mêmes  1 

Pauvres  ()écheurs  !  qui  avez  eu  le  malheur 
de  tomber  dans  les  mains  d'un  ministre 
infidèle,  que  votre  sort  est  déplorable, sur- 
tout si  vous  aviez  apporté  au  saint  tribunal 
une  sorte  de  bonne  foi!  Vous  aviez  cru  y 
trouver  ce  que  vous  désiriez  el  ce  que  vous 
deviez  désirer,  un  juge  équitable  qui  s'ap- 
pliquât avec  zèle,  par  des  interrogations 
prudentes,  à  connaître  en  détail  toute  l'éten- 
due de  votre  culpabilité,  et  qui  ensuite 
vous  jugeât  avec  sagesse  et  avec  justice; 
un  médecin  habile  qui  sondai  avec  soin  la 
profondeur  de  vos  plaies,  et  y  appliquât, 
non  des  ()allialifs,  mais  des  remèdes  sûrs 
et  efficaces,  le  fer  et  le  feu  s'il  l'eût  fallu  ; 
un  guide  éclairé  qui,  d''une  main  ferme, 
vous  éloignât  de  la  fausse  roule  que  vous 
suiviez,  et  vous  fil  une  sainte  violence  pour 
vous  ramener  dans  les  sentiers  de  la  jus- 
tice ;  un  ami  fidèle  qui  ne  vous  flattât  [tas, 
niais  vous  dit  franchement  la  vérité,  vous 
proposai  des  motifs  solides  de  la  suivre,  et 
ne  so  rebutât  (las  de  vos  lenteurs  cl  de  vos 
caprices  ;    uu  véritable  père,   tendre  sans 


7;5 


RETRAITE.  —  INSTRL'CT.  X,  SUR  LA  CONFESSION. 


7ÎG 


(lonlc,  mais  cnurngonx;  (|iii,  .ijaiU  plus  h 
cœur  do  vous  conijîor  qiio  de  vous  com- 
plaire, vous  avcrlU  de  vo«  déf.mts,  et  vous 
reprît  île  votre  incond'jile  avec  une  douce 
sincérilé. 

Au  lieu  de  lotit   cela,  qu'avez-voiis  (rou- 

v(V? Dnnsfpiei  pilo.vablc  cMal  ce  tniui^tj-e 

infidèle  n'a-t-il  |ias  pkrigé  voire  âniel  Oh  1 
quel  aflTreux  service  il  vous  a  rendu  sous  le 
masque  do  la  clémence  et  de  la  miséricorde! 
Au  sorlir  du  Iribuiial,  vous  vous  êtes  peul- 
^Mre  félicité  d'avoir  rcncoulré  un  guide  si 
douxetsi  indulgent.  Ali  1  vous  no  sentiez 
pas  le  Irait  mortel  qu'il  venait  d'enloucer 
dans  votre  coeur  1  Quels  reproches,  peut- 
être,  n'auroz-vous  pas  à  f.iire  un  jour,  aux 
jiiodsdu  souverain  Juge,  .^  ce  directeur  fai- 
ble et  craintif,  qui,  par  ciainte  de  vous  dé- 
plaire, vous  aura  perdu,  et,  [)Our  vous  épar- 
gner un  momer.l  do  tristesse,  vous  aura 
précipité  dans  une  tristesse  éternelle  I 

C.ir,  Messieurs,  un  desg'aiids  obstacles  à 
la  fermeté  sacerdotale  dans  le  tribunal  saint, 
c'est  une  crainte  basse  et  pusillanime  qui 
nous  ompêclie  soit  de  connaître  le  véritable 
état  des  âmes,  soit  île  leur  appliquer  les  re- 
Uièdes  convenables.  On  craint  d'interroger 
avec  soin  certains  coupables  dont  l'igno- 
rance ou  la  négligence  présenteraient  peut- 
être  des  embarras,  et  on  les  absout  contre 
les  saintes  règles,  et  quelquefois  contre  sa 
con>-cience.  On  craint  de  choquer  surtout 
les  grands  et  les  riches,  qu'on  sait  ôtie  plus 
(lilliciles,  et  à  qui  en  etlel  on  doit  plus  de 
ménagements  ,  mais  jamais  aux  dépens  de 
la  \  élite,  (pielque  désir  que  puisse  nous 
suggérer  rauu)ur-propre  «le  conserver  leur 
coiiliance  et  leur  protection.  Oi;  craint  de 
I  erdre  la  confiance  publique  et  de  passer 
pour  un  homme  outré  et  inabordable,  co 
qu'il  faut  éviter  sans  doute,  mais  |iar  une 
douceur  prudente,  et  non  par  une  insou- 
ciance et  une  complaisance  coupable.  On 
craint  d'éloigner  de  la  direction  certaines 
personnes  pour  lesquelles,  hélas  1  ou  a  soii- 
veiil  bien  plus  d'afleclion  humaine  que  do 
vrai  zèle,  et  à  qui  peut-être  on  n'esi  ut. le 
qu'en  ap|iarence,  et  réellement  pernicieux. 
On  crainl  de  dégoûter  des  sacrements  cer- 
taines personnes  (pii,  en  elfet,  en  ont  grand 
besoin,  et  on  y  admet  une  jeunesse  dissi- 
pée qui  aime  plus  la  vanité  et  le  i)hiis;r  que 
Dieu,  qui  Iréquenle  les  assemblées  mon- 
daines, les  danses  indécentes,  et  ne  veut 
pas  reconnaître  une  multitude  de  fautes 
graves  quelle  commet  soit  avant,  soit  pen- 
«lant,  Soit  a|iiès  ces  coufiables  réunions.  On 
tiaint  de  voir,  et  que  le  public  ne  voiedaiis 
notre  église  la  table  sainte  déserte ,  à  cùlé 
d'une  paroisse  où  un  pasteur  complai>aiit 
y  admet,  ()ar  une  hausse  piété,  jnesque 
tous  ceux  qu'il  confesse. 

Mais  ignoiO'iï-nous  la  réponse  de  l'hs- 
pril-Saiiit  à  louiesces  craintes?  IS'oli  quœ- 
rere  fieri  jiiclca:,  nisivaleas  virlule  irrumpei  e 
inifjutlales.  {hccli.,Vl\,  G.)  IrrumpcrcQuelm 
énergi"  dans  ceîto  expression!  Oeum  tiinc, 
el  mandata  ejus  observa;  hoc  est  eniin  omnis 
ho»io.  [EccIk.,  \il,ili.)  Noiite  timere  cosfi'ii 

"V  UnATELRS    3ACUÉS.    LXVIII. 


ocridnnt  corpus, nnimiim  nitlcm  non  po^sitttt 
orcidere,  scdpofius  limcle  mm  qui  polest  et 
nnimain  el  corpus  perdere  in  geficniuim. 
llnnc  timcle.  [Matth  ,  X,  28.)  N'avoiis-nous 
pas  reçu  (ians  rorliiniion  l'Ksprit  de  force 
et  de  magnanimité?  Accipite Spirilnm  san^ 
cfinn  ad  robur  {Joan  ,  XX,  22):  7u>n  cnim 
dédit  nabis  Deus,  dit  saint  Viwil.  Spirilnm 
tiinoris,  sed  virlutis.  (M  l'im,,  !,  7.)  N'a- 
vons-nous pas  été  placés  dans  1  Eglise  du 
Dieu  vivant  comme  un  mur  d'airain,  comme 
une  colonne  de  fer,  qui  doit  être  inébranla- 
ble au  milieu  des  vents  et  des  teiiipôles  ;  je 
veux  dire  au  milieu  des  contradictions  des 
hommes  et  de  la  violence  de  leurs  passions? 
Messieurs,  un  prêtre  qui  n'est  pas  au-dessus 
des  craintes  humaines  est  indigne  de  son 
ministère.  O  Ambroise  I  et  vous,  Jean  Né- 
l>omucène!  oii  ôtes-vous?  Ahl  descendez  du 
liant  des  cieux  et  revenez  nous  afjprendri! 
la  noble  et  modeste  fernnité  qui  (but  briller 
sur  le  front  d'un  représentant  de  Jésus 
Christ;  et  alors,  an  lieu  de  perdre  par  de 
l.khes  llalleries  les  grands  et  les  puissants 
du  siècle, comme  vous  nous  les  instruirons, 
comme  vous  peut-être  nous  les  converti 
rons,  ou  du  moins  nous  honorerons  notre 
ministère. 

Mais  ce  n'est  pas  un  grand  delà  terre,  me 
direz-voiis  :  c'est  un  minisire  du  Roi  du 
ciel,  c'est  un  de  mes  coiilrères  préposé  au 
gouvernement  d'une  paroisse,  qu'il  u'j  peut 
priver  du  saint  sacrifice  de  la  messe  ni  des 
sacremeiis;  pourrai-jo  lui  refuser  labsolu- 
tion?  Et  en  la  lui  donnant,  s'il  en  est  in- 
digne, le  rendrez-vous  plus  capable  de 
monter  à  l'autel  et  d'exercer  les  fondions 
saintes?  Quedis-je?  ne  partagerez  vous  pas 
les  profanations  dont  vous  aurez  craint  ('e 
l'éloigîier?  Ce  sont  là  des  choses  si  palpa- 
bles, (|u'oii  a  peine  h  les  énoncer.  Ah  !  sans 
doute,  malheur  au  piêLro  qui  vous  mettra 
dans  cet  affreux  embarras!  Mais  mille  fois 
malheur  à  vous,  mon  cher  confrère,  si  vous 
aviez  la  lâcheté  de  favorser  ses  sacrilèges  I 
Digni  sunt  morte,  non  solum  qui  faciunt,  sed 
eliam  qui  consenliunt  facientibus.  [Rom.,  1, 

Mais  la  fermeté  toule  seule  perdrait  ics 
ûmes,  si  elle  n'était  jointe  à  l'esprit  de  man- 
suétude, qualil(!  qui  n'est  pas  moins  essen- 
tielle que  les  autres  :  nous  allons  nous  en 
convaincre  en  traitant  S()écialement  de  la 
douceur  dans  l'administration  du  sacrement 
de  [lénitence. 

SECONDE    PARTIE. 

Un  prêtre  a  besoin  de  force  et  de  fermeté 
|iOur  marcher  constamment,  au  milieu  des 
obstacles  el  des  contradictions,  vers  le  but 
de  son  ministère,  qui  n'est  Gutre  chose  que 
la  gloire  de  Uieu  ei  le  salut  des  âmes  I  Mais 
ce  grand  but,  il  ne  l'atteindra  jamais,  si  la 
fermeté  n'esi  tem|)érée  par  la  douceur,  la 
patience,  la  modération,  un  ménagement 
continuel.  Des  esprits  et  des  cœurs  no 
peuvent  êtie  ni  forcés  par  la  violence,  ni 
enchaînés  parla  contrainte;  ils  sont  libres 
de  céder  ou  de  résister,  et  en   ne  peul  les 

24 


Ï47 


ORATEURS  SACRES.  MAUHEL. 


7-48 


j:;ouvernor  que  par  des  moyens  adroils  ot 
insinuants,  pardes  motifs  niisonnables  pro- 
posas pt?r  la  l)ienveillance  et  la  douceur.  Un 
confesseur  doit  se  rappeler  ces  paroles  que 
If  Sauveur  s'appli(iuait  h  lui-uièuic  :  Discite 
n  me  quia  milis  sum.  {Mallh.,  Xt,  29)  ;  et 
l'.ct  éloge  admirable  do  la  douceur,  qui  pro- 
met la  couronne  de  la  terre  à  ceux  qui  pos- 
sèdent cette  précieuse  qualité  :  lieati  miles 
(juonium  ipsi  possidebunt  terrain.  [Matth.y 
V,  k.) 

Otte  manière  d'agir  doit  être  l'ilrao  de 
toutes  les  fondions  d'un  prêtre,  mais  on 
particulier  du  minisicre  de  la  confession, 
de  ce  ministère  où  l'on  a  ;i  combattre  loule.-» 
les  passions,  et  surtout  ctl  orgueil  si  irri- 
table qu'on  no  peut  vaincre  que  par  un 
esprit  de  patience  et  d'humilité.  Pour  guérir 
le  malade  qu'il  a  rencontré  sur  la  route  de 
.léricho,  le  Samaritain  répand  sur  ses  |)laies 
de  riiuile  €t  du  vin  :  ce  mélange  est  le 
symbole  de  la  force  et  de  la  douceur  qu'il 
faut  employer  dans  les  maladies  de  )"âine  : 
riiuile  toute  seule  amollirait  trop,  le  vin 
irriterait  les  blessuics  :  pour  guérir  les 
maux  du  péché  il  faut  employer  la  fermeté 
des  principes  et  la  sévérité  des  règles;  mais 
jamais  des  paroles  aigres  et  des  reproches 
am(>rs.  Ce  n'est  pas  tout  :  il  faut  de  plus 
tempérer  la  rigueur  elle-raC'me  des  saintes 
règles  par  l'huile  de  la  charité,  qui  esta  elle 
seule  comme  l'unique  règle,  t)uisqu'elle  est 
tout  à  la  l'ois  la  fermeté  et  la  douceur, /"orfis 
cst,benignaest.{\  Cor.,  XIII, 4.)  A|)pliquons- 
nuus  maintenant  à  méditer  sur  les  pré- 
cieuxavanlages  et  la  nécessitédecet  espritde 
douceur  dans  le  sacrement  de  la  pénitence. 

Vous  le  savez,  Me.'-si(!urs ,  c'est  par  la 
douceur  qu'on  s'insinue  peu  à  peu  dans  les 
coeurs,  qu'on  gagne  leur  alfection  ,  qu'on 
obtient  leur  coniiance,  qu'on  prend  sur  eux 
un  ascendant  persuasif,  un  empire  aimable 
auquel  rien  ensuite  ne  résiste.  Cette  con- 
iiance une  fois  acquise,  il  est  facile  d'éclai- 
rer l'.iveugleujent,  de  dissiper  les  illusions, 
de  vaincre  les  répugnances,  de  triompher 
des  volontés  les  |)lus  rebelles;  mais  ce 
triomphe  est  réservé  à  la  douceur  :  sans  la 
douceur  on  ne  réussit  à  rien.  La  fierté  ai- 
giit,  la  dureté  irrite,  la  sécheresse  inti- 
mide, riiuuieur  déconcerte  et  décou- 
rage; on  s'élève  contre  un  ton  allier  et 
impérieux  :  au  contraire,  la  douciîur  plaît, 
jiUire,  touche,  gagne  insensiblement  les  âmes 
'es  plus  dures  et  obtient  les  sacritices  hjs 
plus  [,'énibles. 

Pour  être  utile  h  ses  frères,  il  faut  s'en 
faire  aimer;  et  c'est  la  douceur  qui  obtient 
leur  amour.  Un  |)rètre  aura  beau  posséder 
ias  plus  grands  talents,  avoir  de  l'instruc- 
tion, de  l'esprit,  de  l'éloquence;  si  ces 
bel'es  qualités  ne  sont  jointes  à  la  douceur, 
si  elles  sont  altérées  par  un  zèle  amer, 
caustique,  bizarre,  impétueux,  son  minis- 
lère  sera  presque  stérile.  l)iis  talents  mé- 
uiocres,  ou  même  au-dessous  du  médiocre, 
feront  mille  fois  plus  s'ils  sont  accompagnés 
de  matiières  douces,  de  paroles  prévenan- 
tes, d'un  airalfable,  d'un  cœur  généreux 


et  compatissant,  d'une  conduit9  sage  et 
modérée.  C'est  là,  Messieurs ,  une  de  ces 
vérités  qui  n'ont  pas  besoin  de  preuves,  qui 
sont  aussitôt  senties  qu'exposées.  Mais,' 
hélas  !  il  est  malheureusemeni  bien  plus 
facile  de  les  exposer  et  môme  de  les  sentir, 
que  de  les  mettre  en  pratique. 

Si  la  douceur  doit  faire  en  tout  le  carac- 
tère distinotif  d'un  ministre  de  Jésus-Christ, 
si  elle  seule  peut  assurer  le  succès  de  ses 
fonctions,  quelles  qu'elles  soient,  oh! 
quel  besoin  surtout  n'en  a-t-il  point  dans 
le  tribunal  de  la  miséricorde!  Un  confesseur 
|ui  parle  h  ses  pénitents  avec  douceur  et 
onction  les  éclaire,  les  touche,  les  ramène 
insensiblement;  s'il  leur  parle  avec  dureté 
et  amertume,  il  les  aigrit,  les  irrite  et  les 
éloigne  de  la  pénitence,  ou  tout  au  moins 
de  sa  direction.  Il  est  quelquefois  permis 
de  faire  entendre  en  chaire  des  paroles 
énergiques  et  véhénientes  et  les  accents 
d'une  vertueuse  indignation;  jamais  au 
confessionnal  !  Et  la  dillerence  est  facile- 
ment sentie:  c'est  (lu'en  chaire  nos  repro- 
ches et  notre  véhémeiice  attaquent  plutôt 
les  vices  que  les  personnes;  ou  s'ils  atta- 
quent les  personnes  elles-mêmes,  ce  n'est 
qu'en  masse  :  jamais  individuellement  ;  on 
laisse  à  chacun  le  soin  de  s'apt»liquer  ce 
qu'il  croit  lui  convenir.  Mais  dans  le  tribu- 
nal tout  porte,  tout  s'adresse  à  la  personne 
qui  est  à  nos  pieds;  elle  ne  peut  rejeter  sur 
un  autre  les  réflexions  que  sa  confession 
nous  inspire.  Ce  qu'd  y  a  de  [)lus  pénible 
pour  elle,  c'est  que  sa  position  et  le  respect 
qu'elle  doit  à  notre  minislôi'o  lui  ôteut  môme 
le  droil  de  se  plaindre. 

Un  pauvre  })écheur  n'est-il  pas  assez  hu- 
milié par  la  honte  de  s'avouer  coupable, 
sans  que  nous  allions  augmenter  sa  confu- 
sion par  des  paroles  sèches  et  des  reproches 
amers?  Quel  ellet  peut  produire  sur  lui  ce 
ton  sévère  et  menaçant,  surtout  si  c'est  dans 
le  début  de  la  confessioi.'?  il  lui  fermera  la 
bouche  et  le  cœur,  et  j)eut-èlre  Téloignera 
j)Our  toujours  des  sacrements.  On  a  tant  de 
[)eine  à  sujiporter  ces  menaces,  même  dans 
un  prédicateur,  qui  ne  parle  des  désordres 
qu'en  général ,  et  peint  à  grands  traits  le 
tableau  du  vice.  On  ne  lui  pardonne)  la  vi- 
vacité de  ses  expressions  et  la  sainte  éner- 
gie de  son  zèle  qu'autant  qu'il  les  tempère 
par  des  mouvements  tendres  et  affectueux. 
Quelle  ne  doit  donc  pas  être  la  souffrance 
d'un  [lécheur  qui  ne  s'est  présenté  au  tri- 
bunal qu'avec  la  plus  grande  répugnance, 
qui  a  eu  à  lutter  plusieurs  jours  contre  lui- 
même  pour  se  déterminer  enliii  à  une  dé- 
marche si  pénible,  si,  au  lieu  de  trouver 
en  nous  un  père,unann,  un  consolateur 
qui  encourage  sa  timidité  et  fortilie  sa  fai- 
blesse, il  ne  trouve  qu'un  maître  dur  et  sé- 
vère ?  Est-ce  ainsi  que  le  père  de  famille 
accueillit  l'enfant  dissipateur?  est-ce  ainsi 
que  le  bon  ()asteur  ramena  la  brebis  éga- 
rée? Ces  [)araboles,  vous  le  savez,  sont  une 
image  de  la  douceur  et  de  la  i)alifcnce  de 
Jésus-Christ,  notre  chef  et  notre  modèle; 
de  Jésus-Christ  qui  traita  avec  tant  de  dou- 


149 


RETRAITE.  -  INSTRUIT.  X,  SU  II  LA  CONFESSION. 


730 


ceur  la  femme  adultère  ,  qui  inslriiisil  avec 
tant  de  boulé  la  Samaritaine,  qui  pardonna 
si  prom|itemtMil  el  sans  aucun  reproche  au 
repentir  du  tjon  larron  ;  rie  Jésus-Christ  qui 
nous  a  recommandé  si  expressément  d'imi- 
ter sa  douceur,  discite  a  tne  quia  viilis  siiin 
{Mullh.,  XI,  y.9)  ;  «lui  a  versé  dos  larmes  de 
charité  sur  les  crimes  de  son  ingrate  palri(% 
et  qui  lui  disait  avec  une  compassion  si  at- 
tendrissante :  Jérusalem,  Jérusalem!  quii 
occidis  proplictas,  quolies  volui  congr égare 
filios  tuos,  quemadmodum  gallina  congre(jaC 
pullos  suos  suJb  alas ,  eC  noluisti!  {Luc, 
XMI,  3'*.) 

Nous  devons  juger  des  autres  par  nous- 
mêmes.  Aimons-nous  à  èlre  trop  vivement 
réprimnntiés?  Le  cœur  de  l'homme  est  né 
fier  el  indépendant  ;  il  repousse  tout  ce  qui 
tend  a  le  subjuguer,  il  ne  s'ouvre  qu'aux 
accents  de  la  douceur,  de  la  tendresse,  du 
l'intérêt;  il  aime  à  dominer,  et  l'on  ne  sau- 
rait le  gagner  |)ar  un  ton  de  domination  : 
Torgueil  ne  se  corrige  |)as  par  l'orgueil, 
contraria  contrariis  curanlur.  Traitons  les 
autres  comme  nous  désirons  être  traités 
nous-mêmes.  Il  n'est  peut-être  aucun  de 
nous  (|ui  n'ait  rencontré  dans  sa  vie  ()Ui'l- 
que  directeur  caustique  el  impatient  ;  (pieile 
impression  faisait  sur  nous  i'ilprelé  de  son 
liumeur?  et  nous  voudrions  l'imiter  à  l'é- 
gard de  nos  pénitents?  Inteltige  quœ  sunt 
proximi  tui  ex  tcipso.  {Eccli.,  XKX.1,  18.) 

De  bonne  foi,  mes  chers  confrères,  f)ren- 
drions-nous  en  conversation  ce  ton  décisif 
et  tranchant  qu'on  prend  quelquefois  au 
tribunal  de  la  charilé?  Ces  personnes  pour 
qui  nous  avons  des  égards  dans  un  entre- 
tien particulier,  les  croyons-nous  moins 
res[ieclables  loisqu'ellos  sont  à  nos  pieds  ? 
Que  dis-je  ?  l'étal  de  gêne  et  de  contrainle 
où  elles  se  trouvent  alors  ne  nous  comman- 
de-t-il  [las  plus  de  réserve  et  d'attention  à 
leur  égard?  Pourquoi  donc  les  ménager 
moins  dans  le  lieu  précisément  où  elles  ont 
plus  besoin  de  ménagements?  Dans  le  com- 
merce de  la  vie,  (jue!  moyen  emploie  un 
homme  sage  pour  détromper  quelqu'un 
d'une  erreur,  ou  le  détourner  d'une  fausse 
démaiche?  un  ton  raisonnable  et  motléré. 
pourquoi  ne  pas  |)rendre  ce  môme  Ion  dans 
je  saint  liibunal?  Croyons-nous  qu'on  soit 
là  moins  homme,  moins  susceplible,  moins 
irritable  qu'ailleurs? 

Quelle  profonde  sagesse  dans  ces  paroles 
du  grand  Apôtiel  Ré[)élons-les,  Messieurs, 
pour  notre  inslruclion,  et  qu'elles  nous  ser- 
vent de  règli!  :  Seniorem  ne  increpaveris, 
sec/  oOsecro  ul  palrem,  juvcnes  ut  fraires, 
anus  ut  maires  ,  juvenculas  ul  sorores ,  in 
omni  cuslilote.  (I  Tim  ,  V,  1.)  Oui  ,  vénéra- 
bles confrères,  lujus  devons  aux  personnes 
âgées  une  sorte  de  respect  lilial,  un  langage 
qui  ait  moins  le  ton  de  l'instruetion  que 
celui  do  la  soumission  el  de  la  prière,  senio' 
rem  obsecra  ul  palrem,  anus  ut  maires.  Nous 
devons  aux  jeunes  gens  des  deux  sexes  la 
riJÔme  honiiêtelé  et  la  même  bonté  (ju'à  des 
frères  et  à  des  sœurs,  juvenes  ut  fratres, 
iurenculcis  ul  sorores.  Mais  n'oublions  ja- 


mais les  derniers  mots  de  l'Apôtre  :  Jn 
omni  castilate.  Ah!  malheur  ù  nous  si  nous 
|)ordions  de  vue,  dajis  le  lieu  le  plus  saint, 
la  sublimité  de  notre  ministère!  Malheur  à 
nous  si  une  douceur  mondaine,  si  les  ac- 
cents de  l'adulation  pouvaient  sortir  d'une 
bouche  consacrée  tous  les  jours  par  le  sang 
d(î  Jésus-Ghrisl.  Je  n'insiste  passuruti  objet 
si  délicat  devant  un  auditoire  qui  connaît  si 
bien  les  convenances,  et  qui,  en  a()pi  éoiant 
les  motifs  iie  mon  silence,  ()eut  avantageu- 
sement y  su[)pléer. 

Mais  outre  cette  douceur  si  criminelle, 
donl  le  nom  môme  nous  est  interdit  fJarl'Es- 
prit-Sainl,  il  est  deux  autres  espèces  do 
fausses  douceurs  également  coufiables  ;  jo 
veux  dire  une  douceur  de  tempérament,  qui 
dégénère  si  souvent  en  mollesse  el  en  lâ- 
cheté, qui  n'ose  ni  sonder  les  plaies  ni  appli- 
quer les  remèdes  convenables  qui  ne  sait 
que  flatler ,  que  tromper  les  pécheurs  et 
enfreindre  les  saintes  règles;  et  une  dou- 
ceur de  politique  qui  n'ayant  pour  mobil<i 
que  des  vues  d'ambition  et  d'intérêt ,  s'a- 
baisse h  des  ménagements  coufiables,  sur- 
tout envers  les  grands  et  les  riches,  dont 
réloignement  nous  allligerait,  et  qui  craint 
plus  de  choquer  les  hommes  que  d'oll'enser 
Dieu  :  Prudentia  carnis  mors  est.  (Rom., 
VIII.  6.) 

Oh!  mes  cliers  confrères,  que  nous  se- 
rions à  plaindre  si  nous  apportions  dans  le 
plus  sublime  des  ministères  des  vues  si 
basses  et  des  craintes  si  indignes!  La  vraiu 
douceur  prend  sa  source  dans  la  charité,  et 
la  charité  ne  cherche  que  Dieu  et  le  salut 
des  âmes.  La  charité  est  aussi  courageuse 
que  patiente,  elle  ne  flalle  ni  ne  rebute,  elle 
tient  un  milieu  entre  le  rigorisme  el  le  re- 
lâchement ;  elle  facilite  sans  doute  les  voies 
de  ia  (ténilence,  mais  sans  les  élargir;  elle 
console,  elle  encourage  le  pécheur,  mais 
sans  lui  caclier  le  danger  où  il  se  trouve, 
ni  les  elforts  qu'il  a  h  faire  pour  en  sortir; 
elle  lui  montre  un  Dieu  miséricordieux, 
dont  le  sein  est  ouvert  et  les  bras  tendus  (tour 
le  recevoir,  mais  sans  lui  laisser  ignorer 
les  sacritices  el  les  réparations  qu  exige  sa 
justice. 

Mais  ce  zèle  toujours  amer  et  jamais  con- 
solant, toujours  armé  de  foudres  el  eidourô 
de  terreurs,  qui  se  borne  à  jieindre  l'énor- 
luilé  du  [)éché  sans  com[)atir  à  la  faiblesse 
el  aux  tentations  du  pécheur;  qui  ne  parle 
que  de  châtimenls  el  de  vengeances,  et 
|)resque  jamais  de  clémence  el  de  miséri- 
corde; qui  semble  ignorer  que  si  la  crainte 
peut  éloigner  la  main  des  œuvres  du  péché, 
la  conliance  seule  peut  ramener  le  cœur  à 
Dieu;  non,  un  lel  zèle  n'appartient  pas  à  la 
chaiilé,  surtout  s'il  est  accom|)agné  d'un 
ton  de  mépris  et  presque  d'insulle.  C'est  là 
l'tiumeur  de  l'homme  et  non  le  zèle  de 
l'homme  de  Dieu;  c'est  un  amour-propre 
choqué  qui  Ijlesse  les  autres. 

Mais  comment  se  contenir,  me  dira-l-on, 
quand  on  rencontre  des  ignorants  qui  ne 
savent  rien  et  ne  veulent  rien  a(»prendre, 
dt'3  entêlés  que  rien  ne  peut  fléchir,  de« 


TH 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


7r;2 


endurcis  que  rien  ne  peut  touclior,  des  in- 
corrigibles qui  r(''sistent  il  tout,  des  incons- 
tants qui  retombent  sans  cesse  ,  qu'on  ab- 
sout et  qu'on  ne  convertit  pas?  Comment 
se  contenir,  en  voyant  plusieurs  mois,  plu- 
sieurs années  de  travail  inutile?  Inutile! 
mes  chers  confrères!  Ah!  aurions -nous 
oublié  le  mot  de  saint  Bernard  :  Curam  exi- 
geris,non  curalionem?  Dieu  veut  que  nous 
soignions  ce  malade,  mais  il  n'exige  pas  que 
nous  le  guérissions.  Noire  récoiupense  est 
attachée,  non  à  nos  succès,  mais  à  nos 
etï'orls;  et  ignorons-nous  que  les  soins  les 
plus  méritoires  pour  nous-mêmes  sont  pré- 
cisément ceux  qui  nous  paraissent  les  [dus 
infructueux  pour  les  âmes  qui  en  sont  l'ob- 
jet? 

Et  encore  je  dis  qui  nous  paraissent ,  car 
l'œuvre  de  Di(;u  sefait  souvent  à  notre  insu: 
tel  pécheur  qui  nous  semble  incorrigible 
est  peut-être  sur  le  point  de  devenir  un 
saint.  Qu'était  saint  Paul  avant  d'entendre 
la  voix  de  Jésus  sur  le  chemin  de  Damas? 
un  louj),  un  persécuteur.  Que  ful-il  l'inslant 
d'après?  un  agneau,  un  apôiie.  Les  mo- 
ments de  la  giâce  ih;soiiI  pas  toujours  ceux 
de  notre  impatience.  Il  est  des  lerrcs  lentes 
qui  ne  produisent  qu'à  ia  longue,  mais  dont 
la  moisson  est  d'autant  plus  abondante 
qu'elle  a  été  plus  taidive. 

Croyons-nous  d'ailleuis  que  l'œuvre  de 
Dieu  hâte  par  un  zèlebrustiue  et  [)récipité? 
croyons-nous  que  nos  im/)atiences  soient 
bien  [)ropres  à  éclairer  ces  ignorants,  notre 
humeur  à  convertir  ces  orgueilleux,  nos 
duretés  à  tourlier  ces  endurcis?  Ah!  nos 
prières,  nos  gémissements  secrets  aux  pieds 
(Ju  Maître  des  cœurs  feraient  bien  plus  que 
tous  nos  emportements.  Priez  alors,  liii 
dirais-je,  le  souverain  Maître  des  cœurs, 
qu'il  change  le  vôtre;  qu'il  Jui  inspire  cet 
esprit  de  douceur,  de  patience  et  de  niodé- 
rnlion  qui  vous  est  si  nécessaire  pour  con- 
duire le  pécheur  dans  les  sentiers  si  difliciles 
de  la  pénitence. 

Je  sens  tout  cela,  me  dira  quelqu'un  ; 
mille  fois  je  me  suis  fait  à  moi-même  ces 
réflexions  ;  mille  fois  j'ai  résolu  de  traiter 
mes  jiénUeiiis  comme  jc  désire  être  traité 
moi-même,  avec  patience  et  avec  bonté,  et 
mille  fois,  hélas!  mon  caractère  vif  et  ar- 
dent a  fait  échouer  ces  belles  résolutions. 

Ne  l'oublions  jamais,  vénérables  con- 
frères, la  vraie  douceur  est  toute  puisée 
dans  la  charité  :  Churitas  benigna  est;  elle 
s'allie  ovec  la  fermeté,  et  la  fermeté  avec  la 
douceur  ;  que  dis-jij  ?  elles  sont  inséparables. 
La  douceur  sans  feruielë  serait  mollesse,  et 
la  fermeté  sans  douceur  serait  dureté.  Cet 
lieureux  mélange  est  possible  et  aux  carac- 
tères trop  vifs  et  aux  caractères  indolents, 
pourvu  que  les  premiers  se  répriment,  se 
modèrent,  se  commandent  à  eux-mêmes, et 
(lue  lesseconds  s'excitent,  s'arment  deforce 
cl  de  courage.  Tout  cela  est  bien  dilllcile, 
vous  avez  raison,  et  je  dirai  bien  plus,  c'est 
naturellement  impossible;  mais  est-ce  à  des 
prêtres  qu'i'l  faudra  rappeler  que  la  grâce 
corrige  la  nature  cl  que  no.»  iîi.èrsjj  ifî  BOS 


efforts  attirent  la  grâce?  Quel  homme  était 
nalurellement  plus  doux  et  plus  timide  que 
Moïse?  et  cependant  avec  ([uel  courage  ne 
parle-t-il  pas  h  Pharaon  !  avec  quelle  fer- 
meté ne  punil-il  [las  les  murinuraieurs  1 
Quel  homme  était  plus  vif  et  plus  ardent 
que  saint  Paul  ?  et  cependant  avec  quelle 
douceur  ne  traite-t-il  pas  l'incestueux  de 
Corinlhe,  lorsqu'il  le  voit  humilié  et  repen- 
tant! avec  quelle  charité  ne  parle  l-il  pas 
aux  Corinthiens  et  aux  Galaies  I  Osnoxtrtim 
pntct  ad  vos,  0  Corinlhiî  !  cor  nostrum  dila- 
talumest.  (II  Cor.,  VI, II.)  Filioli  mei,quo3 
ilernm  parlurio,  donec  formelur  Christus  in 
voOis.  {Galat.,  XIV,  19.)  Quel  homme  a  é\à 
|)lus  irrme  et  [)lus  intrépide  que  saint  Am- 
broise?  et  cependant  quelle  n'était  pas  sa 
douceur  dans  le  tribunal  :  les  larmes  qu'il 
y  réjtandait,  dit  saint  Paulin,  étaient  si 
abondantes  qu'il  en  arrachait  aux  pécheuis 
les  plus  endurcis! 

En  finissant,  vénérables  confrères  ,  l'exa- 
men des  qualités  que  doit  posséder  un 
confesseur,  pénétrons-nous  bien  de  leur 
impoi'tance,  puisque  d'elles  dépendent  le 
succès  de  notre  ministère  ;  il  nous  faut  do 
la  prudence  et  de  la  piété.  La  prudence 
doit  être  fondée  sur  le  véritable  zèle  de 
Dieu  et  du  [;rochain,  et  éclairée  des  lu- 
mières de  la  science;  la  piété,  qui  doit  pé- 
nétrer notre  cœur,  doit  aussi  loucher  celui 
des  pénitents  et  nous  émouvoir  nous-mê- 
mes à  la  vue  de  ces  misères.  C'est  l'umon 
de  la  douceur  et  de  la  fermeté  qui  furuie 
le  caractère  des  conft;sseurs,  que  nous  de- 
vons nous  etforcer  d'acquérir.  Rappelons- 
nous  bien  que  loules  les  actions  d'un  prètri;, 
surtout  son  ministère  au  tribunal  de  la  péni- 
tence, doivent  êlre  empriinls  de  ce  dou- 
ble caractère.  Mais  f|ui  nous  donnera  cet 
heureux  mélange  qui  fait  la  vertu  sacerdo- 
tale, el  qui  assure  le  mérite  de  nos  <eijvres 
et  le  succès  de  nos  travaux?  qui  nous  ap- 
prendra cet  an  des  ans  dont  parle  saint 
Grégoire,  cet  ai't  admirable  de  gouverner, 
d'éclairer  et  de  convertir  les  âmes,  si  ce 
n'est  vous,  ô  mon  Dieu  I  qui  possédez  ce 
li'ésor  .ie  sagesse  el  de  science  ;  vous  qui 
seul  connaissez  le  cœur  de  Ihomme  dont 
vous  êtes  l'auteur,  et  qui  pouvez  l'uuvriret 
le  fermer  à  volonté  ;  vous  qui  ôles  la  source 
de  la  fermeté  el  de  la  boulé,  de  la  cliaiilé 
el  de  la  douceur? 

Que  de  fautes  nous  avons  commises  peut- 
êlre,  vénérables  confrères ,  dans  le  minis- 
tère le  [)lus  im|)orlanl  de  la  religion,  que 
d'âmes  qu'une  fermeté  plus  conslanle  au- 
rait corrigées,  qu'une  douceur  {)lus  per- 
suasive aurait  ramenées  el  soutenues! 
Quelles  déchirantes  pensées,  el  quelle  res- 
ponsabilité terrible!  Puisqu'il  en  est  encoie 
temps  corrigeons  nos  imprudences,  nos  vi- 
vacités et  nos  emporlemenls  ;  inslruisons- 
nous  de  nos  devoirs  et  de  nos  obligations, 
et  plions  l'espril  de  vérité  d'éclairer  nos 
esprits.  Accordez-nous  ,  ô  mon  Dieu  1  de 
ramener  à  vous  les  pécheurs  qui  se  sont 
éloignés  du  sancluaire  île  la  juslice,  et 
donnez-nous  toutes  les  qualité?  que  vous 


7o3 


exigez  vous-même  de  voire  représentant, 
cl  surtout  ce  sel  do  la  sagesse,  cette  force 
modérée  et  cette  douceur  courageuse,  qui, 
en  assurant  le  succès  de  notre  mii'islère 
dans  le  tribunal  sacré  ,  assurent  aussi  aux 
confesseurs  ol  aux  péiiilcnls  la  couronne 
de  l'immorlalilé  bienlieurcuse. 

INSTRUCTION  XI. 

l'avahice. 
Videlc  et  cavclc  ab  oinni  avarilia.  (Luc,  XII,  lîi.) 

Messieurs, 

Il  semble  que  dans  un  siècle  où  le  clergé 
se  trouve  dépouillé  de  ses  antiques  riches- 
ses, il  soil  inutile  de  parler  de  l'avarice  à 
des  prêtres,  et  de  leur  recommander  le  dé- 
(acliement  des  biens  de  la  icrre,  ijuand  ils 
s'en  trouvent  privés.  Dans  ces  temps  d'o- 
pulence et  de  splendeur,  où  d'immenses 
ressources  étaient  confiées  aux  niinivlres 
des  autels,  et  où  ils  pouvaient  si  facilement 
thésauriser  et  briller  même  avec  éclat  dans 
le  monde,  on  devait  sans  doute  chercher  à 
détaciier  leur  cœur  et  à  |)réve!iir  l'abus  de 
ces  trésors  que  rE^j'ise  leur  mettait  en 
main,  non  pour  contenter  leur  cupidité, 
leur  vanilé,  leur  sensualité,  mais  pour  leur 
fournir  un  entretien  simple  et  modeste,  les 
chargeant  expressément,  ol  parles  lois  les 
})lus  sévères,  d'employer  le  superflu  en 
aumônes  et  en  œuvres  do  j)iélé;  alors  on 
pouvait,  disons-nous,  rappeler  au  clergé 
les  paroles  si  énergiques  de  Jésus-Christ  : 
Videte et  cavete  ab  omni  avarilia.  {Luc,  X!l, 
15.)  Prenez  garde  de  vous  laisser  corrom- 
pre par  les  richesses  que  vous  possédez,  et 
dont  vous  n'êtes  que  les  dispensateurs; 
examinez  bien  l'usage  que  vous  en  faites, 
songez  au  compte  sevèic  que  vous  en  ren- 
drez un  jour,  prémunissez-vousconlre  touie 
espèce  d'allache  à  des  biens  fiagiles  que  la 
moil  va  vous  ravir  el  dont  labus  vous  pri- 
verait des  biens  éternels;  alors  ces  ré- 
flexions eussent  pu  n'être  pas  déiilacées. 
Mais  aujourd'hui,  pourquoi  parler  de  celte 
détestable  passion,  lorsqu'elle  n'a  presque 
plus  d'aliment  dans  le  sanctuaire? 

Détrompons-nous,  vénérables  confrères  : 
qui  de  nous  ignoie,  en  eflet,  que  le  siège 
de  l'avarice  n'est  pas  dans  les  biens,  mais 
dans  les  cœurs?  Le  saint  homme  Job  était 
riche  et  il  était  pauvre  d'allection  :  Judas 
était  pauvre  el  il  était  avare,  il  l'eût  été 
par  le  seul  allachement  à  l'argent  quand 
uiôrae  il  se  serait  abstenu  de  s'emfjarer  des 
•lumônes  données  à  son  divin  Maître  1  No 
douions  pas,  mes  chers  confrères,  que 
même  aujourd'hui  placé  dans  un  état  voi- 
sin de  l'indigence  où  Dieu,  dans  les  des- 
seins de  son  adorable  providence,  a  jugé  à 
propos  de  réduire  le  clergé,  il  soit  possible 
à  un  prêtre  d'être  avare;  qu'il  désire  l'ar- 
gent avec  trop  d'ardeur,  qu'il  le  recherche 
avec  troj)  d'em[)ressemenl,  qu'il  s'y  attache 
avec  une  avidité  coupable,  qu'il  prenne, 
pour  s'enrichir,  des  moyens,  sinon  injustes, 
du  moins  illicites  et  indignes  de  lui;  qu'il 
cherche  à  amasser,  à  thésauriser;   qu'il  se 


RETRAITE.  —  liNSTRUCT.  XI,  SUR  L'AVARICE.  75f 

défio  de  la  Providence  et  se   forme  pour 
l'avenir  des  craintes  opposées  à  l'esprit  du 


chrislianisme  ;  qu'il  néglige  les  pauvres 
,iour  ne  s'occuper  que  d'enrichir  ^les  pa- 
rents cupides,  qui,  jetant  sur  les  trésors  du 
leniplf;  le  môme  œil  de  rapacité  que  l'im- 
pie Héliodore,  se  présenlenl  <i  l'entrée  du 
sanctuaire  cl  semblent  dire  au  jeune  lé- 
vite :  prenez  ganle,  vous  n'êtes  [)rétre  que 
pour  nous.  Môme  aujourd'hui,  il  esl  pos- 
sible qu'un  prôlre  avilisse,  dégrade  son 
ministère,  el  le  rende  inutile  en  le  rendant 
odieux  par  une  avidilé  indécente,  par  une 
exigence  inhumaine  h  demander  ce  qui 
lui  est  dû,  [)ar  des  [ilaintes  éternelles  sui- 
des besoins  souvent  exagérés,  par  des  me- 
naces imprudentes  de  quitter  un  peupla 
qu'il  ne  trouve  |)as  assez  généreux.  Il  est 
possible  qu'un  prêtre  se  borne  à  éviter  cette 
avarice  grossière  que  lout  le  monde  dé- 
teste, qui  est  un  opprobre  même  aux  yeux 
du  monde,  et  qu'il  ne  se  prémunisse  pas 
c'SSfcz  contre  celte  avarice  secrète,  souvent 
masquée  par  des  actes  de  générosité,  ou 
même  de  profusion,  qui  est  d'autant  plus 
dangereuse  (]u'elle  n'est  aperçue  que  de 
l'œil  de  Dieu,  et  (ju'on  n'a  point  à  en  rougir 
devant  les  hommes. 

Il  n'est  pas  inutile,  même  aujourd'hui, 
vénérables  conlVères,  de  méditer  les  paroles 
sacrées  de  mon  texte  :  Videte  et  cavete  ab 
omni  avarilia.  Il  n'est  [)eut-ôtre  |)as  de 
vertu  que  Jésus-Christ  ait  rappelée  |)lus 
souvent  à  ses  disciples  que  cet  esprit  do 
détachement  et  surloul  de  mépris  des  ri- 
chesses périssables.  C'est  |)Our  entretenir 
en  nous  ce  bienheureux  esprit  de  [)auvreté, 
qu'en  méditant  aujourd'hui  sur  celle  odieuse 
passion,  si  déplorable  dans  un  prêtre,  jo 
ferai  voir  que  l'avarice  esl  criminelle  dans 
sa  nature  et  funeste  dans  ses  etfels. 

PREMIÈRE    PARTIE, 

Pourquoi  l'avarice  esl-elle  criminelle  dans 
sa  nature!  parce  que,  selon  la  pensée  de 
saint  Chrysostome,  elle  est  opposée  au  pré- 
cepte de  l'amour  divin.  Rappelons,  en  eifet, 
ce  précepte,  tâchons  d'en  apprécier  l'éten- 
due, et  nous  verrons  si  un  prêtre  avare 
peut  se  dire  l'ami  ou  l'ennemi  de  Dieu  : 
Diliges  JJominum  Deum  tuitm  ex  loto  corde 
luo,  et  ex  lola  mente  tua,  et  ex  Iota  fortitu- 
dine  tua.  (Deut.,  VI,  5.)  Or,  un  prêtre  avare 
peut-il  dire  avec  vérité  qu'il  aime  Dieu  de 
tout  son  cœur,  de  toute  son  àme  et  de  tou- 
tes ses  forces?  Peut-il  assu!er,sans  mentir 
à  sa  conscience,  que  ses  iieiisées,  ses  sen- 
timents, ses  craintes,  ses  désirs,  ses  solli-, 
citudes  se  dirigent  sans  cesse  vers  Dieu,  et 
ne  s'arrêtent  jamais  aux  choses  de  la  terre? 
qu'il  ne  travaille,  qu'il  ne  pioche,  qu'il 
n'administre  les  sacrements  que  pourgl-o- 
riher  Dieu  et  non  pour  accroître  sa  fortune? 
que  les  intérêts  de  la  religion  et  le  salut 
desûmes  le  touchent  [ilus  que  les  avanta- 
ges pécuniaires  qui  lui  reviennent  de  ses 
fonctions?  qu'il  aimerait  mieux  perdre  sa 
rétribution  et  ses  honoraires  que  de  nuire, 
en  les  exigeant  avec  trop  d'avidité,  à  l'œu- 


:^r> 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL, 


7o6 


vre  de  D.ieu  et  8ir  progrès  de  l'Evangile? 
qu'il  préférerait  s'exclure  è  jamais  de  l'au- 
lel  que  d'y  monter  une  seule  fois  par  l'u- 
nique motif  de  l'aumône  allachée  à  la  cé- 
lébration di  plus  saint  des  mystères? 

Car  voilà  les  sentiments  d'un  prêtre  qui 
aime  véril;;b!ement  Dieu:  il  le  profère  à 
tout,  et  il  regarde  avec  i'Apôlre  l'or,  l'ar- 
gent et  les  choses  d'ici-bas  comme  viles 
e!  méprisables  :  ArOitror  ut  stercora  (Phi- 
lip ,  111,  8.)  et  il  s'écrie  avec  le  Prophète  : 
Qiiid  mihi  est  in  cœlo  et  a  te  quid  volui  super 
terrain?  {Psal,  LXXll,  25.)  Qu'y  a-t-il  dans 
le  ciel  et  sur  la  terre  qui  mérite  rnon 
.iniojr,  sinon  vous,  ô  mon  Dieu?  et  en  qui 
pourrais-je  placer  ma  confiance  et  mon 
bonheur,  sinon  dans  celui  qui  est  l'unifiur! 
source  du  bonheur  et  de  la  p;iix,  et  qui 
j)eut  seul  remplir  l'imuiensité  de  mes  dé- 
sirs? Mais,  héhis  1  sonl-ce  là  les  sentiments 
d'un  prêtre  avare? 

L'amour  de  Dieu  nous  fait  soupirer  sans 
cesse  api  es  ta  possession  de  son  royaume, 
et  nous  fait  dire  chaque  jour  avec  respect 
et  confiance  :  Advenial  regnum  luum  [Matlh., 
VI,  10);  et  si  le  Seigneur  veut  que  nous  de- 
mandions aussi  le  pain  matériel,  nécessaire 
è  noire  subsistance,  ce  n'est,  vous  le  savez, 
que  comme  un  moyen  de  mériter  le  pain 
incorruptible  qui  nourrira  les  élus  dans 
Féternilé  :  c'est-à-dire,  Messieurs,  que  s'il 
est  permis  de  désirer  et  de  rechercher  avec 
modéralion  les  biens  de  cette  vie,  ce  n'est 
pas  pour  eux-mêmes,  l'our  en  faire  le 
centre  et  le  terme  de  nos  atfections,  mais 
comme  un  moyen  de  nous  attacher  à  l'au- 
teur de  toutes  choses,  de  vivre  pour  lui,  de 
travailler  pour  lui,  de  remplir  ses  volontés 
sur  la  terre,  dans  l'attente  des  richesses 
immortelles  qu'il  nous  destine  dans  son 
royaume. 

Mais,  je  le  répète,  sont-ce  là  les  senti- 
ments d'un  prêtre  avare  qui  n'aime  et  ne 
•lésire  l'argent  que  pour  l'argent  lui-même  ; 
qui  y  cherche  sa  satisfaction,  son  repos, 
son  bonheur  ;  qui  en  fait  l'objet  principal 
de  ses  pensées,  de  ses  ailections,  de  ses  tra- 
vaux, de  ses  sollicitudes,  sans  songer  une 
ce  détestable  attachement  qui  le  domine 
est  appelé  par  l'Apôtre  une  espèce  d'idolâ- 
trie, idblorum  servitus  {Ephes.,  V,  5)  ?  Il  est 
écrit  que  les  Israélites,  ayant  abandonné  le 
véritable  Dieu  ,  poussèrent  l'aveuglement 
jusqu'à  se  faire  un  veau  d'or  et  à  l'adorer. 
i.a  voilà,  le  Dieu  de  l'avare,  l'oret  l'argent  ! 
ïin  effet,  les  hommages  que  les  païens  ren- 
daient à  leurs  idoles,  l'avare  ne  les  rend-il 
pas  à  son  argent?  Il  le  respecte,  dit  saint 
<jlrégoire  de  Nazianze;  il  n'ose  y  toucher; 
lise  contente  de  l'admirer.  Quel  opi)robre 
pour  un  cœur  né  plus  grand  que  l'univers  I 
Ame  immortelle  1  à  quoi  t'abaisses-tu  1  Le 
Oéateur  t'a  élevée  au-dessus  de  tous  les 
êtres  d'ici-bas,  et  tu  ne  rougis  ()as  de  le 
mettre  au-dessous  d'une  vile  matière  i'tu  es 
faite  pour  commander  à  toutes  l'es  créatu- 
res, et  tu  souffres  qu'un  peu  de  boue  te 
tiominel  lu  ne  touches  la  terre  que  du  bout 
des  pieds  ;  tes  yeux  élevés  en  haut  t'aver- 


tissent de  la  noblesse  de  ta  destinée,  et  ta 
te  rabaisses  jusqu'à  la  f)lacer  dans  un  mé- 
tal grossier  qui  doit  durer  moins  que  loi! 
O  ravage  du  péché  d'origine!  ô  dégradation 
de  l'espèce  humaine! 

Quand  on  réfléchit  sur  la  plaie  profonde 
que  ce  péché  nous  a  faite  et  sur  le  penchant 
violent  qu'il  a  fait  naître  en  nous  pour  les 
choses  créées,  on  est  plus  affligé  qu'étonné 
(le  voir  les  gens  du  monde  si  avides  et  si 
passionnés  pour  l'argent.  C'est  là,  en  effet, 
le  grand  moyen  de  contenter  tous  les  dé- 
sirs de  la  concupiscence  :  avec  l'argriit  on 
satisfait  les  passions;  avec  l'argent  on 
brille,  on  intrigue,  on  parvient  aux  places 
et  aux  dignités;  l'argent  est  le  mobile  de 
tout;  esl-ii  étonnant  qu'il  soit  dans  le 
monde  la  passion  de  tous? 

Mais  que  celte  passion  se  trouve  aussi 
dans  un  prêtre,  qui,  en  entrant  dans  le 
sanctuaire,  a  renoncé  à  toutes  les  concu- 
piscences du  monde  pour  s'attacher  unique- 
ment à  Dieu  ,  dans  un  prêtre,  qui  a  dit  aux 
pieds  des  autels,  d'une  manière  si  solen- 
nelle :  Dominus  pars  hœredilatis  tnecs,  et 
calicis  met  [Psal. \V,  $) ,  voilà  ce  qui  doit 
non-seulement  étonner,  mais  arracher  des 
larmes.  Vous  le  savez.  Messieurs, au  moment 
de  notre  consécration  chacun  de  nous  a  dit  : 
Oui,  mon  Dieu  !  je  renonce  de  grand  cœur, 
pour  vous  servir  avec  plus  de  liberté,  à  tou- 
tes les  espérances  du  siècle  et  à  toutes  les 
jouissances  de  celte  vie;  je  n'ambitionne 
d'autres  biens  que  ceux  de  votre  royaume  : 
vous  seul  serez  désormais  ma  portion  et 
mon  héritage.  O  portion  précieuse  t  ô  hé- 
ritage magnifique!  IJœreditas  mea  prœelara 
est  mihi,  [unes  ceciderunt  mihi  in  prœclaris 
{Ibid.,  (3.) 

Après  un  engagement  si  sacré,  un  prêtre 
ira  s'attacher  à  des  richesses  périssables,  à 
une  fortune  de  boue  !  et  s'il  vient  à  en  être 
privé,  quel  sera,  je  vous  prie,  sa  ressource 
et  sa  consolation?  Un  bon  prêtre  qui  souf- 
fre les  privations  altachées  à  l'indigence 
rappelle  avec  joie  et  avec  confiance  que  Dieu 
lui  a  promis  de  ne  point  l'abandonner  : 
Jpse  enim  dixit,  non  te  descram.{IIebr,  Xlll, 
5).  Mais  quelle  est  la  confiance  d'un  prêtre 
avare.?  l'argent  qu'il  possède  ou  qu'il  espère 
gagner  :  mais  lorsque  ce  l'rèle  appui  lui 
manque,  le  voilà  plongé  dans  l'abattement 
et  le  désespoir. 

Comment  un  prêtre  oso-t-il  prononcer 
chaque  jour,  dans  ce  grand  nombre  de  priè- 
res dont  l'Eglise  lui  a  imposé  la  récitation, 
les  expressions  les  plus  biûlantes  de  l'amour 
divin,  tout  en  conservant  au  tond  de  son 
cœur  une  attache  honteuse  pour  l'argent? 
Nemo  polest  sercire  Deo  et  mammonœ.{Luc., 
XVI,  13.)  Jugeons-nous,  Messieurs,  d'ai)rès 
ce  grand  principe,  ei  il  est  infaillible.  On  ne 
peut  pas  avoir  deux  maîtres  :  Est-ce  Dieu 
(jui  est  le  nôIre,  ou  l'argent? 

Je  sais  sans  doute  que  toute  avarice 
n'éteint  pas  l'amour  divin;  qu'il  y  a  dans 
ce  vice,  comme  dans  les  autres,  différents 
degrés,  et  qu'on  ne  devient  gravement  et 
uiortolleœeût  coupable,  que  lorsque  l'amour 


757 


(les  bioiis  ciét^s  ilomiiic  dans  le  cœur  et 
rerïipoilo  sur  l'amour  clo  Dieu.  Mais  à  quels 
signes  neut-oii  connaître  quel  est  celui  do 
ces  deux  auiours  qui  maîtrise  notre  âme? 
Il  est  souvent  bien  didicile  de  le  discerner  : 
le  cœur  de  l'Iiomuie  est  un  abîme  dont  Dieu 
seul  peut  sonder  les  profondeurs.  IMais,  du 
reste,  le  seul  doute  sur  cet  article  doit  nous 
i'a:ro  trendjier  et  nous  déterminer  à  nous 
ouvrir  avec  franchise  à  un  confesseur  pieux, 
qui  ait  reçu  le  don  de  sagesse  et  de  conseil. 
Craignons,  mes  cliers  confrères,  l'aveugle- 
ment de  ce  prùlre  dont  parle  VApocaltjpse , 
qui  avait  une  apparence  de  régularité  et  de 
vertu,  et  qui  cependant  était  mort  aux  yeux 
de  Dieu! 

Pour  connailre  là-dessus  noire  innocence 
ou  notre  culpabilité,    ap[)liquons-nous  à 
nous-mêmes   un   principe  dont  nous  nous 
servons  pour  éclairer  la  conscience  deslai- 
(jues.    Quand  on  aime  souverainement  un 
objet,  leur  disons-nocs  ,    on  y    pense  fré- 
quemment et  avec  plaisir  ;  on  le  désire  avec 
ardeur  ;  on  travaille,  on  souffre,  on  se  gène 
pour  l'obtenir  ;  on  surmonte    avec  courage 
1-es  obstacles  qui  en  retardent  la  possession  ; 
on  n'est  content,  on  n'est  Iranquilleque  lors- 
qu'on tient  cet  objet  chéri.  Maintenant,  vé- 
nérables confrères,    rentrons  en  nous-mê- 
mes et  soyons  de   bonne  foi  :  à  quoi   pen- 
sons-nous le  plus  souvent  et  avec,    plus  de 
Iplaisir?  est-ce  à  Dieu  ou  éi  l'argent? Qu'est- 
ce  que  nous  désiions    uvec  jilus  d'ardeur? 
est-ce  Dieu  et  son  royaume,  ou   l'argent  et 
les  possessions  de  !a  terre?   Pourquoi   tra- 
vaillons-nous?    pourquoi    soutirons-nous? 
pourquoi  nous  gênons-nous  iousles  jours  ? 
est-ce-  î^our  Dieu  ou  pour  l'argent?  Faisons- 
nous  chacun  à  nous-mêmes.  Messieurs,  ces 
mêmes  questions,  etnous  connaîtrons  peut- 
êire  si  c'est  l'amour  de  Dieu  ou  l'amour  do 
l'argent  qui  domine  dans  notre  cœur.   Une 
âu)e   qui  aime    véritablement   son  Dieu  se 
jilaît  à  s'occuper  souvent  de  lui,  et  surtout 
dès  le  matin,  selon  res()ression  du  Prophè- 
te :  Jn    inatutinis  mcdilabor    in   te.   (  Psal. 
LXIl,  7.)  Or,  qu'elle  est  la  [)reuiière  pensée 
qui  d'oriiinaire  saisit  un  avare  au   moment 
de  son  réveil?  telle  économie    à  faire,  telle 
dépense  à  éloigner,  telle  dette  à  faire  payer, 
telle  somme  à  placer,    telle    enlre[)rise,  tel 
conunerce   où    l'on    peut  trouver  quelque 
l)rolil;  et  quelles  sont  les  pensées  qui  l'oc- 
cupent le  reste  de  la  journée?    les    mêmes, 
qui  ne  le  quittent  jamais,   qui  l'absorbent 
tout  entier  et  ne    lui   i)ermetteut  que  bien 
rarement  d'élever  son  cœur   à  Dieu   et  de 
penser  5  son  royaume  :  nù  est  le  trésor  de 
l'avare,  a  dil  Jésus-Christ  ,    se    trouve    son 
cœur:  L'bi  est  thésaurus  luus ,    ibi    est    cor 
tuum.  {Matth.,  \  1,  21.) 

Nénérables  confrères,  ce  portrait  sans 
doute  n'est  a()plicable,  du  moins  dans  tous 
Ses  traits,  à  aucun  de  nous.  Mais  n'y  eut-il 
qu'une  légère  ressemblance,  ne  serait-ce 
pas  assez  pour  nous  faire  rougir,  nous  qui 
devons  aimer  Dieu  par  devoir  et  par  recon- 
naissance bien  |)lus  (jue  les  simples  fidèles, 
uarcc  que  nous  devons  répondre  à  la  sain- 


RETRAITE.  —  liNSTRUCT.  XI,  SLR  L'AVARICE.  758^ 

Iclé  de  notre  vocation  et  nous  rendre  dignes 


des  sublimes  fonctions  qui  nous  sont  con- 
liécs.  Or,  vous  le  voyez,  l'amour  de  l'argent 
est  direcleuiont  opposé  au  premier  princip» 
de  notre  vocation  au  christianisme,  et  de 
noire  vocation  au  sacerdoce,  (jui  esll'amour 
de  Dieu.  Mais  l'avarice  n'est  seulement  pas 
criminelle  dans  sa  nature,  parce  (ju'ell© 
contiaric  dans  un  [)rêtre  les  sentiments 
d'amour  cpi'il  doit  avoir  pour  sou  Dieu, 
mais  encore  parce  qu'elle  est  en  opposition 
avec  l'esprit  et  les  maxinies  de  l'Evangile, 
et  avec  les  exemples  du  divin  Sauveur. 

Je  dis  d'abord  (|uo  cette  passion  est  en 
o|iposition  avec  l'esprit  et  les  maximes  do 
l'Evangile.  C'est  en  elfet,  par  ces  immor- 
telles paroles  :  Beuti  pauperes  {Mullli.,\ ,  3), 
que  Jésus-Christ  commença  ce  sublime  et 
touchant  discours  qu'il  prononça  sur  la 
montagne,  et  qu'il  adressa,  remarque  le. 
texte  sacré  à  ses  disciples,  c'est-à-dire  à 
nous-mêmes,  dans  la  personne  de  ses  apô- 
tres ;  et  connue  cette  [)auvreté  de  cœur  est 
indispensable  pour  le  salut,  les  plus  riches 
peuvent  l'acquérir  puisqu'elle  n'exige  que 
le  détachement  et  uuu  l'abandon  des  biens 
de  la  terre. 

Je  ne  vous  rappellerai  pas,  vénérables 
confrères,  que  toute  l'économie  de  la  reli- 
gion se  fonde  sur  l'amour  de  la  croix,  et 
par  conséquent  sur  le  renoncement  aux  j)lai- 
sirs  de  la  terre,  le  détacliement  des  riches- 
ses et  des  biens  de  ce  luonde  ;  en  un  mot, 
sur  l'abnégation  de  soi-même.  Vous  savez 
que  la  morlilicalion  est  essentielle  à  la  via 
chrétienne,  et  qu'elle  l'est  bien  davantage 
à  la  vie  sacerdotale;  que  nos  passions  et 
toutes  nos  inclinations  doivent  être  soumi- 
ses à  l'entpire  de  Jésus-Christ  :  (^ue  sunt 
Chrisli  carnem  suam  crucifixerunt  cuiavitiis 
et  concapiscenliis  {GaUit.,V ,  i24)  ;  ipje  celte 
morlilicalion  est  nécessaire,  oporluit  pâli 
Chriscam  {Act.,  XVll,  3);  (jue  la  possession 
du  ciel  y  est  attachée,  et  ita  intrare  in  glo- 
riam  suutn  ;  que  si  nous  voulons  marcher  à 
la  suite  du  Sauveur,  il  nous  faut  suivie  la 
route  qu  il  nous  a  lui-même  tracée,  qui 
vull  ventre  posC  me  abneget  semetipsuin  et 
tollat  crucem  suam  et  sequatur  me  [Luc,  IX,, 
23);  et  que  chaque  prêtre  doit  pouvoir  s'ap- 
pliquer ces  uiéujorables  paroles  :  Mihiautem 
ubsit  (jloriari,nisi  in  cruce  Domini  (Galat., 
Vl,  l4)  :  paroles  qui  dans  la  bouche  d'uu 
prêtre  opulent  sont  une  dérision  et  un  blas- 
phème. Mais  qu'ai-je  besoin  de  vous  rap- 
peler ici  ces  maximes  générales  de  la  vie 
chrétienne?  nous  avons  dans  nos  divines 
Ecritures  assez  de  textes  sai;rés  qui  flétris- 
sent et  condamuenlles  richesses  etceuxqui 
les  possèdent,  et  font  l'éloge  de  la  pauvreté 
sans  recourir  à  des  i)reuves  indirectes,  qui 
n'en  sont  ce()endaiU  pas  moins  frappantes  : 
car  est-il  possible  de  concilier  avec  l'amour 
del'argerU  ce  renoncement  intérieur  dont 
Jésus-Christ  nous  fait  un  précepte? 

Oui,  vénérables  confrères,  l'esprit  du. 
christianisme  et  l'esprit  sacerdotal  surtout» 
est  un  esprit  de  pauvreté  et  d'aiiéanlisse- 
ment  :  c'est  pour  cela  que  notre  diviu  Mcù- 


IhQ 


ORATELÎIS  SACRES.  MAIJREL. 


700 


Irft    voulant,  comme  il   le  (lit    lui-même, 
remplir  sa  maison,  wM'mp/enfMr  domus  mca 
(Lïtc,  XIV,  23)  ,  ordonne  h   ses   serviteurs 
d'aller  lui  chercher  tous    les  misérables  :  il 
so  jilaîl  lui-même  h  en  faire   le   dénombre- 
ment :  Allez  da.ns  les  rues   de    la  ville,    eœi 
cito,  et  amenez-moi  les  pauvres,   les    inOr- 
nies  et  les  aveugles,  pauperes  ac   dchiles    et. 
cmcos  et  claudos  introduc  hue,    {Ibid  ,  21  ) 
Jésus-Christ    ne    veut    dans  sa  maison  que 
des  pauvres;    aux  f)auvres    seuls  il  fait  uu 
a[ipel.  Que  dis-je,  Messieurs?    il   nous   an- 
nonce lui-Miôiue  que  c'est  aux  pauvres  que 
sa  divine  missions'adresse  :  Je  suisenvoyé, 
dit-il,  pour  annoncer  l'Evangile  aux  pau- 
vres: Evangelizarepciuperibus.  (Z,mc.,IV,18.) 
Que    I  ensez-vous  ,  vcnéiabhs   confrères  , 
d'une  telle  prédilection  ?    Combien  le  mé- 
rite de  celle  i)auvreté  intt^rieure,  si  rehaus- 
sé par  le  lémoignagedu  Sauveur,  doit  être 
grand    et  précieux  à    nos    yeux!    Petisez- 
vous  qu'après  avoir    peuplé    sa  maison  de 
pauvres,  il  veuille  [leui  1er  son  sanctuaire 
de  riches;  puisque  la  |)eifoctiou   chrélicnno 
exige  le  reiioncemeut  aux  richesses,  que  no 
doit  pas  exigerla  |)erfec(ion  sacerdotale  ?   Il 
semble  que  les  privilèges    et  les  grâces  de 
l'Evangile  soient   dévolus   aux   pauvres  de 
Jésus-Christ,  qui   sont    |)!us    spécialeuieut 
les  enfants  de  Dieu,  dit  le  Prcjplièle,   pau- 
peres tuos  {Psal.    LXXI,  2)  ;  il  nous  assure 
encore  que  lo  pauvren'est  pas   dansl'oubli 
pour  toujours  :  Non    in  finein  oblivio   erit 
pauperis  {Psul.   IX,  19);    que  le   Seigneur 
s'est  fait  son  refuge,    son    soutien,  et  qu'il 
veille  sui' lui  :  Oculi   cju.i  in  paupcrcm  res- 
piciunl.  [Psal.  X,  9.)   Vous    savez  tous    la 
louchante  parabole  du  Lazare;  qu'elle  fut 
la  glorieuse   récompense  que    sa  pauvreté 
lui  valut,  et  quel  lut  le  tombeau  du  riche  : 
Morluus  est  aulein  et  dives  et  sepultus  est  in 
inferno.  (Ittc,  XVI,  22.)  Nous  n'en  serons 
j)as  surpris  si  nous  nous  rappelons  que  le 
principal  obstacle  au  salut  est   l'amour  des 
richesses  et  la  détestable  [)assiou  de  l'ava- 
rice. Vous  savez  en  quels  termes  notre  di- 
vin Maître  s'en  est  expliqué,  en  disant  qu'il 
est  bien  difficile  qu'un  ricliese  sauve  :C|uam 
difficile  est  qui  pecuniam  liabent,   inlroibunt 
in  regnuml/ei.(Luc.,X\lU,  2i.)  [ilailleuis, 
reproduisant  la  même  pensée,   il  emprunte 
une  image  vulgaire   pour  frapper  à  la  fois 
notre  esprit  et  nos  sens  :  FacÙius  est  came- 
lum  pcr  foramen  acus  iransire  quam  divites 
inirare  tn  regnum  Dei.  {MuUh.,  XiX,    2i.) 
11  semble  que  le  royaume  céleste    soit    ac- 
(juis  aux  pauvres  [lar   uu  droit  spécial  ;    et 
vous,  riches,  quelle  part  aurez-vous   dans 
sou    royaume?    Aj)|)reiiuz-le ,     vénérables 
confrères,  de    la   IJouehe  de  Jésus-Christ: 
vce  vobis  divilibus.  (Luc, VI,  24.)  Tremblez, 
prêtres  opulents,  qui  mettez  votre  bonheur 
dans  les  richesses  ;  c'est  contre  vous  que  ce 
terrible  anathème  a  été  prononcé. 

La  misère  et  l'opulence  sont  deux  grands 
éeueils  pour  le  saiut  :  Tune  expose  à  l'in- 
'ustice  et  au  désespoir,  l'autre  à  l'orgueil 
et  à  la  volupté  ;  tt  toutes  les  deux,  à  l'oubli 
de    Uitu   et   des  biens  éternels.  Aussi,  le 


f)lus  sage  des  hommes  se  bornait-il  à  de- 
mander une  honnête  médiocrité,  c'est-à-dire 
le  nécessaire  pour  vivre,  ()ue  Dieu  ne  re- 
fusa jamais  à  ceux  qui  l'adorent  et  le  ser- 
vent :  Non  vidi  jusSum  dcrclictwn.  [PsvL 
XXX VI.  25). 

Oui,  vénérables  confrères,  malheur  aux 
riches,  h  ceux  qui  s'attachent  à  leur  opu- 
lence, et  à  ceux  qui  murniureiit  dans  leur 
pauvreté.  Mais  heureux  celui  qui  n'a  d'au- 
tres désirs  que  ceux  de  Salomon  !  et  bien 
[■lus  heureux  celui  (jui  n'a  aucun  désir 
pour  les  biens  de  ce  monde,  qui,  soit  dans 
l'indigence  soit  dans  la  richesse,  est  pauvre 
d'ail'eclion,  e'esl-à-dire  détaillé  des  biens  do 
la  terre,  de  ces  biens  doul  la  possession, 
dit  saint  Bernard,  est  une  charge,  l'amour 
une  souillure,  et  la  perle  un  tourment  î 
Possessa  ancrant,  antala  inquinant,  amissa 
cruciant. 

Heureux  celui  qui,  content  ue  son  sort, 
même  au  sein  de  la  pauvreté,  vil  exempt 
d'anxiété  et  d'inipiiélude  pour  l'avenir,  et 
sans  négliger  les  précautions  de  la  pru- 
dence chrétienne,  ce  qui  serait  tenter  Dieu, 
so  rei)Ose,pour  sa  subsistance,  sur  les  soins 
paternels  de  celui  qui  nourrit  les  oiseaux 
du  ciel  el  revêt  les  lis  des  champs  I  Si  la 
providence,  disait  Jésus-Christ  à  ses  disci- 
ples ,  s'étend  aux  animaux  ,  même  aux 
créatures  insensibles,  quels  soins  ne  fireu- 
dra-t-elle  pas  de  vous,  qui  êtes  ses  enfants, 
ses  amis,  ses  ministres?  quanto  mugis  vos 
pusiUœ  fidci?  {Luc,  XXVllI ,  28.)  Ne  soyez 
donc  pas  comme  les  païens,  en  sollicitude 
pour  votre  nourriture  et  vos  vètenieuts  : 
Nolile  soUiciti  esse  quid  manducetis ,  neque 
quid  induamini.  [Matlli  ,  VI,  3'i-.)  Croyez- 
vous  que  votre  Père  céleste  ignore  vos  be- 
soins, el  ne  soi!  pas  disposé  à  vous  secou- 
rir? Ahl  cherchez  donc  avaent  tout  son 
royaume  et  sa  justice;  prêchez  son  Evangile, 
enseignez  sa  loi,  faites  connaître  et  g'orifier 
son  nom;  sa  main  paternelle  pourvoira  à 
toutes  vos  nécessités,  et  les  secours  vous 
arriveront  par  des  moyens  peut-être  que 
([ue  vous  n'auriez  pu  soupçonner  :  el  hœc 
omnia  adjicienlur  vobis.  (Ibid.,  33.) 

Comment  se  peut-il,  mes  chers  confrères, 
que  nous  rap[)elions  sans  cesse  au  [leuplo 
cette  belle  promesse,  et  que  nous  y  comp- 
tions si  peu  nous-mêmes,  nous  qui  en 
avons  fait  si  souvent  la  constante  expé- 
rience? Rappelons  lesé|ioques  les  plus  pé- 
rilleuses de  noire  vie;  Dieu  nous  a-t-il  man- 
qué ?  Dans  ces  temps  désastreux  oii  le 
schisme  et  l'impiété  étendaient  leurs  rava- 
ges sur  tous  les  points  de  notre  infortunée 
patrie,  et  qui  nourrissait  celte  multitude 
de  prêtres  tidèles  cachés  dans  les  bois  et 
les  cavernes,  ou  jetés  dans  les  prisops 
et  les  cachots  ?  N'est-ce  pas  la  main  de  la 
Providence?  Et  ceux  que  la  perséculioM 
avait  dispersésdans  des  contrées  lointaines, 
souvent  chez  des  peuples  ennemis  de  notre 
croyance,  comment  &ul)sistaient-ils,  sinon 
par  les  soins  de  ce  même  Di'îu  pour  lequel 
ils  soulfraienl  ?  Vétérans  de  la  milice 
sainle,  ne  cessons  de  rucontcr  aux  jeunes 


7GI 


RETUAITE.  —  INSTUUCT.  \1,  SUU  L'AVARICE. 


762 


,nil»!ètcs  (|ni  r.oiis  suivent  les  merveilles 
d'une  Pruvidt'iice  qui  ii'.-ibaiitlonnc  jamais 
cou\  qui  s'allaclionl  à  elle;  ou  si  elle  seiii- 
l)lft  les  délaisser  pour  un  nionienl,  en  les 
livrant  au  i^iaive  do  riMii)iélé,  ce  n'est  que 
|)Our  lulier  la  fin  de  leur  soutTrance,  el  les 
recevoir  dans  un  lieu  où  il  n'y  aura  ni  be- 
soins, ni  craintes,  ni  anxiétés.  Concluons 
donc  avec  saint  Paul,  ce  grand  interprète 
de  la  doctrine  de  Jésns-Cliiisl  :  Sinl  mores 
sine  avaritia ,  coulenii  prœseiitibus;  ipse 
cnim  dixil,  non  le  descrani,  neque  derelin- 
q'iam.JIebr.,  Xlll,  5.) 

Mais  ce  n'esl  pas  seulement  par  ses  niaxi- 
Uies  (jue  Jésus-Christ  nous  a  enseigné  l'es- 
prit de  pauvreté  :  c'est  suitout  (lar  Sfs 
exemples,  qui  ont  môme  précédé  sa  doc- 
trine- ;  cœpit  fdccre  et  docere.  {Act.y  1,1.)  Con- 
lem])lons  sa  naiss;.nce,  suivoiis  le  cours  dt; 
sa  vie,  fixons  nos  re^iards  sur  sa  croix,  et 
nous  verrons  la  vérilc  des  jjaroles  de  saint 
Bernard  :  Panpcrin  nalivilale,  pauperior  in 
vita,  paupcrrintus  in  cruce ;  et  nous  con- 
clurons avec  rAj'ôlre  (jue  si,  de  riche  (lu'il 
était,  il  s'est  rendu  volontairement  si  pau- 
vre, c'est  afin  de  nous  enrichir  de  son  indi- 
gence, ut  illius  inopia  vos  divilcx  esselis. 
(il  Cor.,  VI il,  3.) 

Connue  Dieu,  il  est  le  maître  aljiolu  de 
tous  les  biens  ;  comme  homnio,  il  est  le  lils 
des  rois  de  Juda,  et  pourtant  il  n'a  rien 
possédé  sur  la  terre  :  en  venant  au  monde, 
il  ne  trouve  pas  une  maison  ouverte  pour 
le  recevoir;  son  habitation  est  une  étable, 
et  son  berceau  une  crèche?  Que  dis-je?  on 
vient  le  poursuivre  jusque  dans  ceite  ché- 
live  demeure,  et  il  est  lorcé  de  s'exiler  ;  il 
ne  rentre  dans  sa  patrie  qu'en  se  cachant 
coiriuie  un  coupable;  et  où  se  cache-t-il  ? 
dans  l'asile  d'un  modeste  aitisan  ,  où  il  vit, 
comme  un  homme  obscur,  du  p.roduit  de 
son  travail.  Et  lorsque  les  fonctions  de  son 
ministère  ne  lui  permettent  [las  le  travail 
des  mains,  comment  subsiste-il?  d'aumô- 
lies,  lui  qui  faisait  des  miracles  pour  nour- 
rir des  milliers  d'atl'amés.  Quelle  est  sa 
demeure?  Viilpes  foveas  habenl,  et  volucres 
cœli  mdos;  Filius  aulein  lioininis  non  habet 
ubi  caput  reclinet.  (Match.,  Vill,  20.)  Mais 
c'eslsurlout  sur  la  croix  quesa  |)auvreté  est 
extrême  :  il  a  perdu  jusqu'à  ses  vêtements, 
d.  venus  la  proie  de  ses  ennemis;  il  meurt 
réellement  détaché  de  la  terre;  au  milieu 
de  sa  nullité  et  de  ses  ojiprobres,  de  l'abandon 
de  ses  disciples  et  même  de  son  Père  ;  il 
nous  répèle  par  son  exemi)le  ce  qu  il  avait 
déjà  dit  de  bouche  :  Qui  non  renunliat  om- 
nibus quœ  possidel,  non  potest  meus  esse  dici- 
jjulus.  [Luc,  IV,  33.) 

Jésus-Christ  naquit  pauvre,  il  vécut  et 
mourut  pauvre.  Or,  mes  chers  confrères, 
voulez-vous  ôlie  plus  riches  que  Jésus- 
Christ,  notre  divin  modèle?  Vous,  ministre, 
d'un  Ûieu  né  dans  un  étable,  mort  sur  une 
cioix  ;  d'un  Dieu  qui  de  riche  qu'il  était 
s'est  rendu  volontairement  pauvre,  qui  n'a 
pas  eu  dans  sa  vie  morteTle  de  quoi  reposer 
sa  tête,  et  qui  semble  n'être  descendu  du 
ciel  que  pour  inspirer  par  ses  maximes  et 


ses  exemples  l'amour  de  la  [)auvreté  el  fou- 
drover  les  richesses. 

Nous  ne  cessons  de  prêcher  que  c'est  là 
le  grand  modèle  que  tout  chrétien  est  tenu 
d'imiter,  (pi'il  n'y  a  point  de  salut  sans 
cette  imitation.  Nous  croirions-nous,  prêtres 
de  Jésus-Christ,  dispensés  d'être  chrétiens? 
Lors(jue  le  démon  de  l'avarice  se  présen- 
tera à  la  porte  de  notre  cœur,  lorsijiK;  l.i 
tentation  du  méconlent(Mnent  et  du  mur- 
mure cherchera  à  y  entrer,  allons  nous 
prosterner  devant  la  croix  de  Jésus  Chiisl, 
et  là  piaig'ions-nous,  si  nous  l'osons,  de 
iiotie  indigence!  Hé,  Messi(>urs,  n'est-ce 
pas  parce  (jue  nous  étions  si  fort  éloignés 
de  l'exemple  de  notre  Maître,  qu'il  a  ()eruiis 
que  le  patrimoine  de  son  Eglise  ail  été  dis- 
persé, et  soit  passé  dans  les  mains  de  ses 
ennemis?  L'hérésie  du  xvi'  siècle,  en  usur- 
pant les  richesses  du  sanctuaire,  n'allégua 
d"aulre  prétexte  que  l'usage  profane  (.\non 
en  faisait.  «  Et  que  sais-je,  s'écriait  un  siè- 
cle après  un  orateur  célèbre,  si  le  inême 
abus  qui  règne  parmi  nous  n'attirera  pas 
un  jour  à  nos  successeurs  la  môme  peine, 
el  si  la  justice  de  Dieu  ne  permettra  pas 
que  des  biens  sacrés,  dont  l'usage  déshonore 
si  fort  notre  Eglise,  soient  livrés  aux  ennemis 
de  son  nom,  et  deviennent  la  [troie-de  Ihé- 
résie  ?  »  11  y  a  plus  de  cent  ans  que  ces 
paroles  ont  été  |)rononcés  dans  la  caiiitale 
de  ce  royaume,  et  il  en  a  trente  que  nous 
avons  vu  leur  'effroyable  accomplissement. 

C'est,  Messieurs,  par  ces  grandes  spolia- 
tions, si  souvent  répétées  depuis  la  nais- 
sance de  l'Eglise,  que  Dieu  rappelle  à  ses 
ministres  qu'ils  doivent  prêcher  l'amour  de 
la  pauvreté  plus  encore  parleurs  mœurs  que 
par  leurs  discours.  Ah!  loin  de  nous  plain- 
dre de  l'heureuse  indigence  que  Dieu  a  ré- 
pandue parmi  nous,  bénissons-le  de  nous 
avoir  fourni  [)ar  là  le  moyen  d'acquérir  les 
véritables  richesses,,  je  veux  dire  les  vertus 
sacerdotales:  l'humiliié,  la  patience,  la  mo- 
destie, l'amour  du  travail,  la  fuite  du  mon- 
de, le  dégoût  des  choses  d'ici-bas,  et  le  dé- 
sir de  ces  trésors  immortels  que  les  voleurs 
ne  peuvent  ravir,  ni  la  rouille  dévorer,  sui- 
vant 1  expression  de  l'Evangile. 

Quel  ne  serait  pas  notre  aveuglement  si, 
pressés  par  tant  de  motifs  de  nous  détacher 
de  ces  biens  fragiles  qui  perdent  lesenfanls 
du  siècle,  nous  cherchions  encore  cmme 
eux  à  nous  établir,  à  nous  fixer  sur  une  terro 
qui  va  s'écrouler  sous  nos  pieds,  à  acquérir 
des  possessions  qui  pourraient  nous  Oter  le 
goût  de  nos  devoirs,  en  faisant  aux  djpens 
des  pauvres,  et  [)eul-êlre  en  com[)romeltant 
la  décence  de  notre  état,  des  amas  d'or  et 
d'argent  qui  seraient  un  scandale  après  no- 
tre mort  I'/iu6en/es  alimenta,  el  quibus  Icga- 
mur,  his  contenlisimus.{l  Tim.,yi,  8.)  L'au- 
teur de  ces  paroles  ne  voulait  pas  mémo 
recevoir  les  dons  des  fidèles,  ([ui  nouris- 
saienl  les  autres  a|)ùlres  ;  il  vivait  du  travail 
de  ses  mains  el  i/rêchait  gratuitement  le  dé- 
tachement des  richesses.  Si  noire  |)osilion 
ne  nous  permet  pas  de  pratiquer  une  |)eiie- 
r!ion  si  sublime,  (^u'oa  voie  du  moins  (juo 


763 

nous  savons  nous  contenter  de  peu;  qu'on 
n'entende  jamais  sortir  de  noire  bouche  ces 
plaintes  indécentes  (]ui  n'ont  d'autre  résul- 
tat que  d'éloigner  la  confiance  de  nos  peu- 
ples, et  d'ané;inlir  aupiès  d'eux  les  fruits 
de  notre  niinislère.  Prêchons  Dieu,  et  non 
pas  nos  besoins;  et  s'ils  vont  jusqu'à  nous 
niellro  dans  l'impuissance  réelle  de  couli- 
nuer  nos  fondions  dans  le  f)0ste  qui  nous  a 
élé  assigné,  que  nos  supérieurs  soient  seuls 
dépositaires  l'e  nos  peines,  et  que  leurs 
s.iges  conseils  nous  aident  à  supiiortcr  avec 
patience  les  trihulations  attachées  à  l'exer- 
cice du  saint  minisière;  montrons-nous  dé- 
sintéressés, et  condamnons  plus  par  ni'S 
exemples  que  par  nos  |)aroIes  l'amour  de 
l'aigent,  directement  opposé  à  l'amour  de 
Dieu,  aux  maximes  de  l'Evangile,  comme 
aux  exemples  du  divin  Sauveur.  N'oublions 
pas  que  le  plus  grand  de  tous  les  maux  se- 
rait l'avarice,  dont  je  vais  exjioser  les  fu- 
nestes effets. 

SECONDE  PARTIE. 


Ecoutons  l'Espril-Sainl,  vénérables  con- 
frères, qui  a  pris  soin  lui-même  de  tracer  le 
porirait  de  l'avarice  :  liadix  omnium  malo- 
rum  cupidilas.  ([  Tim.y  VI,  10.)  Qui  volunt 
diviles  furi,  incidunt  in  tenlalionem  et  in 
laquemn  diaboli,  el  desideria  mulla  inutilia 
el  nociva,  quœ  mcryunt  homines  in  interitum 
et  perdilionem.  {lOid.,  9.)  Je  m'attacherai  à 
|>rendre  dans  ce  passage  reniarquable  deux 
liaits  principaux  qui  me  paraissent  répandre 
U!ie  vive  lumière  sur  tous  les  ravages  de 
cette  passion  détestal)le;  c'est  celte  multi- 
tude de  désirs  inutiles  et  nuisibles,  inutilia 
el  nociva,  dont  cette  passion  est  la  source, 
et  qui  sont  eux-mêmes  la  source  de  tant 
d'autres  maux. 

Oui,  Messieurs,  l'avarice  est  une  source 
inépuisable  de  désii's,  desideria  mulla:  ja- 
mais avare  n'a  dit,  c'est  assez;  el  cette  mul- 
titude de  désirs,  rA|)ôlre  les  appelle  d'a- 
bord inutiles.  El  pourquoi?  1°  parce  qu'ils 
ne  sont  jamais  [)!einement  remplis:  il  y  a 
toujours  quelque  obstacle cpji  les  contrarie, 
(|uelque  ii)écom|ite,  quelque  accident,  quel- 
que viohition  de  la  loi  promise;  en  un  mut 
quelque  conlrariélé,  soit  de  la  part  des  per- 
sonnes soit  de  la  pari  des  choses,  qui  dé- 
range les  projets  les  mieux  concertés  :  el, 
giûces  immortelles  vous  en  soient  rendues, 
v  mon  Dieu,  qui  le  (lermeltez  ainsi  jiour 
nous  éclairer  sur  la  fragilité  des  choses 
d'ici-bas!  nialheur  5  ceux  qui  rejettent  celte 
grike  et  ferment  les  yeux  à  cette  clarté  di- 
vine! 2°  Parce  que  ces  désirs,  fussent-ils 
pleinement  remplis,  ne  sulliiaienl  pas  pour 
rassasier  notre  cœur.  Ce  cœur  est  immense, 
mes  chers  confrères,  infiniment  plus  vasle 
que  toutes  les  possessions  de  l'univers. 
Pour  le  satisfaire,  dit  saint  Augustin,  il  lui 
faut  un  bien  infini,  c'est-à-diru  Dieu  lui- 
uième.  El  quel  aveuglement,  de  .chercher 
le  bonheur  hors  de  la  source  unique  du 
vrai  bonheur,  et  le  souverain  bien. hors  des 
véritables  richesses,  hors  des  perfections 
infinies  du  Roi  immortel  des  siècles  1  3"  Je 


ORATEURS  SACRES.  MALREL.  76i 

demanderai  à  un  prêtre  avare,  en  supposant 
qu'il  n'ait  pas  perdu  la  foi,  pourquoi  désirer 
les  richesses,  surtout  les  richesses  du  sanc- 
tuaire? Nous  savons  que  nous  ne  pouvons 
en  retirer  que  le  nécessaire  pour  notre  en- 
tretien, et  que  le  reste  ap[)arlicnt  aux  [mu- 
vres  par  justice,  ou  doit  leur  èlre  donné 
I)ar  charité.  Qu'importe  donc  que  nous 
avons  au  delb  du  nécessaire?  C'est  un  em- 
barras, une  charge  déplus:  car  nous  aurons 
à  rendre  comple  de  ces  biens  :  pauvres, 
nous  sommes  dispensés  de  donner;  riches, 
nous  y  sommes  tenus  sous  peine  de  dam- 
nation; pauvres,  nous  serons  pardonnes; 
riches,  nous  serons  condamnés,  parcel  pau- 
pcri  et  inopi,  et  animas  pauperum  salvas  fa- 
ciel.  [Psal.  LXXI,  13.)  A  quoi  sert  que  noiis 
ayons  plus  que  notre  voisin,  qui  a  seule- 
ment ce  qui!  lui  faut?  Nous  ne  sommes 
pas  t)lus  riches  [:our  cela,  puisque  nous  de- 
vons être  aussi  modérés  que  lui  dans  nos 
dépenses,  et  qu'à  la  fin  de  l'année  nous 
devons  trouver  .à  peu  p'ès  les  mêmes  lé- 
sultals. 

Je  sais  que  la  prudence  el  la  charité  ne 
coiidamnent  pas  quelques  légères  épargnes, 
que  le  mallieur  des  temps  ou  cirtaines  bon- 
nes œuvres  projetées  |)euvent  rendre  néces- 
saires. Mais  si  c'est  la  cupidité  qui  règle  ces 
é()argnes,  alors  l'accruissemenl  de  ces  ré- 
serves sera  un  accroissemeul  de  remords,  do 
troubles,  de  craintes,  d'anxiétés;  et  Dieu 
permettra  peut-être  que  ces  craintes  se  réa- 
lisent, qu'un  domestique  infidèle,  un  pare*;t 
avide,  un  assassin  [leut-ôlre,  viennent  ren- 
verser cet  édifice  de  fortune  (pii  avait  de  si 
beaux  commencenienls,  et  donnait  è  son 
auteur  de  si   brillantes  espérances. 

Quelle  honteuse  préoccupation  pour  un 
prêlre,  que  le  désir  de  posséder  et  d'accroî- 
tre ses  richesses.  Mais  combien  sont  vains 
et  criminels  les  efforts  qu'il  fait  pour  les 
augmenter!  Quoferai-je,  sodil-ilà  lui-même, 
quand  j'aurai  gagné  tel  procès,  réussi  dans 
telle  affaire,  amassé  telle  somme?  je  son- 
gerai à  l'augmonler  et  à  grossir  encore  ma 
fortune.  Et  ensuite?  je  m'occuperai  de  la 
consolider  et  do  la  garantir  de  loul  acci- 
dent. El  ensuile?je  dirai  à  mon  âme:  tu  as 
des  i)iens  en  abondance,  repose-toi,  el  jouis 
paisiblement  do  les  richesses,  sluUel  hac 
nocle,  animum  luam  repetunt  a  le:  quœ  (ui- 
tem  parasli  y  cujus  crunl?  [Luc,  Xli,  20.) 

Ces  paroles  sont  foudroyantes  [)our  un 
simple  tidèle;  mais  combien  ne  le  sont-elles 
pas  pour  un  prêtre  avaie  !■  C'est  bien  à  lui 
qu'on  peulapf)liquer  l'expression  si  énergi- 
que de  l'Espril-Saint,  stultc.  Insensé  1  cello 
nuit  i)eul-ôtre,  et  très-certainement  dans 
peu  d'années,  la  mort  viendra  vous  saisir 
au  sein  de  voire  abondance,  au  milieu  d3 
ces  projets  de  fortune,  dans  l'embarras  da 
tous  ces   moyens    peut-être    iniques,  qm 


vous  employez  pour  l'augnisnter.  Au  mi- 
lieu peut-être  de  ces  usures,  sinon  tcnijouis 
évidentes,  du  moins  palliées,  de  ce  négoce, 
de  ce  procès,  de  ces  voyages,  de  ces  agita- 
tions, de  cet  enlraineraent  de  cuj'idilé,  qui 
ne  vous  laissent  fias  un  seul  instant  pour 


765 


RKTUAITE.  —  INSrUlCT.  XI,  SLR  LAVARICE 


706 


pciisorh  Dieu  cl  h  I  éternité,  vous  closcon- 
drez  Jaiis  le  sein  de  la  terre  aussi  nu  (lue 
vous  en  ôles  sorti  ;  et  cette  fortune  qui 
vous  aura  coulé  le  salut  de  votre  Ame,  .^ 
qui  la  laisseroz-vous  ?  Quœ  autcm  parasli 
cujus  erunt  ?  A  qui?  A  des  parents  avides, 
ingrats,  qui  la  dissi[)eronl  sans  penser  à 
vous,  sans  remplir  peut-être  vos  dernières 
volontés;  quedis-je  ?  peut-être  en  insultant 
sur  votre  tombe  <>  vos  éparjines  sordides  et 
à  la  bassesse  de  votre  avarice;  à  des  pa- 
rents pour  qui  cette  fortune  sera  un  germe 
de  malédiction  ;  qui,  non-seulement  la  dis- 
siperont en  peu  de  jours,  mais  dont  elle 
entraînera  la  ruine.  Car  telle  est,  Messieurs, 
vous  l'avez  vu  cent  fois,  le  sort  des  fortunes 
ecclésiastiques  que  l'avarice  a  soustraites 
aux  pauvres,  à  qui  seuls  elles  apfiarle- 
naient  ;  telle  est  leur  destinée.  A  quoi  donc 
ont-L'lles  servi  au  prêtre  cupide,  el  à  des 
liériliers  plus  cupides  encore? 

Mais  les  désirs  de  l'avarice  ne  sont  i^as 
seulement  inutiles  à  notre  bonheur;  ils 
sont  de  plus  nuisibles  el  funestes  pour  le 
temps,  et  infiniment  plus  funestes  pour 
l'éternité.  Pourquoi  funestes  pourle  temjis? 
parce  que  non-seulement  ils  troublent  , 
agitent,  tourmentent  l'esprit,  le  cœur,  la 
conscience; qu'ils  empêchent  celte  heureuse 
liberté,  celle  douce  indépendance  que 
goûte  5  chaque  instant  un  prèlre  désinté- 
ressé qui  se  repose  sur  la  Providence,  et 
attend  bien  plus  de  ses  soins  paternels,  que 
l'avare  ne  peut  attendre  de  ses  propres 
sollicitudes;  mais  de  plus  parce  que  la  cu- 
pidité flétrit  la  réputation,  éloigne  ou  éteint 
l'estime,  la  considération  publique,  infini- 
ment supérieure  aux  richesses;  avilit,  dé- 
grede  le  saint  ministère  dont  nous  sommes 
chargés,  en  arrête  le  succès,  et  en  rend 
même  les  fonctions  odieuses.  Cet  insatiable 
amour  des  richesses  est  encore  funeste 
parce  qu'il  détruit  nécessairement  l'amour 
divin,  et  par  suite  l'amour  du  prochain, 
sui-tout  celui  des  pauvres;  parce  qu'il 
anéaniit  l'amour  des  devoirs  et  des  fonc- 
tions ecclésiastiques,  celui  de  l'oraison  et 
des  pratiques  religieuses,  l'amour  des  âmes 
et  le  zèle  de  leur  salut,  celui  des  choses 
d'en  haut,  incompatible  avec  les  désirs  de 
la  cupidité  et  l'amour  de  la  pauvreté,  que 
Jésus-Christ  est  venu  inspirer  aux  hommes, 
surtout  à  ses  ministres,  et  qu'il  leur  a  si 
éioquemraent  enseignée. 

Parmi  les  bons  exemples  qu'un  pasteur 
doit  au  public,  il  n'en  est  point  qui  lui  ga- 
gne plus  la  confiance  et  l'amour  de  son 
j)eu[)le  que  le  désintéressement  et  le  soin 
des  pauvres.  Un  prêtre  avare,  au  contraire, 
est  à  la  fois  détesté  des  f)auvres,  qu'il  ne 
soulage  lias,  et  des  riches  qu'il  n'éditie  pas. 

Je  dis  d'abord  que  le  prêtre  avare  est  haï 
des  pauvres,  qu'il  ne  soulage  pas.  Mon  in- 
tention n'est  pas  de  rappeler  ici  è  des  [)rô- 
tres  le  grand  précepte  de  l'aumône;  mais 
il  imi'orte  que  nous  rappelions  tous  que 
1  auioriié  de  l'exemple  est  encore  plus  né- 
cessaire que  celle  de  la  parole.  Le  grand 
prétexte  de  l'avarice,  pour  excuser  sa  du- 


reté envers  les  pauvres,  c'est  de  dire  sans 
cesse  .-je  SUIS  [)auvro  moi-même,  ctj'avoue 
que  ce  prétexte  do  la  part  d'un  prêtre  ne 
fut  jamais  plus  spécieux.  Ce|)endant,  Mes- 
sieuis,  d'où  vient  que  certains  de  nos  con- 
frères, dont  le  revenu  est  aussi  modique  que 
le  nôtre  ont  trouvé  le  moyen  de  se  faire  un© 
réputation  d'hommes  charitables  et  géné- 
reux ?  Cette  répulalion  est  si  honorable 
au  sacerdoce,  et  si  utile  au  succès  de  nos 
fonctions  111  faut  croire  que  ces  prêtres 
ont  plus  d'ordre  dans  leurs  affaires,  plus 
d'économie  dans  leurs  dépenses,  plus  do 
modestie  et  de  simplicité  dans  leur  ma- 
nière de  vivre.  Mais  ne  pourrions-nous 
pas  et  ne  devrions-nous  pas  les  imiter  ? 

Nous  sommes  pauvres  nous-mêmes;  :nais 
le  sommes-nous  autant  que  ces  malheureux 
qui  sont  sans  pain  et  sans  vêlements,  que 
ces  malades  qui  manquent  de  remèdes?  Si 
vous  avez  beaucoup,  disait  Tobie  5  son  tils, 
donnez  beaucoup; si  vous  avez  peu,  donnez 
debon  cœur  une  partie  de  ce  peu  {Tob.  IV,  9). 
Vous  le  savez,  mes  chers  confrères,  la  mé- 
diocrité est  en  général  plus  généreuse  que 
l'ofjulence  :  oui,  les  pauvres  trouvent  ordi- 
nairement plus  de  ressources  dans  la  cha- 
rité de  leurs  semblables,  que  dans  l'abon- 
dance de  certains  riches.  Nous  louons  sans 
cesse  avec  Jésus-Christ  la  générosité  de 
celle  i)auvre  veuve  qui,  en  ne  donnant  que 
deux  deniers,  donna  plus  que  certains  au- 
tres qui,  favorisés  des  biens  de  la  fortune, 
répandaient  des  largesses  dans  le  sein  de 
l'indigence  :  powrquoi  no  partagerions- 
nous  pas  son  mérite,  et  n'aspirerions-nous 
pas  aux  suffrages  de  celui  qui  la  propose 
pour  modèle  ? 

Je  suis  pauvre  moi-même  I  Mais  le  pu- 
blic n'aurail-il  pas  quelque  raison  de  con- 
tester celte  excuse,  el  ne  la  contredisons- 
nous  pas  nous-mêmes  |)ar  un  extérieur  de 
vanité,  d'élégance  ,  peut-être  de  somp- 
tuosité? N'y  a-t-il  aucun  excès  dans  nos 
vêlements,  dans  nos  ameublements,  dans 
la  multiplicité  de  nos  voyages,  et  surtout 
dans  des  repas,  presque  toujours  déplacés, 
qui  en  exigent  de  semblables  en  retour? 
car  l'avarice  trouve  le  moyen  do  s'allier 
quelquefois  avec  le  luxe  et  l'oslenta-? 
lion. 

Je  suis  pauvre  moi-même  1  Vous  dites 
vrai,  nous  répond  énergiquement  saint  Ba- 
sile; oh  1  oui,  vous  ôles  véritablement 
pauvre,  et  pauvre  de  toute  espèce  de  biens, 
pauper  es  profeclo,  et  omnium  egcns  hono- 
rum;  pauvre  de  charilé,  charitale  pauper: 
pauvre  de  bonté  et  de  commiséralion  en- 
vers les  mallieureux,  benignilate  in  indigos 
pauper;  |)auvre  de  confiance  en  Dieu  et 
d'abandon  à  sa  providence,  fide  erga  Ucum 
pauper;  pauvre  d'esj)érance  chrétienne  et 
des  désirs  des  biens  éternels  ,  paupe»- 
œlerna  spe.  Voulez-vous  devenir  riche,  don- 
nez au  pauvre  le  pain  dont  il  a  besoin,  et 
Dieu  vous  donnera  les  vertus  qui  vous 
iiiamiuent  :  Date  et  dabilur  vobis,   'Luc, 

b  il  lallait  des  motifs  humains  pour  ré- 


7C7 


ORATEURS  SACRES.  MAL'REL. 


(C8 


veiller  en  nous  les  scnlimenlsde  la  charité, 
représentons-no\]S  ce  concert  de  louanges 
et  de  bénédictions  qui  retentissent  dans  la 
|)nroisse  d-'an  pjisleur  charitable,  et  qui  se 
répètent  dans  les  paroisses  voisines,  eleemo- 
mosynnsillius  enarrobil  omnis  ecclesia  san- 
ctorum.  {Eccli.,  XXXI,  1 1.)  Qu'est-ce  qui  a 
fait  ériger  à  saint  Vincent  de  Paul  des  au- 
tels parla  religion  et  des  statues  par  les 
ennemis  môme  de  la  religion  ?  N'est-ce  pas 
celle  charité  inépuisable  qui  fournissait  à 
ce  prêtre,  si  pauvre  lui-même,  tant  de  res- 
sources pour  soulager  toutes  les  classes  de 
malheureux  ?  Chaque  pauvre  se  plaît  à  ra- 
conlcr  les  bienfaits  de  cette  main  consola- 
trice quia  essuyé  ses  larmes  et  adouci  ses 
maux  ;  et  le  riche,  qui  en  est  le  témoin, 
sont  enfin  qu'il  a  aussi  un  cœur  et  des  en- 
trailles; et  lorsqu'il  entend  l'homme  de 
Dieu  instruire  sur  le  détachement,  sur  le 
bon  usage  lies  biens  de  la  fortune,  sur  l'o- 
bligalion  de  soulager  l'indigence,  il  n'a  pas 
besoin  de  preuves  pour  en  être  convaincu  : 
l'exempledu  prédicateurlui  a  tout  dit.  Mais, 
sans  cet  exemple,  toutes  les  preuves  vien- 
nent échouer  contre  celte  réplique  si  ter- 
rible :  Medice,  cura  leipsum.  {Luc,  IV,  23.) 
Qui  alium  doces,  leipsum  non  doces?  (Iloin  , 
II,  21.) 

En  ellel,  mes  chers  confrères,  comment 
réussir  à  déiruire  cette  affreuse  cupidité 
qui  domine,  dit  un  prophète,  l'univeisalité 
presque  entière  des  hommes,  a  minore 
lisf/uc  ad  majorem  {Jerem.,Yl,  13.),  si  l'on 
|)eut  nous  reprocher  à  nous-mêuuis  ce  que 
nous  proscrivons  dans  les  autres  ?  Comment 
oser  annoncer  aux  pauvres  que  le  royaume 
des  cieux  leur  appartient,  si  nous  sommes 
nous-mêmes  aussi  avides  d'amasser  et  de 
thésauriser,  aussi  indilférenis  pour  les  ri- 
chesses imi)érissables  que  ces  hommes  ter- 
jestres  et  grossiers  qui  trouveront  dans 
notre  doctrine  la  censure  perpétuelle  de 
nos  actions?  Quelle  confiance,  je  vous  le 
demande,  peut  inspirer  un  prêtre  intéressé 
à  un  i>euple  domine  par  l'usure  et  l'avarice? 
Comment  apaisera-t-il  les  discordes  si  sou- 
vent causées  par  l'esprit  de  cupidité  ?  cora- 
IBent  éteindra-t-il  la  fureur  des  procès,  lui 
sans  cesse  en  litige  avec  sa  paroisse  pour 
de  misérables  intérêts,  lui  qui, loin  de  com- 
]>alif  à  la  détresse  d'un  f»eui)le  malheureux, 
en  exige  les  droits  attachés  à  ses  fonctions 
avec  une  ûpreté  barbare,  et  qui  peut-être, 
hélas  !  dépasse  les  bornes  fixées  par  de  sa- 
ges règlements;  lui  qu'on  voit  avilir  le  plus 
?aint  des  états  par  la  recherche  de  gains 
sordides,  de  honteux  marchés  ;  par  des  in- 
trigues indécentes  pour  obtenir  un  poste 
plus  avantageux,  par  des  plaintes  éternelles 
sur  des  besoins  souvent  exagérés,  par  des 
menaces  odieuses  de  quitter  un  peuple  qu'il 
ne  trouve  pas  assez  généreux;  peut-être, 
hélas  I...  userai-je  le  dire  en  présence  d'un 
clergé  si  vénérable  ?...  par  l'abus  sacrilège 
du  ministère  de  la  confession,  proportion- 
nant son  indulgence  ou  sa  sévérité,  non  à 
ta  nature  des  crimes  et  aux  règles  de  l'E- 
glise, mais  à  la  fortune  de  ses  pénitents  n-- 


aux  espérances  honteuses  de  sa  eupidité? 
0  opprobre  du  sacerdoce  !  ô  abomination  do 
la  désolation!  esl-il  étonnant,  afuès  une 
conduite  si  avilissante,  que  la  religion 
tombe  tous  les  jours  dans  le  mépris?  Non, 
un  prêtre  avare,  ou  soupçonné  de  l'être, 
loin  de  faire  aucun  bien,  ne  peut  être  pour 
son  peuple  qu'une  pierre  d'achoppement  tt 
de  scandale  :  haï  des  pauvres,  le  triomphe 
des  méchants,  il  vérifie  d'une  manière  bien 
triste  les  paroles  de  l'Esprit-Saint  :  Avaro 
nihil  est  scelestius,  niliil  est  imcpdus  quant 
amure  pecuniam.  {L'ccli.,  X,  9,  10.) 

J'ai  dit  en  outre  que  le  prêtre  avare  était 
méprisé  des  riches  et  des  gens  de  bien. 
Rien  en  ellel  de  plus  méprisable,  même  aux 
yeux  des  gens  du  monde,  qu'un  prêtre' 
avare  :  il  est  le  jouet  des  conversations,  un 
objet  de  critique  de  la  part  de  ses  parois- 
siens, et  un  sujet  de  douleur  pour  ses  con- 
frères et  pour  les  âmes  vertueuses.  On  ne 
trouve  jamais  en  lui  que  dureté,  barbarie 
ou  indiirérence  ,  et  l'on  n'entend  sortir  de 
sa  bouche  que  des  paroles  amères,  des 
plaintes  et  des  reproches  ;  il  est  souveraine^ 
ment  méprisé  par  les  gens  de  bien.  Mais 
trouve-l-il  un  dédommagement  au  mal  qu'il 
fait,  aux  malédictions  qu'il  attire  sur  lui,  à 
l'estime  publique  qu'il  a  peidue,  |)ar  l'ini- 
que possession  de  ses  richesses  ?  Non,  Mes- 
sieurs. 

Qu'est-ce  donc  qui  peut  nourrir  en  lui 
cet  attachement  honteux  qui  lui  attire  tant 
de  maux?  Trouve-l-il  dans  cette  possession 
quelque  bonheur  secret  qui  le  dédommage 
du  mépris  de  son  peuple?  Hélas!  quel 
bonheur  peut  lui  oll'rir  un  trésor  qu'il  n'ac- 
cumule souvent  avec  tant  de  peine  que  pour 
n'en  jouir  jamais,  et  pour  vivre,  au  sein  de 
l'abondance,  plus  pauvre  quelquefois  que 
les  indigents  véritables  qui  sollicitent  en 
vain  ses  bienfaits  ?  car  il  n'est  |)as  rare  de 
voir  un  prêtre  dominé  i)ar  l'avarice  se  re- 
fuser à  lui-même  le  nécessaire,  et  mettre 
dans  sa  manière  de  vivre  et  de  s'habiller 
une  grossièreté  qui  va,jusqu'à  l'indécence, 
et  qui,  en  provoquant  les  dérisions  d'un 
monde  malin,  est  un  sujet  de  honte  et  de 
confusion  pour  ses  confières. 

L'amour  des  richesses  n'est  pas  seule- 
ment nuisible  et  ^fuueste  pour  le  temps, 
comme  vous  venez  de  l'entendre.  Mes- 
sieurs; mais  il  l'est  bien  davantage  encore 
|)Our  l'éternité.  Pourquoi  ?  se  demande 
l'Apôtre,  iiarce  que  les  désirs  immodérés  de 
cette  jiassiou  précipitent  dans  la  mort  du 
péché  et  dans  l'élernelle  j)erdition  :  Mer- 
yunt  homines  in  inlerilum  et  perdilionem, 
{  1  Jm.,  VI,  9.)  Au  milieu  de  l'abondance 
dont  il  jouit,  au  sein  de  ce  repos  houleux 
qui  le  rend  sourd  aux  cris  de  tant  de  mal- 
lieureux,  la  mort  viendra  l'arracher,  ce 
mauvais  prêtre,  à  cette  oisiveté  sacrilège. 
Transporlons-nous  à  ce  moment  suprême 
oii  les  portes  de  l'éternité  s'ouvriront  de- 
vant lui  :  cette  pensée  est  le  grand  remède 
de  l'avarice.  Quelle  idée  aura-t-il  des  pei- 
nes qu'il  s'est  données  pour  amasser  ce 
trésor,  des  sacrifices  de  tous   genres  qu'il 


RETRAITE.  —  ÎNSTRUCT.  XI,  SUR  LAVAKICE. 


769 

s'est  imposés,  dos  injustices  qu'il  n'a  pas 
croint  'le  coiiimeilro,  de  louies  les  sollici- 
(luk's  et  les  ;inxi(^lés  que  lui  a  coûté  la 
triste  possession  de  cet  argent,  que. !a mort 
vient  lui  armclior,  |)Our  lejeler  nu  et  dé- 
pouillé de  tout  aux  lùods  du  souverain 
Juge  !  quels  sont  les  tourments  de  ceprêlro 
av.ire,  qui  va  [lerdre  dans  un  instant  le  fruit 
inique  d'un  denii-siècle  d'épargnes  el  de 
privations,  que  la  cupidité  lui  a  seule  irn- 
jiosées  !  Il  n'y  a  rien  eu  pour  Dieu,  dont  il 
était  le  ministre  sur  la  terre,  ni  pour  le 
prociiain,  qu'il  devait  instruire  et  édifier 
dans  celle  vie  toute  consacrée  à  l'avarice; 
aussi,  il  mourra  comme  il  a  vécu  ;  il  se  rap- 
pellera dans  ce  moment  terrible  les  plaintes 
de  tant  de  Lazares  qu'il  a  délaissés,  tant  de 
honnes  œuvres  que  la  Providence  lui  avait 
conlîées,  et  qui  n'ont  point  été  accomplies 
parce  qu'il  a  préféré  s'appliquer  à  lui-même, 

f>our  grossir  ses  épargnes,  l'argent  qu'il  eût 
allu  dé|)enser  ;  il  jettera  eu  mourant  mi 
dernier  regard  d'envie  sur  ce  trésor  d'ini- 
quité, el  mourra  dans  les  convulsions  de  la 
cupidité  et  du  désespoir.  C'est  ainsi  quo 
meurent  les  prêtres  avares. 

jMais  c'est  surtout  au  grand  jour  de  la 
manifestation  dos  consciences  que  ce  prêtre 
sera  jugé  selon  ses  œuvres,  et  que  l'igno- 
minie de  sa  vie,  ses  calculs  cujudes,  ses 
basses  épargnes,  ses  usures,  qu'il  avait  eu 
l'adresse  de  cacher,  seront  produits  aux 
yeux  du  monde  entier.  Ostendam  gentibus 
muUtatctn  luam.  {Nahum.,  III,  5.)  Quelle  sera 
la  honte  de  ce  malheureux  lévite,  de  quel 
effroi  son  àme  ne  sera-l-elle  pas  rcm|)lie 
lorsqu'il  entendra  ce  terrible  analhôme  sor- 
tir delà  bouche  du  souverain  Juge  :  Disce-  nel 
dile  a  me  maledicli  in  ignem  œternwn,  qui 
paratus  est  diabolo,  et  angelis  ejus;  esurivi 
enim,  el  non  dedistis  rnihi  pot  uni  :  hospes 
ercnn,  et  non  coUegistis  me  :  nudus,  et  non 
operui.stis  me;  infinints,  et  in  carcere,  et  non 
visiiaslis  me!....  (Maith  ,  XX.V,4!,  43  )  Los 
voilà,  ces  foudiojanles  paroles,  cette  sen- 
tence irrévocable  portée  contre  le  prêtre 
avare  dont  la  vie  a  été  en  opposition  cons- 
tante avec  les  maximes  el  les  exemples  du 
Sauveur.  Il  savait  qu'en  secourant  les  pau- 
vres de  sa  paroisse,  qu'en  se  faisant  pau- 
vre avec  eux,  en  les  visitant  dans  ces  asiles 
de  l'indigence  el  du  malheur,  en  les  vèlis- 
sanl  el  leur  donnant  le  pain  de  la  charité 
et  ce  verre  d'eau  froide  oll'ert  au  nom  du 
Dieu  des  pauvres,  il  mériterait  une  récom- 
pense éternelle,  parce  que  Jésus-Christ  le 
lui  avait  dit  à  lui-même  :  Quundiu  fecistis 
%ini  ex  his  fralribus  meis  minitnis,  mihi  fe- 
cistis [ibid.,  k"*-)  ;  luais  il  a  [)iéféré  l'argent 
à  Jésus-Christ,  la  salisfaclioii  de  ses  insa- 
tiables désirs  à  la  vie  étemelle  :  aussi  il  a 
sa  part  dans  ce  terrible  anathème  prononcé 
contre  les  riches  :  Tœ  vobis  divitiOus  {Luc, 
W,-!'*.)  discedite,muledicli.,in ignem œternuni. 
Le  voilJi  donc  précipité  pour  jamais  dans 
le  goulfre  de  l'enfer,  ce  prêtre  infortuné; 
et  c'esl  ici  surtout  que  les  ()aroles  de  l'A-' 
pùtre,eii  parlant  des  désirs  de  l'avare,  trou- 
vuut  leur  terrible  api)lication.  Le  prepaicr 


770 

supplice  qu'éprouvera  ce  prêtre  avare,  ce 
sera   cette  condamnation  portée  par  Jésus- 
Christ,  qui  pendant  toute  l'éternité  lui  rap" 
pellera  qu'il  refusa  de  le   vêlir  et   d'apaisi  f 
sa  faim  :  car  elles  retentiront  à  jamais  aux 
oreilles  de   ce  prêtre,  ces   foudroyantes  pa- 
roles prononcées  par  le  Sauveur  au  jour  du 
dernier  jugement.  Pendant  toute   l'éternilé 
il  pourra  voir  dans  le  ciel  ces  pauvres,  heu- 
reux de  leur   pauvreté,   qu'il   a   mépri  es 
repoussés   durant  sa  vie,  et  auxijuels  celle 
pauvreté  môme,  objet  de  ses  raille-ies  et  do 
ses  dédains,  a  ouvert  les  portes  des  demeu- 
res éternelles;  il  les  verra  revêtus  de  gloire, 
inondés  de  délices,  riches  de  tous  les  tré- 
sors des  cieux,  placés  sur  des  trônes  de  lu- 
mières au  milieu  des  anges   et  des  archan- 
ges :  car  elles  seront  accomplies,  ces  paroles 
du   Prophète  :  Suscitons  a  terra  inopem  ,  et 
de  stercore  erigens  pauperem,  ut  collocet  eum 
cum  principibus.  [Psal.  CXII,  7.)  Si,  portant 
un   regard  de   désespoir  sur   lui-même,  ce 
prêtre  infortuné  considère  l'état  oii  l'a  plongé 
Tavarice,  qu'il  sera  cruellcme^  t  puni  er.  <e 
voyant  dans  un  état  de  dépouillement  com- 
l'Iel    qui    lui  a   tout   arraché,  exce[)té   son 
éternel  remords  1  II   se  verra  .dépouillé  du 
plus  grand  de  tous  les  biens  :  il  sera  privé  à 
jamais  de  la  présence  de  Dieu,  des  immor- 
telles récompenses  promises  h  ses  élus,  e  i 
même  temps  de  tous  les  biens  de  l'âme  et 
du   corps.  Perte   éternelle    de  toute  espèi  o 
de  paix  intérieure,  regrets  amers,  elfroyabhs 
remords  ,    horribles    déchirements ,    vœux 
impuissants  :  tel  sera  l'état  de  Cette  âme  ré- 
duite à  demander  l'anéantissement   de  sou 
être,  qu'elle  n'obtiendra  jamais.  Perte  éter- 
nelle de  ses  Irésois.  des  conimodités  et  des 
jouissances  de  la  vie,  qu'il  avait  su  si  bien 
se  procurer  :  une  soif  brûlante  lourmeniera 
ce  prêtre  avare  qui  refusa  de  l'apaiser  dans 
les  membres  soutirants  de  Jésus-Christ  ;  une 
horrible  faim  dévoreia  celui  qui  ne  voulut 
point  donner  aux  pauvres  ces  uiietles  qu'am- 
bitionnait le  Lazare,  et  qui  tombaient  de  la 
table  du  mauvais  riche.  Ajoutez  à  cela  tous 
les  tourments  de   l'enfer  et  les  châtiments 
destinés  à   punir  les  t)écheurs  :  voil.'i  l'état 
de  ce  malheureux  prêtre,  qui  trouvera  dans 
celle  atlieuse  ()auvrelé   des   tourments  in- 
finis  et  sans  cesse  le'iouvelés,  parce   qu'il 
n'est  point  de  vice  qui  n'ait  dans  les  enfers 
ses  touriuenls  particuliers,  Ibi  avari  miser- 
rima  egestate  arctabuntur. 

Vénérables  confières,  je  finirai  cet  entre- 
tien par  les  mômes  paroles  qui  l'ont  com- 
mencé :  Videte  et  cavete  ab  onini  uvaritia. 
{Luc,  XII,  15.)  Videte  :  car,  liéhis!  il  n'y  a 
point  de  passion  sur  laijuelle  on  s'aveugle 
davantage,  'l'ous  les  hommes  condamnent 
l'avarice,  et  |)ersoniie  ne  se  croit  avare. 
Cette  illusion  est  encore  plus  forte  chez  les 
jirôlres  :  ils  trouvent  tant  de  prétextes,  soit 
dans  leurs  besoins  personnels,  soit  dans 
ceux  de  leurs  parents,  qu'on  doit  sans  doute 
soulager,  mais  modérétnent ,  et  jamais  au 
piéjudice  de  notre  ministère.  Cavete!  Quoil 
sacritier  notre  âme  à  la  cupidité  de  nos  pro- 
ches 1  concentrer  nos  sollicitudes  dans  les 


77» 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


772 


besoins  île  celte  vie  présente,  et  jamais  ne 
songer  sincèromonl  h  la  vie  future  1  nous 
défier  d'une  Providence  qui,  en  nous  ordon- 
nant de  lui  demander  le  pain  de  chaque 
jour,  nous  a  promis  par  Ih  niêïue  de  nous 
l'accorder  \jacta  nuper  Dominum  curam  tuiim, 
et  ipse  te  cntitrict.  [Psal.  LIV,  23)  Nolile 
soUiciti  esse.  (Matlh.,  VI,  31,)  NihilsoliicUi 
sitis.  [Philip.,  II.  20.)  Non  vidi  jtislumdcrc- 
lictum.  {Psal.  XXXVl,  25.)  Quœrite  ergo  re- 
gnum  Dei,  et  hœc  omnia  adjicientiir  iwbis. 
(Luc,  XII.  31.)  Heureux  le  jirôtre  qui  op- 
pose sans  cesse  ces  immortelles  vérités  aux 
tentations  de  l'avarice!  heureux  le  piêlre 
qui  n'est  en  sollicitude  que  pour  les  inlé- 
rôls  de  la  religion  et  le  sakil  des  âmes! 
IMoins  il  craindra  pour  ses  besoins  person- 
nels, plus  Dieu  s'en  occupera  à  son  insu  : 
il  lui  a  promis  le  centuple  dans  celle  vie, 
el  toules  les  richesses  de  son  royaume  dans 
l'élernité,  où  i!  pourra  s'écrier  avec  raison, 
et  se  rendre  à  lui-même  ce  glorieux  témoi- 
gnage :  înclinavi  cor  meum  in  testimonia 
tua,  et  non  in  avariliam.  (Psal.  CXVllI,  36.) 

INSTRUCTION.  XII. 

SUR  l'hCMIMTÉ. 

Disrile  a  me  quia  milis  suin  et  humilis  corde  (Mallli  , 
XI,  29,) 

Messieurs, 
C'est  aux  apôtres,  c'est  aux  piôires,  plus 
encore   (ju'aiix  simples    lidèles,  <jue  Jésus- 


Clu'isl  adressa  celte  grande  leçon.  JWais 
pourquoi  ,  demande  saint  Bernard  ,  cet 
Homme-Dieu  s'esl-il  borné  à  se  donner 
pour  modèle  de  l'humilité  et  de  la  douceur? 
pourquoi  n'a-t-il  pas  dit  aussi  :  ap|)ri'nez 
oe  moi  qui- je  suis  chaste,  sobre,  laborieux, 
désintéressé?  Pouvons-nous  ignorer,  Mes- 
sieurs, que  l'humilité  est  la  mère  de  toutes 
les  vertus,  el  ne  manque  janiai  s  de  les  ame- 
ner toutes  5  sa  suite.  Aussi  la  vie  entière  de 
Jésus-Christ  a-t-elle  été  un  long  exemple  el 
une  leçon  continuelle  d'humilité. 

Suivons-le  avec  saint  Basile  depuis  l'ob- 
scurité de  la  crèche  jusqu'à  l'ignominie 
éclatante  de  la  croix,  et  sans  cesse  nous 
verrous  en  lui  col  amour  des  humiliations 
(jui  l'a  |iorté,dit  l'Apôtre  ,  à  s'abaisser,  à 
s'anéanlir  lui-même  jusqu'à  prendre  la 
fornn;  d'esclave,  lui,  le  Fils  é  ernel  du  Très- 
Haut  :  Scmctipsum  eocinanivit,  forniam  servi 
occipiens.  [Philip.,  \\,  7.)Né  jdus  pauvre  que 
le  dernier  des  hommes,  il  f)asse  de  l'é- 
table  de  Bethléem  dans  l'atelier  d'un  arti- 
san ;  il  mène,  pendant  trente  ans,  la  vie 
la  plus  obscure,  occuj  é  à  do  simjiles  el 
modestes  travaux,  soumis  à  chaque  instant 
à  la  volonlé  de  deux  crt'atures,  dont  il  esl 
le  créateur  el  le  maître  suprême.  S'il  se 
niaiiiresle  ensuite  au  monde,  ce  n'est  pas 
pour  sa  piopre  gloire  :  il  nous  déclare  lui- 
même  que  c'est  uniquement  jioui'  la  gloire 
de  celui  qui  l'a  envoyé,  el  il  le  prouve  en 
s'associanl  des  discif)les  pauvres,  sans  nais- 
sance, sans  mérite,  sans  talents,  avec  les- 
quels il  va  s'exposer  aux  calomnies  cl  aux 
mépris  de  toute  la  Judée. 

L'exercice   de   son   ministère,  qu'esl-il 


autre  chose  qu'un  enchaînement  d'humilia- 
tions et  d'actes  continuels  d'humililé?  avec 
quel  soin  n'évite-l-il  pas,  autant  que  la 
prudence  le  lui  permet,  tout  ce  qui  a  de  la 
pompe  et  de  l'éclat.  Du  haut  des  cieux  le 
Toul-Puissanl  l'a  appelé  son  fils  bien-aimé, 
el  il  soull're  (jue  les  hommes  l'appellent  par 
dérision  le  fils  d'un  artisan,  nonne  hic  est 
fabri  filixis?  [Malth.,  XIII,  55.)  S'il  guérit 
des  malades,  il  leur  défend  de  publier  le 
miracle  de  leur  guérison  ;  s'il  paraît  sur  le 
Thabor  tout  rayonnant  de  gloire  et  de  splen- 
deur, il  n'a  que  trois  témoins  de  ce  prodige, 
auxquels  même  il  ne  permet  d'en  parler 
qu'après  sa  sortie  du  tombeau.  11  se  dérobe 
aux  applaudissements  qu"excitenl  partout 
la  grandeur  de  ses  œuvres  et  la  sagesse  do 
ses  discours;  on  le  cherche  pour  le  faire 
roi,  et  il  se  cache;  il  ne  veut  pas  même 
être  pris  pour  arbitre  d'un  simple  dili'érend. 
Les  princes  de  la  terre,  dit-il  à  ses  disci|)les, 
donnent  avec  faste  :  il  n'en  sera  })as  ainsi 
de  vous;  î(;  premier  se  regardera  comme  le 
dernier.(Maf//i.,  XX,  25,  2G.)  Et  afin  que  celte 
grande  leçon  ne  s'ellace  jamais  de  leur 
cœur,  la  veille  desamort  il  s'abaisse  jusqu'à 
leur  laver  les  pieds,  el  il  termine  cet  ado 
si  profond  d'humililé  par  ces  raémoraldes 
paroles  qui  devraienl  bien  suffire  pour  éloi- 
gnera jamais  du  cœur  d'unprêlre  toulsenii- 
ment  d'orgueil  el  de  présom|)tion  :  Exem- 
plurn  dedi  vobis,  ut  quemadmodnm  ego  fcci 
itaet  vos  faciatis.    [Joan.,  XIII.  15.) 

Il  suffit  donc.  Messieurs,  d'être  vérilabU;- 
ment  humble  pour  être  une  image  accomplie 
de  Jésus-Christ,  et  pour  posséder  comme  lui 
toutes  les  vertus.  Un  n-.ondc  aveugle  ne  voit 
dans  riiumililé  qu'une  petitesse  d'esj)ril  et 
une  bassesse  de  sentiments;  Dieu  y  voit  le 
sentiment  le  plus  sublime  et  le  {)lus  hé- 
roïque que  sa  grâce  puisse  ins[)irer  :  c'est 
la  vertu  des  saints  el  des  parfaits  ,  ei  Mario 
n'a  été  la  plus  sainte  el  la  plus  parfaite  que 
parce  qu'elle  a  élé  la  j-lus  humble  des  créa- 
tures. Je  viens  donc,  vénérables  cordrères, 
en  vo'.is  e.'ilretenant  sui-  l'humiliié,  raconter 
les  mei  veilles  (]ue  la  grâce  0[)ère  en  vous  : 
Sapirnliain  loquimur  inler  perfectos.  (I  Cor., 
\i,  (5.)  Heureux  si  cette  inslruclion  peut 
m'aider  à  obtenir  moi-même  une  vertu  si 
précieuse  I 

La  nature  de  l'humilité  et  les  motifs 
de  l'humilité  ;  tel  sera  le  partage  de  cet 
entretien. 

PRE»llÈRE    PARTIE, 

Qu'est-ce  que  rinimilité?  Ici,  Messieurs, 
je  commence  à  sentir  mon  insuffisance. 
J'entends,  en  elfel,  les  hommes  les  plus 
éminents  en  sainteté,  ces  hommes  extraor- 
dinaires, tout  remplis  des  lumières  d'en 
haut,  m'averlir  que  l'humilité  est  un  de  ces 
dons  inelfables  qu'on  ne  peut  connaître  ni 
expliquer  qu'autantqu'un  les  possède;  que 
cette  vertu  céleste  peut  seule  se  comprendre 
el  se  tlélinir  elle-même,  et  que  si  on  a  le 
malheur  d'en  êlro  privé,  il  est  aussi  impos- 
sible de  la  concevoir  que  de  concevoir  la 
saveur  d'un  fruit  (juand   on  ne  l'a  jamais 


773                                   RETRAITE.  —  INSTIUJC.T.  \II,  SUR  LIIUMILITE.                                    77i 

goûté,  ou  la  lumière  du  soleil  quand  on  no  de  moi-ui6me,  de  quoi  los  hommes  pour- 
hi  jamais  vui-.  «  L'IiumililtS  dit  saint  Jean  raient-ils  me  louer?  Ou  c'est  une  cireur  de 
riima.iuo,  est  une  science  toute  sainte  dont  leur  part  ou  ils  ne  louent  en  moi  que  les 
.lésus-Clirisl  est  le  maître,  et  qu'il  n'en-  dons  du  Créateur,  Serait-ce  de  ma  fortune, 
scigne  qu'à  ceux  que  lui-môme  en  a  rendus  de  mes  vêlements, de  la  pompe  peul-ôtre  et 
dignes.  Elle  est  cachée  dans  le  plus  profond  de  l'éclat  dont  le  luxe  m'environne?  Mémo 
descœurs,  et  toute  l'éloquence  des  hommes  aux  .yeux  des  gens  du  monde  éclairés  \n\r 
n'en  |>eut  expriinpr  la  vertu  secrète  et  im-  l'expérience,  ces  motifs  de  vaine  gloire  et 
pénélrable.  »  O  mon  Dieu  I  donnez-moi  donc  d'orgueil  seraient  aussi  frivoles  que  dépla- 
cette  belle  vertu,  et  alors  seulement  je  pour-  eés  ;  car  l'iniquilédes  hommes,  les  révolu- 
rai  en  parler.  tions,  des    malheurs  inqirévus    publics   et 

Cependant,"  vénérables  confrères„quelque  privts    détruisent   (juelquefois   toutes    les 

ii:ca|'abie  que  je-me  sente  de  faire  par  nmi-  conunodités  de  la  vie    et    les  fortunes    les 

n;ôme  aucune  réilexion  sur  ce  grand  sujet,  plus  solides. 

je  puis  du  moins,  et  sans  doute  vous  n'at-  Ce  qui  m'apparlienf,  ce  qui  est  vérita- 
tendez  pas  autre  chose  .  vous  répéler  blement  à  moi,  ce  sont  mes  péchés,  et  ils 
!cs  réllexions  de  ces  hommes  vénérables  sont  innombrables  ;  ce  sont  mes  passions, 
qui  nous  ont  laissé  dans  leurs  écrits  les  et  elles  sont  alfreuses  ;  ce  sont  mes  défauls, 
gr.mdes  et  vives  lumières  dont  le  ciel  et  j'en  suis  tout  rempli.  De  quoi  donc,  en- 
tes avait  favorisés.  Examinons  donc  avec  core  une  fois,  pourrais-je  me  glorifier?  se- 
cux  comment  la  grâce  fait  naître  dans  un  rail-ce  de  celte  vamté  que  je  sens  si  raépri- 
cœur  la  sainte  humilité,  et  nous  sau-  sable  el  dont  je  suis  forré  de  rougir?  serail- 
rons  te  qu'elle  est  môme  avant  de  la  dé-  ce  de  celle  basse  jalousie  qui  me  dévore  et 
f.|ijp_  me  confond,  de  cette   avarice  qui   me  tour- 

touché  de  Dieu  et  dégoûté  par  sa  lumière  mente,  de  celte  colère  qui  m'emporte,  de  ce 

des  vanités  du  moude,  un  homme  rentre  en  penchant  hideux  à  rmjuslice,  <à  la  perfidie, 

hii-mème  et  se  demande  :  qui  suis-je?  d'où  à  la  sensualité,  è  des   plaisirs  désordonnés, 

viens-je?  Je  ne  suis  sur  la  terre  que  depuis  à  des  passions  que  je  me  reproche  malgré 

l)eu  d'années.  D'où  m'est  venue  l'existence,  moi,  qui  m'avilissent   à  mes  propres  yeux, 

qui  est-ce  qui   me  la  conserve?  est-ce  moi  que  j  ai  tant  de  peine  à  confier  au  secret  de 

qui  me  suis  donné  ce  corps  de  boue  et  celle  'a  confession,  que  je    dérobe   avec   tant  de 

ûme  spiiiluellequi  l'anime?  Hélas!    je   no  soin  aux  regards  demes  semblables?  Hélas! 

connais  pas  même  le  lien  (jui   les  unit.  E^t-  s'ils  venaient  à  les  connaître,  j'en  mourrais 

ce  de  moi  que  je    tiens  cette   intelligence,  ^l^  honte. 

celle   raison,  celle  volonté,  cette  mémoire,  O  mon  Dieu!  tout   confus  de  ma  misère. 

cette  parole  qui  me  distingue  avec  tant  d'à-  lout  accablé  du  poids  de  mes  ténèbres  et  de 

vantage  de  tous   les  êtres    d'ici-bas?  Non,  ma  corruption,  je  m'abaisserai  donc  devant 

sans  doute,  je  sens  que  j'ai    tout  reçu  d'un  'e  trône  de  votre  grandeur  et  de  votre  sain- 

ètre  supérieur;   de  moi-même  je  n'ai  rien,  teté  ;  je  ra'anéanlirai  à  vos  pieds,  et  jo  m'é- 

ie  ne  suis  rien,  je  ne  puis  rien,   pas   même  crirai  avec  votre  Apôlre:  Soli  Deo  honor  et 

ajouter  un  cheveu  à  ma   têle.  Pour  exister  glorta.l{Rom  ,  XVI,  27.)  Je   vous  rendrai 

j'ai  eu  besoin  que  la  main  de  Dieu  me  tirât  grâces  de  vos  bienfails,  et  je  gémirai  de  l'a- 

du  néant  :  pour  continuerd'être,  j'ai  besoin  bus  que  j'en  ai  fait.   Je    reconnaîtrai    mou 

qu'il  me  conserve    à  chaque  instant,  celle  indigenee  et  j'attendrai  tout  de  votre  libé- 

existence  :  s'il  cessait  un  seul  instani  de  mo  rallié.    Je  me  regarderai  comme  un  pauvre 

soutenir,je  rentrerais  dans  le  néant.  Malgré  qui  a  besoin  tous    les  jours  de  votre  assis- 

les  qualités  {)récieuses  dont  il  m'a  enrichi,  lance  ;  et  afirès  avoir  reçu  l'aumône  de  voire 

malgré  celle  force  intérieure,  cette   liberté  main,  je  n'irai  pas  m'en   prévaloir,  comme 

indéliiiie  qu'il  m'a  donnée,  je  ne  puis  faire  d'une  richesse  qui  soit  venue  de  mon  loud. 

un  pas,  je  ne  puis  former  une  pensée  sans  Je  n'insulterai  pas  à  la  faiblesse  et  à  la  pau- 

son  secours.  vreté   de    mon  semblable,   privé,  jiar   une 

De  quoi  pourrais-je  donc  me  glorifier?  grâce  el  peut-être  par  une  prédilection  de 
Serait-ce  des  qualités  de  ce  corps  qui  n'est  votre  part,  de  certains  dons  qui  m'ont  en- 
que  poussière  et  destiné  à  devenir  la  pâture  oigueilli  et  perdu  jusqu'ici,  et  dont,  hélas  ! 
des  vers  ?  serait-ce  des  qualités  de  cet  esprit  j'aurai  à  vous  rendre  le  eoinijte  le  plus  ri- 
qui  est  né  dans  l'ignorance  et  les  ténèbres,  goureux  :  Cui  muUam  datum  est,  muUuin 
et  qui,  malgré  la  cullure  qu'il  a  reçue,  se  quœrelur  ab  eo.  {Luc,  Xll,  48.) 
iT-ouve  arrêté  à  cha(,ue  instant  dans  ses  ope-  'J'els  sont,  Messieurs,  les  moyens  dont  la 
rations  et  ses  recherches?  serail-ce  des  (jua-  grâce  se  sert  |.ouf  détruire  en  nous  ce  mi- 
lites de  ce  cœur  que  le  |)éché  a  i)erverli,  séiable  orgueil  dont  nous  avons  hérité  du 
même  avant  ma  naissance,  et  rempli  des  premier  homme,  et  que  celui-ci  tenait  de 
penchants  les  plus  honteux  et  de  sentiments  Satan.  Une  lumière  divine  nous  éclaire  sur 
pervers?  serait-ce  de  ma  force,  de  mon  nos  misères  et  noire  néant;  elle  nous 
adresse,  de  mes  laleiits.de  messuccès?  Mais  montre  nous-mêmes  à  nous-mêmes  dans 
si  Dieu  seul  en  est  l'auteur,  et  si  je  ne  puis  toute  la  houle  de  noire  nudilé;  elle  nous 
rien  que  par  lui,  n'est-ce  pas  à  lui  seul  j)résente  un  portrait  lidèle  où  nous  sommes 
qu'ai)pailient  toute  gloire  ?  serait-ce  de  forcés  de  voir  toute  la  laideur  de  nos  vices, 
l'estime,  de  la  conUance,  des  louanges  des  toute  la  honte  de  nos  penchants,  toute  lu 
hommes  ?  mais  si  je  n'ai  rieu  et  ne  puis  rien  profondeur  do  notre  corruption,    toute  1« 


ORATEURS  SACRES.  MALREL 


iTfi 


multitude  et  toute  l'éteniluo  de  ces  plaies 
saignnntes  que  le  péclié  a  faites  à  noire  âme 
el  dont  elle  est  toute  couverte,  et  notre  va- 
nité pst  forcép  dn  rougir:  Quid  superbis 
terra  et  cinis.  {Eccli.,X,  9.) 

Mais  qu'esl-ce  donc  que  l'humilité?  Cette 
verlu  qui  scnriblemit  si  naturelle  h  l'homme 
et  qui  est  cependant  si  rare  ;  cetle  vertu  que 
le  monde  ne  connaît  et  ne  connaîtra  jamais, 
parce  qu'il  ferme  les  yeux  ?>  la  lumière  di- 
vine, qui  peut  seule  nous  éclairer  sur  notre 
néant;  celle  vertu  c'oîil  les  anciens  philo- 
sophes ont  ignoré  jusqu'au  nom,  et  que  les 
sagrs  de  noire  sièc'e  connaissent  peut-être 
encore  moins;  cetle  vertu  que  Jésus-Christ 
seul  a  pti  apprendre  h  la  terre  et  que  Dii;u 
seul  peut  nous  inspirer,  qu'est-elle?.... 

lîroulons  un  grand  maître,  saint  Bernard  : 
Hiimililas  est  virtus  qua  homo  verissima  siti 
cogvitione,  sibi  ipsi  vilescit.  Verissima  sui 
cogniliotie  !  Ces  trois  mots  sont  remar- 
quables: une  connaissance  supfinici(  Ile  do 
nous-mêmes  pouiiait  nous  inspirer  de  la 
présomption,  parce  (pi'elle  pourrait  se  bor- 
ner à  certaines  qualités  apf)arentes,  sans 
dévoiler  les  défauts  grossiers  qu'elles  cou- 
vrent; mais  une  connaissance  réelle  et  vé- 
rilable,  verissima;  mais  une  connaissance 
réiléchie,  approfondie,  qui  nous  fera  par- 
venir jusqu'à  la  source  même  de  nos  fai- 
b'esses,  qui  fouillera  dans  l'intérieur  de  ce 
sépulcre  blanchi  dont  les  brillants  dehors 
cachent  la  jiourrilure  renfermée  au  dedans  ; 
mais  une  connaissance  exacte,  sincère  qui 
[lortera  la  lumière  dans  noire  àme,  et  nous 
en  montrera  toute  la  diiïorrailé.  Une  telle 
connaissance  nous  rendra  nécessairement 
méprisables  à  nos  propres  yeux,  el  c'est  ce 
inépris  de  nous-:i:êmes  qui  fait  l'essence  de 
l'humilité  :  Sibiipsi  vilescit.  On  n'est  iiumblo 
qu'aulanl  qu'on  se  connaît  bien  el  qu'on 
se  méprise. 

Sans  doute  que  ce  mépris  no  peut  tomber 
sur  les  qualités  précieuses  que  nous  avons 
reçues  du  Créateur  ;  sur  celle  image  augusle 
de  la  divinité  qu'il  a  daigné  empreindre  au 
fond  de  notre  âme.  Ces  dons  sublimes 
doivent  exciter  rrolre  reconnaissance  el  noirs 
remplir  d'admiralion  et  d'amour  pour  la 
bonlc  magnilitiue  de  leur  arrleirr.  Mais  entiu 
quelque  admirables  que  puissent  être  ces 
qrjaliiés,  (.lonl  on  se  lait  souvent  une  idée 
exagérée  ,  n'élanl  [)oinl  notre  ouvrage, 
n'étant  qu'un  pur  dorr,  un  don  gratuit  du 
■Créaleur,  peuvenl-eiUis  fournir'  la  rrioindio 
malière  à  la  vanilé?  Si  accepisli,  quid  ylo- 
riaris,  quasi  non  acceperis?  (1  Cor.,  IV,  7.) 
Peirveul-elles  nous  uoiurer'  le  moindre  (h'oil 
de  nous  |)rélérer  à  cerlains  de  nos  sem- 
blables, moiirs  'avorisés  en  ai)|)arence  par 
J'auleur  de  loul  bien,  mais  qui  font,  oir 
ferait  peut-êre  un  jour,  un  meilleur  usage 
que  nous,  des  dons  qu'ils  orrl  reçus  ?  c;ir, 
vous  le  savez,  Messieur's,  ce  n'est  (|uo  dans 
ce  bon  usage  que  consiste  le  vrai  mériie. 
Les  dons  de  l'esprit,  les  qualités  du  corps, 
la  douceur  du  caraclère,  la  bonté,  la  géné- 
rosité du  cœur  sont  sans  doute  une  apliiude 
au  Oiérile,  un  instrument  précieux  que  Dieu 


nous  met  en  main  pour  en  acquérir;  mais 
ils  ne  oonstiluont  pas  le  mérite  lui-même: 
s'il  en  étaitaulremerrtjily  auraitdes  hommes 
pervers  en  qui  il  faudrait  reconnaître  plus 
de  mérite,  plus  de  droits  h  l'estime  et  à  la 
considération  que  dans  des  hommes  inlègres 
et  vertueux  qui  auraient  reçu  des  lalei  ts  l)ion 
I)lus  bornés  et  de's  qualités  moins  éten- 
dues. 

D'ailleurs,  les  qualités  les  plus  bril'antcs 
el  les  plus  précieuses,  dont  on  ferait  rirêure 
un  bon  usage,  nous  dispenseraient-elles  du 
juste  mépris  que  nous  nous  devons  h  nous- 
mêmes  pour  cette  multilude  de  passions,  do 
vices,  de  défauts,  de  faiblesses,  de  péchés 
dont  nous  sommes  tout  remplis  ?  Ah  !  heu- 
reux donc  celui  h  qui  Dieu  a  inspiré  ce  mé- 
pris si  raisonnable  et  si  légilirtie  de  lui- 
inênre  I  Je  dis  si  raisonnable  el  si  légitime: 
(ar,  Messieurs,  que  signifie  le  langage  d'un 
monde  qui  ne  vorl  dans  l'humilité  qu'igno- 
rance, que  bassesse,  que  lâcheté?  Si  ce  lan- 
gage était  vrai,  l'humilité  ne  serait  pas  si 
rare:  partout  on  renconlre  des  ignorants, 
iics  esprits  faibles,  des  âmes  lâciies  el  pu- 
sillanirrres.  D'où  vient  que  le  nombre  des 
humbles  esl  si  petit  ?  c'fjst  qu'il  faut  une  lir- 
miôre  ton  le  divine  pour  apercevoir  sa  mi- 
sère, el  l'on  peut  dire  d'un  homme  vain  que 
c'est  un  véritable  ignorant.  lih  !  que  con- 
naît-il, puisqu'il  ne  se  corrn.iît  i>as  liri- 
mêrae?  C'est  qu'il  faut  une  force,  un  cour-ige 
surnaturel  pour  sentir  sa  faiblesse  et  eu 
gémir,  sans  en  être  accablé;  c'est  que  l'hu- 
mililé  est  eile-môme  urre  source  de  force  et 
de  courage,  parce  que  Dieu  se  plaît  h  [>ro- 
téger,  à  revêtir  de  sa  pr]issan:;c  i;es  hjmmes 
simples  et  droits  qui  se  défient  d'eux-mêmes, 
el  ne  se  contient  qu'en  lui;  c'est  qrr'il  y  a 
une  grande  élévalion  d'âme  à  s'abaisser  vo- 
lontairement jusqu'à  la  poussière.  Aussi  les 
esprits  étroits  et  bornés  sont-ils  en  général 
peu  propres  à  l'humililé:  c'est  là  d'ordinair'e 
où  la  vanilé  réside.  Celui  qui  se  dompte  lui- 
nrême,  en  domptant  son  orgueil,  est  bi/ri 
plus  lort,  dit  l'Espril-Sainl,  que  ctlui  ipii 
abat  des  remparts  et  subjugue  di;s  pro- 
vinces. 

La  nature  de  l'humilité,  une  (ois  connue, 
il  s'agit  d  examiner  sérieusement  si  cetle 
vertu  se  trouve  en  nous,  et  (lour  le  con- 
naître, il  n'y  a  qu'à  développer-  la  délinilioii 
de  saint  Berrrani,  et  se  représerUer  les  vé- 
rités déjà  énoircées.  Vous  demandez  ce  qua 
c'est  que  l'iiumililé!  c'est  ce  senlirirenl  [)rQ- 
fond  de  noti'c  faiblesse  et  de  notre  néaLl, 
qui  nous  abaisse  devant  Dieu  el  devant  Us 
hommes,  ipji  nous  remplit  de  mépris  pour 
nous-roômes,  et  d'indulgence  pour  autrui; 
qui  nous  rend  soumis  à  toute  autorité  étabiio 
de  Dieu,  aux  fjasleurs  de  l'Eglise  pour'  les 
ciroses  de  la  religion,  et  aux  chefs  d(,'S  gou~ 
vernerirens  pour  les  choses  de  la  terre;  qui 
nous  inspire  un  em[)ressement  sincère  à 
rendre  à  cliacun  ce  qui  lui  est  dti,  el  l'estime, 
et  l'honneur,  et  le  respect,  et  les  égar'ds. 
L'humililé I  c'est  cetle  conviclion  inliuie  de 
noire  impuissance  à  tout  bien  el  de  notre 
lienchaul  à  loul  mal,  qui  nous  fait  sentir  le 


777 


RETRAITE.  —  IINSTIUICT 


l)esoin  extrême  et  continiiol  que  nous  avons 
du  secours  de  Dieu,  et  nous  porte  à  implorer 
sa  lumière  dans  nos  ténèl>res,  et  sa  l'orce 
dans  noire  faiblesse. 

L'Imniililél  c'est  cette  ingënuilé  do  cœur, 
celte  siiui'licilé,  celte  droiture  d"espril  q'ii 
nous  ri'nd  fiiciles  à  convenir  de  nos  torts,  et 
à  excuser  les  torts  des  autns,  qui  nous  lient 
habituellement  dans  la  défiance  de  nos 
propres  lumières,  et  nous  fait  recourir  dans 
nos  perpiexilés  au  conseil  des  sages,  qm' 
nous  rend  mesurés  et  modestes  dans  nos 
décisions,  discrets  dans  nos  procédés,  pru- 
dents dans  nos  enircprises,  sobres  dans  nos 
paroles,  dociles  aux  bons  avis,  et  toujours 
prêts  à  accueillir  la  vérité,  de  quelque  part 
qu'elle  nous  vienne. 

I  L'humilité  1  c'est  la  force  et  le  calme 
d'une  âme  pénétrée  de  son  néant,  qui  voit 
sans  émotion  ou  du  moins  sans  murmure 
ses  dél'auls  connus  et  blâmés,  qui  ne  se 
laisse  ni  enorgueillir  par  le  succès,  ni  abat- 
tre parles  revers;  qui  soutire  avec  patience 
la  privation  de  certains  dons  qu'elle  voit 
briller  dans  les  autres,  et  re[)ousse  avec 
vigueur  la  tentation  si  dangereuse  de  l'en- 
vie, et  celle  du  découragement  peut-être 
encore  plus  funeste;  qui  sufiporte  avec  ré- 
signation les  censures,  les  calomnies,  les 
mépris,  et,  loin  d'user  de  récrimination, 
bénit  ceux  qui  la  maudissent,  et  i)rie  pour 
ceux  qui  la  persécutent. 
)  L'humilité!  c'est  cette  obscurité  volon- 
taire oiJ  se  relire  un  disciple  de  Jésus- 
Christ,  et  où,  caché  aux  yeuï  des  hommes, 
n'ayant  que  le  ciel  pour  témoin  de  ses  pen- 
sées et  de  ses  intentions,  il  accomplit  dans 
le  silence  la  volonté  du  Père  céleste,  sans 
s'embarrasser  ni  des  discours,  ni  des  juge- 
ments du  monde,  sans  chercher  d'autre  ap- 
pui de  son  zèle  ni  d'autre  encouragement 
dans  ses  travaux  que  les  regards  de  ce  Dieu 
invisible  qui  a  |)romis  de  récompenser  tout 
ce  qu'on  fait  en  vue  de  lui  plaire  :  vcnlà 
Humilité  !  A/)pliquons-nous  à  nous-mêmes 
ce  qui  vient  d'être  dit,  et  il  nous  sera  aisé 
de  découvrir  si  celte  vertu  réside  en  nous. 
Elforçons-nous  delà  bien  coniiaitre  et  nous 
aimerons  è  la  |iraliqaer.  Après  avoir  mon- 
tré ce  que  c'est  que  l'humilité ,  voyons 
maintenant  les  divers  mutil's  qui  rendent 
cette  vertu  si  nécessaire  à  un  prêtre. 

SECONDE   PARTIE. 

Ce  qui  montre  d'abord  la  nécessité  d 
l'humililé,  c'est  que  d'apiès  l'exposé  que 
je  viens  de  vous  soumelire,  elle  est  le  fon- 
dement et  comme  l'assemblage  de  loules 
les  vertus,  el  que  sans  elle  il  n'y  a  aucune 
vertu.  Sans  l'humilité  il  n'y  a  ni  soumission 
à  Dieu,  ni  soumission  aux  hommes,  ni  res- 
jiecl  ()our  les  lois,  soit  de  l'Eglise  soit  de 
l'Etal  ;  ni  coiilijnce,  ni  componction  dans 
la  prière,  ni  patience  dans  les  revers,  ni 
pardon  des  injures,  ni  charité,  ni  estime, 
UJ  ménageiuent  pour  le  prochain.  Que  dis- 
je  ?  l'abience  de  l'humilité  anéaniit  jus- 
qu'aux œuvres  les  plus  saintes.  Qu'y  a-t-il 
ue   plus  saint  en  apparence  cjue  le  zè!c,  les 

OttATtmS  SACBÉS.  LX>'ili. 


.  \ll,  SllR  LULMiLlTE.  T7r, 

aumônes,  les  longues  ()rièros  des  Pharisiens; 
cependant  quel  jugement  en  porte  Jésus- 
Christ?  Ils  cherchent  à  être  vusdes  hommes 
et  ambilionnenl  leur  estime  :  aussi  leurs 
(euvres  sont  vaincs,  lieccperunt  mrrcedein 
siiam...  (Matth.,  VI,  5)  ivjhj  vanain,  ajoutait 
saitit  Augusiin.  Nul  n'entrcn  dans  le 
rovaume  de  Dieu,  dit  encore  Jésus-Chi  ist, 
s'il  ne  se  réduit  à  la  pelitesse  de  l'enfanco 
et  s'il  n'en  retrace  dans  ses  œuvi-cs  la  sim- 
plicité (it  la  candeur  :  Nisi  efficiamiiri  sicut 
parvuli,  non  intrabilis  in  regnnin  cœlorum. 
[Malth  ,  XVllI,  3.)  Go  divin  Smveiir  s'ex- 
prime encore  d'une  manière  |)lus  décisive 
et  plus  énergique  en  disant  :  Ç"*  ^'"''  vcnira 
post  me,abnege(  iemetipsum,  el  sequalur  me. 
(L»c.,lX,  23.)  Méditons  ces  graves  maximes, 
elles  nous  révèlent  un  sublime  enseigne- 
ment. 

Sans  celle  abnégation,  sans  celte  mort 
de  soi-même,  sans  ce  renoncement  absolu 
à  loules  les  vanités  delà  terre,  tout  le  reste 
n'est  lien.  En  eifel,  qu'est-ce  (pi'un  mi-» 
nistre  de  Jésus-Christ  qui  se  laisse  domine." 
par  le  désir  de  la  gloire  humaine,  tandis 
•  luo  son  moîlre  a  voulu  être  méprisé 
comme  le  derniei-  des  hommes,  novisiimum 
virorum,  et  mourir  de  la  mort  des  scélé- 
rats, cwm  sce/era^«'srepiUa/MA"es<  ?  (/sa,,  LUI, 
12.)  Que  dis-je?  tandis  que,  môme  après  lo 
triom|)lie  de  sa  résuireclion,  il  daigne  con- 
server sur  nos  aulels  un  étii  d'anéaniisse- 
menl  el  de  mort,  cachant  à  tous  les  yeux 
d'ici-bas  la  splendeur  do  celle  gloire  qui 
embellit  les  cieux? 

O  mes  chers  confrères,  tous  les  jours 
noire  foi  est  témoin  de  ce  miracle  d'humi^ 
lité  (pji  s'opère  dans  nos  mains;  tous  les 
jours  elle  voit  le  Très-Haul,  docile  à  la  voif 
d'un  faible  mortel,  descendre  des  cieux  ii 
l'instant  même  que  son  ministre  l'appelles 
siw  la  terre;  tous  les  jours  et  à  chaque  ins- 
tant elle  aperçoit  le  Koi  <le  gloire  anéanti 
sous  les  voiles  euciinrisliques,  et  noire  orv 
gueil  ne  tomberait  pas  aux  pieds  d'un  Dieu 
si  profondément  humilié  1  O  mon  Sauveur  î 
ô  mon  Dieu  !  (luelle  voix  éloquente  il  mo 
semble  enlendie  sortir  en  ce  moment  du 
fond  de  ce  sanctuaire  pour  confondre  ma 
vanité!  Vous  ôles  dans  ce  tibernacle  lo 
même  qui  remplissez  !■  s  cieux  d'une  splen-.' 
deur  immorielle  1  et  celte  splendeur  qui 
éblouit  les  Séraphins  est  ici  éclipsée  !  lœii 
(le  mon  corjis  n'en  aperçoit  aucun  rayon  J 
les  esprits  sublimes  qui  vous  adorent  au 
plus,  haut  des  cieux,  sont  ici  iitoslernés  sur 
les  marches  de  cet  autel,  se  voiLinl  la  face 
en  piés-nce  de  votre  Majesté,  ei  chantant  h 
liaulc  voix:  Hosanna  au  liis  de  David  ! 

Je  m'unis  à  celle  multitude  d'adorateurs 
célestes  ;  je  ciofs  tous  ces  prodiges  d'iiunii- 
lilé  cachés  à  mes  yeux  ;  et  malgré  celle  foi 
habiluelhi  qui  est  un  don  si  précieux  do 
votie  grâce,  el  en  présence  de  vos  abais-p 
tements  inellables,  o  mon  Sauveur  1  je  con- 
serverais encore  un  cœur  lier,  allier,  indO' 
cile,  indé|)cndant,  rebelleà  mes  supérieurs, 
pleiu  d'envie  [)our  mes  égaux  et  de  méju-is 
pour  mes    intérieurs,    tout    rempli  d'idées 

2'i 


779 


vainos  cl  prt'sniriptueases,  tout  occupé  de 
prétentions,  de  jalousies,  de  distractions, 
souvent  aussi  ridicules  aux  yeux  même  de 
la  saine  raison  que  contraires  aux  maximes 
de  la  foi  ! 

Car,  Messieurs,  qu'est-elle  donc  cette 
gloire  humaine  qui  tourmente  tant  de  têtes, 
surtout  parmi  les  jeunes  lévites?  Que  ce 
mot  ne  vous  choque  pas,  ô  intéressante  por- 
tion du  sacerdoce  1  hélas  !  les  anciens  de  la 
milice  sainte  connaissent  les  tentations  do 
votre  âge.  Qu'est-elle,  dis-je,  cette  gloire 
frivole,  aussi  facile  à  perdre  que  difficile  à 
acquérir;  cette  vaine  fumée  qui  va  se  dis- 
siper dans  les  airs  et  que  poursuivent  ce- 
pendant avec,  une  avidité  si  criminelle, 
même  les  docteurs  de  l'humilité?  Réfléchis- 
sons, mes  chers  confrères,  quel  bien  solide 
peut  nous  procurer,  soit  après  la  mort,  soit 
même  pendant  la  vie,  cette  gloire  périssa- 
ble? Après  la  mort  nous  obliendra-t-e!le  un 
accueil  plus  favorable  auprès  du  souverain 
juge?  changera-i-ello  sa  sentence  à  notre 
égard?...  Hélas!  notre  humilité  l'eût  rendu 
indulgent,  et  noire  vanité  le  trouvera  peut- 
être  inexorable. 

Il  n'y  a  aucun  homme  qui  puisse  prétendre 
sans  doute  h  unegloireplus  pure  et  plus  no- 
ble que  celle  de  l'immortel  Vincentde  Paul  : 
bons  et  méchants,  tous  sont  aux  pieds  ou 
de  ses  autels  ou  de  ses  statues.  Mais  à  quoi 
lui  serviraient  tous  ces  honneurs  si  son  âme 
l)ienheureuse  n'était  dans  le  ciel  ?  Y  serait- 
elle  si  son  zèle  n'eût  été  sanctifié  par  son 
humilité,  si  ses  grandes  actions  n'eussent 
eu  pour  but  que  cette  vaineimraortalité  qui 
a  perdu  tant  d'hommes  célèbres,  dont  saint 
Augustin  a  dit  :  Laudantur  ubi  n:jn  sunt, 
cruciantur  ubi  suni? 

Mais  que  dis-je?  même  pendant  cette  vie 
quel  avantage  solide  peut  nous  revenir  de 
cette  misérable  recherche  de  l'estime  des 
hommes  V  nous  dorinera-t-el!e  le  vrai  mé- 
rite ou  agrandira-t-elle  celui  que  nous 
avons?  serons-nous  j)lus  savants,  f)lus  élo- 
quents, plus  adroits,  plus  vertueux,  parce 
(jue  nous  passeious  f)0ur  tels  dans  l'opinion 
publique?  Hé  1  que  m'importe,  s'écriait 
saint  Paul,  que  les  hommes  me  louent  ou 
me  blâment?  est-ce  de  leur  opinion,  si  sou- 
vent fausse  et  toujours  incertaine,  que  dé- 
pend mon  mérite;  ?Ctlui  qui  me  juge  avec 
vérité  et  avec  justice,  c'est  Dieu  et  pas  d'au- 
tre que  Dieu  :  Qui  judicat  me,  Dominiis  est. 
(1  Cor.,  IV,  4.  )  Oh  1  c  est  lui  qui  m'a|)réciera 
ce  que  je  vaux  :je  ne  serai  autre  chose  que 
ce  que  je  paraîtrai  à  ses  yeux.  Or,  que 
suis-je  en  présence  de  ce  scrutateur  infail- 
lible ?  hélas  I  un  grand  pécheur  qui  ai  fait 
sans  doute  des  efl'orls  pour  expier  mes  pé- 
chés, mais  qui  ne  suis  pas  sûr  d'avoir 
réussi  ;  qui  châtie  tous  lesjours  mon  corps, 
mais  qui  ignore  si  je  serai  au  nombre  des 
élus  ou  des  léprouvés  !  Ainsi  s'exprintait  le 
premier  prédicateur  et  le  plus  grand  théo- 
logien de  la  terre. 

Quand  même  chacun  de  nous  pourrait 
dire  avec  le  même  Apôtre  :  Nihil  mihi  con- 
scius  sum,  ne  devrions-nous  pas  ajouter  de 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 

suite  avec  lui 


730 


Sed  non  in  hoc  jusliftcaCus 
sum?  (Jbid.)  Or,  avec  cette  pensée  je  ne  suis 
pas  sûr  d'être  en  grâce  avec  Dieu;  pensée 
que  la  foi  nous  donne  ,  et  que  personne  ne 
peut  se  dispenser  d'avoir  ;  quelle  ne  serait 
pas  notre  Jaiblesse,  disons  mieux  notre  fo- 
lie, de  nous  laisser  séduire  par  le  frivole 
encensde*  louangeshumaines!  ceuxqui  nous 
louent  nous  connaissent-ils  ?  Le  vrai  mérite 
est  au  fond  du  cœur  qui  n'est  connu  que 
de  Dieu.  Que  prouvent  donc  les  louanges  , 
même  les  plus  sincères  ,  et  elles  le  sont  si 
rarement  ! 

Ici,  Messieurs,  je  ne  puis  me  défendre 
de  citer  un  passage  que  vous  connaissez 
tous  :  Fallax  fallacem,  vanus  vanum  ,  cœcus 
cœcum,  infirmus  infirmum  decipit,  diim  exal- 
tât, et  veracitermagis  confundil y  dum  inani- 
ter  laudat.  L'auteur  de  ces  [taroles,  comme 
vous  savez  ,  est  le  même  qui  avait  déjà  dit: 
Amanesciri,  pro  nihilo  repulari.  Oh  !  si  ces 
maximes  [)Ouvaient  passer  de  notie  mémoire 
dans  notre  cœur,  quelle  impression  feraient 
alors  sur  nous  cette  multilude  de  compli- 
ments insignifiants  dont  nous  sommes  quel- 
quefois l'objet,  et  du  reste  souvent  con- 
tredits par  des  critiques  amères!  quelle  im- 
pression, dis-je,  feraient-ils  sur  nous  ,  sur- 
tout lorsqu'ils  sont  répétés  par  certaines 
personnes  qui  louent  un  prédicateur  sur  un 
sermon  qu'elles  n'ont  pas  compris  ! 

Cependant,  vous  le  savez.  Messieurs,  il 
ne  faut  souvent  que  les  sutl'rages  et  les 
flatteries  des  gens  du  monde  pour  inspirer 
h  un  jeune  ecclésiastique  sans  expérience 
une  présomption  ridicule,  qui  le  perd  quel- 
quefois pour  le  reste  de  sa  vie;  ce  danger 
serait  bien  plus  grand  encore,  et  même 
sous  plus  d'un  rapport,  si  ce  prêtre  se  lais- 
sait ainsi  flatter  par  ceux-là  môme  qu'il  ins- 
truit des  sévères  enseignements  de  l'Evan- 
gile dans  le  secret  de  la  confession. 

L'impression  naturelle  qu'éprouve  dans 
ces  circonstances  un  prêtre  judicieux,  con- 
damné à  entendre  ces  sortes  d'adulations, 
c'est  de  se  dire  à  lui-môme  :  Ou  ces  per- 
sonnes prétendent  remplir  un  devoir  de  re- 
connaissance-, en  louant  en  moi  l'œuvre  de 
Dieu,  qui  seul  en  mérite  la  gloire,  ou  elles 
me  supposent  une  vanité  déplorable,  et 
cherchent  à  ni'encourager  en  la  flattant. 
Hélas!  combien  de  fois  cette  dernière  ré- 
flexion n'esl-elle  |»as  fondée  1  Vous  le  savc/, 
Messieurs,  on  ne  loue  guère  en  sa  présence 
un  prêtre  reconnu  pour  véritablement  hum- 
ble et  solidement  vertueux  :  on  craindrait 
de  l'offenser.  Mais  plus  on  respecte  sa  mo- 
destie, plus  on  admire  les  niolil's  surnatu- 
rels qui  animent  son  zèle,  [)lus  on  les  loue 
à  son  insu  :  car,  du  reste,  la  gloire,  même 
dans  ce  monde,  suit  toujours,  dit  l'Esprit- 
Saint,  la  vraie  humilité  :  Uumilem  spirilu 
suscipiet  gloria.  Prenons  garde,  je  dis  la 
vraie  humilité  :  Uumilem  spirilu  :  car  l'hu- 
milité simulée,  qui  n'est  qu'un  orgueil  dé- 
guisé, n'obtient  d'autre  récompense  (jue  la 
confusion  et  le  mépris  :  Siipcrbum  sequilur 
humilitas.  {Prov.,  XXIX,  23.) 

Sans  doute  le  monde,  tout  injuste  qu  il 


TOI 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  Xlll,  SUK  LIIUMILITE. 


Î8Î 


est,  esl  forcé  de  rendre  hommage  à  la  vertu  ; 
mais  il  «ail  Irès-bien  distinguer  le  masque 
de  la  vertu  d'avec  la  veitu  elle-même;  il 
n'honore  que  ceux  qui  rejetleiit  franche- 
ment les  honneurs.  Saint  Jérôme  a  dit,  en 
parlant  de  sainte  Paule,  que  la  gloire  qui 
naît  de  l'humilité  resseu)bie  à  l'ombre  qui 
suit  notre  corps  :  plus  on  la  fuit,  plus  elle 
s'attache  à  nous;  mais  si  on  se  retouine 
pour  la  saisir,  elle  nous  échappe  en  insul- 
tant, pour  ainsi  dire,  à  notre  illusion  : 
Fugiendo  gloriam,  gloriam  merebaliir,  quœ 
virtutem  quasi  umbra  sequitur,  et  appeiilorcs 
suijieserens,  appitiù  contempiores . 

Ne  distinguons  pas,  vénérables  confrères, 
entre  les  divers  degrés  d'humilité;  appli- 
quons-nous à  acquérir,  dans  toute  son  éten- 
due, cette  vertu  fondamentale  qui  nous  sert 
comme  d'une  échelle  mystérieuse  pour 
nous  élever  jusqu'à  la  perfection  la  plus 
sublime.  Pouvons-nous  choisir  entre  ce  qui 
est  de  conseil  et  ce  qui  est  de  précepte, 
quand  c'est  un  devoir  pour  nous  de  tendre 
à  la  perfection?  Vous  le  savez.  Messieurs, 
se  mépriser  soi-uiême  à  la  vue  de  ses  dé- 
fauts et  de  ses  fautes,  ne  se  servir  des  bon- 
nes qualités  que  la  Providence  peut  nous 
avoir  d.é/iarties  que  pour  glorifier  Dieu,  sa- 
voir soulfrir  avec  patience  et  résignation 
l'indilTérence,  l'oubli  et  le  mépris  des  hom- 
mes ;  repousser  les  tentations  de  l'envie, 
entiu  se  croire  le  dernier  de  tous  :  voilà  au- 
tant de  iiréce;  tes,  dont  Ions  les  jours  nous 
faisons  une  rigourt'u>e  obligation  aux.  sim- 
ples fidèks.  Mais  un  prètie  qui  marche  sur 
les  traces  de  Jésus-Christ  doit  désirer  et 
rechercher  les  humiliations,  el  se  réjouir  de 
ses  opprobres  ;  malheur  au  prêtre  qui  n'as- 
pirerait pas  è  l.t  perléction,  et  ne  ferait  [las 
sans  cesse  des  ell'oris  p  ur  l'atteindre  !  Plus 
l'éminence  de  nos  fonctions  nous  élève  au- 
dessus  des  simples  mortels  ,  plus  nous  de- 
vons craindre  ces  grandes  chutes  qui  scan- 
dalisent el  étonnent  la  terre,  et  qui  le  plus 
souvent  n'ont  d'autre  source  que  la  vanité, 
qui  ne  résulte  que  trop  d'une  malheureuse 
et  fréquente  inexpciience.  Quanlo  magnus 
es,  dit  l'Espril-Saint , /atwï/i'a  le  in  omnibus 
et  coram  Ueo  inverties  graliam.  [Eccli.,  111, 
20.)  Un  édifice  très-hardi  ne  se  soutient  que 
par  des  fondements  creusés  très-bas;  plus 
un  arbre  élève  sa  cime  dans  les  airs,  [)lus 
ses  racines  descendent  dans  les  profondeurs 
de  la  terre  Un  prêtre  ne  se  soutiendra  point 
à  la  hauteur  de  ses  sublimes  fondions,  s'il 
n'est  profondément  humble;  son  niinislère 
rélève  jusqu'aux  cieux,  il  faut  que  son  hu- 
milité l'abaisse  jusqu'à  la  terre.  Au  milieu 
de  nos  découragements  et  des  épreuves 
sans  nombre  qu'on  nous  suscite,  rap[)elons- 
nous  ces  louchantes  (laroles  sorties  de  la 
bouche  de  Jésus-Christ  :  Beali  eslis  cum 
màledixerint  vobis ,  eu  dixerinl  omne  maluiu 
adversum  vos,  gaudete  el  exsullale,  {Matlli., 
V,  11,  12.)  Suivons  aussi  les  traces  i\es 
ai^ôires,  nos  devanciers  et  nos  modèle», 
ces  parfaits  imitateurs  de  la  jierfeciion  do 
leur  divin  Maître,  qui  faisaient  éclater  une 
joie  si  édihanlo  et  si  pure  au  milieu  des 


()ersécutions  :  Ibant  gaudentes.  {Act.,  V,  41.) 
Placeo  mihi  inconlumeliis.  (II  Cor.,  XII,  10  ) 
O  mon  Dieu!  se  pourrait-il  que  cette 
vaine  estime  de  quelques  mortels,  souvent 
trompés  par  l'ignorance  ou  aveuglés  [)ar  la 
prévenliuti;  que  ces  misérables  élog«.<,  dis- 
tribués avec  si  peu  d'équité  et  souvent  cun- 
trcd  Is  ;  que  ces  éclairs  fugitifs  dune  gloire 
niersongèr<',  fusse  il  le  mobile  de  nos  vci:- 
k'S  el  de  nos  sueurs  !  Serait-il  possible  que 
neus  travaillassions  plusieurs  mois,  plu- 
sieurs années,  pour  faire  dire  à  quelques 
esprits  bornés  que  nous  avons  bien  prêjlié, 
et  [lour  faire  ciler  notre  nom  avec  éloges  en 
confiant  notre  prétendue  renommée  au\ 
organes  d'une  publicité  si  souvent  men- 
songère! Do  semblables  Diioyens  pour  ac- 
quérir une  ri^putation  d'orateur  son!  indi- 
gnes d'un  prêtre  eî  en  opposition  directe 
avec  la  gravité  et  ia  sainteté  de  notre  mi- 
nistère. Mon  Dieu  !  quelle  faiblesse,  quelle 
humiliation  pour  l'homme  de  se  laisser 
prendre  à  un  piège  si  grossier!  Ah  !  c'est 
bien  peu  eslimer  ses  travaux  que  de  les 
vendre  à  si  vil  prix!  Aspirons,  mes  chei-s 
confrères,  à  une  gloire  plus  soli  Je  el  plus 
durable.  Travaillons  uniqueujenl  pour  celui 
qui  |)eut  seul  apprécier  le  mérite  de  nos 
travaux  ;  et  un  jour  il  en  sera  lui-mêifte  la 
récompense  :  il  nous  l'assure  lui-même, 
non  en  présence  d'une  paroisse,  ni  d'un 
diocèse,  ni  d'un  royaume,  mais  enprésenre 
de  l'universalité  des  nations  assemblées; 
et  cet  éloge  divin  ne  trouvera  aucun  con- 
tradicteur, et  il  retentira  dans  les  siècles  ; 
Qui  se  humiliai,  exaltabilur.[Luc.,  XIV,  11.) 

INSTRUCTION    XIII. 

SL'ITE  DE  L'uUMILlTli. 

Vilior  Cani  plus  quam  factus  sum,  el  ero  Ijumilisin  ocu» 
lis  mets.  {U  Reg.,  VI,  22.) 

Messieurs, 
Après  vous  avoir  entretenus  de  la  nature 
de  l'humilité  el  des  motifs  qui  rendent  celto 
vertu  si  nécessaire  à  un  prêtre,  nous  médi-* 
terons  ensemble  sur  les  avantages  attachés 
à  la  pratique  de  cette  humilité  sacerdololo 
qui  a  brillé  dans  nos  maîtres,  dans  les  plus 
éminents  docteurs  de  I  É.^lise,  et  en  particu- 
lier dans  noire  divin  modèle.  Le  vice  di; 
l'orgueil,  surtout  dans  un  |  rôtre,  est  dau=^ 
tant  plus  dangereux,  qu'il  a  l'art  de  se  dé- 
guiser, de  s'envelopper  niêine  du  manteau 
de  l'humilité.  Une  connaissance  ordinaire* 
du  monde  et  une  bonne  éducation  sufiTisent 
})Our  donner  un  ton  de  décence  et  de  mo- 
destie. Comme  l'humilité  corrige  les  défaut» 
d'une  première  éducation  et  adoucit  lapreté 
d'un  caractère  né  fier  el  im|)érieu.v,  de 
môme  une  éducation  soignée  réprime  les 
brusiiueriesde  l'amour-propre  et  cache  sous 
les  a|)paren(  es  de  politesse  les  |)rétention.s 
secrèt*s  de  la  vanité.  Un  orgueilleux  qui  a 
de  l'esprit,  et  un  es[iril  cultivé  ,  emprunte 
ordinairement  les  formes,  les  ujanières,  le 
langage  de  l'homme  sincèrement  huMd)le, 
parce  qu'il  vise  à  l'estime  et  à  la  considéra-, 
tion  que  le  monde  esl  forcé  d'accorder  à 
Ja  modestie  et  àrbuunlilé. 


783 


ORATEURS  SACRES.  MAIJREL. 


784 


Mais  que  dis-jo?  non-seaiemont  1  orgueil 
a  l'adresse  de  tromper  les  regards  publics,  il 
trouape  niôaie  celui  qui  en  est  l'esclave  :  on 
est  quelquefois  vain  et  orgueilleux  à  son 
insu.  On  croit  n'ngir  que  pour  la  gloire  de 
Dieu,  paice  qu'on  lui  offre  de  bouche  ses 
actions  et  ses  pensées,  et  c'est  une  vanité 
secrète  qui  enfante  nos  projets,  qui  préside 
à  rios  démarches,  qui  anime  nos  fiinclions, 
qui  encourage  nos  travaux,  qui  est  le  mo- 
bile et  le  ressort  caché  de  loule  notre  con- 
duite. Le  dirai-je?  quelquefois,  peut-être 
sans  s'en  douter,  c'est  par  vanité  qu'on  prê- 
che contre  la  vanité.  Oh!  mes  chers  confrè- 
res, quand  celte  retr<iite  ne  produirait 
d'autre  effet  que  de  dissiper  une  illusion 
aussi  funeste,  que  de  faire  tomber  ce  mas- 
que imposteur  qui  nous  cache  nous-mêmes 
à  nou^-mêmcs,  quel  bien  ne  ferail-elle  pas! 
Mais  ce  bien  sans  doute  est  déjà  fait  : 
l'Esprit  Saint  a  déjà  percé  le  nuage  qui  en- 
veloppait noire  conscience  ;  nous  nous 
voyons  ei  fin  tels  que  nous  sommes  1 

Mon  Dieu  !  grâces  immortelles  vous  on 
soient  rendues.  Je  rccoiiiiais  enfin  avec  dou- 
leur celte  multitude  de  fautes  où  l'orgueil 
m'a  entraîné,  et  je  forme  à  vos  pieds  la  ré- 
solution bien  sincère  d'ôlre  à  l'avi^iiir  plus 
humble ,  non-soulemenl  de  bouche  mais 
de  cœur,  plus  circonspect  dans  mes  [)aroles, 
plus  mesuré  dans  mes  démarches,  plus  at- 
tenlifà  ne  choquer  personne,  plus  convaincu 
de  la  faiblesse  de  mes  lum.ères,  plus  déta- 
ché de  mes  idées,  fdus  soigneux  de  consul- 
ter dans  mes  dou!es,plus  pénétré  de  mépris 
pour  nie5  liéfauts,  et  d'estime  pour  les  ver- 
tus d 'autrui  :  Vilior  fiam  plus  quam  fuclus 
sum,  cl  ero  humilis  m  oculis  meis  (11  lieg., 
VI,  22.)  Vénéiab'es  confrères,  c"est  en  met- 
tant en  pratiijue  ces  maximes  do  la  sagesse 
que  vous  recueillerez  dans  le  cours  de  voire 
carrière  apostolique  les  avantages  attachés 
à  la  praliijue  de  l'humilité,  que  vous  ren- 
drez votre  ministère  fructueux  et  respec- 
table, même  à  vos  ennemis.  Appliquons- 
310US  donc  à  connaître  ces  précieux  avan- 
tages :  je  vais  les  exposer  dans  cet  entre- 
tien. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

La  paix  avec  nos  frères,  avec  nous-mêmes, 
avec  Dieu  :  voilà,  sans  contredit,  tous  les 
avantages,  tout  le  bonheur  qu'il  est  possi- 
ble de  trouver  dans  cette  vie.  Or,  celte  triple 
paix  est  le  fruit  précieux  de  l'humilité,  eî 
l'on  [)eut  dire  de  celle  vertu  comme  on  dit 
de  la  sagesse,  dont  elle  est  le  fondement  : 
Venerunt  mifii  omnia  buna  puriler  cum  illa. 
{Sap.,  Vil,  11.) 

C'est  dans  l'Iiumililé,  et  pas  ailleurs,  que 
nous  trouverons  la  paix  avec  nos  frères.  Qui 
ne  sait  qu'après  avoir  troublé  le  ciel,  et 
armé  les  unes  contre  les  autres  les  intelli- 
gences les  plus  pures,  l'orgueil,  inspiré  [)ar 
le  père  du  mensonge,  est  venu  troubler  la 
terre  ,  et  a  fait  naître  parmi  les  enfar.ts 
d'Adam  une  source  de  divisions  et  de  discor- 
des, qui  ne  tarira  qu'à  la  chute  du  monde  ? 
Le  partage  des  orgueilleux ,    dit    l'Espril- 


Saint,  ce  sont  des  querelles  et  des  disputes  : 
«  Inter  superbos  semper  jurgia  suni.  »  (Prov. 
XIII,  10  ) 

La  concorde  avec  le  prochain  ne  s'achète 
que  par  beaucoup  de  sacrifices  dont  l'orgueil 
est  incapable.  Il  faut  d'abord  s'attacher  à 
vivre  en  paix  avec  S'vs  suoTieurs  :  c'est  sans 
contredit  la  paix  la  plus  désirable  et  la  plus 
utile.  Quele  satisfaction  pour  les  déj>ositai- 
res  de  l'aulorilé,  et  pour  ceux  qui  en  sont 
dépendants,  que  cette  union  do  cœurs  et  de 
volontés,  cette  harmonie  de  sentimens  et  de 
vues  qui  rend  le  bien  facib;,  et  sans  laquelle 
il  est  impossible  de  concourir  au  môme  but, 
et  de  l'atteindre.  Pour  parvenir  à  ce  résul- 
tat, il  faut  de  la  suuiiiis  ion,  de  la  défé- 
rence, de  la  luodestie,  une  docilité  parfaite, 
qui  n'interdit  pas  sai;S  doute  les  observa- 
lions  modérées  et  resfx  ctueuscs,  mais  qui 
bannit  l'entôlement  et  le  eapiice,  mais  qui 
supprime  les  plaintes  et  les  murmures,  mais 
qui  finit  toujours  par  saciifiir  nos  idées  et 
nos  lumières  aux  pensées  de  ceux  que  Dieu 
a  préposés  pour  nous  gouverner,  et  pour 
accomplir  ce  devoir  csseniiel,  fondement  do 
toute  société,  jiuquel  l'Esiuit-Saint  a  piomis 
tous  les  genres  de  victoires  :  Vir  obediens 
loquetur  vicloriam.  [Prov.,  XXI,  28.) 

Oui, M (issieurs, comment  l'obéissance sera- 
t-elle  possible  sans  humilité?  quels  sont-ils 
ceux  qui  d'ordinaire  résistent  à  l'autorité  , 
qui  eniravent  la  marche  de  l'adrainistralion, 
soit  dans  les  diocèses,  soit  dans  les  parois- 
s  s,  soit  dans  les  communautés,  quels  son  - 
ils,  sinon  des  esprits  présomptueux,  indo- 
ciles, entêtés,  qui  ne  connaissent  d'autres 
lègles  que  les  vues  étroites  d'une  raisoi 
bornée,  et  souvent  les  illusions  d'un  zèle 
dépourvu  de  science  et  de  sagesse? 

Pour  vivre  en  paix  avec  ses  inférieurs, 
il  faut  une  charité  industrieuse  et  compa- 
tissante; je  dis  industrieuse,  (jui  fasse  plu- 
tôt aimer  que  craindre  l'autorité,  qui  pré- 
vienne et  aplanisse  les  obstacles  à  l'obéis- 
sance, qui  ait  l'art  de  persuader  avant  de 
commander,  qui  évite  de  prendre  ce  lan- 
gage fernje  et  déterminé  que  l'obstination 
rend  quelquefois  nécessaire,  mais  ce  ton 
d'autorité  et  de  domination  qui  semble 
vouloir  forcer  les  volontés  et  qui  n'obtient 
qu'une  soumission  d'esclave,  et  jamais  cet 
assentiment  de  cœur  qui  fait  la  joie  de  celui 
qui  obéit  et  la  consolation  de  celui  qui 
commande.  Je  dis  une  charité  comfiatissante 
qui  n'ordonne  jamais  rien  d'impossible,  ni 
même  de  trop  pénible,  qui  ne  raé|H-ise  ja- 
mais le  pauvre  ni  l'ignorant,  qui  ait  égard 
aux  circonstances,  aux  défauts,  aux  infir- 
mités, aux  besoins  personnels  des  subal- 
ternes, qui  les  soulage,  les  console  ,  les  en- 
courage, et  leur  allège  le  poids  de  la  sou- 
mission en  allégeant  celui  de  leurs  faibles- 
ses. 

Or,  une  telle  charité  est-elle  compatible 
avec  les  brusqueries  de  l'orgueil  et  le  ton 
impérieux  de  l'obstination?  Si  l'autorité 
d'un  pasteur  est  souvent  méconnue  de  ses 
ouailles,  surtout  des  gens  constitués  en  di- 
gnité; s'il  éprouve  des  contradictions  et  des 


785 


RETRAITE. 


INSTRUCT 


obstacles  à  son  zèle,  même  de  la  part  des 
amis  de  la  religion  ;  s'il  trouve  de  l<i  résis- 
tance jusque  dans  les  personuos  attachées  à 
son  service,  n'est-ce  pas  lrè>-souvLM\l  parce 
qu'il  n'y  a  pdinl  dans  sa  manière  de  gou- 
verner et  d'agir  celle  sagesse,  celle  pré- 
voyance, cette  modéralion,  ce  Ion  de  bonté 
et  (le  douceur  que  rhumililé  seule  peut  don- 
ner ? 

Pour  vivre  en  paix  avec  nos  é.^aux  et  en 
général  avec  qui'  cpie  ce  soit,  il  faut  nous 
pardonner,  nous  excuser,  nous  sui)|)0iter 
miiiueliemenl  dans  nos  faiblesses  et  nos 
défauls;  il  faut  ménager  avec  soin  les  ca- 
railères  diflîciks,  êlre  modéré  dans  les 
corruclions  et  les  avis,  lem[)éri'r  l'ardeur 
d'un  zèle  trop  vif  et  le  renlermer  dans  les 
limitas  de  noire  ministère,  ne  jamais  em- 
piélLT  sur  les  (iréiogatives  des  autres;  il 
faut  savoir  dissimuler,  ignorer,  se  taire. 
Or,  (ù  trouver  le  secret  de  ces  ménagements, 
la  patience  el  la  sagesse  de  ce  silence  ,  si- 
non dans  le  sein  de  l'iiumilité  ?  Et  d'où  vien- 
nent la  plupart  des  querelles  el  des  discus- 
sions, sinon  de  celle  misérable  vanité  ,  si 
susceptible,  si  indiscrète  ,  si  pélulente  ,  si 
ta,  ricieuse  '? 

Pour  vivre  en  paix  avec  les  hommes  il 
faut  rendre  à  chacun  ce  qui  lui  est  dû;  om- 
nibus débita;  cui  honorem ,  hcnorem  ;  cui 
timorein  ,  limorein  {Rom.,  \lll ,  1.)  Il  faut 
que  les  jeunes  lévites  respectent  les  lumiè- 
res et  re\périence  de  leurs  devanciers, 
qu'ils  les  consullenl,  qu'ils  les  écoulent  , 
et  que  les  anciens  compatissent  h  rinex[)é- 
r  ence  des  jeunes  ;  qu'ils  les  avertissent 
avec  bonté,  (pi'ils  les  instruisent  avec  pa- 
tience. Or,  Messieurs,  l'humililé  seule  est 
capable  de  ce  respect,  de  celle  docilité  dans 
les  uns  et  dans  les  autres,  de  celle  indul- 
gence douce  et  alfeclueuse  et  de  celle  réci- 
procité de  bons  sentiments  :  l'orgueil  parle 
haut ,  fron  le,  s'irrite  el  irrite  les  autres. 

Pour  vivre  en  paix  avec  les  hommes,  il 
liiut  que  la  médiocrité  des  talents  applau- 
disse sans  adulation,  et  suitoul  sans  envie, 
aux  succès  de  la  supériorité  ;  que  celle-ci 
encourage  sans  aucun  senlimenl  d'orgueil 
et  de  sufïïian'ie  les  efforts  de  celle-là;  et 
l'humilité  seule  peut  inspirer  cette  justice 
et  celle  sagesse.  Toujours  lier,  toujours 
plein  de  lui-même,  l'orgueil  envie  et  dé- 
crie un  mérite  qu'il  ne  peut  égaler,  dédai- 
gne el  décourage  un  mérite  qu'il  croit  au- 
dessous  du  sien  :  de  là  ces  rancunes  et  ces 
divisioiis  souvenl  scandaleuses  qu'un  mon- 
de malin  aperroil  avecjoie  môme  dans  les 
ministres  d'un  Dieu  de  paix. 

Qu'  lie  esl  l'origine  (tes  schismes  el  des 
hérésies,  Ue  ces  grandes  discoïdes  et  de 
ces  opinions  singulières  réprouvées  des 
gens  sages  et  modérés,  si  ce  n'est  l'orgueil 
el  la  [Tésomplion?  On  veut  se  distinguer 
des  autres,  et  iouvent  cet  esprit  de  singu- 
larité el  d'amour  de  la  nouveauté  conduit 
jusqu'à  préférer  ses  lumières  à  celles  même 
<le  l'Kgiise,  et  jusquà  oublier  qu'écouter 
l'Eglise,  c'esl  écouter  Dieu  lui-même.  Qui 
t)'c'i»pose  à  la  conversion  des  hérétiques,  cl 


.  Xni,  SUR  L'HUMILITE.  7cJ3 

en  général  de  tous  les  pécheurs?  l'orgueil, 
la  présomption  :  on  a  honto  de  s'avouer  cou- 
pable, on  rougit  de  rétracter  ses  erreurs 
et  de  réfiaror  ses  scandales.  Quelle  est  la 
cause  qui  désunit  quelquefois  les  sociétés 
les  plus  saintes  et  les  plus  utiles,  et  arrôlo 
le  bien  qu'elles  avaient  commencé  ?  l'or- 
gueil et  la  présomption.  On  se  porle  mu- 
tuellement envie  ,  on  veul  s'élever  les  uns 
au-dessus  des  autres,  et  l'on  s'entraîne 
dans  une  chule  commune.  Si  les  [iremiers 
chrétiens  ne  faisaient  lous  qu'un  cœur  et 
qu'une  âme,  s'ils  n'avaient  tous  qu'un  vœu 
unanime,  celui  de  la  gloire  de  Dieu,  vers 
laquelle  ils  dirigeaient  de  concert  leurs 
communs  efforts,  n'est-ce  pas  parce  que 
riiunnlilé  plaçait  chacun  d'eux  au-dessous 
de  tous  les  aiiires,  el  que  tous  observaient 
ponctuellement  l'avis  de  rAi)ôirc?  Honore 
incivem  prœvenientes?  {Rom.,  Xll,  10,  ) 

L'orgueil  veut  toujours  dominer,  et  il 
est  impossible  que  plusieurs  occupent  à  la 
fois  le  premier  rang;  l'orgueil  veul  toujours 
avoir  raison,  et  il  est  impossible  que  la  vé- 
rité se  trouve  à  la  fois  dans  des  opinions 
opposées:  et  de  là  ces  disputes,  ces  conles- 
lalions  violentes  qui  changent  quelquefois 
en  champ  do  bataille  môme  les  réunions  do 
l'amitié.  Où  trouver  donc  celte  paix  si  dé- 
sirable et  si  rare  parnii  les  liomujcs,  sinon 
dans  l'humilité,  qui  ne  s'emporte  jamais, 
qui  est  toujours  calme,  el  ne  déreml  jamais 
ses  opinions  avec  aigreur  et  obstination  ; 
qui  ne  sait  parler  (lu'avec  mesure  et  modé- 
ration, qui  préfère  un  silence  modeste  à 
une  discussion  conlenlieuse,  qui  ne  con- 
tredit jamais  sans  nécessité,  et  surtout  ja- 
mais avec  amertume;  qui  res[)ecle  1  auto- 
rité des  sages,  et  se  rend  à  la  vérité  aussi- 
tôt qu'elle  l'a.oerçoit;  qui  déleste  l'agilalion 
et  le  tumulte,  et  cède  volontiers  la  place 
qu'on  lui  dispute,  lors  môme  qu'elle  lui 
appartient,  pour  aller  prendre  la  dernière, 
qu'on  ne  dispute  jamais  à  personne,  à  moin? 
d'inie  lutte  paisible  d'humililé. 

Vous  convienilroz.  Messieurs,  que  quanil 
on  a  l'eslime  des  hommes,  on  doit  néces- 
sairement être  en  paix  avec  eux.  Or,  qui 
peut  procurer  cette  estime  el  cet  amour, 
sinon  l'humilité?  Quel  est  le  lieu  de  l'uni- 
veis  où  l'orgueil  ne  soit  méprisé,  haï,  dé- 
testé? Odibilis  coram  Dco  et  liominibus  su- 
perbia.  {Eccli.,  X,  7.)  Quel  est,  au  contrai- 
re, celui  qui  n'aime  l'numililé ,  du  moins 
dans  les  autres  ?  qui  |)eut  supporter  un 
homme  vain  et  présomptueux  ,  (]ui  ose  so 
lier  avec  lui,  qui  ne  tremble  à  son  appro- 
che,  qui  ne  redoute  cet  air  de  sullisance, 
ce  langage  fier  el  tranchant  qui  semble  dé- 
verser le  mépris  sur  tout  ce  qui  l'entoure? 
Sa  seule  apparition  dans  une  société  y  fait 
naître  le  silence  et  la  froideur:  à  l'instant 
môme  plus  do  coiumuiiicalions  amicales, 
[dus  de  ces  épanchements  de  confiance  ((ui 
réjouissent  le  cœur,  el  souvent  éclairent  l'es- 
prit; dans  la  crainte  de  s'attirer  de  super- 
bes dédains,  on  se  regarde  el  l'on  se  lail, 
ou  l'on  ne  se  [jarle  ([u'avec  circonspeclion; 
et  bientôt  chacun  se  relire. 


m 


ORATEURS  SACRES.  MADREL. 


788 


Mais,  au  contraire,  qui  n'accueille  avec 
joie  un  homme  simple  et  modeste  qui  se 
présente  avec  respect  et  avec  candeur,  qui 
porte  empreinte  sur  son  front  la  sérénité  de 
son  limo,  dont  1rs  regards  répandent  l'araiiié 
et  i'iiliirent,  dont  les  paroles  se  font  remar- 
quer par  un  caraclère  de  douceur  et  de  sa- 
gesse, dont  l'altitude  et  le  maintien  annon- 
cent qu'il  se  croit  le  dernier  de  tous  ?  Cha- 
cun l'élève  dans  son  cœur  en  proportion  de 
ce  qu'd  s'abaisse,  chacun  voudrait  l'avoir 
}'Our  ami  et  pour  confident,  chacun  se  sent 
porté  à  le  consulter,  à  l'écouler,  à  le  défen- 
dre s'il  pouvait  avoir  des  ennemis. 

Ce  sont  des  prêtres,  des  pasteurs  de  ce 
genre  qui  font  les  délices  des  paroisses  et 
qui  les  sanctifient,  qui  attirent  le  respect 
et  la  confiance  même  des  ennemis  de  la  re- 
ligion, qui  plaisent,  qui  intéressent,  qu'on 
aime  à  entendre  en  chaire  et  à  voira  l'autel, 
à  qui  l'on  ne  craint  pas  d'aller  ouvrir  son 
cœur  au  saint  tribunal,  qui  terminent  les 
dilTérends,  éteignent  les  haines,  ramènent  la 
paix  dans  les  familles,  et  dont  le  souvenir 
aj)rès  leur  mort  est  longtemps  en  vénéra- 
tion. Oh!  heureux  les  supérieurs  lorsqu'ils 
ont  à  employer  de  jeunes  lévites  doués  de 
ces  qualités  précieuses  !  ils  sont  bien  sûrs 
d'être  obéis.  L'humilité  n'attend  pas  qu'on 
lui  commande  ;  le  désir  de  l'autorité  lui 
suffit,  et  il  n'est  pas  même  toujours  néces- 
.saire  qu'il  soit  exprimé  :  l'humilité  le  pré- 
vient, elle  s'offre  avec  respect,  elle  part 
avec  une  joie  et  un  courage  qui  présagent 
le  succès,  et  va  répandre  la  paix  et  la  con- 
.solation  qu'elle  porte  dans  son  cœur  :  car  le 
l'rêtre  qui  a  l'humilité  en  partage  vit  en 
paix,  non-seulement  avec  ses  frères,  mais 
encore  avec  lui-même  et  avec  Dieu  :  de  là 
les  autres  avantages  de  l'humilité,  dont  il 
me  reste  à  parler. 

SECONDE   PARTIE. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  le  grand  avan- 
tage promis  par  Jésus-Christ  à  l'humilité 
et  à  la  douceur,  sa  compagne  fidèle,  c'est 
la  paix  et  la  iranquijité  du  cœur  :  Discile  a 
me  quia  milis  sum  et  humilis  cord^,  et  inve- 
nietis  requiem  animabus  vestris.  [Matlk.,  XI, 
29.)  Ce  repos  de  l'âme,  ce  calme  précieux 
qui  fait  l'essence  du  bonheur,  et  sans  leijuel 
les  autres  consolations  ne  sont  qu'amertu- 
me, c'est  l'humilité  seule  qui  le  donne  : 
l'orgueil  ne  le  connut  jamais.  En  effet, 
supposons  un  prêtre  qui  s'est  appliqué  long- 
temps à  connaître  ses  défauts  et  son  néant, 
qui  est  convaincu  de  la  faiblesse  de  ses  lu- 
mières et  de  la  médiocrité  de  ses  talents,  con- 
tent cependant  des  dons  qu'il  a  reçus  de 
Dieu,  «lu  i)Oste  oii  l'ont  placé  ses  supérieurs 
et  du  rang  qu'il  occupe  dans  l'estime  des 
hommes  ;  un  [irêtre  qui  voit,  je  ne  dis  pas 
sans  envie,  mais  avec  joie,  dans  certains 
de  ses  confrères,  une  plus  grande  mesure 
d'instruction,  de  confiance,  de  zèle  et  de 
succès;  un  prêtre  qui  ne  désire  autre  chose 
sur  la  terre  que  d'être  fidèle  à  sa  vocation 
et  d'accomplir  suivant  ses  moyens  la  volon- 
té de  ce  Dieu  suprême  qui  l'a  honoré  du  sa- 


cerdoce ;  qui  ne  craint  autre  chose  que  le 
péché  et  les  dangers  de  son  ministère,  et 
qui,  du  reste,  est  plein  de  confiance  en  la 
bonté  de  celui  qui  l'y  a  appelé,  sachant 
que  ce  Dieu  juste  n'exige  de  chacun  que  ce 
qu'il  peut,  qu'il  ne  commande  pas  les  suc- 
cès, mais  les  efforts  pour  les  obtenir  ;  et 
qu'il  a  plus  d'égards  aux  désirs  du  cœur 
qu'aux  travaux  du  corps,  à  la  pureté  d'in- 
tention qu'à  l'dgitation  et  à  l'éclat  du  zèle  ; 
je  vous  le  demande,  Messieurs,  oii  sera  la 
paix,  si  elle  n'est  pas  dans  le  cœur  de  ce 
prêtre  ? 

Qu'est-ce  donc  qui  pourrait  le  troubler  ? 
l'anibition,  la  cupidité?  11  n'en  a  d'autre 
que  de  procurer  le  salut  des  âmes,  et  il  at- 
tend le  pain  quotidien  du  Maître  généreux 
pour  lequel  il  travaille.  L'indifférence,  les 
mépris  des  hommes  ?  il  s'en  croit  digne  ;  et 
d'ailleurs  leur  estime  et  leur  attention  le 
touchent  si  peu  I  les  regards  de  Dieu  lui 
sutfisent.  Les  calomnies,  les  persécutions  ? 
il  sait  qu'elles  furent  dans  tous  les  temps 
l'honorable  partage  du  vrai  zèle  ;  l'indoci- 
lité deson  peuple,  la  résistancedesméchants? 
il  n'ignore  pas  qu'on  a  résisté  même  aux 
Apôtres,  même  à  Jésus-Christ,  lequel  a  dai- 
gné nous  consoler  d'avance  de  la  stérilité 
de  nos  efforts,  en  ne  faisant  lui-môme  dans 
sa  vie  que  peu  de  conversions. 

Malgré  les  obstacles  qu'on  oppose  partout 
au  [xogrès  de  l'Évangile,  considérons  quel- 
les sont  les  paroisses  les  moins  déréglées  , 
oii  il  y  a  une  réunion  plus  nombreuse  d'â- 
mes pieuses  et  de  vrais  chrétiens?  ne  sont- 
ce  p>as  celles  qui  ont  pour  pasteur  un  prêtre 
reraj)li  de  l'esprit  d'humilité,  et  animé  par 
le  seul  désir  de  plaire  5  Dieu  et  par  la  seule 
crainie  de  lui  dé()laire  ?  Ali  1  Messieurs,  s'il 
nous  était  donné  de  contempler  à  découvert 
l'intérieur  de  ce  prêtre,  nous  verrions  que 
les  contradictions  qui  éprouvent  son  zèle 
sont  bien  loin  de  lui  ôter  cette  paix  inefîable- 
qu'il  trouve  au  fond  de  sa  conscience  et  dans 
la  certitude  des  ()romesses  divines. 

Mais,  au  contraire,  qui  pourrait  peindre 
les  troubles  et  les  déjjits  d'un  prêtre  vain, 
tyrannisé  par  son  amour-propre,  dominé 
sans  cesse  par  le  désir  elfréné  d'une  gloire, 
d'une  réputation  qu'il  ne  peut  obtenir,  que 
Dieu  ne  veut  pas  qu'il  obtienne,  et  tour- 
menté par  la  crainte  de  perdre  celle  qu'il 
possède  ?  Hélas  !  il  faut  souvent  si  peu  de 
chose  pour  le  troubler  :  une  critique,  une 
observation  sur  quelqu'une  de  ses  instruc- 
tions, l'absence  d'une  personne  distinguée 
dont  il  se  flattait  d'être  écouté  avec  intérêt, 
un  manque  d'égards  et  de  prévenance,  une 
raillerie,  une  parole  irréfléchie,  une  visite 
omise,  une  lettre  restée  sans  réponse.  On 
n'examine  pas  si  les  manquements  dont  on 
est  l'objet  sont  vrais  ou  imaginaires  ;  s'ils  sont 
venus  de  la  volonté  ou  d'un  oubli  non  cou- 
pable, s'ils  n'ont  pas  été  peut-être  nécessi- 
tés par  certaines  circonstances.  Pardonnez 
à  la  familiarité  de  ces  détails,  mais  le  péché 
d'orgueil  a  cela  de  particulier  qu'il  n'est  pas 
d'action  dans  la  vie,  pour  si  indifférente 
qu'elle  paraisse,  oiî  ce  vite  ne  puisse  se 


789 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  XUI,  SUR  LHI.MILITE. 


790 


retrouver.  Ingénieux  à  se  tourmenter,  l'a- 
luour-propre  ne  voit  que  malice  et  mépris 
dans  ces  divers  procédés,  et  se  fait  un  suj)- 
plice  de  ce  qui  n'est  souvent  qu'une  clii- 
luère. 

Mais  ce  qui  (rouble  surtout  un  prôlre 
vain  et  ambitieux  ,  ce  qui  l'agile  jour  el 
nuit,  ce  qui  le  rend  sombre,  chagrin,  quel- 
quefois violent  et  emporté,  c'est  la  peine 
seorèie  de  se  voir  surpassé  par  un  autre 
prêtre.  Le  mérite  d'aulrui  est  pour  lui  un 
supplice;  il  ne  pardonne  pas  des  succès 
qui  éclipsent  les  siens  ;  l'intérêt  distingué 
qu'on  témoigne  à  quelqu'un  de  ses  con- 
frères le  blesse  et  l'irrite;  il  s'elîorce  de 
n'y  voir  qu'une  illusion  grossière  ou  une 
injustice  manifeste,  parce  qu'il  y  trouve  un 
reproche  secret  de  sa  médiocrité.  Quel 
tourment  pour  la  vanité  d'un  prédicateur, 
d'un  confesseur,  d'un  pasteur  que  le  monde 
semblera  négliger;  tandis  qu'un  confrère 
sera *considéré,  justement  loué  et  respecté 
de  tous  1  Fili'i  hominum,  ul  quid  diligitis 
vaniCalem,  et  quœrilis  mendaciutn.  {Psal.  IX, 
3.)  Voilà  ce  que  celte  détestable  passion  de 
l'ofjiueil  a  de  spécial  et  de  déflorable  pour 
les  prêtres  dépourvus  de  lou!e  humilité. 

Laissons,  vénérables  confrères,  à  Dieu  le 
soin  de  noire  réputation  ;  elle  sera  bien 
mieux  dans  ses  mains  que  dans  les  nôtres,": 
il  connaît  bien  mieux  que  nous  celle  qu'il 
nous  faut,  et  il  ne  manquera  pas  de  nous 
la  doiuier.  ChiTchons-le  lui-même,  nechi.r- 
chofjs  que  lui,  nous  le  trouverons,  et  lotre 
cœur  sera  content.  N'ayons  en  vue  que  sa 
gloire,  el  cette  gloire,  où  que  nous  l'aper- 
cevions, quel  qu'en  soit  l'instrument,  sera 
toujours  ()our  nous  un  sujet  de  joie  :  alors 
nous  nous  réjouirons  avec  Moïse  el  avec 
saint  Paul  qu'il  y  ail  d  autres  prophètes  et 
d'autres  apôlres,  et  même  que  Dieu,  s'il  le 
juge  conveuabli',  donne  à  leurs  travaux  des 
bénédiclioris qu'il  refuse  aux  nôtres  !  L'au- 
teur de  tout  bien  est  le  maître  de  ses  dons, 
pouvons-nous  trouver  mauvais  qu'il  les 
répande  plusabondamraentsurd'aulres  que 
sur  nous  ?  C'est,  Messieurs,  dans  celle  sou- 
mission parfaite,  fruit  précieux  de  l'humi- 
lité, dans  cet  abandon  total  à  la  sagesse  et 
à  la  bonté  de  la  Providence,  que  nous 
trouverons  la  véritable  paix. 

Certes,  qui  que  nous  soyons,  nous  devons 
tous  convenir  que  nous  ne  sommes  que  des 
serviteurs  inutiles  dont  Dieu  n'a  nul  be- 
soin, servi  inutiles  sumus  [Luc,  XVII,  10); 
el  plaise  au  ciel  que  nous  puissions  ajou- 
ter :  Quod  debuimus  facere  fecimus  !  {Ibid.) 
Or,  pourvu  que  je  fasse  tout  ce  que  Dieu 
me  communae,  que  ce  soil  peu  ou  beau- 
coup, quelle  raison  pourrai-je  avoir  de  me 
troubler  ?  (juare  trislis  es,  anima  mea  {Psal. 
XLI,  6.)  Ne  puis-je  pas  mériter  la  même 
récompense,  et  même  une  plus  grande,  que 
ceux  qui  feront  davantage,  et  qui  peul-êlre, 
malgré  cela,  ne  feront  pas  tout  ce  qu'ils 
doivent,  ou  dont  les  moiifs  ne  seront  pas 
assez  purs  ? 

(^ar,  mes  chers  confrères,  vous  le  savez  et 
vou^le  prècUez,.la  mesure,  comme  lu iiource 


du  vrai  mérite,  n'est  pas  dans  les  œuvres 
extérieures;  elle  est  dans  le  cœur,  dans  le 
degré  d'amour  et  de  zèle  qui  nous  porto 
vers  Dieu  ;  c'est  le  motif  [dus  ou  moins 
saint,  plus  ou  moins  pur,  qui  différencie  le 
mérite  do  nos  travaux.  Que  cette  vérjlf, 
IMessiours,  est  consolante  !  quelle  est  pro- 
pre à  tranquilliser  !  Quel  que  soit  le  succès 
de  nos  fatigues,  fussent-elles  entièrement 
stériles,  que  nous  importe  pourvu  que  no- 
tre zèle  soit  pur,  dégagé  de  tout  amour- 
pro|)re  ?  Nous  pouvons  être  plus  grands 
dans  le  royaume  de  Dieu  que  ceux  qui  con- 
vertiront les  diocèses  et  les  royaumes. 

D'après  ces  principes,  que  faut-il  penser 
de  ceux  qui,  tourmentés  du  désir  de  la  cé- 
lébrité, ne  manquent  pas  de  ciler  le  mot  de 
l'Espril-Sainl  :  Curam  habe  de  bono  nomme, 
et  de  chercher  dans  ses  |iaroles  une  inutile 
juslification  ?  Ce  qu'il  faul  en  penser  ?  c'est 
qu'ils  confondent  une  bonne  ré[)ulaiioii 
avec  une  réputation  célèbre.  On  jouit 
d'une  bonne  réputation  quand  on  est  irré- 
prochable dans  ses  mœurs  el  fidèle  à  ses 
devoirs,  et  surtout  qu'on  est  humble  et  mo- 
deste. Il  esl  impossible  qu'un  tel  mérite  ne 
soit  généralement  estimé.  Je  conviens  qu'un 
prôlre,  pour  être  utile,  a  besoin  de  ce  genre 
d'estime  ;  mais  aussi  quel  est  le  prêtre  qui 
ne  puisse  l'obtenir  ?  Les  réputations  célè- 
bres, brillantes,  sont  bien  plus  à  craindre 
qu'à  désirer  :  très-souvent,  par  l'abus  qu'on 
en  fait,  ellesdeviennent  un  lléau  pour  l'E- 
glise, el  toujours  elles  sont  un  danger  pour 
ceux  qui  les  possèdent, 
ï  Pour  guérir  le  désordre  de  notre  ambi- 
tion, ayons  sans  cesse  [)résent  ce  passage  si 
grave  et  si  lumineux  :  Domine,  Domine, 
nonne  in  nomine  luo  prophetavimus,  et  dœmo- 
niu  ejccimus?  et  vir tûtes  multas  fecimus?  et 
tum  confitebor  illis  quia  nunquam  novi  vos, 
discedile  a  me  qui  operamini  iniquitatem, 
(Matth.,\ll,2'2,23.)  Non,  mes  chers  con- 
frères, les  œuvres  en  apparence  les  plus  sain- 
tes et  les  plus  utiles,  les  prédications  les 
plus  efficaces,  les  conversions  les  plus  éclii- 
tanles,  les  miracles  môme,  si  la  vanité  en 
a  été  le  principe  el  le  motif,  loin  de  mériter 
aucune  récompense,  ne  sont  propres  qu'à 
provoquer  les  vengeances  du  souverain 
Juge  :  Nunquam  novi  vos  ;  discedite  a  me  qui 
operamini  iniquitatem.  (Ibid.) 

L'homme  arrogant  excite  la  colère  du  Sei- 
gneur, dit  le  Sage,  et  son  inaction  même 
n'est  pas  exemple  dépêché,  parce  que  la 
liaute  opinion  qu'il  a  toujours  de  lui-même 
est  une  source  intarissable  de  péché  :  Abo- 
minât io  Domini  est  omnis  arrogans.  (Prov., 
XVI,  5.)  Donc  le  prôlre  qui  n  est  pas  pro- 
fondément humble  ne  vil  pas  en  paix  avec 
Dieu;  et  c'est  avec  raison  que  j'ai  avancé 
que  l'humililé  seule  peut  nous  procurer  la 
paix,  non-seulemenl  avec  le  prochain  et 
avec  nous-mêmes,  mais  encore  avec  le  Sei- 
gneur. Comment  vivre  en  [laix  avec  quel- 
qu'un quand  on  cherche  à  lui  ravir  ce  qu'il 
a  de  |)lus  cher?  Or,  Messieurs,  ce  qui  est  le 
plus  cher  à  Dieu,  maître  absolu  de  toutes 
choses;  ce  qu'il  s'esl  expressément  réserve, 


731 

qu'il  a  d(5clar(5  solennellement  ne  vouloir 
céder  è  personne  :  Gloriam  meam  allerinon 
dabo  {Isa.,  LXVIII,  11),  c'est  précisément 
celle  gloire  que  l'orgueilleux  veut  usurper. 
Il  s'éiablit  donc  une  guerre  entre  Dieu  et 
l'orgueilleux  :  qui  doit  l'emi  orîer  d;ins  une 
Julie  si  inégale,  du  Créateur  ou  de  la  créa- 
tare? 

Les  disciples  de  Jésus-Christ  vinrent  lui 


raconter  avec  joie  les  prodiges  qu'ils  fai- 
saient en  son  nom.  Ecoulons  ce  que  leur 
dit  leur  divin  Maître  pour  les  prémunir 
contre  l'orgueil  :  Je  voyais  Salan  tomber 
du  haut  des  deux  comme  la  foudre  ;  «  Vide- 
hamSatanam,  sicut  fulgur  de  ccelo  cadentem.  » 
{Luc,  X,  18).  O  Lucifer  !  s'écriait  Isaïo, 
comment  as-lu  fuit  une  chule  si  honteuse  I 
Quomodo  cecidisli  de  cœlo,  Lucifer?  {Isa., 
XIV,  12)?  Toi  qui  disais  dans  Ion  cœur  : 
je  ni'élèvf-rai  au-dessus  des  nuages,  je  mon- 
terai au  plus  haut  des  cieux,  j'iii  fait  placer 
mon  trône  au-dessus  du  Irôno  de  Dieu 
tnême?...  Et  te  voilà  dans  la  profondeur  du 
plus  noir  des  abîmes  :  Ad  infernum  delra- 
heris  in  profundum  laci.  {Ibid.,  15.) 

Si  ce  premier  des  orgueilleux  a  é/4  puni 
d'uncj  manière  si  terrible,  à  quoi  doivent 
s'attendre  ceux  qui  l'imilont?  Les  orgueil- 
leux attaquent  Dieu  à  main  armée,  et  Dieu 
leur  résiste  et  les  poursuit  à  son  tour  ; 
Deus  superbisresistit.  (1  Petr.,  V,  5.)  Quels 
moyens  eraploie-t-il  pour  les  humilier  et  les 
confondre  ?  souvent  les  mômes  qu'ils  avaient 
employés  pour  s'élever.  Ils  échouent  dans 
leurs  entreprises,  et  n'en  retirent  que  de 
la  confusion  ;  tandis  que  toutes  ses  grâces, 
toutes  ses  faveurs,  toute  la  force  de  sa  pro- 
tection, tous  les  témoignages  de  son  amour 
sont  pour  les  humbles  :  Humilibus  autem 
dut  gratiam.  {Ibid.)  Sur  qui  jetterai-je  des 
regards  de  miséricorde,  s'écrie-t-il  par  son 
profihète,  sinon  sur  celte  âme  simple  et  ti- 
morée, sur  ce  pauvre  prêlre  pénétré  de 
com|)onclion  à  la  vue  de  ses  fautes,  et  tout 
|tremblantau  souvenir  de  mes  jugements? 
Ad  quem  respiciam,  nisi  ad  pauperculum,  et 
conlritum  spiritu  et  tremenlem  sermones 
mecs.  {Isa.,  LXVJ,  2.) 

L'orgueilleux  Pharisien,  avec  la  fierté  de 
son  altitude,  larrogance  de  ses  regards  et 
l'étalage  fastueux  de  ses  bonnes  œuvres, 
n'obtient  rien  du  Seigneur,  qui  n'écuute 
pas  môme  sa  [)rière,  dédaigne  et  condamne 
sa  vanité  :  car  ses  |)aroles,  dit  saint  Augus- 
tin, étaient  bien  loin  dôtre  une  prière. 
Mais,  au  contraire,  que  n'oblient  pas  cet 
iiumble  i)ublicain  proslernéau  bas  du  lem- 
jile,  tout  confus  au  souvenir  de  ses  crimijs, 
qui  n'ose  lever  les  yeux,  et  s'écrie  en  frap- 
pant sa  poiirine  :  Deus,  propilius  esto  mi/ii 
peccatori  1  {Luc,  XVJll,  13.j  Ati  I  il  obtient 
la  plus  grande  des  grâces,  le  pardon  de  ses 
crJines  et  la  paix  avec  Dieul 

Tant  il  est  vrai,  remarque  saint  Chrysos- 
tome,  qu'un  pécheur  humble  vaut  mieux  en 
un  sens  aux  yeux  de  Dieu  qu'un  juste  or- 
gueilleux. Oui,  Messieurs  ,  il  y  a  plus  à  es- 
pérer du  salut  de  l'un  que  du  salut  de  l'au- 
tre. Le  juste  orgueilleux,  juste  vrai  ou  pré- 


ORATEURS  SACRES."  MAUREL.  ""2 

lendu,  qui,  comme  le  |)harisien,  méprise  et 
condamne  les  autres  ;  qui  ne  voit  autour  de 
lui  que  des  coupables  et  s'applaudit  arro- 
gamment  do  sa  justice,  et  se  dit  h  lui-mô- 
me :  Non  snm  sicut  rœlerihominum{liid.,  i\),\ 
tombera  luenlôt,  s'il  n'esl  déjà  tombé  à  son 
insu,  et  se  précipilera  d'abîme  en  abîme. 
Au  conirairc,  le  pécheur  humble,  en  s'a- 
baissant  comme  le  publicaiii  aux  pieds  de 
Dieu  et  des  hommes,  se  relèvera  de  ses 
chuics,  et  acquerra  successivement  de  nou- 
velles vertus. 

Donc,  Messieurs,  la  plus  nécessaire  de3 
dispositions  soit  fiour  prier  avec  succès 
soit  pour  se  présenter  avec  fruit  au  tribu- 


nai  de  la  pénitence,  c'est  l'huràililé.  Nous 
ne  cessons  de  ra[ii)eler  aux  peuples  ce  pas- 
sage du  Prophète  :  Cor  conlritum  et  humi- 
lialiim,  Deus,  non  despicies.  {Psal.  L,  19.) 
Auriuns-nous  le  malheur  d'oublier  celtj 
vérité  pour  nous-mêmes,  et  de  nous  pré- 
senter à  Dieu  avec  une  présomplion  pres- 
que semblable  à  celle  du  pharisien?  Ahl  si 
tels  étaient  nos  sentiments,  devrions-neus 
être  éionnés  que  Dieu  frappât  de  malédic- 
tion nos  prières  et  notre  ministère?  Car 
Dieu  ne  saurait  bénir  le  ministère  d'un  prê- 
lre orgueilleux. 

Mais  que  de  prodiges  de  grâce,  de  sancti- 
fication elde  salut,  nese  i)luît-ii  pas  à  opé- 
rer par  le  minisière  d'un  prêtre  sincèrement 
humble  et  modeste,  qui  se  délie  sans  cesse 
de  lui-môme  et  ne  compte  que  sur  le  secours 
du  Tout-Puissant  1  Aussi ,  quels  furent  les 
hommes  d'abord  choisis  pour  la  conversion 
de  l'univers?  Infirma  mundi,  ignobiliamun- 
di.  (1  Cor.f  1,  28.)  Mais  comment  ces  apôtres 
si  limides  ,  si  vils  aux  yeux  du  monde, 
ont-ils  pu  triompher  de  toute  la  puissance 
(le  Saïasi,  adoré  alors  de  lu  terre  entière? 
Ahl  c'est  bien  moins  par  leurs  paroles  que 
par  leur  humilité,  ils  [)arureiil  comme  des 
agneaux  eu  [)résence  de  loups  furieux,  de 
ces  savants  su.uerbes,  de  ces  pliilosoi)hes 
hautains,  de  ces  princes  barbares,  de  ces 
peuples  soulevés,  et  toute  celte  fureur  vint 
tomber  aux  pieds  de  ces  hommes  simples  et 
m(jdestés. 

Nous  avons  succédé  au  ministère  des  Apô- 
tres ;  mais,  hélas  1  avons-nous  succédé  à 
leur  humilité?  Aussi,  quel  est  le  succès  de 
nos  travaux?  Et  quand  môme  notre  vanité 
pourrait  opérer  des  jirodiges  et  convertir 
une  seconde  fois  tout  l'univers  ,  à  quoi  nous 
servirait  de  sauver  les  autres  si  nous  ve- 
nions à  nous  perJie  nuus-mêuies?  Quid 
prodest  liomini.  {Mallh.,  XVI,  26.) 

Penuetlez-moi,  Messieurs,  de  finir  cet 
entretien  par  une  réllexion  qui  me  frappe 
vivement.  Je  suppose  deux  prêtres  parais- 
sant à  la  fois  au  tribunal  de  Dieu  :  l'un  a 
été  humble  et  modesle ,  l'autre  vain  et  [)ré- 
somptueux.  Le  premier,  né  avec  des  talents 
médiocres,  ou  môme  au-dessous  du  médio- 
cre ,  a  fait  beaucoup  de  bien;  du  moins  il  a 
désiré  en  faiie  ;  mais  Dieu  seul  a  été  témoin 
de  ce  bien  et  de  ce  désir  :  les  hommes  qui 
ne  jugent  que  d'après  les  apparences,  n'ont 
vu  dans  ce  ])ièlre   qu'un   peut  esprit  ou  uu 


7J3 


esprit  très-ordinaire,  et  ont  fait  peu  d'atlen- 
tion  à  lui.  I.e  socoini ,  né  avec  des  (|ualités 
brillantes  et  des  lalents  supérieurs,  a  jeté 
un  fïrand  éclat  :  les_  liommes  l'ont  admiré, 
nialheureuseinent  il'  s'est  admiré  lui-n)ôme 
et  a  iiiécnniiu  la  source  û'ofi  venaient  ses 
talents,  et  ccdui  qui  réclamait  la  gloire  de 
ses  suciès.  l!s  se  présentent  ensi'Uible  aux 
pieds  du  souverain  Jujj,e  ;  doivent-ils  s'at- 
tendre l'un  et  l'auire  à  la  même  sentence? 
Auront-ils  l'un  et  l'autre  le  même  soii  ! 

Il  me  semble  entendre  une  voix  cjui  ré- 
l'ète  à  l'un  d'entre  eux  les  mômes  paroles 
qui  ont  été  adressées  à  un  autre  coupable  : 
fili,  recordarequia  recepisli  bona  in  vita  tua. 
{Luc.,Wl,'2'6)  .Mon  fiU-,  souvenez-vous 
que  vous  avez  reçu  votre  récompense  sur  la 
terre.  Vous  couriez  après  l'estime  et  les  suf- 
frages des  hommes  ,  et  vous  les  avez  eus; 
vous  étiez  loué,  reclierché ,  fêlé  par  les 
gens  du  monde;  vous  faisiez  l'ornement  et 
Tes  délices  ce  leurs  sociétés,  vous  étiez 
i'àme  de  leurs  jeux  et  de  leurs  plaisirs;  ils 
étaient  tnstrs  lorsque  vous  ne  paraissiez 
pas  à  leurs  réunions. 

Au  contraire,  ce  pauvre  prêlre,  vous  en 
fûtes  le  témoin,  n'a  eu  pendant  sa  vie  que 
dis  humiliât  ons,  et  Lazarus  similiter  mala. 
{Ibid.)  Il  a  vécu  dans  l'obscurité  et  l'oubli;, 
presque  personne  ne  sest  aperçu  de  son 
zèle;  ses  travaux  n'ont  eu  aucun  éclat. 
Tandis  que  vous  é.iez  occupé  à  briller  dans 
le  monde  et  à  recueillir  ses  sulfrages,il 
était,  lui,  occupé  à  l'insu  des  hommes  à 
prier,  à  étudier,  à  confesser,  à  catéchiser, 
à  soigner  les  malades  ,  à  visiter  les  |)risons, 
les  hôpitaux  ;  à  préparer  quelques  instruc- 
tions simples ,  qui  n'étaient  goûtées  que 
des  gens  du  peuple,  et  qui  n'obtenaient  des 
sages  du  monde,  et  souvent  de  vous-même, 
que  des  railleries  et  des  mépris.  Ces  mé- 
pris il  lésa  supportés  dans  le  silence;  il 
ne  cherchait  qu'à  me  plaire;  jetais  sans 
cesse  dans  son  cœur,  et  sans  cesse  loin  du 
vôtre  :  puis-je  vous  traiter  tous  deux  de  la 
même  manière?  Vous  avez  suivi  deux  rou- 
les si  opposées  ;  devez-vous  arriver  au  même 
terme?.... 

Prêtre  modeste  1  il  est  temps  enfin  que 
vous  soyez  dédommagé;  sortez  de  votro 
obscurité,  et  montez  au  séjour  de  ma  gloire, 
intrain  yaudium  Dumini  lui..  [Malth.,  XX  v' 
21).  Unicuique  secundum  opéra  ejus. . .  {Matlh! 
XVI,  27.)  Quarite  Dominum,  dum  invenirl 
potcsl...  '^Isa.,  LV,  6)  et  in  simplicitule  cor- 
dis  quœnle  tllum.  (Sup.,  I,  1.] 

INSTRUCTION  XIV. 

SUR    LE    ZÈLE. 

Ignam  veni  miUi-re  in  lerram,  el  quid  volo  nisi  ut  'ir 
C.'Jldatur.  (Luc,  XII,  49.)  "lu  msi  ui  ac- 

Messieur«, 
Quel  est  ce  feu  mystérieux  que  Jésus- 
tbrist  a  apporté  des  demeures  éternelles 
et  dont  ]l  tlésireavec  tant  d'ardeur  nue  la 
terre  soit  embrasée  ?  Il  a  lé^ondu  lui-même 
a  cette  question  :  Dillrjes  Uominum  Deum 
tnum  ex  tolo  corde  tiio,  et  proximum  luum 
*^cul  leipsuin.  (Malth.,  XXil,  37.jOui,  mes 


RETRAITE.  —  LNSTRLCT.  \IV,  SUR  LE  ZELE.  791 

chers  confrères,  le  feu  de  l'amour  divin 
qui  consume  dans  le  cœur  de  l'homme  tou- 


tes les  cupidités,  toutes  les  craintes  terres- 
tres, qui  le  purifie,  y  fait  naître  le  plus  ar- 
dent désir  do  la  gloire  de  Dieu  et  des 
richesses  impérissables  de  son  royaume; 
le  feu  de  la  charité  fraternelle  qui  s'épuise 
de  soins  el  de  fatigues,  pour  [irocurer  h  nos 
semblables  le  véritable  bonheur,  je  veux 
dire  leur  sanctitication  et  leur  salut;  le 
voilà,  ce  feu  précieux  que  Jésus-Christ 
nous  a  apporté  du  haut  des  cioux,  et  dont 
le  foyer  immortel  se  trouve  dans  le  cœur 
d'un  Dieu  dont  la  charité  est  l'essence, 
Deus  charitas  est  (I  Joan.,  IV,  16);  le  voilà, 
ce  feu  sacré  (pie  l'Esprit-Sainl,  dans  sa  des- 
cente miraculeuse,  répandit  par  torrents 
sur  les  apô'j'cs,  et  que  ceux-ci  allèrent  en- 
suite porter  jusqu'aux  extrémités  do  la 
terre;  le  voilà,  ce  feu  divin  qui  doit  brûler 
sans  cesse  dans  le  cœur  d'un  prêtre,  et  de 
là  se  lépandre  dans  celui  des  fidèles;  ou, 
en  d'autres  termes,  voilà  lo  zèle,  ce  désir 
ardent,  intrépide,  infatigable,  de  procurer 
la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes;  c'est 
là  le  grand  et  sublime  sujet  qui  va  nous  oc- 
cuper dans  cet  entretien,  dont  voici  tout  le 
fiartage  :  Je  considérerai  le  zèle  sacerdotal 
dan  ses  motifs,  dans  son  objet  et  dans  ses 
principales  fonelions. 

O  vous  que  rEciiture  appelle  un  feu  brû- 
lant et  un  Dieu  jaloux  1  vous  qui  nous  ap- 
prenez par  votre  Apôtre  que  le  zèle  d'un 
prêlre  doit  co:nmenc(;r  par  lui-même  :  at- 
tende tibi  (I  Tim.,  IV,  16),  éteignez  dans  nos 
cœurs  le  feu  im|)ur  des  |)assions,  (pii,  hélas  1 
sont  si  souvent  un  obstacle  aux  travaux  et 
aux  succès  do  notre  ministère,  et  allumez- 
y  pour  l'y  entretenir  ce  feu  céleste  qui  re- 
nouvela jadis  la  face  de  la  terre  et  qui  doit 
être  jusqu'à  la  fin  des  teujps  la  force,  la  lu- 
mière el  la  consolation  de  votre  Eglise. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

Prêcher,  confesser,  catéchiser,  en  un  mot 
remplir  les  fonctions  sacerdotales  dans  la  vue 
de  s'attirer  l'estime  et  les  sull'ragcs  des 
hommes,  c'est  vanité  :  les  remplir,  ces 
fonctions  saintes  dans  la  vue  d'obtenir  des 
places,  des  emplois  distingués,  c'est  ambi- 
tion ;  les  remplir  dans  la  vue  di;  se  faire 
une  fortune,  de  se  procurer  quelques  avan- 
tages en  ce  monde,  c'est  cupidité;  les  rem- 
plir pour  rendre  gloire  à  Dieu  et  faciliter  à 
nos  frères  l'acquisilion  de- son  royaume,, 
c'est  charité.  Si  celte  charité  est  vive,  ar- 
dente et  courageuse,  mais  toujours  avec 
sagesse  et  modération  ,  elle  prend  alors  le 
nom  de  zèle.  Rendons  ces  idées  sensibles 
par  un  grand  e.\emi)le. 

Nous  lisons  dans  les  Actes  des  apôtres 
que  saint  Paul,  arrivé  à  Athènes,  et  voyant 
cette  grande  cité  plus  malheureuse  par  ses 
erreurs  et  sa  corruption  que  célèbre  par  ses 
talents  liltéraires  et  les  productions  de  son 
génie,  sentit  ses  entrailles  déchirées  do 
douleur  et  son  ûme  tout  entière  agitée  d'un 
saint  désir  d'arracher  ce  peuple  aveuglé 
aux  ténèbres  de  l'idolâtrie  et  à  l'esclavagij 
des  passions  :  incitabaiur-  Spiriius  ejus  { i 


793 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


796 


ipso,  videns  idololatriœ  deditam  civilatem. 
(Ac<.,  XVII,  16.)  Incitabalur !  Qnf^Ue  force 
dans  celte  expression  1  II  me  semble  voir 
le  cœur  de  cet  apôlre  s'agiter  tout  entier, 
et  sa  grande  âme  s'élever  au  dehors,  coname 
pour  aller  retirer  tant  de  malheureux  des 
voies  de  la  perdition.  Voilà  une  étincelle 
du  véritable  zèle;  le  voilà,  ce  feu  de  la 
charité  qui  brûle  de  faire  connaîire  le  vrai 
Dieu  et  de  sauver  ses  frères!  Mêliez  à  la 
place  de  saint  Paul  un  prêtre  vain  et  fii- 
vole  que  la  curiosité  eût  amené  dans  Athè- 
nes :  il  se  serait  amusé  à  admirer  les  su- 
perbes monuments  de  celte  ville  fameuse, 
la  magnificence  de  ses  édifices,  l'urbanité 
et  l'éloquence  de  ses  habitants.  Saint  Paul 
Tie  fait  attention  à  ces  frivoles  avantages 
que  pour  en  déplorer  l'abus  :  son  cœur  se 
porte  de  suite  vers  Dieu,  inconnu  dans 
cette  ville,  et  qu'il  désire  y  annoncer;  de 
là  ce  sublime  discours  qu'il  fit  retentir 
bientôt  après,  et  avec  tant  de  succès  dans 
l'aréopage. 

Maintenant,  mes  chers  confrères  ,  des- 
cendons au  fond  de  notre  cœur,  et  deman- 
dons-nous ce  que  c'est  qu'un  prêtre  qui 
manque  de  zèle.  Le  môme  esprit  qui  ani- 
mait «aint  Paul ,  et  qui  doit  nous  animer 
aussi,  nous  répondra  que  c'est  un  prêtre 
qui  n'aime  ni  Dieu  ni  lo  prochain,  ou  qui  les 
aime  bien  faiblement  :  car  le  zèle  n'est  au- 
tre chose  que  l'ardeur,  el,  pour  ainsi  dire  la 
(kimme  de  ce  dosilj'e  amour. 

Vcius  le  voyez  donc.  Messieurs,  les  rao- 
liî's  du  zèle  dans  un  piéire  se  confondent 
dans  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain.  Je  dis 
d'abord  l'amour  de  Dieu  :  en  effet,  con)ment 
aimer  Dieu  et  être  insensible  aux  intérêts 
de  sa  gloire,  et  voir  avec  indifférence  son 
nom  blaspiiémé,  sa  loi  violée  par  des  im- 
pics qu'on  peut  éclairer,  par  des  ignorants 
qu'on  peut  instruire,  par  des  pécheurs  qu  on 
peut  convertir,  par  des  ;1uios  lâches  et  indo- 
lentes (lu'on  peut  réveiller  et  encourager? 
Le  propre  de  l'amour,  c'est  'de  vouloir  du 
bien  à  l'objet  aimé;  et  plus  on  l'aime,  [)lus 
on  travaille  à  lui  plaire  et  à  procurer  sa 
gloire.  Un  bon  ami  prend  à  cœur  les  avan- 
tages de  son  ami  comme  les  siens  [iropres. 
Sensible  à  tout  ce  qui  l'intéresse,  il  se  ré- 
jouit de  sa  prospérité^  s'aûllige  de  ses  re- 
vers, cherche  à  adoucir  ses  peines,  le  dé- 
fend lorsqu'il  est  attaqué,  vole  à  son  se- 
cours lorsqu'il  le  voit  dans  le  besoin.  Donc 
si  nous  aimons  véritablement  Dieu,  nwus 
lui  dirons  avec  un  cœur  enflanuué  et  tou- 
ché :  5anc^»^ce<Mrno/?îen  tuum;  advenial  re- 
gnum  tuum  [Slallh. ,  VI,  9);  et  ces  pieux 
désirs,  nous  chercherons  à  les  accomplir 
par  nos  œuvres,  à  faire  connaître  le  saint 
nom  de  Dieu  elà  lui  former  des  adorateurs 
en  esprit  et  en  vérité;  à  j)ublier  les  douceurs 
de  sa  loi,  à  lui  ramener  les  cœurs  qui  l'ont 
abandonné,  à  étendre  le  royaume  de  son 
Fils  et  les  conquêtes  de  son  Evangile,  à 
multiplier  les  enfants  de  son  Eglise  et  les 
citoyens  de  la  céleste  Jérusalem. 

Donc,  si  nous  aimons  véritablement  Dieu, 
nous  gémirons  à  ses  pieds  des  ravages  de 


l'irréligion,  et  de  la  corruption  toujours 
croissante  des  mœurs,  et  nous  nous  oppo- 
seions,  autant  qu'il  sera  en  nous,  à  ce  tor- 
rent d'impiétés  et  de  désordres  qui  désole 
son  Eglise;  nous  n'épargnerons  ni  veilles, 
ni  éludes,  ni  travaux,  ni  courses ,  ni  fati- 
gues, pour  dissiper,  éclairer  cette  ignorance 
si  universelle ,  et  cet  aveuglement  mons- 
trueux qui  couvre  la  face  de  la  terre  :  pour 
faire  connaître  combien  le  Dieu  qui  nous  a 
créés  est  bon  et  aimable,  magnifique  dans 
ses  dons,  et  fidèle  en  ses  promesses,  ri- 
che en  miséricorde  et  terrible  dans  sa  jus- 
lice.  Nous  instruirons,  nous  prêcherons, 
nous  avertirons,  nous  reprendrons,  nous 
exhorterons,  et  surtout  nous  conjurerons 
le  Père  des  miséricordes  d'avoir  pitié  de  soa 
peuple,  de  parler  à  son  cœur,  de  le  toucher 
de  componction  et  de  repentir. 

Si  nous  ne  faisons  rien  de  tout  cela,  pou- 
vons-nous dire  que  nous  aimons  véritable- 
ment Dieu?  l'amour  peut-il  rester  oisif  et 
indifférent?  sera-t-il,  cet  amour  que  l'E- 
criture nous  peint  aussi  fort  que  la  mort, 
tranquille  spectateur  des  outrages  qu'on 
fait  sans  cesse  à  Dieu?  et  ne  cherchera- 
l-il  point  à  venger  les  intérêts  de  sa  gloire, 
du  moins  par  ses  larmes  et  ses  gémisse- 
ments? Voyez  Phinéès,  témoin  d'une  im- 
piété et  d'un  scandale  révoltant,  s'armer 
d'une  sainte  indignation,  et  réprimer  l'au- 
dace du  crime  [lar  une  action  vigoureuse 
qui  a  mérité  les  éloges  do  l'Esprit-Saint  ; 
voyez  Elie,  laissé  tout  seul  au  milieu  des 
ennemis  de  son  Dieu,  ne  point  perdre  cou- 
rage, et,  à  force  de  prières  et  de  gémisse- 
menls,  obtenir  du  ciel  un  miracle  éclatant 
qui  rétablit  la  gloire  du  vrai  Dieu,  et  con- 
fond les  faux  prophètes;  voyez  Maihaihias, 
désolé  des  ravages  que  cause  dans  la  Judée 
l'impie  Antiochus,  méditer  en  secret  le  pro- 
jet d'une  sainte  défense,  et  [)uis  aller  crier, 
au  milieu  de  Jérusalem,  que  celui  qui  a 
du  zèle  pour  la  loi  de  Dieu  nie  suive  :  Exeui 
post  me  [1  Mac,  II,  27)  ;  voyez  Jean-Haptislo 
tonner  dans  le  désert  contre  les  vices  de 
son  siècle,  et  jusque  dans  son  cachot,  con- 
damner avec  une  noble  magnanimité  les 
scandales  d'un  roi  adult'ire:  Non  licel  libi 
(Mnith.y  XIV,  k):  mourir  mariyr  de  sa  fer- 
meté, et  redire  en  quelque  soi  te  sa  mort,  au 
milieu  de  la  cour  d'Hérode,  oij  sa  tète  san- 
glante fut  apportée  :  Non  licet  tibi. 

Qu'opposera  à  ces  grands  exemples  un 
prêtre  lâche  et  pusillanime,  un  pasteur  fai- 
ble et  indolent,  qui,  dominé  par  des  craintes 
humaines,  el  enchaîné  par  une  faiblesse 
honteuse,  n'ose  ni  entreprendre  la  correc- 
tion des  vices  de  son  peuple,  ni  même  les 
condamner?  11  craint,  dit-on,  de  faire  dis 
imprudences,  des'altirerdes  ennemis;  mais 
ignore-l-il  que  la  prudence  de  la  chair  est 
ennemie  de  Dieu,  et  que  la  vi'aie  sagesse 
ne  fut  jamais  pusillanime?  C'est  cependant 
un  bon  prêtre,  ajoute-l-on.  Hé  Iqu'imjiorle 
s'il  manque  d'énergie  dans  les  circonstances 
où  il  en  faut?  qu'osl-ce  que  la  douceursans 
fermeté,  sinon  une  moilosse  couitabloj  une 
indulgence  homicide?    N'oublions  jarï^ais,. 


79V 


RETRAITE.  —  INSTRICT.  \IV,  SUR  LE  ZELE. 


798 


Messieurs,  l'iîxrmple  lerrible  du  grand  pra- 
ire Héli,  puni  de  mort  à  cause  de  sa  fai- 
blesse; il  faut  sans  doute  de  la  douceur,  de 
1,1  modération  dans  le  car.iclère  el  les   ma- 
nières, mais  il  faut  aussi  de  la  force  et  de 
la  vigueur  dans  l'exécution.  Telle  est,  nous 
l'avons  déjà  dit,  la    marche  constante  de  la 
Sagesse  incréée  :  Atlingit  a  fine  ad  finemfor- 
Hier,  et  disponit  omnia  suaviler.  [Snp.,  VIII, 
1.1  El()uanci  même  ce  pasteur  aurait  d'ail- 
leurs  des  mœurs    régulières  et    édillanlos, 
quand  même  il  serait  un  homme  de  retraite 
el  d'oraison,  croil-il  que  le  bon  exemple, 
nécessaire  sans  doute,  suflîra  sans  les  œu- 
vres d'un  zèle  aciif  et  laborieux;  il  est  d'au- 
tant plus   repréhensible  dans  son  indiffé- 
rence, que  la  régularité  de  sa  vie  rendrait 
son  zèle  plus  efficace,  et  le  glaive  de  la  pa- 
role plus  redoutable  -.Prœdica  verbum,  insta 
opportune,    importune,  argue,    obsecra,  in- 
crepn,  in  omui  patientia  et  doclrina.  (Il  Tim., 
IV",  2.)  Je  ne   connais    pas  de    passage  qui 
définisse  mieux  le  vrai   zèle   avec  tous  ses 
caractères;  l'Apôtre  veut  sans  doute  de  la 
modération,  mais  il  veut  aussi  de  l'ardeur, 
de  l'activité,  une  sainte   énergie,  et  surtout 
une   inlaligablo   persévérance;  c'est  à   ces 
niarques  qu'un   pasteur  peut  connaître  s'il 
aime  véritablement  Dieu,  s'il  est  véritable- 
ment  l'homme    de    Dieu    ou  l'homme  du 
iBonde. 

Aussi  quand  saint  Pierre  répondit  à  la 
triple   question    de    Jésus -Christ  :   Simon 
Joannis,  diligis  me,  par  une  triple  ()rotesla- 
lion  d'amour,  Domine,  lu  sois  quia  amo  te, 
<i  quels  signes  cet  aimable  Sauveur  lui  fit- 
il  sentir  qu'on  connaîtrait  la  vérité  de  ses 
sentiments?  aux  œuvres  et  aux  travaux  de 
son  zèle:  Pasce  agnos  meos,  pasce  ovesmeas. 
lJoan.,Wl,  16.)  Non,  mes  chers  confrè- 
res ,  nous  ne  pouvons  dire  h  Dieu  que  nous 
l'aimons  qu'autant  que  nous  paissons  avec 
zèle  le  troupeau  qu'il  nous  a  confié,  qu'au- 
tant que  nous  donnons   le   lait  d'une  ins- 
truction familière  à  ces  pauvres  enfants,  à 
ces  tendres  agneaux  ,  si  dignes  de  nos  soins 
et  de  noire  antour ,  pasce  agnos  meos  ;  qu'au- 
tant  que  nous  distribuons  le  pain  de  la  pa- 
role et  les  sacrements  aux  personnes  ))Ius 
âgées  qui  ont  besoin  d'une  nourriture  plus 
solide,  pasce  oves   meas.  Si   des  devoirs  si 
imporlaiiis  ne  trouvent  en  nous  que  froi- 
deur, indifférence  ou  inexactitude;  si  notre 
peuple,   [)ar  noire  faute,  est  plongé  dans 
l'ignorance  des  vérités  saintes  ou  dans  le 
mépris  des  préceptes  de  Dieu  ;.  si  on  peut 
nous  appliquer   le    reproche    de    l"Es(>rit- 
Saint  :   Canes  muti ,    non  valcntes  lalrare. 
{Isa.,  LVl,  10.)  C'est  en  vain  que  nous  di- 
sons.à  Dieu  que  nous  l'aimons,  il   rejette 
nos  protestations,  et  il  nous  montre  notre 
condamnation  écrite  dans   ces  paioles  sa- 
crées :  Non  diligamus  verbo  ,   sed  opère  et 
veritate.  (I  Joan.,  111,  18.) 

Je  ne  dis  rien  du  zèle  de  la  maison  de 
Dieu,  de  la  décence  du  culte,  de  la  pro- 
preté des  ornements  et  des  autels  ,  de  l'or- 
dre et  de  la  majesté  des  cérémonies,  de  la 
gravité  el  du  recuoilk'ment  dans  k'S  lune- 


lions  saintes  ;  je  me  bornerai  h  vous  dire  : 
malheur  au  prêtre  qui  n'éprouve  pas  le  sen- 
timent du  Prophète  :  Zelus  domus  tnœ  com- 
cdit  me.  {Psal.  LXVIII,  10.)  On  n'aime  pas 
Dieu  ,  quand  on  n'aime  pas  sa  maison. 

Mais  si  le  défaut  de  zèle  ne  peut  se  con- 
cilier avec  l'amour  divin  ,  le  peut-il  davan- 
tage avec  la  charité  fraternelle?  non.  Mes- 
sieurs. Sans  cesse  nous  prêchons  aux  sim- 
ples fidèles  que  le  premier  devoir  de  cette 
charité ,  c'est  de  désirer  et  de  procurer,  au- 
tant qu'il  est  en  nous  ,  le  salut  du  prochain  ; 
que  c'est  15  une  obligation  que  Dieu  à  im- 
posée à   lout  homme,  quel  qu'il  soit,  et 
dont  personne,  absolument  personne,  n'est 
excepté  :  Mandavit    unicuique  de  proximo 
suo.  (Eccli.,  XVII,    12.)  El  en  effet,  est-ce 
aimer  véritablement  que  de  ne  pas  s'occu- 
per du  vrai  bonheur  de  celui  qti'on  aime? 
Or,  esl-il   pour  l'honjme  d'anli'e  vrai   bon- 
heur que  la  possession  éternelle  de  Dieu  et 
de   son   royaume,   c'est-à-dire   le  salut? 
Qu'est-ce  tionc  que  celte  indifférence  pour 
le  salut  d'aulrui,    sinon   un  signe  évident 
qu'on  ne  l'aime  pas,  du  moins  de  cet  amour 
surnaturel,  prescrit  |)ar  la   loi  de  Dieu,  et 
sans  lequel  on  ne  peut  se  sauver  soi-même? 
Car  enfin  le  précepte  évangélique  est  clair: 
nous  devons  aimer  le  prochain  comme  nous- 
mêmes,  sicut  te  ipsum.  [Malth.,  XXII ,  37.) 
Or,  serait-ce  nous  aimer  véiitableuieal  nous- 
mêmes  (|ue  de  ne  pas  travailler  à  notre  sa- 
lul;  que  de  borner  nos  soins   aux  jouis- 
sances passagères  de  cette  vie,  sans  songer 
au  bonheur  de   l'éternité,  qui  est  le  seul 
véritable?  Comment  donc   oserions-nous 
dire  que   nous  aimons  le  prochain  ,  si  son 
salut  nous  était  indifférent?  Mais  ce  n'est 
pas  lout  ;  nous  devons  aimer  le  prochain  , 
non-seulement  comme  nous-mêmes,  mais 
comme  Jésus-Christ  nous  a  aimés  ,  sicut  di- 
lexi  vos.  {Joan.,  XIII ,  34.)  Or,  tous  les  dé- 
sirs, toutes  les  démarches,  tous  les  travaux 
de  Jésus-Christ  ont-ils  eu  d'autre  objet  que 
notre  salut?  Pourquoi   est-il  descendu   des 
fcieux  ?  pourquoi  a-t-il  passé  sa  vie  entière 
dans  les  soulfrances?  pourquoi  esl-il  mort 
sur  une   croix?  Propter  nostram  sattitem , 
disons-nous  tous  les  jours  au  nom  de  l'É- 
glise. Comment  donc   imiterons -nous,    à 
l'égard  -le   nos  frères  ,  l'amour  de  Jésus- 
Christ  pour  nous,  si  nous  ne  les  aidons  de 
toutes  DOS  forces  à  parvenir  au  salut  ,  si 
nous  ne  sommes  disposés  à  sacrifier,  s'il  le 
fallait,  même  notre  vie  pour  leur  procurer 
le  bonheur  éternel ,  comme  Jésus-Christ  a 
sacrifié  la  sienne  pour  nous  [irocurer  à  nous- 
mêmes  ce  bonheur.  Nous  voyons  des  hom- 
mes apostoliques,   marchant  sur  les  traci  s 
de  Jésus-Christ  ,  exposer  leur  vie,  pour  al- 
ler [)lanlerla  foi  dans  des  contrées  infidèles, 
qu'ils  arrosent  souvent  de   leur  sang;  tant 
de  pasteurs,  lan-l  de  missionnaires,   sans 
quitter  leur  patrie  ,  qui  est ,  hélas  1  [)resque 
aussi  aveuglée  et  aussi  corrompue  que  les 
régions  idolâtres  ,  trouvent   le   moyen   do 
gagner,  par  leurs  fatigues  et  leurs  prédica- 
tions, la  palme  du  njartyre,  mourant  tous 
les  jours  d'une  mort  lente,  au  milieu  des 


799 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


800 


sollicitudes,  des  conlradiclions  ,  des  persé- 
cutions ,  des  angoisses  continuelles  du  plus 
pénible  des  ministères,  et  se  faire  un  de- 
voir glorieux  d'ahré^er  leur  vie  pour  pro- 
curer aux  pi'clieurs  la  vie  éternelle.  Soin- 
nies-nous  de  ce  nombre,  mes  c'iers  con- 
frères? Examiiions-nous  chacun  sérieuse- 
ment sur  cet  article,  et  voyons  s'il  y  a  en 
nous  ce  vrai  zèle,  cette  charité  active,  la- 
borieuse, prêle  à  (ous  les  sacritices  ,  SMns 
]a(iuoll>' ,  dit  l'Apùt  e  ,  tout  le  resie  ne  surait 
rien  :  Si  charitalem  non  habuero  ,  nihil  nd/ti 
lirodest.  (i  Cor.,  XllI  ,  8.) 

Si  un  laïque  mmque  do  zèle  pour  le  sa- 
lut de  ses  tïèros,  nous  devons  lui  liire  avec 
l'Esprit-Saint  quM  raar;-lie  dans  les  routes 
ténébieusos  do  la  perdition  :  Ambidat  in 
tcnebris{Psal.  LXXXI,  51)  ;  qu'il  est  enve- 
lojipé  des  ombres  de  la  mort  :  Munct  in 
morte  (I  Jor/n.,  lil,  14.);  qu'il  est  homicide 
et  de  son  âme  qu'il  perd  et  de  l'âme  de  ses 
frères  qu'il  pourrait  sauver  :  Homicidu  est. 
[Ibid. ,  15.)E[  nous,  prêtres  du  Dieu  vi- 
vant et  ambassadeurs  de  sa  miséricorde 
auprès  des  hommes  ;  nous  ministres  de 
Jésus-Christ,  dispensaleurs  de  ses  grâces  et 
de  son  sang,  vicaires  de  sa  charilé  et  de 
son  /èle  pour  le  salut  des  âmes  :  Vicarii 
charitatis  Chrisli;  nous,  qui  n'avons  été 
élevés  au  sacerdoce  que  pour  continuer 
le  ministère  du  Prêtre  éternel,  nous  ver- 
rions froidement  nos  fières  s'aveugler, 
s'égarer,  courir  à  grands  pas  vers  le  gouf- 
fre de  l'enfer,  sans  leur  tendre  une  main 
secourable  1  Que  dis-je?  nous  n'irions  pas 
au-devant  d'eux  pour  les  arrêter  dans  l'en- 
traînemenl  des  fiassions,  et  pour  les  exhor- 
ter, les  presser  avec  tendresse  d'avoir  pitié 
de  leur  âme  :  Miserere  aniinœ  tuœ!  {liccii., 
XXX,  24.) 

Personne  d'entre  nous  n'ignore  qu'à 
revem|)lo  du  divin  pasteur  courant  après 
la  brebis  égarée,  l'apôtre  saint  Jean  courut 
après  un  jeune  homme,  que  son  zèle  avait 
d  abord  gagné  à  Jésus-Christ,  mais  qui, 
entraîné  par  des  sociétés  perverses  et  né- 
gligé par  l'iivèque,  auquel  on  l'avait  confié, 
en  était  venu,  à  force  de  crimes,  jusqu'à 
53  faire  chef  de  malfaiteurs.  Je  vois  l'apô- 
tre, malgré  son  grand  âge,  gravir  celte 
montagne  affreuse  (pii  recelait  l'objet  de  sa 
charité;  et  sans  craindre  ni  les  senlinelles 
qui  veulent  l'arrêter,  ni  tous  bs  périls  at- 
tachés à  une  entreprise  en  a[)parence  si 
téméraire,  aller  droit  à  ce  chef  si  redouta- 
ble, accoutumé  au  meurtre  et  à  la  cruauté, 
mais  qui  ne  peut  résister  à  l'aspect  du  vé- 
nérable vieillard,  et  changeant  tout  à  coup 
son  audace  en  confusion,  se  met  à  [irendre 
1.1  fuite.  J'entends  l'Apôtre  de  la  charité  lui 
crier  avec  tendresse  :  «  Mon  lils,  pour- 
quoi fujez-vous  ainsi  votre  père?  c'est  un 
•vieillard  sans  armes  dont  vous  n'avez  rien 
à  craindre.  Arrêtez,  ô  mon  (ils!  ayez  (litié 
de  mes  cheveux  blancs,  ne  craignez  pas, 
vo're  salut  n'est  pas  désespéré;  vous  [lou- 
yez  vous  repentir;  je  réjionJrai  |iOur  vous 
à  Jé.sus-Clirisl  ;  je  suis  prêt  à  donner  ma  vie 
pour  vous,  comme  Jésus-Christ  a  donné  la 


sienne  pour  tous  les  hommes.  »  Ce  sont  là 
les  expressions  du  vrai  zèle  et  d'un  zèle 
qui  eut  dans  cette  circonstance,  vous  le 
savez,  un  succès  si  consolant.  Nous  voyons 
dans  les  ajiôtres,  et  dans  tous  les  hommes 
apostoliques  qui  leur  ont  succédé,  une 
charité  vive,  tendre,  courageuse  pour  le 
SHlut  de  leurs  frères,  et  vous,  mon  cher 
frère,  vous  demeureriez  plongé  dans  la 
langueur,  dans  l'indolence,  dans  une  lâche 
et  criminelle  apathie,  pouvant  suivre,  au 
moins  de  loin,  ces  sublimes  modèles,  et, 
comme  eux,  arracher  quelques  âmes  au 
démon  1  n'eussiez-vous  '  le  bonheur  que 
d'en  sauver  une  seule,  qui  vous  bénirait  et 
bénirait  Dieu  pendant  l'éternité,  ne  seriez- 
vous  pas  assez  dédommagé  de  vos  peines, 
surtout  si  c'était  une  de  ces  âmes  dont  la 
chute  dtit  entraîner  la  perte  de  plusieurs 
autres?  Quels  ravages  ne  causait  pas  ce 
jpune  homme  converti  par  saint  Jean!  Et 
que  de  crimes  arrêtés  par  son  retour  à  la 
vertu!  Hélas  I  Messieurs,  vous  le  savez 
mieux  que  moi,  tel  est  l'empire  du  bon 
exemple,  qu'il  ne  faut  quelquefois  qu'une 
seule  conversion  pour  amener  la  conver- 
sion de  toute  une  paroisse,  de  toute  une 
contrée.  Oui,  le  salut  d'une  seule  âme  en 
sauve  quelquefois  une  multitude  d'autres 
qui  se  seraient  perdues  par  elle  ou  avec 
elle.  Si  cette  perle  éiait  l'ouvrage  de  no- 
tre négligence,  quel  compte  terrible  ne 
nous  attendrait  pas  aux  pieds  du  souve- 
rain juge  ! 

Hé  quoi!  nous  dirait  Jésus-Christ  dans 
son  indignation,  je  vous  avais  chargé  du 
salut  de  celte  âme,  pour  laquelle  tout  mon 
sang  avait  coulé,  et  vous  l'avez  laissée  pé- 
rir I  Et  c'est  votre  indifférence,  votre  pa- 
resse, voire  lâcheté  qui  l'a  précipitée  dans 
l'enfer!  Ministre  infidèle,  que  pouvez-vous 
attendre  de  ma  jusiice,  sinon  le  môme 
malheur  que  vous  avez  causé  à  cette  âme 
infortunée?  Sanguinem  ejus  de  manu  tuare- 
qnirain.  {Ezech.,  III,  18.) 

Mes  chers  confrères,  je  ne  sais  si  je  me 
trora|)e,mais  il  me  seml)le  qu'un  [irôtre  qui 
manque  de  zèle  a  perdu  la  foi;  non,  il  ne 
croit  ni  au  paradis  ni  à  l'enfer.  Quoi,  Mes- 
sieurs, s'il  survenait  un  incendie  dans  les 
lieux  voisins  et  qu'une  personne  ne  pût 
ôlre  sauvée  des  llammes  que  par  nos  soins, 
sur-le-chainp  nous  sortirions  tous  de  celle 
enceinte,  et  nous  volerions  au  secours  de 
ce  malheureux;  un  pécheur  va  tomber  dans 
les  (lammes  de  l'enfer,  nous  le  voyons  sur 
le  penchant  de  cet  abîme,  et  nous  reste- 
rons spectateurs  tranquilles  d'un  malheur 
(jui  seul  mérite  le  nom  de  malheur!  Une 
certaine  démarche,  une  visite,  un  mot,  un 
avis  amical  sufliiaienl  |»eul-être  pour  rame- 
ner à  Dieu  cet  infortuné;  et  celte  visite,  et 
cel  avis,  (;i  cette  parole,  et  celle  démarche, 
nous  ne  les  tenterons  même  pas  sous  pré- 
texte (pie  ce  serait  tro()  pénible  et  peut- 
être  inutile!  J'ai  donc  eu  raison  de  dire, 
mes  chers  confrères,  et  saint  Augustin 
l'avait  dit  avant  moi,  (]ue  manipjcr  de  zôlo 
c'est  manquer  d'amoar'i>our  Dieu  et  pour 


301 


RETRAITE.  — ;iNSTRUCl.  XIV,  SUR  LE  ZELE. 


802 


le  prochain  :  Qui  non  zelat,  tion  anuit. 
Vous  venez  de  voir  que  les  iiiolifsdii  zèle, 
si  nécessaire  à  un  prèlre,  se  [irennenl  de  l'a- 
n;our  de  Dieu  cl  du  prochain  :  précrpte  sa- 
cré pour  tout  ecclésiasliquc  donl  le  snlut 
est  attaché  à  ct-lui  de  ses  frères.  Voyons 
maintenant  quel  doit  être  l'objet  de  ce  zèle, 
ou,  en  d'autres  termes,  sur  qui  il  doit  plus 
particulièrement  s'exercer. 

SECONDE    PARTIE. 

Appliquons-nous  ces  paroles  do  l'Apôlre, 
vénérables  confrères  :  Omnibus  ovmia  facttis 
sum.  {ICor.,  IX,. 22.)  Le  zèle  n'est  auln; 
chose  que  la  charité,  et  la  charité  embrasse 
dans  ses  anleurs  runiv('r>ali(édes  hommes  ; 
Nec  est  qui  se  abscondat  a  colore  ejus. 
{PsaK  XV 11  1,7). 

Sans  doute  il  est  des  personnes  qui  inlé- 
n  ssont  d'avantage,  pour  lesquelles  on  se 
sont  plus  d'inclination,  h  l'égard  desquelles 
notre  zèle  se  trouve,  pour  ainsi  dire,  ré- 
conipcn-é;  mais  il  est  dangereux  quelqiie- 
i'oisde  suivre  celle  inclination  toute  humai- 
ne, et  il  est  rare  que  notre  zèle  soit  efficace 
auprès  de  ces  personnes  qu'on  ne  sois;no  que 
I)ai  des  vues  d'intérêt  ou  de  satisfaction: 
on  les  convertit  h  soi  bien  plus  qu'an  Sei-. 
gneur.  L'acce[)tion  des  personnes  est  in- 
connue de  Dieu,  et  doit  l'èlre  de  ses  minis- 
tres. Nous  nous  devons  à  tous,  aux  pauvres 
comme  aux  riches,  aux  ignorants  comme 
aux  savanis  :  Sapientibits  et  insipientibus 
debilor  sum.  [Rom  ^  I,  1^0  Jésus  Christ,  notre 
divin  modèle,  a-t-il  exclu  personne  de  sa 
charité,  et  tous  les  hommes  ne  sont-ils  pas 
appelés  à  larticiper  du\  mérites  de  son 
sang?  Pro  omnibus  morluus  est  Cfirislus. 
[Rom.,  V,  9.)  Est-il  un  jiécheur  sur  la  terre 
dont  il  ne  désire  le  salut?  Vult  Deus  omnes 
homines  salves  fieri.  (I  Tim.,  Il,  k.) 

Je  n'ignore  j^as  qu'un  pasteur  se  doit  à 
ses  ouailles,  non-seulement  par  charité, 
mais  [lar  justice,  et  qu'ainsi  il  doit  les  pré- 
férer aux  étrangers;  ceux-ci  n'ont  droit 
qu'au  superflu  de  son  temps  et  de  ses  for- 
ces ;  et  ce  serait  dans  un  pasteur  un  étrange 
aveuglement  de  refuser  à  sa  |)aroisse  les 
soins  nécessaires  pour  consacrer  son  zèle 
aux  paroisses  voisines,  à  moins  que  ses 
supérieurs  ne  l'en  eussent  expressément 
chargé.  Mais  combien  d'occasions  oii  il  peut 
être  utile  aux  étrangers,  sans  nuire  à  son 
troupeau  ? 

Cependant  c'est  un  principe  incontesla- 
b!e,  qu'en  fait  tie  zèle,  comme  en  fait  d'au- 
mônes corjiorelles,  les  secours  doivent  êlre 
proportionnés  aux  besoins,  et  qu'on  doit 
donner  plus  de  teuq)S  et  [ilus  de  soins  à 
ceux  qui  ont  un  besoin  plus  grand  et  plus 
pressant  de  notre  minisière,  et  en  particu- 
lier, car  il  faut  ici  entrer  dans  quelques  dé- 
tail, aux  ignorants,  aux  malades,  aux  enfants 
et  aux  [lécheurs. 

Je  dis  aux  ignorants  :  Hœc  est  vita  œterna 
ut  cofjnoscant  le  sçlum  Dcum  verum,  et  quem 
misistt  Jesum  ('hrislum.[Joan.,  X\  II,  3.)  Vous 
le  savez,  mes  cheis  confrères,  on  ne  peut 
èire  sauvé  sans   connaître  Dieu  et  Jésus- 


Christ  s-in  Fils,  Il  y  a  dans  la  religion  cer- 
taines vérités  fondamcnlales  dont  l'ignoran- 
ce, lill-clie  d'ailleurs  excusab'e  dans  ceux 
qui  en  sont  les  victimes,  les  exclurait  cepen- 
(lanl  du  royaume  des  cicux.  A  Paspecl  d'une 
ignorance  si  funeste,  et  malhi'ureusement 
si  générale,  notre  cœur  serait  insensib'el 
nous  verrions  des  pjiuvres  et  dos  riclu's,  dcS' 
personnes  a(»parlenatit  aux  classes  les  |)lus 
liumbles  de  la  société,  comme  aux  classes 
les  ()lus  élevées,  instruites  peut-être- dos 
choses  de  la  terre,  mais  n'ayant  qu'une  idi'e 
insuffisante  des  choses  de  Dieu,  et  nous  lais- 
serions échapper  l'occasion  de  leur  appren- 
dre le  chemin  du  ciel  I  La  plus  favorable  de 
ces  occasions,  vous  le  savez,  Messieurs,  c'est 
le  tribunal  de  la  pénitence. 

Oh  !  que  je  plaindrais  un  pécheur  igno- 
rant qui  tomberait  entre  les  mains  de  quel- 
qu'un de  ces  confesseurs  sans  zèle  ou  sans 
science,  (jui  ne  savent  que  précipiter  les  ab- 
solutions, sans  avoir  examiné  si  les  coupa- 
bles son!  suffisamment  instruits,  et  peut-être, 
hélas!  pour  s'épargner  la  peine  de  les  ins- 
truire! A  quoi  sert  d'absoudre  un  pécheur 
que  son  i;^norance  rei  d  presque  semblable 
à  un  infidèle?  une  telle  absolution  est  au 
moins  nulle  pour  ce'ui  qui  la  reçoit;  et  pour 
celui  qui  la  donne,  n'esi-elle  pas  criminelle 
et  sacrilège  ?Heureux  cet  inforluné  pécheur, 
si  Dieu  le  conduit  à  un  prèlre  zélé,  qui  non- 
seulement  l'instruira,  mais  l'aidera  à  répa- 
rer les  sacrilèges  accumulés  [leul-èlre  pen- 
dant longues  années,  soit  par  l'effet  de  son 
ignorance,  soit  par  l'indifîérence  de  ses  con- 
fesseurs! 

Nous  admirons  le  zèle  de  ces  hommes  de 
Dieu  qui  vont  porter  aux  extrémités  du  mon- 
de la  connaissance  de  Jésus-Christ,  et  nous 
n'auions  pas  le  courage  de  rendre  le  même 
service  du  moins  à  nos  proches  et  à  nos 
concilojcns!  Nous  avons  vu  l'heureux  effet 
qu'ont  produit  les  instructions  simples  et 
jxipulaires  des  missionnaires  sur  les  habi- 
tants des  villes  et  des  campagnes,  et  nous 
n'aurions  du  goûl  que  pour  ces  discours 
pompeux,  presque  toujours  sans  fruit,  ou 
qui  ne  peuvent  êlre  uliles  qu'à  ceux  qui 
connaissent  déjà  la  religion,  ou  qui  en  ont 
du  moins  des  notions  suffisantes,  et  le  livre 
qui  contient  les  premiers  éléments  de  celte 
religion  sainte,  le  catéchisme,  est  ignoré 
aujourd'hui  de  la  plupart  des  hommes, 
môme  do  ceux  qui  se  disent  chrétiens  et 
nous  vantent  sans  cesse  les  progrès  des 
lumières! 

Me  permelirez-vous,  Messieurs,  de  vous 
rappeler  un  irait  (]ue  vous  avez  lu  dans 
l'histoire  du  bienheureux  François  Xavier? 
Savants  théologiens,  profonds  eonlroversis- 
tes,  écrivail-il  du  fond  des  Indes;  brillants 
prédicateurs!  ah!  venez  a|  prendre  à  do 
pauvres  sauvages  ({u'il  y  a  en  Dieti  trois 
l)ersonnes,  et  que  Jésus -Christ  est  mort 
pour  leur  salut.  Mais  que  dis-je?  une  telle 
ignorance  ne  se  trouve-t-elle  (ju'au  delà  des 
mers?  n'est-elle  point  partout,  mais  surtout 
dans  les  personnes  grossières  (jui  n'ont  reçu 
aucune  éducation?  Ooiumeni  donc  se  peut- 


803 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


60 1 


il  que  certains  prôlres  témoignent  tant  de 
répugnance  pour  le  soin  des  hôpitaux,  des 
prisons,  des  paroisses  de  la  campagne,  sur- 
tout de  cellesqui  s^nl  situéesdansdes  lieux 
agrestes  et  isolés  ?  Eh  quoi,  grand  Dieu  1  les 
pauvres  ha[)itants  des  hameaux  sont-ils 
donc  moins  précieux  à  vos  yeux,  moins  for- 
més à  voire  image,  que  les  brillantes  popu- 
lations des  villes  et  des  cités?  Et  seraient- 
elles  indignes  de  nos  talents,  ces  Ames  sim- 
ples et  naïves  que  votre  Fils  n'a  pas  jugées 
indignes  de  son  snng?  Messieurs,  c'est  une 
chose  lamenlabie  que  la  difficulié  qu'éi)rou- 
vent  (]uelquofois  les  premiers  pasleurs'pour 
faire  desservir  certaines  |  aroisses  1  Avant 
d'obéir  è  la  voix  de  l'Eglise,  c'est-à-dire  à 
la  voix  de  Dieu,  Ion  examine,  ^n  visite,  on 
pn.'nd  des  renseignements  sur  la  nalure  du 
lieu  où  la  Providence  vous  envoie,  sur  les 
habitudes,  sur  le  caractère,  la  générosité  des 
habilanls,  sur  les  avantages  qu'on  peut  en 
attendre.  Sonl-ce  là  les  calculs  el  les  spécu- 
lations du  véritable  Zblel  Charilas  non  quœ- 
rit  quœ  sua  sunt...  Non  est  ambitiosa...  Pa- 
tUns  est.  (1  Cor.,  Xlll,  4,  5  )  Parce  qu'une 
paroisse  exige  de  nous  des  travaux  âs>-ilus, 
difliciles  et  obscurs  qui  nous  dégoûtent, 
est-ce  un  tnolif  de  la  rejeter?  ne  faut-il  pas 
que  ce  poste  soit  remi)li  par  quelqu'un? 
Pourquoi  ne  serait-ce  |)oint  par  vous,  mon 
cher  confrère,  que  Dieu  y  appelle,  qu'il  juge 
digne  de  soulTrirquelque  chose  pour  la  gloire 
de  son  nom,  par  qui  peut-être  il  veut  0()érer 
des  prodiges  de  grâce  et  de  miséricorde?  Et 
si  Dieu  vous  y  apjielle,  croyiiz-vous  qu'd 
vous  y  abandonne,  même  sous  le  rapport 
des  moyens  temporels? 

Mais  ce  sont  des  gens  grossiers,  rebu- 
tants, intraitables.  De  qui  sommes-nous 
donc  les  ministres,  sinon  d'un  Dieu  com- 
patissant qui  a  voulu  se  charger  de  nos 
misères;  d'un  Dieu  pauvre  qui  a  aimé  les 
pauvres,  qui  les  a  a[)pclés  les  iiremiers  à  sa 
crèche,  qui  s"estdit  envoyé  des  cieux  pour 
évangéliser  les  pauvres,  paiiperibus  evangeli- 
zare  tnisit  me  (Luc,  IV,  18);  qui' aimait  à 
se  voir  suivi  dans  les  bourgades  et  les  dé- 
serts do  plusieurs  milliers  de  pauvres  ?  Et, 
Messieurs,  de  qui  nous  viennent  donc  les 
plus  douces  consolât. otis  de  notre  ministère  ? 
n'est-ce  pas  presque  toujours  de  ces  gens 
simples  el  pauvres,  ordniairemenl  plus  do- 
ciles que  les  riches  el  les  gens  du   monde? 

J'ai  dit  encore  que  les  malades  étaient 
l'objet  spécial  du  zèle  sacerdotal.  Un  prêtre 
doit,  en  etfet,  par  ses  secours,  ses  instruc- 
tions et  son  dévouement,  soulager  les  ma- 
lades, leur  alléger  le  fardeau  des  soulfi an- 
ces,  en  leur  ra[)()elant  tout  ce  que  la  religion 
leur  oll're  d'espoir  et  de  consolation.  Il  so- 
rait  à  plaindre,  ce  piètre,  ce  pasteur  négli- 
gent  qui,  par  son  indolence  et  sa  lenteur, 
ou  par  une  absence  imprudente,  laisserait 
mourir  un  malade  sans  les  secours  de  la 
religion.  Celle  âme,  [leut-ôlre  condamnée 
au  tribunal  de  Dieu  par  la  faute  du  prêtre, 
viendrait  sans  cesse,  !e  jour  el  la  nuit,  se 
présenter  à  son  souvenir  et  l'accabler  de 
reproches  d'autant  plus  aifreux,  qu'ils  se- 


raient, hélas!  plus  mérités.  Cette  image 
terrible  ferait  le  lourraent  du  reste  de  ses 
jours  ;  elle  le  suivra  jusqu'au  fond  du  tom- 
beau, jusqu'aux  [ieds  de  son  souverain 
juge,  Mais,  au  contraire,  quel'e  consolation 
n'eproiive  pas  un  prêtre  actif,  assidu,  labo- 
rieux, que  ni  la  privation  du  sommeil,  ni 
la  craiiue  des  dangers  de  la  nuit,  de  la  ri- 
gueur dos  saisons,  de  la  contagion  d'uno 
épidémie,  n'arrêtèrent  jamais  dans  les  soins 
qu'il  devait  aux  malades,  et  qui  peut  dire 
avec  vérité  qu'aucun  ne  s'est  soustrait  à  sa 
vigilance  ;  qu'il  les  a  tous  visités,  instruits, 
consolés,  encouragés  aussi  souvent  qu'il  le 
fallait.  Je  n'ignore  pas,  vénérables  confrè- 
res, (]ue  notre  ministère  auprès  des  mou- 
rants est  quelquefois  bien  [)énible.  Que  de 
ditficultés,  par  exemple,  pour  pénétrer  jus- 
(ju'à  la  demeure  d'un  impie,  qui,  toute  la 
vie,  a  blasphémé  la  religion,  haï  el  méprisé 
ses  ministres,  et  qui  les  abhorre  jusque 
dans  son  lit  de  mort  I  que  d'obstacles  à  la 
conversion  de  cette  âme  si  profondément 
endurcie!  Alil  c'est  dans  les  occasions  dif- 
ticiles  que  l'on  connaît  si  un  pasteur  a  du 
zèle. -Mais  nos  soins  auprès  de  ce  grand 
coupable,  vieilli  dans  le  crime,  seront  vrai- 
seml)lablemcnl  inutiles!  Qu'en  savons-nous? 
Est-il  plus  coupable  que  le  larron  converti 
sur  la  croix?  et  le  bras  de  Dieu  est-il  rac- 
courci? D'ailleurs  ce  n'est  pas  sa  conver- 
sion que  Dieu  nous  demande;  ce  sont  nos 
elforts  pour  le  convertir.  P'aisons  tout  ce 
qu'un  zèle  bien  entendu  nous  suggère  : 
SI  ce  malheureux  pécheur  jiersiste  jusqu'à 
la  lin  dans  le  refus  des  sacrements,  que  du 
moins  il  ne  puisse  nous  imputer  sa  perte 
éternelle;  et  n'oublions  [las  que  le  zèle 
môme  infructueux  ne  [)erd  pas  sa  récom- 
pense, dit  saint  Bernard  :  Curam  exegeris, 
non  curalionem. 

Ces  cas  extraordinaires  sont  rares,  le 
ministère  d'un  bon  prêtre  est  toujours 
iiécessaire  au  luomenl  de  la  mort.  Daiis 
l'état  de  santé  on  nié()rise  souvent  nos 
conseils,  plus  souvent  on  résisle  à  nos 
avis,  et  plus  souvent  encore  le  bon  elfet 
n'en  est  que  passager  ;  mais  au  moment 
de,  la  mort,  au  moment  où  toutes  les  il- 
lusions cessent,  où  la  voix  des  passions 
est  enfin  forcée  de  se  taire,  on  nous  écouto 
avec  plus  de  fruil,  el  la  persévérance  peut 
être  plus  facile!  Ah  1  faisons  alors  pour  nos 
frères  tout  ce  que  nous  voudrions  qu'on  fit 
pour  nous  en  pareille  circonstance.  Je  le 
sais,  les  conversions  diiférées  jusqu'à  la 
mort  sont,  hélas  1  très-incertaines,  et  peut- 
être  très-rares  ;  mais  n'est-ce  pas,  du  nio  ns 
en  partie,  par  un  manque  de  zèle,  ue  cou- 
rage et  de  contiance  de  la  part  des  prêtres  ? 
Que  chacun  s'interroge  ici  et  qu'il  voie  s'il 
n'aurait  pas  péché  :  c'est  une  de  ces  obliga- 
tions sur  lesquelles  nuus  sommes  poités 
à  nous  faire  illusion.  Il  faut  sans  doute  faire 
la  part  des  circonstances,  et  ne  rien  négli- 
ger de  ce  que  commande  la  [)rudence  hu- 
maine; mais  aussi  il  fau.t  se  rappeler  que 
notre  devoir  le  plus  sacré  est  de  gagner  des 
Autes  à  Dieu. 


sou 


RETRAITE.  —  INSTKUCT.  XIY,  SUR  LE  ZELE. 


808 


J'ai  dil  aussi  qti'un  des  piiiicipaux  objets 
du    zèle     saconiotal   consislait  à  instruire 
les    enfants.    Vous   le   savez,  l'enfance  est 
tout  h  la  fuis  IMge  le  plus  facile  et  le  |)lus 
diflicile  pour  faire  aimer  la  vertu.  Le  plus 
facile,  quand  les  parents  vertueux  ont  cul- 
tivé ces  jeunes  piaules  dès  leurs  plus  ten- 
dres  années,    et  ont  lait    naître  dans  ces 
âmes   toutes  neuves  la  connaissance   et  la 
crainte  de  Dieu;  mais  si  cette  preujiôre  édu- 
cation  est  vicieuse,  et  que  de  malheurs  de 
ce  genre  n'avons-nous  |)as  à  déplorer  au- 
jourd'hui I  que   de  dilllcultés  pour  tourner 
vers  Dieu  des  esfirits  faibles  et  inconstants 
qui  ont  sucé,  pour  ainsi  dire,  le  vice  avec 
le  lait,  et  qui  peut-être  en  ont  tous  les  jours 
le  funeste  exemple  devant  les  3'eux  I  Apla- 
nircesdifiîcullés,  c'est  pournous, Messieurs, 
le   plus  pénible  sans  doute,  mais  le  plus 
important,  le  plus  nécessaire,  et  surtout  le 
plus  méritoire  de  tous  nos  devoirs.  L'amour- 
propre,  je  le  sais,  ne  trouve  pas  son  compte 
à  soigner  des  enl'ants  ;  il  aime  mieux  l'aire 
retentir  dans  une  chaire  quelques  mots  fas- 
tueux qu'il  appelle  éloquence  qu'éclairer  et 
diriijer  des  esprits    dissipés  et  turbulents 
qui  coûtent  plus  à  contenir  qu'à  instruire. 
Mais  le  vrai  zèle  ne  raisonne  |)as  ainsi  :  il 
voit  dans  les  enfants  le  fondement  de  l'E- 
glise et  delà  société;  et  la  dillicullé  de  les 
former  est   pour  lui  un   motif  de  plus  de 
multiplier  ses  efforts.  Il  aperçoit  devant  lui, 
non  les  suffrages  d'une  multitude  imposante 
qui  applaudit  un  discours  péniblement  tra- 
vaillé, que  souvent,  du  reste,  elle  ne  peut 
a[iprécier,  niais  les  suffrages  du  verbe  ir.- 
cariié,   de   ce   Sauveur   aimable  qui  disait 
pendant  sa  vie  mortelle  :  Sinite  parvulos 
venire  ad  me  {Marc,  X,  ik);  qui  caressait, 
qui  chérissait  les  entants   qui  leur  promet- 
tait, ainsi  qu'à  ceux  qui  les  instruisent,  le 
royaume  des  cieux,  et  qui  nous  dit  avec 
tendresse,    pour  nous  encourager  dans  ce 
pénible  ministère  :  Quandiu  feiistis  uni  ex 
his  minimis,  milti  fecislis.  {.'Jalth  ,  XXV,  kO  ) 
Oui,  les  soins  qne  vous  donnez  à  ces  pau- 
vres enfants,  c'est  à  moi-même  que  vous  les 
donnez;  j'habite  dans  leur  cœur,  ou  je  dois 
y  habiter  bientôt,  c'est  à  vous  à  m'y  con- 
server ou  à  m'y  préj)arer  une  demeure  di- 
gne de  moi. 

O  illustre  Gerson  1  parlez  ici  à  ma  place, 
vous  qui  occupiez  un  rang  si  distingué  dans 
la  république  des  lettres  chrétiennes,  vous 
qui  avez  éclairé  la  i)Ostérité  de  tant  de  sa- 
vants ouvrages,  vous  ne  crûtes  cependant 
pas  vous  abaisser  en  apprenant  à  des  en- 
fants les  premiers  éléments  de  la  religion. 
Vous  aussi,  pontifes  immortels,  la  gloire 
de  l'Eglise  gallicane,  vous  savant  évêque 
de  Meaux,  et  pieux  archevêque  de  Cambrai, 
vous  vous  êtes  (ait  gloire  de  catéchiser  la 
jeunesse.  Serait-il  possitjle,  Messieurs,  que 
quelqu'un  rougît  d  un  semblable  ministère 
ajirès  de  tels  exemples? 

Je  dis  enfin  que  notre  zèle  doit  surtout 
s'attacher  aux  pécheurs.  Hé,  Messieurs, 
n'est-ce  pas  là  le  grand  et  unique  objet  de 
la  mission  du  Jésus  Cluisl?  Il  nous  dit  lui- 


même  qu'il  n'est  descendu  des  cieux  que 
pour  sauver  ce  qui  avait  péri  ;  qu'il  n'est 
pas  venu  appeler  les  justes,  mais  les  pé- 
cheurs; que  la  conversion  d'un  seul  pé- 
cheur réjouit  1  II, s  le  ciel  que  la  [)ersévé- 
rance  de  (dusieurs  jusies.  Quelles  para- 
boles plus  louchantes,  que  celles  qui  nous 
retracent  la  charité  de  Jésus-Clirist  pour 
les  pécheurs.  Tantôt  c'est  un  pasteur  affligé 
qui  court  après  une  brebis  égarée,  et  la 
reporte  doucement  sur  ses  épaules;  tantôt 
c'est  un  père  attendri  qui  pleure  un  tils 
ingrat  dont  il  a  été  abandonné,  et  qui,  le 
voyant  revenir  à  lui,  s'empresse  d'aller  à 
sa  rencontre,  l'embrasse  sans  lui  faire  de 
reproche,  le  baigne  de  ses  larmes,  et  or- 
donne une  fête  pour  célébrer  son  retour. 
Voilà  ie  langage  du  divin  Sauveur. 

Il  nous  a  dit  encore,  ce  grand  modèle  : 
Exemplum  dedi  vobis,  ut  quemadmodiun  ego 
feci,  ita  elvos  faciatis.(Joan.,  Xlll,  15.)  Nous 
trouverons  dans  notre  troupeau  plus  d'une 
brebis  égarée,  et  dans  noire  famille,   plus 
d'un   tils  dissipateur.  Employons  pour   les 
ramener   les   mêmes    moyens    que   Jésus- 
Christ  ;    allons  avec  bonté  à  la   poursuite 
des  uns,  demandons  à  Dieu,  et  attrndoi.s 
avec  patience  le  retour  des   aulies.  A  ceux 
que  nous  croirons  (louvuir  gagner  par  nos 
avances,  donnons  à  proiios  un  avis   pater- 
nel, encourageons-les    par  quelque  ['drôle 
tendre  et  affectueuse.  Pour  ceux  à  qui  nos 
avis  seraient  encore  inutiles,  ayons  de  bons 
procédés;  voyons-les  dans  les  circonstances 
oiî  il  convient  de   les  voir  ;   (ju'ils  soient 
convaincus   que  nous  désirons   ardemment 
leur  retour  à   Dieu,  et  qu'ils  seront  reçus 
avec  les  sentiments  d'une  charité  toute  Ira- 
ternelle;  si  nous  les  voyons  s'avancer  vers 
nous,  ou  disposés  à  le  faire,  quittons  tout 
pour  aller  à  leur  rencontre,  et  leur  abréger 
un  chemin  qu'il  coû'e  tant  à  la  faiblesse 
humaine  de  parcourir.  Prenons  garde  qu'un 
soin  excessif  pour  les  âmes  pieuses  ne  dé- 
goûte et  ne  décourage  les  coupables;  n'ou- 
blions   pas   la  conduite  de   notre  maître  : 
Relinquit  nonaginta  novein,  et  vadit  quœrere 
eam  quœ  perieral.  {Matlh.,  XVIII,  12.) 

Mes  chers  confrères  !  la  conclusion  na- 
turelle lia  tout  ce  que  je  viens  de  dire, 
c'est  qu'il  n'est  rien  de  |)lus  nécessaire  dans 
un  prèlre  que  le  zèle  de  la  gloire  de  Dieu  et 
du  salut  des  âmes,  qu'un  prêtre  qui  man- 
querait dans  les  choses  graves  de  ce  zèle 
mériterait  déjà  l'anathème  évangélique  : 
Servum  inutilem  ejicite  in  lenebras  exlerio' 
res  {Matlh.,  XXV,  30)  ;  c'est  que  les  moyens 
et  les  occasions  d'exercer  le  zèle  étant  in- 
nombrables, aucune  excuse  ne  peut  nous 
en  dispenser.  N'alléguons  pas  la  médiociilé 
de  nos  talents  et  la  faiblesse  de  notre  sauté 
pour  nous  exempter  des  obligations  inhé- 
rences au  sacerdoce.  11  ne  faut  que  des  ta- 
lents métliocres  pour  enseigner  les  premiers 
éléments  de  la  religion,  pour  expliquer  le 
symbole  et  le  décalogue,  pour  donner  quel- 
ques bons  conseils,  et  placer  adroitement, 
môme  dans  une  conversation  indifférente, 
une    [laiolo  d'édilicûliion;    pour    secoDi'.ec 


ROT 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


808 


une  pieuse  entreprise,  encourager  le  bon 
exemple  et  conclamner  le  vice.  Il  ne  faut 
pas  de  grands  talents  pour  s'anéantir  devant 
la  majesté  infinie  du  Très-Haut,  et  supplier 
le- Père  des  miséricordes  de  béthr  noire  nii- 
iiislère.  Ne  nous  laissons  pas  aller  à  de  (i- 
mides  précautions  [)0ur  l'entretien  du  notre 
santé,  que  Dieu  saura  bien  nous  conserver, 
et  qu'il  serait  d'ailleurs  glorieux  de  com()ro- 
mettro  à  son  service-  Il  est  le  maître  de  la 
■yie  et  de  la  mort,  et  il  ne  nous  abandonnera 
pas,  après  avoir  soutenu  dans  les  travaux 
les  plus  pénibles,  les  voyages  les  plus  pé- 
rilleux, tant  de  saints  prêtres  dont  la  faible 
saille  semblait  exiger  les  plus  grands  ména- 
gements. Vous  savez  tous  que  saint  Fran- 
çois d'Assises  avait  des  talents  médiocres, 
et  que  le  grand  saint  Grégoire,  au  rapport 
des  historiens  de  sa  vie,  n'eut  qu'une  santé 
chancelante  ;  et  cependant  (juel  bien  n'ont- 
ils  pas  fait  I 

Gh  I  mes  chers  confrères,  il  me  semble 
entendre  le  père  de  famille  nous  criant  du 
haut  des  cieux  :  Messis  multa,  operarii  au- 
tempauci.  {Matlh.,  IX,  37.)  Quid  hic  slatis, 
tota  dieoliosi?  [Matth  ,  XX,  6.)  Jeunes  prè- 
Irts,  pleins  de  force  et  de  vigueur,  homme 
de  bonne  volonté,  à  l'aspect  de  ces  plaines 
jaunissantes  qui  appellent  la  main  du  mois- 
sonneur, c'est-à-dire  de  ces  paroisses  né- 
gligées qui  réclament  les  secours  de  la  re- 
ligion, ranimez  votre  zèle,  et  courez  à  ce 
champ  inimense  où  vous  attendent  de  grands 
travaux  sans  doute,  mais  aussi  une  récolle 
abondante  !  Et  vous,  vénérables  vieillards, 
guidez  avec  sagesse  une  ardeur  si  précieuse, 
diiigez  avec  bonté  ces  élans  de  courage,  qui 
pourraient  devenir  inutiles  ,  et  peul-ètre 
même  funestes  s'ils  n'étaient  réglés  jiar  la 
prudence,  et  modérés  [vàv  la  douceur. 

Quel  que  soit  notre  âge  et  notre  condi- 
tion, jeunes  et  vieux,  excitons-nous,  en- 
courageons-nous muiuellement  jiar  la  {)a- 
role  et  par  l'exemple;  faisons  cliacun  ce 
que  nous  pouvons,  demandons  à  Dieu  ce 
que  nous  ne  pouvons  obtenir  de  nous-mê- 
mes, et  nous  aurons  fait  ce  qu'il  exige, 
pourvu  qu'il  voie  nos  efforts,  qu'il  trouve  en 
nous  une  bonne  volonté,  une  docilité  sin- 
cère aux  bons  conseils,  une  soumission 
parfaite  à  l'autorilé,  un  altachement  iné- 
branlable aux  vrais  priuci[)es,  et  surtout 
cette  pureté  d'intention  qui  ne  cherche  que 
Dieu,  et  ne  veut  avoir  que  lui  pour  j)rix 
de  ses  travaux  !  Nous  venons  de  voir  sur 
qui  devait  s'exercer  le  zèle  sacerdotal  ;  il 
nous  reste  A  examinerquelles  sontses  priii- 
cipales  fonctions,  [)Our  terminer  un  entre 
tien  doni  l'importance  justifiera,  je  l'espère, 
les  développements  duns  lesquels  j'ai  élé 
obligé  d'entrer. 

TROISIÈME  PAUTIE. 

Quelles  sont.  Messieurs,  les  principales 
fonctions  du  zèle  sacerdotal  ?  Elles  sont 
aussi  innombrables  que  les  diverses  maniè- 
res de  contribuer  à  la  gloire  de  Dieu  et  au 
salut  du  prochain.  J'en  distinguerai  cepen- 
daiil  trois  i)rincii>ales  :  ce  sont  l'instruction 


des  peuples,  l'administration  des  sacre- 
ments et  nos  rapports  extérieurs  avec  le 
monde. 

Je  dis  d'abord  l'instruction  des  peuples. 
Rappelons  la  grande  mission  que  Jésus- 
Christ  nous  a  donnée  dans  la  personne  des 
apôtres  :  Euntes  docete....  docentes  servare 
omnia  quœcunque  mandavi  vobis.  {Mallh., 
XXVIIl,  19,  )  Le  commencement  du  salut, 
c'est  la  foi.  Mais  quel  est  l'organe  de  la 
foi,  sinon  l'ouïe  ?  fides  ex  audilu.  (Rom. 
X,  17.)  Comment  les  f)euples  ncquerront-ils 
ou  conserveront-ils  la  foi,  s'ils  n'en  enten- 
dent prêcher  les  vérités  ?  quomodo  credenl 
sine  prœdicante?  {Rom  ,  X,  14-.)  De  là  l'o- 
bligalion  imi)0sée  par  TEglise  à  tous  les 
pasteurs  de  faire  le  prône  et  le  calhécisme, 
d'avertir,  de  reprendre,  d'exhorter,  de  pres- 
ser à  temps  et  à  contre-temps,  comme  dit 
l'Apôtre,  mais  toujours  avec  sagesse,  pa- 
tience et  vérité,  m  omnie  patientia  et  doc- 
irina,  {Il  Tiin.,  IV,  2  ) 

Pénétrés  de  ces  grands  principes,  le  com- 
mun des  pasteurs,  et  môme  des  simples 
prêtres,  se  font  un  devoir  et  un  honneur 
d'annoncer  la  parole  sainte  ;  il  n'est  guère 
que  les  piêlres  indignes  de  ce  nom  qui  dé- 
daignent ou  négligent  le  noble  ministère. 
Mais  prenons  garde,  mes  vénérables  con- 
frères, que  prêcher  n'est  pas  toujours  ins- 
truire. La  première  qualité  d'une  instruc- 
tion, c'est  la  clarté;  et,  pour  être  clair,  il 
faut  avoir  soi-même  une  idée  ne:te  de  ce 
qu'on  enseigne,  et  chercher  ensuile  le  lan- 
gage le  plus  à  la  portée  des  esprits  gros- 
siers, qui  forment  toujours  la  m.ijeure  par- 
tie de  nos  auditoires.  Pour  être  clair,  il  faut 
écarter  certaines  manières  de  |)ailer  qui, 
peut-être,  natteraient  l'oreille  de  l'homme 
instruit,  mais  retentiraient  vainement  à 
celle  de  l'ignorant.  Il  faut  mettre  de  l'or- 
dre, de  la  suite  dans  ses  idées  :  car  le  dé- 
sordre fut  toujours  l'opposé  de  la  clarté. 
Ce  n'est  pas  eiicoie  assez  :  pour  instruire  et 
éclairer,  il  faut,  non-seulement  exposer  la 
vérité,  mais  ra|)peler  les  motifs  les  plus  ca- 
pables de  la  persuader;  et  les  plus  frap- 
pants ne  sont  pas  toujours  les  plus  ingé- 
nieux ;  ce  sont  les  plus  faciles  à  saisir,  les 
plus  conformes  à  ce  bon  sens  départi  à  tous 
les  hommes.  Ce  n'est  pas  tout  encore  :  pour 
prêcher  ulilemeni,  il  faut  attacher  l'audi- 
teur à  la  vérité  qu'on  lui  annonce,  et  pour 
cela,  la  lui  présenter  d'une  manière  aima- 
ble, intéressaiite,  lui  montrer  que  son  avan- 
tage et  son  bonheur,  môme  |)our  la  vie 
[•résenle,  ne  se  trouvent  que  dans  la  pra- 
tique de  la  religion,  et  que  sans  elle  il  n'y 
a  que  trouble  et  an:ertume.  Ce  n'est  pas 
encore  tout  :  pour  prêcher  utilement,  il 
faut  être  soi-même  [  rolondément  pénétré 
des  vérités  qu'on  annonce,  les  sentir  vive- 
meiit,  et  avoir  un  désir  ardent  de  faire  par- 
tager notre  intime  conviction  à  ceux  qui 
nous  écoulen!. 

Donc,  Messieurs,  pour  prêcher  utilement, 
il  faut  ôlre  homme  d'étude,  de  retraite,  d'o- 
raison :  hélas  1  est-il .  étonnant  que  nos 
instructions  soient   si   souvent  inh  uclueu- 


809 


KETUAlTi:.  —  LNSTRICT.  XIY,  SUR  LE  ZELE. 


ses?  On  chcrrlio  à  s'osciiser  sur  les  mnu- 
vaises  disposilinns  des  auuileurs;  n'a-l-on 
iitjcun  rei)roche  à  se  faire  à  soi-même? 
s'esl-oii  préparé  avec  soin  et  devant  Di«», 
au  saint  ministère  de  la  parole?  a-l-on  de- 
mandé à  l'Espril-Sainl  qu'il  nous  inspirât 
lui-même  le  laniragequi  convenait  à  notre 
auditoire?  mène-l-on  une  conduite  qui  prê- 
che par  elle-iiiéine?  mais  surtout  faisons- 
nous  ce  que  nous  conseillons  aux  autres; 
et  notre  vie  ne  contredit-elle  pas  notre 
doctrine?  Car,  Messieurs,  permettez-moi 
cette  applicalion  profane,  si  l'on  a  délini 
l'orateur  en  général,  vir  bonus,  dicendi  pe- 
rj7u5,  comment  oser  monter  en  chaire,  si 
l'on  n'est  un  bon  i)rôtre,  un  prêtre  irrépro- 
chable? car  il  n'y  a  que  les  bons  prêtres 
(jui  finissent  persuader  et  convaincre.  On 
se  plaint  quelquefois  qu'on  n'a  pas  re^u 
certains  lalenfs  qu'on  admire  dans  les  au- 
tres; mes  chers  confrères,  ce  ne  sont  pas 
les  talents,  du  moins  tout  seuls,  qui  con- 
vertissent ;  c'est  la  sainteté  qui  supplée 
quelquefois  tous  les  talents.  Vous  le 
voyez  tous  les  jours,  lequel  des  deus 
fait  plus  de  bien,  ou  d'un  prédicateur  bril- 
lant qui  fait  retentir  les  chaires  de  sa  pom- 
peuse vanilé,  ou  d'un  saint  prêtre,  d'un 
saint  pasteur  qui  porte  en  chaire  un  exté- 
rieur modeste  et  recueilli,  qui  montre  à 
ses  auditeurs  un  cœur  tendre  et  compatis- 
saut,  plus  désireux  de  leur  salut  que  du 
leurs  suUrages;  et  qui  persuade  bien  plus 
par  l'opinion  qu'on  a  de  ses  vertus  que  par 
la  force  des  preuves  ou  les  ornements  du 
discours?  C'est  celui-là  qui  porte  la  lu- 
mière dans  les  esprits  et  la  coiijponction 
dans  les  âmes  ;  c'est  celui-là  qui  louche,  qui 
remue,  qui  convertit,  et  amène  ses  audi- 
teurs au  tribunal  de  la  pénitence,  où  se 
consomme  la  conversion. 

C'est  ici  le  grand  théâtre  du  zèle,  et,  j'o- 
serai le  dire,  la  fonction  la  plus  impor- 
tante, la  plus  décisive  pour  lu  salut  des 
âmes.  Nous  devons  sans  doute  commencer 
par  les  instruire,  et  réveiller  ou  alfurmir  en 
elles  le  don  de  la  foi  ;  mais  la  foi  n'est  que 
le  commencement  de  la  justihcation  que.  les 
sacrements  procurent  ou  maintiennent. 
Aussi,  Jésus-Christ,  ajjrès  avoir  chargé  ses 
apôtres  d'enseigner  les  nations  :  Doccte, 
ajoute  de  suite  ,  baplizantes  eos,  et  b.iptisez- 
k'S.  Or,  vous  le  savez,  la  pénitence  est  une 
espèce  de  second  baptême  non  moins  né- 
cessaire que  le  premier,  et  sans  lequel  les 
autres  sacrements  ne  peuvent  produire  leur 
elfet.  Quel  zèle  ne  devons-nous  pas  dé- 
|)loyer  l'Our  faciliter  à  nos  peuples  l'usage 
de  la  confession,  et  leur  donner  le  goûtel 
l'habitude  de  cette  sainte  pratique,  la  plus 
nécessaire  de  toutes,  sans  contredit,  pour 
renouveler  la  face  d'une  paroisse,  y  établir 
et  maintenir  l'esprit  de  piété  1  quels 
efforts  ne  fait  pas  un  saint  [lasteur  qui  désire 
sincèrement  le  salut  de  son  tioupeau,  pour 
dissiper  les  préventions  et  aplanir  les  obs- 
tacles qui  éloignent  les  péchouis  et  les 
âmes  tiedes  du  saint  tribunal  !  quels  moyens 
ingénieuv  n'em[»lùie-l-il  [las  |)our  les  y  al- 

Oratul'rs  sacrés.  L^.^  111. 


SIO 

tirer  et  les  encourager!  avec  quelle  ardeur 
ne  s'applique-t-il  pas  à  éclairer  leur  aveu- 
glement, à  les  aider  avec  adresse  à  dé- 
brouiller le  chaos  de  leur  conscience  !  avec 
quel  soin  n'eniploie-t-il  pas  les  remèdes 
convenables  pour  les  corriger  de  leurs  ha- 
bitudes, les  éloigner  des  occasions  et  des 
d.ingprs  qui  les  perdent,  les  arracher  5  l'em- 
pire du  démon,  et  faire  de  ncjuveau  des 
enfants  de  Dieu;  leur  ouvrir  le  royaume 
céleste,  les  préserver  ensuite  de  la  re- 
chute, et  les  soutenir  dans  les  voies  de  la 
vertu  1 

Je  sais.  Messieurs,  qu'autant  que  ce  mi- 
nistère est  sublime,  nécessaire,  consolant 
dans  ses  effets,  autant  il  est  pénible,  diflî- 
oile  et  même  dangereux  pour  celui  qui 
l'exerce.  Je  sais  que  pour  confesser  utile- 
ment, et  se  sanctifier  dans  cette  fonction 
en  sanctifiant  les  autres,  il  faut  de  grandes 
qualités:  science,  prudence,  discrétion,  in- 
tégrité de  mœurs,  piété,  charité,  douceur, 
fermeté,  désintéressement,  pureté  d'inten- 
tion, et  surtout  une  patience*  et  une  cons- 
tance inébranlables.  Je  sais  que  ceux  qui 
réunissent  toutes  ces  qualités  craignent  en- 
core de  se  perdre  en  travaillant  au  salut 
des  autres,  de  se  souiller  en  cherchant  à 
les  purifier,  de  se  condamner  eux-mêmes 
en  les  absolvant  à  tort,  ou  refusant  sans 
motifs  de  les  absoudre  :  je  sais  tout  cela; 
mais  je  sais  aussi  que  quand  on  est  appelé 
par  la  Providence,  c'est-à-dire  par  l'organu 
des  supérieurs,  aii  ministère  de  la  confes- 
sion, on  doit  affronter  avec  confiance  et 
avec  courage  tous  les  dangers  et  toutes  les 
peines  que  ce  ministère  peut  présenter,  et 
qu'on  doit  craindre  de  trouver  dans  un  cou- 
pable refus  la  condamnation  du  serviteur 
oiseux  et  inutile  :  Servum  iniUilem  ejicite  in 
lenebras  exteriores  (Malth.,  XXV,  30.)  Mais 
je  sais  aussi  qu'on  sauve  plus  d'âmes  en 
confessant  qu'en  prêchant,  et  que  la  prédi- 
cation, sous  certains  rapports,  est  tout  aussi 
dangereuse  que  la  confession.  Mais  il  y  a 
quelque  chose  do  plus  dangereux  encore, 
c'est  l'inaction.  Hé,  mes  cliers  confrères, 
les  fonctions  du  zèle  sacerdotal,  quelles 
qu'elles  soient,  sont-elles  aujourd'hui  plus 
pénibles  et  plus  dangenmses  qu'elles  ne 
l'étaient  du  temps  des  apôtres?  Et  croyons- 
nous  que  la  main  toute-puissante  qui  nous 
a  soutenus  nous  abandonnera?  croyons- 
nous  que  ce  Dieu,  aussi  sage  que  bon,  qui 
veut  le  salut  de  tous  les  hommes,  mêuie  des 
impies  et  des  infidèles,  ne  veuille  pas,  à 
plus  forte  raison,  le  salut  de  ses  prêtres,  de 
sl'S  ministres,  de  ses  amis,  qui  se  sacrifient 
tous  les  jours  pour  sa  gloire?  Et  s'il  veut 
notre  salut,  croyons-nous  qu'il  nous  délais- 
sera dans  les  dangers,  et  ne  proportionnera 
jias  l'abondance  de  ses  secours  à  la  gran- 
deur do  nos  besoins?  Ahl  Messieurs,  n'ou- 
blions jamais  cette  grande  et  consolante 
vérité  :  Pcus  impossibilia  nonjubet,sedju- 
bendo  monet  faci-re  quod  possis,  peterc  quod 
non  possis  et  adjuvat  ut  possis. 

Pénétrés   de  ces  grands   motifs  de  con- 
fiance, écrions-nous   donc  avec  l'Afiôlrii  ; 

20 


8}l 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


8i;i 


Ego  autem  libentissime  impmdam,  et  stiper* 
impendar  ipse  pro  animabus  vestris  (Il  Cor., 
XII,  15.)  Oui,   Eylise  de  Jésus-Clirist,  dès 
ce  moraeutje  me  dévoue  de  grand  cœur,  li- 
bentissime, h  la  conquête  des  âmes  el  au  salut 
de  vos  enfants.  Hé  quoi  1  je  vois  vos  ennemis 
redouL)ler  chaque  jour  d'efforts  et  de  courage 
pour  vous  enlever  ces  âmes  précieuses  que 
Jésus-Christ,   votre  époux,  a   rachetées  de 
tout  son  sang;  je  vois  le   monde  étaler  aux 
yeux    d'une  jeunesse    inexpérimentée    le 
charme  de  ses   vanités,   de  ses  plaisirs,  de 
SCS  danses,  de  ses  speciacles,  de  ses  romans, 
tout  le  prestige  de  ses  séductions.  Je  vois 
l'impiété  répandre   partout,   jusqu'au  fond 
des  campagnes  les  plus  sauvages,  le  poison 
de  ses   doctrines,  de  ses  obscénités,  de  ses 
lilasphèmes  ;  je   vois   tant  d'âmes,  victimes 
(le    l'erreur,   ou  jouet   des   passions,   périr 
misérablement,  faute  de  secours,  faule  de 
zèle  dans  leurs   pasteurs,  ou  peut-être  par 
un  manque  absolu  de  pasteurs;  et  à  la  vue 
de  tant  de  malheurs  qui  vous  arrachent,  ô 
Eglise  du  Dieu   vivant  1  les   mêmes  gémis- 
sements qu'à  l'infortunée  Racht.l,  je  vivrais 
tranquille  au  sein   de   la    mollesse   et   de 
l'inaciion  1  La   perte  de  mes  frères  ne  me 
toucherait  pas  !  je  les  verrais  de  sang  froid 
tomber  dans  les  abîmes  éternels,  sans  leur 
tendre  une  main  secouiable,  sans  déjiloyer 
jiour  leur  salut  tout  ce  (|ue  mes  faibles  la- 
lents,  miS  lumières,  mes  conseils,  ma  santé, 
ma  jeunesse,  ou   un  reste  de  vigueur  près 
de  s'éteindre,  peuvent  me  fournir  de  moyens 
et  de  ressources  I  Quoi,  mes   chtTS  confrè- 
res, les  Hyacinthe,  les  Xavier,  et  tant  d'au- 
tres, se   sont  ?i'rachés   à   leur  patrie    pour 
aller  évangéliser  des  contrées  infidèles  ;  ils 
ont  alfionié  les  tempêtes,  les  persécutions, 
tous  les  genres  de  périls,  pour  agrandir  le 
royaume  de  Jésus-Christ;  el  nous,  pouvant 
partager  sans  nous  déplacer,  sinon  leur  hé- 
roïsme, du   moins  leur  zèle  et  leur  mérite, 
nous  resterions  dans  une  honteuse  apathie 
et  une  criminelle  oisiveté,   sous    prétexte 
peut-être  que    l'Eglise   a  chargé    d'autres 
que  nous  de  la  conduite  des  âmes,  ou  que 
nous  avons  de  quoi    vivre  sans  nous  livrer 
aux  travaux  du  saint  ministère  :  comme  si 
c'était  une  vie   sacerdotale  que   de   traîner 
une  ennuyeuse  et  inutile  existence  dans  les 
festins  el  les  réunions  mondaines!  Ce  n'est 
pas,  nies  chers  confrères,  que  le  zèle   nous 
interdise  tout  commeice  avec  les  hommes; 
au   contraire,  et  c'est  encore  une    de   ses 
fonctions   les  plus  importantes.  Permettez- 
moi   d'entrer  ici  dans  quelques  détails  qui 
caractériseront  nos  rappoits  extérieurs  avec 
le  monde  :  dernière  fonction  du  zèle  sacer- 
dotal. 

Je  ne  saurais,  Messieurs,  vous  faire 
mieux  connaître  la  manière  dont  vous  de- 
vez remplir  les  fonctions  de  votre  ministère 
en  paraissant  au  milieu  du  monde,  qu'en 
vous  retraçant  ici  les  règles  admirables  que 
notre  divin  Maître  donnait  autrefois  à  ses 
disciples.  Il  venait  de  les  choisir,  et  avant 
de  les  envoyer  prêcher  son  Évangile,  il 
leur  disait  :  Allez,  et  annoncez,  aux  peuples 


que  le  royaume  de  Dieu  est  proche  :  «  Euntes 
prœdicole  dicentcs  quia  appropinquavil  re- 
gnumDei  »{Matth.,  X,  7.)  Un  prêtre  donc, 
pour  accomplir  avec  zèle  les  devoirs  de  son 
état,  ne  doit  paraître  dans  le  monde  que 
pour  y  parler  des  choses  de  l)ieu  et  de  son 
royaume  :  première  règle  de  notre  zèle  à 
suivre  au  milieu  du  monde.  Nous  ne  devons 
pas  nous  y  enlrelenir  des  choses  profanes; 
nous  sommes  chargés  des  intérêts  de  Dit  u 
auprès  (les  peuples,  el  celte  auguste  mis- 
sion doit  toujours  être  présente  à  notre 
souvenir.  Obligés  par  notre  état  à  entrete- 
nir des  relations  avec  le  monde,  nous  devons 
les  sanctifier  par  nos  discours  ;  et  c'est  ce- 
pendant, Messieurs,  par  les  discours  d'un 
prêtre  que  le  sacerdoce  est  quelquefois 
déshonoré,  et  la  religion  affligée  sur  la  terre. 
On  entreprend  souvent  de  longs  entretiens, 
et  au  milieu  de  toutes  ces  conversations, 
dans  lesquelles  on  passe  une  partie  du  jour, 
qui  s'écoule  avec  tant  de  ra[)idité,  il  ne  se 
trouve  pas  une  seule  parole  pour  Dieu  de 
la  part  de  ce  prêtre  léger  et  frivole.  Mais 
quoi,  me  direz-vous  |ieul-être,  parler  tou- 
jours de  Dieu?  A  cela,  Messieurs,  je  ré- 
jiotids  :  Ouvrez  l'Evangile,  parcourez  l'his- 
loiie  de  la  vie  mortelle  de  Jésus-Christ  :  de 
quoi  parlait  ce  divin  Sauveur  dans  le  monde? 
n'était-ce  pas  toujours  des  choses  de  Dieu? 
S'il  assiste  à  des  lioces,  c'est  pour  les  sanc- 
tifier par  sa  présence  et  y  faire  exaller  la 
grandeur  de  Dieu;  s'il  se  voit  suivi  sur  la 
montagne  d'une  foule  innombrable  de  peu- 
ple, il  lui  parle;  mais,  ô  Dieu  I  quel  dis- 
cours! quelle  leçon!  quelle  doctrine!  H 
s'entretient  avec  une  femme  Cananéenne; 
mais  quel  langage  divin  ne  lui  lienl-il  pas  l 
On  le  voit  conveiser  avec  une  femme  de 
Samarie;  mais  avec  quelle  grâce  touchante 
il  lui  jiarle  des  dons  de  Dieu!  11  entre  dans 
la  maison  d'un  Pharisien,  et  c'est  par  les 
plus  sublimes  discours  qu'il  l'amène  à  la 
coinaissaiice  de  la  véiité,  et  lui  montre 
l'amour  divin  triomphant  d'une  gvande  ini- 
(juité.  En  un  mot,  touies  les  fois  qu'il  s'en- 
li client  avec  les  hommts,  ce  n'est  que  pour 
|,ur  dire  :  Appropinquavil  in  vos  reynum 
Uei.  Je  sais,  Messieurs,  que  nous  ne  pou- 
vons arriver  à  la  perfection  de  ce  moilèle, 
mais  du  moins  serait-ce  trop  faire  pour  les 
intérêts  de  Dieu  que  de  vous  exhorter  à 
nièler  dans  tous  vos  discours,  avec  une  in- 
g('nieuse  adresse,  quelques  paroles  édifian- 
tes, que  paraissent  exiger  à  la  fois  et  la 
gravité  de  nos  mœurs  et  la  sublimité  de 
notre  ministère  ?  Eu  agissant  ainsi,  nous  n« 
plairf»ns  pas  au  monde,  |ieul-êlre;  mais, 
disait  l'Apôtre,  si  je  plaisais  aux  hommes, 
je  ne  serais  [)as  le  serviteur  de  Jésus-Chrisf, 
Si  liominibus  placerem,  Chrisli  servus  non 
essem  [Galat,,  1,  10.)  Le  monde,  affligé  de  la 
gravité  du  iius  mœurs,  nous  dira  peut-être, 
dans  un  sens  dilférenl  sans  doute,  ce  que 
disait  la  Mère  de  Jésus  h  son  Fils  :  Pourijuoi 
nous  traitoz-vous  ainsil  Quid  fecisli  nobis 
SIC, (Luc,  H, 18.)  Pourquoi  nepas  vousaccoiu- 
moder  un  peu  à  nos  coutumes,  à  nos  inclina- 
lions  el  à  nos  usages?  pourquoi  no  pas  parler 


813 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  XV,    SUR  LE  ZELE 


811 


coinre  nous?  Répondons  au  monde  avec  iô- 
sus-Clirisl  :  Pourquoi  cherchez-vous  en  moi 
l'homme  profane:  vous  n'y  Irouverez  que  le 
prêlre  fidèle  :  Quid  est  quod  me  quœrebatis? 
{  Ibid.  )  Vous  paraissez  élonné  que  je 
parle  de  Dii'U  et  des  intérêts  de  sa  gloire; 
mais  ne  savez-vous  pas  que  je  me  dois  tout 
entier  aux  atTaircs  de  mon  Père?  Nescieba- 
tis  quia  in  his  quœ  Pntris  mei  sunC  oportet 
vie  esse?  (Ibid.,  k^.)  C'est  par  ces  discours, 
pleins  de  religion  et  de  piélé,  que  nous 
oi'rérons  la  conversion  des  pécheurs,  figurée 
dans  l'Evangile  par  la  guérison  des  infirmes, 
itifinnos  curale;  la  résurrection  des  morts, 
luortuos  suscitate;  el  la  fuite  des  démons, 
dœmones  ejicile.  (Matth.,  X,  8.)  Avant  d'en- 
trer dans  une  ville  ou  dans  une  maison, 
continuait  Jésus-Ch^ist,  demandez  avec  soin 
s'il  est  quelqu'un  qui  soit  digne  de  rece- 
voir votre  parole:  Inlerrogate  quis  in  ea  di- 
gnus  sic  [Ibid.,  11)  :  el  voilà  la  seconde  règle 
de  notre  zèle  au  milieu  du  monde.  Nous 
devons  faire  un  sage  discernement  des  as- 
semhlées  au  milieu  desquelles  nous  parais- 
sons, il  est  dans  nos  villes  et  dans  nos 
campagnes  telle  maison  dans  laquelle  il  y 
aurait  presque  un  espèce  de  scandale  de 
nous  voir  paraître  :  c'est  là  que  se  trouve 
un  monde  réprouvé  ennemi  de  Dieu,  el 
pour  lequel  Jésus-Christ  lui-même  ne  pria 
jamais.  Que  pourrait  faire  un  prêtre  au  nii- 
lieu  de  ce  monde  dont  la  Vérité  éternelle  a 
dil  qu'il  est  tout  entier  établi  dans  le  mal? 
Ah!  ces  assemblées  tumullueuses  doivent 
être  pour  lui  comme  une  terre  maudite, 
une  région  oii  il  ne  doit  jamais  entrer. 
Voudrait-il,  emporté  par  l'ardeur  de  son 
zèle,  y  faire  entendre  quelques  paroles  de 
salut;  mais  n'est-il  ()as  écrit  qu'il  ne  faut 
pas  donner  les  choses  saintes  aux  chiens, 
pour  leur  servir  de  pâture,  niplacerles  pier- 
res précieuses  devant  les  animaux  im-mon- 
des?  [Mallh.,  VII,  6.)  Ainsi»  Messieurs,  lors- 
qu'il noussera  facilede  prévoirque  notre  mi- 
nistère sera  inutile  dans  tel  ou  tel  autre  lieu, 
el  qu'il  n'y  sera  pas  honoré,  n'y  paraissons 
jamais.  Quand  un  prêtre  se  trouve  dans  ces 
maisons  dont  je  parle,  el  oil  (larmi  ceux  qui 
les  habitent  il  n'en  est  aucun  qui  ait  des 
sentiments  de  religion,  les  fidèles,  étonnés, 
se  demandent  :  Que  va  faire  ce  ministre  de 
Jésus-Christ  dans  cet  endroit  où  il  est  si 
déplacé? Qu'une  grande  prudence  nous  di- 
1  ige  donc  dans  l'exercice  de  notre  zèle.  In- 
terrogeons, examinons  avec  soin  :7n/errog'a<e 
quis  inea  dignus  sit.  Enfin,  dit  Jésus-Christ 
à  ses  diciples,  ne  passez  p;is  avec  trop  de 
fyjiliié  d'une  maison  à  l'autre:  Nolile  liaiis- 
ire  de  doma  in  domum  [Luc,  X,  7)  :  troi- 
sième et  dernière  règle  de  notre  zèle  dans 
le  monde.  Il  ne  faut  pas  y  itaraître  souvent 
par  de  Iroj)  fréquentes  visités.  11  n'est  peut- 
être  pas  de  matière  oij  il  soit  plus  facile  de 
tomber  dans  l'illusion  que  dans  celle  dont 
je  parle;  et  l'espril  humain,  dil  Terlullien, 
n'est  jamais  plus  adroit  que  lorsqu'il  faut 
justifier  une  chose  qui  lui  plail,  et  qui  ce- 
pendant peut  devenir  condamnable.  Un  pas- 
teur, dil-on,  doit  connaître  son   troupeau. 


Il  faut  visiter  les  malades,  consoler  les- 
alUigés  et  solliciter  pour  le  pauvre  le  pain 
el  le  secouis  de  la  charité:  motifs  louables 
sans  doute;  mais,  de  bonne  foi,  ces  motifs 
sont-ils  bien  les  véritaides  ?  Je  ne  veux  pas 
ici  les  examiner  l'un  après;  l'autre  :  j'accorde 
que  les  visites  que  l'on  fait  dans  la  paroisse 
sur  de  semblables  raisons  peuvent  être  ex- 
cusées, el  même  quelles  sont  quelquefois 
nécessaires  ,  raaisje  blâme  ici  la  trop  grande 
multiplicité  de  ces  visites,  qu'il  est  très- 
difficile  de  pouvoir  justifier,  el  dont  la  fré- 
quence entraine  souvent  d'énormes  abus. 
D'où  vient,  en  effet,  Messieurs,  que  ce  prê- 
tre, au  milieu  des  fonctions  de  son  minis- 
tère, ne  trouve  jamais  le  temps  de  faire 
l'oraison,  la  lecture  spirituelle  et  les  autres 
exercices  de  piété,  si  ce  n'est  à  cause  de  ces 
visites?  d'où  vient  que  l'étude  est  entière- 
ment négligée,  et  qu'on  redoute  môme  d'y 
penser,  si  ce  n'est  à  cause  de  ces  visites! 
d'où  vient  enfin  que  dans  telle  paroisse  les 
enfants  ne  sont  pas  instruits,  les  malades  ne 
sont  pas  secourus,  la  maison  de  Dieu  n'est 
pas  tenue  avec  la  décence  convenable,  si  ce 
n'est  à  cause  de  ces  fréquentes  visites  1  On 
désirerait  s'approcher  du  tribunal  de  la  pé- 
nitence, le  pasteur  ne  s'y  trouve  pas;  on 
voudrait  le  voir,  lui  parler,  le  consulter,  il 
est  inutile  de  le  chercher  dans  sa  propre 
maison. 

Quel  que  soit  le  motif  qui  nous  engage  à 
nous  répandre  dans  le  monde,  il  est  cer- 
tain, Messieurs,  qu'il  est  très-souvent  inu- 
tile et  môme  nuisible,  d'y  paraître  trop. 
Croira-ton  que  tous  lesjours,  el  plusieurs 
fois  le  jour,  vous  allez  dans  cette  maison 
où  vous  êtes  si  assidu  pour  consoler  cet 
alfligé,  visiter  cet  infirme,  ou  implorer  la 
secours  de  la  charité?  Non,  Messieurs,  on 
ne  le  croira  pas;  on  dira  que  ce  n'est  là 
qu'un  prétexte,  que  d'autres  molifs  vous  y 
appellent;  el  peut-être  ne  se  trompera-t-on 
pas.  Voilà  pourquoi  l'Eglise,  assemblée  dans 
ses  conciles,  n'a  rien  tant  recommandé  aux 
clercs  que  la  fuite  du  monde;  voilà  pour- 
quoi presque  à  chaque  page  dans  ces  livres 
où  sont  renfermées  ses  vénérables  règles, 
elle  conjure  les  prêtres  de  ne  paraître  dans 
le  monde  que  rarement  et  comme  à  regret. 
Elle  veul  que  leur  zèle  sache  s'arrêter  dans 
de  justes  bornes,  et  que  sous  le  prétexte 
du  bien  des  âmes,  ils  ne  compromettent  pas 
le  salut  élernel. 

Nous  venons  de  considérer.  Messieurs,  le 
zèle  dans  ses  motifs,  qui  ne  sont  que  l'a- 
mour de  Dieu  et  du  prochain,  dans  les  per- 
sonnes sur  qui  il  doit  spécialement  s'exer- 
cer, et  enfin  dans  ses  principales  fonctions. 
En  finissant  cet  entretien,  il  importe  que 
nous  ra{)pelons  que  toutes  les  qualités  et 
môme  tous  les  succès  du  zèle,  découlent 
d'un  grand  principe  qui  doit  être  sans  cesse 
l'âme  el  le  mobile  de  toutes  nos  fonctions. 
Travaillons  uniquement  pour  Dieu,  n'ayons 
en  vue  que  sa  gloire,  et  notre  zèle  sera  tou- 
jours ce  qu'il  doit  être  :  vif  et  sage,  ferme 
el  doux,  noble  et  désintéressé,  courageux 
el  couslaul,   toujours  î'oumis   aux  règles 


815 


ORATEUPxS  SACRES.  MAUREL. 


S16 


de  l'Eglise  et  à  la  volonlé  de  nos  supérieurs. 
N'oublions  jamais  que  le  vrai  zèle  ti'es.t 
aulre  chose  que  l'amour  ardent  de  Dieu 
et  du  prochain  ;  et  connue  tout  ce  qui  lient 
à  cet  amour  est  ordre  et  sagesse  :  Ordinavit 
in  me  charitatem  {Cant.^  Il,  4),  il  n'y  a  dans 
le  vrai  zèle  ni  lâcheté,  ni  respect  humain, 
ni  humeur,  ni  caprice,  ni  vanité,  ni  jalou- 
sie, ni  témérité,  ni  précipitation,  ni  vues 
d'intérêt,  ni  rien,  en  un  mot,  qui  puisse 
nuire  à  la  gloire  de  Dieu  et  au  salut  «les 
âmes.  Ecartons  avec  soin  tous  ces  défauts, 
et  alors  en  travaillant  à  sauver  nos  frères  , 
nous  nous  sauverons  nous-môraos,  et  nous 
obtiendrons  cette  récompense  magnitique 
et  immortelle  que  Dieu  a  promise  aux  mi- 
nistres de  sa  parole  et  de  ses  sacrements  : 
Qui  ad  justiliam  erudiunl  multos,  fulgebunl 
quasi  stcllœ  in  perpétuas  œternUates.  {Pan., 

XII,  3.) 

INSTRUCTION  XV. 

SUR  l'exemple. 

Exemplum  eslo  Ddeliura.  (I  Tim.,  IV,  12.) 

Messieurs, 
De  tous  les  moyens  de  persuader  îa  vé- 
rité et  d'inspirer  la  vertu,  il  n'en  est  pas 
de  plus  efficace  que  le  bon  exemple;  sans 
le  bon  exemple,  tous  les  autres  moyens  de- 
viennent inutiles.  Grand  Dieu  !  que  viens- 
je  donc  faire  ici?  ne  devrais-je  pas  imiter 
Origène  qui,  ra()pelanl  les  paroles  du  Pro- 
phète, que  j'ai  déjà  citées  plusieurs  fois  : 
Peccatori  autem  dixil  Deus  :  Quarc  tu  enar- 
ras  justilias  meas  {Psal.  XLIX,  16),  au  lieu 
de  prêcher  descendit  de  chaire  et  alla  s'hu- 
milier dans  le  silence  et  s'anéantir  devant 
la  majesté  du  Très-Haut? 

Le  bon  exemple  est  un  prédicateur  muet 
qui  ne  choque  jamais,  qu'on  écoute  sans 
prévention,  qu'on  n'oserait  contredire,  qui 
pénètre  dans  le  cœur  sans  résistance.  Les 
paroles  peuvent  convaincre,  et  elles  ne  con- 
vainquent pas  toujours;  jamais  elles  ne  per- 
suadent sans  le  bon  exemple;  le  bon  exem- 
ple tout  seul  persuade  sans  paroles.  La  vie 
édifiante  d'un  saint  prêtre  fait  mille  fois 
plus  d'impression  que  tous  les  discours  ; 
et  si  ce  prêtre,  fidèle  image  de  Jésus-Christ, 
après  avoir  prêché  par  l'exemple  prêche 
aussi  par  la  parole,  comme  il  le  doit,  sur- 
tout s'il  est  pasteur,  ses  instructions  sont 
toutes-puissantes. 

S'il  fallait  des  [treuves  à  rap|)ui  de  cette 
vérité,  nous  les  trouverions  aussi  multi- 
pliées que  les  membres  de  cette  assemblée. 
Faudra-t-il  attribuer  le  succès  de  cetle  re- 
traite aux  vérités  qu'on  y  aura  entendues? 
Non,  Messieurs;  elles  ne  sont  .uou\elles 
pour  aucun  ;  ce  sera  aux  bons  exeui(>les 
aue  chacun  de  vous  admire  tous  les  jours 
dans  chacun  de  ses  confrères;  ce  sera  à 
l'inlluenco  réciproque  de  vos  vertus,  ani- 
mées et  encouragées  par  celles  de  vos  su- 
périeurs. On  peut  résister  à  une  vérité 
entendue,  mais  comment  résister  à  un  bon 
exemple?  on  est  forcé  de  se  dire  :  Ce  que 
fait  tel   de  mes  coufrères,  pourquoi  ne  le 


ferais-je  |)as  ?  il  est  mon  semblable,  pour- 
quoi ne  pas  l'imiter? 

Mais  si  le  bon  exemple  produit  toujours 
une  impression  heureuse,  quels  ravages  ne 
cause  pas  le  mauvais,  surtout  si  celui  qui  le 
donne  réunit  d'ailleurs  certaines  qualités 
importantes  comme  l'âge,  le  rang,  les  ta- 
lents, l'autorité I  Quel  contraste,  mes  chers 
confrères,  entre  un  prêtre  vain,  dissipé, 
sensuel,  négligent,  répandu  dans  le  monde, 
f)eu  modeste,  peu  recueilli,  avare,  qui  con- 
tredit sans  cesse  ses  instructions  par  sa  con- 
duite, et  un  prêtre  grave,  circonsj)ect,  labo- 
rieux, mortifié,  désintéressé,  retiré  du 
monde,  appliqué  à  la  prière,  qui  se  montre 
à  l'autel  comme  un  ange,  en  chaire  comme 
un  apôtre,  et  dont  les  mœurs  sont  la  preuve 
permanente  et  visible  de  sa  doctrine  ! 

C'est  ce  contraste  que  je  vais  tâcher  de 
développer.  Il  m'a  paru  que  les  elfets  du 
bon  exemple  seraient  mieux  sentis  s'ils 
étaient  placés  à  côté  des  ravages  du  mau- 
vais :  ce  sera  la  lumière  à  côté  des  ombres  : 
Contraria  conlrariis  opposita  magis  eluce- 
scunC.  Mais  vous,  ô  mon  Dieu  I  qui  êtes  la 
lumière  incréée,  vous  seul  pouvez  répan- 
dre sur  ce  tableau  toutes  les  couleurs  de  la 
vérité,  et  préparer  nos  cœurs  à  l'impression 
de  votre  grâce. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Un  prêtre  qui  donne  mauvais  exemple  ou 
qui  n'en  donne  pas  de  bon,  ce  qui  est  la 
même  chose  pour  lui,  est  pour  son  peuple 
le  plus  terrible  des  fléaux,  c'est  la  plaie  la 
plus  douloureuse  de  l'Eglise.  Pourquoi? 
parce  que  l'effet  inévitable  du  mauvais 
exemple  dans  les  prêtres  est  de  détruire 
ces  deux  principes  qui  sont  comme  le  fon- 
dement de  l'Eglise,  je  veux  dire  les  bonnes 
œuvres  et  les  croyances  religieuses;  en  un 
mot  un  tel  prêtre  pervertit  les  mœurs  et 
ébranle  la  foi. 

Malheur  au  pécheur  scandaleux  qui  de- 
vient pour  ses  frères  une  occasion  de  chute 
et  de  péché  I  il  vaudrait  mieux  pour  lui,  â 
dit  Jésus-Christ,  qu'on  lui  attachât  unemeule 
de  moulin  au  cou,  etqu'on  le  précitât  au  fond 
de  lamer.(Ma//A.XVl!I  6.)  Mais,  hélas  Ique 
sera-ce  si  ce  pécheur  scandaleux  est  un  prê- 
tre 1  Un  piètre  de  qui  on  a  droit  d'attendre,  de 
qui  ou  attend  en  elfel  des  exemples  de  piété, 
de  7.èle,  de  travail,  d'humilité,  de  patience, 
de  charité;  rexem|)le  de  toutes  les  vertus  1 
un  prêtre,  qui  trouve  dans  ses  promesses 
solennelles  et  son  caractère  sacré  autant 
de  motifs  pour  travailler  sans  relâche  à  la 
sanctilication  dos  âmes  ;  qui,  par  sa  consé- 
cration et  par  la  mission  de  l'Eglise,  a  été 
établi  docteur,  pour  éclairer  les  fieuples 
dans  la  science  (ie  Dieu;  guide,  pour  les 
conduire  dans  les  routes  du  salut  ;  médecin, 
pour  guérir  les  infirmités  et  les  maladies 
de  l'âme;  médiateur,  [)Our  réconcilier  les 
cou{)ables  avec  le  ciel  ;  intercesseur,  pour 
leur  ouvrir,  par  ses  prières,  le  sein  do  la 
clémence  divine;  modèle,  pour  leur  retra- 
cer dans  sa  conduite  les  vérités  qu'il  leur 
annonce,  et  pouvoir  leur  dire  avec  1  Apôtre: 


817 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  X,  SLR  L'EXEMPLE. 


<SI8 


Soyez  mes  imilaleurs,  comme  je  le  suis 
moi-même  de  Jésus-Christ  -.  Imitalores  met 
eslole ,  sicut  et  ego  Chrisli.  (Philip.,  III.  17.) 

Que  sera-ce  si  ce  prôlre,  ou  par  sa  négli- 
gence à  instruire  son  peuple,  ou  peui-ô.ro 
faute  (l'ôtre. assez  instruit  lui-môme;  par  les 
doctrines  erronées  qu'il  lui  enseigne,  ou 
par  un  manque  de  zèle  à  veiller  sur  ses 
mœurs  et  à  corriger  ses  vices;  par  des  ab- 
sences habituelles  de  son  poste  et  des  n)an- 
(juemenis  fréqiients  à  ses  fonctions,  ou  par 
une  vie  dissipée  ,  déréglée  ,  criminelle  ,  au 
lieu  de  conduire  les  âmes  dans  le  chemin 
du  ciel,  les  en  éloigne,  les  en  dégoùie  ,  et 
li's  entraîne  dans  la  roule  de  la  perdition, 
où  il  narche  lui-même?  Quel  nom  faudra-t- 
il  donner  à  ce  |>rôtre  scandaleux  ,  et  quel 
l;ingaj;e  faudra-t-il  em[)loyer  pour  donner 
une  juste  idée  des  ravages  que  cause  ce  loup 
dévorant  dans  le  troupeau  de  Jésus-Christ? 

Cetie  expression  ,  vous  le  savez,  vénéra- 
bles coniières,  est  de  l'Évangile;  le  texte 
sacré  me  la  fournil.  Vous  n'ignorez  pas  que 
pour  faire  ap|irécier  les  maux  sans  nombre 
que  cause  un  mauvais  prôlre,  un  prôlre 
scandiik'ux  ,  l'Écriluie  le  compare  aux  bêtes 
féroces  les  plus  terribles  :  Lupus,  aper ,  fé- 
rus; et  vous  savez  aussi  que  ftar  prôlre 
scandaleux  on  n'entend  pas  seulement  ceux 
qui  sont  familiarisés  avec  des  passions  gros- 
sières, et  dont  une  conduite  criminelle  a 
déjà  mérité  l'animadversion  des  supérieurs; 
qui  font  gémir  la  piété  de  leurs  confrères, 
cl  provoquent  tous  les  jours  les  dérisions 
d'un  monde  malin  et  impie.  Ah!  s'il  n'y 
avait  que  ces  scandales  grossiers  qui  aflli- 
geassent  l'Eglise,  elle  serait  du  moins  con- 
solée par  leur  rareté,  et  vengée  par  l'indi- 
gnation publique! 

N'a-t-elle  pas  bien  plus  à  gémir  sur  ce 
nombre  plus  grand  de  prêtres  sans  piété , 
qui  n'éditient  pas  ;  sans  humilité,  qui  ne 
cherchent  qu'une  gloire  humaine;  sans 
zèle,  sans  activité,  qui  manquent  habi- 
tuellement à  leurs  devoirs,  au  catéchisme, 
au  prône,  au  confessionnal  ou  qui  remplis- 
sent leurs  fonctions  d'une  manière  irréli- 
gieuse, quelquefois  indécente,  et  rendent 
leur  ministère  inutile  en  le  rendant  mé()ri- 
sablel  Ceux-là  aussi  ne  sont-ils  jias  [)Our 
leurs  frères  une  occasion  de  chute?  Une  oc- 
casion d'autant  plus  entraînante,  que  sou- 
vent ces  sortes  de  prêtres  ont  le  malheur 
de  plaire  aux  gens  du  monde,  dont  ils  tlat- 
tent  l(;s  penchants  ,  parce  qu'ils  partagent 
leurs  plaisirs,  dont  ils  n'osent  ni  reprendre, 
ni  même  improuver  les  désordres,  parce 
qu'ils  en  sont,  hélas!  jusqu'à  un  certain 
point  les  imitateurs? 

Veuillez  remarquer  que  quand  même  un 
prôlre  déréglé  aurait  l'adresse  de  cacher  ses 
désordres,  et  de  n'avoir  d'autre  témoin  de 
son  inconduite  que  Dieu  et  sa  conscience, 
il  ne  laisserait  pas  sous  plusieurs  rapports 
d'être  un  scandale  pour  ses  fières.  Vous 
demandez  comment!  d'abord  parce  qu'il 
occupe  dans  l'Eglise  de  Dieu  la  place  u'un 
bon  prêtre  qui  prierait  utilement  pour  elle  , 
et  dont  les  larmes  et  les  gémissements  apai- 


seraient le  courroux  du  ciel.  Car,  je  vous  le 
demande,  quelles  grâces  peut  obtenir  un 
mauvais  prêtre,  dont  la  prière  est  souvent 
elle-même  un  péché?  Hélas!  c'est  un  enne- 
mi de  Dieu,  qui  ne  songe  pas  même  à  se 
réconcilier  avec  lui  qui  copendant  intercède 
pour  ses  frères  1  Qnel  avantage  peut-il  leur 
revenir  d'une  semblable  intercession  ?  Que 
peut  obtenir  do  son  roi  un  ministre  disgra- 
cié? Si  non  places,  a  dit  un  Père,  non  pla- 
ças. 

Est-il  naturel  que  Dieu  bénisse  les  tra- 
vaux et  les  fonctions  d'un  prêtre  qui  ne  tra- 
vaille que  pour  son  ambition  et  sa  vanité? 
Se  trouvant  vidn  de  cet  esprit  intérieur  de 
zèle  et  de  piété  qui  n'a  que  Dieu  en  vue,  et 
qui  cherche  franchement,  non  les  suffrages, 
mais  le  salut  des  hommes,  quel  succès 
peut  avoir  son  ministère?  Quels  fruits  peut- 
il  en  résulter?  Hélas!  il  prêche  et  n'instruit 
pas,  il  confesse  et  ne  convertit  pas,  il  ca- 
téchise les  enfants  et  ne  leur  inspire  pas  le 
goât  de  la  vertu  ;  peut-être  même  néglige-l- 
il  l'instruclion  de  ceux  qu'il  serait  le  plus 
aisé  d'instruire;  il  visite  les  malades,  ne  les 
console  pas  ,  ne  les  aide  pas  à  se  détacher 
de  la  terre  et  à  soupirer  vers  le  ciel.  Or. 
un  prêtre  qui  ne  fait  pas  de  bien,  ne  fait-il 
point  par  là  même  beaucoup  de  mal?|II  no 
sanctifie  pas  les  âmes,  donc  il  les  laisse  dans 
le  péché  ,  lui  qui  était  chargé  de  les  en  re- 
tirer ;  il  ne  les  sauve  pas,  donc  il  les  perd, 
donc  il  donne  la  mort  :  et  n'est-ce  pas  là  ce 
qu'on  appelle  un  grand  scandale  ? 

Mais  d'ailleurs.  Messieurs  ,  les  désordres 
d'un  prêtre  secrètemeiit  infidèle  peuvent-ils 
rester  longtemps  inconnus?  Le  faux  zèle  el 
la  fausse  piété  ressemblent-ils  parfaitement 
à  la  piété  el  au  zèle  véritable?  N'y  a-t-il 
aucun  signe  qui  fasse  reconnaître  les  hypo- 
crites à  leur  insu?  Si  Salomon  sut  distin- 
guer la  véritable  mère  d'avec  celle  qui  s'en 
donnait  le  nom,  croyez-vous  que  les  peu- 
ples ne  distinguent  pas  aussi  le  prêtre  sin- 
cèrement pieux  d'avec  celui  qui  n'a  que  les 
dehors  de  la  piété?  Si  le  cœur  brûle  d'un 
feu  profane  on  aura  beau  le  cacher  il  se  pro- 
duira bientôt  au  dehors  ;  il  est  impossible 
de  se  contrefaire  toujours;  il  se  présente 
n)ille  occasions  où  l'on  se  montre  sans  s'en 
douter  ce  qu'on  est;  et  il  faut  souvent  si 
peu  de  choses  pour  se  déceler  :  la  manière 
dont  on  entre  dans  l'église,  dont  on  s'y 
tient,  dont  on  prêche,  dont  on  prononce  les 
prières  publiques.  Messieurs,  le  seul  moyen 
de  paraître  toujours  vertueux,  c'est  de  l'ê- 
tre en  effet.  11  y  a  un  je  ne  sais  quoi  dans  le 
maintien,  dans  la  manière  de  parler  ou  d'a- 
gir dans  les  habitudes  qui  manifeste  |)lus 
ou  moins  ce  qui  se  passe  dans  un  cœur 
coupable,  et  fait  naître  au  moins  des  soup- 
çons ;  et  les  sou}içons  qui  planent  sur  un 
prêtre  à  quoi  ne  conduisent-ils  pas. 

Non,  dit  saint  Chrysostome,  les  prêtres 
occupent  une  place  trop  éminente  pour  que 
leurs  fautes,  même  les  (>lus  secrètes,  puis- 
sent rester  longtemps  ignorées  ;  ce  sont  des 
hommes  publics,  tous  les  yeux  sont  fixés 
sur  «ux,   cl  la  malignité  a  trop  d'inlérôt  à 


m 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


KfO 


les  trouver  en  défaiil  fmiir  ne  pas  observer 
dans  le  plus  grand  détail  jusqu'aux  moin- 
dres do  leurs  déniarclies.  On  les  suit,  on 
les  épie,  ou  remarque  jusqu'à  leur  silence, 
<>f  l'on  connaît  bierilôl  les  personnes  qu'ils 
fréquentent,  les  visites  qu'ils  reçoivent,  la 
conduite  particulière  qu'ils  tiennent  dans 
leur  domestique,  ei  même  dans  le  secret 
du  tribunal  sacré;  et  lorsque  le  voile  qui 
cachait  leurs  désordres  vient  <i  être  liéchiré 
quel  étonnenient,  grand  Dieu!  quel  triom- 
phe [)Our  les  méchants  I  Quel  décourage- 
ment parmi  les  bons  I  Quelle  joie  secrète 
dans  les  âmes  lâches  et  indolentes! 

Pourquoi  tant  se  contraindre  s'écrio-l-on 
alors  de  toutes  parts ,  dès  que  les  prêtres 
se  contraignent  si  peu?  Pourquoi  m'inter- 
dirais-je  ce  qu'ils  se  permettent  avec  tant 
de  facilité?  Us  sont  mes  guides  ,  je  ne  puis 
mieux  connaîlre  qu'eux  ce  qu'il  faut  faire 
et  ce  qu'il  faut  éviter.  Sans  doute  qu'ils  ne 
veulent  pas  se  damner;  |)Ourrais-je  me 
damner  moi-même  en  les  imitant?  Et  alors 
t^'js  les  remords  se  calment,  toutes  les 
craintes  disparaissent ,  les  bonnes  résolu- 
lions  sont  abandonnées  ;  plus  de  gêne  ,  plus 
de  privations  ;  le  chemin  du  ciel  n'est  [)lus 
celle  voie  étroite  qui  elfrayai*,  c'est  celle  oi!i 
Ion  voit  marcher  si  commodément  ses  maî- 
tres et  ses  modèles. 

Je  vous  le  demande  ,   Messieurs,  qui   do 
vous  n'a  pas  trouvé  dans  le   saint    tribunal 
des  preuves  des  faits  que  j'avancfi?combirn 
d'âmes  dont  la    chute   ou  rendiircissement 
n'ont  pris  leur  source  que  dans  les  scanda- 
les de  quelque  prêtre!  Nous    avons  beau 
leur  dire   que  les  exemples,   quels  qu'en 
soient  les  auteurs,  ne  prouvent  rien  contre 
l'Evangile;  que. la  conduiledes  plus  grands 
saints  eux-mêmes   n'a   pas  toujours  été  ir- 
réprochable; qu'il  n'y  a  que  les  actions  de 
Jésus-Christ,  impeccable  par  nature,  et  cel- 
les de  sa  sainte  Mère,  impeccable    par   pri- 
vilège, gui  soient  comme  des  témoignages 
de  la  sainteté  la  plus  pure;  nous  avons  beau 
icur  rappeler  le  mol  du  Fils    de  Dieu  tou- 
chant les  prêtres   de  l'ancienne  loi  :  Faites 
ce  qu'ils  vous  disent,   mais  ne  faites  pas  ce 
qu'ils  font.  [Malth.,  XXllI,  3.)  Hélas!  mes 
chers  confrères,  l'homme    est  si  porté  à  s'a- 
veugler, si  enclin   à  croire  permis  ce    qui 
flatte  ses  passions,  que  le  mauvais  exemple, 
surtout  de  la  part  des  prêtres  fera  toujours 
raille  fois  plus    d'impression   que  toute  H 
force  et  toute  la  vérité  de  nos  discours.  On 
n'interprète  l'Evangile  que  d'après  la  con- 
duite de  ceux  qui  le  prêchent.   Si   leurs  ac- 
tions ne  sont  pas  en  harmonie   avec  leurs 
instructions,  on  néglige  celles-ci  et  l'on  s'en 
lient  à  celles-là  ;  on  se  figure  que  la   sévé- 
rité de  notre  morale  est  une  pieuse  exagé- 
ration, et  que  nous  demandons  plus  qu'il 
ne  faut  afin  d'obtenir  le  nécessaire. 

Mais  que dis-je?ce  n'est  pas  seulement 
la  morale,  c'est  la  foi  elle-même  qui  est 
ébranlée  par  nos  scandales.  Oui,  on  vajus- 
qu'à  traiter  de  fable  et  de  chimère  les  vé- 
rités les  plus  respectables,  par  cela  seul 
qu'on  les  voit  contredites  par  les  mœurs  de 


^inriiA  de   la  pro- 
de  la  décence  du 


ceux  qui    les  annoncent.  On  se  persuaile 
que   nous  ne   croyons  pas   nous-mêmes  la 
doctrine  que  nous  prêchons,   et  qne   notre 
ministère  en  chaire  n'est  qu'un  jeu  de  théâ- 
tre :  Car  enfin,  dil-on,  si  ce  prêtre  croyait  à 
la  présence  de  Jésus-Christ  dans  nos   tem- 
ples, qu'il  ne  cesse  cependant  de    nous  rap- 
peler, serait-il  si  peu  soi.i^neux 
[)reté    du    lieu    saint  et 
culte?  le  verrait-on  si  dissipé  dans  les  céré 
monies  les  plus  graves,  si  peu  recueilli,   si 
peu  touché  jusque    dans  la  célébration  du 
plus  auguste  des sacri lices?  traiterait-il  avec 
tant  de  légèreté   le  corps  adorable  de  son 
Dieu  et  de  son  Juge?  s'il  croyait  comme  il 
le  prêche,  que  le  vice  de   la  concupiscence 
multiplie  tous  les  jours  le  nombre  des   ré- 
prouvés,  qu'il    ne   faut  qu'un  désir  impur 
pour  mériterdes  flammes  éternelles ?serait- 
il  lui-môme    si   libre  dans  ses  propos ,  si 
léger  dans  ses  regards,  si  familier  dans  ses 
manières,   si  inconsidéré   devant   les  per- 
sonnes dont  l'âgeet  le  sexe  lui  commandent 
la  plus  grande  réserve?    s'il    croyait   à  l'é- 
ternité d'une  vie  future,  qu'il  prêche  cepen- 
pant  avec  tant  de  force,  serait-il  si    attaché 
aux  biens  de  la  terre,   si  avide  d'argent,  si 
dur  envers  les  f)auvres,  si  empressé  à  exi- 
ger ce  qu'on  lui  doit,   si  occupé  d'enrichir 
des  parents  qui  abusent  de   ses  bienfaits  ? 
Mais  que  dis-je?  (car  je   dois  signaler  ici, 
du  moins  pour  le  prévenir,  un  scandalequi 
a  malheureusement  lieu  quelquefois)   si  ce 
prêtre  croyait  à  cette  grande  vérité,  si  sou- 
veBl  répétée  dans   les  livres  saints  :  Nequc 
fures,  neque  avari ,    neque  rapaces,  regnuin 
Deipossidebunt  (I  Cor.,  VI,  10),    porterait-il 
le  mépris  de  ses  propres  principes  jusqu'à 
tolérei*  dans  le  tribunal  ,   jusqu'à  insinuer 
dans  les  conversations,   oserai-je  le   dire  ? 
jusqu'à  commettre  peut-être  lui-môme  cer- 
taines usures,  palliées  à  la  vérité,  sur    les- 
quelles les  lieux  qu'il  habite,  les  personnes 
qu'il  fréquente,  la  nature  même  du  prêt,  et 
les  circonstances  dans  lesquelles  il  se  trouve 
l'aveuglent   et  l'induisent  dans  une  fatah; 
erreur,  et  cela  au  mépris  formel    des    pré- 
ceptes de  Jésus-Christ  et  des  enseignements 
de  l'Eglise. 

Nous  nous  plaignons  sans  cesse,  mes 
chers  confrères,  que  la  corruption  des 
mœurs  aUaiblit  la  foi,  et  que  l'atlaiblisse- 
mént  de  la  foi  augmente  à  son  tour  1, 
pravation  des  mœurs.  Mais  n'est-ce 
nous  qui  sommes  les  premiers  auteurs  do 
cette  décadence?  n'est-ce  pas  à  nous  qu'on 
peut  ap|iliquerce  qu'a  dit  le  grand  Apôtre, 
après  le  prophète  Isaïe  :  Nomen  Dei  per  vos 
blasphematur  inter  gentes?  {Isa.,  LU,  5.) 
Oui,  vénérables  confrères,  ce  sont  nos  scan- 
dales, bien  plus  que  les  sophismes  de 
l'imine,  qui  font  blasphémer  le  nom  de  Dieu 
et  dans  les  villes,  et  dans  les  campagnes, 
qui  ébranlent  les  fondements  de  la  loi  dans 
tous  les  cœurs,  même  parmi  ce  peupieautre- 
fois  si  simple  et  si  docile, et  qu'aujourd'hui 
on  a  besoin  de  convaincre  qu'il  y  a  un  pa- 
radis et  un  enfer. 

Aussi  transportons-nous  dans  une  paroisse 


dé- 
pas 


8il 


RETRAITK.  —  INSTRUC 


giiuvernéo  par  m  ninuvais  prûlro  :  C|u'y 
verrons-nous  ?  d'.ibord  l'ab-ence  de  la  piété, 
lout  languit  dans  celln  paroisse  in'orlunée, 
tout  y  porte  rcn)preinle  du  dépérissement 
et  de  la  mort;  c'est  une  terre  aride  frappée 
de  stérilité;  tribunaux  de  la  pénitence  sans 
pénilents;  table  s;dnle  sans  (onvives;  sa- 
crement adorable  sans  adorateurs  ;  Jésus- 
Christ  seul  dans  sa  maison  ,  pendant  six. 
jours  de  suite,  et  le  dimanche,  cpjcls  adora- 
teurs, grand  Dieu  !  ou  pluîôt  quelle  di^si|)a- 
tion  I  quel  tumulte  I  (jueile  indécence!  on 
dirait  une  assemblée  de  vanilé  plutôt  qu'une 
assemblée  de  religion. 

Du  lieu  saint  transportons-nous  dans  les 
diverses  familles  de  celte  [«auvre  paroisse  : 
qu'y  iroiivons-nous  ?  les  enfants  sans  in- 
siriii'tions  et  les  vieillards  dans  Tignoranco 
et  l'enduicissemeiit  ;  les  hommes  mûrs, 
pli)ngés  dans  l'avarice  et  dans  toute  sorte 
d'excès;  les  adolescents  empoités  par  l'or- 
gueil, par  l'impiété,  parles  passions  les  plus 
nuisibles  et  les  plus  criminelles;  les  jeunes 
personnes  sans  modestie  et  sans  pudeur, 
et  leurs  mères  sans  vigilance  et  sans  fer- 
meté; des  enfants  sans  respect  pour  les  au- 
teurs de  leurs  jours,  insultant  la  vieillesse 
et  se  jouant  des  lois  divines  et  humaines; 
des  mariages  illégitimes,  et  qu'on  ne  songe 
pas  à  légitimer;  les  lois  du  jeûne  et  de  l'ab- 
stinence méconnues,  violées  sans  remords; 
les  jours  saints  profanés,  non-seulement 
par  des  travaux  sacrilèges,  œais  pav  des 
assemblées  mondaines ,  dos  jeux  condam- 
nés, des  réunions  scandaleuses  ;  les  fraudes, 
les  rapines,  les  inimitiés,  les  discordes  dans 
les  familles,  les  procès,  tous  les  genres  de 
désordres  répandus  sur  les  divers  points  de 
cette  paroisse,  et  y  répandant  à  leur  tour 
l'oubli  de  Dieu  et  le  mépris  de  la  religion; 
et  au  milieu  de  ces  spectacles  déchirants, 
un  pasteur  tranquille,  indifférent  au  salut 
de  son  peu|)le,  disant  que  tout  va  bien  dans 
sa  paroisse  ,  occupé  d'allaires  temporelles, 
de  lectures  frivoles,  de  voyages,  de  m  relié, 
de  négoce,  de  chasse,  de  jeux,  d'amuse- 
ments, peut-être  d'aitrigucs  criminelles, 
promenant  de  maison  en  maison,  de  festin 
en  festin,  son  indolence  et  sa  criminelle  oi- 
siveté ! 

Oh!  mes  chers  confrères,  il  me  semble 
entendre  la  voix  indignée  du  père  de  fa- 
mille :  Quoi  !  il  y  a  tant  d'années  que  j'at- 
tends du  fruit  de  cet  arbre  et  je  le  trouve 
toujours  stérile  !  Succide  ergo  iilam,  ut  quid 
etiam  terram  occupai?  «  Coupez-le,  arrachez- 
le  :  pourquoi  occiipe-t-il  encore  inutilement 
la  terre?  »  (Luc,  XIII,  7.)  Hélas  1  ce  coup  ter- 
rible n'est  peut-être  pas  loin;  la  hache  est 
déjà  levée,  et  ce  [)asteur  aveuglé  ne  l'aper- 
çoit point,  et  il  ne  songe  ni  à  sa  (in  pro- 
chaine, ni  au  compte  qu'il  est  prêt  à  rendre 
au  Pasteur  des  [)asteurs  de  tant  d'âmes  qu'il 
devait  sauver  et  qu'il  a  perdues.  Mille  lu- 
mières brillent  en  vain  pour  percer  cet  af- 
freux aveuglement  :  avis  de  ses  confrères  , 
avis  de  ses  supérieurs,  secours  extraordi- 
naire d'une  retraite,  tout  est  employé  ,  et 
l'endurcissement  de  ce  prôtrc  va  toujours 


T.  XY,  SUR  L'EXEMt>LE.  822 

croissant.  Mais  que  vois-je  ?  la  miséricorde 
divino  s'est  enfin  lassée;  le  moment  de  la 
justice  arrive;  la  hache  tombe,  et  l'arbre  est 
renversé.  Vénérab'cs  confrères,  ouvrons  les 
yeux  de  la  foi  I  (piel  spectacle  que  la  confu- 
sion et  le  désespoir  de  ce  prêtre  infidèle, 
tout  tremblant  aux  pieds  de  Jésus-Christ, 
qui  lui  redemande  ses  âmes  précieuses,  ra- 
chetées de  son  sang!  Mais  qu'entends-je  ? 
quels  cris  de  malédiction  do  la  bouche  de 
ces  âmes  infortunées,  qui,  du  fond  des  en- 
fers, accusent  ce  mauvais  pasteur  de  leur 
perte  éternelle,  et  appellent  sur  lui  le  môme 
supplice  qu'il  leur  a  mérité. 

Mais  hâtons-nous  de  consoler  nolredouleur 
par  un  spectablo  bien  ditTéreni,  et  bien  plus 
analogue  h  l'assemblée  qui  m'écoute  :  point 
de  fléau  plus  terrible  pour  un  peuple,  point 
de  plaie  plus  douloureuse  pour  l'Kglise  , 
que  les  scandales  d'un  mauvais  prêtre:  la 
perte  des  mœurs  et  de  la  foi  en  est  le  triste 
résultat,  nous  venons  de  le  voir.  Voyons 
maintenant  les  heureux  effets  du  bon  exem- 
ple dans  un  prêtre  fidèle. 

SECONDE    PARTIE. 

La  nécessité  et  l'efficacité  du  bon  exemple 
sont  deux  points  de  morale  qu'un  pasteur 
zélé  n'expose  jamais  sans  fruit  devant  son 
peuple.  Mais  ces  deux  vérités  ne  regardent- 
elles  pas  les  prêtres,  [)lus  expressément 
encore  que  les  simples  fidèles  ?  n'est-ce  pas 
h  nous  surtout  que  le  grand  Apôtre  a  dit  : 
Providentes  bona,  non  tantum  coram  Dec, 
sed  etiam  coram  hominibus?  {Rom.,  XII,  17.) 
En  effet,  tous  les  hommes  sans  exception, 
et  à  plus  forte  raison  les  prêtres,  sont  obli- 
gés de  travailler  au  salut  de  leurs  frères  : 
or,  quel  e>t  le  grand  moyen  de  procurer  ce 
saiut,  sinon  le  bon  exemple?  C'est  Jésus- 
Christ  lui-même  qui  nous  l'enseigne  ce 
moyen,  et  qui  nous  commande  de  le  mettre 
en  pratique.  Après  avoir  dit  à  ses  apôtres 
qu'ils  étaient  la  lumière  du  monde,  il  ajoute  : 
Sic  luceat  lux  vestra  coram  hominibus,  ut  vi- 
deant  opéra  vestra  bona,  et  glorificent  Patrem 
vestrum,  qui  in  cœlis  est.  (Matlh.,  V,  16.) 
Arrêtons-nous  un  moment  à  un  texte  si  ex- 
pressif et  si  substantiel;  il  renferme  un  en- 
seifinement  précieux  pour  les  prêtres. 

Quelle  est  cette  lumière  dont  parle  Jé- 
sus-Christ? est-ce  la  lumière  qui  naît  de 
l'instruction?  la  clarté  des  pensées,  !a  force 
ou  la  noblesse  du  langage,  l'enchaînement 
des  I  reuves,  les  traits  sublimes,  les  formes 
d'une  éloquence  pathétique  et  entraînante? 
Non  ,  mes  chers  confrères  ,  c'est  la  lumière 
des  bonnes  œuvres,  Opéra  vestra  bona;  et 
cette  lumière,  raille  fois  plus  éclatante  que 
celle  des  prônes  et  des  sermons,  est-il  aucun 
prêtre  qui  ne  puisse  et  par  conséquent  ne 
doive  la  répandre  autour  de  lui?  Tous  sans 
doute  n'ont  pas  reçu  au  même  degré  le  don 
de  la  |)arole,  quoique  tous  soient  tenus  do 
parler  et  d'instruire  le  mieux  qu'ils  peu- 
vent; mais  tous  ne  |)euvent-ils  pas  donner 
des  e\em[)les  de  patience,  de  douceur,  de 
modération,  de  fermeté,  de  désintéresse- 
ment, de  zèle,  de  piété?  Jésus-Christ  .nous 
y  oblige  :  Luceat  lux  veslra.  Non,  il  ne  sut- 


82r, 


ORATEURS  SACRES.  3ÏAIJREL. 


iîi 


firait  pas  de  faire  le  bien  en  secret,  Jésus- 
Christ  veut  que  nous  le  fassions  aussi  en 
public,  eoram  hominibiis.  II  faut  que  les 
hommes  voient,  au  moins  dans  certaines 
circonstances,  nos  aumônes,  nos  mortifica- 
tions, n.itre  soumission  à  la  Providence, 
notre  cliaritt5  envers  nos  onnetiiis ,  nos  bons 
procédés  envers  ceux  qui  nous  persécutent, 
et  nos  edoi  ts  pour  les  ramener  à  Dieu  :  Ut 
videanl  opéra  vestra  bona. 

Je  sais  sans  doute  que  la  main  gauche 
doit  ignorer  le  bien  que  fait  la  droite;  qu'il 
nous  fst  ordonné  de  fermer  notre  porte  et 
de  prier  en  secret,  de  laver  noire  face  et  de 
caclier  nos  jeûnes;  mais  pas  toujours!  il 
faut  savoir  allier  la  charité  avec  l'humilité; 
il  faut  que,  suivant  les  règles  de  ce  discer- 
nement que  donne  l'Esprit-Saint,  nos  bon- 
nes œuvres  soient  tantôt  cachées  et  tantôt 
visibles,  ut  videant.  Et  pourquoi  visibles  ? 
est-ce  atin  d'obtenir  ce  que  chercha  ent  les 
pharisiens,  l'estime  et  les  louanges  des 
tiommes?  ah  I  non  sans  doute,  nous  rece- 
vrions alors  notre  récompense  ici-bas;  mais 
atin  de  l'aire  glorifier  ce  Dieu  suprême  qui 
coniemple  du  haut  des  cieux  l'action  et 
l'intention,  et  ne  récompense  que  ce  qu'on 
fait  en  vue  de  lui  [)iaire  :  Ut  glorijîccnl 
Patron  vestrum  qui  in  cœlis  est. 

Aussi  Jésus-Christ,  qui  a  voulu  nous  don- 
ner à  la  fois  des  leçons  d'humilité  et  de 
charité,  mais  plus  en  actions  qu'on  paroles, 
après  avoir  fait  le  bien  en  secret  pendant 
trente  ans,  et  en()ublic  pendant  trois,  nous 
a-t-il  laissé,  en  aiouranl,  ce  grand  précepte 
qui  est  l'abrégé  de  tout  l'Evangile,  et  qui 
devrait  être  l'objet  d'une  éternelle  médita- 
tinn  pour  un  prêtre  :  Exemplum  dedi  vobis, 
ut  quemadmodum  ego  feci,  ita  et  vos  faciatis. 
(Joan.,X!lI,15.) 

La  nécessité  du  bon  exemple,  surtout 
dans  un  |)rêtre,  est  donc  évidente;  mais  son 
etlicacité  no  dira  t-eile  rien  à  nos  cœurs? 
Si,  dans  une  action  [>érilleuse  un  chef  mili- 
taire commandait  à  ses  soldats  d'avancer, 
en  se  tenant  lui-même  derrière  eux,  croyez- 
vous  qu'il  fût  obéi?  ils  ne  marchent  que 
parce  (ju'ils  voient  le  chef  à  la  tête  courir  le 
l>remiei-  à  l'ennemi.  Il  en  est  de  même  dans 
la  milice  sainte;  rien  ne  touche  et  n'ins- 
pire la  vertu,  rien  n'enflamme  le  zèle  et  la 
piété,  dit  le  concile  de  Trente,  comme  le 
bon  exemple  et  la  sainteté  de  ceux  qui  se 
sont  consacrés  au  divin  ministère  :  Niliil  est 
quod  alias  inagis  ad  pielalem  et  Dei  cullutn 
assidue  inutruat,  quam  corum  vita  et  earem- 
plum,  qui  se  dicino  minislerio  dedicarunt. 

D'où  vient  ce  pouvoir,  cet  empire  si  en- 
traînant du  bon  exemple?  Vous  le  savez, 
mes  chors  confrères,  il  prend  sa  source  dans 
la  nature  elle-même;  rhounne  est  né  imi- 
tateur; un  penchant  naturel  nous  porte  à 
l'aire  ce  que  nous  voyons  faire;  sans  doute 
ce  penchant  est  incomparablement  plus 
fort  [)0ur  le  mal  que  pour  le  bien;  aussi 
les  mauvais  exemples  sont  bien  plus  fu- 
nestes que   les  bons   ne  sont    utiles.  Mais 


ceux-ci  sont  pourtant  le  plus  grand  moyen 
d'inspirer  la  vertu  :  Longum  iter  per  prœ» 
ceptn;  brève  per  exempta.  Cette  maxime  est 
vraie  pour  tout  :  on  résiste  souvent  h  un 
bon  conseil  ;  il  est  plus  rare  qu'on  résiste  à 
un  exemple,  surtout  quand  il  est  persévé- 
rant, et  qu'il  est  doimé  par  des  hommes 
que  leur  autorité,  leur  science,  leur  expé- 
rience nous  rendent  respectables.  N'est-ce 
pas  là  ce  que  sont  auprès  des  peuples  les 
ministres  évangéliques?  Aussi,  dit  saint 
Léon,  ils  instruisent  bien  plus  eflicacetnent 
par  leurs  œuvres  que  par  leurs  paroles  î 
Plenius  opère  docetur,  quam  voce. 

Pour  nous  borner  ici  h  quelques  idées 
particulières,  plus  faciles  à  retenir,  quel 
est,  je  vous  le  demande,  le  grand  moyen  de 
ranimer  la  foi,  aujourd'hui,  hélas  1  presque 
éteinte,  et  de  réveiller  l'indifférence  pres- 
que nniverselle?  n'est-ce  pas  le  bon  exeni- 
ple  ?  Et  quand  je  dis  de  ranimer  la  foi,  je 
pourrais  ajouter  d'en  prouver  la  vérité. 
L'autorité  de  l'exemple,  démontre,  en  effet, 
plus  solidement  les  vérités  du  christianisme 
que  l'éloquence  de  la  parole?  Je  me  con- 
f.  sse,  donc  je  crois  à  la  confession  ;  c'est  la 
pratique  la  plus  pénible,  la  plus  humiliante, 
la  plus  contraire  à  tous  les  penchants  de  la 
nature;  donc  je  ne  m'y  détermine  que  [tar 
un  secours  divin  qui  m'élève  au-dessus  de 
la  nature  ;  et  si  c'est  Dieu  qui  me  donne,  et 
qui  peut  seul  me  donner  la  force  de  me 
confesser,  c'est  donc  lui  qui  a  établi  la 
confession.  Cette  preuve,  que  fournissent 
à  la  fois  tant  de  chrétiensde  tous  les  siècies» 
est  à  l'abri  de  tous  les  sophismes.  Parcourez 
toutes  les  vérités  de  la  religion,  et  voyez 
s'il  en  est  une  seule  que  l'exemple  ne  dé- 
montre mille  fois  mieux  que  tous  les  dis- 
cours. Ou  sait  ce  qu'il  en  coûte  pour  prali- 
quei"  la  chasteté,  le  pardon  des  injures,  la 
pénitence,  l'abnégation  de  soi-même;  on 
ne  se  gênerait  |)as  ainsi,  si  l'on  n'avait  non- 
seulement  la  conviction  que  ces  vertus  sont 
nécessaires,  mais  de  plus  l'espoir  d'obtenir 
cette  force  qui  lriom{)he  do  notre  faiblesse. 
Or,  Dieu  n'accorde  ses  grâces  que  pour 
remplir  les  préceptes  de  sa  loi  ;  l'impie  et 
le  libertin  n'ont  rien  à  opposera  ces  sages 
dispositions  de  la  Providence  divine.  La 
vérité  du  christianisme  a  été  mieux  dé- 
montrée par  Ihéroique  patience  des  mar- 
tyrs que  par  toute  l'érudition  des  apolo- 
gistes. 

Aussi,  quels  sont  les  bons  prédicateurs? 
Ce  sont  ceux  qui  font  leurs  sermons,  disait 
ingénieusement  un  des  plus  illustres  prélats 
de  l'Eglise  de  France  (1);  c'est-à-dire,  ceux 
qui  pratiquent  la  doctrine  qu'ils  prêchent.' 
Alors  ils  prêchent  non-seulement  lorsqu'il* 
sont  en  chaire,  mais  dans  toutes  les  circons- 
tances où  ils  sont  vus.  On  aime  à  lire  dans 
la  conduite  d'un  ministre  do  Dieu  la  doc- 
trine qu'on  a  déjà  entendue  de  sa  bouche. 
Un  des  compagnons  de  saint  François-Xa- 
vier prêchait  dans  une  ville  infidèle,  en  pré- 
sence d'une  assemblée  nombreuse,  lorsque 


(1)  Monseigneur  Louis-François  d'Orléans  de  La  MoUp,  évcaue  d'Ainien> 


ns 


RETRAITE.  —  INSTRL'CT.  XV,  SUR  L'EXEMPLE. 


89G 


un  homme  de  la  lie  du  peuple  s'approche  de 
lui,  comme  pour  lui  p.uler,  et  lui  fait  une 
grave  insulte,  la  même  que  d'ignobles  va- 
lets firent  éprouver  h  Jésus-Christ  dans  le 
cours  de  sa  [lassion.  Le  missionnaire,  sans 
se  permettre  la  moindre  (ilainle,  sans  faire 
paraître  la  moindre  émotion,  essuie  son 
visage,  et  continue  tranquillement  son  dis- 
cours. Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  <lé- 
cider  le  succès  de  la  prédication;  une  pa- 
tience aussi  suljlime  ravit  d'admiration 
toute  l'assemblée,  loucha  surtout  un  des 
plus  savants  personnages  de  la  contrée  qui 
était  ()résenl.  Il  avait  résisté  jusqu'alors  au 
pouvoir  de  la  parole,  il  ne  résista  pas  h  ce- 
lui de  l'exemple;  Quoi  1  se  dit-il  à  lui-même, 
tuie  religion  qui  in-^piro  tant  de  modéra- 
tion, tiint  de  grandeur  d'âme,  qui  rend 
l'homme  si  supérieur  à  lui-ciêine,  ne  serait 
qu'une  religion  humaine?  Non,  il  est  im- 
possible quelle  ne  vienne  pas  du  ciel.  Après 
le  sermon,  il  demanda  le  baptême,  qu'on 
lui  donna  solenuellemenl,  et  sa  conversion 
en  entraîna  un  grand  nombre  d'autres. 

Voilà  les  preuves  qu'emploient  les  saints! 
ils  emploient  aussi,  comme  nous,  les  preu- 
ves de  dooirine,  mais  les  succès  prodigieux 
de  leur  ministère  sont  dus  principalement 
h  l'éclat  de  leurs  vertus  Supposons  ileux 
pasteurs,  l'un  irès-érudil,  irès-éloquent , 
ma;s  d'une  vertu  {)eu  solide  ;  l'autre,  d'une 
médiocre  instruction,  d'une  éloquence  très- 
onliiiaire,  mais  d'une  piété,  d'une  charité, 
d'un  zèle  à  toute  épreuve  :  lequel  des  deux 
fera  le  plus  de  bien  dans  une  paroisse? 
Nous  le  voyons  tous  les  jours,  ce  sera  le 
dernier.  Comment  s'y  prenait  saint  Jean- 
Bapiisie  pour  persuader  les  vérités  austères 
qu'il  prêchait  ilans  le  désert?  faisait-il  de 
longs  raisonnements?  opérait-il  même  des 
miracles?  Non,  il  pratiquait  ce  qu'il  disait. 
On  entendait  sortir  de  sa  bouche  ces  [laro- 
les  îévères  :  Pœnilenliam  agite,  appropin- 
quavit  enim  regnuin  cœlorumlMalth.,  iil,  2). 
i'rogenies  vipcrurumquis  demonstruvil  vobis 
fugere  a  venlura  ira  ?  facile  ergo  fructum 
diynitm  pœnitentiœ  (Luc,  JII,  7,  8).  Mais 
couimeni  des^aroles  qui  semblent  si  re- 
pou.>siuites  pouvaieni-eiles  attirer  tout  Jéru- 
salem, et  convertir  les  [)é(heuis  les  plus 
endurcis?  L'Evangile  nousex[tlique  ce  mys- 
tère :  Joannes  hubebat  vestimentum  de  pilis 
camelorum,  et  zonam  pelliccam  circa  lumbos 
suos,  esca  aitlem  ejus  erat  locusta  et  mel  sil- 
veslre.  l'um  exibut  ad  eum  Jerosolima,   et 

omnis  Jiidœa baplizabantur  ab  eo  con- 

filenlespeccatasua  [Matlh.,  111,  4-6).  Un  vô- 
leuient  pauvre  et  lude,  une  vie  sobre  et 
morliliée,  la  retraite  et  l'oraison  :  voilà  ce 
(jui  donnait  aux  paroles  de  saint  Jean  une 
loice  toute-puissante.  On  ne  [)eut  argumen- 
ter citnlre  de  telles  preuves,  et  voilà  tout  le 
secret  de  la  sévère  éloquence  du  précur- 
seur du  Messie. 

Ne  doutons  pas.  Messieurs,  que  l'impiété 
de  notre  malheureuse  pairie,  si  [)rolonde 
d'ailleurs  et  si  audacieuse,  résistât  à  de 
semblables  démonstrations.  On  a  laif,  pour 
la  coiid)ailre,   do   savants    ouvrages,  bien 


utiles  sans  doute;  mais  si  Dieu,  dans  sn 
miséricorde,  daignait  nous  donner  deux  ou 
trois  hommes  seulement  d'une  sainteté 
éminente  et  d'une  vertu  supérieure  comme 
les  Hyacinthe,  les  "Vincent  Ferrier,  les  Bar- 
thélcmi  des  Martyrs,  les  Vincent  de  Paul, 
croyez-vous  que  leurs  exemples  ne  fissent 
pas  infiniment  plus  d'impression  que  toute 
la  dialectique  de  nos  anciens  controversisles 
et  le  talent  de  nos  écrivains,  si  estimables 
d'ailleurs. 

Mais  pour  convertir  il  ne  sufTit  pas  de 
ranimer  la  foi  ou  do  prouver  ce  qu'elle  en- 
seigne, il  faut  de  plus  encourager  la  fai- 
blesse et  réveiller  la  lâcheté  ;  et  c'est  encore 
là  le  privilège  du  bon  exemple.  Ce  qui  éloi- 
gne le  plus  souvent  de  la  vertu,  c'est  qu'or» 
la  croit  ou  impossible  ou  trop  difficile  ;  mais 
quand  on  la  voit  pratiquée  par  des  êtres  do 
même  nature  que  nous,  par  des  hommes 
qui  sont  nés  avec  les  mêmes  penchants  et 
les  mêmes  faiblesses,  le  cœur  se  ranime,  le 
courage  s'enflamme,  et  l'on  s'écrie  avec 
saint  Augustin  :  Quoi  1  Victorin  a  triomphé 
de  ses  passions,  et  moi  je  resterais  esclave 
des  miennes  I  Je  vois  devant  moi  tant  de 
modèles  de  chasteté,  de  tempérance ,  de 
piété,  et  je  craindrais  d'entrer  dans  une 
carrière  que  tant  d'autres  ont  parcourue 
avec  succès?  Et  lu  non  poleris  quod  isti  et 
istœ  ? 

Qu'est-ce  qui  convertit  saint  Pacôme  et 
fit  de  ce  soldat  païen  un  fervent  solitaire? 
la  charité  compatissante  des  chrétiens  en- 
vers les  prisonniers.  Il  fut  touché  de  la 
beauté  d  une  religion  qui  inspire  des  sen- 
timents si  humains.  Et  l'univers  entier,  par 
quoi  fut-il  converti  ?  par  les  vertus  des  apô- 
tres, répond  saint  Chrysostorae,  bien  plu.<» 
(|ue  par  leurs  miracles  :  Miindum  converte- 
runl,  non  pr opter  miracula  quœ  fecerunt, 
sed  quia  in  ipsis  verus  erat  gloriœ  pecunice- 
que  contemptus.  Oui ,  mes  chers  confrères, 
un  mépris  généreux  de  la  gloire  et  de  l'ar- 
gent est  un  espèce  de  miracle  qui  touche 
bien  plus  que  la  guérison  des  aveugles  et  la 
résurrection  des  morts.  Si  les  apôtres,  en 
|)rêchant  l'Evangile,  s'éiaient  bornés  à  com- 
mander à  la  nature  et  à  se  faire  obéir  des 
éléments,  sans  doute  on  les  aurait  admirés 
comme  des  hommes  extraordinaires;  peut- 
être  même  eût-on  cru  les  vérités  qu'ils  prê- 
chaient; mais  on  aurait  dit:  Si  ces  vérités 
sont  aussi  certaines  qu'ils  l'annoncent, 
pourquoi  ne  les  pratiquent-ils  pas  eux- 
mêmes?  et  s'ils  s'en  dispensent,  ne  pou- 
vons-nous pas  aussi  nous  en  dispenser? 
Mais  en  les  voyant  retracer  par  leurs  exem- 
[)!es  les  vertus  sévères  qu'ils  prêchaient,  et 
marcher  les  |)reiniers  dans  la  route  pénible 
que  leur  Maître  avait  teinte  de  son  sang, 
les  f)lus  indifférents  se  sentaient  la  force  <Je 
les  suivre,  et  entraînaient  après  eux  une 
foui'-'  d'imitateurs.  C'est  ainsi  que  dans  ces 
temps  heureux  les  fidèles  étaient  chacun 
comme  autant  d'apôtres  et  présentaient  l'E- 
vangile comme  écrit  dans  leurs  actions,  ou, 
pour  parler  le  langage  de  ïertulien,  les 
[iromiers  chrétiens  (J'al')rs,  étaient  par  Isurs 


827 


ORATEURS    SACRES.   MOREL. 


828 


mœurs  un  abr(''gé  de  l'Evangile  :  Compen- 
dium  Evnngelii. 

Héli.-s  I  ils  le  seraient  encore  aujourd'hui 
s'ils  voyaient  en  nous  les  vertus  des  apô- 
tres. Jugeons-en  par  nous-mêmes  :  lorsque 
nous  rencontrons  un  confrère  pieux  et  zélé, 
îic  sommo-nous  pas  mille  fois  plus  touchés 
de  ses  exemples  que  nous  ne  le  serions  de 
ses  avisîMaisque  dis-je?en  lisant  la  Vieiies 
saints  ne  sentons-nous  f»as  s'allumer  dans 
dans  notre  cœur  une  piouse  émulation,  un 
saint  désir  <.'e  ]esimiter?Ne  nous  roprochoiis- 
nous  pas  d'y  avoir  manqué?  n'avouons- 
nous  pas  que  c'est  p.ir  noire  faute,  et  ne  for- 
mons-nous pas  la  résolution  de  combaltre 
avec  vigueur  tel  défaut,  le!  ()enclianl  qu'ils 
ont  vaincu?  Or,  Messieurs,  si  le  seul  récit 
des  actes  de  la  Viedessainis  produit  en  nous 
une  telle  impression  et  ranime  ainsi  notre 
courage  et  notre  ferveur,  que  ne  fera  pas 
le  spectacle  touchant  de  ces  mômes  vertus, 
si  nous  les  voyons  mettre  en  [)ratique? 

Aussi  quelle  différence  entre  une  parois  e 
qui  a  reçu  du  ciel  le  bienfait  inappréciajjle 
d'un  saint  pasteur,  et  celle  qui  a  le  malheur 
t''avoirà  sa  tête  un  chef  peu  édiliantl  Je  sais 
sans  doute  qu'un  pasteur  exemplaire  n'a 
pas  toujours  la  consolalion  de  corriger  tous 
les  désordres;  mais  du  moins  il  instruit,  il 
surveille,  il  exhorte,  il  presse,  il  loue,  il  re- 
prend, et  surtout  il  édifie.  A  force  de  tra- 
vaux et  de  vertus,  il  parvient  h  former  une 
réunion  de  chrétiens  fervents,  qui,  en  iuii- 
tant  les  exemples  de  leur  guide,  rappellent 
sans  cesse  et  fortifient  ses  instructions,  en- 
couragent la  vertu  timide,  et  confondent 
l'orgueil  des  méchants,  opposent  une  bar- 
rière au  torrent  du  vice  et  forcent  le  crime  à 
se  cacher  et  à  rougir  de  ses  propres  excès. 
Mais  vous  savez  que  le  bon  exemple  d'an 
pasteur  ne  borne  pas  son  influence  à  ses 
ouailles,  et  que  celle  salutaire  influence 
s'étend  sur  les  autres  pasteurs,  comme  sur 
les  autres  paroisses. 

Vénérables  confières,  regardons  comme 
le  plus  important  de  nos  devoirs  l'obliga- 
tion du  bon  exemple  ;  donnons-le  en  toutes 
choses,  m  omnibus,  suivant  la  doctrine  de 
l'Apôire.  Permettez  qu'en  finissant  je  rap- 
pelle les  saints  avis  qu'il  donnait  à  ses  disci- 
ples, Tite  '.■t  Timolhée  :  Jn  omnibus,  disait- 
il  au  premier,  te  ipsum  prœbe  exemplum  bo- 
norum  operum,  in  doctrina,  ininlegrilate,in 
gravitale;  verbum,  sanum,  irrepreliensibile, 
ut  is  qui  ex  adverso  est,  vereatur,  niliil  ha- 
bens  maliimdicere  denobis.  «  Montrez-vous  un 
modèle  de  bonnes  œuvres  en  toutes  choses,  dans 
la  pureté'  de  votre  doctrine,  dans  Vinlégrilé 
de  votre  vie,  dans  la  gravité  de  vos  mœurs  ; 

?ue  vos  paroles  soient  saines  et  irrépréhensi- 
les,  afin  que  nos  adversaires  soient  forcés  de 
rougir  de  ta  haine  qu'ils  nous  portent,  n  ayant 
aucun  mal  à  dire  de  nous  »  {Tit.  il,  7,8. 

Ce  môme  Apôtre  reflète  à  peu  près  les 
mêm«s  instructions  à  Tiuiothée  :  Ncmo  ado- 
lescen-tam  tuam  contemnal;  sed  exemplum 
est  0  fideltum  m  verbe ,  in  conversatione,  n 
char  tate,infide,in  castitate.  «l  Ayez  soin  que 
pers.inne  neméprisevotre  jeunesse;  mais  soyez 


l'exemple  des  fidèles  dunsvosparoles,d(ins  votre 
conduite,  dans  la  charité,  dans  lafot,  dans  la 
chasteté.  »  (1  Tim.  IV,  12. j  11  faudrait  plusieurs 
discours  pour  dévelop|)or  ces  maximes  ad- 
mirables; vos  réflexions  feront  ici  bien  mieux 
que  les  miennes,  et  vous  remarquerez  dans 
ces  deux  textes  trois  choses  expressément 
répétées,  et  qui  sendjient  tenir  d'une  ma- 
nière toule  particulière  au  cœur  de  l'Apô- 
Ire.  La  première  regnrde  le  bon  exemple 
dans  la  foi  et  la  doctrine  :  In  fide,  in  do- 
ctrina. Oh  I  qu'il  serait  à  plaindre,  ot  quel 
mal  ne  ferait  pas  un  prôtre  téméraire  qui 
laisserait  échapper  le  moindre  doute  sur  la 
doctrine  de  l'Église,  et  sur  la  soumission 
et  le  respect  qui  sont  dus  aux  premiers 
p.isieurs,  et  surtout  à  la  chaire  de  saint 
Pierre  I 

La  seconde  regarde  la  manière  de  parler  : 
in  verbo,  verbum  sanum,  irreprehensibile.  Il 
ne  doit  sortir  de  la  bouche  d'un  prôlre  rien 
que  de  vrai,  de  grave,  do  sensé,  de  prudent, 
de  religieux,  religione  plénum,  comme  s'ex- 
piime  le  concile  de  Trente.  Ne  confondons 
pas  une  gaîlé  discrète  avec  la  légèreté  : 
celle-ci  serait  un  scaiid.ile.  Le  mot  de  saint 
Bernard  trouve  ici  sa  place  :  Ce  qui  n'est 
qu'une  pure  plaisanterie  dans  un  homme  du 
monde,  est  souvent  un  blasphème  dans  la 
bouche  d'un  prôtre  :  In  ore  laicinugœ  inore 
sacerdotis  blasphemiœ. 

Enfin,  ce  qui  en  troisième  lieu  doit  fixer 
notre  attenlion  dans  les  paroles  de  l'Apôtre, 
c'est  la  nécessité  du  bon  exemple  en  fait  de 
mœurs  :  in  integritale,  in  castitate.  Oli  !  mes 
chers  confrères,  c'est  ici  la  vertu  par  ex- 
cellence pour  un  prôtre,  c'est  ici  laplus;in- 
dispensable  des  vertus  sacerdotales,  celle 
que  les  gens  du  monde  observent  le  plus 
d;ins  un  ecclésiastique,  et  qu'ils  exigent  de 
lui  avec  le  plus  d'autorité.  C'est  sur  l'obser- 
vation du  précepte  de  la  chasteté  qu'ils  se 
montrent  le  plus  sévères  à  notre  égard  ;  car 
pour  eux-mêmes,  vous  le  savez,  ils  se  par- 
donnent tout  ;  et  c'est  précisément  pour  cela 
qu'ils  ne  nous  pardonnent  rien,  pas  un  re- 
gard, pas  un  geste,  pas  une  parole,  pas  un 
sourire  déplacé.  Sans  doute  le  Seigneur  le 
permet  ainsi  pour  nous  rendre  plus  diffi- 
cile la  violation  de  la  plus  sainte  des  lois. 
Mon  Dieu  I  faites  que  du  moins  sur  un  point 
aussi  délicat  chacun  de  nous  puisse  répéter 
avec  sécurité  le  mot  sublime  de  notre  mo- 
dèle :  Quis  ex  vobis  arguet  me  de  peccato? 
[Joan.,  Vlli.ie.)  Portons  tous  ce  défi  aux  en- 
nemis de  la  religion. 

Oh  1  mes  chers  confrères,  qu'il  est  véné- 
rable et  justement  vénéré  cet  homme  de 
Dieu  qui  se  montre  partout  et  en  tout  une 
image  vivante  delà  modestiede  Jésus-Christ 
Ilabitu,  geslu,  incessu,  sermone,  comme  parle 
le  concile  de  Trente.  Quel  respect,  quelle 
confiance  n'inspire-t-il  pas,  lorsqu'il  paraît 
dans  une  assemblée!  La  bonne  odeur  de  ses 
vertus, disons  mieux,  la  borineodeurde  Jésus- 
Christ  qui  vit  et  agit  en  lui,  s'exliale  aussi- 
tôt do  toutes  parts,  connue  un  parfum  pré- 
cieux :  Christi  bonus  odor  sumus  (11  Cor., 
11,  15).  Il  se  répand  autour  de  sa  personne 


829 


RETRAITE.  —  INSTriUCT.  XVI,  SUR  F,ES  VOCATIONS  ECCLESI ASTIQUES- 


850 


je  ne  sais  quoi  de  céleste,  qui  instruit,  qui 
louche,  qui  plaît,  qui  console,  qui  imicou- 
rage,  qui  n^jouil,  (jui  coiiiniuni(|ue  ii  loulos 
les  â!iios  une  lioiire  éinulalioii  pour  le  bien 
et  I  ardeur  de  l'ainour  divin  :  IVec  est  qui  se 
abscondat  a  calore ejus  {Psnl.  XV 1 1 ! ,  7) .  Pu isse 
chacun  de  vos  paruissicns  rccoiinnîlre  dans 
leurs  pasteurs  le  portrait  de  cet  homme  do 
bien  I 

INSTRUCTION   XVI. 

tES   VOCATIONS  ECCLÉSIASTIQUr.S. 

Videle  vocalioncm  vcsirain.  (I  Cor.,  I,  20  ) 

Mes  frères  (5) , 
En  crevant  cet  immense  univers,  Dieu  a 
fixé  à  chacun  des  êtres,  soit  maléricls,  soit 
raisonnnb'osqui  le  coraposent,  la  place  qu'il 
doit  occuper  et  la  fonction  qu'il  doit  rem- 
plir. De  là  la  beauté  de  l'ordre  f)h.ysique  qui 
nous  charme  dans  les  uns,  et  l'harmonie  de 
l'ordre  moral  qui  règne  dans  les  autres;  car 
tout  ce  que  Dieu  fait  est  bon,  sage,  partaile- 
ment  lé.lé.  parfaitement  ordonné.  Il  a  atta- 
ché au  fil  marnent  ces  vastes  corps  tout  écla- 
tants d'une  lumière  douce  et  bienfaisante  , 
et  a  chargé  le  soleil  de  nous  éclairer  pen- 
dant le  jour,  et  la  lune  et  les  étoiles  pendant 
la  nuit.  Il  a  couvert  la  surlace  de  la  terre 
d'une  niuItiUide  innombrable  et  variée  d'a- 
nimaux ,  de  plantes,  de  fleurs,  de  fruits, 
destinés  au  service  et  au  plaisir  de  l'homme. 
11  a  enchaîné  la  fureur  de  la  mer,  il  a  per- 
mis qu'elle  servît  au  bien  de  la  terre,  sans 
la  ravager,  et  qu'elle  facilitât  à  ses  habitans 
leurs  rapports  et  leur  commerce  avec  les 
contrées  les  plus  lointaines.  Si  cet  ordre 
admirable  venait  à  cesser,  l'univers  rentre- 
rait dans  le  chaos. 

Même  sagesse,  même  harmonie,  même 
beauté  priiiiilive  dans  l'ordre  moral  ,  dont 
Dieu  est  aussi  l'auteur,  mais  qui  malheuse- 
nient  peut  êHe  altéré  bien  souvent  par  la 
licence  des  passions  et  la  malicedes  hommes. 
Chaque  êlre  raisonnable  a  ici- bas  sa  desti- 
nation particulière  ;  les  uns  sont  pré|)Osés 
pour  commander,  diriger,  instruire;  les 
autres  sont  chargés  d'obéir,  de  se  soumettre 
et  de  recevoir  avec  reconnaissance  les  lu- 
mières et  les  secours  qu'on  leur  procure. 
C'esl  la  divine  Providence,  toujours  sage, 
toujours  paternelle,  qui  fixe  et  fait  connaître 
à  chacun  l'emploi  qu'elle  lui  assigne,  qui 
lui  donne  les  inclinations,  les  talents,  les 
qualités  propres  à  cet  emploi  ,  et  qui  lui  a 
pré[)aré  les  moyens  et  les  secours  dont  il 
aura  besoin  pour  en  remplir  les  devoirs  et 
en  éviter  les  périls;  pour  en  vaincre  les  dif- 
ticuUt's  et  pour  s'y  sauver  ,  car  le  grand  but 
de  Dieu  ,  comme  il  doit  être  le  nôire  ,  c'est 
notre  salut  éternel. 

Heureux  donc  celui  qui  embrasse  l'état 
auquel  Dieu  l'appelle,  et  qui  s'y  conduit 
d'une  manière  clirélienne  1  11  y  trouve  la 
tranquillité  de  la  vie  présente  et  l'espoir  si 
consolant  du  bonheur  de  rélernité.  Mais 
qu'il  serait  à  plaindre  celui  qui,  par  impru- 

(l)  Ce  discours  était  prêché  dans  les  églises  ca- 
lliedrales  en  présence  des  lidcU-s,  <iui  b'eiupresiaieut 


dence,  avarice  ou  ambition  ,  entrerait  dans 
un  état  auquel  il  n'est  pas  appelé!  Hélas  1 
en  contrariant  les  vues  de  la  Providence, 
il  se  préparerait  des  remords  et  des  malé- 
dictions pour  cette  vie,  et  mettrait  son  salut 
éternel  dans  le  plus  grand  péril. 

Mais  si  l'obligation  de  répondre  chacun  i^ 
notre  vocation  est  si  grande,  si  im|)orianle 
pour  toute  espèce  d'étals,  combien  plus  ne 
!'est-elle  pas  pour  les  deux  étals  les  plus 
saints  et  les  plus  sublimes  que  Dieu  ait 
établis;  je  veux  dire  l'état  religieux  et  l'état 
ecclésiastique.  Ah!  malheur  à  un  enfant 
qui  enirerait  dans  un  de  ces  états  sacrés 
sans  y  être  appelé  de  Dieu,  ou  qui  n'y  en- 
trerait pas  y  étant  appelé  !  et  malheur,  mille 
fois  malheur  !  aux  parents  aveuglés  et  dé- 
raisonnables qui  contrarieraient  la  vocation 
de  leurs  enfants!  ils  les  perdraient  et  se 
perdraient  eux-mêmes. 

Mes  frères!  le  vénérable  pontife  qui  gou- 
verne votre  diocèse  avec  autant  de  sagesse 
que  de  bonté  ,  s'occu[)ant  nuit  et  jour  du 
malheur  de  tarit  de  paroisses  privées  de 
culte  et  de  pasteur,  nous  a  exjiresséraent 
recommandé  de  vous  exposer  l'obligation 
oià  sont  les  pères  et  mères  de  favoriser, 
d'encourager  de  toutes  leurs  forces,  mais 
sans  la  viole^nter,  la  vocation  ecclésiastique 
dans  leurs  enfants.  Quelle  plus  belle  occa- 
sion de  traiter  ce  grand  sujet!  Certes,  si 
quelqu'un  d'entre  vous  avait  besoin  de  re- 
noncer à  certaines  préventions  contre  lo 
{)lus  important  de  tous  les  états,  et  de  se 
former  une  haute  idée  de  l'excellence  du 
sacerdoce  ,  quoi  de  plus  propre  à  la  lui  ins- 
pirer que  le  spectacle  auguste  qui  frappe 
en  ce  moment  vos  yeux!  Vous  voyez  ici  une 
réunion  solennelle  de  pasteurs,  dont  les 
vertus  et  les  talents  vous  sont  connus  ,  et 
dont  le  zèle  a  ravi  votre  admiration  en  tant 
de  circonstances.  L'Esprit-Saint ,  dans  le 
calme  de  la  retraite  ,  vient  de  leur  donner 
des  forces  nouvelles  pour  aller  continuer 
l'œuvre  de  Dieu  avec  plus  d'ardeur  encora 
et  plus  de  succès;  et  dans  un  moment,  ils 
vont  renouveler  entie  les  mains  du  premier 
pasteur,  et  en  présence  des  anges  du  ciel 
et  des  fidèles  de  la  terre,  l'engagement 
sacré  de  travailler  toute  leur  vie  à  la  sanc- 
tilicalion  et  au  salut  de  leurs  concitoyens. 
Quel  père,  quelle  mère  ne  se  féliciterait  de 
voir  quelqu'un  de  ses  enfants  au  n(jmbre 
de  ces  vertueux  pasteurs  qui  font  la  conso- 
lation et  lagloire  de  l'Eglise,  et  auxquels  le 
monde  lui-même,  tout  aveuglé  qu'il  est,  est 
forcé  de  rendre  hommage? 

Entrons  en  matière,  et  veuillez  tous, 
mes  frères,  me  prêter  une  attention  sou- 
tenue. 

PREMIÈRE  PARTIE. 

Pousser  dans  le  sacerdoce  un  enfant  qui 
n'y  est  pas  appelé  est  un  crime  énorme, 
[ilusrare  peut-être  aujourd'hui  qu'autrefois; 
éloigner  du  sacerdoce  un  enfant  que  Dieu 

de  se  rendre  à  l'iinpcsanle  cérémonie  de  la  clôture 
Icb  'elraitCB. 


851 


ORATEURS  SACRES.  MOREL. 


853 


y  appelle  ,  pst  un  criiiie  aussi  grand  ,  et 
conimiin  aujourd'hui  dans  certaines  classes. 
Pourquoi  ?  c'est  entre  autres  choses  parce 
qu'un  monde  impie  qui  ne  veut  point  de 
prêtres,  parce  qu'il  ne  veut  point  de  Dieu, 
s'attache  tous  les  jours  à  décréditer  la  di- 
gnité d'un  élat  qui  contrarie  ses  passions, 
«'t  dont  le  seul  aspect  réveille  ses  remords. 
A  force  d'entendre  dire  dans  les  sociétés 
mondaines  que  le  sacerdoce  est  un  élat 
méprisable,  inutile,  onéreux,  cerîains  pa- 
rents en  conçoivent  une  horreur  secrète, 
qu'ils  inspirent  à  leurs  enfants.  Parenis  a- 
veuglés,  veuillez  réfléchir,  et  vous  revien- 
drez de  vos  préventions  ;  et  vous  verrez 
qu'il  n'est  rien  de  plus  grand,  rien  môme 
de  plus  nécessaire  au  boriheur  du  monde 
que  le  sacerdoce.  Développons  ces  deux 
idées  autant  que  les  homes  d'un  simple 
entretien  nous  le  permettent. 

Je  dis  rien  de  plus  grand  :  car,  mes  frè- 
r-^s,  qu'est-ce  qu'un  prêtre?  c'est  un  hom- 
me que  Dieu  a  relire  des  soins  profanes  et 
de  la  corruption  du  monde  ,  pour  le  consa- 
crer aux  Iravaux  glorieux  et  aux  fonctions 
sublimes  de  la  religion;  c'est  un  homme 
qui  lient  sur  la  terre  la  place  de  Jésus- 
Christ,  et  qui  est  auprès  des  autres  hommes 
l'ambassadeur  de  la  Divinité:  Pro  Christo 
iegatione  fungimur;  (Il  Cor.,  V,  20)  disons 
mieux,  c'est  un  homme  qui  en  un  sens 
n'apparlient  plus  à  la  terre,  mais  qui  est 
placé  entre  la  terre  et  le  ciel,  afin  d'offrir  à 
Dieu  les  supplications,  les  vœux,  le  besoin 
des  peuples,  et  de  faire  desi-endre  sur  eux 
les  secours,  les  grûces,  les  bénédictions  de 
Dieu. 

Un  prêtre!  c'est  un  homme  chargé  par 
office  d'intercéder  avec  Jésus-Christ  ,  le 
prêtre  éternel ,  pour  la  conversion  dos  pé- 
cheurs, l'affermissement  des  justes,  la  sanc- 
tification et  le  salut  de  tous  les  hommes,  la 
paix  des  familles,  la  prospérité  des  empi- 
res, l'union  entre  les  rois  et  entre  les  peu- 
ples, le  bonheur  et  la  tranquillité  de  toute 
la  terre  ;  et  cet  homme,  priant  au  nom  de 
Jésus-Christ  et  avec  Jésus-Christ  obtient, 
des  glaces  et  des  secours  privilégiés  que 
n'obtiendraient  pas  le  reste  des  mortels. 

Un  prêtre  1  c'est  un  homme  chargé  d'an- 
noncer aux  autres  honmies  les  volontés 
éternelles  du  Créateur,  les  oracles  de  sa  vé- 
rité, les  maximes  de  sa  loi,  les  bienfaits  de 
sa  miséricorde,  les  promesses  et  les  mena- 
ces de  sa  justice  ;  et  ce  ministre  de  la  parole 
sainte.  Dieu  veut  qu'on  l'écoute  avec  le 
même  respect  qu'on  écouterait  la  voix  mê- 
me du  Très-Haut:  Tanquam  Deo  exhorlanle 
per  nos  ;  [Ibid.)  et  si  quelqu'un  méprisait 
ce  prêtre,  insliuisant,  prêchant,  catéchi- 
sant au  nom  et  par  l'autorilé  de  Jésus-Christ 
Dieu  le  menace  de  le  punir  aussi  sévère- 
ment que  s'il  méprisait  Jésus-Christ  lui- 
même:  Qui  vos  spernit  me  spernit  [Luc, 
X,  16.) 

Un  prêtre!  c'est  un  homme  qui  occupe 
dans  le  tribunal  de  la  pénitence  la  place  du 
Juge  suprême,  qui  interroge  les  cœurs,  qui 
sonde  et  juge  les  consciences,  qui  les  ab- 


sout ou  les  condamne,  qui  remet  ou  retient 
les  péchés,  qui  prononce  sur  la  destinée 
éternelle  des  âmes,  qui  ouvre  ou  ferme  l« 
ciel  avec  la  même  autorité  que  Dieu  lui- 
même  :  Quœcunque  allignveritis  et  soheritis 
super  terrnm,  eriint  ligata  et  soluta  in  cœlo 
[Matth.  XVIII,  18.) 

Un  prêtre  1  c'est  un  homme  qui  paraît 
tous  les  jours  à  l'autel  pour  offrir  à  Dieu, 
quoi?  Dieu  lui-même;  un  homme  qui  re- 
nouvelle tous  les  jours  le  sacrifice  auguste 
de  la  croix  ,  et  inonde  en  quelque  sorte  la 
terre  entière  du  sang  de  Jésus-Christ.  Oh! 
qu'il  est  grand,  qu'il  est  vénérable,  ce  mi- 
nistre de  la  religion,  opérant  le  plus  subli- 
me des  mystères  !  Mais  comment  le  racon- 
ter, ce  prodige  des  prodiges?  Un  prêtre  s'a- 
vance annonçant  par  la  gravité  de  son 
maintien  l'appareil  de  la  religion  qui  l'en- 
toure, l'importance  du  ministère  qu'il  va 
remplir  :  il  "monte  5  l'autel  revêtu  de  la  mê- 
me puissance ,  et  portant  dans  son  cœur  les 
mêmes  vues  de  Uiiséricordeque  Jésus-Christ 
porta  sur  le  Calvaire.  Les  prières  les  plus 
solennelles,  les  cérémonies  les  plus  augus- 
tes, précèdent  le  plus  majestueux  des  sa- 
crifices. Le  minisire  du  Très-Haut  offre  du 
pain  et  du  vin,  et  invite  les  fidèles  à  élever 
leur  cœur  veis  le  trône  éternel  :  tout  à  coup 
un  silence  grave  se  répand  dans  l'assemblée 
sainte;  le  recueillement  le  plus  profonda 
succédé  au  ch.int  des  cantiques.  Frappé  de 
ce  spectacle,  l'impie  lui-même  est  forcé  de 
se  montrer  religieux.  Cependant  tous  les 
esprits  sont  dans  l'attente;  une  vive  émo- 
tion agite  tous  les  creurs:  le  signal  est 
donné,  le  voici  enfin  ce  moment  sublime! 
Cieux  !  soyez  saisis  d'élonnement  !  et  toi, 
terre  1  prépare-loi  à  adorer  ton  Maître.  Celui 
que  les  patriarches  ont  appelé  par  tant  de 
vœux,  celui  que  les  prophètes  ont  annoncé 
par  tant  d'oracles,  va  descendre  du  haut  des 
cieux  sur  cet  autel.  Le  prêtre  ne  lient  en- 
core dans  ses  mains  que  du  pain  et  du  vin  ; 
il  prononce  ces  paroles  toutes-puissantes: 
Ceci  est  mon  corps,  ceci  est  mon  sang  [Matth.., 
XXVI ,  26),  et  le  pain  et  le  vin  ne  sont 
plus;  il  n'en  reste  que  les  apparences;  et 
c'est  le  corps  et  le  sang  d'un  Dieu,  c'est  Jé- 
sus-Christ lui-même,  environné  de  ses  an- 
ges, qui  se  trouve  entre  les  mains  du  prê- 
tre, et  se  présente  aux  adorations  du  peu- 
ple 1  Le  ciel  est  descendu  sur  la  terre,  et 
c'est  un  prêtre  qui  a  opéré  ce  prodige! 

Ah!  heureux  donc,  mille  fois  heureux, 
vous,  enfant  de  bénédiction,  que  Dieu  ap- 
pelle à  l'état  sublime  du  sacerdoce  !  et  vous, 
()ère  de  cet  enfant,  à  qui  Dieu  destine  l'hon- 
neur de  donner  un  ministre  à  l'Eglise,  un 
coopérateur  à  Jésus-Christ,  un  ange  visible 
à  la  terre  1  et  vous,  mère,  qui  serez  bénie 
un  jour  par  cet  enfant  chéri  que  votre  sein 
a  porté,  et  duquel  on  pourra  dire  en  un 
sens,  comme  du  Fils  même  du  Très-Haut: 
Heureuses  les  mamelles  qui  vous  ont  allaité  1 
heureuses  les  entrailles  qui  vous  ont  enfanté l 
[Luc,  XI,  27.)  Mère  fortunée,  ah!  félicitez- 
vous,  et  bénissez  Dieu  d'avoir  été  choisie 
pour  donner  la  vie  à  un  enfant  qui  sera  un 


835  RETIWITE.  —  INSTRICT.  XVI,  SUR  LES    VOCATIONS    ECCLESIASTIQUES. 


jour  grand  devant  le  Seigneur,  plus  grand 
en  quelque  sorte  que  Jean-Baplisle  et  tous 
les  prophètes,  qui  ont  eu,  il  est  vrai,  Je 
bonheur  d'annoncer,  mais  non  d'ofTrir,  de 
tenir  dans  leurs  mains  Jésus-Chrisl  ;  plus 
grand  que  les  cieux,  puisque  le  maître  des 
cieux  obéira  à  sa  voix  ;  mille  et  mille  fois 
plus  grand  que  tout  ce  qu'il  y  a  de  grand  it 
d'élevé  sur  la  terre  1 

Oui,  mes  frères,  la  sublimité  du  sacerdoce 
est  au-dessus  de  toutes  les  grandeurs  hu- 
maines. Daignez  m'écoufer,  vous  surtout 
qui  avez  entendu  de  la  bouche  des  imines 
un  langage  si  différent.  Je  sais  sans  doute 
que  le  prêtre  n'est,  par  lui-même,  comme  le 
reste  des  hommes,  qu'un  faible  mortel  en- 
touré de  misères  et  d'infirmités  ;  mais  je  dis 
que  le  caractère  auguste  et  l'autorité  sacrée 
dont  Dieu  lui-même  l'a  revêtu  le  placent 
au-dessus  de  toutes  lesgrandeurs  humaines. 
Et  en  effet,  qu'y  a-t-il  ici-bas  qui  puisse 
égaler  la  dignité  d'un  re})résenlaut  de  Jésus- 
Christ?  Serait-ce  l'autorité  d'un  juge,  d'un 
magistrat,  de  quelque  autre  dépositaire  du 
pouvoir?  Un  prêtre  l'a  aussi,  celle  autorité; 
mais  les  juges,  les  magistrats  de  la  terre, 
ne  prononcent  que  sur  des  objets  matériels, 
ne  gouvernent  que  les  corps,  et  un  prêtre 
juge  et  gouverne  les  âmes,  infiniment  su- 
périeures aux  corps.  Serait-ce  la  dignité  si 
imposante  d'un  général  d'armée  ?  Un  prêtre 
aussi  esta  la  tête  d'une  milice,  puisqu'il  est 
rnvoyé  par  l'Eglise  militante  pour  combattre 
ies  ennemis  du  Seigneur.  Mais  quels  sont- 
ils,  ces  ennemis  qu'il  a  le  pouvoir  de  re- 
pousser et  de  vaincre?  Ah  1  ce  ne  sont  pas 
quelques  milliers  d'hommes  faibles  et  mor- 
tels; c'est  louie  la  force  et  toute  l'impétuo- 
sité des  (lassions  humaines  ;  c'est  toute  la 
malice  et  toute  l'astuce  du  monde  armé 
contre  Jésus-Chrisl  ;  c'est  toute  la  puissance 
et  toute  la  rage  des  légions  de  Tenfer. 

Serait-ce  les  ministres  d'un  roi  mortel 
qu'on  pourrait  comparer  avec  un  ministre 
du  Roi  des  siôcles,  marqué  d'un  caractère 
ineffaçable  qui  doit  durer  autant  que  Dieu 
même,  tandis  que  le  caractère  des  représen- 
tans  d'une  puissance  hiitnaine  peut  cesser 
à  chaque  instant?  Serait-ce  encore  la  ma- 
jesté des  rois  eux-mêmes  qui  pourrait  sur- 
passer la  dignité  d'une  prêtre?  Et  lui  aussi 
est  roi,  et  pour  marque  de  sa  royauté,  il 
porte,  dit  saint  Anselme,  une  couronn-i  sur 
la  tête.  Mais  prenez  garde,  son  empire  n'e^t 
pas  borné  à  quelques  provinces,  comme  celui 
des  rois  ordinaires;  il  embrasse  tous  les  j)eu- 
ples,  toutes  les  contrées  de  la  terre  :  Domina' 
hitur  a  mari  usque  ad  mare.  (Psal.,  LXXI, 
8.)  Ce  n'est  pas  tout:  il  descend  jusqu'aux  en- 
fers qui  lui  obéissent;  il  s'élève  jusqu'aux 
cieux, dont  il  a  les  clefs,  et  où  personne  sans 
distinction  ne  peut  entrersans  son  nnnistère. 

Aussi  quels  hommages  n'ont  pas  rendus 
dans  tous  les  temps  les  souverains  et  les 
potenlais  de  la  terre  à  la  dignité  sacerdotale  ! 
«piel  auguste  et  touchant  spectacle  que  la 
vénération  d'un  Constantin  pour  l'assemblée 
fiontificale  de  Nicéel  que  l'obéissance  d'un 
Tliéodose  à  l'autorité  du  prêtre  de  Milan  I 


8ô4 

que  les  égards  et  le  respect  de  l'empereur 
Maxime  pour  l'évêque  de  Tours,  et  même 
pour  le  simple  prêtre  que  saint  Martin  me- 
nait avec  luil  Mais  surtout  quel  sublime 
S|teclacle  que  l'attitude  res[)ectueuse  du  fier 
Attila  en  présence  du  pontife  romain  I  Ce 
fameux  dévastateur  qui  so  nommait  lui- 
même  le  fléau  de  Diou  et  la  terreur  de  l'uni- 
vers, après  avoir  mis  la  mo  tié  de  l'Europe 
h  feu  et  à  sang,  allait  p  )rter  les  mêmes  ra- 
vages dans  la  capitale  de  l'Eglise;  saint 
I^éon  va  à  sa  rencontre,  et,  soit  par  les 
charmes  de  son  éloquence,  soit  par  l'ascen- 
dant de  ses  vertus  et  l'éclat  de  sa  dignité, 
soit  par  une  force  surnaturelle  dont  l'avait 
investi  le  Dieu  des  armées,  ce  seul  prêtre 
arrête  au  milieu  de  ses  triom|ihes,  et  fait 
rétrograder  un  conquérant  féroce,  ivre  de 
ses  victoires,  entouré  d'une  armée  nom- 
breuse, qui  faisait  reculer  lui-même  les 
jieuples  et  les  rois. 

C'est  ainsi ,  mes  frères  ,  que  Dieu  se  plaît, 
quand  il  veut,  à  montrer  le  sacerdoce  su- 
périeur h  tout  ce  qu'il  y  a  de  |)lus  grand  , 
de  plus  imposant ,  de  plus  majestueux  sur 
la  terre.  Mais  que  dis-je  ,  sur  la  terre  ?  igno- 
rons-nous que  ,  pour  nous  donner  une 
juste  idée  de  la  dignité  des  prêtres  ,  Dieu 
lui-môme  va  prendre  des  termes  de  compa- 
raison jusque  dans  les  cieux  ,  et  qu'il  leur 
donne  le  même  non»  qu'aux  intelligences 
les  plus  sublimes,  qu'il  les  appelle  des  an- 
ges ?  Angélus  Domini  exerciluum.  Et  que 
dis-je  encore,  la  dignité  sacerdotale  n'est- 
elle  pas,  sous  ciTlaJns  rapports,  supérieure 
à  la  dignité  angélique?  Quel  est  l'ange  à 
qui  Dieu  ait  dit:  Tout  ce  que  vous  délierez 
stir  la  terre  sera  délié  dans  le  ciel?  [Mallh., 
XVllI ,  18.)  Les  anges  adniirent  l'autorité 
des  prêtres,  et  vont  |)or(er  aux  [)ieds  du 
Très-Haut  les  jugements  des  consciences; 
mais  eux-mêmes  ne  peuvent  juger.  Quel 
est  l'ange  qui  ait  reçu  le  pouvoir  de  consa- 
crer lo  corps  de  J('si;s-Clirist  ?  Les  anges  se 
tiennent  prosternés  sur  les  marches  de  l'au- 
tel,  tandis  que  le  prêtre,  debout,  opère  lo 
plus  grand  d<;s  mystères.  Marie  seule  a  pu 
produire  une  fois  ce  corps  adorable  que  lo 
prêtre  produit  tous  les  jours. 

Une  dignité  si  élevée  ii'inspirera  aux  gens 
du  monde  que  mépris  et  dédain  1  ils  la 
trouveront  au-dessous  de  leur  rang,  de 
leur  naissance ,  de  leurs  prétentions  ;  oserai- 
je  le  dire  ,  ils  la  trouveront  indigne  do  leurs 
enfatit^l  Je  ne  co  inais  pas  d'aveugkment 
plus  déplorable.  Et  qu'elle  est  donc  la 
source  de  la  vraie  grandeur?  n'esl-ce  jias 
Dieu,  seul  grand  par  nature,  seul  i<uteur 
de  toutes  les  grandeurs  créées?  Or  qui  ap- 
proche de  plus  près  la  majesté  du  Très- 
Haut  que  les  prêtres,  ses  amis,  ses  minis- 
tres, ses  confidents;  les  prêtres,  exécuteurs 
de  ses  ordres,  distributeurs  de  ses  grâces, 
représentants  auprès  des  peuples  de  sa 
puissance  et  de  sa  bonté? 

Ahl  sans  doute,  malheur  au  prêtre  si  la 
grandeur  de  ses  vertus  ne  répondait  à  l'ex- 
cellt-nce  de  ses  fondions,  si  la  profondeur 
de  sou  humilité  n'égalait  la  sublimité  de  son 


835 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


85C 


ministère  !  Mais  quand  môme  un  prêtre 
aurait  le  malheur  d'oublier  ses  devoirs, 
serail-il  permis  aux  fidèles  d'oublier  sa  di- 
gnité? Hé  1  aies  frères,  si  vous  connaissiez 
les  dangers  de  nos  fonctions  et  les  assauls 
terribles  que  nous  livre  l'enfer,  vous  nous 
trouveriez  dans  nos  fragilités  bien  plus  di- 
gnes de  vos  prières  (]ue  de  voï  censures. 
Cependant,  nous  l'avouons  ,  un  prêtre  dont 
la  conduite  serait  en  opposition  avec  la 
sainteté  deson  état,  serait  beaucoup  plus 
coupable  que  les  simples  fidèles  ;  mais  ceux- 
ci  seraient-ils  disi>ensés  pour  cela  de  res- 
pecter son  ministère,  si  émiiiecûment  divin? 
Non  sans  doute.  Le  ministère  sacerdotal  est 
(e  plus  grand,  le  plus  important  auquel  la 
créature  puisse  être  appelée;  mais  je  dis 
encore  qu'il  est  le  plus  nécessaire  au  bon- 
heur du  monde ,  comme  nous  allons  le  voir 
dans  la  seconde  partie. 

SECONDE    PARTIE. 

Souffrez  que  je  vous  le  demande ,  vous 
qui ,  témoins  des  travaux  sans  nombre  qui 
remplissent  la  vie  d'un  prêlre,  ne  cessez 
cependant  de  les  appeler  des  gens  inutiles, 
onéreux  môme  à  la  société  :  qui  a  donc  con- 
servé dans  les  siècles  de  barbarie  le  <lc()ôt 
si  [)récieux  des  sciences,  qui  a  sauvé  dans 
ces  temps  d'ignorance  l'étincelle  du  génie, 
et  ranimé  le  flambeau  pilli-ssanl  des  leitres, 
sinon  les  prêtres?  Vous  ne  cessez  de  vanter 
le  progrès  des  lumières:  quelles  lumières 
auriez-vous  donc  si  les  |irêtres  n'avaient 
conservé  les  anciens  manuscrits,  ces  mo- 
numents antiques  de  l'esprit  humain?  les 
prêtres  eux-mêmes  n'ont-ils  pas  laissé  à 
leur  tour  des  monuments  de  génie  encore 

fdus  précieux,  dont  s'honoreront  toujours 
'éloquence  et  la  littérature?  Oserait-on  re- 
garder comme  inutiles,  comme  onéreux  h 
la  société,  ces  grands  orateurs  de  l'Église 
qui  ont  dépassé  les  orateurs  les  plus  fameux, 
de  l'antiquité  païenne,  les  Grégoire  de  Na- 
zianze ,  les  Basile,  les  Clirysosloaie  ,  les 
Ambroise,  les  Augustin,  les  Léon  ;  et  s'd 
faut  nommer  quelques-uns  de  ceux  qui  ont 
illustré  notre  l'rance,  lesHilaire,  les  Paulin, 
•  les  Bernard  ,  les  Fénélon  ,  les  Bossuet  ? 
quels  noms  plus  célèbres  pouna-t-on  i)la- 
cer  à  côté  de  ceux-là? 

On  parle  saris  cesse  des  bienfaits  de  la  ci- 
vilisation. Mais  qui  a  donc  civilisé  les 
mœurs  sauvages  du  paganisme,  et  répandu 
dans  la  société  celte  douceur  de  sentiments, 
cette  cliarilé  si  prévenante  et  si  généreuse, 
cette  urbanité,  cette  aménité  de  manières 
que  le  christianisme  seul  peut  donner  et  en- 
tretenir, sinon  les  prôlres  ?  On  ne  cesse  de 
louer,  d'encourager  la  culture  de  la  terre  et 
les  dévelopi)ements  de  l'industrie.  Mais  qui 
a  donc  défriché  les  forêts  de  l'ancienne 
Gaule  et  de  rEuro()e  entière  ?  qui  a  insiùré 
le  goût  de  l'agriculture  et  de  tous  les  arts 
utiles  sinon  ces  prêtres,  ces  laborieux,  ces 
infatigables  cénobites  dont  les  services  ne 
trouvent  aujourdhui  dans  un  monde  ingrat 
que  calomnies  et  dérisions?  Ainsi,  dans  ces 
temj)S  de  malheur,  nous  [)Ouvons  le  répéter 


hautement,  le  monde  est  plein  d'injustice  en- 
vers les  prêtres  ;  il  oublie  trop  souvent  que 
nos  vénérables  devanciers  ont  sauvé  la  ci- 
vilisation, que  se  sont  eux  qui  dans  le  mo- 
yen âge ,  lorsque  la  société  perdait  ses 
mœurs  et  était  déchirée  par  des  guerres  in- 
testines ou  détruite  par  des  hordes  de  bar- 
bares, ont  préservé  la  société  en  recueillant 
ses  débris  dans  ces  vastes  asiles  élevés  à  la 
la  gloire  de  la  religion  ;  il  oublie  que  c'est  le 
christianisme,  par  le  ministère  des  prêtres, 
qui  a  détruit  l'esclavage  et  appelé  tous  les 
hommes  à  la  vraie  liberté  des  enfants  de 
Dieu.  Le  souvenir  de  ces  bienfaits  a  traver- 
sé les  âges,  et  semble  s'être  effacé  dans  ce 
siècle,  où  le  dévouement  du  clergé  pour  les 
lettres,  les  sciences,  les  beaux-arts  et  tout 
ce  que  l'aiitiquilé  nous  a  laissé  de  chefs- 
d'œuvre,  devrait  être  plus  vivement  appré- 
cié. Qu'on  cesse  donc  de  calomnier  le  cler- 
gé, en  lui  prêtant  un  prétendu  système  d'i- 
gnorance et  en  le  déclarant  l'ennemi  des 
lumières.  Qu'a-t-il  a  redouter  ?  la  doctrine 
qu'il  enseigne  est  divine  :  le  sacerdoce  est 
descendu  du  ciel,  et  (ie()uis dix-huit  siècles, 
il  expose  à  l'examen  du  monde  les  litres 
de  son  origine  et  les  livres  vénérables  sur 


lesquels  il  fonde  sa 
Pour  nous    élever 


croyance. 

à   des    considérations 


d'un  ordre  supérieur,  demandons-nous  à 
nous-mêmes  :  Qui  veille  tous  les  jours  à  la 
pureté  des  mœurs  et  au  resjject  des  proprié- 
tés ?  qui  enseigne  les  règles  de  la  morale, 
de  la  justice,  de  la  tempérance,  de  la  pudeur, 
sinon  les  prêtres  ?  qui  conserve  la  chasteté 
de  vos  filles,  la  fidélité  de  vos  épouses,  la 
probité  de  vos  domestiques  ?  qui  inspire  à 
tous  les  membres  de  votre  famille  la  crain- 
te de  Dieu,  et  par  suite  la  soumission,  le 
respect,  l'amour  pour  votre  personne  ?qui 
prêche  la  concorde,  désarme  la  vengeance, 
combat  l'avarice  et  éteint  la  fureur  des 
procès  ?  qui  protège  vos  champs  contre  la 
main  du  ravisseur,  votre  commerce  contre 
les  fraudes  de  l'injustice,  votre  honneur 
contre  la  langue.du  médisant,  votre  vie  con- 
tre le  fer  de  l'assassin  ?  ne  sont-ce  pas  les 
prêtres  ? 

Que  deviendrait  la  société  entière  sans 
les  lumières  et  les  secours  de  cette  religion 
bienfaisante  dont  les  prêtres  sont  les  mi- 
nistres ?  combien  de  malheureux  resteraient 
sans  pain  et  sans  vêtements  1  combien  de 
haines,  de  divisions  s'éterniseraient  dans 
les  familles  1  Et  l'on  ose  dire  que  les  prê- 
tres sont  des  gens  inutiles  et  onéreux  à  la 
société  ! 

C'est  ici  que  l'injustice  des  hommes  se 
dévoile  dans  tQute  sa  nudité  :  on  dirai|  que 
leur  intelligence  a  été  obscurcie  par  les  plus 
épaisses  ténèbres,  que  le  souvenir  du  passé 
s'est  effacé  de  leur  luémoire.  On  ne  recon- 
naît plus  en  eux  cette  émanation  divine  qui 
distingue  la  créature  intelligente  ;  et  on 
peut  leur  appliquer,  à  ces  hommes  perver- 
tis par  les  passions,  ces  paroles  remarqua- 
bles du  Prophète  :  Homo  cuni  in  honore 
essel,  non  inlellexit  comparalus  est  jumenCis 
insipientibus,  et  similis  (actus  estillis.  {Psal-, 


837 


RETRAITE.  —  INSTRUCT.  XVI,  SUR  LES  VOCATIONS  ECCLESIASTIQUES. 


8Ôλ 


XLVllI,  13.)  Oui,  riiommecorrompuparlos 
passions  est  devi'iui  senibl.ible  aux  animaux; 
le  flambeau  de  la  raison  s'est  éteint  pour 
lui  :  il  méprise  ce  qu'il  devrait  honorer,  et 
honore  ce  qu'il  devriii  mépriser.  Toujours 
(idèle  à  res()rit  de  son  institution,  le  sacer- 
doce veille  aujourd'hui,  comme  autrefois, 
au  dépôt  sacré  de  la  religion,  de  la  morale 
et  des  lois  :  lui  seul  a  reçu  le  pouvoir  de 
conjurer  les  tempêtes,  de  faire  aimer  les 
pouvoirs  de  la  terre  en  les  montrant  subor- 
donnés à  celui  du  Très-Haut,  de  rendre 
au  monde  une  paix  troublée  depuis  long- 
temps ;  lui  seul  touche  les  cœurs,  sait  ren- 
dre les  lois  rcs|)ect,ibles,  et  peut  faire  d'une 
société  déchirée  et  ensanglantée  une  socié- 
té de  frères.  Voilà  les  prérogatives  du  sa- 
cerdoce, \oilà  le  pouvoir  des  prêtres.  Ce- 
lui des  princes  n'atteint  que  les  actions  de 
leurs  sujets  :  le  |)rêlre  enchaîne  le  cœur, 
domine  la  volonté.  Aussi,  mes  frères,  vous 
le  savez,  que  sont  les  lois  civiles  auprès  lies 
luis  religieuses  ?  Quel  est  le  meilleur  sujet, 
comme  le  meilleur  époux,  le  fière  irrépro- 
chable, l'aiiii  Adèle  ?  n'est-ce  pas  le  bon 
chrétien  ?  Où  choisiriez-vous  des  frères, 
des  amis,  des  confidents,  des  conseillers,  si 
ce  n'est  dans  le  rang  de  ces  hommes  dont 
la  probité  repose  sur  les  croyances  religi- 
euses. Que  chacun  s'interroge  ici  :  A  qui 
aimeriez-vous  mieux  donner  votre  confian- 
ce tout  entière,  à  celui  qui  croit  h  la  reli- 
gion, à  l'existence  de  l'enfer,  ou  à  celui  qui, 
dédaignant  toute  croyance,  ne  reconnaît 
pour  loi  suprême  que  celle  de  son  intéiôt 
et  de  ses  passions. 

Mais  élevons-nous  à  des  considérations 
encore  plus  hautes.  Vous  n'êtes  pas  fait 
pour  cette  vie,  raon  cher  frère;  il  y  a  au 
fond  de  votre  âme  un  germe  d'immortalité. 
Vous  vous  sentez  appelé  à  un  bonheur 
que  la  terre  ne  peut  donner;  et  la  religion 
vous  montre  au-dessus  de  votre  tète  un 
royaume  de  gloire,  un  séjour  délicieux  que 
Dieu  a  prorais  à  la  verlu.  Mais  qui  vous 
guidera  dans  la  route  ténébreuse  de  ce 
bonheur?  Qui  vous  garantira  des  écueiis 
dont  elle  est  semée,  sinon  les  j/rêlres  ?  Si 
vous  tombez,  qui  vous  relèvera?  si  vous 
vous  égarez,  qui  vous  ramèneia?  Comment 
rentrerez-vous  en  grâce  avec  Dieu,  si  vous 
l'avez  ûUensé;  comment  expierez-vous  vos 
crimes  ou  vos  faiblesses,  comment  mourrez- 
vous,  sans  le  ministère  et  le  secours  des 
prêtres? 

Vous  ne  craindriez  pas  d'éloigner  vos  en- 
fants d'un  état  si  honorable,  si  utile,  si  né- 
cessaire au  bonheur  du  monde  !  Je  ne  parle 
|)as  seuleruenl  du  bonheur  de  l'éternité,  je 
parle  du  bonheur  même  de  la  vie  présente  : 
cor,  hélas  !  qu'est-ce  que  l'homme  sans  re- 
ligion ?  c'est  un  lion  déchaîné,  un  tigre  fu- 
rieux qui  répand  partout  la  désolation  et  la 
mort.  Ignorez-vous  que,  dès  sa  naissance, 
l'orgueil  et  la  cupidité  le  dominent,  que  la 
jalousie  et  la  vengeance  le  dévorent?  Igno- 
lez-vous  que  la  misère  que  la  religion  ne 
console  [>as  entante  les  crimes,  que  l'ava- 
nce ne   connaît  point  de  frein,  que  la  soif 


de  l'or  s'enflamme  par  les  rapines,  que  les 
méchants  conspirent ,  que  les  nations  se 
soulèvent,  que  les  trônes  tombent,  que  la 
société  se  dissout,  que  tous  les  crimes  et 
toutes  les  horreurs  ravagent  la  terre?  Vous 
savez  tout  cela,  parce  que,  hélas?  vous  en 
avez  été  les  témoins,  et  peut-être  les  victi- 
mes. D'un  autre  côlé,  ignorez-vous  que  Ions 
ces  maux  causés  par  l'absence  ou  le  iné|T;s 
de  la  religion  ne  peuvent  se  réparer  et  se 
prévenir  que  par  l'influence  de  la  religion? 
que  la  religion  seule,  par  son  em,  i;e  secret, 
peut  veiller  efficacement  à  votre  conserva- 
tion et  au  maintien  de  la  société  ;  que  le 
méchant  peut  échapfier  aux  regards  des 
hommes  et  au  glaive  des  lois,  mais  qu'il  ne 
peut  échapper  aux  regards  de  Dieu  et  au 
glaive  de  la  religion?  Or,  je  vous  le  de- 
mande, cette  religion  bienfaisante,  protec- 
trice, subsistera-t-elle  sans  prêtres  ?  les 
firêlres  seuls  ne  sont-ils  i)as  chargés  d'eu 
proclamer  les  lois  et  les  promesses,  d'en 
faire  craindre  la  justice  et  la  sévérité,  d'en 
répandre  les  lumières  et  les  bienfaits?  Et 
vous  ne  voulez  pas  de  prêtres  I  et  vous  dé- 
goûtez du  sacerdoce  ceux  de  vos  enfants 
que  Dieu  y  appelle,  pour  les  jeter  dans  un 
état  dont  Dieu  les  repousse! 

Oh!  si  le  clergé  avait  encore  les  biens 
et  les  dignités  qu'on  lui  a  ravis,  nous  n'au- 
rions pas  besoin  de  vous  réconcilier  avec 
cet  état,  et  de  vous  en  montrer  la  nécessité  ; 
vous  seriez  alors  les  premiers  à  taire  en- 
trer vos  enfants  dans  le  sanctuaire ;que  dis- 
je?  peut-être  à  en  forcer  l'entrée  si  l'Eglise, 
dans  sa  sagesse,  croyait  devoir  la  leur  fer- 
mer. Détestable  cupidité  !  c'est  donc  toi  qui 
paralyses,  qui  détiuis  les  vocations  ecclé- 
siastiques! Monde  aveuglé  !  tu  seras  tou- 
jours affamé  d'or  et  de  vanité!  Eh  bien, 
parents  avares,  peut-être  impies,  refusez  à 
Dieu  cet  enfant  qu'il  réclame,  et  qui  n'ap- 
part  ent  qu'à  lui  ;  la  religion  s'en  passera 
et  son  sacerdoce  n'en  sera  pas  moins  per- 
pétué. Ecoutez  la  promesse  de  Jésus-Ciirist 
à  SCS  apôtres  :  Je  serai  avec  vous  tous  les 
jours  jusqu'à  la  fin  des  siècles.  [Mallh.y 
XXVIU,  20j  donc,  jusqu'à  la  tin  des  siècles, 
il  y  aura  toujours  des  prêtres.  Vous  croyez 
embarrasser  Dieu  par  l'orgueil  de  vos  re- 
fus 1  il  ira  arracher  les  David  et  les  Amos 
de  leurs  travaux  rustiques,  et  il  en  fera 
des  prophètes  ;  et  vous  serez  forcés  de  les 
vénérer  1  Le  sacerdoce  ne  s'éteindra  sur  la 
terre  que  lorsque  la  terre  sera  détruite,  et 
alors  le  sacerdoce  montera  au  ciel  1 

Le  clergé  n'a  plus  les  biens  et  les  hon- 
neurs qu'il  avait  autrefois  ,  c'est  un  malheu'r 
pour  les  peupks,  c'est  un  bonheur  pour  les 
prêtres:  Heureux,  dit  Jésus-Christ,  ceux 
qui  souffrent  pour  la  justice  !  (Malth.,  V,  10.) 
Le  clergé  est  négligé,  oublié,  et  il  s'en  ré- 
jouit; son  Maître  est  né  dans  l'obscurité  et 
a  vécu  dans  les  privations.  Le  clergé  est 
avili,  persécuté,  et  il  s'en  félicite  ;  son  Maî- 
tre est  mort  sur  une  croix  d'où  il  est 
monté  au  plus  haut  des  cieux.  Le  clergé  est 
pauvre  I...  Vous  vous  trompez  ;  il  est  riche... 
et  en  quoi?  en  vertus,  en  patience,  en  hu- 


859 


ORATEURS  SACRES.  MAUREL. 


bJO 


milité,  en  zèle,  en  sainteté  1  11  n'a  pas  les 
Liens  de  la  fortune,  et  il  a  en  plus  grande 
abondance  les  biens  de  la  grâce.  Citez  un 
seul  prêtre,  digne  de  ce  nom,  qui  se  plaigne 
de  son  sort,  et  qui  regrette  ce  qu'il  a  laissé 
dans  le  monde  ou  ce  que  Je  monde  lui  a 
ravi  !  11  en  est  séparé,  de  ce  monde  pervers, 
et  voilà  son  bonheur  ;sa  vertu  en  est  moins 
exposée,  il  est  à  l'abri  d'une  infinité  d'é- 
fueils  et  à  la  source  de  toutes  les  grâces. 
Que  de  facilités  n'a-t-il  pas  pour  sauver  son 
âme,  que  peul-ôtre  il  aurait  perdue  dans  le 
mondel  Ella  vôtre  1  père  avare  1  et  l'âme 
de  cet  enfant  que  vous  refusez  à  Dieu,  que 
deviendra-t-elle  ?  Vous  voulez  le  faire  en- 
trer dans  les  vues  de  votre  ambition,  l'as- 
socier à  votre  commerce,  à  votre  emploi, 
l'élever  peut-être  à  quelque  poste  [)lus  écla- 
tant; et  après il  faudra  mourir;   et  à 

quoi  servent  tous  les  avantages  de  la  terre, 
si  l'on  vient  à  perdre  son  âme? 

Parents  aveugles  et  barbares  I  pardonnez- 
moi  ces  expressions,  dures  en  apparence, 
mais  inspirées  par  la  charilé  elle-même,  et 
par  la  douleur  profonde  que  nous  cause 
votre  conduite,  vous  allez  donc  immoler 
votre  tils  è  votre  cuj)idilé!  Ces  qualités 
précieuses  dont  Dieu  l'a  enrichi  pour  la 
gloire  de  son  Eglise,  cette  droiture  d'esprit, 
celte  douceur  de  caractère,  celle  candeur 
d'innocence,  tous  ces  trésors,  vous  allez 
les  ravir  à  Dieu,  pour  les  livrer  au  monde, 
son  ennemi  1  Cet  enfant  si  intéressant,  né 
pour  inspirer  la  vertu  et  consoler  l'Eglise, 
vous  allez  l'engloutir  dans  le  gouHre  do 
voire  ambition;  pour  ne  pas  vous  déplaire, 
il  va  contrarier  les  vues  de  son  Créateur; 
il  va  sejeierdans  le  tourbillon  des  |)aisions 
et  se  [)récipiter  de  désordre  en  déiordre, 
d'abîme  en  abîme  ;  il  va  marcher  sur  vos 
traces,  i!  vivra  dans  le  péché,  il  tombera 
dans  l'enfer,  et  vous  y  trouverai... 

Mais  non  1  oh  !  non,  il  n'en  sera  pas  ainsi. 
Vous  rélléchirez,  cl  vous  verrez  que  Dieu 
seul  est  le  maître  de  noire  destinée,  que 
Dieu  seul  est  capable  de  rendre  l'homme 
iieureux;  et  cet  enfant  chéri,  peut-être 
unique,  vous  le  lui  oîfrirez,  vous  le  lui 
donnerez  avec  le  même  courage  et  la  mémo 
joie  qu'Abraham  lui  olfrit  Isaac.  Cet  enfant 


d'espérance  qui  aurait  fait  votre  tourment 
dans  le  monde,  fera  voire  consolation  dans 
le  sacerdoce;  vos  autres  enfants  peut-être 
vous  abandonneront,  et  celui-ci  sera  le  bâ- 
ton et  la  lumière  de  voire  vieillesse;  il  vous 
éclairera  sur  le  néant  des  choses  humai- 
nes, il  vous  arrachera  à  ces  idées  d'ambi- 
tion qui  vous  dévorent,  il  vous  obtiendra 
par  ses  vertus,  comme  saint  Louis  de  Gon- 
zagiie  obtint  à  son  père  des  pensées  et  des 
senlimenls  |tlus  chrétiens. 

Au  milieu  de  votre  prospérité,  je  vous  le 
prédis,  vous  éprouverez  des  pertes,  des 
cliagrins,  d(is  revers,  car,  hélas  I  quel  est 
l'homme  qui  n'en  éprouve  |)as?Ceux  de 
vos  enfants  que  vous  aurez  donnés  au 
monde  ne  pourront  vous  oll'rir  d'autre  sou- 
lagement que  de  nièler  leurs  larmes,  et 
peul-ôtre  leurs  murmures  aux  vôtres... 
L'enfant  que  vous  donnerez  à  Dieu  appli- 
quera sur  vos  plaies  le  bcaume  sacré,  et 
toujours  salutaire  de  la  religion;  je  veux 
dire,  l'espérauie  d'une  autre  vie  qui  adou- 
cit toutes  les  amertumes  de  celle-ci  ;  il  vous 
montrera  le  soutien  et  le  prix  de  la  patience 
dans  le  cœur  d'un  Dieu  dont  la  mort  a  ou- 
vert aux  hommes  le  séjour  de  l'immortalité. 

Peu  à  peu  ce  uionde  qui  vous  plaîi  lant 
se  retirera  de  vous;  successivement  toutes 
les  créatures  vous  ubandonneronl;  vous 
vous  trouverez  à  la  fin  de  votre  carrière 
sans  appui,  sans  consolation,  et  volre^en- 
fant,  prêtre  do  Jésus-Christ,  sera  h  vos  cô- 
tés; ses  frères  peut-être  seront  alors  loin 
de  vous,  et  lui  ne  vous  quittera  pas;  sans 
lui,  vous  seriez  seul;  mais  vous  l'aurez 
donnée  la  religion,  la  religion  vous  le  ren- 
dra |iour  consoler  votre  agonie;  il  vous  ai- 
dera à  calmer,  à  puritier  votre  conscience; 
peut-être  sera-ce  de  sa  propre  main  que 
vous  recevrez  les  derniers  secours  de  la  re- 
ligion ;  vous  entrerez  avec  confiance  dans 
l'éiernilé,  et  vous  irez  vous  féliciter  dans 
le  sein  de  Dieu  d'avoir  donné  à  son  Eglise  un 
enfant  précieux  qui  en  fera  la  gloire,  qui 
aura  été  l'inslrument  de  votre  salut,  et  qui 
célébrera  un  jour  avec  vous  les  louanges  du 
Dieu  trois  fois  saint  pendant  l'éiernilé  tout 
entière. 


NOTICE  HISTORIOUB  SUR  RIBIER. 


Ribier  (César),  né  à  Lyon  en  17G2,  entra 
au  séminaire  de  Sainl-lréiiée  de  celîo  villfî. 
Lorsqu'il   eut  reçu  les  ordres,  il  l'ut  chargé 
du  soin   de  la  ()aroisse  de  Farnaj,  annexe 
de  Saint-Paul  en  Jarrets  ,  où  il  se  fit  chérir 
des  hahitanls    par  son   zèle  pour   le   salut 
des   Ames  et  son  excessive  charité.  Ayant 
refusé  le  serment  ordonné  par  la  constitu- 
tion civile  du  clergé ,  il   éprouva   quelques 
persécutions,  et  fut  même  renfermé  à  Sauit- 
Paul;  mais  bientôt  mis  en  liberté,  il  se  re- 
lira à  Lyon  ,  puis  il  fut  contraint  de  s'expa- 
trier. Pendant  son  exil,  il  chercha  à  acquérir 
quelques  connaissances  en  médecine,  espé- 
rant  que    celte    étude   lui   faciliterait    les 
moyens,  en  rendant  la  santé  aux  corps,  da 
procurer  le  salut  des  ânies.  En  1795  ,  il  re- 
vint à  Lyon,  et  fut  désigné  pour  remplir  les 
fonctions  de  secrétaire  du  conseil  de  l'ar- 
clicvêché  ,  qui    était   alors  gouverné    par 
les  vicaires  généraux  e;i  l'absence  de  1  ar- 
chevêque,  M.  de  Marbeuf.    Une  nouvelle 
organisation  ayant  eu  lieu  dans  le  diocèse, 
en  1802,  il  devint    vicaire   à   Saint-Nizier, 
une  des    plus   importantes   paroisses    de 
Lyon.  En  1807,  il  fut  nommé  curé  à  Lara- 
jasso,  petite  paroisse  située  dans  les  mon- 
tagnes  du    Lyonnais.   Dans   les   dernières 
années  de  sa  vie ,  M.  Dévie,  nommé  évêque 


ne  jc.ey,  qui  l'honorait  aune  manière 
particulière,  voulut  se  l'atlaclier  en  qualité 
de  son  premier  vicaire  général;  mais  il 
céda  aux  prières  de  ses  paroissiens,  qui  le 
regardaient  comme  un  père  ,  et  il  resta  au 
milieu  d'eux.  Ce  vénérable  pasteur  leur  fut 
enlevé  le  14-  mai  1826.  Une  Notice  sur  sa  vie 
a  été  imprimée  en  182G,  in-8°.  Son  humilité 
ne  lui  a  pas  permis  de  rien  faire  imprimer 
jiendant  sa  vie  ;  mais  on  a  publié  après  sa 
mort  :  Le  Paradis  sur  lu  terre,  ou  le  Chré- 
tien dans  le  ciel  par  ses  actions  ;  Méditations 
sur  V amour  de  Dieu  pour  tous  les  jours 
du  mois,  sur  la  communion  ,  pour  entendre 
la  sainte  messe ,  et  divers  autres  exercices  en 
forme  de  méditations  ,  précédés  d'un  Abrégé 
de  sa  vie  ,  Lyon  ,  1827  ,  in-18;  2'  édition  , 
1828,  avec  son  portrait;  ouvrage  qui  a  ob- 
tenu le  plus  grand  succès,  et  qui  convient 
à  toute  espèce  de  personnes,  parce  que  ce 
sont  des  sujets  détachés,  qui  forment  la 
matière  d'amples  réflexions  pour  celui  qui 
veut  entrer  dans  la  vie  spirituelle  :  Confé- 
rences et  sermons ,  suivis  d'Avis  et  d'une 
Retraite  de  trois  jours  pour  les  premières 
communions ,  et  d^un  plan  de  retraite  pour 
les  religieuses ,  Lyon  ^  1828,  1  vol.  iii-12.  Il 
a  laissé,  en  manuscrits  ,  un  grand  nombre 
de  Sermons  et  û'Jnstructions  familières. 


ŒUVRES  ORATOIRES 

DE  CÉSAR  RIBIER 

CURÉ  DE  LARAJÂSSE. 


StRMON    PREMIER. 

Sin    LA    CnAINTE    DE    LA    MORT. 

<^iia  liora  non  piilalis  Filius  hominis  venturus  est. 
(l/rtU/i.,   XXIV,  4i.) 

Le  Fils  de  t'homnie  viendra  à  l'heure  que  vous  iaUen- 
drez  le  moins. 

Il  n'es!  rien  qui  puisse  nous  rendre  les 
rigueurs  du  jugement  plus  présentes  et  les 
variétés  de  celte  vie  plus  sensibles  que  le 
moment  môme  qui  commence  les  unes  cl 
termine  les  autrt^s.  Moment  latal,  d'où  dé- 
pend noire  bonheur  ou  notre  malheur  éter- 
nel, moment  formidable  qui  duit  décider  de 

Ubatfxrs  sacrés.  LXVHI. 


notre  sort  pour  une  ecernité  ;  moment  in- 
connu mais  décisif.  Chaque  instant  de  no- 
ire vie  nous  en  approche;  nous  y  toucho  is 
souventlorsmêrae  que  nous  nous  un  croyons 
le  plus  éloignés;  cependant  si  ce  moment 
marqué  dans  les  décrets  éternels,  nous 
surprend  dans  l'élat  de  péché,  c'est  fait  de 
nous,  notre  perte  est  certaine,  notre  réfiro- 
balion  assurée,  notre  damnation  inévilable; 
nous  n'aurons  comme  l'ivraie,  d'autre  sort 
que  le  feu,  et  le  feu  éternel.  Quel  sujet  de 
crainte,  si  nous  y  pensons!  quel  trait  de 
sagesse   d'y   penser    fréquemment?    Est  il 

?,7 


Sic 


rien  qui  nous  intéressedavanlage,  qui  nous 
intéresse  plus  personnellemont,  qui  nous 
intéresse  dans  une  nialière  plus  iniporlnn- 
le,  et  qui  par  conséquent  exige  de  noire 
part,  une  atteniion  i)lus  sérieuse  et  plus 
continuelle?  Rentrons  donc  en  nous-mê- 
mes; craignons  que  la  raort  ne  nous  sur- 
prenne dans  un  moment  où  nous  serions, 
aux  yeux  de  Dieu  ,  coupables  de  quelque 
péché  :  c'est  une  crainte  qui,  éioigiianl  de 
nous  le  règne  du  péché,  établira  dans  nos 
cœurs  celui  de  la  justice;  c'est  donc  une 
crainte  dont  nous  ne  pouvons  trop  nousoc- 
cuper;  pourquoi  ?  parce  que  la  crainte  des 
surprises  de  la  murl  est  de  toutes  les  crain- 
tes la  plus  sage  et  la  mieux  fondée  :  vous 
le  verrez  dans  mon  premier  point,  parce 
que  la  crainte  des  surprises  de  la  mort  est, 
de  toutes  les  craintes,  la  plus  utile  et  la 
plus  sancljfianle  :  vous  le  verrez  dans  le 
second;  en  un  mot,  il  est  prudent,  il  est 
utile  de  craindre  les  surprises  de  la  mort, 
vous  le  démontrer  c'est  tout  mon  dessein. 


ORATEURS  SACRES.  RIBîER. 

liment,   sans  aucun   signe    de 


84  i 


PREMIEU    POINT. 

Je  l'ai  dit,  mes  frères,  s'il  est  une  crainte 
bien  fondée,  une  crainte  à  laquelle  nous 
puissions  nous  livrer  avec  sagesse,  c'est 
celle  de  nous  trouver  surpris  par  la  raort 
dans  un  état  contraire  au  salut;  les  raisons 
en  sont  convaincantes  :  l°li  n'est  rien  do 
si  funesîe  qu'une  telle  surprise;  2°  Il  n'est 
rien  cependant  à  quoi  nous  soyons  si  ex- 
posés, rien  qui  soit  sujet  à  tant  de  diflicul- 
tés  et  d'incertitudes  :  suivez-moi  dans  tou- 
tes ces  réflexions,  rien  de  plus  naturel,  rien 
do  plus  sensible. 

Je  dis,  en  premier  lieu, qu'il  n'est  rien  de 
si  funeste  que  les  surprises  de  la  mort  ;  en 
efl'el,  qu'est-ce  que  la  mort  pour  chacun  do 
nous?  de  quoi  décide-t-elie?  quelles  en 
sont  les  conséquences?  c'est  à  quoi  nous 
ne  réfléchissons  jamais  assez,  et  ce  qui  mé-' 
rite  cependant  toute  notre  attention;  nous 
nous  formons,  il  est  vrai ,  de  tristes,  d'ef- 
îrayantes  idées  de  la  mort,  nous  ne  pou- 
tons  y  penser  sans  frémir;  mais  rarement 
frémissons-nous  de  ce  qu'elle  a  de  plus  ter- 
rible 1  Notre  attention  ne  se  porte  (las  au- 
delà  de  ce  qui  frappe  nos  sens;  et  c'est 
uniquement  sur  ce  qui  s'olfre  à  nos  yeux, 
que  nous  nous  re[)résenlons  ce  qui  doit 
nous  arriver  à  nous-mûmes  h  l'heure  de  la 
mort  :  nous  voyons  un  homme  qui  vient  de 
mourir,  nous  le  voyons  dans  un  état  où 
tous  les  avantages  de  te  monde  ont  dis- 
paru [lour  lui  :  jilus  de  parents,  |  lusd'amis, 
plus  de  plaisirs,  plus  d'honneurs,  plus  de 
richesses  pour  lui  ;  nous  concevons  ai^^é- 
mont  que  celle  entière  séparation  ,  que  ce 
dépouillemenl  total  est  bien  alîreux  h  la 
nature,  et  par  ce  sentiment  assezsemblable 
à  celui  de  l'impie  Agag,  nous  nous  écrions 
alors,  ô  amère,  ô  cruelle  mort!  est-ceainsi 
que  tu  nous  enlèves  aux  objets  les  plus 
cliers  de  notre  amour  :  Siccine  séparai  amara 
mors  1  (l  Reg.,\Y,  32  )  Nous  voyons  un  corps 
|teul-Olre  auparavant  robuste  et  plein  de 
banlé,  nous  le  voyons  sans  force,  sans  scn- 


vie  ;  nous 
voyons  ce  cadavre,  désormais  inutile  et 
mémo  atfreux,  se  changer  en  pourriture  et 
devenir  la  proie  des  vers  et  des  insectes. 
Qu'est-ce  que  l'homme,  disons-nous  alors, 
par  une  liiste,  mais  naturelle  réflexion. 
Quid  est  hoc?  Peut-être  même  que  cet  affli- 
geant S[)ectacle  nous  ouvre,  pour  un  mo- 
ment les  yeux  sur  la  vanité  des  avantages 
de  ce  siècle  :  voilà  donc,  disons-nous,  le 
terme  fatal  où  vont  aboutir  les  honneuis 
les  plus  distingués,  les  richesses  les  i)lns 
abondantes,  les  plaisirs  les  plus  recher- 
chés, les  talents  les  plus  rares el  les  plus 
cultivés.  Mortels  infortunés,  après  un  temps 
assez  court,  tous  ces  avantages  disparais- 
sent et  ne  sont  plus  rien  pour  nous;  n'esl- 
ce  donc  pas  une  folie  de  se  livrer  à  tant  de 
chagrins,  de  se  tlonner  tant  de  mouvements 
le  pour  en  obtenir  l'inquiôle  et  passagère 
possession  :  Ut  quid  diligilis  vanilalem  et 
quœritis  mendacium.  {Psal.  IV,  3.)  Unique- 
ment frappés  de  ces  pensées,  nous  en  de- 
meurons-15  ;  mais  la  foi  nous  avertit  de 
porter  plus  loin  nos  réflexions,  elle  nous 
présente  la  mort  sous  une  face  infiniment 
plus  terrible  ;  point  de  pompes  funèbres, 
point  de  mort  exposé  dans  son  tombeau, 
donl  elle  n'emploie  le  spectacle  eff'rayant 
pour  nous  faire  celte  question  encore  plus 
efi'rayante  :  voilà,  il  est  vrai,  l'état  où  est 
réduit  son  corps  ;  mais  qu'est  devenu  son 
âme?  cet  homme  n'est  plus  rien  pour  ce 
monde,  le  monde  n'est  plus  rien  pour  cet 
homme;  mais  en  quel  élat  se  trouve  la 
plus  noble  partie  do  lui-même,  où  est-elle 
présentement?  L'Esprit-Saint  nous  répond 
par  la  bouche  du  Sage,  quelle  est  dans  la 
maison  de  son  éternité,  qu'elle  estcequ'elie 
ne  doit  jamais  cesser  d'être,  et  qu'elle  y 
sera  non  pas  un  an,  non  pas  cent  ans;  non 
pas  mille  ans,  mais  pendant  des  raillions  de 
siècles,  mais  pendant  une  éternité  :  76» 
homo  in  domum  œlernitatis  suœ.  [Eccle.y 
XII,  5.) 

Quel  a  donc  été  le  moment  formidable 
d'une  décision  si  imporlante  ?  celui  du  der- 
nier soupir  ;  au  moment  môme,  cette  âme 
a  paru  devant  le  souverain  Juge,  telle  qu'elle 
élait  lorsqu'elle  s'est  séparée  :  ou  revêtue 
de  la  grAce  ou  souillée  par  le  péché;  et, 
selon  l'étal  où  elle  s'est  trouvée,  son  sort  a 
été  fixé  par  une  sentence  décisive  et  irré- 
vocable, ou  pour  une  élernilé  de  bonheur 
ou  pour  une  élernilé  de  mallieiir.  Si  celle 
âme  a  été  condamnée,  plus  d'espérance, 
plus  de  ressources  pour  elle;  de  quelque 
côté  que  tombe  l'arbre,  dil  Jésus-Christ, 
que  ce  soit  vers  le  nord,  que  ce  suit  vers  le 
midi,  le  lieu  de  sa  chute  sera  celui  de  sa 
demeure;  si   cet  homme  est  mort  dans  la 


disgrâce  deson  Dieu,  éternellement  il  souf- 
frira, élornellement  il  brûlera,  sans  que  rien 
puisse  le  soustraire  aux  inflexibles  rigueurs 
des  vengeances  de  Dieu.  Est-il  une  déci- 
sion plus  funeste? en  est-il  une  plus  digne 
de  nos  alarmes?  Réunissons  toutes  les  per- 
tes que  l'homme  pourrait  faire  d'ailleurs, 
rassemblons  sur  sa  lêle  loult's  les  disgrâces 


hLb 


SERMONS.  —  I,  SUR  LA  CRAINTE  DE  LA  MORT. 


Si'! 


qui  iionrraioiUIo  menacer,  pertes  afliligcati- 
les,  renversement  de  forliine,  violente  m<i- 
l.idie.  injuste  persécution,  calomnie  ;i(roce, 
conlusion  accabl.inle,  mort  de  ses  [)roches 
et  (le  ses  amis,  en  un  mol,  tous  les  maux 
que  nous  voudrons  y  ajouter;  c'eût  été  à  la 
vérité,  dos  maux  et  dos  maux  allligeants, 
mais  en  môme  temps  dos  maux  bornés,  des 
maux  passagers,  des  maux  qui  eussent  du 
moins  tini  avec  la  vie  ;  mais  ici  c'est  le  com- 
ble, lassemblage  de  tous  les  maux  ;  c'est  le 
raal  souverain,  c'est  le  mal  éternel. 

Or,  ce  qu'eût  été  |)Our  cet  homme  une 
semblable  mort,  elle  le  serait  chrétiens, 
pour  chacun  de  nous,  si  la  mort  nous  sur- 
prenait dans  l'état  du  péché;  notre  sort  dés 
ce  moment  serait  fixé,  décidé  pour  une 
éternitéet  une  éternité  de  malheurs;  il  no 
s'agirait  [)lus  de  quelques  richesses  dont  la 
[lerle  pourrait  d'abord  affliger  votre  cupi- 
dité, mais  dont  votre  cœur  plus  détaché 
pourrait  enfin  connaître  l'inutilité,  mépri- 
ser l'inconstance;  il  ne  s'agirait  plus  de 
quelque  maladie  dont  la  violence  pourrait 
alarmer  voire  sensibilité;  mais  dont  votre 
patience  pourrait  ensuite  surmonter,  ou  du 
moins  supporter  les  douleurs;  il  ne  s'agi- 
rait plus  de  quelque  mépris  dont  la  confu- 
sion pourrait  tout  à  cou[)  révolter  votre  or- 
gueil, mais  dont  votre  raison  [ilus  tran- 
quille ,  pourrait  bientôt  après  mépriser 
l'impuissance,  ou  confondre  l'injustice;  il 
ne  s'agirait  plus  de  quelques  chers  objets, 
dont  la  rnort  ou  la  séparation  pourrait, 
dans  leur  commencement  crucifier  votre 
amour,  mais  dont  votre  vertu  ou  du  moins 
votre  inconstance  pourrait,  avec  le  temps, 
elfacer  la  mémoire  et  adoucir  l'éloignemenl 
il  ne  s'agirait  |)lus  d'aucune  disgrâce,  qui 
ne  serait  peut-être  pas  sans  ressource,  ou 
qui  du  moins  ne  pourrait  vous  affliger  que 
pour  un  temps  assez  borné;  mais  il  s'agi- 
rait de  tout  perdre  et  de  le  perdre  pour 
toujours;  de  tout  souffrir,  et  de  le  souUYir 
à  jamais,  est-il  rien  de  plus  cruel? 

Quand  doue,  mes  frères,  vous  auriez 
quelque  assurance  de  tomber  dans  une 
disgrdce  si  formidable,  du  moment  toute- 
fois que  celte  assurance  n'est  |)oint  parfaite, 
pourriez-vous  être  tranquilles  sur  un  sujet 
aus.^i  important?  faudrail-il  à  votre  crainte 
un  motif  plus  puissant?  or,  je  vais  vous 
démontrer  que  cette  assurance  n'est  point 
parfaite,  et  qu'il  n'est  rien  sur  quoi  nous 
ayons  plus  de  risques  à  courir,  plus  de 
dangers  à  essuyer,  dangers  fondés  sur  les 
dis|»ositions  absolument  nécessaires  à  une 
bonne  mort,  et  encore  plus  difflciles  à  ac- 
quérir; dangers  occasionnés  par  l'incerti- 
tude où  Dieu  nous  laisse  touchant  le  mo- 
ment et  le  genre  de  notre  mort;  dangers 
augmentés  par  l'illusion  que  nous  nous 
formons,  et  qui  nous  trompent  souvent,  et 
sur  la  longueur  de  notre  vie,  et  sur  la  qua- 
lité des  dispositions  nécessaires  pour  la 
linir  saintement. 

En  effet,  mes  frères,  dans  quel  état  faut- 
il  se  trouver  pour  mourir  de  la  mort  des 
iu-sles?  il  faut  se  trouver  avec  un  cœur  dé- 


gagé de  toute  niTeclion  criminelle,  un  cœur 
où  la  haine,  l'orgueil,  l'intérêt,  l'amour 
impur,  ni  toute  autre  [lassion  ne  règne  ni 
ne  domine  ;  un  cœur  qui  n'ait  plus  à  so  re- 
procher ni  la  détention  d'un  bien  qu'il  ait 
dû  restituer,  ni  outrage,  ni  scandale,  ni  mé- 
disance, ni  calomnie  qu'il  ait  négligé  de  ré- 
parer; un  cœur  qui,  par  l'abondance  de  ses 
larmes  et  l'amertume  de  ses  gémissemens, 
soit  entièrement  purifié  de  tout  ce  qu'il 
aurait  pu  accorder  h  ses  inclinations  vi- 
cieuses ;  un  cœur  oii  l'amour  de  Dieu  soit 
vraiment  dominant,  je  veux  dire  un  cœur 
résolu  de  tout  sacrifier  plutôt  que  de  lui 
déplaire  par  la  moindre  transgression  des 
lois  que  lui  prescrit  la  souveraine  au- 
torité. 

Ces  principes  posés,  je  Vous  le  demande, 
mes  frères,  csi-il  si  aisé  de  dégager  ainsi 
notre  cœur  de  toute  affection  criminelle,  et 
de  l'établir  dans  ces  saintes    et   nécessaires 
dispositions;  le  démon,  toujours  acharné  à 
notre  p(3rte;  le  monde,  sans  cesse  occupé  à 
nous  séduire;  le  violent  penchant  que  nous 
avons  pour  le  mal;    notre  faiblesse,  notre 
inconstance  ne  forment-ils  point  d'obstacles, 
et  des  obstacles  très-difTiciles  à  surmonter  ? 
Cependant, qu'il  nous  manque  une  seule  do 
CCS  dispositions,  eussions-nous  accpjis  toutes 
les  autres,  toutes  les  autres  nous  deviennent 
inutiles;  ne  fussions-nous  captivés  que  par 
l'amour  impur  ou  dominés    par   l'avarice; 
n'eussions-nous  que  la  malignité  de  l'envie 
ou    les   aigreurs   de    l'animosilé,  ne   nous 
maïKjuât-il  que  la  résolution  de  restituer  un 
bien  raal  acquis,  de  rétracter  une  calomnie, 
de    réparer    une  médisanco,    un  scandale; 
n'eussions-nous  d'autres  défauts  que  celui 
d'être  sans  vertu,  noire  cœur  n'est  plus  un 
cœur  agréable  h  Dieu,  et  si  la  mort  survient, 
c'est  un  cœur  réprouvé.  Que  de  voies  peu- 
vent donc   nous  conduire  à  une    mort  cri- 
minelle 1  Quel  danger  que  nous  ne  prenions 
pas   assez  sur  nous-mêmes  pour  nous   en 
garantir.  Cependant,    mes   frères,    quelque 
difficiles  que  fussent  ces  saintes  dispositions, 
nous  pourrions  nous  flatter  de  les  a  voir  à  la 
mort,  si  nous   pouvions  savoir   sûrement 
dans  quel   temps  et  de  quel  genre  do  mort 
nous  devons  consommer  la  course  de  notre 
mortalité;  rassurés  par  cotte  connaissance, 
nous  serions  peut-être  assez  courageux  pour 
nous  préparer   quelque   temps  à  bien  mou- 
rir ;  mais  c'est  sur  quoi  nous  n'avons  pas  la 
moindre  connaissance  :  Nescit  liomo  finem 
suum.  {Eccle.,  IX,  12.) 

Quel  est,  en  etlet,  le  temps  od  l'impla- 
cable mort  viendra  trancher  le  fil  de  nos 
jours?  Est-ce  dans  une  extrême  vieillesse? 
esi-ce  dans  un  âge  moins  avancé?  est-ce  dans 
l'adolescence?  est-ce  dans  la  jeunesse? 
C'est  un  abîme  im[)énétrable  aux  yeux  dti 
l'homme  :  NesciC  homo  finem  suum.  En  vain 
voudrait-il  en  juger  par  la  bonté  de  sa  com- 
plexion,  par  la  force  de  son  tempérament  ; 
con)bien  qui  paraissaient  devoir  vivre  jus- 
qu'à l'âge  le  plus  avancé,  et  que  nous  avot's 
vu  périr  à  la  fleur  de  leurs  années;  mais  sj 
l'homme  ne  peut  savoir  à  quel  âge  de  la  vie. 


847 


ORATEURS  SACRES.  RICIER. 


848 


il  pourra  parvenir,  ne  pcul-il  pas  du  moins 
s'assurer  de  quelques  années,  de  quelques 
mois?  Non,  raes frères, il  ne  peut  pas  môme 
se  promettre  de  voir  ni  la  (in  du  jour  qui 
1  éclaire,  ni  le  terme  de  l'heure  dans  la- 
quelle il  vit  :  Neque  dicm  neque  horam.  Com- 
bien qui  se  sentaient  le  matin  d'une  santé 
1)arfaiie,  el  dont  le  soir  on  a  creusé  le  tora- 
)eau;  combien  qui,  dans  l'espace  d'une 
même  heure,ont  donné  les  signes  de  la  plus 
longue  vie,  et  ont  rendu  le  dernier  des  sou- 
pirs; mais,  ce  dernier  moment,  quelque  in- 
certain qu'il  soit,  ne  sera-l-il  pas  accompa- 
gné de  circonstances  tissez  favorables  pour 
nous  laisser,  si  nous  sommes  pécheurs,  les 
moyens  de  nous  réconcilier  avec  Dieu;  au- 
tre incertitude,  autre  mystère  im[.énétr<ible 
h  l'homme  :  Nescil  homo  finem  sinim.  Quel 
sera,  en  ell'et,  le  genre  de  noire  mort?  se- 
ra-t-elle  lente,  sera-t-elle  précipitée,  seia-l- 
elle  lout-à-fait  subite?  sera-t-eile  du  moins 
préparée  par  quelques  jours,  par  quelques 
heures  de  malaiiie?  Est-ce  le  1'  r,  est-ce  le 
feu,  est-ce  l'eau,  est-ce  une  chute,  est-ce 
une  révolution  d'humeur  qui  la  causera 
loutà-coup?  Ou,  si  notre  mort  n'est  pas  si 
prompte,  la  douleur  laissera-t-elle  notre  es- 
prit en  liberté?  le tiendra-t-elle entièrement 
assoupi  ?  le  ministre  de  l'Eglise  sera-t-il  alors 
présent,  ou  serons-nous,  dans  ce  dernier 
moment,  dépourvus  de  tous  secours  spiri- 
tuels? Voilà  ce  que  nous  ne  pouvons  savoir: 
Nescit  homo  finem  smim.  Autant  do  per- 
sonnes qui  meurent,  autant  de  genres  de 
mort  presque  durèrent?,  et  souvent  extraor- 
dinaires; cijpendant,  si  la  mort  vient  dans 
un  moment  où  noire  tœur  ne  soit  pas  pur 
aux  yeux  de  Dieu;  si  le  genre  de  mort  ne 
nous  laisse  pas  le  moyen  de  nous  réconci- 
lier avec  Dieu,  nous  voilà  morts  dans  le 
péché  et  réprouvés  éternellement. 

Ace  danger  en  succède  un  autre,  ni  moins 
commun,  ni  moins  funeste,  c'est  l'illusion 
où  nousjette  l'oubli  de  cette  incertitude,  en 
nous  formant  une  certitude  toute  opposée; 
en  nous  promettant  une  vie  assez  longue 
pour  ne  pas  la  terminer  sitôt;  cependant, 
quoique  nous  puissions  h  chaque  instant 
mourir,  mille  exem()les  nous  le  persuadent, 
el  ne  nous  permettent  pas  de  douter  dans  la 
spéculation;  mais  dans  la  pratique,  où  le 
seniimcnl  [)ariiculier  sert  de  règles  à  nos 
jugements,  loin  de  croire  que  la  mort  puisse 
bienlAt  nous  frapper,  je  ne  sais  pas  même 
si  nous  pensons  sérieusement  que  nous 
devons  un  jour  mourir  :  Ncqiioqtiam  moric- 
mini.  {Gcn.,  111,  k.)  Que  craignuz-vous,  di- 
sait le  tentateur  à  nos  premiers  parents  ; 
non,  rassurez-vous,  vous  ne  mourrez  point: 
Nequaquam  moriemini.  Arlilico,  quoique 
grossier,  qui  trompa  le  plus  éclairé  des 
hommes,  et  qui  tromjie  encore  tous  les 
jours  ses  aveugles  enfants;  ôles-vousdans  la 
jeunesse,  vous  envisagez  la  mort  dans  un 
si  grand  éloigncment,  qu'insensibles  à  ses 
regards,  vous  «n  méconnaissez  les  appio- 
clies.  Enfni,  vos  forces  épuisées  vous  an- 
noncenl-elles  lo  terme  de  votre  course? 
Faussement  rassurés  par  voire  âge,  vous  en 


méprisez  les  dangers,  vous  n'écoulez  (pie  la 
voix  du  tentateur;  vequoqunm  moriemini. 
Etes-vous  dans  la  lorce  de  l'âge, robustes  et 
pleins  de  sanlé?  ne  vous  promettez-vous  pas 
de  vivre  du  moins  encore  autant  de  temps 
que  vous  en  avez  déjà  vécu?  en  vain  la  na- 
ture affaiblie  vous  montre-t-elle  dans  tous 
les  autres  des  exemples  contraires,  vous 
vous  en  cachez  l'événement.  La  voix  du 
tentateur  prévaut  à  celle  de  l'expérience  : 
nequaquam  moriemini;  ôtes-vous  dans  la 
vieillesse,  ne  vous  llaltez  vous  j^as  de  sa 
longueur?  vous  paraît-ellejamais  si  extrême 
qu'elle  ne  puisse  continuer  encorequelques 
années?  en  vain  les  langueurs  de  l'âge  vous 
préviennent-elles  sur  celles  de  la  mort,  le 
souflle  du  séducteur  prolonge  vos  espérai  - 
ces,  sans  [)ouvoircependant  prolonger  celui 
de  votre  vie;  nequaquam  moriemini,  êtes- 
vous  malades  et  dangereusement  malades?  le 
mai  est-il  assez  dangereux  pour  vous  pa- 
raître incurable?  en  vain  sentez -vous 
les  rétionses  de  la  mort  el  de  la  mort  la 
plus  prochaine,  l'oracle  d'Accaron  est  le 
seul  que  vous  écouliez  :Nequaquar,\  morie- 
mini. 

Fatale  illusion  qui  nous  empêche  de 
mettre  ordre  à  notre  conscience!  mais  tan- 
dis que  nous  pensons  de  la  sorte,  et  parce 
que  nous  pensons  el  agissons  de  la  sorle,  la 
mort  arrive  au  jour  et  à  l'heure  que  nous 
l'attendons  le  moins  !  elle  survient  tout-à- 
coup;  elle  est  criminelle;  nous  sommes 
éternellement  malheureux  ;  mais  quand 
même  ses  coups  ne  seraient  pas  si  précipi- 
tés, qu'ils  seraient  précédés  de  quelques 
maladies  qui  nous  donnent  le  temps  de  nous 
reconnaître,  quel  danger  que  nous  ne  nous 
reconnaissions  que  superliciellement  ,  et 
cela  par  unesuite  naturellede  faux  principes, 
de  fausses  idées  que  nous  nous  formons 
des  dispositions  nécessaires  à  une  bonne 
mort. 

En  effet,  mes  frères,  quelles  idées  nous 
formons-nous  de  ces  dispositions?  Qu'il  faut 
examiner  avec  quelque  soin  l'état  de  sa 
conscience  ,  montrer  par  une  confession 
accompagnée  de  quelques  soupirs  qu'on  se 
repent  d'avoir  mené  une  vie  criminelle,  re- 
cevoir avec  quelques  marques  de  dévotion 
les  sacrements  de  l'Eglise;  et  pourvu  que 
nous  les  donnions  en  ellel,  nous  croyons 
nos  intérêts  à  couvert  pour  l'éternité  ; 
mais  nous  ne  pensons  pas  que  tout  cela 
n'est  qu'illusion,  illusion  dangereuse  qui 
nous  conduit  au  précipice,  si  le  cœur  déta- 
ché de  tous  ses  crimes,  n'est  pas  uniquement 
attaché  au  Seigneur;  nous  ne  pensons  |)as 
que  ce  parfait  changement  de  cœur,  à  moins 
d'une  grâce  extraordinaire,  n'est  ni  l'ou- 
vrage de  quelques  heures  ni  de  quelques 
jours;  qu'il  demande  de  grands  eU'orts,  de 
grandes  préparations;  qu'il  est  toujours  à 
craindre  qu  à  ce  dernier  moment  il  tie  soit 
pns  [larfail.  Oi-,  élanl  dans  celte  erreur,  quel 
danger  n'y  a-t-il  pas  ?  Que  nous  rassurant 
mal  à  propos,  nous  nous  en  tenions  à  des 
dispositions  insullisantes,  el  que  la  mort  ne 


849 


SERMONS.  —  I,  SUR  L.\  CRAiSTÈ  DE  LA  MOUT. 


8Î)0 


survenant  loul-à  coii})  nous  no   mourrions 
de  la  mon  des  impies. 

Voulez-vous  savoir  ce  que  pense  saint 
Augustin  d'une  conversion  ditfùrée  jusqu'à 
'a  mon?  Je  sais  ,  dil-il ,  que  celui-là  meurt 
a>suré  de  son  salut  qui  jusqu'à  la  mort  a 
conservé  la  grâce  de  son  haplôme;  celui 
qui  après  une  vie  criminelle  mène  une  vie 
pôniienie  et  chrétienne,  celui-là  meurt  en- 
core assuré  de  sou  salut,  securus  hinc  exii  ; 
mais  ccMui  qui  après  une  vie  déréglée  ne  se 
convertit  qu'à  la  mort  meurt-il  assuré  de 
son  salut?  C'est  ce  que  je  ne  puis  vous  as- 
surer moi-même:  Si  securus  hinc  exit  non 
hinc  securus;  je  puis,  à  la  vérité,  lui  ac- 
corder l'absolution  qu'il  me  demande;  mais 
il  m'est  impossible  de  lui  donner  une  assu- 
rance que  je  n';ii  pas:  Pœnilentiam  darepos- 
sum,  securitatein  non  possum  ;  pourquoi? 
parce  que  la  pénitence  d'un  inlirme  est 
elle-même  très-laible  et  languissante. 

Je  sais  qu'une  douleur  parfaite  efface  le 
pécli-';  et  jnstitie  le  pécheur;  mais  pour 
avoir  celte  efficace  quelles  doivent  être  ses 
dispositions?  Ce  doit  être  une  douleur  si 
libre  dans  son  sujet,  que  lussiez-vous  le 
maitre  de  la  vie  et  de  la  mort?  vous  ne 
voudriez  pas  cependant  pour  tout  ce  que  le 
monde  a  de  plus  Uatieur  vous  porter  au 
moindre  péché  :  ce  doit  être  une  douleur  si 
élevée  dans  les  motifs,  qu'elle  vous  rende 
sufiérieur  au  monde,  à  vous-même,  ne 
craignant  dans  le  péché  que  l'offense  du 
Seigneur;  ce  doit  être  une  douleur  si  puis- 
sante dans  ses  effets  qu'elle  détruise  la  vio- 
lence des  penchants,  l'empire  des  habitu- 
des de  votre  passion  dominante,  et  qu'elle 
efface  jusqu'aux  plus  flatteuses  impressions 
du  péclié  ;  ce  doit  être  une  douleur  si  cons- 
tante dans  ses  résolutions  ,  qu'elle  vous 
disposée  mourir  plutôt  mille  fois  que  de 
retourner  au  péché. 

Ce  principe  posé,  je  vous  le  demande,  mes 
frères,  une  telle  douleur  est-elle  facile  à  un 
homme  impénitent  jusqu'à  la  mort,  à  un 
homme  naturalisé  avec  le  crime  ,  et  à  qui 
le  péché  est  devenu  presque  nécessaire. 
Point  de  véritable  douleur  qu'elle  ne  soit 
libre  dans  son  principe.  A  la  mort  votre 
douleur  sera-l-elle  de  cette  nalure?  Le  pé- 
ché vous  a  dominé  pendant  la  vie,  serez- 
vous  assez  fort  |)Our  le  dominer  à  la  mort? 
Détrompez-vous  ,  dit  saint  Ambroise,  vous 
ne  détesterez  le  péché  que  purce  que  vous 
n'en  pourrez  plus  jouir:  c'est  le  péché  qui 
vous  quittera  ,  et  non  [)as  vous  qui  quitterez 
le  pécîié.  Voire  douleur  ne  sera  donc  p;is 
WUrel  Peccala  lua  dimittenl  le  non  tu  illu: 
point  de  véiilablc  douleur  qu'elle  ne  soit 
surnalurillo  :  à  la  mort  voue  douleur  ne 
sera-l-el!e  [loint  servile?  Ce  sera  ,  dit  saint 
Cyprien  ,  la  crainte  de  la  mort  présente  et  , 
non  (las  l'horreur  du  péché  passé  qui  for- 
mera votre  douleur  :  point  de  véritable  dou- 
leur qu'elle  ne  détruise  l'habitude  du  |)é- 
ché  ,  le  pourrez-vous  à  la  mort  ?  Quoi  1  dans 
un  moment  se  détacher  de  tout  objet!  se 
dépouiller  de  toute  alfcction  !  se  défuiro  de 
tous  vices  ?  Quoi  I   tout  d'un  coup  amortir 


de  grandes  passions,  étouffer  dos  haines 
implacables,  éteindre  des  amours  furieux  , 
retrancher  des  habitudes  invétérées ,  cela 
vous  paraît-il  croyable?  Point  do  véritable 
douleur,  si,  constante  dans  ses  résolutions, 
elle  ne  vous  dispose  à  tout  sacrifier  plutôt 
que  de  retourner  au  péché:  à  la  mort  |K)u- 
vez-vous  vous  flatter  d'une  semblable  dou" 
leur?  car  sans  [)arler  ici  de  la  fragilité  et 
de  l'inconstance  de  votre  cœur,  n'avez-vous 
pas  vu  des  personnes  ,  ou  ne  vous  ètes-vous 
|)as  vu  vous-même  dans  quelque  maladio 
mortelle  ;  alors  quelles  protestations  l 
quelles  résoluliouj  1  quelles  douleurs  1  Re- 
venu en  sanlé,  en  avez-vous  été  meilleur? 
n'ôtes-vous  pas  retombé  et  retombé  presque 
aussitôt  ?j 

Si  j'envisage  présentement  la  confession 
que  fait  un  péciieur?  Je  ne  vois  rien  qui  ne 
rende  sa  pénitence  douteuse  et  incertaine. 
Quelle  confession  faudrait-il  à  la  rjiort  [lour 
être  salutaire  au  pénitent?  Il  faudrait  une 
confession  générale  qui  corrige  tous  les  dér 
fauts  des  confessions  particulières;  il  fau- 
drait une  confession  tranquille  qui  se  ît 
avec  une  entière  liberté  d'esprit  et  un  par- 
fait détachement  du  cœur;  il  faudrait  une 
confession  humble  et  sincère  qui  ne  laissât 
ni  doute  au  confesseur,  ni  scrupule  au  pé- 
nitent ;  quel  moyen  qu'un  pécheur  mourant 
pût  faire  une  telle  confession?  S'il  ne  peut 
assez  souvent  régler  ses  affaires  ,  comment 
pourra-l-il  développer  son  cœur  dans  une 
confession  retardée  jusqu'au  dernier  mo- 
ment? Pour  la  confession  il  faut  de  la  tran- 
quillité de  corf)s:  en  aura-t-il  avec  des  in- 
somnies, des  tremblements,  des  vapeurs, 
des  défaillances  et  des  accidents  conti- 
nuels? N'ai-je  donc  pas  sujet  de  craindre 
qu'un  tel  homme  finisse  avec  une  vie  cri- 
minelle par  une  confession  plus  criminelle, 
et  que  lorsque  le  prêlre  lui  dira:  Je  vous 
absous,  Dieu  ne  lui  dise  invisiblement  :  Et 
moi  je  vous  condamne  ;  qu'il  ne  commette 
autant  do  sacrilèges  qu'il  recevra  de  sacre- 
ments, et  qu'en  mangeant  son  juge  il  ne 
mange  son  jugement;  et  que  le  péché  ,  en 
un  mol ,  ne  descende  avec  lui  jusqu'au  fond 
des  abîmes:  Usque  ad  inferos  peccalum  il~ 
lius.  [Job,  XXIV,  19.) 

lnca|)ab!e  d'une  bonne  confession,  quelle 
satisfaction  pourra-t-il  ofïrir  au  Seigneur? 
Je  vous  le  demande,  pécheur  qui  m'écou- 
tez  !  quelle  satisfaction  ferez -vous  à  la 
mort' Acceptant  la  mort  olfrirez-vous  votre 
vie  au  Soigneur?  Erreur,  c'est  Dieu  qui 
vous  l'arrachera  malgré  vous  -.Une  nocle  re- 
peteni  aniniam  luani.  (twc,  XII,  20.)  Lui  of- 
l'rirez-vous  les  biens  do  ce  iiiO'jde?  Erreur, 
c'est  Dieu  qui  vous  on  dépouillera  et  qui 
vengera  l'abus  que  vous  en  avez  fait.  Con- 
trit de  vos  péchés,  les  réj)arerez-vous  [)ar 
dus  verlus  contraires?  Erreur,  le  péché  qui 
vous  a  dominé  pendant  la  vij,  vous  domi- 
nera à  la  mort;  les  vices  de  votre  jeunesse 
vous  accompagneront  jusqu'au  t(jnibeau  : 
Jit  cum  eo  inpulvere  dormient.  {Job,W,  11.) 
Que  de  voies  vous  conduisent  donc  à  cette 
malheureuse  morti  Est-il  aucun  de  nos  in- 


851 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


lérêls  exposé  h  des  dangers  si  sensibles  et 
s:  multipliés?  En  est-il  aucun  qui  par  son 
importance  approche  de  ce'ui-ci?  Nous  crai- 
gnons cependant ,  nous  tremblons  au  moin- 
dre péril  qui  menace  noire  fortune,  noire 
réputation,  notre  vie,  notre  santé:  com- 
ment donc  pourrions-nous  être  tranquille 
à  la  vue  de  tant  de  dangers  'qui  menacent 
noire  souverain  intérêt?  Seigneur,  devons- 
nous  dire  tous  les  jours  de  notre  vie  avec 
le  Roi  prophète:  Mon  cœur  est  dans  le 
trouble  et  dans  l'agitation  ;  je  ne  puis  pen- 
ser à  la  mort  sans  frémir  ;  mais  ce  qui  cause 
ma  frayeur  ce  n'est  |)as  la  mort  considérée 
en  elle>-même,  elle  aurait  de  quoi  me  flat- 
ter, si  je  pouvais  me  répondr»  que  ce  fût 
une  mort  précieuse  à  mes  yeux:  ce  qui  me 
remplit  d'effroi  ce  sont  les  pièges  d'une 
mauvaise  mort ,  d'une  mort  criminelle  :  piè- 
ges funestes  qui  me  mettent  dans  le  danger 
évident  d'une  éternelle  ré()robalion:  Peri- 
cula  inferni  invenerunt  me,  prœoccupaverunt 
me  laquei  mortis.  [Psat.  CXIV  ,  3.)  Voilà  ce 
que  vous  pouvez  craindre  avec  sagesse  ; 
l)Oint  de  crainte  mieux  fondée  ;  j'ajoute  : 
point  de  crainte  plus  utile  et  plus  sancU- 
iiante.  C'est  le  sujet  de  mon  second  point. 

SECOND    POINT. 

Il  faut  bien,  mes  frères,  que  la  crainte 
des  surprises  de  la  mort  ait  une  vertu 
particulière  pour  nous  sanclitier,  puisque 
Jésus-Christ,  dont  toutes  les  instructions 
se  rapportent  au  salut ,  prend  soin  de 
nous  la  dépeindre  sous  tant  de  ditféren- 
tes  images  si  vives,  si  frappantes,  si 
terribles.  Quelle  est,  en  effet,  l'idée  qu'il 
nous  donne  de  la  mort!  C'est  un  voleur, 
nous  dit-il,  qui  é[)ie  le  moment  de  noire 
sommeil  pour  assurer  celui  de  ses  pro- 
jets, de  ses  larcins;  c'est  un  maître  qui 
f;ii'  un  long  voyage  pour  éprouver  la 
vigilance  des  uns,  et  surprenilre  l'indo- 
lence des  autres;  c'est  un  époux  qui, 
après  s'être  lon'^teajps  fait  attendre,  ar- 
rive enlin,  m;iis  dans  un  moment  où  le 
feu  de  la  charité  leijuise  pour  entrer  au 
festin  se  trouve  assez  souvent  éteint; 
c'est  un  piège  où  Ton  est  pris  h  l'instant, 
et  dont  on  ne  peut  plus  s'échapper; 
c'est  un  éclair  dont  on  est  tout  à  coup 
saisi  ;  un  coup  de  foudre  donton  est  subite- 
ment frappé;  c'est  un  second  déluge  qu'on 
ne  pouvait  croire,  et  qui  nous  sur|)rend 
lorsque  dans  une  fausse  sécurité  nous 
ne  pensions  qu'à  couler  le  plus  agréa- 
blement nos  jours  ;  autant  d'images,  autant 
de  figures  dont  Jésus-Christ  se  sert  dans 
son  Evangile  pour  nous  rendre  celte 
crainte  conlinuelle  et  familière;  nous  ne 
pouvons  donc  trop  y  réfléchir.  Pourquoi  ? 
1°  Parce  que  celte  crainte  nous  oblige 
prom|)tement  à  rentrer  dans  nos  devoirs. 
2°  A  y  persévérer  lonslummenl.  3°  A  les 
remplir  avec  plus  d'exactitude  et  de  fer- 
veur :  trois  iétl(!xioiis,  dont  la  simple 
exposition  vous  convaincra  de  la  véiilé 
que  j'ai  avancée  que  la  crainle  des  sur- 
piises  de  la  mort  élait  *!'.!  toutes  les  crain- 
tes la  plus  utile   et  la  plus  sanctitidiile. 


Je  dis  en  premier  lieu  que  la  crainte 
des  surprises  de  la  mort  nous  oblige  h 
rentrer  promptement  dans  nos  devoirs. 
En  effet, 'je  suppose  un  chrétien  dans  la 
disgrâce  de  son  Dieu,  plût  au  ciel  que  nfa 
supposition  ne  fût  ni  si  commune,  ni  si 
véritable I  je  suppose  que  sa  conscience 
lui  reproche  à  ce  moment  quelque  péché 
dont  son  âme  soit  mortellement  blessée; 
Zélé  pour  son  salut,  je  voudrais  lui  per- 
suader de  sortir  promptement  de  cet  état 
criminel  ;  mais  pour  y  réussir, que  pour- 
rai-je  lui  dire  d'assez  effrayant  ?Luidirai- 
je  que  tandis  que  son  cœur  est  souillé 
de  ce  péché,  il  n'est  plus  aux  yeux  do 
Dieu  qu'un  enfant  de  colère,  un  vase 
d'ignominie,  un  objeld'abomination  ;  qu'in- 
digne d'éprouver  ses  bontés,  il  n'éprou- 
vera que  ses  vengeances  éiernelles;  qu'il 
en  sera  la  victime  inévitable,  si,  esclave 
de  son  péché,  il  persévère  dans  sa  ma- 
lice :  funeste  présage,  menaces  formidables 
qui  pourront  sans  doute  le  loucher  1  11 
prendra  peut-être  la  résolution  de  met- 
tre ordre  à  sa  conscience;  mais  rarement 
se  déterminera-t-il  par  celle  voie  à  le 
faire  avec  assez  de  promptitude?  Je  sens 
le  malheur  de  mon  étal,  dira-t-il,  je  suis 
résolu  d'en  sortir;  je  le  ferai  aux  pre- 
mières occasions,  aux  fêles  prochaines 
sans  plus  tarder,,  je  veux,  par  une  bonne 
confession,  me  réconcilier  avec  le  Sei- 
gneur; mais  en  attendant  celle  occasion 
favorable,  en  attendant  ces  fêles  solen- 
nelles, il  persévère  toujours  dans  l'inimilié 
de    son   Dieu  ! 

Mais  si  je  lui  dis  :  Quoi  1  vous  vous 
sentez  coupable  d'un  péché  qui  vous 
expose  à  des  vengeances  éternelles,  et 
vous  ne  pensez  |)as  à  l'effacer  par  vos 
larnies,  à  l'expier  par  la  pénitence?  Mal- 
heureuxl  si  la  mort  vous  surprenait  dans 
cet  état  où  en  seriez-vous?  Quel  serait 
votre  sort?  Qui  vous  a  dit  que,  pour  peu 
que  vous  y  demeuriez-encore  ,  elle  ne 
vous  surprendra  pas?  Vous  attendez  ces 
fêles,  mais  les  verrez-vous  ?  Combien  qui 
les  attendent  (|ui  ne  les  verront  pas  1  vous 
attendez  ces  fêles?  pouvez-vous  même  vous 
promettre  de  vivre  jusqu'à  demain?  Mais 
insensé!  peut-être  que  dès  cette  nuit 
on  vous  redemandera  voire  âme  1  peul- 
êUe  que  demain  matin  votre  lit  vous 
servira  de  tombeau!  Vous  attendez  ces 
fêles?  mais  |)ouvez-vous  compter  sur  au- 
jourd'hui, sur  celle  heure, surce  moment? 
Si  telle  était  votre  crreui-,  que  d'exemples 
funesies,  que  de  morts  imprévues  l'Ecri- 
ture "  et  l'expérience  ne  fourniraient-eiles 
pas  à  votre  aveuglement  1  Tantôt  c'est  un 
Sisara  qui  trouve  la  mort  dans  le  lieu 
même  où  il  fuit  pour  l'éviter;  lanlot  c'est 
un  Abimélcch  qui  renverse  les  tours  de 
Sichem,  et  qui  expire  lui-môme  auprès 
de  leurs  débris.  Ici  c'est  un  Absalon  qui, 
à  f)eine  échappé  au  massacre  de  son 
armée,  expire  dans  sa  fuite  suspendu 
enlre  le  ciel  et  la  terre;  là  c'est  un  E/é- 
chias  à   qui   le  Seigneur  fuit   annoncer  6a 


8oS 


SERMONS.  —  I,  SUR  LA  CRAINTE  DE  LA  MORT. 


834 


mcrt  dans  le  iem()s  tnûme  qu'il  se  llnlie 
de  goûler  en  rejios  les  tVuils  d'une  glo- 
rieuse victoire.  Ces  terribic-s  spectacles 
ne  cessent  d'intiuiider  nos  yeux  ;  les  uns, 
comme  ces  feux  nocturnes  qui  sô  mon- 
trent et  disparaissent  aussitôt,  terminent 
une  vie  qu'ils  ont  h  [)eine  cou)raencée; 
d'aulres,  à  |)eine  sortis  des  jours  de  leur 
enfance,  consomment  leur  course  dès  l'en- 
trée de  leur  jeunesse.  Celui-ci  frappé 
tl'uno  apoplexie  n'a  pas  survécu  d'un 
instant;  celui-là  écrasé  par  un  mur  ou  fra- 
cassé par  sa  chute  n'a  pas  donné  le 
moindre  signe  de  vie  ;  cet  autre  dans 
le  jeu,  à  la  table,  peut  être  même  dans 
la  débauche,  tout  occupé  de  son  [)laisir, 
s'est  trouvé  faible,  et  a  tout  à  coup  ex- 
piré. Après  des  exemples  si  funestes  et 
si  fréquents  ne  pouvez  vous  pas  dire  com- 
me David  :  Je  ne  suis  peut-être  éloigné 
de  la  mort  que  d'un  degré,  que  d'un  ins- 
tant :  Uno  gradu  ego  morsque  dividimur. 
(l  Reg.jW,  3.)  Pouvez-vous  donc  renvoyer 
à  un  moment  aussi  incertain  une  conver- 
sion aussi  nécessaire!  Si  donc  je  lui  par- 
lais de  la  sorte,  et  (|u'oltentif  à  mon  raison- 
nement il  y  fît  réflexion,  il  penserait  à  se 
convertir  promptement  ,  à  se  convertir 
sans  délai.  Faites-le  donc  vous-même  ce 
raisonnement;  rien  de  plus  sensible,  rien 
de  {dus  frappant  ;  et  suivant  alors  le  con- 
seil de  l'Apôtre,  le  soleil  ne  se  couchera 
point  sur  votre  colère,  vous  ne  tarderez 
point  à  pardonner  ceUe  injure,  à  prévenir 
cet  ennemi,  à  rétracter  cette  calomnie,  à  ré- 
parer cette  médisance,  à  éloigner  celle 
personne  funeste  à  votre  vertu;  et,  si 
vous  ne  pouvez  dès  ce  moment  vous  ré- 
concilier parfaitement  avec  Dieu,  vous  pren- 
drez du  moins  de  justes  mesures  pour  le 
faire  le  plus  promptement  que  vous  pour- 
rez, parce  que  vous  sentirez  que  le  moin- 
ilre  délai  peut  causer  votre  perte  éternelle. 
Le  premier  ell'et  de  cette  crainte  est  donc 
de  nous  faire  rentrer  promf-tement  dans 
nos  devoirs,  le  second  est  de  nous  y  faire 
persévérer   constamment. 

En  eti'et,  mes  frères,  nous  ne  pouvons 
craindre  les  surjirises  de  la  mort  sans  nous 
tenir  toujours  sur  nos  gardes.  Pourrions- 
nous  ignorer  le  moment  de  notre  mort 
et  demeurer  indilférent  sur  la  justice  de 
nos  voies?  Quelque  attrait  qu'ait  le  péché, 
quelque  penchant  que  nous  ayons  à  nous 
y  livrer,  quelques  sollicitations  qui  nous 
y  portent,  nous  nous  trouvons  aussitôt 
arrêtés  par  le  sou  venir  de  la  mort  qui  pourrait 
nous  surprendre  aussitôt  a()rès  l'avoir  com- 
mis. L'espérance  de  pouvoir  l'expier  pour- 
rait-elle nous  autoriser  à  le  commettre,  de- 
vanl  toujours  craindre  avec  justice  que  l'ins- 
tant de  la  mort  ne  soit  celui  qui  termine 
notre  péché  ?  C'est  un  voleur,  disons-nous, 
qui  observe  sans  cesse  le  moment  favora- 
ble à  ses  [)ernicieux  desseins.  S'il  s'en  trou- 
vait un  seul  dans  notre  vie  qui  pût  fa- 
voriser la  mort  ,  elle  pourrait  bien  en 
[irofiter  pour  nous  porter  ses  coups;  coups 
lunoslcs,  coups  (pli  nous  fierdraient  sans 


ressources  et  pour  une  éternité  !  Il  faut 
donc,  concluons-nous,  avec  prudence  no 
lui  laisser  aucun  intervalle  où  elle  puisse 
nous  les  porter  :  c'est  le  raisonnement  que 
nous  apprend  Jésus-Christ,  c'est  la  leçon 
qu'il  nous  donne  après  cette  multitude 
d'exemples  et  de  figures  dont  il  se  sert  pour 
nous  rendre  sensibles  les  surprises  de  la 
u'ort.  Soyez  donc  continuellement  sur 
vos  gardes,  nous  dit-il;  ne  cessez  point 
do  veiller  :  tenez-vous  toujours  prêts  à 
paraître  devant  le  souverain  Juge,  vigi- 
liite  itaque,  estoteparali  {MalCh.,X\lV,  kk), 
vous  no  savez  ni  le  jour,  ni  l'heure  de 
votre  mort;  qu'il  n'y  ait  donc  aucun, jour, 
aucun  moment  de  votre  vie  oij  vous  puis- 
siez être  surpris  dans  le  besoin  :  Vigila- 
te  itaque,  quia  nescitis  neque  diem  neque  ho- 
ram.  {Matih.,XW,  13.)  C'est  ainsi  que  nous 
devrions  raisonnner,  et  nous  trouverions 
dans  ce  raisonnement  le  motif  le  plus 
efficace,  le  motif  le  plus  pressant  de  per- 
sévérer dans  nos  devoirs  :  j'ajoute  de  les 
remplir  avec  plus  d'exactitude  et  de  fer- 
veur. 

Oui  ,  mes  frères,  un  homme  qui  pense 
sérieusement  aux  surprises  de  la  mort  ne 
bornera  pas  son  attention  à  se  garantir  des 
crimes  évidemment  condamnables  :  ce  qui 
est  sus|)ect,  ce  qui  est  dangereux,  tout  ce 
qui  |)ourra  tant  soit  peu  l'exposer  sera  aussi 
l'objet  de  ses  soins  et  de  ses  empressements  ; 
précautions  qu'un  prend  rarement  dès  qu'on 
n'est  point  frappé  de  celle  crainte  salutaire. 
Peut-être,  il  est  vrai,  ne  voudra-t-on  pas  se 
résoudre  à  commettre  ce  qui  est  décidément 
criminel;  mais  il  est  des  choses  dont  on 
doale,  qui  inquièteni,  qui  déchirent,  sur 
lesquelles  on  ne  peut  se  calmer  et  sur  les- 
quelles cependant  on  cherche  à  s'étourdir, 
en  renvoyant  l'éclaicissement  à  des  mo- 
ments toujours  plus  éloignés  ;  car,  en  effet, 
remarquez  avec  moi  que  personne  ne  vou- 
drait mourir  dans  ces  embarras  et  dans  ces. 
perplexités  de  conscience.  On  ne  se  rassurer 
en  partie  sur  ces  cas  douteux  qu'en  se  pro^ 
posant  de  les  éclaircir  si  le  danger  devenait 
pressant  et  qu'on  se  vît  aux  approches  de 
la  mort.  Or,  un  homme  qui  pense  sérieu- 
sement aux  surprises  de  la  mort,  et  qui  les 
craint  effectivement,  est  dans  la  môme  si- 
tuation que  s'il  en  voyait  les  approches. 
L'attendant  à  tout  moment,  il  pratique  tous 
les  jours  ce  que  les  autres  ne  se  proposent 
que  d'exécuter  dans  un  certain  temps  :  il 
ne  se  réserve  point  de  discussion  à  faire  en 
matière  délicate  et  dangereusi',  point  d'ac- 
tion, et  surtout  d'aclioii  im()Orlante  qu'il  ne 
fasse  comme  la  dernière  de  sa  vie.  Qu'il  s'a- 
gisse pour  lui  de  choisir  un  état,  d'acquérir 
(pielques  biens,  de  s'engager  dans  un  pro- 
cès, de  juger  quelques  différents,  il  parle, 
il  décide,  il  agit  en  homme  qui  peut  mourir 
d'abord  après  l'avoir  fait.  Voilà  la  règle  de 
toute  sa  conduite,  le  conseil  qu'il  suit  daiiS 
tousses  projets  et  ses  entreprises  ;  règle 
salutaire,  conseil  infaillible,  princi{)e  elii- 
cace  de  son  exactitude,  je  dis  i)lus,  de  sa 
ferveur. 


855 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


8S6 


En  effet,  frappé  rie  celte  crainte,  il  ne  se 
contente  pas  d'éviter  le  mal  que  Dieu  dé- 
fend, il  pratique  encore  tout  le  bien  que  la 
religion  prescrit,  sachant  que  le  ciel  ne 
s'accorde  qu'au  mérite;  il  craint  que  la  mort 
ne  le  surprenant  vide  de  bonnes  œuvres,  il 
ne  soit  exclu  de  l'héritage  céleste.  Tout 
occupé  de  sa  crainte  il  ne  passe  aucun  mo- 
ment de  sa  vie  sans  s'exercer  dans  la  pra- 
tique des  verlus  chrétiennes.  La  mort,  se 
dit-il  è  lui-même,  est  cette  nuit  siérile  où, 
ne  pouvant  plus  Iravailler,  on  ne  peut  plus 
mériter.  Cependant  elle  est  peut-être  proche, 
du  moins  j'en  ignore  le  moment.  Si  elle 
survenait  tout  à  coup  me  trouverait-elle 
suffisamment  pourvu  de  mérites  nécessaires 
pour  obtenir  le  ciel  ?  Quel  bien  ai-je  fait 
jusqu'ici  ?  Le  peu  que  j'ai  fait,  l'ai-je  fait 
avec  mérite?  ou  plutôt  n'ai-je  pas  lieu  de 
craindre  tout  le  contraire?  If  faut  donc  me 
bâter  de  le  remplacer,  de  l'augmenter,  d'en 
faire  un  trésor  abondant  ;  il  faut  donc,  sui- 
vant le  conseil  de  rA[>ôtre,  qye,  protilant 
du  temps  que  la  mort  m'a  laissé,  je  fasse 
pour  le  ciel  tout  le  bien  qui  dépendra  de 
moi;  œuvres  de  pénitence,  actions  de  cha- 
rité, exercices  de  religion  ;  en  un  mot,  tout 
ce  qui  pourra  m'enrichir  pour  l'éternité,  il 
faut  que  je  le  fasse,  et  que  je  le  fasse  promp- 
tera»int  :  le  remettre  à  un  temps  plus  éloi- 
gné ce  serait  risquer  de  ne  pouvoir  jamais 
le  faire.  Voilà,  chrétiens,  voilà  la  ferveur 
qu'inspire  le  souvenir  de  la  mort  et  la  crainte 
de  ses  suprises. 

Craignons-les,  mes  frères,  point  decrainle 
plus  sage,  point  de  crainte  mieux  fondée, 
puisqu'il  n'est  rien  de  si  funeste,  rien  de  si 
incertain  que  ses  surprimes.  Craignons-les, 
pécheurs,  point  de  crainte  plus  utile  et  plus 
nécessaire  à  votre  sanctilication  ;  effrayés 
de  cette  crainte  vous  ne  tarderez  pas  à  ren- 
trer dans  votre  devoir,  vous  y  {)ersévérerez 
avec  constance,  vous  les  remjilirez  avec 
toute  l'exactitude  et  la  ferveur  possibles. 
La  mort  ne  sera  plus  [)0ur  vous  que  le  terme 
de  vos  disgrâces  et  le  commencement  de 
votre  bonheur  éternel.  C'est  ce  que  je  vous 
souhaKe. 

SERMON  II. 

SUR     LE    SACEUDOCE. 

Prêché  à  la  retraUe  de  MM.  les  Prêtres,  au 
séminaire  de  Saint-] renée,  le  1"  septembre 
1822. 

Jésus  Cbrislus  heri  et  hodie  ipse  cl  in  saecula.  (Uebr.. 
XIII,  8.) 

Messieurs, 
Ce  que  l'Apôtre  disait  do  Jésus-Christ,  ne 
lM»uvons-nuus  [las  l'adapler  au  saceidoce 
(.ont  nous  avons  l'honneur  d'être  revêlu:  il 
e.vislaii  hier  dans  Jésus-Chris(,/te;-(';  il  existe 
aujourd'hui  dans  nous  par  Jésus-Christ, 
hodie,  et  il  existera  éternelletnent  dans  nous 
avec  Jésus-Christ  et  in  sœcula.  Ce  que  le 
Sauveur  du  monde  fut  sur  la  terre,  ce  qu'il 
sera  éternellement  dans  le  ciel,  nous  le 
serons  donc  avec  lui,  prêtres  dans  le  temps, 
prêtres  dans  l'éternité,  hodie  et  in  sœcula. 


Nous  ministres  de  Jésus-Christ,  nous  ses 
coopérateurs  et  ses  membres,  nous  scellés 
du  sceau  mystérieux  de  son  sacerdoce,  nous 
aurons  donc  le  droit  de  nous  élever  jusqu'à 
lui,  et  de  nous  déclarer  dans  I  union  la  plus 
intime,  avec  lui,  prêtres  dans  le  temps,  prê- 
tres dans  l'éternité,  hodie  et  in  sœcula. 

Sans  doute,  Messieurs,  il  existe  dans  le 
sacerdoce  une  hiérarchie  sublime.  Jésus- 
Christ  en  est  le  Pontife  des  pontifes,  lui 
seul  a  été  éminemment  sacré  Roi  et  Prêtre 
par  son  Père;  mais,  seul  aussi,  il  a  établi 
et  consacré  dans  son  Eglise  des  pontifes  et 
des  prêtres.  Pierre  fut  cet  apôtre  qu'il  choi- 
sit pour  en  être  la  pierre  fondamentale  ;  à 
lui  seul  il  a  confié  le  pouvoir  de  paître  ses 
brebis  et  ses  agneaux,  et  seul  il  possède  la 
primauté  d'tionneur  et  de  juridiction.  Cha- 
que diocèse  à  son  chef,  et  nous  nous  faisons 
gloire  de  respecter  ceux  que  la  divine  Pro- 
vidence a  choisis  pour  veiller  sur  nous  dans 
ce  diocèse,  comme  devant  rendre  compte 
de  nos  âmes  à  Dieu  :  Quasi  ralionem  pro 
animabus  vestris  reddituri.  (Hebr.,  XIII,  17.) 
Pilotes  ex[)érimentés,  ils  connaissent  les 
écueils,  et,  contiés  à  leur  vigilance,  ils  nous 
les  font  éviter  avec  un  zèle  infatigable, 
toujours  éclairé  par  la  foi  et  dirigé  par  une 
charité  vraiment  paternelle.  Nous  pouvons 
donc,  nous  devons  être  soumis  à  leurs  or- 
dres, leur  obéir  comme  à  des  pères  ten- 
dres et  éclairés.  Amis  vrais  et  sincères,  ils 
ont  droit  à  notre  aitachement  et  à  notre- 
reconnaissance.  Nous  ferons  donc  leur  joie 
et  leur  consolation?  Ut  cum  gaudio  hoc  fa- 
ciant  et  non  gementes.  (Ibid.) 

Mais  si  dans  celte  hiérarchie  sublime  de 
l'Eglise  il  en  est  qui  sont  élevés  à  la  pléni- 
tude du  sacerdoce ,  nous  n'y  sommes  pas 
moins  placés  corume  prêtres  et  revêtus  de 
la  dignité  sacerdotale.  Nous  sommes  donc 
prêtres  dans  le  temps,  et  nous  serons  prê- 
tres dans  l'éternité  :  Hodie  et  in  sœcula. 

Oh  pasteurs  vénérables,  respectables  con- 
frères 1  qu'il  me  soit  donc  permis  dans  celte 
grande  solennité  de  considérer  avec  vous  le 
prêtre  sur  la  terre,  le  prêtre  dans  les  cieux  : 
Hodie  et  in  sœcula. 

Un  sujet  aussi  sublime  demanderait  sans 
doute  un  nouveau  Chiysostome  pour  en 
parler  dignement; j'ai  donc  droit  de  récla- 
mer toute  votre  indulgence. 

Pour  vous,  chrétiens,  mes  frères,  qui, 
solidement  attachés  à  la  religion  de  Jésus- 
Christ,  venez-  avec  empressement  célébrer 
avec  nous  la  fête  du  sacerdoce,  vous  con- 
naissez sans  doute  les  avantages  de  noire 
ministère,  et  vous  en  recevez  avec  recon- 
naissance les  coiisolalions  et  lesfruils  ;  mais 
peut-être  n'en  connaissez-vous  |)as  assez  la 
dignité  et  la  grandeur  1  N'est-il  pas  à  crain- 
dre que  quelques-uns  de  ces  nuages,  for- 
més [lar  celte  im|iiété  du  siècle  qui  s'elforce 
d'atlaquer,  d'avilir,  d'anéantir  le  sacerdoce 
de  Jésus-Christ,  n'aient  obscurci  votre  foi 
sur  la  grandeur  et  la  dignité  du  prêlre? 
Venez  donc  aujourd'hui  vous  édifier  avec 
nous:  que  votre  foi  soit  éclairée,  alfermie, 
et  que  pour  votre   consolation   vous  appre- 


857 


SERMONS.  —  11,  SUR  LE  SACEUDOCi:. 


8ii8 


iiiozonfm  quiToqueJésus-Christni'M.Thlilous 
les  olîoils  «le  roiifer  ne  sauraient  ledôtriiirc. 
Vierf^e  sainte,  vous  êtes  la  reine  du  rlergù; 
vous  aimez  et  protégez  les  prêtres,  daignez 
psr  votre  entrcMiiise  m'obtenir  les  lumières  I 
de  l'Esprit  saint.  Ave  Maria. 

PREMIER   POINT. 

Pour  se  former  une  idée  de  la  dignité  et 
de  la  grandeur  du  prêtre  sur  la  terre,  il 
suflira  sans  doute  de  considérer  le  sacerdoce 
et  dans  son  institution  et  dans  ses  fonctions  ; 
et  d'abord  dans  son  institution. 

Pour  créer  le  vaste  univers  et  former 
riiooime  à  son  image  et  à  sa  ressemblance, 
Dieu  n'a  voulu  que  le  ministère  de  sa  toute- 
puissance,  et  nulle  autre  main  que  la  sienne 
n'a  touché  à  son  ouvrage;  mais  pour  ré- 
pandre les  bienfaits  de  la  rédemption,  et 
sauver  le  monde,  Jésus-Christ,  par  une  in- 
stitution admirable ,  s'associe  des  hommes 
qu'il  prend  dans  le  monde  ;  il  les  élève  au- 
dessus  du  monde,  et  ils  ne  sont  plus  de  ce 
monde  :  Demundo  non  estis.  {Joan.,  XV,  19.) 
D'après  une  vocation  si  sublime,  et  qui 
n'appartient  qu'à  lui  seul,  pour  distinguer 
ces  hommes  choisis  des  autres  liommes,  il 
établit  pour  eux  un  sacrement  [larliculier 
qui,  par  un  rite  sacré  fait  couler  sur  eux 
une  onction  sainte  qui  les  introduit  dans 
son  sanctuaire,  en  lait  ses  ministres,  ses 
coopéraleurs  et  ses  prêtres,  les  consacre  et 
les  destine  à  lui  aider  à  sauver  le  monde. 
Dei  adjulores  estis.  (1  Cor.,  III,  9.) 

D'après  une  institution  si  solennelle,  le 
sacerdoce  ne  doit  plus  soullVir  aucune  in- 
terruption ni  dans  sa  dignité,  ni  dans  ses 
pouvoirs,  ni  dans  ses  fondions.  Toujours 
il  existera  tel  qu'il  était  lorsque  Jésus- 
Christ,  comme  homme,  l'exerçait  sur  la 
terre.  Toujours  le  ministère  sacerdotal 
aura  des  prêtres  qui  seront  pasteurs  comme 
Jésus-Christ,  pères  spirituels  comme  lui; 
sauveurs  et  rédempteurs  comme  lui.  D'a- 
près une  institution  si  sublime,  toujours  il 
existera  dans  le  ministère  sacerdotal,  non- 
seulement  une  succession,  une  continuité, 
mais  même  une  identité  de  ministère  entre 
Jésus-Christ  et  ses  prêtres.  En  effet,  assis 
à  la  droite  de  son  Père,  Jésus-Christ  est 
toujours  ce  qu'il  était  parmi  nous  le  pontife 
éternel  ,  scmpiternum  habel  sacerdolium 
{Hebr. ,Yll,  2Î)  ;  donc  en  confiant  ses  fonc- 
tions à  ses  ministres,  il  ne  s'en  est  |)as  dé- 
pouillé; dès  lors  tout  ce  que  font  les  prê- 
tres ,  ils  le  font  non-seulement  d'après 
l'ordre  de  Jésus-Christ,  au  nom  de  Jésus- 
Christ,  comme  Jésus-Christ,  n)ais  encore 
avec  Jésus-Christ.  Tout  ce  qu'ils  opèrent 
sur  la  terre,  Jésus-Christ  le  produit  con- 
jointement avec  eux  dans  le  ciel.  S'ils  por- 
tent au  Pèie  éternel  les  vœux  des  peuples, 
Jésus-Christ  les  lui  |)résente;  s'ils  sèment 
la  parole  évangélique,  Jésus-Christ  la  fait 
germer;  s'ils  confèrent  les  sacrements,  Jé- 
sus-Christ en  fait  jaillir  la  grâce;  s'ils  pro- 
noncent la  rémission  des  péciiés,  Jésus- 
Christ  ralilie  leur  sentence;  s'ils  immolent 
la  victime  du  salut,  Jésus-Christ  est  le  luin- 


ripal  sacrificateur  :  pu  un  mot,  il  n'y  a  pas 
un  seul  acte  du  ministère  sacerdotal  qui  ne 
soil  en  même  lemps  un  acte  do  Jésus-Christ, 
et  qui  ne  tire  son  mérite  et  son  efficacité  de 

a  coopération  de  Jésus-Christ. 

Et  pour  nous  donner  une  idée  plus  grande 
et  plus  élevée  de  l'union  intime  du  minis- 
tère sacerdotal,  avec  celui  de  Jésus-Christ, 
ce  divin  Sauveur  la  compare  à  celte  union 
ineffable  qui  ne  fait  qu'une  nature  de  lui 
et  de  Dieu  son  père. 

Ecoulons-le  établissant  en  plusieurs  en- 
droits entre  lui  et  ses  apôtres  la  môme 
relation  qui  est  entre  son  père  et  lui.  La 
mission  qu'il  leur  donne  est  la  même  que 
celle  qu'il  a  reçue  de  son  père  :  Comme 
mon  Pèrem'a  envoyé  je  vous  envoi-i  :  «  SiciU 
misit  me  Pater  et  ego  mitto  vos. ^o  [Joan. ,XXy 
21.)  Les  etfets  de  cette  mission  sont  les 
mêmes.  Celui,  dit  Jésus-Christ,  qui  vous 
reçoit  me  reçoit,  et  celui  qui  me  reçoit  reçoit 
mon  Père  gui  m'a  envoyé:  «  Qui  recipit  vos 
me  recipit  et  qui  me  recipit  recipit  eum  qui 
misit  me  (Matlfi.  X,  40);  »  Quiconque  vous 
écoute  m'écoute,  et  quiconque  vous  méprise  me 
méprise;  et  en  me  méprisant,  méprise  celui 
dont  je  suis  l'envoyé.  «  Qui  vos  audit  me  audit 
et  qui  vos  spernic  me  sperniC,  qui  aulem  me 
spernit  spermil-  eum  qui  misit  me.  »  {Luc,  X, 
16.)  La  doctrine  qu'il  leur  enseigne  est 
celle  qu'il  a  apprise  de  son  Père  :  Omniu 
quœcunqueaudivi  a  Pâtre  meo  nota  fcci  voOis, 
(Joan.  ,  XV,  15.)  Il  n'est  qu'un  avec  son 
père,  et  de  môme  ses  ministres  ne  doivent 
faire  qu'un  entre  eux  :  Sint  unum  sicut  et 
nos  unum  sumus.  [Joan.  XV^ll,  11.)  Dieu  lo 
Père  élail  dans  Jésus-Ghrisi  se  rétoiiciliant 
le  monde,  et  Jésus-Christ  confère  à  ses 
prêtres  le  même  ministère  de  la  réconcilia- 
tion :  Dédit  nobis  minisierium  reconcilialio- 
nis,  quoniam  quidem  Deus  erat  in  Christo 
munûum  réconcilions  sibi.  (Il  Cor.,  V,  19.) 
La  gloire  qu'il  a  reçue  de  son  Père  il  la 
leur  communique  ;  Ego  claritatem  quam 
dedisti  mihi  dedi  eis.  Le  Père  est  toujours 
avec  le  Fils,  et  le  Fils  avec  le  Père,  et  Jé- 
sus-Christ promet  à  ses  apôires  d'être  avec 
eux  jus([u'à  la  consommalion  des  siècles  : 
Pater  in  me  est  et  ego  in  Paire  ;  ecce  ego  vo' 
biscum  sum  omnibus  diebus  iisquc  ad  con 
aummaiionem  sœculi.  [Malth.  XXVilI,  20) 
Entin  tout  jugement  a  été  donné  à  Jésus 
Christ  par  son  Père,  et  Jésus-Chrisl  leur 
déclare  qu'ils  peuvent  tout  délier  sur  la 
terre  et  dans  les  cieus,  qu'ils  lieront  et  dé 
lieront  les    consciences  :  Pater  omne  judi' 

cium  dédit  Filio quœcunqiie  ligaveriliSf 

etc.  [Joan.  V,  22.) 

Il  est  donc  vrai  (jug  le  sacerdoce  par  son 
institution  unit  intimement  le  prêtre  avec 
Jésus-Christ,  le  grand  pontife  de  la  iiou 
velie  alliance;  mais  si  nous  sommes  si 
étroitement  unis  à  Jésus-Christ  par  notre 
dignité,  nous  devons  donc  aussi  lui  être 
unis  par  nuire  sainteté;  si  nous  avons  tant 
de  part  au  sacerdoce  de  Jésus-Christ,  nou,? 
devons  donc  avoir  part  aussi  à  son  esprit; 
si  nous  sommes  ses  lieutenants  sur  la  li  rre, 
si  nous  tenons  i.ui  rang  si   distingué  dans 


859 


ORATEURS  SACRES.  RiBlER. 


860 


son  Eglise,  nous  devons  donc  aussi  nous 
ilislinguer  par  notre  zèle  pour  ses  intérêis; 
si  en[in  nous  faisons  l'admiration  du  monde 
par  notre  dignité,  nous  devons  donc  aussi 
iaire  l'admiration  du  monde  par  nos  vertus. 
Comme  Jésus-Christ  lui-même  nous  devons 
donc  parmi  les  fidèles  briller  d'une  lumière 
plus  pure,  cl  brûler  d'une  ardeur  plus  vive  ; 
notre  esprit  doit  être  comme  une  source 
féconde  de  lumière  pour  les  é(-Iairer,  noire 
cœur  comme  une  fournaise  d'aiiiour  pour 
les  embraser,  et  noire  âme  connue  une  fon- 
taine intarissable  de  grâce  pour  les  sauc- 
litier. 

Faul-il  s'étonner  ensuite  que  le  sacer- 
doce si  grand  par  son  institution,  le  soit 
également  dans  ses  fondions  ?  En  elTet, 
émané  du  Père,  confié  par  le  Fils,  secondé 
par  le  Saini-Ksprit,  le  sacerdoce  de  Jésus- 
Christ  répond  parfaitement  à  la  dignité  d'un 
Homme-Dieu  dans  les  fonctions  saintes  qui 
lui  sont  confiées. 

Qu'il  est  beau  de  le  voir  le  Sauveur  du 
monde  donnant  la  mission  à  ses  apôtres,  et 
les  instituant  les  héritiers  de  sa  puissance 
comme  ils  l'étaient  déjà  de  son  sacerdoce 
élernel  1 

C'est  après  sa  résurrection,  c'est  lorsqu'il 
est  revêtu  de  son  immorlalilé,  de  sa  gloiie 
et  de  son  triom()lje  ;  c'est  en  présence  de 
la  plus  nombreuse  assemblée  des  fidèles  et 
dans  une  de  ses  plus  éclatantes  appari- 
lions,  que,  revêtu  de  toute  la  fmissance  et 
de  l'autorité  qu'il  a  reçue  de  son  Père  dans 
le  ciel  et  sur  la  terre,  il  dit  à  ses  a{)ôtres, 
mais  comme  en  souverain  et  en  maître  : 
Comme  mon  Père  m'en  tnvoyé  je  vous  envoie  : 
a  Sicut  misit  me  Paler  el  eç/o  millo  vos  [Joan., 
XX,  2),  c'est-à-dire,  comme  mon  Père,  en 
m'envoyant  dans  le  monde  m'a  confié  une 
puissance  sans  borne  dans  le  ciel  et  sur  la 
terre,  comme  il  m'a  chargé  de  remplir  des 
fondions  indispensables  pour  la  rédemption 
du  monde,  de  même  aussi  je  vous  envoie 
avec  la  même  puissance,  et  vous  confie  les 
mêmes  fonctions  dont  il  m'a  chargé  aui)rès 
des  hommes. 

Or,  Messieurs,  d'après  celle  mission  so- 
lennelle nous  disons  que  si  les  principales 
fonctions  de  Jésus-Christ  surla  terre  furent 
d'instruire  le  monde,  d'etfacer  les  péehés 
du  monde,  d'olfiir  un  sacrifice  inelfable 
|)0ur  la  rédemption  du  monde,  le  prêtre 
aussi  n'a  point  de  fonctions  plus  sublimes 
à  remplir  el  (jui  relèvent  plus  éminemment 
la  grandeur  de  son  niinislère  que  les  fonc- 
tions admirables  dont  nous  venons  de  par- 
ler; el  d'abord  lorsque  Jésus-Chrisl  fut 
envoyé  sur  la  terre,  il  y  vint  pour  évangé- 
liser  les  pauvres  el  donner  sa  grâce  auv 
hommes  en  les  insli  uisanl,  eruaiens  nos  ; 
c'est  aussi  dans  ces  mômes  vues  qu'il  a  é;a- 
bli  ses  apôtres  el  lésa  chargés  de  parcourir 
îes  nations  pour  les  enseigner  :  Eunles  do- 
cete  omnes  yenles.  [Maltli.,  XXV111,19.)  Vous 
êtes,  leur  dit-il,  la  lumière  du  momie;  vous 
êtes  ce  flambeau  qui  dissij)e  les  ténèbres 
et  répand  sur  la  Icrre  la  lumière  donl  Dieu 
jsl  l'auteur  cl  le  [)ère  ;  ce  flambeau  élevé 


sur  le  chandelier  pour  répandre  la  clarté 
dans  toute  la  maison  de  Dieu;  ce  flambeau 
enfin  qui,  comme  le  disait  Jésus-Christ  de 
son  précurseur,  brille  el  échauffe  tout  h  la 
lois  •.Lucerna  ardens  et  Incens  (Joan.,V,  35)  ; 
flambeau  sacré  qui,  allumé  au  feu  de  la 
charilé  divine,  dissipe  les  ténèbres,  éclaire 
les  esprits  el  embrase  les  cœurs.  Et  afin, 
continue  Jésus-Chrisl,  que  votre  doctrine 
soit  toujours  la  mienne,  à  vous, mes  apôtres 
bien  aimés,  il  vous  est  donné  de  connaître 
les  mystères  du  royaunie  de  Dieu.  Toutco 
que  j'ai  appris  de  mon  Père,  je  vous  lai  fait 
connaître;  pénétrez  jusque  dans  les  mys- 
tères les  plus  profonds  do  ma  divinité^  el 
annonc>?z  |)ar  toute  la  terre  les  vertus  de 
celui  qui  vous  a  tirés  des  ténèbres  de  l'igno- 
rance pour  vous  communiquer  la  lumière 
admirable  :  Virlulesannuntieiis  ejus  qui  de 
tenebrisvos  vocavil  in  admirabile  lumen  suwn. 
(I  Petr.,  H,  9.) 

Vos  lèvres  sont  les  dépositaires,  non  seu- 
lement des  mystères  les  plus  profonds,  des 
dogmes  les  plus  relevés  el  les  plus  conso- 
lants, mais  encore  elles  prêcheront  la  mo- 
rale la  plus  noble,  la  plus  sage,  la  plus 
pure.  Allez  donc,  enseignez  toutes  les  na- 
tions, tous  les  âges,  tous  les  états;  c'est 
moi,  maître  souverain, qui  vous  l'ordonne. 
Si  mon  Père  a  créé  le  monde  par  moi  qui 
suis  sa  parole  el  son  Verbe,  il  /eut  aussi 
que  par  moi,  toujours  sa  parole  vivante  et 
son  Verbe  éternel,  vous  enseigniez,  vous 
régénériez,  vous  sauviez  le  monde.  Moi 
j'ai  conquis  le  monde  [)ar  mon  sang,  el  c'est 
à  vous  h  le  conquérir  par  la  prédication 
de  mon  Evangile;  allez,  ne  craignez  point, 
IrûUj  eau  faibie  et  timide,  ma  parole  ne  sau- 
rait être  liée  dans  voire  bouche,  ni  altérée 
par  les  efforts  de  l'enfer.  Je  serai  avec  vous 
jusquà  laeonsommation  des  siècles  :  «  Usque 
ad  consummationem  sœculi.{Ma[tli.,XWlil, 
29.)  Ce  n'est  pas  vous  mais  l'esprit  de  Dieu 
mon  Père,  qui  parlera  par  voire  bouche  : 
Spiritus  pairis  vestri  qui  loquclur  in  vobis. 
[Matlli.,  X,  20  )  Mais,  f-lessieurs,  il  ne  sufTU 
point  aux  ministres  do  l'Evangile  d'annon- 
noncer  les  mystères  de  Jésus-Christ,  de 
prêcher  la  morale  de  Jésus-Chrisl,  il  faut 
encore  qu'ils  annoncent  aux  peuples  leurs 
crimes  el  leurs  désordres  pour  les  ramener 
5  la  pénitence  el  les  pardonner  :  Annuntia 
populo  meo  scelera  eorum,  {Isa.,  LVllI,  1.) 
il  faut  qu'à  l'exemple  du  prophète,  ils  ras- 
semblent, d'une  voix  forte  el  puissante, 
non  pas  en  songe  seulement,  mais  en  réa- 
lité cette  multitude  d'ossements  dispersés, 
desséchés  dans  les  campagnes  et  leur  souf- 
llenl  un  esjirit  de  vie  :  spirant  spiraculum 
vitœ.  {(^en.,  11,7.)  Le  ministère  évangélique 
n'esl  donc  pas  borné  comme  celui  des  prê- 
tres de  l'ancienne  loi  à  juger  les  lépreux 
sans  pouvoir  les  guérir.  Nous  [irôtres  de  la 
loi  de  grâce  et  d'amour  nous  pardonnons 
le  pécheur,  nous  détruisons  le  péché  dans 
son  cœur,  nous  prononçons  une  sentence 
d'absolulion  sur  sa  lôte,  el  h  l'instant  il 
rentre  dons  la  paix  de  la  grâ^e  el  l'amour 
de  son  Dieu.  Le  dirai->^  Messi.'urs,  à  Jésus- 


8C:  -  SEKJfONS.  -  II, 

Christ,  Fils  ùe  Dieu,  il  a  fallu  tout  son  sang 
pour  la  (Jestruclion  du  péché  ;  et  un  prôlre 
approuvé  par  la  verlu  de  ce  niênie  sans;,  le 
détruit  avec  une  facilité  sans  égale  ;  il  lève 
la  main;  il  dit  :  Je  t'absous;  et  h  ce  mot  sa- 
cré les  murailles  de  Jéricho  tombent  on 
poudre,  et  le  péché  n'est  plus. 

Heureux  fidèles  qui  écoulez  dans  l'élon- 
ncmcnlet  l'admiration  les  pouvoirs  qui  nous 
sont  confiés;  vous  pouvez  avec  confiance 
vous  adresser  à  nous  et  nous  dire  comme 
on  le  disait  autrefois  à  Jésus-Christ  :  Prê- 
tres du  Seigneur,  si  vous  le  voulez,  vous 
pouvez  n<,iusguérir:5it;<5,  potes  memxindare, 
et  nous  vous  répondrons  avec  Jésus-Christ  : 
Oui,  nous  lo  voulons,  sovez  guéris;  ro/o, 
mundare.  [Matlh.,  VIII,  2,'3.) 

Nous  sommes  donc  au  tribunal  sacré  do 
nouveaux  Jésus-Christ  ;  et  si  comme  autre- 
fois, étonnés  et  scandalisés  de  ce  que  nous 
pardonnons  les  péchés,  on  nous  disait 
comme  les  scribes  le  disaient  à  Jésus- 
Christ,  qui  est-ce  qui  peut  remettre  les  pé- 
chés, si  ce  n'est  Dieu  seul?  Quis  potest  di- 
mitlere  peccala  7iisi  soins  Deus{Luc.,'V,'2\)  ; 
nous  leur  répondrions  s ms  hésiter  que  nous 
sommes  comme  des  dieux  sur  la  terre; 
ego  dixi,  dii  estis  (Psa/.  LXXXI,  6)  ;  nous 
leur  dirions  que  notre  sacerdoce  a  quel- 
que chose  de  singulier  entre  Dieu  et  les 
hommes  ,  avec  Dieu  les  prêtres  sont  des 
hommes,  et  avec  les  hommes  ce  sont  des 
dieux.  Hommes  par  faiblesse  et  peut-être 
par  leurs  fautes;  mais  dieux  parce  pouvoir 
touchant  de  délier  les  âmes,  de  les  rendre 
au  bonheur  et  h  la  vie.  Eux  seuls  ont  donc 
le  pouvoir  de  réconcilier  le  pécheur  avec 
Dieu,  parce  que  h  eux  seuls  il  a  été  dit  :  Re- 
cevez le  Sainl-Esprit  ;  ceux  à  qui  vous  remet- 
trez les  péchés,  ils  leur  seront  remis  ;  et  ceux 
à  qui  vous  le<  retiendrez,  ils  leur  seront  re- 
tenus. {Jean.  XX,  23.)  Parole  puissante  qui 
a  retenti  et  retentira  dans  toute  lasuile  des 
siècles,  paroles  sacrées  qui  en  établissant 
le  prêtre  comme  un  nouveau  Jésus-Christ 
sur  la  terre,  donne  à  toutes  les  absolutions 
qu'il  prononce  légitimement  la  force  et 
refficacilé   de  pardonner    tous   les  crimes. 

Prêtres  du  Seigneur  qui  avez  en  main  le 
pouvoir  de  lier  ou  de  délier  les  consciences, 
pensez  que  la  sentence  d'un  jirêtreau  tribu- 
nal de  la  confession  détermine  d'avance  la 
scntencedu  souverain  Juge  lorsqu'il  viendra 
juger  la  terre  ;  votre  sentence  sera  lue  dans 
l'auguste  assend)lée  des  saints  et  du  monde 
entier;  puisse-l-eîle  réjouir  le  ciel,  etfairo 
trembler  les  démons  et  l'enfer. 

Si  lo  ministère  sacerdotal  est  si  g'-and 
dans  les  fonctions  saintes  qui  lui  sont  con- 
fiées pour  prêcher  l'Evangile  et  remettre  les 
péchés,  ne  devons-nous  pas  ajouter  qu'il 
n*^-  a  rien  de  [ilus  grand,  de  [dus  excelk-nt 
et  de  plus  parlait  que  le  pouvoir  aduiiiable 
que  les  prêtres  exercent  sur  le  corps  et  le 
sang(Je  Jésus-Christ?  A  eux  seuls  a  été  don- 
né le[»uuvoirde  consacrer  le  Dieu  de  majes- 
té; et  ce  que  Jésus-Christ  a  fuit  une  fuis  la 
veille  de  m  mort,  en  changeant  le  pain  en 
son  corps,  et  lo  vin  en  son  sang,  le  |)rètre 


SUR  LE  S.\CERDOCE. 


802 


le  fait  tous  les  jours  b  l'aulel  ;  hoc  facile  in 
meam  commemorationem.  {Luc,  XXII,  19.) 
Oui,  le  prêtre  d'une  parole  toute  puissante 
consacre  et  bénit  le  corps  adorable  et  le  sang 
précieux  de  Jésus-Christ,  il  le  porte  dans  ses 
mains,  il  le  reçoit  dans  sa  bouche,  il  le  dis- 
tribue aux  fidèles;  pour  tout  dire,  en  un 
mot,  ce  même  Jésus,  qui  fut  obéissant  à 
son  Père  jusqu'à  la  mort,  et  à  la  mort  de  la 
croix,  se  rend  obéissant  à  la  voix  du  prêtre 
età  sa  volonté.  Il  descend  du  haut  descieux, 
et  se  place  dans  ses  mains:  Obediente  Deo 
vocihominis.  {Josue,  X,  l'i..) 

Uni,  identifié  aveceux,  c'estparleurminis^ 
tere  et  leur  organe  que  Jésus-Christ  opère 
le  mystère  de  la  transsubstantiation.  Ceci 
est  mon  corps;  ceci  est  mon  sang,  dit  le 
prêtre,  et  ces  paroles,  dans  sa  bouche,  n'ont 
pas  moins  de  force  que  dans  la  bouche  do 
Jésus-Christ  qui  les  prononce  avec  lui  :  Obe- 
diente Deo  voci  hominis. 

Avec  un  tel  |)ouvoir  et  une  union  si  inti- 
me faut-il  s'étonner  que  le  prêtre  soit  char- 
gé d'cdfrir  et  de  renouveler,  d'une  manière 
non  sanglante,  le  sacrifice  redoutable  de 
Jésus-Christ  sur  la  croix?  Itecevez ,  dit  le 
Pontife,  au  prêtre  qu'il  consacre,  le  pou- 
voir d'olfrir  des  sacrifices  à  Dieu,  tant  pour 
les  vivants  que  pour  les  morts  :  l\im  pro  vi- 
vis  quant  pro  defunctis. 

Voilà  donc  le  prêtre  montant  à  l'autel, 
exerçant  une  puissance  au-dessus  de  toute 
puissance  humaine,  une  puissance  que  ni 
les  hommes,  ni  les  intelligences  célestes 
n'auraient  été  ca[)ables  d'imaginer;  une 
puissance  qui  non-seulement  lui  donne  le 
pouvoir  de  reproduire  Jésus-Chiist  dans  ses 
mains,  mais  encore  de  l'immoler  et  de  l'of- 
frir en  sacrifice  à  Dieu  son  Pèie. 

O  puissance  inconcevable!  dans  Ift  sacri- 
fice du  Calvaire,  Jésus-Christ  lui  soûl  avait 
droit  de  s'oifrir  à  son  Père;  il  y  était  tout  à 
la  fois  le  prêtre  et  la  victime.  Dans  le  sa- 
crifice de  l'autel,  qui  est  la  continuation  de 
celui  de  la  croix,  li  transporte  à  son  minis- 
tre son  droit  sur  sa  personne  divine;  il  se 
l'associe,  il  parait  le  substituer  à  sa  placo 
en  qualité  de  prêtre,  et  semble  ne  réserver 
pour  lui  que  sa  qualité  do  victime.  0  rene- 
randa  sacerdotum  diqnitas! 

Eileest  donc  grande  et  sublime  la  dignité 
du  prêtre  sur  la  lerie  I  et  k  quoi  peut-on  la 
comparer? 

Sans  doute,  Messieurs,  eileest  grande  la 
dignité  des  fidèles  en  qualité  de  membres 
de  Jésus-Christ;  niais  si  leur  dignité  doit  se 
mesurer  selon  l'Apôtre,  parl'éminencede  la 
place  qu'ils  occujtentenson  cor[)S  mystique, 
et  par  la  ()lus  grande  ou  plus  petite  partici- 
pation de  son  esjirit  et  de  sa  vie,  quelle  sera 
donc  la  dignité  et  la  grandeur  des  prêtres? 
ne  sont-ils  pas  les  premiers  et  les  nrembreà 
les  plus  nobles  de  Jésus-Christ  ?  ne  |)artici- 
|,ent-ils  [las  de  plus  près  à  res[)rit  et  à  la  vie 
do  Jésus-Christ?  ne  sont-ils  pas  ses  yeux 
pour  éclairer  son  peuple,  sa  bouche  pour 
l'instruire,  ses  bras  pour  le  défendre,  ses 
mains  pour  lui  distribuer  ses  grâces,  sis 
chefs  subalternes  j)oui'  le  conduire?  Que  dis- 


8C5 


jHl  ne  sonl-ils  pas  Içs  dc'posilaires  de  sa 
puissance,  ses  aiinislres  |)Our  le  représen- 
ter ses  prêtres  pour  l'immoler? 

Nous  révérons  comme  les  images  du  Dieu 
du  ciel  les  puissances  légitimes  de  la  terre; 
nous  leur  rendons  hommage  et  obéiss^ince; 
et  cependant  nous  ne  croyons  pas  manquer 
au  respect  profond  que  nous  leur  devons  , 
en  disant  que  la  dignité  des  rois  n'approche 
point  de  la  dignité  du  prêtre.  Celle-là  no 
donne  pouvoir  que  sur  les  hommes,  et  la 
noire  nous  en  donne  sur  un  homme  Dieu. 
Celle-là  ne  donne  autorité  que  sur  les  corps, 
et  la  notre  nous  en  donne  sur  les  âmes.  Les 
rois  ne  distribuent  que  les  biens  de  la  terre, 
et  les  prêtres  sont  les  distributeurs  des  biens 
célestes;  ils  ferment  l'enfer;  ils  ouvrent  les 
cieux. 

lit  vous  ,  Vierge  sainte,  Vierge  pure  et 
sans  tache.  Mère  de  mon  Dieu  ,  quelle  di- 
gnité !  quelle  grandeur  peut  égaler  la  vôtre? 
Permettez  cependant,  qu'en  qualité  do 
prêtre  ,  ne  faisant  qu'un  avec  Jésus-Christ 
votre  Fils ,  nous  établissions  un  rapport 
intime  entre  la  dignité  du  sacerdoce  et  la 
dignité  de  Mère  de  Dieu.  De  part  et  d'autre. 


ORAÏEUUS  SACHES.  RIBIER.  864 

ministère  de  notre  personne.  L'Apôtre  des 
nations  veut  que  les  hommes  nous  hunoreni 
comme  les  ministres  de  Jésus-Christ  et  les 
dispensateurs  des  mystères  de  Dieu  ;  mais  il 
veut  aussi  honorer  lui-même  son  ministère: 
Minislerium  meum  honorificabo.  {Rom.,  XI , 
13.)  Uespectons-le  de  même,  pour  qu'il 
nous  fasse  respecter,  et  soyons  assurés  qu'il 
nous  honorera  d'autant  plus  par  sa  dignité 
que  nous  mettrons  plus  de  soins  à  l'honorer 
])ar  nos  vertus. 

Le  prêtre  sur  la  terre  nous  venons  de  le 
^oir. 

Le  prêtre  dans  le  ciel  sujet  d'une  seconde 
réllexiun. 

SECOND    POINT. 


c'est  le  même    Dieu 


que 


la  sainte  Viergo 


adorons  avec 
à  nos  mains  ; 
a  sublimité  do 
la    i'iovidence 


conçoit  dans  son  sein,  et  le  prêtre  dans  ses 
mains.  C'est  par  la  vertu  do  l'Esprii-Saint 
que  ce  grand  mystère  s'opère  de  part  et 
d'autre.  L'ange  dit  à  Marie  :  Spirilus  sanC' 
tus  supervenie$  in  te  {Luc.l,  35);  et  dans 
l'ordination  l'évêque  dit  au  prêtre  :  Accipe 
Spiritnm  sanctitm{Joan,,  XX,  23);  mais  ce 
qui  doit  nous  causer  ()lus  d'étonnement  en- 
core, c'est  de  voir  le  Fils  de  Dieu  ne  s'in- 
carner qu'une  fois  avec  une  chair  passible 
et  mortelle  dans  le  sein  d'une  Vierge  si 
pure  et  si  parfaite,  tandis  que  tous  les 
jours,  revêtu  de  gloire  et  d'nnmorlalilé , 
il  se  renferme  dans  le  cœur  d'un  prêtre  : 
Quis  audivit  unquam  laie.  (Isa.,  LXVl , 
8.) 

Prêtres  de  Jésus-Christ , 
respect  les  mystères  confiés 
mais  n'oublions  jamais  que 
l'élat  auquel  tious  a  élevés 
n'est  assurément  pas  pour  faire  naître  dans 
nos  cœurs  des  sentiments  d'orgueil.  La 
grandeur  de  notre  ministère  doit  bien  plu- 
tôt nous  humilier ,  quand  du  haut  de  son 
élévation  nous  portons  nos  regards  sur  nous- 
mêmes,  quand  nous  pensons  h  ce  que  nous 
devrions  être  pour  y  correspondre,  et  à  ce 
que  nous  sommes...  pauvres  et  faibles  créa- 
tures 1  souvent  pécheurs,  toujours  près  de 
le  devenir;  pourrions-nous  prétendre  à  cet 
excès  d'honneur?  Considérons  la  sublimité 
de  notre  sacerdoce;  mais  que  ce  soit  pour 
nous  pénétrer  de  ce  qu'elle  exige  de  nous. 
Ne  sé[)arons  jamais  nos  obligations  de  notre 
dignité  ,  ni  les  travaux  du  ministère  des 
honneurs  du  sacerdoce.  S'il  est  eiijoint  aux 
lidèles  de  nous  porter  respect ,  de  nous 
rendre  obéissance  ,  il  nous  est  enjoint  avec 
rigueurde  mériter  leurs  hommages.  N'alfai- 
blissons  point  par  notre  conduite  la  vénéia  3 
tion  (ju'ils  doivent  à  notre  consécration  , 
ne  les  accoutumons   i)as  à  distinguer   nuire 


Heureux  le  prêtre  qui  ,  à  la  fin  de  ses 
jours,  peut,  à  l'exemple  de  saint  Paul,  se 
rendre  le  témoignage  consolant  qu'il  a  bien 
combattu,  qu'il  a  consommé  sa  course  et 
conservé  la  foi  ;  il  ne  lui  reste  plus  qu'à 
recevoir  la  couroime  de  justice  qui  lui  est 
réservée  par  le  souverain  Juge  :  Jn  reliquo 
reposita  est  mihi  corona  justitiœ.  (II  Tim., 
IV,  8.) 

Ici ,  Messieurs  ,  s'ouvre  à  nos  regards 
étonnés  un  spectacle  ravissant  de  gloire  et 
de  bonheur  pour  le  prêtre  entrant  dans  les 
cieux.  Mais  dans  l'impossibilité  de  soulever 
tout  ce  poids  immense  de  gloire  qui  l'at- 
tend, et  pour  tixer  notre  attention  sur  un 
objet  particulier,  arrêlons-nous  à  cet  amour 
parfait  qui  doit  intimement  et  élernelle- 
inent  unir  le  prêtre  avec  Jésus-Christ  dans 
le  ciel. 

Vous  le  savez,  Messieurs,  il  n'y  aura  , 
pour  lo  prêtre  surtout ,  aucune  vertu  qui 
n'ait  son  genre  de  récompense  ,  dès-lors 
tous  ces  mérites  cachés  aux  yeux  des 
hommes;  ces  larmes  répandues  enlre  lo 
veslibule  et  l'autel;  ces  talents  accumulés 
avec  les  deux  talents  qui  lui  furent  conliés  ; 
ces  âmes  sauvées  par  son  zèle  et  ses  travaux, 
tout  contribuera  à  embellir  sa  couronne; 
tout  ce  qu'il  aura  fait  pour  se  sauver  lui- 
môme  ,  tout  ce  qu'il  aura  fait  pour  sauver 
les  autres  ,  tout  ce  qu'il  aura  fait  pour  glo- 
rilier  son  Dieu,  mérites  cachés,  mérites 
publics,  tout  serviia  à  le  faire  briller  dans 
de  perpétuelles  élernilés  :  Jn  perpétuas  œ^ 
icrnilutcs.  {Dan.,  Xll,  3)  'J'out  recevra  du 
Piince  des  pasteurs  une  couronne  incorrup- 
lible  d'une  gloire  éternelle  :  Immarcessibi- 
Icin  (jloriœ  coronum.  { I  Pctr.,\,  k.)  Dès  ce 
moment  et  pour  toujours  Jésus- Christ 
n'appellera  plus  si'S  prêtres  que  du  beau 
nom  d'flmi  :  Vos  aulem  dixi  amicos  meos 
(Joan.,  XV,  15)  ;  il  disposera  pour  eux  de 
la  môme  récompense  dont  Dieu  son  Père 
aura  disposé  l'our  lui-même  :  Jîgo  dispono 
vobis  sicut  disposait  Paler  meus  re(jnum. 
{Luc,  XXll,  29.)  11  ne  soulTrira  pas  que 
ses  ministres  soient  placés  ailleurs  que  là 
où  son  Père  l'aura  placé  lui-même  :  Volo 
ul  ubi  sum  ego  et  illi  mccum  sint,  {Joan.  , 
XVII,  24.)  Il  leur  distribuera  des  trônes 
pour  juger  avec  lui  les  nations  et  les  rois: 
Scdcbitis  cl  vos  jadicutUcs  duodccim  tribus 


i.\>■■^ 


SERMONS.    -  II,  SUR  LE  SACERDOCE. 


Israël  {MaHh.  ,  XIX  ,  28.)  Il  rôpandrn  enfin 
(J;ins  leiirânie,  lioiiiu-iir,  yloire,  hénédio- 
tion,  amour,  oui.  Messieurs,  «imour,  m.iis 
nmour  parlait;  c'esl-.Vtiire  ,  amour  iiilini  du 
vdlé  de  Dieu,  amour  (éternel  du  côté  du 
prôlre.  Entrons  ,  Messieurs,  autant  que  la 
faiblesse  humaine  peut  le  permettre  ,  dans 
ces  mystères  d'atnour  où  Dieu  et  lo  prôlre  , 
consumés  du  même  amour,  ne  feront  plus 
dans  les  v\eu\  qu'un  seul  et  même  Chtist  : 
Ego  in  eis  et  tu  in  me  ut  sint  consummuli  in 
tiuum  (7onn.,  XVII.  23)  ;  ijeureux  si  nous 
jionvions  faire  hrillei  h  vos  ^eux  quelques 
étincelles  de  ces  brasiers  "d'amour,  que 
la  charité  immense  d'un  Dieu,  allumera 
éternellement  dans  le  cœur  d'un  saint  prôtre. 

Si  dans  celte  vallée  de  larmes  Dieu  pré- 
pare quelquefois  à  ses  amis  des  transports 
impétueu's  de  bonheur  et  d'amour,  est-il 
donc  si  difflcile  de  conjecturer  ce  qu'il  fera 
pour  ses  prêtres  dans  le  ciel  ?  Si  des  créa- 
tures ont  pour  nous  des  charmes  si  puis- 
sants ,  si  nous  voyons  se  former  des  liens 
si  étroits  entre  des  parents  et  des  amis,  se- 
rait-il donc  si  diflicilc  d'en  conclure  quel 
sera  l'attrail  doux  et  impérieux,  l'inclina- 
tion violente  et  invincible  qui  emportera  , 
entraînera,  réunira  toutes  nos  facultés  dans 
Dieu,  nous  unira  avec  Dieu  le  Père,  prin- 
ci[)e  et  créateur  de  toutes  choses  avec  Jé- 
sus-Christ Fils  de  Dieu,  qui  n'a  pu  instituer 
le  sacerdoce ,  consacrer  ses  prêtres,  les 
oindre  de  la  vertu  et  de  l'onction  de  son  es- 
prit d'amour,  sans  leur  imprimer  des  rap- 
poils  de  ressemblance  avec  lui,  sans  leur 
donner  une  inclination,  un  besoin,  un  in- 
stinct de  réunion  et  d'amour?  Et  si  cette 
inclination  divine  est  ralentie  maintenant 
I)ar  les  liens  du  corps,  par  le  spectacle  des 
objets  sensibles;  lorsque  ces  liens  seront 
brisés  ,  lorsque  ces  objets  auront  dis[)aru, 
quelle  sera  son  activité,  son  impétuosiié , 
son  ardeur? 

Non  ,  Messieurs,  la  pierre  qui  se  préci- 
pite, la  flèche  qui  fend  les  aiis,  la  foudre 
qui  divise  la  nue,  ne  tendent  pas  si  rapide- 
ment à  leur  but  que  l'Ame  sainte  et  pure 
d'un  bon  prôlre  admise  au  bonheur  éter- 
nel, s'élance  au  même  instant  vers  l'objet 
infini  qu'elle  contemple,  s'attache  et  s'unit 
à  lui,  se  [lerd  et  s'oublie  en  lui  parles  saints 
transports  de  l'araonr.  O  transports  subli- 
mes et  inelfables!  O  amour  des  saints  prê- 
tres dans  le  ciel  !  Amour  désormais  parlait 
et  invariable,  amour  sans  partage  et  sans 
mélange,  sans  ellort  et  sans  ilégoût,  sans 
tiédeur  et  sans  inconstance  ;  sans  incerti- 
tude et  sans  crainte  ,  sans  mesure  et  sans 
lin  I...  Amour  des  bons  prêtres  dans  le  ciel, 
indissoluble  union  cJu  prêtre  avec  son  Dieu, 
n'aimant  que  Dieu  en  tout,  et  aimant  tout 
en  Dieu.  O  mystère  auguste  du  divin 
amour  I  Toute  l'énergie  des  écrivains  sacrés 
s'est  comme  épuisée  |)Our  le  pein(Jre  et  te 
faire  connaître.  Tanlôt  ils  appellent  celle 
communication  d'amour  une  itarticipalion 
de  la  nature  divine,  une  consommation, 
une  peileclion  d'unité;  tantôt  ils  i'a[)pelluiit 
une  transformation  en  DiCu,  une   uiorche 


SCG 

étcrni'lle  de  splendeurs  en  splendeurs;  ils 
l'appellent  une  ivresse  de  délices  dans  les 
saillis,  lin  transport  de  volupté  qui  les  inon- 
de ;  ils  l'appellent  une  fournaise  d'éternel- 
les ardeurs,  dans  laquelle  l'âme  plongée 
comme  le  fer  dans  le  feu  qui  le  pénètre,  se 
perd  abîmée  dans  le  sein  de  Dieu,  toute  pé- 
nétrée, toute  embrasée  de  son  amour,  ne 
iaisant  plus  avec  son  Dieu  qu'amour  et  bon- 
heur... Oui,  oui.  plus  que  lout  cela,  Mes- 
sieurs, plus  qu'amour  et  bonheur;  Dieu 
dans  ses  prêtres,  les  prêtri^s  dans  Dieu;  les 
prêtres  dans  Jésus-Christ  Fils  de  Dieu,  Jé- 
sus-Christ dans  ses  prêtres;  les  |)rêires  de- 
venus participants  de  la  nature  divine  par 
Jésus-Christ,  Jésus-Christ  communiquant  à 
ses  prêtres  toute  la  gloire  de  son  sacerdoce, 
tout  l'amour  de  son  Père. 

O  vous,  mon  cher  auditeur!  vous  dont 
le  cœur  n'est  encore  ici-bas  que  le  (;œur  de 
l'homme;  cœur  infortuné  si  avide  de  bon- 
heur et  si  altéré  d'amour ,  si  empressé  à 
chercher  ce  qui  est  aimable  et  si  prompt  à 
s'enflammer  pour  ce  qui  le  paraît ,  si  facile 
à  séduire  et  si  souvent  trompé;  cœur  in- 
fortuné, console-toi  ,jelle-toi  dans  le  sein 
de  Dieu,  tu  trouveras  en  Dieu  ce  que  tu 
cherches  ici  bas  en  vain.  Ne  cherche  donc 
plus  qu'en  Dieu  ce  que  partout  ailleurs  tu 
chercherais  vainement. 

Oui ,  Messieurs,  une  fois  arrivée  au  grand 
jour  de  l'éternité,  à  ce  moment  fortuné  où 
l'Ame  du  prêtre  paraîtra  devant  ce  soleil 
de  i'éternellejuslice,  à  ce  moment  el  pour 
toujours,  elle  lo  verra,  elle  le  contemplera 
et  l'aimera  ;  et  de  même  que  le  soleil  ma- 
tériel qui  nous  éclaire,  remplit  nos  yeux 
de  son  image  et  de  sa  chaleur;  ainsi  la  lu- 
mière divine  fortifiant  l'âme  du  prôtre  en 
l'éclairant,  produira  en  elle  une  image 
abrégée  de  sa  divinité  et  de  son  amour.  O 
vérité  certaine  et  consolante  1  nous  sommes 
ici  bas  les  oints  du  Soigneur  par  sa  grâce  ; 
la  gloire  do  noire  onction  sacerdotale  ne 
paraît  point  encore,  mais  lorsque  le  Sei- 
gneur se  montrera  à  nous,  nous  lui  serons 
semblables,  parce  que  nous  le  verrons  tel 
qu'il  est,  nous  participerons  à  ce  qu'il  est , 
parce  que  les  rayons  de  sa  gloire  ,  les  feux 
de  son  amour,  l'oncliou  de  son  sacerdoce 
nous  pénétreront  et  nous  rendront  sembla- 
bles à  lui;  parce  que,  en  voyant  Dieu  tel 
qu'il  est ,  nous  connaîtrons  dans  lui,  nous 
aimerons  dans  lui,  nous  posséderons  dans 
lui  tout  ce  qui  peut  être  renfermé  dans 
l'infinie  simplicité  ,  dans  l'immense  unité , 
dans  l'inépuisable  fécondité  de  l'Etre  par 
excellence;  pour  tout  diro,  en  un  mot,  en 
connaissant,  en  aimant  el  possédant  Dieu  , 
nous  connaîtrons  ,  nous  aimerons  et  possé- 
derons un  Dieu  qui  possède  tout  et  qui  est 
tout  en  toutes  choses  :  Omnia  in  omnibus. 
(1  Cor.,  XV,  28.) 

Et  c'est  ici,  .Messieurs,  que  nous  suc- 
combons accablés  sous  le  {)Oids  immense 
de  la  Divinité,  sous  eu  poids  immense  de  la 
connaissance,  de  l'amuur  et  de  la  posses- 
sion d'un  Dieu.  C'est  ici  que  nous  treSiml- 
lons  de  joie  et  d'amour...  C'est  ici  que  uo- 


857 


ORATEURS  SACRES.  RIBÎER. 


808 


tre  intelligence  anéantie  conçoit  enfin  la 
plus  haule  idée,  I.t  seule  véritaJjle  idée  du 
bonheur  céleste,  o'  tel  que  la  foi  nous  le 
promet;  c'est  ici  que  nous  comprenons 
cette  parole  du  Seigneur  au  Père  des 
croyant-;  :  Ego  ero  merccs  tua  magna  nimis 
(Gm.,  XV,  1)  ;  c'est  moi,  dit  le  Seigneur, 
oui,  moi-même  ;  je  serai  votre  récompen- 
se, votre  récompense  trop  grande;  merces 
tua  magna  nimis.  Quelle  parole  ,  Messieurs, 
et  que  veulent  d^ire  ces  mots,  une  récom- 
pense trop  grande,  sinon  une  récompense 
au-dessus  de  notre  nature  ,  au-dessus  de  la 
nature  entière,  au-dessus  de  toute  nature 
possible,  infiniment  au-dessus  de  noire 
cœur,  de  nos  désirs,  de  notre  amour.  Mer- 
ces  tua  magna  nimis. 

Rappelons  ici ,  Messieurs  ,  la  parole  de 
l'Evangile  adressée  au  servileur  lidèle,  et 
h  plus  forte  raison  au  prêtre  de  Jésus- 
Christ  •  il  n'est  pas  dit  que  la  lélicité  de  soa 
maître  lui  sera  communiquée  avec  écono- 
mie, il  est  dit  qu'il  entrera  lui-même  dans 
la  félicité  de  son  maître,  qu'il  y  sera  plon- 
gé ,  abîmé,  perdu  comme  dans  un  Océan 
sans  limites  et  s.iiis  fin.  Intra  in  gaudium 
Domini  lui.  [Mallh.,  XXV,  23  ) 

C'est  ici  où  nous  comprenons  cette  autre 
parole  du  S;iuvour  à  ses  disciples  et  h  tous 
ses  prêtres  :  On  jettera  dans  voire  sein  une 
mesure  de  bonheur  non-seulement  juste, 
mais  pleine,  non-seuleinent  pleine ,  mais 
comblée,  non-seulement  comblée,  mais 
pressée,  non-seulement  pressée  ,  mai?  su- 
rabondante, qui  débordera  de  toutes  [)ails, 
qui  sera  plus  grande  que  vous-même  :  et 
si  sur  la  terre  nos  désirs  surpassent  et  dé- 
bordent toujours  les  biens  que  nous  pos- 
sédons; dans  le  ciel  au  contraire,  le  bien 
infini  que  nous  y  posséderons  surpassera, 
débordera  sans  cesse  tous  nos  désirs.  Men- 
suram  bonam,  plenam  ,  conferlam,  coagita- 
tam  supereffluenlem  dabunt  in  sinum  ves- 
trum.  (Lmc.,V1,38.) 

Faut-il  s'étonner  ensuite  du  silence  du 
grand  apôtre  après  ses  sublimes  ravisse- 
ments? Car,  remarquez  je  vous  prie,  ce  si- 
lence si  étonnant,  si  mystérieux.  Paul,  ce 
grand  apôtre ,  a  été  transf)orté  par  l'esprit 
de  Dieu  jusqu'au  troisième  ciol,  c'est-à-dire 
du  moins  dans  les  secrets  de  Dieu,  dans  ce 
bonheur  immense  qui  est  réservé  aux  élus. 
L'Eglise  entière  semble  attendre  de  lui  qu'il 
jettera  du  moins  quelques  lumières  sur  ce 
grand  objet  de  nos  espérances;  mais  Paul 
répond  qu'il  n'est  pas  permis  à  un  homme 
mortel  d'en  parler,  que  les  hommes  ne  sau- 
raient le  com|treiidr«  :  Non  licel  homini  lo- 
qui.  (Il  Cor.  Xli,  k.)  Pourquoi  cela.  Mes- 
sieurs? Le  voici  :  parce  que  dans  celte  élé- 
vation surnaturelle  de  l'Apotre,  non-seule- 
ment il  avait  vu  tous  les  biens  connus, 
existant  en  Dieu  d'une  manière  bien  autre- 
ment plus  parfaite  qu'ils  n'exislent  à  nos 
yeux;  mais  il  avait  vu  des  biens  innoui- 
brables  et  inconnus  dont  nous  n'avons  pas 
même  l'idée;  il  avait  vu  s'ouvrir  devant  lui 
des  abîmes  imjiénétrables  de  félicité  dont 
nous  ne  soupçonnons  pas   même   les   pre- 


mières notions,  et  dont  par  conséquent, 
aucune  image  terrestre,  aucune  expiession 
humaine  ne  pouvait  nous  instruire.  Par 
conséquent  Paul,  rendu  à. son  élal  de  mor- 
lalilé  après  ses  ravissements  ineffables,  de- 
vait demeurer  accablé  comme  il  l'était  par 
le  souvenir  confus  de  son  bonheur  sans  en 
avoir  lui-même  des  idées  distinctes.  L'A- 
pôtre devait  donc  s'écrier  comme  il  a  fait 
p.ir  la  plus  rigoureuse  nécessité  :  Que  l'œil 
de  Vhomme  n'a  point  vu,  que  Coreille  n'a 
jamais  entendu,  que  V esprit  de  Vhomme  n'a 
jamais  conçu  ce  que  Dieu  prépare  à  ceux  qui 
l'aiment  (I  Cor.,  II,  9j  et  qu'il  est  impossi- 
ble à  l'homme  d'en  parler  :  Non  licet  homi- 
ni loqui.  (Il  Cor.,  XII,  k.) 

El,  certes,  si  l'Apotre  avait  pu  parler  ce 
seraient  ses  paroles  mômes  qui  auraient 
rendu  nos  froideurs  excusables;  car  si  l'A- 
pôtre avait  pu  parler,  nous  aurions  donc 
pu  l'entendre;  si  nousavoins  pu  l'entendre, 
nous  aurions  pu  concevoir,  mesurer  le  bon- 
heur dont  il  aurait  parlé,  comme  nous  com- 
prenons le  bonheur  de  la  terre.  Mais  quel- 
que grand  qu"ait  été  ce  bonheur,  dès  que 
nous  aurions  pu  le  concevoir  et  le  mesu- 
rer ;  nous  aurions  donc  été  plus  grands  (jue 
lui,  comme  nous  sommes  plus  grands  que 
le  bonheur  de  la  terre?  nous  aurions  donc 
pu  nous  dégoûter  comme  on  se  dégoûte  du 
bonheur  de  la  terre?  ce  bonheur  n'aurait 
donc  pas  mieux  répondu  à  l'immensité  de 
nos  désirs  que  le  bonheur  de  la  terre?  ce 
bonheur  enfin  n'aurait  jamais  pu  être  un 
bonheur  éternel  ;  et  tout  espri"t  réfléchi  dès- 
lors  qu'il  aurait  compris  les  paroles  de 
l'Apôtre  et  le  bonheur  dont  il  aurait  parlé; 
dès-lors  il  aurait  eu  le  droit  de  se  dégoûter 
d'un  bien  qu'il  peut  concevoir  et  qui  doit 
durer  toujours;  il  aurait  eu  droit  de  le  re- 
garder plus  petit  que  lui ,  et  dès-lors  de  le 
traiter  comme  un  bonheur  vain,  comme  on 
traite  ceux  de  la  terre. 

Mais  que  les  promesses  de  la  foi  sont  bien 
anircraent  plus  solides  et  plus  étendues  1 
Le  bonheur  du  ciel  promet  aux  désirs  im- 
mortels de  l'homme  un  bonheur  éternel 
dans  sa  durée;  il  promet  aux  désirs  im- 
menses de  l'homme  un  bonheur  infini  dans 
sa  nature,  [larce  qu'il  n'y  a  qu'un  bonheur 
infini  dans  sa  nature  qui  puisse  seul  être  un 
bonheur  sans  terme  dans  sa  durée. 

Je  n'examine  point  ici.  Messieurs,  si 
dans  les  bienheureux  il  y  aura  une  succes- 
sion éternelle  de  connaissances  et  d'amour 
toujours  nouvelle  et  jamais  épuisée,  une 
succession  de  désirs  toujours  satisfaits  et 
toujours  renaissants;  ou  bien  s'il  y  aura  un 
seul  acte  éternel  de  connaissance,  de  jouis- 
sance et  d'amour  ;  je  l'ignore:  mais  je  sais 
que  si  Dieu  se  sullit  éternellement  à  lui- 
même,  il  pourra  donc  aussi  éternellement 
me  sudire  à  moi-même:  je  sais  que  si  Dieu 
s'aime  éternellement  lui-même  u'un  amour 
infini,  je  pourrai  donc  aussi  l'aimer  éternel- 
lement et  dans  toute  I  étendue  îles  désirs 
de  mon  cœur. 

Terminons  ,  Messieurs ,  ces  réflexions 
consolantes  en  nous  adressant  ti  Jésus-Christ 


SERMONS.  -  m,  SI  R  LA  SAINTETE  DE  L'EGLISE. 


863 

le  bifti  ainu^  do  son   Père,  le    PoiUife  éter- 
nel, le  CliL-r  dos  pasteurs  et  dos  prôlres. 

O  Jésus,  S;uivoiir  adorable  1  daignez  au- 
jourd'hui adaicUre  tous  vos  prêtres  dans 
le  sanctuaire  de  votre  amour.  Daignez  au- 
jourd'hui recevoir  nos  ctBurs  en  réparation 
des  refus  injustes  de  tant  do  cœurs  ingrats 
qui  vous  outragent  et  ne  vous  aiment  pas. 

O  vous  donc  pontifes  vénérables  ,  pas- 
lours  fidèles!  vous  tous  saints  prèlres  qui 
régnez  avec  Jésus-Christ  dans  les  cieux, 
combien  parmi  vous  qui  furent  ici-bas  nos 
modèles  nos  amis  et  nos  frères....  Auriez- 
vous  donc  Oiiblié  ceux  qui  vous  ont  suc- 
cédé dans  des  paroisses  que  vous  avez  si 
tendrement  aimées?  Vous  connaissez  les 
dangers  qui  nous  environnent  de  toute  pari; 
plus  que  jamais  l'impie  s'elforce  de  rouler 
sur  nos  têtes  les  flots  brûlants  el  empoison- 
nés de  l'enfer,  soyez  donc  avec  Jésus-Christ 
nos  puissans  médiateurs.  Priez  iiour  nous  ; 
secourez  nous  :  Veslris  siiccurrite,  o  sancli, 
filiis!  ad  porlam  ducite  quos  lioslis  mediis 
luclari  fluclibus.  Saints  prêlr.s ,  obtenez 
jiour  nous  et  pour  les  lldèles  qui  nous  sont 
confiés;  obtenez  du  Oieu  bon,  du  Dieu 
très  haut  qu'il  grave  son  amour  dans  nos 
coeurs  :  Per  vos  exposcimus,  ut  f/ni  vos  mu- 
neral ,  Detis  allisshnus ,  in  noitris  inférât 
atuorem  cordiOus.  [Prose  de  la  'Toussaint.) 
Mais  n'oublions  pas,  en  finissant,  de  nous 
adresser  à  Jésus-Christ. 

Ole  plus  saint  des  pontifes  !  ô  le  meil- 
leur des  maîtres  I  ô  le  plus  tendre  des 
frères]  ô  le  plus  généreux  des  amis  !  rece- 
vez aujourd'hui  nos  cœurs;  quoique  adoucis 
el  sanctifiés  par  l'onction  sainte  du  pardon, 
ils  sont  encore  bien  peu  dignes  de  vous; 
mais  nous  osons  dire  qu'ils  vous  aiment, 
et  l'amour  ennoblit  tout,  l'amour  donne  du 
prix  à  tout.  Ils  sont  bien  peu  nombreux  ces 
cœurs  que  nous  vous  offrons;  mais  ils  ai- 
ment, et  l'amour  console  de  tout;  ils  fu- 
rent, hélas  I  peut-être  coupables  à  vos 
jeux,  mais  ils  aiment,  et  l'amour  répare 
tout.  Ils  vous  ressemblent  bien  peu,  mais 
ils  vous  aiment,  et  l'amour  perfectionne 
tout.  C'est  l'amour  qui  unit  les  volontés; 
c'est  l'union  des  volontés  qui  rend  les  cœurs 
semblables.  Nos  volontés  sont  les  vôtres, 
nos  cœurs  sont  les  copies  du  vôtre,  doux, 
bumbles,  purs,  pleins  d'amour  comme  le 
vôtre  sur  la  terre  pour  être  un  jour  inon- 
«lés  d'amour  et  de  consolations  ineffables 
dans  le  ciel.  Ainsi  soit-il. 

SERMON  III. 
Prêché  à  S.-Nizier,  le  jour  de  la  fête  patro- 
nale, le  16  avril  1809. 

SUR    LA    SAINTETÉ    DE    l'ÉGLISE. 

Credo  sanclam  Ecclesiara.  (Symbole  des  apolres.) 
C'est  avec  joie  que  nous  pouvons  publier 
notre  fui  sur  l'Eglise  lorsque  nous  avons  à 
célébrer  la  fêle  des  saints,  puisque  la  gloire 
de  leurs  vertus  devient  le  triomphe  de  l'E- 
glise, de  l'Eglise  leur  mère  et  notre  mère 
qui  les  a  sanctifiés,  et  nous  promet  comme 
à  eux  les  secours  pour  parvenir  5  la  sain- 
teté. Cette  manière   do  célébrer  ces  jours 


870 


de  fêle  est  tout  h  la  fois  un  hommage  rendu, 
aux  saints  qui  jouissent  de  la  félicilé  éler- 
nelle,  le  tribut  de  reconnaissance  porté  k 
l'Eglise  que  Jésus-Christ  a  établie  déposi- 
taire de  son  autorité  et  de  ses  grâces ,  el  un 
puissant  encouragement  pour  nous  do  mai"- 
chcr  sur  les  Irucos  des  sainis.  Eh  1  qu'avons- 
nous  do  mieux  h  faire  aujourd'hui  pour  la 
gloire  de  saint  Nizior.ijui  fut  un  des  plus 
illustres  [lontifes  de  l'Eglise  qui  se  trouve 
dans  la  chaire  apostolique,  qui  lie  le  pas- 
leur  de  ce  diocèse  avec  saint  Pothin,  le  fon- 
dateur de  la  foi  dans  noire  patrie,  avec 
saint  Jean,  disciple  de  Jésus-Christ ,  avec 
Jésus-Christ  lui-même,  que  de  rappeler  no- 
tre foi  sur  l'Eglise  dont  saint  Ni/.ier  fut  un 
des  soutiens  fidèles,  et  n'a  mérité  nos  hom- 
mages que  parce  qu'il  a  puisé  en  elle  biS 
vertus  dont  ensuite  il  l'a  honorée. 

Nous  faisons  profession  de  croire  avec  bj 
saint  concile  de  Nicée,  l'Eglise  une,  sainte, 
catholique,  apostolique.  Je  ne  m'attacherai 
à  relever  que  la  sainteté  de  l'Eglise.  La 
sainteté  c'est  l'attribut  le  plus  essentiel  de 
Dieu;  c'est  elle  que  les  chérubins  chantent 
incessamment,  et  que  nous  chanterons  éter- 
nellement avec  eux.  C'est  à  la  répandre  sur 
nous  que  tendent  tous  les  mystères  de 
notre  religion  ,  et  si  l'Eglise  catholique  ro- 
maine notre  mère  est  vraiment  sainte,  elle 
est  dès  lors  l'unique,  la  vraie  épouse  de 
Jésus-Christ.  Je  viens  donc  réveiller  votre 
loi  sur  l'avantage  que  vous  avez  d'apparte- 
nir à  la  sainte  Eglise  catholique  romaine, 
et  vous  rappeler  ensuite  les  devoirs  que 
vous  avez  à  remplir  envers  elle  pour  être 
fidèles  à  votre  vocation.  Quel  moment  heu- 
reux pour  fixer  votre  attention  sur  la  sain- 
teté de  l'Eglise!  C'est  le  dernier  de  ce  temps 
pascal  pendant  lequel  l'Eglise  vous  a  pro- 
digué ses  tr-ésors ,  et  de  tous  ceux  qui  l'ont 
voulu  a  fait  des  saints.  Ave,  Maria. 

PREMIER    POINT. 

Nous  disons  que  l'Eglise  est  sainte,  el 
nous  en  apportons  quatre  raisons;  parce 
que  Jésus-Christ  est  son  auteur,  parce  que 
sa  doctrine  est  sainte,  parce  rjue  ses  sacre- 
monts  sont  saints,  parce  qu'il  n'y  a  des 
saints  que  dans  sa  société  ;  prêtez  votre  al- 
tention ,  parce  que  tous  ces  caractères  qui 
assurent  la  sainteté  à  l'Eglise  sont  autant 
de  titres  de  gloire  pour  nous  qui  avons  le 
bonheur  d'êlre  ses  enfants. 

1°  Jésus-Christ,  le  fondateur  de  l'Eglise 
catholique  romaine,  non  -  seulement  est 
saint,  mais  la  source  de  toute  sainteté; 
non-seulement  il  est  le  chef  de  l'Eglise, 
mais  il  prend  encore  le  titre  d'époux  pour 
mieux  montrer  son  union  avec  elle  el  la 
comiuunicdlion  qu'il  lui  fait  de  sa  sainlelé. 
Jésu>-Clirist  a  aimé  l'Eglise,  dit  l'ajjôtre 
saint  Paul,  et  il  s'est  livré  à  la  mort  |)Our 
elle,  afin  de  la  sanctifier.  (Ephes.,  V,  25, 
20.)  De  là  vient  que  saint  Pierre,  ce  pre- 
mier chef  visible  de  l'Eglise  catholique  ro- 
ruaine,  appelait  les  fidèles  qui  avaient  reçu 
le  don  de  la  foi  la  race  choisie,  ta  nation 
sainte,  le  peuple  conquis.  {IPetr.,  Il,  9.)  El 
qui  pourrait  oxjirimer  tout  ce  que  vaut  à 


871 


ORATEURS  SACRES.  RIBIL^ 


'  l'Rglise  el  h  chnciin  na  ses  cnfanls  celte 
union  intime  avec  la  sonnée  de  la  sainlelé? 
C'est  pour  la  .laisser  se  répandre  sur  nous 
que  le  Fils  de  Dieu  s'est  fait  homme,  et 
que,  par  un  amour  infini,  il  nous  unit  à  lui 
aussi  étroilemeni  que  les  membres  du  corps 
humain  le  sont  à  la  tôle.  Les  cni'anls  de 
l'Eglise  forment  h;  corps  de  Jésus-Christ, 
et  il  est  le  chef  qui  répand  un  esprit  de  vie 
dans  tous  les  membres.  C'était  le  grand  ar- 
gument de  saint  Paul  pour  engagei'  les  pre- 
miers lidèles  à  vivre  dans  une  grande  pu- 
relé  de  mœurs.  Nos  corps,  disait-il,  sont  les 

membres  du  corps  de  Jésas-Chrisl ,  nous 

sommes  les  temples  de  f Esprit-Saint,  el  nous 
ne  som7nes  plus  à  nous.   «  An  nescilis  quo- 


872 

nielle  de  Jésus-Christ.  Mon  Père  vous  don- 
nera   l'esprit   de   vérité  afin   qu'il    demeure 

éternellement  avec  vous et  je  serai  avec 

vous  jusqu'à  la  consommation  des  siècles, 
u  Ecce  ego  rohiscum  sumusque  ad  consumma- 
tionem  sœculi.  [Matth.,  XXVm,  20.)  En  sorte 
que  ces  dogiaes  sont  la  pure  vérité  sur  la 
nalure  du  Dieu  infiniment  saint  et  parfait, 
sur  les  effets  de  son  amour  pour  les  hom- 
luos,  et  sont  une  règle  infaillible  pour  dé- 
terminer notre  croyance,  la  soumission  de 
notre  esprit  et  noire  reconnaissance.  Sans 
(ioute  ces  dogmes  surpassent  notre  raison, 
niais  après  avoir  rendu  à  Dieu,  notre  Créa- 
teur, le  juste  hommage  de  la  soumission 
de  notre  esprit  à  sa   parole,  nous  avons  à 


niam  corpora  veslra  membra  sunt  Clirisli admirer  des  vérités  qui  îtoutes  nous  hono 


templum  sunt   Spiritus   suncli   et  non   eslis 
veslri.  »  (I  Cor.,  VI,  15,  19.) 

Quel  avantage  pour  nous  tous,  mes  frè- 
res, d'être  les  enfants  de  l'Eglise  catholique 
romaine,  puisque  par  là  même  nous  som- 
mes les  membres  du  cor[)s  de  Jésus-Christ, 
et  que  la  sainteté  de  notre  chef  doit  se  ré- 
pandre sur  nous.  Ce  litre  d'enfant  de  l'E- 
glise nous  assure  la  prédilection  do  Dieu, 
et  toutes  les  grâces  que  Jésus-Christ  nous 
a  méritées  par  ses  soutlVances  et  le  sacri- 
tice  de  la  croix. 

Jouissez  de  ce  précieux  avantage,  justes 
qui ,  obéissant  aux  préceptes  de  l'Eglise, 
avez  eu  le  bonheur  de  vous  puritier  dans  le 
sacrement  de  pénitence,  et  de  vous  unir 
[dus  étroitement  avec  Jésus-Christ  par  le 
sacrement  de  reucharistie.  il  n'y  a  j)lus  en 
vous  de  litres  de  condamnation,  si  vous 
persistez  dans  l'union  avec  voire  chef,  si 
vous  tenez  les  résolutions  que  vous  avez 
I>rises  do  marcher  sur  ses  traces  :  Nihil 
ergo  damnationis  est  iis  qui  sunt  in  Christo 
Jesu.  {Rom.,  VIII,  1.)  il  est  le  Sauveur  de 
son  corps  :  Jpse  Salvator  corporis  ejus. 
(Ephes.,  V,  23.)  Sa  toute-puissance  et  son 
infinie  bonté  sont  les  solides  fondements  de 
voire  espérance.  Si  parmi  cet  auditoire  il 
s'en  trouvait  qui  n'eussent  pas  satisfait  au 
devoir  pascal,  je  leur  dirais  aussi  :  Réjouis- 
sez-vous vous-mêmes,  et  prenez  courage 
pour  vaincre  vos  passions  et  vous  mettre  en 
état  de  vous  réconcilier  avec  Dieu.  Sans 
doute,  si  vous  aviez  le  malheur  de  mou- 
rir dans  vos  péchés,  il  ne  vous  aurait 
servi  de  rien  d'être  membres  de  la  sainte 
Eglise  romaine;  vous  seriez  passés  par  le 
crible  et  séparés  du  bon  grain  pour  être 
jetés  dans  le  feu  comme  la  paille;  mais  tant 
que  vous  êtes,  au  moins  extérieurement, 
membres  de  la  vraie  Eglise,  votre  état  n'est 
pas  désespéré.  Vous  êtes  des  membres  morts, 
mais  le  chef  de  l'Eglise  a  le  pouvoir  de  res- 
susciter les  morts.  De  cet  amour  qu'il  porte 
à  son  Eglise  découlent  des  grâces  de  péni- 
tence pour  vous  dont  vous  pouvez  encore 
profiter ,  dont  je  vous  exhorte  à  profiter 
promptement. 

2°  Nous  disons  que  la  doctrine  de  l'Eglise 
est  sainte;  c'est  l'iisprit  Saint  qui  la  dirige 
et  dont  l'assistance  lui  est  promise  jusqu'à 
la  fin  des  siècles,  d'après  lu  [)romesse  tor- 


rent, élèvent  noire  esfirit  et  nous  donnent 
.  di  s  idées  sublimes  de  la  dignité  de  l'homme 
et  du  sort  qui  attend  les  justes  dans  le  sein 
de  Dieu. 

Sa  morale  est  sainte  et  tend  à  nous  rendre 
des  saints  ;  elle   pourvoit  à  toutes   les  si- 
tuations de  la  vie  ,  elle  règle  tous  nos  de- 
voirs   envers  Dieu  ,   envers  le   prochain  , 
envers  nous-mêmes  d'une  manière  si  par- 
faite qu'elle  rend  aimables  à  tous  les  hom- 
mes ceux  qui  sont  fidèles   à  l'observer.  On 
convient  qu'il  fait  oon  vivre  avec  eux,  qu'on 
peut  se  fier  à  leur  amitié,  à   leur  parole, 
que  soit  qu'ils  soient  seuls,  ou  qu'ils  soient 
observés,  les  intérêts  du  prochain  sont  tou- 
jours  sacrés  pour  eux.    Morale   si   sainte 
qu'il  n'est  aucune  vertu  qu'elle  ne  prescri- 
ve, qu'elle  ne  place  dans  le  cœur,  qu'elle  n'y 
fasse  régner.  Morale  si  pure  qu'elle  interdit 
à  l'esprit  et  au  cœur  la  pensée   et  le  désir 
de  ce  qui  lui  est  contraire.  Les  pères  et  les 
cnfanls,  les  époux  et  les  épouses,  les  maî- 
tres et  les  serviteurs,  les  rois  el  les  sujets, 
tous  trouvent  dans  celte  morale  de  l'Eglise 
une  garantie  de  leurs  droits.  Mais  qu'est-il 
nécessaire   de   m'étendre   là-dessus?  n'a- 
vons-nous pas  îe  témoignage  de  nos  enne- 
mis? Tous  ne  vantent-ils  |)as  notre  morale? 
ne  va-t-on  [las  jusqu'à  trouver  heureux 
ceux   qui  ont  le  courage  de  la  mettre  en 
pratique  ?  et  ceux  même  qui  nient  nos  dog- 
mes,   parce  que  leurs  passions  ne  s'accom- 
modent pas  d'un  enfer  éternel  qui  les  at- 
tend, ne  [)cuvent,  malgré  la  corruption  de 
leur   cœur,  s'emiiôcher  de  désirer  que  no- 
tre   morale    soit   annoncée,  soit  mise  en 
jiratique,   parce  qu'ils  y  trouvent  leurs  in- 
térêts, et  sont  è  l'abri  par  elle  et  des  ven- 
geances, et  des  fraudes  et   des   passions 
des  autres   hommes.    N'est- ce  pas  par  un 
reste   de   conformité  de   leur  morale  avec 
celle  de  l'Eglise  calholi(]ue  romaine,  que  les 
sociélés   cliréliennes  qui  sont  retranchées 
de  son  sein  s'attirent  encore  une  espèce  de 
considération,  viennent  à   bout  de   trom- 
per ceux  qui  sont  inattenlifs,  et  de  leur 
faire  presque  croire  qu'ils  ne  sont  en  dilfé- 
rend  avec  nous  que  sur  des  objets  [leu  es- 
sentiels et  qui  no  touchent  point  au  salut? 
N'est-ce  pas  à  l'aide  de  ces  points  qui  nous 
restent    encore    communs    qu'ils   veulent 
faire  oublier  la  nouveauté  de  leur  origine, 


sr.R"Mo:^.  —  m,  sur  la  sainteté  de  legusë. 


ÇT3 

les  crimes ,  les  sranJ.iIes  des  aulels  do 
2eur  prétendue  rtMoriiie  el  le  .'ang  qu'ils 
ont  fait  ré|iaiKlre?  Oui,  tous,  amis  et  en- 
nemis, et  ceux  qui  l'observent  el  ceux  qui 
n'ont  pas  le  courage  de  s'y  assujettir,  tous 
Tanteiit  notre  morale. 

La  discipline  de  l'Eglise,  qui  n'est  autre 
chose  que  des  règles  pour  mettre  en  garde 
contre  les  infractions  de  sa  morale  sainte 
cl  sublime  ,  s'accommode  à  nos  besoins  et 
I  eu!  varier  suivant  les  circonstances  ;  mais 
toujours  elle  ne  prescrit  que  ce  qui  tend  à 
perfectionner  l'homme  et  lui  faliciler  la 
sainieté,  qui  est  le  but  auquel  tend  tou- 
jours et  de  tous  ses  efforts  la  sainte  Eglise 
catholique  romaine.  On  se  déchaîne  beau- 
coup contre  cette  discipline;  mais  ces  cla- 
meurs de  nos  ennemis  sont  un  témoignage 
en  faveur  de  l'Eglise;  ces  règles  de  disci- 
pline sont  des  sentinelles  dont  on  redoute 
la  tidéliîé;  c'est  une  barrière  qu'on  ne 
peut  franchir  et  qui  défend  le  camp  de  l'E- 
glise ;  ce  sont,  pour  les  mauvais  chrétiens, 
des  lois  trop  sévères,  tro[)  gênantes,  et 
qu'ils  voudraient  secouer;  ce  sont  donc 
tJ'uliles,  de  nécessaires,  de  solides  préser- 
vatifs, el  dès  lors  que!  motif  de  s'y  sou- 
mettre pour  ceux  qui  désirent  parvenir  à  la 
sainteté  1 

Quel  avantage  pour  nous,  mes  frères, 
enfants  de  la  sainte  Eglise  romaine,  nous 
avons  la  sagesse  de  Dieu  pour  guide,  et 
dès  lors  nous  jouissons  de  tout  ce  qu'il 
y  a  de  bon  dans  la  morale  enseignée  dans 
les  autres  sociétés,  et  nous  les  surfias- 
sons  toutes.  Nous  sommes  assurés  d'être 
toujours  dans  les  voies  de  la  sainteté  tant 
que  nous  écoulerons  les  enseignements  de 
1  Eglise  ,  et  quelque  nous  marchions  au 
milieu  d'un  monde  corrompu  ,  au  milieu 
des  ombres  de  la  mort,  du  péché,  nous 
sommes  assurés  d'une  règle  toujours  lu- 
mineuse, toujours  infaillible  pour  nous  gui- 
der vers  le  ciel  notre  éternelle  patrie. 
'  3°  Mais  à  quoi  servirait  celle  règle  infail- 
lible pour  guider  notre  croyance  et  nos 
mœurs  si  nous  restions  aux  prises  avec 
noire  faible  raison  et  les  penchants  de  no- 
tre cœur?  La  sainteté  de  l'Eglise  serait  ad- 
mirable; mais  nous  ne  pourrions  y  attein- 
dre. C'est  ici  surtout  que  se  monire  grand 
et  magnifique  le  cliet  de  notre  religion 
sainte.  Eu  tondant  son  Eglise,  il  l'a  pourvue 
de  tous  les  moyens  de  sanctificalioii  pour 
ses  enfants.  Les  sacrements  de  l'Eglise  ca- 
tholique romaine  sont  le  troisième  litre  de 
sa  sainteté.  Institués  pai  Jésus-Christ,  et  le 
pris  cJe  son  sang  précieux,  ils  nous  ai>pli- 
quenlles  mériies  suivant  nos  dill'érenls  be- 
soins. Nous  entrons  dans  le  sein  de  l'E- 
glise ()ar  le  baplème  qui  nous  lave  de  ce 
f»éché  originel  que  nous  ne  pouvons  nier, 
es  suites  en  étant  si  bien  imprimées  dans 
les  |ienchaiils  de  notre  cœur  el  dans  les 
misères  auxquelles  nous  sommes  sujets. 
D'enfants  d'un  père  coupablo  et  dignes 
.comme  lui  d'une  éternelle  colère  ,  nous 
devenons  les  enfants  de  Dieu.  Non -seule- 
ment, dit  l'apôtre  saint  Jean,  nous  sommes 

OniTEU'RS   SACXÉi.    LXV'iil. 


871 

appelés  les  onfanls  de  Dieu,  mais  nous   le 
sommes  réellement.   Nous    en    poitons    le 
caractère    ineffaçable    qui    réclame   conli- 
nuellemenl  les  bontés  de  Dieu  pour  nous, 
tant  que  par  une  infidélité  volontaire  nous 
ne  renonçons  pas  h  nos  glorieux  privilèges. 
Dans  un  Age  plus  avancé,  et   lorsque    les 
passions  prêtes  à  se  développer  nous  cour- 
rions les   plus  grands  risques  de  perdre  la 
grâce  de  notre  baplême,  l'Eglise  vient  con- 
firmer en  nous  le  don  de  la  foi  par  le   sa- 
crement de  la  confirmation,  qui  nous  im- 
prime   un    nouveau   caractère    ineffaçable 
comme    celui   du   baptême  ;    il  nous   rend 
parfaits  chrétiens  et  nous  donne  non-seu- 
lement la  force  de  prali(iuer  les  lois  de  Dieu, 
mais   le    courage  de  confesser  hardiment 
noire  fui,  de  mépriser  les  menaces  de  ses 
ennemis  et  la  mort  môme...  Non  content  de 
ces  deux   sncremonts,  qui  ne  se   peuvent 
réitérer,   l'Eglise  se  hâte   de   profiter  des 
premiers  moments  où  nous  pouvons  com- 
prendre sa  doctrine,  pour  nous  ouvrir  ses 
trésors  les  plus  précieux.  Elle  nous  admi- 
nistre, dans  le  sacrement  de  l'Eucharistie, 
la  cliair  même  de    notre  Dieu,  elle   nous 
unit  i^  lui  de  la  manière  la  [ilus  intime,  afin 
de  mettre    l'innocence  du    premier  âge   à 
l'abri  de  toutes  séductions  entre  les  mains 
de  Jésus-Christ.  Eh  I  quel  puissant  préser- 
vatif,  et  avec  quelle  prodigalité  elle  nous 
offre  ce  préservatif  immanquable  !  Ce  n'est 
pasunefois  seulemenlqu'elle  nous  le  donne, 
elle  nous  le  permet  souvent,  elle  nous  in- 
vite tous  les  jours  à  sa  table  sainte.  Et  de 
quelle  manière  engageante  i  Elle  nous  dit 
que  noire  Sauveur,  son  époux,  et  le  nôtre 
veut  s'unir  à   nous    pour   que  nous  deve- 
nions ce  qu'il  est  ;  elle  nous  dit  qu'il    nous 
y  invite,  parce  que  nous  sommes  faibles  et 
que  nous  ne  pouvons  nous  passer  de   lui 
pour  nous  soutenir  dans  le  chemin  du  ciel, 
où  il  nous  a  préparé  des  places.  Si  malgré 
de  si  pressantes  invitations,  si  malgré  la 
puissance  de  ce  préservatif,  nous  avons  la 
malheur  de  fuir  la  table  sainte  et  de  tomber 
dans  le  péché,  l'Eglise  ne  nous  abandonne 
pas;  elle  a  des  remèdes  pour  guérir  toutes 
les  maladies  de  notre  âme.  Elle  nous  ap- 
pelle au  sacrement  de  pénitence  ;  elle  pleure 
sur  notre  malheur,  el  de  la  manière  la  plus 
tendre,  la  plus  touchante  ;  elle  nous  appelle 
pour  pansQi  nos  plaies  et   nous  rendre  la 
sainieié  quj  nous  avoiiS  perdue.  Eh  Iquello 
est  sa  joie   lorsqu'elle  peut  user  des  pou- 
voirs souver.iins   que  son  éfioux  lui  a  don- 
nés pour   délier  le    pécheur  el  lui    rendre 
l'esjjérance,  en   I  assurant  que   ses   pécliés 
lui  sont  remis  1 

C'est  encore  par  elle  que  le  mariage,  ce 
contrat  si  essentiellement  lié  au  bon  or- 
dre de  la  société,  reçoit  une  ssnciion  qui  le 
rend  respectable  et  sacré.  En  vain  les" plus 
sages  législateurs  se  sont  etforcés  de  rele- 
ver la  dignité  de  cet  état,  no  pouvant  com- 
mander au  cœur,  leurs  lois  sont  sèches  et 
stériles;  et  plaçant  le  divorce  à  côté  de 
leurs  [jompeux.  discours  sur  le  mariage,  ils 
en  déiruisuieui  tout  l'elfel.   Mais  ce  (ju'il 

28 


87Î 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


87  fî 


leur  était  impossible  de  fyiro  avec  toute 
leur  raison,  Jésus-Chrisl  rttreclue  en  éle- 
vant ic  mariage  h  la  dignité  de  sacrement 
qui  donne  aux  époux  les  grâces  qui  leur 
sont  nécessaires  pour  rendre  leur  union 
sainte,  en  supporter  les  charges,  en  rem- 
plir les  devoirs  toute  la  vie;  et  l'Eglise 
qui  en  son  nom  déclare  aux  époux  que  le 
lien  du  mariage  est  indissoluble,  a  le  pou- 
voir de  lui  donner  une  bénédiciion  qui 
adoucit  tout  ce  qu'a  de  dur  pour  les 
«iuns  et  l'inslabililé  du  cœur  humain 
arrêt  irrévocable. 

Après  avoir  suivi  ses  enfants  pas  h 
l'Eglise  ne  les  abandonne  [las  lorsque 
moment  de  la  maladie  vient  faire  trembler 
pour  leurs  jours.  Elle  les  accompagne  aux 
portes  de  l'éternité,  et  c'est  dans  ce  mo- 
ment surtout  qu'elle  déploie  sa  tendresse 
pour  les  purifier  de  leurs  fautes,  les  conso- 
ler dans  leurs  maux,  les  soutenir  et  les  en- 
courager contre  la  crainte  de  la  mort  et  ks 


las- 

S0!1 

pas, 


terreurs  du  jugement  de  Dieu.  A  tout  ce 
qu'à  d'humiliant  et  de  pénible  la  vue  de  la 
mort  qui  doit  séparer  notre  être,  livrer  no- 
tre corps  à  la  pourriture  du  tombeau,  tra- 
duire notre  âme  devant  son  juge  elle  op- 
pose le  sacrement  de  rextrêrae-onclion  qui 
nous  purifie  des  restes  du  péché,  la  vraie 
cause  de  la  mort,  et  détruisant  en  nous 
par  les  mérites  de  Jésus-Christ  ce  qui  pour- 
rait irriter  la  colère  de  Dieu,  elle  fait  suc- 
céder l'espérance  à  la  crainte,  la  foi  dans  la 
résurrection  future  à  rhumilialion  de  la  na- 
ture; humaine  ;  enfin  elle  confère  la  grâce 
de  mourir  saintement  ;  grâce  plus  précieuse 
que  la  vie  la  plus  heureuse  et  la  olus 
longue. 

Quel  avantage,  mes  frères,  d'être  si  puis- 
samment soutenus  dans  les  voies  do  la 
sainteté  par  des  moyens  si  saints  qui  ai- 
dent notre  faiblesse  et  nous  donnent  tou- 
jours, quand  nous  les  recevons  dans  de 
bonnes  dispositions,  les  forces  proportion- 
nées à  notre  état,  à  nos  dangers,  aux  dif- 
férentes circonstances  dans  lesquelles  nous 
pouvons  nous  trouver!  Ah  !  sans  doute,  si 
après  vous  avoir  étalé  les  mystères  de  la 
religion,  les  lois  de  Dieu  et  tout  ce  qu'a  de 
sévère  la  morale  de  l'Eglise  ,  on  vous 
abandonnait  à  vos  propres  forces,  ,vous  au- 
riez raison  (le  vous  [)laindre,  vous  pourriez 
réclamer  contre  un  joug  que  la  raison  peut 
approuver,  mais  ne  peut  porter;  mais  après 
être  convenu  avec  vous  que  les  forces  hu- 
maines n'y  sufTisent  pas, ^  nous  vous  ajou- 
tons avec  l'Eglise,  ce  qui  est  impossible 
aux  hommes  est  possiljlo  à  Dieu.  Venons 
doue  recevoir  sa  grâce,  participer  aux  for- 
ces du  Sauveur,  et  n'imitons  pas  ces  mal- 
heureux sectaires  qui,  eu  se  séparant  de  la 

privés    de 
il   nous  est 


sainte  Eglise   romaine,  so  sont 
ses  sacrements  vivifiants  dont 
impossible  de  nous  passer. 

4.°  Aussi,  et  c'est  le  quatrième  titre  de  la 
sainteté  de  l'Eglise,  ce  n'est  que  dans  so 
société  que  se  forment  les  saints.  Elle  est 
cette  arclie  hors  «le  laquelle  le  déluge  du 
péché  inonde  et  fait  périr  toute  chair.  Co 


n'est  que  dans  son  sein  que  l'on  trouve  des 
hommes  irréprochables  ,  d'une  conduite 
sainte,  édifiante  qui  répandent  la  bonne 
odeur  de  Jésus-Christ.  Que  si  l'on  nous 
conteste  ce  fait,  nous  avons  à  apporter 
en  preuve  les  miracles  que  Dieu  a  faits  de 
s  ècles  en  siècles  pour  prouver  la  sainteté 
de  ses  serviteurs.  Le  Dieu  de  vérité  qui  no 
peut  nous  induire  en  erreur,  après  avoir 
dit  au  chef  de  l'Eglise  romaine  :  Tu  es 
Pierre,  et  sur  celte  pierre  je  bâtirai  mon 
Eglise  (Mattli.,  XVI,  IG),  après  avoir  ajouté 
que  celui  qui  n'écoute  pas  l'Eglise  doit 
être  regardé  comme  un  païen  et  un  publi- 
cain,  fait  des  miracles  en  laveurfde  la  seule 
Eglise  romaine,  qui  prouvent  que  ceux 
qui  lui  ont  été  les  plus  fidèles,  les  plus 
obéissants  à  ses  |)0ntifes,  à  ses  lois,  sont 
des  saints.  Qu'en  faut-il  conclure?  Que  la 
sainte  Eglise  romaine  seule  forme  les  saints 
au  témoignage  de  Dieu,  et  ce  témoignage 
est  d'autant  plus  convainquant,  que  les  so- 
ciétés qui  sont  séparées  do  l'Eglise  romaine 
conviennent  qu'il  no  s'est  point  opéré  de 
miracles  parmi  elles,  que  leurs  fondateurs 
et  aucun  de  leurs  sectateurs  n'en  ont  point 
opéré,  et  qu'elles  ne  peuvent  cacher  la 
honlojqui  leur  revient  tles  scandales  mon- 
strueux do  cos  prétendus  réformateurs  de 
l'Eglise  catholique  romaine 

En   vain   donc  on    nous   vante    certain,' 

membres    de   ces    sociétés    retranchées  di 

la      l'Eglise  romaine,  comme  des  gens  vertueux 


et 


dignes 


de  tout  respect,  leur  prétendue 
sainteté  n'a  pas  le  sceau  de  Dieu,  et  le  seul 
vraiment  certain.  Nous  conviendrons  d'ail- 
leurs volontiers  que  ,  même  dans  le  pa- 
ganisme, on  admire  quelques  traits  de  vertu 
qui  font  honneur  à  l'humanité,  et  rappellen 
à  l'homme  qu'il  est  destiné  à  quelijue  chose 
de  sublime,  à  une  vie  meilleure  que  celle 
de  la  terre,  nous  conviendrons  que  l'on 
trouve  des  hommes  pratiquant  certaines 
vertus  morales  qui  sont  quelquefois  géné- 
reuses, bienfaisantes;  mais  la  sainteté  est 
quelque  chose  de  plus  sublime  que  tout 
cela.  Elle  est  la  conformité  de  la  vie  entière 
avec  celle  do  Jésus-Christ.  Elle  joint  aux 
vertus  d'éclat  les  vertus  cachées  qui*  sont 
agréables  à  Dieu  ,  à  l'aumône  la  charité 
tout  entière  qui  a  son  siège  dans  le  cœur 
et  qui  fait  oi)érer  les  biens  de  tout  genre, 
les  fait  opérer  à  l'insu  môme  de  celui 
qu'elle  oblige,  qui  ayant  Dieu  pour  motif 
no  cherche  (jue  ses  yeux.  Elle  joint  l'humi- 
lité à  toutes  ses  actions;  à  la  bienfaisance 
envers  les  hommes  elle  joint  l'amour  pour 
le  Créateur;  cet  amour  qui  veut  lui  plaiie 
par  les  sacrilicos  les  plus  |)énibles;  cet 
amour  qui  expie,  à  l'imitation  de  Jésus- 
Christ  par  les  rigueurs  d'une  pénitence  vo- 
lontaire, les  fautes  échappées  à  la  faiblesse. 
Où  trouver  en  honneur,  autre  part  que  dans 
l'Eglise  romaine,  la  chasteté,  cette  vertu 
angélique,  imf^ossible  à  l'homme,  et  si  au- 
dessus  de  ses  forces  que  la  grâce  seule  de 
Dieu  peut  la  donner?  Ce  n'est  pas  dans  les 
sociétés  séparées  de  l'Eglise  romaine,  qui, 
[)rivées  de  la  grâce,  se  sont  dès  le  princi,'C 


S77  SERMONS.  —  III,  SUR  LA 

iiionlrées  les  ennemisd'une  vertu  qu'elles  iic 
poiivaienl  .iltciiulre. 

Or,  (]ii"l  biiiilieur,  mes  frères,  d'ôlre  les 
onf.inls  (le  la  sainte  Eglise  calholique.ro- 
niaiiie,  d'ûlro  on  cette  qualiié  les  iVùres  des 
saints,  d'ôtro  assurés  que  si  nous  voulons 
écouler  l'Eglise,  profiler  des  grâces  qui 
nous  y  sont  données,  nous  parviendrons 
aussi  5  la  sainteté,  et  cela  tout  nalurelle- 
tiienl  et  par  la  force  de  cette  prédilection  de 
Djpu,  liotre  Père,  pour  nous-  N.OiJS  n'avons 
qu'à  ne  pas  repousser  sa  main  libérale,  qui 
nous  ayant  placés  dans  sor)  Eglise,  nous  y 
(liï.!-ribue  abondainuient  les  grâces  dont  nous 
avons  besoin.  De  ce  précieux  avantage 
naissent  des  devoirs  qu'il  nous  faut  exami- 
ner. C'est  le  sujet  do  la  seconde  partie  do 
ce  discours 

SECOND  POINT. 

Le  premier  devoir  que  nous  impose  la 
grâce  de  notre  élection,  par  préférence  à 
tant  d'autres  pour  être  enfants  de  l'Eglise 
catholique  romaine  ,  membres  du  corps 
mystique  de  Jésus-Christ,  cl  comme  tels 
héritiers  du  ciel,  c'est  sans  doute  la  recon- 
naissance; reconnaissance  de  tous  les  jours, 
reconnaissance  sans  bornes,  puisjuo  c'est 
un  bienfait  inappréciable,  ei  dont  les  effels 
se  reproduiront,  pour  notre  bonheur,  pen- 
dant toute  l'éternité.  Bicp.fait  que  nous 
n'avons  |)U  mériter,  et  que  nous  tenons  de 
l'infinie  bonté  de  Dieu  qui  nous  a  prévenus, 
qui,  pour  assurer  notre  salut,  nous  a  dé- 
livrés des  dangers  en  nous  plaçant  dès  nutrt 
naissance  dans  le  sein  de  l'Eglise,  où  nous 
avons  puisé  la  vérité.  Cette  reconnaissante 
doit  produire  deux  effets;  le  premier  une 
joie  intérieure,  et  qui  soit  dans  le  fond 
même  du  cœur,  laquelle  se  répandra  sur 
toutes  nos  actions  et  nous  rendra  le  fardeau 
du  Seigneur  doux  et  léger.  Réjouissez-vous, 
disait  souvent  aux  premiers  fidèles,  lapôire 
saiul  Paul,  réjouissez-vous,  je  vous  le  ré- 
pète, et  que  celte  joie  vous  doiiiie  cette 
modération   qui  fasse  admirer  la  vertu  des 

grâces  de  Dieu  !  Gaudete  ilerum  gaudcle 

modcstia  vestra  nota  sit  omnibus  hominibus. 
{Philip.,  IV,  k.)  Le  second  etTet  est  une 
action  de  grâces  extérieures:  cette  recon- 
naissance ne  doit  pas  être  cachée  au  fond 
de  notre  cœur;  mais  elle  doit  se  manifester 
au  dehors.  Serait-il  possible  que  nous  sen- 
tissions véritablement  le  bienfait  de  notre 
vocation  à  TEglisc,  si  jamais  notre  bouciie 
ne  publiait  les  miséricordes  de  Dieu  à  notre 
égard:  Corde  credilur,  ore  aulem  fil confessio 
ad  saluiem  (Rom.,  X,  10)  ;  et  si  nous  éliois 
ingrats  envers  Dieu  à  ce  point  de  n'oser 
cunlesscr  le  plus  grand  de  ses  bienfaits,  si 
nous  rougissions  d'en  témoigner  notre  re- 
connaissance, n'aurions-nous  pas  àcraindi'i 
celle  foudroyante  menace  de  Jésus-Christ, 
de  ne  point  reconnaître,  devant  son  Vcre 
céleste,  ceux  qui  devant  les  liomujes  auront 
craint  de  manifester  leur  attachement  pour 
lui  :  yam  qui  me  erubesceril,  hune  (iUus  ho- 
Diinis  erubescet  cum  vcnerit  in  majeslale  sua. 
(Luc,  IX,  26. j  Cette  manifestation  publique, 
authentique  de  nuire  reconnaissance  [loar 


SAINTRTE  DE  L'EGLISE. 


878 


notre  vocation  ;»  la  sainte  Eglise  catholique 
romaine  nous  est  d'autant  plus  nécessaire, 
qu'elle  est  un  moyen  de  conserver  notre  foi. 
Nous  sorions  bien  près  de  l'abandontier,  si 
nous  n'osions  nous  glorifier  de  la  sainteté 
de  l'Edise,  de  ce  titre  dont  la  gloire  re- 
jaillit sur  nous. 

Ils  ne  le  remplissent  pas  ce  devoir  de  re- 
connaissance, ceux  qui  sont  si  indilférenls 
pour  ce  bienfait,  qu'ils  n'y  pensent  jamais, 
qui  se  plaignent  continuellement  de  la  pe- 
sanleur  du  joug  du  Seigneur,  qui  s'affran- 
chissent (le  leur  projsre  autorité,  de  tout  ce 
qui  déplaît  aux  sens,  qui  quelquefois,  hé- 
las I  faui-il  l'avouer  h  la  lionle  de  notre  siè- 
cle, seraient  bien  aise  d'êtro  nés  In  rs  du 
sein  do  l'Eglise  caltioli(jue  romaine,  pour 
être,  disent-ils,  débarrassés  des  remords 
que  leur  causent  leurs  infidélités  habituel- 
les aux  vérités  éternelles  qu'ds  ne  [jeu- 
vent  nier.  Ils  le  remplissent  bien  moins  ce 
devoir  de  reconnaissance,  ceux  qui  osent 
dire  que  toutes  les  religions  sont  bonnes, 
ou  qui  semblent  le  dire,  soit  en  assistant 
aux  offices  des  hérétiques,  soit  en  rendant 
à  ceux  qui  sont  morts  liors  du  sein  de  l'Égli- 
se catholique  romaine  des  honneurs  qui 
supposent  une  espérance  commune  ;  assis- 
tance, honneur  qiii  sont  interdits  par  la  loi 
et  les  lois  de  l'Église.  Leur  inditférence 
lient  à  l'ignorance  coupable  dans  laquelle 
ils  vivent  de  la  doctrine  de  l'Eglise. 

C'est  le  second  devoir  que  nous  impose 
le  bienfait  de  notre  vocation,  d'étudier  la 
doctrine  sainte  de  l'Église,  de  nous  en  pé- 
nétrer, d'en  nourrir  notre  esprit  et  notre 
cœur,  de  fixer  notre  attention  sur  les  rayons 
do  sainteté  (jue  Jésus-Christ  a  répandus 
avec  profusion,  mais  qui  ne  sont  visibles 
qu'aux  amateurs  de  la  vérité,  qui  se  plai- 
sent à  la  chercher.  Elle  est  celle  doctrine 
de  l'Eglise  l'enseignement  de  l'Esprit-Saint, 
la  troisième  personne  de  la  sainte  Trinité, 
et  c'est  encore  lui-même  qui,  après  avoir 
confié  le  dépôt  des  vérités  saintes  à  l'Egli- 
se, veille  conlinuelleraont  sur  elle  ,  afin 
qu'elle  en  soit  la  fidèle  et  infaillible  dispen- 
satrice. C'est  encore  lui-môme  qui  veut 
bien  être  notre  maître  [larticulier  ;  qui  nous 
donne  l'intelligCDce  des  renseignements  de 
l'Église,  nous  rend  dociles  à  sa  voix,  incli- 
ne notre  esprit  à  la  soumission,  échaulfe 
notre  cœur,  et  lui  ins|)ire  l'amour  pour 
celte  étude.  Doctrine  de  la  sainte  Église  ca- 
tholique romaine,  science  la  plus  certaine, 
puisqu'elle  a  l'Esprit-Saint  pour  maître, 
l'Église  infaillible  pour  interprète  ;  scien- 
ce la  plus  sublime  puis(|u'elle  a  Dieu  lui- 
môme  et  réternité  [/our  objet  ;  Dieu  le  Créa- 
teur de  tout,  le  modérateur  de  tout,  le 
maître  souverain  de  tout  ce  qui  existe  :  sa 
beauté  parfaite,  dont  les  i)rélendues  beautés 
terrestres  ne  sont  q\ie  de  faibles  oiubres  ; 
sa  sagesse,  dont  noire  sagesse  n'est  qu'une 
faible  et  trop  faible  émanation  ;  sa  Ijonlô 
infinie  ou  puisent  toutes  les  créotures,  et 
dont  les  meilleurs  cœurs  ne  peuvent  nous 
donner  qu'un  modèle  très-imparfait.  L'étei- 
nilé   bienheureuse,  c'est-à-dire ,   la  récom- 


8'9 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


ponse  des  Smos  justes,  la  fin  de  nos  tra- 
vaux, do  nos  souffrances,  le  but  de  la  ver- 
tu dont  rien  do  créé  ne  peut  nous  donner 
une  idée,  mais  dont  la  doctrine  de  l'Église 
inspire  et  le  désir  et  un  avant-goût  qui  con- 
sole la  foi,  soutient  l'espérance.  Doctrine 
de  l'Église,  science  seule  nécessaire,  puis- 
que les  autres  passeront,  et  que  celle-ci 
seule  restera,  que  la  vaine  gloire  des  au- 
tres contestée  souvent  dans  ce  monde  ne 
passera  pas  à  l'éternité,  ou  n'y  passera  que 
pour  l'ignominie  de  ceux  qui  l'auront  pré- 
férée à  la  gloire  d'être  savants  dans  la  scien- 
ce des  saints  ;  en  un  raot,  science  de  la 
sainte  doctrine  de  l'Église,  science  la  jilus 
satisfaisante  puisqu'elle  est  le  chef-d'œuvre 
de  la  sagesse  de  Dieu  et  de  son  amour  piMir 
les  hommes,  science  cependant  la  plus  né- 
gligée. Dans  l'enfance,  on  apprend  son  ca- 
téchisme, mais  bientôt  on  dédiiigne  cette 
étude  lui  préférant  les  connaissances  du 
monde.  Hélas  1  le  dirai-je  ?  on  voit  tous 
les  jours  des  personnes  qui  avaient  été  pré- 
venues par  là  grâce,  se  faire  un  mérite  de 
connaître  toutes  les  nouvelles  productions 
du  bel  esprit,  croire  qu'elles  no  seraient 
pas  sur  le  bon  ton,  si  elles  no  lisaient  les 
lomans  nouveaux,  et  qui  repoussent  l'étu- 
de de  la  religion  vers  laquelle  l'Espril-Saint 
les  poussait  intérieurement  autrefois.  At- 
traits qu'elles  n'éprouvent  plus  depuis 
qu'elles  ont  corrom[)u  leur  goût  et  se  sont 
livrées  à  l'esprit  du  monde.  L'ont-ils  étu- 
diée cette  science  de  l'Eglise  catholique  ro- 
maine, ceux  qui  disent  que  les  proieslants 
prêchent  la  môme  morale  que  nous.  Ce  lan- 
gage n'annonce-t-il  pas  le  vide  de  leur  es- 
prit et  de  leur  cœur,  j'oserai  dire  les  vices 
cachés  qui  les  rendent  insensibles  à  la 
beauté  de  l'É^^lise  romaine,  étrangers  à  sa 
sainteté? 

Le  troisième  devoir  c'est  de  profiter  avec 
empressement  des  sources  de  sainteté  que 
renferme  l'Église.  Ses  sacrements  étant 
institués  pour  soutenir  notre  faiblesse,  ce 
serait  une  contradiction  manifeste  de  vou- 
loir devenir  saint  sans  prendre  les  seuls 
moyens  qui  [)euvent  nous  rendre  la  sainte- 
té possible.  Mais  pour  en  profiter  il  faut  y 
avoir  recours  souvent.  Le  mal  est  dans  no- 
tre cœur  :  là  des  passions  furieuses  et  tou- 
jours renaissantes  nous  poussent  à  la  vio- 
lation des  lois  de  Dieu  et  de  l'Eglise.  Bi- 
nons n'usons  du  remède  aussi  souvent  que 
la  maladie  l'exige,  il  ne  faut  pas  prétendre 
se  soutenir  longtemps.  Pleinsde  précautions 
dans  les  maladies  de  nos  corps,  nous  som- 
mes empressés  d'apppelcr  les  médecins  ,  de 
demander  des  remèdes  qui  nous  jiréservent 
des  suites  de  la  maladie  ;  et  dans  celte  ma- 
ladie des  passions,  dont  nous  sommes  tous 
atteints,  dont  les  suites  sont  la  mort  de  la 
grâce  qui  nous  expose  5  une  éternité  de 
châtiments,  nous  sommes  indilîérenls  sur 
les  remèdes  prompts  et  inlaillibles  qui  peu- 
vent nous  remettre  et  nous  conserver  dans 
les  voies  de  la  sainteté.  Ceux  qui  fuyent 
les  sacrements  ne  vivent-ils  [las  comme  les 
protestajils  ?   Il    n'est  donc   l'as   étonnant 


qu'ils  élèvent  le  protestantisme  en  riv;il  de 
l'Eglise  romaine.  Déserteurs  de  la  table 
sainte  et  du  sacrement  de  pénitence,  il  se- 
rait étonnant  qu'ils  fussent  fermement  atta- 
chés à  la  foi  de  l'Eglise  romaine  qui  con- 
damne leurs  passions,  qui  veut  les  extir- 
per, qui  veut  qu'ils  en  fassent  une  sincère 
pénitence. 

Le  quatrième  devoir  c'est  un  attache- 
ment sincère  è  l'Egliso  et  un  dévouement 
à  ses  intérêts.  Elle  est  noire  mère,  et  ses 
intérêts  sont  les  nôtres.  Ce  serait  donc  être 
bien  indifférents  à  Siis  bienfaits  ;  bien  négli- 
gents pour  notre  salut  si  nous  n'avions 
pour  l'Eglise,  qui  nous  a  engendrés  à 
Jésus-Christ,  qui  nous  protège  contre  les 
ennemis  de  notre  salut,  qui  nous  nourrit 
du  lait  de  sa  doctrine,  qui  nous  soutient 
parla  force  des  sacremenis,  un  amour  fi- 
lial qui  nous  fasse  partager  ses  sentiments, 
prendre  part  à  ses  triomphes  et  nous  ré- 
jouir avec  elle,  partager  ses  peines  et  nous 
affliger  avec  elle  de  ses  combats,  de  ses 
pertes. 

Cet  amour  pour  la  sainte  Eglise  romaine, 
notre  mère,  s'il  est  sincère,  jiroduira  deux 
effets  bien  remarquables,  le  premier  de 
nous  lier  plus  étroitement  avec  nos  frères 
enfants  de  la  môme  Eglise;  plus  étroite- 
nient  avec  ceux  qui  lui  sont  plus  fidèles  et 
1  honorent  davantage  par  leurs  vertus.  La 
charité  que  Jésus-Christ  nous  a  prêchéedoit 
se  répandre  sur  tous  les  hommes  ;  ainsi 
quand  je  dis  que  nous  devons  avoir  uno 
prédilection  particulière  pour  nos  frères 
les  enfants  de  ''Eglise  romaine,  je  n'exclus 
pas  de  notre  amour  nos  fi^ères  errants,  les 
ennemis  de  l'Eglise;  mais  j'assure  seule- 
ment la  prédilection,  une  préférence  mar- 
quée pour  ceux  qui  sont  réchauffés,  nourris 
uans  le  sein  de  l'Eglise  comme  nous.  Une 
estime  mutuelle,  une  charité  prévenante,  le 
secours  des  prières,  un  tendre  attachement, 
voilà  ce  que  se  doivent  les  entants  de  la 
même  mère. 

Pour  nos  frères  errants,  béias  !  à  l'estime 
qu'ils  ne  peuvent  mériter  tant  qu'ils  seront 
dans  l'erreur,  il  faut  substituer  la  compas- 
sion ;  aux  prévenances,  unt  sage  discré- 
tion, afin  de  ne  pas  se  lier  d'amitié  avec 
ceux  qui  peuvent  atténuer  et  môme  perver- 
tir notre  foi.  Et  certes,  l'Eglise  sait  bien 
mieux  que  nous  quels  sont  les  devoirs  de 
la  charité,  et  cependant  elle  ne  traite  pas 
également  tous  les  hommes.  Prodigue  do 
sa  tendresse  envers  ses  entants,  prévenante 
même  à  l'égard  des  pécheurs,  elle  sépare 
de  son  sein  ceux  qui  ne  l'écoutent  pas, 
comme  Jésus-Christ  le  lui  recommande, 
et  ne  veut  pas  que  nous  ayons  avec  eux. 
cette  familiarité,  cette  société  intime  qu'elle 
recommande  à  ses  enfants. 

Le  second  eli'et  de  notre  attachement  à 
l'Eglise,  c'est  le  respect  pour  les  pasteurs 
et  une  soumission  prompte  à  ce  qu'ils  or- 
donnent en  son  nom.  C'est  par  eux  qu'elle 
répand  ses  bienlaits,  ils  sont  les  organes 
choisis  par  l'Esprit-Saint,  pour  nous  ensei- 
gner la  saine  doclriue  ;    ils   sont  les  minj* 


881 


SERMONS.  —  111,  SLU  LA  SAlNTETIi  DE  LECLISE. 


S82 


très  ae  ses  sacrements,  sources  de  grâces 
pour  nous.  C'est  par  eux  qu'elle  nous  ou- 
vre les  portes  du  ciel,  et  ferme  l'enfer  ou- 
vert sous  les  pieds  des  pécheurs.  Ce  serait 
un  attachement,  une  soumission  imaginai- 
res si  nous  ne  les  manifestions  h  ceux  qui 
nous  parlent  enson  nom  et  la  représentenf. 
Saint  Paul  recommandait  avec  instance  ce 
respect,  cette  soumission  pour  les  pasteurs 
et  il  en  donnait  trois  raisons  importantes  : 
Jpsi  perrigilant  qtinsi  ralionem  pro  anima- 
btt.j  vestris  reddituri  [Hebr.,  XI H,  17)  ;  ils 
veillent  sur  vous  comme  devant  rendre 
compte  de  vos  âmes;  vous  leur  êtes  confiés 
par  Jésus-Christ,  le  souverain  pasteur  de 
nos  âmes.  Mais  comment,  sans  celte  corres- 
pondance de  tendresse  de  leur  part,  de  sou- 
mission et  de  respect  de  la  vôtre  pourront- 
ils  s'acquitter  de  leur  charge,  trouvant 
sans  cesse  des  obstacles  dans  l.'i  dureté  et 
l'insensibilité  de  voire  cœur?  Ut  cum  gau- 
dio  hoc  faciant.  [Ibid.)  Seconde  raison,  c'est 
afin  que  non-seulement  ils  puissent  opérer 
votre  salut,  mais  qu'ils  y  travaillent  avec 
joie,  parce  qu'alors  ils  s'y  livreront  avec 
plus  de  zèle,  et  vous  en  retirerez  [ilus  de 
fruit.  Et  non  gemenles,  hoc  eniin  non  expe- 
ditvobis.  (Ibid.)  Sans  ce  respect,  celte  sou- 
mission, ils  seront  toujours  gémissants  sur 
vos  désordres,  et  ils  ne  pourront  attirer 
sur  vous  les  bénédictions  de  Dieu,  et  ce- 
pendant sans  cette  bénédiction  qui  répand 
la  grâce  dans  lésâmes,  comment  ferez-vous 
votre  salut? 

Mais  parmi  les  pasteurs  celui  surtout  au- 
quel !a  foi  et  voire  attachement  pour  l'Egli- 
se doivent  assurer  votre  respect  et  votre 
dévouement  entier,  c'est  le  souverain  pci- 
life,  chef  de  la  sainte  Eglise  catholique  ro- 
maine, vicaire  de  Jésus-Christ  sur  la  terre; 
il  est  la  pierre  angulaire  de  l'édifice  de  l'E- 
glise, l'héritier  des  .'promesses  faites  à  saint 
Pierre,  le  chef  de  la  sainteté  sur  la  terre,  et 
le  vrai  père  des  saints.  Qui  ne  mange  pas 
l'agneau  avec  lui  est  un  prol'ane  ;  mais  .au 
lieu  de  vous  prescrire  ce  que  vous  lui  devez, 
il  suûll  de  vous  rapfieler  le  bel  esem|)le 
que  vous  avez  donné  à  toute  la  chrétienté. 
Lorsque  Pie  Vil,  ce  vénérable  pontife  a 
passé,  il  y  a  quelques  ans,  dans  cette  ville  ; 
ses  vertus  vous  étaient  inconnues,  votre 
vénération  avait  donc  un  autre  objet?  La 
loi  se  réveilla  dans  tous  les  cœurs;  elle  vous 
lit  courir  sur  les  pas  du  clief  de  lEglise  et 
solliciter  sa  bénédiction.  Vous  ne  pûtes 
voir  sans  lui  témoigner  un  profond  respect, 
un  atlachenient  sincère,  celui  qui  nous  re- 
présente Jésus-Christ  sur  lu  terre.  Ce  mou- 
veuient  spontané  qui  attachait  tuus  les  yeux 
sur  un  vieillard  inconnu,  sans  pom[)e,  sans 
aucun  de  ces  dehors  qui  accomiognent  les 
souverains  de  la  terre,  ce  sentiment  géné- 
ral qui  atlichait  tous  les  cœiirsà  ce  pontife 
i'iaient  commandés  à  tous  par  Ja  foi,  par 
Cette  loi  dont  plusieurs,  hélas  1  ne  soup- 
çonnaient pas  l'existence,  et  que  tous  fu- 
ient étonnés  de  retrouver  si  profondément 
grbvée  dans  ie  fond  de  leur  cœur.  Eh  bien, 
mes  Itères  1  c'est  cette   fui  qui  fut  triom- 


phante à  cette  époquequej'invoque  aujour- 
d'hui ;  elle  doit  être  réfiéchie,  elle  ne  iloit 
pas  être  un  simple  mouvement  passager, 
mais  un  sentiment  constant,  persévérant, 
et  vous  lier  au  chef  de  l'Eglise,  vous  faire 
réjouir  avec  lui  et  vous  rendre  ses  intérêts 
communs.  Il  faut  que  la  joie  de  volroobéis- 
sance,  de  votre  dévouement,  le  soulage  de 
la  pénible  charge  de  vos  âmes,  et  que  lors- 
qu'il prie  pour  ses  frères,  vos  pasteurs, 
qu'il  est  chargé  de  confirmer  dans'ja  foi,  il 
le  fasse  avec  cette  elfusion  de  cœur^qui  pé- 
nètre le  ciel. 

Voilà,  mes  frères,  les  devoirs  que  nous 
avons  à  remplir  en  qualité  d'enfants  de  la 
sainte  Eglise  catholique  romaine  ;  devoirs 
honorables,  doux  et  satisfaisants  pour 
les  bons  chrétiens,  et  surtout  devoirs 
sanctifianis  pour  tous  ceux  qui  les  rempli- 
ront avec  fidélité.  Et  pour  les  remplir  que 
faut-il  que  bien  sentir  le  précieux  avan- 
tage d'appartenir  à  l'Eglise  sainte,  d'être, 
par  notre  admission  au  nombre  do  ses  en- 
fants, assurés  d'être  membres  du  corps 
mystique  do  Jésus-Christ,  sûrs  d'être  ini- 
tiés dans  les  vérités  de  la  sagesse  éter- 
nelle, d'être  nourris,  soutenus  des  sacre- 
ments dans  toutes  les  positions  de  la  vie; 
sûrs  enfin  de  devenir  des  saints,  si  nous  le 
voulons  sincèrement,  puisque  ce  n'est  que 
dans  sa  société  que  se  forment  les  saints, 
et  qu'elle  n'est  fondée  que  pour  faire  des 
saints. 

Ahl  si  noire  foi  dans  la  sainteté  de  l'E- 
glise romaine  est  vraie  et  sincère,  si  elle 
est  agissante,  ne  tremblons  plus  sur  le  sort 
de  la  catholicité  en  Fiance.  Que  les  enne- 
mis de  l'Eglise  redoublent  leurs  efforts 
contre  elle,  cela  ne  peut  nous  étonner, 
les  attaques  sont  prédites,  mais  les  victoi- 
res de  l'Eglise  le  sont  aussi.  C'est  à  Pie  VU 
que  Jésus-Christ  a  dit  dans  la  personne  de 
saint  Pierre  :Tu  es  Pierre,  et  sur  cette  pierre 
je  bâtirai  mon  Eglise^  et  les  portes  de  l  enfer 
ne  prévaudront  pas  contre  elle.  Restons  donc 
fermement  attachés  au  souverain  pontife, 
et  personne  ne  pourra  nous  arrach.er  du 
sein  de  l'Eglise  malgré  nous.  Nous  avons 
la  parole  de  Jésus-Christ  en  faveur  des 
brebis  de  ce  bercail  :  Non  rapiet  cas  qitis- 
quam  de  manu  mea.  [Joan.,  X,  28.)  Menions 
par  notre  fidélité  à  remplir  nos  devoirs  la 
grâce  de  la  persévérance;  augmentons  le 
nombre  des  saints  qui  sont  dans  l'Eglise 
romaine,  afin  que  Jésus-Ciirisl  fasse  giâco 
aux  [)éclieurs.  Enfin  lions  bien  noire  soit 
avec  celui  de  la  sainte  Eglise  romaine  par 
noire  dévouement  à  ses  inléiôls,  noiro 
respect,  noire  soumission,  parce  que  les 
miracles  ne  couleront  rien  au  Toul-Puis- 
sant  pour  tenir  la  parole  qu'il  a  donnée  de 
soutenir  l'Eglise  catholiiiue  romaine;  dans 
cette  confiance  que  rien  ne  nous  détourne 
des  voies  de  la  sainteté.  Mais  remplissons 
notre  desti.née,  qui  est  d'être  des  saints  sur 
la  terre,  pour  partager  ensuite  dans  le  ciel 
le  bonheur  du  Dieu  trois  l'ois  saint.  \!i>«* 
soil-il. 


883 


ORATEUUS  SAtRES.  RIBIEil. 


88  i 


SEUMON  IV 


SUR    LE   COKLR    DE    JESL'S. 

Mvstorium  quod  abRConditiim  fuil  a  sspcuMs  nunc  nia- 
iiirestaliim  esl.  (Col.,  I,  26,  1.) 

Le  niystère  aui  a  été  caché  aux  siècles  passés  iiotts  esl 
manifesté. 

Le  grand  mystère  de  la  ch.iriié  du  Fus  de 
Dieu  nous  est  donc  eidin  révélé?  Ce  mys- 
tère (|ui  a  été  caché  aux  patriarches  et  aux 
prophètes  ,  ce  iriyslère  que  nos  pères  dans 
la  loi  ont  connu  sans  l'approfondir;  ce  mys- 
tère d'amour  que  nous  prêchons  avec  tant 
de  succès;  ce  grand  mysièrc,  dis-je,  nous 
est  donc  enfin  révélé  :  Nunc  manifestatum 
est.  Oui,  mes  frôros,  le  cœur  de  Jésus  nous 
est  ouvert,  et  avec  lui  tous  les  trésors  de 
la  science,  de  la  sagesse  et  de  la  honlé  de 
Dieu  nous  sont  oiîtiiis  :  Nunc  manifeslatum 
est. 

Il  ne  s!a-,it  donc  plus  desavoir  si  le  culte 
oiïert  au  sacré  cœur  de  Jésus  est  un  culte 
pieux, n  i'eelsaint.ll  nes'agil  plus  de  justifier 
ce  culte  ;  l'Eglise  s'est  [)rononcée,  et  ie  grand 
mystère  de  la  charité  d'un  Dieu  qui  sem- 
blait voilé  aux  siècles  passés,  nous  est  au- 
jourd'hui découvert  dans  tout  son  jour: 
Myslerium  quod  ubscondilum  fait  a  sœcutis 
nunc  manifestatum  est.  Nutie  intention  est 
donc,  dans  ce  discours,  de  faire  connaître 
et  goûter  le  culte  que  nous  rendons  au 
cœur  sacré  de  Jésus,  et  d'y  faire  trouver  à 
plusieurs  une  source  de  salut  et  de  giâces. 
Pour  cela  nous  examinerons  :  l'"la  sainteté 
de  ce  culte  considéré  dans  son  objet  ;  â°  la 
nécessité  de  ce  culte  considéré  dans  sa  fin  ; 
c'est  tout  le  sujet  de  ce  discours. 

O  cœur  de  Jésus,  mon  Dieu  !  pour  la 
gloire  duquel  je  vais  parler,  faites  couler 
sur  mes  lèvres  cette  onction  sacrée  dont 
vous  êtes  la  source  :  mettez  dans  ma  bou- 
che ces  tons  persuasifs  qui  louchent  et  en- 
flamtnenl,  et  dans  le  cœur  de  ceux  qui  m'é- 
coutent  ces  dispositions  heureuses  à  la 
vérité  et  h  la  piété  qui  ne  viennent  que  de 
vous. 

Vierge  sainte,  auguste  Marie,  vous  dont 
le  cœur  maternel  n'eut  pas  d'occupation 
plus  douce  que  d'étudier  les  inclinations 
du  cœur  tilial  de  Jésus,  vous  connaissez 
toutes  les  voies  qui  conduisent  à  lui,  dai- 
gnez nous  y  conduire  vous-même.  On  est 
bûr  d'être  bien  reçu  par  le  fils  lorsqu'on 
est  présenté  par  la  mère;  daignez  soutenir 
et  protéger  ce  discours  par  voire  puissante 
intercession.  Ave,  Maria. 

PUEMIER    POINT. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  que  raj)ùlre  saînt 
Paul  nous  prévient  que  les  mystères  qui 
sont  cachés  aux  savants  et  aux  sages  du 
siècle,  sont  révélés  aux  petits  et  aux  hum- 
bles :  Abscondisti  hoc  a  sapientibus  et  reve- 
tasti  caparvulis.  {Matth.,  XI,  25.)  En  effet, 
qa'on  interroge  les  prétendus  sages  du 
siècle  sur  l'objet  du  culte  rendu  au  cœur 
do  Jésus,  vous  ne  trouverez  dans  leur  ré- 
ponse qu'un  raisonnement  obscur, incertain, 
et  qui  vous  jette  dans  des  subtilités  stériles 
«t  ennuyeuses.  Au  contraire,  les  âmes  sim- 


)iles  mais  ferventes,  sans  tant  de  raisonne- 
ments et  do  détours,  dirigées  par  le  senti- 
ment, touchent  au  vrai  du  premier  coup  et 
d'un  seul  mot.  11  n'en  esl  pas  une  seule 
parmi  elles  qui,  interrogée  sur  ce  qu'ele 
j/rélend  honorer  aujourd'hui,  si  c'est  le 
cœur  sensible  de  Jésus,  ou  sim|)lement  son 
amour,  ne  réponde  à  l'instant  que  c'est  l'un 
et  l'autre.  Cette  réponse  suflit;  elle  dit 
tout,  et  nous  allons  la  dévelo()|)er. 

Nous  disons  donc  que  le  culte  rendu  au 
cœur  sacré  de  Jésus  a  pour  objet,  1'  le 
cœur  sensible  de  Jésus.  En  elfel,  c'est  un 
dogme  sacré  de  notre  religion  sainte  que 
le  Verbe  divin,  dans  l'incarnation,  a  voulu 
s'unir,  non-seulement  à  ce  qu'il  y  a  dans 
l'homme  de  plus  noble,  qui  est  Fespril, 
mais  encore  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  vil,  qui 
est  la  malière  et  la  chair  :  Et  Verbum  euro 
facluin  est.  {Joan.,  1,  H.)  Dès-lors  le  corps 
de  Jésus,  uiôme  séparé  de  son  âme  sainte, 
tel  qu'il  fut  dans  le  tombeau,  étant  tou- 
jours uni  à  la  divinité,  exigeait  nécessai- 
rement un  culte  légitime  d'adoration  :  donc 
aussi  le  cœur  matériel  et  sensible  de  Jé- 
sus, étant  incontestablement  uni  h  la  di- 
vinité, demande  qu'on  lui  rende  un  culte 
d'adoration  tel  qu'on  le  rend  à  son  corps. 
Celle  conséquence  esl  de  soi  rigoureuse  • 
Jn  ipso  inhabital  plenitudQ  divinitalis  corpo- 
ralitcr.  {Coi,  11,9.) 

Ce  princi[)e  une  fois  établi,  je  demande 
s'il  est  un  homme  sur  la  terre  qu:  n'ait  f)as 
é|)rouvé  que  le  cœur  participe  à  toutes  les 
airections  de  l'âme,  ei  conlrd)ue,  à  sa  ma- 
nière, à  les  accroître, à  les  enflammer?  Mais 
Jésus  étant  homme  comme  nous,  et  les 
lois  mystérieuses  de  l'union  de  l'esprit  et 
du  cor[)s  étant  dans  lui  les  mêmes  que  dans 
nous,  son  coeur  particij)ait  donc  à  tous  les 
sentiments  de  son  âme  sainte,  il  contri- 
buait donc  à  les  accroître,  à  les  eidlammer? 
Il  y  avait  donc  dans  Jésus  comme  dans 
nous  une  action  et  une  r'5aclion  réciproque 
de  la  volonté  sur  le  cœur,  et  du  cœur  sur 
la  volonté?  Donc,  si  on  peut  adorer  les 
affections»  de  Jésus,  les  volontés  saintes  do 
Jésus,  on  [)eut  aussi  adorer  son  cœur,  puis- 
que par  ses  tressailleujcnts,  ses  embrase- 
ments, ses  élaocemenls,  t>es  saintes  lan- 
gueurs, ii  augmentait  l'uclivilé  des  allec- 
tions  et  les  sentiments  vertueux  et  tendres 
de  la  volonté  do  Jésus  pour  Dieu  sou  Père 
et  pour  les  hommes  ses  frères 

Mais,  d'après  ces  principes,  je  demande 
si  ce  n'est  pas  un  usage,  aussi  ancien  parmi 
les  hommes  cju'il  est  universel,  d'honorer 
spécialement  les  cœurs  des  personnes  il- 
lustres, de  conserver  précieusement  le? 
cœurs  "des  personnes  tendrement  aiméesj. 
bien  persuadés  que  parmi  les  dépouilles  de 
leur  moralité,  le  cœur  est  ce  qui  a  eu  le 
plus  de  part  à  leurs  sentiments  tendres  et 
généreux?  Je  demande  si  toutes  les  pas- 
sions quelles  qu'elles  soient,  criminelles 
ou  vertueuses,  n'en  ap{)ellent  pas  tous  les 
jours  au  témoignage  du  cœur,  par  une  es- 
pèce d'instinct  irrésistible?  Je  demande 
s'il  est  un  langage  plus  commun  jiarmi  les 


SERMONS.  —  IV.  SUR  LK  COKUR  DE  JESUS. 


88() 


hommes  que  ceiui  qui  aKribuo  nu  cœur  les 
vertus  ou  les  vices,  les  bonnes  qunliîés  i!u 
les  défauls?  Je  demande  si  jDIeu  lui-niôni(; 
ne  se  conforme  pas  à  ce  langage  en  riiille 
endroits  divers  de  nos  Ecritures  ;  s'il  n'est 
pas  dit  mille  fois  que  Dieu  paidonne  à  un 
cœur  tendre  et  humilié,  qu'il  exige  riiom- 
innge  di:  cœur,  qu'il  exauce  les  désirs  du 
cœur,  qu'il  veut  (Mre  aimé  de  toute  l'acti- 
vité du  cœur,  qu'il  sonde  les  cœurs,  et  voit 
leurs  p'us  secrets  mouvements, qu'il  répand 
dans  les  cœurs  le  feu  de  son  amour,  ie  de- 
mande enfin  si,  Jésus  lui-môme,  so  propo- 
sant pour  modèle,  n'a  pas  dit  de  lui-même: 
Apprenez  de  moi  que  Je  suis  doux  et  humble 
de  cœur  :  «  Discite  a  me  quia  initis  sum  et 
liumilis  corde.  »  [Matlh.,  XI,  29.) 

Mais,  mes  fières,  ces  rétlexions  une  fois 
admises,  il  est  donc  vrai,  d'après  ces  mômes 
réflexions,  que  le  suffrage  de  Dieu  et  celui 
des  hommes,  que  le  ciel  et  la  terre,  la  nature 
et  la  foi,  la  raison  et  les  passions,  les  Ecii- 
lures,  l'expérience,  le  sentiment,  tout  se 
réunit  pour  nous  apprendre  que  le  cœur 
sensible  de  Jésus  a  été  réellement  le  siège. 
Je  centre,  et  même  en  un  sens  très-vrai  un 
principe  et  une  cause  de  son  amour. 

Si  donc  dans  le  culte  qui  a  pour  objet  es- 
sentiel les  souffrances  de  Jésus  on  n'a  (tu 
choisir  d'autre  objet  sensible  que  les  plaies 
sacrées  de  Jésus,  qui  a  suuifert,  on  ne  pou- 
vait donc  aussi,  dans  un  culte  qui  a  [)0ur 
objet  essentiel  l'amour  de  Jésus,  choisir 
d'autre  objet  sensible  et  réel  que  le  cœur  de 
Jésus  plein  d'amour  pour  nous 

De  tous  ces  principes  il  est  facile  de  con- 
clura; en  second  lieu  que  le  culte  rendu  au 
cœur  de  Jésus  n'a  pas  seuleuieut  pour  objet 
le  cœur  sensible  de  Jésus,  mais  qu'il  tend 
principalement  à  nous  rappeler  l'amour  qui 
l'enllamme  à  l'égard  des  hunnnes. 

Et  voilà  précisément  sur  quoi  l'Eglise  nous 
invite  aujourd'hui  à  réfléchir,  ce  que  l'E- 
glise nous  invite  à  rappeler,  à  honorer  d'un 
culte  spécial;  car,  n'en  douions  [)as,  voilà 
l'oijjet  essentiel  du  culte  que  nous  rendons 
au  ea'ur  divin  de  Jésus;  voilà  ce  dont  nous 
instruit  le  souverain  pontife  dans  la  bulle 
d'instiiution  de  lu  fête  du 'Sacré-Cœur.  Nous 
désirons,  dit-il,  que  tous  les  fidèles,  sous  le 
symbole  de  ce  cœur  sacré,  honorent  jilus 
alfectueusement  l'aujour  de  Jésus  soullrant 
pour  nous,  et  instituant  pour  nous  le  sa- 
crement de  son  corps.  Voilà  le  culte,  la  so- 
lennité que  semblait  désirer,  annoncer  le 
saint  concile  de  Trente,  lorsque  avec  l'A- 
jiôlre  il  conjurait  tous  les  chrétiens  par  les 
entrailles  de  la  miséricorde  divine  de  rap- 
peler fréquemment  le  souvenir  de  l'amour 
de  Jésus  pour  eux  ;  voilà  enfin  ce  que  nous 
crie  la  religion  tout  entière  ,  puisque  la 
vérité  capitale  élémentaire  de  noire  foi  c'est 
que  nous  sommes  à  Dieu  et  que  Dieu  est  à 
nous  uniquement  par  les  mérites  et  l'a-mour 
du  JébUS:  Per  Chrislum,  Uominum  nostrum. 

Alais  cet  amour  de  Jésus  quo  nous  rappe- 
lons aujourdiiui,  en  célébrant  la  fétc  de  s"on 
cœur,  esl-il  donc  bien  véritable  et  sincère? 
Oui,  mes  frères,  oui,  n'en  douions  pas,  Jé- 


sus a  aimé  les  hommes,  et  c'est  par  son 
amour  que  nous  possédons  tous  les  biens 
dans  l'orilro  du  salut.  Jésus  a  aimé  les 
honniies,  mais  comment  les  a-t-ils  aimés  ? 
Sa  gloire  et  son  bonheur  dépendaient-ils  de 
son  amour?  Non.  |)uissance,  grandeur,  gloi- 
re et  bonheur,  tout  était  dil  à  son  huma- 
nité sainte,  étroitement  unie  à  la  personne 
adorable  du  Verbe.  Le  bonheur  des  hommes 
rachetés  et  sauvés  par  les  souffrances  de 
Jésus,  ne  pouvait  et  no  devail  lui  procurer 
qu'une  gloire  accidentelle  dont  la  [irivation 
n'eût  diminué  en  rien  sa  gloire  essentielle 
et  son  essentiel  bonheur.  Jésus  eût  été  grand 
et  heureux  sans  nous,  et  cependant  il  désire 
nous  rendre  heureux,  aussi  ardemment. rfue 
si,  sans  nous  il  n'eût  pu  l'être;  voilà  la  no- 
blesse de  son  amour,  le  plus  libre,  le  plus 
désintéressé  et  le  plus  pur  qui  fut  jamais. 
Oblaius  est  quia  ipse  voluil.  {Isa.,  LUI,  7.) 

Jésus  a  aimé  les  hommes,  mais  comment 
les  a-t-i!s  aimés?  La  divinité  qui  habitait  en 
lui  laissait-elle  un  libre  cours  aux  senti- 
ments de  l'humanité  ?  Aimait-il  eommo 
nous  aimons?  Oui, oui,  sans  doute,  répond 
saint  Paul;  le  pontife  qui  nous  a  été  donné 
a  voulu  passer  par  toutes  nos  épreuves 
pour  compatir  à  toutes  nos  infirmités,  et 
par  là  nous  aimer  plus  alfectueusement. 
[Hebr.,  IV,  15.)  En  effet,  la  compassion  est  lo 
plus  tendre  sentiment  dont  le  cœur  humain 
puisse  être  modifié  ;  elle  suppose  la  ressem- 
blance, elle  est  un  luélange  de  douleur  et 
d'amour  ;  c'est  l'amour,  souffrant  tous  les 
maux  de  la  personne  aimée.  Jésus  en  éprou- 
va donc  pour  nous  les  émotions  attendris- 
santes ;  il  les  éprouva  comme  nous,  et  raille 
fois  plus  vivement  que  nous;  voilà  la  ten- 
dresse de  son  amour.  Tentatum  per  omnia  nt 
possil  compati  infirmilalibus  noslris.  (Ibid.) 

Jésus  a  aimé  les  hommes,  mais  comment 
les  a-l-ils  aimés?  Sa  compassion  pour  nous 
n-t-elle  été  indolente  et  stérile  comme  elle 
l'est  si  souvent  dans  nous  pour  les  maux 
de  nos  semblables?  Non:  mais  la  plus  agis- 
sante qui  fut  jamais;  car,  s'il  est  De  l'essen- 
ce de  ce  sentiment  de  faire  désirer  la  fin  des 
maux  de  celui  qu'on  aime,  la  perfection  de 
ce  sentiment  consiste  à  se  charger  des  maux 
de  celui  qu'on  aime  pour  l'en  délivrer.  Or, 
Jésus  a  été  blessé  pour  nous,  il  a  porté  nos 
iniquités,  nos  langueurs  et  nos  douleurs; 
voilà  riiéroismo  de  son  amour:  Languores 
nostros  ipselulil.  {Isa.,  LUI,  4.) 
•  Jésus  a  aimé  les  hommes,  mais  comment 
les  a-l-il  aimés?  Dans  l'ordre  éternel  des 
décrets  divins,  les  ignominies,  les  tourments, 
la  mort  et  la  moitde  la  croix  étaient  né- 
cessaires pour  sauver  les  hommes.  Jésus, 
en  so  soumettant  librement  à  cet  ordre  ri- 
goureux, s'y  est  soumis  non-seulement  avec 
résignation,  mais  avec  joie,  parce  qu'il  s'y 
est  soumis  avec  amour,  et  que  l'amour  sait 
faire  aimer  jusqu'aux  douleurs  que  l'on 
soulfre  pour"  ce  que  l'on  aime  ;  voilà  la 
générosité  do  son  amour  :  l'roposito  gau- 
dio  suslinuil  cruceni.  {Hebr. y  Xll,  2.) 

Jésus  aime  les  hommes,  mais  en  les  ai- 
mant met-il  à   son  amour  des  restrictions 


in 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


8S3 


odieuses?  n'aurait-il  élé  le  Sauveur  que  d'un 
[lelii  nombre  en  laissant  tous  les  autres 
dans  la  cruelle  incertitude  s'il  les  a  aimés. 
Non,  il  a  été  le  Sauveur  de  tous  ;  il  a  désiré 
sincèrement,  ardemment  le  salut  de  tous;  il 
a  voulu  souffrir  et  mourir  pour  tous:  Snlva- 
tor  omnium  pro  omnibus  mortausest.  (11  Cor. 
V,  15.)  Voilà  l'universalité  de  son  amour. 

Jésus  aima  les  hommes,  mais  quels  hom- 
mes I  Ah,  chrétiens  !  si  l'amour  a  quelque- 
fois donné  au  monde  le  spectacle  attendris- 
sant et  sublin)e  des  sujets  immolés  pour 
leur  roi,  des  rois  dévoués  pour  leurs. sujets, 
des  amis  pour  leurs  amis,  des  pères  pour 
des  enfants,  des  enfants  pour  des  pères  ; 
toutes  ces  victimes  amoureuses  avaient  du 
moins  la  consolation  de  mourir  pour  des 
cœurs  reconnaissants  ;  elles  portaient  au 
milieu  de  leurs  sacrifices  la  douce  consola- 
tion d'être  .aimées;  mais  mourir  pour  des 
ingrats  qui  "ne  répondent  à  tant  d'amour  que 
par  l'indilférence  et  l'outrage;  pour  des  in- 
grats dont  l'ingratitude  doit  rendre  un  jour 
inutiles  les  désirs  du  plus  tendre  amour  ; 
un  tel  sacrifice  était  réservé  à  Jésus,  et 
voill),  voilà  l'excès  de  son  amour  :  Vix  pro 
jiislo  quis  morilur.  {Rom.,  Y,  7.) 

C'est  ainsi  que  Jésus  aima  les  hommes 
durant  le  cours  de  sa  vie  mortelle!  Mainte- 
nant son  amour  est-il  ra'.enli  ou  éteint?  et 
triomphant  dans  le  ciel,  a-t-il  oublié  des 
frères  si  tendrement  chéris  sur  la  terre? 
Ah!  loin  de  nous  une  telle  pensée!  Jésus 
est  toujours  le  même;  recueillons  de  sa 
bouche  les  preuves  de  son  amour  toujours 
subsistant.  Il  est  monté  dans  le  séjour  de 
sa  gloire,  plus  occupé,  ce  semble,  de  notre 
bonheur  que  du  sien  ;  il  est  allé  nous  y  |iré- 
parer  des  places.  Vado  parare  vobis  locum. 
(Joan.,  XIV,  2.)  11  veut  que  là  où  il  est,  là 
s(denl  avec  lui  ceux  qu'il  aime:  Volo  ut  ubi 
sumego etUli sintmecum.  (7oaM,,XVll,24.)  La 
gloire  qu'il  a  reçue  de  son^Père,  il  faut  qu'il  la 
fasse  rejaillirsurses  frères  '  Charilnîem  quam 
dedislimiliidedieis.{Ibid.,'2'î.}L'umonéUoile 
l'union  d'amour  qu'il  y  a  entre  son  Père  et 
lui,  il  veut  l'établir  entre  son  Père  et  nous  : 
Ut  sinl  unum  sicut  et  nos  unum  sumus.  [Ibid., 
11.)  C'est  pour  nous  qu'il  se  présente  sans 
cesse  .à  ce  Père  céleste;  c'est  pour  nous  qu'il 
olî're  sans  cesse  le  prix  de  son  sang  une  fois 
ré{iandu,  c'est  pour  nous  qu'il  prie;  c'est 
notre  cause  qu'il  plaide.  11  sollicite  les  com- 
passions divines  pour  nos  misères,  les  se- 
cours liour  notre  faiblesse,  le  pardon  pour 
nos  offenses;  il  nous  montre  les  couronnes 
et  les  trônes  qui  nous  attendent  à  ses  côtés; 
bou  bonheur  ne  sera  parfait  que  lorsqu'il  le 
partagera  avec  nous:  Apparet  vuUui  Dei  pro 
nabis..  {Weir.,lX,24^),  inlerpellut  pro  nobis.. 
{Rom.,  VIII,  3'*];  uUvocatuin  habemus  apud 
Palrcm...  (1  Joun.,  11,  i);  dabo  vobis  sedere 
mecum,  {Matth..>  XiX,  28.) 

Tant  de  preuves  et  de  témoignages  au- 
raient sufli  sans  doute  pour  un  amour  autre 
que  celui  de  Jésus;  mais  pour  Jésus  tant 
de  témoignages  et  de  preuves  étaient  in- 
suflisantes  encore.  Sur  la  lin  de  sa  vie  mor- 
telle,  obligé  de  retourner  bientôt  au  ciel 


qui  l'appelle,  dans  quelle  alternative  la  loi 
nous  ref)résente  placé  ce  tendre  et  divi;T 
Sauveur!  S'il  diffère  d'aller  à  son  Père  pour 
rester  parmi  les  hommes,  l'amour  lilia!  gé- 
mira de  ces  délais  ;  s'il  se  hâte  de  quitter 
les  hommes  pour  aller  à  son  Père,  l'amoup 
fraternel  gémira  de  l'absence.  Comment 
accorder  ces  deux  intérêts  0|)posés?  Jésus 
accordera  l'un  et  l'auire.  0  adresse  ineffa- 
ble !  ô  admirable  invention  de  l'ingénieuï 
amour!  Jésus  retournera  à  son  Père  sans 
quitter  des  frères  qu'il  aime.  Ce  Jésus  assis 
au  plus  haut  des  cieux  ,  par  un  [irodige 
inconcevable,  se  rendra  sans  cesse  présent 
sur  la  terre  en  mille  endroits  divers  à  la 
fois;  il  fixera  au  milieu  des  hommes  le  sé- 
jour de  son  repos.  Si  sa  présence  n'y  est 
pas  sensible,  elle  n'en  sera  pas  moins  douce 
ni  moins  consolante.  Si  les  voiles  d'un  sa- 
crement envelopfient  sa  gloire,  l'araourse 
dévoilera  par  des  bienfaits.  C'est  dans  ce 
sacrement  d'amour  qu'il  converse  avec  ses 
frères,  qu'il  les  voit  et  les  contemple,  pour 
ainsi  dire,  de  plus  près. C'est  là  qu'il  écoute 
leurs  plaintes,  reçoit  leurs  confidences, 
essuie  leurs  larmes  avec  des  attentions 
plus  que  maternelles  ;  c'est  là  qu'il  leur 
parle  seul  à  seul  avec  une  ineflable  fami- 
liarité, qu'il  prend  plaisir  h  reposer  sur 
leurs  cœurs,  (ju'il  s'unit  à  eux  f)ar  les 
nœuds  les  [)lus  étroits  et  les  plus  sacrés  do 
la  nature  et  de  la  grâce. 

0  vous  donc,  mes  amis  et  mes  frères  ! 
venez  à  moi  ;  vos  douleurs  m'attendrissent  ; 
je  désire  les  soulager:  Venite  ad  me  omnes 
qui  laboralis.  [Mallh.,  XI,  28.)  V^euez  cher- 
cher auprès  de  moi  des  consolations;  ve- 
nite, venez  me  trouver  dans  les  temples 
oij  je  réside,  faites  ce  premier  pas.  Puis-e 
moins  exiger  de  votre  amour?  Venez,  et 
vcius  reconnaîtrez  bientôt  que  je  ne  vous 
appelle  pas  en  vain.  Mille  autres  l'ont 
éprouvé  avant  vous  ,  éprouvez-le  après 
eux.  Non  ,  jamais  ,  jamais  un  de  mes  frères 
ne  viendra  me  confier  ses  peines  ,  ses  fai- 
blesses ,  ses  craintes,  dans  le  silence  de 
mon  sanctuaire,  qu'il  ne  s'en  retourne  ras- 
suré, fortifié,  consolé  :  Venite  adme  omnes... 
et  ego  reficiamvos. 

Ah!  lorsque  vous  ne  pourrez  plus. venir 
à  moi ,  lorsque  les  langueurs  de  la  maladie 
ou  de  la  mort  vous  en  tiendront  éloignés  , 
ne  craignez  pas  que  je  vous  abandonne. 
Alors  j'irai,  j'irai  moi-même  à  vous  ;  j'or- 
donnerai aux  ministres  dépositaires  du  sa- 
crement de  mon  amour  de  ne  consulter  que 
mon  amour  et  d'oublier  ma  dignité;  j'irai 
soutenir  un  ami  souffrant  et  abattu;  j'irai 
donner  le  baiser  de  paix  à  un  frère  expi- 
rant; je  m'approcherai  du  lit  de  ses  dou- 
leurs ;  je  me  reposerai  sur  ses  lèvres  mou- 
rantes ;  je  recueillerai  ses  derniers  soujùrs  ; 
je  consolerai  ses  derniers  instants  ;  je  lui 
dirai  :  Chrétien  ,  mon  frère ,  racheté  de  moa 
sang,  ne  crains  rien  ,  je  suis  avec  toi.  Laisse 
laisse  tomber  sans  regret,  sous  les  coups 
de  la  mort,  celte  chair  de;  péché  qui  t'en- 
vironne ;  je  saurai  te  la  rendre  un  jour 
triomphante  et  réparée;  je  lui  imprime  ac- 


8J9 


SERMONS.  —  IV,  SUR  LE  COEUR  DE  JESUS. 


8'JO 


luellomenl,  par  ma  cliair  divine,  le  sceau 
de  la  lésiirreclioii  glorieuse.  Pour  ton  Amo, 
remets-là  entre  mes  mains  ;  ce  sont  les 
mains  d'un  tendre  frère,  d'un  ami  le  plus 
aimant  1  Ah  I  se  cliangerait-il  pour  toi  en  un 
I  jugo  inflexible  ?  Non  ;  jo  la  protège  cette 
âme,  je  la  défends;  elle  m'appartient,  elle 
m'a  tant  coulé  ;  je  la  garde  pour  la  vie  éler- 
nello. 

O  Jésus  !  tels  et  mille  fois  pjus  tendres 
encore  sont  les  sentiments  de  votre  amour  ! 
puisse,  du  moins  la  faiblesse  de  mes  ex- 
pressions en  faire  concevoir  une  légèie 
idée  !  O  amour  do  Jésus  pour  leshomnu'S; 
amour  sans  modèle  comme  sans  imitateur; 
amour  pur,  noble,  désintéressé;  amour  ar- 
dent, actif,  généreux  ,  tendre,  compalis- 
saiit,  libéral,  universel,  patient,  constant, 
invincible  1  Disparaissez,  transports  des  pas- 
sions humaines,  emportements,  délires  de 
l'amour  criminel  I  toules  vos  ardeurs  sont 
glacées ,  comparées  au  saint  amour  de  Jésus 
pour  des  frères  rachetés  de  son  sang,  nour- 
ris de  sa  chair,  appelés  à  sa  gloire. 

La  sainteté  du  culte  rendu  au  corps  sacré 
de  Jésus  considéré  dans  son  objet ,  nous 
venons  de  le  voir;  nécessité  de  ce  culte 
considéré  dans  sa  lin  ,  sujet  de  mon  second 
point. 

SECOND  POINT. 

S'il  est  incontestable  que  la  religion  n  ad- 
met proprement  aucune  singularité,  au- 
cune nouveauté  en  genre  de  culle  ,  il 
n'est  pas  moins  certain  qu'elle  exige  et 
commande  quelquefois  un  renouvellement 
de  ferveur  dans  le  cœur  de  ses  enfants 
rour  certains  senlimenls  de  la  piété  chré- 
tienne ,  et  c'est  là  d'ordinaire  ce  que 
se  propose  l'Eglise  parll'institution  des  nou- 
velles solennités.  Elle  s'est  donc  proposé 
une  tin  semblable  en  instituant  la  fête  de  ce 
jour. 'Quelle  est  celle  fin?  Plusieurs  l'ont 
confondue  avec  celle  que  l'Eglise  se  pro- 
l»ose  dans  la  fête  du  corps  de  Jésus-Christ , 
et  sans  doute  ils  se  sont  trompés.  S'il  eu 
était  ainsi ,  le  reproche  d'inutilité  faile  à  la 
fêle  du  cœur  de  Jésus  serait  fondé;  mais 
non,  mes  frères,  non.  La  fin  de  ces  deux 
fêles  est  parfaiieraent  distinguée;  la  pre- 
mière est  S|)écialement  rétablie  pour  rani- 
n;er  notre  foi  en  la  présence  réelle  de  Jésus- 
Christ  dans  le  sacrement  de  nos  autels;  la 
seconde  a  une  fin  plus  générale,  et  en  un 
certain  sens,  plus  louchante  encore;  elle 
est  singulièrement  destinée  à  ranimer  parmi 
les  fidèles  un  plus  ardent  amour  pour  Jé- 
sus. Ainsi  nous  l'apprend  le  souverain  Pon- 
tife dans  les  paroles  que  nous  avons  déjà 
citées. 

Mais  pourquoi  exiger  aujourd'hui  plus 
qu'en  un  autre  temps  ce  renouvellement, 
Cet  accroissement  d'auiour  pour  Jésus  dans 
les  cœurs  fidèles?  Ah,  mes  frères  1  pour- 
(|uoi  ?  parce  que  l'amour  des  hommes  pour 
Jésus  languit  aujourd'hui,  s'affaiblit,  s'éteint 
plus  que  jamais  dans  tous  les  ea'urs.  Voilà 
la  raison  fatale  el  trop  véritable  (juia  rendu 
cp.ite  nriiivelii'. ivûluuuité  et  le  culle  qui,  lui 


esl  propre  comme  indispensabîemenl  né- 
cessaires. Entrons  dans  la  jKreuve.  Après  les 
louchantes  images  qui  nous  ont  occupés 
jusqu'ici  en  nous  peignant  ce  que  Jésus  a 
été  pour  les  hommes,  et  ce  qu'il  est  encore, 
considérons  maintenant  ce  queles  hommes 
sont  pour  Jésus,  et  ce  lugubre  tableau  nous 
prouvera  la  nécessité  indispensable  de  la 
solennité  qui  nous  rassemble. 

Laissons  à  part  les  peuples  infidèles  as- 
sis à  l'ouibre  de  la  mort,  les  peuples  héré- 
tiques sé|)arés  du  corps  mystique  de  Jésus- 
Christ;  «irrôtons  nos  yeux  sur  ce  qui 
nous  environne  et  nous  touche  de  plus 
[très,  sur  les  chrétiens  placés  dans  le  sein 
de  la  véritable  Eglise.  Quels  sont-ils  ces 
cœurs  chrétiens  pour  Jésus  depuis  près 
d'un  siècle?  La  plupart  vivent  dans  un  ou- 
bli profond  do  Jésus,  dans  une  indifférence 
fjerpétuelle  pour  ses  bienfaits,  et  s'ils  ne 
l'ont  point  encore  renoncé  de  jbouche,  ils 
le  renoncent  fous  les  jours  par  leurs  actions; 
Faclis  negant.  {Tit.,\,  16.)  A  peine  Jésus 
voit-il  un  petit  nombre  d'àmes  vraiment 
fidèles  comme  perdues  dans  la  foule,  lous 
les  autres  ne  lui  olfrent  que  des  cœurs  in- 
constants, partagés  sanscesseentre  quelques 
vertus  é(iuivoques  et  mille  infidélités  trop 
certaines;  voilà  l'état  du  christianisme 
parmi  nous  de|iuis  près  d'un  siècle. 

Mais  si  parun  ceux  qui  ont  conservé  la 
foi  il  en  est  si  peu  qui  soient  ddèlemenl  atta- 
chés à  Jésus,  que  sera-ce  donc  de  ceux  qui 
l'ont  perdue?  Adorable  et  tendre  Sauveur  1 
tandis  que  tant  de  cœurs  ingrats  vous  ou- 
blient, faut-il  encore  qu'il  y  ait  sur  la  leire 
des  cœurs  qui  ne  vous  ont  connu  que  pour 
se  sépar^ir  de  vous,  vous  outrager  et  vous 
haïr  ? 

Ah  1  mes  frères,  le  nombre  n'en  est  que 
trop  grand  1  voilà  le  triste  et  lamentable 
malheur  de  notre  siècle,  trop  éclatant  pnur 
le  cacher,  et  qui  demanderait  des  larmes 
de  sang  pour  être  dignement  pleuré.  Oui, 
le  christiauismeparmi  nousesl  actuellement 
infecté  d'un  peu|)le  d'ennemis  de  Jésus  qui, 
par  des  apostasies  ouvertes,  déclarées,  d  ac- 
tions, d'écrits  et  de  discours,  rompent  lous 
les  nœuds  qui  les  attachent  à  Jésus  et  dont 
les  mains  sacrilèges  ne  lancent  pas  un  seul 
trait  contre  notre  religion  sainte,  qu'il 
n'aille  retomber  nécessairement  et  direc- 
tement sur  Jésus  son  divin  auteur,  outra- 
ger sa  dignité  et  blesser  son  amour.  Jamais, 
non  jamais  le  Sauveur  que  nous  adorons 
n'a  été  plus  indignemonl  outragé  qu'il  l'est 
sous  nos  yeux.  Les  hérésies  ont  altéré  sa 
doctrine,  il  est  vrai,  mais  il  n'en  est  au- 
cune qui  n'ait  respecté,  du  moins  en  quel- 
(lue  ciiose,  sa  personne  sacrée  :  |)Our  les 
ennemis  dont  je  parle,  Jésus  n'est  plus  ri>  n. 
Les  païens  persécutaient  Jésus  dans  ses 
membres,  c'étaient  des  aveugles,  criminels 
sans  doute,  qui  outrageaient  ce  qu'ils  au- 
raient pu  connaître,  mais  qui  a[irès  tontine 
le  connaissaient  pas.  Ici  ce  sont  des  hommes 
éclairés,  élevés  dans  la  loi  de  la  divinité  de 
Jésus,  eiivirormés  des  preuves,  des  lémoi- 
luo'ii'iiiijei  qui   l'atleslent,  c'est  donc  do 


SOI 


ORATEURS  SACRES.  RIBIEK. 


802 


leur  pnrl  une  défeclion  oulraseaute  môrquée 
de  tous  les  traits  de  l'iugralitiide  et  du  mé- 
pris. Au  milieu  des  pt^rséculions  des  pre- 
miers siècles,  Jésus  vit  des  apostasies  arra- 
chées par  la  faiblesse  et  la  crainte,  d'ordi- 
naire démenties  par  le  cœur  et  bientôt  ré- 
tractées. Parmi  nous  ce  sont  des  apostasies 
inspirées  par  la  corruption,  parfaitement 
libres,  réfléchies,  soutenues  dont  on  fait 
gloire  couime  d'une  force  de  raison.  Ras- 
semblons, réunissons  toutes  les  circons- 
tances, plus  nous  y  réfléchirons,  plus  nous 
serons  convaincus  que  depuis  la  naissance 
du  christianisme,  le  cœur  amoureux  de  Jé- 
sus n'a  jamais  reçu  de  la  part  des  hommes 
de  plus  sanglantes  blessures.  Depuis  près 
d'un  siècle  l'impiété  a  vomi  contre  Jésus 
plus  de  blasphèmes  que  seize  siècles  n'(;n 
avaient  entendu  ;  depuis  une  centaine  d'an- 
nées, nous  avons  vu  renouvelés,  dans  un 
certain  nombre  d'écrits  alfreux,  ces  traits 
bizarres  d'une  infernale  rage  pour  Jésus, 
que  l'on  ne  trouvait  à  travers  seize  siècles 
que  dans  un  Julien  l'Apostat.  Dans  quel- 
ques ouvrages  plus  sacrilégemenl  impies, 
ces  blasphèmes  contre  Jésus  sont  allés  jus- 
qu'à une  espèce  de  délire  et  de  fureur  sans 
exemple. 

Je  ne  parle  de  ces  horreurs  qu'en  frémis- 
sant, et  vous  ne  pourriez,  chrétiens,  les  en- 
tendre sans  frémir;  mais,  d'après  ces  lugu- 
bres couleurs,  je  m'adresse  maintenant,  se- 
lon l'esprit  de  l'Eglise,  à  des  cœ'urs  ver- 
tueux, à  vous  tous,  mes  frères,  qui  con- 
servez encore  et  de  la  foi  et  dej'amour  pour 
Jésus.  Vous  voyez  les  outrages  que  l'on  fait 
à  Jésus  ;  ces  outrages  vous  aliligent.  Kh  ! 
([uoi,  nous  en  lienilions-nous  h  une  afllic- 
lion  religieuse,  à  la  vérité  ,  mais  d'ailleurs, 
secrète  ei  stérile,  sans  elfel  comme  sans 
éclat?  Qu'un  père  bienfaisant  et  tendre 
trouve  parmi  ses  enfants' un  cœur  ingrat  et 
rebelle,  quel  sera,  je  vous  le  demande,  le 
devoir  de  ceux  qui  lui  resteront  hdèlcs  et 
soumis?  Leur  suflira-t-il,  en  ne  prenant  au- 
cune part  à  la  révolte  de  leurs  frères,  de 
la  contemplerd'ailleurs  d'un  œil  sec  et  tran- 
quille? Ne  sera-ce  pas  à  eux  de  réunir  au- 
tour de  ce  père  outragé  et  aliligé  leurs 
cœurs  reconnaissants,  de  le  consoler  dans 
son  atlliclion,  de  s'ciflliger  avec  lui  sur  l'in- 
gratitude de  leur  frère  et  de  le  dédomma- 
ger |)ar  un  redoublement  de  zè'e,  de  lidé- 
iité,  de  service  el  d'amour?  Eli  bien,  nies 
frères,  voilà  précisément  ce  que  Jésus  nous 
demande  dans  la  fête  de  son  cœur.  Du  haut 
du  ciel  où  il  règne,  de  nos  tabernacles  sa- 
crés oij  il  repose  ;  ce  tendre  Sauveur  nous 
adresse  aujourd'hui  ces  amoureuses  plaintes 
comme  autrefois  par  la  bouche  du  pro- 
phète... O  vous,  mes  adoraieurs  et  mes  su- 
jets flJèles,  soyez  sensibles  à  ma  juste  dou- 
leur! j'ai  élevé  des  enfants  avec  des  soins 
paternels  :  Filios  enutrivi ;  \q,  les  ai  portés 
dans  mes  bras,  je  les  ai  placés  dans  le  sein 
do  mon  Eglise,  je  les  ai  marqués  liu  sceau 
de  mon  ba[)tômo  et  de  mon  amour,  et  les 
ingrats  ont  méconnu  ma  tendresse,  profané 
mes  bienfaits  :  je  no  trouve  dans  îes  uns 


que  froideur,  oubli ,  indifférence  :  je  ne  re- 
çois des  autres  que  mépris  et  outrages  : 
Ipsi  aulem  spreverunt  me.  (/sa.,  I,  2.)  Dans 
l'aflliction  que  leur  ingratitude  me  cause, 
je  cherche  des  consolateurs.  N'en  Irouve- 
rais-je  point  ?  Consolatorem  quœsivi.  (/sa., 
LXIII,  5.)  L'amour  aflligé  n'est  bien  con- 
solé que  par  l'amour;  c'est  aux  enfants  qui 
me  restent  à  me  consoler  de  ceux  que  j'ai 
perdus.  Rassemblez-vous  donc  troupes  zé- 
lées et  fidèles  au  signe  de  ce  cœur  qui  vous 
a  si  teodi'emeiit  aimées  ;  offrez  à  ce  cœur 
attendri  sur  vous,  blessé  pour  vous,  brû- 
lant encore  pour  vous  d'éclatants  et  publics 
hommages,  qu'il  y  ait  des  jours  consacrés 
parmi  vous  pour  apprendre  à  mes  ennemis 
que  mes  bienfaits  sur  la  terre  trouvent  en- 
core des  cœurs  sensibles  et  reconnaissants. 

Tels  sont,  'chrétiens,  les  plaintes  et  les 
invitations  de  ce  Dieu  Sauveur;  répondre 
à  ces  invitations,  voilî»  la  On  véritable  de 
cette  solennité,  voilà  {l'esfjrit  de  ce  culte 
qui  lui  est  propre;  c'est  un  culte  d'aïuour 
et  de  ré|)aration  ;  et  voilà  en  même  tem[)S 
ce  qui  nous  fait  comprendre  et  bénir  la  sa- 
gesse de  l'Eglise  dans  rap|)robalion  nou- 
velle, et  plus  authentique  d'un  culte  de- 
venu, oui  devenu  nécessaire  dans  le  siècle 
malheureux,  dans  les  circonstances  déplo- 
rables, oij  nous  nous  trouvons. 

C'est  donc  à  nous,  chrétiens,  qui  voyons 
le  mal,  pour  ainsi  dire,  à  son  dernier  excès 
et  les  moyens  de  réparation  solennellement 
autorisés,  c'est  à  nous  d'entrer  dans  des 
vues  si  saintes  ;  c'est  à  nous,  s'il  nous  reslo 
une  étincelle  île  foi  et  d'amour,  de  nous 
déclarer  ses  consolateurs  iidèles,  en  nous 
déclarant  des  adorateurs  de  son  cœur;  c'est 
à  nous  de  nous  souvenir  d'une  réponse 
que  faisaient  nos  pères  aux  sectateurs  de 
Calvin,  lorsque  ceux-ci  leur  reprochaient 
comme  une  nouveauté  les  honneurs  pom- 
peux rendus  5  Jésus-Christ  dans  la  fêle  de 
son  corps.  Sans  doute,  leur  disaient-ils, 
cela  est  nouveau,  et  il  le  faut  bien,  [)uis- 
que  ce  Dieu  Sauveur. reçoit  par  vous,  dans 
ce  sacrement,  des  outrages  inconnue  aux 
premiers  siècles  ;  il  faut  lui  faire  un  triom- 
phe que  les  premiers  siècles  ne  connurent 
pas.  Ainsi,  lorsqu'on  nous  demande  :  Pour- 
quoi un  culte  singulier,  public,  éclatant  au 
cœur  de  Jésus  et  à  son  amour?  Répondons  : 
Parce  que  son  amour  est  singulièrement 
affligé,  universellement  oublié,  publique- 
ment et  insolemment  oulragé. 

A  ces  motifs  généraux  en  ajoulerai-je, 
chrétiens,  qui  nous  sont  personnels  ?  C'est 
dans  le  sein  de  notre  France,  vous  le  savez, 
que  Jésus  fit  naître  et  approuver  d'abord 
ce  culte  affectueux  offert  à  son  cœur  ;  pour- 
quoi? parce  que  dans  le  soin  de  notre 
France  il  devait  trouver  plus  d'ingratitude, 
de  noirceurs  et  de  haine.  Oui,  mes  frères, 
nous  sommes  forcés  do  le  dire,  c'est  parmi 
nous  surtout  que  la  piété  et  la  foi  se  sont 
si  fort  allaiblies,  c'est  parmi  nous  que  Jésus 
a  été  plus  oublié,  plus  outragé.  11  y  a  plus 
encore,  c'est  par  nous,  par  le  scandale  de 
nos  exemples  (jue  le  mal  a  infecté  les  peu- 


Si)3 


SERMONS.  —  lY,  SUU  LE  CŒUR  DE  JESUS. 


894 


j)lc'S  qui  nous  environnent  :  c'est  l;i  conta- 
gion de  nos  mœurs  qui  a  répandu  dans  \'Ea- 
ropo  catholique  un  esprit  d'irréligion,  d'ira- 
piété.  Ce  sont  nos  livres  malheureux  qui, 
sous  le  prétexte  d'une  littérature  plus 
recherchée,  vont  semer  jusqu'aux  extré- 
mités ..lu  monde  le  poison  et  la  mort  des 
times,  enlever  à  Jésus  des  adorateurs  et  lui 
susciter  des  ennemis.  Depuis  près  d'un 
siècle,  nous  le  disons  avec  la  douleur  la 
f)ius  profonde,  la  France  est  couverte  d'An- 
lechrists  ;  c'est  donc  à  nous  (|u'esl  singu- 
lièrement imposé  le  devoir  de  consoler 
Jésus  des  outrages  dont  nous  sommes  les 
témoins,  dont  nos  concitoyens,  nos  amis, 
nos  parents,  nos  frères  peut-être,  sont  les 
couiplices  ou  les  autours?  C'est  à  nous,  en 
cotisoinnt  Jésus  de  l'apaiser,  de  solliciter 
auprès  de  lui,  pour  les  ingrats  même  qui 
l'outragent,  le  pardon  et  la  grâce  dont  son 
coîur  bienfaisant  est  la  source  intarissa- 
ble. 

Faut-il  pour  nous  y  animer  des  exem|)les 
touchants  ?  le  ciel  nous   les  a  prodigués. 
L'Église  do  France   plus  (lu'aucuno   autre 
Eglise  du  monde,  et  avant  et  après    noire 
all'reuse  révolution,  a  vu  ses  plus  illustres, 
ses  plussaints  évoques  autoriser, approuver 
le  "-ulte  du  cœur  de  Jésus,  le  propager  par 
leurs  exemples,  y  exhorter  par  leurs  dis- 
cours, le  défendre  par  leurs  écrits.    Nous 
avons  vu  et  nous  voyons  encore  tout  ce  que 
le  sanctuaire  comiile  parmi   nous  do  mi- 
nistres plus  fidèles,  tout  ce  que  le   cloître 
compte  d'âmes  plus  ferventes  et  plus  pures  ; 
tout  ce  que  le  monde  lui-aième,  tout  cor- 
compu  qu'il  est,  renferme  encore  de  cœurs 
sincèreuient  pieux,  se  déclarer  les  secta- 
teurs de  ce  culte  d'amour.  Nous  avons  vu 
une  de  nos  [villes  marquantes,  Marseille, 
[«r  des  supplications  solennelles  au  cœur 
compatissant  de  Jésus,  arrêter ,  détourner 
les  liéaux  de  la  peste;  nous  avons  vu  une 
pieuse  reine  dont    la    mémoire  sera   long- 
temps en  bénédiction,  porter  dans  l'assem- 
blée de  nos    pontifes  ses   tendres   vœux, 
réunis   à   ceux   de  ses    augustes    enfants, 
pour  la  gloire  du    cœur  de    Jésus.    Ainsi 
l'autel  et  le  trône  ont  concouru  parmi  nous 
à  la  propagation  de  ce  culte  sacré;  et,  puis- 
que aujourd'hui  nous  voyons,  malgré  les 
etlbrts  des  impies,  se  pro[)ager  et  se  répan- 
dre la  dévotion  au  cœur  de  Jésus,  es|)éions 
que  cette   dévotion  si   tendre  intéressera, 
louchera,  attenJiira    l'amour  de   Jésus  en 
notre  faveur.  Oui,  oui,  mes  frères,  le  cœur 
de  Jésus  protégea  dans  ce  royaume    et  le 
trône  et  l'autel  ;  il    sera   pour  la  France  le 
précieux  garant   du  renouvellement   de   la 
piété  et  de  la  foi.  Mais  poursuivons,  et  je 
dis,  si  le  culte  reritlu  au  cœur  sucré  de  Jésus 
e>l    nécessaire  |)our   réparer    l'ingratitude 
di-s  ^hommes  qui   l'oublient,  l'ingratitude, 
plus  odieuse  encore  de  ceux   qui  se  sépa- 
rent de  lui,  l'ingratitude  infernale  do  ceux 
u^ui   le  poursuivent  et   l'outragent,  il  n'est 
pas  moins  nécessaire,  pour  réveiller  le  sou- 
venir amoureux  de  Jésus,   pour  rallermn' 
l'uuiou  étroite  a\ec  Jésus,  pour  oïl'rir  des 


réparations  à  Jésus  ;  trois  devoirs  essentiels 
d'un  vrai  adorateur  de  son  cœur,  je  dis  : 
1°  nécessaire  pour  réveiller  le  souvenir  do 
Jésus  ;  souvenir  journalier,  fréquent  et  ha- 
bituel, est-il  donc  possible  do  passer  un 
seul  jour  sans  penser  à  ce  bon  Maître  1  Ah 
qu'un  tel  jour  peut  bien  être  apt)elé  un  jour 
perdu,  un  jour  malheureux  1  Non,  non;  il 
n'en  est  pas  ainsi  d'un  cœur  qui  aime  :  sa 
première  pensée  est  pour  Jésus  l'objet  do 
son  amour  ;  le  premier  elîorl  de  ses  lèvres 
est  pour  prononcer  son  saint  nom.  Cent 
fois  le  jour  il  répète  ce  nom  sacré;  il  ne  le 
répète  jamais  sans  douceur  et  sans  fruit  ;  il 
ne  le  perd  pas  de  vue  dans  ses  travaux,  et 
Jésus  lessanclilie ,  il  se  souvient  de  lui  dans 
ses  peines,  et  Jésus  les  adoucit;  il  ne  l'ou- 
blie pas  dans  ses  prospérités,  et  Jésus  les 
partage,  les  consacre,  les  modère.  Ah! 
qu'une  vie  passée  ainsi  dans  le  souvenir 
de  Jésus  est  honorable  et  douce  h.  ce  Dieu 
sauveur  I  qu'elle  le  console  etficacemeut  de 
l'oubli  des  cœurs  insensibles. 

Culte  nécessaire;  2°  pour  affermir  notre 
union  avec  Jésus;  union  intime  conser- 
vée, resserrée  par  une  participation  plus 
fréquente  au  sacrement  de  son  amour  :  un 
fidèle  adorateur  du  cœur  de  Jésus  n'écoute 
point  ces  principes  plus  apparents  que  so- 
lides. Quiconque  a  dans  le  cœur  un  amour 
habituel  pour  Jésus,  une  crainte  habituelle 
de  lui  déplaire  et  do  violer  sa  loi  ;  celui-là 
peut  et^doit  fréquemment  s'unir  à  Jésus  à 
la  table  sainte;  il  le  peut  parce  qu'il  aime; 
il  le  doit  pour  aimer  toujours  plus. 

Union  intime  avec  Jésus  conservée,  res- 
serrée par  de  fréquents  hommages  rendus  à 
ce  Dieu  sauveur  dans  les  tabernacles  paci- 
fiques où  il  repose  et  oii  il  est  délaissé.  Ua 
fidèle  adorateur  du  cœur  de  Jésus  vient  donc 
souvent  lui  faire  sa  cour;  il  sait  pour  ces 
visites  amoureuses,  pour  ces  tendres  confi- 
dences, il  sait  se  ménager  des  moments  fa- 
vorables, les  dérober,  s'il  le  faut  à  de  frivo- 
les plaisirs.  Un  fidèle  adorateur  vient  tou- 
jours déposer  dans  ce  cœur  compatissant 
seschagrins  et  ses  peines;  il  vient  le  con- 
sulter dans  ses  doutes;  l'implorer  dans  ses 
dangers,  calmer  aujjrès  de  ce  cœur  si  doux 
les  mouvements  tumultueux  des  passions 
qui  l'agitent;  il  vient  aussi  quelquefois, 
sans  intérêt  personnel,  conduit  par  le  seul 
amour,  s'attrister  et  gémir  des  outrages  que 
reçoit  ce  bon  Maître  :  et  cet  exercice  de  ré- 
paration appartient  surtout  en  propre  à  la 
solennité  et  à  la  dévotion  de  ce  culte. 

Culte  nécessaire  3'  pour  offrir  des  répa- 
rations à  Jésus.  Ah  I  mes  frères,  voulons-nous 
que  ces  tendres  réparations  aient  encore 
|)lus  de  ferveur  et  soient  f)lus  favorable- 
ment reçues?  Offrons-les  dans  un  saint 
concert,  réunissons-nous  pour  les  offrir. 
Vous  le  savez,  l'Eglise  n'a  pas  invité,  ex- 
horté en  vain.  Dans  tout  l'univers  catholi- 
que, Jésus  voit  aujourd'hui  dos  milliers 
d'adorateurs  fidèles,  rassemblés  régulière- 
ment avec  ses  anges  autour  de  son  cœur 
bienfaisant.  Partout  ces  fidèles  adorateurs 
forment  entre  eux  de  religieuses  sociétés, 


893 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


896 


dont  tons  les  nieniores  sont  animés  d'une 
sainte  émulation  pour  dédommager  et  con- 
soler Jésus  des  outrages  de  ses  ennemis. 
£h  bien!  entrons  dans  ces  sociétés  pacifi- 
ques. Que  Jésus  voie  votre  nom  inscrit 
parmi  les  noms  chéris  qui  font  profession 
dé  l'aimer  plus  ardemment.  Ayons  comme 
eux  et  avec  eux  nos  moments  déterminés 
et  marqués  d'adorations,  de  réparation  et 
de  prières.  Plût  au  ciel,  plût  au  ciel  que  ces 
pieuses  sociétés  fussent  aussi  mullipliécs 
qu'elles  sont  conformes  à  l'esprit  de  la  foi, 
aux  vœux  do  l'Eglise  qui  les  approuve  et 
ouvre  en  leur  faveur  le  trésor  de  ses  indul- 
gences et  de  ses  grâces. 

Avec  une  telle  approbation  pourrions- 
nous  redouter  la  censure  des  esprits  faux 
ou  celle  des  profanes  mondains?  El  oui 
sans  doute  nous  entendrons  les  uns  ou  les 
autres  répéter  d'un  ton  de  mépris  :  Encore 
des  associations,  encore  de  nouvelles  con- 
fréries? et  [lOurquoi  pas,  leur  répondrons- 
nous?  et  quelle  idée  fâcheuse  jtorte  donc 
avec  soi  ce  mot  d'association  ou  de  confré- 
rie ()Our  exciter  vos  superbes  dédains? 
Parmi  vous,  partisans  du  monde,  tout  n'est- 
il  pas  rempli  d'associations  diQérenles  for- 
mées par  la  frivolité,  la  vanité  ou  le  crime? 
N'avez-vous  pas  des  associations  pour  vos 
spectacles  dangereux,  pour  vos  assemblées 
oiseuses,  pour  vos  jeux  destructeurs,  pour 
vos  sciences  vaines  ?  et  il  nous  scia  défendu 
d'en  former  pour  la  religion  et  la  piété? 
Vous  condamnerez  dans  nous,  dès  qu'il  s'ii- 
gil  de  vertus,  ce  que  vous  approuvez  |)our 
vous-mêuje  dès  qu'il  s'agit  du  vice?  Allez 
donc,  censeurs  injustes,  allez  vous  enivrer 
de  plaisirs,  vous  étourdir  de  fracas  dans 
vos  sociétés  funestes,  nous  n'irons  pas  vous 
y  chercher.  Nous  ne  portons  pas  envie  à  l'é- 
clat de  vos  j&ies,  pourquoi  nous  envieriez- 
vous  nos  [lieuses  larmes?  Allez,  si  vous 
l'aimez  mieux,  chercher  dans  vos  théâtres 
un  enthousiasme  voluf)tueux  sur  de  fabu- 
leux héros  et  leurs  intorlunes  imaginaires, 
laissez-nous  un  attendrissement  [)lus  vrai 
et  plusjuste  que  le  vôtre,  et  malheureuse- 
ment pour  vous  trop  juste  et  trop  vrai; 
laissez-nous  nous  rassembler  autour  des  au- 
tels de  notre  Maître,  contempler  son  cœur 
bienfaisant  et  compter  les  plaies  que  vous 
lui  faites;  laissez-nous  considérer  Jésus  si 
grand  et  par  vous  si  peu  connu,  Jésus  si 
aimable  et  par  vous  si  peu  aimé,  Jésus  si 
présent  pour  vous  et  par  vous  si  abandonné, 
Jésus  si  occupé  de  vous  et  par  vous  si  ou- 
blié, Jésus  si  libéral  envers  vous  et  par 
vous  si  négligé,  Jésus  si  tendre,  si  compa- 
tissant, si  patient  et  par  vous  si  indigne- 
ment raéi)risé,  outragé,  persécuté;  laissez- 
nous  étudier  à  loisir  ces  contrastes  déplore- 
bles,  savourer  l'amertume  des  larmes  qu'ils 
font  répandre,  et  puissent  nos  cœurs,  eu 
les  répandant,  se  briser  de  douleur  et  se 
consumer  d'amour. 

Adorateurs  du  cœur  de  Jésus,  voilà  nos 
sentiments  et  nos  devoirs,  nos  exercices  et 
nos  hommages,  voilà  la  lin  principale  des 
sociétés  (}ue  nous  formons  ;  voilà  le  nœud 


qui  les  unit  ces  sociétés  si  douces;  voilà 
l'esprit  qui  les  anime  et  le  caractère  qui  les 
distingue.  Veuille  donc  le  ciel,  je  le  répète, 
malgré  la  prévention  et  ses  censures,  mal- 
gré le  monde  est  ses  mépris,  veuille  le  ciel 
multiplier  de  plus  en  plus  ces  pieuses  so- 
ciétés et  leurs  fidèles  sectateurs.  Veuille  le 
ciel  exaucer  les  vœux  que  j'en  forme  en  ce 
moment  1  Puissions-nous  voir  ,  chrétiens, 
dans  toute  l'étendue  de  TEglise,  au  sein  de 
chaque  église  particulière,  puissions-nous 
voir  pariout,  comme  on  le  voit  avec  atten- 
drissement et  édification  dans  celte  paroisse, 
s'élever  un  sanctuaire  de  réparation  et  d'a- 
mour, un  autel  spécialement  consacré  au 
cœur  de  Jésus  et  à  son  amour  !;Puissions- 
nous  voir  briller  dans  ce  sanctuaire  choisi 
tous  les  attributs  de  l'amour  de  Jésus  ! 

Puissé-je  mériter  de  remplir  à  l'entrée 
de  ce  sanctuaire  l'emploi  du  chérubin  au 
jardin  de  délices,  et  m'écrier  sans  cesse  avec 
un  transport  d'amour  :  Cœurs  insensibles, 
retirez-vous...  Ap[)rocliez,  cœurs  fervents 
et  tendres,  c'est  à  vous  qu'est  permis  l'ac- 
cès de  ce  sanctuaire  pour  vous  y  consumer 
des  ardeurs  du  divin  amour;  mais  que  dis-je  I 
âmes  fidèles,  seriez-vous  donc  les  seules 
invitées  à  ce  culte  sacré?  les  pécheurs  en 
seraient-ils  donc  exclus?  Non,  mes  frères, 
non  sans  doute  il  n'en  est  que  trop  qui  s'era 
excluent  eux-mêmes.  Hélas  !  combiende  ces 
cœurs  obstinés  dans  le  mul,  qui,  prévenus 
sans  cesse,  mais  en  vain,  des  douceurs  de 
la  grâce  ,  des  effusions  de  cœurs  de 
Jésus,  s'endurcissent  do  plus  (n  plus  aux 
rayons  du  soeil  de  justice,  comme  la  fange 
impure  se  durcit  aux  rayons  du  soleil  ordi- 
naire; ces  cœurs  ainsi  disposés  ne  peuvent 
honorer  le  cœur  de  Jésus  tanl  qu'ils  persé- 
vèrent dans  leur  affreux  mépris  des  grâces  ; 
mais  il  est  des  cœurs  coupables,  il  est  vrai, 
mais  sans  obstination  ,  des  cœurs  qui  ont 
du  moins  une  horreur  commencée  de  leur 
étal  déplorable,  ah  I  ces  cœurs  jieuvent  avec 
confiance  venir  à  la  porte  du  sanctuaire  se 
frap|)er  la  [)oitriue  comme  le  publicain,  et 
s'écrier  avec  les  senlimonts  d'un  cœur  contrit 
et  humilié  :  Cœur  de  Jésus,  cœur  de  Jésus 
blessé  d'amour  pour  moi ,  cœur  de  Jésus 
cruellement,  mais  heureusement  ouvert 
parla  lance  de  mes  jiéchés,  soyez-moi  pro- 
pice, à  moi  pauvre  pécheur  :  «  Propitius  esta 
mihipcccatori.»  {Luc,  XVliJ,  13.) 

O  Jésus,  sauveur  adorable  1  daignez-nous 
admettre  aujourd'hui  dans  le  sanctuaire  de 
votre  amour  ;  daignez  recevoir  aujourd'hui 
nos  cœurs  en  réparation  des  refus  injustes 
de  tant  d'ingrats  qui  vous  outragent.  O  le 
[dus  saint  des  maîtres  1  ù  le  [)lus  tendre  des 
frères  1  Ole  plus  généreux  des  amis!  recevez 
aujourd'hui  nos  cœurs,  ils  sont,  à  la  vérité, 
bien  peu  dignes  de  vous,  ces  cœurs  que  nous 
vous  olfrons,  mais  nous  osons  dire  qu'ils 
vous  aiment,  et  l'amour  ennoblit  tout,  l'a- 
mour donne  du  prix  à  tout;  ils  sont  bien 
peu  nombreux  ces  cœurs  que  nous  Vous  ol- 
frons, mais  ils  vous  aiment,  et  l'amour  cou- 
sole  de  tout.  Ils  lurent  [)t;ut-ôire  longtemps 
coupables,  ces  cœuisuueuous  vous  olfrons; 


897 


SERMONS  —  V  SUR  lA 


mais  ils  aiinenf,  et  l'amour  oublie  tout,  l'a- 
mour rép.ire  toul,  l'amour  pardonne  loul; 
ils  vous  ressemblent  bien  peu,  ces  cœurs  (jue 
nous  vous  offrons,  mais  ils  vous  aiment,  et 
l'amour  peit'eclionne  loul;  c'est  l'amour  qui 
unit  les  volontés,  c'est  l'union  des  volontés 
qui  rend  les  cœurs  semblables  :  nos  volon- 
tés seront  les  vôtres,  nos  cœurs  seront  les 
copies  du  vôtre,  doux,  humbles,  purs  cotnme 
le  vôtre  sur  hi  terre,  pour  être  un  jour  inon- 
dés de  consolations  ineffiibles  et  éternelles. 
Ainsi  soil-il 

SERMON  V 

Sin    LA    DÉVOTION    ENVERS    MARIE. 

l'ecil  inihi  magna  qui  potens  est.  (Luc,  I,  19.) 

Pour  se  former  une  idée  de  la  réception 
que  le  Verbe  divin  lit  è  Mario  lors  do  son 
enliée  dans  les  cieux,  il  faudrait  se  former 
une  idée  de  la  réception  quo  Marie  lU  au 
Verbe  divin  lors  de  son  entrée  dans  cette 
vallée  de  larmes;  mais  ces  deux  mystères  si 
sacrés  et  si  élroilement  liés  l'un  à  l'autre 
sont  inelfables  pour  nous  et  au-dessus  de 
nos  expressions. San.s  donc  vouloir  pénétrer 
clans  la  hauteur  et  la  profondeur  de  ces 
mystères  qui  nous  seront  un  jour  dévoilés, 
arrêtons-nous  à  un  sujet  qui,  étant  plus  à 
noire  portée  et  plus  conforme  à  nos  besoins, 
pourra  réveiller  et  nourrir  |)lus  sûrement 
noire  dévotion  envers  Marie  ;  cl  pour  cela 
examinons  combien  est  noble,  juste,  solide 
et  indispensable  notre  culie  envers  Marie; 
et  nous  dévelojiperons  ensuile  les  avantages 
<Je  ce  culte. 

PREMIER    POINT. 

Sous  quoique  point  de  vue  que  nous  con- 
sidérions la  tiès-augusie,  la  Irès-sainte  et 
très-bienfaisante  Marie,  mère  de  Jésus  notre 
Sauveur  et  Rédempteur  ;  soit  que  nous  la 
considérions  en  elle-même  el  dans  les  rap- 
ports qu'elle  a  avec  Dieu  par  sa  dignité,  ses 
vertus  el  sa  gloire  ;  soit  que  nous  la  consi- 
dérions dans  les  rapports  qu'elle  a  avec  nous 
en  qualité  de  réparatrice  et  ds  médiatrice 
des  hommes,  il  est  incontestable  que  nous 
lui  devons  un  culle  spécial,  unique,  extra- 
ordinaire :  culte  inlinuutnl  inférieur  sans 
doute  à  celui  que  nous  rendons  è  Dieu  ;  mais 
aussi  très-su()érieur  à  celui  que  nous  ren- 
dons aux  anges  et  aux  saints,  et  que  la 
théologie  <ip|)ella  culte  û'Iiyperdalie,  culte 
que  !"Eglise  a  toujours  rendu  à  Marie  avec 
une  spéciale  distinction,  et  que  par  consé- 
quent aucun  enfant  de  l'Eglise  ne  peut  lui 
icfuser,  sans  se  rendre  couj)able  d'une  cri- 
minelle intidélité.  Voilà,  mes  frères,  une 
vérité  préliminaire  (lue  j'c^iière  vous  déve- 
lopper un  jour,  et  qui  demande  un  discouis 
miier,  mais  qui  nous  servira  de  principe  et 
(le  base  à  tout  ce  que  je  me  pi  opose  de  vous 
dire  aujourd'hui. 

Je  dis  donc  qu'il  n'est  point  de  culte,  do 
dévotion  plus  noble,  plus  juste,  j)lus  solide 
et  l'ius  indisjtensable,  aprCs  celui  que  nous 
devons  à  Dieuelà  Jésus-Christ  son  Fils,  que 
le  culle  el  la  dévotion  envers  Marie  :  et  la 
preuve  en  est  dans  la  |conduile  de  l'Eglise, 


DEVCTTON  ENVERS  M.VRIE.  gffg 

c'est-à-dire,  dans  l'anliquilé,  la  perpétuité, 
l'universalité  et  la  ferveur  de  son  zèle  à  ho- 
norer Marie. 

Je  dis  d'abord  antiquité  du  zèle  et  de 
r»ireclion  de  l'Eglise  à  honorer  Marie.  Dès 
le  premier  siècle  les  fidèles  honorèrent  la 
mémoire  des  martyrs  de  Jisii?-Christ;  donc 
ils  honoraient  aussi  la  mémoire  de  Marie; 
cl  comment,  en  effBl,  en  honorant  les  ser- 
vileurs  auraient-ils  négligé  la  mère?  Com- 
ment auraient-ils  oublié  celle  que  l'Evan- 
gile même  nous  apprend  à  honorer  comme 
la  Reine  des  martyrs,  comme  celle  dont  lo 
cœur  fut  percé  du  même  glaive  de  douleur 
que  celui  de  son  divin  fils  :  Tuamipsiusani- 
mam  doloris  gUidius  perlransivil.  (Luc,  II, 
35.)  Saint  Luc  fit  le  premier  l'image  de  Ala- 
rie.  Sai'nt  Polliin  qui  avait  vécu  longtemps 
dans  lo  premier  siècle  et  sons  la  conduite 
immédiate  de  l'apôtre  saint  Jean  et  de  saint 
Polycarpe,  son  disciple,  selon  l'ancienne 
tradition,  fut  le  premier  qui  érigea  un 
autel  dans  Lyon,  et  y  déposa  unç  image 
de  la  saillie  Vierge  au'il  avait  apportée  de 
l'Asie.  I 

Dès  le  II*  siècle  les  Justin,  les  Irénée,' 
ces  hommes  qui  louchaient  presque  aux 
temps  apostoliques,  parlent  de  Marie  comme 
l'Eglise  de  nos  jours.  Dans  le  m',  Ori- 
gène  rend  un  hommage  spécial  à  sa  plé- 
nitude de  g'âces.  Terluilien  lui  donne  lo 
titre  de  réparatrice  du  genre  humain.  Saint 
Grégoire  Ihaumalurgo  entre  sur  un  si  beau 
sujet  dans  un  saint  enthousiasme, elso  livre 
aux  plus  doux  transports...  Dans  le  iv* 
siècle,  les  persécutions  éteintes  ,  la  paix 
rendue  à  l'Eglise  firent  éclater  le  zèlo 
des  peuples  pour  la  gloire  de  Marie,  des 
temples  magnifiques  lurent  élevés  sous  son 
invocation...  C'est  dans  ce  siècle  que  rcleii- 
tirenl  dans.tout  l'univers  chrétien  les  éloges 
de  Marie,  mille  fois  répétés  par  ces  bouches 
éloquentes,  les  Athanase,  les  Ephrem,  les 
Basile,  les-Grég'oire  de  Nazianze,  les  Epi- 
phane,  les  Ambroise,  les  Jérôme,  les  Au- 
gustin ;  c'est  dans  leurs  écrits  que  l'Eglise 
a  emprunté  plusieurs  de  ces  éloges  subli- 
mes, de  ces  tendres  prières  qu'elle  met  en- 
core tous  les  jours,  en  l'iiniineurde  Marie 
dans  la  bouche  de  ses  enfants. 

Mais  il  est  surtout  une  époque  mémo- 
rable oiî  l'alfection  des  peujiles  pour  lo 
culle  de  Marie  parut  dans  tout  son  jour. 
Ce  fut,  vous  le  savez,  vers  le  commen- 
cement du  v'  siècle  que  Neslorius,  pa- 
triarche de  Coiistantino|)le  ,  osa  publi- 
quement condamner  le  titre  de  Mère  de 
Dieu  que  l'Eglise  avait  toujours  donné 
h  Marie,  et  que  l'apostat  Julien  avait  même 
reproché  au  chrislianismo  plus  d'un  siè- 
cle auparavant,  A  peine  les  discours  do 
co  patriarche  curent-ils  commencé  de  se 
réi)andre  dans  Conslantinople,  qu'une  es- 
pèce de  consternation  générale  t>e  répan- 
dit avec  eux  dans  celle  grande  vi:ie.  0:i 
vit  le  peiqile  lidèle  sortir  plusieurs  lois 
avec  indigiialion  du  temple  où  .Mario 
venait  d  êiro  outragée;  on  l'enlenJit  gé- 
mir araèrcraenl  et   publi(juemenl   sur  cet 


890 


ORATEURS  SACRES.  RlBîER. 


yoo 


outrage.  i)es  troupes  nombreuses  de  soli- 
taires quillèreiil  leurs  retraites  pour  faire 
oiilendre  aussi  leurs  plaintes,  pour  dé- 
fendre la  cause  de  Marie,  et  plusieurs 
.décrurent  trop  heureux  de  soutfrir  des  tour- 
ments ou  des  alfronts,  pour  une  si  belle  cau- 
se,de  Is  part  de  Nesloriiiset  de  ses  partisans. 

Cependant  pour  calmer  l'agitation  des 
esprits  qui  devenait  plus  vive  de  jour 
en  jour,  un  concile  général  est  indiqué. 
Par  une  Providence  spéciale  le  lieu  en 
est  fixé  à  Eplièse,  afin  que  les  habitants 
de  cette  métropole,  spécialement  dévoués 
à  Marie,  fussent  tout  c^  la  fois  les  témoins 
et  les  instruments  de  son  Iriomplie. 
Tandis  que  les  Pères  du  concile  étaient 
assemblés  pour  la  première  et  principale 
session,  tandis  que  saint  Cyrille  qui  pré- 
sidait au  nom  du  |)ape  Célestin  P%  pronon- 
çait ce  discours  sublime  que  nous  avons 
encore;  tandis  que  les  titres  de  Marie 
étaient  discutés  par  le  concile  avec  cette 
sagesse  qui  règne  dans  ces  auguslus  as- 
semblées, un  peuple,  innombrable  inter- 
rompant ses  travaux',  oubliant  ses  pro- 
pres intérêts,  occupé  de  ceux  de  Marie, 
était  réuni  autour  de  la  basilique  et  at- 
tendait la  décision  avec  une  sainte  im- 
patience sans  que  la  longueur  de  la  ses- 
sion, prolongée  depuis  la  [)remière  heure 
du   jour  jusque  bien  avant  dans  la  nuit, 

pût    las.ser   la    constance    de  son  zèle 

Lorsque  la  voix  unanime  des  Pères  eut 
dit  analhème  à  Ntstorius,  gloire  à  Ma- 
rie, Mère  de  Dieu,  à  Tinstant  un  saint  Iraiis- 
pori  saisit  tous  les  cœurs,  un  cri  d'alégre.-se 
soitit  de  toutes  les  bouches  ;  Mario  e.st 
Mère  de  Dieu  !  Alarie  est  Mère  de  Dieu  1 
mille  k'ux  allumés  dounci'ent  à  cette 
ijuit  fortunée  l'éclat  du  plus  be;iu  jour.  Les 
jiontiles  vengeurs  de  .a  gloire  do  Marie 
furent  conduits  au  milieu  des  acclaiiia- 
tions  publiques,  des  parfums  exi^uis  brû- 
laient sur  leur  j)assage,  les  chemins  étaient 
jonchés  de  (louts  sous  leurs  [)as.  Il  n'y 
eut  à  Ephèse  aucun  fidèle  qiii  ne  regar- 
dât le  triomphe  de  Marie  comme  son 
propre  triomphe.  A  Alexandrie, ,  mêmes 
sentiments,  mômes  transports  à  Anlioche, 
et  dans  tout  l'univers  chrétien  on  a  reçu 
la  décision  du  concile  avec  enthousiasme. 
Voilà,  s'écriait-on,  la  véritable  foi.  Gloue, 
gloire   à    Maiie,   Mère  de  Dieu! 

Ici,  mes  Irères,  soutirez  (jue  je  fasse 
une  (question.  Si  de  nos  jours  la  gloire 
de  Marie  était  ouli'agée  par  quelque  nou- 
velle erreur,  comme  elle  le  fut  alors; 
ce  que  Maiie  trouva  de  tendresse  et  do 
zèle  le  trouverai t-e 
Oii  I  sans  doute,  aug 
Mère  de  Dieu,  tenJre  nière  des  hommes, 
vous  trouveiiez  encore  un  nombre  choisi 
de  cœurs  fidèles  vivement  touchés  des 
intérêts  de  votre  gloire;  mais  qu'il  s'en 
trouverait  |ieu  I  Non,  mes  frères,  non;  je 
crois  que  nous  sommes  forcés  d'en  con- 
venir, et  de  le  dire  à  notre  honte...  Mais 
du  moins  sou  nics-nous  foi  ces  d'avouer 
que  le   culte   de  Marie,  qu'une   leniire  'Jé- 


volion  h  Marie  est  dans  ITîiîlise  un  sen- 
timent aubsi  ancien  que  l'Eglise  elle- 
uièùie.  A  cette  noble  et  sainte  antiquité 
je  pourrais  y  joindre  sa  perpétuité;  mais 
tous  les  auteurs  de  tous  les  siècles 
nous  la  prouvent,  et  si  dans  les  dert)iers 
tem|)S  l'on  a  entendu  les  clameurs  d'un 
Luther  et  d'un  Calvin  qui  osent  traiter 
la  dévotion  à  Marie  de  cuite  supersti- 
tieux, qui  de  nous  oserait  soutenir  avec 
eux  une  pareille  erreur?  Il  faudrait  donc 
dire  que  pendant  dix  sièries  Dieu  aurait 
laissé  son  Eglise  dans  la  plus  grossière 
erreur,  et  que  fiour  l'éclairer  il  n'aurait  eu 
d'autres  réformateurs  à  lui  susciter  que 
des  prêtres  impudiques  et  des  religieux 
apostats?  Ce  qui  fait  frémir,  ce  qui  est 
absurde,  ce  qui  renverserait  tout  à  la  fois 
et  la  dignité  de  la  mère  et  la  sagesse  du  fils. 
Cependant  au'milieu  des  suffrages  in- 
nombrables qui  per|)étuent  le  culte  de 
Marie,  souffrez,  ô  Vierge  sainte  !  que  nous 
en  distinguions  ici  de  particuliers....  La 
France,  oui  la  France,  ses  pontifes,  ses 
peuples,  ses  rois,  ont  toujours  fait  écla- 
ter le,  zèle  le  plus  vif  pour  votre  gloire, 
et  si  nos  souverains  déposèrent  autre- 
fois leurs  sceptres  et  leurs  couronnes 
sur  l'autel  de  Marie,  notre  roi  veut  en- 
core aujourd'hui  que  nous  célébrions  cette 
fêle  avec  pompe,  et  (ju'elle  so  termine 
par  une'  procession  so.'ennelle  à  la  gloire 
de  Marie.  O  Mère  de  Dieu  I  puisse,  sous 
votre  protection  puissante,  la  fui  se  con- 
server parmi  nous,  toujours  jture,  cetl6 
foi  si  attaquée  de  nos  jours.  Oui,  mes 
frères,  un  royaume  chrétien  est  en  sûreté 
pi)ur  sa  foi  tant  (|u'il  est  sous  l'ombre 
mat^MnelIc  de  Marie,  mais  il  a  tout  à 
craindre  lorsqu'il  n'y  est  plus  :  et  une 
pieuse  observation  a  luoutré  que  la  trop 
fameuse  Constantinof)le  ne  commença  d'être 
6chismati(iue  et  malheureuse  que  lorsque 
ses  peuples  curent  perdu  [lOur  Marie 
leurs  antiques  et  religieux  sentiments. 
Mais  reprenons,  et  à  l'antiquité,  à  la 
per[iétuité  du  culte  de  Marie  ,  ajoutons 
son  universalité.  Le  culte  des  autres 
saints  est  toujours  plus  ou  n:oins  reu- 
lermé  dans  certaines  limites  et  de  tenips 
et  de  lieux  ;  celui  de  Marie  embiasse 
seul  et  tous  les  temps  et  tous  les  lieux. 
Partout  où  la  religion  de  Jésus  -  Christ 
a  été  annoncée.:  sous  les  climats  les  |)lus 
sauvages,  chez  les  peuples  les  plus  bar- 
bares,! la  dévotion  à  Marie  s'est  aussitôt 
répandue  dans  une  ineffable  douceur, 
partout  l'Eglise  s'adresse  à  Marie  ;  elle 
e  de  nos  jours?....  s'adresse  à  Marie  pour  tout  :  giâces  spi- 
uste  Vierge,  sainte  rituelles  et  temporelles,  calamités  publi- 
ques,   afflictions  j)arliculières,  tout    est  du 


ressort  de  sa  bienfaisante  médiation. 
Partout  l'Eglise  répand  à  pleines  mains 
ses  indulgences  |)our  les  moindres  par- 
ties de  son  culte.  Point  d'éloges  dans 
l'Eglise  plus  sublimes,  plus  louchants,  (ilus 
universels  que  ceux  de  Marie  :  elle  est 
la  reine  des  cieux,  la  souveraine  des 
anges,    la  maîtresse    du   monde,   la  mère 


SERMONS.  —  V  SUR  LA  DEVOTION  ENVERS  MARIE. 


maison  do  paix,  la  ;ior(o 
do  langage  plus  aireclneux 
l'Egiise   dans    les    prières 


901 

admirable,  .a 
du  ciel  :  poinl 
que    celui    de        „ 

qu'elle  adresse  h  Marie  :  ce  sont  des 
cris,  des  gL^nisscmenls,  des  larmes  de 
tendresse.  Toutes  les  expressions  de 
l'amour  filial  ne  rendent  que  faiblement 
ses  transports  pour  celle  qu'elle  appelle 
sa  vie,  sa  douceur,  son  espérance,  sa 
consolation  et  sa  joie.  Viki,  dulccdo,  spes 
nostra,..  ad  le  clamamus...  sitspiranms... 
grmenles  et  fientes. 

Malgré  la  décadence  de  la  piété  et  de 
la  foi  parmi  nous,  il  n'est  point  de  culte 
qui  so:t  plus  universellement  répandu 
que  celui  de  Mctrie;  chaque  année  il  est 
nombre  de  fêtes  en  l'honneur  de  Marie, 
chaque  semaine  il  est  un  jour  qui  lui 
est  |ilus  spécialement  consacré.  Trois 
fois  le  jour  nous  la  saluons  "par  les  pa- 
roles de  l'ange...  Dans  tout  io  monde 
chréli'jn  c'est  un  nombre  ifjnombrable 
de  temples  dédiés  à  l'honneur  de  Marie  ;.. 
que  de  jneuses  associations  en  son  honneur! 

Il  n'est  point  de  royaume,  poinl  de 
ri" 


ÎIC2 


le,  point  de  hameau,  jioint  d'église  qui 
ne  [lossède  quelque  autel,  quelque  image 
ou  quelque  monument  élevé  à  la  gloire 
de  Marie.  Que  dis-jel  il  n'est  i)oint 
de  maison,  point  de  famille,  à  moins 
que  la  religion  n'en  soit  entièrement 
bannie,  qui  ne  l'invoque  le  malin  et  le 
soir  dans  ses  prières,  qui  no  s'adresse  à 
elle  dans  ses  besoins,  qui  ne  mette  en  elle 
sa  confiance.  Oh  !  combien  les  expressions 
de  la  piété  de  nos  pères  étaient  naïves  et 
touchantes  dans  leur  belle  simplicité  1  Alors, 
mes  frères,  alors  dans  chaque  maison, dans 
chaque  famille  on  y  trouvait  des  marques 
authenliquesde  leur  dévotion  envers  Ma- 
rie. C'eût  été  une  désolation  pour  nos  |)ères, 
si,  en  entrant  dans  leurs  maisons,  ils  n'y 
eussent  point  aperçu  l'image  de  celte  au- 
guste Vierge,  hunorablement  placée, décorée 
religieusement.  Oui,  cliatiue  jourproslernés 
devant  cette  image  l'on  y  rendait  en  famille 
des  homu:ages  à  Marie,  l'on  y  faisait  ses 
prières,  tout  ce  ressentait  dans  la  famille 
d'une  tendre  piété,  d'une  louchante  dévo- 
tion.  O  religieuse  simplicité  de  nos  pères  1 
ô  mœurs  antiques!  qu'ètes-vous  devenues? 
vous  avez  fui  loin  de  nous  ;  avec  vous  ont 
fui  les  véritables  vertus.  Hélas  I  à  [)eine 
maintenant  ose-t-on  [)arlerdes  grandeurs  de 
Marie,  des  bontés  de  Marie.  O  Mère  de  mon 
Dieu,  mère  de  miséricorde!  puissé-je  donc 
aujourd'hui  en  affermissant  les  fidèles  dans 
la  néicssité  de  vous  rendre  leur  culte  et 
leurs  hommages,  les  y  encourager  puissam- 
ment, en  leur  rappelant  les  précieux  avan- 
tages qui  y  sont  attachés. 


SECOND    rOlNT. 

Avant  vl'entrer  dans  le  détail  des  avanta- 
ges inestimables  qui  sont  attachés  à  la  dé- 
votion à  Marie  et  pour  prévenir  toute  fausse 
interpréiatio[i  des  vérités  consolantes  que 
i.ous  allons  développer,  il  iujporle  de  re- 
marquer ici  (pie  nous  [tarions  d'une  vérita- 


ble dévotion,  etnon  point  précisémenld'une 
certaine  fidélité  d'habitude  à  quelques  for- 
mules do  prières  récitées  à  l'honneur  do 
Mario,  le  plus  souvent  sans  attention  comme 
sans  alfection;  car,  quoique  nno  telle  fidé- 
lité soit  l'expression  d'un  commencement 
ou  d'un  reste  de  bon  désir  et  puisse  être 
appelée  une  dévotion  imparfaite,  expirante 
ou  commencée,  il  est  certain  qu'elle  ne 
suffit  pas  pour  mériter  le  titre  de  dévot 
à  Marie  et  les  avantages  qui  y  sont  at- 
tachés, [)arce  qu'il  est  évident  que  les  ré- 
conii)enses  du  serviteur  zélé  et  fidèle  no 
peuvent  être  assurés  au  serviteur  lâche  et 
paresseux.  Il  faut  donc  pour  former  ce  que 
j'appelle  dévotion  à  Marie  et  en  espérer  les 
avantages,  il  faut  à  son  service  une  affeclion 
'\y{{  senUjlable  à  celle  de  l'Eglise,  constante, 
sincère  et  pleine  de  confiance ,  et  c'est  d'a- 
près cette  réfiexion  que  nous  allons  consi- 
dérer la  dévotion  à  Marie  dans  deux  sortes 
de  personnes  ,  dans  les  justes  et  les  pé- 
cheurs. Dans  les  premiers  comme  un  des 
signes  les  plus  consolants  de  prédestination 
et  de  salut;  dans  les  seconds  comfne  un 
principe  de  conversion  moralement  infailli- 
ble. 

Il  .serait  inutile  sans  doute  de  vous  prou- 
ver que  la  dévotion  à  Marie  est  pour  les 
justes  un  de  ces  signes  doux  et  consohnls 
de  prédestination  et  de  salut.  Si  nous  prou- 
vons que  la  dévotion  à  Marie  est  pour  les 
pécheurs  un  principe  assuré  deconversion, 
nous  pouvons  conclure,  à  plus  forle  raison, 
qu'elle  sera  pour  les  justes  un  principe  mo- 
ralement certain  et  infaillible  de  persévé- 
rance et  de  salut.  Disons  cependant  pour 
la  consolation  des  ûmes  justes  et  craintives, 
que  l'expérience  la  |)lus  antique,  la  plus 
constante  et  la  plus  universelle,  nous  prouve 
qu'une  ûrae  juste  ,  sincèrement  dévouée  au 
culie  de  Marie,  no  périra  pas.  Jetons  en 
cU'et  un  regard  attentif  sur  tous  les  temps 
de  l'Eglise  et  sur  les  âmes  qui,  dans  tous 
les  lemps  farenl  spécialement  dévouées  à 
Marie.  Qu'y  verrons-nous?  D'abord  en  gé- 
néral une  foi  plus  vive,  plus  simple,  plus 
docile  et  plus  pure;  f(ji  qui  est  la  base  de 
tout  l'édifice  du  salut.  Oui,  mes  frères,  la 
soumission,  la  docilité  furent  toujours  les 
caractères  des  serviteurs  de  cette  auguste 
Merge.  L'erreur  inquiète,  indocile,  superbe 
ne  s'accorde  pas  avec  ce  doux  nom  ,  ou  si 
quelquefois  par  un  aveuglement  fatal  et 
rare,  un  serviteur  de  Marie  suit  pour  un 
temps  des  routes  écartées;  de  deux  choses 
l'une;  ou  il  quitte  ces  routes  perdues,  ou 
il  perd  le  sentiment  de  sa  dévotion;  ou  il 
cesse  d'être  enfant  de  Marie,  ou  il  redevient 
enfant  de  l'Eglise.  Il  e^t  en  cegenredesexem- 
jfles  frappants,  chaque  siècle  a  eu  les  siens, 
et  il  est  écrit  en  particulier  que  lorsque  saint 
Dominiiiue  et  ses  dignes  coopérateurs  tra- 
vaillaient avec  tant  de  zèle  à  la  conversion 
des  Albigeois,  ils  ne  commençaient  h  regar- 
der ces  hérétiques  inconstants  et  trompeurs 
comme  solidement  et  sincèrement  conver- 
tis que  lorsqu'ils  les  voyaient  s'affectionner 
aux  [iratiques  de  la  dévotion  à  Marie,  tant 


903 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


904 


une  longue  expérience  leur  avait  appris 
que  celle  dévotion  ou  suppose  une  foi  déjà 
pure,  ou  la  conserve,  ou  ne  larde  pas  à  la 
procurer. 

Jetons  un  regard  attentif  sur  les  fidèles 
serviteurs  de  Marie;  c'est  parmi  eux  que 
nous  verrons  en  général  des  âmes  plus  sain- 
tement affectionnées  aux  choses  divines, 
plus  sensibles  aux  impressions  de  l'amour 
divin,  qui  est  par  excellence  la  voie  du  sa- 
lut. La  dévotion  à  Marie  a  une  verlu  spé- 
ciale pour  disposer  et  former  les  cœurs  à 
celte  parfaite  cliarilé;  c'est  pour  cela  que 
Marie  est  appelée  la  mère  du  bel  amour: 
Mater  pulchrce  dilectonis. 

JeUinsun  regard  allenlif  sur  les  servileurs 
zélés  de  Marie;  cest  [larmi  eux  que  nous 
verrons  en  général  plus  de  fidélité  dans  la 
pratique  de  toutes  les  vertus  chrétiennes, 
fidélité  à  la  prière,  sanclificalion  des  jours 
consacrés,  assiduité  aux  saintes  instruc- 
tions, fréquentation  des  sacrements, devoirs 
de  l'élat,  charité  pour  les  pauvres,  soula- 
gement des  malades,  visite  des  prisonniers, 
zèle  pour  les  âmes,  saints  exerai)les,  bonn. 
odeur  de  Jésus-Christ  répandue  |)ariout. 

Jetons  enfin  un  regard  attentif  sur  les 
fidèles  serviteurs  de  Marie  ;  c'est  parmi  eux 
que  nous  verrons  en  général  des  chrétiens 
mourir  d'une  mort  plus  douce  et  plus  con- 
solante; mort  précieuse  qui  est  la  consom- 
mation du  salut.  Et  certes,  mes  frères,  [)uis- 
que  les  servileurs  de  Marie  demandent  si 
souvent  sa  protection  pour  ce  dernier  ins- 
tant... Priczpour  nous  maintenant  et  à  Vheure 
de  notre  mort  ,  n'esl-il  pas  juste  que  Maiie 
en  ce  dernier  instant  protège  spécialement 
ses  servileurs!  xVh  que  l'illustre  et  pieux 
saint  Grégoire  de  Nazianze  avait  bien  com- 
j)ris  celle  vérité  1  Je  serai  trop  heureux, 
disait  ce  Père,  si  le  nom  de  Marie  peut  ôlie 
le  dernier  effort  de  mes  lèvres  mourantes 
et  consacrer  mon  dernier  soupir;  à  ce  nom 
de  paix  le  ciel  me  sera  ouvert  comuie  l'ar- 
che fut  ouverte  à  la  colombe  lorsqu'elle  y 
revint  portant  un  rameau  d'olivier.  Mes 
frères,  l'histoire  nous  apprend  qu'on  a  vu 
plus  d'une  lois  des  hommes  couverts  de 
blessures,  é[)uisés  de  sang,  mais  le  t:ora  de 
Marie  à  la  bouche,  les  livrées  de  Marie  entre 
les  mains,  demeurer  comme  suspendus  en- 
tre la  vie  et  la  mort  par  la  vertu  de  ce  nom 
puissant,  jusqu'à  ce  qu'un  ministre  de  l'E- 
glise leur  eût  apporté  les  derniers  secours 
de  la  paix  et  du  salul...  Mais  sans  recourir 
à  ces  prodiges  rares  sur  lesquels  il  serait 
imprudent  de  compter,  combien  de  chré- 
tiens fidèles  en  ont  fait  la  douce  ex|)érience; 
combien  de  fois  on  les  a  vus  franchir  toutes 
les  idées  funèbres  qui  troublaient  leur  ima- 
gination pour  venir  se  reposer  avec  sécu- 
rité sur  le  doux  nom  de  Marie;  on  les  a  vus 
du  lit  de  leurs  douleurs  jeter  sur  l'image  de 
Marie  de  pieux  regards;  on  les  a  entendus 
s'écrier:  O  Vierge  sainte!  dans  ce  moment 
critique,  où  loul  m'elfraye,  oià  j'ignore  si  je 
suis  juste  ou  pécheur  ,  el  ce  que  je  vais 
devenir,  montrez  ce  que  vous  êtes.  Je  sais 
du  moins  que  je  fus  toujours  un  de  vos  ser- 


viteurs. Soyez  donc  aujourd'hui  ma  défense. 
Abondonneriez-vous  dans  ce  dernier  jour 
celui  qui  vous  a  invoquée  tous  les  jours  de 
sa  vie?..  Non;  vous  m'entendez, vous  m'exau- 
cez, ô  mon  asile,  ô  mon  espoir!  puissances 
infernales,  retirez-vous,  reconnaissez  celle 
qui  vous  a  vaincues,  respectez  ce  qui  lui 
appartient.  O  Marie  1  un  de  vos  serviteurs 
ne  périra  pas. 

'  Chréliens,  mes  frères,  qui  de  nous  à  son 
dernier  moment  ne  voudrait  pas  avoir  le 
droit  de  parler  ainsi  à  Marie?  Imprimons 
donc  dans  nos  cœurs  en  traits  profonds  et 
enflammés  le  signe  sacré  de  serviteurs  de 
Marie,  caractère  des  élus...  Vous,  surtout 
parenls  vertueux  qui  m'écoutez,  parmi  les 
soins  d'une  éducation  chrétienne,  n'oubliez 
rien  pour  donner  à  vos  enfants  le  caractère 
d'enfants  de  Marie,  dites-leur  souvent  et  ré- 
pétez-leur sans  cesse  :  Mes  enfants  ,  souve- 
nez-vous que  toute  ma  tendresse  n'est  rien 
en  comparaison  de  celle  qu'a  pour  vous 
Marie.  Oui,  j'aimerais  mieux  mille  fois  que 
vous  oubliassiez  ce  que  vous  me  devez,  que 
do  vous  voir  oublier  ce  que  vous  lui  devez. 
Avec  ce  langage,  j'ose  vous  assui'er  sur  ce 
point  du  dIus  consolant  succès.  L'expé- 
rience a  appris  que  de  tous  les  sentimeuls 
de  la  religion  un  de  ceux  qui  trouve  l'en- 
fance plus  sensible,  qui  s'insinue  plus  dou- 
cement dans  son  cœur,  c'est  le  sentiment 
de  la  dévotion  à  Marie;  l'expérience  a  ap- 
pris que  pour  cel  âge  ,  tout  faible  qu'il  est, 
ce  n'est  point  un  sentiment  stérile  et  fri- 
vole, mais,  au  contraire,  que  les  enfants 
dévoués  à  Marie  sont  aussi  en  général  plus 
(idèles  aux  devoirs  que  leur  âge  com[)Orle, 
plus  exacts  à  leurs  prières,  plus  respeciueux 
et  [ilus  soumis  à  leurs  parents;  l'expérience 
a|)prend  surtout  que  celle  dévotion  est  pour 
l'enfance  la  sauvegar«ie  des  bonnes  mœurs 
dont  elle  maintient  l'innocence,  alfaiblit  les 
attaques,  écarte  les  dangers. 

Pères  vertueux  ,  pieuses  mères,  écoutez 
donc  les  invitations  que  vous  lait  aujour- 
d'hui Marie  comme  autrefois  son  divin  Fils  : 
Sinite  parvulos  ventre  ad  me.  [Marc,  X,  14.) 
Laissez,  vous  dil-elle,  laissez  venir  à  moi 
les  petits,  les  plus  petits  enfants  ;  parvulos. 
L'innocente  candeur  de  cet  âge  me  plaît; 
c'est  pour  eux  surtout  que  j'aiuie  le  nom  et 
les  fonctions  de  Mère  des  hommes  ,  n'atten- 
dez pas  un  âge  Irop  avancé  pour  les  consa- 
crer à  mon  service;  souvenez  vous  que  si 
l'enfer  s'empresse  toujours  trop  loi  do  sur- 
prendre dans  ses  pièges  ces  âmes  inconsi- 
dérées, vous  ne  piouvez  vous  hâter  trop  tôt 
de  les  jeter  dans  mes  bras,  de  les  cacher 
dans  mon  sein  maternel,  où  ils  seront  (dus 
en  sûreté  que  dans  les  vôtres  :  Sinite 
parvulos  venire  ad  me.  Heureux ,  mes 
Irères ,  les  parents  chrétiens  qui  répon- 
dront à  des  invitations  si  douces,  qui  inspi- 
reront de  bonne  heure  à  leurs  entants  de 
tendres  sentiments  pour  Marie,  une  fidé- 
lité scrupuleuse  aux  pratiques  d'un  culte 
journalier.  Si  par  là  ils  ne  Ics-défendent  pas 
entièrement  pour  la  suite  de  leurs  jouis  de 
tous  les  pièges  du  vice,  par  là  du  moins,  ils 


SERMONS.  —  V,  SUR  LA  DEVOTION  ENVERS  MARIE. 


905 

jettercfnl  dansleurs  cœurs  un  principe  de  con- 
version toujours  actif,  singulièronionl  puis- 
sant, moralement  infaillible;  et  voilà  enfin 
]a  grande  parole  qu'il  nous  est  si  consolant 
de  développer,  que  la  dévotion  à  Marie  est 
pour  les  pécheurs  un  principe  de  conversion 
moralement  irifàillible...  Dieu  de  paiir  et  de 
véiité,  mettez  ici  dans  maboucliedes  paroles 
pacifiques  et  vraies  ;  qu'un  zèle,  doux  h 
l'excès,  ne  change  point  Marie  en  protectrice 
du  péché  ;  mais  aussi  qu'un  zèle  amer  jus- 
qu'à la  cruauté,  ne  ferme  pas  les  bras  de 
Marie  aux  pécheurs. 

Mes  frères,  pour  éviter  toute  confusion, 
source   d'erreurs ,  commençons    par  bien 
fixer   nos  idées.  11  ne   s'agit  point  ici  de 
montrer  que  Marie  est  spécialement  le  re- 
fuge des  pécheurs  pénitents  qui  désirent 
actuellement  revenir  à  Dieu  ;  c'est  une  vé- 
rité reconnue  par  la  tradition,  démontrée 
par  l'expérience;  il  ne  s'agit  pas  non  plu> 
de  savoir  si  un  pécheur  peut  avoir  envers 
Marie  une  dévotion  faible,  trompeuse  ou 
fausse,  l'on  en  convient;  il  s'agit  donc  uni- 
(juement  d'examiner  si  un   pécheur  peut, 
dans   l'état  du  péciié,  avoir  une  véritable 
dévotion  à  Marie,  com()ter  sur  sa  protection 
spéciale  et  en  ressentir  les  heureux  tdfets. 
Oui,  mes  frères,  il  est  certain  qu'un  pécheur 
peut  avoir  celle  dévotion  ;  car,  en  {ierdant 
la  charité,   il  n'a  pas  perdu  la  foi,  l'espé- 
rance et  les  autres  vertus  de  prière,  d'hu- 
milité, de  pénitence  et  de  douleur  de  ses 
péchés;  il  peut  donc  mettre  en  prati(jue  ces 
actes  qui  parlent  d'un  principe  bon  el  sur- 
naturel ?  donc  il  peut  avoir  la  dévotion  eu- 
vers    Marie?  Avec  celle   dévotion   envers 
Marie  un  pécheur  ne  doit  pas  moins  comp- 
ter sur  sa  proleclioii  S[)éciale  ,  et  pourquoi 
n'y  compterait-il  pas?  Marie  n'esl-elle  pas, 
d'une  manière  unique,  extraordinaire,  l'a- 
sile et  le  refuge  des  pécheurs?  N'est-ce  pas 
le  litre  que  lui   donne  plus   fréquemment 
l'Eglise,  et  sous  lequel  elle   l'invoque  et 
apprend  à  l'invoquer  avec  plus  de  ferveur? 
Marie    n'esl-elle  pas    l'hériiière  des  senti- 
ments de  Jésus-Christ,  son  fils,  qui  a  aimé 
les    pécheurs   jusqu'à   mourir  pour    eux? 
n'esl-elle  pas  la  plus   fidèle   image  de  Jé- 
sus-Christ, son  fils,   qui  montra  toujours 
une   bonté  singulière    à  sui)porler  les  pé- 
cheurs, à  les  ap[)eler,  à  les  recevoir,  à  leur 
parduîiner?  Marie  n'esl-elle  pas  en  quel- 
que sorte  redevable  aux  pécheurs    de  sa 
gloire,  puisque  c'est  à  leur  occasion  qu'elle 
est  Mère  de  Dieu,   mère  puissante?  c'e^t 
donc  aussi  pour  les  pécheurs  qu'elle  veut 
êlremère  de  miséricorde  et  de  bouté,  qu'elle 
fait  gloire  de  l'être  el  qu'elle  éi)rûuve  à  l'être 
un   tendre  et   vertueux   plaisir.    Aussi  les 
rères  nous  la  représenlenl  sous  l'image  do 
ces  villes  de  refuge  établies  chez  les  Juils, 
dans  lesquelles  les  coupables  étaient  à  l'abri 
des  poursuites  de  la  justice  humaine.  Saint 
Bonavenlure  nous  la  peint  sous  les  traits 
d'une  reine  bientaisanle  qui  reçoit  un  sujet 
crimiiiel  dans  l'intérieur  de  son  palais  :  elle 
attend  que  la  première  colère  du  prince  soit 
apaisée;  cependant  elle  lient  caché  ce  mal- 

OaATEUHS    SACRÉS.    LXVIll. 


90« 


heureux  fugitif  avec  dos  précautions  iîi- 
quièles;  elle  l'anime,  le  console,  relève  ses 
espérances,  lui  fait  sentir  son  crime,  lui 
montre  les  moyens  de  le  réparer,  fait  valoir 
ensuite  son  repentir  el  ses  larmes,  el  mé- 
nage enfin  sa  grâce  entière;  et  pourquoi 
Marie  ne  serait-elle  pas  l'asile  des  pécheurs? 
l'Kcriture  ne  nous  apprend-elle  pas  que  la 
prière  d'Abraham  protégeait  des  villes  cri- 
minelles?... que  la  prière  de  Moïse  proté- 
geait Israël  muiinéel  révolté?...  et  la  prière 
de  Marie,  mille  fois  plus  puissante  que 
celle  des  Moïse  et  des  Abraliaiu,  n'obtien- 
drait pas  son  effet.  Il  y  a  plus,  mes  frères, 
il  y  a  plus  encore  :  Abraham  et  Moïse 
priaient  pour  des  insignes  pécheurs,  sans 
qu'ils  l'eussent  demandé,  sans  qu'ils  le  sus- 
sent, et  pour  ainsi  dire,  malgré  eux,  tan- 
dis que  Marie  intercède  pour  un  coupable 
qui,  du  moins  parles  sentiments  que  je  lui 
suppose,  sollicite  tous  les  jours  sa  média- 
tion. Aussi,  mes  frères,  cette  puissante  mé- 
diatrice ne  se  conten'era  pas  de  suspendre 
les  coups  de  la  justice  céleste  sur  la  tête 
d'un  i)écheur,  elle  fera  plus,  elle  remplira 
en  sa  faveur  les  fonctions  dont  parle  l'E- 
vangile, en  intercédant  pour  l'arbre  infruc- 
tueux, en  empêchant  qu'il  ne  soit  arraché 
et  brûlé;  elle  demandera  du  temps,  et  pour- 
quoi? Pour  le  cultiver,  l'arroser  et  lui  faire 
porter  enfin  des  fruits  de  bénédiction. 

Marie  est  donc  le  refuge  spécial  des  pé- 
cheurs... Oui,  ceux  qui  s'adressent  à  elle... 
Je  m'arrête  ici,  chrétiens,  el  quoique  j'aie 
[lour  garant  de  ce  que  je  vais  vous  dire  un 
des  P^res  de  l'Eglise,  je  n'ose  presque  ache- 
ver  O  Jésus,  médiateur  suprême  1  vais- 

je  donc  faire  outrage  à  votre  divine  média- 
tion ?  Non  ,  non,  je  vais  l'honorer  en  hono- 
rant celle  de  votre  Mère.  Oui,  dit  saint  An- 
selme, les  pécheurs  qui  s'adressent  à  Ma- 
rie sont  quelquefois  plus  favorablement  re- 
çus, plus  promplement  exaucés  que  ceux 
qui  s'adressent  immédiatement  à  Jésus  :  Fe- 
locior  est  nonnunquam  satus,  invocato  no- 
mine   Mariœ,  quatn    invocato   nomine  Jesit. 

Mais  sur  quoi ,  dira-t-on,  est  fondée  cette 
parole  de  saint  Anselme?  Elle  est  fondée 
sur  la  volonté  de  Jésus  qui  l'ordonne  ainsi 
pour  glorifier  la  médiation  de  sa  Mère,  qui 
souvent  ne  veut  exaucer  que  par  la  média- 
tion de  sa  Mère;  elle  est  fondée  sur  l'aveu 
des  pécheurs  eux-mêmes  et  sur  l'expérience 
tanl  de  fois  renouvelée  et  si  solennellement 
confirmée  par  les  ministres  de  l'Evangile. 
Oui,  mes  Irères,  il  importe  de  l'observer 
ici  pour  la  gloire  de  Marie  el  pour  le  salut 
peut-être  de  ceux  qui  m'écoulent.  Oui ,  plus 
d'une  fois  l'on  a  vu  des  pécheurs  écrasés  du 
poids  de  leurs  chaînes,  sans  cesse  faisant 
pour  les  rompre  d'inutiles  efforts  el  sans 
cesse  retombant  dans  l'abîme  de  leurs  an- 
ciennes mœurs,  dans  la  fange  impure  de 
leurs  habitudes  criminelles  ,  toutes  les  for- 
ces de  la  religion  étaient  pour  ainsi  dire 
épuisées  auprès  de  leur  inconcevable  fai- 
bk'sse.  C'est  Marie  qui  leur  a  tendu  la  main  ; 
c'est  elle  qui  les  a  relevés,  affermis,  sauvés. 
Ce  sont  dos  prières  à  Marie,  dos  pratiques 

2» 


D07 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


DOS 


pieuses  en  son  honneur  qui  leur  ont  obte- 
nu des  grâces  victorieuses  de  liberté  et  de 
paix...  L'on  a  vu  des  pécheurs  obsédés 
par  le  démon  du  désespoir,  détournant  leurs 
yeux  égarés  de  ce  beau  ciel  fermé  pour  eux, 
appelant  en  forcenés  l'enfer  qui  les  atten- 
dait. Toutes  les  tendresses  de  la  religion 
étaient  épuisées  par  les  noirs  accès  de  leur 
fureur.  C'est  Marie  qui  a  porté  la  lumière 
dans  ces  horribles  ténèbres;  c'est  l'invoca- 
tion de  Marie  qui  a  fait  renaître  le  calme  et 
l'espoir  dans  ces  âmes  désespérées;  c'est 
Marie  qui  a  arraché  aux  démons  une  proie 
comme  certaine  et   trompé    de    l'eiifer  la 

cruelle  attente L'on  a  vu  des  pécheurs 

tantôt  sur  des  lits  de  douleur  et  de  mort,  ou 
sur  les  écliafauds  que  dresse  la  justice  hu- 
maine ;  on  les  a  vus  le  cœur  plus  dur  que 
des  rochers,  insensibles  à  toutes  les  paroles 
de. pénitence;  on  a  vu  do  zélés  ministres 
s'affliger,  se  tourmenter  vainement  autour 
de  leur  endurcissement  déplorable;  toutt.s 
les  terreurs,  toutes  les  douceurs  de  la  re- 
ligion étaient  taries  auprès  de  leur  obstina- 
tion invincible.  C'est  Marie  qui  en  a  triom- 
phé ;  on  a  invoqué  Marie  pour  eux  ;  on  les 
a  déterminés  entin  à  prononcer  le  doux  nom 
de  Marie,  et  à  ce  nom  bienfaisant,  ces 
cœurs  de  bronze  ont  commencé  de  se  fléchir, 
de  s'amollir.  On  a  vu  bientôt  des  larmes  de 
componction  couler  de  ces  mêmes  yeux  qui 
peu  d'mslant  avant  en  versaient  de  rage  et 
de  fureur. 

O  homme  pécheur,  s'écrie  ici  le  dévot 
saint  Bernard  1  et  retenez  ,  mes  frères,  celte 
touchante  pensée  :  Pécheurs,  vous  n'osez 
approcher  du  trône  du  Père  céleste  ;  le  son 
de  sa  voix  redoutable  vous  fait  frémir;  et 
trop  semblable  au  criminel  Adam  dont  vous 
descendez,  vous  cherchez  un  épais  feuilla- 
ge, un  asile  sombre  qui  vous  mette  à  l'a- 
bri de  sa  présence:  Ad patrem verebaris  ac- 
céderez ad  foHa  currebas  ;  mais  il  a  eu  pilié 
de  votre  m;ilheuretde  vos  craintes,  et  pour 
ranimer  votre  confiance  il  vous  a  donné  son 
Fils  bien-aimé  pour  être  votre  médiateur, 
votre  sauveur,  votre  frère  :  ce  Fils  est  Dieu 
comme  ^on  Père,  et  il  est  devenu  homme 
comme  vous.  Que  n'avez-vous  pas  à  espé- 
rer d'une  telle  médiation?  Jesum  tibi  dédit 

mediatorem Hé  quoi  1    cependant  vous 

tremblez  encore  1  Homme  pusillanime  ,  jié- 
cheur,  que  craignez-vous?....  Ah  I  j'entends 
la  voix  de  vos  terreurs  secrètes.  Ce  média- 
leur ,  dites-vous,  est,  il  est  vrai,  homme 
comme  moi,  mais  il  est  Dieu  ,  et  les  dou- 
ceurs de  son  humanité  semblent  à  mes 
yeux  se  perdre  dans  l'éclat  de  la  Majesté 
divine.  11  est  mon  frère,  j'en  conviens, 
mais  il  sera  un  jour  mon  juge,  juge  inflexi- 
ble, et  ce  nom  i-edoulable  déjuge  me  glace 
d'ellroi Que  désirez-vous  donc,  pé- 
cheurs ?  Que  voulez-vous  ?  Ah  !  sans  doute 
vous  voudriez  un  trône  de  pure  clémence  , 
un  trône  qui  ne  fût  jamais  environné  d'au- 
cun appareil  de  rigueur,  un  trône  où  la 
bonté  seule  fût  assise  et  qui  fût  pour  vous 
comme  un  premier  degré  avant.d'arnver  au 
Médiateur  suprême Fh    bien  I    le  ciel 


vous  l'a  donné  ce  trône  de  bonté  et  de  clé- 
mence  pure  :  c'est  celui  de  la  bienfaisanle 
Marie.  Il  n'est  rien  dans  Marie  d'effrayant 
et  de  terrible.  Ali,  pécheur!  tout  annonce 
autour  d'elle  paix  et  miséricorde...  Mes 
ciiers  enfants  I  concluait  saint  Bernard,  sui- 
vons donc  la  marche  qui  nous-est  tracée  ; 
qu'elle  est  facile  1  qu'elle  est  douce  pour 
des  hommes  aussi  faibles,  aussi  timides  que 
iioiisl  Allons  à  Jésus  par  Marie,  comme  par 
Marie  Jésus  est  venu  à  nous;  allons  au  Fils 
[lar  la  Mère,  pour  nous  élever  ensuite  au 
Père  par  le  Fils.  Voilà  la  marche,  la  pro- 
gression et  l'abrégé  de  toutes  nos  espérances. 

Pécheurs  !  ô  vous  donc  ,  pécheurs  1  que 
je  voudrais  aujourd'hui  convertir  par  Ma- 
rie, écoutez  en  finissant  ces  paroles  conso- 
lantes :  Marie  est  toujours  votre  mère;  elle 
est  véritablement  voire  mère,  et  toujours 
mère  de  miséricorde  et  de  bonté;  elle  veut 
aujourd'hui  exercer  envers  vous  ces  fonc- 
tions de  mère  allachées  à  son  titre;  fonc- 
tions de  tendresse,  de  protection,  de  par- 
don,  d'intercession,  do  grûces,  et  jamais  de 

rigueur  et  de  sévérité Il  semble  que  son 

Fils  adorable,  en  l'établissant  mère  des  hom- 
mes, refuge  des  pécheurs,  lui  a  dit  :  Ma 
mère,  en  vous  communiquant  mes  pou- 
voirs et  ma  tendresse,  vous  ne  recevrez 
rien  de  moi  qui  inspire  la  terreur...  Moi , 
juge  et  sauveur  des  hommes ,  j'exige  d'eux 
la  crainte  et  l'amour.  O  ma  mère  I  je  no 
veux  partager  avec  vous  que  l'amour. 
Je  ferai  des  menaces,  vous  n'annoncerez 
que  des  promesses  ;  j'infligerai  quelquefois 
des  peines ,  et  vous  n'accorderez  que  des 
grâces.  Ces  mains  si  tendres  qui  m'ont  por- 
té ne  furent  point  destinées  à  lancer  des 
foudres;  qu'elles  ne  ré(»andent  que  des 
bienfaits.  Jamais  voire  front,  plein  d'une 
majesté  douce,  ne  sera  marqué  des  traits 
de  la  colère,  il  n'ollrira  aux  yeux  des  hom- 
mes que  ceux  de  la  clémence.  Les  hommes 
aimeront  uniquement  la  mère  que  je  leur 
ai  donnée  après  l'avoir  choisie  pour  moi- 
même,  et  l'amour  qu'ils  auront  pour  elle 
préparera  leurs  cœurs  à  l'amour  qu'ils  doi- 
vent avoir  pour  moi. 

Ainsi  a  parlé  Jésus...  O  douces  et  conso- 
lantes paroles!.,  heureux  les  cœurs  dociles 
f'our  les  entendre;  heureux  ceux  qui  mé- 
riteront d'en  éprouver  les  ellets  par  une 
confiance  filiale  et  vive  en  Marie  1 

Mes  frères,  puissé-je  être  assez  heureux 
pour  avoir  échauflé  lous  les  cœurs  d'une 
sainte  atfection  au  siTvice  de  Marie?  Puis- 
sé-je avoir  marqué  aujourd'hui  le  front  des 
justes  d'un  signe  de  persévérance  et  de  sa- 
lut, et  avoir  jeté  dans  l'âme  des  pécheurs 
un  germe  de  conversion  toujours  fécond  eu 
fruits  heureux...  Si  quelqu'un  en  doute, 
qu'il  en  fasse  donc  l'heureuse  expérience, 
qu'il  choisisse  parmi  les  prières  que  l'E- 
glise adresse  à  Marie,  celle  qui  le  touchera 
plus  sensiblement ,  qu'il  s'impose  la  loi  do 
la  réciter  lous  les  jours  avec  une  effusion  de 
confiance  et  de  désir,  et  bientôt  il  éprouvera 
que  je  ne  l'ai  {)as  trompé. 

Mais,  ô  Mario,  asile  des  pécheurs!  sou- 


909 


CONFLUENCES.  —  1,  SUR  L\  MISERICORDE. 


910 


frez  quft,  pour  satisfaire  le  zèle  qui  m'en- 
flamme pour  voire  gloire,  je  vous  dematulo 
aujourd'lmi  une  preuve  acluelle  et  prompto 
de  la  vérilé  de  ce  que  j'avance.  S'il  est  par- 
mi ceux  qui  m'écoulent  une  âme  égarée  qui 
vous  invoque  et  réclame  voire  secours...  ô 
Marie!  discernez-la  dans  la  foule,  saisissez- 
la  de  celle  main  puissante  qui  sait  quand  il 
lui  plaît  arracher  à  l'enfer  sa  proie;  et  de 
cette  voir  puissante  et  douce  qui  retentira 
dans  son  cœur,  dites  ,  dites  aujourd'hui  : 
Voilà  ma  conquête;  puissances  des  ténèbres, 


soyez  confondues;  anjjes  du  ciel,  applau- 
dissez à  mon  triûm|)he;  enfants  des  nom- 
mes, connaissez  mon  pouvoir.  O  Jésus I  ô 
mon  fils!  voilà  ma  conquête;  c'est  par  vous 
et  pour  vous  que  je  l'ai  faite,  c'est  à  vous 
que  je  la  présente.  Recevez  celte  âme  dans 
le  sein  de  vos  miséricordes,  lavez-la  dans 
votre  sang  ;  attachez-la  à  vous  avec  lous 
mes  servileurs  qui  sont  toujours  les  vô- 
tres pour  le  temps  et  pour  l'élernilé.  Ainsi 
soit-il. 


CONFERENCES. 


PREMIÈRE  CONFÉRENCE. 

SCR    LA    MISÉRICORDE. 

Misericordias  Domini  in  selernum  eantabo.  (  PsnI. 
LXXXVllI,  2.) 

Je  lie  cesserai  de  publier  les  miséricordes  du  Sci- 
gtieur. 

Les  prédicateurs  doivent-il  traiter  direc- 
tement dans  les  chaires  chrétiennes  le  sujet 
des  miséricordes  divines?...  En  traitant  ce 
sujet  publiquement  devant  des  auditeurs 
sans  choix,  n'esl-il  pas  à  craindre  que  plu- 
sieurs n'en  abusent  pour  s'enhardir  au  pé- 
ché ?  Ne  serait-il  pas  plus  sage  de  réserver 
Jes  consolalions  de  ce  touchant  sujet  pour 
des  instructions  secrètes  ,  où  l'on  peut  les 
appliquer  avec  prudence  selon  les  personnes 
et  les  besoins?  Telles  sont,  chrétiens,  les 
questions  que  se  font  quelquefois  les  mi- 
nistres de  la  parole,  et  que  je  me  suis 
faites  à  moi-même.  A  ces  questions  voiei 
les   réponses  : 

Premièrement  ,  il  est  certain  ,  dans  les 
principes  de  la  foi ,  que  la  parole  de  vive 
voix  ne  doit  être  et  n'est  parmi  nous  qu'une 
explication  de  la  parole  écrite  ,  une  inter- 
prétation des  Ecritures.  Or  ,  puisque  dans 
les  Ecriiures  les  écrivains  inspirés  parlent 
si  hautement  des  divines  miséricordes,  on 
a  donc  pu  ,  dans  lous  les  temps  ,  en  parler 
comme  eux  et  après  eux.  Misericordias 
Domini  in  aiernum  eantabo. 

Secondement,  puisqu'il  est  des  discours 
spécialement  consacrés  à  peindre  les  ter- 
reurs des  vengeances,  il  est  juste  qu'il  y 
eu  ait  aussi  de  consacrés  spécialement  à 
déployer  les  richesses  des  bontés  divines. 
Misericordias,  etc. 

Troisièmement,  il  est  certain,  d'après  la 
tradition  et  les  exemples  des  Pères  ,  que  les 
vérités  de  la  foi  doivent  être  plus  ou  moins 
développées,  selon  le  lemps  et  les  besoins: 
or ,  point  de  temps  ,  point  de  siècle  où  les 
saintes  terreurs  de  la  loi  aient  été  plus  blas- 
phémées que  dans  le  nôtre.  Donc  il  n'est 
point  de  siècle  ou  les  ministres  delà  parole 
soient  |ilus  obligés  de  rappeler  les  saintes 
douceurs  de  la  foi  ,  [)Our  justifier  ses  ter- 
reurs. Misericordias  Domini,  etc. 


Quairièmeraent ,  il  est  des  pécheurs  si 
elfrayés  de  la  grandeur  du  Dieu  qu'ils  ont 
outragé  ,  et  de  ses  jugements  redoutables  , 
si  consternés  de  l'énormilé  de  leurs  crimes 
et  de  la  profondeur  de  leur  malice  ,  qu'ils 
sont  tentés  d'un  désespoir  affreux.  Il  faut 
donc  réveiller  la  confiance  de  ces  grands 
pécheurs,  et  leur  donner  une  espérance  so- 
lide de  leur  |)ardon. 

D'après  ces  réponses,  je  n'hésile  plus, 
mes  frères  ,  à  vous  parler  des  miséri- 
cordes du  Seigneur,  et  à  vous  développer 
tout  ce  qui  peut  établir  et  justifier  celte 
miséricorde.  Elle  est  patiente  et  empres- 
sée. 

Le  Seigneur  vous  attend,  disait  le  pro- 
phète Isaïe:  Exspectaivos  Dominus  ;  il  vous 
attend,  et  pourquoi?  Pour  exercer  envers 
vous  sa  miséricorde  ;  il  sera  glorifié  en  vous 
pardonnant  :  Exspeclat  ut  misereatur  ve- 
stri ;  exaltabitur  parcens  vobis.  {Isai.,  XXX, 
18.)  Dieu  est  patient,  dit  l'apôtre  saint 
Pierre  ,  il  est  patient  pour  vous ,  il  ne  veut 
pas  qu'aucun  de  vous  périsse  ;  mais  il  veut 
que  lous  reviennent  à  la  pénitence  :  Paliens 
est  propter  vos,  nolens  aliquot perire,  sed 
omnes  ad  pœnitentiam  reverii.  (II  Petr.,  III , 
9.)  La  bonlé  du  Seigneur,  dit  l'apôtre  saint 
Paul,  vous  donne  le  temps  du  repentir. 
Mépriserez-vous  les  richesses  de  sa  longa- 
nimité? An  diintias  bonitatis  ejus  contem- 
nitis?  (Rom.  ,  II,  4.  )  O  Seigneur,  s'écrie 
l'auteur  du  livre  de  la  Sagesse,  que  votre 
esprit  est  doux  [)Our  tous  les  hommes  sans 
exception  !  Quam  suavis  est  spirilus  tuus  in 
omnibus.  (Sap  ,  XII,  1.  )  Il  n'en  est  aucun 
(|ue  vous  n'éjiargniez  dans  les  desseins  de 
votre  patience.  Vous  supportez  leurs  of- 
fenses, et  semblez  les  ignorer  dans  l'altetiio 
de  leur  retour. Vous  leur  donnez  le  temjis, 
les  occasions,  les  moyens  de  revenir  à  vous: 
Parois  omnibus,  misereris  omnium,  dissimu- 
las peccuta,  dans  lempus,  locum  pœnilenliœ. 
{Sup.,  XI  ,  2k.) 

Tels  sont  d'abord ,  mes  frères  ,  sur  la 
[)alieuce  du  Seigneur,  quelques-uns  des 
lexles  sacrés.  Pour  les  rappeler  lous,  il  fau- 
dra.l  un  discours  entier  ,    et  il  nous  sufliia 


01! 


ORATEURS  SACRES.  RIBIHR. 


912 


de  faire  ici  quelques  remarques  impor- 
tantes sur  le  premier  caractère  de  la  misé- 
ricorde. 

Observons  donc  premièrement  que  ,  dans 
la  doctrine  des  Ecritures ,  cette  patience  mi- 
séricordieuse n'excepte  et  n'exclut  personne. 
Il  est  des  pécheurs  sans  doute  que  Dieu  at- 
tend plus  longtemps  ,  et  d'autres  qu'il  at- 
tend moins.  Cette  incertitude,  infiniment 
sage,  est  en  même  temps  bien  effrayante; 
mais  tout  eflVayante  qu'elle  est ,  elle  ne 
détruit  pas  pour  cela  la  vérité  consolante  , 
et  qui  est  de  foi,  savoir,  qu'il  n'y  a  jamais 
eu,  qu'il  n'y  aura  jamais  d'homme  pécheur 
sur  la  terre  qui  ,  après  le  péché  exécuté  ou 
conçu ,  n'ait  été  ou  ne  doive  être,  du  moins 
quelque  temps  ,  l'objet  de  la  miséricorde 
divine  patiente  et  lente  à  punir:  Parcis  om- 
nibus... misereris  omnium...  volens  omnes  rê- 
ver li. 

Observons,  en,  second  lieu  que  ,  dans  la 
doctrine  des  Ecritures,  cette  patience  mi- 
séricordieuse du  Seigneur  est  fondée  sur  sa 
puissance  même.  Vous  avez  pitié  de  tous, 
parce  que  vous  pouvez  tout  :  Misereris 
omnium,  quia  omnia  pôles.  Parce  que  le 
Seigneur  est  infini  en  pouvoir  ,  il  semble 
craindre,  en  quelque  sorte,  d'irriter  et  d'ai- 
grir son  pouvoir  infini;  il  le  modère  par  sa 
sagesse;  il  le  captive  par  sa  bonté;  il  res- 
semble, selon  l'expression  du  Prophète  ,  à 
un  guerrier  redoutable  (^ui  retient  sa  colère 
contre  un  imprudent  ennemi  qui  l'outrage; 
il  lui  donne  le  tem[)s  de  la  rétlexion  ,  et  il 
ne  se  lève  enfin ,  pour  venger  sa  cause,  que 
lorsque  l'insolence,  l'obslination  est  portée 
à  l'excès  :  Excitalus  lanquam  potens  Domi- 
nus.  (^Psal.  LXXVll,   05.) 

Observons,  troisièmement,  que  cette  pa- 
tience de  Dieu  est  fondée  sur  son  éternité 
même.  Les  jours  de  l'homme  sont  comptés  , 
nous  dit  l'ecclésiastique;  le  nombre  de  ses 
jours  ,  comparés  aux  siècles  éternels  qui 
ies  renferment ,  ressemble  à  une  goutte 
d'eau  devant  l'immensité  des  mers  :  Èxigui 
anni ,  in  die  œvi ,  quasi  gulla  aquœ  maris  ; 
et  c'est  pour  cela,  conclut  l'iicrivain  sacré, 
propter  hoc,  c'est  pour  cela  môme  que  Dieu 
est  patient  à  l'égard  des  hoiiimes  :  Propter 
hoc  patiens  est  in  illis  ;  c'est  peur  cela  qu'il 
répand  sur  la  brièveté  de  leurs  jours  les 
profusions  de  sa  miséricorde  :  Propter  hoc 
effundit  super  eos  miscricordiamsiiamJEccli., 
XV111,8,  9.) 

Observons,  enfin  ,  que  cette  patience  di- 
vine est  souvent  si  étonnante  dans  ses  misé- 
ricordieuses lenteurs,  que  la  foi  du  juste 
en  est  ébranlée  ,  selon  l'expression  des 
Livres  saints,  la  piété  s'en  attriste,  nos  pieds 
chancellent  comme  ceux  de  David,  en  con- 
templant la  paix  des  pécheurs:  Pêne  moli 
sunt  gressus  mei  pacem  peccatorum  videns. 
{Psal.  LXXII,  2.)  Il  est  des  crimes  si  noirs, 
des  états  de  crimes  si  longs  ,  des  criminels 
si  odieux,  que  notre  zèle  imprudent  s'aigrit, 
s'irrite  et  s'enHamme.  Itous  sollicitons 
presque  les  foudres  du  ciel,  comme  les  en- 
fants de  Zébédée.  Nous  appelons  les  ven- 


geances divines,  trop  lentes,  au  gré  de  nos 
désirs.     ■ 

Zèle  imprudent  et  av(!ugle  !  Heureux  , 
mes  frères,  que  les  vues  de  Dieu  ne  soient 
pas  semblables  aux  nôtres.  Incapable  de 
passion  ainsi  que  d'ignorance  ,  seul  il  voit 
tout,  et  il  voit  tout  bien.  Seul  il  connaît, dit 
le  Sage  ,  la  perversité  de  la  volonlé  de 
l'homme  ,  dont  nous  ignorons  l'étendue, 
l'intensité  ,  les  degrés  divers  :  Vidit  prœ- 
sumptionem  cordis  ,  subversionem  eorum. 
{Eccli.,  XVlll,  10.)  Seul  il  sait  jusqu'à  quel 
point  il  doit  porter  sa  patience  à  l'égard  de 
chaque  pécheur  en  particulier,  quel  inter- 
valle de  temps,  quelle  mesure  de  lenteur 
est  nécessaire  pour  remplir,  à  l'égard  de 
chacun  en  particulier,  les  desseins  de  sa 
miséricorde;  et  malheur  donc  à  nous, 
n)alheur  si  cette  patience  adorable  devenait 
jamais  pour  nous  un  scandale  réfléchi  !  si 
nous  osions  jamais  formellement  l'accuser, 
la  condamner  et  nous  plaindre,  au  lieu 
d'entrer  dans  ses  vues  ,  et  de  souhaiter 
comme  elle,  non  la  mort  ilu  pécheur,  mais 
sa  conversion  etsa  vie  I  Vidit  subversionem, 
ideo  adimplevit  propitiationem  ,  ut  conver- 
lantur  et  vivant.  {Ibid.) 

Hélas  !  quel  esl  celui  de  nous  qui  n'a 
pas  besoin  que  Dieu  prenne  patience  avec 
lui!  Disons  donc  souvent  à  Dieu  comme  ce 
débiteur  de  l'Evangile  :  Patientiam  habe  in 
me.  [Matlh.,  XVliL  29.) 

Cependant,  ô  mon  Dieul  quelque  admi- 
rable et  doux  que  soit  ce  premier  caractère 
de  votre  miséricorde,  s'il  était  seul,  il  ne 
serait  que  glorieux  pour  vous  sans  être 
utile  à  l'homme  pécheur.  En  vain  vous  at- 
tendriez le  pécheur  téméraire;  votre  pa- 
tience ineffable  l'enhardirait  au  crime,  si 
aux  lenteurs  à  le  punir  vous  n'ajoutiez 
l'empressement  à  le  rappeler,  second  ca- 
ractère de  la  miséricorde,  confirmatif  du 
premier,  mille  fois  plus  touchant  encore, 
et  tracé  en  traits  de  flammes  à  toutes  les 
pages  des  Ecritures.  Grands  exemples,  pa- 
roles énergiques,  douces  images,  tout  nous 
y  dépeint  à  chaque  page  les  empressements 
du  Dieu  de  bonté. 

Consultons,  en  effet,  les  Ecritures,  et 
nous  y  verrons  d'abord  que  le  premier 
Ihéûtre  du  péché  fut  le  premier  théâtre  de 
la  miséricorde.  Dieu  n'appelait  Adam  pé- 
cheur, d'une  voix  menaçante,  que  pour  en- 
tendre de  lui  une  réponse  de  repentir;  et 
si,  au  lieu  d'une  réponse  de  repentir  et  de 
douleur.  Dieu  n'entendit  de  la  bouche  de 
l'homme  que  la  vaine  réponse  d'une  justifi- 
cation fausse,  de  qui  l'homme  eul-il  à  se 
plaindre,  si  ce  n'est  de  lui-même? 

Consultons  les  Ecritures,  et  nous  y  ver- 
rons que  le  premier  meurtrier  de  la  terre, 
tout  odieux  qu'il  était,  fut  le  plus  tendre- 
ment appelé  par  la  miséricorde  ;  et  si  le 
fratricide  Caïn  se  précipita,  après  son  crime, 
dans  les  ténèbres  du  désespoir,  peut-il  se 
plaindre  qu'on  lui  eût  refusé  les  douces  lu- 
mières de  l'espérance,  l'offre  de  la  grâce  ot 
du  pardon? 

Consultons  les  Ecritures,  nous  y  verrons 


913 


CONFERENCES.  —  I,  SUR  LA  MISERICORDE. 


yti 


qu'avant  le  déluge  Dieu  fit  avertir  pendant 
cent  ans  les  lioinmes  coupables. 

Consultons  encore  les  Ecritures,  nous  y 
verrons  que  longtemps  avant  de  faire 
i^clater  sa  vt-ngeanco  sur  des  villes  coupa- 
bles, Dieu  leur  envoya  un  juste  pour  les 
rappeler  par  ses  exemples  et  ses  discours. 
La  veille  mùme  du  jour  où  la  vengeance 
doit  éclaier  sur  ces  villes  infâmes,  le  ciel 
parle  encore  par  des  prodiges;  il  envoie 
deux  anges,  les  ministres  de  cette  bonté  qui 
a|)pelle  l'homme  pécheur  jusqu'au  dernier 
instant... 

Consultons  enfin  les  Ecritures,  nous  y 
verrons  que,  pendant  vingt  siècles,  la  na- 
tion juive  tout  entière  fut  une  preuve  con- 
tinuelle des  empressements  divins  à  rap- 
peler les  pécheurs.  Toujours,  au  même 
instant  où  cette  nation  devenait  coupable. 
Dieu  lui  suscitait  des  hommes  de  sa  droite, 
des  hommes  de  miséricorde  et  de  pais,  jiour 
l'inviter  au  repentir;  et  l'on  peut  délier 
hardiment  dans  l'histoire  de  cette  nation, 
dans  l'histoire  de  la  religion  entière,  l'on 
peut  défier  de  montrer  un  seul  exetn|»le  de 
punition  marquée  qui  n'ait  pas  été  précédé 
par  de  fréquentes  invitations. 

El  si  des  exemples  généraux  nous  pas- 
sions aux  faits  particuliers,  quel  champ 
s'ouvrirait  devant  nous!  Que  d'exemples 
innombrables  des  invitations  les  plus  dou- 
ces pour  les  plus  grands  criminels,  après 
les  plus  grands  crimes  1  ..  Quel  crime  que 
celui  de  David,  si  favorisé  de  Dieu,  et  de- 
venu tout  à  la  fois  adultère,  homicide  du 
plus  fidèle  de  ses  sujets!  Quel  aveuglement 
dans  le  crime  !  Près  d'une  année  s'est  écou- 
lée sans  repentir,  et  presque  sans  remords; 
et  cependant  quelle  douceur  dans  le  Dieu 
qui  rappelle;  quels  ménagements,  quelle 
adresse  miséricordieuse  pour  rappeler  plus 
sûrement!  les  reproches  sont  cachés  dans 
la  bouche  du  prophète  sous  le  voile  d'une 
|)arabole;  il  faut  que  David  se  condamne 
sans  se  reconnaître,  afin  qu'il  se  trouve 
sans  excuse  après  s'être  reconnu;  toute  la 
tendresse  des  hommes  inveola-l-elle  jamais 
une  plus  douce  invitation? 

Quelles  odieuses  prévarications  que  celles 
de  tant  de  rois  d'Israël  et  de  Juda  !  Quels 
pécheurs  que  les  Jéroboam,  les  Achab,  les 
Jorairi,  les  Ochozias,  les  Sédécias,  les  Ma- 
iiassé  1  Quels  scandales,  de  la  part  de  ces 
lois,  pour  les  peuples  témoins  de  leurs  ex- 
cès I  Quelle  corruption  dans  les  peuples 
qui  vivent  sous  ces  rois  !  Et  c'est  précisé- 
ment au  milieu  de  tant  d'excès  et  de  crimes 
que  Dieu  fait  entendre,  par  la  voix  de  ses 
|)rophèles  ces  louchantes  invitations  que 
nous  lisons  encore  dans  leurs  divins  écrits, 
que  nous  ne  pouvons  lire  sans  ôlre  émus, 
sans  admirer  et  bénir  l'inelfabie  empresse- 
ment de  la  bonté  qui  les  inspire. 

Mais  tous  ces  laits  éclatants,  généraux 
ou  particuliers,  tous  ces  exemples  connus 
cl  publiésdes  divines  miséricordes,  ne  sont- 
ils  pas  des  preuves  sensibles  des  ojiérations 
secrètes  el  journglières  de  ces  mêmes  mi- 
iéricoides  à  l'égard  de  cha'j[ue  pécheur?... 


Et,  certes,  quel  est  le  pécheur  qui  ne  les 
connutjamais*,  ces  opérations  secrètes,  ces 
touchantes  invitations?  S'il  en  est  un  seul, 
qu'il  se  lève,  qu'il  donne  en  ce  moment  le 
démenti  à  mes  paroles  ;  s'il  est  assez  hardi 
[)0ur  l'entreprendre, qu'il  dise  s'il  n'entendit 
jamais  la  voix  du  reproche  et  du  remords 
retentir  au  fond  de  son  cœur.  Mais  qu'est- 
ce  que  le  reproche  et  le  remords,  sinon  la 
voie  de  la  miséricorde  et  de  la  grâce  qui 
invile  l'homme  au  repentir?  En  combien 
de  manières  différentes  celte  miséricorde 
ineffable,  et  la  grâce  de  son  inter|)rèle  parle 
tous  les  jours  !  Que  de  formes  variées  elle 
prend  1  Que  de  langages  divers  elle  em- 
prunte pour  se  faire  entendre  à  tous  et  à 
chacun  en  particulier  I  Avec  quelle  dou- 
ceur elle  se  plie  aux  caractères  et  aux 
mœurs,  aux  faiblesses  et  aux  défauts!  Elle 
ébranle  les  uns  par  des  terreurs  salutaires  ; 
elle  détache  les  autres  oar  d'utiles  dégoûts  ; 
elle  frappe  celui-ci  par  des  disgrâces  heu- 
reuses ;  elle  prépare  dans  celui-là  la  guéri- 
son  de  l'âme  par  l'infirmité  du  corps;  elle 
choisit  les  moments  favorables,  elle  les 
fait  naître,  elle  en  profite;  elle  demande 
peu  pour  accorder  beaucoup;  elle  garde 
quelquefois  un  silence  ménagé  avec  art, 
pour  rendre  bientôt  après  ses  invitations 
plus  frappantes;  elle  se  tait  pendant  un 
temps  pour  parler  ensuite  plus  haut  et  obli- 
ger le  pécheur  d'être  plus  attentif;  elle  ne 
se  lait  jamais  absolument;  elle  parle  au 
pécheur  le  plus  odieux  ;  elle  parle  jusqu'à 
la  fin;  elle  appelle  jusqu'au  dernier  instant. 
Sa  voix  louchante  et  douce  se  mêle  pres- 
que toujours  aux  derniers  soupirs  même 
de  l'iniquité...  On  dirait,  ô  mon  Dieu!  que 
vous  avez  besoin  de  l'homme;  on  dirait 
que  votre  bonheur  dépend  de  son  retour, 
tant  vos  recherches  sont  constantes  et  vos 
poursuites  empressées. 

Et  de  là,  mes  frères,  de  là  ces  images  in- 
nombrables si  fréquemment  présentées  dans 
les  Ecritures,  et  oiî  nous  voyons  employer 
tour  à  tour,  pour  peindre  les  empressements 
de  la  miséricorde,  tout  ce  que  la  nature 
offre  de  plus  naïf,  déplus  sensible  et  de 
plus  tendre.  Tantôt  c'est  un  maître  désolé 
de  la  dispersion  d'un  troupeau  qui  faisait 
toute  sa  richesse;  il  appelle  à  grands  cris 
ses  brebis  fugitives;  il  s'empresse  de  les 
ramener  au  bercail;  il  promet  de  guérir 
leurs  blessures,  d'élancher  leur  sang,  de 
fortifier  leur  faiblesse  :  Quod  perlerai  re- 
ducam,  quod  confractum  alligabo  (Ezech., 
XXXIV,  16);  tanlôl  c'est  un  ami  fidèle  qui 
frémit  sur  le  dangeroùil  vientd'apprendre 
qu'est  exposé  son  ami.  L'amour  alarmé, 
inquiet,  chasse  le  sommeil  loindesesyeux  ; 
il  prévient  le  lever  del'aurore  ;  il  va  frapper 
à  la  porte  de  celui  qu'il  aime;  il  trouble  à 
grands  cris  un  repos  funeste;  il  n'eslpoint 
de  paix  pour  son  cœur,  qu'il  n'ait  pourvu 
à  la  coMservalion  des  jours  qui  lui  sont 
chers  :  Ainicus  maneconsurgens.  Ici  c'est  un 
père  tendre  qui  a  pitié  de  la  jeunesse  de 
ses  enfanls,  qui  connaîileur  témérité,  qui 
les  avertit,    les  reprend  ,    les  châtie   avec 


ni3 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


0!6 


iimonr  :  Quomodo  mixeretiir  pater  filiorum. 
{Psal.  Cil,  13.)  L^  c'est  une  mère  alteiilive 
qui  ne  snurait  oublier  le  fruildeses  entrail- 
les, qui  veille  sur  un  faible  enfant,  qui  le 
suit  du  cœur  et  de  l'œil,  observe  toutes  ses 
<lémarclies,  se  trouble  en  le  perdant  de  vue, 
cent  fois  le  rappelle  dans  son  sein,  toujours 
prêle  à  courir  elle-même  à  la    seule  ombre 
du  danger  :  Nunquid  oblivisci  potest  mulier 
infanlem  suum,  ut  non  misereatur...  ego  la- 
men  non   obliviscar  lui.  {Isai.,  XLIX,  15.) 
Ailleurs,    le  Seigneur  est  représenté  sous 
le  symbole  d'un  époux  déshonoré,   outragé 
par  une  épouse  perfide.   L'homme  pécheur 
est  représenté  sous  le  nom  de  cette  épouse 
infidèle  et  hardie,  qui  a  donné  à  ses  désor- 
dre.*-  une  publicité  scandaleuse.    Les  hom- 
mes ne  pardonnent  pas  de  tels  outrages; 
l'amour  irrité    devient    fureur;   mais   les 
sentiments  de  Dieu  ne  sont  pas  ceux  des 
hommes......  Infidèle  Israël,  perfide  Juda, 

reviens,  s'écriait -il  par  la  voix  de  ses 
prophètes  :  Revertere ,  aversatrix  Israël  : 
reviens  à  ré()0ux  de  ta  jeunesse,  il  Je 
rappelle  encore,  il  conserve  pour  loi  une 
inclination  d'amour  ;  il  oubliera  tes  per- 
fidies, il  te  rendra  son  cœur,  il  (e  rendra 
jusqu'aux  ornements  de  ta  [ireraière  inno- 
cence :  Oblivisceris  pudoris  adolescenliœluœ. 
(Jer.y  111,  12.) 

Quelles  images,  mes  frères,  quelles  ima- 
ges 1  quels  traits,  ô  mon  Dieu  I  pour  vous 
représenter!  Si  nous  avions  eu  l'audace  de 
les  choisir,  n'auriez-vous  pas  eu  le  droit 
de  les  condamner  et  de  nous  dire  :  Hom- 
mes téméraires,  pourquoi  m'avez-vous  dé- 
gradé? 5  qui  m'avez-vous  comparé?  Cui 
aciimilaslis  tnc?  {Isai.,  XLVI,  5.)  Mais  c'est 
vous.  Seigneur,  qui  les  avez  choisis  ces 
traits  en  apparence  si  indignes  de  vous  ; 
c'est  vous  qui  n'avez  pas  craint  d'être  dé- 
gradé par  eux,  pour  rappeler  par  eux  le 
pécheur  plus  doucement.  Ce  sont  vos  mi- 
nistres qui,  par  vos  ordres,  ont  répandu 
dans  leurs  écrits'  ces  traits  louchants  de 
vos  miséricordes  1  Que  dis-je!  c'est  votre 
Fils  adorable,  c'est  l'envoyé  de  la  miséri- 
corde par  excellence,  c'est  Jésus  lui-môme 
qui  a  présenté  ces  traits  dans  ses  discours, 
qui  les  a  chargés  el  embellis  de  Irails  plus 
doux  encore;  c'est  Jésus  qui  s'est  peint 
comme  un  }>asteur  aliligé,  inconsolable, 
non  lias  seulement  de  la  perle  de  tout  le 
troupeau,  mais  de  l'égarement  d'une  seule 
des  ouailles;  c'est  Jésus  qui  a  peint  son 
empressement  à  rechercher  le  pécheur 
sous  les  traits  a'une  veuve  indigente  qui 
cherche  avec  inquiétude  la  pièce  de  mon- 
naie qu'elle  a  perdue;  c'est  Jésus  qui  s'est 
appelé  le  médecin  des  âmes,  spécialement 
envoyé  pour  guérir  leurs  blessures  ;  c'est 
Jésus  lui-même  qui  a  daigné  se  représenter 
(le  père  du  prodigue)  sous  une  image  plus 
douce,  plus  naïve  que  toutes  celles  que  je 
viens  d  ollrir,  lorsqu'il  s'écriait  avec  une 
si  vive  douleur  :  Jerusalcm,'Jcrusnlem,quo- 
tiesvolui  congrcyare  jilios  tuos  queiniiUuio- 
dum  gallina  conyrcgat  pullos  suos  subulasi 
(/Waf{/i.,  XXIll,  37.)   Quelles  paroles,  me 


fièrps  t  qui  me  donnera  d'en  faire  compren- 
dre l'énergie?  qui  pourrait  y  être  insensi- 
ble? 

Car,  l"  ce  n'est  point  ici  directement  un 
reproche  dans  la  bouche  de  Jésus,  c'est 
une  douce  plainte  ;  ce  n'est  pas  le  mou- 
vement d'une  sainte  colère,  c'est  un  souve- 
nir douloureux ,  qui  semble  subitement 
inonder  son  âme  attendrie.  2°  Pour  mieux 
exprimer  sa  douleur,  Jésus  emploie  le  trait 
le  plus  naïf  qui  soit  dans  l'ordre  des  choses 
sensibles;  il  compare  un  peuple  criminel  à 
de  faibles  oiseaux  qui  vont  devenir  la  proie 
d'un  animal  ravisseur,  et  que  leur  mèreap- 
pelle  en  vain  pour  les  défendre;  il  se  com- 
pare lui-même  à  celle  mère  inquiète;  il 
compare  ses  discours  aux  cris  perçants  et 
douloureux  que  l'instinct  de  mère  lui  arra- 
che; il  s'atllige  et  gémit  de  leur  inutilité, 
3°  Jésus  ne  dit  pas  :  Jérusalem,  je  t'ai  ap- 
{•elée  une  fois  ;  mais  il  dit  avec  vérité  et 
transport  :  Combien  de  fois...  aQaotiesvolui,  » 
combien  de  fuis  j'ai  voulu  rassembler  tes 
enfants!  parole  remarquable  el  sacrée  dans 
le  sujet  que  nous  traitons.  Combien  de  fois 
Dieu  a[)pell8  chaque  [)écheur  personnelle- 
ment!.... combien  de  fois  Jésus  appela 
les  Juifs  !  Quoties  volui  congr égare  filios 
luos'J 

El  certes,  mes  frères,  que  fui  la  mission 
de  Jésus  tout  entière,  telle  que  l'Evangile 
nous  la  présente,  sinon  un  accomplisse- 
ment littéral  el  continuel  de  ces  paroles? 
un  exercice  continuel,  une  image  sensible 
de  cette  miséricorde  ineffable  qui|rappelle 
les  hommes  pécheurs?  Quelle  bonté  ce  ten- 
dre Sauveur  fil  toujours  paraître  envers  les 
pécheurs  qui  l'environnaient!  Le  scandala 
même  des  péchés  les  |)lus  cclalanls  ne  le 
rebutait  point  :  comme  il  se  laissait  habi- 
tuellement aborder,  consulter,  interroger! 
par  qui  ?  par  des  pécheurs.  Comme  il  leur 
répondait  avec  douceur!  comme  il  les  in- 
vitait en  général  !  comme  il  les  prévenait 
quelquefois  en  particulier!  Il  entrait  dans 
leurs  maisons;  il  s'asseyait  à  leurs  tables; 
il  ne  dédaignait  pas  de  manger  avec  eux  ; 
il  fallait  bien  que  sur  ce  point  il  y  eût  dans 
sa  conduite  un  singulier  caractère  de  faci- 
lité et  d'indulgence,  puisque  les  scribes  et 
les  pharisiens,  ces  justes  prétendus  de  la 
synagogue,  en  firent  à  Jésus  un  sujet  spé- 
cial de  reproche,  qu'ils  n'avaient  pas  fait  au 
précurseur  de  Jésus,  quoiqu'il  annonçât 
comme  lui  la  pénitence  :  re[»roche  par  con- 
séquent auquel  n'avait  pas  donné  occasion 
la  conduite  du  précurseur,  plus  sévère  sans 
doute  el  moins  compatissante  envers  les 
pécheurs  que  la  conduite  de  Jésus.; 

Mais  reproche  injuste  el  faux,  criminel 
el  vain,  auquel  Jésus  ne  répondit  jamais 
que  par  des  exemples  toujours  ,plus  mulli- 
[tiiés  de  miséricorde  el  de  tendresse...  tMi- 
séricorde  envers  Zachée  et  tant  d'autres 
publicains  que  Jésus  n'appela  auprès  Je 
lui  que  pour  les  changer  en  des  hommes 
justes,  équitables,  charitables  el  détachés. 
Miséricorde  envers  la  Cananée  infidèle, 
que  Jé.'^us  n'appela  par   ses  prodiges  que 


917 


CONFERENCES.  —  II,  ACCORD  DE  LA  JUSTICE  AVEC  LA  MISERICORDE, 


918 


pour  la  changer  en  une  Israélite  fervente.,. 
Miséricorde  envers  la  pécheresse  de  Jéru- 
salem, que   Jésus  défendit   des   reproches 
pharisaïques,  et  changea  en  une  victime  de 
l'amour  divin...    Miséricorde  envers  la  pé- 
cheresse de  Saraarie,  que  Jésus   n'attendit 
et  n'invita    doucement  par   son    entretien 
que  pour  la  changer  en  apôtre  du  Messie... 
Miséricorde  envers  Pierre,  que  Jésus  n'afi- 
pela  par  un  regard  d'amour  que  pour  chan- 
por  ce  disciple  apostat  en  un  péuitent  sin- 
cère... Miséricorde  enfin  inetTahle,  inexpli- 
cable envers  le  perfide  apôîre  qui  le  trahit. 
Jésus   choisit    et   appelle    l'odieux  Judas, 
malgré  la  prévoyance  de  son  crime;  Jésus 
pendant  trois  années  supporte  l'odieux  Ju- 
das, malgré  la  connaissance  de  ses  premiers 
crimes;  Jésus  plus  d'une  fois   ménage  l'o- 
dieux Judas,  môme  en  montrant  qu'il  con- 
naît le  crime;  Jésusappelle, avertit,  mena- 
ce l'odieux  Judas  au   moment  qui  précède 
le  dernier  crime;    Jésus   enfin  appelle,  in- 
vite encoie,  au  iDoment  môme  oii  le  crime 
est  commis,  il  fait  entendre  un  doux  repro- 
che, il  donne  à  Judas.le  nomd'ami,  lorsqu'il 
ne    mérite  que  celui  de  traître....  Conce- 
vons, mes  frères,  s'il  est  possible,  un  em- 
j)ressementplus  tendre,  une  plus  touchante 
bonté,  et  concluons  avec  la  certitude  de  la 
foi,  que  Jésus,   étant  la  splendeur  de  Dieu, 
le   Verbe  fait  chair,    l'image  consubslan- 
tielle  du  Père  des  miséricordes,  le  Père  des 
miséricordes  nous  offrait  donc  dans  les  ac- 
tions de  Jésus  une  preuve  sensible  etcon- 
vainquantedo  son  empressement  journalier 
à  rappeler  les  pécheurs,   chaque   pécheur 
en  particulier.  Concluons,  avec  la  certitude 
de  la  foi,  non-seulement   qu'il  n'est  point 
de  pécheur  qui  ne  soit  l'objet  de  celle  mi- 
séricorde, patiente  et  lente   dont  j'ai  déjà 
parlé,  mais  encore  qu'il  n'en  est  point  en- 
vers qui  Dieu  n'exerce  avec  plus  ou  moins 
d'étendue    celte  miséricorde    empressée  à 
rappeler,  dont  la  vie  de  Jésus  nous  oUreles 
exemples  continuels,  le  modèle ell'image  : 
Jésus  splemior  suOstanliœ  Dei.    Jtsus   imayo 
bonilulis  illius. 

CONFÉRENCE  11. 

ACCOUD    DE    LA    JUSTICE    AVEC    LA    MISÉBI- 
COBDE. 

Juslilia  et  pas  osculatae  sunt.  {Psal.  LXXXIV,  It.) 
La  miséricorde  et  la  justice  se  concitietU  en  Dieu 

Si  Dieu  le  Père  se  nomme,  dans  les  Ecri- 
tures, lu  Pèie  des  miséricordes  par  excel- 
lence, leDieu  de  toute  (  o:  solalion  :  Paler  mi- 
^ericordiaruin,  Ueus  tolius  consolationis  (IJ 
Cor.,1,  3),  il  s'appelle  aussi  le  juste  Juge,  le 
Dieu  vengeur  :  Judex  justus.  Nous  devons 
dunc.en  parlant  des  miséricordes  du  Seigneur, 
ne  jiorter aucune aileinte  à  sesjusiicesel  à  se.s 
vengear:ces,  parce  que,  si  la  justice  ne  dé- 
liuit  point  la  miséricorde,  la  miséricorde 
non  plus  ne  saurait  déli uue  la  justice.  Mon 
intention  est  donc,  aujourd'hui,  de  concilier 
ou  plutôt  de  justifier  les  (erreurs  de  la  foi 
par  lescaiaclères  de  la  miséricorde,  patiente 
cl  empressée,   dont  nous  .' vous  parlé  dans 


l'instruction  précédente.  Et  ici,  mes  frères, 
je  vous  invite  à  ne  rien  perdre  d'une  dis- 
cussion importante;  nouvelle  pourplusiours, 
consolante  pour  tous';  nécessaire  même  au 
plus  grand  nombre,  surtout  dans  le  siècle 
où  nous  sommes. 

Cflr  remarquez  quR  si,  par  les  objections 
multipliées  et  répétées  sans  cesse  contre  les 
vérités  de  notre  religion  sainte,  il  en  est 
mille  et  mille  dont  la  seule  droiture  fait 
sentir  au  premier  coup  d'oeil  la  foiblesse  et 
la  fausseté,  il  en  est  aussi  de  singulièrement 
dangereuses ,  propres  ^  troubler  et  h  sé- 
duire même  la  foi  des  simples;  telles  sont 
surtout  celles  qu'on  fait  tous  les  jours  contre 
l'élernilé  des  peines,  11  est  donc  de  mon 
ministère  el  de  mon  devoir  de  les  réfuter 
par  le  tableau  des  miséricordes  divines,  tel 
que  nous  l'avons  présenté. 

Première  objection.  La  première  et  une 
des  plus  importantes  objections  est  que  les 
miséricordes  de  Dieu  ne  sauraient  se  con- 
cilier avec  cette  justice  rigoureuse  qui  punit 
une  seule  faiblesse  d'un  seul  moment,  par 
des  châtiments  éternels. 

R,  Développons,  mes  frères,  l'objection 
par  la  supposition  d'un  solitaire  qui,  ayant 
vécu  plusieurs  années  saintement,  se  trouve 
sur[)ris  tout  à  coup  par  un  objet  qui  le  sé- 
duit; il  conçoit  un  désir  criminel  ;  à  ce  mo- 
ment même  un  accident  imprévu  le  frappe. 

Le  voilà  jugé,  condamné,  réprouvé Oii 

est  ici  la  miséricorde?  N'y  a-t-il  pas  une 
cruauté,  une  justice  trop  sévère  dans  le  Dieu 
qui  punit  ?..  Ainsi  parlent  tous  les  jours  les 
ennemis  de  la  foi.  Vous  les  ave/,  entendus; 
je  les  ai  entendus  moi-môme  plusieurs  fois. 
11  est  donc  temps  de  venger  et  de  justifier 
nos  principes. 

Non,  mes  frères,  non  ;  à  s'en  tenir  aux 
paroles  expresses  de  la  supposition,  nous 
ne  sommes  point  obligés  de  l'admettre.  J'en 
atteste,  ô  mon  Dieu  1  vos  paroles  les  plus 
sacrées,  nous  devons  même  la  nier  dans 
ses  termes  odieux.  Je  vous  exhorte,  mes 
frères,  à  la  nier  en  face  de  l'incrédulité 
avec  la  fermeté  de  chrétiens  instruits.  Je  la 
nie  moi-môme  en  ce  moment,  avec  toute  la 
sainte  liberté  de  mon  ministère;  je  la  nie 
comme  une  supposition  manifestement  con- 
traire à  l'esprit  de  la  religion  et  des  divines 
Ecritures.  Pourquoi?  parce  que,  comme  je 
l'ai  démontré  dans  un  précédent  discours, 
il  n'est  rien  de  plus  formellement  marqué 
dans  les  divines  Ecritures  que  l'universalité 
de  la  miséricorde,  patiente  el  lenteà  punir, 
pour  tous  les  hommes  sans  exception.  Or, 
dans  la  sujiposilion  dont  il  s'agit,  ce  soli- 
taire, puni  au  premier  instant  où  il  serait 
coupable,  serait  évidemuient  excepté  de  cet 
ordre  miséricordieux  et  universel  que  les 
Ecritures  nous  présentent;  donc  Dieu  ne 
permettrait  jamais  que  dans  la  supposition 
dont  nous  parlons,  ce  solitaire  meure  subite- 
ment dans  l'état  où  on  le  suppose.  Donc 
cette  su|)position  el  cent  autres  semblables 
iie  sont  dans  la  bouche  de  l'incrédulité  que 
des  su|)posi lions  calomnieuses  et  fausses, 
contraires  aux  paroles  les  plus  expresses 


D19 


ORATEURS  SACRES.  RlBlER. 


520 


des  écrivains  sncrés.  Dieu  a  pilié  de  tous; 
son  esprit  est  doux  pour  tous:  Dieu  nous 
épargne  tous;  il  dissimule  les  péchés  de 
tous  ;  il  veut  la  conversion  de  tous  ;  il  donne 
à  tous  le  temps  et  les  moyens  do  faire  |)éni- 
tence  :   Misereris  omnium,  dissimidans  pec- 

catn nolens  aliquos  perire.  Dons  lempus 

et  locum  pœnilentiœ.  (Sap.,  XI,  24.) 

Remarquez  cependant,  mes  frères,  qu'en 
déployant  ici  les  miséricordes  du  Seigneur, 
je  suis  bien  éloigné  de  mettre  à  sa  justice 
des  bornes  hardies  el  arbitraires  ;  et  Dieu 
me  garde  d'ouvrir  les  cœurs  au  péché,  de 
jeier  dans  les  âmes  une  sécurité  trompeuse, 
une  funeste  présomption;  car,  remar:iuoz 
que,  si  j'appelle  la  supposition  dont  il  s'agit 
calomnieuse  et  fausse,  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  qu'elle  pourrait  cesser  d'être  claire- 
ment opposée  à  l'esprit  de  la  foi  en  y 
changeant  des  circonstances.  Si  donc,  par 
exemple,  ce  solilaire  dont  nous  parlons 
avait  quitté  sa  solitude  sans  nécessité  et 
sans  l'ordre  de  la  Providence,  s'il  s'était  ex- 
posé au  danger  contre  tous  les  remords  de 
sa  conscience,  s'il  avait  plusieurs  fois  mé- 
prisé les  avertissements  de  la  grâce,  qui  le 
pressait  de  fuir  le  danger;  dans  ce  cas,  il 
peut,  j'en  conviens,  tomber  subitement 
entre  les  mains  de  la  justice;  mais  alors  il 
serait  faux  que  le  Seigneur  eût  été  sans  mi- 
séricorde pour  lui  ;  il  serait  faux  que  Dieu 
punit  en  lui  une  faiblesse  d'un  instant  par 
des  châtiments  éternels,  puisque  la  divine 
miséricorde  se  serait  montrée  envers  lui  si 
tendrement  pour  l'empêcher  d'être  criminel; 
puisque  son  crime  formerait  un  tout  comme 
celui  du  traître  Judas,  et  que  son  crime 
serait  précédé  de  tant  de  résistances  fré- 
quentes, constantes  et  obstinées. 

C'est  ainsi  que,  dans  les  principes  de  la 
foi,  se  concilient  la  justice  et  la  miséri- 
corde ;  c'est  ainsi  que  la  foi ,  en  consolant 
l'homme  d'une  part,  lui  laisse  d'autre  [lart 
une  terreur  salutaire ,  et  souvent  nécessaire 
à  sa  fragilité:  car,  si  l'on  pouvait  assurer, 
si  l'on  osait  assurer  qu'un  premier  crime 
n'est  jamais  puni  ,  quelles  funestes  consé- 
quences naîtraient  bientôt  de  celte  doc- 
trine 1  Combien  de  cœurs  présomptueux 
seraient  enhardis  au  péché,  et  comme  ten- 
tés invinciblement  d'être  du  moins  pour  la 
première  fois  impunément  criminels  !..  Mais 
non,  il  n'en  est  pas  ainsi,  et  la  religion, 
par  sa  doctrine,  arrête  et  prévient  cet  abus. 
L'enseignement  de  la  religion  est  infiniment 
doux  et  sage  tout  ensemble  ;  infiniment 
doux,  lorsqu'elle  dit  que  tout  homme  pé- 
cheur est  l'objet  de  la  miséricorde  ,  patiente 
à  punir,  empressée  à  rappeler;  infiniment 
sage,  lorsqu'elle  ajoute  que  celte  miséri- 
corde patiente  et  empressée  peut  se  mon- 
trer avant  le  crime,  si  tendrement  et  si 
pleinement,  qu'après  le  crime  elle  cède  la 
place  à  la  justice  ;  et  par  conséquent,  comme 
il  n'est  point  pour  l'homme  d'olfense  griève 
<jui  ne  soit  précédée  des  invitations  de  la 
miséricorde  ,  il  n'est  point  aussi  pour 
l'homme  d'oifence  griève  et  mortelle  qu'il 
lie  puisse  et  ne  doive  craindre  comme  un 


principe  de  réprobation  possible,  absolu- 
ment et  rigoureusement. 

Ici,  mes  frères,  admirez  et  aimez  cette 
religion  qui,  sans  désespérer  l'homme  fra- 
frile  et  faible  par  trop  de  rigueur,  n'en- 
hardit cependant  pas  l'homme  présomp- 
tueux par  trop  d'indulgence.  Quel  œil  stlr 
et  perçant  aurait  su  trouver  ces  ménage- 
ments sages  et  doux,  ces  tempéraments  de 
terreur  et  de  bonté ,  si  nécessaires  à  l'homme 
pour  tenir  son  cœur  toujours  tremblant 
avant  le  crime  ,  afin  de  l'arrêter;  toujours 
espérant  après  le  crime,  afin  de  le  rappe- 
ler? 

Deuxième  objection.  Mais  comment  con- 
cevoir que  Dieu  ,  avec  une  si  grande  misé- 
ricorde, punisse  d'un  châtiment  éternel  un 
être  aussi  faible  que  l'homme?  Cet  homme 
si  faible  n'est-il  pas  plus  digne  de  pilié  que 
de  colère?  Et  oii  est  donc  la  miséricorde 
avec  une  rigueur  si  excessive? 

R.  Voici ,  mes  frères  ,  un  langage  qu'on 
entend  répéter  tous  les  jours  par  les  enne- 
mis de  la  religion;  mais  s'il  est  bien  plus 
dangereux  ,  plus  séduisant  que  le  premier, 
il  n'en  est  pas  moins  fiiux.  Ici ,  mes  frères, 
renouvelez  votre  attention  ;  car  il  ne  s'agit 
pas  uniquement  ici  de  réfuter  el  de  con- 
fondre l'erreur,  il  s'agit  surtout  de  nous 
instruire  nous-mêmes  ;  il  s'agit  de  nous 
former  des  idées  nettes  et  précises  sur  un 
des  points  les  plus  importants,  l'accord  des 
miséricordes  du  Seigneur  avec  ses  justices; 
il  s'agit  de  fixer,  de  déployer  en  nous  ces 
sentiments  de  crainte  et  d'espérance  tem- 
pérés l'un  par  l'autre,  qui  forment  propre- 
ment notre  état  ici-bas. 

Vous  dites  donc  que  l'homme  csi  un  être 
bien  faible,  mais  si  faible,  qu'il  est  bien 
plus  digne  de  pitié  que  de  colère?...  J'en 
conviens  avec  vous;  et,  certes  ,  en  parlant 
ainsi  vous  ne  parlez  pas  contre  la  foi  ;  je  dis 
plus  ,  c'est  que  la  foi  nous  fait  encore  mieux 
connaître  que  vous  la  faiblesse  de  l'homme. 
Oui  ,oui,  l'homme  est  un  être  bien  faible; 
et  j'appelle  faiblesse  celte  difiîculté  que 
l'homme  éprouve  à  faire  le  bien  que  la  re- 
ligion et  la  raison  commandent.  L'homme 
est  un  être  bien  faible  par  l'esprit,  par  les 
lumières,  par  le  cœur,  pur  la  volonté  ,  par 
l'imagination  et  par  les  sens  ;  et  souvent  la 
liberté  affaiblie  n'oppose  à  tout  l'allraitdu 
mal  que  les  forces  chancelantes  d'un  ma- 
lade languissant ,  exténué,  épuisé...  Vou- 
lez-vous des  textes  de  l'Ecriture  pour  con- 
firmer ces  aveux  sur  la  faiblesse  de  l'homme, 
en  voici  un  qui  les  renferme  tous  ;  il  est 
émané  de  la  bouche  de  Dieu  môme  :  Proni 
sunl  sensus  hominis  ab  adolescentia  in  malum 
[Gen.  ,  VIII,  21),  c'est-'i-dire ,  la  nature 
spirituelle  do  l'homme,  enchaînée  aux  sens 
el  à  la  matière,  a  un  corps  de  péché;  la 
nature  do  l'homme  penche  vers  le  mal 
comme  un  édifice  ruineux  incline  vers  sa 
chute;  l'homme  tend  au  mal  par  son  propre 
poids  comme  une  pierre  tend  vers  sa 
chu  le:  Proni  sunt ,  etc. 

Mais  après  ces  aveux  si  frappants  sur  la 
faiblesse  de  l'homme  ,  refuserez   vous  de 


921  CONFERENCES.  —  II,  ACCORD  DE  L 

donner  à  riionnne  ,  de  reconnaître  en  lui 
les  forces  qu'il  peut  avoir?...  N'est-il  pas 
vrai  (1UC  loiit  faible  qu'il  est,  il  porte  des 
princii)es  de  droiture  ,  de  force  et  débouté, 
et  que,  s'il  est  capable  d'être  surpris  par  la 
fragilité,  il  est  aussi  capable  d'être  éclairé 
par  les  cliutes  mômes  de  sa  fragilité,  capa- 
i)le  de  s'instruire  par  l'expérience  de  sa 
faiblesse,  d'en  prévenir  les  surprises,  d'en 
éviier  les  occasions,  d'apprendre  h  les  pré- 
venir? N'est-il  pas  capable,  surtout  avec  la 
grâce,  de  retour  \ers  le  bien  par  le  repen- 
tir, le  remurds  et  les  lumières  qui  condam- 
nent la  passion  calmée? 

Or,  si  riinmme,  lorsque  la  passion  est 
calmée,  résiste  aux  lumières,  au  repentir, 
aux  remords,  s'il  n'écoule  ni  le  remords 
pour  se  condamner,  ni  le  repentir  pour  s'af- 
lliger,  ni  ses  lumières  pour  s'éclairer,  ni 
son  expérience  pour  se  réformer  et  préve- 
nir sa  faiblesse,  ses  surprises ,  sa  passion 
et  son  emportement,  je  vous  le  demande, 
riiomme  dans  cet  éiat  est-il  simplement  un 
être  faible?  Ne  commence-t-il  pas  à  devenir 
un  être  méchant  et  dépravé  [)ar  sa  faute  ; 
lin  être  plus  ou  moins  méchant ,  selon  que 
la  passion  a  été  plus  forte  ,  les  lumières 
l)lus  vives  après  la  passion,  le  cri  des  re- 
mords plus  impérieux,  la  voix  de  la  cons- 
cience plus  tonnante ,  les  résistances  plus 
constantes? 

Dites-moi,  ne  sonl-ce  pas  les  principes 
de  la  saine  raison  sur  lesquels  vous  jugez 
tous  les  jours  des  égarements  de  vos  en- 
fants, de  l'indocilité  de  vos  inférieurs,  des 
emportements  de  vos  égaux  ,  des  caprices 
injustes  de  vos  raaîlres,  des  fautes  fie  vos 
serviteurs  ,  des  loris  de  vos  amis?  N'est-ce 
pas  d'après  ces  principes  que  vous  vous 
jugez  vous-mêmes ,  que  vous  désirez  que 
les  autres  vous  jugent?  Si  l'on  s'écarte  de 
ces  (irincipes.  ne  criez-vous  pas  à  l'injus- 
tice? Si  l'on  s'y  conforme,  n'entendez-vous 
pas  en  vous  une  voix  saorée  qui  les  ap- 
prouve? Eh  bien,  c'est  précisément,  c'est 
uniquement  sur  ces  principes  que  Dieu 
juge  les  hommes  dans  la  doctrine  de  la  foi 
sur  les  divines  miséricordes. 

D'après  ces  principes,  Dieu,  qui  est  infi- 
nimenl  bon,  mais  qui  est  aussi  essentielle- 
ment saint,  juste  ,  condamnant  le  mal ,  ne 
peut  donc,  sans  se  renier  lui-même  ,  aimer 
une  créature  coupable ,  méchante  ,  obstinée 
dans  sa  malice.  Dieu  ne  peut  donc,  ne  doit 
donc  aimer  une  créature  coupable  qu'au- 
tant qu'elle  peut  cesser  de  l'être,  et  qu'elle 
conserve  encore  pour  cesser  de  l'être,  un 
fonds  d'inclination  ,  de  volonté  et  de  désir... 
Et  nous  ne  craignons  point  de  dire  que  Dieu 
impute  moins  à  l'homme  l'emportement  de 
la  |»assion  qui  le  fait  pécheur,  que  la  résis- 
tance aux  remords  qui  l'empêche  d'être 
pénitent.  Dieu  hait  monis  dans  l'homme  le 
|)éché  que  la  constance  dans  le  [léché.  Plus 
il  y  a  dans  l'homme  pécheur  de  fragilité  et 
de  faiblesse  ,  et  plus  il  y  a  d ms  Dieu  de  mi- 
séricorde ,  de  ménagemenl,  de  compassion. 
Comme  aussi  plus  il  y  a  dans  l'homme 
pécheur  dobsiiualion  ei  de  consiaiicc,  plus 


S.  JUSTICE  AVEC  LA  MISERICORDE. 


922 


il  y  a  dans  Dieu  Je  colère,  de  justice  et 
de  haine;  et  Dieu  ne  devient  enfin  pour 
l'homme  pécheur  uniquement  sévère  et 
juste  qu'au  moment  où  l'homme  lui-même, 
mourant  dans  le  péché,  devient  unique- 
ment méciiant.  De  sorte  que,  remarquez 
ceci,  je  vous  prie,  dans  l'économie  des 
desseins  de  Dieu  sur  l'homme,  el  d'après 
les  principes  de  la  foi,  l'homme  est  une 
créature  faible,  destinée  sur  la  terre  à  ré- 
parer, par  le  secours  de  la  miséricorde,  son 
être  dégradé,  ou  à  le  dépraver  entièrement. 
L'homme  sur  la  terre  devient  tous  les  jours 
ou  meilleur  qu'il  n'est  sous  l'empire  de  la 
miséricorde  pour  être  un  jour  éternelle- 
ment bon  ;  ou  il  devient  plus  méchant  qu'il 
n'est  ,  et  même  formellement  méchant  , 
par  sa  faute,  pour  l'être  aussi  dans  l'éler- 
nilé. 

Et  c'est  ainsi  que  se  concilient  la  justice 
el  la  miséricorde.  La  miséricorde  est  pour 
la  faiblesse,  la  justice  pure  pour  la  mé- 
chanceté pure,  li  n'est  donc  pas  vrai ,  dans 
les  prificipes  de  la  religion  ,  que  Dieu  pu- 
nisse éternellement  l'homme  considéré 
commefaible  ;  il  ne  punit  ainsi  que  l'homme 
considéré  comme  méchant. 

Ecoulez  donc,  mes  frères,  et  instruisez- 
vous  de  notre  religion  pour  vous  défendre 
des  calomnies  injustes  dont  on  veut  la  noir- 
cir. Si  nous  disions  à  l'homme  que,  malgré 
sa  dépravation  et  sa  faiblesse,  sans  secours 
pour  sa  faiblesse,  sans  pitié  pour  sa  fai- 
blesse. Dieu  le  menace  de  châtiments  éter- 
nels, vous  pourriez  être  légitimement  ef- 
frayés; mais  ce  n'est  point  là  mon  langage, 
elje  ne  montre  à  l'homme  les  justices  du 
Très-Haut  qu'après  lui  avoir  montré  ses 
immenses  miséricordes.  C'est,  nous  lui  di- 
sons tous  les  jours,  précisément  [)arce  que 
l'homme  est  faible,  qu'un  divin  libéialeur 
lui  a  été  donné  pour  réparer  ses  crimes  et 
défendre  sa  faiblesse...  C'est  parce  que 
l'homme  est  faible  qu'en  vue  de  ce  divin 
Réparateur  il  reçoit  tant  de  lumières,  tant 
de  grâces,  pourvu  qu'il  veuille  les  désirer, 
les  demander.  C'est  ,  enfin  ,  jiarce  quo 
l'homme  est  faible  que  Dieu  lui  fait  tant 
d'invitations,  lui  ménage  tant  d'instructions, 
d'avertissements,  de  remèdes,  de  sacre- 
ments, de  secours  pour  sa  faiblesse;  qu'en- 
lin  toute  la  religion  entière  n'est  qu'une 
religion  de  miséricorde. 

Mais  si  après  tous  ces  ménagements  <Je 
miséricorde  l'homme  làible  par  sa  nature 
n'a  do  force  que  pour  outrager  son  Dieu, 
si  dans  son  inconstance  il  n'a  de  fermeté 
que  dans  le  mal  ;  si,  attiré  par  tant  de  grâ- 
ces, il  ne  résiste  à  l'attrait  du  bien  que  pour 
suivre  l'attrait  du  mal;  si,  méprisant  sa  fai- 
blesse, il  affronte  tous  les  dangers;  si  par 
malice  il  éloutfe  les  remords,  rejette  tous 
les  secours  offerts  à  sa  faiblesse  el  ne  les 
demande  jamais;  si  enfin  il  abuse  de  cette 
patience  miséricordieuse  qui  attend  sa  fai- 
blesse, dans  cet  étui,  je  vous  le  demande, 
!'hoiiim(!  n'est-il  [)as  méchant,  cl  ne  devient- 
il  [)as  pour  son  Dieu  ,  non  un  objet  de  mi- 
séiicorde,  mais   un  objet  de  justice?  ot  au 


923 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


92J 


grand  jour  du  jugeraenl  Dieu,  justifiant  ses 
éternelles  justices  par  ses  immenses  misé- 
ricordes, ne  soriira-t-ii  pas  à  son  égard 
vainqueur  dans  ses  jugements  ?  Ut  juslifi- 
ceris  et  vincas  cum  judicaris,  [Psnl.  L,  6.) 

Il  est  donc  faux,  et  je  ne  saurais  trop  le 
répéter,  il  est  donc  faux  que  Dieu  punisse 
éternellement  l'homme  faible  considéré 
comme  faible.  II  est  vrai ,  au  contraire, 
exactement  vrai,  il  est  de  foi  que  Dieu,  en- 
chaînant d'abord  absolument  sa  justice  par 
sa  miséricorde,  n'a  pendant  des  temps  et 
dos  temps  que  patience  et  bonté  pour 
l'homme  faible  et  pécheur,  tout  coupable  et 
pécheur  qu'il  est  lorsqu'il  n'est  pas  encore 
raéuhant.  Il  est  de  foi  que  Dieu,  réglant  sa 
justice  par  sa  miséricorde,  ne  devienljuste 
et  terrible  pour  l'homme  pécheur  qu'en 
proportion  que  l'homme  pécheur  cesse 
d'être  faible  et  devient  méchant  ;  enfin  il 
est  de  foi  que  Dieu  ne  devient  éternelle- 
ment juste  et  terrible  qu'au  momentoùle 
pécheur  cesse  d'être  faible  pour  devenir 
éternellement  méchant. 

Troisième  objection.  Mais  luiiiir  éternel- 
lement ?  Il  faudrait  que  le  pécheur  pût  de- 
venir éternellement  méchant....  Oui,  sans 
doute,  il  le  peut....  Il  le  devient  lorsqu'à 
force  de  faire  le  mal  il  perd  tout  amour  du 
bien,  il  ne  veut  plus  le  bien,  il  ne  voit  plus 
même  le  bien  ,  il  désire  du  moins  ne  plus 
voir  le  bien  :  c'est  l'état  du  plus  grand 
nombre  de  ceux  qui  perdent  [)armi  nous  la 
foi....  L'homme  devient  éternellement  mé- 
chant, lorsque,  sans  cesser  de  voir  le  bien, 
il  ne  lèvent  plus  que  d'une  volonté  appa- 
rente et  fausse,  d'une  volonté  trompeuse  ; 
c'est  l'élal  des  pécheurs  obstinés  qui  con- 
servent encore  la  foi  ;...  et  lorsque  la  justice 
divine  frappe  du  coup  de  la  mort  des  [)é- 
cheurs  de  ce  caractère,  ce  n'est,  à  le  bien 
prendre,  ni  lajuslice,  ni  la  mort  qui  les  fixent 
dans  le  péché;  elles  les  y  trouvent  l'une 
et  l'autre  déjà  fixés  par  leur  obstination  ;  et 
par  conséquent,  ne  pouvant  plus  élre  que 
les  objets  d'une  haine  éternelle,  puisqu'ils 
sont  éternellement  méchants. 

Voulons-p.ous  une  confirmation  sensible 
de  cette  vérité  profonde?  nous  la  trouvons 
dans  les  fiaroles  du  souverain  Juge  lui- 
même  dans  la  dernière  sentence  qu'il  por- 
tera contre  les  réprouvés  :  Ite,  maledicti , 
in  ignem  œternum  qui  paratus  est  diabolo  et 
angelis  ejus.  [Malth.,  WV,kl.)Oiii,  lorsque 
l'homme,  inconstant  et  faible  par  sa  nature, 
aura  étouffé,  méprisé  ces  germes,  ces  se- 
mences de  miséricorde  qui  devaient  servir 
à  le  soutenir  contre  sa  faiblesse,  et  se  sera 
fixé  comme  les  mauvais  anges  dans  la  ré- 
bellion et  l'obstination  ;  alors  devenu  sem- 
blable aux  mauvais  anges,  il  sera  puni 
comme  les  mauvais  anges  et  condamné  avec 
eux  à  des  feux  éternels  :  Ite,  maledicti. 

Quatrième  objection.  Mais  pourquoi  tel 
pécheur  est-il  frappé  tout  à  coup  par  la 
justice,  tandis  qu'il  ne  nous  perait  encore 
«lue  faible,  tandis  que  par  la  miséricorde 
tel  autre  est  encore  épargné  qui  nous  parait 
plus  méihaut  que  faible  1....  Questions  im- 


pénétrables sur  lesquelles  il  n'appartient 
cju'à  Dieu  de  répondre....  Nous  sommes 
juges  incompétents  ;  Dieu  seul  scrute  les 
cœurs  et  les  reins....  Sans  juger  les  faits 
particuliers,  il  nous  suffit  de  connaître  les 
principes  généraux....  Cependant  il  est  des 
lumières  que  Dieu  donne  à  l'homme  :  lu- 
mières générales  qu'il  est  utile,  nécessaire 
même  de  consulter,  et  d'après  lesquelles 
nous  pouvons  raisonner...  Or,  d'après  ces 
lumières,  combien  de  pécheurs  que  nous 
connaissons  et  pouvons  connaître,  qui  ne 
peuvent  plus  être  appelés  des  êtres  faibles, 
trompés,  séduits,  entraînés  par  la  passion, 
mais  des  êtres  méchants  et  intimement  dé- 
pravés.... car,  je  le  demande,  par  exemple, 
sont-ils  faibles  ou  méchants  ces  hommes 
atroces  et  sanguinaires  qui,  à  force  de  cri- 
mes, étoulfant  les  remords,  répandraient  le 
sang  humain  comme  l'eau,  et  innonderaient 
la  terre  de  sang,  si  la  justice  humaine,  en 
s'emparant  de  leur  personne,  ne  venaitmet- 
Ire  un  terme  à  leurs  forfaits?  Sont-ils  fai- 
bles ou  méchants  ces  hommes  injustes  en- 
richis depuis  tant  d'années  iiar  d'odieuses 
rapines,  que  les  lois  civiles  n'ont  pu  attein- 
dre? Est-il  faible  ou  méchant  ce  grand, 
enflé  d'orgueil,  qui,  loin  de  répandre  dans 
le  sein  du  pauvre  un  superflu  sacré,  le 
prive  souvent  d'un  juste  salaire  sans  que  la 
voix  de  sa  conscience  puisse  le  rappeler  à 
des  idées  plus  généreuses?  Est-i!  faible  ou 
méchant  cet  époux  perfide,  ce  père  mal- 
heureux, cette  femme?...  Enfin,  sont-ils 
faibles  ou  méchants  ces  pécheurs  de  tous 
étals  si  communs  de  nos  jours,  qui  n'ont 
étouffé  tous  ensemble  les  plus  pures  lu- 
mières de  la  religion  et  de  la  nature  que 
pour  être  tranquilles  dans  le  péché,  se  jus- 
tifier à  eux-mêmes  leurs  propres  péchés, 
s'applaudir  et  triompher  dans  les  excès  de 
leurs  péchés? 

Or,  je  vous  demande,  dans  ces  pécheurs 
dont  je  viens  de  parier,  ne  commençons- 
nous  pas  à  découvrir  non  plus  cette  fragilité 
d'un  être  inconstant  et  faible,  objet  des  mi- 
séricordes, mais  cette  éternité  de  malice 
d'un  être  formellement  dépravé?...  Si  ces 
pécheurs  ne  sont  point  encore  arrivés  à  ce 
point  fatal  de  dépravation  qui  est  le  terme 
précis  de  la  miséricorde  ,  puisque  Dieu  les 
attend  et  les  supporte  encore?  ne  sentons- 
nous  pas  du  moins  qu'ils  approchent  tous 
les  jours  de  ce  terme  épouvantable,  qu'ils 
y  touchent  presque,  et  qu'un  rien  les  sépare 
de  l'une  et  de  l'autre  éternité;  éternité  de 
malice  en  l'homme,  éternité  de  justice  en 
Dieu.  Ici,  mes  frères,  les  justices  du  Très- 
Haut,  tout  effrayantes  qu'elles  sont,  ne 
sont-elles  pas,  en  un  certain  sens,  com- 
mentées, expliquées,  justifiées  par  l'abus 
des  miséricordes  et  la  malice  élernelle  du 
pécheur? 

Car,  mes  frères,  en  citant  ici  les  pécheurs 
de  ce  caractère  au  tribunal  de  Dieu,  quelle 
défense,  quelle  justification  pourronl-ils 
alléguer?  Diront-ils  qu'ils  n'ont  pas  toujours 
péché  ,  qu'ils  ne  doivent  pas  toujours  être 
punis?...  que  leur  crime  est  passé?  que  la 


8S! 


CONFERENCES.  —  II.  ACCORD  DE  LA  JUSTICE  AVEC  LA  MISERICORDE. 


y2tf 


peine  doil  passer  de  môme?  et  ne  vous 
setnb!e-l-il  pas  entendre  sortir  du  tribniinl 
suiirême  cette  l'oudroyanle  réponse  :  Si 
vous  n'avez  pas  toujours  péché,  lequel  des 
deux  vous  a  manqué,  le  désir  ou  le  temps  ; 
la  volonté  ou  le  pouvoir?  Si  vous  aviez  tou- 
jours vécu,  n'étiez-vous  pas  déterminé  à 
péclier  toujours?  ne  formiez  vous  pas  au 
dedans  devons  l'exécrable  désir  de  no  ces- 
ser jamais  de  vivre  pour  ne  cesser  jamais 
de  pécher?...  Allez  donc,  pécheurs  éternels, 
allez  .^  des  tourments  éternels  :  Ile,  mals- 
dicti,  etc. 

O  vous  qui  refusez  de  croire  une  telle 
sentence,  et  alfertez  do  la  mépriser,  vos 
mépris  ne  sont  pas  des  raisons.  Essayez, 
par  précaution  et  [tour  plus  grande  sûreté, 
essayez  de  préparer  d'avance  la  réplique 
qtie  vous  pourriez  faire  à  celte  sentence 
ainsi  motivée,  en  la  res^ardant  seulement 
comme  possible;  et  si  vous  n'en  trouvez 
point  la  rép'icjue,  si  vous  n'en  trouvez  que 
de  faibles  et  d'incertaines  ,  apprenez  du 
moins  à  commencer  h  craindre;  af)prenez 
que  si  une  telle  sentence  doil  être  pronon- 
cée un  jour,  c'est  à  vous  spécialement  à  qui 
elle  est  réservée;  apprenez  à  ne  plus  blas- 
phémer les  terreurs  de  la  foi  justifiée  par 
ses  miséricorde-;. 

Quant  à  nous,  mes  frères,  enfants  et  dis- 
ciples de  la  foi,  que  celte  justification  soit 
fructueuse  pour  nous;  vous  surtout  qui 
m'écoutpz,  et  qui  peut-être  vous  trouvez  en 
ce  moment  placés  dans  l'état  du  péché  ou 
dans  cet  état  d'alternatives  déplorables  de 
pénitences   incertaines   el  de   péchés  trop 

certains Chrétiens   pécheurs,  d'après  la 

doctrine  que  je  viens  d'exposer,  quels  sont 
vos  pensées  et  vos  sentiments?  Ne  crois-je 
pas  entendre  une  voix  secrète  qui  retentit 
au  fond  de  vos  âmes  ?  Puisque  le  Seigneur, 
dites-vous,  est  si  miséricordieux,  si  com- 
patissant, si  patient,  si  empressé  pour 
J'horame  faible,  tout  pécheur  qu'il  est,  lors- 
qu'il n'est  pas  encore  obstiné  dans  le  mal, 
j'espère  donc  toujours  dans  sa  compassion 
pour  ma  faiblesse  ,  et  tant  qu'il  reste  au 
fond  de  mon  cœur  une  étincelle  de  désirs, 
une  inclination  vers  le  bien,  je  no  dois  pas 
si  fort  m'effrayer,  ra'alarmer;  je  n'ai  pas  à 
craindre  que  dans  sa  colère  Dieu  me  pu- 
nisse comme  méchant Paroles  dange- 
reuses, mesirères,  dont  je  comprends  toute 
la  force  comme  j'en  comprends  tout  le 
danger;  car  si  ces  paroles,  dans  une  foule 
de  cœurs,  partent  d'un  défaut  de  droilure 
et  de  sincérité,  ilaris  une  foule  d'autres 
elles  sont  un  fond,  un  mélange  de  vérité. 
Comment  donc  discerner  l'un  de  l'autre  ? 
comment  distinguer,  surtout  dans  un  pé- 
cheur, une  espérance  vraiment  chrétienne 
en  la  miséricorde,  d'une  espérance  fausse, 
criminelle  et  présomptueuse? Le  voici,  mes 
frères,  le  voici. 

Vous  dites,  pécheurs,  que  vous  êtes  bien 
faibles,  et  vous  prétendez  que  tout  ce  que 
je  puis  avoir  avancé  de  plus  fort  sur  l'ex- 
cès de  la  faiblesse  de  l'homme,  sur  la  vio- 
lence des  passions  et  la  tyrannie  du  péché; 


semble  se  réunir  el  se  réaliser  en   vous, 

vous  le  dites,  et  je  le  crois Mais  si  dans 

cette  faiblesse  vous  'voulez  conserver  des 
droits  à  l'espérance  et  ne  pas  devenir  mé- 
chants, voici  le  premier  devoir  qu'un  être 
faible  doit  remplir:  c'est  de  désirer,  d'ap- 
peler, de  solliciter  le  secours...  Or,  ce  se- 
cours, le  désirez-vous ,  l'appelez-vous  ,  le 
demandez-vous?  exposez- vous  à  Dieu  vos 
misères,  vos  passions?  avez-vous  des  mo- 
ments marqués  de  prières?  priez- vous? 
Surtout  priez-vous  en  proportion  de  votre 
faiblesse?  Voilà  le  premier  ordre,  la  pre- 
mière invitation  de  la  miséricorde. 

Vous  êtes  faibles,  je  le  crois;  mais  que 
est  le  second  devoir  d'un  être  ifaible,  sinon 
de  se  défier  de  sa  faiblesse,  ainsi  que  je  l'ai 
dit,  de  s'éclairer,  de  s'instruire,  surtout  de 
fuir  et  de  craindre  les  écueils  contre  les- 
quels si  souvent  échoua  votre  faiblesse.  Or 
ces  écueils,  les  craignez-vous  ?  N'abordez 
vous  jamais  le  danger,  et  n'est-il  jamais 
pour  vous  des  occasions  de  péché  qu'il  vous 
est  possible  de  fuir,  qu'il  vous  est  facile 
de  fuir,  qu'il  vous  est  souverainement  né- 
cessaire de  fuir?Encore  une  fois  les  fuyez- 
vous? 

Vous  êtes  faibles,  pécheurs,  je  le  crois; 
mais  quel  est  le  troisième  devoir  d'un  être 
faible,  sinon  de  chercher  des  remèdes,  des 
préservatifs  de  sa  faiblesse?  Or  ces  remè- 
des, les  cherchez- vous?  n'avez-vous  point 
remarqué  que  des  occu|)ations  utiles,  un 
peu  de  gêne  sur  vos  sens,  des  privations 
salutaires,  une  retraite  plus  sévère  forti- 
fieraient l'âme  contre  le  péché...  Voilà  l'or- 
dre de  la  miséricorde;  mais  cet  ordre,  le 
suivez-vous? 

Enfin,  vous  êtes  faibles,  dites-vous;  mais 
quel  est  le  quatrième  devoir  d'un  être  fai- 
ble, sinon  de  chercher  une  moin  habile  et 
secourable  qui  le  dirige  et  le  soutienne  ?  Or 
cette  ruain  seconrsbie,  prolectrice  et  amie, 
la  connaissez-vous,  l'acceptez-vous  ?  Elle 
est  là  où  vous  la  présente  la  miséricorde  , 
là  où  l'Eglise  vous  presse  de  l'accepter,  dans 
le  tribunal  de  la  réconciliation  el  de  la 
pénitence  ? 

O  vous,  pécheurs  !  si  vous  remplissez  fi- 
dèlement, constamment  ces  quatre  ilevoirs 
que  je  viens  de  vous  présenter,  espérez, 
espérez  en  la  divine  miséricorde.  Jl  n'y  a 
dans  votre  espérance  ni  présomption  ,  ni 
erreur,  ni  mauvaise  foi,  ni  témérité.  Es- 
pérez en  la  divine  miséricorde;  vous  êtes 
par  excellence  son  objet  :  tout  ce  que  j'ai 
dit,  d'après  les  Ecritures,  est  dit  pour 
vous. 

Mais,  hélas!  loin  de  remplir  ces  devoirs 
sacrés,  de  prière,  de  vigilance,  de  préser- 
vatifs, de  conseils,  imposés  à  un  être  fai- 
ble par  le  cri  même  de  la  faiblesse,  ces 
devoirs  indispensables,  si  vous  ne  les  con- 
naissez pas,  alors,  [)écheurs,  alors  de  quoi 
puis-je  vous  répondre?  de  quoi  pouvez- 
vous  prudemment  vous  répondre  à  vous- 
mêmes?  Vous  conservez,  dites -vous,  un 
fonds  de  désirs  pour  le  bien  ;  mais  qu'il  est 
à   craindre  que  ce  désir  prétendu  ne  ao.l 


î>-27 


OUATEURS  SACRES.  RIBIER. 


928 


l'effet  d'une  volonté  apparente  et  sans  ac- 
tion 1  Qu'il  est  à  craindre  qu'avec  une  vo- 
lonté trompeuse,  apparente,  vous  ne  soyez 
déjà  formellement  pécheurs  ;  vous  ne  soyez 
bientôt  plus  un  objet  de  miséricorde,  mais 
un  objet  de  pure  justice. 

O  Dieu  des  justices  et 'des  miséricordes  1 
puissent  vos  regards  perçants  et  infaillibles 
n'apercevoir  ici  parmi  nous  aucun  être  mé- 


chant, aucun  être  destiné  par  son  orira«  à 
devenir  éternellement  méchant  ;  puissiez- 
vous  n'y  apercevoir  que  des  êtres  bons.  Si 
vous  y  voyez  des  êtres  encore  bien  faibles, 
déterminez -les,  ô  mon  Dieu!  à  devenir 
bons  par  votre  grâce,  pour  être  un  jour 
éternellement  bons  dans  le  sein  même  de 
votre  gloire  et  do  votre  intinie  bonté. 
Ainsi  soit-il. 


DISGOLRSPOUR  DES  PREMIERES  COMMUNIONS. 


AVANT  LA  PREMIÈRE  COMMUNION  DES  ENFANTS. 

Le  temple  de  Jérusalem  est-il  préparé 
dans  vos  cœurs,  mes  chers  enfants  ?  vos 
âmes  sont-elles  ornéos  de  toutes  les  vertus 
chréliermes  plus  précieuses  aux  yeux  de 
Di<;u  que  l'or  dont  furent  couverts  les  ché- 
rubins du  sanctuaire?  Avez-vous  conçu  une 
légitime  horreur  du  péché  ?  la  grâce  a-t-elle 
sanctifié  vos  cœurs  ?  Voici  Jésus-Christ  ; 
esprits,  cœurs  parfaits,  jetez  des  yeuxd'ad- 
miralion,  de  reconnaissance  et  d'amour  sur 
l'Auleur  des  perfections  de  la  nature  et  de 
la  grâce.  Pécheurs  endurcis,  éloignez-vous 
ou  venez  dissoudre  la  glace  de  vos  cœurs 
aux  approches  d'un  feu  qui  sait  changer 
lis  pierres  les  plus  dures  en  des  corps  |)lus 
mous  que  la  cire  :  voici  Jésus-Christ.  Tiè- 
dcs  dans  le  service  de  Dieu,  pécheurs  qui 
vivez  sans  aimer  Dieu  et  sans  le  haïr,  sans 
le  servir  et  sans  croire  l'outrager,  sans  le 
craindre  et  sans  compter  sur  ses  faveurs  ; 
voici  Jésus-Christ.  Que  les  enfants  des  Hé- 
breux se  dépouillent  de  leurs  vêtements 
pour  honorer  son  passage,  que  le  |)euj»le 
jonche  de  branches  la  terre  qu'il  fuule  de 
ses  pieds,  que  l'air  retentisse  des  symboles 
(le  son  triomphe,  que  les  grands  et  les  pe- 
tits, que  tous  aillent  au-devant  de  son  en- 
trée à  Jérusalem,  que  mille  voix  confuses 
prononcent  le  môme  cantique  d'honneur  à 
sa  louange,  que  toutes  bénissent  celui  qui 
vient  au  nom  du  Seigneur:  BenedicUis  qui 
venit  in  nomine  Domini  :  hosanna  in  excelsis 
[Matlh.  XXI,  9);  c'est  l'elfetii'une  joie  coiu- 
nuine,  d'une  surprise  générale,  d'une  ad- 
miration universelle  et  d'un  respect  le  plus 
authentique.  Depuis  [)eu  de  temps  le  Sau- 
veur du  monde  avait  ressuscité  le  Lazare 
inhumé  depuis  qualrejours  :  la  mémoire  en 
était  encore  récente  ;  une  nombreuse  po- 
pulace rendant  témoignage  à  ce  miracle, 
fdusieurs  couraient  à  l'odeur  des  parfums 
do  l'Homme-Dien:  Mandas  lotus  posl  cum 
abat.  (Joan.,  XU,  18.  )  Qu'eussent  fait  ces 
ciifanlsi  des  Hébreux  ?  que  n'eût  pas  fait 
tout  le  [)eu[)le,  si,  dégagés  des  intérêts  de 
César  et  éclairés  des  lumières  de  la  foi,  ils 
eussent  connus  lineffabililé  des  bienfaits  de 
l'amour  divin  ?  Leurs  cœurs  n'en  eussent- 
ils  pas  étés  embrasés  ?  rien  eûi-il  été  capa- 
ble de  les  émouvoir  de  leur  zclc  et  de  leur 


ferveur?  Que  devez-vous  faire,  mes  chers 
enfants  ?  De  quel  feu  devez-vous  être  en- 
flammés? Aussi  vifs  que  le  Lazare  ressusci- 
té, dégagés  par  la  pénitence  du  tombeau  oii 
la  malice,  les  ruses  et  les  charmes  du  dé- 
mon vous  avaient  ensevelis  par  le  péché  ; 
éclairés  des  lumières  de  la  foi  et  instruits 
des  vérités  de  l'Evangile  vous  savez  que 
vos  cœurs  appartiennent  à  Jésus-Christ, 
que  Jésus-Christ  est  à  vos  cœurs  par  des 
bienfaits  qui  vous  intéressent  personnelle- 
ment. Jusqu'ici  vous  n'avez  été  que  de  fai- 
bles adorateurs  de  la  Majesté  divine  ;  jus- 
qu'ici vous  n'avez  pas  connu  votre  Dieu  , 
vous  avez  ignoré  le  prix  de  vos  âmes  ;  vous 
avez  vécu  sans  comprendre  la  fin  de  votre 
création  ;  mais  actuellement  vous  allez  de- 
venir des  adorateurs  en  esprit  et  en  véri- 
té, vous  allez  connaître  le  Souverain  de  la 
nature,  que  vous  êtes  l'ouvrage  de  sa  vo- 
lonté et  de  ses  miséricordes,  ce  que  Jésus- 
Christ  a  fait  pour  vous,  ce  que  vous  devez 
faire  pour  Jésus-Christ.  Jusqu'ici  la  grâce 
sanctifiante  a  travaillé  à  vous  rendre  saints 
devant  Dieu,  à  vous  faire  correspondre 
avec  fidélité  aux  dons  qui  vous  ont  été  faits 
pour  opérer  votre  salut,  à  vous  détacher  de 
la  terre  pour  vous  élever  au  ciel  ;  mais  au- 
jourd'hui vous  devez  être  ues  saints,  la  vo- 
lonté de  Dieu  est  que  vous  soyez  des  saints  : 
Hœc  est  voluntas  Dei  sanclificalio  vestra.  (l 
Thess.,  IV  ,  3.  )  Le  cœur  de  Jésus-Christ  est 
l'asile  que  sa  luiséricorde  ouvre  à  vos  fai- 
blesses pour  vous  fortifier,  pour  vous  ani- 
mer, pour  vous  faire  vivre  de  la  vie  dont 
vivait  saint  Paul,  lorsqu'il  s'écriait  :  Ce  n'est 
point  mai  qui  vis,  c'est  Jésus-Christ  qui  vil 
en  moi  :  ajam  non  ego  vivo,  vivit  in  me 
Christus.  »  (  Galat.,  11,  20.)  Une  grâce  ac- 
tuede  vous  est  donnée,  vous  en  devez  sui- 
vre les  inclinations  et  les  mouvements, 
être  tout  à  Dieu.  Aujourd'hui  vous  devez 
faire  une  alliance.  Que  dis-je?  renouveler 
l'alliance  que  vos  pères  et  mères,  que  vos 
parrains,  que  vos  marraines  ont  faite  pour 
vous  avec  Jésus-Christ,  dès  le  premier  mo- 
ment que  vous  avez  été  faits  enfants  de 
Dieu  par  le  sacrement  de  baptême  qui  vous 
a  rendus  aimables  à  Dieu  comme  des  en- 
fants à  un  père.  C'est  aujourd'hui,  c'est  à  ce 
moment  que  l'auteur  de  la  grâce  vient,  mé- 
diateur de  votre  salut,  faire  ses  délices  d'être 


D2'J 


DISCOURS  POUR  DES  IMIEMIERES  COMMUMONS. 


930 


nvec  vous  :  Delicice  meœ  esse  cwn  filiis  homi- 
num.  {Prov.,  Vlll,  31.  )  O  pro(iige  1  ô  mer- 
veille I  ô  mystère  I  ô  puissance  divine  !  ô 
bonté  inefl'.ible  I  Le  Messie,  le  Verbe  fait 
cliair,  le  Fils  de  Dieu  qui  fui  visiter  Jean- 
Baptiste  encore  enfermé  dans  le  sein  de 
sainte  Elisabell),  vieni  aujourd'hui  vous  vi- 
siter, mais  t^randeur  incompréhensible! 
avec  cette  différence  qu'il  n'entra  pas  dans 
le  saint  Précurseur,  qu'il  ne  s'incorpora 
pas  avec  lui,  au  lieu  qu'il  veut  entrer  en 
vous,  s'incorporer  avec  vous,  ne  faire,  n'ê- 
tre plus  qu'une  même  substance  avec  vous; 
le  ciel  s'en  réjouit,  les  fidèles  de  la  terre 
en  sont  édifiés,  les  impies,  les  matérialis- 
tes en  sont  confus,  l'enfer  en  frémit  ;  mais 
prenez  garde,  chère  jeunesse  !  c'est  peut- 
être  de  cette  première  communion  que 
vous  allez  faire  que  dépendent  toutes  celles 
que  vous  ferez  dans  la  suite.  Si  vous  com- 
muniez avec  la  môme  i)uretéquesaint  Jean, 
avec  le  môme  amour  et  la  même  foi  que 
saint  Pierre,  si  vous  recevez  cet  adorable 
sacrement  avec  la  même  sainteté  avec  la- 
quelle tous  les  saints  apôtres  le  reçurent 
au  jour  de  son  institution,  vous  serez  éter- 
nellement heureux  avec  ces  saints  enfants 
de  l'Eglise,  vous  parlicipeiez  aux  faveurs, 
aux  biens  de  l'Eglise,  à  ses  sacrements,  à  ses 
prières,  à  ses  bonnes  œuvres,  à  ses  mortifi- 
cations, à  ses  indulgences.  Vous  deviendrez 
terribles  à  l'ennemi  de  votre  salut,  votre  chair 
sera  soumise  à  votre  esprit,  la  vertu  n'aura 
désormais  rien  de  dur  et  de  pénible  pour 
vous.  Les  peines  temporelles,  les  afflictions 
de  la  terre,  les  croix  du  siècle,  la  pauvreté, 
les  mépris,  les  disgrâces,  les  persécutions, 
les  haines,  les  jalousies  et  les  euvies,  les  in- 
justices ne  vous  abattront  point;  les  eaux, 
Jes  fleuves  de  la  mer  ne  pourront  éleindie 
en  vous  le  feu  de  la  charité,  en  diminuer 
les  légitimes  ardeurs;  les  lenlations  vous 
seront  ui.iles,vous  en  tirerez  avantage; 
vos  tristesses  se  changeront  en  joies,  le 
seul  |)éché,  le  péciié  seul  sera  l'objet  de 
votre  aversion,  de  votre  indignation,  de  vos 
craintes  ;  il  ne  faut  qu'une  bonne  commu- 
nion pour  vous  tout  changer,  vous  instruire 
des  satisfactions  du  ciel,  vous  donner  tout 
à  Dieu,  vous  enflammer  de  son  amour,  vous 
remplir  de  sa  grâce,  vous  rendre  entière- 
ment agréables  à  ses  yeux;  mais,  encore  une 
fois,  prenez  garde,  si  vous  êtes  assez  mal- 
heureux pour  communier  comme  Judas, 
pour  faire  une  mauvaise  communion,  pour 
recevoir  l'Homme-Dieu  en  péché  mortel, 
dans  un  esprit,  avec  un  cœur  contraire  à 
l'csprit  et  au  cœur  de  Jésus-Christ,  Dieu  et 
homme  tout  ensemble,  vous  périrez  comme 
Judas,  vous  serez  les  sujets  de  l'exécration 
de  Dieu  comme  Judas,  vous  éprouverez  les 
terribles  malédictions  de  Dieu  comme  Ju- 
das; disons-le,  vous  serez  damnés,  vous 
brûlerez  dans  l'enfer,  vous  y  maudirez  Dieu 
comme  Judas,  vos  joies  seront  suivies  de 
tristesses  affreuses  l  (Que  l'impie  nie  toutes 
ces  vérités,  ou  qu'il  cesse  d'être  impie.)  Ha  1 
que  vous  a  fait  Jésus-Christ,  mon  cher  en- 
lunl,  pour  le  venir  outrager  dans  le  sacre- 


ment de  son  amour  1  David  n'a  pas  été 
trouvé  digne  de  bâtir  un  temple  au  Seigneur 
à  Jérusalem,  avec  un  cœur  selon  le  cœur  de 
Dieu,  il  a  été  rejeté  de  Dieu  ;  et  vous,  mon 
enfant  I  voudriez-vous  édifier  de  vous-même 
un  temple  à  Jésus-Christ  dans  un  cœur  op- 
posé au  cœur  de  Jésus-Christ?  vous  appro- 
cher de  Jésus-Christ  humble  avec  un  esprit 
orgueilleux?  de  Jésus  Christ  la  sainteté 
même  avec  un  cœur  corrompu?  Oseriez- 
vous  crucifier  de  nouveau  Jésus-Christ  par 
une  mauvaise  communion  ?  oseriez-vous 
vous  unir  à  Jésus-Christ,  approcher  de  Jé- 
sus-Christ avec  une  conscience  souillée  do 
péchés?  Qu'ai-je  pu  faire  pour  vous  que  je 
n'aie  fait,  dit  le  Seigneur?  je  me  suis  atten- 
du à  de  bons  fruits,  ne  m'en  présentez-vous 
que  de  mauvais?  je  vous  ai  aimés,  ne  m'ai- 
mez-vous pas,  moi  qui  suis  le  Seigneur 
votre  Dieu?  Je  vous  ai  instruits  par  la  voix 
de  mon  serviteur  votre  curé,  seriez-vous 
assez  hors  de  vous-mêmes  pour  n'avoir  pas 
profité  de  mes  instructions?  Je  vous  ai  donné 
le  temps  de  faire  pénitence,  pourquoi  no 
ravez-vous|)as  faite?  Ma  justice  a  foudroyé 
les  anges  rebelles  api  es  un  seul  péché;  ma 
miséricorde  vous  souffre,  elle  vous  supporte 
depuis  longtemps  ;  j'ai  frap[)é  h  la  porte  de 
voire  cœur,  votre  cœur  se  serait-il  endurci  1 
les  sépulcres  se  sont  ouverts,  la  terre  a 
tremblé,  le  voile  du  temple  s'est  déchiré  en 
deux,  de|)uis  le  haut  jusqu'en  bas,  le  soleil 
s'est  obscurci  à  ma  mort;  votre  cœur  se- 
rait-il un  sépulcre  fermé  à  mon  amour,  h 
mon  cœurl  La  nature  prête  à  recevoir  son 
Créateur,  ou  pour  son  salut  ou  pour  sa 
damnation,  jouit-L'Ile  d'une  sécurité  caj)able 
d'affermir  ses  espérances?  Un  voile  hypo- 
crite ne  couvre-l-il  pas  les  horreurs  d'un 
cloaque  d'ordures?  L'amour-propre  cède-t-il 
à  la  lumière  de  la  foi?  Je  vous  ai  montré  le 
chemin  du  ciel,  n'avez-vous  suivi  que  celui 
de  l'enfer?  O  mon  âme!  ma  créature  !  ma 
victoire  1  mon  triomphe  !  ma  brebis  1  mon 
enfant,  mes  bras  sont  étendus  à  la  croix 
pour  vous,  n'en  détournez  pas  vos  yeux; 
des  plaies  de  mes  pieds,  de  mes  mains  el 
de  mon  côté,  de  tout  mon  corps  sortent  des 
grâces  de  salut,  puisez-y;  mon  cœur  est  un 
océan  de  vertus,  le  trésor  des  perleclions  do 
la  nature  el  de  la  grâce,  la  fournaise  de  l'a- 
mour de  Dieu,  le  principe,  la  règle  du  zèle 
el  de  la  ferveur,  la  miséricorde!  approchez 
avec  confiance,  si  vous  êtes  du  nombre  des 
fidèles,  si  vous  désirez  jouir  de  la  vie  de  la 
grâce,  si  votre  foi  est  soutenue  par  les 
moyens  qui  lui  sont  pro[)res.  Je  vous  ai 
créés  pour  une  vie  éternelle  de  bonheur, 
accomplissez  dans  votre  chair  ce  qui  me 
reste  à  souffrir  ;  je  vous  offre  les  moyens  de 
parvenir  à  la  félicité  des  saints,  servez-vous 
de  ces  moyens.  Je  vous  ai  rachetés  par  l'ef- 
fusion de  mou  sang,  mon  sang  a  été  le  prix 
de  votre  rédemption,  ne  lu  rendez  pas  inu- 
tile; mon  es})rit  se  présente  à  vous  pour 
vous  sanctifier,  coopérez  à  ma  grâce,  ayez 
pilié  de  voire  âme,  ne  la  rendez-pas  éternel - 
Jument  malheureuse  :  Miserere  uniinœ  tuœ 
placcns  Deo.  [Eccli.,  XXX,  2'i-.]  Considérez 


951 

qu'il  n'y  a  rion  de  plus  à  cramdro  qu'une 
communion  indigne,  souvenez-vous  qu'il 
n'y  a  rien  de  plus  horrible;  considérez  qu'il 
n'y  a  aucun  péché  qui  renferme  plus  de 
malice  et  d'ingralilude,  souvenez-vous  qu'il 
n'y  a  aucun  péché  que  Dieu  punisse  plus 
sévèrement  dans  ce  monde  et  dans  l'autre, 
sur  la  terre  et  dans  l'enfer;  sur  la  terre  pur 
l'endurcissement  du  cœur,  une  malheureuse, 
une  séduisante  pros[)érité,  un  bonheur  fu- 
neste, une  félicité  toujours  à  craindre,  une 
tranquillité,  un  sommeil,  une  paix  qui  con- 
duisent à  l'impénitence  finale;  dans  l'enfer 
fiar  les  supplices,  les  tourments,  les  tortures, 
es  grincements  de  dents,  les  larmes  ut  le 
désespoir,  le  soufre  et  le  feu  ;  par  la  priva- 
tion de  l'héritage  pour  lequel  nous  sommes 
créés,  par  l'inimitié  et  la  haine  de  Dieu. 
Arrête-toi,  Judas,  n'avance  pas  davantage; 
c'est  assez  d'avoir  profané  le  sacrement  de 
pénitence  en  cachant  une  partie  de  tes  pé- 
chés à  confesse,  en  les  déguisant,  en  le 
trompant,  en  te  séduisant  toi-même;  ne  viens 
pas  encore  mettre  le  sceau  à  ta  réprobation 
en  t'ap[>rochant  de  Jésus-Christ,  qui  peut 
permettre  à  la  terre  de  s'ouvrir  dessous  tes 
pieds  pour  te  livrer  dès  maintenant  à  l'en- 
fer. Celui  qui  ne  mange  point  la  chair  du 
Fils  de  Dieu,  celui  qui  ne  boit  pas  son  san^, 
n'a  pas  la  vie  de  la  grâce;  celui  qui  mange      I 


impies,  aux 
aux  incrédu- 


cette  chair  adorable,  celui  qui  boit  ce  sang 
précieux  qui  a  été  répandu  pour  la  rédemp- 
tion des  hommes,  est  dans  la  jouissance, 
dans  la  possession  de  cette  vie  de  salut,  nous 
dit  JésuS'Christ  ;  mais  que  l'homme  s  éprouve 
lui-même,  nous  dit  l'apôtre  saint  Paul  : 
Probet  autem  seipsum  hoino.  (I  Cor.,  XI, 
28.)  Que  celui,  que  celle  qui  s'en  veut  ap- 
procher exarniiLe  bien  son  propre  cœur;  que 
les  uns  et  les  autres  sondent  bien  les  plis  et 
les  replis  de  leurs  consciences  :  Qui  eniin 
manducat  et  bibil  indigne,  judiciutti  sibi 
manducat  et  bibit  {Ibid.,  29);  car  celui  qui 
mange  ce  corps  adorable  et  boit  ce  sang 
précieux  indignement,  njange  et  boit  son 
propre  jugement  et  sa  propre  condamnation. 
O  vous  tous,  fidèles  chrétiens,  qui  êtes  mes 
amis,  arrêtez-vous,  dit  la  victime  de  propi- 
tiation; faites atienlion,  et  voyez  s'il  est  une 
douleur  semblable  à  la  mienne  l  O  vos  om- 
nes  qui  transitis  per  viam,  attendue  et  videle 
si  est  dolor,  sicut  dolor  meus  !  [Thren.,  I,  12.) 
M  J'ai  élevé  des  enfants  je  les  ai  nourris  et  ils 
m'ont  méprisé  :  »  Filios  enulrivi  et  exalluvi, 
ipsi autem spreverunt  me!{lsai.,  1,2.)  «  deux, 
écoutez  :  que  toute  la  terre  prête  l'oreille  à  la 
voix  du  Seigneur  :  »  Audite,  cœli,  et  auribus 
percipi',  terra,  quoniam  Dominas  locutus  est, 
{Ibid.}  «  Je  vous  ai  appelés  et  vous  ne  m'avez 
pas  écouté  :  »  Vocavi  et  renuistis  !  «  J'ai  étendu 
la  main,  et  vous  ne  l'avez  pas  regardée  :  » 
Extendi  manum  meam,  et  non  fuit  qui  aspi- 
ceret  !  [Prov.,  l,  2k.)  a  Je  vous  ai  donné  des 
conseils  et  vous  ne  les  avez  pas  estimés:» 
Despexislis  omne  consilium  meum  t  [Ibid. , 
25.)  Je  vous  ai  repris,, j'ai  employé  les 
moyens  ordinaires  pour  vous  corriger,  vous 
avez  négligé  mes  léprimandes,  mes  correc- 
tions, vous  avez  rejeté  mes  moyens,  ie  bœuf 


ORATEURS  SACRES.  RIBIEK.  'ôZi 

connaît  celui  à  qui  il  appartient,  et  l'animal 
.>iuitrétable  de  son  maître,  mais  Israël  ne  m'a 
pas  connu!  mon  peuple  a  été  sans  intelli- 
gence, .sans  entendement  I  {Isai.,  I,  3.) 
Je  me  suis  livré  à  la  mort  pour  lui  pro- 
curer la  vie,  et  j'ai  obligé  des  ingrats  1 
Ma  mort  sera  inutile  aux 
matérialistes,  aux  injustes  , 
les,  aux  imjmdiques,  aux  avares,  aux  ivro- 
gnes, aux  médisants,  parce  qu'ils  n'en- 
treront point  dans  le  royaume  des  cieuï, 
parce  qu'ils  périront  tous,  s'ils  ne  font  do 
dignes  fruits  de  pénitence.  Mon  corps 
est  une  nourriture  qui  n'est  utile  qu'aux 
âmes  saintes,  qu'aux  chrétiens  et  chré- 
tiennes dont  les  œuvres  sont  conformes 
à  la  foi,  qu'à  ceux  qui  me  cherchent 
avec  des  esprits,  avec  des  cœurs  selon  mou 
esprit  et  selon  mon  cœur.  Les  lévites  eu- 
rent ordre  dans  la  loi  de  Moïse  de  se  pu- 
rifier pour  porteries  vases  du  temple  I  Je 
me  suis  choisi  une  mère  vierge,  j'ai  plus 
aimé  mon  disciple  Jean  que  mes  autres 
apôtres,  parce  qu'il  était  le  seul  vierge,  le 
plus  chaste  de  tous  ;  j'ai  voulu  être  en- 
seveli dans  un  linceul  sans  tache,  el  être 
inhumé  dans  un  sépulcre  propre,  sans  or- 
dure, neuf!  Je  ne  trouve  ma  félicité  que 
dans  des  cœurs  purs,  et  aujourd'hui,  tous 
es  jours  dans  la  communion ,  au  pied 
des  autels,  à  ma  table,  au  mépris  des  ri- 
chesses de  ma  grâce,  des  pécheurs  sans  pé- 
nitence, des  hypocrites  osent  s'approcher  de 
moi,  du  plus  redoutable  de  tous  les  sacre- 
ments, profaner  ce  qu'il  y  a   de  plus  au- 


guste et  de  [ilus  saint  dans  la  religion, 
dans  l'Eglise,  dans  le  monde  ;  me  crucifier 
de  nouveau,  dit  Jésus-Christ  :  Altendite 
el  videte  si  est  dolor  sicut  dolor  meus  !  {Thren., 
1,  12.)  O  abîme!  ô  profondeur!  ô  impéné- 
trabilité 1  Hic  positus  est  in  ruinam  et  in 
rcsurrectionem  multorum.  {Luc.,  Il,  34-.)  Jé- 
sus-Christ est  là,  Jésus-Christ  est  dans  cet 
auguste  sacrement  {)Our  la  ruine  et  la  ré- 
surrection d'un  grand  nombre  de  personnes, 
pour  la  perte  et  le  salut  d'un  grand  nombre 
de  chrétiens  I  Jésus-Christ  est  dans  ce  ci- 
boire une  source  de  toutes  grâces  pour 
ceux  et  celles  qui  ne  s'approchent  de  lui 
qu'avec  une  âme  bien  purifiée,  qu'après 
avoir  fait  une  bonne  confession  ;  j'en  re- 
viens toujours  là,  mais  c'est  une  source 
de  malheurs  et  de  désespoir  pour  ceux  et 
celles  qui  craignent  plus  les  hommes  que 
Dieu  ujême,  pour  ceux  et  celles  qui  ne 
s'approchent  de  ce  [)ain  mystérieux  quo 
par  hypocrisie,  que  par  coutume,  que  par 
habitude,  que  pour  satisfaire  à  l'extérieur 
de  la  religion,  que  pour  sauver  les  ap- 
parences et  acquérir  la  tranquillité  des  âmes 
réprouvées.  Je  frémis  quand  je  pense  que 
de  douze  apôtres,  il  y  a  eu  à  l'école  de 
Jésus-Christ  un  scélérat,  un  malheureux, 
un  indigne  communiant  1  Je  frissonne,  je 
crains,  j'appréhende  qu'il  n'y  en  ait  quel- 
que semblable  parmi  vous  ;  vous  aurez 
beau  dire  que  la  vue  de  vos  parents  vous 
a  engagés  à  recevoir  la  sainte  Eucharis- 
tie, quo   la    crainte   vous   a  c-rapéchïs  do 


953 


DISCOURS  POUR  DES  PREMIERES  COMMUNIONS. 


\)Zl 


dt^clarer  toutes  vos  iniquilés,  que  vous 
n'avez  pu  surmonter  la  honte  que  vous 
en  avez  conçue,  que  vous  avez  cru  ne 
pas  pécher  par  la  mauvaise  conscience 
que  vous  vous  êtes  faite,  que  le  monde, 
que  le  malliuureux  qu'en  dira-t-oii  vous 
a  séduits,  qu'il  vous  a  em|)6chés  de  dill'ô- 
rer  votre  communion,  que  vous  avez  lait 
comme  les  autres,  que  vous  avez  consulté 
des  docteurs  en  place,  que  vous  avez 
écouté  des  chrétiens  de  nom,  des  idolâ- 
tres de  cœur,  aveuglés  par  leur  présomp- 
tion, des  orgueilleux  qui  ont  l'apparence 
trompeuse,  Iristes  et  malheureuses  victimes 
des  illusions  de  leur  esprit  et  de  la  corrup- 
tion de  leur  cœur  ;  nulle  excuse  ne  |)0ur- 
ra  vous  juslitier  devant  le  souverain  Juge 
des  vivants  et  des  morts;  rien  ne  sera 
capable  de  vous  soustraire  à  sa  vengeance, 
il  ne  pardonnera  pas  aux  profanateurs  de 
son  corps  :  Si  dercliquens  eum  projiciet 
te  in  œterniim  (1  Par.,  XXVIII,  9};  ii  ne  le 
pardonnera  |)as.  mon  cher  frère,  indigne 
communiant  qui  endurcis  ion  cœur  à  sa 
grâce  :  Projiciel  te  in  ceternum  ;  lu  é[irou- 
veras  comme  Judas,  mais  Irop  lard,  com- 
bien il  est  horrible  de  tomber  entre  les 
mains  du  Dieu  vivant  :  Quam  horrcndum 
est  incidere  in  manus  Dei  vicentis.  [Hebr.,  X, 
31.jMaisque  dis-je?  mes  chers  enfants;  non, 
non,  non,  voire  piété  me  rassure,  ma  crain- 
te se  dissipe  ;  le  zèle  avec  lequel  vous  vous 
êtes  instruits  de  la  doctrine  de  la  reli- 
gion, l'ardeur  avec  laquelle  vous  avez  dé- 
siré recevoir  Jésus-Christ,  les  heureuses 
dispositions  que  vous  avez  reçues  du  Père 
des  miséricordes,  la  capacité  que  j'ai  connue 
en  vous,  les  motifs  d'édification  qui  ont 
excité  mou  propre  zèle,  la  foi  qui  vous 
éclaire,  l'espérance  qui  vous  anime,  la  cha- 
rité qui  vous  brûle,  l'humante  qui  vous 
coulieiit,  votre  docilité  à  vous  soumettre 
aux  austérités  de  la  |)éniteuce,  vos  sacrifi- 
ces, vos  ponctualités,  votre  candeur,  ueme 
j'ermellenl  pas  de  douter  de  la  sincérité  des 
marques  avantageuses  qui  m'ont  engagé, 
qui  m'ont  pressé,  qui  m'ont  décidé  à  vous 
admettre  à  la  participation  des  divins  mys- 
tères. Vous  avez  attiré  sur  vous  les  béné- 
dictions de  vos  pères  et  mères  qui  m'ont 
rendu  de  bons  témoignages  de  votre  con- 
duite, qui  ont  oublié  vos  défauts  pour  ne  se 
souvenir  que  de  la  tendresse  qui  leur  est  pro- 
pre, dans  la  douce  es[)éraiice  que  vous  se- 
rez dans  la  suite  leur  joie,  leui-  gloire  et 
leur  consolation.  Vous  les  avez  priés  de 
vous  pardonner  tous  les  chagrins  que  vous 
leur  avez  donnés,  toutes  les  peines  que 
vous  leur  avez  faites,  toutes  vos  désobéis- 
sances, tous  vos  manquements  de  respect  ; 
vous  leur  avez  prouiis  ce  que  le  ciel,  ce 
que  la  nature,  la  religion  et  l'honneur,  ce 
que  la  piété  et  la  reconnaissance  exigent 
de  voua;  allons  avec  confiance  à  l'Auteur 
de  la  grâce,  à  Jésus  -  Christ ,  à  notre 
Dieu. 

Flexis  geniOus  coram  Sacramento. 

Mon  Dieu,   mon  Seigneur,  mon  refuge, 


mon  amour,  mon  tout!  je  vous  demande 
pardon  pour  les  enfants  que  vous  m'avez 
confiés  I  Père  éternel,  pardonnez-leur  tous 
les  péchés  qu'ils  ont  commis;  mon  Dieu, 
créateur  de  toutes  choses,  pardonnez  à  vos 
créatures  formées  à  voire  image  et  ressem- 
blance; ayez  pour  aj^réable  la  prière  que  je 
vous  en  fais  pr()Sterné  devant  le  corps 
ailorable de  voire  Fils;  Jésus,  fils  de  David, 
reconnaissez  votre  image.  Ne  rejetez  pas. 
Seigneur,  Fils  éternel  du  Père,  des  cœurs 
contrits  et  profondément  humiliés!  daignez 
entendre  leurs  soupirs,  voyez  couler  leurs 
larmes,  donnez-nous  accès  dans  votre  cœur  ; 
cœur  sacré  de  Jésus-Christ ,  recevez-moi 
avec  les  enfants  que  je  vous  présente;  re- 
cevez tous  ceux  qui  sont  ici  pénétrés,  saisis 
de  sentiments  de  componction  1  ressuscitez 
les  morts  à  voire  grâce  1  placez-nous  vous- 
même  où  nous  désirons  habiter  tous  les 
jours  de' notre  vie  et  dans  la  sainte  éternité  I 
rendez  notre  foi  telle  qu'elle  produise  en 
nous  les  fruits  de  votre  amour!  soutenez 
nos  espérances  par  des  œuvres  qui  lui 
soient  conformes,  conformes  à  noire  foi  ! 
consumez  nos  cœurs  confondus  dans  le  vôtre, 
par  le  feu  d'une  charité  qui  détruise  en  nous 
tout  ce  qui  pourrait  former  obstacle  à  notre 
bonheur!  Esprit-Saint,  éternel,  éclairez- 
nous,  échaulfez-nous,  fortifiez-nous,  sancti- 
fiez-nous !  Trinité  incom()réhensible  !  nous 
consacrons  nos  adorations  à  vos  personnes, 
noire  reconnaissance  à  vos  bienfaits,  notre 
obéissance  a  vos  préceptes,  notre  confiance 
à  vos  bontés,  nos  .imitations  à  la  gloire  de 
tous  vos  attributs  ;  pardon,  ô  mon  Dieu  1  pour 
le  passé.  Grâce,  grâce!  miséricorde!  misé- 
ricorde! Montrez  que  vous  êtes  Dieu  de 
miséricorde  ,  qu'il  vous  appartient  de  re- 
mellre  les  péchés,  de  faire  des  saints  ! 

Erecto  corpore. 

Courage,  mes  chers  enfants,  courage  !  I9 
ciel  est  à  nous  ;  le  Dieu  du  ciel  et  de  la  terre 
nous  est  favorable,  il  nous  est  propice!  Le 
ciel,  la  terre,  les  yeux,  les  cœurs,  les  vœux, 
l'altitude,  les  sacrifices  des  fidèles,  leurs 
satisfactions  parlent,  ils  s'intéressent  pour 
nous. 

Faites  actuellement  avec  moi  les  actes  de 
foi,  d'humilité,  de  contrition,  d'amour  et  de 
désir. 

Mon  Sauveur  Jésus-Chrisl,  je  crois  aussi 
fermement,  que  si  je  vous  voyais  des  yeux 
du  corps,  que  c'est  vous  que  je  vais  rece- 
voir, en  recevant  le  très-saint  sucremeiitde 
l'autel. 

Proslernez-vous ,  mes  enfants  ,  recon- 
naissez combien  vous  êtes  indignes  de  la 
communion  que  vous  allez  faire,  et  ayez 
tout  à  la  fois  la  confiance  du  cenlenier. 
Excitez-vous  à  la  douleur  de  vos  péchés; 
que  le  Saint-Esprit  produise  dans  vos  cœurs 
les  sentiments,  les  mouvements  d'une  con- 
Irilion  parfaite. 

Mon  Dieu,  je  suis  infiniment. indigne  que 
vous  entriez  en  moi,  mais  dites  saulement 
une  parole  et  mon  âme  sera  guérie. 

Mon  Dieu  !  je  suis  marri  de  tout  mon  cœur 


935 


ORATEURS  SACRES.  RIBIER. 


or.c 


de  vous  avoir  offensé,  parce  que  vous  êtes 
infinement  bon,  infiniment  aimable,  et  que 
le  péciié  vous  déplaît;  je  fais  un  ferme  pro- 
pos, moyennant  votre  sainte  grâce,  de  n'y 
jamais  retourner. 

Levez-vous  ,  témoignez  à  Dieu  voire 
amour,  que  vos  cœurs  soient  entièrement 
abîmés  ,  absorbés  ,  confondus  et  comme 
anéantis  dans  le  cœur  de  Dieu  ;  ne  donnons 
pas  à  Dieu  des  paroles;  donnons  lui  nos 
cœurs. 

Mon  Dieu!  je  vous  aime  de  tout  mon 
creur:  mon  cœur  est  à  vous,  c'est  votre 
créature,  c'est  votre  ouvrage;  je  vous  aime 
par-dessus  tout  ce  que  j'ai  de  plus  cher  au 
monde.  Venez,  mon  Jésus,  venez  dans  mon 
cœur,  venez  prendre  possession  de  l'acqui- 
sition que  vous  avez  faite  au  t)rix  de  votre 
sang,  par  vos  bienfaits,  par  vos  miséri- 
cordes 1  mon  cœur  désire  ardemment  de 
vous  recevoir. 

Confiteor,  Misereatur,  Indulgenliam,  Ecce 
Agnus  Dei. 

Communion. 

EXHORTATION  .\PRÈS  La  COMMUNION. 

Etre  mort  au  monde,  être  mort  au  péché, 
vivre  à  Jésus-Christ  et  à  sa  grâce,  c'est  êlie 
parfait  chrétien.  Ces  enfants  sont  morts,  ô 
mon  Dieu!  ils  ne  vivent  plus;  c'est  vous, 
mon  Sauveur  Jésus-Christ;  c'est  vous,  ô 
mon  Dieu!  qui  vivez  en  euxl  leur  vie  est 
celle  de  l'apôtre  saint  Paul:  Consummalum 
est  [Joan.,  XIX,  30)  ;  l'action  est  consommée, 
la  communion  est  laite.  Jésus-Christ  est  en 
vous,  mes  chers  enfants!  vous  êtes,  dans  le 
cœur  de  Jésus-Christ,  la  chair  de  Jésus- 
Christ.  C'est  votre  chair,  voire  chair  est  une 
même  chair  avec  la  chair  tie  Jésus-Christ. 
Le  verbe  s'est  fait  chair  et  il  a  habité  parmi 
nous:  «  Verbuin  euro  fuctuin  est,  et  habilavit 
in  nobis.  -a  {J oan.,\,\'*.)  Il  est  homme,  il  est 
Dieu  1  11  est  Dieu  de  toute  éternité,  il  s'est 
fait  humme  dans  le  tem[)s.  Adorez  notre 
Dieu,  le  Dieu  de  nos  pères.  Remerciez  notre 
rédempteur;  demandez  avec  confiance  tous 
vos  besoins  au  Tuul-Puissanl;  uflVons-nous 
sans  réserve  à  celui  qui  s'est  onlièreiiient 
offert  pour  nous.  Résignons-nous  à  sa  vo- 
lonté,  prenons  de  sages  résolutions  pour 
tout  le  temps  de  noire  vie,  pour  vivre  et 
mourir  dans  la  grâce  et  dans  l'amour  de  ce- 
lui qui  nous  a  créés.  N'oublions  pas  ceux 
pour  qui  nous  devons  prier.  Mon  Sauveur, 
je  vous  adore  comme  mon  créateur,  je 
m'unis  aux  adorations  profondes  que  lus 
anges  et  les  saints  vous  rendent  dans  le 
ciel,  et  j'offre  à  la  irè.s-sainte  Trinité  toutes 
celles  que  vous  lui  rendez  dans  le  très-saint 
sacrement. 

Alon  Sauveur,  je  vous  remercie  de  tout 
mon  cœur  de  toutes  les  grâces  que  j'ai  re- 
çues de  vous,  et  particulièrement  de  la 
bonté  aveu  laquelle  vous  venez  visiter  un 
[jauvre  pécheur,  une  i)auvre  pécheresse 
comme  moi  ;  souffrez  que  j'offre  à  la  très- 
sainle  Trinité  les  remercîmenls  que  vous 
lui  faites  pour  tous  les  biens  qu'elle  a  ac- 
cordés aux  hommes. 


Mon  Dieu,  mon  créateur  et  mon  sauveur, 
je  suis  infiniment  indigne  de  vous  deman- 
der aucune  grâce,  mais  puisque  vous  m'or- 
donnez de  le  faire,  je  vous  prie  de  m'ac- 
corder  toutes  celles  dont  j'ai  besoin  dans 
mon  état,  particulièrement  la  victoire  de 
mes  passions,  l'humilité,  la  patience,  la  pu- 
reté, la  foi,  l'espérance  et  la  charité.  Je 
vous  demande  aussi  celles  qui  sont  néces- 
saires à  votre  Eglise,  à  mes  parents,  à  mes 
amis,  à  mes  ennemis,  à  mes  bienfaiteurs, 
et  au  pasteur  de  cette  paroisse. 

Mon  Sauveur,  recevez  l'offrande  que  je 
vous  fais  de  tout  ce  que  je  suis,  de  tout  ce 
que  je  puis,  de  tout  ce  que  je  possède;  dis- 
posez-en selon  votre  bon  plaisir,  et  souffrez 
qu'en  m'offrant  à  vous,  je  vous  oÛVe  vous- 
même  à  la  très-sainte  Trinité,  pour  l'ex- 
piation de  mes  péchés  et  ceux  de  tous  les 
hommes.  Prenez,  mes  chers  enfants,  do 
sages,  de  saintes,  de  salutaires  résolutions 
pour  tous  les  temps  de  votre  vie.  Renou- 
velez le  sacrifice  de  vos  personnes  à  l'Etre 
suprême,  au  Père  éternel  qui  vous  a  créés; 
remercie7-le  du  bienfait  de  voire  création  ; 
rendez  vos  hommagesà  Jésus-Christ  qui  vous 
a  rachetés;  remerciez-le  du  bienfait  vie  votre 
rédemption.  Exaltez  la  gloire,  publiez  les 
miséricordes ,  chantez  les  merveilles  de 
i'Esprit-Saint  qui  vous  a  sanctifiés;  priez- 
le  de  perfectionner  son  ouvrage,  d'opérer 
en  vous  le  vouloir  et  le  faire,  d'éclairer  vos 
esprits,  d'échaulfer  vos  cœurs,  de  les  telle- 
ment remplir  de  sa  grâce  ei  de  son  amour, 
que  rien  ne  soit  capable  d'ébranler  votre 
foi,  votre  espérance,  votre  charité.  Dieu 
est  avec  vous,  le  Fils  éternel  du  Père,  en 
qui  le  Père  éternel  a  mis  toutes  ses  com- 
plaisances ;  c'est  à  lui  à  vous  instruire  par 
lui-même,  c'est  à  lui  à  parler  à  vos  cœurs  ; 
écoutez  sa  voix,  sojez-y  dociles.  C'en  est 
fait,  ô  mon  Dieu  !  Prévenu  de  votre  grâce, 
j'ai  résolu  ma  conversion  :  j'ai  ditdaiis  mon 
cœur  :  Je  me  convertirai  au  Seigneur  mon 
Dieu  ;  je  ne  remets  pas  à  demain  l'ouvrage 
que  vous  avez  commencé.  La  même  grâce 
qui  a  su  me  Prévenir  m'accompagne.  Le 
péché  fut  mon  ouvrage,  ma  conversion  est 
le  vôtre  ;  vous  le  perfectionnerez  de  plus 
en  plus  cet  ouvrage,  ô  mon  Dieu!  Votre 
grâce  qui  m'a  prévenu,  votre  grâce  qui 
m'accompagne  ne  ui'abandounera  jamais; 
sans  vous  je  serai  ce  que  j"ai  été,  mais  avec 
vous,  ô  mon  Dieu  !  ô  mon  créateur  !  ô  mon 
sauveur!  mon  cœur  sera  toujours  enffammé 
du  feu  sacré  de  votre  amour.  Ma  fidélité  à 
observer  voire  loi,  à  obéir  à  votre  Evangile, 
à  nie  soumettre  à  tous  vos  ordres,  soutien- 
dra mon  espérance;  elle  sera  la  marque,  la 
preuve  que  je  reconnais  votre  souverain 
domaine  et  ma  dépendance.  Je  persévérerai 
avec  vous,  je  vous  aimerai  toujours,  parce 
que  vous  ne  m'abandonnerez  jamais  à  moi- 
même,  à  mon  amour-ftropre,  au  péché,  aux 
créatures,  à  la  terre!  C'est  par  vous.  Dieu 
de  mon  salut,  que  j'apprendrai  de  votre 
esprit  des  merveilles  qui,  en  me  détachant 
des  choses  de  ce  monde,  m'engageront  à 
me  consacrer  à  votre  service  dans  le  temjîs, 


937 


DISCOURS  POL'R  LES  FRF.MIERFS  COMMLNIONS. 


«3» 


)>onr  rt'giier  avec  vous  dans  l'élernilé  bieii- 
hcnrense. 

Que  la  bénédiction  du  P6re.  du  Fils  cl 
du  Saint-Esprit  descende  sur  vous  et  qu'elle 
y  soit  toujours,  qu'elle  no  s'en  écnrto  ia- 
wnifi.  lieurdicdo  Dei  omtiipoCcntis  Palris  et 
Filii  cl  SpirilHs  Scncti,  desccHClnt  super  vos 
cl  nKiAent  sciiiper. 

EXHORTATION  AU  RENOUVELLEMENT  DES  VOEUX 
DU    BAPTÊME. 

Ces  fonts  baptismaux:  sont,  mes  chërs 
rnfants,  les  svmholes  do  votre  réconcilia- 
tion avec  Dieu;  ils  rappellent  h  votre  sou- 
venir voire  origine  et  le  sii^ne  de  votre 
alliance  avec  Jésus-Christ,  la  paix,  le  l)on- 
hcur  et  lo  salut  de  vos  âmes.  Conçus  dans 
lo  péché,  nous  avons  tous  été  les  esclaves 
de  celui  dont  notre  premier  nèrc  (it  les 
œuvres  en  désobéissant  au  Créateur. 

Régénérés  dans  ces  eaux,  vous  êtes  de- 
venus les  enfants  de  Dieu,  ceux  de  l'Eglise  ; 
vous  avez  contracté  des  obligations  dans 
les  personnes  de  vos  parrains  et  de  vos 
marraines  qui^  en  vous  engageant  <'»  Jésus- 
Christ,  ont  renoncé  pour  vous  à  Satan,  à 
SCS  pompes  et  h  ses  œuvres. 

Devenus  en  état  d'agir  par  vous-mêmes, 
de  ratifier  les  clauses,  les  conditions  de  vos 
engagements,  le  ciel  demande  aujour- 
d'hui q'.îo  vous  prononciez  en  personne  la 
formule  du  contrat  fait  eniro  vous  et  le 
Seigneur.  Vos  parrains  et  marfaines  ont 
demandé  à  TE^lise  de  Dieu  la  foi  qui  doit 
être  votre  lumière;  le  ministre  des  autels, 
moi  qui  ai  été,  avant  et  dès  le  premier  mo- 
ment de  votre  naissance,  le  pasteur  du  plus 
grand  nombre  de  vos  pères  et  mères,  le 
vôiro;  ceux  qui  ont  exercé  ^e  mémo  mi- 
nistère que  moi  à  l'égard  de  ceux  qui  ont 
re<;u  le  môme  sacrement  avec  et  de  la  même 
aulorilé,  nous  les  avons  interrogés.  Quede- 
niandez-vousde  l'Eglise  de  Dieu,  leuravons- 
iiousdit  :Quidpclis ab Ecclesia Dei?  ilsont  ré- 
4>Gndu  :  F  idem,  la  foi,  c'est-à-dire  les  choses 
de  la  foi,  la  régénération  en  Jésus-Christ,  la 
lumière  de  Dieu,  la  grâce  qui  conduit  ;i  la 
vie  éternelle.  Dépositaires  des  trésors  du 
ciel,  nous  vous  l'avons  accordée,  cette  lu- 
mière, cette  gr<lce,  cette  vie;  par  plusieurs 
i)énédiclions,  par  l'onclion  sainte,  en  vertu 
du  signe  visible,  sensible  et  déterminé  |)ar 
Jésus-Christ  pour  la  sanctification  de  nos 
âmes,  nous  vous  avons  admis  au  nombre 
des  (îdèles  ;  vous  avez  reçu  le  caractère 
inotVaçable  qui  vous  donne  droit  5  l'amour 
et  à  I  hériiage  de  l'auteur,  de  l'instituteur 
dos  sacrements. 

Prêtre  du  Très-Haut,  votre  pontife,  |)ré- 
posé  pour  prier  pour  vous,  mes  enfants,  je 
\ous  interroge  aujourd'hui,  dites-moi  :  que 


voulez-vous  (lue  je  demande  pour  vous  nu 
Dieu  tout-puissant  qui  vous  a  créés?  (les 
enfants  répondent  :  fidein)  (lo  prêtre  conli- 
luie)  Que  le  ciel  se  rende  à  vos  vœux. 
Ecoutez  les  moyens  de  votre  salut;  il  est 
écrit  :  Vous  aimere',  le  Seigneur  voire  Dieu 
de  (ont  votre  cœui.do  toute  votre  âme  et  do 
tout  voire  esprit,  et  voiro  prociiain  comme 
vous-mêmes  :  voilà  la  loi. 

Satan  fera  tous  ses  elTorts  pour  vous  dé- 
tourner de  raccoin[)lissemont  de  celle  loi, 
piur  briser  les  moyens,  l'économie  devoir» 
salut,  pour  vous  persuailer  ses  œuvres  et 
ses  pompes,  les  maximes  du  monde  cor- 
compu,  celles  des  paroissiens  rebelles  à 
leurs  p.isteurs,  dans  l'esprit  de  Coré,  de 
Dathan  et  d'Abiron,  des  paroissiens  qui 
forment  ordinairement  ce  monde  corrompu, 
dont  les  vanités  vous  invitent  déjà  à  ses  (dé- 
sordres, à  ses  abominations,  aux  trophées 
do  SOI)  orgueil.  Que  réj.ondez-vous  à  Satan, 
au  monde  corrompu,  à  la  chair  rebelle  à 
l'esftrit?  R.  Abrenuntio.  Souvenez-vous, 
chrétiens,  que  le  Dieu  tout-puissant ,  quo 
le  créateur  du  ciel  et  de  la  terre  doii  être 
le  premier  princi|)e  et  la  dernière  fin  do 
foules  les  opérations  de  voire  vie.  H.  Credo. 
Souvenez-vous  que  vous  serez  jugés  selo:i 
vos  œuvres  par  Jésus-Christ  le  fils  de  Dieu, 
qui  est  né  et  qui  a  souffert  pour  nous. 
li.  Credo. 

N'oubliez  jamais  que  vous  devez  religieu- 
sement conserver  les  grâces  du  Saint- 
Esprit,  croire  à  la  sainte  Eglise,  mériter 
d'honorer  la  communion  des  saints,  vous 
conserver  dans  cette  communion,  espérer 
en  la  rémission  des  péchés,  confesser  la  ré- 
surrection, et  désirer  de  toute  r«fîection 
de  vos  cœurs  la  vie  éternelle.  R.  Credo. 

Récitez  à  basse  voix  le  Credo  et  le  Pater, 
Quitus  dictis  :  le  prêtre  qui  les  a  aussi  dits 
à  genoux,  se  relève  et  dit  :  Dites  plus  de 
cj-ur  que  de  bouche  ce  que  je  vais  dire  de 
bouche  et  de  cœur   à    haute  voix. 

Prosterné  en  votre  présence,  ô  mon  Dieu  I 
et  aux  pieds  de  ces  saints  funls  baptismaux, 
je  vous  demande  pardon  des  péchés  que 
j'ai  commis  contre  les  vœux  et  les  promesses 
que  je  vous  ai  faits  dans  mon  baptême:  je 
renouvelle  aujourd'hui  ces  vœux  et  ces 
promesses  avec  une  ferme  résolution  d'y 
être  plus  lidèlc.  Je  renonce  de  nouveau  au 
démon  pour  ne  m'altacher  qu'à  Jésus- 
Clirist  et  h  son  Evangile.  Je  renonce  aux 
pompes  du  démon  et  aux  vanités  du  monde, 
pour  ne  plus  rechercher  que  les  biens  éter- 
nels. Je  renonce  aux  œuvres  du  démon,  an 
péché,  pour  ne  plus  vous  offenser.  Seigneur, 
et  passer  toute  ma  vie  dans  la  praliijue  de 
vos  saints  commandements. 

Ainsi  soil-il. 


Obaielrs  sacrés.  LXN'IH. 


80 


NOTICE  HISTORIQUE   SUR  JOSEPH  LAMBERT 


DOCTEUR  DESORBONNE. 


Lamber!  (Joseph),  fils  d'un  maître  des 
comptes,  né  à  Paris  en  IGSl,  prit  le  honnet 
(le  docteur  (le  Sorbonne,  et  obtint  le  prieuré 
de  Palaiseaii,  près  de  Paris.  L'Eglise  de 
Saint-André  des  Arts,  sa  paroisse,  retentit 
longtemps  de  sa  voix  douce  et  éloquente. 
Il  eut  le  bonheur  de  convertir  plusieurs 
calvinistes  et  plusieurs  pécheurs  endurcis. 
Il  donna  t;int  à  Paris  qu'à  Amiens  des  con- 
férences, qui  ont  été  imprimées.  Sa  charité 
])0ur  les  pauvres  allait  jusqu'à  l'héroïsme, 
il  mourut  le  31  janvier  1722, à  68  ans.  Ce 
lut  à  la  réquisition  de  ce  saint  homme  que 
ia  Sorbonrte  fit  une  déclaration  qui  rend 
nulles  les  thèses  de  ceux  qui  s'y  seraient 
nommés  titulaires  de  plusieurs  bénéHces. 
Gn  a  de  lui  :  Vannée  évungélique,  ou  Homé- 
lies,  7  vol.  in-12,  1692-ÎU95,  et  en  8  vol.  ; 
1749.  Son  élocjuence  est  véritablement  chré- 
tienne, simple,  douce  et  touchante.  Tous 
ses  ouvrages  sont  marqués  au  même  coin, 
cl  Ton  ne  peut  trop  les  recommandera  ceux 
qui  sont  obligés  par  état  d'instruire  le  peu- 
j)le.Si  le  style  en  est  négligé,  on  doit  faire 
ulteniioii  qu'il  écrivait  pour  l'inslruCion  des 


gens  de  la  campagne,  et  non  pour  les  cour- 
tisans. Des  Conférences  en  2  vol.  in-12, 
sous  le  tilre  de  Discours  sur  la  vie  ecclé- 
siastique, 1702,  2  vol.;  ce  sont  les  ronié- 
rences  faites  à  Amiens  et  à  Paris;  L'pilres 
et  évangiles  de  l'année,  avec  des  réflexions, 
1703,  1  vol.  in-12  :  Cet  ouvrage  a  élé  impri- 
mé en  deux  parues  en  1831,  et  chaque  par- 
tie a  deux  volumes  in-12;  Les  ordinations 
des  saints,  1717  in-12;  La  manière  de  bien 
instruire  les  pauvres,  1717,  in-12;  Histoires 
choisies  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament, 
1  vol.  in-12;  recueil  utile  aux  ratéchislcs  ; 
Le  chrétien  instruit  des  mystères  de  la  religion 
et  des  vérités  de  la  morale ,  1729  ;  Instruc- 
tions courtes  et  familières  pour  tous  les  di- 
manches, et  les  principales  fêles  de  l'année,  en 
faveur  des  pauvres,  et  |iarticulicreraent  des 
gens  de  la  campagne,  1721  ;  InMructions 
sur  le  symbole,  2  vol.  in-12,  réimprimées  en 
1831,  3  vol.  in-12;  Sur  les  commandements 
de  Dieu  et  de  l'Eglise,  2  vol.  \n-l2;  Deux 
lettres  sur  la  pluralité  des  bénéfices,  contre 
l'ûlibé  Boileau. 


ŒUVRES  ORATOIRES 


DOCTEUR    DE  SORBONNE 


AVERTISSEMENT. 


Le  litre  de  ces  discours  farl  as>ez  voir 
qu'ils  s'adressent  aux  ecclésiastiques.  Ce 
sont  les  maximes  de  l'état  ecclésiastique 
que  je  me  suis  proposé  d'établir;  et  mon 
principal  dessein  a  été  de  les  bien  impri- 
mer dans  le  cœur  de  tous  ceux  qui  s'enga- 
gent dans  la  sainte  milice  du  Seigneur. 

Cependant  ces  discours  peuvent  être  lus 
avec  utilité  par  ceux  qui  ne  sont  point 
tippelés  à  l'état  ecclésiastique.  11  est  irès- 
îiécessaire  que  tous  les  chrétiens  connais- 
son'  les  principes  et  les  maximes  de  la  vie 
ecclésiastique. 

(I)  In  Psal.  L.  «  Quoinodo  ad  nos  pcrl.not  in 
Ecclisia  loqui  vobis,   sic  ad  voj  prliiiel  iii  domi- 


Tous  les  chrétiens  sont  en  un  sens  con- 
sacrés prêtres.  L'onction  sainte  qu'ils  re- 
çoivent dans  le  baptême  leur  donne  droit 
de  porter  cet  auguste  titre.  Saint  Pierre 
parle  à  tous  les  chrétiens,  et  il  leur  dit  : 
Vous  êtes  la  nation  sainte  et  votre  sacerdoce 
est  royal.  (I  l'clr..  Il,  9.) 

Saint  Augustin  enseigne  (1)  que  tous  les 
chefs  de  l'amille  doivent  se  considérer  com- 
me les  pasteurs  de  leur  famille,  et  qu'ils 
sont  obligés  de  veiller  sur  tous  ceux  qui 
composent  leur  maison,  à  peu  près  comme 
un  [)asteur  zélé  doit  donner   loule    son  at- 

bus  veslris  agere,nl  bonani  ralionem  reddalis  de  liis 
qui  vobis  sunlsubdili.  i 


941 


AYFRTISSEMENT 
troupeau. 


9B 


tenlion    ?i   l.i    comiuile   de   son 

Je  souliens  encore,  oije  vais  le  faire  voir 
en  peu  de  paroles,  qu'il  y  a  un  grand  nom- 
bre d'occasions  dans  lesquelles  les  gens  du 
monde  pèchent  contre  les  maximes  de  l'é- 
lat  ecclésiasiique,  parce  qu'ils  n'en  sont 
poinl  instruits. 

Il  y  en  a  plusieurs,  à  la  vérité,  à  qui  la  lec- 
ture do  ces  discours  pourrait  être  dange- 
reuse, [)arce  qu'ils  n'y  apporteraient  que 
des  dispositions  malignes  et  très-éloignées 
de  celles  oii  l'on  doit  entrer  pour  en  pro- 
(iler. 

Comme  il  serait  très-criminel  d^'épargner 
Je  vice,  et  qu'il  doit  être  poursuivi  partout 
où  il  se  glisse,  on  n'a  pu  s'e!n[)ôclier  de 
parler  contre  les  mœurs  des  ecclésiasiiques 
déréglés.  On  a  cru  être  indispensnhicment 
obligé  de  condamner  forleu:cnt  les  ahus  qui 
se  rencontrent  dans  l'étal  ecclésiasti(jiic. 

Se  servir  de  ces  discours  pour  censurer 
indifféremment  tous  les  ecclésiastiques,  pour 
faire  rejaillir  jusque  sur  les  saints  prêtres 
Jes  défauts  de  ceux  qui  abusent  do  leur  ca- 
ractère, pour   critiquer  inuliloment,  cl  par 


Quand  les  gens  du  siècle  liront  avec  ces 
réflexions  tout  ce  qui  est  rapporté  dans  ces 
discours  des  désordres  dos  ecclésiastiques, 
ils  verront  que  en  sont  autant  de  sujets  qui 
doivent  les  faire  rougir  devant  le  Seigneur, 
et  les  convaincre  de  l'obligation  qu'ils  ont 
d'expier  par  leurs  larmes  et  par  de  rigou- 
reuses pénitences  les  crimes  qu'ils  ont  com- 
mis en  donnant  à  l'Eglise  des  minislres 
absolument  indignes. 

Les  vérités  expliquées  dans  ces  disconr 
leur  apprendront  de  quelle  circonspection 
l'on  doit  user  quand  on   offre  au  Seigneur 
des  ministres   pour   servir  dans  son  tem- 
ple. 

Combien  d'autres  maximes  de  la  vie  ecclé- 
siastique dont  la  connaissance  n'est  pas 
moins  nécessaire? 

On  entend  tous  les  jours  les  gens  du 
monde  se  plaindre  du  mauvais  usage  que 
l'on  fait  des  revenus  ecclésiasiiques.  Ils  ne 
sonl  jamais  plus  éloquents  que  quand  il  est 
question  d'exagérer  le  luxe  e-t  la  vie  mollo 
des  ecclésiastiques. 

La  suite  de  ces  discours  fera  voir  que  je 


esprit   de    m-iligiiilé,    ceux   que   l'on   n'est     suis  Irès-éloigné  de  vouloir  juslifiercequ-i 


poinl  en  droit  de  corriger,  et  donl  on  est 
souvent  obligé  de  cacher  les  défauts,  ne  pas 
honorer  le  curaclère  ecclésiastique  et  quel- 
quefois même  le  mépriser,  à  cause  des  dé- 
fauts de  ceux  qui  sont  assez  malheureux 
pour  le  profaner  :  voilà  do  très-dangereux 
aluis  et  très-ordinaires  dans  le  monde. 

La  vue  de  ces  abus  m'a  fait  douter  pen- 
dant quelque  temps  s'il  n'y  avait  point  trop 
de  péril  à  rendre  publics  ces  discours,  parce 
■qu'il  y  en  a  qui,  [i.";r  leurs  mauvaises  dispo- 
sitions, |)cuveiil  conv(;rlir  eu  poison  les 
saintes  vérilés  qui  y  sonl  expliquées. 

Mais  j'espèi'e  qu'avec  la  miséricorde  du 
Seigneur  [)lu5ieurs  même  de  ceux  qui  ne 
sont  poinl  ecclésiasiiques,  apporteront  de 
meilleures  diSi)osivious  à  la  lecture  da  cet 
ouvrage. 

Ils  y  verront  qu'il  n'y  a  rien  de  plus 
grand  que  l'élal  ecch'sia^tique,  et  par  \h  ils 
apprendront  jusqu'où  doit  aller  le  respect 
que  l'on  doit  porter  à  ceux  qui  sonl  honorés 
de  ce  f.araclèie.  Ils  apprendront  combien  il 
est  criminel  de  ne  faiie  aucune  dislinclinn 
entre  un  ecclésiastique,  el  le  plus  vil  de 
leurs  doniestiquus. 

Ils  remarqueront  tous  les  maux  que  can- 
senl  dans  l'Eg'ise  les  ecclésiasiiques  qui 
entrent  sans  vocation  et  qui  profanent  leur 
caractère. 

Quelle  conséquence  doit-on  tirer  de  celle 
vérité?  Donc  ceux-là  sonl  criminels  qui  par 
des  vues  il'inlérêl,  engagent  leurs  enfants 
dans  l'élal  ecclésiasiique,  sans  avoir  examiné 
s'ils  ont  les  vertus  nécessaires  pour  se  con- 
duire dignement  dans  un  élal  si  saint.  Par 
Jà  ils  se  rendent  complices  de  tous  les  pé- 
chés de  leurs  enfants  :  par  là  ils  deviennent 
responsables  de  tous  les  abus  auxquels  ils 
ont  donné  lieu,  lorsque  de  leur  autorité  ils 
ont  voulu  forcer  le  Seigneur  à  recevoir  au 
-rang  de  ses  ministres  ceux  qu'il  rejetait 
comme  indignes. 


condamnent  avec  raison.  Mais  je  dis  seule- 
ment que  comme  les  gens  du  monde  se 
plaignent  du  mauvais  usage  des  revenus 
ecclésiasiiques,  ils  devraient  prendre  garde 
à  ne  pas  mettre  ces  revenus  sacrés  entre  les 
mains  de  ceux  qui  les  dissipent. 

Un  père  sollicite  un  bénéfice  pour  son 
fils,  et  ce  fils  sera  de  ces  économes  infi- 
dèles qui  dissipent  les  richesses  de  l'E- 
glise. 

Cet  homme,  au  lieu  de  choisir  le  plus  di- 
gne, et  celui  qui  est  plus  en  élat  de  remplir 
les  fondions  importantes  de  ce  bénéfice, 
poussé  par  des  vues  humaines,  confiera  lo 
soin  des  âmes  à  des  loups  qui  n'entreront 
dans  la  bergerie  que  pour  perdre  le  trou- 
peau. 

Qui  peut  donc  nier  que  tous  les  chrétiens 
n'aient  un  grand  intérêt  de  connaîlre  ce  que 
c'est  que  les  bénéfices,  à  qui  ils  doivent 
être  confiés,  et  l'usage  que  l'on  doit  faire 
de  ces  saints  revenus? 

Voilà  ce  que  tous  les  chrétiens  doivent 
apprendre  ;  A  resfiecter  le  caractère  ecclé- 
siastique, à  ne  point  introduire  dans  l'E- 
glise des  ministres  indignes,  à  ne  poinl  pro- 
curer des  bénéfices  à  des  hommes  qui  scan- 
dalisent l'Eglise  par  le  mauvais  usagu 
qu'ils  font  de  ces  revenus  sacrés. 

Voici  encore  une  disposition  très-sainte 
el  dans  laquelle   il  est   nécessaire  d'entre 
quand  on  lit  des  discours  où.  il  est  parlé  d 
désordres  des  ecclésiastiques. 

Vous  apprenez  qu'il  y  a    beaucoup  d' 
clésiasliqu<is  donl  les  mœurs  sonl  déréf' 
el  dont  la  vio  ne  répond  point  à  la  sai 
de   leur   caractère  ;  gémissez-en    devr 
Seigneur,    intéressez-vous    aux   ma 
l'Eglise,  soyez-en  affligés,  ce  sonl  ■ 
sordies  pour  les(]uels  vous  ne  po 
piandre  trop   do  larmes.   l/E-Miso 
mère;  vous  êtes  indigne  d'être  si  -"^ 


94"î 


ORATEURS  SACRES   JOSliPH  LAMBERT. 


944 


si  vous  n'ôles  point  touchés,  lorsqu'elle  no 
cesse  de  vous  dire  que  des  plaies  si  sensi- 
bles lui  causent  une  douleur  qui  est  au-des- 
sus de  toutes  les  douleurs. 

Que  les  maux  de  l'Eglise  soient  encore  un 
raoïif  puissant  pour  vous  engager  à  prier  et 
h  demander  au  maître  de  la  moisson  qu'il 
envoie  des  ouvriers  dans  sa  vigne. 

C'est  une  praliquetrès-sainle,  et  à  laquelle 
on  devrait  êlre  plus  exnct.  On  ne  prie  point 
assez  pour  l'Eglise,  on  n'est  point  assez  con- 
vaincu que  les  prières  des  fidèles  ont  beau- 
coup de  Ibrce  pour  obtenir  de  Dieu  des  i)as- 
teurs  zélés. 

Il  faudrait  joindre  à  la  prière  de  bonnes 
couvres,  des  aumônes,  des  jeûnes,  des  ac- 
tions de  pénitence.  Il  faudrait  redoubler  son 
ardeur  et  son  zèle  dans  les  tem|)S  que  les 
ministres  du  Seigneur  sont  consacrés. 

Quand  on  considérera  combien  il  est  né- 
cessaire qu'il  y  ait  de  saints  prêtres,  et  com- 
bien le  nombre  en  est  petit',  on  confessera 
sans  peine  que  l'on  ne  peut  employer  tro|) 
de  moyens  pour  obtenir  du  Seigneur  une 
grâce  si  précieuse 

Au  lieu  de  critiquer  inutilement  les  mœurs 
des  ecclésiastiques,  rentrez  plutôt  en  vous- 
mêu)es,et  songez  à  réformer  les  vôtres.  Dieu 
permet  souvent  que  les  mauvais  pasteurs 


entrent  dans  le  cliarnp  de  son  Eglise  pour 
punir  les  dérèglements  du  peuple. 

C'est  une  vérité  leriible  et  sur  laquelle  on 
ne  fait  point  assez  de  réflexion.  Le  Seigneur, 
irrité  des  péchés  de  son  peuple  et  voulant 
le  châtier,  [jermet  dans  sa  juste  colère,  qu'il 
soit  conduit  par  de  faux  prophètes  qui  le 
tromperont  et  qui  exerceront  indignement 
les  saintes  foncfons  de  leur  ministère.  (111 
Iieg.,^2;  Isa.,  111,  h  et  seq.) 

Pleurez  donc  et  gémissez.  Puisque  ce  sont 
vos  péchés  qui  sont  la  source  des  dérègle- 
ments des  pasteurs,  convient-il  qu'ils  soient 
la  matière  de  vos  ;railleries,  et  ne  doivent- 
ils  pas   être    plutôt  le  sujet  de  vos  larmes? 

Quand  on  est  pénétré  de  ces  saintes  maxi- 
mes, il  est  plus  à  désirer  qu'il  n'est  à  crain- 
dre, que  les  gens  du  siècle  même  soient 
instruits  parfaitement  de  tous  les  dérégie- 
ujenis  des  ecclésiastiques. 

Plaise  au  Seigneur  que  tous  ceux  qui  li- 
ront ces  discours,  se  nourrissent  de  c«s  vé- 
rités, afin  que  les  ecclésiastiques,  et  tous 
les  autres  fidèles  travaillent  d'un  commun 
record  à  édifier  .l'Eglise,  qui  n'a  jamais  eu 
plus  do  besoin  qu'à  présent  des  ecclésiasti- 
ques zélés  qui  entrent  dans  l'esprit  de  Jésus- 
Christ;  et  qui  s'acquittent  dignement  de 
leurs  saintes  fonctions. 


DISCOURS  PREMIER. 

-JE  LA  VOCATION  A  I,'ÉTAT  ECCLÉSIASTIQUE. 

Quand  nous  examinerons  de  près  la  source 
<]e  tous  les  désordres  qui  se  sont  glissés  dans 
l'état  ecclésiastique,  il  ne  nous  sera  pas 
malaisé  de  découvrir,  qu'ils  viennent  prin- 
cipalement de  ce  que  l'on  entre  dans  le 
sanctuaire  avec  précii)itation,  et  sans  une 
vocation  légitime. 

L'Eglise  gémit  de  ce  que  ceux  qui  de- 
vraient être  les  conducteurs  des  autres, 
sont  eux-mêmes  hors  de  la  véritable  voie. 
Ceux  qui  devraient  éclairer  sont  d.nis  les 
ténèbres;  le  sel  a  perdu  sa  force,  et  il  n'est 
plos  en  état  de  préserver  les  houmies  de  la 
corruption. 

Qui  pourrait  exprimer  combien  l'Eglise 
soutire  de  se  voir  trahie  par  ceux-là  mêmes 
qui  devraient  être  son  plus  >-olide  api>uiV  11 
n'y  a  point  de  dérèglement  parmi  les  fidèles 
(lue  l'Eglise  ne  pleure;  mais  ses  regrets  ne 
sont  jamais  plus  vifs,  que  quand  elle  est 
outragée  par  ceux  que  leur  caractère  oblige 
à  la  déièndre  et  à  soutenir  .sou  échit.  Ali! 
si  nous  avons  quelque  zèle  et  quelque  an)our 
jiour  l'Eglise,  o[)posons-nous  h  l'entrée  de 
tous  ces  minisires  indignes  (jui  n'entrent 
dans  son  sein  que  pour  ia  blesser  de  plus 
près.  S'ils  ont  encore  des  ore.lles  pour  en- 
tendre, rien  n'est  plus  cai)able  de  les  ell'rayer 
(jue  de  leur  faire  voir  la  nécessité  tie  la  vo- 
cation, et  tous  les  malheurs  auxquels  on  s'ex- 
pose, quand  on  s'engage  dans  le  sacré  mi- 
j^isière,  sans  y  être  légitimement  ajipelé. 
''  L  est  doue  Ue  la  vocaiiun  à  l'état  ecJé- 


siastique  que  je  prétends  vous  entretenir 
en  ce  jour. 

Ce  discours  peut  êlre  également  utile  à 
ceux  qui  sont  déjà  revêtus  du  caractère  ec- 
clésiastique, et  à  ceux  qui  ne  sont  point  en- 
core engagés  dans  cet  état  sacré. 

Les  premiers  apprendront  à  déplorer  un 
des  plus  grands  malheurs  qui  puisse  arriver 
à  un  homme  sur  la  terre,  qui  est  de  s'en- 
giger  dans  le  ministère  des  autels  contre 
la  volonté  du  Seigneur.  La  connaissance  de 
leur  malheur  leur  fera  chercher  les  remèdes 
auxquels  ils  doivent  essentiellement  avoir 
recours  pour  guérir  les  (daies  {)rofondes 
qu'ils  se  sont  laites  à  eux-mêmes. 

Les  seconds  marcheront  avec  plus  de  re- 
tenue. Ils  y  [)enseront  sérieusement  devant 
Dieu.  Peut-être  ils  se  trouveront  arrêtés 
par  la  crainte  de  l'irriter,  et  d'attirer  sur  eux 
ses  malédictions.  Les  précautions  qu'ils  ai  - 
porteront  pour  connaître  la  volonté  de  Dieu 
ne  |)Ourront  Inur  être  que  très-salutaires. 

C'est  le  dessein  que  je  me  [)ropose  en 
traitant  delà  vocation  à  I  elat  ecclésiasliquo 
dans  ce  discours  que  je  divise  en  trois  par- 
ties. Dans  la  première,  je  vous  ferai  voir  la 
nécessité  de  la  vocation.  Dans  la  seconde, 
je  vous  monlrerai  qui  sont  ceux  qui  entrent 
sans  unelégiliuie  vocation.  Dans  la  troisiè- 
me, je  vous  ferai  connaître  ceux  qui  sont 
légilimeuient  appelés. 

PREMIER   POINT. 

•l'ai  à  vous  faire  voir  premièrement  que 
U(   vocation  «  toujours  été    nécessaire,  et 


9i5 


RL'iUAlTE  ECCLLS. 


I,  VOCATION. 


fliO 


que  Dieu  dans.  Ions  les  temps  s'est  claire- 
inent  ex|)li(:|U(5  sur  coite  nécessité. 

En  second  lieu  ,  je  vous  iferai  connaître 
les  raisons  importantes  qui  justifient  la  né- 
cessité de  la  vocation  ,  et  qui  font  voir  que 
c'est  une  très-grande  témérité  que  d'entrer 
de  soi-niônie  dans  l'étal  ecclésiastique. 

La  vocaiion  a  toujours  été  nécessaire. 
Elle  l'était  <lès  le  temps  de  l'Ancien  Tesla- 
niL-nl,  quoique  le  ministère  de  l'ancienne 
loi  ne  mt  que  l'ombre  et  la  figure  de  celui 
de  la  loi  nouvelle.  D'où  il  est  aisé  de  con- 
clure, que  s'il  fallait  êlre  app.elé  dans  l'an- 
cienne loi,  il  est  encore  plus  nécessaire 
dans  la  loi  nouvelle  d'être  i![)pelé  avant 
que  d'entrer  dans  l'étal  ecclésiastique. 

La  vocaiion  a  été  nécessaire  dès  le  temps 
de  l'Ancien  Testament.  Voulez-vous  con- 
naître un  grand  crime  ,  et  que  Dieu  a  sévè- 
rement repris  par  la  bouche  de  ses  prophè- 
tes? C'est  de  marcher  sans  être  envoyé; 
c'est  d'expliquer  les  ordres  de  Dieu  ,  avant 
qu'il  nous  ait  parlé.  Je  ne  les  envoyais  pas  , 
dit  Dieu,  et  ils  couraient  d'eux-mêmes.  Je  ne 
leur  parlais  point  et  ils  osaient  expliquer 
leurs  vaities  imaginations  comme s^ ils  étaient 
prophètes.  {Jerem.,WlU,  21.) Ils  sontdtjuc 
criujjnels  ,  ce  sont  des  téméraires  ,  et  voiL^i 
tout  leur  crirne.  Ils  ont  marché  sans  ordre, 
ils  ont  prévenu  la  vocaiion  du  Soigneur. 

Je  ne  les  envoyais  pas  et  ils  couraient. 
Celte  expression  mérite  d'être  remarquée. 
Elle  nous  l'ait  bien  connaître  le  génie  de  ceux 
qui  s'appellent  eux-mêmes.  Il  n'y  en  a 
point  de  plus  hardis  ,  quoiqu'ils  aient  tant 
de  raison  de  craindre.  Les  amis  de  Dieu  , 
les  justes,  ceux  à  qui  Dieu  a  parlé,  sont 
toujours  dans  la  crainte,  ils  reculent,  ils 
n'avancent  qu'en  tremblant.  .  Les  usurpa- 
teurs au  contraire  marchent  la  tète  levée, 
ilssehâlent.  Les  places  les  plus  érainontes 
sont  l'objet  continuel  de  leurs  désirs  et  de 
leurs  empressemenls.  Qu'ils  auraient  bien 
sujet  de  modérer  leur  ardeur,  s'ils  voulaieni 
faire  allenlion  au  nom  que  Dieu  leur  donne, 
et  à  la  manière  dont  il  les  traite  dans  ses 
Ecritures.  Ce  sont ,  nous  dit  Dieu  par  la 
bouche  de  Jérémie,  de  faux  prophètes. 
C'e$t  en  vain  qu'ils  partent  en  mon  nom.  Je 
ne  les  ai  point  envoyés.  Ils  n'ont  point  reçu 
mes  ordres,  et  je  ne  leur  ai  point  parlé.  {Jer., 
XIV,  H.)  Pour  eue  minislre  du  Seigneur, 
il  faut  êlre  en  élat  de  parler  ,en  son  nom. 
Voulez-vous  parler  au  nom  du  Seigneur 
sans  en  avoir  reçu  l'aulorité  de  lui?  Que 
vous  [arrivera-t-il  ?  Dieu  vous  désavouera. 
11  déclarera  que  vous  n'ôles  qu'un  faux 
prophète.  Donc  tous  ceux  que  Dieu  n'en- 
voie pas,  à  qui  il  ne  parle  point,  à  qui  il 
ne  commande  pas  expressément  d'entrer 
dans  son  sanctuaire  ,  sont  do  faux  prophè- 
tes, réprouvés  de  Dieu  ,  et  considérés  com- 
me des  hommes  injustes  qui  usurpent  sans 
titre  un  honneur  auquel  ils  ne  peuvent  ja- 
mais avoir  aucun  droit. 

Vous  venez  de  vuir  comment  sont  repris 
ceux  qui  courent ,  et  qui  vont  avec  préci- 
pilalic/n.  Je  vous  ai  dit  que  les  amis  de 
Dieu  ,  ceux  à  qui  il  parle,  ccui  qui  ont  su- 


jet démettre  leur  confinnco  au  Seigneur 
qui  les  appelle,  gardent  une  conduite  toute 
contraire.  Téméraires  ,  arrêtez  et  jetez  les 
yeux  sur  un  serviteur  lidèle  qui  a  eu  le 
bonheur  d'avoir  Dieu  pour  conducteur  dans 
tontes  ses  démarches. 

Voici  ce  que  l'Ecriture  nous  rapporte  de 
la  vocation  de  Moïse.  Dieu  l'appelle.  Il  lui 
déclare  qu'il  veut  l'envoyer  à  Pharaon  pour 
délivrer  son  peuple.  Moïse  répond  :  Qui 
suis-je?  Suis-je  en  état  d'aller  à  Pharaon? 
N'est-ce  pas  une  entreprise  au-dessus  de 
mes  forces  que  de  prendre  sur  moi  de  déli- 
vrer les  enfants  d'Lsraèl  ?  Premier  sentiment 
d'un  serviteur  fidèle.  Il  renire  en  lui-môme. 
Il  est  pénétré  de  son  indignité.  Moïse  avait 
raison  de  se  défier  de  tui-mêmc.  Mais  que 
ne  devail-ii  pas  espérer,  quand  le  Seigneur 
lui  déclare  qu'il  sera  sa  force  et  qu'il  se- 
ra avec  lui?  N'en  êtes-vous  pas  étonnés? 
Moïse  résiste  encore  après  une  telle  pro- 
messe. Le  peuple,  dit-il ,  ne  me  croira  pas. 
[Exod.,  IV,  1.)  Moïse  ne  craint  point  de 
représenter  b  Dieu  ses  talents  qui  lui  parais- 
sent trop  faibles  ,  et  trop  petits.  Il  faut 
que  le  Seigneur  pour  se  faire  obéir  com- 
mande plusieurs  fois,  qu'il  menace,  qu'il 
paraisse  en  colère.  Conduite  merveilleuse 
d'un  homme  juste  qui  craint  Dieu,  qui  brû- 
le d'un  saint  désir  pour  son  service,  mais 
qui  connaît  le  poids  de  l'emploi  donl  D'eu 
veut  le  charger.  Moïse  exécute  avec  fidéliiô 
tous  les  ordres  de  Dieu:  il  surmonte  long 
les  obstacles;  il  est  heureux  dans  toutes 
ses  entreprises.  Pourquoi  cela?  C'est  que  la 
Seigneur  est  avec  lui  ,  comme  il  sera  tou- 
jours avec  tous  ceux  qui  suivront  ses  or- 
dres,  qui  seront  exacts  à  ne  rien  entre- 
|)i  eiulre  qu'après  l'avoir  consulté  ,  et  après 
avoir  connu  sa  volonté. 

Jusqu'ici  présent  je  ne  vous  ai  encore 
parlé  que  des  prophètes  de  l'ancienne 
loi.  Ce  sont  des  ministres  de  l'ancienno  al- 
liance dont  je  vous  ai  proposé  l'exemple. 
J'ai  dit  que  s'il  était  nécessaire  qu'ils  fus- 
seni  appelés,  c'esl  une  preuve  invincible 
que  la  vocaiion  est  encore  plus  nécessaire 
dans  le  temps  de  la  nouvelle  alliance. 

Ecoulons  avec  respect  Jésus-Christ  notre 
législateur,  et  apprenons  de  lui  quelles  sont 
ses  maximes  sur  la  vocation  de  ses  minis* 
Ires  :  Celui  qui  n'entre  pas  par  la  porte  dans 
la  bergerie,  mais  qui  y  monte  par  un  autre 
endroit  est  un  voleur.  [Joan.,  1,  1.)  Quelio 
est  la  porte  par  où  doit  enlrcr  le  pasteur 
des  brebis?  Jésus-Clirist  nous  déclare  que 
c'esl  lui  qui  est  la  porte.  C'est  donc  par 
Jésus-Christ  qu'il  faut  entrer.  Jésus-Chiist 
seul  a  droitd'iniroduire  dans  la  bergerie  les 
légitimes  |)asleurs.  Tous  ceux  qui  ne  vien- 
nent point  par  Jésus-Christ  sont  des  voleurs. 
Mais  quel  est  le  bien  dont  s'emparent  ces 
criminels  usurpateurs  ?  Ils  dérobent  le  sa- 
cerdoce. Ce  n'est  pas  un  simple  vol,  c'est 
enlever  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré  dans  la 
religion  ;  c'est  commettre  un  énorme  sacri- 
lège. 

Jésus-Christ  a  toujours  exécuté  le  pre- 
mier les  lois  qu'il  a  publiées.  Je  vois  des 


vn 


OUATEIUS  SACHES.  JOSEPH  LAMDÈRT. 


913 


linninios  qui  onl  to  l)iii)lieur  «l'enlrer  dans 
SCS  desseins,  qui  soiil  ses  coopt'r.ileurs  cl 
les  dispensateurs  do  ses  mystères,  exami- 
nons si  CCS  premiers  ministres  qui  sont  nos 
vériiiibles  modèles,  sont  venus  d'eux-mêmes, 
ou  si  c'est  Jésus-Clirist  qui  les  a  ciioisis. 

II  ne  laui  qu'ouvrir  l'Evangile  pour  déci- 
der neltemenl  cette  imporlanle  vérité  ;  // 
appela  ses  disripirs  ,  et  il  en  clioisit  douze 
d'entre  evx  qu'il  nomma  apôtres.  (Luc.  XV!, 
13.)  Jésn'^-Cllrist  envoya  les  douze.  [Matth., 
X,  5.)  Hélas  I  si  les  apô'lres  s'étaient  oflerts 
d'eux-mêmes,  s'ils  n'avaient  pas  été  en- 
voyés, tout  leur  travail  eût  été  inutile,  et 
ils  n'auraieni  rapporté  aucun  fruit.  Jésus- 
Christ  leur  a  ainsi  parlé':  Ce  n'est  pas  vous 
qui  m'avez  choisi,  mais  c'est  moi  qui  vous  ai 
choisis,  et  je  vous  ai  établis,  afin  que  vous 
alliez,  et  que  vous  rapportiez  du  fruit.  {Joan., 
XV,  16.)  Les  apôtres  rapportent  du  fruit, 
parce  (|u'ils  ont  été  choisis.  Si  l'Evangile 
fait  peu  Je  fruit,  c'est  la  f)lupart  du  temtis 
parce  qu'il  est  prêché  pardes  ministres  que 
le  Seii,Mieur  n'a  pas  appelés. 

Après  que  le  Maître  s'est  expliqué,  il  est 
pres(|ue  inutile  de  faire  parler  les  servi- 
teurs. Ne  laissons  pas  néanmoins  d'enten- 
dre les  ap'ôlres.  Une  vérité  aussi  essenlielle 
ne  peu!  être  t>'0p  solidement  ajipuyée. 

Les  apôtres  ont  confirmé  avec  zèle  la  vé- 
rité qu'ils  avaient  apprise  de  leur  Alnflre. 
Peut-on  décider  plus  netten.enl  que  saint 
Paul  la  nécessité  de  la  vocation?  JSul  ne 
s'attribue  à  soi  même  cet  honneur,  mais  il 
faut  y  être  appelé  de  Dieu  comme  Auron. 
(Ucbr.,  V,  4.) 

Le  saint  afiôtre  dans  ces  paroles  combat 
le  désordre  ;  il  établit  la  loi  ;  et  il  nous  [)ro- 
pose  un  exemple. 

Le  désordre  contre  lequel  saint  Paul  s'é- 
lève fortement,  s'est  de  s'attribuer  à  soi- 
même  l'honneur. 

La  loi  qu'il  établit,  c'est  qu'il  faut  être 
appelé  de  Dieu. 

L'exemple  qu'il  nous  propose,  c'est  celui 
d'Aaron.  Aaron  a  été  consacré  prêtre  par 
i>n  cxfirôs  commandement  de  Dieu.  C'est 
Dieu  (pii  (lit  à  Moïse  :  Prenez  Aaron  et  ses 
enfants  .revêlezlcs  des  Itabils  sacerdotaux; 
répandez  l'huile  sacrée  sur  leur  tête  {Levit., 
Ylll,2.)  Voilà  donc  une  loi  générale,  eldorit 
aucun  homme  ne  peut  être  dispensé. 

Mais  comment  les  hommes  prétendraient- 
ils  par  de  vaines  raisons  s'exempter  d'ac- 
complir celte  loi,  pendant  que  Jésus-Christ 
même  a  voulu  s'y  soumettre.  Voici  un 
exemple  qui  est  bien  au-dessus  de  celui 
d'Aaron.  C'est  l'exemple  de  Jésus-Christ: 
Jt  n'a  point  pris  de  lui-même  la  qualité  glo- 
rieuse de  pontife  ;  mais  il  l'a  reçue  de  celui 
qui  lui  a  dit  :  vous  élis  mon  fils.  [Ilebr.,  V, 
i.)  Prcndrez-vous  de  vous-même  ce  que 
Jésus-Christ  n'a  pas  voulu  prendre  de  lui- 
ujôiiie?  N'esl-il  pas  étonnant  que  la  liar- 
diesse  d'un  homme  puisse  aller  jusqu'à 
transgresser  une  loi  si  ancienne,  si  solide- 
nieni  élablie,  et  confirmée  par  de  si  puis- 
sants exemples?  C'est  donc  une  nécessité 
U'êlrc  aiipclc  du  Dieu.  La  vucaliou  a  tou- 


jours été  nécessaire,  et  cette  vérité  ne  peut 
être  ignorée,  puisque  Dieu  d.ins  tous  les 
temps  s'est  clairement  expliqué  sur  cette 
nécessité. 

11  faut,  pour  achever  de  vous  convaincre, 
vous  faire  connaître  les  raisons  importantes 
qui  justifient  la  nécessité  de  la  vocation,  et 
qui  font  voir  que  c'est  une  grande  témérité 
que  d'entrer  de  soi-même  dans  l'état  ecclé- 
siastique. 

Les  fonctions  ecclésiasti(iues  sont  gratï- 
des,  elles  sont  élevées;  elles  sont  au-dessus 
de  la  force  de  l'homme.  Elles  ne  peuvent 
être  exercées,  à  moins  que  l'homme  no  soit 
puissamment  soutenu.  Il  est  infaillible  que 
celui  qui  n'est  pas  aidé  succombera  sous  le 
fardeau,  et  ne  sera  point  en  étal  d'en  sup- 
porter la  pesanteur.  Aussi  voyons-nous  que 
Jésus-Christ  en  choisissant  ses  apôtres  a  eu 
grand  soin  de  les  assurer  qu'il  serait  tou- 
jours avec  eux.  Hélas!  qu'auraient-ils  pu 
faire  sans  un  secours  aussi  puissant  ?  A  peine 
auraient-ils  paru ,  (ju'ils  auraient  été  acca- 
blés. Le  Fils  de  Dieu  revêt  les  apôtres  de 
son  Es|)rit.  Recevez,  leur  dit-il.  le  Suint-Es- 
prit. {Joan.,  XX, 22.)  Avant  qu'ils  aient  reçu 
ce  don,  il  ne  veut  i)oint  qu'ils  forment  au- 
cune en!  rcpri.^e. /demeure;,  leur  (l\l-'\\ ,  jus- 
qu'à ce  que  vous  soyez  revêtus  de  la  force 
d'en  haut.  (Luc,  XXiV,  8)  11  connaissait  ses 
a[:ôtres,  ce  qu'ils  étaient  d'eux-mêmes.  Il 
savait  bien  que  les  saintes  fondions  de  leur 
ministère  étaient  au-dessus  de  leur  por- 
tée. Voilà  pourquoi  il  les  change,  il  les 
liansforme  par  la  force  de  l'Esprit  qu'il  leur 
communique. 

Deux  choses  sont  absolument  nécessaires 
pour  exercer  les  fonctions  ecclésiastiques  : 
Le  pouvoir  et  la  grâce.  Le  pouvoir  d'exercer 
les  l'onctions  ecclésiastiques  est  donné  par 
l'ordination.  Mais  l'Esprit  souffle  où  il  veut 
(Joan.,  IIJ,  8),  et  la  grâce  nécessaire  pour 
exercer  saintement  les  fonctions  de  notre 
ministère  n'est  pas  donnée  à  tous  ceux  qui 
sont  revêtus  du  caractère  ecclésiastique. 
L'apôtre  saint  Paul  remercie  Dieu  de  cequ'il 
a  reçu  la  grâce  et  l'apostolat.  [Rom.,  I,  8.) 
Ces  deux  dons  sont  absolument  nécessaires. 
Un  ministre  de  Jésus-Chriil  que  la  grâce 
soutient  se  sauve  lui-mèuie,  en  travaillant 
au  salut  (Je  ceux  qui  sont  confiés  à  ses  soins. 
Celui  que  Jésus-Christ  abandonne,  se  perd 
dans  son  état,  et  souvent  par  ses  infidélités 
il  entraîne  avec  lui  dans  io  précipice  un 
grand  nombre  île  malheureux.  C'est  un  vo- 
leur qui  ne  vient  que  pour  égorger,  pour  voler 
et  pour  perdre  les  dînes.  [Joan.,  X,  10.) 

C'e^t  dimc  un  principe  certain  que  tout 
homme  qui  ne  sera  point  aidé  d'un  secours 
})uissant  et  que  Jésus-Cluisl  seul  peut  don- 
ner, ne  sera  point  en  état  d'exercer  les  fonc- 
tions ecclésiastiques. 

La  grâce  nous  est  nécessaire.  A'ous  avez 
même  besoin  d'un  secours  puissant  et  ex- 
traordinaire. Croyez-vous  recevoir  ce  se- 
cours, si  vous  entrez  dans  l'étal  ecclésias- 
li(]i;e  sans  y  être  particulièrement  appelé? 
Tout  homme  (jui  vient  sans  être  a[ipelé,  en- 
tre contre  liit  vulonlé  de  Dieu.  Il  transgresse 


'J-iO 


une  loi  scleiinclle  ,  diMit  Dieu  a  loujnuis 
recoQimandé  l'exéciilinii.  La  pniiilion  oïdi- 
n.iire  de  ce  crime,  (]iilIIo  os(-elle  ?  La  \'v\- 
v'jlion  des  gr;\cos  sans  lesquelles  les  loiic- 
lions  eccli^î-iasli(iiies  ne  peuvent  (Mre  exer- 
cées avec  fruit.  Que  va  faire  cet  homme  qui 
(■n're  sans  vocation?  Il  va  se  charger  d'un 
fardeau  qu'il  ne  (lourra  porter. 

\oici  donc  en  (juoi  consiste  In  témérité 
de  celui  qui  enibrasse  l'étal  ecclésiastique 
avec  précipilalioîi  et  sans  avoir  connu  la 
volonté  de  Dieu.  (]'esl  un  homme  qui  peut 
prescpie  s'assurer  que  Dieu  l'iibandonnera, 
tt  (ju'il  n'aura  point  les  grâces  nécessaires 
j  O'.ir  exercer  les  lonclions  de  son  état. 

Ce  sont  ces  coiisitléralions  qui  faisaient 
(reml)ier  les  saints.  Voilà  pouiquoi  ils  ap- 
l'.orluienl  tant  de  précautions,  avant  (jue  de 
^'cngager  dans  l'étal  ecclésiastique.  Je  veux 
seulemenl  vous  faire  entendre  ici  ce  que 
saint  Cyprien  nous  rapporte  du  saint  Pape 
Corneille.  «  Son  élévation  à  l'épiscopal  n'a 
puinl  été  précipitée.  Il  avait  au[)aravanl 
exercé  toutes  les  lonclions  ecclésiastiques. 
C'est  sa  litlélilé  dans  les  fondions  infé- 
rieures, qui  lui  a  fuit  mériter  ce  qu'il  y  a 
t;e  |dus  grand  dans  le  ministère  des  autels. 
1!  rr'a  point  souhaité  l'épiscopal,  il  ne  l'a 
point  demandé.  Sa  conduite  a  élé  exlrêrae- 
meht  opposée  à  celle  de  ces  hommes  super- 
bes et  pleins  d'eux-mêmes,  qui  ne  craignent 
point  d'envahir  cette  liante  dignité.  On  l'a 
vu  paisible  et  modeste,  et  dans  les  vérita- 
bles dispositions  où  doivent  être  ceux  qui 
sont  choisis  de  Dieu  pour  remplir  les  pre- 
mières places;  son  humilité  ne  s'est  jamais 
ilémenlie.  Bien  loin  de  faire  aucune  vio- 
lence, c'est  lui-même  qui  l'a  soutfeile,  cl  il 
a  élé  fait  évêque  malgré  lui  (2). 

Voici,  selon  le  témoignage  d'Origène  (2), 
les  qualités  essentielles  que  l'on  demandait 
dans  ceux  qui  éiaient  élevés  aux  dignités 
ecclésiastiques.  Nous  confions  le  soin  des 
Eglises  à  ceux  qui  en  sont  dignes  par  leur 
science  et  par  leur  jiiété.  Les  ambitieux  eu 
sont  indignes.  Les  modestes  doivent  être 
recherchés.  Nous  faisons  violence  à  ceux 
qui  n'auraientjamaisassezde  hardiesse  pour 
exerc- r  les  fonctions  ecclésiastiques,  s'ils 
n'y  étaient  contraints. 

Si  ces  vérités  sont  certaines,  si  le  com- 
mandement de  Dieu  ne  peut  être  contesté, 
si  une  expérience  manifeste  nous  fait  aper- 
cevoir un  si  grand  nombre  d'ecclésiastiques 
qui  se  perdent ,  parce  qu'il  est  visible  que 
Di'eu  les  abandonne  en  punition  de  leur  té- 
mérité; comment  se  irouve-t-il  des  hom- 
mes assez  hardis  jiour  se  pousser  d'eux- 
mêmes,  et  sans  une  Ic'gitime  vocation?  Ce- 
pendant il  s'en  trouve;  le  nombre  en  est 
grand;  bien  loin  de  diminuer,    il   semble 

(2)  Non  isle  ad  episcopalum  suljiio  pervenit, 
sed  per  omnia  ecclesiaslica  officia  promolus,  ei  in 
diviins  adminislrationibiis  Domiiiuiii  promerilus.ad 
baciTdotii  sulili'i.e  lasligium,  cunc.lis  rcligionis 
{{ladibus  àscchdil  Tuin  dciiide  episcopatuni,  nue 
ipse  piisiuiavil,  iwc  voluil,  iiec  ul  cieteri,  qiios  ar- 
i('içaiil!a;  cl  MipaibliC  suiC  luuior  iiibljl,  iiivasil.  Scd 


RETI\ArTE  ECCLES.  -  I,  VOCATION.  f"»» 

qu'il  augmente  tous  les  jours  :  Ils  viclinent 
en  foule,  et  on  les  voit  de  tous  côtés  inon- 
der le  champ  de  l'Eglise.  C'est  la  triste  vé- 
rité que  nous  avons  à  méditer  dans  la  se- 
conde partie  de  cet  entretien  oîi  je  dois 
vous  faire  voir  qui   sont  ceux   qui  entrent 


sans  une  légitime  vocation. 

DEUXIÈME   POINT. 

Il  y  a  des  vérités  que  l'on  n'approfondit 
qu'avec  peine,  et  dont  on  voudr-ail  bien  quo 
les  preuves  ne  fussent  pas  si  claires,  et  en 
si  grand  nombre.  Oh  I  quelle  douleur  pour 
moi  de  pouvoir  vous  faire  voir,  par  une  si 
longue  énuméralion,  qu'il  y  a  une  infinité 
de  téméraires  qui  entrent  dans  l'état  ecclé- 
siastique sans  une  lé;^itime  vocation,  il  ne 
faut  pour  cela  qu'examiner  le  molif  qui  con- 
duit la  plu|)ait  des  hommes,  et  qui  les  en- 
gage à  embrasser  l'état  ecclésiastique. 
^  Qu'est-ce  que  doit  chercher  un  prêtre  et 
quel  molif  iloil-il  se  proposer?  Un  prêtre  ne 
doit  chercher  que  Jésus-Chiist  et  le  salut 
de  ses  frères;  un  prêtre  est  consacré  pour 
servir  Jésus-Christ,  et  pour  établir  son  rè- 
gni",  d'où  il  s'ensuit  que  tout  homme  qui 
entre  dans  l'état  ecclésiastique  avec  une 
autre  lin  que  de  servir  Jésus-Christ  ,  el  do 
travailler  au  salut  des  Ames  rachetées  do 
son  sang,  n'enire  point  par  la  (lorte ,  et  ii 
n'est  point  appelé. 

Les  premiers  qui  entrent  dans  l'état  ec- 
clésiastique sans  vocation,  sont  ceux  qui 
embrassent  cet  état  par  une  lâche  com|)lai- 
sance  pour  des  parents  intéressés.  Ils  sont 
appelés  par  leurs  parents,  et  ils  ne  le  sont 
point  par  Jésus-Christ. 

Des  [)arenls  qui  ne  connaissent  point  les 
maximes  de  l'état  ecclésiastique,  ou  qui,  en 
cas  (ju'ils  les  connaissent,  n'ont  [)as  assez  do 
religion  |)Our  s'y  soumettre,  décident  d'a- 
bord (]ue  le  bien  temporel  de  leur  fantiilio 
demande  qu'un  ou  plusieurs  de  leurs  en- 
fants s'engagent  dans  l'état  ecclésiastique 
La  résolution  étant  for'inée,  ils  choisissent 
eux-mêmes  et  de  leur  propre  autorité  ceux 
qu'ils  veulent  donner  à  Dieu.  Dans  ro  choix 
que  considèrent-ils?  Leur  prof)re  utilité.  Que 
consullent-ils?La/3rMdcncerfe  la  chaU\{Roin., 
VlIi,6.)Celte  [)rudence  ennemie  de  Dieu  dont 
saint  Pau!  a  déclaré  qu'elle  conduit  à  la  mort. 
Font-ils  quelque  aiteniion  aux  ialents  de 
leurs  enfants?  Examineront-ils  si  leurs  cn- 
fanls  ont  les  qualités  nécessaires  [)0ur  bien 
remplir  les  lonclions  de  l'état  ecclésiasti- 
que? C'est  à  quoi    ils  ne  penseront  point. 

Esl-co  15  ce  qui  vous  engage  à  faire  choix 
de  l'étal  ecclésiastique?  Avez- vous  pris 
place  parmi  les  ministres  du  Soigneur,  ou 
parce  que  vos  parents  vous  l'ont  conseillé, 
ou  bien  même  parce  qu'ils  se   sont  servis 

quielus  et  modcslus,  qualcs  esso  coiisuevenin  qui 
ad  liunc  locum  diviiiilus  eliginitiir,  pro  piuiore  vir- 
ginalis  conscienlise  suai,  cl  |)ro  liHiniliiale  iiigciiirie 
sil)i  el  cusloilil;c  verecuiulin;,  non  ul(iuidani  vm» 
iacil  ut  cjjiscopus  ficrei,  sctl  ipse  viin  passus  est, 
ul  i-l>iscopaluin  (oa.tlus  a<  (  ij  crcl.  » 
(i')  L.  b.  conlra  Cchiim. 


9M 


OUÂ'fELKS   SACRLS.  JOSEPH  LAMBERT 


î>:-2 


de  leur  autorilti  pour  vous  dtMeriuiiier?  La 
meilleure  résolulion  que  vous  puissiez 
prendre,  c'est  de  changer  d'élat.  La  com- 
plaisance vous  coulerait  tro|)cher.  Elle  se- 
rait également  funeste  et  à  vos  parents  et  à 
vous-même.  Vous  vous  perdez ,  parce  que 
vous  entrez  dans  l'état  ecclésiastique  avec 
de  très-mauvaises  dis[)ûsitions.  Vous  per- 
dez vos  parents^  parce  que  Dieu  leur  de- 
mandera compte  de  l'injuste  violence  qu'ils 
vous  ont  faite.  Il  faut  être  appelé  de  Dieu. 
Vous  ne  l'êtes  point.  Vous  devez  donc  vous 
expliquer  au  plus  tôt,  vous  devez  user  de  la 
liberté  que  Jésus-Christ  vous  a  acquise. 
Faites  entendre  à  vos  parents  que  Dieu  est 
votre  premier  père,  que  vous  ne  pouvez  pas 
aller  contre  ses  ordres,  qu'il  y  va  de  voire 
salut  éternel ,  que  vous  vous  perdriez  in- 
failliblemenl  en  vous  engageant  dans  un 
étal  auquel  Dieu  ne  vous  a  point  fait  la 
grâce  de  vous  appeler  (3).  «  Voire  père, 
dit  saint  Augustin  ,  n'aura  pas  Meu  d'en- 
trer contre  vous  dans  des  sentiments  déco- 
lère, quand  vous  ne  lui  préférerez  que  Dieu 
seul.  » 

Les  seconds  qui  entrent  dans  l'état  ecclé- 
siastique sans  vocation,  sont  ceux  qui  le 
considèrent  comme  un  étal  commode,  qui 
se  proposent  de  passer  leur  vie  dans  une 
mo.le  oisiveté,  qui  fuient  le  travail,  qui 
sont  fort  résolus  de  ne  recherclier  dans  la 
condition  ecclésiastique  que  ce  qui  lus  flat- 
te, et  d'éviter  autant  qu'il  sera  en  eui  tout 
ce  qui  pourrait  leur  causer  quelque  peine- 
Le  Sage  parle  au  paresseux,  et  en  lui  f;ii- 
satil  de  sévères  reproches,  il  lui  dit  '.Jus- 
qu'à quand  vous  abandonnez -vous  au  som- 
meil,  et  ne  voulez-vous  pas  sortir  de  voire 
lit?  Le  paresseux  cache  sa  main  sous  son 
aisselle,  et  ne  veut  pas  seulement  se  donner  la 
peine  de  l'appliquer  à  sa  bouche.  (Prov.,  VJ, 
9;  XIX,  24..)  Vous  voulez  entrer  dans  l'état 
ecclésiastique  parce  que  vous  le  considérez 
comme  un  état  commode,  où  l'on  peut  vi- 
■vro  tranquillement,  et  s'exempter  de  toutes 
soi  tes  de  peines.  Avez-vous  la  moindre  idée 
de  l'étal  ecclésiastique  ?  Si  vous  en  aviez 
tant  soit  peu  examiné  les  obligations  ,  vous 
sauriez  que  c'est  une  condition  laborieuse  , 
et  qu'on  n'est  ecclésiastique  que  pour  iia- 
vailler. 

Où  trouvcrez-vous  que  Jésus-Christ,  en 
établissant  des  apôlres  et  des  ministres,  leur 
ail  permis  de  |)asser  leurs  jours  dans  la 
paresse?  Quand  les  apôlres  allaient  dans 
dillérents  lieux,  et  qu'ils  imi)0saient  les 
mains  à  ceux  qu'ils  avaient  choisis,  ont-ils 
jamais  prétendu  que  ces  hommes  pouvaient 
«lemeurer  tranquilles,  et  abandonner  le 
troupeau  qui  leur  élail  contié?  Etre  ecclé- 
siastique et  vivre  dans  la  paresse  sonl  deux 
Idées  qui  se  couibuttent.  C'est  un  i)rinci;ie 
>ùc  que  .tout  ecclésiaslique  qui  est  oisif 
n'est  point  en  voie  de  salul,  parce  qu'il  ne 
remj)lit  point  une  condition  esseiilielle  de 

(3)  Non  irascaliir  pater,  Deus  solus  illi  piœ- 
ferliir. 

(,i)Ex  cousideralioiie  hujuÊ  ordinis  meuleni  meam 


son  état.  Que  deviendrait  l'Eglise  si  fous  ses 
ministres  élaieiil  dans  la  même  erreur  que 
vous?  S'ils  étaient  tous  dans  une  aussi  mau- 
vaise disposilion?  Elle  serait  donc  abandon- 
née; son  champ  ne  serait  point  cultivé; 
elle  serait  en  proie  à  ses  ennemis;  elle  se- 
rait attaquée  de  toutes  parts  sans  que  per- 
sonne entreprît  sa  défense. 
§:  Saint  Paul  veut  justifier  la  vérité  de  son 
apostolat,  contre  les  faux  apôtres  qui  étaient 
assez  téméraires  pour  lui  en  coutt^ster  le 
litre.  De  quelle  preuve  se  sert-il  pour  faire 
voir  qu'il  est  apôtre?  Ses  travaux,  ses  souf- 
frances, voilà  sa  preuve.  Sont-ils  ministres 
de  Jésus  Christi  J'ose  dire  que  je  le  suis  encore 
plus  qu'eux?  J'ai  plus  souffert  de  travaux , 
plus  reçu  de  coups,  plus  enduré  de  prisons  , 
etc.  (I  Cor.,  XI,  23.) 

Quand  les  saints  Pères  parleni  de  l'étal 
ecclésiaslique  et  du  sacerdoce,  ils  assurent 
tous  que  c'est  un  poids,  que  c'est  un  far- 
deau; mais  un  fardeau  très-lourd.  Idée  bien 
dilTérente  de  la  vôtre. 

Ecoutez  saint  Grégoire,  pape  (4).  Il  ne 
parle  pas  seulement  du  rang  auquel  il  est 
élevé,  co  qui  lui  fait  dire  qu'il  est  pénétré 
de  douleur  dans  la  crainte  qu'il  a  de  no 
pas  remplir  tous  ses  devoirs;  mais  il  assure 
en  général  que  le  sacerdoce  est  un  fardeau 
très-pesant. 

C'est  un  fioids  que  vous  ne  sentez  point. 
Tout  vous  plaît  dans  l'état  ecclésiaslique, 
tout  vous  flatte  :  vous  n'apercevez  rien  qui 
vous  trouble  et  qui  vous  etfraye.  Il  est  doux 
de  jouir  d'un  revenu  dont  on  se  trouve  en 
possession  sans  se  donner  aucun  soin,  ni 
sans  prendre  aucune  peine.  C'est  là  tout  ce 
que  vous  prétendez  dans  l'élat  .ecclésiasti- 
que, vous  n'avez  jamais  songé  à  y  travail- 
ler :  bien  loin  de  cela,  le  travail  vous  en- 
nuie, vous  rebute,  vous  fatigue.  Il  esl  ab- 
solument nécessaire  que  vous  renonciez  5 
l'étal  ecclésiaslique,  et  il  est  sûr  que  vous 
n'êtes  point  appelés. 

Ceux-là,  en  troisième  lieu,  ne  sont  point 
appelés  à  l'état  ecclésiaslique,  qui  n'ont 
point  de  talents  pour  en  remplir  les  fonc- 
tions. Dieu  qui  veut  que  tous  les  ecclésias- 
tiques travaillent,  n'appelle  que  ceux  qui 
ont  quelque  talent  pour  cultiver  le  champ 
de  son  Eglise.  Le  sacerdoce  est  un  poids. 
Il  faut  doue  être  en  élat  de  le  soutenir. 

Je  ne  demande  pas  que  tous  ceux  qui  se 
consacienl  à  Dieu  dans  l'état  ecclésiaslique 
aient  des  talents  distingués.  Il  n'est  pas  né- 
cessaire que  tous  aient  un  génie  suj)érieur, 
une  science  sublime,  des  connaissances  re- 
cherchées. Il  n'est  pas  nécessaire  que  tous 
approfondissent  ce  qu'il  y  a  de  plus  secret 
et  de  plus  curieux  dans  les  mystères  etdans 
la  saillie  antiquité.  Il  est  esicore  moins  né- 
cessaire pour  èlre  ecclésiastique  d'avoir  les 
talents  qui  brillent,  (jue  le  monde  estime, 
et  qui  souvent  sont  jilus  dangereux  qu'ils 
ne  sont  utiles  ;  mais  au  moins  nul  ne  doit 

iraiisveiberal  vis  doloris.  Grave  naaique  esl  pott» 
dugjsacerdotii.  (L.  11,  epist;  3yj 


953 


lîKTIÎAITE  ECCLLS.  —  l,  VOCATION. 


9'ii 


«Tjîpiror  à  col  «^Inl  Uiboiieux,  à  moins,  (in'il 
ne  pui.iso  soiilonir  !es  Irnvaux  auxquels  l'oi- 
(Ire  dp  la  Providence  lo  doit  appliquer. 

Je  fais  grande  estime  d'un  liorame,  qui 
sait  instruire  d'une  manière  familière  et 
loui-liniitc,  (pii  peut  faire  poûler  les  vérités 
dp  lEvanj^ile  par  des  explications  graves, 
sérieuses,  pénétrâmes;  qui  est  en  état  de 
donner  du  lait  aux  enfants,  et  de  bien  faire 
entendre  les  nivslères  du  salut. 

Vous  en  vojez  dont  l'esprit  lourd  et  tar- 
dif ne  comprend  rien;  à  peine  i)euvent-iis 
rendre  raison  de  leur  foi  ;  on  ne  voit  rien 
en  eux  qui  n'attire  le  mépris  ;  ils  s'acquit- 
tent indignement  de  tous  les  emplois  (]ui 
leur  sont  conllés.  Pourquoi  donc  vouloir 
6(re  ecclésiastique,  pendant  que  vous  avez 
une  preuve  si^re,  qui  vous  fait  connaîlre 
que  l)ieu  ne  vous  appelle  point  ? 
i  Voici  une  dernière  classe,  laquelle  est 
très  nombreuse  ;  et  cependant  il  est  vrai 
de  dire  que  tous  ceux  qui  la  composent 
ne  sont  point  appelés  à  l'état  ecclésiasti- 
que. 

L'apôtre  saint  Paul  se  plaint  que  tous 
rhncfient  leur  propre  inlc'rél.  {Philip.,  11, 
'11.)  Il  y  «.Il  a  une  inlinilé,  qui  se  font  ecclé- 
siastiques par  intérêt.  Dieu  les  appelle- 
t-il?  Non.  C'est  leur  intérêt  qui  les  ap- 
pelle. 

Combien  y  en  a-l-il  qui  se  font  ecclésias- 
tiques uniquement  dans  la  vue  d'avoir  des 
bénéfices?  Le  raisonnement  qui  lesadélei- 
minés,  c'estque  dans  le  monde  ils  vivaient 
misérables,  et  sans  bien.  L'Eglise  est  leur 
refuge.  S'ils  veulent  rentrer  en  eux-mêmes 
et  parler  de  bonne  foi,  ils  sont  obligés  de 
confesser,  que  s'il  n'y  avait  f)oint  de  béné- 
fice à  espérer,  ils  ne  songeraientpoinl àem- 
brasser  l'état  ecclésiastique. 

Que  dirons-nousde  la  vocation  de  ceux 
qui  n'ont  point  dessein  de  rendre  aucun 
service  è  l'Eglise,  mais  seulement  de  jouir 
de  ses  revenus;  qui  ne  sont  ecclésiastiques 
que  parce  qu'ils  ont  un  onde  ou  un  parent, 
qui  a  des  revenus  considérables  dans  l'E- 
glise; qui  entrent  dans  des  bénéfices  même 
à  charge  d'âme,  parce  qu'ils  n'ont  aucun 
autre  emploi  pour  vivre  ;  car  s'il  se  présen- 
te quelque  autre  condition  plus  avantageu- 
se et  moins  chargée  de  soins,  ils  abandon- 
nent avec  joie  la  cure  et  le  troupeau  ;  qui 
$up[)utent  combien  vaut  le  bénéfice,  mais 
qui  n'examinent  point  s'ils  peuvent  être 
de  quelque  secours  à  l'Eglise  et  au  pro- 
chain ;  qui  ne  songeaient  en  aucune  ma- 
nière à  embrasser  l'élat  ecclésiastique,  qui 
avaient  même  pris  d'autres  mesures  :  mais 
un  bénéfice  auquel  ils  ne  s'attendaient  pas, 
les  a  déterminés  à  s'engager  dans  la  milice 
sacrée. 

Mettons  au  môme  rang  les  enfants  de  fa- 
mille qui  embiasseni  l'élat  ecclésiastique, 
parce  que  leur  aîné  emporte  une  grande  par- 

(.'))  Mercenarii  suni  sua  qua^renles.  Quid  est  sua 
qua^ieiiles?  ^Oll  Llirislum  gralii  dilij,'tiiles,  non 
Deum  propler  Deuiii  quarenits,  leini'oialia  coin- 
moda  «ectauich,  lucris   luliiaiilvs,  lioaoics  ab  lio- 


lie  (lu  bien.  Ils  (int  recours  à  l'Eglise,  afin  d'y 
trouver  les  richesses  (pie  le  monde  ne  peut 
leur  fournir.  Ainsi,  il  est  vrai  de  dire  qu'ils 
se  font  ecclésiastiques  pour  avoir  des  ri- 
chesses pour  vivre  avec  éclat  et  pour  sou- 
tenir leur  ambition. 

Ce  qui  fait  bien  voir  combien  ils  sont 
peu  appelésà  l'état  ecclésiastique,  c'estque 
(juand  leur  aîné  meurt,  s'ils  sont  encore 
libres,  aussitôt  ils  abandonnent  l'Eglisu 
pour  retourner  dans  le  siècle.  Souvent  ils 
font  gloire  de  leur  changement.  Ils  témoi- 
gnent qn'ils  ne  regardaient  l'état  ecclésias- 
ti(pie  que  comme  une  dernière  ressource. 
S'ils  sont  engagés  dans  les  ordres  sacrés, 
ils  se  repentent  de  s'être  trop  tôt  précipi- 
tés. Ils  sont  agités  de  continuels  regrets. 
Ils  ne  demeurent  dans  l'Eglise  que  comme 
des  esclaves.  Ils  donnent  lieu  aux  gens  du 
monde  défaire  des  railleries,  et  de  dire: 
S'il  élit  eu  plus  de  prévoyance  ;  s'il  eût  su 
ce  qui  devait  arriver;  si  son  caractère  se 
pouvait  effacer,  nous  le  verrions  bientôt 
quitter  l'Eglise  pour  revenir  dans  le  siè- 
cle. 

Quelle  indignité  que  d'entrer  par  un  mo- 
tif si  bas  dans  le  plus  élevé  de  tous  lesétalsl 
Peul-on  donner  le  nom  de  pasteurs  à  ceuv 
qui  se  laissent  conduire  par  une  lin  si  cri- 
minelle ?  Non,  ce  ne  sont  point  des  pas- 
leurs.  Ce  sont  des  mercenaires. 

Les  mercenaires,  selon  la  définition  que 
saint  Augustin  nous  eu  donne,  ce  sont  ceux 
qui  recherchent  leur  intérêt,  qui  ne  se 
donnent  point  à  Jésus-Christ  (5),  pour  Jé- 
sus-Christ même,  qui  n'aiment  point  Dieu 
jiour  l'amour  de  lui-même  ;  qvii  regardent 
j)rincipalement  leur  utililé  temporelle,  qui 
sont  possédés  de  l'amour  du  gain,  qui  se 
laissent  éblouir  à  l'éclat  des  hoimeurs 

Ces  mercenaires  sont  d'autant  plus  cou- 
pables, qu'ils  renversent  entièrement  l'or- 
dre que  Dieu  a  établi.  L'ordre  de  Dieu  est 
que  ses  ministres  se  (iroposcnt  en  premier 
lieu  d'annoncer  son  Evangile.  Il  leur  per- 
met ensuite  d'user  des  biens  de  ce  monde,, 
parce  que  s'ils  n'avaient  pas  de  quoi  se 
soutenir,  ils  ne  pourraient  pas  exercer  leur 
minislèrc.  Les  mercenaires,  au  contraire, 
ont  pour  première  fin  leur  intérêt.  Ils  con- 
sidèrent le  ministère  évaîigélique  conuiio 
un  ujoyen  pour  arriver  à  la  fin  honteuse 
qu'ils  se  proposent,  et  do  là  saint  Augustin 
prend  occasion  do  leur  faire  ce  reprocije  :. 
«  Les  richesses  temporelles  sont  votre  fin» 
L'Evangile  est  le  moyen  (jue  vous  choisis- 
sez pour  arriver  à  votre  lin.  La  fin  est  tou- 
jours plus  précieuse  que  les  moyens,  donc 
vous  mettez  les  richesses  temporelles  au- 
dessus  de  l'Evangile.  Horrible  ]>rol'anation 
et  qui  mérite  les  jilus  sé\èies  châtiments. 
Vous  prêterez  à  l'Evangile,  les  biens  caducs 
et  /lérissables  de  ce  monde.  Combien  donc 
y  en  a-l-il  qui  profanent  l'Evangile  (Gj  ?  » 

minibus  appelentes.  (Tracl.  40  in  Joan.) 

(6)  «  Si  evarifc'elizcmus  ut    uiaiiOiiceuius,    viliiis 
iiahtinus  Evungelium  quaui  cibuiii.  »  [L.  Il,  Stiin 
III  monte.) 


D'ÎJ 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMLîERT. 


936 


O  vous  qui  aspirczà  l'éliit  eccli5«iasliqiie, 
prenez  gnide  quo  vous  no  soyez  (ie  ces 
profiin.'ilinirs.  Si  vous  sentez  en  vous-mêmes 
que  c'est  le  molif  iionleux  (Je  l'intérôl  qui 
vous  guide,  renoncez  à  votre  dessein,  et 
n'augm'Miiez  point  le  nombre  des  merce- 
n<iires  qui  n'est  déjà  que  trop  grand 

En  voilà  donc  un  grand  nombre  (pji  n'en- 
trent |)oint  par  la  porte.  Vous  en  ûles  sans 
doute  effrayés.  La  plupart  vous  paraissent 
noircis  de  quelques  défauts,  (pii  vous  ren- 
dent il  bon  droit  leur  vocation  suspecte. 
Qui  sont  donc  ceux,  inc  denuuidcrez-vous, 
qui  sont  légitiiiicmoiit  a|)pclés  ?  Vous  allez 
l'apprendre  dans  la  dernière  'partie  de  cet 
entretien. 

TROISn'iME  POINT. 

Ceux-là  sont  légitimement  appelés  qui, 
«près  avoir  pris  toutes  sortes  démesures, 
pour  connaître  ce  que  Dieu  demande  d'eux, 
ont  liou  de  croire,  non  point  par  leur  [i;'o- 
pre  jugement,  mais  par  le  jugement  de  ceux 
qui  sont  établis  pour  ôlre  leurs  conducteurs, 
que  la  volonté  de  Dieu  est  qu'ils  eulreîit 
dans  l'état  ecclésiastique. 

Celui-là  donc  qui  veut  entrer  [)ar  la  porte, 
en  premier  lieu  doit  prendre  de  graiifles 
précautions  pour  connaître  la  volonté  de 
Dieu.  En  second  lieu  il  ne  se  doit  point 
conduire  par  son  propre  jugement,  mais 
par  lo  jugement  de  ceux  que  Dieu  a  établis 
pour  lui  servir  de  guides. 

Tout  chrétien  doit  prendre  desprécautions 
pour  connaître  ce  que  Dieu  demande  de  lui. 
Ces  précautions  doivent  être  encore  plus 
grandes,  quarid  il  est  question  de  cboi- 
.sir  un  état  :  mais  quand  il  s'agit  d'embras- 
ser l'état  ecclésiastique,  le  plus  saint  el  le 
plus  sublime  de  tous  les  états,  c'est  pour 
lors  que  les  efforts  doivent  être  redoublés, 
c'est  pour  lors  qu'un  homme  qui  a  la  crainte 
du  Seigneur  met  en  usage  tous  les  moyens 
que  la  prudence  chiélii'nne  lui  inspire 
pour  découvrir  la  volonlé  de  Dieu. 

Les  moyens  les  plus  oflicaces  que  Dieu 
nous  a  donnés  pour  connaître  sa  volonté 
sont  la  retraite  et  la  prière. 

La  retraite  est  le  lieu  propre  pour  con- 
sulter Dieu.  C'est  dans  la  retraite  que  Dieu 
se  communique  à  nous.  Les  embarras  du 
monde  nous  empêchent  d'écouter  Dieu  ; 
comment  voulez-vous  discerner  sa  voix  au 
milieu  du  tumulte?  Peut-on  entendre  ce 
que  Dieu  nous  dit  dans  un  lieu  oij  tant  de 
voix  confuses  se  mêlent  pour  établir  des 
maximes  contraires  à  celles  que  Dieu  nous 
6  enseignées?  Voulez-vous  que  Dieu  vous 
|iarle?  séparez-vous  de  cette  multitude  re- 
belle qui  ne  le  connaît  point,  et  allez  dans 
la  retraite. 

C'est  pour  cela  que  les  sacrements  ont 
été  si  sagement  établis.  Avant  ces  saints  éla- 
l)lissements,  le  désordre  était  bien  plus 
commun.  Plein  de  l'esprit  du  monde,  on 
s'engageait  dans  les  ordres  sacrés,  sans 
avoir  consulté  Dieu,  et  sans  l'avoir  écoulé. 
Tous  ceux  qui  connaissent  do  quelle  im- 
l'ortaiice  il  est  (juoDieu  nous  parie  et  qu'il 


nous  conduise,  bien  loin  d'avoir  aucune 
ré[)Ugnancc  |)0ur  ces  saintes  retraites,  s'y 
renferment  avec  plaisir,  ils  y  demeurent  avec 
joie.  C'est  là  (pi'iis  se  forment,  une  juste  idéo 
de  la  vie  retirée,  afin  d'en  contiimcr  l'exer- 
cice et  de  faire  de  leur  maison  un  véritable 
séminaire. 

Joignez  h  la  retraite  les  saintes  ardeurs 
d'une  prière  fervente.  Dès  le  moment  que 
vous  avez  conçu  le  dessein  d'entrer  dans 
l'état  ecclésiasti(]ne,  vous  ne  devez  point 
cesser  de  prier.  Vous  devez  presque  tou- 
jours avoir  dans  la  bouche  et  dans  le  cœur 
ces  paroles  du  saint  prophète  David  :  Sei- 
gneur, failcs-moi  connaître  la  voie  dans  In- 
(juetleje  dois  marcher  Seigneur,  enseignez- 
moi  à  faire  voire  volonté.  (Psal.  CXI. 11,  8. 
10)  Qu'il  ne  se  passe  pas  un  seul  joui-  de 
voti'e  vie  que  vous  ne  fassiez  à  Dieu  une  si 
im|)orlanle  prière.  Je  dis  que  ces  paroles 
doivent  être  dans  votre  bouche  et  encore 
[ilus  dans  votre  cœur;  car  vous  devez  dési- 
rer effectivement  de  connaître  la  voie  dans 
latinelle  Dieu  veut  que  vous  niarcliiez. 

Vous  devez  craindre  souverainement  de 
prendre  un  ciicinin  pour  un  autre,  il  y  va 
de  votre  salut.  Si  vous  êtes  dans  la  voie  où 
Dieu  veut  que  .vous  marchiez,  vous  vous 
sauverez.  Si  vous  entrez  contre  la  volonté 
de  Dieu  dans  une  voie  où  il  ne  veut  pas 
que  vous  marchiez,  votre  perte  estprestjue 
assurée  Voyez  donc  de  quelle  importance 
il  vous  est  de  dire  avec  ardeur,  et  dans  ia 
sincérité  du  cœur  :  Seigneur,  faites-moi  con- 
naître la  voie  dans  laquelle  je  dois  marcher. 

LeSeigneur  tout  |)leinde  miséricorde  pour 
nous,  ne  manque  guère  de  découvrir  sa  vo- 
lonté à  ceux  qui  ont  un  désir  sincère  de  la 
connaître.  Souhaitez  donc  de  connaître  la 
volonté  de  Dieu;  soyez  disposés  à  la  suivre, 
quelque  obstacle  que  l'on  vous  oppose.  Si 
Dieu  veut  que  vous  le  serviez  dans  l'état 
ecclésiastique,  que  rien  ne  vous  arrête; 
si  Dieu  ne  veut  point  que  vous  soyez  au 
rangde  ses  ministres,  fermez  l'oreille  à  tous 
les  conseils  pernicieux  des  prudents  du 
siècle.  Telles  doivent  être  les  dispositions 
de  notre  cœur  j)our  jiouvoir  dire  sincère- 
ment à  Dieu:  Seigneur,  enseignez-moi  à 
faire  voire  volonté. 

Dans  une  occasion  où  il  vous  est  si  im- 
portant de  connaître  ce  que  Dieu  veut  de 
vous,  vous  ne  devez  pas  vous  en  reposer  sur 
vous-même.  Non-seulement  vous  devez 
prier,  mais  encorç  vous  devez  conjurer  les 
autres  de  prier  pour  vous.  Employez  le  se- 
cours de  tout  ce  que  vous  connaissez  do 
personnes  qui  vivent  dans  la  piété.  Priez 
les  prêtres  du  Seigneur  de  se  souvenir  de 
vous  dans  leuis  saints  sacrilices. 

C'est  ainsi  que  saint  Paul  implorait  le 
secours  et  les  prières  do  ses  fières  dans  les 
nécessités  pressantes  :  Je  vous  conjure,  mes 
frères,  par  Jésus-Christ  notre  Seigneur  el  par 
la  charité  du  Saint-Esprit,  de  combattre  avec 
moi  par  les  prières  que  vous  ferez  à  Dieu  pour- 
moi,  (liom.,  XV,  âo.)  Ayez  sans  cesse  dans 
l'esprit  t|u'i!  s'agil  de  connaître  la  volonté 
de  Dieu,  et  (luc  tout  C5l  perdu  nour  vous  si 


957 


UETRAITE  IXICLKS.  —  I,  VOCATION, 


9.*i8 


\ 


vous  i-'iitroz  (JansrtHalectlésiasliq'je  ooiilre 
sa  volonté. 

Ouancj  vous  aurez  pris  ces  sagus  précau- 
tions, il  110  faut  pas  oncore  vous  en  rap- 
porîer  5  vous-niôme.  Si  vous  décidez,  si 
vous  prononcez  sur  voire  voc'Uion,  vous 
vous  appelez  vous-niôine,  cl  c'est  un  prin- 
cipe sûr  que  celui  qui  s'ai^pelle  lui-raôoie 
n'est  point  appelé  de  Dieu. 

Une  des  marques  de  vocation  des  pins 
sûies  et  des  plus  consolantes,  c'est  d'ôlre 
appelé  par  son  évêqiie.  Ce  sont  les  évéïpies 
et  les  supérieurs  qu'ils  emploient,  que  Dieu 
3  élaLilis  juges  de  votre  vocation.  Ecouler 
l'Eglise,  écouter  ses  supérieurs,  c'est  écou- 
ler Jésus-Chiisl.  Qui  vous  écoule  tn  écoule. 
(Luc,  X,  16.)  Si  vos  supérieurs  vous  choi- 
sissent lorsque  vous  y  songez  le  moins, 
votre  vocation  est  encore  plus  régulière  et 
("lus  assurée.  S'ils  vous  confèrent  un  béné- 
lice  plus  laborieux  que  commode,  qui  vous 
prive  des  choses  agréables,  (|ui  vous  sé|iare 
de  vos  parents  el  de  vos  amis,  s'ils  vous 
envoient  |iour  gouverner  des  hommes  rus- 
tiques et  peu  reconnaissants,  c'est  encore 
une  très-bonne  marque  de  l'élection  divine. 
Car,  ()unnd  la  nature  est  cruclhée  avec  se? 
convoitises,  i'amour-[iropre  est  moins  à 
ciaindre. 

Je  vois  vos  sentiments.  Vous  comprenez 
liî's-bien  que  vous  êtes  obligé  d'obéir  à 
vos  supérieurs,  [)Ourvu  qu'ils  vou^  confè- 
rent un  bénétice  commode,  et  tel  que  vous 
le  désirez  ;  mais  si  l'emploi  est  d'un  mé- 
diocre revenu,  s'il  est  plein  de  diflicultés, 
s  il  n'a  rien  qui  flatte  l'amour-|)ropre,  ce  sera 
vainement  que  vos  supérieurs  vous  re()ré- 
senleroiil  le  besoin  qu'ils  ont  de  vous,  et  les 
services  considérables  que  vous  pouvez 
lendro  è  I  Eglise;  vous  ne  vous  souvenez 
plus  du  vœu  solennel  d'obéissance  que  vous 
avez  prononcé.  Esl-co  à  vos  supérieurs  à 
qui  vous  résistez,  ou  plutôt  n'est-ce  pas  à 
hidu  qui  vous  appelle  par  leur  bouch;.?  ? 

Vous  devez  donc  vous  adresser  à  vos  su- 
périeurs, agir  par  leur  avis,  ne  point  avoir 
d'enipressement,  n'employer  auprès  d'eux 
aucune  sollicilalionque  celle  de  vos  vertus, 
de  voire  docilité  et  d'une  soumission  par- 
laite. 

En  consultant  vos  supérieurs,  prenez 
garde  à  éviter  deux  excès  qui  sont  cause 
que  l'on  ne  relire  aucun  fruit  des  conseils 
que  l'on  demande. 

On  consulte,  mais  l'on  est  déterminé  avant 
que  de  demander  conseil  ;  on  consulte,  non 
pas  pour  s'éclaircir,  mais  pour  trouver  des 
hommes  qui  favorisent  notre  sentiment;  on 
soutient  son  avis  avec  opiniâtreté, jusqu'à 
ce  qu'il  soit  a[)prouvé.  Est-ce  là  demander 
conseil,  ou  plutôt  n'est-ce  pas  vouloir  se 
tromper?  Quand  vous  consultez,  ce  doit 
être  avec  un  esprit  de  docilité  et  une  dis- 
position sincère  de  vous  soumettre  aux  dé- 
cisions de  vos  su|iérieurs:  autrement  c'est 
vainement  que  vous  les  consultez. 

Ne  soyez  point  encore  semb'able  à  ceux 
qui  consultent,  raaiscjui  se'déguisenl  et  qui 
cachent  leurs  véritables  seulim'.iils.  Com- 


menl  veulent-ils  qu'on  leur  Jo-tne  un  sago 
conseil,    à    moins  (pi'on    ne   les   connaisse 
parfaitement?    Il  faut   qu(!  celui  à  (jni  vous 
vous   adressez  voie  clairoioent    tout  ce  qui 
se  passe    en    vous;  il  faut  qu'il  sache  quel 
est  l'esprit  qui  vous  anime;  si  c'est  res|,rit 
du  siècle,  si  c'est  l'esprit  de  Jésus-Christ.  Il 
faut  (pi'il  examine  votre  comluile,  et  si  votre 
vie  a  élé  assez  pure  classez  innocente  pour 
entrer  d.iijs  un  état  qui  est   si  saint;  il  faut 
qu'il   sache  si  vous  êtes  un  homme  d'orai- 
son; il  faut  qu'il  connaisse  si  vous  pourrez 
vous   riîsoud.e  à   mener  une  vie  retirée  et 
séparée  du  monde;  il  faut  qu'il  reconnaisse 
en  vous  au   moins  les  [)remières  semences 
des  vertus   ecclésiastiques   qui  sont  la  pru- 
dence, le  zèle,    la  fermeté,  la  modestie,  la 
pnlicncc,  le  désintéressement,  etc.  Voilà  le 
sérieux   examen    que    doit  faire  celui  quo 
vous    consultez.   Vous   voyez  de  quelle  né- 
cessité il  est  de   lui   ouvrir  votre  cœur.  Si 
vous  usez  à  son  égard  de  quelque  dissimu- 
lation,, c'est  vous-même  quo  vous  trompez. 
Si  lapins  excellente  marque  de  vocation, 
c'est  d'être   appelé    par  ses  supérieurs,  il 
s'ensuit  (jue  ceux-là  peuvent  s'assurer  qu'ils 
ne  sont  point  appelés,  à  qui  leurs  supérieurs 
déclarent  qu'ils   ne  doivent  point  songer  à 
entrer  dans  l'état  ecclésiaslifpie. 

L'apôtre  saint  Paul  nous  dit  que  ceux-là 
qui  se  soulèvenl  conlre  tes  puissances  élabUes 
de  Dieu,  résislenl  à  l'ordre  de  Dieu  même. 
(/fom.,  XJII,  2.)  Il  n'y  a  point  de  puissance 
plus  légitime,  et  conlre  latjuelle  il  soit  plus 
criminel  de  se  révolter,  que  celle  des  su- 
périeurs ecclésiastiques.  Prononcez  donc 
conlre  vous-même,  et  voyez  quelle  est  l'in- 
justice de  votre  conduite. 

Afin  qiio  votre  vocation  fût  légitime,  afin 
que  toutes  choses  se  passassent  dans  l'ordre, 
il  faudrait  que  vous  fussiez  justement  ef- 
frayé, en  considérant  l'élévation  de  l'état 
ecclésiastique;  que  vous  fussiez  pénétré  do 
voire  indignité.  Vous  devriez  fuir  el  vous 
éloigner,  selon  l'exemjjle  (pje  les  saints 
vous  ont  laissé,  et  il  faudrait  que  ce  lût 
votre  supérieur  qui  vous  contraignît  conlre 
voire  inclination  ,  de  vous  charger  d'un 
poids  dont  la  pesanteur  vous  fait  trembler. 
Mais  vous  êtes  dans  des  dispositions  ab- 
solument contraires.  C'est  vous  qui  voulez 
forcer  voire  supérieur  à  vous  introduire 
dans  le  sanctuaire.  Il  vous  résiste,  il  vous 
remontre  que  vous  n'êtes  pas  suflisamment 
éprouvé.  Bien  loin  d'être  docile  à  ses  re- 
monslrances  salutaires,  bien  loin  de  vous 
retirer  avec  modestie,  il  n'y  a  point  de  sol- 
licitations que  vous  n'employiez  pour  chan- 
ger Ja  volonté  de  votre  supérieur.  Un  père 
el  une  mère  qui  ne  savent  ce  qu'ils  deman- 
dent, ont  une  précipitation  mal  entendue 
de  vous  voir  revêtu  du  sacerdoce. 

Si  le  supérieur  a  toute  la  force  que  lui  doit 
inspirer  la  sainteté  de  son  caractère,  il  con- 
sidérera toutes  vos  imporlunilés  comme  do 
nouvelles  preuves  de  votre  indignité.  Mais 
s'il  était  assez  faible  pour  céder  à  vos  in 
justes  désirs,  soyez  convaincu  que  ce  serait 
un  tiè.>-gr.iad   malh  'ur  pour   vous.  Il  n'y  a 


m,9 


OKATIÎUUS  SACRES.  JOSEPH  LAMBEUT. 


9CU 


point  de  (Joute  que  vous  entreriez  par  vous- 
riièmi*,  et  sans  ôtre  appelé  :  El  \nu-  consé- 
quent vous  seriez  de,  ceux  que  lo  Fils  do 
Dieu  niipello  des  voleurs.  Si  i]iielqunn,  dit 
Jésus-Christ,  vient  dans  la  bergerie,  et  qu'il 
n  entre  point  par  la  porte,  mais  qu'il  y  monte 
par  un  autre  endroit  ,  il  est  un  voleur. 
(Joan.,  X,  1.) 

Ce  sont  donc  vos  supérieurs  que  Dieu  a 
établis  pour  vous  faire  connaîire  sa  volonté, 
il  faut  que  ce  soit  vos  supérieurs  qui  vous 
rassurent,  qui  vous  déterminent,  qui  vous 
introduisent  dans  le  sanctuaire.  Retenez 
bien  celte  maxime  essentielle  :  Si  vous  vê- 
liez de  vous  même,  votre  entrée  est  crimi- 
ne.'le,  et  vous  ne  pouvez  entrer  avec  une 
légitime  vocation  à  moins  que  ce  ne  soit 
par  l'autorité  de  vos  supérieurs. 

Etre  léi^iiimement  appelé  ,  c'est  donc 
après  avoir  pris  toutes  sortes  de  mesures, 
j)our  connaître  ce  que  Dieu  demande  de 
nous  ,  avoir  lieu  de  croire  ,  non  point  par 
notre  propre  jugement,  mais  par  le  juge- 
ment de  ceux  que  Dieu  a  établis  pour  ôlre 
nos  conducteurs,  que  la  volonté  de  Dieu  est 
que  nous  entrions  dans  l'état  ecclésia>li- 
que. 

Sans  doute  ces  vérités  feront  connaître  à 
plusieurs  déjà  engagés  dans  l'élal  ecclésias- 
tique, qu'ils  y  sont  entrés  contre  la  volonté 
de  Dieu.  Il  est  juste  de  les  instruire  et  de 
leur  apprendre  ce  qu'ils  ont  à  faire  pour  ré- 
parer une  faute  dont  les  suites  sont  si  fu- 
nestes. 

Ou  ils  sont  engagés  dans  l'élal  ecclésias- 
tique (lar  les  saints  ordres  (ju'ils  ont  reçus, 
ou  bien  par  quelque  bénélice  dont  ils  ont  élé 
pourvus. 

S'ils  ont  reçu  les  saints  ordres  sans  être 
appelés',  il  n'y  a  |)Oint  d'autre  moyen  |)Our 
réparer  celte  injure  qu'ils  ont  faite  à  Dieu, 
qu'une  longue  et  sérieuse  pénilence  (7). 

Anciennement  les  clercs,  pour  faire  péni- 
tence, étaient  enfermés  dans  des  monastères, 
où,  étant  privés  pour  jamais  de  l'exercice  de 
leurs  fonctions,  on  leur  imposait  des  .péni- 
tences très-rigoureuses. 

Celui  qui  est  entré  dans  l'état  ecclésiasti- 
que sans  vocation  doit  se  juger  indigne 
d'exercer  jamais  les  fondions  de  ses  ordres. 
De  lui-même,  et  de  son  propre  choix  il  doit 
se  condamner,  et  prononcer  contre  lui  une 
sentence  sévère.  Tousses  vœux  doivent  êlre 
}iour  la  retraite.  C'est  là  qu'il  doit  souhaiter 
de  se  renfermer  pour  répandre  des  lar- 
mes. 

Je  ne  dis  pas  néanmoins  qu'un  ecclésias- 
tique entré  sans  vocation,  ne  puisse  el  même 
ne  doive  continuer  ses  fondions,  surtout 
en  ce  temps  où  l'Eglise  manque  de  minis- 
tres, et  particulièrement  lorsque  ses  supé- 
rieurs ra|)pellent.  Mais  si  l'un  se  relâche; 
«i  l'on  n'oblige  plus  à  observer  les  anciens 
canons  dans  toute  leur  rigueur,  le  remède 
de  la  pénitence  est-il  moins  nécessaire  à  ceux 


oui  se  sentent  criminels  d'un  péché  si 
grief? 

Il  faut  donc  ipie  d'eux-raômes,  dans  lo 
lieu  de  leur  demeure,  sans  quitter  leurs 
fonctions,  sans  se  séparer  pour  toujours  des 
saints  mystères,  sans  se  revôlir  d'un  sac  et 
d'un  cilice  ,  sans  être  assujettis  aux  lois 
de  l'ancienne  pénitence,  ils  fassent  des  pé- 
nitences qui  tiennent  lieu  de  celles  qua  les 
clercs  observaient  autrefois  en  se  renfer- 
mant dans  des  monastères,  en  abandonnant 
leurs  fonctions,  en  s'éloignant  des  saints 
mystères, 'passant  [jlusieurs  années  revêtus 
d'un  sac  et  d'un  cilice,  observant  toutes  les 
austérités  auxquelles  les  anciens  pénitents 
étaient  soumis. 

''■  -Mais  si  vous  êles  engagés  dans  l'Eglise 
seulement  par  quelque  bénéfice,  comme  te 
lien  n'est  {)as  indissoluble,  il  vous  sera 
plus  aisé  de  remédier  au  mal. 

La  première  disposition  où  vous  devez 
entrer,  c'est  de  consulter  des  hommes  pleins 
de  l'esprit  de  Dieu.  Vous  devez  leur  ouvrir 
voire  âme,  leur  confesser  votre  faute.  Si  ces 
hommes  éclairés,  après  avoir  examiné  vos 
dispositions,  décident  que  vous  ne  pouvez 
pas  conserver  plus  longtemps  les  revenus 
de  l'Eglise,  hésiterez-vous  un  monienl  à 
leur  obéir?  Consentirez-vous  à  la  perle  de 
voire  âme,  plutôt  que  de  vous  dépouiller 
d'un  bénélice  que  vous  avez  injustement 
usurpé? 

Je  sais  que  ces  maximes  sont  contraires 
à  celles  de  notre  siècle.  Proposer  de  quiller 
un  bénéfice  c'est,  dil-on,  outrer  les  choses 
el  porler  les  hommes  au  désespoir.  Mais 
les  maximes  corrompues  du  siècle  ne  pré- 
vaudront jamais  contre  un  oidre  que  Dieu 
a  établi.  Vous  n'êtes  point  appelé,  quelque 
peine  que  vous  ayez  de  renoncera  ce  bien 
dont  la  [)Ossession  vous  jiaraît  si  douce, 
quand  il  s'agit  de  sauver  son  âme,  il  n'y  a 
point  à  délibérer.  Il  faut  s'arracher  l'œil, 
lorsque  cette  violence  est  nécessaire  pour 
se  mettre  dans  la  voie  du  salut. 

Persuadez-vous  donc  de  la  nécessité  in- 
dispensable de  la  vocation  divine  avant  que 
de  vous  engager  dans  l'étal  ecclésiastique, 
et  suivant  ce  principe  incontestable,  faites 
un  ferme  dessein  de  ne  point  recevoir  les 
saints  ordres  que  vous  n'ayez  des  preuves 
assurées  de  votre  vocation.  11  est  vrai  que 
quand  les  desseins  de  Dieu  ne  se  trouvent 
pas  confortnes  aux  nôtres,  el  qu'il  faut 
quitter  l'habit  ecclésiastique  dont  nous 
sommes  revêtus,  ou  renoncer  à  des  béné- 
fices, nous  sentons  de  grandes  peines. 
L'honneur  du  monde,  la  chair,  le  sang 
nous  livrent  de  rudes  combats.  Mais  il  .faut 
eu  ces  occasions  s'armer  du  bouclier  de 
la  loi.  Voulez-vous  attirer  sur  vous  la  ma- 
lédiction de  Dieu,  pour  n'avoir  pas  la  con- 
fusion de  vous  dépouiller  do  l'état  ecclé- 
siastique, dont  vous  vous  êtes  revêtu  avec 
trop  de  [)récipilalion?  La  crainte  de  dé- 
jilaire  à  vus  parents,  dont  la  colère  est  pas- 


(7)  HujiisiiioJi  lapbis    ad   itroinereiidaui  miseri- 
cordiam  Dei  piivata  efet  cxpeleinJa   gecessio,  ubi 


illis  saiiblaclio  si  fueril  (ligna,  sil  eliam  frucluosa.i 
(S.  Léo.,  (ipisl.  9'i.) 


Pfil 


RETRAITE  ECCI.ES.  —  11,  I.XCIJ.L.  DE  EETAT  ECOLES. 


%1 


sagèro,  .nurol  elle  plus  de  force  que  la 
crainic  de  di^i'laire  h  Dieu,  dont  la  colère 
est  tHoincllc?  La  ppiir  de  perdre  des  bén J- 
ficcs  vous  fera-l-clle  plus  d'iiiiprcssion 
que  colle  de  [lerdre  le  ciel?  Voulez  vous 
vous  exposer  à  des  remords  eOfroyables  do 
oonscieiice  durant  toute  votre  vie  et  au 
d(''sespoir  éternel  après  votre  mort? 

Mais  vous  que  j'aperçois  tout  liemblanis, 
qui  vous  trouvez  indignes  selon  voire 
jugement,  quoique  saintement  disposés, 
rassurez-vous. Hélas  1  peut-être  ce  discours 
ne  fera-t-il  impression  que  sur  ceux  à  qui 
jl  n'est  pas  principalement  adressé!  J'ai  eu 
dessein  d'elTrayer  les  téméraires,  et  non 
pas  d'éloigner'  ceux  qui  suivent  exacte- 
ment les  saintes  règles  que  l'Eglise  leur 
prescrit.  Venez,  vous  (]ue  Dieu  a  marqués 
(Le  sou  sceau,  approcliez  avec  confiance; 
l'enlrcpriso  est  grande  et  au-dessus  de  vos 
forces  ;  mais  celui  que  vous  voulez  S'îrvir, 
et  en  qui  vous  avez  mis  votre  confiance, 
vous  soutiendra  de  sa  puissante  main  et  ne 
VOUS  abandonnera  jamais.  Que  ceux-là  sont 
heureux,  qui,  dociles  aux  inspirations  du 
ciel,  suivent  fidèlement  tous  les  mouve- 
ments du  Saint-Ksprit!  Ils  marchent  et  ils 
avancent,  selon  que  la  lumière  divine  les 
guide  et  les  conduit.  Ce  sont  eux  que  Dieu 
destine  pour  soutenir  son  Eglise  sur  la 
terre  et  pour  être  un  jour  des  principaux 
membres  de  l'Eglise,  des  premiers  nés  qui 
régnent  iJans  i'éterniié. 

DISCOURS  II. 

DE    I-'eSCELLKNCE    DE  l'ÉTAT  ECCLÉSI ASTIQDE. 

il  est  déplorable  que  plusieurs  s'engagent 
dans  l'élat  ecelcsiastiquo  sans  le  connaître. 
On  peut  aysur(!r  que  celte  ignorance  mal- 
lieureuse  est  la  |'riuci()alo  source  d'une 
infinité  do  désordres,  qui  causent  à  l'Eglise 
tant  de  larmes  et  de  gémissements. 

D'où  viennent  ces  préci|)italions  contre 
les(|U(|lt'S  l'Eglise  a  toujours  réclamé?  Ou 
décide  presque  sans  y  penser  sur  une  af- 
faire importante  qui  devrait  être  la  ma- 
tière de  nos  |  lus  sérieuses  délibérations. 
Il  n'y  a  pas  d"état  (jue  l'on  embrasse  avec 
moins  de  précaution  que  l'élat  ecclésiasli- 
(|ue,  quoiqu'il  n'y  en  ail  aucun  qui  on  de- 
uiande  davantage. 

D'où  vient  ce  peu  de  respect  pour  une 
condition  dont  les  fonctions  sont  si  rele- 
vées? Les  choses  les  plus  saintes  sont  trai- 
tées avec  indifférence,  quelquefois  même 
avec  mé|)ris. 

D'où  viennent  encore  ces  fausses  idées 
que  l'on  a  de  l'état  ecclésiastique?  Les  di- 
gnilés  ecclésiastiques  sont  à  peu  près  con- 
sidérées comme  des  digniiés  séculières. 
On  les  regarde  comme  des  titres  fastueux, 
rjui  donnent  droit  de  se  distinguer  des  au- 
tres hommes  et  de  s'élever  au-dessus  d'eux. 
Par  lit  l'esprit  d'orgueil  cl  de  dominalion 
s'est  introduit  dans  l'Eglise.  Le  véritable 
honneur  atl'iché  aux  dignités  ecclésiasti- 
ques sesl  détruit,  parce  qu'on  a  pris  de 
mauvaises  voies  pour  le  soutenir. 

D'ciulres   se   délenuiiienl  à    entrer  dans 


lEglise,  comptant  que  c'est  un  elal  com- 
tiiode.  Ils  .y  cherchent  leur  repos.  Ils  se 
font  pasteurs  pour  manger  le  lait  {Ezech., 
XXXIV,  3),  pour  s'engraisser,  et  non  point 
pour  paître  le  troupeau.  L'Eglise  a  le  regret 
de  nourrir  un  grand  nombre  de  ministres 
(|ui,  bien  loin  do  lui  rendre  aucun  service, 
la  déshonorent,  et  sont  ses  plus  cruels  en- 
nemis. 

Voilîi  birn  des  abus  qui  seraient  retran- 
chés ;  voilh  bien  défausses  idées  qui  se- 
raient aisément  détruites,  si  l'on  s'appli- 
quait sérieusement?!  connaître  ce  que  c'est 
que  l'étal  ecclésiastique. 

Il  n'y  a  point  d'état  plus  élevé  que  l'état 
ccclésiasli(]ue,  et  par  conséquent  il  n'y  en 
a  aucun  où  l'onduive  entrer  avec  plus  de 
précaution  et  de  respect.  L'élévation  do 
l'élat  ecclésiastique  n'est  point  pour  nourrir 
la  su|)erbe  ni  la  paresse  :  elle  esl  au  con- 
traire pour  abattre  l'orgueil,  et  pour  animer 
au  travail. 

Je  veux  donc  aujourd'hui  vous  faire 
connaître  ce  que  c'est  que  l'état  ecclésiasti- 
que. Je  me  propose  de  vous  en  expliquer 
la  véritable  grandeur.  Je  veux  tâcher  de 
vous  ins{)irer  les  sentiments  dont  les  ecclé- 
siastiques doivent  se  pénétrer  en  méditant 
la  noblesse  do  leur  condition.  C'est  le  des- 
sein que  je  me  propose  dans  les  deux  par- 
ties de  ce  discours.  Dans  la  première,  je 
vous  ferai  voir  quil  n'y  a  rien  de  plus 
élevé  que  l'état  ecc!ésiasliçiue.  Dans  la  se- 
conde, je  vous  exjliquerai  les  sentiments 
que  nous  doil  inspirer  l'élévalion  de  nolro 
état. 

PREMIER  POINT. 

Pour  avoir  une  juste  idée  de  la  grandeur 
de  l'état  ecclésiastique,  il  faut  en  juger  pre- 
mièrement par  l'homieur  queleFils  de  Dieu 
veut  que  l'on  rende  à  ses  miinstres.  Seconde- 
ment [)ar  ra[)[)ort  à  l'idée  que  les, saints  ont 
eue  de  la  grandeur  de  cet  état.  Troisième- 
meul  par  rapport  aux  grands  pouvoirs  que 
Jésus-Christ  communique  à  ses  minislros. 
Je  prétends  donc  qu'il  n'y  a  rien  do  plus 
grand  que  l'état  ecclésiastique,  parce  que  !o 
Fils  de  Dieu  commande  de  porter  un  hon- 
neur très-grand  aux  ministres  de  l'Evangile, 
parce  que  les  saints  ont  cru  qu'il  n'y  avait 
rien  de  plus  élevé  que  l'état  ecclésiasliipie, 
parce  que  les  puissances  qui  sont  dounéi  s 
aux  ecclésiastiques  sui'iiassent  toutes  celles 
de  la  terre. 

Le  Fils  de  Dieu  a  marqué  en  plusieurs 
endroits  l'honneur  et  le  respect  tout  parti- 
culier f|u'il  prétendait  que  l'on  rendît  à  ses 
niiuislres.  Quand  il  les  envoie  prêcher 
l'Evangile  par  tout  le  monih',  il  leur  dit  qu'il 
tiendra  fait  h  lui-même  t.MU  i'honneiir  qui 
leur  sera  icndu.  11  leur  dit  que  le  mépris 
que  l'on  Icra  d'eux  rejaillira  sur  sa  personne. 
Enlin  il  menace  d'uu  supplice  terrible  ceux 
qui  ne  voudront  point  les  recevoir,  ni  les 
écouter. 

Les  [irèlres  de  la  loi  nouvelle  représen- 
tent Jésus-Christ.  Quaiid  on  les  honore,  on 
rciid    honneur   à   Jésus-Ctirist    même.    En 


9C3 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


voilà  In  proHvc  Wréo  des  f)nroles  du  Fils  |do 
Dieu  nirnio  :  Celui  (jui  vous  reçoit  me  reçoit  ; 
celui  qui  vous  écoute  m'écoule.  [Matlh., 
X,  40.) 

Quand  on  m<''priso  Ii'S  miuisirps  de  Jésus- 
Clirist,  c'rst  J;''Siis-Cljr  isf  môme  f|iie  l'on 
méprise  ;  cnr  le  Sauveur  ajoute:  Cidui  qui 
vous  méprise  me  méprise,  et  celui  qui  me  mé- 
prise, méprise  celui  qui  m'a  envoyé.  {Luc, 
X,  16.) 

Il  est  constant  que  ces  paroles  de  Jésus- 
Christ  ne  regardent  pas  seulement  les 
apôtres,  mais  elles  ont  aussi  été  dites  pour- 
tous  les  ministres  de  la  loi  nouvelle,  qui 
sont  les  successeurs  des  apôtres.  C'est  ce 
que  saint  Augustin  faisait  remarquer  h  son 
peuple  en  lui  disant:  Si  le  Fils  de  Dieu  ne 
parlait  qu'aux  apôtres,  quand  il  a  dit  :  Celui 
qui  vous  méprise  me  méprise,  je  consens  que 
vous  n'ayez  pour  moi  que  des  senliinenls 
de  raépiis  (8).  Mais  si  le  Fils  de  Dieu  par- 
lait de  MOUS  aussi  bien  que  des  apôtres  ;  si 
c'est  le  Fils  de  Dieu  qui  nous  a  appelés  :  si 
nous  avons  dans  l'Eglise  la  mônje  place  que 
les  apôtres  y  ont  tenue,  prenez  garde  de  ne 
nous  pas  mépriser,  do  peur  que  le  Fils  de 
Dieu  ne  répute  être  f^iit  à  lui-même  le  mé- 
pris que  vous  feriez  de  nos  personnes.  Les 
ministres  de  l'Evangile  représentent  donc 
f'ncore  anjourd'liui  Jésus-Clirist  aussi  bien 
que  les  apôtres.  Le  même  honneur  qui  était 
«kl  aux  a[>ôties,  est  dû  en  premier  lieu  aux 
évoques,  en  second  lieu  aux  prêtres,  et  aux 
autres  minisires  de  la  loi  nouvelh'. 

Mais  voyez  quelles  menaces  Jésus-Christ 
fait  à  ceux  qui  traiteront  avec  mépris  ses 
apôtres  et  ses  ministres.  Lorsque  quelqu'un 
ve  voudrtt  point  vous  recevoir  ni  écouler  vos 
paroles,  en  sortant  de  celle  maison  et  de  celle 
ville,  secouez  la  poussière  de  vos  pieds. 
{Matlh.,\,ik;  Luc,  V,  10.)  Marquez  ainsi, 
dit  saint  Chrysostome,  t|ue  vous  ne  vculez 
rien  ncevoii'  d'eux,  non  pas  môme  la  pous- 
sière de  la  terre  (9).  Les  i)aroles  suivantes 
sont  encore  plus  précises  pour  nous  faire 
voir  que  Jésus-Christ  est  le  protecteur  de 
ses  ministies,  et  (ju'il  vengera  sévèrement 
(ouïes  les  injures  (jui  leur  sont  faites.  Jevous 
dis  en  vérité  qu'au  jour  du  juqcntenl  Sodome 
et  Gomorrhe  seront  traitées  moins  rigoureuse- 
ment que  celle  ville.  {Matth.,  X,  1o.)  Quoi  1 
ceux  qui  ne  veulent  point  écouter  les  mi- 
nistres de  l'Eglise,  ceux  qui  ne  veulent  point 
les  recevoir,  seront  traités  avec  i)lus  de  ri- 
gueur que  des  villes  consumées  du  feu  cé- 
leste, pour  s'être  rendues  coupables  d'un 
crime  abominable?  il  faut  donc  que  celte 
oUense  soit  bien  grande,  il  faut  donc  que 
l'on  fasse  une  grande  injure  à  Dieu  lors- 
qu'on méprise  ses  ministres  ,  puisque 
pour  la  réparer  il  emiiloie  une  vengeance 
si  terrible. 

Mais  le  Fils  de  Dieu  a  encore  poussé  plus 
loin  i'iionneur,  qu'il  prétend  que  Ion  rende 
à  ses   ministres,  puisqu'il   veut   qu'on   les 

(8)  «  Videle  ne  spernalis  nos,  ne  ad  illum  pcr- 
veiiiai  injuria  quam  nobis  feteritis.  »  (Serin.  102, 
ul.  ±'t,  de  verb.  Doni.) 


•10  V 

respecte  môme,  lorsque  leur  vie  pou  rég'ée 
semble  ne  mériter  que  des  mépris.  C'est  ce 
que  le  Fils  de  Dieu  a  marqué  dans  l'Evan- 
gile, lorsqu'il  a  dit  qu'il  fallait  honorer  les 
.scribes  et  les  [iharisiens,  qu'il  fallait  les 
écouter  avec  respect.  Pourquoi  cela?  Parce 
(}\i'ils  étaient  assis  dans  la  chaire  de  Moxse. 
(Mft<//i.,XXII!,2.)  Le  Fils  de  Dieu  connais- 
sait les  dérèglements  des  scribes  et  des  pha- 
risiens; il  savait  combien  ils  lui  étaient  op- 
posés; il  savait  qu'ils  combattaient  à  tout 
moment  et  en  tout  lieu  sa  doctrine  et  ses 
iniracles  :  Cependant  lorsijue  les  pharisiens 
ne  cherchaient  qu'à  le  déshonorer  ,loiS(|u'ils 
tâchaient  de  délruire  dans  l'esprit  des  peu- 
ples l'estime  qu'il  s'était  acquise  par  la 
sainteté  de  sa  vie,  il  fait  un  commandement 
à  ses  disci|iles  qui  était  entièrement  à  l'avan- 
tage des  pharisiens.  Il  veut  qu'en  les  con- 
sidérant comme  étant  assis  sur  la  chaire 
de  Moïse,  on  les  honore,  et  on  les  écoute, 
sans  examiier  si  leur  vie  ne  combat  point 
leurs  paroles  et  leurs  instructions 

Quelle  que  soit  la  vie  de  ceux  qui  sont 
assis  sur  la  chaire  de  Moïse,  il  les  faut  ho- 
norer; on  doit  donc  rendre  encore  un  plus 
grand  honneur,  conclut  saint  Chrysosloine, 
à  ceux  qui  sont  assis  sur  la  chaire  de  Jésus- 
Christ,  qui  parient  en  son  nom,  qui  sont 
revêtus  de  son  caractère.  Car,  comme  dit 
l'apôtre  saint  Paul  :  jSous  faisons  la  charge 
d^ambassadeurs  pour  Jésus-Christ,  et  c'est 
Dieu  même,  qui  vous  exhorte  par  notre  bou- 
che. (Il  Cor.,  V,  20.j 

Ne  voyez-vous  |)a?,  continue  saint  Chry- 
sostome, comment  tous  les  peiipes  sont 
obligés  de  se  soumettre  aux  puissances  sé- 
culières, quoique  souvent  ceux  qui  obtien- 
nent les  premières  places  ne  soient  pas  ceux 
qui  ont  ou  plus  de  noblesse,  ou  |)lus  do 
vertu  (10).  Néanmoins  parce  qu'ils  agissent 
au  nom  du  prince,  parce  (pi'ils  ont  son  au- 
torité en  main,  on  ne  règle  point  son  obéis- 
sance ni  sur  leur  mérite,  ni  sur  leur  con- 
duite. 

Si  l'on  rend  un  si  grand  honneur  h  ceux 
qui  empruntent  do.s  hommes  leur  auloriié, 
Jésus-Christ  prélend  que  l'on  ail  bien  d'au- 
tres suntimenls  do  vénération  pour  ceux  à 
qui  il  contie  son  pouvoir.  Il  prélend  quu 
comuicon  honore  les  puissances  séculièies, 
sans  examiner  le  mérite  de  ceux  qui  en  sont 
revêtus,  on  rende  honneur  au  caractère  sa- 
cré, quand  bien  même  celui  qui  leporles'en 
reiuliait  indigne  par  rirrégulanlé  de  ses 
ii.ceurs.  Il  laul  donc  que  le  caractère  des 
ministres  de  Jésus-Ctirist  soit  bien  éievé. 
Il  faut  (lue  ce  caraclèie  soil  très-considé- 
rable et  très-excellent,  ()uisque  l'éclat  n'en 
peut  être  obscurci  par  les  mœurs  dépiravées 
de  ceux  qui  le  portent  indignement. 

Aussi  quelle  vénération  n'ont  point  eue 
])Our  les  ministres  do  l'Evangile  ceux  qui 
ont  connu  la  grandeur  et  l'excellence  de  co 
caractère  sacre? 

(9)  Honi.  32,  in  Mallli. 
(lOj  Hoin.SG,  ni  Joannem. 


tlETRAlTE  ECCLE3.  —  H,  KXCELL.  DR  LETAT  ECOLES. 


Je  n'en  rapporte  qu'un  exemple,  c'est  ce- 
lui de  Coiistanliii,  le  premier  empereur 
cil  rélien. 

Nous  lisons  dans  l'Iiisloirc.qne  cet  em- 
pereur port.iil  un  grand  respect  à  tout  ce 
qui  se  jiréliquail  dans  l'Eglise  :  mais  il  n'y 
n  rien  do  plus  louchant,  et  qui  manpie  da- 
vantage la  profonde  vénération  qu'il  avait 
pour  nos  mystères,  que  l'honneur  qu'il 
rendait  aux  ministres  de  l'Eglise. 

1!  est  ra|>porlé  qu'il  recommanda  surtout 
aux  gouverneurs  des  provinces  de  respecter 
les  prèlrcs,  et  (]u'il  ordonna  que  ceux  qui 
leur  feraient  quelque  outrage  seraient  pu- 
nis de  mort  (11). 

Nous  lisons  qu'il  fit  un  édil  pour  exempter 
généralement  tous  les  clercs  des  fondions 
qui  auraient  pu  les  troubler,  et  les  empê- 
cher de  s'ahandonner  tout  enlicrs  à  leur 
saint  n)inislère  (12). 

Cet  empereur  rendait  toutes  sortes  d'hon- 
neurs aux  ministres  de  l'Eglise.  Il  leurdun- 
naif  des  témoignages  de  s^m  respect,  non 
seulement  par  ses  paroles,  mais  encore 
par  ses  bienfaits.  On  voyait  à  sa  table  des 
hommes  qui  n'avaient  rien  que  de  mépri- 
sable, si  Ion  n'eût  considéré  que  leur  ex- 
térieur et  leur  liabilleraenl.  Mais  Constan- 
tin n'en  portait  pas  un  tel  jugement,  j  arce 
que  ne  s'arrôlant  ()as  à  la  surface,  et  h  ce 
qui  paraissait  au  dehors,  il  regardait  Dieu 
dans  leurs  personnes.  Ils  étaient  les  com- 
pagnons tidèles  de  tous  ses  voyages,  et  il 
se  |)romi'ltait  que  cet  honneur  qu'il  leur 
faisait,  lui  rendraitDieu  plus  favorahle(13). 

Mais  quand  il  assembla  le  concile  de  Ni- 
cée,  il  redoubla  ses  respects  pour  tous  les 
évèques  qui  conif)osaienl  cette  illustre  as- 
semblée. Avec  quel  respect  n'a*sisîa-t-il 
pas  au  concile  ?  il  enlra  le  dernier  dans  cet;e 
saillie  assemblée,  avec  peu  de  suite,  grand 
et  admirable  par  la  beauté  de  sj  taille,  par 
sa  gravité,  par  la  majesté  qui  paraissait  sur 
son  visage.  Ce  saint  empereur  se  contentant 
d'un  siège  plus  bas  que  les  autres,  ne  vou- 
lut [loint  i'asscoir  qu'après  en  avoir  au|)ara- 
vant  demandé  [lermissiou  aux  évêques  (IV). 

Tel  était  le  resj)ect  qu'un  grand  eiiiperour 
avait  pour  tous  les  ministres  de  l'Eglise, 
fondé  sur  la  sainteté  et  sur  l'élévation  du 
cet  auguste  caractère  auquel  vous  aspirez. 
Caracttère  si  élevé  que  loiis  les  saints  qui 
t-nont  eu  une  juste  idée  ont  tremblé  lors- 
qu'ils ont  élé  élevés  au  sacré  ministère  des 
autels.  Ils  ont  tremblé,  parce  qu'en  consi- 
dérant combien  le  rang  auquel  on  les  éle- 
vait était  au  dessus  de  ce  qu'ils  méritaient, 
ils  se  jugeaient  à  bon  droit  indignes  d'un  si 
grand  lionneur.  Ils  ont  Iremb  é,  parce  que 
sentant  la  pesanteur  du  faideau  dont  on 
les  chargeail,  ils  avaient  lieu  de  craindre 
que   ce  fardeau  ne  lût  au-dessus  de  leurs 


90G 

forces,  et  de  ne  se  pas  ac(|uitlcr  assez  fidè- 
lomonl  de  leurs  obligations. 

Faisons  ici  paraître,  pour  confondre  la 
témérité  de  ceux  ()ui  se  présentent  au  sa- 
cerdoce, comme  si  ce  rang  leur  éiait  dû, 
pour  arrêter  les  i  as  de  ceux  qui  se  préci- 
pit(>n'.,  sans  considérer  les  obligations  im- 
portantes de  cet  état,  faisons  ici  paraître 
un  saint  Grégoire  le  Grand  qui  se  cache 
dans  une  caverne  oii  on  ne  l'eût  point  dé- 
couvert si  Dieu  n'eût  fait  un  miracle.  * 

Saint  Chrysostome  prend  la  fuite,  il  com- 
pose ses  livres  du  Sacerdoce,  où  il  apporte 
les  raisons  du  monde  les  plus  louchantes 
pour  juî^tifier  sa  conduite,  où  il  explique 
divinement  la  grandeur  et  les  périls  du  sa- 
cerdoce. 

Le  moine  Ammonius  après  s'èlre  coupé 
les  doigts,  ajoute  qu'il  se  coupera  la  langue 
si  on  persévère  à  vouloir  le  faire  sortir  de 
sa  reiraile  (15). 

Un  auire  solitaire, appelé  Ephrom, sachant 
qu'il  était  élu  cvèque,  alla  dans  la  place, 
publique,  y  fit  les  actions  d'un  insensé,  évi- 
ta par  ce  moyen  les  poursuites  de  ceux 
qui  le  cherchaient  pour  le  ronsacier  (IG). 

Que  ne  fil  |)oint  saint  Ambroise  pour  n'ôiro 
pas  évoque  ?  On  peut  dire  qu'en  cette  occa- 
sion son  zèle  n:'  fui  pas  selon  la  science, 
j^uisqu'it  se  porta  jusqu'à  cette  extremilé 
que  de  faire  entier  dans  sa  raa'son  des 
femmes  de  mauvaise  vie,  (|uoique  sa  chas- 
lelé  fût  connue. 

Rien  n'est  plus  édifiant  que  ce  que  saint 
Augusiin  nous  rafipoife  dans  une  de  ses 
lettres,  oiî  il  décrit,  toutes  les  violences  que 
l'on  faisait  à  un  grand  nombre  de  sainls 
pour  les  obliger  h  accepter  l'épiscopat.  Ces 
violences  allaient  jusqu'à  les  prendre  par 
force,  jusqu'à  les  enfermer,  jusqu'à  résister 
à  leurs  cris  et  à  leurs  larmes.  Vous  auriez 
dit  que  c'était  d'innoconles  viclimes  que 
l'on   conduisait   pour  6lro  égorgées  (17j. 

(]e  n'était  pas  seulement  l'épiscopat  (pii 
était  si  fortement  appréhendé  dans  ces  heu- 
reux siècles.  On  élait  dans  le  même  sonii- 
inenl,  et  dans  la  même  disposition,  à  l'é- 
gard des  autres  dignités  ecclésiastiques. 

Quelle  idée  pensez-vous  que  ces  grands 
hommes  avaient  de  la  prêtrise?  à  peu  près 
semblable  à  celle  que  vous  venez  de  voir 
qu'ils  avaient  de  l'épiscopat. 

Il  faut  que  (jualie  diacres  prennent  par 
force  Paulinien,  frère  de  saint  Jérôme,  pen- 
dant que  saint  Ejiphùue  lui  impose  les 
mains. 

Qu'esi-il  arrivé  lorsque  saint  Augustin  a 
été  ordonné  prêtre?  Il  entre  par  hasard  dans 
l'église  d'Hippone  au  même  temps  que  l'é- 
vê  lue  Valèi'e  parlait  au  })eu|)le  do  l'ordina- 
tion d'un  prêtre  dont  il  avait  besoin.  On 
l'enlève  et  on  le  présente  par  force  pour  être 


(H)  ThooMor.  Hiit.,  1.  r,  c.  2. 
(12)  Eus,  IJist.,  I.  ï,  c.  7. 
{\~)j  Lus.,  De  viia  Coiisi.,  1.  i,  c.  42. 
{\i)  Tluo.i.,  Uisl.,  1.1,  c.  7. 
(15)  S.isom.,  Ilisl.,  1.  VI,  f.TO. 
(Iti)  Idem,\.i,  c.  (i. 


(17)  <  Tam  miihi  ut  cpiscopalum  susciiiinnt  le- 
neiiUiriii\ili,perJiicuiilur,iiicliiLlunlur,cuslo(liiiiiliir, 
p:uiu(iiur  laiil;»  q\sx  iiolimt,  (ioiiec  eis  adsil  volun- 
las  bus(ipiii;ili  «péris  boni.  >  (Episl.  173,  iiov . 
eil.  ul.  iOi.j 


cr.7 


OHATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


f)C8 


promu  à  cette  dignité.  Il  a  les  vœux  do  tout 
le  peuple  :  tous  demandent  qu'il  soit  con- 
sacré prftlre.  Il  n'y  a  que  oc  grand  saint  qui 
résiste.  Il  verse  un  torrent  de  larmes  pen- 
dant la  cérémonie  de  son  ordination.  Qtiel- 
(jiics-uns  donnant  une  mauvaise  interpréta- 
lion  à  ses  justes  regrets,  lui  disaient  pour  le 
consoler  que  quoiqu'il  fût  digne  d'un  rang 
jiius  élevé,  néanmoins  le  degré  de  prêtre 
('■lait  celui  qui  anfirocliait  de  plus  près  do  ce- 
lui d'évêque.  Mais  ce  saint  homme  ne  pleu- 
rait que  parce  qu'il  considérait  attentive- 
ment les  grands  périls  oi^  on  l'osposait,  en 
rhonorani  de  culte  dignité  (18). 

Mais,  mo  direz- vous,  si  l'on  suivait 
l'exemple  de  ces  grands  saints:  s'il  fallait 
allcndre  qu'on  nous  fît  violence  pour  ôtre 
consacré?  [irélres,  il  n'y  aurait  presque  point 
de  prôlres  dans  l'Eglise:  si  tous  reculaient 
tt  n'osaient  se  charger  de  ce  pesant  fardt^au, 
les  églises,  seraiera  désertes  et  manqueraient 
de  njinistres. 

■J'avoLie  que  si  ces  exemples  élaient  sui- 
vis, il  y  aurait  moins  de  prêtres.  Surtout 
l'Eglise  ne  gémirait  point  de  voir  au  nombre 
de  ses  ministres  des  hommes  hardis  qui 
usurpent  le  sacerdoce,  qui  entrent  dans  le 
sanctuaire  sans  vocation,  qui  ne  sont  point 
«épouvantés  de  la  pesanteur  du  fardeau  dont 
ils  sont  accablés. 

Pensez-vous  que  ce  fût  un  malheur  pour 
riiglise  de  ne  point  compter  au  nombre  de 
SCS  ministres,  tous  ces  hommes  indignes  du 
caractère  ecclésiastique,  et  qui  n'en  sont  re- 
vêtus que  pour  le  déshonorer? 

Saint  Chrysoslome  mrnaçant  plusieurs  de 
son  troupeau  de  leur  interdire  l'entrée  île 
l'Eglise  et  la  ()articipation  des  saints  mys- 
tères, disait:  11  vaut  bien  mieux  olfrir  l\ 
Dieu  nos  prières  avec  deux  ou  trois  qui 
gardent  ses  commandements,  que  d'assem- 
bler une  foule  de  personnes  corrompues, 
qui  se  perdent  et  perdent  les  autres  (19)  : 
aussi  quelle  que  soit  l'indigenco  de  l'Eglise, 
il  vaut  encore  mieux  qu'il  n'y  aitau'un  pe- 
lit  nombre  de  prêtres,  pourvu  qu  ils  cIilt- 
chcnl  sincèrement  la  gloire  de  Dieu  et  le 
salut  de  leurs  frères,  que  de  voir  une  foule 
do  ministres,  qui  sont  ou  scandaleux,  ou 
tout  au  moins  inutiles,  qui  se  [icrdeni  et 
qui  entraînent  dans  le  précipice  les  ûmes 
ijui  sont  assez  malheureuses  pour  être  sou- 
mises Il  leur  conduite  (20). 

Mais  s'il  n'est  pas  nécessaire  d'attendre 
une  si  grande  violence  que  les  saints  dont 
je  viens  de  vous  pro[)oser  les  exemples,  au 
moins  que  des  sentiments  si  saints  vous 
iipprennent,  qu'il  n"y  a  rien  de  plus  élevé 
(]uc  le  ministère  ecclésiastique.  S'ils  ont 
pris  la  fuite,  au  moins  ne  vous  précijiitez 
l'as.  S'ils  ont  tremblé,  au  moins  ayez  quel- 
que senlimeni  de  crainte.  Si  le  s.uiit  minis- 
lOie  leur  a  [)aru  un  lurdcau  presque  insup- 

(18)  €  Eum  lenueruiit,  episcopo  ordiiiaïuium  in- 
lulciuiil,  omnibus  id  "iio  coiihcnsu  ei  tlesideiio 
(ieii,  perliciqiio  peleiuibus,  ul)erlini  co  tloiiie.  > 
(^PosiU.  De  vil.  S.  Au(j.,  c.  4  ) 

(i9)Iloiii.  i/i  Maiili. 

[•H))  «  buuiib  est  iii;ixiine  in  or.ilnalione  sacerdn- 


porlable,  au  moins  sentez  la  pesanleur  du 
fardeau  que  vous  voulez  porter.  S'ils  no  so 
sont  engagés  dans  les  cmi)l')is  ecclésir-isti- 
quos  qu'avec  peine,  quoi(ju'ils  eussent  des 
mar(iucs  presque  assurées  de  leur  vocation, 
au  moins  attendez  pour  vous  en  charger 
(|ue  vous  ayez  (juelque  marque  de  vocation. 
S'ils  ont  cru  no  pouvoir  échapper  du  péril 
auquel  on  les  exposait,  au  moins  soyez-en 
épouvanté.  S'il  a  fallu  que  l'Eglise  feur  fit 
violen<;e,  au  moins  ne  faitts  point  de  vio- 
lence à  l'Eglise.  Si  leur  humilité  leur  a  fait 
regarder  les  emplois  ecclésiastiques  comme 
étant  au-dessus  de  ce  qu'ils  méritaient,  au 
moins  anéanlissoz-vous  dans  la  vua  de  la 
grandeur  de  votre  condition  et  de  votre  bas- 
sesse. Reconnaissez  que  quand  Jésus-Christ 
vous  a  choisi,  c'est  un  ellet  de  sa  pure  bon- 
lé;  abandonnez-vous  entièrement  à  lui: 
protestez -lui  que  dans  tout  ce  que  vous  en- 
trerrendrez,  jamais  vous  ne  chercherez 
voire  t'ropre  satisfaction,  mais  que  vous 
n'aurez  en  vue  que  sa  gloire,  et  do  faire  sa 
sainte  volonté. 

N'est-il  pas  raisonnable  que  la  sainteté  de 
tant  de  grands  hommes,  que  vous  devez  re- 
garder comme  vos  modèles,  vous  insj)ire  au 
moins  ces  sentiments,  pour  ne  pas  tomber 
dans  ce  juste  refiroche  que  Tertuilien  .fait 
aux  Romains:  Vous  louez  assez  les  anciens, 
mais  dans  la  pratique  vous  ne  suivez  que 
de  nouvelles  règles  (21). 

Enlin  pour  achever  de  vous  donner  toute 
l'estime  que  vous  devez  avoir  pour  un  éiat 
aussi  élevé  que  le  jvôtre.  Taisons  réflexion 
sur  les  gramics  puissances  que  Dieu  com- 
munique à  ses  ministres. 
'  Saint  Clirysostome,  dans  ses  livres  du  Sa- 
cerdoce, emp'oie  un  chapitre  entier  à  rele- 
ver les  grands  pouvoirs  qui  sont  attachés 
au  ministère  ecclésiastique  (22).  Nous  ne 
pouvons  les  ex|)liquer  plus  noblement  qu'en 
nous  servant  des  pensées  et  des  paroles  de 
ce  grand  homme. 

Saint  C.hrysostome  parle  d'abord  de  la 
puissance  que  les  [irêtres  ont  reçue  de  célé- 
brer les  saints  mystères,  et  de  consacrer  le 
corjis  de  Jésus-Christ.  Quand  vous  voyez, 
Oit  saint  Chrysoslome,  le  Fils  de  Dieu  im- 
molé sur  l'autel,  le  prêtre  qui  olîre  le  sa- 
ciihce  et  qui  pr.e;  tout  le  peuple  teint  et 
rougi  du  sang  précieux  du  Sauveur,  [tensez- 
vous  encore  ôire  sur  la  terre  et  parmi  les 
hoaimes?  Ne  vous  imaginez-vous  pas  dans 
ce  moment  que  vous  êtes  transporté  jus- 
qu'au ciel?  U  miracle!  ô  boulé  de  Dieu  1 
celui  qui  est  assis  dans  le  ciel  avec  le  Père 
céleste  se  laisse  toucher  [)ar  les  hommes. 
Représentez  -  vous  lilio  envirimné  d'une 
multitude  iiiliiiie  do  pcu[)les,  le  sacritice 
étendu  sur  des  pierres,  tout  le  p(;uple  dans 
le  sikiico,  le  prOj)hôte  (jui  prie,  la  tlamme 
qui  tombe  tout  d'un  coup  du  ciel  sur  le  sa- 

lum  paucos  bono.*,  quam  muitos  nialos  liabere  mi- 
liisiios.  J  (Donc.  Laieraji.  a.  caiti.  5.  7.) 

("il)  «  Laudans  seinper  aaliquos,  sed  nove  dédie 
vivais,  i  [Ap<jl.,  c.  li.j 

(2-2j  L.  m,  C.-2. 


969 


UKTRAÎTK  ECOLES. —  11,  EXCFXL    DE  L'ETAT. 


d70 


orifice.  Toutes  ces  clioses  à  la  vérilé  sont 
pleines  de  merveilles;  mais  ce  qui  se  jinssc 
dans  les  saiiils  mysières  est  iiien  plus  sur- 
prenant. Le  prêtre  fait  descendre  non  pas  le 
feu  du  ciel,  mais  le  Sainl-Ks()rit.  Il  f.iit  de 
longues  prières,  non  pas  afin  qu'une  flamfne 
céleste  consume  les  choses  prépar<5es  pour 
le  sa<^rifice;  mais  afin  que  la  grâce,  par  le 
moyeu  du  sacrifice,  eiillainme  les  C(Eurs  de 
ceux  qui  sont  présmts  et  les  reiule  plus  purs 
que  r.irtîciil  (71JJ  0  éié  éprouvé  par  le  feu.  (I 
Pclr.,  I,  7.) 

Remanpiez  dans  ces  paroles  de  saint 
Chrysoslome  toiilos  les  merveilles  qui  arri- 
vent dans  le  sacrifice  de  la  loi  nouvelle. 
Elles  surpassent  infiniment  les  miracles  de 
l'ancienne  loi  ;  mais  remarquez  aussi  que 
toutes  ces  merveilles  se  font  par  l'aulorilé 
des  prùlres.  C'est  le  prêtre  qui  célèhre  le 
sacrifice  ;  c'est  le  prêtre  qui  immole  Jésus- 
Christ.  C'est  par  le  ministère  du  f)rôtre  que 
Je  Sainl-Esprit  descend  pour  rem[)lir  le 
cœur  de  ceux  qui  assistent  au  redoutahie 
sacrifice.  Jugez  par  là,  conclut  saint  Clir>- 
sostome,  de  la  dignité  des  prêtres.  C'est 
par  leur  ministère  que  s'accomplissL'ut  non- 
seulement  les  merveilles  que  vous  venez 
d'entendre,  mais  encore  beaucoup  d'autres 
qui  ne  sonl  pas  moins  importantes  pour  le 
salut  des  hommes. 

Saint  Chrysostome  passe  ensuite  au  pou- 
voir que  le  Fils  de  Dieu  a  donné  aux  prêtres 
de  remeUre  les  péchés.  Voici  comment  il 
en  parle  : 

Ils  ont  reçu  une  puissance  que  Dieu  n'a 
pas  voulu  donner  aux  anges  ni  aux  archan- 
ges. Car  il  a  dit  aux  hommes  et  non  pas 
<iux  anges  :  Tout  ce  que  vous  aurez  lié  sur 
la  terre  sera  lié  datis  le  ciel,  et  tout  ce  que 
vous  aurez  délié  sur  la  terre  sera  délié  dans 
le  ciel.  [Matlh  ,  XVIII ,  18.  )  Les  princes  de 
la  terre  oui  bien  le  j)Ouvoir  de  lier,  mais 
'€ur  pouvoir  ne  s'étend  que  sur  les  corps  ; 
«fu  lieu  que  les  liens  qui  sont  entre  les 
mains  des  [irêlres  lient  les  ilmes.  Ils  ont 
leur  effet  jusque  dans  le  ciel,  parce  que 
p.eu  ratifie  en  haut  ce  que  les  prêtres  font 
ici-bas,  et  le  Maître  confirme  la  sentence 
de  ses  serviteurs.  N'est-ce  pas  là  leur  avoir 
donné  toute  la  puissance  des  cieux?II  leur 
ùil:  Les  péchés  que  vous  aurez  retenus  seront 
retenus  :  ceux  que  vous  aurez  remis  seront 
remis.  {Joan.,  XX,  23.)  Peut-il  y  avoir  une 
plus  gronde  puissance?  Saint  Chrysostomo 
égale  en  (]uelque  manière  le  pouvoir  des 
piêlres  à  celui  de  Jésus-Christ.  Il  dit  qu'il 
est  si  grand  qu'on  douterait  jiresque  qu'un 
jKjuvoir  de  celle  élendue  pût  être  commu- 
niqué à  des  hommes.  Le  Fils  de  Dieu,  dit 
ce  saint  docteur,  a  reçu  du  Père  tout  pou- 
voir de  juger,  elles  prêtres  ont  reçu  du  Fils 
])arcillemeut  tout  pouvoir  de  juger.  Ils  ont 
eié  honorés  de  cette  puissance,  coiuîue  s'ils 
étaient  déjà  dans  le  ciel,  comme  s'ils  étaient 

(23)  <  Apostolico  gradui  succedeiiies  Christi  cor- 
pus sacio  oie  conlicmiit.  l'i-r  eos  Clirisliaiii  sumus. 
Claves  rcgni  cœluruiii  hahentes  quodainotnilo  antc 
judicis  diem  jnilicaiit.  >  (Ad  lleliodor.) 

UniTKins  SAnnÉs.  LXVIII. 


élevés  au-dessus  des  autres  hommes  et  af- 
franchis de  loulos  les  passions.  H  les  com- 
pare après  cela  au  favori  d'un  grand  roi  qui 
aurait  reçu  le  pouvoir  de  faire  jeter  dans 
une  prison  tous  ceux  qu'il  voudrait,  ou  de 
leur  donner  la  liberté. 

Voil;\  donc  encore  un  grand  pouvoir  que 
Jésus-Christ  a  confié  aux  prêtres.  Le  pou- 
voir de  lier  et  de  délier,  de  remettre  et  de 
retenir  les  péchés 

Saint  Jérôme,  voulant  nous  faire  voirquols 
sont  les  d(!ux  pouvoirs  dont  je  viens  de 
vous  parler,  s'explique  en  cette  manière: 
Les  prôlres,  successeurs  des  apôtres,  consa- 
crent le  corps  de  Jésus-Chrijt  par  la  force 
des  paroles  qu'ils  prononcent.  C'est  par 
leur  ministère  (pie  nous  devenons  chré- 
tiens. Ils  ont  les  clefs  du  royaume  des 
cieux,  et  ils  jugent  en  quelque  manière 
avant  le  grand  jour  auquel  le  Seigneur  doit 
juger  tous  les  hommes  (23). 

ils  consacrent  le  corps  de  Jésus.  Ils  le 
consacrent  par  la  force  des  paroles  qu'ils 
prononcent  de  la  part  de  Jésus-Christ.  Ils 
jugent  souverainement.  Quels  plus  grands 
pouvoirs  Dieu  pouvait-il  communiquer  il 
des  hommes? 

N'omettons  pas  que  c'est  par  le  ministère 
des  prêtres  que  Dieu  répand  ses  grâces.  Ce 
sont  leurs  sacrifices,  ce  sont  leurs  prières 
qui  réconcilient  les  liommes  avec  Dieu  et 
qui  apaisent  sa  colère.  De  là  vient  qu'una 
des  principales  fonctions  des  ministres  de 
Jésus-Christ,  c'est  de  |)rier  pour  l'Eglise. 
C'est  aux  prêtres  et  aux  ministres  du  Sei- 
gneur à  se  proslerner  entre  le  vestibule  et 
l  autel.  Là  ils  doivent  fondre  en  larmes  et 
s'écrier  ;  Pardonnez  ,  Seigneur,  pardonnez  à 
votre  peuple.  {Joël,  11,  17.) 

Les  Pères  du  concile  de  Carlhage,  dans  une 
lettre  qu'ils  écrivent  au  pafie  Innocent  1", 
parlent  de  l'ancienne  coutume  établie  dans 
I  Eglise ,  qui  est  que  les  peuples  reçoi- 
vent avec  respect  la  bénédiction  de  leur 
évêque.  Ils  disent  que  ces  bénédictions  sont 
des  prières,  par  lesquelles  les  évoques  de- 
mandent que  ceux  dont  ils  ont  été  établis 
les  conducteurs  aient  le  bonheur  de  plaire 
à  Dieu  par  la  sainteté  de  leur  vie  (SV). 

Constantin,  dont  je  ne  me  lasse  point  de 
vous  rapporter  l'exemple  |)Our  vous  expli- 
quer quel  est  le  pouvoir  des  prêtres  que  ce 
saint  empereur  a  si  bien  leconuu,  Constan- 
tin, dis-je,  se  prépare  à  combattre  contre 
Licinius  qui  lui  disputait  l'empire  (25).  Sa- 
chant combien  le  secours  du  ciel  lui  était 
nécessaire,  il  s'adresse  aux  prêtres.  Il  im- 
plore leurs  prières  et  leur  assistance.  11  veut 
qu'ils  l'accompagnent  dans  tous  les  fiays 
qu'il  était  obligé  de  traverser.  Licinius,  ap- 
prenant que  Constantin  se  |)réparait  ainsi  à 
lui  faire  la  guerre,  se  moque  do  cet  empe- 
reur et  fait  des  railleries  de  sa  conduite. 
Mais  Constantin,  plus  habile  que.  les  prudents 

(24)  i  Benediccbant,  precabantur  super  popu- 
luin,  lit  reclc  ac  pie  viveiido  Deo  placeaiil.  >  (lii- 
ter  Épisl  saacti  Au^.  17*j,  nov.  éd.,  al.  90.) 

(2^)  Eus.    I.  Il  De  vha  conf.,  c.  4. 

o  1 


071 


ORATELRS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


972 


f]u  siècle,  savait  bien  qu'il  fallait  travaillera 
se  rendre  favorable  le  Dieu  des  armées,  et 
qu'un  grand  moyen  pour  être  écoulé,  c'était 
d'implorer  son  secours  par  le  ministère  dos 
prêtres. 

Les  prêtres  donc  sont  députés  de  Dieu 
comme  médiateurs  entre  lui  et  le  peuple. 
Ils  sont  chargés  de  prier  pour  le  peuple. 
C'est  h  eux  (l'attirer  les  grâces  du  Seigneur, 
c'est  à  eux  de  l'apaiser.  Ils  doivent  parlicu- 
lièromenl  avoir  en  vue  ce  motif  dans  leurs 
prières,  et  c'est  ce  qui  les  engage  à  beau- 
coup prier. 

Ramassons  ce  que  je  viens  de  vous  dire 
pour  vous  faire  connaître  l'excellence  du 
sacerdoce  de  la  nouvelle  loi.  Jésus-Christ 
commande  de  rendre  un  grand  honneur  à 
ceux  qui  sont  revêtus  de  son  sacerdoce.  Les 
saints  ont  cru  que  quand  Jésus-Christ  reçoit 
un  homme  au  rang  de  ses  niinslros,  c'est 
une  faveur  qui  est  infiniment  au-dessus  de 
tout  ce  quMl  peut  méiiter.  Il  n'y  a  point  de 
pouvoirs  comparahles  à  ceux  que  le  Fils  de 
Dieu  conficà  ses  ministres.  Ne  jugczde  l'état 
ecclésiastique  que  suivant  ces  principes  et 
vous  n'aurez  aucune  peine  à  prononcer  (]ue 
c'est  le  plus  noble  et  le  plus  relevé  de  tous 
les  étals.  De  quoi  sentiment  doit-on  être 
pénétré  en  faisant  altenlioPi  à  celte  grande 
élévation  du  ministère  ecclésiastique  1  c'est 
la  vérité  dont  j'ai  h  vous  instruire  dans  la 
seconde  partie  de  cet  entretien. 

SECOND    POINT. 

11  n'y  a  rien  de  plus  grand,  rien  de  plus 
élevé  que  le  ministère  ecclésiastique.  Quelle 
conséquence  en  doivent  tirer  ceux  à  qui 
Dieu  lait  l'honneur  de  les  élever  au  rang  de 
ses  ministres?  Ils  doivent  en  tirer  cette 
conséquence  qu'ils  sont  obligés  de  s'humi- 
lier, do  se  purifier,  de  travailler.  Autant 
qu'un  ecclésiastique  est  élevé,  autant  il  est 
obligé  de  s'humilier.  Un  ecclésiasliiiue  ne 
peut  soutenir  le  rang  dans  lequel  il  est  placé 
([u'en  menant  une  vie  très-exacte  et  irès- 
])ure.  Le  minislère  ecclésiastique  est  un 
honneur  auquel  sont  attachées  de  très- 
grandes  obligations  (jue  l'on  ne  peut  rem- 
plir qu'en  travaillant  continuellement. 

Vous  êtes  beaucoup  élevés  par  l'honneur 
que  Jésus  Christ  vous  a  fait  devons  recevoir 
au  rang  de  ses  ministres.  Humiliez -vous 
|)rofondément;  car  si  vous  devez  vous  hutni- 
lier  autant  que  vous  êtes  élevés,  jusqu'oià 
ne  devez  vous  pas  descendre,  afin  qu'il  y 
ait  de  laproporliun  entre  voshumilialions  et 
le  degré  de  gloire  où  Dieu  vous  a  fait  uionter? 

Le  Sage  nous  dit  :  Plus  vous  êtes  grands, 
plus  humiliez-vous  en  toutes  choses,  et  vous 
trouverez  grâce  devant  Dieu.  {Eccli.,  lll ,  20.) 
Il  n'y  en  a  point  qui  ne  soient  plus  obligés 
de  suivre  cette  maxime  du  Sage  que  les 
ecclésiastiques.  Us  sont  grands,  et  il  n'y  a 
point  de  grandeur  com[)arable  h  celle  des 
ministres  du  Sei;:,iieur.  C'est  donc  une  excel- 
lente raison  i)our  s'humilier  en  toutes  choses. 

Fn  toutes  choses,  donc  ils  doivent  s'hu- 
milier dans  toutes  les  actions  de  leur  vie  ; 
car  à  quoi  leur  servirait  toute  leur  grandeur, 
s'ils  n'en  i)rolilaienl  pas  pour  trouver grice 


devant  Dieu  ?  Lorsque  la  grandeur  n'est 
point  accompagnée  d'humilité,  lorsqu'elle 
n'est  point  considérée  comme  un  molif  pres- 
sant qui  nous  engage  à  nous  humilier,  elle 
nous  élève  en  apparence,  mais  dans  la  vérité 
elle  nous  fait  tomber.  Toute  grandeur  par 
le  moyen  de  laquelle  on  ne  trouve  point 
grâce  auprès  de  Dieu  n'est  que  vanilé.  Bien 
loin  donc  que  la  grandeur  nous  fasse  oublier 
l'obligation  dans  laquelle  nous  sommes  de 
nous  humilier,  elle  doit  au  contraire  nous 
en  faire  souvenir;  car,  quelque  grand  que 
vous  soyez,  vous  perdrez  tout  si  vous  no 
plaisez  point  à  Dieu  :  et  le  Sage  vous  assure 
(|ue  ce  n'est  qu'en  vous  humiliant  en  toutes 
choses  que  vous  trouverez  grâce  auprès  de  lui. 

Voyons  l'exemple  que  nous  ont  donné 
les  premiers  ministres  que  Jésus-Christ  a 
choisis.  Il  les  a  beaticou[)  élevés.  Si  le  carac- 
tère  ecclésiastique  a  quelque  élévation, 
n'est-ce  pas  particulièrement  dans  ceux  qui 
en  ont  été  honorés  les  premiers,  et  par  qui 
cedegréd'honneura  passé  pour  venir  jusrpj'à 
nous?  Notre  principale  gloire  dans  le  minis- 
tère ecclésiastique  est  de  succéder  aux 
a|»ôtres.  Nous  devons  reconnaître  que  la 
gloire  de  notre  état  a  été  dans  les  apôtres 
comme  dans  son  principe.  Comme  donc  l'eau 
n'i  st  jamais  plus  pure  que  dans  sa  source  , 
aussi  la  gloire  du  ministère  ecclésiastique 
n'a  jamais  été  plus  écialanle  que  dans  h's 
a|iêlres  à  qui  Jésus-Christ  l'a  premièrement 
communiquée. 

Le  Fils  de  Dieu  a  déclaré  à  ses  apôti es 
qu'ils  étaient  ses  amis,  et  qii  il  n'avait  rien  de 
caché  pour  eux.  [Joan.,  XV,  15.)  Les  apôtres 
ont  été  les  premiers  fondements  sur  les- 
quels Jésus-Christ  a  bâti  son  Eglise.  Outre 
les  grands  pouvoirs  qui  des  a|)ôtri'S  ont 
passé  jusqu'à  nous,  ils  avaient  encore  celui 
défaire  des  miracles:  toute  la  nature  leur 
était  soumise  :  les  démons  mêmes  étaient 
forcés  de  leur  obéir.  Quelle  élévation  I  Ksl- 
ce  par  cette  élévation  (jue  les  ajiôtres  ont 
trouvé  grâce  auprès  de  Dieu  ?  Non  ,  ce  n'est 
|)oint  précisément  parcelle  élévation,  mais 
c'est  parce  qu'ils  se  sont  beaucouj)  humilios 
dans  cette  grande  élévation. 

Pentlanl  (^ue  les  apôtres  étaient  grossiers, 
il  y  avait  conlestatiou  entre  eux,  et  ils  se 
disputaient  le  premier  rang.  (Marc,  IX,  33.) 
Depuis  que  les  a[iôtres  furent  remplis  de 
l'Esjuit  de  Jésus-Christ  la  contestation  chan- 
gea, et  la  dispute  fut  bien  dilférente.  Tous 
piélendent  qu'ils  sont  au-dessous  de  leurs 
frères  ,  et  qu'ds  doivent  avoir  le  dernier 
rang.  U  n'y  a  aucun  des  apôtres,  qui  ne  dise 
avec  saint  Paul  :  Je  suis  le  moindre  des  apô- 
tres, (I  Cor.,  XV,  0.)  Salut  Paul  ajoute  qu'i7 
est  indigne  d'être  appelé  apôtre,  parce  qu'il 
a  pirsécuté  V Eglise  de  Dieu,  (l  Tiin.,  I,  15.) 
Daijs  un  autre  endroit  le  môme sai-it  Paul  as- 
sure qu'il  est  le  premier  entre  les  pécheurs.  Les 
apôtres  donc  ont  été  trè.s-exacts  à  (Conserver, 
au  milieu  de  leur  élévation,  des  sentiments 
tiès-profonds  d'une  humilité  sincère.  Si  nous 
leur  succédons  dans  leur  élévation,  nous 
devons  aussi  leur  succéder  dans  leur  humi- 
lité. Plus  nous  sommes  élevés  ,  plus  nous 


975 


RETftAlTF.,E€CLES.  —  11,  EXCELU.  DE  I/ETAT. 


f.7i 


devons  nous  humilier,  anlrcnienl  nous  nous 
perdrons,  tl  nous  nous  éloign(M"ons  enlière- 
nien  ld(^<;desseins  que  Jésus-Christ  a  surnous, 
lorsqu'il  nous  élève  au  rang  doses  minislres. 

Les  gens  du  monde  se  servent  de  leur 
élévalioii  et  de  leur  grandeur  pour  flatter 
leur  orgueil.  Ils  sont  pleins  de  la  bonne  opi- 
nion qu'ils  ont  d'eux-mèmos,  ils  sont  per- 
suailés  que  tout  leur  est  dû  ;  ils  sont  bien 
nises  d'être  honorés,  ils  étudient  avec  soin 
toutes  les  prérogatives  attachées  à  leurs  di- 
gnités; ils  s'oll'enseiit  dès  qu'ils  sont  con- 
tredits; ils  se  repaissent  de  vaines  idées; 
ils  se  rendent  insupportables  par  leur  hau- 
teur cl  leurs  prétentions  chimériques;  il 
semble  qu'ils  sont  d'une  autre  nature  que 
leurs  intérieurs,  tant  ils  les  méprisent  et 
les  tiennent  au-dessous  d'eux. 

Si  les  ministres  de  l'Eglise  faisaient  le 
niéme  usage  de  leur  élévation,  ils  auraient 
l'esprit  du  u)onde  que  Jésus-Christ  a  ré- 
Itrouvé,  et  (jui  est  entièrement  incompatible 
avec  l'esprit  ecclésiastique.  Un  minisire  de 
riiglise  est  per.suadé  que  son  élévation  ne 
lui  est  confiée  qu'atin  qu'il  rende  service 
à  ses  frères,  qu'il  travaille  à  les  sauver. 
Tout  élevé  qu'il  est  au-dessus  de  ses  frères, 
il  est  toujours  |irôt  à  s'abaisser  au-dessous 
d'eux  pour  les  engager  à  enirer  dans  la 
voie  du  salut. 

Ministres  de  l'Evangile,  ne  croyez  pas  que 
vous  vous  dégradiez  en  vous  iiurailiant.  Au 
contraire,  jau)ais  vous  ne  soutiendrez  mieux 
l'honneur  et  l'éclat  de  votre  rang  que  quand 
vous  surmonterez  en  humiliié  ceux  quo 
vous  su»-passez  par  votre  dignité. 

Oh  !  que  ceux-là  connaissent  mal  l'esprit  de 
Jésus-Christ,  et  les  desseins  qu'il  s'est  pro- 
posés, en  établissant  les  dignités  ecclésiasti 
(jues,  qui  traitent  leurs  inférieurs  avec  hau- 
teur, qui  se  rendent  inaccessibles,  qui 
elfrayeut  par  leurs  regards  et  par  leur  main- 
tien sévère,  qui  rebutent  les  |)auvres  1 
C'est  là  l'esprit  de  domination  contre  lequel 
Jésus-Christ  s'est  si  hautement  déclaré , 
quand  il  a  dit  :  Vous  savez  que  ceux  qui  sont 
princes  parmi  les  nalions  veulent  dominer,  et 
qu'ils  Iraitenl  leurs  inférieurs  avec  empire;  il 
n  en  doit  jxts  être  de  même  parmi  vous, 
{Mutth.,  XX,  15.) 

Les  ecclésiastiques  doivent  donc  extrê- 
mement prendre  garde  à  éloigner  d'eux  tout 
esprit  de  doininat;on.  Je  n'ap|)réhen(le  rien 
tant  pour  vous,  dit  saint  Bernard  en  écri- 
vant au  pape  Eugène,  que  le  désir  de  do- 
miner. Ce  désir  est  un  poison  qui  donne 
la  mort  à  celui  qui  en  est  remjtli.  Un  ecclé- 
iiasiique  plein  de  l'esprit  de  son  élal,  à 
quelque  r^iiig  qu'il  soit  élevé,  est  toujours 
alfable,  son  abord  est  facile,  les  plus  mal- 
heureux sont  écoutés,  les  [lauvros  soni  ses 
chers  amis,  il  sait  que  ce  sont  eux  que 
Jesus-Christ  lui  recommande,  et  c'est  la 
plus  forte  de  toutes  les  sollicitations  (20). 

Vous  ôles  donc  élevé  au-dessus  de  vos 
frères.  11  est  vrai,  mais  c'est  cela   même 


qui  doit  vous  humilier.  Car  c\n\  êles-vous 
pour  être  élevé  à  cette  dignité  ?  Qu'avez- 
vous  fait  pour  la  mériter?  Jésus-Christ  vous 
a  tiré  de  votre  néant,  pour  vous  faire  part 
de  sa  puissance.  Quel  fondement  plus  solide 
pour  s'humilier  cpie  de  penser  sans  cesse 
que  l'on  est  dans  un  rang  dont  on  est  in- 
digne, et  qui  est  si  fort  au-dessus  de  tous 
nos  mérites?  Peut-on  avec  raison  se  glori- 
fier d'une  élévation  qui  ne  vient  point  de 
nous,  lorsqu'il  y  a  dans  nous  dos  foiide- 
menis  si  réels  et  si  solides  do  s'humilior? 
Qui  est  celui,  s'écrie  saint  Paul,  qui  est  ca- 
pable d'un  tel  ministère?  (II  Cor.,  Il,  IG.) 
Si  nous  en  sommes  indignes,  rentrons  donc 
en  nous-niômes,  reconnaissons  notre  néant; 
plus  nous  serons  élevés,  plus  nous  aurons 
de  confusion,  plus  nous  serons  disposés  à 
nous  humilier,  on  considérant  que  Jésus- 
Christ  nous  a  fait  tant  do  grâces,  et  que 
nous  les  méritons  si  peu. 

L'honneur  que  Jésus-Christ  nous  fait  est 
très-grand,  il  faut  prendre  garde  à  ne  le 
point  avilir  en  nous  ;  mais  au  contraire 
nous  devons  faire  voir  que  nous  connais- 
sons le  prix  de  noire  dignité  et  que  nous 
sommes  entièrement  appliqués  à  en  soute- 
nir l'éclat.  L'apôtre  saint  Paul  exliorte  les 
chrétiens  à  se  conduire  d'une  manière  qui 
soit  digne  de  Célal  auquel  ils  ont  été  appelés. 
(Eph.,  IV,  1.)  Il  leur  dit  dans  un  autre  en- 
droit :  Ayez  Soin  de  vous  conduire  d'une 
manière  qui  soit  digne  de  l'Evangile  de 
Jésus-Christ.  (Phil.,  I,  27.) 

Que  les  ecclésiastiques  s'appliquent  ces 
paroles  de  saint  Paul,  et  qu'ils  voient  co 
qu'ils  sont  obligés  d(!  faire  |)our  se  con- 
duire d'une  manière  digne  de  l'état  auquel 
ils  ont  été  appelés.  Quel  est  cet  élal?  Vous 
l'avez  vu.  Il  n'y  a  rien  do  [ilus  grand.  Ce 
n'est  donc  qu'en  menant  une  vie  très-cxaclo 
et  très-pure  que  les  ecclésiastiques  peuvent 
se,  conduire  d'une  manière  digne  de  l'état 
auquel  ils  ont  été  appelés. 

Saint  Paul  veut  que  tons  ceux  à  qui  l'E- 
vangile est  prêché  se  conduisent  d'une  ma- 
nière digne  de  VEvungile.  Ceux-là  donc  qui 
l'annoncont  sont  encore  plus  étroitement 
obligés  de  se  conduire  d'une  manière  digne 
de  iEvangile.  Quoi  do  plus  saint,  quoi  de 
plus  pur  que  l'Evangilo  do  Jésus-Christ  1 
Ce  n'est  donc  qu'en  menant  une  vie  très- 
pure  et  très-sainte  que  les  ministres  do  Jé- 
sus-Christ peuvent  se  conduire  d'une  ma- 
nière digne  de  l'Etangile. 

Un  ecclosiestique  qui  ne  se  conduit  pouit 
d'une  manière  digne  do  son  élal,  en  connaît- 
il  rexcollence?  Ne  rougit-il  jjoint  quand  il 
considère  l'extrèmo  ijisproportion  <jui  se 
rencontre  entre  sa  vie  et  sou  état?  Son  état 
est  Irès-élevé,  et  ta  vie  est  toute  rampante. 

Ces  choses  ont  paru  à  saint  Bernard  si 
extraordinaires  et  si  hors  de  raison,  qu'il 
a  regardé  comme  un  monstre  l'union  de  la 
dignité  ecclfcsiasticiue  avec  une  vie, séculière 
et  profane.  C'est  une  chose  monstrueuse  dit. 


(26)  <  Niillura  lit)i  vciiciium,  nullum  gladium   plus  loriuido  quam  lihidinem  domiiiaiidi.  »  (Lib.  Ilî 
Dr  conait.,  r.  1.) 


ORATEURS  SACRKS.  JOSEPH  LAMBERT. 


076 


ce  P'^re,  que  d'être  dans  un  degré  tiès-élev(i, 
et  d'avoir  un  cœur  rampant;  d'occuper  la 
première  place,  et  de  ni(^riter  par  sa  vio 
d'être  réduit  à  la  dernière  place  ;  défaire 
connaître  aux  aulros  la  nécessité  de  prati- 
quer de  bonnes  actions,  et  d'avoir  les  mains 
vides  de  bonnes  œuvres  ;  d'annoncer  les 
maximes  de  l'Evangile,  et  de  n'en  tirer  aucun 
IVuil,  d'avoir  reçu  du  ciel  une  autorité  qui 
suppose  un  caractère  ferme,  et  de  ne  faire 
apercevoir  dans  sa  conduite  qu'inconstance 
(!t  faiblesse  (27). 

Ce  que  saint  Bernard  a  considéré  comme 
un  monstre  ne  se  rencontre  que  trop  sou- 
vent parmi  les  ecclésiastiques.  Il  n'y  en  a 
(|ue  trop  qui  trouvent  le  malheureux  secret 
d'allier  ensemble  toutes  les  contradictions 
qui  composent  ce  monstre  énorme  dont 
saint  Bernard  vient  de  parler  I  O  vous  1 
qui  êtes  dans  un  degré  si  élevé,  n'ôtes-vous 
l)oint  confus  de  mener  une  vie  si  indigne 
du  rang  (]ue  vous  tenez?  Quelle  proportion 
entre  voire  dignité  et  voire  conduite  ?  Vous 
êtes  par  votre  rang  ministre  de  Jésus-Christ; 
vous  êtes  par  votre  vie  esclave  du  démon. 
Vous  êtes  par  votre  rang  destiné  à  inspirer 
la  sainteté  ;  vous  en  éloignez  les  hommes 
par  votre  vie  et  pur  vos  mauvais  exemples. 
Votre  rang  vous  met  entre  les  mains  tout 
ce  qu'il  y  a  de  plus  saint  dans  la  religion; 
et  la  vie  que  vous  menez  ne  vous  permet 
pas  d'approcher  des  choses  saintes  sans  les 
profaner  et  vous  rendre  plus  criminel. 
Comme  ministre  de  Jésus-Christ,  vous  êtes 
obligé  d'entrer  dans  son  sanctuaire  ;  comme 
pécheur  vous  n'osez  y  entrer,  et  vous  crai- 
gnez avec  raison  que  Jésus-Christ  ne  vous 
chasse  honteusement.  D'où  viennent  tous 
ces  désordres?  C'est  la  disproportion  de 
votre  rang  et  de  votie  vie  qui  en  est  le  prin- 
cipe. Vous  n'avez  qu'un  seul  moyen  [)0ur  les 
faire  cesser,  c'est,  suivant  le  conseil  de  l'A- 
pôtre, de  vous  conduire  d'une  manière  dj- 
gne  de  l'étal  auquel  vous  avez  été  appelé. 

Vous  avez  vu  que  Jésus-Christ  veut  que 
l'on  honore  ses  ministres.  Les  termes  dont 
il  se  sert  ont  dû  vous  faire  connaître  l'ex- 
cellence  du  rang  que  vous  tenez,  C'est  aux 
ministres  du  Fils  de  Dieu  à  entrer  dans  ses 
desseins,  et  à  attirer  les  respects  du  peuple 
jiar  la  pureté  de  leur  vie. 

Vous  savez  que  le  Fils  de  Dieu  veut  que  l'on 
vous  honore.  Plusieurs  ne  ie  savent  que 
trop.  Mais  que  vous  vous  y  prenez  mal 
pour  faire  exécuter  ce  commandement  de 
Jésus-Christ  1  Vous  prétendez  vous  faire  ho- 
norer en  traitant  vos  inférieurs  avec  ri- 
gueur, en  les  menaçant,  en  disant  avec  tierlé 
que  vous  saurez  bien  trouver  les  voies 
])Our  vous  faire  rendre  l'honneur  qui  vous 
est  dû.  Ce  ne  sont  pas  là  les  moyens  dont 
les  ministres  de  Jésus-Christ  doivent  se 
servir   pour  se  faire  respecter.   11   y   en  a 

(27)  tMenslruosa  res  gradus  summus,  et  animus 
inlimus,  »  etc.  Lib.  11  De  cousid  ,  c.  7.) 

(28)  «  Miuus  sibi  asbUMiemlo  qnam  oOerUir. 
Magnum  esl  de  hoiioi ibus  non  l;clari,  htd  el  om- 
luiii  pompjiii  iiiaiicui  piax'ideie,  tl  si  ([iiid  iiiae 
iicccssarium  rcniiciur,  rU  luluiii  aJ  uùiilalcin  huuu- 


d'aulres  plus  sûrs,  plus  chrétiens,  plus  con- 
formes à  l'esprit  ecclésiastique.  On  se  fait 
honorer  en  n'exigeant  aucun  honneur.  On  ne 
le  demande  f)oinl  par  ses  paroles,  mais  on 
le  demande,  et  on  l'obtient  bien  plus  sûre- 
ment [)ar  sa  vie.  Le  vrai  moyen  d'être  res- 
pecté, selon  saint  Augustin,  c'est  d'exiger 
toujours  moins  de  respect  (pron  n'est  prêt 
h  vous  en  rendre.  Ce  n'est  point  une  joio 
l»our  un  ministre  (idèle  d'être  loué  et  d'être 
lionoré  des  hommes.  Il  se  porterait  même, 
s'il  suivait  les  mouvements  de  son  cœur,  à 
retrancher  tout  l'ajtpareil  extérieur  {|ui  va  à 
se  faire  rendre  du  respect.  Sil  en  conserve 
quelque  chose,  ce  n'est  point  par  rapport  à 
lui-même,  mais  par  raj'portau  salut  de  ceux 
au-dessus  de  qui  Dieu  l'a  établi.  Jésus-Christ 
veut  qu'on  vous  honore,  et  vous  attirez  le 
mépris  par  l'irrégularité  de  votre  conduite  el 
de  vos  mœurs  l  (28) 

D'où  vient  que  cet  ecclésiastique  qui  n'a 
jamais  ouvert  la  bouche  sur  l'honneur  qui 
jui  est  dû,  qui  témoigne  sur  ce  sujet  une 
entière  indiiférence ,  qui  rejette  même  les 
honneurs,  d'où  vient  qu'il  est  universelle- 
ment respecté  ?  D"(jù  vient  au  contraire  que 
cet  autre  qui  établit  en  tous  lieux  ses  préro- 
gatives et  son  rang,  qui  témoigne  un  vif 
ressentiment  dès  qu'on  n'a  |)as  pour  lui 
toute  sorte  de  déférence,  qui  exige  des  hon- 
neurs au  delà  de  ce  qui  lui  esl  dû;  d'où 
vient,  dis-je,  qu'avec  tous  ses  soins,  toutes 
ses  peines  et  sa  vigilance,  il  n'attire  que 
des  mépris  ?  Vous  en  connaissez  la  C2use  ; 
c'est  que  1  honneur  est  la  récompense  de  la 
vertu,  et  quiconque  prendra  d'autres  voies 
pour  se  faire  honorer  que  le  mépris  des 
honneurs  el  la  pratique  exacte  d'une  solide 
vertu,  prendra  de  fausses  mesures,  el  n'ar- 
rivera jamais  à  sa  tin. 

Il  y  en  a  encore  d'autres  qui  prennent  de 
très- mauvaises  voies  |)Our  faire  respecter 
le  caractère  ecclésia.stique.  Ce  soid  ceux  qui 
prétendent  se  faire  honorer  par  le  faste  tl 
la  pompe.  Saint  Bernard,  dans  une  lettre 
qu'il  écrit  à  un  grand  arclievôqup,  fait  voir 
comben  ceux-là  se  liom[)ent  qui  suivent  un 
sentiment  si  conforme  à  l'esprit  du  siècle, 
et  si  peu  conforme  à  l'espril  ecclésiastique. 
Saint  Bernard  explique  à  cet  archevêque 
quel  est  le  moyeu  de  rendre  illustre  son 
ministère,  suivant  ce  que  dit  saint  Paul  : 
Je  Iruvuillerai  à  rendre  xUuslre  mon  minis- 
tère. {Rom. y  XI,  iS.)  Ce  n'est  point,  dit-il, 
par  la  magnilicence  de  vos  hi.bits,  par  le 
nombre  de  vos  chevaux,  par  de  superbes 
bûtiments,  mais  [>Rr  le  règlement  des  mœurs, 
par  la  sainteté  de  vos  occuiialions,  el  par 
la  pratique  des  bonnes  œuvres  que  vous 
rendrez  illustre  votre  uiijiistère  (29j. 

Quelle  est  donc  l'erreur  de  ceux  qui  pré- 
tendent excuser  leur  f  iste  sur  la  nécessité 
de  rendre  illustre  leur  ministère  ?  S'agil-il 

raniiiiin,  saluiemqiic  conf«rre.  »  (Nov.  éd.,  al.i4.) 
("2!)j  «  Uoiiorabius  aiileiii  non  tullu  vesliuni,  non 
e(|i!uruin  ias-lu,  non  amplis  icdiliLiis,  sedornaus  ino- 
ribus,  bludiis  spiiiluaiibus,  operiijus  bonis.  »  (/>e 
mot.  cl  off.  épis,  ad  Hcnriç.  Sen.  archi.,  c.  i,  2.) 


977  RETUAITE  ECOLES.  - 

desoulenirunedignité séculière  ?S*<isit-il  >lo 
paraître  en  |)rince  lempdiel?  S'agil-il  inôiiie 
de  $e  f.iiro  approuver  par  les  gens  du  siècle? 

S'il  fallait  l'éclat  et  !n  pompe  pour  remlte 
illustre  le  iiiiiiislère  ecclésia- tique,  les  apô- 
tres en  auraient  birn  mal  soutenu  l'honneur. 
Saint  Paul  se  sérail  bien  trompé  quand  il 
avance  qu'il  veut  rendre  illustre  son  minis- 
tère, JéNUS-Clirisl  môme,  le  prince  des  pas- 
teurs ,  aurait  bien  mal  connu  les  voies 
qu'il  faut  prendre  pour  maintenir  le  sacer- 
doce nouveau  qu'il  venait  établir. 

Voilà  les  raisons  fortes  et  puissantes  qui 
engagent  saint  Bernard  5  soutenir  (jue  le 
laste  et  la  pompe  ne  conviennent  point  aux 
ministres  de  Jésus-Cbrist. 

Pour  vous,  continue  saint  Bernard,  gar- 
dez-vous bien  de  croire  que  ces  sortes  de 
vanités  soient  propres  pour  lioiiorer  votre 
saint  ministère  {30}. 

Quelles  sont  donc  les  voies  de  rendre 
illustre  le  ministère  ecclésiastique?  Vous 
les  avez  entendues  :  des  mœurs  réglées, de 
sainles  occupations,  la  pratique  desbonnes 
œuvres.  Voilà  pourquoi  j'ai  soutenu  que 
l'élévation  de  l'état  ecclésiastique  engage 
ceux  qui  se  consacrent  à  Ditu  dans  cet 
état,  à  mener  une  vie  très-exacle  el  très- 
jiure. 

Je  dis  encore  que  l'élévation  de  l'état  ec- 
clésiastique est  un  engagement  à  travailler 
beaucoup. 

L'étal  ecclésiastique  est  un  honneur,  mais 
aussi  il  ne  faut  pas  oublier  que  c'est  un 
jioids  et  un  f.irdeau.  L'honneur  du  sacer- 
doce est  grand.  Que  peul-il  arriver  de  plus 
coiisidérabie  à  un  hoiume  que  d'être  mi- 
nistre de  Jésus-Chrisl,  que  d'agir  en  son 
nom,  que  d'entrer  dans  son  sanctuaire,  que 
d'avoir  pari  à  ses  secrets  ,  que  d'avoir  une 
portion  si  éminenle  desj  puissance? L'hon- 
neur est  grand,  mais  les  oliligations  sont 
grandes  et  redoutables.  Celui-là  se  liompe- 
lait  lourdement,  qui  ne  considérerait  que 
l'honneur  du  sacerdoce,  et  que  ce  qui  pa- 
raît llalter  dans  la  possession  des  digml^-'s 
ecclésiastiques. 

Il  y  a  deux  choses  dans  le  sacerdoce  :  il 
y  a  l'honneur,  il  y  a  le  poids  et  les  obliga- 
tions. Ces  deux  choses  sont  inséparables  ; 
je  dis  même  que  ce  serait  une  très-mau- 
vaise disposition  que  de  s'arrêter  à  l'hon- 
neur du  î-acerdoce,  que  de  désirer  l'iion- 
iieur,  que  de  s'y  complaire,  que  de  re- 
chercher le  sacerdoce  a  cause  de  l'hon- 
neur. 

C'est  ce  que  saint  Augustin  nous  ensei- 
gne, quand  il  nous  dit  que  celui  qui  est 
dans  l'emploi  ne  doit  point  aimer  l'honneur, 
ui  la  [luissance,  parce  que  tous  les  hon- 
neurs du  monde  ne  sont    quj    vanité.  Que 

(30)  <  Vos  aiilem,  reverendissiine  |>aier,  vos,  iii- 
(|uam,  aiisil  ut  in  lalibus  lioiioril/caiiduni  pulelis 
ii.iiii^ieriuin  veslrmii!  i  [ll),d  ) 

(ô\)  i  Non  ainandus  e^l  lionor,  quoniam  omnia 
saiia  sub  sole,  sed  opus  ijisuin  qiio  i  per  euinJtin 
lionoieiii  lit.  >  (Lib.  Xl.\  De  civil.  De!    c.  19.) 

(."»2j  «  .Nibil  est  iiiciius,  iiiii.l  diilcius  quain  divi- 
iiuii!  icrulari  iiull(»  s'rrjii'mi;  tli'jsauiuin.l'.icli'.-.ir'-, 


11,   EXCELL.  DE  LET.\.T. 


973 


fuil-il  donc  regarder  dans  les  emplois? 
Il  les  faut  considérer  comme  une  occasion 
d(>  travailler  et  d'être  utile  à  son  prochain 
(31). 

Je  dis  donc  que  dans  le  sacerdoce  les 
obligations  sont  propurlionnées  à  l'hon- 
neur, et  que  comme  l'honneur  est  grand, 
les  obligaiions  sont  très-grandes.  C'est  la 
véritable  idée  du  sacerdoce,  et  c'est  celle 
que  tous  les  saints  Pères  nous  en  ont  don- 
née. Qu'est-ce  que  le  sacerdoce  selon  tous 
les  saints  ?  C'est  un  poids,  c'est  un  fardeau. 

C'est  en  cette  manière  que  saint  Augustin 
en  parle.  !1  n'y  a  rien  do  meilleur,  rien  de 
plus  doux,  dit  ce  Père,  que  de  méditer 
tranquillement  les  saintes  écritures;  mais 
d'êlre  obligé  de  prêcher,  de  reprendre,  de 
faire  des  remontrances,  d'être  dans  des  in- 
quiéludes  continuelles  |)Our  le  salut  de 
ses  ireres,  c'est  un  grand  fardeau,  un  grand 
jioids,  un  grand  travail.  Qui  ne  fuirait  un 
travail  de  cette  nature  (32)  ? 

Vous  avez  vu  toutes  les  difîicultés  que  les 
saints  apportaient  autrefois,  quand  on  Jaur 
proposait  d'enirer  dans  le  sanctuaire.  Vous 
avez  vu  leurs  fuites,  leurs  plaintes,  leurs 
gémissements,  leurs  frayeurs.  Reconnaissez 
présentement  quel  en  était  le  principe. 
Celait  le  poids  du  sacerdoce  qui  les  faisait 
trembler,  c'est  qu'ils  en  connaissaient  les 
obligations,  c'est  qu'ils  craignaient  do  n'y 
pas  satisfaii'e,  c'est  qu'ils  étaient  effrayés 
du  compte  terrible  qu'ils  auraient  un  jour 
à  rendre  à  Dieu.  Saint  Augustin  dit  qu'au 
jugement  de  Jésus-Chrisl,  tout  i'honneur 
dont  on  a  été  revêtu  par  le  sacerdoce  sera 
un  fardeau  (jui  accablera  (33). 

Saint  Grégoire  parle  delà  même  manière. 
Prenez  garde,  dit-il,  écrivanfà  un  évêque, 
au  compte  que  vous  devez  rendre  un  jour 
du  pesant  fardeau  de  l'épiscopat  dont  vous 
êtes  chargé  (34-). 

Que  s'ensuit-il  de  toutes  ces  maximes  si 
fortement  établies  par  tous  les  saints  Pères? 
Que  le  sacerdoce  est  un  poids  ,  qu'il  est 
appelé  un  [)0ids  et  un  fardeau,  parce  que 
les  obligations  en  sont  grandes;  qu'on  ne 
doit  point  se  ch wger  du  sacerdoce,  qu'on 
ne  soit  dans  le  dessein  d'en  remplir  les  de- 
voirs; que  ceux  qui  n'y  satisfont  passeront 
replis  et  jugés  très-sévèrement  au  tribunal 
de  Jésus-Christ. 
>  Voilà  ce  que  vous  devez  imprimer  bien 
fortement  dans  vos  esprits,  vous  qui  ne  con- 
sidérez dans  le  sacerdoce  que  l'honneur  et 
votre  propre  utilité. 

Qu'il  est  agréable  à  l'homme  charnel 
d'être  respecté,  d'avoir  un  grand  noui,  de 
jouir  d'un  revenu  considérable  l  Que  tout 
cela  est  agréable  pendant   celle    vie,    mais 

arguerc,  co:ripere,  magnum  onus,  magnum  pon- 
dus, magiius  labor.  Quis  non  réfugiât  istuin  labo- 
rem  ?  »  iSeriii.  ")39,  al.  boni.  25.) 

(Ô3)  «  Quit  liic  lionoranl,  ibi  oni;r,inl  ;  qux  hic 
relevant,  ibi  gravant.  »  (Epist.  i'i,  al.  203) 

(ôij  (  Quas  raliones  île  sarciua  cpisc(»|tatus  reJ- 
diunub  es  to^jim  alquc  co.'isd.ra.  »  (Lib.  IV.) 


979 


ORATEUUS  SACRF.S.  JOSKPH  LAMHLRT 


983 


i\ne    tout  cela   sera   amer  su  jugement  de 
Jésus-Christ 

Tout  ecclésiastique  qui  ne  sent  point  le 
poids  de  son  état,  et  qui  ne  veut  pas  le  por- 
ter, est  déjà  cond.Tmné. 

Quel  mauvais  caractère  dans  un  ecclé- 
siastique que  de  vouloir  être  oisif?  Tout 
ecclésiastique  est  donc  obligé  de  travaille'-. 
Dieu  demandera  aux  uns  plus,  aux  autres 
moins, selon  la  mesure  de  leurs  laleiils,  de 
leurs  emplois,  de  leurs  dignités.  Mais  tous 
auront  leur  compte  à  rendre,  tous  seront 
examinés  sur  l'usage  de  leur  tem|)s,  il  n'y 
en  a  aucun  qui  puisse  éviter  d'être  con- 
damné, s'il  est  demeuré  oisif  et  s'il  n'a  [)as 
accompli  l'œuvre  auquel  il  était  obligé,  ou 
par  son  caractère,  ou  piir  sa  dignité. 

Voiiii  donc  ce  que  c'est  que  le  sacerdoce; 
apprenez  à  le  bien  connaître. C'est  un  grand 
iionneur  que  de  servir  Jésus-Christ  el  que 
d'être  au  rang  de  ses  ministres.  C'est  un 
grand  bonheur  que  d'être  fidèle  à  ses  obli- 
gations et  de  remplir  exactement  tous  les 
devoirs  importants  du  sacerdoce.  Mais 
quel  étrange  malheur  que  d'être  ecclésias- 
tique, que  d'être  prêtre,  et  de  ne  pas  vivre  en 
ecclésiastique  et  en  prêtre! 

Il  est  dit  dans  l'Evangile  que  Jésus-Christ 
est  la  pierre  angulaire,  cl  que  celle  pierre 
écrasera  celui  sur  qui  elle  tombera.  [Matlk., 
XXI,  Itk.)  C'(Sl  ce  qui  se  vériliera  dans 
ceux  qui  auront  abusé  du  sacerdoce.  Vous 
avez  vu  que  le  sacerdoce  est  un  poids.  Oui 
ce  poids,  oui  ce  pesant  fardeau  écrasera 
tous  ceux  qui,  pendant  celte  vie,  n'ont  pas 
voulu  en  reconnaître  la  pesanteur. 

Tâchons  d'éviter  une  si  terrible  condam- 
nation. Ne  nous  chargeons  jioint  légère- 
ment d'un  si  lourd  fardeau,  età moins  que 
nous  ne  soyons  obligés  de  céder  à  la  voix  de 
Dieu  qui  nous  appelle.  Le  fardeau  du  sacer- 
doce étant  déjà  irès-pesant  par  lui-même,  ne 
nous  précipitons  point  à  le  rendre  encore 
plus  lourd  en  recherchant  des  dignités 
dont  l'extérieur  est  éclatant, mais  don  lie  poids 
est  au-dessus  de  nos  forces.  Si  nous  sommes 
entin  chargés  du  fardeau,  et  que  nous  ayons 
lieu  de  croire  que  c'est  |)ar  ordre  de  la  di- 
vine i'rovidence,  eilorçons-nous  de  le  pord-r 
de  telle  manière  que  nous  n'en  soyons  pas 
accablés.  Mêlions  notre  contiance  en  Jésus- 
Christ.  Si  c'est  lui  qui  nous  a  appelés,  il  sera 
tidèle  à  nous  soutenir.  Soyons  exacts  à  nos 
devoirs,  ne  nous  décourageons  point,  ne 
nous  laissons  point  séduire  par  le  malheu- 
reux esprit  de  paresse.  Songeons  que  celte 
vie  n'est  point  un  lieu  de  re[)Os,  mais  que 
le  travail  y  doit  être  continuel.  Conduisons- 
nous  en  toutes  choses  comme  de  hdèles 
minisires,  et  nous  é[)rouverons  un  jour  que 
Jésus-Christ  sera  fidèle  à  accomjdir  la  pro- 
messe qu'il  d  l'aile  de  nous  accorder  pour 
récompense  de  nos  travaux  l'élerniié  bien- 
heureuse 

DISCOURS  III. 

i)E   l'esphit  ecclésiastique. 

Pour  être  un  véritable  ecclésiastique  il 
fuul  être   légilimemcnt  appelé  ;  mais  il  no 


s'ensuit  pas  que  tous  ceux  qui  sont  appelés 
soient  de  dignes  minisires  de  Jésus - 
Christ. 

Nous  avons  deux  exemples  terribles  qui 
nous  doivent  tenir  conlinuellement  dans  la 
crainte,  quelques  marques  que  Dieu  nous 
ail  données,  pour  nous  faire  connaître  (pie 
c'est  lui  qui  nous  a  appelés.  Le  [iremier,  c'est 
celui  de  Judas.  Il  av;iil  éléappelé  par  Jésus- 
Christ  même.  Le  second,  c'est  celui  du 
diacre  Nicolas,  5  qui  les  apôtres  avaient  im- 
posé les  mains. 

Il  est  vrai  que,  quand  Dieu  nous  appelle, 
nous  avons  grand  sujet  d'est)érer  qu'il  nous 
accordera  les  grâces  (jui  nous  sont  néces- 
saires pour  bien  remplir  noire  ministère; 
mais  Dieu  a  voulu  avec  raison  que  nous  fus- 
sions dans  la  dé[)endaiice.  Ce  qui  nous  est 
accordé  par  un  effet  de  sa  nn'séricorde  ne 
nous  est  point  dû.  C'esl  à  nous  de  nous  te- 
nir sur  nos  gardes,  de  veiller  continuelle- 
ment, et  de  correspondre  par  une  fidélité 
inviolable  h  toutes  les  grâces  que  Dieu  ré- 
pand conlinuellement  sur  nous. 

Une  des  grâces  dont  nous  avons  parlfcu- 
lièrement  besoin  pour  nous  conduire  en 
loules  choses  comme  de  fidèles  ministres, 
c'est  l'esprit  ecclésiasli(|ue.  (irâce  précieuse 
el  importante,  sans  laquelle  nous  ne  pou- 
vons a[)fiartenir  à  Jésus-Clirist,  comme  lo 
saint  Apôtre  nous  le  déclare,  quand  il  nous 
dit  :  Si  quelqu'un  n'a  point  l  esprit  de  Jé- 
sus-Christ, il  nest  pointa  lui.  [Hom.,  VIII, 

^  ) 

Jésus-Christ  répandit  son  esprit  sur  ses 
afiôtres,  (|uand  il  leur  dit  :  Recevez  le  Saint- 
Esprit.  [Joan.,  XX,  22.)  Ces!  cet  Es[)ril  di- 
vin qui  les  fortitia.  Animés  de  cet  Esprit  ils 
ont  rempli  avec  force  et  avec  lidélilé,  jus- 
qu'au dernier  moment  de  leur  vie,  toutes 
les  fonctions  de  leur  ministère.  Jésus-Christ 
qui  connaît  la  force  de  son  Esprit,  et  le  be- 
soin que  nous  en  avons,  esl  encore  tout 
prêt  à  nous  le  communiquer.  Voilà  pour- 
(juoi  les  évoques,  ministres  de  Jésus-Christ 
ol  successeurs  des  apôtres,  en  nous  impo- 
sant les  mains,  répètent  les  paroles  du  Sau- 
veur du  monde,  et  nous  disent  de  sa  oart  : 
Recevez  le  Saint-Esprit. 

Jésus-Christ  nous  veut  donner  son  Es- 
prit. Pourquoi  y  a-t-il  tant  d'ecclésiastiques 
qui  ne  le  reçoivent  pas?  Prenons-nous-en  .\ 
nous-mêmes.  C'est  nous  qui,  aussi  bien  que 
les  Juifs,  résistons  au  Saint-Esprit.  Il  a  donc 
lieu  de  nous  dire  comnje  le  saint  Apôtre  le 
disait  autrefois  :  N'éteignez  point  le  Saint' 
Esprit.  IS'attristczpas  l  Esprit-Saint  de  Dieu 
dont  vous  avez  été  marqués.  (I  l'hess.,  V,  lî>' 
Ephes.,  IV,  30.) 

Il  y  a  deux  sortes  d'esprits  qui  se  com- 
batleutrun  l'autre,  et  qui  sont  entièrement 
opposés.  L'esprit  ecclésiastique  et  l'esprit 
du  monde.  Le  grand  obstacle  qui  nous  em- 
pêche de  recevoir  l'esprit  ecclésiastique 
c'est  que  l'esprit  du  monde  est  en  nous. 

Mon  dessein  dans  ce  discours  est  de  vous 
|)arler  de  ces  deux  esprits,  et  de  vous  aj)- 
prendre  à  les  connaître.  Je  vous  ferai  voir 
ce  (jue  c'est  que  l'esiirit  ecclési.-isrigue,  aliu 


981 


nETRAJTE  ECOLES.  —  IM,  DE  LESPIUT  ECCLESIASTIQUE. 


que  vous  connaissiez  combien  cet  esprit 
vous  est  nécessaire,  et  que  vous  fassiez 
toutes  sortes  d'elTorls  pour  obtenir  de  Dieu 
un  dmi  si  précieux.  Je  vous  apfirendrai  ce 
que  c'est  que  l'esprit  du  monde,  alin  que 
vous  soyez  convaincus  de  la  nécessité  qu'il 
y  a  de  s'en  dôpouiller,  et  de  son  incompa- 
tibilité avec  l'esprit  ecclésiastique.  Ce  sera 
le  sujet  des  deux  parties  de  ce  discours; 
diins  la  première  je  traiterai  de  l'esprit  ec- 
clésiastique, et  dans  la  seconde  de  l'esprit 
du  monde. 

PREMIER    POIST. 

F/espril  ecclésiastique  est  un  don  excel- 
lent que  Dieu  distribue  h  ses  ministres,  afin 
qu'étant  fnrtitiês  de  son  secours,  ils  puis- 
sent remplir  avec  joie  et  avec  liabiielé  les 
fondions  saintes  et  pénibles  de  leur  mi- 
nistère. 

L'esprit  ecclésiastique  est  un  don  qui  vient 
d'en  liaut.  Il  n'y  a  aucun  homme  qui  n'ait 
Ijesoin  des  dons  du  Seigneur  [lour  se  con- 
duire lidèlemenl  dans  son  élat.  Saint  Paul 
{  ar!e  de  ces  dons  de  Dieu,  lorsqu'il  dit  que 
chacun  a  son  don  particulier,  selon  quil  le 
reçoit  de  Dieu  :  l'un  d'une  manière  et  l'autre 
d'une  autre.  (I  Cor.,  VII,  7.)  C'esl-h-dire  que 
chacun  léussit  dans  son  étal,  selon  (]ue  Dieu 
lui  communi(iue  ses  dons. 

Ou  vit  saintement  dans  l'élal  de  virginité, 
lorsqu'on  a  reçu  le  don  de  Dieu.  Cius  qui 
ont  le  don  de  Dieu  vivent  saintement  dans 
le  mariage.  Ou  se  conduit  avec  fidélité  dans 
la  condition  ecclésiastique,  pourvu  qu'on  ait 
1-e  don  de  Dieu.  Mais  saint  Paul  assure  que 
les  dons  de  Dieu  sont  communiqués  d'une 
manière  aux  uns,  d'une  manière  aux  autres. 
Tous  ne  reçoivent  fias  les  dons  de  Dieu  avec 
une  même*  abondance.  Tous  même  n'ont 
pas  besoin  de  recevoir  les  dons  de  Dieu  avec 
une  égale  abondance.  Les  ecclésiastiques 
ont  beioin  des  dons  les  plus  excellents,  à 
cause  de  la  dignité  et  des  diflicullés  de  leur 
étal.  Il  faut  que  les  ecclésiastiques  comme 
les  apôtres  aient  les  prémices  de  l'Esprit, 
(liom.,  \T1I,  -23.)  Il  faut  que  l'Esprit  de  Dieu 
leur  soit  communiqué  avec  plus  d'ell'usion 
qu'aux  autres  chrétiens  ,  non-seulement 
parce  que  leurs  fonctions  sont  [)lus  élevées, 
mais  encore  parce  que  c'est  par  leur  ca- 
nal que  les  "lidèles  reçoivent  l'Ksiirit  de 
Dieu. 

L'esprit  ecclésiastique  est  donné  pour 
faire  avec  joie  et  avec  habileté  les  fonctions 
de  l'état  ecclésiasti(jue.  Car,  avoir  l'esprit 
de  sa  |)iofession,  c'est  en  faire  les  fondions 
avec  inclination  et  avec  adresse.  Un  houjuie 
a  l'esprit  de  la  guerre  quand  ses  inclina- 
lions  sont  pour  les  armes,  quand  il  est 
adroit  dans  tous  les  exercices  de  la  guerre. 
Uii  homme  a  l'esprit  de  l'étude,  quand  il  y 
fait  de  grands  progrès.  Aussi  un  ecclésias- 
tique a  l'esprit  de  sa  profession,  il  a  l'es- 
prit ecclésiastiijue  lorsqu'il  se  plaît  h  exer- 
cer les  fonctions  ecclésiastiques,  lorsqu'il  a 
de  l'adresse  pour  les  exécuter  avec  succès. 

Voici  donc  les  deux  manjucs  aux(ju(!lles 
vous  pourrez  reconnaître  5i  vous  avez  l'es- 


982 

prit  ccclésiasti(iuc.  Vous  plaisez- vous  i^i 
exercer  les  fonctions  de  cet  état?  Les  faites- 
vous  avec  habileté?  Arrêtons  nous  à  ces 
deux  propositions  et  examinons-les  dans  le 
détail. 

Je  dis  ,  premièrement ,  qu'un  ecclésiasti- 
que, pour  avoir  l'esprit  de  son  état,  doit  so 
plaii'eà  en  exercer  les  fonctions,  il  doit  les 
aimer;  il  doit,  comme  il  est  dit  dans  \'Ec- 
clcsidslique,  se  donner  de  tout  cœur  à  ce  qui 
est  de  son  devoir.  {Eccli.,  XXXVIII,  31.) 

Quand  je  dis  ([ue  vous  êtes  obligés  d'ai- 
nK'r  vos  devoirs,  et  de  vous  plaire  dans 
l'exercice  de  vos  devoirs,  ce  n'est  point  une 
obligation  qui  vous  soit  particulière.  Il  y  a 
des  devoirs  attachés  à  chaque  condition. 
ie  Lorsque  saint  Jean  prêchait  dans  le  dé- 
sert [Luc,  III,  2);  lorsque  les  publicains, 
les  soldats  et  des  personnes  de  tout  étal 
venaient  (lour  entendre  ce  saint  précur- 
seur, il  s'atlachait  particulièrement  à  leur 
faire  connaître  les  devoirs  de  leur  condi- 
tion.' 

Toutes  les  Epîlrcs  de  saint  Pau!  sont 
pbines  d'instructions  |)&rticulières  que  fait 
ce  grand  Apôtre  à  des  hommes  de  toute 
sorte  d'élals  pour  les  engagera  aimer  leurs 
devoirs.  11  donne  des  leçons  aux  maris, 
il  en  dorme  aux  femmes  chrétiennes.  Il 
instruit  les  pères  de  famille  aussi  bien 
que  les  enfants.  Il  parle  également  des 
obligations  de  ceux  qui  commandent  et 
de  ceux  qui  doivent  se  soumettre.  Mais 
toutes  les  instructions  de  saint  Paul  ont 
toujours  pour  fin  que  tout  chrétien  fasse 
son  devoir  dans  son  état,  et  qu'il  le  fasse 
avec  amour. 

En  elfet,  nous  vivons  sous  une  loi  où 
Dieu  Veut  avoir  des  serviteurs  j  qui  lui 
ubéissent  de  cœur.  Dieu  veut  que  nous  nous 
soumettions  non  pas  comme  des  esclaves, 
mais  comme  des  enfants  qui  se  font  un 
plaisir  d'obéir  à  leur  père. 

Si  Dieu  nous  ordonne  de  faire  l'aumône, 
il  commande  en  môme  temps  par  la  bouche 
de  son  Apôtre,  de  la  faire  avec  joie  (II6'or., 
IX,  7),  et  il  rejette  le  présent  de  celui  à  qui  il 
semble  que  l'on  arrache  le  peu  de  bien  dont 
il  fait  part  à  ses  ficres. 

L'Esprit  du  Seigneur,  dit  le  même  Apô- 
tre, ne  se  trouve  que  dans  ceux  qui  s'ac- 
quittent de  leurs  devoirs  librement  et  avec 
|)laistr.  (Il  Cor.,  III,  17.J 

Le  même  Apôtre  ne  dit-il  pas  encore  (^uo 
l'amour  est  l  accomplissement  de  lu  loi?  [Rom., 
XIII,  10.)  11  veut  nous  apprendre  que,  pour 
accomplir  la  loi,  il  faut  noti-seulernent  ob- 
server tout  ce  qu'elle  nous  |)rescrit,  mais 
encore  il  faut  se  faire  un  plaisir  d'en  rem- 
[ijir  tous  les  devoirs. 

L'esprit  de  la  loi  sous  laquelle  nous  vi- 
vons, est  donc  de  se  faire  une  joie  de  ses 
devoirs.  Applitjuons  ce  principe  à  l'étal 
ecclésiastique  pour  vous  faire  voir  que  l'on 
n'a  l'esprit  ecclésiastique  que  quand  oii 
aime  ses  devoirs. 

Saint  Jean  prescrit  à  lous  ceux  (|ui  vien- 
nent écouter  ses  prédications  d'étudier 
leurs  devoirs,  cl   do  s'en  bien  acquiller. 


m 


ORATEUIIS  SACHES.  JOSEPH  LAMBERT. 


9a  l 


Cefle  loi  nous  regarde,  aussi  bien  que  ceux 
qui  écoutaient  les  iHédications  de  Jeaii- 
liaplisle.  Nous  sommes  ohligés  d'éludier 
nos  devoirs,  et  de  l'aire  nos  efforls  pour  sa- 
tisfaire à  toutes  les  obligations  de  notre 
état. 

Saint  Paul  s'allache  surtout  à  développer 
quelles  sont  les  obi  galions  particulières 
de  chaque  chrétien  dans  son  état.  Ce  grand 
Apôtre,  dans  celle  recherche  générale,  n'a 
pas  oublié  les  luinislres  de  l'Eglise.  Il  a 
marqué  lous  niis  devoirs,  parliculièreiuent 
dans  les  deux  Epiires  h  Tiinothée  et  dans 
celle  5  Tito.  Saint  Paul  vous  dit  .à  lous 
aussi  bien  qu'à  Tiinolhée  :  Veillez  sans  cesse, 
souffrez  constamment  les  travaux,  remplissez 
tous  les  devoirs  de  votre  ministère.  (11  Tim., 
IV,  5.)  Saint  Paul  vous  dit  à  tous  :  Appli- 
quez-vous à  la  lecture,  à  Vexhorlation  et  à 
l'instruction.  (1  Tim.,  IV,  13.) 

Quand  saint  Piiul  parle  aux  serviteurs,  il 
leur  dit.:  Serrez  vos  maîtres  selon  la  chair 
avec  crainte  et  avec  respect  dans  la  simplicité 
de  votre  cœur  comme  Jésus- Christ  même. 
Servez-les  avec  affection,  regardant  en  eux  le 
Seigneur,  et  non  pas  les  hommes.  [Ephcs., 
VI,  5.)  Nous  sommes  lous  les  serviteurs  de 
Jésus-Christ.  C'est  la  qualité  que  |i."end 
saint  Paul  au  commenceuient  de  ses  Epî- 
Ircs,  Paul  serviteur  de  Jésus-Christ.  Nous 
sommes  tous  les  serviteurs  do  nos  l'ières. 
Nous  sommes  obligés  de  les  servir  à  l'exem- 
ple de  JésuvChrist  notre  maître,  qui  n'est 
pas  venu  pour  être  servi,  tnais  pour  servir 
les  autres.  (Matlh.,  XX,  28.)  Au  moment 
ipie  nous  nous  consacrons  à  l'état  ecdé- 
>iaslique,  nous  faisons  une  iirolession  pu- 
blique de  rendre  service  à  lous  ceux  qui 
auionl  besoin  de  notre  assistance.  C'est  à 
nous  de  les  servir  dans  la  simplicité  du 
cwur  comme  Jésus-Christ  même.  C'est-à-dire 
que  nous  devons  reconnaître  Jésus  Ciirist 
diius  la  personne  de  nos  Irères  ;  nous  de- 
vons être  persuadés  que  c'est  Jésus-Christ 
niOme  que  nous  servons,  et  cette  réllexion 
doit  animer  notre  courage  et  nous  combler 
de  joie. 

Nous  vivons  sous  une  loi  d'amour  oiî  Dieu 
veut  que  ses  enfants  se  fassent  un  plaisir  de 
lui  obéir.  Donc  à  plus  forte  raison  les  minis- 
tres de  celle  loi  d'amour ,  qui  doivent  mon- 
trer l'exemple  eux  autres  et  marcher  à  leur 
tête,  sont  obligés  d'obéir  avec  promptitude, 
avec  joie  et  avec  amour. 

Dieu  veut  que  celui  qui  fait,  l'auinône  la 
fasse  avec  joie.  Soit  donc  que  vous  fassiez 
l'aumône  ct)rporelie,  soit  que  vous  fassiez 
l'aumône  spiritueilo,'en  rendante  vos  frè- 
res les  bons  otlices  que  votre  charité  vous 
inspire,  vous  travaillez  en  vain  si  l'esprit 
ecclésiastique,  c'esl-à-dire  si  l'espritd'amour 
et  de  charité  n'anime  pas  vos  actions. 

L'Esprit  du  Seigneur  est  un  Esprit  de  li- 
berté, vo^ls  n'en  serez  donc  point  remplis 
que  lorsque  vous  ferez  vos  devoirs  avec  li- 
berté et  sans  tontrainle. 

Enlin   l'amour  est  l'accomplissement  de  la 


loi.  C'est  ce  qui  vous  doit  convaincre  qun 
vous  n'accomplissez  point  la  Joi  que  quand 
l'amour  est  le  princi[)e  de  votre  obéissance. 
Or  ce  qui  se  fait  avec  amour  se  fail  avec  joie. 
Quelle  sera  donc  la  disposiljon  d'un  vérita- 
ble ecclésiastique?  vous  le  v'errez  s'acquitter 
de  ses  fonctions  avec  toute  la  joie  que  doit 
faire  paraître  celui  qui  n'a  point  de  |)lus 
grand  plaisir  que  d'agir  i)Our  Dieu  et  que  do 
lui  obéir. 

C'est  de  celte  nécessité  de  s'acquitter  avec 
joie  des  devoirs  de  son  état  que  je  conclus 
qu'un  lidèle  ministre  du  Seigneur,  animé  de 
l'esprit  ecclésiastique,  doit  jmrter  en  lous 
lieux  avec  joie  les  marques  de  sa  dignité. 
Son  extérieur,  son  maintien,  ses  vêlements 
doivent  être  tels  que  l'Eglise  les  prescrit. 
Quiconque  néglige  les  marques  extérieures 
de  son  état  n'a  pas  l'esprit  ecclésiastique  ; 
car  s'il  était  rempli  de  cet  Esprit,  il  se  ferait 
un  honneur  et  un  plaisir  de  pratiquer  avec 
exactitude  toutes  h^s  lois  auxquelles  son  ca- 
ractère le  soumet. 

C'est  de  ce  même  principe  que  je  conclus 
qu'un  ecclésiastique  zélé  doit  se  faire  une 
joie  d'exercer  toutes  les  fondions  Je  so;i 
é!at,  même  les  moindres  et  les  plus  basses. 
Les  moindres  et  les  |)lus  basse*.  Ahl  ne  nous 
servons  pas  de  ces  termes.  Il  n'y  a  point  de 
fondions  dans  l'état  ecclésiastique  qui  soient 
basses.  1!  n'y  en  a  aucune  qui  ne  soit  inlini- 
ment  élevée  au-dessus  de  ce  que  nous  mé- 
ritons. Le  moindre  degré  dans  l'Eglise  c-bt 
au-dessus  de  notre  condition  et  de  notre 
naissance,  fussions-nous  de  la  race  royale. 
Parlons  donc  plus  correctement,  et  disons 
qu'un  ecclésiastique  tidèle  doit  se  faire  une 
j(jie  d'exercer  toutes  les  fonctions  deson  étal, 
môme  cdles  que  les  hommes  du  siècle  par 
un  jugement  très-faux  considèrent  comme 
des  fondions  basses. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  en  faisant  l'é- 
loge de  saint  Cyprien  rapporte  que  (juand  co 
grand  saint  se  consacra  au  service  du  Sei- 
gneur, il  demanda  avec  instance  d'être  appli- 
qué aux  [ilus  vils  ministères,  et  il  prétendait 
que  ces  exercices  d'hutuilité  lui  élaieiit  né- 
cessaires pour  vaincre  SdU  orgueil  (33). 

Nous  lisons  dans  saint  Cyprien  que  do 
saints  confesseurs,  après  avoir  soulenu  de 
rudes  combats  pour  défendre  la  foi,  tenaient 
à  honneur  (t'exercer  dans  l'Eglise  l'olhce  du 
lecteur. 

SaintCyprien  avoue  qu'Aurélius  qui  avait 
combattu  pour  la  foi,  était  digne  de  ce  qu'il 
y  a  de  plus  élevé  dans  l'Eglise.  Néanmoins 
il  ne  [leut  dissimuler  que  ledegré  de  lecteur 
ne  soit  une  abondante  récompense  de  ses 
mérites  et  de  ses  combats.  Kien  n'est  plus 
propre  et  plus  convenable,  dit  saint  Cyprien^ 
à  la  voix  de  celui  cpai  a  si  glorieusement 
confessé  Dieu,  que  défaire  retentir  les  véri- 
tés divines.  Il  a  parlé  avec  courage,  enllam- 
mé  d'un  saint  désir  de  soullrir  le  martyre: 
il  annoncera  l'Evangile  de  Jésus-Christ  qui 
fait  les  inartyrs.  Lorsqu'il  était  sur  le  che- 
valet, il  a  été  admiré  de  la  multitude,  et  re- 


(5o)  Saint  Grégoire  dit  que   saint 


Cyjuicii 


(Jcmand;>  a  b.Uaym  rc,.^lisc.  (Oiat.  18.) 


RKTUAlTi:  ECCLIii*.  —  III,  DL  LKSPiai  LCCLESIASTIQUK. 


985 

gardé  comiiie  uiiiiiiraclede  constance;  ses 
frères  seroiil  ravis  do  joio  de  jeter  les  yeux 
sur  lui,  el  de  l'écouter  lors(|iie  du  pupitre 
saeré  il  piibliL'ra  les  saintes  vérités  qui  doi- 
vetU  être  la  règle  de  noire  conduite.  Appre- 
nez que  nous  avons,  mes  collègues  et  moi, 
ordonné  ce  lecteur.  Kt  je  crois  que  vous  nous 
approuverez  ;  car  ji-  sais  que  votre  désir  est 
que  l'on  donne  à  i'Egliso  un  grand  nombre 
de  semblables  ministres  (3G). 

Quoi!  un  confesseur  de  Jésus-Christ  se 
lient  bien  réconif.ensé  d'exer.er  dans  l'fi- 
iilise  l'oliice  de  lecteur,  el  après  cela  nous 
distinguerons  encore  entre  fonctions  el 
foncliotis  !  celles-ci  nous  |)araîlront  trop  bu- 
milianles,  eelles-là  trop  pénibles.  Nous  ac- 
ceplerons  avec  joie  celles  qui  sont  selon 
notre  goûl,  celles  qui  sonl  éclatantes,  el 
mépriserons  celles  qui  sont  obscures  el  qui 
i.e  nous  plaisent  pas.  Les  riches  trouveront 
un  grand  nombre  de  ministres  intéressés, 
toujours  prêts  à  leur  rendre  service,  et  les 
pauvres  seront  abandonnés.  Il  y  auia  dans 
les  villes  un  grand  nombre  de  ministres  oi- 
sifs el  inutiles;  les  campagnes  n'auront  que 
le  rebul  el  seront  souvent  dans  une  extrême 
disette. 

Quand  il  est  question  de  faire  des  basses- 
ses pour  obtenir  un  bénéfice,  des  hommes 
si  tiers  ne  se  souviennent  ni  de  leur  nais- 
sance, ni  de  leur  condition,  ni  de  leur 
esprit.  Ils  se  pressent,  ils  rampent,  ils  font 
la  cour  à  des  hommes  de  néant.  Il  n'y  a  rien 
de  si  servile  que  leur  âme,  rien  de  si  lâche 
que  leur  flatterie,  rien  de  si  prostitué  que 
leur  conscience. 

Mais  si  l'on  propose  à  cet  homme  qui  est 
sous-diacre,  de  chanter  les  leçons  des  pro- 
phètes et  les  épîlres  des  ajiôlres  ;  si  l'oîi  |»ro- 
pose  à  cet  homme  qui  est  diacre  de  chanter 
le  saint  Evangile,  pour  lors  enflé  de  sa  nais- 
sance, tout  plein  de  son  es|)rit  et  de  la  bonne 
ojMnion  qu'il  a  de  lui-iuèuie,  il  soutient  hau- 
tement, sinon  par  ses  paroles,  au  moins  par 
ses  actions,  que  ces  fonctions  sonl  au-des- 
sous de  sa  condition,  de  son  esprit  el  de  ses 
prétentions.  Est-ce  être  animé  de  l'esprit  ec- 
clésiastique? Est-ce  aimer  les  fonctions  de 
son  étal?  Est-ce  entrer  dans  les  desseins  de 
l'Eglise,  qui  ne  vous  reçoit  au  nombre  de  ses 
ministres,  qu'ahn  que  vous  travailliez,  non 
pas  j)Our  vos  intérêts,  mais  pour  l'utilité  de 
vos  frères. 

Mais,  me  direz-vous,  comment  aimer  les 
fonctions  ecclésiastiques,  qui  la  plupart  du 
temps  sonl  pénibles,  infructueuses  el  plei- 
nes de  rebuts?  Il  faut  servir  des  ingrats, 
guérir  des  frénétiques,  persuader  des  obsti- 
nés, adoucir  des  barbares  ;  il  faut  abattre 
les  Jsuperbes,  relever  les  humbles,  enrichir 
les  pauvres,  dépouiller  les  riches;  il  faut 
ôler  à  l'idolâtre  ses  dieux,  faire  aimer  la 
pauvreté  aux  avares,  le  mé|)ris  h  ceux  qui 
sont  possédés  de  la  vi/nilé,  l'humiliation  aux 
superbes,  Tauslérité  aux  hommes  de  f)laisir, 
la  pureté  aux  impudiques.  Il  faut  bénir  el 


986 


(5C)  I  Merebaïur  laljs  clencu;  ordinatioiiis   ullcriorcs 
fiijl,  etc.  )  (tpibi.  ~jZ.) 


être  maudit,  faire  du  bien  souvent  h  des  in- 
grats qui  s'en  olfensent;  il  l'.iiii  procurer  A 
nos  frères  le  repos  en  f)erdani  U;  sien.  Il  faut 
pleurer  avec  ceux  qui  pleurent,  bégayer 
avec  les  enfants,  devenir  faible  avec  les 
faibles.  Il  faut  se  faire  tout  à  tous.  Peut-on 
faire  sa  joie  d'exeicer  des  fondions  qui  sont 
pleines  de  troubles  et  de  difticultés. 

Oui,  on  le  peut  quand  on  est  plein  de  l'es- 
prit ecclésiastique.  Oui,  on  le  peut,  puisque 
les  apôtres  o:il  bien  i-u  exercer  avec  joie  les 
fonctions  de  leur  aposlol.it  en  [irésence  des 
tyrans,  qui  leur  faisaient  soulfrir  les  suppli- 
ces les  plus  crue's.Oui,  O'i  le  peut,  puisque 
les  apôtres,  après  avoir  été  battus  de  verges 
dans  les  synagogues  des  Juifs,  sont  sortis  rem- 
plis de  joie,  de  ce  qu'ils  avaient  été  jugés  di- 
gnes de  souffrir  des  opprobres  pour  le  nom 
de  Jésus-Christ.  {Act.,  V,  kl.)  Que  feriez- 
vous  s'il  vous  fallait  comme  les  martyrs 
souffrir  d'horribles  persécutions  dans  l'exer- 
cice de  votre  ministère,  et  signer  de  votre 
sang  les  vérités  que  vous  prêchez?  On  peut 
donc  aimer  les  fonctions  difficiles,  les  fonc- 
tions rebutantes,  quand  on  est  animé  de 
l'esprit  de  Jésus-Clirisl  ;  on  peut  aimer  le 
travail,  quand  on  fait  attention  à  la  grande 
récompense  qui  nous  est  pré|)arée;  on  peut 
entreprendre  avec  joie  les  ouvrages  les  plus 
difliciles,  quand  ils  nous  sont  commandés 
fiar  celui  que  nous  aimons.  On  peut  cher- 
cher les  souffrances,  quand  on  sait  que 
c'est  par  ce  moyen  que  l'on  ressemble  au 
Sauveur  des  hommes,  quand  on  sait  que  le 
royaume  du  ciel  est  fermé  à  ceux  qui  ne 
veulent  point  souffrir;  quand  on  sait, 
comme  saint  Paul  nous  l'a  appris,  qu'il  n'y 
a  point  d'autre  moyen  [)Our  être  glorifié 
avec  Jésus-Christ  que  de  souffrir  avec  Jé- 
sus-Christ. {Rom.,  VIII,  17.) 

Voilà  donc  la  première  marque  h  laquelle 
vous  pouvez  connaître  si  vous  êtes  pleins 
de  l'esprit  ecclésiastique.  Eles-vous  prépa- 
rés à  exercer  avec  joie  toutes  les  fonctions 
de  votre  état  sans  que  les  difîicultés  vous 
rebutent,  sans  que  les  jugements  des  hom- 
mes, qui  sonl  ordinairement  injustes,  vous- 
arrêtent  et  vous  troublent? 

Voici  encore  une  seconde  marque  à  la- 
quelle vous  devez  examiner  si  vous  êtes 
remplis  de  l'esprit  ecclésiastique.  Avez- 
vous  des  talenls  pour  rendre  service  à  l'E- 
glise ?  Avez-vous  des  dispositions  pour 
exercer  sinon  toutes,  au  moins  quelques- 
unes  des  fonctions  ecclésiastiques?  Car 
quand  Dieu  appelle  un  homme  à  quelque 
condition,  et  surtout  à  l'éiat  ecclésiastique, 
il  le  renq)lit  de  son  Espril,  et  le  caractère 
de  cet  espril  c'est  de  rendre  les  hommes 
capables  d'exercer  les  fondions  do  l'état 
auquel  ils  sont  ap[)elés.  - .. 

Ainsi  lisons- nous  que  Dieu  choisi  iBéséléel 
et  Ooliab  pourconslruire  le  tabernacle.  Mais 
en  môme  leuq)s  il  assure  que  parce  qu'il  les  a 
choisis,  «7  les  a  remplis  de  sagesse,  d'inlelli 
gence  et  de  science  pour   tous  les  ouvrages 

rajus  iiiteriin  placuit  ut  ulj  ofQcio  kciioiiis  iuci- 


<!87 


OUATEIHS  SACRES.  JUSKPll  LAMBERT., 


088 


aiixqiiels   il   avait  résolu  de  les  appliciuor. 
{Exod.,  XXXI,  3.) 

.  Saint  Augustin  soutient  que  ce  qui  est 
dit  de  Béséléel  et  de  Ooiiab  se  doit  rappor- 
ter plutôt  aux  grandes  vérités  marquées 
par  io'tabernacle,  qu'au  tabernacle  même 
qui  n'élait  qu'une  figure  (37).  C'esl-à-dire 
que  Dieu  voulait  nous  apprendre  par  cette 
figure,  que  quand  il  appellerait  dans  la  loi 
de  grâce  des  minislres  pour  servir  son  E- 
glise,  il  les  remplirait  de  sagesse  et  d'in- 
telligence pour  bien  exercer  toutes  les  fonc- 
tions ecclésiasiiques. 

Saint  Cbrysostome  conclut  de  ce  principe 
que  l'on  doit  condamner  deux  sortes  de 
personnes,  qui  sont  également  téméraires 
de  s'tngager  dans  l'état  ecclésiastique  (38). 

Ceux-là,  dit  saint  Clirysoslonie,  méritent 
d  être  punis  très-rigoureusement,  qui,  après 
s'être  élevés  aux  honneurs  ecclésiastiques 
par  leurs,  ambitieuses  poursuites  ,  n'en 
exercent  pas  les  fonctions  comme  ils  doi- 
vent, ou  par  làchelé,  ou  [)ar  malice,  ou  par 
insuflisance. 

Mais,  ajoute  ce  saint,  ceux-là  même  qui 
n'ont  point  eu  l'ambition  de  ()arvenir  aux 
dignités  de  l'Eglise,  et  qui  ne  les  ont  point 
recherchées,  n'ont  pas  droit  de  prétendre 
que  Dieu  les  excusera,  s'ils  acceptent  les 
honneurs  ecclésiastiques,  n'élanl  pas  capa- 
bles d'en  remplir  les  fonctions. 

Voyez  combien  il  est  nécessaire  de  pou- 
voir rendre  service  à  l'Eglise,  puisque  ceux 
que  l'on  appelle,  et  que  l'on  force  môme 
d'accepter  les  honneurs  de  l'Eglise,  selon 
saint  Chrysostorne,  n'ont  ni  défense  ni  ex- 
cuse, s'ils  sont  incajjables  de  remplir  leurs 
devoirs. 

Saint  Chrysoslome  ajoute  :  La  raison  veut 
que  quand  vous  seriez  appelés,  et  qu'on 
voudrait  même  vous  forcer  d'accepter  un 
emploi  ecclésiastique,  vous  ne  vous  ar- 
rêtiez pas  entièrement  au  jugement  des 
autres,  mais  que  vous  exauiiniez  aupara- 
vant votre  cœur  et  votre  esprit,  que  vous 
examiniez  avec  soin  tout  ce  que  vous 
pouvez  avoir  de  force,  et  qu'après  cela,  si 
vos  forces  sont  suflisantes,  vous  cédiez 
enfin  à  la  violence.  Nul  homme  ne  s'engage 
à  bâiir  une  maison,  s'il  n'est  architecte  : 
nul  ne  s'entremet  de  guérir  les  maladies, 
s'il  n'a  api)ris  la  médecine.  Quand  on  vou- 
drait les  y  contraindre,  ils  s'en  excuse- 
raient, et  ils  n'auraient  point  de  honte  d'al- 
léguer leur  ignorance.  Comment  donc  celui 
qui  doit  prendre  soin  des  âmes  ne  s'exami- 
nera-t-il  point  lui-môme  avant  toutes  cho- 
ses, mais  recevra-t-il  les  honneurs  ecclé- 
siastiques, quoique  son  incapacité  lui  soit 
connue.  Quelque  commandement  qu'on  lui 
fasse,  quand  bien  môme  on  ajouterait  les 
menaces  et  la  violence,  cet  homme  doit 
constamment  refuser  un  honneur  qu'il  se 
sent  incapable  de  soutenir.  S'il  l'accepte,  il 
se  perdra,  il  en  perdra  d'autres  avec  lui,  et 
ce  sera  tout  le  fruit  de  sa  complaisance  et 
de  sa  lâcheté. 

(37)  Quaest.  58  m  Exud. 


Posons  donc  pour  principe  assuré  qu'on 
no  doit  point  entrer  dans  l'état  ecclésiasti- 
que, etqup  l'on  n'a  point  l'esprit  ecclos'as- 
ti(]ue,  si  l'on  n'est  capable  d'exercer  les 
fondions  ecclésiasiiques. 

Qui  jugera  de  cette  capacité?  Sera-ce 
vous-iriême?  Ah  1  si  vous  êtes  juge  dans 
voire  pro[)re  cause,  vous  vous  flatterez. 
L'expérience  nous  apprend  fpi'il  y  en  a 
une  infinité  qui  se  croient  habiles,  et  qui 
néanmoins  détruisent  au  lieu  d'édifier.  Ne 
soyez  donc  pas  vous-même  le  juge  des  ta- 
lents que  vous  avez,  prenez  le  conseil  de 
quelque  homme  prudent  qui  vous  connaî- 
tra mieux  que  vous-même,  qui  vous  aidera 
à  vous  détern)iner  dans  une  affaire  si  im- 
portante, et  où  il  est  si  dangereux  de  se 
tromper. 

Observez  toutefois  que,  quoique  pouF 
avoir  l'esprit  ecclésiastique  il  soit  néces- 
saire d'aimer  ses  fonctions,  et  d'être  capa- 
ble de  les  remplir,  néanmoins  l'esprit  ecclé- 
siastique ne  demande  pas  que  nous  fassions 
paraître  un  empressement  souvent  témé- 
raire d'exercer  les  fonctions  ecclésiastiques, 
surtout  les  jilus  difïïciles,  comme  la  prédi- 
cation et  l'administration  du  sacrement  de 
pénitence. 

Distinguez  bien  ces  deux  choses  :  aimer 
les  fonctions  ecclésiastiques,  ôlre  capable 
de  les  remplir,  et  avoir  un  empres-^ement 
déréglé  d'exercer  les  fonctions  de   l'Eglise. 

L'esprit  ecclésiastique  consiste  encore 
moins  dans  une  recherche  présomptueuse 
des  bénéfices,  surtout  de  ceux  qui  sont  à 
charge  d'âme. 

Je  sais  que  quand  on  vous  emploiera,  vous 
ne  devez  pas  apporter  une  résistance  obsti- 
née, particulièrement  lorsque  vous  ne  vous 
êtes  pas  employé  ni  directement,  ni  indi- 
rectement pour  obtenir  les  dignités  dont 
on  vous  honore.  Mais  je  sais  aussi  que  c'est 
préci[)ilation  que  de  se  hâter,  c'est  |trésomp- 
tion  que  de  s'offrir,  c'est  imprudence  que 
de  rechercher,  c'est  un  scandale  que  de 
briguer.  Rendez-vous  ca|)able  d'être  em- 
ployé, voilà  ce  que  l'esprit  ecclésiastique  vous 
suggère  ;  mais  ne  recherchez  pas  les  em- 
plois ;  les  règles  de  l'Eglise  le  défendent. 
Vous  verrez  dans  la  suite  de  ce  discours 
que  cette  recherche  des  dignités  ecclésias- 
tiques est  une  preuve  que  l'on  a  l'esprit  du 
monde  qui  a  été  condanuié  par  Jésus-Christ. 

Voici  une  belle  n)axiine  établie  par  saint 
Augustin,  qui  ne  peut  être  trop  profondé- 
ment gravée  dans  le  cœur  des  ecclésiasti- 
ques. Si  l'Eglise  voire  mère  a  besoin  de 
votre  secours,  prenez  garde  à  éviter  égale- 
ment et  les  désirs  empressés,  et  le  refus 
opiniâtre.  Celui  qui  a  reçu  de  Dieu  l'esprit 
ecclésiastique  aime  les  fondions  de  son  état. 
11  se  rend  capable  de  les  remplir  ;  il  les 
exerce  avec  joie,  lorsqu'il  est  appelé  légi- 
timement ;  il  est  très-éloigné  de  désirer  et 
de  rechercher  les  dignités  de  l'Eglise.  Son 
sentiment  naturel  est  de  beaucoup  appré- 
hender ;  son  inclination   est  de   fuir   ;    il 

(38)  L.  IV  De  sacad.,  c.  ^2. 


989 


RETRAITE  ECCLES.  —  III,  DE  L'ESPRIT  ECCXESIASTIQIE. 


900 


occeple  avec  obt^issanre  et  il  se  confie  au 
Seigneur  aussitôt  qu'il  a  connu  ce  qu'il  de- 
mande de  lui  (39j. 

Voilà  donc  ce  que  c'est  que  l'esprit  ecclé- 
siastique ;  c'est  un  don  de  Dieu  qui  nous 
inspire  l'amour  des  fonctions  ecclésiasti- 
ques, cl  qui  nous  rend  capables  de  les  exer- 
cer avec  adresse.  Parlons  maintenant  de 
res|)rit  du  monde  qui  est  entièrement  op- 
posé à  l'esprit  ecclésiasli(iuo. 

SECOND   POINT. 

Aulanl  que  nous  devons  rechercher  avec 
ardeur  l'esprit  ecclésiasli(|ue,  autant  nous 
devons  renoncer  à  l'esprit  du  monde  qui 
lui  est  entièrement  opposé. 

Quand  vous  avez  été  lait  clerc,  on  vous  a 
(]é|iuuillé  de  l'habit  séculier.  C'est  peu  de 
chose,  ou  plutôt  ce  n'est  rien  du  tout,  si 
vous  avez  seulement  changé  d'habit.  Le 
dessein  de  l'Eglise,  en  vous  faisant  renon- 
cer à  l'habit  du  siècle,  a  été  principalement 
de  vous  apprendre  que  vous  êtes  indispen- 
sablemenl  obligé  de  vous  défaire  de  l'es- 
prit du  siècle,  et  que  jamais  vous  ne  serez 
rempli  de  l'esprit  ecclésiastique,  tant  que 
vous  serez  plein  de  l'esprit  du  monde. 

L'esprit  de  vérité  est  un  esprit  que  te  mon- 
de ne  peut  recevoir  {Joan.,  XIV,  9,  17}; 
c'est-à-dire  qu'il  y  a  incom[)alibiIité  eniVe 
l'esprit  du  siècle  et  l'esprit  de  Dieu.  Tous 
ceux  qui  sont  [)0ssédés  de  l'un  ne  jieuvenl 
recevoir  l'autre. 

Dieu,  dit  saint  Augustin, est  une  fontaine 
de  laquelle  les  eaux  salutaires  de  la  grAce 
découlent  avec  abondance,  mais  [)our  re- 
cevoir ces  eaux,  il  faut  apporter  un  vase 
vide.  Si  le  vase  est  déjà  plein,  il  est  im[)os- 
sible  (ju'il  soil   rempli  des  eaux  de  la  grâce 

Il  dit  dans  un  autre  endroit  :  Les  hommes 
ne  peuvent  recevoir  l'Esprit  de  Dieu,  [tar- 
ée qu'ils  sont  déjà  pleins.  Qu'ils  te  vident 
de  l'esprit  du  monde,  et  pour  lors  ils  pour- 
ront recevoir  rEs[)rit  de  Dieu.  Ils  sont  pleins 
de  l'amour  des  jjlaisirs,  de  l'amour  de  celte 
vie,  de  l'amour  des  iichesses.  Piétcndez- 
vous  faire  tenir  du  miel  dans  un  vase, 
si  vous  ne  répandez  auparavant  le  hel 
dont  il  est  rempli  V  Videz-vous  de  ce  qui 
est  en  vous,  alinque  vous  puissiez  recevoir 
ce  que  vous  n'avez  pas.  Il  faut  donc  néces- 
sairemenlsedépouillerdel'espril  du  monde, 
autrement  il  est  impossible  de  recevoir  l'es- 
jirit  de  Jésus-Christ. 

Qu'est-ce  que  l'esprit  du  monde  qui  est 
entièreraentopjjoséà  l'esprilde  Jésus-Christ, 
et  par  conséquent  à  res|)ril  ecclésiastique  '/ 
Saint  Jean  nous  en  donne  une  jusle  idée 
quand  il  nous  dit  :  Tout  ce  qui  est  dans  le 
inonde  n'est  que  concupiscence  de  la  chair, 
ou  concupiscence  des  yeux,  ou  orgueil  de  /« 
vie.  (I  Joan.,  XI,  16.) 

La  concupiscence  de  la  chair,  c'cit  i'a- 
mour  dis  plaisirs. 

(59)  I  Vos  exhorlaniur,  ut  si  quam  operam  ve- 
Slram  nialer  Eccksia  desiiioraverit,  ncc  elai=oiie 
avjila  suscipialis,  riecljiaiidiciilc  dgsidia  r«spualis.  > 
(fc-|»tbt.,  i8,  iiov.  cdit.,  al.  81.) 


La  concupiscence  des  yeux,  c'est  l'amour 
des  biens  de  ce  monde.  Elle  est  ainsi  appe- 
lée, parce  que  les  yeux  s'ap[)liquant  avec 
attention  à  considérer  les  richesses  et  les 
pompes  du  miHide,  celte  vue  fait  naître  dans 
nos  cœurs  un  désir  déréglé  des  biens  et 
des  pompes  du  siècle.  D'où  vienl  que  VEc- 
clesiaste,  nous  faisant  la  i^einlure  d'un  avare, 
dit  :  //  travaille  sans  cesse  :  ses  yeux  sont  in- 
satiables de  richesses,  (t'ccle.,    IV,  8.) 

Entin  par  la  superbe  de  la  vie  on  entend 
l'amour  des  honneurs.  Ainsi  l'esprit  du 
monde  est  un  esprit  charnel,  intéressé,  su- 
perbe. On  se  dépouille  de  cet  esprit  par  de 
fréquentes  mortifications,  par  un  désinté- 
ressement généreux,  par  une  humilité  sin- 
cère. 

Tout  ce  qui  est  dans  le  monde  n'est  que 
concupiscence  de  la  chair.  Si  donc  vous  vou- 
lez vous  dépouiller  de  l'esprit  du  monde, 
aflaiblissez,  combattez,  détruisez  la  concu- 
piscence de  la  chair.  Soyez  convaincus  que 
l'amour  des  plaisirs  est  très-contagieux; 
déracinez  de  vos  cœurs  cet  amour  fu- 
iiesle. 

Tout  ce  qu'on  peut  permettre  à  un  ecclé- 
siastique, o'est  de  mener  une  vie  commune, 
se  contenlant  d'une  nourriture  simple  et 
ordinaire,  ne  recherchant  point  ce  qui  flatte 
la  sensualité. 

Si  un  ecclésiastique  se  permet  [quelque 
récréation,  elle  doit  être  courte;  il  doit  tou- 
jours se  souvenir  de  ce  qu'il  est  ;  sa  fin  prin- 
ci.nale  dans  ses  récréations  doit  être  de  re- 
prendre des  forces,  afin  de  retourner  au  tra- 
vail. Ses  récréations  deviennent  criminelles 
quand  elles  durent  trop  longtemps,  quand 
elles  emportent  et  qu'elles  dissi[)ent  son 
esprit. 

Un  ecclésiastique  zélé  va  encore  plus  loin, 
il  prafii^ue  assidûment  des  œuvres  de  mor- 
tification; il  mène  une  vie  pénitente;  il  so 
retranche  [)resque  toutes  les  récréations, 
au  moins  il  ne  se  permet  jamais  celles  qui 
sont  en  usage  parmi  les  hommes  du  siècle, 
et  qui  tiennent  de  l'esprit  du  siècle.  Comme 
il  craint  toujours  que  l'amour  des  plaisirs 
ne  trouve  entrée  dans  son  cœur,  il  en 
détruit  jusqu'aux  principes  les  plus  éloi- 
gnés. 

Cet  amour  des  plaisirs  est  entièrement 
opposée  l'esprit  ecclésiastique,  il  rend  celui 
dans  le  cœur  duquel  il  domine  incapable  de 
vivre  en  ecclésiastique  et  de  bien  remplir  les 
fonctions  de  son  état. 

L'es[)rit  ecclésiastique  est  un  don  de  Dieu 
qui  nous  porte  à  aimer  nos  fonctions  quoi- 
que accompagnées  de  diflicultés.  Un  ecclé- 
siastique animé  de  l'esprit  de  son  état  ne  se 
rebute  jamais  dans  l'exercice  de  son  minis- 
tère, de  quelque  [)éril  dont  il  soit  menacé, 
(|uelque  contradictions  qu'il  ail  à  essuyer, 
quelque  peine  (}u'il  ait  à  souffrir.  L'esprit 
ecclésiastique  est  un  esprit  supérieur  à  tous 
les  obstacles,  à  toutes  les  difficultés,  à  toutes 

(40)  t  Ut  non  capiantîpleni  siuil,  fundanl  el  ca- 
piuiu.  Vis  ut  iiitiel  met  uiidc  accluin  nondum  lu- 
(lisli.  Fuiide  qtiod  habcs,  iiicapiasiiuoit  non  liabcs.  » 
(S'jini.  ô(ji),  al.  lioui.  37.J 


991 


OUATEURS  SACRES.   JOSEPH  LAMBERT 


9,)2 


les  fatigues.  Parlh  vous  voyez  combien  la 
mollesse  des  gens  du  siècle  esl  incomjialibie 
avec  l'esprit  ecclésiastique. 

Quelle  sera  la  disposition  d'un  homme 
sensuel  et  ennemi  de  toute  contrainte,  lors- 
que l'utililé  du  prochain  demandera  qu'il 
laisse  SOS  plaisirs  et  qu'il  contraigne  ses 
inclinations?  Un  homme  amolli  par  le  plai- 
sir est-il  en  état  de  faire  paraîlre  cette  force 
gt^néreuse  que  rien  n'effraye?  Le  caractère 
du  plaisir  n'esl-ce  pas  d'affaiblir  l'homme, 
de  le  rendre  lâche,  craintif,  paresseux,  el 
de  lui  inspirer  une  grande  aversion  pour  la 
peine? 

Les  fondions  ecclésiastiques  demandent 
de  i'ôpplication,  l'homme  sensuel  n'en  a  qu'à 
ses  plaisirs. 

Pour  bien  exercer  les  fonctions  de  notre 
ministère,  il  faut  toujours  être  prêt,  il  faut 
courir  quand  le  prochain  a  besoin  de  notre 
secours.  Quelle  mortification  pour  un  hom- 
ine  sensuel,  lorsqu'il  faut  interrompre  ses 
divertissements!  Ce  qui  demande  beaucoup 
de  gravité  sera  l'ail  avec  la  dernière  préci- 
pilation,  parce  que  l'on  a  impatience  de  re- 
tourner à  cette  partie  de  plaisir  que  l'on  n'a 
quittée  qu'à  regret. 

Les  fonctions  ecclésiastiques  demandent 
de  la  préparation  ;  il  en  faut  par  exem[)le 
pour  faire  une  instruction  sérieuse  et  tou- 
chante. Un  homme  adonné  à  ses  plaisirs 
trouvera- 1- il  du  temps  jiour  se  préparer 
à  bien  remplir  les  fondions  de  son 
état? 

Celui  qui  instruit  doit  encore  plus  parler 
par  son  exenqile  tjue  i-ar  ses  paroles.  Quel 
exemple  plus  pernicieux,  plus  capable  de 
corrompre  les  cœurs,  que  celui  d'un  homme 
esclave  de  la  volupté?  Quelle  disposition 
pour  prêcher  la  |)éijiience,  que  de  mener 
une  vie  impénitente  et  toute  sensuelle?Un 
exemple  si  corrompu  serait  capable  d'infec- 
ter ceux-là  même  qui  sont  dans  de  bonnes 
dispositions,  combien  donc  aura-t-il  de  for- 
ce pour  retenir  dans  le  vice  ceux  qui  ne 
cherchent  qu'à  se  confirmer  dans  leurs  per- 
nicieux sentiments  ? 

Que  c'est  u;.'e  chose  indigne  d'un  ecclé- 
siastique que  d'aimer  la  bonne  chère;  cher- 
cher les  bons  repas  ;  être  délicat  dans  sa 
nourriture;  se  faire  une  occupation  de  flat- 
ter son  corps  ;  passer  à  table  un  temps  con- 
sidérable; chercher  des  artifices  j)Our  pro- 
longer ce  tem[)S  ;  employer  une  voix  qui 
doit  retentir  des  louanges  du  Seigneur  à 
chanter  des  chansons  (>rofanes;  fane  voir 
en  ses  mains  des  marques  honteuses  de  li- 
bertinage, qui  conviendraient  mieux  aux 
prêtres  des  dieux  infûmes  du  [)aganisme 
(ju'à  des  ministres  de  Jésus-Christ,  disputer 
avec  les  gens  du  siècle,  et  leur  contester 
le  vain  honneur  d'être  de  ces  hommes  dont 
parle  le  prophète  Isaïe,  quand  il  dit  : 
Malheur  à  vous  qui  êtes  puissants  à  boire 
le  vin,  et  vaillants  à  vous  enivrer.  Usai.,  V, 
22) 


L'histoire  de  l'Eglise  nous  apprend  qu'il 
y  ava-il  un  solitaire  qui  ne  mangeait  jamais 
qu'en  marchant,  et  comme  on  lui  demandait 
raison  de  celte  conduite,  il  répondit  :  C'est 
que  je  ne  prétends  pas  m'appliquer  à  man- 
ger comme  à  une  affaire  de  conséquence; 
je  mange  uniquement  pour  satisfaire  à  la 
malheureuse  nécessité  de  soutenir  mon 
corps  (41). 

Tel  était  le  sentiment  des  premiers  chré- 
tiens. Tertullien,  parlant  des  repas  de  cha- 
rité que  les  chrétiens  faisaient  ensemble  et 
qui  précédaient  ces  veilles  bienheureuses 
qui  étaient  entièrement  consacrées  à  la 
prière  ,  dit  ces  belles  paroles  :  Ils  mangent 
comme  le  doivent  faire  ceux  qui  se  souvien- 
nent qu'ils  doivent  employer  la  nuit  à  la 
prière.  Quand  donc  vous  prenez  vos  repas, 
prenez- les  avec  loule  la  modération  qui 
convient  à  des  hommes  dont  la  vie  doit 
être  une  prière  continuelle,  dont  la  vie  doit 
être  austère  et  mortifiée  (4-2). 

Souvenez-vous  que  la  sobriété  est  une 
des  vertus  que  saint  Paul  recommande  par- 
ticulièrement aux  ecclésiastiques.  Il  faut, 
dit  cet  a|)ôtre,  qu'un  ministre  du  Seigneur 
soit  sobre.  (I  Tiin.,  lil ,  2.)  Pour  vous,  dit 
le  saint  A[)ôtre  à  son  disciple  Tiniothée , 
Veillez  continuellement ,  souffrez  constam- 
ment les  travaux,  faites  la  charge  d'un  t/u.m- 
géliste,  reniplisi>ez  tous  les  devoirs  de  votre 
ministère,  soyez  sobre.  (Il  Tiin.,  IV,  3.) 

La  sobriété  est  expressément  recomman- 
dée |)ar  saint  Paul,  soyez  sobre.  Mais  il  est 
vrai  de  dire  que  les  paioles  précédentes 
contiennent  encore  un  commandement  ex- 
[)rès  de  pratiquer  cette  vertu. 

Veillez.  Rien  n'est  plus  capable  d'endor- 
mir les  ecclésiastiques  que  l'amour  des 
plaisirs.  Tous  ceux  que  cet  amour  possède, 
vivent  dans  l'assoupissement  et  dans  une 
extrême  négligence  de  leurs  devoirs. 

Souffrez  constamment  tous  les  travaux. 
Qui  ne  sait  que  l'amour  des  plaisirs  affai- 
blit et  qu'il  rend  insujijio.  tables  jusqu'aux 
plus  légers  travaux. 

Faites  la  charge  d'un  e'vange'liste.  Quel 
évangéliste qu'un  homme  voluptuecjx  ?Qa'il 
s'annonce  à  lui-môme  les  vérités  de  l'Evan- 
gile et  qu'il  se  convainque  que  la  vie  chré- 
tienne, à  plus  forte  raison  la  vie  ecclésias- 
tique, doit  ôlte  essenliellemunt  une  vie  cru- 
cifiée. 

llentplisscz  tous  les  devoirs  de  votre  minis' 
tère.  Une  expérience  trop  funeste  nous  fait 
voir  que  i'bomme  sensuel  les  afbaudonne 
tous. 

L'Apôtre  ajoute  el  finit  son  importante 
instruction  par  ces  ()aroles  :  Soyez  sobre. 
Il  le  laut  donc  être  et  il  faut  pratiquer  cette 
importante  vertu  ,  non  -seulement  parce 
qu  elle  nous  est  expressément  commandée, 
mais  encore  parce  qu'elle  est  nécessaire 
pour  observer,  tous  les  devoirs  essentiels 
de  la  vie  ecclésiastique. 

Soyez  sobre.  Qu'est-ce  que  cette  sobriélé? 


(41)  SocR.,  I.  IV,  c.  23. 

(12)  «  lia  saiuraniur  ut  qui  iiiciiiiiieriul  cliuui  pcr  iioctciii  ndoraiuluiu  esse  Deiiiii.  »  (ApuL  39.) 


993 


RETRAITE  FXCLES.  —  III,  DE  L'ESPRIT  ECCLESIASTIQUE. 


c'est  une  vorlu  Jont  l'effet  est  d'user  modé- 
rémenl  et  selon  les  lois  d'une  exacte  néces- 
sité, de  tout  ce  qui  peut  flcitler  rhomme 
sensuel.  L'homme  sobre  use  modérément 
de  la  nourriture,  des  récr('<>lions.  du  repos, 
de  tous  les  souingeraents  que  Dieu  accorde 
à  noire  faiblesse.  Par  ceile  sobriété  il  de- 
vient un  homme  fort,  il  s'accoutume  au  tra- 
vail; à  la  plaje  des  f)laisirs  charnels  il  subs- 
titue un  autre  plaisir,  qui  est  celui  de 
remplir  ses  devoirs.  Autant  que  le  plaisir 
énerve  et  abat  l'esiiril,  autant  la  sobriété  le 
soutient,  le  fortitie,  le  met  en  étal  de  s'ap- 
pliquer uniquement  h  bien  entendre  et  à 
l'aire  goûter  aux  autres  les  saintes  maximes 
de  la  religion. 

Excellentes  dispositions  pour  devenir  un 
saint  ministre  du  Soigneur,  et  puisque  la 
sobriété  a  tant  de  force  pour  nous  faire  en- 
trer dans  ces  dispositions,  un  ecclésiastique, 
qui  a  quelque  désir  de  s'acquitter  de  ses 
devoirs,  ne  doit-il  pas  embrasserde  tout  son 
cœur  une  vertu  si  nécessaire? 

Vous  voyez  donc  de  quelle  conséquence 
il  est  à  un  ecclésiastique  de  déraciner  en 
lui  ce  funeste  amour  des  plaisirs,  et  que 
cet  amour  que  saint  Jean  a  mis  h  la  tête  de 
tous  les  autres,  quand  il  a  voulu  nous  ap- 
I)rendre  ce  que  c'est  que  l'esprit  du  monde, 
est  entièrement  opposé  à  l'esprit  ecclésias- 
tique. 

Tout  ce  qui  est  dans  le  monde  nest  que 
concupiscence  de  la  chair  ou  concupiscence 
des  yeux.  Je  vous  ai  dit  que  par  la  concu- 
piscence des  yeux  ,  l'apôtre  saint  Jean  a 
voulu  nous  faire  entendre  l'amour  des  biens 
de  ce  monde.  Ce  funeste  amour  est  encore 
très-opposé  à  l'esprit  ecclésiastique. 

Vous  avez  vu  que  l'esprit  ecclésiastique 
est  un  don  de  Dieu,  qui  nous  porte  à  aimer 
les  saintes  fonctions  de  notre  élat.  Celui  qui 
est  intéressé  aime-l-il  les  fonctions  ecclé- 
siastiques? Non,  il  aime  l'argent  et  son  in- 
térêt. C'est  parrap|)0rt  à  cet  intérêt  qui  le 
domine  qu'il  s'applique  aux  fonctions  ec- 
clésiastiques. Le  désir  honteux  du  gain  est 
le  premier  mobile  do  toutes  ses  actions,  et 
il  n'en  exerce  aucune  qu'il  n'ait  d'abord  en 
vue  le  profil  qu'il  en  retirera.  Comme  celui 
qui  est  intéressé  n'a  aucun  amour  pour  ses 
fonctions,  il  est  clairque  l'esprit  ecclésias- 
tique ne  peut  en  aucune  manière  subsister 
avec  l'esprit  d'intérêt,  il  est  clair  que  l'es- 
prit ecclésiastique  rie  peu!  nous  animer,  que 
quand  l'esprit  d'intérêt  est  entièrement 
banni  de  notre  cœur. 

Nul  ne  peut  servir  deux  maîtres,  dit  Jésus- 
Christ;  vous  ne  pouvez  en  même  temps  servir 
Dieu  et  l'argent.  {Mutth.,  VI,  23.]  Celui  qui 
est  intéressé  sert  l'argent  ;  c'est  l'argent  qui 
le  fait  agir;  il  se  propose  des  récompenses 
temporelles;  il  seit  l'argent,  et  par  consé- 
quent il  ne  sertiioinl  Dieu,  car  Jésus-Christ 
iléclare  qu'on  ne  peut  en  même  temps  ser- 
vir Dieu  et  l'argent. 

Ceux-là,  ii\i  saint  Paul,  qui  veulent  devenir 
riches  tombent  dans  la  tentation  et  dans  le 
piéqe  du  diable,  et  en  divers  désirs  inutiles 
et  pernicieux  qui  précipitent  les  hommes  dans 


on; 

l'abîme  de  la  perdition  et  de  la  damnation. 
(I  'fini.,  VI,  9.)  L'apôtre  saint  Paul  parle  en 
cet  eqdroil  de  ceux  qui  aiment  l'argent.  Il 
prétend  que  cet  amour  eslune  grande  source 
de  lenlations  et  de  désirs  pernicieux. 

L'amourde  l'argent  est  une  grande  source 
detenlalion,  car  il  n'arrive  guère  que  celui 
qui  aime  l'argent  soit  ferme  dans  ses  de- 
voirs. Quand  un  homme  aime  l'argcnl,  on 
l'aborde  toujours  avec  assurance  qu'on  en 
sera  le  maîlre.  Les  premiers  refus  n'alar- 
ment f)as.  Il  y  a  une  dernière  voie  que  l'on 
n'emploie  guère  inutilement,  et  par  le 
moyen  de  laquelle  on  est  presque  sûr  d'ob- 
tenir les  choses  les  plus  injustes.  Celui  qui 
aime  l'argent  est  exposé  à  une  tentation 
conlinutdle  de  trahir  ses  devoirs.  L'amour 
de  l'argent  est  encore  la  source  d'un  grand 
nombre  de  désirs,  que  saint  Paul  appelle 
inutiles  et  pernicieux.  Quand  il  n'y  en  au- 
rait point  d'autre  que  le  désir  môme  de  l'ar- 
gent, c'est  le  |>lus  inutile  et  le  plus  perni- 
cieux de  tous  les  désirs. 

C'est  le  plus  inutile,  car  souvent  l'on  sou- 
liaite  l'argent  sans  savoir  même  ce  que  l'on 
en  veut  faire.  David  dit  que  l'avare  amasse 
son  argent  et  qu^il  ne  sait  pour  qui  il  amasse. 
{Psal.  XXWIII,  7.) 

C'est  le  plus  pernicieux  de  tous  les  dé- 
sirs ;  car  quoi  de  plus  pernicieux  qu'un  dé- 
sir funeste,  qui  nous  rem[)lil,  qui  nous 
occupe,  qui  nous  possède  de  telle  manière 
qu'il  est  vrai  de  dire  que  c'est  l'amour  des 
biens  créés  dont  notre  cœur  est  plein?  C'est 
le  caractère  du  désir  contagieux  des  biens 
de  ce  monde,  d'occuper  pleinement  !e 
cœur.  Celui  qui  est  assez  malheureux 
|iaur  désirer  les  biens  do  li  terre  n'a 
presque  que  ce  seul  désir,  et  quelle  est  la 
suite  de  ces  tentations  et  de  ces  désirs  inu- 
tiles et  pernicieux  ?  Ils  précipitent  les  âmes 
dans  l'abîme  de  la  perdition  et  de  la  damna- 
tion. 

Ce  qui  est  si  pernicieux  dans  tous  les 
chrétiens,  ne  peut  qu'il  ne  le  soit  encore 
davantage  dans  les  ecclésiastiques.  Qu'est- 
ce  qu'un  ecclésiastique  qui  aime  l'argent? 
C'est  un  homme  exposé  à  de  continuelles 
tentations  de  prévariquer  dans  ses  devoirs; 
c'est  un  homme  qui,  pour  un  intérêt  léger, 
est  capable  de  faire  toutes  sortes  de  bas- 
sesses. Un  ecclésiastique  doit  être  ferme; 
rien  n'est  plus  lâche  que  celui  qui  est  inté- 
ressé. Un  ecclésiastique  doit  parler  avec  li- 
berté ;  l'argent  lie  l.i  langue,  la  moindre 
raison  d'inléiêl  impose  silence  h  celui  qui 
est  esclave  de  l'argent.  La  charité  d'un  ec- 
clésiastique doit  se  répandre  également  sur 
les  riches  et  sur  les  [lauvres;  l'intérêt  fait 
faire  des  distinctions  odieuses  entre  les  ri- 
ches et  les  pauvres.  Un  ecclésiastique  doit 
s'attirer  le  respect,  Teslirae  et  l'amour;  la 
passion  de  l'argent  avilit  les  ecclésiastiques, 
les  rend  méprisables.  L'avarice,  toujours 
digne  do  haine,  a  des  caractères  particuliers 
pour  se  faire  hair  davantage  quand  elle  se 
rencontre  dans  les  ecclésiastiques.  Qu'est- 
ce  qu'un  ecclésiasli(}ue  qui  aime  l'argent? 
C'est  un   homme  plein  de  désirs  terrestres 


833 


ORATKURS  SACRES.  JOSEPH  LAMRERT. 


qui  remplissent  son  csprii  et  son  cœur.  li 
est  donc  ministre  du  Seigneur,  et  le  Sei- 
fçneur  n'est  ni  dans  son  esprit  ni  dans  son 
cœur;  l'amour  de  l'argent  l'en  a  chassé. 
C'est-à-dire  qu'il  est  ecclésiastique  de  nom, 
mais  que  dans  la  vérilé,  il  est  absolument 
liors  d'élat  de  pouvoir  rendre  aucun  ser- 
vice à  l'Eglise. 

Voilà  pourquoi  saint  Paul,  en  nous  décri-, 
vant  les  qualités  d'un  ministre  du  Seigneur, 
a  PU  soin  de  remarquer  expressément  qu'il 
doit  être  désintéressé.  Il  faut,  dit-il,  dans 
sonlipîlreh  Timolhée,  qu'il  soit  désintéressé. 
{\  Tiin.f  111,3)  Il  lt>  répèle  encore  dans  son 
iipître  à  Tile.  Il  faut  qu'il  soit  très-éloigné 
de  vouloir   faire  aucun  gain  honteux.  (TH., 

1,7.) 

Qu'il  serait  ?i  souliaiter  que  les  ministres 
du  Seigneur  s'examinassent  filus  soigneu- 
sement sur  celte  importante  disposition  1 
Ils  n'auraient  pas  de  peine  à  reconnaître 
l'injure  et  le  tort  qu'ils  font  à  l'Eglise,  lors- 
que le  désir  honteux  du  gain  les  co?iduit 
dans  le  sanctuaire  contre  la  défense  qui  leur 
est  faite  d'y  entrer  avuc  un  si  pernicieux 
motif. 

Combien  d'ecclésiastiques  qui  ne  cher- 
chent que  leur  intérêt?  Corni)ien  y  en  a- 
t-il  (lui  n'ont  d'autre  vue,  on  entrant  dans 
l'Eglise,  que  de  posséder  des  bénétices,  àqui 
il  ne  serait  jamais  venu  dans  l'esprit  de  se 
consacrer  à  Dieu  dans  l'étal  ecclésiastique, 
s'ils  n'avaient  eu  une  is[)érance  très-pro- 
chaine de  pouvoir  se  nourrir  et  s'engraisser 
du  patrimoine  des  pauvres 

Saint  Augustin  dans  une  de  ses  lettres, 
parlanl  d'un  homme  fort  riche  qui  avait 
été  consacré  prêtre  dans  l'église  d'Hippone, 
assure  que  ce  qui  a  touché  son  peuple, 
ce  n'est  pas  l'argent  de  cet  homme,  mais  sa 
personne  et  ses  vertus  érainentes.  llsfi'ont, 
dil-il,  fait  aucune  attention  à  voire  argent  ; 
mais  ils  ont  été  frajipésdu  mépris  qu'ils  ont 
su  que  vous  faisiez  de  toutes  vos  richesses. 
Et  c'est  là  ce  qui  les  a  déterminés  à  vous 
choisir  {k3). 

Voilà  la  disposition  dans  laquelle  les  ec- 
clésiastiques (ievraient  être  à  l'égard  des 
l)iens  de  ce  monde,  qu'il  paraisse  qu'ils 
n'en  sont  |)oint  touchés,  qu'ils  ont  des  vues 
sujiérieures.  C'est  le  Jujoyen  de  s'attirer 
l'estime  et  le  respect.  Mais  on  n'aurajamais 
que  du  mépris  pour  les  ecclésiastiques  qui 
aiment  et  qui  clierchent  l'aigeiit. 

Hélas  1  si  l'Eglise  pouvait  abandonner  5 
ces  malheureux  la  proie  après  laquelle  ils 
courent  avec  tant  d'ardeur,  à  condition 
qu'ils  n'usurperaient  point  un  caractère 
qu'ils  déshonorent,  n'y  gagnerait-elle  point 
encore? 

Ces  hommes  qu'un  motif  d'intérêt  a  con- 
duits dans  le  sanctuaire,  exercent  les  fonc- 
tions ecclésiastiques  d'une  manière  très- 
indigne.  Ils  sont  pour  l'Eglise  un  sujet 
coniuniel   de   gémissement,   [)arce    qu'elle 


(45)  (Non  suiim  pecuniaiiuin  conimoilumqiiseslvii 
a  vobis,  sed  vesiruin  pecurii;i:  conteiiiptuin  dilexit 
iii  voijis.  «  (Episl.  {"l'a,  nov.  etiil.,  :il.  lia.) 


voit  que  leur  intérêt  les  fait  prévariquer  erl 
toute  occasion ,  et  qu'elle  ne  remarque 
point  en  eux  celle  généreuse  liberté  qui 
doit  paraître  dans  les  ministres  de  Jésus- 
Christ. 

On  voit  tous  les  jours  des  prêtres  qui 
courent  à  l'Eglise  quand  il  y  a  quelque  gain 
à  faire,  et  qui  n'y  vont  point  quand  il  no 
leur  en  revient  aucun  profit.  On  en  voit 
qui  sont  dans  l'Eglise  d'une  manière  si 
dissipée,  et  si  immodestp,  qu'il  est  aisé  de 
juger  (pi'ils  y  sont  uniquement  retenus 
par  le  désir  du  gain.  On  en  vuit  qui  olfrent 
le  sacrifice,  parce  (pi'il  y  n  des  rétributions 
à  espérer,  et  qui  ne  l'offriraient  pas,  si  ce 
motif  bas  ne  les  engageait,  dételle  sorte 
que  l'esjiérance  du  gain  est  toute  la  règle 
de  leurs  dévoilons.  On  en  voit  qui  se  dis- 
pulenl,  et  qui  ont  ensemble  des  contesta- 
tions quand  il  faut  offrir  le  sacrifice  pour 
les  pauvres,  parce  que  la  rétribution  n'est 
pas  si  forle.  On  en  voit  qui  exigent  des 
droits  de  ceux  à  qui  ils  devraient  faire  l'au- 
niône.  On  en  voit  qui  se  plaignent  et  qui 
murmurent,  qui  disent  hautement  qu'on  ne 
les  récom|)ense  point  d'une  manière  pro- 
I)orlionnée  à  leurs  peines,  comme  si  le  pro- 
fit tem()orel  était  toute  la  récompense  qu'ils 
allendent. 

Cet  esprit  d'intérêt  ne  scandalise-l-il  pas 
les  fidèles  à  bon  droit?  Nos  frères  qui  se 
sont  séparés  de  nous  s'en  sont  offensés,  et 
faisant  rejaillir  sur  l'Eglise  un  désordre 
qu'elle  condamne  hautement,  ils  ne  cessent 
de  nous  objecter  que  nous  mettons  en  com- 
merce les  prières  et  le  plus  auguste  de  nos 
mystères. 

Un  ministre  généreux  travaille  d'abcrd  h 
se  mettre  à  I  abri  de  tout  soupçon  d'intérêt. 
11  est  convaincu  que  ce  soupçon  honteux 
serait  cajiable  de  lui  faire  perdre  tout  le 
fruit  de  ses  travaux.  Il  aimerait  mieux  vi- 
vre dans  une  extrême  pauvreté  que  de  ja- 
mais rien  faire  contre  l'honneur  de  son  mi- 
nistère. Il  donne  encore  plus  volontiers 
qu'il  ne  reçoit.  Lorsqu'il  recueille  ce  que 
l'Eglise  lui  permet  de  prendre,  il  le  lait 
d'une  manière  si  désintéressée,  qu'il  est 
aisé  de  voir  que,  selon  la  j)arolc  de  saint 
Paul  :  Jl  cherche  l'âme  et  le  salut  des  fidèles  et 
non  pasteur  bien.  (llCor.,  XU,  ik.) 

Que  nous  serons  heureux  quand  nous 
nous  trouverons  dans  la  même  disposilion, 
à  l'égard  des  liieiis  de  ce  monde,  que  le 
pape  Eugène,  à  qui  saint  Bernard  rend  ce 
témoignage  honorable  :  Je  n'ai  rien  à  vous 
dire  louchant  l'avarice;  car  j'apprends  que 
vous  ne  faites  |)as  plus  d'estime  de  l'argent 
que  de  la  paille  (kï).  C'est  là  l'jdée  que  nous 
devons  avoir  des  biens  de  ce  monde.  Ce 
sont  des  biens  caducs,  indignes  de  l'estime, 
de  l'attachement,  de  l'amour  d'un  chrétien, 
et  encore  à  plus  forte  raison  d'un  ecclé- 
siastique. 
Si  nous  sommes  assez  heureux  pour  par- 

(4'i'l  I  De  avarilia  non  est  quod  Uium  faiigem  ia- 
tuiiuiii,  cuni  pecuniam  lanquani  palcam  dicaris  lia- 
b-Mc.  >  (Lib.  IV  De  cous.,  c.  ^i.) 


ÎH)7 


RETRAITE  ECCLF.S.  -  III,  DE  EESPRIT  ECCLESIASTIQUE.  «>98 

suites  rendent  indignes  des  digiiilés  ecclé- 


venir  à  ce  délacliomcnt  et  à  ce  mépris  des 
biens  de  la  terre,  nous  serons  délivrés  do 
celte  mnllieureuse  concupiscence,  que  saint 
Jean  appelle  la  concupiscence  des  yeuï,  et 
qui  n'est  autre  chose  que  l'amour  des  biens 
de  la  terre. 

Il  ne  nous  restera  plus,  pour  achever  de 
détruire  en  nous  l'esprit  du  monde,  que 
de  combattre  la  troisiènie  concupiscence, 
fjue  saint  Jean  appelle  l'orgueil  de  la  vie, 
et  pnr  laquelle  il  tant  entendre  la  recherche 
des  honneurs. 

C'est  ^  l'humilité  h  qui  il  appartient  par- 
ticulièrement iralla(|uer  cette  dernière  con- 
cupiscence. L'esprit  du  monde  est  un  es- 
prit d'orgueil,  l'esprit  ccclésiastiiiue  est  un 
esprit  d'humilité. 

Si  nous  étions  exacts  n  pratiquer  les  le- 
çons d'humilité  que  le  Fils  de  Dieu  nous  a 
laissées,  jamais  l'esprit  d'orgueil  ne  trou- 
verait entrée  dans  nos  cœurs. 

Comment  Jésus-Christ  a-t-il  parlé  à  ses 
disciples?  Celui  qui  voudra  être  le  premier 
sera  le  dernier  de  toua,  et  même  le  serviteur 
de  tous.  [Muilh.,  XX,  26.)  ^"o^là  la  seule 
place  qu'un  ecclésiastique  |)eut  rechercher, 
la  dernière  et  la  plus  humiliante.  Vouloir 
être  grand,  souhaiter  les  honneurs  ecclé- 
siastiques, faire  des  démarches  pour  les 
obtenir,  c'est  porter  jusque  dans  l'Eglise 
l'esprit  du  moide,  lequel,  comme  vous  avez 
vu,  est  un  esprit  d'orgueil. 

Couuuenl  tous  ceux  qui  ont  tant  d'ardeur 
pour  les  premières  places  ne  sont-ils  point 
elîrayés  en  considérant  qu'ils  imitent  le 
caractère  des  phatisietis,  que  Jésus-Clirist 
a  ^i  hautement  condamné? 

Voici  un  reproche  considérable  que  le 
Fils  de  Dieu  a  souvent  fait  aux.  pharisiens. 
Il  lésa  particulièrement  rej.ris  île  ce  (|u'(7s 
vouliiienl  avoir  les  preiuicres  places  dans  les 
festins,  et  les  premières  chaires  dans  les  sy- 
noyogues  ;  de  ce  quils  voulaient  être  salués 
dans  les  places  publiques,  el  être  appelés  maî- 
tres par  les  hommes.  [Matlh.,  XXI1I,6.)  C'est 
donc  inanil'estemenl  avoir  l'esprit  de  phaii- 
sien ,  ré|)rouvé  par  Jésus-Christ,  que  de 
souhaiter  les  premières  places,  que  de  faire 
des  démarches  pour  obtenir  les  premières 
chaiies. 

Celle  recherche  sup;>ose  une  bonne  ojii- 
niou  de  soi-même,  qui  n'est  pas  supporta- 
ble dans  un  minisire  de  Jésus-Christ.  C>ir 
quand  vous  désirez  celte  place  ijui  vous  met 
au-dessus  des  autres,  et  qui  vous  charge 
de  leur  coiiduile,  ou  vous  croyez  avoir  tons 
les  talents  nécessaires  pour  la  bien  remplir, 
ou  vous  ne  le  croyez  pas.  Si  vous  ne  croyez 
pas  avoir  les  talents  {)Our  vcms  acquitter 
dignement  do  l'emploi  que  vous  recherchez, 
il  n'y  a  point  de  léraéiilé  pareille  h  la  vôtre, 
el  qui  soit  plus  condamnable.  Si  vous  vous 
tlattez  (jue  vous  êtes  en  état  de  soutenir  le 
poids  de  l'emploi  que  vous  désirez,  la  bonne 
Ojtinion  que  vous  avez  de  vous-même  vous 
en  rend  indigne.  L'orgueil  dont  vous  êtes 
coupable  ne  se  peut  accorder  avec  la  qua- 
lité de  ministre  de  Jésus-Christ. 
Qu'il   y  en  a  nue  ces  aiubilieusi'S  pour- 


siastiques  !  Car  en  tiouve-t-on  beaucoup 
qui,  contents  de  leur  partage,  demeurent 
paisibloment  dans  la  condition  où  la  Provi- 
dence les  a  placés?  Ou  |)lulôl  quoi  de  plus 
commun  que  de  voir  des  hommes  qui  se 
livrent  à  l'inquiéludo.  qui  ne  sont  jamais 
satisfaits  de  leur  établissement,  et  qui  sont 
travaillés  d'un  désir  continuel  de  s'avan- 
cer? 

Celui  qui  n'a  point  de  bénéfice  ne  peut 
C(>m prendre  que  c'est  un  l)()idieur  de  n'être 
point  chargé  d'une  administration  si  dilli- 
cile  et  si  |)érilleuse  11  travaille  sans  cesse, 
il  ne  se  donne  aucun  repos,  il  n'y  a  aucun 
moyen  qu'il  ne  nielle  en  usage  pour  obtenir 
ce  qu'il  désire  avec  ardeur. 

Vous  souhaitez  un  bénéfice.  Pourquoi  le 
souhaitez-vous  ?  |)Our  vivre  commodément, 
pour  avoir  un  rangqui  vous  distingue.  Voilà 
des  vues  entièrement  opfiosées  à  celles  que 
l'on  doit  se  proposer,  (]uand  on  entre  dans 
l'état  ecciésiaslii]ue.  Lo  bénélice  que  vous 
désirez  est  un  bénélice  à  charge  d'âme. 
Autant  de  poursuites  que  vous  faites  sont 
autant  de  preuves  que  vous  donnez  de  votre 
indignité. 

Celui  qui  a  un  bénéfice  d'un  médiocre  re- 
venu, veut  en  avoir  un  qui  soit  d'un  revenu 
plus  considérable. 

Tous  ceux  qui  sont  ainsi  agités  de  dé- 
srs,  savent-ils  ce  qu'ils  souhaitent  ?  con- 
naissent-ils la  bizarerie  et  l'injustice  de 
leurs  inquiétudes  ? 

Vous  désirez  un  bénéfice  plus  considéra- 
ble que  celui  dans  lequel  vous  êtes  établi 
de|)uis  queliiue  temps  el  où  vous  pourriez 
faire  du  fruit,  si  vous  vouliez  travailler  à 
la  sanctilicalion  du  peuple  qui  vous  est 
confié,  c'est-à-diri;  qu'étant  déjà  chargé 
d'un  fardeau  qui  est  au-dessus  de  vos 
forces,  vous  en  souhaitez  un  autre  plus 
lourd,  dont  la  pesanteur  vous  accablera. 

Car  si  vous  venez  à  bout  de  vos  souhaits, 
quel  sujet  n'avez-vous  pas  do  craindre? 
Dieu  que  vous  irriiez  par  votre  avidité, 
vous  accordera-t-il  les  grâces  qui  vous  sont 
nécessaires  pour  remplir  votre  ministère? 
Que  deviendrez-vous  lorsque,  justement 
abandonné  de  Dieu  en  punition  de  vos  infi- 
délités, vous  aurez  de  grandes  obligations 
à  remplir?  V^ous  sentez-vous  assez  de  force 
pour  y  satisfaire?  Hélas!  faible  et  inutile 
instrument,  que  pourrez-vous  lorsque  Dieu 
ne  vous  soutiendra  pas  ?  Et  sur  quel  Ibnde- 
nient  pouvcz-vous  es))érer  que  Dieu  vous 
soutiendra,  lorsque  vous  transgressez  les 
lois  justes  qu'il  a  établies?  J'ai  donc  eu  rai- 
son de  vous  (lire  que  vous  auriez  un  grand 
fardeau  h  porter  et  (jue  vous  en  seriez  ac- 
cablé, parce  que  vous  n'auriez  point  irms  les 
secours  nécessaires  [)Our  en  soutenir  le 
j)oids. 

Un  ecclésiastique  pénétré  de  ces  vérités 
demeure  tranquillement  dans  sou  état. 
Quel  que  soit  l'emploi  dans  lequel  il  est  en- 
gagé, il  ie  irouve  toujours  au-dessus  de  ses 
forces  et  de  ses  mérites,  et  ainsi  il  est  très- 
éloigné  d'en  désirer  un  autre.  I!  prend  garde 


999 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1000 


fiirtont  (\(i  ne  point  prévenir  les  ordres  do 
la  Providence  par  des  inquiétudes  crimi- 
nelles el  pnr  des  poursuites  ambitipusi>s. 
ïl  demeure  donc  fprme  dans  sa  condition, 
jusqu'<i  ce  que  le  Seigneur  qui  l'a  placé  l'en 
retire.  II  travaille  selon  ses  forces.  Les  om- 
plois  plus  élevés  le  font  tremblrr  :  el  il  s'es- 
lime  heureux  que  Dieu  no  lui  demande  pas 
d'.iulres  preuves  de  sa  fidélité. 

Voilh  ce  que  j'avais  h  vous  dire  pour 
vous  faire  connaître  quel  est  l'esprit  ecclé- 
siastique, et  quel  est  l'esprit  du  monde  en- 
t'èiemenl  opposé  h  l'esprit  ecclésiasti- 
que. C'est  h  vous  d'examiner  sérieusement 
devant  Dieu  lequel  de  ces  deux  esprits  est 
en  vous. 

Vous  pouvez  aisément  le  connaître  par  les 
rairques  que  je  vous  ai  apportées  pour  les 
discerner.  L'esprit  ecclésiastique  est  un  don 
de  Dieu,  par  le  moyen  duquel  aous  aimons 
les  fonctions  de  notre  état.  Airnez-vous  les 
fondions  de  l'état  ecclésiasiique?  Eles-vous 
entré  dans  l'Eglise  avec  un  dessein  sérieux 
«le  la  servir?  Des  liommes  prudents  et  sages 
que  vous  devez  avoir  consultés  ont-ils  recon- 
nu en  vous  quelques  talents  |>our  servir 
l'Eglise?  Confessez  la  vérité  que  Dieu  con- 
naît et  que  vous  ne  pouvez  lui  cacher.  Quand 
vous  6tes  er-tré  dans  l'état  ecclésiastique 
rien  n'a  été  plus  éloigné  rte  votre  esprit  que 
le  dessein  d'ôir^  utile  h  l'Eglise,  et  c'^-st  h 
quoi  vous  n'avez  jamais  pensé.  Vous  voilà 
donc  ministre  du  Seigneur,  el  il  est  constant 
que  son  Esprit  n'est  point  en  vous. 

Si  l'on  ne  reconnaît  point  en  vous  les  ca- 
raclères  de  l'esprit  ecclésiasiique,  voyez  si 
V(jus  n'y  remaripiez  point  les  signes  nial- 
heureux  de  l'esprit  du  monde.  Qu'aimez- 
vous?  La  vie  molle  el  inoccu[)ée.  L'Eglise 
a  des  emplois  qui  sont  pénitjles.  Elle  a  des 
fc'icltesses  et  des  honneurs.  De  (out  cela 
qu'est-ce  qui  vous  a  louché?  quel  a  été  le 
motif  de  la  résolution  que  vous  avez  prise 
d'embrasser  l'élat  ecclésiastique  ?  Vous  n'a- 
vez jamais  senti  en  vous  que  beaucoup  d'a- 
version pour  la  peine.  Les  honneurs  et  les 
richesses  de  l'Eglise;  voilà  ce  que  vous  avez 
considéré.  Voilà  le  point  précis  auquel  vous 
vous  ôtes  arrêté  pour  former  votre  résolu- 
tion. Il  n'est  donc  que  tro|)  clair  que  l'es- 
prit du  monde  est  en  vous,  c'est-à-dire 
(|ue  vous  entrez  dans  l'Eglise  malgré  elle, 
qu'elle  vous  déteste,  et  qu'elle  ne  peut  vous 
supporter  au  rang  de  ses  ministres.  Com- 
ment croyez-vous  que  celte  témérité  sera 
punie?  El  comment  ne  craignez-vous  point 
d'irriter  Jésus-Christ,  l'époux  de  l'Eglise, 
qui,  |)renant  les  intérêts  de  son  épouse,  ne 
manquera  pas  de  venger  un  jour  les  outra- 
ges que  vous  lui  faites  ? 

Travaillez  sérieusement  à  réparer  l'olTense 
que  vous  avez  faite  à  l'Eglise;  travaillez  à 
apaiser  Jésus-Christ.  Vous  ne  {)ouvez  le 
faire  qu'en  vous  dépouillant  de  l'esprit  du 
monde,  et  en  vous  revêtant  de  l'espril  ec- 
clésiastique. Fasse  le  ciel  que  vous  deveniez 
de  dignes  ministres  de  Jésus-Christ,  vérita- 
blement animés  de  son  Esprit.  Lors'.]ue  vous 
eu  serez  pénétrés,  vous  travaillerez  à   en 


remplir  les  autres":  et  Jésus-Christ  pour 
récompenser  votre  fidélilé,  vous  fera  la 
crAce  de  se  donner  à  vous  pendant  toute, 
l'élcrnité. 

DISCOURS  IV. 

DE    LA    SAINTETli     DE    l'ÉTAT    ECCLÉSIASTIQUE. 

Il  est  très-ordinaire  dans  le  monde  de 
trouver  des  hommes  qui  veulent  bien  em- 
brasser un  état,  parce  qu'il  est  commode, 
mais  qui  ne  veulent  point  en  remplir  les 
obligations,  parce  qu'ils  ne  le  peuvent  faire 
sans  se  contraindre.  El  c'est  ce  que  les 
hommes  regardent  comme  un  joug  qu'ils  ne 
peuvent  se  résoudre  à  porter. 

Ainsi  plusieurs  se  font  ecclésiastiques. 
Mais  qu'envisagent-ils,  lorsqu'ils  s'engagent 
dans  cette  sainte  condilion?  Ils  sont  tVï^s- 
allentifs  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  commode 
dar)S  l'état  ecclésiastique.  La  dignité,  le 
rang,  les  biens  temporels,  le  repos,  la  tran- 
quillité, tout  cela  a  pour  eux  de  très-grands 
charmes,  et  c'est  uniquement  ce  qu'ils  con- 
sidèrent. Quant  aux  obligations  de  l'étal  ec- 
clésiastique, il  y  en  a  très-peu  qui  les  con- 
naissent ;  et  de  ceux-là  môme  qui  en  sont 
instruits,  on  en  voit  un  Irès-peiit  nombre 
qui  aient  assez  de  zèle  pour  satisfaire  à  tous 
leurs  devoirs. 

Mais  qu'est-ce  qu'embrasser  l'élat  eeclé- 
siastique,  et  n'en  point  remplir  les  obliga- 
tions? n'est-ce  pas  vivre  dans  une  révolte 
continuelle?  n'est-ce  pas  irriler  Dieu? 
n'est-ce  pas  s'exposer  manifestement  à  être 
frappé  de  ses  plus  terribles  coups?  Si  l'on 
connaissait  combien  Dieu  détesie  les  ec- 
clésiastiqui  s  qui  s'égarent,  on  craindrait 
davantage  de  tomber  <lans  ses  mains  ven- 
geresses, el  il  y  en  aurait  sans  doute  un 
grand  nombre  qui  seraient  arrêtés  par  la 
juste  appréhension  qu'ils  auraient  d'éprou- 
ver les  effets  les  {)lus  terribles  de  la  colère 
du  Seigneur. 

O  vous  qui  songez  en  ce  jour  à  vous  en- 
gager dans  la  milice  sacrée,  ne  le  faites  point 
en  téméraires  ;  ouvrez  les  yeux,  el  voyez. 
Considérez  ce  que  Dieu  demande  d'un  ec- 
clésia>tique  vertueux  ,  n'avancez  pas  davan- 
tage que  vous  n'ayez  fermement  résolu  d'o- 
béir à  Dieu,  et  de  remplir  avec  exactitude 
les  devoirs  importants  de  la  plus  sainte  de 
toutes  les  conditions. 

Mon  dessein  dans  ce  discours  est  do  vous 
expliquer  un  devoir  essentiel  de  l'état  ec- 
clésiastique, qui  est  de  mener  une  vie  sainte 
et  proportionnée  à  la  sainteté  de  ce  su- 
blime état. 

Je  puis  d'abord  établir  cette  proposition 
générale.  Un  ecclésiasiique  doit  être  saint, 
et  il  ne  doit  rien  y  avoir  dans  sa  conduite 
qui  n'inspire  la  sainteté,  d'où  je  c(mclus  que 
la  première  résolution  de  celui  qui  s'eng.ige 
dans  l'élat  ecclésiastique  doit  être  de  tra- 
vailler sans  cesse  à  se  sanctifier,  et  de  no 
faire  aucune  action  qui  ne  soit  conforme  à 
la  sainteté  de  son  élat. 

Tout  ce  discours  sera  donc  employé  à  vous 
faire  voir  qu'un  ecclésiasiique  doit  être 
saint   dans  toute  sa  conduite.  Dans  la  pre- 


1001  REiJUlTR  ECCL.  -   IV,  SAI.NTRTF  ECCF.ESIAST. 

mière    partie  i'o  voua   monlrcnii   combien 


1002 


e;<iiU  ibrles  les  raisons  (jui  olili^^enl  les  oc 
(-lésiasliqnes  h  ô!re  des  sninls.  Dans  la  se- 
(ondo  partie  je  vous  expliquerai  en  quoi 
(onsisle  celle  sainteté  si  essentielle  aux  ec- 
clésiastiques. 

PREMIER    POINT. 

Pour  vous  faire  connaître  quel  doit  être 
un  ecclésiastique,  et  quelle  sainteté  il  faut 
avoir  pour  soutenir  la  qualité  émiiiente  do 
ministre  des  saints  autels,  nous  nous  ser- 
virons de  deux  voies. 

La  première  sera  une  voie  de  comparai- 
son. Nous  comparerons  l'état  ecclésiasti(|Uô 
avec  d'aulri'S  éiars  qui  demandent  une 
grande  sainteté.  Cependant  il  sera  aisé  de 
vous  faire  voir  cjti'un  ccclésiaslique  doit 
surmonter  en  sainteté  ceux-là  n)ôme  qui 
ne  se  peuvent  conduire  dignement  dans 
l<'ur  état,  à  moins  qu'ils  ne  soient  très- 
saints. 

Après  nous  être  servis  de  cette  voie  de 
comparaison,  nous  considérerons  l'étal  ec- 
clésiastique en  lui-même.  La  vue  d'un 
état  si  saint  nous  fournira  encore  des  preu- 
ves plus  puissantes,  pour  faire  voir  que 
l'on  est  absolument  indigne  d'un  rang  si 
élevé,  à  moins  »iue  l'on  ne  mène  une  vie 
Irès-sainle. 

Je  commencerai  par  comparer  fe  minis- 
tère de  la  loi  nouvelle  avec  le  ministère  de 
la  loi  ancienne,  et  voici  en  deux  paroles 
toute  !a  force  de  mon  raisonnement. 

Dieu  voulait  que  les  prôlres  de  la  loi  an- 
cienne fussent  très-saints  :  cependant  les 
p-èlres  de  la  loi  nouvelle  sont  obligés  d'ê- 
tre beaucoup  plus  saints  que  les  prêtres  de 
la  loi  ancienne.  Autant  que  la  loi  nouvelle 
est  au-dessus  de  l'ancienne  loi,  autant  la 
saintetédesmiiiislresdelaloi  nouvelle  doil- 
ellesurpasser  la  sainteté  des  ministres  de  la 
!oi  antienne.  Apprenons  donc  avecsoin  quels 
H'evaient  être  les  prèlres  de  l'Ancien  Testa- 
ment ;  il  nous  sera  aisé  après  cela  de  nous 
juj^er  nous-mêmes,  etde  prononcer  quel  doit 
èi-re  celui  à  qui  Dieu  fait  la  grâce  de  l'établir 
au  rang  de  ses  ministres. 

C'est  Dieu  qui  parle  et  qui  déclare  à  Moïse, 
son  serviteur,  la  sainteté  que  doit  avoir  ce- 
\u'\  qui  approcbe  de  ses  autels. 

Le  Seigneur  dit  à  Moïse  :  Parlez  auz  pré- 
Ires  enfatUs  d'Anron  ,  et  voici  les  paroles  que 
TOUS  leur  adresserez.  Ils  se  conserveront 
saints  et  purs  pour  leur  Dieu,  et  ils  ne  souil- 
leront point  son  nom,  car  ils  présenltat  l'en- 
cens du  Seigneur,  et  ils  offrent  les  pains  qui 
sont  consacrés  à  Dieu.  C'est  pourquoi  ils  se- 
ront saints.  Ils  offrent  les  pains  qu'on  ex- 
pose devant  Dieu  ,  qu'ils  soient  donc  saints  , 
parce  que  je  suis  saint  moi-même,  moiqaisuis 
le  Seigneur  qui  les  sanctifie.  (Levit.,  X,  1,  C.J 

Toules  les  paroles  que  vous  venez  d'en- 
tendre sont  les  paroles  du  Seigneur  même 
ijui  explique  sa  volonté  à  Moïse,  et  qui  lui 
ordonne  de  déclarer  aux  prèlres  les  dispo- 
sitions qu'il  veut  essentiellement  liouver 
en  eux. 

J'observe    iireraièrement   qu'en   très-oeu 

Orateurs  sacrés.  LWIU. 


di>  paroles,  il  réj)ète  jusqu'à  trois  fois  : 
Qu  ils  soient  saints.  C'esl  (ionc  une  marque 
(|uo  celte  sainteté  est  absolument  nécessaire 
aux  minisires  du  Seigneur,  et  ([ue  Dieu  n'en 
veut  jioint  d'autres  au  rang  de  ses  minis- 
tres que  ceux  qui  sont  sàinls. 

Je  remarque  en  second  lieu  pourfjuoi  il 
veut  que  ses  ministres  soient  sainis  ,  c'est  , 
dit-il,  qu'j75  offrent  l'encens  du  Seigneur  , 
c'est  qu'ils  présentent  les  pains  qu'on  expose 
devant  Dieu.  La  conséquiMice  est  facile  à  ti- 
rer. Il  fallait  avoir  une  grande  sainlelo  pour 
offrir  à  Dieu  de  l'encens  dans  l'ancienne  loi ,, 
il  f.illait  avoir  une  gra'ide  sainteté  pour 
présenter  h  Dieu  les  pains  de  proposition. 
Ouelle  sainteté  ne  faul-il  pas  avoir  fiour 
offrir  à  Dieu  ce  qui  est  si  fort  nu-dessus  de 
l'encens  de  l'ancienne  loi  et  des  f)ains  do 
proposition  ? 

Mais  voici  ma  troisième  observation.  Si 
celte  sainteté  ne  se  rencontre  point  dans  les 
ministres  du  Seigneur  ,  qu'arrivera-l-il  ?  Ils 
souilleront  son  nom.  lis  seront  donc  coupa- 
bles d'une  grande  prévarication.  Car  il  se- 
rait dilHcile  d'imaginer  rien  de  plus  énorine, 
ni  qui  dé|)laise  à  Dieu  davantage  que  do 
souiller  son  n)ni  (|ui  esl  la  saiii>.'lé  même. 
Son  nom  est  saint  et  redoutable.  0  mon  âme  , 
bénis  le  Seigneur  ,  et  que  tout  ce  qui  est  en 
moi  loue  son  saint  nom.  [Psul.  CX,  9;  GII,  1.) 

Après  ce  que  vous  venez  d'entendre  , 
pouvez-vous  douter  que  le  Seigneur  ne  de- 
mande une  grande  sainlelé  dans  les  minis- 
tres de  la  loi  nouvelle.  Autant  que  le  minis- 
tère de  la  loi  nouvelle  est  au-dessus  du  mi- 
nistère de  l'ancienne  loi,  autant  est-il  né- 
cessaire que  les  ministres  do  Jésus-Clirisf. 
surpassent  en  sainlelé  les  minisires  do  l'An- 
cien Testament. 

Appliquez-vous  donc  à  vdus-mêmes,  mi- 
nistres de  Jésus-Glirist ,  toutes  les  paroles 
que  vous  venez  d'entendre.  Vous  serez  con- 
vaincus que  Dieu  veut  que  vous  soyez 
saints.  Vous  serez  convaincus  que  ce  que 
vous  offrez  au  Seigneur  vous  oblige  à  vivre 
dans  une  grande  sainteté;  vous  serez  en- 
fin persuadés  que  si  vos  mcfiurs  ne  sont  pas 
pures  et  innocentes,  vous  souillez  le  plus 
saint  de  tous  les  caractères  dont  un  homme 
puisse  être  honoré. 

Après  avoir  comparé  les  prêtres  de  la  loi 
nouvelle  avec  les  prêtres  do  la  loi  ancienne 
pour  vous  faire  voir  quelle  doit  êlre  la  sain- 
teté des  minisires  do  Jésus-Christ,  nous  al- 
lons présentement  les  comparer  encore 
avec  les  simples  fidèles,  et  voici  quelle  sera 
la  force  de  ce  nouvel  argument.  Quiconque 
esi  honoré  du  nom  de  chrétien  doit  êlre 
saint.  Les  [irêtres  étant  élevés  au-dessus 
des  autres  chrétiens  par  leur  caractère, 
doivent  aussi  les  surmonter  par  la  sainteté 
de  leur  vie. 

Uélasl  ne  [evcrrons-nous  Jamais  ces 
ours  heureux  oii  tous  les  chrétiens  étaient 
appelés  des  sainis  ?  Saint  Paul  les  nommait 
ainsi  dans  ses  E()îtres,  Quand  il  adressait 
ses  letlres  aux  saints  de  Corinthe,  aux  saints 
de  Jérusalem,  il  parlait  à  tous  les  chrétiens. 
Le  seul  nom  d^;  chréli  ■!!   nou's   (ddi^je  dond 

32 


1003 


ORATEUUS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


UM 


i\  élre  (les  saints.  Si  vous  ajoutez  h  celte 
obligation  colle  que  nous  impose  le  carac- 
tère de  prêtre,  nous  voilà  encore  plus  obli- 
i^t^s  h  nous  observer  et  à  régler  nos  mœurs 
avec  tant  de  précaution,  que  nous  puissions 
être  appelés  des  saints. 

Un  [trôtre  tloil-êlre  plus  saint  que  les  au- 
tres cliiétiens,  un  pasteur  qui  conduit  un 
troupeau  doit-être  plus  s.iinl  que  les  brebis 
de  son  troupeau.  Dieu,  dit  excellemment 
saint  (irégoire  de  Nazianze  ,  a  voulu  que 
dans  son  Eglise  il  y  en  eût  à  qui  il  appartient 
de  conduire  le  troupeau,  ei  qu'il  y  en  eût 
d'autres  qui  sont  nés  pour  obéir  et  pour  se 
laissorcon;luire(4-5).  C'est  h  peu  prèscequ'on 
remarque  dans  le  corps  humain.  L'homme 
esl  composé  de  parties,  dont  les  unes  sont 
chargées  de  gouverner,  les  autres  sont  sou- 
inisés  et  ne  sont  dans  l'ordre  qu'autant 
qu'elles  obéissent.  Ceux  qui  commandent 
sont  à  l'égard  de  ceux  qui  obéissent  ce  qu'est 
l'Ame  à  l'égard  du  corps.  Mais  pour  exer- 
cer dignement  cet  empire ,  dans  quelle  dis- 
position faut-il  être  ?  Ceux-là  seulement , 
dit  saint  Grégoire,  méritent  d'avoir  les  pre- 
mières places  dans  l'Eglise  qui  surpassent 
les  autres  par  leur  vertu,  qui  sont  deve- 
nus les  amis  de  Dieu,  et  qui  sont  avec  lui 
dans  une  liaison  si  étroite,  que  l'on  |)eut 
«lire  qu'ils  sont  dans  une  espèce  de  fami- 
liarité avec  Dieu. 

Saint  Ambroise  explique  aussi  d'une  ma- 
nière bien  claire  et  bien  louchante  cette 
nécessité  où  sont  les  pasteurs  de  se  distin- 
guer du  commun  des  fidèles  par  l'excellence 
de  leur  vertu.  11  commence  par  proposer 
l'exemple  des  anciens  philosophes  ,  et  il  dit 
que  ces  premiers  sages  avaient  cette  opi- 
nion, qu'ils  devaient  s'élever  au-dessus 
des  autres  par  la  pratique  de  la  vertu.  Saint 
Ambroise  prétend  que  ces  pliilosojihes 
avaient  f)risces  nobles»  idées  dans  la  lecture 
des  livres  saints  (46).  C'est  là  que  l'on  ob- 
serve que  le  peuple  demeure  au  bas  de  la 
montagne,  que  les  prêtres  montent  en  haut 
de  la  montagne,  et  q^iie  Moïse  seul  entre 
dans  la  nuée.  Une  distinction  si  marquée 
doit  être  observée  avec  soin.  C'est-à-dire 
que  les  prêtres  doivent. être  essentiellement 
séparés  du  peuple.  Comment  séparés?  Par 
la  sainteté  de  leur  vie ,  par  la  régularité  de 
leur  conduite,  par  la  gravité  de  leurs  mœurs. 
La  dignité  de  prêtre  est  un  poids  ,  elle  im- 
f)0se  de  grandes  obligations.  Celui  qui  en 
est  honoré  doit  surtout  veiller  sur  lui-mê- 
me ,  il  doit  faire  en  sorte  que  la  sainteté  de 
sa  vie  réponde  à  l'élévation  de  sa  dignité? 
Comment  le  peuple  respectera-t-il  un  prê- 
tre en  qui  il  ne  remarque  rien  qui  attire  son 
respect? 

Le  peuple  ne  voit  en  cel  homme  que  Irès- 
l»eu  de  vertu ,  il  y  observe  au  contraire  des 
'léiauts  considérables.  Par  là  le  caractère 
du  prêtre  est  méorisé.  Si  le  peuple  esl  en 

(45)  Orat.  I,  p.  2. 

(4ti)  «  Vides  il)  sacerdotibus  nihil  plebeium  re- 
quiii  :  quoirodu  eiiiih  polest  observari  a  populo 
qui  uiliil  liubet  secrelum  a  populo.  »  (Lib.  Ill,epi$r. 


fiiute,  te  prêtre  esl  encore  beaucoup  pius 
criminel.  Si  le  plus  saint  de  tous  les  carac- 
tères est  avili  en  sa  personne,  qu'il  s'en 
prenne  à  lui-même,  à  sa  négligence,  el  aux 
dérèglements  de  ses  mœurs. 

C'est  donc  par  l'éclat  de  ses  vertus  qu'un 
prêtre  doit  être  parliculièrcment  élevé  au- 
dessus  dos  autres.  Un  pasteur  a  lieu  de  so 
faire  des  re|)roclies  à  lui-même,  lorstju'il 
en  remarque  dans  son  troupeau  qui  sont 
plus  exacts,  plus  zélés,  plus  attentifs  à 
leurs  devoirs  que  lui.  Le  posleur  qui  de- 
vrait exciter  les  autres  a  besoin  lui-même 
d'être  animé.  Pendant  qu'un  pasteur  lan- 
guit dans  la  mollesse,  c'est  un  homme  rus- 
tique ,  c't'St  une  sim[)le  femme  l  qui  par  la 
ferveur  de  son  zèle  entretiendra  dans  une 
paroisse  l'esprit  de  piété.  Est-ce  là  marcher 
à  la  têle  du  troupeau  ,coiiimn  un  pasteur 
y  est  essentiellement  obligé?  Bien  loin  qu'un 
tel  pasteur  marche  à  la  tête  des  autres,  il 
n'est  que  trop  vrai  de  dire  qu'aux  yeuxde 
Dieu,  il  est  le  dernier  de  tous.  Ce  n'est 
donc  rien  d'être  le  premier  par  son  carac- 
tère, à  moins  qu'on  ne  le  soit  par  ses  ver- 
tus. Plus  votre  caractère  vous  élève,  plus 
vous  vous  dégradez  vous-même  ,  lorsque 
vous  no.  soutenez  point  la  noblesse  de  vo- 
tre rang  par  une  vie  brillante  et  remplie  de 
bonnes  œuvres. 

Quand  le  prêtre  se  compare  aux  autres, 
et  qu'il  se  voit  élevé  au-dessus  d'eux  par 
l'éminence  de  sa  dignité  <  il  en  doit  llrer 
cette  conséquence,  qu'il  est  Irès-étroite- 
nienl  obligé  de  vivre  dans  une  grande 
sainteté  ;  mais  quand  le  [irêlre  rentrera  en 
lui-même,  quand  il  fera  altenlion  à  la 
sainteté  de  son  caraclère,  que  de  motifs 
pressants  pour  lui  faire  reconnaître  l'obli- 
gation qu'il  a  de  se  sanctifier.  C'est  la  se- 
conde voie  dont  je  me  suis  proposé  de  me 
servir  pour  vous  faire  voir  que  la  vie  d'un 
prêtre  doit  être  éminente  en  sainteté. 

Tout  est  saint  dans  un  prêtre.  Son  carac- 
tère est  saint.  Ses  fonctions  sont  saintes.  La 
première  condition  pour  les  bien  exercer, 
;'esi  de  vivre  dans  une  grande  sainteté. 

Qu'est-ce  qu'un  prêtre?  C'est  le  ministre 
du  Très-Haut.  C'est  le  ministre  de  celui 
qui  est  la  sainteté  même.  Saint ,  saint , 
saint  est  le  Seigneur  des  armées,  (ha.,  VJ , 
3.)  Il  faut  qu'il  y  ait  de  la  proportion  en- 
tre le  maître  et  le  ministre.  Le  maître  est 
très-saint,  si  le  ministre  n'est  pas  saint, 
sera-t-il  digne  de  le  servir?  C'est  aux  prê- 
tres à  qui  Dieu  adresse  particulièrement 
ces  [)aroles  :  Soyez  saints ,  parce  que  je  suis 
saint.  (Levit.,  XI,  43.)  Soyez  saints,  parce 
que  celui  que  vous  servez  est  très-saint. 

Qu'est-ce  qu'un  prêtre  ?  C'est  le  vicaire 
de  Jésus-Christ.  Le  saint  concile  de  Trente 
dit  que  Jésus-Christ  a  laissé  les  prêtres  suv 
la  lerre  comme  ses  vicaires  (47). 

Un  prêtre  est  le  vicaire  de  Jésus-Christ , 

(ïl)  t  Sacerdoies  sui  ipsius  vicarios  reliqiiii.  > 
(S_ss.  \l,  c.  5.) 


1005 


RETRAITE  EGCL.  —  IV,  SAINTETE  ECCLESIAST. 


1000 


c'esl-à-dire  qu'un  prêtre  lient  la  place  de 
Jésus-Christ  sur  la  terre,  qu'il  doit  repré- 
seiiier  Jésus-Christ.  Ah  !  quel  l'ardeau.  Ah  1 
qu'il  est  pesant.  Ah  I  qu'il  impose  de  gran- 
des obligations.  Peut*on  être  un  digne  vi- 
caire de  Jésus-Christ,  peul-on  représenliT 
Jésus-Christ ,  à  moins  (ju'il  n'y  ait  quelque 
eonformilé  entre  nos  mœurs  et  celles  de 
Jésus-Cliristi  Oii  Irouvorez-vous  celte  ima- 
ge et  cette  représentation  de  Jésus-Christ , 
dans  la  vie  d'un  jirêlre  qui  n'est  point 
saint?  Jésus-Christ  zélé  pour  la  gloire  de  son 
Père,  Jésus-Christ  pauvre,  Jésus-Christ 
patient  ,  Jésus-Christ  plein  de  sagesse, 
Jésus-Christ  passant  les  jours  dans  la  peine, 
et  dans  un  travail  continuel,  voilà  celui 
dont  vous  êtes  établis  les  vicaires,  en  mô- 
me temps  que  vousôtes  revôlusdu  caractère 
de  prêtre. 

Vous  êtes  faiis  vicaires  de  Jésus-Christ 
pour  exercer  ses  fonctions.  Quoi  de  plus 
saint  que  les  fonctions  d'un  prêtre!  Quoi 
de  plus  hardi  que  do  s'appliquer  à  ces 
saintes  fonctions,  sans  avoir  auparavant 
travaillé  à  se  sanctifier. 

Saint  Ghrysoslome  soutient  que  les  fonc- 
tions d'un  prêtre  sont  si  saintes  et  si  éle- 
vées, que  pour  les  bien  remplir  il  faudrait 
être  au  rang  des  anges.  Il  apfielle  le  minis- 
tère des  prêtres,  un  ministère  d'ange  ,  c'est- 
à-dire  qui  convient  à  des  anges  plutôt  qu'à 
des  hommes.  Et  c'est  sans  doute  la  même 
idée  que  le  saint  concile  de  Trente  a  suivie* 
quand  il  a  enseigné  que  la  charge  de  celui 

2ui  est  établi  pour  conduire  Tes  autres 
lait  un  fardeau  dont  les  anges  mêmes  re- 
douteraient la  pesanteur  (5k8). 

Un  prêtre  eierce  le  ministère  d'un  ange. 
Quelle  conséquence  en  lire  suint  Chrysos- 
loiiie?  C'est  qu'un  prôlre  doit  vivre  sur  la 
terre  comme  s'il  était  déjà  au  milieu  des 
esprits  bienheureux  (Wj. 

Un  prêtre  est  donc  obligé  de  vivre  sur  la 
terre  par  la  misère  de  sa  condition  ,  mais  il 
ne  doit  plus  avoir  aucune  inclination  terres- 
tre à  cause  de  l'état  sublime  auquel  il  est 
élevé.  Uh  prêtre  est  un  homme  qui  doit 
mener  une  vie  angélique  dans  un  cor[)S 
mortel.  Il  ne  doit  plus  vivre  comme  un 
iiomrae,  quoiqu'il  soit  parmi  des  hommes. 
Il  doil  être  dégagé  «les  liens  de  la  corrup- 
tion, quoiqu'il  soit  au  milieu  de  la  cor- 
ruption. S'il  n'est  parvenu  à  cette  élévation, 
il  n'est  point  eu  état  d'exercer  le  ministère 
des  anges. 

Parcourerons-nous  ici  les  saintes  fonc- 
tions d'un  prêtre,  il  n'y  en  a  aucune  qui 
ne  soit  éminenle  en  sainteté. 

Arrêtons-nous  à  une  seule  avec  saint 
Chry.«oslome  ,  et  considérons  un  prftire  à 
l'uuiol. 

Pour  lors,  dit  saint  Ghrysoslome,  lorsqu'il 
invoque  le  Saint-Esprit,  lorsqu'il  ollre  le 
sacritice  terrible,  lorsqu'il  tient  long- 
temps entre  ses  mains  le  Soigneur  de  tout 
le  monde,  je  vous  demande  en  quel  rang 


nous  le  devons  mettre,  à  quelle  pureié, 
et  à  quelle  dévotion  nous  lo  devons  obli- 
ger (50). 

Saint  Chrysostome  ne  trouve  rien  de  plus 
grand  ,  ni  de  plus  saint  que  d'olfrir  Jésus- 
Christ.  Il  est  très  è  remarquer  que  le  prêtre 
dans  cette  sainte  action  tient  long-temps 
Jésus-Christ  môme  entre  ses  mains.  Voilà 
ce  qui  fiit  que  les  expressions  manquent 
à  saint  Chrysostome,  quand  il  est  ques- 
tion d'ex})liquer  la  pureté  qu'il  faut  avoir 
pour  exercer  dignement  un  si  saint  minis- 
tère. 

Saint  Chrysostome  continue.  Il  entre 
dans  un  plus  grand  détail,  et  soutient  que 
tout  ce  qui  est  dans  le  prêtre  doit  être 
saint,  parce  que  tout  ce  qui  est  dans  lui 
a  parla  la  plussainle  de  toutes  les  oblations. 
Ses  mains  doivent  être  pures.  Il  a  déjà  dit 
qu'elles  tienneiltet  qu'elles  touchent  Jésus- 
Christ.  Quelle  pureté  né  doit  pas  avoir  sa 
langue,  puisque  c'est  elle  qui  prononce 
des  paroles  mystérieuses,  qui  sont  si  saintes 
et  qui  ont  tant  de  force.  Son  âme  surtout 
doit  exceller  en  pureté,  autrement  com- 
menl  pourrait-elle  servir  de  temple  et  de 
demeure  à  l'Esprit  divin  ?  Les  anges  par 
leur  présence  animent  le  prêtre,  et  lui  font 
voir  qu'il  faut  pres(pie  les  égaler  en  pureté 
pour  6t^e  de  dignes  ministres  du  redoU'^ 
table  sacrifice.  Saint  Chrysostome  prétend 
que  les  anges  y  assistent,  que  le  lieu  le 
plus  proche  de  l'autel  est  tout  rempli  de 
ces  puissances  célestes,  (jui  viennent  rendre 
honneur  à  celui  qui  est  sur  l'autel.  Donc 
la  seule  fonction  d'otfrir  le  sacrifice  de- 
mande dans  les  prêtres  une  éminenle  sain- 
teté. 

Le  prêtre  a  encore  bien  d'autres  fonc- 
tions et  d'aulres  em()lo!S,  qu'il  no  peut 
exercer  dignement,  à  moins  qu'il  ne  se  soit 
rendu  agréable  à  Dieu  par  la  sainteté  de  sa 
vie. 

C  est  une  essentielle  obligation  pour  un 
prêtre  d'attirer  les  grâces  de  Dieu  sur  le 
peuple.  Voilà  pourquoi  il  esl  dit  que  les 
prêtres  sont  les  médiateurs  entre  Dieu  et 
le  peuple.  Qu'est-ce  à  dire  médiateurs  ? 
C'est  que  les  prêtres  f)ar  leur  caractère  sont 
obligés  de  prier  pour  le  [)euple.  C'est  à 
eux  de  demander  grâce  pour  le  peuple.  C'est 
à  eux  d'apaiser  la  colère  de  Dieu  qu;ind  il 
est  irrité  contre  son  peuple.  Tout  cela 
suppose  qu'un  prêtre  est  agréable  à  Dieu  ; 
qu'il  est  en  état  d'olfrir  des  prières  que 
Dieu  exauce;  que  f)ar  la  sainteté  de  sa  vie 
il  a  mérité  d'être  de  ceux  que  Dieu  consi- 
dère comme  ses  bons  et  fidèles  serviteurs. 
Un  prêire  criminel  esl-il  en  état  de  secourir 
le  peuple  dansses  fvressants  besoins  ?  Quelle 
grâce  obiiendra-l-il  ?  Ses  prières  ne  sont- 
elles  pas  plulôt  capables  d'irriter  Dieu  que 
de  l'apaiser?  Ecoutez  saint  Grégoire  pape, 
et  prenez  garde  aux  termes  dont  il  se  serl 
pour  expliquer  celle  imporlante.vérilé. 

Avec  quelle  contiance,  dilsaitil  Grégoire, 


(18)  «  Oiius  angellcls  humeris  formidandum. 
(Scss.  6,  Derefor.,  cl.) 


(49)  Lib.  m  De  saccrdolio,  c.5 

(50)  Lib.  VI  Ue  iCMrdoltOi 


1007 


ORATEURS  SACRES.  JOSEl'Il  LAMBEjn, 


ir-as 


(!eiuaiidurai-je  grâce  en  faveur  des  autres, 
si  je  me  sens  inoi-mêiiie  criminel  ?  Si  quel- 
qu'un voulait  m'employer  pour  ôlre  son 
intercesseur  auprès  d'un  homme  qui  serait 
irrité  contre  moi,  cl  auprès  duquel  je  n'au- 
rais aucun  accès,  je  lui  répondrais  que  je 
ne  puis  point  intercéder  pour  lui,  parce qne 
je  suis  inconnu  à  celui  auprès  duquel  il 
veut  que  je  m'emploie  (51).  Si  donc  je  re- 
fuse avec  raison  de  m'employer  auprès 
d'un  homme,  lorsque  je  ne  puis  pas  me 
répondre  que  j'aie  quelque  crédit  auprès 
de  lui,  ne  serait-ce  pas  en  moi  une  grande 
témérité  que  d'entreprendre  déparier  pour 
le  peuple,  lorsque  je  sais  que  je  n'ai  point 
n)ené  une  vie  assez  sainte  pour  me  [)résen- 
ler  devant  Dieu,  et  lui  parler  en  faveur  de 
sou  peuple  ?  Il  faut  pourtant  le  faire  dès 
le  moment  que  vous  êtes  prêtre.  Le  [)euple 
adroit  de  vousdemanderque  vous  priiez  pour 
lui.  C'est  ce  que  vous  ne  pouvez  exécuter 
odicaceaient  si  votre  vie  n'est  sainte.  Tirez 
vous-même  la  conséquence  ,  et  voyez  de 
(juelle  nétessilé  il  est  que  v(>us  soyez 
saint  dès  le  moment  que  vous  êtes  prô- 
ire. 

Prêtres  du  Seigneur,  y  songoz-vous  1  Et 
vous  que  je  vois  courir  dans  le  sanctuaire 
avec  tant  de  précipitation,  êtes-vous  assez 
purs  pour  exercer  la  sainte  fonction  do 
médiateur  entre  Dieu  et  le  peuple  ?  Con- 
sultez saint  Grégoire  de  Nazianze  (52),  il 
vous  apprendra  ce  que  vous  devez  être, 
avantquede  vous  engager  dans  l'importanl 
eujploi  d'intercéder  pour  les  autres.  Avant 
(ju'un  homme  se  soit  rendu  le  maître  de 
ses  sens,  avant  qu'il  se  soit  purilié,  avant 
qu'il  se  soit  mis  en  état  d'approcher  de 
Dieu,  et  que  la  sainteté  de  sa  vie  le  rende 
supérieur  aux  autres,  il  n'y  a  aucune  sû- 
reté de  se  charger  du  soin  des  âmes,  et  de 
vouloir  exercer  la  sainte  fonction  de  média- 
teur entre  Dieu  et  les  hommes. 

Ah  Ique  la  (dupart  des  hommes  connais- 
sent |)eu  ce  que  c'est  que  d'être  prêtre  I 
Pour  être  prêtre,  il  faut  être  plus  saint  que 
les  autres  lidèles.  Pour  être  prêtre,  il  faut 
être  en  état  de  porter  le  plus  saint  de  tous 
les  caractères,  d'exercer  les  plus  saintes 
fonctions,  d'ohtenir  de  Dieu  un  nombre  in- 
fini de  grâces, et  cependant  on  en  voit  tous 
les  jours  un  très-grand  nombre  qui  n'ont 
pas  encore  commencé  de  mener  une  vie 
sainte  ,  et  qui  néanmoins  demandent  les 
premières  j)laces  dans  le  royaume  do 
Dieu. 

Les  prêtres  les  plus  saints  de  l'antiquité 
ont  tremblé,  ils  ont  fui  le  sacerdoce  ,  et 
le  principal  motif  de  leur  fuite,  c'est  qu'ils 
jugeaient  que  leur  vie  n'était  pas  assez  pure 
nour  s'engager  dans  une  aussi  sainte  [)ro- 
iession. 

Quoi  de  [)lus  touchant,  mais  en  même 
temjjs  quoi  de  plus  effrayant  pour  nous 
que  les  paroles  d'un  saint  Grégoire  de  Na- 

(ol)  «  Ali  iiUeiTCilcndum  venire  nequco,  quia 
t'j  is  iioliliaiii  c\  Sâilula  rainiliarilalc  non  habco.  > 
^L  b.  1,  epiit.  -U  ) 


zianze  ?  jour  et  nuit  je  médite  sur  la 
Sciinlelé  que  demande  la  contiilion  de  pasteur; 
la  conviction  oii  je  suis  des  excellentes 
dispositions  dans  lesquelles  il  doit  être,  mo 
remplit  l'esprit  de  troubles.  Je  me  trouve 
saisi  d'un  tremblement  intérieur  que  je 
ressens  au  milieu  de  moi.  A  peine  puis-je 
lever  les  yeux  lorsque  je  marche.  Je  sens 
mon  courage  abattu  ;  mon  esprit  s'obscurcit; 
je  ne  puis  presque  ra'expliquer.  Je  perds 
donc  absolument  la  pensée  do  gouverner 
les  autres,  et  je  forme  une  sérieuse  résolu- 
lion  de  me  cacher  dans  une  solitude,  pour 
songer  uniquement  à  éviter  la  colère  du 
Seigneur  dont  je  suis  menacé  (53). 

Voilà  les  pensées  dont  les  saints  étaient 
remplis  quand  ils  faisaient  réflexion  sur 
rexcelience  de  l'élat  ecclésiastique.  N'est- 
ce  plus  présentement  le  môme  élat?  N'est- 
ce  plus  le  môme  sacerdoce?  Il  n'est  que 
trop  certain  que  c'est  le  môme  sacerdoce 
(|ue  les  saints  ont  regardé  comme  un  très- 
lourd  fardeau,  et  qu'il  faut  autant  de  sain- 
teté présentement,  qu'il  en  fallait  autrefois 
pour  supporter  ce  redoutable  fardeau.  11 
faut  donc  être  saint  et  mener  une  vie  très- 
s<iinte  [ibur  être  élevé  au  sacerdoce.  Nous 
allons  présentement  examiner  ce  que  c'est 
que   celle    sainteté. 

SECOND  POINT. 

J'ai  trois  maximes  importantes  à  vous  éta- 
blir, qui  vous  donneront  une  juste  idée  do 
la  sainteté  que  l'Eglise  demande  dans  ceux 
(jui  se  consacrent  au  ministère  des  saints 
autels. 

Premièremeuî,  l'Eglise  veut  que  ses  mi- 
nistres ne  commencent  pas  seulement  à  me- 
ner une  vie  sainte  dans  le  temps  qu'ils  en- 
Irent  dans  le  sanctuaire,  mais  elle  veut  que 
longtemps  auparavant ,  et  même  dès  le 
lim[is  de  leur  tendre  jeunesse,  ils  se  soient 
exercés  dons  la  pratique  des  vertus  chré- 
tiennes et  ecclésiastiques. 

Secondement,  l'Eglise  n'estime  point 
qu'un  ecclésiastique  soit  saint,  à  moins  qu'il 
n'observe  exactement  loule~s  les  vertus  de  son 
élaf. 

En  troisième  lieu,  l'Eglise  veut  que  ses 
ministres,  peu  contents  d'eux-mêmes  et 
de  ce  qu'ils  ont  fait,  se  proposent  d'avancer 
et  de  faire  continuellement  de  nouveaux 
progrès  dans  lecheuiin  de  la  vertu. 

11  est  très-important  de  bien  établir  la 
première  maxime  que  j'ai  avancée,  qui  est 
qu'il  n'est  pas  temps  de  commencer  à  se 
sanctifier,  lorsqu'on  est  près  d'être  introduit 
dans  le  sanctuaire,  mais  qu'il  faut  long- 
temps auparavant  avoir  pratiqué  les  vertus 
chrétiennes  et  ecclésiastiques.  Il  est  néces- 
saire de  faire  connaître  la  vérité  de  celle 
maxime  [.our  en  iiétrom[)er  plusieurs,  qui, 
après  av(jir  mené  une  vie  profane  et  crimi- 
nelle, s'imaginent  que  c'est  un  excellent 
moyen  pour  réparer  leurs  désordres  passés 

(5-2)  Orat.  I ,  p.  :>G,  57. 
{:i5)  Orat.  1,  p.  5U. 


1009 


RKTRAlTi:  IX.CL.  -  IV,  SAl.NTF.Tr.  ECCLKSIAST. 


IHO 


(jiie  (l'embrasser  l'éUit  ecclésiaslii|iie.  «'/est 
une  crieur  ciiii  s'est  iiiissée  dans  lo  monde, 
cl  qui  n';i  fait  que  trop  do  progrùs.  Plusieurs 
s'imaginent  qu'une  vie  criminelle  n'est  point 
un  obstiicle  qui  éloigne  des  saints  autels. 
Détrompons  ces  aveiigles  et  lâchons  de  lever 
II'  vorlequi  obscurcit  une  si  importante  vé- 
rilé. 

A  quoi  Dieu  appelle  t-il  ceux  qui  l'ont 
oublié,  et  qui  sont  coupables  de  crimes,  il 
les  appelle  îi  la  pénitence  et  non  point  ans 
saints  onlres.  Avoir  mené  une  vie  cri- 
minelle, quand  bien  même  on  en  aurait  un 
regret  sincère,  quand  bien  même  on  serait 
résolu  d'expier  ses  pécliés  parles  larmes  et 
les  œuvres  de  pénitence,  est-ce  une  raison 
qui  doive  nous  faire  décider  que  Dieu  ne 
veul  point  que  nous  songions  à  nous  placer 
au  rang  de  ses  ministres?  Oui  sans  doute,  et 
il  faudrait  des  raisons  bien  extraordinaires 
cl  très-fortes  pour  passer  au-dessus  de  celle 
règle.  Vous  vous  êtes  éloigné  de  Dieu,  vous 
avez  été  l'esclave  de  vos  sens,  vous  avez 
amassé  un  grand  nombre  d'iniquités,  allez 
pleurer  vos  péchés  dans  une  solitude  recu- 
lée, et  n'usurpez  point  le  sacerdoce  contre 
la  volonté  du  Seigneur. 

Apprenez  de  sainl  Cjprien  quels  doivent 
être  ceux  qui  se  présentent  aux  saints  ordres, 
il  vous  répondra  que  ce  doivent  être  des 
hommes  sans  tache  et  d'une  vie  irréprocha- 
ble (oi).  Quand  nous  consacrons  des  prêtres, 
dit  sainl  Cyprien,  nous  ne  devons  choisir 
que  des  hommes  sans  tache,  d'une  vie  sainte 
et  innocente,  dont  les  sacrifices  soient  agréa- 
bles b  Dieu,  et  qui  soient  en  étal  d'être 
t-'xaucés,  lorsqu'ils  offrent  à  Dieu  des  prières 
pour  le  salut  du  peuple.  Des  hommes  noir- 
cis de  crimes,  quoique  résolus  à  faire  péni- 
tence, ont-ils  jamais  été  appelés  des  hommes 
sans  laelie,  d'une  vie  irréfirochable?  Mais 
au  coniraire  n'a-t-on  pas  toujours  entendu 
jiar  des  hommes  sans  tache,  ceux  qui  se  sont 
éloignés  du  crime  et  qui  ont  vécu  dans  la 
pratique  des  vertus? 

L'Eglise  veut  que  l'on  éprouve  avec  soin 
ceux  que  l'on  élève  aux  ordres  sacrés.  L'E- 
glise veut  que  celle  épreuve  soit  longue, 
sérieuse,  exacte.  Elle  suit  en  oela  les  ensei- 
gnements qu'elle  a  reçus  du  saint  Apôtre. 
Qu'ils  soient  éprouvés,  dit  l'Aiiôlrc  en  par- 
lant des  diacres,  el  qu'ensuite  ils  soient  admis 
aux  fondions  s'ils  sont  sans  reproche.  (I  l'im., 
111,10.) 

Qxi'ils  soient  éprouvés.  Voilà  la  nécessité 
de  l'épreuve. 

Qu'ils  soient  admis  s'ils  sont  sans  reproche. 
Voilà  sur  quoi  parliculièremenl  ils  doivent 
être  éprouvés.  !1  est  nécessaire  surtout 
d'examiner  quelle  a  été  leur  cnnduile.  Il 
faut  qu'elle  soit  sans  reproche.  Préleiidra- 
l-onque  celui-là  est  sans  reproche  qui  a  mené 

(oi)  <  In  ordinationibus  sacerdolum  nonnisi  iin- 
niaculatos  cl  iniegros  auiisiilcs  eligere  debemus.  > 
(Kphl.  C8.) 

(.■)3)  I  UtnuUtis  ordinelur  clericus,  nisi  probalus 
vcl  episcoporuni  examine  vel  populi  tcsliiiionio  > 
(Cciic.  Carih.,  c.  22.) 


une  vie  déréglée?  L'AjxMre  ne  se  coiilenlc 
pas  que  celui  qui  est  admis  aux  fondions 
ecclésiastiques  soit  dans  le  dessein  de  me- 
ner une  vie  sans  reproche  :  mais  il  veut  que 
l'on  reconnaisse  par  un  examen  sérieux, 
que  la  vie  qu'il  a  menée  avant  que  d'enirer 
dans  le  sanctuaire  a  été  excm[)te  de  repro- 
ches et  de  déréglcmenls. 

L'Eglise  a  toujours  suivi  avec  fidélité  cet 
enseignement  de  l'ApOIre.Elle  veut  que  ses 
ministres  soient  éprouvés,  et  elle  veut  par- 
ticulièrement qu'ils  soient  éprouvés  sur  la 
conduite  qu'ils  ont  tenue.  Que  l'on  n'impose 
les  mains  à  aucun  clerc,  disent  les  conciles 
de  Carthage,  qu'il  n'ait  été  éprouvé  (35). 
Qu'est-ce  à  dire  éprouvé  ?  C'est-à-dire,  seloii 
l'explication  d'un  grand  pai)e,  que  ceux-l?i 
seulement  doivent  êlre  reçus  dont  la  vie 
a  été  examinée,  el  dont  on  a  reconnu  que, 
par  la  pratique  des  vertus,  ils  ont  travailh'; 
à  se  rendre  dignes  du  rang  auquel  ils  sont 
élevés. 

Lo  môme  pape  dit  expressément  qu'il  en- 
tend parler  d'un  long  examon.  Il  supposi; 
donc  qu'un  examen  superficiel  n'est  iioinl 
suflisant.  Il  faut  un  examen  où  toute  la  suite 
de  !a  vie  soit  considérée  avec  soin  (o6). 
L'examen  doil  être  long,  parce  que  souvent 
en  creusant  davantage,  on  découvre  dos 
désordres  d'une  vie  qui  paraît  d'abord  inno- 
cente. 

Dans  ces  examens  l'Eglise  n'oubliail  au- 
cune précaution.  Le  peuple  même  était 
consulté.  Sainl  C.y|)rien  le  témoigne  dans 
une  de  ses  é|)îtres  (57).  il  écrit  à  son  peuple, 
et  il  leur  dit  :  Nous  avons  accoutumé  do 
vous  consulter  avant  que  de  célébrer  les 
ordinations. 

Voilà  donc  quel  était  l'examen  que  l'E- 
glise faisait  de  ses  minisires.  C'était  un  long 
examen,  c'était  un  examen  oi^i  toute  la  suite 
de  la  vie  était  considérée;  c'était  un  examen 
otj  tous  étaient  écoulés.  L'Eglise  ne  pouvait 
f)as  employer  de  |)lus  grandes  précautions, 
ni  nous  mieux  marquer  qu'elle  ne  veut  re- 
cevoir au  rang  de  ses  ministres  que  ceux 
qui  ont  passé  leur  vie  d.ms  la  praliaue  des 
Vertus. 

J'ai  dit  que  le  souhait  de  l'Eglise  est  que 
ses  ministres  aient  commencé  dès  leur  plus 
tendre  jeunesse  à  observer  les  maximes  du 
chrisliaiiismo,  el  qu'ils  n'aientjamais  inler- 
rompu  un  si  saint  exercice.  Il  n'y  a  que 
ceux-là  qui  sont  véritablemcint  saints  et 
sans  reproche,  comme  le  doivent  êlre  les 
minisires  des  autels. 

Une  preuve  certaine  des  intentions  de  l'E- 
glise, c'est  ce  qui  a  été  si  sagement  ordon- 
né dans  un  grand  nombre  de  conciles,  les- 
(luels  ont  voulu  que  les  jeunes  clercs,  dès 
leur  plus  tendre  jeunesse,  fussent  séparés 
du  commerce  du  monde.  Ces  conciles  or- 

(56;  <  Quorum  per  longum  tempus  examiiiatn  sif 
vila,  cl  mérita  fucrinlcomprobala.  >  (t'p.  Nicol.  ad 
clemm  {.P.,  l.  Vlll  Conc  .  p.  1085. 

(57)  «  hi  ordinaiioiiibus  sotemus  vos  anic  coii- 
bulcre.  •  (Kpiit.  Ô7>.) 


101 


ORATEUHS  saches.  JOSEni  LAiMDERT. 


1012 


donnent  qu'ils  seronl  élevés  dans  une  niAme 
maison,  que  leur  éducation  sera  confiée  h 
un  hoffime  dont  la  sagesse  et  la  probité 
poient  connues,  et  qui  les  ioslruise  des 
saintes  maximes  de  la  vie  ecclésiastique  (58). 
Par  là  on  reconnaissait  leur  humeur,  leurs 
talents,  leurs  dispositions.  Ceux-là  seule- 
ment, selon  les  désirs  de  l'Eglise,  étaient 
élevés  au  sacerdocç,  qui  avaient  conservé  le 
précieux  trésor  de  l'innocence. 

Celte  discipline  a  toujours  paru  si  sainte 
et  si  nécessaire  que  le  saint  concile  de 
Trente  a  souhaité  qu'elle  fût  renouvelée. 
Il  a  réitéré  les  sages  ordonnances  qui  avaient 
été  failes  sur  ce  sujet  par  les  anciens  con- 
ciles. Le  saint  concile  marque  que.  dès  que 
les  enfants  ont  atteint  l'âge  de  douze  ans 
il  est  temps  qu'ils  so  retirent  dasis  ces  lieux 
de  sûreté,  afii?  qu'ils  soient  à  l'abri  de  la 
corruption  du  siècle,  qu'ils  soient  éprouvés, 
et  qu'ils  soient  soigneusement  élevés  dans 
la  pratique  de  toutes  les  vertus  (59). 

Mais  si  dans  cet  examen  long  et  sérieux 
«îoni  je  viensde  parler,  l'Eglise  veutqueses 
minisires  soient  examinés  sur  toutes  les 
verliis  qui  conviennent  à  leur  état,  elle 
veut  surtout  qu8  l'on  insiste  sur  lô  pureté. 
Le  plaindre  v;ice  contre  la  pureté  fait  horreur 
h  TEglise,  d'abord  qu'on  découvre  qu'un 
homme  est  assez  malheureux  pour  êlre 
tombé  dans  ce  vice,  l'inienlion  de  l'Eglise 
oîst  qu'on  l'éloigné  et  qu'on  ne  lui  permette 
point  l'entrée  du  sanctuaire. 

Quand  ils  auront  alleint  l'âge  de  dix-huit 
ans,  dit  un  des  conciles  que  je  viens  de  vous 
citer,  l'évêque  les  interrogera  en  présence 
de  tout  le  clergé  et  de  tout,  le  peuple,  et  il 
les  interrogera  particulièrement  sur  la  pro- 
fession exacte  que  les  clercs  sont  obligés 
de  faire,  de  passer  leurs  jours  dans  une  par- 
faite pureté  (60). 

Voilà  donc  une  preuve  que  dans  l'exa- 
men de  ceux  qui  doivent  êlre  consacrés 
pour  servir  le  Seigneur  en  qualité  de  ses 
ministres,  l'Eglise  veut  que  l'on  s'arrête 
particulièrement  à  la  pureté 

Le  concile  continue,  et  dit  que  ceux-là 
seront  ordonnés  qui  auront  conservé  leur 
innocence,  et  à  qui  l'on  ne  pourra  reprocher 
aucun  crime.  Mais  qu'ils  se  souviennent 
que  s'ils  tombent  dans  le  pjeché  de  l'impu- 
reté, ils  seront  condamnés  comme  des  sa- 
crilèges, et  qu'ils  seron  i  lion  ieusement  chas- 
sés en  punition  de  leur  crime. 

C'est  par  là  que  vous  devez  juger  de  l'hor- 
reur que  l'Eglise  a  toujours  eue  pour  le 
péché  de  l'impureté,  et  c'est  là  ce  qui  doit 
vous  faire  [)rononcer  que  l'Eglise  ne  veut 
point  que  l'on  mette  au  rang  de  ses  oiinis- 

(38)  Conc.  Tolet.  Il,  can.  1  ;  Tviet.  ï-\,  can.  Si; 
Aquisgran.,  sub  Siepliano  IV,  can.  155.) 

(59)  «  Statuit  sancta  syiiodus  ut  singuliE  cathe- 
iliaies,  eic.  Ceriiini  piieroriim  numenun  aierc,  reli- 
giose  edacare,  et  ejclesiaslicis  disciplinis  institueri; 
teiieaiUur,  in  lioc  collegio  lecipianlur  qui  ad  inuiir 
inuin  duodeciiu  anncs  nali  sinl.  >  (Ses.s.  25,  De 
rcfonn.,  c.  18.) 

(60)  «  yuibus  bigiaiia  taslitalis  placuit,  hi  tau- 


tres,  ceux  qui  sont  tombés  dans  cet  énor- 
me péché, 

L'Eglise  veut  donc  que  ses  ministres 
aient  vécu  dans  la  sainlelédès  leur  jeunesse, 
qu'ils  se  soient  éloignés  de  tout  vi<;e,  et 
surtout  de  celui  d'impureté. 

Je  ne  prétends  pas  néanmoins  décider 
sans  exception,  que  ceux  qui  ont  eu  le 
malheur  de  vivre  pendant  quehiue  temps 
dans  l'oubli  de  Dieu,  et  dnns  le  dérègle- 
ment doivent  absolument  êlre  él'Oignés  des 
saints  ordres.  L'Eglise  a  quelquefois  ée 
justes  raisons  pour  passer  par  dessus  les 
règles  le  plus  saintement  établies.  Ses  be- 
soins pressants,  des  talents  extraordinaires 
qui  peuvent  se  rencontrer  dans  ces  hom- 
mes qui  se  sont  égarés,  sont  quelquefo'is 
de  justes  raisons  pour  ne  pas  suivre  là  rè- 
gle dans  toute  la  rigeur. 

Mais  ce  qui  doit  être  observé  indispensa- 
blement,  c'est  qu'un  homme  qui  a  vécu  dans 
le  péché  doit  de  lui-même  et  par  sa  propre 
inclination  s'éloigner  du  sanctuaire.  Il  doiî 
s'en  juger  indigne.  Il  doit  êlre  convaincu 
que  ce  qui  lui  convient,  c'est  d'être  au  rang 
des  pénitents,  el  non  pas  d'être  au  rang  des 
ministres  de  Jésus-Christ.  Il  ne  doit  appro- 
cher des  saints  aulels  qu'après  une  longue 
épreuve.  Il  faut,  pour  aiiisi  dire,  que  ce  soit 
malgré  lui,  qu'il  s'en  rapporte  au  jugement 
de  ses  supérieurs,  et  qu'il- soit  forcé  ()ap 
l'obéissance  qu'il  leur  doit. 

Que  ceux-là  sont  criminels,  que  ceux-là 
sont  téméraires  qui  s'écartent  de  ces  rè- 
gles, el  qui,  n'ayant  point  mené  une  via 
assez  sainte  pour  êlre  au  rang  des  minis* 
très  de  Jésus-Christ,  veulent  néanmoins 
usurper  le  sacerdoce  dont  ils  sont  indignes  ; 
qu'ils  écoutent  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
etqueljes  paroles  de  ce  Père  leur  fassent 
juger  de  L'énormité  de  leur  crime. 

«  J'ai  lionte,  dit  ce  saint  homme,  (§1)  de 
paj-lerde  ceux  qui,  n'étant  poiiiLplus  sauits 
que  les  autres  tidèles,  mais  qui  au  contrai^ 
re  les  surpassent  en  méchanceté,  veulent 
traiter  les  plus  saints  mystères  avec  des 
mains  impures,  et  quoique  leur  es^iril  soit 
entièrement  rempli  d'idées  profanes  el  sé- 
culières, tout  indignes  qu'ils  sont  du  rang 
auquel  ils  aspirent,  ils  se  poussent,  ils  se 
précipitent,  ils  se  pressent  les  uns  les  ^au- 
tres pour  environner  les  saints  aulels.  Ils 
regardent  le  ministère  sacré  comme  un 
moyen  de  contenter  leur  cupidité,  el  noii 
pas  comme  utje  obligation  de  vivre  dans 
une  exacte  pratique  de  toutes  les  vertus. 
Ils  croient  que  le  sacerdoce  les  alfranchit 
de  toutes  les  lois.  Ils  ne  considèreriL  pas 
jue  c'est  un   pesant   fardeau,   et,  combien 

|iiam  appelttores  arclis&iinsc  via»,  lenissimo  Domini 
Hgo  subdaïUur.  Qilod  si  inculpabililer  ac  inoiïense 
t'icesimumquiiiiuin  xlalisannum  peregerint, ad  dia- 
^(jiiaUis  olliciuin  piomoveii  debeni,  caveiidum  esl 
iiis.nead  fuilivos  coiicubilus  recurranl.  Quod  bi 
fecerini,  uisacrilegii  rei  damnenlur,  et  ati  Êcciçsia 
liabeanlur  exiraiiei,  j  (Tolet.  11,  can.  1.) 
(<3I)  Oiat.  I.p.  5. 


1013 


RETRAITE  ECCL.  -  IV,  SAINTETE  ECCLESIAST. 


1014 


sera  terrible  le  compte  qu'ils  seront  obligeas 
de  rendre  un  jour  de  raduiinislralion  qu'ils 
ont  iiijiisloment  usurpée.  » 

Oserez- vous  après  cela  approcher  du  sanc- 
tuaire, vous  qui  pendant  un  très-long  temps 
avez  suivi  le  mouvement  de  vos  passions, 
vous  qui  n'avez  pas  encore  songé  à  expier 
les  péchés  d'une  jeunesse  déréglée,  vous 
qui,  dans  un  Age  plus  avancé,  n'fMesni  plus 
sage,  ni  plus  réglé  que  vous  l'étiez  pen- 
dant le  temps  de  voire  jeunesse,  vous  en 
qui  l'on  ne  remarque  ni  piété,  ni  zèle,  ni 
régularité? 

Pour  être  ministre  de  Jésus-Christ,  il  faut 
être  saint  depuis  longtemps,  et  vous  crou- 
pissez dans  le  vice  depuis  longlem|)S.  Vous 
we  concevez  donc  pas  que  c'est  un  énorme 
sacrilège  que  de  traiter  les  choses  saintes 
avec  des  mains  impures  et  avec  un  cœur 
souillé.  Que  vous  êtes  éloigné  d'entendre  la 
sainte  et  importante  maxime  de  saint  Gré- 
goire et  des  autres  Pères  de  l'Eglise,  qui  est 
que,  pour  |)rendre  place  parmi  les  ministres 
de  Jésus-Christ  ,  il  faut  non-seuloment 
être  saint,  mais  être  plus  saint  que  les  au- 
tres tiJèles  ^ 

Vous  entrez  dajis  lie  sanctuaire  après  vous 
être  éprouvé,  après  avoir  mené  une  vie 
sainlp,  et  telle  que  l'Eglise  demande  dans 
ceux  qu'elle  choisit  pour  les  placer  au  rang 
de  ses  ministres.  Ce  n'est  pas  assez.  Il  faut 
vous  soutenir  avec  fermeté  dans  l'état  que 
vous  avez  embrassé.  Vous  voilà  honorés  du 
caractère  ecclésiastique.  Caractère  le  plus 
saint  qui  ait  jamais  été,  et  par  conséquent 
vous  voilà  obligés  de  vivre  encore  plus  sain- 
tement que  vous  n'avez  jamais  vécu.  Or 
qu'est-ce  que  vivre  saintement  dans  l'état 
ecclésiastique?  C'est  observer  exactement 
toutes  les  vertus  de  son  état. 

Un  ecclésiastique  a  des  obJigations  par 
rapport  à  lui-même.  Il  en  a  |'ar  rapport  au 
jirochain,  et  par  conséquent  un  ecclésiasti- 
que n'est  point  saint,  à  nxoin.s  qu'il  ne  règle 
sa  vie  conformément  à  ses  devoirs.  Un  ec- 
clésiastique n'est  [loint  saint  à  moins  qu'il 
oe  rende  à  son  prochain  ce  qu'il  lui  doit. 

Un  ecclésiasli(]ue  est  obligé  de  mener  une 
vie  conforme  à  la  sainteté  de  son  état,  c'est- 
à-dire  que,  comme  son  étal  est  très-élevé, 
aussi  les  vurtus  chrétiennes  et  ecclésiasti- 
ques doivent  être  en  lui  dans  un  degré  très- 
élevé.  On  ne  peut  bien  juger,  comme  dit 
saipl  Ambroise,  de  la  sainteté  des  [trêtres 
que  [)ar  la  sainteté  de  leurs  actions.  Us  doi- 
vent faire  paraître  co  qu'ils  sont  plutôt  par 
k'urs  actions  que  par  le  nom  qu'ils  portent. 
Il  faut  qu'il  y  ait  une  juste  propoition  entre 
leur  caractère  et  leur  conduite.  Ce  serait 
un  étrange  dérangement  ipie  de  déshonorer 
un  nom  si  élevé  perdes  actions  basses  et 
ram|)antes.  Le  caractère  est  divin  :  il  ne  faut 
donc  pas  que  vos  actions  soient  criminelles, 

(62)  (  Nomen  congruat  actioni,  aclio  respoHdcat 
iiomint,  ne  sil  lionor  subliniis  et  vila  dcformis,  ne 
&it  deitica  profes-sio  et  illifiia  aclio.  »  {De  dign. 
laccrd.,  c.  3.) 


et  contraires  à  ce  que  Dieu  demande  du 
vous  (62). 

Un  ecclésiastique  qui  veut  vivre  d'une 
manière  conforme  à  la  sainteté  de  son  état 
doit  savoir  exactement,  et  pratiquer  avec 
régularité,  tout  ce  que  les  saints  canons  ont 
prescrit  aux  clercs.  Rien  n'est  plus  saint 
que  ces  anciennes  règles,  et  rien  ne  marque 
mieux  l'obligation  q-ie  les  ecclésiastiques 
ont  de  vivre  saintement  que  l'application 
et  la  vigilance  continuelle  do  l'Eglise  à  leur 
enseigner  les  règles  qu'ils  sont  obligés  de 
suivre. 

Bien  loin  que  les  temt)S  qui  se  sont  écou- 
lés aient  en  rien  diminué  l'autorité  de  ces 
saintes  règles,  le  concile  de  Trente  déclare 
qu'elles  sont  encore  dans  toute  leur 
force.  Ce  saint  concile  les  renouvelle.il  veut 
qu'elles  soient  rétablies  dans  les  lieux,  oi^ 
par  un  mauvais  usage  elles  auraient  été 
malheureusement  abolies. 

Le  saint  concile  déclare  que  ces  ancien- 
nes règles  obligent  les  ecclésiastiques  de 
répandre  en  tous  lieux  une  bonne  odeur  par 
la  sainteté  de  leurs  actions.  Us  doivent 
prendre  garde  à  tout,  jusqu'à  leur  extérieur. 
Leur  hijbillement  doit  être  conforme  aux 
règles  ecclésiastiques.  Leurs  paroles,  leur 
démarche,  toutes  leurs  manières  doivent 
être  réglées  avec  une  si  grande  exactitude, 
qu'on  ne  remarfjue  rien  en  eux  qui  ne  cor- 
vienne  à  des  ministres  du  Très-Haut. 

Donc  quoique  la  sainteté  ne  dépende  pas 
de  l'extérieur,  et  que  souvent  des  moeurs 
très-corrompues  puissent  être  cachées  sous 
un  extérieur  composé,  néanmoins  un  ecclé- 
siastique ne  peut  être  saint,  à  moins  que  la 
sainteté  qui  doit  être  au  dedans  de  son  Ame 
ne  rejaillisse  au  dehors  par  une  exacte  li- 
déiilé  à  observer  les  lois  de  l'Eglise  qui  ont 
réglé  si  sagement  Texlérieur  des  ministres 
de  JésusrChrist. 

Le  concile  de  Trente  renonvelle  particu- 
lièrement les  anciens  canons  en  ce  qu'ils 
défendent  aux  ecclésiastiques  le  luxe,  les 
festins,  tes  danses,  les  jeux,  et  la  trop  grantle 
application  aux  alTaJres  séculières. 

Sont-ce  de&  ecclésiastiques  que  ces  hom- 
mes efféminés  en  qui  l'on  remarque  un  ex- 
térieur mondain,  de  qui  les  plus  étroites 
sociétés  sont  avec  les  gens  du  siècle,  qui 
se  trouvent  à  leurs  assemblées,  qui  raflinent 
sur  la  délicatesse  des  hommes  les  plus  sen- 
suels, qui  font  un  si  pernicieux  usage  des 
biens  ecclésiastiques,  qui  en  font  la  matière 
de  leur  luxe,  qui  les  prodiguent  au  jeu,  qui 
plus  hardis  que  les  hommes  du  siècle  les 
plus  passionnés  risquent  des  sommes  con- 
sidérables, et  exposent  à  l'incertitude  d'un 
jeu  capricieux  un  bien  qui  ne  leur  appar- 
tient pas.  Voilà  l'estime  (lue  ces  ecclésias- 
tiques mondains  font  des  règles  de  l'Eglise, 
et  voilà    la  manière   indigue  dont  ils  vio- 

(63)  «  Slaluil  sancla  synodus  ut  qu;i'  alias  de 
rlericorun»  vila  gancita  l'uerunt,  eaden»  in  posle- 
iiini  obncrveritur,  i  de.  (Sess.  22,  c.  1.) 


1W5                                          ORATELUS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT.  iOIC 

lent  les  lois  fondamenîales   lie   l'élat  ecclé-  jiisirc  de  Jésus-Christ,  qui,  en  Caisanl  .es 

siasliqiie.  (>rogiès  dont  jo  viens  de  piirler,  se  ser.i  np- 

Qu'il  est  déploridiie  de  voir  dos  hommes,  pliqué  à  se  sanclifier  lui-même,  ne  doit  pas 

f|iii  par  leur  état  et  leurprofession  devraient  s'imaginer  qu'il  ait  encore  acquis  tous  les 

être  des    modèles   de   sainteté,  ne   mettre  degrés  de  sainteté  que  Dieu  veut  trouver  en 

aucun  frein  à  leurs  désirs  déréglés,  et  loni-  lui.  Un  ecclésiastique  ne  peut  être  saint  à 

bersans  garderaucune  mesure  dans  les  plus  moins  qu'il   ne  s'applique  à    sanctitier  les 

énormes  excès;  car,  suivant    le  concile  de  aulres  selon  ta  mesure  de  ses  talents. 

Trente,   la    précaulion     des  ecclésiastiques  Celle  vérilé  dépend  d'un  principe  incon- 

doil  aller  jus(ju'à  éviter  les  moi/idres  fautes,  testahle,  qui  est  que  nous  soumies  faits  ec- 

el  le  saint  concile  déclare  jiie  ceux  qui  par  clésiastiques  pour  servir  le  prochain.  Nous 

leur  état  sont   obligés  de    vivre   dans   une  no  sonimes  (dus  /i  nous-mêmes,  mais  nous 

érainenle   sainteté    doivent  être   persuadés  sommes  enlicremenl  dévoués  au  serviie  d« 

(pie  toutes    leurs   fautes   font  iuporlanlcs  nos  frères.  Ainsi  un  ecclésiastique  pourrait 

(lik).  Quel  nom  donnerons-nous  aux  chutes  par  rapport  à  lui-même  paraître  saint,  parce 

capilales,  (juand  elles   se   rencontrent  dans  (pie  sa  vie  serait  très  exacte   et   très  régu- 

ceux    en  qui    les    moindres   manquements  lière,    et  néanmoins  il   serait  vrai  de  diie 

doivent    pa.sser     [)Our     des     fautes     consi-  que  cet  coc!és;asli(iue  serait  dans  la  voie  do 

déiables?  l'égarenienl,   parce  (ju'il    manqueiait  à  se.s 

Que  les  ecilésiasliques  soient  convaincus  devoirs  essentiels. 
(pj'ils  ne  peuvent  trop  s'observer  eux-mô-  Voyez  les  premiers  ministres  do  Jésus- 
ii:es,  qu'ils  ne  peuvent  apporter  trop  d'al-  Christ.  Aus.sjiùt  qu'ils  ont  été  consacrés, 
li/ntion  il  régler  jusqu'aux  moindi'es  actions  n'ont-ils  pas  cru  qu'ils  étaient  obligés  d'ai- 
de leur  vie.  V'ous  avez  vu  (]ue  le  saint  con-  jer  chercher  leurs  frères,  et  de  travailler 
(ile  veut  qu'un  ecclésiastique  soit  attentif  avec  un  îèle  infatigable  à  les  ramener  de 
,ius(|ue  sur  ses  moindres  démarches.  Puis-  la  voie  do  l'erreur?  N'ont-ils  pas  été  per- 
(!u'ilsap|>arliennenl  au  Seigneur,  dit  lesaint  suadés  qu'ils  se  devaient  toutcnliers  à  leurs 
concile,  el  qu'il  les  a  ap])elés  pour  être  son  frères?  Quand  pour  leur  salut  ils  ont  tout 
liéiilage  particulier,  n'esl-il  pas  juste  qu'ils  employé,  et  qu'ils  ont  donné  jusqu'à  leur 
règlent  toutes  leurs  actions  (Je  telle  manière  jiropre  vie,  ils  ont  cru  qu'ils  ne  leur  reu- 
(|u'on  ne  remarque  rien  en  eux  qui  n'inspire  daienl  que  ce  qui  leur  était  dû. 
(le  l'anuour  pour  la  religion  et  qui  ne  fasse  Quelle  était  la  qualité (juo prenaient  ordi- 
voir  qu'ils  sont  pénétrés  de  la  sainteté  de  nairemcnl  les  apôtres?  Ils  s'appelaient /g« 
k'ur  ministère  (65).  serviteurs  de  leurs  frères.  (Il  Cor.,  IV,  5.j 

Qu'est-ce  qu'un  ecclésia.«tique  attentif?  Nous  tous  (]ui  sommes  honorés  du  carac- 
C'est  un  honuiie  ijui  a  conlinuellemenl  pré-  1ère  ccclésiasti(iue  ,  nous  leur  succédons 
sentes  les  saintes  maximes  de  la  religion  dans  celte  qualité.  Nous  sommes  les  servi- 
(pic  Jésus-Christ  a  enseignées,  les  saintes  leurs  de  nos  frères.  Indignes  serviteurs  si 
règles  que  l'Eglise  a  si  sagement  établies,  nous  les  abandonnons,  et  si  nous  n'avons 
(^'est  un  lionime  qui,  pénétré  do  ia  sainteté  (]ue  de  l'inditrérencc  pour  leur  salut, 
de  ces  lègles,  et  de  la  nécessité  imiispen-  Quoi!  vous  êtes  ecclésiastique.  11  y  a 
sable  où  il  est  de  s'y  conformer,  observe  déjà  très-longtemps  que  l'Eglise  vous  nour- 
cxactemenl  toutes  ses  actions.  Il  prend  rit,  et  que  vous  vous  engraissez  de  vos  re- 
garde h  ne  s'éloigner  jamais  de  la  règle.  venus,  cef)endant  vous  n'avez  jamais  ouvert 

Un  ccclésiasti(jue  dans  ces  heureuses  dis-  la  bouche  pour   instruire  vos  frères,  pour 

positions   expiime  dans  sa  vie  ces   grands  \i;s  consolei'.  Les  petits  ont  demandé  du  pain, 

enseignements,  dont  la  pratique  fait  le  prin-  et    vous    ne    leur   en    avez    point    rompu. 

(ipal  orneitu  ni  de  la   vie  ecclésiaslique.  Il  (Thren.,  IV,  h.)   Vous  avez  été  insensibio'à 

est  modeste  dans  son  extérieur,  il  luit  le  la  misère  do  voire  frère,  à  sa   misère  corpo- 

Irouhle  et  le  tumulte'du  monde,  il  en  dé-  relie,  à   sa  misère    si)irituelle.   C'est-à-dire 

teste  les  excès,  la  lecture  des  livres  saints  r|ue  voiis  avez  été   ecclésiasli(pie,  et   qcy 

remplit  son  âme  de  consolation  et  renou-  vous  n'en  avez  point  rempli    les  fonctions, 

velle  ses  ardeurs,   la  prière  f;.ilses  délices,  Eu  quel  rang  donc  vous  placerez-vous,  et  h 

riiumililé   est  le  fondement  solide  sur  le-  quoi  devez-vous  vous  attendre  ?  Jugez-vous 

quel   toutes  ses  veiius    sont   appuyées,   il  suivant  celte  maxime  enseignée  par  saint 

distribue  avec  tidélité  les  biens  que  Jésus-  Chrysostome. 

Christ   lui  a  c(;nliés  ;  une  sainte  occupation  Un  piètre,  (juelque  appli(iné  qu'il  soit  à 

succède  à  une  autre,  la  vie  ainsi  partagée  se  régler  ses   mœurs,  s'il  néglige   le  salut  de 

passe   sans  ennui,   el  n'est  jamais  inutile,  ses   frères,    sera   condamné  avec  les  impies 

Voilà  le  mélange  heureux  qui  jette  les  l'on-  à  la  géhenne  du  feu.  Remarquez  que  saint 

deinents  d'une  vie  ecclésiastique,  et  par  le  Chrysostome  parle  d'un  prêtre  appliqué  à 

njoyeii  duquel  un  ecclésiaslique  lidèlecom-  régler  ses  mœurs,  (jui  n'a  aucun  reproche  à 

menée  d'amasser    les   vertus    qui  convien-  se  faire  par  l'apport  à  lui,  en  qui  il  n'y  au- 

nent  à  son  état.  rail  rien  à  reprendre,  s'il  n'avait  à  répondre 

Je  dis   que  ces  vertus  jettent  les  fonde-  (jue  de  lui-même.  Cependant  le  voilà  con 

uents  de  la  vie  ecclésiasliiiue  ;  car' un  mi-  damné  avec  les  impies.  Pourquoi  cela?  Paice 

(til)  «  Levia  ctiain  dclicla,  (]ii;c  in  ip-is  in;i.\iiii,(  (G5)  j  ISiliil  iii.si  grave  nioderalnm    ac  rcligi("!« 

isstiii,  (.-fliigiaid.  I  jilcnurn  pi8ç  se  feiaiit. 


«017 


HKTRAITE  IXCL.  -  IV,  SAINTETE  ECCLESIASl. 


qu'il  n'a  point  li.ivjiillé  pour  ses  frères,  cl 
q'.i'il  a  néglii^i^  (Je  leur  niKlre  les  services 
(ju'il  leur  devait  eu  (lualilé  île  prOire. 

Voici  en  peu  cie  mots  la  (léilnilion  d'un 
vérilal)Ie  ccck^siaslique.  C'est  un  homme 
(pii  s'ap|>lique  b  so  simcliGcr  lui-même,  '^l 
à  s.incliller  les  autres. 

Mais  jusqu'où  va  son  application  à  se 
Fanclilicr?  Elle  est  telle,  qu'il  n'est  jamais 
content  de  lui-même,  et  de  ce  qu'il  i'ail.  Il 
se  propose  sans  rosse  de  faire  de  nouveaux 
proi;rès  dans  le  (  Iii'iuin  de  la  vertu. 

C'est  enco''e  une  maxime  qu'un  ecclésias- 
tique doit  essentielicnjent  suivre  pour  par- 
veniroù  Dit'U  1'  ip[)i  llo.  Afalheur  à  celui  qui, 
satisfait  de  lui-même,  s'arrêterait  tout  d'uri 
coup,  et  croirai!  qu'il  n'est  point  obligé  d'al- 
ler plus  loin. 

Nous  devons  ôlrc  pcrsua'lës  que  la  sain- 
teté ecclésiastique  est  très  éniinenle,  qu'elle 
ne  s'acquiert  (]u*avcc  beaucoup  de  temps, 
de  peine,  et  île  travaux.  Celui-I.'i  ,  dit  saint 
Grégoire  de  Nazianze,  esl  bien  dans  l'erreur, 
qui  croit  (|u'un  défenseur  de  la  vérité  se 
forme  avec  la  ujême  facilité  que  l'on  fait 
une  statue  (60).  Quoi  !  vous  vous  imaginez 
qu'en  un  jour  l'ouvrage  de  voire  sanctifica- 
tion sera  achevé  ?  Songez-vous  ([u'un  minis- 
tre de  Jésus-Chiist  est  comparé  <i  unange? 
11  laut  donc  pour  soutenir  ce  nom  avoir  en 
vue  d';'cquérir  la  purclé  d'un  ange.  Cela  se 
);eut-il  J'aire  en  si  peu  de  temps  (67)? 

C'est  pourquoi  le  même  saint  Grégoire  de 
Nazianze  avance,  que  comme  c'est  un  péché 
à  un  homme  fiariiculier  de  se  porter  à  ce 
qui  esl  défendu  par  la  loi,  aussi  c'est  un 
liès-grand  défaut  dans  un  prêtre,  de  ne  pas 
avancer  toujours  dans  la  vertu  :  car  un  prê- 
tre ne  doit  pas  se  conîenler  d'une  sainteté 
cammune,  il  doit  avoir  en  vue  d'exceller, 
et  il  n'y  a  point  do  voie  qu'il  ne  doive  ten- 
ter pour  parvenir  h  cette  iioble  lin. 

Le  même  saint  Hié^olrii  de  Nazianze  dit, 
dans  un  aulie  endroit,  que  c'est  un  crime  de 
ne  point  avancer  et  de  demeurer  toujours 
au  même  état,  sans  passer  à  uri  degré  plus 
éujinent,  à  fieu  près  comme  ces  machines 
qui  courent  sur  le  même  point  sai.s  avancer 
et  sans  changer  de  place  (68). 

Saint  Augustin  a  fortement  élab'i  celle 
inqiorlante  maxime  :  Si  vous  dites  j'en  ai 
assez  fait,  vous  ê:es  un  homme  perdu  (69). 
Celle  n;axime  convient  surtout  aux  ecclé- 
siastiques. Vous  dites  :  J  en  ai  assez  fait,  je 
puis  demeurer  dans  mon  état,  je  jtuis  vivre 
sans  peine,  sans  in(iuiélude  et  sans  elforls, 
vous  êtes  perdu  sans  ressource.  A'ous  croyez 
que  vous  [)Ouvez  vous  reposer,  et  moi  je 
vous  dis  :  Levez-vous,  car  il  vous  reste  un 
grand  cliemin  à  faire,  (lil  Iteg.,  XVIll,  7.) 

Deux  motifs  invimMbles  vous  engagent 
au  travail. 

i.e  premier  est  que  vous  ne  pouvez  sans 
travailler  conserver  le  bien  que  vous  avez 
acquis. 

iClij  Oral.  I,  p.  51. 
(07)  O.at.  1,  p.  8. 
^|J.S)  Oial.  :.,  |>.  H). 


Le  second  esl  que  voui  êtes  dans  une  très- 
grande  pauvreté,  et  (]u"il  vous  manque 
beaucoup  de  richesses  que  vous  devez  tû« 
chf^r  d'acquérir. 

Oubliant  ce  qui  esl  derrière  moi,  et  m'avan- 
çanl  vers  ce  qui  est  devant  moi,  je  cours  inces- 
samment vers  te  bout  de  là  carrière,  pour 
remporter  le  prix  de  la  félicité  du  ciel  à  la- 
quelle Dieu  nous  a  appelés  par  Jésus-Chris*. 
(P/ii/.,  111,  13.)  Voilà  l'exemple  que  sait  t 
Paul  nous  a  laissé. 

Il  oublie  ce  qui  esl  derrière  lui,  c'est-?i- 
dire  tout  ce  qu'il  a  fait.  Lt  |)ar  là  il  nous 
apprend  à  ne  point  nous  conlier  en  nos  Oiu- 
vres.  Il  réfute  ta  malheureuse  opinion  do 
ceux  qui  seraient  assez  insensés  pour  se 
persuader  qu'ils  ont  suffisamment  travaillé. 

Saint  Paul  s'avance,  il  court  incessam- 
ment, il  faut  donc  sans  cesse  s'avancer  et 
faire  des  etforts.  Celui  qui  se  repose  ou  qui 
se  néglige  s'expose  au  danger  de  ne  point 
arriver  an  bout  de  la  carrière. 

il  y  en  a  plusieurs  qui  sans  doute  n  au- 
ront pas  de  peine  à  concevoir  qu'ils  sont 
obligés  d'avancer.  Dans  réioignement  où 
ils  sont  de  la  peifocliun  de  lenr  état,  com- 
ment pourraienl-ils  s'aveugler  jusqu'à  se 
persuader  qu'ils  peuvent  Iranquillenfienl 
demeurer  dans  la  situalion  oii  ils  se  trou- 
vent, sans  faire  aucun  eflforl  pour  so  corri- 
ger do  leurs  vices,  et  pour  acquérir  les  ver- 
tus (jui  leur  manquent. 

Alais  peut-être  y  en  a-t-il  d'autres,  les- 
quels étant  beaucoup  |)lus  exacts,  auraient 
plus  lieu  de  croire  que  c'est  assez  pour 
eux  de  se  soutenir  dans  leur  étal,  et  que 
Dieu  ne  les  oblige  point  à  faire  de  nou- 
veaux etîorls  pour  avancer  et  pour  se  per-- 
fectionner. 

Le  démon  môme,  dont  l'orgueil  est  la  der- 
nière ressource  pour  combattre  les  honimes 
quand  ils  ont  résisté  à  ses  autres  attaques, 
fait  ordinairement  ses  etforts  pour  inspirer 
ces  pensées  criminelles  à  ceux  qui  sont  plus 
avancés  dans  la  vertu. 

Je  pailo  donc  aux  ecclésiastiques  les  plus 
zélés,  (lui  donnent  beaucou|)  de  temps  à  la 
prière,  qui  s'apijliiiucnt  à  l'élude,  qui  n'eu- 
l'ouissenl  point  les  talents  qu'ils  ont  reçus, 
et  qui  les  consacrent  autant  qu'ils  peuvent 
à  Putililé  du  firochain,  qui  sont  fidèles  dis- 
pensateurs des  biens  que  Dieu  a  rais  entre 
leurs  mains.  La  njaxime  générale  les  re- 
garde et  leur  convient.  Il  faut  qu'ils  oublient, 
ce  qui  est  derrière  eux,  qu'ils  courent,  et 
qu'ils  avancent  sans  prétendre  jamais  qu'il 
puisse  leur  être  [)ermis  de  s'arrêter. 

Quelle  que  soit  leur  Udélilé,  quand  i  s  ren- 
treront en  eux-ujèmes,  quand  ils  examine- 
ront les  mouvements  de  leur  cœur,  les  res- 
sorts qui  le  font  agir,  les  secrètes  passions 
(jui  ont  tant  de  force  sur  nous,  ils  n'auroni 
pas  de  peine  à  reconnaître  qu'ils  sont  très- 
éloignés  d'avoir  atteint  le  but  auquel  ils 
sont  obligés  de  tendre. 

^()!J)  I  Sidixciis:  biinicil,  piTJsli.  »  (Semi.  l09,  a!. 
1,')  .')e  irih.  (ii>i)st(di.) 


iQiÙ 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


♦020 


Ils  donnent  beancoiip  tic  temps  h  la  prière, 
mais  ils  n'ont  que  trop  lieu  de  gémir  en  re- 
marquant que  leur  esprit  et  leur  cœur  s'é- 
chappent. C'est  donc  un  motif  qui  les  engage 
à  s'appliquer  davantage,  aftn  d'acquérir  un 
plus  grand  empire  sur  leur  esprit  et  sur 
leur  cœur. 

ils  consacrent  è  l'éluae  une  grande  piarlie 
de  leur  lem[)s.  Le  désir  de  satisfaire  à  leur 
devoir  est  |('u.r  motif  principal.*  Mais  sprjt- 
ils  insensibles  h  la  gloire?  Sont- ils  au- 
dessus  de  tous  les  intérêts  humains?  ils 
peuvent  donc  rendre  leurs  intentions  plus 
droites,  ils  peuvent  se  défaire  des  motifs 
humains,  pour  ne  se  plus  proposer  que 
celte  fin  première  et  principale  qni  doit 
seule  nous  guider  dans  toutes  nos  actions. 
Voyez  combien  ils  peuvent  avancer. 

Ils  courent  avec  ardeur  pour  le  service 
du  prochain.  Mais  souvent  le  découragement 
arrête  les  plus  fervenis.  Ils  n'auront  point 
assez  do  confiance  au  Seigneur  au  milieu 
de  leurs  enlrepcises.  C'est  lui  qui  leur  a 
promis,  c'est  lui  qui  les  soutient  et  ils  hé- 
siteront. Ils  ont  donc  encore  besoin  de  for- 
tifier leur  courage.  Il  s'en  faut  beaucoup 
qu'ils  travaillent  pour  le  prochain  autant 
qu'ils  le  peuvent  0.1  peut-être  autant  qu'ils 
Iç  doivent. 

Ce  n'est  pas  assez  de  soulager  le  pauvre, 
il  taut  encore  avoir  des  entrailles  de  com- 
passion pour  lui.  Que  ceux-là  mômes  qui 
s.oul  de  fidèles  disj)ensateurs  examitient 
leurs  sentiments,  ils  s'apercevront  aisément 
que  leur  piété  n'est  pas  assez  tendre,  ni 
leur  cliarilé  assez  compatissante. 

Tout  homme  a  beso.in  d'avancer,  parce 
que  tout  homme  a  des  vices  dont  il  doit 
travailler  à  se  corriger. 

Tout  homme  a  besoin  d'avancer,  parce 
qu'il  fait  le  bien  très-imparlaitementet  qu'd 
doit  travailler  à  le  faire  d'une  manière  (ilus 
parfaite. 

Le  seul  précepte  de  l'amour  de  Dieu  est 
une  preuve  certaine  qui  nous  doit  convain- 
cre de  l'obligation  que  nous  avons  d'avan- 
cer continuellement  j  car  si  nous  sommes 
fidèles  nous  travaillerons  sans  cesse  à  aimer 
Dieu  d'une  manière  plus  parfaite.  Quelques 
soient  nos  efforts,  quelque  jirogrès  que 
nous  fassians,  nous  n'aijuerons  jamais  Dieu 
aussi  parfaitement  que  naus  devons  nous 
proposer  de  l'aimer,  et  même  que  nous 
sommes  obligés  de  l'aimer,  puisque  c'est 
une  maxime  certaine  enseignée  piu-  saint 
Augustin  elles  autres  Pères  de  l'Eglise,  que 
le  grand  précepte  qui  nous  obligt!  ^  aimer 
Dieu  ne  s'accomplira  parfaitetuoni  que  dans 
l'autre  vie  (70). 

Confessons  donc  la  vérité.  Que  celui  qui 
croirait  pouvoir  demeurer  où  il  est,  rétracte 
un  si  pernicieux  sentiment.  Reconnaissons 
tou5  les  jours  de  plus  en  plus  le  besoin 
que  nous,  avons  de  travailler  et  de  nous 
avancer. 

Telle  est  la  sainteté  à  laquelle  les  ecclé- 
siastiques doivent  aspirer.  Quel  sujet  de 


confusion  pour  nous,  quand  nous  considé- 
rons ce  que  nous  devons  être  et  ce  que 
nous  sommes.  Nous  devons  être  des  saints, 
nous  sommes  honorés  d'un  caractère  (lui 
est  saint,  où  est  donc  cette  sainteté  qui  de- 
vrait animer  tous  les  mouveraenls  de  notre 
cœur  et  qui  devrait  paraître  dans  toutes  nos 
actions? 

Ministres  indignes  de  Jésus-Christ ,  que 
nous  avons  sujet  de  craindre  que  nous 
n'ayons  déshonoré  le  saint  caractère  dont 
nous  avons  été  revêtus. 

Pleurons,  mes  frères,  pleurons  pour  nous- 
môii'es.  Pleurons  pour  tant  de  prêtres  qui 
s'oublient,  qui  profanent  le  saint  nom  do 
prêtre,  qui  ne  le  portent  que  pour  leur  con- 
damnation. Un  prêtre  dans  la  mollesse,  dans, 
le  luxe  du  monde,  dans  les  excès  ,  dans  le 
crime,  quoi  monstre?  Qui  croirait  que  cet 
homme  est  prêtre  ?  Connnent  reconnaî- 
tre la  sainteté  de  ce  caractère  au  milieu  d^i 
ces  actions  profanes,  séculières  et  crimi- 
nelles? 

Pleurons  pour  tant  de  prêtres  qui,  plus 
réguliers  en  app«irence,  sont  encore  très- 
éloignés  de  satisfaire  à  leurs  obligations. 
Que  de  prêtres  que  le  monde  justifie  et  que 
Jésus-Christ  condamnera  ,  parce  (ju'ils  ont 
été  des  serviteurs  inutiles. 

Knfin  pleurons  pour  nous-mêmes.  Peut- 
être  plusieurs  d'entre  nous  qui  paraissent 
bien  disposés,  seront  un  jour  au  rang  de 
ces  ministres  criminels,  dont  les  excès  nous 
font  horreur,  ou  de  ces  ministres  inutiles 
dont  la  paresse  ne  peut  être  excusée.  Ceux- 
là  même  qui  paraissent  agir  avec  |)lus  d<i. 
zèle,  en  font-ils  assez  pour  satisfaire  à  tou- 
tes leurs  obligations,  et  quand  leurs  um- 
vres  seront  pesées  dans  la  balance ,  ne 
seront-elles  point  trouvées  trop  légères  et 
défectueuses? 

Seigneur  qui  nous  avez  élevés  à  la  digni- 
té de  prêtres  ,  c'est  à  vous  de  nous  inspirer 
Ic3  scniinjents  dont  nous  devons  être  pé- 
nétrés. Pauvres  et  faibles'inslruments  que 
j»ouvons-nous  de  nous-mêmes?  N.ous  no-us 
remettons  entre  vos  mains.  C'est  à  vous  de 
nous  rendre  tels  que  nous  devons  être  pour 
soutenir  un  si  saint  nom.  Auimez-nous,  for-, 
lifiea-nous,  sanctifiez- nous  ,  convertissez 
les  pécheurs,  et  surtout  les  prêtres  crimi- 
nels ;  car  il  n'y  a  que  la  force  de  votre  grâce 
qui  puisse  briser  la  dureté  de  leur  cœur. 
Puisque  nous  appartenons  à  Jésus-Christ 
par  tant  de  titres,  faites  que  nous  ne  nous  • 
séparions  jamais  de  lui.  Nous  vous  deman- 
derons une  seule  gâce,  et  nous  la  recher- 
cherons de  tout  notre  cœur,  c'est  que  nous 
nous  conduisiotLs  ici-bas  comme  de  fidèles 
minis.tres  de  Jésus-Christ,  afin  que  nous, 
ayons  un  joue  le  bonheur  d'être  réunis 
dans  l'éternité  à  celui  que  vous  nous  avci 
donné  {)0ur  être  notre  Chef  et  noire  Roi. 

DISCOURS  V. 


DU    JUGEMENT. 

Un  des   urincipaux  caractères 


de  la   sa- 


(70)  «  Quod  in  illa  vila  lonijilebiuuis,  curn  videbimus  l'acic  ad  faciem.  »  (J^c  apiiii.  et  liltcr.,  c.  ult.) 


1021 


hKTRAlTE  ECCL.  -  V,  DU  Jl  CEMENT. 


1022 


gesse,  c'est  do  ne  se  point  arrCler  nu  pré- 
sent, mais  de  jj-évoir  ce  qui  doit  nous  ar- 
river un  jour. 

Celui  qui  n'a  point  de  sagesse  ni  de  pré- 
voyance n'a  des  yeui  pour  voir  que  le 
moment  présent;  il  semblo  qu  'il  soit  sûr 
que  tous  les  jours  suivants  seront  sembla- 
bles à  celui  dans  lequel  il  vit,  il  n'est  point 
touché  de  toutes  les  preuves  qui  devraient 
le  convaincre  de  l'inconstance  des  choses 
humaines.  Pour  un  contentement  d'un  jour, 
il  ne  craindra  point  de  s'exposer  au  danger 
d'être  malheureux  pendant  plusieurs  an- 
nées. 

L'homme  prudent  et  sage  girde  une  con- 
duite tout  opposée.  Il  est  plus  attentif  à  ce 
qui  peut  lui  arriver  qu'à  l'élal  présent  de 
§a  fortune  ;  il  compte  sur  des  changemenis  ; 
ce  qui  est  arrivé  à  tant  d'autres,  le  convainc 
qu'il  flura  lui-môme  un  pareil,  sort,  il  s'as-r 
sure  contre  les  événements,  il  voit  enfin 
arriver  les  jours  où  l'inconst.ince  des  choses 
buiuaines  se  fait  sçntir;  mais  il  demeure 
ferme,  il  il  a  des  ressources  assurées, 
parce  (ju'il  a  prévu. 

Cette  sage  prévoyance  est  parliculière- 
menl  nécessaire,  pour  considérer  aKenti- 
vemeal  les  grauds  événements  qui  doivent 
arriver  infaiHiblemcnl  après  le  temps  de 
celle  vie.  Nous  devons  tous  comparaître  de- 
vant le  tribuunl  de  Jcms-Cfirist,  afin  que 
chacun  reçoive  ce  qui  est  dû  aux  bonnes  ou 
aux  mauvaises  actions  qu'il  aura  faites. 
(II  Cor.,  V,  1.0.)  Voilà  ce  qu'il  est  important 
de  prévoie. 

Quand  le  temps  de  cette  vie  qui  passe 
comme  une  ombre  sera  fini  ;  quand  la  mort 
frappera  son  coup;  quand  nous  serons  cités 
devant  le  tribunal  de  Jésus-Christ,  il  ne 
sers  plus  temps  de  penser  aux  vérités  im- 
portantes de  la  religion  :  De  quelque  côlé 
que  Varhre  tombe,  il  y  demeurera  éternelle- 
taenl.  [Eccle.,  XI,  3.)  La  prudence  ne  veut- 
elle  pas  que  l'on  prévoie  des  vérités  impor-» 
tantes,  qui  nous  regardent,  et  auxquelles  il 
ri'esl  plus  temps  de  penser  quand  elles  s'ac- 
complissent? Ê"es/  une  chose  terrible,  dil  le 
grand  Apôtre,  que  de  tomber  entre  les  tnains 
du  Dieu,  vivant.  {Uebr.,  X,  31.)  Quand  les 
S:ainls  prophètes  |)arlent  du  dernier  jour, 
tous  les  termes  dont  ils  se  servent  ins()irent 
la  terreur.  Poussez  des  cris  et  des  hurle- 
ments, dil  le  saint  prophète  Isaïe,  parce  que 
le  jour  du  Seigneur  esLproehe  {Isa.,  XIII,  (i); 
c'est-à-dire  le  jour  dans  lequel  le  Seigneur 
inaniEeslera  pa.i:ticulièrement  sa  puissance. 
Faussez  des  cris,  ce  n'est  pas  assez  dire, 
(/e5  hurlements,  l'ous  les  Ozas  seront  languis- 
sants. Ex|)ression  (jui  marque  notre  ex- 
trême faiblesse.  Les  hommes  sécheront,  ils 
seront  brisés,  ils  souffriront  des  maux  comme 
une  femme  qui  est  en  travail,  leurs  visages 
seront  desséches  comme  s'ils  avaiçnt  été 
brûlés  par  le  fui.{lbid  ,  9.)  Quel  est  donc  le 
principe  et  le  londcraenl  de  toutes  ces  sur- 

(70*)  «  Nos  qui  vobis  vidcniur  ioqui  de  supcriorc 
l')ça  cuiu  linioie,  sub  pcdibus  vcslib  sunius,  qiio- 
i)l.im  iiôvimus  naam  pciiculosa  laiio  de  isla   su- 


prenantes  agilalions?  Ces!  qtie  le  jour  du 
Seigneur  va  venir.  Quel  jour?  Le  jour,  cruel 
plein  d'indignation,  de  colère  et  de  fureur. 
(Ibid.,  13.)  Toutes  expressions  que  le  pro- 
phète emploie  pour  marquer  qu'il  n'y  aura 
plus  <-)lors  de  miséricorde  à  espérer. 
^  Ce  jour  tout  rigoureux  qu'il  doit  être  à 
l'égard  de  tous  les  hommes,  le  sera  cn.core 
davantage  à  l'égard  des  ecclésiastiques.  Ils 
ont  un  f)lus  grand  compte  à  rendre,  et  par 
conséquent  plus  sujet  d'appréhender. 

Saint  Augusiin  marque  à  ses  auditeurs  la 
vive  impression  que  fait  sur  lui  la  |)ensée 
du  jugeaient,  et  s'expli(|ue  en  ces  termes. 
Nous  qui  sommes  ici  dans  un  lieu  élevé  au- 
dessus  d,e  vous,  nous  nous  considérons 
comme  étant  sous  vos  pieds  par  la  crainle 
dam  nous  sommes  saisis,  car  nous  sommes 
convaincus  que  notre  élévation  nous  en- 
gage à  rendre  un  grand  com()le  (70*). 

Voilà  donc  un  événement  imporlapt  que 
vous  devez  prévoir.  Il  est  absolument  né-, 
cessaire  de  comparaître  devant  Dieu.  Que 
ce  soit  là  votre  méditation  de'tous  les  jours. 
Vous  verrez;  aue  vous  en  tirerc?  de  grands 
fruits, 

Je  \ea%  aujourd'hui  yo,us  proposer  cette 
importante  vérité  par  rapport,  à  votre  état. 

Tous  les  fidèles  ont  sujet  d'ap[)réhender 
les  jugements  de  pieu.  Les  ecclésiastiques 
ont  plus  lieu  de  trembler  que  les  autres.  Il, 
y  a  deux  choses  particulièrement  à  consi- 
dérer dans  le  jugement  de  Dieu  :  l'examen 
et  la  sentence. 

Les  ecclésiastiques,  seropt  examinés  plus, 
exactement  que  les  autres.  Première  pro- 
position. 

Ils  beront  condamnés  nlus  rigoureu- 
seïnent  que  les  autres.  Seconde  proposi- 
tion. C'est  tout  le  sujet  et  le  partage  de  cet, 
entretien. 

PREMIER    POINT. 

L'examen  rigoureux  que  Dieu  doit  faire 
de  ses  ministres  au  jour  de  son  jugement, 
commencera  par  leur  entrée  dans  l'étal  ec- 
clésiastique. Dieu  ira  d'abord  à  la  source.  II. 
examinera  quels  ont  été  les  principes  qui 
nous  ont  portés  à  embrasser  l'éiat  ecclésias- 
tique. 11  n'  y  a  point  de  doute  qu'il  y  ea. 
aura  une  infinité  qui  seront  condamnés, 
parce  qu'ils  seront  convaincus  de  s'être 
poussés  d'eux-mêmes,  et  d'être  entrés  sans, 
être  légitimement  appelés. 

La  nécessité  de  la  vocation  à  l'état  ecclé- 
siastique est  invinciblement  établie  dans 
les  saintes  Ecritures.  Je  vous  en  ai  rapporté 
les  preuves  dans  un  autre  discours.  Vous 
avez  entendu  saint  Paul  qui  prononce  que 
nul  ne  doit  s'attribuer  à  lui-même  l'honneur 
du  sacerdoce,  mais  qu'il  faut  y  être  appelé  de 
Dieu  comme  Aaron.  {Hebr.,  V,  4.)  Vous  avez 
enlcndu  Jésus-Christ,  qui  assure  qu'il  est 
la  porte,  et  que  celui  qui  n'entre  point  par 
la  porte  est  un  voleur.  [Joan.,  X,  1.) 

blinii  scdc  rcddiitur.  i  (Serin.  IW,  al.  C'a  De  ver- 
bis  Domini.) 


1025 


ORATEURS  SACRES,  JOSEPH  EAMBERT. 


l62i 


Ccuibien  d'ecclésiasiiques  qui  an  jour  du 
jugement  seront  rnnvainctis  de  n'ôlre  point 
enirc's  par  Jésus-Christ. 

Celui-là  enlre-l-il  par  Jésus-Clirisl  qui 
n'est  ecclésiastique  que  parce  que  ses  pa- 
rents le  veulent  et  l'obligent  par  des  vues 
d'intérêt  à  demeurer  dans  cet  état. 

Celui-là  entre-l-il  par  Jésus-Christ  qui  n'a 
jamais  considéré  l'étot  occlésiastiiiue  que 
comme  un  éiat  commode  et  comme  un  lieu 
d'asile,  oij  il  se  garantirait  des  misères 
dont  il  était  menacé  en  demeurant  dans  sa 
condition  ?  S'il  n'y  avait  dans  l'Eglise  ni 
richesses  ni  bénéfices,  combien  y  en  a-(-ii 
qui  vivent  des  revenus  de  l'Rglise,  à  qui  il 
ne  serait  pas  même  veDu  dans  l'esprit  de 
s'engager  dans  la  milice  sacrée. 

Au  lieu  qu'on  ne  devrait  entrer  dans  l'Jîl- 
glise  qu'avec  crainte  et  avec  tremblement  ; 
au  lieu  qu'on  ne  devrait  jamais  y  entrer  par 
son  propre  conseil,  on  ne  voit  do  tous  côtés 
que  des  hommes  hardis  et  précipités, 
qui  n'ont  jamais  pris  conseil  que  d'eux- 
niômes. 

Saint  Grégoire  ds  Nazianze  (71)  se  plaint 
de  ces  hommes  précipités,  qui  croicnl  qu'en 
très-peu  de  temps  on  peut  acquérir  toutes 
les  dispositions  nécessaires  pour  parvenir 
nu  sacerdoce.  Il  les  reprend  surtout  do  ce 
qu'ils  se  poussent  d'eux  mêmes;  do  ce  qu'ils 
prennent  pour  règle  leurs  désirs  et  leur 
propre  volonté  ;  de  ce  qu'ils  montent  avec 
hardiesse  sur  les  trônes  les  plus  émincnts; 
de  ce  qu'ils  ne  sont  point  épouvantés  en 
considérant  les  grandes  et  imporlanles  obli- 
galions  de  l'état  ecclésiastique. 

Dieu,  au  jourdu  jugement,  pour  confondre 
celte  hardiesse  et  cette  précipitation,  oppo- 
sera la  retenue  humble  et  modeste  de  tant 
desoinis  qui  se  sont  cachés,  qui  oui  trem- 
blé, (|ui  ont  fui. 

Entendez  encore  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze. Il  dit  que  le  seul  sujet  qu'il  a  de  se 
plaindre  de  son  illustre  père  et  de  son  cher 
^irai  saint  Basile,  c'est  qu'ils  l'ont  en  quel- 
que manière  séduit,  en  l'arrachant  de  la  so- 
litude, où  il  trouvait  toutes  sortes  de  dé« 
l'ices  pour  l'élever  au  sacerdoce  (72).  • 
'■>  Le  même  saint  Grégoire  de  Nazianze,  en 
parlant  de  saint  Bazile,  dit  qu'il  n'est  point 
semblable  à  ceux  qui  ont  u!i  désir  immo- 
déré do  remplir  les  premières  places  de 
l^Eglise.  11  est  parvenu  |)ar  degrés.  Les 
premières  fdaces  ne  lui  ont  été  confiées 
qu'après  qu'il  a  donné  de  longues  preuves 
de  sa  sagesse,  de  son  habileté  et  de  sa 
vertu.  Il  n'a  point  cherché  les  honneurs, 
niais  il  a  été  recherché,  parce  qu'il  en  a  été 
jugé  digne.  Son  élévation  n'a  [)oint  été  l'ou- 
vrage des  hommes,  la  faveur  humaine  n'y 
a  eu  aucune  part.  C'est  Dieu  qui  s'est  expli- 
qué, qui  a  fait  voir  qu'il  le  choisissait  pour 
r.niplir  les  places  les  plus  importantes  de 
.son  Eglise  (73). 
Lorsque   Néi)Otien    fut    ordonné   prêtre, 

;7i)  Oral.  20,  p.  33(i. 
(■■2)  Oral.  1!>,  p.  512. 
("ô)  Orat.  -20,  p.  55,S,  .   • 


combien,  selon  le  témoignage  de  saint  Jé- 
rôme, Tie  répandit-il  pas  de  larmes?  Quels 
cris  ne  fit  il  point  entendre  ?  Ce  fut  en  cette 
seule  occasion  qu'il  parut  irrité  contre  son 
oncle  qui  lui  imposait  les  mains.  Il  assurait 
qu'il  n'avait  pas  assez  de  force  pour  porter 
le  fardeau  dont  on  le  chargeait.  Mais  plus  il 
témoignait  d'éloignemenf,  plus  il  s'acqué- 
rait l'estime  et  l'affection  de  tous  ceux  qui 
connaissaient  ses  grandes  qualités.  Il  méri- 
tait par  son  refus  la  dignité  5  laquelle  on 
voulait  l'élever,  et  il  en  était  d'autant  plus 
digne  qu'il  élevait  sa  voix  pour  déclarer 
qu"il  en  était  absolument  indigne  (74). 

Le  sacerdoce,  en  ces  premiers  temps,  était- 
il  d'une  autre  nature  que  celui  auquel  nous 
aspirons?  C'était  le  même  sacerdoce,  mais 
ce  ne  sont  plus  les  mêmes  prêtres.  Ce  no 
sont  plus  les  mômes  idées  des  choses  sain- 
tes. Autrefois  la  seule  obéissance  détermi- 
nait à  accepter  les  dignités  dont  les  engage- 
ments faisaient  trembler  :  maintenant  la 
seule  avidité  fait  rechercher  des  dignités 
dont  on  no  considère  que  les  commodités 
temporelles,  et  dont  'on  a  grand  soin  de  se 
dissimuler  les  redoutables  engagements.. 
Que  le  nombre  est  grand  de  ceux  qui  cou- 
rent d'eux-mêmes,  et  que  cette  seule  préci- 
pitation rendra  condamnables  au  jugement 
de  Dieu. 

Ce  n'est  pas  assez  d'êlre  légitimement 
appelé  pour  être  un  saint  prêtre.  11  faut  encore 
.soutenir  sa  vocation' par  la  pratique  des  ver- 
tus ecclésiastiques.  El  c'est  sur  quoi  nous 
serons  examinés  au  jour  du  jugement.  Dieu 
entrera  dans  la  discussion  de  toutes  les 
vertus  ecclésiasliques,  et  si  nous  avons  été 
négligents  à  les  observer,  nous  ne  pourrons 
éviter  d'être  rigoureusement  condananés. 

Le  désintéressement  est  une  vertu  abso-. 
Iiiment  nécessaire  aux  ecclésiastiques,  et  il 
y  en  a  une  infinité  qui  périront,  parce  (ju'ils 
ont  été  malheureusement  allachés  à  leur  in-' 
térôt. 

En  trouve-l-on  beaucoup  qui,  suivant 
l'excmide  de  saint  Paul,  puissent  dire  qu'ils 
sont  entièrement  détachés  de  tout  inlérêl 
humain?  Saint  Paul  regardait  celle  vertu 
comme  une  vertu  ca[)ilale  dans  un  ecclé- 
siastique. Il  en  faisait  sa  gloire,  et  nous  as- 
sure qu'il  aurait  mieux  aimé  mourir  que  de 
perdre  cette  gloire  (I  Cor.,  IX,  15),  qui  lui 
était  si  précieuse  et  si  nécessaire. 

Que  d'ecclésiastiques  qui,  au  jour  du  ju- 
gement seront  convaincus  d'avoir  été  les 
esclaves  de  leur  intérêt?  Ils  ont  exercé 
leurs  fonctions  h  peu  près  dans  le  même 
espril  que  les  plus  vils  artisans  travaillent 
de  leur  mélier.  Que  se  sont-ils  proposés? 
un  gain  temporel  ?  Voilà  où  ils  en  sonl  de- 
meurés, et  ils  n'ont  point  porté  leur  vue 
plus  loin.  Les  voilà  donc  de  ceux  que  l'A- 
pôlre  condamne ,  parce  qu'ils  regardent  la 
piélé  comme  un  moyen  de  faire  des  gains 
'emporels.  (I  Tim.,  VI,  5.) 

(74)  «  Qui  gemiliis,  qui  ejulatus '.'...  Qucrebatur 
se  feno  non  possc...  Moiclialur  negaiiili),  cpifxl 
esse  iiolebat,  coijih;  tligiiior  ciai  quo  se  clamabal 
iiKii^uuin.  » 


ii;-2j 


RETRAITE  KCCL.  —  Y.  DU  JUGEMF.M. 


1'.2G 


D'autres,  encore  plus  altacliés  ti  I»'iir  iii- 
;lL^iêl,  ne  craimlroiU  poirUde  faire  dos  has- 
'sess(;s,  d'avilir  leur  caracière,  de  traliir  leur 
iiiiiiislère,  de  llUler  l'impie  dans  son  im- 
pit';lt^  et  le  péclieur  dans  ses  désirs  criiiii- 
nols.  Les  assnjettisseincnis  les  plus  vils  cl 
les  complaisances  les  plus  lâches  ne  leur 
coi") lent  rien,  pourvu  qu'ils  arrivent  ?>  leur 
lin.  Le  propliùle  les  a  pariaileinenl  dépeints 
(luand  il  a  dit  û'onx,  qna  pour  un  peu  d'orge 
tt  un  morceau  de  pain,  ils  ne  feront  point 
(iinîcullé  de  tuer  les  dînes.  {Ezech.,  XIII,  19.) 
Tous,  dit  saint  Paul,  cherchent  leur  intérêt. 
[Philip.,  H,  21.)  Ce  vice  donc  est  Irès-ré- 
paudu.  Qui  peut  explitpier  combien  il  y  en 
aura  qui  seront  repris  devant  Dieu,  parce 
qu'ils  s'en  Irouveront  rou[  ablcs,  lorsqu'ils 
ronq)araîtront  devant  lui? 

Le  zèle  n'est  jias  moins  nécessaire  ni 
moins  recommandé  aux  ecc'ésiasliques  que 
lo  désintéressement.  Qu'est-ce  qu'un  ecclé- 
siastique qui  n'a  point  de  zèle?  Comment 
pourra-t-il  soutenir  la  vue  de  Dieu?  Et  s'il 
se  trouve  dépourvu  de  cette  vertu,  peut-il 
éviter  d'être  condamné? 

Dieu  vous  interrogera  sur  le  zèle  que 
vous  devez  avoir  eu  f)Our  sa  maison. 

La  dévotion  d'orner  les  temples  est  une 
dévotion  très-solide  et  très-ancienne.  Dès 
les  premiers  temps  les  saints  ont  cru  que 
c'était  une  action  de  [liété,  qui  était  digne 
de  leurs  soins  et  de  leur  aptiîioalion.  Saint 
(irégoire  de  Nazianze,  en  faisant  l'éloge  de 
sa  sœur  Gorgonie,  la.  loue  particulièrement 
de  ce  qu'elle  était  ttppliquée  à  orner  les 
iem|)les  au  Seigneur,  et  de  ce  qu'elle  y  fai- 
sait de  raagnitifiues  présents  (75).  Il  paraît, 
par  la  description  que  le  même  saint  Gré- 
goire de  Nazianze  nous  fait  de  l'église  de 
Nazianze,  que  c'était  un  ouvrage  où  toutes 
les  règles  de  l'archileclure  avaient  été  exac- 
tement observées.  Le  marbre  et  les  pierres 
d'un  plus  grand  prix  avaient  été  employés 
dans  la  construction  de  cet  édifice.  On  y 
voyait  des  peintures  où  la  nature  était  par- 
faitement imitée.  Le  spectateur  était  étonné 
en  conlemplaut  'toutes  les  beautés  de  cet 
ouvrage  magnifique  (76). 

Dieu  veut  que  Jes  pasteurs  aient  uri 
grand  soin  des  temples  matériels,  et  la  pro- 
preté de  ces  temples  fait  voir  aux  fidèles  le 
soin  qu'ils  doivent  avoir  soin  d'orner  leurs 
âmes  qui  sont  les  véritables  temples  du  Sei- 
gneur. 

Combien  de  fois  arrivera-t-il  que  la  mai- 
son du  pasteur  sera  dans  l'ordre,  le  com- 
mode s'y  trouvera,  on  y  remarquera  môme 
des  ornenienls  superflus.  Entrez  dans  l'é- 
glise, visite/  les  ornements.  Le  temple  du 
Seigneur  est  abandonné.  A  peine  croiriez- 
voijs  que  le  lieu  dans  lequel  vous  êtes  ,  est 
celui-là  même,  où  les  fidèles  s'assemblent 
pour  rendre  leurs  hommages  à  Dieu  ?  Quelle 
S!.ra  l'excuse  du  pasteur?  Ce  n'est  pus  lui, 
vous  dit-il  liardiuient,  qui  est  chargé  du 
lt;mple  du  Seigneur.  Osera-t-il  bien  encore, 
(juandil  sera  devant  Dieu,  employer  une  si 

(75)  Oral.  Il,  p.  18-2. 


mauvaise  réponse?  Eh  I  qui  donc  en  est 
chargé,  si  le  pasteur  ne  l'est  |iasl  A  quoi 
ptiurrait-il  mieux  employer  son  temps  que 
d'aller  souvent  dans  soii  Eglise,  travailler 
lui-même  à  son  embellissement,  animei  ics 
antres  t>arson  exemple?  Non,  je  ne  conçois 
pas  comment  un  pasteur  peut  soutenir  do 
voir  dans  son  église  des  indécences  et  des 
désordres,  auxquels  il  serait  aisé  de  remé- 
dier en  y  apportant  quelque  soin.  Je  ne 
conçois  pas  comment  il  peut  célébrer  les 
saints  ofiices  avec  des  ornements  dont  l'état 
et  la  figure  do'nne  du  dégoûl.  Je  ne  conçois 
pas  que  sur  des  choses  qui  sont  d'un  de- 
voir si  étroit,  l'indolence  et  la  négligenco 
puissent  aller  si  loin.  Où  est  le  zèle  dusaint 
et  illustre  Mathatias  qui,  le  cœur  percé  de 
douleur  s'écriait  qu'il  n'était  pas  possiblo 
de  vivre  et  de  voir  les  profanations  qui  se 
faisaient  dans  le  temple  du  Seigneur. 
(I  Mach.,  U,  1,  3.) 

On  entend  tous  les  jours  parler  de  plu- 
sieurs malheurs  dont  l'F.glise  est  affligée. 
Tantôt  c'est  un  scandale,  tantôt  c'est  une 
persécution.  Il  y  a  peu  de  moments  où 
l'on  ne  s'aperçoive  que  l'ennemi  est  venu,  et 
qu'il  a  semé  l'ivraie  parmi  te  blé  (Matth  , 
XIII,  25.)  Un  véritable  pasteur  est  dans  do 
continuels  gémissements  en  faisan!  atten- 
tion aux  maux  de  l'Eglisp.  Il  travaille  au- 
tant qu'il  est  en  lui  pour  empêcher  les 
cruels  efforts  de  l'ennemi.  Quand  il  se  sent 
dans  l'impuissance  il  a  recours  aux  larmes. 
Que  nous  serions  heureux  si  nous  avions 
une  portion  de  ce  zèle  qui  f)énélrait  saint 
l'aul  quand  il  disait  que  l'application  (|u'il 
donnait  au  soin  de  toutes  les  Eglises  rem- 
plissait son  esprit  de  continuelles  inquié- 
tudes. (Il  Cor.,  XI,  8.) 

Un  pasteur  doit  surtout  avoir  du  zèle 
pour  faire  connaître  au  pécheur  l'injuslico 
de  ses  voies  criminelles.  Il  n'y  a  [)oint  d'ef- 
forts qu'il  ne  doive  employer  pour  faire 
rentrer  dans  la  véritable  voie  la  brebis  qui 
s'est  égarée.  Comment  excuser  un  pasteur 
qui  demeure  tranquille  et  qui  ne  sent  en 
lui-même  aucune  émotion ,  pendant  que 
plusieurs  de  ses  brebis  sont  en  jiroie  au 
démon.  Vous  avez  donné  quelques  avertis- 
sements. Est-ce  assez?  Ne  faut-il  pas  les 
réitérer?  Ne  faut-il  pas  presser?  Devez- 
vous  jamais  [)erdre  de  vue  cette  brebis  qui 
vous  touche  de  si  près,  et  dont  Dieu  vous  a 
recommandé  si  particulièrement  de  lui  reii" 
dre  compte. 

Quand  donc  est-ce  que  les  ecclésiasliques 
font  ()araître  leur  zèle  ?  C'est  quand  il  est 
question  de  maintenir  leurs  droits,  de  fai- 
re valoir  leurs  bénéfices,  de  rentrer  en  p.os- 
séssion  de  quelque  bien  qu'on  leur  a  enle- 
vé. Pour  lors  les  voyages  ne  sont  pas  épar- 
gnés; on  n'est  point  épouvanté  par  les  frais 
et  les  avances  qu'il  faut  faire;  les  amis 
sont  employés,  et  ils  sont  sollicitésjusqu'à 
l'importunilé.  Saint  Bernard  se  plaint  que 
tout  le  zèle  des  ecclésiasti(|ues  se  termine 
à  Jàire  valoir  les    (irérogalives  attachées    à 

(7Gj  Oral.  l'J,  p.  31.3. 


10-27 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


4C2S 


leur  dignité,  béfaut  de  zftie  :  voilà  un  grand 
reproche  que  les  ecclésiastiques  ont  h  se 
faire,  et  qui  leur  sera  fait  infailliblement 
par  Jésus-Christ,  quand  ils  paraîtront  de- 
vant lui  (77), 

Il  y  a  beaucoup  d'autres  vertus  nécessai- 
res aux  ecclésiastiques.  Si  dans  un  seul  dis- 
cours il  était  permis  de  les, parcourir  tou- 
tes, vous  verriez  bien  d'autres  sujets  que 
nous  avons  d'appréhender. 

Les  ecclésiastiques,  par  exemple,  doivent 
avoir  beaucoup  de  modestie,  et  témoigner 
un  grand  lespect  pour  les  choses  saintes. 

Qu'auront  donc  h  répondre  au  jugement 
de  Dieu  ces  ministres  indigrtes,  qui  sem- 
blent outrager  le  Seigneur  dans  le,  temps 
qu'ils  chantent  ses  louanges?  Leur  dissipa- 
tion se  fait  sentir  pour  peu  qu'on  les  regar- 
de :  leurs  yeux  qui  ne  sont  jamais  fixés,  et 
qui  se  donnent  une  pleine  liberté  de  consi- 
dérer tous  les  objets  qui  se  présentent  de- 
vant eux,  font  assez  connaître  que  l'esprit 
est  occupé  de  toutes  sortes  de  pensées  et 
qu'on  ne  fait  pas  beaucoup  d'efforts  pour 
remplir  le  cœur  du  seul  objet  qui  le  doit 
occuper.  On  fait  voir  par  toutes  sortes  de 
marqués  que  l'on  n'est  dans  le  temple  du 
Seigneur  que  malgré  soi,  que  l'on  a  une 
(rès-forle  impatience  d'en  sortir,  et  qu'on 
n'y  demeurerait  point  si  l'on  n'était  arrêté 
par  des  vues  d'intérêt  et  oai-  Qys  considéra- 
lions  temporelles. 

Dieu  veut  que  les  ecclésiastiques  mettent 
en  lui  foule  leur  confiance,  qu'ils  soient  fi- 
dèles à  tous  les  exercices  de  leur  emploi, 
qu'ils  souttrent  avec  courage  les  contradic- 
tions qîji  sont  inséparables  de  cette  vie. 
Dieu  veut  que  les  ecclésiastiques  suppor- 
tent les  faibles,  qu'iljs  les  ménagent,  qu'ils 
gagnent  leur  cœur.  Dieu  a  commandé  aux 
epciésiastiques  de  vivre  dans  la  retraite,  et 
d'éviter  les  compagnies  nù  l'on  court  tou- 
jours risque  de  respirer  l'air  contagieux  du 
siècle.  Que  d'articles  iinportafils  qui  seront 
tous  examinés,  et  dont  aucun  n'échappera  à 
!a  connaissance,  à  la  pénétration  et  à  la  sa- 
gesse de  notre  juge  1 

Je  passe  à  un  grand  article,  et  je  ne  puis 
l'examiner  sans  être  rempli  de  frayeur,  en 
considérant  le  grand   nombre  d'ecclésiasti- 

âues  qui  périroilt,  quand  ils  seront  obligés 
e  répondre  sur  cet  article  important. 
Il  s'agit  du  iîompte  que  vous  devei  rendre 
h  Dieu  des   reveniis  ecclésiastiques  qu'il  a 
déposés  entre  vos  mains.  Quel  usage  eu 
avez-vous  fait? 

Celui-là  qui  paraît,  et  que  Dieu  va  juger, 
est  un  riche  bénélicier  qui  a  possédé  des 
revenus  considéral)les,  qui  n'a  jamais  cou- 
nu  l'esprit  ecclésiastique,  qui  n'a  jamais 
travaillé  pour  l'Eglise,  qui  n'a  été  ecclésias- 
tique que  de  nom,  dont  les  mœurs  ont  éié 
séculières,  mondaines  et  corrompues,  qui 
a  jiassé  sa  vie  avecles  homiaies  voluptueux 


et  les  femmes  du  siècle,  qui  a  employé  à 
des  usages  profanes  et  criminels  les  reve- 
nus dont  il  s'est  trouvé  en  possession.  C'est 
celui-ià  qui  Va  tomber  entre  les  mains  du 
Dieu  vivant. 

Que  d'accusateurs  qui  vont  déposer  con- 
tre lui  et  qui  vont  l'accabler  par  leurs  jus- 
tes reproches?  Tous  ceux  que  vous  avez 
scandalisé  pat-  vos  mœurs  déréglées,  voilà 
vos  premiers  accusateurs. 

Les  fondateurs  de  vos  bénéfices  se  ren- 
dront témoins  contre  vous  :  ils  vous  accu- 
seront devant  Dieu  :  ils  vous  reprocheront 
que  vous  avez  agi  directement  contre  leurs 
intentions,  que  vous  vous  êtes  servi  pour 
commettre  un  grand  nombre  d'iniquités  de 
ces  mêmes  biens  qu'ils  avaient  offert  à  Dieu 
j)0ur  l'expiation   de  leurs  péchés. 

Mais  voici  encore  de  plus  rigoureux  accu- 
sateurs et  qui  ont  plus  sujet  de  se  plaindre. 

Ce  sont  les  pauvres  que  vous  avez  délais- 
sés et  qui  demandent  vengeance.  Le  bien 
que  vous  ayez  dissipé  n'était  point  à  vous, 
c'était  leur  bien.  Us  ont  crié,  ils  vous  ont 
représenté  que  c'était  leur  bien  d*nt  vous 
faisiez  un  si  criminel  abus  (78).  Vous  ne 
les  avez  point  écoutés,  mais  au  jour  du  ju- 
gement leurs  plaintes  sftront  reçues,  et  Dieu 
ne  pardonnera  point  à  ceux  contre  qui  les 
pauvres  feront  de  si  justes  accusations. 

Je  parte  maintenant  à  ceux  qui  ont  peu 
de  revenus  ecclésiastiques.  Je  lés  6n  féli- 
cite, puisque  souvent  ces  revenus  sacrés 
sont  une  occasion  de  perte  pour  lés  ecclé- 
siastiques qu  les  possèdent.  Vods  en  avez 
peu,  mais  n'm  désirez  vous  J:)oint?  Vous 
serez  jugés  selon  votre  désir.  La  malédic- 
tion prononcée  contre  les  riches  tombera 
sur  celui  qui  est  pauvre  en  effet,  lorsqu'il 
est  riche  de  cœur. 

Vous  avez  peu.  Croyez-vous  pour  cela 
être  dispensés  de  donner  l'aUmône.  La  cha- 
rité est  ingénieuse.  On  voit  souvent  des 
pasteurs  qui  ont  peu  de  revenu,  et  qui  ne 
tarssent  pasd'oiiier  leurs  églises,  et  de  faire 
des  auiuôrles  considérables.  La  maxime  de 
Tobie  est  incontestable,  et  doit  être  exacte- 
ment suivie  :  Si  vous  aiez  beaucoup,  donnez 
beaucoup  :  si  vous  avez  peu,  donnei  peu, 
{Tob.,  IV,  9.) 

Vous  avez  peu  de  bien  et  vous  amassez 
quelquefois  même  des  sommes  considéra- 
bles. Vous  avez  donc  oublié  la  parole  du 
Seigneur  qui  vous  a  commandé  de  ne  vous 
point  mettre  en  peine,  et  de  vous  reposer 
sur  lui.  Peut-on  se  flatter  qu'il  est  permis 
d'amasser  pendant  que  l'on  connaît  des 
|)auvres  qui  sont  dans  une  extrême  né- 
cessité? 

Entrons  dans  les  sentiments  de  saint  Ba- 
sile qui  ci-oient  qu'un  ecclésiastique  n'est 
jamais  plus  riche,  que  quand  il  se  réduit 
dans  une  très-grande  pauvreté.  Porter  'la 
croix  do  Jésus-Christ,  selon  ce  grand  saint, 


(77)  I  Vides  omncm  ecclesiasticum  zelum  fer- 
ve.ic  pro  sola  digniiaie  luenda.  »  (lAb.  IV  De  con- 
tid.,  c.  2.) 


(78)  «  Clamant  nudi,  clamant  famclici,  nostrum 
est  quud  cITuiidills.  >  (S.  I3ei(Nardus  ad  Heitricuiu 
Senonen.,  arcin.,  c.  2.) 


I(>»9 


RETRAITE  ECCL.  -  V,  DU  JUGEMENT. 


1030 


c'esl  un  Irésor  préférable  à  toutes  les  riches- 
ses de  la  terre  (79). 

Imitons  la  mère  de  saint  Grégoire  de  N.i- 
zianiequi  était  fortement  persuadée  qu'on 
ne  s'enrichissait  jamais  davantage  que 
quand  on  se  dépouillait  en  faveur  des  pau- 
vres (80). 

La  gloire  d'un  ecclésiastique,  c'est  de 
niourir'pauvre  à  l'exemple  de  saint  Augus- 
tin, dont  il  est  rapporté  qu'il  ne  fit  point  de 
testament,  parce  qu'il  conserva  jusqu'à  la 
mort  la  qualité  de  pauvre  de  Jésus-Christ 
(81).  Ainsi  quand  il  mourut  il  ne  se  trouva 
en  possession  d'aucun  bien.  11  n'avait  plus 
rien  à  donner,  parce  qu'il  avait  tout  donné 
pendant  sa  vie. 

Après  l'emploi  des  revenus  ecclésiasti- 
ques, viendra  l'examen  de  l'emploi  du 
temps.  J'aperçois  encore  ici  un  grand  nom- 
bre d'infidèles  économes,  qui  seront  con- 
damnés pour  avoir  fait  un  mauvais  usage 
du  temps.  Que  les  hommes  oisifs  et  pares- 
seux écoulent  en  tremblant  cette  sentence 
terrible  que  J4isiis-Christa  prononcée:  Jetez 
dans  les  té'nèhres  extérieures  ce- serviUur  inu- 
tile. (Matih.,  XXV,  30.) 

Je  demande  donc  en  premier  lieu  si  un 
prôlre  qui  languit  dans  l'oisiveté,  qui  ne 
remplit  point  son  temps,  qui  ne  s'occupe 
point  à  .'élude  ni  à  d'autres  exercices  con- 
venables à  sa  profession,  est  en  voie  de  sa- 
lut, et  je  réponds  que  non. 

Je  demande  en  second  lieu  si  on  peut 
légitimement  donner  l'absolution  à  un  prê- 
tre qui  est  dans  ces  dispositions,  et  je  ré- 
ponds que  non. 

Je  demande  en  troisième  lieu  si  un  prê- 
tre oisif  peut  sans  blesser  sa  conscience  cé- 
lébrer tous  les  jours  les  saints  mystères. 
Tous  les  jours.  Hélas  1  je  ne  le  crois  pas 
même  en  élal  de  les  célébrer  une  seule  fois. 
La  première  disposition  pour  célébrer  les 
saints  mystères,  c'est  de  mener  une  vie  ec- 
clésiaslique.  Celui  qui  passe  ses  jours  dans 
l'ûisivelé  constamment  ne  la  mène  pas.  Quoi  ! 
vous  aurez  passé  l'après-midi  au  jeu,  à  des 
divertissements  profanes;  vous  aurez  été 
présent  à  des  repas  où  l'on  aura  péché  con- 
tre les  lois  de  la  sobriété;  vous  aurez  même 
assisté  à  des  speciacles  publics,  et  dès  le 
lendeinain  je  vous  vois  à  l'autel.  Retirez- 
vous,  allez  pleurer  vos  iniquités,  allez 
prendre  de  justes  mesures  pour  réformer 
votre  vie.  Si  vous  osez  oITrir  le  sacrifice 
dans  les  dispositions  où  vous  vous  trouvez, 
vous  ne  pouvez  qu'Irriter  le  Seigneur  et 
attirer  sur  vous  de  terribles  vengeances. 

Dieu  jugera  les  ministres  oisifs  sur  la 
perle  qu'ils  ont  faite  du  temps,  et  Dieu  ju- 
gera les  ministres  téméraires  et  entrepre- 
nants sur  la  hardiesse  qu'ils  ont  eue  d'exer- 
cer les  fonctions  ecclésiastiques  n'ayant  pas 
toute  l'habileté  nécessaire  pour  les  bien 
remplir. 

(79-)  S.  Grec.  Naz.,  orat.  20,  p.  557. 

(80)  Oral.  19,  p.  291. 

(81)  «  Tesiameiiium  iiiillum  fecil,  quia  unde  facfi- 
rei  Clirisli  paujier  non  hahuit.  >  (I'ossido.n.,  De  iU« 


Que  de  fondions  ecclésiastiques  qui  sont 
mal  exercées,  contre  leis  i-èglés  de  l'Eglise, 
au  scandale  des  peuples,  à  la  porte  des  Ames  1 
minisires  téméraires  qui  avez  entrepris  ce 
qui  était  au-dessus  de  vos  forces,  que  de- 
viendrez-vous  quand  Dieu  vous  demaridera 
compte  de  votre  administration. 

Comme  je  ne  puis  pas  ici  parcourir  tou- 
tes les  fonctions  de  notre  élal,  je  m'arrête 
h  une  seule,  et  je  dis  qu'il  y  aura  une  infi- 
nité d'ecclésiastiques  qui  seront  condam- 
nés aujugemertt  de  Dieu  |)our  avoirosé  ad- 
ministrer le  sacrement  de  pénitence,  ne  sa- 
chant pas  lés  règles  et  lesprincipes  que  l'on 
doit  suivre  dans  l'adminislralionde  ce  sacre- 
ment. 

•  On  n'exerce  point,  dit  saint  Grégoire  de 
Nazianre,  la  profession  de  médecin  que  l'on 
n'ait  ap[)ris  à  connaître  les  maladies  (82). 
On  n'est  point  au  rang  des  peintres  que 
l'on  ne  sache  comment  les  couleurs  doivent 
êlre  mêlées,  et  comment  elles  doivent  être 
appliquées  avec  le  pinceau.  Ces  hommes, 
si  vous  les  croyez,  sont  devenus  habiles  tout 
d'-un  coup.  Semblables  à  ces  géants  dont 
les  poëtes  ont  parlé,  ils  ont  été  formés  en 
un  instant.  A  peine  ont-ils  commencé  à 
s'instruire,  et  ils  osent  déjà  occuper  des 
places  que  les  habiles  ne  remplissent  qu'avec 
crainte. 

Quelque  difficulté  qu'il  y  ait  à  guérir  les 
corps,  il  y  en  a  encore  beaucoup  davantage 
dans  lagùérison  des  âmes  (83). 

Le  sacrement  de  péniterice  doit  êlte  ad- 
ministré avec  beaucoup  de  douceur.  C'est- 
à-dire  qu'un  prêtre  doit  faire  bien  des  avan- 
ces pour  gagner  le  pécheur;  il  doit  l'invi- 
ter devenir  à  lui;  il  doit  lui  faire  voir  qu'il 
a  pour  lui  des  entrailles  de  père,  qu'il  dé- 
sire avec  ardeur  sa  conversion,  qu'il  est 
sincèrement  disposé  à  lé  secourir  en  toutes 
choses,  pour  l'aider  à  sortir  de  la  voie  de 
rini(juité. 

Quelle  sera  donc  la  condamnation  de 
ceux  qui  rebutent  les  pécheurs,  qui  leur 
montrent  un  visage  sévère,  qui  les  épou- 
vantent par  des  discours  pleins  de  dureté, 
qui  sont  toujours  pressés  quand  les  pécheurs 
les  abordent,  qui  ditfèrenl  mal  à  propos  de 
les  entendre,  et  qui  les  regardent  comme 
des  importuns. 

Le  sacrement  de  pénitence  doit  être  admi- 
nistré avec  beaucoup  de  charité,  mais  avec 
une  charité  universelle  qui  s'élende  sur 
tous,  et  dont  les  pauvres  particulièrement 
ressentent  les  salutaires  eifets.  Les  dis* 
tinctions  entre  les  riches  et  les  pauvres  sont 
odieuses  :  elles  sont  insupportables,  et  di- 
gnes d'une  irès-rigoureuse  condamnation 
dans  les  dispensateurs  des  saints  mystères. 
Quoi  1  vous  voulez  que  votre  tribunal  soit 
environné  de  riches,  et  vous  rejetez  les 
pauvres.  Vous  avez  donc  oublié  tout  ce  que 
Jésus-Christ  vous  a  prescrit  en   faveur  des 

saucli  August.,  c.  30.) 

(82)  S.  Grkg.  Nui.  orat.  20,  p.  535. 
(85J  lileiu,  utat.  1,  p.  S. 


1051 


OR.VTEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMiîERT. 


lOo-i 


pauvres;  vous  ii'ètcs  louches  ni  de  son 
exemple,  ni  de  ses  paroles,  j'ajouterai  même 
ni  de  ses  menaces,  puiscpj'il  y  en  a  de  si 
ligoureuses  contre  ceux  qui  méprisent  les 
pauvres.  Conabien  au  contraire  de  bénédic- 
tions que  Dieu  a  promis  de  répandre  avec 
profusion  sur  ceux  qui  aiment  les  pauvres, 
qui  se  piaisentavec  eux,  et  qui  se  portent 
volontiers  h  les  servir. 

Un  bon  confesseur  doit  être  un  sage  con- 
seiller, il  doit  êiro  en  état  de  donnnr  des 
avis  salutaires,  et  de  prescrire  aux  fidèles 
les  règles  qu'ils  doivent  suivre  pour  réfor- 
mer leurs  mœurs,  et  pour  marcher  dans  le 
chemin  de  lu  vérité.  Quoi  !  cet  horauie  est 
venu  à  vous  et  vous  l'avez  laissé  aller  sans 
lui  donner  aucun  avis  ni  aucune  règle  ! 
Vous  vous  êtes  conlonlé  d'enlendi'o  le  récit 
de  ses  péchés,  semblable  à  un  médecifi  qui, 
étant  entré  dans  lacliambre  d'un  malade,  et 
après  avoir  écoulé  le  récit  fûcheux  de  sa  ma- 
ladie, laisserait  ce  malade  sans  lui  proscrire 
aucun  remède,  et  sans  lui  marquer  les  rè- 
gles qu'il  doil  suivre  pour  travailler  à  sa 
guérison. 

Le  sacrement  do  pénitence  doit  être  ad- 
ministré avec  beaucoup  de  patience.  Un  pé-^ 
cheur  vient  à  vous,  qui  est  dans  une  habi- 
tude invétérée.  C'est  une  longue  et  fâcheuse 
maladie.  Vous  voulez  loul  d'un  coup  le 
guérir,  vous  voulez  consonmier  l'ouvrage 
dans  une  seule  confession.  Cela  se  peut-il  ? 
Et  y  a-t-i!  un  homme  assez  habile  pour 
pouvoir  guérir  en  si  peu  de  temps  des  [»laies 
si  profondes  et  si  Jangereuses? 

Le  sacrement  de  pénitence  doil  êlre  admi- 
nistré <ivec  beaucoup  de  fermeté.  Unconfes- 
seur  zélé  doit  ôtie  armé  pour  résister  h  l'ini- 
(juité.  Il  ne  craint  rien  des  hommes,  il  n'es- 
père rien  d'eux,  il  veut  leur  salut,  et  c'est 
la  seule  vue  qu'il  se  propose  dans  tous  ses 
travaux. 

Un  des  principaux  effets  de  cette  fermeté 
doil  être  de  ne  jamais  répandre  lo  sang  do 
Jésus-Christ  sur  les  indignes. 

Ce  pécheur  qui  se  présente  à  vous  est-il 
en  état  d'être  guéri?  £st-il  en  état  d'être  ré- 
concilié? Depuis  un  grand  nombre  d'années 
il  persévère  toujours  dans  les  mêmes  cri- 
mes. Les  absolutions  qu'il  a  reçues  sont 
<-ause  qu'il  est  demeuré  tranquille,  et  qu'il 
s'est  endormi  dans  l'iniquité.  Ah  !  si  un  con- 
fetseur  zélé  eût  troublé  celte  fausse  paix, 
|teul-être  ce  pécheur  aurait-il  rentré  dans 
lui-même  :  il  n'aurait  pu  se  résoudre  à  pas- 
ser sa  vi(;  dans  l'éloignemenl  des  sacremeuts. 
Ce  pécheur  vient  h  vous  ;  conlirmcrez-vous 
à  le  tlalter?  L'ulcère  est  au  dedans  :  ii  faut 
couper,  il  faut  aller  jusqu'au  fond  de  la 
plaie.  Vous  vous  contentez  par  une  lûche 
complaisance,  de  metlie  un  emplâtre  sur 
la  plaie  et  de  la  couvrir.  V^ouiez-vo.us  savoir 
ce  que  vous  faites?  Vous  ne  guérissez  pas 
!es  âmes,  vous  les  tuez,  vous  n'êtes  pas  le 
|iasteur  clés  brebis,  mais  vous  en  êtes  le 
l'ourreau.  Que  de  bourreaux  qui  tuenl   les 

(8i;  «  lloc  non  est  curare,  sed,  si  vcruin  ilicere 
v(iluiiuis,  occiilere.  Ni'tiui  oviuiii  pasloies   Cise  Ue- 


âmes   par   des    absolulions  précipitées  (8'i.). 

Terrible  vérité  1  Vous  répondrez  à  Jésus 
(.hrist  de  loules  les  absolutions  que  vous 
avez  données  :  il  n'y  en  a  aucune  dont  vous 
ne  soyez  obligé  de  lui  rendre  compte.  Soit 
que  vous  soyez  convaincus  d'avoir  péclié 
contre  les  lois  de  l'Eglise  par  ignorance,  soit 
<pie  vous  soyez  convaincus  d'avoir  trahi  vo- 
ire ministère  par  lâcheté,  vous  voilà  certai- 
nement condanuiés. 

Les  ecciésiastiques,  et  particulièrement 
les  pasteurs  auront  un  grand  compte  à  ren- 
dre, lorsi^ue  Dieu  lesexamiuera  sur  ce  qu'ils 
doivent  au  prochain. 

Qu'est-ce  (lu'un  pasteur,  dans  la  vérité?  Le 
sei'vitour  de  tous  ses  paroissiens.  C'est  5  di- 
re qu'un  pasieur  iloit  à  son  |;euple  son 
temjis,  ses  veilles,  ses  prières,  ses  soins, 
ses  études  et  sa  vie  mêiue.  Oui,  vous  êtes 
les  serviteurs  de  votre  |)euple,  et  vous  de- 
vez vous  gior-fier  d'un  litre  que  Jésus- 
Christ  lui-même  a  bien  voulu  porter.  Le 
Fils  de  riioiume ,  no\is  d\l-i\,  n'est  pas  venu 
pour  être  servi,  mais  pour  servir  les  autres, 
{Matlh.,  XX,  28  )  L'apôlre  saint  Paul  a  pris 
le  titre  de  serviteur,  non-seulement  à  l'é- 
gard de  Jésus-Christ,  Paul  serviteur  de  Jésus- 
Christ,  m.iis  encore  à  l'égard  de  ceux  à  qui 
il  prêchait  l'Evangile.  Nous  nous  considérons, 
dit-il,  com/ne  vos  serviteurs.  (Il  Cor.,  iV,  5.) 

Si  le  mot  vous  oU'ense,  employons-en  un 
autre,  el  disons  (ju'un  pasteur  est  un  père 
qui  doit  aimer  ses  enfants  avec  tendresse,  et 
(pii,  par  des  soins  assidus,  leur  doit  donner 
di;s  preuves  de  son  amour.  Voyons  donc  le 
soin  que  vous  avez  de  votre  troupeau. 
Voyons  si  vous  leur  rendez  tous  les  services 
qu'un  père  charitable  doit  h  ses  enfants. 

Vous  devez  surtout  vous  appliquer  à  l'ins- 
truction des  oiifaiits,  et  il  est  de  la  dernière 
conséquence  do  bien  cuhiver  ces  jeunes 
plantes.  Vos  enfants  sont-ils  instruits?  Vous 
dites  qu'ils  ne  se  rendent  point  à  vos  ins- 
tructions. N'est-ce  point  plutôt  vous  qui 
n'avez  aucune  exactitude,  et  qui,  bien  loin 
de  les  attirer,  les  rebulez  par  votre  indiffé- 
rence,  et  quehiuefois  même  [)ar  vos  dure- 
tés? Les  pasteuis  zélés  ont  une  inliuité  d'ar- 
liliccs  innocents  que  la  charité  leur  suggè- 
re, pour  Se  faire  aimer  des  enfants,  pour 
les  animer,  cl  {".uur  les  engager  à  se  rendre 
assidus. 

Vous  laissez  ce  |iéchcur  dans  ses  égare- 
ments. Croyez-vous  donc  que  vous  ne  lui 
devez  rien?  Ignorez-vous  (juc  Dieu  vous  de- 
mandera compte  do  son  âme,  el  que  vous  en 
serez  responsable,  si  vous  ne  jioavoz  pas 
vous  rendre  lémoigiiagne  que  vous  avez  tait 
tout  ce  qui  dépendait  de  vous  j)Our  le  pres- 
ser de  se  convertir? 

Vous  acquittez-vous  de  ce  que  vous  devez 
aux  malades?  Vous  leur  administrez  les  sa- 
crements de  l'Eglise,  et  puis  vous  les  lais- 
sez. Croyez-vous  que  vous  avez  tout  fait  , 
et  (|ue  vous  avez  rempli  tous  vos  devoiis  ? 
N'est-ce  pas  uour  vous  une  ob:igal)OU  iudis- 

benl  l.uiii    liant,  i    {Ctenis    Uoinaii.,   inler  Epist., 
siincti  Cypri.,  e;).  Il), -jL) 


ïO'cS 


RETRAITE  ECCLES.  —  V,  DU  JUGEMENT. 


4001 


■pensable  de  visiter  souvent  les  malades,  lie 
les  consoler,  de  les  fortifier,  de  les  encoura- 
ger, de  leur  enseigner  à  faire  un  saint  usage 
de  leur  maladie? 

Vous  vous  devez  tout  entier  à  votre  pro- 
cliain,  jugez  donc  vous-même  si  vous  ne 
méritez  pas  d'ôtre  sévèrement  repris,  lors- 
qu'en  tant  d'occasions  vous  le  laissez  sans 
assistance,  sans  consolation,  sans  soulage- 
r::ent,  sans  soutien. 

Ce  n'est  pas  encore  là  tout  cequi  doit  êlre 
«■saminé  au  tribunal  de  Jésus-Clirist.  Je  dis 
que  les  ecclésiastiques  seront  môme  jugés 
sur  leurs  bonnes  œuvres.  Je  soutiens  que 
plusieurs  actions  qui  paraissent  bonnes  aux 
veux  des  homm<'s  seront  réprouvées  par 
Jésus-Christ,  et  qu'elles  seront  mises  au 
rang  des  péchés.  Voici  une  parole  d'un  pro- 
phète qu'on  ne  peut  guère  méditer  sans  en 
être  effrayé. 

Dieu  parle  à  des  prêtres,  et  voici  le  juge- 
ment qu'il  fait  de  leurs  solennités.  Il  dit 
qu'il  les  regarde  comme  des  ordures,  qu'il 
les  rejettera,  qu'il  leur  m  couvrira  le  visage. 
(A/a/ac,  JI,  2.)  Que  cette  expression  vous 
serve  à  concevoir  ce  que  Dieu  pense  de 
quantité  d'actions  qui  devraient  servir  à 
notre  sanctification,  mais  que  Dieu  rejette- 
ra à  cause  de  la  oiauvaise  disposition  de  no- 
tre cœur.  Des  prières  prononcées  à  la  hâte 
et  sans  respect,  des  sacrifices  offerts  ou  par 
coutume,  ou  par  intérêt,  le  ministère  de  la 
parole  exercé  dans  la  vue  de  plaire  aux 
hommes,  des  empressements  qui  ont  pour 
motif  l'espérance  du  gain,  de  bons  offices 
rendus  au  prochain  par  humeur,  par  curio- 
sité, par  une  vaine  satisfaction  que  l'on 
ressent  lorsqu'on  a  quelque  lieu  de  se  flat- 
ter que  l'on  est  recherché,  et  que  l'on  est 
nécessaire. Tout  cela  devant  Dieu,  sont  des 
ordures  qu'il  rejettera,  etquiluiseront très- 
désagréables.  Quel  état  que  celui  d'un  prê- 
tre qui  sera  chargé  de  péchés,  et  qui  se  trou- 
vera criminel  môme  dans  ce  qu'il  mettait  au 
rang  de  ses  bonnes  actions? 
,11  serait  difficile  d'exprimer  dans  le  détail 
tous  les  reproches  que  Dieu  fera  à  ces  ec- 
clésiastiques infidèles  au  jour  de  son  juge- 
ment. Cuiubien  d'autres  articles  encore  sur 
lesquels  ils  auront  à  répondre? 

Voyons,  par  exemple,  les  reproches  que 
Jésus-Christ  fait  à  ces  évoques,  à  qui  il 
adresse  la  parole  d;ins  les  premiers  chapi- 
tres de  \' Apocalypse,  et  nous  serons  con- 
vaincus qu'il  y  a  une  infinité  d'ecclésias- 
tiques qui  ont  sujet  d'appréhender  que  Jé- 
sus-Christ ne  leur  fasse  les  mômes  repro- 
che.*, et  peut-être  encore  avec  iilus  de  lon- 
deminl. 

Il  dira  à  l'un  :  Vous  vous  êtes  relâché  de  votre 
première  charilé.  (Apoc  ,  II,  i.)  Vous  étiez 
tout  plein  de  zèle,  quand  vous  vous  êtes 
engagé  dans  l'éiat  eccébiaslique  ;  mais  ce 
zèle  a  duré  peu,  el  bienlôl  après  on  n'eu  a 
plus  aperçu  les  moindres  vestiges. 

Jésus-Curist  dira  à  l'autre  :  Je  ne  trouve 
point  vos  œuvres  pleines.  {Apoc,  111,  2.)  Par- 
tout je  remarque  du  vide;  je  vois  bien  du 
lemps  inutilement  perdu  ;  je  n'aperçois  dans 

OlUTEURS    SâCIlÉS.       LXVlIl, 


vous  aucuno  arlio'i  qui  ne  soit  mêlée  de 
quelque  défaut  considérable. 

Jésus-Christ  reprochera  à  cet  autre  :  Vous 
êtes  un  homme  tiède,  (/ftirf.,  16);  vous  avez 
toujours  agi  avec  mollesse;  vous  ne  vous 
êtes  porté  h  ce  qui  était  de  vos  devoirs,  que 
comme  malgré  vous,  et  quand  vous  n'avez 
pu  reculer;  on  n'a  jamais  vu  dans  vous  au- 
cune marque  d'ardeur  et  de  courage. 

Combien  d'autres  à  qui  Jésus-Christ  n'au- 
ra que  trop  de  fondement  h  dire  :  vous 
croyez  être  riche,  vous  croyez  être  comblé 
de  biens,  et  vous  ne  savez  pas  que  vous  êtes 
pauvre,  misérable  et  dans  le  dernier  besoin. 
(Ibid.,  17.)  Vous  croyez  être  riche,  parce 
que.vous  avez  fait  quelques  actions  qui  ont 
eu  de  l'éclat:  mais  qu'est-ce  que  vous  êtes 
dans  la  vérité?  Vous  êtes  dénué  de  tout 
bien,  et  vous  serez  fort  heureux  si  ces  ac- 
tions dont  vous  vous  vantez,  ne  sont  pas 
pour  vous  un  nouveau  sujet  de  condamna- 
tion. 

Voilà  donc  ce  que  c'est  qu'un  ecclésiasti- 
que entre  les  mains  de  son  juge  :  voilà  les 
reproches  qu'il  aura  à  essuyer,  et  les  prin- 
cipaux articles  sur  lesquels  il  sera  examiné. 
Terrible  examen  pour  un  ecclésiastique  ou 
négligent  ou  prévaricateur 

Les  ecclésiastiques  donc  seront  examinés 
plus  rigoureusement  que  les  jautres,  quand 
ils  comparaîtront  devant, Dieu.  La  rigueur 
de  la  sentence  sera  proportionnée  à  la  rigueur 
de  l'examen.  J'ai  donc  à  vous  faire  voir  que 
la  sentence  qui  condamnera  les  ecclésiasti- 
ques sera  plus  rigoureuse  que  celle  qui  sera 
prononcée  contre  les  autres  lidèles.  C'est  mon 
second  point. 

SECOND   POINT. 

Je  prétends  que  les  ecclésiastiques  au  jour 
du  jugement  seront  traités  plus  rigoureuse- 
ment que  les  autres;  et  voici  les  principes 
sur  lesquels  je  m'appuie  pour  vous  faire 
entendre  cette  importante  vérité. 

Mon  premier  principe  est  que  les  ecclé;. 
siasliques  ont  plus  reçu  de  grâces:  de  là  il 
s'ensuit  que  Dieu  leur  demandera  davan- 
tage. Si  donc  ils  n'ont  pas  travaillé  d'une 
m.inière  proportionnée  aux  grâces  qu'ils  ont 
reçues,  ils  seront  châtiés  plus  rigoureuse- 
ment que  ceux  à  qui  Dieu  n'a  pas  tant 
donné. 

Que  Dieu  demandera  aux  hommes  à  pro- 
portion des  grâces  qu  il  leur  a  faites,  ce 
principe  est  de  l'Ecriture,  et  est  établi  par 
Jésus-Christ.  On  demandera  beaucoup,  dit  le 
riis  de  Dieu,  à  celui  à  qui  on  aurabeaucoup 
donné,  et  on  fera  rendre  un  plus  grand 
compte  à  celui  à  qui  on  aura  confié  plus  de 
choses.  (Luc  ,  XII,  kS.) 

Dès  que  vous  êtes  ecclésiastique  vous  avez 
[)lus  reçu  que  les  autres  fidèles.  Les  autres 
ont  beaucou[)  été  élevés  quand  ils  ont  été 
faits  chrétiens;  mais  vous  êtes  élevés  bien 
davanlage ,  puisque,  outre  la  qualité  de 
cliiélieii,  vous  avez  celle  de  prêtre  ;  vous 
êtes  les  ministres,  les  amis  et  les  confidents. 
Combien  de  grâces,  combien  de  saintes  lec- 
tures, combien  d'averlisse.iiienls,  combien 

3a 


■{03j 


OIIATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


10" 


d'iiispirnlions,  combien  de  sacrements  reçus 
et  administrés? 
•  Celui  qui  a  reçu  dix"^  talents  n'est  appelé 
fidèle  serviteur,  que  parce  qu'il  on  a  gagné 
dix  autres.  Celui  qui  a  reçii  cinq  talents 
n'est  aussi  appelé  fidèle  serviteur,  que  parno 
qu'il  en  a  gagné  cinq  autres.  (Mai^/t,,  XXV, 
4,)  Vous  voyez  donc  que  les  houimes  sont 
obligés  de  négocier  et  de  travailler  pour 
Dieu  à  proportion  des  talents  ju'ils  ont 
reçus.  Avoir  des  dons  et  en  abuser,  c'est  uu 
sujet  de  condamnation;  rien  n'est  plus  cer- 
tain que  cette  maxime.  De  là  vient  qu'il  est 
dit  que  Jésus-Christ  sera  pour  la  ruine  et 
pour  la  condamnation  de  plusieurs  {Luc',,  II, 
3k}  ;  c'tist  que  ceux  à  qui  Jésus-Ciirist  a  fait 
des  griîces  et  qui  n'en  ont  pas  profité,  se- 
ront châtiés  plus  rigoureusement,  que  s'ils 
avaient  été  abandonnés,  et  que  s'ils  n'a- 
vaient point  reçu  de  grâces.  Les  honneurs, 
les  prérogatives,  les  faveurs  sont  d'une 
grande  utilité  pour  ceux  qui  se  conforment 
aux  desseins  de  Dieu,  et  qui  font  un  saint 
usage  de  ses  dons.  Mais,  hélas  1  que  les 
honneurs,  les  prérogatives  et  les  faveurs 
seront  nuisibles  à  ceux  qui  corrompent  les 
dons  de  Dieu  par  leur  malignité  et  le  mau- 
vais usage  qu'ils  en  font. 

Vous  voilà  donc  devant  Dieu  obligé  de 
rendre  compte  de  tout  ce  que  vous  avez 
reçu,  et  par  conséquent  exposé  à  de  plus 
rigoureux  supplices  que  les  autres,  puis- 
(]ue  vous  avez  abusé  d'un  plus  grand  nom- 
bre de  dons. 

Un  second  principe  qui  revient  à  celui 
que  j'ai  établi,  et  qui  confirme  que  les  ec- 
clésiastiques seront  punis  plus  rigoureuse- 
ment que  les  autres,  c'est  que  celui  qui 
aura  eu  plus  de  lumière  et  de  connaissance 
sera  puni  plus  sévèreuient  que  celui  qui 
aura  eu  moins  de  lumière  et  de  connais- 
s;;nce. 

Ce  princijie  est  encore  de  l'Ecriture,  et 
établi  par  Jésus-Christ.  Voici  les  paroles 
qui  précèdent  celles  que  j'ai  déjà  citées  :  Le 
serviteur  qui  aura  sulu  volonté  de  son  maître, 
et  qui  néanmoins  ne  se  sera  pas  tenu  prêt,  et 
n'aura  pas  fait  ce  qu'il  désirait  de  lui,  sera 
battu  rudement.  Mais  celui  qui  n'aura  pas  su 
sa  volonté,  et  qui  aura  fait  des  choses  qui  mé- 
ritent châtiment,  sera  moins  battu.  [Luc, 
Xlî,  47.) 

\'oilà  la  comparaison  faite  enlre  celui  qui 
sait  la  volonté  de  son  maître,  et  celui  qui 
ne  la  connaît  pas.  La  fin  de  cette  comparai- 
son est  de  montrer  que  celui  qui  sait  la 
volonté  de  son  maître  sera  châtié  plus  rude- 
nienl  que  celui  qui  ne  la  sait  point.N'est-ce  pas 
aux  ecclésiastiques  àqui  ces  paroles  de  Noire- 
Seigneur  doivent  être  particulièrement  ap- 
pliquées ?  Ils  sont  plus  instruits  que  les  au- 
iies  ;  c'est  à  eux  d'enseigner  la  loi  de  Dieu. 
ils  sont  donc  obligés  de  s'a[)i)liquerà  la  bien 
«onnaître,  afin  de  pouvoir  communiquer  aux 
r.ulres  les  connaissances  qu'ils  ont  acquises. 

(:;:;)  Orat.  i,  p.  is. 

(86)  Iloiii.  73,  in  cap.  XXllI.  S.  Mallh. 


Les  lèvres  du  prêtre  seront  les  dépositaires  de 
la  science,  et  c'est  de  sa  bouche  qu'on  recher- 
chera la  connaissance  de  la  loi,  parce  qu'il 
est  l'ange  du  Seigneur  des  armées.  [Malach., 

l\îais  quand  bien  même  un  prêtre  ne  se- 
rait |)as  instruit,  ne  croyez  pas  (ju'il  puisse 
être  de  ceux  dont  le  Fils  de  Dieu  a  dit,  qu'ils 
seront  châliés  moins  rudement,  parce  qu'ils 
n'ont  pas  connu  la  volonté  de  Dieu?  S'il  y 
a  quelque  excuse  pour  ceux  qui  n'ont  pas 
connu,  cela  ne  peut  regarder  que  les  simples 
fidèles  qui  ne  sont  pas  obligés  particulière- 
ment par  leur  caractère  de  s'instruire,  comme 
les  prêtres.  Mais  bien  loin  qu'un  prêtre 
puisse  alléguer  pour  excuse  qu'il  n'a  pas 
connu,  c'est  un  crime  pour  lui  qui  le  rend 
digne  en(^ore  d'être  plus  rigoureusement 
châtié.  Il  sera  donc  puni  comme  ceux  qui 
ont  plus  connu,  et  il  sera  encore  châtié  pour 
être  demeuré  dans  l'ignorance,  et  pour  n'a- 
voir pas  travaillé  à  acquérir  les  connais- 
sances qui  lui  étaient  nécessaires  dans  son 
état. 

Voilà  donc  encore  le  prêtre  exposé  à  de 
plus  rudes  c!:âliments,  parce  qu'il  est  plus 
instruit  de  la  loi  de  Dieu  que  les  autres  fi- 
dèles. 

Un  troisième  principe  qui  est  encore  très- 
convainquant  pour  faire  voir  que  les  prêtres 
doivent  s'attendre  à  un  châtiment  plus  ri- 
goureux que  les  autres,  c'est  que  les  péchés 
des  prêtres  sont  plus  griefs,  et  par  con- 
séquent ils  méritent  une  plus  sévère  puni- 
tion. 

Le  péché  par  lui-même  est  quelque  chose 
de  très-grief.  Selon  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze,  c'est  la  plus  grande  et  la  plus  dan- 
gereuse de  toutes  les  maladies  (85). 

Les  péchés  des  prêtres  sont  plus  énormes 
que  ceux  des  autres  fidèles.  Saint  Chrisos- 
lomc  le  fait  voir,  et  il  dit  que  le  prêtre 
pèche  premièrement,  parce  qu'il  transgresse 
la  loi  ;  secondement  sa  dignité  rend  son  pé- 
ché plus  grief;  troisièmement,  il  lui  appar- 
tient en  qualité  de  prêtre  d'animer  les  au- 
tres à  la  vertu  (86).  Quand  il  pèche,  son 
mauvais  exemple  devient  contagieux  pour 
les  autres,  et  le  péché  d'un  prêtre  est  ordi- 
nairement la  source  de  beaucoup  d'autres 
péchés. 

Le  même  saint  Chrysostome  dans  ses 
livres  du  Sacerdoce  apporte  quatre  excel- 
lentes raisons  pour  montrer  que  les  f)échés 
des  prêtres  sont  plus  griefs  que  ceux  des 
autres  fidèles  (87). 

Premièrement,  dit-il,  quand  un  simple 
fidèle  pèche,  la  plupart  du  temi>s  il  ne  nuit 
qu'à  lui-môme  ;  mais  le  péché  d'un  homme 
connu  cause  ordinairement  plus  de  dom-  ' 
mage.  Celui  qui  est  dans  le  vice  confirmé 
par  le  mauvais  exemple  s'opiniâtre  dans  sa 
malice;  celui  qui  pratique  la  vertu  devient 
lier  et  superbe,  voyant  qu'il  peut  se  préfé- 
rer à  ses  maîtres.  Les  moindres  péchés  dej 
prêtres    paraissent    considérables ,    parce 

(87)  L.  III.  c.l4;i.  VI,  c.  H. 


4037 


RETRAITE  ECOLES.  —  V,  DU  JUGEMENT. 


1038 


qu'il  est  ordinaire  de  faire  plus  d'allenlion 
à  la  dignité  du  coupable  qu'à  la  qualité  de 
la  faute. 

La  seconde  raison  de  saint  Chrysostomo, 
c'est  que  Dieu  a  toujours  lémoi^oé  (ju'il 
était  plus  irrité  contre  les  Israélites  (luo 
contre  les  autres  peuples,  et  qu'il  les  cliA- 
tieiait  plus  sévèrement,  parce  qu'il  les  avait 
honorés  de  sa  protection  ,  et  qu'il  les  avait 
comblés  de  grâces.  Il  n'est  donc  pas  permis 
de  douter  que  Dieu  ne  soit  très-irrité  des 
péohésdes  prêtres,  et  pour  en  être  convaincu 
il  n'est  besoin  que  de  faire  attention  aux 
grâces  qu'ils  ont  reçues. 

En  troisième  lieu,  saint  Chrysostome  ob- 
serve que  dans  l'ancienne  loi,  on  offrait  au- 
tant de  sacritices  pour  les  seuls  pontifes, 
(|ue  pour  tout  lepeujjle  ensemble.  (Levit., 
IV,  li.)  Il  prétend  montrer  par  là  qu'il  faut 
une  plus  rigoureuse  satisfaction  pour  expier 
les  péchés  des  prêtres,  et  par  conséquent 
qu'ils  sont  plus  griefs. 

Saint  Chrysostome  ajoute  encore  une 
quatrième  preuve,  c'est  que  les  filles  des 
prêtres  dans  l'ancienne  loi ,  quand  elles 
tombaient  dans  quelque  péché,  étaient 
cliàliées  plus  sévèrement  que  lesaulres,  par 
celle  seule  raison  qu'elles  étaient  filles  d'ua 
prêlre.  {LeviL,  XXI,  9.)  Si  les  filles  des 
prêtres  étaient  censées  plus  coupables  ,  si 
celte  seule  circonsiance  d'être  fille  d'un 
prêtre  élail  suffisante  pour  augmenter  con- 
sidérablement la  lualice  de  leur  péché,  que 
dirons-nous  des  prêtres  mêmes?  N'est-il  [uis 
certain  que  l'émineuce  de  leur  dignité 
ajoute  un  nouveau  degré  de  malice  à  toutes 
leur  fautes.  Saint  Bernard  le  pensait  ainsi 
quand  il  assurait  que  ce  qui  n'était  qu'une 
laule  très-légère  dans  la  bouche  d'un  simple 
fidèle  devenait  un  blasphème  dans  la  bouche 
d'un  prêtre  (S8). 

C'est  donc  encore  un  principe  certain 
que  les  péchés  des  prêtres  sont  plus  griefs 
que  ceux  des  autres  fidèles  ;  et  de  là  il  s'en- 
suit que  les  prêtres  doivent  s'attendre  à  un 
châtiment  plus  rigoureux  quand  ils  paraî- 
tront devant  Dieu. 

Un  quatrième  principe  pour  faire  voir  que 
les  prêtres  seront  condamnés  plus  rigou- 
reusement que  les  autres  fidèles  ,  c'est  que 
Jésus-Chrisl  a  déclaré  qu'il  était  lrès-irri:é 
contre  ceux  qui  scandalisent,  et  qu'il  les 
clullierait  avec  beaucoup  de  rigueur.  Malheur 
à  l'homme  ,  dit  Jésus-Christ,  par  qui  le  scan- 
dale arrive!  Si  quelqu'un  est  un  sujet  de  scan- 
dale à  un  de  ces  petits  qui  croient  en  moi,  il 
vaudrait  mivux  [jour  lui  d'être  jeté  au  fond 
de  lamer.  (Matth.,  XV11I,7.)  Nous  pouvons 
donc  établir  comme  un  principe  sûr  que  le 
scandale  est  un  péché  très-grief,  et  qui 
sera  très-rigoureusement  puni. 

A[)pliqu(>ns  ce  principe  aux  prêtres.  La 
suite  ordinaire  des  péchés  d'un  prêtre,  c'est 
de  porter  le  scandale. 

Vous  avez  remarqué  que  saint  Chrysos- 
tome, en  ramassant  les  circonstances  qui 
rendent  les   péchés  des  prêtres  très-griefs, 


insiste  très-fortement  sur  cette  considéra- 
tion, que  les  yeux  du  peuple  sont  attentifs 
sur  la  conduite  des  prêtres,  et  qu'ainsi  ils 
ne  |)cuvenl  faire  aucune  faute  que  le  peuple 
n'en  soit  olft-nsé.  Puis  donc  que  les  prêtres 
scandalisent  dès  le  moment  qu'ils  se  dé- 
règlent, c'est  à  eux  de  s'appliquer  les  pa« 
rôles  de  Jésus-Christ  :  Malheur  à  l'homme 
par  qui  le  scandale  arrive.  Ce  sera  véritable- 
ment un  malheur  pour  les  prêtres  d'avoir 
scandalisé.  C'est  une  circonsiance  fâcheuse 
qui  les  rend  plus  coupables,  et  par  consé- 
quent plus  débiteurs  à  la  justice  divine. 

De  là  vient  qu'il  est  si  souvent  recom- 
mandé aux  ecciésiastiques  d'édifier  par  leur 
bon  exemple.  C'est  une  des  principales  ins- 
tructions que  sainl  Paul  donne  à  ses  disci- 
ples. Rendez-vous,  leurdit-il,  l'exemple  et  le 
modèle  des  fidèles  dans  les  entretiens,  dans  la 
manière  d'agir  avec  le  prochain,  dans  la  cha- 
rité, dans  la  foi,  et  dans  la  chasteté.  Il  Tim., 
IV,  2.) 

Quand  saint  Paul  prescrivait  ces  enseigne- 
ments, il  savait  de  quelle  conséquence  il 
était  aux  prêtres  de  donner  bon  exemple  ; 
il  savait  que  le  scandale  qu'ils  causent  par 
leurs  péchés  est  une  circonstance  qui  les 
rend  lrès-crimin<^ls  et  qui  no  peut  man- 
quer de  leur  attirer  de  très-rigoureux  châ- 
timents. 

Voilà  les  principes  qui  font  voir  que  les 
ecclésiastiques  seront  plus  rigoureusement 
punis  que  les  autres  fidèles  au  jour  du  juge- 
ment. Ils  seront  plus  rigoureusement  punis, 
parce  qu'ils  ont  ()lus  reçu  de  grâces  ,  parce 
qu'ils  ont  plus  de  luaiière,  parce  que  leurs 
péchés  sont  |)lus  griefs,  parce  qu  ils  ont  le 
malheur  de  porler  le  scandale. 

Représentez-vous  maintenant  un  prôtro 
qui  a  vécu  dans  le  dérèglement  entre  les 
mains  de  son  juge.  Il  n'y  a  aucun  homme 
qui  ne  tremble  en  ce  jour.  L'Iîvaiigi!edit  que 
les  hommes  sécheront  de  crainte.  [Luc,  XXI, 
2G.)  Je  vois  Jésus-Christ  armé  contre  les 
réprouvés,  je  l'entends  prononcer  une  ter- 
rible sentence:  Allez, maudits,  e[c.  [Matth., 
XXV,  ki.)  Je  ne  conçois  rien  de  plus  épou- 
vantable que  celle  sentence.  Cependant  ce 
ne  sont  encore  que  de  simple  fidèles  qui 
paraissent  devant  lui,  et  je  dois  être  con- 
vaincu que  Jésus-Christ  sera  plus  terrible, 
plus  menaçant,  plus  irrité,  plus  rigoureux, 
quand  il  jugera  les  prêlres. 

Prêtres,  nous  dit  Dieu  dans  un  |  rophèle  , 
soyez  attentifs,  car  Dieu  va  exercer  ses  juge- 
ments sur  vous,  [Osée,  V,  1.)  Après  la  des- 
criplion  des  prévarications  dont  les  piètres 
se  sont  rendus  coupiibles,  le  prophète  nous 
fait  entendre  le  Seigneur  qui,  pour  lums 
mur(]ucr  quel  en  sera  le  châtiment,  nous 
dit  qu'il  répandra  sur  eux  sa  colère  comme 
un  torrent.  (Ibid.,  10.)  Dieu,  dans  un  autre 
prophète,  dil  que  le.s  |)écliés  des  prêtres  l'o- 
bligeront à  exercer  les  plus  teriibles  ven- 
geances. Sion  sera  labourée  comme  un  champ, 
Jérusalem  sera  réduite  en  un  monceau  de 
pierres,  la  montagne  où  le  temple  est  bâti  de- 


(88)  1  hitcr  sxculares  nugx,  nugae  suut,  iu  ore  saccrdolis  blasplicmi^.  >  (L.  Il  De  consid.,  c.  13.) 


1)39 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


4Ul() 


viendra  une  forêt.  {Mich.,  111,  12.)  Voili  sans 
doute  une  punition  bien  terrible.  Les  paro- 
les qui  précèdent  nous  font  voir  que  Dieu 
n'en  vient  à  ces  cxtréinilés  que  pour  nous 
faire  connaître  la  griéveté  des  péchés  des 
prêtres,  et  avec  quelle  rigueur  ils  seront 
punis,  lorsqu'ils  loraberont  dans  ses  mains 
vengeresses. 

Figurez-vous  un  Dieu  irrité,  qui  a  très- 
présents  tous  les  outrages  qu'il  a  reçus,  qui 
est  résolu  de  les  venger  sans  miséricorde, 
qui  s'arme  de  sa  puissance  pour  punir  ses 
plus  cruels  ennemis,  vous  n'aurez  encore 
qu'une  faible  idée  de  ce  qui  arrivera  ,  lors- 
qu'un prêtre  tombera  entre  les  mains  d'un 
Dieu  vengeur. 

Appréhendons  beaucoup  les  jugements 
de  Dieu,  suivons  l'avis  de  saint  Paul,  ei  ju- 
geons-nous  nous-mêmes  afin  que  nous  ne  soyon^ 
point  jugés  (I  Cor. ,  XI ,  31)  ;  jugeons-nou: 
nous-mêmes  avec  exactitude  et  avec  sévé 
rite  ;  ne  nous  épargnons  point  si  nous  vou 
ions  que  Dieu  nous  épargne;  appliquons- 
nous  h  donner  ordre  aux  affaires  de  notre 
maison,  car  nous  mourrons  (/sat.,  XXXVIII, 
1),  et  nous  ne  pouvons  éviter  ce  ierril)le 
coup.  Mais  quand  mourrons-nous?  Toutes 
les  Ecritures  nous  disent  que  ce  sera  de- 
main. [Matlh.,  VI,  30.)  11  faut  donc  nous  bâ- 
ter, et  nous  n'avons  aucun  tem[)s  à  perdre. 
Mais  ne  serait-ce  pas  mieux  de  dire  que  la 
chose  est  encore  plus  pressée,  et  quil  n'y 
a  point  de  demain  pour  nous. 

Tout  est  perdu  i)Our  un  prêtre  criminel. 
Mais  aussi  quelle  consolation  pour  un  prê- 
tre lidèle  et  qui  s'est  acquitté  saintement  de 
ses  devoirs.  Regardez  en  haut  et  levez  la  têle^ 
car  votre  rédemption  approche.  {Luc,  XXI , 
28., 

Voici  un  autre  principe  par  lequel  je  fi- 
nis et  qui  doit  être  proposé  pour  la  conso- 
lation des  prêtres  qui  travaillent  avec  exac- 
titude a  s'acquitter  de  leurs  devoirs.  C'est 
que  comme  Jésus-Christ  sera  très-rigoureux 
,  à  l'égard  des  prêtres  prévaricateurs  dans 
leur  ministère  ,  aussi  il  sera  tout  plein  de 
miséricorde  à  l'égard  de  ceux  qui  ont  fait 
Jours  etTorts  pour  remp-lir  saintement  leurs 
devoirs.  HélasI  qui  pourrait  espérer  si  Dieu 
jugeait  selon  la  rigueur  de  sa  justice,  et 
selon  toute  l'étendue  de  nos  obligations? 
Mais  non,  Dieu  se  relâchera  beaucoup  en 
laveur  de  ceux  qui  ont  été  vigilants  et  pleins 
d'ardeur.  11  excusera,  il  supportera,  il  par- 
donnera, il  oubliera  les  fautes.  11  fera  va- 
loir beaucoup  plus  que  nous  n'aurions  ja- 
mais cru  des  actions  qui  paraissent  peu 
considérables ,  mais  qui  seront  trouvées 
d'un  grand  prix,  parce  qu'elles  ont  été  fai- 
tes pour  l'amour  de  lui. 

Qu'il  est  redoutable  de  tomber  entre  les 
mains  d'un  Dieu  vengeur!  qu'il  est  conso- 
lant de  tomber  entre  les  mains  d'un  Dieu 
de  miséricorde  1  Evitons  ce  qui  peut  irriter 
Dieu  contre  nous.  Pratiquons  ce  qui  peut 
nous  le  rendre  favorable  ,  afin  que  Dieu 
puisse  un  jour  nous  adresser  ces  [laroles  : 


0  bon  et  fidèle  serviteur,  parce  que  vous  avez 
été  fidèle  en  peu  de  choses ,  je  vous  établirai 
sur  beaucoup.  Entrez  dans   ta  joie  de  voire 
Seigneur.  (Ma///i.,  XXV,  21  ) 
DISCOURS  Vî. 

DE    l'amour  de    dieu. 

•  La  vérité  que  j'ai  à  vous  annoncer  en  ce 
jour  est  d'une  telle  conséquence,  qu'étant 
bien  imprimée  dans  le  cœur  du  chrétien, 
toutes  les  maximes  de  la  religion  ne  peu- 
vent plus  lui  faire  aucune  peine,  et  il  se 
trouve  dans  la  disposition  de  les  pratiquer 
avec  fidélilé.  C'est  le  grand  avantage  de  ce- 
lui qui  connaît  Dieu  ,  et  qui  est  rempli  de 
son  amour.  L'amour  de  Dieu  a  cette  force 
qui  rend  tout  facile  à  celui  qui  en  est  pé- 
nétré. C'est  que  l'amour  gagne  le  cœur. 
Toutes  les  difficultés  de  la  vie  humaine 
naissent  du  cœur.  Ainsi  tout  est  fait  dans  la 
vie  chrétienne  quand  le  cœur  est  touciié, 
et  qu'il  est  rempli  du  véritable  amour. 
C'est  en  ce  sens  que  saint  Augustin  no  de- 
mande rien  au  chrétien,  sinon  qu'il  aime. 
Après  cela  il  n'a  plus  aucune  inquiétude 
sur  sa  conduite,  et  il  lui  laisse  une  pleine 
cl  entière  liberté.  Aimez  et  faites  tout  ce 
que  vous  voudrez  (89). 

Les  difficultés  sont  grandes  dans  la  vie 
ecclésiastique,  les  fonctions  en  sont  éle- 
vées, ceux  qui  les  exercent  sont  en  butte 
h  la  contradiction  des  hommes.  L'état  et  les 
fonctions  ecclésiastiques  demandent  une 
grande  perfection.  Qui  donc  est  capable  d'un 
tel  ministère?  (11  Cor.,  11,  26)  s'écrie  le  saint 
apôtre.  Quel  moyen  plus  excellent  peut-on 
fournir  aux  ecclésiastiques  pour  aplanir  de 
si  grandes  difïïcultés,  que  d'imprimer  forte- 
ment l'amour  de  Dieu  dans  leur  cœur?  Vo- 
ire état  est  plein  de  dilTicuités,  mais  celui 
qui  vous  y  a  placés,  en  vous  inspirant  son 
amour,  vous  rendra  sa  voie  facile  et  son 
joug  aimable.  Aimez  et  faites  tout  ce  que 
vous  voudrez.  C'est-à-dire  aimez  et  vous 
voudrez  tout  ce  que  vous  devez  faire.  Ai- 
mez et  tous  vos  devoirs  vous  deviendront 
faciles. 

Rendez-vous  donc  attentifs  penaant  que 
je  dois  vous  enlretenir  du  fondement  essen- 
tiel de  la  vie  chrétienne  et  ecclésiastique, 
'e  veux  dire  de  l'amour  de  Dieu,  qui  sera 
tout  le  sujet  de  ce  discours  que  je  partage- 
rai en  trois  parties.  Dans  la  première,  je  trai- 
terai de  l'excellence  du  précepte.  Dans  la 
seconde,  je  vous  expliijuerai  les  motifs  qui 
vous  engagent  ïj  l'observer.  Dans  la  troi- 
sième, je  vous  ferai  voir  les  marques  aux- 
quelles vous  pouvez  connaître  si  vous  le 
pratiquez  avec  Ja  fidélité  que  vous  devez. 

PREMIER   POINT. 

J'ai  trois  considérations  h  vous  proposer 
pour  vous  faire  connaître  l'excellence  du 
précepte  qui  nous  oblige  à  aimer  Dieu. 
Nous  examinerons  en  premier  lieu  l'anti- 
quité du  précepte.  Nous  verrons  en  sec.ond 
lieu  le  soin  que  Jésus-Christ  a  eu  de  le  rc 


89)  «  Dilige  et  Tac  quod  voles.»  (Tiact.  1  inEpisl.  Jon/i.) 


nji 


RETRAITE'ECCLES.-  VI.  AMOUR  DE  DlEl'. 


101^ 


uouveler,  ot  d'en  faire  le  précopte  capital 
do  sa  loi.  Enfin  je  vous  ferai  connaître  la 
misère  extrême  où  nous  sommes  réduits, 
lorsque  nous  ne  somfies  point  Qdèles  à  ob- 
server ce  précepte,  et  que  nos  cœurs  sont 
vides  de  l'amour  de  Dieu. 

Le  précepte  qui  nous  oblige  d'aimer  Dieu 
est  aussi  ancien  que  le  monde.  Dès  qu'il  y 
a  eu  des  liommes  il  leur  a  été  commandé 
d'aller  à  Dieu  et  de  l'aimer.  Ce  n'est  pas 
seulement  depuis  la  naissance  de  Jésus- 
Christ  que  ce  précepte  est  connu  ,  et  que  les 
hommes  sont  indispensablemenl  obligés  de 
s'y  soumetire.  Ce  que  l'évangile  dit  aux 
chrétiens,  Dieu  l'avait  dit  aux  hommes  en 
les  formant.  Dieu  l'avait  dit  aux  Juifs;  et 
rien  n'est  plus  souvent  répété  dans  l'an- 
rieniie  loi  que  le  commandement  d'aimer 
Dieu. 

Je  prétends|donc  que  l'ancienne  et  la  nou- 
velle loi  s'expliquent  de  la  même  manière 
sur  l'obligation  que  les  hommes  ont  d'ai- 
mer Dieu.  Mon  dessein  n'est  pas  de  vous 
rapporter  tous  les  ])assages  de  l'Ancien  Tes- 
tament où  Dieu  a  fait  connaître  aux  hom- 
mes l'obligation  qu'ils  ont  de  l'aimer.  Cela 
nie  conduirait  trop  loin.  Je  vous  en  propo- 
serai un  seul  tiré  du  livre  du  Deuléronome. 
Ecoulez  comment  Dieu  avait  accoutumé  de 
parler  à  son  peuple. 

0  Israël,  soyez  attentif.  Le  Seigneur  votre 
Dieu  est  le  seul  Seigneur.  Vous  aimerez  le  Sei- 
gneur votre  Dieu  de  tout  votre  cœur,  de  toute 
votre  âme  et  de  toutes  vos  forces.  Ces  paro- 
les et  ces  ordonnances  seront  gravées  dans 
votre  cœur.  Vous  les  raconterez  à  vos  enfants. 
Vous  les  méditerez  assis  dans  votre  maison , 
en  marchant  dans  le  chemin.  La  nuit,  dans 
l'intervalle  du  sommeil,  le  matin  à  votre  ré- 
veil. Vous  les  lierez  comme  un  signe  dans  vo- 
tre main.  Vous  les  porterez  sur  votre  front 
et  entre  vos  yeux.  Vous  les  écrirez  sur  le 
seuil  et  sur  les  poteaux  de  votre  porte.  Lors- 
que  le  Seigneur,  votre  bieu,  vous  aura  fait 
entrer  dans  la  terre  qu'il  a  promise  avec  ser- 
inent à  vos  pères,  prenez  bien  garde  de  ne 
pas  oublier  le  Seigneur  qui  vous  a  tirés  du 
pays  d'Egypte;  et  lorsque  vos  enfants  vous 
interrogeront ,  et  vous  diront  que  marquent 
ces  commandements?  vous  leur  direz  :  Nous 
étions  esclaves  de  Pharaon.  Le  Seigneur  nous 
a  délivrés.  Il  nous  a  commandé  d'observer 
ses  lois  et  de  le  craindre,  afin  que  nous  soyons 
heureux  tous  les  jours  de  notre  vie.  [Ueut., 
VI,  k.) 

Le  Seigneur  a  parlé.  Le  seul  récit  de  ses 
paroles  a  sans  doute  louché  vos  cœurs.  Ar- 
rôlons-nous  à  de  si  louchantes  leçons.  C'est 
(larliculièrement  aux  [irêlres  de  méditer  la 
loi  de  Dieu,  et  d'en  approfondir  tous  les 
sens. 

Israël,  soyez  attentif.  Chrétiens,  soyez  at- 
tentifs, ecclésiastiques,  soyez  encore  plus 
altenlifs  que  les  autres.  Il  n'y  a  qu'un  Sei- 
gneur et  qu'un  Dieu  ,  et  de  là  naît  l'obliga- 
lion  de  l'aimer. 

Vous  aimerez  le  Seigneur  votre  Dieu  de 
tout  votre  cœur,  de  toute  votre  âme  et  de 
toutes  vos  forces.  Le  juif  donc,  aussi  bien 


que  te  chrétien,  était  obligé  d'aimer  Dieu  do 
tout  son  cœur,  de  toute  son  ûme  ,  do  toute 
ses  forces. 

Ces  paroles  et  ces  ordonnances  seront  gra- 
vées dans  votre  cœur.  Le  cœur  est  le  sié^e  de 
l'amour.  Si  notre  cœur  n'est  point  h  Dieu  , 
si  son  amour  n'est  point  dans  noire  cœur, 
nous  ne  l'aimons  point. 

Non-seulement  Dieu  dil  que  son  amour 
doit  être  dans  notre  cœur,  mais  qu'il  y  doit 
êlre  fortement  et  comme  gravé.  C'est-à-dire 
que  cet  amour  doit  être  l'amour  principal  , 
et  que  son  impression  doit  êlre  forte  et  per- 
manente. Et  généralement  pariant ,  il  est 
vrai  de  dire  que  le  cœur  est  le  siège  de 
toute  la  loi  de  Dieu.  Elle  n'est  véritable- 
ment observée  que  quand  elle  est  aimée. 
YoUh  pourquoi  David  dit  si  souvent  que  la 
!oi  (le  Dieu  est  dans  son  cœur,  qu'elle  est 
cachée  dans  son  cœur,  qu'il  l'observe  de  tout 
son  cœur.  [Psal.  CXVIII. 

Vous  les  raconterez  à  vos  enfants.  Voilà 
de  quoi  les  pères  et  les  mères  sotit  obligés 
d'entretenir  leurs  enfants.  Ils  doivent  sou- 
vent leur  exposer  l'obligation  qu'ils  ont 
d'aimer  Dieu  ,  et  leur  bien  marquer  qu'ils 
ne  sont  sur   la  terre  que  pour  aimer  Dieu. 

A  quoi  tendent  les  fondions  ecclésiasti- 
ques? Qu'est-ce  que  les  ministres  du  Siii- 
gneur  doivent  se  proposer  dans  l'exercice 
de  leur  saint  ministère?  0"f>I'"  doit  ôli  e  la 
matière  de  leurs  discours?  Quel  en  doit 
être  le  but?  Un  ecciésiaslique  zélé  doit  par- 
ticulièrement s'appliquer  à  remplir  sou 
cœur  de  l'amour  de  Dieu,  afin  de  pouvoir 
ensuite  communiquer  aux  autres  le  feu  sa- 
cré dont  son  eœur  est  pénétré.  Celui-là  sait 
mieux  s'acquiller  de  ses  fonctions ,  qui  a 
plus  de  talents,  plus  d'adresse,  plus  ds  per- 
sévérance pour  porter  les  hommes  à  aimer 
Dieu,  et  c'est  par  là  qu'un  ecclésiastique 
peut,  sans  se  tromper, juger  du  fruit  de  ses 
Iravriux. 

Observez  ensuite  toutes  les  précautions 
que  Dieu  prend  pour  marquer  à  son  peuple 
l'exactitude  avec  laquelle  il  doit  méditer  la 
loi  qui  lui  est  annoncée.  Vous  les  méditerez 
assis  dans  votre  maison,  marchant  dans  le 
chemin  ,  la  nuit  dans  l'intervalle  du  sommeil , 
le  matin  à  votre  réveil. 

A  quoi  doit  penser  l'homme  qui  est 
tranquille  dans  le  lieu  de  son  repos  ,  dans 
la  maison  terrestre  qu'il  occupera  pendant 
le  peu  de  temps  (jue  durera  son  pèlerinage? 
Son  esprit,  pour  êlre  saintement  occupé, 
doit  êlre  plein  de  celle  pensée ,  qu'il  est 
sur  la  terre  pour  aimer  Dieu. 

Mais  lorsque  les  afl'aires  et  les  embarras 
(le  cette  vie  l'obligeront  à  sortir  (ie  sa 
maison,  sera-l-il  moins  exact  à  s'occuper 
de  cette  sainte  pensée  ?  Non;  pendant  le  che- 
min même  ,  son  esprit  sera  toujours  plein 
de  cet  important  objet.  Afin  de  l'empêcher 
de  se  dissiper,  il  sera  exact  à  reveiller  son 
allention  en  se  disant  souvent  à  lui-même 
que  sa  seule  affaire  est  d'aimer  Dieu. 

L'homme,  faliguédu  travail, est  obligé  de 
s'abandonner  au  sommeil ,  pour  trouver  lo 
renouvellement  de  ses  lorcos.  Soii  lit  ([ui 


iOi3 


ORATEURS  SACRES 


est  un  sépulcre  avance,  ce  fait  souvenir  que 
ilans  peu  il  dormira  du  sommeil  de  la  mort. 
S'il  est  (idèle ,  son  cœur,  comme  celui  de 
l'épouse,  veillera  pendant  le  temps  du  sora- 
nioii.  {Cant.,  V,2.)La  marque  de  cette  vi- 
gilance sera  que,  pendant  les  intervalles  du 
sommeil,  son  cœur  se  portera  vers  Dieu. 

Et  (]uand  lo  temps  sera  venu  de  sortir 
de  ce  tombeau  avancé  ,fet  que  son  réveil  lui 
fournira  une  image  de  la  résurrection  ,  la 
pensée  dont  il  sera  d'abord  frappé  ,  c'est 
que  les  piemiers  mouvements  de  son  cœur 
sont  d'iieureuses  prémices  qui  appaitien- 
nenl  h  Dieu  et  qui  lui  doivent  ôtre  consa- 
crées. 

»  Dieu  demande  encore  à  ses  enfanis  d'au- 
tres témoignages  de  leur  fidélité.  Il  conti- 
nue: Fows  les  lierez  (c'esl-à-dire  mes  paroles) 
comme  un  signe  dans  voire  main.  Vous  les 
porterez  sur  le  front  et  entre  vos  yeux.  Vous 
les  écrirez  sur  le  seuil  et  sur  les  poteaux  de 
votre  porte. 

Les  Juifs  grossiers  se  sont  attachés  ser- 
vilement à  la  lettre.  Pour  satisfaire  à  cette 
loi, "ils  portaient  les  commandements  do 
Dieu  écrits  sur  des  bandes  de  parchemin. 
Mais  ce  n'est  pas  Ih  ce  que  le  Tout-Puissant 
demandait  d'eux  et  de  nous.  Son  dessein 
était  de  nous  faire  voir  que  nous  ne  pou- 
vons penser  trop  souvent  à  l'obligation 
qu'il  nous  impose  de  l'aimer,  et  que  tout 
ce  que  nous  voyons  nous  doit  faire  souve- 
nir de  celle  imporlanle  obligation. 

Le  Seigneur  prend  toutes  sortes  de  pré- 
cautions avec  son  peufile.  Il  n'arrive  que 
trop  souvent  que  l'on  oublie  sa  loi,  lors- 
qu'on est  dans  l'abondance  ,  et  que  l'on 
jouit  avec  tranquiiliié  des  l)iens  qu'il  nous 
a  mis  on  Ire  les  mains.  L'ingratitude  de 
l'homme  le  fait  torober  dans  ces  excès.  Ce 
qui  devrait  l'engager  h  se  souvenir  plus 
exac'.ement  de  celui  qui  le  comblede  biens, 
est  la  source  de  son  oubli.  Dieuavertit  ex- 
pressément son  peuple  de  se-préserverd'un 
oubli  si  criminel.  Voilà  pourquoi  il  leur 
I)arle  du  temps  de  l'abondance,  comme 
d'un  temps  funeste  dans  lequel  il  est  très- 
dangereux  de  *se  méconnaître  et  d'oublier 
son  bienfaiteur.  Lorsque  le  Seigneur  votre 
Dieu  vous  aura  fait  entrer  dans  la  terre  qu'il 
a  promise  avec  serment  à  vos  pères  ,  prenez 
garde  de  ne  pas  oublier  le  Seigneur  qui  vous 
a  tirés  du  pays  d'Egypte.  Bien  loin  de  l'ou- 
blier, la  reconnaissance  est  pour  lors  un 
motif  nouveau  qui  nous  presse  plus  que 
jamais  d'observer  avec  fidélité  les  lois  de 
celui  qui,aj)rès  nous  avoir  fait  connaître  sa 
puissance  ,  nous  donne  encore  tant  de  preu- 
ves de  sa  bonlé. 

Nous  devons  nous  souvenir  des  lois  du 
Seigneur.  Nous  devons  porter  les  autres  à 
y  penser.  Vous  avez  déjà  remarqué  que 
Dieu  ordonne  aux  pères  et  aux  mères  d'ins- 
truire leurs  enfanis,  et  do  leur  faire  con- 
iiaîlre  son  grand  préce[)te. 

il  ajoute  ;  Lorsque  vos  enfants  vous  inter- 
rogeront et  vous  diront,  que  marquent  ces 
commandements,  vous  leur  direz  :  Nous  étions 
esclaves  de  Pharaon ,  le  Seigneur  nous  a  déli- 


JOSEPH  LAMBERT.  10  li 

vrés.   Il  nous  a  commandé  d'observer  ses  lois 
et  de  le  craindre,  afin  que  nous  soyons  heu 
reux  tous  les  jours  de  notre  vie. 

•Dieu  veut  que  les  pères  et  lesmères  las- 
sent souvent  à  leurs  enfants  le  récit  des' 
merveilles  qu'il  a  faites  |)Our  les  délivrer, 
ftlais  quel  sera  le  but  de  ce  récit  ?  Ce  sera 
pour  les  portera  être  fidèles,  et  pour  leur 
faire  voir  (jue  toute  la  félicité  de  l'homme 
d 'pend  de  son  exaclitude  à  observer  la  loi 
d(;  Dieu. 

Les  ecclésiastiques  sont  véritablement 
les  pères  de  ceux  qui  sont  soumis  à  leur 
conduite.  Ils  ont  droit  de  vous  interroger. 
C'est  à  vous  à  les  instruire  des  merveilles 
que  le  Seigneur  a  faites.  Mais  en  môme 
temps,  afin  que  vos  instructions  ne  soient 
pas  infructueuses,  faites  leur  voir  que  toutes 
les  merveilles  du  Seigneur  nous  doivent 
inspirer  la  crainte,  et  un  saint  désir  d'ob- 
server ses  lois. 

Voilà  comment  Dieu  parlait  aux  Juifs- 
dans  l'ancienne  loi.  Il  leur  a  expliqué  le 
précepte  f(jndamenlal  de  la  religion.  11  en  a 
marqué  l'imporlance.  11  a  souvent  répété 
son  précepte,  et  il  n'a  rien  omis  pour  lo 
bien  imprimer  dans  le  cœur  de  son  peuple. 
Et  c'est  ce  qui  vous  fait  voir  l'anliquilé  du 
précepte  qui  oblige  les  hommes  à  aimeiDieu. 

Jésus-Christ  a  renouvelé  ce  précepte  et 
il  en  a  fait  le  f)récepte  fondamental  de  sa 
loi.  Cela  paraît  dans  l'Evangile  par  les  sages 
réponses  qu'il  a  faites  à  ceux  qui  l'ont  in- 
terrogé, et  qui  lui  ont  demandé  quels  étaient 
les  commandements  de  la  loi. 

Un  docteur  de  la  loi  vient  trouver  Jé- 
sus-Gbrist.  Son  dessein  est  plein  de  mali*- 
gnilé,  et  il  n'a  aucune  autre  vue  que  de  lui 
dresser  des  embûches.  Mais  les  desseins  des 
ennemis  de  Jésus-Christ  ont  toujours  été  si 
mal  concertés  qu'en  croyant  lui  nuire,  ils 
lui  ont  donné  lieu  de  faire  paraître  de  nou- 
velles preuves  de  sa  sagesse  et  de  sa  bonté. 

Le  docteur  de  la  loi  croit  peut-être  que 
Jésus-Christ  sera  semblable  à  ces  législa- 
teurs inquiets  qui  renversent  toutes  les  an- 
ciennes lois  pour  en  établir  de  nouvelles. 
Maître,  lui  dit-il,  quel- est  le  grand  com- 
mandement  de  la  loi?  Jésus  lui  répondit: 
Vous  aimerez  le  Seigneur  votre  Dieu  de  tout 
votre  cœur,  de  toute  votre  âme,  de  tout  votre 
esprit:  C  est  là  le  premier  et  le  grand  coni- 
nuindement.  (Matth.,  XXU,  35.) 

C'est  le  premier  commandement.  Donc  il 
esl  au-dessus  de  tous  les  autres  et  ii  les 
sur|>asse  tous. 

C'est  le  grand  commandement.  Il  est  grand 
en  toute  manière.  Il  fait  connaître  la  gran- 
deur de  Dieu.  Il  rond  les  hommes  grands, 
et  la  véritable  grandeur  esl  attachée  à  l'ob- 
servation de  ce  commandement.  C'est  le 
grand  commandement.  Celui  qui  ne  l'ob- 
serve point  travaille  en  vain.  Toutes  ses 
actions  sont  sans  fruit,  et  ne  peuvent  être 
d'aucun  mérite.  C'est  le  grand  commande- 
ment. Ce  commandement  seul  porte  à  l'ac- 
complissement de  tous  les  autres,  et  en 
rend  l'exécution  facile.  Voilà  donc  !e  coq!- 
uiandement  d'aimer    Dieu    renouvelé   imr 


lUJS 


RETRAITE  ECCLCS.  —  VI,  AMOUR  DE  DIEU. 


iOiii 


.li^us-Christ  avec  iCS  deux  pius  grands  titres 
qui  puissent  tMre  attribués  à  une  lui  i)Our 
en  faire  voir  l'excellence. 

Jésus-Christ,  ferme  dans  sa  doctrine,  se 
prépare  à  confirmer  ce  qu'il  a  établi  avec 
tant  de  sagesse. 

L'Evangile  nous  fait  ivoir  un  autre  doc- 
teur de  la  loi  qui  s'approche  de  lui.  Il  vient 
pl(?in  de  malignité.  Les  docteurs  de  la  loi  et 
les  pharisiens  ont  toujours  été  dans  cette 
mauvaise  disposition  à  l'égard  de  Jésus- 
Christ.  Maître,  lui  dit-il,  que  faut-il  que 
je  fasse  pour  posséder  la  vie  éternelle?  {Luc, 
X .  25.) 

Jésus-Christ  veut  que  le  docteur  de  la  loi 
s'explique  lui-même.  //  hii  répondit  :  Que 
porte  la  loi ,  quij  lisez-vous  ?  Le  docteur  de 
la  loi  répond  quil  est  écrit  :  Vous  aimerez  le 
Seigneur  votre  Dieu  de  tout  votre  cœur,  de 
toute  votre  âme ,  de  toutes  vos  forces  ,  de  tout 
voire  esprit.  {Ibid.,  XXVIL)  Jésus-Christ  no 
peut  que  confirmer  une  si  sainie  et  si  an- 
cienne doctrine.  Vous  avez  fort  bien  répondu, 
lui  dit-il,  faites  cela  et  vous  vivrez.  [Ibid.  , 
XXVIIL) 

La  répo'^se  de  Jésus-Christ  a  donc  tou- 
jours été  la  n;ême,  et  quand  il  a  été  ques- 
tion de  marquer  le  précepte  fondamental  de 
la  loi ,  il  n'en  a  jamais  établi  d'aulreque 
celui-ci  :  Vous  aimerez  le  Seigneur  votre  Dieu 
de  tout  votre  cœur. 

Observez  ces  paroles  de  Noire-Seigneur  : 
Faites  cela  et  vous  vivrez.  L'homme  ne  vit 
qu'autant  qu'il  observe  le  premier  et  le 
grand  commandement.  Sa  vie  dé[)end  de  sa 
fidélité,  éludés  qu'il  est  infidèle,  il  est  véri- 
tablement mort. 

Celui  qui  n'aime  point ,  dit  saint  Jean  ,  rfe- 
ineure  dans  la  mort.  (I  Joan.,  III,  14.)  Non- 
seukment  il  est  mort ,  mais  il  demeure  dans 
la  mort.  Voyez  donc  comment  il  appartient 
h  la  mort,  et  l'empire  qu'elle  exerce  sur 
lui.  Quelle  ressource  pour  celui  qui  est 
mort ,  mais  quelle  ressource  pour  celui  qui 
demeure  dans  la  mort?  Tout  ce  qvii  est  eu 
lui  se  ressent  du  son  élat.  Une  impression 
de  mort  se  répand  sur  lui,  sur  loulcs  ses 
actions,  sur  tout  ce  qui  lui  apj)artient. 

Mon  âme,  dit  le  Prophète,  est  devant  vous 
comme  une  terre  sèche,  et  qui  n'est  point  ar- 
rosée. (Psal.  CXLII,C.)Tel  est  l'état  d'une 
âme  que  Dieu  ne  rem|)lil  point.  C'est  une 
terre  desséchée.  La  rusée  céleste  ne  tombe 
point  sur  elle  ,  que  peut-elle  produire?  Et 
oiî  la  vie  n'est  l'oint,  peut-on  espérer  de 
trouver  d'autres  fruits  que  des  fruits  do 
mort? 

C'est  un  état  de  mort  que  celui  d'un 
homme  que  l'amour  de  Dieu  n'anime  point. 
Siiiiil  Augustin  vous  le  fait  voir,  et  voici 
le  [>rincipe  de  ce  saint  docteur  qui  servira 
beaucoup  h  éclaircir  cette  vérité.  Saint  Au- 
gustin établit  comme  un  principe  incontes- 
table, que  Dieu  est  la  vie  de  l'âme  comme 
l'âme  est  la  vie  du  corps.  Le  cur[)s  ne  peut 

(1)0)  <  Mors  anima;  fil  ciiiii  eani  dcseiil  Dihi^, 
sii'Ut  curporis,  cuin  id  dcscrit  anima.  Etgu  iuriti!>- 
qiic  ici  id  cbi,  totius  iiuniini&  mur»  Cbl,  cuin  anima 


vivre  h  moins  que  l'âme  ne  l'anime.  Aussi, 
l'âme  ne  peut  vivre,  h  moins  que  Dieu  ne 
la  soutienne.  Dès  que  l'âme  est  sé()jrée  du 
corps,  la  mort  s'en  empare,  cl  en  devient 
la  maîlressi'.  Dès  que  Dieu  se  relire,  eî 
qu'il  n'est  plus  uni  à  notre  âme,  rien  no 
})eut  [ilus  arrêter  la  mort ,  ni  l'empêcher 
d'exercer  son  empire  sur  noire  âme. 

De  là  saint  Augustin  élablit  qu'il  y  a  plu- 
sieurs sortes  de  mort.  11  y  a  la  mort  du  corjis. 
Il  y  a  la  mort  de  l'âme.  Il  y  a  la  mort  entière 
de  l'homme. 

La  mort  du  corps,  c'est  la  séparation  de 
l'âme  d'avec  le  cor[is.  La  mort  de  l'âme,  c'est 
la  séparation  de  Pâme  d'avec  Dieu.  La  mort 
entière  de  l'homme,  c'est  lorsque  ces  deux 
morts ,  savoir  celle  du  corps  et  de  l'âme  se 
trouvent  jointes  ensemble.  La  séjiaralionda 
corps  avec  l'âme  se  fait  pendant  que  l'âme 
est  séparée  de  Dieu.  Pour  lors  quelle  mort  fu- 
neste? C'est  lace  quesainl  Augustin  appelle 
la  mort  entière  de  l'homme  (90).  C'est  celle 
mort  que  saint  Jean  appelle  la  mort  seconde. 
{Apoc. ,  XX,  ik.)  Etre  frappé  de  celle  mort, 
c'est  le  plus  terrible  de  tous  les  malheurs  , 
puisque  c'est  être  entièrement  perdu  pour 
i'élernité. 

Si  celte  mort  nous  effraye,  songeons  que 
nous  en  sommes  incessamment  menaces  , 
dès  que  noire  âme  n'est  point  unie  avec 
Dieu,  et  songeons  qu'elle  ne  peut  lui  être 
unie  qu'en  l'aimanl.  Il  n'est  donc  que  trop 
vrai  que  noire  âme  est  vérilablemenl  morte, 
et  que  nous  sommes  dans  un  éiat  continuel 
de  mort,  lorsque  nous  n'avons  point  l'amour 
de  Dieii. 

Si  nous  pouvions  connaître  l'élal  d'une 
âme  qui  est  tombée  dans  cet  exlrèiue  mal- 
heur, si  nous  avions  les  yeux  assez  péné- 
trants pour  voir  au  dedans  de  nous  et  pour 
découvrir  l'intérieur  de  cette  âme,  sa  lai- 
deur et  sa  ditformilé  nous  feraient  horreur. 
Saint  Augustin  connaissait  bien  la  misère 
de  cet  étal.  Et  c'était  le  fondement  de  ses 
jusles  regrets,  quand,  faisant  des  retours  sa- 
lutaires sur  lui-môme,  il  se  souvenait  qu'i^ 
avait  été  lant  de  tempssans  aimer  Dieu,  Ce 
saint  homme  ne  pouvait  se  consoler.  Il  re- 
gardait tout  le  temps  de  sa  vie  qu'il  avait 
passé  sans  aimer  Dieu  comme  un  temps 
perdu,  comme  un  temps  inutilement  em- 
[)loyé.  Que  dis-je  ?  comme  un  temps  où  il 
eût  mieux  valu  pour  lui  n'êlro  [joint  au 
monde;  comme  un  temps  oià  il  avait  langui 
dans  la  plus  grande  de  toutes  les  misères. 
Ce  saint  homme  aurait  souhaité  pouvoir  re- 
trancher de  sa  vie  un  temps  si  malheureux, 
et  qui  lui  avait  coûté  tant  de  larmes. 

Entendez-le  s'écrier  au  plus  fort  de  sa 
douleur  :  Ah  I  c[ue  j'ai  coumiencé  tard  à 
vous  aimer,  beauté  toujours  ancienne  et 
toujours  nouvelle.  Ah  1  que  j'ai  commencé 
tard  à  vous  aimer  (91).  Son  cœur  est  péné- 
tré de  douleur;  il  regrette  un  temps  qu'il  ne 
peut  recouvrer;  U  voudrait  tout  donner  pour 

a  Dco  di'serla,  dcserilV.oriiUs.>  (Lib.  XXlll  De  t'uii. 
Ih'i.) 
(!'l)  i  Scro  le  amavi,  lionilas  lam  aiilifpja  cl  uni 


1047 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBtRT. 


104S 


racheler  ce  tcm|)S.  Tout  le  fondement  de  sa 
douleur,  le  voici  el  n'en  cherchez  point  d'aii- 
Ire  :  ah!  que  j'ai  commencé  tard  à  vous 
îimerl 

■  Rentrons  en  nous-mêmes  el  voyons  si 
nous  n'avons  point  sujet  de  nous  faire  les 
mêmes  re|)roche.s.  Combien  de  temps  perdu? 
Combien  de  temps  pendant  lequel  la  misère 
de  noire  âme  a  élé  extrême?  Nous  n'avons 
pour  cela  qu'à  examiner  le  temps  de  notre 
vie  pendant  lequel  nous  avons  eu  le  mal- 
heur de  ne  point  aimer  Dieu.  Pleurons  un 
temps  si  malheureusement  perdu.  S'il  y  a 
quelque  moyen  de  racheter  ce  temps,  ce  no 
peut  être  qu'en  le  pleurant  et  en  répandant 
un  lorrenl  de  larmes.  Ecrions-nous  avec 
sainl  Augustin,  te  cœur  fiénéiré  de  regret 
et  les  yeux  baignés  de  larmes  i  Ah  !  que 
'*ai  commencé  lard  à  vous  aimerl 

La  circonstance  de  noire  état  et  la  qualité 
que  nous  portons  rendent  notre  misère 
encore  [dus  grande,  et  par  conséquent  nous 
avons  encore  plus  sujet  de  la  déplorer. 

Qu'est-re  donc  qu'un  ecclésiastique  qui 
n'a  point  l'amour  de  Dieu,  qui  a  passé  plu- 
sieurs années  de  sa  vie  sans  aimer  Dieu,  et 
qui  peut-être  est  assez  malheureux  pour  ne 
point  sentir  au  milieu  de  son  cœur  cet 
amour  si  nécessaire? 

Pour  vous,  (lit  Jésus-Christ ,  vous  êtes  mes 
amis,  parce  que  je  vous  ai  fait,  savoir  tout  ce 
que  j'ai  appris  de  mon  Père.  [Joan.,  XV,  15.) 
Telle  est  la  disposition  de  Jésus-Christ  à 
l'égard  de  ses  minisires.  Il  les  considère 
comme  ses  amis,  il  leur  découvre  ses  plus 
intimes  secrets,  il  les  rend  participants  de 
ses  mystères  les  plus  élevés.  Jésus-Christ 
veut  que  vous  soyez  ses  amis,  el  vous  refu- 
sez de  l'être.  Son  cœur  est  plein  de  ten- 
dresse pour  vous,  et  il  ne  trouve  que  de 
la  dureté  dans  le  vôtre.  A  quoi  devez-vous 
vous  attendre?  Jésus-Christ  étant  ainsi  re- 
jeté et  méprisé,  son  amour  se  changera  dans 
de  justes  sentiments  d'indignation  et  de 
fureur.  Vous  avez  passé  plusieurs  années 
de  voire  vie  sans  aimer  Dieu,  pleurez  et 
songez  que  ce  n'est  que  par  les  larmes  que 
vous  pouvez  répai-er  une  faute  si  capitale. 

Mais  encore  à  présent  votre  cœur  est  dur; 
les  créatures  le  captivent,  et  ce  n'est  point 
Dieu  qui  le  possède.  Concevez  que  c'est  le 
plus  funeste  de  tous  les  états.  N'y  restez  pas 
pendant  un  seul  moment,  travaillez,  exci- 
tez-vous, faites-vous  des  reproches,  con- 
templez votre  misère,  ne  vous  la  dissimu- 
lez poinl;  dites-vous  souvent  à  vous-même 
que  votre  malheur  est  extrême  et.qu'il  n'y 
a  (|u'une  voie  pour  en  sortir,  qui  est  devons 
donner  tout  entier  à  Dieu.  Considérez  avec 
attention  tant  de  motifs  pressants,  et  qui 
ont  tant  de  force  lorsqu'ils  sont  bien  exa- 
minés. Comme  la  vue  de  ces  motifs  est  très- 
pressante,  souvent  nous  résistons,  ou  parce 
que  nous  ne  les  connaissons  pas,  ou  parce 
que  nous  n'avons  pas  soin  de  les  considérer 
;ivec  toute  l'allenlion  qu'ils  méritent.  J'ai 
dt'ssein  de  vous  les  représenter.  Vous  ver- 
nova;  sero  le  amavi.  »  (Lib.  X.Con/  ,  c.  27.) 


rez  combien  ils  ont  de  force  pour  vaincre 
la  dureté  de  notre  cœur  et  pour  nous  porter 
à  nous  donner  entièrement  à  Dieu.' 

SECOND  POINT. 

Considérez  ce  que  c'est  que  Dieu,  ce  que 
vous  êtes,  ce  que  vous  avez  reçu,  ce  qui 
vous  détourne  de  vous  donner  à  Dieu.  Ces 
quatreconsidérations  vous  fourniront  quatre 
motifs  pressants,  qui  sans  doute  vous  feront 
prendre  une  sérieuse  résolution  de  vous 
donner  à  Dieu  pour  ne  plus  jamais  vous 
séparer  de  lui. 

C'est  donc  premièrement  du  côté  de  Dieu 
que  vous  devez  tourner  votre  vue  et  vos 
considérations.  Connaissez  ce  que  c'est  que 
Dieu.  C'est  Dieu  que  je  vous  propose  d'ai- 
mer et  de  servir;  Dieu  !  ce  seul  nom  ne 
vous  remplit-il  |)as  de  respect  et  d'amour. 
C'est  Dieu  qui  vous  demande  votre  cœur. 
A  qui  donc  voulez-vous  le  donner,  et  avez- 
vous  rien  trouvé  sur  la  terre  et  dans  les 
cieux  qui  soit  comt)arable  à  Dieu?  O  Dieu, 
dit  le  }^vo\A\hi^.,quy  a-t-ilquivous  soit  sem- 
blable? (Psat.  XXXIV,  10.) 

Celui  qui  vous  demande  voire  cœur  et 
que  je  vous  propose  d'aiiuer,  c'est  le  Sei- 
gneur et  le  grand  Roi  élevé  au-dessus  de  tous 
les  dieux.  {Psal.  XCIV,  3.)  C'est  celui  dont 
la  magnificence  est  élevée  au-dessus  des  cieux 
[Psal.  VIII,  .3),  dont  les  cieux  chantent  la 
gloire  (Psal.  XVUI,  2),  dont  le  nom  est  ad- 
mirable dans  toute  la  terre.  {Psal.  Vlil,  2.) 
C'est  celui  qui  connaît  toutes  les  pensées  des 
hommes  {Psal.  XCIII,  11),  et  qui  seul  peut 
faire  leur  bonheur.  C'est  celui  qui  fait  toutes 
choses  avec  sagesse  {l^sal.  ClII,  2't)  ,  qui  fait 
des  merveilles  innombrables  {Psal.  XXXlX, 
C),  et  nul  ne  peut  avoir  des  desseins  sem- 
blables aux  siens.  {Psal.  XCIV,  5.)  C'est 
celui  à  qui  la  mer  appartient,  et  il  l'a  faite, 
et  ses  tnains  ont  formé  la  terre.  {Psal.  LXXV, 
8.)  C'est  celui  qui  est  terrible,  à  qui  rien  ne 
peut  résister,  devant  qui  les  montagnes  fon- 
dent comme  la  cire,  et  toute  la  terre  tremble 
devant  lui.  {Psal.  Cill,  24.)  Voilà  encore  une 
fois  quel  est  celui  qui  vous  demande  votre 
cœur.  Quoi  !  c'est  Dieu, et  vous  avez  besoin 
d'être  exhortés,  d'être  excités,  d'être  pres- 
sés, d'être  conjurés  de  l'aimer  (92). 

Saint  Basile  [)rétend  que  si  l'homme  lais- 
sait aller  son  cœur,  qu'il  ne  le  contraignit 
point,  qu'il  lui  permît  de  suivre  ses  mou- 
vements naturels,  il  se  porterait  par  sa 
pro[)re  inclination  el  par  son  propre  [)0ids 
à  aiiiicr  Dieu.  L'extrême  éloignemeul  que 
les  ho.'umes  ont  de  Dieu  est  la  marque  la 
plus  certaine  et  la  plus  évidente  de  la  cor- 
ruption du  cœur.  Saint  Basile  ajoute  que 
comme  il  y  a  en  nous  une  inclination  natu- 
relle qui  nous  inspire  de  nous  réjouir  de  la 
lumière,  d'aimer  la  vie,  de  chérir  ceux  qui» 
nous  ont  dontié  la  naissance  et  de  qui  nous 
avons  reçu  l'éducation,  aussi  notre  propre 
inclination  nous  doit  {lorler  à  aimer  Dieu. 

Jl  est  naturel  d'aimer  ce  qui  est  bon.  Il 
est  donc  encore  plus  naturel  d'aimer  ce  qui 
esl  souveraineuieiit  bon.  11  est  donc  eacoro 

(9-2)  In  rcgulis  fusioribus,  q.  2,  p,  529. 


1049 


RETIIAITE  ECCLES.    -  M,  AMOUR  DE  DIEU.' 


1050 


pius  naturel  d'aimer  un  Dieu  qui  nous 
aime. Quand  nous  nous  d(5tournons  de  cet 
objet  souverainement  aimable,  nous  étouf- 
fons les  lumières  de  la  raison,  nous  faisons 
violence  à  notre  cœur,  et  nous  i'empôchons 
de  suivre  sa  pente  naturelle.  Se  forcer  pour 
ne  (loint  aimer  Dieu,  se  contraindre  pour 
fuir  ce  qui  seul  peut  nous  rendre  souverai- 
nement heureux,  n'est-ce  [las  se  vouloir  du 
mal  à  soi-même,  n'est-ce  pas  être  l'ennemi 
(le  son  bonheur?  Ecoutons  notre  raison, 
laissons  aller  noire  cœur,  ne  lui  faisons 
plus  une  violence  qui  est  si  funeste.  Puis- 
qu'il est  fait  pour  Dieu,  permettons-lui  de 
le  chercher  et  de  se  reposer  en  lui.  Notre 
cœur  est  fait  pour  aimer  Dieu  et  pour  n'ai- 
mer que  lui.  Jamais  nous  ne  serons  tran- 
quilles, jamais  nous  ne  jouirons  de  la  paix, 
pendant  que  les  objets  créés  rempliront 
notre  cœur  et  que  nous  serons  assez  mal- 
lieuroux  pour  substituer  la  créature  à  la 
place  du  Créateur. 

C'est  Dieu  qui  vous  propose  de  l'aimer. 
Vous  avez  vu  ce  que  c'est  que  Dieu.  Voyons 
ce  que  nous  sommes,  et  tirons-en  un  se- 
cond motif,  lequel  sera  encore  très-pres- 
sant pour  nous  obliger  de  nous  donner  à 
Dieu. 

C'est  nous  que  Dieu  appelle,  et  c'est  dans 
notre  cœur  qu'il  veut  établir  sa  demeure. 
Autant  que  Dieu  est  grand,  autant  sommes- 
nous  petits;  autant  que  Dieu  est  élevé, 
aiotant  sommes-nous  dans  la  bassesse.  Le 
Prophète  dit  :  Qu'est-ce  que  Vhomme  pour 
être  l'objet  de  votre  souvenir?  [Psal.  Vlll,  5.) 
Mais  je  puis  dire  à  plus  forte  raison,  qu'est- 
ce  que  l'homme,  et  quel  est  son  bonheur, 
lorsque  vous  voulez  bien  l'inviter  à  vous 
aimer  ? 

Le  même  prophète,  dans  un  autre  endroit, 
est  étonné  que  Dieu  prenne  soin  de  lui.  Il 
en  est  étonné,  parce  qu'il  sait  ce  qu'il  est, 
et  qu'il  se  considère  comme  un  homme 
pauvre,  et  qui  est  abandonné  :  Pour  moi  je 
suis  pauvre  et  abandonné,  et  le  Seigneur 
prend  soin  de  moi.  {Psal.  XX  XIX,  18. j  Nous 
avons  donc  encore  bien  plus  lieu  d'èlro 
étonnes  quand  nous  considérons  que  non- 
seulement  le  Seigneur  prend  soin  de  nous, 
quelque  pauvres  et  abandonnés  que  nous 
soyons,  mais  encore  qu'il  se  ()ropose  à  nous 
pour  nous  être  intimement  uni. 

Dieu  veut  que  vous  l'iumiez,  vous  qui 
êtes  poussière  et  cendre,  vous  qui  êtes  pau- 
vre et  dans  la  douleur  {Psal,  XXIX,  10;, 
vous  dont  les  jours  passent  comme  l'om- 
bre {Psal.  11,  12),  vous  dont  l'élre  est 
comme  le  néant  aux  yeux  de  Dieu.  {Psal. 
XXXVIU,  G.) 

'Saint  Augustin,  pénétré  de  celte  bonté  de 
Dieu,  s'écrie  :  Qu'est-ce  que  je  suis,  et 
d'où  vient  donc  que  Dieu  me  commande  de 
laimer?  C'est  à  nous  à  chercher,  à  désirer 
à  nous  empresser.  iMais  que  ce  soit  Dieu 
même  qui  se  mette  en  peine  d'être  aimé 
de  nous,  et  qui  nous  en  fasse  lu  commande- 


ment, c'est  un  excès  de  miséricorde  q\nt 
nous  ne  pouvons  assez  admirer  (93).  C'est 
vous ,  continue  saint  Augustin,  qui  nje 
commandez  de  vous  aimer;  non-seulement 
vous  me  le  commandez,  mais  si  je  n'obéis 
pas,  vous  entrez  dans  des  sentiments  de 
colère.  Vous  me  menacez  :  on  croirait  que 
l'affaire  vous  intéresse.  Cependant  tout 
l'avantage  est  pour  moi.  Que  j'aille  à  vous, 
que  mon  cœur  soit  à  vous,  et  que  vous  y 
régniez,  c'est  toute  ma  gloire,  et  il  ne  peut 
jamais  rien  vous  en  revenir. 

Ce  n'est  pas  seulement  en  nous  comman- 
dant de  l'aimer,  tout  indignes  que  nous  en 
sommes,  que  Dieu  nous  manifeste  sa  misé- 
ricorde, toute  notre  vie  n'est  qu'une  suite 
continuelle  de  bienfaits  et  de  grâces  qui 
sont  encore  un  excellent  motif  pour  nous 
engager  à  nous  donner  5  Dieu. 

Si  vous  voulez  savoir  quels  sont  les 
bienfaits  de  Dieu,  quel  en  est  le  nombre, 
vous  n'avez  qu'à  considérer  tout  ce  qui  est 
en  vous.  Car  voici  le  grand  principe  de 
l'Apôtre  :  Qu'avez-vous  que  vous  n'ayez  reçu  f 
(II  Cor.,  IV,.)  Voyez  donc  tout  ;ce  que  vous 
avez,  et  rendez  gloire  à  celui  de  qui  vous 
l'avez  reçu. 

Si  vous  avez  de  la  santé,  de  la  force,  une 
complexion  robuste,  tout  cela  peut-il  venir 
d'un  autre  que  de  Dieu?  Si  vous  avez  du 
génie,  des  talents  naturels,  une  mémoire 
heureuse,  un  esprit  propre  pour  les  scien- 
ces ou  les  grandes  affaires,  cela  peul-il  en- 
core venir  d'un  autre  que  de  Dieu  ? 

Vous  avez  reçu  tous  ces  biens,  et  Dieu 
vous  les  a  donnés  pour  en  faire  un  saint 
usage.  Ce  qui  vient  de  vous,  ce  que  vous 
devez  condamner  en  vous,  ce  qui  doit  vous 
coûter  beaucouf)  de  larmes  et  de  regrets, 
c'est  d'avoir  abusé  des  dons  de  Dieu,  et  de 
vous  être  servi  pour  J'oifenser  de  ce  qu'il 
vous  avait  donné  pour  vous  sanctilier  et 
pour  le  glorilier. 

Que  de  grâces  du  Seigneur  qui  vous 
sont  communes  avec  tous  les  autres  fidèles 
et  qui  n'en  sont  pas  moins  grandes  pour  celai 

Le  caractère  d'enfant  de  Dieu,  la  grâce  du 
saint  baptême,  ce  sont  des  biens  auxquels 
on  ne  fait  presque  point  attention.  Parce 
que  Dieu  les  prodigue,  il  semble  qu'ils 
sont  d'un  moindre  prix,  et  il  y  en  a  très-peu 
qui  en  connaissent  la  juste  valeur. 

//  nous  a  marqués  de  son  sceau,  dit  le  ^ainl 
Apôtre,  et  pour  gage  des  biens  qu'il  nous  a 
promis,  il  nous  a  donné  le  Saint-Esprit  dans 
nos  cœurs.  (Il  Cor.,  1,  22.]  Voilà  ce  que  saint 
Paul  représente  souvent  aux.  fidèles  com- 
me un  bienfait  qui  ne  peut  être  assez  esti- 
mé, et  qui  nous  doit  être  continuellement 
présent. 

Jl  nous  a  marqués  de  son  sceau.  C'est  donc 
que  nous  sommes  à  lui,  que  nous  sommes 
son  héritage,  qu'il  veut  que  dans  toutes  nos 
aclions  et  dans  toute  la  suite  de  notre  vie,- 
nous  nous  considérions  comme  étant  à  lui  et 
comme  n'étant  plus  à  nous. 


(9Ô)  <  Qiiid  til)i  siiin  ipse  ut  ainaii 
nii»erias.  i  (!.ib.  1,  Conf.  c.  o.) 


jubcas  il  MIL',  et   iiiji  faciaii»  irascaris  milii,  et   iiiiiieris  iiigeiiics 


ion 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMSERT. 


lOSf 


Ce  sceau,  c'est  le  Saint-Esprit  même  qui 
est  dans  nos  cœurs  et  dont  nous  sommes 
les  temples.  C'est  déjà  beaucoup  pour  nous 
d'être  le  temple  du  Sainl-Esprit.  Mais  le 
Saint-Esprit  nous  est  donné  pour  gage  des 
b'iens  qui  nous  sont  promis.  Quelque  élevés 
que  nous  soyons  dès  celle  vie,  où  nous 
sommes  déjà  les  temples  du  Saint-Espril,  oc 
que  nous  possédons  n'est  encore  rien  en 
comparaison  de  ce  qui  nous  est  promis. 
C'est  Dieu  qui  nous  a  donné,  c'est  Dieu 
qui  nous  a  promis,  c'est  Dieu  qui  a  voulu 
nietlre  en  nous  des  gages  de  ses  promesses  : 
QiCavez-vous  que  vous  n'ayez  pas  reçu? 

Ces  gpilces  vous  sont  communes  avec 
tous  ceux  que  Dieu  a  honorés  de  la  qualité 
de  ses  enfants.  Vous  avez  par-dessus  eux 
que  vous  êtes  prêtres,  et  les  ministres  du 
Très-Haut.  Nouvel  engagemenl  de  vous 
unir  à  Dieu  encore  plus  que  les  autres  fidè- 
les, puisque  vous  avez  plus  reçu. 

Plusieurs  portent  la  qualité  de  prèlre, 
mais  il  y  en  a  bien  peu  qui  connaissent  ce 
que  c'est  que  d'être  prêtre,  et  combien  celte 
dignité  est  grande. 

Vous  êtes  prêtre,  c'est-à-dire  que  vous 
êtes  l'ambassadeur  de  Jésus-Christ.  11  vous 
envoie  pour  l'aire  connaître  ses  volontés,  il 
veut  s'expliquer  par  voire  bouche,  et  quand 
vous  annoncez  aux  hommes  les  vérités  du 
salut,  Dieu  veut  que  l'on  vous  écoule  com- 
me lui-même.  iYf  us /"ajsons,  dit  saint  Paul, 
la  charge  d'ambassadeur  de  Jésus-Christ,  et 
c'est  Dieu  même  qui  vous  exhorte  par  notre 
bouche.  {Il  Cor.,  V,  20.)  Vous  êtes  prêtre, 
c'est-à-dire  que  vous  êtes  de  ceux  donl 
Dieu  veut  se  servir  pour  accom[)lir  son 
œuvre.  iVoMs  sommes,  dit  saint  Paul, /es  coo- 
péraleursde  Dieu.  (1  Cor.,  111,  9.)  Vous  tenez 
sur  la  terre  la  place  de  Jésus-Christ.  Voilà 
pourquoi  vous  êtes  appelés  ses  vicaires  (%); 
Jésus-Christ  a  voulu  seulement  jeter  les 
fondements  do  son  œuvre.  Il  a  confié  le 
soin  de  l'oxéculion  à  des  hommes  qu'il  a 
choisis.  Vous  en  êtes  du  nombre.  Vous  êtes 
chargés  par  Jésus-Christ  de  soutenir  son 
œuvre. 

Si  l'on  juge  de  l'éminence  d'une  dignité 
par  ses  fonctions,  quelles  sont  les  fonctions 
d'un  prêtre?  Annoncer  l'Evangile,  délier 
les  pécheurs,  dispenser  les  mystères  du  Sei- 
gneur, avoir  conlinueilement  en  main  tout 
ce  qu'il  y  a  de  plus  saint  dans  la  religion, 
toujours  parler  au  nom  de  Dieu,  toujours 
agir  par  son  autorité. 

Saint  Ambroise,  examinant  quelle  est  ki 
dignité  des  prêtres,  dit  qu'elle  surpasse  tout 
ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé  sur  la  terre.  Il 
prétend  que  la  dignité  de  roi  et  de  prince 
est  beaucoup  plus  au-dessous  de  celle  de 
prêtre  que  le  plomb  n'est  au-dessous  de 
l'or;  le  conducteur  est  au-dessus  de  celui 
qu'il  conduit,  le  maître  est  au-dessus  du 
disci[)le  comme  Jésus-Christ  l'a  {.rononcé. 
Les  prêtres  sont  établis  pour  être  les  con- 

(94)  «  Jésus  Cliristus  sacerdoies  sui  ipsius  vl- 
carios  reliciuil.  t  (Coitc.  Trid.,  sess.  1  i,  c.  5.) 

(î)o)  «  Si  regum  fiilgDri  compares  et  priucipuin 
diaUcmati,  long'-  ci  il  iiitciius'l""iJ"isi  pliinihi  nielal- 


ducleurs.  Ils  sont  donc  au-dessus  de  ceux 
que  Jésus-Christ  les  a  chargés  de  conduire. 
La  conséquence  de  saint  Ambroise  est  qu'iî 
n'y  a  rien  sur  Ta  terre  de  plus  grand  que  la 
qualité  de  prêtre  (95). 

Vous  la  portez  cette  éminenle  dignité. 
De  qui  l'avez-vous  reçue?  Qu'avez-vous  que 
vous  nayez  reçu? 

Ramassez  maintenant  toutes  les  grâces 
que  Dieu  vous  a  faites,  tous  les  litres  dont 
il  vous  a  honorés,  toutes  ses  pi'omesses, 
tous  les  biens  dont  vous  êtes  en  possession, 
tous  ceux  que  vous  espérez;  dites  avec  le 
Prophète,  que  le  Seigneur  a  multiplié  ses  mi- 
séricordes. {Psal.  XXXV,  8.)  Ecriez-vous 
encore  avec  le  Prophète  :  Qui  pourra  com- 
prendre les  miséricordes  du  Seigneur?  {PsaL 
CVI,  43.) 

Mais  quel  effet  produira  sur  vous  la  vue 
des  miséricordes  du  Seigneur?  Je  sais  ce 
que  vous  sentiriez  à  l'égard  d'un  homme 
donl  la  protection  salutaire  vous  aurait  été 
de  quelque  utilité  dans  les  ditférentes  né- 
cessités de  celte  vie.  Je  connais  voire  cœur  ; 
vous  vous  piquez  de  générosité  ;  quand  on 
fait  le  récit  de  ces  ingratitudes,  de  ces  ou- 
blis qui  déshonorent  parmi  les  hommes, 
vous  frémissez  et  vous  vous  sentez  incapa- 
ble de  tomber  dans  de  pareilles  fautes.  Ou- 
blier les  bienfaits  de  Dieu,  êlre  insensible 
à  ses  grâces,  lui  refuser  un  cœur  qui  est  la 
seule  reconnaissance  qu'il  demande  de  nous, 
n'est-ce  pas  la  plus  monstrueuse  de  toutes 
les  ingratitudes  ? 

Mais  encore  pourquoi  ne  voulez  vous  pas 
vous  donner  à  Dieu,  et  quelle  raison  pou- 
vez-vous  avoir  de  lui  refuser  votre  cœur? 
Ce  cœur  que  vous  enlevez  à  Dieu,  à  qui  le 
donnez-vous?  Vous  en  serez  vous-même 
dans  la  dernière  confusion,  quand  vous 
mettrez  dans  la  balance,  d'un  côié.  Dieu,  et 
d'un  autre  côté,  ce  que  vous  lui  préférez. 
Car  quelque  adresse  que  vous  ayez  pour 
vous  déguiser  votre  injustice,  il  n'est  que 
trop  vrai  que  vous  en  faites  la  comparaison. 
Dieu  s'otlre  à  vous,  vous  le  savez,  vous 
n'en  pouvez  douter;  il  s'en  est  trop  souvent 
expliqué.  Le  monde  s'ollre  à  vous  et  vous 
présente  ses  biens;  vous  avez  à  délibérer 
entre  Dieu  et  le  monde.  Il  est  donc  cer- 
tain que  quand  vous  aurez  prononcé,  celui 
du  côté  duquel  vons  vous  rangerez,  aura 
la  préférence  et  remportera  la  victoire  dans 
votre  cœur. 

Parlez  maintenant:  est-ce  Dieu  que  vous 
voulez,  est-ce  le  monde,  son  enneuii?  Mais 
c'est  à  tort  que  je  vous  demande  que  vous 
vous  expliquiez,  vous  l'avez  déjà  fait.  Ce 
jugement  honteux  est  déjà  prononcé;  déjà 
vous  avez  dit  dans  votrecœur  que  le  momie 
est  plus  aimable  que  Dieu. 

Mais  en  quoi  donc  avez-vous  trouvé  le 
monde  plus  aimable? 

Ce  qui  peut  faire  la  valeur  d'un  bien, 
c'est   sa   durée,  sa  vérité,    sa  perfeciion, 

lum  aii  auii  fiilgorein  compares  Niliil  iii  lioc  s;t 
ciilo  excclifiiliùs  saccrdolibus.  »  (  De  diguii., 
saard.,  c"!,  3.) 


1055 


RETRAITE  ECCLES.  —  YI,    AMOUR  DE  DIEU. 


to:;i 


h   sùrclé   qtio    I  on  peut  trouver  dans   sa 
possession. 

Je  vous  dirai  donc  aujourd'liui,  comme 
le  dit  iuitrefuis  le  prophète  Daniel  :  Etes- 
voits  si  insensés,  enfants  d'Israël,  que  d'avoir 
ainsi  jugé  sans  connaître  la  vérité?  Retour- 
nez pour  prononcer  un  jugement  nouveau. 
[Dan.,  XHI,  kS.)  Je  veux  donc  aujourd'hui 
que  vous  examiniez  le  jugement  que  vous 
avez  l'orme,  et  que  vous  déclariez  si  vous 
avez  eu  r-iison  de  laisser  Dieu  et  de  lui 
préférer  le  monde. 

Ce  qui  fait  la  valeur  d'un  bien,  c'est  sa 
durée.  Dieu  est  éternel.  Combien  dureront 
les  biens  qui  vous  enchantent?  7/s  s^c/teronf 
et  ils  tomberont  bientôt,  semblables  à  l'herbe 
{Psal.  XXXVI,  2)  qui  languit  et  meurt 
sous  les  mêmes  rayons  de  soleil  qui  l'avait 
fait  naîlre. 

Ce  qui  fait  la  valeur  d'un  bien,  c'est  sa 
vérité.  En  Dieu  se  trouve  la  vérité.  Savons- 
nous  rien  do  Dieu  qui  ne  soit  conforme  à 
la  vérité?  Voilà  pourquoi  David  demandait 
h  Dieu  :  Conduisez-moi  dans  votre  vérité. 
(Psal.  XXIV,  5.)  Les  biens  que  vous  pour- 
suivez ont-ils  cette  vérité?  Ce  sont  de  faus- 
ses lumières  qui  vous  trompenl,  et  vous 
avez  éprouvé  une  infinité  de  fois  que  les 
biens  de  la  terre  ne  sont  point  tels  qu'ils 
vous  paraissent. 

Ce  qui  fait  la  valeur  d'unbienc'est  sa  per- 
fection. C'est  en  Dieu  que  toute  perfection 
est  renfermée.  Maisavez-vous  jamais  trouvé 
sur  la  terre  aucun  bonheur  qui  lîit  parfait. 
D'où  vient  donc  qu'il  n'y  en  a  jamais  eu  qui 
ait  pu  vous  satisfaire?  D'où  vient  que  dans 
l'instant  mémo  que  vous  jouissez  de  ces 
félicités  le  plus  ardemment  désirées,  vous 
êtes  plus  occupé  de  ce  qui  vous  manque  que 
de  ce  que  vous  possédez? 

Ce  qui  fait  la  valeur  d'un  bien,  c'est  la 
sûreté;  que  l'on  fieul  trouver  dans  sa  pos- 
session. Je  cherche  un  bien,  dit  saint  Au- 
gustin, que  l'on  ne  puisse  m'enlever  malgré 
moi.  Y  en  a-t-il  un  autre  que  Dieu  (96)? 
N'est-ce  pas  lui  seul  que  l'on  ne  peut  nous 
enlever,  et  que  nous  ne  perdons  que  quand 
nous  sommes  assez  malheureux  pour  con- 
sentir h  le  perdre  ?  Vos  richesses  terrestres 
ne  peuvent-elles  vous  être  enlevées  malgré 
vous?  Ou  plutôt  n'est-ce  pas  toujours  mal- 
gré vous  qu'elles  vous  sont  enlevées,  soit 
qu'elles  vous  échappent  par  leur  f)ropre 
fragilité,  soit  qu'elles  vous  soient  arrachées 
jiar  la  violence  des  hommes. 

Revenez  donc  encore  une  fois  pour  pro- 
noncer un  jugement  nouveau.  Lequel  vaut 
mieux  ou  de  Dieu  (lue  vous  laissez,  ou  des 
biens  terrestres  que  vous  poursuivez  ?  Si 
c'est  Dieu  qui  i"enj(.orte  au- dessus  des  biens 
deja  terre,  si  la.disproporlion  est  si  grande 
(|u'il  n'y  ait  pas  même  lieu  à  aucune  com- 
paraison, pourquoi  donc  hésitez -vous  ? 
'i'ournez  votre  cueuret  votre  amour  du  cùié 
d'un    objet  plus    digne  ;  cherchez  Dieu  et 

(OU)  «  Iii\igito  (luaiuiuii  quco  cl  enitor,  iil  iiiJjil 
al.  -il4.)  \   i      ■    > 


aimez  uniciuement  celui  que  tant  de  molit's 
pressants  vous  engagent  d'aimer.  II  mo 
reste  à  vous  faire  voir  les  marques  aux- 
quelles vous  pouvez  connaître  si  vous  avez 
l'amour  de  Dieu.  C'est  mon  troisième  point. 

TROISIÈME     POINT. 

Celui  qui  airaeDieu  pensesouvent  àDieu. 
El  c'est  la  première  marque  5  laquelle  vous 
connaîtrez  si  vous  avez  l'amour  de  Dieu. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  dit  que  nous 
devrions  penser  à  Dieu  aussi  souvent  que 
nous  respirons  (97).  Ce  devrait  être  notre 
principale  occupation.  La  nuit,  le  jour,  le 
soir,  le  matin,  nous  devons  méditer  les 
merveilles  du  Seigneur  et  le  bénir  sans  cesse. 
Nous  nous  portons  naturellement  à  pen- 
ser à  ce  que  nous  aimons.  Un  père  qui 
aime  ses  enfants  pense  souvent  à  ses  en- 
fants. L'avare  pense  à  son  argent.  L'hommo 
voluptueux  à  ses  plaisirs.  C'est  une  maxime 
générale,  notre  esprit  est  occupé  des  objets 
auxquels  notre  inclination  nous  porte. 
Quand  nous  ne  pensons  point  à  un  objet, 
c'est  une  marque  que  notre  cœur  n'en  est 
point  touché. 

Cette  maxime  est  d'autant  plus  véritable 
à  l'égard  de  Dieu,  que  tout  ce  que  nous 
voyons  nous  avertit  de  nous  souvenir  de 
lui.  Si  donc  nous  l'oublions  ,  il  iaut  qu'il  y 
ait  dans  notre  cœur  un  grand  fonds  d'indif- 
férence. Car  pour  peu  que  notre  cœur  soit 
louché  des  bontés  de  Dieu,  comment  se 
peut-il  faire  que  nous  ne  pensions  pas  Irès- 
souvcnt  à  lui  au  milieu  de  tous  ces  objets 
qui  nous  rappellent  le  souvenir  do  ses  gran- 
deurs et  de  ses  perfections  ? 

Tous  les  êtres  créés  ont  leur  langage  ,  et 
il  n'y  en  a  aucun  qui  ne  nous  parle  de 
Dieu.  Si  je  veux  entendre ,  dit  saint  Augus- 
tin ,  la  voix  des  créatures  que  Dieu  a  faites, 
si  je  les  consulte  ,  je  n'en  trouveaucune  qui 
ne  me  parle.  Je  les  entends  toutes  qui  s'é- 
crient d'un  commun  accord  .  c'est  Dieu  oui 
nous  a  faites  (98). 

Que  je  sois  dans  les  campagnes,  que  je 
les  voie  si  merveilleusement  diversitiées , 
que  j'en  admire  les  richesses,  que  j'élève 
les  yeux  en  haut,  que  je  considère  tout  ce 
qui  m'environne,  que  jetasse  attention  à 
la  fécondité  de  la  terre  qui  produit  toutes 
sortes  de  fruits;  que  j'entende  ces  inno- 
centes créatures,  qui  sans  avoir  jamais  été 
instruites  ,  s'excitent  mutuellement  les  unes 
les  autres  à  chanlerdes  cantiques  à  la  gloire 
du  Créateur  ;  tout  cela  a  sa  voix  :  toutes 
ces  créatures  s'expliquent  unanimement  en 
l'honneur  du  Créateur.  C'est  donc  endurcir 
son  cœur  que  de  ne  point  entendre  la  voix 
des  créatures  qui  publient  avec  tant  d'élo- 
quence le  pouvoir  souverain  de  celui  (]ui 
les  a  faites.  Il  faut  avoir  bien  peu  de  zèle  et 
d'amour  pour  oublier  Dieu,  lorsque  tout  ce 
qui  nous  environne  nous  invite  à  nous  sou- 
venir de  lui. 
Les  ecclésiastiques  sont  encore  i)lus  in- 

(97)  Oral.  33,  p.  531. 

\08;  «  Exclaiiiave  riinl  voce    niagiia   IpbC   l'ccii 
iios.i  (Lii).  X  Con(.,  c.  ().)( 


1055 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH    LAMBERT. 


mo 


excusable,  el  c'est  une  marque  d'un  plus 
grand  endurcissement  en  eux,  lorsqu'ils 
tombent  dans  l'oubli  de  Dieu.  Il  faut  pour 
cela  qu'ils  négligent  absolument  d'entrer 
dans  l'esprit  de  leurs  fonctions.  Car  il  n'y 
en  a  aucune  qui  ne  leur  fasse  voir  expres- 
sément ce  que  c'est  que  Dieu,  combien  il 
est  grand,  combien  il  est  saint.  Un  ecclé- 
siastique prie.  Quelle  sera  sa  prière,  et  quel 
pourra  en  ôlre  le  fruit,  si  son  esprit  n'y  est 
point  occupé  de  Dieu  ?  Sa  négligence  ne 
sera-t-elle  point  criminelle,  s'il  lit  les  livres 
saints,  s'il  administre  les  sacrements  de 
l'Eglise,  s'il  s'applique  aux  autres  emplois 
de  son  élat  par  coutume  et  sans  attention  ? 
Il  est  de  môQie  assez  difficile  d'entendre 
comment  desactions  saintes,  et  qui  ont  tant 
\ie  rapport  à  celui  qui  est  l'auteur  de  toute 
sainteté,  peuvent  être  exercées  ,  sans  que 
l'esprit  soit  frappé  et  que  le  cœur  soit  tou- 
ché de  la  grandeur  de  nos  mystères. 

Accoutumons-nous,  surtout  nous  qui 
sommes  ministres  du  Seigneur,  à  penser 
souvent  à  lui.  C'est  l'excellent  moyen  que 
Dieu  donne  à  Abraham  pour  travailler  effi- 
cacement à  se  perfectionner.  Marchez  en  ma 
présence,  et  soyez  parfait.  (Gen.,  XVII ,  1.) 

Voyez  David  appliqué  au  Seigneur  et  fai- 
sant des  efl'orts  conlinuels  î)ourne  le  perdre 
jamais  de  vue.  (Psal.  XV,  8.) 

Faibles,  dissipés,  terrestres  comme  nous 
sommes,  c'est  beaucoup  pour  nous  d'ôire 
continuellement  occupés  de  la  présence  du 
Seigneur.  C  est  à  quoi  nous  ne  jiarvicndrons 
pas  sans  livrer  de  grands  combats,  et  sans 
fairebeaucoupd'efforts.  Mais  si  nous  n'éprou- 
vons que  trop  souvent  les  égarements  de 
notre  esprit,  au  moins  tirons-en  quelque 
profit.  Qu'ils  nous  servent  à  nous  connaître, 
à  nous  hnmilier,  à  gémir  de  nos  faiblesses. 
Notre  esprit  s'égare,  faisons  nos  efforts  pour 
le  rendre  attentif.  Donnons  à  Dieu  cette 
preuve  de  notre  vigilance. 

Deux  grands  exercices  pour  nous.  Le  pre- 
mier de  gémir,  en  faisant  réflexion  sur  les 
égarements  de  notre  esprit.  Le  second  de 
faire  des  eflorts  pour  rappeler  nolreesprit  aus- 
sitôt que  nous  nous  appercevons  de  ses  éga- 
rements. Voilà  nos  occupations  pendant  le 
temps  de  notre  pèlerinage,  jusqu'à  ce  que 
nous  soyons  assez,heureux  pour  être  entière- 
ment maîtres  de  notre  esprit,  et  pour  ne  le 
plus  voir  occupé  que  de  Dieu  seul. 

Celui  qui  aime  Dieu  déteste  souveraine- 
ment le  péché.  C'est  la  seconde  marque  à 
laquelle  vous  connaîtrez  si  l'amour  de  Dieu 
est  en  vous.  Le  péché  est  l'ennemi  de  Dieu. 
On  ne  peut  donc  aimer  Dieu  à  moins  qu'on 
ne  haïsse  le  péché  qui  est  son  ennemi  capital. 

Je  suppose  que  le  péché  mortel  ne  se  ren- 
contre point  dans  la  vie  d'un  prêtre,  et 
que  dès  qu'un  homme  est  élevé  à  celle 
éminente  dignité,  il  fait  un  divorce  éternel 
avec  le  péché  mortel.  Saint  Jean  dit  que 
tout  homme  qui  est  né  de  Dieu  ne  pèche  plus. 
(I  Joan.,V,  18.)  Le  sens  de  cet  a[)ôlre  est  que 
les  enfantS-do  Dieu  ne  commcllent  plus  de 
ces  péchés  qui  donnent  la  morl.  Si  !e  péché 


mortel  ne  peut  compatir  avec  la  simple  ' 
qualité  d'enfants  de  Dieu,  jugez  de  son 
incompatibilité  avec  la  qualité  de  prêtre.  Il 
serait  plus  facile  d'unir  ensemble  le  feu  et 
l'eau,  et  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  opposé 
dans  la  nature,  que  l'amour  de  Dieu  et  le 
péché  mortel. 

Cependant  l'amour  de  Dieu,  quelque 
force  qu'il  ait,  ne  nous  empêche  |)as  do 
ressentir  les  effets  malheureux  de  noire 
mortalité.  Ceux  qui  apportent  plus  de  pré- 
caution ne  laissent  pas  de  tomber.  Combien 
donc  ceux  qui  se  laissent  aller  à  eux-mêmes, 
et  qui  ne  vivent  pas  dans  une  vigilance 
continuelle  ,  ont-ils  de  fautes  à  se  repro- 
cher ? 

Pour  peu  que  nous  ajons  l'amour  de 
Dieu,  il  ne  se  peut  que  nous  ne  soyons 
touchés",  quand  nous  faisons  attention  que 
nos  chutes  sont  si  fréquentes.  C'est  à  bon 
droit  que  cette  vie  est  appelée  la  vallée  des 
larmes.  C'est  un  sujet  continuel  de  gémis- 
sement d'apercevoir  en  nous  des  faiblesses  , 
des  langueurs,  des  nonchalances, des  dégoûts, 
des  inconstances.  Ouvrons  les  yeux,  entrons 
dans  nos  cœurs.  Combien  de  sentiments  qui 
déplaisent  à  Dieu  ,  et  qui  par  conséquent 
doivent  nous  faire  gémir. 

La  fin  de  la  charité  c'est  que  Dieu  soit 
tout  entier  à  nous,  et  que  nous  soyons  tout 
entiers  à  lui.  Mon  bien-aimé  est  à  moi,  et  je 
suis  à  lui.  (Cant.,  II,  IG.)  C'est  donc  à  nous 
de  nous  observer,  de  prendre  garde  qu  il 
ne  nous  échappe  rien  qui  puisse  déplaire  à 
noire  bien-aimé.  Aussitôt  que  nous  re- 
marquons quelque  faute  qui  peut  l'offenser, 
le  seul  moyen  de  conserver  cette  union 
étroite  et  précieuse,  qu'il  veut  bien  avoir  avec 
nous,  c'est  de  lui  exposer  nos  regrets  et  de 
pleurer  notre  misère.  Ces  pleurs,  ces  gémis- 
sements forment  une  excellente  disposition 
pour  offrir  à  Dieu  des  prières  qui  lui  soient 
agréables.  Car  ce  qui  fait  le  principal  mérite 
de  la  prière,  c'est  le  gémissement  du  cœur, 
el  ce  qui  produit  le  gémissement  c'est  la  vue 
de  notre  misère  :  c'est  la  vue  de  nos  fautes 
qui  sont  notre  grande  et  véritable  misère. 

Si  nous  vivons  en  prêtres  nous  serons 
exempts  de  péchés  mortels.  Ce  n'est  pas  à 
dire  {)Our  cela  qu'il  ne  soit  pas  de  notre  de- 
voir de  faire  une  très-grande  attention  au 
péché  mortel  el  de  le  pleurer.  C'est  assez 
que  nos  frères  tombent,  tous  lesjours  dans 
un  grand  nombre  de  fautes  mortelles.  Celui 
que  nous  aimons-  est  offensé,  ce  sont  nos 
frères  qui  l'outragent:  en  faut-il  davantage 
pour  nous  exciter  à  répandre  des  larmes? 

Les  prêtres  sont  obligés  par  leur  élat  de 
prier  pour  le  peuple,  d'attirer  les  grâces  du 
Seigneur,  et  d'a[)aiser  sa  colère  lorsqu'il 
est  irrité.  Ceux-là  donc  se  trompent  qui 
croient  quêtant  de  fautes  qui  se  commet- 
tent dans  le  monde  ne  les  regardent  pas,  et 
qu'elles  leur  sont  absolument  étrangères. 
Pouvons-nous  les  considérer  comme  telles 
et  connaître  l'union  que  nous  avons  avec 
ceux  qui  en  sont  les  véritables  auteurs? 
Dieu  ne  vous  imputera  pas  les  péchés  du 
monde;  mais  il  est  très-sur  que  si  vous  n'en 


\o:>i 


RETRAITE  ECCLE.—  Yl,  AMOUR  DE  DIEU. 


i05S 


êtes  pas  touchés,  il  vous  imputera  voire  in- 
sensibilité, il  vous  imputera  de  n'avoir  rien 
fait  pour  apaiser  sa  juste  colère. 

♦  Les  prêtres  zélés  sont  persuadés  qu  il  y 
a  toujours  des  raisons  fortes  et  pressantes 
qui  lès  engagent  è  pleurer,  et  à  faire  des 
œuvres  de  pénitence.  Combien  de  temps  ne 
faut-il  pas  employer  pour  se  pleurer  soi- 
même.  Mais  comment  pourra-t-on  demeu- 
rer tranquille,  et  cesser  de  pleurer,  quand 
on  fera  attention  à  celte  grande  obligation 
qui  est  imposée  aus  pr«^lres  d'arrêter  par 
leurs  prières  le  bras  de  Dieu  qui  est  sans 
cesse  lové  pour  punir  les  crimes  énormes 
dont  le  monde  est  inondé. 

La  fidélité  est  la  troisième  marque  que  je 
vous  propose  pour  connaître  si  l'amour  de 
Dieu  est  en  vous.  Celui  qui  aime  Dieu  étu- 
die ses  devoirs,  et  il  est  lidèle  à  les  remplir. 
Un  amour  stérile  et  infructueux  ne  peut 
êlre  véritable,  et  ne  peut  jamais  être  agréa- 
ble à  Difcu.  Le  fruit  que  Dieu  demande  e' 
qu'il  veut  trouver  en  nous,  c'est  la  tidélilé 
h  nos  devoirs.  Si  quelqu'un  m  aime  il  gardera 
ma  parole,  (/oan.,  XIV,  23.)  Les  œuvres  sont 
donc  la  véritable  preuve  de  l'amour. 

Un  prêtre  qui  est  à  Dieu  considère  ce 
qu'il  est,  et  toutes  les  obligations  qui  lui 
sont  imposées  en  qualité  de  prêtre.  Il  sait 
que  le  nom  de  prôlre  n'est  point  un  titre 
vain  et  qui  soit  seulement  donné  pour  ho- 
norer celui  qui  le  porte,  il  sait  au  contraire 
que  la  qualilé  de  prêtre  est  un  fardeau  très- 
liesanl,  parce  que  les  obligations  sont  en 
grand  nombre  et  irès-diiriciies  à  remplir.  Jl 
examine  donc  quelles  sont  ces  importantes 
obligations.  Il  est  convaincu  qu'un  prêtre 
doit  beaucoup  à  Dieu,  et  qu'il  doit  beau- 
coup au  prociiain.  Il  est  convaincu  que  la 
vie  d'un  ftrélre  doit  être  toute  remplie  d'oc- 
cupations et  de  bonnes  œuvres.  L'élude,  la 
prière,  les  actions  de  charité,  voilà  les  occu- 
pations qui  doivent  partager  son  temps. 

Ces  occupations  contraignent  l'homme  et 
répugnent  à  ses  inclinations.  Mais  l'amour 
fail  que  l'homme  devient  supérieur  à  ses 
inclinations.  Il  se  contraint  et  il-  se  plaît  à 
se  contraindre,  [larce  que  la  volonté  de  ce- 
lui qu'il  aime  est  la  règle  de  toutes  ses  ac- 
tions. Il  se  dit  souvent  à  lui-môme  :  Qu'est- 
que  Dieu  demande  de  moi?  Quelles  [)reuves 
veut-ii  que  je  lui  donne  de  ma  fidélité?  Dieu 
veut  que  je  m'occupe,  et  il  condamne  les 
prôlres  qui  languissent  dans  l'oisiveté.  Je 
me  propose  de  remplir  saintement  mon 
letnps.  Une  occupation  succédera  h  une  au- 
tre, et  jamais  le  démon  ne  me  trouvera  oi- 
sif. Dieu  m'a  établi  dans  le  saint  ministère 
afin  que  je  travaille,  et  que  je  serve  le  pro- 
chain. J'irai  donc  au  secours  du  pauvre,  je 
rom()rai  le  pain  aux  petits,  je  montrerai  à 
l'hoiume  criuiinol  l'iniquité  de  ses  voies. 

Dieu  éprouve  particulièrement  noire  fidé- 
lité dans  les  dillicuhés,  dans  les  coutradic- 
iions,  dans  les  déguùls  et  les  aulres  occa- 
sions qui  morli'ient  notre  amour-proiire. 
bieu  permettra  que  vous  travailliez  sans 
Iruit,  que  vous  n'entrepreniez  aucune   ac- 


tion sainte  que  les  hommes  du  siècle  no  vous 
contredisent,  que  vos  intentions  les  plus 
droites  soient  censurées  avec  malignité;  que 
ceux  que  vous  comblerez  de  biens  devien- 
nent vos  persécuteurs.  Si  vous  avez  l'a- 
mour de  Dieu,  si  vous  agissez  pour  lui ,  au 
milieu  de  tous  ces  obstacles  vous  vous  sou- 
viendrez que  vous  èies  prêtre,  et  rien  ne 
sera  capable  d'ébranler  votre  fidélité.  Un 
prêtre  qui  a  l'amour  de  Dieu  ne  s'étonne 
point  d'être  humilié.  Il  sait  à  quoi  les  dis- 
cii)les  de  Jésus-Christ  doivent  s'attendre 
pendant  cette  vie.  Ainsi  vous  verrez  un 
prêtre  fidèle,  toujours  ferme  dans  sa  con- 
duite. La  loi  de  Dieu  et  ses  devoirs  seront 
sa  règle.  Il  ne  s'en  écartera  point.  Il  soutien- 
dra l'honneur  de  son  caractère  dans  toutes 
ses  actions.  Il  est  à  Dieu.  Dieu  est  dans  son 
cœur.  Dieu  seul  le  fait  agir,  et  son  exaclu 
fidélité  est  la  preuve  de  la  sincérité  de  son 
amour 

Celui  qui  a  l'amour  de  Dieu  non-seule- 
ment est  fidèle  à  ses  devoirs,  mais  encore 
il  aime  ses  devoirs.  C'est  la  dernière  mar- 
que que  je  vous  pro[)Ose,  pour  connaître 
si  l'amour  de  Dieu  est  enraciné  dans  votre 
cœur. 

Mais,  me  direz-vous,  peul-on  aimer  ce 
qui  contraint,  ce  qui  humilie,  ce  qui  mor- 
tifie ramoui-propre.et  ce  qui  est  contraire  à 
nos  inclinations  ?  Oui,  on  le  peut  aimer, 
pourvu  qu'un  amour  supérieur  rem[)lisse 
notre  cœur  et  y  ail  jeté  de  [profondes  raci- 
nes. Celui  qui  aime  Dieu  ne  cherche  qu'à 
lui  plaire,  el  ce  qui  conduit  à  Dieu  plus  im- 
médiatement est  ce  qui  lui  plaît  davantage. 

Voici  donc  ce  qui  soutient  l'homme  chré- 
tien au  milieu  des  humiliations  ,  et  ce  qui 
le  remplit  de  consolalion  el  de  joie.  Je  suis 
dans  la  voie  qui  mène  à  Dieu;  je  suis  dans 
la  voie  par  l.iqiielle  Dieu  conduit  les  élus; 
je  suis  dans  la  voie  où  l'on  amasse  plus  de 
mérite;  je  suis  dans  la  voie  où  l'on  rencon- 
tre plus  de  moyens  pour  donner  à  Dieu  des 
preuves  de  son  amour  el  de  sa  fidélité. 

Quoi  doncl  l'amour  divin  n'aura-t-il  pas 
encore  plus  de  force  que  l'amour  du  siècle 
qui  n'est  que  corruption.  Voyez  ce  que  l'a- 
mour du  siècle  fait  entreprendre  à  ceux  qui 
en  sont  les  esclaves.  A  quels  ennuis,  à  quels 
reliuts,  à  quelles  fatigues,  h  quels  périls  ne 
s'exposent-  ils  point  ?  Celui-là  passerait  pour 
un  grand  saint,  qui  ferait  pour  Dieu  ce  que 
les  amateurs  du  siècle  entreprennent  tous 
les  jours  pour  leurs  vaines  idoles.  Non,  l'a- 
mour de  Dieu  ne  cédera  on  rien  à  l'amour 
[irofane.  Ceux  qui  en  seront  véritablement 
remplis  feront  voir  quelle  en  est  la  force. 
C'est  an  feu,  dit  saint  Augustin  ,  qui  ne 
s'éleindra  [)oint,  quand  bien  môme  lesten- 
lalions  nous  attaqueraient  avec  loule  la  vio- 
lence f]ue  l'on  remarque  dans  les  fleuves  les 
plus  rapides.  Il  est  dit  de  la  charité  qu'elle 
est  forte  comme  la  mort.  Car  de  môme  que 
rien  ne  peut  résister  à  la  mort  quand  clic 
vient  Ibndre  sur  nous,  aussi  rien  ne  résiste 
à  la  violence  de  l'amour  divin  (99)  :  iS'ous 
demeurons  victorieux  au  milieu  de    tous  les 


(?9)  •  Hiijiis  igne;!i  imlli  tlutlus  sxc.ili,    tiiiiht  (liniriKî  tculalionis   exslingiinl.  Conira  violcnli.aii  cVa 


im9 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT 


ir.o 


maux  par  celui  qui  nous  a  aimés.  Ni  la  mort, 
ni  ta  vie,  ni  les  anges,  ni  les  principautés, 
ni  les  puissances,  ni  les  choses  présentes,  ni 
les  futures,  ni  tout  ce  quil  y  au  plus  haut 
des  deux,  ou  au  plus  profond  des  enfers  ,  ne 
nous  pourra  séparer  de  l'amour  de  Lieu. 
{Rom.,  Vin,  37.) 

C'est  par  là  que  vous  pouvez  juger  si 
Jésus-Clirist  a  beaucoup  de  ministres  qui 
soient  |)leins  de  son  amour.  Ceux-là  ont-ils 
beaucoup  d'amour  qui  s'acquittent  de  leurs 
devoirs  par  contrainte,  par  violence  et  eu 
murmurant?  Ceux-là  ont-ils  beaucoup  d'a- 
mour qui  s'effrayent  des  difficultés,  qui  en 
font  naître,  et  qui  par  là  rompent  toutes  les 
entreprises?  Ceux-là  ont-ils  beaucoup  d'a- 
mour qui  font  tant  valoir  leurs  peines  cl 
*eurs  travaux  ? 

Celui-là  a  beaucoup  d'amour  qui  est  dis- 
posé à  souffrir  pour  Dieu,  qui  ne  se  rebule 
point  des  difficultés  de  son  emploi,  qui  s'y 
conduU  avec  prudence,  qui  les  surmonte 
av^c  courage,  qui  est  si  convaincu  do  la 
grandeur  de  ses  obligations,  qu'au  milieu 
de  ses  peines  et  de  ses  travaux,  il  se  repro- 
che sans  cesse  son  insuflîsance,  son  inuti- 
lité, son  peu  de  ferveur,  son  peu  de  corres- 
pondance à  toutes  les  grâces  du  Seigneur. 

Voilà  les  vérités  dont  j'avais  à  vous  ins- 
truire dans  ce  discours.  Ce  que  vous  venez 
d'entendre  a  dû  vous  faire  connaître  que 
c'était  un  discours  londaraentol.  Dans  toutes 
les  œuvres  que  nous  entreprenons  ,  si  les 
commencements  ne  sont  heureux,  nos  en- 
treprises ne  peuvent  jamais  réussir.  Que 
peut  donc  espérer  celui  qui  n'a  point  l'a- 
mour de  Dieu,  puisque  cet  amour  est  le 
commencement  de  la  vie  chrétienne  et  ec- 
clésiastique. Qu'on  vante  tant  qu'on  vou- 
dra les  œuvres  de  cet  homme,  si  l'amour  de 
Dieu  n'est  point  dans  son  cœur,  le  bâtiment 
qu'il  a  élevé  est  menacé  d'une  ruine  inévi- 
table, parce  qu'il  n'a  point  de  funderaent. 
Un  ecclésiastique  de  même  qui  n'aura  pas 
Ja  charité,  travaillera  sans  fruit.  Toutes  ses 
œuvres  seront  devant  Dieu  comme  des  œu- 
vres mortes.  Il  n'a  point  l'amour  de  Dieu,  et 
il  n'y  a  que  cet  amour  qui  les  |)uisse  animer. 

11  ne  me  reste  plus  qu'à  vous  conjurer  de 
rentrer  en  vous-même,  et  d'exominer  qu'elles 
sont  vos  dispositions.  L'amour  de  Dieu  est-il 
dans  voire  cœur?  Que  vous  êtes  riche  si 
vous  possédez  ce  trésor  1  Conservez-le  pré- 
cieusement ;  n'en  souffrez  jamais  la  dimi- 
nution. Bien  loin  de  celo,que  votre  grande 
ap[)licalion  soit  de  l'augmenter  et  décroître 
en  charité.  L'amour  de  Dieu  est  cette /jer/e 
précieuse  de  l'Evangile.  [Matth.,  XIII,  45.) 
Celui  qui  la  trouve  méprise  .tous  les  autres 
biens.  Il  n'y  en  a  qu'un  seul  qui  lui  soit 
cher,  et  il  est  dans  la  disi>ositiou  de  renon- 
cer à  tout  |)our    le  conserver. 

Mais  si  votre  cœur  est  vide  et  destitué 
de  l'amour  de  Dieu  ,  que  vous  êtes  pauvre, 

rJlalis  iiuuidus  nihil  potcst.  »  {In  ps(d.  XLVIII). 

(100)  «  Oiiuai  sanctiini  (|iux!(il  di.iritas  veiiiuiis, 
iicyoniiinjiisliiin  suscipil nécessitas  cliaritalis.Q'.iaiii 
s;iiiiiiam  si  iiulliis  impoiiil,  peicipieiidai  aUnie  iii- 
lucad.e  vacaiiduiucîi  veritali.  Si  auleri)  imiioiùlur 


que  vous  êtes  h  plaindre,  que  vous  êtes 
malheureux?  Quoi  I  vous  n'aimez  point 
Dieu  1  Cette  beauté  souveraine  ne  vous 
charme  point:  tant  de  bienfaits  répandus 
sur  vous  avec  profusion  ne  vous  touchent 
point.  Quel  est  donc  votre  cœur  et  quelle 
en  est  la  nature?  Est-il  de  chair,  est-il  de 
bronze?  Je  ne  puis  me  persuader  qu'en 
examinant  ce  que  c'est  que  Dieu,  et  ce 
qu'il  a  fait  pour  vous,  vous  puissiez  per- 
sister dans  de  si  malheureux  .sentiments. 
*■>  Apprenons  ce  que  c'est  que  Dieu,  il  est 
presque  impossible  de  le  connaître,  et  d» 
ne  [las  les  aimer.  Unissons  tous  nos  cœurs. 
Excitons-nous  mutuellement  à  aimer  Dieu. 
N'omettons  aucun  des  moyens  qui  peuvent 
contribuer  à  faire  croître  en  nous  l'amour 
du  Seigneur.  Que  nos  paroles,  que  nos  ac- 
tions exfiriment  les  mouvements  de  noire 
cœur.  Faisons  paraître  en  tout  lieu  que 
nous  sommes  des  enfants  qui  sont  péné- 
trés des  bontés  de  leur  [)ère,  et  qui  y  ré- 
pondent par  un  amour  lidèle.  Ne  perdons 
pas  un  moment  de  lem[)s  :  commençons  au 
plus  tôt  à  aimer.  Ne  cessons  pas  pendant  un 
seul  moment  de  l'aimer.  Quand  nous  serons 
assez  heureux  pour  aimer  Dieu,  voici  quel 
sera  notre  bonheur.  C'est  que  nous  l'aime- 
rons sans  interruption.  Car  aimer  Dieu  dans 
cette  vie,  c'est  une  disposition  pour  arriver 
à  ce  séjour  bienheureux  où  noire  bonheur 
sera  sans  tin,  parce  que  nous  aimerons  Dieu 
iternellement. 

DISCOURS  VU. 

DE     LA    RïTRAlTE. 

Dans  le  dessein  que  je  me  propose  au- 
jourd'hui de  vous  entretenir  de  la  retraite, 
je  ne  puis  appuyer  les  vérités  dont  j'ai  à 
vous  instruire  sur  un  fondement  plus  so- 
lide que  sur  celui  que  saint  Augustin  a  éta- 
bli, quand  il  a  prononcé  ces  excellentes  pa- 
roles, qui  sont  connues  presque  de  tous  les 
ecclésiastiques. 

«  L'attachement  que  nous.^devons  avoir  à 
la  contemplation  de  la  vérité  nous  engage 
à  désirer  de  passer  nos  jours  dans  un  saint 
repos.  Les  sentiments  de  charité  dont  nous 
devons  être  pénétrés  nous  obligent  à  ac- 
cepter les  emplois,  lorsque  nous  en  som- 
mes chargés  par  des  voies  justes  que  la 
providence  nous  marque.  Si  Dieu  permet 
que  nous  demeurions  libres,  nous  donne- 
rons tout  notre  temps  à  la  recherche  et  à  la 
contemplation  de  la  vérité.  Si  Dieu  nous 
appelle  aux  emplois  ecclésiastiques,  quoi- 
que dans  la  vérité  ils  nous  doivent  paraître 
un  très-pesant  fardeau,  nous  les  accepterons 
pour  obéir  aux  lois  que  la  charité  nous 
prescrit.  Mais  alors  môme  gardons-nous 
bien  d'abandonner  les  douceurs  de  la  con- 
templation, de  i)eur  que  privés  de  cet  ap- 
pui nous  ne  soyons  accablés  par  la  pesan- 
teur de  notre  fardeau  (lOOi.  » 

suscipieuda  est  propter  charitalis  necessitatetn. 
Sid  Mjc  sic  ouiiiiiio  vei'italis  delectalio  de^>ereilda 
esl  ,  ne  siibtraliaUir  illa  suavilas,  et  opprimai  ista 
ueccijiias.  »  (L:l).  X.1X  De  civil.  Dei.) 


1061 


RETRAITE  'ECCLES.  "— 


II  édiil  (lifficile  quo  saint  Au^îuslin  sg 
servît  (le  termes  plus  forls  pour  noustairo 
voir  lo  graiid  amour  que  nous  devous  avoir 
pour  la  reirailo.  Il  établit  d'abord  ce  qu'il 
entend  [tar  la  retraite,  et  il  nous  dit  quo  c'est 
un  saint  re|ios,  oii  l'Ame,  libre  de  tout  soin, 
s'occupe  de  la  contemplation  de  la  vérité. 
Il  nous  représente  ce  saint  repos  comme  la 
ronijiiion  la  plus  lieureuso  à  laquelle  un 
homme  [)uisso  prétendre,  pendant  qu'il  est 
sur  la  terre.  Celui  qui  est  véritablement 
sage  soupire  après  ce  saint  repos.  C'est 
pour  lui  une  peine  très-rude  que  de  sortir 
lie  cet  heureux  état.  Lorsqu'il  est  dans 
l'action,  la  retraite  a  son  cœur,  et  il  sou- 
liaite  toujours  que  ses  liens  se  rompent, 
afin  d'avoir  [dus  de  liberté  de  rentrer  dans 
une  condition  au'il  r.'a  quittée  qu'avec  ré- 
gi et. 

Qu'il  est  nécessaire  d'établir  fortement 
ces  vérités  dans  un  siècle  où  les  hommes 
haïssent  la  retraite?  Ils  se  figurent  quo  l'on 
n'y  peut  passer  que  de  Irisles  jours.  La  plu- 
part des  hommes  mènent  une  vie  tumul- 
tueuse et  dissipée.  Les  ecclésiastiques  sui- 
vent en  cela  le  goût  corrompu  du  siècle. 
Les  emplois  sont  brigués.  Tous  veulent  se 
produire.  Quelques-uns  même  prétendent 
excuser  leur  inquiétude  sur  le  prétexte 
spécieux  de  zèle  et  de  désir  de  travailler 
au  salut  des  âmes.  Désir  déréglé  ;  zèle  mal 
entendu. 

Mais  quoi!  me  direz-vous  :  faut-il  donc 
que  tous  les  ecclésiastiques  laissent  leurs 
emplois^  pour  aller  contempler  la  vérité 
dans  un  saint  repos?  Si  cette  maxime  était 
suivie,  le  prochain  serait  donc  abandonné. 
Non,  ce  n'est  pas  le  ce  que  saint  Augustin 
enseigne.  Autant  que  ce  saint  veut  que  l'on 
ait  d'ardeur  pour  la  retraite,  autant  veut-il 
que  l'on  ait  de  soumission  pour  obéir  à 
Dieu,  lorsqu'il  nous  appelle  aux  emplois 
ecclésiastiques. 

Mais  voici  ce  qui  arriverait,  et  ce  qui  se- 
rait excelleni,  si  les  maximes  de  saint  Au- 
gustin étaient  suivies. 

Les  hommes  par  leur  propre  goût  pren- 
draient le  parti  de  la  retraite.  Mais  Dieu 
qui  veille  sur  son  Eglise  aurait  soin  de 
faire  connaître  à  ceux  qui  lui  sont  propres, 
qu'ils  doivent  quitter  la  retraite  pour  em- 
brasser les  emplois  ecclésiastiques.  De  là 
il  arriverait  que  ces  emplois  terribles  et 
diQiciles  ne  seraient  point  pour  ceux  qui 
les  recherchent,  mais  ils  seraient  pour  ceux 
qui  les  fuient  et  que  Dieu  ap|ielle. 

Malgré  tous  les  raisonnements  de  la  pru- 
dence de  la  chair,  la  maxime  de  saint  Au- 
gustin demeurera  ferme  et  inébranlable,  et 
il  sera  vrai  de  dire  qu'il  n'y  a  rien  de  plus 
heureux  et  de  plus  sûr  que  de  contempler 
la  vérité  dans  le  repos  et  la  retraite. 

Ce  que  saint  Augustin  nous  enseigne  en 
nous  i)rO[iosant  cette  excellente  vérité  se 
réduit  à  deux  propositions  qui  Icront  le 
sujet  de  cet  entretien. 

La  première  i)roposition  de  saint  Augustin 
est  que  l'hoiume  doit  préférer  le  repos  de 


Vil,  nz  LA  RETRAITE.  10G2 

la  retraite  aux  tro;i!)lc3  qui  sont   insépara- 
bles de  l'action. 

La  seconde,  tfuc  l'homme  engagé  dans 
lt\s  emplois  ecclésiastiques  doit  toujours 
ménager  du  temps  pour  la  retraite  et  qu'au- 
trement il  serait  accablé  par  la  pesanteur 
du  fardeau. 

Les  avantages  do  la  retraite  au-dessus  do 
l'action,  les  dispositions  dans  lesquelles 
ceux  qui  sont  dans  l'aolion  doivent  être  à 
l'égard  de  la  retraite;  ce  sera  le  sujet  et  lo 
partage  de  cet  entretien. 

PREMIER    POINT. 

La  J|irpmière  proposition  que  j'avance,' 
c'est  que  tout  chrétien  doit  aimer  la  retrai- 
te, qu'il  la  doit  préférer  à  la  vie  occupée, 
que  par  son  propre  mouvement  et  par  son 
propre  choix,  il  doit  demeurer  dans  la  re- 
traite; qu'il  n'en  doit  jamais  sortir  que  par 
un  ordre  exprès  du  Seigneur;  que  lorsqu'il 
abandonne  sa  retraite  il  doit  trembler 
à  la  vue  des  périls  auxquels   il  est  ex|)Osé.' 

Celle  préférence  de  la  vie  retirée  à  la  vie 
occupée  est  fondée  sur  l'autorité  et  sur 
l'exemple  des  saints,  qui  tousd'un  commua 
consentement  ont  prononcé  en  faveur  de  la 
retraite.  | 

Vous  allez  voir,  en  piemier  lieu,  les  gran- 
des ardeurs  des  saints  pour  la  vie  retirée; 
en  second  lieu,  pourquoi  ies  saints  ont 
désiré  avec  tant  d'empressement  de  passer 
leurs  jours  dans  la  retraite  ;  en  troisième 
lieAi,  c-e  qui  fait  l'essence  et  la  sainteté  de 
la  vie  retirée. 

Si  les  saints  ont  eu  tant  d'ardeur  pour  la 
retraite,  on  peut  dire  que  c'est  Jésus-Christ 
même  qui  leur  a  inspii'é  ce  saint  désir. 
Comment  les  saints  n'auraient-ils  pas  aimé 
une  sainte  pratique  que  Jésus-Christ  a 
sanctifiée  par  son  exemple?  Et  le  seul 
exemple  du  Sauveur  n'est-il  pas  suffisant 
pour  nous  en  faire  connaître  tous  les  avan- 
tages 1 

On  est  toujours  étonné  que  Jesus-Christ, 
qui  venait  en  ce  monde  pour  y  opérer  do 
si  grandes  merveilles,  ait  commencé  par 
passer  dans  la  retraite  les  trente  premières 
années  de  sa  vie.  Quelque  i)récicux  etquel- 
que  saints  qu'aient  été  tous  les  moments  de 
sa  vie,  il  a  jugé  qu'il  était  encore  [ilus  avan- 
tageux pour  nous  de  nous  en  cacher  une 
partie  si  considérable,  que  de  nous  la  l'aire 
connaître.  Le  ()rincipal  iiiolif  de  cette  con- 
duite a  sans  doute  élé  de  nous  appren- 
dre la  nécessité  et  l'excellence  delà  vie  re- 
tirée. 

Dans  le  tem|)S  môme  que  Jésus-Christ 
s'est  produit  au  dehors,  et  qu'il  a  exercé 
ses  saintes  fonctions,  il  a  fait  voir  qu'il 
continuait  toujours  à  aimer  la  retraite. 
N'esl-ii  pas  rapporté  dans  plusieurs  en- 
droits de  l'Ecriture,  qu'il  se  retirait  dans 
le  désert  pour  y  prier.  {Luc.,V,i6.) 

Nous  voyons  qu'il  n'entreprenait  jamais 
aucune  aclion  importante  sans  s'y  préparer 
par  la  retraite  et  par  la  prière.  Il  observa 
celte  sainte  mclhode  quand  il  ht  le  choix 
important  des  liromiers  ministres  dont  il 


1063 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


m,i 


avait  résolu  de  se  servir  pour  l'exéculion 
de  ses  grands  desseins.  L'iîvangila  dit 
qu'avant  que  de  faire  ce  choix  ,  il  se  retira 
sur  une  montagne  pour  prier  et  qu'il  y  passa 
toute  la  nuit  en  prière.  {Luc,  VI,  12.) 

Que  pouvaient  penser  les  saints  en  faisant 
allerition  au  soin  que  le  Fils  de  Dieu  a  pris 
de  se  cacher  dans  la  retraite  et  à  l'estime 
toute  particulière  qu'il  a  toujours  témoignée 
de  celte  sainte  pratique  ?  C'est  là  sans  doute 
ce  qui  a  animé  ces  vifs  désirs  qu'ils  ont  eus 
de  se  séparer  du  monde  ;  c'est  ià  le  véri- 
table principe  de  leurs  saintes  ardeurs  pour 
la  retraite. 

Jusqu'où  a  été  cette  ardeur?  Vous  n'en 
l)0uvez  mieux  juger  qu'en  examinant  leurs 
tendres  et  fortes  expressions. 

Oh  1  plût  à  Dieu,  s'écrie  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  que  je  pusse  devenir 
semblable  ou  à  l'Iiironiielie,  ou  à  la  colombe, 
afin  que,  vivant  comme  elles  dans  la  soli- 
tude, je  pusse  être  pour  toujours  à  l'abri 
des  périls  inséparables  de  cette  vie  !  Plût  à 
Dieu  que  j'eusse  la  liberté  de  vivre  seul  et 
renfermé  dans  un  lieu  caché,  et  qu'il  me 
fût  permis  de  passer  tout  le  reste  de  ma 
vie,  n'ayant  aucune  autre  compagnie  que 
celle  des  bôles(lOl)  I 

Voulez-vous  des  désirs  plus  vifs  et  plus 
animés  que  ceux  de  saint  Grégoire?  Plût  à 
Dieu.  Il  exprime  ses  pensées  les  plus  secrè- 
tes et  les  plus  tendres  mouvements  de  son 
cœur.  Ils  sont  tous  pour  la  retraite.  Elle  est 
si  fortement  aimée  que  ce  grand  saint  vou- 
drait y  passer  non-seulement  quelques  an- 
nées de  sa  vie,  mnis  sa  vie  entière.  La 
société  des  bAles  lui  parait  préférable  à 
celle  des  hommes,  parce  que  l'une  inspire 
l'intiocence  et  l'autre  est  accompagnée  de 
mille  périls.  • 

Quelle  était  la  tristesse  des  saints  lors- 
qu'ils étaient  élevés  aux  dignités  de  l'Eglise? 
Je  les  vois  fondant  en  larmes,  comme  s'il 
leur  était  arrivé  quelque  disgrâce  inopinée. 
Quel  était  doue  le  fondement  de  cette  sou- 
daine tristesse?  Ce  qui  affligeait  particuliè- 
remi'nt  les  saints,  c'est  qu'on  les  arrachait 
de  leur  retraite. 

Saint  Augustin  consacré  prêtre  par  l'évê- 
que  Valère,  fait  bien  voir  que  c'est  là  le 
|)riiicipal  sujet  de  son  affliction.  Il  ne  peut 
.se  résoudre  à  abandonner  tout  d'un  coup  sa 
chère  solitude.  Il  demande  par  grâce  qu'il 
puisse  y  passer  encore  quelques  jours  avant 
que  (l'être  appliqué  aux  saintes  fonctions 
de  son  ministère.  Jamais  on  n'a  demandé 
avec  plus  d'instance  et  avec  plus  d'ardeur, 
une  grâce  souverainement  désirée,  que 
saint  Augustin  a  demandé  à  son  évoque,  • 
qu'il  lui  fût  permis  de  rester  dans  sa  bien- 
heureuse solitude.  11  le  sollicite,  il  le  presse, 
il  le  conjure,  il  répand  des  larmes.  Il  n'y 
a  point  de  moyens  humains  qu'il  n'emploie 
pour  obtenir  ce  qu'il  désire.  Se  défiant  de 
son  pouvoir,  il  a  recours  au  crédit  et  à  l'au- 

(lOljCarm.  6. 

^^0'iJ  j  lps:\m  cliarilatem  et  afTectiim  imploro  ut 
iiiiserearis  miiii.et  concédas  milii  tioc  qiio«i  rogavi, 
teiiipus  quarilUin  rogavi.  *  (Lpist.  21,  ad  Valerium, 


torité  des  amis  de  son  évoque.'  Il  prétend 
que  Dieu  lui  ferait  de  très-sévères  repro- 
ches, s'il  allait  abandonner  tout  d'un  coup 
sa  chère  solitude  pour  s'engager  dans  les 
fonctions  de  son  ministère.  S'il  y  cvait,  dit- 
il,  quelque  contestation  formée  et  qu'il  fal- 
lût demander  un  bien  appartenant  à  l'Eglise; 
dont  on  lui  disputerait  injustement  la  pos- 
session ,  les  plus  sages  me  conseilleraient 
de  me  soustraire  pour  un  temps  à  l'exercice 
de  mes  fonctions,  afin  d'aller  implorer  la 
justice  et  l.a  [)roleclion  des  juges  de  la  terre. 
La  nécessité  de  penser  à  soi-même  dans  la 
retraite  n'est-clle  pas  une  bien  plus  forte 
raison  pour  n'aller  point  à  la  hâte  exercer 
des  fonctions  si  difficiles  et  si  périlleuses? 
Serais-je  excusable  quand  j'alléguerais  de- 
vant le  tribunal  de  Dieu  le  commandement 
que  vous  me  faites,  lorsque  je  sens  si  bien 
le  besoin  que  j'ai  de  préparation  pour  l'exé- 
cuter? Je  vous  conjure  par  Jésus-Christ, 
juge.'plein  de  miséricorde  et  de  rigueur,  je 
vous  conjure  au  nom  de  cette  amitié  sincè- 
re et  ehréiienne  que  vous  m'avez  toujours 
témoignée,  ne  me  refusez  pas  ce  que  je  vous 
demande  avec  ardeur  et  ayez  compassion 
de  moi  (102). 

Peut-on  parler  d'eue  manière  plus  tou- 
chante? Peut-on  désirer  avec  |)lus  d'ardeur? 
Peut-on  demander  avec  plus  d'instance? 
Quel  est  le  principe  de  toutes  ces  pres- 
santes sollicilaiions  ?  Le  seul  amour  de  la 
retraite. 

Vous  ne  serez  pas  moins  édifiés  des  dis- 
cours de  saint  Grégoire,  pape,  que  vous  le 
venez  être  de  ceux  de  saint  Augustin.  Ap- 
prenez quels  ont  été  les  sentiments  de  ce 
saint  hommeetjugez  vous-mêmes  si  l'on  peut 
pousser  plus  loin  l'amour  et  le  désir  de  la 
retraite. 

Saint  Grégoire,  bien  loin  de  se  réjouir  de 
son  élévation,  est  pénétré  de  tristesse.  Son 
atfliction  vient  de  ce  qu'il  est  restitué  au 
siècle  et  obligé  de  renouer  un  commerce 
auquel  il  avait  absolument  renoncé.  J'ai, 
dit-il,  perdu  toute  ma  joie.  La  retraite  donc 
fait  toute  la  joie  des  saints.  Pendant  qu'il 
semble  aux  yeux  des  hommes  que  je  suis 
parvenu  à  un  haut  degré  d'élévation,  je  sens 
au  dedans  de  moi-même  que  j'ai  fait  une 
chute  très -dangereuse.  Je  faisais  toutes 
sortes  d'etforls  pour  oublier  le  monde  et 
pour  m'élever  au-dssus  de  tous  les  désirs 
terrestres.  Comme  je  ne  souhaitais  plus 
rien  sur  la  terre  et  que  je  m'étais  mis  à  l'a- 
bri des  périls,  je  me  considérais  comme  un 
homme  qui  a  échappé  à  tous  les  dangers  et 
qui  est  dans  un  port  assuré.  Mais,  hélas! 
tout  d'un  coup  mon  sort  est  changé.  Je  me 
vois  exposé  à  de  très-dangereux  périls  et 
mon  âme  est  saisie  d'une  crainte  continuelle 
(103). 

Jamais  on  n'a  plus  appréhendé  l'éléva- 
tion que  le  saint  pape  dont  vous  venez  d'en- 
tendre les  paroles.  C'est  un  homme  qui  est 

ai. 148.)  • 

{  (105)  «  Alla  qiiielis  nie;e  gauJia  perdidi,  ei  iiilus 
corrueiis  asceiidissc  extenuj  videor,  elc.  >  (Lib. 
I,  epist.  S.) 


M&5 

convaincu  que  le  commerce  du  siècle  est 
toujours  Irès-dangereux.  Il  avait  choisi  la 
solitude  comme  un  lieu  de  sûreté.  Il  s'y 
plaisait,  il  y  goûtait  do  saintes  et  innocen- 
tes délices."ll  s'était  proposé  do  passer  toute 
sa  vio  dans  l'éloignomont  du  monde.  Son 
élévation  ,  bien  loin  de  le  consoler,  est  le 
principe  de  ses  larmes.  Ce  qui  comble  les 
autres  de  joie  l'accable  de  tristesse.  Il  a 
perdu  tout  ce  qu'il  aimait  et  tout  ce  qui 
élait  capable  de  lui  inspirer  de  la  joio.  Un 
ambitieux  qui  serait  dépouillé  do  ses  hon- 
neurs après  lesquels  il  aurait  soupiré  pen- 
dant un  très-long  temps  et  pour  lesquels  il 
aurait  travaillé  pendant  toute  sa  vie,  aurait 
peine  à  oxiirimer  d'une  manière  plus  vive 
les  chagrins  dont  il  serait  pénétré  au  mi- 
lieu de  sa  disgrâce. 

Je  pourrais  ajouter  les  maximes  et  l'exem- 
ple d'un  grand  nombre  de  saints  qui  con- 
viennent de  sentiuient  et  qui  tous  ont  été 
remplis  d'un  grand  amour  pour  la  retraite. 
Wais  comme  ils  se  sont  expli(iués  de  la 
même  manière,  pour  ne  pas  ré|)éter  des 
vérités  dont  vous  devez  déjà  être  convain- 
cus par  les  témoignages  que  j'ai  rapportés, 
je  n'ai  plus  à  vous  proposer  qu'un  seul 
exemple  très-touchant  d'un  grand  saint, 
qui  a  beaucoup  aimé  la  retraite.  C'est  le 
célèbre  évêque  de  Grenoble  saint  Hugues. 
Il  est  rapporté  dans  sa  vie  que  ce  grand 
évêque  visitait  souvent  les  saints  religieux 
qu'il  avait  établis  dans  des  montagnes  recu- 
lées et  inaccessibles  de  son  diocèse.  Quand 
il  élait  avec  ces  heureux  solitaires,  il  goû- 
tait une  joie  parfaite.  Il  était  aisé  de  s'a- 
percevoir que  toutes  les  aCfectiotis  et  tous 
les  mouvements  de  son  cœur  étaient  pour 
la  retraite  :  jusque-là  môme  que  quelque- 
fois charmé  des  douceurs  de  la  solitude  ,  il 
oubliait  ce  qu'il  devait  à  son  troupeau.  Mais 
lechef  illustre  de  cette  sainte  troupe  avait 
soin  de  lui  donner  sur  cela  des  avertisse- 
ments pleins  de  charité.  Il  le  taisait  souve- 
jiir  qu'il  n'était  pas  libre  ni  maître  de  son 
temps,  qu'il  se  devait  à  son  peuple,  et  qu'il 
ne  lui  élait  pas  permis  de  se  laisser  aller 
pleinement  à  ce  grand  attrait  qu'il  avait 
pour  la  solitude. 

Toutes  ces  preuves  vous  doivent  con- 
vaincre que  les  saints  ont  beaucoup  aimé 
la  retraite,  et  qu'ils  l'ont  préférée  à  la  vie 
occupée. 

Vous  devez  être  persuadés  que  les  saints 
ne  sunt  point  entrés  dans  ce  .«sentiment 
sans  de  fortes  raisons.  Voici  celles  qu'ils 
nous  ont  marquées.  Ecoutez-les  avec  alien- 
lion. 

Premièrement  les  saints  ont  considéré  le 
sacerdoce  comme  un  poids.  Ils  ont  a|ipré- 
bendé  de  n'en  pas  remplir  les  obligjilions. 
Sur  ce  fondement  ils  ont  cru  qu'il  leur  se- 
rait plus  lacile  de  travailler  à  leur  salut  dans 
la  retraite  que  dans  les  eugageiueuts  du 
ministère  ecclésiasliquo. 

(tO-i)  4  Niliil  (lifficiliiis,  lalioriosiii<:,  pericutosiiis 
f>pisco|)i,  aiu  prcshyluri,»  li  (li;i.-.o:ii  ollicio,  si  eo 
modo  iiiinislreliir  (pio  iiosler  i:npcr:iU)r  jubel.  • 

OllATEURS   SACUKS.    LXNIH. 


RETRAITE  EGCLES.  —  VII,  DE  LA  RETRAITE.]  IO(,;î 

En  second  lieu  les  saints  ont  été  persua- 
dés que  le  monde  était  plein  do  périls,  et 
qu'il  était  très-dangereux  d'entretenir  quel- 
que commerce  avec  le  siècle.  Déterminés  à 
choisir  la  voie  qui  leur  paraissait  la  filus 
sûre,  ils  ont  voulu  rompre  enlièrement  avec 
Je  monile,  et  se  renfermer  dans  la  solitude. 

Les  saints  ont  donc  été  d'abord  etfrayés 
du  poids  du  sacerdoce. 

Vous  avez  vu  l'ntirait  que  saint  Augustin 
avait  pour  la  retraite.  B'(\ù  venait  cet  altrait? 
Enlendez-le  s'en  expliquer  dans  la  môme 
épitie  dont  je  me  suis  servi  pour  vous  faii'e 
connailie  l'ardeur  dont  ce  grand  saint  brû- 
lait pour  la  solitude.  Il  n'y  a  rien  de  plus 
diOicile,  de  plus  pénible,  de  plus  dangereux 
que  l'oflico  d'évètpie,  deprèlr(i,  et  de  diacre, 
si  l'on  est  dans  la  disposition  de  s'enacjuil- 
ter  en  la  manière  que  Jésus-Christ  le  com- 
mande (loi). 

Voici  les  principes  de  saint  Augustin  qui 
étaient  très-b  en  suivis.  Rien  de  plus  dilli- 
cile  que  de  bien  remplir  le  ministère  ecclé- 
siastique. Il  faut  donc  appréhender,  il  faut 
donc  fuir  une  charge  si  pénible.  De  là,  l'a- 
mour pour  la  retraite,  où  l'on  se  trouve  heu- 
reusement déchargé  d'un  fardeau  qui  fpra 
toujours  trembler  tous  ceux  qui  en  connaî- 
tront la  pesanteur. 

Saint  Grégoire  s'appuyait  sur  le  même 
principe.  Le  poids  du  sacerdoce  est  très-pe- 
sant (103),  s'écrie  ce  saint.  Voilà  ce  qui  lui 
cause  tant  d'alarmes,  lors  qu'on  le  retire 
de  la  solitude,  pour  l'engager  dans  les  saintes 
fonctions  du  sacerdoce.  Voilà  pourquoi  il 
s'écrie  qu'il  a  perdu  toute  sa  joie  et 
toute  sa  tranquillité.  Voilà  pourquoi  il 
est  saisi  de  crainte,  il  se  croyait  presqu'en 
sûrelé  dans  sa  solitude.  Hors  do  sa  soliludo 
il  se  voit  environné  de  périls,  et  il  est  dans 
une  crainle  continuelle  de  ne  se  oas  acquit  - 
ter  avec  une  assez  grande  fidélité  de  ses  ira- 
[lortanles  obligations. 

Les  saints  se  sont  renfermés  dans  les  soli- 
tudes pour  n'être  pas  chargés  du  poids  du 
sacerdoce,  et  maintenantl'on  fuit  la  solitude, 
[tarée  que  l'on  désire  avec  empressement  le 
sacerdoce  que  l'on  ne  considère  plus  comme 
un  poids.  On  n'aime  plus  ce  que  les  saints 
ont  aimé,  et  l'on  recherche  ce  que  les  saints 
ont  appréhendé. 

Quoi  de  plus  hardi  que  la  précipitation 
de  ces  hommes,  présumant  d'eux-mêmes, 
qui  se  poussent  dans  les  fonctions  du  sacer- 
doce ?  Oiî  donc  allez-vous  ?  Connai<sez-vous 
ce  que  vous  recherchez  ?  Et  si  vous  le  con- 
naissez, croyez-vous  avoir  assez  de  force 
pour  su|)()Orler  un  si  pesant  fardeau?  C'est 
une  étrange  présomplion  dans  vous  et  bien 
condamnable  que  de  ne  point  trembler, 
lorsque  les  saints  sont  pénétrés  de  crainle. 
Si  la  vue  du  péril  ne  vous  etfraye  pas,  la 
honte  de  votre  présomplion  vous  devrait 
obliger  à  vous  cacher  dans  la  retraite,  pour 
y  i^'émir  d'avoir  eu  i)lus  de  hardiesse  que  les 

(lO.'i)  «  Grave  est  pondus  sacerdolii.  »  (Lib.  I, 
cp.  59.) 


1037 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


10G8 


saints,  quoique  leurs  iorces  fussent  bien 
sup(;rieures  aux  vôtres. 

En  second  lieu  la  grande  ardeur  que  les 
saints  ont  eue  |)our  la  reirailc,  a  eu  pour 
principe  la  juste  crainte  d'être  exposés  aux 
périls  qui  sont  inséparables  du  commerce 
du  monde. 

Vous  vous  souvenez  sans  doute  des  désirs 
empressés  de  saint  Grégoire  do  Nazianze, 
et  de  ses  ardeurs  pour  la  retraite.  Si  vous 
lui  demandez  le  motif  de  ses  empresse- 
ments, il  vous  répondra  que  c'est  qu'il 
veut  éviter  les  périls  de  cette  misérable  vie. 

Saint  Basile  (106),  pénétré  des  mêmes  sen- 
timents, et  considérant  avec  attention  tous 
les  périls  auquels  on  s'expose,  quand  on 
respire  l'air  infecté  du  monde,  donne  pour 
maxime,  de  se  sé[iarer  même  de  ses  pro- 
ches, de  travailler  à  jouir  de  la  présence  du 
Seii;neur  dans  la  retraite,  et  aOn  de  n'être 
point  troublé  dans  un  commerce  si  saint,  il 
veut  qu'autant  qu'il  est  en  soi  on  évite  de 
paraître  au  dehors,  et  de  se  montrer  aux 
hommes. 

Saint  Chrysoslome  (107)  nous  dit  que  quoi- 
que les  passions  de  l'homme  l'accompagnent 
toujours,  il  est  néanmoins  bien  plus  aisé  de 
les  combattre  dans  la  retraite,  que  dans  le 
commerce  du  monde.  11  dit  que  s'il  demeu- 
rait parmi  les  hommes,  ses  passions  seraient 
forliliées  jiar  la  présence  des  objets.  Ces 
bêtes  farouches,  continue-t-il ,  m'attaque- 
raientavec  furie,  elles  déchireraient  mon 
âme;  elles  se  rendraient  formidables,  et 
j'aurais  beaucoup  de  peine  à  les  dompter. 
Au  lieu  que  demeurant  dans  ma  solitude, 
malgré  les  combats  que  mes  passions  ex- 
citent ,  j'espère  avec  Je  secours  du  Sei- 
gneur en  venir  tellement  h  bout  ,  qu'il 
lie  leur  restera  plus  que  les  cris  et  les 
hurlements. 

Demeurer  dans  le  monde,  c'est  donner  de 
la  force  à  des  ennemis  déjà  terribles  par 
eux-mêmes:  se  cacher  dans  la  solitude, 
c'est  prendre  toutes  sortes  de  précautions, 
pour  alfaiblir  de  dangereux  ennemis.  C'est 
là  principalement  ce  que  se  proposaient  ces 
hommes  zélés  pour  la  retraite. 

Je  travaillais  tous  les  jours  de  plus  en  plus, 
dit  saint  Grégoire  po|)e,  à  me  séparer  du 
monde,  et  à  ailaiblir  les  passions  de  la  chair 
(108).  Voilà  le  motif  que  ce  saint  pape 
s'était  proposé  dans  sa  solitude.  11  la  quitte 
avec  tant  de  regret,  parce  qu'il  craint  que 
sespassionsnese  révoltent,  et  nedeviennent 
plus  fortes,  lorsque  ses  ditférenles  occupa- 
tions l'engageront  à  renouer  commerce  avec 
les  hommes. 

Le  commerce  du  monde  a  paru  formidable 
eux  saints,  môme  dans  le  temps  qu'ils  ne 
s'y  engageaient  que  par  un  principe  de  cha- 
nté, et  pour  obéir  dux  ordres  de  la  Provi- 
dence. Observez  qui  sont  ceux  qui  re- 
doutent ce  commerce  du  monde,  et  quel 
est  le  commerce  dans  lequel  ils  s'enga- 
-eaietii. 

(100)  Serm.  de  abdicalione  rcrum,  l.  H,  p.  37G. 
^107)  De  sacerd..  1.  VI,  c.  5. 


Ce  sont  des  saints  qui  obéissent  à  la  voix 
de  Dieu  qui  les  appelle,  ce  sont  des  saints 
qui  ne  s'engagent  dans  le  commerce  du 
monde,  que  parce  qu'ils  sont  pleins  de  zèle 
et  de  charité.  Us  ,ne  s'y  sont  engagés  qu'au- 
tant qu'il  était  nécessaire  pour  exercer  leurs 
saintes  fonctions.  Ce  sont  des  saints  qui,  en 
communiquant  avec  le  monde,  apportaient 
toutes  sortes  de  précautions  pour  n'ètro 
point  infectés  par  sa  corruption. 

Les  saints  qui  ne  s'engagent  dans  le  mi- 
nistère ecclésiastique  que  par  l'ordre  de 
Dieu  appréhendent  le  monde.  Ils  sont  saisis 
de  crainte  quand  ils  considèrent  qu'ils  ne 
peuvent  pas  se  dispenser  de  communiquer 
avec  le  monde.  Ceux-là  donc  ont  bien  lieu 
d'appréhender  qui  se  précipitent  d'eux- 
mêmes  dans  l'état  ecclésiastique,  sans  con- 
naître s'ils  y  sont  appelés.  Ceux-là  doivent 
appréhender  bien  davantage,  qui  ne  laissent 
pas  d'usurper  le  sacerdoce,  quoiqu'ils  aient 
tout  lieu  de  croire  que  Dieu  les  rejette,  et 
qu'il  ne  les  veut  point  au  rang  de  ses  mi- 
nistres. Ceux  que  Dieu  appelleont  lieu  d'es- 
pérer qu'il  les  soutiendra,  et  qu'ainsi  le 
commerce  du  siècle  ne  leur  sera  point  fatal. 
Mais  quel  secours  peuvent  attendre  les  té- 
méraires, qui,  entrant  dans  le  sanctuaire 
n'ont  consulté  que  leur  caprice  et  leurs  in- 
clinations déréglées?  Ils  tomberont  à  cha- 
que pas.  Le  commerce  du  monde  sera  pour 
eux  un  dangereux  poison  qui  achèvera  de 
corrompre  leur  cœur. 

Les  saints  ont  appréhendé  le  commerce 
du  monde,  quoiqu'ils  aient  toujours  marché 
avec  beaucoup  de  réserve  et  qu'ils  n'aient 
jamais  pris  avec  le  monde  d'autres  engage- 
ments, que  ceux  auxquels  ils  étaient  indis- 
l)etisab!eiiient  obligés.  Que  penserons-nous 
donc  de  ces  ecclésiastiques  qui  aiment  le 
n)onde,  qui  se  livrent  tout  entiers  au  monde, 
qui  vivent  dans  une  continuelle  dissipation, 
qui  prennent  occasion  de  leur  état  et  de 
leur  condition,  pour  communiquer  plus  li- 
brement avec  le  monde?  Ils  ne  savent  ce 
que  c'est  que  d'apporter  les  précautions  salu- 
taires qui  sont  absolument  nécessaiics  pour 
ne  point  se  souiller  dans  le  commerce  du 
monde.  Ils  y  vont  la  tête  levée,  sans  garder 
aucune  mesure.  Quand  on  se  mêle  avec  le 
monde,  et  que  l'on  est  dans  de  si  mauvaises 
dispositions,  il  est  bien  dillicile  qu'on  ne 
se  corrompe,  et  qu'on  ne  tombe  dans  un 
grand  nombre  de  fautes. 

De  là  il  iaut  conclure  que  ceux  qui  ont 
plus  d'éloignement  pour  la  retraite,  sont 
ordinairement  ceux  qui  en  ont  le  plus  be- 
soin. 1!  y  en  a  une  infinité  à  qui  le  com- 
merce du  monde  est  absolumentcontagieux, 
parce  qu'ils  se  portent  naturellement  à  la 
dissii)aiion.  Quand  lisseront  touchés  du  dé- 
sir de  leur  salut,  et  qu'ils  voudront  elfica- 
cement  y  travailler,  ils  n'auront  point  d'au- 
tre ressource  que  de  se  séparer  du  monde, 
et  de  luir  dans  la  solitude.  C'est  là  qu'ils 
npprendr ml  à  rompre  ces  liens  funestes  qui 

(lOS)  li  Conabar  quoiidie  extra  niuiidum  extra 
c.iiiiein  lii'ii.  »  [Luco  supru  ci'.atu.) 


1«(59 


RETRAITE  ECCLES.  -  VU,  DE  LA  RETRAITE. 


4070 


soiilla  période  nos  Ames;  c'est  là  qu'ilsap- 
prendront  à  se  délaclior  de  tous  les  biens 
trompeurs  de  ce  monde,  pour  no  plus  ai- 
mer que  le  seul  bien  véritalde,  qui  e.^t  Dieu. 

Car  voici  ce  qui  fait  l'essence  ol  la  sain- 
teté de  la  vie  retirée;  c'est  que  dans  la  re- 
traite on  écoule  Dieu,  on  goûle  Dieu,  et 
l'on  aime  Dieu. 

Les  saints  Pères  appellent  la  vie  retirée 
un  saint  loisir.  C'est  le  nom  que  lui  donne 
saint  Augustin  (109).  Ce  serait  néanaioins 
avoir  une  l'ort  mauvaise  idée  de  la  vie  reti- 
rée, que  de  la  regarder  comme  une  vie  oisive 
et  paresseuse.  Celui  qui  vit  saintement  dans 
la  retraite,  a  sa  vie  toute  remplie  de  saintes 
occupations,  elle  est  donc  bien  éloignée 
d'être  oisive. 

Saint  Augustin  soupirant  après  la  retraite, 
disait  ces  belles  paroles.  Que  personne  ne 
me  porte  envie,  si  je  demande  avec  instance, 
qu'on  m'accordequelqueloisir;  car  dans  mon 
iuisir  je  serai  continuellementoccupé  (110). 

Ayez  donc  une  juste  idée  de  la  vie  reti- 
rée. C'est  une  vie  continuellement  occupée 
de  saintes  actions.  Celui  qui  sait  bien  pren- 
dre le  véritable  espiit  de  la  retiaite  est  de 
ceux  dont  le  Prophète  assure  qu'ils  sont 
bienheureux,  parce  qu'ils  méditent  la  loi  de 
Dieu  nuit  et  jour.  [Psal,  1,  2.)  Méditer  les 
vérités  de  la  religion,  s'en  nourrir,  chercher 
sa  consolation  dans  la  lecture  des  livres 
saints,  y  découvrir  tous  les  jours  de  nouvel- 
les beautés,  en  être  d'aulaut  plus  charmé, 
qu'on  s'applique  plus  sérieusement  à  les 
connaître,  se  combattre  soi-même,  chanter 
les  louanges  du  Seigneur,  et  bénir  son  saint 
nom  :  Vuilà  les  saintes  occupations  de  la 
retraite. 

C'était  l'heureuse  occupation  des  saints. 
C'est  là  ce  qui  leur  rendait  leur  solitude  si 
aimable,  et  voilà  pourquoi  ils  se  sont  lait 
une  si  grande  violence  quand  ils  ont  été 
obligés  de  s'en  séparer.  Car  il  a  fallu  obéir 
à  la  voix  du  Seigneur.  La  retraite  d'elle- 
même  est  préférable  à  la  vie  occupée.  Mais 
quand  le  Seigneur  parle,  il  laut  abandonner 
ce  que  l'on  aime,  pour  aller  vil  Jésus-Christ 
veut  nous  mener.  Jésus-Christ  vous  api)elle 
à  la  cunduile  de  son  troupeau.  Allez,  quit- 
tez la  solitude,  obéissez  à  Jésus-Christ.  Vous 
ne  perdrez  pas  néanmoins  pour  cela  l'amuur 
que  vous  avez  pour  la  retraite.  Cet  amour 
doit  toujours  persévérer  dans  votre  cœur, 
comme  vous  allez  voir  dans  la  seconde  par- 
lie  de  ce  discours,  oii  je  dois  vous  montrer 
dans  quelle  disposition  ceux  qui  sont  dans 
l'action  doivent  eue  à  l'égard  de  la  retraite. 

SECOND   POINT. 

Je  sup[)0se  que  vous  êtes  légitimement 
appelé,  et  qu'à  l'imitation  du  saint  précur- 
seur de  Jésus-Christ,  vous  n'êtes  sorti  du 
désert,  que  quand  le  Seigneur  vous  a  lait 
entendre  sa  vois.  Je  dis  qu  au  milieu  de  l'ac- 
tion vous  (levez  toujours  conserver  de  l'a- 
mour pour  la  retraite. 

Car  en  premier  lieu  il  y  a  un  certain  mon- 

(t09;  <  Olium  sanclum.  > 

(\  10)  I  Ncmo  iiiviUeai  oliomeo,  quia  olium  nieum 


de  dont  vous  devez  vous  séparer,  et  à  cet 
égard  votre  retraite  doit  être  perpétuelle, 
même  pondant  tout  le  temps  que  vous  êtes 
dans  l'action. 

En  second  lieu,  il  y  a  une  espèce  de  re- 
traite qui  doit  être  de  tous  les  jours,  en  ce 
que  vous  devez  tous  les  jours  prendre  un 
certain  temps  pour  vous  recueillir  et  pour 
vous  préparer  à  l'action. 

En  troisième  lieu,  il  vous  est  encore 
très-nécessaire  de  quitter  vos  emplois  de 
temps  en  temp'^,  pour  vaquer  uniquement 
aux  saints  exercices  de  la  retraite. 

Enfin  lorsque  vous  aurez  donné  un 
temps  sulïisant  à  l'action,  et  que  Dieu 
vous  aura  fait  connaître  qu'il  est  satis- 
fait de  voire  obéissance,  vous  êtes  obli- 
gé de  faire  voir  que  vous  avez  toujours 
aimé    la    retraite  en  y  retournant  avec  joie. 

Etablissons  ces  princi[)es  solides,  et  fai- 
sons voir  de  quelle  nécessité  il  est  d'en 
être  bien  convaincu,  pour  se  conduire  pen- 
dant qu'on  est  dans  l'action  avec  toute  la 
fidélité  que  Dieu  demande  dans  ses  vérita- 
bles ministres. 

J'ai  établi  en  fwemier  lieu  qu'il  y  a  un 
certain  monde  auquel  les  ecclésiastiques 
sont  obligés  de  renoncer,  et  qu'à  l'égard  de 
ce  monde  ils  sont  obligés  de  vivre  dans  une 
retraite  perpétuelle. 

Ndtre-Seigneur  Jésus-Christ  disait  à  ses 
disciples  :  Vous  n'êtes  point  du  monde,  mais 
je  vous  ai  choisis  et  séparés  du  monde,  (joan.^ 
XV,  19.)  Le  Fils  de  Dieu  parle  en  ce  lieu 
d'une  séparation  qui  doit  durer  toujours. 
Comment  donc  croyez-vous  pouvoir  con- 
server quelque  liaison  avec  ceux  dont  Jé- 
sus-Christ vous  commando  de  vous  séparer  ? 
Il  vous  déclare  qu'il  vous  a  séparés  du 
monde.  Qu'est-ce  à  dire  du  monde?  Jésus- 
Christ  parle  du  monde  corrom()u,  qui  suit 
des  maximes  pernicieuses  et  opposées  à 
celles  de  l'Evangile.  On  reconnaît  assez  par 
une  funeste  expérience,  qu'on  ne  peut  guère 
se  rencontrer  au  milieu  de  ce  monde  cor- 
rompu, sans  y  respirer  un  air  funeste  et 
contagieux,  qui  donne  la  mort  à  nos  âmes. 

Voilà  pourquoi  sainlBasile  (111)  enseigne, 
que  quand  on  veut  mener  une  vie  exacte, 
il  faut  s'éloigner  de  ceux  qui  vivent  dans 
la  mollesse  et  dans  le  relâchement;  et  que 
c'est  s'exposer  à  un  danger  évident  de  se 
perdre,  que  de  se  mêler  avec  ceui  qui  ,no 
s'ai)pl!quent  [)oint  à  garder  les  commande- 
menls  de  Dieu. 

Que  dirait-on  de  celui,  lequel  ayant  des 
ennemis  terribles  à  combattre,  au  lieu  de 
les  affaiblir,  leur  mettrait  entre  les  mains  des 
armes  fortes  et  puissantes  ?  N'est-ce  pas 
absolument  vouloir  être  vaincu?  Telle  est 
la  folie  de  l'homme,  qui  s'expose  au  milieu 
du  monde.  Nous  portons  au  milieu  de 
nous  des  inclinations  déréglées  qui  nous 
livrent  de  rudes  combats.  Nous  allons 
les  fortifier  au  milieu  du  inonde.  Quand 
on  n'a    pas     plus   de    précaution,   n'est- 

niagniim  habet  negoiium.  >  (Epist.  213,  al.  110.) 
(lit)  l\eg.  jus.dhp.,  rej.  0,  t.  II,  p.  559. 


i071 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1072 


il  pas  vrai  de  dire  que  l'on  conjure  con- 
tre soi-même,  et  que  l'on  veut  absolument 
périr? 

Pour  peu  que  l'on  considère  les  engage- 
ments de  la  vie  ecclésiastique,  quoi  de  pliis 
aisé  que  de  voir  qu'un  prêtre  au  milieu  du 
monde  est  entièrement  déplacé,  et  qu'il 
n'est  point  dans  son  lieu?  Qu'entend-on 
autre  chose  dans  le  monde  que  des  maxi- 
mes entièrement  opposées  à  celIesdeJésus- 
Christ?  Ce  sont  des  éloges  continuels  de  ce 
que  le  Fils  de  Dieu  a  condamné,  et  des  op- 
positions opiniâtres  à  tous  les  enseignements 
.que  le  Fils  de  Dieu  nous  a  laissés.  Un  mi- 
nistre du  Seigneur  qui  ne  devrait  ouvrir 
la  bouche  que  pour  condamner  Je  monde, 
approuve  lui-môme  par  ses  discours  et  par 
SR  conduite  les  maximes  corromfiues  du 
siècle.  On  voit  un  ministre  du  Seigneur 
avoir  de  lâches  complaisances  pour  les 
femmes  du  siècle.  Il  les  flatte,  il  leur  ap- 
plaudit. Un  argent  dont  les  pauvres  ont  tant 
besoin,  el  qui  leur  appartient  est  exposé 
aux  incertitudes  d'un  jeu  capricieux,  et 
quand  le  hasard  en  décide,  il  tombe  entre 
les  mains  des  femmes  du  siècle,  qui  s'en 
si'rvcnt  pour  entretenir  leur  délicatesse. 
Souvent  les  gens  du  monde  moins  insensi- 
bles que  les  ministres  du  Seigneur,  sont 
frcp|)ésdeces  indignités,  et  les  condamnent 
hautement.  Allez,  ministres  indignes,  vous 
mériteriez  d'être  honteusement  chassés  de 
ces  assemblées,  où  vous  ne  pouvez  aller 
que  vous  ne  déshonoriez  votre  caractère. 

Celui-là  donc  qui  connaît  tant  soit  peu  la 
sainteté  de  son  étal,  est  convaincu  qu'il 
faut  rompre  entièrement  avec  le  monde. 

Mais  pour  peu  qu'il  ait  de  zèle  il  n'en 
demeure  pas  là.  Un  prêtre  qui  veut  s'acquit- 
ter saintement  de  ses  devoirs,  a  peu  de 
commerce  avec  les  hommes.  11  les  voit,  il 
les  reçoit  avec  bonté  ,  il  leur  parle  sans  en- 
nui, il  n'épargne  point  son  temps,  quand  il 
s'agit  de  leur  être  utile.  Après  avoir  satis- 
fait à  ces  devoirs  de  charité  ,  il  se  renferme 
dans  lui-même  ,  et  il  évite  autant  qu'il  lui 
est  possible  de  se  répandre  au  dehors.  Par 
là  il  acquiert  leur  estime ,  et  se  met  en  état 
de  faire  plus  d'impression  sur  eux  quand  il 
leur  explique  ses  sentiments.  Afin  que  les 
gens  du  monde  respectassent  les  ecclésiasti- 
ques autant  qu'ils  le  doivent,  il  faudrait 
qu'ils  ne  vissentque  leurs  vertus,  etqu'ils 
les  crussent  exem[)ts  de  défauts.  Qu'on  vous 
voie  à  l'autel,  dans  la  chaire  de  vérité, 
dans  les  autres  fonctions  de  votre  ministère. 
Si  vous  vous  rendez  familier,  il  est  impos- 
sible que  vos  défauts  échappent,  et  que 
J'estime  qu'on  doit  avoir  pour  vous  ne  di- 
minue considéraldement.  C'est  ce  qui  doit 
vous  convaincre  ,  que  pour  être  utile ,  vous 
devez  vivre  dans  une  grande  réserve.  Voici 
une  maxime  excellente  établie  par  un  saint 
auteur,  qui  convient  à  tous  les  chrétiens, 
et  particulièrement  aux  ecclésiastiques,  il 
faut  avoir  de  la  charité  généralement  pour 


tous  les  hommes  ,  mais  il  y  en  a  peu  avec 
qui  il  convienne  d'avoir  de  la  familiarité 
(112). 

J'ai  dit  en  second  lieu  qu'il  y  a  une  au- 
tre espèce  de  retraite  qui  doit  être  de  tous 
les  jours  ,  en  ce  que  les  ecclésiastiques  doi- 
vent tous  les  jours  prendre  un  certain 
temps  pour  se  recueillir,  et  pour  se  préjja- 
rer  à  l'action. 

Jésus-Christ,  qui  était  la  sainteté  môme, 
se  préparait  parla  retraite,  la  prière  et 
le  recueillement  aux  importantes  fonctions 
de  son  ministère.  Vous  l'avez  vu  se  retirer 
et  passer  la  nuit  en  prière,  avant  que  do 
faire  le  choix  de  ses  apôtres.  Nous  donc 
faibles  instruments,  exposés  à  nous  trom- 
per, à  nous  décourager,  et  à  corrompre  les 
plus  saintes  actions  par  la  mauvaise  dispo- 
sition de  notre  cœur,  nous  sommes  bien  plus 
étroitement  obligés  de  nous  retirer  pour 
écouter  Dieu  ,  et  pour  faire  de  sérieuses  ré- 
flexions ,  avant  que  d'entreprendre  nos 
saintes  fonctions. 

Que  de  di/î'érence  entre  un  ecclésiastique 
qui  vit  sans  réflexion,  et  un  autre  qui  con- 
sidère attentivement  ce  qu'il  est  el  ce  qu'il 
doit  à  Dieu. 

L'ecclésiastique  qui  vit  sans  réflexion, 
fait  ses  fonctions  avec  immodestie ,  et  sou- 
vent au  lieu  d'édifier  le  prochain,  i!  le  scan- 
dalise. Des  motifs  humains  sont  la  plupart 
du  temps  Je  principe  de  ses  actions.  C'est 
l'intérêt  qui  le  conduit,  ou  c'est  l'habitude 
qui  le  fait  agir.  Il  fait  souvent  des  fautes 
très-grossières,  et  il  no  s'en  aperçoit  pas. 
11  décide  avec  hardiesse  sur  des  matières 
qui  lui  sont  inconnues,  et  qu'il  n'entend 
pas.  Il  se  trompe,  et  il  conduit  dans  les 
voies  de  l'erreur  ceux  qui  ont  le  malheur 
de  s'adresser  à  lui.  C'est  un  aveugle  qui 
tombe  dans  le  précipice,  et  qui  y  fait  tom- 
ber les  autres.  Que  de  fruits  malheureux 
d'une  préci[)itation  hardie,  et  qui  n'est 
point  éclairée  par  la  réflexion  1 
,.  Voyez  au  coniraire  cet  autre  ecclésiasti- 
que attentif  sur  lui-même  ,  et  qui  tous  les 
jours  prend  un  certain  temps  pour  se  ren- 
dre à  lui-même  raison  de  sa  conduite.  Tou- 
tes ses  actions  sont  accompagnées  d'une 
modestie  qui  édifie,  et  qui  donne  une  haute 
idée  du  ministère  ecclésiasticiue.  11  examine 
ce  que  Dieu  demande  de  lui,  et  c'est  Dieu 
qui  est  son  guide  fidèle  dans  toutes  ses 
fonctions.  Comme  il  s'examine  souvent  sé- 
rieusement, et  de  près  ,  il  ne  fait  guère  de 
fautes  qu'il  ne  s'en  aperçoive  ,  el  qu'il  ne 
s'en  fasse  à  lui-même  de  très-sévères  re[)ro- 
ches.  La  juste  défiance  dans  laquelle  il  est 
de  lui-même  est  un  frein  qui  Je  relient,  et 
qui  l'emf)ôclie  de  prononcer  trop  hardiment, 
iors(|a'il  n'est  f)as  sufiisamment  instruit. 
Il  criiint  d'autant  plus  de  se  tromper,  qu'il 
voit  bien  que  ses  erreurs  ne  seraient  pas 
seulement  pernicieuses  à  lui-môme,  mais 
encore  à  ses  frères.  Comme  il  sait  qu'il  est 
resjionsable  des  chutes  de  ses  frères  quand 


(112)  «  Chaiilas  liabeiida  eisl  ad  oiiines,   sed  lamllinrilas  noii  expedil.  »  (Lib.  De  imilal  Cliristi,c.  8.) 


1073 


IIETIIAITE  ECCLKS.  — 


elles  arrivent  par  sa  fiiulc  ,  il  prend  toutes 
sortes  de  précautions  pour  les  conduire 
dans  le  droit  clieruiu.  Voil;»  les  fruits  bien- 
heureux de  toutes  les  réllexions  que  cet 
ecclésiastique  fait  avec  exactitude  sur  lui- 
mênio  et  sur  ses  obligations. 

C'était  la  sainte  pratique  de  David  ,  com- 
me il  nous  l'explique,  quand  il  nous  dit 
qu'il  est  exact  h  examiner  sa  conduite.  Puis 
il  nous  fait  connaître  quels  sont  les  fruits 
de  cet  examen  sérieux  :  Et  j'ai  dressé  mes 
pas  dans  la  voie  de  vos  préceptes.  {Psal. 
CXVni.)  N'est-ce  pas  nous  faire  entendre 
que  le  vrai  mo3'en  pour  dresser  ses  [)asdans 
la  voie  des  préceptes,  c'est  d'examiner  sa 
conduite  par  de  sérieuses  réflexions  ? 

C'est  donc  une  pratique  à  laquelle  un  ec- 
clésiastique doit  être  très-fidèle,  que  pren- 
dre tous  les  jours  un  certain  temps  pour 
examiner  ses  voies.  C'est  là  qu'il  répand 
son  âme  devant  Dieu  ,  qu'il  le  prie  de  l'é- 
clairer, qu'il  entre  dans  l'examen  de  lui-mê- 
me ,  qu'il  se  reproche  sa  tiédeur,  qu'il  ob- 
serve ses  défauts,  qu'il  forme  de  saintes 
résolutions,  qu'il  connaît  ses  engagements. 
1!  sort  de  cet  examen  tout  plein  de  zèle. 
Lorsqu'ensuite  il  s'applique  à  ses  devoirs  il 
est  aisé  de  voir,  que  Dieu  ,  dont  il  a  implo- 
ré les  lumières  et  les  secours,  l'éclairé  et 
le  fortifie. 

Ce  n'est  pas  encore  là  toutes  les  précautions 
que  prend  un  ecclésiastifiue  vertueux  pour 
travailler  efficacement  à  se  sanctifier,  et  à 
sanctifier  les  autres.  Une  retraite  si  courte 
et  si  souvent  interrompue  par  l'action  ne 
lui  paraît  pas  suffisante.  11  choisit  au  moins 
tous  les  ans  un  ceitain  temps,  dans  lequel  il 
se  délivre  de  tout  soin  pour  se  renfermer 
uniquement  avec  Dieu  ,  et  pour  l'écouter 
avec  plus  de  loisir. 

Que  de  raisons  fortes  et  pressantes  qui 
engagent  les  ecclésiastiques  d'être  fidèles  à 
cette  pratique  1 

Car  en  premier  lieu  ,  n'est-il  pas  certain 
qu'étant  portés  de  nous-mêmes  au  relâche- 
ment, il  est  absolument  nécessaire  que  nous 
nous  renouvellions ,  que  nous  excitions 
notre  zèle,  que  nous  l'ennammious  ?  Saint 
Paul  dit  à  son  discii>le  Timoihée  :  Je  vous 
avertis  de  rallumer  ce  feu  delà  grâce  de  Dieu 
que  vous  avez  reçue  par  l'imposition  de  mes 
mains.  (II  Tim.  I,  G.)  Si  saint  Paul  a  jugé 
que  Timoihée  qui  était  si  saint  avait  besoin 
néanmoins  de  rallumer  le  feu  de  la  grâce  , 
il  est  encore  bien  plus  nécessaire  que  nous, 
qui  sommes  très-éioignés  d'être  aussi  ar- 
dents queTimolhée,  nous  nous  appliquions 
à  rallumer  le  feu  de  la  grâce.  C'est  ce  qui 
sefail  excellemment  dans  la  retraite,  et  ja- 
mais aucun  ecclésiastique  n'a  pratiqué  cet 
exercice  avec  de  saintes  dispositions  ,  qu'il 
n'en  soit  sorti  plein  de  consolation  et  d'ar- 
deur. 

En  second  lieu,  qui  pourrait  expliquer 
de  quelle  importance  il  est  à  un  ecclésias- 
tique do  faire  do  sérieuses  réllexions  sur 
ses  obligations?  Je  dis  sur  ses  obligatioiis 


VII,  DE  LA  UEÏRAITE.  <OTi 

par  rapport  h  lui-même,  et  par  rapport  au 
prochain. 

Par  rapport  h  lui-même.  Un  ecclésiastique 
est  obligé  de  mener  une  vie  pure,  exacte, 
sainte.  11  est  difficile  qu'il  s'acquitte  do  cette 
obligation,  à  moins  qu'il  ne  rentre  souvent 
en  lui-même,  pour  examiner  si  la  régula- 
rité de  sa  conduite  réoond  à  la  sainteté  de 
son  caractère. 

Les  obligations  par  rapport  au  prochain 
ne  sont  pas  moindres.  Qu'est-ce  qu'un  ec- 
clésiastique, sinon  un  homme  qui,  par  son 
caractère,  doit  se  dévouer  entièrement  au 
service  du  prochain? 

Un  ecclésiastique  dans  l'emploi,  au  milieu 
du  murmure  et  du  trouble  inséparable  de 
l'action,  est-il  bien  en  état  de  faire  toutes 
ces  rériexions?  Il  faut  donc  absolument 
choisir  un  temps,  où  l'on  se  procure  une 
heureuse  liberté  qui  nous  mette  en  état  do 
nous  appliquer  uniauemenl  à  la  méditation 
de  nos  devoirs. 

En  troisième  lieu,  étant  chargés  de  si 
grands  devoirs,  \\  est  impossible  que  nous 
ne  tombions  dans  des  fautes  très-considé- 
rables. Les  plus  grands  saints,  nonobstant 
leur  exactitude,  étaient  dans  des  alarmes 
continuelles  à  la  vue  des  fautes  qu'ils  crai- 
gnaient de  commettre  dans  l'exercice  de 
leur  ministère.  Us  appréhendaient  de  ne 
pouvoir  pas  se  soutenir  quand  ils  compa- 
raîtraient au  tribunal  de  Dieu.  Souvent  nous 
ne  sommes  pas  assez  frappés  de  nos  fautes, 
parce  que  nous  ne  les  connaissons  pas,  et 
nous  ne  les  connaissons  pas,  parce  qoe 
nous  ne  faisons  pas  assez  de  réflexion  sur 
nous-mêmes.  La  retraite  nous  sera  d'une 
merveilleuse  utilité;  pour  ne  pas  ajouter  à 
toutes  nos  fautes  celle  de  ne  les  pas  con- 
naître, de  n'en  pas  gémir,  et  de  ne  pas 
prendre  toutes  les  précautions  nécessaires 
pour  nous  en  délivrer.  C'est  là  qu'étant 
seul  avec  Dieu,  vous  vous  ferez  rendre  à 
vous-même  un  compte  exact  de  toute  votre 
conduite,  vous  ne  vous  épargnerez  point, 
vous  fouillerez  dans  tous  les  replis  do  votre 
conscience,  vous  verrez  en  détail  toutes  vos 
misères,  vous  vous  jugerez  sévèrement. 
C'est  le  moyen  le  plus  sûr  que  vous  puis- 
siez embrasser  pour  obtenir  de  Dieu  qu'il 
vous  épargne  dans  son  jugement;  car  saint 
Paul  a  dit  que  si  nous  nous  jugeons  nous- 
mêmes,  nous  ne  serons  pas  jugés  de  Dieu. 
(1  Cor.,  XI,  31.) 

Mais  pouiïiuoi  tant  de  difficultés  à  cette 
retraite,  puisque  c'est  une  pratique  dont  on 
peut  retirer  tant  de  fruit? 

Saint  Augustin  dit  qu'il  n'y  a  que  ceux 
qui  ne  veulent  pas  travailler  sérieusement 
à  se  purifier,  à  qui  la  retraite  fait  de  la  peine. 
Us  ne  veulent  pas  rentrer  dans  leur  cœur, 
jjarce  qu'ils  ne  [leuvent  supporler  la  vue  de 
leur  conscience  criminelle.  Saint  Augustin 
les  compare  à  un  homme  (]ui  craint  de  ren- 
trer en  sa  maison,  parce  (lu'il  est  assez  mal- 
heureux pour  avoir  une  fenimc,dont  l'hu- 
mour fièro,  aigre  et  aliiôrc  est  incomjatibltf 


iOlb 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMDERT. 


1076 


avec  ,a  sienne  (113).  11  n'a  jamais  de  joie 
que  quand  il  sort  de  sa  maison.  Quand  l'heure 
d'y  retourner  est  venue,  il  coriiinence  à  s'af- 
fliger, parce  qu'il  sait  qu'il  n'y  trouve  que 
des  chagrins.  Que  ceux-là  sont  malheureux 
qui  cr'aignent  de  rentrer  dans  leur  cons- 
cience, (ie  neur  d'y  être  tourmeniés  par  le 
trouble  et  le  remords  de  leurs  péchés  I  Tra- 
vaillez à  vous  purifier,  vous  verrez  que  la 
retraite  ne  vous  fera  plus  de  peine,  et  que 
"VOUS  n'aurez  jamais  plus  de  joie  que  quand 
vous  rentrerez  dans  votre  cœur. 

Vous  aurez  tant  d'amour  pour  la  retrailc 
que  vous  soupirerez  continuellement  après 
l'heureux  jour,  ovi  Dieu  vous  permettra  de 
vous  décharger  entièrement  de  votre  far- 
deau }iour  finir  voire  carrière  dans  une 
sainte  et  heureuse  retraite. 

C'est  encore  l'exemple  que  les  saints  vous 
ont  laissé.  Ils  ont  quitté  la  retraite  avec  re- 
gret, ils  y  sont  retournés  avec  joie,  aussitôt 
qu'il  leur  a  été  permis  de  rompre  leurs 
liens. 

Voyez  un  saint  Grégoire  de  Nazianze  qui 
croit  devoir  quitter  pour  le  bien  de  la  paix 
le  gouvernement  de  l'Eglise  de  Conslan- 
linople.  11  est  tout  plein  de  joie,  parce  qu'il 
s'en  retournera  dans  sa  chère  retraite. 

Voyez  un  saint  Augustin,  avec  quelle  ins- 
tance ne  demande-t-il  point  un  succes- 
seur? Quel  est  donc  le  motif  qui  le  presse? 
C'est  de  pouvoir  donner  plus  librement  le 
reste  de  sa  vie  à  la  méditation  des  saintes 
Ecritures. 

Dans  les  derniers  siècles  un  dom  Barlhé- 
lemi  des  Martyrs  ne  cesse  point  de  faire 
des  instances,  jusqu'à  ce  qu'il  lui  ait  été 
permis  de  se  décharger  du  pesant  fardeau 
de  l'épiscopat,  pour  rentrer  dans  sa  retraite 
dont  il  n'était  sorti  que  malgré  lui. 

II  serait  aisé  de  citer  un  grand  nombre 
d'autres  exemples  qui  justifient  l'amour 
persévérant  que  les  saints  ont  toujours  con- 
servé pour  la  retraite. 

La  vraie  règle  est  de  demeurer  dans  l'ac- 
tion, tant  que  nous  y  sommes  retenus  par 
les  liens  de  la  charité,  tant  que  le  prochain 
a  besoin  de  nous,  et  que  nous  avons  des 
forces  pour  le  servir.  Et,  pour  en  juger,  les 
principes  les  plus  sûrs  que  nous  puissions 
suivre,  c'est  d'obéir  et  de  nous  soumettre 
au  jugement  de  nos  supérieurs. 

Mais  ce  que  l'on  ne  peut  excuser,  c'est  de 
voir  des  ecclésiastiques  qui  ne  rendent  au- 
cun service  au  prochain,  qui  souvent  le 
scandalisent  ;  on  leur  fait  voir  qu'il  est  abso- 
lument nécessaire  qu'ils  se  retirent  du  mi- 
nistère, et  ils  y  demeurent  avec  obstination. 
Vous  en  verrez  d'autres  dont  les  forces  sont 
usées,  ou  considérablement  aliaiblies.  I)  est 
impossible  qu'ils  continuent  de  remplir 
'leurs  fonctions.  Dieu  qui  leur  a  demandé 
qu'ils  se  servissent  de  leurs  Iaknis,  veut 
présentement  qu'ils  aillent  dans  la  retraite 
travailler  au  compte  qu'ils  doivent  un  jour 
lui  rendre.  N'est-ce  pas  la  la  véritable  hy- 


pothèse dans  laque. .e  un  ecclésiastique  doit 
se  rendre  justice  à  lui-môme,  et  dans  la- 
quelle il  doit  faire  voir  que  l'amour  de  la 
retraite  a  toujours  été  dans  son  cœur? 

Gardons  cet  heureux  tempérament  avec 
lequel  un  ecclésiastique  accordera  tous  les 
sentimems  qui  conviennent  <>  son  caractère 
et  que  Dieu  veut  trouver  en  lui.  Agissons 
en  toutes  choses  non  point  par  humeur,  non 
point  par  caprice,  non  point  par  notre  goût, 
mais  par  les  principes  que  le  Seigneur  nous 
inspire  de  suivre.  Que  l'empressement  pour 
la  retraite  ne  nous  fasse  point  prendre  une 
résolution  déréglée  de  renoncer  à  l'action 
dans  ie  temps  que  Dieu  veut  que  nous  de- 
meurions dans  les  emplois.  Mais  aussi  quand 
Dieu  nous  marque  que  le  temps  de  nous 
retirer  est  venu,  témoignons  que  la  seule 
volonté  du  Seigneur  nous  a  retenus.  Mon- 
trons par  une  prompte  obéissance  que  nous 
avons  toujours  connu  ce  que  c'est  que 
la  retraite,  et  que  nous  l'avons  toujours 
aimée. 

Telles  sont  les  véritables  dispositions 
dans  lesquelles  les  ecclésiastiques  doivent 
être  à  l'égard  de  la  retraite.  Rentrons  dans 
nous-mêmes,  et  examinons  les  mouvements 
de  notre  cœur.  Qu'il  y  en  a  peu  qui  aiment 
véritablement  la  retraite  ?  Qu'il  y  en  a  au 
contraire  un  grand  nombre  qui  aiment  le 
tumulte  et  les  intrigues  du  monde  ? 

Il  y  a  très-peu  d'ecclésiastiques  qui  s'ac- 
quittent saintement  de  leurs  devoirs,  parce 
qu'il  y  en  a  très-peu  qui  aient  les  vrais  sen- 
timents ecclésiastiques.  Il  }-  en  a  très-peu 
.  qui  les  connaissent.  Des  vues  humaines 
corrompent  des  cœurs  qui  devraient  ôire 
sainls,  qui  tievraient  être  entièrement  atta- 
chés à  Dieu  et  à  leurs  devoirs. 

Demandons  au  Seigneur  qu'il  nous  don- 
ne une  idée  juste,  une  véritable  estime,  et 
un  amour  ardent  de  notre  saint  ministère. 
Acquittons-nous  de  nos  fonctions  en  la  ma- 
nière que  le  Seigneur  le  demande  de  nous, 
non  point  par  des  vues  basses  et  inté- 
ressées, mais  dans  la  vue  de  nous  sanctifier 
et  d'obéir  à  Dieu.  Témoignons  un  grand  zè- 
le pour  le  service  du  prochain,  (lendant  que 
nous  avons  lieu  de  juger  que  nous  suivons 
l'ordre  de  Dieu.  Défions-nous  de  nous-mê- 
mes, frémissons  à  la  vue  de  nos  misères,  de 
nos  faiblesses,  et  de  nos  infidélités,  soyons 
bien  convaincus  que  quand  nous  nous  som- 
mes consacrés  à  Dieu  dans  l'élat  ecclésias- 
tique, c'est  un  grand  fardeau  dont  nous 
avons  été  chargés.  Nous  devons  souhaiter 
de  rendre  notre  condition  moins  pénible. 
Lorsque  Dieu  le  [)ermel,  c'est  une  miséri- 
corde, dont  nous  lui  sommes  redevables, 
et  dont  nous  devons  profiter  exactement. 

Fusse  le  Seigneur  que  pénétrés  de  ces 
sentiments  nous  soyons  fidèles  <i  Dieu  dans 
tous  les  étals  où  sa  providence  nous  place- 
ra, afin  que  nous  soyons  un  jour  récompen- 
sés avec  les  serviteurs  soumis  dans  l'éliT- 
nité.  1 


'115)  €  Nolunt  InUare  domos   suas  qui  habciil  mains  uxores...  ul  possis  libeiis  redire  ad  cor  Uiuni, 
niiiiida  iliud.  »  (Iii  vsal.  xxxiii.j 


1077 


RETR^MTF.  ECCLES.  —  VIII,  DE  LA  PUIKRE. 
DISCOURS  VllI. 


1078 


DE  LA   PRIERE. 

Dans  le  dessein  que  je  me  propose  de 
vous  entretenir  de  toutes  los  fonctions  de 
votre  état,  je  ne  puis  différer  plus  long- 
temps à  vous  parler  de  la  prière.  Ce  saint 
exercice  doit  être  une  do  vos  principales 
occupations.  Aussitôt  que  vous  êtes  consa- 
crés prêtres,  vous  êtes  obligés  de  donner  à 
la  prière  une  grande  partie  de  votre  temps. 
Un  prêtre  doit  être  essentiellement  un  hom- 
me d'oraison.  Quiconque  n'est  point  réso- 
lu de  consacrer  beaucoup  de  temps  à  la  priè- 
re, n'est  pas  propre  à  servir  le  Seigneur  dans 
le  ministère  des  saints  autels. 

Comme  vous  êtes  élevés  au  dessus  des 
autres  hommes  par  votre  caractère  ,  vous 
devez  aussi  avoir  de  plus  nobles  idées  des 
choses  saintes,  et  en  particulier  de  la  prière. 

Il  n'est  que  trop  ordinaire  de  trouver  des 
hommes  dans  le  monde,  qui  ne  connaissent 
point  assez  la  nécessité  de  la  prière.  Ils  ne 
sont  touchés  que  de  ce  qui  frappe  les  sens. 
Jls  ne  sont  point  instruits  des  voies  que 
Dieu  veut  que  l'on  suive  pour  attirer  ses 
grâces. 

Pour  vous  h  qui  il  appartient  par  votre 
ministère  d'approfondir  les  secrets  du  Sei- 
gneur, vous  devez  savoir  qu'il  est  très-avan- 
tageux au  chrétien  de  prier,  que  c'est  un 
temps  très-utilement  employé,  que  la  priè- 
re a  beaucoup  de  force,  et  que  c'est  un  mo- 
yen etTicace  que  Dieu  nous  a  donné  pour 
obtenir  une  infinité  de  biens  que  nous  ne 
pouvons  recevoir  que  de  lui. 

Il  y  a  aussi  très-peu  de  chrétiens  qui 
connaissent  ce  que  c'est  que  prier.  Quand 
on  approfondit  ce  que  c'est  que  la  prière, 
on  découvre  qu'il  y  en  a  beaucoup  qui 
croient  prier  et  qui  ne  prient  jamais.  Ce  se- 
rait un  grand  malheur  pour  des  ecclésias- 
tiques, que  de  tomber  dans  ces  illusions. 
De  là  il  pourrait  arriver  que  ceux  qui  sont 
obligés  d'employer  à  prier  une  grande  par- 
lie  de  leur  vie,  ne  prieraient  point.  Car  ce 
n'est  point  prier  que  de  ne  le  pas  faire  en 
la  manière  que  Dieu  nous  le  commande. 

Vous  voyez  qu'il  vous  est  nécessaire  de 
vous  préserver  de  toutes  ces  erreurs,  et 
d'apprendre  à  fond  ce  que  vous  avez  à  faire 
pour  accomplir  le  commandement  que  Dieu 
vous  fait  de  prier. 

C'est  la  vérité  que  j'ai  à  traiter  dans  cet 
entrelien  queje  divise  en  trois  parties.  Dans 
ia  première  je  vous  ferai  voir  que  les  ecclé- 
siastiques ont  une  obligation  toute  particu- 
lière de  prier.  Dans  la  seconde  je  vous  ex- 
pliquerai quelle  est  l'essence  do  la  [irière. 
Dans  la  troisième  je  vous  proposerai  les 
règles  que  vous  devez  suivre,  pour  vous 
bien  acquitter  de  l'obligation  qui  vous  est 
imposée  de  prier. 

PREMIER  POINT. 

Tout  homme  a  besoin  de  prier  et  doit 
donner  beaucoup  de  teiups  à  la   prière.  Les 


ecclésiastiques  ont  des  raisons  particuliè- 
res et  très-pressanlos,  qui  les  obligent  en- 
core plus  que  les  autres  d'être  très  -assidus 
au  saint  exercice  de  la  prière. 

Un  ecclésiastique  pour  connaître  l'extrê- 
me besoin  qu'il  a  de  prier,  n'a  qu'à  consi- 
dérer ce  qu'il  est,  quelles  sont  ses  fonctions, 
et  ce  qu'il  doit  à  son  prochain. 

Un  ecclésiastique  par  son  état  et  par  son 
caractère  est  obligé  d'être  saint.  De  qui 
peut-il  espérer  les  grâces  éminentes  dont  il 
a  besoin  que  de  Dieu  ?  Et  par  quelle  autre 
voie  peut-il  les  obtenir  que  par  la  force  de 
la  prière  ? 

Un  ecclésiastique  par  son  état  et  par  sou 
caractère  se  trouve  engagé  dans  des  fonc- 
tions dangereuses,  dilTiciles,  au  dessus  des 
forces  humaines.  C'est  ce  qui  l'oblige  de  re- 
couri  r  continuellement  au  Seigneur,  et  sans 
son  secours  il  est  impossible  qu'il  se  sou- 
tienne. 

Un  ecclésiastique  doit  beaucoup  à  sou 
prochain,  et  ce  qu'il  lui  doit  particulière- 
ment ,  c'est  de  prier  pour  lui. 

Apprenez  ce  que  vous  êtes,  quelles  sont 
vos  fonctions,  ce  que  vous  devez  à  votre 
prochain,  et  vous  vous  convaincrez  en  mê- 
me temps  de  l'obligation  étroite  qui  vous 
est  imposée  de  prier  beaucoup. 

Dès  que  vous  êtes  ecclésiastiques  vous 
êtes  obligés  d'être  des  saints.  Non-seule- 
ment vous  devez  être  des  saints,  mais  en- 
core il  faut  que  vous  ayez  une  sainteté 
éminente  et  proportionnée  à  la  saintelé 
de  votre  caractère. 

Je  vous  ai  fait  voir  dans  d'autres  discours 
que  le  caractère  ecclésiastique  suppose  une 
grande  sainteté  dans  ceux  qui  en  sont  ho- 
norés. Je  ne  vous  répéterai  point  les  preu- 
ves dont  je  me  suis  servi  pour  vous  con- 
vaincre de  celte  importante  vérité.  Je  ine 
contenterai  présentement  de  vous  exposer 
en  peu  de  mots,  quels  étaient  ceux  qui 
étaient  choisis  dans  les  premiers  teiups 
pour  exercer  los  fonctions  ecclésiastiques. 
»  On  voulait  que  ce  fussent  des  hommes 
pleins  de  sagesse  et  du  saint  Esprit.  {Act.,Yl, 
3.)  Ce  n'était  pas  assez  qu'ils  eussent  de  la 
sagesse,  on  voulait  qu'ils  en  fussent  pleins. 
On  voulait  qu'ils  fussent  pleins  du  saint 
i^spri^,  et  par  conséquent  on  no  choisissait 
que  ceux  qui  étaient  les  temples  du  saint 
Esprit,  et  que  ce  divin  Esprit  avait  remplis 
de  grâce  et  de  charité. 

Je  vous  ai  montré  qu'une  sainteté  com- 
mune n'éiait  point  sullisanto  dans  un  hom- 
me honoré  du  caractère  ecclésiastique. 
Tous  les  saints  Pères  ont  établi  celte  vé- 
rité. Ils  sont  lous  convenus  avec  saint  Ba- 
sile (IH),  que  si.c'élait  assez  pour  un  sim- 
ple hdèled'êlro  exempt  de  vice  et  de  [)rali- 
quer  les  vertus  convenables  à  son  état,  l'é- 
lévation du  caraclère  ecclésiastique  de- 
mandait de  plus  grands  efforts.  Un  ministre 
du  Seigneur  doit  surpasser  par  sa  sainteté 
ceux  au-dessus  de  qui  il  est  par  sa  dignité. 
Le  rang  qu'il  occupe  demande   qu'il  fasse 


(lli)  Ontl, 'funebria  .S.  BaMii,  .ipud  Gr.  Na/..,  oral.  20,  p.  Ôi3. 


Î079 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1080 


(io  continuels  progrès  da-is  la  vertu,  Qii'il 
considère  combien  il  est  éh  vé,  et  qu'il  ait 
pour  principe  que  sa  vertu  et  sa  sainteté 
doivent  répondre  à  l'élévalionde  son  rang. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  (115)  est  dans 
le  même  sentiment  que  saint  Basile.  II  as- 
sure que  c'est  un  manquement  considéra- 
ble dans  un  prêtre  que  de  n'être  pas  très- 
saint,  et  de  ne  pas  avancer  continuellement 
dans  la  perfection  de  son  état.  Dans  un 
autre  endroit,  i)  dit  qu'un  prêtre  doit  être 
en  état  d'approcher  de  Dieu,  et  qu'il  doit 
avoir  plus  d'accès  auprès  de  Dieu  que  les 
antres  fidèles. 

Vo3'ez  ce  que  vous  devez  être,  vous  n'au- 
rez pas  de  peine  à  entendre,  que  vous  avez 
un  très-grand  besoin  du  secours  de  la 
prière  pour  arriver  à  la  perfection  de  votre 
étal.  Vous  devez  être  des  saints,  vous  de- 
vez avoir  accès  auprès  de  Dieu,  vous  devez 
faire  de  continuels  progrès. 

Vous  devez  être  des  saints.  Il  n'y  a  que 
Dieu  qui  puisse  vous  sanctitier.  C'est  moi, 
dit  le  Seigneur,  çMitJOMS  sanctifierai. [Exod., 
XXXI,  13.)  Vous  ne  pouvez  recevoir  la 
sainteté  qui  vous  est  nécessaire  que  do 
celui,  de  qui  l'afjôtre  saint  Jacques  nous 
enseigne  que  vient  toute  grâce  excellente  et 
tout  don  parfait,  (/ac, ,1,17.)  Vous  devez 
donc  vous  adresser  continueilementà  celui 
qui  est  l'auteur  de  toute  sainteté.  L'extrême 
besoin  que  vous  avez  de  son  secours,  vous 
avertit  assez  que  vous  ne  devez  jamais  ces- 
ser d'aller  à  lui  Vous  devez,  sans  interrup- 
tion, lui  demander  celte  sainteté  éminente, 
sans  laquelle  vous  ê!es  indignes  du  rang 
où  sa  providence  vous  a  placés. 

Quand  bien  même  Dieu  vous  aurait  déjà 
favorisé  de  ses  dons,  les  saints  Pères  vous 
ont  marqué  que  l'élévat  on  de  votre  carac- 
tère vous  oblige  h  faii  e  de  continuels  cU'orls 
pour  avancer.  Quels  seront  vos  efforts  sans 
Je  secours  du  Seigneur?  Si  vous  n'en  êtes 
•auissaniinent  soutenus,  pouvez-vous  avon- 
;er,  pouvez-vous  même  faire  le  premier 
pîis?  Vos  besoins  sont  continuels,  votre 
prière  doit  donc  être  pareillement  conli- 
.luelle.  Plus  les  besoins  sont  grands,  [dus  la 
prière  doit  être  fervente.  Vos  besoins  sont 
continuels,  vos  besoins  sont  très-grands, 
\oilà  ce  qui  doit  régler  le  temi)S  et  la  fer- 
veur de  votre  prière. 

Lorsque  vous  commencerez  à  entrer  dans 
l'exercice  de  vos  fonctions,  lorsque  vous  en 
examinerez  la  nature  et  les  diflicullés,  vous 
sentirez  encore  très-vivement  le  besoin  que 
vous  avez  de  recourir  à  la  [)rière,atin  d'ob- 
tenir de  Dieu  ses  secours  sans  lesquels  vous 
ne  pouvez  rien. 

Il  n'y  a  point  de  fonctions  plus  élevées 
que  les  fonctions  ecclésiastiques,  mais  on 
même  temps,  il  n'y  en  a  point  de  plus  pé- 
rilleuses. Les  chutes  ne  sont  jamais  plus 
ciangereuses  que  quand  on  tombe  d'un  lieu 
':rès-élevé.  Ceux-là  donc  que  le  Seigneur  a 
-élevés  ont  bien  lieu  de  trembler.  Et  comme 
il  n'y  en  a  point  qu'il  élève  davantage,  que 

(ll.SjOrm,  1,  p.  7,  C.8, 


ceux  qu'il  honore  de  la  qualité  de  ses  mi- 
nistres, il  n'y  en  a  point  aussi  qui  aient 
pins  sujet  de  craindre.  Que  celui  qui  croit 
être  ferme  prenne  garde  à  ne  pas  tomber  (1  Cor. , 
X,  12),  dit  le  saint  Apôtre.  C'est  un  avis 
qu'on  ne  peut  trop  souvent  répéter  à  ceux 
qui  sont  placés  parmi  les  ministres  du  Sei- 
gneur. Qu'ils  prennent  garde  à  ne  point 
tomber,  parce  que  leurs  chutes  sontprcsqne 
toujours  mortelles.  Mais  comment  se  sou- 
tiendront-ils au  milieu  des  périls  qui  les 
environnent?  Ils  se  soutiendront  si  le  Sei- 
gneur les  protège.  Et  comment  atlireronl- 
ils  cette  protection  qui  leur  est  si  néces- 
saire ?  La  voie  la  plus  sûre  et  la  [)lus  efficace 
qu'ils  puissent  employer,  pour  la  mériter, 
n'est-ce  pas  la  prière  ?  J'ai  invoqué  le  Sei- 
gneur dans  ma  tribulation  et  dans  mon  be- 
soin, f  ai  crié  vers  mon  Dieu.  Il  a  écouté  ma 
voix  de  son  saint  temple.  Et  les  cris  que  j'ai 
faits  en  sa  présence  sont  venus  jusqu'à  ses 
oreilles.  {Psal.  XVII,  7.) 

Les  ecclésiastiques  sont  établis  ponrêlro 
les  conducteurs  des  âmes  qui  soni  très-pré- 
cieuses à  Dieu.  C'est  là,  dit  saint  Gré^goire 
de  Nazianze,  ce  que  Dieu  demande  des 
f)asteurs  (116).  Il  les  charge  de  s'appliquer 
à  la  giiérison  des  âmes.  Il  veut  que  lésâmes 
qui  sont  son  ouvrage  le  plus  excellent, 
soient  l'objet  particulier  de  leurs  soins. 
Pour  comprendre  combien  Dieu  nous  ché- 
rit, il  n'y  a  qu'à  considérer  le  prix  qu'il  a 
donné  pour  nous  sauver.  Dieu  confie  à  ses 
ministres  le  soin  des  âmes  qui  lui  sont  si 
chères.  Il  les  met  entre  leurs  mains.  11 
leur  demande  toute  leur  application  à  cette 
œuvre  importante.  11  doit  un  jour  leur 
faire  rendre  compte  de  leur  administra- 
tion. 

Le  plus  grand  malheur  qui  puisse  jamais 
arriver  à  un  pasteur,  c'est  d'avoir  négligé 
les  brebis  du  Seigneur.  Si  quelqu'une  des 
brebis  jiérit  par  sa  faute,  en  faut-il  davan- 
tage pour  le  rendre  criminel  et  pour  Je 
l)erdre  sans  ressource? 

Comme  un  pasteur  pénétré  de  cesvérites 
ne  cesse  jamais  de  trembler,  il  ne  cesse 
l)oint  aussi  de  prendre  toutes  sortes  de 
précautions  pour  conserver  les  brebis  qui 
lui  ont  été  confiées.  Une  des  principales, 
c'est  de  les  recommander  au  souverain  pas- 
teur. Elles  ne  sont  en  sûreté  que  quand  il 
les  protège.  Personne  ne  [)eut  les  ravir  de 
ses  mains.  Un  pasteur  fidèle  à  ses  devoirs, 
zélé  pour  le  salut  de  ses  brebis,  doit  conti- 
nuellement s'adresser  à  Jésus-Christ.  Il 
le  prie,  il  gémit  en  sa  présence,  il  invoque 
son  secours  tout  puissant,  il  reconnaît  que 
tout  dépend  do  Jésus-Christ.  Il  ne  compte, 
ni  sur  ses  soins,  ni  sur  ses  travaux,  ni  sur 
ses  veilles,  mais  il  compte  uniquement  sur 
la  vigilance,  sur  la  miséricorde,  et  sur  la 
protection  du  souverain  pasteur. 

Ce  qui  excite  particulièrement  la  com- 
passion d'un  pasteur  zélé,  c'est  lorsque 
parmi  ses  brebis,  il  en  aperçoit  un  si  grand 
uoujbre  qui  sont  dan?  l'égarement,  et  qui 

(116)  Orat.  l,p.  il. 


iOSi 


RETRAITE  ECCLES.  —  V1!I,    DE  LA  PRIERE. 


1082 


courent  risque  de  se  penlre.  Que  fera-l-il 
dans  celle  fâcheuse  cîlrémilé  sinon  décrier 
au  Seigneur,  et  de  le  supplier  de  laire  con- 
naître à  SOS  brebis  égarées  tous  !os  mal- 
heurs auxquels  leur  désertion  les  expose? 
Un  homme  no  peut  jamais  en  convertir  un 
autre.  La  conversion  du  cœur  est  l'ouvrage 
de  Dieu.  C'est  à  Dieu  à  qui  nous  disons  : 
Seigneur,  convertissez-nous.  (Psal.  LXXIX, 
20.)  C'est  à  Dieu  à  qui  nous  devons  aussi 
nous  adresser  pour  obtenir  la  conversion 
de  nos  frères.  Autant  de  (lécheurs  qui  se 
rencontrent  parmi  ceux  qui  sont  confiés  à 
nos  soins,  sont  autant  de  motifs  pressants 
qui  nous  obligent  de  recourir  à  Dieu  pour 
demander  leur  conversion. 

Toutes  les  preuves  que  nous  avons  de 
notre  impuissance,  sont  des  arguments  qui 
nous  font  voir  clairement  la  nécessité  do  la 
prière.  Qu'un  ecclésiastique  ait  donc  pour 
principe,  que  dans  toutes  ses  Ibnclions  il  ne 
peut  rien  sans  Dieu,  et  que  la  prière  est  le 
moyen  que  Dieu  lui  met  entre  les  mains 
pour  attirer  son  secours. 

Un  ministre  du  Soigneur  paraît  dans  la 
ch/iire  de  vérité  pour  établir  les  maximes 
de  l'Evangile.  II  s'est  préparé  à  une  si  im- 
portante action.  Mais  quelles  ont  été  ses 
mesures,  et  ne  s'est-il  point  trompé  dans  le 
choix  des  moyens  qu'il  a  embrassés  pour 
avoir  un  heureux  succès?  Il  a  médité  son 
sujet,  il  a  cherché  les  arguments  qui  lui  ont 
paru  les  plus  forts  pour  confirmer  la  vérité 
qu'il  prétend  établir.  Il  a  beaucoup  travaillé 
pour  mettre  ses  preuves  dans  tout  leur  jour. 
..i  a  examiné  la  disposition  de  ses  audi- 
teurs, et  de  quelle  manière  il  leur  faut 
parler  pour  leur  rendre  les  vérités  plus 
sensibles. 

D'autres  songeront  h  plaire.  Ils  feront  un 
grand  fonds  sur  les  ornements  do  l'élo- 
quence, lis  travailleront  à  s'attirer  des  ap- 
plaudissements. 

Peut-on  se  tromper  |)lus  lourdement  et 
()rendre  des  mesures  plus  trompeuses  pour 
réussir  dans  une  action  do  cette  importance? 
Quoi  I  vous  vous  préparez  à  exercer  lesaint 
ministère  de  la  |)arole,  et  vous  omettez  la 
jnemière  et  la  principale  préparation  qui 
est  la  [irière. 

Ah  1  cpio  cet  autre  ministre  du  Seigneur 
connaît  bien  mieux  que  vous  la  sainteté  de 
l'action  qu'il  se  propose  d'eni.reprendre.  Je 
le  vois  premièrement  appliqué  à  [irier  et  à 
demander  à  Dieu  qu'il  fasse  fructifier  sa 
parole. 

Pour  connaître  quels  sont  ceux  qui  pren- 
nent de  justes  mesures,  il  n'y  a  (ju'à  consi- 
dérer de  <]ui  do[)end  l'eHet  de  la  prédication, 
et  à  qui  il  appartient  de  faire  fruclilier  colle 
divine  semence. 

Le  grand  principe  est  que  l'homme  frappe 
l'air  et  parle  en  vain,  à  moins  que  Dieu  ne 
parle  au  fond  du  cœur  el  (ju'il  no  le  louclio. 

(117)  I  Ha-c  se  possc  pielale  magis  ornliomun, 
'(oaiii  oraluiuin  lacullate  non  Jiibilot,  iiloiando  pro 
se  ac  \no  illis  qiios  est  allocnUnus,  sit  oi aloF  aii- 
It^ijuain  di<  lui   1  'l.ib    IV  De  rfocO/Hn  C/ui'sr,  c.  15. 


Si  ce  princi[)e  est  certain,  vous  voyez  bien 
que  vous  prenez  de  fausses  mesures,  jus- 
qu'à oc  (pie  vous  vous  adressiez  <i  celui  (jui 
est  le  maître  des  cœurs.  Priez  beaucoup, 
géniisscz  beaucoup,  parlez  beaucoup  à  Dieu, 
c'est  une  préparation  nécessaire,  et  sans  la- 
quelle on  est  très-téméraire,  lorsqu'on  en- 
treprend d'exercer  le  saint  ministère  de  la 
prédication. 

Je  ne  prétends  pas  que  la  prière  soit  la 
seule  préparation  nécessaire.  11  y  a  d'autres 
moyens  qui  sont  dans  l'ordre  de  Dieu,  et 
dont  il  nous  command(!  de  nous  servir.  Mais 
jo  soutiens  que  parmi  tous  ces  moyens  la 
prière  est  un  des  principaux.  C'est  celui  sur 
lequel  il  faut  particulièrement  compter. 
Tous  les  autres  moyens  n'ont  de  force 
qu'autant  que  la  prière  leur  en  donne.  C'est 
une  vanité,  c'est  une  présomption  que  de 
compter  sur  soi  el  no  pas  tout  attendre  du 
secours  du  Seigneur.  C'est  donc  une  vanité 
et  une  présomption  que  de  ne  le  pas  de- 
mander par  de  ferventes  prières.  Il  en  fera 
plus,  dit  saint  Augustin,  par  la  force  de  la 
prière  que  par  les  efforts  de  l'éloquence.  Il 
a  prié  pour  lui,  il  a  prié  pour  les  autres.  Il 
n'a  point  encore  parlé,  el  néanmoins  il  a 
beaucoup  avancé.  Il  a  parlé  à  celui  qui 
touche  les  cœurs:  pouvait-il  soconduire  avec 
plus  de  sagesse  ,  dans  l'obligation  où  il 
est  de  se  proposer  [larticulièremenl  le 
changemonl  et  la  conversion  des  cœurs? 
(117.) 

Saint  Augustin  a  été  ferme  dans  celle 
maxime,  que  la  sainte  vie  a  plus  de  force 
que  l'éloiiuonce  humaine,  qu'il  faut  beau- 
coup plus  compter  sur  la  prière  que  sur 
tous  les  autres  moyens.  Mais  comme  saint 
Augustin  n'a  jamais  outré  les  maximes,  il 
demeure  d'accord  qu'un  minisire  fidèle  ne 
doit  négliger  aucun  moyen.  Il  observe 
exactement  toutes  les  règles  qui  lui  sont 
prescrites  avec  une  forte  persuasion  que 
tout  vient  de  Dieu.  Quand  ilaplanté,  quand 
il  a  arrosé,  il  attend  toutes  choses  de  celui 
à  qui  seul  il  appartient  de  donner  Vaccroisse- 
ment  (118], 

Il  en  est  de  toutes  les  autres  fonctions  ec- 
clésiastiques, comme  du  saint  ministère  de 
la  parole.  Elles  sont  toutes  au  dessus  des 
forces  humaines.  Tous  les  saints  les  ont 
considérées  comme  des  fondions  acca- 
blantes. Ils  ont  tous  appréhendé  de  succom- 
ber sous  la  pesanteur  du  fardeau.  S'ils  ont 
respiré  au  milieu  de  leur  crainte  el  do  leurs 
alarmes,  ce  n"a  jamais  été  qu'en  levanl  les 
yeux  au  ciel,  et  en  meltanl  toute  leur  osj)é- 
rance  en  celui  qui  les  avait  appelés.  Ils  ont 
formemonl  cru  qu'aucun  ecclésiasticjue  ne 
pouvait  exercer  dignement  sesfonclionsquo 
par  le  secours  du  Seigneur.  Ils  ont  ferme- 
ment cru  que  le  ministre  le  ()lus  habile,  le  j 
I)lus  a|)pliqué,  le  jilus  zélé  ne  pouvait  jamais  j 
réussir  qu'autant  ([ue  le  Soigneur  bénissait  | 

(118)  <  Nec  iileo  tamon  parles  suas  seiino  ces- 
saveiil,  scii  cuni  plaiilalor  olliciuiri  .sui  gesseril 
inuiiciis  ca;lcra  itliqiiidat  iiicn  iiioiituni  rclinqiiit.i 
(Kpibt.  147,  nov.   ctlil.,  al.  ll->.) 


I«83 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBEliT. 


1081 


ses  soins  et  ses  travaux.  Ainsi  franpés  d'un 
côté  do  tant  de  sujets  qu'ils  avaieiU  de  s'a- 
larmer et  de  se  défier  d'eux-mêmes  ;  et  d'un 
autre  côté  pleins  de  charité,  et  animés  d'un 
saint  désir  d'être  utiles  au  prochain,  pou- 
vaient-ils trop  prendre  de  mesures  pour  at- 
tirer les  secours  du  Seigneur? 

Ne  soyez  point  étonnés  de  voir  les  saints 
si  exacts  à  la  prière,  donnant  un  si  long 
temps  à  ce  saint  exercice.  Ils  croyaient  que 
c'était  un  de  leurs  principaux  devoirs,  et  un 
des  moyens  des  plus  forts  qu'ilspussent  em- 
ployer pi)ur  réussir  dans  l'exercice  de  leur 
ministère. 

Imitez  leur  exemple  ,  comptez  sur  la 
prière,  donnez  beaucoup  de  temps  à  ce  sain* 
exercice,  connaissez  le  besoin  que  vous  avez 
de  vous  y  appliquer.  Voulez-vous  devenir 
utile  à  votre  prochain,  priez. 

Les  saints  ne  se  contentaient  pas  de  prier. 
Ils  imploraient  encore  le  secours  de  leurs 
frères.  Ils  demandaient  avec  ardeur  qu'on 
priât,  et  qu'on  ne  cessât  point  de  prier  pour 
eux.  Combien  de  fois  saint  Paul  a-t-il  ré- 
pété dans  ses  Epîtres  qu'on  l'aidât  en  priant 
pour  lui?  Je  vous  conjure,  mes  frères,  par 
Jésus-Christ  et  par  la  charité  du  Saint-Esprit, 
de  combattre  avec  moi  par  les  prières  que 
vous  ferez  à  Dieu  pour  moi.  [Rom.,  XV,  30.) 
Il  conjure  ses  frères.  Il  exprime,  par  là 
quelles  sont  ses  ardeurs  et  ses  empresse- 
ments. Il  les  conjure  par  Jésus-Christ.  Il  ne 
peut  employer  un  nom  plus  saint,  plus  re- 
specté. Mais  eu  même  temps  il  ne  peut  mar- 
quer plus  vivement,  combien  il  souhaite 
que  ses  frères  lui  accordent  ce  qu'il  leur  de- 
mande. Il  se  considère  comme  étant  au  mi- 
lieu d'un  combat.  II  sait  que  dans  un  com- 
bat opiniâtre  et  où.  l'ennemi  est  puissant, 
souvent  si  l'on  combattait  seul,  on  courrait 
risque  d'être  vaincu.  Il  demande  à  ses  frères 
de  le  secourir  et  de  combattre  avec  lui. 
Quelles  sont  les  armes  puissantes  dans  les- 
quelles saint  Paul  met  sa  confiance,  et  dont 
il  veut  qu'on  se  serve  pour  combattre  avec 
lui?  7e  vous  conjure  de  combattre  avec  moi  par 
les  prières  que  vous  ferez  à  Dieu  pour  moi. 

Écoutez  saint  Grégoire  pape  (119).  Rien 
n'est  plus  touchant  que  de  l'entendre  s'ex- 
pliquer, quand  il  demande  que  l'on  prie 
pour  lui.  Je  vous  demande  par  Jésus-Christ 
qui  doit  venir  pour  nous  juger  :  je  vous 
conjure  au  nom  des  anges  qui  sont  proster- 
nés en  si  grand  nombre  devant  le  Seigneur, 
au  nom  de  tous  ceux  qui  composent  la 
bienheureuse  Eglise  des  premiers  nés,  et 
dont  les  noms  sont  écrits  dans  le  livre  de  vie, 
aidez-moi  et  priez  pour  moi,  pendant  que 
je  gémis  sous  un  si  pesant  fardeau,  doni  je 
crains  sans  cesse  que  je  sois  accablé.  Voyez 
le  motif  qui  l'engage  à  demander  qu'on  prie 
pour  lui.  11  sent  la  pesanteur  de  son  fardeau; 
il  craint  d'en  être  accablé.  Voyez  la  con- 
fiance qu'il  a  dans  les  prières  de  ses  frères. 

(119)  «  Sub  hoc  pasloralis  ciirœ  onere  lacesseii- 
tom,  oralioiiis  vesiia*  iiiiercessione  me  adjuvaa^ 
ne  siisci'pta  iiieponUera  ullra  vires  pieinaiil. »  (Lib. 
1,  cpisl.  iJi.) 

(120)  «  QuiJ  aniiblcs  ud  Dominum  nibl  p»oddi- 


C'eslle  secours  qui  lui  paraît  le  filus  prompt 
et  le  plus  edicace  au  milieu  de  ses  besoins, 
et  de  tous  les  périls  dont  il  se  sent  envi- 
ronné. 

Un  prêtre  qui  se  considérera  lui-même, 
qui  fera  attention  à  la  difTiculté  de  ses  fonc- 
tions entrera  sans  peine  dans  les  mêmes 
sentiments  que  saint  Grégoire.  Il  confessera 
qu'il  a  un  extrême  besoin  de  prier,  et  que 
l'un  prie  pour  lui.  Que  sera-c(!  donc  quand 
5  ces  considérations  il  ajoutera  ce  qu'il 
doit  à  son  prochain  ?  11  est  obligé  de  prier 
par  rapport  à  lui-même,  par  rapport  à  ses 
fonctions,  il  est  encore  obligé  de  prier  par 
rapport  <^  son  prochain. 

Pour  connaître  combien  cette  obligation 
est  étroite,  il  n'a  qu'à  considérer  ce  qu'il 
doit  à  son  prochain. Qu'est-ce  qu'un  prêtre? 
c'est  un  médiateur  entre  Dieu  et  le  peuple. 
Qu'est-ce  qu'un  prêtre,  dit  saint  Grégoire 
pape,  c'est  un  homme  qui  est  élu  afin  de 
prier  le  Seigneur  de  pardonnera  son  peuple 
(120).  Saint  Grégoire  de  Nazianze  assure 
[lareillement  qu'aussitôt  qu'un  homme  est 
prêtre,  il  doit  être  persuadé  que  Dieu  l'a 
établi  pour  être  médiateur  entre  Dieu  elles 
hommes  (121). 

Saint  Grégoire  pape  est  effrayé  de  cette 
qualité  de  médiateur.  Comment,  dit-il, 
exercerai-je  cette  fonction  si  je  ne  suis  pas 
agréable  à  Dieu  ?  Un  médiateur  qui  ne 
plaît  point  à  celui  auprès  de  qui  il  intercède, 
est  bien  plus  en  état  de  l'irriter  que  d'a- 
paiser sa  colère  (122). 

Dieu  s'en  rei'ose  sur  les  prêtres.  Il  attend 
d'eux  qu'ils  désarmeront  son  bras,  qu'ils 
apaiseront  son  juste  courroux,  quand  il  est 
irrité  contre  les  pécnés  des  hommes.  Que 
sera-ce  si  ceux  qui  doivent  apaiser  Dieu 
demeurent  dans  le  silence,  s'ils  négligent 
un  devoir  si  important,  et  quelquefois  môme, 
si  bien  loin  d'apaiser  le  Seigneur,  ils  pro- 
voquent sa  colère  par  leurs  dérègle- 
ments. 

Quand  Dieu  est  irrité  contre  le  peup  o, 
lorsque  sa  patience  est  poussée  à  bout, 
lorsque  les  dérèglements  des  hommes  le 
contraignent  d'assurer  qu'il  ne  veut  plus 
pardonner,  il  commence  par  défendre  aux 
prêtres  et  aux  prophètes  d'intercéder  pour 
le  peuple.  Ne  priez  point  pour  ce  peuple 
ingrat,  ne  parlez  point  en  sa  faveur,  car  je  ne 
vous  exaucerai  point.  {Jer.,  VU,  16. 

Dieu  paraît  irrité,  il  a  sujet  de  l'être.  Tant 
de  crimes,  tant  d'ingratitudes  et  de  révoltes 
lasseraient  toute  autre  patience  que  la 
sienne.  Non,  il  ne  peut  oublier  ses  an- 
ciennes miséricordes.  Il  ne  souhaite  point 
que  les  pro[)hètes  obéissent  à  ce  qu'il  pa- 
raît extérieurement  leur  commander.  C'est 
plutôt  un  avertissement  d'un  père  plein 
de  miséricorde.  Il  dit  qu'il  n'exaucera 
point  les  prophètes,  et  cependant  à  peine 
les  prophètes  parleront-ils,  qu'aussitôt  ils 

dis  populi  inlercessor  eligilur?  »  (Lib.  I,  epist.  2»  ) 

(1121)  S.  Greg.  Naz.,  oiat.  5,  p.  37. 

{l-l'ï}  i  Cum  is  qui  dihpiicel  iiiiercedendum  nul- 
lllui-,  uiJc  ad  dcleriora  aiiunus  prov  calur.  > 


1035 


RETRAIIE  ECOLES. 


oblienoronl  grâce.  Dieu  ne  résistera  point 
uux  prières  de  ceux  h  qui  il  commande 
si  expressément  de  l'apaiser  au  plus  fort 
de  sa  colère. 

Lu  homtne  irrépréhensible,  d\[VF^c.r\[iirQ, 
s'est  hâté  d'intercéder  pour  le  peuple.  Il  vous 
a  opposé  le  bouclier  de  son  saint  ministère,  et 
sa  pricre  montant  vers  vous  avec  l'encens  quil 
vous  offrait,  il  fît  cesser  cette  fâcheuse  plaie, 
et  il  fit  voir  qu'il  était  votre  véritable  serviteur. 
(Sap.,  XVIll,  21.) 

La  prière  d'un  saint  prêtre  est  un  bou- 
clier qui  résiste  aux  traits  les  plus  aigus 
de  la  colère  du  Seigneur.  C'est  un  encens 
qui  monte  jusqu'au  ciel.  Le  bras  du  Seigneur 
s'arrête  et  il  cesse  de  frapper  parce  qu'un 
saint  prêtre  a  prié. 

Les  prières  des  prêtres  ont  donc  beau- 
coup de  force.  Ce  sont  eux  qui  négocient 
entre  Dieu  et  le  peuple.  Ce  sont  eux  qui 
obtiennent  grâce  ,  et  qui  apaisent  le 
Seigneur,  lors  même  qu'il  a  prononcé 
les  arrêts  les  plus  terribles  et  les  plus  ef- 
frayants. 

Dieu  plein  de  miséricorde  veut  par- 
donner, et  il  veut  que  les  prêtres  le  prient. 
Si  les  prêtres  manquent  à  ce  devoir  impor- 
tant il  s'en  plaindra,  il  leur  fera  des  repro- 
ches, il  marquera  qu'il  est  Irès-irrité  de  leur 
uégligence. 

C'était  à  vous,  dira-t-il  à  ces  prévarica- 
teurs, de  m'apaiser  :  c'était  h  vous  de 
pousser  des  soupirs  ;  c'était  à  vous  de 
parler  pour  le  peuple,  et  vous  ne  vous  êtes 
point  fait  entendre.  La  colère  qui  devait 
tomber  sur  le  peuple  tombera  sur  le  prêtre. 
Si  le  peuple  est  châtié,  le  prêtre  le  sera  en- 
core avec  plus  de  sévérité. 

C'est  un  grand  péché  et  sur  lequel  beau- 
coup de  prêtres  ne  s'examinent  point.  C'est 
un  grand  péclié  dans  un  prêtre  que  d'ou- 
blier sa  qualité  de  médiateur  entre  Dieu  et 
le  peuple.  Qualité  importante  qui  oblige  les 
prêtres  à  prier  beaucoup  ei  à  redoubler  leurs 
prières  à  proportion  que  l'iniquité  augmen- 
te. Ceux  qui  sont  engagés  à  prier  par  tant 
de  raisons,  ont  grand  intérêt  de  connaître 
ce  que  c'est  que  la  prière,  et  ce  qui  en  fait 
l'essence.  C'est  la  vérité  dont  j'ai  à  vous  ins- 
truire dans  ma  seconde  partie. 

SECOND  POINT. 

Ce  serait  une  erreur  très-grossière  que 
de  faire  consister  l'essence  de  la  prière  dans 
les  paroles  extérieures  ,  et  que  de  s'ima- 
giner (juon  a  beaucoup  prié  quand  on  a 
beaucoup  parlé. 

Jésus-Christ  a  réfuté  celte  erreur.  Il  a 
fait  voir  à  ses  disci[)les  que  de  prétendre 
(jue  l'on  prie  beaucoup,  quand  on  prononce 
un  grand  nombre  de  paroles,  ce  serait  res- 
sen)bler  aux  païens  qui  s'imaginent  (ju'à 
force  de  paroles  (Matlh.,  VI,  7),  ils  (obtien- 
dront ce  qu'ils  demandent.  Les  hommes  qui 
ne  pénètrent  point  dans  l'intérieur  ne  peu- 
vent juger  des  sentiments  des  humilies,  que 
par  leurs  paroles  ,  et  par  leurs  actions. 
Voilà  pourquoi  ils  sont  souvent  trompés. 
Mais  le  Seigneur  ne  peut  êire  exposé  à  ces 


VIII,  DE  LA^PRIERE.  10S6 

illusions.  Il  connaît  le  cœur,  et  lisait  enco- 
re plus  parfaitement  que  nous  ce  qui  se 
passe  dans  le  secret  de  notre  cœur.  Nous 
prions  h  son  égard  quand  notre  cœur  est 
plein  des  sentiments  dans  lesquels  doit  être 
celui  qui  parle  à  son  Dieu.  La  prière  n*est 
donc  pas  un  cri  extérieur,  mais  c'est  le  cri 
du  cœur. 

Le  sentiment  qui  nous  convient  par 
rapport  à  notre  état,  et  qui  doit  être  pro- 
fondément marqué  dans  noire  cœur  c'est  de 
gémir.  Il  nous  convient  do  gémir,  parce 
que  nous  sommes  dans  la  misère,  et  par- 
ce que  nous  sommes  exilés  de  notre  patrie. 
Si  nous  connaissons  notre  misère,  si  nous 
savons  que  nous  sommes  bannis,  nous  de- 
vons désirer  la  fin  de  notre  exil,  et  soupi- 
rer après  notre  patrie.  Voilà  donc  quelles 
doivent  être  les  dispositions  de  notre  cœur. 
Il  doit  gémir  et  il  doit  désirer. 

Ces  principes  supposés  il  est  aisé  do  vous 
faire  entendre  qu'elle  est  l'essence  de  la 
|)rière.  C'est  le  cri  du  cœur  qui  gémit  do 
ses  nii-,ères,  et  qui  soupire  afirès  la  céleste 
patrie. 

Quand  l'Ecriture  nous  apprend  ce  que 
c'est  que  la  prière,  elle  se  sert  inditférem- 
menl  du  mot  de  prier  et  de  gémir.  Prière  et 
gémissement,  c'est  la  même  chose  dans  le 
langage  divin.  Seigneur,  dit  David,  mon  gé- 
missement ne  vous  est  point  inconnu.  {Psal. 
XXX VII,  10.)  On  ne  prie  que  quand  on 
gémit,  et  la  prière  n'est  agréable  à  Dieu, 
que  quand  notre  gémissement  est  sincère. 

Nous  jïrions  donc  quand  nous  connais- 
sons notre  misère,  et  quand  la  vue  de  no- 
tre misère  nous  oblige  à  crier  vers  celui 
qui  seul  [leutnous  en  délivrer. 

Voyez  ce  sentiment  vivement  exprimé 
par  le  saint  prophète  David.  Ce  saint  homme 
en  était  pénétré.  Voilà  |iourquoi  sa  prière  a 
été  très-agréable  à  Dieu.  Et  voilà  pourquoi 
il  sera  toujours  le  modèle  de  ceux  qui 
voudront  apprendre  à  prier,  fai  crié  ver» 
vous  du  fond  de  ma  misère  (Psal.  CXXIX,  1.) 
Voilà  toute  ^essence  de  la  prière.  Le  saint 
roi  connaît  sa  misère,  elle  lui  paraît  extrê- 
me. La  connaissance  de  sa  misère  l'oblige 
à  crier.  Il  sait  qu'il  n'y  a  que  le  Seigneur 
qui  puisse  le  soulager  dans  la  misère  qu'il 
ressent.  C'est  à  lui  seul  à  qui  il  adresse  ses 
gémissements  et  ses  cris. 

Apprenons  comme  le  saint  prophète  Da- 
vid à  crier  vers  le  Seigneur  du  fond  de  notre 
misère.  Il  ne  nous  sera  pas  dilîicile  de  trou- 
ver de  justes  fondements  qui  nous  obligent 
à  pousser  des  cris.  Nous  n'avons  qu'à  nous 
examiner  nous-mêmes  et  notre  propre  mi- 
sère; quel  sujet  de  gémir I  Voyons  ensuite 
tout  ce  que  soulfre  l'Eglise,  toutes  les  plaies 
qui  lui  sont  faites.  Pour  peu  que  nous  l'ai- 
mions, comment  ne  gémirions-nous  pas? 

Nous  devons  donc  gémir,  parce  que  no- 
Ire  misère  est  très-grande.  Que  sommes- 
nous  ?  A()prenons-le  du  saint  prophète  Da- 
vid. Pour  moi,  dit  le  saint  prophète,  je  suis 
un  pauvre  et  je  suis  dans  ta  dordeur  {Psal. 
LXVllI,  30.)  Voilà  noire  étal.  Nous  sommes 


1087 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


\( 


des  pauvres,  el  nous  sommes  dans  la  dou- 
leur. 

Nous  sommes  des  pauvres,  et  noire  pnu- 
vrelé  est  extrême.  Car  il  est  vrai  dédire 
que  nous  sommes  aljsolument  d(^nués  de 
tout  bien  ,  que  nous  n'avons  droit  à  aucun 
bien,  que,  délaissés  à  nous-mêmes,  nous 
sommes  réduits  à  la  plus  affreuse  de  toutes 
les  misères.  Il  ne  peut  y  avoir  une  pau- 
vreté pareille  à  la  nôtre  ,  et  il  est  impossi- 
ble d'en  imaginer  une  plus  grande  et  plus 
entière.  On  voit  tant  de  pauvres  qui  se 
plaignent  et  qui  poussent  des  cris.  Leurs 
maux  sont  très-inférieurs  aux  nôtres.  La 
pauvreté  spirituelle  est  bien  une  autre  pau- 
vretéque  la  corporelle.  Si  donc  nous  ne  crions 
pas,  notre  insensibilité  ne  peut  venir  que 
de  l'ignorance  de  nos  maux  ,  qui  pour  n'ê- 
tre pas  connus  n'en  sont  ni  moins  grands 
ni  moins  dangereux. 

Nous  sommes  dans  la  douleur.  Qu'est-ce 
que  cette  vie  qu'une  suite  d'afflictions  et  de 
douleurs.  Il  est  étonnant  qu'il  y  ait  des 
liomraes  h.  qui  la  vie  présente  paraît  rem- 
plie de  charmes.  Où  sont-ils  donc  ces  char- 
mes et  ces  plaisirs?  Car  premièrement  un 
chrétien  peut-il  se  faire  un  plaisir  de  ce 
qui  lui  coûte  la  perle  de  son  innocence ,  et 
de  ce  qui  cause  à  son  âme  des  blessures 
mortelles?  Mais  d'ailleurs  ce  qui  trouble 
et  ce  qui  afflige  est  bien  plus  réel  et  bien 
j)lus  commun  ,  que  ce  qui  peut  causer  quel- 
que divertissement  et  quelque  plaisir.  Où 
sont  ces  hommes  heureux  qui  ne  sont  point 
troublés,  qui  réussissent  dans  leurs  entre- 
prises, qui  sont  exempts  de  chagrin,  qui 
peuvent  avec  raison  faire  quelque  fond  sur 
les  choses  humaines?  Où  sont-ils  ces  hom- 
mes qui  mettent  leur  bonheur  dans  les  cho- 
ses de  la  terre?  Qu'ils  parlent,  et  qu'ils 
s'expliquent  avec  sincérité.  Qu'ils  mettent 
d'un  côté  dans  la  balance  leurs  peines  et 
leurs  chagrins,  et  de  l'autre  leurs  vains 
plaisirs.  Lequel  l'emportera? 

Telle  est  la  nature  de  celte  vie.  Elle  est 
malheureuse,  et  il  faut  qu'elle  le  soit.  C'est 
un  bien  pour  nous  que  celte  vie  soit  pleine 
de  misères.  Sentons-les  bien  ces  misères  si 
réelles,  si  véritables,  mais  qui  nous  sont 
si  salutaires.  Poussons  des  cris,  parce  que 
nous  sommes  dans  la  pauvreté  et  dans  la 
misère,  et  pour  lors  nous  connaîtrons 
l'heureux  secret  de  former  des  prières  qui 
pénètrent  jusqu'aux  cieux,  qui  sont  très- 
agréables  à  Dieu,  et  qui  le  louchent  de 
compassion. 

Nous  devons  aimer  l'Eglise,  et  par  consé- 
quent nous  devons  être  affligés  de  tous  les 
maux  qu'elle  endure  ,  comme  de  nos  pro- 
pres maux.  C'est  donc  pour  nous  un  grand 
sujet  de  gémir,  que  de  voir  l'Eglise  conti- 
nuellement persécutée  par  un  si  graud 
nombre  d'ennemis. 

L'Eglise  souffre  au  dedans  d'elle-même, 
et  ses  propres  enfants  lui  font  une  cruelle 

(125)  «  Qui  isla  non  dolent  non  e.^t    in  eis   ciia- 
liuis  ChiisU.  »  (Ep.  78,  tiov.  cilil.  ;)I.  1j7.) 
0:ii)Ep.  loO,  uov.  cdil.  al.  137. 


guerre.  Au  dehors  riiie  de  combats,  que 
d't  nuemis  qui  ont  allligé  l'Eglise  en  se  ré- 
vollant  contre  elle,  et  qui  lui  coûtent  tant 
de  larmes,  parce  qu'ils  persévèrent  dans 
leur  révolte  criminelle? 

L'apôtre  saint  Paul  pénétré  de  l'infidélilé 
des  Juifs,  s'écrie  qu'il  est  saisi  d'une  tristesse 
profonde,  el  que  son  cœur  est  pressé  sans 
cesse  d'une  douleur  violente.  (Rom. ,  IX,  2.) 
Voilà  les  sentiments  que  nous  doivent  in- 
spirer les  maux  que  l'Eglise  endure. 

Ceux-là,  dit  saint  Augustin,  qui  ne  pren- 
nent point  de  part  aux  maux  de  l'Eglise, 
qui  ne  les  ressentent  pas,  et  qui  n'en  sont  pas 
affligés  n'ont  point  de  charité  (123),  L'Eglise 
gémit  :  Nous  sommes  ses  ministres,  com- 
ment donc  ne  gémirions-nous  pas?  Gémis- 
sons à  la  vue  des  maux  de  l'Eglise,  soyons- 
en  vivement  touchés,  poussons  des  cris, 
adressons-nous  avec  confiance  à  celui  qui 
a  promis  de  la  protéger  et  de  ne  l'abandon- 
ner jamais. 

J'ai  dit  qu'il  nous  est  salutaire  que  celte 
vie  soit  pleine  de  misères.  Car  c'est  la  vue 
de  ces  misères  qui  nous  en  détache,  et  qui 
nous  inspire  de  soupirer  après  une  autre 
vie  qui  sera  vraiment  heureuse  et  exem|)le 
de  toute  misère.  C'est  encore  un  sentiment 
que  nous  devons  exciter  en  nous,  et  qui  est 
très-agréable  à  Dieu.  Nous  devons  particu- 
lièrement travailler  à  en  être  pénétrés  dans 
les  prières  que  nous  lui  offrons  (124-). 

Saint  Augustin  dans  une  excellente  lettre 
où  il  traite  à  fond  de  la  prière,  dit  que  la 
prière  est  le  désir  vif  d'une  Ame  qui,  lassée 
des  maux  de  cette  vie,  soupire  ardemment 
après  le  bonheur  de  l'autre  vie.  Qui  veut 
bien  prier,  doit  s'exciter  à  désirer. 

Saint  Augustin,  dans  cette  excellente  let- 
tre, s'appuyant  toujours  sur  le  même  prin- 
cipe, dit  que  nous  prions  selon  que  nous 
désirons.  Pourquoi  des  prières  vocales , 
pourquoi  des  temps  marqués  pour  la 
prière,  c'est  afin  de  renouveler  ces  désirs 
salutaires  qui  doivent  être  continuellement 
dans  le  fonds  de  nos  cœurs?  Par-là  nous 
sommes  avertis  de  désirer  au  moins  dans 
de  certains  temps,  ce  que  nous  devons 
continuellement  désirer  (125). 

Il  serait  de  notre  fidélité  de  nous  expliquer 
continuellement  à  Dieu  sur  ce  sentiment 
qui  doit  être  si  vif  dans  notre  cœur.  Mais 
comme  le  poids  de  notre  infirmité  nous  en- 
traîne, comme  les  affaires  du  siècle  nous 
troublent  et  nous  empêchent  d'être  conti- 
nuellement occupés  du  seul  objet  qu'il  nous 
est  permis  de  désirer,  le  temps  de  la  prière 
rappelle  notre  esprit,  excite  notre  cœur,  et 
pour  lors  nous  prions  véritablement,  quand 
nous  désirons  avec  ardeur  ce  qui  seul  peut 
faire  notre  souverain  bonheur. 

Prier  boaucou(>,  ce  n'est  pas  parler  beau- 
coup, continue  saint  Augustin,  La  prière  que 
le  mouvement  du  cœur  soutient  et  fait  durée, 
est  bien  différente  de  celle  dont  la  seulu 

(125)«Verbis  rogamus,  ut  cxcllemiis  dcsiderium 
Semper  orare  est  scmpcr  desiderarc.  > 


1089 


RETRAITE  ECCLES.  —  VIII,    DE  LA  PRIERE.  • 


109!) 


mullihide  des  paroles  fait  la  longueur  (126). 
Prier  beaucoup  c'est  gémir  beaucoup,  c'est 
beaucoup  désirer.  C'est  par  ces  géuiisse- 
ments  et  ces  désirs  que  nous  frappons  à  la 
porte  dn  père  de  famille.  La  prière  (ces  pa- 
roles de  saint  Augustin  sont  bien  dignes 
d'être  retenues).  La  prière  est  une  sorte 
d'affaire  qui  pour  l'ordinràro  se  traite  plutôt 
par  des  gémissements  et  par  des  larmes  que 
par  des  paroles  et  des  discours  (127).  Ces 
Inrnies  et  ces  gémissements  vont  jusqu'au 
Irûne  de  celui,  qui  a  tout  fait  par  sa  parole 
et  qui  n'a  que  faire  de  nos  paroles. 

Do  ces  principes  de  saint  Augustin,  je  tire 
plusieurs  conséquences  très -certaines  et 
lrès-im[)orlantes. 

La  première  conséquence  de  saint  Augus- 
tin, c'est  que^plusieurs  paraissent  prier  qui 
dans  la  vérité  ne  prient  point, parce  qu'ils  ne 
désirent  point  (128).  Combien  y  en  a-l-il  qui 
font  entendre  leur  voix,  qui  font  beaucoup 
de  biuit  au  dehors,  mais  leur  cœur  est  muet. 
Ils  ne  disent  rien  qui  puisse  frapper  les 
oreilles  du  Seigneur. 

Prier  c'est  concevoir  un  saint  dégoût  des 
choses  de  ce  monde,  qui  nous  porte  à  dési- 
rer le  souverain  bonheur. 

Compterez-vous  beaucoup  sur  les  prières 
des  ecclésiastiques  intéressés  qui  sont  si 
fortement  attachés  aux  biens  de  ce  monde. 
Saint  Grégoire  de  Nazianze  dit  (129)  que 
ces  hommes  dont  les  affections  sont  char- 
nelles ne  sont  guère  en  état  de  porter  leur 
vues  jusqu'aux  choses  célestes,  qui  doivent 
être  l'unique  objet  de  nos  désirs.  Témoi- 
gnent-ils par  leur  conduite  qu'ils  ont  du  dé- 
goût pour  les  choses  de  la  terre,  et  que  leur 
cœur  en  est  détaché.  Quel  est  l'objet  de  leurs 
désirs?  Sont-ce  les  biens  du  temps,  sonl-ce 
les  biens  éternels?  Le  cœur  de  l'homme  ne 
î»eut  pas  se  partager.  Quand  il  est  attaché 
aux  biens  de  la  terre,  les  biens  de  l'autre 
vie  ne  le  touclient  poini,  et  ne  sont  point 
dans  son  cœur.  Si  vous  voulez  apprendre  à 
prier,  travaillez  à  réformer  vos  désirs,  déta- 
chez-vous de  ce  qui  est  indigne  de  votre  at- 
tachement, aimez  ce  que  vous  devez  ai- 
mer, et  pour  lors  vous  commencerez  à 
prier. 

Il  n'y  a  pas  aussi  d'apparence  que  l'on 
puisse  compter  sur  les  prières  de  ceux  qui 
ont  un  grand  attachement  à  la  vie  présente. 
Il  est  diilicile  que  les  sentiments  qui  for- 
ment la  prière,  puissent  se  rencontrer  avec 
cet  attachement  qui  y  est  entièrement  op[)0- 
sé.  La  prière  est  le  désir  d'une  âme  qui,  fa- 
tiguée de  son  exil,  souj)ire  après  sa  patrie. 
Ceux  qui  sont  attachés  à  cette  vie  ne  la  con- 
sidèrent point  couune  un  exil.  Ils  n'en  sont 
point  fatigués.  Leur  plus  grande  application 
est  de  prolonger  leurs  misérables  jours.  Ils 
cuiiçuivent  jieu  qu'ils  ne  seront  jamais  heu- 

(\i(>)  (  Aliu  t  scrmo  raullus,  aliud  diuturnus  af- 
te<  lus.  > 

(127)  I  Hoc  negolium  plus  gemitibus  quum  ser- 
nioiiilius  agiiur.  > 

(|-iS)  •  Odain  iiiulli  soiiaiil  voce,  et  corde  nuil' 
jLiii.  I  lin  vnul.  CXi.V.) 


reux  (jue  lorsque  leurs  liens  étant  rompus, 
ils  entreront  en  possession  d'un  bonheur 
sans  trouble.  Un  C(eur  où  ces  sentiments 
prédominent  est-il  on  état  do  former  ces  dé- 
sirs vifs  et  empressés  de  rélornité,  qui  font 
l'essence  de  la  prière.  Il  faut  donc  conclure 
avec  saint  Augustin,  que  beaucoup  de  ceux 
qui  paraissent  prier  dans  la  vérité  no 
prient  point,  et  peut-être  n'ont  jamais 
prié. 

Voici  une  seconde  conséquence  qui  nous 
est  encore  enseignée  par  saint  Augustin.  La 
prière  est  le  désir.  Nous  prions  pendant  tout 
le  temps  que  nous  désirons.  Nous  pouvons 
donc  prier  non-seulement  dans  les  temps 
particulièrement  consacrés  à  la  prière;  mais 
encore  nous  pouvons  continuer  à  prier  pen- 
dant que  nous  remplissons  nos  devoirs, 
pendant  que  nous  sommes  occupés  des 
autres  actions  auxquelles  la  condition  de 
cette  vie  nous  oblige  de  nous  appli- 
quer (130). 

f  C'est  ainsi  que  nous  pouvons  observer  le 
grand  et  important  précepte  de  la  religion, 
qui  nous  oblige  à  prier  continuellement. 
Jésus-Christ  a  parlé  à  tous  les  hommes,  et 
il  leur  a  dit:  Il  faut  toujours  prier,  et  ne 
se  point  lasser  de  le  faire.  (Luc,  XVllI,  1.) 
L'apôtre  saint  Paul  a  dit  de  môme  à  tous  les 
chrétiens:  Priez  sans  cesse.  (I  Thess.yV,  17.) 
Comment  observer  ce  précepte?  Faut-il 
abandonner  toutes  les  affaires  temporelles, 
et  demeurer  continuellement  dans  les  tem- 
ples pour  y  chanter  les  louanges  du  Très- 
Haut,  et  pour  lui  offr-ir  des  prières?  Ce  n'est 
point  là  le  sens  du  précepte  ni  à  quoi  le  Fils 
de  Dieu  a  prétendu  nous  obliger.  Vous  priez 
sans  cesse,  dit  saint  Augustin,  quand  vous 
désirez  continuellement.  Vous  cessez  de 
prier  dès  que  vous  cessez  de  désirer.  C'est- 
à-dire  qu'un  homme  occuiié  de  ses  devoirs, 
appliqué  à  ses  affaires,  et  qui  conserve  dans 
son  cœur  ces  désirs  qui  font  l'ûme  de  la 
prière,  ne  cesse  point  de  prier. 

Les  ecclésiastiques  ont  beaucoup  plus  de 
facilité  que  les  autres  hommes,  pour  rem- 
plir fidèlement  le  précepte  de  la  prière  con- 
tinuelle. Ils  sont  heureusement  obligés  par 
leur  état,  de  s'appliquer  presque  toujours  à 
des  devoirs  de  religion.  Tout  ce  qui  se  pré- 
sente devant  leurs  yeux  les  excite  à  former 
ces  désirs  nobles  et  élevés  qui  sont  l'es- 
sence de  la  [irièro.  Un  ecclésiaslique  apjdi- 
qué  à  ses  devoirs  a  de  très-grands  avanta- 
ges, il  est  aisé  de  le  concevoir.  Mais  en  voici 
un  qui  est  très-considérable,  et  qui  peut 
contribuer  beaucoup  à  augmenter  l'estime 
qu'il  doit  faire  de  son  état,  c'est  qu'au  mi- 
lieu de  tous  ses  devoirs  il  ne  cesse  point 
de  prier,  et  sa  vie  est  une  prière  conti- 
nuelle. 

Ce  bonheur  est  tiès-grand  ;  mais  il  ne  re- 

(129)  Oral,  l,  p.  51. 

(lôO)  1  Si  desitleras  non  inlermiuis  orare.  Ta- 
cebis  si  amare  desiileris.  Qui  desiderat  si  liiigua 
lactai,  corde  caiilal.  Qui  aulein  non  desiduiat 
qiioliuul  claulorc  auies  iioiniiiiirn  i'eriat,  nutus  e^t 
L)eo.  •  ilituiu'.  X.\XV1I  ellAXXVl.) 


1091 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1(92 


garde  q^ie  les  ecclésiastiques  qui  estiment 
leur  étal,  et  qui  s'appliquent  sérieusement 
à  en  remplir  tous  les  devoirs.  C'est  un  bon- 
heur auquel  un  grand  nombre  d'ecclésias- 
tiques ne  peuvent  prétendre,  parce  qu'ils  ne 
vivent  point  selon  leur  état,  et  qu'ils  aban- 
donnent leurs  devoirs. 

Combien  d'ecclésiastiques  qui,  bien  loin 
que  leur  vie  puisse  être  appelée  une  prière 
continuelle,  passent  tout  le  temps  de  leur 
vie,  sans  offrir  à  Dieu  une  prière  qui  lui  soit 
agréable.  Ils  irritent  Dieu  par  toutes  leurs 
actions  et  même  par  leurs  ()rières.  Ils  l'of- 
fensent quand  ils  croient  le  louer.  C'est 
l'état  dé()lorable  et  ordinaire  des  ecclésias- 
tiques qui  abandonnent  leurs  devoirs;  de 
ces  ecclésiasliques  de  nom,  qui  s'engraissent 
des  revenus  de  l'Eglise,  et  qui  ne  lui  rei- 
dent  aucun  service.  A  peine  i)ortent-ils  les 
niar(iues  extérieures  de  leur  élat.  Ils  n'o- 
béissent à  aucune  loi  de  l'Eglise.  Ils  no  pa- 
raissent ecclésiastiques  que  pour  scandali- 
ser et  pour  donner  des  preuves  d'une  ré- 
volte entière.  S'il  est  vrai  de  dire  que  les 
ecclésiastiques  fidèles  louent  Dieu  conti- 
nuellement, il  n'est  pas  moins  vrai  de  dire 
que  ces  ecclés  astiques  rebelles  irritent  Dieu 
continuellement,  parce  qu'ils  vivent  dans  une 
révolte  perpétuelle. 

Appliquons-nous  à  prier,  puisque  c'est 
un  de  nos  principaux  devoirs,  mais  lâchons 
de  former  de  ces  prières  agréables  à  Dieu, 
et  qui  sont  comnjc  un  encens  précieux 
dont  la  bonne  odeur  monte  jusqu'au  trône 
du  Très-Haut.  Eludions-nous  nous-mêmes, 
soyons  bien  convaincus  de  noire  propre 
misère,  soyons  sensibles  aux  maux  et  aux 
afiliclions  de  l'Eglise,  détachons  notre  cœur 
des  inens  trompeurs  de  ce  monde,  connais- 
sons le  prix  infini  des  biens  qui  nous  sont 
promis,  désirons  uniquement  le  bonheur 
souverain,  désirons  longtemps,  comme  parle 
saint  Augustin,  ce  que  nous  posséderons 
toujours.  Travaillons  à  prier  sans  cesse,  et 
à  régler  nos  mœurs  de  telle  manière  que 
iiutie  vie  soit  une  prière  continuelle  (131). 

Voilà  les  princi[)es  suivant  lesquels  vous 
devez  vous  former  une  juste  idée  de  la 
prière.  J'ai  encore  à  vous  expliquer  les 
règles  que  vous  devez  suivre,  i)Our  vous 
bien  acquitter  de  i'obligalion  qui  vous  est 
imposée  de  prier. 

TROISIÈME    POINT. 

La  première  règle  que  je  vous  pi'opose, 
c'est  de  vous  exercer  à  l'oraison  meuialu', 
et  de  consacrer  tous  les  jours  quelque  lemps 
à  ce  saint  exercice.  Voici  les  utilités  que 
vous  en  retirerez. 

Vous  avez  vu  que  ce  qui  fait  l'essence  de 
la  prière,  c'est  de  pousser  des  cris  et  des 
géujissemenls  à  la  vue  de  nos  misères.  Vous 
avez  vu  que  nous  ne  sommes  en  élat  de 
prier,  que  lorsque  lassés  et  fatigués  de  nos 
iiiibères,  nous  désirons  avec  arueur  le  bon- 
heur infini  que  nous  attendons.  Il  est  donc 


important  pour  bien  prier  d'étudier  nos  mi- 
•  sères,  de  nous  en  convaincre,  djexaminer 
de  près  le  néant  des  biens  de  ce  monde,  et 
déconsidérer  au  contraire  la  valeur  infinie 
du  bonheur  qui  nous  est  promis.  C'est  ce 
que  nous  exécuterons  dans  le  saint  exer- 
cice de  l'oraison  mentale.  Prosternés  hum- 
blement devant  le  Seigneur,  nous  exami- 
nerons quels  sont  nos  véritables  sentiments. 
Nous  verrons  si  nous  gémissons  de  nos  mi- 
sères, si  nous  désirons  le  bonheur  infini. 
Ainsi  c'est  dans  la  pratique  de  l'oraison 
mentale  que  nous  pouvons  reconnaître  si 
nos  prières  sont  accompagnées  des  dispo- 
sitions que  Dieu  veut  trouver  en  nous,  et 
que  nous  pouvons  nous  former  dans  le 
saint  exercice  de  la  [irière. 

En  faisant  de  salutaires  réflexions  dans  la 
pratique  de  celte  oraison,  nous  nous  excite- 
rons à  gémir,  nous  réformerons  nos  désirs, 
nous  nous  mettrons  en  élat  d'acquérir  le  vé- 
ritable esjirit  de  prière.  Nous  serons  animés 
decetesprit,  non-seulement  pendant  le  temps 
de  l'oraison  mentale,  mais  encore  dans  le 
temps  que  nous  ferons  des  prières  vocales. 
Nous  prierons  de  cœur,  notre  cœur  gémira  in- 
térieurement pendant  que  notre  bouche  an- 
noncera les  louanges  du  Très-Haut.  Toutes 
nos  prières  se  ressentiront  de  l'esprit  de 
grâce,  dont  nous  nous  serons  remplis.  Elles 
seront  plus  en  état  de  monter  jusqu'au  trône 
du  Seigneur  et  d'être  favorablement  écou- 
tées. 

Voyez  donc  le  grand  fruit  que  vous  reti- 
rez de  l'oraison  mentale.  Jamais  vous  ne 
verrez  mieux  si  l'esprit  de  prière  est  en 
vous,  que  dans  le  temps  de  celle  oraison, 
litant  plein  de  ce  bienheureux  esprit ,  vos 
prières  vocales  en  seront  aussi  animées,  et 
par  là  vous  avez  lieu  d'espérer  que  Dieu  les 
écoulera  avec  bonté. 

Ma  seconde  règle  est  fondée  sur  ce  grand 
principe.  Tout  vient  de  Dieu,  et  nous  no 
pouvons  rien  qu'avec  son  secours.  Soyons 
donc  exacts  à  le  demander.  Attendons  beau- 
cou[)  de  la  prière,  et  soyons  convaincus  que 
nous  travaillons  efficacement  quand  nous 
jtrions. 

Quelle  quesoit  la  multitude  de  nos  occupa- 
tions, quel  que  soit  le  fardeau  dont  nous 
sommes  accablés,  il  faut  toujours  qu'il  y  ait 
un  temps  pour  la  prière.  Gardez-vous  bien 
de  tomber  dans  l'illusion  de  ceux  qui  mé- 
nageant mal  leur  temps,  retranchent  la 
prière,  lorsque  leurs  occupations  se  mulli- 
l'Iienl.  Ils  sont  pressés,  ils  sont  accablés  de 
soins  et  d'embarras.  C'est  pour  cela  môme 
qu'ils  doivent  prier.  Ils  avanceront  en  priant. 
Ils  reculeront  et  l'ouvrage  sera  beaucoup 
plus  difficile,  s'ils  abandonnent  l'exercice 
de  la  i)rière. 

Mais  surtout  ayez  pour  maxime,  et  que 
celte  maxime  soit  inviolable  pour  vous,  de 
ne  jamais  rien  entreprendre  de  difficile  et 
d'important,  qu'auparavant  vous  n'ayez  prié. 

Dans  ces  sortes  d'all'aires  non-seulement 
on  doit  i)rier,  mais  encore  il  faut  se  fortifier 


(loi)  t  QiioJ  sempor  Iialjuurus  es,  diudtsiJcra.  »  {In  psal.  LXXXIll.) 


1093 


RETRAITE  ECCEES. 


par  les  prières  Je  ses  irères,  et  surtout  par 
les  prières  do  ceux  (jui  menant  une  vie  pins 
exacte  et  plus  chrétienne,  sont  plus  en  état 
d'être  exaucés. 

Quand  vous  observerez  cette  conduite, 
vous  ferez  voir  que  vous  connaissez  ce  que 
c'est  que  la  prière,  et  quelle  en  est  la  force; 
vous  ferez  voir  que  vous  détestez  les  fausses 
maximes  des  prudents  du  siècle,  qui  ne 
comptent  point  sur  le  secours  du  Seigneur, 
sans  lequel  nous  devons  être  convaincus  que 
DOS  projets  sont  vains  et  nosetlbrts  inutiles. 

Troisième  règle.  La  prudence  clirélienne 
est  ennemie  des  excès,  et  elle  met  à  toutes 
choses  des  bornes  raisonnables.  C'est  un 
excès  très-criminel  que  de  compter  sur  soi- 
même,  et  que  de  ne  pas  avoir  recours  à 
Dieu,  puisque  tout  dépend  de  lui.  C'est  le 
crime  de  ceux  qui  ne  prient  point,  et  qui 
entreprennent  des  affaires  importantes,  sans 
songer  que  la  prière  doit  toujours  être  à  la 
tète  de  toutes  nos  entreprises  :  Mais  voici 
un  autre  excès  contraire  dans  lequel  il  serait 
très-dangereux  de  tomber.  Priez  autant  que 
le  Seigiieur  vous  le  commande,  après  cela 
agissez  avec  confiance.  Ne  soyez  point  de 
ceux  dont  la  dévotion  est  déréglée,  et  qui 
veulent  consacrer  à  la  prière  un  temps  qui 
doit  être  employé  à  d'autres  devoirs  es- 
sentiels. 

Ce  n'est  pas  présentement  le  temps  de 
prier.  C'est  le  temps  de  visiter  des  malades  ; 
c'est  le  temps  de  l'étude;  c'est  le  temps  de 
préparer  une  instruction,  c'est  un  temps 
que  vous  devez  à  des  hommes  qui  sont  aigris 
et  dont  vous  pouvez  pacifier  les  différends. 

Saint  Augustin  vous  dit  que  c'est  une 
chose  excellente  que  de  prier  beaucoup. 
Mais  en  même  temps  il  vous  marque  que 
vous  ne  devez  point  consacrer  5  la  prière 
des  len)ps  oii  vous  êtes  appelé  à  d'autres 
bonnes  œuvres,  et  ii  des  devoirs  essentiels 
de  votre  état.  Saint  Augustin  ajoute  :  Pen- 
dant que  vous  êtes  Jans  ces  saintes  occupa- 
lions,  vous  ne  discontinuez  point  de  prier; 
car  il  suit  toujours  son  principe,  que  pen- 
dant que  le  désir  des  biens  éternels  est  im- 
primé dans  votre  cœur,  vous  ne  cessez  point 
de  prier  {132). 

"Ce  sont  ces  considérations  qui  doivent 
dissiper  les  scrupules  de  ceux  qui  sont  fort 
occupés,  et  qui  ne  peuvent  donner  que  peu 
db  teui|)S  à  la  prière.  Ils  s'en  plaignent,  et 
on  leur  entend  souvent  répéter,  qu'ils  ne 
firionl  point,  et  qu'ils  n'ont  aucun  temps 
pour  prier,  et  moi  je  leur  réponds,  qu'il  n'est 
point  question  de  suivre  son  attrait,  que 
l'homme  ne  doit  disposer,  ni  de  son  temps, 
ni  de  ses  occu[)alions,  mais  que  notre  affaire 
essentielle  t;st  d'obéir  à  Dieu,  et  de  suivre 
sa  volonté.  Je  leur  répontls  encore  qu'ils 
ont  beaucoup  de  temps  pour  prier,  et  que 
s'ils  sont  fidèles  ils  peuvent  prier  contiuuel- 
leinent.   Dieu,  comme  dit  saint  Augustin, 

(l52)iCuindiuorarevacat,  iil  est cum  alla  bonarum 
cl  iiecessariaiuiu  adioiiiiiii  non  iiiiptuliuiiliuorii.  ia 
ijuaiiivis  l'i  iii  lis  iildixi,  dusiderio  sciiiiieruniii  luni 
t>i[.  >  (E|)ist.  supra  ch.) 


\ni,  DE  LA  PRIERE.  1094 

considère  particulièrement  vos  actions  et 
votre  conduite.  Vous  njarclioz  dans  le  droit 
chemin,  et  vous  ne  pouvez  vous  égarer, 
pendant  que  vous  êtes  dans  l'ordre  de  Dieu, 
et  que  vous  lui  obéissez  (133).  Lorsque  vous 
êtes  fidèle  à  la  lègle,  dit  encore  saint  Au- 
gustin, pendant  même  que  votre  langue 
garde  le  silence,  votre  vie  parle.  C'est  un 
langage  excellent  qui  pénètre  les  cieui  el 
qui  est  très-agréable  à  Dieu  (134). 

Tout  ce  qu'on  peut  vous  accorder  au  rai- 
lieu  de  ces  occupations  qui  vous  donnant 
peu  do  repos,  c'est  de  gémir  à  l'exemple  des 
saints,  et  de  soupirer  après  le  temps  où  dé- 
livré de  l'occupation,  vous  aurez  plus  de  li- 
berté pour  vous  appliquer  à  la  méditation 
des  vérités  éternelles.  Car  c'est  le  bonheur 
de  ceux  que  Dieu  n'appelle  point  à  l'action, 
et  à  qui  il  permet  de  jouir  de  la  douceur 
d'un  repos  innocent.  C'est  un  état  bien 
heureux.  Tous  les  saints  l'ont  bien  estimé; 
ils  l'ont  désiré;  ils  otit  supporté  avec  beau- 
coup de  peine,  d'être  arrachés  de  la  retraite. 
Ils  n'ont  consenti  h  une  séparation  si  rigou- 
reuse et  si  violente  que  pour  obéir  à  Dieu. 
Dieu  laisse  dans  le  repos,  il  appelle  à  l'ar- 
tion  qui  il  lui  plaît.  Il  est  le  maître  :  c'est  à 
nous  de  nous  soumcKre. 

Si  Dieu  nous  laisse  dans  le  repos,  voici  la 
règle  que  nous  devons  suivre.  Connaissons 
notre  bonheur,  servons-nous  utilement  de 
notre  repos.  Nous  avons  plus  de  temps  pour 
|irier,  nous  sommes  donc  obligés  de  prier 
plus  longtemps  que  ceux  qui  sont  dans  l'oc- 
cupation. C'est  à  nous  de  les  soutenir  par 
nos  prières.  Ceux  qui  sont  dans  la  retraite 
doivent  sans  cesse  songer  aux  besoins  de 
l'Eglise,  h  la  misère  de  laiil  de  pécheurs  qui 
persévèrent  dans  l'iniquité,  à  tant  do  bonnes 
œuvres  qui  demeurent,  parce  qu'on  manque 
d'ouvriers  assez  habiles  et  assez  zélés  pour 
les  entreprendre.  Que  de  motifs  se  présen- 
tent en  foule  pour  animer  celui  qui  est  dans 
la  retraite,  à  gémir  et  à  répandre  des 
larmes  ! 

Celui  qui  est  dans  la  retraite  ne  doit  pas 
entièrement  oublier  le  monde.  Il  ne  le  voit 
que  de  loin.  Il  est  heureusement  5  l'abri, 
mais  il  no  doit  point  oublier  que  Dieu  est 
contiiiuellement  offensé  dans  le  mond'?.  Les 
iniquités  du  monde  sont  plus  que  sullisantes 
pour  entretenir  dans  un  h«>mme  pénitent 
une  source  de  larmes  qui  ne  tarira  jamais, 
parce  que  les  crimes  du  monde,  bien  loin 
do  finir,  se  multiplient  tous  les  jours. 

11  ne  me  reste  plus  qu'à  donner  une  der- 
nière règle  pour  faire  connaître  le  jugement 
qu'on  doit  porter  des  dissipations  de  l'es- 
prit qui  arrivent  pendant  le  temps  de  la 
prière,  et  comment  il  se  faut  conduire,  afin 
que  ces  dissipations  très -importunes  et 
très-ordinaires  no  nous  fussent  pas  perdre  le 
fruit  de  la  |)rière. 

Il  y  en   a  qui  st  troublent  trop  des  éga- 

(15"))  «  Plus  attendit  quidivivas,quamquidsones.> 
(Iiipsul.  CXLVI.) 

(i'}'i}  '  Si  a  bui.a  vita  nunquam  déclines  lingiia 
tua  l.iccl,  vita  lua  clamai.»  [In  p^al.  CXLYlll.) 


1095 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMDERT. 


1096 


rements  et  des  dissipalions  de  l'esprit,  et 
il  y  en  a  qui  ne  s'en  troublent  pas  assez. 

Ceux-là  s'en  troublent  trop  qui,  quoi- 
qu'ils apportent  toutes  sortes  de  précautions 
|)our  se  rendre  maîtres  de  leur  esprit,  ne 
laissent  pas  d'éprouver  très-souvent  que 
leur  esprit  s'égare.  Ils  s'en  inquiètent.  Leurs 
inquiétudes  démesurées  sont  souvent  le 
principe  de  nouvelles  dissipalions.  Ils  se 
persuadent  que  leurs  prières  sont  sans  at- 
tention, et  qu'elles  ne  sont  point  agréables 
à  Dieu. 

Ceux  qui  se  livrent  ainsi  h  leurs. inquié- 
tudes, connaissent  bien  peu  jusqu'où  vont 
les  miséricordes  du  Seigneur.  Qu'est-ce 
que  Dieu  demande  de  nous  sinon  des  efforts 
et  des  témoignages  sincères  du, 'désir  que 
nous  avons  de  lui  plaire?  Nous  donnons  à 
Dieu  plus  de  preuves  de  notre  fidélité  en 
retenant  noire  esprit,  en  le  rappelant  quand 
il  est  égaré,  que  nous  ne  lui  en  donnerions 
si  toutes  les  actions  de  piété  nous  étaient 
faciles,  et  si  nous  n'avions  point  de  com- 
bats à  livrer. 

Ce  que  Dieu  demande  de  nous,  c'est  que 
nous  soyons  fidèles,  que  nous  fassions  des 
efforts,  que  nous  ne  permettions  point  vo- 
lontairement à  noire  esprit  de  s'égarer,  que 
nous  nous  humilions  de  nos  imperfections. 
Si,  nonobstant  nos  etl'orts,  notre  esprit  ne 
laisse  pas  encore  de  s'égarer,  Dieu  connaît 
nos  imperlecli(jns,  il  sait  quelle  est  noire 
fragilité.  Croire  qu'il  n'y  ail  aucun  égard, 
c'esl  une  défiance ciiminelle,  très-injurieuse 
à  Dieu,  et  dont  nous  devrions  bien  nous 
corriger  après  toutes  les  preuves  que  nous 
avons  de  sa  bonté  et  de  sou  exlréme  pa- 
tience. 

Il  y  en  a  d'autres  qui  ne  se  troublent  pas 
assez  des  disiracliuns  q\i'ils  ressentent  dans 
le  temps  de  l'uraison.  Car  il  y  en  a  beau- 
coup à  qui  ces  dissipations  ne  causent  au- 
cune inquiétude,  et  qui  néanmoins  ont  tout 
lieu  de  s'en  faire  à  eux-mêmes  de  très-sé- 
vères reproches. 

Ceux-là,  par  exemple,  ont  très-grand  su- 
jet de  se  troubler  des  dissipations  de  leur 
esprit,  qui  recherchent  les  embarras  du 
monde,  qui  se  mettent  dans  des  affaires  qui 
ne  sont  })oinl  de  leur  ressort,  qui  s'agilenl 
inutilement,  qui  entrent  dans  les  intrigues. 
Comment  voulez-vous  que  votre  esprit  soit 
occu|)é  do  Dieu,  après  que  vous  l'avez  rem- 
pli des  affaires  du  siècle?  Ceux  qui  sont  en- 
gagés dans  ces  sortes  d'affaires  par  étal  et 
par  nécessité,  ont  bien  de  la  peine  à  reienir 
Jeur  esprit,  quoiiju'ils  aient  lieu  d'espérer 
que  Dieu  les  souliendra.  Vous,  au  contraire, 
avez-vous  lieu  d'attendre  les  secours  du 
Seigneur,  pendant  que  vous  vous  en  rendez 
indignes  en  vous  occupant  contre  son  or- 
dre d'une  infinité  de  soins  que  vous  de- 
vriez éviter? 

Les  ecclésiastiques  qui  mènent  une  vie 
molle,  qui  recherchent  les  [ilaisirs,  ont  en- 
core bien  plus  sujet  de  se  troubler  de  leurs 

(135)  «  Invenire  se   dixll  cor  suum   qnaâi  soleret 
psal.  L\\\\.) 


dissipations.  Vous  apportez  à  l'oraison  un 
esprit  plein  de  pensées  profanes  et  crimi- 
nelles, un  cœur  corrompu.  Quelle  disposi- 
tion pour  prier!  Comment  osez-vous  vous 
présenter  devant  Dieu?  Retirez  -  vous , 
liDinme  criminel  !  vous  êtes  indigne  de  par- 
ler à  Dieu.  Dans  l'élat  oiî  vous  êtes,  vous 
ne  pouvez  traiter  les  choses  saintes  sans 
les  profaner.  Vous  pécherez  en  ne  priant 
point,  vous  pécherez  en  priant.  Prenez 
garde,  je  ne  dis  pas  que  vous  péchez  [larce 
que  vous  priez  ;  je  dis  que  vous  péchez 
en  priant.  Pourquoi  cela,  parce  queje  vois 
dans  le  fonds  de  votre  cœur  une  semenco 
de  péché  qui  fructifie  jusque  dans  la  prière 
Ujême.  Ainsi  s'accoruplit  la  menace  et  la 
malédiction  du  Prophète-Roi,  que  son  orai- 
son se  tourne  enpéché.  {PsaL  GVlll,  7.)  Voilà 
les  extrémités  dans  lesquelles  on  se  réduit, 
quand  on  s'éloigne  de  son  devoir,  et  quand 
on  observe  une  conduite  entièrement  con- 
traire à  ses  obligations. 

Tous  ceux-là  ont  sujet  de  se  troubler 
de  leurs  distractions,  qui  laissent  égarer 
leur  es()rit  et  qui  ne  font  point  d'efforts 
pour  l'arrêter.  Notre  es|)rit,  selon  la  remar- 
que de  saint  Augustin,  est  un  fugitif  qui  ne 
songe  qu'à  nous  quitter.  Il  est  de  notre 
devoir  de  le  poursuivre  (135J  ;  nous  de 
vons  nous  conduire  dans  cette  poursuite 
avec  tant  de  diligence  que  nous  ayons  lieu 
dédire  comme  David,  que  nous  avons  trouvé 
notre  cœur,  et  que,  par  la  recherche  que 
nous  en  avons  faite,  nous  sommes  en  état 
de  nous  présenter  devant  Dieu  pour  lui 
offrir  nos  prières. 

Qu'inférerez-vous  de  ce  que  vous  venez 
d'entendre?  Qu'il  est  très-iiri|)or(ant  de 
prier,  et  qu'il  est  encore  plus  important  do 
prier  dans  de  saines  dispositions. 

Demandons  souvent  à  Jésus-Christ  ce 
que  ses  apôtres  lui  ont  demandé  quand  ils 
lui  ont  dit  :  Seigneur,  enseignez-nous  à  prier. 
[Luc. f  XI,  1.)  Car  il  faut  l'avouer,  il  y  a  beau- 
coup de  chrétiens  et  même  d'ecclésiastiques 
qui  ne  savent  point  prier. 

Il  y  a  longlemiis  que  vous  êtes  engagé 
dans  la  milj^çe  sacrée,  que  vous  chantez  des 
caiili(iues  a  la  louange  du  Seigneur,  qua 
l'on  s  adresse  à  vous  comme  à  un  homme 
c'nargé  d'intercéder  pour  le  peuple  ;  peut- 
être  vous  n'avez  pas  encore  commencé  à 
prier. 

On  s'accoutume  à  prononcer  des  paroles. 
Est-ce  là  prier,  et  peut-on  dire  que  l'on  prie 
lorsque  les  paroles  ne  sont  point  animées? 
N'est-il  pas  certain  que  Dieu  ne  s'arrête 
point  à  nos  paroles,  mais  qu'il  examine  les 
mouvements  de  noire  cœur? 

Vous  priez  lorsque,  pénétré  de  vos  mi- 
sères, vous  gémissez  devant  le  Seigneur; 
lorscjue,  détrompé  des  biens  de  ce  monde, 
vous  désirez  avec  ardeur  les  biens  infinis 
que  vous  attendez. 

Remplissez-vous  de  ces  sentiments.  Il 
vous  est   d'une   si  grande  conséquence  de 

ab  eo  fugcre  et  illc    sequi  quasi  fugiiivum.  »  [Ir 


<097 


RETRAITE  ECOLES.  —  IX,  OISIVETE. 


prier.  Vo\-cz  tous  vos  l)esoins;  voyez  fus 
besoins  pressnnls  do  l'Eglise.  Vous  ôles 
chargé  par  votre  ministère  de  venir  à  son 
secours.  Vous  lui  files  presqu'inulile  lors- 
que vous  ne  savez  point  comment  il  faut 
pi-ier.  Vous  cojumencerez  à  la  secourir  lors- 
que vos  iirièrt'S  seront  accomjiagnées  des 
disj)ositions  qui  les  rendent  agréal)les  à 
Dieu. 

11  y  en  a  qui  font  plus  de  hruit,  dont  les 
œuvres  éclalenl  davanlage,  mais  il  n'y  en  a 
point  qui  rendent  plus  de  services  essentiels 
à  l'Eglise,  que  ceux  (|ui  ont  le  bonheur 
d'ôtio  unis  à  Dieu,  et  qui  travaillent  à  se 
remplir  des  sentiments  dont  Dieu  veut  que 
nos  cœurs  soient  pénéirés. 

Soyez  de  dignes  ministres  du  Seigneur, 
ap,  rochez  de  son  autel  avec  conliance,  ve- 
nez lui  exjioser  vos  besoins,  venez  et  lui 
parlez  en  faveur  de  son  peuple.  Si  vous  <Mes 
assez  heureux  pour  a[);)rendre  une  fois 
l'heureux  secret  de  prier,  vous  allez  attirer 
sur  vous  et  sur  loute  l'Eglise  un  nombre 
intini  de  grùces  qui  seront  un  jour  suivies 
de  la  dernière  grâce  que  Dion  fait  à  ses  élus, 
lorsqu'il  leur  accorde  la  couronne  de  gloire 
d.ms  l'élernilô. 

DISCOURS  IX. 

DE  LA  NÉCESSITÉ  DE   MENEU   U\E   VIE    OCCUPÉ*) 
ET    CONTRE   l/oiSIVETÉ. 

On  ne  peut  guère  se  former  une  plus 
fausse  idée  de  l'état  ecclésiastique,  que  de 
le  regarder  comme  un  élal  commode,  et  que 
l'on  peut  embrasser  pour  y  goûter  un  re- 
pos innocent.  C'est  néanmoins  une  erreur 
très-commune,  et  dans  laquelle  tombent  un 
nombre  intini  d'ecclésiastiques. 

Quel  est  le  motif  qui  détermine  beaucoup 
de. ceux  qui  s'engagent  dans  l'état  eoclésias- 
lique?  Ils  ont  uour  lin  de  vivre  commodé- 
n)ent,  d'obtenir  un  bénélice,  d'être  exempts 
de  touie  peine,  de  |)asser  leur  vie  dans  l'oi- 
siveté. Ce  sont  gens  qui  s'aiment  eux- 
u.ômes,  et  qui  veulent  goûter  toutes  les 
comiuodités  de  la  vie.  L'état  ecclésiastique 
leur  paraît  très-propre  pour  parvenir  à  cette 
pernicieuse  tin. 

Qu'il  est  doux  à  la  nature  corrompue  de 
jouir  d'un  revenu  que  l'on  reçoit  aisément, 
d'être  récompensé  sans  avoir  travaillé, d'être 
délivré  de  tout  soin  et  de  loute  occupation 
fatigante.  Il  n'y  a  rien  de  plus  doux  que  cet 
état,  mais  selon  saint  Augustin,  il  n'y  a  rien 
dej)lus  damnable  (136.) 

Il  esl  donc  faux  que  l'état  ecclésiaslique 
soil  un  étal  commode.  Au  contraire  c'est  un 
état  i)énible  et  plein  de  dillicullés.  Vous 
vous  proposez,  lorsque  vous  serez  ecclé- 
siastique, de  vivre  dans  le  repos.  11  n'en 
faut  pas  davantage  pour  vous  perdre.  Car  il 
est  essentiel  aux  ecclésiastiques  de  passer 
leurs  jours  dans  la  [leine  ei  dans  un  travail 
assidu. 

Je  veux  donc  aujourd'hui  détruire  celle 
fausse  idée  que  l'on  a  de  l'étal  ecclésiasti- 
que. C  esl  l'oisiveté  que  j'attaque.  Je    pré- 


1098 

tends  que  les  ecclésiastiques  oisifs  se  per- 
dent, et  ne  sonl  point  en  voie  de  sailli.  En 
voici  trois  raisons  qui  feront  le  sujet  des 
trois  parties  de  cet  entretien.  Un  ecclésias- 
tique qui  est  oisif  manque  à  ce  qu'il  doil  à 
Dieu.  Il  manque  à  ce  qu'il  doit  à  son  pro- 
chain. Il  manque  à  ce  qu'il  se  doit  à  lui- 
môme.  Donnez-moi  votre  attention,  pendant 
(juejevous  exposerai  ces  vérités  dans  la 
suite  de  cet  entrelien. 

PREMIER    POINT. 

Les  ecclésiastiques,  pour  bien  connaître 
l'obligation  qu'ils  onl  de  travailler,  n'ont 
qu'<^  se  souvenir  de  ce  qu'ils  sont,  lis  sont 
hommes,  ils  sont  chrétiens,  et  ils  sont  ecclé- 
siastiques. 

Dieu  a  inposéà  tous  les  hommes  l'obli- 
gation de  travailler.  Les  chrétiens  y  sont 
encore  plus  particulièrement  obligés  par  la 
loi  de  Jésus-Christ.  Mais  celte  obligation 
est  si  précisément  marquée  pour  les  ecclé- 
siastiques, que  de  la  révoquer  en  doute  ce 
serait  s'aveugler  soi-même,  et  n'avoir  pas  la 
moindre  idée  de  l'état  ecclésiaslique. 

Vous  êtes  homme.  Connaissez  donc  ce 
que  vous  êtes,  et  à  quoi  vous  avez  élé  con- 
damné. L'arrêt  est  célèbre.  C'est  Dieu  qui 
en  est  l'auteur.  Vous  mangerez  votre  pain  à 
la  sueur  de  voire  visage.  {Gen.,  111,  19.)  Tel 
fut  l'arrêt  que  Dieu  prononçi  contre  le 
premier  homme  après  son  péché.  El  comme 
nous  sommes  les  descendants  d'Adam, 
comme  nous  sommes  les  enlanis  d'un  [lère 
criminel,  comme  nous  sommes  nous-mêmes 
des  enfants  de  colère  dès  le  moment  que 
nous  paraissons  sur  la  lerre,  pouvons-nous 
douter  que  nous  ne  soyons  tous  obligés  de 
nous  soumettre  à  l'arrêt  rigoureux,  mais 
plein  de  justice  que  vous  venez  d'en- 
tendre. 

Nous  voilà  donc  obligés  en  punition  de 
notre  péché  de  manger  noire  pain  à  ta  sueur 
de  notre  visage. 

La|ilu[)arl  des  enfants  d'Adam  ne  songent 
qu'à  inventer  des  moyens  pour  se  sous- 
traire à  cette  loi.  Tous  ceux  qui  peuvent 
mener  une  vie  commode,  exemple  de  peine, 
sans  faire  attention  à  l'arrêt  qui  les  con- 
damne, ne  veulent  point  manger  leur  pain  à 
la  sueur  de  leur  visage.  Ceux  (^ui,  malgré  eux 
el  par  nécessité,  sont  obligés  d'obéir,  au 
milieu  de  leur  peine  ne  res()irent  que  le 
repos,  et  quand  ils  travaillent,  ordinaire- 
nienl  leur  tin  principale,  esl  d'arriver  à 
un  étal  où  ils  ne  soient  plus  obligés  de  tra- 
vailler. 

L'un  dit  [>ourquoi  travaillerai-je,  puisque 
j'ai  des  richesses?  l'autre  prétend  que  sa 
naissance  esl  un  litre  jiour  se  dispenser 
d'obéir  à  la  loi  commune  :  l'autre  allègue 
une  impossibilité  chimérique  l'ondée  sur  ce 
qu'il  n'est  point  accoutume  à  |)Orler  le  joug 
uonl  on  lui  propose  de  se  charger  :  l'autre 
soutient  qu'il  ne  |)eul  pas  être  laisonnable- 
meiil  assujetti  aux  mêmes  lois  que  ceux 
au-dessus  de  qui  son  rang  cl  sa  dignité  l'é- 


(156)  «  Si    iierfuncloric  res  agalur,  nihil  ilamnabilius.  >  (Ep.  1,  al.  iii. 

ORAfELRS  SACRÉS.    LXVIU. 


3& 


1099 


ORATEURS  SACRES 


lèvent.  La  loi  de  Dieu  souffre-t-elle  ces  ex- 
ct'piio?is?  Interrogez  le  Sage,  et  apprenez 
(le  lui  que  tous  les  hommes,  sans  en  excep- 
ter un  seul,  sont  obligés  de  se  soumettre  à 
la  loi  (le  Dieu  qui  leur  ordonne  de  manger 
leur  pain  à  la  sueur  de  leur  visnfje. 

Un  joug  pesant  accable  les  enfants  d'Adam, 
depuis  le  jour  (/u'ils  sortent  du  ventre  de  leur 
mère,  jusqu'au  jour  de  leur  sépulture,  où  ils 
rentrent  dans  la  terre  gui  est  la  mère  com- 
mune de  tous.  (Eccli.  XI,  1.) 

Qui  sont  ceux  qui  sont  obligi^s  de  porter 
ce  joug  posani  ?  Tous, dit  le  Sage,  depu:is  ce- 
lui gui  est  assis  sur  un  trône  de  gloire,  jus- 
qu'à celui  qui  est  couché  sur  la  terre  et  dans 
(a  cendre  ;  dcpïtis  celui  qui  est  velu  de  pour- 
pre, et  qui  porte  la  couronne,  jusqu'à  celui 
gui  n'est  couvert  que  de  toile.  {Ibid.,k.)  Il  est 
(ionc  évident  que  tous  les  hommes  sont 
obligés  de  |>orler  le  jong. 

Pendant  conihion  de  lemps?  Oe/i?n's  le  jour 
qu'ils  sortent  du  ventre  de  leur  mère  jusqu'au 
jour  de  leur  sépulture. 

Selon  le  Sage,  il  n'y  a  nucunci  exception 
ni  pour  le  tenqis,  ni  pour  les  personnes.  Il 
n'y  en  a  aucune  pour  les  personnes.  Tous 
sont  obligée  de  se  soumettre  pendant  tout 
le  temps  qu'ils  demeurent  sur  la  ferre.  Et 
voilà  pourquoi  le  saint  homme  Job  pro- 
nonce, que  Vliomme  est  né  pour  le  travail, 
comme  l'oiseau  pour  voler.  (Job,  Y,  7.) 

Eles-vous  pauvre  cl  dans  la  misère  ?  Vous 
(^les  obligé  (le  travailler  par  nécessilé.  Vos 
propres  besoins  vous  font  assez  se  itir  la 
nécessiié  indispensable  dans  laquelle  vous 
èles,  de  vous  soumellre  à  la  loi  de  Dieu, 
tilles-vous  riche  et  dans  l'abondance?  La  loi 
lie  Dieu  ne  vous  oblige  pas  moitis.  Ce  serait 
pour  vous  un  exîtôiiie  malheur,  si  les  dons 
(le  Dieu  vous  élaienî  une  occasion  de  vous 
révolter  contre  lui.  Plus  vous  avez  reçu, 
plus  vous  devez  vous  sentir  pressé  d'obéir 
à  celui  qui  vous  comble  de  ses  dons.  W.us 
devez  donc  vous  considérer  devant  Dieu 
comme  des  pauvres,  et  vous  devez  faire  par 
souiiiission  et  par  esprit  de  pénitence  ce  que 
les  pauvres  font  par  nécessité. 

C'est  donc  assez  d'être  homme  et  enfant 
d'Adam  pour  se  reconnaître  obligé  d'obéir 
à  la  loi  juste  el  rigoureuse  qui  nous  assu- 
jettit au  travail. 

D'enfants  d"Adani  nous  sommes  devenus 
par  le  baplême  enfants  de  Jésus-Christ.  Les 
enfants  de  Jés\)s-Christ  sont  obligés  de  tra- 
vailler. Rien  n'est  [)lus  contraire  à  l'esprit 
i.e  Jésus-Christ  que  l'oisiveté  el  la  paresse. 
Uien  n'est  jilus  nécessaire  |)Our  soutenu-  en 
nous  l'esprit  de  Jésus-Christ  que  l'occu- 
pation et  le  travail. 

L'esprit  de  Jésus  Christ  est  que  le  chré- 
tien se  contraigne,  qu'il  se  mortifie,  qu'il 
combatte  ses  inclinations,  qu'il  crui^Qe  sa 
chair,  que  dans  le  combat  continuel  que 
l'esprit  et  la  chair  se  livrent  l'un  à  l'autre, 
il  prenne  garde  que  l'esprit  soit  toujours 
victorieux,  et  la  chair  toujours  vaincue. 

L'esprit  de  Jésus-Chrisl  est  (}ue  ses  dis- 
ci|)les  se  conlraignenl,  et  voilà  pourquoi  il 
déclare   que  son  royaume  scprend  par  vio- 


,  JOSEPH  LVMBERT.  tm 

lence,  et   que   ce  sont  les   violents  qui    l'em- 
portent. (Malt h.  ,  XI,  12.) 

L'esprit  do  Jésus-Christ  est  que  ses  dis- 
cipelsse  mortifient.  Mortifiez  et  faites  mou- 
rir, dit  saint  Paul,  les  membres  de  l'homme 
terrestre  qui  est  en  vous.  [Coloss  ,  111,  5.) 

L'espril  de  Jésus-Christ  est  que  ses  dis- 
ciples combattent  leurs  inclinations,  et  c'est 
ce  que  saint  Paul  nous  apprend  quand  il 
nous  répèle  si  souvent,  qu'il  nous  est  mor- 
tel d'accomplir  les  désirs  delà  chair,  (Rom., 
VIll,  13.) 

L'esprit  de  Jésus-Christ  est  que  ses  dis- 
ciples crucifient  leur  chair.  Ceux-là,  dit 
saint  Paul,  qui  sont  à  Jésus-Chrisl  crucifient 
leur  chair  avec  ses  passions  et  ses  désirs  dé- 
réglés. (Galat.,\,  24.) 

L'esprit  de  Jésus-Christ  est  que  dans  le 
combat  continuel  de  l'esprit  et  de  la  chair, 
l'esprit  soit  victorieux  et  la  chair  vaincue. 
Donc,  mes  frères,  dit  saint  Paul,  nous  ne 
sommes  point  redevables  à  la  chair,  pour  vivre 
selon  la  chair.  Que  si  vous  vivez  selon  la  chair, 
vous  mourrez,  mais  si  vous  faites  mourir  par 
l'esprit  les  pussions  de  la  chair,  vous  vivrez. 
(I{um.,\ni,  12.) 

Pouvons-nous  autrement  que  par  le  tra- 
vail et  roccuf)ation  maintenir  en  nous  l'es- 
prit de  rnorlification  qui  est  l'âme  du  chris- 
tianisme? Pouvons-nous  autrement  que  par 
le  travail  assujettir  In  chair,  combailro  ses 
inclinations,  la  tenir  dans  la  juste  sou- 
mission où  elle  doit  être  à  l'égard  de 
l'esprit? 

L'esniave  qui  est  flatté,  qui  est  engraissé, 
et  qui  ne  gémit  pas  sous  le  joug  du  travail 
abuse  ordinairement  de  la  facilité  avec  la- 
quelle on  le  traite.  Et  c'est  la  vérilé  que  le 
Sage  a  voulu  marquer,  quand  il  a  dii  que 
celui  qui  nourrit  délicatement  son  serviteur 
des  son  enfance,  le  verra  ensuite  révolté  contre 
/mj.  (/Vot).,XXlX,2t.)  Il  n'y  a  [.oint  d'es- 
clave pour  qui  il  soit  plus  dangereux  d'a- 
voir des  ménagements  que  notre  chair.  C'est 
un  esclave  qui  médite  continuellement  de 
se  révolter.  Il  n'y  a  point  d'autre  moyen  de 
la  tenir  dans  les  justes  bornes  où  elle  doit 
demeurer,  que  de  ne  lui  donner  aucune  li- 
berté, que  (ie  la  charger  de  chaînes,  et  la 
faliguer  par  un  travail  assidu. 

C'est  de  celle  malheureuse  esclave  dont 
on  peut  dire  véritablement  ce  que  Pharaon 
(lisait  faussement  du  peuple  juif,  lorsqu'il 
attribuait  à  un  esprit  de  révolte  ledé.sirque 
ce  peuple  témoignait  d'aller  sacrifier  à  son 
Dieu.  Vous  êtes,  leur  disait  ce  roi  impie, 
dans  l'oisiveté {Exod.V,  il),  elc'estpour  cela 
que  vous  songez  5  vous  soustraire  de  mon 
empire.  Il  faut  pour  dissiper  vos  inquiétu- 
des vous  accabler  de  travail.  C'est  ce  qu'un 
chrétien  doitdiro  à  sa  chair  lorsqu'il  éprouve 
ses  injustes  révoltes.  Qu'il  y  fasse  attention. 
Les  résistances  de  la  chair  ne  sont  jamais 
plus  obstinées  que  dans  le  temps  cie  l'oi- 
siveté. C'est  donc  par  le  travail  que  vous  la 
réduirez,  et  que  vous  lui  ferez  sentir  qu'elle 
doit  èlre  soumise. 

Kn  effet,  |)ourquoi  les  hommes  mondains 
ont-ils  tant  d'aversion  pour  le  travail?  C'est 


1101 


RETRAITE  ECCLES.  —  IX,  OISIVETE. 


1K>2 


que  le  travail  les  cnnlraint,  et  que  les 
hommes  moiulains  font  pi-ofossion  de  ne  se 
jamais  contraindre.  El  an  contraire,  c'ost 
jiar  colle  raison  là  môme  que  le  travail  de- 
vrait leur  être  cher.  C'est  par  celle  raison  là 
Hic-nie  qu'ils  devraient  se  faire  une  loi  de 
remplir  leur  temps;  qu'ils  devraient  com- 
prendre c^iie  l'on  n'est  point  dans  la  voie  de 
sakit,  pendant  que  l'on  mène  une  vie  inoc- 
cupée. Le  travail  vous  contraint,  l'occupa- 
lion  vous  fatigue,  altachoz-vous  donc  à  tra- 
vailler, et  prescrivez-vous  des  occupations. 
Car  dès  tju'on  ne  vent  point  se  contraindre, 
on  ne  peut  être  h  Jésus-Christ,  et  il  est  sûr 
que  l'on  n'est  plus  au  rang  de  ses  disci- 
ples. 

C'diii  qui  n'est  point  à  Jésus-Christ, "celui 
que  Jésus-Christ  ne  reconnaît  point,  et  qu'il 
ne  veut  point  recevoir  au  rang  de  ses  disci- 
liies ,  est  constamment  bien  indigne  do 
prendre  place  parmi  les  ministres  du  Très- 
Haut.  Il  faut  encore  de  plus  exfellenles  dis- 
positions pour  être  au  rang  des  ministres 
des  saints  autels,  que  pour  demeurer  parmi 
les  sinqiles  fidèles.  Mais  il  est  certain  que  si 
les  vertus  des  ecclésiastiques  doivent  être 
plus  érainentes  que  celles  des  simples  fidè- 
les, ils  doivent  surtout  se  distinguer  par  une 
sainte  ardeur  pour  les  fonctions  de  leur  mi- 
nistère, qui  est  eniièrement  incompatible 
avec  l'oisiveté  et  la  paresse. 

Dès  que  Jésus-Christ  a  établi  les  apôtres 
qui  ont  été  les  premiers  ministres  de  son 
Evangile,  il  leur  a  marqué  qu'il  ne  les 
élevait  à  cette  dignité,  qu'afln  qu'ils  se  con- 
sacrassent tout  entiers  aux  exercices  de  leur 
saint  ministère.  Allez  et  prêchez.  [Matlh., 
X,  7.)  Si  les  apôtres  fussent  demeurés  oisifs, 
ils  eussent  agi  directement  contre  l'intention 
de  leur  Maître,  et  contre  les  ordres  qu'ils 
avaient  reçus.  Vous  succédez  aux  apôtres 
dans  le  saint  minislère  de  l'Evangile.  Si  donc 
vous  ôles  oisi.f's,  il  sera  vrai  de  dire  que 
vous  agissez  contre  les  intentions  de  Jésus- 
Christ,  et  que  vous  renversez  directement 
l'ordre  qu'il  a  établi.  Prendre  un  em()loi 
que  Jésus-Christ  a  institué  afin  que  ceux  qui 
en  sont  chargés  travaillent,  et  languir  dans 
1  oisiveté,  quoi  de  |ilus  opposé,  au  bon 
ordre,  quoi  de  (ilus  contraire  aux  desseins 
de  Jésus-Christ? 

Montrons,  ii\l  saint  Paul,  que  nous  sommes 
de  dignes  ministres.  (II  Cor.,  VI,  4.)  Et  com- 
ment le  saint  Apôtre  prélend-t-il  le  faire 
voir?  La  preuve  principale  qu'il  en  apporte 
ce  sont  ses  travaux  assidus.  Donc  ceux  qui 
ne  travaillent  point  n'ont  aucune  preuve 
l>our  faire  voir  qu'ils  sont  ministres  de  Jésus- 
Christ.  Toute  leur  conduite  au  contraire 
marque  qu'ils  abusent  de  leur  caractère,  et 
(ju'iis  ne  satisfont  point  aux  engagements 
de  leur  état. 

Dans  un  autre  endroit,  le  môme  saint 
Paul  s'appuyant  toujours  sur  le  môme  prin- 

(157)  «  N<imen  nos  pastoris  non  ail  quielem,  sed 
iaborem  susceplsse  co^rioscite....  Saceriloiii  pra;- 
rogaliva  si  rccia  raiiune  peiiseiim»,  sollicilis  et 
Ljiiic   gPieiilibiis   iu   honore,   nec;ligi'iilil)us  aul'  tu 


cipe,  fait  voir  qu'il  est  apôlre  à  meilleur 
litre  que  ceux  qui  osaient  lui  contester 
celte  qualité.  Quelle  est  la  preuve  de  saint 
Paul  ?  C'est,  dit  ce  saint  Apôtre  que  fai  plus 
travaillé  qu'eux.  (II  Cor.,  XII,  23.)  Il  y  a 
donc  une  liaison  essentielle  entre  le  minis- 
tère sacré  de  Jésus-Christ  et  le  travail.  L'on 
n'est  ministre  de  Jésus-ChrisI  qu'autant 
qu'on  aime  son  emploi,  ot  qu'on  est  exact  à 
en  remplir  les  obligations.  Ohl  vous  qui 
vous  dites  ministres  du  Seigneur,  quelle 
preuve  en  apportez-vous  ?  Pouvez-vous  dii-e 
comme  saint  Paul  (jne  vous  êtes  ministres 
de  Jésus-Christ,  el  que  vos  travaux  font 
voir  que  vous  soutenez  avec  honneur  ce 
rang  auquel  vous  avez  été  élevé  ?  Vous  êtes 
des  ministres  paresseux,  et  par  conséquent 
indignes  de  voire  rang,  puis(}ue  vous  ne 
voulez  pas  vous  faire  aucune  violence  à 
vous-mêmes  pour  satisfaire  à  vos  obliga- 
tions. 

Selon  vous,  on  peut  élire  ecclésiastique  et 
mener  une  vie  molle,  exemple  de  peine  et 
de  travail.  Les  saints  Pères  se  sont  donc 
bien  trompés,  quand  ils  nous  ont  expliqué 
ce  que  c'est  que  l'état  ecclésiastique,  et 
quand  ils  nous  en  ont  fait  connaître  les  en- 
gagements. L'état  ecclésiastique,  selon  tous 
les  saints  Pères  de  l'Eglise,  est  un  joug  et 
un  fardeau.  Les  saints  ont  appréhendé  de  se 
charger  de  ce  fardeau,  parce  qu'ils  en  con- 
naissaieni  la  pesanleur.  Selon  vous,  c'est 
un  fardeau  léger,  et  il  n'y  a  rien  de  plus 
facile  que  de  le  porter.  Vos  idées  sont  donc 
entièrement  différentes  de  celles  des  saints. 
Oserez-vous  dire  que  vos  idées  sont  justes, 
et  que  ce  sont  les  saints  qui  se  sont  trom- 
pés ? 

Je  vois  les  plus  grands  saints  dans  des 
alarmes  continuelles  après  avoir  travaillé 
pendant  toute  leur  vie;  je  les  vois  dans  le 
trouble.  Ils  craignent  de  n'en  avoir  pas  assez 
fait.  J'entends  les  reproches  qu'ils  se  font  à 
eus-mômes.  Et  vous,  au  milieu  de  votre 
oisiveté  vous  êles  tranquille,  vous  n'appré- 
hendez point,  vous  n'êtes  agité  d'aucun 
remords,  et  vous  ne  vous  faites  aucun  re- 
proche. Le  nom  de  pasteur,  dit  saint  Gré- 
goire pape,  n'est  point  donné  pour  vivre 
dans  le  repos,  mais  en  le  recevant  Dieu 
nous  impose  l'obligation  de  travailler.  Si 
nous  savons  connaître  ce  que  c'est  que  io 
sacerdoce,  nous  serons  convaincus  que 
c'est  un  emploi  plein  d'honneur  pour  ceux 
qui  sont  exacts  à  en  remplir  les  fonctions. 
Nous  serons  persuadés  que  c'est  un  fardeau 
accablant  pour  ceux  qui  négligent  les  fonc- 
tions de  leur  ministère.  Comme  donc  le  nom 
de  pasteur  sera  une  source  éternelle  de 
gloire  pour  ceux  que  le*salut  de  leurs  frères 
remplit  d'une  sainte  inquiétude,  de  même 
ce  nom  sacré  sera  une  source  de  ré|)roba- 
lion  pour  les  paresseux  qui  abandonnent 
leurs  devoirs  (137). 

profeclo  crit  in  onere.  Siciit  igitiir  laboranles,  et 
circa  ariimaruin  s;iliUcm  solliciios,  lioc  noiOcMi  a.'itn 
I)  uni  a;iernain  ducil  aJ  ^loriain,  iia  desiiies  l'C 
ioi|:oiiles  urgi'l  ad  pœaain.  j  (Lib.  IV,  ep.  8.) 


lîOS 


OUATELlRS  SACRES.  JOSKPH  LAMBERT. 


Ii04 


Voilà  (les  principes  sûrs  suivant  lesquels 
vous  pouvez  vous  former  une  jusle  idée  do 
l'étal  ecclésiaslifiuii.  C'est  un  éiat  qui  par 
soi-même  engage  au  travail  ;  c'est  un  élal 
que  l'on  ne  doit  embrasser  que  dans  le  des- 
sein de  travailler.  La  qualité  de  prêtre  ac- 
cablera ceux  qui  n'en  ont  point  exercé  les 
fonctions.  Saint  Grégoire  parle  encore  plus 
expressément.  Il  ne  craint  point  de  dire 
qu'une  vie  molle  et  paresseuse  dans  un 
prêlre  est  un  caractère  de  réprobation. 

Dieu  veut  donc  (jue  les  ecclésiastiques 
travaillent.  Il  a  institué  l'état  ecclésiastique 
conune  un  état  laborieux  :  s'y  conduire 
avec  mollesse,  c'est  renverser  l'ordre  de 
Dieu.  Vf)ilà  ce  qui  fait  voir  qu'un  ecclésias- 
tique qui  ne  travaille  point  dans  son  état, 
manque  à  PO  qu'il  doit  à  Dieu.  J'ai  à  vous 
monirer  qu'outre  cela  il  manque  à  ce  qu'il 
doit  à  son  prochain. 

SECOND    POINT. 

Tout  ecclésiastique  doit  beaucoup  au 
procliain,^  car  c'est  un  principe  incontes- 
table que  l'on  ne  doit  entrer  dans  l'état 
ecclésiastique  que  [mur  servir  le  prochain. 
L'ecclésiastique  paresseux  s'éloigne  extrê- 
mement de  celle  fin.  Il  ne  sert  point  le 
prochain  ;  ainsi  il  n'accomplit  point  une 
de  ses  principales  obligations.  Bien  loin 
de  servir  le  prochain,  il  le  scandalise  par  sa 
vie  paresseuse.  Qui  peut  douter  que  ce 
ne  soit  un  grand  crime  que  de  scan- 
daliser celui  que  l'on  est  obligé  d'édifier? 
L'ecclésiastique  paresseux  pèche  donc 
premièrement  en  ce  qu'il  ne  sert  [)oint 
io  prochain.  En  second  lieu  il  scandalise 
le  prochain,  et  c'est  une  nouvelle  cir- 
fonsiance  qui  aggrave  considérablement  son 
péché. 

C'est  un  grand  péché  pour  un  ecclésia- 
sliqiie,  que  d'être  inutile  au  prochain  et  de 
ne  le  point  servir.  Car  qu'est-ce  qu'un  ec- 
clésiasliciue?  A  quoi  est-il  appelé  ?  Pourquoi 
le  sacré  rainislèro  a-t-il  été  établi  iJe  Dieu? 
Un  ecclésiastique  est  un  homme  qui  n'est 
plus  h  lui.  Il  est  tout  entier  à  son  pro- 
chain; il  est  envoyé  de  Dieu  [)0ur  servir  In 
procliain. 

Nous  nous  considérons,  dit  saint  Paul, 
comme  vos  serviteurs.  Voilà  la  véritable 
idée  du  ministère  ecclésiastique.  C'est  un 
ministère  qui  nous  assujétit  à  servir  le 
prochain,  et  qui  nous  engage  à  nous  consi- 
dérer connue  les  serviteurs  de  nos  frères. 
Ne  croyons  |)as  que  cette  idée  avilisse  no- 
tie  ministère?  Rien  n'est  plus  noble  que 
de  servir  le  prochain.  Lorsque  nous  ren- 
dons service  à  nos  frères,  nous  le  rendons 
à  Jésus-Christ.  Jésus-Christ  lui-même  a 
consacré  sa  vie  au  service  des  hommes. 
Vous  servez  Jésus-Christ,  dit  saint  Augus- 
tin, d'une  manière  qui  lui  est  tiès-agréa- 
ble,  quand  vous  rendez  service  h  ceux  dont 
il  s'est  déclaré  le  serviteur  (138). 

(138)  <  Beiie  Clnisliini  servis,  si  servis  quibus 
Chiislus  s*îrvivil.   >  {In  p:ial.  CIII.) 

(Ij!))  «  EjMscopi  pioptei  Clii ibUanos  populos  or- 


Le'même  saint  Paul  dans  un  autre  en- 
droit, dit  qu'il  est  débiteur  à  tous,  ou  Grec, 
au  Barbare,  aux  suvanlSy  aux  ignorants, 
(Hom.,  J,  li.)  Le  ministère  ecclésiastique 
nous  rend  débiteurs  è  nos  frères.  Que  leur 
devojis-nous  ?  Nous  leur  devons  nos  soins, 
nos  travaux,  notre  teni|>s.  Tout  cela  n'est 
filus  à  nous.  C'est  un  bien  qui  leur  appar- 
tient, et  dont  nous  devons  disfioser  par  ra[)- 
port  à  eux. 

Voici  un  beau  et  noble  sentiment  expri- 
mé par  des  évêques,  et  qui  doit  être  pro- 
fondément gravé  dans  le  cœur  de  tous  les 
ecclésiastiques.  Nous  sommes  consacrés 
évoques  pour  rendre  service  au  peuple 
chrétien  (139).  J'en  dis  de  même  de  tous 
les  prêtres,  de  tous  les  pasteurs,  de  tous  les 
ecclésiastiques.  Quiconque  est  fait  ecclé- 
siastique n'est  consacré  à  Dieu  dans  cet 
état  que  pour  rendre  service  à  son  pro- 
chain. 

Jusqu'où  les  apôtres  qui  sont  nos  modè- 
les n'onl-ils  pas  porté  ce  soin  charitable 
que  notre  caractère  nous  oblige  d'avoir 
pour  nos  frères  ?  Saint  Paul  nous  assure  que 
le  soin  quil  a  de  toutes  les  églises  attire  sur 
luiune  foule  d'affaires  qui  l'assiègent  tous  les 
jours.  (11  Cor.,  XI,  8,  29)  Saint  Paul  est  si 
fort  altenlif  à  tous  les  besoins  de  ses  frères, 
qu'il  est  toujouis  prêt  de  s'affaiblir  pour 
fortifier  les  faibles.  Il  n'arrive  aucun  scan- 
dale dans  l'Église  qui  ne  l'afflige  et  ne  Io 
pénètre  jus(|u'au  cœur.  Il  distingue  les 
forts  d'avec  les  faibles,  afin  de  donner  aux 
uns  du  lait,  aux  autres  des  viandes  solides. 
(1  Cor.,  111,  2.)  11  porte  continuellement 
(/orts  son  ccBitr  tous  les  fidèles  «lu'il  a  engen- 
drés en  Jésus-Christ,  (li  Cor.,  VII,  3.)  Sou 
amour  est  comparable  à  celui  d'une  mère 
qui  nourrit  et  qui  aime  tendrement  ses  pro- 
pres enfants.  (1  Thess.,  11,7.)  Cette  comparai- 
son n'est  |)Oinl  encore  assez  forte.  Son 
amour  est  si  grand  qu'après  avoir  annoncé 
l'F.vangile  aux  lidèles,  il  aurait  encore  sou- 
haité de  leur  donner  sa  propre  vie.  [Ibid., 
V,  8.) 

Le  principe  de  saint  Paul  était  que  sa 
qualité  d'aiJÔtre  le  rendait  redevable  à  tous, 
et  voilà  tout  ce  que  son  zèle  lui  suggéi'ait 
de  faire  pour  satisfaire  à  cette  im[)orlanle 
obligation. 

Ne  sommes-nous  pas  obligés  de  nous 
appliquera  nous-mêmes  ce  principe  de  saint 
Paul,  et  de  nous  convaincre  que  nous  som- 
mes redevables  à  nos  frères. 

Un  pasteur  ne  peut  se  dissimuler  qu'il 
est  redevable  à  tous  ceux  qui  sont  confiés 
à  ses  soins.  Si  une  seule  de  ses  brebis  se 
fterd  par  sa  faute,  il  'en  répondra  à  Jésus- 
Christ. 

11  [.eut  arriver,'dil  saint  Chrysoslomc(UO), 
qu'un  maître  iridulgenl  pardonnera  à  son 
berger  lorsqu'il  aura  perdu  une  de  ses  bre- 
bis ;  mais  celui-là  à  (jui  Jésus-Christ  a  con- 
fié le  soin  dy  son  troupeau  perd   sou   âme, 

diiiainiu'.  »  (Ep.  1-28,  inler  epist.  saiicti  Aiigusliiii.) 
(140)  Lib.  Il  Ih  uti-crd.,  c.  4. 


1103 


RETRAITE  KCCLKS. 


s'il  arrivfi  par  sa  faille  qu'une  seule  hrolus 
s'c^Karc.  11  iauilra,  dil  le  m«imo  saiiil  Chi  v- 
soslonie(UI)  rendre  à  Dieu  un  conipte  exact 
de  liujles  les  brebis  donl  il  nous  arliar^és  do 
prendre  soin.  Saint  Clirysoslonie  dil  de  tou- 
tes les  brebis.  Il  prétend  que  c'est  de  toutes 
en  particulier,  c'esl-h-dire,  qu'un  soin  gé- 
néral ne  suffît  pas.  Un  pasieur  est  obligé 
autant  qu'il  le  peut  de  s'appliquer  à  toutes 
ses  brebis  en  particulier.  S'il  manque  à 
quelques-unes,  le  voilà  débiteur.  Son  com- 
pte en  est  chargé,  il  en  répondra  devant 
Dieu.  Saint  Ephrera  avait  enseigné  la  même 
doctrine  (142).  Il  soutient  que  les  évê()ues, 
les  pasteurs,  et  les  prêtres  répondront  de 
tous  ceux  qui  périront  par  leur  négligence. 
Cette  perte  leur  sera  imputée.  Elle  sera  sur 
leur  compte,  et  ce  sera  pour  eux  un  sujet  de 
condamnation. 

Jl  n'y  a  aucun  ecclésiastique  qui  ne  soil 
en  quelque  sens  chargé  des  mêmes  obliga- 
tions que  les  pasteurs.  Autrefois  on  ne  con- 
sacrait aucun  prêtre,  qu'on  ne  l'atlacliât  à 
une  église  pour  y  exercer  les  fonctions  de 
son  ministère  (H3).  Il  n'y  en  avait  aucun 
qui  demeurât  inutile,  et  tous  rendaient  ser- 
vice au  prochain.  C'était  le  premier  ordre, 
et  f)ar  conséquent  le  plus  conforme  aux  in- 
tentions de  Jésus- Christ.  Si  la  ■;lisci[)line  de 
l'Eglise  a  varié,  l'esprit  de  Jésus-Christ  est 
toujours  le  môme.  Il  veut  que  tout  ecclési- 
astique se  ccmsidère  comme  redevable  à  ses 
frères,  et  qu'il  travaille  pour  le  salut  de 
son  prochain. 

Vous  êtes  prêtre,  vous  voilà  donc  hono- 
ré d'un  caractère  établi  par  Jésus-Christ, 
afin  que  celui  qui  en  est  revêtu  s'applique 
au  salul  du  prochain.  Croyez-vous  pouvoir 
impunément  renverser  l'ordre  de  Dieu  ? 
Croyez-vous  iiouvoir  demeurer  libre  de 
tout  soin,  pendant  que  vous  êtes  dans  un 
rang  oiî  l'on  n'est  placé,  que  pour  se  dé- 
vouer au  service  du  |irochain. 

Vous  n'êtes  |)oinl  pasteur,  mais  vous  avez 
le  même  caractère  que  les  pasteurs,  et  par 
conséquent  vous  participez  à  leurs  obliga- 
tions. L'ordre  de  Dieu,  l'ordre  de  l'Eglise 
e.st  que  le  caractère  no  soit  confié  qu'a  ceux 
qui  sont  dans  la  dis|)Osition  de  travailler. 
Il  est  Irèï-vrai  que  la  qualité  de  pasieur 
ajoute  de  nouvelles  obligations,  et  deman- 
de des  soins  particuliers  :  mais  de  préten- 
dre que  parce  que  l'on  n'esl  pas  [lasteur,  on 
est  dégagé  de  tout  soin,  et  que  l'on  peut 
jouir  tranquillemenl  de  la  douceurdu  repos; 
c'est  abuser  du  sacerdoce  ;  c'est  en  ignorer 
enlièrement  l'inslilution  ,  la  nature  ,  et 
l'excellence  ;  c'est  vouloir  ruiner  un  ordre 
qui  doit  demeurer  ferme  dans  toute  la  suite 
(les  siècles,  puisque  c'esl  Dieu  ijui  l'a  éta- 
bli. 

De  quel  œil  donc  croyez-vous  que  Dieu 
regarde  les  ecclésiastiques  oisifs,  et  qui  ne 
rendent  point  à  leur  prochain  les  soins  qu'ils 
lui  doivent  ?  Vous  avez  sans  doute  fait  at- 
tention à  la  parabole  du  (iguivr  qui  nous  est 
rap))Oitée  dans   l'Evangile.  Celui  qui  avait 

(\i\)  Lib.  Vl,c.  1; 

(<î"ii  S:rtn   i^arœn   de  secundo  adveiitu  Domiiii. 


~  IX,  OISIVETE.  ilO^^ 

planté  ce  (Iguier  vient  y  chercher  du  fruit 
et  comme  il  n'en  trouve  poi'it  il  veut  (|u'on 
le  coupe.  La  grande  filainto  du  raaî:rc  du 
liguier,  c'esl  qu'il  occupe  la  terre  inulile- 
ment.  Pourquoi,  dit-il,  ce  figuier  occupct-il 
In  terre  inutilement  ?  {Luc,  XIII,  7.)  C'est 
ainsi  (|ue  Dieu  regarde  tous  les  ecclé>^iasli- 
ques  oisifs,  il  les  considère  comme  des 
hommes  qui  ne  remplissent  p<3int  les  de- 
voirs auxquels  ils  sont  destinés,  et  qui  [lar 
conséquent  occupent  la  terre  inutilement. 
Pourquoi,  dit  Dieu,  cet  ecclésiastique  est-il 
sur  la  terre?  Qu'y  fait-ii  ?  Quel  est  son  em- 
ploi ?  De  quelle  édification  est-il  pour  l'Egli- 
se ?  Il  est  prêtre,  et  il  esl  inutile,  il  occupe 
donc  la  terre  inulilement.  Je  ne  puis  le  sup- 
porter. C'est  un  aibre  qui  ne  porte  point  do 
fiuit,  qui  est  inutile,  et  qui  [lar  conséquent 
doit  être  coupé  et  jeté  au  feu. 

Non-seulement  vous  êtes  ecclésiastique, 
non-seulement  vous  êtes  prêtre,  mais  enco-» 
re  vous  avez  un  bénéfice.  C'esl  un  nouvel 
engagement  qui  vous  jiresse  do  travailler, 
et  qui  vous  rend  inexcusable,  si  vous  passez 
voire  vie  dans  l'inutilité. 

Voici  un  des  plus  criants  et  des  plus  per- 
nicieux abus  qui  se  soit  glissé  dans  l'Eglis-e. 
On  y  voit  un  grand  nombre  d'ecclésiasti- 
ques qui  [)ossèdenl  des  revenus  considéra- 
bles, {!t  qui  ne  rendent  aucun  service  au 
prochain.  Souvent  même  il  arrivera  que  les 
plus  riches  seront  les  plus  oisifs.  Des  ecclé- 
siasliijues  vertueux  préféreront  la  pauvreté 
de  Jésus-Christ  à  tous  les  trésors  de  la  ter- 
re. Animés  d'un  saint  zèle  ils  ne  respireront 
que  de  donner  à  Jésus-Christ  des  preuves 
de  l'amour  donl  ils  brûlenl  pour  lui  et  pour 
ses  membres. 

Pendant  que  ces  prêtres  zélés  travaille- 
ront sans  relâche,  vous  verrez  d'indignes 
ministres  qui  sont  chargés  des  dépouilles 
de  l'Eglise,  qui  les  emploient  à  des  usages 
prol-jnes,  et  qui  croiraient  s'abaisser  s'ils 
exerçaient  les  fonctions  de  notre  saint  mi- 
nistère. Quoi  1  les  revenus  ecclésiastiques 
ont-ils  donc  été  donnés  pour  fntler  la  va- 
nité, pour  entretenir  le  luxe,  pour  soutenir 
l'orgueil,  [lour  nourrir  la  mollesse  ?  Tout 
homme  qui  jouit  des  revenus  ecclésiasti- 
ques, et  qui  ne  travaille  point  [)our  l'Eglise 
est  dans  un  étal  de  péch^.  So^i  péché  est 
d"usur|)cr  une  récompense  donl  il  est  indi- 
gne, de  se  faire  payer  largemenl  comme  les 
ouvriers  qui  ont  le  plus  do  fatigue,  quoi- 
qu'il passe  ses  jours  dans  une  honteuse 
oisiveté. 

Ceux-là  môme  qui  n'ont  (jue  des  bénéfi- 
ces que  l'on  appelle  simples,  sont  dans  une 
erreur  très-grossière,  lorsiiu'ils  s'imaginent 
pouvoir  vivre  des  revenus  de  l'Iîglise,  et  se 
dispenser  de  tout  travail  pour  le  prochain. 

On  peut  dire  des  bénéfices  ce  que  je  viens 
(l'établira  l'égard  de  la  prêtrise.  Tout  prêtre 
par  son  inslilution  est  chargé  de  travailler 
au  salul  du  prochain.  On  n'en  ordonnailau- 
cun  dans  l'anliciuité,  qu'on  ne  lui  assignai 
un  certaii!  peuiile,  sur  lec|uel  il  devait  veil- 

(143)  Conc.  Calccd.,  can.  (î. 


1107 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMI5ERT. 


1108 


1er.  Etre  ordonné  prêlre,  et  n'être  chargé 
d'aucun  emploi,  c'est  une  nouvelle  disci- 
pline. Elle  ne  peut  empêcher  que  conformé- 
ment h  l'esprit  de  Jésus-Christ,  et  de  son 
Eglise,  tout  prêtre  ne  soit  obligé  par  son 
seul  caractère  de  s'employer  pour  le  pro- 
chain. 

J'en  dis  de  même  des  bénéfices.  Tout  ec- 
clésiastique qui  possède  un  bénéfice  est 
obligé  de  travailler  pour  l'Eglise.  Autrefois 
les  revenus  ecclésiastiques  n'étaient  distri- 
bués qu'à  ceux  qui  les  méritaient  par  leurs 
travaux.  Les  bénéfices  sans  fonction  sont 
des  nouveautés  que  l'ancienne  Eglise  n'a 
point  connu,  et  dont  elle  gémit  présente- 
ment, parce  que  cet  usage  nouveau  a  pro- 
duit une  infinité  d'abus.  Le  seul  moyen  de 
rectifier  de  si  condamnables  abus,  c'est  de 
suivre  l'esprit  de  l'Eglise,  et  de  n'user  de  ses 
revenus  qu'à  proportion  que  l'on  s'en  rend 
digne  par  les  servii;es  assidus  qu'on  lui 
rend,  ou  qu'on  lui  a  déjà  rendus,  pendant 
qu'on  a  été  en  état  de  Iravailler. 

Considérez  donc  attentivement  ce  que 
vous  êtes.  Vous  êtes  prêlre  ;  vous  possédez 
nn  bénéfice;  vous  voilà  condamné,  parce 
que  vous  n'accomplissez  pas  une  de  vos  obli- 
gations les  plus  essentielles  qui  est  do  ser- 
vir le  prochain. 

Bien  loin  de  le  servir,  vous  le  scandalisez. 
Y  a-t-il  rien  dont  le  prochain  soit  plus  of- 
fensé que  de  la  vie  molle  el, paresseuse  d'un 
ecclésiastique? 

Il  arrivera  souvent  dans  une  paroisse  que 
tout  un  peuple  travaillera,  il  n'y  aura  que 
lesecclésiasliquosqui  vivront  daiisl'oisiveté. 
Les  hommes,  les  femmes,  les  enfants  même, 
ions  porteront  le  poids  du  jour  et  de  la  cha- 
leur.  [Mallh.,  XX,  l'i.)  Pendant  ce  temps  un 
ecclésiastique  à  son  aise  contemplera  de 
loin  les  autres  qui  se  fa'.iguent.  Il  se  pro- 
mènera, il  visitera  ses  omis,  il  prendra 
avec  eux  des  divertissements,  quelquefois 
peu  convenables  à  la  gravité  de  son  carac- 
tère. Cet  homme  croit  que  tous  les  autres 
sont  obligés  de  travailler,  afin  que  jjrofilatit 
de  leur  travail  et  de  leur  peine,  il  jouisse 
d'un  parfait  repos.  Au  contraire  le  travail 
assidu  de  ce  peuple  est  un  averlissement 
salutaire  qui  doit  faire  souvenir  ce  pasteur, 
qu'il  est  de  son  côté  obligé  d'entreprendre 
tes  travaux  qui  lui  conviennent.  Le  travail 
de  ce  peuple  vous  fournit  la  nourriture  cor- 
porelle :  travaillez  donc  aussi  afin  d'être  en 
élat  de  procurer  à  ce  |)euj)le  une  nourriture 
spirituelle.  Je  ne  sais  pas  comment  un  pas- 
teur, comment  un  ()rêlre  n'est  point  honteux 
de  paraître  oisif,  (lenJant  que  le  peuple 
qu'il  gouverne  gémit  sous  le  fardeau  d'un 
travail  rigoureux  et  continuel.  Le  peuple  en 
est  oll'ensé,  il  en  murmure.  Est  ce  le  [)euple 
qui  a  tort,  ou  plutôt  n'est-ce  pas  le  pasteur 
cl  le  prêtre  qui  couj-eruient  aisément  la  ra- 

(144)  I  Non  qiiœrere  ab  eo  polerani  quotl  volebym 
secluileiilibus  nie  ab  ejus  ame  alqne  ore  caiervis  ho- 
iiiiniini  quorum  iniirniilalibus  serviebul.  »  (Lib.  VI 
Çouf.,c.  3.) 

(■I4.>)  «  Parvo  Icnipore  scrvaluni  estLirca  me,  cl 


cine  de  ces  plaintes  et  de  ces  murmures? 

Quand  on  comparera  celte  vie  paresseuse 
et  inocupée,  avec  la  vie  active  et  remplie 
des  saints  évêques  et  des  saints  prêtres,  on 
aura  encore  plus  lieu  d'en  être  otTensé. 
Comment  ont  vécu  les  saints  qui  ont  connu 
l'importance  de  leurs  emplois,  et  les  obliga- 
tions de  leurs  caractères?  Le  récit  fidèle 
qui  nous  est  fait  de  !a  vie  de  ces  grands 
saints  par  des  auteurs  qui  ne  peuvent  être 
suspects,  nous  fait  connaître  que  la  prière, 
les  actions  de  charité,  les  fonctions  de  leur 
ministère  remplissaient  tout  leur  temps. 

Saint  Augustin  parlant  de  saint  Anibroise, 
dit  qu'il  ne  pouvait  presque  l'aborder,  parce 
qu'il  était  sans  cesse  assiégé  d'une  foule  de 
gens  qui  avaient  recours  à  lui.  Dans  les 
autres  temps  saint  Ambroise  lisait,  et  c'était 
avec  tant  d'attention,  que  plusieurs  entraient 
dans  le  lieu  où  il  se  retirait  sans  qu'il  s'en 
aperçllt.  Saint  Augustin  dit  qu'il  trouvait 
ce  saint  occupé  à  la  lecture,  qu'il  n'osait 
troubler  cet  homme  attentif,  qu'il  demeurait 
dans  un  profond  silence,  et  qu'il  se  retirait 
sans  lui  avoir  parlé  (ikk).  Jugez  par  là  de  la 
grande  application  de  ce  saint  évoque. 

Le  môme  Saint  Augustin  (14^5)  nous  [lar- 
lant  de  ses  ûccu{)alions  nous  fait  voir  qu'elles 
étaient  continuelles,  et  qu'elles  ne  lui  lais- 
saient aucun  loisir.  Il  avait  demandé  avec 
instance  qu'on  lui  accordât  quelque  temps 
pour  vaquer  à  l'élude  de  l'Ecriture.  Son 
peuple  lui  avait  promis;  mais,  dit  ce  saint, 
l'on  a  peu  gardé  la  parole  qu'on  m'av<iii  don- 
née. On  vient  en  foule  à  moi:  les  occupa- 
tions se  succèdent  les  unes  aux  autres,  et 
remplissent  les  jours  entiers. 

Quand  saint  Grégoire  [larle  de  ses  em- 
plois, il  dit  qu'il  gémit  sous  la  grande  fouie 
de  ses  occupations,  et  qu'à  peine  a-t-il  la  li- 
berté do  respirer  (146). 

Vous  me  direz  sans  doute  que  ceux  dont 
je  vous  [)ropose  l'exemple  étaient  élevés  aux 
premières  dignités  de  l'Eglise.  Je  le  veux, 
et  je  n'ai  point  de  peine  à  vous  accorder, 
qu'à  cause  de  leurs  importants  emplois, 
kurs  all'aires  étaient  en  [)lus  grand  nombre, 
et  de  plus  grande  conséquence  que  les 
vôtres.  Mais  aussi  il  faut  demeurer  d'accord, 
qu'il  n'y  a  guère  d'emploi  ecclésiastique  où 
il  n'y  ait  assez  de  fonction  pour  remplir  tout 
luttre  temps  quand  on  veut  s'en  acquitter 
avec  fidélité.  Lorsque  les  emplois  ont  moins 
d'étendue,  un  ect;lésiastique  zélé  entre  dans 
un  plus  grand  détail.  Il  jirie  pour  son  peu- 
ple ;  il  se  nourrit  des  saintes  maximes,  il 
puise  dans  les  pures  sources  de  la  vérité, 
afin  de  réf)andre  ensuite  les  eaux  salutaires 
qu'il  a  i)uisées;il  n'y  a  aucun  besoin  qui 
échappe  à  sa  vigilance  et  à  sa  charité.  Ainsi 
le  teiij[)s  d'un  ecclésiastique  zélé  n'est  ja- 
mais vide  d'occupations,  et  il  est  toujours 
reuipl;. 

postia  violenter  irruplum  aiite  meridiein  el  posl 
meridiem  nccupalioinljuslioniinum  implico;•.^(Epist. 
213,  at.  100  ) 

(I4(J)  «  Gemo  quolitlie  occupationibus  prcssus  et 
rt'spirare  non  vjIoo.  »  (Lib.  .1,  ep._30.) 


1109 


RKTRAITE  ECCLES.  —  IX,  OISIVETE. 


tllfr 


Comparons  mninlcnant  la  vie  laborieuse 
des  saillis  ecclésiastiques,  avoc  la  vie  oisive 
(les  ecelésiasliques  mondains  et  paresseux. 
Quoi  âc  plus  édiliant  que  les  uns!  quoi  de 
plus  scandaleux  que  les  autres I  Des  prêtres 
(iui  pour  toute  occupation  se  promènent, 
font  des  visites,  assisten:  à  des  festins,  sont- 
ce  dos  prêtres?  Saint  (uY^goire  animé  d'un 
saint  Zi^le  contre  un  prélre  de  ce  caractère, 
lui  fait  de  sévères  reproclies  de  ce  qu'il 
abandonne  le  soin  de  son  troupeau,  et  de 
ce  qu'il  ne  recherche  (dus  que  la  bonne 
chère  et  les  festins.  Ce  grand  saint  allant 
cl  la  source  du  mal,  nous  fait  voir  que  ce 
malheureux  prêtre  s'est  perdu,  parce  qu'il 
a  quitté  l'élude  (U7).  L'élude  abandonnée, 
on  languit  dans  l'oisiveté,  et  de  lîi,  celle  vie 
scandaleuse  qui  attire  le  mépris  de  ceux 
dont  on  devrait  travailler  à  mériier  Fuslime 
par  une  application  exacte  à  lous  ses  devoirs. 

Jésus-Christ  a  dit  :  Malheur  â  celui  par 
qui  le  scandale  arrive.  {Matlli.,  XVIII,  7.)  Si 
c'est  un  Irès-graud  mallieur  à  lous  les  cliré- 
tieiis  d'être  un  sujet  de  scandale  à  leurs 
frères',  ce  malheur  est  bien  (ilus  giand  pour 
les  ecclésiastiques  qui  ont  une  obligation 
particulière  d'édifier  le  prochain  et  de  ré- 
pandre en  lous  lieux  la  bonne  odeur  do 
Jésus-Christ. 

Les  ecclésiastiques  doivent  servir  le  pro- 
chain, ils  doivent  l'édifier.  Les  ecclésiasti- 
ques paresseux  et  oisifs  ne  servent  point  le 
jirochain  ;  bien  éloignés  de  le  servir  ils  le 
scandalisent.  Il  est  donc  vrai  que  les  ecclé- 
siastiques oisifs  manquent  à  ce  qu'ils  doi- 
vent ù  leur  prochain.  J'ai  encore  à  vous 
montrer  qu'ils  manquent  à  ce  qu'ils  se  doi- 
vent à  eux-mêmes. 

TROISIÈME  POINT. 

Nous  nous  devons  à  nous-mêmes  de  veil- 
ler à  notre  propre  conservation  et  de  ne  nous 
pas  exposer  témérairement  à  des  dangers 
manifestes,  et  où  il  est  presque  impossible 
que  nous  ne  périssions.  C'est  ce  qui  fait 
voir  que  les  ecclésiastiques  paresseux  man- 
quenl  beaucoup  à  ce  qu'ils  se  doivent  à  eux- 
mêmes;  car  il  est  vrai  de  dire  qu'ils  s'ex- 
posent volontairement  à  de  très-grands  pé- 
rils. L'ecclésiastique  paresseux  et  oisif  est 
en  proie  au  démon.  Il  est  particulièrement 
en  proie  au  démon  de  l'impureté  (jui  est  le 
plus  furieux  de  tous  les  démons. 

L'ecclésiastique  [jaresseux  et  oisif  est  en 
proie  au  démon;  car  il  est  certain  que  ceux 
qui  sont  oisifs  ,  sont^  [.arliculièrement 
exposés  aux  tentations  du  démon,  et  que 
cet  ennemi  cruel  n'a  jamais  plus  de  force, 
que  quand  il  attaque  ceux  qui  languissent 
dans  l'oisiveté. 

Le  Sage  dit  que  f  oisiveté  enseigne  beaucoup 
de  mal.  [Eccli.,  XXXlli,  20.)  Comment  cela? 
C'est  que  le  démon,  l'auteur  et  le  i^ère  de 
toute  méchanceté,  choisit  le  temps  que 
nous  sommes  oisils  pour  se  faire  entendre, 
et  |)Our  nous  ins[)irerses  fausses  maximes. 

(147)  «  Didici  pastoral!  cura  derefcta  solis  le 
coiiviviis  occiij'aïuiL'..  ncipiaouam  l(cii<iiii  sluiies.» 


Il  attaquerait  vainement  celui  qui  est  sain- 
lement  occupé.  L'esprit  qui  est  rempli  de 
saintes  vérités,  n'est  point  susceptible  de 
vaines  illusions.  Quand  le  corps  est  faligm^ 
par  un  travail  assidu,  l'esprit  qui  a  une 
étroite  liaison  avec  le  corps  se  ressent  dr 
ses   fatigues.  Il  n'y  a   pas    lieu  de  crain<lre 

au'il  se  laisse  séduire  par  les  suggestions 
e  l'ennemi.  Mais  quand  le  corps  est  à  son 
aise,  quaiul  il  est  ménagé  et  qu'il  n'est  [loint 
fatigué  par  aucun  travail;  quand  l'esprit 
n'est  point  nourri  de  saintes  maximes,  pour 
lors  hîdémon  trouve  un  champ  libre,  il  ()eul 
dresser  toutes  ses  embûcdies  sans  craindr»; 
aucun  obiitacle.  Un  esprit  vide  de  bonnes 
idées  ne  tarde  guère  à  être  infecté  des 
fausses  maximes  du  siècle;  !a  corruption 
de  l'esprit  se  répand  bientôt  jusque  sur  le 
cœur.  Voilà  donc  un  malheureux  qui  de- 
vient pour  ainsi  dire  le  jouet  du  démon. 
L'ennemi  n'a  qu'è  proposer,  il  est  obéi  ;  on 
donne  dans  tous  ses  pièges;  on  ne  songe  pa«i 
même  à  se  défendre.  Qui  donca  rendu  le 
démon  si  fort ,  el  à  qui  est-il  redevable 
d'une  victoire  si  complète?  11  la  doit  toute 
entière  à  l'oisiveté.  C'est  l'oisiveté  qui  l'a 
intioduit;  c'est  l'oisiveté  qui  a  été  cause 
que  ses  maximes  ont  été  goûtées.  Il  a  l'ait 
tous  ses  progrès,  el  il  est  entln  devenu  ïe 
maître  par  le  moyen  de  l'oisiveté. 

Quand  le  prophète  Ezéchiel  décrit  tous 
les  crimes  de  l'infAme  Sodome  et  toutes  les 
voies  malheureuses  |/ar  lesquelles  elle  est 
arrivée  à  ce  comble  d'iniquité,  qui  a  attiré 
sur  elle  une  si  terrible  vengeance,  l'oisiveté 
est  rapporté  comme  une  des  principales 
sources  de  ses  abominations. 

Si  l'on  entreprenait  de  faire  une  triste 
description  de  tous  ceux  qui  ont  péri  par 
roisiv(!lé,  que  l'énuméralion  serait  longue? 
Il  faudrait  commencer  par  Adam.  Car, 
commesainlChrys(jslome  le  remarque (14-8), 
Adam  menait  une  vie  oisive  quand  il  fut 
chassé  du  ()aradis.  Saint  Paul  au  contraire 
menait  une  vie  laborieuse,  difficile,  il  tra- 
vaillait jour  et  nuit  quand  il  fut  ravi  au  troi- 
sième ciel.  Et  c'est  de  là  que  saint  Chry- 
so-ilome  conclut  que  l'IioMime  doit  bien 
prendre  garde  à  ne  pas  rejeter  le  travail 

Alais  pouri)uc>i  rechercher  des  exemples 
anciens,  pendant  que  ce  qui  fra|)pe  nos  yeux 
a  tant  de  force  pour  nous  convaincre? 
Qu'est-ce  qu'un  ecclésiastique  oisif?  Quid 
objet  plus  digne  de  compassion?  Je  parle 
d'un  ecclésiastique  (jui,  quand  il  a  récité 
son  office  et  célébré  la  sainte  messe,  ne  sait 
plus  de  quois'occu[)er.  Il  n'y  a  point  de  doute 
que  le  démon  attaquera  cet  homme.  Il  est 
trop  sûr  de  réussir  ()our  manquer  une  si 
belle  occasion  d'établir  sa  demeure  dans  le 
cœur  d'un  malheureux.  L'ennemi  donc  ne 
ménagera  rien,  il  attaquera  fortemenl.  Avec 
quelles  armes  se  défendra  celui  qui  est 
dans  la  triste  situation  que  je  viens  de  vous 
représenter?  Il  est  si  faible  qu'il  ne  résis- 
tera pas.  11    cédera  d'abord  à  son  vaimiueur. 

(Lil).  ll,ep.  44) 
(118)  llom.  "2  ad  pop.  Anliocli. 


itll 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBEuT, 


1112 


L'on  peut  dire  que  c'est  une  place  ouverte 
de  tous  côtés,  l'ennemi  n'a  qu'à  se  présen- 
ter imur  entrer  en  triomphe.  ! 
N'attendez   pas   même  que  cet  ecclésias- 
lique  change  de   conduite;   rien  n'csl  plus 
dangereux    qu'une     hdhitude    de   [)aresse 
lorsqu'elle    est    invétérée.  On  s'accoutume 
insensiblement  à  mener  une  vie  fainéante. 
Plus  on  persévère  dans  la  paresse,  plus  on 
la  goûte.  Toute  autre  vie  paraît  insuppor- 
])0!table,  l'onjbre   môme   dn   travail  épou- 
v.mle.     Les     livres    sont     une    com[)agnie 
trè.s-agréable  pour  ceux  qui,  par  un  travail 
assidu,  ont  acquis   quelque    goût  pour  les 
sciences  ;  mais  les   livres  sont  insupporta- 
bles à  ceux  qui  ont  passé  un   letnps  consi- 
«lérablede  leur  vie  sans  s'appliquera  l'élude. 
Cet  homme  n'a  aucun  principe,  il  n'a  aucun 
j:oût  pour  l'étude.  Vous   lui    proposez  de 
donner  quelques  heures  à  la  lecture.  Il  est 
Lien  tard.  En  efl'et,  il  est   bien  tard,  et  vous 
n'en  voyez  guère  qui  prennent  la  résolution 
(Je  captiver  leur   esprit  qui   ne  s'est  jamais 
contraint.    C'est   h   nous,  en  déplorant  cet 
extrême   malheur,  de  (irendro  garde  de  n'y 
jioint  tomber;  et  puisqu'il  est  si  difficile  de 
vaincre,  exerçons-nous  de  bonne  heure  au 
travail  ;  formons   une    sainte  habitude,  qui 
nous  donne  autant  de  facilité  pour  le  bien 
que  les  méchants  enont  pour  le  mal  et  pour 
tout   ce    qui  esi  contraire  î»  la  sainteté  de 
leur  profession. 

Cet  homme  donc  n'a  point  de  plus  grands 
ennemis  que  les  livres  ;  rien  ne  lui  paraît 
plus  difficile  que  de  s'appliquer  et  de  se 
contraindre.  Si  vous  le  pressez,  il  vous  le 
jiromettra,  mais  il  ne  tiendra  point  sa  pa- 
role. Point  d'étude,  point  de  travail  réglé, 
point  d'occupation  ecclésiastique.  Il  faut 
donc  jouer,  se  dissiper,  se  répandre  au  de- 
hors, fréquenter  les  mondains.  Vous  cora- 
pienez  sans  peine  tous  les  progrès  que  le 
démon  tait  lorsque  celui  qu'il  attaque  est 
dans  de  si  mauvaises  dispositions. 

Mais  ce  qui  est  encore  plus  déplorable, 
et  plus  à  craindre,  c'est  que  cet  homme  sera 
attaqué  par  le  démon  de  riuq)ureté  le  plus 
furieux  de  tous  les  démons. 

Un  ecclésiastique  imjjur,  quelle  abomi- 
nation! Quel  monstre  I  L'Eglise  demande 
dans  ses  ministres  une  grande  sainteté.  Elle 
veut  qu'Us  s'éloignent  de  toutes  sortes  de 
vices.  Mais  parmi  tous  les  péchés,  l'impu- 
reté es!  le  vice  que  l'Eglise  déteste  davan- 
tage. Elle  a  déclaré  tant  de  fois  qu'elle 
ne  peut  souffrir  dons  son  sein  les  ministres 
impurs.  Elle  veut  que  ceux  qui  sont  cou- 
juibles  de  ce  péché  n'approclient point  de 
ses  autels.  Elle  veut  (|ue  ses  ministres  qui 
sont  tombés  dans  ce  péché  abandonnent 
les  fondions  ecclésiastiques,  et  qu'ils  se  re- 
tirent [)our  faire  pénitence.  Les  ministres 
des  saints  autels  ne  peuvent  avoir  trop  d'hor- 
leur  pour  l'impureté;  ils  ne  {)euvenl  donc 
trop  en  avoir  pour  l'oisiveté.  Car  c'est  à  la 
laveur  de  l'oisiveté  que  l'imiiurcté  se  glisse. 

Qu'on  examine  deiirès  tous  les  ecclésias- 


tiques qui  sont  assez  malheureux  pour 
■•  s'êlre  laissé  vaincre  par  le  démon  de  l'im- 
f  pureté,  comment  le  démon  les  a-l-il  sur- 
pris? Par  l'oisiveté.  Si  de  saintes  occupa- 
lions  avaient  partagé  leur  vie.  le  démon 
les  eût  inutilement,  attaqués.  Mais  f)arce 
que  le  démon  les  a  trouvés  oisifs,  il  n'a  eu 
aucune  peine  à  s'en  rendre  maître.  Il  a  at- 
taqué, on  ne  lui  a  fait  aucune  résistance. 
Ce  malheureux  a  donc  été  vaincu;  et  le 
voild  l'ennemi  de  l'Eglise,  le  scandale  du 
peuple,  le  déshonneur  du  clergé,  l'horreur 
de  tous  ceux  qui  ont  quelque  connaissance 
de  SOS  dérèglements. 

11  n'y  a  donc  rien  de  plus  nécessaire  et  de 
plus  excellenl  que  le  travail  pour  surmon- 
ter le  démon  de  l'impureté.  Eles-vous  atta- 
qué par  ce  cruel  ennemi,  ayez  recours  à  ce 
remeilesalutaire.il  arrivera  rarement  que 
celui-là  succombe  qui  est  exact  à  s'occuper. 
Suivez  le  conseil  |)lein  de  sagesse  que  sajut 
Jérôme  donne  à  Rustique,  et  vous  verrez 
quelle  sera  votre  force  pour  vaincre  toutes 
sortes  de  démons,  et  surtout  celui  de  l'im- 
pureté. Faites  toujours  quelque  chose  afin 
que  le  diable  vous  trouve  continuellemenl 
occupé  (149). 

Etant  ainsi  convaincus  de  la  nécessiié  de 
vous  occuper,  il  ne  reste  plus  qu'à  vous 
marquer  en  peu  de  mots  quelles  doivent 
être  vos  principales  occupations. 

Les  occupations  des  ecclésiastiques  se 
réduisent  particulièrement  à  trois  :  à  la 
prière,  à  l'élude,  au  secours  que  votre  ca- 
ractère vous  engage  de  rendre  au  prochain. 

Un  ecclésiastique  doit  beaucoup  prier, 
car  comme  ses  besoins  sont  grands,  il  doit 
souvent  s'adresser  à  Dieu.  Il  est  obligé  du 
prier  pour  lui-même  et  pour  le  peuple.  Il 
est  de  son  ministère  d'attirer  les  grâces  de 
Dieu,  d'apaiser  sa  colère.  Il  doitôlrti  con- 
tinuellement entre  Dieu  et  son  peufile. 
Quant  à  nous,  disent  les  saints  apôtres,  nous 
nous  appliquerons  entièrement  à  la  prière. 
(Act.,  VI,  4.) 

Un  ecclésiastique  doit  aimer  l'étude  et 
y  donner  une  partie  considérable  do  son 
tem[)s.  Tout  est  perdu  [tour  un  ecclésiasti- 
que quand  il  n'aime  poinl  l'élude.  Il  est 
nécessaire  qu'il  étudie  pour  se  mettre  en 
état  de  remplir  ses  fonctions,  il  est  encore 
nécessaire  qu'il  étudie,  afin  qu'ayant  tou- 
jours une  occupation  assurée,  il  ne  soit 
point  obligé  de  se  répandre  au  dehors  pour 
éviter  l'ennui. 

Voyez  tous  les  ecclésiastiques  oisifs,  tous 
ceux  qui  vivent  dans  le  dérèglement.  Ce 
sont  des  gens  qui  ne  peu  vent  demeurer  seuls, 
qui  n  onl  point  j'heureux  se-Tel  de  s'occu- 
per, qui  haïssent  les  livres. 

Celui  qui  aime  les  livres  a  une  compagnie 
sûre  qui  ne  lui  manque  jamais  ;  il  se  plaît 
avec  lui-même  :  Il  trouve  sans  sortir  de  sa 
luaison  de  quoi  remplir  tout  son  tem{)S 

Parmi  tous  les  livres  il  y  en  a  un  surtout 
qui  a  la  préférence.  C'est  l'Ecriture  sainte. 
Ce    livre  saint   est   continuellement   entre 


(ti'J)  i  l'acilo  ailipiid  opcris,  ut  !e  seinpor  ciiabolus  invcnial  occiip:.Uuin.  » 


1113 


RETRAITE  ECCLES.  —  X.  SCIENCE. 


llii 


SOS  mains,  et  il  en  fail  ses  plus  clièies  déli- 
ces. I/Ecrilure  sainte  est  le  livro  de  tous 
les  chrétiens,  et  surtout  des  ecclésiasliijues. 
Tout  erclésinstique  qui  veut  vivre  dans 
l'ordre  doit  tonner  une  résolution  sincère 
de  ne  passer  jaiaois  un  seul  jour  sans  don- 
ner quel(iue  temps  à  la  !ectur«  et  à  l'élude 
de  l'Écriture. 

Vdus  avez  encore  une  troisième  occu- 
pation qui  vous  doit  être  bien  précieuse, 
c'est  de  travailler  pour  le  firoiliain.  Vous 
n'êtes  ecclésiastique  que  pour  servir  le 
proch.iin.  Ainsi  il  est  juste  que  vous  con- 
sacriez votre  temps  à  cette  importante  occu- 
pation. 

Saint  Paul  dit  à  son  disciple  Tiinothée  : 
Appliquez-vous  à  la  lecture,  à  Vexhorlation, 
et  à  Vinslruclion  (I  Tim.,  IV,  13.) 

Appliquez  vous  à  la  lecture,  c'est  l'étude 
dont  je  viens  de  vous  parler. 

Appliquez-vous  à  Vexhorlation  et  à  l'ins- 
trucdon.  Instruire  l'ignorant,  consoler  le 
malheureux, fortifier  le  faible,  soutenir  celui 
qui  est  menacé  d'une  ruine  prochaine,  don- 
ner de  sages  conseils,  épouvanter  le  pé- 
cheur, lui  donner  iiorreur  de  ses  voies  in- 
justes, assister  l'opprimé,  soulager  le  pau- 
vre dans  sa  misère  ,  voilà  des  occupations 
véritablement  ecclésiastiques. 

Vous  ne  savez  à  quoi  employer  votre 
temps  ?  Si  vous  aviez  de  la  charité,  vous 
trouveriez  bien  le  moyen  de  remplir  tout  ce 
grand  vide.  Au  liuu  de  vous  jierdre  par 
votre  inutilité,  \ous  vous  sanclitieriez  en 
rendant  à  voire  prochain  des  secours  qui 
lui  sont  Irès-nécesssaires  et  que  vous  lui 
devez,  [)uisque  vous  êtes  pi  êtres  pour  vous 
consacrer  tout  entiers  au  service  de  voire 
prochain. 

Proposez-vous  donc  de  vous  occuper 
saintement,  et  que  ce  soit  là  le  partage  de 
voire  vie.  Tous  les  jours  vous  deslinerz 
de  certaines  heures  à  la  prière.  Il  y  en  aura 
d'autres  qui  seront  consacrées  à  l'élude. 
Lorsque  Dieu  vous  aura  communiqué  ses 
lumières  et  ses  grâces  dans  ces  deux  exer- 
cices, vous  irez  ré[iandre  sur  votre  prochain 
les  trésors  que  vous  avez  reçus. 

Quelle  ditférence  entre  un  prêtre  sage  et 
vertueux,  dont  les  occupations  sont  saintes, 
et  entre  un  ccclésiaslique  qui  se  dissipe 
dans  de  vaines  inutilités?  L'un  remplit  son 
ministère,  l'autre  abandonne  ses  devoiis. 
L'un  donne  une  grande  idée  du  ministère 
ecclésiastique,  l'autre  se  fait  mépriser,  et 
souvent  ce  mépris  r(jaillit  jusque  .sur  le 
saint  caraclère.  L'un  rend  la  vertu  aimable, 
l'autre  dégoûte  de  la  vertu.  L'un  pénètre 
les  cœurs  toutes  les  fois  qu'il  exj.lique  les 
vérités  de  la  religion,  l'autre  ne  parle  point, 
qu'on  ne  soit  prévenu  contre  lui,  et  qu'on 
ne  lui  fasse  un  secret  reproche,  qu'il  n'est 
j)0int  convaincu  des  vérilés  qu'il  annonce. 
L'un  touche  les  cœurs  les  plus  endurcis, 
l'autre  confirme  les  pécheurs  dans  leurs  dé- 
règlements. L'un  amasse  des  trésors  de  grâ- 
ce, l'autre  amasse  des  trésors  de  colère. 
L'un  travaille  pour  Jésus-Christ,  l'autre 
travaille  pour  le  démon. 


Mais  cette  différence  se  tera  sonlir  en- 
core bien  davantage  à  l'Iionre  de  la  mort,  et 
quand  il  faudra  comparaître  devant  Dieu. 
Venez  donc  ministres  iiiuliles,  vous  êtes 
cités  par  votre  juge,  et  vous  ne  pouvez  vous 
dispenser  de  comparaître  dovanl  lui.Oili  est 
le  talent  que  vous  avez  reçu  ?  Quoi  !  vous 
l'avez  cac?ié  en  terre.  Vous  paraissez  devant 
le  Seigneuries  mains  vides.  F^a  plus  grande 
partie  de  votre  vie  a  été  employée  en  amu- 
sements. Venez  donc  et  écoutez  votre  sen- 
tence :  Qu'on  jette  le  serviteur  inutile  dans  les 
ténèbres  extérieures.  C est-là  quil  y  aura  des 
pleurs  et  des  grincements  de  dcnls.  [Hlalth., 
XXV,  30.) 

Vous  viendrez  h  votre  tour  6on  ef  /îrfc/e 
serviteur,  vous  qui  avez  eu  grand  soin  de 
faire  valoir  le  talent  que  vous  avez  reçu. 
Vous  viendrez  les  mains  pleines  de  bonnes 
œuvres.  Votre  humilité  vous  les  aura  ca- 
chées, mais  elles  seront  d'autant  |)lus  con- 
nues de  Dieu,  que  vous  y  aurez  moins  fail 
d'attention.  Ce  sera  noùr  lors  le  temps  de 
recueillir  ce  que  vous  avez  semé.  Quelle  sur- 
prise pour  vous,  quad  vous  verrez  un  Dieu 
qui  fera  tant  valoir  ce  que  vous  n'avez  fait 
que  par  le  secours  de  sa  grâce.  Vos  œuvres 
sont  les  dons  de  Dieu,  et  vous  en  serez  ré- 
compensé, comme  si  vous  en  aviez  été  le 
principal  auteur.  Mais  quel  sera  le  fonde- 
ment de  cette  récom[)ense?  Votre  fidélité  à 
bien  remplir  vos  devoirs,  votre  exactitude 
à  bien  emi)loyer  tous  les  moments  que  vous 
avez  reçus  de  Dieu.  Vous  avez  été  tout  en- 
tier 5  Dieu  dans  tous  les  moments  de  votre 
vie.  Voilà  votre  fidélité.  Dieu  sera  tout 
entier  h  vous  pendant  toute l'élerniié.  Voilà 
votre  récompense. 

DISCOURS  X. 

DE    LA    SCIENCE. 

Pour  peu  que  l'on  considère  les  suites  fu- 
nestes de  l'ignorance  dans  les  ecclésiasli- 
ques,  on  ne  peut  qu'on  ne  gémisse  du  mal- 
heur extrême  otà  l'Eglise  se  trouve  réduite, 
de  voir  ses  emplois  entre  les  mains  d'un 
grand  nombre  de  ministres  qui  ne  con- 
naissent ni  la  sainteté,  ni  les  obligations  do 
leur  état. 

L'ignorance  des  ecclésiastiques  est  éga- 
lement fatale,  et  aux  ecclésiastiques  niê- 
mes,  et  au  peuple  dont  ils  sont  les  conduc- 
teurs. 

Elle  est  funeste  aux  ecclésiastiques;  car 
la  corruption  des  mœurs  est  la  fille  de- 
l'ignorance,  et  il  certain  que  la  plupart  des 
désordres  qui  se  glissent  dans  le  clergé,  se- 
raient arrêlés  si  l'on  pouvait  trouver  des 
moyens  sûrs  et  efficaces  pour  engager  les 
ecclésiastiques  à  aimer  l'élude. 

Nous  ne  dirons  rien  qui  ne  soit  exacte- 
ment conforme  à  la  vérité,  quand  nous 
rejetterons  les  désordres  du  peuple  sur 
l'ignorance  de  ceux  qui  le  conduisent,  Ci-r 
comment  le  peuple  ne  s'abandoimera-t-il 
pas  à  toutes  sortes  d'excès,  lorsqu'il  n'est 
l)oint  instruit,  et  qu'on  ne  lui  lait  point 
connaître  l'iniijuité  de  ses  voies? 

O  quel  écuoil  funeste  pour  la  pureté  des 


111; 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT 


l!t() 


moeurs,  r]\iR  l'afTieiise  i;^norance  qui  s'était 
rép'indtiel  Les  ténèljres  étaient  si  épaisses, 
qu'à  peine  la  lumière  s'apercevait-elie  en 
beaiioonp  de   lieux. 

Plusieurs  saints  émus  d'un  juste  zèle  ont 
soupiré,  ont  travaillé,  ont  fait  des  efforts, 
ont  établi  de  saintes  lois,  ont  employé  tous 
les  moyens  qui  dépendaient  d'eux  pour  les 
faire  exécuter.  Cependant,  nonobstant  leur 
vigilance  et  leurs  efforts,  il  s'en  faut  bien 
que  l'ignorance  soit  encore  bannie  du  cler- 
gé. Plusieurs,  quoique  très-ignorants,  se 
glissent  et  sont  introduits  par  leur  hardies- 
se; d'autres  ont  quelques  connaissances, 
mais  ce  n'est  pas  là  ce  qu'on  entend  par 
la  science  ecclésiastique.  Le  besoin  ex- 
trême que  l'on  a  d'ouvriers  oblige  les  évo- 
ques les  plus  zélés  à  S9  reltlcber  malgré 
eux.  L'intention  de  l'Eglise  est  qu'on  ne 
cesse  point  de  crier,  et  de  faire  voir  aux 
ecciésicistiques  l'obligation  qu'ils  ont  de  se 
rendre  liabiles. 

C'est  donc  de  la"  science  ecclésiastique 
dontje  dois  vous  entretenir.  J'ai  à  vous  faire 
voir  la  nécessité  de  cette  science,  en  quoi 
elle  consiste,  les  vues  que  les  ecclésiasti- 
ques se  doivent  proposer  dan's  leurs  études, 
et  les  résolutions  qu'ils  doivent  former  par 
rapport  à  l'étude. 

Ce  serait  une  trop  vaste  matière  que  de 
vouloir  traiter  ces  quatre  vérités  dans  un 
seul  entretien.  Les  deux  premières  seront 
I?  sujet  de  l'entretien  d'aujourd'iiui.  Les 
d'îux  autres  seront  remises  à  l'entretien 
suivant. 

PREMIEll    POINT, 

L"Eglise  ne  veut  point  que  ceux  qui  sont 
sans  science  se  placent  au  rang  de  ses  mi- 
nistres. L'Rglise  a  de  justes  raisons  pour 
les  rejeter.  Il  no  peut  y  avoir  de  raison 
légitime  pour  sç  dispenser  de  suivre 
en  cela  les  règles  et  la  discipline  de  l'Eglise. 

L'Eglise  a  toujours  constamment  déclaré 
(pi'elle  voulait  que  ses  ministres  eussent 
de  la  science.  Il  ne  faut  pas  èlre  étonné  que 
l'Eglise,  qui  a  toujours  été  conduite  par  le 
saint  Esprit,  ait  suivi  fidèlement  tes  ensei- 
gnements que  cet  Esprit  divin  nous  a  lais- 
sés dans  les  saintes  Ecritures. 

Consultez  l'Ancien  Testament,  consultez 
le  Nouveau.  L'esprit  de  Dieu  a  toujours  été 
!e  même;  il  s'est  toujours  expli(|ué  en  la 
môme  manière,  sur  les  qualités  que  doi- 
vent avoir  les  minisires  du  Très-Haut.  Il  a 
toujours  marq\ié  que  la  science  était  parti- 
culièrement nécessaire  à  celui  qui  pré- 
tend entrer  dans  le  sanctuaire. 

Nous  lisons  dans  l'ancienne  loi  que  l'a- 
veuglement était  un  défaut  essentiel,  et  que 
tout  homme  en  (|ui  ce  défaut  setiouvait, 
était  absolument  exclu  du  sacerdoce.  S'il 
tst  aveugle,  s'ii  est  boiteux  etc.,  il  n'appro- 
chera point  (les  saints  autels.  {Lev.,W\,  18  ) 
Il  est  aisé  de  voir  ce  que  marquait  ce  dé- 
faut dans  une  loi  où  Dieu  se  servait  de  li- 
gures   pour  nous    découvrir    ses   volontés. 

(150)  Oral.  20,  p.  7>U. 


T,es  aveugles  sont  la  figure  de  ceux  qui 
sont  sans  lumière  et  sans  science.  O  voms 
donc  qui  êtes  véritablement  dos  aveugles, 
n'avancez  pas  davantage  ,  le  Seigneur  vous 
détend  d'approcher  ! 

Dieu  ne  s'est  pas  contenté  de  pai^er  en 
figure  pour  nous  faire  connaître  une  vérité 
de  cette  conséquence.  Il  s'est  expliqué  clai- 
rement et  sans  figure.  Etiiendez-le  parler 
par  un  de  ses  prophètes  :  Comme  vaux  avez 
rejeté  la  science  (il  parle  îi  ceux  qui  préten- 
daient exercer  les  fonctions  du  sacerdoce), 
je  vous  rejetterai  aussi,  et  je  ne  souffrirai 
point  que  vous  exerciez  les  fondions  de  mon 
sacerdoce.  {Ose.,  IV,  6.) 
Il  n'y  en  a  que  trop  parmi  les  ecclésiasti- 
ques qui  rejettent  la  science.  Car  ceux-là 
véritablement  ne  rejettent-ils  pas  la  science 
qui  haïssent  l'élude,  qui  sont  môme  offen- 
sés de  la  vue  d'un  livre,  à  qui  l'on  fait  souf- 
frir un  cruel  martyre  ,  lorsqu'on  les  oblige 
(le  donner  quelque  teiu[)s  à  la  lecture  des 
livres  saints? 

Vous  en  verrez  même  ,  comme  le  remar- 
que saint  Grégoire  de  Nazianze,  (150)  qui 
se  glorifieront  de  leur  ignorance,  ll.s  ne  par- 
leront de  la  science  qu'avec  mépris;  parce 
qu'ils  croupissent  dans  l'ignorance,  ils  vou- 
draient que  tous  les  autres  leur  fussent 
semblables,  afin  qu'on  n'eût  aucun  lieu  do 
leur  faire  des  reproches. 

Ils  exercent  néanmoins  les  fonctions  du 
sacerdoce.  Mais  comment  les  exercent-ils, 
malgré  le  Seigneur,  et  contre  ses  ordres? 
Je  ne  souffrirai  point  que  vous  exerciez  les 
fonctions  de  mon  sacerdoce.  Vous  le  souffrez 
.néanmoins,  Seigneur,  avec  une  très-grande 
patience.  Ces  honnnes  qui  ont  rejeté  la 
science  occupent  dans  l'Eglise  des  places 
imfiortantes.  Ils  sont  past(Mirs ,  ils  sont 
chargés  de  In  conduite  du  troupeau.  Il  est 
vrai  que  Dieu  lessouffie,  mais  un  jour  vien- 
dra qu'il  leur  fera  entendre  le  sens  de  ses 
[laroles;  un  jour  viendra  que  Dieu  leur  fera 
voir  ce  que  c'est  que  d'avoir  exercé  malgré 
lui  les  funciions  de  son  sacerdoce. 

Dieu, après  avoir  parlé  dans  l  ancienne  lui  par 
ses  prophètes,  s\st  expliqué  dans  la  loi  nou- 
vellepar  son  Fils. {nebr.l,i.)\oyonscomxr\enl 
Jésus-Christ  appellesesmmislres,  elil  nous 
sera  aisé  de  voir  s'ils  [)euvent  sans  science 
soute^iir  l'auguste  nom  que  le  Fils  de  Dieu 
leur  donne.  Vous  êtes  la  lumière  du  monde, 
vous  êtes  le  sel  de  la  terre.  [Mallh.,  V  ,  13.)  O 
unelle  lumière  (ju'un  piôire.sans  science! 
Ciiiument  s'y  prendra -t-il  pour  préserver 
les  hommes  de  la  coriupliou  ?  C'est  un  sel 
fade  et  sans  force,  il  n'est  plus  bon  à  rien 
(ji'à  cire  jeté  dehors,  et  à  être  foulé  aux  pieds 
par  les  hummes.  {Ibïd  ) 

L'apôtre  saint  Paul  en  décrivant  les  qua- 
lités que  doit  avoir  le  prêtre  et  l'évêquc, 
n'.i  pas  mant|ué  de  marquer  expresséaienl 
qu'il  devait  être  capable  d'instruire,  (l  Tim., 
III,  2.)  Ah  I  quelles  instructions  que  celles 
c|ui  sont  données  par  celui  qui  n'a  point 
de  science.  Il  n'est  |)oint  ca[)able  d'instruire,. 


Hi7 


RKTRAITK  ECCLES.  —  X,  SClEiNCE. 


1118 


il  n'est  donc  poinl  en  élal,  selon  saiiil  Paul, 
(i'èlre  élevé  au  sacerdoce. 

Vous  avez  entendu  les  proplièles  ,  vous 
avez  entendu  Jésus-Chrisl,  vous  avez  en- 
tendu son  Apôtre.  Ils  veulent  absolument 
que  ceux  qui  entrent  dans  le  sanctuaire 
aient  de  la  science.  Voulez-vous  apprendre 
quelle  conséquence  l'Eglise  a  tirée  de  leurs 
paroles?  C'est  que  l'entrée  de  l'état  ecclé- 
siastique doit  être  pour  toujours  fermée 
à  ceux  qui  sont  sans  scieiice. 

L'Eglise  ne  pouvait  pas  être  plus  exacte 
à  prendre  ses  précautions,  lille  défend  à  ceux 
h  qui  il  appartient  de  lui  donner  des  mi- 
nistres, d'en  choisir  d'autres  que  ceux  dont 
la  capacité  leur  est  connue.  Elle  défend  à 
ceux  qui  sont  sans  science  do  se  présenter 
aux  ordres  saints. 

Voici  comment  l'Eglise  a  parlé  h  tous  ceux 
qui  sont  chargés  du  choix  de  ses  ministres. 
Elle  leur  dit  à  tous  par  la  bouche  d'un  saint 
pape  :  (Ju'aucun  ne  soit  assez  osé  pour  don- 
ner le  rang  de  clerc  à  ceux  qui  sont  sans 
lettres  et  sans  science  (151).  Elle  leur  dit 
à  tous  par  le  dernier  de  ses  conciles,  qu'ils 
doivent  s'assurer  par  un  examen  exact  de 
la  capacité  de  ceux  à  qui  ils  imposent  les 
mains,  et  qu'ils  ne  doivent  les  recevoir  que 
quand  ils  sont  assez  habiles  [lour  instruire 
le  peuple,  et  |iour  être  de  fidèles  dispensa- 
teurs des  saints  mystères  (152). 

L'Eglise  dans  d'autres  endroits  parle  à 
ceux  qui  aspirent  aux  saints  ordres.  Elle 
prononce  disiinctement ,  qu'aucun  ne  doit 
se  présenter  à  moins  qu'il  n'ait  de  la  scien- 
ce. Si  l'on  n'est  pas  exact  à  suivre  celte  rè- 
gle, celui  qui  impose  les  mains  et  celui  h 
qui  elles  sont  imposées  sont  également 
coupables.  Ils  irritent  Dieu  ,  et  ils  méritent 
que  l'Eglise  bnir  lasse  sentir  par  des  châti- 
ments sévères  la  grièvelé  de  leur  péché. 
(133). 

On  ne  peut  douter  que  la  piété  ne  soit 
entièremonl  nécessaire  aux  ministres  de 
l'Eglise.  Jugez  donc  par  là  de  la  nécessité 
de  la  science.  L'Eglise  estime  que  ,ses  mi- 
nistres n'ont  l'iis  moins  besoin  de  science 
que  de  piété.  tlWe  est  aussi  exacte  à  rejeter 
les  ignorants  que  It  s  pécheurs.  Elle  nous 
enseigne  par  un  de  ses  conciles,  que  comme 
on  a  grand  soin  de  ne  poinl  laisser  entrer 
dans  l'Eglise  les  méchants  et  les  pécheurs, 
aussi  il  ne  faut  point  soulfrir  que  les  igno- 
rants usurpent  un  caractère  dont  ils  sont 
indignes  (15i).  V^oilà  donc  le  crime  et  l'i- 
gnorance mis  en  paralelle.  Retirez-vous, 
ministres  sans  probité  ,  retirez-vous  minis- 
tres sans  science.  Ne  faites  poinl  violence  à 
l'Eglise,  elle  vous  déclare  qu'elle  ne  peut 
vous  soulTrir  ,  et  qu'elle  ne  veul  poinl  que 

(131)  I  Nullus  illileratos  ad  clericatus  ordinem 
promoverc  pra;suiiiat.  >  (Gelasius,  Ep.  ad  episcopos 
Lucaniœ.) 

(lo-i)  I  Ili  sirit  qui  a<i  doccndum  popiiluin  ea  quaî 
scire  omnibus  necess  riiiiii  est  ad  salulem,  ac  ad- 
iiiinistranda  sacranieiiia  diligeuli  examine  pixce- 
denle,  idonei  comprobantur.  »  (Conc.  Trid.,  sess. 
23,  c.  U. 

(loâj  «  Nullus  ad  batra  venial   indoctus.   .Miter 


vous  vous  placiez  au  rang  de  ses  nn'nis- 
tres. 

L  Eglise  n'agit  point  sans  raison.  Elle  en 
a  de  très-fortes  pour  cliasser  de  son  sein 
ceux  qui  n'ont  point  de  science.  C'est ,  dit 
le  saint  pape,  dont  je  vous  ai  déjh  rapporté 
les  paroles,  que  celui  qui  est  sans  scieni^e 
n'est  point  propre  à  exercer  les  fonctions 
ecclésiastiques  (155). 

L'Eglise  ne  veut  point  qu'on  lui  donne 
pour  ministres  ceux  qui  ne  sont  point  en 
état  d'exercer  les  saintes  fondions  de  leur 
caractère.  Uien  ne  lui  est  plus  odieux  qu'un 
ministre  inutile.  Elle  ne  le  peul  souffrir. 
Ou  n'entrez  point  dans  l'état  ecclésiastique, 
ou  venez-y  dans  le  dessein  de  travailler, 
el  a.vec  les  talents  nécessaires  pour  y  faire 
quelque  fruit  ;  autrement  retirez-vous.  L'E- 
glise ne  veut  point  de  vous,  et  vous  pou- 
vez compter  que  c'est  malgré  elle  que  vous 
usurperez  un  titre  qu'elle  ne  veut  point 
vous  donner.  Or  celui  /]ui  n'a  point  de 
science,  peut-il  exercer  les  fonctions  ecclé- 
siastiques? 

Les  principales  fonctions  ecclésiastiques 
sont  de  prier,  d'instruire,  d'administrer  les 
sacrements? 

Quelles  prières  que  celles  d'un  prêtre 
dont  l'ignorance  est  si  grande  ,  qu'à  peine 
entend-il  ce  qu'il  dit.  Ordinairement  les 
prêtres  ignorants  n'ont  point  de  piété.  Les 
prières  les  plus  touchantes  ne  font  aucune 
impression  sur  eux.  La  principale  source 
de  leur  irréligion,  c'est  leur  ignorance.  S'ils 
concevaient  ce  qu'ils  prononcent,  il  serait 
presque  impossible  qu'ils  ne  fussent  pas 
touchés. 

Ces  pseauraes  si  pleins  de  majesté,  si 
propres  à  inspirer  des  senliaients  de  res- 
pect, sont  prononcés  par  celui  qui  est  igno- 
rant avec  une  vitesse  incroyable,  parce  qu'il 
ne  les  entend  pas. 

Le  sacrifice  même  n'est  pas  excepté.  Sa- 
vez-vous  ce  que  c'est  que  le  sacriiice  que 
vous  offrez  tous  les  jours,  à  qui  vous  I  of- 
frez, au  nom  de  qui  vous  l'olfrez?  Quelle 
lui  vous  proposez- vous?  La  manière  indé- 
cente dont  vous  vous  conduisez  dans  celle 
grande  action  ne  me  convainc  que  trop,  que 
vous  ne  connaissez  point  ce  ^que  vous  fui- 
1<!S.  Bien  loin  d'apaiser  Dieu  par  vos  priè- 
res et  par  vos  sacrifices,  vous  l'irritez  da- 
vantage. N'esl-ce  pas  de  ces  sacriticus  pré- 
sentés sans  respect,  dont  Uieu  nous  parle 
pur  la  bouche  d'un  de  ses  prO|)hôles?  iVe 
m'offrez  plus  de  sacrifice  inutilement,  voire 
encens  m'est  en  abomination.  (Isa.  I,  io.)  Un 
savant  cardinal  parlant  de  ces  prêtres  qui 
prient  sans  entendre  le  sens  des  paroles 
qu'ils  prononcent,   dit  qu'ils  ne  soûl  point 

ordinaturis  et  ordinandis  imminet  Del  el  Eccleslaî 
cjus  vindicta.  »  {Con.  Tolel.  vin,  c.  8.) 

(154)  I  Sicul  iiiiqui  el  peccatorcs  minlsieriuiii 
saceidoiafc  assecjui  prohibetiir,  ila  indocli  et  iinpe- 
iili  a  lali  oSiicio  reiraliunlur,  >  (Conc.  Aquisijni., 
sub  Slepliano  IV,  c.  1(J.) 

(lod)  i  Lilleris  carens  sacris  non  poicil  esse 
apius  ofliciis.  n  (Gelas.,  loco.  sup.  cil.) 


Iit9 


ORATEURS  SACR'LS,  JOSLPH  LAMBERT. 


ll^2(» 


en  élald'oiïrir  à  Dieu  ce  cvlte  raisonnable, 
qu'il  nous  demancie  parson  A))ôlre.  Car  ce 
110  poul  êlre  un  culle  raisonnable,  lorstjue 
celui  (jui  le  rerd  ne  connaît  [joinlle  niérile 
de  l'oblalion  qu'il  |)rc'sente  (156). 

Mais  l'ignorance  enlreprendra-l-elle  de 
monter  dans  la  chaire  de  vérité,  pour  ins- 
truire les  autres?  Oii  donc  allez-vous  ?  Vous 
chancelez,  vos  pieds  sont  Ireniblanls,  vous 
êles  dans  le  lieu  d'oii  vous  devez  parler,  et 
vous  n'osez  ouvrir  la  houche. 

Combien  y  en  a-t-il  qui  sont  obligés  par 
leur  caractère  de  monter  dans  la  chaire,  et 
qui  n'oni  ni  lumière,  ni  talents  pour  ins- 
truire? Je  no  vous  demande  pas  des  dis- 
cours éloquents  :  ce  ne  sont  pas  toujours 
ceux  qui  ont  plus  de  force  pour  convertir 
les  cœurs,  mais  il  est  de  votre  ministère  de 
rendre  raison  de  votre  loi,  d'expliqu/r  au 
]ieuple  les  mystères  de  la  religion  d'une 
manière  qui  le  touche,  de  donner  hovreur 
au  [)écl)eur  de  sa  vie  criminelle. 

Saint  Grégoire  do  Nazianze  (157)  déplore 
comme  un  très-grand  malheur  qu'un  homme 
sans  science  entreprenne  d'instruire  les  au- 
tres. Les  ignorants,  dit-il,  joindront  sou- 
vent la  [trésomption  à  l'ignorance,  parce 
qu'ils  n'ont  [)as  môme  assez  de  lumière 
|)our  connaître  leur  incapacité.  Ce  son'  des 
maux,  ajoute  ce  saint,  qu'on  ne  peut  assez 
pieurt-r,  parce  qu'ils  ont  de  très-pernioieus 
etleis. 

Est-ce  un  prêtre  ou  |)lulôt  un  fantôme 
de  prêtre,  (pi'un  homme  qui  ne  [leut  parler 
de  ï^a  relig  on  sans  attirer  'e  mépris  deceux 
cui  récoulent  ?  Celui  qui  devrait  être  mai/re 
aurait  besoin,  tomn^e  parle  saint  Paul,  çu'on 
lui  npprîl  les  premiers  éléments  de  la  foi. 
(IJcbr.,  V,  12.)  Conin.eiit,  dit  encore  le  njô- 
me  Apôtre,  n'étant  pas  instruit  vous-même, 
osez-vous  entreprendre  d'instruire  les  autres, 
{Rom.,  Il,  2.)  Vous  êtes  cause  que  la  reli- 
gion est  moquée,  que  les  libertins  en  font 
des  railleries,  vous  rendez  méprisable  le 
caraclèro  que  vous  poitez.  Ces  suites  fu- 
nestes de  l'ignorance  doivent  vous  con- 
vaincre qu'on  ne  peut  être  trop  exact  à 
éloigner  du  sanctuaire  ceux  qui  n'ont  pas 
la  science  nécessaire  pour  remplir  digne- 
ment les  saintes  fondions  de  cet  état. 

IMais  j'a()crçois  encore  quelque  chose  de 
jiius  déplorable,  c'est  un  piètre  ignorant 
qui  ose  s'asseoir  dans  ces  tribunaux  sa- 
crés, où  le  pécheur  recouvre  son  innocence, 
en  se  reconnaissant  criminel.  Un  des  plus 
grands  abus  qui  soit  dans  l'Eglise;  c't  st 
qu'un  ministère  aussi  important  que  celui 
Ue  réconcilier  les  pécheurs  soit  exercé  par 
des  homruesqui  perdent  les  âmes  au  lieu 
de  les  sauver. 

C'est  ici  où  il  est  presque  impossible  de 
compter  toutes  les  chutes  que  lait  ce  mi- 
nistre léméraire  ;  ce  ministre  (jui  ne  sait 
qu'écouter  les  péchés  et  donner  l'absolu- 
tion. Car  il  n'y  a  point  de  confesseurs  plus 

(I5G)  «Qnoniodo  raiionabile  eril  obsequiiim,  iibi 
Js(|iiiolIeii  (iblaiioiiis  sii;u  non  toiuipii  inlollec- 
iM'ii.  »    (I*i.ii;is  !»A.^i.A^.,  Oj'inciilo  cuHtia  iiit,cil'uiiii 


hardis  que  ceux  qui  sont  ignorants.  Ils 
marchent  d'un  pas  assuré  où  les  i)lus  habi- 
les et  les  plus  consommés  ne  vont  qu'en 
tremblant.  Ils  font  en  une  heure  plus  d'ou- 
vrage que  les  plus  habiles  conlésseurs  ne 
peuvent  en  faire  en  plusieurs  jours.  Les 
pénitents  ne  font  pour  ainsi  dire  quo  passer 
en  revue  devant  eux.  A  peine  ont-ils  fléchi 
le  genou,  qu'aussitôt  ils  se  relèvent  et  ils 
sont  congédié-;.  Les  pécheurs  les  plus  cri- 
minels, les  pécheurs  qui  languissent  de- 
puis longtemps  dans  des  habitudes  invé- 
térées, ne  leur  font  point  de  peine,  parce 
que  ne  sachant  point  les  occasions  où  l'ab- 
solution doit  être  différée,  ils  la  donnent 
inditléremmeut  à  toutes  sortes  de  jié- 
cheurs. 

Indignes  ministres  du  sacrement  de  pé- 
nitence, que  vous  amassez  de  péchés  I 
Vous  ne  savez  point  les  règles  de  l'Eglise, 
vous  ne  suivez  que  votre  esprit,  et  le  pro- 
phète Ezéchiel,  dit  :  Malheur  aux  propkè- 
Ics  insensés  qui  se  conduisent  suivant  leur 
esprit.  {Ezech.,  XllJ,  3.) 

Vous  donnez  la  paix  h  ceux  qui  sont  io- 
dignes  de  recevoir  la  paix,  et  le  même  pro- 
(iliète  dit  que  ce  sont  les  faux  prophètes 
qui  trom[)entle  peuple,  en  disant  que  la 
paix  rigne,  où  il  n'y  a  point  de  paix.  {Jbid., 
10.) 

Par  une  condescendance  molle,  vous 
donnez  de  légères  (lénilences  à  ceux  qui 
ont  commis  de  grands  pécliés,  et  le  mêu>e 
Ezéchiel  dit  encore  :  Malheur  à  ceux  qui 
mettent  des  coussinets  sous  les  coudes,  et  des 
oreillers  sous  la  tête  des  hommes  pour  sur^ 
prendre  et  perdre  les  âmes.  {Ibid.,  18.) 

Votre  indulgence  facile,  ou  plutôt  votre 
molle  lâcheté  est  cause  que  les  |)écheurs 
s'endorment  dans  le  crime.  Vous  êtes  donc 
de  ceux  dont  parle  le  prophète  Osée.  Us  se 
nourrissent  des  péchés  de  mon  peuple  [Ose., 
IV,  8),  c'esl-à-dire,  ils  llatlenl  les  péclieurs 
de  peur  de  [)erdre  les  avantages  temporels 
qu'ils  en  reçoivent,  et  tlaltant  leurs  âmes, 
ajoute  le  |)rophète,  ils  les  entretiennent  dans 
leurs  iniquités. 

Vos  |)eruicieux  conseils  sont  cause  que 
ceux  qui  vous  consultent  s'engagent  dans 
de  fausses  démarches.  Apprenez  donc  des 
prophètes,  que  lors(iue  Dieu  pour  punir 
son  peujile  periiKt  qu'un  faux  prophète 
l'abuse,  le  peuple  qui  demande  conseil  et  le 
prophète  qui  te  donne,  sont  également  coupa- 
bles. [Ezech.,  Xl\,iO.) 

Vous  ne  vous  iuforiucz  ni  du  temps  qu'il 
y  a  que  le  pécheur  languit  dans  le  péché, 
nideselforts  (ju'il  lait  pour  sortir  de  sou 
péché,  vous  ne  lui  donnez  aucun,  remède 
pour  guérir  son  âme;  cependant  le  concile 
de  Lairaii  déclare  que  le  confesseur  comme 
un  médecin  expérimenté,  doit  appliquerdu 
vin  et  do  1  huile  sur  les  plaies  du  malade.  Il 
doit  examiner  avec  une  grande  diligence  les 
péchés  et  les  circonstances  des  iiéchés.atiu 

clcrjconim.) 

(I.")7)  Or.u.  I,  p.  •2-2. 


4121 


RETRAITE  ECCLES.  —  X,  SCIENCE 


qu'en  ny.inl  iiiio  enlière  connaissance,  il 
rionne  cniispil  ;m  pénitent,  et  (ju'il  lui  ap- 
plique dos  renièdes  convenables  à  sa  ma- 
ladie (158). 

Voilh  donc  les  justes  raisons  qui  enga- 
gent l'Eglise  h  rejeter  'es  ministres  igtio- 
r.iiits.  C'est  qu'ils  ne  sont  point  proines  h 
exercer  les  fonctions  de  leur  ministère  ;  c'est 
qu'ils  n'en  font  presque  jamais  aucune  sans 
commettre  de  Irès-énormes  péchés. 

A  des  autorités  si  précises,  h  des  autori- 
tés fondées  sur  de  si  solides  raisons,  que 
peuvent  opposer  ceux  qui  prétendent  pou- 
voir, contre  la  défense  de  TEglise,  embras- 
ser sans  science  l'état  ecclésiastique  ? 

Les  premiers  disent  r  Je  suis  contraint 
d'entrer  dans  l'étal  ecclésiastique,  et  même 
d'en  exercer  les  fondions.  Je  n'ai  que  ce 
refuge  pour  me  sauver  de  l'extrêiiie  néces- 
sité dans  laquelle  je  suis  réduit. 

Les  seconds  disent,  c'est  par  piété  que 
je  me  consacre  à  Dieu  dans  l'état  ecclésias- 
tique, parce  que  je  sais  que  c'est  une  chose 
très-excellente,  que  d'être  revêtu  (in  carac- 
tère de  prêtre,  et  d'offrir  à  Dieu  le  saciifice 
de  nos  autels. 

Les  troisièmes  ajoutent  :  Je  sais  que  je 
n'ai  pas  toule  la  capacité  nécessaire  pour 
exercer  les  fonctions  ecclésiastiques  :  aussi 
quand  je  m'engage  dans  cet  étal  ce  n'est 
point  dans  le  dessein  de  remplir  un  minis- 
tère qui  est  au-dessus  de  mes  forces,  je 
suivrai  l'exemple  de  plusieurs  autres  qui 
vivent  tranquillement,  et  passent  toute  leur 
vie  sans  faire  aucune  fonction  de  leur  état. 

Il  y  en  a  d'autres  encore  qui  n'ajard  point 
la  science  nécessaire,  veulent  excuser  leur  té- 
mérilé,  en  avançant  qu'ils  ne  prétendent  point 
occuper  les  {)remièrps  places  de  l'Eglise,  ni 
s'établir  dans  les  villes,  mais  que  toule  leur 
cmbilion  est  de  travailler  à  la  caiupagne.il 
t:c  f.iut  pas,  disenl-ils,  avoir  beaucoup  de 
science  pour  faire  dans  un  village  la  fonc- 
tion de  vicaire  ou  de  curé. 

L'objection  des  premiers  est  si  absolu- 
ment contraire  à  la  raison,  qu'A  pr'ine  uié- 
rite-t-elle  de  réponse.  Quoi  1  l'Eglise  sera 
donc  le  refuge  de  ceux  lesquels  étant  pres- 
sas par  une  extrême  misère,  ne  savent  f)lus 
quel  état  embrasser?  Quoi  !  ceux  que  lo 
monde  rejette,  et  qui  ne  lui  i)arai«seiit  |)as 
capables  d'exercer  les  plus  vils  emplois,  se 
(irésenteronl  hardiment  pour  remplir  les 
fonctions  ecclésiastiques  ,  qui  sont  très- 
didiciles,  et  qui  demandent  sans  doute  une 
très-grande  habileté. 

11  est  vrai  que  '^'îglise  est  le  refuge  de 
ceux  qui  sont  dans  la  misère,  et  qui  sont 
abandonnés  ;  elle  est  leur  refuge,  parce 
qu'elle  invite  les  fidèles  à  les  secourir,  et 
qu'elle-même,  sensible  à  leurs  malheurs, 
leur  accorde  tous  les  secours  qui  sont  en 
son  pouvoir.  Mais  que  ses  functiuns  soient 

(158)  I  Sacerdos  more  péril!  medici  super  in- 
fuiKtii  vinum  el  oleuiii  ^uliieiihiis  sauciati,  dili- 
Kciiler  iriquireiis  el  peccUDris  circiitiistaiilias  et 
pfcxali  i|uil)iis  piiKlertl«r  i.uelligat,  qiiale  (lejjeal  ci 
jjraLeie  c<jii->iliiim,  cl  cujuiiiijji  ruiiieJiuin   adlii- 


il'22 

hommes  incapables  de  les 


consentira  ja- 


confiées  h  des 

exercer,  parce  (pi'ils  sont   dans    la   misère, 

et  qu'ils  n'ont  aucun  autre  secours,  c'est  ce 

qui    est   absolument  contre    l'intention   de 

l'Eglise,  et   5   quoi    elle    ne 

mais. 

Celui-là,  dit  saint  Bernard,  qui  en  s'en- 
gageant  dans  le  ministère  ecclésiastique, 
se  propose  d'y  trouver  ce  qui  lui  est  néces- 
saire pour  subvenir  aux  nécessités  de  celle 
vie,  pervertit  l'ordre  que  Dieu  a  établi.  Car 
il  fait  de  l'Evangile  un  moyen  ()Our  obtenir 
les  biens  temporels.  Plutôt  que  d'abuser 
ainsi  de  l'Evangile,  il  vaudrait  beaucoup 
mieux  mendier,  ou  travailler  .Ma  terre  (159). 
Je  réponds  aux  seconds  que  leur  piété 
est  mal  entendue,  puisqu'elle  est  contraire 
h  l'ordre  et  à  l'esprit  de  l'Eglise.  C'est  une 
chose  très-sainte  et  très-excellente  que 
d'offrir  le  sacrilice,  mais  l'Eglise  n'a  jamais 
établi  des  prêtres  dans  cette  vue,  qu'ils  ne 
feraient  aucune  autre  fonction  ecclésiasti- 
que que  d'offrir  les  saints  mystères.  Vous 
avez  de  la  piété.  C'est  un  don  qui  vient  d  en 
haut,  el  pour  lequel  vous  devez  à  Dieu  beau- 
coup de  reconnaissance.  Mais  Dieu  veut 
que  vous  demeuriez  laïque,  que  vous  édi- 
fiiez les  fidèles  dans  celte  condition,  que 
vous  participiez  aux  saints  mystères  à  la 
manière  des  laïques.  C'est  une  chose  ex- 
cellente qu'un  laïque  qui  a  de  la  piété.  Si 
vous  avez  d'autres  prétentions,  vous  voh'Z 
trop  haut,  vous  allez  coiitre  l'intention  de 
l'Eglise,  et  par  conséquent  vous  vous  ex- 
posez à  un  danger  uianifesle  de  faire  dsis 
chutes  très-dangereuses. 

La  disposition  des  troisièmes  est  encore 
très-criminelle  el  très-contraire  h  res[)['il  de 
l'Eglise.  V^ouloir  être  ecclésiastique  pour 
n'en  point  rem})lir  les  fonctions,  c'est  à  peu 
près  ressembler  à  celui  qui  voudrait  êire 
soldat,  et  n'aller  jamais  à  la  guerre,  qui 
voudrait  ôlre  magistral,  et  ne  [loint  rendre 
au  peuj)le  la  justice  qu'il  lui  doit.  Des  piè- 
tres sans  fonction  :  c'est  un  monstre  que 
l'Eglise  n'a  point  connu  pendant  plus  de 
quatorze  siècles  :  c'est  un  désordre  dont 
elle  gémit,  qu'elle  tolère  malgré  elle,  el  au- 
quel elle  n'a  pu  encore  s'accoutumer. 

Je  passe  à  ceux  qui  disent  que  louie  leur 
vue  est  d'exercer  à  la  campagne  les  fonc- 
tions de  leur  état.  Je  les  félicite  d'abord;  ils 
méritent  d'être  loués.  Dieu  répand  des  béné- 
dictions particulières  sur  ceux  qui  se  con- 
sacrent au  service  dos  pauvres  :  mais  que 
la  science  ne  soit  pas  nécessaire  pour  con- 
duire les  pauvres  et  les  gens  de  la  campa- 
gne, c'est  une  proposition  tiès-fausse,  et 
dont  je  ne  puis  demeurer  d'accord. 

Il  est  vrai  (lu'il  ne  faut  pas  une  grande 
science,  ou  plutôt  qu'il  n'en  faut  point  du 
tout,  pour  desservir  les  cures  de  la  campa- 
gne, comme  le  font    un   grand    nombre   de 

bere.  >  (Con.  Laler.,  c.  Omuis  ulriusque  sexiis.) 

(ir)9)  f  Perverso  niinis  ordine  cœle!>lil)us  lerre- 
na  iiiercatnr...melius  eiai  fodiTc,  aiil  eliani  iiieiidi- 
taic.  >  (Tiacl.  iii  lijec  vci'l)a  :  Ecce  nos  leliciulmui 
viiniia,  c.  5.) 


I!Î5 


ORATi:UUS  SACRES.  JOSEPH  LAMÎ5EUT. 


1124 


pasleurs  qui  sen  acL|uilleiit  (rès-nial,  qui  ne 
font  point  de  [)rôiie,  qui  ne  font  aucune  ins- 
truction, qui  abandonnent  leurs  ouailles, 
qui  répandent  indifféremment  le  sang  de 
Jésus-Christ  sur  ceux  qui  sont  disposés  à 
profiler  de  ses  grâces,  et  sur  ceux  qui  n'y 
sont  pas  disposés,  qui  ne  savent  ni  conso- 
ler les  affligés,  ni  encourager  les  faibles,  ni 
éclairer  les  aveugles,  ni  étonner  les  endur- 
cis. Mais  il  faut  de  la  science  à  la  campagne 
aussi  bien  qu'à  la  ville  pour  remplir  digne- 
ment les  devoirs  d'un  bon  pasteur.  Il  faut 
avoir  fait  du  progrès  dans  l'étude  de  l'Ecri- 
ture sainte,  aussi  bien  pour  ex|)oser  simple- 
ment et  d'une  manière  familière  les  maximes 
de  l'Evangile  ,  que  pour  les  expliquer  avec 
éloquence,    et  d'une  manière  plus  relevée. 

En  quelque  lieu  qu9  vous  exerciez  les 
fonctions  de  pasteur,  il  faut  savoir  ga- 
gner les  âmes,  distribuer  le  pain  de  la  pa- 
role, prendre  garde  à  ne  donner  les  sacre- 
ments qu'à  ceux  qui  sont  préparés  è  les 
recevoir,  chercher  les  brebis  égarées,  éton- 
ner les  uns,  encourager  les  autres,  fortifier 
celui-ci,  intimider  celui-là  ,  inspirer  à  tous 
des  sentiments  de  componction.  Jugez  vous- 
même  si  toutes  ces  choses  se  peuvent  faire 
sans  science. 

Il  est  donc  absolument  nécessaire  que  les 
ecclésiastiques  aient  de  la  science.  L'Eglise 
le  commande.  Elle  a  de  justes  raisons  pour 
le  vouloir.  Il  ne  peut  y  avoir  aucune  raison 
légitime  pour  se  dispenser  d'obéir  à  l'Eglise. 
Voyons  maintenant  quelle  doit  être  la 
science  des  ecclésiastiques. 

SECOND  POINT. 

L"Eglise  veut  que  ses  .ministres  soient 
en  état  d'exercer  les  fondions  ecclésiasti- 
ques. L'Eglise  ne  confie  à  ses  ministres  de 
si  grands  pouvoirs,  qu'afin  qu'ils  les  met- 
tent en  usage  pour  l'utilité  du  prochain.  Un 
ecclésiastique  donc  doit  avoir  toute  la 
science  nécessaire  pour  bien  exercer  ses 
fonctions,  et  pour  mettre  en  usage  les  grands 
pouvoirs  qu'il  reçoit  lorsqu'il  est  revêtu  du 
sacerdoce. 

Vos  fonctions  principales  sont  de  réciter 
l'office,  d'offrir  le  sacrifice,  d'inslruire,  d'ad- 
ministrer les  sacrements. 

l'our  réciter  l'office  avec  fruit,  il  faut  en- 
tendre ce  que  l'on  dit,  et  par  conséquent 
savoir  le  latin.  Il  faut  être  accoutumé  à  mé- 
diter et  à  goûter  les  choses  divines,  a!in 
qu'en  même  temps  que  notre  bouche  parle, 
notre  esprit  se  nourrisse  des  vérités  qui 
sont  contenues  dans  l'office  divin.  Car  si 
l'on  n'entend  pas  ce  que  l'on  dit,  si  l'on  ne 
sait  point  méditer  les  choses  divines,  com- 
ment pratiquer  ce  que  dit  saint  Cyprien, 
que  lorsque  nous  otfrons  à  Dieu  nos  priè- 
res, il  faut  que  toutes  les  pensées  sécu- 
lières et  profanes  se  retirent,  et  que  notre 
es()rit  soit  tout  occupé  des  choses  que  nous 
demandons  à  Dieu  (IGO). 

Nous  ne    le  voy(jns  que    trop  par   expé- 

(160)  I  Gogllaiio  omnis  carnalis  et  saectdaris 
absccdal,  nec  qui.lqiiani  luiic  animus,  (luain  iil  ti)- 


ri  'nce  :  ceux  qui  récitent  l'office  divin  sans 
entendre  ce  qu'ils  disent,  ceux  qui  n'ont 
qu'une  connaissance  superficielle  et  légère 
des  vérités  de  noire  religion,  ne  peuvent 
fixer  leur  esprit.  Comme  ils  n'ont  aucun 
goût  pour  les  choses  divines,  ils  récitent 
l'office  avec  ennui  et  avec  vitesse.  C'est  dans 
le  temps  de  la  prière  qu'ils  pensent  à  leurs 
affaires  temporelles;  ils  ne  peuvent  chasser 
ces  pensées,  [)arce  qu'il  n'y  a  que  la  médi- 
tation et  le  goût  des  choses  divines  qui  les 
éloigne.  Voilà  ce  qui  fait  que  leurs  prières 
sont  sans  fruit.  Posons  d'abord  comme  un 
principe  certain  qu'un  ecclésiastique  doit 
entendre  son  office  et  les  prières  qui  se 
récitent  dans  l'Eglise,  il  doit  connaître  les 
vérités  de  la  religion  que  l'Eglise  médite 
lorsqu'elle  adresse  à  Dieu  ses  prières. 

En  second  lieu,  il  est  contre  l'ordre  qu'un 
ecclésiastique  que  l'on  prie  d'officier  pu- 
bliquement refuse  de  le  faire,  parce  qu'il 
ne  sait  ni  le  chant,  ni  les  cérémonies  :  et 
ainsi  un  ecclésiastique  doit  savoir  les  cé- 
rémonies (pie  l'Eglise  observe,  soit  dans  la 
célébration  de  l'office  divin,  soit  dans  le 
saint  sacrifice  de  la  messe,  soit  dans  l'admi- 
nistration des  sacrements. 

Quoique  les  cérémonies  extérieures  ne 
fassent  point  l'essence  de  la  piété,  c'est 
néanmoins  un  défaut  considérable  que  de 
les  négliger.  Les  ecclésiastiques  doivent 
s'appliquer  à  édifier.  Il  est  certain  qu'il  n'y 
a  rien  qui  édifie  davantage,  et  qui  soit  plus 
propre  à  nourrir  la  piété  des  fidèles  qu'un 
office  célébré  avec  modestie,  et  où.  toutes 
les  cérémonies  de  l'Eglise  sont  régulière- 
ment observées. 

Peut-on  apporter  trop  de  précaution 
quand  on  administre  les  sacrements  de 
l'Eglise?  On  entend  tous  les  jours  le?  fidè- 
les se  plaindre  de  ce  que  les  prêtres  usent 
d'une  trop  grande  précipitation  dans  les 
fonctions  de  leur  minislère?  La  gravité 
sied  toujours  bien  à  un  [)rêfre.  Elle  lui  est 
absolument  nécessaire,  quand  il  est  dans 
l'exercice  de  ses  fonctions.  Un  prêtre  fi- 
dèle lit  souvent  son  rituel,';  il  sait  tout  ce 
qui  est  contenu  dans  ce  livre;  il  prend 
garde  à  n'omettre  aucune  des  cérémonies 
qui  y  sont  prescrites.  Il  est  encore  plus 
exact  à  bien  apprendre  quel  est  l'esprit  de 
l'Eglise  dans  l'usage  de  ces  cérémonies  si 
anciennes   et  si  saintes. 

On  en  voit  quiont  beaucoup  de  science, 
mais  qui  négligent  de  s'instruire  des  céré- 
monies de  rEglise,'et  qui  même  se  glori- 
fient de  cette  ignorance.  Il  est  vrai  que 
l'Eglise  tire  un  grand  service  de  la  science 
de  ces  hommes  consommés.  Mais  ne  pour- 
raient-ils pas  sans  que  leur  science  en 
souffrît  aucun  préjudice,  s'appliquer  à  sui- 
vre l'ordre  de  l'Eglise  dans  l'adniinislra- 
lion  des  choses  saintes  :  Il  faut  pratiquer 
ces  choses  sans  néanmoins  omettre  les  autres. 
(Maltli.,  XXIIl,  23.) 

En  troisième  lieu   un   ecclésiastique    ne 

lu:;!  cogiift  (nioJp:cca;ur.  >  {De  oraliom  Dumlrjca  ) 


im 


REÏUAITE  ECCLKS.  —  X,  SCIENCE. 


1126 


peut  instruire  ,  s'il  ne  sait  clislinctemeut 
les  mystères  de  la  foi  CDiilenus  au  Symbole, 
les  coinniandemenls  (le  Dieu  et  de  l'Egliso, 
les  pécliés  qui  se  cormuellent  contre  ces 
commandements;  s'il  ne  sait  le  nomhre  et 
la  force  des  sacrements,  cl  les  dispositions 
nécessaires  pour  les  recevoir.  Un  ecclésias- 
tique doit  connaître  toutes  ces  vérités,  non- 
seulement  comme  les  simples  fidèles,  mais 
il  doit  les  savoir  d'une  manière  plus  élevée, 
il  doit  les  savoir  en  maître,  c'esl-à-dire, 
qu'il  doit  être  en  état  de  les  enseii^ner  h 
ceux  qui  les  ignorent,  et  môme  de  les  dé- 
fendre contre  ceux  qui  les  attaquent.  C'est 
ce  que  nous  enseignent  saint  Pau!,  quand  il 
nous  dit  qu'un  ministre  du  Seigneur  doit 
être  capable  d'exhorter  selon  la  sainte 
doctrine,  et  de  convaincre  ceux  qui  s'y  op- 
posent. (Tit.,  I,  9  ) 

Un  ecclésiastique  doit  donc  savoir  au 
moins  les  principales  preuves  tirées  de 
l'Ecriture,  et  'de  la  tradition,  dont  nous 
nous  servons  pour  confirmer  la  vérité  de 
nos  mystères  ;  et  il  doit  être  préparé  à  ré- 
pondre aux  principales  objections  que  les 
ennemis  de  l'Eglise  forment  [lour  attaquer 
ces  vérités. 

Car  par  exemple ,  ce  n'est  pas  assez 
(]u'un  ecclésiastique  sache  que  le  Fils  de 
Dieu  qui  est  la  seconde  personne  est  d'une 
même  nature  que  son  Père,  qu'il  lui  est 
consubstantiel,  qu'il  lui  est  égal  en  toutes 
choses.  Il  faut  encore  qu'il  cofmaisse  les 
preuves  solides  sur  lesquelles  cette  vi'rité 
est  appuyée.  Et  il  serait  honteux,  qu'il  fût 
contraint  de  gardi.'r  le  silence,  s'il  se  ren- 
contrait avec  quelque  ennemi  de  la  divi- 
nité de  Jésus-Christ,  ou  avec  quelque  autre 
(jui  lui  proposerait  des  doutes  sur  cette  ira- 
j)ortanle  vérité. 

De  même  il  ne  sudit  pas  à  un  ecclésias- 
tique de  savoir  que  Jésus-Christ  est  réelle- 
meul  présent  dans  le  sacrement  de  nos  au- 
tels. Ce  n'est  point  savoir  cette  vérité  en 
maître, que  de  ne  pas  connaître  les  preuves 
solides  qui  engagent  l'Eglise  è  soutenir  celte 
vérité. 

Des  ecclésiastiques  ne  devraient-ils  pas 
être  honteux,  d'èlie  quolquet''ois  réduits  ii 
fuir  le  combat  qui  leur  est  livré  par  des 
hommes  tiès-ignoranls,  parce  qu'ils  sont 
encore  plus  ignoranis  qu'eux  sur  les  véri- 
tés fondamentales  delà  religion.  C"esl  ce 
(pji  tait  voir  que  les  ecclésiastiques  sont 
mdispensableraent  obligés  d'étudier  avec 
ap[)lication  les  traités  de  théologie,  où  les 
vérités  de  la  religion  sont  prouvées  contre 
les  ennemis  de  notre  foi. 

En  (juatrième  lieu,  pour  bien  administrer 
les  sacrements,  et  surtout  celui  de  [léni- 
lence.  Voici  la  science  que  demande  saint 
Charles,  ce  grand  guide  des  confesseurs 
dont  l'Eglise  de  France  vous  ordonne  de 
suivre  les  règles  et  les  statuts. 

Ce  grand  suiul  veut  qu'un  confesseur  soit 
liès-versé  dans  h;S  cas  de  conscience,  qu'il 
ait  acquis  celte  connaissance  par  l'élude  des 
sacrés  canons,  et  des  livres  qui  traitent  de 
cl's  matières.   Il  dit  qu'un  confesseur  doit 


avoir  continuellement  entre  les  mains  quel- 
([uos  auteurs  approuvés  qui  traitent  des  cas 
de  conscience  ;  mais  comme  il  y  a  un  grand 
nombre  de  ces  sortes  de  livres,  et  qu'il  y 
on  a  beaucoup  dont  les  sentiments  sont  re- 
l;\chés,  prenez  toujours  pour  vos  guides  ceux 
qui  répondent  d'une  manière  plus  conforme 
h  la  simplicité  de  l'Evangile  et  à  ladoclrine 
des  saints  Pères. 

Le  grand  saint  Charles  veut  encore  que 
les  confesseurs  sachent  quels  sont  les  pé- 
chés vénii'ls  ou  mortels.  Il  veut  qu'ils  sa- 
chent les  censures,  les  cas  réservés,  les  sta- 
tuts synodaux,  et  les  ordonnances  particu- 
lières des  évoques,  les  diirérentes  pénitences 
qu'on  peut  imposer,  les  canons  péniien- 
tiaux. 

Sachez  aussi  les  cas  dans  lesquels  saint 
Charles  veut  qu'on  diiïère  l'absolution,  afin 
qu'en  prenant  pour  règle  de  voire  con- 
duite ce  grand  saint  que  Dieu  a  suscité 
dans  ces  derniers  temps  pour  rétablir  la 
discipline  de  l'Eglise,  vous  vous  acquittiez 
avec  fidélité  du  ministère  le  plus  dillicileet 
le  plus  important  qui  soit  dans  l'Eglise.  Si 
vous  suivez  les  maximes  de  saint  Charles, 
vous  ne  serez  pas  de  ces  confesseurs  (jui 
flattent  les  pécheurs,  qui  les  aident  à  étouf- 
fer les  remords  de  conscience  dont  il  sont 
pressés,  qui  couvienl  les  blessures  au  lieu 
de  les  guérir,  qui  font  un  jeu  de  la  péni- 
tence, qui  saccommodeut  aux  faiblesses  des 
pécheurs,  et  periueltent  tout  à  la  dureté  de 
leur  cœur.  Vous  ne  serez  pas  de  ces  confes- 
seurs (pii  tolèrent  un  cercle  fperpéluel  de 
confessions  et  de  crimes,  qui  ne  répriment 
point  Tambilion,  qui  s'accommodent  d'une 
vie  molle  et  oisive,  qui  soulfrent  le  luxe, 
qui  peiinctlent  à  leurs  (ténitents  de  consa- 
crer au  jeu  la  meilleure  partiode  leur  vie, 
qui  ne  se  scandalisent  point  de  voir  qu'ils 
aiment  le  monde,  qui  trouvent  des  expé- 
dients à  toutes  choses.  Vous  ne  serez  point 
de  ces  confesseurs  (jui  lors  môme  que  des 
pécheurs  sont  engagés  dans  des  habitudes 
invétérées,  croiiaient  les  traiter  inhumaine- 
ment s'ils  leur  dilléraient  l'absolution  un 
temps  assez  considérable  pour  s'assurer 
des   promesses  cju'ils  ont  cent  fois  .violées. 

Mais  ce  qui  vous  servira  principalement 
à  bien  exercer  les  fonctions  de  vos  ordres, 
c'est  l'étude  de  l'Ecriture  sainte.  C'est  pour- 
quoi il  me  semble  qu'il  serait  très-conve- 
nable, qu'avant  de  recevoir  les  saints  or- 
dres, on  eût  lu  môme  plusieurs  fois  toute 
l'Ecriture  sainte,  qu'on  sût  tout  ce  qu'il  y 
a  d'historique  dans  les  livres  de  l'Ancien 
Testament,  et  qu'on  eut  une  .entière  con- 
naissance de  toutes  les  instructions  de  Jésus- 
Christ,  de  toutes  les  actions  de  sa  vie,  do 
tous  les  miracle.squi  nous  sontra[)porlésdans 
l'Evangile.  Il  serait  aussi  très-nécessaire 
qu'on  eiU  lu  et  uiédilé  les  Epîlres  des  apô- 
tres, surtout  celles  de  saint  Paul.  En  un  mot 
un  ecclésiastique  doit  jiosséder  le  Nouveau 
Teslaïuent. 

Outre   cette   étude   de   l'Ecriture  sainte 
qu'un  ecclésiastique  doit  avoir  déjà  faite, 


1127 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1128 


il  faut  qu'il  soit  résolu  de  s'appliqiuT  pon- 
dant tonte  sa  vie  à  l'élude  de  l'Ecriture 
sainte. Car  l'Ecriluresainle  est  un  livre  qu'on 
ne  peut  épuiser.  Plus  on  la  lit,  plus  on  yap- 
pre!)d;  plus  on  la  inédite,  plus  on  est  édifié. 
Plus  on  s'y  applique,  [)ltison  se  rend  digne 
d'exercer  avec  fruit  les  fonctions  du  sacer- 
dnce. 

Si  vous  voulez  instruire,  sachez  l'Ecrilure 
sainte  :  car  le  peuple  a  un  respect  particu- 
lier, quand  on  lui  (iit  :  C'est  Jésus-Christ  qui 
a  prêché  cette  maxime,  et  voici  ses]  paroles. 
C'est  l'apôlre  saint  Paul  qui  nous  enseigne 
celte  vérité,  et  voici  comment  il  parle. 

Si  vous  voulez  conduire  les  âmes  et  leur 
montrer  le  chemin  du  salut,  sachez  l'Ecri- 
ture sainte,  elle  vous  apprendia  à  faire  un 
juste  discernement  entre  lescasuistes  exacts, 
et  ceux  qui  sont  trop  relâchés.  Car  il  faut 
aliandoniier  les  casuisles  qui  ont  trouvé  de 
vaines  subtilités  pour  disj^enser  les  hommes 
de  marcher  par  la  voie  étroite  de  l'Evan- 
gile. 

Le  seul  sermon  sur  la  montagne,  qn^nd 
il  est  bien  médité,  décide  un  nombre  infini 
de  cas  de  conscience,  tous  cas  de  pralicpie 
et  très-ordinaires  dans  la  vie  des  hommes. 
Ahl  le  grand  auteur  que  Jésus-Christ  [tar- 
lant  dans  les  Ecritures. 

Il  faut  pourtant  avouer  que  l'Ecriture  ne 
contient  |)as  tout  ce  qu'il  est  nécessaire  de 
savoir  pour  décider  tous  les  cas  de  con- 
science. Il  faut  outre  cela  écouter  l'Eglise, 
connaître  ses  règles  et  ses  canons,  et  liid  les 
auteurs  qui  en  ont  fait  le  recueil. 

Saint  Augustin  dit  que  ceux  qui  sont  des- 
tinés à  servir  l'Eglise  doivent  avoir  sans 
cesse  devant  les  yeux  les  deux  E|iitres  de 
saint  Paul  à  Timothée,  avec  celle  à  Tile, 
parce  que  ces  trois  Epîlres  enseignent  quelle 
doit  être  la  vertu  et  la  conduite  des  minis- 
tres de  Jésus-Chrisi  (161). 

Saint  Chrysostome  reprochait  très-sou- 
vent à  ses  auditeurs  leur  négligence,  parce 
qu'ils  ne  s'appinjuaient  pas  assez  à  l'étude 
de  l'Ecriture  sainie.  Il  taul  remaniuer  que 
saint  Chrysostome  insiruisait  des  laïques,  il 
aurait  donc  parlé  avec  beaucoup  [dus  de 
force  s'd  eût  adressé  son  discours  à  des  ec- 
clésiastiques 

Je  sais,  dit  saint  Chrysostome  à  ses  audi- 
teurs {1(J2),  avec  quelle  négligence  vous  li- 
sez l'Ecriture  sainie,  el  ainsi  je  ne  m'élo  me 
l'as  que  vous  y  remarquiez  si  peu  do  chose. 
Dans  un  aulre  endroit  après  avoir  fait  voir 
le  besoin  que  nous  avons  eu  que  la  loi  lût 
écrite:  parce  que  la  lumière  naturelle  était 
presque  éteime  par  le  péché  (163j.  Lisons 
1  Ecriture  el  ne  nous  exposons  point  à  être 
condamnés  comme  nous  le  serions  en  elfet, 
SI  ni)us  étions  négligents  a  nous  servir  de  ce 
nouveau  secours  que  Dieu  nous  a  donné 
pour  avancer  dans  la  piété.  Il  se  plaint  ail- 

(161)  <  Quas  très  aposiolicas  Epislijlas  aiite  ocu- 
los  liabere  debol,  cui  esi  m  tJcciesia  ilocioris  per- 
soiia  iiupobila.  »  iLib.  IV,  De  Uocirin.  lUrislxata 
c.  16.) 

,(.0:2}  lloin.  51  in  .y  m  th. 


leurs  qu'il  y  a  peu  de  ses  auditeurs  qui 
eussent  pu  réciter  sur-le-champ  ou  qu('I(|ue 
psaume  ou  quelque  autre  partie  de  l'Ecri- 
ture (164-).  Le  môme  saint  Chrysostome  té- 
moigne une  très-grandi?  indignation  de  co 
que  la  lecture  (ies  Epîlres  de  saint  Paul  était 
négligée  par  les  chrétiens  deson  temps(lG5). 
Il  exagère  comme  un  très-grand  désordre  de 
ce  qu'il  y  en  avait  plusieurs  qui  ignoraient 
le  nombre  des  epîlres  que  cet  Apôtre  a  écri- 
tes. 11  dit  qu'il  les  lisait  deux  ou  trois  fois 
la  semaine,  et  que  celte  lecture  si  souvent 
réitérée  lui  en  avait  donné  l'intelligence, 
plutôt  que  la  subtilité  de  son  esprit. 

Mais  n'y  a-t-il  pas  encore  beaucoup  plus 
lieu  de  condamner  la  négligence  d'un  grand 
nombre  d'ecclésiasticpies  qui  n'ont  jamai.j 
lu  d'autre  Evangile  (pjo  celui  qu'ils  lisent  à 
la  messe?  Souvent  môme  ils  le  lisent  sans 
l'entendre.  Combien  s'en  trouve-t-il  qui 
n'ont  aucun  goût  pour  celle  divine  lecture; 
qui  passent  leur  vie  à  parcourir  toutes  sor- 
tes de  livres,  et  n'ont  jamais  lu  le  Nouveau 
Testament  tout  entier;  ne  suivez  {)as  un  si 
mauvais'  exemple.  Ne  passez  pas  un  seul 
jour  de  volro  vie  sans  lire  l'Ecriture  sainte, 
el  surtout  le  Nouveau  Testament.  Car  pour 
avoir  la  science  convenable  h  un  ecclésias- 
tique, il  faut  avoir  déjà  lu  l'E.  riture,  savoir 
parler  le  langage  do  l'Ecriture,  aimer  l'é- 
tude de  l'Ecriture,  el  être  dans  le  dessein  do 
s'y  appliquer  pendant  toute  sa  vie. 

Pour  vous  faire  connaître  le  goût  que  les 
anciens  avaient  [)our  l'Ecriture,  et  Tassiduité 
avec  laquelle  ils  la  lisaient,  voici  un  seul 
fait  de  l'antiquilé  qui  mérite  voire  atlention, 
el  qui  [)eut  beaucoup  contribuera  vous  faire 
prendre  une  sainte  résolution  de  vous  ap- 
pliquer sérieusement  .à  l'élude  de  l'Ecri- 
ture. 

C'est  ce  qui  nous  est  rapporté  dans  l'acte 
public  qui  contient  la  nomination  que  fit 
saint  Augustin  du  prôlre  Eiaclins  pour  lui 
succéder  dans  la  chaire  d'Hippone  (1G6). 

Cet  acte,  lequel  est  à  mon  sens  un  des 
beaux  monuments  (pie  nous  ayons  de  l'an- 
tiquilé, nous  décrit  d'une  manière  très  lou- 
chante la  tendresse  d'un  peuple  pénétré  du 
mérite  el  des  vertus  de  son  évoque.  Ce  jxiu- 
jile  reçoit  la  plus  triste  nouvelle  qui  |)ul  ja- 
mais lui  être  annoncée,  il  se  livre  à  la  dou- 
leur; il  ne  peut  consentir  à  la  proposition 
que  fait  saint  Augustin  d'en  subsliluer  un 
aulre  à  sa  ()lace.  Qui  ne  serait  louché  deii- 
lendre  un  nombre  infini  de  voix  qui  se  réu- 
nissent |)Our  pousser  ce  cri  :  C'est  vous 
que  nous  voulons  pour  père  et  pour  évo- 
que (167)? 

Mais. ce  que  je  remarque.particulièrement 
dans  cet  acte:  c'est  ce  que  saint  Augustin 
assure  que  deux  conciles  l'avaient  chargé  Je 
travailler  sur  les  saintes  Ecritures,  et  (jue 
pour  cela  il  était  convenu  avec  son  [leuple 

(165)  Hom.  1  in  Malih. 

(164)  Hom.  "i. 

(165)  Prœf.  in  Ev.  S.  PauH. 

(lOlJ)  Iiiler.  Ep.  S.  Aug.  tlù,  al.  110. 
(167)  «  Te  paireii),  le  epiacopuui.  > 


112:) 

qu'il  ourail  cinq  jours  i.i  i^eiuaino  qui  lui 
seraienl  laissées,  pour  fxi^culer  ce  quo  les 
conciles  lui  avaient  prescrit.  Mais,  dil  saint 
Augustin,  vous  ne  m'avez  point  tenu  parole. 
Vous  ôtes  venus  foniire  sur  moi.  J'ai  éié 
accablé  de  soins,  et  il  ne  m'est  point  resté 
de  temps  (168). 

Saint  Augustin  tlemaiide  un  successeur, 
afin  qu'en  se  déidiari^eant  sur  lui  de  plu- 
sieurs aiïaires,  il  puisse  avoir  du  temps 
pour  s'appliquer  à  l'étude  de  l'Ecriiure 
sainte.  Mon  loisir  sera  un  loisir  fort  occupé, 
et  j'espère  que  mon  travail  sera  utile  à 
Eraclius,  et  par  conséquent  à  vous. 

Saint  Augustin  chargé  par  deux  conciles 
de  travailler  sur  l'Ecriture  sainte,  Sai'it  Au- 
g^islin  convenant  avec  son  [)eu[>le  qu'il  au- 
rait cinq  jours  la  semaine  pour  exécuter  ce 
que  les  conciles  lui  avaient  ordonné,  Saint 
Augustin  abandonnant,  pour  ainsi  dire,  ou 
du  uioins  inlorrom|)ant  les  soins  de  l'épis- 
copat,  afin  d'avoir  plus  de  liberté  de  se  don- 
ner à  l'étude  de  l'Ecriture,  Saint  Augustin 
prononçant  que  ce  travail  serait  très-utile  à 
son  successeur,  et  à  son  peuple,  voilà  des 
circonstances  qui  doivent  avoir  beaucoup 
(le  force  pour  vous  l'aire  voir  l'estime  que 
les  anciens  faisaient  de  l'étude  de  l'Ecriture, 
vl  le  soin  qu'ils  avaient  de  donner  beaucoup 
de  temps  à  une  si  sainte  et  si  nécessaire  oc- 
cupation. 

Mais  puisque  l'étude  de  l'Ecriture  est 
d'une  si  grande  nécessité,  puisqu'elle  doit 
vous  servir  de  fondement  dans  l'exercice  de 
vos  tVmctions,  puisqu'elle  doit  faire  une 
partie  considérable  de  vos  occupations,  per- 
mettez-moi de  vousdonner  ici  quelques  avis 
que  je  crois  très-importants  pour  lire  l'Ecri- 
iure sainte  avec  fruit. 

Premièrement,  aimez  la  simplicité  de  l'E- 
criture sainte.  Rapportez  dans  les  instruc- 
tions que  vous  ferez  les  paroles  du  Fils  de 
Dieu  comme  il  les  a  prononcées.  N'entre- 
prenez pas  de  les  changer  sous  un  vain 
prétexte  qu'il  a  parlé  d'une  manière  trop 
simple. 

Dès  les  premiers  sièles  Tatien,  comme 
nous  le  rapporte  Eusèbe  (169)  a  été  con- 
damné, parce  qu'il  avait  eu  la  témérité  de 
'.xaduire  les  Epîlres  de  saint  Paul  d'une  ma- 
nière élégante,  et  d'en  changer  le  stjle. 

Je  me  souviens  toujours  du  saint  évêquo 
Spiridion  qui  re[)rit  fortement  un  évoque 
nommé  Trinhile  (170).  C'était  un  homme 
(pji  se  piquait  de  bien  parler.  Et  comme  il 
citait  dans  un  discours  ces  paroles  de  Jésus- 
Christ  au  paralytique  :  Empariez  votre  gra- 
bat, il  crut  que  le  mot  grabat  était  trop  bas, 
et  ne  voulut  |)as  s'en  servir.  Spiridion  en 
colère  lui  dit  :  Surpassez-vous  en  dignité 
celui    qui   s'est  servi  du    mol  de  grabat? 

{IG8)  «  Placiiii  milii  el  vobis  propter  enrani 
S2ii|.lniariiin,(piatnniilii(ralres  et  patres  mei  co-pi- 
scopi  duolius  contiliis  Numiiliae  et  Cai'lliaginis.  irn- 
poiiere  tlij;naii  suni,  ul  per  (iiiinipie  (lies  nt-iuo 
Miilii  molcslus  essct...  Parvo  lempore  servaluni  cm 
circa  me,  cl  poiie  i  violeiilor  irruplum  csi,el  iiuii 
pi'riT)iitor  ail  (jikxI  volo  vacare.  » 

ilG9)Lib.  lV//is/.,  0.29. 

OaATEL'BS  SàCRJvS.    LXVLII. 


RETUAITE  KCCI.ES.  —  X,  SCIENCE.  li:.0 

Avez -vous    Monte    de  vous  servir  do   ses 
paroles  ? 

En  second  lieu,  lisez  avec  respect  Icxs 
passages  do  l'Ecriture  que  vous  n'entendez 
|)as.  Soyez  persuadés,  comme  l'etiseigne 
saint  Paul,  quo  tonte  Ecriture  qui  est  inspi- 
rée de  Dieu  est  utile  pour  instruire,  pour  re- 
prendre, pour  corriger,  et  pour  conduire  à 
la  piété  et  à  la  justice.  (11  Tim.,  111,  16.)  Si 
vous  ne  comprenez  pas  les  vérités  de  l'E- 
criture, n'en  rejetez  pas  la  faute  sur  les 
livres  divins,  mais  sur  la  faiblesse  de  votre 
entendement. 

C'était  dans  celle  disposition  quo  saint 
Denis,  évêque  d'Alexandrie,  lisait  l'Apoca- 
lypse de  sainlJean,  comme  il  nous  paraît, 
par  ré|)ître  de  ce  grand  évoque  qu'Eusèbe 
nous  rapporte  (171).  Quoique  ce  livre  sacré, 
dit  le  saint  évoque,  surpasse  la  force  de  mon 
intelligence,  je  suis  persuadé  que  ce  qu'il 
contient  est  divin  et  digne  de  nos  admira- 
tions. Je  ne  mesure  [loint  par  rapjiorl  à  la 
faiblesse  de  monjugement  les  mystères  qui 
sont  renfermés  dans  ce  livre,  mais  li'ayant 
pour  guitle  que  le  flambeau  de  la  foi,  si  je 
n'cnlends  pas  ces  mystères,  je  crois  que  c'est 
leur  élévation  qui  nie  rend  incapable  de  les 
comprendre.  Bien  loin  de  condamner  ce  que 
je  n'entends  pas,  je  suis  persuadé  que  c'est 
ce  qu'il  y  a  de  plus  sublime  et  de  plus  divin 
dans  ce  livre. 

Voilà  le  modèle  de  la  soumission  que  v  Jus 
devez  avoir,  lorsqu'il  se  rencontre  dans  VK- 
crilure  des  passages  que  vous  ne  compre- 
nez pas.  Respectez  toujours  l'ouvrage  du 
Saint-Esprit. Si  vous  n'en  comprenez  pas  la 
beauté,  n'en  aijcusez  que  la  faiblesse  de  vos 
lumières. 

En  eifet,  dit  sainl  Augustin,  il  n'appartient 
pas  à  tous  les  hommes  d'aplanir  toutes  les 
dilficullés  qui  se  rencontrent  dans  l'Ecriture. 
Nous  voyons  souvent  que  ce  qui  parait 
inintelligible  à  ceux  qui  ne  se  sont  pas  ver- 
sés daiis  l'étude  des  Ecritures  remplit  Il-s 
âmes  d'un  saint  respect,  lorsque  les  plus 
habiles  nous  fout  voir  les  sens  merveilleux 
(jue  nous  ne  comprenions  pas  d'abord.  Ci^ 
serait  donc  l'eiret  d'une  grande  témérité,  ou 
d'un  orgueil  insupportable  que  de  vo-iloir 
comprendre  tous  les  mystères  dont  l'Ecri- 
ture est  remplie  (172.) 

Si  l'Ecriture  est  obscure,  dit  saint  Au- 
gustin, Dieu  l'a  voulu  ainsi,  afin  de  doin|)ter 
la  superbe  de  l'homme,  en  l'obligeant  h  se 
donner  beaucoup  de  peine  pour  en  com- 
prendre le  sens.  Dieu  l'a  voulu  ainsi,  afin 
que  l'homme  ne  méprisât  pas  les  livres 
saints  ;  car  il  lui  est  très-ordinaire  d'esti- 
mer peu  ce  qu'il  enletid  sans  peine.  D'où 
il  s'ensuit  (jue  bien  loin  (ju'un  véritable  fi- 
dèle |t;jisse   prétendre  qu'il   entendra  tout 


(!70)  SozoM  ,  lih.  F  Ilist.  cil. 

(171)  Lih.  VII  llht.  c.-ir,. 

(17:2)  «  Qiiis  non  iiilelligal  fi  ;ri  pnsse,  iaio  il 
s«iniicr  accuJyre,  ut  iriulla  inJoctis  videaiilur  al>- 
siirda,  (pire  ciiin  a  docioribus  expoiiuniiir,  co  lau- 
(laiiita  videaiiliir  elatiiH,  q  lo  claiisa  dilTiciliiis  ai>j- 
riel>aal:ir.  »   {De  nDribm  Eccl.  catli.) 


3ê 


WZi 


ORATEURS  SACRKS.  JOSEPH  LAMBERT. 


11Ô2 


ce  qui  est  rapporlé  dans  l'Ecriture,  il  doit 
an  conlraire  s'attendre  à  y  trouver  de  l'obs- 
curité. 11  doit  shnmilier  devant  Dieu, 
puisque  c'est  son  péché  qui  est  cause  que 
Dieu  n'a  pas  voulu  s'expliquer  d'une  ma- 
nière plus  claire  et  plus  inlelligible(173). 

En  troisième  lieu,  lisez  l'Ecriture  avec 
une  grande  soumission  à  l'autorité  de  l'E- 
glise, îi  qui  seule  il  appartient  d'en  déter- 
miner le  véritable  sens.  Si  vous  trouvez  des 
passages,  dit  ïertullien,  dont  l'explication 
vous  t)araisse  contraire  à  la  foi  qui  est  re- 
çue dans  l'Eglise,  confessez  que  vous  ne  les 
endendoz  pas.  Il  vaut  bien  mieux  les  igno- 
rer que  de  les  entendre  dans  un  sens  op- 
posé à  celui  qui  est  reçu  dans  l'Eglise;  car 
c'est  (oui  savoir  que  de  ne  rien  savoir 
qui  soit  contraire  h  la  foi  de   l'Eglise  (174.). 

Rien  n'est  plus  dangereux,  selon  saint 
Augustin,  que  de  ne  vouloir  écouter  que  sa 
raison  seule,  quand  on  s'applique  à  la  lec- 
ture des  livres  saints  (175). 

Tertullien  se  plaint  de  ceux  qui  ne  lisent 
les  Ecritures  que  pour  y  trouver  des  auto- 
rités qui  favorisent  leurs  intentions,  et  après 
avoir  expliqué  ces  autorités  selon  leur  sens, 
ils  ne  remarquent  dans  toutes  les  Ecritures 
que  ces  sortes  de  passages  dont  ils  abusent 
(176). 

C'est  encore  ce  que  nous  voyons  arriver 
tous  les  jours,  il  y  en  a  qui  ne  savent  de 
l'Ecriture  que  quelques  endroits  qu'ils  ex- 
l)liquent  mal  pour  appuyer  leurs  sentiments 
et  pour  autoriser  leur  conduite,  qui  d'ail- 
leurs est  condamnée  par  des  passages 
très-clairs  de  TEtrilure^t  par  les  décisions 
de  l'Eglise. 

En  quatrième  lieu,  ne  parlez  de  l'Ecriture 
sainte  qu'avec  un  grand  respect,  et  qu'elle 
ne  soit  jamais  la  matière  de  vos  railleries. 
Nous  voyons  à  regret  un  grand  nombre 
d'ecclésiastiques,  qui  tournent  l'Ecriture 
en  proverbes,  qui  ont  à  tout  propos  ses  pas- 
sages dans  la  bouche  pour  en  faire  des  rail- 
leries, et  pour  les  appliquer  à  des  choses 
indécentes  et  [irofanes.  Si  on  ne  se  moque 
point  de  Dieu  impunément,  peut-on  se 
moquer  de  sa  parole  dont  il  est  si  jaloux? 
Jésus-Christ  a-t-il  parlé,  afin  qu'on  détourne 
ses  paroles  h  contresens  dans  ks  comjja- 
gnies  luondaines,  et  qu'on  s'en  serve  comme 
d'un  sUjCt  de  divertissement?  Le  Saint- 
Esprit  a-l-il  inspiré  aux  écrivains  sacrés  des 
expressions  saintes,  atin  que  des  boulions 
les  usurpent,  et  en  fassent  la  matière  de 
leurs  railleries?  Des  livres  écrits  pour  ins- 
truire les  fidèles  sont- ils  composés  pour 
exciter  des  ris  immodérés?  Ce  livre  si  res- 
pecté par  les   fidèles  qui  le  lisent  avec  at- 


tention, qui  le  baisent,  qui  l'encensent,  et 
lui  portent  tant  d'honneur,  sera-t-il  livré  à 
l'insolence  des  diseurs  de  bons  mots?  Qui 
peut  expliquer  combien  ce  crime  est  grand 
dans  un  ecclésiastique  qui  doit  inspirer  aux 
autres  un  saint  respect  et  une  vénération 
profonde  pour  les  divines  Ecritures? 

Enlin,  si  vous  voulez  tirer  beaucouf)  de 
|)ro[it  de  la  lecture  do  l'Ecriture  ,  lisez-la 
dans  des  dispositions  chrétiennes.  Ces  dis- 
positions, selon  saint  Augustin,  sont  la 
crainte  de  Dieu,  un  désir  sincère  de  cher- 
cher la  volonté  de  Dieu  dans  les  saintes 
licritures,  une  grande  aversion  pour  les  dis- 
putes inutiles  (177). 

Le  travail  et  la  piété  sont  également  né- 
cessaires, dit  le  même  saint  Augustin,  ()our 
entendre  l'Ecriture.  En  la  lisant  avec  apnli- 
cation  on  découvre  les  vérités  qui  y  sont  ca- 
chées (178).  En  la  lisant  avec  piété  on  mérita 
d'être  instruit  de  ces  vérités.  Ce  qui  fait  que 
la  lecture  de  l'Ecriture  sainte  est  inutile  à 
tant  de  personnes,  c'est  qu'on  la  lit  par  cu- 
riosité et  pour  se  satisfaire.  Mais  il  y  en  a 
peu  qui  la  lisent  avec  simplicité  et  avec  hu- 
milité. Le  Fils  de  Dieu  nous  enseigne  que 
son  Père  cache  les  vérités  aux  sages  et  aux 
prudents,  et  quil  les  découvre  aux  simples  et 
aux  petits.  {Matth.,  XI,  25.) 

Voilà  la  science  |)rincipale  qu'un  ecclé- 
siastique doit  avoir  pour  bien  exercer  ses 
fondions.  A  quoi  j'ajouterai  qu'un  ecclésias- 
stique  ne  doit  jamais  se  dire  à  soi-même 
qu'il  en  sait  assez  [lour  reni|ilir  ses  devoirs, 
et  qu'il  serait  très-criminel  si  sur  ce  fonde- 
ment il  prenait  la  résolution  d'abandonner 
l'étude. 

Car,  premièrement,  comment  peut-on  se 
flatter  d'en  savoir  assez?  L'expérience  ne 
fait-elle  pas  voir  qu'il  se  présente  tous  les 
JDurs  de  nouvelles  difficultés  qui  arrêtent 
les  plus  habiles?  Si  vous  n'en  rencontrez 
pas  dans  l'exercice  de  votre  ministère,  c'est 
peut-être  parce  que  vous  décidez  trop  har- 
diment de  ce  que  vous  ne  savez  pas;  et  par 
là  vous  courez  risque  de  commettre  des 
fautes  très-lourdes,  dont  vous  répondrez 
un  jour  quand  vous  paraîtrez  au  tribunal  de 
Dieu. 

En  second  lieu ,  je  veux  que  vous  en  sa- 
chiez assez  pour  exercer  vos  fonctions. 
N'est-il  pas  certain  que  vous  les  rempli- 
riez mieux  si  vous  aviez  plus  de  science? 
Si  vous  vous  appliquiez  à  la  lecture  de  l'E- 
criture sainte ,  vous  y  trouveriez  tous  les 
jours  de  nouvelles  lumières.  Un  pécheur 
ne  sera  point  touché  de  cette  roison,  il  le 
sei  a  d'une  autre  que  la  méditation  de  J'E- 
crilure  vous  fournira.   Quand    vous    vous 


(173)  «  Qiiod  totnm  provisum  divinilus  osse  non 
dubilo,  ad  edomaiidam  labore  superbiain  et  inlel- 
li^cium  a  taslidio  revocandum,  oui  tacite  iiivebtigata 
pleruiiique  viicscunl.  >  (Lib.  Il  De  doclr.  cliri- 
itiana,  c.  (i.) 

(174)  f  Adversus  regubm  iiiiiil  scire,  omnia  scirc 
est.  »  {De  prœscrii).,l\,  14.) 

(175)  Lib.  III  De  docirina  Christian. ,c.  25.) 
'(J7G)«Nulh';n  aliain  Evangelii  memoriam  curanl.) 


{De  coroua,  c.  1.) 

(177)  I  Homo  limens  Deum,  volunlatem  ejus  in 
Scripiiiri$  banctis  diligeiiter  inqiiirii,  et  ne  amtl 
tertamina,  venial  ila  inslriicliis  ad  ainbigua  Scrip- 
tur«  disculieniia.  t  (Lib.  111  De  docirina  cliristiana, 
c.  1.) 

(178)  «  Et  diligcnlia  et  pielas  adhibenda  est.  Al- 
lero  lift  ut  scieiites  invemamiis,  alieio  utsciie  me- 
reamur.  i  {Do  moribus  eccl.  cullio!.,  c.  1.) 


1153 


■RETRAITt:  ECCLES.  —  XI,  SCIENCE. 


1i3i 


appliquoreznlus  sérieu'scmenl  à  vous  nour- 
rir de  ce  céleste  aliment ,  vos  inslrucliotis 
seront  plus  fortes  et  elles  rendront  vns 
auditeurs  plus  attentifs.  Un  (lasleur  ziMé 
doit  avoir  pour  principe  de  ne  rien  oiuellre 
de  ce  qui  peut  dépendre  de  lui  pour  exer- 
cer SIS  foticlions  en  la  meilleure  manière 
qui  lui  est  possible. 

En  troisième  lieu,  si  vous  pouvci  faire 
de  notiveani  progrès  dans  l'éludi!  par  uii 
travail  sérieux  ,  croyez-vous  que  Dieu  qui 
vous  a  donné  ce  talent  ne  vous  en  deman- 
liera  point  compte?  croyez-vous  que  celui 
tjui  a  plus  de  génie,  plus  de  leuips,  plus  <le 
«lisposilions ,  n'est  pas  obligé  à  davantage 
que  celui  qui  en  a  moins  ?  Donnez-moi  donc 
l'explication  de  cette  parole  de  l'Eoriturf  : 
On  redemandera  beaucoup  à  celui  à  qui  en  a 
donné  beaucoup ,  et  on  fera  rendre  un  plus 
grand  compte  à  celui  à  qui  on  aura  confié 
plus  de  chosfs.  {Luc.,\U,  4-8.) 

En  quatrième  lieu  ,  est-ce  qu'il  faut  tou- 
jours compter  avec  Dieu  et  ne  faire  préci- 
sément les  choses  que  lorsque  l'on  croit  y 
être indispensablement  obligé?  Pou vez-vous 
douter  qu'il  ne  soit  très-agréable  à  Dieu 
que  vous  nourrissiez  votre  piété  et  celle  du 
peuple  qui  vous  est  contié  par  une  lecture 
continuelle  des  livres  saints?  C'est  une 
chose  si  digne  d'un  ecclésiastique  d'avan- 
cer dans  la  lecture  de  l'Ecriture  sainte,  de 
lire  les  ouvrages  des  saints  Pères! 

Quand  un  ecclésiastique  n'éludierait  que 
parce  qu'autrement  il  ne  pi  ut  fuir  l'oisi- 
veté, c'est  une  raison  qui  démontre  que 
quelque  progrès  qu'un  ecclésiastique  ait 
lait  dans  l'étude,  il  ne  doit  jamais  disconti- 
nuer un  travail  si  saint ,  si  nécessaire,  si 
convenable  à  sa  profession. 

Tous  les  saints  pasteurs  ont  aimé  l'élude. 
Us  s'y  sont  appliqués  et  ils  ont  cru  qu'il 
leur  était  très-important  de  se  rendre  habi- 
les. Saint  Grégoire  de  Nazianze  dit  (179) 
qu'il  n'a  de  l'empressement  que  pour  les 
sciences,  qu'il  ne  se  plaint  point  des  peines 
qu'il  a  soulTertes  sur  la  terre  et  sur  la  mer 
pour  les  acquérir,  qu'il  les  préfère  à  tout  ce 
qu'il  y  a  dans  le  monde,  qu'il  n'a  rien  de 
plus  cher  après  les  biens  inlinis  qu'il  attend 
de  la  miséricorde  du  Seigneur. 

Deux  maximes  fondamentales  qui  sont 
une  suite  nécessaire  des  principes  que  je 
viens  d'établir. 

La  première,  qu'un  ecclésiastique  doit 
beaucoup  savoir,  pour  bien  remplir  ses 
fonctions. 

La  seconde,  qu'un  ecclésiastique  doit 
toujours  tâcher  d'acquérir  de  nouvelles 
lumières,  afin  de  mieux  connaître  la  sain- 
teté de  son  état  et  d'exercer  plus  dignement 
le  saint  ministère  qui  lui  est  confié. 

Travaillez  donc  à  acquérir  cette  science 
qui  vous  est  si  nécessaire.  Si  vous  ne  l'avez 
pus  encore  acquise  ,  si  vous  n'êtes  pas  en 
état  de  rendre  service  à  l'Eglise  ,  n'entrez 
point  dans  le  sanctuaire.  L'Eglise  a  besoin 
de  ministres,  à  la  vérité,  mais  non  pas  do 

(179)  Oral.  13,  p.  96. 


ministres  inutiles.  Elle  n'a  qu'une  Iroi» 
grande  abondance  de  ministres  qui  man- 
gent et  qui  ne  travaillent  point,  qui  recueil- 
lent et  qui  ne  sèment  point,  qui  s'engrais- 
sent de  ses  biens,  et  qui,  bien  loin  de  lui 
rendre  service,  la  déshonorent  par  une  vie 
oisive  et  souvent  criminelle. 

N'entrez  point  dans  le  sein  de  l'Eglise, 
ministres  sans  scienco,  nuées  sans  eau  {Jud., 
i-2j,  comme  parle  l'apôtre  saint  Judo,  doc- 
leurs  sans  doctrine,  qui  n'avez  pour  toute 
autorité  que  votre  hardiesse  ,  et  pour  toute 
science  que  vos  décisions  {jrécipilées. 

Ce  sont,  conlinue  le  même  apôtre,  rfcç 
nuées  sans  eau  que  le  vent  emporte  çà  et  là 
[Ibid.],  (larce  (ju'ils  n'ont  aucun  principe  as- 
suré, et  qu'ils  changent  à  tout  moment  de 
sentiment  et  de  doctrine. 

Ce  sont  des  arbres  dont  le  fruiî  ne  mûrit 
point,  arbres  stériles,  arbres  doublement  morts 
et  déracinés  (Ibid.),  morts  premièrement, 
parce  qu'enirant  dans  l'Eglise  malgré  l'Egli- 
se, ils  se  donnent  la  mort  ;  mais  doublement 
morts,  parce  qu'ils  répandent  partout  une 
odeur  de  mort,  parce  qu'ils  donnent  la 
mort  à  ceux  qui  écoutent  leur  mauvaise 
doctrine. 

Ce  sont  des  étoiles'  errantes  auxquelles 
une  tempête  noire  et  ténébreuse  est  réseri'ée 
pour  l'éternité.  {Ibid  ,  13.) 

En  ellel,  dans  la  loi  ancienne  il  y  avait 
des  sacrilices  pour  riguorame  du  [leuple, 
mais  il  n'y  en  avait  point  pour  celle  des 
prêtres,  llsemble  qu'il  n'y  a  f)0int  do  salut 
à  es|)érer  pour  un  ministre  sans  science. 

Jésus-CÎirist  n'a  pour  eux  que  jies  senti- 
ments d'indignation.  En  saint  Marc  il  les 
regarde  arec  colère,  affligé  de  l'aveuglement  de 
leur  canir.  {Marc,  lll,  5.)  En  t^aiiU  Matthieu, 
laissez-les,  ce  sont  des  aveugles  {Matth.,  Xli, 
k.)  Comme  s'il  disa  t,  laissez-le.s,  leur  mala- 
die est  sans  remède. 

Prévenez  un  si  étrange  malheur.  Si  vous 
n'avez  pas  la  scienct^  nécessaire  pour  être 
ecclésiaslii]ue,  il  vaut  mieux  se  sauver  dans 
une  condition  inférieure  que  de  se  perdro 
pour  avoir  usur[)é  un  honneur  qui  ne  nous 
est  pas  destiné. 

Mais  tout  ce  que  je  viens  de  dire  n'est  que 
pour  effrayer  les  téméraires  qui  se  précipi- 
te,it  dans  le  sanctuaire  sans  se  sonder  eux- 
mêmes.  Que  ceux  qui  sont  ap()elés,  que  ceux 
qui  ont  de  la  science  pour  sei  vir  le  piochaiii 
entrent  avec  confiance.  Lamoisson  est  grande, 
et  il  y  a  peu  d'ouvriers  {Matth.,  IX,  37)  , 
peu  d'ouvriers  habiles,  peu  u*uuvT,ers  capa- 
bles de  rendre  service  à  l'Eglise.  Venezdonc 
avec  contiance,  venez  secourir  l'Eglise  dans 
ses  besoins  si  piessanis.  Venez  pour  travail- 
ler au  salut  de  vos  frères,  et  vous  en  rece- 
vrez la  récompense  dans  l'éiernité. 

DISCOURS  XI. 

DE  LA  SCIENCE. 

J'ai  déjà  commencé  à  vous  ontrelenir  de 
la  science  ecclésiastique.  Je  vous  en  ai  fait 
voir  la  nécessité  et  en  quoi  elle  consiste. 


lir 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1130 


Ce  que  vous  avez  vu  de  la  nécessité  de 
relie  science  vous  a  sans  (ioule  l'ail  dé[)lorer 
le  malheur  cxliênie  de  i'Kgliso.  Elle  v(mjI 
(|ue  ses  ministres  soient  savants.  Elle  le  veut 
avec  raison,  [)uisque  ceux  (^ui  sont  sans 
science,  bien  loin  d'être  en  état  de  la  servir, 
lui  font  Ions  les  jours  de  très-profondes 
blessures.  Cependant  des  ministres  sans 
science,  malgré  les  défenses  de  l'Eglise,  ont 
la  liardiesse  d'usurper  les  places  les  j)lus 
importantes. 

O  vous  qui  avpz  quelque  autorité,  venez 
au  secours  du  l'Eglise,  cousolez-la  dans  sa 
tristesse,  opposez-vous  aux  téméraires  ef- 
forts de  ces  indignes  ministres  qui  déslio- 
norenl  leur  caractère. 

Vous  qui  conservez  du  respect  pour  les 
ordres  de  l'Eglise,  obéissez  aux  saintes  lè- 
gles  qu'elle  a  établies.  Si  vous  voulez  t^lre 
au  rang  de  ses  ministres,  que  ce  soit  pour 
être  de  fidèles  dispensateurs  des  mystères  de 
Dieu  (I  Cor.f  IV,  1);  et  [luiscjuo  !a  science 
est  d'une  nécessité  indispensable  pour  exer- 
cer dignement  les  saintes  fonctions  di;  l'élat 
ecclésiastique,  travaillez  avec  ardeau'à  vous 
rendie  tels  que  Jésus -Christ  et  l'Eglise 
veulent  que  vous  soyez. 

J'ai  donc  maintenant  à  pailer  à  ceux  qui 
sont  convaincus  de  la  nécessité  qu'il  y  a  de 
se  rendre  habiles  pour  servir  ulilemeul  l'K- 
giise.  La  science  qu'ils  ont  acquise  et  dans 
laquelle  ils  se  proposent  do  faire  de  nou- 
veaux progrès,  est  un  précieux  talent  qui 
vient  du  ciel,  et  qui  peul  |)roduire  beaucoup 
de  fruit.  Mais  comme  on  peut  abuser  des 
clioses  les  plus  saintes,  on  peut  faire  un 
très-mauvais  usage  de  la  science,  on  peut 
se  servir  pour  sa  propre  condamnation  de 
ce  que  Dieu  même  nous  donne,  a!in  que 
nous  l'employons  pour  notre  sanctilicution. 
Il  y  a  beaucoup  de  ministres  qui  se  per- 
dront, parce  qu'ils  n'ont  [)oint  la  science.  Il 
y  en  a  aussi  beaucoup  dont  la  perle  est  as- 
surée, [)arce  qu'ils  profanent  les  dons  de 
Dieu  par  le  mauvais  usage  quils  en  font. 

Il  est  donc  bien  important  d  apprendre 
aux  ecclésiastiques  à  se  bien  servir  de  leur 
science.  C'est  le  dessein  que  je  me  pro|)ose 
dans  les  deux  parties  de  ce  discours  Dans 
la  première  je  vous  ferai  voir  les  motifs  que 
les  ecclésiastiques  doivent  se  proposer  dans 
leurs  études;  et  dans  la  seconde  je  vous 
expliquerai  les  résolutions  que  les  ecclé- 
siastiques doivent  former  par  rapport  ii  l'é- 
tude. 

PREMIER  POINT. 

On  peut  se  proposer  plusieurs  vues  lors- 
qu'on s'applique  à  l'élude.  De  toutes  ces 
vues  il  n'y  en  a  qu'une  seule  qui  soit  légi- 
time. Ainsi  lorsqu'on  n'a  pas  celte  lin  uni- 
(jua  et  légitime,  il  est  sans  doute  que  l'on 
s'égare,  et  que  l'on  s'en  propose  une  qui  est 
mauvaise. 

Quelle  est  la  un  qu'un  ecclésiastique  doit 
se  [)roposer  dans  son  étude.  Je  [)rétends  que 
sa  lin  unique  doit  être  de  glorifier  Dieu  et 
de  su  rendre  utile  au  prochain.  Quelleque 
soit  votre  lin  dans  vos  éludes,  si  ce  n'est 


pas  la  gloire  do  Dieu  qui  vous  louche,  et 
<pii  vous  fait  agir,  vous  vous  trompez. 
Quand  vous  vous  appliquez  à  l'élude,  c'est 
une  bonne  action  que  vous  corrompez  par 
une  mauvaise  fin. 

De  tous  les  [lernieieux  molifs  qui  con- 
duisent les  hoiniues,  et  qui  ne  sont  que 
trop  souvent  la  lin  de  leurs  études,  il  y  en  a 
trois  qui  ont  beaucoup  de  force  pour  les 
séduire,  savoir,  la  curiosité,  l'intérêt  et  la 
vanité. 

Les  uns  éiudicnl  pour  satisfaire  un  vain 
désir  qui  les  presse  d'acquérir  de  nouvelles 
connaissances,  leur  passion  est  de  décou- 
vrir ce  que  les  autres  n'ont  point  connu. 
Leur  esprit  inquiet  est  semblable  à  un  feu 
dans  lecpiel  il  fout  toujours  que  l'on  jette 
quel(|ue  nouvelle  matière  pour  en  entrete- 
nir la  force  et  l'activité.  Et  c'est  15  ce  que 
l'appelle  ôlre  dominé  par  une  vaine  cu- 
riosité. 

Il  y  en  a  d'autres  qui  regardent  la  science 
coinnie  un  moyen  de  [)arvenir.  Ils  considè- 
rent que  l'entrée  aux  dignités  ecclésiasti- 
ques leur  serait  lennée,  s'ils  n'acquéraient 
quelque  capacité.  Le  désir  qu'ils  ont  de  s'é- 
lever leur  fait  embrasser  avec  ardeur  tous 
les  moyens  qui  peuvent  contribuer  à  l'ac- 
complissemenl  de  leurs  desseins.  Il  est  aisé 
de  voir  que  c'est  l'intérêt  qui  fait  agir  ceux 
qui  sont  dans  cette  mauvaise  disposition. 

D'autres  enfin  sont  touchés  de  la  gioiro 
que  l'on  acquiert  quand  on  fait  du  jirogrès 
dans  les  sciences.  Le  nom  de  savant  est  un 
nom  qui  distingue,  et  qui  rend  un  honnne 
recommandabie.  Ils  se  llatlent  qu'ils  se  fe- 
ront un  nom,  (ju'on  parlera  d'eux  avec 
honneur,  que  malgré  les  efforts  de  la  mort 
ils  vivront  dans  l'esprit  des  hommes.  Ceux 
que  la  vanité  a  séduits  se  repaissent  de  ces 
fausses  idées,  et  l'on  est  étonné  quanil  on 
considère  combien  cette  fin.  chimérique  a 
de  force  pour  soutenir  les  hommes  au  milieu 
de  toutes  les  peines  qu'ils  se  donnent.- 

Je  parle  donc,  premièrement,  à  ceux  qui 
s'apfiliquent  à  l'étude,  parce  qu'ils  veulent 
savoir.  Leur  curiosité  est-elle  raisonnable  ? 
Peut-on  avoir  pour  fin  de  re|)ailre  son  es- 
prit par  une  infinité  de  nouvelles  connais- 
sances ?  Vouloir  toujours  apprendre,  sans 
mettre  aucunes  bornes  à  ses  désirs,  c'est 
vouloir  pénétrer  un  abîme  qui  n'a  point  de 
fond  ;  c'est  vouloir  épuiser  ce  qui  est  iné- 
puisable. 

Si  celui  qui  se  laisse  emporter  par  sa  cu- 
riosité a  quelquefois  le  plaisir  de  se  satis- 
faire, ce  plaisir  lui  coûte  cher.  11  n'est  pas 
longtemps  sans  apercevoir  qu'il  y  a  nombre 
infini  de  connaissances  auxquelles  il  n'ar- 
rivera jamais.  Plus  il  apprend  ,  plus  il  voit 
qu'il  y  a  des  choses  qu'il  ignore.  Il  s'éloi- 
gne de  sa  fin  en  tâchant  d'en  approcher.  Ce 
qu'il  a  au-dessus  des  autres,  c'est  qu'il 
connaît  son  ignorance.  Est  il  pour  cela  suf- 
fisamment dédommagé  de  ses  peines  et  de 
ses  travaux? 

Saint  Grégoire  de  Nazianzo  assure  avec 
raison  que  le  désir  immodéré  desavoir  est 
toujours  suivi  d'uu  grand  nombre  de  cha- 


ÎI37 


REÏRAITK  ECCLKS.  —  XI,  SCIKNCE. 


H."8 


grins  { 180).  Ce  qu'on  sait,  (iil  ee  Père,  f;iit 
moins  de  plaisir  que  ce  qu'on  ignore  ne 
cause  lie  douleur.  I!  en  est  à  peu  près  com- 
me de  ceux  qui  ne  peuvent  irouver  d'(!au 
pour  tHeindre  la  soii  qui  les  hrille,  ou  qui 
ne  peuvent  relenir  ce  qu'ils  ont  dans  les 
mains,  ou  qui  ont  ùié  frapjK^s  d'un  éclair 
qui  s'évanouit  on  un  moment. 

C'est  à  ces  liomnies  qui  no  sont  jamais 
contents  d'euxmèuMS,  et  à  qui  la  curiosité 
inspire  toujours  d'aller  plus  loin  que  VEc- 
clésiastique  a^lrcsse  la  parole.  Qu'ils  écf>u- 
tent  les  conseils  pleins  de  sagesse  de  cidui  qui 
a  si  bien  connu  la  vanilé  desclioses  liuniai- 
ncs'.Nechercftcz  point,  dit  le  sage,  ce  qui  est  au- 
dessus  de  vous,  et  ne  tâchez  point  de  pénétrer 
ce  qui  surpasse  vos  forces ,  mais  pensez  tou- 
jours à  cequeDieu  vous  a commendé ,  et n\iyez 
point  ta  curiosité  d'examiner  la  plupart  de 
ses  ouvrages.  [Eccli.  111  ,  22.) 

Il  y  a  donc  des  choses  qui  sont  au-dessus 
d(!  nous  ;  il  y  en  a  qui  sur[iasstnt  nos  forces. 
Il  n'y  en  a  point  qui  doivent  en  êire  [dus 
convaincus  que  ceux  qui  font  plus  d'efforts 
pour  les  pénétrer.  N'est-ce  pas  une  évidente 
folie  que  de  vouloir  voler,  lorsqu'on  n'a 
point  d'ailes  ,  et  de  vouloir  à  louleforce  en- 
trer dans  une  région  ,  dont  tous  les  jiassa- 
ges  nous  sont  fermés. 

Il  y  a  d'^s  choses  que  Dieu  veut  que  nous 
connaissions,  et  ce  sont  celles-:?»  que  nous 
affectons  d'ignorer.  Il  y  en  a  d'autres  dont 
Dieu  a  voulu  nous  cacher  la  coiuiaissance  , 
t'A  ce  sont  celles-là  que  nous  voulons  péné- 
trer. Le  rage  continue  à  nous  expliquer 
celte  vérité,  et  il  nous  dit  :  Car  vous  n'avez 
que  faire  de  voir  de  vos  yeux  ce  qui  est  caché. 
Ne  vous  appliquez  point  avec  empressement 
à  la  recherche  des  choses  non  nécessaires  , 
et  n'examinez  point  avec  curiosité  les  divers 
ouvrages  de  Dieu.  {Ibid.,  23,  24.) 

Voilà  une  excellente  règle  pour  distin- 
guer les  choses  que  nous  devons  appren- 
dre, et  celles  dont  nous  ne  devons  point 
rechercher  la  connaissance.  Examinons  les 
choses  dont  la  connaissance  nous  est  néces- 
saire selon  noire  élat. C'est  là  ce  que  Diuu 
veut  que  nous  sachions ,  et  c'est  là  oij  nous 
pouvons  avec  fruit  exercer  notre  curiosité. 
Car,  continue  le  sage,  Dieu  nous  a  découvert 
beaucoup  de  choses  qui  étaient  au-dessus  de 
l'esprit  de  l'homme.  { Jbid.,  "2.0.)  Dieu  n'en 
a-l-il  pas  fait  assez  pour  nous,  de  nous  dé- 
couvrir tant  de  merveilles?  Les  avons-nous 
bien  étudiées  ces  merveilles  que  Dieu  nous 
a  révélées  ?  Tel  qui  ne  connail  [)as  les  pre- 
miers éléujents  de  sa  religion  passe  vaine- 
ment son  temps  dans  la  recherche  de  plu- 
sieurs choses  dont  il  est  irès-indiiférent 
d'être  instruit.  Quelquefois  même  ce  seront 
des  imagiiiationslrompeuses,  des  conjectures 
incertaines  ,  des  raisonnemenls  fabriqués 
dans  l'école  du  père  du  mei;songe ,  qui 
rempliront  l'esprit  de  l'homme.  lit  c'est  Ih 
ce  que  l'ecclésiastique  déplore  quand  il 
ajoute  que  plusieurs  se  sont  laissés  séduire  à 
leurs  vaines  opinions,  que  l'illusion  de  leur 

(l80)Orat.  I,p.  52. 


esprit  les  a  retenus  dans  ta  vanité  et  le  men- 
songe. (Ibid.,  26.) 

Qut'l  e-^t  le  moyen  de  réprin)er  cet  esprit 
de  curiosité,  au(|uel  il  est  si  dangereux  de 
se  laisser  séduire  ?  C'est  de  ne  point  vouloir 
savoir  ce  qui  est  au-dessus  de  nous  ;  c'est  d(3 
se  renfermer  dans  la  connaissance  des  cho- 
ses dont  Dieu  veut  (|ue  nous  soyons  ins- 
truils;  c'est  do  n'être  point  possédé  du 
désir  de  savoir  ;  c'est  de  s'appliquera  l'é- 
lude par  rapport  à  Dieu,  pour  obéir  au 
commandement  de  Dieu  ;  c'est  de  suivre 
exactement  l'ordre  de  Dieu,  soit  pour  le 
temps  que  nous  devons  donner  à  l'étude, 
soit  pour  les  connaissances  que  nous  devons 
t;1lcher  d'acquérir,  soit  pour  l'usage  que  nous 
devons  faire  de  notre  science. 

Ceux-là  ne  se  trompent  pas  moins  qui 
considèrent  la  science  comme  un  moyen 
de  s'élever,  et  de  parvenir  aux  dignités  ec- 
clésiastiques, qui  sont  le  principal  objet  do 
leurs  désirs  et  de  leurs  empressements. 

C'est  un  principe  certain  que,  quand  la  fin 
est  criminelle,  les  moyens  sont  aussi  cri- 
minels. La  fin  a  ce  malheureux  pouvoir. 
Quand  elle  est  mauvaise,  elle  corrompt  Ions 
les  moyens  que  l'on  emploie  pour  y  parve- 
nir. C'est  la  vérité  dont  Jésus-Christ  nous 
instruit,  quand  il  nous  dit  dans  l'Evangile, 
que  si  notre  œil  est  simple,  tout  notre  corps 
sera  éclairé,  mais  que  si  notre  œil  est  mauvais, 
tout  noire  corps  sera  aussi  ténébreux.  {Luc, 
XI,  34.) 

Il  est  criminel  de  désirer  les  dignités  ec- 
clésiastiques, donc  il  criminel  de  s'appliquer 
à  l'étude  dans  la  vue  de  s'élever  aux  digni- 
tés ecclésiastiques.  Si  le  principe  est  certain, 
la  conséquence  no  peut  qu'elle  ne  soit  cer- 
taine. Or,  qui  peut  douter  que  le  désir  de 
s'élever  aux  dignités  ecclésiastiques  ne  soit 
manifestement  condamné? Ce  désir  est  une 
ambition  d'autant  plus  criminelle  qu'elle  fi 
pour  objet  les  choses  saintes.  Ce  désir  est 
un  obus  des  choses  saintes.  Ce  n'est  donc  pas 
simplement  un  crime,  mais  c'est  une  espèce 
de  sacrilège. 

Autre  chose  est  d'éludier,  afin  d'être  en 
élat  de  remplir  les  d(ivoirs  des  dignités 
ecclésiastiques,  lorsque  nous  y  serons  lé- 
gitimement api  elés  ;  autre  chose  est  d'étu- 
dier dans  la  vue  de  s'élever  aux  dignités 
ecclésiastiques. 

Le  premier  est  dans  l'ordre  de  Dieu;  il 
connaît  le  poids  des  dignités  ecclésiasti- 
(jucs,  il  les  craint,  il  les  redoute,  il  les  fuit 
même,  mais  seulement  il  se  tient  prêt  pour 
obéir  à  Dieu,  dès  le  moment  qu'il  lui  fera 
connaître  ses  ordres.  Ce  n'est  point  l'éclat 
des  dignités  ecclésiastiques  qui  l'ébluuil. 
Il  cherche  le  travail  et  non  point  l'éléva- 
tion. 

L'autre  au  contiaire  est  plein  de  l'esprit 
d'oigucil.  11  vient  pour  servir  Jésus-Christ 
avi'c  un  esprit  enlièreraont  contraire  à  celui 
de  Jésus-Christ.  Il  veut  être  grand,  et  Jésus- 
Christ  déclare  que  les  pelil-;  sont  ses  bien- 
aimés.  Il  se  réjouit   d'ôlre   3levé,  et  Jésus- 


i\ô'3 


OnATiailS  SACRES.  JOSEPH  LAMDERT. 


mo 


Christ,  veul.que  l'on  ciierche  l'abaissement. 
II  court  après  ce  que  les  saints  ont  fui. 
Il  n'est  [)Oint  effrayé  de  ce  qui  a  paru  à  tous 
les  saillis  un  fardeau  au-dessus  des  forces  de 
l'homme.  Peut-on  concevoir  une  hardiesse 
plus  grande  et  une  lémérilé  plus  condam- 
nable? 

Ce  que  plusieurs  font  pour  s'élever,  et 
pour  parvenir  aux  dignités,  d'autres  le  font 
pour  acquérir  un  nom  et  pour  établir  leur 
réputation.  On  veut  être  distingué  dans  !e 
monde,  y  être  estimé,  y  paraître  avec  éclat. 
Voilà  pourquoi  l'on  se  donr>e  beaucoup  de 
peine  pour  avancer  dans  les  sciences,  parce 
qu'on  sait  que  les  gens  habiles  y  sont  plus 
estimés  que  les  autres.  Vouloir  être  estimé 
dans  le  monde,  c'est  un  désir  condamnable 
dans  tout  chrétien,  plus  condamnable  en- 
core dans  un  ecclésiastique,  qui  par  son 
caractère  est  plus  obligé  d'entrer  dans  l'es- 
prit de  Jésiis-Christ. 

I.e  désir  d'être  estimé  des  hommes  peut- 
il  s'accorder  avec  la  morale  du  Fils  de  Dieu? 
Toutes  les  maximes  que  le  Sauveur  nous  a 
enseignées  détruisent  ce  pernicieux  désir. 
Jésus  Christ  a  perpétuellement  enseigné  à 
ses  disciples  à  s'abaisser,  à  s'humilier,  à  se 
cacher.  Tel  est  le  véritable  esprit  du  chris- 
tianisme. Vouloir  être  estimé  des  hommes, 
agir  en  vue  île  cette  estime,  en  faire  sa  tin 
et  son  bonheur,  c'est  renoncer  à  cet  es- 
prit. 

C'est  une  joie  bien  indigne  d'un  chrétien 
que  ceî.'equi  a  pour  principe  l'honneur  qu'on 
lui  rend  dans  le  monde,  et  l'estime  qu'on 
fait  de  ses  bonnes  qualités.  Estime  fragile 
et  inconstante  qui  dépend  uniquement  du 
caprice  des  hommes.  Aujourd'hui  ils  (  sti- 
inent,  et  demain  ils  méprisent.  Y  a-l  il  quel- 
que changement  dans  ce  qui  est  l'objet  de 
leur  estime  et  de  leur  mépris?  Non.  Mais 
c'est  que  les  hommes  qui  dans  leurs  juge- 
ments ont  souvent  leur  fantaisie  pour  règle, 
ne  lont  aucune  difficulté  de  suivre  en  peu 
de  temps  des  sentiers  entièrement  opposés. 
C'est  pour  les  hommes  que  vous  travaillez, 
c'est  pour  être  estimé  d'eux.  Ah  !  que  l'on 
'.  peut  dire  avec  grande  raison  que  vous  bâ- 
tissez sur  le  sable.  Un  nuage  qui  s'élèvera, 
iiu  mauvais  pas  que  vous  ierez,  une  inter- 
prétation fâcheuse  que  l'on  donnera  à  vos 
sentiments,  un  dégoût  qui  est  fort  souvent 
la  suite  d'une  estime  qui  a  duré  quelque 
teuqis,  il  n'en  faut  pas  davantage  pour  rui- 
ner en  fort  peu  de  tenqjs  un  ouvrage  qui 
vous  a  coûté  tant  de  peine. 

Voulez-vous  bâlir  sur  un  fondement  plus 
solide,  travaillez  pour  Dieu.  Faites  ce  qu  il 
demande  de  vous,  afin  que  vous  ayez  l'avan- 
tage de  lui  plaire.  Mettez-vous  peu  en  peine 
que  votre  nom  soit  considéré  dans  le  mon- 
de, mais  que  vos  grand*  efforts  soient  pour 
mériter  que  votre  nom  soit  écrit  dans  le 
ciel.  C'est  là  ce  qui  peut  avec  raison  causer 
h  un  chrétien  une  joie  solide,  suivant  ce 
que  le  Fils  de  Dieu  nous  enseigne  dans 
lEvangile,  quand  il  nous  dit  :  Béjouissez- 
ronsdece  que  vos  noms  sont  écrits  dans  le 
iiel.  [Luc.  X,  L7.) 


Voilà  donc  bien  des  motifs  trèssiangereux 
que  les  ecclésiastiques  doivent  éviter  avec 
beaucoup  de  soin,  puisque,  s'ils  étaient  as- 
sez malheureux  pour  se  laisser  séduire  par 
ces  mauvais  motifs, bien  loin  délirer  aucun 
fruit  de  leurs  études,  elles  leurs  seraient 
très-pernicieuses. 

11  y  a  plusieurs  chemins  détournés,  et 
dans  lesquels  on  s'égare  :  il  n'y  en  a  qu'on 
seul  qui  conduit  à  la  vérité.  Je  vous  ai  dil 
que  le  seul  motif  qu'un  ecclésiastique  puisse 
se  proposer  légitimement  dans  les  éludes, 
c'est  la  gloire  de  Dieu  et  l'utilité  du  pro- 
chain. Un  ecclésiastique  qui  est  conduit  par 
cet  heureux  motif  n'a  plus  rien  à  craindre. 
Il  peut  en  toute  sûreté  s'appliquer  à  l'é- 
tude. Tout  le  venin  que  ta  science  peut  en- 
traîner après  elle  ne  l'infectera  point.  11  a 
en  lui-même  un  préservatif  sûr  et  infailli- 
ble pour  se  bien  servir  de  sa  science  et 
pour  n'en  point  craindre  les  abus. 

Un  ecclésiastique  n'a  qu'à  considérer  ce 
qu'il  est,  et  il  verra  bientôt  le  motif  qu'if 
doit  se  proposer  dans  toutes  ses  actions,  et 
par  conséquent  dans  ses  études. 

Un  ecclésiastique  est  le  ministre  de  Jé- 
sus-Christ. Il  est  fait  ecclésiastique  pour 
prêcher  Jésus-Christ,  pour  le  faire  con- 
naître, pour  affermir  son  règne,  pour  an- 
noncer sa  gloire.  C'est  donc  cette  gloire  de 
Jésus-Christ  qu'un  ecclésiastique  doit  avoir 
continuellement  en  vue.  C'est  un  terme 
qu'il  ne  doit  jamais  cesser  de  regarder.  C'est 
cette  gloire  qui  le  doit  conduire  dans  toutes 
ses  actions,  qui  le  doit  animer  Sa  grande 
et  son  unique  application  doit  être  d'exami- 
ner les  moyens  dont  il  peut  se  servir  le  plus 
avantageusement  pour  parvenir  à  une  tin 
si  noble.  Il  ne  sera  pas  longtemps  sans 
se  convaincre  qu'il  ne  [)eut  rien  faire 
pour  la  gloire  de  Jésus-Christ  sans  étude  et 
sans  science.  Il  faut  donc  que  le  désir  do 
travailler  pour  Jésus-Christ  lui  fasse  pren- 
dre une  sérieuse  résolution  de  s'apphquer 
à  l'étude.  Mais  lorsqu'il  s'y  appliquera,)!  ne 
s'éloignera  jamais  de  sa  tin.  La  gloire  do, 
Jésus-Christ  l'engage  de  donner  son  temps, 
à  l'étude.  La  gloire  de  Jésus-Christ  sera 
donc  aussi  le  motif  qui  le  soutiendra,  et  il  ne 
donnera  son  temps  à  l'étude  que  par 
rapport  au  désir  sincère  dont  il  est  pé- 
nétré do  travailler  pour  la  gloire  de  Jésus- 
Christ. 

Un  ecclésiastique  n'est  plus  à  lui  dès  qu'il 
est  consacré,  il  devient  le  serviteur  de  ses 
frères.  Il  contracte  une  obligation  particu- 
lière de  travailler  pour  eux.  Un  ecclésias- 
tique n'est  plus  le  maître  de  son  temps,  de 
ses  occupations,  de  ses  talents.  11  en  est  dé- 
biteur à  ses  frères. 

Un  ecclésiastique  est  le  serviteir  de  ses 
Irères.  Qu'il  n'oublie  jamais  ce  nom  et  les 
engagements  qu'il  contracte  dès  le  moment 
qu'il  consent  de  porter  cet  illustre  nom.  Le 
Fils  de  Dieu  s'est  assujetti  si  pleinement  au 
service  de  ses  créatures,  qu'il  a  consacré  à 
leur  salut  jusqu'à  sa  vie.  11  nous  dil  qu'il 
est  venu  pour  servir  el  donner  sa  vie  pour  (ci 
rédemption  de  plusieurs.  [Mallh.,  XX,  28.) 


iHl 


RI.THAlTl!:  KCCLES.  -  XI,  SCIENCK. 


1142 


Un  ercl6.-.ia<liiiuc  duit  donc  (ont  ce  qui 
est  en  lui,  jusqu'A  sa  propre  vie,  au  service 
«le  SCS  frères.  Un  eccitîsiastique  convaincu 
de  cette  inipoitanie  et  étroite  obligalion, 
n'aura  pas  de  peine  h  discerner  le  inolif  qui 
le  doit  conduire  lorsqu'il  s'applique  à  l'é- 
tude. Tous  ses  efforts  doivent  être  pour  ses 
frères,  [)Our  leur  snl;it,  pour  leur  f;iire  con- 
naître le  dicmin  (jui  n'cne  à  la  vie,  pour 
les  CNC  ter  à  y  entrer.  C'est  donc  par  rapjiort 
<i  cette  oblig  ition  qu'il  doii  réglorses  études. 
Dès  qu'il  n'a  plus  celte  tin.  il  oublie  ce  (ju'il 
est,  ce  iiu'il  <loit  à  ses  frères,  et  pour(|uoi 
Dieu  lui  a  f;iii  l'honneur  de  le  recevoir  au 
rang  de  ses  minisltes. 

Lorsqu'un  ecclésiastique  s'applique  à 
l'étude,  sa  fin  principale  doit  être  de  se 
rendre  utile  au  prochain.  De  là  il  s'ensuit, 
en  premier  lieu,  qu'un  ecclésiastique  ne  doit 
point  se  précipiter,  et  qu'il  ne  doit  point  se 
charger  d'aucun  emploi  avant  qu'il  ait  ac- 
quis une  capacité  suffisante  pour  Cire  utile 
au  prochain. 

On  en  voit  une  infinité  qui  se  hâtent,  qui 
se  présentent  avec  hardiesse  pour  remplir 
les  emplois.  Quand  vous  les  examinerez  de 
près,  vous  verrez  qu'ils  ne  connaissent  ni 
les  obligations  de  l'état  ecclésiastique,  ni  la 
manière  do  s'en  bien  acquitter.  Cependant 
ils  s'avancent,  et  parce  qu'ils  marchent 
comme  des  téméraires  sans  connaître  ce 
qu'ils  entreprennent,  ils  font  à  chaque  mo- 
ment des  chutes  très-lourdes  et  Irès-dan- 
gereuscs.  Cesont  des  aveugles  qui  conduisent 
des  aveugles,  et  ils  tombent  tous  deux  dans 
le  précipice.  {Matth.,  XV,  U.) 

Ou  donc  allez-vous  avec  tant  de  vitesse? 
Il  n'est  pas  encore  temps  que  vous  vous 
produisiez.  Le  fardeau  dont  vous  voulez 
vous  charger  est  au-dessus  de  vos  forces. 
Si  vous  en  connaissiez  la  pesanteur,  \ous 
verriez  bien  que  vous  n'êtes  point  en  état 
de  le  porter.  Instruisez- vous  avec  soin  de 
vos  obligations,  demeurez  dans  le  silence 
et  dans  la  retraite,  jusqu'à  ce  que  vos  su- 
périeurs vous  en  retirent,  et  (ju'ils  jugent 
que  vous  êtes  suffisamment  préparé  pour 
travailler  au  salut  des  autres. 

Un  ecclésiastique  doit  régler  ses  études 
par  rapport  à  l'utilité  de  ses  frères.  De  là  il 
s'ensuit,  en  second  lieu,  qu'un  ecclésiasli(jue 
qui  a  une  capacité  suffisante  est  obligé,  lors- 
qu'il est  légitimement  a[)|)elé,  d'enjploj'er 
les  talents  que  Dieu  lui  a  contiés,  et  de  se 
servir  de  sa  science  pour  l'utilité  du  j)ro- 
chain. 

Vous  en  voyez  qui,  dévorés  par  le  désir  de 
savoir,  veulent  toujours  apprendre.  C'est 
une  lun)ière  cachée  qui  n'éclaire  point.  Ils 
ont  de  rares  connaissances,  mais  ils  ne  les 
communiquent  à  personne.  Avares  de  ce 
qu'ils  on',  ils  conservent  pour  eux-mêmes 
tout  le  bien  qu'ils  possèdent,  et  ne  font  au- 
cune  iiart  aux   autres  des  richesses  qu'ils 

(181)  •  Sicul  ille  panis  dum  fraiigeretur  accrevit, 
sicea  quae  ad  hocopiis  aggrtdieiiduin  jaiii  Doiiiiiius 
|tra.'buit,cumdispeiibari  cœperint  eo  ipso  suggerenic 
auiUiphcabunlur,  ut  ipso  lioc  noslro  iniiiisli.rio, 


ont  acquises.  Gens  très-habiles,  si  vous  le 
voulez,  mais  très-inutiles  à  l'Eglise;  car 
avec  un  grand  no  i  bro  de  savants  dans- cette 
disposition,  l'Eglise  sera  allaquée,  et  no 
sera  point  défendue:  Les  enfants  deman- 
deront du  pain  et  personne  ne  leur  en 
rompra. 

11  arrivera  souvent  qu'un  ecclésiastique 
avec  une  capacité  médiocre,  mais  sulii- 
sante,  et  avec  un  grand  zèle,  rendra  beau- 
coup |ilus  de  service  à  l'Iîglise  qu'un  ecclé- 
siastique qui  aura  beaucoup  plus  de  science, 
mais  (|ui  n'aura  point  de  zèle. 

Celte  science  donc  est  un  don  du  ciel  que 
Dieu  ne  distribue  qu'afin  que  l'on  s'en  serve 
pour  éclairer  ceux  (|uisonldttnsles  ténèbres. 
Quand  ui\  ecclésiastique  zélé  se  sert  de  sa 
science  et  de  ses  autres  talents  pour  secou- 
rir ses  frères,  il  aperçoit  que  ses  lalenis 
augmentent,  qu'il  devient  plus  pénétrant, 
qu'il  acquiert  de  nouvelles  lumières.  C'est  le 
Seigneur,  dit  saint  Augustin,  qui  suivant 
sa  [iromcsse  donne  à  celui  qui  a  déjà.  Car 
que  faut-il  entendre  par  ceux  qui  ont  déjà, 
sinon  ceux  qui  se  servent  des  biens  qu'ils 
ont  reçus,  selon  l'intention  du  souverain 
maître.  Les  pains  se  sont  multipliés,  lors- 
qu'ils ont  été  distribués  à  ceux  qui  avaient 
faim.  C'est,  selon  saint  Augustin,  une  image 
de  ce  qui  arrive,  lorsque  vous  distribuez 
avec  zèle  le  pain  de  la  parole  de  Dieu  a 
ceux  qui  meurent  de  faim.  En  faisant  pari 
à  vos  frères  de  ce  que  vous  avez,  vous  au- 
rez la  joie  d'enrichir  les  autres  et  de  vous 
enrichir  vous-même  (181). 

11  s'ensuit  enfin  de  ce  que  vous  venez 
d'entendre  qu'un  ecclésiastique  dans  ses  étu- 
des ne  doit  pas  suivre  son  goût,  mais  qu'il 
doit  plutôt  examiner  avec  soin  ce  qui  est 
utile  au  prochain,  c'est-à-dire,  qu'un  ec- 
clésiastique n'étant  plus  à  lui,  mais  à  ses 
frères,  il  doit  préférer  l'utilité  publique  à 
son  contentement  particulier. 

II  vous  serait  plus  agréable  de  vous  ap- 
pliquer à  des  sciences  profanes  :  vous  y 
trouvez  beaucoup  plus  de  goût  que  dans 
les  lectures  saintes.  Mais  ces  sciences  pro-< 
fanes  ne  serviront  qu'à  dissiper  votre  es- 
prit, vous  n'y  recueillerez  rien  pour  nour- 
rir votre  piété,  ni  celle  du  peuple  que  vous 
êtes  obligé  d'édifier,  au  lieu  que  les  lectu- 
res saintes  vous  rempliront  des  maximes  de 
votre  état,  et  vous  fourniront  une  ample 
matière  pour  porler  le  peuple  à  la  pratique 
des  vertus  chrétiennes.  Y  a-l-il  seulement 
lieu  de  délibérer  :  Etne  devez-vous  pas  par 
|)référenco  à  toute  autre  élude,  choisir  celle 
dont  vous  retirez  plus  de  fruit,  et  qui  vous 
rendra  plus  disposé  à  bien  exercer  les  fonc- 
tions de  votre  état.  Que  cette  grande  ma- 
xime soit  bien  iuipriniée  dans  votre  âme 
que  vous  n'êtes  plus  à  vous,  mais  que  vous 
êies  à  votre  prochain,  et  |)ar  là  vous  dé- 
ciderez aiséuicnl  (|uo  dans  toutes  vos  oc- 
non  solum  iiuliam  paliamurinopiani.sed  Je  mirabili 
ciiain  abuiidanlia  gauduainus.  >  (Lib.  1  De  doclrina 
cliriiliunn,  c.  1.) 


ni3 


ciipaiions  vous  devez  avoir  pour  but  prin- 
cipal d'édifier  le  prochain,  et  de  le  porlar?i 
suivre  fidèlement  les  maximes  de  la  vie 
clirétienne. 

Un  ecclésiastique  doit  donc  dans  toutes 
ses  actions,  et  par  conséquent  dans  ses 
éludes,  avoir  uniquement  en  vue  de  glo- 
rifier Dieu  et  de" servir  le  prochain.  Il  ne 
me  reste  plus  qu'à  vous  faire  voir  les  réso- 
lutions que  les  ecclésiastiques  doiventfor- 
nier  par  ra|>porlà  l'étude.  C'est  mon  dernier 

I  oint. 

SECOND   POINT. 

La  première  résolution  que  doit  former 
\m  ecclésiastique  qui  veut  faire  du  progrès 
dans  l'étude,  c'est  de  beaucoup  prier,  de 
joindre  la  prière  h  l'étude,  de  ne  se  point 
appliquer  h  l'étude,  qu'il  n'ait  auparavant 
demandé  le  secours  du  Père  des  lumières 
par  une  ardente  prière.  5«  quciquun  devons 
dit  saint  Jacqiips,  a  6p.9om  de  sagesse,    quUl 

I I  demande  à  Dieu.  (Jac,  I,  5  )  F/apôtre  saint 
Jacrpies  on  apporte  dans  la  suite  une  ex- 
<'elletjto  raison,  c'est  que  toute  grâce  excel- 
lente et  tout  don  parfait  vient  d'en  haut  et 
desrend  du  Père  des  lumières.  (Ibid  ,  17.) 

C'est  une  erreur  de  croire  que  le  seul 
moyen  pour  devenir  savant  soit  de  feuil- 
leter les  livres.  Souvent  on  fait  plus  de  pro- 
grès au  pied  de  la  croix  du  Sauveur,  que 
l'on  n'en  fait  en  lisant  les  livres.  Jésus- 
Christ  parle  à  nos  âmes  dans  le  temps  de  l.i 
prière^  il  les  instruit,  il  leur  communique 
ses  secrets. Quel  profit  ne  fait-on  pas,  en 
écoulant  un  maître  si  plein  de  science  et  de 
sagesse. 

Les  prudents  du  siècle  qui  donnent  tout 
aux  moyens  humains  ne  peuvent  conqiren- 
dre  qu'on  devienne  savant  par  le  moyen 
de  la  prière.  Mais  les  prudents  du  siècle  se 
trompent.  C'est  Ih  la  voie  que  les  grands 
saints  ont  pi'ise  pour  se  rendre  hal)iles.  Ils 
confessent  tous  qu'ils  sont  redevables  de 
leur  science  à  la  prière,  qu'ils  ont  a}q)ris  tout 
ce  ipi'ils  savent  en  se  rendant  disciples  de 
Jésus-Christ  dans  la  prière  et  dans  lu  re- 
iraile. 

Kn  cCfel,  la  principale  science  nécessaire 
h  un  ecclésiastique,  c'est  la  science  des 
saints.  C'est  cette  science  qui  le  renddisci- 
ple  de  Jésus-Christ.  C'est  celle  science  qui 
lui  apprend  à  se  servir  de  toutes  ses  con- 
naissances pour  son  salut  et  pour  l'utilité 
de  ses  frères.  Qui  peut  nier  que  ce  ne  soit 
dans  l'oraison  que  le  Fils  de  Dieu  commu- 
nique aux  âmes  celte  science  divine?  Saint 
Augustin  nous  instruit  de  celle  grande 
maxime  dans  une  de  ses  lettres.  11  enseigne 
deux  excellenis  moyens  pour  venir  à  bout 
do  développer  heureusement  les  questions 
difficiles.  Ces  deux  moyens  sont  In  prière 
et  la  réflexion.  Il  parle  ensuite  de  l'élude, 
et  de  rinslruclion  qu'on  peut  retirer  en 
écoutant  les  habiles;  mais  il  donne  la  pré- 
férence aux  deux  moyens    qu'il  a  proposés 


OPwVTEURS  SACRES.  JOSEPH  LAiMDEliT.  1144 

d'abord.  Et  il  ne  fait  point  de  difTicuIté  d'as- 


surer que  la  prière  a  plus  de  force  que  l'é- 
tude (182). 

La  science  est  un  don  d'en  haut,  vous 
devfz  donc  vons  adresser  à  Dieu  pour 
l'obtenir.  N'espérez  point  sans  son  secours 
faire  aucun  progrès.  De  là  il  s'ensuit  qu'un 
ecclésiastique  vertueux,  qui  veut  agir  avec 
prudence,  avant  que  de  s'appliquer  à  l'é- 
tude,  doit  d'abord  s'adresser  h  Dieu,  et  im- 
()lorer  son  secours  par  la  prière. 

La  prière  peut  beaucoup  pour  nous  aider 
à  avancer  dans  les  sciences,  mais  elle  ne 
suffit  pas.  J'ai  dit  qu'il  fallait  joindre  en- 
semble l'élude  et  la  prière.  Il  est  très-né- 
cessaire de  bien  connaître  cette  vérité  |)0ur 
se  garantir  de  deux  extrémités  0()posées,  et 
qui  sont  également  dangereuses. 

Il  y  en  a  qui  font  trop  de  fond  sur  l'é- 
tude, et  qui  négligent  la  ftrière,  et  il  y  en  a 
qui  donnent  trop  à  la  prière,  et  qui  aban- 
donnent l'étude.  Les  premiers  peuvent  être 
appelés  avec  raison  des  savants  orgueil- 
leux, et  les  seconds  ne  doivent  point  s'of- 
fenser si  on  les  nommedes  spirituels  outrés. 

Les  savants  orgueilleux  ne  peuvent  faire 
trop  d'attention  aux  preuves  convaincantes 
qui  font  voir  combien  la  prière  a  de  force 
pour  avancer  dans  les  sciences. 

Et  quant  aux  spirituels  outrés,  il  est  aisé 
de  leur  montrer  que  l'avancement  dans  les 
sciences  ne  dépend  pas  seuleaient  de  la 
prière,  mais  encore  des  efforts  sérieux  que 
nous  faisons  en  nous  appliquant  exacte- 
ment à  l'étude. 

La  nécessité  de  la  prière  pour  profiter 
dans  les  sciences  m'a  fait  dire  qu'un  ecclé- 
siastique vertueux  doit  former  la  résolu- 
tion de  ne  point  s'appliquer  à  l'étude  qu'il 
n'ait  invoqué  le  secours  du  Seigneur  parla 
prière.  La  nécessité  de  l'étU'le  me  fait  dire 
présentement  qu'un  ecclésiastique  exact 
doit  former  celte  seconde  résolution  de 
donner  à  l'élude  une  partie  considérable 
do  son  temps. 

Selon  saint  Augustin,  abandonner  l'étude 
et  ne  vouloir  pas  employer  les  elforts  hu- 
mains dont  nous  sommes  capables,  c'est 
tenler  Dieu.  Evitons,  dit  ce  Père,  de  tenter 
Dieu,  de  peur  que,  nous  laissant  aller  aux 
illusions  de  notre  ennemi,  nous  ne  dédai- 
gnions eniin  d'aller  dans  les  temples  sairts 
[)our  y  entendre  l'Evangile,  ou  de  lire  les 
livres,  ou  d'écouter  les  hoiumes,  dans  l'at- 
tente (pie  Dieu  nous  enlèvera  au  troisième 
ciel,  et  (jue  nous  apprendrons  l'Evangile  de 
la  bouche  de  Jésus-Christ  môme.  Fuyons 
ces  lenlalions  i)leines  d'orgueil  et  de  péril. 
Souvenons-nous  plutôt  que,  (pjoique  saint 
Paul  ait  été  instruit  par  une  voie  céleste  et 
divine,  il  fut  néanmoins  renvoyé  à  uu 
bomme  pour  recevoir  de  lui  les  sacrements 
et  i)0ur  être  agrégé  à  l'Eglise  (183). 

C'est  donc  tenter  Dieu,  selon  saint  Au- 
gustin, (jue  de  ne  vouloir   pas   écouter   les 


(IS'i)  il'his  cogil.mtlo  cl  ovaiulo.proficiunt  qii.Tm      j  j^  ^ 
l.  g  ii.lo  i;î  luciioiulo.  »    (Eiiii-i,  147,  iiov.  cdil.,  al,         T\^7>) 


Nequc  teiilcinus  cum  cui  crcdidiiiius,  ne 


1145 


RETIIAITE  ECCIJ:S.  —  M,  SCIENCE. 


lUG 


hoiiitncs.  que  de  ne  vouloir  pas  mémo  ou- 
vrir les  livrts,  que  de  se  llatler  que  Jésus- 
Christ  lui-môme  nous  instruira  immédiate- 
ment, sans  que  nous  ayons  recours  aux 
moyens  humains.  Et  c'est  ce  qi-.i  détruit 
le  fondement  de  ceux  que  j'ai  appelés  des 
spirituels  outrés,  qui  prétendent  fausse- 
ment que  la  prière  sup[>lée  à  tout,  qu'elle 
donne  toute  sorte  de  lumière,  et  qui  aban- 
donnent l'élude. 

Le  mCme  saint  Augustin  explique  darrs 
un  autre  endroit  ces  paroles  de  Noire-Sei- 
gneur :  Ne  vous  mcllez  point  en  psine  com- 
ment vous  leur  pailerez.  ni  de  ce  que  vous 
leur  direz.  Ce  que  vous  leur  devez  dire  vous 
sera  donné  à  l'heure  même.  {Matth.,  X,  10.) 
Saint  Augustin  soutient  que  ces  paroles 
n'autorisent  point  la  fausse  prétention  de 
ceux  qui,  négligeant  toute  préparation,  ap- 
porteraient pour  excuse  la  promesse  de  Jé- 
sus-Christ. Saint  Augustin  dit  que  celui 
qui  veut  instruire  les  autres  doit  s'ins- 
truire lui-môme,  qu'il  doit  faire  des  elforts 
pour  acquérir  une  capacité  raisonn;ible,  et 
telle  que  la  doit  avoir  un  (,'cclésiaslique  qui 
se  propose  de  bien  remplir  ses  devoirs. 
Les  paroles  de  Noire-Seigneur  s'entendent 
de  ceux  qui  sont  préjiarés  à  bien  exercer 
leurs  fonctions,  et  qui  dans  les  occasions 
imprévues  sont  obligés  de  parler  avec  li- 
berté et  avec  force  pour  la  défense  de  la 
vérité.  Jésus-Christ  n'aide  point  les  témé- 
raires, mais  seulement  ceux  qui  ont  en  lui 
une  confiance  raisonnable  et  chrétienne. 
Quand  saint  Paul  a  donné  un  si  grand 
nombre  d'instructions  à  Timotbée  et  h 
Tile,  n'a-t-il  pas  fait  voir  que  les  minis- 
tres de  l'Evangile  ont  besoin  d'être  ins- 
truits (184). 

Voilà  les  principes  solides  sur  lesquels  un 
véritable  ecclésiastique  doit  régler  sa  con- 
duite ;  par  là  il  prend  un  chemin  sûr,  et  il 
évite  toutes  sortes  d'égarements;  il  obéit 
exactement  à  Dieu,  et  il  se  conforme  à  l'or- 
dre qu'il  a  établi.  Il  a  recours  à  Dieu,  parcQ 
qu'il  reconnaît  que  tout  vient  de  lui.  Il  fait 
les  efforts  dont  il  est  capable,  parce  (|ue  le 
Seigneur  nous  commande  de  travailler,  et 
qu'il  ne  veut  pas  tout  faire  en  nous,  de  peur 
que  nous  ne  vivions  dans  la  négligence  et 
oans  la  paresse 

Celte  résolution  générale  de  donner  à  l'é- 
tude une  partie  considérable  de  notre  temps, 
doit  être  suivie  d'une  résolution  particu- 
lière d'employer  tous  les  jours  à  l'élude  une 
certaine  purlie  de  notre  temps. 

Autant  que  nous  le  pouvons  les  résolu- 
lions  générales  doivent  être  réduites  à  des 
résolutions  particulières  lUen  n'est  plus 
commun  que  de  voir  des  liommes  qui  sont 
convaincus  de  la  vérité,  (jui  la  soutiennent 
môme  contre  ceux  qui  l'allaquent  ;  mais  ils 

lalil)us  iniiiùci  versuliis  nd  ipsum  qiioquc  PJvangr- 
(luiii  audienilum  aUiiic  discendum  nolinius  ire  in 
EctleS'as,  >  etc.  (Piologo  in  lib.  De  docirina  christ.) 
(18()  I  L>i^cal  omiiia  qua;  ducei.da  suiit,  <|iii  el 
nobbc  vull  Lldoccie,  a'I  lioiani  vtro  i|is.Ub  (lictiudis, 
illiid  convenire  quod  bominus  ail  ;  :\ulite  coijitare, 


ne  sont  pas  pour  ceia  plus  exacts  à  régler 
leur  conduite  suivant  la  vérité  qu'ils  con- 
naissent. Ils  forment  en  général  de  très- 
saintes  résolutions,  et  ils  ne  les  exécutent 
jamais. 

Pour  se  préserver  de  cet  abus,  je  dis  que 
la  résolution  générale  de  s'appliquer  à  l'é- 
tude doit  ôtre  suivie  d'une  résolution  par- 
ticulière d'employer  tous  les  jours  h  l'étude 
une  partie  de  son  temps.  Il  est  bon  même 
autant  qu'on  le  peut,  afin  d'êlre  plus  exact, 
de  fixer  l'heure  et  le  temps  que  l'on  prétend 
employer  à  l'étude. 

La  vie  ecclésiastique  doit  être  essentiel- 
lement réglée.  Les  différentes  occupations 
qui  conviennent  à  un  ecclésiastique  en 
doivent  faire  le  partage.  Les  plus  considé- 
rables occupations  d'un  ecclésiastique  sont 
la  prière,  l'étude,  les  actions  de  charité. 
Tous  les  jours  pendant  un  certain  lemps  je 
prierai,  pendant  un  autre  temps  je  lirai  l'E- 
criture sainte,  ensuite  je  ferai  une  autre 
étude  convenable  à  ma  profession.  Celte  vie 
réglée  où  de  saints  exercices  se  succèdent 
les  uns  auxautres,est  un  desplus  excellents 
moyens  et  des  plus  nécessaires  qu'un  ec- 
clésiastique puisse  choisir  pour  se  sanctifier 
dans  son  élat. 

Or,  dès  qu'un  ecclésiaslique  veut  ainsi  se 
régh^r,  il  est  de  nécessité  que  l'étude  rem- 
|)lisse  une  j>artie  de  son  temps.  Voilà  [lour- 
quoi  il  est  presque  impossible  de  réduire  à 
celle  vie  réglée  les  ecclésiasti»iues  qui 
n'aimenl  point  l'élude.  Observez  leur  con- 
duite. Ce  sont  des  gens  qui  rendent  et  qui 
reçoivent  des  visites  inutiles, qui  se  trouvent 
aux  assemblées  de  jeu  el  de  divertissement, 
qui  fréquentent  les  compagnies  mondaines, 
qui  forment  des  intrigues,  qui  entrent  dans 
les  négociations,  qui  débitent  des  nouvelles. 
Est-ce  là  l'emploi  d'un  prêtre,  d'un  minisire 
du  Seigneur,  d'un  homuie  que  l'ICglise  en- 
tretient, afin  d'eu  être  secourue  dans  ses 
{)ressantes  nécessités. 

Voici  donc  deui  avantages  très-considé- 
rables, de  colle  résolution  fixe  el  détermi- 
née, que  prend  un  ecclésiastique  de  donner 
tous  les  jours  à  l'étude  une  portion  ccns;- 
dérablede  son  temps.  Par  là  il  remplit  sairi- 
teraent  un  temps  précieux,  dont  Dieu  doit 
un  jour  lui  demander  compte;  par  là  il 
amasse  des  lrés(>rs  qui  servent  à  entrcleni-r 
sa  ()iélé  et  celle  des  fidèles. 

Pour  êlre  ferme  dans  celte  résolution  de 
donner  tous  les  jours  à  l'étude  une  certaine 
partie  de  son  temps,  il  est  nécessaire  de 
prendre  une  troisième  résolution  qui  est  de 
ne  se  point  rebuter  des  dilUcultés  qui  se 
rencontrenl  dans  l'étude.  L'un  dit  que  l'ap- 
plication à  Télude  serait  préjudiciable  à  sa 
santé  ;  l'autre  se  f)!aint  qu'il  travaille  beau- 
coup  et  (ju'il  n'avance  point.  Mais  si  l'on 

cic.  Quisquis  dicil  non  esse  liomiiiibus  prajcipien- 
duni.quid  vel  qncniadinoduni  doceant,  j)olesl  ilicero 
apostoliim  Pauliiin  1  inioilico  cl  Tito  non  deituisse 
pra'cipen;  qiiod  vtl  qneniadni'uinin  pnccipcrenl 
aliis.  »  [If'j  ducIriiKi  clirisl.,  lili.  IV,  c.  \o.) 


lin 


ORATEIRS  SACRES.  JOSEPH  LAMDERT. 


lli« 


veut  confesser  .a  vérité,  la  raison  qui  en- 
gage h  Abandonner  l'élude,  c'est  qu'on  ne 
veut  ni  se  contraindre  ni  se  fatiguer.  Cette 
raison  peut-elle  dispenser  un  ecclésiastique 
de  s'appliquer  è  l'étude,  puisqu'élanl  dans 
la  milice  sacrée,  il  est  encore  plus  essentiel- 
lement obligé  de  travailler  que  les  autres  tî- 
ijèles? 

Ne  dites  point  que  l'étude  porterait  pré- 
judice à  votre  santé.  Une  étude  modérée  ne 
nuit  point  à  la  sanlé.  Rendez-vous  justice. 
Vous  faites  beaucoup  de  choses  qui  sont 
plus  capables  d'altérer  votre  santé.  Lors- 
qu'on s'examine  de  si  près,  et  qu'on  a  des 
craintes  chimériques  de  nuire  à  sa  santé,  on 
n'est  guère  propre  à  combattre  sous  les  en- 
seignes de  Jésus-Christ. 

Vous  dites  que  vous  n'avez  ni  goût,  ni 
génie  pour  l'étude,  et  que  ce  qui  vous  re- 
bute, c'est  la  conviction  oii  vous  êtes  que, 
même  en  travaiHant  beaucoup,  vous  n'avan- 
cerez point.  Et  moi  je  vous  réponds  que 
quiconque  travaille  avec  exactitude  fait  tou- 
jours quelque  progrès.  Vous  n'apportez  une 
si  mauvaise  excuse,  que  parce  que  l'élude 
vous  déplaît.  Lorsqu'on  veut  sérieusement, 
l'on  peut  plus  que  l'on  ne  se  l'imagine.  La 
paresse  fait  dire  qu'on  ne  peut  pas,  mais 
dans  la  vérité  c'est  qu'on  manque  de  bonne 
volonté.  Quoique  le  temps  de  la  jeunesse 
soit  le  temps  le  [tlus  propre  pour  s'appliquer 


serviteur  paresseux  qui  cache  en  terre  le 
talent  de  son  maître,  et  qui  le  laisse  inutile. 
{Mallh.,  XXV,  30.) 

Un  ecclésiastique  qui  a  de  la  science,  et 
qui  demeure  dans  le  repos,  ne  peut  éviter 
d'être  condamné.  Premièrement,  parce  qu'iJ 
agit  directement  contre  les  desseins  de  Dieu, 
qui  ne  lui  a  donné  cette  science  qu'alin  qu'il 
la  répande  el  qu'il  la  communique.  En  se- 
cond lieu,  parce  que  l'état  d'oisiveté  est  un 
état  funeste  pour  les  ecclésiastiques,  et  il 
est  constant  que  c'est  un  caractère  presque  as- 
suré de  réprobation  pour  un  ecclésiastique 
que  de  vivre  oisif,  el  que  de  ne  rendre  au- 
cun service  à  l'Eglise. 

Une  dernière  résolution  que  les  ecclésias- 
tiques doivent  former,  c'est  d'épargner  sur 
leurs  revenus,  afin  d'acheter  les  livres  dont 
ils  ont  besoin  pour  s'instruire  de  la  sainteté 
el  des  devoirs  de  leur  étal. 

Un  ecclésiastique  vertueui  regarde  son 
cabinet  comme  un  lieu  chéri,  où  il  se  pro- 
pose de  passer  un  temps  considérable  de  sa 
vie.  11  se  fait  un  plaisir  d'embellir  ce  lieu 
non  pas  d'une  manière  mondaine,  et  en  y 
mettant  les  ornements  dont  les  gens  du 
Siècle  ont  accoutumé  de  se  servir  pour  orner 
les  lieux  qu'ils  habitent.  Un  embellissement 
solide  pour  le  cabinet  d'un  ecclésiastique, 
c'est  qu'il  soit  plein  de  livres  saints  qui 
conviennent  à  un  prêtre,  de  livres  où  l'oa 


à  l'étude,  vous  en  vojez  qui,  parce  au'ils  onl^  puise  la  science  et  l'esprit  ecclésiastique 
un  vif  désir  de  se  rendre  habiles,  ne  lais-         "         "'  '  '  ' 

sent  pas  de  faire  des  progrès  considérables, 
quoiqu'ils  necommencent  àéludierque  dans 
un  âge  avancé.  C'est  ce  que  saint  Grégoire 
de  Nazianze  nous  rapporte  de  son  père  (185). 
Il  dit  qu'il  s'appliqua  à  l'élude  fort  lard,  et 
que  néanmoins  son  érudition  était  si  pro- 
fonde, qu'il  no  cédait  point  à  ceux  qui 
avaient  donné  à  l'étude  un  temps  beaucoup 
])lus  considérable  que  lui. 

Ce  que  je  vous  ai  exposé  des  motifs  que 
les  ecclésiastiques  doivent  se  proposer  dans 
leurs  études  vous  doit  convaincre  qu'il  leur 
est  encore  très-important  de  prendre  une 
quatrième  résolution.  Tout  ecclésiastique 
doit  avoir  en  vue  dans  ses  éludes  d'être 
utile  au  prochain.  11  doit  donc  être  dans  le 
dessein  de  se  servir  de  sa  science  pour  tra- 
vailler au  salut  du  prochain. 

Je  vous  ai  montré  combien  il  serait  dan- 
gereux de  tenir  ses  lumières  cachées,  de 
vouloir  toujours  apprendre  avec  une  avidité 
insatiable.  La  science  est  un  don  que  Dieu 
ne  distribue  qu'alin  que  l'on  s'en  serve  pour 
éclairer  ceux  qui  sont  dans  les  ténèbres. 

Il  ne  serait  pas  moins  dangereux,  lors- 
qu'on peut  servir  l'Eglise,  el  travailler  à 
l'inslruclion  des  ignorants,  de  demeurer 
dans  l'oisiveté,  soit  jtar  un  trop  grand 
amour  pour  le  repos,  soit  parce  qu'on  a  as- 
sez de  bien  |)our'n'6lre  pas  obligé  de  s'en- 
gager   dans    les    emplois    ecclésiastiques. 

Aussitôl  que  Dieu  donne  des  talents, 
n  est-ce  pas  afin  que  l'on  s'en  serve  el  qu'on 
les  lasse  profiler?  Comment  sera  traité  le. 


Un  prêtre  qui  ne  peut  pas  se  pourvoir 
tout  d'un  coup  de  tous  les  livres  qui  lui 
sont  nécessaires,  se  fait  une  joie  d'acquérir 
toutes  les  années  quelque  livre  nouveau. 
L'avidité  avec  laquelle  il  prend  celle  pré- 
cieuse nourriture  soutient  son  âme,  échaulfe 
son  zèle,  et  le  rem[)lit  d'une  nouvelle  ar- 
deur. 

Comment  cet  ecclésiastique  connaîtrait-il 
ses  obligations?  Il  n'en  entend  point  parler, 
il  ne  puise  point  dans  les  pures  sources  de 
la  vérité,  il  ne  trouve  que  sécheresse  dans 
lui-même  et  dans  le  fond  de  son  cœur. 
Quelques  saintes  lectures  pourraient  dissi- 
per celle  sécheresse  et  échautïer  son  zèle. 
Mais  il  y  en  a  qui  no  lisent  point,  el  quand 
vous  allez  dans  leur  maison  vous  ne  trouve* 
aucun  livre. 

J'entre  dans  la  maison  de  cet  ecclésias- 
tique. J'ai  impatience  de  visiter  le  lieu  do 
sa  retraite.  C'est  là  où  je  dois  être  éclairci 
s'il  s'occupe  à  lire,  el  quels  sont  les  livres 
dont  il  se  sert  [)Our  se  fortifier  dans  le» 
saintes  maximes  de  son  élat.  Après  avoir 
jeté  les  yeux  de  tous  côtés,  j'aperçois  enfin 
un  bréviaire  mal  en  ordre,  des  livres  demi- 
rongés,  je  regarde  encore  avec  plus  d'exac- 
titude. Mais  hélas  I  quelque  perquisition 
que  je  fasse  je  n'aperçois  point  de  Bible. 
Quoi  !  Seigneur,  point  de  Bible  dans  la  mai- 
son (i'un  prêtre.  En  faut-il  davantage  pour 
concevoir  avec  fondement  une  très-mauvaise 
opinion  d'un  prêtre,  qui  n'est  pas  même 
fourni  d'un  livre  qu'il  devrait  avoir  conti- 
Muellemcnl  entre  les  mains,  et  dont  la  lec- 


085)  Oral.  13,  1».  290. 


114'J 


RtTRAlTL  ECCLKS.  —  XIF,  DESINTERESSEMENT. 


1IS0 


lure  devrait  faire  ses  plus  clièrcs  délices. 
Je  fuis  au  plus  loi  <le  cette  maison,  où  je 
n'ai  rien  vu  qui  ne  m'ait  inspiré  du  dégoùl. 
Pour  clierclier  quelque  consolation,  je  vais 
au   |)lus   lot  chez  cet  autre  ecclésiastique, 
qui  a  des  sentiments  plus  nobles  de  sa  |)ro- 
fession,  el'qui  est  bien  autrement  pénétré 
de   ses  obligations.  En  entrant   dans  celle 
maison  je  respire  d'abord  une  bonne  odeur, 
je  remarque  de  la  propreté  sans  atfeclation. 
J'entre  dans  un  cabinet  où   tout  est  en  son 
ordre.  Le  premier  livre  que  j'aperçois,  c'est 
une  Bible.  Plusieurs  remarques  qui  se  pré- 
sentent à  mes  yeux  justifient    l'exactitude 
avec  la(]uelle  il  s'applique  à  se  nourrir  de 
celte  sainte  lecture.  D'un  côté  je  vois  des 
commentaires  sur    l'Ecrilure  ;    d'un    autre 
côté,  des  ouvrages  des  saints  Pères.  Ici  j'a- 
perçois le  concile  de  Trente,  le  catéchisme 
du  concile  ;  là  je  découvre   la  vie  de  saint 
Charles,  des  traités  savants  et  exacls  pour 
la  décision  des  cas  de  conscience,  de  sa  ntes 
instructions   où,   après  s'être   nourri   soi- 
même,  Ton   trouve  abondamment  de  quoi 
soutenir  la  piété  des  tidèles.  Autant  que  je 
suis  olTensé  de  la  paresse  et  de  l'oisiveté 
d'un  ecclésiastique  qui  renonce  à  l'étude, 
autant  je  suis  édifié  de  l'exactitude  eî  du 
zèle  d'un  ecclésiastique,  qui  se  ferait  un  re- 
proche à  lui-même,  s'il   n'avait  pas   passé 
plusieurs  heures  du  jour  à  lire  dans  ses 
iivresqui  lui  sont  si  chers. 

Voilà  les  vérités  dont  j'avais  à  vous  ins- 
truire sur  la  science  ecclésiastique.  Je 
vous  ai  fait  voir  la  nécessité  de  cette 
science,  en  quoi  elle  consiste,  les  vues 
que  les  ecclésiastiques  doivent  se  pro- 
poser dans  leurs  éludes,  et  les  résolu- 
tions qu'ils  doivent  former  par  rapport  à 
Téiude. 

S'il  n'y  a  aucune  de  ces  vérités  qui  ne 
soit  apf)uyée  sur  des  [irincipes  très-solides, 
vous  voyez  de  quelle  conséquence  il  vous 
est  de  les  suivre  et  de  les  prendre  pour 
règle  de  votre  conduite.  Vous  êtes  engagé 
dans  Télat  ecclésiastique,  vous  êtes  pasteur  ; 
comment  vous  conduisez-vous  dans  ce  de- 
gré sublime,  et  qui  est  sans  doute  élevé  au- 
dessus  de  tous  les  autres  ?  Vous  êtes  pas- 
teur pour  éclairer,  et  vous  êtes  vous-même 
dans  les  ténèbres.  Quoi  1  ne  tremblez-vous 
point  en  considérant  le  pesant  fardeau  dont 
vous  êtes  chargé?  Quoi!  ne  trtmblez-vous 
point  en  faisant  rétlexion  que  vous  serez 
responsable,  non-seulement  de  toutes  vos 
chutes,  mais  encore  de  toutes  celles  du 
peuple  que  vous  vous  êtes  témérairement 
chargé  de  conduire.  Allez,  allez,  prenez  la 
qualité  de  discifile,  c'est  celle  qui  vous  con- 
vient. Déposez  au  plus  tôt  le  nom  et  l'au- 
torité de  maître;  c'est  un  fardeau  trop  pe- 
sant pour  vous,  et  que  vous  n'êtes  point 
en  étal  de  porter. 

O  vous  qui  aspirez  à  l'état  ecclésiastique,' 
travaillez  sans  relâche.  Si  vous  croyez  que 
cet  état  soit  une  condition  commode,  et  où 
il  soit  permis  de  vivre  dans  une  [jarfaiie 
tranquillité,  vous  êtes  dans  une  très-gros- 
sière erreur. 


O  condition  heureuse  que  celle  d'un  ec- 
clésinstiquo  capable,  qui  est  entré  par  la 
porte,  et  (jui  soutient  avec  fermeté  le  joug 
dont  le  Seigneur  l'a  chargé  !  O  condition 
lualheureuse  que  celle  d'un  ecclésiastique 
ignorant  ou  paresseux, qui  est  entré  dans  la 
bergerie  malgré  le  Seigneur,  et  qui  n'est 
venu  que  pour  voler,  pour  égorger  et  pour 
perdre  le  trou|)eau  dont  il  s'est  fait  le  chef 
par  une  criminelle  nsurpalion.  Prenez  garde 
à  ne  pas  tomber  dans  cet  exirêrae  malheur. 
Mais  afin  d'être  de  dignes  pasteurs,  des 
ouvriers  qui  ne  fassent  rien  dont  ils  aient 
sujet  de  rougir,  des  ouvriers  qui,  sadiant 
dispenser  la  parole  de  vérité  (Il  Tim.,  Il,  15), 
travaillez  tous  les  jours  à  croître  en  science, 
en  sagftsse  et  en  piéié.  Après  avoir  été  de 
fidèles  ministres,  vous  aurez  le  bonheur  de 
régner  éternellement  avec  le  Prince  dce 
pasteurs. 

DISCOURS  XII. 

DU  DÉSINTÉRESSEMENT. 

Il  serait  à  souhaiter  que  les  ministres  du 
Seigneur  eussent  toujours  présentes  ces 
paroles  que  l'Eglise  nous  met  à  la  bouche, 
dès  le  moment  que  nous  commençons  à 
nous  consacrer  5  Dieu  dans  l'état  ecclésias- 
tique. Le  Seigneur,  disons-nous,  est  la  por- 
tion de  mon  héritage,  et  de  mon  calice.  C'e$t 
vous,  ô  mon  Dieu  !  qui  me  rendrez  mon  héri- 
tage. {Psal.  XV,  5.)  Par  là  nous  proleston» 
qu'en  nous  donnant  à  Dieu  nous  n'avons 
qu'une  seule  vue  qui  est  de  le  servir.  Par 
là  nous  protestons  que  nous  n'attendons 
qu'une  seule  récompense,  qui  est  celle  que 
Dieu  par  sa  bonté  infinie  prépare  à  ceux  qui 
Je  servent  avec  fidélité. 

Nous  avons  tous  prononcé  ces  paroles  : 
Dominus  pars,  etc.;  mais  la  diflicullé  est  de 
savoir  si  elles  étaient  dans  noire  cœur , 
lorsque  notre  bouche  les  a  prononcées.  Com- 
bien y  en  a-t-il  qui  trahissent  Dieu  dès  le 
moment  qu'ils  commencent  à  se  donner  à 
lui  ?  Le  Seigneur  n'est  point  la  ()ortion  de 
leur  héritage.  Ce  n'est  point  le  Seigneur 
qu'ils  cherchent.  Le  ressort  qui  les  fait 
agir,  la  fin  qui  les  pousse  et  qui  les  déter- 
mine, c'est  l'honneur  ou  le  profit  qu'ils  pré- 
tendent rencontrer  dans  l'étal  ecclésiastique. 
Fin  malheuieuse,  désagréable  à  Dieu,  et  qui 
allire  sa  colère  sur  tous  ceux  (jui,  pour  s'en- 
gager dans  un  emploi  si  noble,  se  détermi- 
nent ()ar  un  motif  si  bas. 
'  Mon  dessein  dans  ce  discours  est  de  vous 
donner  horreur  d'iuie  conduite  si  criminelle, 
et  pour  cela  je  vous  ferai  voir  la  vériiablo 
idée  que  l'on  doit  avoir  de  ceux  qui  s'en- 
gagent dans  l'Eglise  par  le  motif  sordide  de 
I  intérêt. 

Pour  vous  les  bien  faire  connaître,  j'élablis 
trois  propositions  qui  feront  le  sujet  des 
trois  parties  de  ce  discours.  Dans  la  première 
vous  verrez  que  ceux  qui  se  font  ecclé- 
siastiques par  iiilérôt  sont  des  ministres  té- 
méraires qui  entrent  contre  la  volonté  du 
souverain  maître.  Dans  la  seconde  je  vous 
montrerai  que  ce  sont  des  mmistres  inutile.-, 
qui  lie  suiil  puait  i)ropie£  aux  fouclioiis  Ue 


4151 


OUATKURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


liai 


leur  élat.  Dans  la  troisième  je  vous  ferni 
voir  que  ce  sont  des  miiiislrcs  scandaleux, 
qui  déshonorent  i(Mjr  ruinislère,  et  qui  dé- 
truisent au  lieu  d'édiiier, 

PREMIER    POINT. 

Le  Fils  de  Dieu  nous  a  marqué  sa  volonté 
on  plusieurs  endroits  de  l'Ecriture.  Si  nous 
les  consultons,  nous  serons  convaincus  que 
ceux  qui  sont  attachés  à  leur  intérêt  ne  doi- 
vent jioint  se  mettre  au  rang  de  ses  minis- 
tres. 

Disons  plus,  l'attachement  à  ses  intérêts 
est  contraire  à  l'esprit  du  chrislianisme,  et 
ceux  qui  sont  infectés  de  ce  vice,  bien  éloi- 
Knés  de  pouvoir  approcher  du  sanctuaire, 
sont  indignes  du  nom  de  chrétien. 

Voici  dans  quelle  (lis|)ositiori  le  Fils  do 
Dieu  veut  que  soient  non-seulement  les  mi- 
nistres et  les  pasteurs  de  son  troupeau  , 
mais  encore  tous  ceux  qui  se  donnent  h  lui 
et  qui  le  reconnaissent  pour  maître  :  Qui- 
conque d'entre  vous  ne  renonce  pas  à  tout  ce 
qu'il  a  ne  peut  être  mon  disciple.  (  Luc., 
XIV,  33.) 

Quiconque  ne  renonce  pas.  ha  loi  est  gé- 
nérale et  n'excepte  personne.  Quiconque  ne 
renonce  pas  à  tout  ce  qu'il  a.  La  loi  est  en- 
core générale  en  ce  qu'elle  nous  oblige  de 
renoncer  <'i  tout  ce  que  nous  avons.  Quicon- 
que ne  renonce  pas  à  tout  ce  qu'il  a  ne  peut 
dire  mon  disciple.  Il  s'agit  d'ôire  disciple  de 
Jésus-Christ,  cl  cet  auguste  nom  n'ûppar- 
lient  qu'à  ceux  qui  renoncent  généralement 
à  tous  les  biens  qu'ils  possèdent. 

Je  sais  qu'il  no  s'agit  |)as  ici  d'un  renon- 
cement actuel,  que  l'on  peut  bénir  Dieu  en 
se  servant  des  biens  que  sa  main  libérale 
a  déposés  entre  nos  mains;  mais  je  sais  aussi 
cpiedans  ces  paroles  Jesus-Christ  demande 
an  moins  un  retioncement  de  cœur,  et  rien 
n'csi  plus  op|»osé  à  ce  renoncement  de  cœur 
que  l'attachement  à  ses  intérêts  que  j'ai 
maintenant  à  combattre. 

Tout  chrétien  n'esl-il  pas  obligé  d'avoir 
la  charité  ?  Saint  Paul  n'a  t-il  pas  prononcé 
que  tout  homme  qui  n'a  point  cette  impor- 
tante vertu  n'est  rien  (I  Cor.,  XIII,  2.),  quand 
bien  n.ôme  il  se  signalerait  par  des  miracles 
éclalanls?  Or,  mes  irères,  le  même  Apôtre, 
•■n  nous  décrivant  les  caractères  essentiels 
de  la  charité,  marque  très-expressément 
que  la  charité  ne  cherche  point  ses  intéi  êts. 
[Ibid.  5)  Celui-là  donc  qui  cherche  ses  in- 
térêts n'a  point  la  charité,  et  par  conséquent 
il  n'est  rien,  et  par  conséquent  il  n'est 
point  chrétien.  Comment  pourra-l-il  deve- 
nir le  conducteur  des  autres,  puisqu'il  a 
besoin  d'un  maître  qui  lui  ap|!renne  les 
premiers  éléments  de  la  vie  chrétienne  ? 

Jésus-Christ  s'e?t  encore  déclaré  claire- 
ment contre  cet  attachement  à  ses  intérêts, 
quand  il  a  nuirqué  en  tant  d'endroits  de 
l'Evangile,  qu'il  veut  que  ses  disciples  ne 
se  mettent  |)oint  en  peine  d'acquérir  les 
biens  de  ce  monde.  Vous  savez  tous  com- 
ment il  a  parlé  dans  le  sermon  sur  la  mon- 
tagne. Il  y  combat  surtout  les  inquiétudes, 
les  embarras,  les    veines   pouisiiilcs  de  ces 


hommes  torreslres,  qni  oublient  qu'ils  otil 
une  Ame.  et  qui  se  conduisent  comme  s'ils 
devaient  toujours  demeurer  swr  la  terre. 

Ne  vous  mettez  point  en  peine  [Matth.,  VI, 
32),  dit  Jésus-Christ  :  celui  qui  est  attaché  h 
ses  intérêts  n'est-il  pas  dans  des  inquiétudes 
continuelles? 

Ce  sont  les  païens,  ajoute  le  Sauveur,  çiu 
recherchent  toutes  ces  ctioscs.  Il  ne  dit  pas  ce 
SDUt  les  païens  qui  usent  de  ces  choses  ; 
mais  il  dil  :  Ce  sont  les  païens  qui  recher- 
chent ces  choses.  Il  y  a  bien  de  la  différence 
entre  se  servir  des  biens  de  ce  monde  et 
les  rechercher.  Jésus  Christ  n'a  point  pré- 
tendu condamner  ceux  (]ui,  se  trouvant  er> 
possession  des  biens  de  la  terre,  les  dis- 
pensent comme  dos  économes  fidèles.  Mais 
il  a  condamné  ceux  qui  recherchent,  c'est- 
à-dire  ceux  qui  aiment  les  biens  de  ce  mon- 
de, qui  s'en  occupent,  qui,  n'étant  jamais 
satislails  de  ce  qu'ils  ont,  inventent  sans 
cesse  de  nouveaux  moyens  d'acquérir  des 
richesses. 

La  ditTérence  qui  se  trouve  entre  un 
homme  qui  aime  les  biens  de  ce  monde 
et  un  homme  qui  n'y  met  point  son  cœur, 
se  sent  plutôt  qu'elle  ne  s'explique.  Mais 
il  est  certain  que  cet  amour  criminel  se 
rencontre  particulièrement  dans  ceux  qui 
sont  attachés  à  leur  intérêt.  Observez  com- 
ment le  Fils  do  Dieu  condamne  ceux  qui  re- 
cherchent les  choses  do  ce  monde.  Il  les 
traite  de  païens.  Voilà  donc  ceux  qui  sont 
attachés  à  leur  intérêt  comparés  à  des  païens 
par  le  Sauveur  du  monde;  seront-ils  encore 
après  cela  assez  téméraires  pour  vouloir 
être  les  ministres  de  celui  qui  les  mé- 
[irise  jusqu'à  les  mettre  au  rang  des 
païens. 

Vous  n  aurez  pas  de  peine  à  concevoir 
que  Jésus-Christ  ne  peut  souffrir  dans  ses 
ministres  des  atlachemenls  qu'il  condam- 
ne dans  tous  les  chrétiens,  comme  je  viens 
de  vous  le  faire  voir.  Néanmoins  l'ira- 
jjortance  de  la  matière  demande  que  je 
vous  explique  comment  notre  Sauveur  a 
parlé,  lorscju'il  a  choisi  les  j)remierr> 
minisires  de  son  Evangile.  Remarquez 
bien  les  dispositions  dans  lesquelles  il  a 
voulu  (ju'ils  fussent  à  l'égard  des  biens  do 
ce  monde. 

La  vocation  des  apôtres  nous  est  décrite 
dans  l'Evangile.  Il  est  marqué  que  le  Fils  do 
Dieu,  après  les  avoir  choisis,  leur  fit  un  ex- 
cellent discours.  C'est  là  qu'il  leur  explique 
ses  intentions.  C'est  là  qu'il  parle  non- 
seulement  à  ses  apôtres,  mais  encore  à 
idus  ceux  qui,  dans  la  suite  des  siècles, 
devaient  remplir  lenr  place.  Méditons 
attentivement  la  parole  de  notre  maître. 
Nous  apprendrons  quelle  est  sa  volonté,  et 
les  dispositions  qu'il  demande  dans  ses 
ministres. 

A  peine  Jésus-Christ  a-t-il  parlé,  à  peine 
a-t-il  marqué  ceux  à  qui  il  voulait  que 
l'Evangile  fût  annoncé,  qu'il  commence  à 
expliquer  la  manière  généreuse  dont  il 
prétendait  que  ses  disciples  en  usassent 
lorsfiu'ilj  exerçaient  les  fonctions  sacrées  de 


1153 


ni: TRAITE  ICCCLES. 


DESINTEKESSEMENT. 


1154 


leur  niinislùre.  licndez,  ItMir  dil-il,  la  snnlé 
aux  malades,  ressuscitez  les  morts,  guérissez 
les  lépreux,  chassez  les  démons,  donnez  gra- 
tuilemenl  ce  que  vous  avez  reçu  gratuitement. 
(Matth.,  X,  8,  9.) 

Il  dil  :'!  SOS  apôlres  qu'ils  ontrocu  gratui- 
lomenl  lous  les  grands  pouvoirs  par  le 
mo.yen  (les(|uels  ils  allaient  allirer  l'estioio 
et  l'admiration  des  peuples.  Il  était  néces- 
saire do  bien  imprimer  dans  leur  cœurcelte 
vérité,  alin  qu'ils  ne  fussent  pas  assoz  mal- 
heureux pour  se  laisser  éblouir  à  l'éclat  de 
celle  grande  puissance  «lue  le  Fils  de  Dieu 
venait  do  leur  communiquer. 

En  second  lien,  en  les  faisant  ressouvenir 
qu'ils  ont  r(  çu  lous  leurs  pouvoirs,  il  leur 
fait  voir  qu'ils  doivent  les  exercer  suivant 
les  desseins  du  souverain  maître  qui  leur  a 
tout  donné. 

Il  ajoute  expressément  qu'ils  ont  reçu 
gratuilement,  afin  do  leur  montrer  qu'il 
n'exigeait  rien  d'eux  qui  ne  fût  juste  et 
raisonnable,  quand  il  hMir  orJonn.iit  de  don- 
ner gratuitement  ce  qu'ils  avaient  reçu  gra- 
luitement. 

Si  vous  avez  l'honneur  de  devenir  minis- 
tres de  Jésiis-ChrisI,  il  vous  comrauniiiuera 
les  grands  pouvoirs  qu'il  a  donnés  à  ses 
apôtres.  Je  dis  les  grands  f)ouvoirs,  car  la 
puissance  de  rendre  la  santé  aux  malades, 
de  ressusciter  les  morts,  de  guérir  les  lé- 
preux ,  ce  n'est  pas  là  ce  que  j'appelle  les 
grands  pouvoirs.  Ces  pouvoirs  sont  grands 
aux  yeux  des  Ijonimès  qui  se  repaissent  de 
ce  qui  est  extérieur  et  de  ce  qui  éclate.  La 
puissance  de  rendre  la  santé  à  ceux  qui 
sont  malades  de  la  maladie  du  péché,  de 
ressusciter  les  pécheurs  à  qui  le  |)éché  avait 
donné  la  mort,  de  guérir  la  lèpre  de  l'âme, 
de  chasser  le  démon  qui  règne  in  visiblement 
dans  un  si  grand  nombre  de  pécheurs  ,  voi- 
là ce  que  j'appelle  les  grands  pouvoirs  des 
a;)ôlres;  et  ce  sont  ceux  là  que  Jésus-Christ 
communique  encore  aujourd'hui  à  ceux 
qu'il  api)elleau  uiinislère  de  l'Evangile. 

Mais  n'est-il  pas  vrai  qu'il  communique 
encore  tous  ces  pouvoirs  gratuilement.  Il 
peut  donc  vous  dire  aussi  bien  qu'à  ses 
apôlres  que  vous  avez  reçu  gratuitement , 
et  quand  il  exigera  de  vous  que  vous  don- 
niez gratuitement  il  ne  vous  demandera  rien 
qui  ne  soit  conforme  aux  lois  de  la  justice. 
Il  le  dit  encore  aujourd'hui  à  tous  ses  mi- 
nistres et  à  tous  les  [lasteurs,  n'en  doutez 
pas  :  Donnez  gratuitement  ce  que  vous  avez 
reçu  gratuitement. 

Je  ne  conteste  pas  que  vous  ne  puissiez 
vivre  de  l'autel,  que  vous  ne  puissiez  re- 
cueillir des  biens  temporels  oii  vous  avez 
semé  les  biens  spirituels.  Je  p.'-étends  néan- 
moins que  vous  devez  doinier  gratuilement, 
parce  que  vous  ne  devez  point  raellre  de 
différence  entre  le  riche  et  le  pauvre.  Vous 
êtes  redevables  de  votre  ministère  à  tous; 
vous  vous  perdez,  si  les  intérêts;  temporels 
sont  la  mesure  de  votre  zèle.  Quand  vous 
recevrez  quelque  récompense  ,  il  faut  que 
ce  soit  d'une  manière  si  généreuse  que 
celui  qui  vous  la  donne  soil  convaincu  que 


ce  n'est  pas  là  le  motif  qui  vous  fait  agir;  il 
faut  que  cette  générosité  paraisse  dans 
toute  votre  conduite,  que  lous  ceux  (jui 
l'observent  soient  pleinement  persuadés  que 
les  biens  de  la  terre  ne  sont  pas  l'objet  de 
vos  désirs:  il  faut  que  l'honneur-de  servir  lo 
plus  puissant  de  tous  les  maîtres  vous  soil 
jtlus  précieux  que  toutes  les  récompenses 
temporelles. 

Jésus-Christ  a  tellement  à  cœin'  que  les 
apôtres  paraissent  di'sintérossés,  qu'il  leur 
défend  de  posséder  aucun  bien.  Ncpossédez 
point  ,  leur  tlil-il  ,  de  l'or,  de  l'argent ,  ou 
quelque  autre  monnaie  que  ce  soit  ;  ne  préparez 
pour  le  chemin  ni  sac  ,  ni  deux  habits  ,  ni  sou- 
liers , ni  bâton.  [Mutth.,  X,  4.) 

Je  veux  <|ue  Jésus-Christ  no  vous  endoman- 
de  pas  tant.  Cependant  vous  voyez  dans  ces 
enseignements  qu'il  a  donnés  à  ses  apôlres 
quel  est  l'esprit  devolre  maître. Vous  voyez 
qu'il  ne  se  pique  point  d'avoir  des  ministres 
qui  soient  riches,  qui  soutiennent  leur  di- 
gnité par  l'éclat  et  la  [lompe  ;  au  contraire 
la  pauvreté  lui  plaît exlrômement  dans  ceux 
qui  ont  l'honneur  de  prêcher  son  Evan- 
gile. 

Voulez- vous  apprendre  quelle  est  la  vé- 
ritable noblesse,  c'est  d'êlre  enfant  dePieu, 
c'est  d'être  membre  de  Jésus-Christ.  C'est 
de  celte  noblesse  dont  vous  devez  vous  glo- 
ritier  ;  c'est  celte  noblesse  que  vous  devez 
être  particulièrement  appliqués  à  soutenir. 
Vous  la  soutiendrez  par  un  grand  désir  des 
biens  infinis  qui  vous  sont  promis  ,  et  par 
un  grand  détachement  des  biens  trompeurs 
de  ce  monde.  Les  vraies  richesses  que  vous 
devez  estimer ,  que  vous  devez  rechercher, 
que  vous  devez  amasser,  ce  sont  les  vertus 
de  votre  état.  Un  ecclésiastique  est  riche 
quand  il  est  modeste  ,  zélé,  patient ,  désiri- 
léressé,  compatissant,  ferme,  généreux, 
intrépide.  Il  est  dans  la  pauvreté,  il  n'a 
point  les  biens  de  ce  monde,  mais  c'est 
|)arce  qu'il  n'a  rien  que, selon  le  témoignage 
de  saint  Paul,  il  possède  tout.  (II  Cor.,  VI , 
10.) 

Vous  voulez  être  ministres  du  Dieu  vi- 
vant,ne  devez-vous  pas  chercherjles  moyens 
de  lui  plaire,  puisque  vous  formez  le  des- 
sein de  vous  consacrera  son  service  ?  Soyez 
jiersuadés  que  plus  vous  aurez  d'indill'é- 
renco  et  do  mépris  pour  les  biens  de  ce 
monde,  plus  vous  trouverez  accès  auprès  de 
ce  maître,  plus  vous  entrerez  dans  son  esprit 
et  dans  ses  desseins,  plus  vous  approche- 
rez des  premiers  apôtres.  Jésus-Christ  no 
les  a  élevés  à  une  si  grande  porteclion 
qu'atin  do  nous  faire  voir  ot.  nous  devons 
tendre,  et  les  rejiroches  que  nous  devons 
nous  faire ,  quand  nous  faisons  réflexion 
que  nous  sommes  si  éloignés  de  la  vertu  de 
ceux  dont  nous  leiions  les  places. 

Jésus-Christ  ne  vous  en  demnndo  pas  au- 
tant (ju'à  ses  apôtres,  je  veux  bien  en  de- 
meurer d'accord  ;  mais  aussi  quelle  con- 
fusion pour  vous,  si  le  Sauveurdes  honnnes 
ayant  la  bonté  de  se  restreindre  en  votre 
faveur,  vous  ne  salisl'ailes  pas  à  vos  obliga- 


1155 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


Ilfi6 


lions,  qui  sont  de  voire  aveu  beaucoup 
moindres  que  celles  desapôires. 

Ces  fidèles  ministres  ont  exécuté  à  la 
lettre  jusqu'aux  moindres  ordonnances  de 
leur  divin  maître.  Us  n'ont  possédé  ni  or, 
ni  argent,  vous  le  savez.  Pouvez-vous  nier 
que  Jésus-Clirist  n'exige  de  vous  au  moins 
que  vous  soyez  désintéressé  dans  votre  mi- 
nistère? Pouvez-vous  nier  qu'il  n'exige  de 
vous  un  détachement  assez  parfait,  pour 
qu'il  soit  vrai  de  dire  qu'il  est  Id  portion  de 
votre  héritage? 

Lisez  les  écrits  des  apôtres,  et  apprenez 
d'eux  les  dispositions  essentielles  à  relui 
qui  veut  se  consacrer  au  service  de  Dieu. 
Saint  Paul  enfiùt  l'énumération  dans  la  pre- 
mière à  Timoihée  et  dans  l'Epître  à  Tite. 
Daus  l'une  et  dans  l'autre  Epître  il  marque 
le  désintéressement  comme  une  qualité  ab- 
solument nécessaire  dans  celui  qui  songe 
à  se  consacrer  au  service  des  autels.  Il  faut 
qu'un  évéqiie,  un  prêtre  soil  irrépréhensible, 
qu'il  soit  désintéressé.  (1  ï'tm.,  Hl,  23.) 

//  faut.  L'Apôtre  parle  donc  des  disposi- 
tions essentielles  et  obsolument  nécessaires 
dans  l'Epître  à  Tite  :  Choisissez  celui  qui 
sera  irréprochable,  et  qui  ne  sera  point  porté 
à  un  gain  honteux,  {l'it.  \,1.)  C'est-îi-diro 
choisissez  celui  qui  a  ces  trois  disposiliotis, 
et  ne  choisissez  que  celui  qui  a  ces  dispo- 
tions. 

C'est  donc  h  vous  d'examiner  vos  motifs. 
Voyez  sérieusement  devant  Dieu  vos  inten- 
tions. Est-ce  le  zèle  de  servir  Dieu  et  le 
prochain  qui  vous  fait  agir?  Vous  ne  pou- 
vez douter  que  ceux  qui  entrent  dans  l'état 
ecclésiastique  par  un  motif  d'intérêt  ne 
soient  des  ministres  téméraires  qui  veulent 
se  consacrer  au  service  du  Soigneur  contre 
sa  volonté.  J'ai  encore  à  vous  faire  voir 
que  ce  sont  des  minisires  inutiles,  qui  ne 
sont  point  propres  aux  fonctions  de  leur 
état. 

SECOND    POINT. 

Ceux  qui  se  font  ecclésiastiques  poussés 
pur  des  intérêts  humains  sont  des  ministres 
inutiles;  car  si  nous  examinons  de  près 
leur  conduite,  nous  verrons  qu'il  y  en  a  un 
très-grand  nombre  qui  sont  oisifs,  et  qui 
ne  rendent  aucun  service  à  l'Eglise.  Ceux 
qui  sont  dans  l'emploi  et  qui  ne  peuvent  se 
dispenser  de  faire  quelques  fondions  s'en 
acquittent  d'une  manière  très-indigne.  Us 
sont  donc  inutiles,  ou  bien  par  oisiveté,  ou 
bien  par  incapacité. 

Ceux  qui  entrent  dans  l'état  ecclésiastique 
par  un  motif  d'intérêt  n'ont  pas  tous  le 
ujêm«  dessein  et  ne  gardent  pas  toujours 
la  même  conduite.  Il  y  en  a  qui  se  propo- 
sent de  vivre  doucement,  de  jouir  tranquil- 
lement des  revenus  ecclésiastiques  :  ils 
passent  toute  leur  vie  sans  exercer  aucune 
fonction,  et  sans  rendre  aucun  service  è 
l'Eglise. 

Cette  malheureuse  espèce  d'ecclésiastiques 
oisifs,  qui  était  inconnue  dans  les  premiers 
siècles,  a  paru  depuis  qu'il  y  a  eu  des  béné- 
fices que  l'on   appelle  simples,  parce  que 


l'on  prétend  que  ces  bénéfices  n'obligent 
ni  à  la  résidence,  ni  à  aucun  exercice  des 
fonctions  ecclésiastiques. 

Il  y  en  a  d'autres  qui  n'ont  pas  les  inten- 
tions plus  pures  que  les  premiers,  mais 
comme  ils  n'ont  pas  le  crédit  de  pouvoir 
obtenir  les  bénéfices  simples,  qui  sonttrès- 
rechorchés  dans  ce  siècle,  ils  se  résolvent 
<i  entrer  dans  les  bénéfices  qui  obligent  à 
exercer  les  fonctions  ecclésiastiques. 

Tous  ces  ministres  intéressés  regardent 
l'étal  ecclésiastique  comme  un  abri.  Us  y 
entrent  ou  par  paresse  ou  parce  qu'ils  se 
reconnaissent  incapables  d'aucun  autre  em- 
ploi, ou  enfin  parce  qu'ils  espèrent  vivre 
plus  commodément  dans  cet  état  que  dans 
aucun  autre.  Us  ont  cela  de  commun  que 
c'est  le  motif  honteux  de  l'intérêt  qui  le.^ 
guide  et  qui  les  conduit. 

Pour  les  confondre  et  leur  faire  voir  lo 
péril  de  leur  état,  montrons,  premièrement^ 
que  c'est  un  état  Irès-dangereux  que  de 
jouir  des  revenus  ecclésiastiques  et  ne  ren- 
dre aucun  service  à  l'Eglise.  Montrons,  en 
second  lieu,  que  tous  ceux  à  qui  leurs  inté- 
rêts sont  chers,  se  conduisent  très-mal  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions,  et  ne  sont 
propres  en  aucune  manière  à  s'en  bien  ac- 
quitter. 

Vous  êtes  ecclésiastique,  l'Eglise  vous 
nourrit,  vous  jouissez  môme  d'un  revenu 
considérable  (car  il  arrive  souvent  que  les 
ministres  oisil's  sont  les  mieux  récompen- 
sés), et  de  propos  délibéré  vous  formez  le 
dessein  de  passer  votre  vie  sans  travailler 
pour  l'Eglise. 

Ne  sulfirait-il  point  pour  vous  confondre 
et  [)Our  vous  faire  connaître  que  votre  état 
est  très-[)érilleux ,  de  vous  proposer  ces 
paroles  de  saint  Paul  :  Nous  vous  décla- 
rons que  celui  qui  ne  veut  point  travailler 
ne  doit  point  manger.  (Il  l'hess.,  lil,  10.) 

iVoM5  vous  déclarons.  C'est  un  apôtre  qui 
vous  le  déclare,  nous  vous  déclarons  que  ce- 
lui qui  ne  veut  point  travailler.  Voilà  votre 
hyt)oihèse,  voilà  votre  ét<it,  voilà  uneiraage 
dans  laquelle  vous  devez  vous  reconnaître. 
Nous  vous  déclarons,  etc.  Cependant  vous 
ne  Voulez  point  travailler  et  vous  voulez 
manger,  et  vous  voulez  vous  engraisser  des 
revenus  ecclésiastiques. 

Il  est  vrai  que  saint  Paul  a  dit,  et  ces 
passages  ne  sont  que  trop  connus  par  un 
grand  nombre  d'ecclésiastiques  qui  en  abu- 
sent, que  l'on  ne  va  point  à  la  guerre  à  ses 
dépens,  que  celui  qui  plante  une  vigne  en  doit 
manger  le  fruit,  que  le  pasteur  mange  du  lait 
du  troupeau,  (i  Cor.,  VU,  3.)  Il  est  vrai  que 
saint  Paul  a  dit  que  la  bouche  ne  doit  point 
être  liée  au  bœuf  qui  foule  les  grains  )  (1  Cor., 
IX.,i).)Et  saint  Paul  par  toutes  ces  figures 
voulait  marquer  que  ceux  qui  annoncent 
r  Evangile  peuvent  vivre  de  l'Evangile.  {Ibid., 
i'*.)  Mais  irouvera-t-on  dans  saint  Panique 
l'on  doit  payer  la  solde  au  soldat  qui  no  va 
point  à  la  guerre,  que  celui  qui  n'a  point 
planté  la  vigne  en  |)eut  manger  le  triiit, 
(jue  celui  qui  n'a  point  soin  du  Iroujieau 
en  peut   manger  le  lait?  Où  trouvera-t-on 


ii'ol 


RF.TR.VITE  ECCLES.  — 


dans  snint  Paul  que  celui  qui  n'annonrp 
poinl  l'Kvaiigile  peut  vivre  de  rKvingiie? 
Il  n'y  0  point  d'erreur  plus  pernicieuse  et 
plus  Intolérable  que  de  vouloir  faire  passer 
on  maxime  qu'on  peut  jouir  d'un  gros 
revenu  et  ne  rendre  aucun  service  h  l'E- 
glise. 

Mais  c'est  un  bénéfice  simple.  Je  le  veux. 
Que  s'ensuit-il  de  là?  que  les  hommes  ne 
peuvent  point  vous  obliger  à  faire  des  fonc- 
tions ecclésiastiques.  iMais  parce  que  vous 
n'êtes  pas  obligés  devant  les  liornmes , 
croyez-vous  en  être  légitimement  disjiensés 
devant  Dieu?  Ce  non)  de  bénétice  simple 
nouvellement  inventé  peut-il  renverser  les 
maximes  les  plus  saintes  de  la  religion? 
Croiriez-vous  faire  une  œuvre  de  suréroga- 
{ion,  quand  vous  iriez  de  temps  en  tem[)s 
dans  votre  bénétice  instruire  les  ignoranls, 
vous  informer  des  besoins  dos  pauvres, 
animer  les  ecclésiastiques  <i  remplir  leurs 
devoirs?  N'y  a-t-il  pas  cent  occasions  qui 
se  présentent  tous  les  jours  de  travailler 
pour  l'Eglise,  et  si  vous  n'en  embrassez 
aucune,  croyez-vous  que  Dieu  vous  traitera 
avec  la  moine  facilité  que  les  hommes? 
Croyez-vous  qu'il  autorisera  les  maximes 
auxquelles  la  mollesse  et  l'avarice  des  ecclé- 
siastiques ont  voulu  donner  cours  sans  au- 
cun fondement? 

Il  y  en  a  même  qui,  étant  chargés  par 
leurs  bénéfices  de  plusieurs  fondions  im- 
portantes, s'en  dispensent  et  se  reposent 
sur  d'autres  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  pénible 
dans  leur  enq)loi.  lis  distinguent  dans  le 
bénéfice,  ce  qui  est  honorable,  ce  qui  est 
profitable  et  ce  qui  est  pénible.  Ils  acceptent 
l'honneur,  ils  acceptent  le  profit;  pour  ce 
qui  est  du  fardeau,  l'ombre  seule  les  etfiaye 
et  ils  s'en  déchargent  entièrement  sur  d'au- 
tres. 

Saint  Augustin  déplore  ce  désordre  dans 
une  de  ses  lettres,  et  voici  comment  il  s'en 
exj'lique  :  Il  n'y  a  rien  de  plus  agréable 
que  la  dignité  d'évêque,  de  prêtre  et  de 
diacre,  ni  de  jilus  doux  et  de  plus  aisé  que 
d'en  exercer  les  fonctions,  quand  on  veut 
faire  les  choses  avec  négligence  et  flatler 
les  hommes  dans  leurs  désordres.  Aussi 
n'y  a-t-il  rien  de  plus  malheureux,  de  plus 
jiernicieux  et  de  plus  damnable  devant 
Dieu  (186). 

Y  fait-on  réflexion?  C'est  se  damner, 
c'est  se  perdre  que  de  vouloir  seulement 
goûter  les  douceurs  qui  se  rer:contrent  dans 
ïvs  dignités  ecclésiaslii^ues.  C'est  su  >iam- 
)ier,  c  est  se  perdre  que  de  vouloir  rendre 
aisées  et  faciles  toutes  les  fonctions  qui 
sont  attachées  aux  dignités  ecclésiasti- 
ques.Saint  Augustin  continue  :  Il  n'y  a  rien 
de  plus  saint,  de  plus  heureux  devant 
Dieu,  mais  en  môrnu  temps  de  [ilus  péni- 
ble que  les  fonctions  de  ces  mêmes  digni- 
tés quand  on  veut.les  exercer  selon  la  règle  de 

(1S6)  «  Nihil  facilius,  ei  Ixlius,  et  liominihusac- 
ccptabilius  episcopi,  aiii  prcsibyleri,  itut  diaeoni 
otlicio,  si  perlunctorie  iitque  adulalorie  res  agaliir, 
seJ  nilid  npiid  Deuin  iiiiserius,  et  iiislius  ei  daiii- 
iiabilius.  )  (Epist.  "21,  nov.  edri.,[:il.  1  i8.) 


\ll,  DESINTEllESSEMENT.,  Hfi8 

la   sainlemilice  que   nous   professons  (187). 

il  faut  donc  pour  plaire  à  Dieu  regarder 
les  dignités  ecclésiastiques  comme  un  far- 
deau, s'en  charger  en  tremblant.  Quand  on 
on  est  une  fois  chargé  et  que  l'on  a  sujet 
de  croire  que  l'on  est  appelé  de  Dieu,  il  faut 
aller  au  péril ,  courir  au  plus  dilficile  ,  agir 
par  soi-même ,  animer  les  autres  par  son 
exemple.  Pour  lors  les  dignités  ecclésiasti- 
ques ne  paraissent  plus  si  douces  ni  si  dési- 
rables; aussi  ne  le  sont-elles  point  quand 
on  les  examine  sérieusement  et  que  l'on  n'a 
pas  le  dessein  de    se   tromper   soi-même. 

Voilà  donc  un  grand  nombre  de  minis- 
tres inutiles,  qui  ne  servent  point  l'Eglise. 
Si  nous  examinons  le  motif  qui  les  fait 
agir,  nous  verrons  que  c'est  leur  intérêt, 
et  voilà  |)Ourquoi  j'ai  prétendu  que  les 
ministres  intéressés  sont  des  ministres  in- 
utiles. 

Ces  sortes  de  ministres  sont  si  indignes 
du  caractère  sacré  qu'on  ne  sait  ce  que  l'on 
doit  exiger  d'eux.  Si  on  les  voit  dans  l'oi- 
siveté, on  se  fait  un  rej»roche  de  les  y  lais- 
ser, puisqu'il  est  manifeste  que  l'oisiveté 
les  perdra  et  sera  la  cause  de  leur  damna- 
tion. Ils  sont  d'un  autre  côlé  si,  peu  pro- 
pres à  exercer  les  fonctions  ecclésiasti- 
(pies ,  qu'on  ne  sait  si  l'on  doit  les  presser 
de  travailler. 

Considérons  maintenant  un  ministre  qui 
songe  à  ses  intérêts  dans  l'exercice  de  ses 
fonctions,  et  voyons  s'il  est  en  état  de  s'en 
bien  ac(|ui!ter. 

Pour  bien  remplir  les  fonctions  ecclé- 
siastiques, il  faut  s'y  afipliquer  unique- 
ment, de  telle  nianière  (|ue  l'esprit  ne  soit 
point  partagé  par  d'autres  soins.  Voilà 
|)Ourquoi  saint  Paul  dit  que  celui  qui  est 
enrôlé  au  service  de  Dieu,  ne  s'embarrasse 
point  dans  les  affaires  séculières,  afin  de 
plaire  à  celui  à  qui  il  s'est  donné.  (Il  Tim., 
11,  4.)  Pour  nous,  disent  les  apôtres,  nous 
nous  appliquerons  entièrement  à  la  prière 
et  à  la  dispensation  delà  parole.  (.4cf.,Vl,  4.) 

Un  ministre  intéressé  est-il  en  état  dw 
donner  touie  son  attention  aux  fonctions 
ecclésiasti(iues?  N'est-il  pas  certain  que 
son  esprit,  occupé  des  choses  de  la  terre, 
n'est  guère  en  étal  des'ap[)liquer  aux  cho- 
ses du  ciel  ?  Vous  le  voyez  s'acquitter  de 
Ses  devoirs  avec  mollesse  et  avec  indilfé- 
rence.  Il  faut  quand  il  agit  qu'il  y  ait  quel- 
que grande  nécessité  qui  le  presse.  Cet 
hoiiiuie  saura  très-bien  en  quoi  consistent 
ses  revenus,  qui  sont  ses  débiteurs  ;  mais 
demandez-lui  combien  il  y  a  de  pauvres 
dans  sa  jiaroisse,  en  quel  état  sont  les  or- 
nements do  l'église  ;  oemandez-lui  si  les 
erfants  sont  instruits,  si  les  écoles  sont  en 
bon  ordre,  cet  liomme  demeure  muet.  Il 
semble  que  ces  choses  ne  le  regardent  pas, 
et  qu'il  n'est  pas  de  son  devoir  de  s'en  in- 
former. 

(187)  «  Nihil  in  bac  vila  et  maxime  hoc  tempore 
diflicilius,  iaboriosius,  periculobius  ,  episcopi,  aul 
presbyleri,  aut  diaconi  olficio,  scd  apud  Deuiii  iiilnl 
beaiius,  si  eo  modo  ni.lilelur  (luo  iiosler  imperalor 
jultel.  > 


1159 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT- 


11  GO 


Un  ministre  de  rE;j,lise,  comme  jo  vous 
ni  déj.^  dit,  est  débiienr  h  Ions,  aux  pau- 
vres comme  aux  riches,  aux  petits  comme 
aux  grands.  Un  ministre  intéressé  a-t-il  do 
i'amourpour  les  pauvres?  Courl-il  avec  ar- 
deur quand  ce  sont  des  pauvres  qui  l'aiiptl- 
lent?  Se  fait-il  un  plaisir  de  secourir  ceux 
qui  sont  dans  l'impuissance  de  le  récom- 
penser, ou  de  lui  rendre  service? 

Un  minisire  de  l'Eglise  se  doit  considé- 
rer comme  le  serviteur  de  tous  ceux  que 
Dieu  a  soumis  à  sa  conduite,  c'est-à-dire 
qu'il  doit  veiller  sur  eux,  observer  les 
moyens  les  plus  propres,  observer  les  temps 
les  plus  fivorables  pour  les  porter  à  la 
f)iété.  11  doit  presser  à  temps,  à  coutre- 
lemps,  reprendre,  supplier,  menacer;  il 
doit  surtout  être  dans  des  peines  et  des 
alarmes  continuelles,  lorsqu'il  voit  (ians 
son  troupeau  des  brebis  égarées;  s'il  est 
fidèle  pasteur,  il  ne  passera  aucune  heure 
de  sa  vie  tranquillement  qu'il  n'ait  été 
chercher  la  brebis  égarée,  et  qu'il  ne  l'ait 
reconduite  au  bercail.  Celui  qui  a  ses  inté- 
rêts en  vue  est-il  en  état  de  se  conduire 
suivant  ces  idées  et  de  firendro  ces  soins? 
Les  inquiétudes  du  siècle  bannissent  les 
inquiétudes  saintes,  que  lui  devr.iit  causer 
le  soin  des  ûmes  qui  lui  sont  contiées. 

Un  ministre  de  l'Eglise  doit  avoir  de  la 
fermeté,  el  ne  point  soutfrir  que  l'iniquilé 
prenne  le  dessus,  quand  bien  môme  elle 
serait  appuyée  du  crédit  et  de  l'autorité.  Sa 
fermeté  doit  aller  jusqu'à  perdre  la  vie,  si 
cela  est  nécessaire,  pour  la  défense  <le  la 
vérité. 

Un  prôlre,  dit  saint  Cyprien,  qui  tient  en 
main  lEvangile  et  qui  garde  les  préceptes 
(le Jésus-Christ,  peut-être  mis  à  mort;  mais 
il  ne  peut-être  vaincu  (188).  N'esl-il  jjas 
vrai  (]ue  l'intérêt  produit  ordinairement  la 
lâcheté?  Un  iriinislre  intéressé  abandonne 
!a  cause  la  plus  juste,  quand  on  le  menace 
<le  la  perte  de  ses  biens,  ou  de  la  ruine  de 
sa  fortune. 

Voulez-vous  que  je  vous  fasse  connaître 
ceux  qui  sont  propres  à  exercer  les  fonc- 
tions ecclésiasti(pies  ?  Ce  sont  ceux  qui 
peuvent  dire  avec  saint  Paul  :  C  esl  vous  que 
ie  cherche  et  non  votre  bien,  puisque  ce  n'est 
pas  aux  enfants  à  amasser  des  trésors  pour 
leur  père,  mais  aux  pères  à  en  amasser  pour 
leurs  enfants.  (Il  Cor.,  XII,  14.)  Dans  un  au- 
tre endroit  :  tiolre  ministère  nu  point  servi 
de  prétexte  à  notre  avarice.  Dans  l'affliction 
que  nous  ressentions  pour  vous,  nous  aurions 
souhaité  de  vous  donner  non-seulement  la 
connaissance  de  l'Evangile,  mais  aussi  notre 
propre  vie  :  ?ïous  avons  travaillé  jour  et  nuit 
pourn'êtreà  charge  àaucunde  vous.  (I  Tliess., 
li,  8,  9.) 

Pleurez  donc,  mes  frères,  quand  vous 
voyez  un  homme  attaché  à  ses  intérêts,  qui 
s'engage  dans  la  milice  sacrée;  car  vous 
êtes  sûrs  que  ce  sera   ou    un   ministre  ua- 

(188)  iSucenlosDci  Evaiigcliuni  leiiens  cl  Chris 
les>l   »  (Kpisi.  55.) 


ressoux.qui  languira  dans  une  vie  molle  et 
une  lAclie  oisiveté  :  ou  s'il  exerce  quelques 
fondions,  ce  sera  avec  indignité.  Les  mi- 
nislres  intéressés  sont  donc  des  ministres 
inutiles,  qui  ne  sont  point  propres  aux  fonc- 
tions de  leur  élat.  Pour  vous  donner  en- 
core plus  d'horreur  d'un  désordre  si  con- 
damnable, j'enlroprends  de  vous  faire  voir 
que  ce  sont  des  ministres  scandaleux,  qui 
déshonorent  leur  ministère,  et  qui  détrui- 
sent au  lieu  d'édifier. 

TROISIÈME  POINT. 

Quoique  le  scandale  soit  une  suite  du  vi- 
ce, et  que  le  vice  offense  en  quelque  sujet 
qu'il  se  rencontre,  il  est  certain  néanmoins 
que  l'on  se  sent  plus  indigné,  lorsque  le 
vice  se  glisse  dans  ceux  qui  n'ont  aucun 
prétexte  pour  le  colorer,  qui  ont  plus  do 
lumière,  et  qui  sont  obligés  par  leur  étal 
de  corriger  les  autres.  Voilà  les  trois  rai- 
sonsqui  sont,  cause  que  l'on  est  à  bon  droit 
scandalisé,  lorsque  les  ecclésiastiques  té- 
moignent de  l'attachement  aux  biens  de  ce 
monde.  Premièrement,  ilsn'ont  aucun  pré- 
ti'xte  pour  colorer  leur  avarice. 

Je  sais  qu'il  n'y  a  jamais  aucun  prétexte 
qui  puisse  excuser  le  vice.  Il  est  vrai  néan- 
moins que  lesjecclésiastiques,  lorsqu'ils  sont 
attachés  à  leurs  intérêts,  sont  plus  condam- 
nables que  les  autres  fidèles.  Tous  n'ont  pas 
promis  aussi  solennellement  que  les  ecclé- 
siastiques de  prendre  le  Seigneurpour  por- 
tion de  leur  héritage.  Les  pères  de  familles, 
par  exemple  ,  sont  obligés  quelquefois 
de  faire  quelque  réserve,  de  veiller  plus 
exactement  à  la  conservation  de  leurs  droits, 
parce  qu'ils  ont  une  famille  nombreuse. 
Mais  quelle  excuse  peut  alléguer  un  ecclé- 
siastique qui  est  plus  obligé  que  les  autres 
d'imiter  la  pauvreté  de  Jésus-Christ  dont  il 
est  le  ministre?  Un  ecclésiastique  qui  n'est 
point  chargé  du  soin  d'une  famille.  Malheur 
à  celui  qui,  ayant  une  passion  désordonnée 
pour  ses  parents,  songe  à  les  enrichir  aux 
dé[)ens  des  pauvres  et  do  leur  patrimoine. 
C'est  ce  qui  fait  voir  que  l'esprit  d'inlérôl,  si 
odieux  dans  tous  les  hommes,  l'est  encore 
davantage  lorsqu'il  se  rencontre  dans  les 
ecclésiastiques.  Un  ecclésiastique  ne  peut 
souhaiter  du  bien  que  pour  deux  raisons, 
ou  pour  vivre  à  son  aise,  ou  pour  amasser. 
Un  ecclésiastique  peut-il  souhaiter  de  vivre 
à  son  aise,  lui  qui  doit  animer  les  autres  à 
marcher  dans  la  voie  étroite?  Vn  ecclésias- 
tique qui  amasse  !  de  quelle  couleur  me 
servirai-je  pour  dépeindre  ce  vice?  Ce  vice 
qui  rend  un  homme  si  odieux  ,  que  dès  le 
moment  (ju'il  en  est  noirci,  on  oublie  toutes 
ses  bonnes  qualités.  On  a  du  respect  pour 
les  morts  ;  on  laisse  en  paix  leurs  cendres: 
on  croit  qu'il  est  injuste  d'attaquer  celui 
qui  n'est  plus  en  élai  de  se  défendre.  .11  n'y 
a  que  pour  les  ecclésiasti(|ues  qui  amassent 
qu'on  n'a  [)oint  ces  égards:  on  voudrait 
priïsque  troubler  leurs  cendres,  et  il   n'y  a 

ti  praecepta  custoilieiis  occiili  poiesl,  vinci   non  po~ 


1161 


RETRAITE  ECOLES.  —  XII,  DESINTERESSEMENT. 


llGi 


personne  qui  ne  les  juge  indignes  d'être 
ensevelis  avec  le  reste  des  fidèles.  C'est  la 
première  circonstance  qui  fait  que  l'on 
s'offense  de  l'avarice  des  ecclésiastiques,  lis 
n'ont  pas  le  moindre  |)rétexle  pour  la  colo- 
rer. 

En  second  lieu,  le  vice  offense  davantage 
dans  ceux  que  l'on  suppose  plus  éclairés. 
Or  il  est  certain  que  les  ecclésiastiques  [)ar 
leur  état  doivent  êlre  plus  éclairés  que  les 
autres.  Un  ec(lésiasti(]ue  lit  tous  les  jours 
les  saintes  Ecritures  où  l'avarice  est  con- 
damnée. Un  ecclésiastique  qui  doit  avoir 
familières  ces  paroles  du  Sauveur  :  Ne  vous 
faites  point  de  trésors  sur  la  terre  où  il  y  a 
des  voleurs  qui  les  déterrent  et  qui  les  déro- 
bent. [Mallh.,  VI,  19,  20.)  Un  ecclésiastique 
tient  tous  le^  jours  entre  ses  mains  Jésus- 
Christ  qui  s'est  fait  pauvre  pour  nous  enri- 
chir. 11  est  donc  pleinement  instruit  parles 
discours  et  les  exemples  du  Sauveur.  Qui  ne 
serait  offensé  de  le  voir  tomber  au  milieu 
de  tant  de  lumière? 

N'esl-il  pas  encore  certain  que  le  vice 
offense  davantage ,  quand  il  se  rencontre 
dans  celui  qui  par  son  devoir  et  par  son 
ministère  est  obligé  d'instruire  les  autres 
et  de  les  corriger?  Notre-Seigneur  dit  dans 
l'Evangile  que  les  pasteurs  sont  le  sel  de  la 
terre,  qu'ils  sont  la  lumière  du  monde.  Si  le 
selperd  sa  force,  avec  quoisalerat-on  ?{Matth., 
V,  13.j  Si  la  lumière  est  obscurcie,  qui  éclai- 
rera ceux  qui  sonl  dans  les  ténèbres? 

LtiS  pasteurs  sont  continuellement  obli- 
gés, par  le  devoir  de  leur  charge,  de  mon- 
trer aux  hommes  le  néant  des  choses  de  la 
terre  ;  ils  doivent  faire  toutes  sortes  d'efforts 
pour  les  détacher  de  ces  soi  tes  de  biens  ;  ils 
doivent  leur  faire  voir,  selon  la  parole  du 
Sauveur,  que  leur  cœur  est  où  est  leur  trésor 
(Matth.,  VI,  21],  et  qu'ainsi  s'ils  se  font  des 
trésors  sur  la  terre,  c'est  une  preuve  cer- 
taine que  leur  coeur  est  plein  d'amour  pour 
les  choses  de  la  terre.  Ces  instructions  sont- 
elles  bien  reçues  quand  elles  sont  [)ronon- 
cées  par  un  homme  dont  on  connaît  le  cœur 
et  la  conduite  intéressée  ? 

Lorsqu'un  ministre  de  l'Eglise  que  l'on 
sait  êlre  intéressé  prêche  sur  le  néant  et  le 
mépris  que  l'on  doit  faire  des  biens  de  ce 
monde,  peul-on  s'empêcher  de  lui  diredaiis 
son  cœur  :  Je  te  juge  par  ta  bouche,  méchant 
serviteur.  [Luc,  XIX,  22.) 

Nous  le  voyons  par  expérience  :  les  dis- 
coura  des  ecclésiastiques  intéressés  ne  font 
aucune  impression.  Leur  exemple  détruit 
te  que  leurs  paroles  établissent.  Il  est  bien 
didicile  de  se  laisser  persuader  par  les  dis- 
cours d'un  homme  dont  la  conduite  attire 
le  mépris. 

Voilà  pourquoi  saint  Paul  veut  surtout 
que  les  ministres  de  l'Eglise  prennent  garde 
qu'il  n'y  ail  rien  en  eux  qui  les  fasse  mé- 
priser. Saint  Paul  donne  cet  avis  h  tous  les 
ministres  de  l'iiglise  dans  la  personne  de 
Timothée  et  de  Tite:  Faites  en  sorte,  leur 

(189)  <  Devoraiil  populumquisuacommoda  ex  illo 
capiiint,  non   lerereiack  luinisteriuin  suuiii  ad  glo- 

OaATEURâ    SACRÉS.    LXVlll. 


dit-il,  que  personne  ne  vous  puisse  mépriser. 
(1  Tim.,  IV,  12,  38;  Tit.,  11,15}  Il  n'y  a 
point  de  vice  (lui  inspire  plus  de  mépris 
pour  un  ecclésiastique  (jue  de  le  voir  atta- 
ché uses  inti^rêts.  Pourquoi  cela?  C'est  qu'on 
ne  peut  souUVir  que  celui  qui  est  obligé  par 
le  devoir  de  son  état  de  faire  aux  autres  des 
reraontrancps  salutaires,  soit  plus  crimi- 
nel que  ceux  qu'il  doit  édiiier  par  son 
exemple,  avant  que  de  les  instruire  par  ses 
paroles. 

Je  vous  ai  fait  voir  que  les  ministres  in- 
téressés sont  des  téméraires  qui  entrent 
au  service  du  Père  de  famille  contre  sa  vo- 
lonté. Ce  sont  des  ministres  inutiles,  qui  ne 
sont  point  propres  aux  fonctions  de  leur 
état.  Ce  sont  des  ministres  scandaleux,  qui 
déshonorent  leur  ministère,  et  qui  détrui- 
sent au  lieu  d'édifier. 

Cependant  il  faut  le  confesser  en  pleurant. 
Celle  triste  vérité  frappe  trop  ouvertement 
les  yeux  pour  pouvoir  être  dissimulée.  Saint 
Paul  se  plaignait  de  son  temps  que  tous 
cherchaient  leur  intérêt. (/*/i«7tp.,  II,21.)Nous 
avons  encore  bien  i)lus  de  sujet  de  nous 
en  plaindre  que  ce  grand  Apôtre. 

Mettons  premièrement  au  rang  des  minis- 
tres intéressés  ceux  qui  se  font  ecclésiasti- 
ques par  intérêt,  dans  la  vue  d'un  bénéfice, 
dans  l'espérance  de  vivre  plus  commodé- 
ment. J'en  ai  déjà  parlé. 

Mettons  en  second  lieu  au  rang  des  mi- 
nistres intéressés  ceux  qui  ont  toujours  en 
vue  de  s'élever  et  de  devenir  plus  riches. 
Ces  ministres  lâches  ne  travaillent  jamais, 
parce  qu'ils  se  considèrent  comme  dans  un 
lieu  de  passage.  Us  n'entendent  jamais  par- 
ler d'un  emploi  plus  honorable  que  le  leur, 
d'un  bénéfice  d'un  plus  grand  revenu,  que 
leurs  désirs  ne  soient  puissamment  excités. 
Le  bien  qu'ils  pourraient  faire  dans  le  lieu 
qu'ils  occupent  ne  les  touche  point.  Ce  sont 
des  [)asleur's  dénaturés,  qui  n'ont  aucune 
tendresse  pour  leurs  ouailles.  Ils  les  aban- 
donneront sans  hésiter,  aussilôt  qu'on  leur 
proposera  un  emploi  qui  les  flattera  davan- 
tage. Us  sont  de  ceux  dont  le  Proj)hèie  a 
jiarlé,  quand  il  a  dit  :  Ils  dévorent  mon  peu- 
pie,  comme  s'ils  mangeaient  un  morceau  de 
pain.  {Psal.  Xlli,  4.)  Ceux-là ,  selon  saint 
Augustin,  dévorent  le  peuple  qui  recher- 
chent les  commodités  temporelles  ,  qui 
dans  l'exercice  de  leurs  fonctions  no  se  pro- 
posent point  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut 
des  ûujes  dont  ils  sont  chargés  (189). 

Voici  une  troisièuie  espèce  de  ministres 
intéressés,  qui  nous  est  découverte  par  saint 
Paul  et  qui  e^t  très-abominable. (I  Tim.,  VI,  5.) 
Ce  sont  des  gens  qui  s'imaginent  que  la  |)iélé 
doi  t  leur  servir  de  moyen  pour  s'»4ni.Jiir.  G  eus 
détestables  (jui  regardent  lu  leigion  comme 
un  métier  et  comme  un  négoce.  Us  prient, 
ils  enseignent  quand  ils  espèrent  du  profit. 
Us  sont  muets,  ils  sont  oisifs,  et  croiraient 
leur  peine  perdue  ,  s'ils  travaillaient  en 
secret,  et  n'étant  vustjue  de  Dieu.  Celui-là, 

riani    Dei,  et   eoruia  quibus  iiruisunl,  saiulem.  ) 
[In  psal.  Xlll.) 

37 


ii;3 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1164 


(lit  saint  Augustin,  qui  n'étant  pas  rontenl 
de  ce  qui  lui  est  dû  légitimement,  fait  des 
trafics,  vend  les  prières,  recherche  des  pré- 
sents, est  indigne  du  nom  de  clerc  (190). 
Vous  on  verrez  qui  sont  assez  lâches  pour 
rendre  (191)  des  déférences  contre  l'honneur 
de  leur  caractère  ,  selon  qu  il  est  utile  pour 
leur  intérêt.  Vous  en  verrez  qui  enseigneront 
par  un  intérêt  honteux  ce  qu'on  ne  doit  pas 
enseigner.  Vous  en  verrez  qui  régleront  leurs 
sentiments  suivant  la  mode,  toujours  prAts 
à  en  changer,  lorsque  cela  est  nécessaire 
pour  l'établissement  de  leur  fortune.  N'y  en 
aurait-il  point  d'aussi  lâches  (192)  que  ce 
malheureux  Ecebole  dont  il  est  parlé  dans 
V Histoire  ecclésiastique?  Cet  homme  accom- 


modant sa  religion  aux  volontés  des  princes, 
on  changea  jusqu'à  (rois  fois  sous  le  règne 
(it'S  trois  empereurs. 

Qui  ne  s'élèverait  contre  ces  hommes 
avides  qui  dans  le  tribunal  même  de  la  pé- 
nitence conservent  cetespril  sordide  et  inté- 
ressé, si  opposé  à  la  qualité  déjuge?  Ils  ne 
seront  point  honteux  d'ordonner  des  péni- 
tences à  leur  profit.  Par  des  vues  d'intérêts, 
ils  auront  de  molles  complaisances  pour  leur 
pénitents,  et  ils  les  laisseronlàdans  dès  ha- 
bitudes invétérées. 

Il  n'y  a  point  de  fonction  qui  demande 
un  plus  grand  désintéressement  que  l'admi- 
nistration du  sacrement  de  pénitence.  A 
quoi  ne  s'expose  point  un  juge  qui  aime 
les  présents,  qui  les  recherche,  qui  ose 
même  en  demander?  Tenez  pour  maxime  , 
si  vous  le  pouvez,  de  ne  recevoir  jamais 
aucun  présent  de  vos  pénitents.  C'est  le 
moyen  de  conserver  voire  autorité.  Le  Sage 
dit  que  les  présents  et  les  dons  aveuglent  les 
yeux  des  juges,  et  quils  sont  comme  un  mors 
dans  leur  bouche  qui  les  rend  muets ,  et  les 
empêche  de  châtier.  [Eccli.,  XX,  31.)  Les  pré- 
sents aveuglent.  V^ous  avez  besoin  de  toutes 
vos  lumières  ,  quand  vous  êtes  assis  dans  le 
t'ribunal  pour  juger  les  pécheurs.  Craignez 
donc  les  présents,  puisque  leur  effet  est 
d'avetigler.Le  Sage  ajoute  quo /es  pr^senïs  ren- 
dent mue^s  et  empêchent  de  châtier.  Nouvelle 
raison  pour  redouter  les  présents  ,  puisque 
vous  devez  [larler  avec  une  entière  liberté, 
puisque  vous  devez  être  armé  contre  le  pé- 
ché, et  que  vous  ne  pouvez  disposer  le  |)é- 
cheurà  en  recevoir  la  rémission  qu'en  pro- 
nonçant contre  lui  une  rigoureuse  sentence, 
j)ar  laquelle  vous  l'obligiez  à  se  châtier 
d'une  manière  proportionnée  à  lénormité 
de  son  péché. 

Que  voire  circonspection  soit  entière  et 
qu'elle  aille  jusqu'à  ne  vous  point  rendre 
les  dépositaires  des  aumônes  de  vos  péni- 
tents, à  moins  qu'ils  ne  vous  y  contraignent. 
En  cette  matière  il  ne  suffit  pas  d'être  inno- 
cent, il    ne  faut  pas  môme  être   suspect. 

(190)  «  Si  non  coiilentus  slipeniliis  fiieril,  q use  de 
&Uario  Domino  jubenle  consequilur,  scd  exercet  nier- 
ciinoiiia,  inltrcessioncs  vendit,  hic  negotiator  aia- 
gis  poirst  viileri  quaui  clericus.  j  (App.  82,  al.  19,  De 
verbi's  Doinini.) 

(191)  Jud.  46;  Tit.  I,  H, 

(19^2)  Soci-.,  /i<^(.,  lib.  m,  €.  15. 


Saint  Paul  voulait,  lorsqu'il  distribuait  des 
aumônfts,  avoir  un  témoin,  a/în,  dit  cet 
Apôtre,  que  Von  ne  puisse  jamais  nous  faire 
aucun  reproche  sur  ce  sujet.  (I  Cor.,  VUI,  20.) 

Je  mets  en  quatrième  lieu  au  rang  des 
ministres  intéressés  ceux  qui  exigent  leurs 
droits  avec  trop  de  rigueur,  qui  ne  veulent 
pas  se  relâcher  pour  quelque  cause  que  ce 
soit  ;  qui  entendent ,  sans  en  être  émus,  les 
plaintes  et  les  murmures  que  l'on  fait  sur  la 
dureté  de  leur  conduite. 

Ce  sont  mes  droits,  me  dites-vous  ,  je  le 
veux.  Mais  ceux  à  qui  vous  les  demandez 
sont  des  pauvres  à  qui  vous  êtes  obligés  de 
faire  l'aumône.  Ce  sont  vos  droits,  mais 
saint  Paul  n'a-t-il  pas  dit  qu'il  n'est  point 
à  propos  défaire  tout  ce  qui  est  permis? 
(ICor.,  VI,  12.)  Saint  Paul  n'a-l-il  pas  dit 
qu'il  ne  mangerait  jamais  de  viande  si  son 
frère  est  scandalisé?  (1  Cor., VIII,  13.)  Ce  sont 
vos  droits.  Et  les  pouvez-vous  exiger  lorsque 
vous  scandalisez  votre  frère  par  une  con- 
duite trop  sévère  et  trop  exacte  ? 

Si  vous  étiez  de  fidèles  ministres,  vous 
devriez  être  dans  la  disposition  de  quitter 
vos  emplois,  vos  bénéfices  et  vos  dignités, 
si  cela  était  nécessaire,  pour  l'utilité  de  vos 
frères.  C'est  l'exemple  que  vous  donnent 
ces  saints  évoques,  qui  au  temps  de  la  con- 
férence de  Carthage  protestèrent  hautement 
qu'ils  étaient  prêts  de  quitter  l'épiscopat,  si 
cela  pouvait  servir  à  faire  rentrer  les  dona- 
tistes  dans  le  sein  de  l'Eglise.  Ecoutez  les 
paroles  de  ces  évêques  généreux  :  Nous 
sommes  évêques  pour  le  peuple.  Si  nous 
sommes  de  bons  serviteurs,  nous  devons 
préférer  le  profit  du  maître  et  un  profit  qui 
est  permanent  à  nos  dignités  temporelles. 
Nous  tirerons  plus  de  fruit  de  l'épiscopat 
en  le  quittant,  si  par  là  le  troupeau  de 
Jésus-Christ  se  réunit,  cjue  nous  n'en  tire- 
rons en  le  conservant,  si  l'attache  que  nous 
y  aurions  empêchait  la  réunion  (193). 

Je  n'aurais  jamaisfait  si  je  voulais  décrire 
ici  toutes  les  lâchetés  que  l'ambition  et  l'ava- 
rice font  faire  à  plusieurs  ecclésiastiques  , 
lorsque  ces  passions  se  sont  une  fois  empa- 
rées de  leur  cœur  :  les  brigues,  les  inquié- 
tudes ,  les  jalousies  ,  les  faux  rapports  ,  les 
duplicités,  les  flatteries,  les  bassesses.  Car 
l'amour  du  bien,  comme  saint  Paul  nous  en 
iissure,  est  la  racine  de  tous  les  maux.  (I 
Tim.,  VI ,  10.)  Sont-ce  là  des  ministres  dm 
Jésus-Christ,  ou  plutôt  ne  sont-ce  pas  des 
ministres  de  Satan  qui  se  transforment  en 
anges  de  lumière  pour  tromper  les  hommes. 
(Il  Cor.,  XI,  15.) 

Mes  frères,  délestez  un  vice  auquel  vous 
avez  renoncé,  lorsque  vous  avez  protesté 
que  vous  choisissiez  le  Seigneur  pour  être 
la  portion  de  votre  héritage.  Saint  Paul 
assure  que  la  gloire  d'un  uiinislre  du  Sei- 

(195)  «  Episcopi  propier  clirislianos  populos  or- 
dinaniur.  Si  st^rvi  ntiles  sumus,  cur  Dunnniœleriiis 
Incris  pro  iioslris  lenipoialibus  sublimiiaiibiis  invi- 
deiuus.  Episcopalis  digniias  IVuciuosior  nobis  erii, 
si'gregeni  Chrisli  depo,-.iia  m;igis  coliegerii  quam 
retcnla  disperse; il.»  (Ep:st.  VIH.) 


«r» 


RETRAITE  ECCL        -  XIII,  RON  FAKMPLE. 


IIGC 


pneur,  c'est  d'ôlre  désinléressé  (I  Cor.,  IX, 
15) ,  et  qu'il  aime  mieux  mourir  que  de  ja- 
mais perdre  celte  gloire.  Mes  frères,  c'est 
là  voire  gloire. 

Que  les  mondains  se  glorifient  de  leurs 
richesses  et  de  leurs  honneurs.  Glorifiez- 
vous  de  servir  Jésus-Christ,  et  de  ne  servir 
que  lui  seul.  Il  faut  que  cette  gloire  soit 
bien  précieuse,  jiuisque  saint  Paul  assure 
qu'elle  lui  est  aussi  chère  que  sa  vie.  Y  a- 
t-ii  rien  de  plus  noble  que  la  condition  d'un 
ecclésiastique ,  qui  n'espère  rien  ,  qui  ne 
fiiit  point  sa  cour  aux  hommes,  qui  ne 
songe  à  plaire  qu'à  Dieu  seul,  qui  exerce 
son  ministère  avec  liberté,  à  qui  toutes  les 
puissances  de  la  terre  n'imposeraient  pas 
silence,  quand  il  est  nécessaire  de  parler 
pour  la  défense  de  la  vérité.  Voilà  ce  qui 
s'appelle  êlre  libre  rfe  la  liberté  que  Jésus- 
Ciirist  nous  a  acquise.  {Galat.,  IV,  31.) 

En  renonçanl  ainsi  à  ses  intérêts,  on  ne 
perd  rien.  On  attend  tout  de  Jésus-Christ 
qui  récompense  les  hommes  plus  magnifi- 
quement que  ne  pourraient  faire  toutes  les 
puissancos  de  la  terre.  Le  Fiis  de  Dieu  ne 
luériie-t-il  pas  qu'on  le  serv«  pour  l'amour 
de  lui-même  ?  Vous  défiez-vous  de  ses  pro- 
messes? Vous  défiez-vous  de  sa  puissance? 
Servir  Jésus-Christ,  c'est  régner  ;  car  toutes 
les  couroniius  de  la  terre  ne  sont  riun  en 
comparaison  de  l'honneur  qui  est  attaché 
au  service  de  Jésus-Christ.  De  tous  ses  ser- 
viteurs, il  en  fera  autant  de  rois,  lorsqu'il 
les  couronnera  dans  l'éternité  bienheu- 
reuse. 

DISCOURS  XlII. 

DU    BON   EXEMPLE. 

Jésus-Christ,  en  venant  sur  la  terre,  a 
composé  un  grand  corps  dont  il  s'est  établi 
le  chef.  De  même,  dit  saint  Paul,  que  dans 
un  seul  corps  nous  avons  plusieurs  membres  ; 
ainsi  quoi  que  nous  soyons  plusieurs,  nous  ne 
sommes  tous  néanmoins  quun  seul  corps  en 
Jésus-Christ,  et  nous  sommes  tous  récipro- 
quement les  membres  les  uns  des  autres. 

Voilà  donc  un  grand  principe  de  la  reli- 
gion, et  une  vérité  importante,  dont  il  est 
nécessaire  que  nous  soyons  instruits.  Nous 
devons  bien  connaître  ce  grand  corps  dont 
nous  sommes  tous  les  membres.  Nous  de- 
vons surtout  connaître  lechefde  ce  corps, 
Jésus-Chrisl,  dont  il  nous  est  essentiel  de 
ne  nous  séparer  jamais,  et  auquel  nous  te- 
nons comme  les  membres  tiennent  à  leur 
chef. 

Jésus-Chrisl,  en  formant  ce  grand  corps, 
a  eu  dessein  que  les  membres  qui  le  coiri- 
jiosent  s'employassent  muluelleraent  au 
service  les  uns  des  autres.  C'est  pourquoi 
saint  Paul  dit  que  nous  sommes  tous  réci- 
proquement les  membres  les  uns  des  autres. 
Nous  voilà  donc  engagés  à  nous  aider,  el  ce 
doit  être  pour  nous  un  grand  principe  dans 
la  vie  chrétienne  que  nous  ne  sommes  pas 
en  ce  monde  pour  nous  seuls  ,  mais  que 
nous  y  sommes  pour  secourir  nos  frères 
dans  leurs  besoins.  En  qualité  de  membres 
d'un  mémo   cori)S,   nous   sommes  obligés 


d'aider  nos  frères  de  nos  conseils,  de  nos 
biens,  de  notre  autorité.  Mais  notre  prin- 
cipale obligation  est  do  les  soutenir  dans  la 
voie  du  salut,  et  de  les  animer  à  marcher 
fermement  dans  le  chemin  qui  conduit  à 
Dieu. 

De  cette  obligation  naît  celle  de  donner 
bon  exemple,  puisqu'il  est  certain  que  ja- 
mais nous  n'animerons  plus  puissamment 
nos  frères  à  chosir  la  droite  voie,  que 
quand  nous  y  marcherons  nous-mêmes  avec 
fidélité. 

Grande  obligation  pour  les  chrétiens  de 
se  soutenir  par  le  bon  exemple;  mais  plus 
grande  encore  pour  les  ecclésiastiques.  Ce 
sont  eux  qui  sont  les  principaux  membres 
du  corps  mystique  du  Seigneur,  Ils  sont 
donc  encore  plus  particulièrement  obligés 
de  soutenir  leurs  ff^res,  et  de  les  con- 
duire. Nulle  voie  plus  propre  pour  se  bien 
acquilter  de  celte  obligation  que  le  bon 
exemple.  Il  est  certain  que  les  pasteurs  qui 
édifient  seront  toujours  plus  utiles  à  leurs 
frères  ,  et  qu'ils  remporteront  plus  de 
fpiiils. 

C'est  de  celte  matière  importante  que  je 
dois  traiter  dans  cet  entretien,  que  je  par- 
tagerai en  trois  parties.  Dans  la  première 
je  vous  ferai  voir  l'obligation  que  les  ecclé- 
siastiques ont  de  donner  bon  exemple. 
Dans  la  seconde  je  vous  découvrirai  les  prin- 
cipaux obstacles  qui  empêchent  les  ecclé- 
siastiques de  donner  bon  exemple.  Dans  ia 
troisième  je  vous  expliquerai  les  moyens 
que  les  ecclésiastiques  doivent  prendre 
pour  s'acquitter  de  l'obligation  qu'ils  ont 
de  donner  bon  exemple. 

PREMIER    POINT. 

Voici  les  fondements  sur  lesquels  je 
m'appuie  pour  vous  convaincre  de  l'obliga- 
tion que  vous  avez  de  donner  bon  exemple 
à  vos  frères  et  de  les  édifier  par  la  régula- 
rité de  votre  conduite. 

Jésus-Christ  vous  le  commande. 

Les  apôtres  ont  eu  un  soin  particulier 
d'édifier  les  fidèles.  Les  apôtres  ont  recom- 
mandé aux  fidèles  de  donner  bon  exemple. 
Ils  l'ont  surtout  recommandé  à  ceux  qu'ils 
établissaient  dans  le  sacré  ministère. 

On  a  regardé  dans  l'Eglise  ceux  qui  ont 
donné  bon  exemple  comme  des  hommes 
précieux,  qui  ont  animé  les  fidèles,  et  qui 
ont  gagné  un  grand  nombre  d'âmes  à  Jé- 
sus-Christ. 

Le  bon  exemple  des  ecclésiastiques  a 
toujours  eu  une  merveilleuse  force  pour 
engager  les  hommes  à  se  donner  à  Dieu, 
comme  au  contraire  leur  mauvais  exemple 
a  toujours  causé  un  grand  nombre  de  dé- 
sordres. 

Toutes  ces  preuves  no  sont-elles  pas  assez 
fortes  pour  vous  persuader  que  tout  ecclé- 
siastique est  essentiellement  obligé  d'édi- 
fier ses  frères,  et  de  leur  donner  bon  exem- 
ple. 

Jôsus-Clirist  étant  sur  la  montagne,  dé- 
clara à  SOS  apôlres,  (ju'ils  étaient  le  sel  de 
la  terre,  qu'ils  élaieat  la  lumière  du  inonde. 


H  07 


0R4TEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


11C3 


{Matth.,  V,  13.)  Pourquoi  le  sel  de  ta  terre? 
parce  qu'il  élaildu  leur  ministère  (l'arrêter 
le  cours  de  celte  contagion  qui  infectait  le 
monde.  Pourquoi  la  lumière  du  monde?  parce 
qu'il  était  de  leur  minislère  d'éclairer  les 
hommes  par  la  pureté  de  leur  doctrine  et 
[)ar.la  sainteté  de  leurs  mœurs. 

Notre  Sauveur,  voulant  marquer  encore 
plus  expressément  à  ses  apôtres  qu'ils 
n'étaient  pas  moins  obligés  d'édifier  leurs 
frères  par  la  pureté  de  leur  vie,  que  de  les 
éclairer  par  la  lumière  de  leur  doctrine, 
leur  dit  :  Que  votre  lumière  luise  devant  les 
hommes,  afin  que,  voyant  vos  bonnes  œuvres, 
ils  glorifient  votre  Père  qui  est  dans  le  ciel. 
(lhid.,iQ.) 

Que  votre  lumière  luise  devant  les  hommes. 
Vuilà  l'obligation  (l'édifier  ses  fières,  et  de 
leur  doimer  bon  exemple.  Afin  que,  voyant 
vos  bonnes  œuvres,  ils  glorifient  voire  Père 
qui  est  dans  le  ciel.  Voilà  l'eifct  du  bon 
exemple.  Le  bon  exemftle  des  apôtres,  l'o- 
deur de  leurs  vertus,  qui  s'est  répandue 
dans  le  monde,  ont  plus  contribué  à  la  con- 
version du  monde,  que  la  force  de  leur  pa- 
role et  de  leurs  prédications.  LeFils  de  Dieu 
marque  aussi  le  motif  que  l'on  doit  avoir, 
lorsque  la  nécessité  d'édifier  nos  frères 
nous  engage  à  faire  de  bonnes  œuvres  en 
leur  présence  :  Que  votre  lumière  luise  de- 
vont  les  hommes,  afin  quils  glorifient  votre 
Père.  Si,  animé  d'un  motif  de  vaine  gloire, 
vous  faites  vos  bonnes  œuvres  pour  être  es- 
timé des  hommes,  le  Fils  de  Dieu  vous  dira 
que  vous  avez  déjà  reçu  votre  récompense. 
Quand  donc  vous  faites  de  bonnes  œu- 
vres .devant  les  hommes,  il  faut  que  vous 
n'ayez  aucun  autre  dessein,  sinon  que  le 
Père  céleste  soit  glorifié. 

Je  sais  que  Jésus-Christ  dans  le  même 
sermon  commande  aux  troupes  qui  l'écou- 
laient  de  faire  leurs  œuvres  en  secret,  afin  de 
n'être  vus  que  du  Père  céleste.  Mais,  selon 
la  doctrine  des  saints  Pères,  il  ne  condamne 
que  les  hypocrites  qui  affectent  de  faire 
•leurs  bonnes  œuvres  devant  les  hommes, 
qui  veulent  que  les  hommes  les  louent,  qui 
regardefaienl  une  œuvre  faite  en  secret 
comme  une  œuvre  perdue.  Le  Fils  de  Dieu 
n'a  jamais  prétendu  condamner  ceux  qui 
,édifient  leurs  frères,  qui  ne  cherchent  point 
leur  propre  gloire,  mais  qui  veulent  que 
toute  gloire  soit  rendue  au  Tout-Puissant,  à 
qui  seul  elle  appartient.  Que  l'œuvre  soit 
faite  devant  les  hommes,  disent  les  saints 
Pères,  mais  que  votre  intention  soit  de  n'ê- 
tre vu  que  du  Père  céleste  ,  et  nullement 
d'être  approuvé  des  hommes. 

Les  apôtres  ont  eu  grand  soin  de  prati- 
quer ce  commandement  de  leur  Maître.  Ils 
ont  répandu  en  tous  lieux  ce  parfum  pré- 
cieux, cette  bonne  odeur  qui  ne  manque 
jamais  de  se  faire  sentir,  et  d'inspirer  de 
l'amour  pour  la  vertu. 

Comi)ien  ce  zèle  sans  intérêt,  ces  travaux 
sans  récompense,  ces  soull'rances  sans  res- 
sentiment ;  combien  cette  ardeur,  qui  leur 
faisait  tout  enlropreudro  pour  le  salut  de 
leurs   frères,   cotte   patience  au-dessus  de 


toutes  les  épreuves,  ces  soins  qu'ils  avaient 
de  n'être  à  charge  à  personne,  ont-ils  ga- 
gné d'âmes  à  Jésus-Christ  1  c'était  celte  vie 
édifiante  des  apôtres  qui  charmait  les  cœurs, 
qui  les  faisait  aimer  de  tous  ceux  à  qui  ils 
annonçaient  l'Evangile. 

Jugez  vous-mêmes  de  la  tendresse  que  les 
Galales  avaient  pour  saint  Paul.  Je  puis  vous 
rendre  témoignage,  dit  cet  A[)ôtre,  que  vous 
étiez  prêts,  s'il  eût  été  possible,  de  vous  ar- 
racher les  yeux  pour  me  les  donner.  (Gai.. 
IV,  15.) 

L'estime  que  les  peuples  concevaient 
pour  les  apôtres  allait  quelquefois  jusqu'à 
leur  persuader  que  les  apôires  étaient  des 
dieux.  Ainsi  lisons-nous  dans  les  Actes 
(XIV,  10),  que  saint  Paul  et  saint  Barnabe 
ayant  annoncé  l'Evangile  dans  une  ville, 
ces  peuples  voulurent  leur  sacrifier  couime 
à  des  dieux.  Et  les  apôtres  eurent  beaucoup 
de  peine  à  détourner  ces  hommes  de  leur 
rendre  un  culte  qui  n'sst  dû  qu'au  vérita- 
ble Dieu. 

Les  apôtres  ont  bien  reconnu  la  force  du 
bon  exemple.  Voilà  pourquoi  ils  ont  re- 
commandé aux  fidèles  d'édifier  les  hommes, 
prétendant  que  c'était  un  excellent  moyen 
pour  les  engager  à  embrasser  la  religion 
chrétienne. 

Tantôt  ils  font  voir  aux  chrétiens  qu'ils 
doivent  prendre  garde  qu'il  n'y  ait  rien 
dans  leur  conduite  qui  éloigne  les  infidèles 
de  notre  religion. 

Tantôt  ils  les  exhortent  à  faire  leurs  ef- 
forts [)0ur  gagner  les  infidèles  par  la  sain- 
teté de  leurs  mœurs. 

Saint  Paul  veut  que  les  serviteurs  qui  ont 
embrassé  la  religion  soient  plus  circonspects 
que  jamais  à  rendre  à  leurs  maîtres  toutes 
sortes  de  devoirs,  de  peur,  dil  cet  A[)ôlre, 
que  le  nom  et  la  doctrine  du  Seigneur  ne 
soient  exposés  à  la  médisance  des  hommes 
(1  Tim.,  VI,  1)  ;  c'est-à-dire,  de  peur  que  vos 
maîtres  n'aient  de  l'éloignement  pour  la 
religion  que  vous  professez,  s'ils  remar- 
quent que  vous  n'êtes  pas  |)onctue!s  à  leur 
rendre  l'obéissance  qui  leur  est  due. 

Saint  Paul  dans  un  autre  endroit,  parlant 
à  tous  les  fidèles,  leur  donne  cet  avis  salu- 
taire :  Prenez  garde  que  cette  liberté  que  vous 
avez  de  manger  de  toutes  sortes  de  viandes, 
ne  soit  aux  faibles  uîie  occasion  de  chute 
(1  Cor.  ,  Vlll,  9j,  c'est-à-dire  à  ceux  qui 
croyaient  qu'il  y  avait  des  viandes  immon- 
des et  capables  de^souiller  ceux  qui  en  man- 
geaient. Après  quoi  le  grand  Apôtre  s'écrie 
tout  plein  de  zèle  pour  le  salut  de  ses  frè- 
res :  Si  ce  que  je  mange  scandalise  mon  frère, 
je  ne  mangerai  plutôt  jamais  de  viande  pendant 
toute  ma  vie  pour  ne  pas  scandaliser  mes 
frères.  (Ibid.,  13.) 

Voilà  comment  les  apôtres  voulaient  que 
la  conduite  des  premiers  chrétiens  fût  irré- 
prochable; voilà  comment  ils  voulaient  que 
les  premiers  chrétiens  prissent  garde  à  ne 
pas  donner  aux  hommes  le  moindre  dégoût 
pour  notre  sainte  religion  ;  voilà  comment 
ils  faisaient  un  crime  aux  premiers  chré- 
tiens  de  faire  môme  des  choses  légiiimes 


ÎI60 


RETRAITE  ECCLES.  —  XIII,  BON  EXEMPLE. 


i!70 


et  permises,  quand  elles  causaient  quelque 
scnndale  aux  faibles. 

Mais  ils  voniaient  encore  que  les  bonnes 
œuvres  des  fidèles  fussent  comme  une  voix 
qui  annonçât  coniinupllement  Jésus-Chrisi, 
Ils  voulaient  que  les.bonnes  œuvres  des  fidè- 
les inspirassent  h  tous  les  hommes  un  saint 
rrspect  pour  une  religion  dont  la  morale 
était  si  pure.  Saint  Pierre  prétendait  que 
les  femmes  chrétiennes  pouvaient  en  cette 
manière  annoncer  l'Evangile.  Il  leur  disait 
que  par  leur  bonne  vie  et  Ta  pureté  de  leurs 
mœurs,  elles  pouvaient,  sans  le  secours  de 
la  parole,  gagner  ceux  qui  ne  croyaient  pas 
à  la  parole.  ([  Petr.,  III,  1.)  La  bonne  vie, 
la  pureté  des  mœurs  est  donc  une  parole 
animée,  qui  souvent  a  plus  de  force  pour 
toucher  les  cœurs  que  les  discours  les  plus 
éloquents. 

Considérez,  disaient  les  premiers  apolo- 
gistes (jyi),  les  œuvres  que  prescrit  celle 
religion  que  vous  persécutez.  Les  chrétiens 
qui'sont  dans  les  prisons  sont-ils  coupables 
d'aucun  crime?  onl-ils  commis  quelque  in- 
justice ?  ont-ils  vinlé  les  lois  de  la  républi- 
que? ïoul  leur  crime,  c'est  d'être  cliréliens. 
Ceux  qui  sont  punis  pour  avoir  commis  des 
crimes  ne  sont  point  du  nombre  des  chré- 
tiens. Telle  élait  la  défense  des  premiers 
chrétiens;  parce  qu'ils  savaient  qu'il  n'y 
avait  rien  de  plus  puissant  pour  convaincre 
les  infidèles  de  la  pureté  de  notre  religion, 
que  de  leur  faire  remarquer  la  pureté  des 
mœurs  de  ceux  qui  l'avaient  embrassée. 

Si  les  apôtres  ont  recommandé  aux  fidèles 
de  donner  bon  exemple  aux  hommes,  ils 
ont  cru  que  les  ministres  des  autels  étaient 
encore  plus  obligés  que  les  autres  d'édifier 
leurs  frères  par  la  sainteté  de  leur  con- 
duite. 

Ecoulez  saint  Paul  quand  il  parle  h  son 
disciple  Timolliée  :  Que  personne  ne  vous 
méprise  à  cause  de  votre  jeunesse;  mais  ren' 
dez-vous  l'exemple  ri  le  modèle  des  fidèles 
dans  les  entretiens,  dans  la  manière  d'agir 
avec  le  prochain,  dans  la  charité,  dans  la  foi, 
dans  la  chasteté. 

Que  personne  ne  vous  méprise.  Donc  les 
minisires  des  autels  sont  coupables,  lors- 
que, n'étant  pas  assez  circonsfiecls  dans 
Inur  conduite,  ils  donnent  occasion  de  les 
mépriser;  donc  les  ministres  des  autels 
doivent  attirer  l'estime,  et  le  respect  des 
peuples  par   la  régularité  de  leurs  mœurs. 

Saint  Paul,  dit  saint  Chrysostome,  veut 
que  Timolliée  soit  un  modèle  sur  lequel 
tous  les  autres  puissent  se  régler.  11  veut 
qu'il  Suit  une  image  accomplie,  où  chacun 
})ui3se  remaïquer  les  vertus  qu'il  doil  pra- 
tiquer. Il  veut  qu'il  soit  une  loi  animée, 
une  règle  vivante.  El  atin  que  vous  ne  disiez 
j)as  que  Si'int  Paul  ne  parlait  qu'à  Timo- 
ihée,  sainl  Chrysostome  ajoute  :  C'est  ainsi 
que  doit  faire  tout  homme  qui  est  chargé 
d'instruire  les  autres. 
,     Le  môme  saint  Paul  en  écrivant  à  Tile  : 


Rendez-vous  un  modèle  de  bonnes  œuvres  en 
toutes  choses,  dans  la  pureté  de  votre  doc- 
trine, dans  Vintégrité  de  votre  vie,  dans  la 
gravité  de  votre  conduite.  {TH.,  Xi,  "7.)  Voyez 
comment  un  ministre  des  autels  doit  être 
l'exemple  et  le  moilèle,  non-seulementdans 
une  vertu,  mais  dans  toutes  les  vertus.  11 
ne  sufllt  [las  que  sa  doctrine  soit  pure,  il 
faut  (]ue  sa  vie  soit  irréprochable,  que  tou- 
tes ses  actions  soient  accompagnées  d'un 
poids,  d'une  gravité,  qui  imprime  du  res- 
pect et  de  la  vénération. 

Le  même  sainl  Paul  parlant  encore  du 
bon  exemple  que  doivent  donner  les  mi- 
nistres de  l'Eglise  :  Prenons  garde  de  ne 
donner  en  quoi  que  ce  soit  aucun  sujet  de 
scandale,  afin  que  notre  ministère  ne  soit 
point  déshonoré,  mais  agissant  comme  de  fi- 
dèles ministres  de  Dieu,  rendons-nous  recom- 
mandables  en  toutes  choses. [Il  Cor.,  VI,  3,  k.) 
Prenons  garde  de,  ne  donner  aucun  sujet 
de  scandale.  Preubz-y  donc  garde,  ministres 
du  Seigneur;  veillez  sur  vous-mêmes,  ob- 
servez vos  démarches,  voyez  s'il  n'y  a  rien 
dans  vos  actions  qui  mérite  la  censure  de 
vos  frères. 

Ne  donnez  aucun  sujet  de  scandale.  Que 
votre  conduite  soil  régulière  aussi  bien 
dans  la  maison  que  dans  l'église,  aussi  bien 
avec  vos  proches  qu'avec  les  étrangers, 
aussi  bien  dans  vos  habits  que  dans  vos 
discours  et  vos  actions. 

Afin  que  notre  ministère  ne  soit  point  dés- 
honoré. Car  quand  les  ministres  des  autels 
scandalisent  leurs  fières  par  une  conduite 
peu  régulière,  ils  sont  cause  que  les  peu- 
ples, qui  ne  distinguent  point  assez  le  ca- 
ractère d'avec  la  personne,  n'ont  pas  tout 
le  respect  qu'ils  devraieiil  sentir  pour  le 
ministère  évangélique. 

Mais  agissant  comme  de  fidèles  ministres, 
rendons-nous  recummandables  en  toutes  cho- 
ses. 11  faut  donc  agir  comme  des  ministres 
du  Fils  de  Dieu  ;  c'est-â-dire,  qu'il  faut 
soutenir  l'éclat  de  notre  dignité  par  des 
actions  saintes. 

Rendons-nous  recommandables.  Ce  n'est 
pas  assez  de  mener  une  vie  commune  dans 
laquelle  il  n'y  ait  rien  à  reprendre,  il  faut 
se  rendre  recommandable,  il  faut  mériter 
l'estime  des  peuples  par  l'ardeur  de  notre 
zèle,  i)ar  les  travaux  que  nous  soutiendrons 
pour  nous  acquitter  de  notre  saint  minis- 
tère. 

Rendons  -  nous  recommandables  en  toutes 
choses.  Que  noire  zèle  ne  se  ralentisse  ja- 
mais. Autant  de  zèle  dans  la  prière  que 
dans  les  secours  que  nous  rendons  au  pro- 
chain. Autant  de  zèle  quand  il  s'agit  de 
travailler  au  salut  du  dernier  des  hommes, 
que  quand  les  riches  et  les  puissants  ont 
besoin  de  notre  ministère.  C'est  le  moyen 
de  donner  bon  exemple  à  ses  frères. 

Ceux-là  rendent  un  grand  service  à  l'E- 
glise qui  édifient  ainsi  les  fidèles  par  une 
vie  sainte.   De  là   vient  que  les  Pères  de 


(194)  f  Nenio  iilic  chrisliaiius,  nisi  lioc  (antum,  aul  si  et  aUad,  jam  non  cliriâlianus.  >  Ter(. ,  ApoL 
op.  44. 


1171 


ORATiaRS  SACRÉS.  lOFITII  LAMBERT 


1172 


l'Eglise  ont  si  souvent  exliorlé  leur  peuple 
à  visiter  les  sainlsmonasièros,  ces  tombeaux 
sacrés,  oii  les  anciens  solitaires  s'élaicnl 
ensevelis  tout  vivants.  Ils  prétendaient  que 
l'éclat  de  leur  exemple,  que  ces  clartés  si 
vives,  et  si  brillantes  qu'ils  jetaient  du  fond 
de  leur  retraite,  étaient  seules  capables  de 
dissiper  les  obscurités  épaisses  qui  aveu- 
glent les  pécheurs. 

Saint  Augustin,  parlant  des  anciens  ana- 
chorètes qui,  se  contentant  d'un  peu  de 
pain  et  d'eau,  se  retiraient  dans  des  lieux 
inconnus, afin  de  s'appliquer  à  Dieu  dans  le  re- 
pos, et  le  silence  du  cœur,  dit  que  (195)  c'est  à 
tortquequelques-unsles  regardaient  comme 
des  hommes  inutiles  au  monde.  Il  faut  pour 
cela  ne  pas  vouloir  considérer  combien  ces 
grands  saints,  quoiqu'ils  mènent  une  vie 
cachée,  nous  aident  par  leurs  prières,  par 
leurs  bons  exemples  et  par  l'odeur  de  leurs 
vertus.  Tant  il  est  vrai  qu'on  a  toujours  re- 
gardé dans  lEglise  ceux  dont  la  vie  est 
édifiante  comme  des  hommes  précieux,  qui 
rendent  un  grand  service  au  prochain  , 
parce  qu'ils  nous  aiment  et  qu'ils  nous 
encouragent  par  la  sainteté  de  leur  exem- 
ple. 

Si  le  bon  exemple  m(^me  des  hommes  qui 
mènent  une  vie  retirée,  édifie  les  fidèles, 
quels  bons  effets  ne  produira  pas  la  vie 
sainte  et  régulière  d'un  ecclésiastique  ver- 
tueux ?  Ses  vertus  sont  plus  connues,  parce 
que  les  fonctions  de  son  ministère  l'enga- 
gent à  se  montrer. 

On  est  édifié  quand  on  se  rencontre  dans 
des  lieux  où  Dieu  par  sa  miséricorde  a  en- 
voyé de  saints  prêtres.  On  en  voit,  lesquels, 
avec  de  médiocres  talents,  feront  plus  de 
fruit  que  d'autres,  dont  les  talents  sont 
beaucoup  plus  brillants.  Ce  prêtre  n'a  qu'à 
se  montrer,  et  sa  seule  vue  inspire  de  l'a- 
mour pour  la  vertu  ;  quel  magnifique  éloge 
que  celui  que  ces  peuples  font  de  leur  pas- 
teur 1  C'est  leur  père,  leur  protecteur,  leur 
ange  lutélaire.  C'est  un  homme  qui  n'a 
qu'une  seule  vue,  qui  est  de  sauver  ses 
frères,  et  qui  dans  toutes  ses  actions  ne 
s'écarte  jamais  de  cette  noble  fin.  Sa  seule 
autorité  termine  les  différends.  Sa  présence 
impose  silence  aux  libertins  ;  le  crime  n'ose 
paraître  devant  lui.  La  régularité  de  sa  con- 
duite est  le  principe  de  celte  régularité  que 
l'on  remarque  dans  un  grand  nombre  de 
familles.  A  qui  donc  attribuerez-vous  l'am- 
ple moisson  que  ce  pasteur  a  faite,  et  les 
fruits  qu'il  recueille  tous  les  jours?  Ses 
discours,  ses  remontrances  peuvent  beau- 
coup y  contribuer.  Mais  ce  qui  gagne  les 
cœurs,  et  à  quoi  les  plus  durs  sont  obligés 
de  céder,  c'est  le  bon  exemi)le  ;  c'est  ce 


désintéressement  généreux,  celte  patience 
qui  ne  se  rebute  point,  ce  zèle  qui  ne  .se 
ralentit  jamais.  Tout  cela  répand  une  bonne 
odeur,  qui  inspire  de  l'estime  et  de  l'amour 
pour  le  pasteur;  tout  cela  dispose  h  l'écou- 
ter, à  suivre  ses  conseils.  La  verlu  est  d'a- 
bord estimée;  on  convient  qu'elle  est  ai- 
mable; ensuite  on  la  désire  ;  enfin,  on  se 
rend  entièrement,  et  on  prend  la  résolution 
de  la  pratiquer. 

jQuel  mauvais  effet  au  contraire  ne  produit 
pas  la  vie  d'un  prêtre,  et  surtout  d'un  prê- 
tre qui  est  chargé  de  conduire  les  âmes, 
quand  elle  est  scandaleuse? 

Dirai-je  ici  que  l'hérésie  de  Luther  et  do 
Calvin  s'est  plus  fortifiée  par  l'ignorance  et 
la  mauvaise  vie  des  ecclésiastiques,  que  par 
l'éloquence  et  la  subtilité  de  ces  séducteurs. 
Les  faux  pasteurs  entraient  dans  la  berge- 
rie ;  il  leur  était  aisé  de  souftler  le  poison  ; 
le  pasteur  n'était  point  en  étal  de  défendre 
ses  ouailles.  C'était  un  hommesans  science, 
lequel  élait  étourdi  au  premier  sophisme 
qu'on  lui  proposait.  C'était  un  homme  dans 
le  désordre,  qui  était  devenu  méprisable  par 
ses  dérèglements.  Le  seul  nom  de  réforme, 
proposé  avec  hardiesse,  était  capable  de  sur- 
prendre des  hommes  simples  et  fatigués  par 
les  dérèglements  de  leurs  conducteurs. 

Dirai-je  ici  qu'un  ecclésiastique  scanda- 
leux détruit  sûrement  et  n'édifie  jamais? 
Comment  un  homme  qui  ne  vient  que  de 
laisser  sa  mauvaise  vie,  ou  qui  même  l'ayant 
expiée  par  la  pénitence,  demeure  toujours 
diffamé  dans  j'esprit  des  hommes  qui  ont 
connu  ses  excès,  et  qui  ne  connaissent  pas 
son  repentir,  peut-i!  entreprendre  de  paraî- 
tre à  l'aulel,  ou  d'enseigner  dans  la  chaire 
de  vérité,  à  la  vue  de  ceux  qu'il  a  si  long- 
temps scandalisés?  N'est-il  f)as  certain  que 
la  mauvaise  réputation  de  celui  qui  instruit 
empêche  tout  lo  fruit  de  ses  instructions? 
Quoique  Jésus-Christ  ait  dit  :  Faites  cequils 
disent,  et  non  pas  ce  qu'ils  font  [Malth., 
XXIII,  3),  il  est  assez  rare  que  les  hommes 
se  laissent  convaincre  par  les  paroles,  quand 
elles  ne  sont  point  soutenues  par  les  exem- 
ples. 

Il  faut,  dit  Tertullien  (196),  que  celui  qui 
entreprend  dojlouer  une  vertu  et  qui  exhorte 
les  autres  à  en  pratiquer  les  actes,  se  puisse 
rendre  témoignage  à  lui-mêîne,  qu'il  a  la 
vertu  dont  il  fait  l'éloge.  Il  faut  que  sa 
bonne  vie  et  sa  conduite  régulière  donnent 
du  poids  à  ses  paroles  ;  car  il  ne  remportera 
que  de  la  honte  et  de  la  confusion,  si  ses 
actions  ne  répondent  pas  à  ses  discours. 

Saint  Augustin  (197)  assure  que  celui  qui 
mène  une  vie  sainte,  quoiqu'il  n'ait  pas  le 
talent  de  la  parole,  ne  laisse  pas  d'instruire 


(I9S)  «  Videnlurnonnullis  res  liumanasplos  quam 
oporieldeseruisse,  iu,n  inlelligeiilibiis  quantum  nobis 
eorumaniiiiusinoraliohibus  prosit,  ei  vita  ad  e.vcm- 
î>lum,  quorum  corpora  videre  non  sinimur.j.  {Demo- 
ribus  Ecclesiœ  callwlicœ,ci\[t.  51.) 

(l'JG)  «  Oporiet  denionstraiioncin  et  comnirn- 
dsiioncrii  alicujus  rei  adorlos,  ipsos  prius  in  admi- 
nislralione   ejus    rci    dcprcîiendi,  et   tonslaïUiarn 


comnionendi  propriœ  conversationis  auctnrilatc 
airi-cre,  ne  dicta  factis  detîcientibus  erubesraut.  » 
{Dep(Uicnlia,cSip.  1.) 

(l'J7)  «  Sine  lioc  quidem  |)0test,  ita  converselur, 
ut  piffibcai  aliis  cxemplum,  et  sii  ei  quasi  copia 
diceridi  forma  vivcudi.  s  (L'\\)A\  De  doctiinacliiiit., 
c.  2<J.) 


1173 


RETRAITE  ECCLES.  —  Xlll,  DON  EXEMPLE. 


1174 


onicacemont  par  sou  exemple,  et  ce  grand 
saint  fait  une  grande  estime  de  celte  ma- 
nière d'annoncer  l'Evangile.  Le  même  saint 
Augustin  djns  unautre  endroit  (198j,  dilque 
celui  qui  mène  une  vie  dérc'-glée  donne  la 
mort  autant  qu'il  est  en  lui  à  ceux  que  sa 
conduite  scandalise.  Il  donne  la  mort  :  il 
doit  être  un  pasieur,  il  est  un  loup  ravis- 
sant; il  doit  être  le  f)ère,  et  il  est  le  meur- 
trier; il  doit  être  attentif  aux  véritables  in- 
térêts de  ceux  qui  lui  sont  conliés,  et  il  est 
un  voleur  qui  ne  vient  que  pour  faire  des 
larcins,  et  des  massacres.  [Joan.,  X.) 

Comparez  maintement  les  etïets  du  bon  et 
du  mauvais  exem[)le  :  autant  le  bon  exemple 
est  puissant  pour  animer  les  hommes  à  la 
Tertu,  autant  le  mauvaisexemple a-t-il  deforce 
pour  les  détourner  du  droit  chemin,  et  pour 
les  engager  dans  des  roules  détournées. 

Vous  ne  pouvez  douter  après  toutes  ces 
preuves  que  les  ecclésiastiques  ne  soient 
très-élroilemenl  obligés  d'édifier  par  leur 
exemple.  Voyons  présentement  les  vices, 
qu'ils  doivent  particulièrement  éviter  et  qui 
sojil  le  plus  ojiposés  au  bon  exemple  qu'ils 
sont  obligés  de  donner. 

DEUXIÈME  POINT. 

Saint  Paul  ordonnant  à  Tite  de  se  rendre 
un  modèle  de  bon  nés  œuvres  en  toutes  choses, 
ajoute  que  sa  conduite  doit  être  lellement 
irréprochable,  que  ses  adversaires  rougissent, 
n'ayant  aucun  mal  à  dire  de  lui.  [Tit.,  11.  5.) 
Saint  Pierre  dit  que  les  lidèles  [)nr  leur 
bonne  vie  doivent  fermer  la  bouche  aux 
hommes  ignorants  et  inseusés.  (l  Petr.,  H,  15.) 
Le  môme  saint  Pierre  dit  encore  aux  chré- 
tiens :  Conservez  tme  conscience  pure,  afin 
que  ceux  qui  décrient  la  vie  sainte  que  vous 
menez,  rougissent  de  vous  décrier  comme  des 
méchants.  (1  Pelr.,Ul,  IG.)  Ainsi,  l'obligation 
que  vousavez  de  donner  bon  exemjde  vous 
engage  particulièrement  à  retrancher  de 
votre  vie  les  vices  qui  scandalisent  les  fi- 
dèles, lorsqu'ils  se  rencontrent  dans  les  ec- 
clésiastiques. C'est  le  moyen  de  fermer  la 
bouche  à  ceux  qui  s'élèvent  contre  la  mau- 
vaise conduite  des  ecclésiastiques.  C'est  le 
moyen  d'imposer  silence  à  vos  adversaires, 
qui  rougiront,  comme  dit  saint  Paul,  n'ayant 
aucun  mal  à  dire  de  vous.  [Tit.,  Il,  7.) 

Voyons  donc  quels  sont  les  vices  qui  scan- 
dalisent particulièrement  les  fidèles,  quand 
les  ecclésiastiques  en  sont  infectés.  Ces  vices 
sont  l'impureté,  l'immodestie,  la  vie  molle, 
l'avarice,  l'ardeur  de  devenir  riche,  et  sur- 
tout l'empressemenl  d'acquérir  les  richesses 
ecclésiastiques.  Si  vous  voulez  que  votre 
vie  soit  édifiante,  il  faut  qu'elle  soit  exemple 
de  tous  ces  vices.  Commençons  par  l'impu- 
reté. 

L'impureté  dans  un  prêtre  I  Quel  scan- 
dale lorsqu'il  est  seulement  soupçonné  de 
ce  vice  ?  Les  hommes  déjà  trop  portés  à  cen- 
surer les  ministres  du  S'jigneur,  ne  gar- 
dent [)lus   de   mesure,  quand  ils  ont  un  si 


juste  fondement  de  s'expliquer  sur  la  con- 
duite déréglée  d'un  ecclésiastique. 
*  Si  le  minisire  seul  était  déshonoré,  ce 
serait  déjh  un  très-grand  mal  ;  mais  que  le 
dérèglement  d'un  homme  que  l'Eglise  ab- 
horre ,  soit  préjudiciable  dans  l'opinion  des 
hommes  à  un  minislèro  aussi  saint  que  le 
nôtre,  c'est  là  ce  qui  fait  gémir  tous  ceux 
qui  ont  la  crainte  du  Seigneur,  et  ce  qui 
les  irrite  avec  tant  de  raison  contre  les  indi- 
gnes ministres  qui  causent  un  si  grand 
scandale  1 

Quelle  hardiesse!  quelle  témérité!  un 
I  rèire  impur  exercera  encore  les  saintes 
fonctions  de  son  étal  !  Il  osera  toucher  le 
Saint  des  saints  avec  ses  mains  profanes  et 
sacrilèges  !  Avec  quels  sentiments,  ou  [du- 
tôt  avec  quelle  horreur  croyez-vous  quo 
l'Eglise  considère  un  prêtre,  lequel  étant 
dans  la  fange  exerce  ses  fondions  ;  elle  qui 
voudrait  qu'aussitôt  qu'un  de  ses  minisires 
est  tombé  dans  le  péché  d'impuieté,  il  fût 
pourjamais exclu  du  ministère  ecclésiastique. 

Si  vous  voulez  répandre  une  bonne  odeur, 
évitez  les  moindres  soupçons.  Les  entre- 
tiens même  sont  périlleux  rilsdoiven^t  donc 
être  très-courls,  et  la  seule  nécessité  peut 
les  rendre  innocents. 

Renvoyez  cette  femme  dans  sa  maison 
veiller  sur  son  domestique,  cela  lui  sera 
beaucoup  plus  utile  que  ces  entretiens  qui 
pourraient  être  considérablement  abrégés, 
et  où  la  cupidité  a  souvent  beaucoup  plus 
de  part  que  la  charité. 

Demandons  à  Dieu  qu'il  donne  à  son 
Eglise  beaucoup  de  directeurs  sérieux,  en- 
nemis des  discours  inutiles,  qui  se  renfer- 
ment dans  ce  qui  est  de  leur  minislère  qui, 
exacts  à  leurs  devoirs,  portent  les  autres  à 
les  remplir,  qui  cherchent  Dieu  et  le  salut 
des  âmes.  Voilà  toute  leur  fin,  et  la  voie 
qui  conduit  directement  à  cette  fin  est  la 
seule  qu'ils  veulent  suivre. 

Le  second  vice  que  j'attaque,  parce  qu'il 
est  d'un  grand  scandale  dans  les  ecclésias- 
tiques, c'est  l'immodestie.  Saint  Paul  dit  à 
tous  les  chrétiens  :  Que  votre  modestie  soit 
connue  de  tous  les  hommes.  {Philip.,  IV,  5.) 
1!  veut  que  les  chrélieus  dans  toutes  leurs 
actions  fassent  paraître  une  grande  modes- 
tie. Les  ecclésiastiques  ne  sont-ils  pas  par- 
ticulièrement obligés  de  suivre  cet  avis  sa- 
lutaire? 

C'est  un  scandale  qu'un  ecclésiastique 
soit  immodeste  dans  ses  habits,  dans  ses 
regards, dans  ses  postures,  dans  ses  discours. 
Mais  le  scandale  est  encore  plus  grand, 
lorsqu'un  ecclésiastique  porte  l'immodeslie 
jusque  dans  l'exercice  de  ses  fonctions. 

Les  ollices  divins  (jui  sont  si  saints,  qui 
sont  composés  de  tout  ce  qu'il  y  de  plus 
choisi  dans  l'Ecriture  ;  ces  ollices  qui  sont 
d'un  si  grand  goût  pour  ceux  qui  conser- 
vent quelque  sentiment  de  piéié,  seront 
récités  sans  attention,  avec  vitesse,  par  des 
hommes  dont  la  vue  est  égarée,  «t  qui  la 

(198)  «  Omnis   f|yi  malc  vivit  in  conspcclu  corum  quibus  pracpositus  est,  quantum  in  ipso  ebl,  occidit 
ovcs.  »  (Oe  pn>.tunt)u»,   caji.  4.i 


^  iTj  ORATEURS  SACRES, 

jettent  indifféremment  sur  tous  les  objets 
qui  se  présentent  devant  eux.  Ces  hommes 
parlent,  et  la  seule  chose  que  l'on  peut 
recueillir  de  ce  que  l'on  entend,  c'est  que 
leur  cœur  n'est  point  touché  des  paroles 
qu'ils  prononcent.  Quelque  attention  que 
l'on  donne,  les  oreilles  ne  seront  frappées 
que  d'un  bruit  cenfus.  Ce  serait  vainement 
se  tourmenter,  que  de  rechercher  un  dis- 
cours suivi,  ou  même  quelque  parole  dis- 
tincte. Ces  hommes  veulent-ils  renouveler 
l'erreur  des  pharisiens,  et  prétendent-ils 
guils  seront  exaucés  à  force  de  paroles  ? 
(Matth.,  VI,  7.) 

Si  les  offices  saints  ne  sont  pas  capables 
de  loucher  le  cœur  endurci  d'un  ecclésias- 
tique mercenaire,  au  moins  il  semble  que 
ia  dureté  du  cœur  humain  ne  pourrait  pas 
aller, jusqu'à  résistera  l'impression  que  la 
sainteté  de  nos  mystères  doit  faire  sur  les 
plus  insensibles.  A  peine  le  croirait-on,  si 
\gs  preuves  n'en  étaient  trop  claires  et 
trop  fréquentes.  Des  ecclésiastiques,  en  cé- 
lébrant les  saints  mystères,  feront  paraître 
la  môme  dissipation  que  dans  les  autres 
actions  de  leur  vie.  Ils  ne  cesseront  point 
de  scandaliser  môme  h  l'autel.  L'égarement 
de  leurs  yeux,  et  surtout  leur  extrême  pré- 
cipitation, offensera  tous  ceux  qui  sont  j)ré- 
sents  au  sacrifice. 

C'est  un  grand  malheur  que  des  ecclé- 
siastiques soient  mercenaires,  et  qu'ils  s'i- 
maginent que  la  piété  leur  doit  servir  de 
moyen  pour  obtenir  les  biens  temporels. 
(I2'/m.,  VI,  6.)  C'est  la  source  malheureuse 
de  l'inirnodeslie  contre  laquelle  je  suis 
obligé  de  m'élever.  Ces  hommes  recher- 
chent les  commodités  temporelles.  Ils  ne 
sont  point  touchés  du  désir  de  louer  Dieu. 
Ils  ne  chantent  donc  les  louanges  de  Dieu 
qu'autant  qu'il  est  nécessaire  pour  arriver 
à  la  tin  qu'ils  se  proposent.  Ne  serait-ce 
point  un  moindre  mal  de  leur  abandonner 
ce  qu'ils  désirent,  et  de  leur  ôter  l'occasion 
de  profaner  les  choses  les  plus  saintes? 
Puisque  la  rélribution  temporelle  est  tout 
leur  désir,  qu'on  leur  donne  celte  rétribu- 
lion  si  ardemment  souhaitée,  qu'ils  se  reti- 
rent, et  qu'ils  n'irritent  point  Dieu  en  trai- 
tant d'une  manière  indigne  ce  qu'il  y  a  de 
j.'Ius  saint  dans  la  religion. 

Détestons  cette  immodestie  dont  les  peu- 
ples sont  offensés  avec  tant  de  raisons.  Ta- 
chons de  réparer  ce  scandale  en  témoignant 
dans  toutes  nos  actions  une  très-grande 
retenue.  Picdoublons  nos  efforls  lorsque  nous 
sommes  a()pliqués  aux  fonctions  de  noire 
ministère.  Quand  nous  prions,  quand  nous 
chantons  les  hymnes  et  les  saints  canli- 
(|ues,  que  notre  extérieur  fasse  voir  ce  que 
nous  sentons  en  nos  cœurs. 

Quoi  de  plus  beau  qu  une  troupe  d'ecclé- 
siastiques dont  les  cœurs  sont  unis,  qui  s'a- 
uiment  à  célébrer  la  toute-puissance  du  sou- 
verain Maître,  qui  poussent  vers  le  ciel 
des  soupirs  et  des  gémissements  dont  un 
cœur   conirit   et   humilié   est  le  principe  1 

(199)  SocRAT  ,  lib.  Vil  Hhl.,  cap.  3. 


JOSEPH  LAMBERT.  iito 

Vous  sortez  de  ces  assemblées  content  et 
pénétré.  Vous  croyez  avoir  entendu  les  di- 
vins concerts  que  les  anges  forment  dans  le 
ciel  à  l'honneur  du  Tout-puissant. 
^Quand  nous  allons  à  l'autel,  c'est  pour 
lors  que  l'on  doit  véritablement  remarquer 
en  nous  une  modestie  d'ange.  Les  anges 
sont  présents.  Ils  environnent  l'autel.  Ils 
adorent  l'innocente  victime  que  nous  offrons. 
Quel  est  leur  respect,  quelle  est  leur  atten- 
tion? Si  nous  écoutons  leur  voix,  ils  nous 
crieront  que  nous  ne  pouvons  être  trop  hu- 
miliés, trop  attentifs,  trop  pénétrés,  et  que 
nos  etforts,  quelque  grands  qu'ils  soient, 
ne  répondront  janjais  à  la  sainteté  de  nos 
mystères. 

J'avais  changé  de  matière,  je  ne  parlais 
plus  des  vices  qui  scandalisent.  Il  m'était 
bien  plus  doux  de  vous  entretenir  des  ver- 
tus qui  brillent,  qui  attirent  l'estime  et  le 
respect  des  peuples.  Faut-il  encore  obéira 
la  nécessité  qui  m'oblige  è  vous  exposer 
d'autres  péchés  qui  offensent  le  peuple,  et 
qui  inspirent  du  mépris  pour  les  ecclésias- 
tiques. En  voici  un  lequel  est  très-consi- 
dérable. Plût  au  Seigneur  qu'un  vice  si  op- 
posé à  res|)rit  ecclésiastique  lût  onlièroment 
détruit.  Ce  vice  est  l'avarice  ;  et  pour  vous 
en  donner  horreur,  je  commencerai  par  vous 
rapporter  un  fait  tiré  de  VHistoire  ecclésias- 
tique, qui  vous  marquera  combien  l'avarice 
a  toujours  été  odieuse  dans  les  ecclésias- 
tiques. 

(199)IIyavaitàSynnade,villedoPhrygieun 
évoque  appelé  Théodose,  qui  persécutait 
avec  violence  les  Macédoniens.  11  les  chas- 
sait non-seulement  de  la  ville,  mais  aussi 
de  la  campagne.  Ce  n'était  point  le  zèle  de 
la  religion  qui  le  faisait  agir.  Son  avarice 
était  le  principe  de  toute  sa  conduite,  et  il 
n'avait  d'autre  vue  que  d'obliger  les  héré- 
tiques de  lui  donner  de  l'argent. 

Il  fit  aux  Macédoniens  tous  les  mauvais 
traitements  qu'il  put  imaginer.  Il  mit  des 
armes  contre  eux  entre  les  mains  des  ec- 
clésiastiques, et  excita  les  juges  séculiers 
à  les  tourmenter.  Il  fit  à  Agapet,  leur  évo- 
que, de  plus  rudes  persécutions  qu'à  tous 
les  autres.  Les  juges  des  provinces  n'ayant 
pas  une  autorité  assez  absolue  à  son  gré 
pour  exercer  ses  violences,  il  vint  à  Cons- 
lantinople  pour  solliciter  des  édits  du  pré- 
fet du  Prétoire. 

Durant  son  absence  Agapet,  évoque  des 
Macédoniens,  prit  une  résolution  [)leine  de 
sagesse  et  de  prudence.  Ayant  assemblé  son 
clergé  et  son  peuple,  il  leur  firoposa  de 
faire  profession  de  la  doctrine  de  la  consubs- 
tantialité.  A  l'heure  môme  il  alla  à  l'Eglise, 
y  fit  la  prière,  monta  dans  la  chaire  de  Théo- 
dose, prêcha  que  le  Fils  était  de  même  na- 
ture que  le  Père,  et  se  rendit  maître  des 
églises  du  diocèse. 

Théodose,  qui  ne  savait  pas  ce  qui  était 
arrivé,  retourna  à  Synnade  avec  un  édit  du 
préfet.  Mais  ayant  été  chassé  de  l'Eglise,  il 
vint  à  Constaulinople,  et  se  plaignit  à  Alli- 


1177 


RETR.\ITE  ECCLES.  —  XIII,  BON  EXEMPLE. 


1178 


eus,  de  la  violence  qu'il  avaii  souOerle. 
Aliicirs  consola  Théodose,  l'exhorla  5  pré- 
férer le  repos  d'Hiie  vie  Iranquille  au  soin 
de  l'épiscopal ,  cl  à  sacrifier  ses  iiilérôts  à 
J'utililé  de  l'Eglise.  Il  écrivit  en  même 
temps  à  Agapel,  qu'il  demeurât  en  posses- 
sion de  la  chaire  é[)iscopaIe,  sans  rien  ap- 
préhender de  la  part  de  Tliéodose. 

llemarquez  dans  cefail,  premièrement, 
que  c'est  l'avarice  de  cet  évêque  qui  est 
cause  de  tousses  excès  C'est  son  avarice 
qui  l'engage  h  s(illiciler  des  édils  pour 
tourmenter  s(  n  peuf)ie.  C'est  son  avarice 
qui  lui  fait  abandonner  le  soin  de  son  Irnu- 
jeau,  dans  un  temps  otj  ses  brebis  avaiunt 
un  l)esoin  continuel  de  la  présence  de  leur 
pasteur,  pour  Us  garantir  de  la  fureur  des 
loups,  c'est-à-dire  des  hérétiques. 

Observez,  en  second  lieu,  combien  l'ava- 
rice de  Théodose  l'avait  rendu  odieux.  Son 
peuple  l'abandonne,  et  se  range  sous  l'o- 
béissance d'Agapet  aussitôt  qu'il  fait  pro- 
fession de  la  loi  catholique.  Voyez  comment 
Théodose  est  repoussé,  lorsqu'au  retour  de 
son  voyage,  il  entre  dans  l'église,  pour 
prendre  possession  de  sa  chaire.  Il  faut 
qu'un  peuple  ait  conçu  une  grande  aver- 
sion contre  un  évêque,  lorsque  cet  évêque, 
après  avoir  gouverné  pendant  plusieurs  an- 
nées, ne  trouve  personne  qui  défende  sa 
Cause,  et  qui  prenne  son  parti. 

Enlin  observez  que  le  juste  courroui  de 
ce  peuple  contre  son  évêqne  est  universel- 
lement approuvé.  Aitique  de  Constantino- 
ple,à  qui  Tliéodose  avait  adressé  ses  plain- 
tes, conseille  à  cet  évêque  d'abandonner 
ses  droits.  Il  écrit  à  Agapet  ;  il  approuve  son 
action,  il  l'encourage,  il  lui  mande  de  ne 
jioint  craindre  les  menaces,  et  la  colère  de 
Thé»dose. 

Voilà  un  exemple  qui  apprend  aux  ec- 
clésiastiques, combien  l'avarice  les  rend 
odieux.  Si  donc  vous  voulez  gagner  les  ()eu- 
ples  par  votre  bon  exemple,  gardez-vous 
avec  soin  du  crime  honteux  de  l'avarice. 

Un  prêtre  est  lâche,  il  trahit  son  minis- 
tère, il  fiiit  des  bassesses,  il  s'attire  du  mé- 
pris, et  quelquefois  même  des  injures,  parce 
que  l'avarice  a  séduit  son  cœur  et  s'en  est 
rendu  la  maîtresse.  - 

Il  faut  qu'il  en  coûte  bien  des  bassesses; 
lors  qu'avec  un  médiocre  revenu,  et  à  peine 
sulfisant  p(jur  l'entretien  honnête  d'un  ec- 
clésiastique, il  trouve  le  secret  d'amasser 
des  sommes  considérables.  Il  faut  avoir  le 
cœur  bien  dur  (»our  n'être  point  ébranlé 
•tar  des  objets,  capables  d'émouvoir  môme 
descoeuis  de  pierre.  Vous  visitez  un  pauvre 
absolument  abandonné,  et  vous  le  laissez 
sans  aucun  secours.  Vous  avez  peu  ;  mais 
n'est-ce  (las  là  de  ces  occasions,  où  celui 
qui  n'a  qu'un  morceau  de  [lain,  doit  s'en 
retrancher  la  moitié,  pour  soulager  la  mi- 
sère de  son  frère  ?  N'est-ce  pas  dans  de  pa- 
reilles occasions  que  les  saints  coupaient  la 
moitié  de  leur  manteau,  qu'ils  se  dépouil- 
laient de  ce  qu'il  était  absolument  néces- 
saire, que  d'autres  se  sont  vendus  eux- 
ménies  r'our  secourir  leur  frères  dans  les 


nécessités  pressantes?  Si  Dieu  vous  a  donné 
de  grands  biens,  faites-en  une  grande  part 
aux  pauvres.  Si  vous  avez  peu,  retranchez- 
vous  pour  faire  l'aumône.  Quand  vous  ne 
donneriez  que  deux  deniers,  si  vous  les 
donnez  dans  la  même  disposition  que  la 
veuve  de  l'Evangile  {Marc,  XII,  42),  Dieu 
recevra  voire  aumône  aussi  bien  que  la 
sienne.  Mais  surtout  ne  faites  point  de  tré- 
sors, n'amassez  point,  puisque  autrement 
vous  ne  pouvez  donner  aux  fidèles  le  bon 
exemple  que  vous  leur  devez. 

Voici  un  vice  qui  souvent  est  une  suite 
de  l'avarice.  Il  peut  néanmoins  venir  en- 
core d'un  autre  principe,  mais  quelle  qu'en 
soit  la  source,  il  est  leujours  d'un  très- 
grand  scandale.  C'est  l'ardeur  de  devenir 
riche,  et  surtout  rcm|)resseuient  d'acauérir 
les  richesses  ecclésiastiques. 

Car  enfin  que  peuvent  penser  les  fidèles, 
quand  ils  voient  des  ecclésiastiques,  qui, 
pour  obtenir  des  bénéfices,  se  servent  de 
voies  que  ceux  que  l'on  a|)pelle  honnôles 
gens  dans  le  monde  ne  voudraient  pas  em- 
ployer pour  obtenir  des  biens  purement 
temporels?  Des  ecclésiastiques  obtiendront 
des  bénéfices  par  des  flatteries  basses,  par 
des  complaisances  servîtes,  par  des  dégui- 
sements critninels,  par  des  intrigues  in- 
fâmes, par  des  brigues,  [lar  des  tralics,  par 
des  accommodements  qui  renversent  les 
lois  de  l'Eglise. 

Que  peuvent  penser  les  fi<ièles  de  tons 
ces  commerces  que  la  corruption  du  siècle 
a  introduits?  Des  permutations  frauduleuses, 
des  remboursements  des  frais  imaginaires 
d'un  procès,  des  remboursements  de  répara- 
tions, qui  souvent  même  n'ont  point  été  fai- 
tes, ou  (lui  sont  estimées  au  delà  deleur  juste 
va!eiir,des  résignations  précédées  de  promes- 
ses expresses  ou  tacites  de  rembourser  une 
pension  ,  des  accommodements  de  lamilJe 
dans  les  mariages,  oij  les  bénéfices  entrent 
en  négoce,  et  où  la  dot  est  plus  considé- 
rable, à  cause  des  bénéfices  que  l'on  fait 
tomber  sur  des  parents  dignes  ou  indignes. 
C'est  une  circonstance  à  laquelle  on  ne  fait 
aucune  attention  :  un  amour  déréglé  pour 
un  {)arent,  qui  fait  qu'on  se  dépouille  en  sa 
faveur,  quoiqu'on  soit  convaincu  de  soa 
indignité;  des  adresses  |ioiir  conserver  son 
bénéfice,  et  néanmoins  pour  le  faire  passer 
à  un  autre  en  cas  que  la  mort  surprenne  ; 
des  bénéfices  donnés  à  des  enfants  qui  se 
trouvent  engagés  sans  avoir  délibéré,  et 
qui  n'étant  retenus  dans  l'état  ecclésiastique 
que  par  des  considérations  temporelles, 
font  à  l'Eglise  des  plaies  très-considérables 
par  leur  conduite  déréglée 

Le  Fils  de  Dieu  renverse  dans  le  temple 
les  tables  des  changeurs,  et  de  ceux  qui 
vendaient  des  colombes  pour  les  sacrifices. 
{Mallli.,  XXI,  12.)  S  il  était  encore  sur  la 
terre,  comment  liaiterait-il  ces  hommes 
avides  de  bénéfices,  qui  veulent  absolument 
en  avoir  même  par  les  voies  les  plus  cri- 
minelles ?  Comment  traiterait-il  ceux  qui 
font  commerce  des  biens  du  sanctuaire? 


u^a 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1180 


coruménl  Irailerail-il  ceux  qui  à  la  faveur 
d'une  subtile  distinction  justifient  des  pac- 
tes illicites  qui  sont  de  véritables  simonies  ? 
Au  lieu  d'un  fouet  qu'il  prit  pour  chasser 
ces  profanateurs,  il  prendrait  des  foudres 
pour  exterminer  ces  hommes  criminels  qui 
violent  les  règles  les  plussaintesde  l'Eglise. 
Il  ferait  ouvrir  la  terre  sous  leurs  pieds 
pour  les  engloutir,  comme  il  arriva  autre- 
fois lorsque  Dieu  punit  la  témérité  des  lévi- 
tes qui  voulaient  usurper  l'office  d'Aaron. 

On  ne  fait  plus  maintenant  attention  aux 
anciens  canons,  qui  prononcent  qu'on  se 
rend  coupable  de  simonie,  non-seulement 
quand  on  donne  de  l'argent  pour  obtenir  un 
bénéfice,  mais  aussi  quand  on  emploie  les 
flatterias,  les  louanges  et  les  prières,  ou 
bien  quand  on  rend  des  services  intéressés 
par  le  moyen  desquels  on  se  propose  d'ob- 
tenir des  bénéfices  (200). 

De  là  cette  distinction  célèbredans  le  droit 
où  l'on  dislingue  trois  sortes  de  présents 
qui  nous  rendent  coupables  de  simonie, 
lorsque  par  leur  moyen  nous  prétendons 
obtenir  quelque  chose  de  spirituel.  Munus 
a  manu  :  c'tst-à-dire,  l'argent  :  Munus  a 
linguiiy  ce  sont  les  louanges  et  les  flatteries  : 
Munus  ab  obsequio,  ce  sont  les  services.  Si  les 
services  rendusavecdessein  d'obtenir  un  bé- 
néfice, sont  suffisants  pour  faire  une  simonie; 
est-ce  à  tort  que  l'on  est  scandalisé  de  toutes 
les  visites  que  vous  rendez  à  ceux  qui  peu- 
vent vous  donner  ou  vous  procurer  des 
bénéfices?  est-ce  à  tort  que  l'on  est  scan- 
dalisé de  toutes  les  louanges  que  vous  don- 
nez à  ce  grand,  parce  que  vous  es(iérez  ob- 
tenir par  son  crédit  quelque  établissement 
considérable  dans  l'Eglise  ? 

Si  les  intrigues  que  l'on  emploie  pour  ob- 
tenir les  bénéfices  scandalisent  les  fidèles, 
ils  ne  le  sont  pas  moins  de  l'injuste  procédé 
des  ecclésiastiques  qui  accumulent  béné- 
fice sur  bénéfice,  et  qui  n'en  ont  jamais 
assez. 

Saint  Thomas  soutient  que  la  pluralité  des 
bénéfices  est  contraire  au  droit  natuiel  (201). 
Ceux-là  sont  entièrement  inexcusables,  dans 
le  sentiment  de  ce  saint  docteur,  qui  veu- 
lent avoir  plusieurs  bénéfices,  afin  d'être 
plus  riches  et  de  vivre  avec  plus  de  sfilen- 
deur. 

Le  cardinal  Cajetan  prétend  que  la  dis- 
pense du  pape  n'exempte  pas  de  péché  mor- 
tel ceux  qui  possèdent  plusieurs  bénéfices,  si 
cette  dispense  n'est  fondée  sur  une  cause 
raisonnable  (202). 

Le  cardinal  Bellarmin  (203)  dit  que  les  dis- 
penses du  pape  pour  avoir  plusieurs  béné- 
fices, sont  valables  devant  les  hommes,  mais 

(200)  «Aliudestmunus  ab  obsequio,  aliud  a  manu, 
aliud  a  lingua.  Munus  ab  obsequio  est  scrvilus  inde- 
l)ile  impensa.  Munus  a  manu  pecunia  est.  iMunus  a 
lingua  lavor.  »  (Can.  Sunt  uoiniulli,  1,  <j.  1.) 

(201)11  Dispensalio  liurnana  non  auferlligaincriju- 
ris  naturalis.  »  (Quodl.  9,  a.  5.) 

«Si  allquis  bac  inienllone  plura  bénéficia  habeat, 
ul  sil  dilior,  ul  laulius  vival,  non  lolluntur  pr;edi- 
ct;c  deformitales,  scd  augcnliir.  >  (Quodl.  9,  a.  Ifi.) 

\202)  «  Ncc  excusatui  pcccaliini  uKalaie  proptcr 


non  pas  devant  Dieu,  à  moins  (ju'il  n'y  ail 
une  cause  légitime  de  les  obtenir. 

L'autorité  seule  du  concile  de  Trente  (204) 
ne  suffît-elle  pas  pour  décider  cette  ques- 
tion ?  11  défend  à  toutes  sortes  d'ecclésiasti- 
ques de  posséder  plusieurs  bénéfices.  Le 
saint  concile  ne  donne  jamais  de  dispense, 
si  ce  n'est  lorsqu'un  bét)éfice  dont  un  ecclé- 
siastique se  trouve  revêtu  n'est  i)as  suffisant 
pour  son  entretien.  Que  voulez-vous  donc 
faire  de  cette  abbaye,  que  vous  sollicitez 
depuis  si  longtemps  ?  Navez-vous  pas  déjà 
un  bénéfice  dont  le  revenu  serait  suffisant, 
si  vous  vouliez  vivre  dans  la  modestie  de 
votre  étal?  Pourquoi  donc  vous  empressez- 
vous  pour  obtenir  un  second  bénéfice,  et 
qu'en  voulez-vous  faire?  augmenter  votre 
équipage,  avoir  une  table  mieux  servie,  des 
meubles  |)lus  superbes,  un  plus  grand  nom- 
bre de  domestiques,  jouer  un  plus  gros  jeu 
et  par  ce  raoyeia  scandaliser  l'Eglise  et  les 
fidèles. 

Ils  voient  avec  douleur  que  ceux  qui  de- 
vraient faire  [laraîlre  une  grande  simplicité, 
vivent  dans  la  magnificence.  Ceux  qui  de- 
vraient ménager  leur  bien  pour  les  pauvres, 
font  un  nombre  très-grand  de  dépenses  su- 
perflues. Ceux  que  le  Fils  de  Dieu  a  chargés 
de  crier  contre  les  pompes  du  monde,  vi- 
vent eux-mêmes  dans  le  luxe.  Ceux  à  oui 
les  conciles  ordonnent  que  leurs  tables 
soient  frugales,  ont  les  tables  les  mieux  gar- 
nies, et  oiî  l'on  sert  les  mets  les  plus  déli- 
cats. Les  disciples  de  Jésus-Christ  ont  mené 
une  vie  si  pénible,  convient-il  que  leurs 
successeurs  recherchent  leurs  aises  et  sup- 
portent avec  impatience  les  moindres  in- 
commodités? Les  disciples  de  Jésus-Christ 
manquaient  de  toutes  choses,  convient-il 
que  leurs  successeurs  aient  avec  abondance 
toutes  les  commodités  de  la  vie? 
"Voulez-vous  ôter  à  vos  frères  tant  de  su- 
jets de  scandale  qui  sont  si  légitimes?  pre- 
nez une  fois  une  juste  idée  de  ces  biens  ec- 
clésiastiques qui  sont  si  désirés.  Regardez- 
les  comme  des  biens  dont  le  désir  est  crimi- 
nel, dont  la  possession  est  dangereuse,  dont 
l'administration  est  difficile.  Si  vous  n'avez 
point  de  bénéfices,  estimez-vous  heureux  de 
n'être  j)oint  exposés  à  tous  les  dangers,  et 
à  toutes  les  tentations  dont  les  biens  ecclé- 
siastiques sont  presque  toujours  accompa- 
gnés. Si  vous  en  avez,  soyez  bien  persuadés 
que  vous  rendrez  compte  à  Dieu  jusqu'à  la 
dernière  obole  de  ces  biens  qui  vous  ont 
été  confiés  pour  assister  les  pauvres.  Ne 
souhaitez  point  de  bénéfices,  ne  faites  au- 
cune démarche  pour  en  obtenir,  de  peur 
qne  Dieu  ne  vous  en  accorde  i)0ur  punir 

dispensalionem  papx,  sine  ralionabili  causa. i(Card. 
Cajet.  in  Siimma  \eiho  Beneficium,  n.  9.) 

(i05)  i  ScienJum  est  poniiticuu)  dispensalionem, 
quando  non  adesl  jiista  causa  dl^peiisandr,  vaiere  in 
ioro  loii,  non  in  loro  Poli,  ut  docet  sancius  Tho- 
mas. »  (Gard.  Ijell.,    Instiucl.  ad  nepotem.)  : 

(204)  «  Sancia  synodus  slaluil  ul  in  poslcium 
unum  lantum  bcneliciuni  ^ingulis  conferatur,  »  etc. 
(Trid.,  sess.  24,  cap.  17,  De  rcformatione.) 


1181 


RETRAITE  ECCLES.  —  XllI,  DON  EXEMPLE. 


vos  souhaits  criminels,  et  vos  déDiarches 
ambilieuses.  Si  Dieu  v(>us  en  envoie  sans 
que  vous  les  ayez  recherchés,  tremblez, 
puisque  c'est  un  fardeau  dont  vous  senti- 
rez la  pesanteur  quand  vous  paraîtrez  de- 
vant Dieu.  Ne  les  acceptez  point,  que  vous 
n'ayez  consulté  Dieu  par  la  prière,  et  que 
vous  n'ayez  pris  le  conseil  de  personnes 
désintéressées.  Quand  vous  aurez  un  bé- 
néfice, songez  que  c'est  une  assez  grande 
charge.  Songez  qu'un  second  bénéfice  se- 
rait un  second  fardeau,  sous  le  poids  duquel 
vous  seriez  infailliblement  accablés- 

Voilà  donc  les  principaux  péchés  qui 
scandalisent  les  fidèles,  dans  les  ecclésias- 
tiques. L'impureté,  l'immodestie,  l'avarice, 
la  vie  molle,  l'empressement  d'acquérir  les 
richesses  ecclésiastiques  ,  c'est  à  vous  à 
vous  préserver  de  ces  monstres,  puisque 
vous  êtes  indispensablement  obligés  de 
donner  bon  exemjile  à  vos  frères. 

TKOISIÈME  POINT. 

J'ai  encore  deux  ou  trois  moyens  à  vous 
proposer,  pour  vous  faciliter  l'exécution  du 
grand  précepte  qui  vous  oblige  de  donner 
bon  exemple  à  vos  frères. 

Le  premier  moyen,  c'est  d'examiner  sou- 
vent votre  conduite  par  rapport  à  votre  pro- 
chain, par  rap[)ort  à  l'obligation  que  vous 
avez  de  l'édifier  et  de  lui  donner  bon 
exemple. 

Quand  je  dis  par  rapport  à  votre  pro- 
chain, je  ne  parle  pas  des  gens  du  monde, 
je  ne  parle  pas  de  ceux  qui  suivent  les 
maximes  du  siècle  je  ne  parle  point  de 
ceux  qui,  méprisant  les  règles  de  l'Evangile, 
s'oQ'ensent  et  se  scandalisent  quand  un 
saint  prêtre  remplit  ses  devoirs,  et  ne  s'of- 
fensent point  lorsqu'un  ecclésiastique  dé- 
réglé viole  les  lois  et  les  canons  de  l'E- 
glise. 

Je  parle  de  ceux  qui  se  conduisent  sui- 
vant les  maximes  de  l'Evangile.  Je  parie  de 
ces  [)etits,  qu'il  est  si  dangereux  de  scanda- 
liser, comme  Jésus-Christ  nous  l'enseigne. 
Qui  sont  ces  petits  ?  ce  sont  les  humbles  qui 
cherchent  Jésus-Christ  dans  la  sincérité  de 
leur  cœur, qui,  comme  ils  se  sont  consacrés 
à  ce  divin  époux,  voudraient  aussi  que  tous 
les  hommes  se  donnassent  à  lui  de  tout 
leur  cœur.  Ce  sont  ceux-là  que  vous  devez 
craindre  d'offenser,  et  par  conséijuent  c'est 
par  rapport  à  eux  que  vous  devez  examiner 
votre  conduite.  Voyez  si  dans  vos  actions, 
dans  vos  discours,  dans  vos  habits,  dans 
vos  manières,  dans  vos  projets,  il  n'y  a 
rien  qui  les  offense.  Priez-les  de  s'en  expli- 
quer à  vous  et  de  vous  dire  sincèrement 
leur  pensée.  S'ils  ont  la  charité  de  vous  dé- 
couvrir ce  qui  les  choque,  ou  bien  même  si 
vous  vous  apercevez  qu'il  y  a  quelque  chose 
dans  vos  mœurs  et  dans  vos  manières  qui 
blesse  les  gens  de  bien,  retranchez-le  au 
plus  tôt,  aûn  que,  comme  le  dérèglement  do 
vos  mœurs  les  scandalisait,  votre  change- 


rai 

mont  les  édifie  et  les  console,  selon  ce  (luo 
saint  Paul  dit  do  lui-même  :  Ceux  qui  avaient 
entendu  dire  qu'api-ês  avoir  persécuté  les  chré- 
tiens, j'annonçais  la  foi  que  je  m'efforçais 
auparavant  de  détruire,  rendaient  gloire  à 
Dieu  de  ce  qu'il  avait  fait  en  moi,  (Gui., 
1,    23.) 

Un  autre  moyen  pour  donner  bon  exem- 
ple à  vos  frères,  c'est  de  vous  sépa^^T  de 
tous  ceux  qui  mènent  une  vie  déréglée,  et 
surtout  des  ecclésiastiques  qui  scandalisent 
le  prochain,  parce  que  leur  conduite  n'est 
ni  ecclésiasliciuo,  ni  régulière.  Le  Fils  de 
Dieu  veut  que  celui  qui  n'écoule  pas  l'E- 
glise soit  à  votre  égard  comme  un  païen  et  un 
pubiicain.  {Matlh.,  XVIII,  17.)  C'est-à-dire 
que  vous  ne  devez  avoir  aucun  commerce 
ni  aucune  liaison  avec  celui  qui  n'écoute 
pas  l'Eglise. 

Quelle  société  donc  pouvez-vons  avoir 
avec  des  ecclésiastiques  qui  violent  toutes 
les  règles  de  l'Eglise,  qui  ne  portent  point 
l'habit  ecclésiastique,  qui  ne  conservent 
des  marques  extérieures  de  leur  profession, 
que  celles  que  la  crainte  d'une  diffamation 
et  d'une  confusion  toute  publique  les  em- 
pêche de  quitter,  qui  aiment  le  monde  et 
sont  fileins  de  son  esprit,  qui  croiraient  se 
dégrader  s'ils  s'aquittaient  des  fonctions  do 
leur  ordre,  qui  se  cachent  dans  quelque  lieu 
reculé  pour  célébrer  les  saints  mystères,  en 
même  temps  qu'ils  étalent  aux  yeux  du 
monde  leurs  ivanités  ridicules  ,  qui  ne 
parlent  de  Dieu  ni  des  biens  célestes,  ni  de 
quelque  autre  matière  qui  édifie  l'âme  et 
nourrisse  l'esprit,  dont  toutes  les  conversa- 
lions  sont  molles,  licencieuses,  relâchées, 
indignes  de  la  pureté  de  leur  étal,  qui  font 
coniister  le  bonheur  à  vivre  mollement,  et 
à  avoir  des  bénéfices  d'un  grand  revenu. 

Si  vous  liez  quelque  société  avec  des  ec- 
clésiastiques de  ce  caractère,  vous  approu- 
vez leur  conduiie.  Selon  saint  Paul,  non- 
seulement  ceux  qui  font  le  mal  sont  coupables, 
mais  aussi  ceux  qui  approuvent  ceux  qui  le 
font.  {Itom.,1,  32.)  Ce'ui-là  se  juge  else  con- 
damne, dit  Terluliien  {'2.05);  qui  se  mêle  avec 
ceux  à  qui  il  ne  veut  pas  ressembler  et  dont 
il  désapi)rouve  la  conduiie.  Ce  n'est  pas 
assez  de  nous  abstenir  des  actions  crimi- 
nelles ;  nous  sommes  encore  obligés  de 
nous  séparer  de  ceux  dont  nous  ne  pouvons 
disconvenir  que  la  condule  est  déréglée. 
Ainsi,  quand  bien  môme  vous  ne  seriez  pas 
complice  des  désordres  de  ces  ecclésiasti- 
ques, quand  bien  même  vous  ne  les  ap- 
prouveriez pas,  si  vous  communiquez  avec 
eux,  vous  êtes  coupable.  Vous  scandalisez 
vos  frères,  ils  ont  lieu  de  se  persuader  que 
vous  approuvez  les  dérèglements  des  ecclé- 
siasliques  scandaleux,  puisque  vous  avez 
des  liaisons  étroites  avec  eux,  et  que  vous 
les  coniplez  au  rang  de  vos  amis. 

Un  dernier  moyen  pour  édifier  vos  frères 
par  votre  bon  exem|)le,  c'est  d'aimer  la  re- 
traite, etd'avoir  peu  de  communication  aveo 


(205)  «  Nobis 
ivcclac,  c.  lo.) 


»alis  rioa   Cit,   si  ipii  iiiiiil  laie  (aciniuus  nisi  '.inlia  faciciilibiis  non  cunfcr.uiiiir.  >iDe 


tlK 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1184 


les  gens  du  siècle  ;  car  toul  homme  a  des 
délauls.  Quelques  cU'orls  que  fassent  les 
pfus  gens  de  bien  pour  se  régler  eux-mêmes, 
ils  tombent  presqu'à  tout  moment.  Si  vigi- 
lants qu'ils  soient  il  leur  échappe  des  fai- 
blesses, qui  sont  les  fruits  malheureux  de 
"cet  homme  charnel,  dont  nous  ne  pouvons 
entièrement  nous  dépouiller.  Le  cœur  de 
tous  les  hommes  est  un  champ  d'une  fé- 
condité surprenante  pour  produire  le  mal. 
Si  donc  vous  n'aimez  pas  la  retraite,  si  vous 
vivez  familièremetit  avec  les  gens  du  siècle, 
qu'arrivera- t-il  ?  vous  ne  jotirrez  pas  vous 
contraindre  ni  cacher  vos  défauts.  Ils  se- 
ront bientôt  découverts.  Quand  ils  seront 
connus,  on  vous  en  estimera  moins.  Vous 
ne  serez  plus  en  élal  de  remporter  tout  le 
fruit  que  vous  eussiez  fait,  si  l'on  eût  eu 
une  opinion  plus  avantageuse  de  vous. 

Vous  ne  pouvez  croire  combien  le  juge- 
ment favorable  que  Ton  fait.d'un  ecclésiasti- 
que contribue  à  faire  écouler  ses  conseils. 
Vous  ne  pouvez  concevoir  combien  un  ecclé- 
siastiquefaitdefruit,lorsqu'onn'a  rien  remar- 
qué de  défectueux  dans  sa  conduite,  lors- 
qu'on ne  l'a  jamais  vu  que  dans  l'exercice  de 
ses  fondions  etdans  la  pratiquedesaciionsde 
charité.  S'il  est  |)ossible  qu'on  ne  nous  voie 
jamais  que  dans  la  pratique  des  bonnes 
œuvres,  s'il  est  possible,  qu'on  croie  que 
sous  une  forme  humaine  vous  menez  une 
vie  d'ange  et  de  saint,  c'est  le  moyen  de 
faire  vos  fonctions  avec  fruit,  de  gagner  les 
âmes,  de  vous  faire  écouter,  et  de  convain- 
cre les  hommes  de  toutes  les  maximes  que 
vous  établirez.  Pour  cela  il  faut  aimer  la 
vie  cachée,  la  vie  sé[)arée  du  monde,  se  re- 
tirer dans  les  séminaires,  ou  bien  faire  de 
vos  maisons  des  séminaires  comme  les  pre- 
miers chrétiens  faisaient  de  leurs  maisons 
des  église*,  parce  qu'ils  vivaient  aussi  sain- 
t^meiit  dans  leurs  maisons,  que  dans  les 
églises.  Quoiqu'un  ecclésiastique  fidèle  ne 
doive  point  rechercherl'eslime  des  hommes, 
et  que  tout  autre  motif  que  celui  de  plaire 
à  Dieu  soit  criminel,  il  doit  néanmoins  me- 
ner une  vie  si  réglée,  que  l'odeur  de  ses 
vertus  attire  l'eslirae  et  la  vénération  des 
peuples.  Autrement  il  travaillera  en  vain, 
et  il  ne  fera  jamais  aucun  profit. 

Entrez  donc  aujourd'hui  dans  de  si  sain- 
tes dispositions.  Retranchez  de  votre  con- 
duite tout  ce  qui  n'est  pas  édifiant.  Prati- 
quez foules  les  vertus  dont  vous  devez  don- 
ner l'exemple  aux  gens  du  monde.  Saint 
Pierre  appelle  les  ecclésiastiques,  les  mo- 
dèles du  troupeau.  (1  Pelr.,  V,  3.)  C'est  donc  à 
dire  que  la  vie  des  ecclésiastiques  doit  être 
si  réglée  que  les  fidèles,  en  la  considérant, 
soient  parfaitement  instruits  de  leurs  de- 
voirs. Saint  Augustin  (206)  disait  à  un  grand 
du  monde,  en  le  félicitant  sur  la  vie  sainte 
qu'il  avait  embrassée  :  La  morale  que  nous 
vous  prêchons  est  plutôt  un  miroir  pour 
vous  représenter  ce  que  vous  êtes,  qu'une 
leçon  pour  vous  apprendre  ce  qu'il  faut  que 


vous  soyez.  Voilà  ce  que  doivent  être  les 
ecclésiastiques,  des  miroirs  qui  représen- 
tent aux  fidèles  ce  qu'ils  doivent  être.  Nous 
sommes  obligés  de  prêcher  au  peuple  le 
détachement,  le  mépris  des  richesses,  la 
patience  dans  l'adversité,  l'amour  des  croix, 
le  support  du  prochain,  l'humilité,  l'Oubli 
des  injures,  l'amour  des  ennemis.  Prêchons 
toutes  ces  vertus  par  notre  exem[)le,  c'est 
le  vrai  moyen  d'en  convaincre  les  hommes. 
Allons  donc  à  la  tête  du  troupeau,  mais 
souvenons-nous  qu'on  n'est  véritablement 
à  la  tête,  que  quand  on  surpasse  par  ses 
vertus  ceux  au-dessus  de  qui  on  est  élevé 
par  son  caractère.  Que  nous  servirait-il 
d'être  à  la  tête  des  autres,  si  nous  étions 
hontousemi-nt  sous  leurs  pieds,  lorsque  nous 
aurons  à  rendre  compte  de  notre  adminis- 
tration ?  Soyons  les  plus  humbles,  les  plus 
zélés,  les  plus  saints.  C'est  le  moyen  de  sou- 
tenir ici  bas  l'honneur  de  notre  caractère,  et 
de  recevoir  un  jour  dans  le  ciel  les  récom- 
penses que  Dieu  a  i)romises  à  ses  véritables 
njiuislres. 

DISCOURS  XIV. 

DE  Là  CUASTETÉ. 

Quoique  tous  les  avertissements  que  les 
évêques  donnent  aux  clercs,  lorsqu'ils  sont 
prêls  de  leur  imposer  les  mains,  méritent 
d'èlre  exactement  considérés,  il  est  néan- 
n)oins  vrai  de  dire  que  celui  qui  leur  est 
adressé,  lors  lu'ils  se  présentent  pour  rece- 
voirj'ordre  de  sous-Jiacre,  demande  encore 
une  attention  j)lus  particulière  que  les  au- 
tres. 

L'Eglise  ne  prétend  point  nous  engager, 
sans  nous  faire  connaître  auparavant  ctj 
qu'elle  exige  de  nous.  Ces:  à  nous  d'exami- 
ner si  nous  sommes  prêts  de  nous  soumet- 
tre aux  lois  qu'elle  nous  impose.  C'est  è 
nous  de  ne  pi<int  souffrir  que  notre  nom 
soit  inscrit  sur  le  catalogue  de  ses  minis- 
tres, à  moins  (juo  nous  ayons  fait  de  sérieu- 
ses réflexions  sur  nos  engagements,  et  à 
moinsque  nous  ne  soyons  fermement  résolus 
de  satisfaire  à  toutes  nos  promesses. 

Celui  qui  est  fait  sous-diacre  s'engage  à 
vivre  dans  la  chasteté.  Castilalem  illo  adju- 
vante  servare  oporlebit.  Vœu  important, 
vœu  qui  ne  peut  plus  être  rétracté  :  Non  ti- 
cebit  a  proposilo  resilire ;  vœu  qui  fait  la 
consolaiion  de  ceux  qui  l'observent  avec 
fidélité  ;  mais  vœu  qui  sera  un  sujet  de  con- 
damnation pour  un  grand  nombre  d'ecclé- 
siastiques qui  l'ont  prononcé  téméraire- 
ment, et  qui  ont  été  assez  méchants  pour 
violer  la  [)arole  solennelle  qu'ils  ont  don- 
née à  Dieu  à  la  face  des  saints  autels 

Il  est  (Jonc  très-nécessaire  que  les  ecclé- 
siastiques connaissent  à  quoi  ils  s'engagent, 
quand  jls  se  lient  par  le  vœu  de  chasteté.  Il 
y  a  sur  ce  sujet  plusieurs  erreurs  grossiè- 
res dont  on  n'a  point  assez  de  soin  de  se 
détromper,  et  qui  deviennent  un  princi])o 


(206)  «  ha  ut  Li£c  oralio  niagis  libi  sit  spéculum,  ubi  qualis  sis  »i'lcas,  quam  ubi  discas  qualis  esse 
debeas.  > 


1(85 


RKTUAITE  ECCLES    —  XIV,  CHASTETE. 


1186 


funeste  d'un  grand  nombre  de  cliules  con- 
sidérables. 

Il  y  en  a  qui  ne  connaissent  point  ce  que 
c'est  que  la  chasteté,  et  qui  [irétendent  ex- 
cuser des  dérèglements  que  cette  vertu  no 
peut  souffrir.  Il  y  en  a  d'autres  qui  ne  sont 
point  assez  convaincus  de  la  conséquence 
de  celle  vertu,  et  de  l'énorraité  du  vice  qui 
lui  est  contraire.  Il  y  en  a  enfin  qui,  après 
avoir  fait  le  vœu,  cèdent  lâchement,  parce 
qu'ils  se  ftersuadent  que  l'accomplissement 
en  est  trop  difïicile. 

Pour  détruire  ces  trois  erreurs,  qui  sont 
certainement  très- pernicieuses  et  très- 
communes,  il  est  nécessaire  de  faire  voir 
quelle  est  l'essence  de  la  pureté  ecclésias- 
tique, de  quelle  conséquence  il  est  de  gar- 
der exactement  le  vœu  do  chasteté  ,  que 
Dieu  nous  a  laissé  des  secours  forts  et  puis- 
sants avec  lesquels  les  ecclésiastiques  peu- 
vent, plusaisémentqu'ils  ne  se  l'imaginent, 
venir  à  bout  d'accomplir  leur  |)romesse. 
C'est  ce  que  je  me  propose  d'établir  dans 
les  trois  parties  de  ce  discours. 

PREMIER  POINT. 

Il  y  en  a  beaucoup  qui  ne  connaissent 
point  ce  que  c'est  que  la  pureté.  Ils  don- 
nent à  cette  vertu  des  bornes  trop  étroites  , 
et  de  \k  il  ariive  que  plusieurs  gémissent 
sous  la  tyrannie  du  démon  de  l'impureté, 
ue  laissent  ptTS  de  se  croire  chastes. 

Tertullier.  (207)  se  plaint  que  de  son  temps 
il  y  en  avait  (pii  réduisaient  la  ciiastelé  à 
ne  se  |ioint  souiller  par  ce  vice  aboininable 
dont  le  nom  ne  devrait  jamais  être  dans  la 
bouche  d'un  prôtre,  si  la  cliarilé  ne  l'obli- 
geait <i  en  [)arier  [lour  en  ins|)irer  de  l'hoi- 
reur.  Quasi  pudicilia  in  sola  carnis  integii- 
tate  et  stupri  aversalione  consistât. 

Il  n'est  que  trjp  vrai  qu'il  sqxx  trouve 
môme  parmi  les  ecclésiastiques  qui  sont 
encore  dans  ia  même  erreur. 

Combien  y  en  a-t-il  qui  ne  mettent  aucun 
frein  à  leur  langue,  qui  donnent  à  leurs 
yeux  une  libellé  entière,  qui  lisent  des  li- 
vres dont  la  lecture  remplit  l'esprit  de  pen- 
sées profanes,  qui  prêtent  leurs  oreilles  à, 
des  discours  scandaleux?  Combien  y  en 
a-l-il  dont  toute  la  méditation  consiste  à 
refiasser  dans  leur  esprit  les  entretiens  pro- 
fanes et  uiôme  libertins  qui  se  sont  tenus 
en  leur  présence?  Combien  y  en  a-t-il  qui 
se  permettent  tout ,  et  qui  ne  croient  point 
pécher  contre  la  chasteté  qu'ils  ont  vouée 
a  Dieu,  parce  qu'ils  ne  tombent  pas  duns 
les.Oerniers  dérèglements.  Quasi  pudicilia 
in  sola  carnis  integritate.  et  stupri  aversa- 
lione consistât. 

AUn  de  ne  point  tomber  dans  de  si  per- 
nicieuses erreurs ,  apprenez  en  quoi  les 
saints  Pères  oui  fait  consister  l'essence  de 
la  pureté. 

Saint  Bernard  nous  enseigne  que  comme 
les  sens  de  l'homme  se  divisent  en  cinq, 
aussi  la  chasteté  a  cinq  parties.  Castitus 
quinque  parlita  est,  videlicet  in  auribus,  in 

(207^  Lib.  II  De  cultu  feminarunx,c.  i. 


oculis ,  in  odoralu,  in  gustu  et  in  tactu.  (In 
sentenliis.)  La  chasteté,  selon  saint  Bernnrd, 
consiste  à  se  rendre  maître  de  tous  ses  sens. 
Celui  qui  est  chaste  n'écoute  point  ce  qui 
peut  blesser  la  pureté,  il  conserve  un  grand 
empire  sur  ses  yeux,  il  est  maître  de  sa 
langue,  il  prend  garde  à  ne  point  trop  Ibitler 
son  odorat,  il  est  très -éloigné  de  st*  per- 
mettre aucune  liberté.  Il  est  donc  chaste, 
parce  qu'il  est  maître  de  ses  sens.  Il  les 
tient  captifs  comme  des  esclaves  qui  doi- 
vent être  parfaitement  soumis  à  la  raison  et 
à  la  religion.  Je  me  borne  à  vous  montrer 
jusqu'où  doit  aller  l'empire  que  celui  qui  est 
chaste  doit  exercer  sur  ses  yeux,  sur  sa 
langue  et  sur  ses  oreilles.  Le  reste  est  ou- 
vertement trop  criminel,  et  ceux-là  môme 
qui  le  voudraient  excuser,  voient  bien  qu'ils 
agissent  contre  le  témoignage  de  leur  cons- 
cience. 

Vous  ne  pouvez  douter  que  Jésus-Christ 
n'ait  condamné  les  regards  trop  libres,  qu'il 
n'ait  condamné  la  vue  des  objets  qui  irri- 
tent notre  cupidité.  Voici  les  paroles  de  ce 
Dieu  de  pureté  :  Quiconque  regardera  une 
femme  avec  un  mauvais  désir  a  déjà  commis 
t'adultère  dans  son  cœur.  {Malth.,  V,  28.) 
Jésus-Christ,  par  ces  paroles,  condamne 
deux  choses,  dans  le  sentiment  de  saint 
Chrysostome.  Il  condamne  les  mauvais  dé- 
sirs, il  condamne  la  vue  des  objets  qui  peu- 
vent exciter  ces  mauvais  désirs. 

Pour  bien  entendre  cette  doctrine  du  Sau- 
veur, expliquée  par  saint  Chrysostome,  il 
faut  distinguer  deux  sortes  de  regards.  Les 
regards  d'honnêteté,  de  bienséance,  de  né- 
cessité, et  qui  sont  accompagnés  d'une  sé- 
vère modestie.  Voilà  les  premiers  regards 
que  Jésus-Christ  n'a  point  prétendu  con- 
damner. Les  seconds  sont  les  regards  re- 
cherchés, curieux,  atlectés,  qui  se  font  pour 
contenter  les  yeux,  el  ceux-là  sont  toujours 
criminels,  parce  que  celui  qui  les  jette 
s'expose  au  danger  d'allumer  au  milieu  de 
lui-même  une  flamme  impure.  Saint  Gré- 
goire de  Nazianze  (oral.  3,  p.  108),  en 
parlant  de  ces  sortes  de  regards,  dit  que 
celui  qui  est  chaste  est  si  exact,  qu'il  croi- 
rait pécher,  s'il  se  donnait  la  liberté  d^j  re- 
garder les  objets  dont  la  vue  peut  en  quel- 
(jue  manière  blesser  la  pureté. 

Vous  n'êtes  pas  toujours  les  maîtres  ni  de 
vos  pensées  ni  de  vos  désirs. .11  y  en  a  d'in- 
volontaires. Les  solitaires,  dans  leur  re- 
traite, gémissent  de  se  voir  charnels  et 
d'être,  selon  l'expression  de  saint  Paul, 
vendus  pour  être  assujettis  nu  péché.  {Rotn., 
'VII,  ik.)  Mais  si  vous  sentez  des  combats, 
parce  que  vous  jetez  de  ces  regards  empoi- 
sonnés dont  je  viens  de  parler,  c'est  vaine- 
ment que  vous  alléguez  votre  faiblesse.  Vos 
pensées  sont  criminelles,  vos  désirs  sont 
des  péchés.  Le  péché  n'est  plus  excusable, 
lorsqu'on  y  tombe,  parce  qu'on  a  négligé 
de  couper  la  racine  du  mal.  Quand  bien 
môme  les  regards  ne  seraient  suivis  d'au- 
cuns désirs  criminels,  saint  Chrysostome  les 


!187 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1188 


soutient  inexcusables,  parce  que  vous  vous 
exposez  volonlairement  au  péril  de  pécher. 
Vous  résisterez  peut-être,  continue  ce  saint, 
une  ou  deux  fois,  aux  mauvaises  impres- 
sions qui  sont  une  suite  ordinaire  des  re- 
gards dangereux;  mais  si  vous  vous  aban- 
donnez souvent  à  ces  regards,  le  feu  crimi- 
nel s'allumera  bientôt  dans  votre  coeur. 
Comme  donc,  lorsque  nous  voyons  un  en- 
fant prendre  un  couteau,  quoiqu'il  n'en  soit 
pas  blessé,  nous  ne  laissons  pas  de  le  châ- 
tier et  (le  lui  défendre  de  le  toucher  à  l'ave- 
nir, Dieu,  de  même,  nous  défend  les  re- 
gards curieux,  avant  même  que  nous  pé- 
chions, afin  que  nous  vivions  dans  une  sage 
précaution  qui  nous  garantisse  du  péché. 

Tertuilien  (Apol.  k)  rapporte  qu'il  s'est 
trouvé  des  philosophes  qui  se  sont  crevé 
les  yeux,  parce  qu'ils  désespéraient  de  pou- 
voir vivre  chastement,  tant  qu'ils  auraient 
la  liberté  de  voir  les  ol)jels  qui  enflam- 
maient leur  cupidité.  Ce  remède  violent 
auquel  ils  étaient  obligés  d'avoir  recours, 
marque  combien  leur  incontinence  était 
grande.  Le  chrétien  en  use  autrement,  il 
conserve  ses  yeux,  mais  il  ne  regarde  ja- 
mais les  objets  qui  pouiraient  exciter  en 
lui  de  mauvais  désirs.  .Les  vérités  qui  sont 
gravées  dans  son  cœur  l'engagent  à  ne  faire 
pas  plus  d'attention  à  tous  ces  objets,  que 
s'il  était  véritablement  aveugle  .  Animo  ad- 
versus  libidinem  cœcus  est. 

Si  donc  vous  voulez  conserver  vos  âmes 
pures,  rendez-vous  maîtres  de  vos  yeux. 
Les  yeux  ,  selon  la  remarque  de  saint  Gré- 
goire de  Nazianze  (orat.  18,  p.  27),  sont  de 
tous  les  sens  le  i)lus  vif,  le  plus  empressé, 
et  celui  qu'il  est  le  plus  difficile  de  re- 
tenir. Songez  que  le  regard  indiscret  est  le 
père  de  la  pensée  dangereuse.  La  pensée 
dangereuse  produit  le  désir  criminel ,  et 
selon  le  Fils  de  Dieu  :  Celui  qui  regarde  avec 
un  mauvais  désir  a  déjà  commis  le  crime  dans 
son  cœur. 

Combien  en  a-t-il  coûté  à  David  pour 
avoir  regardé,  et  de  quels  crimes  ifunesles 
ce  regard  n'a-l-il  pas  été  la  source? 

Le  démon  qui  n'ose  encore  nous  propo- 
ser un  .crime  qui  nous  effraye,  nous  invite 
au'moins  à  jeter  quelques  regards,  dont  il 
a  soin  de  nous  cacher  le  danger  et  les  sui- 
tes malheureuses. 

Dès  que  vous,  vous  donnez  la  liberté  de 
]eter  des  regards,  soyez  persuadé  que  votre 
cœur  -est  corrompu,  comme  saint  Augus- 
tin (208)  l'enseigne  expressément,  quand  il 
nous  dit  que  ceiui-lh  ne  peut  pas  dire  que 
son  cœur  est  chaste  dont  les  yeux  ne  le 
sont  pas. 

Faites  donc  avec  vos  yeux  ce  pacte  salu- 
taire dont  parle  l'Ecriture  :  Pepigi  fœdus 
cum  oculis  meis,  ut  ne  cogilarem  quidcm  de 
virgine.  [Job,  XXX,  1.)  J"ai  fait  avec  mes 
yeux  une  heureuse  alliance,  afin  que  mon 
esprit  ne  fût  jamais  occupé  du  souvenir 
d'aucune  femme.  Quelle  est  cette  alliance 


qu'on  peut  faire  avec  ses  yeux?  C'est  de 
convenir,  pour  ainsi  dire,  avec  nos  yeux 
qu'ils  seront  toujours  baissés  et  qu'ils  ne 
regarderont  jamais  fixement  les  objets  qui 
irritent  nos  passions. 

Si  vos  yeux  doivent  être  chastes,'  votre 
langue  ne  le  doit  pas  être  moins.  Vous  pou- 
vez vous  rendre  plus  maître  de  voire  lan- 
gue que  de  vos  yeux  :  il  y  a  des  occasions  oii 
il  est  difficile  de  retenir  xes  yeux  ;  mais  il 
n'y  en  a  point  oii  l'on  ne  soit  le  maîire  de  sa 
langue,  quand  on  s'est  imposé  une  lui  de  tie 
tenir  jamais  aucuns  discours  qui  offensent 
tant  soit  feu  la  pureté. 

Apprenez  de  saint  Paul  combien  sont 
criminels  tes  discours  contraires  à  l'honnê- 
teté ;  mais  avant  que  d'entendre  les  paroles 
de  cet  Apôtre,  prenez  garde  qu'il  parle  à 
tous  les  chrétiens,  et  n'oubliez  jamais  que 
ce  qui  n'est  que  criminel  dans  la  bouche 
d'un  chrétien,  est  abominable  dans  la  bou- 
che d'un  prêlre  et  d'un  ministre  du  Sei- 
gneur. Qu'on  n'entende  pas  seulement  parier 
parmi  vous,  ni  de  fornication,  ni  de  quelque 
impureté  que  ce  soit,  comme  on  n'en  doit 
point  ouïr  parler  parmi  les  saints  (Ephes., 
V,  3),  c'est-à-dire  parmi  les  fidèles.  Car  en 
ce  temps-là  les  fidèles  étaieiit  appelés  saints. 
Qu'on  n'y  entende  point  de  paroles  déshonnê- 
tcs,  ni  de  folles,  ni  de  bouffonnes,  ce  qui  ne 
convient  pas  à  votre  vocation. 

Vous  voyez  que  saint  Paul  interdit  à  tous 
les  chrétiens,  et  je  ne  vous  en  demande  pas 
davantage,  quoique  l'étal  que  vous  avez 
embrassé  exige  que  vous  surpassiez  en 
sainteté  les  autres  chrétiens  ;  vous  voyez, 
dis-je,  que  saint  Paul  interdit. à  tous  les 
chrétiens  deux,  sortes  de  discours  :  premiè- 
rement, les  discours  impudiques;  en  second 
lieu,  les  discours  bouffons. 

Les  discours  impudiques  vous  sont  dé- 
fendus. Qui  en  pourrait  douter?  Y  a-t-il 
rien  qui  inspire  plus  d'horreur  qu'un  prê- 
tre, qu'un  minisire  du  Seigneur,  qui  tient 
des  discours  contraires  à  la  pureté?  Quoi  1 
la  même  langue  (|ui  a  consacré  le  corps  du 
Seigneur,  proférera  des  paroles  déshonnê- 
tes  ?  La  même  langue  gui  a  délié  les  pé- 
cheurs coupables  d'avoir  prononcé  des  dis- 
cours lascifs  ,  sera  obligée  de  s'accuser  des 
mêmes  désordres?  Votre  bouche  ne  doit 
être  ouverte  que  pour  chanter  les  louanges 
du  Seigneur,  et  celte  bouche  prononcera 
avec  hardiesse  des  discours  qui  lui  déplai- 
sent mortellement?  Vous  devez  reprendre 
les  pécheurs  qui  souillent  leur  langue  par 
des  entretiens  criminels.  De  quel  front  vous 
acquilterez-vous  de  cet  emploi ,  si  vous 
prenez  part  vous-mêmes  à  ces  sortes  d'en- 
tretiens, si  vous  vous  y  plaisez,  si  vous  y 
donnez  votre  temps? 

L'apôtre  saint  Jacques  regarde  comme 
une  chose  monstrueuse,  et  qui  n'est  pas 
supportable,  que  la  bénédiction  et  la  malé- 
diction parlent  de  la  môme  bouche.  Une 
fontaine,  dit  cet  apàlve,  jette-l-ellepar  la  même 


(208)  I  Nec  dicalis  vos  haberc  auimos  pudicos-,  si  liabeaiis  oculos  impudicos.  >  (Ep,  2ti,  nov.  edil., 
ai.  lO'J.) 


im 


RETRAITE  ECOLES. 


ouverture  de  /Va«  dottce  et  de  Feau  amère? 
Un  figuier  peul-il  pvrler  des  raisins,  ou  une 
vigne  des  figues?  {Jac,  XI,  10.)  La  béné- 
diction cl  la  nialédiclion  ne  sortent  que 
trop  souvent  de  la  l)Ouclie  d'un  même  mi- 
nistre des  <iut(*ls.  Quelle  profanation  quand 
une  langue  (|ui  doit  être  sacrée  par  tant  de 
raisons,  prononce  des  paroles  qui  la  souil- 
lent! La  nièiiie  langue  bénit  et  outrage  le 
Seigneur  :  ou  plutôt  elle  ne  cesse  de  l'ou- 
trager; car  les  bénédictions  mêmes  devien- 
nent des  outrages  dans  la  bouche  d'un  mi- 
nistre indigne,  dont  les  discours  sont  si 
contraires  à  la  sainteté  de  sa  profession. 

Non-seulement  saint  Paul  vous  défen.i  .'es 
oiscours  impudiques,  mais  il  vous  défend 
aussi  les  discours  bouffons. 

11  est  certain  qu'un  prêtre  doit  avoir  pour 
principe  de  souter)ir  en  tout  temps  la  gra- 
vité de  son  état.  C'est  par  là  qu'il  conserve 
sou  rang;  c'est  par  là  qu'il  fait  voir  com- 
bien il  estime  son  caractère,  et  la  juste  ap- 
préhension où  il  est  qu'd  ne  lui  échappe 
rien  qui  puisse  blesser  l'honneur  que  Jé- 
sus-Christ lui  a  fait  de  le  placer  dans  un 
rang  si  élevé. 

Je  ne  dis  pas  qu'un  prêtre  ne  puisse  se 
renfermer  dans  une  société  d'amis  choisis, 
là  se  donner  quelque  relâche ,  s'accorder 
une  liberté  honnête,  qui  ne  passe  point  les 
bornes  d'une  modestie  sévère  et  d'une  gra- 
vité digne  de  notre  étal.  Mais  voici  des 
matimes  certaines  qu'un  ecclésiastique  ne 
peut  se  dispenser  de  suivre. 

Il  ne  convient  point  à  un  ecclésiastique 
de  se  lier  avec  toute  sorte  de  monde..  La 
conversation  de  ceux  qui  suivent  .les  maxi- 
mes du  siècle  ne  peut  lui  être  que  très-pré- 
judiciable :  ce  n'est  point  avec  des  person- 
nes de  ce  caractère  qu'il  doit  prendre  les 
relâchements  qui  lui  sont  légitimement 
permis.  Lorsque  la  nécessité  l'oblige  de  se 
trouver  avec  les  gens  du  siècle,  il  doit  sou- 
tenir constamment  le  caractère  sérieux,  et 
par  là  leur  imprimer  le  respect  qui  est  dû  à 
son  rang  et  à  sa  dignité. 

Quand  U)ên)e  un  ecclésiastique  se  trouve 
dans  des  sociétés  qui  lui  conviennent,  et 
qu'il  est  avec  ceux  à  qui  il  peut  expliquer 
plus  librement  ses  sentiments,  il  doit  tou- 
jours se  souvenir  de  ce  qu'il  est,  et  pren- 
dre garde  de  ne  point  sortir  de  la  gravité  de 
son  état.  Or  il  en  sort,  dit  suint  Ber- 
nard (209),  dès  le  moment  qu'il  se  laisse  aller 
à  des  ris  immodérés  et  qu'il  y  excite  les 
autres. 

Enfin,  quelles  que  soient  les  circonstan- 
ces.du  temps,  avec  quelque  personne  qu'un 
ecclésiastique  jjuisse  se  rencontrer,  qu'il 
ait  pour  maxime  que  c'est  une  chose  très- 
criminelle  et  très-honteuse  [)0ur  lui  de 
s'oublier  jusqu'à  so  piquer  d'être  un  homme 
plaisant  et.  bouffon.  Il  lui  est  encore  plus 
défeudu  d'en  faire  pour  ainsi  dire  profes- 

(209)  «  Fœdeadcachinnosmoveris,  fœdiusraoves.) 
L.  Il  De  consideralione,  cap.  13. 

(2[^))  i  iene  peoes  ne  eaiiiad  ilUcila,  lene  manus 
abomni  scelere,  teue  ocuios  ne  maie  alteDdani,  icne 


—  XIV,  CHASTETE.  1190 

sion,  et  de  se  glorifier  d'un  caractère  si  bas 
et  si  indigne  de  la  sainteté  de  son  étal. 

Voulez-vous  apprendre  quels  doivent  être 
It^s  discours  et  les  entreliens  des  ecclésias- 
tiques? écoutez  le  saint  Apôtre  :  Que  nul 
nuiuvais  discours  ne  sorte  de  voire  bouche, 
mais  qu'il  n'en  sorte  que  de  bons  et  d'e'di- 
fianls.  (Ephcs  ,  IV,  29.) 

Voici  la  règle  que  vous  devez  garder  dans 
vos  entretiens.  Choisissez,  le  plus  souvent 
que  vous  pourrez,  pour  matière  de  vos  con- 
versations des  sujets  de  piété.  Il  n'est  point 
défendu  de  se  délasser  et  de  s'entretenir 
quelquefois  de  choses  indifférentes,  pourvu 
qu'on  ne  pousse  pas  trop  loin  celte  liberté 
et  qu'on  prenne  garde  de  n'en  pas  abuser. 
Alais  pour  ce  qui  est  des  discours  bouffons 
qui  excitent  des  ris  immodérés,  les  paroles 
de  saint  Paul  sont  très-claires.  Il  défend 
ces  sortes  de  discours  à  tous  les  chrétiens; 
donc  à  plus  forte  raison  ils  ne  doivent  ja- 
mais sortir  de  la  bouche  d'un  prêtre. ^ 

Nous  avançons  toujours,  et  nous  appre- 
nons que  la  chasteté  condamne  les  regards 
indiscrets,  les  paroles  libres.  Ajoutons  en- 
core que,  pour  être  chaste,  il  faut  que  nos 
oreilles  soient  pures  et  qu'elles  soient  fer- 
mées pour  ne  point  entendre  les  discours 
qui  blessent  la  pureté. 

Saint  Augustin  (210)  a  tout  compris  dans 
ces  excellentes'  paroles  qui  sont  tirées  d'un 
(le  ses  sermons.  Ne  souffrez  pas,  dit  ce  saint 
docteur,  que  le  démon  se  serve  de  vous- 
même  pour  vous  combattre.  Dieu  vous  a 
rendu  le  maître  de  vos  sens.  Vous  pouvez 
avec  le  secours  de  la  grâce  les  retenir  dans 
de  justes  bornes.  Si  votre  cupidité  se  ré- 
volte, si  la  tentation  vous  [)resse,  retenez 
vos  sens  et  cette  cupidité,  qui  est  votre  en- 
nemie, ne  pourra  nuire  à  la  pureié  do  votre 
âme.  Encore  une  fois,  retenez  vos  sens  et 
ne  donnez  pas  vous-même  à  votre  ennemi 
des  armes  p  jur  vous  combattre.  Empêchez 
vos  pieds  de  courir  dans  les  assemblées  pro- 
fanes. Retenez  vos  mains,  et  ne  leur  accor- 
dez jamais  aucune  liberté  qui  ipuisse  en 
souiller  la  pureté.  Retenez  vos  yeux,  et  ne 
leur  permettez  pas  de  considérer  les  objets 
qui  pourraient  irriter  votre  cupidité.  Rete- 
nez vos  oreilles,  afin  qu'elles  ne  soient  point 
attentives  aux  discours  qui  sont  contraires 
à  la  pureté.  En  un  mot,  retenez  tous  vos 
sens. 

Retenez  vos  oreilles.  La  chasteté  est  donc 
blessée  dès  que  vous  écoutez  dus  discours 
qui  lui  sont  contraires. 

Saint  Augustin  veut  que  vous  reteniez 
tous  vos  sens,  et  comme  je  vous  l'ail  déjà 
appris  en  vous  ra()porlant  les  paroles  de 
saint  Bernard,  saint  Augustin  prétend  que 
la  chasteté  consiste  à  acquérir  , un  empire 
universel  sur  tous  les  sens. 

Si  vous  voulez  être  chaste,  saint  Augus- 
tin vous  dit  que  vous  devez  soutenir  le  com- 

aiires  ne  verha  libiJinis  libentcr  audiant,  lenetotuni 
corpus.  Surgeiido  assidue  sine  causa  discii  et  no» 
suigere.  p  (Serm  li8,  al.  45,  De  verbii  Do- 
mini.) 


IICI 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1192 


bal  contre  tous  vos  sens  ,  sans  jamais  user 
avec  eux  de  la  moindre  indulgence.  Nos 
sens  sont  des  importuns  qui  ne  sont  jamais 
satisfaits.  Ce  .<ont  des  esclaves  qui  ne  son- 
gent qu'à  rompre  leurs  chaînes  et  à  se  ré- 
volter. Ceux-là  seulement  eu  deviennent 
les  maîtres  qui  exercent  sur  eux  un  empire 
sévère,  et  qui  ne  leur  accorde  aucune  li- 
berté. Le  seul  moyen  de  jouir  de  la  paix, 
le  seul  moyen  de  vaincre  la  cu[)idilé,  c'est 
de  lui  résister  en  toute  occasion.  «  Car,  dit 
saint  Augustin,  lorsqu'elle  n'avance  point, 
et  que  ses  etTorts  sont  inutiles,  à  la  fin  elle 
devient  paisible,  et  elle  souffre  que  nous 
jouissions  de  la  douceur  de  la  paix.  »  Sur- 
gendo  assidue  sine  causa  discit  et  non  sur  gère. 

Saint  Jérôme  (211)  nous  enseigne  que  dès 
le  moment  que  l'ennemi  nous  attaque,  nous 
ne  devons  point  perdre  de  temps,  et  que 
nous  devons  aussitôt  le  combattre.  Ne  per- 
mettez pas,  dit-il,  que  l'ennemi  se  fortifie, 
prenez  tous  vos  avant/iges.  Attaquez  J'eu- 
nemi  et  le  surmontez  pendant  qu'il  est  en- 
core faible  ,  et  que  ses  attaques  sont  moins 
violentes. 

Ne  pensez  pas  toutefois  que  vous  puissiez 
jamais  obtenir  une  paix  qui  ne  soit  point 
troublée.  Il  y  en  a,  dit  saint  Augustin,  qui, 
parce  qu'ils  ont  beaucoup  d'amour  pour  la 
pureté,  s'imaginent  que  toutes  les  tenta- 
tions dont  ils  ont  été  attaqués,  nuisent  à  la 
pureté  de  leur  âme  ;  ils  souhaiteraient  avoir 
une  [»aix  dont  il  est  impossible  de  jouir 
pendant  cette  vie  ;  ils  voudraient  n'être  point 
tentés.  Mais  qu'ils  apprennent  que  la  pureté 
chrétienne  ne  consiste  point  à  n'être  point 
tenté  (212).  Les  tentations  ne  sont  trinunel- 
les  que  dans  ceux,  qui  les  attirent  par  leur 
négligence,  par  les  libertés  qu'ils  se  don- 
nent. Mais  celui  qui  veille,  qui  réprime 
avec  soin  tous  les  mouvements  de  ses  sens, 
qui,  sévère  à  soi-même,  devient  le  persé- 
cuteur irréconciliable  du  ses  passions,  bien 
loin  qu'il  soit  criminel  lorsque  la  tentation 
le  presse,  quand  il  sort  victorieux  du  com- 
bat, il  acquiert  un  nouveau  mérite.  Dieu  ne 
permet  qu'il  soit  tenté  qu'afin  de  lui  donner 
occasion  de  combattre  et  de  vaincre. 

Saint  Jérôme  (213)  est  encore  tenté  au  mi- 
lieu de  sa  solitude.  Il  nous  décrit  les  tristes 
combats  qu'il  soutient;  il  se  mortifie,  il  se 
[persécute,  il  joint  la  prière  au  jeûne  et  aux 
'plus  sévères  mortifications;  néanmoins  il 
gémit,  et  il  sent  encore  au  milieu  de  lui- 
même  un  ennemi  qui  ne  cesse  point  de  lui 
faire  la  guerre.  Consolez-vous ,  âmes  chas- 
tes, au  milieu  de  vos  peines  et  de  vos  tra- 
jvaux.  Les  tentations  fortement  combattues, 
bien  loin  de  nuire  à  la  pureté,  ne  servent 
'qu'à  en  relever  l'éclat  et  à  en  augmenter  le 
liùérile. 

Ainsi  la  pureté  chrétienne  ne  consiste  pas 
è  n'être  point  tenté,  mais  elle  consiste  à  se 
rendre  maître  de  ses  sens,  à  les  combattre, 

(211)  (  Dum  parvus  est  hostis,  interfice.  >(Z)âcas{. 
virg.) 

(^12)  f  Yolumus  ut  nullse  sinl  concupiscenliae,  sed 
nun  pbssumus.  »  (S.  Aug.  loco  sup.  cit.) 


à  les  mortifier,  sans  jamais  leur  donner  au- 
cune liberté,  ni  entrer  avec  eux  dans  aucune 
capitulation. 

O  vous,  qui  vous  persuadiez  que  pour  être 
chaste,  c'était  assez  d'être  exemfit  des  grands 
dérèglements,  vous  voilà  heureusement  dé- 
trompés; et  vous  avez  appris  que  la  chas- 
teté ne  peut  compatir  avec  beaucoup  de  li- 
bertés que  l'on  croit  ordinairement  dans  le 
monde  ne  lui  être  point  opposées. 

11  faut  encore  vous  faire  connaître  de 
quelle  conséquence  il  est  de  garder  le  vœu 
de  chasteté,  et  combien  est  énorme  le  péché 
par  lequel  on  traiisgresse  ce  vœu. 

DEUXIÈME  POINT. 

Trois  considérations  vous  feront  connat- 
Ire  de  (juelle  conséquence  il  est  aux  minis- 
tres du  Seigneur  do  garder  fidèlement  pen- 
dant toute  leur  vie  le  vœu  de  chasteté. 

Par  ra[)port  à  vous-mêmes,  vous  devez  être 
fidèles  à  garder  ce  vœu.  Votre  intérêt  vous 
y  engage.  Car  un  minisire  du  Seigneur  qui 
n'est  pas  chaste  se  souille  d'un  nombre  in- 
fini de  péchés,  et  l'impureté  dans  un  prêtre 
est  un  caractère  presque  assuré  de  réproba- 
tion. 

Par  rapport  à  l'Eglise,  dont  vous  êtes  les 
ministres,  vous  ne  pouvez  être  trop  exacts 
à  garder  la  chasteté,  car  l'Eglise  déleste 
surtout  les  ministres  impudiques. 

Enfin,  par  rapport  au  prochain  que  vous 
devez  édifier,  conservez  la  chasteté  comme 
un  précieux  trésor,  car  un  prêtre  qui  n'est 
pas  chaste  porte  partout  le  scandale,  et  il 
est  incapable  d'édifier. 

Commençons  fiar  examiner  tous  les  pé- 
chés dont  est  coupable  un  prêtre  impu- 
dique. 

Premièrement,  autant  de  fois  qu'il  com- 
met un  péché  d'ira|iurelé,  il  fait  des  mem- 
bres de  Jésus-Christ,  les  membres  d'une  pros- 
tituée. (1  Cor.  VI,  9,  15.)  Il  fait  un  péché 
dont  saint  Paul  assure  que  ceux  qui  le 
commettent  ne  posséderont  jamais  leroyaume 
de  Dieu. 

Mais  cet  infâme  péché,  de  combien  de 
ptMisées  sales  est-il  précédé?  de  combien  de 
désirs?  A  l'église  même  et  à  l'autel,  un 
prêtre  impudique  ne  cessera  point  de  con- 
cevoir de  mauvais  désirs  et  par  conséquent 
il  ne  cessera  point  de  souiller  son  âme  et 
d'augmenter  la  mesure  de  ses  crimes. 

Si  ce  prêtre  impudique  administre  les  sa- 
crements de  l'Eglise,  s'il  donne  le  saint 
baptême,  si  celui  qui  ne  devrait  songer  qu'à 
pleurerses  désordres  enlre  dans  les  tribunaux 
sacrés  pour  purifier  ceux  (}ui  sont  souillés, 
s'il  donne  les  autres  sacrements,  autant  de 
sacrilèges,  autant  de  fois  il,  [)rofane  le  sang 
de  Jésus  Christ,  parce  qu'il  a  l'impudence 
do  dispenser  ses  grâces  et  ses  mystères, 
quoiqu'il  soit  son  ennemi  déclaré. 

Mais,   hélas  1   qu'est-ce   que  j'aperçois  ? 

(213)  «  Pallebant  ora  jejuniis  et  mens  desideriis 
aistuabat  lit  frigide  coipore.  »  (S.  Hiebonïm.,  loco 
sup.  ciialo.) 


1i)S 


RKniAlTE  ECCL,  —XIV.  —  CHASTETE. 


Ubi 


Quoi  I  co  prôlro  impudique  osl  déjà  révolu 
dos  orncmenis  sjicordotaux  !  quoi  !  il  v,i  se 
présenler  ^  l'iuitel  pour  y  oITrir  le  sacrifice! 
ce  prêlre  impudique  osera  bien  d'une  ha- 
leine infectée  pro.'ioncer  les  paroles  qui  fonf 
descendre  Jésus-Christ  du  ciel  en  terre! 
Ah  1  je  frémis,  et  ne  fremissez-vous  point 
avec  moi?  Je  ne  serais  pas  saisi  d'une  si 
grande  horreur  de  voir  Jésus-Christ  entre 
les  mains  des  bourreaux  qui  perçaient  ses 
pieds  et  ses  mains,  que  je  le  suis  de  voir 
mon  Sauveur  entre  les  mains  d'un  prêtre 
impur,  dun  monstre,  d'un  a!)ominable, 
d'un  démon  sur  terre. 

Ce  préîre  irnpui  participe  h  la  victime 
sainlo  après  l'avoir  oU'erte.  Quoi!  voilà  le 
Sauveur  du  monde  dans  le  cœur  do  son  en- 
nemi !  Voilà  l'arclie  auprès  de  Dagon.  Voilà 
Jésus-Christ  avec  Déliai.  Voilà  celui  qui 
aiuje  souverainement  l'innocence  et  la  pu- 
ie(é,  dans  un  cœur  qui  ne  respire  que  l'im- 
pureté et  le  crime.  Ces  horribles  sacrilèges 
seront  renouvelés  tous  les  jours  pendant 
un  grand  nombre  d'années.  Qui  pourrait 
compter  tous  les  crimes,  tous  les  sacrilèges 
que  ce  prêtre  a  amassés?  Ce  que  David  a 
dit,  par  un  esprit  d'huiuililé  et  depénilence, 
ne  s'.iccomplil  que  trop  véii'ablement  dans 
un  prêtre  impudique  :  Mes  iniqnHéx  se  sont 
élecées  par-dessus  ma  tête  ;  elles  m'ont  acca- 
lilé  comme  un  fardeau  très-pesant.  (Psat. 
XXX\  il,  5.) 

Mais  ce  jirètre,  qui  est  tout  couvert  de 
lèpre,  ne  rentrera-l-il  f)0int  en  lui-même, 
ne  considérera-l-il  point  son  état  et  sa  mi- 
sère, n'en  sera-t-il  point  touché,  no  pren- 
dra-t-il  point  une  résolution  sérieuse  de 
travaillera  réformer  sa  vie?  Hélas  1  (ju'il  est 
rare  de  trouver  des  prêtres  impurs  ijui  son- 
gent vérilubltuient  à  se  convertir.  Le  ca- 
racière  de  l'impureté,  particulièrement  dans 
un  prêtre,  c'est  d'endurcir  le  cœur.  Un  prê- 
tre im|)ur  devient  impudent.  Les  reproches 
les  plus  sérieux,  les  remontrances  les  plus 
vives  ne  feront  aucune  impression  sur  son 
cœur.  Il  est  de  ceux  à  (jui  le  prophète  re- 
liioche  qu'ils  ont  le  front  d'une  femme  proS' 
liluée  ,  et  quils  ne  veulent  pas  même  rougir. 
(Jerem.,  111,  3.) 

Ou  en  voit  dans  le  monde,  lesquels,  après 
avoir  langui  dans  le  [)éché  ,  rentrent  en 
eux-mêmes,  lorsqu'ils  sont  pressés  par  la 
nécessité  d'approcher  des  sacrements  ;  ils 
jiuronl  horreur  de  commettre  un  sacrilège  ; 
ils  seront  touchés  d'une  prédication  pathé- 
tique; la  mort  d'un  ami  les  remplira  d'une 
juste  épouvante.  iMais  c'est  le  propre  des 
prêtres  impurs  de  s'endurcir  dans  le  crime, 
lis  n'ont  plus  aucun  respect  pour  les  sacre- 
ments de  l'Eglise  ;  ils  se  sont  fait  une  habi- 
tude de  commettre  des  sacrilèges  ;  quel  re- 
mède pourrait  les  guérir,  puisque  les  sacre- 
ments, ces  divins  remèdes  que  le  Fils  de 
Dieu  a  établis  pour  purifier  nos  âmes,  sont 
devenus,  pour  eux,  un  poison  mortel  par  la 
profanation  qu'ils  en  font? 

Tous  les  jours,  dans  les  missions  ,  par  la 
miséricorde  du  Seigneur,  des  pécheurs  en- 
durcis reviennent  de  leurs  égarements  el  se 

ORATËUnS   SACRÉS.    LXVlll.,,  ,,_. 


convertissent  h  Dieu.  Il  n'y  a  que  les  prê- 
tres impurs  qui  tiennent  ferme;  rien  ne  les 
touche,  rien  ne  les  épouvante.  En  elfel, 
que  pourrait-on  employer  pour  le  salut  do 
celui  qui,  bien  loin  dêtre  purilié  par  la  pré- 
sence de  Jésus-Christ,  n'en  est  que  davan- 
tage souillé  1 

Consultons  l'expérience.  C'est  toujours  la 
plus  excellente  do  toutes  les  preuves.  Pour 
confirmer  toutes  les  vérités  (jue  J'ai  avan- 
cées, je  n'ai  qu'à  vous  proposer  le  carac- 
tère ,  la  conduite  ,  la  vie  ,  les  mœurs ,  la  tin 
d'un  prêtre  impudique.  Une  vie  remplie  de 
crimes,  ordinairement  terminée  par  une  fin 
malheureuse  et  par  une  mort  de  réprouvé, 
voilà  ce  que  je  présente  à  vos  yeux,  et  ce 
que  vous  ne  pouvez  trop  attentivement 
considérer,  pour  vous  convaincre  qu'il  n'y 
a  rien  de  plus  horrible  et  de  plus  à  craindro 
que  l'impureté  dans  un  ministre  de  Jésus- 
Christ. 

Si  ceux  qui  sont  tombés  dans  quelque 
péché  d'impureté  coruiaissaient  combien 
l'Eglise  les  déleste,  jamais  ils  ne  seraient 
assez  hardis  |)our  entrer  dans  le  sanctuaire, 
ou  pour  oser  s'y  maintenir,  . 

Voici  quel  est  l'esprit  de  l'Eglise,  quels 
sont  ses  désirs,  el  ses  dispositions  à  l'égard 
de  ceux  qui  sont  coupables  du  péché  d'im- 
pureté. 

Son  esprit  est,  premièrement,  que  les  im- 
pudiques n'entrent  jamais  dans  le  sanc- 
tuaire. 

En  second  lieu,  son  esprit  est  que  ceux 
qui,  après  avoir  été  reçus  au  rang  de  ses 
ministres,  tombent  dans  le  péché  d'impu- 
reté, aillent  pleurer  leurs  péchés  .dans  la 
retraite,  et  qu'ils  n'exercent  plus  les  sain- 
tes fondions  de  leurs  ordres. 

L'esprit  de  l'Eglise  paraît  par  !a  raanièro 
dont  elle  s'est  expliquée  dans  les  saints 
conciles.  Partout  elle  fait  voir  qu'elle  ne 
veut  point  qu'on  lui  donne  pour  ministres 
ceux  qui  ont  5  se  reprocher  le  crime  hon- 
teux de  l'impureté. 

Voici  comment  l'Eglise  parle  dans  un  de 
ses  plus  anciens  conciles.  Ceux-là  ne  doi- 
vent pas  être  ordonnés  sous-diacres  qui, 
dans  leur  jeunesse,  ont  commis  quehiuo 
péché  d'impureté.  L'Eglise  ne  dit  pas  que 
ceux-là  ne  seront  point  ordonnés  sous-dia- 
cres, qui,  quelque  temps,  avant  de  se  pré- 
senter aux  saints  ordres,  ont  commis  un 
péché  d'impureté,  mais  elle  exclut  ceux  qui 
sont  tombés  dans  cet  énorme  péché,  même 
pendant  leur  jeunesse.  Où  donc  allez-vous, 
vous  qui  à  peine  êtes  sorti  du  crime  ?  Quoi  I 
vous  osez  vous  offrir  à  l'Eglise!  Allez, 
allez,  vous  êtes  iudigno  du  rang  auquel 
vous  aspirez.  Ce  qui  vous  convient,  c'est 
de  pleurer  vos  péchés  dans  une  sombre  re- 
traite. Le  sacerdoce  serait  un  poids  qui 
vous  accablerait,  et  vous  n'êtes  en  aucune 
manière  en  élat  de  le  soutenir. 

Origène  (lib.  111  Contr.  celsum),  parlant 
de  la  discipline  que  l'Eglise  observait  à  l'é- 
gard de  ceux  qui  étaient  tombés  dans  des 
|)échés  griefs,  et  principalement  de  ceux 
tjui  étaient  coupables  du  oéché  d'iiûpureté, 

38 


4i95 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMDERT. 


1190 


dit  fiue  quand  ils  roniraiont  on  evix-mômos 
et  qu'ils  se  repentaient  sincôremenl  de  ieui's 
égaremenls  ,  ils  étaient  considérés  comuie 
des  hommes  ressuscites,  ils  étaient  examinés 
beaucoup  plus  rigoureusement  que  quand 
ils  avaient  commencé  à  faire  profession  do 
la  vraie  religion.  Mais  Origène  assure  ex- 
pressément qu'ils  n'étaient  reçus  qu'à  con- 
dition que  l'entrée  des  dignités  ecclésiasti- 
ques leur  serait  fermée,  et  qu'ils  ne  pour- 
raient jamais  y  prétendre.  • 

L'esprit  de  l'Eglise  a  toujours  été  le 
même.  Elle  a  parlé  dans  les  derniers  temps 
comme  dans  les  premiers  siècles.  Le  saint 
concile  de  Trente,  traitant  des  quatre  ordres 
mineurs,  dit  que  ceux  qui  sont  choisis  pour 
en  exercer  les  fonctions,  doivent  vivre  dans 
le  célibat,  mais  que,  s'il  ne  s'en  présente 
point,  on  peut  confier  cette  fonction  à  des 
hommes  mariés,  pourvu  néanmoins  qu'ils 
n'aient  point  contracté  de  secondes  no- 
ces (20). 

Quoi  1  ceux  qui  ont  été  mariés  une  se- 
conde fois,  quoiqu'ils  n'aient  commis  aucun 
crime,  quoiqu'ils  n'aient  rien  fait  qui  ne 
soit  permis  aux  enfants  de  l'Eglise,  ne  sont 
pas  assez  purs  pour  exercer  les  fonctions, 
non  pas  du  sacerdoce,  mais  des  quatre  or- 
dres mineurs,  et  un  homme' impur,  qui  a 
souillé  le  temple  du  Saint-Esprit,  aura  la 
hardiesse  de  prétendre  aux  premières  pla- 
ces de  l'Eglise? 

Quand  les  ministres  de  l'Eglise,  oubliant 
leur  rang  et  leur  dignité,  étaient  assez  mi- 
sérables pour  se,  plonger  dans  la  fange, 
comment  élaient*ils  traités  par  les  saints 
canons  ?  Le  canon  24.  des  a[>ôtres  :  Un  évo- 
que, un  prêtre,  ou  un  diacre  convaincu  du 
crime  de  fornication,  etc.,  sera  déposé.  Le 
canon  50 du  concile  d'Agde(21),  et  un  grand 
nombre  d'autres  canons,  dont  il  serait  inu- 
tile de  rapporter  les  termes  :  si  un  évôipic, 
un  [irêlre,  un  diacre  a  commis  un  crime 
capital  (f)ersonne  ne  doute  que  rim[)urelé 
ne  soit  compromise  sous  ce  nom),  qu'il 
soit  déposé  de  sa  dignité,  qu'il  soit  ren- 
fermé dans  un  monastère,  où  pendant  le 
reste  de  sa  vie  il  ne  sera  admis  qu'à  la  com- 
munion des  laïques. 

Potamius  évêque  de  Brogue,  comme  il 
nous  est  rapporté  dans  les  actes  du  dixième 
concile  de  Tolède,  n'était  cuu})able  que 
d'un  attouchement  im()ur;  on  n'avait  au- 
cune autre  preuve  qu'il  eût  commis  ce 
crime,  que  la  confession  qu'il  en  avait  faite 
de  son  propre  mouvement,  néanmoins  le 
concile  déclare  que  par  une  grâce  particu- 
lière, et  en  se  relâcliant  de  la  rigueur  des 
anciens  canons,  il  lui  conserve  le  titre  d'é- 
vêuue  (22).  Mais  en  même  lemus  le  concile 

(20)  t  Quod  si  minis^teriis  quatuor  nilnorura  or- 
dinuiii  exerceiiilis  clerlci  ciElibjs  priesto  noneruni, 
suflici  possiiii  enam  conjugal!  vil;«  probauie  dum- 
modo  non  bitiauii.j(Trirf.,&ess.  25,  De  reforntatiotie, 
cap.  17.) 

("21)  «  Si  episcopus,  prcsbyler,  aul  d'.acoiias  ca- 
pitale crimen  comuiiscrit  ab  uilicii  lionore  deposi- 
lus  in  nioiiasicrio  relrndaUir.  j 

(22)  »   V'alLJa  auclonlale  decreviinus   pcrpeluœ 


ordonne  qu'il  se  renfermera  aans  un  mo- 
nastère, afin  d'y  faire  une  longue  pénitence, 
et  d'éviter  par  ce  moyen  les  châtiments  ri- 
goureux, dont  Dieu  le  punirait  au  jour  de 
sa  colère. 

Saint  Grégoire  dit  expressément  que 
ceux  qui  tombent  dans  le  péché  de  l'impu- 
reté doivent  entièrement  cesser  d'exercer 
les  fonctions  de  leurs  ordres.  Que  celui,  dit 
saint  Grégoire,  qui,  ayant  été  honoré  du  ca- 
ractère ecclésiastique,  se  souille  par  le  pé- 
ché d'impureté,  se  considère  comme  étanl 
dépouillé  de  l'honneur  qu'il  a  reçu,  et  qu'il 
ne  soit  point  assez  osé  pour  approcher  des 
saints  autels  (23). 

L'Eglise  animée  d'une  juste  indignation 
contre  les  impudiques ,  s'est  encore  expli- 
quée d'une  manière  plus  forte.  Elle  leur 
interdisait  autrefois  la  p8rtici()alion  des 
saints  mystères  pendant  un  très-longtemps. 
Ce  qui  a  fait  prononcer  à  saint  Augustin 
dans  une  de  ses  épîtres,  que  quiconque 
s'est  laissé  aller  au  péché  d'impureté  est 
jugé  indigne,  non-seulement  des  charges 
eci  lésiastiques,  mais  même  de  la  participa- 
tion des  sacrements,  et  c'est,  dit  ce  saint 
docteur,  avec  beaucoup  de  raison  qu'un 
exerce  celle  sévérité  (24-). 

Il  est  donc  constant  que  l'Eglise  ne  vou- 
lait point  anciennement  qu'on  lui  donnât 
[lour  .ministres  ceux  qui  étaient  cou|)ables 
du  |)éché  d'imfiurelé.  Il  est  constant  qu'elle 
déposait  ceux  qui,  après  avoir  été  élevés  aux 
ordres  sacrés,  commettaient  celte  inlâme 
[)éché.  L'Eglise  pouvait-elle  en  faire  davan- 
tage pour  nous  marquer  combien  elle  dé- 
teste, particulièrement  dans  ses  minislies, 
le  péché  de  l'impureté? 

Et  delà  je  tire  deux  conséquences  irès- 
im[)orlànles. 

La  première  est  que  si  les  désirs  de  l'E- 
glise étaient  suivis,  ceux  qui  sont  tombés 
dans  le  péché  de  l'imijureté,  même  pendant 
le  temps  de  leur  jeunesse,  ne  seraient  ja- 
mais [)lacés  au  rang  de  ses  ministres. 

De  même  encore,  si  les  désirs  de  l'Eglise 
étaient  suivis,  et  c'est  ma  seconde  consé- 
quence, quand  un  de  ses  ministres  s'e.st 
noirci  par  le  péché  d'impureté,  il  cesserait 
aussitôt  d'exercer  ses  fondions,  et  il  no 
songerait  plus  qu'à  pleurer  ses  péchés  dans 
la  retraite. 

Y  a-t-il  rien  de  plus  juste  qne  d'éloigner 
du  sanctuaire  des  lion)mes  inutiles  à  l'Eglise, 
incapables  d'exercer  avec  succès  les  fonc- 
tions deleurs  ordres,  ei  qui,  bien  loin  d'être 
en  état  de  rendre  service  au  prochain,  por- 
Icnl  le  scandale  partout,  et  |)crdenl  les 
âmes  qui  leur  sont  confiées?  C'est  le  dernier 
motif  uunt  je  me  sers  pour  vous  conlirmer 

pœnilenliie  liunc  inservire  olficiis.  » 

(25)  i  Sacerdolii  honore  deposilo,  ad  adiuini- 
slranduni  nullo  modo  piaîsuiuas  accedere.  >  (L.  Il, 
cp.  U.) 

^2i)  t  JNenio  dignns  nMi  modo  ecclesiaslico  niii.i- 
skrio,  sed  ipsa  ctiani  sacrameruoruni  coiuniuni.iiie 
vidctur  qui  se  isio  peccato  maculavii.  »  (lip.  22, 
novic  edit.,  al.   44.) 


1107 


RETRAITE  ECCLES.  —  XIV.  —  CHASTETE. 


1198 


dans  les  senliinents  d'ancjuste  indignation 
contre  le  péché  déteslabio  de  l'impureté. 
Je  dis  donc  qu'un  prôlro  adonné  au  vice 
honteux  de  l'itnpurclé  ne  peut  faire  aucun 
l)ifn  dans  'Eglise.  Car,  ou  il  entreprend 
d'exhorter  les  autres  pour  satisfaire  aux 
obligations  de  son  emploi,  ou  il  demeure 
dans  le  silence,  et  abandonne  sou  troupeau: 
ce  qui  est  le  plus  ordinaire. 

S'il  entreprend  d'exhorter  les  autres,  quel- 
que grande  que  soit  son  éloquetice,  il 
ne  peut  faire  aucun  fruit.  Le  peuple  ne 
peut  l'écouter  sans  indignation.  Les  |)lus 
libertins  même  ont  de  la  peine  h  soulfrir 
que  celui  qui  est  plus  tnalade  qu'eux,  en- 
treftreniie  de  leur  olfrir  des  remèdes  et  de 
guérir  leur  maladie.  On  est  toujours  frappé 
de  celte  idée  :  cet  homme  qui  nous  exhorte 
devraitse  corriger  lui-même.  Il  lui  sied  bleu 
de  nous  animer  à  vivre  chastement,  pendant 
(pie  tout  le  inonde  est  informé  de  sa  vie  li- 
cencieuse. Il  lui  sied  bien  de  prononcer  ces 
discours  louchants,  par  lesquels  il  prétend 
nous  convaincre  que  le  temps  de  celte  vie 
est  un  temps  de  pénitence  el  deiraorliticalion. 
Mais  si  ce  niinislre  demeure  dans  le  si- 
lence, s'il  est  de  ces  chiens  muets,  donl  pai  le 
le  prophète  Isaïe,  qui  ne  sauraient  aboyer 
(lsai.,LVl,  10),  le  démon  entrera  dans  la  ber- 
gerie. Comme  il  ne  sera  point  contredit,  il 
ravagera  le  troupeau,  il  emportera  les  brebiis, 
il  établira  partout  ses  maximes,  qui  seront 
l'avorablemeut  écoutées,  parce  qu'on  ne  les 
réfutera  point  et  qu'on  n'en  fera  point  voir 
la  fausseté. 

Mais  encore  s'il  se  pouvait  faire  que  ce 
ministre  impur,  à  la  vérité,  ne  fil  point  de 
bien,  mais  qu'il  ne  nuisît  point  et  qu'il  ne 
fût  pas  cause  d'un  grand  nombre  de  désor- 
dres. S'il  se  pouvait  faire  qu'on  ne  pen>ût 
point  à  lui,  et  qu'étant  incapable  de  faire  du 
bien,  il  ne  causAt  aucun  mal.  Il  n'en  est  pas 
ainsi.  On  ne  peut  ex[>li(juer  tous  les  désor- 
dres que  cause  l'impureté  d'un  prêtre. 

Premièrement,  quelque  effort  qu'on  fasse 
pour  cacher  le  criuie,  il  est  bientôt  connu. 
Il  y  a  toujours  quelque  circonstance  nou- 
velle, qui  lait  la  matière  des  conversations, 
Le  peuple  indigné  de  ces  mauvaiscoramerces, 
n'a  point  de  plus  grand  plaisir  que  quami 
il  y  a  lieu  d'en  faire  des  railleries. 

En  second  lieu,  quelle  contiance  peut-on 
avoir  dans  un  prêtre  imi)ur  ?  N'a-t-on  pas 
bien  plutôt  de  la  répugnance  à  recevoir  do 
lui  les  sacrements  de  l'Eglise  ?  et  ainsi  quand 
le  diable  a  pu  corrompre  un  prèlre  el  sur- 
tout un  pasteur,  il  est  presque  sûr  uue  les 
sacremenis  seront  négligés. 

En  troisième  lieu,  quoique  ce  soit  sans 
londemenl,  néanmoins  il  n'est  que  trop  vrai 
que  l'on  se  [)orle  aisément  à  mépriser  les 
choses  saintes,  quand  on  considère  qu'elles 
sont  entre  les  mains  et  en  la  disposition 
d'un  liomme  si  méprisable. 
.  En  quatrième  lieu,  comme  on  a  du  pen- 
chant à  suivre  les  mauvais  exemples  el  {lar- 
liculièrement  de  ceux  qui  sont  établis  pour 
nous  conduire,  plusieurs  se  plongent  dans 
Ic;  désordre,  qui  n'y  auraient  peut-être  ja- 


mais pensé,  si  l'exemple  d'un  mauvais  pas- 
teur n'eût  réveillé   leur  passion  endormie. 

Ah!  Seigneur!  peut-on  assez  déplorer  l'é- 
tat malheureux  d'un  peuple  qui  gémit  sous 
la  conduite  d'un  pasteur  criminel  ?  Quoi! 
tout  invile  au  mal,  tout  porte  au  péché, 
tout  contribue  h  faire  régner  Satan,  el  il  n'y 
a  rien  qui  parle  pour  Jésus-Christ  dans  un 
lieu  où  l'impureté  a  corrompu  le  cœur  des 
ministres  du  Seigneur. 

Quelle  conséquence  de  ces  vérités?  L'E- 
glise déteste  les  ministres  impurs.  Ils  no 
tout  que  du  dégât  dans  son  champ.  Donô 
tous  ceux  qui  sont  adonnés  au  vice  honteux 
de  l'impureté  ne  doivent  jamais  prétendre 
aux  ordres  sacrés.  Ahl  s'il  y  on  avait  quel- 
qu'un dans  cet  auditoire,  ce  que  je  ne  crois 
pas,  qu'il  se  relire.  Pourquoi  veut-il  entrer 
dans  le  sein  de  l'Eglise  contre  sa  volonté? 
Pourquoi  veut-il  entrer  dans  le  sein  de  l'E- 
glis'e  pour  la  blesser  de  plus  près  par  une 
vie  scandaleuse  ? 

Je  dis  plus  :  celui  qui  a  commis  un  péché 
d'impureté,  quand  bien  môme  il  y  aurait 
longtemps,  quand  bien  même  il  s'en  serait 
corrigé,  doit  se  déQer  de  lui-même.  Puisque 
les  canons  anciens  l'excluent  du  sacré  mi- 
nistère, il  ne  doit  point  y  entrer  sans  des 
raisons  importantes.  Il  faut  que  de  lai- 
niôiue  il  ne  respire  que  la  retraite  pour  v 
pleurer  les  désordres  de  sa  vie.  S'il  avance, 
il  faut  que  ce  soit  l'autorité  de  ses  supé- 
rieurs qui  le  détermine  contre  son  propre 
sentiment  et  contre  $^3  désirs.  Il  faut  que 
les  raisons  qui  engagent  à  le  placer  dans  un 
rang  dont  il  s'est  rendu  si  indigne,  soient 
bien  fortes,  pour  rem[)orter  par-Jessus  celles 
qui  ont  obligé  l'Eglise  à  établir  les  saintes 
règles  dont  je  viens  de  vous  parler. 
^  Enfin,  si  quelqu'un  coupable  de  ce  péché 
s'est  éprouvé  pendant  de  longues  années. 
Je  dis  pendant  de  longues  années  ,  c«r  tjout 
homme  qui  a  commis  depuis  peu  un  péché 
contre  la  pureté,  quelque  contrition  qu'il 
en  ait,  ne  doit  point  entrer  dans  l'état  ecclé- 
siastique. Si  donc  il  s'est  éprouvé  peii<lant 
de  longues  années,  el  qu'il  ait  fondement 
d'espérer  que  par  la  miséricorde  de  Dieu 
il  ne  tombera  jamais  dajis  le  désordre,  le 
tiremier  pas  qu'il  doit  faire,  avant  que  de 
s'engager  dans  le  saint  ministère,  c'est  de 
faire  une  longue  et  rigoureuse  pénitence. 

On  ne  peut  guère  concevoir  une  témé- 
rité plus  grande  que  celle  d'un  homme  qui 
aurait  péché  et  qui  oserait  entrer  dans  l'é- 
tat ecclésiastique  avant  que  d'avoir  apaisé 
la  colère  do  Dieu  et  avant  (jue  d'avoir  satis- 
fait pour  son  péché.  «  Malheur,  dit  saint 
Bernard,  aux  ministres  infidèles,  qui,  n'étant 
pas  encore  réconciliés  avec  Dieu,  entrepren- 
nent de  réconcilier  les  autres,  comme  si 
leur  vie  était  innocente!  Malheur  aux  en- 
fants de  colère,  qui  s'établissent  ministres 
de  la  grAce  1  malheur  aux  enfants  de  colère 
qui  usurpent  le  nom  et  le  degré  de  ceux  qui 
doivent  être  les  amis  de  Dieu!  Malheur  à 
ceux  qui  ne  peuvent  [ilaire  k  Dieu,  ()arce 
qu'ils  suivent  les  désirs  de  la  chair,  et  qji 


m» 


ORATEURS  SACHES.  JOSEPH  LAMBERT. 


mo 


présiinioiit  qu'ils   poiiiTont  apaiser  sa  co- 
lèro  ('25]  I  » 

Ceux  donc  qui  ont  commis  encore  depuis 
peu  de  lom[)S  quelque  péché  d'impureté, 
ceux  qui  n'oni  piis  lait  [lénitence,  doivent 
songer  à  pleurer,  à  gémir,  h  se  raorlifior  ; 
mais  qu'ils  songent  à  recevoir  les  ordres 
saints,  c'est  une  téinérifé  in(-xcusable,  et 
dont  ils  seront  très-sévèremcnl  repris  iiu 
jour  de  la  colère  du  Seigneur, 

Mais  que  ceux  qui  ont  conservé  la  chas- 
teté, qui  aiment  celte  verlu,  ipii  détestent 
l'impureté,  qui  la  regardent  comme  un 
monstre,  qui  ont  horreur  môme  «le  l'appa- 
renci;  de  ce  vice,  que  ceux-lîi  viennent  avec 
confiance.  Ce  sont  les  enfants  bien-aimés 
que  riîglisc  chérit. 

Il  est  vrai  que  i'engagemeni  est  grand, 
qm'il  est  essentiel  de  le  tenir  ;  il  est  vrai 
que  naturellement  l'homme  a  droit  de  se 
détier  de  lui-mônie.  INe  vous  etîrayez  pas 
néanmoins,  ô  vous  qui  aimez  ia  chasteté  ; 
prononcez  le  vœu  avec  assurance.  Si  vous 
étiez  abandonné  à  vous  seul,  vous  auriez,  h 
la  vérité,  tout  sujet  Je  trembler,  mais  j'ai  A 
vous  montrer  que  Dieu  nous  a  laissé  des 
secours  forts  et  puissants,  avec  lesquels  les 
ecclésiastiques  peuvent  plus  aisément  qu'ils 
lie  se  l'imaginent,  accomplir  leur  prouiesse. 
C'est  mon  troisième  point. 

TROISIÈME   POINT. 

Un  Dieu  aussi  bon  que  le  nôtre  ne  [)cut 
rien  commander  d'iuii)Ossible.  En  môme 
temps  qu'il  nous  commande,  il  nous  avertit 
de  laire  ce  que  nous  pouvons,  et  d'avoir 
recours  à  lui  pour  obtenir  ce  que  nous  no 
pouvons  pas  ;  et  il  nous  accorde  ses  se- 
cours, alin  que  nous  puissions  accomplir  ce 
qu'il  i"0us  ordonne.  C'est  ce  que  le  concile 
Ue  Trente  a  déterminé  de  tous  les  comman- 
tlemenls  de  Dieu  en  général.  Et  le  nièiue 
concile,  traitant  en  particulier  du  dun  do 
chasteté,  déclare  que  Dieu  ne  le  refuse  point 
à  ceux  qui  le  demandent  et  qu'il  ne  permet 
f)oinl  que  nous  sovon.s  lenlés  au  delàde  nus 
loices  (2G). 

Nous  avons,  il  est  vrai,  un  grand  nombre 
d'ennemis  qui  attaquent  noire  cha»le(é, 
mais  Jésus-Christ  ne  nous  a  pas  laissés  sans 
défense,  il  nous  a  donné  des  armes  puis- 
santes et  victorieuses,  avec  lesquelles  nous 
pouvons  aisément  surmonter  nos  ennemis. 
Si  nous  sommes  vaincus,  la  négligence  que 
nous  avons  à  nous  servir  des  secours  qui 
sont  entre  nos  mains,  est  l'unique  cause 
de  noire  défaite. 

Je  vous  présente  d'abord  deux  moyens 
excellents,  sans  lesquels  Jésus-Christ  nous 
a  enseigné  qu'on  ne  peut  chasser  le  démon. 
Ce  qui  esl  vrai  parlicalièreiuent  du  démon 


de  l'impureté.  Cette  sorte,  de  démons  ne  peut 
être  chassée  pui  aucun  autre  moyen  que  par  te 
jeime.  {Marc,  IX,  28.) 

Si  vous  êtes  attaqué  par  le  démon  de 
l'impureté,  si  la  lentation  vous  presse, 
ayez  reconrs  h  la  prière,  priez  au  nom  de 
celui  qui  assure  dans  l'Evangile  que  l'oû 
obtiendra  tout  ce  que  l'on  demandera  en 
s(jn  nom.  (^oan.,  XVI,  13.)  Priez  avecferveor. 
Ne  vous  lassez  puint.  Si  vous  n'obtenez  pas 
d'abord  ce  que  vous  denjandez,  priez  avec 
plus  d'instance.  Selon  les  paroles  du  saint 
concile  que  vous  venez  d'enlendre,  c'est 
assez  que  Dieu  vous  commande,  pour  vous 
convaincre  que  si  vous  êles  lidèle  à  deman- 
der, il  ne  manquera  pas  de  vous  accorder 
les  secours  dont  vous  avez  besoin  pour  ac- 
complir SCS  commanciemcnt^.  Priez  avec 
persévérance.  Ou  Dieu  v(ju.s  délivcera,  ou, 
si  le  combat  continue,  ce  sera  pour  épr(>u- 
ver  voire  verlu,  et  pour  vous  ilonner  lieu 
Je  remporter  la  victoire. 

Pour  animer  votre  prière,  et  pour  la  ren- 
dre plus  ethcace,  joignez-y  ia  mortilicatioi. 
il  est  très-cerlain  que  la  recherche  des  pl.ii- 
siis,  de  la  bonne  chère,  et  des  délices  de  ia 
vie,  est  la  mère  et  la  nourrice  de  l'im- 
pureté. 

Terttillien  dit  si  bien  :  Monstruin  libida 
sine  gula.  {Dejrjun,  I.)  C'est  un  monsire  que 
l'imiureté,  sans  rallachement  à  la  bonne 
chère.  C'est-à-dire  (jue  c'est  une  chose  bien 
surprenante,  et  (jui  ne  se  rencontre  presque 
jamais  qu'un  homme  sobre,  qui  <  si  le  mai- 
Ire  de  sa  bouche,  qui  n'aime  ni  le  vin,  ni 
les  mets  tiélicats,  soit  adouué  au  vice  de 
l'impureté. 

Terlunieti  dil  encore  que  l'embonpoint 
qui  est  une  suite  de  la  bonne  chère,  est  à 
l'égard  de  l'aine  comme  un  meuble  inutile, 
qui  retarde  le  voyage  (ju'clle  doit  faire  a-i 
ciel.  Atiinuc  impeUinieittum. 

Le  mémo  Tertulhen,  faisant  réflexion  sur 
ces  paroles  que  Dieu  dit  à  Aaron  :  Vous 
ne  boirez  p&inl  de  vin,  vous  et  vos  enfants, 
quand  vous  entrerez  dans  le  tabernacle,  quand 
vous  monterez  à  l'autel,  et  vous  ne  mourrez 
pas  (Ler.,  X,  9),  en  lire  cette  conséquence. 
Donc  Ceux-là  mourront  qui,  n'élaut  point 
sobres,  s'engageront  dans  le  ministère  des 
autels  (27j. 

Saint  Jérôme  enseigne,  que  comme  hv 
gourmandise  nous  a  chassés  du  paradis, 
nous  n'y  pouvons  rentrer  qu'à  la  faveur  de 
l'abstinence  et  de  la  mortilication  (28). 

Maisqu'y  a-l-il  de  plus  clair  que  les  paroles 
de  saini  Paul  :  Ne  vous  laissez  pus  aller  aux 
excès  du  vin,  d'oii  naissent  les  dissolutions . 
{Hphes.,  V,  18.)  C'est  donc  s'exposer  au 
(langer  manifeste  de  perdre  la  pureté,  que 
de  chercher  les  festins  et  les  lieux  de  bonne 


(25)  I  V:e  îuinrsuis  infiJcUbus  qui,  »€cJuni  re- 
eoiiciiiaii,  recoiicilialiouis  alienae  negotia,  (juasi 
h(.miiies,  qui  ju.siiiiain  lecerint,  apprelwiiduiil  1  Va» 
liliis  irœ,  qui  se  miiiistros  gialiLV  proiiiennir  !  »  (De 
conveTbione   ad   clericos,  cap.  19.) 

(âb)  c  Deus  id  recte  peleiiiibus  non  deiiegal,  :.ec 
pâiilur  nos  supra  id  quodpossuuius  tculari.  «  (Sess. 


24,  can.  9.) 

(27)  c  Adeo  niori'Cnlur,  q«i  Bon  so&.  .  .n  .^clesia 
mini:>lraveriiil.  >  {Ibid  ) 

(28)  «  Sollicite  providendiim  est  iil  quos  saluil- 
las  de  oaradiso  expiUil,  rcducat  esuries  »  (De  cusl. 
Virg.) 


1201 


RITRAITE  ECCLES.  —  XIV.  —  CHASTETE. 


!-2'>2 


cliôre,  se  nourrir  iie  mciS  délicifiix,  accor- 
•Jerlout  h  ses  sens.  Cou  nienl  vniiluz-vous 
que  voire  corps  que  vous  remplissez  de  feu 
en  buvant  des  vins  rccliprchés  et  eu  man- 
geant des  viandes  délicieuses,  ne  brùlo 
point  et  qu'il  ne  se  révoilc  [loinl  contre 
l'esprit? 

Si  donc  vous  voulez  conserver  la  cliasletiS 
renoncez  aux  délices  do  laciiair.  Si  vous 
n'avez  pas  assez  de  courage  pour  embrasser 
les  austérités  dont  les  saints  pénitents  vous 
ont  donné  l'exemple,  au  moins  menez  une 
vie  commune  et  ré.^lée,  convenable  à  la 
bienséance  de  voiro  état  :  pratiquez  le  plus 
souvent  que  \ous  pourrez  des  raortitica- 
lions.  Souvenez-vous  de  la  réponse  que  lit 
nn  solilaire,  à  qui  l'on  demandait  pour(|uoi 
il  pratiquait  des  mortificalious  si  rigou- 
reuses. Il  répondit  avec  beaucoup  de  sa- 
gesse :  Je  tue  mon  corps,  de  crainte  qu'il 
ne  me  lue. 

Un  troisième  moyen  pour  vous  préserver 
de  l'impureté,  c'est  d.e  nener  une  vie  occu- 
pée et  de  fuir  l'oisiveié.  Car  le  démon  veille 
toujours  pour  nous  surprendre.  Il  ne  man- 
que point  de  nous  attaquer  dans  les  mo- 
ments où  il  se  persuade  (|ue  nous  sommes 
plus  faibles  et  moins  en  élat  de  lui  résister; 
c'est  pourquoi  il  dresse  des  euibùblies  ()ar- 
liculièrement  à  ceux  ([ui  sont  oisifs.  11  laisse 
en  repos  les  hommes  laborieux.  Jl  sait 
qu'un  es[)ril  occupé  n'est  guère  suscej)ti- 
blo  de  ses  illusions.  Travaillez,  vous  dit 
saint  Jérônie(m  Lzecli.,  XVI),  de.craiute  que 
la  main  cessant  de  nettoyer  le  cliamp  do 
votre  cœur,  il  ne  se  remplisse  de  ronces, 
c'esl-àdire  de  pensées  ciimip.eiles. 

Si  vous  avez  de  l'emploi  et  que  vous  vou- 
liez vous  actiuitter  de  vos  devoirs,  comme 
le  doit  l'aire  un  ministre  lidèle  ,  vous  ne 
manquerez  pas  d"occui)aliuii,  et  il  ne  vous 
sera  pas  dillicile  de  n'être  [)0ini  oisif.  Vous 
donnerez  une  partie  de  votre  lemj)s  à  l'é- 
tude. Vous  préparerez  des  inslructioi'.s,  afin 
de  nourrir  de  la  divine  parole  les  |)euples 
qui  sont  cuniiés  à  vos  soins.  Vous  visiterez 
les  jualude.s,  ou  plutôt  Jésus-Christ  mètue, 
qui  vous  assure  que  c'est  à  lui  que  vous 
rendez  ce  bon  ollice,  quand  vous  le  rendez 
à  ses  mendjres.  Vous  accommoderez  les  dif- 
férends, persuadé  qu'on  ne  peut  cnlre()ren- 
dre  un  plus  saint  ouvrage,  (jne  d'établir  une 
sainte,  union  entre  ceux  qui  n'ont  qu'un 
même  Père  dans  le  ciel.  Vous  visiterez  les 
écoles, vous  ressouvenant  de  Jésus-Christ  qui 
Uonuailaux  enfants  des  marques  de  sa  ten- 
dresse et  qui  re[)renail  ceux  qui  les  eaifie- 
chaientd'a|)procher  de  lui.  (ilfan/t.,XlX,14-.) 
Vous  orfierez  les  égli.-es,  animé  de  cet  lis- 
pril  qui  faisait  dire  ù  David  :  J'ai  aimé  la 
Otaulé  de  voire  maison,  el  le  lieu  où  réside 
votre  gloire.  {Psal.  XXV,  8) 

Les  ecclésiastiques  qui  n'ont  point  d'em- 
[)loi  réglé,  ne  sont  pas  monis  obligés  de 
s'occuper,  afin  do  ne  pas  lomber  dans  les 

(-29)  «  Ncc  David  forl.or,  net  Syloiiidiie  pôles  esse 
ï.ipieniiui.  U*'i<l  'le  su  cujjliaiil  illi,  i|ui  cuiii  e.vna- 
neib  u)uU;ribus  uun  soluut  cuuvcrsjn,  sed  cliam  in 


l'iégos  du  démon.  Pour  s'acqniKor  de  cctîe 
ohligalion,  ils  no  peuvent  mieux  l'aire  qi.ie 
de  se  prescrire  à  eux-mêmes  de  cerininps 
occupations,  de  (elle  sorte  que  tous  leurs 
jours  soient  remplis.  Tous  les  jours  je  cim- 
sacrerai  tant  de  temps  <i  l'oraison  mentale  ; 
celte  heure  sera  destinée  5  l'étude  ;  cette 
autre  sera  employée  ^  bénir  le  nom  du  Sei- 
gneur dai'S  la  récitation  de  l'ollico  divin. 
Tant  de  fois  la  semaine  je  ferai  on  des  con- 
férences de  piélé, pour  avancer  dans  la  vertu, 
ou  des  conférences  de  science  pour  ac(]iié- 
rir  les  connaissances  (jui  me  sont  nécessai- 
res. Les  dimanches  el  les  fêtes,  j'assisierai 
aux  olllces  de  l'Eglise  avec  l'habit  ecclésias- 
liijue.  C'est  ainsi  qu'il  n'y  aura  point  do 
vide  dans  voire  journée.  Tons  vos  moments 
seront  heureusement  rcmphs,  et  par  ce 
njoytn,  ou  le  démon  ne  vous  attaquera 
point,  ou  bien,  s'il  vous  attaque,  ce  sera 
sans  fruit,  parce  qu'étant  occupé,  ces  sug- 
gestions malignes  ne  feront  aucune  impres- 
sion sur  votre  esprit. 

J'ajoute  un  dernier  moyen.  Voulez-vous 
Être  chaste,  vivez  dans  la  retraite  et  surtout 
évitez  la  compagnie,  la  familiarité  el  la 
conversation  des  personnes  de  l'autre  sexe. 
j,.  Le  Saint-Esprit  vous  avertit  que  celui  qui 
aime  le  péril,  périra  dans  le  périL  [Eccli., 
liL  27.) 

Le  Fils  de  Dieu  nous  recommaiule  Irôs- 
expressément  de  fuir  les  occasions  (|ui  nous 
portent  au  péché.  Si  votre  œil  vous  scanda- 
lise, arrachez-le.  {Malth.,'V,29.)Qn(i  veulent 
dire  ces  paroles:  si  votre  cet/?, C'est-à-dire, 
renoncez  aux  choses  qui  vous  sonl  le  plus 
chères,  et  auxquelles  vous  avez  le  plus  d'at- 
tachetnenl,  lorsqu'elles  vous  sonl  une  occa- 
sion de  chute  et  de  péché-  El  ces  aulres 
paroles  ;  arracficz-le,  ne  marquent-elles  [jas 
(jue  quand  bien  môme  il  faudrait  se  faire  la 
dernière  violence,  c'est  un  devoir  essentiel 
d'altaiidonner  de  bon  cœur  tout  ce  qui  peut 
nous  porter  au  péché.  Or  qui  doute  que  les 
familiarités  et  les  conversations  avec  des 
personnes  de  l'autre  sexe  ne  soient  une 
occasion  de  tomber  dans  le  péché? 

Car,  comme  dit  osceliemment  saint  Au- 
gustin, ôtes-vous  |)lus  maîlre  de  vous-même 
(|ue  David?  Non  sans  doule,  vous  n'avez  ni 
plus  de  force  que  David,  n'y  |)lus  de  sa- 
gesse que  Salomon.  Si  donc  la  trop  grande 
tamiiiarilé  avec  les  femmes  et  leurs  c  n-es- 
scs  empoisonnées  oui  perdu  ces  deux  grands 
hommes,  à  quoi  peuvent  penser  ceux  qui 
recherchent  les  entretiens  des  personnes  do 
l'autre  sexe,  qui  demeurent  avec  elles  dans 
une  même  maison,  qui  assistent  à  des  fes- 
tins oii  elles  se  trouvent  (29)  ?  C'est  do  ceux- 
là  dont  on  peut  assurer  ce  que  i'Apêtre  a  dit 
ue  la  veuve  qui  vil  dans  les  délices  :  Quoi- 
qa'ils  paraissent  vivants,  néanmoins  ils  sont 
morts. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  (orat.  20,  p. 
3ok)  nous  dit,  en  faisant  l'éloge  de  saint  Ba- 

uiia  domo  manere,  aul  cor.vivio  e.uuin  a<it  fre(|U-'!n- 
Itii ,  aiit  semper  iulercsse,  iiec  iiioliiuiil,  iictciujx-»- 
t'jîUil  ?  »  (lloni,  21,  in  ;>««/.  L  ) 


KTS 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1204 


sile,  que  l'amour  que  ce  saint  homme  avait 
])Our  la  pureté  paraissait  sur  son  visage.  Sa 
vue  seule  ins|iiiait  du  respect,  et  les  l'era- 
lues  n'osaient  pas  même  le  regarder. 

Ji  est  remarqué  dans  la  vie  de  saint  Au- 
gustin, qu'il  ne  voulut  point  que  sa  sœur, 
qui  était  une  veuve  d'une  haute  vertu,  ni 
ses  cousines  qui  étaient  vierges,  demeuras- 
sent dans  sa  maison,  de  peur  qu'il  n'y  en- 
Irût  d'autres  femmes  sous  |)rétexle  de  les 
visiter.  Ce  grand  saint  portait  jusque-là  sa 
précaution,  larce  qu'il  avait  pour  princi[)e 
qu'un  évéque  et  un  prêtre  ne  peuvent  éviter 
avec  trop  de  soin  tout  ce  qui  peut  donner 
0( cision  de  b'âmer  leur  conduite  (30). 

Car,  comme  remarque  Tcrtuilien  {De carne 
Chrisii,  cap.  3),  quand  on  aime  une  vertu, 
on  ne  veut  pas  même  être  soupçonné  du 
vice  qui  lui  est  contraire.  Uei  displicentis 
eliam  opinio  rcprohalur.  Si  vous  détestez 
l'impureté  autant  qu'elle  mérite  de  l'être, 
non-seulement  vous  devez  fuir  tout  ce  qui 
peut  corrompre  votre  cœur,  mais  il  faut  que 
votre  conduite  soit  irréprocliahle,  que  la 
calomnie  la  plus  envenimée  ne  puisse  v.ous 
faire  aucun  reproche  :  iîei  displicentis,  etc. 

C'est  donc  en  vain,  quand  je  vous  presse 
de  rompre  ce  commerce,  dont  on  parle  de- 
])uis  longtemps,  que  vous  me  ré|iondez, 
(|u'il  n'y  en  eut  jamais  de  moins  suspect 
et  de  plus  innocent.  Je  veux  bien  vous  en 
croire.  Mais  n'est-il  pas  vrai  que  |)lusieurs 
sont  olfensés  de  ces  entretiens  et  de  cette 
familiarité?  N'esl-il  pas  vrai  que  vous  don- 
nez lieu  par  là  de  former  des  soupçons  con- 
tre vous?  En  faut-il  davantage  p"our  vous 
obliger  h  suivre  le  conseil  salutaire  que  l'on 
vous  donne?  Quiconque  aime  la  nureté  ne 
souffrira  jamais  qu'on  lui  reproche  même 
l'apparence  du  vice  contraire  à  celte  vertu  : 
jRei  displicentis,  elc. 

Il  faut  donc  à  plus  forte  raison  renvoyer 
au  plus  tôt  de  votre  logis  cette  personne  à 
laquelle  on  vous  accuse  d'être  fortement 
attaché.  Quelques  raisons  que  vous  ap.por- 
liez  pour  vous  justifier,  vous  êtes  criminel 
dès  le  moment  que  vous  la  retenez  avec 
opiniâtreté.  Vous  dites  qu'elle  vous  est  né- 
cessaire ;  et  moi  je  vous  réponds  que  vous 
avez  encore  plus  besoin  de  voiie  réputation. 
Vous  dites  que  la  malignité  Jes  hommes  est 
connue,  et  qu'elle  les  porte  sans  fondement 
à  censurer  la  conduite  des  plus  innoceuis; 
et  moi  je  vous  réponds  que  ce  n'est  point 
sans  fondement  que  votre  conduite  est  cen- 
surée ;que,  quand  il  vous  plaira,  il  ne  tiendra 
qu'à  vous  de  vous  justitier,  et  de  mettre  tin  à 
tous  les  mauvais  bruits  que  l'on  a  répandus. 
On  apjiorte  des  raisons  sans  lin,  quand  mi 
veut  s'aveugler  soi-même.  Mais  :noije  n'en 
ni  qu'une  soûle  à  vous  op|)0>or.  Vous  souf- 
frez volontairement  des  soupçons  que  vous 
jiouvez  arrêter.  Donc  vous  n'aimez  point  la 
pureté  :  Rei  displicentis,  elc. 

il  est  vrai  que  la  charité  peut  quelquefois 

(30)  <  Femiiiarum  intra  domum  ejus  iiulla  iiu- 
«|uam  conversala  e.sl,  iiulla  inaiisit  iiec  quidein  so- 
ror  vniua  Deo  Sfivieiis.  Sed    neqii«  paliui  siii  liliie 


VOUS  obliger  h  entretenir  des  personnes  de 
Taulre  sexe,  pour  leur  donner  des  avis  sa- 
lutaires. Mais,  premièrement,  n'ayez  jamais 
aucun  autre  commerce  avec  elles  que  ceux 
qu'une  juste  nécessité  vous  obligera  d'a- 
voir. Et  cette  nécessité  ne  peut  être  juste 
que  lorsqu'elle  a  la  charité  pour  princii)e. 

Secondement,  si  la  charité  vous  oblige  de 
les  entretenir,  ne  vous  trouvez  jamais  seul 
avec  elles  ;  que  vos  entretiens  soient  le  plus 
courts  que  vous  pourrez;  n'y  mêlez  point 
de  propos  inutiles,  et  craignez  surtout  que 
la  cupidité  n'achève  un  entretien  que  la 
chaiiié  a  commencé. 

Un  ecclésiastique  écoule  d'abord  une 
femme  par  un  principe  de  charité,  mais 
parce  qu'il  ne  veille  pas  assez  sur  lui- 
môme,  l'esprit  s'attache  peu  à  peu,  le  coeur 
s'attendrit,  on  commence  à  sentir  des  in- 
quiétudes ;  plus  on  se  voit,  plus  on  a  impa- 
tience de  se  voir.  On  veut  savoir  mutuelle- 
ment les  secrets  les  plus  cachés,  on  veut  être 
consulté  sur  toutes  choses,  on  veut  que  son 
conseil  soit  suivi  dans  les  moindres  affaires; 
on  en  vient  aux  plaintes,  aux  soupçons  et 
quelquefois  aux  jalousies.  Insensiblement 
une  passion  se  forme  d'autant  plus  dange- 
reuse, qu'elle  est  cachée  sous  le  masque  de 
la  dévotion. 

Je  fais  grande  estime  d'un  directeur  sé- 
rieux, qui  est  plein  de  zèle  pour  le  salut 
desûmes,  qui  se  renferme  dans  son  minis- 
tère, qui  va  directement  et  sans  biaiser  à  la 
fin  qu'il  doit  se  jjroposer. 

Mais  je  soutiens  qu'il  y  a  beaucoup  de 
directeurs  qui  abusent  de  leur  ministère, 
qui  cherchent  à  se  satisfaire,  qui  perdent  le 
temps  en  vains  amusements,  qui  ne  trai- 
tent {)oint  les  choses  saintes  avec  la  gravité 
convenable  à  leur  caractère,  qui  font  voir 
manifestement  que  la  cupidité,  la  sensualité, 
la  curiosité  sont  le  principe  de  leur  con- 
duite, et  nullement  la  charité.  Dès  que  l'on 
connaîtra  la  sainteté  de  son  ministère,  on 
évitera  tous  ces  excès,  on  ira  à  Dieu  sincè- 
rement et  l'on  s'aftpliquera  unicpiernent  à  y 
conduire  les  autres.  Ou  suivra  lidèlemenl  l'a- 
vis de  saint  Paul,  qui  est  de  se  tenir  ferme, 
et  de  prendre  garde  en  voulant  relever  les 
autres,  et  de  ne  i>as  se  laisser  tomber.  Il  Cor., 
X,  12.) 

Le  vrai  moyen  de  se  tenir  ferme,  c'est 
d'avoir  recours  à  Jésus-Christ,  et  de  suivre 
fidèlement  les  règles  qu'il  nous  a  ensei- 
gnées. 

Ne  craignez  point  de  lui  promettre  et  de 
vous  engager  à  lui  pour  toute  votre  vie.  Ce- 
lui qui  vous  a  inspiré  le  désir  de  faire  un 
vœu  si  saint,  sera  voire  a|)pui  t)our  le  bien 
accomnIir.La  lésolution  est  grande,  l'homme 
charnel  en  e>t  ellrayé  ;  mais  le  véritable 
chrélien  plein  de  confiance  est  convaincu 
qu'il  peut  tout  en  Jésus-Christ  qui  ieloitilie. 
Mon,  non,  souvent  on  se  lait  des  monslres. 
Les  dilhcullés  ne  sont  point  si  grandes  que 


qiiaî    Deo 
tap.  "i(>) 


bci'vicbanl,.    »  (PossiDius,  De  vha  Aug. 


1505 


RETRAITK  IXCLES.  —  XV. 


ZELE. 


1506 


les  homnios  sensuels  onl  accoutumé  de  se 
les  rcpn^senler. 

Saint  Augustin  nous  enseigne  qu'il  a  éié 
dnns  celle  erreur,  et  que  sa  conversion  fut 
retardée,  parce  qu'il  ne  pouvait  prendre  une 
fiTine  résolution  de  vivre  chastement  pen- 
dant tout  le  reste  de  sa  vie.  Lorsqu'il  était 
dans  cette  fûcliouse  incertitude,  la  virginité 
!ui  apparut  en  songe  accompagnée  d'une 
tioupe  inlîin'e  de  vierges  de  tout  âge  et  de 
tout  soxe.  Il  lui  sembla  qu'elle  lui  repro- 
chait sa  lâcheté,  en  lui  disant  :  «  Pourquoi 
ne  pourriez-votis  pas  ce  que  lanl  de  sainls 
et  ce  que  tant  de  saintes  ont  fait  (31)?  » 

Oui,  avec  le  secours  de  la  grâce  vous  ferez 
ce  que  tant  de  sainls  ont  lait.  Vous  suivrez 
le  chemin  qui  vous  a  été  marqué  par  tant 
de  sainls  évoques,  p;ir  lanl  de  sainls  |)rô- 
tres,  dont  il  vous  serait  honteux  de  ne  p;is 
imiier  les  vertus,  étant  honorés  de  leur  ca- 
ractère. Vous  conserverez  la  chasteté,  mais 
dans  un  degré  éininent ,  de  letle  manière 
que  vous  exercerez  toujours  un  empire  par- 
■fait  sur  tous  vos  sens.  Vous  vous  formerez 
de  justes  idées  du  iiéché  d'impureté  et  vous 
Je  regarderez  comme  un  monstre  énorme, 
capable  d'elfraytir  tous  ceux  qui  onl  quel- 
que crainte  du  Seigneur,  et  qui  connais- 
sent la  sainteté  de  leur  étal.  Quand  vous  fe- 
rez do  tristes  é|)reuves  de  votre  faiblesse, 
aussitôt  vous  prendrez  "les  armes  dont  Jé- 
sus-Christ vous  a  revêtus,  et  avec  ces  armes 
redoutables  il  n'y  aura  point  de  démon  que 
vous  ne  mettiez  en  fuite. 

Ceux-là  qui  sonl  sans  tache  sont  à  la  suite 
de  l'Agneau  {Apoc,  XIV,  k,  5)  el  ne  se  sé- 
parent jamais  de  lui.  Soyez  donc  véritable- 
ment chastes,  que  votre  vie  soit  sans  tache, 
atin  d'être  sur  la  terre  de  fidèles  ministres 
de  Jésus-Chrisl,  et  de  lui  ôlre  iuséoarable- 
uienl  unis  dans  l'éternité. 

DISCOURS  XV. 

DU    ZÈLE. 

J'ai  aujourd'hui  à  vous  entretenir  d'une 
vertu  liés -nécessaire  aux  ecclésiastiques. 
C'est  du  zèle  que  je  me  propose  de  vous 
parler.  Le  nombre  des  ecclésiastiques  zélés 
est  très-rare.  Cependant  sans  cette  vertu  il 
est  imi)OSsible  de  se  bien  acquitter  des  de- 
voirs indispensables  de  la  vie  ecclésiasti- 
que. 

Dieu  veut  que  tous  les  hommes  soient 
fervents  el  (dems  de  zèle.  Servir  le  Seigneur 
mollement,  c'esl  l'irriter.  Jésus-Christ  nous 
dit  qu'il  est  venu  sur  la  terre  pour  y  aj)por- 
ler  le  feu,  el  fju'il  veut  que  ce  feu  brûle. 
{Luc,  XIX,  40.)  Où  est  ce  feu?  il  est  pres- 
que éteint.  L  iniquité  s'est  augmentée ,  et  ta 
charité  s'est  refroidie.  {Mutih.,  XXIV,  12.) 
On  voit  peu  de  chréliciiis  zélés,  c'est  un 
malheur  déjdorable.  Mais  les  ecclésiasliques 
ne  sont  guère  plus  zélés  que  les  autres 
hommes.  J.,e  malheur  esl  encore  plus  grand. 
Car  qui  échaulfera  le  zèle  des  hommes,  qui 
les  excitera,  si  ceux-là  rnôme  qui  sont  en- 
voyés de  Dieu   jiour  animer   leurs  frères, 


sont  dans  la  mollosso  et  négligent  leurs  de- 
voirs ? 

Tâchons  aujourd'hui  de  réveiller  le  zèle 
des  ecclésiastiques,  afin  qu'étant  puissam- 
ment animés, ils  aillent,  suivant  leur  mission, 
porter  te  feu  sacré  de  la  charité  que  Jésus- 
Christ  les  a  chargés  d'allumer  dans  le  cœur 
de  leurs  frères. 

C'est  le  dessein  que  je  me  propose  dans 
ce  discours,  que  je  [jartagerai  en  deux  par- 
ties. Dans  la  première,  je  forai  voir  la  né- 
cessité du  zèle  ;  dans  la  seconde,  j'en  ex- 
pliquerai les  qualités 

PREMIER  POINT. 

Pour  vous  faire  voir  do  quelle  nécessité 
il  est  que  les  ecclésiasliques  soient  remplis 
de  zèle,  j'ai,  premièrement,  à  vous  représen- 
ter quel  a  été  le  zèle  de  Jésus-Christ,  cet 
excellent  n)odèle  que  tous  les  chrétiens,  et 
particulièrement  les  ecclésiasliques,^  ne  doi- 
vent jamais  perdre  do  vue. 

Le  7.èle  des  sainls  peu!  aussi  beaucoup 
contribuera  échauffer  le  vôtre.  Ainsi,  après 
avoir  vu  quel  a  été  Jésus-Christ,  le  chef  des 
pasteurs,  je  vous  ferai  remarquer,  en  second 
lieu,  que  toutes  les  actions  des  saints  sont 
autant  de  preuves  du  zèle  continuel  doQt 
ils  ont  été  animés. 

Vous  verrez  enfin  que  pour  peu  que  l'on 
considère  avec  attention  ce  que  c'est  que 
l'état  ecclésiastique,  il  est  aisé  de  concevoir 
que  celui  qui  n'est  point  rempli  de  zèle, 
est  indigne  d'occuper  une  [dace  si   élevée. 

J'ai  donc  à  vous  faire  considérer  ,  1° 
l'exemplfa  de  Jésus-Christ;  2°  L'exemple  des 
saints;  3°  l'institution  du  ministère  ecclé- 
siastique. Kl  ce  sont  les  preuves  .solides 
dont  je  prétends  me  servir  pour  établir  la 
nécessité  du  zèle. 

Ouvrez  les  yeux,  et  jetez-les  sur  Jésus- 
Christ,  le  prince  des  pasteurs.  Pourquoi 
Dieu  nous  a-t-il  fait  ce  riche  [)résonl  ?  Pour- 
quoi Dieu  a-t-il  envoyé  son  Fils  sur  la 
terre?  Parce  qu'il  nous  a  aimés.  Jugeons 
de  l'amour  paternel  que  Dieu  a  eu  pour 
nous  parla  preuve  excellente  que  nous  eii 
avons  reçue.  Quel  peut  être  un  amour  dont 
l'eiïel  est  d'envoyer  sur  la  terre  celui  qui 
est  un  avec  son  Père,  et  qui  lui  est  parfaite- 
ment égal  en  toutes  choses?  Dieu  a  telle- 
ment aimé  le  monde,  qu'il  a  donné  son  Fils. 
(Joan.,  111,  16.)  Comme  doue  il  n'y  a  rien  de 
plusgrandque  le  Fils  unique  de  Dieu,aussiil 
n  y  a  rien  qui  puisse  ôtrecomparéà  unamour 
dunt  l'eli'ei  a  été  de  nous  communiquer  cet 
inestimable  présent. 

Dieu  nous  a  donné  son  Fils,  afin  qu'il  fût 
tout  entier  à  nous,  afin  qu'il  accomplît 
l'œuvre  de  netre  rédemption.  Dieu  nous  l'a 


donné,  atin    iju'il 
nous  délivrai  ,■  qu'i 


payât  pour  nous  ,  qu'il 
nous  sanctifiât,  qu'il 
travaillât  à  nous*  rendre  parfaitement  heu- 
reux. Dieu  nous  l'a  donné  ,  dit  l'Ecriture, 
afin  que  quiconque  croit  en  lui  ne  périsse 
point,  mais  qu'il  ait  la  vie  éternelle.  Car  Dieu 


(51)  «TunonpolcrisquoJibli,riuoJisUe.  i  (Lib.  viu,C'o«/.,  cap.  11.) 


l%jn  ORATEllUS  SACRES. 

n'a  pfiint  envoyé'  son  fiis  pour  juger  le 
monde,  mais  afin  que  le  monde  soit  sauvé  par 
lui. 

Dès  que  le  Fils  de  Dieu  est  venu  sur  la 
terre,  il  s'est  considéré  comme  étant  en- 
voyé pour  le  salut  des  liommes.  Que  n'a-t- 
il  point  fait  pour  remplir  sa  mission?  Con- 
sidérez-le dans  toutes  les  actions  de  sa  vie. 
Jl  est  tout  occupé  du  salut  de  ceux  qu'il 
est  venu  chercher. 

Jl  est  né  parmi  les  Juifs,  et  il  était  de  l'or- 
dre de  sa  mission  de  leur  donner  ses  pre- 
miers soins.  JJ  nous  dit  qu'il  a  été  envoyé 
pour  chercher  les  brebis  perdues  de  la  mai- 
son d'Israël. 

Quel  zèle  Jésus-Christ  n'a-t-il  point  fait 
paraître  pour  éclairer  les  Juifs?  Entendons- 
le  s'expliquer  lui-même.  Rien  n'est  plus 
propre  que  les  paroles  mêmes  du  Sauveur, 
pour  nous  faire  connaître  son  zèle  et  son 
ardeur.  Combien  de  fois  ai-je  voulu  assem- 
bler vos  enfants,  comme  la  poule  assemble  ses 
petits  sous  ses  ailes,  et  vous  ne  l'avez  pas 
voulu?  [Malth.,  XXllI,  37.) 

Combien  de  fois.  Jésus-Christ  ne  s'est  pas 
contenté  de  faire  quelques  elïorls  pour  lo 
galutdes  Juifs.  Leur  résistance  et  leur  opi^ 
niâtretô  ne  l'ont  point  rebuté.  Quoique  re- 
jeté, quoique  méprisé  ,  quoique  outragé, 
quoique,  persécuté,  il  n'a  pas  laissé  de  cou- 
rir après  eux,  et  de  leur  témoigner  sun 
amour.  La  comparaison  dont  il  se  sert  mar- 
que sa  tendresse  et  son  amour.  Elle  fait 
voir  qu'il  n'a  rien  omis  pour  gagner  les 
Juifs,  Il  les  a  ménagés,  il  les  a  supportés,  il 
Jes  a  cherchés.  Plus  ils  ont  marqué  de  résis- 
tance, plus  il  a  témoigné  d'amour. 

Les  Juifs  n'ont  pas  voulu.  Ce  sont  donc 
eux  qui  ont  rejeté  la  grâce,  qui  se  sont  ojti- 
niâtrés  dans  leurs  mauvais  sentiments,  qui 
ont  fermé  les  yeux  |)Our  ne  pas  voir  la  lu- 
mière. Votre  perte,  6  Israël ,  vient  de  vous. 
(Osée.,  XIII,  9.)  J'ai,  dit  le  Sauveur  par  la 
bouche  d'un  prophète.,  étendu  les  bras  pen- 
dant tout  le  jour  à  un  peuple  qui  n'a  pas 
voulu  me  croire,  et  qui  a  contredit  toutes  mes 
paroles.  (Isai.,  LXV,  2.) 

Une  circonstance  très  -  remarquable  du 
zèle  du  Sauveur,  c'est  qu'il  était  louché  du 
salut  d'une  seule  âme.  La  moindre  do  ses 
brebis  lui  était  chère.  [Joan.,  XV.)  il  n'en  a 
jamais  négligé  aucune.  Voyez  le  Sauveur 
appliquée  la  conversion  d'une  seule  Sama- 
ritaine. Voyez  tout  ce  que  la  charité  lui 
suggère  pour  lui  ouvrir  les  yeux  ei  pour 
gagner  son  coeur.  ïl  commence  par  s'insi- 
«uerdans  son  esprit.  Il  l'a  conduit  elle-même 
à  laveu  de  ses  eireurs  et  à  la  connais- 
fiance  de  ses  égarements.  11  lui  fait  désirer 
nn  bonheur  qu'elle  ne  connaît  pas  encore. 
Celle  femme  est  éclairée  ,  elle  est  gagnée, 
elle  prêche  elle-même  Jésus-Christ. 

Une  femme  seule  a  donc  été  l'objet  de  la 
charilé  du  Sauveur.  l'I  nous  a  fait  voir  qu'il 
avajt  considéré  sa  conversion  comme  une 
conquête  importante,  bien  éloigné  de  ceux 
qui  veulent  être  environnés  d  une  grande 
luullitude,  qui  n'ont  du  goût  que  pour  les 
Actions  éclatantes,  qui  ne  veulent  travailler 


JOSEPH  LAMBERT.  1308 

h  la  conversion  que  de  ceux  qui  sont  dis- 
tingués par  leur  naissance  et  par  leur  for- 
tune, qui  croiraient  employer  inutilement 
leur  temps  ,  s'ils  allaient  dans  un  lieu  se- 
cret, caché,  inconnu,  chercher  une  âme 
vile  aux  yeux  des  hommes,  précieuse  néan- 
moins à  Jésus-Christ,  et  qui  peut-être  ne 
languit  dans  les  ténèbres  ,  que  parce  que 
jamais  on  ne  lui  a  fait  voir  la  lumière. 

Mais  il  n'est  pas  encore  temps  de  pleu- 
rer nos  égarements  et  notre  défaut  de  zèle. 
Continuons  à  considérer  d'autres  circons- 
tances, qui  nous  feront  connaître  com- 
bien a  été  grand  et  admirable  le  zèle  de 
Jésus-Christ. 

Nous  n'avons  pour  cela  qu'à  observer 
quels  ont  été  ses  sentiments  à  l'égard  îles 
pécheurs.  Où  Irouvera-t-on  des  empresse- 
ments plus  vifs,  un  amour  plus  tendre,  une 
charilé  plus  ardente? 

Entendez  parler  Jésus-Christ ,  il  vous  dé^ 
clarera  qu'il  est  venu  pour  les  pécheurs. 
[Maith.,  IX,  13.) 

Les  comparaisons  les  plus  tendres  ne  lui 
paraîtront  point  trop  fortes  pour  exprimer 
son  amour.  C'est  un  pasteur  charitable  qui 
court  après  la  brebis  qui  est  égarée,  qui  la 
cherche  jusqu'à  ce  qu'il  la  retrouve,  qui  la 
met  sur  ses  épaules  avec  joie,  qui  appelle 
ses  amis  [Luc  ,XV,  i),  parce  qu'il  ne  peut 
retenir  et  renfermerau  dedans  de  lui-même, 
les  transports  d'une  joie  tout  exlraordi- 
naire. 

Les  actions  de  Jésus-Christ  répondent 
parfaitement  à  ses  maximes  el  à  ses  com- 
paraisons. 

Les  pécheurs  n'ont  qu'à  approcher.  Ils 
seront  favorablement  reçus,  lisseront  écou- 
lés. Ils  seront  traités  avec  bonté.  Ils  dé- 
couvriront que  l'on  a  pour  eux  un  cœur 
plein  de  miséricorde. 

Jésus-Christ  n'allendra  pas  que  les  pé- 
cheurs viennent  à  lui.  Je  le  vois  courir 
après  eux,  et  les  chercher  avec  empresse- 
ment. Pourquoi  donc  va-l-il  en  ceite  mai- 
son ?  Pourquoi  se  trouve-t-il  à  ce  feslin  ? 
[Malth.,  IX,  10.)  Pourquoi  n'est-il  point  ar- 
rêté par  les  discours  que  ses  ennemis  tieu- 
dronl  pour  attaquer  son  honneur? 

Considérations  vaines  et  frivoles,  qui 
pourraient  peut-être  faire  quelque  impres- 
sion sur  celui  qui  aurait  moins  de  zèle 
pour  la  conversion  des  pécheurs.  Mais 
quant  à  Jésus-Christ,  il  s'est  hautement  dé- 
claré pour  les  pécheurs.  Bien  loin  que  l'on 
melte  obstacle  à  ses  desseins,  en  disant 
qu'il  est  ami  des  pécheurs  el  des  gens  de 
mauvaise  vie,  c'est  un  titre  qu'il  ambi- 
tionne. Tous  les  discours  de  ses  ennemis 
ne  retarderont  point  son  zèle.  11  recher- 
chera les  pécheurs,  et  celte  recherche  cha- 
ritable sera  toujours  un  des  princii)aux 
emplois  de  sa  mission. 

Les  maximes,  les  comparaisons,  les  ac- 
tions de  Jésus-Christ,  tout  concourt  à  nous 
faire  connaître  qu'il  n'y  eut  jamais  de  zèle 
j)lus  ardent  que  celui  dont  il  a  brûlé  pour 
la  conversion  des  pécheurs. 

C'est  à  nous  de  vuiiP  à  quoi  nous  oblige 


12-9 


AETRAITE  ECCLES.  —  XV.  —  ZELE. 


ce  grand  etertiple  qiio  lo  Fils  de  Dieu  dous 
a  laissé.  Que  sommos-nous,  et  quelle  o<t 
noire  condition? Nous  sommes  minisires  île 
Jésus-Christ.  Sommes-nous  de  dignes  mi- 
nistres, h  moins  que  nous  ne  soyons  pleins 
de  son  esprit?  Si  quelqu'un  n'a  pas  Tesprit 
de  Jésus-Christ,  dit  saint  Paul ,  j7  ncsl  pas 
à  lui.  {Hom. ,yill,  9.)  Vous  venez  de  voirqnel 
a  été  l'esprit  de  Jé-us-Christ.  Il  serait  lacile 
(le  vous  apporter  un  grand  nombre  de  pieu- 
ves  pour  vous  faire  voir  l'ardeur  de  son 
zèle.  Celles  que  vous  avez  entendues  sont 
sufTisantes  pour  vous  faire  connaître  que 
dans  toute  la  suite  de  sa  vie  il  a  toujours 
donné  de  nouveaux  témoignages  do  son 
zèle.  Si  vous  no  suivez  pas  son  exemple, 
Sun  esprit  ne  peut  être  en  vous,  et  par  con- 
sé(]uenl  vous  ne  pouvez  être  h  lui. 

Jésus  Christ  tout  [)lein  de  zèle  a  commu- 
niqué son  esprit  à  ses  apôtres,  et  les  a  rem- 
plis de  zèle  pour  bien  exercer  les  fonctions 
de  leur  état. 

Ce  zèle  était  absolument  nécessaire  aux 
apôtres.  11  fallait  sans  doute  un  zèle  très- 
grand  pour  bien  exécuter  lous  les  commaii- 
demenls  que  Jésus-Christ  leur  avait  impo- 
sés. Les  a[)ôlres  avaient  à  comparaître  de- 
vant les  rois  et  les  puissances  de  la  terre. 
(Matth.,  X ,  16.)  Des  hommes  timides  et 
dépourvus  de  zèle  auraient-ils  pu  se  résou- 
dre à  publier  la  foi  de  Jésus-Ciirist,  lorsque 
cette  foi  était  contredite  dans  lous  les  lieux 
du  monde,  lorsque,  pour  épouvanter  les  mi- 
nistres de  l'Evangile,  on  employait  les  plus 
terribles  menaces  ,  cl  qu'ils  ne  pouvaient 
espérer  d'autre  récompense  de  leurs  travaux 
que  des  supplices  très-rigoureux  ? 

La  première  disposition  dans  Inqueilc 
h  s  apôtres  devaient  e.  Irer,  e'él;iil  d"èlro 
l'réparés  à  consacrer  leur  vie  ù  tout  uioineiit 
pour  le  salut  de  leurs  fières.  Jésus-Christ 
leur  avait  dit  que  l'homme  ne  peut  donner 
îine  plus  grande  preuve  de  son  amour  ,  que 
d'immoler  sa  vie  pour  ses  amis.  {Joan.,  XV% 
23.)  Dès  quo  les  ajiôlres  se  sont  consacrés 
fi  Jésus  Christ ,  leur  plus  grand  désir  a  été 
de  donner  à  leurs  frères  cette  preuve  de 
leur  amour.  Tous  leshoujmes  sont  devenus 
leurs  amis.  Mais  des  amis  chéris  ,  des  auiis 
pour  qui  l'on  s'estime  heureux  de  prodi- 
guer sa  vie,  surlout  quand  il  est  question 
de  retirer  ceux  que  l'on  aime  des  voies  de 
l'erreur,  et  de  les  conduire  dans  le  chemin 
qui  mène  à  Dieu. 

Formez-vous  donc  une  juste  idée  du  zèle 
des  apôtres.  Admirez  en  eux  des  hommes 
généreux,  qui  ne  font  aucune  estime  de  leur 
vie,  et  qui  sont  toujours  prêts  à  s'immoler 
pour  retirer  leurs  fiôres  de  la  voie  de  l'é- 
garement. 

Ce  caractère  qui  convient  à  lous  les  apô- 
tres, est  manifestement  celui  de  saint  Paul. 
Il  ne  faut  qu'ouvrir  ses  Epîtres  pour  remar- 
quer que  son  zèle  généreux  a  toujours  été 
actom|)agné  de  cette  sainte  disposition. 

Quant  à  moi,  dit  saint  Paul  ,  volontiers  je 
me  .'sacrifierai  pour  vous  ,  quoique  vous  ne 
Correspondiez  point  à  mon  amour,  et  qu'en 
viùne  temps  r^ue  jevous  en  donne  des  marques 


.  (H 


très-sincères  ,  vous  vous  éloigniez  de  moi 
Cor,  XII,  15.) 

Remarquez  ces  paroles  de  saint  Paul,  ro- 
lontiers  je  me  sacrifierai.  Il  est  donc  très- 
sincèrement  disposé  à  donner  sa  vie.  A  qui 
est-il  prêt  de  donner  celle  preuve  de  son 
amour?  A  des  ingrals  (jui  ne  connai.<-sent 
poinl  le  bien  qu'on  leur  fait,  h  des  ingrals 
qui  souvent  vous  regardent  comme  leurs 
ennenn's  ,  pendant  que  vous  leur  donnez 
des  preuves  de  la  plus  sincère  et  do  la  [)lus 
solide  amitié. 

C'est  tro|)  peu  dire  que  saint  Paul  se  sa- 
criliera  volontiers.  Cette  expression  est 
troj)  faible,  et  ne  marque  pas  assez  la  géné- 
rosité (Je  cel  Apôlre.  Entendons-le  parler, 
il  nous  dira  qu'il  ne  peut  avoir  plus  de 
joie,  que  de  sacrifier  sa  vie  pour  fortifier  la 
foi  de  ses  frères.  5t'  je  suis  immolé  et  que  le 
prix  de  mon  immolation  soit  de  vous  avoir 
rendus  fermes  dans  la  foi  de  Jésus-Christ, 
c'est  pour  moi  un  sujet  de  joie,  et  je  vous 
félicite  fous  (Z^/tt7j/7. ,11, 17),  puisqu'il  ne  pou- 
vait vous  arriver  un  plus  parfait  bonheur. 
Quand  on  méditera  les  ex|)rfcSsions  de 
saint  Paul,  on  sera  convaincu  (ju'il  ne  peut 
y  avoir  de  désir  plus  ardent  q^e  celui  dont 
ce  saint  Apôtre  a  été  pénétré  de  convertir 
ses  Irères.  JSous  nous  sommes  abaissés,  dil 
l'Apôlie,  comme  des  enfants,  nous  avons  eu 
pour  vous  les  mêmes  sentiments  qu'une  mère 
qui  nourrit  et  qui  aime  lendrentenl  ses  enfants. 
Ainsi  dans  l'affection  que  nous  ressentions 
pour  vous,  nous  aurions  souhaité  de  vous 
donner  non-seulement  la  connaissance  de  l'E- 
vangile, mois  aussi  notre  j-ropre  vie,  tant 
était  grand  l'amour  que  nous  vous  portions. 
Vous  vous  souvenez,  mes  frères,  de  la  peine 
cl  de  la  fatigue  que  nous  avons  soufferte,  et 
comme  nous  vous  avons  prêché  l'Evangile  en 
trainillanl  jour  et  nuit  pour  n'être  à  charge 
àaucun  de  vous.  (Il  Thess.,  11,  7  et  seq.) 

Avez-vous  jamais  remarqué  plus  u'cin- 
pressemeiit,  plus  de  zèle,  ()lus  d'aujour? 
Son  zèle  l'oblige  à  prendre  toutes  sortes  de 
formes  pour  su  rendre  i^gréable  à  ses  frères. 
Il  s'abaisse;  il  se  réduit  à  la  condilioti  d'u:i 
enfant.  11  n'y  a  point  d'amour  plus  g'-aud, 
plus  empressé,  plus  actif  que  celui  d'une 
mère.  Tel  est  celui  de  saint,  Paul.  La  preuve 
solide  d'un  amour  elfeclil,  c'est  quand  on 
est  pièl  à  donner  sa  vie.  Vous  avez  déjà 
vu  plusieurs  lois  que  celte  disposilion  a  été 
conlinuello  ilans  le  cœur  du  s.iiul  Apôtre. 
Pourquoi  toutes  ces  inquiétudes,  puurqu<u 
tous  ces  empressements?  C'est  que  saint 
Paul  csl  |)énélré  d'amour  pour  ses  frères, 
Son  amour  est  si  fort  qu'il  ne  |ieut  se  per- 
mettre aucun  repos.  Il  travaille  jour  et 
nuit.  El  parce  qu'il  sait  qu'on  est  toujours 
plus  favorablement  reçus,  quand  ceux  pour 
qui  nous  travaillons  connaissent  clairement 
quo  c'est  leur  propre  utilité  que  nous  cher- 
chons, et  fion  point  la  nôtre,  saint  Paul  a 
eu  un  soin  très-particulier  de  n'être  point 
à  charge  à  aucun  de  ses  frères.  Si  vous  vou- 
lez vous  former  l'idée  d'un  véritable  zèle, 
cherchez-la  dans  ces  excellents  passages, 
il  Cil  dillicile  de  Iwe  alleiilionà  uq  zèle  sj 


l'2il 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


grand  et  de  ne  pas  se  reproclier  la  faiblesse 
du  noire. 

A'près  avoir  considéré  les  grands  exem- 
ples que  les  apôtres  nous  ont  laissés,  il  y 
en  a  encore  une  infinité  d'autres  qui  se 
présentent  5  nous,  et  lesquels,  étant  exami- 
nés avec  attention,  auront  beaucoup  do 
force  pour  échauffer  notre  zèle. 

Méditons  souvent  les  actions  héroïques 
de  ces  grands  évêques  des  premiers  siècles, 
lesquels,  étant  les  successeurs  des  apôtres, 
ont  été  aussi  les  héritiers  de  leur  zèle  et 
de  leur  vertu. 

Parmi  le  grand  nombre  d'exemfiies  que 
je  pourrais  vons  proposer,  il  i'aut  nécessai- 
rement se  borner  à  quelques-uns. 

Jetons  les  yeux,  par  exemple,  sur  un 
saint  Cyprien.  Son  zèle  a  paru  parliculière- 
ujent  dans  ce  qu'il  a  généreusement  entre- 
pris, pour  soutenir  la  discipline  de  l'Eglise, 
que  des  hommes  lâches  et  mal  inleniionnés 
s'efforçaient  d'amollir,  afin  de  s'exempter  de 
subir  les  lois  pénibles  mais  salutaires  de  la 
pénitence.  C'est  ce  qui  a  donné  occasion  à 
ce  grand  évêque  d'écrire  ces  lettres  pleines 
d'une  vigueur  a()Oslolique ,  qui  ont  été 
l'admiration  de  tous  les  siècles.  Que  l'homnjo 
Je  plus  tiède  lise  ces  excellentes  lettres,  il 
est  impos-ible  ç|u'il  rie  se  sente  animé. 
Faites-en  l'expérience.  Dans  le  temps  que 
votre  zèle  se  ralentira,  lisez  les  lettres  de 
saint  Cyprien,  lisez  l'admirable  traité  q<j'il 
a  composé  pour  relever  ceux  qui  étaient 
tombés  dans  le  temps  de  la  persécution  ; 
je  maintiens  que  vous  ne  pouvez  vous  ap- 
pli()uer  sérieusement  à  cette  sainte  lecture 
sans  sentir  un  grand  désir  de  voir  naître  en 
vous  les  nobles  sentiments  dont  ce  grand 
évêque  était  rempli,  lorsqu'il  a  écrit  avec 
tant  de  force  sur  ces  importantes  matières. 
Vous  voyez  un  saint  qui  ne  respire  que 
de  combattre  pour  Jésus-Christ.  «Quand 
nous  sommes  enrôlés  dans  la  milice  du  Sei- 
gneur, ce  n'est  pas,  dit  ce  saint  évêque, 
iiour  vivre  tranquillement  et  pour  jouir  de 
la  paix.  Comment  serions-nous  assez  lâches 
pour  refuser  de  conjbaltre  ,  puisque  nous 
avons  Jésus-Chrisl  pour  chef,  dont  l'exem- 
ple a  tant  de  force  pour  nous  encourager 
(32)  ?  » 

Vous  voyez  un  caractère  d'intrépidité  qui 
lient  constamment  pour  la  règle,  et  qui  no 
s'en  écartera  jamais,  quelques  eiforls  que 
les  méchants  emploient  pour  l'obliger  à 
s'en  éloigner.  Car,  dit  ce  saint ,  comment 
les  outrages  et  les  vains  efforts  des  mé- 
chants feraient-ils  quelque  impression  sur 
nous.  Quelle  force  peuvent-ils  avoir  pour 
nous  faire  quitter  la  droite  voie,  depuis 
que  le  saint  Apôire  nous  a  enseigné  que 
celui  qui  a  de  lâches  complaisances  pour 
les  hommes,  n'est  point  serviteur  do  Jésus- 
Christ  (33). 

(Zi)  «  Nequecniin  sic  nomcn  niililiœ  dcdimns,  ul 
pacem  laiituminodo  cogilare  et  recusaie  militiaiu 
delieaimis.  t  (Epist.  56.) 

(53)  «  Ncc  iiioverciios  dcbciUcoiivieia  pcrtlitonim, 
(jiioiiiinus  a  via  rcuia  et  a  eorla  re;;ula  non  recciin- 
uius,  (juaiido  Cl  AiJUblvlus  inslruai  diccas  ;  Si  ho- 


lîi2 

Entendez  ce  saint  évoque  parler  à  ceux 
qui  avaient  lâchement  cédé,  et  qui  étaient 
obligés  de  réparer  une  f:îule  si  criminelle 
par  de  rigoureuses  pénitences.  Il  leur  fait 
voir  qu'il  n'y  a  point  d'autre  voie  de  se 
réconcilier  avec  le  Seigneur,  que  d'expier 
leurs  péchés  parla  |)éniience.  Il  leur  ap- 
prend que  si  des  ministres  flatteurs  eiitre- 
l>rennent  de  les  réconcilier,  avant  qu'ils 
aient  fait  pénitence,  ils  ne  leur  donnent 
pas  la  paix,  mais  bien  plutôt  ils  leur  font 
une  cruelle  guerre. 

Que  sont,  selon  saint  Cyprien,  ces  minis- 
tres timides  et  coiii[)[aisanls,  qui  prétendent 
aplanir  les  voies  rigoureuses  que  les  pé- 
cheurs doivent  nécessairement  suivre  pour 
obtenir  leur  pardon.  Ils  sont  à  ces  miséra- 
bles pécheurs  ce  que  la  grêle  est  aux 
grains,  les  mauvaises  influences  de  l'air 
aux  arbres,  la  peste  aux  trouptaux,  la  tem- 
pête à  ceux  qui  sont  sur  mer.  Saint  Cyprien 
arrête  ces  pécheurs  ,  et  il  leur  déclare  que 
s'ils  osent  approcher  des  saints  mystères, 
ils  feront  violence  au  corps  et  au  sang  de 
Jésus-Christ,  et  qu'ils  offenseront  le  Sei- 
gneur plus  grièvement  que  quand  ils  ont 
été  assez  lâches  pour  le  renoncer  (34). 

Combien  faut-il  qu'un  saint  Grégoire  de 
Néocésarée  ait  travaillé  pour  convertir  un 
peuj)le  entier,  dont  il  est  établi  le  pasteur? 
Parmi  la  grande  multitude  d'idolâtres  qui 
sont  confiés  à  ses  soins  ,  il  n'y  en  a  que 
dix-sept  qui  connaissent  Jésus-Christ.  Vous 
savez  quel  fut  le  grand  succès  de  ses  tra- 
vaux infaligables.  Lors(juc  Dieu  l'appelle  à 
lui  pour  le  couronner,  tous  reconnaissent 
Jésus-Christ,  et  il  n'y  en  a  que  dix-sepl 
qui  restent  ensevelis  dans  les  ténèbres  de 
l'idolâtrie. 

Voulez-vous  voir  un  saint  Atlianase  les 
armes  à  la  main  contre  les  enieuiis  de  la 
divinité  de  Jésus-Christ?  Il  commence  à 
soutenir  la  vérité  n'étant  encore  que  diacre. 
Quand  il  est  élevé  à  l'épiscopat,  il  se  croit 
obligé  de  faire  de  plus  grands  efforts  pour 
la  défendre.  Des  hommes  puissants  se  lais- 
sant conduire  par  leur  malignité  et  par  leur 
fureur,  inventeront  tout  ce  qu'ils  pourront 
imaginer  de  plus  cruel,  pour  persécuter 
'.;e!ui  qui  est  devenu  leur,  ennemi  en  dé- 
fendant la  vérité.  Les  calomnies  les  plus 
outrageantes  ne  serontjioint  épargnées.  La 
force  et  la  violence  seront  employées  pour 
éloigner  le  vrai  pasteur.  Il  sera  obligé  de 
se  cacher  et  de  se  dérober  à  la  fureur  de 
ses  ennemis.  Il  gémira  de  voir  ses  brebis 
exposées  à  la  fureur  des  loups.  Cédcra-l-il 
pendant  un  seul  moment  ?  Son  courage  sera- 
t-il  abattu?  Bien  loin  de  cela,  il  puise  do 
nouvelles  forces  dans  les  persécutions.  Les 
attaques  violentes  et  continuelles  de  ses 
ennemis  le  rendent  ])lus  ardent.  Elles  lui 
inspirent  un  zèle  nouveau  de  consacrer  ses 

minibus  ])lacercm,Clirisli  servus  non  essem.tlGalal., 
1,  10.) 

(3i)  «  Hoc  sunt  ejusmodi  lapsis,  quod  grando 
fi  u^il)iis,  <  le.  Vis  inlerlur  corpori  el  sanguini,  el 
plus  in  Domiiiuni  delinquiint  quam  cum  Uomiimiu 
iic^avcruat.  »  (Ik  Inpsis.} 


«3 


RETRAITE  ECCLES.  —  XV. 


ZELE. 


1214 


travclux  el  sa  vie  pour  lo  défense  de  la  vé- 
rité. 

.  Vovrz  dans  la  même  cause  un  saint  Hi- 
laire  snulenonl  les  plus  rudes  travaux  pour 
maintenir  ce  que  l'E^iise  a  d^Tuii  dans  le 
grand  concile  de  Nicée.  Quelle  aflliclion 
pour  ce  saint  évôtiue  de  voir  les  artifices 
honteux  que  les  hérétiques  employaient 
fiour  colorer  l'erreur!  Son  cœur  est  percé 
de  douleur  !ors(iu'i:  remarque  les  progrès 
de  riiérésie,  el  les*vicloir(  s  (nrdle  rempor- 
tait. Il  a  bien  la  hardiesse  au  milieu  des 
enneu)is  de  la  vérité,  dans  le  palais  même 
d'un  empereur  qui  protégeait  l'erreur,  de 
se  présenter,  de  diTier  ses  adversaires  ,  de 
parier  avec  une  force  merveilleuse  pour  la 
défense  de  sa  cause.  Ce  saint,  quoi(]ue  seul, 
est  ri'douté  par  la  multitude  de  ses  adver- 
saires. Ils  n'osent  accepter  le  combat  qui 
Jeur  est  offert.  Les  calomnies  qui  sont  les 
armes  ordinaires  de  ceux  qui  sentent  leur 
faiblesse,  sont  employées,  pour  obtenir  que 
Je  saint  soit  renvoyé  dans  les  Gaules,  oii  il 
est  reçu  comme  le  méritait  celui  qui  avait 
si  généreusement  combattu  pour  maintenir 
Ja  véritable  foi,  et  pour  me  servir  des  ter- 
mes de  saint  Grégoire  de  Nazianze  (orat. 
10,  |).  168),  l'affront  que  ses  ennemis  veulent 
lui  faire  lui  devient  plus  honorable  que 
Ijute  la  gloire  qu'il  avait  remportée. 

Contemplons  pendant  un  moment  l'exem- 
ple d'un  grand  saint,  dont  les  paroles  et 
l'autorité  nous  servent  si  souvent  à  confir- 
mer les  max'imes  que  nous  vous  annonçons. 
Je  veux  [larler  de  saint  Augustin.  Faut-il 
d'autres  preuves  de  son  zèle  (jue  ses  admi- 
rables écrits?  Co-mbien  de  discours  compo- 
sés pou<  l'instruction  de  son  i)eu|)le,  qui 
font  voir  la  grande  attention  qu'il  avait  à  le 
nourrir  de  la  sainte  parole  du  Suigneur? 
Combien  de  doctes  traités  pour  défendre  la 
vérité  contre  un  si  grand  nombre  li'héréli- 
ques  qui  l'ont  attaquée  de  son  temps?  Tant 
d'ouvrages  sur  un  si  grand  nombre  de  ma- 
tières ne  peuvent  être  que  le  fruit  d'un  tra- 
vail assidu  et  d'une  application  cunlinuelle. 

Saint  Augustin  pleinement  occupé,  n'ayant 
plus  aucun  moment  dont  il  pût  disposer, 
est  encore  sollicité  de  prendre  les  armes 
pour  s'opposer  aux  derniers  elfurts  d'un 
hérétique  uu'il  av.iit  déjà  tant  de  fuis  vaincu. 
Il  répond  (ep.  22i)  h  celui  qui  lui  envoie 
les  livres  de  cet  hérétique,  que  tous  ses 
jours  sont  pleins,  qu'il  ne  peut  otfrir  que 
le  temps  de  son  sommeil  pour  s'appliquer  à 
ce  nouvel  ouvrage.  Quoiqu'il  ne' consacrât 
à  son  repos  que  le  temps  absolument  né- 
cessaire, il  est  tout  prêt  de  l'abréger.  Il  a 
trop  do  zèle  f.our  délaisser  l'Eglise.  Après 
avoir  toujours  combattu  pour  elle  ,  il 
ne  l'abandonnera  j)as,  pendant  qu'elle  a 
besorn  de  son  secours  pour  repousser  les 
attaques  de  ses  ennemis.  C'est  là  ce  qui  s'ap- 
pelle avoir  un  véiilable  zèle.  Se  croire 
obligé  de  travailler  continuellement,  n'être 
point  5  soi,  se  donner  tout  entier  au  pro- 
chain ;  être  toujours  vigilant,  toujours  prêt 
à  secourir  l'Eglise  dans  ses  besoins. 

Pour  laite   voir  que  Dieu  dans  tous  les 


temps  a  eu  des  servilenrs  zélés,  après  les 
anciens  esenq)los  que  vous  venez  d'admi- 
rer, je  vous  en  proposerai  un  autre  plus 
nouveau  el  qui  vous  doit  d'autant  plus  lou- 
cher que  nous  l'avons  jtresque  vu  de  nos 
yeux. 

On  ne  peut  guère  tailer  du  zèle  qu'on 
ne  se  souvienne  de  celui  de  saint  Charles, 
ce  saint  homme  que  Dieu  a  donné  h  son 
Eglise  pour  réveiller  le  zèle  presque  assoupi 
de  tant  d'ecclésiastiques,  jiour  rétablir  l'an- 
cienne et  exacte  discipline  dans  sa  force  e 
dans  sa  vigueur.  Le  zèle  ne  peut  guère' 
aller  plus  loin  que  celui  de  ce  saint  évêque. 
Donner  toute  son  application  à  sauvtu'  les 
timcs  rachetées  du  sang  de  Jésus-Christ, 
exciler  (es  pasteurs,  les  instruire  de  leurs 
plus  importants  devoirs,  montrer  aux  bre- 
bis égarées  les  routes  de  salut,  avoir  la  prin- 
cipale [)art  dans  les  atl'aires  les  plus  impor- 
tantes de  l'Eglise,  et  tenir  toujours  cons- 
tamment pour  la  règle,  ne  se  servir  de  sou 
créd.t  que  pour  maintenir  la  justice  et  pour 
eppuyer  la  vérité,  se  dépouiller  de  tous  ses 
revenus  pour  soulager  les  pauvres,  immoUr 
mille  fois  sa  vie  pour  secourir  son  peu|)le 
que  le  Seigneur  avait  frappé,  unir  ensemble 
la  vigilance  d'un  pasteur,  la  charité  d'un 
père,  l'austérité  d'un  pénitent.  Etre  humble 
au  milieu  des  grandeurs,  rigoureux  sur  soi- 
même  au  milieu  des  délices,  intrépide  au 
milieu  du  péiil,  se  rendre  pauvre,  quand 
on  est  comblé  de  richesses.  Quel  exemple 
do  zèle  I 

Ces  grands  saints  et  tant  d'autres  <iue  jo 
pourrais  citer  ont  é;é  les  colonnes  de  l'E- 
glise. Ils  ont  défendu  Jérusalem,  leurs  gé- 
néreux combals  seront  un  monument  éter- 
nel de  la  puissance  souveraine  de  Dieu  qui 
a  inspiré  ces  hommes  extraordinaires,  et  de 
lafidéliiéde  ces  serviteurs  zélés  qui  sont  en- 
trés si  parfailenient  dans  les  intentions  do 
lour  maître,  et  qui  les  ont  si  courageusement 
exécutées. 

Ces  saints  pasteurs  sont  de  grands  modèles 
que  Dieu  nous  a  laissés.  Nous  sommes  obli- 
t'és  de  les  imiter.  Comment  nous  acquittons- 
nous  de  celte  obligation  ?  quel  sujet  de  con- 
fusion |)our  nous  I  La  comparaison  du  zèlo 
des  saints  avec  notre  lâcheté,  en  faut-il 
davantage  pour  nous  condamner  ?  Car  pou- 
vons-nous douter  que,  dès  que  nous  sommes 
honorés  du  caractère  ecclésiastique,  Diea 
ne  demande  de  nous  que  nous  ayons  ce  zèle 
ardent,  et  que  ce  ne  soil  une  de  nos  prin- 
cipales obligations? 

Il  est  aisé  de  voir  par  la  manière  dont 
Jésus-Clirist  s'est  ex|)liqué,  que  les  lièdes 
sont  ses  ennemis.  Votre  caractère,  c'est  la 
tiédeur.  Vous  voilà  donc  semblable  à  celui 
quÈ  Jésus-Christ  accuse  dans  VApocatypse, 
el  à  qui  il  fait  de  très-sévères  reproches. 
Ecouli'Z  quel  en  est  le  fondenicnl.  Je  sais 
quelles  sont  vos  œuires,  que  tous  nêles  ni 
froid  ni  chaud.  Je  souluiileruis  que  vous  fus- 
siez ou  froid  ou  chaud,  mais  parce  que  vous 
éles  tiède,  jcsuisprél  de  vous  vomir  de  ma  bou- 
che. (Apoc,  m,  15.)  , 
Voilà  lo  caiaclèro  delà  tiédeur  bicit  mur- 


1-2 15 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1216 


que'.  Il  faut  que  co  cnracière  soit  bien  in- 
supportable h  Jésus-CIirist,  puisqu'il  mar- 
que qu'un  homme  enlièrement  froid  lui 
serait  moins  désagréable  que  celui  qui 
est  tiède.  Que  la  punition  qui  doit  être 
exercée  contre  ceux  qui  sont  dans  ce 
malheureux  état  nous  en  donne  une  juste 
horreur 

Mais  examinez-vous  vous-même,  el  voyez 
si  /ous  n'êtes  point  au  rang  des  tiôdes.  En 
quel  autre  rang  donc  pourriois-nous  vous 
placer,  pendant  que  vous  n'avez  que  du 
l'indifférence  pour  le  b'eii  ?  Vous  ne  tom- 
bez pas,  diles-vous,  dans  de  grands  crimes, 
et,  parce  que  voire  vie  est  exenifito  des  ex- 
cès les  plus  criminels,  vous  vous  (lallcz,  et 
vous  vivez  dans  une  maUieiireuse  sécurité. 
Je  dis  une  malheureuse  sécu-'ité;  puisque 
sans  être  coupable  des  grands  crimes,  on 
déplaît  h  Dieu,  quand  on  n'a  aucune  ardeur 
pour  pratiquer  le  bien. 

Mais,  ajoutons  qtie  vous  vous  tromm^z, 
quand  vous  osez  soutenir  que  vous  ne  tom- 
bez pas  dans  les  grands  crimes.  Car  n'eu 
est-ce  ()as  un  que  de  languir  dans  la  tiédeur, 
et  que  de  n'avoir  aucun  zèle?  La  seule  ma 
iiière  dont  Dieu  s'explique  contre  ceux  (jui 
sont  dans  ce  malheureux  état,  ne  mar(^ui!- 
l-elle  pas  assez  (luelle  en  est  I  énormilé,  et 
riiorreur  qu'on  en  doit  avoir? 

La  plupart   des  lièdes   ont   un    principe 
faux  et  qui  les  entretient  dans  leurs  crimi 
nelles  erreurs.  Ils  croient  que  l'Iiomme   ne 
répond  que  de  lui,  et  que,  quand  un   liom 
me  travaille  pour  lui»mèuju,  Dieu  ne  lui  en 
demande  [las  davantage. 

Saint  Chrjsostome  s'est  allsclié  particu- 
lièrement à  réfuter  ce  l'aux  jirinciiie.  Il  en- 
seigne que  tout  lionnue  qui  ne  travaille 
point  au  salut  de  son  |)rocliain,  hasarde 
son  propre  saint.  Pourquoi  sain!  Chrysos- 
tome  (liom.  59  in  Mallh.)  s\i\)\iosc-\-\\  celte 
maxime  coraine  certaine?  C'est  (ju'il  était 
convaincu  de  la  nécessité  oij  nous  sommes 
d'avoir  du  zèle,  et  que  le  premier  elFel  de 
ce  zèle,  c'est  de  travailler  au  salut  de  noire 
prochain. 

Dans  un  combat,  continue  saint  Chry- 
sostome,  si  un  homme  se  sépare  des  autres, 
sa  perte  est  inéviiabie.  Mais  s'il  se  joint 
avec  les  autres  soldais,  et  qu'il  deuîeuro 
constamment  uni  avec  ses  compagnons,  en 
combattant  pour  eux,  il  combattra  pour 
lui-même,  et  il  conservera  sa  propre 
vie. 

Cetie  obligation  de  travailler  au  salut  des 
outres,  selon  saint  Clnysostome,  est  com- 
mune à  tous  les  chrélie'is.  Elle  est  donc 
encore  plus  grande  à  l'égard  des  ecclésias- 
tiques. 

Ressouvenez-vous  souvent  do  l'institu- 
tion de  votre  saint  ministère.  Jésus-Christ 
n'a  eu  d'autre  vue  en  consacrant  ses  mi- 
nistres, que  de  les  envoyer  dans  le  champ 
de  son  Eglise,  pour  ôlre  continuellemen* 
appliqués  à  le  cultiver  :  Allez,  je  vous  en 
voie.  [Luc. y  X,  3.)  Voilà  les  premières  paro- 
les de  Jésus  Christ  à  ses  apôtres,  et  qu'il 
répète  continuellement  à  tous  ceux  qui  leur 


surcèdent  dans  le  ministère  ecclésiasti- 
que, 

Jésus  Christ  ne  veut  au  rang  do  sos  mi- 
nistres que  ceux  qui  sont  sincèrement 
f)rêts  d'entrer  dans  son  esprit,  c'esi-h-dire, 
qui  sont  pleins  de  zèle,  etqui  souliailentavec 
ardeur  d'ôlre  utiles  h  leurs  frères. 

Que  tout  homme  qui  a  du  zèle  pour  la  loi, 
vienne  après  moi.  (I  Mac,  11,27.)  C'est  ainsi 
(pie  Malhalhias  parlait  à  ceux  qu'il  voulait 
(lisposer  <i  le  suivre.  Jésus-Christ  le  dit  en- 
core plus  fortement  h  ceux  qui  ont  quel- 
«pie  désir  de  se  |)lacer  au  rang  de  ses  mi- 
nistres :  Que  tout  homme  qui  a  du  zèle  pour 
la  loi,  vienne  après  moi.  Que  ceux-là  donc 
(pli  n'ont  point  de  zèle,  n'entreprennent 
fioint  de  venir.  S'ils  se  présentent  sans 
celte  essentielle  disposition,  ils  seront  re- 
jetés comme  des  téméraires. 

Je  ferai  alliance  avec  lui,  je  lui  donnerai 
la  qualité  de  prêtre.  Cet  auguste  titre  passera 
(le  lui  à  ses  descendants,  parce  qu'il  a  eu  du 
zèle.  {Num.,  XXV,  13.)  Voilà  donc  l'estime 
(pie  Dieu  fait  de  celle  vertu,  et  de  quelle 
nécessité  elle  est  pour  ceux  que  Dieu  ho- 
nore de  son  sacerdoce. 

Nul  homme  ne  peut  ôlre  sauvé  sans 
avoir  l'amour  de  Dieu.  Un  [irêtre  ne  peut 
avoir  ram)Mr  de  Dieu,  s'il  ne  travaille 
ellicacemeiit  pour  ses  frères.  Si  vous  avez 
l'aniour  (le  Dieu,  voici  la  première  pieuve 
(pi'd  vous  en  deniande  :  avez-voiis  soin  de 
votre  procliain  ,  el  avpz-vous  de  l'iirdeur 
pour  sa  sanetilication  2 Pierre,  m' aimez-vous? 
Paissez  mes  brebis.  [Joun.,  XXI,  15.)  Paître 
les  brebis  di;  Jésus-Christ,  c'est  donc  la 
preuve  par  laquelle  Dieu  veut  connaî- 
tre si  les  pasteurs  oui  do  l'amour  pour 
lui. 

Jésus-Christ  inleri'Oge  saint  Pierre.  Il 
connaissait  parfaitoinenl  le  seiiliinenl  de  cet 
apôtre;  mais  il  voulait  pour  jamais  ensei- 
gner qu'on  n'a  véritablement  smi  amour 
<|u'autant  qu'on  s'applique  avec  zèle  à  la 
saiictilicatiou  de  son  proidiain. 

Il  ne  dit  point  :  si  vous  m'aimez,  vous 
jeûnerez,  vous  prierez,  etc.;  cela  ne  snflirait 
pas.  Ce  serait  ne  travailler  que  pour  soi.  Il 
faut  aller  plus  loin,  il  faut  travailler  pour 
les  autres.  Sans  cola  or.  n'avance  point,  et 
l'on  manque  à  un  de  ses  devoirs  les  plus 
essentiels.  Ces  preuves  incontestables  éla- 
blissent  la  nécossilé  du  zèle.  Il  faut  mainte- 
nant en  examiner  les  qualités.  C'est  mon 
second  point. 

DEUXIÈME  POINT. 

Qui  dit  un  homme  zélé,  dit  un  homuie 
ferme,  ardent,  désintéressé,  |irudenl,  per- 
sévérant. Ce  sont  les  princi[)alcs  qualités 
du  zèle.  Entrons  dans  le  détail,  et  exami- 
nons comment  le  zèle  ne  peut  être  vérita- 
ble, à  moins  qu'il  ne  soit  accompagné  des 
qualités  que  je  viens  de  vous  marquer. 

Un  ecclésiastique  zélé  est  un  homme 
ferme  ;  car  un  ecclésiastique  zélé  est  ua 
liomme  qui  n'a  qu'une  seule  crainte,  qui 
est  d'encourir  la  disgrâce  de  Jésus-Ciinsl, 
Toutes  les  considérations  humâmes   n'ont 


<217 


fiETUAlTE  ECCLES.  —  XV.  —  ZELE. 


l2tS 


(Je  force  sur  son  esprit  que  pnr  rapport  h 
Jésiis-Clirist.  Il  n'y  a  rien  qui  puisse  le 
(lélourner  de  la  droite  voie.  Ses  devoirs 
sont  sa  loi.  C'est  une  règle  qu'il  ne  perd 
j^iniais  de  vue.  La  résolution  de  suivre  ses 
devoirs  est  un  principe  ferme  qui  le  guide 
dans  toutes  ses  actions,  et  dont  il  ne  s'é- 
carle  jamais. 

Ah  !  qu'un  ministre  de  Jésus-Christ  est 
fort  lors(iue  les  vues  iiumaines  n'ont  plus 
de  pouvoir  sur  lui,  et  qu'il  n'a  qu'un  seul 
désir  qui  est  de  plaire  à  Jésus-Christ.  Lors- 
qu'un ecciésias:i(iufi  est  dans  cette  heu- 
reuse disposition,  les  menaces  ne  l'épou- 
vanienl  point,  les  récompenses  et  les  biens 
de  la  terre  ne  le  touchent  point. 

Qu'est-ce,  au  contraire, qu'un  ecclésiasti- 
que timide  ou  ambitieux?  La  ciainte  ou 
l'espérance  ébranleront  ses  résolutions  les 
plus  fermes.  Vous  craignez  les  menaces  de 
cet  Iiomme  qui  prétend  vous  épouvanter. 
Quoi  donc!  pai\e  que  vous  craignez,  vous 
serez  assez  lâche  pour  troiiir  vos  de- 
voirs (33)  ?  S'il  en  est  ainsi,  dit  saint  Cy- 
I-rien,  si  nous  sommes  susceptibles  de 
crainte,  lorsque  les  méchanis  nous  mona- 
renl,  si  la  justice  succombe  sous  les  elforts 
téméraires  do  ceux  qui  entre()rennent  de 
l'opprimer,  où  donc  est  la  fermeté  qui  doit 
paraître  dans  les  ministres  de  Jésus-Ciirisl  ? 
Un  prêtre  qui  lient  entre  ses  mains  l'Evan- 
gile, et  qui  est  lidèle  h  Jésus-Cluisl,  peut 
êiremis  a  uioit,  mais  jamais  il  ne  peut  être 
vaincu. 

Un  prêtre  doit  donc  avoir  de  la  fermeté, 
et  cette  fermeté  est  une  vertu  qui  rend 
J'homme  inébranlable,  quand  il  s'agit  de 
maintenir  les  règles,  et  de  s'opjioser  à  l'in- 
justice. Que  pourrait  craindre  celui  qui  est 
prêt  à  sacrifier  jusqu'à  sa  propre  vie? 

Lisez  dans  l'histoire  ecclésiastique  la 
belle  et  éditiante  conversation  d«  saint 
Basile  avec  le  préfet  Modeste  (3G).  Cet  hom- 
me est  envoyé  pour  emi)loyer  les  derniers 
t'ilurts  au|)rès  de  saint  Basile.  Il  n'y  a  au- 
cun moyen  qu'il  ne  mettre  en  usage  pour 
engager  ce  saint  évOque  à  ne  plus  défen- 
dre la  vérité  avec  son  zèle  ordinaire.  Il 
lui  jiropose  des  prétextes  spécieux,  pour 
jiou  qu'il  veuille  céder,  il  peut  tout  attendre 
de  la  munilicence  de  l'empereur.  Le*  me- 
naces succèdent  aux  promesses.  Car  voilà 
o(x  se  réduit  tout  le  pouvoir  des  hommes. 
Saint  Basile  est  toujours  également  ferme, 
.et  il  parle  au  préfet  avec  toute  la  force  que 
demandait  l'importance  de  la  vérité  dont 
Dieu  l'avait  établi  le  défenseur. 

Le  préfet  lui  dit  qu'il  lui 'enlèvera  ses 
biens.  Celui-là,  réjiond  saint  Basile,  qui  ne 
possède  rien,  ne  craint  point  qu'on  le  dé- 
pouille des  biens  de  ce  inonde. 

Le  préfet  le  menace  de  l'exil  ;  Basile  ne 
le  craint  point  ;  il  se  regarde  comme  un 
étranger  sur  la  terre,  il  sait  que  toute  la  terre 

(55)  <  QuoJ  si  i(u  res  ut  ncquissimorum  tiineulur 
auilaci;!,  cl  quud  iiiali  juieac  ceqiiilale  dwii  possuiit, 
leueriiale  ac  desperalioii.:  p  rliciaat,  acium  est  de 
tpistopal'js  vigoie.  Sacerdos  DeiEvangelium  leii.  us 


appartient  au  •Seigneur,  et  que  Dieu  se  trouve 
également  dans  Ions  les  lieux  du  monde 
pour  soutenir  ses  fidèles  serviteurs. 

Le  préfet  en  vient  jusqu'à  le  menacer  do 
lui  faire  perdre  la  vie.  Saint  Basile  lui  ré- 
pond qu'il  regarde  la  mort  comme  un 
bien,  parce  qu'elle  l'unira  plus  tôt  à  son 
Dieu. 

Saint  Basile  ajoute  qu'il  fait  profession 
d'être  le  plus  soumis  et  le  plus  obéissant  de 
tous  les  hommes  aux  ordres  de  l'empe- 
reur. Quand  il  ne  sera  point  question  de 
devoirs  essentiels,  nous  serons  doux,  cora- 
|)laisanis,  nous  nous  abaisserons  comme 
notre  loi  nous  le  prescrit.  Nous  serions 
très-facliés  de  faire  paraître  aucune  fierté, 
non-senlemenf  à  l'égard  des  empereursqui 
sont  nos  maîtres,  mais  même  à  l'égard  du 
dernier  de  tous  les  hommes.  Mais,  quand  il 
s'agit  des  iiilérèts  de  Dieu,  nous  no  con- 
naissons plus  aucune  considération  hu- 
maine, et  nous  ne  regardons  que  Dieu  seul. 
Les  touimenls  les  plus  alfreux,  bien  loin 
de  nous  eti'rayer,  font  nos  délices.  Menacez, 
faites-nous  toutes  sortes  iToutrages,  servez- 
vous  de  tout  votre  pouvoir,  adressez-vous 
à  l'empereur,  vous  ne  gagnerez  rien.  Quand 
vous  nous  feriez  des  menaces  encore  plus 
cruelles,  vous  ne  viendrez  jamais  à  bout 
de  nous  faire  souscrire  à  une  doctrine 
im()ie. 

Le  préfet,  peu  accoutumé  à  trouver  des 
hommes  assez  courageux  f)Our  lui  résister, 
dit  à  Basile,  que  jamais  homme  ne  lui  a 
parlé  de  celle  sorie.  La  réponse  de  saint 
Basile  est  connue,  mais  elle  est  si  belle 
qu'elle  ne  peut  èlre  trop  souvent  et  méditée 
et  répétée.  C'est  peut-être,  dit  saint  Basile, 
que  vous  n'avez  jamais  parlé  à  aucun  évo- 
que. C'est  donc  à  dire  qu'un  ministre  do 
Jésus-Christ  doit  être  prêt  de  défendre  la 
vérité  avec  le  même  courage  que  saint  Ba- 
sile, et  que  tout  homme  qui  n'est  pas  dans 
celle  généreuse  disposition,  n'est  [las  digne 
de  [irendre  [ilace  oarmi  les  ministres  da  Jé- 
sus-Christ. 

Caractère  de  générosité  qui  déplaît  aux 
liommes  lorsqu'on  résiste  à  leur  volonté, 
mais  néanmoins  celte  générosité  a  quelque 
chose  de  si  grand,  que  souvent  ceux-là 
même  à  qui  l'on  s'est  le  plus  fortement  oj)- 
l)0sé,  ont  été  forcés  de  l'admirer,  témoin 
l'empereur  Théoduse  (37),  qui  nefutjama.s 
plus  frappé  de  la  vertu  de  saint  Amhroise, 
que  lorsque  ce  saint  évoque  lui  résista  avec 
un  courage  inébranlable.  Je  ne  connais, 
dit-il,  qu'Ambroise  qui  soi!  véritablement 
évêque.  Voilà  l'aveu  sincère  qu'un  empe- 
reur est  obligé  de  faire,  dans  le  temps 
qu'un  évoque  courageux  lui  déclare  avec 
fermeté,  qu'il  est  prêt  à  immoler  sa  vie  plu- 
tôt que  de  céder  à  ses  volontés. 

Où  sont  donc  les  ministres  de  Jésus- 
Christ  qui  ont  du  zèle?  Examinez  le   vôtre. 

el  Clirisli  praccepta  cuslodiens,  occidi  polest,  non 
polesl  viiici.  >  (Ep.  55.) 

(5(j)  ApuJ  S.  Gicgor.  iN;iz.,  oral.  20,  p.  349,  elc. 

(ô'i)  TiiiLou.  i.  V  tiibt.,  cap.  18. 


1^2:9 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


i220 


Esl-il  accompagne'  do  colio  fermeté  qui  ne 
rèdejainais  quand  il  est  question  de  défendre 
la  vérité?  Pour  avoir  cette  fermeté,  il  faut 
être  au-dessusde  toutes  les  récompenses,  il 
faut  être  supérieur  à  toutes  les  menaces,  il 
faut  en  un  mot  ne  rien  attendre  que  de 
Dieu,  et  ne  rien  craindre  que  de  lui  dé- 
pi  iiire. 

Un  prêtre  no  peut  être  zélé  qu'il  ne  soit 
ardent;  qui  dit  zèle,  dit  empressement,  dit 
activité,  dit  ardeur.  Le  zèle  et  la  tiédeur 
sont  incompatibles  et  se  combattent  l'un 
l'autre,  c'est-à-dire,  que  celui  qui  a  du 
zèle  doit  sentir  en  son  âme  une  vive  ardeur 
qui  s'enf]amme  et  s'échauffe  toutes  les  fois 
que  le  Seigneur  nous  ouvre  les  voies  d'agir 
pour  lui.  Le  prophète  Jérémie  (XX,  9) 
sentait  en  lui  cette  ardeur,  quand  il  disait  : 
Un  feu  Irès-ardent  s'est  allumé  au  milieu  de 
mon  âme,  ce  feu  me  consume,  cl  je  ne  puis 
presque  plus  en  supporter  l'ardeur. 

Vous  avez  remar(|ué  ce  zèle  accompagné 
d'ardeur  dans  la  conduite  que  Jésus-Christ 
a  tenue  à  l'égard  des  pécheurs;  vous  avez 
vu  ce  qu'il  a  fait  pour  eux,  comment  il  les 
cherchait,  comment  il  se  trouvait  à  leurs 
festins,  afin  d'avoir  lieu  de  les  inviter  à  la 
pénitence. 

Cet  exemple  vous  fait  voir  qu'un  prêtre 
doit  particulièrement  exciter  son  zèle,  et 
échauCfer  son  ardeur  à  la  vue  de  tant  de  [lé- 
cheurs  qui  s'.égarent  dans  la  voie  de  l'ini- 
quité. Celui-là  peut-il  dire  qu'il  a  du  zèle 
<)ui  dimeure  tranquille  et  indifférent,  pen- 
dant que  son  frère  se  perd?  Nous  ne  pou- 
vons nous  dissimuler  b.^s  iniquités  du 
monde.  Le  nombre  des  criminels  est  trop 
grand,  le  crime  se  commet  trop  ouverte- 
ment, pour  pouvoir  nous  cacher  à  nous- 
mêmes  les  injures  capitales  que  tant 
de  créatures  rebelles  font  tous  les  jours  à 
Dieu. 

Il  est  vrai  qu'il  y  a  bien  des  abus  auxquels 
nous  ne  pouvons  pas  apporter  remède.  Il 
est  vrai  qu'il  y  a  bien  des  pécheurs  que 
nous  ne  pouvons  pas  corriger  ;  mais  nous 
pouvons  gémir,  répandre  des  larmes,  être 
vivement  touchés.  C'est  un  des  princi[)aux 
devoirs  d'un  prêtre  zélé,  de  pousserdes  gé- 
missements vers  le  ciel,  en  considérant  le 
giand  nombre  de  crimes  qui  se  commettent 
dans  le  monde. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  (orat.  20, 
p.  346)  rap|)orte  de  saint  Basile,  qu'à  la  vue 
d(;s  maux  dont  l'Eglise  était  aliligée,  il  était 
daiis  raccabloracnl,  que  le  sommeil  s'était 
retiré  de  ses  yeux,  que  les  soins  et  les 
inquiétudes  l'avaienl  entièrement  déchar- 
né ,  qu'il  ne  cessait  point  d'implorer 
le  secours  de  Dieu  et  des  hommes,  qu'il 
était  conlinuelloment  ai)pliqué  à  chercher 
des  remèdes  pour  guérir  de  si  profondes 
plaies. 

Un  saint  prêtre  ne  peut  ici-bas  goûter 
une  joie  pure.  Ce  ijui  peut  soutenir,  ce  qui 
peut  consoler  est  si  peu  de  chose  en  com- 
paraison de  ce  qui  attriste  et  de  ce  qui 
abbat  :  Mes  yeux,  dit  le  Prophète,  ont  versé 
des  larmes  avec  abondance,  parce  que  les  pé- 


cheurs transgressent  votre  loiJPsal.  CXVIir, 
130.) 

La  vue  des  péchés  du  monde  est  donc  un 
sujet  continuel  de  tristesse  et  de  larmes  ; 
mais  nos  [leurs  et  nos  gémissements  ne 
seraient  ni  agréables  à  Dieu,  ni  ca|)ables  do 
l'apaiser,  si  nous  ne  travaillions  efficace- 
ment et  autant  qu'il  est  en  nous.  Vous 
pouvez  parler,  vous  pouvez  remontrer, 
vous  pouvez  agir,  vous  pouvez  réveiller  ce 
pécheur.  Vous  demeurez  dans  l'inaction, 
vous  laissez  avaler  la  coupe  empoisonnée 
à  cet  homme  qui  se  tue  lui-même,  quand 
vous  pouvez  l'arracher  de  ses  mains.  Si 
vous  persistez  dans  cette  coupable  indiffé- 
rence, prononcez  contre  vous-même,  il 
n'y  a  dans  vous  que  tiédeur;  donc  vous 
n'avez  point  le  zèle  dont  un  prêtre  doit  être 
animé. 

Un  prêtre  qui  a  de  l'ardeur  en  donne  des 
marques  en  bien  d'autres  occasions.  S'agil- 
il  de  consoler  celui  qui  est  dans  l'affliction, 
de  protéger  celui  qui  est  opprimé,  de  sé- 
c  mrir  le  pauvre  dans  ses  pressants  besoins, 
do  soutenir  une  famille  qui  est  menacée 
d'une  ruine  entière  et  prochaine,  d'alTermip 
un  malade  que  des  douleurs  longues  el 
aiguës  font  chanceler  dans  ses  résolutions, 
de  réconcilier  ensemble  des  hommes  qui 
nourrissent  dans  leurs  cœurs  des  inimitiés 
invétérées  ?  S'agit-il  de  se  sacrifier,  de 
consacrer  sa  vie  et  son  repos  pour  ceux  à 
qui  l'on  est  convaincu  qu'on  se  doit  tout 
entier  ;  voilà  ce  qu'un  prêtre  zélé  recher- 
che avec  empressement.  Il  n'a  jamais  plus 
de  joie  que  lorsque,  appliqué  à  ses  fonctions, 
il  se  lasse,  il  se  fatigue,  il  se  consume  f)our 
la  gloire  de  celui  qui  l'appelle  à  un  si  saint 
ministère. 

Je  dis  pour  la  gloire  de  celui  qui  l'ap- 
pelle, car  la  gloire  de  Dieu  est  le  seul 
motif  que  peut  se  proposer  un  prêtre 
zélé. 

Le  zèle  ecclésiastique,  pour  être  véritable, 
doit  être  désintéressé.  Tout  homme  qui  se 
laisse  conduire  par  des  vues  humaines 
abuse  de  noire  ministère,  son  zèle  est  faux, 
I)arce  qu'il  est  dépourvu  du  véritable  moi  if 
qui  le  doit  animer  :  Je  ne  cherche  point  vos 
biens,  mais  c'est  vous  que  je  cherche.  (Il  Cor., 
XIJ,  1'+.)  Paroles  qui  doivent  être  gra- 
vées dans  le  cœur  de  tous  les  ecclésiasti- 
ques. 

Vous  avez  vu  que  le  zèle  ecclésiastique 
doit  être  accompagné  de  fermeté.  Si  l'itité- 
rôl  vous  domine,  quelle  tentation  1  Que 
deviendra  celle  fermeté ,  quand  elle  no 
peut  subsister  qu'en  renonçant  à  des  vues 
humaines,  el  en  déplaisant  à  des  hommes 
puissants,  dont  vous  craignez  de  perdre  ta 
faveur? 

Quel  zèle  que  celui  qui  ne  se  manifeste 
qu  à  l'égard  de  ceux  qui,  en  nous  récompen- 
sant irop  promptement,  nous  font  perdre  la 
seule  récompense  que  nous  devons  attendre. 
Chercher  les  riches,  ne  vouloir  servir  que 
les  riches,  zèle  intéressé,  zèle  qne  Dieu  ré- 
prouve, zèle  que  Dieu  châtie. 

Si  vous  avez  du  zèle,  cherchez  les  pau- 


1221 


REIRAITE  ECCLES.  —  XV.  —  ZELE. 


1222 


vies,  travaillez  pour  les  pauvres.  Les  riches 
vous  récoiiipoDseronl,  les  pauvres  no  vous 
récompenseront  point.  Mais  c'est  cotte  rai- 
son-Ih  raôme  qui  «loit  vous  rendre  pré- 
cienix  le  service  ilos  pauvres.  Car  Ji^sus- 
Christ  s'est  engagé  do  vous  r<5cornpenser, 
lorsque  vous  n'èles  point  toucliti  des  récoin- 
poiises  humaines,  et  lorsque  vous  no  les 
recherchez  point 

Voil?i  la  grande  maxime  qui  doit  ôlre  le 
principe  de  notre  conduite  et  de  notre 
zèle.  Dès  que  vous  avez  en  vue  les  réoom- 
|)enses  humaines,  vous  renor.cez  aux  ré- 
compenses que  Jésus-Christ  promit  h  ceux 
qui  le  servent.  Alin  de  parvenir  il  ces  di- 
vines récompenses,  il  faut  qu'elles  soient 
notre  unique  motif. 

Jugez  par  là  du  malheur  de  ceux  dont 
le  zèle  est  intéressé  :  Ils  ont  reçu  leur  ré- 
compense {Maltli.,  XI,  2).  dit  Jésus-Christ  ; 
ils  sont  donc  de  ceux  dont  l'aveuglement  va 
jusipi'à  préférer  les  biens  caducs  et  péi-is- 
sdbles  de  celle.vie,  aux  biens  permanents 
et  éternels  que"  Jésus  -  Christ  nous  a 
promis. 

Celui  doni  le  zèle  est  désintéressé,  sou- 
tenu par  les  promesses  que  Dieu  nous  a 
faites,  est  dans  la  tiispositioii  d'entiepren- 
dre  les  choses  les  plus  dillioiles  poac  lui 
donner  les  preuves  de  sa  lidélilé. 

Quoiqu'il  n'y  ait  rien  de  |)lus  louable 
que  d'entreprendre  et  même  de  s'exposer 
jiour  la  gloire  de  son  Dieu,  le  zèle  néan- 
moins doit  avoir  des  bornes.  Il  peut  con- 
duire trop  loin,  lorsqu'on  n'a  pas  soin  de 
se  conformer  aux  règles  de  la  j)rudence  qui 
nous  sont  prescrites. 

Le  zèle  doit  être  |irudent.  Il  y  a  deux 
sortes  de  zèle,  l'un  (jui  est  scdon  la  science, 
l'autre  qui  est  outré  et  qui  n'est  pas  selon 
la  science.  Saint  Paul  dit  en  [)arlant  des 
Juifs  :  Je  leur  rends  témoignage  qu'ils  ont 
du  zèle,  mais  leur  zèle  nesl  point  selon  la 
science.  {Rom.,  X,  2.) 

Ce  serait,  par  exemple,  un  zèle  outré,  si, 
en  considérant  le  grand  nombre  des  rué- 
chants  qui  sont  sur  la  terre,  on  entrait 
dans  ce  sentiment  que  Dieu  devrait  plus 
proptement  faire  éclater  sa  justice. 

Le  zèle  serait  encore  plus  outré  et  plus 
indiscret,  si,  lorsque  les  méchants  nous  ont 
accablés,  nous  donnions  entrée  h  celle  pen- 
sée dans  nos  cœurs  :  qu'il  serait  de  la  jus- 
tice de  Dieu  de  [jreudre  notre  cause  en 
main,  et  de  punir  prom[)ieraenl  les  auteurs 
criminels  de  noire  ruine  et  de  notre  inior- 
lune. 

«  Prenez  garde,  dit  saint  Augustin,  de 
vous  laisser  aller  aux  plaintes  el  aux  mur- 
mures ,  de  peur  que  vous  ne  soyez  vous- 
même  de  ceux  dont  Dieu  doit  se  venger. 
Parce  que  vous  avez  passé  sur  le  pont  de  la 
jniséricorde,  voulez-vous  le  détruire ,  aliu 
nue  personne  ne  nasse  i>lus  après  vous 
(3'8j  ?» 

Apprenez  ce  que  Jésus-Christ  a  répondu 
h  ceux  qui  se  voulaient  hâter  do  cueilHr  la 


ziznn'w.  [Maltli.,  Xill,  29.)  Il  vous  a  mar(|uë 
expressément  qu'il  fallait  attendre  le  lemp'? 
de  la  moisson.  Dieu  agit  avec  patience,  parce 
qu'il  ne  veut  point  que  les  hommes  périssent. 
(Il  Pctr.,  m,  9.)  Sa  [latience  est  admirable. 
Nous  devons  en  être  d'autant  plus  touchés, 
ipi'*,  pour  peu  que  nous  rentrions  en  nous- 
mêmes,  nous  reconnaîtrons  aisément  l'ex- 
trême besoin  que  nous  avons  que  Dieu  nous 
traite  avec  une  très-grande  patience. 

Le  zèle  doil  être  discret  et  réglé  ()ar  la 
prudence  :  dès  que  vous  n'en  suivez  plus 
les  principes,  ce  n'est  jilus  zèle  ,  c'est  indis- 
crétion. 

Ce  que  vous  voulez  entreprendre  est  bon; 
mais  il  sur()asso  vos  forces  ,  mais  ce  n'est 
point  le  temps  de  former  une  pareille  en- 
treprise, mais  Dieu  ne  vous  a[)|)elle  pas  à 
celte  œuvre,  mais  cette  entreprise  rompra 
d'autres  desseins  (pii  sont  plus  conformes 
à  votre  élal ,  et  [ilus  proportionnés  à  vos 
talents.  Si,  nonobstant  ces  puissantes  rai- 
sons, vous  vous  laissez  aller  aux  saillies  de 
votre  zèle,  ne  voyez-vous  pas  que  ce  n'est 
t»lus  un  zèle  selon  la  science  ? 

Le  zèle  est  encore  très-indiscret,  lorsque 
le  désir  dont  on  est  rempli  do  faire  de  bon- 
nes œuvres  et  de  les  conduire  à  leur  per- 
fection ,  engage  à  prendre  des  moyens  qui 
sont  contre  la  règle,  et  qui  sont  même 
quelquefois  criminels.  Tel  est  le  faux  zèle 
de  ceux  qui,  pour  procurer  queb^ue  avan- 
tage à  un  corps  dont  ils  sont  les  membres, 
ne  craindront  point  de  se  servir  de  dégui- 
sement et  de  fraude.  Ils  .s'imaginent  que 
toutes  voies  leur  sont  permises,  parce  (jue 
ce  n'est  point  leur  propre  intérêt  qu'ils 
poursuivent. 

Que  ceux  qui  sont  dans  cette  erreur  se 
convainquent  de  la  sainte  raasime^  ensei- 
gnée par  saint  Grégoire  de  Nazianze  (oral. 
32,  p.  518} ,  qui  est  que,  quelque  excellent 
que  soit  nubien,  il  n'est  jamais  permis 
d'employer  de  méchantes  voies  pour  '.o 
faire  réussir.  Si  vous  vous  écartez  de  cette 
règle,  ce  n'est  point  le  bien  et  la  vertu  que 
vous  aimez,  c'est  voire  caprice  que  vous 
suivez,  et  votre  amour-propre  <jue  vous 
satisfaites. 

Vous  en  voyez ,  lesquels,  après  avoir 
conçu  des  desseins  qui  paraissent  bons  à 
la  vérilé,  se  résoudront  plutôt  h  embrasser 
des  voies  ii'régulières  et  contraires  à  la  pu- 
reté des  saintes  maximes  de  l'Evangile,  que 
(.''abandonner  les  entreprises  qu'ils  onl  for- 
ruées.  Ce  n'est  pas  assez  de  vouloir  un  bien, 
il  faut  que  ce  soit  dans  l'ordre  de  Dieu,  et 
avec  une  entière  soumission  à  sa  sainte  vo- 
lonté. Lorsque  les  ujoyens  légitimes  vous 
manquent,  el  que,  pour  arriver  au  but  que 
vous  vous  proposez,  il  serait  nécessaire  do 
s'écarler  de  la  voie  droite  de  l'Evangile, 
vous  pouvez  compter  que  vos  desseins  no 
sont  point  dans  l'ordre  de  Dieu.  Il  vous  dé- 
fend d'aller  jilus  loin,  el  pourlui  obéir  vous 
êtes  obligé  d'abandonner  vos  entreprises, 
([uebiue    saintes  tju'olles  vous  aient  paru. 


(38)  t  Noli,  quia  tu  irausisli,  velle  iiiisericordise  Dei  j[ioiitem  subveriere.  i  {Inpsal.  XCIll.) 


1223 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMilERT. 


1224 


Le  vr.ii  moyen  ilc  ne  point  loinbor  dans 
cps  fA<;Iii;uses  oxlréinilos,  c'est  de  ne  se 
point  I Toire  soi-même,  de  se  délier  de  ses 
propres  sentiments,  d'ôlre  prompt  h  deman- 
der conseil,  do  ne  se  point  [)i(]uer  de  suivre 
ses  premiers  projets,  quand  on  nous  a  fait 
connaître  que  nous  ne  pouvons  les  exécuter 
sans  nous  écarter  des  règles  de  la  solide 
prudence.  C'est  le  zèle  même  qui  souvent 
doit  modérer  le  zèle.  Je  veux  dire  que  c'est 
sagesse  lorsqu'un  zèle  prudent  et  selon  la 
science  reti(MU  un  zèle  qui  n'est  ni  prudent, 
ni  selon  la  science. 

I  Mais  quand  nous  connaissons  que  notre 
zèle  est  réglé,  et  que  c'est  le  Seigneur  qui 
nous  l'inspire,  nous  devons  prendre  garde 
à  ne  pas  tomber  dans  l'inconstance,  et  h  no 
pas  abandonner  légèrement  des  desseins 
qui  viennent  d'en  haut. 

Le  véritable  zèle  est  persévérant.  II  y  en 
a  plusieurs  dont  Dieu  se  plaint.  Il  les  ac- 
cu!<e  et  il  leur  l'ait  ce  reproche  que  l'Iicri- 
lure  nous  rapporte.  J'ui  à  me  plaindre  de 
TOUS,  c'est  que  vous  êtes  déchu  de  votre  pre- 
mière ferveur.  {Apoc,  11,  4..) 

li  n'y  en  a  que  trop  qui  viennent  avec 
ardeur,  mais  c'est  une  ardiur  pf.ssagère 
et  qui  n'a  point  de  durée.  Apiès  celle  re- 
iraiie  vous  avez  été  pendant  quelque  temps 
tout  plein  de  ferveur  :  vous  aviez  formé  des 
résolutions,  ces  résolutions  se  sont  bientôt 
évanouies,  et  on  n'en  remarque  plus  aucun 
vesiij^e. 

D'où  vient  donc  que  votre  zèle  se  souiient 
si  peu?  êtes  vous  de  ceux  qui  s'elfrayent 
des  contradictions?  Il  y  en  a  qui  s'alarment 
dès  qu'on  s'oppose  à  leurs  desseins.  Aussi- 
tôt que  l'adversité  les  trouble,  ils  se  retirent 
et  ils  cèdent  honteusement.  Se  rebuter  ainsi 
des  contradictions  et  des  adversités,  c'est 
avoir  bien  peu  de  courage;  c'est  bien  peu 
connaître  ce  que  la  force  chrétienne  doit 
inspirer  à  ceux  qui  combattent  [lour  Jésus- 
Christ.  Si  les  premiers  ministres  de  Jésus- 
Christ  avaient  cédé,  parce  que  les  méchants 
les  contredisaient,  quels  progrès  auraient-ils 
faits?  Comparez  leurs  eonlradictit^ns  avec 
les  vôtres,  et  j'aurai  droit  de  vous  dire  avec 
saint  Paul  :  que  vous  n'avez  pas  encore  ré- 
sisté jusqu'à  répandre  votre  sancj.  Illebr.,  X.1, 

Quand  le  zèle  est  véritable,  bien  loin  de 
se  rebuter,  il  s'allume  et  il  s'echaufle  mal- 
gré les  contradictions.  JN'a-l-il  pas  été  i)ré- 
dit  (lue  tous  ceux  qui  soutiennent  la  cause 
de  Jésus-Chrisl  trouveraient  des  ennemis? 
Dieu  a  voulu  éprouver  votre  zèle,  il  a  voulu 
reconnaître  quelle  était  voire  loi. Vous  avez 
cédé,  vous  avez  donc  fait  voir  que  voire 
zèle  était  très-médiocre,  et  votre  foi  très- 
imparlaite.  Mais  encore  que  craignez-vous? 
de  succomlter  entièrement?  No  savez-vous 
pas  que  la  victoire  n'est  jamais  plus  glorieuse 
et  plus  certaine,  que  quanti  on  est  vaincu 
par  les  mécluints  en  soutenant  les  intérêts 
de  Jésus-Christ? 

Jamais,  disaient   les  premiers  chrétiens, 


nous  ne  sommes  plus  libres  que<]nnna  vous 
nous  tenez  captifs,  et  jamais  nous  ne  rem- 
portons une  victoire  plus  parfaite  que  (juand 
vous  nous  croyez  vaincus  (39). 

Le  vrai  zèle  a  encore  pour  maxime  de 
no  se  point  effrayer  lorsque  des  entre()rises 
formées  selon  les  lois  de  la  jirudence  n'ont 
aucun  suc(  es.  C'est  à'nous  de  former  des 
desseins,  c'est  à  nous  do  faire  des  etforts  : 
c'est  à  Dieu  de  les  bénir  et  de  les  faire 
réussir,  lorsqu'il  l'a  ainsi  arrêté  dans  ses 
divins  conseils.  Nous  sommes  trop  heureux 
que  Dieu  veuille  bien  se  servir  de  nous,  et 
quand  bien  môme  nos  travaux  sont  sans 
Iruit,  c'est  h  nous  de  le  bénir,  et  d'adorer 
ses  conseils  qui  sont  toujours  pleins  de  jus- 
tice. 

Ayez  doiic  pour  principe  d'agir  pour  Dieu, 
de  suivre  ses  voies,  de  vous  attacher  h  vos 
devoirs.  Après  cela  si  l'on  vous  contredit, 
ayez  recours  à  celui  qui  esl  votre  force.  Si 
vous  voyez  le  fruil  de  vos  travaux,  bénis- 
sez Dieu,  à  lui  seul  appartient  lu  gloire.  Si 
vous  n'en  rémarquez  aucun,  bénissez  en- 
core le  Seigneur,  accusez-vous  vous-même, 
reconnaissez  votre  indignité,  et  travaillez 
avec  plus  de  zèle. 

Nous  souhaitons  de  vous,  pour  me  servir 
des  tenues  (le  saint  Paul,  que  vous  conser- 
viez toujours  la  même  ardeur  jusqu'à  la  fin, 
que  vous  ne  vous  ralentissiez  jamais,  mais 
que  vous  soyez  des  imitateurs  fidèles  de  ceux 
qui  mériteront  par  leur  foi  et  leur  persévé- 
rance d  être  leshéritters  des  promesses. [IJebr., 
VI,  11. j  Saint  Paul  vous  deuiande  toujours 
la  même  ardeur,  et  il  vous  la  demande  jus- 
qu'à la  fin.  C'est  là  l'exemple  que  vous  ont 
donné  les  serviteurs  de  Jésus-Christ,  et 
c'est  cet  exemple  que  vous  devezsuivre,  afin 
que  votre  zèle  soit  persévérant. 

Voilà  les  vérités  dont  j'avais  à  vous  ins- 
truire dans  le  dessein  que  je  m'étais  pro- 
posé de  vous  entretenir  du  zèle  ecclésias- 
tique. Je  vous  ai  fait  voir  la  nécessité  du 
zèle,  je  vous  ai  njonlré  les  qualités  qu'il 
doit  avoir. 

Animez-vous  et  travaillez  fortement  à 
acquérir  cette  vertu.  Il  faut  qu'un  ecclé- 
siasli(]uu  qui  n'a  point  de  zèle  ne  lasso 
réll(;xion  ni  sur  celui  dont  il  est  le  minis- 
tre, ni  sur  l'élévation  de  son  carictère,  ni 
sur  l'excellence  de  ses  fonciioiis. 

Peut-on  connaître  ce  que  c'est  que  Dieu 
et  le  servir  avec  tiédeur?  Quoi!  Dieu  le 
njaîlre  souverain,  devant  qui  toutes  les 
créatures  tremblent,  établira  ses  saintes 
lois,  et  nous  ne  les  exécuterous  que  d'une 
manière  molle  et  languissante?  Au  lieu  de 
courir  à  lui  avec  ardeur,  de  tout  entrepren- 
dre pour  lui  plane,  nous  marcherons  mol- 
lement dans  ses  voies,  nos  devoirs  nous 
jfaraîlront  un  joug  dont  nous  chercherons 
a  nous  exempter;  le  peu  que  nous  en  [)ra- 
tiquerons,  ce  sera  par  contrainte  et  jamais 
por  amour. 

Non-seulement  Dieu  nous  appelle  à  stn 
service;  mais  encore  faisons-nous  attention 


(39)  «  Vincimus  cumocddimur,  evadimus  cum  obJucinmr.»  (T^kt.,  /l/jL.'/.,cap.  48.) 


iS25 


RETRAITE  ECCLES.  -  XVI,  CHARITE  ENVERS  LE  PROCHAIN. 


,1226 


au  rang  oans  lequel  nous  sommes  placés? 
Quelle  dignité  semblable  à  la  nôtre?  Vous 
êtes  prêtre,  connaissez-vous  ce  que  c'est 
que  d'être  prêtre?  Si  vous  le  savez,  vous 
devez  beaucoup  estimer  votre  dignité.  Com- 
ment marquerez-vous  que  vous  l'estimez 
si  vous  l'avilissez,  si  vous  la  rendez  mé- 
prisable, si  même  vous  la  déshonorez  par 
l'irrégularité  de  votre  conduite  et  de  vos 
mœurs?  Le  seul  moyen  de  marquer  que 
vous  estimez  votre  dignité,  n'est-ce  pas  de 
vous  conduire  comme  un  ministre  fidèle, 
qui  ne  néglige  rien,  cjui  est  toujours  atten- 
tif, qui  ne  cherche  qu  à  plaire  à  celui  qui 
l'a  appelé? 

C'est  une  maxime  certaine  que  chaque 
affaire  doit  être  traitée  selon  son  mérite  et 
son  importance.  Quelles  sont  vos  fonctions  ? 
peut-il  y  en  avoir  de  plus  nobles?  vous  dis- 
pensez les  mystères  de  Dieu.  Quoi  de  plus 
grand  !  à  quoi  donc  donnerez-vous  votre  at- 
tention, si  vous  ne  la  donnez  pas  à  de  si 
sublimes  mylères  ?  C'est  h  Dieu  que  vous  al- 
lez, c'est  pour  lui  que  vous  travaillez,  c'est 
sous  ses  yeux  que  vous  combattez.  Courez 
donc,  employez  tous  vos  etl'orls,  animez- 
vous,  reprochez-vous  toutes  vos  lâchetés, 
condamnez-vous  vous-même,  soyez  aussi 
fervent  que  vous  avez  été  tiède.  Servez  Dieu 
d'une  manière  digne  de  lui,  digne  de  votre 
vocation.  Vous  aurez  ici-bas  la  consolatton 
que  ne  manquent  jamais  de  ressentir  ceux 
qui  s'acquittent  de  leurs  devoirs,  et  après 
cette  vie  Dieu  vous  couronnera  pour  régner 
avec  lui  dans  l'éternité. 

DISCOURS   XVi. 

DE  Là  CHARITÉ  POUR  LE  PROCnàlN. 

Jésus-Christ  nous  dit  dans  l'Evangile, 
qu'il  est  venu  sur  la  terre  pour  y  a()[)orter 
le  feu,  et  qu'il  débire  avec  ardeur  que  ce 
fe.i  s'allume.  {Luc,  XII,  49.)  Il  parle  en  cet 
eadroil  du  feu  de  la  charité,  et  il  nous  mar- 
que qu'un  de  ses  grands  désirs  est  que  les 
cœurs  de  tous  les  hommes  soient  consumés 
de  ce  feu  divin.  Los  disciples  de  Jésus- 
Christ  doivent  donc  être  des  hommes  ar- 
dents et  pleins  de  zèle.  Celle  ardeur  et  ce 
zèle  se  doivent  remarquer  dans  toutes  leurs 
actions.  Voici  la  délinition  du  chrétien  et 
son  vrai  caractère  :  C'est  un  homme  donl  !e 
cœur  est  brûlant  et  pénétré  de  charité. 

Jésus-Christ  est  venu  sur  la  terre  pour  y 
apporter  le  feu  :  mais  la  malice  des  hommes 
a  presque  éteint  ce  feu,  et  l'on  n'en  remarque 
plus  que  de  très-faibles  vestiges. 

Il  semble  au  moins  que  les  ecclésiastiques 
devraient  avoir  conservé  ce  feu.  Ils  sont  mi- 
nistres de  Jésus-Christ  :  de  Jésus-Christ 
plein  de  charité,  et  qui  recommande  parti- 
culièrement à  ses  disciples  l'exercice  de 
cette  vertu.  Celui  dont  le  cœur  n'est  point 
rempli  de  la  charité,  peut-il  être  appelé 
ministre  cl  disciple  de  Jésus-Christ? 

Il  serait  à  souhaiter  que  les  prêtres  de  la 
loi  nouvelle  eussent  autant  de  zèle  pour 
conserver  le  feu  de  la  charité,  que  les  prê- 
tres do  l'ancienne  loi  en  témoignèrent  pour 
conserver  le  feu  qu'Us  avaient  pris  sur  l'au- 

DRATEUaS   SACRÉS.   LXVjlI. 


tel,  et  qu'ils  cacheront  avec  grand  soin  dans 
le  temps  que  le  fieuple  fut  emmené  captif. 

L'Ecriture  dit  cjue  les  prêtres  cachèrent  ce 
feu  dans  un  lieu  secret.  (II  Machab.,  I,  19.) 
Lorsque  le  roi  do  Perse  permit  h  Néhéniie 
de  revenir  à  Jérusalem,  les  descendants  des 
prêtres  qui  avaient  caché  lo  feu  retournèrent 
pour  le  chercher,  et  ils  ne  trouvèrent  que 
de  l'eau  é|>aisse  et  bourbeuse.  L'on  puisa  de 
cette  eau,  l'on  en  jeta  sur  le  bois,  et  dès 
que  le  soleil  parut,  le  feu  s'alluma  au  grand 
étonneraent  de  tous  ceux  qui  furent  témoins 
de  cette  merveille. 

Hélas!  si  l'on  cherchait  dans  le  cœur  de 
beaucoup  d'ecclésiastiques  le  feu  de  la  cha- 
rité, l'un  n'y  trouverait  que  de  la  boue. 
Quelle  es()érance  qu'un  cœur  charnel  et  ter- 
rostre  devienne  spirituel  et  divin,  à  moins 
que  le  soleil  de  justice  ne  paraisse,  à  moins 
qu'il  ne  fonde  la  glace  de  ces  cœurs,  qu'il 
ne  les  érhaulfe  et  qu'il  n(3  les  change  I 

Adressons-nous  donc  à  ce  Dieu  de  bonté, 
et  faisons  avec  le  secours  de  sa  grâce  tout  ce 
qui  dé(iendra  de  nous  pour  allumer  le  fou 
de  la  charité  dans  le  cœur  des  ecclésiasti- 
ques. C'est  particulièrement  de  la  charité 
pour  le  prochain  dont  j'ai  dessein  do  vous 
parler. 

Je  partage  mon  discours  en  trois  parties. 

Dans  la  première,  je  vous  ferai  voir  l'obli- 
gation que  les  ecclésiastiques  ont  de  rendre 
service  au  prochain. 

Dans  la  seconde,  je  vous  expliquerai  e-j 
quoi  les  ecclésiastiques  peuvent  rendre  ser- 
vice au  |)rochain. 

Dans  la  troisième,  j'établirai  quelques 
maximes  qui  apprendront  aux  ecclésiasti- 
ques les  dispositions  dans  lesquelles  ils 
doivent  entrer,  pour  bien  accomplir  le  pré- 
cepte qui  les  oblige  de  rendre  service  au 
prochain. 

PREMIER  POINT, 

L'obligation  que  vous  avez  d'assister  le 
prochain  et  de  vous  consacrer  à  son  service, 
est  fondée  premièrement  sur  la  qualité  du 
chrétien  qui  vous  est  commune  avec  tous  les 
fidèles.  En  second  lieu  sur  celle  d'ecclésias- 
tique qui  vous  est  particulière 

Vous  êtes  chrétiens,  disciples  de  Jésus- 
Christ,  et  par  conséquent  obligés  de  garder 
avec  fidélité  toutes  les  lois  de  votre  Maître  : 
or  vous  êtes  trop  instruits  de  votre  religion 
pour  ne  pas  savoir  qu'après  le  commande- 
ment d'aimer  Dieu,  le  plus  important,  et 
celui  dont  l'exécu  ion  nous  est  plus  expres- 
sément recommandée,  c'est  le  commande- 
ment d'aimer  nos  frères. 

Vous  savez  tous  ce  que  Jésus-Christ  ré- 
pondit à  un  docteur  de  la  loi,  lorsqu'il  lui 
lit  celle  quesliin  :  Maître,  quel  est  le  grand 
commandement?  le  Sauveur  répondit:  Vous 
aimerez  le  Seigneur  votre  Dieu  de  tout  votre 
cœur,  de  toute  votre  âme,  et  de  tout  votre  et^- 
prit  ;  c'est  là  le  premier  et  le  grand  comman- 
dement, et  voici  le  second,  qui  est  semblable  à 
celui-là  :  vous  aimerez  votre  prochain. comme 
vous-même.  {Matth.,  XXII,  36) 

Vous  êtes  uoiic  obii(^és,  en  (jualité  de  chré- 

39 


mi 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1<228 


îion,  (faimcr  votre  procnain  commn  vous- 
jnôiue,  vous  n"oii  doutez  piis  :  ni.nis  ce  que 
vous  (levez  bien  cnniprondre,  c'est  que 
quand  le  Fils  do  Dieu  nous  commande 
daimer  nos  frères,  il  ne  se  contente  pas  d'un 
flmour  stérile,  qu'on  se  flatte  vainement  de 
tenir  renfermé  dans  le  cœur  :  mais  il  veut 
que  ce  soit  un  amour  clfect if,  qui  paraisse 
au  dehors,  qui  produise  du  fruit.  Celui  qui 
croit  n'ôlro  au  monde  que  pour  lui,  ([ui  n'a 
soin  que  dclui-môme,  qui  ne  rend  point  ser- 
vice au  prochain  quand  il  lo  peut,  n'accom- 
plit |)0inl  le  préccpio  qui  nous  oblige  d'ai- 
nior  nos  frères. 

Cclui-Ih  seulement  aime  son  prochain  qm 
rend  service  à  son  prochain.  Lo  Fils  do  Dieu 
nous  enseigne  cette  v.'-rilé  bien  clairement 
dans  plusieurs  endroits  do  l'Evangile. 

U  nous  dit  :  Agissez  envers  les  hommes 
comme  vous  voulez  quils  agissent  envers  vous. 
{Mallh.,  Vil,  12.)  Quand  vous  avez  besoin 
de  cet  homme  puissant,  èles-vous  content 
lorsqu'il  vous  reçoit  avec  mi  visage  ouvert, 
lorscju'il  vous  assure  avec  des  termes  hon- 
nêtes qu'il  compatit  h.  vos  peines,  lors(iu'il 
vous  fait  des  promesses  vagues  et  qui  ne 
sont  point  exécutées?  ne  demandez-vous 
pas  des  effets?  no  voulez-vous  pas  des 
preuves  elfectives  do  la  bonne  voloiité  dont 
on  vous  assure  que  l'on  est  remp.Ii?  Con- 
damnez-vous vous-môme  ot  confessez  quo 
pendant  quo  vous  demeurez  oisif,  et  que 
vous  no  rechcrch.ez  point  les  occasions  ,do 
rendre  service  à  vos  frères,  vous  n'agissez 
point  envers  les  hommes,  comme  vous  vou- 
driez qu'ils  agissent  envers  vous  :  et  ainsi 
vous  n'aimez  point  votre  prochain,  comme 
le  Fils  de  Dieu  vous  le  commande. 

Ceux  qui  sont  inutiles  au  piochain,  qui 
ne  s'appliquent  point  5  le  secourir,  sont 
semblables  au  prêtre  et  au  léviie  dont  il  est 
parlé  dans  l'Evangile.  [Luc,  X,  33.)  Ils  pas- 
sèrent sans  se  mettre  en  peine  de  secourir 
cet  homme,  lc(iuel  étant  tombé  entre  los 
mains  des  voleurs  avait  été  dépouillé,  cou- 
vert da  plaies,  et  laissé  à  demi  mort  :  mais 
des  hommes  charitables,  qui  toujours  émus 
d'une  sainte  compassion  pour  leurs  frères, 
se  font  une  joie  d'être  utiles  au  prochain, 
sont  semblables  au  Samaritain. 

Le  Samaritain,  i\\\.  l'Evangile,  s'approchant 
de  cet  homme,  versa  de  l'huile  et  du  vin  dans 
ses  plaies,  les  banda  ;  l'ayant  mis  sur  son  che- 
val, il  l'emmena  dans  l'hôtellerie,  et  eut  grand 
soin  de  lui.  Mais  en  même  temps  ciue  Jésus- 
Christ  propose  cet  excellent  modèle,  il  dit 
que,  si  nous  voulons  témoigner  que  nous 
aimons  nos  frères,  nous  devons  laii  e  comme 
lo  Samaritain.  Allez,  et  faites  de  même,  c'est- 
à-dire  si  quand  votre  Irère  est  dans  bi  mi- 
sère, vous  passez  sans  le  soulagt-r,  comme 
le  prêtre  et  le  lévite,  vous  n'accotnpli.ssez 
point  le  précepte  de  l'amour  du  piochain. 
Pour  satisfaire  h  celte  loi,  il  faut  imiter  lo 
Samaritain,  il  faut  secourir  notre  prochain 
dans  ses  besoins,  il  faut  que  notre  amour 
pour  notre  prochain  soit  etl'ectif;  et  nous 
devons  être  convaincus  que  nous  ne  vivons 


on  ce  monde  quo  pour  nous  rciulro  service 
les  uns  aui  autres. 

Il  en  est  do  l'amour  du  proih.'ini,  commo 
do  l'amour  que  nous  devons  h  Dieu.  Tout 
homme  gui  dit  :  Seigneur,  Seigneur,  c'esl-;i- 
diro  tout  homme  qui  dit  qu'il  aimo  J)ieii, 
n'entrera  pas  dans  le  royaume  du  ciel  i  il  faut 
dos  (.ouvres  et  des  prouves  do  cet  amour. 
Celui-là  seulement  entrera  dans  le  royaume  du 
ciel  qui  fait  la  volonté  de  mon  Père.  [Matih., 
VU,  21.)  J'en  dis  'do  ujômc  do  l'amour  du 
prochain.  Il  no  suffit  pas  do  dire  qu'on 
aime  son  prochain,  il  faut  des  œuvres  et 
des  prouves  do  cet  amour. 

11  est  donc  constant  qu'on  .lualité  de 
clnétion  vous  êtes  indispensablomcnt  obli- 
gés d'aimer  votre  prochain;  il  est  constant 
quo  vous  n'aimez  votre  prochain  que  (juanii 
vous  êtes  dans  une  sincère  disposiiion  de 
lui  rendre  tous  les  services  dont  vous  Clos 
capable,  Selon  votre  état  et  votre  condi- 
tion. 

M.iis  quel  est  votre  état?  quelle  est  voire 
condition  ?  Vous  êtes  ecclésiastique,  vous 
êtes  minisire  di;  Jésus-Christ,  je  prétends 
quo  cette  qualité  vous  engage  do  vous  con- 
sacrer tout  entier  au  service  du  prochain. 

Pourquoi  |)ensez-vous  quo  Jésus-Clirist 
ait  établi  dans  son  Eglise  dos  ministres  et 
des  prêtres  ?  n'est-ce  pas  afin  qu'ils  se  dé- 
vouent enlièroment  au  service  de  leurs 
frères?  De  là  vient  que  Jésus-Christ  disait 
souvent  à  ses  a[)ùtrcs,  qu'ils  devaient  so 
regarder  commo  les  sorviicuis  des  autres  : 
Qui  voudra  être  le  premier  d'entre  vous  doit 
être  le  serviteur  de  tous  (  Marc.,  X,.  44)  ;  tt 
pour  leur  rendre  cette  qualité  plus  suppor- 
table, il  assurait  quo  lui-même  n'était  pas 
venu  en  ce  monde  pour  èUe  t.ei  vi,  mais 
pour  servir  los  autres. 

Aussitôt  qu'il  choisit  ses  apôtres,  il  leur 
déclare  qu'ils  ne  sont  apôtios  que  pour 
consacrer  leur  \ie  au  service  de  leurs  frè- 
res :  il  leur  enjoint  de  parcourir  toutes  les 
nations  du  monde,  pour  y  i)orter  la  gloire 
(iii  sou  nom.  Allez ,  leur  dit-il,  enseignez 
toutes  les  nations.  Je  vous  envoie  comme  les 
brebis  au  milieu  des  loups.  (Matlh.,  XXVII, 
19,  16.)  Quel  léiiioignage  veut  il  que  Pierre 
lui  donne  do  son  amour?  Paissez  ines 
agneaux,  paissez  mes  brebis.  [Joan.,  XXI, 
15.) 

Les  premiers  disciples  de  Jéus-Christ 
ont  été  chargés  ex|)ressùmeat  de  se  con- 
sacrer au  service  do  leurs  irères.  Si  vous 
tenez  leur  ()lacc,  si  vous  êtes  revêtu  iju 
même  caractère,  n'avez-vous  pas  aussi  lu 
même  obligation? 

Us  étaient  envoyés  commo  dos  brebis  an 
milieu  des  loups.  Ils  ne  pouvaient  exercer 
aucune  fonction  de  leur  minislère  sans 
ex{)Oser  leur  vie?  Qui  peut  donc  vous  dis- 
penser de  vous  acquitter  do  vos  devoirs, 
vous  qui  no  courez  aucun  risque  de  voiio 
vie,  et  que  rien  ne  peut  détourner  de  s<i- 
tisfaire  à  vos  obligations,  qu'une  lilche  mol- 
lesse? 

Jésus-Christ  veut  que  Pierre,  pour  lui 
donner  des  mar(iues  de  son  amour,  |»ai>se 


\R1TE  ENYEUS  LE  PROCHAIN 


1230 


1229  RETRAITE  EC€LES.  —  XVI,  Cil 

SOS  brol)is.  Et  vous,  quelle  pronvo  donno- 
rcT:-vous  do  votre  amour,  si  vous  vivez  dans 
la  paresse,  et  si  vous  ne  faites  jamais  rien 
pour  le  salut  de  votre  prochain. 

Qu'on  est  indigne  de  porter  le  môme  ca- 
ractère que  les  apôtres,  qu'on  est  indigne 
de  tenir  leur  place,  lorsqu'on  n'a  pas  la 
moindre  portion  do  ce  zèle  brûlant  qui  les 
consumait!  Car,  avez-vous  bien  médité 
jusqu'où  allait  ce  zèlo  des  disciples  de 
Jésus-Chri'^t  dont  vous  tenez  la  place? /e 
donnerai  volontiers,  <lit  saint  Paul,  loul  ce 
que  j'ai,  et  je  me  donnerai  encore  moi-même 
pour  le  salut  de  vosdmcs.  (II  Cor.,  XII,  15.) 
Et  nous,  bien  loin  do  donner  tout  ce  que 
nous  avons  pour  soulager  nos  frères,  nous 
avons  bien  de  la  peine  h  nous  dépouiller 
en  leur  faveur  d'une  partie  de  nos  biens. 
Bien  loin  de  nous  donner  nous-mêmes  pour 
le  salut  de  nos  frères,  nous  croyons  avoir 
beaucoup  fait  quand  nous  avons  donné  une 
petite  partie  do  notre  temps  ,  encore  ne 
le  faisons-nous  qu'avec  regret  et  qu'avec 
peine. 

Saint  Paul  dildans  la  même  Epître  :  Vous 
êtes  dans  mon  cœur  à  la  mort  et  à  la  vie. 
(II  Cor.,  VII,  3.)  C'est-à-dire  je  suis  prêt  do 
vivre  et  de  mourir  pour  vous. 

Le  môme  Apôtre  étant  à  Athènes  sentait 
son  esprit  ému  et  comme  irrité  dans  lui- 
raôme;  il  ne  pouvait  retenir  son  zèle  en 
voyant  quo  cette  ville  était  si  attachée  à 
l'idolâtrie.  (Act.,  XVll,  16.) 

Et  vous,  deraeurerez-vous  oisifs  pendant 
que  tan',  de  chrétiens  vivent  dans  l'igno- 
rance, pendant  que  tant  de  chrétiens  sa- 
criflent  au\  plaisirs,  h  la  vanité,  aux  riches- 
ses qui  sont  de  véritables  idoles?  Au  lieu 
d'animer  votre  zèle  pour  la  destruction  des 
idoles,  prendrez-vous  l'encensoir  pour  vous 
mêler  parmi  ceux  qui  idolâtrent  les  biens 
de  ce  monde?  Vivrez-vous  tranquilles  pen- 
dant quo  le  démon  fait  de  si  grands  ravages 
dans  le  champ  de  l'Eglise?  Comment  voiro 
zèle  ne  s'émeul-il  point  aussi  bien  que  ce- 
lui de  saint  Paul,  en  voyant  vos  frères  qui 
s'oublient  véritablement  pour  sacrifier  à  des 
idoles? 

Si  vous  êtes  inutiles  à  vos  frères,  que  de- 
viendront tous  ces  pouvoirs  que  vous  avez 
reçus  quand  vous  avez  été  revêtus  du  sa- 
cerdoce? Les  pouvoirs  des  ministres  da 
l'Eglise  tondent  tous  à  les  rendre  capables 
deservir  le  prochain.  L'Eglise,  qui  leur  con- 
lieson  autorité,  suppose  doncqu'ils  auront 
du  zèle  pour  le  salut  de  leurs  frères;  elle 
suppose  qu'ils  se  serviront  des  pouvoirs 
qui  leur  sont  donués  pour  l'utilité  de  ses 
enlants. 

Vous  recevez  le  pouvoir  de  consacrer  le 
corps  du  Seigneur,  et  d'uUrir  le  sacritice. 
Vous  u'olfrez  pas  le  sacritice  pour  vous  seul, 
vous  l'otTrez  au  nom  de  l'Egliso  et  pour 
toute  l'Eglise  :  vous  l'offrez  au  nom  du  peu- 
ple f|ui  assiste  à  ce  sacrifice. 

En  vain,  recevez-vous  le  pouvoir  de  re- 

('234)  I  Llvcrsarum  ego  curarum  xsiibusac  dilIicuUatlbus  conlurbatus  si  quem  tort«  non  ul  posceUt 
auUivi,  I  e.c.  (S.  Alc,  hom.  24.j 


mellrn  les  péchés  si  vous  n'avez  aucun  zèlo 
pour  lp  salut  des  pérhoiirs,  et  si  vous  re- 
gardez d'un  œil  indiiïérent  votre  frère  qui 
se  nord  et  qui  s'endort  dans  le  crime. 

Que  vous  sert  le  pouvoir  do  prêcher  l'E- 
vnnsiie,  si  vous  rougissez  d'annoncer  Jésus- 
Christ,  si  vous  ne  travaillez  pas  à  fnirecom- 
prendre  aux  pécheurs,  combien  ils  sont 
malheureux  do  s'éloigner  des  maximes  de 
l'Evangile?  Voilà  vos  pouvoirs,  voilà  les 
talents  que  vous  avez  reçus  et  dont  Dieu 
vous  demandera  compte  au  jour  de  sa  co- 
lère. 

Songez  aonc  que  vous  tenez  la  place  do 
ceux  qui  ont  donné  leur  vie  pour  le  salut 
<le  leurs  frères.  Songez  que  l'Eglise  vous 
confie  tous  ses  pouvoirs  dans  la  vue  que 
vous  les  emploierez  pour  l'utilité  de  vos 
frères.  Jugez  après  cela  vous-mêmes  si  l'on 
peut  excuser  l'indifférence  et  l'insensibi- 
lité de  tant  d'ecclésiastiques  qui  n'ont  que 
de  la  froideur  quand  il  s  agit  d  entreprendre 
de  bonnes  œuvres  pour  sauver  les  âmes  ra- 
chetées du  sang  do  Jésus-Christ  ? 

Ceux  (pii  ont  des  bénélices  5  charge  d'âmes 
ont  encore  une  obligation  plus  grande  do 
veiller  au  salut  des  peuples  qui  leur  sont 
confiés.  Rien  n'est  plus  constant  dans  la 
doctrine  des  saints  Pères  que  ces  vérités 
terribles.  Ils  répondront  à  Dieu  de  toutes 
les  âmes  qui  sont  commises  à  leurs  soins. 
Ils  seront  coupables  de  la  perle  de  toutes 
celles  qui  périront  par  leur  négligence. 
Ils  n'en  sont  point  quittes  devant  Dieu, 
qu'ils  n'aient  donné  tout  leur  soin  et  toute 
leur  application  au  salut  de  leurs  brebis. 
Si  les  ouailles  se  perdent  ou  bien  parce 
que  le  pasteur  n'a  pas  assez  de  capacité 
pour  les  conduire, :ou  bien  parce  qu'il  n'a 
pas  apporté  toute  la  diligence  nécessaire, 
le  pasteur  en  répondra ,  le  pasteur  sera, 
frappé. 

Saint  Augustin' repassant  dans  sa  mémoi- 
re la  grandeur  de  ses  obligations,  dit  ces 
belles  paroles  dans  un  sermon  qu'il  fait  à 
son  peuple  au  jour  qu'on  solemnisait  l'an- 
niversaire de  son  ordination. 

o  Je  suis  troublé  quand  je  considère  la 
multitude  et  la  diversité  dessoins  dont  je 
suis  chargé.  Je  suis  coupable  si  je  raanquu 
à  écouler  ceux  qui  me  consultent;  si  je 
raonlro  un  visage  triste  et  sévère  à  ceux 
qui  m'abordent  ;  si  la  dureté  de  mes  paro- 
les les  rebute  ;  si  je  trouble  ceux  ^qui  sont 
déjà  affligés,  et  qui  ont  besoin  de'consola- 
lion  en  leur  faisant  quelque  réponse  hors 
de  propos;  si,  pensant  à  autre  chose,  j'ou- 
blie de  secourir  un  pauvre,  ou  bien  si  je  la 
remets  à  un  autre  jour,  ou  si  j'augmente  sa 
tristesse  et  son  affliction  par  mes  rebuts;  si 
je  témoigne  do  l'indignation  contre  ceux 
qui,  jugeant  peu  favorablement  de  ma  con- 
duite, me  donnent  des  intentions  que  je 
n'ai  jamais  eues  (234).  C'est  une  grande 
charge,  <;'est  un  lourd  fardeau,  que  d'être 
obligé  d'instruire,  de  reprendre,  de    cur- 


1554 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


ilZi 


riizer,  d'cniror  dans  lo*  afTaires  dos  mitres. 
Ouinefuinit  un  travail  si  pc^nibl'^  (235)?  » 

Saint  Chrysostome  {De  saccrdotio,  1.  H, 
cap.  1;  1.  III,  cap.  10)  s'explique  clairement. 
Il  asstue  que  si  celui  qui  a  soin  des  brebis 
de  Jésus-Christ  en  laisse  périr  quelqu'une, 
son  Ame  en  répondra.  Considérez,  dit  le 
même  Père,  quelle  vengeance,  etquelssup- 
plices  les  pasteurs  doivent  craindre ,  se 
trouvant  non-seulement  dans  la  nécessité 
de  rendre  compte  de  leurs  propres  péchés, 
mais  encore  en  danger  d'ôlre  abîmés  pour 
les  péchés  de  leur  peuple. 

Si  ces  maximes  sont  véritables,  pasteurs 
négligents,  en  êt^s-vous  quittes  devant  Dieu 
quand  vous  avez  célébré  les  saints  mystè- 
res, quand  vous  employez  quelques  heu- 
res, les  jours  solennels,  pour  écouter  à  la 
hâte  les  confessions  de  vos  paroissiens, 
quand  vous  leur  donnez  è  la  mort  les  sa- 
cremen'iS  de  l'Eglise?  Mais  insirnire  les  en- 
fants, prêcher  les  maximes  de  l'Evangile, 
jiresser  les  pécheurs  de  renoncer  à  leurs 
péchés,  chercher  les  brebis  égarées,  ac- 
corder les  différends,  écouter  les  plaintes, 
adoucir  les  esprits  qui  sont  aigris,  vous 
prétendez  que  cela  n'est  pas  de  votre  mi- 
nistère. Dieu  vous  fera  bien  sentir  un  jour 
ce  qui  était  de  votre  devoir,  et  ce  quec'est 
que  de  paître  ses  brebis.  II  vous  fera  bien 
voir  que  l'on  r.'est  véritablement  fiasteur, 
que  lorsqu'on  s'abandonne  tout  entier  au 
soin  de  son  troupeau. 

Je  conclus  des  vérités  "que  je  viens  d'a- 
vancer, qu'un  ecclésiastique  n'est  plus  un 
homme  à  lui,  qu'il  doit  se  regarder  comme 
le  serviteur  de  tous  ceux  qui  ont  besoin 
de  son  secours,  qu'il  doit  s'estimer  heureux 
de  leur  donner  son  temps,  son  repos,  qu'il 
ne  travaille  jamais  plus  efficacement  à  son 
salut  que  lorsqu'il  s'emntoie  [lour  celui 
des  autres. 

Examinons  maintenant  'quelle  aoit  être 
}a  charité  des  ecclésiastiques,  et  ce  [qu'ils 
peuvent  faire  pour  rendre  .service^  à  leur 
prochain. 

DEUXIÈME   POINT. 

Jecomaience  par  les  secours  temporels  ; 
et  je  prétends  que  les  ecclésiastiques  sont 
indispensablement  obligés  de  faire  l'au- 
mône ;  je  soutiens  que  celle  obligation  est 
encore  [dus  étroite  pour  ceux  qui  possè- 
dent des  bénétices. 

Les  ecclésiastiques  fidèies  peuvent  beau- 
coup se  retrancher:  ils  n'ont  point  l'em- 
barras d'une  iamille  ;  les  gens  du  monde 
apportent  des  excuses  ;  les  ecclésiastiques 
peuvent-ils  les  ailéguer?  Jamais  ils  ne  sou- 
tiennent mieux  leur  rang  et  leur  caractère 
que  quand  ils  se  retranchent  pour  soulager 
les  pauvres. 

Les  ecclésiastiques  sont  les  pères  et  les 
protecteurs  des  pauvres.  Un  de  leurs  prin- 
cipaux devoirs,  c'est  de  presser  les  riches 
do  les  secourir  ;  et   c'est   ce    qu'ils  ne  [)eu- 

1^35)  <  Magnum  unus,  magnum  pondus,  mai^nus 
1«.  jr.  yuis  nyià  refuyi.ii  isium  luLoiciu  ?»  (^Se;.  33y 


vont  faire  avec  fruit,  'si  l'on  sait  que  ifur 
charité  est  resserrée,  et  si  l'on  connaît  leur 
insensibilité  pour  les  pauvres.  Un  ecclé- 
siastique qui  a  les  mains  ouvertes  pour  se- 
courir les  pauvres  est  toujours  favorable- 
ment écouté  :  les  pauvres,  qui  prient  pour 
lui,  attirent  la  bénédiction  de  Dieu  sur  tout 
ce  qu'il  entreprend. 

Eusèbe  (236)  nous  rapporte  que  dans  une 
grande  famine  qui  arriva  au  temps  de  l'em- 
pereur Maximin,  comme  il  n'y  avait  que 
les  chrétiens  qui  assistaient  les  pauvres, 
cela  engagea  les  païens  à  reconnaître  Je 
Dieu  des  chrétiens  pour  le  seul  Dieu  qui 
devait  être  adoré;  puisque  lui  seul  inspi- 
rait l'amour  des  pauvres  et  un  saint  désir 
de  les  secourir.  Aussi  un  ecclésiastique 
qui  fait  l'aumône  gagne  les  cœurs  ;  on  est 
convaincu  de  la  sincérité  de  son  zèle;  on 
goûle  ses  maximes;  on  est  vivement  tou- 
ché quand  on  considère  l'ardeur  avec  la- 
quelle il  donne  sa  vie,  son  temps,  ses 
biens  pour  la  seule  gloire  de  Jésus-Christ, 
et  le  salut  de  ses  frères. 

Les  sainis  pasteurs  ont  toujours  aimé 
pauvres;  ils  ont  toujours  cru  qu'une 
leurs  principales  obligations  était  de 
secourir  dans  tous  leurs  besoins. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  (  oral.  20,  p. 
360),  dans  l'éloge  de  saint  Basile,  rapporte 
que  sou  amour  pour  les  pauvres  allait 
jusqu'à  les  embrasser  dans  le  temps  que 
les  plaies  dont  ils  étaient  affligés  auraient 
été  capables  d'inspirer  du  dégoût  à  tout 
homme  dont  la  charité  n'aurait  pas  été  aus- 
si ardente  que  la  sienne. 

Ce  môme  saini,  dans  les  nécessiîés  pres- 
santes, assemblait  tous  les  pauvres;  il  les 
nourrissait;  il  les  servait  de  ses  propres 
mains;  et  afin  de  leur  donner  toutes  sortes 
de  secours,  il  les  soutenait  dans  leur  afflic- 
tion, et  leur  apprenait  à  s'y  sanctilier,  par 
la  sage  dis|)ensalion  qu'il  leur  faisait  du 
pain  sacré  de  la  parole  du  Seigneur 


es 
de 
es 


Le  même  saint  Grégoire  de  Nazianze 
(oral.  19,  p.  298)  rend  ce  témoignage  à  so:i 
illustre  j)ère,  qu'il  se  considérait  comme 
l'économe  et  le  dispensateur  du  bien  des 
pauvres.  Il  ajoute  qu'il  avait  |)lus  dejoie  dft 
donner  que  les  autres  n'en  ont  d'acquénr 
des  richesses. 

Etre  un  saint  évêque,  être  un  saint  prê- 
tre, et  aimer  les  i>auvres,  ce  sont  des  qua- 
lités qui  sont  inséparables. 

11  y  a  deux  sortes  d'ecclésiastiques  qui 
ne  lont  point  l'aumône  :  les  uns  ne  la 
font  pas,  parce  qu'ils  amassent;  et  les 
autres, purcequ'ils  vivent  dans  le  luxe.  Les 
uns    et   les  autres  sont  très-condamnables. 

Y  a-l-il  rien  de  plus  odieux  dans  l'Eglise 
qu'un  ecclésiastique  qui,  possédé  de  l'es- 
prit d'avarice,  amasse  des  revenus  qui  doi- 
vent être  employés  à  nourrir  les  membres 
de  Jésus-Chnst? 

On  voit  tous  les  jours,  au  grand  scandale 
de  I  Eglise,  des  ecclésiastiques  qui,  n'ayant 

ai.,tiom.  25.) 

[f5(i)  lliii.  eccle.,  l  W,  c.  8. 


1533 


HETRAITE  ECCLES.  —  XVI,  CHARITE  ENVERS  LE  PR(X:HAIN. 


1234 


aucun  bien  de  leur  famille,  obtiennent  des 
iK^néfices  d'un  médiocre  revenu,  on  voit 
des  prêtres  qui  n'ont  pas  le  plus  souvent 
ce  qui  est  nécessaire  pour  l'entretien  lion- 
nêlo  d'un  ecclésiastique;  et  néanmoins  ils 
niénagfnl  avec  tant  d'économie  le  peu  de 
bien  qu'ils  possèdent  qu'on  trouve  dans 
leurs  coffres  après  leur  mort  des  sommes 
considérables. 

Mais,  pour  amasser  ce  bien,  qu'il  leur 
cnûto  de  peine  1  ils  se  laissent  mourir  de 
faim  ;  ils  portent  des  babils  déchirés;  ils 
exigent  leurs  droits  avec  une  dureté  qui 
les  rend  l'objet  de  la  haine  publique  ;  ils  ne 
remettraient  jtas  ce  qui  leur  est  dû  à  un 
pauvre  qui  meurt  de  faim;  l'espérance  du 
gain  leur  fera  faire  toute  sorte  de  lâcheté  et 
de  bassesse. 

Il  y  en  a  aiU»  craignant  qu'après  leur 
mort  on  ne  se  serve  de  leur  argent,  le  ca- 
chent dans  la  terre,  et  ne  découvrent  point 
leur  secret.  S'ils  pouvaient  emporter  leur 
argent  avec  eux,  jamais  leurs  héritiers  ne 
f  routeraient  des  biens  qu'ils  amassent  avec 
tant  de  peine;  et  ce  désir  d'amasser  est  très- 
commun  parmi  les  ecclésiastiques;  quoi- 
que tous  n'en  viennent  pas  à  ces  derniers 
exeès. 

l'auvre  insensé  I  ouvre  lesyeux,  et  con- 
sidère combien  il  est   déraisonnable  de  so 
donner   tant  de  peine    inutilement.    Vous 
amassez  du  bien  ,  que  voulez-vous   en  fai- 
re ?  Vous  ne  prétendez  pas    vous  en  servir; 
vous  n'avez  pas  môiiie  dessein  que   vos  hé 
ritiers  en  profitent  ;  vous  voulez  (jue  vutrt 
cotfre  soit  le  gardien  lidèle  de  voire  argent, 
vous  voulez  qu'il  y  demeure  jusqu'au  leuip 
de  votre  mort,   et  même  après  votre  mort 
si    vous    en   étiez  encore  le  maître.  Q)uel 
sont   donc   vos  desseins?  Tâchez  de  vous 
examiner  vous'^môme,  et  voyez  s'il  est  rai 
sonnable   de  travailler  jour   et    nuit   sans 
connaître  vous-même  le  motif  qui  vous  fait 
agir. 

Considérez,  en  second  lieu,  quelle  est 
votre  injustice  :  car  les  saints  Pères  vous 
assurent  que  ce  bien  qui  est  enlermé  dans 
votre  cotfre  n'est  pas  a  vous  :  c'est  le  bien 
des  pauvres  qui  meurent  de  faim,  pendant 
que  vous  retenez  leur  bieu  contre  toute 
luslice. 

Mais,  en  troisième  lieu,  avt'Z-vous  bien 
fait  rétlexion  que,  comme  pendant  votre  vie 
vous  êtes  méprisé  par  tous  ceux  qui  con- 
naissent votre  avarice ,  après  votre  mort 
tous  les  homuîos  prononceiontcoutie  vous 
des  malédictions?  Les  uns  diront  :  C  est  un 
monstre  d'avarice;  lus  autres  ajouteront  : 
Il  est  indigne  que  son  corps  soit  enseveli 
dans  la  terre  sainte  ;  les  autres  :  Il  faut  le 
déterrer  et  en  faire  un  exeujple.  Vos  héri- 
tiers mêmes,  en  recueillant  votre  bien,  se- 
ront forcés,  malgré  eux,  de  condamner  votre 
avarice. 

Si  c'est  un  crime  aux  ecclésiastiques  d'a- 
masser, ce  n'en  est  pas  un  moindre  de 
dissiper  les  revenus  ecclésiastiques,   et  de 


i'en  servir  pour  vivre  dans  le  luxf>,  car 
*ien  n'est  plus  constant  dans  la  doctrine 
les  conciles  et  des  Pères  que  celte  vérilé  : 
:jes  biens  ecclésiastiques  sont  le  patrimoine 
Jes  pauvres;  les  ecclésiastiques  qui  en 
ont  un  mauvais  usage  volent  un  bien  qui 
n'est  pas  h  eux,  mais  aux  pauvres.  Los  ec- 
clésiastiques r(  niiront  compte  juscju'A  une 
obole  de  tous  les  biens  que  la  divine  Pro- 
vidence a  rais  entre  leurs  mains. 

Les  biens  ecclésiasli(jnes  sont  commu- 
nément appelés  les  vœux  des  fidèles,  le 
prix  des  péchés,  le  i  atrimoine  des  [lauvres 
(237)  :  ce  sont  les  vœux  des  fidèles,  parce 
que  les  fidèles  ont  présenté  ces  biens  à 
l'Eglise  comme  une  oblalion  sainte,  pour 
attirer  les  bénédiction  du  ciel  ;  ce  sont  le 
prix  des  jiéchés,  (larce  qu'ils  ont  cru  qu'en 
se  dépouillant  de  leurs  biens  en  laveur  de 
l'Eglise,  ils  obtiendraient  miséricorde  et  le 
()ardon  de  leurs  péchés;  c'est  le  |)atrimoine 
des  pauvres,  pane  (lu'ils  ont  prétendu  que 
ces  biens  seraient  une  ressource  sûre  pour 
les  pauvres. 

Vous  avez  e  nien  dos  pauvres,  vous  con- 
naissez leur  extrême  misère,  et  vous  ne  le» 
soulagez  pas.  Si  ce  bien  était  à  vous,  si 
vous  en  étiez  le  maître,  vous  seriez  encore 
inexcusable  :  car  quelle  dureté  de  cœur  que 
de  ne  point  compatir  à  la  uiisère  de  votre 
frère?  Mais  il  y  a  plus:  votre  fi ère  qui 
est  dans  la  misère  vous  demande,  et  il  a 
droit  de  vous  demander  :  le  bien  qui  est  en- 
tre vos  mains  esta  lui  ;  quand  vous  le  sou- 
lagerez, ce  ne  sera  pas  seulement  compas- 
sion, ce  sera  justiceque  vous  lui  rendrez. 
Songez  donc  à  votre  frère,  soyez  sensible 
à  sa  misère,  mais  de  plus,  rend(!Z-lui  la 
justice  que  vous  lui  devez,  et  ne  lui  retenez 
[loinl  son  bien,  pendant  qu'il  périt,  et  que 
vous  pourriez  le  soulager  en  lui  rendant  ce 
qui  lui  af/partient 

Les  nécessités  spirituelles  sont  encore 
plus  pressantes  que  les  corporelles.  Si  vous 
êtes  en  état  de  secourir  les  âmes,  et  que 
Dieu  vous  ait  enrichi  de  ses  dons,  emi)res- 
sez-vous,  dit  saint  Grégoire  de  Nazianze, 
de  mettre  en  usage  les  dons  que  vous  avez 
reçus  :  n'attendez  pas  qu'on  vienne  à  vous. 
Un  des  caractères  de  la  charité,  c  est  d'être 
prévenante,  et  d'aller  au-devant  do  ceux 
qui  ont  besoin  de  son  secours.  Je  vais  vous 
|»ro|)Oser  ditférents  moyens  que  Dieu  vous 
fournil  pour  soulager  votre  prochain  dans 
ses  besoins  spirituels. 

Alin  de  ne  l'as  outrer  la  matière,  et  d'a- 
voir toujours  la  vérilé  pour  guide,  je  ne 
vous  dirai  pas  que  vous  soyez  obliges  de 
les  embrasser  tous.  Je  soutiens  seulement 
qu'un  ecclésiastique  n'est  plus  à  lui.  qu'il 
doit  consacrer  sa  vie  au  service  de  son 
prociiain.  C'est  à  vous  de  consulter  Dieu, 
et  de  voir  quel  moyen  il  veut  que  vous 
employiez  pour  satisfaire  à  cette  grande 
obligation. 

En  iireniier  lieu,  il  semble  que  vous  ne 
pouvez  vous  dispenser  de  vous  appliquer  4 


(237)  Vota Gdclium,  prelia  peccaluruin,  ac  palrituoniu»  pauperum. 


1255 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1236 


l'iiistruclion  dos  içDOranls,  ninès  .co  giie 
(lit  saint  Paul  :  Si  je  prêche  l'Evangile,  ce 
nesl  point  un  sujet  de  gloire  ,  puisque  je 
suis  obligé  (remarquez  ces  paroles),  pmjs^î^ê 
je  stiis  obligé  nécessairement  à  ce  ministère, 
et  malheur  à  moi  si  je  ne  prêche  point  l'Evan- 
gile. (I  Cor.,  IX.  IG.) 

Si  vous  avez  des  domestiques,  ou  si  vous 
demeurez  dans  une  maison,  où  il  y  ait  des 
serviteurs  qui  ignorent  leur  foi  et  leur  re- 
ligion, pouvez-vous  en  sûreté  de  cons- 
cience négliger  leur  insiruclion,  qn.ind 
saint  Paul  vous  dit  :  Si  quelqu'un  n'a  pas 
soin  des  siens  ,  et  particulièrement  de  ceux 
de  sa  maison,  il  renonce  à  la  joie,  et  est  pire 
qu'un  infidèle.  (1  Tim.,  V,  8.) 

Je  ne  dis  p.is  que  vous  soyez  obligé  de 
faire  des  discours  élocjucnls,  cumiiosés  de 
paroles  choisies.  Souvent  des  instructions 
familières  et  des  calécliismes,  qui  ne  vous 
coûleroat  pas  tant  de  peine  et  de  travail,  fe- 
ront plus  de  profit. 

Si  voire  zèle  vous  inspirait  de  vous  con- 
sacrer à  l'inslruclion  des  pauvres  et  surtout 
de  la  caDi|)agne,  je  ne  puis  vous  exprimer  les 
bénédictions  que  Dieu  répand  sur  ce  saint 
travail  et  les  consolations  dont  Dieu  récom- 
j>ense  ceux  qui  s'y  a|)pliquenl. 

]1  n'est  pas  toujours  besoin  de  clierclier 
le  Canada  dans  l'Amérique.  Il  se  trouve 
dans  l'ancienne  France  aussi  bien  que  dans 
Ja  nouvelle  ;  il  se  trouve  dans  les  villages 
qui  sont  aux  portes  des  plus  grandes  villes  ; 
(}u'on  en  fasse  l'expérience,  on  y  verra  des 
liotncaes  qui  étant  interrogés  sur  les  for- 
mules du  calédusuie,  n'y  font  pas  des  ré- 
ponses moins  sauvages  que  les  plus  barba- 
res Indiens.  Ils  ont,  tomme  parle  l'Apôlre, 
l'esprit  plein  de  ténèbres.  {Ephes.,  IV,  18.)  Ils 
sont  etitièrement  éloignés  de  la  voie  du 
salut,  è  cause  de  l'ignorance  où  ils  vivent. 
On  y  verra  des  houmies  qui  ne  savent  ni 
l'Oraison  dominicale,  ni  le  Symbole,  qui 
ne  connaissent  pas  Dieu,  ou  qui  ne  le  con- 
naissent que  pour  l'oUenser  ;  qui  joignent 
la  malice  à  l'ignorance,  l'orgueil  h  la  bru- 
talité, qui  vivent  conune  de  démons,  qui 
meurent  comme  des  bêtes. 

C'est  là  que  ceux  qui  devraient  être  la 
lumière  des  autres  ne  sont  eux-mêmes  que 
ténèbres,  ceux  qui  devraient  êlie  le  flam- 
beau ont  besoin  d'être  éclairés.  N'esl-ce  pas 
rendre  un  grand  service  à  l'Eglise  que  d'in- 
struire ces  conducteurs  ignorants?  La  cha- 
rité vous  fournira  des  expédients  pour  eu 
venir  à  bout.  Vous  n'entreprendrez  pas  de 
leur  faire  des  Itçons,  cette  voie  est  odieuse 
et  révolte  les  esprits,  mais  en  conférant 
ensemble  de  vos  obligations  vous  gagnerez 
leur  bienveillance  et  vous  les  mettrez  en 
état  de  s'acquitter  plus  dignement  de  leurs 
devoirs.  Un  ecclésiastique  [)eut-il  mieux 
employer  son  zèle  qu'en  s'aj)pliquant  à 
défricher  ces  terres  incultes,  qu'en  fai- 
sant des  efforts  pour  arracher  ces  ronces  et 
ces  épines  qui  déshonorent  la  vigne  du 
Seigneur  ? 

Cette  obligation  d'instruire  regarde  prin-^ 
Cipaieweni  le?  pasteurs.  Elle  est  indispen- 


sable pour  eux,  ce  sont  eux  qui  doivent 
particulièrement  s'applicjuer  l(!s  paroles  do 
de  saint  Paul  :  5»  je  prêche  l'Evangile,  ce' 
n'est  point  un  sujet  de  gloire  pour  moi,  puis-^ 
que  je  suis  obligé  nécessairement  à  ce  minis- 
tère, et  malheur  à  moi  si  je  ne  prêche  pas 
l  Evangile.  (I  Cor.,  IX,  16.) 

Un  pasteur  qui  n'instruit  pas  osl-il  en  sû- 
reté de  conscience  et  en  voie  de  salut? 
Non.  Un  pasteur  qui  n'est  pas  en  disposi-J 
tion  d'instruire  est-il  obligé  de  quitter  son 
bénélice  ?  Oui.  Un  ecclésiastique  peut- il 
prendre  en  sûreté  de  conscience  un  béné- 
lice h  charge  d'âmes,  lorsqu'il  n'est  pas  en 
état  d'instruire,  ou  bien  lorsqu'en  ayant  les 
talents  il  n'est  pas  sincèrement  résolu  de 
s'acquitter  de  ce  ministère?  Non.  Il  est  né- 
cessaire d'expliquer  distinctement  ces  véri- 
tés, puisqu'elles  sont  fondamentales,  et  que 
ceux  qui  no  les  suivent  pas  sont,  naniles- 
temenl  hors  la  voie  du  salut. 

En  second  lien,  vous  rendrez  un  grand 
service  au  prochain  si  vous  vous  rendez 
capable  de  bien  administrer  le  sacrement 
de  pénitence. 

Un  des  \)\\is  {-'rands  désordres  qui  règne 
datis  l'Eglise,  c'est  que  ce  sacrement  est 
conféré  par  des  ministres  indignes,  qui  ne 
savent  ni  les  règles  de  l'Eglise,  ni  les  remè- 
des.qu'il  faut  applifiuer  pour  guérir  les  ma- 
ladies de  l'ûine.  Ils  ne  savent  ni  quand  il 
est  à  propos  de  donner  l'absolution,  ni 
quand  il  est  nécessaire  de  la  différer.  Ils  no 
savent  ni  ([uand  il  faut  traiter  avec  sévé- 
rité un  pénitent  superbe,  ni  quand  il  faut 
consoler  un  pénitent  humble  que  la  vue  do 
ses  péchés  accable  de  tristesse.  Ils  ne  font 

Eoint  de  distinction  entre  les  péchés  d'ha- 
itude  et  de  fragilité,  entre  un  pécheur 
indocile  et  un  pécheur  converti  :  toute  leur 
science  se  termine  à  écouter  les  péchés  et  à 
donner  l'absolution.  Ministres  indignes, 
vous  profanez  le  sang  de  Jésus-Christ,  vous 
ne  déliez  |)as  les  pécheurs,  mais  vous 
vous  liez  vous-mêmes;  vous  ne  déchargez 
j>as  leur  conscience,  mais  vous  chargez  la, 
vôtre. 

Ce  que  je  ne  dis  pas  a(in  qu'effrayés  du, 
péril  vous  preniez  la  résolution,  (lour  no 
vous  pas  exposer,  de  ne  point  administrer 
le  sacrement  de  pénitence  ;  c'est  encore  un 
autre  désordre.  Ceux  qui  pourraient  deve- 
nir avec  fruit  les  minisires  de  ce  sacrement; 
ceux  qui  ont  les  talents  nécessaires  pour 
gagner  les  âmes  évitent  de  s'engager  dans 
ce  saint  ministère  ou  par  une  paresse  ou 
par  U'ie  timidité  qui  ne  les  excusera  point 
auprès  de  Dieu.  Ils  doivent  craindre  d'être 
rais  au  rang  de  ce  serviteur  qui  ne  fit  point 
jtrofiler  le  talent  qu'il  avait  reçu  de  son  maî- 
tre. Animez-vous  donc  et  travaillez  à  deve- 
inr  de  dignes  ministres  de  ce  sacrement. 
L'Eglise  a  plus  besoin  que  jamais  de  con- 
fesseurs qui  soient  fermes  et  éclairés. 

Dans  ce  sacrement  on  rend  au  prochain 
des  services  essentiels  :  on  foritie  les  fai- 
bles contre  les  tentations  de  l'ennemi,  on 
les  instruit  contre  ses  embûches,  on  dissipe 
leurs  troubles,  ou  relève  ceux  qui  sont  abaU 


1237 


HETUAlTi:  ECCLES.  —  XVI,  CliARlTE  ENVERS  LE  PROCIFAIN. 


Î238 


lus,  on  rassiiroccux  qui  craif^ncnl,  on  con- 
sole les  pauvres  et  les  affligés. 

Combien  do  pécheurs  qui  doivent  leur 
salut  h  la  prudence  d'un  dirocleur  (]ui, 
on  leur  faisant  voir  qu'ils  s'égaraient,  leur 
n  montré  le  chemin  par  où  ils  devaient 
marcher?  Cotiihien  do  pécheurs  ipii  doivent 
leur  salut  à  la  l'ermclé  d'un  confosscur  qui, 
en  leur  dilléruiit  l'absolution,  leur  a  donné 
lioireur  d'une  viu  (|ui  les  rendait  indignes 
do  recevoir  les  saciumenls  de  l'Eglise  ? 
Conitiien  y  en  a-l-il  qui  dnivent  leur  avan- 
cement spirituel  à  !■)  vigilance  d'un  confes- 
seur qui  leur  a  fait  voir  qu'ils  ne  devaient 
I  as  se  contenter  d'une  vie  commune,  mais 
qu'ils  devaient  tAchcr  de  faire  continuelle- 
ment de  nouveaux  progrès  dans  le  chemin 
de  la  vertu  ? 

En  troisième  lieu,  si  vous  avez  do  la 
cnarité  pour  le  prochain,  vous  devez  faire 
lous  vos  efforts  pour  arracher  les  âmes  au 
démon,  pour  retirer  les  pécheurs  de  l'élat 
malheureux  dans  lequel  vous  les  voyez  lan- 
guir. Souvent  un  avertissement  salutaire, 
une  parole  dite  avec  charité  fait  rentrer  un 
pécheur  dans  lui-mènje. 

Quand  ce  sont  des  ecolésiasiiqucs  qui 
déshonorent  jt-ur  caractère  f»ar  une  vie  cri- 
luinelle,  il  faut  rciioubler  vos  eirorts.  Quelle 
victoire  que  de  toucher  le  cœur  d'un  ecclé- 
siastique endurci  1  Premièrement  vous  re- 
tranchez tous  les  scandales  que  causait  sa 
vie  criminelle  :  en  second  lieu,  si  cet  ecclé- 
siastique converti  travaille  lui-même  à  la 
conversion  des  pécheurs.  Dieu  vous  tien- 
dra compte  de  tout  le  bien  qui  so  fera  par 
le  ministère  de  cet  homme  que  vous  aurez 
louché. 

Mais  quand  bien  mémo  les  overtisse- 
menls  que  vous  ferez  aux  pécheurs,  quand 
bien  mémo  tous  les  efloris  que  vous  em- 
ploirez  pour  les  convertir  deviendraient 
inutiles,  au  moins  vous  aurez  la  con^oia- 
tion  d'avoir  accompli  votre  ministère,  cl  do 
vous  être  mis  à  couvert  de  la  menace  que 
Dieu  fait  à  ceux  qui  négligent  le  saiul  de 
leurs  frères  ;  c'est  ainsi  qu'on  parle  Ezé- 
chiel.rSi  quand  je  dis  à  l'impie:  Tu  mourras, 
tous  ne  lui  déclarez  point  celle  sentence,  si 
vous  ne  faites  point  vos  effort  s  pour  le  reti- 
rer des  voies  viaUtcureuses  dans  lesquiilles 
il  se  perd,  l'impie  mourra  dims  son  iniquité, 
et  je  vous  demanderai  compte  de  sa  perle  et 
de  sa  mort.  Voilà  ce  qui  doit  faire  Irembier 
les  ccclésiasliqucîS  qui  ont  tant  d'indilfé- 
rcuce  pour  la  conversion  des  pécheurs.  Mais 
écoutez  ce  que  le  prophète  ajoute  et  ce  qui 
doit  consoler  les  ecclésiastiques  vigilants, 
quand  bien  mémo  leurs  soins  n'auraient 
ji.is  tout  le  succès  qu'ils  iiiteiidenl.  5»  vous 
déclarez  à  l  ùitpie  la  sentence  que  j'ai  pronow 
ce'e  contre  lui  et  qu'il  persévère  dans  sa  vie 
criminelle ,  il  mourra  dans  son  péché.  Mais 
pour  vous,  vous  avez  délivré  votre  âme  parce 
que  vous  avez  satisfait  à  votre  devoir. [Ezeek., 
Jll,  lU  ulsc-q.) 

(258)  «  Causas  aliquanJo  us<iiic  ai  Iioram  rcfc- 
çUouis.  alinuauda  auiem  lot»  di' jcjiuiaiib,  seinpc 


En  quatrième  lieu,  si  vous  pouve;^  accom- 
moder les  différends,  ne  manquez  pas  les 
occasions  de  lo  faire.  Le  ministère  qua  vous 
exercez  est  appelé  par  saint  Paul  un  minis- 
tère de  réconciliation.  Quoi  bien  ne  ferez- 
vous  pas  en  éteignant  ce  procès  qui  eût  été 
une  cause  éternelle  do  division  entre  des 
familles?  en  accordant  une  querelle  qui  eût- 
produit  des  vengeances  et  pout-ôtre  des 
meurtres,  en  faisant  régner  la  paix  dans  un 
lieu  où  l'on  n'apercevait  que  des  troubles  et 
dus  divisions?  Il  est  rapporté  dans  la  vie 
de  saint  Augustin  qu'il  regardait  comme 
un  de  ses  principaux  emplois  de  pacifier 
les  différends,  et  que  souvent  il  donnait 
les  jours  entiers  à  celte  sainte  occupa- 
tion (238). 

En  cinquième  lieu,  votre  saint  ministère 
vous  engage  à  prier  souvent  non-s<;ul.êmenl 
()our  vous,  mais  encore  pour  vos  frères-  Car 
quand  les  péchés  du  peuple  ont  irrité  Dieu, 
00  sont  les  prêtres  qui  sont  particulière- 
ment obligés  d'apaiser  sa  colère.  Dieu  se 
plaint  dansEzéchiel  (XIII,  5)  que  les  pro- 
|)hètes  n'ont  poinl  détourné  sa  colère  par 
leurs  prières  qui  devaient  être  comme  un 
mut  pour  défendre  Israël.  Vos  prières  doi- 
vent être  la  défense  du  peuple,  lo  soutien 
des  villes  e»  des  républitjues,  la  dernière 
ressource  dos  pécheurs  endurcis.  Que  sera- 
ce  donc  si  ceux  qui,  par  leur  étal,  doivent 
réconcilier  les  autres  ont  eux-mêmes  be- 
soin d'intercesseurs  qui  les  réconcilient 
auprès  de  Dieu?  Ne  sera-co  ()as  pour  lors 
que  Dieu  pourra  renouveler  les  plaintes 
qu'il  fail  dans  Ezéchiel  :  J'ai  cherché  parmi 
eux  un  homme  comme  une  haie  entre  moi  et 
mon  peuple,  qui  s'opposât  à  larésoluliun  que 
j'ai  fuite  de  détruire  cette  terre ,  et  je  n  eu  ai 
point  trouvé.  [Ezech.,  111,30.)  C'est  donc 
vous,  ministres  du  Seigneur,  qui  vous  mêl- 
iez entre  Dieu  et  lo  j)euple  par  les  prières 
lervenles  que  vous  répandez  en  présence 
du  Tout-Puissant.  Vos  prières  doivent  aiiai- 
sur  Dieu  et  détourner  sa  colère. 

C'est  ce  que  vous  faites  particuliôremonl 
lorsque  vous  offrez  à  Dieu,  dans  le  sacrilice 
delà  messe,  Jésus-Christ,  cette  victiiuo  in- 
nocente, celte  victimedopropitiation.  Vous 
savez  que  nous  ne  pouvons  rien  de  nous- 
mêmes,  toute  notre  force  vient  do  Jésus- 
Cliiisl,  lie  ce  que  nous  parlons  au  nom  do 
Jésus-Christ ,  de  ce  que  nou.^  pouvons  ôlro 
revêtus  de  Jésus-Christ;  si  nous  pouvons 
parler  au  nom  de  Jésus-Christ ,  n'est-ce  pas 
particulièrement  quand  nous  offrons  son 
corps  el  son  sang  dans  les  saints  mystères? 
C'csl  donc  rendre  à  jsos  frères  un  service 
important  que  de  se  mctlro  en  état,  par 
l'innocence  do  sa  vie,  d'oll'iir  souvent  à 
Dieu  lo  corps  et  le  sang  de  son  Fils.  C'est 
pour  lors  parliculiôrcniont  que,  selon  l'avis 
de  sainl  Paul,  vous  devez  prier, /yo«r  lous 
les  hommes,  pour  les  rois  et  pour  tous  ceux 
qui  sont  élevés  en  dignité.  (1 11m  ,  XI,  1.) 

Un   jtrêlre  lidèle  a  donc    pour  principe 


tamcn  iioscebat  el  dirimebal. 
Au'j.,  cai».  ly.) 


(PossiDoMUS,  £>«  t'î'ia 


fm 


CUATELRS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1240 


de  prier  souvcnl.  La  seuie  vue  des  besoins 
pressants  de  l'Eglise  le  convainc  que  s'il 
n'était  pas  exact  et  fervent  dans  !a  prière, 
il  perdrait  un  des  principaux  moyens  que 
ï)icu  lui  nriet  entre  les  mains  pour  donner 
h  ses  frères  des  léniqigna'ges  de  sa  charité. 
Enfin,  si  vous  voulez  eucore  pousser  plus 
loin  votre  zèle  pour  le  salut  de  votre  pro- 
chain, pleurez,  mortifiez-vous,  faites  péni- 
tence pour  tant  de  pécheurs  endurcis  qui 
devraient  pleurer  et  qui  ne  pleurent  point, 
qui  devraient  faire  pénitence  et  ne  la  font 
point. 
ji^      Saint   Paul   (I  Cor,  Y, 2}  veut   que    les 

•  Corinthiens  pleurent,  parce  qu'ils  avaient 
'  au  milieu  d'eux  un  homme  qui  avait  com- 
mis un  péché  d'impureté  irès-énorme.  Nous 
devrions  aussi  presque  toujours  verser  des 
pleurs  en  faisant  attention  au  grand  nombre 
de  pécheurs  qui  irritent  Dieu  par  des  ac- 
tions qui  ne  sont  guère  moins  criminelles 
que  celle  du  Corinthien. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  (orat.  23, 
p.  78),  en  parlant  des  anciens  solitaires, 
(lit  qu'ils  causaient  par  leurs  larmes  un 
heureux  déluge  qui  expiait  une  partie  des 
jiéchés  du  monde.  Que  vous  seriez  heu- 
reux si  vous  aviez  le  courage  de  prendre  la 
place  de  ces  illustres  pénitents  dans  un 
siècle  où  il  se  commet  un  si  grand  nombre 
de  péchés,  et  où  il  est  si  nécessaire  qu'il  y 
flil  de  saintes  ûines  qui  apaisent  Dieu  par 
leurs  gémissements  ! 

Je  voudrais  vous  porter  à  offrir  ^  Dieu 
des  sacrifices  de  larmes  pour  les  péchés  du 
inonde  comme  pour  vos  propres  olfensos.  Je 
voudrais  que  vous  devinssiez  semblables  à 
ces  hommes  qui  gémissaietit  sur  les  abomi- 
nations du  peuple,  que  le  prophète  marqua 
par  ordre  de  Dieu  pour  les  distinguer  de 
ceux  sur  qui  il  avait  résolu  de  faire  éclater 
sa  justice.  Gravez,  dit  le  t'aint-Esprit ,  la 
lettre  Tliau  sur  le  front  des  hommes  qui  gé' 
missent  et  s'affligent  des  abominations  qui 
$e  commettent  dans  le  milieu  de  Jérusalem. 
Tuez  sans  aucune  rémission  les  vieillards, 
les  jeunes  gens  ,  les  petits  enfants  et  les  feui' 
mes.  Mais  pour  ceux  sur  qui  vous  verrez 
cette  lettre  imprimée,  ne  les  luez  point,  et 
commencez  par  ceux  qui  sont  consacrés  au 
service  de  mes  autels,  [tzech.,  IX,  4.)  Paroles 
remarquables  pour  vous.  Il  est  donc  vrai 
que  ceux  qui  sont  consacrés  au  service  des 
^autels  sont  particulièrement  chargés  de  gé- 
iniir  et  de  faire  pénitonce  pour  les  péchés 
du  peuple.  Les  prêtres,  comme  dit  ie  pro- 
phète Joël  (XI,  17j  pleureront  et  élèveront 
leur  voix,  pour  demander  à  Dieu  qu'îV  par- 
donne à  son  peuple. 

Ainsi  (juoKiue  vous  ne  puissiez  réformer 
tous  bs,  désordres  et  tous  les  scand->les  de 
l'Eglise,  vous  n'êtes  pas  pour  cela  dispen- 
sés de  les  pleurer.  Une  graiide  partie  de 
votre  dévotion  consiste  à  en  gémir  devant 
Dieu,  à  être  touché  de  confusion  et  de  honte 
en  les  voj'ant.  Si  vous  avez  quelque  zèle, 
vous  ne  devez  point  discontinuer  d'otl'rir  à 
Pieu  des  f)rières    des  larmes  et  des  actions 

•  à^  })0iHlence, 


Dieu  étant  autant  offensé  qu'il  l'est  par 
une  infinité  de  pécheurs  :  le  monde  étant 
inondé  de  crimes,  comme  nous  ne  pouvons 
nous  le  dissimuler,  n'en  douions  pas,  le 
monde  périrait  et  Dieu,  tout  lent  qu'il  est  à 
châtier,  serait  forcé  d'exercer  ses  plus  terri- 
bles vengeances,  s'il  ne  se  rencontrait  des 
justes  qui  par  leurs  larmes  et  leurs  mortir 
ficalions  désarment  sa  colère. 

Voilà  pourquoi  dans  tous  les  femjis 
des  hommes  [ileins  de  zèle,  prenant  le  nom 
de  pénitent  et  en  pratiquant  les  austérités, 
se  sont  renfermés  dans  des  retraites  pour 
y  pleurer  les  péchés  du  monde,  aussi  amè- 
renienlque  s'ils  en  étaient  eux-mêmes  cou- 
pables. 

Ce  zèle  si  louabie  et  si  chrétien  devrait 
bien  échauffer  celui  des  prêtres  qui  sont 
obligés  par  leur  caractère  de  surpasser  les 
autres  fidèles  en  charité  pour  le  prochain. 

Il  est  nécessaire  qu'il  y  ait  de  ces  hommes 
zélés  qui ,  touchés  des  crimes  du  monde  , 
répandent  des  larmes  et  apaisent  Dieu  par 
des  œuvres  de  pénitence.  Qui  est  plus  obli- 
gé de  rendre  aux  hommes  ce  devoir  de 
charité  que  les  prêtres  è  qui  il  appartient 
par  leur  ministère  de  prier  pour  les  pé- 
cheurs, de  les  réconcilier  et  d'apaiser  Dieu 
en  leur  faveur? 

i.  Vous  voyez  donc  que  si  vous  avez  de 
la  charité  pour  voire  prochain,  vous  avez 
plusieurs  moyens  de  la  faire  paraître ,  eu 
le  soulageant  par  vos  aumônes,  eri  instrui- 
sant les  ignorants,  en  recueillant  les  pé- 
cheurs dans  le  sacrement  de  pénitence,  en 
faisant  connaître  aux  pécheurs  endurcis 
les  périls  auxquels  ils  s'exposent,  en  pa- 
cifiant les  différends,  en  priant  pour  les 
peuples,  en  apaisant  Dieu  [lar  une  vie 
mortifiée  et  pénitente.  Il  me  reste  à  vous 
proposer  quelques  maximes  qui  vous  ins- 
truiront des  dispositions  dans  lesquelles 
vous  devez  être  pour  bien  accomplir  le 
précepte  qui  vous  oblige  de  rendre  service 
au  prochain. 

TROISIÈME   POINT 

La  première  maxime  que  j'établis,  c'est 
que  vous  devez  toujours  être  prêt  de  quit- 
ter vos  occupations,  quelque  agréables 
qu'elles  vous  paraissent,  quelque  altacher- 
ment  que  vous  y  sentiez  ,  quand  il  s'agit 
de  travailler  pour  le  bien  de  votre  pro- 
chain. 

Vous  trouvez  de  grands  charmes  dans 
l'élude,  les  heures  que  vous  y  passez  vous 
paraissent  des  mouicnls  :  c'est  vous  faire 
un  déplaisir  mortel  que  de  vous  arracher 
à  vos  livres.  Mais  celui  qui  vous  trouble 
dans  votre  étude  est  un  homme  affligé  qui 
a  besoin  de  consolalion  et  de  conseil.  C'est 
un  malade  qui  vous  appelle  pour  le  soula- 
ger dans  les  maux  dont  il  est  accablé.  Lais- 
sez vos  livres,  quittez  votre  élude.  Si  voire 
charité  est  bien  réglée,  nulle  occupation  ne 
pourra  vous  détourner  quand  il  s'agira  de 
secourir  vos  frères. 

Vous  aviez  destiné  ce  jour  à  rendre  visite 
h  un  de  \os  auns.  L'on  vous  a  représenté 


1241 


RETRAITE  EC.CLES.  —  XVI,  CHARITE  ENVERS  LE  PROCHAIN. 


124-2 


que  l'on  a  besoin  de  vous  pour  une  œuvre 
de  cliariléqui  ne  se  peut  remettre.  Dillércz 
votre  visite,  faites  un  sacrilice  à  Dieu  de  la 
luoriiticaiion  que  vous  aurez  de  ne  point 
voir  voire  ami  :  car  si  vous  êtes  animé 
d'une  véritable  charité  ,  vous  devez  tou- 
jours être  prêt,  quand  il  est  question  de 
vous  emi)loyt.'r  pour  l'utilité  de  votre  pro- 
chain. 

J'en  dis  de  môme  de  ce  voyage  que  vous 
méditiez  depuis  si  longtemps,  de  ces  pro- 
jets que  vous  faisiez  de  prendre  ce  temps 
pour  vous  donner  du  relâche.  Celui  qui  est 
maître  de  votre  vie  et  de  votre  temps  vous 
fuit  naître  dus  occasions  de  servir  le  pro- 
chain, soyez  toujours  prêts  d'obéir  à  Dieu. 
Vous  aviez  des  desseins  contraires,  sou- 
niettez-vous  de  bon  cœur,  toute  votre  gloire 
est  d'obéir  promptemenl. 

Mais,  me  direz-vous,  ces  hommes  qui  me 
consultent,  me  fatiguent  et  ra'ennuieni,  ils 
me  détournent  de  mes  occupations  et  je  ne 
suis  plus  le  maître  de  mon  temps.  Mais 
moi  je  vous  réponds  que  depuis  que  vous 
êtes  ecclésiastique  votre  temps  n'est  |)lus  à 
vous,  c'est  votre  frère  qui  en  est  le  maître. 
Jiunais  vous  ne  pouvez  l'employer  plus 
utilement  qu'à  secourir  votre  prochain. 
Dieu,  qui  vous  commande  de  vous  donner 
à  lui,  vous  défend  de  vous  attacher  à  vos 
occupations.  Il  ne  vous  doit  point  être  fâ- 
cheux de  les  interrompre  quand  il  est  quas- 
lion  de  rentre  service  à  votre  prochain. 

Vous  ne  pouvez  mieux  faire  que  d'entrer 
dans  les  dispositions  d'un  évêque  d'Antio- 
che  nommé  Anastase.  Celévêque  étaildouï, 
facile,  honnête,  toujours  prêt  à  ré|)ondre  à 
ceux  qui  avaient  besoin  de  sou  conseil.  Mais 
quand  on  le  détournait  de  ses  occupations 
pour  des  choses  inutiles,  ses  oreilles  étaient 
fermées,  il  gardait  le  silence  et  en)pêchail 
par  ce  moyen  qu'on  ne  lui  rendît  des 
visites  importunes  et  qui  consument  inu- 
tilement un  temps  qui  nous  doit  être  si 
précieux  (239). 

Comme  donc  vous  ne  devez  point  quitter 
vos  occupations  pour  perdre  le  temps,  aussi 
vous  devez  toujours  être  dans  la  disposi- 
tion de  les  abandonner,  pour  rendre  service 
à  vos  frères. 

Le  temps  même  de  la  prière  n'a  pas  de 
privilège  quand  il  s'agit  de  rendre  au  pro- 
chain quelque  service  important. 
.  Théûdoret  (I.  IV  Uist.,  c.  18)  nous  rap- 
porte  un  bel  exemple  dans  la  personne  de 
deux  prêtres  d'Edesse ,  que  l'empereur 
Valens  avait  exilés  dans  une  ville  oii  il  y 
avait  beaucoup  de  païens.  L'un  d'eux  ,  qui 
se  nommait  Euloge,  était  continuellement 
occupé  à  la  prière.  Protogène,  dont  l'élo- 
quence était  soutenue  par  le  don  de  faire 
des  miracles,  convertissait  à  la  foi  de  Jésus- 
Christ  un  grand  nombre  d'inûdèles.  Aussi- 
tôt  qu'ils    étaient  convaincus    et   résolus 

1^259)  EvACR.,  îlisl.,  lib.  IV,  c.  40. 

(i40)  I  Quanlo  dignius  fratresdicunluret  haben- 
rurqui  unurn  Patrem  Deum  agnoverunt,  qui  unum 
spiiiiuin  biberunl  saiiclilatis,  qui  de  uiio  utero  igiio 
lantiœ  e^Ubdem  ad  uuam  lucem  eipaverum  vçri- 


d'embrnsser  la  foi,  il  les  amenait  h  Euloge 
afin  qu'ils  reçussent  de  lui  le  saint  ba[)t6nie. 
Car  Protogène  rendait  cet  honneur  h  Euloge, 
parce  qu'il  était  [dus  ancien  prêtre  que  lui. 
Comme  Euloge  se  plaignait  qu'on  l'inter- 
rompait au  milieu  de  ses  prières,  Prologèiwo 
lui  répondit  qu'il  ne  devait  point  avoir  de 
peine  à  quitter  sa  [)rière ,  f)uisqu'il  s'agis- 
sait de  travailler  au  salut  de  ses  frères. 

La  seconde  maxime  que  je  vous  propose 
c'est  de  rendre  service  aux  petits  comme 
aux  grands,  aux  pauvres  comme  aux  riches, 
et  même  pour  ainsi  dire  avec  plus  de  joie  à 
ceux  qui  sont  abandonnés  et  qui  ne  peu- 
vent reconnaître  les  soins  obligeants  que 
vous  prenez  pour  eux. 

Saint  Paul  vous  dit  :  Je  suis  redevable 
aux  Grecs  et  aux  barbares ,  aux  savants  et 
aux  ignorants.  (Rom.,  1,  14..)  ,C'est-à -dire 
aux  savants  et  aux  simples.  Comment  donc 
oserez-vous  faire  des  distinctions,  puisque, 
selon  les  principes  de  saint  Paul  ,  nous 
sommes  également  débiteurs  à  tous  les 
hommes  ? 

Ces  distinctions  entre  les  riches  et  les 
pauvres  étaient  bien,  inconnues  aux  pre- 
miers chrétiens.  Chez  eux  régnaient  ces 
saintes  maximes  :  Nous  sommes  tous  frères, 
puisque  nous  avons  pour  père  le  même 
Dieu,  nous  avons  reçu  le  môme  esprit  de 
sainteté.  Nous  avons  tous  été  tirés  des  mê- 
mes ténèbres  et  éclairés  par  lu  même  lu- 
mière. Ce  que  nous  faisons  en  faveur  des 
empereurs,  nous  sommes  prêts  de  le  faire 
en  laveur  du  moindre  de  nos  frères;  parce 
que  nous  n'attendons  notre  récom[)enseque 
de  Dieu  ;  et  Dieu  ne  récompense  que  ceux 
qui  sont  disposés  à  faire  du  bien  également 
à  tous  les  hommes  (240). 

Loin  d'ici  ces  ecclésiastiques  intéressés, 
qui  l'ont  de  la  maison  du  Seigneur  une  mai- 
son de  trafic,  qui  courent  avec  précipitation 
lorsque  les  grands  les  appellent,  et  ne  peu- 
vent marcher,  lorsque  les  petits  ont  besoin 
de  leur  secours.  Quand  ils  sont  dans  les 
maisons  des  puissants,  ils  y  demeurent  plus 
longtemps  qu'on  ne  veut  ;  à  j)eine  sont-ils 
entrés  dans  la  maison  des  pauvres  qu'ils  en 
veulent  sortir.  Quand  ils  espèrent  un  grand 
gain,  ils  font  de  longues  prières;  quand  il 
n'y  a  point  de  récompense  à  attendre,  leurs 
prières  sont  très-courtes.  Les  riches  sont 
écoutés  aussi  longtemps  qu'ils  veulent,  les 
pauvres,  diseut-ils  sont  des  ipaporluns, 
après  lesquels  on  n'a  jamais  fait,  si  on  ne 
les  renvoie.  On  est  doux,  affable,  quand  les 
grands  demandent  conseil,  on  j)rend  un 
visage  sévère,  et  même  rebutant  quand  on 
est  abordé  par  les  pauvres.  Les  riches  après 
leur  mort  trouvent  un  grand  nombre  d'ec- 
clésiastiques qui  offrent  leurs  prières  ;  lo 
pauvre  est  jeté  en  terre,  et  personne  ne 
prie  pour  lui. 
O  vous,  qui  n'agissez  que  par   intérêt, 

ialis.  >  (Tébt.,  ApoL,  39.) 

4  Non  ab  honiine  aul  laudis  aut  prxmii  expcn- 
sum  caplamus,  seda  Deo  exaclore,  el  rcniuneralure 
indillerenlis  boniialis.  >  (Ibid.,  c.  50,) 


niz 


ORATEURS  SACRES.  JOSLPII  LAMBERT. 


12  4  i 


VOUS  êles  bien  éloigni's  du  sontimenl  du 
grand  Apôlre.  Il  iaisail  consister  sa  glojre 
à  ne  pas  même  exiger  les  droits  qui  lui 
étaient  dus  légitimement.  Cest'ld  ma  gloire, 
dit  cet  Apôlre,  j'aimerais  mieux  mourir  nue 
de  souffrir  que  quelqu  un  me  fît  perdre  celte 
gloire.  (  I  Cor.,  IX,  15.)  Ne  savez-vous  pas 
que  l'Apôtre  colidamne  particulièrement 
cfux  qui  s'imaginent  que  les  œuvres  do 
piété  li'ur  doivent  servir  pour  s'eni-ioliir ? 
(I  2ViH.,Vl,  5.)  Ne  savez-vous  pas  que  quand 
l'Apôtre  parle  des  conditions  pour  être  mi- 
nistre du  Seigneur  (1  Tim.,  111,  8),  il  de- 
mande surtout  qu'il  ne  cherche  |ioint  de 
gain  honteux  ?  Ne  savez-vous  pas  enlin  com- 
bien est  grande  l'indignation  de  l'Apôtre 
contre  ceux  qui,  par  un  esprit  d'intérêt,  [)ré- 
variquenl  dans  leur  ministère?  {TH.,  l,  H.) 

La  troisième  et  dernière  maxime  <iuej'a 
vance,  c'est  que  vous  ne  devez  jamais  vou- 
lasser  de  faire  du  bien  à  votre  prochain. 
Quelque  terapsqu'il  yait  que  vous  consacriez 
votre  vie  à  l'utilité  de  vos  frères,  quelque 
important  que  ce  soit  ce  que  vous  avez 
fait  pour  eux,  .continuez  à  vous  immoler 
pour  vos  frères,  ut  ne  dites  jamais  c'est 
assez. 

C'est  ce  qu'enseigne  saint  Paul  :  Acquittez- 
vous  envers  tous  de  ce  que  vous  leur  devez,  ne 
demeurant  redevable  que  de  l'amour  qu'on  se 
doit  toujours  les  uris  aux  autres.  {Rom.,  XIU, 
8  )  L'amour  du  |)rochain,  selon  saintPuul,  est 
une  dette  dont  on  ne  s'acquitte  pas  comme 
des  autres  qu'on  ne  doit  plus  lorsqu'on  les 
a  une  fois  paj'ées.  Quoique  vous  lassiez  pour 
vos  frères,  vous  leur  devez  toujours,  et  voilà 
pourquoi  saint  Paul  |)rononce  que  nous  de- 
meurons toujours  redevables  de  l'amour 
que  nous  sommes  obligés  d'avoir  les  uns 
l)0ur  les  autres. 

«  Plus  nous  rendons  d'amour  et  de  cha- 
rité, plus  nous  en  devons,»  dit  saint  Augus- 
tin (241).oCelui,  dit  saint  Fu'lgence  (24^2),  qui 
ne  croit  pas  toujours  devoir  la  charité  à  son 
prochain  ne  doit  pas  se  réjouir  comme  s'il 
était  quitte  de  cette  dette,  mais  se  pleurer 
soi-même  comme  étant  sans  charité.  » 

Ne  croyons  donc  pas  faire  grâce  à  nos 
frères,  lorsque  nous  leur  donnons  des  i)reu- 
ves  de  notre  amour.  Souvenons-nous  que 
c'est  une  dette  que  nous  no  pouvons  nous 
dispenser  de  payer.  Nous  sounues  redeva- 
bles h  nos  frères  à  cause  de  la  liaison  qui 
est  entre  eux  et  nous.  Nous  sommes  mem- 
bresd'un  môme  corps;  si  la  charité  n'est  point 
dans  notre  cœur,  nous  renonçons  à  cette 
union,  et  n'étant  plus  unis  avec  nos  frères, 
nous  n'avons  plus  Jésus  -  Christ  pour 
chef. 

Mais,  quoique  cette  obligation  de  rendre 
service  à  vos  frères  soit  continuelle,  quoi- 
qu'elle doive  durer  autant  que  votre  vie, 
ne  la  regardez  pas  comme  un  fardeau. 

Songez,  comme  parie  saint  Chrysostome 
(hom.  77),  (ju'en  travaillant  nu  salut  de  vos 

(341)  (  Cliarilatem  lanto  magis  debcoius  (juantu 
ainpiius  expcntlimui.  »  (Auc,  cp.  HO,  jiov,  cdit. 
aiias  \ùo.) 


frères,  vous  travaillez  efficacement  au  vô- 
tre. Car  c'est  ainsi  que  ce  grand  saint  ré- 
pond à  celui  qui  lui  dit  :  Me  conseillez-vous 
d'abandonner  mes  propres  alfair.cs  pour  me 
charger  do  celles  des  autres?  Ne  vous  trom- 
pez point,  dit  saint  Chrysostome,  celui  qui 
prend  soin  des  intérêts  de  son  prochain  no 
néglige  point  ses  prof)res  intérêts  ;  en  ser- 
vant les  autres,  il  se  sert  lui-même.  Songez 
que  vous  ne  pouvez  rien  oll'rir  à  Dieu 
qui  lui  soit  plus  agréable  que  ces  hommes 
aveugles  h  qui  vous  avez  ouvert  les  yeux, 
et  que  vous  avez  instruits  des  maximes  les 
I)lus  pures  de  la  religion  ;  songez  que  vous 
ne  faites  jamais  à  Dieu  do  prière  plus  elli- 
cace  que  lorsque  vous  apprenez  à  vos  frères 
h  prier  et  à  lever  les  mains  au  ciel;  songez 
que  Dieu  vous  tiendra  compte  de  ces  soins, 
de  ces  veilles,  de  ces  avertissements  ;  son- 
gez que  vous  ne  pouvez  donner  à  Dieu  des 
marques  de  votre  amour  qui  lui  soient  plus 
chères,  qu'en  inspirant  aux  autres  son 
amour,  qu'en  faisant  en  sorte  que  Dieu  soit 
servi  de  votre  prochain. 

Pensons  à  ces  vérités,  soyons  persuadés, 
ajoute  saint  Chrysostome,  que  nous  ne  pou- 
vons être  sauvés  qu'en  contribuant  autant 
que  nous  pouvons  au  salut  de  nos  frères. 
'Tremblons  en  considérant  l'exemple  de  ce 
serviteur  inlidèleque  Dieu  met  au  rang  des 
hypocrites,  et  do  cet  autre  qui  cache  son 
talent  dans  la  terre.  Marchons  par  une  voie 
toute  contraire,  travaillons  à  devenir  de  ti- 
dèles  serviteurs  ;  il  faut  pour  cela  faire  pro- 
liter  tous  les  talents  que  nous  avons  reçus 
du  père  de  famille.  C'est  le  vrai  moyen  d'at- 
tirersos  louanges,  et  d'obtenir  de  sa  miséri- 
corde les  récompenses  infinies  qui  nous 
sont  promises  dans  l'éternité, 

DISCOURS  XVU 

DE   l'union    oui    doit    ÊTRE    ENTRE    LES    EC- 
CLÉSIASTIQUES. 

J'ai  aujourd'hui  à  vous  entretenir  d'un 
précepte  tres-importanl  que  Jésus-Christ 
nous  a  déclaré  être  le  second  commande- 
ment de  sa  loi. 

Le  Fils  de  Dieu  interrogé  par  un  docteur 
de  la  loi  qui  lui  demande  :  Quel  est  te  grand 
commandement  ?  répond  :  Vous  aimerez  le 
Seigneur  votre  Dieu  de  tout  votre  cœur ,  de 
toute  votre  âme,  de  tout  votre  esprit ,  c'est  là 
le  premier  et  le  grand  commandement,  et  voici 
le  second  qui  est  semblable  à  celui  là  ;  Vous 
aimerez  votre  prochain  comme  vous-même. 
{Matlh.y  Xill,  3G.) 
[  Le  précepte  donc  qui  nous  oblige  d'aimer 
'notre  |)rochain  est  le  second  commande- 
ment, et  le  Fils  do  Dieu  nous  assure  qu'il 
est  semblable  au  premier.  Pourquoi  est-il 
semblable  au  premier? 

C'est,  en  premier  lieu,  parce  que  comme 
Se  premier  il  nous  commande  d'aimer. 

Secondement,  c'est  que  comme  le  pre- 
mier commandement  est  le  princiiio  de  ceux 

(242)  €  Qui  se  cliaiitatis  non  scinpcr  cxîslimal  dc- 
biloiem,  non  se  debitogauJcai.'»bsoluUiiu;sc(l  dono 
cbarllalislu^cal  dcstilutum.v  (Scrm.  de  cliaril.'^ 


i<H 


RETRAITE  ECCLES.  —  XVH,  LIMON  ENTRE  LES  ECCL. 


Kid 


qui  regardent  Dion  et  les  fait  accomplir, 
aussi  le  second  oonim.indement,  qui  nous 
ordonne  d'aimer  le  prochain,  est  un  })rincipo 
sûr  qui  nous  conduit  edicacement  h  l'ac- 
coinpiissefnent  de  tous  les  préceptes  qui 
regardent  le  prociiain.  Ce  qui  a  fait  dire  à 
SfJinl  Pnui  que  Vamour  est  l'accomplissement 
de  la  loi.  (/Jom.,  XIII,  10.) 

Le  prc'cepte  qui  nous  oblige  d'aimer  no- 
tre prochain  nous  oblige  do  vivre  avec  lui 
dans  une  parfaite  union.  Toute  division  est 
opposée  à  la  sainteté  de  ce  précepte.  C'est 
pourquoi  tout  chrétien  doit  aimer  souve- 
rainement l'union,  ei  il  doit  haïr  la  divi- 
sion comme  un  vice  directement  contraire  h 
une  de  ses  obligations  fondamentales. 

Les  ecclésiasliques  surtout  doivent  Cire 
plus  attentifs  que  les  autres  à  conserver 
l'union.  C'est  un  devoir  indispensable  pour 
eux  d'être  en  union  avec  tous  les  hoipmes  ; 
niais  ce  qui  est  encore  un  devoir  plus  pres- 
sant, et  auquel  ils  ne  peuvent  manquer 
sans  causer  un  grand  scandale,  c'est  de 
garder  entre  eux  une  très-étroite  union  , 
de  telle  sorle  qu'on  n'aperçoive  jamais  parmi 
les  ministres  du  Seigneur  la  moindre  om- 
bre de  division. 

C'est  de  cette  sainte  union  dont  je  dois 
vous  parler  dans  ce  discours.  Je  me  servirai 
de  plusieurs  preuves  qui  font  voir  égale- 
ment ce  que  tous  les  c)iréliens  sont  obligés 
d'observer.  Mais  elles  n'en  doivent  être  quo 
plus  fortes  pour  vous  convaincre,  étant  cer- 
tain qu'un  devoir  si  étroitement  recom- 
mandé à  tous  les  fidèles  l'est  encore  da- 
vantage à  lous  les  ecclésiastiques  qui  sont 
obligés  de  rararcher  à  la  tête  desaulres ,  sur 
tout  ce  qui  regarde  l'observalion  de  ja  loi 
de  Dieu. 

Il  y  a  deux  erreurs  que  la  malice  des 
hommes  a  introduites,  et  qui  sont  cause  que 
plusieurs  n'observent  pas  le  grand  précepte 
que  j'ai  a  vous  expliquer.  Les  uns  ne  sont 
l)Osassez  convaincus  de  l'obligation  du  pré- 
cepte ,  les  autres  n'en  connaissent  pas  assez 
l'étendue.  Pour  l'instruction  des  premiers 
je  vous  ferai  voir  combien  est  étroite  l'obli- 
gation qui  nous  est  imposée  do  vivre  en 
union  avec  nos  frères.  Pour  l'instruction 
dessecondsje  vous  montrerai  ce  que  nous 
sommes  obligés  do  faire  pour  observer  la 
loi  que  le  Fils  do  Dieu  nous  impose  de  vi- 
vre en  union  avec  nos  frères. 

PftEMIEH    POINT. 

Le  précepte  qui  nous  oblige  de  vivre  en- 
semble dans  une  étroite  union  est  aussi  an- 
cien que  le  monde.  Dès  (lue  les  hommes 
ont  été  formés  ,  il  leur  a  été  conmiandé  do 
se  soumettre  à  celte  sainte  et  salutaire  Loi. 
Dieu  marqua  excellemment  le  dessein  qu'il 
avait  d'allermir  colle  loi  si  nécessaire, 
dans  la  manière  dont  il  se  conduisit  lors- 
qu'il forma  le  plus  excellent  de  ses  ouvra- 
ges. 

Saint  Augustin  demande  d'oii  vient  que 

(245j  I  Ilominem  veto  unumacsingulum  crcavit, 
DOii  uiique  solum  sine  liuinana  societale  descren- 
Uuni,  sed  ut  eu  modo  vcl^ciueulius  comincnJoietur 


Dieu  a  d'abord  formé  un  seul  liomme,  et 
poonpioi  il  a  voulu  (lue  tous  les  hommes 
tirassent  leur  origine  d'un  seul?  Dieu  n'a 
pas  gardé  la  môme  conduite  da^'<s  la  forma- 
tion des  animaux.  Il  en  créa  d'aoorJ  plu- 
sieurs de  la  môme  espèce.  .Mais  quand  il 
résolut  de  former  l'homme  cet  excellent 
ouvrage,  et  sur  qui  il  avait  de  si  grands 
desseins,  il  n'en  i)roduisit  (]u'un  seul;  non 
pas  qu'il  eût  dessein  que  l'homme  demeurât 
solitaire  et  sans  société;  mais  il  prétendait 
par  lu  unir  ensemble  les  hommes  d'une  ma- 
nière plus  étroite.  Non-seulement  il  est 
juste  qu'ils  soient  unis  h  ceux  à  qui  le  Sei- 
gneur les  a  fait  ressembler,  mais  encore  le 
commun  priixupe  dont  ils  sortent  est  une 
voix  continuelle  qui  les  avertit  de  n'avoir 
ensemble  qu'un  môme  cœur,  comme,  ils 
n'ont  qu'une  môme  origine  {243). 

Tels  ont  été  les  desseins  de  Dieu,  et  afin 
que  ses  desseins  fussent  fidèlement  exécu- 
tés ,  il  avait  mis  dans  l'homme  une  inclina- 
tion naturelle,  qui  le  portail  à  vivre  avec 
son  frère  dans  une  [larfaile  union,  Mais 
d'où  vient  que  celte  inclination  s'est  per- 
due, et  que  l'homuie  n'en  suit  plus  les  sa- 
ges impressions?  Pourquoi  l'homme  a-t-il 
oublié  l'alliance  qu'il  avait  avec  ses  sembla- 
bles ,  et  l'union  qu'il  était  obligé  de  garder 
avec  eux  en  conséquence  de  cette  alliance? 

Que  les  elfets  du  péché  sont  funestes  1 
Reconnaissez  tous  les  troubles  que  le  pé- 
ché a  causés  dans  le  inoiule.  C'est  le  |)éché 
qui  a  séparé  ce  «lue  Dieu  avait  uni.  C'est  lo 
péché  qui  a  fait  oublier  le  nom  sacré  de 
frère,  qui  devait  être  si  cher  à  tous  les 
hommes,  et  dont  Dieu  leur  avait  recom- 
mandé si  expressément  de  conserver  le  sou- 
venir. Les  hommes,  au  lieu  de  se  considérer 
comme  étant  frères,  se  sont  regardés  com- 
me ennemis,  et  se  sont  fait  mutuellement 
une  cruelle  guerre. 

Quel  changement  dans  rhomrao  depuis  sa 
désobéissance,  et  qu'il  est  devenu  dilférent 
de  ce  qu'il  éiait  et  de  ce  qu'il  devait  ôlrel 
L'homme  était  né  pour  être  soumis  à  Dieu. 
Dieu  l'avait  composé  de  deux  parties,  l'une 
supérieure  ,  l'autre  inférieure.  L'ordre  est 
que  la  partie  inférieure  obéisse  à  la  supé- 
rieure, et  Dieu  l'avait  ainsi  réglé.  Dieu  vou- 
lait que  tous  les  hommes  n'eussent  qu'un 
cœur.  Il  voulait  qu'il  y  eût  entre  eux  une 
union  mutuelle,  qui  fût  le  nœud  sacré  d'une 
paix  fixe,  qui  devait  toujours  ilurer. 

Voici  un  renversement  général,  dont  il 
ne  faut  point  chercher  d'autre  cause  que  le 
[léché.  L'homme  ingrat  a  oublié  ce  qu'il 
devait  à  Dieu  ,  et  il  a  bien  osé  se  révolter 
contre  lui.  Après  celte  injuste  révolte  il  n'a 
pas  dû  s'étonner  que  ce  qui  étidl  né  dans 
lui  pour  obéir  secouât  le  joug.  Les  hommes 
ne  considérant  plus  Dieu  comme  leur  père, 
n'ont  pas  élé  attentifs  à  toutes  les  raisons 
qui  les  engageaient  à  conserver  entre  eux 
une  étroite  union.  L  homme   résiste  à  sou 

socielalis  uniias,  si  non  lanlum  inter  se  naturx  si- 
nilliludine,  vcruin  eliiun  coi^^iialiuiiis  aifectu  lioininca 
iiccleieiilui .  )  (Lib.  Xlt  De  cii.  Dci-,  taji.  21r.) 


1247 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


124S 


Dieu.  L'homme  éprouve  une  guerre  au  mi- 
lieu de  lui-même.  L'homme  regarde  ses 
frères  comme  ses  ennemis:  ou  il  songe  à 
leur  nuire,  ou  il  est  occupé  du  soin  de  se 
défendre. 

Il  est  donc  vrai  que  la  division  est  une 
suite  du  péché,  et  que  quand  un  homme 
est  en  division  avec  un  autre  homme,  il 
agit  directement  contre  les  desseins  de 
Dieu  ,  contre  l'ordre  que  Dieu  avait  élabli  , 
et  qui  est  aussi  ancien  que  l'homme  môme. 

Les  desseins  de  Dieu  n'étant  plus  connus, 
n'y  ayant  plus  sur  la  terre  presqu'aueua 
vestige  de  l'ordre  sacré  que  Dieu  avait  éta- 
bli pour  être  inviolablement  gardé,  Jésus- 
Christ  est  venu  pour  réformer  le  munde,  et 
pour  inviter  les  hommes  à  marcher  dans  la 
voie  dont  ils  s'étaient  si  misérablement 
éloignés.  L'ordre  de  Dieu  est  que  les  hom- 
mes soient  unis  ensemble.  Le  péché  a  dé- 
truit celte  précieuse  union.  Que  n'a  point 
fait  Jésus-Christ  pour  rétablir  ce  que  le  pé- 
ché avait  détruit? 

Pourquoi  Jésus-Christ  recommande-t-il 
si  fortement  à  ses  disciples  d'être  unis  en- 
semble? Pourquoi  ce  commandement  esl-il 
si  souvent  répété  ?  Pourquoi  Jésus-Christ 
s'attache-tTil  particulièrement  à  imprimer 
celle  loi  salutaire?  Pourquoi assure-l-il  que 
c'est  une  loi  fondamentale?  Pourquoi  don- 
ne-t-il  l'observalion  de  celle  loi  comme  une 
marque  à  laquelle  il  distinguera  ses  vrais 
disciples?  C'est  qu'il  s'agit  de  rétablir  l'or- 
dre de  Dieu  que  le  péché  avait  renversé. 

Si  celle  union  est  si  chère  à  Jésus-Christ, 
combien  ne  le  doil-elle  pas  être  à  tous  ceux 
qui  font  profession  de  le  reconnaître  pour 
chef,  et  qui  sont  convaincus  que  le  vrai 
bonheur  de  l'homme  est  attaché  à  l'obser 
vaiion  de  sa  loi  ? 

Le  commandement  qui  nous  oblige  de 
nous  aimer  est  leconjmandemenl  de  Jésus- 
Christ.  C'est  un  commandement  dont  l'ob- 
servalion est  particulièrement  recomman 
dée.  Il  n'est  jamais  plus  irrité  que  quand  on 
viole  cette  loi.  On  dirait  à  l'entendre,  qu'il 
n'est  venu  sur  la  terre  ,  que  pour  établir 
cette  seule  loi.  Je  vous  donne,  dit-il  à  ses 
disciples,  un  conimandemenr(Joan.,  X.III, 
34) ,  c'est-h-dire  un  commandement  par 
excellence  :  c'esl-à-dire  un  commandement 
h  l'observation  duquel  vous  devez  être  par- 
ticulièrement attentifs.  El  quel  est  ce  com- 
mandement? Que  vous  vous  aimiez  les  uns 
les  autres.  Ce  commandement  est  donc  par 
préférence  le  commandement  de  Jésus - 
Christ,  et  l'on  ne  peut  êire  à  lui  à  moins 
qu'on  ne  fasse  toutes  sortes  d'etforts  pour 
accomplir  fidèlement  celte  loi. 

Le  Fils  de  Dieu  appelle  ce  commandement 
un  commandemenl  nouveau.  Je  v ou f  donne, 
dit-il ,  un  commandement  nouveau  ,  qui  esù 
de  vous  aimer  les  uns  les  autres.     ' 

On  demande  pourquoi  ce  commandement 
est  appelé  un  commandement  nouveau. 

Saint  Augustin  répond  que   c'est  qu'il  rc- 

(244)  «  Dileciio  isla  nos  innovât,  ul  simus  nov' 
\oniiaes.  »  (Tract.  (iS  in  Joan  ) 


nouvelle  l'homme  (2i4).  Les  haines  et  les 
divisions  sont  les  œuvres  du  vieil  Adam. 
L'homme  devient  un  homme  nouveau  et 
renouvelé  en  Jésus-Christ  par  la  soumis- 
sion à  ses  lois,  et  surtout  par  l'observation 
de  celle  loi  première  et  principale  qui  nous 
oblige  de  nous  aimer  les  uns  les  autres. 

D'autres  disent  que  ce  commandement  est 
appelé  un  commandement  nouveau,  c'esl-à- 
dire  un  très-excellent  commandement.  En 
ce  sens  il  est  dit  dans  les  Psaumes  :  Chantez 
au  Seigneur  un  cantique  nouveau  {Psul. 
XCXV,  Ij  :  c'esl-à-dire  un  excellent  canti- 
que. 

D'autres  soutiennent,  et  cette  explication 
paraît  la  plus  naturelle,  que  le  Fils  de  Dieu 
aiijjelle  ce  commandement  un  commande- 
ment nouveau  ,  parcequ'il  en  fait  son  com- 
mandement. C'est  le  principal  commande- 
ment de  la  loi  nouvelle.  Il  emploie  son 
exemple  et  son  autorité  pour  ooliger  ses  dis- 
ciples d'observer  cette  loi.  Je  vous  donne 
un  commandement  nouveau  :  de  vous  aimer 
les  uns  les  autres  comme  je  vous  ai  aimés. 
Saint  Paul  dit  que  ce  commandement  est 
la  loi  de  Jésus-Christ.  [Galat  ,  VI,  2  )  Saint 
Chrysoslome  l'appelle  le  préceple  du  Sei- 
gneur (245j.  Ce  ccmimandement  donc  e.-;l  un 
précefite  ancien  et  un  préceple  nouveau  ; 
saint  Jean  le  qualilie  de  l'une  et  de  Tauire 
manière.  Mes  chers  frères,  je  ne  vous  écris 
point  un  commandement  nouveau  ,  mais  le 
commandement  ancien  que  vous  avez  reçu  dès 
le  commencement ,  et  ce  commandemenl  ancien 
est  la  parole  que  vous  avez  entendue  :  et 
néanmoins  je  vous  dis  que  le  commandement 
dont  je  vous  parle  est  nouveau  ,  ce  qui  est  vrai 
en  Jésus-Christ.  (  I  Joan.,  XI,  17.) 

Peut-on  imaguier  un  commandement  |tlus 
précis  ,  qui  ait  plus  d'autorité  ,  el  que  plus 
de  raisons  nous  engagent  à  observer  ?  C'est 
un  commandement  qui  a  toute  l'auioriié 
que  peut  avoir  une  loi  établie  par  le  Sei- 
gneur môme  dès  le  commencement  du 
monde.  C'est  un  commandementque  Jésus- 
Chrisl ,  à  qui  toute  puissance  a  été  donnée 
dans  ib  ciel  et  sur  la  terre  (Matth.  X.X.VII, 
18),  a  revêtu  de  toute  son  autorité. 

Entendons  encore  le  Sauveur  du  monde  , 
examinons  le  modèle  qu'il  nous  donne.  Ce 
modèle,  à  la  vérité,  ne  peut  que  nous  ins- 
pirer de  la  crainte.  Qui  peut  se  promettre 
de  l'imiter?  Contemple?  cet  excellent  modè- 
le ,  et  voyez  jusqu'où  doivent  aller  vos  ef- 
forts. 

C'est  Jésu.*!-Christ  qui  s'adr(!sse  à  son 
Père  et  qui  le  prie  pour  ses  disciples.  Que 
deraande-t-il  à  son  Père?  Qu'ils  soient  un 
tous  ensemble,  comme  vous  mon  Père  êtes  en 
moi ,  et  moi  en  vous,  quils  soient  de  même  un 
en  nous.  (Joan., XYil,  21.)  Le  moins  que 
nous  puissions  laire  pour  entrer  dans  les 
desseins  de  Jésus-Christ ,  n'est-ce  pas  d'a- 
voir toujours  devant  les  yeux  cet  excellent 
modèle,  de  faire  de  continuels  etforts  pour 
en  approcher,  de    trembler  à  la   vue  de  la 

(245)  S.  HiER.jlil).  lllinEv.  adCatatat. 


\lij 


RETRAITE  ECCLES.  —  XVII,  UNION  ENTRE  LES  ECCL. 


1250 


liioiniJre  discoroo ,  la  considérant  comme 
opposée  à  ruîiion  saiiile  qui  esl  si  cliôre  à 
Jésus-Christ. 

Il  juge  avec  raison  que  celle  union  soli- 
de el  parfaite  ré()aiuJra  une  bonne  odeur, 
qu'elle  inspirera  de  l'estime  et  de  l'amour 
pour  la  religion  chrétienne,  que  ce  sera 
même  un  argument  qui  aura  beaucoup  de 
force  pour  persuader  aux  iiommes  qu'il 
est  envoyéde  Dieu.  Qu'ils  soient ,  dit  Jésus- 
Clirisl,  «fi  en  nous,  u/in  que  le  monde  croie 
que  vous  m'avez  envoyé'. 

Le  Fils  de  Dieu  [>oile  ses  précautions  en- 
core plus  loin  ,  il  ne  se  contente  pas  de 
commander,  il  connaît  parfaitement  ceux 
qui  sont  soumis  à  son  empire.  Il  sait  quelle 
est  leur  faiblesse  el  le  dérèglement  de  leur 
cœur.  Il  sait  que  plusieurs,  ne  faisant  pas 
allenlion  à  sa  souveraine  autorité  oublient 
ses  lois.  Voici  co  que  son  amour  lui  inspi- 
re ,  el  les  salutaires  moyens  qu'il  emploie 
pour  remédier  à  ce  funeste  oubli. 

11  établit  une  prière.  Il  suppose  que  ses 
disciples  seront  exacts  à  la  réciter.  Cette 
prière  est  conçue  de  telle  manière,  que  tou- 
tes les  paroles  dont  elle  esl  composée  nous 
font  souvenir  de  celle  union  étroite  qui 
uoit  être  tnire  tuus  les  chrétiens. 

Nous  appelons  tous  le  Seigneur  noire 
Père.  Par  ces  paroles  nous  sommes  avertis 
que  nous  avons  tous  le  même  Père  ,  que 
nous  sommes  tous  les  enfants  de  Dieu ,  et 
(ju'il  doit  y  avoir  entre  nous  une  concorde 
fraternelle.  Dieu  n'est  point  le  père  de  ceux 
qui  se  font  la  guerre  les  uns  aux  autres. 
Dieu  n'est  point  le  père  de  ceux  dont  les 
cœurs  sont  divisés. 

Toutes  les  demandes  delà  prière  du  Sei- 
gneur sont  communes.  En  même  temps  que 
nous  prions  pour  nous  ,  nous  prions  [)our 
nos  frères.  N'est-ce  |)as  un  avertissement 
continuel  qui  nous  marque  ceque  nous  leur 
devons,  et  la  disposition  favorable  dans 
laquelle  nous  devons  être  5  leur  égard  ?  Si 
vos  cœurs  sont  divisés  ,  vous  ne  pouvez 
réciter  la  prière  du  Seigneur  sans  sentir 
dans  vous-mêmes  des  remords  qui  vous  Irou- 
bleul  el  sans  vous  faire  de  sévères  repro- 
ches. Emrez  dans  le  véritable  esprit  de  vo- 
ire maiire  ,  et  confessez  que  vous  n  êtes 
poinl  en  étal  de  réciter  cette  sainte  |)rière. 

Disons  plus,  vous  n'êlos  poinl  en  état  de 
réciter  aucune  prière,  ni  de  chanter  des 
cantiques  à  la  gloire  du  Seigneur.  L'union 
de  cœur  est  la  principale  disposition  que 
Dieu  demande  (i.ms  ceux  qui  se  présentent 
pour  le  prier  el  (lour  chanter  ses  louanges. 
C'est  ce  que  .'<aiiit  Paul  nous  ai)prend  quand 
il  nous  dit  ,  que  nous  devons  glorifier  Dieu 
le  l'ère  de  Nulrc-Seigneur  Jésus-Christ  d'un 
même  cœur  et  d'une  même  bouche.  {Uom.,  IV, 

Les  apôtres,  tout  pleins  de  zèle  pour  Jésus- 
Clirisl ,  ne  pouvaient  manquer  d'annoncer 
eu' tous  lieux  une  doctrine  que  leur  maître 
avait  si  forlemeiil  établie.  Lisez  les  Ecrilu- 

(24G)<  N.liil  aliud  solcbal  proferre,  iilsi  hoc  :  ti- 
<it/j ,  (lilhjiie  aiterutrum.  l^ixcc^Vùia  \ioai\nl  est, 


res  des  apôtres.  Rien  n'est  pius  toninuin 
que  Je  les  entendre  parler  de  l'union.  Rien 
n'est  plus  touchant  que  les  ternies  qu'ils 
emploient  pour  nous  la  recommander. 

Ecoutez  sainlJean,  cet  admirable  docteur 
en  qui  toute  l'Eglise  respecte  le  don  de 
prophétie. 

Après  avoir  fondé  tant  d'Eglises  ,  après 
avoir  passé  tant  d'années  dans  l'exercice  de 
sa  mission  ,  il  réserve  pour  la  fin  les  plus 
importantes  instructions.  Saint  Jean  le  maî- 
tre le  plus  accrédité  qui  ait  jamais  été,  a 
encore  acquis,  par  le  poids  des  années,  une 
plus  grande  autorité  et  un  droit  nouvoau  de 
se  faire  entendre.  Il  ne  lui  reste  plus  que 
peu  do  paroles  à  prononcer;  il  n'a  uliis 
qu'un  dernier  avis  à  donnera  ses  disciples. 
Et  quel  est-il  ? /l/r5  enfants,  aimez-vous  tes 
uns  les  autres.  Saint  Jean  ouvre  encore  la 
bouche  pour  instruire  ses  disciples.  Quelle 
instruclion  leur  doniiera-l-il  :  Mes  en/ants 
aimez-vous  les  uns  les  autres.  Saiiii  Jean  ne 
sait  plus  que  celte  maxime,  el  il  n'en  a 
plus  d'autres  à  enseigner  (246). 

Saint  Jérôme  remarque  que  les  disci|)Ies 
de  saint  Jean  se  lassèrent  d'entendre  tou- 
jours la  même  instruction  ,  et  s'en;plaigni- 
reni  à  leur  maître.  Saint  Jean  calma  leurs 
esprits  avec  sa  modération  ordinaire,  et 
leur  lit  voir  que  leurs  plaintes  n'étaient 
pas  justes.  Pour  leur  montrer  combien  il 
était  important  de  bien  imprimer  dans  leurs 
esprits  une  instruction  si  nécessaire,  il 
leur  déclare  en  premier  liea  que  c'est  le 
précepte  du  Seigneur,  Il  ajoute  que  c'est 
un  précepte  doni  l'accomplissement  sulfit 
pour  le  salut ,  parce  que  celui  qui  accom- 
plit cette  loi  salislait  à  toutes  les  autres  , 
suivant  ce  que  dit  saint  Paul  :  Celui  qui 
aime  ie  prochain  accorûvlit  la  loi.  IRom.f 
XIII,  8.) 

Saint  Paul,  ne  cédant  en  rien  au  zèle  de 
saint  Jean  ,  n'est  pas  moins  appliqué  que 
cet  apôtre  à  faire  voir  la  nécessité  de  celle 
union  qui  doit  être  entre  les  hommes.  Le 
lien  de  iapaix,  selon  saint  Paul,  est  un 
bien  précieux  que  les  hommes.doivent  con- 
server avec  soin.  Il  le  fait  voir,  parce  que 
dans  la  religion  Dieu  atout  réduit  à  l'uni- 
té. //  n'y  a  parmi  tows,dit  saint  Paul, 
qu'un  corps  et  qu'un  esprit ,  comme  il  n'y  a 
qu'une  espérance  à  laquelle  vous  avez  été  ap- 
pelés {tphes. ,  l\,  2). 

Que  t(ms  les  chrétiens  se  souviennent 
qu'ils  ne  sont  qu'un  môme  corps.  Qu'ils  se 
souviennent  qu'un  des  grands  ouvrages  de 
Dieu  ,  c'est  d'avoir  ainsi  uni  tous  les  tidèles 
qui  le  servenl  pour  n'en  faire  qu'un  même 
corps.  C'esl  déjà  une  puissante  raison  pour 
chérir  l'unité  ,  el  pour  éviter  avec  soin  tout 
ce  qui  la  détruit. 

Mais  quand  ils  seront   convaincus   qu'ils 
ne  sont  qu'un  même  esprit ,  c'est  une  laisou 
encore  plus  loile   [lour  engager  les  iidèles  à 
avoir  horreur  de  toute  division. 
.    Saint  Paul  continue,  et    s'appuyant  tou- 


et  si  so'x'ti  ûal  suilicil. 
lalas.) 


(Lib.    VA  in  Ev.  ad  Ga- 


1251 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


12S3 


jours  sur  le  môme  principe  ,  il  expose  aux 
fidèles  les  plus  impoilaiiles  maximes  de  la 
religion  ,  pour  en  tirer  toujours  la  môme 
conséquence,  qui  est  que  tous  ces  admira- 
i)les  mystères  sont  autant  de  preuves  pour 
faire  voir  aux  hommes  l'obligation  qu'ils 
ont  de  conserver  l'unité. 

//  n'y  a  qu'un  Seigneur,  qu'une  foi , 
qu'un  baptême  :  il  n'y  a  qu'un  Dieu  père  de 
tous. 

Voici  tous  les  principes  de  saint  Paul  ,ct 
en  voici  les  conséquences. 

//  n'y  a  qu'tm  Seigneur,  et  ce  Soigneur 
veut  que  tous  ses  serviteurs  soient  un  en- 
tre eux. 

//  n'y  (j.  qu'une  foi ,  et  un  des  principaux 
articles  de  cette  foi,  c'est  que  Dieu  veut 
que  tous  ceux  qui  le  servent  soient  parfai- 
tement unis.    . 

Il  n'y  a  qu'un  baplême  ,  et  parce  baptômo 
nous  devenons  les  enfants  d'un  père  qui 
no  commande  rien  plus  fortement  à  ses  en- 
fants que  d'ôlre  inviolablemont  unis. 

//  n'y  a  qu'un  Dieu  père  de  tous  ,  c'est  de 
ce  Dieu  dont  nous  sununcs  les  enfants.  11 
est  un  ,  il  veut  que  nous  soyons  tous  un  , 
il  veut  même  que  l'unité  parfaite  qui  est 
entre  lui  et  le  Fils  qu'il  engendre  dans 
l'éternité  soit  le  modèle  de  l'unité' qu'il  re- 
commando à  lous  les  hommes.  Voilà  pour- 
quoi saint  Grégoire  de  Nazianze  (  serra.  12, 
p.  109)  soutient  que  ceux  qui  aiment  la  paix 
et  qui  ont  de  l'aversion  pour  tout  ce  qui 
pont  la  (rouLicr  approchent  plus  près  de 
Dieu  et  lui  ressemblent  davantage.  O  pré- 
cieuse unité!  ô  trésor  admirable  1  que  lu 
es  cher  à  ceux  qui  connaissent  ta  valeur  1 
que  ne  doivent  point  faire  les  hommes 
pour  le  conserver,  et  à  quoi  s'exposent 
ceux  qui  sont  assez  malheureux  pour  te 
(»erdre? 

Perdre  l'unité,  se  séparer  de  ses  frères 
par  la  division  ,  c'est  n'être  plus  membre  de 
ce  corps  que  Jésus-Christ ,  a  formé  ;  n'ap- 
partenant plus  à  Jésus-Christ,  on  est  à 
son  ennemi,  et  on  ne  peut  plus  être  (|ue 
membre  du  dén:on ,  à  la  tyrannie  duquel 
ont  s'est  malheureusenienl  assujetti. 

L'a|)ôlre  saint  Paul  nous  donne  un  avis 
salutaire  ,  quand  il  nous  dii  :  Ne  donnez 
point  de  lieu  et  d  entrée  nu  diable.  (Ephes., 
IV,  27.)  Nous  sommes  assez  malheureux 
que  le  démon  nous  tente,  qu'il  ait  tant 
d'adresse  pour  nous  surprendre,  tant  de 
force  pour  nous  aita(iuer,  tant  de  mali- 
gnité [)our  no  se  point  lasser  de  nous  fan-e 
une  cruelle  guerre.  Faut-il  encore  que 
nous  entrions,  pour  ainsi  dire  ,  dans  les 
desseins  du  démon ,  que  nous  l'aidions  à 
exécuter  ses  principaux  projets,  eu  lui  ou- 
vrant l'entrée  de  tio;re  cœur? 

L'apôtre  sainl  Paul  veut  nous  faire  voir 
combien  ce  malheur  est  à  craindre,  et  les 
précautions  <|ue  nous  devons  prendre  pour 
ri'y  point  toicber,  quand  il  nous  dit  :  Ne 
donnez  point  de  lieu  et   d'entrée  au  diable. 

C'est  donc  à  nous  d'examiner  tout  ce  qui 
peut  donner  au  démon  avantage  sur  nous  , 
aiin  de  l'éviter  soigneusement. 


Lorsque  nous  entrerons  dans  cet  exa- 
men, nous  nous  convaincrons  aisément, 
qu'il  n'y  a  rien  qui  soit  plus  capable  de 
donner  entrée  au  démon  dans  nos  cœurs, 
que  les  divisions. 

Demôme,  dit  saint  Chrysoslome,  (in  Ep««/. 
ad  Ephes.)  que  dans  un  bâtiment,  lorsque 
toutes  les  pierres  qui  composent  une  voûte 
sont  parfaitement  unies,  le  bâtiment  est  fer- 
me et  solide,  on  y  peut  demeurer  en  toute 
sûreté  ei.sans  aucune  crainte.  Mais  s'il  arrive 
qu'unepierrese  sépare  del'aulre  en  quelque 
manière,  alors  tout  esta  craindre.  La  moin- 
dre séparation  donne  lieu  de  tout  appré- 
hender, et  elle  est  ordinairement  suivie 
d'une  ruine  entière.  Il  en  est  de  môme  des 
divisions  qui  naissent  parmi  les  hommes, 
et  elles  ne  sont  pas  moins  dangereuses. 
Quand  les  cœurs  sont  unis  ,  il  n'y  a  pas 
lieu  de  craindre,  et  il  est  dillicile  que  le 
démon  fasse  aucune  conquête.  Mais  quand 
la  division  se  glisse,  alors  le  démon  trouve 
toutes  sortes  de  facilités  ,  rien  ne  lui  résis- 
te. Et  c'est  pour  lors  véritablement  que 
nous  lui  donnons    entrée  dans  nos  cœurs. 

Quelle  horreur  lout  chrétien  ne  doit-il 
donc  point  avoir  de  la  division  ,  et  que  ne 
doit-il  point  faire  pour  conserver  la  paix? 

Il  est  aisé  de  concevoir  que  les  ecclésias- 
tiques doivent  en  cela  marcher  è  la  tête 
des  autres  fidèles,  et  leur  montrer  l'exem- 
ple, 

Jésus-Christ  les  a  chargés  d'annoncer  la 
paix  aux  hommes  ,  et  de  publier  en  tous 
lieux  la  loi  imporlante,  par  laquelle  il 
oblige  ses  disciples  de  conserver  l'union. 
Comment  pourront-ils  annoncer  ce  précep- 
te ,  s'ils  osent  eux-mêmes  le  violer  ?  Parce 
que  les  ecclésiastiques  doivent  être  des 
anges  de  paix  ;  parce  qu'ils  sont  obligés  de 
l'annoncer,  de  la  procurer,  de  l'aCfermir; 
on  no  peut  remarquer  aucunedivision  par- 
mi eux  que  l'on  n'en  soit  très-grièvement 
olfensé. 

Nous  ne  sommes  tous  ,  disait  saint  Paul  , 
qu'un  seul  pain,  et  un  seul  corps  ,  parce 
que  nous  participons  lous  au  même  pain. 
(  I  Cor.,  X  ,  17.  )  Commentdonc  ne  serait- 
on  pas  blessé  de  remarquer  des  divisions 
parmi  ceux  qui  mangent  ensemble  à  la  ta- 
ble du  Seigneur,  et  qui  y  reçoivent  cette 
viande  céleste  qui  demande  tant  d'union 
dans  ceux  qui  ont  le  bonheur  d'en  être 
nourris? 

Des  ecclésiastiques  seront  tout  prêts 
d'offrir  les  saints  mystères,  et  ils  seront 
assez  peu  retenus  pour  former  des  plaintes 
les  uns  contre  les  autres,  pour  entretenir 
des  contestations  que  l'impatience  fait  naî- 
tre, ou  qui  ont  pour  fondement  un  intérêt 
très-léger:» 

Si  les  ecclésiastiques  savaient  tous  les 
mauvais  effets  que  leurs  conlcslalions  pro- 
duisent, ils  seraient  plus  exacts  à  les  éviter 
et  ils  auraient  plus  de  soin  de  conserver 
l'union. 

Constantin  le  savait  bien  combien  to.ates 
ces  divisions  sont  dangereuses  ,  et  ce  tut  le 
fondement  de  la  sage  conduite  qu'il  garda. 


ns5 


RETRAITE  FXCLtS.  —  XVII,  UNtON  ENTRE  LES  ECCL. 


mi 


lorsqu'il  Su  trouva  au  saint  concile  do 
Nicc^c. 

.Plusieurs  évoques  lui  apportèrent  dos 
«^crils,  dans  los(|uols  ils  s'accusaient  les 
uns  les  autres  (2'i-7).  L'empereur,  touclK^do 
ces  divisions  et  consiik'irnnt  conihien  Icîs 
suites  pourraient  on  ûtrc  funestes,  indi(iua 
un  jour  dans  k-quel  ils  devaient  tous  se 
présenter  devant  lui.  Ce  jour  arrivé,  l'em- 
|)ereur  lit  allumer  ungrand  feu  dans  lequel 
il  jeta  tous  les  écrits  (jui  lui  avaient  été 
donnés.  Il  fit  paraître  i'i  tous  les  évéques 
des  sentiments  de  bonté,  dont  il  élait  difTî- 
ciie  que  ceux-là  m(\raes  qui  étaient  les  [)lus 
animés  no  fussent  touchés.  Il  leur  dit  (|uo 
Dieu,  qui  est  notre  véritable  juge,  nous  cxa- 
nu::eiait  un  jour,  et  que  ce  serait  à  ce  sacré 
tribunal  (juc  toutes  les  prétention  des  hom- 
mes seraient  décidées  avec  une  souveraine 
justice.  Cependant  il  les  exhorta  h  s'entre- 
(lardonner  ,  suivant  riîxomplo  (jub  Jésus- 
Christ  nous  a  laissé,  et  il  leur  lit  voir  de 
quelle  conséquence  il  leur  était  d'oublié, 
tous  leurs  différends  particuliers  pour  s'ap- 
pliquer uniquement  à  la  grande  affaire  qui 
les  assemblait. 

Le  mOme  empereur,  dans  une  autre  occa- 
sion, assembla  les  évoques.  1!  voulait  célé- 
brer avec  pompe  la  dédicace  de  l'Eglise  cé- 
lèbre de  Jérusalem.  11  est  remar(|ué  qu'il  les 
avc'tit  tiès-expressément  de  pacifier  leurs 
diffétends.  Le  grand  principe  de  cet  emi)e- 
reur  Otait  que  pour  obtenir  It's  grAces,  il 
fallait  que  les  cœurs  de  ceux  qui  les  deman- 
daient fussent  parfaitement  unis  (218). 

Plaise  au  Seigneur  de  bien  établir  ce  prin- 
cipe, et  d'en  convaincre  parfaitement  tous 
les  ecclésiastiques.  Ils  sont  ui>ii^és  do  prier 
pour  eux-mômes.  ils  sont  obligés  de  [iricr 
pour  le  [ieu|)le.  Dieu  les  a  élaLlis  les  dis- 
pensateurs de  ses  mystères.  Ils  soni  les  mi- 
nistres de  tout  ce  qu'il  y  a  de  jdus  saint 
dans  la  religion.  Que  peuvent-ils  prétendre 
Jiendant  que  la  divisiou  dtchire  leur  cœur? 

Demeuions  convaincus  d'un  préce|ito  si 
solidement  établi.  Dieu  veut  que  tous  ses 
disciples  vivent  dans  l'union.  Les  ecclé- 
sittstiques  sont  encore  plus  obligés  de  sui- 
vre celte  loi.  Persuadés  du  priucqie,  ne  son- 
geons plus  (|u"à  le  réduire  en  praliipie,  et 
voyons  ce  que  nous  sommes  obligés  de  faire 
pour  bien  observer  la  loi  que  le  Fils  de 
Dieu  nous  impose  de  nous  aimer  les  uns  les 
autres. 

DEUXIÈUE  POINT. 

Le  précepte  que  je  viens  de  vous  ex[)Oser, 
par  lequel  il  nous  est  si  expresséieeni  com- 
mandé d'aimer  nos  frères,  nous  oblige  pre- 
mièrement à  prier  pour  eux. 

C'est  rinlenlion  de  Jésus-Christ  que  nous 
soyons  exacts  à  iirior  les  uns  pour  les  au- 
tres. Il  a  eu  soin  <ie  nous  iuslrulre  de  celto 
i'iqiorlanle  onligaliun,  (]uaiid  il  nous  a  en- 
seigné à  [iriur.  Dès  votre  enfance  on  vous  a 
fiiit  observer  que  les  demandes  do  l'Oiai^on 
dounnicale  étaient  communes.  On    vous  a 


fait  observer  que  le  Fils  do  Dieu  l'avait  ainsi 
voulu  pour  nous  apprendre  qufiles  intérêts 
ilo  nos  frères  nous  doivent  être  chers, et  que 
nous  devons  avoir  un  très-grand  empresse- 
ment de  leur  procurer  les  mêmes  biens 
que   nous  demandons  pour  .nous-mêmes.  ;. 

La  règle  est  certaine,  lorsque  Dieu  nous  i* 
impose   quelque   obligation   à    l'égard   do 
quelque  homnio  que    ce  soit,    la   première 
chose  que  nous  lui  devons,  c'est  de  j)rier 
pour  lui 

Nous  devons  beaucoup  à  nos  pères,  h 
nos  maîtres,  h  nos  supérieurs,  aux  princes 
de  la  terre,  aux  souverains  qui  nous  gou- 
vernent. Le  premier  tribut  qu'ils  ont  droit 
d'exiger  de  nous ,  c'est  que  nous  prions 
pour  eux.  Je  vous  conjure  avant  toutes  cho- 
ses, dit  saint  Paul,  que  C on  fusse  des  prières 
pour  les  rois,  et  pour  tous  ceux  qui  sont 
élevés  en  dignité.  (1  Tim.,  XI.  1.) 
■'  Le  rang  que  vous  tenez  vous  établit  mé- 
diateurs entre  Dieu  et  le  peuple.  C'est  5  vous 
d'attirer  les  grâces  du  Seigneur,  c'est  à 
vous  d'apaiser  sa  colère.  Lorsque  Dieu  est 
irrité,  et  qu'on  néglige  de  pousser  vers  lui 
des  gémissements,  il  s'en  prend  particuliè- 
rement aux  prêtres,  il  les  accuse  d'oublier 
un  de  leurs  principaux  devoirs. 

Dans  celto  obligation  qui  nous  est  im- 
pf)séo  de  prier  pour  les  autres,  il  y  a  des 
préférences,  lesquelles  sont  non-seulement 
permises,  mais  raème|approuvéesdeDieu.  Il 
y  a  des  hommes  .^  qui  nos  devoirs  nous  at- 
tachent par  des  liens  plusétroils.  Nous  leur 
devons  aussi  plus  de  prières  selon  la  règlo 
quej'ai  établie. 

Il  y  en  a  surtout  qui  doivent  beaucoup 
nous  toucher,  et  pour  qui  nous  sommes 
obligés  de  pousser  vers  le  ciel  des  vœux 
Irès-ardenls.  C'est  des  pécheurs  dont  jo 
veux  vous  parler.  Si  nous  avons  une  vraie 
piété,  nous  serons  vivement  affligés  de  leur 
extrême  misère,  et  nous  ne  cesserons  point 
do  demander  àDieu  la  grûce  de  leur  con- 
version. 

Parmi  les  [)écheurs,  nous  distinguerons 
encore  les  ecclésiastiques.  Un  ministre  tlu 
Seigneur  qui  oublie  ce  qu'il  est,  (jui  désho- 
nore son  caractère,  qui  s'abandonne  au 
déréglemenî,  c'est-là  ce  qui  doit  tirer  do 
nos  yeux  des  larmes  coniiuuelles  ,  c'est-là 
ce  qui  doitaninjor  notre  zèle,  et  nous  en- 
gager à  presser  lo  Seigneur  de  nous  accor- 
der una  conversion  si  nécessaire. 

C'est  en  ceite  occasion  que  les  prières 
loivent  aller  jusqu'à  l'importun  lé,  et 
(pi'ellesne  doivent  [)Oinlôtredisconiinuées 
jus(iu'à  ce  que  D. eu  nous  ait  fait  la  misé- 
ricorde de  nous  accorder  ce  que  nous  lui 
deiuandons  avec  instance.  (Juo  les  délais  ne 
nous  rebutent  point.  Poursuivons  ce  pé- 
cheur dans  tous  ses  retranchements.  Ayons 
autant  d  obstination  à  vouloir  son  salut, 
qu'il  en  a  de  courir  à  sa  perle. 

Saul,  tout  ennemi  qu'il  élait  de  la  vérité, 
a  été  convaincu,  il  est  devenu  le  zélé  dé- 
fenseur do   la  relijiion    qu'il   perséculTit. 


(247)  SozoM.,  1.  I,cap.  17. 


(248)  L.  U,  cap.  26. 


125» 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


12W 


Dieu  a  accordé  cette  importante  conversion 
aux  prières  de  saint  Etienne. 

Monique  ne  s'est  point  lassée  des  résis- 
tances (i'Augiistin.  Une  persévérance  de 
dix  années  a  fléchi  le  Seigneur.  Il  avait  été 
dit  à  cette  sainte  femme  qu'un  fils  qui 
lui  avait  coûté  tant  de  larmes  ne  périrait 
point. 

Il  y  a  très-peu  de  temps  que  vous  priez 
pour  ce  pécheur,  et  vous  êtes  déjà  lassé. 
Persévérez  dans  la  prière,  poussez  de  nou- 
veaux vœux,  criez  avec  plus  de  force,  ne 
vous  fatiguez  point,  le  Seign-îur  haïl  ceux 
qui  veulent  lui  prescrire  des  bornes.  Jamais 
vous  ne  servirez  cet  homme  d'une  manière 
qui  lui  soit  plus  utile  que  quand  vous 
prirez  pour  lui  sans  discontinuer  ,  et 
sans  vous  rebuter  de  ses  longues  résistances 
à  la  grâce. 

En  second  lieu.  Dieu  vous  demande  que 
vous  aimiez  vos  frères.  Ne  vous  im.iginez 
pas  qu'un  amour  en  |)arole  et  sans  œuvre 
puisse  le  contenter.  Lorsque  Dieu  vous  or- 
donne d'aimer  vos  frères,  il  vous  demande 
un  amour  effectif  qui  se  fasse  connaître  par 
les  œuvres.  Se  persuader  que  l'on  aime  ses 
frères  et  ne  leur  rendre  aucun  service,  c'est 
tomber  dans  l'illusion.  Dieu  veut  en  nous 
une  volonté  sincère,  des  dispositions  sé- 
rieuses, et  c'est  ce  qui  ne  se  rencontre 
quedansceux  qui  font  voir  par  des  eirets 
la  vérité  et  la  sincérité  des  seniiraents  de 
leur  cœur. 

Saint  Jean  donnait  à  ses  disciples  cette 
inii)ortante  instruction.  Il  j)rétendait  qu'un 
amour  en  parole  était  un  faux  amour. 
N  aimons  point,  disait-il,  de  paroleel  de  la 
langue  :  mais  par  œuvres  et  en  vérité.  (IJoan., 
XI  ,  18.  )  Voilà  donc  la  vraie  manière 
d'aimer  ses  frères,  les  aimer  par  les  œu- 
vres. 

Cette  nécessité  de  nous  rencire  service 
les  uns  aux  autres  nous  paraîtra  dès  le 
moment  que  nous  examinerons  les  justes 
raisons  que  nous  avons  de  nous  intéresser 
à  tous  les  besoins  de  nos  frères.  Lo  nom 
de  Irère,  que  nous  reconnaissons  en  eux,  et 
que  nous  devons  même  rt'S()ecler,  ne  nous 
doit-il  ()as  rendre  sensibles  à  tous  ieuis  be- 
soins? 

Voulez- vous  encore  une  liaison  plus 
étroite?  Votre  foi  vous  apjirend  que  vous 
devez  tous  vous  considérer  comme  membres 
d'un  même  corps.  Abandonnerez-vous  celui 
qui  vous  est  si  étroitement  uni  ? 

Voyez  ce  qui  se  |)asse  tlans  le  corps  hu- 
main, et  insiruisez-vous  de  vos  devoirs, 
en  considérant  la  conduite  que  tiennent  les 
parties  qui  le  composent.  Quand  une  j)artrc 
du  corps  humain  est  dans  la  faiblesse  et 
dans  la  langueur,  les  autres  n'ont  point  ac- 
coutumé (te  l'abandonner  :  au  contraire 
elles  compatissent  à  sa  misère,  et  il  n'y  en 
a  aucune  qui  ne  s'ap[)lique  à  soulager  celle 
qui  soutire. 

(249)  I  Ntinquid  qiria  in  corpore  pi>s  quasi  longe 
vidctur  al>  oculis  (illi  enim  locati  in  ^ul)l^nilale,  illi 
autein  inlVa  posili)  qiiaiido  forie  pes  spiuain  calca- 
vcdl,  deserunt  oculi?  Sodet  liomo,  ciirvuiiu'  spma 


Cette  observation  est  de  sain!  Augustin, 
et  voici  comment  il  continue  pour  donner 
plus  de  jour  à  cette  pensée. 

«  Le  pied  est  très-éioigné  do  l'œil.  L'œil 
fait  le  princiiial  ornement  de  la  f^artie  de 
l'homme  la  plus  noble  et  la  plus  élevée. 
Le  pied  est  à  l'extrémité,  il  est  la  partie  la 
plus  basse  et  la  plus  proche  de  la  terre.  Ce- 
pendant si  le  pied  reçoit  la  moindre  ble.s- 
sure,  si  par  hasard  une  é[>ine  le  blesse,  les 
yeux  ne  l'abandonnent  point,  toutes  les  par- 
ties de  l'homme  s'intéressent  au  soulage- 
ment de  celle  qui  a  été  otfensée.  Vous  voyez 
l'homme  s'asseoir  et  se  courlrer,  il  n'y  a 
aucune  partie  de  l'homme  qui  ne  |)rêle  son 
ministère  et  qui  n'agisse  fortement.  La 
blessure  particulière  du  pied  devient  la 
blessure  commune  de  toutes  les  autres  par- 
ties de  l'homme.  Elles  ne  se  donneront  au- 
cun repos,  jusqu'à  ce  qu'elles  aient  apporté 
un  remède  efïicace  pour  guérir  le  pied  en 
arrachant  l'épine  qui  l'a  blessé  (249).» 

Telle  devrait  être  notre  dispositioi  à  l'é- 
gard de  nos  frères,  lorsqu'ils  sont  dans  la 
langueur  et  dans  la  misère.  Sans  doute  nous 
concevrions  ces  heureux  sentiments,  si 
nous  étions  bien  convaincus  de  celte  étroite 
liaison  que  nous  avons  avec  nos  fières. 

Combien  en  voit-on  qui  ne  savent  ce  que 
c'est  qua  de  faire  plaisir,  et  qui  ne  voudraient 
pas  se  faire  la  moindre  contrainte  fiour  se- 
courir leurs  frères?  Le  cœur  de  l'homme 
naturellement  est  compatissant,  le  cœur 
chrétien  l'est  encore  intiniaieut  davantage. 
Ces  hommes  durs  qui  ne  sont  touchés  d'au- 
cune misère,  ne  sont  donc  ni  liuiniues  ni 
chrétiens. 

Il  y  en  a  d'autres  dont  les  [)laios  ne  sont 
pas  si  dangereuses,  mais  qui  néanmoins 
doivent  s'appliquer  très-sérieusement  à  les 
guérir.  Ce  sont  ceux  qui  rendent  service  à 
leur  prochain,  mais  qui  ne  le  font  point  ,)ar 
[irincipe  de  charité.  C'est  humeur  ,  c'est 
tempérament,  c'est  compassion  naturelle. 
Ce  n'est  pas  là  le  principe  qui  doit  vous  faire 
agir.  Que  d'actions  qui  perdent  leur  prix, 
parce  qu'elles  ne  sont  point  animées  1  Agis- 
sez pour  Dieu,  ayez  en  vue  de  lui  ()laire  et 
d'exécutersa  foi  :  pouvez-vous  vous  proposer 
un  motif  plus  excellent  ? 

Que  doit  chercher  un  ecclésiastique  zélé? 
S'il  a  do  la  charité,  il  lo  lera  voir  par  les 
empressements  qu'il  aura  de  rendre  ser- 
vice à  ses  frères.  Son  ardeur  doit  redoubler, 
lorsque  ceux  qui  sont  honorés  du  même 
caractère  que  lui  ont  besoin  de  son  secours. 
Un  ecclésiastique  avec  qui  vous  denuuioz, 
ou  bien  un  autre  qui  vous  est  inconnu  est 
dans  l'inlirmité.  Il  est  seul,  il  a  besoin  de 
soulagement  et  pour  le  corps  et  pour  l'âme. 
Pouvez-vous  avoir  une  occupation  plus  pré- 
cieuse, plus  pressante  pour  vous,  plus  agréa- 
ble à  Dieu,  que  d'être  assidu  auprès  de  lui 
pour  le  consoler,  pour  le  servir?  Sans  cela 
avez-vous  de  la  charité,  ou  plutôt  n'est-ij 

dorsi,  ut  quseratur  spina.  Omnia  inembra  quidijuid 
4)0S3unl  laclunl,  ut  de  inliino  et  exiguo  loto  .s|tnia 
qu;e  iiiluc»ei"it  ediicalur.  »  {In  pt>uL  XXX.) 


1257 


RETRAITE  EOfJ.RS.  —  XVFI,  UNION  ENTRE  EES  ECCl. 


I-2SS 


pas  (^vident  que  vous  n'en  avez  point,  puis- 
que vous  n'en  iailes  paraître  aucune  dans 
une   occasion  si  essentielle  ? 

Voici  une  troisième  condition  à  laquelle 
vous  devez  6lre  très-exacts,  si  vous  voulez 
conserver  avec  vos  frères  celle  sainle  union 
qui  vous  est  si  étroitement  recommandée. 
Sovez  dans  iine  résolution  ferme  et  cons- 
tante de  soulfrir  de  vos  frères.  Autremonl 
nilendcz-vous  à  vivre  dans  un  Iroulile  con- 
tinuel ,  et  à  n'avoir  jamais  de  paix.  Dès 
qu'on  n'est  point  résolu  lie  supporter  ses 
frères,  c'est  une  illusion  de  vouloir  conver- 
ser avec  les  honmies  et  demeurer  avec  eux. 
Restez  seul  et  rompez  tout  conunerce. 

Nous  sommes  tous  chargés  de  défauts.  I! 
n'y  a  aucun  honunequi  puisse  sans  se  trom- 
per se  tlattt-r  qu'il  en  est  exempt.  Mais  voici 
quelle  est  noire  injustice.  Nous  ne  nous  las- 
sons point  de  faire  souffrir  les  autres;  mois 
quant  à  nous,  au  premier  mot  qui  nous 
ulesse,  nous  sommes  fiiqués  jusqu'au  vif, 
et  l'injure  nous  paraît  insupportal)le. 

Autre  injustice  encore  très -commune 
parmi  nous,  très-opposée  h  \a  sainle  union 
qui  nous  doit  fitre  si  précieuse.  Quand  nous 
nous  examinons  nous-mêmes,  nous  ne  con- 
sultons que  notre  amour-propre;  et  de  là 
il  arrive  que  nous  ne  remarquons  presque 
jamais  en  nous  aucun  défaut.  Quand  nous 
examinons  nos  frères,  nous  les  jugeons  très- 
rigoureusement,  tous  leurs  défauls  nous  appa- 
raissent, et  nous  n'en  laissons  échapper  au- 
cun. De  là  ce  peu  de  disposition  que  nous 
avons  à  excuser  les  fautes  les  jilus  légères, 
pendant  que  nous  nous  aveuglons  sur  des 
défauls  très-considérables,  que  tous  voient 
en  nous  et  que  nous  seuls  ne  voyons  |)as. 

Ap|)liquons-nous  à  réformer  notre  cœur 
corrom(iu,  par  les  maximes  de  l'Evangile. 
Ecoulez  ce  qu'elles  nous  apprennent. 

Portez  les  fardeaux  les  uns  des  autres,  ci 
vous  accomplirez  ainsi  la  loi  de  Jésus-Christ. 
iGalal..  VI,  2  ) 

Porter  les  fardeaux  les  uns  des  autres, 
c'est  supporter  les  faiblesses  et  les  défauls 
de  nos  frères,  et  la  loi  de  Jésus-Chiist  nous 
coumiande  absolument  d'être  dans  celte 
disposition. 

On  verrait  en  tous  lieux  une  paix  stable, 
al  les  maisons  des  chrétiens  seraient  véri- 
tablement des  niaisons  de  paix,  si  cette  au- 
tre maxime  de  saint  Paul  était  suivie  :  Sup- 
portez-vous les  uns  les  autres,  que  chacun 
remette  à  son  frère  tous  les  sujets  de  plainte 
quil  peut  avoir  contre  lui.  Enlre-purdonnez- 
vous,  comme  le  Seigneur  vous  a  pardonné. 
(Coloss. , m,  i3.) 

Supportez  vous  les  uns  les  autres.  Com- 
ment exéculez-vous  ce  précepte,  vous  qui 
iivez  |iour  maxime  de  ne  rien  soutfrir,  de 
n'être  jamais  cunlredil,  et  de  compter  pour 
rien  de  fatiguer  les  autres? 

Que  chacun  remette  à  son  frère  tous  les  su- 
jets de  plainte  qu  il  peut  avoir  contre  lui. 
J.es  plauiles  continuelles  qui  sortent  de  vo- 
tre bourbe,  et  la  luanièie  avec  laquelle  vous 
exagérez  tout  ce  «pii  vous  déplail,  ou  ce  qui 
vous  oU'ensc,  font  assez  connaître  l'éloigne- 
OuATELBs  SACni':s.     LXVIIl. 


ment  dans  lequel  vous  êtes  do  remettre  h 
votre  frère  tous  les  sujets  de  plainte  que 
vous  pouvez  avoir  centre  lui. 

Entrc-pardonnez-vous,  comme  le  Seigneur 
vous  a  pardonné.  Le  Seigneur  a  tout  par- 
donné, il  a  oublié  les  injures  les  plus  atro- 
ces, les  alfronts  les  [ilus  sensibles,  les  per- 
sécutions les  plus  cruelles  ?  Est-ce  là  votre 
disposition?  Un  chrétien  doit  donc  avoir 
pour  maxime  de  souffrir  de  ses  frères.  C'est 
la  première  loi  de  la  société  humaine,  c'est 
le  commandement  du  Seigneur.  Suivez-le  et 
vous  conserverez  la  paix. 

Voici  encore  une  autre  maxime  établie 
par  saint  Paul, qu'il  est  très-nécessaire  d'en- 
tendre et  de  bien  observer.  Le  saint  Apôtre 
regarde  la  paix  comme  un  bian  si  précieux, 
qu'il  veut  que  nous  fassions  tout  ce  qui  est 
en  nous  pour  la  conserver.  Mais  en  même 
temps  l'Apôtre  considère  qu'il  ne  dépend 
pas  toujours  de  nous  d'entretenir  la  paix. 
Nous  pouvons  nous  renconlrer  avec  des 
hommes  si  peu  sociables,  si  ennemis  de  la 
tranipiillité,  que  môme  après  toutes  sortes 
d'efforts  pour  les  porter  à  la  paix,  nous 
soyons  assez  malheureux,  [)0ur  ne  pouvoir 
ni  les  calmer,  ni  les  réduire  à  la  raison,  ni 
gagner  leur  cœur.  Le  trouble  naît,  mais  c'est 
malgré  nous.  11  no  serait  donc  pas  juste  que 
nous  en  fussions  responsables,  ni  qu'il  nous 
fût  impulé.  L'apôtre  saint  Paul  a  tout  prévu; 
écoulez  ses  paroles,  considérez-les  toutes, 
admirez-en  l'ordre,  la  sagesseet  l'équité: 
Vivez  en  paix  si  cela  se  peut ,  et  autant  qu'il 
est  en  vous  avec  tous  les  hommes.  (Rom., 
XII,  18.) 

Vivez  en  paix  autant  qu'il  est  en  'jous. 
Voilà  votre  obligation.  Vous  devez  entrete- 
nir la  paix  par  tous  les  moyens  qui  dé- 
|)endenl  de  vous.  Si  c'est  par  votre  f.iute 
que  la  paix  est  troublée,  si  vous  avez  |)u 
faire  des  efforts,  et  que  vous  les  ayez  omis, 
vous  êtes  coupables. 

Vous  êtes  obligés  d'entretenir  la  paix  avec 
tous  les  Ijommes.  Il  n'y  en  a  aucun  (^ui  ne 
soit  votre  frère,  il  n'y  en  a  aucun  avec  qui 
vous  ne  soyez  unis  de  la  même  liaison,  que 
le  sont  ensemble  les  membres  d'un  môme 
corps. 

L'At)ôlre  ajoute  :  Si  cela  se  peut  et  autant 
qu'il  est  en  vous;  pour  vous  marquer  que 
vous  n'êtes  pas  criminel  dans  une  occasio:i 
où  la  paix  est  troublée,  nonobstant  tous  les 
efforts  que  vous  avez  faits  pour  la  conser- 
ver. Mais  ne  vous  flattez  pas  ;  afin  que  vous 
soyez  innocent,  il  faut  que  vous  n'ayez  rien 
à  vous  reprocher,  et  que  par  le  témoignage 
d'une  conscience  exacte  vous  puissez  vous 
dire  à  vous-mêmes  que  vous  avez  en)()loyé 
tous  les  moyens  qui  étaient  en  votre  |)o"u- 
voir  pour  dissiper  le  trouble,  et  pour  all'er- 
mir  la  [laix. 

L'obligation  du  chrétien  est  donc  défaire 
lout  ce  qui  dépend  de  lui  pour  conserver  la 
paix.  Jugez  par  là  du  crime  de  ceux  qui, 
bien  loin  d'entretenir  la  ()aix ,  allument  le. 
feu,  excitent  des  querelles  et  nourrissent  la 
division.  C'est  une  parole  que  vous  avez 
prononcée,  et  laquelle  a  éié  dite  avec  beau- 

40 


I 


Îî5f) 


OUATEllUS  SACRES.  J(iSEPH  LAMBERT. 


1200 


coup  de  promplitudo  el  do  légèreté.  Mais 
vous  deviez  prévoir  toutes  les  suites  funes- 
tes de  cette  parole  dangereuse.  Quelle 
qu'ait  été  votre  iiilenlion,  jugez  de  votre 
crime.  Le  voici  :  vous  avez  divisé  les  frères. 
Vous  ^tes  donc  de  ceux  que  le  Sage  déteste. 
Jt  y  a,  dit  le  Sage,  six  choses  que  le  Seigneur 
fiait.  Son  âme  déleste  la  septième.  {Prov.,  VI, 
IG,  19.)  Celte  septième  chose  laquelle  est 
nou-seulement  haïe,  mais  môme  détestée, 
est  sans  doute  un  crime  énorme;  quel  est- 
il?  C'est  de  semer  des  dissensions  entre  les 
frères. 

L'apôtre  saint  Paul  [Rom.,  XVI,  17)  re- 
présente ceux  qui  causent  des  divisions, 
<;omme  des  houimes  très-dang:ireux,  et  il 
overlit  ses  frères  qu'ils  doivent  être  très- 
exactement  observés. 

Mauvais  caractère  que  celui  de  ces  hom- 
mes ennemis  de  la  |ia'x,  qui  par  leur  dis- 
cours et  leurs  rapports  souillent  le  feu,  ir- 
ritent les  hommes,  et  les  excitent  à  la  ven- 
geance. Songez-vousque quand  vousallumez 
le  feu  dans  le  cœur  de  votre  frère,  vous  lui 
donnez  la  mort? 

La  maxime  du  vrai  chrétien  est  toute 
contraire.  Quoi  qu'il  sache,  quoi  qu'il  ait 
entendu,  dès  qu'il  soupçonne  (|ue  ce  qui  a 
iraiipé  ses  oreilles,  s'il  était  connu,  divise- 
rail  les  frères,  il  garde  le  silence.  Quoi  que 
vous  disiez,  (juelque  instance  que  vous  fas- 
siez, à  quelque  détour  que  vous  ayez  re- 
cours, vous  ne  lui  arracherez  pas  une  seule 
parole  indiscrète.  Telle  est  la  conduite  de 
celui  qui  connaît  ce  que  c'est  que  la  paix, 
et  l'obligation  qui  lui  est  imposée  de 
faire  toutes  sortes  d'eflorts  pour  la  con- 
server. 

Les  procès  sont  de  grandes  sources  de 
divisions.  Voilà  (K>urquoi  lesecclésiasliqnes 
doivent  les  éviter  avec  soin. 

Les  ecclésiastiques  doivent  haïr  les  pro- 
cès. Ils  doivent  tenter  toutes  sortes  de  voies 
(jour  maintenir  la  paix,  pour  calmer  les  es- 
prits, pour  porter  les  hommes  à  pacilier 
leursdilférends  et  àse  rendre  mutuellement 
la  justice  qu'ils  se  doivent.  Un  ecclésiasti- 
que doit  regarder  comme  un  véritable  mal- 
heur, et  comme  un  sujet  de  gémissement, 
lorsque  la  malice  des  hommes  I  oblige  à  sou- 
tenir des  droits  légitimes  que  des  raisons 
importantes  et  qui  regardent  Iv;  bien  de  l'E- 
glise ne  lui  permeltenlpoinl  d'abandonner. 

Hors  une  nécessité  Irès-pressanle  et  comme 
indispensable  un  ecclésiastique,  qui  consi- 
dérera attentivement  les  suites  funestes  des 
procès,  aura  pour  maxime  de  n'en  entre- 
prendre jamais.  Il  n'hésitera  point  à  aban- 
donner plutôt  des  droits  même  légitimes, 
que  de  les  poursuivre  jiar  les  voies  diUiciles 
el  rigouieuses  de  la  justice. 

Un  ecclésiastique  peut-il  refuser  d'embras- 
ser un  senliment  dans  lequel  saint  Paul 
veut  que  tous  les  chrétiens  entrent?  Saint 
Paul  parle  à  tous  les  chrétiens  et  il  leur  dit  : 
C  est  déjà  un  péché  parmi  vous  de  ce  que  vous 
avez  desprocès  les  uns  contre  les  autres. {l  Cor., 
VI,  l.j  Qu'aurait  donc  dit  saint  Paul,  et 
comment   ^e   serait-il    expliqué,    s'il    eût 


adressé  sa  parole  aux  seuls   ministres  du 
Seigneur? 

N'alléguez  point  que  vous  poursuiv.:;z  un 
droit  légitime:  car  saint  Paul  vous  répond 
que  vous  devriez  plutôt  souffrir  qu'on  vous 
fît  tort,  et  que  l'on  vous  ravît  votre  bien. 

Que  penserait  donc  saint  Paul  de  ces  ec- 
clésiastiques ardents,  que  les  procès  n'ef- 
frayent point,  qui  sont  toujours  prêts  h  en 
entreprendre,  qui  passent  la  plus  grande 
partie  de  leur  vie  à  rendre  visite  aux  gens 
de  justice,  et  à  solliciter  des  juges,  qui  ai- 
ment mieux  employer  une  somme  consi- 
dérable en  procès,  que  d'en  perdre  une  beau- 
coup moindre  en  consentant  à  un  accommo- 
dement qui  les  délivrerait  de  tout  embarras, 
qui,  ayant  emporté  un  bénéfice  (lar  adresse 
el  par  chicane,  s'en  gloritient  comme  d'une 
conquête  (|ui  leur  fait  honneur;  qui  par 
celle  voie  honteuse  et  si  contraire  à  l'esprit 
de  l'Eglise,  ont  amassé  plusieurs  bénéfices, 
et  sont  encore  en  disposition  de  s'en  servir 
pour  augmenter  leurs  revenus. 

Vous  les  voyez  dissipés,  enflammés,  ne  se 
possédant  point,  vomissant  les  injures  el  les 
invectives.  Quelle  tranformation,  et,  sous 
une  telle  tigure,  qui  reconnaîtrait  des  hom- 
mes envoyés  [lar  Jésus-Christ,  pourétredes 
ministres  et  des  anges  de  paix? 

Vous  avez  vu  que,  selon  saint  Paul,  nous 
devons  conserver  la  paix  avec  tous  les  hom- 
mes. 11  n'y  en  a  point  d'exceptés.  Nos  enne- 
mis même  ne  le  doivent  pas  être.  Ils  sont 
co/iqiris  au  rang  de  ceux  que  nous  de- 
vons aimer,  et  même  de  cet  amour  elTeclif 
qui  se  fait  sentir  par  les  œuvres.  Quand 
nous  aimons  nos  ennemis,  quand  nous  leur 
rendons  service,  nous  travaillons  pournous- 
mêmes,  et  c'est  ['our  lors  que  nous  con- 
naissons  notre  véritable  iiiléièL 

Que  [louvons-nous  faire  qui  nous  soit 
plus  avantageux  que  de  travailler  à  obtenir 
le  pardon  de  nos  |)échés ,  el  quel  moyen 
f)lus  efiicace  avons-nous  pour  i'ubtenir  que 
de  [/ardonner  à  nos  ennemis,  les  aimer  et 
leur  faire  du  bien  ? 

N'ayez  point  d'égard  pour  votre  ennemi, 
je  le  veux,  mais  au  moins  ayez  quelque 
égard  pour  vous-même.  Songez  qu'il  s'agit 
ou  que  vos  péchés  demeurent  gravés  dans  le 
livre  de  la  colère  du  Seigneur,  ou  qu'ils  en 
soient  effacés.  Le  Seigneur  vous  en  rend  le 
maître,  et  c'est  à  vous  de  faire  un  choix. 
Voici  comment  il  a  parlé  :  Si  voui  par- 
donnez aux  hommes  les  fautes  quils  font 
contre  vous,  votre  Père  céleste  vous  pardon- 
nera aussi  les  vôtres  ;  mais  si  vous  ne  leur 
pardonnez  point  leurs  fautes,  votre  Père  ne 
vous  pardonnera  point  aussi  les  vôtres. 
[Mattli.,  VI,  li.)  El  dans  un  autre  endroit  : 
Jiemettez  et  il  vous  sera  remis  ;  car  on  se  ser- 
vira envers  vous  de  la  même  mesure  dont  vous 
vous  serez  servi  envers  les  autres.  [Luc.  VI, 
37.) 

Quand  donc  nous  prenons  vengeanc  d'une 
injure  que  nous  avons  reçue,  nous  nous 
faisons  à  nous-mêmes  plus  de  mal  qu'à  noire 
ennemi.  Car  nous  blessons  notre  ûme,  nous 
multiplions  le  nombredenos  ini(iuités,nou< 


Iâ6l 


RETRAITE  ECCLES.  —  XVII,  UNION  ENTRE  LES  ECCL. 


i'i.iji 


irritons  Dieu  el  nous  lui  faisons  perdre  loule 
|;i  bonne  volonté  qu'il  avait  de  nous  par- 
donner. 

Cet  homme  que  vous  linïssez  est  sous  la 
protection  de  Jësus-Ciirist,  il  est  membre 
de  Jésus-Christ.  Peut-être  sera-t-il  un  jour 
un  de  ces  inenybres  heureux,  qui  seront 
pour  jamais  réunis  à  leur  Chef  dans  la 
splendeur  de  sa  gloire.  Si  vous  haïssez  le 
membre  du  Jésus-Christ,  vous  n'êtes  plus 
vous-même  membre  de  Jésus-Christ.  Vous 
rontpez  cette  union  de  cœur  sur  laquelle 
est  essentiellement  fondée  la  qualité  de 
membre  du  Sauveur.  Songozdonc  que  pour 
contenter  votre  passion,  vous  consentez  de 
ne  plus  appartenir  à  Jésus-Christ,  et  de 
n'être  plus  membre  de  son  corps.  Jugez 
vous-même  de  l'aveuglement  où  votre  pas- 
sion vous  jette,  de  l'injure  que  vous  vous 
faites,  et  de  ce  que  vous  perdez.  Le  plaisir 
de  la  vengeance  peut-il  dédommager  d'une 
perte  si  grande,  si  véritable  et  qui  a  des 
suites  si  fâcheuses? 

Il  ne  me  reste  plus  qu'une  dernière  maxi- 
me à  établir  pour  achever  de  vous  faire 
connaître  à  quoi  vous  engage  le  précepte 
que  le  Fils  de  Dieu  vous  a  imposé  de  vous 
aimer  les  uns  les  autres.  Je  dis  que  le  véri- 
table amour  du  prochain  c'est  celui  qui  nous 
fait  prendre  part  à  son  salut,  et  qui  nous 
fait  agir  vivement  pour  le  conduire 
autant  qu'il  est  en  nous  dans  la  voie  du 
salut. 

Il  y  a  bien  de  fausses  manières  d'aimer, 
et  il  n'y  en  a  qu'une  seule  de  véritable.  Les 
gens  du  monde  croient  aimer  et  ils  abusent 
dece  nom.  Souvent  leur  amour  est  plutôt 
une  haine  véritable  qu'un  véritable  amour. 
Car  n'est-ce  pas  ainsi  qu'on  doit  appeler  un 
amour  dont  l'effet  est  de  procurer  à  l'homme 
des  uioyens  de  se  perdre,  de  s'éloigner  de 
Dieu  et  de  satisfaire  ses  passions? 

Vous  aimez  cet  homme,  et  parce  que  vous 
l'aimez,  vous  l'aidez  à  obtenir  des  richesses 
et  des  honneurs  qui  l'empoisonnent,  vous 
lui  inspirez  des  désirs  directement  contrai- 
res à  sa  religion,  vous  l'aidez  à  se  venger. 
O  amour  insensé  !  celui  que  vous  croyez  ai- 
mer vous  regardera  un  jour  comme  le  plus 
cruel  de  ses  ennemis. 

Le  vrai  chrétien  aime  d'une  manière  plus 
conforme  à  la  raison  et  à  la  religion.  11 
aime  [tar  rap|torl  à  Dieu.  Il  souhaite  que 
celui  qu'il  aime  soit  un  jour  souveraine- 
ment heureux  avec  Dieu.  Il  travaille  à  lui 
inspirer  du  goût  pour  la  religion.  C'est  la 
seule  manière  véritable  d'aimer. 

«  Celui-là  nous  aime,  dit  saint  Augustin, 
qui  nous  inspire  l'amour  du  seul  bien  véri- 
table, et  nous  aimons  ceux  à  qui  nous  tû- 
chons  j)areiilement  d'inspirer  un  saint  désir 
de  travailler  à  se  rendre  solidement  heu- 
reux. S'aimer  soi-même,  dit  encore  le  môme 
Père,  c'est  tendre  à  Dieu.  Puis  donc  que 
nous  souimes  obligés  d'aimer  notre  prochain 

(2oO)  (  Ad  hoc  boiium  dobemiis  et  a  qiiibus  dlligi- 
inur  d'J(i,  et  quus  diliginiiis  diicerc.  Ille  iii  se  dili- 
ijoiiJo  lioii  errât,  «pii  diligit  Deuiit.  Cuiisc<|ucii>  al 


comme  nous-mêmes,  la  seule  marque  (juo 
nous  [missions  lui  donner  de  notre  amour, 
c'est  de  le  porter  à  chercher  Dieu  comme 
son  unique  bonheur  (250).  » 

Vous  êtes  donc  obligés  d'aimer  votre  pro- 
chain, et  pour  satisfaire  à  cette  obligation, 
il  vous  est  commandé  de  prier  beaucoup.  Un 
ecclésiastique  qui  ne  donne  pas  un  temps 
considérable  à  la  prière  a  lieu  de  craindre 
que  Dieu  ne  lui  fasse  des  reproches  Irès- 
sêvères,  qu'il  ne  le  rende  resptmsable  d'un 
grand  nombre  de  malheurs  qu'il  était  de  son 
devoir  de  détourner  par  ses  gémissemenls, 
par  ses  larmes  et  ses  |)rières. 

Vous  êtes  obligés,  en  second  lieu,  de  tra- 
vailler pour  le  prochain.  Qu'est-ce  qu'un 
ecclésiastique  oisif?  C'est  un  homme  déj.^ 
condamné  de  Dieu,  sa  sentence  est  pronon- 
cée :  Quon  jelU  le  serviteur  inutile  dans  les 
ténèbres  extérieures.  (Matlk.,  XV,  30.) 

Un  ecclésiastique  ne  voudra  |)oiiit  souffrir 
de  ses  frères.  Il  sera  emporté,  bizarre,  de 
mauvaise  humeur.  Comment  donc  oscra-t-il 
se  dire  ministre  de  celui  qui,  voulant  nous 
marquer  un  de  ses  principaux  caractères, 
nous  a  dit  :  Apprenez  de  moi  que  je  suis  doux 
et  humble  de  cœur.  [Matlh  ,  XI,  29  ) 

C'est  bien  une  autre  extrémité  plus  fû- 
cheuse,  quand  un  ecclésiastiijue  s'aban- 
donnera à  sa  jiassion,  jusqu'à  parler  de  se 
venger,  jusqu'à  faire  une  longue  énuraéra- 
tion  de  ses  ennemis.  Est-ce  là  cet  homme 
en  qui  les  passions  devraient  être  éteintes, 
qui  ne  devrait  brûler  que  de  l'amour  de  Jé- 
sus-Christ et  du  désir  d'étendre  son  rè- 
gne? 

Comme  vous  l'avez  vu,  aimer  véritable- 
ment son  prochain  c'est  vouloir  le  salut  de 
son  prochain.  Un  ecclésiastique  donc,  qui  ne 
fait  rien  pour  le  salut  de  ses  frères,  n'aime 
point  ses  frères.  Vous  ne  pouvez  faire  voir 
que  vous  aimez  votre  prochain  qu'en  exer- 
çant les  fonctions  de  votre  ministère,  en 
instruisant,  en  exhortant,  en  prêchant,  eu 
administrant  les  sacrements  de  l'Eglise,  en 
vous  servant  de  vos  lumières  et  de  vos  ta- 
lents pour  conduire  les  hommes  dans  le 
chemin, du  salut;  car  c'est  un  grand  carac- 
tère de  malédiction,  je  puis  même  ajouter 
de  réprobation,  que  d'être  inutile  à  ses 
frères. 

Voilà  le  grand  précepte  du  Seigneur,  et 
ce  qui  est  nécessaire  pour  le  bien  accomplir. 
Vous  avez  vu  ce  que  Jésus-Christ  a  dit  et  co 
qu'il  a  fait  pour  recommander  l'union  à  ses 
disci|)les.  Observez  exactement  un  précepte 
si  important.  Réjouissez-vous  quand  vous 
voyez  une  sainte  union  bien  ail'ermie  entre 
les  disci|)les  de  Jésus-Clirist.  Soyez  au  con- 
traire dans  la  tristesse  quand  la  division 
désunit  les  frères  et  les  membres  du  môme 
corps. 

Aimez  surtout  beaucoup  la  sainte  unité 
de  l'Eglise.  Que  ce  soit  un  des  biens  que 
vous  demandiez    h  plus  souvent  a  Dieu  et 

m  ciiam  proximo  ad  diiigeiidum  Deiim  consulat, 
ijuCiii  jiil)elur  siciil  seipsiiiii  dlli^urc.  »  (/>(,'  civil. 
Dci,  1.  X,  c.  4;1.  XiX,  U.j 


i 


{265 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMREUT. 


126* 


nvec  le  plus  de  ferveur.  Que  la  moindre  di- 
vision dans  l'Eglise  vous  cause  de  sensibles 
alarmes,  et  n'omeltez  aucun  moyen  pour 
détourner  un  mal  si  danj^ereux. 

Que  n'ont  point  fait  les  saints  pour  con- 
server la  paix  de  l'Eglise?  Le  sacrifice  des 
dignités  les  plus  éminentes  ne  leur  a  point 
coûté,  quand  il  a  été  question  de  conserver 
un  bien  si  précieux. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  est  maintenu 
ilans  la  qualité  d'évêque  do  Constantinople 
par  la  décision  d'un  concile.  Il  n'y  eut  ja- 
mais d'élection  pi  us  canonique  que  la  sienne. 
Des  évêques  nouvellement  arrivés  dans  le 
concile,  olfensés  de  ce  que  l'assemblée  avait 
prononcé  avant  leur  arrivée,  contestent  ce 
(jui  avait  été  fait  en  faveur  de  saint  Gré- 
goire. Ce  n'est  pas  à  ceux  qui  connaissent 
la  pesanteur  de  l'épiscopat  qu'il  faut  oppo- 
ser des  diflicuUés.  Dès  que  saint  Grégoire 
aperçoit  quelque  apparence  de  trouble,  il 
n'en  faut  pas  davantage  poar  le  déterminer. 
Il  cède,  et  il  serait  dans  la  disposition  d'a- 
bandonner l'empire  de  tout  le  monde  pour 
affermir  la  paix. 

Ce  saint  évéque  dans  un  de  ses  discours 
(Orat.21,  p.  397)  adresse  au  Seigneur  cette 
fervente  prière:  Si  l'Eglise  doit  jouir  de  la 
paix,  je  consens  de  rester  encore  sur  la  terre, 
et  je  vous  demande.  Seigneur,  les  secours 
dont  j'ai  besoin  pour  conduire  fidèlement  le 
irou[jeau  dont  vous  m'avez  établi  le  pasteur. 
Mais  si  la  guerre  doit  se  rallumer,  ne  permet- 
tez point  que  j'o  sois  le  témoin  d'un  si  triste 
spectacle.  Je  vous  conjure,  ô  mon  Dieu  !  de 
me  retirer  de  cette  vie,  et  de  tinirau  plus  tôt 
mon  exil. 

Aimez  donc  la  paix,  soyez  des  enfants  de 
paix,  affermissez  la  paix,  haïssez  le  trouble 
et  la  division,  n'omettez  rien  de  ce  qui  est 
en  votre  pouvoir  pour  maintenir  l'union. 
Après  avoir  travaillé  sur  la  terre  (lour  con- 
server l'union,  vous  verrez  un  jour  sans 
travail  et  sans  peine  une  sainte  union  qui 
fait  un  des  plus  beaux  ornements  de  la  [»a- 
irie  céleste,  et  le  principal  bonhiur  des 
bienheureux. 

DISCOURS    XVIU. 

DE    l'obéissance. 

Quand  vous  avez  été  consacrés  prêtres, 
vous  avez  fait  un  serment  solennel  dont  il 
Vous  est  très-important  de  vous  souvenir, 
puisque,  si  vous  manquiezaaccomplir  votre 
})rûmesse,  vous  seriez  sans  doute  coupables 
d'une  prévarication  très-criminelle. 

L'évêque  tenant  vos  mains  entre  les  sien- 
nes vous  a  adressé  ces  paroles  :  Vous  me 
promettez  et  à  mes  successeurs  respect  et 
obéissance?  Ressouvenez-vous  de  votre  ré- 
ponse et  ne  l'oubliez  jamais.  Je  le  promets, 
avez-vous  répondu  (251).  Par  là  donc  vous 
vous  êtes  engagés  à  obéir.  Malheur  à  vous 
si  vous  aviez  dit  seulement  ces  paroles  de 
bouche,  et  si  vous  ne  sentiez  pas  au  fond 
de  vos  cœurs  ce  que  vous  avez  prononcé  ex- 
térieurement par  vos  paroles  ! 


Quand  votre  év(}que  vous  a  engagés  à 
l'obéissance,  il  no  vous  a  rien  demandé  qui 
ne  lui  soit  dû  à  raison  de  son  caractère.  Jé- 
sus-Christ l'a  élabli  voire  chef.  C'est  lui  qui 
est  chargé  de  la  conduite  du  troupeau.  Vous 
êtes  prêtres  pour  travailler  sous  ses  ordres 
et  pour  le  secourir  dans  ses  pénibles  fonc- 
tions. C'est  donc  à  lui  comme  à  votre  chef 
de  vous  conduirej  de  vous  appliquer,  de 
vous  confier  les  âmes  dont  il  est  le  premier 
pasteur,  et  devons  en  demander  compte. 
C'est  5  vous  d'être  docile,  d'accepter  avec 
humilité  la  charge  qui  vous  est  imposée,  de 
veiller  attentivement  sur  la  portion'du  trou- 
peau qui  vous  est  confiée,  etd'en  rendre  un 
fidèle  compte. 

Voilà  le  fondement  de  l'obligation  qui 
vous  a  été  imposée,  et  de  la  promesse  que 
vous  avez  faite  d'obéir.  Obligation  très-im- 
portante, obligation  très-étroite,  mais  obli- 
gation très-négligée,  pour  ne  pas  dire  très- 
méprisée  en  ce  temps  où  chacun  veut  être 
maître  de  soi,  et  ne  sait  plus  ce  que  c'est 
que  de  se  contraindre  pour  rendre  aux  su- 
périeurs l'obéissance  qui  leur  est  due  si  lé- 
gitimement. Le  mépris  de  la  loi  doit  enga- 
ger à  employer  toutes  sortes  d'efïbrts  [)0ur 
la  faire  revivre  et  pour  montrer  la  nécessité 
de  s'y  soumettre. 

Je  veux  donc  employer  tout  ce  discours  à 
vous  entretenir  de  l'obéissance,  et  voici  ce 
que  je  dois  vous  en  faire  voir  dans  les  deux 
|)arties  de  ce  discours.  Dans  la  première,  je 
vous  montrerai  combien  il  est  avantageux 
d'obéir;  dans  la  seconde,  je  vous  expliquerai 
les  qualités  de  l'obéissance. 

PREMIER   POINT. 

Il  y  a  trois  grands  avantages  attachés  à 
l'obéissance, qui  vous  feront  connaître  com- 
bien il  est  nécessaire  au  chrétien  de  vivre 
dans  la  pratique  exacte  de  cette  importante 
vertu. 

Le  premier  avantage  de  celui  qui  est  obéis- 
sant, c'est  qu'il  entre  dans  l'esprit  de  Jé- 
sus-Christ et  qu'il  imite  son  exemple. 

Son  second  avantage,  c'est  qu'il  se  délivre 
<i'un  grand  nombre  do  |)érils  auxquels  nous 
sommes  exposés  pendant  le  temps  de  celte 
misérable  vie. 

Son  troisième  avantage,  c'est  que  toutes 
les  actions  de  sa  vie,  même  celles  qui  pa- 
raissent les  moins  iinporlanles,  sont  saintes 
et  agréables  à  Dieu. 

Le  grand  moyen  d'entrer  dans  l'esprit  de 
Jésus-Christ  c'est  de  pratiquer  l'obéissimce. 
Car  quel  est  l'esprit  de  Jésus-Christ?  clier- 
chons-le  dans  les  saintes  Eciitures.  Son  es- 
|)rit  est  que  ses  disciples  soient  humbles, 
qu'ils  soient  petits,  qu'ils  se  déhentd'eux- 
iiiômes,  qu'ils  soient  détachés  de  toutes 
choses,  môme  de  leur  propre  volonté.  Tout 
cela  dispose  merveilleusement  le  chrétien  à 
pratiquer  l'obéissance.  Que  coûte-t-il  d'o- 
béir à  celui  qui  sait  qu'il  n'est  jamais  plus 
agréable  à  Dieu  que  quand  il  est  dans  une 
Jisposition  sincère  de  s'abaisser?  Celui  qui 


t^ril)  «  Proiniliis  milii  ei  succes-soribiis  mci .  rcverenliam  el  obeJieiiliain?  PiomiUo.  > 


J-2G3 


HETRAITE  LCCLKS.  —  XVllI,  OBEISSANCE. 


lififi 


se  défie  de  lui-môme  ne  doit  point  souhaiter 
do  se  coiuliiire,  mais  au  coiilraire  son  grami 
désir  doit  ôtro  d'avoir  un  cniuliicleur  qui  le 
guide  et  ([ui  le  rassure.  Notre  dolacliemenl 
doit  être  entier.  Il  n'y  a  rien  dont  il  nous 
soit  plus  djflîcile  de  nous  délachor  que  de 
notre  propre  volonté.  Quand  pouvons-nous 
mieux  connaître  que  nous  on  sommes  dé- 
tacliés  que  quand  nous  obéissons?  Prati- 
quer robéissancec'est  donc  une  marque  que 
1  esprit  de  Jésus-Christ  est  en  nous. 

Voilà  pourquoi  les  saints  apôtres  ont  re- 
commandé tant  de  fois  aux  chrétiens  de 
vivre  dans  une  pratique  exacte  de  l'obéis- 
sance. Obéissez,  dit  saint  Paul,  à  vos  con- 
ducteurs, et  soyez  soumis  à  leurs  ordres. 
{Heb.,  XIM,  17.)  Ne  pas  obéir,  vouloir  vivre 
dans  l'indépendance,  ce  serait  une  marque 
d'orgueil.  Ce  serait  donc  entièrement  s'é- 
loigner de  l'esprit  de  Jésus-Christ. 

Lapôtre  saint  Pierre,  en  recommandant 
l'obéissance,  prend  toutes  sortes  de  précau- 
tions. S'il  y  avait  quelque  lieu  de  se  dis- 
penser de  l'obéissance,  ce  serait  sans  doute 
h  l'égard  de  ceux  qui  abusent  de  leurauto- 
rilé.  Est-ce  un  sujet  légitime  de  révolte? 
Peut-on  alors  secouer  le  jouget  se  dispenser 
d'ubéir?  Si  vous  le  faites,  vous  êtes  con- 
damnés par  saint  Pierre,  qui  prononce  ex- 
pressément qu'il  y  a  obligation  d'obéir,rjon- 
seuliincnt  à  ceux  qui  sont  bons  et  doux,  mais 
encore  à  ceux  qui  sont  rudes  et  fâcheux. 
(lPetr.,U,t8.) 

Toutes  les  ordonnances  de  la  loi  de  Jé- 
sus-Christ font  voir  qu'elle  est  entièrement 
conforme  aux  principes  de  la  raison.  Le 
commandement  exprès  quil  a  fait  d'obéir 
eu  est  une  preuve  certaine. 

Que  deviimdrail  le  monde  sans  l'obéis- 
sance? Quoi  de  plus  nécessaire  que  celte 
vertu  pour  maintenir  l'ordre  et  la  règle?  L'ox- 
()érience  le  fait  voir.  Où  l'obéissance  n'est 
pointg<irdée,ce  n'est  que  trouble,  le  désordre 
se  glisse,  la  paix  en  est  bannie.  Un  tout  qui 
n'est  point  uni  est^menacé  de  sa  destruction 
et  ne  peut  éviter  une  ruine  prochaine.  Mais 
au  contraire,  où  l'obéissance  est  gardée,  il 
n'y  a  personne  qui  ne  soit  édifié  en  remar- 
quant ce  parfait  accord.  C'est  une  tranquil- 
lité qui  dispose  l'âiuo  à  recevoir  et  à  goûter 
le  don  de  Dieu.  On  croirait  voir  ces  esprits 
bienheureux  qui  sont  parfaitement  unis 
entre  eux,  et  qui  sans  aucun  trouble  louent 
sans  cesse  le  Saint  des  saints.  S'il  peut  y 
avoir  quelque  chose  de  stable  sur  la  terre, 
c'est  ce  qui  est  uni,  où  tout  est  dans  son 
ordre.  Ce  qui  ne  peut  jamais  êtie  que  quand 
Tobéissance  est  fidèlement  observée. 

Contemplons  maintenant  l'exemple  de 
Jésus-Christ,  et  voyons  celui  (jui  obéit, 
solidement  Ibrtilié  par  cet  exemple. 

Jésus-Christ  est  venu  sur  la  terre  pour 
nous  donner  l'exemjjle.  Nous  voyons  en 
lui  une  ima^e  de  toutes  les  vertus.  Voici  ce 
qu'il  nousdit  pour  nous  apprendrejusqu'où 
a  été  sa  fidélité  dans  la  pratique  de  l'ubéis- 
^allC('. 

Je  suis  descendu  du  ciel  non  pas  pour  faire 
tua  volonté,    mais    pour  faire  la   volonté  de 


celui  qui  in  a  envoyé.  [Joan. ,yil,  38.)  Je  ne 
cherche  point  à  faire  ma  volonté,  mais  la 
volonté  de  mon  Père  qui  m'a  envoyé.  (Joan., 
V,  30.}Ma  nourriture,  c'est  de  faire  la  volonté, 
de  celui  qui  m'a  envoyé.  {Joan.,  iV,  ^k.)  Jé- 
sus-Christ s'est  rendu  obéissant  jusqu'à  la 
mort.  {Philip.,  II,  8.) 

>  Vous  voyez  dans  ces  paroles  que  Jésus- 
Christ,  en  venant  sur  la  terre,  ne  s'est  ja- 
mais projiosé  de  faire  sa  volonté,  mais  qu'il 
y  est  venu  avec  un  dessein  déterminé  d'ac- 
com|)lir  en  toutes  choses  la  volonté  de  so!i 
Père.  Je  suis  desceiidu  du  ciel,  etc. 

Jésus-Christ  n'est  pas  semblable  à  ceux 
qui  ont  de  grandes  idées,  mais  qui  ne  les 
remplissent  point.  L'exécution  fidèle  a  ré- 
pondu à  la  grandeur  de  ses  desseins.  Il  est 
venu  pour  faire  la  volonté  de  son  Père.  I! 
nous  assure  que,  dans  tonte  la  suite  de  sa 
vie,  il  n'a  jamais  cherché  à  faire  sa  vo- 
lonté, mais  celle  de  son  Père  qui  l'avait  en- 
voyé. 

^  Observez  l'ardeur  avec  laquelle  Jésus- 
Christ  se  portait  à  accomplir  la  volonté  de 
son  Père.  Celait  tout  son  désir,  c'était  tout 
son  soutien  au  milieu  des  dilEcultés  conli- 
nuelles  qu'il  a  eues  à  essuyer  dans  le  cours 
de  sa  mission.  Manourriture  et  moi\  so{}r- 
lien,  c'est  de  faire  la  volonté  de  mon  Père. 
Faites  attention  à  ces  |)aroles.  Que  ce  soit 
là  votre  nourriture.  Usez  d'un  si  fort  et  si 
salutaire  aliment.  L'âme  donc  se  nourrit,  se 
maintient,  se  fortifie  par  la  pratique  de 
l'obéissance. 

Enfin,  jusqu'où  a  été  l'obéissance  de  Jé- 
sus-Christ? elle  a  été  jusqu'à  la  mort.  Son 
obéissance  donc  a  été  continuelle.  Elle  a 
été  parfaite  et  en  toutes  choses.  De  quoi 
pourrait  être  troublé,  de  quoi  pourrait  être 
rebuté  celui  qui  est  disposé  à  obéir  jusqu'à 
la  mort?  Voilà  votre  exemple;  voyez  et 
suivez. 

Confessez  que  celui  qui  veut  imiter  Jé- 
sus-Christ ne  peut  avoir  de  joie  plus  par- 
faite et  de  consolation  plus  solide,  que  de 
passer  tous  les  jours  de  sa  vie  dans  la  pra- 
tique continuelle  de  l'obéissance. 

En  observant  cette  vertu,  combien  de  pé- 
rils évilera-t-il  qui  sont  si  communs,  si  re- 
doutables, et  qui  font  tomber  une  infinité 
de  chrétiens?  Je  vous  ai  dit  que  c'était  le 
second  avantage  de  l'obéissance.  Elle  déli- 
vre l'homme  d'un  grand  nombre  de  périls 
auxquels  il  est  exposé  pendant  le  temps  do 
cette  vie. 

S'agit-il  de  se  déterminer,  et  de  prendre 
sa  résolution  dans  des  aifaires  importantes? 
Combien  y  en  a-t-il  qui  se  trompent  et  qui, 
suivant  des  principes  d'erreur,  prennent 
des  déterminations  très-contraires  à  leur 
salui?  L'obéissance  vous  délivrera  de  ce 
péril.  Vous  devez  être  persuadé  que  votre 
détermination  ne  sera  jamais  plus  heureuse 
que  quand  elle  sera  soumise  à  ceux  qui  ont 
reçu  de  Dieu  le  pouvoir  de  vous  guider. 

Dans  le  temps  que  vous  délibérez  et  après 
le  temps  de  la  délibération,  vous  avez  tou- 
jours au  milieu  de  vous  voire  propre  volon- 
té. Si  vous  la  suivez,  que  n'avez-vous  !>as 


i267 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


Î268 


c'i  crainifre,  et  peKt-W  arriver  un  plus  grand 
malheur  à  l'homme  que  d'avoir  pour  guide 
.^a  pro|ire  volonté?  L'obéissance  vous  pré- 
servera encore  de  ce  funeste  malheur.  Au- 
tant qu'il  est  dangereux  de  suivre  sa  volon- 
té, autant  l'homme  soumis  se  met  en  silreté 
hirsqu'd  se  conduit  suivant  la  volonté  de 
rt-ux  auxquels  il  est  assujetli  par  l'ordre  du 
Seigneur.  Voyez  donc  combien  il  est  avan- 
tageux d'obéir,  et  combien  sont  grands  les 
j)éiils  dont  on  se  délivre  parle  moyen  de 
l'<jbéissance. 

Avez-voiis  h  délibérer?  vous  avez  beau- 
coup à  craindre.  Plus  l'aifaire  est  impor- 
lanle,  plus  vous  avez  lieu  d'eulrer  dans 
de  justes  sentiments  de  défiance.  De  qui 
donc  avez-vous  tant  de  sujet  de  vous  défier  ? 
C'est  de  vous-mêmes  et  de  vos  propres  con- 
seiis. 

Le  Sage  vous  avertit  de  prendre  sur  cela 
de  salulaires  p.'-écautions  en  vous  défiant  de 
vous-mêmes,  et  en  ne  vous  rapportant 
pointa  vous-mêmes.  Prenez  garde  de  nêtre 
point  sage  à  vos  propres  yeux.  [Prov.,  lil,  7.) 

Kire  sage  h  ses  propres  jeux,  c'est  avoir 
grande  opinion  de  soi-mi&me,  c'est  croire 
que  l'on  a  beaucoup  de  prudence,  c'est  s'en 
rapporter  à  son  propre  conseil.  Voilà  ce  qui 
est  très-funeste  selon  l'avis  du  Sage,  et  voi- 
là ce  qu'il  nous  avertit  d'éviter  avec  soin, 
(|uand  il  nous  marque  qu'il  est  si  dangereux 
d'éire  sage  à  nos  propres  yeux. 

Il  y  eu  a  dans  le  monde  un  très-grand 
nombre,  en  qui  l'on  aperçoit  ce  mauvais 
caractère.  Ce  sont  des  gens  prévenus  en 
Jour  faveur,  persuadés  qu'ils  pensent  mieux 
que  les  aulres.  Dans  leurs  allaires  les  plus 
inq)oriantes  la  délibération  est  courte,  et 
la  résolution  est  bientôt  furciée.  Ils  n'ont 
(pj'eux  à  consulter.  Les  voilà  donc  détermi- 
nés par  leur  proj^eavis.  Les  voilà  si  fermes, 
que,  quoi  qu'on  leur  oppose,  ils  ne  sont 
l'oint  disposés  à  revenir  de  leurs  premiers 
sentiments.  N'est-il  pas  évident  que  ceux 
qui  suivent  de  si  mauvais  principes  sont 
très-accoutumés  à  se  trooiper,  et  font  ordi- 
nairement de  très-dangereuses  chutes? 

Il  n'y  a  point  d'allaire  plus  importante 
que  le  choix  d'un  élat.  C'est  donc  alors 
j)arliculièrement  que  la  délibération  doit 
élre  longue,  qu'on  doit  prendre  toutes 
sortes  de  précautions  pour  la  rendre  heu- 
reuse. C'est  alors  qu'on  a  besoin  d'un  sage 
conseil,  et  qu'on  s'exjjoserait  aux  plus  fu- 
nestes malheurs  si  l'on  était  assez  imprudent 
jiour  s'écouler  soi-même  et  pour  s'en  rap- 
])Oiterà  soi-môn)e. 

Vous  voulez  entrer  dans  l'état  ecclésias- 
tique, et  vous  le  voulez,  parce  qu'il  vous 
])araît  que  cet  élat  vous  convient.  A  qui 
vous  en  êtes-vous  ouvert,  et  à  (|ui  avez- 
vous  demandé  conseil?  Vous  vous  ôles 
consulté  vous-même,'  et  vous  prétendez 
n'avoir  [)Oint  besoin  d'autre  conseil,  pour 
former  une  aussi  iu)portante  résolution. 
Connaissez  le  péril  auquel  vous  vous  ex- 
j)Osez,  et  vous  en  serez  ellrayé.  Vous  cou- 
rez risque  d'entrersans  vocation,  vous  cou- 
rez risque  d'entrer  dans  l'Eglise  comme  «« 


voleur.  Arrêtez  donc  et  concevez  que  votre 
démarche  est  précipitée.  Délibérez  long- 
temps, délibérez  avec  de  sages  conducteurs 
(}ui  aient  toutes  les  lumières  et  toute  la 
droiture  de  cœur  nécessaires  pour  vous 
donner  un  conseil  prudent. 

C'est  parliculièrement  de  l'état  ecclésias- 
tique dont  il  est  vrai  de  dire  qus  l'on  court 
toutes  sortes  de  périls,  quand  on  y  entre 
par  sa  propre  délibération.  La  véritable 
disposition  de  celui  qui  connaît  la  sainteté 
de  cet  état,  c'est  d'appréhender,  c'est  de 
craindre  de  trop  avancer,  c'est  de  fuir,  c'est 
de  s'en  juger  absolument  indigne. 

Etant  sincèrement  dans  ces  saintes  dispo- 
sitions, une  voix  supérieure  vous  appelle, 
vous  détermine,  vous  assure  que  vous  pou- 
vez avancer,  et  même  vous  le  commande. 
Pour  lors  vous  évitez  l'écueil,  vous  avez 
tout  lieu  d'espérer.  Qui  donc  vous  donne  le 
droit  de  vous  rassurer,  et  quel  est  le  fonde- 
ment de  votre  confiance?  c'est  votre  docili- 
té et  votre  obéissance.  Ce  n'est  point  vous 
qui  marchez  et  qui  vous  présentez,  ce  n'est 
point  votre  propre  conseil  qui  vous  déter- 
mine. Allez,  l'état  que  vous  embrassez  est 
à  la  vérité  {)lein  de  périls,  mais  l'obéissance 
doit  vous  rassurer.  C'est  une  de  ces  préro- 
gatives de  délivrer  l'homme  des  périls  aux- 
quels s'exposent  ceux  qui  se  déterminent 
par  leur  propre  conseil  et  par  leur  j)ropre 
choix. 

Il  en  sera  de  même  de  toutes  les  actions 
que  vous  ferez  dans  la  suite  de  votre  vie. 
Pour  peu  qu'elles  soient  importantes,  pour 
()eu  qu'il  y  ait  lieu  de  douter,  soyez  toujours 
prompts  à  demander  conseil. 

Vous  agissez  par  vous-même,  vous  suivez 
votre  inclination,  vous  vous  déterminez 
par  caprice,  vous  voulez  servir  le  Sei- 
gneur à  votre  mode  et  selon  votre  humeur  ; 
craignez,  défiez-vous  de  vous-même  :  rien 
n'est  plus  commun  que  de  se  tromper,  et 
que  de  tomber  quand  on  fuit  de  si  mauvais 
principes 

Vous  ne  serez  point  exfiosé  à  de  sembla- 
bles périls,  vous  que  je  vois  exact  à  suivre 
en  toutes  choses  l'ordre  cpii  vous  est  mar- 
qué. Vous  n'êtes  ni  hardi,  ni  entreprenant  ; 
vous  ne  craignez  rien  tant  que  de  vous 
produire  et  d'agir  par  vous-même  ;  vous 
suivez  pas  à  pas  ce  qui  vous  est  prescrit, 
et  vous  ne  vous  écartez  jamais  de  la  voie 
qui  vous  est  marquée  ;  marchez  avec  con- 
liaiice.  Quoique  la  voie  soit  pleine  de  pé- 
rils, rassurez-vous;  l'obéissance  vous  sou- 
tient, vous  êtes  a|)[iuyé  sur  un  solide  fon- 
dement. Celui-là  donc  est  fort  qui  obéit, 
qui  se  délie  de  lui-môme,  qui  dans  toutes 
ses  actions  est  exact  à"  observer  quel  est 
l'ordre  de  Dieu,  et  ce  qu'il  demande  do 
lui. 

Ce  qui  doit  vous  rendre  encore  l'obéis- 
sance plus  précieuse,  c'est  qu'en  la  prati- 
(piant  vous  renoncez  à  votre  propre  vo- 
lonté. 

Le  grand  ennemi  de  l'homme  est  au  mi- 
lieu de  lui-même;  apprenez  à  le  connaître 
atin  de  vous  en  délier.  Ayez  pour  maxime 


t-2i;o 


RETUAITE  FXCLIÎS.  -  XVllI,  OHEISSANCE. 


12T0 


que  vous  devez  le  coniballre  sans  cesse. 
Aulromeiit  ce  dangereux  ennemi  no  cesse- 
ra point  devons  faire  des  blessures  mor- 
telles. 

Que  d'insensi^s  dans  le  monde  qui  s'ap- 
plaudissenl  à  eux-mêmes?  Le  fondement 
de  leur  joie  c'est  qu'ils  sont  libres  de  tout 
joug,  et  qu'ils  sont  les  maîtres  d'eux-mô- 
mes.  Combien  en  voit-on  à  qui  toute  do- 
luinalion  est  insupportable,  et  'qui  n'ont 
point  de  f)lus  grand  désii  que  de  s'en  af- 
iranciiirl  Ce  soni  des  enfants  prodigues  qui 
p.' peuvent  plus  supporter  le  gouvernement 
de  leur  père.  Knneniis  de  leur  bonheur, 
parce  qu'ils  le  sont  de  toute  règle,  ils  veu- 
lent absolumeut  disposer  d'eus-n^ênies. 
Vous  allez  donc  être  votre  maître  et  votre 
conducteur.  Que  vous  êtes  à  plaindre  I  vous 
ne  pourriez  jamais  choisir  un  guide  [dus 
trompeur. 

Jugez  de  l'extrême  malheur  de  celui  qui 
veut  se  conduire  suivant  sa  jiropre  volonté. 
Lorsque  Dieu,  irrité  contre  l'homme,  veut 
1-e  châtier  dans  sa  colère,  un  de  .ses  châti- 
meuis  les  plus  sévères,  c'est  de  le  livrer  h 
lui-môme  et  de  l'abandonner  aux  désirs  de 
son  cœur.  Je  les  ai  abandonnés,  dit  Dieu, 
aux  désirs  de  leur  cœur;  ils  suivront  l'égare- 
mtnl  de  leurs  pensées.  {Psal.  LXXX,  13.) 
Comment  Dieua-t-il  puni  les  nations  infi- 
dèles, lorsque,  suivant  aveuglément  les 
mouvements  déréglés  des  passions  les  plus 
brutales,  elles  ont  provoqué  sa  colère 
par  les  plus  abominables  crimes  :  il  les  a 
livrés  aux  désirs  de  leur  cœur,  il  les  a  livrés 
à  un  sensréprouié.  {Rom.,  XXIV,  28.) 

Le  premier  homme  irrite  Dieu.  Dieu 
veut  châtier  sa  rébellion,  il  veut  donner 
aux  hommes  un  exem|)le  qui  les  effraye, 
et  montrer  par  un  châtimeni  sévère  qu'il 
déleste  l'iniquité.  Observez  donc  quel  est 
ce  rigoureux  châtiment.  L'homme,  dit  saint 
Augustin,  s'était  plu  en  lui-même  par  §on 
orgueil.  La  justice  de  Dieu,  pour  le  châtier 
d'une  manière  proportionnée  à  j'énormiié 
de  son  crime,  l'abandonne  à  lui-même  (252). 
C'est  donc  une  terrible  punition,  c'est  donc 
une  rigoureuse  vengeance  du  Seigneur,  que 
n'être  livré  à  soi-même, que  d'être  abandon- 
na h  sa  |)ropre  volonté. 

Celui  qui  est  dans  la  disfiosition  d'obéir 
ne  craint  point  d'être  frappé  de  cette  peine. 
Comme  il  est  résolu  de  ne  point  suivre  sa 
volonté,  il  n'a  point  lieu  de  craindre  que 
Dieu  pour  le  punir  l'abandonne  à  sa  prepre 
volonté.  Qu'il  est  donc  avantageux  d'obéir, 
puisque  l'obéissance  met  l'homme  à  cou- 
vert de  ces  châtiments  rigoureux,  qui  sont 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  terrible  et  de  [)lus 
à  ap[)réhender  pendant  que  nous  vivons  sur 
la  terre. 

En  coîiii  Jéranl  ces  effets  salutaires  de 
l'obéissaui-e,  peut-on  s'empêcher  de  pro- 
noncer qu'il  est  beaucoup  plus  avantageux 
d'obé/rque  de  commander?  Vous  obéissez, 
que  volrtî  condition  est  heureuse  1  Connais- 
sez-en le  bunheui',  ne  cherchez  point  h  sor- 


tir de  votre  étal,  remcriMCz  le  Seigneur  de 
vous  y  avoir  placé,  et  sentez  combien  vous 
lui  êtes  redevable. 

Il  n'y  a  rien  qui  soit  plus  h  craindre  que 
les  places  supérieures,  dans  lesquelles  on 
est  revêtu  de  l'autorité.  Instruisez-vous  par 
l'exemple  des  sainis.  Ils  ont  fui,  ils  se  sont 
cachés,  ils  ont  considéré  les  dignités  ecclé- 
siastiques comme  un  poids  accablant.  De 
quoi  donc,  ont-ils  été  particulièrement  ef- 
frayés? C'est  qu'ils  savaient  combien  il  est 
périlleux  de  cooimander  et  do  conduire- 
V^)us  voulez  commander,  et  ce  qui  a  si  for- 
tement effrayé  les  sainis  ne  vous  épouvante 
point? 

Vouloir  être  maître,  avoir  do  l'empresse- 
ment pour  les  places  qui  élèvent  au-dessus 
des  autres,  c'est  être  ennemi  de  soi-même. 
N'avons  nous  |)as  assez  à  répondre  de  nous 
sans  nous  charger  encore  de  réjtondre  des 
autres?  Doutez-vous  que  ceux  qui  comman- 
dent ne  soient  chargés  de  rendre  com|(le  <i 
Dieu  de  Ions  ceux  qui  sont  soumis  à  leur 
autorité  ?Kt  voilà  [lourquoi  saint  .Jacques 
vous  avertit  de  redouter  et  de  fuir  les  pre- 
mières places.  Mes  frères,  vous  dit  cet  apô- 
tre, ne  vous  empressez  point  de  devenir  les 
maîtres  des  autres,  sachant  que  cette  charge 
vous  expose  â  un  jugement  plus  sévère.  [Jac. 
III,  1.) 

Ne  vous  empressez  point.  Que  direz-vous 
donc  de  tous  ceux  qui  s'ei!i[)resseni  ?  bien 
loin  d'imiter  leur  conduite,  n'aurez-vous 
pas   compassion   de    leur  aveuglement? 

Je  ne  prétends  pas  condamner  par  là 
tous  ceux  (pji  sont  élevés,  et  qui  sont  revê- 
tus de  l'autorité.  Je  les  plains  tous,  mais  je 
ne  les  condamne  pas.  Il  faut  nécessairement 
que  les  premières  places  soient  remplies. 
Il  y  en  a  que  Dieu  conduit  et  que  Dieu  ap- 
pelle. Quoiqu'ils  sentent  le  poids,  quoi- 
(jii'ils  en  connaissent  toute  la  pesanteur, 
ils  auraient  été  criminels  de  ne  pas  obéir. 
Quoique  les  périls  soient  grands,  la  grâce 
du  Seigneur  est  encore  plus  forte,  ce  Dieu 
de  bonté  [irolège  ceux  qu'il  appelle.  Mais 
voici  ce  qui  me  paraît  évident  après  les 
princi|)es  que  je  vi"ens  d'établir. 

1.  Tous  ceux  qui  s'empressent  pour  ob- 
tenir les  premières  places  sont  véritable- 
ment des  insensés  qui  ne  savent  ce  qu'ils 
désirent.  Leur  désir  est  criminel  ,  leurs 
poursuites  sont  téméraires.  Ils  se  précipi- 
tent eux-n)êmes  dans  le  péril,  et  il  est  in- 
faillible qu'ils  y  succomberont. 

2.  Si  vous  êtes  sur  les  rangs  pour  être 
élevé  c"!  une  place  qui  vous  donnerait  de 
l'autorité,  et  que  l'on  vous  oublie,  estimez- 
vous  heureux,  rendez  grâces  au  Seigneur, 
gardez-vous  de  murmurer  ou  de  vous 
plaindre.  C'est  Dieu  qui  dispose  souverai- 
nement de  toutes  les  choses  de  la  terre,  et 
(]ui  remet  son  autorité  entre  les  mains  de 
qui  il  lui  plaît.  Si  donc  il  vous  écliappo  des 
plaintes  et  des  murmures,  c'est  Dieu  même, 
vous  dit  saint  Chrysostome  (lioin.  3  in  Act. 
opost.),  q[iQ  vous  osez  aUaquer.  Le  fardeau 


(252)  t  Quia  <,u[)eibia  sibi  platueial,  Dci  jiistitia  sii)i  donaliis  est.  >  (L  XIV,  Dcciiif.  Dei,  cap.  15.) 


i271 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT 


1272 


vous  oût  peul-6lre  accablé.  Dieu  n'a  pas 
pc^rmisque  vous  en  fussiez  chargé.  Vous  lui 
êtes  rodevable,  vous  devez  être  content  île 
passer  vos  jours  occupé  de  vous,  el  déchargé 
de  la  conduite  des  autres. 

3.  Ceux  qui  sont  élevés  aux  premières 
places  doivent  s'estimer  très-naalheureux. 
Ils  ne  doivent  jamais  cesser  de  craindre.  Ils 
doivent  considérer  leur  dignité  non  pas 
comme  quelque  chose  de  brillant  et  d'avan- 
lageux,  mais  comme  un  poids  très-lourd. 
Ils  doivent  être  sincèrement  disposés  à 
obéir.  S'il  leur  était  libre  défaire  un  choix, 
ils  devraient  sans  hésiter  quitter  leur  état, 
se  dépouiller  deleur  autorité,  pour  embras- 
ser la  condition  où  l'on  obéit,  et  oiî  l'on 
n"('st  plus  chargé  du  pesant  fardeau  de 
gouverner  les  autres. 

4.  Que  ceux  qui  obéissent  soient  péné* 
très  du  bonheur  de  leur  condition,  et  que 
ce  leur  soit  un  motif  pressant  pour  en  rem- 
plir les  dev^oirs.  Ils  sont  beaucoup  plus  en 
sûreté  que  les  autres,  et  par  conséquent 
beaucoup  plus  heureux. 

Nous  savons,  dit  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze  (Orat.  1,  p.  20),  qu'il  est  plus  avan- 
tageux d'être  gouverné  par  un  homme  ha- 
bile, qui  soit  notre  conducteur  dans  la  voie 
du  salut,  que  d'être  nous-mêD)es  les  guides 
des  autres,  et  exposés  à  les  conduire  dans 
des  routes  égarées.  Heureux  celui  qui  n'a 
besoin  de  se  servir  que  de  ses  oreilles  pour 
entendre  ce  qui  lui  est  commandé,  et  qui 
n'est  [loinl  obligé  de  se  servir  de  sa  langue 
pour  expliquer  aux  autres  ce  qu'ils  sont 
obligés  d'observer  1 

Il  est  sans  comparaison  plus  sûr  d'obéir 
(lue  de  commander.  Il  est  plus  sûr  d'écou- 
ler que  de  parler,  de  recevoir  conseil  que 
de  le  donner,  de  faire  la  volonté  des  autres, 
que  de  faire  sa  volonté  propre.  Voilà  les 
saintes  maximes  que  nous  enseigne  le  sage 
auteur  de  V Imitation  de  Notrc-Seigneur  {\ib. 
I,  cap.  9,  lib.  111,  cap.  233),  et  qui  nous 
dfHveiit  d'autant  plus  loucher,  qu'il  les  a 
(luisées  (les  saintes  Ecritures  et  qu'elles 
sont  entièiement  conformes  à  resi)rit  de 
Jésus-Christ. 

Vous  donc  qui  obéissez,  jouissez  de  (ous 
vos  avantages  En  voici  encore  un  qui  est 
Irès-considérable,  et  que  j'ai  rapporté  com- 
me un  ti'osième  avantage  de  l'obéissance. 
Celte  vertu  a  la  force  de  sanctifier  et  de  ren- 
dre agréable  à  Dieu  jus(}u'aux  moindres  ac- 
tions. 

Saint  Augustin  observe  que  Dieu  com- 
mande des  choses  qui  sont  de  peu  de  con- 
séquence, et  qu'il  en  défend  qui  ne  parais- 
sent pas  criminelles  en  elles-mêmes,  el  il 
assure  que  Dieu  a  gardé  cette  conduite  pour 
faire  voir  que  ce  qui  se  fait  par  obéissance, 
quoique  peu  de  chose  en  soi-niônie,  est 
toujours  considérable  à  ses  jeux;  et  qu'au 
contraire   quand  on  désobéit,  quoique   ce 

("255)  «  Si  boiia  esl,  (iuare,noniarm,o?  Si  maiaest, 
(|iii(i  lacil  in  païailiso  ?iNon  laiigas  (|uia  obedieiileiii 
le  v(»lo.  Non  poiiiil  Deiis  peifecliiis  domonslraiB 
quaiiUiui  sii  bonuiii  nbodieniin;,  iiisi  (uni  proliibuil 


soit  en  choses  qui  paraissent  peu  imporlan- 
tes",  on  est  toujours  criminel. 

Pour  prouver  cette  maxime  il.  rapporte 
l'exemple  du  premier  homme.  Dieu  lui  fait 
une  célèbre  défense  :  Ne  mangez  point  du 
fruit  de  ce/ arôre.  11  semble,  dit  saint  Au- 
gustin, que  le  premier  homme  pouvait  op- 
poser ce  raisonnemt^nt  à  la  défense  du  Sei- 
gneur :  Si  l'arbre  est  bon,  pourquoi  ne  man- 
gerai-je  pas  de  son  fruit  ?  Si  l'arbre  est  mau- 
vais, pourquoi  l'avez-vous  mis  dans  le 
paradis?  Mais  tous  les  raisonnements  de  la 
prudence  humaine  sont  faux  et  trompeurs 
quand  ils  sont  opposés  h  la  volonté  du  Sei- 
gneur. Je  vous  défends  de  manger  de  co 
fruit,  parce  que  je  veux  que  vous  obéissiez. 
Dieu,  contiime  saint  Augustin,  ne  pouvait 
rien  employer  de  plus  fort  pour  faire  voir 
le  mérite  de  l'obéissance,  que  de  défendre 
ce  qui  n'est  pas  mauvais  en  soi-même;  car 
en  ces  occasions  tout  le  mérite  vient  de 
Tobéissance.  Tout  le  crime  est  d'avoir  été 
rebelle  et  désobéissant  (253). 

Cessons  de  raisonner  sur  la  faute  de  notre 
premier  père. Voulez-vous  en  un  moten  con- 
naître toute  rénormité?II  a  désobéi. Voilà  ce 
qui  lel'era|)araîtr(^  infiniment  criminel, quand 
on  considérera  ce  que  c'est  que  Dieu,  ce 
que  c'est  que  l'homme,  et  combien  il  est  in- 
juste que  l'homme  étant  si  peu  de  chose  en 
comparaison  de  Dieu,  il  ose  se  révolter 
contre  lui. 

Concluez  de  ce  grand  principe  de  saint 
Augustin,  que  celui  qui  obéit,  quoique  ce 
soit  en  peu  de  chose,  est  toujours  Irès-agréa- 
ble  à  Dieu,  parce  qu'il  est  dans  son  ordre. 
Concluez  aussi  que  celui  qui  désobéit  esl 
toujours  très-criminel,  parce  qu'il  se  sous- 
trait à  l'ordredu  Seigneur. 

Voici  la  plus  excellente  disposition  où 
puisse  entrer  celui  qui  veut  assurer  son 
salut,  autant  qu'on  le  |)eut  faire  pendant  le 
temps  de  cette  misérable  vie. 

Que  vou\ez-vous  donc  faire  et  quels  sont 
vos  sentiments?  Je  n'ai  point  de  volonté, 
je  ne  veux  qu'une  seule  chose,  je  veux 
obéir.  Dt-meurerez-vous  ce  que  vous  êtes, 
n'irez-vous  point  plus  loin,  et  n'avancerez- 
vous  point  dans  les  ordres  sacrés?  Je  de- 
meurerai ce  que  je  suis,  si  l'on  me  laisse 
dans  mon  état.  Je  me  sens  indigue  d'aller 
plus  loin.  J'avancerai  néanmoins  et  je  ne 
résisterai  point  lorsque  je  serai  légitime- 
ment a|)pelé.  Où  Iravaillerez-vous,  où  exer- 
cerez-vous  voire  saint  ministère?  Sera-ce 
à  la  ville,  sera-ce  à  la  campagne  ?  Aurez- 
vous  un  premier  emploi,  travaillerez-vous 
sous  les  yeux  et  sous  la  conduite  d'un  au- 
tre? J'irai  où  je  croirai  que  je  suis  appelé, 
etioù  l'obéissance  me  conduira.  Que  celui 
qui  serait  dans  ces  sentiments  s'attirerait 
de  glaces!  Ce  serait  Dieu  qui  l'appelle- 
rait, ce  serait  Dieu  qui  le  conduirait  et  qui 
serait  son  protecteur  perpétuel. 

al)  ca  re  (\i\x  non  erat  main;  sola  eniiii  ilti  ol>e(litn- 
lia  lei.el  pahiiani,  .«(ila  iuoboiiiciiUa  invoiiil  jKjunaiu  » 
{h.iuirr.  in  psnl.  L\.\.) 


1>2TÔ 


RETRAITE  ECOLES.  —  XVllI.  OBEISSANCE. 


1274 


Je  n'en  vois  point  de  plus  heureux  que 
ceux  qui  sont  dans  des  communautés  ré- 
glées, qui  peuvent  se  conduire  de  telle 
manière  qu'ils  obéissent  dans  toutes  les  ac- 
titfisde  leur  vie.  L'ohéissance  est  pour  eux 
une  source  conlinuellede  niériti%  et  il  n'y  a 
jiointde  moment  dans  leipiel  ils  ne  puissent 
amasser  des  trésors  pour  le  ciel.  Car  voici 
des  principes  incontestables  et  qui  seront 
toujours  d'une  merveilleuse  consolation 
})0ur  ceux  qui  ont  reçu  du  ciel  un  esprit 
docile  et  obéissant. 

J'avance,  en  premier  lieu,  que  celui  qui 
obéit  doit  être  dans  un  parfait  repos.  Qu'il 
ne  se  mette  point  en  peine,  qu'il  ne  soit 
agité  d'aucun  trouble.  Jl  est  dans  l'ordre 
de  Dieu.  Ce  qu'il  fait  parait  peu  de  cho- 
se. Non,  ce  n'est  point  peu  de  chose. 
L'obéissance  en  relève  le  mérite.  Il  obéit. 
Quelque  raisonnement  qu'il  forme,  quel  pies 
elforts  qu'il  tente,  il  ne  i)eut  rien  faiie 
de  meilleur,  ni  qui  soit  plus  agréable  à 
Dieu. 

J'avance,  en  second  lieu,  qu'il  vaut  beau- 
coup mieux  faire  en.  obéissant  ce  qui  [)araît 
peu  imjjortant  devant  les  hommes,  que  do 
se  soustraire  à  l'obéissance  pour  s'appli- 
quer par  son  propre  es|)rit  et  [)ar  son  pro- 
jire  mouvement  <i  des  choses  que  l'on  croit 
d'un  ordre  supérieur  et  beaucoup  plus  im- 
portantes. 

L'un  dit  qu'il  n'a  pas  le  temps  de  priiT, 
l'autre  se  plaint  qu'on  ne  veut  [tas  lui  per- 
mettre de  pratiquer  lesaustérités  pour  les- 
quelles ils  se  sent  beaucoup  d'attrait. 

C'est  une  cliose  très-excellente  que  de 
donner  beaucoup  de  leiups  à  la  |)rière, 
c'est  une  chose  très-excellente  que  de  chA- 
tier  son  corps  et  de  le  réduire  en  servitude 
par  la  mortitication.  Mais  c'est  encore  une 
chose  bien  plus  excellente  (luo  d'obéir,  et 
que  de  se  tenir  constamment  dans  l'ordre 
lie  Dieu. 

Ce  que  vous  faites  est  très-vil.  C'est  tout 
ce  qu'il  y  a  de  plus  abject  et  de  |ilus  mé- 
prisable dans  la  maison.  Mais  vous  êies 
dans  votre  place  et  vous  faites  ce  qui  vous 
csi  prescrit.  Tenez-vous  comme  vous  êtes, 
et  regardez  comme  des  tentations  (ouïes 
l(;s  pensées  qui  vous  troublent.  Ap|)liqué 
à  votre  devoir,  vous  êtes  dans  un  état 
plus  agréable  h  Dieu  que  si  vous  étiez 
liumb'ement  prosterné  dans  son  temple. 

Le  Sage  a  eu  raison  de  dire  que  chaque 
choses  avaient  leur  temps.  [Eccli.,  \\\.)  Vous 
|)rierez  d;ms  le  temps  de  la  prière,  vous 
travaillerez  dans  le  tenifis  du  travail,  vous 
serez  api)liqué  à  l'étude  dans  le  temps  (i(i 
l'étude.  L'obéissance  comprend  tous  les 
temps.  Jamais  vous  ne  faites  p'us  sûre- 
ment la  volonté  de  DieUj  (juc  quand  vous 
vous  dépouillez  de  votre  projire  volonté 
pour  vous  soumettre  h  l'empire  de  ceux 
8  qui  Dieu  a  donné  autorité  sur  vous. 

J'avance  encore  un  troisième  principe, 
dont  la  vérité  ne  peut  être  contestée,  et  le- 
(piel  étant  éclairci  servira  beaucoup  à  vous 
faire  voir  condjien  l'obéissance  doit  être 
précieuse    au     chiélieii.     Dieu     veut    que 


l'homme  soit  si  fidèle  à  l'obéissance,  qu'il 
condamnerait  môme  celui  qui  pécherait 
contre  cette  vertu  sous  un  faux  prétexte  de 
lui  rendre  des  honneurs  qu'il  est  (rès-éloi- 
gné  d'exiger. 

Vous  avez  dans  l'Ecriture  un  exemple 
célèbre  pour  établir  la  vérité  de  ce  prin- 
cipe. 

Saiil  reçoit  les  ordres  du  Seign?ur.  Il  lui 
est  commandé  de  combattre  les  Amaléciles 
et  de  les  détruire  etilièrement  sans  rien 
épargner,  et  sans  réserver  la  moindre  chose 
de  ce  qui  leur  appartenait.  Saùl  épargne 
Agag,  roi  des  Amalécites.  Le  peuple  ré- 
serve ce  qu'il  y  avait  de  meilleur  dans  les 
troupeaux.  Il  n'y  eut  jamais  un  prétexte 
dus  spécieux  que  celui  qui  fut  employé 
pour  colorer  cette  désobéissance.  Ces  trou- 
peaux sont  réservés  pour  les  immoler  à  Dieu. 
Sacrifice  que  Dieu  détestera.  Sonl-ce  là  les 
victimes  que  Dieu  veut  qu'on  lui  imm(de? 
Le  sacritice  de  l'obéissance,  l'hommage 
de  nos  cœurs  et  de  nos  volontés,  voilà 
les  hosties  que  Dieu  demande.  (î  Reg.,  XV.) 

Mais  prenez  garde  aux  paroles  suivantes 
de  l'Ecriture  et  méditez  do  quelle  manière 
elle  \)?iv\e  de  la  désobéissance,  même  dans 
l'hypothèse  que  nous  examinons.  L'Kcritu- 
re  dit  expressément  que  ce  crime  est  une 
espè(;e  de  magie,  et  que  toute  la  niallco  da 
l'idoiatrie  se  trouve  dans  celte  désobéis- 
sance. Vous  le  concevrez  aisément  quand 
vous  considérerez  que  cet  homme  ne  veut 
obéir  qu'à  lui-môme,  qu'il  se  fait  une  idole 
passion  et  de  sa  propre  volonté. 

Il  n'y  a  [loint  de  |)rétexte  pour  se  dis- 
penser d'obéir,  puisque  celui-là  même  de 
la  (liété  est  un  faux  prétexte,  et  qui  ne  peut 
jamais  diminuer  le  crime  de  la  désobéis- 
de  sa  sance. 

Que  la  méditation  de  ces  vérités  console 
res  âmes  simples  et  timides,  qui  se  délient 
d'elles-mêmes,  qui  craignent  que  quand 
elles  paraîtront  devant  Dieu,  il  ne  leur  re- 
proche que  leursœuvres  ne  sont  paspleines, 
et  qu'elles  n'ont  rien  fait  pour  lui.  Encou- 
ragez-vous, vous  faites  beaucouf)  si  vous 
ohi^issez.  Croyez-vous  que  ce  qui  plaît  da- 
vantage à  Dieu  soit  ce  qui  fait  plus  de  bruit, 
et  ce  qui  éclate  davantage?  Dieu  ne  s'est-il 
pas  déclaré  pour  les  plus  humilies,  t)Our 
ceux  qui  se  cachent  et  qui  se  renrernient 
dans  leurs  devoirs ?Confirmez-:vous  de  plus 
en  plus  dans  la  résolution  (J'obéir,  a.bandon- 
nez-vous  au  Seigneur  et  vous  reposez  sur 
ses  bontés. 

Vous  voyez  donc  que  l'obéissance  est 
une  vertu  très-recommandable,  et  rpi'il  est 
très-avantageux  au  chrétien  de  vivre  dans 
une    pratique  exacte  de  cette  vertu. 

Convaincus  de  ces  vérités,  résolus  plus 
que  jamais  de  vivre  dans  l'obéissance,  per- 
suadés que  c'est  là  votre  véritable  intérêt, 
et  le  moyen  le  |)lus  assuré  pour  plaire  à 
Dieu;  appliquez-vous  à  connaîlrc  les  qua- 
lités que  doit  avoir  l'obéissance,  je  vais  vous 
les  ex(ili(|uer  dans  la  seconde  pailie  de  cet 
entretien. 


1275 


ORATKURS  SACRES 

DEUXIÈME    POINT. 


JOSEPH  LAMBERT. 


127G 


L'obéissance  doit  avoir  trois  qualités. 
Klle  (loit  être  prompte,  entière  et  de 
cœtir. 

Elle  doit  ôtre  prompte.  Pendant  que 
vous  diGTérez  (4'obéir,  votre  cœur  est  rebel- 
le. Vous  désobéissez,  vous  péchez  contre 
l'obéiss.ince. 

Elle  doit  être  entière.  Obéir  dans  de  cer- 
taines choses  et  ne  pas  obéir  en  d'autres, 
c'est  encore  suivre  sa  volonté,  ce  n'est  pas 
obéir. 

Elle  doit  être  de  cœur.  Car  ce  n'est  pas 
seuleipent  aux  hommes  qu'il  est  question 
d'oliéir:  c'est  à  Dieu  qui  voit  le  cœur,  et 
qui  n'est  jamais  content  de  nos  hommages, 
h  moins  qu'il  ne  soit  ie  maître  de  nos 
cœurs. 

L'obéissance  doit  être  prompte.  Prenons 
pour  modèle  de  notre  obéissance  les  saints 
apôtres  qui  sont  les  premiers  prêtres  que 
Jésus-Christ  a  consacrés.  Voyons  quelle  a 
été  leur  obéissance.  Jésus-Christ  les  appelle 
à  lui.  Aussitôt  ils  obéissent  et  ils  n'appor- 
tent aucun  retardement.  [Matth.,  IV,  20) 

On  lie  peut  pas  dire  que  les  apôtres 
n'avaient  rien  qui  les  retînt.  L'Evangile 
remar(jue  expressément  qu'iVs  quittèrent 
tout  pour  suivre  Jésus-Christ.  Les  apôtres 
étaient  pauvres.  Leur  domaine  se  réduisait 
?i  peu  de  chose.  Mais  l'on  sait  qu'il  faut 
très-peu  de  chose  pour  attacher  le  cœur  de 
l'homme.  Le  pauvre  est  attaché  au  peu  qu'il 
I)ossède,  aussi  bien  que  le  riche  à  ses  im- 
menses trésors. 

C'est  toujours  beaucoup  quitter  que 
d'abatidonner  tout  ce  que  l'on  possède  et 
(juc  do  déjiouiller  son  cœur  de  toute  afTec- 
lion  i)our  les  choses  de  la  terre.  Les  apô- 
tres donc  doivent  nous  servir  de  modèles, 
en  ce  qu'ils  ont  tout  quitté  et  que  rien  ne 
les  a  relardés  lorsque  Jésus-Christ  leur 
a  fait  la  miséricorde  de   les  appeler  à  lui. 

Ce  saint  exemple  condamne  tant  d'ecclé- 
siastiques dont  il  s'en  faut  beaucoup  que 
l'obéissance  soit  aussi  prompte  que  celle 
des  apôtres.  Ils  sont  appelés  au  service  de 
l'Eglise  dans  un  lieu  où  ils  pourraient  faire 
beaucoup  de  fruit.  Celui  qui  les  appelle 
est  celui-là  même  à  qui  Jésus-Christ  a 
donné  autorité  sur  eux.  Mais  pour  cela  il 
faudrait  rompre  de  certains  nœuds  qui  ser- 
rent étroitement.  On  cherche  des  prétextes 
etdesraisonsdedispen.se.  On  n'est  point 
en  disposition  de  tout  Quitter.  Ou  l'on 
n'obéit  |)oinl,  ou  l'on  n'obéit  qu'à  la  der- 
nière extrémité,  et  lorsqu'on  ne  peut  |)lus 
résister.  Est-ce  là  une  obéissance  piomj)te? 
Est-ce  imiter  la  conduite  de  ceux  qui  ont 
obéi  aussitôt  qu'ils  ont  été  appelés,  et 
qui  ont  tout  quitté  pour  suivre  Jésus- 
Christ  ? 

Quand  vous  reculez  ainsi,  et  que  vous 
témoignez  tant  de  dinicuHés  avant  que  de 
vous  soumettre,  allons  jusqu'au  principe. 
Examinons  ce  qui  se  i)asse  dans  votre  cœur, 
et  voyons  quelle  est  la  source  de  vos  relar- 
demeiits.    N'csl-ce  point  un  reste  d'amour- 


propre  qui  vous  rend  encore  rebelle?  S'il 
n'y  avait  plus  d'orgueil  en  vous,  si  la  lêto 
du  serpent  était  écrasée,  résisteriez- vous 
avec  tant  d'obstination  ?  Examinez-vous 
vous-tiiême,  et  ne  vous  épargnez  point.  Vous 
ne  pouvez  dissimuler  que  vous  ne  soyez 
encore  très-attaché  à  votre  propre  volonté. 
Vous  avez  donc  beaucoup  à  travailler. 
Vous  avez  un  grand  ennemi  à  vaincre,  qui 
est  voire  amour-propre  et  votre  orgueil. 
Surmontez  cet  ennemi  dangereux,  et  pour 
lors  vous  vous  accoutumerez  aisément  à 
obéir.  Vous  ne  chercherez  plus  de  prétexte 
pour  vous  en  dispenser.  Vous  serez  con- 
vaincu que  quand  vos  supérieurs  vous  ap- 
pcllenl,  c'est  Dieu  même  qui  s'explique  par 
leur  bouche,  et  que  do  leur  résister,  c'est  se 
révolter  contre  les  ordres  du  Seigneur. 

Car  vous  n'en  devez  point  douter.  J'ai 
peine  même  à  mettre  la  chose  en  question, 
tant  elle  est  évidente  et  certaine.  De  qui 
vient  l'autorité  que  nos  supérieurs  exercent 
sur  nous?  Est-on  obligé  de  leur  obéir,  et  de 
leur  obéir  aussi  promptement  qu'à  Dieu 
même  ? 

L'autorité  des  supérieurs  vient  de  Dieu. 
C'est  une  vérité  qui  ne  peut  être  contestée. 
Que  toute  personne,  dit  saint  Paul,  soit  sou- 
mise aux  puissances  supérieures,  car  il  n'y  a 
point  de  puissance  qui  ne  vienne  de  Dieu. 
{Rom.,  Xlil,l.)  Si  tou!e  puissance  vient  de 
Dieu,  ceux  qui  sont  nos  conducteurs,  qui 
veillent  sur  nos  âmes  et  qui  doivent  en  ren- 
dre compte  (Hebr.,  Xlil,  17),  ont  encore  à 
plus  forte  raison  reçu  toute  leur  puissance 
de  Dieu. 

C'est  donc  le  Seigneur  qui  est  l'auteur  de 
cet  ordre  si  légitime  qui  soumet  les  infé- 
rieurs à  leurs  supérieurs.  C'est  lui  qui  a 
établi  les  uns  pour  être  apôtres,  les  autres 
pour  être  prophètes,  les  autres  pour  être 
évangélisles,  les  autres  pour  être  pasteurs 
et  docteurs.  [Ephes.,  IV,  II.) 

Parmi  les  pasteurs  il  a  voulu  qu'il  y  eût 
de  la  subordination,  que  les  uns  veillassent 
sur  les  autres,  et  qu'ils  eussent  autorité  de 
les  conduire  et  de  les  réformer.  C'est  le 
Saint-Esprit  qui  a  établi  les  évêques  pour 
gouverner  l'Eglise  de  Dieu,  quil  a  acquise 
par  son  sang.  (Act,,  XX,  28  )  Il  y  en  a  un, 
le  premier  de  tous,  qui  s'appelle  Pierre,  sur 
lequel  l'Eglise  est  bàlie.  {Matth.,  XVI.)  Cet 
ordre  de  pasteurs  établi  par  Jésus-Christ 
subsistera  dans  toute  la  suite  des  siècles.  Il 
doit  être  inviolablernent  gardé,  et  il  est  ab- 
solument nécessaire  pour  le  maintien  de 
l'Eglise. 

Voilà  donc  une  autorité  bien  établie  qui 
vient  très-certainement  de  Dieu.  Résister 
à  cette  autorité,  c'est  résister  a  Dieu  même. 
Cette  vérité  doit  être  considérée  avec  beau- 
coup d'attention,  et  rien  n'est  plus  fort  pour 
retenir  les  inférieurs  dans  le  respect  et  la 
soumission  qu'ils  doivent  à  leurs  supérieurs. 
Jésus-Chrisl  s'en  est  clairement  expliqué  ; 
il  a  dit  en  parlant  à  ses  apôtres  :  Celui  qui 
vous  écoute  ni  écoute,  celui  qui  vous  méprise 
■})ir  méprise.  Celui  qui  me  méprise,  méprise 
relui  qui  m'a  envoyé.  [Luc,  X,  16.1  Y  tint-un 


1277 


RETRAITE  ECCLES.  —  XVllI,  OBEISSANCE 


1278 


riMlexion?  El  si  l'on  LUailpénélré  de  ces  vé- 
rités, les  résislances  seraient- elles  aussi 
fréquentes  el  aussi  opiniâtres  qu'on  le  re- 
marque? 

Celui  qui  est  docile,  celui  qui  connaît  le 
caractère  de  Dieu  vivement  marqué  sur  le 
front  de  ses  supérieurs,  comment  leur  obéit- 
il '/comme  à  Jésus-Christ.  {Ephes.,\l,  5,  6.) 
Ce  sont  les  termes  de  saint  Paul. 

Que  ceux-là  sont  éloignés  de  cette  obéis- 
sance simple  el  filiale,  qui,  selon  le  langage 
du  même  Apôtre,  n'obéissent  qu'à  l'œil,  qui 
ne  pensent  qu'à  plaire  aux  hommes. 

Les,  vrais  serviteurs  ont  des  vues  bien 
plus  élevées.  Ils  ne  songent  qu'à  Jésus- 
Christ,  ils  le  regardent  tîxement,  ils  recon- 
naissent, ils  adorenl  sa  puissance,  ils  se 
font  un  devoir  essentiel  de  s'y  soumettre, 
et  voilà  le  motif  de  cette  obéissance  prompte 
que  rien  n'arrête,  parce  qu'on  est  convaincu 
que  c'est  à  Dieu  qu'on  la  rend  et  qu'on  ne 
peut  lui  obéir  trop  promptement. 

L'obéissance,  en  second  lieu,  doit  être  en- 
tière. Celui  qui  est  soumis  en  de  certaines 
choses  et  ne  l'est  point  en  d'autres  obéit 
par  caprice  ;  il  n'a  point  l'esprit  d'obéis- 
sance, et  dans  la  vérité  il  n'obéit  point. 

Saint  Jacques  dit  que  quiconque  ayant 
gardé  toute  la  l'ai,  la  viole  en  un  seul  point, 
est  coupable  comme  l'ayant  toute  violée, 
{lac,  II,  10.)  Quiconque  donc  consent  d'o- 
béir en  de  certains  points  et  refuse  d'obéir 
en  d'autres  est  un  rebelle,  et  Dieu  le  consi- 
dère comme  un  homme  qui  vit  dans  une 
désobéissance  perpétuelle. 

Un  viai  modèle  d'obéissance  c'est  Abra- 
ham :  voyez  sa  généreuse  disposition,  il 
est  toujours  préparé  à  obéir.  Dieu  peut  met- 
tre son  obéissance  aux  épreuves  les  plus 
difficiles  ;  jamais  il  ne  trouvera  aucune  op- 
pooition  dans  ce  serviteur  fidèle. 

Comme  l'esprit  de  l'homme  est  |)lein  de 
caprices,  les  uns  seront  dans  une  disposi- 
lion  el  les  autres  auronidessentimenls  con- 
traires. 

L'un  dira,  je  ne  puis  obéir,  car  on  abuse 
de  ma  facilité,  et  ce  que  l'on  me  demande 
est  trop  au-dessous  de  moi. 

L'autre,  au  contraire,  se  plaindra  qu'il 
ne  peut  obéir,  parce  qu'on  raccal>le  et  que 
ce  qu'on  lui  ordonne  est  au-dessus  do  ses 
forces.  Dispositions  également  criminelles 
et  qui  font  voir  la  révolte  du  cœur. 

Celui  qui  a  l'esprit  d'obéissance  est  très- 
éioigné  de  donner  entrée  dans  son  cœur  à 
de  si  pernicieuses  pensées.  Mais  voici  la 
vraie  situation  de  l'homme  obéissant  :  il 
n'examine  rien-,  il  suffit  qu'on  lui  com- 
mande et  qu'on  lui  donne  lieu  d'obéir. 
Vous  le  voyez  entièrement  appliqué  aux 
I)elites  choses,  vous  le  voyez  dans  les  af- 
faires importantes  et  difficiles,  faisant  de 
généreux  efforts  pour  surmonter  les  obsta- 
cles sans  jamais  se  rebuter. 

Ce  qu'on  vous  commande,  dites-vous,  est 
trop  peu  de  chose;  cet  emploi  esl  au-des- 
sous de  vous,  vous  vous  sentez  des  tulenls, 


vous  vous  feriez  un  plaisir  d'obéir  si  l'on 
rendait  justice  à  votre  mérite,  et  si  l'on  vous 
appliquait   à   des   travaux  dignes  de  vous. 

N'apercevez-vous  pas  vous-même  dans 
ces  sentiments  un  esprit  d'orgueil  entière- 
ment opposé  à  l'esprit  de  Jésus-Christ  ?  La 
bonne  opinion  (|ue  vousavoz  de  vous-même 
est  la  source  do  votre  résistance.  Vous 
croyez  donc  beaucoup  valoir?  Pouvez-vous 
jamais  concevoir  une  pensée  plus  dange- 
reuse el  plus  mortelle  pour  vous  ,  el  ne  dc- 
vriez-vous  pas  vous  porter  à  obéir  dans  les 
moindres  choses,  quand  ce  ne  serait  que 
pour  condamner  d'aussi  pernicieux  senti- 
ments que  ceux  qui  vous  poussent  à  ré- 
sister? 

L'emploi  est  au-dessous  de  vous.  Peut-il 
y  avoir  aucun  emploi  ecclésiastique  au-des- 
sous de  vous,  et  la  moindre  place  dans  la 
maison  du  Seigneur  ne  sur|)asse-t-plle  pas 
les  mérites  de  l'homme  le  plus  accompli? 
Y  a-t-il  aucun  ecclésiastique  lequel  dans 
son  cœur  ne  doive  s'eslimcr  trop  honoré 
d'exercer  les  plus  petits  emplois?  Les  œu- 
vres abandonnées,  cet  emploi  où  il  y  a 
moins  à  craindre  du  côté  de  l'amour-propre, 
le  service  des  pauvres,  voilà  ce  que  devrait 
rechercher  un  ecclésiastique,  pour  peu  qu'il 
eût  du  zèle  pour  son  salul  el  pour  celui  de 
son  prochain. 

Soyez  convaincus  de  la  grande  maxime 
de  saint  Grégoire  de  Nazianze  (Oral.  10, 
p.  165),  quand  il  dit  excellemment  que  lors- 
qu'on est  assez  heureux  pour  servir  le  Sei- 
gneur, quoiqu'on  occupe  la  dernière  place, 
on  esl  plus  élevé  que  ceux  qui  parviennent 
aux  dignités  les  plus  éminentes  dans  les 
palais  des  empereurs. 

C'est  donc  un  mauvais  caractère  que  le 
refus  d'obéissance  dans  les  choses  que  nous 
croyons  au-dessous  de  nous.  Jésus-Christ 
a  recommandé  Irès-élroilemenl  la  fidélité 
dans  les  polites  choses,  quand  il  a  dit  :  Celui 
qui  esl  fidèle  dans  les  petites  cfioses,  sera  fi' 
dèle  aussi  dans  les  grandes,  el  celui  qui  esl  in- 
juste dcns  les  petites  choses,  sera  aussi  in- 
juste dans  /es  grandes.  [Luc,  XVI,  10.)  C'est- 
à-dire  que  Jésus-Christ  veut  dans  le  cœur 
de  l'homme  ;  une  disposition  générale  à 
obéir  en  toutes  choses.  Celui  qui  esl  dans 
celte  disposition  ne  l'ait  aucune  distinction  ; 
il  ne  cherche  qu'à  obéir,  il  est  donc  toujours 
également  exact.  Celui  qui  obéil  quand  les 
choses  lui  plaisent,  qui  n'obéit  point  quand 
elles  lui  .soi'.t  désagréables  et  qu'elles  ne 
lui  conviennent  point,  n'obéit  pas  à  Dieu, 
il  obéit  à  son  amour-propre  et  il  suit  sa 
|)assion. 

Saint  Jérôme  suppose  que  les  fondements 
les  plus  solides  de  la  vie  spirituelle  ne  peu- 
vent subsister  sans  une  exacte  fidélité  dans 
les  plus  [icliles  choses.  C'est  ce  qui  lui  fait 
dire  que  les  choses  qui  paraissent  les  plus 
petites  et  les  moins  importantes,  sont  dans 
la  vérité  d'une  grande  conséquence,  el  qu'il 
esl  très-criminel  de  les  mépriser  (954^). 

Tous   ces  hommes    superbes   qui  dédai- 


(-2^4)  I  >'  iri  Sun!  conlcmneiuia  qua^i   iKir>a  biiip  quibus  magna  consislcrc  non  possunl.  t  (  Vrf  Lalam.) 


«79 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT 


12S0 

Sfs  commandements,  et  ses  commandements  ne 
sont  point  pénibles.  (I  Joan^  V,  3  )  Ils  no 
sont  point  pénibles  quand  l'amour  les  fait 
garder.  Us  vous  paraissent  pc^nibles,  c'est 
que  voire  cœur  est  plein  de  l'amour  du 
monde  et  de  vous-même,  et  vide  de  l'amour 
de  l)ieu. 

Saint  Augustin  fait  parler  le  Seigneur  'et 
lui  met  dans  la  bouche  ces  plaintes  qui  sont 
si  raisonnables  :  L'avarice  commande  les 
choses  les  plus  dures,  voyez  ce  que  j'or- 
donne et  faites-en  la  comparaison:  l'avarice 
commande  de  passer  les  niers,  d'aller  dans 
les  pays  les  plus  inconnus,  do  s'exposer  à 
mille  périls;  l'avarice  estobéie,  toutes  mes 
lois  sont  rejelées.  N'esl-il  pas  honteux  que 
le  monde  ait  plus  d'autorité  que  Dieu? 
Qu'on  oppose  de  continuelles  difficultés 
quand  c'est  Dieu  qui  parle,  qu'on  en  sur- 
monte tous  les  jours  de  plus  considéra- 
bles quand  il  est  question  de  plaire  au 
monde  (235). 

Vous  donc  qui  daviS  l'exercice  de  votre 
pénible  emploi  vous  sentez  troublé  des 
obstacles  qui  se  présentent,  considérez  pour 
vous  rassurer  quel  est  celui  qui  vous  a 
chargé  de  son  joug.  C'est  pour  Dieu  que 
vous  combattez,  c'est  on  présence  de  Jésus- 
Christ,  et  les  anges  sont  témoins  de  voire 
zèle.  Si  Jésus-Clii  ist  vous  voit  plein  de  cou- 
rage, s'il  voit  que  vous  renouvelez  votre 
ferveur,  parce  que  votre  plus  grand  désir 
est  de  lui  plaire,  il  vous  mettra  au  rang  do 
ses  bien-aimés  serviteurs.  Mais,  au  con- 
traire, si  vous  vous  rebutez,  si  vous  cédez 
Jâchement,  si  vous  donnez  entrée  dans  votre 
cœur  à  la  défiance,  à  l'ennui,  quels  repro- 
ches n'aurez-vous  pas  à  essuyer  de  la  part 
de  celui  qui  vous  a  si  fortement  animé  par 
son  exemple  et  par  ses  promesses? 

Obéissez,  tenez-vous  dans  le  lieu  où  Dieu 
vous  a  placés;  non-seulement  soyez  fidèles 
en  toutes  choses,  mais  obéissez  de  cœur. 
C'est  le  troisième  caractère  de  l'oliéissance. 
Elle  doit  être  de  cœur.  L'action  extérieure 
n'est  que  le  dehors  et  la  surface.  Dieu  veut 
Je  cœur,  et  ceux-ià  seulement  sont  réputés 
obéissants  qui  sentent  dans  lecœur  ce  qu'ils 
témoignent  au  dehors  par  leurs  actions. 

C'est  un  princi})e  général,  dans  tout  ce 
que  Dieu  ordonne,  ce  qu'il  demande  en  pre- 
mier lieu  c'est  le  cœur.  Dieu  vous  com- 
mande-t-il  de  faire  l'auϙne,  il  veut  que 
vous  la  fassiez  de  cœur,  et  il  vous  déclare 
qu'il  aime  celui  qui  donne  avec  joie.  (116'or  , 
IX,  7.)  Dieu  nous  demande-t-il  des  œuvres, 
des  hommages  extérieurs,  des  témoignages 
do  notre  dépendance,  il  nous  déclare  que  si 
ces  œuvres  ne  partent  du  cœur,  il  nous  re- 
jettera avec  ce  ()euple  hypocrite  qui  l'honore 
des  lèvres  pendant  que  leur  cœur  est  éloi- 
gné dû  lui.  {Matlh.,  XV,  8.) 

Dieu  voit  l'homme  criminel.  Il  n'a  pas 
encore  commis  le  [léché,  mais  le  dessein 
en  est  formé  dans  le  cœur  :  c'en  est  assez, 
il    est  cou[)able,  il  a  déjà  commis  le  crime, 

(2.=i5)  I  Dura   jubet,  levia  julieo.  Jubet  avarilia  ul  mare  Iranseas.  Quia  avaiilia    iinpcral  servis,  quia 

P^iis  jiibcl  od;Sli.  >  (7)1 /)««/.  CXXVlll.) 


gnent  et  qui  Fûéprisent  ce  qui  leur  paraît 
au-dessous  d'eux,  sont  condamnés  dans 
la  personne  de  Naaman  le  Syrien.  (IV  Reg., 
V.)  Il  vient  trouver  le  prophète  Elysée  avec 
un  équipage  superbe.  Le  prophète  lui  fait 
dire  de  se  laver  sept  fois  dans  les  eaux  du 
Jourdain  et  il  l'assure  qu'il  sera  guéri.  Naa- 
man se  relire  en  colère  :  Je  croyais,  dit-il, 
qnil  me  viendrait  trouver,  et  que,  se  tenant 
debout,  il  invoquerait  le  nom  du  Seigneur 
son  Dieu,  qu'il  toucherait  de  sa  main  tua 
lèpre,  et  quil  me  guérirait.  Kavons-nous 
pas  à  Damas  les  fleuves  d'Albana  et  de  Phar- 
phar  qui  sont  meilleurs  que  ceux  d'Israël? 
(IV  Reg.,  V,  11.)  Les  serviteurs  plus  sages 
que  le  maître  lui  donnèrent  un  excellent 
avis  :  Si  le  prophète  vous  avait  ordonné  quel- 
que chose  de  difficile,  voxis  auriez  dû  le  faire; 
combien  donc  devez-vous  plutôt  lui  obéir 
lorsqu'il  vous  dit  :  allez  vous  laver  et  vous 
serez  guéri?  (lOid.)  Le  maître  fut  docile, 
il  profita  de  l'avis  île  ses  serviteurs;  il 
se  lava  se|>t  fois  dans  les  eaux  du  Jourdain 
et  il  fut  parfaitement  guéri. 

11  ya  donc  une  très-grande  bénédiction 
attachée  à  l'obéissance  lidèle  dans  les  [)e- 
tiles  choses  :  il  y  a  beaucoup  plus  d'humi- 
lité, et  par  conséquant  beaucouf)  plus  de 
mérite.  Qu'avez-vous  à  chercher  sinon  de 
plaire  à  Dieu?  Pouvezvousdouler  que  vous 
ne  lui  |)laisiez  quand  il  voit  que  pour  l'a- 
mour de  lui  vous' vous  portez  de  tout  votre 
cœur  àdes  exercices  humiliants  et  qui  mor- 
tifient l'amour-propre  ?  Laissez  donc  le 
monde  dans  ses  erreurs,  laissez-le  se  re- 
paître de  ses  idées  vaines;  cherchez  le  bon- 
Iieur  solide,  mettez-vous  en  peine  de  plaire 
à  Dieu,  et  considérez  le  reste  comme  de  la 
fumée  el  comme  un  néant. 

Après  avoir  été  appliqué  h  de  petites 
choses,  la  Providence  i)ermettra  peut-être 
que  sans  le  rechercher  vous  serez  élevé. 
Vous  serez  ajipeléàdes  choses  plus  impor- 
tantes et  plus  difficiles.  Pour  lors  prenez 
garde  à  ne  pas  tomber  dans  l'autre  extré- 
mité. Ne  soyez  point  de  ceux  qui  se  plai- 
gnent, qui  murmurent,  qui  s'elTrayent  des 
difficultés;  conservez  toujours  le  même  es- 
prit de  docilité,  el  la  môme  ardeur  pour 
l'obéissance;  que  votre  principe  soit  que 
vous  voulez  obéir,  qu'il  n'y  a  rien  de  plus 
avantageux  el  de  plus  glorieux  au  chrétien 
que  d'être  tidèle. 

Joignez  à  ce  principe  un  aulre  qui  aura 
encore  plus  de  force  pour  vous  soutenir, 
c'est  que  celui  qui  vous  commande  mérite 
toutes  vos  ardeurs,  tout  votre  amour,  tous 
les  empressements  de  votre  cœur. 

Excellent  moyen  pour  surmonter  les  dif- 
ficultés que  d'aimer  de  loul  son  cœur  celui 
qui  nous  commande.  La  loi  de  Dieu  nous 
paraîl-elle  difficile,  c'est  que  nous  avons 
peu  d'amour.  La  loi  de  Dieu  est  douce  dans 
tout  ce  qu'elle  contient  à  celui  dont  le  cœur 
est  plein  de  charité.  L'amour,  dit  saint  Jean, 
que  nous  avons  pour  Dieu  consiste  à  garder 


1-281 


RETRAITE  ECCLES. 


puisque  le  crime  est  dans  son  cœur.  {Maith., 
V,  28.) 

Ceux-là  ddplaisenlà  Dieu  et  lui  sont  Irôs- 
désagréabics,  dont  le  cœur  hypocrite  désa- 
voue les  actions  qu'ils  sont  obligés  de  faire 
par  des  raisons  de  bienséance  ou  d'autres 
considérations  humaines. 

Ceux-là  déplaisent  à  Dieu  dont  le  cœur 
est  plein  de  défiance  et  de  murmure.  Saint 
Paul  nous  avertit  de  ne  [)oinl  tomber  dans 
celte  faute  et  il  nous  donne  ce  conseil  sa- 
lutaire :  Faites  toutes  choses  sans  murmures. 
{Philip., \l, il.) 

C'était  la  coutume  et  le  défaut  du  peuple 
juif.  11  a  tant  de  fois  irrité  Dieu  par  ses  dé- 
liances  et  par  ses  murmurf-s.  J'entends  le 
Seigneur  qui  s'en  j)laint  d'une  manière  si 
touchante  :  Jusqu'à  quand  ce  peuple  impie  et 
ingrat  murmurera -t-il  contre  moi?  [Num., 
XIV,  27.) 

Vous  savez  comment  ce  peuple  a  été  châ- 
tié et  quelle  rigueur  Dieu  a  exercée  contre 
lui.  Saint  Paul  fait  mention  du  crime  de  ces 
rebelles  et  de  la  manière  rigoureuse  dont 
Dieu  les  a  punis,  quand  il  nous  dit  :  Ne  mur- 
murez point  comme  murmurèrent  quelques- 
uns  qui  furent  frappés  de  la  mort  par  l'ange 
exterminateur,  (1  Cor.,  X,  10.) 

Ce  que  Dieu  punissait  dans  l'ancienne 
loi  d'une  manière  visible,  il  le  punit  dans 
la  nouvelle  d'une  manière  invisible,  mais 
beaucoup  plus  rigoureuse.  Craignons  donc 
la  juste  colère  du  Seigneur,  et  prenons 
garde  de  ne  le  pointirriler.  Pour  cela,  obéis- 
sons non  passeulementcomme  des  horiimes 
qui  craignent,  mais  comme  des  enfants  qui 
sont  reii'piis  d'amour  et  de  respect  pour 
leur  père,  et  qui  se  font  un  plaisir  de  lui 
ùtre  fidèles  en  toutes  choses. 

Vous  obéissez,  mais  c'est  par  contrainte. 
Pendant  que  vous  pratiquez  extérieurement 
ce  qui  vous  est  commandé,  vous  vous  ré- 
voltez en  dedans  de  vous-même,  quelque- 
lois  même  vous  n'avez  pas  assez  d'empire 
sur  vous  pour  dissimuler  vos  sentiments,  et 
par  des  réponses  qui  marquent  votre  indo- 
cilité, vous  contrislez  ceux  h  qui  Dieu  a 
donné  autorité  sur  vous.  Que  vous  arrive- 
ra-t-il?  vous  obéirez,  vous  en  aurez  toute 
la  peine,  mais  vous  obéirez  sans  fruit.  Au 
lieuque  si  vous  vous  ap()liquiez  à  vous  sur- 
monter vous-même  et  à  dompter  les  ré- 
voltes de  votre  i.œur,  Dieu  recevrait  voire 
sacrifice,  ce  serait  un  sacrifice  de  bonne 
odeur.  Vous  serez  toujours  au  rang  des  es- 
claves, parce  que  vous  murmurez  et  que 
vous  n'agissez  que  par  crainte.  Combien 
devriez-vous  souhaiter  d'êlre  au  rang  des 
enfants?  Agissez  donc  par  amour. 

Quand  Dieu  commande,  dit  saint  Augus- 
tin, il  n'est  plus  question  ni  de  disputer,  ni 
de  iJéiibérer,  ni  de  contredire,  niais  il  s'agit 
uniquement  d'obéir  avec  sincérité  (236). 

•Puissiez-vous  entrer  dans  les  senlimenls 
du  saint  prophète  David,  quand  il  dità  Dieu 
(\{i'i\  crie  de  tout  son  cœui',  qu'il  le  chercbe 
de  tout  sua  cœur,  qu'il  aime  sa  loi,  et  qu'il 


—  WIII,  OBE-ISSANGE.  12^2 

la  gardera  de  tout  son  cœur.  [Psal.  CXVIII,' 
10,  34,  IW,  113.) 

Voilà  un  homme  vraiment  obéissant,  son 
obéissance  a  toutes  les  qualités  de  la  vraie 
obéissance.  Imitez  ce  saint  modèle,  que 
vous  puissiez  dira  aussi  bien  que  lui  que 
vous  aimez  de  tout  votre  cœur,  que  vous 
gardez  la  loi  de  tout  voire  cœur. 

Il  ne  me  reste  plus  qu'à  éclaircir  une  diffi- 
rullé,  c'est  de  savoir  si  toutes  les  fois  que 
l'on  sent  au  milieu  de  son  cœur  des  répu- 
gnances et  des  soulèvements,  on  est  assez 
malheureux  pour  être  au  rang  de  ceux  qui 
murmurent  et  qui  n'obéissent  point  de 
cœur. 

Non,  gardez-vous  bien  d'avoir  une  telle 
pensée,  elle  pourrait  vous  troubler  et  vous 
[)ersuader  que  vous  n'obéissez  point,  quoi- 
que vous  soyez  au  rang  des  serviteurs  fi- 
dèles. 

Il  faut  exactement  distinguer  entre  les 
répugnances  que  nous  nous  appliquons  à 
vaincre,  et  des  répugnances  que  nous  en- 
tretenons volontairement  sans  faire  de  sé- 
rieux eCforts  pour  les  surmonter. 

Ceux  dont  le  cœur  est  plein  de  soulève- 
ments et  qui  ne  travaillent  point  à  les  vain- 
cre sont  véritablement  rebelles.  Ils  peuvent 
s'appliquer  tout  ce  que  je  viens  de  dire 
contre  ceux  qui  n'obéissent  point  de  cœur. 
Il  n'en  est  pas  de  même  de  ceux  qui  com- 
battent fidèlement.  Il  est  vrai  qu'ils  sentent 
au  milieu  de  leur  cœur  de  grandes  résis- 
tances. Il  est  vrai  que  l'obéissance  leur 
coûte  beaucoup;  mais  appliquons-nous  à 
connaître  la  nature  de  leur  répugnance.  Ce 
sontd^s  sentimeuls  involontaires  ;  c'est  \n 
loi  des  membres  qui  résiste  à  la  loi  de  1  es- 
prit ;  ce  qui  est  corrompu  en  vous  ne  veut 
pas  obéir,  mais  ce  qui  est  rectifié  par  la 
grâce  triomphe  et  se  porte  à  l'obéissance. 
Consolez-vous,  exercez-vous  au  combat;  la 
résistance  que  vous  éprouvez  rend  voire 
obéissance  plus  parfaite,  coniinuez  h  vain- 
cre. Encore  une  fois,  soyez  [)lein  de  conso- 
lation, vous  êtes  de  ceux  qui  obéisseiit  de 
cœur. 

Voilà  les  vérités  dont  j'avais  à  vous  ins- 
truire pour  vous  encourager  à  vivre  dans 
la  pratique  de  l'obéissance.  Je  vous  ai  fait 
voir  combien  il  est  avantageux  d'obéir,  je 
vousai  ex[)liquélesqualités  quedoitavoir  la 
vraie  obéissance. 

Travaillons  sérieusement  à  nous  surmon- 
ter et  à  nous  dépouiller  de  notre  propre  vo- 
lonté. Comment  ne  serions-nous  pas  dis- 
posés à  y  renoncer,  après  avoir  remarqué 
tout  ce  qu'il  nous  en  coûte  d'en  avoir  été 
les  esclaves? 

Jésus-Christ  reconnaissant  que  rien  ne 
nous  était  plus  funeste  que  d'oîiéir  à  notre 
propre  volonté,  nousa  marqué  en  tant  d'en- 
droits de  l'Evangile  que  la  première  condi- 
tion pour  ôlie  au  rang  de  ses  disciples  était 
de  renoncer  à  soi-même  et  à  sa  propre  vo- 
lonté. [Matth.,  XVI,  24.)  Jésus-Christ  veut 
que  ceux  qui    .^ont  à    lui  renoncent  à  eux- 


(25G)  «  Divino  intonante  prœcepto  obeJienduin,  non  dispulandum.  »  (Lib.  XVI  De  civ.   Dei,  ch\k  32  ) 


W85 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


4284 


mômes;  le  fondement  do  ce  précepte  c'est 
que  nous  portons  au  milieu  de  nous  la  source 
du  péché.  Je  sais,  dit  saint  Paul,  quil  n'y 
arien  de  bon  en  moi,  mais  que  le  pèche  habite 
en  moi.  {Rom.,  VII,  17,  18.)  C'est  à  nous  de 
détruire  ce  funeste  principe  du  péclié  qui 
est  au  milieu  de  nous.  Nous  le  fortifions 
en  suivant  notre  propre  volonté,  nous  le 
détruisons  en  la  combattant.  C'est  donc  par- 
ticulièrement en  renonçant  à  notre  propre 
volonté  et  en  la  combattant,  que  nous  ob- 
servons le  précepte  du  Sauveur  qui  nous 
oblige  de  renoncera  nous-mêmes  et  de  nous 
haïr. 

Vous  savez  ce  que  le  Fils  de  Dieu  ajoute: 
Celui  qui  aime  sa  vie  la  perdra,  mais  celui  qui 
hait  sa  vie  en  ce  monde  la  conservera  pour  la 
vie  éternelle.  {Joan.,  XII,  25.)  Renonçons 
donc  à  nous-mêmes,  combattons-nous,  h&ïs- 
sons-nous,  captivons-nous  par  l'obéissance, 
renonçons  à  une  malheureuse  liberté  qui 
ne  nous  porte  qu'au  dérèglement.  C'est  le 
moyen  d'être  à  Jésus-Christ,  de  nous  aimer 
véritablement,  de  retrouver  une  heureuse 
liberté  dans  le  ciel,  oii  nous  serons  d'au- 
tant plus  libres  que  nous  ne  pourrons  plus 
jamais  nous  détacher  de  celui  qui  doit 
faire  notre  bonheur  et  notre  récompense 
dans  réternité. 

DISCOURS  XIX. 

DE    l'office    divin. 

Dieu  impose  auï  ecclésiastiques  de  gran- 
des obligations,  mais  en  même  temps  il 
leur  fournit  de  puissants  secours  pour  les 
bien  accomplir.  Dieu  veut  que  les  ecclésias- 
tiques soient  continuellement  appliqués  à 
se  sanctifier.  Un  prêtre  doit  déjà  avoir  fait 
de  grands  progrès.  Un  prêtre  doit  tous  les 
jours  travailler  de  plus  en  plus  à  croître 
en  sainteté. 

Dieu  a  fourni  aux  ecclésiastiques  plu- 
sieurs secours  pour  acquérir  cette  sainteté 
éminente  à  laquelle  il  les  appelle.  Parmi 
ces  secours  un  des  principaux,  qu'il  leur 
met  entre  les  mains  c'est  la  prière.  Un  prê- 
tre par  la  prière  peut  obtenir  ce  qui  est 
au-dessus  de  ses  forces  ;  c'est  un  homme 
à  qui  Dieu  commande  d'être  saint,  mais 
c'est  un  homme  qui  peut  s'adressera  Dieu 
et  que  Dieu  est  prêt  d'écouter,  pourvu  qu'il 
lui  offre  de  ces  prières  ardentes  qui  ont 
tant  de  force  auprès  de  lui. 

Ainsi,  comme  un  ecclésiastique  doit  être 
plus  saint  que  les  autres,  aussi  il  est  plus 
obligé  de  prier.  El  voilà  sans  doute  l'origine 
de  l'obligation  que  l'Eglise  a  imposée  aux 
ecclésiastiques  d'offrir  à  Dieu  tous  les  jours 
des  prières.  Ce  sont  des  armes  puissantes 
qu'elle  leur  met  entre  les  mains  pour  se  dé- 
pendre contre  leurs  ennemis.  Ce  sont 
des  moyens'  eiTicaces  pour  obtenir  ce  qui 
leur  manque.  Ce  sont  de  fermes  soutiens 
pour  se  maintenir  dans  un  état  qui  demande 
une  si  grande  perteclion. 

Il  est  donc  d'une  très-grande  importance 
aux  ecclésiastiques  do  bien  entrer  dans 
l'esprit  de  l'Eglise  et  de  travailler  fortement 


à  rendre  agréables  à  Dieu  les  prières  qu'elle 
commande  de  lui  offrir. 

C'est  pour  vous  disposer  à  vous  bien  ac- 
quitter de  ce  devoir  que  j'emploierai  ce 
discours  à  vous  entretenir  de  l'office  divin. 
Je  le  diviserai  en  trois  parties  :  dans  la  pre- 
mière, je  traiterai  de  l'excellance  de  l'ofiîce 
divin;  dans  la  seconde,  je  vous  expliquerai 
les  motifs  qui  vous  engagent  à  le  bien  réci- 
ter; dans  la  troisième,  vous  verrez  ce  que 
vous  devez  faire  pour  réciter  saintement 
votre  office. 

PREMIER    POINT. 

Pour  bien  connaître  l'excellence  de  roffice 
divin,  nous  n'avons  qu'à  examiner  les  par- 
ties qui  le  composent. 

Notre  office,  en  premier  lieu,  est  composé 
pour  la  plus  grande  partie  des  paroles  de 
l'Ecriture.  On  a  choisi  ce  qu'il  y  a  de  plus 
touchant  dans  les  livres  saints,  soit  par 
rapport  aux  ecclésiastiques,  soil  par  rapport 
aux  solennités  qui  se  célèbrent  dans  l'E- 
glise. 

En  second  lieu,  les  Psaumes  en  particu- 
lier, qui  sont  une  excellente  portion  de  l'E- 
criture, sont  partagés  dans  notre  office,  et 
l'on  peut  presque  l'appeler  un  chant  conti- 
nuel des  Psaumes. 

Nous  avons,  en  troisième  lieu,  dans  l'of- 
fice le  récit  des  actions  incomparables  des 
saints. 

Enfin  nous  lisons  les  homélies  des  Pères, 
qui  sont  les  discours  qu'ils  ont  composés 
l»our  nourrir  de  la  parole  de  Dieu  le  peu{)le 
qui  était  commis  à  leurs  soins. 

Voilà  quelles  sont  les  parties  de  notre 
office.  De  si  excellentes  parties  ne  peuvent 
composer  qu'un  tout  très -parfait  et  très- 
digne  de  nos  respects. 

Nous  récitons  l'office  divin,  et  en  le  réci- 
tant nous  (levons  faire  rédoxion  que  c'est  la 
parole  de  Dieu  qui  nous  est  présentée  pour 
nous  servir  de  nourriture.  Connaissons-nous 
tout  le  res|)ect  dont  nous  devons  être  péné- 
trés lorsque  nous  lisons  les  livres  saints  , 
ou  bien  lorsque  nous  récitons  des  paroles 
et  des  maximes  qui  sont  tirées  de  ces  sour- 
ces sacrées  ? 

Qu'est-ce  que  l'Ecriture?  C'est  la  parole 
de  Dieu  même.  Si  donc  nous  récitons  notre 
office  sans  attention,  il  sera  vrai  de  dire 
que  Dieu  nous  parle  et  que  nous  ne  l'écou- 
tons  pas.  N'est-ce  pas  mépriser  la  parole  de 
Dieu  ?  N'est-ce  pas  la  profaner  ,  et  par  con- 
séquent n'est-ce  pas  commettre  une  espèce 
de  sacrilège  ? 

Qu'il  serait  à  souhaiter  que  le  saint  res- 
pect dont  les  premiers  chrétiens  étaient 
remplis  pour  la  parole  de  Dieu  fût  parvenu 
jusqu'à  nous?  On  lisait  la  parole  de  Dieu 
dans  l'assemblée  des  [)remiers  fidèles.  Tous 
tremblaient,  tous  étaient  pénétrés  d'une 
crainte  respectueuse.  On  remorquait  des 
hommes  avides  qui  recherchaient  avec  ar- 
deur la  nourriture  spirituelleque  Dieu  nous 
a  laissée. 

■■    Telle  était  la  disposition  ae  ces  premiers 
fidèles  dont  il  est  parlé  dens  le  livre  des  Ac- 


1285 


HETRAITK  ECCLES.  -    XI\,  OFFICE  DIVIN. 


1280 


1"$.  I!  osl  liit  il-'oux  qu'iVs  reçurent  la  parole 
de  Dieu  avec  ardeur,  avec  af\'eclion,  avec  avi- 
dité. (.4c/.,  Wll ,  lU.)  Où  est  CPlleanleiir, 
cotle  alTeclion,  colle  aviililô?  Où  es(  celte 
ardoiir?  Nous  langui.^sons.  Celte  aU'ection  ? 
Klie  esl  pour  les  discours  inutiles  des  hmu- 
nies,  et  non  point  pour  la  [)arole  de  Dieu. 
Celle  aviiJilé  ?  La  parole  de  vie  nous  insi)ire 
du  dégoût.  Il  Jaul  nous  forcer  pour  nous 
r(Sluiré  <^  nous  nourrir  de  la  nourriture 
célesle.  Croyons-nous  que  c'est  la  parole 
de  Dieu,  et  que  noire  vie  dépend  essentiel- 
lement des  dispositions  avec  lesquelles  nous 
nous  nourrissons  de  celle  parole. 

Le  livre  des  Evangiles,  dès  les  premiers 
temps,  était  placé  au  milieu  des  conciles. 
Il  y  était  avec  toutes  sortes  de  marques 
criionneur  et  de  distinction.  Il  était  en  vue 
h  tous  ceux  qui  composaient  ces  saintes 
assemblées.  On  employait  beaucoup  d'or- 
fiemeuls  extérieurs  pour  témoigner  le  res- 
pect qui  est  dû  à  la  sainte  parole  du  Sei- 
gneur. Mais  tous  ces  ornements  extérieurs 
n'étaient  que  des  avertissements  qui  fai- 
saient connaîire  les  dispositions  intérieures 
d'honneur  et  de  respect  dans  lesquelles 
nous  devons  Olre,  lorsque  Dieu  veut  bien 
nous  faire  entendre  sa  parole. 

Donnons  quelque  allenlion  aux  cérémo- 
nies de  l'Eglise,  el  entrons  dans  l'esprit  de 
ces  saintes  cérémonies.  Nous  voyons  l'hon- 
neur que  l'on  rend  au  saint  Evangile.  Oa 
le  porte  avec  solennité  au  milieu  des  flam- 
beaux allumés  ,  on  l'élève  en  liaui,  on  in- 
vite lout  le  peuple  à  jeter  la  vue  sur  le  livre 
saint,  tous  se  lèvent  et  l'on  entend  dans 
un  grand  silence  les  enseignemonls  que 
notre  maître  nous  a  laissés.  On  baise  avec 
tendresse  et  avec  modestie  les  livres  qui 
contiennent  la  parole  de  Dieu.  C'est  la 
sainte  parole  du  Seigneur,  vous  dit  celui 
qui  vous  présente  le  livre  des  Evangiles. 
Nous  sommes  convaincus  qu'il  n'y  a  rien 
de  plus  saint  que  la  parole  du  Seigneur.  La 
parole  de  Dieu  mérite  donc  un  grand  res- 
pect. Vous  la  lisez  quand  vous  récitez  l'of- 
lice  divin,  vo\ez  si  vous  rendez  à  cette 
parole  lout  l'hunneur  qu'elle  mérite. 

Rien  n'est  plus  déraisonnable  et  ne  doit 
faire  plus  de  peine  ià  des  ecclésiastiques, 
que  ces  dégoûts  qu'ils  ressentent  )a  plupart 
(lu  lemps  dans  la  récitation  de  l'ollice  di- 
vin. Car  cetollice,  coiume  je  viens  de  vous 
dire,  contient  la  parole  du  Seigneur.  Donc 
le  réciter  avec  dégoùl ,  c'est  n'avoir  aucun 
attrait  pour  la  parole  de  Dieu,  c'est  rece- 
voir celte  parole  avec  tristesse  el  avec  en- 
nui. Voyez  combien  vous  èles  éloignés  des 
disposilions  dans  lesquelles  doivent  être 
les  véritables  ecclés, astiques,  el  même 
tous  les  chrétiens. 

Le  Fils  de  Dieu  nous  a  laissé  sa  parole 
pour  être  notre  consolation  pendanl  le 
temps  de  cette  misérable  vie.  Hélas!  que 
d'ennuis  dans  un  lieu  d'exil  1  A  peine  en 
pourrait  on  su[)porlcr  l'amerlume.  s'  Dieu 

('2o7)  «  Siiit  casta:  delicix  inex  scriplurte  liiat.  s 
(Conf.  XI.)  €  Uortor  ut  \ alco,  ullillerai  uni  veic,  ceilc- 


ne  nous  présentait  dos  consolations  aussi 
solides  que  celles  qui  son!  renfermées  dans 
la  médilalion  do  sa  parole.  Seigneur,  dit 
David  parlant  à  Dieu,  la  vue  de  ma  bassesse 
in  aurait  bien  des  fois  fait  perdre  courage,  si 
je  n'étais  soutenu  par  In  médilalion  de  votre 
sainte  loi.  {Psal.  CXVIM ,  91.)  La  parole 
de  Dieu  est  donc  la  solide  consolation  ^de 
notre  exil.  Ne  trouver  point  sa  consolation 
dans  la  [tarolo  du  Soigneur,  c'est  ne  pas 
avoir  l'esprit  du  chrislianisme,  et  à  plus 
forte  raison  c'est  no  pas  avoir  l'esprit  ecclé- 
siastique. 

Saint  Augustin  demande  à  Dieu  que  les 
Ecritures  saintes  soient  ses  chastes  délices. 
Il  regarde  cammo  un  grand  don  le  goût 
des  saintes  Ecritures.  Il  conjure  ses  amis 
de  s'applicpier  à  l'étude  do  l'Ecriture. 
.<  C'est,  dit-il,  une  étude  solide  ;  ce  ne  sont 
point  de  vaines  paroles  qui  llallent  agréa- 
blement l'oreille ,  ce  sont  des  sentences 
graves  et  sérieuses.  Plus  l'esprit  esl  solide 
[)lus  il  y  trouve  de  satisfaction  (257). 

Dans  quelque  misère  que  les  premiers 
chrétiens  lussent  réduits,  ils  étaient  pleine- 
ment satisfaits,  pourvu  qu'on  leur  laissât  les 
livres  saints.  Leur  enlevail-on  les  riches- 
ses temporelles?  ils  n'avaient  que  du  mé- 
pris pour  tous  les,  biens  do  la  terre.  Les 
enfermail-on  dans  des  prisons  obscures? 
être  prisonnier  de  Jésus-Christ,  c'était  un 
grand  titre  d'honneur  dans  ces  heureux 
temps. 

Les  premiers  chrétiens  abandonnant  avec 
joie  toutes  les  possessions  terrestres,  ne 
demandaient  rien,  sinon  qu'il  leur  fût  per- 
mis de  conserver  les  livres  saints.  C'était  le 
seul  bien  dont  la  perte  leur  était  sensible. 
Encore,  quand  l'inhumanité  allait  jusqu'à 
leur  enlever  ce  tendre  objet  de  leur  conso- 
lation, ils  conservaient  la  parole  de  Dieu 
dans  le  cœur.  Par  là  ils  devenaient  supé- 
rieurs à  tous  les  eU'orls  de  leurs  persécu- 
teurs. Ils  paraissaient  accablés  de  maux  aux 
yeux  des  hommes.  Dans  la  vérité  ils  no 
sentaient  aucun  besoin,  la  parole  do  Dieu 
les  soutenait,  et  il  n'y  en  avait  aucun  qui 
ne  s'écriât  avec  ces  hommes  zélés,  dont  il 
est  parlé  dans  les  Machabées  :  Nous  n'avons 
besoin  d'aucun  secours  humain.  Les  livres 
saints  sont  entre  nos  mains,  il  ne  nous  en 
faut  pas  davantage  pour  être  remplis  de  con- 
solation. (I  Mac,  Xll,  9.) 

Les  livres  saints  sont  entre  vos  mains, 
mais  bien  loin  que  vous  y  trouviez  votre 
consolation,  la  tristesse  de  votre  front,  la 
[)récipitalion  de  vos  paroles,  l'égarement 
de  votre  esprit,  la  sécheresse  de  voli-o  cœur 
sont  une  preuve  ceitainc  du  peu  de  goût 
(jue  vous  avez  pour  la  parole  de  vie.  Crai- 
gnez :  la  parole  de  Dieu,  selon  saint  Au- 
gustin, agit  sur  l'esprit  et  sur  le  cœur  de 
l'homme  selon  ses  dispositions.  C'est  une 
pluie  féconde  qui  arrose  le  cœur  du  juste 
el  qui  y  proJuil  du  fruit.  Mais  l'homme 
criuiinel,  empochant  celte  fécondité,  trouve 

que  sanctarum,  studio  te  curam  non  pigeai  inipeu- 
ùere. Siiiieraeiiimetsolicla:cse»t,  »  etc.  (Ep.  132.) 


;^87 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


l'iSS 


sa  condamnation  rlans  ce  qui  devrait  Être 
pour  lui  une  sonrce  de  salut  (258). 

C'est  donc  un  très- mauvais  caractère, 
dans  un  ecclésiastique,  que  de  réciter  son 
oiïice  avec  ennui.  Un  ecclésiastique  lidèle 
110  prend  poirit  entre  ses  mains  ce  livre  de 
prières,  qu'il  ne  fasse  attention  que  c'est 
I)ieu  qui  va  lui  parler.  Il  est  pénétré  de 
respect  pour  sa  parole,  elle  produit  en  son 
dîne  une  sainte  joie,  et  c'est  le  premier  fon- 
dement de  celle  grande  altenlion  que  l'on 
remarque  dans  les  ecclésiasticpies  vertueux, 
lorsqu'ils  récitent  l'otluîe  divin.  C'est  un 
office  composé  pour  la  plus  grande  partie 
des  [)aroles  de  l'Ecriture;  c'est  un  office  oii 
l'on  a  choisi  ce  qu'il  y  a  de  plus  touchant 
dans  les  livres  saints,  et  ce  qtie  l'on  a  jugé 
pouvoir  contribuer  davantage  ài  nourrir  la 
piété  des  ecclésiastiques. 

En  récitant  l'office  nous  prononçons  des 
psaumes.  Quoi  de  plus  merveilleux  que  ces 
excellents,  cantiques  1  quoi  de  plus  ()ropre  à 
concilier  l'attention,  à  pénétrer  l'âme,  h 
convertir  le  cœur  1  Nous  trouvons  dans  les 
psaumes  tous  les  sentiments  les  plus  nobles 
dont  les  hommes  puissent  êlre  remplis, 
lorsqu'ils  se  présentent  devant  Dieu  pour 
lui  rendre  leurs  hommages. 

Quand  nous  allons  à  Dieu,  tantôt  c'est 
pour  admirer  sa  grandeur,  tantôt  c'est  |iour 
nous  prosterner  devant  lui  en  qualité  de  st's 
créatures.  Dieu  nous  commande  de  meliro 
en  lui  toute  notre  confiance.  Dieu  nous  de- 
mande notre  cœur.  C'est  à  nous,  en  (piaiilé 
de  faibles  créatures,  de  nous  huiuiliir  de- 
vant la  majesté  toute-puissante  de  Dieu. 
C'est  à  nous,  en  qualité  de  criminels,  à  de- 
mander pardon  de  nos  fautes  et  à  imjdorer 
la  clémence  de  notre  juge.  Ce  sont  ïh  les 
exercices  de  celui  qui  sait  bien  entrer  dans 
les  sentiments  que  les  psaumes  nous  ins- 
pirent. 

Vous  devez  don(î  savoir  qu'il  n'y  a  rien 
de  granil  que  Dieu,  et  l'admiration  de  sa 
grandeur  infinie  doit  faire  une  des  princi|)a- 
Ihs  occupations  de  votre  vie.  C'est  le  noble 
sentiment  dans  lequel  vous  entrez,  lors- 
(ju'eii  chaulant  les  psaumes  vous  vous 
écriez  :  Seigneur,  vous  êtes  grand,  Seigneur, 
qui  peut  vous  être  semblable?  {Psal.  XLVII, 
10.)  Le  Seigneur  est  grand  dans  lui-même, 
il  est  grand  dans  ses  ouvrages.  Le  souvenir 
ùes  [irodiges  que  le  Seigneur  a  fails  nous  est 
très-nécessaire.  Par  là  nous  remontons  jus- 
qu'à l'auteur  do  ces  |)rodiges,  et  nous  con- 
servons ces  [)récieux  senlimenls  d'admira- 
tion qui  ne  peuvent  troj»  durer  en  nous. 
C'est  ce  qui  a  engagé  David  à  com|)oser  les 
Psaumes,  dans  lesquels  il  est  si  exact  à  l'aire 
le  récit  de  toutes  les  jmerveilles  que  le  Sei- 
gneur a  faiies  en  faveur  de  sou  peuple. 

Si  vous  connaissez  ce  que  c'est  que  Dieu 
et  ce  que  vous  êtes,  vous  concevrez  aisé- 
ment que  vous  devez  être  très-assidus  à 
vous  prosterner  devant  lui.  11  est  notre 
Dieu,  nous  sommes  ses  créatures,  nous  lui 


devons  l'adoration.  C'est  un  hommage  que 
nous  ne  pouvons  lui  rendre  avec  trop 
d'exactitude.  Etre  devant  Dieu  tout  trem- 
blants, être  devant  Dieu  comme  des  créa- 
tures (]ui  reponnaissenl  que  Dieu  seul  est 
grand,  et  qu'elles  ne  sont  que  faiblesse, 
voilà  ce  qui  nous  convient,  et  rien  n'est 
[dus  fort  pour  nous  faire  entrer  d^ns  ces 
sentiments  que  les  excellentes  instructions 
de  David,  quand  il  nous  dit  pour  nous  ani- 
mer à  adorer  Dieu  :  Venez,  adorons  Dieu, 
proslernons-nous  devant  Dieu,  pleurons  de- 
vaut  le  Seigneur  qui  nous  a  faits.  iPsol. 
XCIV,  6.) 

Ce  Dieu,  quoique  tout-puissant,  quoique 
infiniment  élevé  au-dessus  de  nous,  est 
néanmoins  un  Dieu  plein  de  bonté,  tou- 
jours accessible,  toujours  prêt  à  nous  écou- 
ter. Quoique  notre  Dieu,  il  nous  commamle 
de  le  considérer  comme  notre  Père.  11  s'of- 
fenserait si  nous  avions  le  moindre  doute 
sur  ce  qu'il  nous  a  enseigné  de  son  infinie 
miséricorde.  11  veut  donc  que  nous  lui  lé- 
moignions  une  entière  confiance.  C'est  lui- 
ruême  qui  a  suggéré  à  son  Prophète  de  lui 
parler  en  ces  termes  :  Je  mets  ma  confiance 
au  Seigneur.  {Psal.  X,  2.) 

Le  souvenir  des  miséri(;ordes  du  Seigneur 
irait  troj)  loin,  s'il  nous  [)ortait  à  oublier  co 
que  nous  sommes.  David,  qui  a  eu  tant  do 
confinnce,  n'a  jamais  oublié  ce  qu'il  était  et 
les  jusles  fondements  qu'il  avait  de  s'abais- 
ser. Il  s'est  abaissé,  parce  qu'il  était  créa- 
luie,  et  il  s'est  encore  plus  abaissé,  parce 
qu'il  élnit  pécheur.  Soyons  aussi  humbles 
que  David,  lorsque  nous  prononçons  avec 
lui  que  nous  souunes  pauvres,  que  nous 
sommes  poussière,  ^que  nous  sommes  des 
vermisseaux.  (Psal.  XXIV,  16;  XXIX,  10; 
XXI,  7.)  Soyons  aussi  pénétrés  du  regret 
de  nos  péchés  que  ce  saint  pénitent,  lors- 
qu'il exjirimait  ses  vifs  regrets,  en  tant  de 
manières,  qui  témoignaient  si  bien  la  con- 
trition de  son  cœur  et  qui  nous  reprochent 
la  dureté  du  nôtre. 

Comme  nous  appartenons  à  Dieu  par 
foules  sortes  de  titres,  il  veut  êlre  le  maîlre 
de  noire  cœur,  et  il  n'est  jamais  plus  of- 
fensé contre  nous,  que  quand  nous  lui  en- 
levons notre  cœur  pour  le  donner  à  ses 
créatures.  Voilà  pourquoi  Dieu  nous  com- 
mande de  lui  témoigner  souvent  que  nous 
l'aimons,  et  que  nous  l'aimons  uniqueiuenl. 
Nous  salisfaisons  à  celle  obligalion  lor>que 
nous  disons  à  Dieu  en  récitant  les  P>au- 
mes  :  Je  vous  aimerai,  ô  mon  Dieu  vous  qui 
êtes  ma  force.  [Psal.  XVII,  2.]  Dieu  nous 
commande  de  le  dire,  mais  il  nous  recom- 
mande encore  bien  plus  fortement  d'êire 
pénétrés  dans  notre  cœur  de  son  amour,  do 
telle  sorte  qu'il  soit  véritable  que  notre  cœur 
est  à  lui  et  qu'il  en  est  le  seul  possesseur. 

Nous  prononçons  donc  d'excellentes  pa- 
roles quand  nous  récitons  les  Psaumes.  Ces 
divins  cantiques  ex|)riiiienl  merveilleuse- 
ment tous  les  seutimenls  dont  nous  devons 


(258j  «  Hinc  igilur  cadem  scriplurarum  nulte,  pro  siio  quisque  merito,  et  pcccalori  pliivia  laqueorum, 
cijiisto  pluvia  uberUlis  infusa  t'sl.  » 


1289 


RETRAITE  ECCLES.  —  XIX.  OFFICE  DIVIN. 


1200 


(^lic  périL'trés.  Co  qui  nous  tloil  faire  gémir, 
c'est  que  ces  saintes  paroles  soient  si  sou- 
vent profanées.  Nous  parlons  à  Dieu,  et 
rien  n'est  plus  éloigné  de  notre  cœur  que 
ces  pieux  mouve:iients  dont  nous  assu- 
rons faussement  que  nous  sommes  rem- 
plis 

t  Concevons  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  noble, 
de  plus  grand,  de  plus  touchant  que  les 
psaumes.  Apprenons  5  en  faire  toute  l'es- 
time qu'ils  méritent.  Exerçons-nous  à  les 
bien  réciter;  el,  puisque  ces  saints  canli- 
qiifs  entrent  si  souvent  dans  rollîoe  que 
J  Eglise  nous  met  entre  les  mains,  soyons 
fortement  convairtcus  qu'un  ouvrage  où  ces 
adu.irables  cantiques  paraissent  avec  tant 
d'éclat  et  tant  d'ordre,  ne  peut  être  que  très- 
excellent. 

L'exemple  a  beaucoup  de  force  pour  nous 
animer,  surtout  lorsque  ceux  dont  on  nous 
met  l'exemple  devant  les  yeux  ont  été  sem- 
blables à  nous,  et  que  toutes  sortes  de  rai-^ 
sons  nous  engagent  à  les  imiter. 

L'Eglise  donc,  après  nous  avoir  encoura- 
gés par  les  instructions  qu'elle  a  tirées  des 
livres  saints  et  par  le  chant  des  psaumes, 
ne  pouvait  rien  nous  proposer  do  [)!us  tou- 
chant que  les  actions  incomparables  des 
saints.  Nous  voyons  dans  leur  vie  les  maxi- 
mes de  l'Evangile  exactement  observées,  et 
c'est  le  principe  de  leur  sainteté. 

Que  nous  avons  d'occasions,  en  méditant 
les  actions  des  saints,  de  louer  Dieu,  de 
nous  confondre,  de  nous  animer,  de  nous 
instruire  I 

David  dit  que  Dieu  est  admirable  dans 
ses  saints.  (Psal.  LXVII,  3G.)  Nous  avons 
donc  <i  admirer  un  Dieu  pui^^sant  qui,  avec 
de  si  fragiles  instruments,  a  opéré  de  si 
grandes  merveilles.  Il  n'y  a  que  Dieu  seul 
qui  puisse  élever  l'homme  au-dessus  do  sa 
faiblesse,  qui  puisse  sanclilier  ce  qui  ren- 
ferme un  si  grand  fonds  de  corrufition.  Il  n'y 
a  que  Dieu  seul  qui  puisse  donner  à  des 
liomiiics  faibles  la  force  de  se  surmonter 
eux-mêmes,  de  surmonter  le  monde,  d'éta- 
blir de  solides  conquêtes  malgré  lous  les  ef- 
ibrts  des  hommes  et  des  démons  qui  se  sont 
vainement  opposés  à  leurs  grands  desseins. 

Quoique  [l'homme  ne  soit  que  faiblesse, 
il  peut  tout  avec  le  secours  de  son  Dieu. 
Pourquoi  donc  demeurons-nous  dans  notre 
impuissance,  et  [lourquoi  n'avons-nous  |)as 
recours  à  celui  qui  nous  rendrait  forts,  si 
nous  nous  abandonnions  à  lui?  Ces  hom- 
mes, dont  nous  lisons  des  prodiges  n'é- 
laienl-ils  pas  semblables  à  nous,  n'avaient- 
ils  pas  eu  eux-mêmes  toutes  les  misères 
humaines  qui  nous  font  gémir?  Qu'ont-ils 
fait,  que  faisons-nous?  Quid  courage,  quelle 
fidélité,  quel  allachement,  quelle  persévé- 
lance?  Quelle  lâcheté,  quelle  inlidé'lité, 
quels  abandounemenls,  quelle  inconstance? 
Nous  ne  devons  donc  jamais  lire  les  actions 
admirables  des  saints,  sans  rentrer  en  nous- 
mêmes  et  sans  nous  confondre. 

AJjis  que  ce  soit  une  confusion  salutaire, 
qui  nous  inspire  de  quitter  les  voies  mal- 

OraTEURS  SâCHÉS.  LXV'llJ. 


heureuses  dans  lesquelles  nous  avons  mar- 
ché. Car  quoi  de  plus  fort  pour  nous  en- 
courager que  tant  de  grands  exemples  qui 
nous  sont  si  souvent  pro[)Osés? 

II  est  trop  diOicile.  disons-nous,  de  mar- 
cher dans  la  voie  étroite.  Nous  n'osons  y 
entrer  persuadés  que  nous  succomberions 
au  milieu  de  la  carrière,  et  que  nous  ne 
pourrions  jamais  nous  y  soutenir. 

Le  seul  exemple  dos  saints  nous  fournit 
une  réponse  qui  suffit  pour  détruire  tous 
nos  faux  rai.sonnoujenls.  Souvenez -vous 
de  ce  que  vous  avez  lu  peut-être  le  jour 
même  que  vous  donniez  entrée  dans  votre 
esprit  à  de  si  funestes  pensées.  Pourquoi  ne 
pouiriez-vous  pas  surmonter  toutes  les  dif- 
licu'tés  qui  vous  arrêtent ,  puisque  vous 
voyez  devant  vos  yeux  tant  de  saints  que 
des  obstacles,  beaucoup  plus  forts,  n'ont 
point  empêché  de  marcher  courageusement 
dans  la  voie  la  plus  étroite?     • 

Car,  enfin, que  prétendons-nous?  Pouvott 
nous  sauver  par  une  aulre  voie  que  celle  que 
Josus-Christ  a  enseignée  et  que  les  saints 
ont  suivie.  Pourquoi  les  saints  [lasteurs  qui 
nous  ont  !)récédé  ont-ils  passé  leur  vie  dans 
un  travail  a.^sidu,  et  que  nous  enseigne  leur 
exemple?  Ils  ont  travaillé  parce  qu'ils 
étaient  ministres  du  Seigneur.  Nous  le  som- 
mes. Ils  oui  cru  que  le  sacerdoce  était  u;i 
fardeau  très-lourd,  et  que  c'était  se  perdre 
que  de  ne  pas  remplir,  toutes  les  obligations 
qu'il  nous  impose.  Nous  sommes  chargés 
(le  ce  fardeau,  et  les  obligalinns  sont  tou- 
jours les  nièrnss.  Ces  llcJôles  pasteurs  ont 
été  persuadés  (]u'ils  n'étaient  plus  à  eux- 
mêmes,  mais  qu'ils  se  devaient  tout  entiers 
au  salut  dts  peuples,  et  que  c'était  pour  cela 
qu'ils  avaient  été  consacrés  pasteurs.  Etaienl- 
ils  dans  l'erreur,  ou  plutôt  n'est-ce  pas  nous 
qui  y  souiiues,  lorsque  nous  croyons  fa'us- 
sement  pouvoir  coticilier  les  obligations  du 
sacerdoce  avec  une  vie  molle  et  une  hon- 
teuse oisiveté? 

Si  les  exemples  des  saints,  lorsqu'ils  nous 
sont  proposés  dans  la  récitation  de  l'uflice, 
font  sur  nous  ces  salutniies  impressions,  ce 
sera  encore  une  nouvelle  preuve  qui  nous 
fera  voir  combien  nous  devons  estimer 
l'oilice  de  l'Eglise. 

Les  pasteurs  ont  cru  qu'une  de  leurs 
principales  obligations  était  d'instruire  leur 
jjeuple.  Pour  y  satisfaire  ils  ont  composé 
ces  excellents  discours  qui  sont  parvenus 
jusqu'à  nous,  el  c'est  ce  que  nous  appelons 
les  homélies  des  saints  Pères.  L'Eglise,  at- 
tentive à  nous  proposer  tout  ce  qui  peut 
nous  animer  à  bien  remplir  les  devoirs  de 
notre  saint  ministère,  a  ramassé  ce  qu'il  y 
a  de  plus  instructif  el  de  plus  touchant 
dans  ces  discours  des  saints  Pères. 

Nous  lisons  donc  ces  savantes  et  admi- 
rables h  imélies,  et  on  les  lisant  qu'appre- 
nons-nous? Nous  voyons  que  ces  sage."» 
pasteurs  avaient  grand  soin  de  so  nourrir 
de  l'Ecriture,  et  qu'après  s'être  fortiliés  du 
celte  sainte  parole,   ils  distribuaient  exao 


it^l 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT 


1292 


lemenl  à  leur  peuple  le  pain  sacré  dont  ils 
s'étaient  remplis. 

Les  homélies  des  saints  Pères  sont  une 
preuve  qu'ils  s'appliquaient  singulièrement 
a  l'élude  de  l'Ecriture,  ils  en  développaient 
les  sens  cachés,  ils  en  découvraient  les 
mystères,  ils  en  examinaient  les  profon- 
deurs. Cette  étude  de  l'Ecriture  était  conli- 
nuelle,  et  faisait  une  des  principales  occu- 
pations de  leur  vie.  Ceux  qui  négligent 
l'étude  de  l'Ecriture  sainte,  qui  ignorent  les 
faits  les  plus  communs  rapportés  dans  les 
saints  livres,  qui  ne  savent  point  les  pre- 
miers éléments  de  cette  sainte  science,  qui 
passent  leur  vie  sans  ouvrir  les  livres  di- 
vins, sont-ils  dignes  de  remplir  des  places 
qui  ont  élé  si  saintement  occupées  ? 

Mais  comment  les  eaux  couleraient-elles 
d'une  source  tarie?  Comment  ces  hommes 
sans  richesses  répandraient-ils  des  trésors 
'qu'ils  n'ont  point?  Ces  inslruciions  des 
saints  Pères  marquaient  leur  heureuse  fé- 
•condilé.  Ils  amassaient  et  ils  distribuaient 
ce  qu'ils  avaient  amassé.  Nous  ne  serons 
|)oiiit  de  véritables  prêtres  si  nous  ne  sui- 
vons de  si  saints  exemples.  Les  prêtres  qui 
ne  sont  |)oint  en  élat  de  couper  le  pain  de 
la  parole  sont  des  nuées  sans  eau,  des  arbres 
morts,  des  serviteurs  inutiles.  {Jud.,  12; 
mtth.,  XXV,  30.) 

Voilà  les  précieuses  perles  que  l'Eglise  a 
ramassées  et  dont  ,elle  a  composé  l'office 
divin.  Les  paroles  les  plus  touchantes  de 
l'Ecriture,  les  saints  caniiques  de  David,  les 
actions  surprenantes  des  saints,  les  instruc- 
tions des  saints  docteurs  :  voilà  les  grandes 
et  nobles  parties  qui  composent  ce  mer- 
veilleux tout,  et  c'est  à  quoi  tous  devez 
laire  attention  pour  bien  juger  de  l'excel- 
lence de  votre  office.  J'ai  maintenant  à  vous 
pro|ioser  les  motifs  qui  vous  engagent  à  le 
.-bien  réciter.] 

DEUXIÈME  POINT. 

]'ai  plusieurs  motifs  à  vous  proposer  qui 
-me  paraissent  très-forts,  pour  vous  engager 
à  réciter  l'office  divin  avec  une  très-grande 
application. 

Le  premier  motif  est  l'excellence  même 
de  l'office  divin  dont  je  viens  de  vous  entre- 
tenir. Je  vous  ai  montré  ce  que  c'est  que 
l'office  divin,  et  quelles  sont  les  parties  qui 
le  composent.  Vous  avez  vu  que  c'est  un 
tout  excellent,  et  que  ce  qui  entre  dans  la 
composition  de  l'office  divin  est  d'un  très- 
grand  prix.  De  là  vous  avez  dû  conclure 
qu'il  serait  tout  à  fait  indigne  de  ne  pas 
uonner  toute  son  attention  à  la  récitation 
de  l'office.  Car  il  est  juste  que  notre  atten- 
rlion  réponde  à  l'excellence  de  l'office  que 
nous  récitons.  Si  cela  est,  quelle  doit  être 
cette  attention?  Je  ne  vous  eu  demande  pas 
davantage,  quand  vous  récitez  l'oflice,  con- 
sidérez ce  que  vous  récitez,  et  considérez 
quelle  allentron  demande  ce  que  vous  réci- 
tez. A  quoi  donc  donnerez-vous  votre  atten- 
ti!)n  si  vous  ne  l'accordez  pas  tout  entière 
i\nx  paroles  de  Dieu  môme,  au  tliaul  des 
4i!sa"ii)es,  au  récit  d<i  tant  d'actions  éclatan- 


tes qui  relèvent  la  gloire  des  saints,  à  ces 
sages  instructions  que  les  saints  docteurs 
de  l'E.i^lise  nous  ont  laissées. 

Ne  selforce-t-on  pas,  même  dans  le  monde, 
de  donner  une  attention  proportionnée  aux 
affaires  que  l'on  discute,  et  celui-là  ne  se- 
rail-il  pas  universellement  blâmé  qui,  dans 
les  affaires  ies  plus  sérieuses,  permettrait  à 
son  esprit  de  s'égarer,  et  ne  ferait  aucun 
effort  pour  le  retenir?  Avons-nous  une 
affaire  plus  sérieuse  et  plus  importante  que 
de  parler  à  Dieu,  et  que  de  l'écouter? 

Que  ceux-là  connaissent  peu  le  mérite  e 
le  prix  d'une  si  sainte  action,  qui  regardent 
le  temps  qu'ils  emploient  à  la  récitation  de 
l'office,  comme  un  temps  inutilement  em- 
ployé. Ils  choisiront  pour  celle  bonne  œuvre 
non, pas  le  temps  auquel  ils  pourraient  être 
plus  attentifs,  mais  les  heures  oisives,  et 
qui  ne  peuvent  êlre  consacrées  au  plaisir. 
Ils  prononceront  les  plus  saints  cantiques 
sans  réflexion,  avec  une  extrême  vitesse,  et 
ils  se  glorifieront  de  leur  précipitation. 
A()rès  avoir  employé  ie  jour  entier  à  leurs 
affaires  temporelles  ou  à  leurs  plaisirs,  ils 
se  souviendront  le  soir  qu'ils  n'ont  pas  sa- 
tisfait à  leur  obligation.  L'esprit  occupé  des 
affaires  terrestres,  l'imagination  échauffée 
de  leurs  plaisirs,  avides  de  sommeil,  et  déjà 
presque  endormis,  ils  prendront  le  livre 
sacré  qui  tombera  de  leurs  mains  profanes. 
Quelle  disposition  pour  parler  à  Dieu  el 
pour  prononcer  des  cantiques  à  la  gloire  de 
son  nom  1 

Un  ecclésiastique  vertueux  est  convaincu 
que  le  temps  le  (tlus  précieux  de  sa  vie  est 
celui  où  il  a  le  bonheur  de  s'unir  à  Dieu 
dans  la  prière.  Il  choisit  pour  cette  grande 
action  le  temps  dans  lequel  il  est  le  plus 
recueilli.  Il  y  donne  tout  le  temps  néces- 
saire. Il  fait  des  efforts  pour  appliquer  son 
es|  rit.  11  gémit  do  ses  égarements.  Aussitôt 
qu'il  s'en  aperçoit  il  est  exact  à  le  rapiieler. 
Les  dissipations  dont  il  n'e.-t  [^as  le  mnître 
ne  sont  pas  sans  fruit,  car  elles  lui  servent 
à  s'humilier,  el  elles  sont  suivies  d'une  [)lus 
forte  attention.  C'est  la  conduite  que  se 
croiront  obligés  de  garder  tous  les  ecclé- 
siastiques, qui  considéreront  ce  que  c'est 
que  l'office  divin.  Car  il  est  impossible  de 
le  connaître,  qu'on  ne  soit  convaincu  que 
cet  office  étant  très-excellent,  il  faut  pour 
le  bien  réciter  apj'Orler  une  attention  pro- 
portionnée à  l'excellence  de  cet  office 
sacré. 

Je  passe  à  un  second  moiif,  et  nous  allons 
examiner  une  des  obligations  les  plus  iiu- 
[lortantes  du  christianisme.  Cette  obliga- 
tion est  celle  que  nous  avons  de  prier.  Jé- 
sus-Christ nous  a  laissé  à  tous  un  grand 
précepte  qui  esi  de  prier,  et  même  de  prier 
toujours.. 

Les  chrétiens  sont-ils  obligés  de  prier 
toujours?  Qui  en  pourrait  douter  après  les 
paroles  claires  et  précises  de  Noire-Seigneur 
qui  nous  a  dit  h  tous  :  Jl  faut  toujours  prier, 
et  ne  se  point  lasser  de  le  faire.  {Luc,  XVUl, 
1.)  Il  faut  :  Ces!,  donc  un  précepte  et  une 
m'ccssilé.    L'iipôlre  -saint  P.-iul    a  anucu'cé 


1295 


RETRAITE  ECCJ.ES. 


aux  lidèles  celto  iinportanle  obligaiion , 
quanil  il  leur  a  dit  :  Priez  sans  cesse.  (I 
TJiess.,  V,*17,) 

Il  est  certain  que  cède  oblig.ition  do 
prier  toujours  renferme  deux  cliosos.  Pre- 
mièrement, pour  y  satisfaire  il  faut  être 
eiact  à  ce  que  l'on  appelle  proprement 
prière,  c'est-à-dire  qu'un  chrétien  doit  sou- 
vent prier.  Kn  second  lieu,  il  faut  que  tou- 
tes les  aciions  du  chrétien  sanctifiées  par  la 
prière,  et  par  les  saintes  dispositions,  dans 
lesquelles  Dieu  nous  commande  d'en- 
trer, méritent  encore  d'être  appelées  des 
prières. 

Le  chrétien  est  donc  obligé  de  prier  sou- 
vent. L'Eglise  attentive  au  besoin  de  ses 
enfants,  et  particulièrement  de  ses  minis- 
tres, leur  a  voulu  fournir  un  moyen  pour 
leur  faciliter  l'accomplissement  de  cette 
obligation.  Ce  moyen  est  rodice  divin. 
C'est  même  dans  ce  dessein  qu'elle  a  par- 
tagé l'ollice  en  différentes  heures.  C'est  un 
avertissement  salutaire  qui  nous  marque 
que  nous  devons  être  exacts  à  nous  occuper 
de  Dieu.  Les  affaires  séculières  ne  trou- 
blent et  ne  partagent  que  trop  souvent  notre 
attention.  Nous  reconnaissons  qu'il  se  passe 
de  longs  intervalles  pendant  lesquels  nous 
ne  pensons  point  h  Dieu.  Le  temps  vient 
qui  est  marqué  pour  la  récitation  de  l'office. 
N'est-ce  pas  un  heureux  signal  qui  inter- 
rompt un  sommeil  fâcheux,  et  qui  nous 
presse  de  penser  à  celui  que  nous  ne  de- 
vons jamais  oublier? 

De  là  il  s'ensuit  que  comme  l'Eglise  a 
très-sagement  partagé  l'office,  et  que  dans 
celle  division  elle  a  eu  de  très-saints  mo- 
tifs, el  Irès-avanlageux  pour  nous,  il  est  de 
la  piélé  d'un  ecclésiastique  de  suivre  lesin- 
t-enlionsde  l'Eglise,  en  partageant  les  heu- 
res de  l'office,  et  le  récitant  dans  les  temps 
que  l'Eglise  nous  a  marqués.  Si  vous  réci- 
tez en  même  temps  plusieurs  heures  de 
votre  office,  vous  ne  profiler  pas  des  moyens 
que  l'Eglise  vous  met  entre  les  mains  pour 
rappeler  votre  esprit,  lorsqu'il  s'égare  el 
qu'il  oublie  Dieu. 

'L'Eglise  ne  fait  rien  qu'avec  sagesse,  et 
jamais  nous  ne  marchons  plus  sûrement, 
que  quand  nous  suivons  les  routes  qu'elle 
jious  marque.  Que  ceux-là  connaissent  peu 
leurs  obligations,  qui  considèrent  la  né- 
cessité de  réciter  l'office  comme  un  joug 
fâcheux!  Ils  le  supportent  avec  peine.  Ils 
s'en  délivrent  le  plus  tôt  qu'ils  peuvent. 
Quand  ils  oui  satisfait  à  cette  loi  qui  leur 
paraît  toujours  très-dure,  ils  se  considèrent 
comme  étant  déchargés  d'un  fardeau  péni- 
ble. Non,  l'oflTice  divin  n'est  point  uii  joug 
fâcheux.  Vous  vous  trompez  dans  vos 
idées,  ce  qui  est  très-fâcheux  et  très-in- 
suptiorlable  à  un  chrétien,  c'est  d'avoir  un 
esprit  qui  est  en  [)roie  aux  distractions, 
qu'il  est  difficile  de  (ixer,  et  qui  ne  s'oc- 
cupe de  Dieu  qu'avec  peine.  Comme  cet 
éloignement  des  choses  du  salut  fait  son 
supplice,  tout  ce  qui  l'oblige  à  se  souvenir 
de  Dieu,  bien  loin  de  lui  être  pénible  est 
eu  contraire,  sa  joie  el  sa  consolation. 


-  XIX,  OFFICE  DIVIN.  1294 

C'est  suivant  ces  princijjes  que  les  ecclé- 
siastiques vertueux  jugent  do  î'ofiice  divin, 
et  c'est  là  ce  qui  les  porte  à  lu  regarder 
comme  une  heureuse  nécessité  d'aller  à 
Dieu,  pour  lui  rendre  les  hommages  qui 
lui  sont  dus. 

Souvenons-nous  donc  qu'en  qualité  dn 
chrétiens,  et  à  plus  forte  raison  en  qualité 
d'ecclésiastiques,  nous  sommes  obligés  de 
prier  souvent.  Souvenons-nous  que  la  réci- 
tation de  l'oHice  est  un  excellent  moyen 
pour  satisfaire  à  cette  obligaiion.  Mais  sou- 
venons-nous aussi  qu'il  faut  pour  cela  sa- 
voir bien  mettre  en  œuvre  cet  excellent 
moyen:  c'est-à-dire  que  pour  satisfaire  di- 
gnement à  l'obligation  qui  nous  est  imposéo 
de  nous  appliquer  à  la  prière,  la  récitation 
de  l'office  doit  être  faite  avec  beaucoup  d'at- 
tention. 

Si  l'obligation  qui  nous  est  imposée  de 
prier  est  un  puissant  motif  jpour  nous  en- 
gager à  réciter  notre  office  avec  attention, 
songeons  pour  qui  nous  sommes  obligés  d« 
prier,  et  combien  il  y  a  de  personnes  à  qui 
nous  devons  le  secours  de  nos  prières. 
Celte  considération  nous  fournira  encore 
un  motif  nouveau  ,  qui  aura  beaucoup  de 
force  pour  nous  faire  voir  de  quelle  consé- 
quence il  nous  est  d'offrir  à  Dieu  des  priè- 
res qui  lui  soient  agréables. 

■  Un  prêtre  est  obligé  de  prier  pour  le  peu- 
ple. Un  prêtre  est  obligé  d'attirer  les  grâ- 
ces du  Seigneur  non-seulement  sur  lui, 
mais' encore  sur  le  peuple.  Qu'est-ce  qu'un 
prêtre?  C'est  un  homme  qui  par  son  état 
et  par  sa  condition  doit  toujours  être  en 
état  de  parler  pour  le  peuple.  Si  Dieu  est 
en  colère,  c'est  aux  prêtres  à  l'apaiser.  Si 
le  peuple  a  besoin  de  secours,  c'est  aux 
prôlresàles  demander.  Les  prêtres  sont 
les  médiateurs  entre  Dieu  et  le  peuple. 
Comment  s'acquilleront-ils  de  cet  im[)or- 
lanl  el  honorable  emploi,  s'ils  ne  travail- 
lent à  offrir  à  Dieu  des  prières  qui  méri- 
tent d'être  écoutées? 

Sjuvenez-vous  souvent,  prêtres  du  Sei- 
gneur, de  l'obligation  qui  vous  est  imposée 
de  parler  à  Dieu  en  faveur  du  peuple.  Un 
saint  prophète  (/oe/.,  II,  17},  assure,  que 
quand  Dieu  est  irrité  contre  son  peuple, 
c'est  aux  prêtres  à  se  prosterner,  c'est  aux 
j)rêlres  à  pleurer,  c'est  aux  prêtres  à  crier 
et  à^demander  humblement  pardon  pour  un 
peuple  ingrat,  qui  s'est  révolté  contre  son 
Dieu. 

Cette  obligaiion  est  si  essentielle,  qu'ut) 
autre pro()hèle(£'2cc/i.,  XIII,  5)assuro,quesj 
des  prêtres  négligent  de  s'en  acquit  ter,  Dieu 
leur  en  fera  de  sévères  reproches.  Quoi,  leur 
dira-t-il,  ministres  indignes  el  prévarica- 
teurs, j'attendais  de  vous,  que  vous  seriez 
en  étal  de  vous  mettre  entre  moi  el  mon 
peuple,  et  vous  ne  l'avez  pas  fait.  Jecroyais 
que  vous  seriez  serabl-ibles  à  des  murs  éle- 
vés et  forts,  qui  défendent  le  f)euple  contre 
l'attaque  de  l'ennemi,  et  vous  n'avez  rien 
fait  de  lout  ce  que  je  me  promettais  de 
vous.    Terribles   paroles   el   qui  juslifienl 


1295 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1293 


clairement  le  grand  poids  dont   les  prêtres 
sont  chargés. 

L'Eglise  attentive  à  celle  obligation  a 
composé  ses  offices  de  telle  manière  que 
souve:it  les  prêtres  parlent  h  Dieu  pour 
Je  peuple.  Elle  leur  met  dans  la  bouclie 
d'excellentes  prières  dans  lesquelles  ils  de- 
mandent à  Dieu  miséricorde  pour  le  peuple, 
dans  lesquelles  ils  le  prient  d'effacer  les 
jiécliés  du  peuple.  Tout  cela  vous  fait  voir 
de  quelle  conséquence  il  est  à  un  prêtre  de 
prier  souvent,  de  quelle  conséquence  il  lui 
est  de  plaire  à  Dieu  lorsqu'il  lui  adresse 
ses  vœux.  Tout  cela  vous  fait  voir  que  la 
récitation  de  l'office  est  un  excellent  moyen 
pour  satisfaire  à  l'obligation  que  le  prêlre 
contracte,  lorsqu'il  est  établi  médiateur  en- 
tre Dieu  et  le  peuple. 

Prêtres  du  Seigneur,  priez  attentive- 
raent,  puisque  c'est  la  première  condition 
pour  plaire  à  Dieu  dans  la  prière.  Prêtres 
du  Seigneur,  faites  encore  de  nouveaux 
efforts  en  considérant  le  poids  q.ue  vous 
portez,  étant  si  étroitement  obligés  de 
maintenir  par  vos  prières  et  vos  bonnes 
œuvres,  la  sainte  union  qui  doit  être  entre 
Dieu  et  son  peuple. 

J'ai  encore  un  dernier  motif  h  vous  [)ro- 
poser  qui  vous  fera  connaître  un  nouvel 
intérêt  que  vous  avez  de  réciter  l'office 
avec  beaucoup  d'attention,  c'est  que  des 
réflexions  souvent  réitérées  sur  les  saintes 
vérités  qui  nous  sont  proposées  dans  notre 
office,  soutiennent  l'âme  iidèle  et  la  rem- 
plissent de  consolation. 

Beaucou[)  d'ecclésiastiques  récitent  l'of- 
fice divin  avec  ennui.  Quelle  en  est  la  sour- 
ce ?  C'est  qu'ils  ne  se  donnent  aucun  temps 
pour  réfléchir  sur  ces  grandes  vérités,  qui 
ont  tant  de  force  pour  fortifier  l'âme.  L'ec- 
clésiastique fidèle  trouve  de  la  consolation 
où  celui  qui  est  infidèle  ne  rencontre  que 
de  l'ennui. 

Quelle  joie  pour  un  ecclésiastique  ins- 
truit des  vérités  de  la  religion,  et  à  qui 
Dieu  fait  la  grâce  de  les  goû'er,  quelle  joie 
d'être  devant  son  roi,  de  l'adorer,  de  lui 
parler,  de  lui  ex|)liquer  ses  besoins,  de 
l)Ouvoir  s'adresser  à  Dieu  comme  à  un  ami 
fidèle,  à  qui  l'on  peut  avec  silrelé  confier 
ses  plus  intimes  secrets  I 

Combien  de  fois  un  ecclésiastique  atten- 
tif a-l-il  lieu  d'être  attendri  par  le  récit  des 
miséricordes  infinies  de  son  Dieu  ?  Ce  Dieu 
est  tant  de  fois  appelé  la  bonté  souveraine, 
l't  il  porte  ce  titre  avec  tant  de  fondement. 
Comment  donc  un  ecclésiastique  ne  senti- 
rait-il poinlson  cœur  s'écliaull'er  ?  Comment, 
les  ardeurs  de  sa  charité  ne  redoublorait-ni- 
elles  point  quand  il  fait  atlenlion  h  toutes 
les  grâces  que  Dieu  a  ré|)aii(iues  sur  lui 
par  un  effet  de  sa  miséricorde? 

Notre  espérance  nous  soutient  au  milieu 
de  nos  misères.  Nous  sommes  pendant  cette 
vie  continuellement  atla(iués.  Qui  [)eut  se 
promettre  de  aeiueurer  ferme?  Quand  bien 
uiÔMie  Dieu  nous  distribue  ses  richesses, 
qui  peut  s'assurer  de  conserver  des  trésors 
renfermés  dujis  des  vases  de  terre?  Les  Qunais 


de  cette  vie  seraient  capables  de  faire  per- 
dre courage  à  celui  qui  n'envisagerait  qtin 
ce  qui  se  passe  ici-b;is  et  qui  ne  porler.-tit 
pas  sa  vue  plus  loin.  Le  chrétien  fidèle 
supporte  les  misères  de  cette  vie,  |)arce  qu'il 
connaît  qu'elles  seront  courtes.  Il  sait  ce 
que  Dieu  lui  a  promis.  Ce  sont  donc  les 
promesses  du  Seigneur  qui  le  consolent, 
qui  le  soutiennent,  qui  l'animent.  L'office 
de  l'Eglise  lui  fournit  souvent  celte  solide 
consolation.  Il  y  entend  Dieu  qui  lui  pro- 
met et  qui  l'assure  qu'il  est  fidèle  dans  ses 
promesses.  Il  y  entend  Dieu  qui  l'anime 
à  espérer,  et  qui  lui  fait  voir  qu'il  ne  sera 
point  trompé  dans  son  espérance. 

Celui  qui  récite  l'office  avec  réflexion 
sent  bien  la  vérité  de  ces  paroles  pronon- 
cées par  David  :  Que  vos  paroles,  Seigneur, 
sont  pleines  de  douceur  !  le  miel  n'est  pas  si 
doux  à  la  bouche,  que  vos  paroles  le  sont  d 
mon  cœur.  Vos  promesses  et  vos  commande- 
ments me  paraissent  infiniment  plus  aimables 
que  les  richesses  de  la  terre  les  plus  précieu- 
ses. {Psal.  CXVin,  103,  127.) 

Qu'un  ecclésiastique  soit  frappé  d'affiic- 
lion,  son  office  lui  l'oiirnira  des  motifs  so- 
lides d'une  consolation  assurée.  Un  ecclé- 
siastique, par  exeujpic,  au  milieu  des  plus 
vives  douleurs,  lira  dans  son  olfice  que 
Jésus-Christ  n'a  élevé  la  tôle,  que  parce 
(ju'il  a  bu  les  eaux  amèresdu  torrent.  C'est- 
à-dire  que  Jésus-Christ,  comme  parie  saint 
Paul,  est  entré  en  possession  de  la  gloire, 
\'c\rce  qu'il  s'est  humilié  en  se  rendant  obéis- 
sant jusqu'à  la  mort.  {Philip.,  Il,  8.)  Il  lira 
dans  son  office  que  ceux  qui  sèment  avec  lar- 
mes moissonneront  avec  joie. [Psal.  CXXV,o.) 
Pourra-t-il  l'aire  attention  à  ces  paroles 
sans  éprouver  bientôt  que  les  douleurs  les 
plus  fortes  ne  tie;iuenl  point  contre  les  mo- 
tifs solides  de  consolation  que  la  religion 
nous  fournil?  Ainsi  celui  qui  récite  l'olfice 
avec  attention  y  trouvera  beaucouf)  do 
goût,  et  ii  ne  s'appliquera  point  àja  prièie 
qu'il  ne  se  sente  soutenu  et  anitné  à  per- 
sévérer dans  la  voie  qui  conduit  à  Dieu. 

Voilà  les  raisons  que  j'avais  à  vous  ()ro- 
poser  |)Ourvous  faire  voir  conjbien  il  est 
important  aux  ecclésiastiques  de  réciter 
l'ollice  avec  attention.  J'attends  de  la  misé- 
ricorde du  Seigneur  que  ces  raisons  auront 
fait  impression  sur  vous.  Fortement  réso- 
lus du  vous  appliquer  plus  que  jamais  à  bien 
réciter  votre  ollice  ,  vous  me  demandez 
sans  doute  ce  qu'il  faut  faire  pour  remplir 
celte  obligation  iujpoitante,  je  vais  vous  en 
instruire  dans  la  dernière  partie  de  ce  dis- 
cours. 

TROISIÈME    POINT, 

Je  demande  trois  dispositions  dans  celui 
qui  veut  bien  |)rofiler  de  la  récitation  de 
l'ollice.  J  appelle  ces  trois  dispositions  pré- 
paration, attention,  dévotion.  Ecoutez  co 
que  l'on  doit  entendre  par  ces  trois  dispo- 
sitions. Si  le  Se'grieur  vous  ins()ire  uno 
forte  résolution  de  pratiquer  fia'èlement  les 
vérités  que  je  vais  vous  expliquer,  vous 
verrez  que  dans  la  suite  vous  retirerez 
beaucoup  de  fruit  de  la  récitation  de  l'office. 


4^297 


RETRAITE  ECCLES.  —  XIX,  OFFICE  DIVIN. 


lidi 


Je  dis  que  celui  qui  veut  réciter  saioto- 
nienl  son  oHlco ,  doit  d'nbord  se  pré[)<iroi-. 
En  quoi  consiste  celle  préparalioR  ?  Elle 
cousisle  en  deux  points  essentiels.  Le  pre- 
mier est  de  vivie  dans  une  grande  sépara- 
tion du  monde,  et  d'abandonner  autant  qu'il 
est  en  nous  le  commerce  et  les  embarras 
du  siècle.  Le  second  esl  de  faire,  avant  la 
prière,  de  saints  elVorts  pour  recueillir  son 
esprit  et  pour  purifier  son  cœur. 

Les  dissipations  de  notre  esprit  nous 
sont  coiniues.  On  nous  entend  tous  les  jours 
en  faire  des  piainles  qui  ne  sont  que  Irop 
bien  fondées.  Mais  en  môme  temps  quo 
nous  aj.eicevons  les  dissipations  de  notre 
esprit,  ne  voyons-nous  pas  que  nous  ne 
somuies  (loint  en  état  d'aller  à  Dieu  comme 
(les  suppliants,  à  moins  que  nous  n'éloi- 
gnions les  pensées  étrangères,  et  que,  par 
de  sérieux  efforts,  nous  ne  travaillions  à  oc- 
cu|icr  notre  esprit  de  Dieu,  à  qui  nous  sora- 
aies  prêts  de  rendre  nos  hommages. 

La  dissipation  est  un  défaut  très-ordi- 
naire. Plusieurs  ecclésiastiques  sont  obli- 
gés de  confesser  que,  dans  la  récitation  de 
leurolllce,  ils  sont  très-souvent  occupés 
des  pensées  séculières  et  firofanes.  11  leur 
paraît  qu'ils  peuvent  s'excuser  par  la  diffi- 
culté qu'il  y  a  de  fixer  i'espril  humain.  Mais 
leur  excuse  est  vaine.  Ils  sont  très-criminels 
devant  Dieu  ,  et  leurs  dissipations  ne  sont 
point  de  celles  dont  Dieu  esl  si  facile  à  ac- 
corder le  i)ardon.  Car  s'ils  veulent  rentrer 
en  eux-mêmes,  et  considérer  le  peu  de  pré- 
caution qu'ils  apportent  lorsqu'ils  se  pré- 
sentent devant  Dieu  pour  le  prier,  ils  ver- 
ront que  toute  la  source  du  mal  est  en  eux, 
et  que  leur  dissipation  n'est  qu'une  suite 
d'une  négligence  très-criminelle. 

Comment  viennent-ils  à  la  prière?  Quelle 
est,  pour  lors,  la  disposition  de  leur  esprit 
et  de  leur  cœur?  Ils  ap|)Orlent  à  la  prière  un 
esprit  plein  d'idées  étrangères,  plein  de 
l'/Cnsées  profanes.  Les  affaires  du  monde 
l'ont  pleinement  rempli.  Ne  serait-ce  pas 
comme  une  espèce  de  miracle  de  pouvoir 
arrêter  tout  d'un  coup  un  esprit  dont  on 
n'est  i)lus  le  maître,  et  que  l'on  a  livré  aux 
égarements  du  siècle? 

Plusieurs  ecclésiastiques  se  mettent  hors 
d'état  de  prier,  parce  qu'ils  ont  trop  de 
commerce  avec  le  monde.  Il  est  même  très 
à  craindre  pour  eux  que  leurs  oraisons  ne 
soient  de  celles  dont  le  Prophète  parle,  et 
dont  il  assure  qu'elles  sont  de  véritables 
])échés.  Voilà  pourquoi  le  saint  Apôtre  veut 
que  ceux  qui  se  consacrent  à  Dieu  aban- 
donnent les  affaires  du  siècle.  Ce  sont  des 
obstacles  dangereux  qui  les  empêchent  de 
donner  à  leurs  saintes  fonctions  toute  l'at- 
tention qu'ils  y  doivent  apporter.  Celui,  dit 
le  saint  Apôtre,  (jui  esl  enrôlé  au  service  de 
Lieu,  ne  s'embarrasse  point  dans  les  affaires 
séculières,  afin  de  plaire  ù  celui  à  qui  il  s'est 
donné.  (Il    Tim.,  111,  k.) 

Cependant,  je  l'avoue,  les  affaires  du 
siècle  ne  peuvent  pas  toujours  être  entière- 
ment abandonnées.  Il  y  a  des  embarras  qui 
nous  suivent  avec  obstination,  quelque  ap- 


plication que  nous  ayons  à  les  éviter.  C'e.st 
ce  qui  engage  l'ecclésiasiique  fidèle  à  pren- 
dre encore  une  seconde  précaution, qui  est 
de  faire  de  nouveaux  efforts  avant  la  prière 
pour  se  recueillir  et  pour  rappeler  son  es- 
|iril  h  Dieu.  Pour  lors  il  se  vide,  autant  qu'il 
est  en  lui,  des  affaires  du  siècle.  Il  n'omet 
rien  pour  présenter  à  Dieu  un  esprit  libre 
et  un  cœur  dégagé. 

II  est  vrai  que  ces  précautions  ne  peu- 
vent pas  entièrement  le  délivrer  de  toutes 
les  importunités  qui  nous  troublent  dans 
nos  meilleurs  desseins.  Mais,  outre  qu'elles 
sont  moins  fréquentes,  c'est  que  pour  lors 
Dieu,  par  sa  bonté,  excuse  des  défauts  que 
nous  ne  sommes  pas  les  maîtres  de  déra- 
ciner entièrement.  Il  connaît  la  fragilité  de 
notre  nature,  il  permet  que  ceux  qui  lé 
craignent  soient  troublés,  afin  qu'ils  s'hu- 
milient et  qu'ils  connaissent  le  besoin  con- 
tinuel où  ils  sont  de  recourir  à  lui. 

Que  de  consolation,  que  de  fruit,  lorsqu'a- 
près  une  préparation  telle  que  je  viens  de 
marquer,  on  se  présente  devant  Dieu  pouc 
lui  offrir  des  prières  et  chanter  des  can- 
tiques a  la  gloire  de  son  nom  ? 

La  préparation  doit  être  suivie  d'une 
grande  atlention,  et  cette  attention  doit  du- 
rer pendant  tout  le  temps  de  la  prière. 

11  est  aisé  de  concevoir  que  l'attention 
est  nécessaire,  quand  on  fait  réflexion  que 
c'est  à  Dieu  môme  à  qui  l'on  parle  dans  la 
prière  :  à  Dieu  qui  voit  le  cœur,  qui  nous 
demande  notre  cœur,  et  qui  nous  a  déclaré 
tant  de  fois  qu'il  n'est  point  content  de  nos 
hommages  et  de  nos  sacriûces,  lorsqu'ils 
sont  seulement  extérieurs.  Parler  à  Dieu  de 
bouche,  lorsque  notre  esprit  et  notre  cœur 
ne  s'accordent  point  avec  nos  paroles,  n'est- 
ce  pas  être  de  ceux  que  le  Fils  de  Dieu  a. 
condamnés,  quand  il  a  dit  :  Cepeuple  m'ho- 
nore des  lèvres,  mais  son  cœur  est  Irès-éloigné 
de  moi.  [Mallh.,  XV,  8.) 

On  distingue  trois  sortes  d'attentions  : 
l'actuelle,  la  virtuelle  et  l'habituelle.  L'ac- 
tuelle est  à  désirer.  La  virtuelle  suffit. 
L'habituelle  ne  suffit  pas. 

L'attention  actuelle  qui  est  à  désirer,  et 
qui  donne  un  très-grand  poids  à  la  prière, 
est  l'attention  de  celui  qui,  dans  le  temps 
qu'il  parle,  songe  véritablement  au  sens 
des  paroles  qu'il  prononce  ,  il  lâche  d'en 
remplir  son  esprit  et  d'en  pénétrer  son  cœur. 

L'dtlention  virtuelle  qui  est  suffisante 
est  l'attention  de  celui  qui,  dans  le  com- 
mencement delà  prière,  se  propose  de  pen- 
ser à  Dieu  dans  toute  la  suite  de  sa  prière. 
Il  fail  même  des  efforts  pour  cela.  Quoique 
son  esprit  dont  il  n'est  pas  le  n)aîlre  se 
dissipe,  pourvu  qu'il, le  rappelle  lorsqu'il 
s'afierçoil  de  ses  égarements,  sa  prière  ne 
laisse  pas  d'être  agréable  à  Dieu  ,  et  d'être 
accotnpagnée  d'une  attention  suffisante. 

L'allention  habituelle  n'est  point  propre- 
ment une  attention.  Elle  se  trouve  dans  ce- 
lui qui  aurait  des  désirs  généraux  et  inef- 
licaccb  do  pinser  à  Dieu,  mais  qui  perrael- 
t(ait  volontairement  à  son  esprit  de  s'égarer 
cl  ne  ferait  pas  Ici  efforts  nécessaires  pour 


1399 


ORATEDRS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


foOO 


lereloiiir.  bieu»  demande  déplus  grands 
eiroils  dans  ceux  qui  veulent  le  servir. 
Ainsi  vous  devfz  être  persuadés  que  vos 
|)rières  n«  peuvent  lui  plaire,  pendant  que 
vous  laissez  un  libre  cours  aux  égarements 
do  votre  esprit. 

Que  d'ecclésiastiques  qui  prononcent; 
l»e;iiicoup  de  paroles  et  qui  ne  prient  point  1 
<]et  homme  récite  l'office  de  l'Eglise  depuis 
nii  grand  nombre  d'années.  A-t-il  |)rié?, 
Non,  il  n'a  point  [irié.  Ce  qui  est  le  plus 
essentiel  dans  la  prière  ne  se  rencontre  point 
liar.s  la  sienne.  Le  Fils  de  Dieu  a  condamné 
les  païens  qui  s'imaginaient  qu'd  force  de 
jicirolcs  ils  obliendr aient  ce  qu'ils  deman- 
daient. {^Muiih.,  Vi,7.)  C'est  renouveler  leur 
erreur,  que  de  faire  consister  la  prière  dans 
ks  paroles,  et  de  se  persuader  que  l'on  a 
beaucoup  |)rié  parce  qu'on  a  beaucoup 
parié.  L'essence  de  la  prière,  c'est  le  cri  du 
cœur.  Plusieurs  parlent;  ils  gardent  le  sir 
.'ence  à  l'égard  de  Dieu.  Il  ne  les  entend 
point.  Leur  cœur  ne  parle  point,  et  il  n'y  a 
que  le  langage  du  cœur  qui  puisse  parvenir 
jusqu'au  trône  de  Dieu. 

Pour  avoir  cette  attention  si  nécessaire, 
et  sans  laquelle  votre  oraison  ne  peut  plaire 
à  Dieu,  évitez  avec  soin  deux  extrémités 
qui  sont  toutes  deux  très-dangereuses. 

La  première  ,  quoique  moins  ordinaire, 
est  néanmoins  très  à  craindre.  Ceux-là 
tombent  dans  celte  extrémité  qui  perdent 
l'attention  par  un  trop  grand  désir  de  la 
conserver.  Jls  ne  sont  jamais  contents  (i'eux- 
mêmes.  Ils  sont  dans  une  agitation  conti- 
nuelle. Ils  sont  ingénieux  à  se  tourmenter. 
Ils  recommencent  ce  qu'ils  ont  déjà  dit,  et 
ia  seconde  fois  ils  sont  encore  moins  satis- 
faits d'eux-mêmes  que  la  première.  C'est 
ignorer  combien  Dieu  est  bon  à  ceux  qui  le 
cberclient  que  de  se  persuader  qu'il  exige 
de  ses  serviteurs  des  tourments  inutiles.  La 
tranquillité  et  le  repos  sont  les  principaux 
avantages  de  ceux  qui  se  donnent  à  Dieu. 
Il  est  donc  bien  éloigné  de  vouloir  que  nous 
nous  abandonnions  à  des  scrupules  qui  no 
servent  qu'à  nous  troubler  et  à  nous  ren- 
dre |)l\is  imparfaits.  '  - 

L'extrémité  ojiposée  est  beaucoup  plus 
commune.  Ceux-là  y  tombent  qui  perdent 
l'attention,  parce  qu'ils  se  précipitent,  et 
qu'ils  sont  toujours  bâtés  lorsqu'ils  ren- 
dent à  Dieu  le  tribut  de  la  prière.  Où  donc 
allez-vous,  dirais-je  volontiers  à  cet  ecclé- 
siastique qui  dit  son  ofiice  avec  tant  de 
Jiàle  ?  Pourquoi  cette  préci|)itation  ?  Quelles 
sont  les  all'aires  im[)Ortantes  qui  vous  pres- 
sent et  qui  vous  a})peilenl?  Ou  plutôt  avez- 
vous  une  atfaire  plus  importante  que  celle 
de  prier  ?  Songez-vous  que  vous  êtes  de- 
vant Dieu  et  que  c'est  à  lui  que  vous  par- 
lez? Vous  ne  pourriez  pas  supporter  un 
serviteur  qui  vous  parlerait  avec  la  môme 
vitesse  dont  vous  usez  en  parlant  à  Dieu  , 
et  vous  croiriez  avec  raison  qu'il  ne  con- 
serve pas   le  respect  qui  vous  est  dû.  N'ou- 

(2S9)  j  Si  oral  psalmus,  orale.  Si  gcmit,  gemitp, 
Si  gralulatur,  gaud.ie.  Si  &ii  rat,bi)e.aie.  Si  liuiet, 


,bliez  jamais,  quand  vous  priez,  coinbion  fst 
redoutable  la  majesté  de  Dieu.  Qu'elle  vous 
inspire  un  saint  respect.  Que  votre  creur  en 
soit  pénétré.  Que  tout  votre  extérieur  té- 
moigne ce  que  vous  sentez  au-dedans  do 
vous-même. 

Si  vous  vous  appliquez  à  réciter  votre 
office  avec  attention,  vous  entrerez  bieniAi 
dans  la  troisième  disposition  que  je  vous 
ai  dit  être  nécessaire  et  que  j'ai  appelée  dé- 
votion. Un  des  principaux  effets  de  celle 
dévotion,  et  qui  peut  mieux  nous  faire 
connaître  si  nous  en  sommes  pénéirés,  c'est 
lorsque  nous  sentons  en  nous  les  mômes 
sentiments  qui  nous  sont  exprimés  dans  les 
paroles  que  nous  adressons  à  Dieu.  C'est 
particulièrement  dans  la  récitation  des 
psaumes  que  nous  devons  faire  effort  pour 
entrer  dans  les  mouvements  du  prophète  à 
qui  Dieu  les  a  inspirés. 

Saint  Augustin  nous  donne  cette  excel- 
lente règle  pour  réciter  les  psaumes  avec 
.fruit.  Il  veut  que  nous  soyons  exacts  à  sui- 
vre le  Prophète  dans  tous  les  sentiments 
qu'il  a  si  noblement  exprimés.  Lorsque  le 
Prophète  prie  pour  nous,  dit  sainl  Augus- 
tin, priez  avec  lui.  Lorqu'il  gémit,  gémis- 
sez. Lorsqu'il  est  dans  la  joie,  soyez  aussi 
dans  la  joie.  Lorsqu'il  est  plein  d'espéran- 
ce, espérez.  Lorsqu'il  est  pénétré  de  crainte, 
tremblez.  Tout  ce  que  le  saint  Esprit  a 
dicté  au  Propiiète-Iioi  est  écrit  pour  notre 
instruction  el  pour  nous  ap[)renJreies  senli- 
ments  dont  nous  devons  être  remplis  (259). 
Quoi  de  plus  déraisonnable  que  de  té- 
moigner à  Dieu  que  vous  avez  pour  lui  ces 
grands  senlimenis  qui  sont  exprimés  dans 
les  psaumes  lorsque  vous  les  désavouez 
dans  votre  cœur?  N'est-ce  pas  mentir  à 
Dieu?  Il  y  a  un  très-grand  nombre  d'ecclé- 
siastiques qui  commettent  presque  autant 
de  mensonges  qu'ils  prononcent  de  paroles 
dans  la  récitation  de  l'office. 

Vous  dites  que  vous  criez  de  tout  votre 
cœur,  et  votre  cœur  est  muet.  Vous  dites 
que  vous  recherchez  Dieu  de  tout  votre 
cœur,  et  vous  le  fuyez.  Vous  dites  que  vou.s 
aimez  Dieu  de  tout  votre  cœur,  et  ce  sont 
les  choses  du  monde  qui  le  remplissent. 
Ne  craignez-vous  point  encore  une  fois  de 
mentir  à  Dieu,  qui  connaît  clairement  quo 
vous  n'avez  aucun  des  sentiments  dont  vous 
l'assurez  que  vous  êtes  pénétrés. 

Ce  doit  donc  être  là  un  de  nos  princi- 
paux efforts  dans  la  récitation  de  l'office, 
et  surtout  dos  psaumes  ,  de  concevoir  dans 
notre  cœur  ces  grands  sentiments  qui  sont 
si  vivement  expliqués.  Quoi  de  plus  lou- 
chant que  les  psaumes,  lorsque  des  ecclé- 
siastiques fidèles  et  qui  se  sont  consacrés 
à  Dieu  sentent  en  eux-mêmes  ce  qu'ils  ex- 
priment [tar  leurs  paroles? 

Nous  avons  ,  par  exemple,  le  psaume 
CXVllI;  nous  le  récitons  tous  les  jours.  Y 
faisons-nous  attention?  avons-nous  consi- 
déré toutes  les  manières  différentes  dont  le 

limete.  Omnia  enira  quae  hic  coiiscripla  siiiit  spécu- 
lum nosirum  sunt.  »  (S.  Aie  ,m  psul.  XXX,) 


i-oi 


HETUAIÏE  ECCLES.  -  XIX,  OFFICE  DIVIN. 


Proplièle  s'ex|)lique  pour  marquer  son 
grand  amour  pour  la  loi  de  Dieu?  Ne  soiii- 
nu's-iiGUS  [)oint  iioiUeux  d'ôtre  si  froids  en 
|)r"i;()nçaiH  des  paroles  toutes  vives  et  lou- 
les  pleines  d'ardeur? 

David  prie  Dieu  de  l'instruire,  et  de  lui 
bien  apprendre  à  connaître  sa  loi  :  Doce  me 
jxtslificaliones  tuas. 

]l  regarde  comme  le  plus  grand  de  tous 
les  mnllieurs  de  iiVlre  pas  instruit  de  la 
loi  de  Dieu  :  Xon  aOscondas  a  me  mandata 
tua. 

Il  nit^dite  la  loi  de  Dieu  :  Injustificationi- 
buis  luis  medilabor. 

l'allé  est  dans  son  cœur  :  In  cordemeo  abs' 
condi  eloquia  tua. 

Sou  grand  d(5sirest  de  s'y  conformer  dans 
toutes  ses  actions  :  Utinam  dirigantur  viœ 
tneœ  ad  custodiendas  justificationes  tuas. 
Il  s'exerce  à  pratiquer  la  loi  de  Dieu  : 
Exercebar  in  mandatis  tuis.  Sentis  aulem 
tuus  exercebalur  in  juslificationibus  tuis. 
Nobles  tfforls  et  très-ni?cessaires.  Travailler 
tous  les  jours  de  plus  en  plus  à  avancer 
dai)s  l'observation  de  la  loi  de  Dieu. 

Les  désirs  qu'il  a  de  garder  la  loi  de  Dieu 
sont  des  désirs  vifs  et  qui  remplissent  son 
cœur  :  Scrutabor  legem  tuam,  et  custodiam 
illam  in  loto  corde  meo. 

11  déclare  que  ceux-là  sont  maudits  qui 
transgressent  la  loi  de  Dieu  :  Maledicti  qui 
déclinant  a  mandatis  tuis. 

C'est  pour  lui  un  sujet  de  tristesse  de  re- 
marquer des  bommes  qui  s'égarent ,  et  qui 
ne  se  conduisent  point  suivant  la  loi  de 
Dieu  :  Defectio  tenuit  me  pro  peccatoribus 
derelinquentibus  legem  tuam. 

11  considère  comme  des  fables  tous  des 
discours  qu'il  entend.  On  ne  peut  rien  lui 
proposer  qui  lui  plaise,  et  qui  lui  paraisse 
comparable  à  la  loi  de  Dieu  :  Narruverunt 
mihi  iniqui  fabulationes,  sed  non  ut  lex  tua. 
Il  est  déterminé,  il  a  cboisi  le  bien  qu'il 
veut  préférer  à  tous  les  autres.  La  loi  du 
Seigneur  est  son  partage  :i*orijomeo,Z)omme, 
dixi  custodire  legem  tuam. 

Toute  sa  consolation,  c'est  de  méditer  les 
I)iomesses  du  Seigneur.  Ce  sont  ces  pro- 
Laesses  avantageuses  qui  sont  seules  capa- 
bles de  relever  son  courage  au  milieu  de 
toutes  les  misères  inséparables  de  celle  vie  : 
Nisi  quod  lex  tua  mcditatio  mea  est,  tune  forte 
periissem  in  humilitate  mea. 

Il  ij'bésite  pas  à  prononcer  que  la  loi  de 
Dieu  est  le  plus  excellent  de  tous  les  biens. 
Les  choses  de  la  terre  les  plus  précieuses 
ne  sont  rien  en  comparaison  de  celte  sainte 
loi  :  Quam  dutcia  faucibus  meis  eloquia  tua 
super  mel  oriineo.  Dilexi  mandata  tua  super 
aurum  et  topnzium. 

Voilà  les  nobles  sentiments  d'un  grand 
roi  saintement  pénétré  de  la  grandeur  de 
Dieu,  de  l'équilé  de  sa  loi,  de  l'excellence 
de  ses  [iromesses.  Ce  qu'il  assure  dans  le 
psaume  que  vous  venez  d'entendre,  il  le  ré- 
jjèle  en  une  infinité  d'endroits.  Ce  sont  des 
sentiments  fixes  qui  ne  sortent  point  de  son 
cœur.  Nous  prononçons  les  mêmes  paroles. 
Qu'il  nous  serait  important  d'entrer  dans  le 


♦508 

môme  esprit  1  Faisons  toutes  sortes  d'efforts 
pour  nous  pénétrer  de  ces  sentiments,  et 
pour  lors  nous  aurons  celte  dévotion  qui 
nous  est  si  nécessaire  pour  réciter  avec 
fruit  l'office  de  l'Eglise. 

VoWh  les  vérités  que  j'avais  h  vous  ex- 
pliquersur  l'heureuse  nécessité  que  l'Eglise 
nous  impose  de  réciter  l'office.  Je  dis  heu- 
reuse nécessité,  et  malheur  h  ceux  qui  ea 
jugent  autrement.  Car  quelle  obligation  plus- 
douce  pour  un  ecclésiastique  que  d'entre- 
tenir un  commerce  si  saint  avec  celui  dont 
il  doit  se  faire  honneur  d'ôlre  le   ministre? 

Vous  avez  vu  le  fruit  que  vous  pouvez 
retirerdela  récitation  de  l'office,  |)Ourvu 
que  vous  vous  appliquiez  à  entrer  dans 
toutes  les  dispositions  que  demande  cette 
sainte  action.  Déplorez  votre  malheur.  Com- 
bien y  a-l-il  de  temps  que  vous  priez  sans 
fruit  ?  Vousétes  fie  ci'ux  dont  un  prophète- 
a  dit  :  qu'ils  élèveront  leurs  mains  vers  l& 
ciel  et  que  Dieu  détournera  les  yeux  pour  ne 
les  point  considérer;  qu'ils  offriront  beaucoup 
de  prières  et  quils  ne  seront  point  écoutés. 
[Isai.,  XIV,  15.) 

Malheur  à  vous  qui  ,  bien  loin  d'apaiser 
Dieu  par  vos  prières,  l'irritez  peut-être  en- 
core davantage  à  cause  de  la  mauvaise  dis- 
position de  votre  cœur.  Si  vos  prières  môme», 
sont  criminelles,  il  ne  vous  reste  donc  plus 
aucune  ressource.  Changez  et  Dieu  changera. 
Convertissez-vous  à  lui  et  il  se  convertira  à 
vous,  {Zach.,  1,  3.)  OEFrez-lui  des  prières, 
qui  s'élèvent  vers  lui  comme  la  fumée  de 
l'encens. 

Formez  donc  aujourd'hui  la  résolution 
de  regarder  la  récitation  de  l'office  comme 
une  affaire  importante  et  qui  mérite  que 
l'on  y  donne  toute  son  application.  Choi- 
sissez pour  réciter  l'office,  non  pas  les  mo- 
ments inutiles  et  que  vous  ne  pouvez  rem- 
plir d'aucune  occupation,  mais  choisissez 
les  temps  dans  lesquels  votre  esprit  est  plus 
en  état  de  s'appliquera  Dieu.  Ne  vous  pres- 
sez point  d'achever  un  ouvrage  que  l'on 
gâte  presque  toujours  par  la  précipitation. 
Considérez  les  justes  raisons  que  l'Eglise  a 
eues  de  partager  l'office,  et  entrez  dans  son 
esprit  avec  le  plus  de  fidélité  que  vous 
pourrez.  Mais  surtout  souvenez-vous  oua 
le  cri  du  cœur  est  l'essence  de  la  prière. 
Ainsi,  quand  vous  êtes  près  de  prier,  c'esî 
surtout  votre  cœur  et  ses  dispositions  que 
vous  devez  observer.  Un  office  récité  avec 
un  cœur  humilié,  vide  de  soi-même,  rem- 
pli de  la  majesté  de  Dieu,  plein  d'indiffé- 
rence pour  les  choses  terrestres,  brûlant 
d'ardeur  pour  les  biens  éternels,  c'est  là  ce 
qui  pénètre  les  cieux,  ce  que  Dieu  demande 
de  vous,  ce  qui  vous  remplira  de  consola- 
tion, ce  qui  sera  pour  vous  une  source 
abondante  de  miséricorde. 

Que  le  Seigneur  vous  fasse  la  grâce  d'en- 
trer dans  ces  dispositions,  afin  que  vous 
soyez  de  ceux  dont  le  prophète  dit,  que 
quand  ils  invoqueront  le  Seigneur  ils  seront 
exaucés  {Jerem. ,  XXlX,12],et  afin  qu'ujirès 
l'avoir  béni  sur  la  terre,  vous  ayez  le  bon- 


1305 

hcurae  le  louer  un  jour  aveclei  saints  dans 
l'élernilé. 

DISCOURS  XX, 

DE  LA  MESSE. 

Parmi  le  grand  nombre  de  motifs  que 
l'on  peut  apporter  pour  obliger  les  prêtres 
?(  vivre  saintement,  un  des  plus  forts  et 
(|ui  seul  serait  suffisant  quand  il  n'y  en  au- 
rait point  d'autres,  c'est  qu'ils  sont  obligés, 
rn  qualité  de  prêtres,  d'offrir  à  Dieu  Jésus- 
Cbrist  son  Fils  dans  le  sacrifice  de  la  messe. 

Dieu  disait  autrefois  en  parlant  aux  piè- 
tres de  l'ancienne  loi  :  Soyez  saints;  qu'ils 
soient  saints.  (Levit.,  XXJ,  6.)  Et  '.a  raison 
qu'il  en  rafiportait  ,  c'est  qu'ils  offrent 
l'encens  et  les  pains  de  proposition.  Com- 
ment donc  pensez-vous  que  Dieu  parlera 
aux  prêtres  de  la  loi  nouvelle?  Combien  de 
fois  leur  répélera-t-il  :  Soyez  saints  ;  quils 
soient  saints  ? 

Quoi  1  il  fallait  être  saint  pour  offrir  l'en- 
cens et  les  pains  de  proposition  I  Quelle 
sainteté  donc  ne  faut  il  pas  avoir  pour  offrir 
Jésus-Christ?  les  pains  de  proposition  n'é- 
taient que  la  figure,  Jésus-Christ  est  la  vé- 
rité. Les  [)ains  de  proposition  ne  renfer- 
maient qu'une  sainteté  légale,  Jésus-Christ 
est  l'auteur  de  toute  sainteté.  Celui-là  donc 
(^ui  a  dit  aux  prêtres  de  l'ancienne  loi  : 
Qu'ils  soient  saints,  ne  cesse  de  dire  et  de 
ri'péler  aux  prêtres  de  la  loi  nouvelle  :  Qu'ils 
soient  saints. 

Comme  cette  preuve  tirée  du  sacrifice  de 
la  messe  est  très-forle  pour  obliger  les  |)rô- 
Ires  à  vivre  saintement,  j'ai  cru  que  je  de- 
vais employer  tout  ce  discours  à  vous  'en- 
tretenir de  cet  auguste  sacrifice.  Il  est  d'au- 
tant plus  nécessaire  que  les  prêtres  en  soient 
instruits,  que  c'est  une  de  leurs  principales 
fonclions.  Dire  la  messe,  et  savoir  à  peine 
ce  que  c'est  que  la  messe  :  dire  la  messe  et 
ne  jias  connaîlre  quelles  sont  les  prépara- 
lions  nécessaires  |)Our  la  célébrer  avec  fruit, 
ce  sont  de  tièi-fàcheuses  extrémités.  Le 
luallieur  est  que  beaucoup  de  prêtres  y  tom- 
))enl  :  et  comme  un  abîme  attire  un  abîme 
(Psal.  XLI,  8),  il  serait  diflicile  d'expliquer 
lous  les  désordres  que  cause  cette  coupable 
ignorance. 

Pour  y  apporter  quelque  remède  voici  les 
deux  véiités,  dont  je  me  projiose  de  vous 
instruire  dans  les  deux  [)arties  de  ce  discours. 
Dans  la  première  je  traiterai  de  l'excel- 
lence do  la  messe.  Dans  la  seconde  j'expli- 
querai les  préparations  nécessaires  pour  la 
bien  célébrer. 

PREMIER   POINT. 


Afin  de  bien  connaître  l'excellence  de  la 
messe,  et  d'avoir  une  juste  idée  de  ce  re- 
doutable mystère,  examinons  premièrement 
cequec'est  que  la  messe.  Voyons  en  seconJ 
lieu  quelle  est  la  vertu  delà  messe.  Entrons 


ORATEIJRS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT.  l-^Oi 

enfin  dans  le  détail  des  parties  qui  compo- 
sent la  messe.  L'explication  de  ces  vérités 
me  conduira  au  but  que  je  me  propose,  et 
TOUS  fera  voir  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  grand 
que  la  messe. 

La  messe  est  un  sacrifice  qui  est  offert  à 
Dieu.  Car  dès  que  la  messe  est  un  sacrifice, 
elle  ne  peut  être  oflerte  qu'à  Dieu.paisqu'il 
est  de  l'essence  du  sacrifice  de  ne  pouvoir 
être  présenté  qu'à  Dieu  seul. 

Le  sacrifice  est  une  reconnaissance  de 
notre  dépendance.  Nous  dépendons  de  Dieu, 
et  nous  ne  cesserons  jamais  de  dépendre  de 
lui.  C'est  Dieu  qui  nous  a  donné  la  vie,  et 
qui  nous  la  conserve.  C'est  lui,  dit  le  Pro- 
phète, qui  nous  a  faits.  [Psal.  XCIV,  G.) 
Et  de  15  qu'en  conclut-il,  que  nous  le  de- 
vons adorer  ?  Venez,  adorons  Dieu,  et  nous 
prosternons  devant  lui,  puisque  c'est  lui  qui 
nous  a  faits.  L'adoration  et  le  sacrifice  sont 
des  hommages  réservés  au  souverain  Au- 
teur de  toutes  les  créatures.  Et  ainsi  c'est 
un  principe  certain  qu'il  n'y  a  que  Dieu 
seul,  à  qui  l'on  puisse  offrir  des  sacri- 
fices. 

Ce  principe  est  une  notion  commune  chez 
tous  les  peuples  du  monde,  et  jamais,  dit 
saint  Augustin,  il  n'y  a  eu  aucun  peuple 
qui  ait  oflert  des  sacrifices  qu'au  Dieu  véri- 
table, ou  à  celui  qu'il  croyait  être  le  vérita- 
ble Dieu.;La  messe  donc,  qui  est  le  sacrifice 
de  la  loi  nouvelle,  est  olferte  à  Dieu,  et  no 
peut  être  offerte  qu'à  Dieu  (260). 

Le  concile  de  Trente,  fiour  expliquer  cette 
doctrine,  s'est  servi  des  paroles  desainl  Au- 
gustin. Il  a  très-judicieusement  remarqué 
avec  ce  saint  docteur,  que  jamais  aucun 
prêtre  étant  à  l'autel  n'a  dit  :  Je  vous  offre 
le  s.iciilice,  ô  Pierre,  ô  Paul,  ô  Cyprien.  Le 
prêtre  s'adresse  à  Dieu,  il  parle  à  Dieu,  et 
il  lui  offre  le  sacrifice  (201). 

Si  les  hommes  étaient  capables  de  s'éga- 
rer jusqu'à  vouloir  offrir  le  sacrifice  aux 
saints  :  les  saints,  justement  indignés,  rejet- 
teraient un  honneur  qui  ne  leur  est  pas  dû. 
Les  saints  pratiqueraient  ce  que  firent  saint 
Paul  et  saint  Barnabe,  lorsqu'étant  à  Lys- 
Ire,  le  peuple  de  cette  ville  voulut  leur 
Sticrifier  comme  à  des  dieux.  Parce  que  ces 
apôtres  avaient  miraculeusement  guéri  un 
homme  qui  était  boiteux,  le  peuple  étonné 
de  ce  prodige  s'écria  :  Ce  sont  des  dieux  qui 
sont  descendus  vers  nous  en  forme  d  hommes. 
{Ad.,  XIV,  10.)  Le  prêtre  de  Jupiter  fait 
conduire  des  taureaux  :  et  le  prêtre  et  la 
peuple  sont  tout  près  de  sacrifier  à  Paul  et 
à  Bjrnabé.  O  zèle  merveilleux  de  ces  saints 
hommes,  pour  reconnaître  qu'un  honneur 
qui  n'appartient  qu'à  Dieu  ne  peut  jamais 
être  rendu  à  ses  créatures!  Ils  déchirèrent 
leurs  vêtements.  Ils  crièrent  hautement  qu'ils 
n'étaient  que  des  hommes,  et  qu'il  n'y  avait 
qu'un  seul  Dieu  véritable,  savoir  le  Dieu 
vivant  qui  est  celui  qui  a  fait  le  ciel  ef  la 


(260)  t  Quis  sacrificandum  censuit,  nisi  ei  quem 
Deuni  au!  scivit,  aiit  putavit,  aul  finxit.  »  (L,  X  De 

Ch'ilati;  Dei,  c:ip.  4.) 
(2G1)  «  E'cksia  g?.criiiciu0i  soliDeo  offerri  Jocel. 


Unde  nec  sacerdos  dicere  solel  :  O/Terro  libi  sacriti- 
ciiim,  Pelre  vel  Paule.  s  (Sess.  22,  De  iacn/icio 
Missœ,  cap,  3.) 


1305 


KETIlAlTt;  ECCLES, 


lerre.  Les  saints  ne  veulent  donc  point 
qu'on  leur  atlrihuo  ce  qui  appartient  à 
èii'U,  et  par  conséquent  bien  loin  de  leur 
plaire,  ce  serait  les  oU'eiiscr,  que  de  vouloir 
leur  oflVir  quelque  sacrifice. 

C'est  suivant  ces  principes  que  le  saint 
concile  a  ex|)liqué  (loc.  cit.)  ce  que  l'on 
doit  ontrenJre  par  les  messes  que  l'on  célè- 
bre en  riionneur  des  saints,  jl  a  réfuté  la 
calomnie  de  ceux  qui  ont  voulu  noircir 
l'Eglise  catholique,  et  qui  l'ont  faussement 
accusée  d'offrir  le  sacrifice  aux  saints.  L'E- 
glise, bien  loin  d'embrasser  une  erreur  si 
criminelle,  la  détestera  toujours.  Elle  lan- 
cera ses  foudres  contre  ceux  qui  oseraient  la 
Soutenir. 

Les  messes  que  l'on  célèbre  en  riionneur 
des  ."-aints  sont  ofTerles  à  Dieu.  Dans  la  célé- 
l)ralion  du  sacrifice  nous  reconnaissons  que 
Dieu  est  la  force  des  saints,  qu'ils  ont  iriom- 
)dié  par  son  secours.  Nous  le  remercions 
des  victoires  que  les  saints  ont  remiiortées. 
Quoi  (le  plus  raisonnable  que  tie  reconnaître 
que  tout  vient  de  Dieu,  et  que  de  lui  rendre 
des  actions  de  grâces  pour  des  victoires  aux- 
quelles nous  sommes  obligés  de  prendre 
part,  par  l'étroite  liaison  que  nous  avons 
avec  les  saints? 

Après  nous  être  saintement  réjouis  des 
grandes  victoires  remportées  par  les  saints, 
nous  les  prions  de  se  joindre  à  nous.  Nous 
jirésenlons  à  Dieu  les  prières  que  la  charilé 
<les  saints  les  oblige  à  répandre  pour  nous. 
Y  a-t-il  encore  en  cela  quelque  sentiment 
qui  puisse  déplaire  à  Dieu,  ou  déro^jer  au 
respect  que  nous  devons  à  sa  majesté  sou- 
veraine ? 

Voilà  tout  ce  que  l'Eglise  entend,  et  ce 
qui  fait  voir  qu'elle  ne  s'est  jamais  éloignée  de 
ce  grand  principe,  qui  est  que  le  sacrifice  ne 
peut  être  offert  légitimement  qu'à  Dieu. 

Après  avoir  examiné  à  qui  le  sacrifice  est 
oUerl,  il  faut  maintenant  voir  quel  est  celui 
qui  oÛ're  le  sacrifice  de  la  messe. 

Jésus-Christ  est  le  grand  prêtre.  11  est  le 
jjrincipa!  prêtre,  ou  pourmieux  dire,  il  n'y 
a  qu'un  seul  et  unicjue  prêtre  dans  la  loi 
nouvelle,  qui  est  Jésus-Christ.  C'est  lui  que 
saint  Pierre  ap|)elle  le  pasteur  el  l'évéque  de 
nos  âmes.  (I  Pelr.,  Il,  25.)  Ainsi  c'est  Jésus- 
Christ  qui  est  le  j)rêire  el  c'est  lui  qui  oli're 
tous  les  sacrifices  qui  se  célèbrent  dans 
l'Eglise  chrétienne. 

Nous  n'avons,  pour  concevoir  celle  vérilé, 
qu'à  nous  bien  souvenir  du  grand  principe 
établi  par  saint  Paul  dans  VEpUre  aux  Hé- 
breux. 

Quand  il  nous  explique  ce  que  c'est  que 
le  sacerdoce  de  Jésus-Christ,  il  enseigne  que 
dans  l'ancienne  loi,  il  y  a  eu  plusieurs  prêlrcs, 
parce  que  la  mort  les  empêchait  de  l'être  tou- 
jours. Mais  comme  Jésus-Christ  demeure  éter- 
nellement, il  possède  un  sacerdoce  qui  est  éter- 
nel. [Uebr.^  \ll,  23.)  Jésus-Christ  est  éternel, 


—  XX,  LA  MESSE.  13U6 

il  était  hier,  il  est  aujourd'hui,  el  il  sera  d<! 
même  dans  tous  les  siècles.  {Hebr.,  XIII,  8) 
Son  sacerdoce  est  éternel.  Il  fait  encore  tous 
les  jours  les  fonctions  de  son  sacerdoce. 
Une  des  principales  c'est  d'offrir  le  sacri- 
fice. 

Jésus-Christ  est  prêtre,  et  il  est  le  seul 
prêtre.  Que  sont  donc,  demande  saint  Au- 
gustin, les  hommes  qui  sont  appelés  prê- 
tres, et  à  qui  Jésus-Christ  fait  l'honneur  de 
les  revêtir  de  son  sacerdoce?  S'ils  sont  pas- 
teurs, comment  est-ce  qu'il  n'y  a  qu'un 
seul  pasteur?  Ils  sont  ()asteurs, répond  saint 
Augustin,  parce  qu'ils  sont  les  membres  do 
ce  grand  et  unique  pasteur.  C'est  le  sacer- 
doce de  Jésus-Christ  dont  ils  sont  révolus. Au 
dehors  [laraîl  un  homme  mortel  qui  offre  le 
sacrifice.  Mais  la  foi,  qui  ne  s'arrête  point 
au  voile  extérieur  et  qui  pénètre  ce  qui  est 
caché,  découvre  Jésus  Christ  le  prêtre  in- 
visible, qui  offre  le  sacrifice  de  la  loi  nou- 
velle (262). 

Ayons  bien  présent  le  grand  principe  de 
saint  Paul,  el  tirons-en  celte  induction  sa- 
lutaire, qui  est  que  Jésus-Christ,  comme 
prôlre  éternel,  confère  tous  les  sacrements 
qui  sont  administrés  dans  l'Eglise  chré- 
tienne. 

C'est  lui  qui  baptise,  s'écrie  saint  Jean. 
Ce  n'est  point  Pierre,  ce  n'est  point  Paul, 
c'est  Jésus-Christ  qui  baptise.  {Joan.,  I,  33.) 

Saint  Augustin  s'est  servi  elficacement 
de  ce  principe  |)Our  établir  le  dogme  de 
l'Eglise  catholique  contre  ceux  (pii  atta- 
quaient la  force  du  baptême  administré 
par  les  hérétiques.  Saint  Augustin,  s'alta- 
chant  à  ce  qui  était  enseigné  par  la  tradi- 
tion de  l'Eglise,  a  soutenu  que  le  baptême 
des  hérétiques  était  valide.  Son  principe  a 
toujours  été  que  c'était  Jésus-Christ  qui 
baptisait,  et  qu'ainsi  l'infidélité  ou  la  ma- 
lice des  hommes  ne  pouvait  pas  altérer  un 
sacrement  qui  était  conféré  par  Jésus- 
Chr-ist  (263). 

;Ç  C'est  Jésus-Christ  qui  baptise.  C'est  Jé- 
sus-Christ qui  réconcilie  les  pécheurs  lors- 
qu'ils se  jettent  aux  pied.s  du  prêtre  pour 
être  déliés.  Prêtres  de  Jésus-Christ,  faites-y 
une  grande  attention,  vous  n'êtes  que  les 
ministres  de  Jésus-Christ,  vous  agissez  en 
son  nom.  Ainsi  soyez  exacts  ;  prenez  garde 
à  ne  pas  délier  lorsque  Jésus-Christ  lie; 
prenez  garde  a  ne  pas  absoudre,  lorsque 
Jésus-Christ  condamne. 

De  même  encore,  comme  l'enseigne  saint 
Chrysoslome  [Hom.  de prod.Judœ,  l.Y),c'est 
Jésus-Christ  qui  consacre  son  corps  et  son 
sang  dans  les  saints  mystères  ;  c'est  lui  qui 
le  distribue  au  [>euple.  Il  est  véiitablement 
le  nourricier  d'Ephraim.{Osee,  XI,  3.)  Nous 
pouvons  bien  nous  écrier  avec  David  ,  que 
le  Seigneur  est  notre  pasteur,  que  rien  ne  nous 
manquera,  et  qu'il  nous  a  mis  dans  un  excel- 
lent lieu  de  pâturage.  {Psal.  XXII,  2.) 

Jésus-Christ  distrit)ue   son  cor[is  et  son 


(262)  €  Si  paslores  sunl,  qiiomodo  unus  paslor, 
uiïiquia  illi  omnes  suni  uiiius  nieuibrn  pasioris.  > 
(S.  Aie,  tract.  46  in  Joan.) 


(2C3).4  Pcr  qucn]lil)Ct  niinistruin  detur,  lllius  est 
baplismus  de  quo  dicium  eal  :  Hic  est  qui  bapliiat.  i 
(Lib.  V  conUa  Donat.,  cap.  12.) 


i307 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT 


sang.  Ce  corps  et  ce  sang  précieux  sont 
offerls  dans  le  sacrifice.  Jésus-Clirist  donc 
est  non-seulement  le  prêtre,  mais  encore  il 
est  la  victime.  Le  même  Jésus-Christ  qui 
s'est  offert  sur  la  croix,  s'offre  sur  nos  au- 
tels ;  c'est  le  même  sacrifice.  Il  n'y  a  au- 
cune différence  ni  quant  au  prêtre,  ni  quant 
à  la  victime.  La  seule  différence  est  en  la 
manière  de  l'oblation.  Ce  qui  s'est  fait  sur 
la  croix  d'une  manière  sanglante,  se  renou- 
velle sur  nos  autels  d'une  manière  mys- 
tique et  non  sanglante. 

Ce  renouvellement  de  sacrifice  ne  mar- 
que point  aucune  imf)erfection,  ni  aucune 
insuIRsance  dans  l'oblation  qui  s'est  faite  h 
la  croix.  Nous  savons  trop  ce  que  saint 
Paul  a  ensei?;né  quand  il  a  dit  qu'une  seule 
ablation  a  consommé  l'ouvrage  de  noire 
salut  el  de  noire  sanctification.  [Uebr.,X,i'^^) 
Il  faut  donc  nous  souvenir  de  celte  obla- 
lion  qui  s'est  faite  à  la  croix.  Il  faut  que  le 
mérite  de  celle  oblalion  nous  soit  appliqué. 
C'est  le  dessein  que  le  Fils  de  Dieu  a  eu, 
lorsqu'après  s'êlre  offert  une  fois  à  ia  croix 
il  a  voulu  continuer  à  s'offrir  sur  nos  au- 
tels ;  ce  qu'il  ne  cessera  jamais  de  faire 
dans  loute  la  suite  des  siècles.  Et  c'est 
pourcpioi  les  prophètes  ont  appelé  le  sacri- 
iite  de  nos  aulels  un  sacrifice  perpétuel. 

Le  sacrifice  de  la  messe  est  offert  à  Dieu. 
Jésus-Clirist  offre  le  sacritice  de  la  messe. 
Jésus-Christ  est  offert  dans  ce  sacrifice. 
Quoi  de  [ilus  excellent  qu'un  sacrifice  offert 
à  Dieu,  offert  par  un  Dieu,  el  où  un  Dieu 
est  offert  1 

Venons  maintenant  h  la  vertu  de  la  messe 
qui  ne  peut  être  que  très-grande,  et  pour 
vous  le  faire  entendre,  il  n'est  nécessaire 
que  de  réfléchir  sur  les  principes  que  je 
viens  d'établir. 

Saint  Paul  enseigne,  et  c'est  un  principe 
fondamental  de  la  religion,  quune  seule 
oblation  a  consommé  l'ouvrage  de  notre  salut 
el  de  notre  sanctification.  Par  là  nous  ap- 
prenons que  l'oblation  à  la  croix  est  la 
source  de  notre  salut,  et  que  tout  notre 
salut  est  attaché  à  la  croix  de  Jésus-Christ. 
C'est  ce  que  saint  Paul  a  voulu  encore 
nous  apprendre  quand  il  nous  dit  que  le 
Fils  de  Dieu  a  effacé  la  sentence  de  condam- 
nation prononcée  contre  nous,  el  que  pour 
l'abolir  entièrement  il  l'a  attachée  à  la  croix. 
{Col.,  XI,  14.)  Voilà  le  moyen  efficace  dont 
le  Fils  de  Dieu  s'est  servi  pour  abolir  celte 
sentence  terrible  qui  nous  condamnait  :  Jl 
l'a  attachée  à  la  croix.  Elle  a  été  effacée  par 
le  sang  qu'il  a  répandu  pour  nous.  Le  saint 
Apôtre  dit  ensuite  que  le  Fils  de  Dieu  a 
vaincu  ses  ennemis  par  la  croix.  La  croix 
de  Jésus-Ghrisl  esldonc  tout  le  fondement 
de  nol.^e  espérance.  Nous  la  devons  avoir 
continuellement  en  vue.  C'est  là  d'où  dé- 
coulent les  grâces.  Voilà  "pourquoi  saint 
Paul  disait  qu'il  ne  voulait  se  glorifier  qu'en 
la  croix  de  Jésus-Christ.  {Gai., VI,  14.)  If  re- 
connaissait que  la  croix  était  toute  sa  force, 
et  que  séparé  de  la  croix  il  ne  pouvait  plus 
rien. 

Si  la  croix  de  Jésus-Christ  est  loute  no- 


1508 

Ire  force,  que    ne  devons-nous   point  at- 
tendre d'un  saint  mystère  que  Jésus-Christ 
a  particulièrement  institué  pour  nous  fàiref 
souvenir  de  sa  mort  bienheureuse?  | 

Quelle  fin  le  Fils  de  Dieu  s'est-il  proposée 
quand  il  a  établi  la  messe?  Que  saint  Paul 
soit  toujours  la  lumière  qui  nous  éclaire  et 
le  docteur  qui  nous  instruise.  11  nous  ap- 
prend que  Notre-Seigneur,  en  instituant  les 
saints  mystères,  dit  à  ses  apôtres  :  Faites 
ceci  en  mémoire  demoi.  (1  Cor., XI,  24.)  Saint 
Paul,  expliquant  ces  paroles  de  Jésus-Christ  et 
voulant  nousfaire  voir  l'obligation  que  le  Fils 
de  Dieu  nous  a  imposée  d'être  altentils  à  sa 
mort  en  célébrant  les  saints  mystères, 
ajoute  :  2'oMf es  les  fois  que  vous  mangeresi 
ce  pain  et  que  vous  boirez  ce  calice,  vous  an- 
noncerez la  mort  du  Seigneur.  [Ibid.,  26.) 
Jamais  je  n'ai  plus  de  conliance  que  quand 
mon  esprit  est  occupé  de  la  mort  de 
mon  Sauveur,  et  jamais  je  n'ai  lieu  de 
penser  plus  efficacement  à  la  mort  de  mon 
Sauveur  que  quand  je  célèbre  des  mystères 
dans  lesquels  il  me  commande  expressé- 
ment de  me  souvenir  de  sa  mort. 

Vous  annoncerez  la  mort  du  Seigneur. 
Vous  concevez  assez  que  dans  les  saints 
mystères  on  n'annonce  point  la  mort  du 
Seigneur  d'une  manière  stérile.  En  même 
tem|)s  que  nous  annonçons  la  mort  du  Sei- 
gneur, nous  en  recueillons  le  fruit.  C'est 
particulièrement  dans  la  célébration  des 
saints  mystères  que  nous  sommes  arrosés  du 
sang  de  Jésus-Christ.  [Ilebr.,  IX,  19.)  C'est 
là  que  se  pratique  à  la  lettre  ce  qui  avait  été 
figuré  dans  l'ancienne  loi  lorsque  Moïse 
jeta  du  sang  sur  le  tabernacle,  sur  les  vases 
qui  servaient  au  culte  de  Dieu,  el  sur  tout 
le  peuple. 

Célébrons  les  saints  mystères  pleins  de 
foi.  Soyons  convaincus  que  nous  y  annoU' 
çons  la  mort  du  Seigneur,  et  que  nous  en 
recueillons  le  fruit  avec  abondance.  Nous 
serons  persuadés  que  la  messe  a  beaucoup 
de  vertu,  non-seulement  par  ce  que  la  foi 
nous  en  apprend,  mais  encore  nous  en  fe- 
rons une  heureuse  expérience,  et  nous  sen- 
tirons tous  les  jours  de  plus  en  plus  corn-, 
bien  nous  sommes  redevables  à  Noire-Sei- 
gneur de  nous  avoir  donné  un  moyen  si 
efficace  pour  attirer  sur^nous  les  grâces 
qu'il  nous  a  méritées  par  sa  mort. 

Il  n'y  a  donc  point  de  temps  où  nous  de- 
vions être  plus  unis  à  Jésus-Christ  que 
lorsque  nous  célébrons  les  saints  mystè- 
res; nous  ne  le  devons  point  perdre  de  vue 
et  nous  devons  penser  continuellement  à 
sa  mort. Toutes  les  parties  de  la  messe  nous 
aideront  à  bien  imprimer  en  nous  ce  sou- 
venir salutaire.  Voilà  pourquoi  je  vous  ai 
dit  que  pour  bien  connaître  l'excellence  de 
la  messe,  il  élait  nécessaire  d'être  instruit 
des  parties  qui  la  composent. 

Les  trois  parties  delà  messe  sont  l'obla- 
tion, la  consécration  ,  la  communion. 

L'ordre  des  sacrifices  est  que  l'hostie 
soit  d'abord  offerte.  Nous  offrons  dans  les 
saints  mystères  au  Père  éternel  la  plus  sainte 
de  toutes  les  victimes.  «  Recevez,,  ô  Père 


1509 


RirrHAITE  rcCLES.  —  XX.  LA  MKSSE. 


l*l(» 


irès-saint,  celle  lioslie  siins  tache,  que  je 
vous  otrre  pour  mes  ixjcliés,  qui  sont  sans 
nombre,  pour  tous  les  assisl.inls  et  pour 
tous  les  [idèles  vivants  ot  morts.  » 

Le  prôire  no  lient  encore  entre  les  mains 
que  !os  signes  niak^riels.  Mais  il  sait  que 
ces  terrestres  éléments  seront  bientôl  chan- 
gés au  corps  et  au  sang  du  Soigneur.  Voilà 
pourquoi,  uniquement  attentif  à  l'hostie 
sans  tache  qu'il  doit  immoler,  il  commence 
à  l'o/Tiir  comme  si  elle  était  déjh  présente. 

Il  l'ofî're  pour  ses  péchés  qu'il  reconnaît 
être  sans  nombre,  pour  tous  les  assistants, 
pour  tous  les  fidèles  soit  morts,  soit  vivani.s. 
Quelle  entreprise  que  de  demander  tant  de 
grâces  et  l'expiation  de  tant  de  péchés  dans 
un  seul  sacrifice?  Ne  craignez  point,  mi- 
iiislres  du  Seigneur,  vous  pouvez  demander 
avec  conliance.  L'hostie  que  vous  offrez  au- 
rait la  force  d'expier  encore  un  [dus  grand 
nombre  de  péchés.  Puisqu'elle  est  d'un  mé- 
rite infini,  il  n'y  a  aucun  péché,  et  l'on  n'en 
|ieut  concevoir  aucun  pour  l'expiation  du- 
quel  elle  ne  soit  suflîsanle. 

Après  que  l'hoslie  avait  élé  ofî'erte,  elle 
était  immolée.  L'iioslie  sans  tache  que  le 
jirétre  a  commencé  d'offrir  sera  aussi  iin- 
ni'olée.  L'immolation  se  fait  à  la  consécra- 
tion :  immolation  très-réelle  et  très-véri- 
table, quoique  mystique  et  non  sanglante. 
Pour  lors  le  corps  et  le  sang  de  Jésus- 
Chrisl,  autrefois  immolés  d'une  manière 
sanglante,  le  sont  encore  mysliquement. 
Jésus-Chiist  nous  a  laissé  des  signes  pleins 
de  ce  qu'ils  représentent.  Le  corps  et  le 
sang  de  Jésus-Clir-isI,  véritablement  pré- 
sents entre  nos  mains  sous  différents 
signes,  nous  font  souvenir  de  la  manière 
dont  ils  ont  élé  séparés  à  la  croix.  Que  nous 
serions  aveugles  et  criminels  si  notre  esprit 
fi'élait  [)as  pleinement  occupé  de  la  mort 
de  Nolie-Seigneur  1  Dans  toute  la  suite  de 
nos  mysières  la  mort  du  Seigneur  doit  être 
présente.  Mais  il  est  indispensalile  de  faire 
encore  de  plus  sérieu-s  efforts  pour  s'en  pé- 
nétrer, lorsque  la  victime  même  qui  est  im- 
molée à  nos  yeux  nous  tient  un  langage  que 
nous  ne  pouvons  pas  ne  point  entendre,  à 
moins  que  volontairement  nous  ne  nous 
rendions  sourds  à  la  voix  de  Dieu  la  plus 
claire  et  la  plus  intelligible. 

Afin  que  le  sacrifice  soit  complet,  il  no 
reste  plus  que  de  distribuer  la  victime. 
Elle  a  été  immolée  pour  nous.  Elle  est  toute 
à  nous.  Nous  la  pouv.tms  considérer  comme 
noire  bien.  Nous  n'a-vens  qu'à  approcher 
pour  nous  en  mettre  en  possession. C'estdonc 
l'inlention  de  Jésus-Christ  que  ceux  qui 
ont  olferl,  que  ceux  poiirqui  l'hostie  a  été 
immolée, se  nourrissent  aussi  de  la  victime. 

Ecoutez  le  saint  concile  de  Trente.  Il  a 
parlé  d'une  manière  très-conforme  à  l'in- 
leiilion  de  Notre-Seigneur.  Le  saint  concile 
souhaiterait  que  dans  loulcs  les  messes  les 
lidèles  qui  y  assistent  comiuuniassenî  non- 

(201)  I  Oplarct  saiicla  Synoilus  ut  in  tingiilis  Mis- 
i\>  (iiielcs  adstantes  non  s'jluni  spiriluaii  alleciu,  Mil 
saciamcalaliler     eliain    EvichuriMi.c    [erceptioiie 


seulement  d'une  manière  siiiriluelle,  mais 
encore  d'une  manière  sacramentelle,  afin 
que  par  ce  moyen  le  sacrifice  auquel  ils 
sont  présents  leur  apportât  1)1  us  de  fruit  (2ei). 

Vous  voyez  donc  que  pour  assister  à  la 
messe  d'une  manière  parfaite,  et  suivre 
toutes  les  intentions  de  Jésus-Christ,  il  faut 
participera  la  victime.  Quand  le  prêtre  a 
communié,  l'ordre  serait  que  le  peuple  sui- 
vît et  vint  aussi  se  présenter  à  la  table. 
Enseignez  à  votre  peuple  une  vérité  qui  est 
si  peu  connue  et  dont  l'ignorance  a  peut- 
être  causé  ce  refroidissement  pour  la  com- 
munion. Apprenez-leur  que  s'ils  ne  sont 
pas  assez  préparés,  et  s'ils  n'ont  pas  assez 
de  zèle  pour  se  nourrir  de  la  victime  d'une 
manière  réelle,  ils  doivent  au  moins  s'en 
nourrir  d'une  manière  spirituelle.  Pour  cela 
ils  doivent  être  exacts  à  se  joindre  au  prêtre 
lorsqu'il  communie,  et  ils  doivent  désirer 
avec  ardeur  que  Jésus-Christ,  en  les  nour- 
rissant de  sa  chair  et  de  son  sang,  leur  com- 
munique par  de  si  saints  mystères  le  fruit 
de  sa  bienheureuse  mort. 

Voilà  les  parties  de  la  messe  et  ce  qui 
s'observe  dans  la  célébration  de  nos  mys- 
tères ;  nous  avons  la  consolation  que  nous 
suivons  fidèlement  ce  que  Jésus-Christ  nous 
a  enseigné,  et  qu'attachés  fermement  à  la 
tradition  que  nous  avons  reçue,  nous  sui- 
vons le  môme  ordre  qui  s'observait  dès  les 
premiers  temps  de  l'Eglise. 

A'ous  serez  bien  aise,  pour  vous  affermir 
de  plus  en  plus  dans  le  saint  respect  que 
vous  devez  avoir  pour  nos  mystères,  d'en- 
tendre quel  était  l'ordre  du  sacrifice  dans 
les  premiers  siècles  de  l'Eglise.  Vous  ver- 
rez quelle  a  été  sa  fidélité  à  conserver  tou- 
jours exactement  le  dépôt  que  nos  pères 
nous  ont  laissé. 

Les  saints  Pères  ont  composé  des  apolo- 
gies pour  justifier  les  chrétiens,  pour  faire 
voir  ce  qu'ils  étaient,  pour  montrer  l'inno- 
cence de  leur  culte,  et  combien  ils  étaient 
éloignés  de  commettre  les  crimes  dont  on 
les  accusait  faussement. 

Les  païens  reprochaient  aux  chrétiens 
qu'ils  célébraient  des  mysières  cruels, 
dans  lesquels  ils  faisaient  mourir  un  en- 
fant. L'immolation  de  la  chair  et  du  sang 
de  Jésus-Christ,  qui  se  fait  dans  nos  saints 
mysières, et  le  bonheur  qu'ont  les  chrétiens 
de  se  nourrir  de  cette  divine  chair  et  de  ce 
sang  [)récieux,  avait  sans  doute  donné  lieu 
à  celle  fausse  accusation. 

C'est  ce  qui  a  obligé  les  saints  Pères  à 
exposer  ce  qui  se  passait  dans  les  assem- 
blées, parmi  les  chrétiens,  et  comment  ils 
se  conduisaient  dans  la  célébration  de  leurs 
mysières.  Voici  comment  en  parle  saint 
Juslin  (apolog.  2,  p.  97  et  98),  qui  vivait 
au  il',  siècle,  et  comment  il  décrit  l'or- 
dre de  nos  mystères  : 

«  Le  saint  jour  de  dimanche,  tous  ceux  qui 
sont  dans  la  campagne  et  qui   demeurent 

(oniiniiiiicarciil.   >  (Scss.  22    De    maifiào  Miss(e, 
cq».  0.) 


Î5H 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT 


1312 


dans  les  villes,  s'assemblent  dans  le  môme 
lieu.  »  Voilà  l'origine  de  ces  .issembléesqui 
se  font  f)armi  nous  le  jour  du  dimanche. 
C'est  ce  qui  fait  voir  comment  ces  assem- 
blées doivent  être  respectées,  et  que  les 
vrais  fidèles  doivent  être  très-exacts  à  s'y 
rendre. 

Saint  Justin  continue.  «  On  lit  dans  l'as- 
semblée les  écrits  des  prophètes  et  des  apô- 
tres Inondant  un  certain  temps  qui  doit  être 
consacré  à  ces  saintes  lectures.  » 

Nous  faisons  encore  ces  lectures,  et 
nous  les  puisons  dans  les  mêmes  sources. 

«Après  que  les  lectures  sont  finies,  ajoute 
saint  Justin,  l'évêque  ou  Je  prêtre  qui  pré- 
side dans  l'assemblée  fait  un  discours  pour 
instruire  le  peu[)le  et  pour  l'animer  à  pra- 
tiquer Ips  vertus  qui  conviennent  aux  vé- 
ritables chréliens.  » 

De  là  il  résulte  que,  selon  l'ancien  usage 
de  l'Eglise,  l'jnslruction  n'était  jam;\is 
omise  dans  la  célébration  de  nos  mystères. 
Un  chrétien  qui  veut  passer  saintement 
le  dimanche,  doit  être  exact  à  se  nourrir 
de  la  sainle  parole.  L'instruction  dans  les 
premiers  temps  était  regardée  comme  par- 
tie de  la  messe.  11  est  encore  reconim;uidé 
aux  pastenrs  d'expliquer  à  leur  peu|)le  les 
vérités  contenues  dans  la  parole  de  Dieu. 
Ceux-là  sont  très-criminels  qui  s'éloignent 
de  celle  sainle  et  ancienne  pratique,  et  qui 
laissent  mourir  le  peuple  de  faim,  jiarce 
qu'ils  négligent  de  lui  distribuer  le  jiain  de 
la  parole  du  Seigneur. 

Quand  l'inslruclion  était  finie,  tous  se 
îevuient.  L'assemblée  retentissait  de  |)rières 
et  de  vœux.  Puis  on  offrait  le  pain  et  le  vin 
mêlé  d'eau.  Voilà  l'oblation,  et  vous  voyez 
encore  le  môme  ordre  exactement  observé 
dans  nos  assemblées. 

Le  président  de  rassemblée  renouvelle 
ses  efforts,  en  poussant  des  vœux  vers  le 
ciel  et  en  rendant  giûces  au  Tout-Puissant. 
C'était  dans  le  cours  de  ces  prières  que  se 
faisait  la  consécration  qui  est  la  partie  prin- 
oi()ale  du  sacrifice.  Car  saint  Justin  marque 
dans  la  suite  qu'après  ces  piières  on  élait 
persuadé  que  le  pain  et  le  vin  devenaient 
la  chair  et  le  sang  de  Jésus-Christ.  Telle 
était  la  loi  de  la  primitive  Eglise  que  nous 
conservons  inviolablement  Nous  sommes 
persuadés  que  le  pain  et  le  vin  deviennent 
la  chair  et  le  sang  de  Noire-Seigneur.  Et 
c'est  ce  qui  a  toujours  été  cru  dans  l'Eglise 
chrétienne. 

La  consécration  élait  suivie  de  la  com- 
munion. Ceux  qui  éiaient  présents  partir 
cipaient  aux  saints  mystères.  Les  diacres 
les  portaient  à  ceux  qui  rr'avaient  pu  se 
rendre  à  l'assemblée. 

Voilà  les  trois  parties  de  la  messe  clai- 
rement marquées.  Ce  que  nous  faisons  au- 
jourd'hui s'est  toujours  observé.  Nous  sui- 
vons la  route  qui  nous  a  été  marquée  par 
les  apôtres  et  par  leurs  successeurs. 

Il  n'y  aurait  rien  à  souhaiter,  sinon  que 
coiume  nous  avons  conservé  fidèlement  le 
dépôt  sacré  de  la  doctrine  et  l'ordre  des 
céréoionies,  aussi  nous  eussions  eu  la  mémo 


exactitude  à  nous  maintenir  dans  l'esprit 
de  la  religion  et  de  la  piété,  dont  les  [ire- 
miers  chrétiens  nous  ont  laissé  des  témoi- 
gnages si  édifiants. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  saint  que  les  mys- 
tères que  nous  oEfrons.  Mais  nos  disposi- 
tions répondent-elles  à  la  sainteté  de  nos 
mystères  ?  Qu'il  y  a  peu  de  prêtres  qui  en- 
trent dans  les  dispositions  que  demandent 
des  myslères  si  saints  1  C'est  ce  que  vous 
allez  voir  dans  la  seconde  partie  de  ce  dis- 
cours, où  je  dois  vous  parler  de  la  prépa- 
ration nécessaire  pour  bien  célébrer  la  sainte 
messe. 

deuxié:me  point. 

Il  faut  d'abord  établir  qu'il  y  a  deux  sor- 
tes de  préparations  pour  bien  entrer  dans 
l'esprit  de  nos  mystères  et  pour  les  célé- 
brer avec  fruit.  Il  y  a  une  préparation  qu'on 
appelle  éloignée,  et  il  y  en  a  une  autre  que 
l'on  nomme  prochaine. 

Par  la  préparation  éloignée  dont  je  vais 
conmiencer  à  vous  parler,  on  entend  le 
genre  de  vie  chrétienne  et  ecclésiastique 
que  doit  mener  un  prêtre  pour  ôlre  en, étal 
d'ap|MOcher  des  saints  autels. 

Ce  serait  une  erreur  très-grossière  que 
de  se  persuader  qu'on  est  préf)aré  à  célé- 
brer les  saints  mystères,  lorsqu'on  a  soin, 
avant  cette  sainte  action,  de  se  recueillir 
pendant  quelque  espace  de  temps,  ou  bien 
lorsque  se  sentant  coupable  de  péché  on  a 
recours,  pour  en  être  purifié,  à  ceux  qui 
ont  reçu  de  Jésus-Christ  le  pouvoir  de  re- 
mellre  les  péchés. 

Je  dis  que  beaucoup  de  prêtres  qui  se 
confessent  exactement,  qui  se  recueillent 
et  (|ui  sont  occupés  de  la  grande  action  à 
laquelle  ils  se  préparent,  ne  laissent  pas  de 
célébrer  les  saints  mystères  d'une  manière 
très-indigne  et  pour  leur  propre  condam- 
nation. 

Car,  ce  que  nous  devons  particulièrement 
observer,  c'est  de  voir  si  la  première  et  la 
principale  disposition  est  en  nous.  L'essen- 
tielle préparation,  c'est  de  mener  une  vie 
sainte  et  ecclésiastique.  Sans  cela  n'entre- 
prenez point  de  célébrer  les  saints  mystè- 
res, vous  en  êtes  indigne.  Si  vous  osez  ap- 
procher de  l'autel,  vous  ne  ferez  qu'aug- 
menter le  nombre  de  vos  iniquités. 

11  n'y  a  que  les  [irêtres  qui  sont  saints 
qui  peuvent  approcher  des  saints  autels. 
Les  choses  saintes  sont  pour   les  saints. 

Je  vous  l'ai  fait  voir  dans  d'autres  dis- 
cours, les  ecclésiastiques  doivent  être  des 
saints  ;  c'est-à-dire  que  leur  vie  doit  être 
très-sainte,  très-exacte,  conforme  aux  rè- 
gles du  christianisme  et  aux  principes  de 
la  vie  ecclésiastique.  C'est  là  en  quoi  con- 
siste la  sainteté,  et  c'est  là  ce  qui  dispose 
les  ecclésiastiques  à  célébrer  dignement  nos 
redoutables  mystères. 

«  Cet  aliment,  dit  saint  Justin  (apol.  23,  p. 
97}  ensuite  des  belles  paroles  quejevousai 
rapportées,  «  est  appelé  eucharistie.  II  n'est 
permis  do  s'en  nourrir  qu'à  celui  qui  croit 
toutes  les  vérités  que  Jésus-Christ  a  cnsei- 


4315 


RETRAITE  ECCLE 


gnées  el  qui  mène  une  vie  fonfornie  niix 
saintes  maximes  qu'il  nous  a  laissées  dans 
son  Evangile.  » 

Saint  Justin  parie  des  dispositions  r\6- 
cessaires  pour  se  nourrir  de  l'eucliarislie. 
Remarquez  ces  paroles  :  «  Il  n'est  permis 
d'en  approcher  qu'à  celui  qui  croit,  »  etc. 
Selon  saint  Justin,  pour  approcher  digne- 
ment de  l'eucliarislie,  il  est  nécessaire  de 
mener  une  vie  conforme  aux  saintes  maxi- 
mes de  l'Evangile.  Saint  Justin  assure  que 
celte  disposition  n'est  pas  moins  nécessaire 
que  la  foi. 

Un  prêtre  donc  qui  veut  célébrer  digne- 
raent  les  saints  mystères,  doit  commencer 
par  l'oxamen  de  sa  vio,  et  voir  si  elle  est 
conforme  aux  saintes  maximes  que  Jésus- 
Christ  a  enseignées. 

Que  penserons-nous  de  tant  de  prêtres 
qui  approchent  des  saints  autels  et  dont  la 
vie  n'est  point  conforme  aux  maximes  de 
Jésus-Christ? 

Un  piôlre  ambitieux  suit-il  les  maximes 
de  Jésus-Christ?  Peut-il  se  présenior  de- 
vant les  autels  pour  y  oflrir  Jésus-Christ 
anéanti  jusqu'à  prendre  la  forme  de  serviteur? 
Combien  yen  a-t-il  qui,  pour  me  servir  des 
termes  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  (oral, 
10,  [).  165),  gémissent  sous  la  servitude  d-j 
ce  cruel  tyran,  l'ambition,  el  qui  néan- 
moins ne  s'abstiennent  pas  d"excrt;er  les 
plus  saintes  fondions?  On  vous  voit  à  l'au- 
îe],  et  cependant  on  sait  que  vous  nourris- 
•sez  dans  voire  cœur  des  sentiments  d'am- 
bilion,  que  vous  soupirez  après  les  digni- 
tés, que,  pour  y  parvenir,  vous  employez 
les  sollicitations,  le  crédit,  les  brigues  et 
toutes  sortes  d  intrigues  ;  que  voire  ûme  est 
rongée  d'ennuis  parce  que  vous  trouvez  les 
portes  fermées,  et  que  de  puissants  concur- 
rents vous  ont  éié  préférés,  quoique  vous 
prétendiez  les  surpasser  en  mérite. 

Comment  pouvez- vous  vous  aveugler 
jusqu'à  vous  persuader  ou  que  vous  n'êtes 
point  ambitieux,  ou  que  l'ambition  n'est 
point  un  crime,  ou  que  ce  crime  n'est  point 
un  obstacle  qui  doive  vous  éloigner  de 
l'exercice  de  vos  fonctions,  et  particulière- 
ment de  la  célébration  de  nos  mystères. 

Croyez-vous  être  en  étal  d'otfrir  Jésus- 
Christ  pendant  que  vous  prodiguez  les  re- 
venus ecclésiastiques  et  que  vous  en  faites 
nn  si  pernicieux  usage?Ces  biens  ecclésias- 
tiques, à  qui  appartiennent-ils?  Sont-ils  à 
vous?pensez-vous  en  être  le  maître  absolu? 
L'illustre  père  de  saint  Gréjjoire  de  iNa- 
zianze  élait  dans  un  sentiujent  enlièremont 
opposé  au  vôtre.  Dans  l'éloge  que  cet  ad- 
mirable lilsnous  a  laissé  de  ce  grand  évo- 
que, il  le  loue  particulièrement  de  la  sage 
Uistribulion  qu  il  faisait  de  ses  revenus.  11 
s'en  considérait,  dit  saint  Grégoire  de  Na- 
ziaiize,  non  pas  comme  le  luaîlie,  niais 
comme  le  dispensateur,  il  ne  se  contentait 
pas  de  distribuer  aux  pauvres  son  superlîu, 
il  se  retranchait  sur  son  nécessaire  alin  de 
les  soulager  plus  libéra'ement  dans  tous 
i'.u.'s  besoins.  (Orat.  19,  p.  298.) 
Tous  les  saints  Pères  de  l'Éj^lise  ont  pro- 


S.  —  XX,  LA  MESSE.  1314 

nonce  d'une  voix  unanime,  que  vous  n'êtes 
que  des  économes.  Vous  les  entendez  uni- 
versellement s'élever  contre  vous,  et  vous 
reprendre  de  ce  que  vous  enlevez  aux  pau- 
vres un  bien  qui  vous  est  conlié  afin  quo 
vous  leur  en  fassiez  la  distribution  selon 
leurs  besoins. 

Cet  ecclésiastique  s'accusera  d'une  faute 
très-légère.  Il  se  croirait  coupable  s'il   al- 
lait h  l'autel  sans  l'avoir  déclarée,  el  il   ne 
se  fuit  aucun   reproche    de  dépouiller  les 
pauvres    qui    languissent  dans    la   misère, 
pendant  qu'il  vil  largement  et  qu'il   ne  re- 
fuse rien  à  sa  délicatesse.  Voilà  île  ces  hom- 
mes dont  le  Fils  de  Dieu  a  parlé,  qui  ont 
grand  peur  d'avaler  un  moucheron,  et  qui 
avalent   un   chameau    (Matlh.,  XXIIl,  24.) 
sans  y  f»rendre  garde  et  sans  en  être  elïrayés. 
Celui  quo  je  vois  à  l'autel  est  un  pasteur 
qui  s'acquitte  très-négligemment  de    tous 
ses  devoirs,  qui  reçoit  le  revenu,  et  qui  se 
décharge  de  ses  fonctions  sur  d'autres  liom- 
mes,    qu'il     récompense     très-légèremenl. 
C'est  un  pasteur  qui  n'instruit  point  et  qui 
est  peut-être   incapable  de  s'acquitter    de 
cette  importante  fonclion.  C'est  un  pasteur 
ennemi  du  travail   et  de  toute    contrainte, 
qui  connaît  bien  les  prérogatives  d'honneur 
atlachées  à  son   emploi,   mais  qui  a  grand 
soin  de  se  dissimuler  ses   obligations.  Un 
pasteur  de  ce  caractère  est-il    en    état  d'a- 
paiser Dieu    en  offrant   la   sainte  victime? 
Que   j'ai  bien  |ilulùl  lieu  d'assurer  qu'il  ir- 
rite Dieu  [)ar  le  criminel  abus  qu'il  fait  de 
ce  qu'il  y  a  de   plus  saint  dans  la  religion. 
Celui  qui   approche  des  sainis  aulelsdoit 
mener  une  vie  chrétienne.  Sa  vie  donc  doit 
ôlre  détachée   des   choses    de    la  terre.  Le 
prêtre  marque  assez  la  nécessité  de   co  dé- 
tachement quand  il   prononce  ces  paroles  : 
«  Que  vos    cœurs    soient    élevés  en    haut  1 
Qu'est-ce  qu'un  cœur  éievé  en  haut?  C'est 
un   cœur   qui  recherche  ce   qui  est  dans  le 
ciel,  où  J ésus-Christ i  est  assis  à  la  droite  de 
Dieu.  C'est  un  cœur  qui  na  d'affection  que 
pour  les  choses  du   ciel,   et  qui  n'en  a  plus 
pour  celles  de  la  terre.  (Col.,  111, 1.)  Saint  Chry- 
sostome   dit  (hora.   24    in  I   ad  Cor.)    que 
les  chrétiens  qui  se  nourrissent  de  l'euclia- 
rislie,   doivent    ressembler   à  des    aigles,' 
qu'ils  doivent  s'élever  en    haut   et  n'avoir 
plus  rien  de  commun  avec  la   terre.    Il  faut 
donc  bannir  des   saints  autels    les  prêtres| 
intéressés,    criminellement    attachés    aux 
biens  de  ce  monde,  et  qui  servent  l'argent' 
plutôt  que  Jésus-Christ. 

Est-ce  une  vie  ecclésiaslique  que  la  vie 
de  ces  prêtres  oisifs  qui  languissent  dans 
la  mollesse,  qui  ne  rcs[)irent  que  Je  plaisir, 
qui  remplissent  les  places  |)ubliques,  et 
(lonf  toutes  les  occupations  sont  séculièies 
et  profanes?  Ils  récitent  l'office,  ils  célèbrent 
la  messe,  n'en  exigez  pas  davantage  d'eux. 
Après  cela  ils  croient  être  les  maîtres  do 
leur  temps.  Ne  leur  demandez  ni  étude,  ni 
lecture,  ni  conférence  pieuse,  ni  aucun  tra- 
vail [)Our  l'utilité  du  prochain.  De  teis  prê- 
tres ai';)rochenl  lou^  les  jours  des  aute'«. 
Le  peuveni-ils  faire?  Qu'ils  consulteal  Lieu 


1313 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


)5IS 


et  qu'ils  entendent  co  qu'il  prononce  de 
Jeurs  prières  el  de  leurs  sacrifices  :  A^e 
m'offrez  plus  de  sacrifice  inutilement,  votre 
encens  m'est  en  abomination,  je  ne  puis  souf- 
frir vos  fêles,  je  hais  vos  solennités,  elles  me 
sont  devenues  à  charge  et  je  suis  las  de  les 
souffrir.  {Isa.,  I,  13.) 

Que  dirons-nous  de  tant  d'autres  qui, 
beaucoup  plus  criminels  que  ceux  doni  je 
Tiens  de  parler,  perdent  absolument  tout 
respect  pour  les  choses  saintes,  et  ne  crai- 
gnent point  de  profaner  ouverlemcnl  le 
sang  de  Jésus-Christ? 

Voici  ce  qui  ne  peut  être  assez  pleuré, 
pour  peu  que  l'un  ait  de  crniute  du  Sei- 
gneur et  de  respect  pour  les  saints  mystères 
de  la  religion.  Des  prêtres  qui  devraient 
être  des  saints  seront  des  profanes,  des 
mondains,  des  hommes  sensuels,  et  quel- 
quefois même  des  méchants  et  des  impies. 
Ces  hommes  sans  sainteté,  ces  hommes 
noircis  de  crimes  approcheront  de  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  saint  dans  la  religion.  Quel 
endurcissement  !  quelle  profanation  !  Com- 
ment ces  hommes  criminels  n'aperçoivent- 
ils  point  l'ange  du  Seigneur,  qui  est  à  la 
porte  du  temple  avec  une  épée  de  feu  pour 
leur  en  défendre  l'entrée?  {Gen.,  III,  2i.) 
On  ne  peut  trop  élever  sa  voix  pouc  leur 
faire  entendre  que  s'ils  sont  assez  osés  pour 
célébrer  les  saints  mystères,  c'est  contre  la 
volonté  du  Seigneur  qui  les  rejette,  qui  les 
réprouve,  qui  leur  déclare  qu'il  est  très- 
irrilé  de  la  violence  qu'ils  osent  faire  au 
corps  et  au  sang  de  Jésus-Christ. 

Ah  1  si  l'on  connaissait  quelle  doit  être  la 
sainteté  d'un  prêtre,  et  combien  celle  sain- 
teté est  nécessaire  pour  exercer  dignement 
les  grandes  et  importantes  fondions  du  sa- 
cerdoce, que  de  prêtres  qui  se  retireraient 
du  saint  autel  ! 

Qu'ils  songent  à  changer  de  vie,  à  réfor- 
mer leurs  mœurs  à  se  dépouiller  de  ce  qui 
est  en  eux,el  à  acquérir  ce  qui  leur  man- 
que. Ils  reçoivent  l'auteur  de  la  vie,  et  ils 
sont  dans  un  état  de  mort.  Comment  le 
leçoivent-ils,  pour  leur  condamnation?  y/s 
mangent  et  ils  boivent  leur  jugement.  «  Que 
celui-là,  dit  saint  Ambroise,  change  de  vie 
q;ii  veut  recevoir  celui  qui  est  la  vie.  Car 
s  il  ne  change  [las  de  vie,  il  recevra  pour  sa 
condamnalion  celui  qui  est  le  principe  de 
la  vie.  Bien  loin  d'être  guéri,  sa  maladie 
augmentera.  Bien  loin  de  trouver  la  vie,  il 
se  donnera  la  mort  (265).  » 

Voyez  dans  quelle  extrémité  malheu- 
reuse se  réduit  celui  qui  approche  des 
saints  autels  sans  avoir  celte  sainteté  ab- 
solument nécessaire  pour  y  participer  avec 
fiuil.  Il  s'empoisonne,  il  se  donne  la  mort. 
Semblable  à  ces  malades  eu  qui  lout  se  con- 
vertit en  corruption,  il  change  en  poison 
Jes  remèdes  les  plus  salutaires,  qui  de- 
vraient opérer  sa  guérison  et  lui  rendre  la 
vie.  La  source  de  tous  ces  malheurs   c'est 

(265)  €  Miitetvit.itn  qui  vult  acciperc  vitam  :  nâni 
si  non  muiai  vitam,  ad  judicium  accipiet  vitam,  et 
mag  s  ex  ipsa  corriiinpiuir  q'iaiii  sa  etur,   majis 


la  malignité  do  son  cœur,  c'est  que  sa  vie 
n'est  point  sainte,  c'est  qu'il  veut  allier  en- 
semble en  qui  ne  peut  être  joint,  savoir 
Jésus-Christ  l'auteur  de  toute  sainteté  et  le 
péché  mortel. 

Voici  donc  en  quoi  je  fais  consister  la 
préparation  essentielle  pour  célébrerdigne- 
raenl  les  mystères  de  Jésus-Christ. 

il  faut  en  premier  lieu  avoir  renoncé  à 
tous  les  excès  contraires  à  la  sainteté  de  la 
vie  ecclésiastique. 

Il  faut  en  second  lieu  examiner  les  de- 
voirs de  son  état,  et  être  dans  la  disposition 
de  s'en  acquitter  avec  fidélité. 

Il  faut  enfin  remplir  saintement  ses  jours 
et  s'occuper  de  bonnes  œuvres. 

Voilà  les  grandes  dispositions  où  doit 
entrer  un  chrétien  et  un  prêtre  pour  traiter 
dignement  les  mystères  de  Jésus-Christ.  Ces 
dispositions  sont  grandes.  Mais  [)eut-on  en 
moins  demander ,  quand  on  fait  attention  h 
la  sainteté  de  nos  mystères?  Avec  toutes  ces 
dispositions,  un  chrétien  n'avouera-t-il  pas, 
que  Jésus-Christ  lui  fait  un  honneur  trop 
grand  ,  lorsqu'il  veut  bien  se  communiquer 
à  lui?  C'est  Jésus-Christ  que  vous  recevez 
et  qui  vient  dans  votre  âme.  Donc  vous  ne 
pouvez  assez  faire  d'efforts  pour  la  purifier 
et  pour  la  rendre  digne  de  recevoir  celui 
qui  est  la  sainteté  même. 

Je  n'ai  encore  parlé  que  des  dispositions 
éloignées  et  du  genre  de  vie  que  doit  em- 
brasser un  prêtre  pour  approcher  digne- 
ment des  saints  autels. 

Outre  ces  dispositions  éloignées,  il  y  a 
encore  la  préparation  prochaine,  qui  est 
celle  dans  laquelle  un  ecclésiastique  doit 
entrer,  lorsqu'il  est  près  de  célébrer  les 
saints  mystères. 

Pour  lors  il  doit  se  recueillir,  considérer 
attentivement  la  sainte  action  qu'il  médite 
de  faire,  el  se  remplir  l'esprit  de  la  gran- 
deur de  nos  mystères. 

Pour  entrer  dans  celle  disposition  il  est 
nécessaire,  avant  que  d'approcher  de  l'au- 
tel, de  prendre  un  temps,  pendant  lequel 
on  s'applique  sérieusement  à  rappeler  son 
esprit  à  Dieu,  et  à  lui  demander  les  grâces 
dont  nous  avons  besoin,  pour  nous  bien 
conduire  dans  la  plus  importante  fonction 
de  notre  n)inistère. 

Plus  l'action  est  grande,  plus  elle  est  dif- 
ficile, plus  nous  avons  besoin  de  grâce  pour 
y  bien  réussir.  Le  vrai  moyen  pour  les  ob- 
tenir, n'est-ce  pas  de  les  demander  avec 
ferveur  à  celui  de  qui  vient  toute  grâce  ex- 
cellente et  tout  don  parfait  ?  Que  ce  soit 
donc  là  votre  règle,  el  suivez-la  fidèlement. 
N'approchez  jamais  du  saint  autel,  que  vous 
n'ayez  pris  un  temps  raisonnable  pour  vous 
recueillir  et  pour  implorer  le  secours  du 
Seigneur. 

Que  prononcerez-vous  de  ces  ecclésiasti 
ques  qui   vont  à   l'autel   sans  préparation  ? 
Leur  esprit  est  plein  des  atfaires  séculières, 


occiditur,  quam  vivificelur. 

Advent.) 


(Serm.  4  Dominic. 


i5l7 


RETRAITE  ECCEES.  —  XX,  LA  MESSE. 


dos  nouvelles  du  monde,  et  je  les  vois  lout 
d'un  coup  sans  avoir  [)ris  aucun  temps  pour 
se  vider  des  choses  de  la  terre,  passer  de  la 
place  publique  .'i  l'autel.  De  quoi  s'occupera 
pendant  la  [célébration  des  saints  mystères 
cet  homme  tout  plein  des  affaires  du  siècle  ? 

Je  suis  extrêmement  oITensé,  lorsque  dans 
le  lieu  même  d'où  l'on  ne  sort  que  pour 
aller  immoler  la  victime  ,  j'enlends  un  mur- 
mure confus.  Les  nouvelles  du  monde  sont 
toute  la  matière  des  entretiens.  Souvent 
même  j'enlends  un  bruit  qui  marcpie  de  l'ai- 
greur et  des  contestations. 

Mais  je  suis  encore  beaucoup  plus  of- 
fensé, lursipie  m'npprociiant  de  ()liis  [)rès  , 
je  deviens  moi-même  le  témoin  d'un  i^rand 
nombre  d'irrévérences.  Alors  j'!if)eiçois 
des  prôlres  presque  entièrement  révolus,  qui 
n'attendent  plus  que  le  moment  auquel  ils 
seront  apf)elés,  et  qui  continuent  encore  à 
s'entretenir  dos  atfaires  du  siècle.  J'a- 
perçois même  des  disputes  qui  ont  pour 
principe  un  intérêt  léger,  ou  quelque 
préférence  dont  on  croit  avoir  droit  de  .s'of- 
fenser. 

Enlin  l'heure  arrive,  et  l'on  va  à  l'autel 
avec  un  osprit  dissipé  et  quelipiefuis  même 
plein  d'aigreur.  Arrêtez  et  n'ovancez  pas 
davantage,  ayez  une  jilus  noble  idée  de 
notre  sacrifice,  concevez  qu'une  si  sainte 
action  demande  une  autre  préparation  que 
colle  que  vous  avez  ap|)ortée.  Vous  allez 
oDTrir  la  victime  de  projjilialion  ,  et  par  la 
mauvaise  disposition  de  votre  cœur,  vous 
irriterez  Dieu  et  vous  attirerez  sur  vous  les 
effets  redoutables  de  ses  plus  terribles  ven- 
geances. 

Un  prêtre  qui  vaà  l'autel  sans  préparation, 
n'est  guère  en  état  d'édifier  lorsqu'il,  célè- 
bre nos  mystères.  Ordinairement  c'est  une 
vue  égarée,  c'est  une  extrême  précipitation. 
Gn  lit  sur  le  visage  de  cet  licmme  que 
..son  esprit  et  son  cœur  ne  sont  point  occu- 
pés de  la  sainteté  de  nos  mystères.  Vou- 
driez-vous  traiter  des  affaires 'du  siècle  avec 
une  pareille  précipitation  ?  Ridicule  point 
d'honneur,  vanité  pleine  de  folie!  Quelle 
gloire?  qui  la  peut  inspirer  que  le  prince  des 
ténèbres?  Se  piquer  que  ion  surpasse  les 
■autres  en  vitesse,  et  s'en  faire  un  mérite. 

La  véritable  règle  que  doit  suivre  un 
piètre  touché  d'un  saint  désir  de  soutenir 
son  caractère  dans  toutes  ses  actions  ,  c'est 
de  prendre  garde  lorsqu'il  est  à  l'autel  à  ne 
tomber  dans  aucun  excès.  Ainsi  il  doit  ég;;- 
lement  éviter  et  la  lenteur  et  la  précipita- 
tion. La  lenteur  rebute  les  assistants  ,  et 
jteut  même  être  cause  que  leur  piété  s'affai- 
blisse. La  précipitation  offense  et  est  insup- 
portable aux  âmes  pénétrées  do  la  sainteté 
de  nos  mystères.  Maisquand  un  prèlre  évite 
ces  excès,  quand  il  prononce  avec  giavité  , 
qud  toutes  les  cérémonies  sont  dans  leur 
ordre;  quand  on  voit  un  homme  attentif, 
modeste,  recueilli,  qui  fait  voir  par  toute 
sa  conduite  la  haute  idée  qu'il  a  de  nos 
mystères,  les  assistants  sont  édifiés,  ils  sont 
plus  disposés  à  se  recueillir  eux-mêmes,  et 
a  eiiiroi  dans  l'esprit  de  [)iélé  .si  nécessaire 


1518 

pour  recevoir  les  grâces  que  Dieu  répand 
abondamment  sur  ceux  qui  assistent  è  nos 
redoutables  mystères  dans  de  saintes  dis- 
positions 

Une  action  qui  doit  être  précédée  d'une  si 
grande  préparation ,  demande  aussi  sans 
doute  du  recueillement,  lorsqu'elle  est  finie. 
Il  ne  convient  pas  qu'un  prêtre ,  aussitôt 
après  qu'il  a  célébré  les  saints  mystères , 
abandonne  le  Seigneur,  pour  entrer  en  com- 
merce avec  les  hommes.  Ce  serait  sans 
doute  témoigner  bien  peu  d'estime  pour  les 
choses  saintes.  Quel  bienfait  méritera  des 
actions  de  grâces,  si  l'on  n'en  rend  pas  au 
Soigneur  lorsqu'il  a  bien  voulu  nous  per- 
mettre de  traiter  de  si  saints  mystères? 

Un  homme  du  monde  serait-il  excusable, 
qui  au  sortir  de  la  sainte  table  se  dissipe- 
rait dans  des  entretiens  séculiers?  Vous 
donc  n(!  l'êtes  point,  qui  aussitôt  après  la 
célébration  des  mystères  courez  à  la  nourri- 
ture corporelle.  On  dirait  qu'une  vue  si 
basse  et  si  terrestre  est  cause  que  vous  hA- 
tez  vos  dévotions.  Souvent  même  vous  no 
craignez  point  dé  vous  en  expliquer,  el 
vous  n'avez  point  de  honte  de  manifoslcr 
do  si  indignes  sentiments. 

Demeurez  pendant  quelque  temps  dans  le 
lieu  saint.  Repassez  les  miser, cordes  du 
Seigneur.  Songez  aux  grandes  choses  qu'il 
vient  de  faire  en  vous.  Rendez  des  actions 
de  grâces  qui  répondent  à  l'excellence  du 
bienfait. 

Enfin  après  avoir  rendu  grâces  ,  sortez  du 
temple,  et  si  vous  êtes  obligés  de  retour- 
ner dans  le  siècle,  vivez-y  comme  le  doit 
faire  celui  qui  est  comblé  des  grâces  du  Sei- 
gneur, qui  vient  de  participer  aux  plus  au- 
gustes mystères,  et  qui  médite  encore  dans 
peu  de  temps  de  revenir  dans  le  lieu  saint 
[)Our  offrir  le  même  sacrifice,  et  pour  être 
nourri  de  la  môme  victime. 

Voilà  ce  que  j'avais  à  vous  dire  sur  l'ex- 
cellence de  la  messe,,  et  la  préparation  né- 
cessaire pour  la  célébrer  avec  fruit. 

La  principale  utilité  que  vous  devez  reti- 
rer de  cette  instruction  ,  c'est  de  vous  con- 
vaincre tous  les  jours  de  plus  en  plus  de 
l'excellence  de  nos  mystères,  et  de  travail- 
ler en  môme  temps  à  vous  sanctifier,  puis- 
que c'est  le  seul  moyen  do  rendre  agréables 
à  Dieu  les  sacrifices  que  vous  lui  offiez. 

Quand  je  vous  ai  fait  voir  qu'il  fallait  de 
grandes  i)ré()arations  pour  approcher  des 
saints  autels,  mon  dessein  n'a  pas  été  de 
vous  faire  [)rendre  la  funeste  résolution  de 
vous  en  éloigner,  f)arce  que  vous  sentez 
bien  que  votre  vie  n'est  ni  assez  pure  ,  ni 
assez  sainte,  pour  immoler  une  si  sainio 
victime. 

11  est  vrai  que  c'est  un  très-grand  mal- 
heur que  d'ap()roclier  ide  nos  autels  avec 
d'aussi  mauvaises  dispositions  que  l'on  en 
remarque  dans  un  grand  nombre  de  prêtres. 
Combien  y  a-l-il  do  ces  hommes  profanes 
et  séculiers  qui  sont  coupables  de  la  profa- 
nation du  corj/s  et  du  sang  de  Notre-Soi- 
giieur,  qui  mangent  el  boivent  leur  con- 
damn-ation?  (i  Cor.,  XI,  29  ) 


1319 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1520 


Mais  c'est  encore  une  autre  uxUdmilé 
qui  est  Irès-fâcheuse  pour  un  ()rêtre,  que 
celle  de  n'oser  approclier  de  l'aulel.  Qu'est- 
ce  qu'un  sacrificateur  qui  ne  peut  olFrir  le 
sacrifice?  Qu'est-ce  qu'un  prêtre  qui  n'est 
point  en  état  d'exercer  la  [)Ius  sainte  de  ses 
fonctions  ? 

O  vous  qui  connaissez  les  plaies  de  votre 
âme,  gardez-vous  bien  d'approcher  de  l'au- 
tel. Mais  en  mênae  temps  plaignez  votre  mal- 
heur. Quel  aveuglement,  quel  endurcisse- 
ment, si  vous  demeurez  tranquilles  dans 
voire  état?  Un  prêtre  séparé  de  l'autel,  c'est 
l'état  le  plus  malheureux,  le  plus  violent, 
le  plus  insupportable  où  puisse  être  réduit 
un  prêtre  qui  connaît  ce  qu'il  est ,  et  ce  que 
Dieu  demande  de  lui. 

Qu'avez-vous  donc  à  faire?  Travaillez 
sans  perdre  de  temps  à  sortir  de  voire 
malheureux  état.  Prenez  de  justes  mesures 
j)0ur  vivre  en  prêtre.  Quelle  condition  plus 
heureuse  que  celle  d'un  prêtre  qui  connaît 
ses  obligations,  et  qui  n'omet  rien  pour  y 
satisfaire  ? 

Prêtres  du  Seigneur,  et  qui  seuls  méritez 
véritablement  le  nom  de  prêtre,  no  craignez 
point,  venez  avec  confiance,  approchez  de 
l'autel,  que  ce  soit  votre  plus  douce  conso- 
lation. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze,  faisant  l'éloge 
de  son  père  (oral.  19,  p.  315),  dit  que 
ce  sîiint  homme,  accablé  de  maladies,  trou- 
vait toute  sa  force  et  toute  sa  consolation  dans 
la  célébration  des  saints  mystères.  Quand  il 
sortait  del'autel  et  qu'il  s'était  nourri  de  la 
sainte  victime  qu'il  avait  offerte,  il  semblait 
qu'il  était  absolument  guéri. 

Quoi  de  plus  avantageux,  que  do  pré- 
senter à  Dieu  une  victime  si  sain'.e ,  que 
d'être  uni  si  intimement  à  Jésus-Christ,  que 
d'attirer  ses  grâces  et  sur  soi-même  et  sur 
son  peufile  ?  Persévérez  donc  dans  la  sainte 
jiralique  d'offrir  5  Dieu  le  plus  souvent  qu'il 
vous  est  possible  Jésus-Christ  son  Fils 
unique.  Considérez  cette  gi'âce  que  Dieu 
vous  fait,  comme  le  plus  précieux  gage  que 
vous  puissiez  recevoir  de  son  amour  i)en- 
dant  le  temps  de  cet  exilj  etjusqu'à  ce  que 
vous  soyez  parvenu  à  la  patrie  bienheu- 
reuse, où  Jésus-Christ  se  montrera  à  vous, 
non  plus  caché  sous  un  voile  ,  mais  claire- 
ment et  à  découvert,  pour  être  votre  bon- 
heur éternel. 

DISCOURS  XXI. 

DE     LA      PRÉDICATION. 

Dieu,  qui  est  infiniment  sage  dans  tous 
ses  conseils  et  dans  tous  les  moyens  qu'il 
emploie  [)our  exécuter  ses  grands  <lessoiiis, 
a  choisi  la  voix  de  la  prédication  pour  per- 
pétuer la  véritable  religion  dans  laquelle 
Jl  veut  être  adoré  et  servi.  Dans  tous  les 
temps  il  a  suscité  des  hommes  à  qui  il  a 
commandé  d'annoncer  la  loi  et  d'expliquer 
ses  saintes  volontés.  Les  prophètes,  dans 
l'ancienne  loi,  se  sont  acquittés  de  ce  minis- 
tère avec  un  zèle  qu'on  ne  [)eut  assez  ad- 
niirer.  Nous  voyons  en  eux  des  hommes 
pleins  de  force   si  de  grâce,  d'une  sainteté 


consommée,  d'un  travail  infatigable,  d'un 
courage  an-dessus  de  toutes  les  épreuves 
et  de  toutes  les  persécutions. 

Jésus-Christ,  en  venant  an  monde  pour 
accomplir  la  loi,  a  aussi  perfectionné  le 
ministère  de  la  prédication.  Il  a  beaucoup 
honoré  ce  saint  liiinistère  en  l'exerçant  lui- 
môme.  Il  a  voulu  être  le  premier  prédicateur 
de  sa  loi.  Par  là  il  a  fait  voir  combien  co 
titre  estélevé,  el  l'eslime  que  nous  en  devons 
faire. 

Jésus-Christ,  après  avoir  exercé  le  minis- 
tère de  la  préilicalion,  l'a  confié  à  ceux  qu'il 
a  le  plus  aimés.  Il  a  déclaré  à  ses  apôlres  , 
que  leur  princi[)al  emploi  serait  d'annoncer 
son  Evangile.  Quand  donc  nous  voudrons 
juger  véritablement  et  sans  nous  tromper, 
nous  serons  convaincus  qu'il  n'y  a  rien  de 
plus  grand  ni  de  plus  relevé  dans  la  reli- 
gion que   le   ministère  de  la   prédication. 

Tous  les  hommes  n'en  sont  pas  con- 
vaincus. Le  pourrait-on  croire?  Il  s'en 
trouve  dans  l'îîglise  ,  qui  négligent  ce  saint 
ministère  ,  et  qui  croiraient  se  rabaisser  eu 
l'exerçant.  Souvent  nous  voyons  à  regret 
des  ecclésiastiques  très-habiles  qui.  tonibent 
dans  cette  faute.  Ils  se  taisent  et  gardent 
un  honteux  silence,  pendant  que  le  minis- 
tère de  la  prédicalion  est  exercé  par  des 
hommes  sans  capacité,  et  qui  ne  peuvent 
que  le  déshonorer. 

Voilà  deux  grandes  plaies  dans  l'Eglise, 
auxquelles  il  est  très-nécessaire  d'apporter 
de  prom[)ts  et  d'efficaces  remèdes.  Les  uns 
négligent  le  ministère  de  la  prédicalion, 
les  autres  le  profanent. 

Tâchons  de  leur  faire  voir  l'injustice  do 
leur  conduite.  C'est  ce  que  je  me  (n-opose 
dans  les  deux  parties  de  ce  discours. 

Dans  la  première,  je  traiterai  de  l'excel- 
lence du  ministère  de  la  prédication.  Dans 
la  seconde,  je  parlerai  de  la  sainleté  de  ce 
ministère.  Il  n'y  a  rien  de  plus  excellent  que 
le  ministère  de  la  prédicalion,  donc  il  ne 
doit  pas  être  négligé  ;  c'est  mon  premier 
point.  11  n'y  a  rien  de  plus  saint  que  le  mi- 
nistère de  la  prédicalion,  donc  il  ne  doit  pas 
être  |)rofané  ;  c'est  nion  second  point  cl  ton! 
le  sujet  de  ce  discours. 

PREMIER    POINT. 

J'attaque  ceux  qui  négligent  le  ministèra 
de  la  prédication  ,  qui  le  considèrent  comme 
étant  au-dessous  d'eux,  et  qui  croient  que 
ceux-là  s'avilissent  qui  exercent  cet  impor- 
tant ministère. 

Pour  les  détronqier  je  leur  fais  voir,  en 
premier  lieu,  que  Jésus-Christ  a  particu- 
lièrement chargé  ses  ajiôtres,  et  ceux  qui 
leur  doivent  succéder,  d'instruire  les  hom- 
mes et  de  leur  annoncer  les  vérités  tle 
l'Evangile. 

J'ajoute,  en  second  lieu,  que  les  apôtres , 
les  saints  et  tous  les  pasteurs  qui  ont  eu 
du  zèle,  ont  été  exacts  à  observer  la  loi 
que  le  Fils  de  Dieu  leur  a  imposée  d'an- 
noncer son  livangile. 

De  là  j'inférerai  que  la  prédication  de 
l'Evangile  est  une  des  principales  fondions 


1521 


RETRAITE  ECCLES.   —  XXI,  LA  PREDICATION. 


132i 


du  minislt^ro  ecclésiastique,  et  ce  sern  une 
troisième  raison  pour  inoiilier  que  ccux-lh 
sont  très-crirainels  qui  négligenU-etle impor- 
tante fonction. 

Commençons  par  entendre  Jùsus-Ciirist  , 
ot  voyons  les  leçons  qu'il  a  donni^es  à  ses 
iq>ôtres. 

Quand  il  les  choisit,  il  leur  rccommamlo 
parliculièrement  (i'enseigner.  Il  leur  déclare 
qu'il  les  envoie  pour  éclairer  les  hommes  , 
pour  les  instruire,  et  pour  porter  en  Ions 
lieux  les  lumières  de  l'Evangile.  Allez,  leur 
dit-il,  el  prêchez.  (Mallh.,  X,  7.) 

Quand  Jésus-Christ  est  près  de  quilter  les 
apôlres,  il  leur  répète  ce  qu'il  leur  avait 
dit  en  les  appelant  à  lui.  Il  Tes  charge  de 
nouveau  d'ailor  et  d'instruire  toutes  les  na- 
tions. Voici  les  dernières  paroles  du  Fiis 
de  Dieu,  et  il  les  prononce  sans  doute  les 
dernières,  afin  (ju'elles  fassent  plus  d'im- 
pression sur  l'esprit  de  ses  apôtres.  Allez  el 
instruisez  loufi  1rs  peuples.  [Maltli.,  XXVllI, 
19.)  Je  remarque  donc  que  la  première  et  la 
dernière  leçon  que  le  Fils  de  Dieu  donne  à 
ses  3|iù[res,  c'est  de  s'appliquer  à  l'ins- 
truction. 

Ce  que  l'on  recommande  en  premier  lieu 
est  ordinairement  ce  qui  touche  le  plus.  Les 
dernières  paroles  sont  pareillement  celles 
dont  on  veut  que  l'on  conserve  plus  [)arli- 
culièremeiil  le  souvenir.  Voyez  donc  com- 
bien le  Fils  de  Dieu  a  eu  à  cœur  que  ses 
apôtres  s'appliquassent  à  Tinstruction,  et 
qu'ils  cnmprissent  qu'une  de  leurs  princi- 
pales Gu'.igalions  était  d'annoncer  aux  hom- 
mes les  vér;lés  de  l'Evangile. 

Jésus-Christ  n'a  jamais  rien  demandé  aux 
hommes,  qu'il  ne  l'ail  pratiqué  le  premier. 
Il  les  a  toujours  animés  à  lui  obéir,  encore 
jilus  par  ses  exemples  que  par  ses  {)aroles. 
11  a  choisi  ses  apôtres  pour  annoncer  son 
Evangile.  Lui-mèrae  l'a  annoncé  le  premier 
avec  un  zèle  capable  d'encourager  les  plus 
lâches  et  de  leur  inspirer  un  saint  amour  de 
leurs  devoirs. 

Voyons  Jésus-Christ  exerçant  le  premier 
le  ministère  de  la  prédication.  Comment  se 
peut-il  faire  que  des  prêtres  négligent  ou 
méprisent  ce  que  Jésus-Christ  a  sauclitié,  ce 
que  Jésus-Clirist  a  élevé  par  son  exemple? 

Jésus-Christ  croit  qu'il  n'est  point  au- 
dessous  de  lui  de  chercher  les  homme»  et 
de  s'applitjuer  à  les  instruire.  Quelle  est 
donc  la  foiiclion  d'un  prédicateur  évangéli- 
(jue,  et  quelle  idée  avez-vous  de  son  minis- 
tère? 11  a  l'honiieur  d'avoir  Jésus-Christ 
pour  son  chef;  il  |)ratique  ce  que  le  Fils  de 
Dieu  lui  commande,  et  d  suit  les  exemples 
de  cet  admirable  chef. 

Eu  combien  d'occasions  ne  remarquez-vous 
pas  dans  l'Evangile,  Jésus-C^hrist  instruisant 
les  liommes  el  faisant  la  fonction  de  prédi- 
cateur? 

Les  prophètes  avaient  annoncé  qu  il  exer- 
cerait cette  noble  et  nécessaire  fonction.  Son 
amour  pour  les  pauvres  et  le  zèle  qu'il  devait 
avoir  pour  leur  instruction  avait  été  mar- 
qué. Les  prophètes  avaient  prédit  que  ce- 
lui qui  était  l'allente  des  nations  serait  en- 

OaàTEURS  SACHES.    LXVlll. 


voyé  pour  prêcher  l'Evangile  aux  pauvres. 

Nous  lisons  dans  l'Evangile  que  Jésus 
élnnl  ()  Nazareth  entra  selon  sa  coutume  dans 
la  synagogue.  On  lui  présenta  le  livre  du  pro- 
phète haïe  ,  et  il  y  lut  ces  paroles  :  L'Esprit 
du  Seigneur  s'est  reposé  sur  moi,  il  m'a  con- 
sacré par  son  onction.  Il  m'a  envoyé  pour 
prêcher  l'Evangile  aux  pauvres,  pour  guérir 
ceux  qui  ont  le  cœur  brisé ,  pour  annoncer 
aux  captifs  qu'ils  vont  être  délivrés ,  elc. 
(Luc,  IV,  16  et  seq.)  Jésus-Christ  fait  voir 
que  cette  propliétie  s'entend  de  lui,  et  que 
le  soin  qu'il  prend  d'aller  en  tous  lieux 
chercher  les  pauvres  pour  les  combler  des 
richesses  spirituelles,  qui  sont  les  seules 
véritables,  est  l'accomplissement  de  cette 
prophétie. 

Ecoulez  lo  Fiis  de  Dieu  dans  un  autre 
endroit  de  l'Evangile,  entreprenant  de  faire 
voir  qu'il  accomplit  tout  ce  qui  avait  été 
prédit  du  Messie,  il  veut  surtout  que  l'on 
lasse  observer  à  saint  Jean  que  VÈvangile. 
est  annonce  aux  pauvres .  (Mfl<i/i.,XI,  5.)  C'était 
donc  un  caractère  essei:tfel  du  Messie.  Il 
devait  être  un  excellent  prédicateur.  Ses  pre- 
miers elses  plus  vifs  enqjressements  devaient 
être  pour  les  [)auvres. 

Voulez-vous  voir  Jésus-Christ  faisant  ex- 
cellemment la  fonction  de  prédicateur?  Con- 
sidérez-le sur  la  montagne,  entouré  d'une 
multitude  inlinie  de  peuple,  établissant  les 
maximes  les  plus  essentielles  de  la  religion. 
Voyez  la  charilé  du  pasteur;  considérez 
}'em[)ressemeiit  du  peuple.  Le  p-asteur  se 
donne  tout  entier  à  la  fonction  piineipaledo 
son  ministère.  Le  [)euple  empressé  dévore, 
pour  ainsi  dire ,  la  divine  parole.  Les  audi- 
teurs du  Sauveur  du  monde  transportés, 
remplis  de  joie  ,  oubliant  qu'ils  ont  un 
corps,  parce  que  leur  ûme  est  pleinement 
nourrie  ,  s'engagent  dans  ledéserl,  s'ex[io- 
senl  presqu'au  danger  de  mourir  do  faim. 
Le  contentement  de  l'âme  est  si  parfait, 
qu'ils  n'ont  plus  aucune  inquiétude  sur  les 
besoins  du  corps.  Voilà  les  etfets  merveil- 
leux et  les  changements  extraordinaires 
qu'opéraient  les  prédications  du  Sauveur  du 
monde. 

Que  n'allons-nous  souvent  sur  la  mon- 
tagne contempler  cet  excellent  modèle? 
C'est  là  que  nous  trouverons  une  source 
féconde  et  abondante  qui  ne  tarit  point. 
C'est  là  que  nous  trouverons  cette  Aui/e  qui 
se  multiplie  miraculeusement ,  et  qui  no 
cesse  point  découler  tant  que  l'on  présente 
des  vaisseaux.  C'est  là  que  le  prédicateur, 
en  se  remplissant  lui-même,  se  met  en  état 
de  distribuer  au  peu()le  le  véritable  pain 
destiné  île  Dieu  pour  nourrir  l'âme  el  pour 
la  fortilier. 

Quand  les  hommes  avaient  une  fois  gotlté 
la  doctrine  du  Sauveur,  ils  ne  pouvaient 
plus  se  jtasser  de  ce  pain  céleste.  Ils  ne 
pouvaient  se  résoudre  à  se  séparer  de  lui. 
ils  font  toutes  sortes  d'elforts  pour  le  re- 
tenir. Mais  Jésus-Christ  ,  quoique  plein 
d'amour  et  de  charilé  pour  des  hommes, 
(jui  ne  désiraient  rien  avec  plus  d'ardeur 
que  de  se  donner  entièrement  à  lui ,  leur 

42 


1325 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMRERT. 


1524 


fait  voir  qu'il  ne  peut  oublier  les  ordres 
qu'il  a  reçus  de  son  Père.  11  leur  fait  voir 
(^u'i!  est  obligé  de  les  quitter  pour  aller  dans 
d'autres  villes  prêcher  l'Evangile  du  royaume 
de  Dieu.  Car  c'est ,  dit-il ,  pour  cela  que  j'ai 
été  envoyé.  (Luc,  IV  ,  43.) 

Jésus -Christ  a  donc  été  envoyé  pour 
exercer  le  ministère  de  la  prédication  ;  il  a 
parlaitement  exécuté  les  ordres  de  son  Père, 
et  il  a  remf)li  son  ministère  avec  un  zèle 
infatigable. 

Il  a  bien  voulu  honorer  les  hommes  et 
les  associer  à  son  œuvre.  En  les  associant, 
il  leur  a  marqué  qu'ils  continueraient  ce 
qu'il  avait  commencé,  et  qu'ils  auraient 
l'honneur  d'annoncer  les  vérités  qu'il  avait 
révélées.  Il  dit  à  ses  apôtres  :  Allez  et  prê- 
chez. Les  apôtres  ont  obéi;  ils  ont  été,  et 
ils  ont  annoncé  en  tous  lieux  l'Evangile  du 
Seigneur. 

Il  est  rapporté  dans  les  Actes  des  apôtres 
(II ,  42)  que  les  fidèles  s'assemblaient,  et  que 
ce  qui  les  occupait  dans  leurs  assemblées, 
c'était  d'écouter  la  doctrine  des  apôtres  ,  de 
se  nourrir  avec  piété  de  la  chair  du  Seigneur 
et  de  prier.  Ils  écoulaient  la  doctrine  des 
apôtres,  c'est-h-dire  la  doctrine  que  les 
apôtres  avaient  reçue  de  Jésus-Christ ,  et 
c'étaient  les  apôtres  qui  avaient  soin  do  leur 
distribuer  celte  divine  nourriture. 

Les  apôlres  prêchaient  avec  d'autant  plus 
de  difficulté  que  leur  doctiine  était  contre- 
dite. Il  est  vrai  que  ceux  qui  les  avaient 
considérés  comme  ennemis,  ne  pouvaient, 
après  les  avoir  entendus  ,  résister  à  la 
force  de  leur  parole,  et  ils  devenaient  leurs 
amis  les  plus  zélés.  Mais  souvent  aussi  les 
apôtres  étaient  rejetés.  Ils  étaient  obligés  , 
suivant  la  parole  du  Seigneur ,  en  sortant 
des  villes  de  secouer  la  poussière  de  leurs 
pieds,  voyant  avec  regret  que  ces  villes 
criminelles  seraient  traitées  au  jour  du  juge- 
ment plus  rigoureusement  que  Sodome  et 
Gomorrhe.  {Mattli.,  XI,  14.) 

Les  contradictions  n'ont  jamais  retardé  le 
zèle  des  apôtres.  Plus  ils  ont  été  combattus, 
plus  ils  ont  fait  d'etlbrls  pour  annoncer 
et  pour  faire  connaître  les  vérités  de  lE- 
vangile. 

Cette  fonction  leur  paraissait  si  impor- 
tante qu'ils  y  consacraient  le  jour  et  la 
nuit.  Il  est  rapporté  dans  les  Actes  des  apô- 
tres (XX  ,7)  que  les  disciples  étant  assem- 
l)lés,  saint  Paul  leur  fil  un  sermon  qu'il 
continua  jusqu'au  milieu  de  la  nuit.  C'est 
ce  qui  donna  occasion  au  grand  miracle  que 
saint  Paul  lit  en  faveur  d'un  jeune  homme  , 
à  qui  il  rendit  la  vie  au  nom  et  par  l'auto- 
rité de  celui  dont  il  annonçait  la  doctrine. 

Qui  pourrait  compter  tous  les  lieux  où. 
saint  Paul  a  exercé  le  saint  ministère  de  la 
prédication?  Il  dit  qu'il  a  porlé  l'Evangile 
depuis  Jérusalem  jusqu'à  l'Illyrie.  (iJom., 
XV,  19.)  Quelle  vaste  étendue  de  pays?  Il 
est  assez  difficile  d'entendre  comment  un 
homme  seul  a  pu  la  parcourir,  et  y  faire 
tous  les  progrès  dont  les  travaux  infatiga- 
bles du  saint  apôtre  ont  été  suivis. 

Quand  même  il  était  chargé  de  chaînes  et 


enfermé  dans  des  prisons,  il  ne  cessait  point 
d'exercer  le  saint  ministère  de  la  prédica- 
tion. Ce  qui  lui  fait  dire  en  parlant  à  son 
disciple  Timothée  :  Souvenez-vous  de  l'E- 
vangile que  je  prêche,  pour  lequel  je  souffre 
beaucoup  de  maux  jusqu'à  être  dans  les  chaî- 
nes comme  un  scélérat.  Mais  la  parole  de  Dieu 
nest  point  enchaînée.  (I  Tim.,  11,8.)  C'est- 
à-dire  que  saint  PauT  en  tous  lieux  avait 
toujours  le  même  zèle,  toujours  la  même 
ardeur  de  remplir  son  ministère.  Ses  en- 
nemis pouvaient  bien  le  retenir  dans  ,'des 
prisons,  mais  ils  ne  pouvaient  arrêter  son 
zèle.  Tant  qu'il  lui  restera  quelque  liberté 
de  parler,  il  ne  cessera  jamais  de  faire  voir 
combien  il  lui  est  précieux  d'exercer  lesaint 
ministère  qui  lui  est  confié. 

Un  lieu  oii  saint  Paul  a  exercé  avec  beau- 
coup d'éclat  le  ministère  de  la  prédication, 
c'est  l'Aréopage.  (Act.,  XYll.)  Le  lieu  était 
célèbre;  les  auditeurs  étaient  distingués 
par  leur  science,  par  leur  mérite,  par  leur 
esprit.  Les  nouveautés  leur  plaisaient,  mais 
rattachement  était  grand  à  leurs  anciennes 
superstitions.  En  leur  prêchant  l'Evangile, 
on  ne  pouvait  guère  s'attendre  qu'à  être 
moqué  par  des  hommes  pleins  d'idées  qui 
étaient  1res- opposées  à  la  simplicité  de 
notre  foi. 

Y  eut-il  jamais  un  discours  plus  admi- 
rable que  celui  de  saint  Paul?  Observez 
l'adresse  avec  laquelle  il  se  sert  de  leur  su- 
perstition même  et  de  leur  folle  curiosité 
pour  leur  insinuer  la  vérité  qu'ils  igno- 
raient. Peut-on  donner  une  plus  belle  idée 
de  l'Etre  souverain,  une  idée  plus  propre  h 
faire  connaître  son  infinie  majesté?  Le  Dieu 
qui  a  fait  le  monde,  et  tout  ce  qui  est  dans  le 
monde,  étant  le  Seigneur  du  ciel  et  de  la  terre 
n  habite  point  dans  les  temples  bâtis  par  les 
hommes.  Il  n'est  point  honoré  par  les  ouvra- 
ges de  la  main  des  hommes,  comme  s'il  avait 
besoin  de  ses  cré'itures,  lui  qui  donne  à  tous 
la  vie,  la  respiration  et  toutes  choses.  {Act., 
XVII,  24,  26.) 

Il  leur  fait  voir  que  le  monde  ne  peut 
être  que  l'ouvrage  d'un  Dieu  tout-[)uissant, 
qu'il  est  ridicule  de  croire  qu'un  Dieu  infini 
I)uisse  être  renfermé  dans  des  temples  ma- 
tériels; qu'un  Dieu  de  qui  toutes  les  créa- 
tures tirent  leur  origine,  et  qui  nous  a  tout 
donné,  ne  peut  jamais  avoir  besoin  de  nous. 
J'ai  dit  au  Seigneur,  vous  êtes  mon  Dieu, 
parce  que  vous  n'avez  aucun  besoin  de  mes 
biens.  [Psal.,  XV,  2.) 

C'est  à  bon  droit  que  les  saints  Pères  ont 
considéré  le  discours  do  saint  Paul  dans 
l'Aréopage,  comme  le  vrai  modèle  que  doi- 
vent suivre  tous  les  ministres  de  l'Evangile 
lorsqu'ils  entreprennent  de  faire  connaître 
le  véritable  Dieu  à  ceux  qui  sont  assez  mal- 
heureux pour  l'ignorer.  Ce  discours  eut 
assez  de  force  pour  les  étonner  tous,  et 
pour  donner  à  l'Eglise  le  grand  saint  Denys 
et  beaucoup  d'autres  qui,  éclairés  par  celte 
éclatante  lumière,  eurent  le  bonheur  de 
sortir  des  ténèbres  de  l'erreur. 

Les  apôlres,  remarquant  le  grand  fruit 
de  leurs  prédications  et  la  nécessilé  parti- 


1325 


RETllAITE  ECCLES.  —  \XI.  LA  PIIEDICATION. 


lôïiy 


culière  qu'il  y  avait  d'ôlre  assidus  à  co 
saint  rainislère,  formèrent  cette  sage  réso- 
lution de  se  décharger  d'autres  em[>lois 
moins  nécessaires,  atin  d'être  en  état  de 
s'appliquer  avec  plus  de  liberté  à  ce  (}ui 
leur  paraissait  plus  important.  Pour  nous, 
diseni  les  apôlres,  nous  nous  appliquerons 
entièrement  à  la  prière  et  à  In  dispensation 
de  la  parole.  {Act.,  VI,  i.)  Peut-on  douter 
que  les  apôtres,  en  s'arrètanl  à  ces  deux 
occupations,  ne  les  aient  regardées  con)me 
les  deu\  emplois  les  plus  importants  du 
ministère  ecclésiastique?  lis  s'arrêtent  à  ces 
deux  occupations,  ils  s'y  appliquent  entiè- 
rement. En  faut-il  davantage  pour  confon- 
dre ceux  qui  négligent  ce  que  les  apôtres 
ont  considéré  comme  leur  principale  fonc- 
tion ? 

Cet  esprit  apostolique  a  passé  aux  saints 
évêques  et  à  tous  les  saints  patriarches 
qui  ont  eu  l'honneur  de  succéder  aux  apô- 
tres dans  le  ministère  ecclésiastique.  Ils  ont 
cru  que  Jésus-Christ  les  chargeait  aussi  hien 
que  les  apôlres  de  s'appliquer  parliculière- 
njent  à  l'instruction  ;  ils  ont  cru  que  les  pa- 
roles du  Seigneur :/l//ez  e/ensejjne^,  s'adres- 
saient h  eux.  Voilà  pourquoi  ils  ont  tou- 
jours été  très-exacts  à  instruire  le  peuple 
que  le  Seigneur  avait  contié  à  leurs  soins. 

Je  pourrais  vous  citer  tous  les  saints 
évêques.  11  n'y  en  a  aucun  qui  ne  puisse 
vous  servir  d'exemple,  qui  n'ait  satisfait 
très-exactement  à  l'obligation  qui  lui  était 
imposée  de  s'appliquer  au  ministère  de  la 
prédication. 

Saint  Augustin,  en  par. anl  de  saint  Am- 
broise,  nous  dit  que  ce  saint  homme  dis- 
pensait avec  force  et  avec  exactitude  la  di- 
vine parole  à  son  peuple.  Saint  Augus- 
tin (2GG)  se  faisait  un  grand  plaisir  d'enten- 
dre les  discours  de  ce  pasteur  zélé,  il  avoue 
avec  son  humilité  qui  l'a  porté  à  se  juger 
si  sévèrement  lui-même,  que  ses  inten- 
tions n'étaient  pas  droites,  que  son  prin- 
cipal motif  était  de  voir  si  l'éloquence  do 
saint  Ambroise  répondait  à  la  réi)utaiion 
que  ce  saint  s'était  acquise.  Dieu  qui  le 
conduisait  lui  lit  trouver  la  vérité  qu'il  ne 
cherchait  pas.  Quels  etfets  ne  doit-on  point 
attendre  des  prédications  d'un  saiut  évêque 
qui,  comme  saint  Ambroise,  prêche  avec 
force  les  vérités  les  plus  saintes  de  l'Evan- 
gile? 

Vous  ne  serez  pas  moins  touchés  de 
rexempledesaintAuguàtin(267).Voiciceque 
uous  rapporte  l'auteur  de  sa  Vie.  «  Il  a  prê- 
ché la  parole  de  Dieujusquà  sa  dernière 
maladie,  sans  Jamais  y  manquer,  avec  cou- 
lage, avec  lorce,  avec  sagesse.  «C'est  ce  que 
vous  n'aurez  [)as  de  peine  à  concevoir,  si 
vous  considérez  le  grand  nombre  de  dis- 
cours qui  nous  sont  restés  de  ce  saint. 
Ils  vous  font  voir  que  l'auteur  de  sa  Vie  n'a 

(Î(i6)  «  Veiii  ad  Ambrosum  episcopum  cujus  Unie 
eloquia  strenue  niinisuabaiit  adipeiii  tiiiiiienli  lui 
pupulo  luu.  <  Sludioseaudiebam,  non  iiiteiitioaequa 
ilcL)ui ,  sed  quasi  explorans  ejus  facundiani.  Isle 
baluberriiue  docebat  saluleiu.  >  {Conf.,l.  V,  c.  13.) 


point  exagéré  en  nous  ra[)i)ortant  les  paro- 
les que  vous  venez  d'entendre. 

La  même  chose  ne  peut-elle  pas  être* 
dite  d'un  grand  nombre  d'autres  saints? 
Faut-il  d'autre  preuve  de  leur  oxaililudo 
h  annoncer  la  parole  du  Seigneur,  que  tou- 
tes les  excellentes  homélies,  que  tous  les 
savants  discours  qui  nous  restent  d'eux  ? 

Autrefois  comment  aurait-on  regardé  un 
évêque,  un  pasteur  qui  aurait  négligé  le 
ministère  de  la  prédication,  et  qui  n'aurait 
point  instruit  son  peuple?  Il  n'y  en  avait 
presque  point  de  ce  caractère;  mais  s'il 
s'en  était  rencontré,  on  les  aurait  considé- 
rés comme  des  hommes  indignes  du  rang 
auquel  ils  étaient  élevés,  comme  des  pas- 
teurs sans  amour  pour  leur  peuple,  et  qui 
en  abandonnent  le  soin. 

Dans  les  ()remiers  temps  la  messe  ne  se 
disait  point  que  celui  qui  la  célébrait  n'ins- 
truisît la  peuple,  et  la  prédication  était 
regardée  comme  une  partie  de  la  messe 

Vous  avez  une  preuve  manifeste  de  cette 
vérité  dans  l'Apologie  de  salnl  Justin  (apol. 
2,  p,  98),  oii  ce  saint  homme  a  eu  soin  de 
nous  décrire  l'ordre  qui  s'observait  dans  la 
célébration  de  nos  mystères.  Il  uous  mar- 
que expressément  qu'après  les  lectures,  le 
poniife  qui  présidait  dans  l'assemblée,  et 
qui  offrait  les  saints  mystères,  ne  manquait 
jamais  de  faire  un  discours  pour  instruire 
le  peuple,  et  pour  l'exhorter  à  prali(|uer 
les  vertus  marquées  dans  les  saintes  lectu- 
res qui  avaient  été  pro|»osées. 

Il  est  plus  nécessaire  que  jamais  de  re- 
nouveler ce  saint  usage.  La  messe  où.  la 
peufile  est  convoqué  le  saint  jour  du  diman- 
che, ne  devrait  jamais  êlre  célébrée  sans 
que  le  pasleur  instruisît  son  peuple.  On  se 
filaint  du  peu  de  respect  ffue  le  jjeui-le  a 
conservé  pour  les  saints  mystères.  Que  les 
pasteurs  se  l'imputent  à  eux-mêmes.  Com- 
ment le  peuple  respecterait-il  des  mystères, 
dont  on  n'a  pas  soin  de  lui  faire  connaître 
la  sainteté? 

Entrons  dans  l'esprit  des  saints  qui  nous 
ont  [)récédés,  et  soyons  convaincus  comme 
eux  que  la  [)rédicalion  est  une  des  princi- 
pales fonctions  du  rainislère  ecclésiastique. 
Nous  sommes  prêtres,  pouvons-nous  sou- 
tenir notre  rang  et  eu  négliger  une  des 
principales  fonctions? 

La  prédication  est  une  fonction  noble  et 
élevée  beaucoup  au-dessus  de  nos  mérites. 
Quelfiue  grands,  quelque  habiles,  quelque 
vertueux  que  nous  soyons,  nous  sommes 
encore  très-indignes  d'exercer  une  si  sainte 
et  si  noble  fonction. 

Que  des  hommes  s'éloignent  du  saint 
ministère  de  la  parole,  parce  qu'ils  s'en 
estiment  indignes,  parce  que  cette  fonction 
leur  i)araît  trop  élevée  :  que  rentrant  en 
eux-mêmes  et  se  rend'ant  justice,  ils  soient 

(207)  «  Verbum  Dei  usque  ad  ipsani  suam  aegiitu- 
dinein  impraeleraiisse,  alacriter  et  foriiter,  sana 
nienlc,  sanoque  consilio  in  Ecclesia  praedicavil.  > 
(Possiuo.N.,  De  vita  S.  August.,  c.  30.) 


^tfwWfti" 


152 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH    LAMBERT. 


1328 


effrayés  dû  remplir  une  place  ,  qui  ne  doit 
[être  occupée  que  par  des  hommes  éminenls 
!en  science  cl  en  vertu,  il  n'y  a  rien  en  ces 
sentiments,  qui  ne  soit  conforme  5  la  rai- 
son, et  à  ce  que  la  foi  nous  apprend  du  mi- 
nistère de  la  prédication. 

Mais  que  l'on  en  voie  qui  considèrent  le 
ministère  de  la  prédication  comme  un  mi- 
nistère vil,  qui  renvoient  cette  fonction  à 
des  hommes  sans  occupation,  sans  nom, 
sans  talent,  à  des  hommes  qui  ont  besoin 
d'être  instruits,  et  qui  ne  sont  nullement 
en  état  d'enseigner,  c'est  ce  qui  n'est  pas 
supportable,  et  l'on  ne  peut  trop  déplorer 
de  voir  qu'on  se  soit  ainsi  formé  des  idées 
de  la  prédication  si  contraires  à  celles  que 
tous  les  saints  Pères  en  ont  eues. 

Les  prédicateurs  sont  les  ambassadeurs 
de  Jésus-Christ.  Ils  parlent  en  son  nom,  et 
c'est  Dieu  mi'me  qui  s'explique  par  leur 
bouche.  Nous  faisons,  dit  saint  Paul  ,  la 
charge  d  ambassadeur  pour  Jésus-Christ,  et 
c'est  Dieu  même  qui  vous  exhorte  par  notre 
bouche.  (11  Cor.,  V,  20.) 

Saint  Augustin  enseigne  que  les  prédica- 
teurs sont  la  langue  de  Jésus-Christ.  Nous 
pouvons,  dit  ce  saint  docteur,  entendre  par 
îa  langue  de  Jésus-Christ  ceux  par  la  bou- 
che de  qui  il  explique  son  Evangile  (208). 
Concevez-vous  rien  de  plus  grand  que  d'être 
j'ambussadeur  de  Jésus-Christ ,  que  d'être 
la  langue  de  Jésus-Christ? 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  (orat.  1,  p.  15) 
assure  que  la  prédication  est  la  plus  noble 
lonction  du  ministère  ecclésiastique.  11 
soutient  que  c'est  une  grande  hardiesse, 
pour  ne  pas  dire  une  excessive  folie,  que 
tfe  présumer  de  soi-même,  quand  il  est 
question  d'une  entreprise  si  dilUcile.  Il 
ajoute  que  tous  ne  sont  pas  capables  d'exer- 
cer ce  saint  ministère,  que  c'est  une  très- 
grande  allaire  que  de  distribuer  avec  sa- 
gesse la  parole  uu  Seigneur,  et  que  d'éta- 
blir avec  force  les  saintes  vérités  de  la  re- 
Jif^ion. 

Saint  Chrysoslome  (2C9),ce  docteur  admi- 
rable qui  a  porté  si  loin  le  talent  de  la 
prédication,  quand  il  parle  de  ce  saint  mi- 
nistère, est  étonné  que  son  évêque  ait  jeté 
les  yeux  sur  lui,  pour  lui  faire  exercer 
cette  grande  fonction.  Il  croit  que  c'est  un 
songe,  tant  il  s'estime  indigne  d'être  appli- 
qué à  ce  saint  ministère. 

Dans  un  autre  endroit  saint  Chrysoslome 
nous  assure  que  le  ministère  de  la  prédi- 
cation, comme  le  plus  important  et  le  plus 
dillicile,  était  réservé  aux  j)lus  habiles  et 
aux  plus  vertueux.  (Hom.  3  inEpist.  lad 
Cor.) 

Que  les  temps  sont  changés!  Comment 
les  hommes  onl-ils  pu  ainsi  avilir  ce  qui 
était  si  fort  estimé  dans  les  premiers  temps  ? 
i^À  comment  en  est-on  venu  jusqu'à  oban- 

(268)  i  Lingiiam  ejiis,  eos  m  ejus  corpore  intelli- 
gimus,  per  quos  suuiii  loquiiur  EvaiigLliuiu.  »  (Ep. 
140,  iiov.  éd.  al.  120.) 

^2l)'J)  Serin.  Cum  presbyter  esset  desiynaius. 

f^To)  «  Vis  ea  quœ  ex  divinis  Scripluris  mielligis, 


donner  h  des  hommes  sans  mérite,  ce  qui 
était  autrefois  réservé  aux  |)lus  habiles,  et 
à  ceux  qui  occupaient  les  premiers  rangs? 
Est-ce  l'Eglise  qui  a  changé  ses  idées  et 
qui  n'ii  plus  le  môme  esprit  ?  Non  sans  doute, 
l'Eglise  ne  peut  pas  tomber  dans  des  varia- 
tions de  cette  sorte,  elle  a  toujours  con- 
servé le  mfime  esprit  et  les  mêmes  senti- 
ments. Il  n'y  a  qu'à  considérer  comment 
elle  s'explique  encore  présentement,  quand 
elle  ordonne  ses  pasteurs  :  il  n'y  a  qu'à 
examiner  comment  elle  a  parlé  dans  le  der- 
nier de  ses  conciles. 

Dans  la  cérémonie  de  l'ordination  des 
évoques,  l'évêque  consacrant  interroge  ce- 
lui qui  doit  être  consacré  sur  ses  principaux 
devoirs,  et  voici  en  quels  termes  est  conçue 
la  première  question  qu'il  lui  fait.  «  Ne 
voulez-vous  [)ns  instruire  le  peuple  qui 
vous  est  confié,  tant  par  vos  discours  que 
par  vos  exemples,  et  lui  enseigner  ce  que 
vous  aurez  appris  dans  la  lecture  des  Ecri- 
tures saintes?  »  L'évêque  qui  va  être  consa- 
cré répond  :  «  Je  le  veux,  et  j'en  fais  la  ré- 
solution (270).»  Il  n'est  ordonné  qu'en  consé- 
quence de  celte  disposition.  Car  voici  com- 
ment l'évêque  consacrant  lui  parie  dans  la 
suite.  11  lui  met  entre  les  mains  le  livre 
de  l'Evangile,  et  il  lui  dit  :  «  Recevez  le  li- 
vre des  Evangiles  ;  allez,  prêchez  l'Evangile 
au  peuple  qui  vous  est  confié  (271).  »  Vous 
reconnaissez  les  paroles  que  notre  Seigneur 
adressa  à  ses  apôtres.  Il  leur  dit  :  Allez  et 
enseignez.  Les  mêmes  paroles  sont  emplo- 
yées dans  l'ordination  des  évoques.  Ce  qui 
fait  voir  que  comme  ils  sont  les  successeurs 
des  apôtres,  ils  sont  obligés  surtout  de 
leur  succéder  dans  l'exercice  des  grandes 
et  pénibles  fonctions  qui  ont  toujours  été 
attachées  à  l'épiscopat,  et  qui  ne  peuvent 
jamais  en  être  séparées. 

Autrefois  les  évêques  exerçaient  le  plus 
ordinairement  et  presque  seuls  le  ministère 
de  la  prédication.  Au  moins  pendant  un 
temps  assez  considérable  ce  n'était  pas  la 
coutume  que  les  prêtres  prêchassent  en 
présence  des  évêques.     < 

Cependant,  comme  il  eût  été  difficile  que 
les  évêques  accablés  de  soins  eussent  pu 
suffire  à  ce  pénible  emploi,  nous  voyons 
que,  dès  les  premiers  temps, les  prêlres  les 
ont  aidés  dans  celte  importante  fonction. 

Saint  Chrysoslome,  n'étant  encore  que 
prêtre,  prêcha  à  Antioche  par  l'ordre  de 
Flavien  qui  l'éleva  au  sacerdoce,  afin  do 
donner  à  son  peuple  cet  homme  puissant 
en  œuvres  et  en  paroles,  qui  ne  pouvait  pas 
manquer  de  f)roduire  de  grands  fruits 
par  sa  vie  sainte,  et  par  ses  éloquentes  ins- 
tructions. 

Valère,  évêque  d'Hippone,  garda  bientôt 
après  la  même  conduite.  Il  lit  prêcher  dans 

piebein  cui  oïdiuandus  es,  et  verbis  docere  et  exem- 
plis?  Volo.  » 

(271)  «  AccipeEvaiigeliumel  vade,  praeJica  populo 
tibi  coinaiissu.  > 


J329 


RETRAITE  ECCLES.  —  XXI,  LA  PREDICATION. 


1550 


son  église  sainl  Augustin  qui  n'élait  encore 
que  prêlro. 

Nous  voyons  aussi  la  môme  coutnme  in- 
troduite ilans  notre  France  comme  il  paraît 
par  un  ancien  canon  qui  donne  pouvoir  aux 
prêtres  de  firêrlier  dans  toutes  les  villes  et 
dans  toutes  les  paroisses  (272). 

La  prédication  est  donc  une  fonction  or- 
dinaire des  prêtres  avec  la  subordination 
qui  a  toujours  i^lé  inviolablement  observée; 
f't  qui  oblige  les  prêtres  à  exercer  toutes 
leurs  fonctions  sous  la  dépendance  des  évo- 
ques. 

Dans  l'ordination  des  prêtres  l'évoque 
leur  adresse  la  parole  et  leur  dit  :  «  Il  faut 
que  le  prêtre  oifre,  qu'il  bénisse,  qu'il  prê- 
che et  qu'il  baptise  (273).» 

La  prédication  est  la  fonction  princiftale 
des  prêtres  qu'ils  doivent  beaucoup  esti- 
mer. C'est  à  eux  de  travailler  à  se  rendre 
dignes  de  l'exercer  avec  fruit  quand  ils  se- 
ront légitimement  appelés. 

Je  V()us  ai  dit  qu'on  no  pouvait  encore 
mieux  juger  de  ce  que  l'Eglise  pense  et  de 
son  véritable  esprit,  que  par  la  manière 
dont  elle  s'est  expliiiuée  dans  le  demie."  de 
ses  conciles. 

Le  concile  de  Trente  déclare  qu'une  des 
principales  fonctions  des  évêques  c'est  de 
l>rêcIior  l'Evangile.  C'est  une  des  principales 
fondions.  Comment  donc  encore  une  fois 
en  esl-on  venu  jusqu'à  la  rabaisser,  jusqu'à 
l'abandonner  à  des  hommes  (jui  constam- 
ment sont  très-indignes  et  très-inca[)ables 
de  l'exercer  avec  fruii? 

Le  saint  concile  ordonne  que  les  archi- 
prêtres,  les  curés,  tous  ceux  qui  gouver- 
nent des  églises  paroissiales,  ou  autres 
ayant  charge  d'âme  auront  soin  au  moins 
tous  les  dimanches  et  toutes  les  fêtes  so- 
lennelles de  pourvoir  par  eux-mêmes  ou 
par  d'autres  personnes,  s'ils  en  sont  légiti- 
mement dispensés,  à  la  nourriture  spiri- 
tuelle du  peuple  qui  leur  est  commis.  Le 
saint  concile  ajoute  que  le  fondement  de 
ces  ordonnances  si  souvent  réitérées,  c'est 
qu'un  des  plus  grands  malheurs  qui  puisse 
jamais  arriver,  esi  celui  dont  le  prophète 
se  plaint  quand  il  dit  que  (es  petits  ont  tk- 
viandé  du  pain,  et  qu'il  n'y  avait  personne 
pour  leur  en  donner  (27'î.). 

Formez  vos  idées  suivant  ces  principes, 
et  voyez  ce  que  vous  devez  penser  du 
saint  ministère  de  la  parole  du  Seigneur? 
Que  jugerez-vous  de  ceux  qui  négligent  ce 
saint  ministère  et  qui  l'abandonnent  de 
propos  délibéré? 

L'apôtre  saint  Paul  a  dit  (I  Cor.,  XV,  16) 
qu'il  se  reconnaissait  obligé  de  prêcher  l'E- 
vangile. Celte  obligation  a-t-elle  cessé? 
Cette  obligation  p;ul-elle  en  regarder  d'au- 

(272)  »  Hoc  eliam  nobis  placuil,  ut  non  soluin  in 
civitaiibus  sed  e'.iani  in  omnibus  parociiiis  verbum 
(aciciidi  daicnius  presbyieiis  poicslatem.  »  [Conc. 
Vttseiis.  Il,  caii.  2.) 

(27ÔJ  €  Sate;dotem  oporicloff  rre,  beuedicere, 
|ir;v<'ssc,  piiedicare  el.  bapli/.are.  > 

(■2"4)  <  FiiedicalioEvangt  lii  pru.cipuuin  episcopo- 
ruiii  niunus. 


très  que  ceux  qui  par  leur  caractère  sont 
obligés  de  travailler  au  salut  de  leur  pro- 
chain? L'apôtre  saint  Paul  ajoute  :  Malheur 
à  moi,  si  je  ne  prêche  pas  V Evangile.  Combien 
y  en  a-l-il  qui  ont  lieu  d'être  etlrayés 
de  cri  analhème?  Combien  y  en  a-t-il 
qui  en  sont  frappés  et  qui  n'y  pensent 
pas? 

Le  prêtre,  dit  saint  Grégoire,  adiré  contre 
lui  la  colère  du  Seigneur,  lorsqu'il  ne  fait 
point  entendre  sa  voix,  et  qu'il  ne  s'appli- 
que point  au  ministère  de  la  prédication  (275j. 
Vous  l'abandonnez,  ce  saint  ministère.  Sont- 
ce  les  talents  qui  vous  manquent?  Est-ce  le 
pouvoir?  Sont-ce  les  occasions?  Rentrez  en 
vous-même,  et  craignez,  si  vous  êtes  de  ceux 
à  qui  l'on  peut  reprocher  une  coupable  né- 
gligence. 

L'excellence  du  ministère  de  la  prédica- 
tion a  dû  vous  convaincre  qu'il  ne  doit  pas 
être  négligé.  J'ai  maintenant  à  vous  faire 
voir  quelle  est  la  sainteté  de  ce  ministère, 
afin  que  vous  soyez  persuadés  qu'il  faut  bien 
prendre  garde  à  ne  le  pas  profaner.  C'est 
mon  second  point. 

DEUXIÈME    POINT. 

Il  y  en  a  plusieurs  qui  profanent  le  minis- 
tère de  la  prédication,  c'est  une  triste  vé- 
rité que  l'on  ne  peut  dissimuler,  c'est  un 
abus  auquel  on  ne  peut  apporter  des  remè- 
des trop  efficaces. 

Les  premiers  qui  profanent  ce  saint  minis- 
tère sont  ceux  dont  les  vues  ne  sont  pas 
droites.  Il  n'y  a  qu'une  lin  légitime  qu'on 
doit  se  proposer  en  exerçant  ce  ministère. 
Tous  ceux  qui  s'en  éloignent  sont  coupables 
d'un  grand  crime,  parce  qu'ils  profanent  la 
sainte  parole  du  Seigneur. 

Il  y  en  a  d'autres  qui  la  profanent  encore 
par  l'impureté  do  leur  vie.  Quiconque  prê- 
che la  parole  du  Seigneur  doit  soutenir  les 
maximes  qu'il  avance  par  une  vie  sainte. 
Autrement  il  détruit  par  l'irrégularité  de  sa 
conduite,  ce  qu'il  prétend  établir  par  les 
saintes  maximes  qu'il  annonce. 

Les  troisièmes  qui  profanent  la  parole  du 
Seigneur,  ce  sont  ceux  qui  n'ayant  point  les 
talents  nécessaires,  entreprennent  témérai- 
rement d'exercer  le  saint  ministère  de  la 
parole  du  Seigneur. 

Plus  l'action  est  sainte,  plus  nous  devons 
être  exacts  à  nous  ()roposer  une  fin  qui  ré- 
ponde à  la  dignité  de  l'action.  Il  n'y  a  rien 
déplus  saint  que  la  parole  du  Seigneur.  La 
seule  fin  légitime  que  l'on  puisse  se  proposer 
lorsqu'on  annonce  celte  sainte  parole,  c'est 
de  ()iaire  à  Dieu,  d'exercer  son  ministère,» 
de  travaillerau  salut  du  prochain.  Toute  autre 
fin  est  criminelle,  parce  qu'elle  ne  répond 
point  à  la  majesté  de  la  parole  du  Seigneur.] 
Je  [)rétends  que  c'est  la  profaner,  que  de  se 

I  Archipresbyteri,  etc.,diebus  saltemdominicis,  et 
fetlis  solemnibus  plèbes  sibi  commissaspascant  sa- 
lularibus  verbis  ne  illud  impleatur:  Parvuli  peiic- 
runl  pimem,et  non  erat  qui  frangerel  eis.  »  (Sess.  9,, 
Tliren.,  IV,  4.) 

(275)  «  Iram  conlra  seocculti  judlcis  exigil.si  sito 
bonilii  pra;dicalionis  inccdil.  »  (L.  I,  episl.  24.) 


1351 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT, 


1332 


proposer  dos  vues  humaines  et  temporelles 
dans  l'exercice  d'un  si  saint  ministère.  Il  y 
en  a  donc  un  très-grand  nombre  qui  profa- 
nent la  parole  de  Dieu,  parce  qu'il  y  en  a 
beaucoup  qui  donnent  lieu  de  croire,  qu'ils 
n'ont  point  d'autres  vues  que  des  vues  hu- 
maines. 

C'est  se  proposer  une  vue  humaine,  et 
même  une  des  plus  basses,  que  de  recher- 
cher son  intérêt  temporel  dans  les  fonctions 
de  son  ministère.  Vous  prêchez  la  parole  de 
Dieu,  quelle  est  votre  fin?  Une  rétribution 
temporelle.  De  là  vient  que  vous  êtes  dis- 
posé à  parler  selon  le  gain  que  l'on  vous 
propose.  Dès  le  moment  que  vous  n'espérez 
rien,  vous  ôies  muet  et  vous  gardez  un  hon- 
teux silence.  Une  conduite  si  basse,  si  lâ- 
che, si  téméraire,  ne  peut  qu'elle  ne  soit 
très-criminelle  aux  yeux  de  Dieu.  C'e^t  Ih 
ce  qui  s'appelle  vendre  la  parole  de  Dieu, 
et  par  consïéquent  c'est  commettre  une  vé- 
ritable sirnonie. 

C'est  encore  une  autre  fin  liès-criminede 
et  très-commune  que  de  vouloir  arriver  aux 
honneurs  et  satisfaire  son  ambition  par  le 
moyen  de  la  prédication.  De  là  cette  foule 
de  ministres  du  Seigneur  qui  s'empressent 
et  qui  s'introduisent  chez  les  grands  ;  les 
brigues  et  les  sollicitations  sont  employées 
pour  paraître  devant  eux.  L'orgueil  est  lo 
principe  des  démarches  que  l'on  fait  pour 
iinnoncer  la  nécessité  de  s'humilier.  On 
s'empresse  de  semer  dans  une  terre  ingrate 
«jui  ne  rapporte  aucun  fruit.  Pendant  ce 
lemps  on  perd  des  occasions  précieuses  de 
semer  dans  des  terres,  où  la  parole  du  Sei- 
gneur fruclifirai  tel  rapporterait  cenf  pour  un. 

Jésus-Christ  est  venu  pour  annoncer  l'E- 
vangile aux  pauvres,  et  ces  hommes  ambi- 
tieux ne  veulent  annoncer  l'Evangile  qu'aux 
riches  et  aux  puissants  du  siècle.  Quand  ces 
hommes  sont  méprisés,  quand  ils  sont  trai- 
tés avecindignilé,  quand  ils  essuyent  des  re- 
buts, il  leur  sied  bien  de  s'en  plaindre,  il  leur 
sied  bien  d'exagérer  l'injure  que  l'on  fait  à 
leur  caractère.  Ce  sont  eux  qui  avilissent  le 
caractère  ecclésiastique.  S'ils  se  condui- 
saient comme  ces  hommes  fermes,  indépen- 
dants, qui  sont  au-dessus  de  tout  intérêt, 
qui  sont  incapables  de  faire  jamais  aucune 
bassesse,  qui  ne  craignent  que  Dieu,  qui 
n'ont  aucun  empressement  de  se  produire, 
qui  conservent  en  tout  lieu  la  liberté  dont 
Jésus-Christles  a  mis  enpossession,  ils  sou- 
tiendraient la  majesté  de  leur  caractère,  et 
les  mondains  même  respecteraient  l'autorité 
dont  Jésus-Christ  les  a  revêtus.  Il  est  natu- 
rel de  mépriser  ceux  qui  s'éloignent  de 
leur  devoir,  comme  au  contraire  il  est  pres- 
que impossible  de  s'empêcher  d'estimer  la 
vertu. 

Voilà  donc  des  vues  très-mauvais,  s.  Un 
ecclésiastique  qui  les  suit  ne  peut  se  cacher 
a  lui-même  l'énormité  de  son  crime.  Il  est 
trop  visible  qu'il  abuse  de  son  ministère,  et 
il  ne  peut  se  le  dissimuler. 

(tlG)  i  Ego  quivobis  assidue  loquor,  jubenle  dom- 
110  el  traire  ineo  episcopo  vcsiro  ei  exigcniibus  vo- 


■  Comme  ces  vues  sont  ouvertement  crimi- 
nelles, il  y  en  a  plusieurs  qui  se  sentent 
incapables  de  se  proposer  de  si  pernicieux 
motifs.  Mais  ceux-là  même  qui  sont  en 
garde  contre  des  ennemis  qui  attaquent  à 
découvert,  n'ont-ils  rien  à  craindre  d'un 
ennemi  secret,  subtil,  adroit  dont  les  atta- 
ques sont  très-dangereuses,  et  qui  fait  en 
tous  lieux  de  si  cruels  ravages?  Vous  êtes 
au-dessus  de  l'intérêt  humain,  mais  que 
vous  êtes  faible  du  côté  de  l'amour-iiropre, 
que  vous  avez  à  craindre  du  funeste  désir 
do  plaire  aux  hommes  cl  d'acquérir  leur 
estime! 

Les  saints  Pères  donlla  vertu  était  le  plus 
solidement  affermie,  ont  toujours  regardé 
le  ministère  de  la  prédication  comme  très- 
dangereux,  parce  qu'ils  savaient  combien  il 
est  à  craindre  de  se  laisser  surprendre  aux 
illusions  de  l'amour-propre  .Voilà  pourquoi 
d'eux-mêmes  et  par  leur  propre  inclination 
ils  préféraient  la  retraite  à  l'action,  ils  dé- 
siraient de  garder  le  silence,  ils  ne  parlaient 
qu'autant  qu'ils  s'y  croyaient  obligés  pour 
remplir  les  fonctions  de  leur  ministère. 

Je  vous  parle  souvent,  dit  saint  Augustin, 
pour  obéir  à  Dieu,  [lour  me  soumettre  aux 
ordres  de  mon  évêque,  et  pour  exécuter  ce 
que  vous  exigez  de  moi.  Cependant  je  n'ai 
de  joie  solide  que  quand  déchargé  du  péni- 
ble emploi  d'instruire  les  autres,  je  suis  au 
rang  de  ceux  qui  écoulent.  Pour  lorsje  suis 
en  sûreté,  je  ne  crains  point  que  l'amour- 
propre  et  l'orgueil  me  fassent  tomber  dans 
le  précipice  (276). 

Qui  ne  serait  effrayé  de  ce  qui  causait 
tant  d'alarmes  à  un  saint  aussi  solidement 
affermi  que  saint  Augustin? 

Beaucoup  de  ceux  qui  sont  engagés  à  par- 
ier par  leur  ministère,  ne  sont  point  assez 
en  garde  contre  eux-mêmes  et  contre  l'a- 
mour-proire. 

Ceux  qui  nous  environnent  nous  dressent 
encore  des  embûches  par  les  louanges 
qu'ils  sont  accoutumés  de  distribuer  avec  pro- 
fusion. Un  homme,  ainsi  attaqué  de  tous 
côtés,  sacrifie  à  lui-niêiue  et  à  son  propre 
filet,  pour  me  servir  de  l'expression  d'un 
[iroplièle.  {Hcibac,  I,  16.) 

Celui-là  qui  instruit  ne  peut  se  garanlir 
de  ce  piège  qu'en  priant  beaucoup,  en  so 
défiant  de  lui-même,  en  s'adressant  à  Dieu 
comme  à  son  puissant  |)rotecteur,  en  ti;é- 
I)risant  les  louanges  et  se  mettant  au-des- 
sus de  cet  a[)pât  trompeur,  en  imiTimant 
solidement  au  milieu  de  son  âme  des  sen- 
timents profonds  d'une  sincère  humilité. 
Car  quand  l'orgueil  s'est  une  fois  glissé,  tout 
est  perdu  pournous.  Saint  Augustin  a  très- 
bien  remarqué  que  l'orgueil  est  beaucoup 
plus  à  craindre  que  tous  les  autres  péchés. 
Les  autres  péchés  ne  peuvent  nuire  que 
quand  nous  sommes  assez  méchants  {)Our 
nous  déterminer  à  commellre  le  mal  :  ma:s 
l'orgueil  esta  craindre  même  lorsque  nous 
sommes  résolus  de  nous  appliquer  sérieuse- 

Ijis,  tune  solidum  gaudeo,  dura  audio.  »  (Ser.  179, 
al.  27  De  dkersi$.) 


13Ô5 


RETRAITE  ECCLES.  —  XXI,  LA  PREDICATION. 


\ôùt 


► 


ment  à  nos  devoirs,  car  le  désir  d'êlre  loué 
et  les  retours  sur  nous-mômos  sont  un  poi- 
son qui  corrompt  les  meilleures  actions  (277). 

Un  miiiislre  de  JésusCiirist  doit  donc 
ovoir  en  vue  de  plaire  à  Dieu  et  nullement 
aux  hommes,  il  doit  faire  beaucoup  d'at- 
tention au  jugement  de  Jésus-Clirisl,  et  en 
faire  très-peuau  jugement  des  hommes,  d'au- 
tant plus  qu'il  n'y  a  que  Dieu  qui  juge  avec 
équité,  et  que  les  jugements  des  hommes 
sont  ordinairement  capricieux  et  injustes. 

Qu.'nd  je  dis  qu'un  ministre  de  Jésus- 
Christ  nt>,  doit  point  considérer  les  hommes 
et  leurs  jugements  ;  j'entends  qu'il  ne  doit 
point  se  proposer  pour  fin  de  plaire  aux 
hommes,  et  que  par  rapport  à  lui  il  ne  (ioit 
en  aucune  manière  le  souhaiter.  Car  d'un 
autre  cùié  la  charité  oblige  un  ministre  de 
Jésus-Clirist  à  ménager  les  liommes,  à  les 
gagner,  à  s'insinuer  dans  leur  esprit  et  à 
faire  des  efforts  pour  leur  plaire.  Mais  ce 
sont  deux  choses  fort  ditférentes  d'avoir 
pour  fin  de  [ilairc  aux  hommes,  ou  de  vou- 
loir [ilaire  aux  liommes  pour  l'amour  de 
Dieu.  Le  premier  est  très-ciimineî.  Le  so- 
contj  est  iVtfot  d'une  ardente  charité  i|ui 
brûl(>  d'un  désir  sincère  de  porter  les  hum- 
mes  à  servir  le  Seigneur. 

«  Le  prédicateur  évangéiique,  dit  saint 
Augustin,  se  propose  de  plaire,  il  en  cher- 
che les  moyens,  il  y  a  une  grande  ressem- 
blance entre  la  nourriture  spirituelle  et  la 
corporelle.  Le  dégoût  de  plusieurs  fait  que 
l'on  assaisonne  môme  les  aliments  les  plus 
nécessaires  à  la  vie.  De  Dîême  la  charité 
oblige  à  assaisonner  en  quelque  manière  la 
nourriture  spirituelle,  pour  la  faire  recevoir 
par  les  hommes  qui  peut-être  sans  cela  se- 
raient assezmalheureux  pour  larejeter  (-278).» 

Voilà  pourquoi  les  ministres  de  Jésus- 
Christ  les  plus  sainis  ont  eu  recours  en  tout 
temps  aux  ornements  de  l'éloquence,  et  ce 
serait  une  grande  illusion  que  de  la  vouloir 
bannir  des  chaires  chrétiennes.  Saint  Augus- 
tin fuit  voir  que  l'éloquence  peut  être  em- 
})loyée  dans  les  discours  chréiiens,  puisque 
îes  écrivains  sacrés  s'en  sont  servis,  et  saint 
Augustin  ajoute  i]ue  les  écrits  qu'ils  ont 
laissés  sonldevrais  modèles  d'éloquence(2'/9). 

La  question  est  aisée  à  décider  en  distin- 
guant deux  sortes  d'éloquence.  Il  y  en  a 
une  qui  est  indigne  de  la  chaire  chrétienne, 
et  il  y  en  a  une  autre  que  l'on  peut  employer 
très-utilement,  parce  qu'elle  convient  par- 
faitement à  la  majesté  de  la  parole  de  Dieu. 
Saint  Paul  a  réprouvé  le  premier  genre  d'é- 
loquence, quand  il  a  condamné  ceux  qui 
emploient  les  discours  persuasifs  de  la  sa- 
gesse humaine.  (  Il  Cor. ,  II,  k.)  C'est-à-dire 
que  ceux  qui  se  cherchent  eux-mêmes,  dont 
le  dessein  principal  est  de  s'attirer  des  louan- 

(277)  <  Vitia  caetera  in  pcccalis,  supcrbia  vero 
cliani  in  recle  faclis  tinicada  est,  ne  illa  qiia:  lauda 
liililei  fada  sunl,  ipsius  laudls  ciipiJiiaïc  ainiilaii- 
lur,  ►  (Ep.  118,  nov.  cilil.  al.  oG.) 

('-278)  <  Qiioniam  inter  se  haljentnoiinuUam  siiiiili- 
luilinem  vescenles  alqiie  discciiles,  proplcr  laslidia 
pliii  inioruni  eliain  ipsa  sine  qndtus  vivi  non  polest, 
alimcnui  condienda  sunl.   »  (Lib.  IV  De  doctrina 


ges  et  de  flallcr  la  curiosité,  sont  manifeste- 
ment condamnés  par  saint  Paul. 

Mais  il  y  a  nn  autre  genre  d'éloquence 
qui  n'a  rien  de  blûmable,  et  qui  au  contraire 
sert  beaucoup  à  inspirer  aux  honnnes  un 
saint  désir  d'embrasser  les  voies  du  salut. 
C'est  une  éloquence  solide  qui  expose  les 
maximes  de  l'Evangile  dans  toute  leur  force, 
qui  fait  voir  l'énormité  du  vice,  la  beauté 
de  la  vertu,  qui  convainc  l'esprit,  qui  louche 
le  cœur.  C'est  là  l'éloquence  de  ces  hommes 
que  l'Ecriture  appelle  puissants  en  paroles, 
qui  possèdent  les  Ecritures,  qui  s'en  ser- 
vent elficacement  pour  conduire  les  hommes 
à  la  connaissance  de  la  vérité.  Tel  était  cet 
homme  admirable  nommé  Apollon.  Il  est 
dit  de  lui  qu'il  était  éloquent,  puissant  dans 
les  Ecritures.  Il  parlait  avec  zèle  et  avec  fer- 
''eur,  il  convainquait  les  Juifs  puhiiquenient 
avec  grande  force ,  leur  monrrant  par  les 
Ecritures  que  Jésus  était  le  Christ.  (4.J/., 
XVIII,  2i.) 

L'éloquence  n'a  jamais  [)lus  de  force,  que 
quand  elle  est  soutenue  et  animée  par  les 
œuvres,  c'est  la  véritable  éloquence.  Cet 
homme  respecté  par  sa  vertu  n'a  encore 
|)rononcé  aucune  parole,  et  néanmoins  il  a 
parlé  d'une  aianière  très-ellicace.  Il  n'a  qu'à 
se  montrer;  on  connaît  ce  qu'il  est;  il  en  dit 
plus  dans  son  silence  qu'un  autre  n'en  dira 
en  prononçant  des  discours,  où  sont  rassem- 
blées toutes  les  fleurs  et  toutes  les  figures 
de  l'éloquence. 

Il  est  très-important  aux  ministres  de  l'E- 
vangile de  mener  une  vie  sainte,  non-seule- 
ment parce  qu'ilsy  sont  obligés  par  leur  carac- 
tère; mai3enc(ire,c'estquesi  leur  vien'est  pas 
sainte,  il  est  presqu'impossible  (lu'ils  fassent 
du  fruit.  Celui-là,  dit  saint  Grégoire  pape, 
qui  est  obligé  par  son  état  d'établir  les 
grandes  maximes  de  l'Evangile,  est  aussi 
obligé  de  faire  de  grandes  choses,  et  de 
montrer  que  sa  vie  est  conforme  aux  vérités 
qu'il  annonce  (280). 

C'est  véritablement  lorsque  vous  êtes  dans 
la  chaire  évangéiique  que  vous  annoncez 
de  grandes  choses.  Il  n'y  a  rien  de  plus 
grand  que  les  maximes  saintes  do  l'Evan- 
gile de  Jésus-Christ.  Il  n'y  a  rien  de  plus 
grand  que  de  parler  au  nom  de  Jésus-Christ. 

Combien  les  anciens  prophètes  étaient-ils 
respectés  quand  ils  parlaient  au  nom  du 
Seigneur  1  Le  ministère  de  l'Evangile  est 
bien  au-dessus  du  ministère  de  la  loi  an- 
cienne. Si  le  ministère  de  la  Itttr'e,  dit  saint 
Paul,  a  été  accompagné  de  gloire,  combien  le' 
ministère  de  C esprit  doit-il  être  plus  glorieux  ? 
Si  le  ministère  qui  devait  finira  été  glorieux, 
celui  qui  durera  toujours  le  doit  être  beaucoup 
davantage.  {Il  Cor.,  ill,  7.)  Il  n'y  a  donc  rien 
de  plus  grand  que  d'annoncer  l'Evangile  de 

chri&ùana,  cap.  H) 

(279)  «  Non  soluni  nilill  eis  sapienlius,  verum 
ehani  niliil  elo(|uenlius  niilii  videii  potcst.  j  [De 
doclr.  clir.,  1.  IV,  c.  6.) 

(-280)  i  Qui  loci  su!  neccssilalc  exigiuir  summa  di- 
ccie  liaccadeni  neccssitale  compcllilur  suuiuia  muu 
strure.  »  (Lib.  I,  ep.  24.) 


1535 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1336 


Jésus-Clirist,  de  la  pari  de  Jésus -Christ 
môme.  Ces  grandes  choses,  dit  saint  Gré- 
goire, doivent  être  soutenues  par  une  vie 
|)ioporlionnée  au  saint  ministère  que  vous 
exercez.  Vous  n'avez  donc  qu'à  vous  souve- 
nir de  ce  que  vous  annoncez,  pour  conce- 
voir coque  vous  devez  êlre. 

De  là  il  s'ensuit  que  pour  bien  exercer  le 
ministère  évangélique,  il  faut  en  premier 
lieu  beaucoup  prier;  il  faut  en  second  lieu 
beaucoup  s'observer  et  faire  de  grands  etforts 
sur  soi-même. 

Les  prudents  du  siècle  prennent  des  me- 
sures, ils  travaillent,  ils  s'empressent,  ils 
comptent  beaucoup  sur  les  efforts  humains. 
Vous  avez  beau  travailler,  vous  avez  beau 
faire  de  grands  efl'orts  ;  si  le  Seigneur  nebd- 
tic  la  maison,  en  vain  travaillent  ceux  gui  la 
bâtissent.  (Psa/.  CXXVI,  1.)  Cet  homme  com- 
pte sur  ses  talents,  sur  son  éloquence;  il 
se  persuade  qu'aussitôt  qu'il  a  parlé,  les  es- 
prits sont  convaincus  et  les  cœurs  sont  tou- 
chés; il  se  promet  tout  de  lui-même  et  de 
)a  force  de  ses  paroles.  Voilà  où  la  prudence 
humaine  conduit  ceux  qui  se  laissent  sé- 
duire par  les  apparences. 

Que  celui-là  raisonne  bien  plus  solide- 
ment, qui  ne  compte  ni  sur  lui-même,  ni 
sur  ses  talents,  mais  qui  allend  tout  du  bras 
du  Seigneur  ;  il  n'entreprend  rien  qu'il  n'ait 
recours  à  lui  ;  il  est  toujours  dans  la  crainte 
que  son  indignité  ne  retarde  les  desseins  de 
Dieu  ;  il  |)arle,  il  fuit  des  efforts  ;  mais  il  ne 
s'appui'e  ni  sur  ses  efforts  ni  sur  ses  pa- 
roles. L'excellente  maxime  que  de  parler 
beaucouf)  à  Dieu  dans  la  prière,  avant  que 
de  parler  aux  hommes  et  que  d'entrepren- 
dre de  les  instruire  1 

Quand  est-ce  que  ce  saint  prêtre  travaille 
le  plus  t'fliciicement  a  la  conversion  des  pé- 
cheurs? Est-ce  quand  il  établit  solidement 
les  vérités  saintes  qu'il  a  puisées  dans  les 
saintes  Ecritures?  Son  discours  à  la  vérité 
a  beaucoup  de  force,  et  il  est  difficile  de  ré- 
sister à  de  si  puissantes  raisons.  Mais  je  sais 
quelque  chose  encore  de  plus  fort,  pour  tra- 
vailler efficacement  à  retirer  les  pécheurs  de 
leurs  égarements.  Ce  saint  prêtre  est  hum- 
blement prosterné  devant  Dieu  ;  il  gémit,  il 
verse  des  larmes,  il  répand  son  cœur  brû- 
lant de  charité;  il  ne  se  lasse  point,  s'il 
n'obtient  pas  d'abord  ce  qu'il  demande;  il 
réitère  ses  prières,  et  il  crie  avec  plus  do 
force.  Il  crie,  comme  le  saint  Prophète,  de 
tout  son  cœur.  Il  crie  pénétré  de  sa  misère. 
C'est  là  que  ce  saint  prêtre  fléchit  la  colère 
du  Seigneur,  qu'il  désarme  son  bras,  qu'il 
fait  la  paix  du  pécheur,  et  qu'il  obtient  les 
grâces  nécessaires  pour  opérer  la  conver- 
sion lie  cet  homme  endurci.  Il  parle  apiès 
avoir  prié.  Ses  paroles  pénètrent  le  cœur; 
mais  c'est  la  prière  qui  a  donné  de  la  force 
à  ses  [)aroles,  et  sans  la  prière  ses  paroles 
n'auraient  été  qu'un  son  extérieur,  qui  tout 
au  plus  aurait  étonné  ,  mais  qui  n'aurait 
point  changé  le  cœur. 

(281)  «  Si  eiiini  régira  oiavit  Esllier,  pro  sua; 
};eiiti8  lemporali  salule  luculura  apud  regein,  quan- 
10  magis  orare  débet,  ut  lale  munus  accipiat,  qui 


La  reine  Esther,  selon  la  remarque  de 
saint  Augustin  (281),  prie  beaucoup  avant 
que  de  parh^ren  faveur  de  son  peuple.  Elle 
s'adresse  du  Seigneur  ;  elle  le  conjure  do  for- 
tifier ses  paroles.  Celui-là  donc,  reprend 
saint  Augustin,  a  encore  beaucoup  plus  be- 
soin de  prier,  qui  doit  par  son  ministère 
travailler  à  retirer  le  peuple  de  l'esclavage 
du  péché  pour  l'élever  à  un  bonheur  infini 
et  qui  doit  toujours  durer.  Vous  êtes  prê- 
tres, vous  avez  du  zèle  pour  la  conversion 
des  pécheurs,  vous  voulez  leur  faire  con- 
naître leurs  malheureuses  voies,  et  les  pres- 
ser d'en  sortir  ,  priez  beaucoup  ,  comp- 
tez beaucoup  sur  la  prière,  espérez  au  Sei- 
gneur, attendez  tout  de  lui,  et  vous  verrez 
avec  consolation  que  vos  travaux  seront 
bénis. 

Dans  le  temps  de  la  prière,  pendant  quo 
vous  serez  devant  le  Seigneur  qui  sonde  les 
cœurs,  et  qui  en  connaît  les  rejdis  les  pîus 
cachés,  ne  mantiuez  pas  de  vous  observer 
vous-mêmes,  et  de  voir  si  vos  mœurs  sont 
assez  réglées  et  assez  saintes  pour  pouvoir 
annoncer  les  maximes  de  la  religion. 

Ce  serait  une  excellente  règle  que  de  se 
prêcher  soi-même,  avant  que  de  prêcher  les 
autres,  que  de  se  demander  à  soi-même  un 
compte  exact  de  sa  conduite,  avant  que 
d'entreprendre  de  régler  celle  des  autres. 

Saint  Paul  donnait  aux  Juifs  cet  avertis- 
sement salutaire  :  Vous  qui  instruisez  les 
autres,  vous  ne  vous  instruisez  pas  vous- 
même.  {Rom.,  II,  21.)  C'est  un  reproche  quo 
l'on  peut  faire  très-justement  aux  prédica- 
teurs qui  ne  veillent  point  sur  eux-mêmes. 
Vous  qui  instruisez  les  autres,  vous  ne  voiis 
instruisez  pas  vous-mêmes. Vous  prêchez  l'hu- 
milité et  vous  êtes  superbes;  vous  répétez 
sans  cesse  qu'il  faut  oublier  les  injures,  et 
vous  êtes  vindicatifs.  On  vous  entend  établir 
les  maximes  les  plus  sévères  de  la  péni- 
tence, et  vous  menez  une  vie  molle  et  sen- 
suelle. Vous  vous  élevez  contre  la  dureté 
des  riches  et  contre  la  dissipation  qu'ils 
font  de  leurs  revenus  dont  ils  devraient  sou- 
lager la  misère  des  pauvres  ;  cependant  vous 
ne  donnez  aucune  marque  do  votre  sensi- 
bilité, et  il  ne  paraît  point  que  vous  vous 
retranchiez  pour  soulager  le  pauvre  dans  sa 
nécessité.  Vous  donc  qui  instruisez  les  au- 
tres, vous  ne  vous  instruisez  pas  vous-mêmes. 
Confondez-vous,  rentrez  en  vous-mêmes,  et 
vous  rendez  justice.  Vous  n'êtes  point  assez 
saints,  pour  annoncer  des  maximes  si  sain- 
tes. On  ne  sera  point  disposé  à  vous  croire; 
pendant  que  vos  actions  démentiront  les 
principes  que  vous  établissez. 

Quel  prédicateur  de  l'Evangile  que  cet 
homme  qui  monte  en  chaire  avec  un  air  mon- 
dain, qui  ne  porte  pas  môme  ses  précautions 
jiisquà  dissimuler  ses  desseins,  qui  fait 
connaître  assez  ouvertement  que  ses  vues 
sont  de  s'ouvrir  une  voie  pour  obtenir  ce 
que  son  ambition  lui  fait  désirer.  Après  une 
ongue   préparation   où  l'on  a  uniquement 

pro  acierna  homiiium  salule  in  verbo  et  doctriiia  la- 
bora'.  »  (Lib.  IV  De  doctr.  chrisliana,  cap.  30.) 


1537 


RETRAITE  ECCLES.  —    X\l,  LA  PREDICATION. 


1538 


examiné  conimenl  il  Tant  parler  pour  plaire 
aux  gens  du  siècle,  vous  entendez  un  homme 
(]ui  ruendiu  dos  applaudissements  ;  vous 
entendez  un  discours  composé  de  paroles 
choisies,  alFectées,  quelquefois  molles  et 
eiréminées,  qui  ne  peuvent  qu'inspirer  l'air 
mondain  et  séculier,  dont  le  [)rédicateur 
est  rempli.  Vous  voyez  un  homme  qui  après 
son  discours  se  repaît  de  l'encens  flatteur 
qu'on  lui  jette  avec  profusion  ;  vous  voyez 
un  homme  qui  n'altend  |)Ourse  taire  que  les 
honneurs  et  les  biens  temporels  après  les- 
ijuels  il  soupire  uniquement.  Est-ce  là  un 
ministre  de  Jésus-Christ,  ou  plutôt  n'est-ce 
]>i\s  un  ange  de  Salan  lequel  a  pris  témérai- 
rement la  place  qui  ne  doit  être  occupée  que 
par  les  anges  de  lumière  ? 

Un  prédicateur  a  eu  quelque  succès.  Peut- 
être  devrail-il  en  gémir  et  craindre  qu'il 
n'ait  reçu  sa  récompense.  Vous  le  voyez 
plein  de  lui-même  se  produire  et  se  dissi- 
per au  dehors.  11  se  trouve  chez  les  gens 
du  siècle;  il  assiste  à  leurs  festins,  non  pas 
comme  Jésus-Christ,  pour  convertir  les  pé- 
cheurs, en  leur  inspirant  des  sentiments  de 
[lénilence,  mais  bien  plutôt  pour  se  perver- 
tir lui-mèuie  en  flattant  son  amour-propre. 
Tous  ceux  qui  en  ont  quelque  désir  et  qui 
souvent  n'ont  aucun  autre  dessein  que  d'é- 
)>rouver  jusqu'où  va  sa  faiblesse  et  en  laire 
ensuite  des  railleries,  sont  bien  venus  à  le 
prier  de  répéter  des  discours  que  l'on  ne 
veut  entendre  que  parce  que  l'oreille  est 
agréablement  flattée.  La  suite  de  ces  répé- 
titions inutiles  et  dangereuses,  c'est  que 
l'encens  est  prodigué  :  le  prédicateur  se 
nourrit  de  celte  fumée,  et  avoue  modeste- 
ment qu'il  n'est  point  indigne  des  louanges 
qu'on  lui  distribue.  Les  premières  places 
lui  sont  promises  d'une  commune  voix,  et 
il  se  flatte  qu'il  les  mérite. 

Détrompez-vous  et  reconnaissez  vos  er- 
reurs. Après  avoir  rempli  un  si  saint  mini- 
1^.  stère,  ce  n'est  point  le  temps  de  vous  pro- 
duire et  de  paraître  triomphant.  C'est  bien 
plutôt  le  temps  de  vous  cacher  et  de  vous 
humilier.  Vous  avez  exercé  un  saint  mini- 
stère qui  est  au-dessus  de  vous,  et  dont 
vous  êtes  indigne  :  donc  vous  devez  vous 
humilier;  vous  avez  enseigné  les  maximes 
chrétiennes  dont  la  principale  est  de  s'hu- 
milier; vous  avez  des  grâces  à  demander 
pour  vous  et  pour  ceux  que  vous  avez  in- 
struits. C'est  en  gémissant  et  en  vous  hu- 
mihant  dans  la  retraite  que  vous  obtien- 
drez de  si  précieux  dons. 

Voici  quel  est  celui  qui  peut  être  appelé 
un  prédicateurévangélique  ;  c'est  un  homme 
sage,  sérieux,  exemplaire,  dontia  conduite 
réglée  ins[iire  le  respect,  qui  ne  se  dément 
|)oint  et  qui  est  toujours  le  même  ;  qui",  par 
son  exacte  régularité,  témoigne  l'estime 
qu'il  fait  des  maximes  qu'il  annonce,  qui, 
se  nourrissant  dans  la  retraite  des  vérités 
saintes,  ne  se  (iroduil  au  dehors  qu'autant 
que  la  chariié  l'oblige  de  se  montrer.  Quand 
la  parole  du  Seigneur  ne  sera  annoncée  que 
par  des  hommes  de  ce  caractère,  elle  por- 
tera plus  de  fiuils,  cl  nous  ne  verrons  pas 


avec  douleur  que  si  la  parole  du  Seigneur 
est  souvent  inutile,  les  ministres  qui  l'an- 
noncent n'en  sont  pas  njoins  coupables  que 
les  auditeurs  qui  n'ont  pas  soin  de  la  faire 
profiter. 

Il  est  donc  vrai  qu'il  faut  principalement 
com|)ter  sur  la  piété  et  sur  la  prière,  pr.I?- 
que  ce  sont  les  moyens  les  plus  forts  que 
que  Dieu  nous  a  laissés  pour  attirer 
ses  secours,  sans  lesquels  nous  ne  pouvons 
rien. 

Néanmoins  Dieu  ne  veut  point  qu'on  le 
tente,  il  veut  que  dans  les  entreprises  que 
l'on  forme,  on  ait  recours  aux  moyens  qui 
sont  dans  l'ordre  de  sa  providence.  Celui- 
là  qui  veut  réussir  dans  le  ministère  de  la 
prédication  doit  beaucoup  prier,  il  doit  être 
irréprochable  dans  sa  conduite,  vous  en 
avez  vu  l'importance  :  mais  outre  cela  il  y 
a  de  certains  moyens  qui  sont  dans 
l'ordre  de  Dieu,  et  sans  lesquels  il  est 
impossible  de  réussir  dans  cet  important 
ministère. 

Ces  moyens  sont  de  s'être  appliqué  à  l'é- 
tude, et  surtout  à  l'étude  de  l'Ecriture  sainte, 
de  s'être  instruit  par  une  recherche  exacte 
et  une  sérieuse  application,  des  vérités  que 
l'on  veut  annoncer.  Avec  cette  étude  il  faut 
encore  que  Dieu  nous  ait  donné  des  iaienu^ 
qui  ne  peuvent  venir  que  de  lui,  et  sans 
lesquels,  quelques  efforts  que  l'oa  fasse,  on 
a  le  déplaisir  (le  travailler  inulilement. 

Il  n'est  que  trop  ordinaire  de  voir  des  na.- 
nistres  précipités,  qui,  sans  élude  et  sai.s 
talents,  entreprennent  d'instruire  les  antres. 
La  parole  du  Seigneur  entièrement  défigu- 
rée perd  dans  leur  bouche  toute  sa  force  et 
toute  sa  majesté.  Que!  homme  pour  in- 
struire, et  y  eni-il  jamais  une  pareille  té- 
mérité? Il  n'a  peut-être  jamais  ouvert  les 
'  livres  divins.  Ses  discours  seront  pleins  de 
fables  ridicules;  les  habiles  seront  scanda- 
lisés et  les  ignorants  ne  seront  point  in- 
struits. Cet  iiomuje,  infidèle  copiste  d'un 
mauvais  original,  corrompra  ce  qui  était 
déjà  corrompu;  il  dira  cequ'il  n'entend  pas. 
Ce  sont  ces  hommes  qu'un  apôtre  appelle 
des  nuées  sans  eau.  Ce  sont  des  arbres  dont  le 
fruit  ne  mûrit  point.  [Jud. ,  12.)  Ce  sont 
des  docteurs  sans  doctrine,  et  il  ne  peut  y 
avoir  un  jdus  dangereux  abus  que  de  pcr- 
mellre  à  ces  hommes  ignorants  de  débiter 
leurs  discours  qui  sont  autant  de  profana- 
tions de  la  parole  du  Seigneur.  J'ai  parlé 
contre  ceux  qui  négligent  le  ministère  do  la 
prédication,  mais  ce  n'est  pas  un  moindre 
péché  qued'usurper  criminellement  lescm-. 
plois  qui  sont  au-dessus  de  nos  forces  et  do 
nos  talents. 

Le  prêtre  à  qui  Dieu  a  fait  la  grâce  de  lo 
remplir  de  l'esprit  de  son  ministère  ,  tra- 
vaille 5  devenir  habile,  il  redoute  le  mini- 
stère de  la  prédication,  à  cause  des  dangers 
dont  il  est  accompagné;  il  connaît  les 
charmes  de  la  retraite  et  du  silence,  il  ne 
s'avance  point.  S'il  recule,  ce  n'est  pas  qu'il 
mépri.se,  mais  au  contraire  c'est  qii'il  est 
rea)|ili  d'estime  pour  toutes  les  fonctions 
ecclésiailiques.    Quand    il    est  appelé,    il 


Ï539 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1340 


marche  ,  il  obéit,  il  travaille  avec  zèle. 
Voilà  l'esprit  dont  un  ministre  du  Seigneur 
doit  être  rempli,  e(  c'est  le  moyen  d'exercer 
avec  fruit  les  saintes  fonctions  de  l'état  ec- 
clésiastique. 

Ce  que  je  reprends  dans  ceux  qui  gar- 
dent une  conduite  contraire,  et  surlout 
dans  ceux  qui  se  précipitent,  c'est  en  pre- 
mier lieu  leur  hardiesse. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  (oral.  1,  p.  15), 
dont  je  vous  ai  déjà  rapporté  les  paroles, 
soutient  que  la  conduite  de  ces  hommes 
qui  se  précipitent  est  entièrement  témé- 
raire, etquel'on  peut  mômeassurerqu'clle 
est  pleine  de  folie.  Ils  veulent  annoncer  la 
parole  du  Seigneur  sans  l'avoir  étudiée,  et 
.<;aris  s'être  appliqués  à  la  méditation  del'E- 
crilure  sainte. 

La  grande  maxime  pour  réussir  dans  la 
prédication,  c'est  d'avoir  lu  l'Ecriture,  do 
i'<)voir  méditée,  de  la  posséder,  de  tirer  ses 
j)reuves  pariiculièrement  de  l'Ecriture,  de 
confirmer  par  cette  puissante  autorité  les 
vérités  qu'on  annonce.  Qu'un  ministre  du 
Soigneur  est  fort  quand  il  peut  dire  :  C'est 
Jésus  Christ  qui  vous  parle,  voilà  la  parole 
de  Jésus-Christ,  voilà  comment  il  s'est  ex- 
pliqué 1  Un  ministre  de  Jésus-Christ  s'ac- 
quitte de  son  minisière  plus  ou  moins  bien, 
selon  qu'il  est  plus  ou  moins  versé  dans 
l'étude  de  l'Ecriture  sainte  (282).  Si  vous 
n'êtes  point  éloquent  par  vous-même, 
vous  le  deviendrez  en  vous  servant  des 
trésors  que  vous  trouverez  dans  les  livres 
divins. 

Les  saints  Pères  sont  les  fidèles  inter- 
prètes de  l'Ecriture.  Dieu  leur  a  donné  l'in- 
telligence pour  en  comprendre  le  véritable 
sens.  Les  écrits  des  Pères  de  l'Eglise  sont 
encore  des  sources  fécondes,  où  la  vérité 
s'est  heureusement  conservée.  Puisez  dans 
les  pures  sources  de  l'Ecriture  et  de  la  tra- 
dition. Apprenez  la  vraie  doctrine  de  l'Ii- 
glise;  sachez  ce  que  cette  sainte  Mère  con- 
duite par  le  Saint-Esprit,  intaillible  dans 
ses  jugements,  a  décidé  ;  distinguez  sa  doc- 
trine des  fausses  traditions  que  Jésus-Christ 
a  condamnées,  parce  que  ce  sont  des  do- 
ctrines des  horames.(i'li/af</i.,  XV,  9.)  Quand 
vous  nourrirez  le  peu|)le  de  la  parole  du 
Seigneur  et  de  la  vraie  doctrine  de  l'Eglise, 
vous  serez  de  ces  ouvriers  dont  saint  Paul 
a  dit  (Il  Tim.,  XI,  15)  qii'«7s  peuvent  pa- 
raître devant  Dieu,  comme  des  ministres  dignes 
de  son  approbation,  qui  ne  font  rien  dont  ils 
aient  sujet  de  rougir,  et  qui  savent  dispenser 
(a  parole  de  vérité. 

L'habileté,  l'adresse,  la  charité  du  prédi- 
cateur demande  qu'il  s'applique  à  connaître 
la  portée,  et  le  génie  de  ceux  qu'il  est 
chargé  d'inslruire.  Saint  Paul  prenait  garde 
à  donner  aux  uns  du  lait,  et  aux  autres  une 
naurriiure  solide.  (I  Cor.,  XI,  2.)  Des  sim- 
ples doivent  être  instruits  avec  plus  desira- 
plicilé  que  des  hommes  doiit  le  génie  est 
jilus  relevé.  Reprendre  à  la  campagne  des 

("282)  «  Sapienlir  dicil  lioniolaïuo  luagis  vel  minus, 
iji'.mu»  iji  Scripluris  saiictis  ra  gis   minusve  profc- 


vices  qui  en  sont  heureusement  bannis,  et 
qui  ne  régnent  que  dans  les  villes:  traiter 
des  hommes  qui  ont  de  la  politesse,  comme 
des  hommes  rustiques  ;  s'élever  contre  des 
vices  et  des  abus  sans  examiner,  si  ceux  à 
qui  l'on  adresse  la  parole  peuvent  en  être 
coupables ,  c'est  visiblement  manquer  de 
prudence  ;  c'est  vouloir  se  faire  moquer  et 
attirer  le  mépris.  L'honnêteté,  la  sagesse, 
la  charité  inspirent  d'avoir  plus  de  considé- 
ration pour  ceux  qui  nous  écoutent.  Nous 
les  devons  porter  à  respecter  la  parole  que 
nous  leur  annonçons,  nous  devons  donc 
prendre  garde  à  la  traiter  avec  dignité,  et  à 
ne  rien  dire  qui  puisse  éloigner  du  respect 
qui  est  dû  au  saint  ministère  que  nous  exer- 
çot.s. 

C'est  ce  qui  fait  voir  qne  ceux-là  sont 
encore  très-criminels,  qui  entreprennent 
d'instruire,  quoiqu'ils  n'aient  point  les 
talents  nécessaires  pour  faire  respecter  la 
parole  qu'ils  annoncent.  Ce  sera  défaut  de 
capacité,  ce  sera  défaut  de  génie,  ce  sera 
défaut  de  discernement  ;  mais  tout  ce  que 
dit  cet  homme  ne  touche  point.  Il  n'y  a 
dans  ses  discours  ni  solidité,  ni  netteté.  Le 
fond  ne  s'y  trouve  point,  la  manière  est 
extraordinaire  et  rebutante.  Des  hommes  si 
peu  propres  au  saitit  ministère  de  la  prédi- 
cation ne  peuvent  que  le  profaner.  C'est 
donc  à  eux  de  se  rendre  justice,  et  de 
profiter  de  l'heureuse  nécessité  qui  leur 
est  imposée  de  vivre  dans  le  silence  et  la 
retraite. 

11  y  en  a  beaucoup  qui  à  la  vérité  n'ont 
point  assez  de  génie  et  de  talents  pour  com- 
poser des  discours  oii  toutes  les  règles  de 
l'éloquence  et  de  l'art  soient  exactement  ob- 
servées. 11  n'est  pas  donné  à  tous  de  par- 
venir aux  premiers  rangs.  A  peine  les  siè- 
cles entiers  suflisenl-ils  pour  produire  des 
Ambroises,  des  Auguslins,  des  Grégoires, 
des  Chrysostomes,  des  Basiles  et  les  autres 
saints  que  Dieu  a  donnés  à  son  Eglise,  (lour 
être  sa  lumière  et  son  appui.  Il  y  a  beau- 
coup de  places  au-dessous  des  premières, 
où  l'on  peut  très-utilement  travailler  pour 
l'Eglise. 

C'est  avoir  beaucoup  de  talent  que 
de  pouvoir  expliquer  d'une  manière  sim- 
ple la  doctrine  de  l'Eglise  ,  que  d'être  en 
état  de  nourrir  ceux  qui  recherchent  la  pa- 
role du  Seigneur  dans  sa  simplicité 

D'autres  auront  le  talent  de  composer  des 
instructions  familières;  d'autres  auront  ce- 
lui de  former  les  enfants,  et  de  leur  ap- 
})rendre  les  premiers  éléments  de  la  foi. 
Chacun,  comme  dit  saint  Paul,  a  reçu  son 
don,  Vun  d'une  manière.  Vautre  d'une  autre. 
(I  Cor.,  VU,  7.) 

Que  ceux-là  môme  qui  possèdent  .es  ta- 
lents inférieurs,  reconnaissent  qu'ils  ont 
beaucoup  reçu  :  lisseraient  des  ingrats,  s'ils 
ne  confessaient  qu'ils  sont  très-redevables  à 
Dieu.  C'est  une  preuve  certaine,  selon  saint 
Grégoire  de  Nazianze  (orat.  26,  p.  W2), 
cil.  >  (S.  AuG.  ,  lib.  IV  De  doctrhia  clirhtiana, 
cap.  b.) 


i3!l 


RETRAITE  ECCLES.  —  XXII,  LA  PEMTEiNCE. 


iùH 


que  Ton  n'a  point  d'inimilité  quand  on  re- 
marque avec  chagrin  que  les  aulnes  ont  do 
plus  rares  taienls  et  des  grâces  plus  abon- 
dantes que  nous 

Les  grands  talents  viennent  de  Dieu,  ils 
font  honneur  à  la  religion,  Dieu  les  distri- 
bue h  qui  il  lui  plaît,  le  bon  usage  et  la 
sainle  application  de  ces  grands  talents  fait 
beaucoup  de  fruit;  mais  aussi  il  faut  con- 
fesser que  beaucoup  de  ministres  dn  Sei- 
gneur avec  des  talents  inférieurs  travaillent 
pour  l'Eglise  d'une  manière  très-utile.  On 
ne  peut  pas  même  désavouer  que  les  dis- 
cours cora  osés  avec  le  plus  d'art  et  qui  font 
plus  de  bruit,  ne  sont  pas  toujours  ceux 
(pii  touchent  davantage  et  qui  opèrent  un 
plus  grand  nonibre  de  conversions. 

Que  chncun  reçoive  avec  action  de  grâce 
îe  lalent  que  Dieu  lui  confie  ;  qu'il  s'en 
serve  n'ayant  en  vue  que  la  gloire  de  Dieu 
et  le  salut  de  ses  frères.  Il  ne  convient  point 
<i  un  nnnislre  du  Seigneur  de  s'élever  au- 
dessus  des  aulres,  de  faire  l'éloge  de  son 
talent,  de  prétendre  que  son  talent  est  su- 
périeur à  tous  les  autres,  de  mépriser  ce 
qu'il  n'a  pas.  De  pareils  sentiments  ne 
|)euvent  s'a'corder  avec  ce  que  saint  Paul 
enseigne  quand  il  dit  :  Que  chacun  par  hu- 
milité croie  les  autres  au-dessus  de  soi.  {Philip., 
XI,  30.) 

Voilà  les  vérités  que  j'avais  à  vous  propo- 
ser pour  vous  faire  connaître  ce  que  vous 
devez  penser  d'un  ministère  aussi  élevé  et 
aussi  nécessaire  dans  l'Eglise  qu'est  celui 
de  la  prédication. 

Souvenez-vous  que  ce  ministère  est  très- 
excellent,  afin  de  ne  point  tomber  dans  la 
faute  de  ceux  qui  le  négligent. 

Souvenez-vous  qu'il  est  très-saint ,  afin 
de  concevoir  combien  il  est  pernicieux  de 
le  mépriser. 

Apprenons  donc  à  avoir  de  justes  idées 
du  ministère  de  la  prédication.  Nous  se- 
rions des  présomptueux  de  rechercher, 
de  courir  ,  de  décider  en  notre  faveur  ; 
c'est  à  nous  d'être  convaincus  de  notre 
indignité  ,  de  redouter  toutes  les  fon- 
ctions ecclésiastiques  et  de  les  considérer 
comme  étant  infiniment  élevées  au-dessus 
de  nous. 

Cependant  quelque  indignes  que  nous 
soyons,  Dieu  veut  bien  se  servir  de  nous; 
il  est  môme  de  sa  gloire  d'employer  des  in- 
struments si  faibles,  pour  opérer  ses  plus 
grandes  ujerveilles. 

Si  nous  sommes  de  ceux  à  qui  Dieu  fait 
l'honneur  de  les  choisir ,  pour  être  ses  in- 
terprètes et  pour  publier  les  merveilles  de 
sa  loi,  connaissons  le  prix  de  cette  grâce, 
ayons-en  toute  l'estime  que  nous  devons, 
soyons  exacts  à  en  marquer  notre  recon- 
naissance; n'hésitons  pointa  préférer  cet 
honneur  à  tout  ce  qui  flatte  davantage 
leshommes  du  monde,  età  ce  qu'ils  estiment 
le  plus. 

La  principale  marque  de  reconnaissance 
que  Dieu  nous  demande,  c'est  d'exercer 
lidèlement  lo  saint  ministère  (]ui  nous  est 
confié.  Pour  cela  nous   devons  être    très- 


appliqués  à  nous  instruire  do  la  loi  de  Dieu, 
très-attentifs  h  no  puiser  que  dans  les 
sources  pures.  Que  nous  serions  malheu- 
reux, si  Dieu  nous  ayant  confié  le  soin  d'in- 
struire son  peuple,  nous  allions  par  notre 
faute  distribuer  un  pain  corrompu  à  ceux 
que  Dieu  nous  a  chargés  de  nourrir  de  sa 
sainte  parole. 

Ayons  beaucoup  de  zèle  pour  le  salut  do 
notre  prochain  ;  et  comme  la  prière  et  les 
bonnes  œuvres  doivent  donner  la  force  à  la 
parole  que  nous  annonçons,  prions  beau- 
coup, défions-nous  de  nous-mêmes,  atten- 
dons toutes  choses  de  Dieu  ,  réglons  nos 
vies  et  nos  mœurs  suivant  les  maximes  que 
nous  annonçons,  que  l'on  ne  puisse  point 
nous  faire  ce  reproche  honteux  que  nous 
détruisons  par  nos  actions  ce  que  nous 
établissons  par  nos  paroles.  Que  le  peuple 
donc  nous  voie  exacts,  zélés  ,  empressés, 
appliqués  h  tous  nos  devoirs.  Souvenons- 
nous  que  nous  devons  être  les  modèles  du 
troupeau.  (I  Petr.,  V,  3.)  Nous  ne  pouvons 
être  de  parfaits  modèles  à  moins  qu'on  ne 
remarque  en  nous  toutes  les  vertus  que  Dieu 
demande  dans  de  véritables ecc!ésiasti(iues. 
C'est  cet  heureux  assemblage  de  toutes  les 
vertus,  qui  nous  rendra  de  dignes  ministres 
de  sa  parole,  et  qui  nous  fera  mériter  les 
récompenses  qui  nous  sont  promises  dans 
l'éternité. 

DISCOURS  XXII. 

DU    SACREMENT    DE    PÉNITENCE 

Je  vous  ai  déjà  parlé  plusieurs  fois  du 
sacrement  de  pénitence  ;  je  vous  ai  fait  voir 
combien  il  est  important  que  ce  sacremet:t 
soit  administré  selon  les  règles  de  l'Eglise. 
Je  vous  ai  proposé  ces  vérités  dans  des 
discours  oià  il  était  nécessaire  de  les  expli- 
quer pour  vous  faire  entendre  la  matière 
principale  que  je  me  proposais  de  traiter. 
Ainsi  ces  vérités  se  trouvent  semées  en 
différents  endroits.  Mais  parce  que  mon  pre- 
mier et  principal  but  n'était  pas  de  vous  en 
instruire,  je  n'ai  pas  eu  lieu  de  traiter  cette 
matière  à  fond. 

Comme  elle  est  une  des  plus  importantes, 
et  qu'il  est  très-nécessaire  que  les  ecclé- 
siastiques en  soient  parfaitement  instruits, 
je  me  propose  de  ramasser  dans  ce  discours 
toutes  les  vérités  que  vous  avez  déjà  en- 
tendues, et  qui  regardent  l'administration 
du  sacrement  de  pénitence.  J'ai  dessein, 
autant  que  le  Seigneur  m'inspirera  et  qu'il 
m'en  donnera  la  force,  de  vous  faire  voir 
que  l'administration  du  sacrement  de  péni- 
tence est  une  des  principales  fonctions  du 
prêtre.  C'est  une  source  de  bénédiction 
[)Our  les  prêtres  qui  se  conduisent  comme 
de  fidèles  ministres  ;  mais  aussi  il  n'y  a  point 
(le  matière  où  il  soit  plus  dangereux  de  se 
tromper,  et  où  il  se  commette  de  plus  per- 
nicieux abus. 

Seigneur,  donnez  à  votre  Eglise  beaucoup 
de  prêtres  zélés  qui  connaissent  leur  pou- 
voir, et  qui  upprenntul  à  en  faire  un  saint 
usage.  Par  là  combien  de  pécheurs  sauvés 
do   leurs  égarements,   sanctifiés  par  votre 


15i3  ORATEURS  SACRES. 

prAce,  s'esliraeronl  heureux  de  passer  leurs 
jours  à  clianler  vos  miséricordes  1 

Plus  co  rainisière  esl  saint,  plus  il  est 
dnnyereux  d'en  abuser.  Le  saint  usage  de 
ce  divin  pouvoir  sanctifie  les  pécheurs. 
L'abus  decesaint  ministère  faitque  l'homme 
criminel  persévère  dans  sa  mauvaise  voie, 
et  ce  que  Jésus-Christ  a  laissé  comme  une 
source  de  salut,  devient  pour  le  pécheur  un 
principe  d'endurcissement. 

Apprenez  donc,  ministres  zélés,  quel  esl 
le  pouvoir  que  Jésus-Christ  vous  a  confié. 
Tout  ce  que  vous  lierez  sur  la  terre  sera  lié 
dans  le  ciel,  tout  ce  que  vous  délierez  sur  la 
irrre  sera  délié  dans  le  ciel.  {Malth.,  XVIII, 
18.j  Les  péchés  seront  remis  à  ceux  à  qui 
vous  les  remettrez,  les  péchés  seront  retenus 
à  ceux  à  qui  vous  les  retiendrez.  (Joan.,  XX, 
23.) 

Afin  que  vous  soyez  de  fidèles  dispensa- 
teurs et  non  pas  des  usurpateurs  injustes  ; 
afin  que  vous  guérissiez  les  plaies  des  ma- 
lades, et  que  vous  ne  soyez  pas  assez  mal- 
heureux ()0ur  les  envenimer  ;  afin  que  les 
pécheurs  sortent  de  vos  tribunaux  lavés  de 
leurs  iniquités  et  parl'aiternent  réconciliés 
avec  Dieu,  instruisez-vous  premièrement 
des  dispositions  dans  lesquelles  doitôire  un 
prêtre  pour  ne  pas  s'engager  témérairement 
dans  l'adminislralion  du  sacrement  de  pé- 
nitence, ce  sera  mon  premier  point.  Appre- 
nez en  second  lieu  combien  il  est  dangereux 
de  s'écarter  des  règles,  lorsqu'on  est  ap- 
pelé à  l'administration  du  sacrement  de  pé- 
nitence, ce  sera  mon  second  point.  Voyez 
enfin  quelles  soiit  les  règles  |)rincipaies 
que  doit  suivre  un  prêtre  pour  administrer 
le  sacrement  de  pénitence,  ce  sera  mon  troi- 
sième point. 

PREMIER   POINT. 

Les  prêtres  ont  reçu  de  Jésus-Christ  le 
]iouvoir  de  remettre  les  péchés.  C'est  de 
tous  leurs  pouvoirs  celui  qui  est  le  plus  diffi- 
cile à  exercer.  Il  y  a  du  péril  dans  l'exercice 
de  ce  pouvoir;  il  y  a  du  [<éril  à  ne  s'en  point 
servir.  Les  uns  se  perdent  parce  qu'ils  sont 
li'op  liardis  et  trop  préci[)ités  ;  les  audx'S 
au  contraire  sont  trop  timides  et  [)ortent 
trop  loin  la  défiance.  11  est  de  la  dernière 
importance debicncoLicevoir  les  sentiments 
où  doit  être  un  prêtre  pour  user  saintement 
du  pouvoir  redoutable  qui  lui  est  confié  do 
renieltre  les  péchés. 

Deux  maximes  essentielles  et  fondamen- 
tales le  prépareront  h  entrer  dans  les  dis- 
positions que  Jésus-Christ  veut  trouver 
en  lui. 

La  première  maxime  qui  aura  beaucoup 
(II'  force  pour  corriger  ceux  qui  se  préci- 
.  pilent,  est  que  le  pouvoir  de  remettre  les 
péchés  expose  ce'ui  qui  l'exerce  à  de  très- 
grands  périls.  De  là  il  s'ensuit  qu'un  prêtre 
(]ui  esl  sage  ne  marche  c{u'en  tremblant. 
Bien  loin  de  souhaiter  d'exercer  un  mini- 
stère si  difficile  à  remplir,  il  fuit,  il  se  cache, 
il  se  reconnaît  indigne.  S'il  était  consulté, 
s'il  suivait  son  propre  goût  et  sa  propre 
inclination,  il  passerait  ses  jours  sans  poilcr 


JOSEPH  LAMBERT. 


KIU 


un  fardeau,  dont  il  sent  bien  que  la  pesan- 
teur est  au-desus  de  ses  forces. 

Mais  il  y  a  une  autre  maxime  qui  n'est 
pas  moins  certaine  que  la  première,  et  qui 
empêche  les  prêtres  fidèles  et  zélés  de  s'a- 
bandonner enliôremont  à  leur  crainte  et  h 
leur  défiance.  Cette  maxime  est  qu'on  doit 
obéir  h  Dieu  dès  qu'il  nous  appelle,  et  que 
pour  lors  il  n'est  plus  question  ni  d'être 
effrayé,  ni  d'examiner  les  périls.  Le  prêtre 
sounn's  surmonte  ses  répugnances  pour 
obéir  à  Dieu,  lorsqu'il  lui  fait  connaître  sa 
volonté.  Il  s'embarque  sous  la  protection 
de  celui  qui  s'est  tant  de  fois  servi  des  plus 
faibles  instruments,  pour  opérer  ses  plus 
grandes  merveilles. 

Etablissons  solidement  ces  deux  impor- 
tantes maximes  qui  doivent  servir  de  règle 
et  qui  apprennent  aux  ministres  de  Jésus- 
Christ  les  sentiments  dont  ils  doivent 
être  pénétrés  pour  exercer  saintement 
le  pouvoir  qu'ils  ont  reçu  de  remettre  les 
péchés. 

Un  prêtre  qui  esl  sage  ne  souhaite  point 
d'administrer  le  sacrement  de  pénitence  ; 
au  contraire  il  fuit  un  ministère  si  redou- 
table; il  ne  s'y  engage  qu'avec  crainte  et 
avec  répugnance;  il  s'estimerait  heureux 
s'il  lui  était  permis  de  ne  se  point  exposer 
à  tant  de  périls  qui  font  trembler  tous  ceux 
qui  les  connaissent. 

La  première  pensée  qui  frappe  un  prêtre 
à  qui  le  Seigneur  a  fait  la  grâce  de  lo  rem- 
plir de  sa  crainte,  c'est  que  nous  avons  tous 
un  grand  compte  à  rendre,  que  ce  compte 
est  terrible,  que  nous  sommes  suffisamment 
chargés  du  poids  de  nos  péchés. 

Le  prophète  David  ne  se  considère  que 
lui-même  et  son  propre  fardeau.  Il  se  sent 
déjà  accablé  et  il  prie  le  Seigneur  de  ne 
point  entrer  en  jugement  avec  lui.  [Psal. 
CXLII,  2.) 

Le  saint  homme  Job  [Job,  IX,  15),  rempli 
(les  mêmes  sentiments,  est  convaincu  que 
l'homme  par  lo  seul  poids  de  ses  propres 
iniquités,  n'est  point  en  état  ni  de  répondre 
à  son  juge,  ni  de  soutenir  son  jugement  ri- 
goureux. Quand  il  remarquerait  en  lui 
quelque  trace  de  justice,  il  se  croirait 
obligé  de  garder  le  silence.  Combien  donc 
sera-t-il  plus  exact  à  le  garder,  quand  II 
n'apercevra  en  lui  que  des  taches  et  des 
défauts. 

Un  saint  prêtre  justement  effrayé  du  poids 
de  ses  iniquités  et  du  compte  qu'il  en  doit 
rendre,  considère  qne,  dès  qu'il  deviendra 
le  ministre  du  sacrement  de  pénitence, 
son  compte  croîtra  considérablement.  Le 
voilà  obligéde  répondre  non-seulement  pour 
lui,  mais  encore  pour  les  autres.  Le  voilà 
chargé  non-seulement  de  ses  iniquités,  mais 
encore  de  celles  des  pécheurs  qui  s'adres- 
seront à  lui.  Le  voilà  ministre  de  Jésus- 
Christ,  agissant  en  son  nom,  tenu  de  répon- 
dre de  toutes  l(.^s  sentences  qu'il  pronon- 
cera, criminel  au  premier  chef  si  jamais  il 
est  assez  malheureux  pour  profaner  le  sang 
do  Jésus-Christ  dont  il  est  le  dispensateur. 
Qui  doue  ne  fuirait  une  charge  si  pesante, 


15*5 

et  comment  se  peul-il  faire  que  desliotmnes 
ft^ménires  rlierchont  avec  empressement  à 
s'imposer  un  si  pesant  fardeau? 

Ils  sont  d'autant  plus  criminels,  qu'ils  se 
nrési.întenl  eux-mêmes,  et  sans  examiner  si 
leSeigneuriesappelle.  Ils  sont  donc  de  ceux 
dont  le  pro|)hèle  a  parlé  et  dont  il  a  dit  :  Je 
ne  les  envoyais  pas,  et  ils  couraient  d'euX' 
wêmes;  je  ne  leur  parlais  point,  et  ils  prophé- 
tisaient de  leur  tête.  {Jcr.,  XXIII,  21.) 

Voici  au  contraire  ce  qui  retarde  un  saint 
prôlre,  et  ce  qui  fait  qu'il  ne  marche  qu'avec 
de  très-grandes  précautions,  il  sait  qu'il 
doit  attendre  l'ordre  de  Dieu,  et  que  c'est 
une  hardiesse  très-criniinelie,  que  de  s'en- 
gager dans  un  ministère  si  périlleux,  lors- 
que nous  ne  connaissons  [)as  que  c'est  Dieu 
qui  nous  ajipelle. 

Il  faut  donc  une  vocation  pour  exercer 
avec  fruit  le  saint  ministère  de  réconcilier 
les  pécheurs  ;  car  dans  l'exercice  de  ce  mi- 
nistère, le  piètre  devient  le  conducteur  de 
celui  qui  s'adresse  à  lui.  C'est  au  prêtre  à 
le  retirer  de  la  voie  de  l'iniquité  ;  c'est  au 
prêtre  à  le  conduire  dans  la  voie  de  la  vé- 
rité. Le  prêtre  donc  exerce  pour  lors  parti- 
culièrement l'ollice  do  pasteur  et  de  con- 
ducteur. Vouloir  de  son  autorité  propre 
conduire  les  autres,  c'est  témérité.  C'est 
Dieu  seul  à  qui  il  appartient  de  désigner 
ceux  qui  seront  les  conducteurs  de  son  trou- 
peau. 

Examinez  dans  l'Ecriture  l'exemple  de 
ceux  qui  ont  conduit  le  peuple  de  Dieu. 
On;-ils  d'eux-mêmes  usurpé  ce  saint  mini- 
stère ?  ils  ont  encore  tremblé  même  après 
que  Dieu  les  y  a  ap|)elés.  Ils  élaieni  clone 
bien  éloignés  de  s'otl'rir  eux-mêmes  et  de 
j'réveuir  la  vocation  de  Dieu. 

Qui  suis-je,  disait  Moïse  (Exod,,  III,  11), 
même  après  avoir  été  plusieurs  fois  appelé? 
Sa  longue  résistance  oblige  le  Seigneur  à  lui 
parler  avec  indignation.  Quand  les  plus 
saints  et  les  plus  éclairés  sont  rem|)iis  de 
crainte,  d'où  vient  doue  cette  hardiesse  et 
telle  précipitation  ? 

Voici  quel  était  le  langage  ordinaire  du 
Seigneur  dans  l'ancienne  loi  quand  il  éla- 
blissailceuxquidevaient  conduire  son  peu- 
ple. C'est  moi  qui  lui  commanderai  de  se 
charger  de  la  conduite  de  mon  peuple.  (III 
Iteg.,  I,  35.)  C'est  moi  qui  l'ai  établi.  C'est  le 
Seigneur,  tlisaieni-ils  ,  qui  m'a  commandé. 
(111  Reg.,  XIV,  7  ;  XVI,  2  ;  Il  Reg.,  VI,  21.) 
Vous  voulezôlrc  le  conducleurde  vos  frères. 
Le  Seigneur  vous  a-l-il  parlé,  vous  a-t-il  éta- 
bli? Puuvez-vous  dire  :  c'estle  Seigneur  qui 
me  l'a  commandé  ? 

Dans  le  tribunal  de  la  pénitence  non- 
seulement  vous  êtes  conducteur,  mais  en- 
core vous  êtes  juge.  C'est  une  autre  qualité 
que  vous  devez  beaucoup  ap|)réhender,  et 
à  laquelle  il  est  Irès-cnminel  de  s'appeler 
soi-même. 

11  est  certain  que  l'autorité  de  juger  est 
la  plus  grande  de  toutes  les  autorités.  Il  est 
certain  que  celte  autorité  réside  en  Dieu 
seul  comme  dans  son  princii)e  et  dans  sa 
racine.  Voilà  pourquoi  il  est  dil  si  souvent 


RETRAITE  ECCLES.  —  XXII,  LA  PENITENCE. 


1346 


dans  l'Ecriture,  que  o  est  Dieu  qui  est  le 
juge.  (Psiil.  XLIX,  G.)  Ce  qui  nous  fait  voir 
qu'il  n'y  a  que  Dieu  h  qui  proprement  il 
appartient  de  juger.  Dieu  communique  ses 
pouvoirs  à  qui  il  lui  plaît.  Mais  quand  les 
liommes  exercent  celui  de  juger,  ce  ne  peut 
être  qu'au  nom  du  Seigneur  et  aulanlqu'ils 
y  sont  appelés  par  le  Seigneur. 

Le  pouvoir  des  prêtres,  comme  le  re- 
marque saint  Chrysoslome  (lib.  III  De  sa- 
cerdotio,  c.  5),  est  beaucoup  au-dessus  do 
celui  des  hommes  qui  n'exercent  qu'une 
puissance  temporelle  et  terrestre.  Ceux-là 
n'fuit  pouvoir  que  sur  les  corps,  au  lieu  que 
le  [louvoir  des  prêtres  est  sur  les  âmes,  et 
qu'il  a  son  effet  jusque  dans  le  ciel.  Comme 
donc  l'autorité  souveraine  de  Dieu  est  com- 
muniquée aux  prêtres  d'une  manière  plis 
éminente  qu'à  tous  les  autres  hommes,  il 
est  aussi  nécessaire  que  les  prêtres  soient 
plus  particulièrement  appelés.  Il  faut  que 
Dieu  leur  parle,  qu'il  leur  commande,  qu'il 
les  conduise.  Autrement  ils  seront  d'autant 
plus  criminels,  qu'ils  usurperont  le  pouvoir 
de  Dieu  contre  les  ordres  et  contre  la  vo- 
lonté de  Dieu  même. 

Ne  me  dites  point  que  tous  les  prêtres 
reçoivent  ce  grand  etéminent  pouvoir  dans 
leur  ordination,  et  qu'ainsi  ils  peuvent 
s'en  servir  dès  le  moment  qu'ils  sont  con- 
.sacrés  prêtres. 

Combien  de  prêtres  qui  reçoivent  ce  pou- 
voir contre  les  ordres  de  Dieu  et  sans  être 
appelés  au  sacerdoce  ?  Ils  ont  reçu  ce  pou- 
voir dans  leur  ordination,  et  ils  osent  s'en 
servir.  Ils  sontdoublement  criminels;  ils  le 
sont  parce  qu'ils  ont  témérairement  usurpé 
le  sacerdoce  auquel  Dieu  ne  les  appelait 
pas.  Ils  le  sont  encore,  parce  que  n'étant  ja- 
mais rentrés  dans  l'ordre  de  Dieu,  et  vivant 
dans  unerésistance continuelle,  ilsexercent 
toutes  leurs  fondions  d'une  manière  in- 
digne et  malgré  Dieu  môme  qui  n'a  point 
cessé  de  les  regarder  comme  de  criminels 
usurpateurs. 

Avoir  reçu  dans  son  ordination  le  pou- 
voir de  remettre  les  péchés,  c'est  une  très- 
excellente  raison  pour  l'exercer  dans  l'ordre 
de  Dieu,  et  jy  vous  ferai  voir  dans  la  suite 
qu'il  y  en  a  plusieurs  qui  sont  criminels, 
parce  que  sans  aucune  raison  légitime  ils  se 
dispensent  de  remplir  un  devoir  si  néces- 
saire. Mais  qu'un  ecclésiastique  téméraire, 
souvent  sans  en  être  capable,  souvent  par  des 
raisons  humaines  et  charnelles,  lémoigno 
de  vifs  empressements  d'exercer  une  fonc- 
tion qui  a  toujours  été  appréhendée  par  les 
ecclésiastiques  les  plus  saints  et  les  [)lus 
éclairés,  c'est  ce  qui  ne  peut  manquer  d'at- 
tirer la  colère  du  Soigneur  contre  ceux  (pii 
ne  craignent  })oii,t  de  renverser  les  plus 
esseniieiles  lois  de  son  sacerdoce. 

Mais  entrons  encore  davantage  dans  l'in- 
térieur de  ces  hommes  empressés,  et  voyons 
ce  qu'ils  peuvent  penser  d'eux-mêmes.  Ou 
ils  se  rendent  justice  en  reconnaissant  leur 
incai)acilé,  ou  ils  se  croient  en  état  d'admi- 
nistrer ave  fruit  le  sacrement  de  pénitence. 

S'ils  se  sentent  incapables  de  celle  fonc- 


1347 


ORATEURS  SACRES.  JdSEPH  LAMBERT. 


1518 


tion  difficile,  d'où  vient  donc  qu'ils  se  pré- 
sentent? Ne  savent-ils  pas  toutes  les  plaies 
que  se  fait  à  lui-mûme  et  aux  autres,  celui 
qui  n'ayant  pas  tous  les  talents  nécessaires 
entreprend  d'adminiâirer  ce  dillicile  sacre- 
ment? 

Mais  ils  se  sont  examinés  et  ils  croient 
avoir  assez  de  capacité  pour  rendre  service 
à  leurs  frères  dans  ce  pénible  emploi.  Qui 
le  leur  a  dit?  Qui  ont-ils  consulté?  Jls  se 
sont  consultés  eux-inômes.  Disons  plutôt 
quils  se  sont  trompés  eux-mêmes.  L'homme 
est-il  un  juge  couipéient  pour  décider  sur 
son  propre  mérite  ?  Pour  être  en  état  de  ser- 
vir Dieu  dans  un  emploi,  et  particulière- 
ment dans  un  emploi  ecclésiastique,  nous 
devons  nous  en  juîj^er  indignes.  C'est  aux 
autres,  et  surtout  à  nos  supérieurs,  à  nous 
presser,  et  à  prononcer  sur  notre  capacité. 
Tout  au  contraire  cet  homme  qui  a  tant 
d'ardeur,  est  peut-être  le  seul  qui  se  ju^ie 
ca[)ahle.  Tous  les  autres  à  qui  il  devrait  s'en 
rapporter  lui  conseillent  de  na  se  point 
avancer,  parce  qu'ils  connaissent  son  peu  de 
suffisance  et  la  médiocrité  de  se«  talents. 

Mais  cet  homme  aveugle  sur  lui-même 
est  incapable  de  conseil  ;  il  va  donc  de  sa 
propre  autorité.  C'est  lui-môme  qui  s'est 
assis  sur  le  sacré  tribunal;  il  y  est  ferme, 
et  il  ne  tremble  point.  Les  habiles  craignent, 
leurs  frayeurs  sont  continuelles.  Pour  lui 
sa  sécurité  sera  parfaite,  et  il  n'aura  pas  le 
moindre  sentiment  de  crainte.  Mais  ce  sera 
une  sécurité  malheureuse,  qui  ne  vien- 
dra que  de  ce  que  cet  homme  aveugle  no 
connaît  point  tous  les  dangers  dans  lesquels 
il  se  précipite.  Autant  de  paroles  qu'il  pro- 
noncera seront  autant  de  décisions  fausses; 
il  jugera  sans  connaître  quelle  doit  être  ia 
règle  de  ses  jugements.  Le  pécheur  endormi 
dans  son  péché  croira  être  iiurifié,  et  il  de- 
meurera chargé  de  toutes  ses  iniquités.  Les 
j»Ius  injustes  usurpateurs  ne  seront  point 
obligés  à  restituer  un  bieu  qu'ils  ont  crimi- 
nellement ravi.  Les  fautes  les  plus  lourdes 
ne  seront  pas  punies  plus  grièvement  que 
les  péchés  les  plus  légers.  Ainsi  le  pécheur 
est  trompé  par  le  conseil  même  de  celui  qui 
devrait  l'aider  à  sortir  de  ses  voies  crimi- 
nelles. Le  pécheur  périra,  mais  de  quelle 
peine  ne  sera  point  puni  le  faux  prophète 
oui  l'a  séduit? 

11  y  a  donc  du  péril  dans  l'administration 
du  sacrement  de  pénitence,  il  ne  faut  point 
se  le  dissimuler.il  n'y  a  que  la  grâce  du  Sei- 
gneur qui  |)uis3e  soutenir  un  prêtre,  et  le 
préserver  des  |)érils  auxquels  il  est  exposé 
dans  l'exercice  de  son  ministère.  Il  n'y  a 
qu'à  observer  qui  sont  ceux  à  qui  le  Sei- 
gneur accorde  ses  grâces,  et  qu'il  est  accou- 
tumé de  fortiher  de  ses  secours.  L'empres- 
sement, la  hardiesse,  la  précipitation,  la 
bonne  opinion  de  soi-même,  sont-ce  là  les 
voies  pour  obtenir  les  grâces  du  Seigneur? 
N'est-il  pas  au  contraire  constant  que  les 
téméraires  en  punition  de  leur  orgueil  sont 
ordinairement  abandonnés?  Vous  donc  qui 
vous  précii)ilez,   sur  quoi  comptez-vous? 


Vous  comptez  sur  vous,  c'est-à-dire  que 
vous  faites  fond  sur  la  fragilité  même.  S;i- 
vez-vous  ce  que  c'est  que  l'homme,  ce  qu'il 
peut,  ce  qu'il  devient  quand  il  est  délaissé? 
Savez-vous  que  la  langueur,  la  faiblesse,  la 
misère,  l'impuissance,  la  corruption,  la  ma- 
lice sont  le  partage  de  l'homme?  Parlez- 
donc  plus  sagement,  et  dites  que,  connais- 
sant les  justes  raisons  que  vous  avez  de  vous 
défier  de  vous-mêmes,  vous  mettez  toute 
votre  confiance  au  Seigneur  ;  mais  en  même 
temps  prenez  de  plus  justes  mesures  pour 
attirer  sur  vous  des  secours  si  nécessaires. 
Soyez  convaincus  que  vous  ne  pouvez  les 
m(''riter  qu'en  reculant,  en  fuyant,  en  vous 
défiant  de  vous-mêmes, en  tremblant  sous  la 
pesanteur  du  fardeau. 

J'entre,  me  direz-vous,  dans  tous  ses  sen- 
timents, je  connais  combien  le  poids  est 
lourd,  le  péril  m'épouvante  ;  voilà  pourquoi 
je  fuis,  et  je  prends  la  résolution  de  ne  .me 
point  engager  dans  l'administration  du  sa- 
crement de  pénitence. 

Ce  n'est  pas  là  la  conséquence  qui  doit 
être  tirée  des  principes  que  je  viens  d'avan- 
cer. Vous  ne  devez  pas  être  hardi,  vous  ne 
devez  pas  vous  présenter  de  vous-même; 
mais  aussi  vous  ne  devez  pas  être  trop  ti- 
mide, et  vous  ne  devez  pas  fuir  quand  le 
Seigneur  vous  appelle.  Pourvu  que  toutes 
les  maximes  soient  bien  connues,  les  abus 
seront  retranchés,  et  en  fuyant  une  extré- 
mité, on  ne  tombera  point'dans  une  autre. 

Voici  donc  l'autre  maxime  qui  doit  encou- 
rager ceux  que  le  péril  elfraye,  et  leur  faire 
voir  qu'il  y  aurait  encore  plus  de  péril  à  ne 
se  point  exposer  quand  le  Seigneur  le  com- 
mande. 

La  maxime  est  que  tout  ecclésiastique  lé- 
gitimementappelé  ne  doit  plus  reculer;  il  est 
obligé  d'obéir.  Mettant  sa  confiance  au  Sei- 
gneur, il  doit  être  persuadé  sur  la  parole  de 
Dieu  même,  que  Dieu  sera  son  protecteur, 
et  qu'il  le  soutiendra  au  milieu  des  périls 
dont  sont  accompagnées  les  fonctions  ecclé- 
siastiques. 

Il  n'est  pas  toujours  permis  de  reculer  et 
de  fuir.  Il  y  a  beaucoup  d'ecclésiastiques 
habiles  qui  pourraient  rendre  service  au 
prochain  en  administrant  le  sacrement  de 
pénitence.  Pourquoi  ne  le  font-ils  pas? 
Pourquoi  abandonnent-ils  cette  fonction 
aux  moins  habiles  et  aux  moins  zélés? 

Différents  principes  et  souvent  très-mau- 
vais engagent  plusieurs  ecclésiastiques  à 
s'éloigner.  Les  uns  considèrent  cette  fonction 
comme  une  fonction  basse  et  qui  ne  conduit 
h  aucune  élévalion.  Les  autres  sont  enne- 
mis de  la  contrainte,  de  la  peine  et  du  tra- 
vail. Les  autres  vousdironlque  c'est  un  tra- 
vail ingrat,  qui  consume  beaucoup  de  temps, 
et  qui  satisfait  peu  res{)rit. 

On  est  prêtre  :  on  est  prêtre  pour  son 
prochain:  on  peut  le  secourir,  et  on  l'aban- 
donne. N'y  a-t-il  point  sujet  de  craindre  que 
Dieu  n'entre  dans  de  justes  sentiments  de 
colère  contre  ceux  qui   laissent   ainsi  iuu- 


1349 


RETRAITE  ECCLES.  — 


liles  les  talents  qui  leur  ont  éié  mis  entre 
les  mains? 

C'est  donc  un  çrand  désordre  que  les  uns 
méprisent  une  fonction  si  élevée,  que  les 
autres  se  rebutent  de  la  peine,  que  d  autres 
considèrent  comme  un  travail  ingrat  une 
sainte  fonction  où  l'on  peut  l'aire  une  mois- 
son si  abondante. 

C'est  encore  un  autre  désordre  que  des 
prêlres  vertueux,  habiles,  éclairés  ,  portent 
la  juste  défiance  qu'ils  ont  d'eux-mêmes 
jusqu'à  n'oser  exercer  un  ministère  qu'ils 
sont  en  état  de  remplir  avec  beaucou|)  de 
fidélité  et  d'utilité  pour  leurs  fi  ères.  Ce  sont 
ceux-là  qui  ont  particulièrement  besoin 
d'être  encouragés. 

Vous  dites  que  vous  vous  connaissez  et 
que  vous  ne  savez  que  trop  les  justes  rai- 
sons que  vous  avez  de  vous  défier  de  vous. 
Et  moi  je  vous  réponds  qu'il  ne  vous  ap- 
partient point  de  vous  juger ,  que  vous  se- 
riez présomptueux  si  vous  vous  croyiez 
capable;  que  vous  devez  ignorer  vos  talents 
et  ce  que  vous  pouvez.  Mais  aussi  vous  êtes 
obligé  de  vous  soumettre  et  de  suivre  la 
voix  de  vos  supérieurs  que  Dieu  a  établis 
pour  être  vos  conducteurs. 

S'il  est  permis  de  fuir  h  tous  ceux  qui 
sont  dans  la  situation  oià  vous  vous  trou- 
vez, qui  aura  donc  soin  du  troupeau  de 
Jésus-Christ  ?  Sera-ce  ces  hommes  hardis, 
d'autant  plu5  dangereux  qu'ils  sont  pleins 
de  [)résomption?  Vous  vous  connaissez  et 
vous  vousdéliez  de  votre  faiblesse;  vous  avez 
peut-être  encore  plus  de  sujet  de  vous  en 
délier  que  vous  ne  pensez.  Vous  auriez  donc 
raison  de  trembler  et  de  fuir,  si  toute  votre 
ressource  était  dans  vous-même  et  dans  vos 
propres  forces.  Mais  pouvez-ignorer  quelles 
sont  les  miséricordes  du  Seigneur,  et  com- 
bien elles  sont  abondantes  sur  ceux  qui  se 
confient  en  lui? 

Si  vous  étiez  de  ces  hommes  hardis  dont 
je  viens  de  représenter  le  caractère, je  vous 
dirais  que  vous  ne  devez  point  compter  sur 
les  secours  du  Seigneur;  mais  par  sa  miséri- 
corde vous  êtes  dans  des  dispositions  tou- 
tes contraires.  Vous  vous  jugez  indigne,  et 
les  autres  ont  une  meilleure  opinion  de 
vous  ;  vous  fuyez  et  l'on  vous  recherche. 
Venez  donc  au  nom  du  Seigneur,  plein  de 
confiance  et  fortifié  par  ses  promesses.  Saint 
Augustin  l'a  dit,  et  rien  n'est  plus  certain 
que  la  vérité  de  celte  maxime.  Elre  appelé 
pour  exercer  une  fonction,  c'est  une  assu- 
rance que  Dieu  nous  accordera  les  grâces 
qui  nous  sont  nécessaires  pour  io  bien  rem- 
plir (283). 

Tenons-nous  aux  maximes  sûres  qui  nous 
font  connaîire  les  dispositions  dans  les- 
quelles doit  être  un  prêtre  pour  no  pas 
s'engager  témérairement  dans  l'administra- 
tion du  sacrement  de  pénitence.  Voyons 
maintenant  combien  il  est  dangereux  de  s'é- 
carter des  règles  lorsqu'on  est  appelé  à  l'ad- 
ministration de  ce  sacrement. 


XXII,  LA  PENITENCE.  4350 

DEUXli5:ME     POINT. 

Trois  principes  que  je  vais  établir  vous 
feront  connaître  combien  il  est  dangereux 
de  s'écarter  des  règles  quand  on  est  appelé 
h  l'administration  du  sacrement  de  péni- 
tence. 

Le  premier  principe  est  que  celui  qui  s'é- 
carte des  règles,  se  fait  beaucoup  de  mal  à 
lui-même.  Le  second  est  qu'il  en  fait  aussi 
beaucoup  aux  oéclieurs  qui  s'adressent  à 
lui. 

Le  troisième  est  que  le  prêtre  en  trans- 
gressant les  règles  est  beaucoup  plus  crimi- 
nel que  les  pécheurs  qui  le  sollicitent  con- 
tre son  devoir  et  qui  no  doivent  point  6ir« 
écoutés,  parce  qu'ils  ne  savent  ce  qu'ils 
demandent. 

Le  prêtre  qui,  dans  l'administration  du 
sacrement  de  ^pénitence,  viole  les  règles 
que  Jésus-Christ  a  établies,  devient  très- 
criminel  et  se  fait  beaucoup  de  mal  à  lui- 
môme.  Car  les  prêtres  doivent  se  souvenir 
de  ce  qu'ils  sont  et  de  la  qualité  qu'ils  por- 
tent. Ils  ne  sont  pas  les  maîtres  des  grâces, 
et  il  ne  leur  appartient  pas  de  les  distribuer 
selon  les  règles  de  leur  volonté.  Que  les 
hommes,  dit  saint  Paul,  nous  considèrent 
comme  les  minisires  de  Jésus-Christ,  et  comme 
les  dispensateurs  des  mystères  de  Dieu. [l  Cor. ^ 
IV,  1.)  Les  prêlres  donc  ne  sont  que  dis- 
pensateurs, el  ce  à  quoi  ils  doivent  prendre 
garde,  romme  le  saint  Apôtre  ajoute ,  c'est 
d'être  dispensateurs  fidèles.  Si  donc  ils  sont 
infidèles  dans  leur  dispensation,  s'ils  abu- 
sent de  l'autorité  qui  leur  est  confiée,  qui 
peut  douter  que  Dieu  ne  leur  en  demande 
compte,  et  que  par  cette  infidélité  ils  ne  se 
rendent  très-criminels  devant  lui? 

Leur  crime  est  d'autant  plus  grand  qu'ils 
abusent  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  saint 
dans  la  religion.  Prenez  garde,  disait 
Jésus-Christ,  à  ne  point  donner  les  choses 
saintes  aux  chiens  ,  et  à  ne  point  jeter  les 
perles  devant  les  pourceaux.  {Matth.,  Vil,  6.) 
N'est-ce  pas  ce  que  font  les  prêtres  qui  pré- 
variquent  et  qui  répandent  sur  des  indignes 
le  sang  de  Jésus-Christ?  Oui,  j)rofaner  les 
sacrements,  les  conférer  à  des  indignes, 
c'est  souiller  le  sang  de  Jésus-Christ  même, 
et  c'est  par  là  que  vous  devez  juger  du  crime 
que  commettent  les  prêlres  qui  font  un  si 
mauvais  usage  du  pouvoir  qui  leur  a  été 
confié.  Le  sang  de  Jésus-Christ  demande 
vengeance  contre  eux,  comme  l'enseigne  cet 
apôire  (Hebr.,  Xll,  2ï),  il  a  plus  de  force 
pour  se  taire  entendre,  que  n'en  eut  celui 
d'Abel  lorsqu'il  fut  si  cruellement  répandu. 

Dieu  dit, dans  un  prophète,  [Ezech.,  Ui,  18), 
que  quand  l'homme  sera  coupable  de  la 
perte  de  son  frère,  il  le  considérera  comme 
ayant  trempé  les  mains  dans  son  sang,  et 
qu'il  lui  en  demandera  com{)le.  Donc  à  plus 
iorte  raison  Dieu  demande  com{)te  à  un 
prêlre  du  sang  de  Jésus-Christ  son  Fils, 
lorsque,  \)ài-  sa  mauvaise  administration,  il 


(280)  i  Sœpe  oOTicium  ioiperliendi  nieriium  est  accipiendi.  >  'S,  Au(i.,ep.  2G(i.) 


1551 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMDEUT. 


lôo2 


aura  été  fait  un  sacrilège  abus  do  ce  sang 
si  précieux. 

Cet  économe  infidèle,  cet  injuste  dispen- 
sateurcomraet  le  crime  gratuitement  et  sans 
aucun  fruit.  Il  se  souille,  et  par  son  action 
il  rend  son  frère  plus  criminel. 

Si  nous  avons  la  crainte  du  Seigneur,  ja- 
mais nous  ne  consentirons  de  l'offenser, 
quand  bien  môme  nos  fautes  pourraient 
être  (le  quoique  utilité.  Mais  le  crime  doit 
faire  encore  plus  d'Iiorreur,  lorsqu'il  ne  peut 
que  nuire  en  toute  manière. 

Que  faites-vous,  ministre  infidèle  ?  vous 
vous  perdez  et  vous  no  sauvez  pas  vos  frères  ; 
vous  vous  liez,  et  vous  ne  les  déliez  pas. 
Tel  est  l'effet  pernicieux  de  celte  injuste 
absolution  prononcée  contre  les  règles  de 
l'Eglise.  Le  prêtre ,  selon  saint  Basile,  so 
perd  ;  selon  saint  Ambroise,  il  se  lie  (284). 
O  quelle  funeste  sentence  1  Et  comment  se 
irouve-t-il  des  hommes  assez  hardis  pour 
en  prononcer  de  pareilles  ?  Comment  la 
seule  compassion  que  vous  devez  avoir  pour 
votre  frère  ne  vous  arrèle-t-elle  pas,  et  ne 
vous  emp6che-t-el!e  point  de  lui  faire  un 
tort  (}ui  lui  est  si  préjudiciable?  Mais  quoi  ! 
vous  ne  songez  point  à  vous-même  et  à  la 
plaie  que  vous  vous  faites.  Savez-vous  que 
vous  vous  liez?  Savez-vous  que  vous  vous 
perdez?  Comment  consentez-vous  d'ajouter 
ce  nouveau  poids  à  tant  d'autres  iniquités 
que  votre  conscience  vous  reproche? 

Voilà  donc  le  mal  que  se  fait  à  lui-même 
le  prêtre  criminel  qui  bausedeson  pouvoir, 
cl  qui  ne  suit  pas  les  sages  règles  prescrites 
par  Jésus-Christ. 

J'ai  déjà  dit  que  son  crime  est  préjudi- 
ciable en  toute  manière.  Vous  allez  le  voir. 
S'il  se  fuit  à  lui-mêu)e  une  blessure  pro- 
fonde, il  n'en  fait  pas  une  moindre  à  ses 
frères  dont  il  envenime  les  plaies. 

Je  vous  ai  fait  voir  que  le  sang  de  Jésus- 
Christ  est  profané  pai  l'administration  in- 
juste du  sacrement  de  pénitence.  Il  est  pro- 
fané, parce  qu'il  est  répandu  sur  un  pé- 
cheur qui  n'est  |»as  préparé  à  profiter  du 
mérita  de  ce  sang.  Ce  pécheur  devient  sa- 
crilège par  cette  {)rofanation.  Si  le  prêtre 
était  ferme,  s'il  suivait  les  règles,  il  épar- 
gnerait o  son  frère  cet  énorme  sacrilège.  Il 
trempe  donc  dans  le  crime  de  son  frère, 
mais  dans  un  crime  énorme,  dans  un  crime 
qui  est  appelé  sacrilège  |)0ur  faire  voir  qu'il 
n'y  en  a  point  de  plus  grief. 

Voyons  donc  à  forid  quelle  est  votre  ac- 
liou  et  ce  que  vous  en  pensez. 

Quelle  est  votre  disj)Osilion  à  l'égard  de 
votre  frère?  Lorsque  vous  lui  déclarez  de 
la  part  de  Jésus-Clirist  que  ses  pécliés  lui 
sont  remis,  io  croyez-vous  disposé  à  pro- 
fiter de  cette  grâce?  Cependant  par  sa  con- 
fession vous  avez  connu  que  c'est  un  homme 

(284)  <Non  tamse  solvere  ciipiiint  quam  sacerdo- 
lein  ligare.  »  (S.  Basil.,  ep.  '2  ad  Àmpliil.  ;  S.  Asir. 
I.  il  Depœn.,  c.  9.) 

(285)  «  Aperiemluinvulnusesl  et  secandiim,  cl  pu- 
irediii.bus  aiiipulalis  ineilelu  foiliore  (uraiiclum. 
Vocilerclur  et  tlaiiiet  licei,  et  coiicj,ueraiur;  a'gor 


qui  depuis  plusieurs  années  ne  se  corrige 
point  et  retombe  conlinucllemenl  dans  de 
très-grièves  fautes.  Vous  avez  connu  que 
e'est  un  homme  qui  retient  injustement  un 
bien  qui  ne  lui  appartient  pas ,  et  quia 
muncpié  plusieurs  fois  à  la  parolequ'il  avait 
donnée  de  le  restituer.  Vous  avez  connu 
que  c'est  un  homme  qui  tombe,  parce  qu'il 
n'apporte  aucune  précaution,  et  qu'il  de- 
meure au  milieu  du  péril.  Quoi  1  cet  homme 
vous  paraît  en  état  d'être  réconcilié?  Il  est 
aussi  indigne  de  profiter  du  bénéfice  de 
l'absolution,  que  vous  êtes  indigne  d'admi- 
nistrer le  sacrement,  |)endant  que  vous  en 
ignorez  les  premiers  [)rincipes  que  tout 
j)rôtre  est  indispensablement  obligé  de  sui- 
vre. 

Non,  votre  ignorance  n'est  pas  assez 
grossière  pour  ne  pas  connaître  son  indi- 
gnité; mais  vous  êtes  ému  de  compassion, 
et  vous  ne  [)0uvez  vous  résoudre  à  renvoyer 
votre  frère  sans  lui  accorder  la  grâce  qu'il 
demande.  Votre  frère  vous  demande  du 
poison  et  vous  lui  en  donnez.  Quel  compas- 
sion! quelle  miséricorde  I 

«  Faut-il  donc,  dit  excellemment  saint 
Cyprien,  écouter  les  cris  du  malade,  et  ne 
lui  pas  faire  les  incisions  nécessaires,  parce 
qu'il  se  plaint,  qu'il  crie  et  qu'il  refuse  les 
remèdes  amers  sans  lesquels  il  ne  peut  être 
guéri  ?  L'habile  médecin  fait  ouvrir  la  plaie, 
il  coupe  la  chair  qui  est  corrompue,  il  n'a 
aucun  égard  aux  cris  du  malade,  il  le  guérit 
par  les  opérations  douloureuses.  Celui  qui 
d'abord  avait  formé  tant  de  plaintes,  recon- 
naîtra ce  qu'il  doit  au  sage  médecin  qui  l'a 
guéri,  il  lui  fera  des  remercîments  propor- 
tionnés à  la  grâce  qu'il  a  reçue  (285). 

Vous  voulez,  diles-vous,  faire  grâce  à 
votre  frère.  Mais  comment  vous  y  prenez- 
vous?  Vous  le  tuez  par  votre  absolution: 
voilà  la  grâce  que  vous  lui  faites.  Vous  le 
tuez  ;  c'est  le  clergé  de  Rome  qui  le  dit  dans 
une  excellente  épître  écrite  à  saint  Cyprien, 
écoutez  ses  paroles  :  «Si  le  prêtre  couvre 
seulement  la  plaie,  et  ne  veut  pas  attendre 
qu'elle  soit  guérie  par  le  moyen  des  remè- 
des qui  ont  besoin  de  temps  pour  produire 
leur  effet,  ce  n'est  pas  travailler  à  la  guéri- 
son  des  âmes,  mais  si  nous  voulons  dire  la 
vérité,  c'est  les  tuer  (286).  » 

Un  pécheur  vient  à  vous,  il  vous  décou- 
vre la  blessure  de  son  âme  ;  vous  prononcez 
la  sentence  d'absolution.  Par  là  vous  lui 
donnez  lieu  de  croire  qu'il  est  véritable- 
ment réconcilié  avec  Dieu.  Vous  dissipez 
le  trouble  de  son  âme;  il  est  tranquille  sur 
votre  parole;  sa  blessure  est-elle  guérie? 
Non,  car  il  demeurera  toujours  au  milieu 
du  péril,  et  ses  anciennes  habitudes  seront 
toujours  dans  la  même  force.  Ainsi  vous 
couvrez  la  blessure  par  le  funeste  repos  que 

impatiens  perdolorem.gralias  ageiposimodiim,  tuni 
senserlt  sanitalem.  »  {De  lapsis.) 

('280)  €  Si  tantiMii  modo  operit  vulnus,  nec  sinit 
necessaria  icmporis  remédia  coiidncere  cicalricem, 
hoc  non  est  cuiare,  sed  si  verum  diccre  volumiis 
occidere.  »  {Jnierep.  Cyprian.,  51.) 


1353 


RETRAITE  ECCLES.  —  \XII,  LA  PENlTEiNCE, 


i^r-ii 


vous  lui  procurez,  mais  vous  ne  la  gui'-- 
risscz  pas.  Les  reinèdes  ne  pouvenl  pasngir 
si  prompleineiU  ;  il  faudrait  du  temps,  l'im- 
palicnce  et  la  précipitation  sont  mortelles 
au  malade.  Parlons  clairement.  Le  mal  est 
trop  couumin  et  trop  grief  pour  être  dissi- 
niuli^.  Songez-y  sérieusement,  et  voyez  si 
vous  serez  assez  méchant  pour  hasarder 
encore  dt-s  absolutions  précipilées.  C'est 
luer  les  âmes,  c'est  les  tuer  véritablement 
et  non  point  les  guérir.  C'est  être  un  bour- 
reau et  non  pas  un  médecin  (287). 

Lessainls  Pères,  fortement  animés  contre 
un  désordre  qui  produit  tant  de  maux,  ont 
encore  soutenu  que  les  [uêtres  qui  ont  tant 
de  hclteile  réconcilier  les  pécheuis,  sont  des 
persécuteurs.  Ils  ont  avancé  que  ces  hom- 
mes lâches  persécutent  l'Eglise  d'une  ma- 
nière filus  dangereuse  que  les  tyrans  qui 
lui  font  ouverten)ent  la  guerre.  «  C'est,  dit 
saint  Cyprien  ,  une  nouvelle  persécutif)n  ; 
c'est  une  nouvelle  tentation,  clans  laquelle 
notre  ennemi,  par  une  violence  secrète  et 
caciiée,  exerce  encore  sa  fureur.  Il  ajoute 
que  le  venin  de  leur  persuasion  est  plus 
mortel  que  la  viulcnca  môme  de  la  persé- 
cution (288).» 

En  elfet,  (]uelle  [lersécution  plus  cruelle? 
Vous  annoncez  la  pais,  où  il  n'y  a  point  do 
paix.  Vous  endormez  le  pécheur,  vous  len- 
Irelenez  dans  une  fausse  opinion  de  son 
pardon.  Si  vous  éliez  plus  ferme,  si  vous 
suiviez  exactemeiit  les  règles  de  l'Eglise,  le 
|)écheur  concevrait  de  l'horreur  de  son  crime, 
et  il  en  reconnaîtrait  l'énormilé  ;  vous  le 
disposeriez  à  répandre  des  larmes,  et  il  apai- 
serait Dieu  |)ar  des  œuvres  laborieuses; 
vous  iriez  plus  lentement,  mais  votre  ou- 
VI âge  serait  solide;  le  pécheur  ne  serait  pas 
SI  tôt  réconcilié,  mais  sa  réconciliation  se-> 
fait  véritable,  et  il  pourrait  espérer  de  recou- 
vrer un  jour  le  [irécieux  trésor  que  son  pé- 
ché lui  a  fait  perdre. 

Voilà  tous  les  biens  que  vous  empêcliez, 
voilà  tous  les  maux  que  vous  faites,  et  c'est 
sur  ce  fondement  que  les  saints  Pères  vous 
aiijielltnt  des  |)ersécuteurs,  des  homicides 
Cl  des  bourreaux. 

Les  pécheurs  sont  très-criniineisde  vou- 
loir èlre  trop  promplement  réconciliés.  Vous 
venez  de  voir  que  vous  vous  rendez  Irès- 
cou[)able,  lorsque,  par  une  lâche  couiplui- 
sance,  vous  cédez  à  leur  prière,  en  leur  accor- 
dant une  grâce  dont  ils  sont  indignes.  Mais 
(juand  il  sera  question  de  coruparer  votre 
peoljé  avec  celui  des  pécheurs  qui  s'adres- 
^enl  à  vous,  il  n'y  a  point  de  doute  que 
votre  faute  ne  I  em()ortesur  la  leur,  et  qu'elle 
ne  soit  toujours  estimée  plus  giiève. 

Voulez-vous  que  saint  Cyprien  en  soit  !e 
juge  ?  voulez-vous  qu'il    vous    explique   ce 

(287)  <  Ne  qui  oviiim  pasiores  esse  dcbciu  lanii 
|i:iiit.  I  (S.  C^PR.,  e|>.  10.) 

(SSSi  «  l'er^etuiio  tsi  lutc  :ilia,  per  qiiam  sublilis 
iiiiiiiicus  il!l^u;^llall  lis  a^ibuc  lapsi»  ccculla  popiila- 
lioiie  grassalur...  .Noxia  et  vciiciiala  persuasio  pci- 
bC'-iiUoiie  ipsa  pejus  iiucrficil.  >  \l><:  l'tpsis.) 

\2S9)  I  lili  iii  iioiibuntqui  minus Sci iplur;u  lig'ni 
ieiieiit.  Enmi  aiilcin  rci  qui  p  icsunl  el  li.c:  fiatri' 

OBiTtSJKî  sACiu:s.   L\\'lll. 


qu'il  pense  de  votre  faute  comparée  à  celie 
des  pécheurs  que  vous  réconciliez  injuste- 
n;enl. 

<(  Ceux-là,  dit  saint  Cyprien,  sonl'moins 
coupables,  qui  connaissent  moins  ce  qui  est 
prescrit  dans  les  saintes  Ecritures  ,  mais 
ceux-là  sont  beaucoup  plus  criminels  (|ui 
sont  à  la  tête  du  troupeau  et  qui  n'ont  pas 
soin  d'instruire  les  pécheurs,  alin  de  les  en- 
gager à  suivre  l'ordre  salutaire  que  le  Sei- 
gneur a  établi  (289).  » 

Le  môme  saint  Cy[)rien  di',  dans  un  autre 
endroit,  qu'il  y  aurait  quehpie  lieu  d'excu- 
ser cous  qui  sont  lombes  dans  le  péché. «  Cap 
quel  est  l'homme  qui  no  souhaite  de  recou- 
vrer la  vie  de  la  grâce  ?  quel  est  l'homme  qui 
ne  s'avance  pour  rentrer  dans  la  voie  qui 
meneau  salut  ?  C'est  donc  aux  conducteurs 
de  maintenir  l'autorité  des  lois  :  c'est  à  eux 
d'instruire  ceux  qui  les  ignorent,  et  d'arrêter 
la  trop  grande  ardeur  des  pécheurs  qui  se 
précipitent,  de  peur  que  ceux  (ces  paroles 
de  saint  Cyprien  ont  déjà  été  raf)portées,  et 
méritent  une  attention  toute  particulièrej 
de  peur  que  ceux  qui  doivent  être  les  pas- 
teurs des  brebis,  n  en  deviennent  les  bour- 
reaux (290).  » 

Saint  Cyprien  prouve  donc  que,  les  prê- 
tres qui  se  hâtent  de  réconcilier  les  pécheurs 
contre  les  règles,  sont  plus  coupables  que 
les  pénitents  ;  ses  raisons  sont  : 

Premièrement  parce  que  les  prêtres  sont 
mieux  instruits.  Dieu  veut  qu'ils  s'aiipli- 
queiit  à  connaître  la  vérité;  Dieu  les  a  char- 
gés d'annoncer  avec  force  les  vérités  du 
salut.  C'est  à  eux  à  faire  voir  de  quelle 
conséquence  il  est  de  les  pratiquer  exacte- 
ment. 

SeconiJemcnl  les  prêtres  n'ont  aucune  ex- 
cuse pour  se  dispenser  de  suivre  les  règles. 
S'ils  ne  les  connaissent  pas,  c'est  une  igno- 
lauce  grossière  qui  les  rend  encore  plus 
coupables.  Ils  sont  inexcusables  de  s'enga- 
ger dans  des  fonctions  aussi  importantes, 
sans  avoir  les  connaissances  nécessaires 
|)Our  les  bien  remplir. 

Si  c'est  par  lâcheté  qu'ils  transgressent  les 
règles,  avec  quelle  sévérité  ne  seront-ils 
point  repris?  11  est  de  leur  ministère  de 
soutenir  les  règles,  de  les  défendre,  d'en 
faire  voir  l'équité,  de  les  faire  observer. 
Qu'esl-ce  qu'un  prêtre  sans  fermeté,  et  qui 
n'a  pas  la  force  de  résister  aux  sollicitations 
importunes  d'un  pécheur  qui  ne  connaît  pas 
ce  qui  lui  convient  ? 

Vous  comprenez  sans  doute  [iiésentemenl 
combien  il  est  dangereux  de  s'écarter  des 
iègles  saintes,  si  solidement  établies  et  si 
nécessaires  pour  retirer  les  |ié(;heurs  d(! 
leurs  voies  criminelles.  Résolus  do  les  ob- 
server avec    lidélité,  vous    me  demandez 

bu3 non  suggérant,   i  (Ep.  9.) 

('IW)  «  Lapsis  iiuicleiii  in  hoc  potcst  vonia  conci-- 
(li  :  ([Uis  eiiiui  non  ninrUiiis  vivilican  propcrct,  (ju  s 
non  aJ  salutein  buain  vetiiie  t'csiiiiet,  seil  prxpu.^i 
lorum  est  pr;uccpluin  tenere,  et  vel  propcraul  s 
\el  igiioraïUcsiiiilruere,  ne  qui  oviuni  pastores  Lb>ti 
dt.b;;ht,  lauii  liant.  »  (Epist.  10.) 

i3 


\  "rio 

quellos  soni  ces  règles.  Il  csl  juste  do  vous 
l'air«  connaître  au  moins  les  p:  incip.Ues, 
et  c'est  ce  que  je  me  [sropose  dans  lu  dor- 
iiièrc  partie  de  ce  discours. 

TROISIÈME    POINT. 

Le  grand  fruit  de  la  pénitence  c'est  de  re- 
médier au  passé,  et  de  prendre  de  sages  et 
salutaires  |)récaulions  pour  l'avenir. 

Le  ['rêlre,  comme  un  sage  médecin,  doit 
Olre  enlièr(Mnent  appliqué  à  guérir  la  bles- 
sure du  malade.  11  doit  encore  travailler  Ji 
une  guérison  permanente,  de  telle  sorte  que 
les  plaies  du  malade  soient  bien  fermées. 

Le  prêtre  donc  doit  se  proposer  première- 
ment de  guérir  la  [)laie  de  son  malade. 

ijecondcmenl  il  doit  chercber  des  moyens 
efficaces  alin  que  la  plaie  ne  s'ouvre  pfus. 

Le  remède  qui  guérit  le  péché,  ce  sont 
lies  pénitences  proportionnées  à  l'énormilé 
du  péché. 

Vcici  donc  une  règle  que  le  prêtre  doit 
suivra)  inviolableraent  dans  l'administralion 
du  sr.crement  de  pénitence.  Il  est  de  sa 
charité  et  de  son  devoir  d'imposer  au  péni- 
tent des  pénitences  proportionnées  qui  puis- 
sent apaiser  Dieu,  et  effacer  le  péché  du 
livre  de  sa  colère. 

Les  moyens  efficaces  qui  empêchent  la 
plaie  de  se  rouvrir,  sont  de  convaincre  le 
jiécheur,  de  le  porter  par  des  voies  douces 
et  pleiHCS  do  charité  à  user  des  remèdes 
amers  qui  lui  sont  nécessaires,  d'éprouver 
sa  voloiUé  chancelante  et  de  l'affermir  dans 
les  saintes  résolutions  ;  de  le  dis[)Oser  à  en- 
Irer  dans  des  voies  contraires  à  celles  qui 
ont  été  la  cause  de  sa  perte.  C'est  ce  qui 
nie  donne  lieu  d'établir  ces  règles  que  tout 
prêtre  doit  suivre  pour  s'acquitter  fidèle- 
ment d'un  de  ses   plus  im[)Oitanls  devoirs. 

Premièrement  appliquez-vous  à  convain- 
cre res[)rit,  puisque  la  conviction  de  l'es- 
]irit  est  le  premier  pas  pour  gagner  le  cœur. 
Secondement,  c'est  un  [)écheur  que  vous 
devez  ménager,  que  vous  devez  attirer,  que 
vous  devez  craindre  de  rebuter.  Songez  donc 
h  connaître  ses  disposiMons;  ahn  que,  sans 
tomber  dans  aucun  relâchement  contraire 
il  la  sainteté  de  votre  ministère,  vous  fassiez 
tout  ce  qui  est  en  vous  pour  ne  le  point 
effrayer,  et  lui  faciliter  les  voies  dans  les- 
quelles il  doit  entrer. 

Troisièmement,  c'est  un  pécheurque  vous 
devez  guérir.  Ayez  donc  pour  [)rincipe  de 
l'éprouver,  de  ne  point  user  de  précipita- 
tion :  car  qu'est-ce  qu'une  guérison  appa- 
rente et  momentanée,  après  laquelle  on  re- 
tombe dans  une  maladie  beaucoup  [ilus 
dangereuse  que  celle  dont  on  a  cru  fausse- 
meiil  être  guéri? 

(291)  «  liiquaiUiim  non  pepcrcens  libi,  in  taiilum 
libi  Ueus  parce'..  »  (De  pœuileniiii,  c.  !). 

{!2'.)2)  <  Quain  luagiiadeliiiuiinus  ta;iigiainlilcr  de- 
fleamus.  iVllo  viil..eri  diligeiisel  loiiga  iiit,diciiia  non 
desil:  pœiiileiilia  crimii.e  iniiior  non  sil.  »  (De  la- 
l'sis.) 

(-295)  «  Non  silminor  iiicdicina  quam  vulnus  est, 
non  siia  miuoia  rcmcdia  quam  l'une  a.  >  (Intci  0|>ist. 
h.  (:)pr.,ôl.j 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


15Î)G 


Quatiièmemenl ,  c'est  un  pécheur  que 
vous  devez  guérir.  Le  mal  se  guérit  parson 
contraire.  Si  donc  vous  êtes  iiahile  et  zélé, 
vous  travaillerez  <i  la  guérison  de  cette  ma- 
ladie, en  obligeant  le  pécheur  de  firatiqucr 
les  vertus  contraires  h  ses  vices  et  à  ses  in- 
clinations déréglées. 

Voilà  donc  cinq  règles  importantes.  Ne 
les  pas  suivre,  c'est  abuser  de  son  minis- 
tère; les  suivre  avec  fidéliié,  c'est  travailler 
solidement  à  la  conversion  des  pécheurs. 

La  première  règle  est  fondée  sur  ce  firin- 
cipe  incontestable  que  le  péché  ne  se  peut 
guérir  que  par  des  pénitences  |)ro|)ortion- 
nées  à  son  énormilé. 

La  sainte  aniiquité  a  toujours  été  con- 
vaincue de  la  vérité  de  ce  princi[)e.  «  Dieu 
vous  pardonnera,  dit  Terluliien,  à  propor- 
tion que  vous  no  vous  serez  point  pardonné 
à  vous-même  (291).»  Que  vos  gémissements 
et  vos  pleurs,  dit  saint  Cyprien,  égalent  la 
grandeur  de  vos  péchés  ;  apportons  de  salu- 
taires et  de  longs  remèdes  à  de  profondes 
plaies;  que  la  pénitence  ne  soit  pas  moin- 
dre que  le  crime  (292).  Voyez  la  même  vérité 
établie  par  le  clergé  de  Home  dans  la  lettre 
qu'il  écrit  à  saint  Cyprien, que  l'apfiareil  no 
soit  pas  moindre  que  la  plaie  ;  que  !es  re- 
mèdes ne  soient  pas  moindres  que  les 
maux  (293). Voulez-vous  entendre  saint  Gré- 
goire cieNazianze?il  assure  (29i)  que  la  pé- 
nitence est  un  baptême  de  larmes  et  labo- 
rieux. Il  s'(  xplique  expressément  sur.  la 
nécessité  d'une  pénitence  proportionnée, 
quand  il  assure  qu'il  ne  reçoit  point  ceux 
qui  ne  sont  point  abattus  et  humiliés,  ou 
qui  ne  le  sont  jjas  assez,  ou  qui  ne  font 
pas  une  pénitence  égale  et  proportionnée 
au  mal  qu'ils  ont  commis. 

Le  concile  de  Trente  n'a  donc  fait  qu'ex- 
pliquer la  doctrine  ancienne  de  tous  les 
Pères  de  l'Eglise,  quand  il  a  prononcé  ces 
excellentes  |;aroles  :  «  Les  prêtres  sont  obli- 
gés, en  suivant  toutefois  les  lumières  de 
l'Esprit  divin  et  les  règles  de  la  prudence 
chrétienne,  d'imposer  des  pénitences  con- 
venables et  salutaires  selon  la  qualité  des 
crimes  et  le  pouvoir  dos  pénitents,  de  peur 
que,  s'ils  dissimulent  les  péciiés  el  s'ils  trai- 
tent les  pénitents  avec  trop  d'indulgence, 
leur  enjoignant  des  œuvres  très-légères  [wur 
de  très-grands  péchés,  ils  ne  se  rendent 
eux-mêmes  participants  des  péchés  des 
autres  (295).  » 

Comment  tous  les  prêtres  ne  se  croient- 
ils  point  obligés  de  se  conduire  suivant  ces 
paroles,  el  comment  ne  craignent-ils  point 
d'enfreindre  une  si  sainte  loi?  Des  (irôlres 
imposeront  de  tiès-légères  pénitences  pour 
des  crimes  très-griefs.  Des  prôliessansalten- 

(29i)  0;af.  59,  p.  65G. 

('i'Jo)  «  Del>em  sacirdoies  quantum  spirilus  et  pru- 
deniia  su<;gi'sserit,  pro  (|ualii  ae  criniinum  et  pœni- 
tei.tiuin  l:i,:uliaie,  saluiares  et  convenientes  saiist:i- 
ciiones  injuntïeie:  ne  si  Ibrie  petciUis  coniiiveanl 
Cl  indtilj^eiilius  cuin  pœnitcntibus  agaiil,  levis.)iniu 
qux'dain  opcra  pio  gia  i£&iinis  dcliciis  injuigendu, 
alienorum  peccatorum  parlicipcs  ellicaiilur.  t  (Coiic. 
Trident.)  st.'ss.  14,  c.  8,  De  piniiteiii.) 


1537 


RETRAITE  ECCLES.  —  X\ll,  LA  PENITENCE. 


iÔjS 


tion  ot  sans  discernement  imposeront  les 
mêmes  pénitences  à  tous  les  pécheurs  qui 
se  préSLMilernnt  deviint  eux.  O  quelle  mi- 
séiicordel  Vous  croyez  favoriser  ce  pé- 
cheur, VOUS  le  trompez.  Sous  une  miséri- 
conle  appcircnle  vous  exercez  contre  lui 
une  très-grande  cruauté.  Peut-être  se  [)lain- 
drail-il  pour  un  temps,  si  vous  gardiez  les 
règles,  mais  il  se  plaindra  contre  vous  dans 
réternilé,  parce  que  vous  les  rivez  violées. 
Travaillez  à  elFacer  ses  péchés.  Et  [)uisi|u'il 
ne  peut  en  obtenir  le  pardon  qu'en  sesou- 
inetlant  aux  lois  rigoureuses  que  Jésus- 
Christ  a  si  saintement  établies,  mêliez  dans 
la  balance  le  crime  et  les  travaux  de  la  pé- 
nitence qui  le  doivent  elTacer  ;  autrement 
souvenez-vous  du  compte  que  vous  en  ren- 
drez. Souvenez-vous  que  vous  vous  perdez; 
souvenez-vous  que  flatter  le  pécheur,  c'est 
se  charger  soi-même  du  fardeau  et  parti- 
ciper à  ses  crimes. 

Il  est  vrai  que  le  prêtre  doit  avoir  de  l'in- 
dtiloBnre  et  être  plein  de  miséricorde,  mais 
CG  ne  doit  pas  Êlre  une  miséricorde  mal  en- 
tendue, et  voici  en(iuoi  elle  doit  consister. 

La  principale  miséricorde  du  prêtre  ,  c'est 
d'être  beaucoup  touché  de  la  misère  du  pé- 
cheur, et  de  prendre  de  justes  mesures  pour 
le  délivrer  de  la  tyrannie  du  péché. 

Le  prêtre  donc,  après  avoir  mis  le  pécheur 
en  étal  d'obtenir  le  pardon  de  ses  péchés  par 
des  pénitences  proportionjiées,  travaillera  à 
le  guérir  parfaitement  de  la  maladie  du  pé- 
ché ,  de  telle  sorte  qu'il  se  corrige  ,  et  qu'il 
ne  retombe  plus  dans  ses  anciens  désordres. 

Pour  cela  il  emploiera  des  remontrances 
salutaires  qui  convainquent  le  pécheur. 

Ceux-là  sont  très-éloign6s  do  suivre  cette 
règle,  qui  se  contentent  d'écouter  le  pé- 
cheur, et  ne  lui  donnent  aucuns  avertisse- 
ments. Souvent  c'est  ignorance,  et  parce 
qu'ils  exercent  un  art  qui  est  au-dessus  de 
leurs  talents.  Souvent  c'est  aussi  négligence 
et  paresse,  ot  parce  qu'un  prêtre  peu  chari- 
table se  sentant  importuné  j)ar  les  pécheurs 
qui  l'environnent,  songe  5  se  délivrer  d'eux, 
et  non  pas  à  les  décharger  du  pesant  fardeau 
du  péché. 

Comment  voulez-vous  que  ce  pécheur  ait 
seulement  la  pensée  de  se  convertir  ,  pen- 
dant que  vous  ne  lui  ex()Osez  aucun  des  mo- 
tifs pressants  qui  pourraient  l'engager  à 
sortw  de  son  péché?  Quoi  1  vous  le  laissez 
aller  sans  l'ellrayer  par  la  vue  terrible  des 
jugements  du  Seigneur;  sans  lui  représen- 
ter que  la  mort  est  prèle  à  tout  moment  à 
le  surprendre  et  à  le  frapper?  Quels  minis- 
iies  que  des  hommes  muets,  qui  gardent  un 
honteux  silence ,  el  ne  peuvent  pas  seule- 
ment ouvrir  la  bouche  pour  expliquer  le; 
maximes  les  plus  communes  de  la  religion  I 
Lhomme  alïligé  s'en  retourne  sans  être  con- 
solé ;  l'homme  incertain  sans  être  déter- 
luiné  ;  le  faible  sans  être  fortifié  ;  celui  qui 
est  découragé  sans  être  animé  ;  l'endurci 
sans  être  louché. 

O  vous  qui  avez  quelque  zèle,  gardez-^ 

(200;  Lil),  Il  De  saeeidolio,  cap.  i. 


vous  bien  de  tomber  dans  une  faute  si  cri- 
minelle. Ayez  pour  maxime  que  c'est  un 
devoir  indispensable  pour  vous  déparier  à 
cet  homme  selon  ses  besoins,  el  que  vous 
devez  vous  appliquer  h  convaincre  son 
esprit  par  de  solides  raisons.  La  religion 
vous  en  fournit  un  grand  nombre.  Vous 
êtes  obligés  de  vous  en  instruire,  afin  de 
les  exjdiquer  aux  pécheurs  qui  s'adressent 
.'i  voiis,  et  de  les  préparer,  jiar  de  solides 
discours  ,  à  entrer  dans  la  voie  du  Sei» 
gieiir. 

Non-seul  ment  vous  devez  convaincre 
l'esprit,  mais  encore  vous  devez  gagner  lo 
cœur.  Ce  pécheur  est  un  hon^me  que  Jésus» 
Christ  vous  envoie.  Il  doit  vous  être  très- 
cher.  La  charité  vous  obligea  lo  ménager. 
Vous  devez  craindre  de  l'éloigner  et  de  lo 
rebuter.  Je  vous  ai  donné  pour  règle  que, 
sans  tomber  dans  aucun  relâchement  con- 
traire à  la  sainteté  de  votre  ministère,  vous 
êtes  obligé  de  faire  tout  ce  qui  est  en  vous 
pour  attirer  sa  confiance,  pour  gagner  son 
cœur,  pour  lui  aplanir  la  voie. 

Le  prêtre  zélé  s'applique  à  connaître  le 
génie  et  les  dispositions  des  pécheurs  qui 
viennent  à  lui.  Tous  ne  doivent  f)as  être 
conduits  par  la  u>ôme  voie.  Les  pécheurs 
sont  des  malades.  Les  m'êines  remèdes  no 
guérissent  pas  toutes  les  maladies.  C'est  en 
cela  que  doivent  paraître  particulièrement 
l'adresse  et  la  charité  du  prêtre. 

Les  ditlicultés  sont  grandes,  comme  l'a 
très-bien  remarqué  saint  Chrysostome  (296)  ; 
Souvent  la  douceur  est  mortelle,  souvent  la 
rigueur  rebute. 

Si  vous  traitez  avec  douceur  celui  qui  a 
besoin  d'une  g.  ande  incision,  el  si  vous  ne 
lui  faites  une  ouverture  profonde,  il  est 
impossible  que  vous  guérissiez  ses  bleS' 
sures. 

Que  si,  n'usant  d'aucune  conilcscendance, 
vous  coupez  tout  ce  qui  a  besoin  de  l'être, 
il  arrivera  souvent  que  l'impaiience  de  lu 
douleur  fera  perdre  courage  au  malade.  Ij 
rejettera  tous  les  remèdes,  il  ne  voudra 
plus  vous  écouter,  ni  que  vous  apjirochiez 
de  lui. 

La  grande  habileté  du  médecin,  c'est  de 
gagner  le  malade,  el  de  lui  faire  souhaiter 
à  lui-môme  les  remèdes,  quoique  amers, 
quoique  diihciles ,  parce  qu'il  sera  con- 
vaincuque  l'application  des  remèdes  lui  est 
nécessaire,  et  qu'autrement  il  ne  peut  ja- 
mais guérir. 

La  charité  souffic,  s'insinue,  s'abaisse  ; 
elle  n'omet  rien  [))ur  convertir  le  [lécheur. 
Mais  néanmoins  la  charité  ne  sait  ce  que 
c'est  que  de  ilalter  le  pécheur  dans  ses  in- 
justes voies.  La  charité  ne  sait  ce  que  c'est 
que  d'entretenir  dans  une  fausse  opinion  do 
guérison  un  malade  qui  veut  être  trompé, 
La  charité  est  sincère  et  ennemie  de  l'ar- 
tifice. Vous  aurez  toutes  sortes  de  ména- 
gements pour  le  pécheur,  pourvu  que  ces 
ménagements  n'aillent  point  à  le  tromper, 
La  charité    vous  oblige  de  l"availlcr  h  lu 


I.-)j9 


OUATEimS  SACRES.  JOSEPH  I.AMRERT. 


lôao 


guérir  véri(fll)!emenl.  C'est  le  fondement 
(le  la  règle  que  j'ai  établie  quand  j'ai  dit 
que  le  prôlre  doit  éviter  la  précipitation, 
et  que  le  pécheur  qui  reloml)e  doit  être 
éprouvé,  jusqu'à  ce  que  son  changement 
soit  une  prouve  de  la  sincérité  de  sa  con- 
version. 

Je  suis  encore  obligé  de  vous  répéter 
ici  les  paroles  du  clergé  de  Rome  dans  sa 
lettre  h  saint  Cyprien.  Jl  dit  que  couvrir 
la  hlossure,  et  ne  pas  prendre  un  temps 
suffisant  jiour  s'assurer  de  la  guérison  du 
malade,  c'est  It  tuer.  «  Un  médecin  qui  se 
hâte,  dit  saint  Cyprien,  envenime  la  plaie. 
Elle  se  rouvre  bientôt,  [)arce  que  le  méde- 
cin n'a  [)as  voulu  user  d'un  délai  salutaire. 
Si  l'on  n'éteint  jusqu'à  la  moindre  étincelle, 
le  feu,  qui  n'est  que  caché  et  couvert,  ne 
sera  pas  longtemps  sans  paraître  avec  une 
force  nouvelle.  Qu'ils  sachent  donc  que  ce 
délai  leur  est  nécessaire,  que  l'on  en  use 
pour  leur  utilité  et  afin  qu'ils  soient  en 
état  de  profiler  des  remèdes  (297j.  »  Saint 
Cyprien  l'a  ré|iélé  en  une  infinité  d'en- 
droits, et  les  autres  Pères  avec  lui,  qu'une 
absolution  précipitée  ne  l'ait  que  couvrir  la 
blessure,  pendant  que  le  mal  demeure  d'une 
manière  d'autant  plus  dangereuse  qu'il  est 
caché  dans  le  cœur.  C'est  de  l'onguent  ap- 
j)liqué  au  dehors,  lorsque  le  mal  est  en- 
laciné  dans  le  plus  profond  de  ses  en- 
irailles  (298). 

Après  que  les  saints  Pères  se  sontsi  net- 
tement expliqués,  se  peut-il  faire  que  des 
jirêlres  aient  pour  maxime  de  ne  jamais 
diifércr  i'al)solulion;  qu'il  y  en  ait  qui 
regardent  ce  délai  comme  une  espèce  d'in- 
justice et  d'inhumanité.  S'il  y  a  de  l'inhu- 
manité, c'est  de  laisser  le  })écheur  dans  son 
yiéché,  de  le  fiatler  dans  ses  injustices,  de 
l'assurer  qu'il  est  guéri  quand  sa  plaie  est 
toute  vivante.  Un  pécheur  qui  croupit  depuis 
plusieurs  années  dans  son  péché,  en  serait 
•sorti  si  un  prêtre  zélé  l'eût  arrêté  au  rai- 
lieu  de  ses  voies  criminelles.  La  facilité  du 
pardon  a  entretenu  ses  désordres.  Le  pé- 
cheur s'élèvera  contre  le  prêtre  et  lui  re- 
prochera qu'il  est  la  cause  de  sa  mort. 

Jésus-Christ  vous  a-l-il  donc  donné  en 
vain  le  pouvoir  de  lier,  puisque  vous  avez 
})0ur  maxime  de  ne  vous  en  point  servir,  et 
que  vous  déliez  indliféremment  tous  les  pé- 
cheurs, quelque  nombreuses  et  fréquentes 
que  soient  leurs  criminelles  rechutes? 

N'alléguez  point  pour  excuse  l'indocilité 
des  pécheurs,  que  cette  discipline  sévère 
les  épouvante  el  les  rebute.  Est-ce  une  rai- 
son pour  violer  une  loi  si  saintement  el  si 
solidement  étaolie?  Saint  Grégoire  de  Na- 
zianze  (.-erm.  kO),  savait  fort  bien  ré- 
pondre avec  une  généreuse  fermeté  à  ces 
liommes  indociles  et  qui  ne  veulent  pas  se 
soumettre  aux  règles;  qu'ils  se  irom|>aienl 

(297)  «  hifidelis  cicairix  quam  cilo  fesliiiaus  me- 
(licus  induxit.  Cilo  rursiis  in  iiicenditim  Haimiia  re  • 
verliliir,  iiisi  loliu5  igiiis  usque  ad  exlrijinam  sein- 
til  ain  maleria  roslingualur,  ut  nieriio  liujiisnnKli 
iioniines  sciani  sil)i  etiaui  de  ipsa  mora  niiii^is  to/i 


s'ils  croyaient  pouvoir  le  faire  consentir  à 
devenir,  par  une  hiohe  com[)laisance,  l'in- 
strument de  leur  condamnation. 

J'ajouterai  que  cette  indocilité  des  pé- 
cheurs n'est  point  si  grande  que  l'on  s'ima- 
gine. Souvent  on  se  fait  des  fantômes  et 
des  diiïlcultés  qui  se  réduisent  à  rien.  Les 
prêtres  appliqués  ont  la  consolation  de  re- 
marquer que  les  pécheurs  eux-mêmes, 
quand  on  leur  fait  connaître  leur  véritable 
intérêt,  ne  refusent  pr)int  d'y  entrer.  On 
enverra  qui,  étant  instruits  et  connaissant 
leur  indisposition,  seront  les  premiers  à 
conjurer  le  prêtre  de  ne  les  point  absoudre. 
Ils  demanderont  du  temps  pour  s'examiner, 
pour  pleurer  et  pour  se  fortifir.T.  Tout  con- 
siste à  bien  expliquer  les  règles  de  l'Eglise, 
à  faire  connaître  au  pécheur  combien  ces 
règles  sont  salutaires,  à  le  soutenir,  à  le 
supporter,  à  le  consoler.  Avec  ces  sages 
tempéraments  que  la  charité  proportionne 
à  la  faiblesse  elaus  dispositions  des  pécheurs, 
un  très-grand  nombre  qui  languissaient  dc- 
ftuis  longtemps  dans  le  [)éché,  ont  béni  la 
fermeté  d'un  prêtre  zélé,  et  confessé  haute- 
ment qu'ils  lui  sont  redevables  de  leur  con- 
version et  de  leur  salut. 

Pendant  que  le  prêtre  fait  connaître  au 
pécheur  les  elforts  qu'il  doit  faire  pour  se 
convertir  et  pour  mériter  la  grâce  do  l'abso-^ 
lution,  il  redouble  son  attention  sur  ce  ma- 
lade qu'il  lui  est  si  important  de  guérir. 
Renvoyerle  pécheur  et  le  laissera  lui-même, 
c'est  une  inhumanité  dont  l'effet  funeste 
sera  souvent  d'augmenter  l'endurcissement  : 
mais  ce  qui  dispose  le  pécheur  à  entrer 
dans  de  vrais  sentiments  de  pénitence,  et  ce 
qui  produit  son  salut,  c'est  lors  qu'en  même 
tem[)s  que  vous  lui  différez  la  grâce  de  l'ab- 
solution dont  il  n'est  pasdigne,  vous  veilkz 
sur  lui,  et  vous  lui  fournissez  des  remèdes 
eflicaces  iX)ur  guérir  ses  blessures. 

Un  des  remèdes  qui  a  plus  de  force,  c'esl 
de  lui  faire  observer  les  vertus  contraires 
aux  péchés  qui  le  dominent. 

C'est  la  dernière  règle  que  je  vous  ai  pro- 
posée et  que  vous  ne  pouvez  suivre  avec 
lro[)  de  fidélité. 

Les  deux  principales  conditions  que  doi- 
vent avoir  les  pénitences  que  vous  imposez, 
c'esl  d'être  proportionnées  et  médicinales. 

Nous  avons  parlé  de  la  première  condi- 
tion, et  je  vous  ai  fait  voir  combien  il  est 
nécessaire  que  les  pénitences  soient  pro- 
[)orlionnées. 

Elles  doivent  être  encore  médicinales, 
c'est-à-dire  qu'elles  doivent  aider  le  pécheur 
à  se  retirer  de  sou  péché. 

Il  n'y  a  point  do  pénitence  |»lus  médici- 
nale et  plus  prO|)re  à  0|)érer  dans  le  pé- 
cheur un  changement  do  conduite,  que  l'ob- 
servation des  vertus  contraires  h  ses  péchés. 
L'orgueil  se  guérit  par  les  actions  U'humi- 

suli,  et  fuleliora  necessariis  dilaliotiibus  remédia 
pra-biiri.  Fer  siiperliciem  corpuris  dcducit  ungueis- 
Uim.  »  (!-",pist.  i-hi.) 

(■i!J>Sj  S.  C.ESAK.,  Iiom.  I. 


15G1 


RETRAITE  KCC LES.  —  XXllI,  TES  RENEFICES. 


1562 


litê,  la  dissipation  par  la  retraite,  l'avarioe 
par  l'auniôiie,  l'amour  des  plaisirs  par  la 
niorlitication  et  les  jtûiies,  la  parosse  par 
des  exercices  rt^glés  de  pi  ièrcs  et  de  bonnes 
œuvres,  les  eniporlemonis  il  la  colère  par 
(les  olTorts  S(5rieux  que  Poii  emploie  pour  so 
modérer,  la  médisance  p;ir  un  IVein  salu- 
taire que  l'on  met  c>  sa  lanj^ue,  l'oisiveté  et 
l'inutilité  par  l'occupation  et  le  travail.  Ces 
venus,  conlraircs  h  nos  vices  et  à  nos  déré- 
glenienls,  sont  les  renièclcs  les  plus  ellicaces 
pour  guérir  les  plaies  de  nos  âmes,  et  ce 
sont  ceux-l»^  que  les  saints  Pères  ont  voulu 
que  Tdo  emploie,  (juand  on  se  propose  de 
travailler  sérieusement  et  utilement  à  la 
conversion  des  pécheurs. 

Travaillez-y  avec  zèle,  avec  force,  avec 
courfige,  avec  persévérance,  [)uisque  c'est 
lin  des  principaux  exercices  de  votre  mi- 
nistèie.  Observez  ce  que  Dieu  veut  de  vous. 
S'il  vous  appelle,  allez  et  ne  résii.tez  pas. 
Vous  serez  toujours  à  la  vérité  saisi  de 
crainle  h  la  vue  des  périls  qui  vous  envi- 
ronnent; mais  si  vous  n'êtes  point  de  ces 
téméraires  qui  se  précipitent  mal  à  propos, 
et  que  vous  soyez  au  contraire  de  ces  hum- 
bles serviteurs  qui  ne  marchent  que  par 
obéissance,  vous  aurez  Jésus-Christ  qui 
vous  soutiendra.  Vous  ne  pouvez  rien  de 
vous,  vous  pouvez  tout  avec  lui. 

Vous  avez  vu  (jue  le  principe  d'un  prêtre 
lidèle,  c'est  d'étudier  les  règles,  et  combien 
il  est  dangereux  de  s'en  écarter.  Vous  au- 
rez grande  compassion  de  ces  hommes  igno- 
lants,  hardis  en  un  sens  ,  lâches  dans  la  vé- 
j-ité,  iiiléressés,  qui  se  conduisent  par  des 
motifs  humains.  Ils  tuent  les  âmes,  c'en  est 
assez  pour  vous  donrier  horreur  de  leur  jiré- 
varicalion,  et  pour  vous  faire  prendre  une 
sérieuse  résolution  de  ne  tomber  jamais 
dans  un  exi  es  si  condamnable. 

Soyez  donc  de  lidèles  ministres,  exacts  à 
suivre  les  règles.  Vous  ne  pouvez  douter 
que  ces  règles  ne  soient  très-salutaires  et 
très-sagement  établies.  Vous  ne  pouvez  dou- 
ter qu'une  inlinilé  d'âmes  ne  doivent  leur 
retour  et  leur  salut  à  l'observation  exacte 
de  ces  saintes  règles. 

Pour  vous  apprendre  ce  que  vous  devez 
être,  permeltez-Uioi  de  vous  renvoyer  à 
saint  liasile  (serm.  De  abdicatione  reriim,  p. 
313)  et  de  vous  prier  de  contempler  de  près 
l'admirable  jiorlrait  que  ce  saint  docteur 
nous  a  laissé  d'un  directeur  qui  est  en  état 
d'exercer  avec  fruit  le  saint  ujinislère  de 
conduire  les  âmes. 

Que  celui-là,  dit  saint  Basile,  à  qui  vous 
vous  adressez  pour  vous  conduire  ,  soit  un 
homme  cafiable  de  montrer  le  chemin ii  ceux 
(jui  ont  un  désir  sincère  d'aller  à  Dieu  ; 
qu'on  voie  en  lui  toutes  les  vertus  asseui- 
blées  ;  (jue  toutes  ses  actions  fassent  voir 
que  son  cœur  est  rempli  de  charité  ;  qu'il 
soit  très-habile  dans  la  science  des  livres 
saints;  qu'il  soit  irréprochable  dans  ses 
mœurs  ;  appliqué  entièrement  aux  fonctions 
saintes  de  son  ministère  ;  qu'il  déteste  l'a- 
varice ;  (]u'il  n'ait  aucune  curiosité  d'entrer 
dans  les  atlaircs  qui  ne  le  regardent  [loint; 


fju'il  soit  un  homme  paisible;  qu'il  aille  à 
Dieu  ;  (ju'il  aime  les  pauvres  ;  qu'il  soit  maî- 
tre de  lui  ;  qu'il  ne  garde  aucun  souvenir 
des  injures  qui  lui  sont  faites;  qu'il  instruise 
volontiers  ceux  qui  ont  recours  è  ses  lu- 
mières ;  qu'il  soit  inca[);iblo  de  se  laisser 
séduire  par  les  amorces  trompeuses  de  la 
vaine  gloire  ;  que  la  flatterie  ne  fasse  aucune 
impression  sur  lui;  qu'il  soit  ferme,  et 
qu'eniin  rien  ne  le  louche  que  l'honneur  do 
Dieu.  Seigneur,  (juel  trésor  que  des  direc- 
teurs qui  ressembleraienl  è  celte  excellente 
peinture  1  Saint  Basile  a  laison  d'ajouter  : 
Si  vous  en  trouvez  un  oui  ail  toutes  ces 
qiialilés,  allez  h  lui. 

Tout  est  [)ossibleà  la  grâce.  S'il  est  dilTi- 
cile  d'avoir  toutes  les  vertus  que  demande 
un  ministère  aussi  saint  que  celui  de  con- 
duire les  âmes  ,  il  est  au  moins  de  notre 
fidélité  de  Iravailler  à  les  acquérir,  et  à  so 
perfectionn  r  tous  lesjoiirs  de  plus  en  plus. 
Ne  vous  rebutez  point  des  difficultés,  ayez 
du  zèle  pour  la  conversion  des  jjécheurs. 

Il  est  si  glorieux  h  un  ministre  du  Sei- 
gneur de  combattre  pour  arracher  les  âmes 
au  démon  et  pour  les  rendre  à  celui  qui  les 
a  rachetées  de  son  sang. 

Si  votre  ministère  est  pénible,  la  conquête 
d'une  âme  n'esl-elle  pas  une  assez  grande 
récompense?  Une  âme  qui  est  chère  à  Jé- 
sus-Christ, qu'il  est  venu  chercher,  dont  il 
a  payé  la  rançon. 

C'est  un  sujet  de  joie  dans  le  ciel  et  parmi 
les  anges  quand  un  pécheur  fait  pénitence. 
{Luc,  XV,  10.)  Donnez  souvent  cette  joie 
aux  anges  et  aux  bienheureux.  Le  roi  du 
ciel  recevra  votre  olfrande,  et  vous  n«  pou- 
vez guère  lui  en  olfrir  une  qui  lui  soit  plus 
agréable. 

Quand  donc  vous  vous  donnerez  tout  en- 
tiers à  ce  saint  ministère,  vous  travaillerez 
pour  vos  frères,  mais  vous  travaillerez  en- 
core plus  efficacement  pour  vous-mêmes  ; 
I)uisque  Dieu  récoiufiensera  vos  travaux,  en 
se  donnant  lui-même  à  vous,  pour  être  vo- 
tre bonheur  et  votre  gloire  dans  l'éternité. 

DISCOURS  XXllI. 

DES    BÉNÉFICES 

11  y  a  longtemps  que  je  désire  do  vous 
entretenir  des  bénéfices,  parce  que  la  ma- 
tière est  importante,  et  qu'il  y  a  sur  ce  sujet 
un  grand  nombre  d'abus  très-communs  et 
très-dangereux. 

La  difficulté  de  bien  traiter  celte  matière 
m'a  arrêté  jusqu'à  présent.  Il  y  a  beaucouj) 
di;  choses  curieuses  et  difficiles  à  approfondir, 
11  faut  rechercher  jusque  dans  les  temps  les 
plus  éloignés,  et  dans  l'antiquité  la  plus 
cachée.  Tout  cela  étant  au-dessus  de  mes 
forces  m'avait  fait  |)resque  résoudre  d'ahaii- 
doiiner  celle  vaste  entre(irise.  Cependant  Ij 
iiécessilé  est  une  raison  pour  surmonter  la 
difficulté.  Le  moyen  de  se  taire,  et  ne  se- 
rait-ce [)as  prévariquer  (iuo  de  garder  le  si- 
lence au  milieu  de  la  prévarication? 

De  plus,  je  me  suis  dit  à  moi-même  qu'ii 
ne  s'agissait  pas  tie  contenter  la  curiosité, 
mais  du  réfoimer  les   mœurs.  Je  prélcndi 


i%z 


OllATEURS  SACHES.  JOSEPH  LAMBERT. 


ioQi 


dionc  en  ce  jour  traiter  des  bénéfices,  mais 
je  déclare  d  abord  que  je  renonce  aux  re- 
cherches curieuses.  Ce  qui  me  touche  par- 
ticulièrement, c'est  ce  qui  se  passe  à  nos 
yeux,  et  mon  principal  (Jésir  c'est  d'exposer 
fidèleinent  les  égarements  d'un  grand  nom- 
Tire  d'ecclésiastiques  qui  se  perdent  par 
l'abus  criminel  qu'ils  font  de  leurs  re- 
venus. 

H  ne  fau(  pas  beaucoup  rechercher  dans 
J'anliquité  pour  connaître  les  principes  fon- 
damentaux qui  condamnent  l'abus.  C'est  là 
tout  ce  que  je  [irétends.  Pourquoi  donc  m'é- 
pouvanterai-je  vainement?  Je  laisse  aux  ha- 
biles et  aux  curieux  l'examen  des  questions 
enveloppées,  et  des  points  historiques  diiïi- 
ciles  à  connaître,  à  cause  de  l'obscurité  des 
temps  et  des  changements  [que  la  succes- 
.sion  des  siècles  a  introduits.  Je  n'ai  besoin 
que  des  principes  clairs  et  universellement 
reconnus  pour  établir  la  vérité ,  et  condam- 
lîer  l'abus. 

Cet  entretien  donc  sera  sur  la  matière 
des  bénéfices,  el  je  le  diviserai  en  deux  par- 
ties. Dans  la  première,  je  ferai  voir  quelle 
est  la  voie  légitime  pour  enlrerdans  les  bé- 
Tiéfices.  Dans  la  seconde  je  montrerai  quel 
doit  être  l'usage  des  revenus  ecclésiasti- 
ques. 

PREMIER   POINT. 

Parmi  ceux  qui  obtiennent  les  bénéfices 
ecclésiastiques,  j'en  découvre  un  grand 
nombre  qui  sont  dans  de  très-mauvaises 
dispositions,  el  que  leurs  désirs  déréglés 
rendent  indignes  des  bénéfices  qu'ils  pos- 
sèdent. 

J'en  vois  premièrement  qui  veulent  être 
riches,  et  dont  le  cœur  est  infecté  du  désir 
malheureux  des  richesses  de  ce  monde. 

J'en  vois  en  second  lieu  lesquels  étant 
fort  semblables  aux  premiers  dont  je  viens 
lie  parler,  n'entrent  dans  l'état  ecclésiastique 
que  dans  l'espérance  d'y  trouver  des  revenus 
et  d'y  vivre  commodétnent. 

Les  troisièmes  ne  se  contentent  pas  de  dé- 
sirer; mais  ils  s'empressent,  ils  recherchent, 
et  ils  demandent. 

Les  derniers,  peu  contents  de  leur  fortune 
présente,  travaillent  à  l'agrandir  en  accu- 
mulant bénéfice  sur  bénéfice. 

Je  fais  voir  aux  premiers  qu'il  est  très- 
criminel  de  vouloir  être  riche. 

Les  seconds  sont  encore  plus  coupables, 
parce  qu'ils  \eulenl  être  riches  même  par 
la  possession  des  revenus  ecclésiastiques. 

Les  troisièmes  recherchent  et  demandent. 
Cette  seule  démarche  est  une  preuve  con- 
vair)can(e  de  leur  indignité. 

Les  quatrièmes  verront  que  quiconque 
possède  un  bénéfice  ecclésiastique  suffisant 
pour  son  entretien  doit  être  pleinementcon- 
tent,  et  que  la  multiplicité  des  bénéfices  est 
défendue  par  les  lois  les  plus  saintes  et  les 
plus  indispensables. 

Vouloir  être  riche,  c'est  être  criminel; 
vouloir  s'enrichir  par  la  possession  des 
revenus  ecclésiastiques,  c'est  un  crime  iilus 
gr-'^ud. 


Vous  donc  qui  estimez  les  richesses  de  la 
terre,  qui  les  recherchez,  qui  soupirez  après 
elles,  que  sentez-vous?  que  pensez-vous  ? 
que  croyez-vous  quand  vous  lisez  ces  pa- 
roles terribles  prononcées  par  Jésus-Christ, 
et  qui  condamnent  si  hautement  le  désir 
criminel  dont  votre  cœur  est  plein  ?  Malheur 
à  'VOUS  riches.  {Luc,  VI ,  24.)  Ce  sont  les 
riches  de  cœur  que  Jésus-Ctirist  attaque.  Il 
ne  prétend  pas  condamner  ceux  qui  se  trou- 
vant par  des  voies  légitimes  en  possession 
des  richesses  de  la  terre,  conservent  au  mi- 
lieu de  leur  abondance  un  cœur  vide  et 
détaché  des  richesses  périssables  de  ec 
monde.  Mais  vous  qui  brûlez  d'un  amour 
criminel  pour  elles,  vous  êtes  évidemment 
condamnés,  et  î'analhème  prononcé  par  Jé- 
sus-Christ est  directement  lancé  contre 
vous  :  Malheur  à  vous,  riches!  Le  sens  de  ces 
paroles  ne  peut  être  autre  que  celui-là: 
malheur  à  vous  riches  de  cœur,  malheur  à 
vous  qui  voulez  être  riches,  et  qui  êtes 
follement  oossédés  de  l'amour  des  ri- 
chesses. 

Vous  devriez  d'autant  plus  travailler  à 
vider  votre  cœur  de  cet  amour  insensé,  que 
non-seulement  il  est  criminel  eii  lui-même, 
mais  encore  il  est  très-funeste  dans  ses 
suites. 

Savez-voHS  à  quoi  vous  vous  exposez  par 
cette  volonté  déréglée  et  cet  injuste  amour? 
A|)prenoz-le  de  saint  Paul,  il  vous  déclare 
que  ceux  qui  veulent  devenir  riches,  <o/w- 
bent  dans  ta  tentation  et  dans  tes  pièges  du 
diable,  et  en  divers  désirs  inutiles  et  perni' 
deux  qui  précipitent  les  hommes  dans  l'a- 
bîme de  la  perdition  et  de  la  damnation.  Car 
l'amour  du  bien  est  la  racine  de  tous  les 
maux,  (l  Tim.,  \l,  9  )  C'est-à-dire  que  le 
démon  a  un  grand  empire  sur  ceux  qui 
veulent  devenir  riches.  11  exerce  son  em- 
pire particulièrement  sur  leur  cœur  qu'il 
remplit  de  désirs  inutiles  et  pernicieux. 
Désirs  véritablement  pernicieux,  puisque 
ceux  qui  en  sont  remplis  sont  menacés 
d'un  péril  si  prochain  de  tomber  dans  l'a- 
bîme de  la  perdition  et  de  la  damnation. 
Qui  ne  craindrait  d'avoir  au  ruilieu  de  son 
cœur  ce  qui  est  la  racine  de  tout  péché? 

Courir  après  les  biens  ecclésiastiques 
pour  contenter  un  amour  qui  est  déjà  en 
lui-même  si  déréglé,  c'est  encore  une  nou- 
velle circonstance  qui  en  augmente  la  ma- 
lice el  le  crime.  Il  semble  au  moins  que 
ces  richesses  devraient  être  respectées; que 
le  saint  usage  auquel,  elles  sont  destinées 
devrait  arrêter  la  folle  ardeur  des  hommes 
les  plus  empressés.  Mais  aucune  considé- 
ration ne  peut  toucher  celui  en  qui  se 
trouve  la  racine  de  tous  les  maux,  il  veut 
être  riche.  Tout  ce  qui  peut  satisfaire  sa 
passion  est  l'objet  de  ses  désirs  et  de  ses 
poursuites.  Les  biens  de  la  terre,  de  quel- 
que nature  qu'ils  soient,  lui  conviennent 
également.  Sa  passion,  qui  l'aveugle,  ne  lui 
permet  point  de  faire  aucune  distinction 
entre  le  profane  et  le  sacré.  Le  voilà  donc 
doublement  criminel.  Il  l'e^l  en  premier 
lieu,  pfirce  qu'il  est  jiossédé  de  l'amour  des 


!?;C5  RETRAIT!-:  ECCI.ES.  - 

biens  de  ce  monde.  Il  l'esl,  en  second  lion, 
jinrceque  dans  la  violence  de  sa  passion  il 
ciierche,  pour  la  salisiaiio,  h  s'enricliir  des 
biens  môme  qui  sonl  consaciés  an  Seignonr. 
Ces  liojnmes  pleins  d'eslinie  cl  d'amonr 
pour  les  richesses  passas^ères,  ne  cherclicnf 
ordinairement ,  dans  l'étal  ecciésiaslique  , 
que  des  avantages  temporels.  Il  n'y  en  a 
que  trop  qui  cacheraient  vainement  leurs 
desseins  ;  ce  qui  les  détermine  est  visible 
et  nianil'esle.  Les  bénélices  cl  les  revenus 
ecclésiasliques,  voilh  le  grand  et    l'unique 

Crincipe  de  leur  vocation.  Retranchez  les 
énéfices,ôtez  les  revenus,  que  de  déserteurs 
qui  fuiraient  lâchement,  qui  se  dépouille- 
raient de  l'habit  clérical,  et  qui  abandonne- 
raient l'Eglise  dans  ses  plus  pressants  be- 
soins? 

Cet  iiorame  s  est  engagé  dans  la  milice 
Sflcrée.  Il  court  avec  ardeur,  et  vous  le 
voyez  jiarmi  les  plus  empressés.  Est-ce  zèle? 
csl-ce  dé.^ir  de  servir  l'Eglise?  est-ce  com- 
passion i)our  SOS  IVères?  est-ce  une  sainte 
ardeur  de  les  secourir  et  de  travailler  à  leur 
sailli?  Nuilemonl.  Qui  lira  dans  le  fond  de 
son  lœur  n'^  découvrira  rien  qu'une  folle 
espérance  de  remplir  un  jour  la  place  d'nn 
oncle  ou  d'un  parent  qui  jouit  d'un  revenu 
considéiable. 

Les  parenls  offrent  à  Dieu  Icur.s  enfants, 
et  les  destinent  à  l'élat  ecclésiastique.  Au- 
trefois l:;s  premiers-nés  étaient  offerts  à 
Dieu.  [Exod.,  XIII,  2.)  Il  l'avait  ainsi  coai- 
niandé  pour  eng.iger  si>n  peuple  à  se  souve- 
nir du  grand  miracle  qu'il  avait  fait  pour 
ie  délivier.  Ce  ne  sont  p.lus  les  premiers 
nés  que  les  fiarenls  otfrenl  au  Seigneur.  En 
toute  occasion  le  monde  a  la  piéférence. 
L'usage  est  de  donner  à  Dieu  ce  que  le 
luoude  rebute  ou  ce  qui  ne  peul  ôlre  offeit 
au  monde. 

Après  donc  qu'un  père  de  famille  a  fait 
le  partage  de  ses  enfants,  et  qu'il  a  consi- 
déré les  ditricultés  qu'il  y  aurait  do  leur 
procurer  des  établissements  temporels,  il 
jette  les  yeux  sur  un  de  ses  enfants.  De  sa 
propre  autorité  il  le  consacre  au  Seigneur, 
sans  examiner  s'il  a  aucune  des  qualités 
uéccssaifiS  pour  soutenir  un  nom  si  saint 
et  pour  reniplir  un  ministère  si  élevé.  En 
même  temps  ce  père  intéressé  s'empresse, 
il  empluie  son  créd.l  et  ses  amis  pour  ob- 
tenir un  bénéîice.  \]n  enfant  est  engagé  dans 
un  étal  dont  il  ne  connaît  ni  la  sainteté, 
ni  les  ohligalions.  S"il  airive  qu'il  soit  ins- 
truit de  ses  devoirs,  que  sa  conscience  soit 
agitée  de  troubles,  qu'il  sente  son  incapa- 
cité,qu'il  reconnaisse  en  lui  des  vues  tout 
autres  qu'elles  devraient  être,  pour  tenir 
une  conduite  confoniie  à  la  sainteté  de  son 
état,  les  liens  sont  trop  forts  et  trop  dilliciles 
à  rompre.  On  n'a  pas  !e  courage  de  renon- 
cer h  un  revenu  qui  donne  des  facilités  pour 
satisfaire  ses  passions  ciiminelles.  On  de- 
meure donc  ecc. élastique  contre  les  règles, 
parce  qu'on  Cbt  enlié  dans  cel  état  conlie 
les  règles.  On  se  damne,  et  voilà  le  fruit 
malheureux  de  la  précipitation  des  parents 
aveugles    cl  intéressés,   qui   ne  craigiieul 


\\\\\,  DES  BENEFICES,  1566 

point  d'exposer  le  salut  de  leurs  enfants, 
[lourvu  Qu'ils  travaillent  à  les  établir  sur 
la  terre. 

C'est  donc  une  dangereuse  maxime,  c'est 
un  abus  très-criminel,  que  de  donner  des 
bénétices  à  des  enfants  qui  ne  connaissent 
point  encore  ce  que  c'est  que  l'étal  ecclé- 
siastique. 

Vous  dites  que  le  temps  presse  ,  qu'il  y 
a  nécessité  de  ménager  des  occasions  qui  no 
reviendront  [loinl,  que  votre  parent  est  dans 
un  âge  avancé,  que  si  vous  n'avez  de  la  pré- 
voyance, ce  bénéîice  sera  perdu  pour  volro 
famille. 

Voilà  comment  raisonnent  tes  prudents 
du  siècle,  voilà  les  fausses  subtilités  avec 
lesquelles  on  prétend  violer  impunément 
les  règles  les  plus  saintes. 

Vous  perdrez,  dites-vous,  ce  bénéfice. 
C'est  peut-être  le  plus  griind  bonheur  qui 
puisse  arriver  à  votre  famille.  Laissez  aller 
ce  bénéfice,  et  ne  vous  exposez  pas  à  un 
danger  si  (irochain  de  perdre  un  de  vos  en- 
fants qui  sera  ecclésiastique  sans  vocation  , 
et  seulement  pour  retenir  un  bien  que  vous 
vous  êtes  précipité  de  lui  mettre  entre  les 
mains. 

Vous  dites  que  vous  aurez  .soin  de  le  faire 
élever  dans  les  saintes  maximes  de  l'élat 
ecclésiastique.  Que  savez-vous  s'il  répondra 
à  vos  soins?  Quand  il  est  question  do  don- 
ner un  bénéfice,  la  vocation  ne  doit  point 
être  en  suspens,  elle  doit  être  décidée.  11 
faut  qu'un  homme  ait  embrassé  l'élat  ecclé- 
siastique sérieusement,  dans  des  vues  dé- 
sintéressées, dans  le  dessein  d(î  se  consacrer 
à  Dieu  et  au  prochain.  Voilà  des  dis|/Ositions 
dont  on  doit  être  sûr.  Ce  qui  fait  voir  quo 
c'est  trop  risquer  que  de  confier  des  riches- 
ses ecclésiastiques  à  des  enfants  dont  on  ne 
peul  répondre,  que  l'on  ne  connaît  pas  et 
qui  ne  se  connaissent  pas  eux-mêmes. 

Laissez  donc  encore  une  fois,  laissez  aller 
ce  bénéfice  ,  et  ne  violez  pas  les  règles  do 
l'Eglise.  Où  est  donc  l'estime  que  vous  de- 
vez faire  de  votre  salut,  et  la  disposition 
dans  laquelle  vous  devez  être  de  [lerdre  plu- 
tôt tous  les  biens  de  ce  monde  ,  el  la  vie 
môme  que  de  violer  la  loi  de  Dieu. 

L'emf)ressementde  conserveries  bénéfices 
dans  les  familles  cause  encore  bien  d'autres 
abus.  Combien  y  en  a-t-il  pour  qui  cette 
folle  ardeur  sera  une  source  de  condamna- 
tion au  jugement  du  Seigneur  ? 

La  maxime  du  monde  est  queles  bénéfices^ 
sont  un  liéritage  précieux  qu'on  ne  doit 
point  laisser  échapper,  et  qu'il  est  de  la 
prudence  de  prendre  toutes  sortes  de  moyens 
pour  les  conserver  dans  les  familles.  Parla  les 
indignes  obtiennent  des  {)laces  importantes 
dans  l'Eglise.  Leur  chute  est  d'autant  plus 
mortelle  que  le  lieu  d'où  ils  tombent  est 
plus  sacré  et  plus  élevé.  Celui  qui  a  résolu 
d'embrasser  toutes  sortes  do  voies  n'est 
point  épouvanté  des  simonies  et  des  confi- 
dences pourparvenir  à  ses  injustes  desseins, 
Un  bénéfice  passera  successivement  sur  plu- 
sieurs tôles,  avant  qu'il  s'en  rencontre  uiio 
sur  laquelle  on   puisse   l'anôter.  Uii  L'ère 


Î3C7 


ORATEURS  SACRES.  JOSEÎ'H  LAMBERT. 


1508 


qui  esl  fermement  résolu  de  ne  s'engager 
jamais  dans  l'élat  ecclésiastique,  sera  clioisi 
pour  conserver  un  l)éiiéfice  a  un  de  ses 
frères  qui  n'a  pas  encore  l'usage  de  raison, 
ei  môme  qui  n'est  pas  encore  né.Unhonmie 
déjà  avancé  en  âge,  qui  depuis  qu'il  est  au 
monde  a  toujours  exercé  des  emplois  entiè- 
rement contraires  à  la  profess'on  ecclésias- 
tique, change  tout  d'un  coup  d'habit  et 
d'état.  Il  ne  sait  ce  qu'il  est ,  ni  ce  qu'il  de- 
vient. Il  est  lui-même  surpris  d'un  change- 
ment auquel  il  ne  s'attendait  pas.  Il  est  prêt 
de  quitter  l'étal  ecclésiastique  avec  la  même 
fac'ilité  qu'il  s'y  est  engagé.  La  seule  raison 
qui  l'a  déterminé, c'est  qu'il  fallait  conserver 
un  bénéfice,  et  qu'il  était  le  seul  dans  la 
famille  qui  fût  en  état  de  le  posséder.  .- 

Qui  pourrait  expliquer  tous  les  désordres 
que  cause  cette  ardeur  empresséede  retenir 
des  bénélices?Peul-on  justifier  le  père  résolu 
h  les  conserver  dans"sa  famille  par  les  voies 
même  les  plus  criminelles? 

Les  enfants  qui  sans  aucune  vocation  re- 
tiennent le  bénéfice,  sont  coupables  de 
confidence,  c'est-à-dire  d'un  crime  très- 
énorme  et  très-étroilement  défendu  pa'" 
tous  les  saints  canons. 

Celui-là  enfin  à  qui  l'on  se  détermine, 
souvent  entre  dans  l'état  ecclésiastique  sans 
aucune  vocation.  11  ne  r(  mplit  aucun  de 
ses  devoirs.  Il  croit  être  absolument  le 
maître  des  revenus  sacrés  qui  sont  entre  ses 
mains,  et  il  les  emploie  en  excès.  Que  de 
maux,  que  de  désordres,  que  d'hommes  qui 
se  perdent!  Ne  peut-on  pas  dire  que  le  jour 
où  ce  bénéfice  est  entré  dans  cette  famille,  a 
été  véritablement  pour  elle  un  jour  lugubre 
et  malheureux  ? 

Quand  on  considère  les  grands  abus 
qui  sont  causés  par  les  richesses  ecclésias- 
tiques; quand  on  considère  que  ces  riches- 
ses entretiennent  un  grand  nombre  de 
ministres  oisifs,  scandaleux  et  qui  désho- 
norent leur  caractère,  ne  serait-il  pointa 
souhaiter  de  revoir  ces  heureux  temps  oij 
l'Eglise  était  pauvre,  et  où  les  vertus  ecclé- 
siastiques étaient  toutes  les  richesses  de 
ceux  qui  se  consacraient  à  son  service.  Pour 
lors  il  n'y  avait  point  lieu  d'appiéhender 
(lue  les  hommes  [)are5seux,  sensuels  et  qui 
s'aiment  eux-mêmes,  voulussent  entrer 
dans  le  sanctuaire.  Les  persécutions,  la 
haine  des  hommes  ,  la  couronne  du  mar- 
tyre, étaient  toute  la  récom|)ense  de  ceux 
qui  avaient  soutenu  de  longs  et  pénibles 
travaux.  L'Eglise  a-l-elle  jamais  été  i)lus 
florissante?  Ses  ministres  ont -ils  jamais 
«Hé  j'Ius  zélés?  Jamais  les  travaux  n'ont  été 
|ilus  diOiciles.  Jamais  la  bonne  odeur  de 
Jésus-Christ  ne  s'est  fait  davantage  sentir, 
cl  jamais  ses  conquêtes  n'ont  élé  {)liis  nom- 
breuses. Si  ces  temps  se  renouvelaient,  les 

(299)  t  Audila  est  vox  hodie  venenum  effusum 
rsl  in  Écclesia  s.incla  Del.  i>  (Apud  Gersoniuin,  leii. 
2,  super  Miircum,  ad  liiieni.) 

(500)  «  Pro  quo  ro^'aris  sil  s-uspcclus.  Qui  ipse 
v'gat  pro  se  juin  judicaius  esl.  t  (De  Cuiisider. 
1.  iV,  c.  4.) 

(ÔOI)  4  S)  aliquispro  bc  niijat,  ulobliucal  curauj 


ministres  indignes  n'attendraient  pas  qu'on 
les  chassût,  ils  fuiraient  d'eux-mêmes,  et  ne 
trouvant  plus  rien  dans  l'Eglise  qui  les 
flattât,  ils  n'usurperaient  plus  le  saint  mi- 
nistère ecclésiastique.  Ceux-là  seuls  de- 
meureraient qni  ont  du  zèle  pour  la  gloire 
de  Dieu,  qui  ont  de  l'ardeur  pour  le  salut 
de  leurs  frères,  et  que  les  travaux  n'épou- 
vantent point. 

C'est  sans  doute  ce  que  considérait  celui 
qui  a  prononcé  que  c'est  un  grand  malheur 
pour  l'Eglise  d'être  devenue  riche,  et  que 
quand  elle  a  élé  comblée  de  richesses,  une 
voix  s'est  fait  entendre  laquelle  a  dit  :  Au- 
jourd'hui il  s'est  répandu  un  poison  mor- 
tel dans  toute  l'Eglise  du  Seigneur  (299). 

Parmi  ces  empressés  j'en  découvre  qui 
osent  même  rechercher  et  demander  les 
bénéfices  à  charge  d'âme.  El  pour  leur  faire 
voir  combien  ils  sont  criminels,  j'établis 
cette  maxime  que  quiconque  demande  et 
recherche  un  bénéfice  à  charge  d'âme,  par 
celte  seule  démarche,  s'en  déclare  indigne. 

C'est  le  sentiment  de  sainl  Bernard,  le- 
quel a  prononcé  cette  célèbre  sentence  : 
«  Que  celui-là  vous  soit  suspect  pour  qui 
,  l'on  vous  fait  des  prières.  Mais  quand  un 
homme  en  vient  jusqu'à  ce  point  que  de 
prier  et  de  demander  pour  lui-même,  il  est 
déjà  condamné  (300).»  Celui-là  est  suspect 
pour  qui  l'on  prie.  Car  il  est  très  à  craindre 
que  ce  ne  soit  lui-môme  qui  ait  suscité 
ceux  qui  s'empressent  pour  lui.  Mais  quand 
un  homme  demande  pour  lui-même,  ce 
n'est  plus  simplement  soupçon.  Son  indi- 
gnité est  manifeste.  11  esl  condamné,  et 
c'est  lui-même  qui  se  condamne  par  sa 
conduite. 

Sainl  Thomas  ne  s'explique  pas  sur  ce 
sujet  moins  positivement  que  saint  Bernard. 
«  Si  quelqu'un  prie  pour  lui-même,  et  de- 
mande un  bénéfice  auquel  la  charge  des 
âmes  soit  annexée,  par  celte  demande  il  en 
devient  indigne,  et  si  vous  priez  pour  cet 
homme,  vous  priez  pour  un  indigne  ^301).  » 

La  décision  est  claire.  Il  esl  donc  inutile 
d'examiner  les  qualités  de  cet  homme.  Il 
a  de  la  science,  il  a  de  la  vertu,  je  le  veux  ; 
mais  i!  se  présenle  et  il  demande  pour  lui. 
Il  est  déjà  condamné,  dit  sainl  Bernard;  il 
est  indigne,  dit  sainl  Thomas,  et  sa  jiour- 
snite  téméraire  est  une  preuve  incontesta- 
ble de  son  indignité. 

«  Choisissez,  continue  saint  Bernard,  et 
voilà  une  excellente  règle  qui  doit  être  très- 
présente  à  ceux  qui  sont  chargés  de  con- 
lércr  des  bénéfices.  Choisissez  non  pas 
ceux  qui  demandent,  non  pas  ceux  qui  cou- 
rent ;  mais  choisissez  ceux  qui  reculent  et 
qui  refusent.  Ce  sont  ceux-là  que  vousde- 
vez  même  contraindre.  (302).  » 

Avoir  des  bénéfices  à  conférer,  et  parti- 

animarunt.ex  ipsa  prxsiimptioiie  reddinir  indignus, 
(H  sic  pièces  suiil  pro  indigiio.  »  ("2  2,  q.  c,  ail.  5, 
ad.  5.) 

(502)  <  liaque  lion  vclenie.s  ncquc  currc-nlcs  a.s- 
suinilo,  sed  cuiicianlcs,  sed  rciiuciiles,  .;l:am  coyo 
illos.  t  {DeCoiiiict.,  1.  IV,  c.  i.) 


1ÔG9 


UE TRAITE  EU.I.tS.  —  XXllI,  DES  LE.NEFKES. 


1"70 


nilièrcmei  t  dos  bi5mTicos  h  clutrge  d'âme, 
c'est  un  plus  grain)  i'ariloaii  que  l'on  ne  pcii- 
se.  On  les  donne  ;)  laluignc,  aux  enipres- 
semeuls,  à  ia  faveur,  <i  ta  rocoinninudatioii. 
Par  !;■  ou  se  fait  dos  amis,  on  met  ilot^  lioui- 
nies  dans  «os  iult''rôts,  on  i'^coin[)eiise  les 
services,  on  ménage  la  faveur  des  hommes 
puiss.-ints. 

Damnahie  el  pornirieuse  maxime  ,  no 
croire  qu'un  eollaleur  soil  le  maîlre  de  dis- 
tribuer les  bénélices  à  qui  il  veut,  selon  ses 
inlërêls,  sa  passion  et  son  caprice.  Un  eol- 
laleur est  obligé,  prenez  garde  aux  ternies 
dont  je  me  sers,  je  ne  dis  pas  que  c'est 
mieux  fait,  je  ne  dis  pas  qu'il  est  convena- 
ble ;  mais  je  dis  qu'un  collatour  est  obligé 
de  confier  le  soin  des  âmes  au  plus  digne, 
et  cela  sous  peine  de  péché  mortel. 

Je  ne  crains  point  d'avancer  celle  sainte 
et  salutaire  maxime  après  la  décision  du 
saint  concile  de  Trente  dont  vous  allez  en- 
tendre les  paioles.  Le  saint  concile  déclare 
expressément  que  ceux-lè  pèchent  morlel- 
lemenl,  et  parlicipenl  aux  |)échés  de  ceux 
dont  ils  font  (  hoix,  qui  n'aftporlenl  {)as  tou- 
tes sortes  de  soins  pour  faire  en  sorte  que 
ia  charge  pastorale  soit  conliée  à  celui  qui 
est  le  plus  uiile  à  l'Eglise,  el  le  plus  en  état 
de  la  servir  (303). 

Le  plus  utile  à  l'Eglise,  voilà  celui  que 
TOUS  devez  cho'sir  :  voilà  celui  que  vous 
êtes  obligé  de  choisir  sons  peine  de  péché 
morîel.  Il  ne  vous  est  donc  pas  permis  de 
consulter  voire  intérêt  '.tl  voire  passion;  vous 
n'êtes  pas  le  maître,  el  il  ne  vous  est  pas 
permis  de  donner  à  (|ui  vous  voulez. 

S'il  s'agissait,  dit  saint  Thomas,  défaire 
seulement  un  choix  qui  ne  pût  être  allaqué 
devant  les  juges  de  la  terre,  ce  serait  assez 
que  celui  sur  qui  vous  jetez  les  yeux  eût 
les  qualités  nécessaires.  ISIais  si  vous  voulez 
remplir  votre  devoir,  et  un  devoir  élroit 
auquel  vous  ne  pouvez  manquer  sans  vous 
rendre  criminel,  vous  êtes  obligé  de  choisir 
celui  qui  est  le  raeilleuret  leplus  digne(30ij. 
Revenons  à  tioire  proposition  dont  la  vérité 
est  évidemment  conlirmée.  Celui  qui  de- 
mande ne  [)eul  être  ni  le  meilleur  ni  le  plus 
digne.  Au  contraire  il  est  indigne.  Donc  il 
ne  peul  jamais  être  choisi. 

L'em[)ressem(inl  va  plus  loin,  et  la  cupi- 
dité qui  n'a  point  de  bornes  n'est  pus  salis- 
laite  par  la  possession  de  ce  bénélice  recher- 
ché si  injustement  el  contre  les  règles  de 
l'Eglise. 

Cet  homme,  peu  louché  d'avoir  prévariqué 
en  demandant  un  bénélice,  en  poursuit  en- 
core un,  et  même  f)lusiours  autres.  J'ai  l'ait 
voir  qu'il  esl  criminel  il'avoir  demandé  ;  je 
prétends  vous  raonlrer  que  son  iniquité  s'ac- 

(ôOô)  «  Omnes  et  siiigulos  qui  ad  proinolionem 
pnificiendorum  jus  liabenl,  anl  alioi|uiii  operuin 
Miain  praeslaiil,  moiiel  eos  alienis  pectaiis  commu- 
iiicantis  iiiortaliter  peccare,  nisi  quos  digniorei  el 
Ltciesiœ  inagis  ut.ks  juLlicaverinl  prxtici  diligeiiler 
curaverint.  >  (Sess.  4 j 

(30ij  <  Quantum  ad  iioc  qudd  tit'clio  iinpugnari 
non  posbil  m  loro  ji.diciali  buKicil  (.•|ig<Mc  Ikpiiuiii  .. 
S>t.d  'juaiiiuiii  ad  i:uii;cieiiliaiii  cli^ciiiis  iiitcsbe  csi 


croît  par  celle  honteuse  mulliplicilé  tant 
(le  fois  défendue  par  les  saints  canons  de 
l'Eglise. 

Dès  les  premiers  temps,  la  pluralité  des 
bénéfices  a  été  défendue.  Je  demeure  d'ac- 
cord que  les  premiers  conciles  n'ont  point 
parlé  delà  [)luralilé  qui  s'est  introdiiiledaiis 
les  derniers  lom|)S.  Celle  pluralilé  était  alors 
inconnue,  cl  même  il  eût  élé  diflicile  qu'elle 
OUI  élé  prévue.  Maison  voil  quoi  esl  l'esprit 
de  l'Eglise  par  la  manière  dont  elle  s'expli- 
que dans  les  anciens  canons. 

Dès  les  premiers  lemps  il  a  élé  défendu 
aux  clercs  do  se  faire  inscrire  dans  plusieurs 
églises,  C'esl  la  seule  pluralité  qui  pouvait 
alors  être  m  usage,  et  l'Eglise  s'est  élevée 
contre  l'abus  aussitôt  qu'il  s'est  glissé 
(303). 

^Qui  pourrait  se  persuader  que  l'Eglise, 
s'élant  si  fort  élevée  contre  celte  pluralilé, 
eût  i)u  souffrir  celle  qui  s'est  introduite 
dans  les  d(-rniors  temps  ? 

En  ces  temps  les  revenus  ecclésiastiques 
étaient  pou  considôrablos.  L'Eglise  n'en  dis- 
tribuait à  ses  clercs  (ju'une  médiocre  por- 
tion. Tout  ce  qu'un  cleic  aurait  pu  recevoir 
dans  différentes  églises,  où  il  aurait  élé 
inscrit,  se  réduisait  h  peu.  Cependant  c'est 
une  avarice  qui  mérite  les  plus  rigoureuses 
censures.  Comment  donc  les  conciles  se 
seraient-ils  ex|)liqués  contre  ceux  qui  amas- 
sent des  richesses  que  l'on  peut  apjieler 
immenses,  particulièrement  si  on  les  com- 
pare avec  colles  que  [losséduient  les  clercs 
dans  les  premiers  temps? 

Mais  puisqu'il  s'agit  de  réformer  l'abus 
de  notre  siècle  ,  parlons  de  la  pluralité  telle 
qu'elle  eslprésenlomenl  en  usage. 

Toute  plui-alilé  n'est  point  défendue.  Ce 
serait  être  téméraire  que  de  parler  sur  ce 
sujet  plus  rigoureusement  que  le  saint  con- 
cile de  Trente.  Plût  au  Seigneur  qu'on  s'en 
tîiit  aux  sages  règles  prescrites  par  cetlo 
sainte  assemblée,  et  qu'elles  ne  fussent  j)as 
si  ouvertement  transgressées  1 

Le  saint  concile  permet  à  celui  dont  le 
bénéfice  n'est  pas  sulTisant  pour  son  en- 
trelien honnête,  d'avoir  encore  un  autre 
bénélice  simple,  |)ourvu  que  tous  deux  ne 
demandent  pas  une  résidence  |)ersonnolle- 
(306).  Tenons-nous  à  ces  bornes  et  prenons 
garde  h  ne  les  pas  passer. 

Alin  que  vous  [.uissiez  posséder  un  autre 
bénélice  il  faut  que  le  vôtre  ne  suit  pas  suf- 
lisanl.  Quelle  règle  suivrez-vous  |)our  exa- 
miner si  votre  bénéfice  esl  sullisanl?  Con- 
sullerez-vous  votre  ambition  ,  votre  cupi- 
dité, ce  désir  d'avoir  qui  esl  en  vous?  Il 
s'agit  de  savoir  si  votre  bénéfice  esl  sullisanl 
[.our  l'enlrelien  honnête  d'un  clerc  qui  est 

eligere  meliorem  vcl  simpliciler,  vel  in  coinparalione 
ad  luitium  coniniune.  r  (^-:2,  q.  65.) 

(305)  t  Non  liceat  clericurn  conscri))i  in  duabtis 
ecclesiis.   t  {Couc.  Chalccd.,  cstn.  lu.) 

(ÔOG)  I  Qnotl  qiiidt  III  si  ad  viiam  ejus  cui  fon- 
(erlur,  hoiiesle  susienlandain  non  sullicial,  liceat 
aliiid  sulïiciens,  duiiiniodo  uiruiiique  pcrsonalciu 
rcsiiiciiliaiii  non  rcquiriil.  ciJcni  coiifriri.  i  {De  re- 
l'irm.,  icsb,  -i,  cap.  17.) 


i"! 


ORATEURS  SACRES.  JOSEFH  LAMBERT. 


iôTi 


obligé  tle  se  contenter  de  pen ,  qui  doit 
suivre  l'exen)[)le  de  Jésu«-Clirisl  pauvre, 
qui  doit  être  un  modèle  de  modération  et 
(le  sobriété,  h  (|ui  le  luxe,  la  pompe,  les 
excès,  la  bonne  clièro  sont  très-élroilement 
défendus. 

Examinons  la  pluralité  dans  sa  source,  et 
il  ne  nous  sera  pas  diiiicile  d'en  (iécouvrir 
la  malice  et  la  dillormilé.  Le  saint  concile 
de  Trente  reconnaît  qu'une  cuftidité  déré- 
glée est  ordinairement  la  source  de  la  plu- 
ralité. Ce  qui  naît  d'un  principe  si  conta- 
lagieux,  no  f>eul  (pi'il  no  soit  très  difforn.e 
et  très-criminel  (307). 

Fn  elfel ,  quel  autre  prtncij)e  que  cciui 
d'une  cu|)idilé  déréglée  peut  conduire  ceux 
qui  amassent  plusieurs  bénéfices  ?  Ils  rou- 
giraient de  (lire  qu'un  seul  de  leurs  béné- 
licfts  n'est  pas  sullisaiil.  Il  le  serait  même 
pour  l'entretien  liunnôte  d'un  cl(  rc  qui  pas- 
serait en  beaucoup  de  choses  les  bornes 
étroitesdc  son  (lui  et  de  sa  condition  Lesainl 
concile  a  raison  de  déclarer  que  tous  les 
prétextes  dont  les  clercs  ambitieux  se  ser- 
vent pour  se  justitier  ne  sont  que  des  arti- 
fncs  pour  transgresser  les  lois  les  plus 
saintes  et  les  mieux  établies. 

On  allègue  des  dispenses,  mais  qu'est-ce 
que  ces  dispenses,  el  quel  jugement  en  ont 
prononcé  les  docteurs  qui  les  ont  sérieuse- 
menl  examinées? 

Siiinl  Thomas  prétend  que,  dans  la  plura- 
lité des  l'énéfices,  il  y  a  ordinairement  une 
difTormité  qui  la  rend  contiaire  même  au 
droit  naturel.  Il  n'y  a  donc  aucune  dispense 
qui  puisse  couvrir  celle  diflormité.  Car  c'est 
un  principe  du  même  saint  Thomas,  qu'il  ne 
peut  jamais  y  avoir  aucune  dispense  légi- 
time pour  violer  ce  qui  est  établi  et  fondé 
sur  le  droit  naturel  (308). 

Je  vous  ai  rapporté  dans  un  auvre  entre- 
tien (309)  les  autorités  de  [diisieurs  docteurs 
émineiils  en  science  et  en  piété,  lesquels  as- 
surent que,  quand  et  s  dispenses  ne  sont  pas 
accordées  pour  de  justes  causes,  elles  ne 
sont  valables  que  devant  les  honunos,  mai-, 
quant  au  tribunal  du  Seigneur,  elles  ne  pour- 
ront jamais  jusLlier  ceux  qui  les  ont  obte- 
nues C(Hitre  la  règle  et  l'équité. 

Ceux  qui  semblent  les  plus  innocents,  et 
dont  il  y  aurait  moins  lieu  de  désa|  prouver 
la  conduite,  ce  sont  des  hi;nHues  tloui  les  in- 
tentions sont  droites,  et  (jui,  se  liouvant  en 
jiossession  de  plusieurs  bénétices,  les  con- 
servent pour  en  l'aire  de  bonnes  œuvres. 

Denis  le  Chartreux  ne  laisse  pas  de  les 
condamner  (310).  Son  sentniicnl  esltpie  ceux 
qui  conservent  plusieurs  bénéfices  ne  peu- 

(507)  «  MuiliiinprobiB  ciipidiiaiis  .Tffeclu  se  ij)S()s, 
non  Deum  decipienus,  piura  siniul  beiielicia  obli- 
DCie  non  erubebcuni.  » 

(308)  «  L.cilun)  non  esl,  etc.  Quanlumtunqiie  dl- 
speiisalio  inicrvcnial  ,  eo  quod  dispensaiio  tunn.'un 
ni»n  aul'crl  liganien  juiis  natiiralis.  >  {Quodl.  I\, 
a.  5.) 

(509)  Dhcotirs  tur  le  bon  exeviple. 

(510)  «  Hoi-pilal  laeni  scrv.ue,  cieemosynas  ero- 
gare,  non  esl  sullki  us  causa  lialicmli  pliira  bciic- 
fua.  cuui  ex  iiuc  aliundc  picvcniaiil  niuHa  tjmvioia 


vont  s'excuser  quand  bien  même  ils  se  ser- 
vent df  leurs  revenus  [lour  faire  des  aumô- 
nes. Par  ces  aumônes  ils  ne  réparent  point 
les  scandales  et  les  inconvénients,  qui  sont 
une  suite  nécessaire  de  la  pluralité.  Dieu 
n'exige  point  d'un  ecclésiastique  qu'il  fasse 
des  aumônes  an-dessus  de  ses  forces.  Qu'il 
se  défasse  doses  bénéfices,  qu'il  en  conserve 
un  seul,  et  il  fera  autant  d'aumônes  qu'il 
pourra  des  revenus  du  seul  bénéfice  Qu'il 
lui  est  permis  de  retenir. 

C'est  donc  souvent  un  zèle  mal  réglé,  eî 
qui  n'est  point  selon  la  science,  que  de  dire 
avec  plus  de  revenu  je  ferai  plus  de  bonnes 
œuvres  ;^e(  c'est  un  abus  que  d'employer  ce 
prétexte  spécieux  pour  conserver  plusieurs 
bénéfices. 

Vous  devez  être  dans  la  disposition  de 
faire  tout  le  bien  dont  vous  êtes  capable; 
mais  ajoutez -y  cette  condition  essentielle, 
que  le  bien  doit  être  lait  dans  l'ordre  que 
leSeigneura  marqué.  Sortit  le  l'ordredu  Sei- 
gneur, môme  sous  le  prétexte  de  faire  de  bon- 
nes actions,  ce  n'est  [)<-is  édifier, c'est  déiruire. 

Souvenez- vous  de  l'avis  salutaire  de 
saint  Paul  :  Soyez  saoes  dans  le  bien.  {Rom., 
XVI,  19.)  Donc  le  bien  doit  être  fait  avec 
discrétion,  el  une  des  principales  conditions 
pour  le  faire  avec  bénédiction,  c'est  de 
suivre  les  règles. 

Ne  me  dites  donc  point  que  vous  fierez  des- 
aumônes, que  vous  bâtirez  des  temples,, 
que  vous  soutiendrez  une  œuvre  qui  chan- 
celle. Celui  qui  peut  des  pierres  même  sus- 
citer des  enfants  à  Ahraliaui  {Matlh.,  III,  9), 
saura  bien  accomplir  son  œuvre  dans  les 
temps  qu'il  a  marqués,  sans  qu'il  soit  né- 
cessaire d'avoir  recours  à  des  moyens  si 
solennellement  défendus.  Ce  qui  est  de  |)lus 
pressé  pour  vous,  c'est  d'édifier  l'Eglise. 
Ce  qui  lui  manque  et  dont  elle  a  le  plus  be- 
soin, ce  sontdes  esem|)les  d'ecclésiastiques 
assez  désintéressés  pour  quitter  des  béné- 
tices dans  des  occasions  où  ils  sont  évidem- 
ment oi)ligés  de  le  faire  [)ûur  obéir  aux  lois 
de  l'Eglise. 

Si  ceux-là  même  qui  coiiservent  plusieurs 
bénéfices  pour  en  faire  des  aumônes  ne  sont 
pas  excusables,  que  dirons-nous  de  la  scan- 
daleuse |)luralité  de  ceux  qui  amassent  [)lu- 
sieurs  l)énéfices,  pour  contenter  leur  luxe, 
pour  satisfaire  i  eur  sensua  1  i  té, jiour  vivre  dans, 
les  délices,  jiour  entretenir  des  équijiages 
somptueux?  Qui  pourrait  expliquer  la  con- 
damnation que  s'atliient  ces  ecclésiastiques 
et  la  rigoureuse  vinigeance  que  Dieu  tirera 
un  jour  du  méjiris  ([u'ils  ont  l'ait  des  saintes 
lois  de  l'Eglise  (311)? 

iiiconunoi'a.  D(us  quoque  ab  aliqiio  non  cxigil  ho- 
i|)il:iiiiaicni,  el  elieaiosuiarnni  largilioneni  ullra 
viri'S  ipsius,  sive  ullra  qsiod  ei  de  uno  (.on  pcieuii 
l;eneticio  supcrcst.  »  (Tract,  coiitr.  pluralitutein  bu- 
nef:  c,  c.  i-l.) 

(51I)«S.  Tliomas  el  allia  S  Bernardi  lenipore  non 
lia  dissili,  lioc  releruiil  ipsius  dicluni.  «  Qui  norï 
!  unus  sed  plures  esl  in  bcm  fii.iis,  non  unus  ïc  i  1)1u- 
«  res  trii  in  suppliciis.  >  [Vide  S.  TiiOM-,  qiiodliljci. 
IX,  q.  7,  a.  15,  §  i.) 


1373 


RETRAITE  ECCLES,  —  XXIIl,  DES  BENEFICES. 


Mil 


Ce  sont  pai  ticulièremenl  ces  cclésiasliqiies 
scaininleiix  que  saint  BerncTrd  avait  en  vue, 
quand  il  disait  que  celui  qui,  n'étant  pas  sa- 
tisfait d'un  seul  Ijthiéfice,  n  voulu  posséder 
sur  la  (erre  ce  (;ui  dtvtail  èirc  parlagé  h 
plusieurs,  nn  sera  pas  trniié  dans  les  enfers 
comme  un  seul  ré|)ronvé  ;  mais,  Dieu,  [lour 
le  châtier,  accumulera  les  peines  destinées  h 
la  punition  de  plusieurs  n^prouvés. 

Tous  les  abus  soraienl  corrigés  si  l'on 
avait  une  vérilable  idée  des  bénétices  ecclé- 
siastiques, et  si  l'on  ne  se  laissait  point 
abuser  par  les  fausses  maximes  du  siècle. 
Un  bénéfice  ecclésiasiique  c'est  un  poids, 
c'est  un  fardeau.  Un  bénéfice  expose  celui 
qui  le  possède  à  de  très-j^rnnds  périls.  C'est 
\ine  adnïinii.lration  dont  il  faiidra  rendre 
compte  à  Diru,  et  (pii  nous  chargera  quand 
nous  comparaîtrons  devant  son  tribunal. 
Les  bénéfices  sont  destinés  à  la  nourriture 
de  ceux  qui  travaillent  pour  l'Eglise.  V^)u- 
ioir  les  posséder  el  être  inutile  <i  l'Eglise, 
s'est  se  rendre  coupable  d'une  très-crimi- 
nelle usurpation.  Uccherchor  un  bénéfice, 
c'est  rechercher  un  poids  qui  peut-ôtrenous 
accablera.  Féliciter  un  homme  du  monde 
qui,  par  des  voies  d'intrigues,  obtient  un 
bénéfice  considérable,  c'est  le  féliciter  de 
ce  qu'il  a  violé  les  règles  les  plus  saintes 
de  lEglise,  de  ce  qu'étant  déjà  criminel 
par  les  désirs  de  son  cœur,  il  va  encore 
augmenter  la  mesure  du  ses  crimes  par  la 
profanation  des  richesses  sacrées  de  l'E- 
glise. Les  aveugles  du  siècle  félicitent  les 
hommes  quand  ils  devraient  pleurer  sur 
eux. 

Dieu  m'en  est  témoin,  dit  saint  Augustin, 
l'administration  des  biens  de  l'Eglise  ,  dont 
on  croit  que  je  suis  bien  aise  de  disposer, 
m'est  onéreuse.  Je  la  considère  comr-.ie  une 
servitude.  Il  n'y  a  que  la  crainte  de  Dieu  et 
la  charité  que  je  dois  à  uks  frères  ,  qui 
m'obligent  à  me  charger  de  celte  pénible 
administration.  Mon  grand  désir  serait 
d'en  ôlre  délivré  si  mon  devoii'  me  le  pei- 
mellait  (312). 

Voilà  la  vraie  idée  que  l'on  doit  avoir 
des  bénéfices  ecclésiastiques.  C'est  une 
administration  dillicile  et  onéreuse  ,  c'est 
un  grand  bonheur  que  de  n'en  point  êtie 
chargé.  Tout  homme  sage,  bien  loin  de  re- 
chercher cette  pénible  administration  ,  la 
doit  fuir. 

C'est  sans  doute  une  idée  bien  différente 
de  celle  que  l'on  a  communément  des  béné- 
fices. Il  est  bien  déplorable  que  l'on  recher- 
che avec  tant  d'empressement  ce  que  l'on 
fuirait  si  l'on  connaissait  les  solides  prin- 
cipes de  la  religion  ,  el  si  l'on  en  était 
I)énélré. 

Qui  sont  donc  ceux  qui  possèdent  légili- 
meraent  les  béiiélices  ?  ce  sont  ceux  qui  en- 
trent dans  l'Eglise  avec  une  sainte  vocation, 
dans  des  vues  Irès-désintéressées,  avec  ui. 


désir  sincère  de  servir  le  prochain,  et  qui 
ne  sont  en  aucune  manière  déterminés  par 
des  vues  temporelles  à  se  consacrer  au  Sei- 
gneur. 

Dieu  qui  nourrit  les  oiseaux  du  ciel  cl 
qui  ne  perd  point  do  vue  ceux  qui  se  con- 
fient en  lui,  n'abandonnera  point  co  minisiro 
fidèle.  Sa  providence  paternelle  veillera  sa;' 
lui;  elle  lui  fera  tomber  entre  les  mains 
des  revenus  (pi'il  est  irès-élorgné  de  désirer 
et  de  considérer  comme  le  motif,  soit  do 
son  entrée  dans  i'élat  ecclésiasti(]ue,soit  do 
son  application  aux  saintes  fondions  de  son 
ministère.  Il  recevra  avec  action  de  grûces 
les  biens  do  la  terre,  et  ii  les  regarder.i 
comme  des  moyens  qui  lai  facilitent  l'exer- 
cice de  son  ministère,  el  qui  le  meltent  en 
élat  do  rendre  au  prochain  ce  qu'il  lui  doit. 
C'(  st  là  suivre  l'esi^rit  de  l'Eglise,  c'est  là 
entrer  par  la  porte,  c'est  là  ac(iuérir  légiti- 
mement, et  non  pas  usurper. 

Voilà  les  dispositiofis  dans  lesquelles  il 
faut  être  pour  entrer  légitimement  dans  les 
bénéfices.  J'ai  maintenant  à  vous  faire  voir 
coramenl  il  faut  user  des  bénéfices  eccW- 
siastiques.  C'est  mon  scrond  i)0int 

DEUXli^ME     POINT. 

Jésus-Christ,  en  instruisant  les  nommes, 
leur  dit  :  Ne  vous  faites  point  de  trésors  sur 
la  terre,  où  les  vers  el  la  rouille  tes  mangent, 
et  où  il  y  a  des  voleurs  qui  les  déterrent  et  qui 
les  dérobent,  viais  faites-vous  des  trésors 
dans  le  ciel,  oii  les  vers  et  la  rouille  ne  les 
mangent  point,  et  otï  il  nij  a  point  de  voleurs 
qui  les  déterrent  et  qui  les  dérobent,  {Malth  ^ 
VI,  19.) 

L'apôtre  sainl  Paul  ap})liquant  aux  riches 
du  siècle  cette  maxime  du  Sauveur,  les  aver- 
tit de  s'acquérir  un  trésor  et  de  s'établir  un 
fondement  solide  pour  l'avenir.  (I  r/'m.,VI, 
19).  De  là,  il  s'ensuit  que  selon  que  les  riches 
du  siècle  disi'ensent  d'une  manière  diffé- 
rente les  biens  dont  ils  se  trouvent  en  |)0s- 
session,ils  amassent  ou  des  trésors  pour  le 
ciel,  ou  des  trésors  de  colère. 

C'est  ce  qui  est  particulièrement  véritable 
à  l'égard  des  richesses  ecclésiastiques.  Il  n'y 
en  a  point  qui  amassent  plus  sûrement  des 
trésors  de  culère,  que  ceux  qui  les  profanent 
])ar  un  usage  criminel.  Un  eixlésiaslique 
qui  veut  éviter  un  si  terrible  malheur  doit 
être  convaincu  des  principes  suivants,  el  les 
prendre  pour  la  règle  de  sa  conduite. 

Un  ecclésiastique  doit  être  modéré  et  so 
contenter  de  peu,  premier  principe. 

Les  dignilés  ecclésiastiques  ne  se  sou- 
tiennent point  comme  les  séculières  i)ar  la 
dépense  el  la  pompe;  mais  elles  sesoulier- 
neiil  parles  vertus,  second  principe. 

Les  pauvres  ont  un  grand  droit  sur  les 
rev<  nus  ecclésiastiques  Les  frustrer  de 
ce  droit,  c'est  un  larcin,  troisième  prin- 
cijie. 


512)  <  Deus  leslis  esl  isliim  oiniuni  rciuiu  ec- 
ciesiasticarnm  |>!ncurylionci!i,  riuanmi  crodimiir 
ainaïc  dcmiiialuiii,  pro|»lcr  sciviiulcm  ijuaiil  ilcljto 


<liaiil:Ui  frairum  el  liniori  Dci,  lolerarc  me,  non 
ariuirc,  iia  iil  ea  si  .salvo  oflicio  possiin  carcrc  dcsi- 
ilcitDi.  I  (L|)isl  120,  al.  '225.) 


i:t: 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMr>ERT. 


iSTtt 


Les  revenus  ecclésiastiques  sont  destinés 
h  l'entrf'lien  de  ceux  qui  travaillent.  ,11  n'y 
a  que  los  ouvriers  fidèles  et  zélés  qui  ont 
droit  d'en  user.  C'est  pervertir  l'iisage  do 
ces  revenus  que  de  s'en  servir  pour  entre- 
tenir une  molle  oisiveté,  quatrième  princi[)e. 

Les  ecclésiastiques  doivent  être  modérés 
et  se  contenter  de  peu.  C'est  la  loi  qui  est 
imposée  à  tous  les  chrétiens.  Saint  Paulleur 
parle  h  tous  et  leur  dit  :  Ayant  de  c/uoi  vous 
pourrir  et  de  quoi  nous  couvrir,  nous  devons 
être  contents.  (\  Tim.,  V,  8.)  Bien  loin  d'exté- 
nuer cette  maxime,  il  n'eût  pu  que  s'expli- 
quer en  termes  plus  forts,  s'il  eût  adressé 
son  discotirs  aux  ministres  du  Seigneur. 

C'est  un  principe  constant  et  perpétuel 
que  les  ecflésijistiques  sont  le  modèle  du 
troupeau.  (I  Petr.,  V,  3.)  Combien  donc 
doivent  être  modérés  et  se  contenter  de  peu 
ceux  qui  doivent  servir  d'exemple  à  des 
hommes  à  qui  il  est  expressément  comman- 
dé de  vivre  dans  une  si  grande  modération  ? 

I'  est  permis  aux  ministres  du  Seigneur 
qui  travaillent  de  vivre  de  l'autel.  C'est  un 
passage  connu  de  tous  les  ecclésiastiques. 
Et  plût  au  Seigneur  qu'ils  fussent  aussi  bien 
instruits  de  tous  les  autres  endroits  de 
l'Ecriture  et  des  saints  Pères  qui  expli- 
quent ce  que  c'est  que  vivre  de  l'autel. 

Il  vous  est  permis,  dit  saint  Jérôme,  de 
vivre  fie  l'autel,  mais  il  ne  vous  est  pas  per- 
mis de  vous  enrichir  des  dé[)ouilles  de  l'E- 
glise (313). 

Vous  qui  savez  si  bien  que  vous  pouvez 
vivre  de  l'autel,  et  qui  faites  ries  réserves 
ri.rce  que  vous  avez  de  fausses  alarmes  sur 
l'avenir,  sachez  aussi  que  Jésus-Christ  a 
dit  :  Ne  vous  mettez  point  en  peine  du  len- 
demain. (Matlh.,  Y],  3k.]  Sachez  aussi  que 
saint  Paul  a  dit  :  5o?/Pz  contents  de  ce  que 
vous  avez,  puisque  Dieu  dit  lui-même,  je  ne 
vous  laisserai  point  et  je  ne  vous  abandon- 
nerai point.  {Hehr.,  VIII,  5.) 

Il  vous  est  permis  de  vivre  de  l'autel; 
mais  vous  est-il  permis  d'enrichir  vos  [)a- 
rents  contre  la  défense  expresse  des  saints 
canons  renouvelée  par  le  saint  concile  de 
Trente  dont  voici  les  paroles? 

Le  saint  concile  leur  défend  d'enrichir 
leurs  parents  ou  leurs  amis  des  revenus 
ecclésiastiques,  puisque  les  canons  mômes 
des  apôtres  défendent  de  donner  h  ses  pa- 
rents les  biens  de  l'Ej^lise  qui  sont  ceux 
de  Dieu  même.  Tout  ce  que  le  concile  vous 
permet,  c'estde  secourir  vos  parents  comme 
d'autres  pauvres,  (|uand  leur  pauvreté  est 
véritable  et  réelle  (3H). 

Il  vous  est  permis  ,  dit  saint  Bernard  ,  de 
vivre  de  l'autel,  mais  il  ne  vous  est  pas  per- 
mis de  vous  servir  des  richesses  ecclésiasti- 
ques pour  vivre  dans  le  luxe  et  dans  la 
mollesse  (315).  Quoi  de  plus  opposé  aux 
f)réceptes  de  saint  Paul  qui  vous  ordonne 
de  vous  contenter  f)0urvu  ([ue  vous  ayez  de 
quoi  vous  nourrir  et  de  quoi  vous  couvrir? 

(315)  «  Vivant  et  non  divitos  fiant,  i 

(314)  «  Oinnino  ttisinlerdlcil,  ne  ex  redilihns  Ec- 

dcsix  consanguincos,  lamiliarcsquc   suos  aiigcic 


Quoi!  pour  nourrir  une  chair  qui  doit 
être  la  f)âlure  des  vers,  faut-il  tant  de  dé- 
licatesse, faut-il  tant  d'abondance  ,  faut-il 
tant  d'assaisonnements  et  tout  ce  rafline- 
ment  de  bonne  cbère?  Quo\  1  est-ce  se  con- 
tenter de  peu,  est-ce  se  contenter  de  la 
nourriture  et  (lu  vêtement,  que  de  vouloir 
avoir  toutes  les  commodités?  Est-ce  pour 
cela  que  les  richesses  ecclésiastiques  sont 
données?  Il  n'en  reste  plus  pour  les  pau- 
vres, il  en  restera  pour  eux,  et  leur  por- 
tion sera  très-forte,  quand  vous  modé- 
rant dans  les  justes  bornes  de  la  simplicité 
ecclésiastique  ,  il  sera  vrai  de  dire  que 
vous  vous  contentez  de  peu,  et  que  vous  ne 
suivez  plus  les  lois  d'une  cupidité  déréglée. 

Un  prétexte  très-ordinaire  quoique  très- 
injuste  que  la  cupidité  a  coutume  d'em- 
ployer, c'est  que  l'on  est  obligé  de  soutenir 
sa  dignité,  qu'il  n'y  a  que  le  dehors  et  ce 
qui  éclate  qui  frappe  le  peuple ,  qu'il  y  au- 
rait du  danger  que  le  caractère  ecclésiasti- 
que ne  fût  méprisé,  si  l'on  se  tenait  dans 
les  bornes  étroites  que  lu  modestie  f)rescrit. 
De  ce  (irincipe  on  conclut  que  los  dignités 
ecclésiastiques  doivent  être  soutenues  par 
la  dépense  et  l'éclat.  Cet  éclat  et  cette  dépen- 
se consument  les  revenus  ecclésiastiques, 
et  delà  naît  ce  pernicieux  usage  desbénéti- 
ces  ,  contre  lequel  on  ne  peut  trop  s'élever. 

Les  dignités  ecclésiastiques  doivent  être 
soutenues;  le  principe  est  vrai;  mais  doi- 
vent-elles être  soutenues  comme  les  dignités 
séculières  par  l'éclat  et  la  pompe?  C'est  ce 
que  je  soutiens  très-faux  et  très-contraire  h 
toutes  les  règles.  Les  dignités  ecclésiastiques 
doivent  être  soutenues  par  les  vertus,  et 
non  point   par  l'éclat  extérieur. 

Les  rois  des  nations  veulent  dominer  dit 
Jésus-Christ  [Mallh.,  XX.,  25)  ;  ils  veulent 
être  considérés,  ils  veulent  inspirer  de  la 
crainte,  attirer  les  regards  du  peuple;  ils 
empruntent  des  secours  étrangers  pour  se 
déguiser  à  eux-mêmes  et  [)our  caclier  aux 
autres  ce  fond  de  faiblesse  et  do  misère, 
qui  est  essentiellement  en  eux.  Ils  se  tlal- 
tent  qu'ils  sont  au-dessus  des  autres  hom- 
mes, quoi  qu'ils  en  aient  toute  la  misère, 
ils  s'attribuent  ce  qui  ne  vient  point  d'eux, 
et  ils  S(int  redevables  de  leur  grandeur  à 
ceux-là  même  au  dessus  de  qui  ils  s'élèvent 
et  qu'ils  croient  surpasser. 

//  n  en  sera  pas  de  même  de  vous, dit  Jésus- 
Christ.  Par  là  il  fuit  voir  qu'il  y  a  une  ditlé- 
rence  essentielle  entre  les  hommes  dusiècle 
et  ceux  qui  se  consacrent  à  son  service, 
entre  les  honneurs  du  monde  et  son  saint 
ministère.  Jl  n'en  sera  pas  de  même  de  vous. 
Mais  celui  qui  voudra  être  le  premier  d'entre 
vous,  sera  le  dernier  de  tous,  sera  le  serviteur 
de  tous.  [Ibid.)  Celui  qui  s'estime  le  dernier 
de  tous,  le  serviteur  de  tous,  cherche-t-=-ii 
les  ornements  extérieurs,  la  pompeel  l'éclat 
|)Our  se  faire  valoir  ? 

Entendons  parler  les  anciens  conciles  ,  et 

studeant.  »  (Sess.  25  De  refor.,  cap.  1 

(015)  «  ConreJUiir  libi  uide  altario  vivas.iion  ui 
luxuricris.  t  {t^p.  ad  Fulcoiieni.) 


rr.i 

\nyons  comment  ils  oxpliqiicnt  aux  clercs 
la  conduite  qu'ils  doivent  tenir  pour  soute- 
nir l(Mir  dignité. 

«  Que  TL^Ôque  ait  dans  sa  maison  des 
meubles  vils,  qne  sa  t.iblose  ressente  de  sa 
pauvreté,  et  qu'il  maintienne  sa  dignité  par 
la  foi  cl  par  le  n;érile  de  ses  œuvres 
(316).  » 

Les  évoques,  qui  sont  les  premiers  dans 
l'Eglise,  et  qui  y  possèdent  la  plus  éminente 
dignité ,  ne  doivent  avoirque  des  meubles 
vils;  il  faut  qu'ils  fassent  sentir  la  pauvreté 
dont  ils  font  profession,  Voi!?i  donc  les  or- 
nements extérieurs  ;  voilà  la  délicatesse  el 
la  bonne  chère  exclues  de  la  maison  de 
l'évoque.  Ce  sont  des  moyens  trompeurs,  et 
ce  ne  sont  pas  ceux-là  que  les  ecclésiasti- 
ques doivent  employer  pour  faire  connaître 
l'excellence  de  leur  dignité.  En  voici  de 
plus  solides  et  de  jilus  propres  à  faire  voir 
la  sainteté  du  caractère  ecclésiastique.  La 
loi,  les  vertus,  les  bonnes  œuvres. 

Ne  dites  jiointqu'à  la  vérité  la  foi  et  les 
bonnes  œuvres  sont  les  principaux  moyens 
dont  les  ecclésiastiques  doivent  se  servir, 
mais  que  l'éclat  extérieur  ne  doit  pas  être 
négligé,  et  qu'il  est  môme  nécessaire  à  cause 
do  la  faiblesse  des  hommes,  qui  sont  plus 
touchés  des  a|)parences  el  du  dehors  ,  que 
de  ce  tpii  est  solide  et  caché  dans  le  fond 
de  l'âme. 

Le  concile  s'esl  trop  nett^-^menl  expliqué 
pour  pouvoir  apporter  une  réponse  si  peu 
soutenable.  Les  moyens  (jue  vous  croyez 
nécessaires,  quoique  moins  principaux, 
sont  positivement  exclus.  Que  l'évêque  ait 
des  meubles  vils.  Il  ne  lui  est  donc  pas  per- 
mis (lour  aucune  raison  d'en  avoir  de  somp- 
tueux el  (le  magnifiques.  L'évêque  doit  faire 
sentir  la  paurrelé  dont  il  fait  profession. 
Fail-on  sentir  que  l'on  fait  [)rolVssion  d'ai- 
mer la  pauvreté  par  l'éclat  et  la  pompe,  ou 
plutôt  n'est-ce  pas  en  les  méprisant,  en  les 
foulant  aux  pieds,  et  en  les  bannissant  entiè- 
rement de  sa  maison  ? 

Osera-t-on  dire  que  les  temps  sont  chan- 
gés, que  ce  qui  se  pouvait  pratiquer  dans 
les  anciens  temps  ne  peut  plus  être  niain- 
tenant  observé;  que  pour  lors  les  peujiles 
étaient  plus  simples  el  plus  dociles;  que  ce 
qui  était  respecté  dans  ces  heureux  tenips 
serait  ujainlenanl  méprisé;  qu'il  faut  enfin 
suivre  la  coutume,  céder  au  lemps,  et  avoir 
de  la  condescendance  pour  la  faiblesse  des 
hommes  ? 

Il  est  vrai  que  les  temps  sont  changes. 
Mais  la  dlificulté  est  si  ce  changement  n'est 
point  une  dépravation  et  un  abus  auquel  on 
ne  |)(ut  apporter  un  remède  trop  prompt  et 
trop  ellicace.  Les  temps  sont  changés,  parce 
que  les  ministres  de  l'Eglise  ne  sont  plus 
saints,  zélés,  attachés  à  leurs  devoirs, 
comme  dans  les  premiers  lemps.  Douiiez- 
nioi  de  saints  évoques  el  de  saints  prêtres 

(3IG)  4  Episcopiis  vilem  supelicclilem  el  mcnsa:ii, 
ac  viciiiiii  paiiperein  li;il)eal,  et  di^nilaii  suae  auclo- 
rital(.'in  fideac  vii;i-  merilisqiiiurat.  t^Conc.  Cartlincj., 
V,  tan.  15.) 


RETRUTE  ECOLES.  —  XXIII,  DES  BENEFICES. 


iù'H 


comme  dans  l'anliffuité,  et  vous  verrez  s'ils 
ne  se  feront  pas  respecter  en  suivant  exac- 
tement les  règles  si  sages  de  l'ancienne 
discipline. 

On  suppose  faussement  que  le  g0"ll  pour 
la  règle  et  pour  la  vertu  est  passé,  et  qu'il 
n'est  ()lus  maintcnanl  aussi  vif  qu'il  était 
dans  les  premiers  temps.  L'expérience  dé- 
ment cette  fausse  el  dangereuse  supposi  - 
lion.  Par  la  miséricorde  du  Seigneur  il  en 
reste  encore  de  ces  ministres  zélés  qui 
tiennent  pour  la  règle.  On  voit  avec  i)laisir 
que  ceux-là  sont  estimés  et  respectés,  pen- 
dant que  les  autres  n'attirent  que  l'indigna- 
lion  et  le  mépris  par  leur  [)ompect  leur  éclat. 

La  règle  est  toujours  la  même.  Elle  sub- 
sistera malgré  la  malice  el  la  dépravation 
des  hommes.  Elle  sera  attaquée,  mais  ello 
ne  sera  jamais  vaincue.  Il  sera  donc  tou- 
jours temps,  ()our  réformer  les  mœurs  des 
ecclésiastiques,  de  leur  citer  les  exemples 
des  j)remii;rs  saints,  el  les  anciens  canons 
de  TEglise. 

Saint  Bernard  croyait  l'argument  décisi, 
el  convaincant.  Pour  conibndre  le  luxe 
des  ecclésiastiques,  il  les  rap|)elle  au  tem[)s 
des  saints  apôtres.  Il  les  lait  souvenir  de 
l'exemple  qu'ils  nous  ont  laissé.  «  On  ne 
voit  point,  dit  ce  saint  docttur,  que  saint 
Pierre  ail  marché  avec  un  équipage  pom- 
peux. Ou  ne  voit  point  qu'il  ail  porté  des 
liabits  précieux.  On  ne  voit  f)oiiU  qu'il  ail 
été  accompagné  d'une  foule  de  serviieurs. 
Si  vous  vous  éloignez  de  ces  saints  exeni" 
pies,  vous  déclarez  que  vous  êtes  le  suc- 
cesseur des  princes  temporels  cl  non  pas 
des  ajiôtres  (317).  » 

«  Je  n'avais  [)as  com|)ris,  dit  saint  Grégoire 
deNazianze  (oral.  32,  p.  520  ),  (jue  je  dusse 
dis[)uter  en  magnilicence  avec  les  consuls, 
les  gouverneurs,  les  généraux  d'armée;  ou 
qu'abusant  des  biens  des  pauvres  jiour  con- 
tenter mon  luxe,  je  pusse  dissiper  en  su- 
fjerlluités  des  richesses  dont  je  ne  suis  que 
l'économe.  Je  n'avais  pas  compris  qu  un 
évêque  dût  se  faire  traîner  dans  un  char 
pompeux,  et  se  faire  suivre  {)ar  une  si  grande 
l'ouleque  sa  marche  fûtaperçuede  lorl  loin.» 

Voilà  ce  (jue  saint  Grégoire  de  Nazianze 
répond  à  ceux  qui  lui  faisaient  des  reproches 
de  sa  sim|)licité  el  de  sa  modestie. 
^  Quel  est  le  ministère  que  vous  exercez? 
c'est  un  DJL'u  humilié  qui  eu  est  l'iiistiin- 
leur.  C'est  un  Dieu  qui  n'a  lieii  plus  forte- 
ment couimaiidé  à  ses  disciples  que  de  vivre 
dans  la  prati(iue  de  l'humililé.  Voyez  com- 
ment il  les  reprend  (pjatid  il  aperçoit  en  eux 
le  moin(Jre  sentiii;ent  d'orgueil  ?ll  les  établit 
ses  ministres  pour  enseigner  riiumilité  aux 
hommes,  et  pour  leur  clomier  l'exemple  de 
Celte  excellente  vertu.  Le  saint  minislère 
de  Jésus-Christ  ne  d(jit  être  (-xcj-i'.é  que  jiar 
les  humbles.  Saint  Grégoire  l'appelle  un  mi- 
nislère d'humilité,  et  il  ne  peut  soulfi-ir  que 

(Sfî)  Peinis  ncsciuir  proccssi'.sc  vel  gcmniis  or- 
na'us,  vcl  sericis,  iicc  circuiiinir.-p  iiiiîjus  scplus 
iiiiniinis  ;  lu  liis  successisii  ii'>n  iViro,  ted  Coii- 
sijiilino.  (Lib.  IV  De  Cuiisid  ,  cap.  lï.) 


1379 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1380 


ce  qui  doil  servir  à  nous  liumilier,  soil  une 
occasion  de  s'élever  et  de  s'enfler  d'or- 
guei!  (318;. 

Détrompons -nous  des  fausses  et  dange- 
reuses maximes  que  la  corruption  a  intro- 
duites. II  est  vrai  qu'un  de  nos  principaux 
devoirs  doil  être,  comme  saint  Paul  le  mar- 
que, de  rendre  illustre  notre  ministère.  [Rom., 
XI,  13.)  Mais  il  ost  aussi  véritable  que  I(î 
vrai  moyen  de  le  rendre  illustre,  c'est  de 
faire  éclater  en  nous  toutes  les  vertus,  et 
surtout  riiumilité,  qui  est  la  première  et  la 
principale  de  toutes  les  vertus.  L'éclat  et  la 
pompe  dont  quelques-uns  prétendent  se  ser- 
vir pour  rendre  illustre  leur  ministère,  est 
ce  qui  l'avilit  et  ce  qui  le  rend  plus  mépri- 
sable. Les  ecclésiastiques  seront  moqués  ; 
ils  exciteront  les  cris  et  les  murmures  ;  leurs 
discours  ne  feront  aucun  fruit  ;  leur  exem- 
ple scandalisera,  pendant  que  leur  conduite 
ambitieuse  et  séculière  fera  voir  qu'ils  sont 
pleins  de  l'esprit  du  monde.  Les  ecclésias- 
tiques fidèles,  zélés,  dont  les  mœurs  aussi 
bien  que  les  paroles  annoncent  les  vérités 
de  l'Evangile,  seront  toujours  honorés.  Quoi- 
que les  gens  du  siècle  résistent  à  leurs  dis- 
cours, ils  ne  pourront  s'empêcher  d'estimer 
leur  vertu.  Cette  estime  de  la  vertu  est  un 
heureux  coramenceraenl  pour  conduire  à  la 
pratique  des  bonnes  œuvres  ceux  mômes  qui 
eu  sont  le  plus  éloignés.  Une  infinité  de  pé- 
cheurs, ajirès  avoir  résisté  à  la  parole,  ont 
été  touchés  de  l'exemple,  et  sont  revenus 
de  leurs  égarements. 

l'établissons  donc  !e  principe.  Soyons-en 
pleinement  convaincus  ;  mé|irisons  la  pom- 
pe et  le  faste  ;  embrassons  les  vertus  qui 
conviennent  à  notre  état.  Par-là  nous  sou- 
tiendrons notre  rang,  et  nous  travaillerons 
enicacemcnl  à  refidie  notre  ministère  hono- 
rable. 

Nous  rendrons  aussi  par  ce  moyen  aux 
pauvres  la  justice  que  nous  leur  devons. 
Car  voici  un  troisième  principe.  Les  pau- 
vres ont  un  grand  droit  sur  les  revenus 
ecclésiastiques.  C'est  un  larcin  que  de  les 
frustrer  de  ce  droit. 

Nous  avons  donc  maintenant  à  soutenir 
le  dioit  des  })auvres  contre  le  luxe  et  l'ava- 
nce qui  sont  leurs  dangereux  ennemis.  11 
y  a  une  portion  des  revenus  ecclésiastiques 
qui  appartient  aux  pauvres.  Celte  [)orlion 
est  grande.  Vous  venez  de  voir  que  les  ec- 
clésiastiques doivent  se  contenter  de  peu, 
qu'ils  sont  obligés  de  ménager  leurs  reve- 
nus. Ils  le  doivent  faire  particulièrement 
afin  d'ôtre  en  état  de  soulager  les    pauvres. 

Dieu  dans  tous  li'S  temps  a  l'ait  voir  que 
les  pauvres  lui  étaient  tiès-chers.  11  a  re- 
commatidé  l\  ses  fidèles  serviteurs  d'en 
avoir  soin,  et  de  les  soulager.  11  a  même 
déclaré  que  c'était  une  action  de  justice, 
tpie  c'était  une  dette.  {Eccli.,  IV,  1.)  Il  a 
déclaré  que  de  frustrer  les   pauvres,  c'était 

(518)  (  Minislcrium  iiiiaiililalii>  verlnnt  in  argu- 
ineriluni  ambitioiiis.  {l'asi.) 

(519)  llâdi  Toff  £v  y^peiM  oliai  x/jS^'txwv  yiv=T«t.  (Ju- 
bTiN.,  ap.  "1,  p,  ij9.; 


retenir  par  fraude  un  bien  qui  ne  nous  a|)- 
parlient  pas  et  qui  leur  est  destiné. 

Jésus-Christ  dans  la  nouvelle  loi  s'est 
tant  de  fois  déclaré  en  faveur  des  pauvres 
qu'on  ne  {)eut  [)oini  douter  et  de  sa  charité 
pour  eux,  et  de  l'obligation  qu'il  impose  à 
ses  disciples  de  les  secourir  dans  leurs  be- 
soins. Mais  il  est  certain  que  ce  soin  re- 
garde particulièrement  les  ministres  de  Jé- 
sus-Christ, et  qu'ils  sont  plus  obligés  quô 
les  autres  d'avoir  un  cœur  tendre  pour  les 
pauvres. 

Dans  les  premiers  temps  de  l'Eglise  les 
ministres  zélés  du  Soigneur  ont  cru  que  ce 
soulagement  devait  être  une  de  leurs  prin- 
cipales applications.  Pour  lors  tous  les  re- 
venus de  l'Eglise  étaient  entre  les  mains  de 
révoque.  Il  en  était  le  dispensateur.  Il  était 
de  ses  soins  d'entretenir  les  minisires  du 
Seigneur,  les  lemoles  sacrés  et  les  pau- 
vres. 

Lorsque  dans  la  suite  les  revenus  de 
l'Eglise  ont  été  partagés,  il  a  été  ordonné 
qu'il  y  en  aurait  une  portion  qui  serait 
appliquée  au  soulagement  des  pauvres 

Un  des  grands  titres  des  évoques,  dans  ces 
heureux  tenjps,  c'était  d'être  appelés  les 
pères  et  les  tuteurs  des  pauvres.  Ils  se  re- 
gardaient comme  étant  chargés  du  soin  do 
tous  les  pauviès  (319).  Tous  les  évoques, 
tous  les  ministres  du  Seigneur  qui  ont  été 
zélés  à  remplir  leurs  devoirs,  ont  toujours 
eu  un  grand  amour  pour  les  pauvres,  et 
l'application  qu'ils  ont  eue  à  les  soulager  a 
toujours  été  considérée  comme  une  grande 
partie  de  leur  mérite,  et  de  leur  sainteté. 

Saint  Grégoire  parle  d'un  évêque  qui 
avait  eu  le  cœur  assez  dur  pour  rejeter  des 
pauvres,  et  leur  répondre  qu'il  n'avait  pas 
de  quoi  les  secourir.  Il  a  des  vêlements,  il  a 
de  l'argent,  et  il  n'a  pas  de  quoi  donner  aux 
pauvres.  Diles-lui  que  depuis  qu'il  est 
élevé  à  la  place  qu'il  occupe,  il  doit  avoir 
changé  d'esprit  ;  ce  n'est  |>as  assez  pour  lui 
d'j  s'appliquer  à  l'étude  et  de  prier.  Ses 
mains  doivent  être  ouvertes.  C'est  à  lui  de 
soulager  tous  ceux  qui  sont  dans  la  néces- 
sité, La  pauvreté  des  malheureux  le  doit 
toucher  aussi  sensible.ueni  que  s'il  était 
lui-même  datis  la  misère.  Si  sou  cœur  n'est 
pas  dans  ces  dispositions,  il  n'est  évêque 
que  de  nom  (320). 

Des  évêcjues,  des  ecclésiastiques  appli- 
qués à  connaître  les  besoins  des  pauvres, 
qui  s'épargnent  pour  les  soulager,  qui  se 
retranchent  même  sur  leurs  b(îS(»ins,  qui  no 
peuvent  être  tranquilles  (lendant  que  les 
pauvres  souU'rent,  dont  la  main  libérale  ré- 
pand avec  profusion  les  richesses  dont  ils 
sont  les  dispensateurs  :  Voilà  de  vrais  évo- 
ques, voilà  des  ecclésiastiijues  tidèles,  ap- 
pliqués à  connaître  et  à  suivre  les  volontés 
de  leur  Mailie. 

Mais  que  dirons-nous  de  ceux  qui,  pen- 

(520)  «  Largam  inanmn  liabeal,  nccessiuilem  pa- 
tienlibiis  c>)iicuiral,  alicnain  iuopiaiii  siiain  credat, 
quia  si  \\xc  non  habet,  vacuuiii  episcopi  nonuii  le- 


13SI 


RETRAITE  ECOLES.  —  XXIII,  DES  RENEFICES. 


1382 


daiil  qu'ils  proiligiienl  les  biens  ecclésias- 
lifjiies,  voionl  d'un  œil  insensible  les  pnii- 
vros  languissants,  et  ne  so  mellcnl  point  en 
peine  de  les  secourir?  Quel  est  Iimii-  crime  ? 
Ajiprenez  à  le  connaître,  voyez-en  toute  l'd- 
Jiorniité,  afin  d'cti  concevoir  (Je  jnsips  son- 
liinonls  d'horreur.  Ils  sont  coupables  dn 
vol.  Le  bien  (|u'ils  consument  a|)parlient  de 
droit  aux  pauvres.  Leur  crime  n'est  pas  un 
simple  vol,  c'est  une  rapine,  c'est  un  sacri- 
lège. Les  pauvres  crient  :  C'est  notre  bien 
(321j.  Les  pauvres  demandent  avec  empres- 
sement les  restes  tle  la  table  de  ces  hommes 
voluplueux,  et  ils  leur  sont  inliumainemcnt 
refusés.  Les  plaintes  et  les  gémissements 
des  pauvres  pénètrent  jusipi'au  ciel.  Dieu 
prendra  en  main  la  cause  du  pauvre.  Sa 
vengeance  éclatera,  et  l'économe  infidèle  en 
sentira  tout  le  poids.  Homme  sans  pitié, 
homme  cruel,  les  pauvres  deniaudent  ce  (|ui 
est  à  eux.  Vous  leur  «-avissez  cruellement 
ce  que  Dieu  leur  a  donné.  Vous  éiirouvercz 
un  jour  ce  que  c'est  que  d'élre  en  môme 
temps  injuste,  inhumain,  sacrilège,  et  par 
conséiiuent  coup.iblede  ce  qu'il  y  a  de  plus 
énorme. 

Ces  hommes ,  qui  ont  en  abondance  les 
lichesses  ecclésiastiques,  sont  ceux  è  qui 
elles  sont  moins  dues.  Car  souvent  les  plus 
riches  sont  ceux  qui  travaillent  le  moins. 
Souvent  môme  ils  ne  rendent  aucun  service 
à  l'Eglise.  Ne  point  servir  l'Eglise  et  être 
enrichi  de  ses  revenus,  c'est  absolument 
renverser  les  règles.  Car  voici  le  quatrième 
et  dernier  principe  que  j'ai  avancé.  Les 
revenus  ecclésiastiques  sont  deslitiés  à  l'en- 
trelien  de  ceux  qui  travaillent.  Il  n'y  a  que 
les  ouvriers  laborieux  et  fidèles  qui  ont 
droit  d'en  user.  Il  est  absolument  contre 
l'ordre  que  ces  levenus  soient  employés  à 
entretenir  la  mollesse  et  l'oisiveté. 

Il  s'est  élevé  dans  les  derîjiers  temps  un 
nouveau  genre  d'ecclésiastiques  inconnu 
dans  ranlicjuilé.  Qui  aurait  jamais  cru  que 
celte  nouvelle  espèce  dût  s'élever,  puis(|u'il 
n'y  a  rien  de  plus  contraire  à  l'esprit  do 
l'Eglise  que  leurs  prétentions  et  leur  con- 
duite ?  Ce  sont  des  liomiiies  qui  veulent  vi- 
vre des  revenus  de  lEglise,  qui  ne  lui 
rendent  aucun  service  ,  et  qui  souvent 
la  scandalisent  par  leurs  mœurs  déré- 
glées. 

Je  dis  qu'il  e4  absolument  contraire  à 
l'esprit  de  1  Eglise  que  les  hommes  qui  ne 
la  servent  [)oinl,  reçoivent  ses  revenus. 
Vous  avez  souvent  entendu  le  grand  |)rincipe 
de  saint  Paul.  Mais  comme  il  est  décisif  en 
cette  maiière,  il  ne  peut  être  trO[)  répété. 
L'Apùtre  déclare  que  celui  qui  ne  travaille 
point  est  indigne  de  manger.  (Il  Tliess.,  il, 
10.)  Ces  hommes  ne  travaillent  point.  Com- 
ment donc  prélendenl-ils  pouvuir  se  nour- 
rir des  revenus  de  l'Eglise  ? 

Dans  les  premiers  temps  les  revenus  ec- 
clésiastiques ne  com[tOaaient  qu'une  masse 

(|-2i)  «  Res  paiiperum  non  pauperibus  dare,  par 
sacrilegio  criinéa  essedigiioscilur...  Tiiuin  iiuii  est, 
i.ipiiia  ist,  bacrilegiuiu  C;l.   N'jslruiii  est  quoJ  tl- 


commiine.  Il  étaient  partagés  sehn  les 
diljérents  besoins  de  l'Eglise.  Mais  je  no 
vois  point  qu'il  y  en  eût  aucune  part  pour 
des  hommes  oisifs.  Tout  ecclésiastique 
était  appliqué  à  dos  fonctions,  et  l'Eglise 
ne  nourrissait  que  ceux  qui  lui  étaient 
utiles. 

Interrogeons  ici  les  sages  et  saints  fonda- 
teurs qui  ont  cru  no  pouvoir  faire  un  meil- 
leur emploi  de  leurs  revenus,  qu'en  les  con- 
sacrant à  Dieu.  Je  les  entends  qui  demandent 
vengeance  au  Seigneur  de  ce  que  leurs  in- 
tentions sont  frustrées.  Pouvez- vous  les 
olfenser  plus  vivement  que  de  vous  servir 
pour  commettre  un  si  grand  nombre  d'ini- 
quités, de  ces  mômes  biens,  qu'ils  avaient 
offerts  à  Dieu  pour  l'expiation  de  leurs  pé- 
chés ?  Quelle  équité?  Ceux  qui  portent  le 
poids  du  jour  et  de  la  chaleur,  ont  h  peine  la 
nécessaire,  pendant  qu'un  riche  et  oisif  bé- 
néficier est  dans  l'abondance,  et  jouit  sans 
peine  et  sans  fatigue  d'un  revenu  considé- 
rable. 

L'abus  a  été  poussé  h  l'excès  où  nous  le 
voyons  ^  depuis  qu'on  a  prétendu  qu'il  y 
avait  <ies  bénélices  simples  et  qui  n'obli- 
geaient à  aucune  fonction.  Comme  si  cette 
maxime  nouvelle  pouv<iit  préjudicier  au 
droit  naturel  et  aux  anciennes  règles. 

Je  dis  (pie  ceux-là  môme  qui  ont  des  bé- 
nélices (\uon  appelle  simpl(;s,  quoiqu'ils 
n'aient  aucune  fonction  déterminée,  sont 
obligés  par  la  loi  générale  de  rendre  service 
à  l'Eglise. 

Il  n'y  a  point  de  bénéfices  simi)les  dans  lo 
sensqu'on  le  |)rétend.  Ils  vivent  de  l'autel; 
il  faut  donc  (ju'ils  servent  l'autel.  Il  y  a  tant 
de  fondions  abandonnées,  tant  d'ignorants 
qui  ont  besoin  d'ôlie  instruits  ;  ils  croient 
pouvoir  être  oisifs  pendant  que  rEglis,e  a 
des  besoins  si  pressants,  et  moi  je  leur  sou- 
tiens (ju'ils  sont  obligés  de  travailler; 
qu'autrement  ils  commettent  une  grande 
injustice,  parce  que,  sans  se  donner  aucune 
peine,  ils  veulent  avoir  la  récompense  qui 
n'est  duequ'ii  ceux  qui  s'enqiloient,  et  qui 
se  fatiguent  pour  l'E.^lise. 

Qui  ne  serait  scandalisé  de  la  conduire  do 
cet  hoiuraa?  Depuis  |)lusieurs  années  il  pos- 
sède un  gros  revenu.  A  peine  porte-t-il  au- 
cunes marques  extérieures  de  son  état.  Il 
s'en  croirait  déshonoré.  Qui  Iles  sont  ses 
occupations  ?  La  chasse,  le  jeu,  la  bonne 
chère,  les  conversations  oiî  l'on  se  donne 
toute  sorte  de  liberté.  Avec  (lui  passe-t-il 
ses  jours?  Avec  les  femmes  les  plus  en- 
jouées et  les  plus  mondaines.  Plus  imrao 
desle  que  les  séculiers  mêmes,  souvent  ils 
les  fait  rougir  par  ses  liauteuis,  par  ses 
discours  scandaleux,  par  l'irrégularité  de 
ses  mœurs.  Y  peut-on  penser  sans  frémir? 
cette  somme  donnée  si  libéralement  pour 
enirer  dans  un  spectacle  publiijue,  où  l'on 
paraltavecelfionterieà  la  tôle  d  une  troupe 
de  lemiues  mondaines  ;  cette  grosse  somme 

nindilis.  »  (S.  Rkun.,  in  scrm.  Eccc  nos  reliquimus 
c.  17.  In  ep.  ad  t'utcunem.) 


l-,83                                         ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT.  1531 

(.Hoiulue  sur  une.  Inblc  cio  jeu  est  un  argent  Dieu  vous  appelle,  l'Eglise  vous  fait  con- 
sacré qui  doit  être  employé  aux  usages  les  naître  ses  lois,  les  pauvres  vous  représentent 
plus  sainis.  Ce  char,  cet  équipage,  celle  foule  leurs  nécessités.  L'injustice  est  visible,  et 
de  clomesli(]ues,  tout  cela  est  entretenu  des  ne  peut  être  colorée.  Vous  ne  pouvez  plus 
dépouilles  de  l'Eglise.  Voilà  (ies  ecclésia-  vous  cacher  à  qui  appartiennent  les  biens 
sliques,  voilai  dos  hommes  que  l'Eglise  dont  vous  vous  trouvez  en  possession.  Ren- 
Mourril,voilJi  l'usage  qui  se  fait  des  revenus  dez  justice  à  qui  vous  la  devez,  si  vous  ne 
consacrés  au  Seigneur,  Disons  plutôt,  voilà  voulez  pas  tomber  entre  les  mains  de  celui 
des  hommes  sans  honneur  et  sans  religion,  qui  punit  l'injustice,  et  qui  prend  en  main 
qui  sont  l'opprobre  de  l'Eglise,  et  contre  la  cause  du  pauvre  lorsqu'il  est  0[)primé. 
qui  Dieu  exercera  un  jour  ses  plus  terribles  Ce  que  vous  avez  donc  à  faire,  c'est  d'être 
vengeances.  Que  l'Eglise  a  bien  lieu  de  un  tidèle  économe,  c'est  d'être  zélé  pour  le 
géaiirl  Qu'elle  est  profondément  blessée  1  service  du  Seigneur,  c'est  de  rem(»lir  les 
Pleurons  ses  uiulheurs  ,  comiiatissons  à  ses  devoirs  de  votre  vocation,  c'est  d'être  ecclé- 
peines.  siastique  non  point  de  nom  et  extérieure- 
Mais  qu'il  nous  soit  permis  d'éloigner  ment,  mais  eu  elfel  et  en  vérité;  c'est  d'ai- 
notre  vue  au  moins  pour  un  temps  de  ces  mer  votre  prochain, de  songera  ce  que  vous 
tristes  objets.  Consolons-nous  en  considé-  lui  devez,  c'est  d  être  louché  de  la  misère 
rant  ce  petit  nombre  d'ecclésiastiques  fi(Jèles,  de  celui  qui  soutfre,  et  d'avoir  un  cœur 
pleins  de  l'esprit  ecclésiastique,  [)leins  de  zèle  tendre  pour  les  i)auvres.  Par  ce  moyen  vous 
pour  le  service  de  l'Eglise,  qui  n'ont  en  serezau  rang  des  serviteurs  fidèles  qui  sont 
venue  que  de  plaire  à  Dieu,  qui  s'estiment  agréables  à  Jésus-Christ  et  qu'il  réoompeu- 
Irop  honorés  de  consacrer  leur  temps,  leur  sera  dans  l'éternité, 
travail,  leur  vie  au  service  d'un  maître  si  DISCOURS  XXIV 
puissant.  Seigneur,  domiez  à  votre  Elglise  ^  "  , 
un  grand  nombre  de  ministres  qui  soient  »^  ^^  perfection  de  la  vie  ecclésiastique. 
dans  ces  dispositions.  Envoyez  avec  abon-  Vous  voilà  élevés  à  une  grande  dignité, 
dance  de  tels  ouvriers  dans  votre  vigne.  Vous  tenez  les  premières  places  dans  l'E- 
soutenez  votre  troupeau.  Vous  voyez  le  be-  glise  du  Seigneur,  J'en  vois  parmi  vous  qui 
soin  qu'il  a  do  conducteurs  tidèles,  qui  lui  viennent  d'être  revêtus  du  sacerdoce.  Or 
lassent  connaître  la  sainteté  de  vos  voies,  et  quoi  de  plus  grand,  quoi  de  plus  élevé  que 
qui  l'animent  par  leur  exemple.  le  sacerdoce  de  la  nouvelle  loi?  Les  autres 
L'Eglise  ne  prétend  donc  nourrir  que  ceux  à  la  vérité  sont  dans  des  places  intérieures, 
qui  la  servent,  et  qui  lui  sont  utiles.  Voilà  mais  qui  sont  néanmoins  Irès-considerables. 
le  principe,  et  de  tous  ceux  que  je  viens  11  n'y  en  a  aucune  dans  l'Eglise  du  Seigneur 
d'avancer,  vous  eu  devez  conclure  que  les  qui  ne  soit  irès-élevée.  De  ceux-là  même 
ccclésiasiKiues,  jiour  èire  de  tidèles  dis-  qui  sont  dans  les  places  inférieures,  il  y  en 
[lensateurs,  doivent  se  contenter  de  (>eu  ;  a  plusieurs  qui,  par  la  miséricorde  du  Sei- 
qu'ils  ne  doivent  jioinl  se  considérer  comme  gneur,  monteront  un  jour  plus  haut,  lorsque 
eiant  maîtres  de  leurs  revenus,  mais  qu'il:»  l'heure  sera  venue  en  laquelle  ils  doivent 
les  doivent  ménager,  alin  de  subvenir  aux  être  apf)elés  })ar  le  père  de  famille, 
besoins  de  l'Eglise,  et  suitoutaux  nécessités  On  félicite  les  hommes,  et  on  se  réjouit 
des  pauvres  qui  ont  un  si  grand  droit  sur  avec  eux,  lorsqu'ils  parviennent  à  des  di- 
les  revenus  ecciésiaslniues.  gnilés  temporelles.  Je  dois  donc  à  plus  forte 
Voilà  les  vériiés  dont  j'avais  à  vous  ins-  raison  vous  féliciter  et  me  réjouir  avec 
Iruire  sur  une  matière  aussi  importante  que  vous.  Car  autant  que  le  ciel  est  au-dessus 
celle  des  bénélices;  vous  avez  vu.  quelle  eit  de  la  terre,  autant  les  places  que  vous  oc- 
la  porli;  et  la  voie  légitime  pour  entrer  dans  cupez  sont-elles  au-dessus  des  grandeurs 
les  bénélices.  Vous  avez  vu  quel  doit  être  humaines  les  plus  estimées  et  les  plus  re- 
l'usage  de  ces  saints  revenus.  cherchées. 

Une  me  reste  plus  qu'à  vous  conjurer  de  Vous  êtes  grands,  vous  êtes  élevés  par  la 

vous  soumettre  a  des  règles  si  saintes  et  si  place  oii  le  Seigneur  vous  a  mis.  Mais  avez- 

sagement    établies.  V(jus   avez  sans  doute  vous  bien  pense  que  les  grands  honneuis 

été   elliayés  du  grand  noiïibre   de  ceux  qui  sont  inséparables  des  grands  devoirs  ?Au- 

les  Iransgresseni.  l'ourpeuque  vous  aimiez  tant  que  vous  êtes  élevés  par  la  sainteté  de 

l'Eglise,  vous  devez  être  touchés  do  com-  votre  caracière,  autant  vous  le  devez  être 

passion  pour  elle.   Consolez  celte  mère  al-  par  la  samteié  de  votre  vie. 

iligée.  La  seule  consolalioii  qu'elle  allend  J^  ^^^us  conjure,  vuus  dit  saint  Paul,  de 

de  vous,  c'est  que  vous  suiviez  exactement  voua  conduire  d'une  manière  qui  suit  digne 

les  saintes  règles  qu'elle  vous  prescrit.  de  lélal  auquel  vous  avez  été  appelés. {Eykes., 

Quoi  donc  I   vous  laisserez-vous  dominer  1^  >  l-j  Ayez  soin,  vous  dil-il  dans  un  autre 

comme  les  autres    par  l'aïuour  déréglé  des  endroit,  uevous  conduire  d'une  manière  qui 

richesses  de  ce   monde?  Quoi  1   laisserez-  «oi<    diyne  de    l  h'vunyile   de  Jésus-Clinsl. 

vous  croître   en    vous  cette   racine  enveni-  (flulip.,  1,21.) 

mée,  dont  les  suites  sont  si  funestes  ?  Vous  C'est  donc   à   vous  d'examiner  quel  est 

serez  grand  sur  la  terre,  vous  serez  riche  ,  l'état  auquel  le  Seigneur  vous  a  appelés,  et 

vous  aurez  des  satisfactions   humaines,  et  d'en  tirer  celte  conséquence,  que  vous  êtes 

Vous  serez  élcrnellemonl  en  abomination  obligés  de  tenir  une  conduite  qui  réponde 

devant  Dieu.  à  la  sainteté  et  à  la  i)erfeclion  de  voire  état. 


RETRAITE  ECCLES.  —  XXIV,  PERFECTION  ECCL. 


1585 

Or  quelle  est  celte  conduite,  qu'est-ce 
qu'une  vie  qui  réponde  à  la  dignité  de  voire 
rang,  en  un  mot  qu'est-ce  qu'une  vie  ecclé- 
siastique? Je  prétends  vous  en  instruire 
dans  ce  discours,  où  je  me  propose  de 
traiter  è  fond  de  la  perfection  h  laquelle  les 
ecclésiastiques  doivent  tendre.  Dans  la  pre- 
mière partie  je  vous  ferai  voir  jusqu'où  doit 
aller  la  perfection  de  la  vie  ecclésiastique, 
et  dans  la  seconde  je  vous  proposerai  les 
moyens  que  vous  devez  embrasser  pour 
arriver  à  la  perfection  de  voire  élat^ 

PREMIER    POINT. 

Dn  ecclésiastique  doit  constamment  me- 
ner une  vie  plus  sainte  que  les  autres  fidè- 
les :  qui  pourrait  en  disconvenir  ? 

Premièrement,  il  est  dans  un  rang  plus 
élevé,  et  par  conséquent  sa  vie  doit  être 
plus  sainte.  C'est  un  princi()e  incontestable 
que  la  sainteté  de  nos  mœurs  doit  répondre 
à  l'élévation  de  notre  rang. 

En  second  lieu,  un  ecclésiastique  est  plus 
instruit  :  nouvelle  obligation  pour  lui  de  se 
sanctifier.  Etre  instruit  et  ne  pas  profiter 
de  ses  lumières  pour  se  perfectionner,  c'est 
abuser  des  dons  de  Dieu.  Il  est  incontesta- 
i)le  que  toute  connaissance  qui  ne  nous 
sert  pas  pour  avancer  dans  la  voie  que  Dieu 
nous  marque,  deviendra  pour  nous  un  sujet 
de  condamnation.  Noire-Seigneur  dit  que 
le  serviteur  qui  aura  su  la  volonté  de  son 
maître,  et  qui  n'aura  pas  fait  ce  qu'il  désire 
de  lui,  sera  châtié  sévèrement.  [Luc,  XII,  47.) 
Jl  leur  eût  été  meilleur,  dit  saint  Pierre,  de 
n'avoir  point  connu  la  voie  de  la  piété  et  de 
la  justice,  que  de  retourner  en  arrière  après 
l'avoir  connue,  et  d'abandonner  la  loi  sainte 
qui  leur  avait  été  prescrite.  (II  Petr.,  II,  21.) 
A  quoi  donc  sert  à  un  ecclésiastique  d'avoir 
entre  ses  mains  le  livre  de  la  loi,  si  cette  loi 
divine  n'est  pas  dans  son  cœur  ?  La  lui 
même  dont  il  a  été  le  dépositaire  sera  la 
règle  suivant  laquelle  il  sera  jugé  beaucoup 
plus  rigoureusement  que  les  autres.  Pour- 
quoi cela  ?  parce  qu'il  a  plus  connu,  et  qu'il 
a  été  mieux  instruit  de  la  volonté  du  Sei- 
gneur. 

En  troisième  lieu,  un  ecclésiastique  traite 
continuellement  les  choses  saintes.  Il  est 
le  dispensateur  des  mystères  divins.  Traitera- 
t-il  les  choses  saintes,  dispensera-t-il  les 
mystères  divins  avec  des  mains  profanes, 
et  avec  un  cœur  souillé.  Ne  serait-ce  pas 
une  continuelle  profanation? 

Donc  un  ecclésiastique  ne  peut  se  dis- 
penser d'être  saint,  et  d'êlre  plus  saint  que 
les  autres  fidèles.  Cependant  Dieu  demande 
une  grande  sainteté  dans  tous  ceux  qui  se 
consacrent  à  son  service.  Il  s'ensuit  de  là 
qu'il  en  demande  encore  une  plus  grande 
dans  les  ecclésiastiques. 

Arrêtons-nous  à  cette  idée.  Pour  appren- 
dre quelle  doit  être  la  perfection  de  la  vie 
ecclésiastique,  établissons  quelle  doit  être 
Ja  sainteté  de  la  vie  chrétienne.  Notre 
principe  sera  toujours  sûr,  et  nous  ne  le 
perdrons  point  de  vue,  qui  est  que  la  vie 
tcclésiaslique  est  au-dessus  de  la  vie  chré- 
Okateurs  sacrés.  LXVllI. 


Ià86 


tienne,  et  par  sa  dignité  et  par  ses  obliga* 
lions. 

Pour  nous  instruire  de  la  sainteté  de  la  vie 
chrétienne  et  de  ses  engagements,  nous  al- 
lons examiner  dans  quelle  disposition  tout 
chrétien  doit  être,  1°  à  l'égard  du  péché; 
2°  à  l'égard  (i(;s  biens  de  ce  monde;  3"  h. 
l'égard  des  biens  s|)iriluels,  c'est-à-dire  des 
bonnes  œuvres.  Vous  verrez  que  Dieu  de- 
mande des  dispositions  très-parfaites  dans 
tous  ceux  qui  le  suivent,  et  vous  en  con- 
clurez qu'il  veut  en  trouver  encore  de  plus 
excellentes  dans  les  ecclésiastiques. 

Voici  dans  quelle  disposition  tout  chré- 
tien doit  être  è  l'égard  de  ce  monstre 
énorme  qui  cause  de  si  grands  troubles,  je 
veux  dire  le  péché. 

La  foi  catholique  distingue  deux  sortes 
de  péchés.  Le  mortel  qui  tue  l'âme,  le  vé- 
niel qui  la  blesse.  Les  fautes  mortelles  rom- 
pent l'union  de  l'âme  avec  Dieu  et  bannissent 
la  charité  de  nos  cœurs.  Quoique  l'âme 
tombe  dans  des  fautes  légères,  elle  ne  laisse 
pas  de  demeurer  unie  avec  Dieu.  Les  pé- 
chés véniels,  quoique  opposés  à  la  charité, 
ne  la  bannissent  point  de  nos  âmes. 

A  l'égard  des  fautes  mortelles,  selon 
saint  Augustin, il  est  dé  l'essence  de  la  vie 
chrétienne  de  n'en  point  commettre.  Je 
m'explique.  Celui  qui  commet  encore  des 
péchés  mortels  ne  peut  point  dire  qu'il 
mène  une  vie  chrétienne.  Il  n'est  point  au- 
dessus  des  forces  humaines  soutenues  des 
secours  de  la  grâce  de  régler  tellement  sa  con- 
duite, qu'on  ne  tombe  plus  dansaucunefaule 
mortelle.  C'est  une  perfection  à  laquelle 
tout  chrétien  doit  tendre.  Elle  n'est  point 
au-dessus  de  sa  portée.  Il  ne  doit  se  don- 
ner aucun  repos  qu'il  n'ait  atteint  ce  de- 
gré de  perfection.  Quoique  le  nombre  en 
soit  petit,  néanmoins,  par  la  miséricorde 
du  Seigneur,  il  y  en  aura  toujours  que  la 
grâce  protégera,  qui  auront  le  bonheur  de 
soutenir  par  une  vie  sainte  le  nom  de  chré- 
tien; et  ceux-là  veilleront  avec  tant  d'exac- 
titude que  leur  vie  ne  sera  point  souillée 
par  un  péché  mortel. 

Je  fonde  cette  vérité  sur  des  principes 
solides  établis  par  saint  Augustin. 

Il  est  remarquable  que  saint  Augustin 
établit  cette  vérité  dans  le  temps  môme 
qu'il  est  obligé  de  prouver  contre  les  Péla- 
giens  la  malheureuse  nécessité  oii  nous  nous 
trouvons  réduits  de  ne  pouvoir  passer  le 
temps  de  celle  vie  sans  y  commettre  un 
grand  nombre  de  péchés. 

Car  un  des  chefs  de  l'hérésie  de  Pelage 
était  de  soutenir  que  l'homme  peut  passer 
tout  le  temps  de  celte  vie  sans  tomber 
dans  aucun  péché. 

La  nécessité  de  réfuter  cette  erreur  n'em- 
pêche point  saint  Augustin  d'établir  forte- 
ment cet  autre  principe  de  la  religion  ca- 
tholique, qui  est  que  celui-là  ne  vit  point 
en  chrétien  qui  commet  encore  des  péchés 
mortels. 

Ecoulez  les  paroles  mêmes  de  saint  Au- 
gustin. Encore  que  je  soutienne  que  nous 
no  pouvons  ôlro  sans  péché  en  ce  monde, 

4i 


iUl 


ORATEURS  SACRES, 


i^  ne  s'ensuit  pas  que  nous  devions  com- 
mellre  des  Fiomicides,  des  impuretés,  ou 
les  autres  péchés  mortels  qui  tuent  l'âme 
d'un  seul  coup.  Un  chrétien  qui  a  une  foi 
et  une  espérance  vraie  et  sincère,  n'en 
eommel  point  de  cette  sorte,  mais  de  ceux-là 
seulement  dont  on  obtient  le  pardon  en  ré- 
citant l'oraison  que  le  Seigneur  nous  a  en- 
seignée (Î122). 

Faites  trois  observations  sur  ces  paroles 
de  saint  Augustin.  Remarquez,  première- 
ment, que,  selon  la  doctrine  de  ce  Père,  le 
péché  mortel  tue  l'âme  d'un  seul  coup.  H 
n'en  faut  donc  qu'un  seul  pour  perdre  l'in- 
nocence, pour  détruire  Ja  vie  de  l'ârae,  et 
j)our  lui  causer  la  mort. 

Les  paroles  suivantes  méritent  une  ob- 
servation particulière,  et  c'est  la  seconde 
que  je  demande  de  vous.  Un  chrétien  qui  a 
une  loi  et  une  espérance  vraie  et  .sincère, 
n'en  commet  point  de  celte  sorte,  c'esi-ài- 
dire  de  ceux  qui  tuent  l'âme  d'un  seul 
coup.  Voilà  une  définition  du  pécbé  mortel 
qui  ne  peut  être  trop  exactement  observée. 
(>e  sont  des  péchés  qu'un  vrai  chrétien  ne 
commet  [loint. 

Remarquez,  en  troisième  lieu,  que  celui 
qui  est  assez  malheureux  pour  tomber  dans 
le  péché  mortel,  ne  peut  prélester  sa  fai- 
blesse. Il  ne  peul  prétexter  celle  malheu- 
reuse nécessité  dans  laquelle  nous  sommes 
de  tomber.  Car  cette  nécessité  n'est  qu'à 
l'égard  des  fautes  mortelles;  c'est-à-dire 
que  nous  ne  pouvons  vivre  sans  commettre 
des  fautes  légères,  parce  que  nous  sommes 
faibles;  mais  nous  pouvons  vivre,  et  nous 
devons  vivre  sans  commettre  des  fautes 
mortelles,  parce  que  nous  sommes  chré- 
tiens et  soutenus  de  la  grâce. 

Le  même  saint  Augustin  dit,  dans  un 
autre  endroit,  que  celui-là  est  réputé  sans 
tache  en  cette  vie  qui  n'a  point  de  crimes 
méritant  condamnation,  et  qui  ne  néglige 
point  d'elfucer  les  péchés  véniels  par  des 
uumônes  (323). 

Saint  Augustin  demande  deux  disposi- 
tions dans  celui  qui  s'applique  à  mener  une 
vie  ctirétienne.  11  veut,  en  premier  lieu, 
qu'il  ne  commette  jamais  de  ces  péchés  qui 
mérilent  condamnation.  Il  veut,  en  second 
lieu,  qu'il  soit  exact  à  effacer  les  [)échés  vé- 
niels dont  celte  vie  mortelle  ne  peul  être 
entièrement  exemple. 

Pour  confirmer  une  si  importante  doc- 
trine, il  ne  sera  pas  inutile  de  vous  faire 
remarquer  l'observation  de  saint  Augustin, 
quand  il  nous  explique  pourquoi  l'apôlre 
saint  Paul,  lorsqu'il  décrit  les  qualités  que 

(32-2)  <  Non  aulem  quia  dico  quod  non  possumus 
hic  esse  sine  peccalo  liomicidia  lacère  delJeiiius  aut 
ailulleiia,  vel  cxlera  niortilora  peccala,  quai  uno 
icui  periiiiutit.  ïalia  non  facil  bonae  li.lei  et  boiiai 
spei  Clirisuaniis,  sed  illa  sola  qua;  quolidian*  ora- 
Uoiiis  peniculo  lerganlur.  s  (Serm.  181,  ai.  19,  Jte 
verbis  uposioli.) 

(5"i5)  <  Ingiedi  sine  macula  non  absurde  dicilur 
carens  crinunibus  dainnabiiibus  alque  ipsa  peccata 
venialia  non  nej^liijeusumndareeleeiuosyais.  »  (Lib, 


JOSEPH  LAMBERT.  158g 

doit  avoir  l'évêque,  dit  qu'il  doit  élre  sans  ' 
crime.  } 

11  a  parlé  de  crime,  dit  saint  Augustin, 
et  non  pas  de  péché.  Il  a  dit  que  l'évêque 
doit  élre  sans  crime.  11  n'a  pas  dit  que  l'é- 
vêque doit  être  sans  péché,  il  aurait  rejeté 
tous  les  hommes,  et  il  n'y  en  aurait  aucun 
qui  fût  assez  parfait  pour  être  élevé  à  ce 
sublime  rang.  Mais  l'Apôtre  a  dit  que  l'é- 
vêque doit  être  sans  crime,  c'est-à-dire 
sans  péché  digne  de  la  damnation,  dont 
tout  chrétien  doit  être  exempt.  Voilà  notre 
doctrine  clairement  établie.  Tout  chrétien 
doit  être  exempt  de  crime.  C'est  par  là,  se- 
lon saint  Paul,  que  l'évêque  serait  entière- 
ment inexcusable,  s'il  ne  travaillait  pas  à 
bannir  de  sa  vie  ce  qui  ne  doit  jamais  se 
rencontrer  dans  la  vie  de  tous  ceux  qui  sont 
honorés  de  la  qualité  de  chrétien  (324). 

Joignons  à  ces  autorités  celle  de  saint 
Eloi,  évêque  de  Noyon,  dont  la  doctrine  est 
si  conforme  à  celle  de  saint  Augustin.  .Le 
devoir  d'un  bon  chrétien  est  de  ne  point 
commettre  de  crimes  capitaux,  et  de  rache- 
ter incessamment  par  le  pardon  des  enne- 
mis, et  par  les  aumônes,  les  péchés  véniels 
sans  lesquels  nous  ne  pouvons  être  en  celte 
vie  {32S).ObserYez  la  doctrine  constante deces 
deux  docteurs.  Ne  point  commettre  de  pé- 
chés capitaux,  premier  fondement  de  la  vie 
chrétienne.  Travailler  sans  cesse  à  effacer 
les  fautes  légères.  Second  fondement  de  la 
vie  chrétienne. 

Il  estdonc  de  l'essence  de  la  vie  chrétienne 
qu'elle  soit  exempte  de  péchés  mortels. 
Mais  il  n'en  est  pas  de  même  des  fautes  vé- 
nielles. Il  est  dit  dans  l'Ecriture  sainle, 
qu'il  n'y  a  point  d'homme  qui  vive  et  qui 
ne  pèche.  {Bom.,  Vlll ,  46.)  Saint  Jean  nous 
apprend  que  si  nous  osons  dire  que  nous 
sommes  sans  péché,  nous  nous  séduisons  nous- 
mêmes,  et  la  vérité  n'est  point  en  nous.  (I 
Joan.,  1,  8.)  C'est  de  ces  principes  que  saint 
Augustin  et  les  autres  Pères  ont  conclu 
qu'il  n'y  a  point  d'homme  sur  la  terre  qui 
ne  commette  au  moins  des  fautes  légères. 

Cependant,  quoique  nous  soyons  assez 
malheureux  pour  ne  pouvoir  entièrement 
nous  délivrer  du  péché,  ce  serait  une  né- 
gligence très-condamnable,  que  de  ne  se 
pas  appliquer  à  s'en  préserver ,  sous  pré- 
texte qu'on  ne  peut  pas  entièrement  l'évi- 
ter. Les  mêmes  Pères  qui  ont  supposé  que 
le  clirétien  quoique  fidèle  à  ses  devoirs 
tombe  souvent,  ont  aussi  supposé  que  le 
chrétien  qui  est  fidèle  à  ses  devoirs  se  pré- 
caulionne  continuellement  pour  ne  point 
tomber  ;  c'est-à-dire  qu'il  n'est  pas  de  l'es- 
sence do  la  vie  chrétienne  de  ne  point  com- 

de  perfect.  juslitiœ,  cap.  9.) 

(3ïi4)  «  Non  ail  si  quis  sine  peccato  est.  Hoc  eiiim  si 
dicerel  omnis  homo  reprobarelur,  nullus  ordiiiare- 
tnr.  Sed  ail:  si  quii  sine  crimine  est,  quae  non  debel 
babere  omnis  Cbrislianus  homo,  >  (Tract.  41  in 
Joannem. 

(ùi5)  f  Capilalia  crimina  non  admittere,  minuta 
peccala  sine  quibusesse  non  possumus,  per  indul- 
getiliain  inimicoi  um,  et  eleemosynam  pauperum  iu- 
Ucsineuier  redimcre.  >  (Houi.  (i.) 


1589 


RETRAITE  ECCLES. 


mettre  (le  fautes  légères;  mais  il  est  de  IVs- 
sence  de  la  vie  chrt5tienne  de  ne  pas  vouloir 
en  corcmettre.  11  est  de  l'essence  de  !a  vie 
chrétienne  de  faire  des  efforts  pour  n'en 
point  commettre. 

Vous  avez  vu  comment  saint  Augustin 
veut  que  l'on  efface  les  fautes  vénielles  par 
des  prières,  par  des  aumônes,  par  le  pardon 
des  ennemis.  Voilà  les  elloVts  que  l'on  doit 
faire  pour  effacer  les  fautes  légères  lors- 
qu'on y  est  tombé. 

Mais  voici  les  efforts  continuels  que  l'on 
doit  employer  |)Our  se  préserver  autant 
qu'il  est  possible  de  ces  sortes  de  fautes. 
«  Faites  en  sorte,  dit  saint  Augustin,  que  si 
le  dernier  jour  vous  surprend  ,  avant  que 
vous  ayez  remporté  la  victoire,  au  moins  il 
vous  rencontre  les  armes  à  la  main  (326).  » 
Donc  un  chrétien  doit  toujours  avoir  les 
armes  à  la  main  pour  combattre.  Il  ne  doit 
point  se  lasser,  puisque  sou  combat  doit 
durer  jusqu'au  dernier  jour. 

iRecueillons  les  propositions  dont  vous 
venez  de  voir  les  [ireuves.  Il  est  de  l'essence 
de  la  vie  chrétienne  de  ne  point  commettre 
de  péchés  mortels.  Il  n'est  pas  de  l'essence 
de  la  vie  chrétienne  de  ne  point  tomber  dans 
des  fautes  légères.  Mais  il  est  de  son  essence 
de  ne  les  pas  négliger,  et  de  faire  des  efforts 
continuels  pour  s'en  préserver. 

Avançons,  et,  après  avoir  vu  quelles  doi- 
vent être  les  dispositions  du  chrétien  à  l'é- 
gard du  péché,  voyons  dans  quels  senti- 
ments il  doit  être  à  l'égard  des  biens  de  ce 
monde. 

Il  est  certain  que  les  sentiments  du  chré- 
tien, à  l'égard  des  biens  de  ce  monde,  doi- 
vent être  des  sentiments  d'indifférence  ,  de 
détachement,  et  même  de  n)épris. 

Jésus-Christ  a  parlé  à  tous  ses  disciples  , 
et  il  leur  a  dit  :  Quiconque  d'entre  vous  ne 
renonce  pas  à  tout  ce  qu'il  a,  ne  peut  être 
mon  disciple.  (Luc,  XIV,  33.)  Voilh  un  com- 
mandement fait  à  tous  les  cnrétiens.  Com- 
mandement indispensable  ,  puisque  ,  dès 
qu'on  ne  l'accomplit  pas  ,  on  est  retranché 
du  nombre  des  disciples  de  Jésus-Christ. 

A  quoi  nous  oblige  ce  commandement? 
à  renoncer  universellement  à  tout  ce  que 
nous  avons.  11  n'y  a  donc  point  d'exception, 
et  le  renoncement  doit  être  général.  11  est 
vrai  que  le  Fils  de  Dieu  ne  demande  pas 
un  renoncement  actuel,  et  qu'il  nous  per- 
met de  retenir  les  biens  qu'il  nous  a  mis 
entre  les  mains,  mais  on  ne  peut  discon- 
venir qu'il  n'exige  au  moins  de  nous  un 
renoncement  de  cœur,  que  si  ce  renonce- 
ment n'est  sincère  et  véritable,  nous  n'ac- 
complissons point  son  précepte,  et  que  par 
conséquent  nous  ne  sommes  point  au  rang 
de  ses  disciples. 

Saint  Augustin  explique  ces  paroles  du 
psaume  :  Tenez-vous  en  repos  et  reconnais- 
sez que  ie  suis  Dieu.    {Psal.  XLV,  11.)  Il 

(326)  «  Tanlum  proficere  eflecla,  ut  si  non  te  in- 
veniai  dies  ullimus  viclorem  liiveuiat  vel  pugnan- 
lem.  ) 

(527)  «  Non  ollunt)  desidiae,  sed  otium  cogilallonis. 
Vocaluf  ad  oliuni,  id  e-l,  ui  ista  non  diligai,  (]u;r  di- 


XXIY,  PERFECTION  ECCl..  1390 

dit  que  Dieu  ne  veut  point  de  nous,  h  moins 
que  nous  ne  soyons  dans  une  espèce  de 
repos.  Il  dit  que  ce  repos  doit  absolument 
se  rencontrer  dans  le  chrétien,  et  que  sans 
cela  il  ne  peut  a|)partenir  à  Dieu.  En  quoi 
donc  consiste  ce  repos,  et  quelle  en  est  la 
nature?  Ce  n'est  pas,  dit  saint  Augustin, 
un  repos  tel  que  celui  qui  a  tant  de  char- 
mes pour  les  hommes  qui  languissent  dans 
la  paresse.  Ce  repos,  que  le  chrétien  doit 
rechercher,  est  une  précieuse  tranquillité 
que  l'on  ressent  quand  on  a  détaché  soa 
cœur  de  tous  les  biens  terrestres  (32t).  Il 
est  impossible  de  les  aimer  sans  s'exposer 
à  de  très-grands  embarras  et  sans  se  livrer 
à  des  peines  très-cuisantes.  Détacher  son 
cœur  des  biens  de  ce  monde,  c'est  rompre 
ses  fers  et  briser  ses  chaînes.  Par  là  nous 
parvenons  à  la  liberté  des  enfants  de  Dieu; 
notre  cœur,  se  trouvant  vide  de  toute  autre 
affection,  est  en  état  de  posséder  Dieu  et 
de  se  remplir  de  lui.  C'est  pour  lors  véri- 
tablement que  nous  jouissons  d'un  repos 
parfait. 

Quelle  différence  entre  le  repos  d'une 
âme  qui  est  unie  à  Dieu  et  entre  les  agi- 
talions  continuelles  de  celui  dont  lo  cœnr 
est  possédé  par  l'amour  funeste  des  biens 
de  ce  monde?  Pourquoi  ne  fail-on  pas  plus 
d'attention  à  l'heureuse  tranquillité  de  l'un, 
aux  tourments  inutiles  de  l'autre?  C'est 
que  l'on  n'examine  point  assez  la  différence 
extrême  qui  se  trouve  entre  le  bien  inlini 
et  les  biens  créés. 

Le  précepte  du  Seigneur  est-il  difficile  h 
accomplir  ?  Est-il  difficile  de  se  détacher 
des  biens  de  ce  monde?  Ce  renoncement 
de  cœur  que  Jésus-Christ  demande  à  tous 
les  chrétiens  est-il  pénible  et  rigoureux? 
Non,  ce  précepte  n'est  difficile  que  pour 
ceux  qui  n'examinent  point  la  distance  in- 
finie qui  se  trouve  entre  le  souverain  bien 
et  les  biens  créés.  Quand  on  considère  que 
l'attachement  aux  biens  créés  est  un  obs- 
tacle à  la  possession  du  bien  infini,  bien 
loin  qu'il  paraisse  amer  de  se  détacher  des 
biens  de  la  terre,  au  contraire  le  chrétien 
demeure  convaincu  que  Dieu  est  infiniment 
miséricordieux,  d'exiger  si  peu  de  choses 
de  ses  créatures,  et  de  leur  accorder  une 
récompense  d'un  si  grand  prix.  Ce  qui  fai- 
sait dire  à  Tertullien  :  «  Pensez  aux  biens 
célestes,  et  il  ne  vous  sera  pas  dillicile  du 
mépriser  les  biens  de  la  terre  (328)*.  » 

Voilà  donc  en  quelle  disposition  le  chré- 
tien doit  être  à  l'égard  des  liiens  de  ce 
monde.  H  lui  est  essentiel  d'en  détacher 
son  cœur.  Il  doit  avoir  pour  eux  de  l'indif- 
férence et  même  du  mépris. 

Avançons  encore  un  dernier  principe 
dont  il  est  très-important  que  vous  soyez 
convaincus  pour  connaître  l'essence  do 
la  vie  chrétieime. 

Il  est  de  l'essence  de   la   vie   chrétienne 

ligi  &ine  labore  non  possunt.   »  {De  vera  religionct 
cap.  3j.) 

(328)  <  Cœlesiia  recogila  cl  lerrena  despicies.  » 
(Lil>.  I  Ad  uxor.,  c.  5.) 


i3or 


d';imassor  pendant  celle  vie  un  grand  nom- 
bre de  bonnes  œuvres.  L'on  ne  p(  iH  point 
dire  qu'un  lioinmemène  une  vie  chrétienne, 
<jue  lorsque  sa  vie  est  sanctifiée  par  beau- 
coup de  bonnes  actions,  dont  il  est  obligé  de 
faire  une  sage  provision  pour  les  présenter 
à  Dieu  quand  il  comparaîtra  devant  lui. 

Où  est  le  fondement  de  celte  vérité?  Il 
est  dans  les  saintes  Ecritures.  Ecoutez  avec 
fllienlion,  c'est  le  Fils  de  Dieu  lui-même 
qui  va  parler  :  Tout  arbre  qui  est  bon,  pro- 
duit de  bons  fruits.  Tout  arbre  qui  est  mau- 
vais, produit  de  mauvais  fruits.  Tout  arbre 
qui  ne  produit  point  de  bons  fruits  sera 
coupé  et  jeté  au  feu.  {Matth.y  VllI,  17.);Quels 
sont  les  arbres  qui  produisent  de  bons 
fruits?  Ce  sont  les  chrétiens  fidèles  qui, 
s'appliquant  sérieusement  à  leur  devoir,  ont 
soin  de  servir  Dieu  dans  leur  état.  Ce  sont 
les  chrétiens  qui  pensant  au  compte  qu'ils 
doivent  rendre,  vivent  dans  une  pratique 
exacte  de  toutes  les  vertus,  aliu  de  ne  se 
pas  trouver  dépourvus  quand  ils  paraîtront 
devant  leur  juge.  Ceux  qui  vivent  dans  la 
négligence  de  leur  salut,  ceux  qui  ne  tra- 
v<nllent 'point  pour  l'élernité,  ne  sont-ils 
pas  de  ces  arbres  infructueux  qui  ne  pro- 
duisent point  de  bon  fruit?  Que  doivent- 
ils  donc  devenir  un  jour?  Selon  la  maxime 
infaillible  de  Jésus-Ciirist,  ils  seront  cou- 
pés et  jetés  au  feu. 

Jésu5-Christ  vous  dit  encore  :  Faites-vous 
des  trésors  dans  le  ciel,  {Matth.,  VI,  19.)  Se 
faire  des  trésors  sur  la  terre,  c'est  amasser 
«les  sommes  considérables.  On  ne  dit  point 
c|u'un  .homme  qui  laisse  peu  de  richesses, 
ait  amassé  des  trésors.  On  sait  jusqu'où 
vont  les  artifices  honteux  que  les  avares 
emploient  pour  satisfaire  le  désir  immense 
qu'ils  ont  d'amasser  richesse  sur  richesse. 
On  ne  se  fait  donc  des  trésors  dans  le  ciel 
«|ue  lorsqu'on  amasse  un  grand  nombre 
d  œuvres  chrétiennes.  On  ne  [»eut  pointdire 
<pje  ceux  qui  font  peu  de  bonnes  œuvres, 
«|ue  ceux  qui  ne  se  portent  à  ce  qui  est  de 
leur  devoir  qu'avec  lâcheté  et  avec  paresse, 
amassent  des  trésors.  Pour  en  amasser  selon 
Jes  intentions  de  Jésus-Christ,  il  faut  que 
l'on  remarque  en  vous  de  saintes  ardeurs, 
des  désirs  empressés,  du  zèle,  de  la  fer- 
veur. 

Comptez  vos  bonnes  œuvres;  le  nombre 
en  est  peiit.  Vous  marchez  lentement  dans 
le  chemin  de  la  vertu.  Vous  perdez  des  oc- 
casions précieuses  que  Dieu  vous  présente, 
et  que  vous  ne  trouverez  pas  aisément.  Que 
vous  êtes  éloignés  d'entrer  dans  les  desseins 
de  Jésus-Christ  etjugez  vous-mêmes  si  l'on 
jteut  donner  le  nom  de  trésor  à  un  aussi 
petit  nombre  de  bonnes  œuvres,  et  aussi 
imparfaites  que  les  vôtres. 

Mais  comment  n'appréhendez-vous  point? 
Comment  n'étes-vous  point  remplis  d'in- 
qu'études  ?  Connaissez-vous  les  suites  mal- 
lieureuses  d'une  vie  inutile  el  destituée  de 
b.unnes  œuvres?  Vous  avez  déjà  vu  que 
l'arbre  qui  ne  produit  point  de  bon  fruit  sera 
coupé  cl  jeté  au  feu.  {Matth.,  111,10.)  Ecoutez 
encore  la  sentence  terrible  prononcée  contre 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 

le  serviieur  inutile 


iWt 


Qunn  jette  le  serviteur 
inutile  dans  les  ténèbres  extérieures.  (Matth 
XXV,  30.) 

A  quoi  tend  la  parabole  du  figuier?  {Marc  , 
XI,  13.)  Quels  ont  été  les  desseins  de  Jésus- 
Chrisl,  et  qu'a-t-il  voulu  nous  apprendre? 
Lisez  pourquoi  le  figuier  est  arraché.  Jésus- 
Christ  y  a  cherché  du  fruit,  el  il  n'en  a  point 
trouvé.  Jésus-Christ  cherche  en  vous  des 
bonnes  œuvres.  C'est  le  fruit  qu'il  veut  que 
vous  portiez.  S'il  n'en  trouve  point,  à  quoi 
devez-vous  vous  atlendrf  ? 

Vous  êtes  en  cette  vie,  vous  devez  en 
sortir  bientôt.  La  mort  frappera  son  coup. 
Alors  vous  serez  universellement  abandon- 
nés. Vos  œuvres  seules  vous  accompagne- 
ront jusque  dans  le  tombeau.  {Apoc,  XIV, 
13.) 

Ce  sera  pour  lors  le  temps  de  recueillir. 
Maisqueile  récolte  aurez-vous  à  faire,  si  vous 
n'avez  point  semé?  L'Apôtre  vous  a  enseigné 
que  l'homme  ne  recueillera  que  ce  qu  il  aura 
semé.  {Gai.,  VI,  8, 2  ;  Cor.,  IX,  6.)  Semez  donc, 
si  vous  voulez  recueillir.  Semez  avec  abon- 
dance, si  vous  voulez  recueillir  avec  abon- 
dance. 

L'arbre  qui  ne  porte  point  de  fruit  sera 
coupé  et  jeté  au  feu.  Faites-vous  des  trésors 
dans  le  ciel.  Qu'on  jette  le  serviteur  inutile 
dans  les  ténèbres  extérieures.  Pourquoi  l'arbne 
infructueux  occupera-t-il  la  terre  inutile- 
ment? L'homme  à  la  mort  n'est  suivi  que  de 
ses  œuvres.  L'homme  ne  recueillera  que  ce  qu'il 
aura  semé.  En  examinant  ces  principes, 
peut-on  s'empêcher  d'apercevoir  la  vérité 
importante  que  j'ai  prétendu  établir,  qui  est 
que  l'homme  est  obligé  d'amasser  un  grand 
nombre  de  bonnes  œuvres,  pendant  qu'il 
est  sur  la  terre? 

Jusqu'à  présent  je  ne  vous  ai  parlé  que 
des  obligations  qui  vous  sont  communes 
avec  tous  les  chrétiens.  Je  me  suis  contenté 
de  vous  apporter  les  principes  généraux  de 
la  vie  chrétienne.  Souffrez  maintenant  que 
je  vous  les  applique,  afin  que  je  vous  donne 
l'idée  de  la  vie  ecclésiastique  que  vous 
êtes  obligés  d'embrasser.  Ayez  toujours 
devant  les  yeux  ce  grand  principe  ,  qui 
est  que  les  ecclésiastiques  sont  obligés  de 
mener  une  tie  plus  parfaite  que  les  autres 
fidèles. 

La  vie  chrétienne  doit  être  exempte  de 
péchés  mortels.  Un  chrétien  qui  a  une  foi 
et  une  espérance  vraie  et  sincère  n'en  com- 
met point  de  cette  sorte.  Le  péché  mortel 
a  donc  encore  une  plus  grande  incompati- 
bilité aVec  la  vie  ecclésiastique.  Tout 
homme  qui  en  commet  encore  est  indigne 
d'être  appelé  ministre  de  Jésus-Christ.  Il 
profane  le  saint  caractère  dont  il  a  été  mar- 
qué. Sa  vie  n'est  pas  même  chrétienne  : 
comment  serait-elle  ecclésiastique? 

Etre  ministre  de  Jésus-Christ,  approcher 
de  ses  autels,  consacrer  son  corps ,  s'en 
nourrir,  le  distribuer  aux  fidèles,  leur  com- 
muniquer la  grâce  par  le  moyen  des  sacre- 
ments, les  délier  de  leurs  péchés,  leur  an- 
noncer les  vérités  du  salut  :  et  commettre 
encore  des  péchés  mortels  1. Peut-on  se  pei- 


1303 


RETRAITE  ECCLES.  —  XXIV,  l'EUFECTION  ECCL. 


139^ 


suailerqu'il  soit  possible  d'accorder  ensemble 
des  choses  si  opposées? 

Il  n'y  a  rien  dans  un  prêtre  qui  ne  soit 
sanctitié,  qui  ne  soit  consacré  à  Dieu  d'une 
manière  particulière.  Comment  donc  n'a-l-il 
point  horreur  de  souiller  par  le  péché  mor- 
tel ce  qui  appartient  à  Dieu,  et  ce  qui  ne 
doit  être  employé  que  pour  lui?  Sa  langue 
est  consacrée  par  les  cantiques  qu'elle 
chante  à  la  gloire  du  Très-Haut,  par  ces  pa- 
roles redoutables  qui  ont  la  force  de  faire 
descendre  Jésus-Christ  sur  la  terre.  Com- 
ment se  peut-il  résoudre  à  souiller  celte 
même  langue  en  proférant  des  médisances, 
quelquefois  même  des  [)aroles  ou  bouffonnes 
ou  équivoques?  Les  mêmes  yeux  qui  ont 
vu  Jésus-Christ  au  saint  aulel  s'attacheront 
ensuite  à  des  objets  qui  inspireront  la  vanité, 
ou  qui  enflammeront  la  convoitise  !  Les  mê- 
mes mains  quifont  touché  le  corps  très-purde 
Jésus-Christ  seront  profanées  dans  les  assem- 
blées dejeu,  ou  dans  leslieux  de  libertinage  1 
Lemême  esprit  qui  s'est  occupé  des  plus  au- 
gustes mystères  de  noire  religion  méditera 
ensuite  des  simonies  et  des  pactes  illicites 
pour  obtenir  des  bénéfices  !  Si  un  prêtre 
connaissait  ce  qu'il  est  par  son  caractère,  ce 
qu'il  devient  parle  péché  mortel,  il  serait 
effrayé  des  outrages  qu'il  fait  à  Dieu,  des 
profanations  qu'il  commet,  et  il  aurait  hor- 
reur de  lui-même. 

Non-seulement  un  prêtre  doit  avoir  un 
très-grand  éloignement  ()()ur  le  péclié  mor- 
tel, mais  il  doit  être  exact  à  éviter  jusqu'aux 
moindres  fautes.  Il  est  vrai  que  l'homme  le 
plus  vigilant  ne  peut  pas  entièrement  se  ga- 
rantir du  péché  ;  mais  il  n'est  pas  moins  vrai 
que  celui  qui  veut  s'acquitter  de  ses  de- 
voirs, est  toujours  sur  ses  gardes,  et  qu'il 
apporte  toute  sor'.e  de  précautions  pour  se 
préserver  du  péché. 

Je  vous  ai  fait  voir  que  celui  qui  veut  me- 
ner une  vie  chrétienne  est  obligé  de  faire 
des  efl'orls  continuels,  pour  éviter  môme 
les  fautes  légères.  Il  n'y  a  point  de  doute 
que  les  ecclésiastiques  sont  obligés  de  faire 
de  plus  grands  efforts,  et  de  veiller  sur  eux- 
mêmes  avec  plus  de  soin  que  les  autres  fi- 
dèles. 

Plusieurs  constamment  sont  trop  subtils  à 
distinguer  entre  les  fautes  légères,  et  les 
fautes  grièves.  Ce  ne  sont  point,  disent-ils 
des  fautes  mortelles.  Quelle  malheureuse 
excuse  pour  persévérer  dans  des  dérègle- 
ments, dont  souvent  on  se  cache  h  soi-même 
la  malignité  et  les  suites  funestes?  Quand 
on  est  dans  ces  dispositions,  il  y  a  tout  lieu 
de  craindre  qu'on  ne  soit  au  rang  des  es- 
claves qui  craignent  la  peine  et  qui  n'ap- 
préhendent point  assez  d'irriter  un  Dieuqui 
mérite  tout  notre  amour. 

Les  enfants  de  Dieu  marchent  avec  plus 
de  simplicité.  Il  suffit  de  leur  «lire  ,  c'est  un 
f)éché.  Aussitôt  ils  sont  elfrayés.  Le  moin- 
dre péché  leur  fait  horreur.  En  se  donnant 

(529)  I  Non  est  magnum  si  in  liis  maiicain  venia' 
libiis  niiiiiuiisfiiie  ptcciilis.  H;im;  csi  enim  itiip(ciii- 
leniia,  iixt  blasphcmia  in  Sitiriium  «antlum,  h;ei: 


îi  Dif-u  Ils  se  sont  engagés  h  lui  garder  une 
fidélité  parfaite.  Ils  ont  appris  de  Jésus- 
Christ,  (]ue  celui  qui  sera  fidèle  dans  tes  peti- 
tes choses,  sera  aussi  fidèle  dans  les  grandes, 
et  que  celui  qui  est  injuste  dans  les  petites 
choses  sera  aussi  injuste  dans  les  grandes. 
(Luc,  XVI,  10)  (329.) 

Saint  Bernard  met  une  grande  différence 
entre  les  fautes  légères  commises  par  fragi- 
lité, et  celles  qui  ont  pour  principe  une  in- 
corrigibilité  volontaire. Qu'on  ne  dise  point 
en  soi-même,  s'écrie  saint  Bernard,  ces  fau- 
tes sont  légères,  et  je  ne  me  mets  pas  en 
peine  de  les  commettre,  ni  de  m'en  corriger. 
Ces  péchés  étant  petits  et  véniels,  il  n'est 
pas  fort  im[)ortant  de  travaillera  en  purifier 
mon  âme.  Cela  même  est  une  impénitence, 
c'est  un  blas[)hème  contre  le  Saint-Esprit; 
c'est  un  blasphème  irrémissible. 

De  là  vient  que  saint  Chrysostome  (hom. 
87  in  Matth.)  soutient  que  quelquefois  il 
est  nécessaire  de  s'apfiliquer  avec  plus  do 
soin  à  éviter  les  petits  |)échés  que  les  grands. 
La  raison  de  ce  Père,  c'est  (]ue  les  [)échés 
considérables  nous  inspirent  de  l'horreur 
par  eux-mêmes;  mais  les  petits  péchés  sou- 
vent ne  nous  effrayent  pys  assez.  Nous  de- 
meurons dans  une  véritable  paresse.  Nous 
ne  nous  elforçons  pas  de  les  détruire;  et 
il  est  fort  à  craindre  que  par  notre  négligence 
les  petits  péchés  ne  nous  entraînent  dans 
des  fnutes  considérables. 

Soyez  donc  persuadés  que  votre  vie  ne 
sera  point  ecclésiastique  ,  à  moins  qu'elle 
ne  soit  exempte  de  [)échés  mortels,  et  que 
vous  ne  vous  appliquiez  avec  soin  à  éviter 
jusqu'aux  moindres  péchés. 

J'ai  dit,  en  second  lieu,  que  tout  chrétien 
doit  avoir  un  grand  détachement  pour  tou- 
tes les  choses  de  ce  rûonde.  Il  est  sans  duute 
que  ce  détachement  doit  être  encore  plus 
grand  dans  les  ecclésiastiques. 

Le  caractère  ecclésiastique  demande  de 
grandes  vertus.  Ce  n'est  que  l'assemblage 
de  toutes  les  vertus  qui  peut  faire  un  digne 
ministre  de  Jésus-Christ.  Mais  néanmoins 
si  parmi  toutes  les  vertus  il  y  en  a  quel- 
qu'une qui  soit  préférable  aux  autres,  et 
qui  doive  être  particulièrement  recherchée, 
n'est-ce  pas   surtout  le  désintéressement? 

Le  désintéressement  est  une  vertu  que 
le  Fils  de  Dieu  a  Irès-élroilement  recom- 
mandée à  ses  ministres.  Le  désintéressement 
est  une  vertu  sans  laquelle  il  est  très-difii- 
cile  que  les  ministres  du  Seigneur  exercent 
leurs  fonctions  avec  fruit. 

Comment  le  Fils  de  Dieu  a-t-il  parlé  à  ses 
apôtres  quand  il  les  a  choisis ,  et  quand  il 
leur  a  expliqué  les  dispositions  dans  les- 
quelles ils  doivent  être  pour  exercer  digne- 
ment les  fonctions  de  ra|)Osf(»lal.  Ne  vous 
mettez  point  en  peine  d'avoir  de  l'or  ou  de 
l'argent  ,  ne  prt'parez  pour  le  chemin  ni  sac, 
ni  deux  habits,  ni  souliers,  ni  bdlan.  [Matth., 
X  ,  9.  ) 

blaspliomia  iricmissilMlis.  »  (S.  BEitri  ,   scrm.  1  X>* 

cviiieihiuuc  S.  l'auli.) 


4395 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT, 


1396 


Remarquez  dans  ces  paroles  l'esprit  de 
Noire-Seigneur  Jésus-Christ.  Voyez  jus- 
qu'où i!  a  voulu  que  les  apôtres  portassent 
le  détachement.  Un  homme  rempli  de  désirs 
terrestres,  possédé  de  l'amour  des  biens  de 
ce  monde,  est-il  en  état  d'exercer  un  mi- 
nistère pour  lequel  le  Fils  de  Dieu  a  de- 
mandé un  si  parfait  détachement  dans  ceux 
qui  y  ont  été  élevés  les  premiers  ? 

Les  apôtres  n'ont  point  été  effrayés  des 
paroles  de  Notre-Seigneur.  Ils  n'ont  eu  au- 
cune peine  à  accepter  les  conditions  qu'il 
leur  proposait.  El-les  ne  leur  ont  ()aru  ni  trop 
diniciles,  ni  trop  dures;  ils  ont  si  parfaite- 
ment entré  dans  l'esprit  de  leur  Maître  , 
qu'ils  ont  pu  lui  dire  |»our  lui  marquer  leur 
obéissance  :  Pour  nous,  vous  voyez  que  nous 
avons  tout  quitté,  et  que  nous  vous  avons  sui- 
vi. (Mo»/i.,  XIX,  27.) 

Pans  les  paroles  que  le  Fils  de  Dieu  adres- 
se à  ses  a[)ôlies,  il  faut  exacleraenl  distin- 
guer la  disposition  du  cœur,  où  il  voulait 
Qu'ils  entrassent,  et  ce  qu'il  leur  ordonnait 
(l'exécuter  pour  marquer  la  disposition  de 
leur  cœur.  J'avo;ie  que  le  Fils  de  Dieu  ne 
nous  oblige  pas  d'observer  à  la  lettre  ce  que 
les  a[iùtres  ont  si  généreusement  accompli. 
Mais  il  nous  est  indisfiensable  d'entrer  dans 
l'esprit  de  Jésus-Christ.  Pouvons-nous  moins 
faire  que  dedélacher  f)arfailement  nos  cœurs 
de  toutes  les  choses  do  la  terre,  et  n'aurons- 
nous  pus  encore  sujet  de  nous  humilier 
beaucoup,  en  considérant  combien  nous  de- 
meurons en  ariière,  et  combien  il  s'en  faut 
que  nous  approchions  de  l'état  p.irfait  où  ont 
vécu  les  premiers  ministres  de  Jésus-Christ. 

Le  Sauveur  du  monde  nous  en  demande 
beaucoup  moins  qu'à  ses  apôtres.  Cependant 
où  sont  ceux  qui  lui  obéissent  et  qui  entrent 
dans  son  esprit  ? 

Ceux-là  peuvent-ils  dire  qu'ils  ne  se  met- 
tent point  en  peine  d'avoir  de  l'or  et  de  l'ar- 
gent ,  qui  aspirent  à  l'état  ecclésiastique 
pour  avoir  des  bénéfices,  qui  courent  après 
les  bénélices  avec  [ilus  d'ardeur  que  les  oi- 
.seaux  voraoes  ne  londent  sur  leur  proie,  qui 
dans  les  emplois  ecclésiastiques  considèrent 
le  revenu  ,  et  nullement  les  services  qu'ils 
peuvent  rendre  à  l'Eglise,  qui ,  n'examinant 
point  combien  les  bénéfices  sont  un  pesant 
fardeau  ,  les  poursuivent  et  les  briguent 
comme  un  asile  pour  tinir  leur  misère,  et 
pour  vivre  plus  commodément? 

Les  apôtres  ont  tout  qnilté  pour  suivre 
le  Sauveur.  Mais  maintenant,  par  un  ren- 
versement déplorable,  on  suit  le  Sauveur 
pour  trouver  dans  son  service  les  douceurs 
et  les  commodités  de  la  vie.  De  là  il  arrive 
que  les  fondions  ecclésiastiques  sont  exer- 
cées si  indignement  el  avec  si  peu  de  fruit. 

On  ne  peut  douter  que  le  généreux  désin- 
téressement des  hommes  apostoliques  ne 
leur  ait  donné  beaucoup  de  facilité  pour 
faire  en  très-peu  de  temps  ces  nombreuses 
et  étonnantes  conquêtes  ,  qui  font  encore 
présentement  l'objet  de  notre  admiration. 
Ceux-là  qui  entreront  dans  l'esprit  de  saint 
l*aul,  qui  prendront  garde  à  n'être  jamais  à 
charge  à  personne,  i]ui  feront  consister  leur 


gloire  à  renoncer  à  toute  prétention,  qui 
témoigneront  par  toute  leur  conduite  qu'ils 
cherchent  le  salut  des  âmes  et  nullement  les 
biens  terrestres,  édifieront  toujours  l'Eglise, 
et  remporteront  beaucoup  de  fruit.  (Il  Cor., 
XII,  13,  H;!  Cor.,  IX,  15.) 

Mais  au  '".ontraire,  les  ouvriers  intéressés, 
toujours  avides,  toujours  affamés,  pleins  de 
désirs,  qui  rendent  des  déférences  aux  hommes 
selon  qu'il  est  utile  pour  leur  intérêt  (Jud., 
IC),  qui  cherchent  à  s'engraisser,  et  qui 
n'ont  que  de  l'indifférence  pour  l'ouvrage 
du  Seigneur,  seront  toujours  scandaleux,  et 
détruiront  au  lieu  d'édifier. 

Il  est  donc  encore  essentiel  pour  mener 
une  vie  ecclésiastique  de  détacher  parfaite- 
ment son  cœur  de  tous  les  biens  de  la  terre. 

Enfin  je  soutiens  que  la  vie  ecclésiastique 
doit  être  fertile  en  bonnes  œuvres.  Tout 
chrétien  doit  amasser  des  bonnes  œuvres, 
je  vous  l'ai  fait  voir.  Les  ecclésiastiques  sont 
obligés  de  faire  encore  un  plus  grand  amas 
de  bonnes  œuvres  que  les  autres  fidèles.  Je 
vous  donne  pour  vous  en  convaincre  à  mé- 
diter les  paroles  du  Sauveur:  On  demandera 
beaucoup  à  celui  à  qui  on  a  donné  beaucoup, 
et  on  fera  rendre  un  plus  grand  compte  à 
celui  à  qui  on  aura  confié  plus  de  choses. 
(Luc,  XII,  '1^8  )  A  qui  le  Fils  de  Dieu  donne- 
t-il  davantage  qu'aux  ecclésiastiques?  Ils 
sont  ses  minisires,  ils  approchent  déplus 
près  de  ses  autels,  ils  sont  les  dispensateurs 
de  ses  mystères.  11  serait  difficile  de  conce- 
voir des  pouvoirs  [)!us  étendus  que  .ceux 
qui  leur  sont  confiés. 

Jésus-Clirist  vous  donne  beaucoup,  donc 
il  vous  redemandera  beaucoup.  11  vous  re- 
demandera plus  de  prières,  (dus  d'œuvres 
de  mortification,  plus  d'actions  de  charité, 
{ilus  d'aumônes  ,  plus  d'actions  d'humilité. 
C'est  à  vous  de  croître  en  justice,  et  d'aug- 
menter tous  les  jours  le  nombre  de  vos 
bonnes  œuvres.  Par  ce  moyen  vous  vous 
ferez  destrésors  dans  leciel.vous  deviendrez 
de  bons  arbres  qui  produisent  de  bon  fruit. 

De  tous  les  principes  que  j'ai  établis,  il 
s'ensuit  que  la  vie  ecclésiastique  est  une 
vie  exempte  de  fautes  mortelles,  et  appli- 
quée à  déraciner  jusqu'aux  principes  des 
fautes  les  plus  légères.  C'est  une  vie  déta- 
chée de  tous  les  choses  de  la  terre.. C'est  une 
vie  fertile  en  bonnes  œuvres. 

Il  n'est  pas  aisé  d'entrer  dans  ces  senti- 
ments, et  de  se  ^perfectionner  jusqu'à  ce 
point,  à  moins  que  l'on  ne  prenne  de  justes 
mesures,  el  que  l'on  ne  choisisse  des  moyens 
sûrs.  C'est  de  ces  moyens  que  Dieu  nous  a 
laissés  pour  arriver  à  la  perfection  de  notre 
état,  dont  j'ai  à  vous  entretenir  dans  la  se- 
conde partie  de  ce  discours, 

DEUXIÈME   POINT. 

Le  premier  moyen  que  je  vous  pro- 
pose pour  mener  une  vie  ecclésiastique, 
c'est  de  bien  connaître  ce  que  c'est  que 
l'état  ecclésiastique  et  quels  en  sont  les 
engagements.  Rien  n'est  plus  commun 
dans  le  monde  que  d'avoir  une  fausso 
idée  de  cet  état.  De  là  il  arrive  que 
plusieurs  s'y  engagent  témérairemeul.  S'év 


1397 


RETRAITE  ECCLES.  -  X\IV.  PERFECTION  ECCL. 


1598 


tant  engagés  sans  avoir  eu  soin  de  s'ins- 
truire, ils  vivent  dans  une  malheureuse 
tranquiiiilé,  iis  sont  ecclésiasliques  et  n'en 
remplissent  aucun  devoir.  Les  ténèbres  qui 
leur  couvrent  les  yeux  leur  caciient  la  mi- 
sère de  leur  élal.  Qu'est-ce  qu'ils  sont  aux 
yeux  de  Dieu?  Des  hommes  très-criminels 
tfès-déréglés,  et  qui  sont  dans  un  péril  très- 
prochain  de  se  perdre  pour  l'éternité? 

Pour  bien  connaître  ce  que  c'est  que 
l'état  ecclésiastique ,  soyez  d'abord  con- 
vaincus que  ceux-là  sont  dans  une  très- 
grossière  erreur  qui  considèrent  l'état  ec- 
clésiastique comme  un  ;état  commode. 
Celui  qui  s'en  forme  une  aussi  fausse  idée 
n'a  f)as  la  moindre  notion  de  la  conduite  des 
saints  et  des  maximes  qu'ils  ont  établies. 

Quelle  a  été  la  conduite  des  saints  ?  Ils 
ont  tremblé,  ils  ont  fui,  ils  se  sont  déliés 
d'eux-mêmes,  ils  se  sont  continuellement 
reprochés  des  manquements  et  des  fautes 
considérables  dans  l'administration  qui  leur 
avait  été  confiée.  Pourquoi  tremblaient-ils, 
s'il  n'y  a  rien  dans  l'état  ecclésiastique  qui 
lie  tlatte  les  hommes  ?  Pourquoi  fuyaient- 
ils,  si  l'état  ecclésiastique  n'est  environné 
d'aucuns  périls  ?  Pourquoi  se  détiaient-ils 
d'eux-mêmes  pendant  que  des  hommes 
sans  talents,  ne  trouvent  presque  aucune 
ditliculté  dans  l'exercice  des  fonctions  les 
I)lus  importantes  ?  Pourquoi  ces  inquiétu- 
des et  ces  remords  ?  On  en  voit  un  très- 
grand  nombre  dont  les  travaux  sont  cons- 
tamment très-légers  en  comparaison  de 
ceux  des  saints,  et  qui  néanmoins  s'applau- 
dissent à  eux-mêmes,  et  s'imaginent  pou- 
voir trouver  place  parmi  les  ministres  les 
plus  zélés. 

Non,  non,  les  saints  ne  se  sont  point 
trompés.  Toutes  leurs  alarmes  et  leurs  dé- 
liaijces  n'avaient  qu'un  trop  légitime  fonde- 
ment. Ils  voyaient,  et  les  autres  sont  des 
aveugles.  Ils  voyaient  que  tout  homme  qui 
se  recherche  soi-même  dans  l'étal  ecclésias- 
tique, agit  directement  contre  les  intentions 
que  lebauveura  eues,  quand  il  a  établi  des 
ministres  pour  exercer  son  œuvre.  Ils 
voyaient  que  c'est  sepro])Oser  un  très-perni- 
cieux motif  que  de  s'engager  dans  le  saint 
luinistère  par  des  vues  temporelles  et  par 
tics  considérations  liumainus.  Ils  voyaient 
que  c'est  uianifestement  se  perdre  que  de 
s'engager  dans  un  état  et  n'en  pas  remplir 
exactement  les  fonctions.  Ils  apercevaient 
dans  les  fonctions  ecclésiastiques  un  grand 
nombre  de  dillicultés  qui  les  rendent  redou- 
tables même  aux  plus  habiles  et  aux  plus 
/fiés.  Quand  ils  portaient  plus  loin  leur 
vue,  ils  considéraient  comme  déjà  proche 
te  jour  terrible  oiî  les  ecclésiastiques  ren- 
uruui  compte  de  leur  temi»s,  de  leurs  biens, 
de  leurs  occupations,  de  kurs  emplois,  de 
leuis  propres  fautes,  et  d'une  lulinilé  d'au- 
tres auxquelles  leur  ministère  les  oblige 
iJaj'porier  remède.  Parce  que  les  aveugles 
qui  Ile  connaissent  punit  Je  péril  croient 
être  en  sûreté;  ceux  qui  sont  éclairés,  et 
qui  voient  clairement  de  véritables  itérils, 
i^e  treiiililcruul-ils  pas  ? 


Les  maximes  des  saints  se  sont  parfaite- 
ment accordées  avec  leur  conduite,  ils  ont 
tous  communément  établi  que  le  sacerdoce 
est  un  poids  et  un  fardeau  accablant,  que 
c'est  une  présomption  et  une  témérité  que 
de  vouloir  soi-même  se  charger  d'un  si  pe- 
sant fardeau,  que  tout  ce  que  peut  faire  un 
homme  qui  connaît  sa  faiblesse,  c'est  de  so 
soumettre  aux  ordres  de  Dieu,  lorsqu'ils 
lui  sont  manifestement  connus. 

Voilà  les  vérités  que  les  ecclésiastiques 
ne  peuvent  avoir  trop  présentes.  Car  de  là 
que  concluront-ils  ?  Que  l'état  ecclésiasti- 
que renferme  de  très-grandes   obligations. 

Un  ecclésiastique  par  rapport  à  lui-même 
est  obligé  de  vivre  dans  une  grande  sainlet»', 
et  ce  n'est  que  par  la  sainteté  de  sa  vie  qu'il 
peu  tsoutenir  la  sainteté  de  son  caractère. 

Un  ecclésiastique  se  doit  tout  entier  au 
prochain.  Dieu  ne  lo  met  au  rang  de  ses 
ministres  qu'afln  qu'il  cherche  ses  frères 
et  qu'il  travaille  incessamment,  selon  la  me- 
sure de  ses  talents,  à  conduire  les  hommes 
dans  la  voie  du  salut.  Peut-on  connaître 
ces  vérités,  avoir  la  crainte  du  Seigneur, 
et  ne  pas  trembler,  et  ne  pas  agir,  et  ne 
pas  faire  tous  ses  efforts  pour  remplir  des 
obligations  si  étroites  et  si   importantes  ? 

La  vérité  connue  fait  impression,  et  tou- 
che le  cœur  ;  mais  la  vérité  s'eU'ace  et  s'ou- 
blie, à  moins  que  nous  n'ayons  soin  par 
des  réflexions  souvent  réitérées  de  rappel- 
ler  dans  nos  ,  esprits  les  saintes  maximes 
dont  nous  avons  été  touchés.  C'est  ce  qui 
fait  que  je  vous  propose  pour  second  moyen 
de  faire  souvent  des  reflexions  sur  vous- 
mêmes,  sur  votre  étal,  et  sur  vosobligations. 

Vos  réflexions  doivent  êtres  suivies  de 
résolutions,  parce  que,  comme  nos  réflexions 
s'évanouissent,  nos  résolutions  de  même 
sont  vacillantes  et  incertaines.  Ainsi  nos 
réflexions  et  nos  résolutions  ont  également 
besoin  d  être  souvent  réitérées. 

Un  ecclésiastique  fidèle,  pour  empêcher 
que  ses  réflexions  ne  soient  passagères, 
pour  rendre  ses  résolutions  fermes  et 
constantes,  prend  tous  les  jours  un  cer- 
tain temps.,  dans  lequel  l'espril,  libre  de 
soin,  médite  sérieusement  devant  le  Sei- 
gneur ce  qu'il  est,  et  ce  qu'il  est  obligé  da 
laire.  Je  ue  puis  assez  vous  expliquer  l'im- 
portance de  cet  exercice,  je  ne  puis  assez 
vous  animer  à  y  être  fidèles. 

Consultons  l'expérience.  A  quels  dérègle- 
ments ne  s'abandonnent  pas  ceux  qui  vi- 
vent sans  réflexion  ?  Lorsque  nos  devoirs 
ne  nous  sont  pas  présents,  la  cupidité  qui 
est  ennemie  de  toute  contrainte,  et  qui 
n'est  point  combattue  par  la  réflexion,  ne 
devient-elle  pas  la  maîtresse  ?  Les  armes 
les  plus  fortes  que  Dieu  nous  ait  mises  entre 
les  mains  pour  résister  aux  eflorls  conti- 
nuels do  nos  passions,  sont  l'es  réflexions 
sur  la  vérité,  la  conviction  de  la  vérité,  e'. 
les  saintes  résolutions  que  nous  inspire  la 
connaissance  de  nos  devoirs. 

Examinons  la  conduite  des  i/Ociesiasti- 
ques  qui  sont  fidèles,  nous  verrons  que  ce 
(jui  les  soutient,  c'est  lamédiiation  de  leurs 


1399 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMbthl. 


1400 


devoirs,  c'est  leur  vigilance,  c'est  le  soin 
exact  qu'ils  ont  de  former  des  résolutions 
selon  leurs  besoins,  c'est  l'attention  avec 
laquelle  ils  s'observent  eux-môraes. 

A  [leine  recueitle-t-on  du  fruit,  lorsque 
l'arbre  est  cultivé  avec  soin,  et  avec  beau- 
coup de  travail  ?  Quelle  espérance  donc  y 
a-t-il  d'eu  recueillir,  lorsque  l'arbre  est  né- 
gligé, et  qu'on  ne  se  donne  aucune  peine 
pour  travaillera  le  rendre  fertile  ? 

Une  des  exhortations  qui  nous  est  le 
plus  souvent  réitérée  dans  l'Ecriture  sainte 
c'est  de  rentrer  en  nous-mêmes,  de  faire  de 
sérieuses  réflexions  sur  nous-mêmes,  de 
méditer  nos  devoirs.  Mon  fils,  nous  dit  le 
Sage,  écoutez  mes  discours,  prêtez  roreille 
à  mes  paroles.  Est-ce  assez  ?  Quelles  ne  par- 
tent point  de  devant  vos  yeux,  conservez-les 
au  milieu  de  votre  cœur.  (Prov.,  IV,  20,  21.) 
Le  Sage  conçoit  bien  que  des  paroles  en- 
tendues ne  produisent  pas  un  grand  eftVt, 
si  l'on  n'a  soin  de  fortitier  les  premières 
impressions  par  des  réflexions  sérieuses, 
et  souvent  réitérées.  De  là  toutes  les  pré- 
cautions que  le  Sage  prend  pour  nous  faire 
entendre  combien  il  nous  est  important  que 
les  lois  de  Dieu  nous  soient  continuelle- 
menl  présentes. 

Il  veut  que  nous  fassions  de  la  médita- 
tion de  la  loi  de  Dieu  notre  première  pen- 
sée à  notre  réveil,  (/'row..  VI,  21,  22.)  Il 
veut  que  quand  nous  sommes  dans  le  clie- 
luin,  nous  ne  permettions  point  à  notre  es- 
prit de  se  remplir  de  pensées  inutiles,  mais 
que  nous  l'occupions  saintement  par  la  mé- 
ditation de  la  loi  de  Dieu.  Il  veut  que  nous 
conservions  la  loi  de  Dieu  écrite,  et  que 
nous  la  poriionscontinuellement  avec  nous. 
Mais  il  veut  qu'en  la  portant  écrite  exté- 
rieurement, ce  soit  un  moyen  pour  l'impri- 
mée dans  nos  cœurs,  et  c'est  là  particulière- 
ment Qii  il  veut  qu'ellesoit  gravée.  Cet  exer- 
cice, selon  le  Sage,  doit  être  continuel.  Jugez 
par  là  de  sa  nécessité. 

La  raison  du  Sage  est  excellente.  C'est 
que  le  commandement  est  une  lampe.  La  loi 
est  une  lumière.  [Prov.,  VI,  23.)  Votre  parole, 
dit  David,  est  une  lampe  qui  éclaire  mes  pas 
et  la  lumière  qui  luit  dans  les  sentiers  où  je 
marche.  [Psal.  CXVIJI,  105.)  Ce  n'est  point 
assez  pour  ne  point  tomber  d'avoir  vu  la  lu- 
mière. Si  après  l'avoir  vue  on  s'éloigne  d'elle 
etquel'on  marehedansles  ténèbres,  on  court 
risque  de  faire  de  très-dangereuses  chutes. 

La  grande  raison  qui  nous  oblige  à  la 
méditation  continuelle  de  la  vérité,  c'est 
que  nous  avons  besoin  d'être  toujours  gui- 
dés et  de  voir  toujours  la  lumière.  Nous 
méditons  la  vérité,  elle  nous  [)laîi,  elle 
nous  touche,  nous  nous  animons  à  la  sui- 
vre, et  nous  en  prenons  la  résolution.  Mais 
bientôt  après  nous  nous  dissipons,  lavéïiié 
ne  nous  lra[)pe  plus,  nos  résolutions  s'éva^ 
nouissant,  nous  devenons  seujblablesà  cet 
homme  dont  parle  saint  JaC(iues,  qui  jetttt 
les  yeux  sur  son  visage  qu'il  voit  dans  un  mi- 
roir, et  qui,  après  avoir  jeté  les  yeux,  s'enva>, 
et  oublie  à  l'heure  même  quel  il  était.  {Jac.\., 
I,  23.)  Il   n'y  a  point  d'autre  voie  |>our  stt 


préserver  de  ce  malheur,  que  d'être  attentif 
de  méditer  souvent,  et  de  renouveler  ses 
résolutions.  Celui-là,  liii  saint  Jacques,  qui 
regarde  fixement  la  loi  de  Dieu,  qui. demeure 
attentif  à  la  considérer;  celui-là  n'écoulant 
pas  seulement  pour  oublier  aussitàt  ,  mais 
faisant  ce  qu'il  écoute,  est  vraiment  heureux. 
[Ibid.,  25.) 

Que  vous  trouveriezde  facilité  à  remplir 
tous  vos  devoirs,  si  vous  pouviez  vous  ac- 
coutumer à  avuir,  ou  toujours,  ou  souvent 
Dieu  présent  devant  les  yeux. 

C'est  la  grande  louange  d'Hénoch  dont  la 
sainteté  a  été  si  parfaite,  qu'il  est  le  seul 
entre  tous  les  liommes  avec  Elle  ,  que  Dieu 
ait  jugé  digne  de  ne  point  mourir.  H  a  mar- 
ché avec  Dieu  {Gen.,  V,  24-);  c'esl-à-dire  il 
a  eu  Dieu  présent  dans  toutes   ses  actions. 

Dieu  dit  à  Abraham  :  Marchez  en  mapré- 
sence,  et  soyez  parfait.  (Gen.,  XVll,  1.)  11  lui 
marquait  par  ces  paroles  ,  qu'il  n'y  avait 
point  de  moyen  plus  propre  pour  le  sanc- 
tifier et  pour  le  remlre  parfait. 

Job  nous  dit  {IX,  28),  qu'il  se  conduisait 
dans  toutes  ses  actions  comme  un  homme 
à  qui  Dieu  a  fait  la  grâce  de  le  pénétrer  de 
sa  crainte. 

David  était  exact  h  avoir  toujours  le  Sei- 
gneur présent.  (Psal.  XV,  8.)  Il  était  à  sa 
droite,  et  c'est  ce  qui  faisait  qu'il  n'était 
point  ébranlé. 

Un  prophète  nous  a  dit  :  O  homme  I  je 
vous  dirai  ce  qui  vous  est  utile ,  et  ce  que  le 
Seigneur  demande  de  vous.  [Mich.,  VI,  8.)  Le 
Itropliète  continue  :  11  demande  de  vous  que 
vous  marchiez  en  sa  présence  avec  une  vigi- 
lance pleine  de  respect.  [Ibid.) 

Heureux  celui  qui  a  son  Dieu  continuel- 
lement présent.  11  ne  manque  point,  [larce 
que  son  Dieu  le  conduit;  il  aime  ses  de- 
voirs', parce  qu'il  aime  celui  qui  les  lui 
prescrit  ;  il  soulfre  avec  patience,  parce  que 
son  Dieu  le  console;  s'il  tombe,  il  se  re- 
lève aussitôt,  parce  que  son  Dieu  le  re- 
dresse; il  ne  désire  rien,  parce  qu'il  pos- 
sède son  Dieu,  et  Dieu  est  son  tout  ;  il 
méprise  les  choses  de  ce  monde,  |)arce 
qu'il  ne  perd  point  de  vue  un  bonheur  qui 
est  au-dessus  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
éclatant  dans  le  monde;  il  mérite  conti- 
nuellement, parce  que  toutes  ses  actions 
sont  autant  de  sacritices  qu'il  olfre  à  son 
Dieu;  il  prie  sans  interru[)tion  ,  et  ainsi  il 
exécute  le  commandement  que  Jésus-Clirist 
nous  fait  de  prier  sans  cesse.  [Luc,  XVJIl, 
3.)  Ellorcez-vous  d'avoir  Dieu  continuelle- 
ment présent.  Cette  sainte  pratique  vous 
sera^d'un  merveilleux  secours  pour  rem- 
plir tous  vos  devoirs  et  pour  avancer  dans 
la  perfection  de  votre  état. 
-  [jh  troisième  moyen  pour  mener  une  vie 
ecclésiastique,  c'est  l'emploi  du  temps.  Un 
ecclésiastique  qui  vit  dans  l'oisiveté  ne  peut 
éviter  de  se  perdre.  11  est  semblable  aux 
eaux  dormantes  i\m  se  corrompent  et  qui 
croupissent,  au  lieu  que  celui  qui  s'occupe 
est  semblable  aux  eaux  courantes  qui  ne  se 
corrompent  jamais.  C'e^t  dans  l'oisiveté  que 
naissent  les  désirs  criminels,  l'esprit  d'im- 


tm 


RETRAITE  EGCLES.  —  XXIV,  PERFECTION  ECCL. 


1402 


pi^nilenre,  l'amour  des  plaisirs,  l'aversion 
de  ses  devoirs. 

Le  Sai^e  dit  que  celui  qui  laboure  sa  terre 
fera  rassasié  de  poin ,  mais  celui  qui  ne  veut 
rien  faire  est  très-insensé.  (Prov.,  XII ,  11.  ) 
Le  oœiirde  l'Iioimne  est  véritablement  une 
terre  mnudile  et  inj^rale.  Ce  n'est  que  par 
un  travail  assiilu  que  cette  terre  ingrate 
peut  devenir  fertile  et  produire  de  bons 
jfruits. 

Les  Juifs,  dans  VExode  (XX-XII,  6),  ne 
sont  appliqués  qu'à  de  vains  divertisse- 
ments. De  là  naissent  ces  jeux  profanes  que 
le  Saint-Esprit  leur  reproche.  ïertullien  pré- 
tend que  riîcriture  caclie  sous  ce  terme 
honnête  du  jeu  toutes  les  impuretés  dont 
elle  les  accuse  (330). 

Ezéchiel  (XVI,  49),  parmi  les  crimes 
détestables  de  Sodome,  qui  ont  été  punis 
d'une  manière  si  terrible  ,  compte  roisi- 
veté. 

■  La  vie  d'un  ecclésiaslique  aoil  être  pure, 
exemple  de  péché;  comment  le  sera-t-elle 
si  ses  jours  ne  sont  pas  pleins?  II  est  essen- 
tiel à  tout  ecclésiastique  de  se  prescrire  des 
occupations  qui  remplissent  son  temps: 
l'orrfison,  l'élude,  les  conférences  de  science 
et  de  piéié.  Voilà cequidoilrémplirle  temps 
d'un  ecclésiastique  qui  veut  mener  une 
vie  di^ne  de  sa  vocation. 

Quelle  misère,  quel  état  déplorable  que 
celui  d'un  ecclésiastique  qui,  quand  il  a 
offert  à  Dieu  quelques  prières  qu'il  prononce 
par  coutume  et  sans  beaucoup  d'aiienlion, 
ne  connaît  plus  d'occupation  raisonnable 
jiour  rem|)lir  son  temps?  Vous  n'avez  point 
d'occupation?  N'y  a-t-il  point  d'Ecriture 
sainte  à  lire,  de  malade  à  consoler, de  maxi- 
mes saintes  à  méditer,  d'hôpilaux  à  visi- 
ter, de  théologiens  moraux  à  consulter? 
Vous  n'avez  point  d'occupation.  A  quoi  donc 
allez-vous  em|)loyer  votre  temps?  A  vous 
promener,  à  faire  des  repas,  à  jouer,  à  vous 
dissiper.  Ou  vous  verra  dans  les  places  pu- 
bliques, on  ne  rencontrera  que  vous  dans 
les  chemins,  vous  tiendrez  la  première  |)lace 
dans  les  assemblées  de  jeu,  vous  aurez 
assez  de  hardiesse  pour  vous  trouver  aux 
spectacles,  et  vous  prétendez  que  tout  cela 
se  peut  concilier  avec  la  sainteté  de  votre 
caractère?  Vous  n'avez  point  d'occupation. 
Vous  voilà  donc  en  proie  au  dé.mon  qui  va 
vous  attaquer,  et  qui  ne  peut  manquer  de 
vous  surmonter,  puisque  vous  êtes  sans 
armes  pour  vous  défendre. 

Mais  je  n'ai  point  de  bien  d'Eglise,  dira 
l'un,:  je  n'ai  que  des  bénéfices  simples, 
ajoutera  l'autre:  pourquoi  donc  ne  puis-je 
I)as  vivre  tranquillement,  et  quelle  est  la 
loi  qui  m'oblige  de  travailler?  Vous  travail- 
lerez, parce  que  Dieu,  qui  vous  a  donné  du 
bien ,  vous  commande  de  vous  occuper. 
Vous  travaillerez,  parce  que  les  revenus  ec- 
clésiastiques dont  vous  jouissez,  bien  loin 
d'être  une  raison  pour  favoriser  votre  pa- 
russe, sont  uD  nouvel  engagement  qui  vous 


oblige  indispensablement  de  travailler  pour 
l'Egiise.  Faudra-t-il  que  l'Eglise  ait  un  su- 
jet continuel  do  gémir,  en  voyant  dans  son 
sein  un  si  grand  nombre  de  paresseux  qui 
s'engraissent  «le  ses  revenus,  et  qui  ne  lui 
sont  d'aucune  utilité  ?  A  {|uel  litre  donc 
|)ossédez-vous  ces  revenus,  et  pourquoi 
iaut-il  que  l'Egiise  vous  nourisse  ?  Vous  re- 
citez quelques  oraisons  avec  précipitation. 
Est-ce  là  rendre  à  l'Eglise  un  service  suffi- 
sant ?  Faites  donc  aujourd'hui  une  sérieuse 
résolution  de  vous  occuper,  et  de  remplir 
vos  jours  si  sainleinentque,  suivant  le  con- 
seil de  l'Apôtre,  vous  ne  donniez  point  lieit 
à  la  colère  du  Seigneur.  [Ephes.,  IV,  17.) 

Le  dernier  moyen  que  je  vous  proprose, 
c'est  de  fuir  les  compagnies  dangereuses, 
et  de  recherciier  celles  qui  peuvent  vous 
soutenir  et  vous  forlilier  dans  vos  bons 
desseins. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  (orat.  10.  p. 
163}  a  très-bien  remarqué  que  les  hommes 
avec  qui  nous  sommes  unis,  contribuent 
beaucoup  à  nous  rendre  vertueux  ou  à  cor- 
rompre noire  cœur.  11  est  très-nécessaire 
de  fuir  les  compagnies  dangereuses  ;  |car  le 
moyen  d'être  continuellement  avec  des 
hommes  qui  soufflent  le  poison,,  et  de  ne 
point  périr  ?  Le  moyen  de  retenir  la  pente 
naturelle  que  nous  avons  au  mal, 
quand  el'le  est  encore  fortiffée  par  de 
pernicieux  conseils  ,  et  par  de  mauvais 
exemples? 

Les  parents  des  ecclésiastiques  sont  sou- 
vent une  compagnie  très-dangereuse  pour 
eux.  Vos  parents  seront  des  hommes  du 
siècle,  pleins  d'eslime  pour  les  choses  de 
la  terre,  occupés  de  leurs  affaires  tem- 
porelles. Si  vous  demeurez  avec  eux,  ils 
exigeront  de  vous  que  vous  entriez  dans 
leurs  désirs,  ils  vous  emploieront  à  leurs 
affaires  temfiorelles,  les  soins  séculiers  se 
multiplieront  ;  vous  abandonnerez  les  de- 
voirs de  votre  état;  vous  porterez  le  saint 
nom  de  prêtre,  et  vous  n'en  exercerez  au- 
cune fonction. 

Non-seulement  vos  parents  occuperont 
voire  temps  ,  et  demanderont  vos  soins,, 
mais  encore  ils  s'empareront  s'ils  peuvent 
de  tout  ce  que  vous  possédez.  Vous  dé- 
pouillerez les  pauvres,  vous  leur  arra- 
cherez ce  qui  leur  appartient,  pour  enri- 
chir des  parents  avides  qui  n'en  ont  jamais 
assez. 

'.  Quel  esprit  puiserez-vous  dans  la  maison 
de  vos  parents?  Tout  ce  que  vous  y  verrez 
vous  inspirera  la  vanité.  L'esprit  ecclé- 
siastique n'a  point  jeté  en  vous  d'assez  pro- 
fondes racines,  pour  que  vous  puissiez  le 
conserver  au  milieu  des  contradictions  et 
des  obstacles.  Le  peu  que  vous  en  avez  sera 
bientôt  éteint.  L'esprit  du  monde,  l'esprit 
de  vanité  que  vous  respirerez  de  tous  côtés, 
sera  celui  qui  vous  animera  ,  et  qui  de- 
viendra le  principe  funeste  de  toutes  vos 
actions. 


(330)  «  Inlellige   Scriplurae  verecundiara.   Lusum  nisi  irapudicura   non  denotasset.  i  (Tert.,  De  [/e- 
/■«».,  b.) 


im 


ORATEURS  SACRES.  JOSEPH  LAMBERT. 


1401 


Saint  Chrysoslome  (lib.  I  De  sacerd. ,CHp.  2) 
nous  rapporte  un  discours  plein  de  tendresse 
que  lui  fit  sa  mère  ,  pour  s'opposer  au  des- 
sein de  sa  retraite.  Peu  s'en  fallut  pour  que 
ce  saint  ne  se  rendît,  si  saint  Basile  ne  l'eût 
fortement  animé  à  ne  point  prendre  conseil 
de  la  chair  et  du  sang. 

Quand  Notre-Seigneur  commence  à  exer- 
cer ses  fonctions  il  laisse  ses  parents.  l\ 
commande  à  ses  disciples  de  quitter  père  et 
mère.  La  maxime  de  Jésus-Christ  est  que 
Quiconque  aime  son  père  ou  sa  mère  plus  que 
lui,  n'est  pas  digne  de  lui.  {Matth.,  X,  35,  37.) 

Vous  devez  donc  observer  avec  soin  quels 
sont  vos  parents  ,  quelle  est  leur  conduite, 
quelles  sont  leurs  maximes.  Si  vous  jugez 
qu'il  vous  serait  funeste  de  demeurer  avec 
eux,  pour  lors  la  séparation  est  absolu- 
ment nécessaire.  Souvenez-vous  de  la  maxi- 
me enseignée  par  Jésus-Christ  :  Quiconque 
aime  son  père  ou  sa  mère  plus  que  moi,  n'est 
pas  digne  de  moi. 

Il  n'y  a  qu'une  seule  exception  à  la  règle 
que  je  viens  d'établir.  Quand  vos  parents 
sont  pénétrés  des  maximes  du  christianisme, 
quand  vous  ne  courez  aucun  péril ,  et  que, 
bien  loin  de  vous  détourner  de  vos  devoirs, 
leur  exemple  vous  porte  à  vous  en  acquitter 
fidèlement,  pour  lors  il  vous  est  permis  de 
demeurer  avec  eux. 

Lorsque  les  parents  d'un  ecclésiastique 
sont  dans  une  véritable  misère,  ils  sont  pri- 
vilégiés. Celui  qui  défend  de  les  enrichir 
des  biens  sacrés  de  l'Eglise  commande  de 
les  soulager  lorsque  leurs  besoins  sont  vé- 
vitables. 

•  Quand  vous  vous  séparez  de  vos  parents 
pour  les  raisons  importantes  que  je  viens  de 
marquer,  la  piété  veut  que  vous  entrete- 
niez des  liaisons  avec  eux,  et  que  vous  leur 
rendiez  des  devoirs.  Ce  sont  les  sages  tem- 
péraments que  vous  devez  suivre  pour  ôier 
tout  sujet  de  plainte  à  vos  parents,  et  pour 
faire  voir  que  vous  conservez  pour  eux 
tous  les  égards  que  l'on  peut  avoir  sans 
s'écarter  de  ses  devoirs  dans  la  sainte  con- 
dition que  vous  avez  embrassée. 

Si  vous  allez  plus  loin ,  si  vous  ne  vous 
renfermez  pas  dans  ces  bornes  étroites,  si 
vous  avez  de  lâches  complaisances  [)Our 
des  parents  dont  le  cœur  est  corrompu  par 
les  fausses  maximes  du  siècle,  à  quels  pé- 
rils ne  vous  exposez-vous  pas? 

Les  séminaires  sont  la  demeure  la  plus 
sûre  pour  des  ecclésiastiques.  Ce  sont  des 
ports  de  salut  pour  se  garantir  des  écueils 
et  des  tempêtes  qui  sont  presque  inéviia- 
blesdans  le  monde.  C'est  là  que  vous  serez 
délivrés  des  obstacles,  et  que  vous  trouve- 
rez toute  sorte  de  facilités.  Que  peut-on 
penser  de  celui  qui  aime  son  esclavage,  qui 
peut  briser  ses  chaînes,  et  qui  consent  à  en 
demeurer  chargé?  Lorsque  l'asile  est  ouvert, 
que  l'on  peut  s'y  réfugier,  et  que  l'on  de- 
meure au  uiilieu  du  péril,  n'est-ce  pas  con- 
sentir à  sa  [terte,  et  n'est-on  {jas  d'autant 
plus  inexcusable  que  l'on  périt  par  sa 
faute? 

Ou  demeurez  dans  un  séminaire,  ou  fai- 


tes de  votre  maison  un  séminaire,  en  y  vi- 
vant dans  la  retraite.  Autrement  il  est  im- 
possible que  vous  conserviez  l'esprit  de 
votre  état. 

Car,  si  vous  ne  vivez  pas  dans  la  retraite, 
si  vous  vous  dissipez  dans  le  monde,  vous 
aurez  des  liaisons  et  des  sociétés  qui  vous 
seront  encore  plus  dangereuses  que  celles 
de  vos  parents.  Vous  entretiendrez  com- 
merce avec  des  hommes  pleins  de  l'esprit 
du  monde,  que  l'ambition  domine,  qui  sont 
esclaves  de  la  volupté,  qui  sont  tyrannisés 
par  les  plus  criminelles  passions.  Quelle 
société  pour  un  ecclésiastique?  Pourrait-on 
s'aveugler  jusqu'à  se  persuader  que  dp.* 
commerces  si  dangereux  ne  sont  pas  entiè- 
rement opposés,  non-seulement  à  la  vie  ec- 
clésiastique, mais  même  à  la  vie  chrétien- 
ne? Vous  entretiendrez  commerce  avec  les 
femmes  du  siècle,  vous  aurez  avec  elles  de 
longues  et  d'inutiles  conversations,  vous 
prendrez  part  à  leurs  criminels  plaisirs. 
Vous  perdrez  cette  noble  et  nécessaire  gra- 
vité, pour  devenir  un  homme  plaisant  et 
qui  se  fait  un  mérite  de  remplir  les  mo- 
ments inutiles  des  femmes  du  siècle.  Un 
ecclésiastique  peut-il' davantage  se  dégrader 
et  peut-il  jamais  prendre  une  conduite 
plus  opposée  à  la  sainteté  de  son  carac- 
tère. 

Jugez  combien  ce  commerce  est  criminel, 
puisqu'un  ecclésiastique  ne  doit  jamais  eti 
entretenir  aucun  avec  des  personnes  de 
l'autre  sexe  qu'en  tremblant,  et  après  avoir 
pris  de  très-grandes  précautions.  Combien 
y  en  a-t-il  à  qui  un  commerce  qui  paraît 
innocent  et  même  nécessaire  est  devenu 
dans  la  suite  très-contagieux?  Il  n'y  a  que 
la  charité  seule  qui  puisse  rendre  innocent 
ce  qui  de  soi-même  est  dangereux,  et  qui 
puisse  nous  faire  espérer  que  Dieu  nous 
fortifiera  de  ses  grâces  pour  nous  soutenir 
au  milieu  du  péril. 

Mais  quand  bien  même  la  charité  nous 
oblige  d'entretenir  des  liaisons  avec  des 
personnes  de  l'autre  sexe,  au  moins  de- 
vens-nous  observer  que  nos  discours  soient 
sérieux,  de  choses  nécessaires,  que  la  con- 
versation ne  soit  point  trop  prolongée, 
qu'elle  ne  soit  jamais  sans  témoins.  Prenons 
garde  que  nos  discours  ne  dégénèrent  en 
amusements  inutiles  ,  et  où  l'on  se  cherche 
plutôt  soi-même,  que  ce  qui  est  avantageux 
au  j)rGchain. 

De  toutes  les  compagnies  dangereuses,  1<> 
plus  funeste,  et  que  vous  devez  éviter  avec 
plus  de  soin,  c'est  celle  des  ecclésiastiques 
mondains,  oisifs  ou  corrompus.  Quand  la 
corruption  se  glisse  parmi  ceux  qui  sont 
obligés  par  état  d'être  plus  saints  que  les 
autres ,  constamment  ils  deviennent  plu-* 
méchants  et  plus  dangereux,  il  n'y  en  a  point 
dont  les  discours  soient  plus  pernicieux, 
plus  séduisants  que  ceux  des  ecclésiasli- 
ques  dont  le  cœur  est  infecté.  Il  n'y  en  a 
même  point  qui  poussent  l'irapiéié  plus 
loin.  Ils  ne  sont  plus  arrêtés  par  aucune 
barrière  ,  les  respects  humains  ne  les  lou- 
chent plus  ;  ce  qui  est  établi  pour  sanctifier 


U05 


RETRAITE  ECCLES.  —  XXIV,  PERFECTION  ECCI.. 


ii06 


les  autres  est  devenu  en  eux  un  principe 
d'endurcissement,  leur  malice  n'a  plus  de 
bornes.  Fuvcz  donc  dès  que  vous  aperce- 
vez un  ecclésiastique  qui  s'égare  et  qui  suit 
une  route  O[pposée  à  celle  dans  laquelle 
il  est  obligé  de  marcher.  Fuyez,  n'appro- 
chez pas;  c'est  une  corruption  qui  se  com- 
munique, n'exposez  pas  votre  faiblesse. 
C'est  un  malheureux  dont  l'état  déplorable 
doit  vous  toucher  de  compassion.  Vous  ne 
devez  rien  craindre  davantage  que  la  con- 
tagion qu'il  pourrait  vous  communiquer 
par  ses  persuasions  et  ses  exemples. 

Avec  qui  donc  entretiendrez -vous  des 
liaisons,  et  qui  choisirez-vous  pour  goûter 
le  plaisir  honnête  d'une  conversation  pro- 
fitable? Des  ecclésiastiques  vertueux,  exem- 
plaires, qui  vivent  selon  les  maximes  de 
l'Evangile,  vous  aurez  avec  eux  de  ces  sain- 
tes conversations  dont  parle  saint  Paul.  En- 
tretenez-vous  ensemble  de  psaumes,  d'hymnes, 
de  cantiques  spirituels,  quil  ne  sorte  de 
votre  bouche  que  des  discours  édifiants,  qui 
inspirent  la  piété  à  ceux  qui  les  écoulent. 
[Ephes.,  V.  19;  IV,  29.) 

Tout  parle  dans  un  ecclésiastique  ver- 
tueux. Ses  discours,  ses  exemples,  ses  ac- 
tions, son  silence  môme.  Ce  sera  dans  vos 
découragements  un  ami  fidèle  qui  vous  sou- 
tiendra. Qui  n'a  point  besoin  de  conseil  en 
cette  vie,  et  quoi  de  plus  précieux  qu'un 
ami  sage  qui  ne  nous  en  donne  que  de  pru- 
dents? La  vertu  n'est  jamais  plus  aimable, 
que  quand  nous  la  considérons  vivante  et 
animée  dans  un  saint  homme,  dont  toute  la 
conduite  inspire  la  piété  et  en  lait  l'éloge. 
Il  est  impossible  que  vous  ayez  pour  amis 
des  ecclésiastiques  vertueux,  et  que  vous  ne 
ressentiez  dans  peu  le  fruit  que  vous  reti- 
rerez de  leur  conversation,  de  leur  conseil 
et  de  leurs  exemples. 

Voilà  les  principaux  moyens  que  Dieu 
vous  met  entre  les  mains  pour  vous  conduire 
d'une  manière  digne  de  votre  vocal  ion. Si  vous 
voulez  connallre  l'efRcaue  de  ces  moyens , 
mettez-les  en  pratique,  vous  ne  serez  pas 
longtemps  sans  en  retirer  du  fruit.  Il  est 
également  véritable,  et  que  vous  êtes  obligés 
de  mener  une  vie  sainte  ,  proportionnée  à 
l'excellence  de  votre  état ,  et  que  vous 
ne  parviendrez  jamais  h  mener  une  vie 
sainte  et  ecclésiastique,  qu'en   choisissant 

(33!)  «  Ad  agonem  ssecularem  exercentur  homines 
et  parantiir  et  inagnam  giorlam  compuiant  honoris 
sui,  si  illis  speclante  populo  et  i m pera tore  présente 
coiitigerii  coronari.  Ecceagon  subliinisel  magnus.et 
coronse  cœleslis  praeraio  gloriosiis,  ut  speclet  nos 
certaines  Deus,  et  super  eos  quos  lilios  suos  facere 


les  moyens  que  je  viens  de  tous  proposer. 

11  est  vrai  qu'il  fout  combattre,  que  le 
combat  est  continuel ,  que  les  ennemis  qui 
nous  attaquent  ont  beaucoup  de  force,  et 
qu'ils  sont  très-redoutables.  Mais  no  puis-je 
pas  vous  animer  dans  le  combat,  vous  ré- 
péter ce  que  disait  saint  Cyprien  pour  en- 
courager ceux  qui,  étant  exposés  aux  plus 
cruelles  persécutions,  avaient  à  soutenir 
des  combats  encore  plus  rudes  que  les  vô- 
tres ?  Ce  saint  évêque  leur  représentait  lo 
courage  avec  lequel  les  athlètes  combattent, 
et  combien  ils  se  tiennent  honorés  ,  parce 
qu'ils  remportent  une  couronne  quoique  pé- 
rissable ;  parce  que  les  princes  de  la  terre 
et  une  grande  multitude  de  peuples  sont 
les  témoins  de  leur  victoire.  «  Le  combat , 
dit  saint  Cyprien  ,  que  vous  avez  h  soutenir 
est  beaucoup  plus  glorieux;  une  couronne 
immortelle  est  bien  au-dessus  d'une  cou- 
ronne qui  se  flétrit  en  peu  de  temps.  C'est 
Dieu  qui  vous  voit,  qui  vous  anime,  qui 
vous  regarde  comme  ses  enfants,  qui  prend 
part  à  votre  victoire,  et  qui  s'en  réjouit. 
C-onsidérez  sans  cesse  que  Dieu  observe 
toutes  vos  actions,  que  les  anges  sont  pré- 
sents ,  que  Jésus-Christ  voire  chef  no  vous 
perd  point  de  vue.  Quelle  gloire,  quel  bon- 
heur de  combattre  en  la  présence  du  Sei- 
gneur, sous  les  yeux  de  Jésus-Christ  1  Ce 
divin  chef  prononcera  lui-même  en  votre 
faveur  et  déclarera  que  vous  êtes 
d'une  couronne  immortelle  (331).» 

N'oubliezjamais  des  considérations  si  for- 
tes et  si  pressantes.  Il  est  impossible  qu'elles 
ne  relèvent  votre  courage,  qu'elles  ne  vous 
soutiennent,  qu'elles  ne  vous  remplissent 
de  force. 

Dites-vous  sans  cesse  à  vous-même,  Dieu 
me  voit;  Jésus-Christ  m'anime  par  ses  exem- 
ples et  par  ses  promesses.  Le  combat  du- 
rera peu,  La  récompense  est  éternelle.  Vous 
deviendrez  des  hommes  pleins  de  courage, 
rien  ne  sera  capable  d'ébranler  vos  saintes 
résolutions.  Vous  ne  vous  rebuterez  point 
au  milieu  des  combats  les  plus  opiniâtres. 
Les  ennemis  les  plus  terribles  ne  vous  ef- 
frayeront point.  Vous  combattrez  avec  per- 
sévérance ,  et  vous  aurez  le  bonheur  de  re- 
cevoir la  couronne  de  la  main  de  Jésus-Christ 
même  qui  vous  placera  au  rang  de  ses  élus 
pour  régner  avec  lui  dans  l'éternité. 

dignatus  est,  oculos  suos  pandens  cerlaminis  nosiri 
spectaculo  perfruitur.  PiM-liantes  nos  ei  lidei  con- 
gressione  pugnantes  spécial  Deus,  speclant  .ingeli 
ejus,  spécial  et  Chrislus.  Quaitta  est  gloriae  dignitas, 
quania  feliciias  praesente  Deo  congredi  et  Chrisio 
judice  coronari.  »  (S.  Cyprian.,  epist,  56.) 


digne 


TABLE  DES  MATIERES  CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 


Avis  de  l'éditeur.  9 

OEUVRES  ORATOIRES  DE  DEMONTIS. 

Epitre  dédicaloire  aux  dames  religieuses  de  l'Annon- 

ciade  céleste  de  Saint-Denis.  9 

Avertissement  de  l'auteur.  Il 

DISCOURS  DE  RETRAITE  POUR  LES  RELIGIEU- 
SES. Il 
La  veille  de  la  retraite.  —  Sur  la  retraite.  Il 
Premier  jour.  —  Discours  I".  —  Sur  le  salut.  27 
Discours  II.  —  Sur  l'office  divin.  43 
Discours  III.  —  Sur  la  mort  d'une  religieuse  dans  le 
péché.  57 
Second  jour.— Discours  I". — Sur  le  péché  véniel.  73 
Discours  II.  — Sur  l'observance  de  la  règle  et  des  cons- 
titutions. 88 
J)iscours  IIÎ.  —  Sur  le  jugement  dernier.  105 
Troisième  jour.  —  Discours  I".  —  Sur  l'exercice  de 
la  pénitence.  120 
Discours.II.  —  Sur  l'oraison  mentale  156 
DiscoursiillI.  —  Sur  l'enfer.  ■^  151 
(Juatrième  jour. — Discours  P^ — Sur  la  communion.  16'7 
Discours  11. — Sur  le  silence.  184 
Discours  III.*—  Sur'la  tiédeur.  200 
Cinquième  jour.— Discours  I".— Sur  l'obéissance.  217 
Discours  II.  —  Sur  les  récréations.  232 
Discours  III.  —  Sur  la  Ddélilé  aux  inspirations  de  la 
grâce.  248 
Sixième  jour. — Discours  I".— Sur  la  vie  intérieure.  265 
Discours  II.  —  Sur  la  pauvreté.  283 
Discours  III.  —  Sur  la  lecture  .spirituelle.  299 
Septième  jour.  —  Discours  1".' —  Sur  l'amour  de  Dieu. 

315 
Discours  II.  —  Sur  l'union  des  cœurs.  329 

Discours  III.  ~  Sur  l'obéissance  à  l'Eglise.  346 

Huitième   jour.  —  Discours  l".  —  Sur  le  bonheur  du 
ciel.  364 

Discours  II.  —  Sur  la  présence  de  Dieu.  380 

Discours  III.. —  Sur  les  fruits  de  la  retraite.  395 

ANALYSE  DES  DISCOURS.  411 

La  veille  de  la  retraite.  —  Sur  la  retraite.  411 

Premier  jour.  —  Discours  l".  —  Sur  le  salut.         412 
Discours  II.  —  Sur  l'oflice  divin.  413 

Discours  III.  —  Sur  la  mort  d'une  religieuse  dans  le 
péché.  415 

Second  jour. — Discours  1". — Sur  le  péché  véniel.  416 
Discours  11.  —  Sur  l'observation  de  la  règle   et  des  . 
constitutions.  417 

Discours  111.  —  Sur  le  jugement  dernier.  419 

Troisième  jour.  — Discours  I".  —  Sur  l'exercice  de  la 
pénitence.  420 

Discours  II.  —  Sur  l'oraison  mentale.  422 

Discours  III.  —  Sur  l'enfer.  423 

Quatrième  jour.— Discours  1°'.— Sur  la  communion. 425 
Discours  II.  —  Sur  le  silence.  426 

Discours  III.  —  Sur  la  tiédeur.  427 

Cinquième  jour.  —  Discours  l".  —  Sur  l'obéissance. 

^429 
Discours  II.  —  Sur  les  récréalions.  430 

Discours  lll.  —  Sur  la  fidélité  aux   inspirations  de  la 
grâce.  431 

Sixième  jour.— Discours  ^^ — Suria  vie  intérieure.  432 
Discours  H.  —  Sur  la  pauvreté.  434 

Discours  111.  —  Sur  la  lecture  spirituelle.  435 

Septième  jour. — Discours  1". — Sur  l'amourde Dieu. 436 
Discours  11.  —  Sur  l'union  des  cœurs.  437 

Discours  m.  —  Sur  l'obéissance  à  l'iiglise.  458 

Huitième  jour.  —  Discours  I".  —  Sur  le  bonheur  du 
ciel.  i59 

Discours  IL  —  Sur  la  présence  de  Dieu.  441 

Discours  III.  —  Sur  les  fruits  de  la  retraite.  441 

Notice  sur  Charles  le  Rourg  de  Monmorel.  443 

OEUVRES   ORATOIRES  DE  MONMOREL. 

SERMONS. 

Sermons  l".  —  Sur  la  charité.  iiS 

Sermon  11 — Pour  le  jour  des  Cendres.  Sur  la  mort.  463 
Sermon  111.  —  Sur  la  rechute  dans  le  péché.  482 


Sermon  IV.  —  Sur  le  {saint  sacrifice  de  la  messe.  502 

Sermon  V.  —  Pour  le  jour  de  Pâques.  522 

Sermon  VI-  —  Pour  le  jour  de  l'Ascension.    .  535 

Sermon  VII.  —  Pour  la  fête  de  la  Toussaint.  549 

Sermon  VIII.  —  Pour  la  dédicace  d'une  église.  561 

Sermon  IX.  —  Pour  la  fête  de  saint  Joseph..  576 

Sermon  X.  —  Sur  la  fête  de  saint  Augustin.  594 

Notice  sur  Barthélémy  Maurel.  615 

OEUVRES  COMPLÈTES  DE  B.  MAUREL. 

RETRAITE  ECCLÉSIASTIQUE.  617 

Instruction  l".  —  Ouverture  de  la  retraite.  617 

Instruction  H.  —  Sur  le  salut  des  prêtres.  629 

Instruction  III.  —  Sur  le  péché  mortel.  640 

Instruction  IV.  — Sur  le  péché  véniel.  652 

Instruction  V.  —  Sur  l'enfer.  666 

Instruction  VI.  —  Sur  le  paradis.  681 

Instruction  VU.  —  Sur  la  prière.  697 

Instruction  VUl.  —  Sur  la  méditation.  710 

Instruction  IX.  —  Sur  la  confes.sion.  724 

Instruction  X.  —  Sur  la  confession  (suite).  741 

Instruction  XL  —  Sur  l'avarice.  735 

Instruction  Xll.  —  Sur  l'humilité.  771 

Instruction  XIII.  —  Sur  l'humilité.  782 

Instruction  XIV.  —  Sur  le  zèle.  795 

Instruction  XV.  —  Sur  l'exemple.  ''  815 
Inslruttion  XVI.— Sur  les  vocations  ecclésiastiques.829 

Notice  historique  sur  César  Ribier.  841 

OEUVRES  ORATOIRES  DE  CÉSAR  RIBIER. 

SERMONS.  84L 

Sermon  I".  —  Sur  la  crainte  de  la  mort.  841 

Sermon  IL  —  Sur  le  sacerdoce.  855 

Sermon  111.  —  Sur  la  sainteté  de  l'Eglise.  869 

Sermon  IV.  —  Sur  le  cœur  de  Jésus.  885 

Sermon  V.  —  Sur  la  dévotion  envers  Marie.  897 

CONFÉRENCES.  909 

Conférence  1".  —  Sur  la  miséricorde.  909 

Conférence  11.  —  Accord  de  la  justice  avec  la  miséri- 
corde. 917 
DISCOURS  POUR  DES  PREMIERES  COMMUNIONS 
Avant  la  première  communion  des  enfants.  927 
Exhortation  après  la  communion.  *^^'^ 
Exhortation  aux  renouvellement  des  vœux  du  baptê- 
me. 957 
Notice    historique  sur  Joseph  Lambert.                 939 

OEUVRES  ORATOIRES  DE  J.  LAMBERT. 

RETRAITE  ECCLESIASTIQUE.  959 

Avertissement.  959 

Discours  P'.— De  la  vocation  à  l'état  ecclésiastique.  945 
Discours  I  L— Del'excellence  de  l'état  ecclésiastique  961 
Discours  III.  —  De  l'esprit  ecclésiastique.  979 

Discours  IV.  —  De  la  sainteté  ecclésiastique.  1000 
Discours  V.  —  Du  jugement.  1020 

Discours  VI.  —  De  l'amour  de  Dieu.  1040 

Discoers  VIL  — De  la  retraite.  1060 

Discours  VIll.  —  De  la  prière.  1077 

Discours  IX.  —  De  la  nécessité  de  mener  une  vie  oc- 
cupée, et  contre  l'oisiveté.  1097 
Discours  X.  —  De  la  science.  111* 
Discours  XL  —  De  la  science.  1134 
Discours  XII.  — Du  désintéressement.  ItSO 
Discours  XIII.  —  Du  bon  exemple.  115S 
Discours  XIV.  —  De  la  chasteté.  1184 
Discours  XV.  —  Du  zèle.  1205 
Discours  XVL— De  la  charité  pour  le  prochain.  1225 
Discours  XVIL  —De  l'union  qui  doit  être  entre  les 
ecclésiastiques.  J244 
Discours  XVIII.  —  De  l'obéissance.  1263 
Discours  XIX.  —  De  l'office  divin.  1283 
Discours  XX.  —  De  la  messe.  1305 
Discours  XXI.  —  De  la  prédication.  1319 
Discours  XXII.  —  Du  sacrement  de  pénitence.  15*2 
Discours  XXIIL  -  Des  bénéfices.  1362 
Discours  XXIV.  —  De  la  perfection  de  la  vie  eccle- 
.siastique.  l^^* 


FIN  DU  TOME  S01X.\NTE-HUITIÈME. 


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La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Echéance 


The  Library 
Universityof  Ottawa 
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COO   MIGNE,  JACQJ  CCLLFCTION  î 

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