Digitized by the Internet Archive
in 2012 with funding from
University of Toronto
http://archive.org/details/collectionintgra68mign
COLLECTION
INTÉGRALE Eï UNIVERSELLE
DBS
ORATEURS SACRES.
DEUXIÈME SÉRIE,
RENFERMANT :
l' LES OEUVRES ORATOIRES DES PRÉDICATEURS QUI ONT LE PLUS ILLUSTRÉ LA CHAIRE
FRANÇAISE DEPUIS 1789 ET AU DESSUS * JUSQU'A NOS JOURS,
SAVOIR :
MOSMOREL, DE MONTIS, J. LAMBERT, DE LIGNY, BERGIER , DE3SAURET, LENFANT, DE BEAtIVAlS, CORMEAUX , DE
BEAUREGARD. DE BOISGELIN, DE NOÉ, COSSART, GUÉNARD , GÉRARD, LEGRIS DUVAL, l'aBBÉ RICHARD,
DE LA LUZERNE, ASOT, VILLEDIEU, DE BOULOGNE, 'DE BILLY, RIBIER, DE MONTBLANC, MAUREL, BERTIN,
FEUTRIER, SALAMON, PERRET DE FONTENAILLES, BORDERIES, CAFFORï, FOURNIER, LONGIM, BOUDOT ,
DOUCET, FRAVSSINOUS, RORINOT , BOYER, LABOUDERIE , ROY, f.UlLLON, BONNEVIE, OLIVIER, ETC., ETC. ;
2» LES PLUS REMARQUABLES MANDEMENTS, OU DISCOURS
DE LEURS ÉMINENCES LES CARDINAUX DE BOISALD, ARCH, DE LÏON ; DUPONT, ARCH. DE BOURGES;
DOSSET , ARCH. DE BORDEAUX ; VILLECOURT, ANCIEN ÉVÊQUE DE LA ROCHELLE ;
DE NOSSEIGNEURS DEBELAY, ARCH. d' AVIGNON ; CHABVAZ, ARCH. DE GÊNES; BILLIET, ARCH. DE
CHAMBÉRY ; DE PRILLY, ÉV. DE CHALONS; DE MARGUÉRYE, ÉV. d'aUTUN ; DE MAZENOD, ÉV. DE
MARSEILLE; LACROIX, ÉV. DE RAYONNE; RIVET, ÉV. DE DIJON; MENJAUD, ÉV. DE NANCY;
ROESS,ÉV. DE STRASBOURG; GUIBERT, ÉV. DE VIVIERS; GIGNOUX, ÉV. DE BEAU VAIS; ANGEBAULT.
ÉV. d' ANGERS; DUFETREjÉV. DE NEVERS; GROS, ÉV. DE VERSAILLES; BUISSAS, ÉV. DE LIMOGES;
DEPÉRY, ÉV. DE GAP; LAURENCE, ÉV. DE TAREES; VICART, ÉV. DE LAVAL; DE MORLHON,
ÉV. DU PUY; de GARSIGNIES, ÉV. DE SOISSONS; DE BONNECHOSE. ÉV. d'ÉVREUX; FOUL-
QUIER, ÉV. DE MENDE; PIE, ÉV. DE POITIERS; MABILLE.ÉV. DE ST-CLAUDE; DUPANLOUP,
ÉV. d'oRLÉANS ; DE DREUX-BRÉZÉ, ÉV. DE MOULINS; LYONNET, ÉV. DE ST-FLOUR ;
REGNAULT, ÉV . DE CHARTRES ; DANIEL, ÉV. DE COUTANCES; DE LA BOUILLEBIE, ÉV.
DE CARCASSONNE ; PLANTIER, ÉV. DE NÎMES; DELALLE, ÉV. DE RODEZ; JOURDAIN, ÉV.
d'aOSTE; VIBERT, ÉV. DE MAURIENNE; DELEBECQUE, ÉV. DE GAND : MALOU, ÉV. DE
BRUGES; DE MONTPELLIER, ÉV. DE LIÈGE: BOURGET, ÉV. DE MONTRÉAL, ETC., ETC.;
ô» LES SERMONS
DE MGR ROSSI, PRÉLAT DE LA MAISON DU SAINT-PÈRE ; Mil. ROBITAILLE, VIC. GÉN. d'ARRAS; BRUNET,
Vie. GÉ.N. DE limoges; LECOURTIER, CHANOINE ARCHIPRÈTRE DE NOTRE-DAME A PARIS; FAUDET, CURÉ
DE S. ROCH, IBID.; GAUDREAU, CURÉ DE S. EUSTACUE, IBID. ; PETIT, CURÉ A LA ROCHELLE ; DECHAMPS ,
SUPÉRIEUR DES PP. RÉDEMPTORISTES DE BRUXELLES; COQUEREAU, CHANOINE DE S. DENIS; GRIVEL, ID. ; LIABC'.t?,
CHAPELAIN DE l'EMPEREUR ; DASSANCE, CHANOINE DE RAYONNE; LALANNE, DIRECTEUR DU COLLÈGE STANISLAS;
MAUPIED, SUPÉRIEUR DE l'iNSTITUTION DE GOURIN ; CARBOY, PÈRE DE LA MISÉRICORDE; VIDAL, DU
CLERGÉ DE PARIS; BARTHÉLÉMY, ID. ; NOËL, ID.; CASSAN DE FLOYRAC, ID., CORBLET, DU CLERGÉ
d'AMIENS; CABANES, ID. DE TOULOUSE; BARTHE , ID. DE RODEZ, ETC.;
4» UN COURS DE PRONES
TIRÉS DES MEILLEURS PRONISTES ANCIENS ET BIODERNES,
5» UNE SÉRIE D'OUVRAGES SUR LES RÈGLES DE LA BONNE PRÉDICATION ;
{Ces prvnistes et ces maîtres de l'art seront nominativement énoncés sut les litres subséquents de cette collection)
PUBLIÉE
PAR M. L'ABBÉ MIGNE ,
ÉDITEUR DE L4 BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DU CLERGÉ ,
ou DES COURS COMPLETS SUR CHAQUE BRANCHE DE LA SCIENCE HBLIGIEUSK.
33 VOL. IN-4*. PRIX : 5 FR. le vol. pour le souscripteur a la SÉRIE entière; 6 FR. POUR LE SOUSCRIPTEUR
A TEL OU TEL ORATEUR EN PARTICULIER.
TOME SOIXANTE-HUITIÈME ©E LA PUBLICATION ENTIÈRE ET TOME PREMIER
DE LA SECONDE SÉRIE,
CONTENANT LES OEUVRES ORATOIRES COMPLÈTES DE DE MONTlS, MONMOREL, MAUREL,
J. LAMBERT ET RIBIER.
S'IMPRIME ET SE VEND CHEZ J.-P. MIGNE, EDITEUR,
AUX ATELIERS CATHOLIQUES, RUE D AMBOISE, AU PETIT-MONTROUGE,
BARRIÈRE d'enfer DE P4RI8.
jà,'-' — , -^ -^ '^
^ ^856 ^^
" Pour Monmorel, de .Monlisct J.Lambert, oubliés dansJa-We^ère série.
•> îtawa-^N
SOMMAIRE
DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE SOIXANTE-HUITIÈMS VOLUMci
DE LA PUBLICATION E.NTIÈRE,
ET TOME PREMIER DE LA SECONDE SÉRIE.
DE MONTIS.
Avis de l'éditeur et notice sur de Montis.
Discours de retraite pour les religieuses.
Analyse des Discours.
lAuiice sur Monmorel.
SeriEons.
TNotice swMaurel.
Retraite ecclésiastique.
Notice sur Ribier.
Sermons.
Conférences.
Discours de première communion.
"Notice sur Lambert.
Retraite ecclésiastique.
MONMOREL.
MAURKL.
RIBIER.
J. LAMBERT.
Col.
9
11
iill
kh'S
Ibid.
613
617
8V1
Ibid.
909
927
939
Ibid.
\JA
Iiiipiimerie MiGiMO, au Pelil Monlrouge.
AVIS DE L'EDITEUR.
Nous nous laisons un uevoir a e repro-
duire ici la Retraite de de Monlis, quoi-
qu'elle soit pL'u connue du publir et igno-
rée même de la plupart des bibliographes,
parce que peu d'orateurs ont traité les
grandes vérités de la foi sous le point de
vue de la vie religieuse, et parce que les
discours qui composent cette Uotraile sont
des modèles de simplicité, de logique, et
empreints de cet esprit évangéliquo qui
touclie le cœur en éclairant l'esprit- Oon
trouvera dans les discours de de Montis
non drs fleurs de rhétorique, mais, ce qui
est infiniment plus précieux, une connais-
sance parfaite du cœur huma.it), des détails
précieux pour un prédicateur de retraite.
Nous regrettons do ne pouvoir, selon
notre usage, faire connaître l'abbé de Mon-
tis par une courte notice historique. Nous
ignorons le lieu de sa naissance, à quel dio •
cèseil appartenait. Par le titre de ses Dis'
cours (le retraite nous apprenons qu'il était
docteur en théologie , censeur royal et
membre de l'académie dos belles-lettres de
la Rochelle. Ses discours sont dédiés aux.
dames religieuses de l'Annonciade céleste
de Saint-Denis, dont il était le supérieur
depuis longtemps, lorsqu'il les fit im[)ri-
mer. L'on ne connaît pas d'autres œuvres
de l'abbé de Montis. 11 paraît au'il est mort
vers la tin du xvm" siècle
ŒUVRES ORATOIRES
DE L'ABBÉ DE MONTIS
DISCOURS DE RETRAITE
POUR LES RELIGIEUSES.
ODVRÂGE DÉDIÉ AUX DAMES UELIGIEUSES DE l'aIVN'ONCIADE CÉLESTE DE S. -DENIS.
AUX RELIGIEUSES DE L'ANNONCIADE CELESTE DE SAINT-DENIS.
Mesaames ei très -chères filles en Noire-
Seigneur.
Appelé', il y u longtemps, par la divine
Providence, à la supériorité de votre mai-
son , je ne tardai pas à reconnaître que
vous aiitz conservé, dans son intégrité, l'es-
prit de votre saint institut. J'en bénis le Sei-
gneur et je sentis dès lors que je ne devais
rien négliger pour entretenir parmi vous
un bien si précieux, et malheureusement trop
rare de nos jours. Je résolus, à cet effet, de
vous donner une suite d'instructions, toutes
relatives aux principaux devoirs, aux obser-
vances les plus iinporlanlcs de l'état reli-
gieux. Le désir empressé que vous témoi-
gnâtes de les entendre, l attention avec la-
quelle vous avez toujonrs'paru les écouter,
les heureux fruits qu'elles ont produits par
la grâce du Seigneur, et dont j'ai été plus
d une fois témoin, ont constammcn' toutenu
OHATLLliS SACHES. LXVlll,
mon courage et abondamment récompensé mon
zèle. Ce sont ces mêmes instructions que je
vous présente aujourd'hui , sous la forme
d'une retraite. Jen'ai eu besoin, pour la
compléter, que d'y ajouter quelques discours
sur les grandes vérités de la religion, qui
doivent être l'objet de vos méditations, pen-
dant ers saints exercices. Si, en les pronon-
çant de vive voix, j'ai eu le bonheur de con-
tribuer à votre perfection, combien n'ai-je
pas lieu d'espérer qu'une lecture assidue et
réfléchie de ces instructions vous les rendra
encore plus utiles?
Il me reste à »/<e recommander, et plus ins-
tamment que jamais , à la ferveur de vos
prières. L'âge auquel je suis parvenu m'an-
nonce assez que je touche au terme de ma vie.
Demandez, pour moi, à voire céleste époux,
la grâce de terminer saintement des jours
que je n'aurais dii employer, qu'' au salut dis
û nés et à ma propre sanriificulion.
ORATEURS SACRES. L'ARBE DE MONTIS.
Je suis dans les sentiments d'estime, d'atta-
ihement et de vénération que vos vertus
n'ont inspirés,
Mesdames et 1res chères filles,
12
Votre très- humble et très affec-
tionné serviteur en Nutre-
Seigncur,
De Montis.
AVERTISSEMENT
Quoiquil existe déjà plusieurs .ivres ae
retraite, h l'usage des personnes reli-
gieuses, j'ai cru pouvoir encore leur offrir
l'elui-ci. Ceux qu'elles ont entre les mains
ne contiennent, [)Our la plupart, que de
courtes méditations, [)lus propres 5 toucher
le cœur qu'à éclairer l'esprit. J'ai tâché
de réunir ici ces deux avantages, parce que
l'un et l'autre m'ont paru également néces-
sa-jres. C'est dans celle vue que j'ai pris à
lâciie que chacun de ces discours fût comme
un petit traité, soit sur la vérité, soit sur
la vertu, ou sur l'observance qui en est
l'objet. Ainsi, au défaut do prédicateurs
qui'sont devenus plus rares que jamais, de
ceux du moins qui se soni appliqués à con-
naître parfiulement l'esprit et les devoirs de
la profession monastique, lorsque des reli-
gieuses voudront faire en commun les
exercices de la retraite qui est d'usage dans
la plus grande pariio des communautés,
l'une d'entre elles pourra lire, devant les
sœurs assemblées,' aux heures marquées
par la supérieure, les trois discours indi-
<jués, pour chaque jour de la retraite. Si
t.'iles veulent aussi aiéditer en commun
sur les discours qu'elles auront entendus,
la religieuse leur lira de même, à diverses
reprises, les analyses que j'ai placées à la
lin des volumes, et que j'ai réduites en
IJOints de méditations, avec le plus de pré-
cision et de clarté qu'il m'a été possible;
sinon, elles pourront, chacune en particu-
lier, faire celle méditation, le livre à la
main.
Puisse le Dieu de miséricorde répandre
sur la lecture de cet ouvrage ses plusabon-
•danies bénédictions I II m'est témoin qu'en
le composant je n'ai eu d'autre intention
que de conduire, autant qu'il serait en
moi, ses chastes épouses à la perfection à
laquelle elles se sont dévouées, en embras-
sant r^iat religieux.
Au reste, j'ai mis toute mon application
à garder un juste milieu entre l'excès de
l'indulgence et celui de la sévérité. C'est
pourquoi je me suis fait un devoir d'adop-
ler les principes, et de suivre les maximes
de saint François de Sales et de sainte Thé-
rèse. Personne n'ignore que l'un et l'autre
joignaient à l'esprit le plus solide, aux lu-
mières les plus sublimes, à la sainteté la
plus éminente, une parfaite connaissance
du cœurhuraain, et que dans leur conduite,
comme dans leurs écrits, ils ont toujours
paru avoir égard à ses faiblesses.
Malgré ces protestations que je crois de-
voir ot)'poser d'avance aux fausses imputa-
lions de mes ennemis (car qui n'en a pasi)
si quelques religieuses trt>uvaient trop aus-
tère la morale contenue dans ces discours,
je les conjure de réfléchir sur les engage-
ments solennels qu'elles ont contractés avec
Dieu, en se consacrant^ d'une manière si
particulière à son service; je les conjure
de se transporter en esprit au lit de la
mort, ou plutôt au tribunal de leur souve-
rain Juge, et de se demander à elles-mêmes
ce qu'elles voudraient avoirfait alors. C'est
le vrai moyen de juger de tout sans pré-
vention, sans illusion; c'est, de plus, un
puissant motif d'embrasser avec courage,
et de supporter avec persévérance, une vie
pénible et mortifiée, indispensable pour
tout chrétien, et plus encore' pour des per-
sonnes religieuses, pour des épouses de
Jésus crucifié.
Je les conjure enfin, surtout celles à qui
cet ouvrage aura pu être de quelque uti-
lité pour le bien de leur âme, de prier
souvent pour moi leur divin Epoux, afin,
comme le disait l'apôtre saint Paul (I Cor.,
!X, 27), qu'après avoir montré aux autres
la voie du salut et de la perfection, je n'aie
pas moiraême le malheur d'être du nombre
des réprouvés.
DISCOURS DE RETRAITE
POUR LES RELIGIEUSES
LA VEILLE DE LA RETRAlTti.
SUR LA RETRAITE.
Ecce nunc tempus acceplabile, ecce nunc dies salulls.
(Il Cor., VI, ,2.)
Voici maintennnl un tetnv$ favorable, voici des jours de
Notre Dieu, Mesdames, nous ayant tous
créés pour le servir, pour le glorifier par
nos œuvres et pour mériter par là ses ré-
compenses éternelles, tout le temps et tous
les jours qu'il nous accorde et que nous
avons à passer sur la terre, doivent donc
15
DISCOURS DE UETRAITE. - LA VEILLE DE LA RETRAITE.
PREMIERE PARTIE.
(4
ôire pour nous vérilablemonl un (omps ot
dos jours de salul; cependant, parmi ces
lours, il en est de plus convenables, de plus
|)ropres à travailler avec succès à celle
grande, à celte impcrlanle all'aiie de noire
salut éternel ; tels sont ceux que l'Eglise a
consacrés à honorer spécialement les mys-
tères de notre sainte relit^ion ou à célébrer
la mémoire des chrétiens qui , par l'éclat
et l'éminence de leur sainteté , ont mérité
d'être placés sur les autels : tels sont sur-
louîs, Mesdames, ces jours que vous vous
disposez à passer dans la solitude, dans la
retraite ; chaque année, l'on vous voit (ido-
les à renouveler ces sainls exercices; moins
occupées alors et plus retirées qu'en tout
autre temps, vous paraissez uuifjuement
livrées h la médi talion des vérités les plus
importantes de la religion; dégagées de
tout autre affaire, vous paraissez ne vous
occuper alors que de la grande affaire, et à
parler proprement, de l'unique affaire qui
doive occuper sur la terre une âme chré-
tienne , l'affaire de votre sanctificalion.
Hélas! Mesdames, une seule de ces retrai-
tes pourrait vous l'aire des saintes, et a lait
bien des sainls et bien des saintes en effet;
combien cependant qui en sortent toujours
comme elles y sont entrées, ou qui conser-
vent, pendant bien peu de temps, lus
sentiments de ferveur et les projets de
réforme, de perfection qu'elles y avaient
conçus 1 Pourquoi des exercices, siavanta-
^eus. en eux-mêmes, le sont-ils si peu, à
grand nombre de personnes religieuses ?
Ah! pour les unes, c'est, avant de s'y li-
vrer, défaut dans les motifs; pour d'autres,
c'est, en s'y livrant, défaut dans les dispo-
sitions; je veux dire qu'il en est qui entrent
en retraite, plutôt par coutume ou par res-
pect humain peut-être, que par un vrai dé-
sir de s'v sanctifier; qu'il en est d'autres
qui, conduites à la retraite, par un motif
chrétien et religieux, ne s'y comporlent pas
de façon à en tirer un grand l'ruit.
Or j'entreprends ici , Mesdames, de rec-
tifier sur cela et de rendre pures et saintes
tout à la fois vos intentions et vos disposi-
tions ; pour cela je dis, en premier lieu, que
le temps de la retraite est un temps des
plus favorables pour traiter de l'allaire de
votre salul: Ecce nunc tempus acceplabite ;
vous devez donc y entrer avec la [dus gran-
de.pureté d'intention; j'ajoute, en second
lieu, que ces jours consacrés à la retraite
sont les jours les plus propres à assurer
l'affaire de votre salut: Ecce nunc (lies sa-
lutis ; vous devez donc les em[)loyer à celle
noble fin.
En deux mots, les rnolifs puissants qui
doivent vous engnger à faire la retraite:
ce sera le sujet de la première partie
de ce discours ; les dispositions saintes
dans lesquelles vous devez faire la re-
traite : ce sera le sujet de la seconde partie.
Honorez-moi, s'il vous plaît, de toute vo-
tre alteulion.ylic, iJiaria.
Pour vous faire sentir ici, Mesdames,
combien il est important ?i tout chrétien ,
dans quelque situation qu'il puisse être, do
se retirer quelques jours dans la solitude,
pour s'occu|)er sérieusement et uniquement
de l'affaire de son salut, et combien par
conséquent il vous, est important à vous-
mônios de vous y livrer, jo pourrais vous
faire remarquer que noire Dieu Sauveur,
qui est noire chef et qui doit ôlre notre
modèle à tous, nous a donné cet exemj)le ;
(]ue pendant les Irois années où il s'est
montré aux hommes, pour opérer le grand
ouvrage de notre rédnm[)lion, et où il était
occupé à annoncer le royaume de son Père
éternel, il se retirait do temps en temps,
dans le désert, pour s'y livrer uniquement à
la[)rière, et qu'il passait quelquefois les nuits
entières dans ce saint exercice : Eratperno-
ctans in oralione. {Luc. ,Yl, 12.) Je pourrais
vous dire, de plus, que ce qu'a fait lui-môme
ce Dieu Sauveur, il a voulu que ses apôtres
et ses disci[)les le tissent comme lui et avec
lui; que, quoiqu'ils ne fussent occupés qu'à
le faire connaître pour le Messie, qu'à prê-
cher aux Juifs la doctrine salutaire qu'ils
entendaient de sa propre bouche, et qu'à
les porter à se sanctifier en leur apprenant
à y conformer leur conduite, cependant ce
divin Maîlre leur faisait quelquefois inter-
rompre leurs travaux apostoliques, et les
invitait à venir dans la solitude, pour s'y dé-
lasser un peu, pour y goûter plus à loisir
les charmes de ses entretiens tout divins,
etjpour se mettre par là en état de travail-
ler avec plus de succès à la gloire de Dieu
son Père, en travaillant avec plus d'ardeur
ou salut des âmes et à leur propre salul:
Ycnile in dcscrtuin locum et reauiescite pu-
sillum. {Marc, VJ,31.)
Mais pour vous rendre celte vérité plus
sensible, et pour vous faire connaître, plus
clairement encore, les grands avantages
que procure, dans l'ordre du salut, une re-
traite bien faite, je dis de plus, qu'elle est
utile, nécessaire même à la religieuse, dans
quelqu'état que puisse être son âme ; en
clfet , Mesdames, ou elle a le malheur, celte
âme, d'êlre dans le péché et dans la disgrâce
du Seigneur, ou elle est heureusement
dans sa grâce et dans son amitié: or je dis
que, dans lequel de ces deux états qu'elle
se trouve, la relraile lui est nécessaire;
suivez-moi, s'il vous plaît, et vous en con-
viendrez aisément avec moi.
I. Je dis, en [)remier lieu, que la retraite
est nécessaire, surtout à une âme qui est
dans l'état du péché. Hélas I Mesdames,
vous le savez, cent fois vous l'avez entendu
dire, qu'il n'y a plus ni loi , ni religion , m
f)iélé dans le monde, qu'on n'y voit que
scandale ; que le vice et le libertniage sem-
blent y dominer de ton le part, qu'il n'est
plus d'étal, de condition dans le siècle, qui
ne s'en trouve infecté; que la vertu y est
méprisée, raillée, persécutée même quel-
quefois, qu'il n'y a plus qu'un très-petit
ORATEIHS SACRES. L'ABDE DE MONTIS.
16
nombre do chrétiens qui aient le courage
(le tenir contre la coutume et d'ficeomidir
nuv-ertemenl les engagements de leur bap-
vônic, qui, bien loin de rougir, comme tous
les autres, de Jésus-Clirist et de son Evan-
gile, osent y conformer leur conduite ; que
le Seigneur se les conserve, au milieu d'un
monde aussi corrompu, pour juger et pour
condamner, au jour de ses vengeances, ce
grand nombre, ce nombre prodigieux de
chrétiens prévaricateurs, qui, non contents
de transgresser sa sainte loi, travaillent
par leurs discours, parleurs railleries, par
leurs sollicitations, par leurs mauvais exem-
ples, et quelques-uns même, par leurs in-
tûmes écrits, à la faire mépriser et trans-
gresser par les autres; voilà ce (|ue vous
avez entendu dire, et l'on vous a dit vrai;
■bien loin d'exagérer, je [)uis vous l'assurer
ici, il s'en faut bien qu'on vous ait peint le
inonde tel qu'il est, et qu'on vous ait donné
une parfaite idée de toute sa perversité;
cent l'ois on en a gémi devant vous, et cent
iois vous en avez gémi vous-mêmes.
Or quelle peut être la cause de cette cor-
ruption si étendue, et qui gagne insensible-
ment tous les t'talsdans le monde? La cause,
-ah 1 Mesdames, ce n'est point moi qui vous la
découvrirai, c'est le Saint-Esorit lui-même
par I3 bouched'un prophète, c'esi que le njoii-
jene réfléchilpointsur loutcequi a rapporta
])ieuetau salut : Noneslguirecogilet incorde.
{Isa., LVII, 1.) Oui, si le désordre est général
dans le monde, et si général qu'il n'est plus
personne ou presque personne qui fasse le
bien : iVon est qui facial bonum , non est
iisque ad uniim [PsaL, LU 4.}, c'est que
personne ne porte ses iiées'sur les vé-
l'ités de la religion; c'est que bien loin de
réfléchir sur ces grandes et importantes vé-
rités, on craint même d'y penser, on évite
tout ce qui pourrait y faire penser; c'est
que, si elles viennent quelquefois se pré-
senter, comme naturellement à l'esprit, on
n'omet rien pour se distraire ; on les éloi-
gne avec soin, comme des vérités toujours
tristes, accablantes pour une âme livrée au
péché et attachéeau péché, jusqu'à ne vou-
loir pas le quitter.
Mais pour vous mieux faire sentir, Mes-
dames, cette vérité, pour vous prouver plus
clairement encore que c'est le défaut de
léHexion, que c'est une dissipation conti-
nuelle de l'esprit, qui cause et qui entre-
tient dans une âme l'éloigncment de son
Dieu et l'oubli de son salut; je dois descen-
dre ici du général au particulier, etdu milieu
du monde passer avec vous dans l'inté-
rieur du cloître; pourquoi y voit-on quel-
quefois la même dissipation, la même in-
dévotion, les mêmes dérèglements peut-être
que dans le monde ? Voyez cette religieuse
aujourd'hui la croix de ses supérieurs et
le scandale de ses sœurs ; quel prodigieux
changement dans elle 1 Après avoir montré
le plus grand empressement pour renoncer
au monde et [)Our seconsacrer à son Dieu;
après avoir surmonté avec un courage
qu'on ne pouvait assez admirer, tous les
obstacles qui s'opposaient à l'exéi-ution de
ses desseins, on la vil coujmencer à pour-
suivre sa carrière de préparalion et d'é-
preuve, avec une exactitude et une fidélité
qui ne permit pas de do^uier que le Sei-
gneur ne l'appelât en effet au saint état
de la religion ; cette ferveur qui l'avait
animée, pour se disposer à ses engagements
solennels, une fois formés ces engagements,
elle la fil paraître encore ; rien de plus
régulier, dans les commencements de sa
vie religieuse ; prières , lectures , médi-
tations , confessions et communions Iré-
quenles ; mortification des sens, assiduité
à tous les exercices ; pratique exacte de
toutes ses observances, humilité sincèr^',
déiachement entier des créa'lures et d'elle-
même ; obéissance aveugle aux ordres de
ses supérieurs, charité universelle envers
ses sœurs, sui)port de leurs défauts, courage
et patience à souffrir toutce qui pouvait la
contrarier, la mortifier; rien en un molde plus
leligieux etde plus édifiantque sa conduite,
dans ces premiers temps; je dis, dans ces
premiers temps ; car, hélas 1 que ces beaux
jours durèrent peu 1 Quelle opposition
entre sa; conduite passée et sa conduite
actuelle 1 Quelle diûerence entre ce quelle
était alors et ce qu'elle est aujourdhui I A
peine pourrait-on croire que c'est la même
personne : amour d'elle-même, recherche
excessive de ses commodités ; nulle défé-
rence, nulle soumission pour ses supé-
rieurs ; nul égard, nulle cliarilé [lour ses
sœurs, nulle assiduité h ses exercices, à
ses observances, dont elle ne parle plus
qu'avec mépris, et jusqu'à railler celles
qui s'y montrent exactes et régulières, ou
qui osent lui donner de sages avis ; car
voilà ce qu'il y a de plus déplorable, c'est
que son cœur déréglé a malheureusement
perverti son es{)rit ; non-seulement elle ne
se conduit plus en religieuse, mais elle ne
pense presque plus en chrétienne ; aux
mauvais exemples qu'elle donne à ses sœurs,
peut-être va-t-elle jusqu'à leur débiter
des principes et des maximes propres à
les pervertir, ou à les convaincre du moins
du peu de cas qu'elle fait de la religion,
des pratiques et des devoirs qui y sont atta-
chés : telle est sa conduite, conduite toute
sensuelle, toute dissi[)ée , toute scanda-
leuse; voilà. Mesdames, ce que l'on voit
assez souvent, et aujourd'hui i)lus que ja-
mais, dans la religion, et si à ce poitiaiL
vous ne reconnaissez aucune de vous, ren-
dez-en grâces au Seigneur, mais vous n'eu
devez veiller qu'avec plus d'attention sur
vous-mêmes. Or qui a pu causer un si pro-
digieux cliaijgement dans cette épouse de
Jésus-Christ, et aujourd'hui si indigne de
cet honorable titre? Ahl Mesdames, si elle
était de bonne foi, ou si jamais elle rentre
en elle-même, elle avouera que c'est le
défaut de réflexion qui a commencé son dé-
sordre et son malheur; que tant qu'elle a
été assidue à méditer les grandes eiimjior-
tantes vérités de la religion, elle s'est sou-
tenue dans sa ferveur, dans sa régularité:
17
DISCOURS DE RETRAlTi;. — lA MALLE DE LA RETRAITE.
18
plié avouera quo ses infidélités ont com-
mencé lorsqu'elle a commencé à se dégoû-
ter du saint exercice de l'oraison et à l'aban-
donner; que r'est ce qui l'a jetée dans une
dissipation d'esprit qui lui a fait perdre de
vue et la sainteté de son élat et les grandes
obligations qu'il impose, etqiie cettedissipa-
tiondevenuebirnlùt liabiluelie l'a précipitée
cnlin dans un abîme allVeux de péchésetdo
|irévaricalions; voil^ ce qu'elle pourrai! dire
avec vérité : ce n'est pas que dans les com-
mencements surtout (ju'flle s'éloigna de ^on
Dieu, sa conscience ne s'élevât quelquefois
contre; elle et ne lui reprocli.U son' chan-
gement do dispositions et de conduite:
heureuse alors si, profilant de ces remords
qui étaient autant de grâces qu'elle rece-
vait encore, elle fût renirée en elle-môuie ;
revenue h elle, elle serait bientôt revenue
à son Dieu : mais qu'arrivait-il ? C'est qu'au
lieu d'écouter ces reproches intérieurs et
d'en prolitor, voulant rester dans son étal
d'intîdélité, elle les rejetait comme des pen-
sées tristes et importunes elle évitait avec
soin tout ce qui pouvait les faire naître ;
elle cherchait par sa dissipation continuelle
à s'étourdir sur son état ; c'est donc toujours,
comme vous le voyez, .Mesdames, le défaut
de réflexion qui plonge et qui entretient
une âme dans l'état du péché, dans l'éloi-
gnement de Dieu.
Or le propre de la retraite, de la soli-
tude, c'est de produire un effet tout opposé,
dans une personne et une personne reli-
gieuse surtout qui s'est malheureusement
éloignée du Seigneur. Que de solides, que
d'utiles rétlexioMS lui viennent alors à l'es-
prit! Que d»! vérités saintes se (iréseutent à
elle, et qui, lui faisani|connaître ses devoirs
et comme chrétienne et comme religieuse,
la forcent, [lour ainsi dire, do retournera son
Dieu; elle reconnaît alors, cette religieuse,
elle sent que faite pour le ciel, comme chré-
tienne, que destinée à une place élevée dans
le ciel comme épouse de Jésus-Christ, elle
n'a tlû rien négliger [)Our s'assurer cette fé-
licité éternelle ; elle voit dès lors le dépouil-
lement total où la mort la réduira, et bien-
tôt peut-être le compte exact et rigoureux,
qu'au sortir de ce monde elle rendra à sou
Sauveuret son époux, devenu alors son Juge
souverain ; elle voit les bienfaits généraux
et particuliers qu'elle a reçus de lui, ce bien-
fait privilégié surtout de'sâ vocation à l'état
religieux, ces grâces singulières et sans nom-
bre qu'il lui a faites, en conséquence de sa
vocation ; elle voit et reconnaît clairement
alors, cette religieuse , la nature du péché,
son opposition avec Dieu; combien il est
funeste à l'âme qui s'y livre; elle voit clai-
rement combien il lui a été funeste à elle-
môme ; que ce n'est que pour n'avoir point
assez connu ni craint assez les fautes légères,
qu'elle est ton;bée dans des fautes grièves,
Uaiis celles qui ionnent la mort à l'âme; en
ujéiJilant sur la vengeance terrible que Dieu
tire du yéché dans l'enler , sur l'état déplo-
rable d une âme, cl d'une âme religieuse,
qui destinée h jouir éternellcnient de sou
Dieu dans le ciel, s'en trouve, par sa faute,
privée pour toujours, et condamnée avec les
démons et les réprouvés à des tourments
alfreux et éternels; en méditant sérieusement
sur la beauté de la vertu , sur la paix el les
consolations qu'elhi procure, dès cette vie,
dans une âme qui la |)rati(iue et qui se rend
fidèle [à tous ses devoirs ; en méditant ces
grandes et im|)orlantes vérités, et qui l'occu-
pent entièrement, dans la retraite ; cette per-
sonne religieuse, s.ris cesse alors vis-à-vis
son Dieu et vis-îi-vis olle-môme, ne pouvant
plus se cacher, se dissimuler, comme autre-
fois, son mauvais état, toutes les fautes dont
elle s'est rendue coui>able envers son céleste
époux, peut-elle ne pas se sentir pénétrée
tout à la fois de crainte, de douleur pour le
passé, de désirs et de bons propos pour l'ave-
nir? Oui, celtesuite, cet enchaînement de
vérités, après l'avoircoRvaincue.la touche, la
ca[)tive, la force, pour ainsi dire, de retour-
ner à son Dieu; sa foi qui avait été cotnmn
éteinte, par ses longues habitudes dans lo
péché, se rallume dans elle alors et lui fait
juger de tout, selon les principes de l'Evan-
gile ; elle l'excite à une sainte componclion,
à un repentir sincère ; do iè, ces résolutions,
ces promesses réitérées 5 son Dieu, de ré-
parer le passé et de le servir désormais avec
une constante fidélité ; de là surtout ce désir
ardent, ce vif empressement à purifier son
âme, dans lo sacrement de pénitence, à ob-
tenir le pardon et recouvrer l'amitié de soa
Dieu, ce qui a fait dire à saint Basile quo
la solitude est la mort de tous les vices : So-
Utudo, mors viliorum. Ah 1 Mesdames, quo
de saints et de saintes, aujourd'hui dans la
ciel, et que de justes encore sur la terre,
d'oivent à ces saints exercices leur retour
au Seigneur, et plusieurs leur renoncement
total au monde ; ils chantent et chanteront à
jamais les miséricordes infinies do leur Dieu,
qui, par là, les a tirés de la voie de perdi-
tion dans laquelle ils étaient malheureuse-
ment engagés.
11. Mais ce n'est pas seulement aux pé-
cheurs, aux âmes livrées aux habitudes du
vice, que la retraite est avantageuse et né-
cessaire môme, elle l'est également.aux jus-
tes, aux âmes qui sont dans la grâce et dans
l'amitié de Dieu. Hélas 1 qui peut avoirdaiis
celte vie l'assurance qu'il est véritablement
l'ami de son Dieu? Qui pourrait dire qu'il
n'a rien dans son cœur qui lui déplaise? Non,
personne, aiômedans les états les |)1 us saints,
ne peut l'avoir, cette assurance : Personne, dit
\eSa\n[-Espr\[,ne peut savoir s'il est digne d'a-
mour ou de haine. [Eccle., IX, i).Mii\s enfin, jo
veux qu'une jiersonne religieuse n'ait, parla.
grâceiduSeigneur.'rien de grief, de criminel a
se reprocher, qu'elle soil véritablement juste
aux yeux de Dieu,, je dis que la retraite lui
est toujours nécessaire pour porsévérerdans
cet heureux état, et pour avancer même,
comme elle le doit, dans la voie de la per-
fection et de la saiiitolé.
En elfet. Mesdames, quoiijuc juste aux
yeus de Dicu,el la grâce sanctifiante dans le
cœur, une épouse de Jésus-Christ a lou.-
19
RATEURS SACRES. L'ÀRBE DE MOiNTIS,
20
)Ours, comme fille d'Adam, des déTauls h
corriger, de mauvais penchants h détruiro,
des passions h comballre, des pr^^jugés à
dissiper, des illusions h se préserver; elle
a des langueurs, des ennuis, des dégoûts à
surmonter, un état de tiédeur à se garan-
tir; elle a des confessions et des commu-
nions imparfaites, infructueuses, à réjjarer;
elle a sans cesse des dangers à éviter, (ies
assauts à rep/ousser, elle a tous les enne-
mis de son salut ih comballre. Tel est le
sort de tout chrétien sur la terre, et par
conséquent celui de la personne religieuse,
d'être sans cesse exposé <i di'S tenlalions,
à des comljals; d'éprouver sans cesse des
misères, des faiblesses et de toute espèce:
or quel moyen de se guérirde ces faiblesses,
de ces misères ; de se soutenir au milieu ile
tant de dangers, de vaincre tant d'ennemis,
d'éviter autant d'écueils? Ahl Mesdames,
entre plusieurs que la religion nous oUVe,
j'ose dire qu'un des plus elhcaces, et le plus
efficace peut-être, c'est la retraite, la soli-
tude; c'est là, en effet, qu'une âme reli-
gieuse livrée toute à elle-même, éclairée
des vives lumières de la foi, découvre tout
ce qu'd y a dans elle de répréhensible,
tout ce qui peut dé[)laire à son Dieu et
nuire à sa perfection ; que de mauvais pen-
chants , que d'inclinations vicieuses, que
de passions naissantes elle aperçoit, en ré-
lléchissant ainsi sérieusement sur elle-
même, qu'elle n'avait point encore décou-
verts, qu'elle est étonnée d'avoir, et qu'elle
aurait peut-être Rassuré de n'avoir pas !
tille ne peut voir sans étonnement et sans
iiûuleur, qu'avec tant de grâces et de grâces
privilégiées qu'elle a reçues de son Dieu,
elle soit si imparfaite, si tiède, si lâche à
son service.
Ce que je dis ici des faiblesses, des mau-
vais penchants de la religieuse, dans l'état
de grâce, je le dis également des fautes de
toute espèce dont elle s'est rendue cou-
pable, et qui se retracent alors dans sa mé-
moire; en méditant attentivement sur les
engagements sucrés qu'elle a conlraclés avec
son Dieu et par les vœux du baptême et f)ar
ceux de la religion, en conidérant les
différents devoirs attachés à ces engage-
aienis, elle aperçoit une intinilé de man-
quements, de transgressions, de fautes en un
mot qui sortaient de sa mémoire, à mesure
qu'elle les commettait, parce qu'elle les re-
(jardait trop comme des fautes légères et de
jteu de conséquence, mais dont elle juge
bien autremetit dans une retraite; elle voit
clairement alors l'outrage que le plus petit
péché, que la faute la plus légère fait à son
Dieu, à son céleste ép(iux, auquel elle doit
toute son ailenlion, tout son amour : elle
connaît alors le danger auquel elle s'est
exposée, en se livrant à ces fautes légères,
de tomber dans des fautes grièves ; elle voit
(ju'une faute, quelque légère qu'elle puisse
être, refroidit toujours le cœur de Dieu à
son égard, et la prive, par conséquent, d'une
inlinilé de grâces desquelles il favorise
{lour l'ordinaire les âmes (jui lui 6onl fi-
dèles, et qui redoutent de lui dé[)laire.
Mais ce ne serait point assez à cette per-
sonne religieuse de connaître ses fautes et
ses faiblesses ; se borner là, ce serait ne rien
faire d'utile à sa perfection; l'essentiel, à la
vue de ses imj)erfections, c'est de désirer de
s'en puritier, et d'y travailler en effet : or
voilà, Mesdames, un autre avantage que
procure la retraite, c'est d'échauffer le cœur,
de l'enflammer du divin amour, d'exciler
dans ce cœur des désirs ardents et efficaces
de travailler plus sérieusement que par le
f)assé à plaire à Dieu et à se sanctifier;
de là en effet cet éloignement , cette sainte
horreur que l'âme conçoit non-seulement
du péché grief qui lui donne la mort, mais
de plus, du péché véniel, des fautes les |)lus
légères, de tout ce qui peut la rer.dre désa-
gréable à son céleste éjjoux; de là ces vifs
regrets sur tant d'années peut-être passées
dans le relâchement, dans la tiédeur; de là
ces révolutions,' ces promesses réitérées b
son Dieu, de ré|)arer promptement le passé,
de prendre au plutôt les moyens les plus
propres à se tenir dans la régularité, dans
la ferveur, à lui montrer désormais un zèle
actif et constant pour sa perfection.
Et de là conséquemment la paix de l'âme ,
celte heureuse et sainte tranquillité, ces
consolations solides et intérieures, que ne
manquent jamais de produire ces bons sen-
timents, ces dis[)ositions saintes; autre
avantage que produit la retraite : comme
une personne religieuse, livrée à la dissipa^
tion, peu attentive à éviter les fautes, à cor-
respondre aux grâces et aux desseins de son
Dieu, est souvent troublée, agitée par de
vifs remords, qu'elle est mécontente d'elle-
même, |)arce qu'elle ne peut se dissimuler
que son Dieu n'est pas content; aussi dès
qu'elle revient sincèrement à lui, et qu'elle
s'est remise dans l'ordre, dans la régularité,
dans la ferveur, elle voit bientôt ses trou-
bles, ses remords se dissiper; elle sent
naître dans son cœur un heureux calme,
cette paix Intérieure, le plus grand bien,
l'unique bien même réel et solide qu'elle
puisse se procurer en celte vie; car voilà.
Mesdames, jusqu'où vont les bontés de notre
Dieu pour nous : avec les hommes, les dé-
sirs, les résolutions, les promesses ne suf-
fisent pas pour lès satisfaire; il faut y
joindre l'action, les effets : mais avec notre
Dieu, dès .que nous lui témoignons un désir
véritable d'être à lui, de le servir fidèle-
ment; dès que nous lui promettons bien
sincèrement de rendre, avec sa sainte grâce,
efiicaces les résolutions que nous prenons
et les promesses que nous lui donnons de
lui être fidèles à l'avenir, dès lors ce Dieu
de toute bonté se retourne vers nous : il
paraît oublier toutes nos infidélités, et par
un. calme intérieur, par des consolations
solides, il nous fait sentir, et tellement
sentir les effets de sa sainte présence au fond
de noire cœur, que nous serions tentés do
nous écrier dans q,uelques moments, avec
le Roi-Pi ophète : Oh ! que Dieu est bon à
ceux qui ont le cœur droit ( Psal,
21
DISCOURS DE RETRAITE.
LA VEILLE DE LA RETRAITE.
32
LXXll, 1) el qui sont sincèrement à lui 1
Tels sont, Mesdames, les grands avan-
tages que reçoit une âme qui se relire
quelques jours dans la solitude pour s'y
entretenir avec son Dieu et avec elle-même;
soit qu'elle y entre dans l'état du péclié et
dans la disgrâce de Dieu, soit qu'olie ne se
trouve [loinl dans un aussi funeste état, elle
y trouve les secours les plus propres à tra-
vailler avec succès à limportanto affaire
de son salut; mais prenez garde, s'il vous
plaît, que ce n'est point h toute retraite en
général que sont attachés ces grands avan-
tages, mais à une bonne retraite, à une re-
traite faite avec de saintes dispositions;
iiinsi après vous avoir prouvé que la re-
traite vous est utile, nécessaire môme,
<lans quelque état que puisse êtrt! votre
Ame, je dois vous faire connaître les dispo-
sitions dans lesquelles vous devez vous
mettre, pour la faire avec fruit; c'est le su-
jet de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Ce n'est point précisément de faire, mais
de bien faire, qui nous justifie, et qui nous
rend agréables au Seigneur. Hélas ! coni-
fiien sont sur cela dans l'illusiop, dans une
fausse sécurité I Lorsque ce Dieu Sauveur
viendra juger jusqu'à nos justices, combien
qui s'étaient crus riches en grâces et en
bonnes œuvres se trouveront les mains
vides alors et sans de vrais mérites, pour
avoir agi dans des dispositions condamnables
à ses yeux I Pour appliquer cette réflexion
à la vérité que je traite ici, combien de re-
ligieuses, qui, dans le cours d'une longue
vie, répèieni, chaque année, les exercices
de la retraite, sans en retirer aucun fruit,
et qui, bien loin de s'y sanctifier, en sor-
tent toujours les mêmes, toujours aussi
ti<^des, aussi imparfaites, pour ne s'être ja-
mais mises dans des dispositions d'esprit
et de '.œur propres à profiter des grandes
grâces attachées à ces saints exercices!
Puisque le Seigneur permet. Mesdames,
que vous vous y livriez, et qu'il vous fait
cette grâce qu'il n'a point faite à une infi-
nité d'autres, quoique dans le même état
et dans la môme situation que vous ; grâce
3u"il vous fait à quelques-unes, pour la
ernière fois peut-être, vous comprenez
combien il est imporiant pour vous de ne
rien négliger pour en bien profiler, et de
vous mettre pour cela dans des disposi-
tions convenables et telles que Dieu les
exige pour opérer son œuvre en vous; or
ces dispositions, j'en vois de deux sortes:
il en est que j'appelle intérieures, parce
qu'elles doivent aflecter le fond de votre
âme: il en est d'autres que je nomme exté-
rieures, parce qu'elles doivent se manifes-
ter au dehors; je vais vous entretenir des
unes et des autres, de fa(;on cependant à
ne vous causer aucun ennui; encore quel-
ques njoments de votre allenliou, je vous
prie.
I. Je dis donc, Mesdames, que la pre-
mière disposition intérieure, nécessaire
pour faire une bonne retraite, c'est d'avoir
un désir bien sincère d'en profiter; or vous
l'aurez, ce bon désir, si vous faites de la re-
traite tout lo cas que vous devez en faire,
si vous la regardez comme un temps pré-
cieux, comme un moyen efficace que Dieu
vous otTre pour vous attacher plus étroi-
tement à lui, pour travailler elTicacemenl
à l'importante affaire de votre salut. Tout
ce que je viens de vous dire de l'excellence
de ces exercices et des grands avantages
qu'ils procurent, est bien propre à exciter
ce sentiment dans votre cœur; mais vous
l'aurez surtout, ce bon désir, si vous n'avez
qu'une intention droite, qu'un motif bien
pur, en entrant dans la solitude: car si
malheureusement vous n'aviez d'autre vue
que le respect humain, que de sauver les
apparences, que de ne pas paraître singu-
lières el de vouloir faire comme les autres,.
[)eut-ôtre aussi que de vous procurer quel-
ques jours de repos, qui vous délassent de
la peine que vous trouvez à remplir les de-
voirs de votre état, de votre emploi, ou
même à vivre et à converser avec les au-
tres; car jusqu'où ne porte pas l'amour do
soi-même, lorsqu'on l'écoute ? ahl Mes-
dames, que vous seriez à plaindre alors I
et une retraite entreprise avec de pareilles
dispositions nuirait sûrement beaucoup
plus à votre âme qu'elle ne lui serait utile.
Il est donc bien important de n'avoir, en
entrant en retraite, que des vues droites
pures, désintéressées, vraiment chrétiennes,
qui n'aient que Dieu el votre salut pour
objet, c'est-à-dire, que vous ne devez vous
livrer à ces saints exercices que pour bien
purifier votre conscience ; el pour cela, avoir
dessein de sonder dans le secret de la soli-
tude votre pro[ire cœur, de voir s'il n'y a
point dans ce cœur quelque attachement,
quelques dispositions, quelques défauts
qui déplaisent à votre céleste Epoux, et
qui arrêtent, à votre égard, le cours de ses
grâces; vous devez avoir l'intention de
chercher avec empressement les moyens
les plus propres à vous préserver du |)éclié
à l'avenir, et à expier ceux que vous avez
commis, d'acquérir les vertus qui vous
manquent; cette humilité surtout, ce dé-
tachement des créaluies et de vous-mêmes ;
celte haine du monde, de ses faux biens, de
ses maximes corromi)ues, cet amour do
Dieu et du prochain, ce zèle pour votre
sanctification ; vertus sans lesquelles vous
n'êtes, aux yeux de Dieu, chrétiennes et
religieuses que de nom. Vous devez en un
mot chercher dans la retraite les moyens
les plus propres à servir parfaitement voira
Dieu, à lui plaire en tout, dans votre saint
étal, à tendre à la sainteté, par les voies et
selon les desseins qu'il a sur vous; voilà
les inlenlions saintes avec lesquelles vous
devez entrer en retraite ; telle est la fin que
vous devez vous proposer et (|ui doit vous
pénétrer d'un vrai désir do la l'aire el de la
bien faire.
Mais une autre disposition encore biou
essenlielle pour en profiler, c'est d'y ;ii>-
23
ORATEURS SACRES. LABBE DE MONTIS.
24
porter une grande docilité de cœur, qui vous
rende attentives aux inspirations de la
grâce et promptes à| vous y conformer ; et
voilà cependant, Mesdames, je dois vous le
(lire ici, ce qui, dans plusieurs, empêche le
l'ruit de la retraite ; on n'y vient point, h la
vérité, avec des motifs évidemment mau-
vais; non, on a môme, en y entrant, une
vue générale de profiler, pour son salut et
.'^a perfection, des lectures et des médita-
lions qu'on doit y faire, dos instructions
«lu'on doit y entendre, des avis, des con-
seils qu'on doit y recevoir ; mais on n'a celle
vue, ce projet, que jusqu'à un certain point ;
on le borne, on le limite dans son esj)rit,
et encore plus dans son cœur; c'est-à-dire
qu'on entre en retraite avec un dessein
tout formé de ne pas se prêter à toute ins-
piration de la grâce, qui irait à exiger cer-
tains détachements, certains sacrifices qu'on
ne veut pas faire, à demander une plus
grande Iperfection que celle à laquelle on
s'est borné ; on s'est fait, sur cela, un plan,
un système dont on est bien résolu de ne
pas s'écarter. Ahl fasse le ciel, Mesdames,
qu'aucune devons ne soit dans de pareilles
dispositions, il n'en serait point de plus
propres à refroidir le cœur de Dieu à votre
égard, à l'éloigner de vous et à vous priver
de ces grâces singulières de prédilection
qu'il vous réserve dans le trésor de ses
miséricordes, et à vous faire sortir de la
retraite, je ne dirai pas seulement plus im-
l)arfaites et plus désagréables à ses yeux,
<iue vous n'y seriez entrées, mais de plus,
h vous faire manquer votre salut!
Ce qui est donc bien essentiel, [)Our tirer les
plus grands fruits de vos exercices spirituels,
c'est démontrera votre Dieu un cœur droit et
docile à toutes ses volontés; vous devez lui
dire souvent pendant votre retraite, commele
jeune Samuel {l Reg.,\U, iO) :Me voici. Sei-
gneur, parce vous m'avez appelée ; c'est
pour me faire entendre votre voix, et me
signitier, d'une façon plus claire, toutes vos
volontés sur moi, que vous m'avez fait en-
trer dans l'intérieur de la solitude ; hélas !
vous m'avez déjà parlé tant de fois, et en
tant de manières, sans que j'aie paru vous
entendre ; ne permettez pas, ô mon Dieu ,
queje fasse [)lus longtemps la sourde oreille,
et que je résiste encore aux inspirations de
votre grâce; parlez donc , Seigneur, votre
servante écoute; elle est disposée à tout ce
que vous voudrez bien lui ordonner pour
votre gloire et pour sa |)erlection ; oui ,
(pielque chose que vous exigiez de moi, mon
cœur est prêt, ô mon Dieu, et prêta loaliPara-
tuni cormeum [Psal, CVII, 2) ; fallût-il vous
l'aire les plus grands saciilices, et renouveler
tous ceux que je vous ai déjà faits, j'espère,
j'ai môme la plus grande confiance que, sou-
tenue de votre grâce, rien ne me coûtera.
Et voilà, Mesdames, la troisième dispo^
sition nécessaire j»our bien profiler de la
retraite, c'est de montrer un grand courage,
c'est d'avoir un cœur fort et généreux, dis-
posé à ne rien négliger pour-^ assurer votre^
fvilut, et à tout enii:ej)rj,'ndre de ce que vous
croirez que Dieu demande de vous, pour
votre perfection et pour lui plaire. Hé ! sans
cela, à quoi servirait de se condamner, pen-
dant quelques jours, au silence, à Ja soli-
tude? Disons, disons plutôt que si vous
manquez de ce courage, pour exécuter ce
que sa grâce vous inspirera, il n'y aurait en
vous ni un vrai désir,' ni une sincère doci-
lité; or ce courage dont il s'agit, doit ôlre
d'autant plus grand que l'ouvrage que vous
voulez entreprendre présente plus d'obsia-
cles et de diflicullés ; car je ne dois pas vous
le dissimuler ici, Mesdames, si l'ouvrage
de voire sanctification de laquelle vous allez
vous occuper uniquement, dans votre re-
traite, est l'affaire la [dus sérieuse, la plus
importante pour vous, elle est aussi la plus
difficile dans l'exécution ; il faudra sans
cesse combattre les ennemis de votre âme,
le monde, le démon et vous-mêmes ;il fau-
dra s'efforcer de déraciner des habitudes
vicieuses déjà invétérées peut-être, travail-
ler à corriger en vous plusieurs défauts, et
défauts que vous aimez ; vous appliquera
acquérir des vertus entièrement oi)posées
à l'amour de vous-mêmes, faire des renon-
cements, des sacrifices qui doivent coûter
à la nature, renoncer sincèrement, ou plu-
tôt renouveler sincèrement, et du fond du
cœur, votre renoncement général et solen-
nel au monde, à tout objet créé, et à vous-
mêmes; voilà les efforts et les sacrifices
que Dieu exigera de vous : vous les avez
déjà faits, ces sacrifices, en prononçant les
vœux de la religion, il faudra les luirenciu-
veler dans votre retraite ; vous n'en sorti-
rez agréables à ses yeux, en paix avec lui,
et par conséquent en paix avec vous-mê-
mes, qu'autant que vous vous sentirezsin-
cèrement disposées à exécuter courageuse^
ment, tout ce que sa grâce vous inspiiera
pour votre sanctification. Encore une fois,
jl vous en coûtera : mais, si souvent vous
avez entendu dire, et tant de fois vous avez
lu vous-mêmes dans l'Evangile, que le
royaume des cieux souffre violence, qu'il
n'y a que ceux qui se la font qui puissent
espérer d'y entrer; mais vous ajouterai-jo
ici que vous ressentirez mille fois plus de
consolations, et des consolations mille fois
plus solides, à vous contraindre, à vous
faire violence, pour votre Dieu, que celles
que vous pourriez vous (irocurer, à suivre
vosgoûls, vos penchants naturels.
II. Mais outre ces disposiiions intérieu-
res, il en est d'autres que j'appelle dispo-
sitions extérieures, etqueje regarde comme
essentielles encore, pour faire une bonim
retraite ; je n'en dirai que deux uiols, pour
ne pas abuser de votre attention. La pre-
mièredeeesdispositionsest une grandeexac
tiludeà tous les exercices de la retraite; le
Saint-Esprit ]'a dit : Malheur à ccluigui fait
Vœuire de Dieu négligemment! (Jcr., XLlll,
10. j Toutes vos heures,lous vos moments mê-
me seront réglés, pendant votre solitude;
il est important de vous y rendre fidèles, et
'fci important que !e malin esprit qui ne
j ignore pas, essaiera de vous délourner de
DISCOURS DE RETRAITE. — LA VEILLE DE LA RETRAITE.
2b
colle grande fiiléliltV A l'appel, à un exi-r-
cico, vous serez tenlées, sons qnelqne pré-
loîto, dediffërer nn peu; au premier si-
gnal il faut tout qnitler; ne fût-ce qu'un
mol à lire, qu'une lettre à former, il f;)ul,
à l'eicemple de cejeune solitaire, la laisser
à demi formée, cl si, comme lui, vous ne la
trouvez pas achevée en or, vous ne pouvez
douter que Dieu n'ait atiaché, pour récom-
pense, h cette exacte fidélité, un accroisse-
ment de grâces, dans le temps, et un degré
Je gloire proportionné pour l'éternité.
Je ne disconviendrai pas, Mesdames, qu'il
n'y ait encore de la contrainte à se faire,
pour s'astreindre à une aussi parfaite exac-
lilude; on est quelquefois tenté d'ennui et
Je dégoût : mais après tout, qu'es'-ce qu'une
«emaine, dans toute une année, pour s'oc-
cuper uniquement delà plus grande affaire
que vous puissiez jamais avoir, qui est l'af-
faire de votre salut: mais si vous entrez en
retraite avec un vrai dessein, avec un ferme
propos de travailler de tout votre cœur à
celte importante affaire, bien loin de trou-
ver trop long le temps qui y sera consacré,
vous le jugerez trop court au contraire, vous
Jésirerez de le voir prolongé. Mais je dois
vous ajouter que vous devez de plus mon-
trer cette exactitude, pour l'édification de
vos sœurs, de vos compagnes de retraite.
Que penseraient-elles de vous en effet, et
quelle édification leur donneriez-vous, si
dans le tenq)s qu'elles montreront la plus
grande ardeur et le plus grand contente-
ment dans leurs exercices, vous ne leur
montriez que de la lenteur, delà négligen-
ce et de l'ennui? Mais enfin, si, malgré tou-
tes ces raisons, le malin esprit qui n'ignore
pas les grands avantages que vous devez
retirer lie ces jours de retraite, vient vous
tenter d'ennui el de dégoût, rappelez-vous
alors les dangers qu'il y aurait pour votre
salut à ne pas vous en acquitter comme
vous le devez, et les motifs puissants qui
ont dû vous déterminer h vous y livrer;
pensez à ce que vous voudrez avoir fait, la
retraite finie, et aux regrets que vous auriez
alors de l'avoir mal faite ; recourez au Sei-
gneur par la prière; humiliez-vous et con-
fondez-vous, en sa sainte présence, de vous
laisser aller à l'ennui, dans un tem[)S où
vous n'avez qu'à vous occuper de lui et de
votre salut; priez-le de vous soutenir par
sa grâce, d'augmenter votre bonne volonté;
malgré toutes les tentations do dégoût,
soyez fidèles, exactes à tous vos exercices,
et les tentations se dissiperont enfin, et
les fruits de votre retraite seront d'autant
plus grands, que vous aurez rencontré jilus
il'obstacles, et que vous aurez mis plus de
courage à les surmonter. Exactitude à tous
les exercices de la retraite, voilà la|)remière
disfiosilion extérieure que vous devez
avoir, mais il en est encore une autre, c'est
le recueillement des sens.
Je pourrais même vous dire ici, Mesda-
nies, que c'est la [>lus nécessaire, parce que
sans celle-ci toutes les auîres vous devien-
draient inuiiles; vous devez le sentir;
vous ne pouvez tirer du fruit de tous vos
exercices, de toutes ces méditations, surtout
de ces considérations, de ces lectures qui
vont vous occuper, qu'autant que vous y
mettrez foute votre application, que votre
esprit réfléchira profondément sur toutes
ces grandes vérités ; vous ne pouvez espérer
d'entendre votre Dieu parler à votre cœur,
et de vous entretenir utilement avec lui,
qu'autant que vous serez absolument vis-è-
vis de vous-mêmes : or vous rt'aurez jamais
ce recueillement intérieur sans l'extérieur;
c'est celui-ci qui fait naître et qui entre-
tient celui-là. Eh ! pourquoi en effet, en
tout autre temps , les vérités de notre
sainte religion, si grandes, si effrayantes
en elles-mêmes, font-elles si peu d'impres-
sion sur nous? C'est que mille affaires
étrangères nous distraient. Pourquoi voit-
on dans le monde surtout si peu de foi,
de religion , de vertus, de crainte de Dieu
etde ses jugements? je vous l'ai déjà dit.
Mesdames, c'est que les mondains se trou-
vent environnés de mille objets attrayants
qui fascinent leurs yeux et séduisent leurs
sens ; ils vivent tout hors d'eux-mêmes,
dans des distractions et dans une dissipa-
tion continuelles; est-il étonnant qu'ils
passent leurs jours dans l'oubli de leurDieu
et de leur salul?
Jl est donc bien important, Mesdames,
que vous vous apj)liquiez, pendant votre
retraite, à mortifier vos sens, et à les rete-
nir dans le recueillement; c'est-à-dire que,
pendant tout ce temps, vous devez faire
attention à ne voir et à n'entendre que ce
que vous devez voir el entendre; que vous
devez fermer vos yeux et vos oreilles à tout
ce qui serait capable d'exciter votre curio-
sité, el de vous dissiper; que vous devez,
par la même raison , garder un profond
silence, ne parler, dans tous les temps,
qu'autant que vous y serez obligées, el
encore, ne parler alors qu'en moins do
mots que vous pourrez; silence exact, ab-
solument nécessaire pour entendre le Sei-
gneur, qui se trouve prescrit dans toutes
les communautés religieuses, et qui a été
recommandé^ par tous les maîtres de la vie
spirituelle.
Je reprends présentement, Mesdaiiaas, en
peu de mots, tout ce discours, pour vous
en rendre la méditation plus facile. La rc-
Iraite est donc utile, nécessaire môme, à
toute [lersonne, même religieuse; elle est
nécessaire à celle qui aurait le malheur
d'être dans le péciié, parce qu'en la faisant
réfléchir sur les grandes vérités de la reli-
gion el sur elle-même, elle lui insf)ire de
l'horreur de son étal, et facilite, par là, sa
conversion; elle est nécessaire même à celle
qui est juste aux yeux de Dieu, parco
qu'elle la préserve du funeste élal de tié-
deur, et qu'en lui faisant connaître ses dé-
fauts et ses faiblesses, elle l'excite à s'en
corriger. Mais afin que la retraite firoduiso
dans l'âme des fruits excellents, il faut y
entrer avec un grand désir d'en jirofiter,
avec l'unique intention d'y chercher I>iei!
27
ORATEURS sacres: L'ABBE DE MOiNTIS.
et sa perfection ; il faut y apporter un cœur
docile, sincèrement disposé à écouter Dieu,
et à lui obéir; il faut s'armer d'un grand
courage pour se comballro soi-raôme, pour
surmonter les tentations et les obstacles à
son salut; il faut de plus se rendre assidu
à tous les exercices de la retraite, et ne rien
perdred'un temps aussi précieux, et pourcela
tenir tous ses sens dans le recueillement :
quels grands biens ne produiront pas dans
vos âmes ces saints exercices, si vous vous
appliquez à les bien faire I
Ah ! je le comprends présenlement, ô mon
Dieu, tout le bien que peut opérer en moi
une sainte retraite ! Hé, qu'ai-je fait pour
que vous ayez jeté sur moi des regards do
miséricorde? Combien, dans mon état, ont
été privées de cette grâce singulière! J'en
conçois dans ce moment tout le prix, et
suis bien résolue d'en profiter pour mon
salut; hélas! je n'ai jusqu'ici que trop ré-
sisté aux inspirations de votre grâce; mais
c'en est fait, ô mon Dieu , vous allez trou-
ver mon «œur attentif à vous écouler, et
docile surtout h vous obéir ; je vous en fais
la promesse en commençant ces exercices
spirituels; mais vous connaissez ma fai-
blesse, mon inconstance, ma légèreté; sou-
tenez-moi donc par votre grâce, encoura-
gez-moi , forlifiez-moi , ne permettez pas
qu'ils soient un jour, ces saints exercices,
le sujet de ma plus grande condamnation ;
faites, au contraire, par le fruit que j'en
retirerai, que je puisse, le reste de mes
jours, les regarder comme l'époque de ma
conversion, de mon dévouement entier à
voire service, et par là, la source de mon sou-
verain bonheur dans l'éternité. Ainsi soil-il
PREMIER JOUR.
Premier discoiiis.
SUR LE SALUT,
l Unum est iiecessarium. (Luc, X, 42.
Une seule chose est nécessaire.
Telle est. Mesdames, la réponse que
Jésus-Christ lit à Marthe, lorsque, étonnée
qu'aux soins et aux mouvements qu'elle
se donnait pour le bien recevoir dans sa
maison, sa soeur Marie préférât d'être à ses
pieds, pour entendre ses salutaires instruc-
tions, elle crut devoir s'en plaindre à Jésus-
Christ lui-même : Marthe, Marthe, lui dit
leDieuSauveur, vous vous agitez, vous vous
tourmentez sur bien des choses inutiles : ï'ttr-
bariscircaplurima .[Luc.,\,ki.) Se\ous\ed\s
ici, il n'est qu'une chose, qu 'une seule af-
faire nécessaire qui doive vous occuper sé-
rieusement; c'est d'écouler mes leçons, de
les mettre en pratique, pour mériter par là
de régner éternellement avec moi dans le
ciel : Unum est necessarium. Hélas, Mesda-
mes, à combien , je ne dirai |)as seulement
de chrétiens du monde , mais même de per-
.sonnes religieuses, ne pourrait -on pas
adresser ces paroles de Jésus-Christ : Que
faites-vous,? Dans un état de sainteté auquel
votre Dieu vous a appelées, vous vous oc-
cupez d'une infinité d'objets frivoles, ini'U-
Ics, funestes même au bien de voire Ame :
Turbaris circa plurima. El voire salul, vous
paraissez l'oublier, ou vous n'y travaillez
qu'avec la plus grande tiédeur, qu'avec la
plus grande négligence. Ah ! c'est que vous
n'êtes pas assez convaincues que c'est la
plus importante affaire, que c'est môme,
è proprement parler, l'unique affaire qui
doive sérieusement vous occuper : Unum
est necessarium.
C'est de cette grande vérité que je viens
vous entretenir ici , Mesdames ; je viens
vous montrer qu'il n'est aucune aflaire qui
doive autant vous affecter, vous occuper
autant que l'afTaire de votre salut, parce
qu il n'en est aucune qui puisse autant vous
toucher, vous intéresser : mais je ne me
bornerai point à vous prouver son impor-
tance ; pour vous engager à y apporter
toute la vigilance et tous les soins dont vous
êtes capables, je tâcherai, de plus, de vous
convaincrd que c'est une affaire qui pré-
sente de grandes difficullés, de irès-grands
obstacles. En deux mots, Mesdames, l'affaire
du salut est de toutes les affaires la plus
importante ; vous devez donc y travailler :
ce sera le sujet de fa première partie de ce
discours. L'atfaire du salut est de toutes les
affaires la plus difficile; vous devez donc y
travailler avec la plus grande application :
ce sera le sujet de la seconde partie. Hono-
rez-moi, s'il vous plaît, de toute votre at-
tention. Ave, Maria.
PHEMIÈBE PàUTIE
Si nous voyons, Mesdames, si peu de chré-
tiens, dans le monde surtout, s'occuper
de leur;«?\ut, travailler sérieusement à leur
salut, c'est qu'il en esl bien peu qui soient
inlérieuremer/, et du fond du cœur, bien
convaincus de toute l'importance, comme
de l'absolue nécessité du salul. Toute la
terre, dit un prophète, est livrée aux cri-
mes, aux désordres, parce qu'il n'est per-
sonne ou presque personne qui réfléchisse
sérieusement sur ses devoirs; point d'af-
faire cependant qui mérite plus nos soins
et nos attentions, parce qu'il n'est point d'af-
faire plus sérieuse, plus importante pour
nous et pour chacun de nous. Pour vous
faire sentir ici. Mesdames, cette vérité, con-
sidérons-le, ce salut, et par rapport à Dieu
qui en est l'auleur, et par rapport à nous
qui en sommes l'objet; le considérant par
rapporta Dieu, tout ce qu'il a fait pour nous
le procurer, nous fera connaître le jugement
qu'il en a porté et l'estime qu'il en a faite;
le considérant par rapport à nous-mêmes,
les effets avantageux ou funestes qu'il doit
produire seront bien capables de nous faire
connaître qu'il n'est point, pour nous, d'af-
faire plus importante et même aussi impor-
tante, et qui exige par conséquent autant
d'attention et de soin.
i. Et d'abord. Mesdames, si nous voulons
considérer notre salut par rapport à Dieu,
nous le verrons, ce Dieu loul-puissant, qui,
de toute éternités se sulTisant parlailemenl à
lui-même, n'avait aucun besoin de ses créa-
tures, pour son bonheur; nous le verrons se
plaire à former des créatures raisonnables.
S9
DISCOURS DE RETRAITE. — PREMIER JOUR.
50
qui pussent 1 adorer el le servir, se sancli-
fier en le servant, et mériter par Ib de le
jiosséder éternelleuient dans le ciel ; ce
«lui a fait dire à l'apôtre saint Paul que ce
Di'îu de bonté nous a choisis pour des
saints, dès avant n)ôme la création du
monde. Voilà en ellel. Mesdames, la lin pour
laquelle il nous a lires du néant, et nous a
tous mis sur la terre, lin la plus noble et
la plus digne de lui, j'ajoute, lin nécessaire;
car notre Dieu no pouvant agir en tout
que pour sa gloire, il n'a pu par conséquent
nous créer que pour lui ; voilà le terme
heureux de notre existence : nous ne pou-
vons donc nous en écarler, sans aller con-
tre ses desseins éternels. Tout ce que ce
Dieu tout-puissant a l'ail dans la suile a eu
la môme un; c'est pour ses élus qu'il a
tiré du néant loules les autres créatures,
qu'il les leur a données comme autant dn
moyens pour le servir, et de degrés pour
s'élever jusqu'à lui; c'est pour cela que
dans l'ancienne loi il s'est choisi un peu-
ple particulier auquel il a prescrit ses pvé-
ceptes et inlimé ses volontés, au milieu des
tonnerres et des éclairs, pour lui faire mieux
sentir sa grandeur, sa [luissance et la sain-
teté de sa loi; c'est pour cela, c'est pour
se l'attacher et pour le sauver, ce |)euple
choisi, qu'il lui envoyait de temps en
temps des prophètes pour l'inslruire et le
rappeler à ses devoirs, lorsqu'il paraissait
les enfreindre et les oublier.
Mais si nous voulons surtout, Mesdames,
bien connaître les desseins de noire Dieu,
dans l'ordre du salut, et combien il désire
que nous nous sauvions, considérons, avec
attention, ce que ce Dieu de bon té a fait dans la
nouvelle loi, et nous ne pourrons nous empê-
cher de le reconnaître, à l'exemple du Roi-
Prophète, pour le Dieude notre salut :tf eus sa-
luiis meœ. (Psal. XXXVII, 23.) C'est pour cela
en elfet, qu'après s'élie servi'de Moïse et de
ses prophètes pour instruire les hommes
de tout ce qu'ils devaient faire pour lui
plaire et se sauver, il a envoyé, dans les
derniers temps, son [)ropre Fils, son Fils
unique. C'est [lOur cela, c'tst pour nous faire
lousdes saints, que le Dieu Sauveur a quitté
le .sein de sa gloire, qu'il est venu habiter
parmi nous, qu'il s'est revêtu d'une chair
mortelle et passible, que, depuis le premier
moment de sa naissance jusqu'au dernier
soupir de sa vie, il a vécu dans la misère et
dans les souU'rances; lui-même nous ap-
prend qu'il n'est venu sur la terre que pour
sauver ceux qui étaient en danger de f)érir;
que son Père éternel ne l'a envoyé dans le
monde qu'alin que le monde obtînt par lui
la grâce du salut; tout ce qu'a fait ce Dieu
Sauveur, tant (lu'il a été sur la terre, tendait
à cette unique lin du salut des âmes; c'était
pour courir après les brebis de la maison
d'Israël, qu'on le voyait parcourir avec ses
apôtres et ses disciples ies villes et les bour-
gades de la Judée ; c'était pour sauver les
âmes, qu'il passait les nuits entières occupé
à la prière, qu'il conversait avec les pé-
cheurs, au'on le voyait opérer les plus grands
prodiges, rendre la vue aux aveugles, l'ouio
aux sourds, redresser les boiteux, guérir
L^s infirmes, donner la vie aux morts, ayant
toujours en vue, en guérissant les corps, la
guérison et le salut des âmes. C'est pour
cela. Mesdames, c'est ()Our voire salut, que
ce Dieu Sauveur, par une miséricorde in-
finie et toute spéciale, vous a tirées du mi-
lieu du monde et de tous ses dangers, qu'il
vous a placées dans la terre des saints eî
dans un état pro[tre à vous sanctifier; dans
tout ce qu'a fait ce Dieu Sauveur, tant qu'il
a été sur la terre, il n'a eu d'autre fin (juo
de sauver les âmes; ses instructions, ses
travaux, ses voyages, ses prières, ses mi-
racles, ses souifrances, sa passion, son
agonie, sa mort, tout tendait là.
Ah ! sa mort : oui. Mesdames, voulez-vous
connaître, une bonne fois, l'excellence de
voire âme et l'importance de votre salut?
Transpoclez-vons en esprit sur le Calvaire;
considérez-y cet Homme- Dieu si couvert
de plaies, par la cruelle flagellation et par
tous ies autres tourments qu'il a soufferts,
qu'à peine a-t-il la figure humaine, dit un
prophète; voyez-le suspendu sur la croix ,
la tête couronnée de rudes épines, les pieds
et les mains percées; osez, osez interroger
ce Dieu Jésus, et lui demander qui l'a mis,
et pourquoi il a été mis dans un aussi cruel
étal 1 il vous répondra que c'est vous mômes
et pour vous-mêmes; que c'est vous-
mêmes, par les péchés que], vous avez
commis, que c'est [)Our vous-mêmes,
pour vous réconcilier avec son Père éternel
et pour vous obtenir la grâce du salut ; et
si un speclacle aussi attendrissant vous at-
tendrit en effet, et vous fait verser des lar-
mes, pensez que cet Homme-Dieu mourant,
et mourant pour vous, vous dit ce qu'il dit
aux saintes femmes de Jérusalem, qui vou-
lurent le suivre, et être les témoins de ses
supplices et desa mort :'Ah ! ne pleurez pas sur
moi, mais pleurez sur vous : « Super vos flefe
[Luc, XX11I,^8} ; » ne pleurez [)as sur moi:
quelqu'afl'reux que soient les tourments que
vous me voyez souffrir, c'est de ma projire
volonté, c'est même avec plaisir que jejes
souffre, parce que ces tourments me servent
à vous ouvrir la porte du ciel, et à vous
montrer la voie du salut ; mais pleurez sur
vous-mêmes; pleurez de ce qu'après tout
ce que j'ai fait et souffert pour vous sauver,
vous ne faites, vous, aucun cas de voire sa-
lut et de l'ouvrage de votre perfection, que
vous la négligez, que par vos résistances
continuelles h mes inspirations, que par
l'abus que vous faites de mes grâces, et des
grâces sans nombre que je vous prodigue
d;ins voire saint état, que par les péchés,
les infidélités que vous ne cessez de com-
mettre, bien loin de travailler à vous per-
fectionner et à vous sauver, vous ne tra-
vaillez (ju'à me déplaire et à vous perdre :
Super vos (lele.
Mais ce qui doit vous prouver encore.
Mesdames, combien notre Dieu Sauveur a
voulu et désiré notre salut, c'est que ses
soins sur cela, il ne les a point bornés au
ORA'IEURS SACHES. L'ABBE DE MOiMIS.
S2
temps de sa vie 'raortelie; môme après sa
mort, môme après s.i résurrection, il en a
paru tout occupé; c'est pour cela qu'avant
ie remonter au séjour de sa gloire, il a
donné h son lisprit-Saint et à ses apôlres
àlh tous leurs successeurs , etaveo le Saint-
Esprit, le pouvoir de remettre tous les pé-
chés. C'est pour cela qu'il a fondé son Eglise,
hors de laquelle il ne peut y avoir de salut,
mais aussi dans laquelle rien ne manque
pour l'opérer; qu'il y a établi des pontifes,
jes prêtres el des docteurs, qui ne cessent
d'enseigner les voies du salut, qu'il y a
institué tous ces sacrements qui, conime
autant d'inslruraenls de salut, nous com-
muniquent, en ditîérentes manières, sa
grâce sancUfiante ; c'est pour cela surtout
que, quoique assis dans le ciel, à la droi'e
de Dieu son Père, il a voulu résider, pen-
dant tous les siècles, el jusqu'à la consom-
mation des siècles, [larmi nous, dans le sa-
crement eucharisiiquo , afin d'être noire
soutien, noire force, noire refuge, pendant
la vie, ^contre tous les ennemis de noire
salut; et à la morl, noire guide, noire viati-
que, pour nous conduire en sûreté lui-
même au port du salut.
, Ah 1 Mesdames, pouvons-nous assez ad-
mirer l'infinie bonté d'un Dieu qui se
montre aussi occupé de noire salut, de notre
bonheur éternel, que s'il lui était néces-
saire pour son propre bonheur; mais ce
que nous devons encore plus admirer ici,
el ce nui doit paraître un prodige, aux yeux
de la loi, c'tsl l'insensibilité de la plupart
des chrétiens pour leur salul; un Dieu a
tout fait pour les sauver, et ces personnes,
ces chrétiens qui y sont personnellement
intéressés, qui n'ont qu'une ûme à jierdre
ou à sauver, qui font |)rofession de croire à
une éternité de bonheur ou de maliieur,
montrent cependant la plus grande indilTé-
renco pour leur salul, risquent à toute
heure leur salut, préfèrent souvent une
légère satisfaction, un faux plaisir d'un
instant, à des biens solides, immenses et
éternels, à leur salul; ainsi dans les vues
de notre Dieu, nuire salut est ce qu'il y a
de filus grand, de plus important, de plus
digne des soins de son infinie providence,
et dans l'esprit d'une infinité de chré-
tiens et de tous les étals, et les plus
saints quelquefois, c'est ce qu'il y a de
moins intéressant , de moins digne de
leur allenlion ; comme ces vieillards, juges
iniques, dont parle le prophète Daniel, bien
loin de travailler avec zèle à leur salut, ils
détournent leurs yeux du ciel, pour ne pas
|)enser au bonheur infini qui les y allend;
destinés, par leur Créateur, è la lin la plus
noble, la plus sublime, la seule digne d'une
<lme raisonnable, spirituelle et immorlelle ,
ils se dégradent et s'avilissent, comme des
animaux sans raison, en se liviant à des
plaisirs bas et honteux. O aveuglement, ô
stupidité, ô folie ! A considérer l'affaire du
salut par ra|)port à Dieu, c'est donc une af-
faire de la plus grande importance; mais
tious serons encore bien plus convaincus de
celle vérité, si nous voulons la considérer
par rapport à nous-mêmes.
II. El en effet. Mesdames, pour peu que
nous veuillions réfléchir sur notre salut
éternel, nous remarquerons que c'est pour
nous loul à la fois une affaire personnelle,
qui nous regarde directement, à laquelle
nous devons travailler nous-mêmes, et une
aflaire indispensable, 5 laquelle nous de-
vons travailler nécessairement, el une af-
faire pressée, à laquelle nous devons tra-
vailler promplement, el une affaire irrépa-
rable, dont les risques sont infinis, et à
laquelle nous devons par conséquent tra-
vailler sûrement ; quel fond de réflexions!
Je reprends , el je dis en premier lieu que
noire salut est une affaire absolument per-
sonnelle; oui, Mesdames, dans tout aulie
affaire qui nous regarde, quelqu'inléres-
sanle qu'elle puisse être, nous pouvons la
traiter par autrui ; il en est peu môme dans
lesquelles nous n'ayons besoin de quel-
qu'autre pour y réussir: mais l'affaire de
notre salut nous louche si iniimemenl, si
immédiatement, que nous devons y tra-
vailler nous-mêmes; nous pouvons bien,
nous devons môme être secourus, aidés
pour cela, el du côftj du Seigneur, par sa
grâce; el du côté de ses ministres, par
leurs conseils et par l'usage de leurs pou-
voirs spirituels: mais c'est toujours nous-
mêmes qui devons agir, qui devons prier,
opérer, combattre el nous mortifier, parce
que le salul tombant directement sur l'âme,
ce n'est point l'àme d'un autre, mais noire
âme propre qu'il s'agit de purifier, de sanc-
tifier et de sauver; Dieu qui nous a créés
sans nous, dit saint Augustin, ne veut pas
nous sauver, el ne nous sauvera jamais
sans nous: point d'intérêt par conséquent
aussi important, point d'intérêt qui nous
affecte et qui nous touche d'aussi près que
noire salut ; c'est donc une affaire absolu-
ment personnelle.
Je dis, en second lieu, que c'est une af-
faire indispensable, à laquelle il est pour
nous de toute nécessité de travailler; je
dis plus, c'est même , à parler propre-
ment, la seule atfaire vraiment indispen-
sable; car enfin, toute les autres affaires ,
qiielqu'imporlanles qu'elles puissent nous
paraître, ne supjiosenl après loul qu'un in-
térêt
du
temporel et passager
regarde
mais l'affaiie
salut, c'est l'affaire de l'éternité, t^ui
'élernilé, qui influe jusque dans
l'éternité; ainsi, absolument |)arlanl , je
puis renoncer à ma santé, à mon repos, à
mes biens, à ma réputation, à ma vie môme,
je le dois môme (juelquef'jis pour obéir à
mon Dieu, et si cela est nécessaire à mon
salut ; mais pour mon salul lui-même, il
n'est aucune occasion , aucune raison qui
puisse el qui doive m'y faire renoncer;
je dis plus, qui doive me le faire hasarder,
par-ce que créé pour Dieu, el uniquemen'
el nécessairement créé pour Dieu, je doi.<
nécessairement et continuclloment, dan?
ma conduite cl dans toutes mes actions,
regarder Dieu, Icndie h Dieu, el cela est s;
33
iDISCOURS DE RETHAITE. — PREMIER JOUR.
34
vrai que toute action , que môme tout désir
du cœur, que toute pensée volontaire do
l'esprit qui ne regarderait pas Dieu, qui ne
tondrait pas à Dieu, serait par là môme un
désordre et uu éloignemeut do ma fin der-
nière. Voilà en eti'el, Mesdames, ce qui a
engagé le chaste Jose()li, la vertueuse Su-
zanne, et une infinité de saints et de
saintes de l'ancienne loi et de la nouvelle
surtout, à tout saciilier, à tout soulTrir, jus-
qu'à préférer de mourir, et quelques-uns,
dans les plus alfreux tourments, plutôt que
de perdre leur âme, de la rendre criminelle
aux yeux de Dieu, et de renoncer, par là, à
leur salut. Voi'à ce qui fait que les vrais
chrétiens, et dans lous les étals, vivent et
ont toujours vécu dans une attention scru-
imleuse à ne point olfenser Dieu, parce que
i'ollenser, c'était s'exposer à se perdre, à
manquer leur salut ; intimement [lersuadés
de celte sentence qu'a prononcée le Fils de
Dieu, qu'il n'est rien, dans l'univers, qui
puisse être mis en parallèle avec l'inlérôt
de l'Ame, qui puisse la dédommager de la
perle du salut, ils ont paru disposés à tout
perdre, à tout sacrifier, f)Our sauver leur
âme; et voilà ce qui, de|)uis l'établissement
de l'Eglise et dans lous les siècles, a en-
gagé tant de chrétiens de l'un et l'autre
sexe h quitter le monde , et ce qui vous a
engagé vous-mêmes, Mesdames, à y renon-
cer courageusement et pour toujours, à
répondre à ceux qui voulaient vous détour-
ner d'une aussi généreuse entreprise, que
c'était pour vous sauver, pour travailler
plus sûrement à votre salut. L'adaire du
salut est donc une alfaire indispensable.
Mais elle est de plus et en troisième
lieu, une atTaire pressée, et d'autant plus
pressée, que malgré toute son importance,
nous n'avons que le temps de noire vie
pour y travailler, que ce lemps est toujours
fort court; il s'agit de nous procurer un
bonheur souvecain et éternel; est-ce trop
d'y employer quelques moments, quelques
années, qui, (|uelque longues qu'elles
i)uissent être, doivent nous paraître comme
un point, comparées à l'éternité? Mais une
autre raison. Mesdames, qui doit vous en-
gagera travailler promi)lement,à travailler
dès à |)résent à voire salut, c'est que vous
ne pouvez raisonnablement compter sur
l'avenir; c'est qu'à proprement parler,
. vous n'avez que l'inslanl l'résent à votre
disposition. Rien donc de plus raisonnable
que de |)roIiler de cet instant, pour vous
donner entièrement à Dieu, pour travailler
à votre salut, comme rien de plus insensé
que de n'en poinl profiter ; cent fois vous
1 avez entendu dire, que rien de plus cer-
tain que la mort, et que rien de plus incer-
tain que l'heure do la mon ; vous le savez,
on meurt h tout âge; la jeunesse n'en est
pasexemple : rappelez-vous combiendeper-
sonnes d'un âge peu avancé, dont vousavez
appris la mort ou que vousavez vues mou-
rir et- parmi vous peut-ôlre. Ah ! Mesdames,
que de personnes et de jeunes personnes
actuellement dans l'enfer, qui pendant la
vie, toucliées de sainlcs pensées, animées
du désir de se donner à Dieu, ont hésité,
diiréré de jour en jour, et qui ne verront
jamais Dieu, pour avoir remis à un autre
lemj)s leur salut; l'alTuire du salut est
donc une affaire très-pressée.
Je dis, en quatrième lieu, que c'est une
affaire irréparable. J'appelle affaire irrépa-
rable, celle qui malheureusement terminé'e,
plonge dans les plus grands malheurs et ne
laisse aucune ressource pour s'en délivrer:
telle esl l'affaire du salut; à la vérité, ler-
minée heureusement, cette affaire, elle sera
pour moi la source d'un bonheur infini et
éternel tout ensemble; une fois arrivé au
j)ort, jamais je n'aurai de lempêle à essu-
yer, de naufrage à craindre; je posséderai
mon Dieu, et en le possédant, je posséde-
rai tout ce qui peut procurer à mon âme
une joie, u! e félicité parfaite, et de plus,
en le possédant , je ne craindrai point de le
perdre, je le posséderai et serai sûr de le
posséder éternellement : pensée bien con-
solante pour ceux qui souffrent dans ce
monde. Supposons en effet la personne la
plus malheureuse de toutes celles qui ont
existé sur la terre, qui ait ressenti, loule
sa vie, les tristes effets de la plus affreuse
indigence, ; qui ait été calomniée, mépri-
sée, outragée, persécutée ; qui, outre ces
disgrâces, ait été accablée de douleurs et
d'infirmités, qui ait paru, en un mot, égi'-
lement abandonnée du ciel et de la terre;
supposons de plus qu'elle soit parvenue,
avec lous ces maux, jusqu'à la plus extrê-
me vieillesse, mais qu'elle ait joint la mort
avec la grâce sanctifiante, qu'elle soit ex|n-
rée dans le baiser du Seigneur, l'affaire de
son salul est heureuseujent terminée; la
voilà par conséquent assurée d'une félicité
immense et éternelle; lous ses maux sont
passés, oubliés pour toujours, ou si elle
se les rappelle, ce n'est que pour trouver
plus heureuse sa situation présente: à peu
près comme celui qui a essuyé sur la luer
la plus affreuse tempête, une fois arrivé au
port', il se plaît à se rappeler et à raconter
les périls auxquels il a été exposé.
Mais que i)ar une supposition toute con-
traire, une personne ail joui, sur la terre, do
toute la* félicité qu'on peut s'y procurer;
qu'elle se soit trouvée au comble des hon-
neurs, sur le premier trône, de l'univers, si
vous voulez; qu'elleait été universellement
estimée, aimée et respectée; que ses riclies-
ses aient égalé sa puissance et sa gloire;
que, comme Salomon, elle ait joui une
longue suite d'années de lous ces avanta-
ges; que, comme ce prince, elle ait livré
son cœur à la joie et aux plaisirs ; qu'elle se
soit fait, comme lui, une élude de ne rien
refuser à ses goûts et à ses désirs, si elle
vient enfin à mourir dans le péché et dans
la haine de Dieu, par conséquent, que de-
vient loule sa prétendue félicité? Hélas!
elle s'évanouit comme un songe agréable
qui se lermineavecle sommeil. Ah I que sert
à /'/tomme, dit Jésus-Christ lui-môme, d'avoir
gagné l'univers entier, s'il vient à perdre son
55
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTiS.
36:
âme?i> Quid prodcsl ? » {Mallh.,\yi, 26.) —
/«5en5^, dit encore ceDieu Sauveurà celui qui
mot loule sa l'élicilé dans les biens d'ici-bas,
insensé, celle nuit on va redemander voire
âme; el tous ces biens que vous avez amas-
sés avec tant de soin, pour qui seront-Us? «Cm-
jus cruDt ? » {Luc, XII, 20.) A combien de
personnes du monde, elà combien de person-
nes engagées dans lesaintélatde la religion
ne pourrail-on pas adresser ces paroles:
Quoi 1 vous ne paraissez occupées qu'à vous
satisfaire aux dépens de votre conscience et
de vos devoirs; qu'à passer vos jours dans
la dissipation, qu'à perdre tout votre temps
dans des occupations inutiles entièrement
opposées à l'esprit de votre saint état, et
par conséquent préjudiciables à votre âme,
à voire salut; si la mort vient vous surpren-
dre, comme elle en a surpris une intinité
d'autres, au milieu de cette vie tiède, sen-
suelle et dissipée; que vous servira, dans
l'autre mondé, d'avoir tenu, dans celui-ci,
une conduite si peu conforme aux titres
augustes de chrétienne et d'épouse de Jé-
sus-Christ que vous portez? Que vous ser-
vira dans réternilô d'avoir été dans 2 le
temps livrée à vos désirs déréglés? Voilà,
en effet, les tristes et inutiles réflexions
que font une infinité d'âmes et d'âmes reli-
gieuses dans l'enfer. Hélas! que nous a
servi, se disent-elles sans cesse, ce préten-
du bonheur que nous nous sommes procuré
sur la terre? Tout est pas,s4, et s'est éva-
noui pour nou<, comme une ombre légère :
Transieruntvelul umbra{Psal. ,C\,i2},el le sou-
verain malheur que nous nous sommes procu-
ré en insensées n'aura point de fin; il durera
autant que notre Dieu vengeur, éternelle-
ment, par conséquent. L'affaire du salut est
donc une affaire irréparable à laquelle il
est de la dernière importance de travailler.
Cependant, malgré la solidité de ces véri-
tés, qui est-ce qui pense et qui travaille sé-
rieusement à son salut? Hélas! pour une
personne qu'on voit occupée de cette grande
affaire, l'on en voit mille qui la négligent,
qui s'occupent de tout autre affaire; l'on
en voit qui, dans tout autre affaire, font
paraître de l'esprit, des lumières, de la pru-
dence, et qui se conduisent en aveugles,
en insensés, dans tout ce qui regarde leur
salut, qui le risquent à chaque instant, qui
cherchent à se distraire, à s'étourdir pour
n'y pas penser, comme si de n'y pas ()en-
ser pouvait les préserver des suites allreu-
ses que sa perte entraîne après elle; et plût
à Dieu que cette négligence, que cet oubli
(lu salut ne se trouvât que dans le monde !
Mais jusque dans la retraite, jusque dans
le saint état de la religion, nous voyons avec
douleur, et nous ne le voyons que trop
souvent, des personnes oublier leurs enga-
gements et se perdre pour l'éternité.
Pour vous, Mesdames, qui sentez présen-
tement el plus que jamais, combien il est
important de vous sauver, el quels mal-
heurs vous vous attireriez en ne vous sau-
vant pas; ahl prenez devant Dieu, dans vo-
lio retraite, une résolution ferme de ne
jamais perdre de vue cotte importante af-
faire de voire salut, d'y travailler toute
votre vie, avec une application proportion-
née à son importance, (;t aux grandes difli-
cultés qu'elle présente; c'est pour vous
affermir dans cette résolution , qu'après
vous avoir montré que le salut est de toutes
les affiiires la plus importante, j'ajoute pré-
sentement que c'est de tnules les affaires la
plus difficile. C'est le sujcî de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
C'est une vérité. Mesdames, et une vérité
de foi, que tous les chrétiens peuventse sau-
ver, parce qu'il est de foi que Dieu veut
surtout le salut de tous les chrétiens, qu'il
donne pour cela à toas les chrétiens des
secours oroporlionnés aux différentes situa-
tions où ils se trouvent, aux dangers, aux
tcnlalions auxquels ils |)euvenl être ex-
posés. Mais s'il est certain que nous pou-
vons tous nous sauver, il est également,
certain que nous pouvons tous nous perdre,
qu'il est même très-aisé que nous nous per-
dions, si nous n'apportons la plus grande
vigilance, leplus grand soin à notre salut ; ce
serait vous tromper ici, Mesdames, el vous
faire illusion, de vous faire reganler votre
salut comme une affaire aisée, facile et qui
coûte peu ; ce serait combattre ouvertement
les idées de tous les saints qui ont jamais
existé, et qui tous ont éprouvé de grands
obslades, de grandes dillicultés à se sau-
ver; ce serait combattre directement les
idées du Fils de Dieu lui-même, qui nous
a toujours fait regarder le ciel comme un
royaume difficile à conquérir, qui demande
les plusgrands efforts pour y entrer : Conlen-
dUeintrare.{Luc.,Xl\l,^!i.}A\m\, Mesdames,
pour entrer dans l'esprit du Dieu Sauveur, ce
n'est point assez de vous avoir faitsenlir toute
l'importance du salul, il faut de [)lus vous
en faire bien connaître loule la difficulté.
Or, pour cela, j'entreprends de vous faire
considérer le salut comme dans la premiè/e
l)artio de ce discours, et par rapport à Dieu
et par rapport à vous-mêmes; par rapport
Dieu, il vous impose, pour vous.sauver, do
grandes obligations; par rapport à vous-
mêmes, vous avez, f.our vous sauver, à
surmonter de grands obstacles, à combattre
des ennemis bien redoutables; de là vous
conclurez naturellement que votre salul est
très-difficile, et que vous devez par consé-
quent y apporter la plus grande attention.
Encore quelques moments de votre atten-
tion, je vous prie.
I. Je dis, en premier lieu, qu'à considérer
voire salut, par rapport à Dieu, il est très
dillicile à cause des obligations qu'il vous
impose; obligations générales qui vou.«
sont communes avec tous les chrétiens;
obligations particulières qui vous regardeni
comme religieuses : toutes nous i>rouveni
également celle vérité;
Je dis obligations générales. Vous le sa
vez, Mesdames, le moyen et l'unique moyen
de se sauver, c'est d'obéir à notre Dieu.dac
complir ses volontés, ses préceptes : ce que
J7 DISCOIJRS DE RETRAIT!':
lésus-Clirisl dit à ce jeune liomme qui lui
liemandail ce qu'il fallait faire pour se pro-
curer la vie éternelle, il vous le dit à vous-
môajes;i!le dit à tous les chrétiens et àcliaqtic
chrélieu : Si vous vouiez vous sauver, obser-
vez les ^^^éce\■){^^s{Mallh.,Xl\,i'^} : or,dès que
le Seigneur nous ordonne de les accomplir,
ces préceptes, ils n'ont donc rien d'impossible
dans la pratique; non sans doute, le dire
ou le penser, ce serait donner dans une er-
reur condamnée par l'Eglise : mais quoique
possibles en eux-mêmes et avec le secours
de la grike qui ne nous manque jamais, ils
n'en sont pas moins diDiciles , parce qu'il
faut les accomplir tous; c'est à l'accomplis-
sement total de la loi de notre Dieu qu'il a
allaclié ses récompenses éternelles; man-
quer volontairement à un seul des articles
essentiels de celte loi, à un seul de ces pré-
ceptes, c'est nous rendre prévaricateurs à
ses yeux et coupables comme si nous avions
transgressé la loi entière, comme le dit l'apô-
tre saint Jacques (11, lOj. Mais non-seule-
ment pour se sauver, il faut observer tous les
préce[)tes du Seigneur, mais il faut les ob-
server constammeni, avec persévérance, en
sorte qu'il n'est aucun âge, aucune circon-
stance, aucune occasion où l'on puisse ob-
server ces préceptes, où l'on ne doive les
observer, sous peine d'encourir la haine et
la disgrâce de Dieu; il n'est qu'une impos-
sibilité réelle qui puisse vériiablenient en
dispenser: or, vous le comprenez assez,
Mesdames ; quelle attention, quelle vigilance
il faut avoir, quelle contrainte, quelle vio-
lence il faut se laire, pour se tenir dans
cette parfaite et constante fidélité. Mais outre
ces précei)tes et ceux de l'Eglise qui nous
obligent aussi étroitement que ceux du Sei-
gneur, et qui vous obligent, épouses de Jé-
sus Christ, plus étroitement encore, pour
ainsi dire, que les chrétiens du monde,
vous avez de plus à pratiquer les conseils
de l'Evangile, qui même, à parler propre-
ment, ne sont plus i)0ur vous de simples
conseils, mais qui sont devenus de nou-
veaux préceptes, par les engai^ements so-
lennels que vous avez contractés avec votre
Dieu, dans la religion : vous ne pouvez donc
les omettre, les transgresser, sans vous ren-
dre coupables de nouvelles |)révaricalions
à ses yeux. Mais de plus et comme chré-
tiennes, et encore plus comme religieuses,
vous devez, pour vous sauver, imiter en
loul Jésus-Christ, en sorte que si loiit
chrétien, même au milieu du monde, n'est
véritablement chrétien qu'autant qu'il s'ap-
plique à imiter Jésus-Christ, h penser sur
tout, à juger de tout, à se conduire en tout,
comme a pensé, jugé, agi et s'est conduit
Jésus-Christ ; et si ce Dieu Sauveur ne doit
reconnaître, au jugement dernier, pour ses
vrais disciples, que ceux qui auront véri-
tablement marché sur ses traces, vous.
Mesdames, en qualité de ses épouses, vous
avez une obligation plus étroite encore
que le reste des chrétiens, de vous rendre
en tout semblables à lui. il ne vous recon-
nallra en eflet, dans ce grand jour, pour ses
PREMIER JOUR.
38
vraies é[)ouses, qu'autant que vous vous
serez appliquées à conserver en tout avec
lui cette conformité; ainsi, comme toute
sa vie, il a fui le monde, les honneurs, les
louanges et l'estime des hommes , vous,
comme ses é[)Ouscs, vous devez non-seule-
ment mépriser le. monde, les grandeurs, les
honneurs du monde auxquels vous avez so-
lennellement renoncé, mais vous devez de
plus, à l'imitation de Jésus-Clirisl, vous
tenir petites et anéanties à vos propres
yeux"; vous devez vous plaire dans les hu-
miliations et les mépris ; Jésus-Christ a
pratiqué toute sa vie la pauvreté, jusqu'à
n'avoir pas même où reposer sa tête , et
vous, en qualité de ses épouses, vous de-
vez, pour vous sanctifier et pour lui plaire,
non-seulement mépriser les richesses et tous
les biens de la terre que vous avez si géné-
reusement abandonnés, mais vous devez de
plus, pour remplir vos engagements, vivre
dans un dénuement, dans un dépouillement
universel qui n'excepte rien ; Jésus-Christ
a vécu dans les souffrances, dans une mor-
titicaliou continuelle, et vous, épouses de
ce Dieu-Homme souffrant et crucifié, vous
devez, en cette qualité, non-seulement vous
priver de tous ces plaisirs sensuels et dé-
réglés, si communs dans le monde, et aux-
quels vous .avez sincèrement renoncé et
pour toujours, mais vous devez de plus
renoncera vos aises, à vos commodités,
vous contraindre, vous mortifier eu tout,
aimer les croix, les recevoir toujours avec
résignation, avec plaisir même : voilaà quoi
vous êtes obligées comme épouses deJésus-
Chrisl, et ce qu'il veut en effet que vous
fassiez comme lui et d'après lui, parce que
ce n'est pas seulement pour opérer notre
salut qu'il est venu sur la terre, et qu'il y
a mené une vie si pénible, si humiliée, s"i
détachée, si mortifiée, c'a été, de plus, f»our
nous apprendre à y travailler nous-mêmes,
en marchant sur ses traces et en appro-
chant, le plus près qu'il nous est possible,
de cette vie de contrainte et de mortification
qu'il a menée; aussi tout ce que nous en-
seigne ce Dieu-Sauveur, se Irouve-t-il par-
faitement conforme à tout ce qu'il a fait
lui-même et nous démontre également la
difficulté du salut ; c'est pour cela, en effet,
qu'il nous le représente tantôt comme une
couronne, comme un royaume qu'il faut
conquérir par de grands combats; tantôt
comme un joug, comme un fardeau, dont
il faut se charger, comme une croix qu'il
faut porter. A l'entendre, ce divin Maître,
le salut est un chemin dilicile et raboteux
dans lequel il laut marcher ; c'est une porte
étroite par laquelle il faut entrer;, et si
étroite qu'il exhorte ses disciples à faire
leurs efforts pour y entrer, et qu'il leur dé-
clare que peu et très-peu y entreront et
seront sauvés: Pauci electi.lMallli.,W,i&.)
Mais ce n'est pas^tout encore. Mesdames ;
outre ces grandes obligations qui vous sont
communes avec tous les chrétiens et celles
que vous partagez avec les autres épouses
de Jésus-tlhrist, il en est qui vous sont par-
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
iO
liculières, qui vous affectent personnelle-
ment et qu'il vous faut remplir exactement,
pour vous sauver. J'appelle obligations par-
ticulières pour vous, celles qui sont relati-
ves à votre ordre, à voire institut ; car vous
le savez, il est dans chaque ordre, dans
chaque in.slilul, un esprit particulier qu'il
faut suivre, des devoirs, des observances
propres qu'il faut remplir : ainsi, comme
l'esprit de l'institut de sainte Ursule, |)ar
exemple, n'est point l'esprit de l'ordre du
€armel ou de la Visitation, une fille de
sainte Ursule qui voudrait vivre comme une
tille de sainte Thérèse ou de saint François
de Sales, quelque édifiante que pûi être sa
conduite 5 l'extérieur, irait cependant con-
tre les desseins de Dieu, contre ses propres
engagements, ne remplirait point à la lettre
les devoirs de son éiat, et se metirail par
là hors de la voie du salut. Or, il faut en
convenir ici, se conduire toujours et en tout
j)ar le même esprit, remplir tous les jours
les mêmes devoirs, faire les mômes actions,
les mêmes exercices, mener, en un mot,
une vie constamment uniforme, gênante,
commune, de f)lus et sans éclat; il faut,
pour cela, un assujettissement, une appli-
cation qui coûte infiniment à la nature; il
faut, dans mille occasions, surmonter l'en-
nui et le dégoût, mortifier ses penchants,
ses inclinations, faire souvent ce qui ne
plaît pas, s'abstenir de ce qui plairait le
l)lus, |)rérérer la satisfaction des autres à
sa [iropro salisfaction ; se combattre, en un
mol, se vaincre, se dominer sans cesse et
en tout, et mourir continuellement à soi-
même
J'apjielle encore obligations particulières,
pour une épouse do Jésus-Christ, même
dans quelq ue institut qu'elle soit, certaines
circonstances délicates dans lesquelles elle
se trouve quelquefois, et où il laut opter
entre obéir à Dieu et lui plaire, ou se satis-
faire et i)laire aux créatures, circonstances
dans lesquelles il faut ou trahir son Dieu et
sa conscience, ou être exposée aux censu-
res, aux railleries, aux mépris, aux persé-
cutions mêmes quelquefois, circonstances
qui se rencontrent, à la vérité, plus fré-
quemment dans le monde, mais qui su pré-
sentent aussi quelquefois dans la religion,
et surtout pour celles qui se trouvent char-
gées du gou'v'ernement ; or quelle force
iians Tâiue, quel courage ne faut-il pas pour
^e mjeflre ainsi ouvertement au-dessus du
rcpect humain, pour préférer constamment
la volonté de JJieu aux désirs des créa-
tures? Le salut, à le considérer par rapport
à Dieu et aux grandes obligations qu'il
vous im[)ose, esi donc une atlaire ditlicile
et très-difficile; vous en jugerez de môme,
Mesdames, si vous voulez le considérer
présenlement par rapport à vous-mêmes,
à cause des ennemis puissants qui s'y
opposent sans cesse el sur lesquels vous
devez remporter des victoires continuelles.
n. Le premier de ces ennemis, vous le
savez, c'est l'esprit tentateur, c'est le dé-
mon :déchu, i)ar sa rébellion contre son Créa-
teur, de l'étal sublime et infiniment heu-
reux pour lequel il a été créé, précipité
pour toujours dans les flammes de l'enter,
toute son occupation est de travailler à
nous entraîner dans l'abîme de malheurs
où il s'est précipité. C'est surtout à une re-
ligieuse, aune épouse de Jésus -Christ ,
qu'il livre communément les plus grands
combats; plus l'état dans lequel il l'avait
engagée est saint, plus les grâces et les
secours qu'elle reçoit, pour parvenir à la
sainteté, sont abondants, plus aussi redou-
b!e-t-il ses efforts pour rendre inaiiles ces
grâces et ces secours, et pour la détourner
de tendre à son Dieu; c'est un lion rugis-
sant qui ne s'endort et ne se rebute jamais,
qui, comme le dit i'apôtre saint Pierre,
tourne sans cesse autour d'elle, pour^la
dévorer (I Pelr., I, 8), il n'est point d'es-
pèces de pièges qu'il ne lui tende, ni do
tentations qu'il n'essaye pour la perdre;
son esprit, il cherche à l'aveugler, à lui
insinuer des pensées, des préjugés , des
maximes propres à y éteindre les lumières
de la foi; son cœur, il s'efforce de le cor-
rompre, en excitant, en enflammant ses
passions, en lui inspirant de l'amour pour
tout ce qu'elle devrait haïr, et do la haine
pour tout ce qu'elle devrait aimer; son
corps, sa chair, quoique mortifiée et alfai-
blie par les jeûnes, les mortifications, les
austérités , il cherche à la souiller par la vo-
lupté, par les plaisirs sensuels et déréglés.
Or, quelle attention, quelle vigilance ne
faut-il pas pour se tenir toujours en garde
contre un ennemi aussi puissant et aussi
rusé, qui, connaissant nos dispositions, nos
penchants et nos faiblesses, en profite adroi-
tement oour nous tenter et pour nous
perdre
Mais il est un autre ennemi au salut , et
bien à craindre encore pour une épouse de
Jésus Christ: c'est le monde, ce monde que
Jésus-Christ a déclaré son ennemi, et (jui
s'est déclaré lui-môme l'ennemi de Jésus-
Christ ; ce monde qui rejette sa loi, i|ui con-
(Jamneses maximes, qui combalsa religi()n;ce
monde qui, comme ledit l'apôtre saint Jean,
est rempli de malice eldecorruption(I Joan.,
V, 19) ; c'est ce monde [)ervers, dont elle a
encore à craindre et à repousser les attaques.
Oui, malgré cette séparation éclatante, cet
abandon absolu qu'elle a fait de lui, malgré
ce renoncement solennel et élernel qu'elle
lui a juré au pied des saints aulels, elle
se trouve cependant encore exposée quel-
quefois à sa contagion; lors môme qu'elle
désire ne plus communiquer avec lui; lui-
même, sous des prétextes de liaison, de pa-
renté, de bienséance, vient la trouver et la
distraire dans sa solitude; or, dans ces en-
tretiens ménagés quelquefois et prolongés
avec adresse, que de pro|)OS, que de préju-
gés, que de maximes elle entend, entière-
ment opposées à l'esprit de l'Evangile!
Maximes et préjugés contre lesijuels il, lui
est bien difiici-le de se tenir toujours en
garde, qui s'insinuent dans son esprit pres-
que sans qu'elle s'en aperçoive, qui passent
41
DTSCOl'RS DE RETHAITE. — PREMIER JOUR.
42
impercepliblemonl jusniio dans son ropur,
qui sprvcnl , sinon h l.i dégoftior enlièrfi-
mcnl.do son saint (^taf, du moins h aiïaihlir
dans elle les principes de la religion, h di-
minuer cet esprit de df^tacliemenl, d'ininii-
liltSde niorlificalion. do recueillemenl dont
file doit 6lre remplie, et qui l'ont qu'i^Ue
se rolire preque toujours d'avec le monde
moins religieuse et plus mondaine.
Mais un troisième ennemi de voire salut,
Mesdames, et de noire salut h tous, et bion
rodoutal)le encore, c'est nous-mêmes, parce
que nous portons sans cesse avec nous et
au dedans de nous le principe de notre
perte, lo germe de notri^ réprobation ; les
deux autres le monde et le démon, quelque
dangereux qu'ils puissent être, ne peuvent
après tout que nous montrer le mal , que
nous solliciter au mal, qu'essayer h nous
perdre; mais, pour noiis-mômes, c'est notre
propre volonté qui s'éloigne de sa fin der-
nière, qui fait le mal elle-même, et qui nous
perd par conséquent. Tel est noire raalhou-
reux sort . depuis la ciiute dti premier
homme , d'être bien plus portés au mal
qu'au bien, au pécbé qu'h la verlu ; nous
le faisons, ce bien, avec peine, avec répu-
gnance, et nous nous livrons au mal avec
facilité, comme par une penle naturelle ;
nous voyons h la vérité ce qu'il convient
que nous fassions pour nous sauver; éclai-
rés des lumières de la foi, nous connaissons
nos devoirs, le bien que nous avons à faire,
nous l'approuvons même , et en môme
temps nous cboisissons, nous préférons le
mal; nous le commettons, parce que nous
avons autant de penchant pour la liberté,
pour le plaisir, pour tout ce que la loi du
Seigneur nous défend, en un mol, que d'é-
loigncment pour tout ce qui nous gêne et
ce que cette sainte loi nous ordonne. Voilà
ce que nous éprouvons tous, comme enfants
d'Adam ; voilà ce qu'éprouve, en cette qua-
lité , ré|)ouso elle-même de Jésus-Christ,
quelque parfaite qu'on puisse la supposer,
et malgré les grands secours de salut dont
elle est, pour ainsi dire, environnée, et
voilà ce qui doit la tenir dans une crainte,
dans une vigilance et dans une contrainte
continuelles; ses passions tendent à so dé-
régler, elle doit les réprimer, les modérer;
sa chair se soulève et l'excite au plaisir,
elle doit la mortifier, la tenir constamment
soumise à l'esprit; ses sens se portent à
tout ce qui peut les satisfaire, elle doit les
conserver dans une gêne, dans une con-
trainte continuelle ; son cœur se penche sou-
vent vers des obje'.s terrestres et défendus,
elle doit en régler les mouvements, les aflec-
lions;elle doit souvent aimer ce qui lui
déplaît, et haïr aussi ce qui lui plaît davan-
tage; son esprit s'occupe sans cesse d'idée»
avanlagi uses d'elle-même; il recherche l'é-
lévaiion, les honneurs, l'estime et les louan-
ges des créatures, elle doit avoir de bas sen-
timents d'elle; regarder la vertu d'humilité
comme la base de sa sanctification, aimer le
mépris et les opprobres, les supporter du
moins avec patience et résignation ; en un
OnATELRS SACRÉS. LXVIII.
mol, pour se sauver, elle doit sans cesse se
combattre, êlro. avec elle-même, dans une
guerre continuelle, mourir sans cesse à ses
penclinnts, à ses désirs, à ses passions, à
elle-même. Telle est et telle doit-être sur la
terre la vie d'une religieuse et même de
tout (chrétien en général, une croix perpé-
tuelle; or vous le comprenez. Mesdames,
combien il est difficile et combien il doit en
coûter pour résister ainsi, sans disconti-
nuer, à des ennemis aussi puissants, qui
s'entendent et se prêtent mutuellement la
main, poiir nous perdre.
Mais de tout ceci quelles conséquences
devez-vous tirer? Est-ce qu'ayant toujours
en lôte des ennemis aussi redoutables, vous
devez vous décourager, désespérer de votre,
salut? Ahl loin de moi de pareils senti-
ments, et Dieu me préserve de les inspirer
jamais aux autres 1 non, non. Mesdames,
en vous faisant connaître ici les ennemis
redoutables que, comme chrétiennes et
comme épouses de Jésus-Christ, vous avez
h combattre, et par là les grands dangers
auxquels votre salut est exposé, mon des-
sein a été de vous faire conclure, que votre
salut étant d'un côté, l'affaire la plus im-
portante, l'unique nécessaire; et de l'autre,
l'affaire la plus difficile dans l'exécution , et
par les obligations sans nombre qu'elle vous
impose , et par les ennemis redoutables
qu'elle vous ordonne de combattre et do
vaincre , vous devez mettre votre applica-
tion cl toute votre application à travailler
à cette grande affaire, et môme, à parler
proprement, comme à l'unique affaire qui
doivesérieusemcnt vous occuper; c'est, dans
toutes vos actions, de vous conduire tou-
jours relativement à votre salut.; c'est do
vous demander souvent si ce que vous fai-
tes, ce que vous entrepriMiez , peut vous
conduire au salut, ou nuire à voire salut;
c'est de vivre constamment ici bas de façon
h n'avoir aucun reproche à vous faire, lors-
que la mort se présentera à vous, ni à en-
tendre du souverain juge, lorsqu'il vous
citera à son tribunal ; c'est d'être bien ré-
solues d'éloigner, toute votre vie, tous les
obstacles à votre salut, do surmonter toutes
les difficultés, de vaincre toutes les tenta-
tions, de prendre tous les moyens ics plus
propres et les plus sûrs pour votre salut ; et
avec tout cela, d'avoir une grande confiance
que vous vous sauverez. Oui, Mesdames, à
la vérité, en ceci , toute présomption est
condamnable, mais aussi le trop de crainto
et de pusillanimité vous nuirait également;
vous devez penser et vous dire souvent,
comme l'apôlre saint Paul, q<ie si vous ne
pouvez rien de vous mêiues, dans l'ordre de
votre salul, vous pouvez tout, aussi bien
que lui, dans le Dieu et avec le Dieu qui
vous foi'tiOe.
Ah I Seigneur, il me semble, dans ce mo-
ment, que je suis dans une résolution bien
sincère de ne rien négliger, de tout faire,
tant que vous me laisserez sur la terre, pour
me sauver ; celle résolution, ces bons sen-
limeûts, c'est vous, divin Sauveur, oui me
45
ORATEURS SACRES. LAQBE DE MONTIS.
44
les inspirez aujourd'hui ; faites donc, par
votre glace, que je ne les oublie jamais;
que, toute ma vie , je sois convaincue ,
comme jeiesuisprésenlenient, dclanécessilé
de me sauver; ah! quel malheur pour moi,
si je venais à l'oublier, et à vous oublier,
ô mon Dieu! Quels regrets à la mort, quels
remords, quel désespoir dans l'éternité 1
Vous voulez me sauver; pourrai-je en dou-
ter, après ce que vous avez fait pour moi?
C'est pour m'assurer mon salut que vous
avez vécu dans les souffrances, que vous
avez répandu votre sang, et que vous êtes
mort au milieu des tourments, sur la croix;
c'est pour me sauver que vous m'avez fait
jusqu'ici une infinité de grâces, que vous
n'avez pas faites à une inlinité d'autres, qui
en auraient beaucoup mieux profité que
moi; que vous m'avez délivrée d'un monde
corrompu, au milieu duquel il est si diffi-
cile et jilus difficile que jamais de se
sauver, et oii si peu se sauvent en effet.
C'est pour me sauver, que vous permettez
encore que je passe ces jours-ci dans le re-
cueillement, dans la retraite, pour m'affer-
mir de plus en plus dans le désir de vous
plaire, de vous servir et de me sauver.
Faites donc, divin Sauveur, que toutes ces
grâces dont vous ne cessez de me combler
ne soient point inutiles en moi, qu'elles ne
deviennent pas un jour la cause de nia
plus grande condamnation; conservez, for-
tifiez, augmentez dans mon cœur, ce désir
que je conçois de ne jamais perdre mon
salut de vue, de ne jamais rien faire qui
puisse en risquer la perte, afin qu'après
vous avoir servi fidèlement sur la terre je
puisse me trouver un jour, et pour tou-
jours, au rang de vos élus, de vos saintes
épouses, dans le ciel. Ainsi soit-il.
PREMIER JOUR.
Second discours.
SUR l'office divi\.
Oculi Domiiii superjuslosetaureseiusin preces corum.
{\Pelr. m, la.)
Le Seigneur a ses yeux arrêtés sur les justes, et ses
oreilles sont attentives à leurs prières.
Telle est. Mesdames, la bonté du Sei-
gneur envers les justes et envers ceux sur-
tout qui font profession de le servir avec
plus de fidélité et de perfection que le com-
mun des chrétiens, qu'il ne les (lerd jamais
de vue, qu'il veut bien se rendre attentif à
leurs prières; et telle est l'obligation de
ces justes et des chrétiens même en géné-
ral, dans quelque état qu'ils soient, d'adorer
leur Créateur par un culte intérieur et ex-
térieur tout ensemble, de lui adresser, pour
tous leurs besoins, leurs vœux et leurs priè-
res; car quoique ce Dieu tout-puissant,
d'une sagesse et d'une science infinies, à qui
rien no peut être caché, connaisse beaucoup
mieux que nous mêmes tout ce qui nous
est utile et nécessaire dans l'ordre de la
nature et de la grâce, il veut cependant
que nous reconnaissions tous, [)ar les vœux
et les prières que nous lui adiessons, son
souverain domaine sur uuus et notre abso-
lue dépendance de lui; c'est pour cela que
l'Eglise, toujours dirigée par le Saint-Esprit,
oblige spécialement les ministres et les
vierges qui se sont solennellement consa-
crés au service de leur Dieu dans la reli-
gion, de lui payer chaque jour, et même
plus d''jne fois le jour, un tribut de louan-
ges et de prières; c'est-là, Mesdames, ce
que nous appelons l'office divin; exercice,
de tous ceux auxquels vous avez à vous li-
vrer dans votre saint étal, des plus impor-
tants en lui-même et des plus avantageux
dans ses effets; des plus importants, parco
qu'il s'agit de rendre par là chaque jour
vos hommages et vos adorations à votre
Dieu; des plus avantageux, parce que par-
là surtout vous attirez sur vous ses grâces
et ses miséricordes. De là vous concevez
avec quelle attention et avec quelle religion
vous devez vous acquitter du ce saint exer-
cice. C'est pour vous y engager de plus en
plus, que j'entreprends de vous faire voir tout
à la fois les motifs puissants qui doivent vous
porter à vous acquitter dignement de l'office
divin : ce sera le sujet de la première parti©
de ce discours ; et les dispositions saintes
avec lesquelles vous devez vous acquitter de
l'ofOoe divin : ce sera le sujet de la seconde
partie. Honorez-moi, je vous prie, de toute
votre attention. Ave, Maria.
PREMliiUE PARTIE.
Pour vous engager. Mesdames, à vous
acquitter de l'oltice divin, dans de saintes
dispositions, ou pour mieux dire, pour en-
tretenir et pour perfectionner les saintes
dispositions avec lesquelles vous avez cou-
tume de vous en acquitter, je vous prie do
faire avec moi trois réflexions bien impor-
tantes, et que vous regarderez sûrement
comme telles; c'est, en premier lieu, que
l'office divin n'est point une prière adressée
à de simples créatures, mais une prière 6U
Créateur, à votre Dieu lui-même. C'est, en
second lieu, que l'ofTice divin n'est poidl
précisément votre prière, je veux dire ano
prière particulière, arbitraire et de pure dé-
votion pour vous, mais une prière publique,
faite au nom de l'Eglise et à laquelle elle'
vous oblige indispunsablement ; c'est, en
troisième lieu, que l'office divin n'est point
une prière passagère que vous récitez ra-
rement et de loin à loin , mais une prière
fréquente, que vous adressez à Dieu cha-
que jour, et plusieurs his le jour : trois
réflexions qui, en vous démontrant l'excel-
lence de l'office divin, vous prouveront
également que vous ne devez rien négliger
pour vous en acquitter d'une façon qui soit
agréable à Dieu et avantageuse pour vous-
mêmes.
I. Et d'abord. Mesdames, je pourrais vous
faire remarquer que l'office divin est une
prière excellente en elle-même, comj)Osée
de tout ce qu'il y a déplus élevé, de plus
sublime dans les divines Ecritures, de \>\us
dévot et de plus instruclif dans les ouvrages
des «Pères et des docteurs de l'Eglise, de
plus admirable et de plus édifiant dans les
iS
DISCOIÎRS DE RETRAITE. — PREMIER JOUR.
ocles lies saints; mais, sans insister ici sur
lotîtes cos considérations, je dis quo c'est
une piiùrc adressée à Dieu, première raison
de son excellence et premier motif qui doit
vous enj^agerà la bien faire. Oui, Mesdames,
te tribut de louanges que vous pa^ez chaque
jour, ce n'est point à un grand, à un sou-
verain de la terre, à une simple créature
(]ue vous l'oflrez, c'est à runi(|ue et souve-
lain maître de l'univers; c'est votre Créa-
teur et votre Dieu que vous adorez, (pie
vous priez, (jae vous louez; quoi de plus
excellent , quoi de plus Iionor;ib!e pour
vous? Tantôt, î> la vérité, vous chantez, dans
vôtre olliee, 1rs mystères glorieux ou dou-
loureux du Dieu sauveur; tantôt cesont ceux
de la divine Marie, sa très-sainte mère, qui
en sont l'objet ; d'autres jours vous exaltez
les vertus des saints, leurs coudrais et leurs
triomphes : mais, dans ces dilférents sujets
ijui remplissent, dans toute une année, votre
saint ollice, c'est toujours votre Dieu qui en
est l'objet principal et la fin dernière; c'est
toujours votre Dieu que vous honorez, c'est
à votre Dieu que vous rendez mille actions
de grûces des grandes merveilles qu'il a
opérées pour la rédemption des hommes;
c'est à votre Dieu que vous rapportez tous
les éloges (|ue vous donnez aux saints et à
ia reine elle-même de tous les saints; c'est
lui que vous remerciez des grâces sans
nombre qu'il leur a accordées sur la terre,
et des biens infinis dont il a daigné récom-
j)euser leurs vertus dans le ciel ; c'est-à-
dire, Mesdames, que vous faites en partie
sur la terre, et autant que la faiblesse hu-
maine peut vous le permettre, ce que vous
ferez un jour et éternellement, et d'une ma-
nière bien plus parfaite et [ilus excellente,
dans le séjour de la gloire; que vous faites
ce que font dès à présent les chœurs des
anges et cette multitude de saints et de
saintes qui y sont dé']<\ introduits, et dont
toute I occupation consiste à rendre à leur
Dieu des hommages perpétuels d'adoralio'i,
de louanges et d'actions de grûces, des
gianJts choses qu'il a faites dans eux tous;
quoi de plus glorieux I quelle fonction plus
lionoiable el qui demande d'être rem|/lie
avec plus d'attention et de religion! Mais
veici une autre excellence de l'ollice divin,
el uu« autre raison qui doit vous ()orter à
cette attention, à celle religion, en le réci-
tant ; c'est une prière adressée à Dieu au
nom de l'Eglise.
11. Une prière particulière el de pure dé-
votion que vous faites, pur la raison que
c'est une prière adressée direcleuienl à
votre Dieu, doit se luire toujours avec reli-
gion, avec piété; y manquer, ce serait plu-
tôt l'olfenser que le prier : muis cette reli-
gion, celtepiélé doivent paraître tout autre-
ment encore, lorsque vous récitez l'ollice
divin, parce qu'à parler i)roprement ce
n'est point alors votre prière que vous
faites, je veux dire (jue ce n'est point une
prière particulière el secrète, fiui soit à votre
(Jévolion el de voire choix ; c'est une prière
téuérale et |)ublique, la prière de l'Eglise,
4«
votre mère; c'est en son nom et comme
députées par elle, que vous la faites. Lors-
que la saillie Eglise consacre (piehpies mi-
nstres dos saints autels, elle les consacre,
h la vérité, dans l'intenlion el avec res()é-
rance qu'ils rempliront avec fidélilé toutes
les fonctions de zèle du salut des Ames,
attachées au s;iint ministère (qu'ils embras-
sent : mais elle les reçoit et les adopte do
plus comme ses ministres, dans l'inleniion
que, chaque jour et on son nom, ils payeroi.t
au Séigneu!' nit tribut de |)rières et d(!
louanges; et voilà, Mesdames, la ressem-
blance et la conformité que vous avez avec
les ministres de Jésus-Chiist et de son
Eglise : voilà l'illustre (trérogutive quo vous
partagez avec eux, en sorte (jue quand vous
vous êtes présentées aux pieds des saints
autels pour être admises au nond)re des
épouses du Ditîu sauveur, dans un oidre,
un inslllut solennellement a|)prouvé par
l'Eglise, lorsqu'elle vous a reçues dans cet
institut et adoptées, en cette qualité, par
un de ses ministres député par elle à cet
effet; dès lors, par celte c >nsécration qu'elle
a l'aile de vous au Seigneur, elle vous a
imposé, comme à ses ministres, l'obliga-
tion de réciter comme eux i'otlice dmn ;
obligation qui, selon les docteurs et les ca-
suistes, vous oblige élroileineiitcomme eux,
el si étroitement qu'y manquer une seule
fois, sans raison et sans disjjense, ce serait
vous rendre coupables devant Dieu d'uu
{)éché grief.
Mais ce qui relève infiniment celle fonc-
tion de votre étal, et qui doit vous engager
à vous en acquitler avec piété, ce sont les
nobles fins, les motifs surnaturels qui ont
engagé l'Eglise à vous en charger, comme
elle en a chargé ses ministres; car, prenez
garde, s'il vous plaît, Mesdames, ce n'est
pas seulement pour rendre au Seigneur
l'hommage et le culte qui lui sont dus, c'est
15 sans doute la première fin qu'elle a en
vue, tit qui est même si nécessairement at-
tachée à toute prière ei général qu'elle ne
peut jamais en être séparée, mais c'est de
plus afin que vous demandiez au Seigneur
toutes les grâces et tous les secours qui lui
sont nécessaires, qu'elle vous charge de la
prière, de l'oflice oivin; c'est afin que vous
demandiez au Seigneur la conversion das
infidèles; que son culte, que sa religion
s'étende de plus en plus sur la terre, en
permettant que son Evangile soit prêché
dans des légions encore assises à l'ombre
de la mort; que son saint nom soit connu
el adoré par des peuples qui ne le con-
naissent pas ; c'est afin (jue vous demandiez
au Seigneur la conversion des hérétiques,
qu'elle ail la consolaiion de voît tous ses
enfants soumis à ses décisions, que la foi
se conserve dans toute sa pureté, dans les
Etats (|ui la possèdent, (ju'elie ressuscilo
dans ceux qui l'ont malheureusement per-
due ; elle n ignore pas que celte foi, jus-
qu'au dernier avènement de Jésus-Chrisl,
ne peut périr et manquer eiilièreiiicnl ; elle
sait que son divin fondateur, que le Dieu
n
<mATEURS SACRES. L'ABBE DE MOINTIS.
48
Sauveurqui n*a pu se Iromper ni la tromper,
lui a promis que les portes de l'enfor ne
prévaudraient jamais contre elle ; que
toujours le Saint-Esprit Tassislerait, i'éclai-
rerai.t, la conduirait; mais elle sait aussi
que dans tous les temps elle a éprouvé des
schismes, des divisions, des hérésies; que
son céleste Epoux a déclaré qu'il fallait
qu'il y en eût pour faire connaître ceux
qui sont sincèrement à lui ; que ce Dieu-
Sauveur veut être prié ; que c'est aux prières
des vrais fidèles qu'il accorde la cessation
des troubles, des révoltes'qui déchirent le
sein de son Eglise : c'est aussi pour cela,
Mesdames, que celte Eglise vous oblige
journellement à la prière ; c'est encore afin
que vous demandiez au Seigneur la con-
version des pécheurs, que vous sollicitiez
de son infinie miséricorde ces grâces fortes,
ces secours efiicaces qui leur faisant con-
naître la beauté de la vertu, et toute la ma-
lice, l'horreur du péché, leur inspirent une
vraie confusion , un repentir sincère de
l'avoir commis, une résolution ferme et
constante d'y renoncer pour toujours ; si
l'Eglise vous impose le devoir de la prière,
de l'office divin, c'est afin que vous obteniez
encore du Seigneur, pour tous les justes,
la grâce de la persévérance ; que vous le
conjuriez d'augmenter sans cesse en eux
les vertus de foi, d'espérance et de charité,
cet amour ardent pour lui qui les fasse ré-
sister constamment aux différents assauts
que leur livrent continuellement les enne-
mis de leur salut, et croître chaque jour en
vertus, en mérites, jusqu'à ce qu'ils aient
le bonheur de voir et de posséder Dieu dans
l'éternité.
C'est encore, Mesdames, a(in que vous
priiez le Seigneur pour ceux des lidèles qui
ont déjà payé le tribut à la mort, mais
qui, quoique morts dans la grâce et dans l'a-
milié do leur Dieu, expient cependant dans
l'autre vie, des fautes qu'ils n'ont point as-
sez pleurées et expiées dans celle-ci; que
vous priiez surtout pour les fondateurs et
les bienlaiteurs de votre communauté et do
tout votre institut: que vous remplissiez
fidèlement par là leurs pieuses intentions;
si l'Eglise vous commet et vous dé|)ute
pour réciter le saint odice, c'est afin qu'en
édifiant les fidèles par vos fréquentes et fer-
ventes prières, par vos cantiques réitérés
en l'honneur du Seigneur, vous le sollicitiez
également pour vous et pour toutes celles
qui, comme vous, ont renoncé généreuse-
ment et pour toujours au monde, et à tous
les biens et à tous les avantages du monde;
que vous le priiez de vous inspirer à toutes
un sincère et constant amour de votre saint
état, et une volonté ferme et courageuse de
rfm[)lir, jusqu'au dernier moment de votre
vie, les engagemenls sacrés que vous avez
contractés solennellement avec votre Dieu ;
d'augmenter sans cesse en vous toutes cet
esprit de foi, de piété, de ferveur, de régu-
lante si- consolant pour l'Eglise, si édifiant
pour les fidèles et si avantageu?^ pour
vous.
Voilà, Mesdames, ceque la sainte Eglise,
votre mère, exige de vous, ce qu'elle attend
devons; telle est la noble fin, telles sont
les intentions surnaturelles et sublimes
qu'elle se propose, en vous imposant l'obli-
gation de réciter le saint office : ce n'est pas
seulement , comme vous voyez, de vous
unir à votre Dieu, à votre céleste époux, et
de vous sanctifier vous-mêmes ; c'est de
plus, afin que vous attiriez sur elle et sur
tous les éiats qui la composent, les grâces
et les bénédictions du ciel; les prêtres, les
ministres de Jésus-Christ, en les chargeant
du soin du salut des âmes, elle en fait autant
d'intercesseurs, de médiateurs auprès do
Dieu : également, Mesdames, en vous ad-
mettant au rang des épouses de Jésus-Christ,
et en vous imposant, comme à eux, encetle
qualité, l'obligation de réciter l'office divin,
elle vous charge comme eux, quant à cet
objet, de la môme intercession auprès de
Dieu; elle fait de vous toutes autant de
médiatrices occupées à solliciter et à faire
descendre sur les justes et sur les pécheurs,
sur l'Eglise militante et sur la souffrante,
les secours et les grâces dont elles ont be-
soin; or quel honneur pour vous d'être
ainsi associées au saint ministère, de vous
trouver par là , comme les ministres de
l'Eglise, placées entre Dieu et les hommes,
pour exercer votre médiation et employer
votre crédit! Mais de plus, quel avantage,
quel bonheur pour vous, si en effet, par
l'assiduité et par la ferveur de vos offices
publics, vous réussissiez à attirer sur la
terre les grâces et les bénédictions du ciel 1
Si vous veniez à procurer par là à quelques
justes, la grâce de la persévérance finale,
ou à quelques pécheurs, celle d'une sin-
cère conversion, d'un parfait retour à Dieu ;
si vous obteniez à quelqu'une de ces âmes
qui souffre dans les fiammes du purgatoire,
la délivrance de leurs tourments et leur
entrée dans le séjour de la gloire ! Encore
une fois, quel bonheur et quel avantage
pour vous! Quoi de plus propre à attirer
sur vous-mêmes une abondance de grâces
et de faveurs du ciel?
III. Mais un troisième motif bien firopro
à vous faire acquitter de ce saint exercice
avec toute l'alteniion et toule la religion
dont vous êtes capables, c'est qu'il est pour
vous un exercice fréquent, et très -fréquent,
un exercice de tous !es jours. Une œuvre
de religion, un exercice de piJté, une prière
que nous aurions à faire, une seule fois,
dans une année, et dont nous nous acquitte-
rions avec peud'altentioii, serait toujours une
offense de Dieu, ce ser.iit l'indisposer par
conséquent contre nous, et le forcer à nous
priver des grâces qu'il est toujours disposé
à communiquer aux âmes qui jle servent
avec fidélité et avec amour; cette offense
serait tout autrement griève encore et plus
préjudiciable pour nous, si c'était une œu-
vre, un exercice, une prière dont nous eus
sions à nous acquitter, une fois chaque
mois, ou chaque semaine, ou chaque jour;
notre faute, notre ollcnse de Dieu serait
49
DISCOURS DE RETRAITE. — PREMIER JOUR.
50
(l'aulanl plus considérable qu'elle se réllé-
rcrail plus souvent. Que serait-ce donc,
Mêsd.ituos, et combien, vous cl luoi, nous
rt'ndrions-nous coupables aux yeux de noire
Dieu, et redevables à sa justice, si nous
nous acquittions mal, dans de mauvaises
dis"positions, d'un oflice dont l'Eglise nous
charge et qu'elle nous ordonne de réciter
plus d'une fois dans la journée, en sorte
que nous pouvons nous glorifier, et dire au
Seigneur, comme le Roi-Prophète, que jus-
qu'à sept fois dans le jour, nous avons le
bonheur de lui adresser nos vœux et nos
prière»:, de chanter publiquement ses louan-
ges ? seplies in die latidem dixi tibi. {Psal.
CXVIII, 16i.) Quelle dill'érence pour nous
do nous bien acquiller de ce devoir, ou de
nous en acquitlir mal I Quel avantage ou
quel préjudice, dans l'ordre de notre salut!
Ah ! un sujet, un courtisan qui aurait la
permission, ou qui, par sa place, serait
obligé de se présenter tous les jours et
plusieurs fois le jour devant son prince,
son souverain, qui aurait par là la liberté
de lui faire sa cour, de solliciter ses grAces
et ses bienfaits, avec quelle attention [l'en
profilerait-il pas, et que ne ferait-il point
pour se rendre agréable aux yeux de son
souverain?
Or, Mesdames, je vous l'ai dit, et je ne
puis trop vous le répéter, ce n'est point à
un grand, à un prince de la terre que vous
avez à rendre, chaque jour, et plusieurs
fois le jour, vos respects et vos hommages,
et à demander des grâces; hélas ! il pour-
rait, ce prince, ce souverain, ou ne pas
s'en apercevoir , ou ne pas se rappeler
tout ce que vous auriez fait pour lui ; mais
c'est le Maître des souverains de la terre,
c'est votre Créateur et votre Dieu qui vous
a fait l'honneur de vous choisir, par préfé-
rence h une infinité d'autres, pour vous
mettre au rang de ses épouses; c'est ce
Dieu unique et tout-puissant qui voit tout,
qui connaît tout et qui peut tout, que vous
adorez et que vous honorez si souvent;
c'est à lui que vous offrez chaque jour, et
plus d'une fois le jour, des sacrifices de
louanges, et autani au nom de l'Eglise,
votre mère, qu'en votre [)ropre nom; avec
quel respeci, el dans quels sentiments de
religion ne devez-vous donc pas vous ac-
quitter do ce devoir, de ce saint exercice.
Ah 1 le Dieu Sauveur l'a dit lui-même, que
lorsque deux ou trois seraient rassemblés
en son nom il se trouverait au milieu
d'eux, non d'une présence oisive et stérile,
mais d'une présence utile et bienfaisante;
qu'est-ce donc, et que ne doit point atten-
dre et éprouve!' une troupe de vierges, ses
épouses , lorsque, rassemblées sous ses
veux el dans un de ses temples, elles réu-
nissent leurs voix pour l'adorer, le prier et
chanter ses louanges; qu'elles s'acquittent
de ce devoir avec une piélé une religion qui
pruuvetjue leur cœur est de concert avec leurs
lèvres, el qu'ellesscnlent au dedans d'elies-
niômos cequ'ellesexprimentau dehors? Quoi
de plus capable d'attirer sur filles des grâces
privilégiées et les plus abondantes bénédic-
tions du ciel? Quel spectacleen effet plus édi-
fiant, j'ose dire môme plus consolant, plus
ravissant? Qu'un fidèle du siècle entre dans
une de ces maisons du Seigneur, dans le
temps qu'elle retenlit des pieux cantiques
de ces vierges chrétiennes, il est intérieu-
rement ému, il lui semble entendre la mé-
lodie des esprits célestes qui meltent leur
bonheur à rendre à leur Dieu des homma-
ges et des louanges. Oui, l'on a vu quel-
(luefois des pécheurs, des impies même tel-
lement frappés et touchés de sentiments
de religion, en les entendant, ces vierges,
chauler les louanges du Seigneur, qu'il n'en
a pas fallu davantage pour les faire rentrer
en eux-mêmes et leur faire renoncer pour
toujours à leur mauvaise conduite, à leur
impiété.
Mais aussi. Mesdames, par une raison
tout opposée, quel objet de scandale pour
les chrétiens du monde, et quelle douleur
pour l'Eglise, lorsque ces vierges, ces
épouses de Jésus-Chrisl, oubliant ce qu'elles
lui doivent et ce qu'elles se doivent à elles-
ujômes, paraissent s'acquitter de cel exer-
cice, de celle fonction, avec une indévolion
qui se manifeste sensiblement au detiors !
Quel compte n'auront-elles pas à rendre un
jour au Seigneur, pour l'avoir servi et prié
d'une manière si peu digne d'elles et de lui I
Bien loin d'attirer ses grâces el ses béné-
dictions, elles ne font par là, que l'indis-
poser, qu'irriter même son cœur à leur
égard ; les disgrâces, les malheurs temporels
qu'elles éprouvent quelquefois, elles peuvent
l'altribuer au peu Ue religion, à celte indé-
volion avec laquelle elle se sont fait une
malheureuse et criminelle habitude de ré-
citer le saint office. Grâces immortelles en
soient rendues à l'infinie bonté de notre
Dieu, l'on n'a rien de pareil à vous reprocher.
Mesdames; mais, pour vous engagera per-
sévérer constamment dans ces saintes dis-
positions, et à continuer d'édifier par là et
de consoler l'Eglise, après vous avoir fait
voir les raisons qui doivent vous engager à
réciter l'office divin avec religion, je dois
vous entretenir également des dispositions
que vous devez apporter, pour le réciter
avec fruit. C'est le sujet de la seconde partie.
SECONDE PAUTIE.
Vous le savez, Mesdames, il n'est point
d'action dans la journée qu'une personne
chrétienne, et qu'une épouse de Jésus-
Christ encore plus, ne doive rapporter à
Dieu; en sorte que si une seule ne pouvait
par elle-même être susceptible de ce rap-
port surnaturel, dès lors ce serait une ac-
tion déréglée qu'il réprouverait absolument.
C'est pour cela que l'apôtre saint Paul or-
donne aux fidèles de faire tout el juscju'aux
actions les plus communes, les plus indiffé-
rentes, pour la gloire de Dieu : mais quoique
toutes les actions en général d'une créa-
ture raisonnable doivent être rap[)ortées à
Dieu, faites pour Dieu, et dans des disposi-
tions par conséquent digues de Dieu, il en
51
ORATEURS SACRES. L'ARBE DE MONTI&.
tvU cependant qui, ayant un rapport plus
iiiiruL'diat à Dieu, demandent aussi de plus
.«airiles dispositions, exigent d'être faites
.vyec- plus d'attention et de religion. Tel est,
]\l(;sdames, rotlice divin qui a directement
I our objet et pour fin de chanter les
louanges de Dieu, d'implorer, pour nous
tous, ses miséricordes. Pour vous les expo-
fer en détail et avec onlro, ces disposiiions,
je dois distinguer trois temps, celui'qui pré-
cède l'oince divin, celui qui l'accompagne
♦U celni qui le suit ; or je dis qu'il est, par
rapport à ces différents temps, des disposi-
tions différentes que jo regarde comme es-
sentielles pour bien remplir ce devoir de
l'odice divin; je vais vous les expliquer
tout simplement, afin que d'un simple
coup-d'œil vous puissiez, en réfléchissant
sur vous, juger si vous laites, par rapport h
fie saint exercice, tout ce que vous devez
faire pour le rendre agréable au Seigneur et
mile à vous-mêmes; renouvelez-moi, je
vous prie, voire attention.
1. Dispositions qui doivent précéder l'of-
fice divin. Je les réduis à trois : recueillir
son esprit, purifier son cœur, diriger son
intention. Je reprends, et je dis en premier
lieu, recueillir son esprit; avant de voiis
mett.'-e à la prière, dit le Saint-Esprit, il faut
vous y [)réparer : Ante orntionem, prœpara
ariimam (uam.{Eccli,XVlll,23.)Or \a première
préparation et une des plus essentielles, sans
laquelle mên>e toutes le autres deviendraient
inuliles, c'est le recueillement, c'est de pen-
ser qu'on va se présenter devant son Créa-
teur et son Dieu, pour lui rendre des hom-
mages, pour lui faire des demandes, pour
solliciter ses grâces. Il faut donc pour cela
se mettre véritablement, et autant qu'il est
en soi, en sa sainte présence; il faut penser
à lui, n'être même occupé que de lui; il
faut éloigner avec soin tout autre objet de
son esprit, chasser tout autre idée, quelque
bonne d'ailleurs qu'elle soit, dès qu'elle
serait capable de distraire du grand objet
qui est Dieu, et de le faire perdre de vue ;
dès lors elle serait déplacée; le recueille-
ment, le vrai recueillement dit tout cela,
exige tout cela; et .nrenez garde de plus,
Mesdames, que quand je dis que pour bien
dire ou bien chanter l'office divin il faut
être dans le recueillement, je n'entends pas
seulement ici un recueillement passager
qui précède immédiatement, et de quelques
moments ce saint exercice; j'entends de
plus un recueillement habituel qui em[iôche
qu'en tout autre temps on n'épanche trop
son esprit, qu'on ne le livre trop facile-
ment à des objels indifférents, étrangers à
l'ouvrage de sa perfection. Hélas! on se
plaint quelquefois qu'on ne peut le retenir,
cet esj)rit; que, jusque dans la prière et aux
pieds des saints autels, on se trouve assaillie
de mille pensées importunes dont ne peut
se défaire; mais comment cela ne serait-il
pas, lorsqu'on vit dans une dissipation con-
tinuelle; ([ue, hors le temps de sa prière et
de la méditation, l'on donne une libre car-
rière à ses sens; qu'on ne se fait aucun
scrupule de s'occuper de mille pensées, si-
non dangereuses, du moins inutiles et par
ïi\ toujours nuisibles à la perfection? Voulez-
vous donc, Mesdames, être moins distraites
dans vos exercices de religion et de piété,
et à l'office divin surtout? failes-vous une
sainte habitude du recueillement intérieur;
accoutumez-vous peu à peu cependant et
sans effort d'imagination, h vous tenir et à
marcher constamment en la présence de
Dieu; pensez souvent qu'il est sans cesse à
vos côtés, qu'il est même au dedans de
vous, que vous êtes toutes pénétrées de son
immensité, et qu'il fait sa résidence au mi-
lieu de votre cœur; rendez-vous familier ce
saint exercice, et alors vous n'aurez aucune
peine h vous recueillir; vous vous trou-
verez même tout naturellement recueillies,
lorscpi'il s'agira de chanter ou de réciter les
louanges du Seigneur.
J'ai dit, en second lieu, purifier son cœur.
Ah ! Mesdames, il s'agit, vous le savez, dans
ce saint exercice de l'office divin, il s'agit
de rendre vos hommages à votre Créateur
et à votre Dieu; de lui offrir, chaque jour,
un tribut d'adoration et de louanges, de
solliciter, tant en votre nom qu'au nom de
l'Eglise, ses grâces et ses bienfaits. Pour-
riez-vous espérer d'être exaucées, d'être
écoutées môme dans vos prières, je ne dirai
pas seulement, si votre âme était souillée
de quelque péché mortel, quelle apparence
qu'il exauçût alors une de ses épouses qu'il
regarderait comme une de ses ennemies,
comme un objet de sa haine et de sa colère;
je ne dirai pas encore, si vous étiez cou-
pables à ses yeux de quelques péchés vé-
niels, la volonté même du juste est si
faible que, comme le dit le Saint-Esprit, il
touibe jusqu'à sept fois par jour; mais je
dis, si votre cœur était affectionné au péché
véniel, en sorte que vous ne vous lissiez
aucune peine de le commettre, de dé|)laire
à votre céleste Epoux, par mille fautes,
mille infidélités qui ne pourraient que l'é-
loigner de vous et arrêter, à votre égard,
le cours de ses grâces. Ce qui est donc bien
nécessaire pour fléchir son cœur et le
rendre attentif et favorable à toutes vos de-
mandes, c'est de travailler h tenir voire
cœur dans la plus parfaite innocence, en
évitant, avec soin, tout ce qui pourrait l'of-
fenser et lui déplaire; c'est de lui prolester,
de temps en temps et souvent même, que
vous voulez vivre et mourir dans cette
sainte disposition, si digne d'une épouse de
Jésus-Chris! ; c'est de ne jamais vous pré-
senter devant lui, pour le prier et chanter
ses louanges, sans avoir produit un acte do
douleur, de contrition, sans lui avoir de-
mandé bien sincèrement pardon des fautes
de toute votre vie, et de celles surtout dont
vous vous êtes rendues coupables, depuis
que vous avez le bonheur d'être à son ser-
vice, dans le saint état de la religion.
Je dis, en troisième lieu, diriger son in-
l(;ntion, c'est-à-dire. Mesdames, que quand
voiis vous disposez à réciter le saint ollice,
vous devez prendre garde à ne l'as faire,
hl DISCOIUIS DE RETllAlTl
par rouline, par respect humain, une action
sainte que vous répétez si souvent ; vous
devez pour cela, l'offrir à Dieu en général,
pour tous les besoins de l'Eglise et pour les
vôtres en particulier : vous devez aller 5 ce
saint exercice, avec la résolution de vous
en acquitter avec autant de religion et de
piété, que si c'était la dernière fois de votre
vie que vous eussiez à vous en acquitter ;
vous devez pour cela renoncera toute dis-
traction, éloigner avec soin tout ce qui se-
rait capable de vous en procurer; vous devez
im[)lorer, mais sincèrement, mais de tout
votre coeur, les regards et les secours de
votre Dieu, lorsqu'on commençant volie
otlice, vous lui dites -.Deus. in adjulorium
meum iutende {Psal. LXIX,2) : Daignez, Sei-
gneur, venir à mon secours ; aidez -moi vous-
même, par votre grâce, à vous louer. Voilà
les dispositions saintes qui doivent précé-
der votre office divin.
II. Il en est d'autres qui doivent l'accom-
pagner; je les réduis à trois également, à
l'attention, à la dévotion, à l'exactitude. Je
dis premièrement aittntion. Ce n'est pas
précisément, Mesdames, h dire l'office divin
que l'Eglise vous oblige, mais à le bien
aire;ensorle que le dire sans réflexion,
avec des distractions volontaires, ce n'est
plus, de l'aveu de tous les casuistes, satis-
faire au précopte ; c'est de la prière faire un ,
péché, comme le dit le Roi-Prophèle, oralio
ejusfiat mpecfafum.(i'sa/.CVllI,16.) Un sujet,
celte réflexion est des:iinlAuguslin,unsujet
qui se présenterait devant son roi, son souve-
rain,pour lui faire sa cour et en obtenir quelque
grâce, qui interromprait aisément des hom-
mages qu'il lui devrait pour s'entretenir
avec d'autres et avec les ennemis du prince
peut-être, quelle injure, quel outrage ne lui
ferait-il pas? Bien loin d'en obtenir la grâce
qu'il solliciterait, ne mériterait-il pas d'en
être rejeté et puni ? Qu'est-ce donc, à plus
forte raison, et quelle injure une simple
créature ne fait-elle pas à son Créateur,
lorsqu'elle se conduit d'une façon si peu
respectueuse en sa présence? Vous devez
donc, Mesdames, pour plaire à votre Dieu
et pour attirer sur vous ses giâces et ses
bienfaits, par l'office divin, appliquer votre
esprit, sinon au sens des paroles que vous
n'entendez pas, du moins à votre Dieu, qui
est l'objet et la fin de ces paroles et.de toutes
vos prières, et vous y ap{)liquer d'autant
plus que le démon qui sait combien ce
saint exercice peut vous être avantageux,
met tous ses etlorts pour vous distraire et
détourner votre esprit à des objets étran-
gers.
J'ai dit secondement, dévotion. C'est le
' cœur surtout. Mesdames, qui doit prier , et
c'est son amour pour Dieu qui doit le faire
prier et lui faire sentir, comuje dit saint Au-
gustin, ce que la bouche profère ; (|uand
.vous serez en effet animées de ce sentiment,
quand l'amour de Dieu dominera dans vot'e
itœur sur tout autre amour, vous vous a<;-
I quitterez alors du saint exercice de l'offirc
divin avec cet intérieur, cet esprit de piété,
- PREMIER JOUR.
fil
qu'il est plus aisé de ressentir que de défi-
nir; esprit de pitié qui fait qu'en récitant
ou en chantant l'office divin, on évite une.
certaine négligence, une lenteur excessive,
plus propre à éteindre la vraie dévotion qu'à
l'exciler, et qu'on évite encore plus, une
précipitation dans les paroles, plus capable
de scandaliser que d'édifier. Oui, Mesdames,
et je dois vous le dire ici, s'il n'est rien de
(tlus édifiant qu'une société de vierges qui,
toules ensemble, chantent avec dévotion et
avec une sainte gravité les louanges du
Seigneur, si les chrétiens du siècle jugent
alors que des vierges qui s'acquittent de co
devoir aussi chrétiennement, ne peuvent
qu'être très-religieuses dans toute leur con-
duite; rien au contraire n'est plus scanda-
leux et ne donne d'elles une plus mauvaise
idée, que de les entendre s'acquitter, d'une
façon indévoie, avec précipitation, d'un de-
voir aussi important; on ne peut s'empê-
cher de leur appliquer alors ce que le Sei-
gneur disait des Juifs, par un de ses pro-
phètes; ce peuple, ces vierges , honf)rent
leur Dieu du bout des lèvres, mais leur
cœur est bien éloigné de lui : on juge alors
et avec raison, qu'elles ont bien peu d'ar-
deur à 4ilaire à leur céleste Epoux, et bien
peu de zèle par conséquent, pour leur san-
ctification.
J'ai dit troisièmement, exactitude. Et d'a-
bord, exactitude par rapport au lieu. Je veux
dire. Mesdames, que c'est au chœur et toutes
ensemble, que vous devez réciter ou chan-
ter l'ofllce divin. Car prenez garde, s'il vous
plaît, que vous avez, par rapport à l'oflice
divin, deux obligations distinguées; l'une
de le réciter chaque jour, c'est l'Eglise qui
vous l'impose; y manquer sans raison, ce
serait, je vous l'ai déjà dit, vous rendre très-
coupables à ses yeux et aux yeux de votre
Dieu : l'autre obligation, c'est de le réciter
en chœur et en commun; c'est votre règle,
ce sont vos constitutions qui vous le pres-
crivent ; ensorle qu'une religieuse qui se fe-
rait une habitude de ne point assister au
chœur, ou qui, sous de faux prétextes, s'en
ferait dispenser par ses supérieures, irait
sur un article très-important contre l'es-
{•rit de son institut, transgresserait un de-
voir essentiel, serait un sujet de scandale
pour ses sœurs, et. s'exposerait à s'entendre
repr0(;her un jour par le Seigneur qu'elle
s'est opposée, autant qu'il a été en elle, à
ce qu'il fût publiquement loué et glorifié
dans sa communauté.
Je dis encore, exactitude par rapport au
temps; je veux dire. Mesdames, que quand
le signal vous appelle au chœur, pour chan-
ter le. louanges du Seigneur, vous devez
dans l'instant quitter tout, et vous rendiu
promplement dans ce saint lieu; rien ne
manifeste plus, dans une épouse de Jesus-
Christ, un cœur lâche et peu fervent, que
cette indolence, cette paresse à se rendre
à ses exercices, rien aussi ne lui est plus
préjudiciable; car vous le savez, il est, pour
ch3(iue exercice, une grâce particulière :
mais c'est au premier instant, c'est à celte
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
56
firomptitiide a se rendre h l'exercice, que
le Seigneur a attaché cette grâce : manquer
io moment par sa faute, c'est se priver de
cette grâce, et par-là des nouveaux niériles
([ii'elle aurait proiJurls. Jesus-Clirisl lui-
même confirme celte vérité par la paral>ole
des vierges folles qui furent exclues pour
toujours de la salle et de la compagnie de
l'Epoux, parce qu'au lieu de se tenir |)r6les
!>u premier signal de son arrivée, elles s'é-
taient lâchement endormies.
Je dis enfin, exaeliiude par rapport au
« liant. Je veux dire, Mesdames, qu'une reli-
gieuse ne doit pas se Ijorner à se tenir do
corps dans un chœur avec ses sœurs. Lors-
que l'Eglise et ses constitutions lui enjoi-
gnent de dire l'otfice divin au chœur et en
commun, c'est afin qu'elle unisse sa voix à
celle de ses sœurs, qu'elle cliatUe et sou-
tienne le chœur, autant qu'il est en elle;
ce ne serait donc point remplir sou de-
voir et tout, son devoir si, par lâcheté, par
indiiïérence, par dégoût ou par amour d'elle-
niônie, pour ne point se fatiguer, elle ne
daignait pas chanter, autant qu'elle le peut,
avec ses sœurs. Ah ! .Mesilanies, nue épouse
de Jesus-Christ peul-el!e faire un plus bel
usage des ses forces, et peut-elle trouver
de la répugnance et du dégoût à faire, de
temps en temps, sur la terre, ce que font
sans cesse les saints dans le ciel , ce qu'elle
y fera éternellement elle-même, si elle a le
bonheur d'êtie de ce nombre? Telles sont
les dispositions saintes qui doivent accom-
pagner le saint office.
liL II eu est enlin qui doivent le 'suivre,
et que je réduis à deux. La première, c'est
de remercier Dieu de vous avoir souffertes
en sa sainte présence; c'est de ne point
sorlif du chœur, du saint lieu où vous avez
chanté ses louanges, sans lui rendre les plus
sincères actions de grâces de vous avoir
permis de paraître devant sa Majesté su-
|)rôme, et d'avoir bien voulu prêter l'o-
reilie aux louanges et aux prières que vous
lui avez adressées. Quelle reconnaissance un
courtisan ne conserverait-il pas pour son
souverain qui aurait daigné l'écouter, et
qui aurait paru dis|)0sé àlui accorder des
audiences aussi longues et aussi fréquentes
qu'il pourrait le désirer 1 Do quels senli-
menls de gratitude et d'amour ne devez-
vous donc pas être pénétrées, vous. Mes-
dames, envers votre Dieu, le voyant tou-
jours prêt à vous écouter, lorsque vous vous
présentez devant lui, pour l'adorer et le
prier, et loujoursdisposé h vous exaucer, à so
rendre favorable à vos vœux et à vos prières?
La seconde disposition dans laquelle vous
devez entrer, après avoir récité l'office
divin, c'est de rélléchir un instant sur les
fautes que vous auriez pu commettre et les
distractions auxquelles vous auriez pu vous
iivrei-, eu le récitant; c'est d'en demander
sineèrement pardon au Seigneur, de vous
eu humilier profondément , en sa sainte
présence, de lui i)rometlre d'être plus atten-
tives et plus recueillies à l'avenir. Hélas 1
Mesdames, un i»iince de la terre qu'un de
ses sujets aurait ainsi ofTensé, dans un
temps qu'illui aurait accordé pour l'appro-
cher et pour l'entretenir, aurait peine h lui
pardonner ce défaut de respect; il se ren-
drait du moins beaucoup plus difficile h
lui permettre à l'avenir un accès auprès de
sa personne: mais notre Dieu, toujours
plein d'amour pour nous, dès qu'il aper-
çoit en nous un repentir sincère des fautes,
des irrévérences que nous avons eu le mal-
heur de commettre à son égard, et un bon
désir, une résolution ferme de mieux faire
à l'avenir, dès lors if les oublie, ces fautes;
il est loujonrs prêt h nous recevoir; il nous
reçoit en effet avec bonté comme aupara-
vant. C'est donc ce bon propos. Mesdames,
de prier votre Dieu avec plus d'attention et
de respect que par le passé, que vous devez
avoir en cessant de le prier; c'est, j'ose le
dire, le moy<»n le plus profire à vous pré-
server d'agir dans ce saint exercice qui so
répèle si souvent, par habitude ou par tout
autre motif purement naturel, et à vous en
faire retirer tout l'avantage qui y est at-
taché.
A[)rès toutes ces considérations, un re-
tour sur vous-n)êmes; réfléchissez sérieuse-
ment et devant Dieu, sur l'idée que vous
avez eue jusqu'ici de l'office divin, duquel
vous avez à vous acquitter chaque jour, el
sur les dis[)Osilions d'esprit et de cœur, avec
lesquelles vous vous en êtes acquittées.
Ahl Seigneur, si je veux les faire ici avec
attention et de bonne foi, ces réflexions, ce
retour sur moi-même, que n'ai-je point à
me reprocher 1 Et d'abord, je suis forcée
d'en convenir : ce saint office, cent et cent
l'ois je l'ai regardé plutôt comme une simple
[)rière de dévotion, dont je pouvais aisément
me dispenser, et dont en elTet, sans de légi-
times raisons, je me suis tant de fois dis-
pensée, que comme une prière aulhentiquu
et publique, dont votre Eglise me faisait
une obligation si étroite, que je ne pou-
vais, sans une vraie laison, y manquer
sans me rendre Irès-coupable à vos yeux.
Non, jamais, jusqu'à ce jour je n'ai bien
compris l'honneur qui est attaché à ce saint
exercice, qui m'unit étroitement à vous, qui
me fait faire en quelque sorte, dès cette vie,
ce que je suis destinée à faire éiernelleraent
dans l'autre, vous bénir et chanter vos
louanges. Hélas ! je n'ai pas mieux connu
les grands avantages que je pouvais en re-
tirer 1 Ai-jo jamais pensé à ces grâces et à
ces bénédictions particulières que vous avez
bien voulu y attacher?
Mais, Seigneur, si je veux réfléchir da
plus, sur mes dispositions habituelles, par
rapport à ce saint exercice, sur la manière
dont je m'en suis acquittée jusqu'à présent;
ah! que j'ai bien lieu de me confondre cl
de recourir à vos miséricordes infinies! Que
de relardemenls, sous les moindres pré-
textes! Que de lenteur à me rendre dans le
saint lieu destiné à vous rendre des adora-
tions et à chanter vos louanges! Mais do
plus, en les chantant ces louanges, que
d'indiflérenco, que de lâcheté, que d'égaro-
57
iiienls d esprit, que ue dislraclions vo!ou-
Inires, du moins dans leurs causes; (|ùo
d'ennui, que de dégoût qui n*a souvent que
trop paru à l'extérieur 1 Hélas! couibien do
lois peut-être j'ai par là scandalisé mes
sœurs! Ah! Sei^^neur, plusieurs de vos
épouses se sont santtitiées, principalement
en s'acquittant de ce saint exercice; plu-
sieurs de celles qui vivent avec moi se
sanctilient encore par ce moyen, je suis tous
les jours témoin de leur recueillement, de
cet esprit de religion, de loi, de piété, de
lerveur qui paraît les animer, en chantant
vos lou.inges : faites, Seigneur, que je puisse
les imiter désormais; laites que cet exercice
si saii.l, si important en lui-même, que je
renouvelle si souvent, et où il y a par con-
séquent tant à perdre ou à gagner pour moi,
lie soil pas un jour, le sujet de ma condam-
nation; laites que je chante toujours vos
louanges, d'une manière, si non digne de
vous, de votre grandeur et de votre Majesté
intinie, ce que ne peuvent même les esprits
et les bienheureux dans le ciel : mais que
je les chante du moins avec tous les senti-
ments de religion, de piété et d'amour dont
je suis capable; c'est la résolution que je
))rends dans ce moment, ô mon Dieu! Ueii-
dez-là, je vous en conjure, ellicace par
votre grâce, alin qu'aj)rès vous avoir prié et
adoré dans cette vie, je puisse d.ms l'autre
vous voir, vous adorer, vous louer, et vous
aimer dans les siècles des siècles. Ainsi
buit-il.
rUEMIER JOUR.
Troisième discours.
SUR LA MOBT d'uNE RELIGIEUSE DANS LE
PÉCBÉ.
Ouaerolis nie, cl in peccalo vcslro moriemiui. (Joan.,
VIIU 20.)
Vous me chercherez, et vousmourrez datis voire péché.
Telles furent. Mesdames, les terribles
nîonaces que Jésus-Christ fit aux Juifs in-
crédules; ôprès avoir employé, pendant les
trois dernières années de sa vie mortelle, les
moyens les plus pro|)res à leur ouvrir les
yeux sur la vérité de sa mission et sur la
divinité de sa [)ersonne, irrité de leur obs-
tination 5 le méconnaître el de leur malice,
jusqu'à attribuer au démon les prodiges sans
nombre qu'il opérait sous leurs yeux, prêt
de terminer son sacrifice et d'achever, [)ar
sa mort, le grand ouvrage do notre rédemp-
tion, il leur déclare que le temps de ses
miséricordes va bientôt passer pour eux;
qu'une fois remonté au séjour de sa gloire,
ils le chercheront, mais en vain , et qu'en
punition de leur résistance criminelle à ses
grâces, ils luourronl dans leur incrédulité,
dans leur péché : In peccalo veslro morie-
mini.
Hélas ! Mesdames, comrm* de chrétiens
dans le monde; je dis plus.y'tombien dans
le saint étal de la religion, participent à
celle menace du Dieu Sauveur! Combien
d'épouses de Jésus-Christ qui, après avoir
abusé, f)endant bien des armées peut-être,
d'une inlinilé de grâces, el connuis une in-
liaité do péchés, se trouvent tout à coup ar-
[DISCOLRS DE RETRAITE. — PREMIEll JOIR.
58
rêtées, au milieu de leur course quelque-
fois, et frappées par la mort, sans avoir le
temps de se reconnaître; qui, après avoir
longtemps abusé des miséricordes de leur
Dieu, éprouvent, dès cette vie, par la mort
dans le péché, les effets de sa justice !
Une personne chrétienne, une religieuse
mourir dans Iepéché,dansladisgrace, dans la
haine éternelle de son Dieu , quel sort, quel
plus grand malheur! C'est, Mesdames, pour
vous le faire éviter, que je viens vous en en-
tretenir et vous faire considérer l'état atfreux
d'une religieuse qui joint la mort avec le
péché. Or, je remarque que deux réflexions
et bien importantes contribuent alors à la
désoler, à la désespérer, cette mauvaise reli-
gieuse : la vue du passéel celle de l'avenir. Je
dis donc tout simplement (jue la vue du passé
commence son désespoir, je vous le ferai
voir dans la première partie de ce discours ;
j'ajoute que la vue de l'avenir met le com-
ble à sou désespoir , je vous le ferai voir
dans la seconde partie. Vous sentez , Mes-
dames, combien cette matière est impor-
tante; fasse le ciel que vous on soyez bien
pénétrées! Honorez-moi, de toute votre
a tien lion. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Un des plus communs et tout à la fois
un des plus funestes effets que produise dans
l'âme le péché, et surtout l'habitude du
[léché, c'est d'éteindre en elle les lumières
de la foi ; il n'est que trop ordinaire de voir
l'esprit du pécheur tomber dans l'aveugle-
ment, après que son cœur s'est livré à la
corruption; mais qui le croirait, cette foi
qui paraissait éteinte, pendant la vie, se
rallume, pour ainsi dire à la mort, et n'est
même jamais plus vive que dans ces der»
niers moments. Oui, Mesdames, celte per-
sonne religieuse qui, tandis qu'elle jouissait
d'une santé parfaite, semblait, par sa con-
duite , révoquer en doute les vérités les
plus etTrayautes de la religion, sitôt que la
mort se pVésente à elle , qu'elle eu sent les
premières atteinios, ah! que ses pensées
sont ditl'érentes do celles qu'elle avait quel-
ques jours aujiaravant ! Etendue sur un lit
d'où elle jirévoit ne devoir sortir que pour être
portée dans le tombeau, abandonnée entiè-
rement à ses réflexions, elle retombe enfin
sur elle-même; elle se considère sérieuse-
ment, et c'esl d'abord le passé qui se pré-
sente à son esprit, et deux objets impor-
tants l'occupent, par rapport au passé; la
conduite que son Dieu a tenue à son égard,
el la conduite qu'elle a tenue elle-même à
l'égard de son Dieu ; son Dieu l'avait uni-
quement créée pour lui ; il l'avait placée
dans un état saint et [larl'ail, afin qu'elle le
servit et le gloiili;U par des œuvres de per-
fection et de sainteté; elle voit qu'elle n'a
fait au contraire que lui déplaire el l'otren-
scr; son Dieu lui avait communiqué une
inlinilé de grâces, comme autant de moyens
propres à la sanclilier et à la faire parvenir
au ciel, auquel il l'avait destinée : elle voit
qu'au lieu d'entrer dans ses vues, de se
59
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
60
servir de tous ces moyens de perfoolion et
de snlnl, elle les a négligés, qu'elle s'en
est même servie |)Our l'offenser : ainsi,
Mesdames, les péchés que celle religieuse a
commis, les grâces donl elle a abusé, ^ deux
grands objels qui l'occupent, qui l'aflligent
dans sps derniers momenls, et qui commen-
cent son désespoir.
I. Je dis que la première vue d'une mau-
vaise religieuse, à la mort, est cel'e des
péchés qu'elle a coramis ; mais comment les
voit-elle? Ah I Mesdames, elle les voit
comme Dieu les lui fera voir, lorsqu'elle
paraîtra à son redoutable tribunal; elle les
voit tous, elle les voit tous ensemble ; elle
les voit tous, sans interruption; elle les
voit tous, dans toute leur malice et avec
toute leur difformité : autant de circons-
tances capables de la faire expirer de re-
gret, si Dieu, par un effet de sa toute-puis-
sance , ne la conservait encore quelque
ttmps, afin de lui faire sentir, dès celle vie,
les peines terribles qu'elle s'est attirées en
rolTensant.
Je dis que celle mauvaise religieuse, à la
mort, voit ses péchés et les voit tous; pen-
dant la vie , comme elle ne les commettait
que successivement l'un après l'autre, ils
ne se présentaient aussi que successive-
ment è son esprit, à sa mémoire, et les der-
niers faisaient, pour l'ordinaire, oublier
tous les autres ; mais à la mort, il n'en est
aucun, de ses péchés les plus griefs sur-
tout, qui lui échappe; elle voit alors, mais
d'une vue claire et distincte, toutes les pen-
sées mauvaises dont elle a tant de fois oc-
cupé son esprit; elle voit tous les désirs
déréglés qu'elle a conçus dans son cœur ;
elle voit toutes ses actions criminelles aux-
quelles elle s'est livrée; elle voit ces paro-
les de censure, de raillerie, de jalousie, de
médisance, de calomnie proférées contre
ses sœurs; elle voit ces antipathies, ces
haines, les aversions qu'elle avait laissé
naître, et qu'elle avait nourries dans son
cœur, pendant plusieurs années peut-être;
elle voit ces inobservances, ces inlidélités
notables, ces transgressions essentielles de
sa règle et de ses constitutions; elle voit
les infractions graves et multipliées à l'in-
fini de ces vœuxj'qu'elle avait prononcés
en présence de son Dieu , et aux pieds des
saints aultls; elle voit toutes ces actions
qu'elle a comniises contre la loi de Dieu et
eonire les devoirs de son état : Elle voit
alors... Hél que ne voit-elle pas? Une vie
toute dénnée de bonnes œuvres, pleine
d'infi'aclions , de péchés et de désordres;
que de ])échés lui reviennent alors à l'es-
prit et auxquels elle n'avait jamais lait at-
tention ! Péchés contre Dieu, péchés contre
le prochain, péchés contre elle-même; outre
ses propres péchés, combit-n de péchés
d'aulrui qu'elle s'est rendus proi)res par
ses conseils, par ses exemples, par ses
discours, par ses sollicitations, |>ar ses
coniptaisancosl Quelle surprise pour cette
épousMie Jésus-Christ, qui, par son t^ge,
par son rang, par ses emplois, auiait dû
être un modèle de verlu et de régularité
pour ses sœurs ! quelle surprise de se voir
au contraire coupable d'une infinité de fau-
tes, de transgressions qu'elle leur a fait
coinmetlre, par sa conduite relâchée et peu
édifiante, et qui, par là, vont lui être impu-
tées I Quelle surprise pour celte autre que
le Seigneur avait placée au-dessus de ses
sœurs afin qu'elle procurât leur sanclifica-
tion, en maintenant l'observance des rè-
gles, l'esprit de religion et de ferveur dans
sa communauté, quelle surprise de se voir,
faute de vigilance et de fermeté, chargée
d'une infinité de prévarications qu'elle au-
rait dû empêcher; que, par une lâche poli-
tique, par une molle condescendance elle a
souffertes, dont elle paraissait môme ne pas
s'apercevoir, mais qu'elle ne peut s'empêcher
de se reprocher à la mort.
Mais non-seulement celle personne reli-
gieuse, au lit de la mort, voit tous ses pé-
chés, mais elle les voit tous ensemble; se-
conde circonstance. Oui, ces péchés qu'elle
aura commis, dans un espace de temps
peut-être considérable, ces péchés qui au-
ront été l'ouvrage d'un grand nombre d'an-
nées, ces péchés, par une permission di-
vine, se réunissent à la mort, comme sous
un seul point de vue, pour se faire consi-
dérer par cette âme pécheresse ; elle les voit
tous, et tous ensemble et au même ins-
tant.
Je dis plus encore, elle les voit tous
sans interruption; troisième circonstance:
ce n'est pas que, pendant sa vie, ces pé-
chés, ces infidélités si multipliées, ne se
présentassent, de temps en temps, à son
esprit; sa conscience en était môme quel-
quefois alarmée; heureuse si elle eût su
profiter de ces remords, de ces troubles sa-
lutaires, pour se convertir sincèrement à
son Dieul mais que ne faisait-elle pas au
contraire pour éloigner de son esprit ces
pensées importunes qui venaient la trou-
bler ! De quels moyens ne se servait-elle
pas pour s'étourdir, en quelque sorte, pour
étoutfer ces remords qui lui étaient insup-
portables 1 Et en effet, à force de dissipa-
tion, de transgressions, de péchés, elle réus-
sissait quelquefois à se donner cette {»aix
qu'elle cherchait ; disons mieux, cette fausse
sécurité, ce funeste endurcissement, puis-
que, comme le dit le Seigneur lui-même, il
n'est point de véritable paix, pour les pé-
cheurs ; mais h la mort, en vain cherche-t-
elle à se distraire de la vue de ses péchés;
Dieu permet qu'ils se présentent tous et
sans cesse à son esprit; quelque effort
qu'elle fasse et quelque agitation qu'elle se
donne, elle ne jteut en détourner la vue,
elle est forcée de les considérer tous, et du
les considérer tous dans toute leur malice
et avec toute leur dilformilé; quatrième
circonstance plus accablante encore que
toutes les autres.
Ah! Mesdames, que le jugement qu'elle
en porte, dans ces derniers moments, res-
semble peu à celui (lu'ulle en portail pen-
dant la vie ! Tandis qu'elle était en élut Ue
Gl
DISCOURS DE RETRAITE. — PREMIER JOUR.
G2
\os conimellro, el qu'elle les comracllnil en
elFet, aveuglée par ses p.issions, séduile
surioul jiar le prince du mensonge, les
fautes les plus grièves, les Ir.sngressions les
plus considérables lui paraissaient, sinon
dos fautes légères, du moins des fautes de
faiblesse qui obtiendraient aisément le par-
don du Seigneur; mais le bandeau qui l'a-
veuglait tombe à la mort, elle aperçoit
tout à coup ce que c'est que le péché, elle
en voit toute la laideur, toute la dilformité;
elle connaît alors l'injure atroce qu'elle a
faite, tant de fois, à la majesté infinie de
son céleste époux ; je dis plus mémo, par
une autre séduction du démon, opposée à
la première, les péchés les plus légers, les
plus j)etites inobservances lui paraissent
alors des péchés énormes; pendant sa vie,
pour lui faire commettre les plus grandes
transgressions avec hardiesse, l'esprit ten-
tateur lui en cachait presque toute la ma-
lice, et ne les lui laissait entrevoir que du
côté qui llattaitson goût et ses penchants :
mais à la mort, voulant lui faire perdre
toute espérance de pardon et de salut, il
grossit tellement, h ses yeux, .toutes ses
fautes, qu'il lui fait apercevoir, dans les
moindres, une énormilé qu'il lui avait tou-
jours cachée, même dans les plus crimi-
ne.les.
Ah! Mesdames, si au sentiment des plus
grands saints, la mort est mille fois plus
supportable que la connaissance parfaite
d'un seul péché mortel , que sera-ce donc
pour une personne religieuse, de se voir
coupable d'un nombre [)resque infini
qu'elle aura commis ou fait commettre aux
autres, et de les avoir continuellement de-
vant les yeux? C'ist alors que livrée à la
douleur la plus amère, elle se rappellera,
comme l'impie Antioclius, tous les maux
qu'elle aura faits; c'est alors qu'elle gémi-
ra, avec bien plus de raison,' que le lloi-
Prophète, de se voir comme inondée d'un
déluge d'iniquités ; c'est alors que, ne pou-
vant plus se supporter elle-même, elle a[)-
pellera ia mort à son secours, qu'elle dési-
rera jusqu'à son anéantissement, pour se
soustraire à l'alTreuse représentation de ses
péchés; mais ce n'est pas tout encore, à la
vue de tous ces péchés desquels elle se sera
rendue coupable, se joindra la vue de toutes
les grâces qu'elle aura reçues de son
Dieu. * ,
11. Et ce qui augmentera ses regrets et
son déses[ioir, c'est de voir qu'elle a abusé
de toutes ces grâces que son Dieu lui avait
données pour o|)érer sa perfection et son
salut; c'est de voir que rien cependant no
lui était plus facile que de profiler de ces
grâces pour son salut; c'est de voir enlin
<|ue, par cet abus criminel, elle s'est mise
(1;mis un état à ne pouvoir plus, pour ainsi
dire, espérer de grâces pour son salut.
A peine pendaiit sa vie, et depuis long-
temps, cette religieuse faisait-elle attenlior.
h la plu[)art des grâces que son Dieu lui
faisait, et (jue, malgré ses nilidélilés, il con-
tinuait de lui faire; ou si elle ne pouvait,
dans de certains moments de réflexion,
s'empôcher de les reconnaître, l'oubli sui-
vait de bien prùs le mépris et l'abus qu'elle
en faisait; niais à la mort, il en est de
tontes ces grâces reçues, comme de tous
ses ipéchés commis. Vous lo savez, mes-
dames, outre ces grâces communes et suili-
santes que Dieu nous donne à tous, pour
faire le bien, il en est de particulières et de
prédilection qu'il accorde quelquefois, môme
aux plus grands pécheurs, grâces plus
fortes qui, en éclairant vivement l'esprit,
et en touclianl sensiblement la volonté, ren-
dent aussi moins difficile l'ouvrage de la
conversion; or il n'en est aucune, de quel-
que espèce qu'elle soit, qui échappe à cette
personne religieuse, à la mort ; grâces gé-
nérales et communes, grâces spéciales et de
prédilection, elles se présentent toutes à
son esprit; tant de vives lumières qui lui
ont fait connaître et la laideur du vice et
la beauté de la vfrtu; tant de bonnes pen-
sées, de saintes inspirations qui lui sont
venues; tant d'instructions publiques qu'elle
a entendues; tant d'avis particuliers qu'elle
a reçus ; tant de lectures pieuses, de ré-
flexions solides qu'elle a faites ; tant
d'exemples édifiants qu'elle avait devant
les yeux; tant de modèles de régularité, .de
piété dont elle était environnée; tant d'é-
vénements fâcheux, d'accidents imprévus
qui l'ont effrayée; tant de reproches inté-
rieurs, de remords de sa conscience, dont
elle a étési souvent agitée : c'étaient autant
de grâces et de secours que Dieu lui avait
accordés, pendant la vie, pour l'engager à
sortir de son malheureux état, et pour l'ai-
der à retourner à lui ; et à la mort, ce sont,
pour elle, autant de sujets de douleur et de
désespoir, ce sont autant de tourments;
oui ces grâces qui ont été le prix du sang
de son céleste Epoux, ces grâces dont une
seule aurait dû sullire 5 sa conversion ; ces
grâces dont une partie et la moindre partie
aurait pu convertir un grand nombre depé-
cheurs, quels regrets de voir qu'elle les a
toutes méprisées et toutes rendues inutiles
à son salut! Ahl Mesdames, ne serait-elle
[)as plus heureuse alors, cette religieuse,
disons plutôt, ne serait-elle pas moins mal-
heureuse, si jamais elle n'avait été éclairée
des lumières de la foi, ou du moins, si elle
n'avait pas été favorisée do tant de grâces,
cl placée dans un état aussi saint?
Rien cependant ne lui était plus facile
que de se servir de ces grâces pour opérer
son salut ; oui sans doute, elle le voit bien
alors, et c'est aussi ce qui contribue en-
core à son désespoir ; pendant la vie, elle
ne manquait pas de [)rétextes pour s'auto-
riser dans ses infidélités et dans ses résis-
tances con'.iniielles hia grâce; les obstacles
à son salut étaient trop grands et en trop
grand nombre pour pouvoir les surmon-
ter; les tentations étaient trop fortes, trop
violentes pour les vaincre, les habitudes
tro|) aticiennes, trop invétérées, [)our les
déraciner; le pcjichant au mal, trop rapide
liour l'aiTÔler, [)Our le détruire; la volonté
G3
ORATEURS SACRES. L'ABDE DE MOiSTlS.
6i
trop faibie pour entreprendre une conver-
sion parfaite; voilà ce qu'elle alléguait îi
ceux qui voulaient la portera une conduite
plus régulière, ou du moins ce qu'elle se
disait à elle-même. Mais toutes ces raisons,
disons plutôt, tous ces faux prétextes s'é-
vanouissent à la mort; elle voit alors, cette
religieuse, et elle voit clairement que si
elle n'a pas servi son Dieu comme elle le
devait, dansson saint état, c'est qu'elle ne
l'a I as voulu; elle voit alors que, quelque
grands qu'aient été les obstacles, elle pou-
vait les surmonter, avec les secours do la
grâce, qui ne lui ont jamais manqué; elle
voit que si ses i)abiludes, ses mauvais pen-
chants ont jelé de si profondes racines, elle
ne doit s'en prendre qu'à elle-même, et que,
quoique invétérées qu'elles aient été, elle
pouvait toujours les déraciner; voilà ce
qu'elle ne peut se dissimuler. Que de bon-
nes œuvres, que d'actes de vertu elle voit
alors, qu'elle aurait pu et qu'elle aurait dû
pratiquer, et qu'elle a cependant négligés 1
Encore si elle i ensait, dans ces derniers
moments qui lui restent, à réparer tant
d'intidélités, tant de résistances à la grâce;
mais non, et voilà ce qui augmente ses re-
grets et son désespoir, c'est qu'elle voit que,
par cet abus criniinel de tant de grâcei-,
elle s'est mise dan^ une malheaieuse situa-
tion, à ne devoir plus compter sur ces grâ-
ces, j'entends sur ces grâces fortes et de
prédilection, telle qu'est celle de la conver-
sioiii et à la mort surtout.
Cent fois elle avait entendu dire, cette
religieuse, que rien n'était plus dangereux
que de se faire une habitude derésisteraux
inspirations du ciel; qu'il était pour chacun
de nous une certaine mesure de grâces, et
de grâces spéciales surtout, après lesquelles
le Seigneur paraissait s'éloigner, eu ne
donnant plus que des grâces communes et
généi aies ; pour l'engager à être fidèle à
toutes, on lui avait lait entendre que celle
qu'elle rejetait pouvait être la dernière pour
elle; qu'au reste celte dernière grâce de
jirédilection, qui mettait le comble, [)0ur
ainsi dire, à cette mesure, et qui devenait
comme le sceau de la réprobation, n'était
pas d'une autre espèce que les autres ; que
souvent môme, c'était celle qui paraissait
la moins considérable ; combien de fois en-
core lui avait-on dit que son Dieu se ven-
gerait enfin de tous ses mépris par des
mépris réciproques; qu'il viendrait un
temps où elle crierait en vain au Seigneur,
et où le Seigneur irrité neKécouterait pas;
qu'à la mort surtout il ne répondrait à tousses
cris ([ue (lar un rire luoquenriliidebo etsub-
sannabovos. (i^ror.,i,2(>.) En fallait-il davan-
tage pour engager cette religieuse à ne plus
n jeter les grâces de son Dieu? Mais, quel-
que instruite qu'elle fût de toutes ces vé-
rités, livrée à la dissipation, au relâche-
ment, à ses penchants, elle se flattait tou-
jours que la grâce à laquelle elle résistait
ne serait pas la dernière, et que dans son
état surtout, son Dieu, toujours miséricor-
dieux, lui en accorderait à l'avenir comme
par le passé : mais enfin le lemps est venu
où elle ne peut plus se flatter ainsi; elle
voit tout à la fois et la mort qui s'appro-
che et son Dieu qui s'éloigne, et qui, en
s'éloignant, lui fait sentir qu'elle n'a plus
aucun fond à faire sur sa miséricorde qui
est épuisée à son égard ; en vain veut-elle
alors recourir vers son Dieu ; en vain, com-
me ce jeune homme dont saint Grégoire
pape nous fait une si tragique histoire, de-
mande-t-elle au Seigneur, avec des cris re-
doublés : Trêve, trêve jusqu'au lendemain,
inducias usque mane, ce lendemain, un ins-
tant même lui est refusé ; l'arrêt de sa mort
est prononcé, le moment en est fixé, c'est
un Dieu lui-même qui l'a porté dans sa
colère; il l'a déclaré, avec serment, qu'il
n'y aurait plus de temps à espérer pour elle,
tempus non erit amplius. {Apoc, X, 6.)
Quels regrets alors etquel désespoir pour
cette religieuse, d'avoir fait si peu de cas et
un si mauvais usage d'un temps qui lui
avait été accordé, au prix de tout le sang do
Jésus-Christ, son sauveur et son époux et
qui ne lui avait été donné que pour tra-
vailler à sa perfection, à son salut 1 Quel dé-
ses()oir de voir tant d'années, dont chaque
inst;mt pouvait lui procurer un nouveau de-
gré de gloire, dans le ciel, toutes jiassées
dans le i>éché, dans l'oubli de son Dieu et de
son salut 1 Ah ! de là ces troubles, ces agita-
tions dans lesquelles on les voit quelquefois
ces âmes, ces religieuses infidèles, au lit de
la mort ; on les attribue pour l'ordinaire, ces
agitations, à la violence des maux qu'elles
souffrent et aux etforts que fait une nature
détaillante pour s'arracher, pour ainsi dire,
d'entre les bras de la mort; mais si l'on
pouvait pénétrer jusqu'au fond de l'âme et
voir ce qui se passe dans l'esprit et dans le
cœur de ces mauvaises religieuses, l'on ver-
rait que ces agitations sont le plus souvent
causées par les tristes réflexions qu'elles
font sur la conduite qu'elles ont tenue, sur
ce qu'elles auraient dû faire de bien et sur
le mal qu'elles ont fait au contraire : cepen-
dant quelque déplorable que soit la situa-
tion de cette mauvaise religieuse à la mort,
il est d'autres réflexions qui la rendent plus
déplorable encore ; car si la vue dupasse
commence en elle sa douleur et son déses-
poir, on peut dire que la vue qu'elle jette
sur l'avenir y met le comble : c'est le sujet
de la seconde partie.
SECONDE PAHTIE.
Quelque déplorable et quelque dange-
reuse que soit, à la mort, pour le salut, la
situation d'une personne religieuse dans
le péché, il faut cependant en convenir.
Mesdames, elle n'est [-as absolument sans
ressource : à la vérité, si les péchés qu'elle
a commis contre son Dieu, et l'abus qu'elle
a fait de ses grâces, l'ont rendue indigne de
ces secours puissants, de ces moyens extra-
ordinaires qu'il accorde quelquelois, môme
aux plus grands pécheurs, pendant la vie,
pour les exciter à la pénitence et pour les
aider a sortir de leurs désordres, elle, ne
maïKpie cependant jamais, tandis qu'elle
€5
DISCOURS DE RETRAITE. — PREMIER JOUR.
(iC
esl dans .a voie de ces grâces communes et
su/lisanlcs , avec lesquelles elle nouiiait
encore rciilrer en elle-même, et s en jiro-
curer par la prière déplus l'orles et de plus
abondantes, pour travailler efficacement à
sa conversion : mais qu'arrive-l-ii pour l'or-
dinaire, et que voit-on dans ces sortes de
personnes, à la mort? C'est qu'au lieu de
profiter de ces moments qui leur restent
pour se rendre enfin à leur Dieu, après avoir
été, pendant bien des anné(!S , livrées aux
créatures, auxquelles elles avaient solen-
nellement renoncé, elles ne peuvent, 5 la
mort, en détacherleur cœur, et se soumet-
Ire à la perte forcée qu'elles vont en faire ;
c'est qu'au lieu de s'appliquer uniquement
alors è assurer leur salut , elles ne s'occu-
pent au contraire, et d'une façon désespé-
rante, que de TatTreuse situation qui doit
suivre celte perte générale des créatures.
Ainsi, Mesdames, à considérer le passé,
deux objets ont commencé la désolation et
le désespoir de la mauvaise religieuse à la
mort, les péchés commis, les grâces négli-
gées : deux objets également, à considérer
l'avenir, y mettent le comble : l'abandon
forcé des créatures; l'élat qui doit suivre
cet abandon, ce qu'elle quitte en un mot et
ce qui l'attend ; ce qu'elle va perdre et ce
qu'elle va trouver. Encore quelques mo-
ments de votre attention, je vous prie.
J. Je dis d'abord que cet abandon géné-
ral et forcé des créatures, devient à la
mort un tourment pour cette personne re-
ligieuse. Oui , Mesdames, situation aisée et
commode, emplois, parents, amis, son pro-
pre corps .même; voilà quels ont été les
objets de son ailachement, pendant la vie;
et elle va, en mourant, abandonner tout
cela, et elle va abandonner tout cela mal-
gré elle: voilà ce qui la plonge dans un
abîme de douleur et de désespoir.
Je dis d'abord douleur causée par l'a-
bandon de son propre corps. Son corps, en
entrant dans la religion, avait été aussi
J)ien que son âme, l'objet de son sacrifice;
elle l'avait dévoué à la mortification ; elle
n'ignorait pas qu'en qualité de chrétienne
et pi us encore comme épouse de Jésus-Christ,
elle ne pouvait se rendre agréable à son cé-
leste époux, qu'en l'imitant dans la vie dure
et mortifiée qu'il a menée sur la terr^; et
en effet dans les premiers temps de sa con-
sécration au Seigneur, on la vit se livrer
avec ardeur aux jeûnes et aux austérités,
et avec une ardeur qui eut besoin peut-être
de toute l'aulorité supérieure, pour être
modérée: mais, dans la suite, ton»bée mal-
lieuiensement dans le relâchement, dans
}a tiédeur, elle abandonna bientôt tout ce
qui pouvait ressentir et annoncer la péni-
tence: on la vit souvent prendre des soula-
genients que lui interdisait l'esprit de son
saint institut; éloigner avec soin tout ce
qui pouvait la contraindre , la mortifier;
que de moyens employés contre la volonté,
ou souvent du moins sans l'aveu de ses su-
périeurs, pour llatter sa chair, pour se pro-
curer des aises, des commodités, des sou-
lagements inutiles et contraires à son saint
état 1 que d'actes d'iinmorlification , que d((
sensualités qui scandalisaient ses sœurs!
Que do fautes peut-être contre la sainte
vertu de chasteté qu'elle avait vouée solen-
nellement à son Dieu! Que de soins en un
mot excessifs et désordonnés, pour conser-
ver et salisfairc ce corps péris>able et qui
va périr en etfet; ah! qu'il faille l'aban-
donner ce corps, qu'il doive dans peu de-
venir, par sa corruption, un objet d'Iiorreur
pour les vivants, et la nourriture des vers
dans le tombeau, quoi do plus triste? C'est
ce[)endant à quoi cette religieuse se voit
bientôt réduite; et voilà ce qui la déses-
père, et, ce qu'il y a de plus surprenant,
c'est qu'au même temps, son âme esl forcée
de souhaiter cet abandon, cette séparation ;
car voilà les sentiments o|iposés dans les-
quels elle se trouve, dans ces derniers mo-
ments, par rapport à son corps ; tourmentée
par des douleurs'aiguës que cause, pour
l'ordinaire, une maladie mortelle , elle dé-
sire de cesser de vivre, pour cesser ilo
soulTrir; et l'attachement désordonné qu'elle
a eu pour son corjjs lui fait craindre en
même temps et redouter celte séparation,
et lui fait désirer, pour vivre encore, de
soufifrir toujours.
J"ai dit, douleur causée par i'nbaudon de
son état, de sa situation, de ses emplois.
Une bonne religieuse, une véritable épouse
de Jésus-Christ ne regarde l'état de la reli-
gion qu'elle a embrassé, les emplois qu'elle
y exerce, que comme des moyens passa-
gers que la Providence de son Dieu lui pré-
sente, pour le servir plus fidèlement et
pour mieux s'assurer son heureuse éiernité.
Ne regardant que le ciel comme sa patrie,
se considérant comme une é;rangère , com-
me une voyageuse sur la terre et dans son
saint état, bien loin de s'attacher à rien do
terrestre, elle gémit souvent, comme le Roi-
Prophète, sur la trop longue duiée de son
pèlerinage; tous ses vœux , tous ses désirs
tendent à s'unir pour toujours à son céleste
époux ; rien de ce qui est dans l'univers
no peut l'occujier et atlacher son cœur.
Mais la mauvaise religieuse, af)rès avoir re-
tiré de dessus l'aulel , la portion la plus
agréable au Seigneur et la plus (irécieuse
par conséquent, de la victime qu'elle y avait
{)lacée, je veux dire son j)ropio cœur, eile
en a fait un cœur tout charnel, tout terres-
tre; son état, état dans les vues de Dieu ,
tout de contrainte, de mortification, et tel
on elfet pour réj)ouse fidèle et pleine de
foi. Cette épouse infidèle a trouvé le
moyen de s'en faire un état commode, agréa-
ble, qu'elle aime et qu'elle ne voudrait ja-
mais quitter; les emplois qu'elle occupait,
et bien moins par la volonté de ses supô-
ri<;ures et dans l'ordre de la Providence,
que par son [)ropre choix, comme en se les
procurant ces emplois, elle a eu en vue,
non la gloire de Dieu et l'utilité de sa com-
munauté, mais son goût naturel, sa satis-
faction particulière, elle lésa exercés aussi
oar ce môme motif; elle s'y est attachée, et
67
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE M0NTI3.
68
cl d'un allaclieracnt lout naturel , loul hu-
main, jusqu'à regarder comme sa lin ce
qui, dans les vues de Dieu , n'était que des
moyens pour y arriver, jusqu'à employer,
en de vains et d'inutiles regrets, ses derniers
moments, moments précieux, qu'elle ne
devrait employer qu'à produire des senti-
ments d'un sincère repentir.
J'ai dit, douleur causée par l'abandon des
personnes les plus clicres; faut-ii donc, ô
mon Dieu, que tout concoure, dans ces
derniers moments, à tourmenter et à déses-
pérer cette ân)e religieuse; si elly n'avait
point aimé ceux qui lui étaient unis par les
liens de la nature ou de la société, ne lui
en eussiez-vous point fait un crime? Et si
elle les a aimés, pourquoi vous servir de
cet attacliement , pour augmenter sa dou-
leur? Mais non, cette religieuse ne soulfre
point , et n'est point désespérée à la mort ,
précisément pour avoir aimé son prochain,
elle !e devait sans doute; Dieu lui en avait
fait un précepte; Jésus-Christ lui-même lui
en a donné rexem|)le: on l'a vu donner
des marques d'allection à ceux, qui s'atta-
chaient à lui : on l'a vu s'attendrir et pleu-
rer la mort de Lazare qu'il aimait ; ainsi ce
qui cause tant de douleur à cette religieuse,
ce n'est point absolument d'avoir aimé ceux
et celles qu'(ille devait aimer, mais de les
avoir aimés plus qu'elle ne devait, c'est de
les avoir aimés d'un amour excessif et dé-
sordonné, d'avoir aimé les créatures plus
que le Créateur, c'est de les avoir aimées
plus que ses devoirs, plus que son âme et
son salut; c'est d'avoir trop écouté la chair
et le sang, d'en avoir trop suivi ks senti-
ments ; c'est, après avoir abandonné, par
l'ordre de Dieu, ses parents et ceux qui
lui étaient les plus chers dans le monde,
de s'être trop occupée de leurs intérêts, de
leur situation , de leurs allaires, jusqu'à se
distraire des devoirs de son état, jusqu'à se
procurer leurs visites, et à préférer leurs
entretiens à ses exercices, à ses occupations,
à ses devoirs.
Cequi l'altlige, cette mauvaise religieuse,
ce n'est pas jjrécisément de se séparer de
ses sœurs, d'abandonner une communauté
qu'elle aimait ; de pareils regrets sont légi-
times, lorsqu'ils sont subordonnés à la
sainte volonté de Dieu ; mais ce (\m l'afflige
et ce qui la tourmente, dans ces dentiers
moments, c'est d'abandonner, malgré elle,
quelques-unes de ses sœurs qu'elle a aimées
d'une amitié particulière, toujours inju-
rieuse au reste de ses sœurs, et par- là tou-
jours préjudiciable à la communauté en-
tière; liaison , amitié particulière qui a été
pour elle et pour ses conlidentes la source
d'une infinité de murmures de médisances,
de i)révaricalions et d'inhdéliiés qu'elle se
rappelle alors: voilà ce qui l'alllige, ce qui
la tourmente à la mort; après avoir trop
livré aux créatures un cœur qu'elle avait
solennellement donné à son Ciéateur, elle
se voit forcée de les aijandonner: hé! que
dis-je, la mort ne l'a pas cncuie frap[)ée ,
qu'elle s'en voit abandonnée la [)remiere :
lout fuit, lout s'cioigne insensiblement,
tout disparaît h ses yeux ; abandonner et
malgré soi et [lour toujours ce qu'on a do
plus cher sur la terre, et on môme temps,
en êire abandonnée, et pour toujours aussi :
abandonner lout; être abandonnée de lout,
quel état! Quoi de plus affligeant! quoi de
plus désespérant! Ainsi totalement, uni-
versellement délaissée, abandonnée, que
va-t-elle donc devenir cette religieuse inli-
dèle? Ali! Mesdames, voilà ce (jui met le
comble à son (lésesjioir: cet avenir, l'état
funeste qui va suivre l'abandon général
des créatures.
iL Si les maux qu'elle souffre à la mort,
cette religieuse et si peu digne de ce titre,
devaient se terminer, par la séparation de
l'âme d'avec le cor[)s et par une entière
destruction de l'un et de l'autre, quelque
grands qu'ils fussent ces maux, ils ne se-
raient pas sans quelque espèce de consola-
tion : mais, hélas! le sentiment de l'im-
mortalité que tant de fuis peut être elle
essaya, pendant sa vie, d'effacer de son
esprit, pour pouvoir se satisfaire, avec plus
de tranquillité, à la moit, elle en est | éiié-
trée, convaincue; vivement éclairée des
lumières de la foi, comme on l'est toujours
dans ces derniers moments, elle connaît
pour lors et voit d'avance tout ce qui doit
lui arriver de funeste, dans l'autre ^vie; un
jugement redoutable à subir; une sentence
plus redoutable encore qui doit suivre ce
jugement : deux choses dont la seule pensée
la plonge dans un abîme de trouble et do
désespoir.
Que ne puis-je ici, Mesdames, vous faire
connaître les sentiments de celte relig'euse,
à la vue du compte rigoureux qu'elle est
prête de rendre à son Dieu ; que de | en-
sées accablantes se présentent à son esprit I
Elle connaît alors que celui devant qui elle
va se présenter, est son époux, soîi Créa-
teur et son Dieu, devenu son juge; mais
quel juge ! Un juge infiniment éclairé, éga-
lement incapable de se troni|)er et d'être
trompé, et qui va examiner et peser, dans
la balance de sa justice infinie, lus pen-
sées, les [)aroles, les désirs et les actions
Je toute sa vie ; un Juge infiniment équi-
table, prêt à récom{)enser les moindres
bonnes œuvres, mais aussi déterminé à |)U-
nir jusqu'aux fautes les [)lus légères; un
juge en colère, que nulle [irière ne pourra
Uécliir, que nulle excuse ne pourra satis-
faire ; un juge en un mol qui est la partie
olfenséc, et qui, après avoir pris longtemps
patience, va prendre ses intérêts en main,
et se faire justice par lui-mêine.
Mais quel désespoir, à la seule pensée do
la sentence elfroydble que ce juge va pro-
noncer contre elle et exécuter au même
instant I Avoir été créée pour posséder étei-
nellemcnt son Dieu; avoir été choisie et
destinée, par préférence à une inlinité d'au-
tres, pour occuper une (dace élevée, dis-
tinguée dans le ciel, proportionnée à la
sainleté et à la sublimité de l'élal auquel
elle avail été api»elée, et voirqu.^ dans ])eu.
6()
DISCOURS DE RETRAITK. — PREMIER JOUR.
70
elle va en être privée, et pour toujours 1 Cii
toujours, celle pensée de l'éleriiilé, voil.'»
ce qui nielle comble h son désespoir: non, la
vue de la conduite criminelle qu'elle a tenue
à l'égard de son Dieu; l'abandon de tontes
les créatures auquel elle se voil forcée; le
compte exact de tous les jours, de tous les
moments de sa vie, qu'elle est prèle de
rendre h son Dieu, l'enfer lui-même dans
lequel elle va être précipitée; tout cela
n'est rien à ses yeux, comparé à rélernilé;
mais penser que tous ces maux qu'elle va
souffrir dans l'enfer seront éternels ; penser
([ue celle privation do son Dieu n'aura ja-
mais de fin; voilà ce qui confond toutes
ses pensées. Ccelte étendue immense de
l'étornilé dans laquelle elle se voit prêle
d'entrer, voilà ce qui la met hors d'elle-
même, ce qui la livre aux derniers senli-
menls de douleur et de désespoir.
Cependant des réflexions aussi accablan-
tes ne contribuent pas peu à avancer ses
derniers moments; déjà le mal augmente
sensiblement-; on s'en aperçoit; ses sœurs,
occupées autour d'elle, sa supérieure elle-
même, ne pouvant plus se dissimuler le
danger de son état, jugent cju'il n'est plus
temps de la flatter, et qu'il laut penser sé-
rieusement à la disposer à la mort ; avan-
tage attaché à son saint état, et peu com-
mun dans le monde, oij rarement on trouve
de vrais amis qui veuillent prendre sur
eux de rendre, à une personne qui tend à
sa fin, ce plus important de tous les ser-
vices. Voyant donc le mal s'accroître, à
chaque instant, on fait appeler le confes-
seur; après bien des contre-temps, des ha-
sards, des délais toujours permis par la
Justine divine qui commence à se venger,
il arrive enfin ce prôlre; on l'introduit vers
la malade : à des yeux égarés, à un air in-
quiet et troublé, à une réception froide,
iiidiU'érenle, il jugerait aisément du mau-
vais état de cette conscience, s'il ne le con-
naissait, et depuis longtemps peul-êire.
Cent fois il a été, ce malheureux état, l'ob-
jet de ses exhortations et de ses gémisse-
ments; il en gémit encore, au fond de son
cœur; il tremble déjà pour l'avenir: mais
enfin, ne voulant rien négliger pour le sa-
lut de celle âme, il lui parle, et s'aperce-
vant que la crainte des jugements de Dieu
produit en elle ce trouble, ces agitations,
il cherche à la rassurer; mais quoi! les
motifs les plus consolants pour une âme
vraiment pénitente sont les plus désesjié-
ranis pour elle ; il lui parle de la miséri-
corde infinie de son Dieu; mais elle l'a si
longtemps lassée, méprisée, outragée, celle
miséricorde; il lui rappelle une infinité de
grAces cl do laveurs reçues de ce céleste
h[)0ux, mais elle les a loules négligées, ru-
jelées; voilà ce qui augmente son déses-
jioir. Le ministre du Seigneur ne se rebule
]uis cependant; il redouble ses efl'urts, [lour
ranimer et pour faire naître la confiance
dans cette âme ; il lui cite les grandes jé-
clieresses qui ont eu le bonheur do finir
saintement; il lui présente l'image de son
Dieu Sauveur crucifié et mort pour elle; il
lui montre son côté ouvert, ses bras éten-
dus pour la recevoir; plus fatiguée de la
présence de l'homme de Dieu que touchée
de ses paroles, elle se rend enfin, ou plutôt
elle paraît se rendre à tout ce qu'il exige
d'elle; il l'engage à une déclaration de
ses péchés: elle la fait, autant qu'on peut
la faire, dans un élat qui permet à peine
la plus légère application; il lui fait pro-
mettre que, si elle revient en santé, elle
changera de condujle et fera pénitence;
qu'elle édifiera autant ses sœurs qu'elle les
a scandalisées; elle le promet: il l'engage
à faire des actes de douleur, de repentir et
d'amour envers son Dieu; elle les produit;
il prononce enfin sur elle les paroles de la
renonciation; on lui administre ensuite
les sacrements des mnuranis; tout se passe
avec des dehors de religion et de piété.
Grâces immortelles vous soient rendues,
ô Dieu de miséricorde 1 Celte religieuse,
après tant d'années d'oubli de ses devoirs
et de son salut, a donc eu le bonheur de se
reconnaître et de rentrer en grâce auprès
de vous I Ainsi parlent ou pensent du moins
ses sœurs rassemblées autour d'elle, lé-
moins de tout ce qui se passe, et ne ces-
sant de conjurer, par leurs prières, le ciel
en sa faveur; mais vous. Seigneur, qui
pénétrez jusqu'au plus profond des cœurs,
en jugez-vous ainsi? Que vos jugements
sont différents de ceux des hommes, accou-
tumés à juger sur de trompeuses apparen-
ces I Qu'elle échappe à la mort cette per-
sonne, cette religieuse, on la verra, comme
tant d'autres, désavouer peut-être des actes
de religion qu'elle n'avait accordés qu'aux
bienséances et à rimportunité,ou du moins,
par une conduite aussi peu régulière qu'au-
paravant, elle fera voir ce qu'on doit ju-
ger de ces prétendues conversions à la
mort.
Mais non, ceci n'arrivera point à l'égard
de celle religieuse; il n'est plus d'espé-
rance pour elle , l'arrêt de sa mort est pro-
noncé ; déjà ses forces diminuent sensible-
ment, sa raison s'égare, et, après quelques
intervalles, elle se perd enfin; la parole lui
manque, ses yeux s'obscurcissent, puis s'é-
teignent entièrement; tous ses sens se per-
dent peu à peu, le corps entier devient
sans mouvement; une sueur froide se ré-
pand sur tousses membres; sa poitrine se
remplit; elle peut à peine respirer, elle fait
encore quelques faibles soupirs, elle expire,
elle est morte; et tandis que le prêtre et la
communauté .recommandent son âme au
Seigneur et le conjurent d'user de miséri-
corde à son égard, le Seigneur la cite à son
tribunal , celle épouse infidèle; il lui fait
rendre à l'instant un compte exact et rigou-
reux des grâces singulières et sans nombre
dont il l'a favorisée: des fautes, des infidé-
li lés, des scandales sans nombre aussi dont
elle s'est rendue coupable; il la juge, la
coiidamnc et la précipi'e au môme insiant
dans l'enfer, saiis aucune miséricorde. Voilà
donc le terme fatal Jij conduit la vie d'une
71
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
7«
religieuso qui a malheureusement oublié
ses engagenienls sacrés ; son âme déjà dans
les flammes 'éternelles ; son corps con-
damné à rentrer dans la terre, jusqu'au
grand jour des vengeances du Seigneur, oij
il doit se réunir à l'âme, pour devenir le
compagnon éternel de ses tourments, après
avoir été sur la terre l'instrument de ses in-
fidélités, de ses péchés.
Quel spectacle qu'une pareille mort I Quel
sujet de réflexions! Hélas! s'il se trouv.iit
ici une religieuse qui n'eût que trop imité
celle dont je viens de dépeindre la funeste
mort, je l'inviterais à se transporter en es-
prit au lit de cette épouse de Jésus-Christ
infidèle et réprouvée. Approchez, lui di-
rais-je, plein de zèle pour le salut de son
âme, approchez et vojez : Y eni et vide. CeWe
que vous voyez ainsi étendue, et qu'on va
porter au tombeau, doit fondre aujourd'hui
la glace de votre cœur; elle montra dès
sa jeunesse la plus grande ardeur pour se
donner toute à Dieu ; on la vit surmonter,
avec le plus grand courage, les diflérents
obstacles qui s'opposaient à son entrée dans
la religion : une fois devenue l'épouse do
Jésus-Christ, elle parut, pendant quelques
années, un modèle de régularité et de fer-
veur; tombée dans la suite dans le relâche-
ment, dans la tiédeur, on la voyait, h la vé-
rité, à certaines solennités surtout, ou dans
des temps do retraite, rejirendre l'esprit
de religion et de piété qu'elle semblait avoir
perdu; mais, après piusi(;urs conversions
vi j)lusieurs rechutes, elle a vécu enfin
dans un relâchement habituel; les avis
réitérés de ses supérieurs, ceux des mi-
nistres de Jésus-Christ, auxquels elle était
comme forcée de découvrir les plaies de son
âme, n'ont pu la tirer du mauvais état dans
lequel elle s'est malheureusement précipi-
tée : lorsque, dans de certains moments,
la grâce agissait encore sur son cœur, et
que sa conscience alarmée lui faisait de
vifs reproches, elle s'ell'orçait de rei)Ousser
et d'étouffer ces inspirations et ces repro-
ches ; elle cherchait à s'étourdir sur j.on
malheureux état, ou tout au plus, elle se
bornait à former, pour l'avenir, des projets
ilo conversion. Cet avenir, dont elle s'était
tant de fois flattée, vous le voyez, elle en a
été privée; la mort l'a frappée au milieu de
Ses jours, et selon la prédiction du Fils
de Dieu, dans le temps qu'elle y pensait
le moins. A ce récit, ii ce portrait, pouvez-
vous vous méconnaître? Hé ! quoi, avez-
lous donc quelque assurance que le Sei-
gneur, irrité déjà contre vous, ne tiendra
point, à votre égard, la môme conduite
(ju'envers cette épouse irdidèlo ? Concluez
(Jonc que, puisque vous pouvez ujourir à
toute heure et a tout âge, vous devez pro-
fiter dès à présent et sans délai des grâces
et du temps que le Seigneur vous oU're
encore , et que rien n'est plus témé-
raire que de risquer, sur un avenir in-
certain, l'importante affaire de votre sa-
lut.
Ah! Mesdames, permellcz-moi , eu ter-
minant ce discours , de joindre ici une
question il foules les réflexions que je viens
de faire sur cette terrible vérité dont je vous
ai entretenues. Quelle sera votre mori ?
Mourrez-vous dans la grâce de votre Dieu,
ou dans sa disgrâce? Fi?iirez-vous en sain-
tes, ou mourrez-vous en réprouvées? Nous
n'en savons rien, me diles-vous sans doute.
Dieu le sait; il n'y a même que lui qui le
sache, j'en conviens ; j'ose dire cependant
que cette question n'est pas si diflicile ù
décider que vous le pensez : comment vivez-
vous ? Voilà une règle sure ; telle est la vie,
telle est la mort, dit saintAugustin ; si vous
vivez dans la grâce, dans la pratique habi-
tuelle de vos devoirs, vous mourrez dansla
grâce, dans l'amitié de votre Dieu ; mais si
vous vivez dans l'infidélité, dans le péché,
qu'il est à craindre que vous ne mouriez
dans le péché, dans la disgrâce de voire
Dieu!
Ah ! Seigneur, je la conçois présentement
et mieux que jamais , cette grande vérité,
que, pour mourir dans votre amitié, je dois
vivre dans votre grâce; quel malheur pour
une épouse <ie Jésus-Christ de joindre la
mort avec le péché ! Plus vous m'avez fait
de grâce en m'.itlachant à vous dans le. saint
état de la religion, plus je dois vous en té-
moigner ma reconnaissance et mon amour;
puis-je mieux vous le témoigner qu'en me
rendant fidèle à fout ce que vous exigez do
moi ? Ah 1 quels regrets et quelle douleur pour
moi à la mort, si j'avais passé ma vie et si
je la terminais dans l'infraction des devoirs
de mon saint étal ! Mais surtout quelle con-
fusion, quel désespoir, lorsque je -paraîtrai
devant vous pour vous rendre un compte
exact de tout ce que vous avez fait [tour
moi, et de tout ce que j'aurai lait contre
vous! Ne le permettez pas, ô céleste époux;
fiiites, par votre grâce, que je meuro de la
mort des justes et îles saintes vos épouses;
faites, pour cela, (pie j'aie toujours devant
les yeux mes derniers moments; celle jien-
sée de la mort me fera veiller, avec la plus
scrupuleuse atleniion, sur toutesraes actions,
sur tous les mouveuKints de mou cœur;
pénétrée de celte pensée que je dois un jour
el dans peu dire iin éternel adieu à touks
les créatures, je travaillerai chaque jour à
m'en détacher, et de moi-même surtout; jo
mettrai tous mes soins à rcm[)lir mes de-
voirs, b me rendre fidèle à toutes mes obser-
vances. Oui, Seigneur, je veux vivre désor-
mais de façon à n'avoir rien à craindre do
votre justice, ou plutôt à pouvoir tout espé-
rer de votre miséricorde ; c'est la résolution
que je prends dans ce moment, el que jo
renouvellerai souvent dans cette rotraiie,
dans l'espérance qu'après vous avoir snrvi
en fidèle épouse le reste do mes jours, vous
me ferez participer après ma mort à vos ré-
compenses élernelles. Ainsi soii-il.
n
DISCOURS DE RETRAIIK. — SU.HiNI) <01JR
Sl-COND JOUR.
74
PrcMiiicr disrours.
SUR I.E l'ÉCHÉ VKNIHL.
M) oniiii specic mala alistinclR vos. ( I TAcss., V, 22.)
AbiUiiez-vous de tout ce qni a qncUfue appitience de
IIUll
C'était , Mesdames , aux fidèles do son
temps, c'était à loiis les clirélions do Tlies-
saloiiiquc que saint Paul adressait ces pa-
roles: après les avoir engagés à renoncer à
leurs vaines idoles et les avoir allacliés à
Jésus-Christ par lesaiiil baplènie, il exigeait
d'eux une sainteté de mœurs qui les porlilt
non-seulement à éviter les fautes grièvos,
(«s pécliés <|ui donnent la mort à l'c^me, en
lui faisant perdre la grâce et l'amitié de Dieu,
mais de jjIus, à se préserver des péchés vé-
niels, des fautes légères rpii, (luelque légères
qu'on les suppose , offensent toujours la
majesté infinie de Dieu. Mais si saint Paul
exigeaitdes simples (idèles une aussi grande
pur.lé de conscience; s'il cioyait que do
sim|ilos (liréliens iw. pouvaient être vrai-
rneni tlirélieiis, vrais <Ji5ci[>les de Jésus-
Clnisl, s'ils ne s'appliquaient à évilci- tout
ce qui |K)uvait lui déplaire, qu'aurait-il dit
aux épouses de ce Dieu Sauveur, h des per-
sonnes chrétiennes qui se sont absolument
séparées du monde, pour n'avoir |)lus d au-
tre occupation que de le servi i dans la re-
traite, et qui, par là, se sont solennellement
engagées à tendre toute leur vie 5 la per-
fection, en ajoutant à racconiplissemenl des
préceptes de l'Evangile, celui de ses con-
seils?
Cependant, Mesdames, même dans ce
saint état de la religion, est on toujours bien
disposé à éviter jusqu'aux plus petits pé-
tliés? A-l-on toujours un sincère éloigne-
menl pour tout ce qui peut déplaire au cé-
leste Epoux? Hélas! dans les premières
années de sa consécration , on les sentait
«lans son cœur, ces saiiites dispositions; on
metlait, en ellet, tous ses soins à éviter le
poché et jusqu'au plus petit péché; et si
malgré ses soins et ses désirs, on en coni-
melfail quelqu'un, on en gémissait , on les
déclarait dans le sacré tribunal de la péni-
tence, avec une douleur qui prouvait qu'on
airuait véritablement son Dieu : mais (ju'il
est rare de voir cette délicatesse de cons-
cience se soutenir de longues années et jus-
qu'à la moitl A mesure qu'on s'avance,
qu'un multiplie ses jours et ses années,
dans la religion, au lieu d'avancer également
dans la sainteté , on perd insensibleiiicnl
ces premiers sentiments de ferveur; on se
relâche, on se fait un système de conduite
des plus funestes; on se borne à éviter les
péchés qui rendent dignes des supplices
éternels, mais ou ne se lait aucune peine
de se satisfaire en mille occasions, de com-
mettre une inlinité de fautes, sous le pré-
texte qu'en les commetiant, on n'encourt
pas la liaine et la disgrâce du Seigneur.
C'est, Mesdames, pour vuus préserver de
pareils sentiments, et |>our vous faire éviter
une conduite si peu digne d'une épouse de
)aiTL'Uil3 SACHES. LXVUl.
Jésus-Chiisi, (|iio je viens vous entrctcnii
ici du |)éclié véniel, et vous faire voir quo
ce péché , quelque léger (ju'on puisse l(^
suppos(!r, est un très-grand mal, et un mai
très-funeste (pi'uiie personne religieuse doit
par conséquent éviter avec soin ; et pour
cela, je vous j)rie de le considérer avec moi,
ce féché, sous deux dillerents aspects, je
veux tlire par rapport .^ Dieu iju'il olfense.
et par rapport h la religieuse (|ui le commet:
par rapport à Dieu, il lui l'ait une injure
considérable ; je vous le ferai voir dans la
première partie de ce discours : par rapport
à la religieuse qui le comnuW, il lui cause
les plus grands maux; je vous le ferai voir
dans la seconde partie. En deux mots, lo
péché véniel très-injurieux h Dieu ; le ()éché
véniel très-préjudiciable à la personie reli-
gieuse : c'est toute la matière (h; ce dis-
cours; honorez-moi, s'il vous plaît, de timte
votre attention. ^ue, Maria.
PREMIÈRE PARTIE,
Désirant ici, Mcstlamos, vous inspirer le
pins grand éloignemont pour tout péché,
même pour le péché véniel, je ne prétends
pas cependant (pie vous puissiez tellement
vous en [)réserver, que jamais vous n'a^-iez
lion sur cela à vous reprocher; non, il n'y"
a eu sur la terre, et il n'y aura jus(ju'à la
fin des siècles, que la très-sainte Vierge (jui
|)réservée, par un privilège unique et des
sa concej)lioii, de la tache originelle, a passé
toute sa vie, sans se rendre coupable, môme
de la |)lus petite faute, de !a plus légère im-
perl'ection ; mais pour le reste des hommes,
il n'en est point, ([uelquo saints qu'ils aient
paiu , qui n'aient eu des fautes et dos infi-
délités à se reprocher; tous enfants d'un
père prévaricateur, nous commotions tous
des péchés, qui, sans donner la mort à notre
âme, n'en so;il pas moins de vrais péchés,
lie véritables olfenses de Dieu : In muUis
olfcndimus omncs. (Jac, III, 2.)
Mais parmi ces péchés dont nous nous
rendons coujiables, il est une distinciion à
faire; il en est que nous commeltons pres-
que sa.is nous eu ai ercevoir, péchés (jui
sont bien plus les suites d'une nature cor-
rom|)ue |iar le péché originel , que les elfels
d'une volonté déterminée au mal, cl qu'on
api)ellG pour cela péchés de faiblesse, de
pure fragilité ; c'est surtout do ceux-ci dont
()arle le Saint-Esprit lorsqu'il ditquelejuste
pèche sept fois le jour, restant toujoursjus^e
aux yeux de Dieu : Septies in die cadit
justus. [Piov., XXIV, IC.j Péchés dont saint
Jean eniendail parler, loisqu'il disait que si
nous nous glorilions d'être sans péché, nous
nous faisons illusion, et nous parlons con-
tre la vérité; il en est d'autres au contraire
que nous commeltons par réllexion, ave unj
détermination formelle et absolue, quoique
nous ne puissions nous dissimuler que ce
sont de vrais pé'diés, de véritables olfenses
du Seigneur, péchés (jue nous multiplions
chaque jour sans remords ou maigre iios re-
mords, dans la persuasio.i (pie ce sont des
pé'i;és peu considérables, des fautes légè-
3
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE M0NTI3.
76
res, incap.ibles do nous faire perdre la grâce
sanclifiaiitc el l'amilié de noire Dieu; or,
c'esl de ces péchés véniels, volonlaiies et
réflécliis, que j'enlends parler ici, et que jo
dis d'abord Irès-injurieux à Dieu.
Pour vous le prouver, IMesdaïuos, j(; ne
veux que ranimer votre foi , que vous rap-
peler aux prcnn'ères connaissances que vous
avez du grand Maître que vous servez, et
auquel vous vous êtes consacrées, d'une con-
sécration particulière, dans le saint étal que
vousavczeudjrassé. Quelle idéeen ellelavcz-
vous conçue de voire Dieu lorsque, dans vos
oraisons, vous avez médité sur ses perfec-
tions, sur ce qu'il est en lui-môme? Quelle
idée vous en a-t-on donnée, dès votre en-
fance? Celle d'un être souveraincmeiil par-
fait, d'une grandeur et d'une majesté inli-
iiie, le Maître absolu de tous les êtres qu'il a
lirésdu néant, pour sa gloire, auxquels par
conséquent il a droit d'imposer des lois, de
faire des ordonnances. Quelle idée avez-
vous conçue de votre Dieu, par rapport A
TOus-mêmes? Celle d'un Dieu intiuiuient
bienfaisant qui n'a tiré du néanl ses créa-
tures raisonnables, que pour les rendre lieu-
reuses, dans le temps et dans l'élerniié :
dans le temps, en les faisant vivre dans la
pratique de la vertu, diuis l'observance de
leurs devoirs : dans l'élerniié, en les com-
blant des biens du ciel , en les faisant parti-
ciper à sa gloire, en se donnant lui-même à
elles pour récompense; l'idée que vous en
avez conçue encore, en réfléchissant sur
vous en jiarticulier, c'est celle d'un Oiuu
d'une bonté et d'une libéralité infinies, qui,
depuis qu'il vous a mises sur la terre, n'a
cessé de vous cou.bler de ses bienfaits ; qui,
aux bienfaits qui vous sont connnuns avec
une infinité d'autres, vous a honorées d'une
intinité de grûces el de faveurs spéciales;
voilà les idées que vous avez dû vous for-
mer, et que vous vous êtes formées mille
fois en ellet, de votre Dieu, celle d'un Dieu
intiniment grand, intiniment puissant en
Jui-même ; d'un Dieu infiniment bon , in-
liniment libéral à votre égard ; mais ce n'est
pas tout, vous n'avez pu concevoir ces idées
do votre Dieu, sans conclure avec vous-
mêmes, que vous deviez vous mettre dans
des dispositions conlormes et relatives à ces
grandes idées ; je veux dire que vous deviez
Jionorez la grandeur sui)rême de votre Dieu
par des sentiments de respect, d'adoration
et de soumission à toutes ses vulonlés ; que
vous deviez honorer la bonté inlinie de vo-
tre Dieu, par des senlimeuis d'altachement,
de recomuiissaiice et d'amour; voilii les
conséquences que vous avez tirées natu-
rellement de celte connaissance que vous
avez de voire Dieu. Cependant, Mesdames,
(jue failes-vous, lorsque vous commettez
volontairement et sans scrupule, pour ainsi
dire, le péché véniel ? Au lieu de ce res-
pect, de celle soumission que vous devez à
votre Dieu, comme^à l'être inliniiueiit grand,
intiniment puissant en lui-même, vuus allez
jus(iu'à paraître ne faire aucune estime de
Jui, ju.^ipi'à le mépriser, jirsiprà vous révol-
Icr contre lui; nu lieu de celle reconnais-
sance, do cet al lâchement que vous lui de-
vez, comme à l'être inlinimenl bon, intini-
ment bienlaisanf, vous In'hésilcz point 5
vous montrer insensibles el ingrates à son
égard; ainsi mépris de votre Dieu ingra-
titude envers vore Dieu, voilh les deux dé-
fauts essentiels que vous devez vous rei ro-
cher, je ne dirai i)as, lorsque vous vous faites
une habitude du péché véniel , mais même
lors(|ue volontairement vous commettez un
.seul péché véniel. Suivez-moi, s'il vous
plaît, el j'ose espérer que vous concevrez,
[)Our Ce péché, tout l'éloignement qu'il mé-
rite.
I. Je dis, en premier lieu, mépris de vo-
ire Dieu. Oui, Àlcsdame*, vous le savez et
vous l'avez appris avec les éléments dn
christianisme; ce Dieu tout-puissant qui,
de toule éternité, se suffisait parfailemeni à
lui-même, et qui n'avait par conséquent
aucun besoin de ses créatures pour son
bonheur , il vous a créées cependant, el
pour sa gloire, alin que vous le servissiez
tout le temps que vous seriez sur la terre,
et pour votre propre bonheur, afin que vous
pussiez niériter par vos services, de le pos-
séder éternellenienl dans le ciel ; mais pre-
nez garde^de plus, (pj'obligées de le servir,
pour lui plaire el pour vous rendre heu-
leuses, il n'a f)oint laissé à votre choix
la manière de le servir: il a voulu vous
la prescrire lui-mêoîe ; c'est pour cela
(lu'il vous a donné sa loi, par laquelle il
vous a expressément marqué ce que vous
deviez faire et ce que vous deviez éviter ;
c'est pour cela qu'eu vous mettant au rang
de ses enfants ado|)tifs, [lar le saint b.ip-
tême, son intention a été que vous vous
sanctifiiez; qu'il vous a dit, comme h tous
les chrétiens : Soyez saints, parce que je
suis saint moi-même : « Scnclicslole, quia ega
sanctus sum. » [Lcvit., XI, hk.) Mais il a fait
plus encore, par rapport à vous , vierges
chrétiennes; non-seulement il vous a mises
au rang de ses enfants |)ar le, baptême;
mais, pour vous faire acquérir plus proun)te-
ment, et plus sûrement celte sainteté qu'il
exigeait de vous, il vous a faites ses épouses,
par les vœux de la religion; c'esl pour «ela
qu'il vous a séparées du monde, qu'il vous a
l'réservées, en vous appelant à la retiuite,
de tous les dangers du monde ;_qu'il vous a
fait renoncer entièrement et soleraielle-
menl îi ce monde corrompu, à tous ses
biens, à tous ses avantages ; ah ! que dis-je,
qu'il vous a fait renoncer encore à vos pen-
chants naturels, à votre propre volouté, h
vous mêmes et à tout vous-mêmes. Sou
inlention, dans celle conduite qu'il a teime
à voire égard, a élé, vous ne l'ignorez pas,
(ju'en vous sanctifiant plus que les chré-
tiens du siècle, vous Lui procurassiez au.ssi
plus de gloire que ceux-ci ne lui en pio-
curent.
Or NOUS savez que celte sainteté co'i-
sisle i>récisémeiii en deux choses : à faire
le bien el à s'abstenir du mal : Déclina a
iHiilo, cl fac boitum. [l'snl. XXW'I, i7.)
77
DISCOURS DE UETRAITF;. — SECOND JOUR.
78
Ccpcniianl, cl vnilh sur quoi vous no f.iiles
poinl d'nssoz sérieuses rélkxious, peu rnn-
((Milesdo vous abstenir tlu bien, vous f.iilos
,e mal, vous coniniollcz le poché ; sous
prélexle que ce péché, cpje vous coinmetlez,
ne vous fuit pas perdre la grîlce et rnmilié
i>c voire Dieu, vous le corameltez fréqueui-
nienl et de gaieté do cœur, pour ainsi dire;
c\'st-à-dire que dans raille occasions, vous
ne vous faites aucune peine (le dépl.iire à vo-
tre Dieu, d'offenser voire Dieu, de vous ro-
voltercûntrevolreDieu, qui vous défend, par
sa sainte loi, de commettre lo mal, et par-là,
vous vous rt-ndez cou()ables envers lui de
mépris, et d'un méjtris d'autant plus grand,
que vous ne pouvez ignorer que ce que
vous faites est contre ses vues, ses inten-
tions; ce n'est poinl dire assez, que c'est
malgré ses défenses les plus formelles.
Oui, Mesdames, ce Dieu tout-nuissani,
aux yeux duciuel tous les ôtres qu'il a créés
sont comme un néant, ce Dieu en présence
duquel les séraphins se couvrent do leurs
ailes, par crainte et par respect, ce Dieu
d'une grandeur et d'une majesté inli lies,
est encore un Dieu d'une sainteté inlinie,
qui ne peut voir la moindre tache ilans ses
créatures raisonnables, et dans celles sur-
tout qu'il s'est choisies pour ses épouses;
il a une opposition essentielle et si essen-
tielle.avec !e péclié, que, quelque léger
qu'il |)uisse être, il blesse son inlinie sain-
teté, il olfense directement sa souveraine
majesté, et voilù ce (jui a fait dire aux Pères
de l'Eglise que le péché et tout péi.'lié est
en lui-même le mal et l'unique mal de Dieu;
qu'il est le ;)lus grand mal, et, à parler
proprement, l'unique mal qui soit dans
l'univers ; voilà ce qui leur a fait dire et à
saint Augustin surtout, et d'après lui à
tous les docteurs, que quand il s'agirait de
la conservation du monde entier; que,
quand on pourrait, par le plus pelit péché,
iirer du purgatoire toutes les ânjos (jui y
soulfrent, délivrer môme, des supplices de
l'enfer, tous les démons et tous les réprou-
vés; que quand il s'agirait de plus, de fer-
mer pour toujours le puits de l'abîme, les
|)ortes do l'enfer, de procurer le salut à tous
les habitants de la terre; faire rester, pour
l'éternité, dans le ciel, tous les anges et
tous les élus, on ne pourrait commettre le
plus petit péché; on devrait même ne lo
jamais commettre, et la raison ju'ils en
apportent est sensible ; c'est que tous ces
biens, si considérables en appai-once, ne
pouiraionl jamais procurer à Dieu autant
de gloire qu'il en perdrait parce petit [)é-
clié; c'est que sa grandeur, sa majesté su-
prême serait plus otfensée, |)lu5 outragée
parce petit péché, qu'elle ne serait glorihée
par tous ces grands et salutaires ellols.
Ahl l'avez-vous jamais bieti comprise, celle
grande et importanlo vérité, vous qui tom-
mollez si facilement le poché veniol, (lui
tombez, tous les jours et plusieurs fois lu
jour, dans lo péché véniel, qui vivez tran-
quillement dans l'habiiuJo du péché véniel ?
Voilà cepi.'ndant ce (jui a rendu tous les
stinls si allontifs à l'éviter; voilà co (|ui les
a rendus si aflligés, si contrits, lors(]u'i!s
ont ou quohpies péchés vi'Miiels h se repro-
cher ; on les a vus quelquefois les pleurer
ces péchés et his déclarer, dans le sacré tri-
bunal de la pénitence, avec autant de dou-
leur (]ue les l'Ius grands pécheurs pénilenls
ont coutume de pleurer et de confesser leurs
désordres ; c'est qu'ain'més d'une vivo foi,
ils'connaissaiot)t la grandeur du Dieu qu'ils
servaient; c'est que plus ils étaient saints
et plus ils éiaient conv.iincus et pénétrés do
celte grandeur inlinie de leur Dieu.
Epouses de Jésus-Christ, en celte qualité,
vous êtes appelées à la sainteté et à une sain-
teté proportionnée à la sublimité de votre
élat,et plus grande par conséquent que celle
du commun des chrétiens; or vous ne pou-
vez être des saintes, sans concevoir un grand
zèle [)our la gloire de ce Dieu toul-j)uissant
qui vous a cludsies pour ses é[)ous(!s; toutes
les fois que vous vous livrez volontairement
au péché véniel, vous faites donc un grand
mal et un plus grand mal que le cotruiuin
des chrélioiis, parce que vous olfensez plus
qu'eux co J)ieu ([ui mérile toute gloire et
tout honneur, parce que, par votre péché,
vous vousrendezcoupables envers lui d'une
plus grande révolte, d'un plus grand mépris ;
mais vous n'en restez pas là, car, au mépris
de votre Dieu Créateur vous ajoutez, par
votre péché, une ingratitude, envers voire
Dieu bienfaiteur. ^
II. Ah! c'est ici que j'espère vous fairo
mieux connaître encore la malice du péché
véniel; je prétends vous attaquer par ce
qu'd y a de plus sensible en vous, par volro
propre cœur; vous vous glorifiez de senti-
ments de reconnaissance, et d'attachomenl ;
vous soupçonner môme du contraire, ce se-
rait vous faire injure: or je ne crains pas
de vous dire que lorsque vous commeiiez le
péché véniel de propos délibéré, vous man-
quez de reconnaissance et d'attachement en-
vers votre Dieu ; ce n'est point vous dire en-
core assez, vous vous rendez véritablement
coupables d'insensibilité, d'ingratitude en-
vers votre Dieu.
Hélas! pour vous le prouver, je n'ai qu'à
vous rappeler on peu de mots tout ce que
co Dieu de boiité a fait pour vous, depuis
que vous êtes sur la terre; je ne veux pas
même vous parler de tout ce qui vous est
commun avec le reste dos hommes et des
chrétiens surtout, ce qui soûl cependant
devrait exciter dans votre cœur, la plus vive
reconnaissance, famour lo plus aident, mais
simplement do co qui vous est propre et
personnel; rappolez-vous donc, avec (juello
prédilection volro Dieu vous a choisies, par
préférence à une iiilinité d'autres, pour vous
meure au rang do ses épouses; commei:t il
vous a api)elées, dans un âge et dans un
teiiqis peui-êlro où vous aviez grand nombre
d'inlidélilés à vous reprocher à son égard;
rappelez-vous tous les obstacles qu'il vous
a luitsurmonlor el tous les raoyensqu'il em-
ploya [)our vous mettre en état de renq)lir
volro vocation , et que vous cl bien d'autres
79
OUATEliRS SACUI3 3. L'ABBE DE MENTIS.
80
ne pûtes vous empôclior do reganlor comme
autant de miracles de sa providence à votre
égard; rappelez-vous encore , si vous le
pouvez, toutes les grâces et deioute espèce
dont il voifs a comblées, définis que vous
vous êtes solennellement consacrées h lui ,
dans la religion; vous le s;ivez et vous ne
})ouvez vous empôctier de le reconnaître ; ce
Dieu de bonté n'a cessé de veiller sur vous
et de vous donner des témoignages de sa
bienveillance et de son amour.
Or, pour lous ces bienfaits, que n'élait-il
pas en droit d'exiger de vous? Cependant il
s'est borné à vous demander de vous rendre
fidèles à sa loi et aux engagements que vtms
tnvez contractés avec lui , et pour cola d'évi-
lor, avec soin, non-seulement les fautes
grossières, ces péchés griefs capables de vous
faire perdre sa grâce et son amitié, mais de
plus, de vous préserver de ces fautes légères,
de ces [)écliés, qui, sans donner la mort h
voire âme, l'ollensunt cependant lu -même
ot l'indisposent véritablement contre vous;
voilà ce qu'il vous a demandé, autant pour
votre propre intérêt, pour vou-mèiiies, que
pour lui, que })Our sa gloire ; voilà ce qu'il
vous est très-aisé, soutenues do sa grâce qui
m; vous manque jamais, de lui accorder ;
vous ne l'ignorez pas, vous ne pouvez même
l'ignorer; cependant vous n'iiésilez point à
lui déplaire, à l'offenser, en commettant le
j'éché véniel, en le multipliant chaquejour
sans remords, ou peut-être, malgré les re-
mords de votre conscience 1 ah 1 je vous le
demande ici, soyez de bonne foi, est-ce 15
témoigner à voli'e Dieu , votre reconnais-
sance, pour tout ce que vous lui devez?
Jisl-ce là chercher h plaire en tout, à votre
Dieu , comme vous le dewz ? Si je vous lie-
inandais ici si vous aimez votre Dieu , vous
seriez offensées peut-ôire ou surprises du
moins, de cette question : comme saint Pier-
re, vous adressant à votre Dieu lui-môme,
vous lui diriez: Ah! Seigneur, sije vousaime
vous sondez le plus profond des cœurs, vous
savez que le motif et l'unique motif qui m'a
portée à renoncer au monde, à me détacher
ue toutes les créatures, a été de m'altacher
uniquement à vous, devons donner des té-
moignages certains, authentiques et cons-
tants de mon amour: voilà vos vrais senti-
timents; je le veux croire; .nais si conti-
nuant de vous interroger, je vous de(nau-
dais si cet amour de votre Dieu, dont vous
.laites profession, s'accorde bien aveccette
lacililé de lui déplaire, par mille fautes que
vous commettez volontairement et chaque
jour, et qui, vous le savez, olfensent sa ma-
jesté sujtrème, que me répondriez-vous ?
Hélas ! je le ()révois, vous me diiiez ce (jue
vous vous êtes dit plus d'une lois à vous-
mêmes, pour faire .taire votre conscience ,
lorsque dans de certains moments de ré-
flexions plus sérieuses ei oiî la grâce agis-
sait sensiblemoni sur votre cœur, elle s'é-
levait contre vous, vous me diriez que vous
Êtes bien éloignées de vous permettie ces
péchés griefs qui vous atlireiaient la haine
et rnjdignationde vutie Ujovj, mais qu'ajuès
tout, cps fautes, ces infiiiélilés dont vous
vous rendozcou[)ables, sont légères, sont peu
de cho<;e.
E\\o< sont pou de chose ces faules . Mais
sans ni'arrêter présenlomenl à vous prouver
que vous pouvez aisément vous tromper,
dans le jugement que vous portez de ces
fautes ; que ce que vous jugez péché léger
est peut-être péché grief, aux yeux de Dieu,
je vous demande si vous pouvez raisonna-
blement appeler peu de chose, ce qui
offense véritablement la majesté infinie de
Votre Dieu? Nous surtout, qui dans votre
saint élai, et à ra son de tout ce que votre
Dieu a f il pour vous , devez plus chercher
h lui plaire, que le commun des chrétiens.
Elles sont peu de chose, ces fautes? Mai'?
c'est par cette raison môme, que vous êtes
moins cxcus.ibles ; car enfin, si c'ét.iil une
passion tt une passion violente, (\u\ vous
les fil comnn.llre, si c'était pour vous pré-
server de quelijue malheur, pour éviter de
cruelles persécutions , quoique toujours
saus excuses devant Dieu, qui exige et qui
mérite que vous le préfériez à tout, vous
auriez au mfdiis que^jue prétexte, quel-
que ombre d'excuse à alléguer; mais quo-,
sans passion, sans sollicitation, sans crainte,
sans menaces, tranquillemeni, de gaieté de
cœur, pour ainsi dire, vous offensez ce
Dieu inlininicnt aimable et infiniment bo'i
à votre égard, que vous devez par consé-
quent ai'uer de tout voire cœur? Quelle
ingraiitude ! lilbs sont peu de chose, ces
lautes? Muis, di. es-moi, que penseriez-
vous d'une personne qui vous aurait juré
une amitié inviolable, et surtout, qui à rai-
son des bienfaits signalés que vous lui au-
riez rendus, vous devrai! en effet des sen-
timents (i'atlaclienient et de reconnais-
sance, et qui se borner.iit cependant à ne
vous [)oint faire d'injure grossière, de tort
considérable, mais qui ne ferait aucune
[léine de vous manijuer et de vous dé-
plaire et mille occasi(ms, qui n aurait nulle
atiention, nulle complaisance pour vous ;
qu'en |)enserie/-v(jus ? Vous jugeriez avec
raison (jun c'est un cœur ingrat, qui ne
mé.ila jamais tout ce que vous avez fait
pour elle; compaiez présentement tout le
bien que vous .èt^'S eajable de faire h uuo
autre, avec tout celui que votre Dieu vous
a l'ail, et qu'il continue de vous faire, et
concluez que votre ingralilude envers Dieu
est iiUiniment pins énoi me que celle dont
cette personne j)ourrait se rendre coupable
à votre égard, jiarce que les bienlaiis que
vous avez reçus de Dieu surpassent infini-
ment, en nombre et en excel]ence|, tous
ceux que vous f)0urriez rendre à votre
prochain ; concluez enfin (]ue voiis n'aiuuz
pas véritablement votre Dieu, quelques
protestations d'amour que vous lui fassiez,
puisque ivous craignez si peu de l'offenser
et de lui déplaire. Le péché véniel, quelque
léger qu'il puisse êlre, est donc toujours
en lui-même un grand mal, à raison de
1 injure qu'il lait à Dieu, vous venez de le
voir; j'ajoute qu'il cbl encore un grand
$1
DISCOURS I>K UETIlAriE. ~ SECOND JOUR.
8S
mal, h raison du préjiiJico (lu'il cause h la
|t(>rsonne qui le commet ; c est le sujet de
la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Je ne crains point de le dire ici, Mesdames,
c'est toujours un défaut de foi, ou le défaut
dune foi assez vive, qui nous la t coraraelire
aussi facilement le péché véniel; si nous
étions bien convaincus de la grandeur, de la
majesté infinie de notre Dieu, qui e.vt offensé
par ce péché, et, tout h la fois, de l'étendue
de son amour pour nous, de son infinie
lionté h notre égard, i;ous ne serions pas si
faciles à le commctlre. Mais si les sentiments
d'obéissance <!l de respect, do reconnai.>-sance
et d'amour ne sont pas capables de nous ar-
rêter, notre prof)re intérêt devrait au moins
nous faire craindre de le commettre, puisque
ce péché, quelque légur qu'on puisse le
supposer, dès que nous le commtltons avec
facilité, et surtout que nous nous faisons
une habitude de le commctlre, a toujours
des effets funestes par rapport à nous, et
nous cause, eu égard à notre .salut, le plus
grand préjudice, l'our vous le prou vit, Mes-
dames, je (iourrais vous ( itiT b.'S vengeances
(pie Dieu a exercées, dans tous les temps,
sur ceux qui ont osé le conuuetire; je pour-
rais vous dire que notre Dieu, qui voit les
clioses telles (lu'elles sont en elles-mêmes,
et qui par conséquent ne |)eut se tromper
dans ses jugements, et qui est d'ailleurs in-
liuiment bon, a souvent puni ce péché par
des maux considérables qui, prouvent qu'il
l'a toujours regardé connue un mal et un
liès-grand mal. NaUab et Abiu, biùlés dans
le saiicluaire pour s'être servis d'un feu
élranger; Moïse, privé de voir la terre pro-
mise, l'Our s'ôtie rendu coupable d'une lé-
gère et injuste déliauce; cinquante mille
Uethsauiiles, morts dans un instant, pour
avoir jeté un regard curieux sur l'arche;
Osa, bajipéde mort pour l'avoir indiscrète-
ment touchée; un ()roplièle, dévoré par un
lion |)Our n'avoir pas suivi les ordres du
Seigneur; Ananie et son épouse, expirant
successivement, l'un et l'autre, aux pieds
de saint Pierre , pour un mensonge. Que
sai-je? Combien d'autres mau\ et d'autres
punitions ne i)Ourrais-je pas lapporler ici?
Ué! (jui sait si tant de mala<lies, d'inlirmi-
lés, de malheurs, de calamités, que nous
voyons et qui nous environnent, ne soni
|tas, pour plusieurs, des peines actuelles
du perhé véniel?
Je pourrais vous dire encore, {)Our vous
prouver combien Dieu est opposé au péché
véniel , que son Fils Jésus-Christ est mort
pour ce péché, comme pour le péché moiiel;;
qu'une ûme coujiabie d un seul péché véniel,
ne peut entrer dans le ciel (ju'après l'avoir
exjiié, dans celle vie, par la pénilence, ou
(ju'après en avoir élé (luriliée, dans l'autre,
par les peines du j)urgaloire, peines qui
surpassent infiniment tous les maux qui se
font sentir sur la terre, et qui, au seniiiuenl
de bien des l'èrcs, ne dillèrenl de ceux de
l'enlei que par l'espciaiici. qui s'y trouve;
je pourrais vous ajouter que, dans l'enfi-r
niêmc, h; réprouvé est p.irliculièrement |)uui
des péchés véniels qu'il a commis, par uiio
augmentation de peines et de tourments
proportionnés à leur nombre et à leur ma-
lice; mais sans m'élendre ici sur toutes ces
réflexions, quelque certaines et quelque
importantes qu'elles soient, je me borne à
vous bien faire connaître le préjudice que le
péché véniel cause, dès celte vie, à l'ârao
qui s'en rend coupalde, et, pour cela, je dis
que le premier mal qu'il lui cause est de la
priver des grâces du ciel ; qu'un autre mal,
plus grand encore, c'est de la faire tomber,^
pour l'ordinaire, dans le péché mortel;
qu'enfin le troisième mal, et le plus funeste
de tous, c'est de la conduire le plus souvent
à l'impénitence finale. Quelles surprenantes
et etfrayaiites vérités! Encore quelques mo-
ments "de votre attention, je vous prie, et
vous en serez convaincues.
I. Je dis, en premier lieu, que le péché
véniel prive l'ûme des grâces du ciel. Co
n'est pasce()eiidant, Mesdames, que je veuille
dire (Qu'une âme infidèle, de quelque infidé-
lité qu'elle puisse se rendre coupable, soit
absolument privée de toute grâce, de tout
secours surnaturel. Non, comme nous no
pouvons faire aucun bien, j'entends aucun
bien ujéritoire du ciel, sans la grâce, il est
certain aussi que la grâce ne nous manque
jamais pour opérer le bien; dire le con-
traire, ce serait soutenir une erreur que
l'Eglise a condamnée: mais aussi. Mesdames,
remarquez, je vous prie, avec moi, qu'il est
deux sortes de grâces; il en est de générales
et sullisanles, données à tous, et avec les-
quelles on peut absolument éviter le mal et
faire le bien; il en est de spéciales et do
prédilection, ainsi a[)pelées parce que Dieu
ne les donne pas in(jifféremment à tous,
grâces plus proportionnées aux différentes
situations dans lesquelles nous pouvons
nous trouver, et qui nous font éviter le mal
et faire le bien avec plus do prom[>titude, do
facilité et de mérite par conséquent.
Or c'est de ces dernières grâces dont se
prive, par sa faute, une personne, une reli-
gieuse qui commet facilement le péché vé-
niel; celte facilité à offenser son Dieu
l'indispose à son égard, et si ces fautes ne
sont pas de nature à engager Dieu à l'aban-
donner entièrement, elles sont cependant
propres à l'éloigner, d'elle; car telle est la
conduite de noire Dieu envers nous, qu'il
se conforme, en quelque sorte, à nos dis-
positions; lorsque nous lui témoignons un
sincère et vif attachement, lorsque nous lui
montrons une attention scrupuleuse à évi-
ter tout ce qui [lourrait lui déplaire et l'ol-
fenser, il nous regarde alors avec des yeux
de complaisance; il nous témoigne récipro-
quement son amour, on nous communi-
(luanl une abondance de grâces qui nous
font multiplier nos actes de vertus et de
fidélité, et nos mérites par conséiiuent, et
qui, en nous fortifiant dans la piété, nous
consolent, au milieu des peines cl des con-
liudictiuns ipi'un é[iruuve toujours, (luand
85
on t'Sl disposé ?i préférer à loul Jesorvicodu
Seigneur. Voilà en effet la condiiile qu'il a
loiijours tenue envers tous les saints, ou
pour mieux dire, voilà ce qtii , à parler pro-
prement, les a faits des saints. Il est une
liaison, vous l'avez entendu dire quelque-
fois, Mesdames, et cela est vrai, il est une
liaison, un certain encijaînement entre les
grâces, du côté de Dieu, et les actes de fidé-
lité de notre notre part; il nous présente
une grâce; |iar elle et avec elle nous fai-
sons une lionne œuvre, un acte de fidélité,
ot la correspcndam e à celte grâce nous en
I rocure uneaulre-à laijuclie nous correspon-
ilons encore ; ainsi cioissons-nous, ou pou-
vnjiï-nous croître cli;ique jour, et jusqu'à
notre dernier soupir, en grâces, en mérites
et en sainteté; mais aussi qu'arrive-t-il lors-
que nous ne munirons que de la froideur,
de l'indifférence à son service ; lorsque nous
nous bornons à ne vouloir point l'olfenser
mortellement, (jue nous ne nous faisons
aucune peine, aucun scrupule, de commet-
tre les fautes vénielles? Nous rompons alors
celte précieuse chaîne ; celte disposition, de
notre part, de froideur et d'indilférence
refioidit naturellement le cœur de notre
Dieu à notre égard, et le porte à nous témoi-
gner froideur pour froideur, inditférence
jiour indiû'érence; il ne nous laisse pas
sans secours, à la vérité, mais il se borne à
des secours généraux, à des grâces suffisan-
tes et nous prive de toute grâce de prédi-
lection : nous no pouvons commettre un
.seul péché véniel , sans rejeter la grâce
(|u')l nous présente pour éviter ce péché ;
cette grâce méprisée, rejelée, ce péché
commis, éloigne encore plus Dieu de nous;
il nous prive d'une seconde grâce qui eOt
suivi la première, si nous y eussions été
fidèles, et i)ar-là, d'une infinité d'autres.
D<;là, db cel éloignemenl de notre Dieu ,
de cette soustraction de grâces, suit un
nombre infini de fautes intérieures et exté-
rieures; delà cette lâcheté, cette indolence,
cette tiédeur, ce dégoût de tous ses devoirs.
Voilà, Mesdames, ce qui est d'une expé-
rience journalière; qu'une religieuse s'ap-
plique à bien servir son Dieu, qu'elle |)or(e
une attention sciupuleuse, à se préserver
des moindres [técliés, de tout ce qui pour-
rait déplaire à son Dieu, on la voit heu-
reuse et contente; uoii-sLuIement elle jouit
intérieurement de cette |)aix spirituelle, de
cette, douce paix, le plus grand bien, l'u-
nique bien nièiue réel et solide (jue nous
puissions nous procurer sur la terre, et qui
est comme un avanl-goût de la f)aix el du
j)onheur du ciel; mais cette heureuse situa-
lion de son âme se manifeste sensibltiiienl
.•lu-deiiors ; en paix, avec son Dieu, elle est
(îgnleiuent en paix avec le prochain et avec
elle-même, au milieu même des peines et
des coiilradiclions iiisé[)arables de celte vie
iiiortelle; rien n'est capable de la troubler,
«-Je l'allliger r au lieu qu'une religieuse j)eu
li^lèie à son Dieu, qu'elle no craint puint
d'offenser par des fautes qu'elle multiplie
chaque jour, ne la guùlu point ofllc aimable
ORATEURS SACRES. LABRE DE MONTIS. 84
paix ; maigre ses soins el tous ses efforts
pour se rassurer, sa conscience crie quel-
quefois bien haut, et lui reproche souvent
toutes les infidélités si opposées à celte
perfection à laquelle elle s'était engagée, en
entrant dans le saint état de la religion^;
non, elle ne goûte point, et ne peut goûter
combien le Seigneur est bon à ses épouses
fidèles ; ce joug du Seigneur dunt elle s'était
cliargée avec tant d'empressement et de
consolation, n'est plus pour elle un joug
doux et léger ; c'est un fardeau qu'elle ne
peut plus porter elle le traîne avec dégoût
et avec scandale môme queltiuefois ; ainsi
troublée, agitée au-dedans d'elle-même,
pleine d'ennui el de remords, l'humeur s'y
joint aisément ; elle le fait sentir à ses
sœurs; !a piété des ferventes lui déplaît et
l'ennuie ; les manières et la conduite des
autres l'indisposent et l'irritent; en guerre
avec son Dieu el avec elle-même, est-il
étonnant qu'elle ne conserve pas la paix
avec le prochain ?
JI. Du moins, si elle en reslail-là, celte
religieuse infidèle, ses infidélités n'étant
pas mortelles, son mal ne serait ()as sans
remède ; mais qu'arrive-l-il pour l'ordi-
naire? C'est que celle facilité à commettre
des fautes vénielles la conduit enfin à un
état de mort spirituelle; ce n'est pas que
ces fautes, que ces péchés véniels puissent
jamais devenir mortels; quelque multi(;liés
qu'on puisse les suiiposer, jamais ils ne
IJCuveiil, par eux-mèuie.s , faire un péché
mortel, mais ce que je vojx dire, el ce qui
est d'expérience, c'est que le pèche véniel
commis souvent el facilement, conduit or-
dinairement au péché mortel; c'est qu'niio
personne religieuse surtout, qui ne se fait
aucune jieine do comuietlre des fautes vé-
nielles, finit i)ar tomber dans des fautes
graves el mortelles.
Ce n'est point votre intention, dites-vous,
et vous dites-vous queUiuefois à vous-
mêmes ; âmes lièdes el inditlerentes pour
votre Dieu, ce n'est point votre inlentioii,
en vous permeltanl des fautes légères, d'eu
venir à des actions ciimin(;lles ; vous êtes
bien lésolues de ne rien l'aire qui puisse
causer votre ié|irobulion éternelle ; je veux
croire que vous le pensez, comiiio vous le
dites; mais, en premier lieu, ne pouvez-
vous pas vous tromper dans le jugement
que vous portez sur ces fautes que vous
coniiiicltez si souvent el si facileiiienl ?
n'esl-il point à ciaindio que ce que vous
croyez léger el de peu de conséquence, ne
soit grief en lui-mèiue el mortel aux yeux
de Dieu ? Hé quoi I les docteurs, les direc-
teurs des consciences les plus éclairés ont
peine queiijuefois à discerner la faute mor-
telle de la vénielle; et vous, sans avoir, à
beaucoup près, autant de lumière el de sa-
voir, vous si intéressée à vous tlatler, à
vous tromper, vous, (juo des infidélités ha-
bituelles el sans nombre privent de ces
grandes lumières que Dieu communique à
ses saints, vous vous rassurez, vous vous
tranquillisez; vous uc savez donc |)as que
8d
ce n'e3l pns toujours lagrièvclé de l'arlion
qui rond criminel nux yeux de Dieu, mais
que c'esl encore la disposiliou du cœur .^
sou éyard; vous êtes ilnns une disjiosition
li.ibilucilo de lui désobcHr, de lui déidaire,
vous n'aviz donc aucun amour pour lui :
oi', sans aiuour pour votre Dieu, f)eut-il,
lui, vous aiuier, cl vous, pouvez-vous lui
lilaire?
Mais quand vous no vous Iromfieriez pas
dans voire jugeujenl ; quand ces fautes que
vous commetl. z si facilement, 'sous prétexte
qu'elles ne sont que vénielles, ne seraient
que vénielles en etfet, je dis, en second
lieu, qu'elles vous conduiront insensible-
ment aux f.iules mortelles; le Sainl-Esprit
Va dit, que celui qui nié|)rise les petites
clitises , tombera iidailliblement dans les
plus considérables : Qui spernit modica, pau-
Itiiiin dnidil{Evcli., XIX. 1), cequeleSaint-
Usi'iita prédit, l'expérii'uce le contirme; voilà
ce que nous, ii.inisiresde Jésus Cbrist, appli-
qués à la tondu te des âmes, nous voyons
-souvent et avec douleur des personnes que
Dieu avait appelées à son service, dans la
re raile, ajTès l'avoir servi quelque temjis
avec Icrveur, déchoir ensuite, se [)ermettre
des inobservations, des inlidélités, des fau-
tes sans nombre, légères d'abord, à la
vérité, mais qui, par une longue liabi-
lude, les ont fait tomber entiii dans des
fautes énormes el scandaleuses même quel-
quefois.
Mais j'ajoule, en troisième lieu, qu'outre
que cela est il'expérience, à suivre la raison
et la foi, ce'a doit élre ainsi; je veux dire
(jue celte facilité à caiimeltre le péché vé-
niel doit naturelle. lient conduire au péché
(jiii donne la moi'l à l'aide, au péché mor-
tel. Car enlin une personne, une religieuse
suitout, qui se familial i.e avec le péJié
véniel , s'éloigne insi nsiblement de son
Dieu, et son Dieu ollensc aussi souvent s'é-
loigne I areilleuient de cette religieuse inli-
dèle, je vous l'ai déjà fait connaître ; niais
quel etfel doit naturellemenl produire dans
elle cet éloignement léciproijue ? Ah 1
Mesdames, vous le sentez assez, un affai-
blissement de foi , une diminution conti-
nuelle de cliaiité; or je vous le demaride,
celte personne (teul-eile rester longtemps
dans cet étal ? Non , sans doute; accoutu-
luée [leu à peu à ne plus craindre le péché
véniel, elle passe insunsiblemenl à ne plus
tant redouter le péché mortel ; accoutumée
à rejeter les grûces du Seigneur, elle s'en
éloigne jiar là de plus eu [)lus , c'esl-à-
dire, qu'après avoir quelque temps et
longlenq)s centriste le Sainl-Esprit, elle en
vient euhu jusqu'à l'étoutfer entièrement
dans son cœur; c'est-ii-dire que la chaiilé,
aprèo avoir toujours et uibensiblemenl di-
minué dans elle, s'éleii.l enlin entièrement;
c'est-à-dire, qu'aj)rès avoir trop longtemps
écouté et suivi les suggestions du malin
esprit, elle Unit par devenir absolument son
esclave, et par là, combien d'ûmes inlidèles
(jui se croient justes et vivantes, et qui ce-
pendant sont déjà criminelles et mortes aux
PISCOLKS DE UKTUAlli:. — SECOND JOLH.
86
yeux de Dieu, el que ^\os péciiés véniels
multipliés à l'inlini , conduisent enfin à ce
funeste état. Hé I qu'importe a[)rès tout,
que la mort enlève par une maladie vio-
lente, ou par de pidiis maux négligés?
Qu'importe, dit saint Augustin, qu'un vais-
seau fasse naufrage par une violente tem-
pête, ou qu'il soit submergé par des grains
do sable dont il se trouve surchargé?
Qu'importe que l'âme se perde on se livrant
à d'énormes crimes, ou en commettant des
fautes qui conduisent enfin au crime et à la
haine de Dieu? Ah 1 que de saints person-
nages sont déchus par là de la sainteté, et
sont tombés tians un état do réprobation!
Car voilà. Mesdames, jusqu'oiî va une <1me
qui ne se fait aucune peine de commettre
le t;éché véniel; ce qui met le comble à son
malheur, c'est que ce péché dont ede parait
faire si peu de cas, a|)rès l'avoir conduite
au péché mortel, la fait enfin mourir dans
rimpénitence finale, dans la disgrâce éter-
nelle de son Dieu.
III, Oui, Mesdames, et pour vous en
convaincre, que ne i)uis-je, dans ce mo-
ment, faire paraître ici une de ces ûmes
qui, après avoir goûté le don de Dieu dans
la religion, a mérité par ses prévarications
d'être ensevelie jiour loujcmrs dans les
flammes éternelles ; si j'entreprenais de
l'interroger sur la cause de sa réproba-
tion, vous l'enlendriez me ré{)ondre que la
vraie cause, et la première cause de sou
rnalheur, a été sa facilité à commettre des
fautes légères el qu'elle regardait trop
comme telles; elle me dirait qu'après s'être
longtemps habituée à ses fautes, elle est dé-
chue, sans presque s'en apercevoir, de la
grûce et lie l'amitié de son Dieu ;, que sa
longue habitude à l'offenser l'avait rendue
si insensible à son malheureux état, que les
approches même de la moit, que les se-
cours spirituels qu'elle a reçus alors, n'ont
point été capables de la faire rentrer en
elle-même, el d'exciter dans son cœur, une
douleur proj)orlionnée à ses fautes.
Voilà, Mesdames, l'effet ordinaire de cette
facilité à olfenser Dii;u, dans un état saint
el dans lequel tout tend à la sainteté. Habi-
tué à rejeter les grâces , on les rejette jus-
qu'à la. fin ; accoutumé à s'excuser, à se
fialter, on se Halle et on s'excuse jusqu'à la
mort; étal funeste et plus funeste, en quel-
que sorte, que celui d'une âme plongée,
de[)uis longtemps, dans de criminelles ha-
bitudes; celle-ci, à une grâce forte, extra-
ordinaire, se réveille, pour ainsi dire, re-
vient de son assoupissement; l'espril tout
5 coup éclairé, le cœur touché, l'âme ébran-
lée, elle ouvre enfin les yeux, elle voit
toule l'horreur de son état; terrassée,
comme saint Paul, par la grâce, comme lui
elle lui rend les aruies, elle renonce à son
})éché, el se convertit sincèrement à son
Dieu ; voilà, malgré la corruption du siècle,
ce que nous avons la consolation de voir
quelquefois; mais une personne, dans la
religion, qui, après avoir servi quelque
temps sou Dieu avec fidélité, est tombée
6/
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MOINTIS.
88
eiisuile dans lo relâcliemcnl ; une religieuse
qui s'est fait une h.ibitudo de r(5sisleraux
inspirations de la grâce, ol d offenser son
Dieu ; devenue insensible h tout, elle con-
serve son insi'nsiliilité jusqu'ici la mort; les
Ames les plus saintes Irembh.'nt à l'.'pproclie
des jugements du Seigneur, et elle passe
Iranquillement du temps à l'élernilé; ou
si elle paraît troublée, alarmée alors, ci's
troubles et ces alarmes sont bien moins
l'effet d'une derrn'ère grâce, que l'adresse
de Satan qui lui persuade alors que son
état la rend indigne des regards et d<s
miséricordes de son Dieu, et (lui réussit,
par 1,^, ti la l'aire expiri r dans le désespoir.
O vous qui jusqu'ici avez commis si fa-
cilement lo [téclié véniel, [)arce que vous
l'avez regardé comme peu de chose, en ju-
gez-vous ainsi présentement? Pouvez-vous
regarder coinrao peu (OU'-idérabio ce qui
porto un caractère tout à la fois de mépris
et de révolte, dinjusiico il d'i"g atilude
envers Dieu, ce (jui cause les [ilus grands
oréjudices à l'âuje qui se fait une babi-
ludo de le commettre; ce qui la prive des
grâces de son Dieu, ce qui la porte au
pécbé mortel, ce qui la conduit enfin au
plus grand de tous les malheurs, à la
perle de son Dieu, à une réprobation éter-
nelle? Ab 1 Mesdames, dans ces jours de
salut surtout, ranimez, ranimez votre foi
sur cette grande vérité; une des meilleures
résolutions que vous puissiez prendre
dans cette reirailo, c'est d'éviter avec soin
jusqu'aux péchés les moins considérables,
jusqu'aux f.HUlcs les plus légères.
Oui, Seigneur, je la prends et dans toute
la sincérité de mon cœur, cette résolution
si conforme 5 l'état saint auquel vous avez
daigné m'appcler. Comme chrétienne j'étais
déjà engagée à me préserver de tout ce
qui peut vous olfinser et vous déplaire;
en qualité de religieuse et de votre épouse,
j'y suis plus étroitement obligée encore. Alil
je le confesse ici, à ma confusion, je n'ai
point assez pensé à l'engagement que j'ai
contracté de travailler sans relâche à ma
perfection, et que le premier degré de cet
engagement est d'éviter le pécbé et jusqu'à
l'ombre même, à laiiparence du péché :
mais c'en est lait, ô mon Dieu, dès ce mo-
ment, je les déteste, toutes les fautes
queje n'ai malheureusement que troj) mul-
tipliées jusqu'à |)réseiit ; je vais commencer
par m'en purilier dans les eaux salutaires
de la pénitence. Hélas ! du coujbien de grâ-
ces et de faveurs je me suis privée, par
toutes mes infidélités 1 Que de scandales
j'ai causés [)eut-èlre encore! je suis bien
résoluc'de les réparer, [)ar une fidélité par-
faite à TOUS servir; oui, désoruiais, j'aurai
sans cesse, comme lu" lloi-Propbète, mou
âme entre mes mains, pour ne rien faire,
je ne dis pas seulement qui puisse vous
offenser, vous outrager, ma s qui soit même
capable de vous déphiirc. A celte indiffé-
rence pour vous, à celte tiédeur qui n'a
que trop |»aru jusqu'ici, à celte facilité à
vous oll'ensor va succéder la plus grande
ardeur à vous plaire, ta plus scrupuleuse
délicatesse h me préserver des moindres
taches, à éviter les fautes les plus légères,
afin qu'après vous avoir servi en vraie el
fidèle é[)0use sur la terre, je puisse un jour
et pour toujours vous voir, vous aimer
et vous (losséder dans le ciel. Ainsi-soit-il.
SECOND JOUU.
Second iliscours.
SUR l'obscuvance de la règle et de
CONSTITUTIONS.
Ouictinqiic Imnc rofriilam scciili fiierint, pax super
itlos cl mJsericoritia. {Gtdal., AI, IG.)
Tous ceux qui suivront celte rè(jle, la paix et lu miséri-
corde du Seigneur seront letir récompense.
Être en paix avec sou Dieu, éiTouver les
bontés et les miséricordes de son Dieu,
\o\\b, Mesdames, le plus grand avantage
dont puisse jouir, en cette vie, une âme
chrétienne, mais avanta,-;e qu'elle ne [)eul
se procurer (ju'en s'ap|ili(pjant h bien ser-
vir son Dieu, qu'en se 'conformant en tout
aux volontés de son Dieu; or comme il est
différ(!nles demeures dans la maison du
Père céleste, il est aussi, sur la terre, diffé-
rents moyens de lui (djéir et de lui plaire;
il est des âmes qu'd destine à le servir
dans le siècle, au milieu de tous les dan-
gers, et de tous les embarras du siècle; il
en est d'autres sur IeS(]uelles il paraît avoir
dvs vues plus particulières de miséricorde
et de sainteté qu'il appelle à lui dans la
retraite, et qu'il tient loin du monda occu-
pées à le servir dans l'étal de la religion :
vous êtes. Mesdames, de ces âmes privilé-
giées que le Seigneur, p.;r une bonté infinie,
a heureusemenldéiivréesde tous les dangers
du monde, et qu'il a placées dans un saint
institut par [(référence à une infinité d'au-
tres.
Mais, [)Our correspondre parfaitement à
ses desseins sur vous, il ne suffit pas d'ôlre
entrée dans ce saint état, il faut vous y
sanctifier, et pour vous sanrtilier, en rem-
plir exactement tous les devoirs. En vous
consacrant à Dieu, dans la religion, vous
vous ôtes engagées à travailler toute votre
vie à voire perfection ; or la nianière dont
vous devez tendre à la perfection vous est
marquée dans votre règle et dans vos cons-
titutions; c'est |à (|uo vous trouvez ce
(jue vous devez faire, et comment vous le
devez faire pour plaire à votre Dieu; il
est donc bien impoilanl pour vous de les
observer fidèlement, ceite règle et ces cons-
titutions. Pour vous y engager, j'entre-
prends de vous entretenir ici, et sur les mo-
tifs qui doivent vous porter à observe r vo-
tre règle et vos constitutions ; ce sera lo
sujet de la première partie de cet entre-
tien : cl sur les moyens de les observer
sainîeiiicrit ; ce sera le sujet de la se-
conde partie. En deux mots. Mesdames,
pourquoi devez-vous observer votre règle
et vos constitutions; comment devez-vous
observer votre règle et vos constituliois?
Honorez-moi, s'il vous plaît de toute volie
allcnliou. Aie. M'iria.
«>
DISCOUUS DE RETRAITE, — SECOND JOUR.
rnKMlÈRIC PAUTIK.
bien
Wt
j C'est lin spectacle, MestJamcs, bien digne
iradiniralion, el f|iii nous prouye la sagesse
iiilinie de notre Dieu el loul à la fois son
jainour immense pour ses créatures, quo
Jiplte variété d'étals (pi'il a lorniés ilans
l'univers, et qui, (|ui>i(|uo didereiits les uns
des autres quant aux nioyfus, tendtnl tous
lependant h la même lin, (|ui esl la sai,('-
lilicalion «les âmes el leur salut éternel.
Mais, i>armi tous ces étals, il en est de
plus parlaits les uns que les autres, parce
qu'il en esl qui éloignent plus du monde,
qui délaclient plus de tous ses biens, de
tous IfS avaidages qu'il procure, el qui
par ih approclK'ul plus aussi de la vie
lium!)le el caciiée, |)auvre et mortiliée qu'à
menée nolic Dieu sauveur pendant sa vie
mortelle.
Tel est. Mesdames, ce. ui auquel la divine
Providence vous a appelées; l'embrassant,
cet état , vous vous êtes engagées non-
seulement à observer exactement la loi de
Diru, les préceptes du Seigneur, el à |>ra-
li(pier les conseils de son Evangile: vous
lui avez [iromis solennellement (le |)ius, de
mener une vie do retraite, de déjienilance,
de délaebement, de pénitence, conforme
à la règle el aux constitutions de l'institut
que vous embrassiez. C'est donc celle rè-
gle, ce sont dfinc ces constitutions que
je dis que vous devez observer fidèlement;
pour vous .y engager, ou plutôt |)0ur vous
porter à persévén.'rconslammcnt dans celle
(tbscrvance exacte qui édifie K's fidèles et
qui console l'Eglise, je pourrais vous dire
(jue celte règle cl ces conslilutions que vous
avez embrassées voloiilairemeni, ^viennent
de Dieu; qu'elles ont été composées par des
saints animés de l'esprit de Dieu, et approu-
vées pour cela par l'Eglise, mais je crois
de plus devoir insister ici avfC vous sur
trois raisons plus ()récises encore ; les voici :
C'est, en |>remier lieu, que vous devez
chercher h satisfaire en tout (es personries
que la divine Providence a placées à votre
léte, el à correspondre à tous leurs désirs,
par ra|t(iurt à vous : or vous ne pouvez dou-
ter qu'elles ne désirent ardemment que vous
soyez fidèles 5 observer votre règle et vos
cons iluliuns. C'est en second lieu, que vout
devez ne pas siandahser, ce n'o^l [)oinl dire
assez, que vous devez vous appliquer à édi-
fier, par voire (onduile, celles avec lesquel-
les vous avez à vivre; or vous sentez bien
que vous ne pouvez les édifier que par une
grande fidélité à observer votre règle el vos
conslitulions. Cesl, en troisième lieu, (jue
vous n'èles entrées dans CLllesainle mai-
son, et dans le saint étal de religion, (|ue
pour travailler .'i votre |)erreclion, à voire
salut; or vous n'ignorez [las que vous no
pouvez vous peiCei li(mri( r et vous sauver,
(pi'en obseivanl fidèlement votre règle et
vos const lut'ons; ainsi. Mesdames, vous
devez donc avoir celle exacte fidélité, el
pour la coriMilation de vos supérieurs, et
pour l'édilication de vus sujurs, el pour vo^
tre propre sanctification; suivez-moi, jo
vous prie,
I. Je dis, en premier lieu, qu'une per-
sonne religieuse doit observer sa règle et
ses cotistitulions [)Our la consolation de ses
supérieurs; ce n'est point ceperidant, Mes-
dames, (pie je veuille dire qu'une religieuse
doivB agir et se rendre fidèle, montrer de
Il x.iolitude, uni(|uement pour |)laire à ses
su|iérieurs, el dans la vue de se concilier
leur estime et leur amitié: non, agir [>ar
un pareil motif, ce serait êlre de ces per-
sonnes dont parle l'apôlre saint Paul et
(ju'il condamne, qui ne font le bien que lors-
qu'elles sont vues: Ad oculum servientes ;
(jue I Dur plaire aux créatures, quasi homini-
bus placetiles {Col., lil, 22); au lieu qu'un
vrai serviteur, qu'une vraie servante do
Jésus-ChrisI, ne doit avoir en vue que do
faire la volonté de Dieu : aussi l'Apôtre
dil-il dans un autre endroit, que s'il no
chercliail qu'a plaire aux hommes, il ne se-
rait pas un vrai serviteur dt^ Jésus-Christ :
Si honiinibus placercm, Chrisli servus non
cssem. {(ialal., 1, 10.)
Mais, , Mesdames , une re'igieuse qui
n'agirait et qui ne serait fiilèle à ses de-
voirs, à ses observances, que pour jilaire h
Ses supérieurs, ferait un irès-grand mal,
puisqu'elle s'exposerait h s'entendre dire
un jour, par le souverain Juge : Retirez-
vous, vous n'avez rien à attendre de moi,
c'est aux créatures que vous avez voulu
plaire, c'est aussi des créatures que vous
avez dû recevoir votre récompense : Recepi-
sti mercedem tuam. {Matth., VI, 16.) Une re-
ligieuse aussi qui, par son peu de fidélité,
par sa négligence, par se» trangressions, dé-
p'airait à ses supérieurs, el sérail pour
eux un sujet de peine el de chagrin, se-
rait très-coupable aux yeux de Dieu; ce se-
rait un mal à la vérité de chercher unique-
ment à leur plaire, mais ce serait pareil.'e-
ment un mal de leur déj)laire, en agissant
centre leurs désirs, contre leur volonté, ne
pouvant douler que leur volonté, que leurs
désirs ne soient que la règle et les conslitu-
lions de l'instilut s'observent parfaitement
par toutes celles que la Providence a confiées
à leurs soins : ce n'est en etlet que pour
cela. Mesdames, que le Seigneur a permis
qu'une de ses é()Ouses fût placée à la tèio
do votre comnuinaulé; du moment que vo-
ire supérieur majeur ou celui qui lient sa
place, a cordiriné son élection ou agréé du
moins le choix (pi'on a fail d'(!li(;, elle s'est
engagée à faire observer la règle el les cons-
litulions, ii tnlreleiiir la régulai ilé dans .la
maison, celle régularité est un dé()ôt |»ré-
cieux (jui lui a été confié par le Seigneur,
dont elle lui rendra un compte exact, et
(ju'elte doit transiiiellro, dans toute son in-
légrilé, à celle qui doil lui succéder; de là
une obligation pour elle de veiller attenli-
vement à ce qu'il ne s'introduise aucun rc-
lâchemenl, aucun abus : abus, relûchemem,
hélas 1 cpji s'insinuent quelqiielois, sans
(ju'on s'en a|»eiroive, môme dans les mai-
sons les plus régulières.
J)I
ORATEURS SACRES
Or, MeS(lain(!S, l;i mônio raison qui obli-
po iine'snpérleurii h maintenir, ave'; la plus
scrupuleuse allcntinn , la rc^gularilé iians
sa communauté , oblige aussi les particu-
lières d'entrer dans toutes les vues de leur
supérieure: oui, sans doute, et malheur
à celles qui se rendraient sur cela indociles
ou peu attentives aux avis , aux répriman-
des de celle que le Seigneur a placée 5
leur tête; quel chagrin ne lui causeraient-
elles |)as, si elle a un vrai zèle pour le
maintien de la régularité et pour le salut
des âmes confiées à ses soins 1 Non, la piété
<le toutes les autres, leur exactitude, leur
(idélilé 5 s'acquitter de tous les devoirs
de leur saint étal, ne seraient point capa-
bles de la dédommager, de la consoler du
peu do régularité d'une seule de ses filles;
niais aussi que les gémissements, que les
larmes qu'elbî répandrait en secret, et aux
pf'eds de son crucifix, seraient funestes à
celles qui en seraient l'objet 1 Car voilà
f» quoi se trouve réduite quelquefois une
personne supérieure; après avoir épuisé
successivement les voies de douceur et
de fermeté, craignant que trop d'aulorito
n'aigrisse encore un cs|trit que l'expérience
lui a fait connaître, joindre la hauteur et
l'indocilité h !a tiédeur, à rindifi'érence
|)our sa règle, elle prend le parti de se
taire, mais en môme-temps de recourir au
Seigneur, de !e prendre h témoin de tout
ce qu'elle a fait, et du peu qu'ont opéré
tous ses soins. Ah I qu'il est à craindre
que le Seigneur, pour la consoler, ne lui
lasso entendre alors, ce qu'il dit autrefois
jiii pr()|)liôte Samuel, au sujet des Israélites
qui refusaient de reconnaître en lui, l'au-
torité dont il l'avait revêtu : ^'os plaintes
et vos gémisseriieuts sont m.onlés jusqu'à
moi; ces esprits i'idociles refusent de vous
écouler, parce (ju'ils ne veulent pas m'é-
couler moi-n)ème : Nolunl audirc te, quia
nolunl audire me (1 Reg. , VIII, 7); mais
|>rene7. patience; je vengerai, dans son
temps, ce mépris de votre autorité qui est
la mienne ; menaces funestes que le Sei-
gneur irrité n'attend |)as toujours à exé-
cuter dans l'autre vie; combien en elfrt
qui, après avoir scandalisé, [tendant bien
des années, une communauté entière, ont
été frappées tout à coup par la mort, sans
pouvoir se reconnaître, ou qui sont mortes
dans des remords et dans des troubles
aifreux qui ne marquaient que trop
(juo le Seigneur commençait à exercer
sur elles ses jugements redoutables I Une
personne religieuse doit donc observer sa
règle et ses constitutions, p(jur ne pas
causer de Ipeino à ses supérieurs, pour la
co:is()lati()n de ses su|)érieurs , mais elle
doit de plus les observer pour rédifi(;atiou
de celles qui vivent avec elle.
II. Telle est,jMe»damcs, la disposition de
la divine rrovidi.uce , qu'en réunissant
(uns les luMumos sous une même religion ,
sous un mêuie culte, elle a voulu ipi'ils
<ie portassent tous réciproquement au bien,
qu'elle leur eu a lait même une obligation,
L'ADBE DE |MONTIS. m
jusqu'à les charger, sur cet objet, les uns
des autres : Unicuique mandavit Deus de
proximo sufl. (EcclL, XVll, 12.) C'est pour
cela que l'apôlre saint Paul, dans son
Epitre aux Romains, exhorte les fidèles à
faire le bien, non-seulement devant Dieu,
à qui rien ne peut être caché, mais encore
devant les hommes : Non tantum'coram Deo,
sed etiam coram omnibus hominibus. [Rom ,
XII, 17.) Et le Dieu Sauveur nous dit expres-
sément à tous qu'il faut que notre lumière,
c'est-à-dire aue notre conduite, soit telle-
ment con nuedes autres, qu'apercevant
nos bonnes œuvres, ils en glorifient le Père
éternel qui est dans les cieux.
Mais si l'édification est d'une nécessiié
indispensable dans le cliristianismo, j'ose
dire, et vous le concevez aisément, i\Ies-
daincs, qu'elle est d'une obligation plus
étroite encore dans la religion, parce que
les âmes y sont beaucoup plus occupées,
que dans le monde, du service de Dieu;
parce que leurs (»bligations y sont d'unn
plus graîide étendue; parce que les fautes,
les tiansgressioiis que l'on peut y faire,
peuvent beaucoup moins se cacher que
celles qu'on commet dans le monde, et
ont, pai-là, un etfet plus prom|)t, plus sûr,
et cousé(|uemme!it plus mauvais.
En effet, dans le monde où les devoirs
sont ditférents, comme les états, un chrétien
peut faire le mal, transgresser môme plu-
sieurs articles essentiels de la loi de l'Evan-
gile, sans être vu et sans scandale, par con-
séquent : mais dans la religion où se trou-
vent les nièiiies exercices et les mêmes de-
voirs, et où de plus l'on est sans cesse réuni,
et où l'on a toujours les yeux les uns sur
les autres, une religieuse ne peut manquer
à ses exercices, à ses devoirs, que ses sœurs
ne s'en aperçoivent, et sans les scandaliser;
d'ailleurs dans le monde, pour scandaliser,
il faut communément une action] visible-
ment mauvaise, qui attaque essenli'jllenjent
et en matière grave la loi de Dieu, parce
(jue, quoique le chrétien du monde soit
obligé de plaire en tout à son Dieu, comme
les personnes religieuses, cependant n'é-
tant pas tenu à une vie aussi sainte, aussi
parfaite, ce que l'on appelle fautes légères
ne peut, ordinairement au moins, y faire
une grande impression ; mais dans; la reli-
gion où l'on s'est engagé solennellement à
tendre sans cesse à la perfection et à ob-
server pour cela, les pratiques et les obser-
vances qui sont prescrites dans la règle et
dans les constitutions de l'institut qu'on a
embrassé, y manquer, et surtout habituel-
lement, c'est faire voir aux autres qu'on
n'a pas une grande estime pour ces prati-
ques, pour ces observances, ni pour les en-
gagements qu'on a contractés [)ar consé-
quent; c'est par là leur donner mauvais
exemple, ce (jui est un vrai scandale, et un
scandale d'autant plus grand que celle qui
les donne est |)lus ancienne, ou tient un
rang plus distingué dans la religion.
Hélas 1 Mesdames, c'est i)ar là en eifel que
93
Ii's in.iisoiis les plus rtigiilièrcs ol les plus
fcrveiiles qui, pemlanl des siècles crilif^s,
.Mvaienl fait la joio et rornemenl do rEi,dise,
sont décimes de leur ferveur, de leur régu-
la ri l»^ ; ce n'est point tout à coup' qu'une
cnmmuiiaulé lombe dans le rcUlcIieiiicnl,
dans le desordre ; ce n'esl (|u'insonsibk'nient
»'i par degiés. Une religieuse, après avoir
passé ses [iremières années dans la ferveur,
s'e.»it tnaihcureusement dégoûtée do son état;
se livrant à ses dégoûts, elle a commencé
par transgresser quelques observances, légè-
res à la vérité, et d'abord de loin à loin;
pour Sî >o islnir • à la vigilance de ses supé-
rieurs ; ses infractions sont devenues insen-
sililcinonl pius IV(''(|uenles, et plus graves, et
I ar la raison ipi'on est naturellement bien
plus porté à imiter le mal que le bien, fjuel-
ques aulics ont suivi son exemple; bientôt
la coutume a prévalu, jusqu'à faire regarder
celles qui tenaient lidèleiuent à la règle,
comme des ^cnipu'ouses desfdles singuliè-
res; do ces légères iransgressions l'on a passé
insensiblement et comme il arrive toujours,
à des transgressions plus importanles ; l'on
a tini ()ar oublier tousses devoirs; le mal
fst enfin devenu général; la connnunaulé
entière, après avoir perdu l'esprit de son
institut, est tombée insensiblement dans des
dérèglements qui ont longtemps scandalisé
les fidèles et affligé l'Eglise, qui, après bien
des tentatives de réforme, toujours inutiles,
n'a trouvé d'autres moyens pour faire ces-
ser ces désordres et ces scandales, que d'é-
leindre. de supprimer la maison elle-même.
Allez à la source de tous ces malbeurs,
c'est une religieuse intidèle qui les a cau-
sés. Ahl ne valait-il pas mieux pour elle
qu'elle restât dans lo siècle, que de venir
dans la religion s'y perdre et y perdre les
autres avec elle? Voilà en effet ce qu'elle se
dira, et ce qu'elle se reprochera, quoique
l-ien inutilement, dans l'éternité. Qu'avcz-
vous lait, dit autrefois le brave Josué au
malheureux Aclian, qui se trouva forcé d'a-
vouer I u!)liqueraent un crime qu'il avait
commis en secret, et qui avait attiré la colère
du Seigneur sur Israël, et mis par là !a déso-
lation parmi ses frères; qu'avez-vous fait?
Vous avez aliiré sur nous les plus grands
:naux, vous nous avez troublés tous; que le
Seigneur vous irouble et vous extermine
aujourd'hui : Exturbel te Dominus in die
hac. {Josue, 1 , 20.)
Hélas 1 Mesdames, ne pourrait-on pas dire
DISCOURS DE ilETRAlTE. — StXOND JOUR. U
gcnuMil'^; m.iis l'auto de persévérance, après
bien des iididélilés assez légères d'abord,
vous en êtes venue enfin à des transgres-
sions, à des prévarications importantes et
habituelles (juiscandalisent toutes vos sœurs
et qui affligent plus lo cœur de votre céleste
Epoux, que leur ferveur, leur régularité
ne le consolent; par vos transgressions,
comme le dit saint François de Sales, non-
seulement vous démeniez votre profession,
mais vous renversez, autant (lu'il est en
vous, la congrégation , et vous dissipez les
fruits du bon exemple; cette maison qui
vous a reçue dans son sein, dans l'espéran-
ce que, toute voire vie, vous travailleriez à
sa gloire et h son bonheur, vous travaillez
aujourd'hui à la détruire, à l'anéanlir, vous
empêchez le Seigneur de répandio sur elle,
ses gi;1c,( s et {ses bénédictions. Ahl plût à
Dieu que vous ne lui causassiez do préju-
dice que dans ses biens temporels, elle s'en
consoler.iit , et nous nous en consolerions
avec elle I mais vous l'atiaquez dans l'essen-
tiel ; par vos mauvais exemples , par vos
scandales, vous travaillez à anéantir dans
elle colle régularité, celle piété qui seule
au Seigneur
et à
également à une religieuse infidèle à ses
devoirs, etdé.obéissanteà sa règle : Qu'avez-
vous lait, et que iailes-vous encore? Vous
avez embrassé volontairement , et de voire
jilein gré, l'étal de la religion; |)eul-èlro
encore, en surmontant courageusement do
grands obstacles, parce que vous étiez coi-
vaincuequo le Seigneur vous y a|)pelail, (il
(ju'il n'était poinl d'autre moyen do vous
sauver; vous vous êtes engagée solennello-
menl à remplir tous les devoirs, toutes les
observances que ce saint élat vous prescri-
vait; vous avez été fidèle en elTot, quelque
leoips, (^uchiues années, à vos sacrés enga-
peut la rendre agréable
son Eglise; vous troublez par là lo troupeau
le plus chéri du divin pasteur; ajoulerai-jo
ici comme le zélé conducteur du f)euf)lo de
Dieu ? Oue le Seigneur vous Irouble et vous
punissiî. Ah! loin de moi des sentiments si
opposés aux dispositions de mon cœur; le
Seigneur m'est témoin que volontiers , je
dormerais mon sang pour le salut d'une
seule de ses épouses; je dirais [)lutôt à celle
religieuse infidèle : Depuis longtemps vous
vous êtes, par votre conduite peu régulière,
malheureusement éloignée do votre Dieu ;
mais le mal n'est pas absolument sans re-
mède; revenez sincèrement à lui, il est
toujours prêt à vous recevoir: soyez désor-
niais disposée à remplir fidèlement les en-
gagements sucrés que vous avez contractés
avec lui; vos sœurs que vous avez tant do
fois scandalisées, cherchez présonleraent à
les édifier par une observation exacte, non-
seulement de vos devoirs essenliels, mais
même des plus petites |)rali(|ues de la reli-
gion, de vos plus légères observances, et
par là vous réparerez, aulanl qu'il sera dans
vous, les maux que vous avez faits ; le Sei-
gneur qui ne rejette jamais un cœur contrit,
vous rendra son amitié, vous en é[)rouv(!-
rez les elfels , dès cette vie, par la paix du
cœur que vous n'avez pu avoir, tant quo
vous avez été contraire à ses desseins sur
vous, et parla, en contribuant à la sanctifi-
cation des autres, vous vous sanctifierez
vous-même.
Jll. Car voilà, Mesdames, le troisième
nmtif qui doit vous lendro fidèles à obser-
ver votre règle et vos conslilulions. Il n'est
pûinl d'éiat dans le monde où l'on ne
|iuisse se sauver; Dieu les a tous faits, et
s'il s'en trouvait un seul incompatible avec
le salut, il faudrait le regarder eomino un
état (juc Dieu n'a point créé et qu'il ré-
inctuve ; muib à colle vérité jo dois en join-
95
OUATEURS SACRKS. l/AlîlîE DE MONTIS,
96
Jio uiio autre aussi corlniiio, c'est que |iour
se sauver (i;ins un état, il faut y avoir été
s|»écialeiQont appelé par le Seigneur ; ce
n'est pas tout encore, c'est que pour se
sauver, il ne sufllt pas d'être dans l'étal oià
Dieu nous vtui; il faut de plus, je l'ai déj.*!
dit, renaplir les devoirs de cet élal; sans
cela, l'on ferait les œuvres les plus écla-
tantes, les plus saintes même en apparence,
elles ne seraient ni agréables à Dieu , ni
suscoplililes par conséquent de ses récom-
penses. Or, Mesdames, si dans tous les
états, il faut nécessaircMiicnl en observer
les devoirs, à plus forte raison, Dieu exi-
^^e-t-i! celte fidélité, dans l'état religieux ,
élal saint par lui-iiième, destiné de Dieu',
non-seulement à la sainteté , comme tous
les .lulres, mais encore à la perfection de la
fainielé.
El ne dites point ici, qu'.'i la vérité il est
dans la religion ^\l^$ devoirs importants
• lu'on ne pei.l transgresser sans offenser le
Seigneur, mais qu'il en est d'autres tnoins
cssenliels qui, de l'aveu niêmo des doc-
teurs et dos casuisles, de l'aveu des fonda-
teurs et des instituteurs eux-mêmes, n'o-
bligent pas sous peine de péché; car, en
adnicllant avec eux et avec vous celte dis-
tinction, je dis, en premier lieu, que si les
docteurs et les casuisles disent qu'on peut
absolument transgresser sa règle et ses
constilulinns sans [téché, tous disent aussi,
avec saint Thomas et avec saint François de
Sales, qu'il y a péché dès que le mé|)ris ou
le scandale accompagne la transgression,
péché qui devient plus ou moins grief, à
proportion que le scandale ou le mépris est
plus ou moins considérable : or je prétends,
et vous n'en disconviendrez certainement
point, qu'il y a toujours mépris au moins
interprétatif de la règle et des constitutions,
lorsqu'on se fait une habitude de les trans-
gresser; c'est déclarer, |)ar sa conduite,
qu'on les estime bien peu, (misqu'on mon-
tre si peu d'attention à s'y conlornier. Ce
que je dis du mépris, je le dis également
du scandale; janjais une religieuse ne se
donnera la liberté de manquer, habituelle-
ment surtout à sa règle, sans scandaliser
ses sœurs, scandale (|ui sera d'autant plus
grand que la communauié qu'elle habile
est plus régulière et plus fervente.
Je dis, en second lieu, qu'on n'a jamnis
vu et qu'on ne verra jamais une religieuse
se sanctitier sans observer sa règle et ses
constitutions; cola est si vrai, que le plus
bol éloge qu'on croit faire d'une épouse do.
•lésus-Chrisl, qui pendant sa vie a porté ce
litre avec honneur, c'est de dire qu'elle a
toujours été scrupuleusement fidèle, non-
seulement aux devoirs les plus essentiels
«le son état, mais encore aux plus légères
observances, aux plus petites pratiques de
cet état; aussi un très-grand et un très-
saint pape (Clément XI) disait-il, qu'on lui
prouvât qu'un religieux, qu'une religieuse
avait loule sa vie observé sa règle avec une
exaclcî lidélilé, qu'alors il ne demanderait
rieu de plus, et (lu'il n'Iii'siloraii pas à njcl-
ire ce religieux, celte religieuse au caïaio-
giio des saints.
En eiïet, s'il est dilTérenls étals ou . on
p<ut se sauver dans le christianisme, il est
aussi différents moyens prof)res à se sanc-
tifier dans ces étals, et qu'il est Irès-impor-
lant de ne pas ignorer; or voilh, Mesdames,
le grand avantage que vous avez dans la re-
ligion, c'est de connaître clairement ce que
Dieu exige de vous pour votre sanctification.
Dans le monde, avec une sincère disposi-
tion de servir Dieu et de se sauver, une
personne se trouve quelquefois dans une
situation qui la rend indécise sur le choix
lies moy( ns ; mais dans votre saint étal,
vous no pouvez jamais être dans celle per-
plexité; le moyen de sanctification pour
vous, et le moyen unique et nécessaire,
c'est d'observer fidèlement votre règle et vos
conslihitions ; elles sont pour vous comme
unefortere>se;Unbûulevart,d'oij vous pouvez
aisément repousser tous les traits des enne-
n)is de voire salut, muru«e< antemiirule [Isa ,
XXVI, 1); en vous faisant ol)servor les
conseils de l'Evangile, elles vous aident à
accomplir plus facilement les préceples; en
vous préservant du mal et en vous faisant
praliipier le bien, en quoi consislenl les
devoirs du chrélien ; Déclina a malo, et fac
bonum {Psul. XXXVI, 27); elles vous pro-
curent une inlifiité de grâces et de secours
qui vous facilitent la prati(iue de la vertu,
et de toute espèce de vertu; qui vous font
marcher constamment dans la voie de la
perfection, ol qui, vous rendant des épou-
ses de Jésus-Christ, saintes, agréables à ses
yeux et selon son cœur, augmentent aussi,
chaque jour, vos mérites et votre couronne
de gloire. Tout doit donc vous engagera ob-
server exactement votre règle et vos cons-
titutions; la consolation de vos su|)érieurs,
l'édification de vos sœurs et votre propre
sanctification ; vous venez de le voir : mais
couunent devez-vous les observer ; c'est le
sujet de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
11 n'est malheureusement que trop com
mun, je le dis ici en gémissant, Mesdames,
de voir dos vierges chrétiennes, après avoir
embrassé volontairement , et avec ardeur
môme quelquefois, le saint étal de la reli-
gion, a[)rès avoir passé les premières années
de lenr consécration au Seigneur dans un
accom|)lissement fidèle de tous les devoirs
que leur impose le saint institut qu'elles ont
embrassé, il n'est que trop commun de les
voir déchoir de leur première ferveur, Sd
dispenser de la prali(jue dos devoirs et dos
observances qui avaient fait, pendant long-
lcnq)s, leur consolation, leur bonheur, ou
du moins ne s'accpiilter de ces devoirs, no
pratiquer ces observances qu'iaiparfaile-
mont, [)ar interruption, par ca| rice, cl avec
une négligence toujours scandaleuse pour
les autres, et toujours funeste \H)ur elles-
mêmes. Si nous voulons remonter à la
source do. ce cbangenjont do conduire, et
en chercher la cause, la voici, c'est (juo
97
DISCOL'IIS DE RETRAITK.
SKCON» JOUR.
08
dans les prcniières .innées iiircllcs oui |i;is-
sées dans l.i rdisiioM, cllos aimaicMil vùrila-
bleiucnl leur Dieu el n'/iiniaienl que leur
Dieu; qu'elles étaienl jalouses de lui plaire
en loul ; or elles savaient que le grand, (jue
l'uniiiue moyen de lui léiuoigner leur amour,
el de lui plaire, c'était de remiilir avec la
plusexacle lidélilé les engagemcnls qu'elles
avaient contractés avec lui, et par consé-
(|uent, d'obéir poncluellomen t à la lègie cl
aux constitutions qui leur ()rescrivaient l'é-
î( ndue et la pratique de ces engagements;
mais dans la suite, l'ennui, la dissipation,
la tiédeur, peut-être aussicjuelque altaclK-
ment aux créatures, ont commencé par at-
laihlir tous ces sentiments du (iilélité et do
ferveur, et ont tini, comme il arrive toujours,
quand on n'y apporte jias un [)romi)t re-
mède, par les disMiier, ces..seiilui)ents,e.l les
anéantir entièrement.
Pour vous. Mesdames, qui, grâce au sei-
gneur, vous Iromez dans des dispositions
.•■aintes, entièremunl opposées à celles-ci,
pour y persévéïer, vous désirez que je vous
iiiuiilie la manière d'observer tidèlemeni et
^anlll.•ment voire règle el vos constitutions,
c'est-à-dire, de laçon à glorifier votre Dieu
et à vous sanctifier vous-mêmes. Hélas! je
jiourrais pour cela m'en tenir à ce seul ujoI
de saint Augustin : Aimez, aimez, et vous l'e-
rez ce que vous voudiez: Ama cl fac quod
vis; aimez véritablement votre Dieu,désiiez
bien ardemment de l'aimer, de croître sans
« esse dans son amour, alors vous vous oc-
cuperez bien binccremenl de tous vos de-
voirs; vous accomplnez lidèleuant tout ce
que vous prescrivent votre règle et vos con-
stitutions, bien persuadées que Dieu de-
mande de vous celle tidélité pour lui olaire;
Ama el fac quod vis.
Cependant pour entrer dans une suite
d'instructions que vous attendez de moi, je
dois vous ajouter que, pour observer volie
règle et vos constitutions, d'une lagon qui
^()ll agréable à Dieu et utile à vous-mêmes,
vous devez, en premier lieu, les observer
dans toute leur étendie, sans rien r( traii-
tlier; vous devez, en second lieu, les obser-
ver dans le temps ()rescrit et avec toute la
promptitude dont vous êtes capables ; vous
devez, en troisième lieu, les observer en
tout temps, malgré les ennuis, les dégoûts
el les autres onslaolus que vous pouvez y
ri-ncontrer, c'est a-iliie que vous devez ks
observer entièrement ou sans réserve,
promplement ou sans délai, constamment
ou sans inlerrujilion ; tout cela nous con-
duira à un délad de principes el de consé-
quences pour lesquelles je vous prie de me
renouveler toute votre attention.
1. Je dis, en premier lieu, que vous de-
vez oiiserver votre règle el vos consiiiu-
lions, eulièremenl el sans réserve. Oui,
Mesdames, ce n'est môme qu'à cet accom-
plissemeni total que votre peifection, vo-
tre sanciificalion est attachée, el pour peu
que vous veuilliez réllécliir sur vos enga-
gements, vous sentirez celte véiilé ; car enlin
lo ii.olil, legrand moiil-jui vousa lait renoa-
cor au nu)nde et vous condamner pour tou-
jours,à la reiraile c'a été parce ()ue vous étiez,
intimement convaincues que votre Dieu de-
mandait do vous ce grand sacrifice; c'a donc
été [)0ur entrer dans toutes ses vues, pour
lui plaire, [xiur lui donner, par là, des té-
moignages aullientiques de votre allache-
menl, do votre amour : or je dis (juo ces
mêmes raisons si importantes, doivent vous
engager préseiilement 5 accomplir entièie-
ment et sans réserve, tout ce que vous
jirescrit votre règle, parce que c'est par là,
et ce n'est <jue pai" là (lue vous [louvez es-
pérer de plaire à votre Dieu, de lui donner
des preuves sensibles de votre amour, et
ce n'est que par là conscquemment (jue
vous pouvez travailler sûrement et efficace-
ment à votre perfeclion, à votre sanciifica-
lion; vérité si cerlaine, que quand vous
pourriez vous livrer, el quand vous vous
livreriez en elfct à toute sorle d'œuvies do
zèle et de cliarité, mais élrangèies à votre
situation, à voire état; quand vous feriez,
à l'extérieur, tout ce qui |)Ourrait le plus
contribuer à la gloire de Dieu, à l'édilica-
lion de l'Eglise, et h l'ulililé du pro-
chain, si, d'un autre côlé, vous négligez les
pratiques et les observances [irescriles par
voire lègle et par vos cons!ilutio;is, dès
lors, je. le dis sans hésiter, et je vous iedi-,
d'après tous les maîtres de la vie spiri-
tuelle, \{iès lors, vous déplairiez à votre
Dieu, tout ce bien apparent ne serait point
nn bien pour vous; Dieu le réprouverait,
comme fait par le mouvement de votre ()!o-
pro volonlé, et contre la sienne, et (pii, par
là, no tendrait point à votre })erfeciion, a
voire salut.
Je sais. Mesdames, ce qu'allèguent quel-
quefois des religieuses peu ferventes, | our
s'autoriser dans leur relâchement, dans leur
tiédeur; qu'à la vérité leur .'■anclificalii-n
consiste dans l'observation de leur règle et
de leurs constiluiions : mais (pi'il est aus.-i
une dill'érence à faire dans les (iratiques et
les observances qui leur presciivent ceCe
lègketces constiluiions; qu'il en est d'im-
portantes qui tendent directement à leur
sanctification; qu'elles sont bien éloignées
de vouloir se dispenser, au moins habiluel-
lement, de celles-ci, qu'elles s'en coiifes
sent môme toutes les fois qu'il leur arrive
d'y manquer, mais qu'il en est aussi, et en
grand nombre, qu'elles ne peuvent regar-
oer que comme de légèies observances, aux-
quelles elles avoueniine pouvoir s'assujettir.
Mais quoi 1 pouirais-je répondre a une
éiiouse de Jésus-Christ, qui me tiendrait un
pareil langage : N'esl-te pas déjà nn grand
mal pour vous, que , dans votre saint é.ai ,
vous distinguiez ainsi entre iratiiiucs el
pratiques, eiiiie observances et observances,
et que vous ne distinguiez ainsi que {)Our
faire peu de cas de quelijues-unes , el pour
VOUS autoriser à li^s négliger? Hélas I à le
bien prendre, est-il rien de petit, do léger
dans le service de Dieu? Pouvez-vous re-
garder comme pou impoi tant ce qui vous
seil ù lui témoigner votre lidélilé, el votre
99
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
100
amour, cl ce qui doit contribuer à voire
bonheur éternel? Pouvez-vous douter que
Dieu ne vous demande celte fidélité, h vous
acquitter de tout ce que vous appelez, lé-
gères pratiques? Qu'il n'y ail bien des grâces
attachées à toutes ces pratiques , qu'en les
négligeant , vous ne déplaisiez h voire Dieu;
que vous ne refroidissiez son cœur à votre
égard , cl que par 1,'j , vous ne vous priviez
volontairement d'une inliniié de grâces et
de secours [)0iir voîre sanclificalion?
Mais depuis quel temps regnrde/.-vous
certaines j)raliques, certaines observances,
comme si peu du chose? En jugiez-vous ainsi
dans les premières années de votre entrée
dans la religion? Comment et pourquoi avez-
vous changé de façon de penser? Rentrez
ici un moment en vous-même; voyez
quelle a pu être la vraie cause de ce change-
ment,d'idées et de conduite; celte seule ré-
flexion serait capable de vous poi-ler à la
léforuie de vous-même. IMais toutes celles
qui vous onl précédée dans la religion et
dans la sainte maison que vous habitez, et
(]ui ont laissé, en sortant de ce monde, une
odeur de sainlelé qui est parvenue jusqu'à
vous, pensaient-elles comme vous sur ces
observances, ei se comportaient-elles comme
vous?AiiI quelle attention au contraire à
ne rien omeilre de tout ce qui leur élait
prescrit 1 Avec quelle douleur porlaienl-el-
ies au sacré tribunal les moindres négligen-
ces qu'elles avaient è se reprocher! Et sans
cela, eussenl-el'es élé des saintes, et vous-
même les regarderiez vous comme telles?
Mais qu'est-ii besoin de remonter si haut.
Cl de vous rappeler les temps passés? Jetez
les yeux aulour de vous, voyez, entre tou-
tes celles av<H' lesquelles vous vivez, et
considè.ez celles qui vont le mieux à Dieu,
et t|ui vous paraissent le servir avec plus
lie zèle, de lérveur et d'amour : lesquelles
sont, à vos propres yeux , les meilleures
religieuses, les religieuses les [dus fjarlai-
les?Sonl-ce celles qui, comii;e vous, fai-
sant peu de cas des petites observances,
ne se font aussi aucune peine de les trans-
gresser, de les omettre V Ne sonl-ce pas
plutôt celles qui; pleines d'amour jiour leur
céleste Epoux, ne regardent rien de peu de
conséquence, de tout ce qui leur est pres-
crit , qui se font un plaisir comme un de-
voir, de s'y rendre fidèles? Hélas! vous le
dites vous-mêmes quelquefois ; ce soui là
nos saillies; oui sans doute, mais vous
devez vous rendre saintes comme elles, et
vOmme elles, par la pratique exacte de
'ouïes vos observances ; c'esl là le genre de
sainteté que votre céleste Epuux exige de
(TOUS; s'il avait voulu de vous, de grandes
;lioses , des œuvres d'éclat , il ne vous au-
rait point placée dans un état et dans un
institut où l'on se sanclitie , et oii l'on ne
t»e sancliliequepar la lidélité aux petites cho-
ses , qu(! par la pratique des peines veiliis,
des légères observances ; vous ne pouvez
donc y manquer, sans mamjuer à ce que
vous lui devez, et à ce (jue vous vous devez
à vous-mêmes.
Mais je suis dans un empioi, et j'ai des
occupations qui, aljsorbant tout mon temps,
ne me pei mettent pas de m'assujellir à tous
les exercices, et de pratiquer toutes les oh-
servances que prescrivent nies constiluiions.
Mais d'abord, cet em[)loi que vous alléguez
comme un obstacle à voire régularité, je
veux croire que c'est la Piovidence seule
qui vous en a chargée; car si vous l'aviez
désiré cet emjdoi , et si , par des voies in-
directes, vous étiez parvenue avons le
procurer, dès lors vous ne devriez pas ê!ro
sans iroiible de consdeiice, et sur toulceque
vous faiiesdans cet emploi, et sur tout ce que
vous n'accomplissez pas de vos observances,
à raison de cet emploi, parce (jue vous ne
devriez plus vous regarder dans l'oidre de !a
Providence, ni comme agréable par consé-
quent aux yeux de Dieu. iMais je veux qu'en
elTet ce soit votre supérieure qui vous tient
s-a place, qui, de son propre mouvement ,
vous ait chargé de cet emploi , et que vous
ne l'ayez accepté f|ue par un motif bien pur
de soumission , d'obéissance à ses ordres;
je vous le demande, soyez ici de bomie foi,
ce! emploi est-il de nature par lui-même
à vous occuper tellement que, malgré vos
bons désirs, vous ne puissiez suivre les
exercices de la communauté? Si cela éiail
je vous le dis hardiment, vous devez êl e
tranquille ; c'est alors, comme le disenl les
maîlies de la vie s[)irituelle, (piiller Dieu
pour Dieu , et bien loin de ne rien perdre
pour le ciel , j'ose dire (jue vous faites un
double protit, [luisque vous avez devant
Dieu, et le mérite de ce que vous faites, et le
mérite de ce que vous ne faites pas, mais
que vous désirez faire.
Prenez garde, s'il vous plaît , que, pour
vous excuser devant Dieu, il faut (pie votre
emf)loi soit véritablement pour vous un
obstacle réel , et non un vain préiexie, et
voilà cependant ce que l'on ne confond que
trop souvent; celles qui vous oui pncéiJée
dans cet emploi, par la raison que l'on
cherche toujours à se mettre en liuerté, à
se dispenser de ses devoirs, se sont crues
autorisées à se dispenser, de temps en
lem|)s d'jbord, de quelques exercices com-
patibles ceiiendant avec leur cm|iloi ; in-
sensiblement l'abus s'est fortilié, la cou-
tume a prévalu : vous, ma chère sœur, (jni
leur avez succédé dans cet emploi ( l (jui
avez trouvé les clioses établies sur ce pied
là, sans trop y ré'lécliir |)eut-ôtre, je le
veux croire, vous avez jugé pouvoir su; vie
leur exeuiple et jouir des mêmes piiùié-
ges; mais ignorez-vous qu'un abus ne se
prescrit poiiU, et qu'il reste toujours abus ?
Ignorez- vous que celles qui s'y confor-
ment le connaissant tel , sont au^si cou| t-
bles que celles qui l'ont introduit? Exa-
minez donc sorieusemeiit ce que vous pou-
vez et ce (jue vous ne pouvez pas; voyez
si , en bien économisant votre temps , si ,
par des arrangemenis sages et prudents,
vous ne pouvez pas vous rendre fidèle à
bien des observances, assister à [ilusieuis
exercices (jue vous négligez. Si vous le
ve/s,
fa-
'tA
M.i,
^ /
101
DISCOURS DK UETRAlTi:.
SECOND JOUR.
i02
pouvez, vous le «levez, el si vous le devez,
vous ne pouvez y manquer sans déplaire
^ Dieu, sans , scandaliser vos sœurs, sans
nuire à voire coniniuiiaulé , el par consé-
quent sans vous causer à vous même un
trùs-grand préjudice.
Vous me direz jieul-ôlre encore (car l'a-
mour dp soi-mûnie rend si ingénieux à se
llalkT, il se Iromjjer), vous me direz que ce
(jui vous rassure , c'est la permission que
vous avez de voire supérieure pour vnus
absenter de certains exercices, pour omelire
CCI taines observances ; cela vous rassure?
Mais vous ne savez donc pas que voire su-
|)éricure n'a |)oint un pouvoir absolu d(!
vous dispenser de ce (|ue vous prescrivent
voire règle el vos conslitulions? Prenez
garde, je dis pouvoir absolu, c'est-à-dire,
le pouvoir de vous en dispenser, de sa pro-
pre grâce, de son propre mouvement, sans
une vraie el solide raison; bel comment
i'aurait-elle pour vous ce pouvoir? elle ne
l'a pas pour ulle-môme! Eu sorte que si ilie
se sert do sa jilace comme d'un prétexte
pour se dispenser des observances qu'elle
pouirait pr.iliijuer, cl qui sont cOMq)alibKs
avec sa place, dès lors elle se rend coupa-
ble devant Dieu d'une taule d'autant plus
griève , qu'à raison de sa pkice elle est plus
obligée (le donner en tout , à ses lilles ,
l'exemple do la régularité : il s'agit donc de
savoir si vous avez une vraie el légilimi^ rai-
son ; car vous ne devez alléguer ici pour
excuse que ce que vous pourri z alléguer au
jugoiiienl de Dieu, que ce qui pourra vous
excuser devant Dieu; voyez uonc avec vous-
niéme si vous avez été véi ilablemenl auto-
risée à demander è votre supérieure tou-
tes ses disjienses sur leSiiuelles vous pa-
raissez vous rassurer aujourd'hui; en ce
cas, vous pouvez être iraricjuille, el votre
supéiiuure aussi ; mais si toutes vos dispen-
ses ne sont fondées que sur des abus, sur
de mauvaises coiilumes, quelque antienuLS
qu'elles puissent être, ce n'est plus une lé-
gitime dispense, une véritable dispensalion,
comme re>^iivail sainl Bernard au pape Eu-
gène, c'est une dissipation , un abus d'un
pouvoir que Dieu n'a donné que pour faire
iiiire le bien, el non pour autoriser le mal.
Vous devez donc accomjjlir lolalemenl vo-
ire règle et vos conslitulions, c'esi-à-Jire ,
n'en rien omellre , quelijue léger qu'il vous
paraisse, sans une vraie raison; mais cela
ne sullit pas, il faut do plus les observer
piomplemenl el sans délai.
11. Oui, Mesdames, lorsque le signal vous
a|'|»elle à quelque exercice, c'est Dieu lui-
même qui vous y appelle ; vous devez donc
quiUer tout el pioii.plouient pour courir,
à l'exuiiiple de l'Epouse des Cantiques, à
l'odeur des l'aituius uu célesie lî|ioux. Vous
savez ce Iran lappoilé dans la Vie des l'ères
du (iéscrl, «lu ce religieux qui, au premier
son de la cloche, laissa, [lour courir où elle
/appelait , une lettre à demi formée , el
qu il trouva, à son retour écrile en or;
Dieu voulut [lar là lui mar(]uer combien
io:i exatlilude avait été ag- éable à ses.) eux
el combien elle était précieuse el méii-
loire pour lui par consé(iuenl.
Mais un antre motif bien capable de vous
cxtiler à celle prompte lidéliié, c'est (]u'une
grAce spéci.ile y est allacliée; l'ennemi de
votre salut, le démon, ne l'ignore pas; il
on est si convaincu , que c'est toujours
une lenlation qu'il emploie, lorsqu'il s'agit
(le vous rendri; à un exercice; il tâche alors
(le vous engager à dilférerde partir, no lûl-
ce que pour un inslani, <|ue pour faire un
point daiguille, que pour achever une let-
tre; el toutes les fois (pj'il y réussit, il se
relire salisl'ail pour ce moment, bien as-
suré que, s'il n'a pu fi.ir là faire un grand
mal à votre âme, il lui a cependant causé
un vrai préjudice, en la privant d'une grâce
attachée à celte exaclilude.
Qu'est-ce qui fit, aux yeux de l'époux,
la différence des vierges sages el des vier-
ges insensées, el qu'est-ce (lui rendit leur
sort si dilférent? Toutes voulaient bien aller
au-devant do lui; elles s'étaient toutes pré-
parées et réunies à celle intention; mais,
au bruit de son arrivée, de dix qu'elles
étaient, cinq se trouvent prêtes et parlent
à l'instant; aussi eurent-elles l'avanlago
d'entrer dans la salle de l'époux et de se
trouver en sa société; les cinq autres, qui
s'étaient endormies sans avoir préj)aré leurs
lampes, ne ditférèrent que de quelques
moments; mais l'époux était entré; mal-
gré le plus grand désir de se réunir à leurs
compagnes, elles ne purent participer à
leur bonheur; la porto fut fermée : elles
eurent la douleur d'entendre dire qu'on ne
les connaissait point : Ncscio vos [Dlullh.,
XXV, 12); c'est-à-dire (pi'on ne rec<uiiiais-
sail point en elles des vierges tidèles,
vigilantes, seules dignes de la société el
des faveurs d-'j l'éjjoux.
Mais, prenez garde de plus. Mesdames,
que cellejuoiu{)litude, vous ne la devez point
borner aux exercices imporlanls de Ja re-
ligion, vous devez l'étendre aux pialiques
el aux observances les [»lus légères; h s
ref>as, les récréaiituis, le lever, le coucher,
il faut montrer dans tout cela, à votre
Dieu, la même exactitude qu'à la médi-
tation, qu'à l'office divin, qu'au saint sa-
crilice, parce que dans la religion il n'y a
rien d'indillérenl , qu'il y a des grâces at-
tachées à tout, que Dieu vous demande celle
ponctualité comme un témoignage de votre
amour. Hé! que [lensoriez-vous d'un .-evi-
leur qui ne montrerait de la promptitude
à servir son niailre (]ue dans les occasions
importantes, el qui n'aurait que de la 'en-
leur, de la négligence dans loul le reste,
sous prélexle que c'est peu de chose?
Que penseriez-vous encore d'une persfuino
q.i, depuis longtemps, vous aurait juré
une nmilié coiisianle, luais qui ne serait
disposée à vous la témoigner que dans
des cas graves et [)rossanls, el qui hors
de là, ne vous monlrerail que froideur,
(pi'indiUereiice? Vous douleriiz avec rai-
son, de ces grandes [)roleslalions d'atU'-
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE M0NTI3
103
chcment ; vous dovoz donc, par celte mi-
son, observer pronipletnenl et sans délai,
tout ce que vous prescrivent voire règle
et vos constitutions; mais vous devez en-
core les observer constamment et sans inler-
ruplion. |
111. Voilà cependant, il en faut convenir
ici, un défaut assez commun dans les mai-
sons religieuses ; dans les premières années
de sa consécration an Seigneur, rien no
coûte; animé d'une ferveur sensible, on se
plaît à courir dans la voie de ses comman-
de ni_<:^t2!.s et de ses conseils ; mais lorsque
le Seigneur vient à retirer ces grâces sen-
sibles qu'il avait données d'abord, pour
accoutumer un jeune cœur h son service,
lorsqu'il permet à ]'ennemi de lenler d'en-
nui et do dégoûl, la ferveur se dissipe alors
insensiblement; à une constante fidélité à
tous ses devoirs l'on volt succéder des
négligences, des infractions; ce que l'on
fait encore, on le fait avec lâcheté; la
conscience à la vérité s'élève quelijuefois,
et dans les commencements surtout, mais
on cherche avec soi-môme des raisons,
ou plutôt d(!S prétextes pour s'autoriser
dans son relâchement, et on réussit, [)ar là,
à éloulfcr des remords importuns. Il en Cit
de même (juchpiefois , apiès une retraite,
une rénovation . ou à quehjue événement
qui fait rentrer en soi-même; on reprend
une conduite plus régulière ; on paraît se
rejientir de la conduite passée, et vouloir
la réparer; mais, à mesure que l'objet (pii
avait fait impression sur l'esprit, et plus
encore sur l'imagination (teut-étre, s'éloigne
et disparaît, la («retendue ferveur qu il
avait occ.isionnéc s'affaiblit et se dissipe
enfin entièrement, jusqu'à ce (ju'un nouveau
sujet vienne re[)rO(luire les mêmes effets.
Mais, Mesdames, de pareilles vicissitudes
ne prouvent-elles pas que l'intention n'était
pas bien pure, et que ce n'était pas son Dieu
qu'on cherchait? Ahl une religieuse, une
épouse de Jésus-Chrisl, qui se dirait à elle-
même, cesl à Dieu ol à Dieu seul que je
tue suis consacrée, dans la religion; mes
engagements, à s<jii égard, doivent donc
être toujours les mômes; je dois donc tr.i-
vailler sans cesse, à me {lerfectioiiner , à
me sanclili r; tout le temps qu'il me donne,
il 118 me l'accorde que pour cela ; les jours
et les moments mêmes que je n'y em|)loie
pas, sont donc des jours et des moments
perdus pour moi, et desquels je lui rendrai
un compte rigoureux ; non, une religieuse
qui se livrera a ces réflexions, no se rendra
point coupable d'inconstance, de lâcheté
(Jans l'accomplissement de ses devoirs; le
désir de plaire uniquement à son Dieu, la
tiendra 0;iiis une constunte acliviLé qui
lui lera vaincre toutes les tentations, sur-
monter tous les obstacles ; il faut du cou-
rage, oui, sans doute, et un grand courage
pour être ainsi constamnient lidèle en tout
a son Dieu; on entreprendrait plutôt des
actions d'éclat ; ou se livrerait volontiers
à quehiues austérités considérables et j)as-
sagèrei, jilulôt que de s'assujettir à ces
104
petites pratiques qui se ' répètent chaque
jour ; mais ce n'est point par nos propres
voies que nous devons aller à Dieu, dit
saint François de Sales, mais par la voie
qu'il nous a tracée lui-même; ainsi pour
vous, épouses de Jésus-Christ, si vous
voulez lui plaire et vous sauver, dans le
saint institut où son aimable Providence
vous a placées, il s'agit d'accomplir, avec
persévérance, tout ce qui vous est prescrit,
malgré l'ennui et les dégoûts que vous
[louvez éprouver; pensez qu'il ne suflit pas
d'avoir bien commencé; qu'il est actuel-
lement dans l'enfer une infinité d'âmes
religieuses qui avaient montré d'abord au-
tant, et plus de zèle, de ferv( ur et do
régularité que v ais peut-être, mais que tout
consiste à bien finir : Quiperseveraveril usqua
in finem, hic salvjs cril. (Matth., X, 22.)
Voulez -vous , Mesdames, la pratiquer
cote constante fidélité , ne la regardez pas
dans le lointain, pour ainsi dire, et pour
un grand nombre d'années; c'est là une
ruse do l'esprit tentateur qui lui réussit
quelquefois, pour porter une religieuse au
découiag(!meiit, au dégoût: hé ! Dieu vous
les a-t-il promises, ces longues années?
Vivez, comme dit saint François de Sales ,
au jour la journée ; chaque jour renouvelez,
à votre DiiU la promes.ve de le passer
dans une exacte régularité, faisait abstrac-
tion des autres qui peuvent suivre; par là,
vos jours, et vos années s'écouleiont in-
sensiblement et se termineront heureuse-
ment dans la jiratique de cette régularité.
Ahl Mesdames, quelle situation à la mort,
que celle d'une religieuse infidèle] qui à
passé sa vie dans l'inobservance de sa règle
et de ses constitutions ! Que de remords
alors, que d'agitations, que d'alarmes 1
Pendant la vie elle cherchait, par mille
faux raisonemenis, à se flatter, à s'autoriser
dans ses inlidélilés ; mais, prête à paraître
devant son Epoux et son juge, les vains
prétextes, les illusions, les préjugés î>o
dissi|ieut; elle voit clairement alors, et
avec le plus grand regret, tout ce qu'elle
n'a pas fait, et tout ce qu'elle devait /aire
diiiis son saint état pour lui jdaire.
Mais quelle différence, au contraire,
pour la religieuse fidèle et fervente, dans
ces derniers moments 1 Quel calme dans
son âme 1 Quelle paix, quelle contiance I Si
elle a des fautes a se reprocher, elle a de
quoi se rassurer sur ses années passées
ilaiis la pratique exacte de tousses devoirs;
l'esprit tentateur ne peut réusirà l'ellVayer,
à la désespérer; si Dieu permet qu il la
trouble alors, ce n'est que pour achever
de la purilier, de la sanctitier : ainsi, après
avcdr passé ses jours dans l'obéissante aux
volontés de son Dieu, elle a le bonheur
de les teriuiner dans son saint amour ;
quelle lin [dus heureuse! quelle mort plus
edilianle I
Ahl fasse le ciel que je ne les perde
jamais de vue, ces grandes el importantes
léilexions que je viens de faire; que je
sois toujours bien convaincue, ô niju Dieu,
105
de
DISCOURS DE RETRAITE
aquelle jo suis,
— SECOND JOUR.
iOO
nécessité dans
remplir cxacteiuenl la rbi^lo et les conslilii-
lions du saint institut (]uo j'ai eml)rassé,
et qu'il ne peut y avoir de vrai boniicur
pour moi, dans cotte vit; ni dans l'autre,
que dans cette exacte et conslanie lidélité ;
c'est aussi la résolution (]ue jo prends,
dans co moment, et en voire sainte pré-
sence, ô mon aimable Epoux; faites, par
votre grâce, que j'y sois parfaitement tidèle,
et jusqu'au dernier soupir de ma vie :
faites (ju'après avoir plus d'une fois peut-
être scandalisé mes sœurs, par mes inob--
scrvances , mes iufidélilés, je devienne à
leurs yeux et aux vôtres sui louf, un modèle
de ferveur et de régularité, alin de mériter,
|)ar 15, vos récomjionses éternelles. Ain^i
scil-il.
SECOND JOUR.
Troisième discours.
SUR LE JUGEMENT DERMER.
Stalutum est liominibus semel raori, posl lioc aulem,
judieiiim. (Hebr., IX, 27.) •
C'eai tin arrêt porté contre les hommes, de mourir une
fois ci d'élre jugés ensuite.
Que nous ayons tous à subir un arrêt de
mort, c'est une vérité. Mesdames, fondée
sur une trop constante expérience, pour
pouvoir être révoquée en doute; que icette
mort soit regardée comme le plus grand des
raauxde la terre, c'est encore un sentiment
de toutes les nations, de tous les hoiiimes ;
mais si nous voulons réflécliir attentive-
ment sur la cause de cet éloignemeni, de
cette horreur que nous avons tous de la
mort, [lous remarquons aisément que c'est
bien moins la mort en elle-même, que les
suitesde la mort qui nous effrayent ; oui, si
les pécheurs surtout, si ces impics eux-
mêmes qui, jendant la vie, font gloire de
douler de tout, sont cependant si inquiets, si
si troublés aux approches de la mort, c'est
que leur foi qu'ils n'ont pu, malgré tous
leurs elforls, entièrement éteindre, se rallu-
mant, dans ces derniers moments, leur fait
clairenerit entendre qu'aussitôt après leur
j-ortie de ce monde, il leur faudra paraître
au tribunal de leur Dieu, et y reparaître au
grand jour de la révélation des consciences,
j)0ur lui rendre un compte exact de la con-
duite qu'ils auront tenue sur la terre, et
jiour en recevoir une [)eine proportionnée
a leurs crimes.
C'est, Mesdames, de ce jugement univer-
sel que je viens vous entretenir; vérité des
plus importantes, vous le sentez assez,
l'dur vous la rendre, cette vérité, plus ins-
tructive et plus sensible, je veux vous la
faire considérer, par ropjtort h une reli-
gieuse, à une épouse de Jésus-Christ morte
dans le péclié et dans la disgiâce de son cé-
leste époux : or je dis (jue le Seigneur, dans
ce graml jour, fera éclater deux de ses per-
tections qui contribueront le plus à venger
et à réparer sa gloire outragée par cette
épouse inlidèle, je veux dire, sa sagesse et
sa justice; sa sagesse dans la discussion
exacte qu'd fera de la vie de son épouse;
Orateurs sacrés. LXVIIl.
sa justice, dans la vengeance éclatante (]u il
exen.'era sur son épouse. En deux mots, la
sagesse de Dieu manifestée au jugement
dernier, par l'examen qu'il fera de la mau-
vaise religieuse ; ce sera le sujet de la pre-
mière paitie de ce discours. La justice de
Dieu miinifeslée au jugement dernier, par
la senleiice qu'il portera contre la mauvaise
religieuse ; ce sera le sujet de la seconda
partie. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Je ne m'arrêterai point ici, Mesd/imes, à
vous décrire ces lléaux sans nombre qui
doivent inO[ider l'univers, avant le dernier
avènement du Fils de Dieu; la foi pres-
([u'éteinte sur la terre, de faux |)rophèies
séduisant, par leurs prestiges, presque les
élus eux-mêmes; la guerre allumée de
toutes [larts ; les rois armés contre les rois,
le's nations contre les nations ; la pesto et la
famine portant partout la désolalion et la
mort avec ses horreurs. Jo passe également
sous silence, tous ces signes funestes, avant-
coureurs plus prochains encore do ce jour
redoutable; les astres détachés du firma-
ment, le soleil refusant sa lumière, la lune
teinte de sang, la terre toute en feu, la mer
en courroux, hors de ses bornes, tous les
éléments confondus, la nature entière
ébranlée jusque daas ses fondements, s'é-
crûulant enfin, et faisant périr avec elle, le
reste des habitanis de la terre. Quelque af-
freuse que soit celle dernière catasirophe
de l'univers, j'ai un objet plus effrayant en-
core à vous remettre ici devant les yeux,
c'est la situation d'une mauvaise religieuse
alors: dans ce jour, fixé de toute éternité,
par le Tout-Puissant, pour venger sa gloire,
au premier son de celte redouiable irom-
pelte qui retentira des quatre parties de
l'univers, à la voix de l'ange qui criera :
Levez-vous, morts, venez au jugement ; tous
les hommes qui auront jamais existé, re-
prendront aussitôt leur première forme;
tous ces ossements épars et confondus, se
rechercheront, se rapprocheront, se réuni-
ront ; toute celte poussière humaine ense-
velie, depuis tant de siècles, dans les
abîmes des mers ou dans le sein de la terre,
redeviendra des corfis humains; toutes ces
âmes isolées, depuis si longtemps, se réu-
niront à ces corps, pour les rendre à jamais
participants de leur boimc ou de leur mau-
vaise destinée ; transportés ensuite tous
ensemble, et dans un clin d'œil, dit l'A-
pôtre, en la présence du Seigneur, nous !o
verrons tous, ce Juge des vivants et dos
morts , non plus , comme à son pre-
mier avènement, enfant dans les lar-
mes, nous apportant la paix de Dieu
Sun Père, njais tel et mille fois plus reiiou-
lable encore ({ue ne le vit le disciple bicn-
ainjé, dans son ravissement, et que les
prophètes ne nous le représentent, tout
rayonnant de gloire, portant, sur son front,
les traits do la majesié divine, les yeux en
leu, un glaive h deux tranchants sorlant
de sa bouche , ne respuant que colère,
i07
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
10g
îDille et mille espriîs célestes, minisires
df ses vengeances à ses côtés ; (la croix,
celle croix autrefois un scandale pour les
Juifs, une folie pour les gentils, l'opprobre
de tant de mauvais chrétiens, mais f'espé-
rance el la consolation de tous les saints
alors, cette croix suspendue avec éclat au-
dessus de sa tôle. Alil Mesdames, si la vue
de ce Juge leirible doit faire sécher de
frayeur le juste même, que sera-ce donc du
jiécheur, que sera-ce d'une religieuse,
«l'une épouse de Jésus-Christ morte dans
le péché, cl dans la disgrâce de son céleste
époux ? Pour nous former ici une idée de
ce jugement qu'elle doit subir, ra[)pelons-
nous la forme du jugement des hommes, et
par l'ordre que tient un juge de la terre à
l'égard d'un criminel, concevons à peu
prôs celui que tiendra le juge du ciel, à
l'égard de celte épouse infidèle. Que fait
donc un juge, après avoir cité le coupable ?
Il lui re|irosenle ses rrimes, il lui conlronte
ses témoins, il examine ses raisons, il
pèse ses réponses, il le convainc enfin.
Egalement, au grand jour de ses ven-
geances , le Seigneur découvrira à cette
mauvaise religieuse, tout le mal dont elle
se sera rendue coupable, et de plus, il la
convaincra de tout le mal dont il la trou-
vera cou|)able. i
1. Je dis, en premier lieu, que le Seigneur
lui découvriia tout le mal dont elle se sera
rendue coupable; coinraent cela? Le voici,
Mesdames ; fasse le ciel que vous ne l'ou-
bliiez jamais I il n'en faudra pas davantage
jiour vous faire toutes des saintes; en lui
reprochant, el tout le mai qu'elle aura fait,
et tout le bien qu'elle 'n'aura pas l'ail, et
qu'elle aurait dû faire, el tout le bien qu'elle
aura fait, mais qu'elle aura mal fait.
Je dis tout le mal qu'elle aura fail; le plus
grand nirlheur du pécheur, el de tout [)é- -,
cheur, c'est de ne se pas connaîire, de ne
vouloir pas même se connaître. Hé 1 pour-
rait-il se considérer attentivement, et n'être
pas elî'ra} é à la vue de ses désordres, de sa
conduite criminelle envers son Dieu? il
n'en a pas fallu davantage, en elfet, à quel-
ques grands pécheurs, pour retourner sin-
cèrement à lui ; mais celte connaissance
d'elle-même, que cette personne dans le
péché évite avec tant de soin, Dieu la lui '
procurera, au grand jour de ses vengean-
ces : Je vous montrerai vous même à vous-
même, lui liit-il par son Prophète : « Sta-
tuam contra te faciem luam [Psal. XLIX, '
21),» non ))lus pour votre correction, ajoute
sauit Augustin, le temps lie mes grâces sera
passé pour vous, mais uniquement pour
voi! G confusion : Non ut te corrigas , sed ut
crubescas. Tous les péchés, en ellet, que
celle personne, que cette mauvaise reli-
gieuse aura commis, dans toute sa vie, et
de()uis son entrée daus la rèligiou surtout.
Dieu ks lui montrera tous, .[lar ordre et
dans un instant. Tous ces (léchés de l'es-
prit, ces projets chimériques d'orgueil el
d'auiijiiion , ces mauvaises pensées, ces.
soupçons injustes, ces jugemeuls témérai- *
res, ces doutes réfléchis contre la fn", contre
la providence de Dieu , ces idées maligne;*
el peu chrétiennes, en tout genre. Tons ces
pé( hés du cœur, ces haines, ces antipathies,
CCS animosilés, ouvertes ou secrètes contie
ses sœurs, ces aversions nourries et entre-
tenues, j)endant de lorigues années peul-
être;ces envies, ces dépits, ces jalousies,
ces colères intérieures; ces désirs déréglés,
ces sentiments trop tendres, ces amitiés par-^
ticulières , ces attachements excessifs et
scandaleux; tous ces péchés de [)aroles j
ces discours peu édifiants, ces censures, ces
railleries de ses sœurs les plus exemplaires
et les plus ferventes; ces murnjures, ce.'»
propos hardis el {)eu mesurés contre ses
supérieurs, ces traits lancés contre leur con-
duite ; ces maximes peu religieuses tant do
fois débitées pour s'autoriser dans son re-
lâchement, et pour y entraîner les autres ;
ces paroles de médisance, de calomnie même
contre le prochain qu'elle n'aimait pas.
Tous ces péchés d'action, ces inobservances,
ces infidélités multipliées à l'infini, ces
omissions de ses devoirs , et de ses devoirs
les plus essentiels; toutes ces infractions
de ses vœux, et de ses sacrés engagements;
toutes ces libertés, ces aises, ces commodi-
tés, ces sensualités, si opposées à l'esprit
de son saint institut ; toutes ces fautes con-
sidérables, et sans nombre, commises con-
tre les préceptes du Seigneur, contre ceuï
de son Eglise ou contre les devoirs de son
étal, contre sa règle et ses constilulions.
Tous ces péchés d'aulrui, ces fautes, ces
transgressions, ces infidélités qu'elle aura
fait commettre aux autres, par ses exem-
l)les, par ses discours, par ses railleries,
par ses so Lci talions, par ses. conseils; tous
ces scandales qu'elle aura causés, et qui se'
seront perpétués dans sa communauté,
longtemps peut-être après sa mort ; tous ces
péchés, 'en un mot, dont elle se sera ren-
due coupable, depuis le premier instant de
sa raison, jusqu'au dernier soufdr de sa vie ;
péchés publics ou secrets, propres ou étran-
gers, intérieurs ou extérieurs, tout lui sera
dévoilé ; Dieu les lui monlrera tous; il les
lui montrera tous ensemb'e, il les lui mon-
liera dans toute leur malice el avec toute
leur ditlormiié. Quelle surjirise pour cette
religieuse de se voir couverte d'une multi-
tude infinie de {>éché5, qu'elle avait presque
aussitôt oubliés que commis ; non-seuie-
inent Dieu les lui montreia, mais il les
montrera de [)lus, à toutes celles avec les-
quelles elle aura vécu, à toutes ses épouses
(pii auront existé dans tous les tom|)s; il
les montrera à tous les hommes, à toutes
les nations assendjiées, comme il l'en me-
nace par un de ses [)roplièies : Oslendain
(jenlibus nuditalem tuam. {ISahum, III, 5 >
Mais la discussion du souverain Juge n'en
restera pas là ; non-seulement il reprochera à
celle épouse infidèle tout le mal qu elle
aura fail, il lui reprochera de plus luul le
bien qu'elle n'aura |)as lait, et iju'clle au-
rait dû faire. Hélas ! Mesdames, lorsque
nous entendons parler de la rigueur des
409
DISCOURS DE RETRAITE. — SECOND JOUR.
11(1
jiigomcnis (lu Soigneur, nous nous rassu-
rons ptal-ôlre sur notre élal; imrco que
nous ne donnons pas dans des vices gros-
siers, nous nous llallons de trouver aisé-
ment grdiîo au tribunal de noire Dieu : ne
nous y troniiAons pas cependant; pour être
parlaiïemenl Innocent à ses yeux , il ne
sullil pas de ne pas faire le mal, il faut en-
coie et nécessairement faire le bien.
Or, (]uel i)ion avez vous fait, dira le Sei-
gneur, au grand jour de ses vengeances , à
cette n)auvaise religieuse, ou plutôt quel
bien, quelle espèce de bien et de devoirs n'a-
vez-vous pas omis , dans voire état? Etat
saint où je vous avais placée, afin que vous
pussiez plus aisément me serviret vous sanc-
lilier. Quel bien avez-vous fait? Quel bien
ave/.-vous faifdans ces places, dans ces em-
plois qui ne vous avaient été confiés que
pour vous rendre utile à vos sœurs, à votre
communauté? (Vous n'avez pensé à retirer
de ces places, de ces eicnlois que l'utile et
les agréments, sans vous ai^pliquer à rem-
plir les charges et les obligations qui y
étaient attachées ; cent et cent fois, .n'ont-
ils pas été pour vous, ces emplois, des pré-
textes.pour manquer à vos observances et
h vos devoirs? Quel usage avez-vous fait de
tous ces talents que vous avez trouvés dans
vous? Quel usage de ces lumières de l'es-
prit et de ces qualités du cœur? Quel usage
de cette force, de celte santé? Quel usage,
en un mot, avtz-vous fait de tous ces avan-
tages de la nature et de la grâce que ma
providence vous avait si libéralement dis-
tribués? Je veux que vous ne les ayez pas
directement employés à m'oifenser, mais
vous en ôtes-vuus servie pour me glorifier?
Or, ne saviez-vous pas que je devais de-
mander beaucoup à qui aurait beaucoup
lec^u ? Ignoriez-vous, et pouviez-vous igno-
rer que je devais traiter le serviteur pares-
seux qui aurait enfoui ses talents, comme
le serviteur débauché qui les aurail dissi-
pés, et que c'était un crime à mes yeux d'êlre
également sans vice et sans vertu?
été
Mais si la vie de cette religieuse a
mêlée de .bien et de mal, puisque le Sei-
giieursera si sévère à lui reprocher ses fau-
tes et ses omissions , ne lui tiendra-l-il
aucun com|)le du bien qu'elle aura fait, et
ne sera-t-elle pas en droit de le lui présen-
ter pour sa justification? Oui, sans doute,
jjuisqu'il n'y aura que les boanes œuvres
qui ouvriront aux justes les portes du ciel ;
luais aussi ne suiiira-l-il [)as à celle reli-
gieuse de les alléguer, ces bonnes œuvres,
pour en , être ,crue sur sa parole; le Sei-
gneur promet encore d'examiner et déjuger
lui-même ces [rélendues justices : Lgo jus-
Itlias judicabo [Psal. LXXIV, 3j ; el par
i examen rigoureux (ju'il entera, il fera voir
à celte épouse infidèle qu'elle a été coupa-
ble dans le bien même (ju'elle aura fail. Le
Ijien que voui avez fait, lui dira-l-il? mais
leiranchez d'abord ce que vous avez fait
dans l'habitude du péché; étal de mort,
cusbiez-vous prophétisé pour lois , vous
lussiez-vous livrée aux plus grandes auslé-.
rites, eussinz-vous fait, en mon nom, les
plus signalés prodiges, vous étiez mon en-
nemie ; des œuvres qui n'ont pu me plaire,
ne peuvent èlre susceptibles de mes récom-
penses éternelles. Or, de ce peu de jours,
de ces courts intervalles où vous avez paru
vous repentir de vos fautes, et mener une
vie plus régulière , qu'avez-vous à me pré-
senter? Des œuvres de religion, de piété,
de mortiticalion ? mais ces oeuvres qui font
aujourd'hui toute votre ressource, quand
elles auraient été aussi abondantes el aussi
parfaites qu'elles ont été rares el défectueu-
ses, les avez-vous pratiquées constamment
et jusqu'à la mort? Or ne saviez-vous pas
qu'il ne cJevail y avoir de récomiienses que
|:our ceux qui auraient persévéré jusqu'à la
fin ? Mais quand vous seriez morte dans
l'exercice de ces œuvres , ont-elles eu tout
ce qu'il fallait pour les rendre méritoires des
biens du ciel ? Quels en ont été le princijie,
l'objet, la fin , les circoiislances ? Les avez-
vous entreprises, et les avez-vous consom-
mées par le mouvement de ma grâce, et uni-
quement pour me plaire? Combien de faites
jiar bienséance , par caprice, par habitude,
par ostentation, par hypocrisie, pour sauver
les apparences peul-êlre, jiour éviter, des
réprimandes ou des reproches,^ pour pa-
raître faire à l'extérieur comme les autres I
Ah 1 Mesdames, si les cieux ne sont pas
purs en la présence du Seigneur, et s'il a
trouvé des lâches jusque dans ses anges;
que trouvera-t-il qui puisse lui plaire| dans
des cœurs qui lui auront presque toujours
été rebelles? El s'il doit discuter la vie da
[ilus juste avec une sévérité, jusqu'à re-
jeter des œuvres qui font peut-être, aujour-
d'hui, le sujet de notre admiration et de
nos louanges, que sera-ce du pécheur?
Que deviendra donc la mauvaise religieuse
alors ?
IL Ainsi couverte de toute son ignominie,
n'aura-l elle donc aucune excuse à alléguer
à son Dieu? Non, Mesdames, et voilà ce qui
augmentera sa confusion el son désespoir,
c'est qu'après avoir été trouvée si mauvaise,
le Seigneur la convaincra encore de toute sa
malice, et la forcera, avant de la condamner,
de i- 'avouer elle-même indigne de toute mi-
séricorde, et cela, en cilant contre elle sa
religion et sa raison, comme deux témoins
qu'elle ne jiourra ni récuser ni combattre,
el par lesquels il achèvera de détruire les
vains prétextes qu elle pourrait encore allé-
guer pour sa défense.
Oui, Mesdames, celle religion Siiinle qui
jtarlerasi avantageusement pour la religieuse
fidèle el fervente, c'est cette religion quidé-
|)0sera hautement contre la religieuse infi-
dèle el morte dans le péché; car enfin, lui
dira le Seigneur, quelle a é.lé votre foi, et
(juelle a été votre conduite ? Qu'avez-vous
cru, el qu'avez-vous fait ?Quoi 1 vous croyii'Z
à un Dieu qiii s'oll'ense du péché, jiisiju'a
le punir d'une élernité de supplices, elvous
vous êtes mille et mille fois ex[)Osée à ce
malheur I Quoi, vous m'aviez promis dans
votre baptême, et vous me l'ave.?: solennclk-
m
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
m
ment renouvelé depuis, el surtout parles
vœux s.KTésque vous avez prononcés îiux
pieds de mes autels, de me servir toute vo-
tre vie avec une conslaiile fidélité, et avec
une |)erfection au-tiessus des ciirétiens du
monde ; de renoncer par là toute votre vie,
el plus qu'eux encore, à Satan et h ses pom-
pes, el Cependant maigre oes grands en;:age-
nienls, vous vous êtes rendue, en mille occa-
sions l'esclave de ce prince des ténèbres qui
voulait votre perte, el vous n'avez eu que de
l'indillerence pour nioi , votre Créateur et
votre époux, qui voulais vous sanciitier et
vous sauver 1 Dans mille occasions, vous avi-z
préléré à moi ce monde pervers, votre enne-
mi et le uiien, vous avez plus cherché à
lui plaire, ({u'à me [)lairei\ moi-même ; l'E-
vangile que vous professiez, et plus encoie
l'éial saint (jue vous aviez volunlairemenl
enjbrassé, vous presi rivaient l'humilité, la
mortiticalion, le délacheiiienl des créatures
el de vous-même, une soumission aveugle
aux ordres de vos supérieurs, une tharué
sans borne et sans réserve envers vos sœurs,
et dans lout, vous avez agi d'une façon en-
tièrement o[)posée à ces sentiments (jue vous
deviez avoir, el à ces vertus que vous deviez
pratiquer! pourquoi celte élei nulle conlra-
dictiou entre votre loi el vos mœurs, entre
voire conduite el votre religion ?
Mais commenl rauri(z-vous écoutée, celte
loi, celle religion ? Vous n'avez pas ujôme
suivi les lumières de votre raison ; oui, vous
qui vous prétendiez cependant si raisonna-
ble, vous qui, lorsqu'on vous leprocbait
voire peu de eonl'ormilé avec votre rtl-igion,
avec les engagements saciés que vous aviez
contractés avec moi, vous relranchicz avec
oslenlalion sur votre [)rGbilé naturelle, sur
voire laison. Ahl épouse inlidèle, partout
où elle n'a pu se concilier avec vos in-
clinations el vos passions, vous êtes- vous
fail quehjue peine de la mépriser, de la fou-
ler aux pieds, celle raison? Quoi, ces cen-
sures» ces murmures, ces maximes d'indé-
pendance envers vos supérieurs, ces conli-
dences,. ces rai)poils indiscrets si propres à
aigrir les esprits, h troubler l'ordre et la
paix, ces animosités, ces médisances contie
vos sœurs, ces manquements, ces prévan-
culions, ces inobservances, ces négligences
des ilevoirs de votre élal el de vos emplois,
ces délicatesses excessives , ces sensualités
si marquées ; tous ces jiéchés, en un mol,
tous ces vices, et de toute espèce, dont vous
vous êtes tant de lois rendue coupable,
élaienl-ils bien conformes à votix- raison?
Ou plutôt, si vous aviez voulu la consulter
celte raison, ne vous eût-elle pas interdit
lous ces excès? Ah! sans même la consul-
ter, ne s'esl-elle pas élevée contre vous,
comme malgré vous? Cent el cent fois, ne
vous a-l-eiie pas condaïunée, au milieu
même de vos intidélités , de vos désordres,
malgré tous vos etforls pour la faire taire,
et pour en éloutfer les reproches?
Qu'avez- vous préseiUemenl i» m'alléguer
pour votre justitication, car, voilà, Mesda-
mes, jusqu'où ira le Seigneur-, poux achever
de confondre celle épouse infidèle; qu'avez-
vous h m'alléguer? Votre ignorance ? Mais
quoi, êles-vous excusable de n'avoir pas su
ce que vous deviez savoir, et ce qu'il vous
élail si aisé de savoir? N'étail-il pas des
maîtres dans Israël , qu'à l'exf.mple de vos
sœurs, vous pouviez consulter sur la nature
et sur l'éteinlue de vos devoirs? Mais quy
de pieuses leclures, que de solides inslruc-
tions, que d'avis* charitables, que d'aver-
tissements salutaires qui auraient dû vous
ouvrir les jeux, qui vous auraient éclairée,
en elfet, si vous aviez désiré d'êlré instruite
el éclairée! Quoi, dans toute autre alîaire,
voMS montriez tant lie lumières el tant do
prulence, jiourquoi ne vous eu êtes-vous
pas servie dans l'important alfaire de volro
salut? Votre faiblesse, la force des tenta-
lions? Mais plus vous la sentiez, celle fai-
blesse, plus vous en étiez convaincue, et
plus vous deviez être attentive sur vous-
même, el fuir avec soin les occasions, bien
loin de les rechercher ; mais quehjue giando
qu'ail élé voire faiblesse, et quelque vio-
lentes qu'aient pu être les lenlations, les
secours de ma grâce vous ont-ils manqué?
Ah 1 dans votre état, vous en étiez sans cesse
envjron.née, assiégée, pour ainsi dire; or,
avec elle, pou viez-vous n'être pas victorieuse,
si sincèrement vous aviez voulu vaincre'?
Les mauvais exemples qiievous aviez devant
les yeux, el qui vous onl comme entrarnée?
Mais où était pour vous l'obligation de les
suivre ces mauvais exemples ? Mais n'aviez-
vous [)as également, dans votre élal eldaiis
la n.aison sainte que vous habitiez, des
exenijiles éditiants qui vous excitaient vi-
vement à la piéié, à la sainteté? Voire déli-
catesse, la faiblesse de votre lem[)ér'amenl?
Mais la consullioz-vous , l'écouliez-vous,
cette délicatesse, lorsqu'il s'agissait de vous
livrer à la dissifiation, el de satisfaire vos
goûts, vos fantaisies? Mais si voti'e délica-
tesse serublail vous dispenser dos jeûnes et
des austérités que vous iirescii valent vos
constiiutions, voire instilul, et qu'exigeaient
de (dus tous vos (.écliés, que de précejites
de ma loi vous avez transgressés j que
d'intraclions essentielles de votre règle, de
vos vœux, de vos conslilulions dont vous
vous êtes rendue coupable! que de vertus
vous n'avez [loitil pratiquées 1 Que (La
bonnes (cuvres vous avez omises, el qui
étaient cependant compatibles avec V(>-
Ire délicatesse l Vos gr-andes occupations,
les emplois impor'tanls et embarru^sants
donl vous étiez chargée? Mais combien de
fuis aviez-vous entendu dire qu'il ne servi-
rait de rien à l'homme d'avoir gagné l'uni-
vers entier, s'il venait à perdre son âme;
que l'allaire de vuli'e salut était votre plus
grande aU'aiie, el même, à parler [)ropre -
ment, votre unique atl'aire?
Mais pour achever de vous confondre, re-
gar-dez, regardez à ma droite; voici de mes
épouses qui, dans voire institut, dans volie
maison, ont élé chargées des mêmes soins
et pourvues des mêmes emplois que vous, el
de plus iaij;ortauls, et de plus emùarràs-
us
DISCOURS DE RETRAITE. — SECOND JOUR.
4(i
saisis encore, et cependant elles ont tra-
v.^'illé nonslaniment à leur perfection, à leur
saint, elles se sont sauvées ; co sont même
cos travaux et ces en plois qui les ont sanc-
tifiées ; pourquoi n'avez-vous pas suivi leur
exemple ?Ou'avez-vous encore à ni'aliéguer,
et que vous reste-l-il pour votre justifica-
tion ? Répondez. Ali I do rr.ille accusations
et de mille reproches que le Seigneur [)our-
rait me faire, disait le saint homme Job, je
ne pourrais me justifier sur un seul. Telle
sera la situation d'une indigne religieuse,
au grand jour de la manifestation des cons-
ciences; accusée, convaincue, confondue
|iar son Dieu, par sou céleste époux, elle
n'aura rien à lui répondre, ou si elle osait
ouvrir la bouche, ce serait pour lui faire cet
aveu si Inuiiiliant : Verescio quod ila sit [Job.
IX, 2) : Oui, Sei;ïneur, je le reconnais ei le
confesse aujourd'hui ([ue je suis coupable et
trop coupable pour entreprendre de me jus-
tifier h vos jeux. Ah! c'est alors que pré-
voyant les suites fur.esles et inévitables de
celte confession forcée et tro|) tardive, elle
a|)pellera la mort h son secours, elle conjurera
les collines et les moutagnes de la dérober
à la colère de son Dieu |)rète à éclater sur
elle; mais vains désirs, elforts inutiles;
après avoir subi l'exacnen le plus rigoureux
que la sagesse de Dieu puisse faire subir,
elle sera forcée d'écouter et de subir la sen-
tence la plus terrible que la justice de Dieu
puisse porter; c'est le sujet de la seconde
partie.
SECOîiDE PARTIE.
A considérer nalurelleraeni la prodigieuse
dis, roporlion qui se trouve, sur la terre et
dans les élats même les [)lus saints et les
plus parfaits quelquefois, entre les justes et
les pécheurs ; à voir les jours heureux et
tranquilles que coulent pour l'ordiniare
ceux-ci; la vie pleine de contradictions et
d'amertumes que mènent ceux-là, l'on se-
rait tenté de croire qu'il n'est aucune Pro-
vidence qui veille sur les mortels; ou que
s'il en est une, elle est toute contre les
bons, en faveur des méchants. Loin de
nous cependant. Mesdames, des sentiments
aussi injurieux à la sagesse et à la sainteté
de notre Dieu; encore quelque temf)s, et
sa conduite, qui aujourd'hui nous paraît
un mystère, se trouvera pleinement justi-
fiée à nos jeux ; au grand jour de ses ven-
geances, c'est-la que sa bonté, qui avait
paru dominer sur la terre, disparaîtra pour
faire place à sa justice ; tout alors rentrera
dans 1 oiJre pour n'en plus sortir; les jus-
tes, comme brebis chéries du divin pasteur,
seront placées à sa droite, pour aller jouir
avec lui d'un bonheur qui ne finiia jamais,
et les pécheurs, comme animaux imu'iondes,
mis à sa gauche, j entendroni leur sentence
(le cfUjdamnation, sentence qui les livrera,
dès ce moment, et (jui livrera surtout ses
indignes épouses au plus affreux désespoir,
parce qu'elle sci'a tout à la lois, cette sen-
tence, et <;xlièmement redoutable et intini-
lueat équitable et absolument irrévt^cablc.
Encore quelques moments de voire atten-
tion, je vous prie.
I. Je dis, en [iremier lieu, sentence ex-
trêmement redoulable ; l'on a vu plus d'une
fois, dans ce monde, do grands criminels
éviter, malgré la |)lus évidente conviction,
une sentence que leurs crimes avaient jus-
tement méritée ; mais il n'en sera pas ainsi
du pécheur, d'une personne religieust^
morte dans le péché; elle ne sera fias sitôt
examinée el convaincue, qu'elle verra le
Fils de Dieu, son céleste Epoux, devenu
son Juge souverain, non, comme autrefois,
prier pour elle son Père éternel, et le con-
jurer de lui faire miséricorde, mais lui
adresser en colère, et ù tous les réprouvés
avec elle, ces paroles : Retirez-vous de moi,
nuiudils, allez au feu éternel. [Malth. ^
XXV, ki.) Paroles foudrojaiiles qui lui fe-
ront sentir dès lors, tous les malheurs aux-
quels elle s'est volontaireiuent ex()osée ;
paroles qui, bien méditées, seraient capa-
bles de faire rentrer en elle-même la per-
sonne la plus endurcie dans le crime :
Retirez-vous de moi; c'est un Dieu lui-môme
qui parlera ainsi à sa créature, à son
épouse. Que n'ai-je pas fait pour vous, lui
dira-t-il? Par une [nédilection toute spé-
ciale, je vous avais tirée du monde, et déli-
vrée de tous ses dangers ; je vous ai-intro-
duite dans un état de retraite, rempli de
mojens de salut ; une fois éloignée de moi
par le péché, que n'ai-je pas fait encore,
pour vous ra()peler à moi, et pour me ré-
concilier avec vous? Que de vives sollicita-
lions de ma part 1 Que de grâces et de toute
espèce I Je vous ai recherchée, je vous ai
poursuivie sans relâche; je voulais être vo-
tre [)arfait et unique bonheur ; il n'j avait
que moi, et je vous le faisais assez sentir,
au f(jnd de votre cœur, qu'il n'j avait que
njoi qui pût vous rendre parfaitement heu-
reuse; et cependant vous avez préféré de
vaines saiisfactions, et qui vous étaient in-
terdites, aux biens solides de ma gloire;
vous avez fait plus de cas des plaisirs gros-
siei'S et passagers que votre dissipation et le
démon vous suggéraient, que des joies pu-
res et éternelles que je vous promettais.
Ajirès vous être donnée solennelle(nent et
entièrement à moi, et vous en être indigne-
ment éloignée, vous avez absolument re-
jeté mes invitations et mes reproches ; ap^
prenez donc aujourd'hui combien vous avez
été aveugle et insensée dans votre choix ;
vous avez refusé de vous attaclier à moi,
retirez-vous donc, allez, je vous charge-
de toutes mes malédictions : RecedUe a me,
mnledicli.
Mais, Seigneur, voire créature, l'ouvrage
de vos mains, votre époj.-e de plus, formée
el uniquement formée pour vous, ainsi
bannie, rejetée de votre présence, où pour-
rai-je donc trouver un asile ? Au feu, épouse
infidèle, au feu, in ignem: vous allez éprou-
ver par vous-même, s'il est bien vrai qu'il y
ait un enfer, et un feu réel dans ctt eu-
tei- ; c'est dans ce feu, duquel, pour vous
autoriser dans votre conduite, si peu régu-
115
ORATEURS SACRES. L'ABDE DE MONTIS.
116
lière, vous avez tant de fois, essayé de
douter, à l'exemple des impics du siècle,
que je vais vous faire souffrir tous les maux
doiil votre âme et voire cor[)s sont suscei)-
tibles, et que ma (ouie-puissance est capa-
ble d'inventer, m ignem.
Riais du moins ne me rejetez- vous pas
eniièremeni et (tour toujouis de votre pré-
sence, ô mon Epoux céleste, ô mon Dieu ;
après avoir expié tontes m^s iniidélilés. tous
mes pécliés, après avoir ressenti, plusieurs
Années, [ilusieurs siècles, si vous !e voulez,
les néaux si terribles de voire justice, ne
l)0urrai-je espérer d'éprouver enfui leselî'ets
de votre miséricorde ? Non, non, le temps
de mes miséricordes que vous avez tant de
fois éprouvées, et dont vous avez tant abu-
sé, est passé pour vous; celle prison de
feu h laquelle je vous condamne, sera votre
demeure, autant de temps que je serai vo-
ire Dieu, et que vous serez mon ennemie,
éternellement |)ar conséquent, inignemœter-
num. Ah! ce n'était pas pour vous que j'a-
vais allumé ce feu, et créé cet enfer, c'était
pour mes anges rébelles ; vous les avez imi-
tés dans leur (trévarication, vous serez la
compagne éternelle de leurs supplices et de
leur désespoir. ,
11. Mais quoi 1 pour quelques fautes, et
des failles do quelques instants, des peines
éternelles! Quelle proportion! Quelle jus-
tice! Ainsi, iWesdames, raisonneni, tous les
jours, les personnes attachées à leurs lias-
sions criminelles; ainsi pensons-nous nous-
mêmes peut-être : mais qui s tmnn s-nous
pour oser juger les jugements du Très-Haut?
Ah! re disons pas, un enfer éternel peu!-il
se concevoir avec la justice et la bonté in-
finie d'un Dieu? Disons plutôt, notre Dieu
infiniment juste et infiniment bon, menace
expressément, dans l'Evangile, de punir,
d'nn enfer éternel le péché; le péché mérite
doi.c véritablement un enfer éternel. Voilà,
en effet, ce que reconnaissent ces âmes ré-
prouvées qui gémissent, dès à présent, sous
Je poids de cette justice redoutable, et voilà
ce que tout pécheur sera forcé de reconnaî-
tre au jour de sa condamnation; car, quoi-
que les jugements du Seigneur n'aient be-
soin d'aucune apologie, et qu'ils se.justifient
assez par eux-mêmes, comme le dit le Pro-
phète-Roi, le Seigneur, dans ce grand jour,
ne dédaignera pas, cependani, d'entrer sur
cela en discussion avec son épouse infidèle,
et de la convaincre, à la lace de l'univers,
que quelque terribles que soient ses juge-
ments à son égard, ils sont ce|)endant infi-
niment équitables.
Vous trouvez trop sévère, lui dira-t-il, la
sentence que je viens de porter contre vous?
Vous en appelez à ma justice? Mais l'igno-
riez-vous et pouviez-vous l'ignorur celte
sentence? Mes ministres ne vous en avaient-
ils pas souvent menacée de ma part? No
l'aviez- vous pas lue vous-même dans l'E-
vangile ? Vous cherchiez, à la vérité, à don-
ner à mes paroles un sens confoinie à vos'
désirs, à vos passions; mais voyiez-vous
évidemment c(3 (lue vou.5 lâchiez d'inlerprè-
tor h votre gré? Etiez -vous inlimcmcnt
convaincue et bien en état de convaincre
les autres, que je ne pouvais punir les pé-
cheurs d'une éternité de su[)plices, sans al-
ler contre les règles de ma justice? Mais si
vous n'avez fait que douter, avez-vous été
sage et raisonnable de courir, dans la (il us
im|)orlanle de toutes les affaires, des ris-
(|nes aussi considérables? N'est-ce pas déjà
un crime pour vous, de vous être ainsi ex-
posée au plus extrême danger, et dès que
vous vous êtes déteiminée librement à cou-
rir ces risques, et h vous exposer h ce dan-
ger, ne vous êtes-vous pas soumise à tout
événement, et n"avez-vous pas ()ris, comme
un malheureux engagement avec moi, de
subir, en elfet, si vous veniez à vous trom-
per, toute la rigueur et toute l'éternité des
supplices de l'enfer? De quoi donc présen-
tement pourriez-vous vou» plaindre?
Vous en appelez à ma justice? mais si
vous m'eussiez été fidèle, n'entriez-vous pas,
comme de plein droit, dans mon royaume,
avec tontes mes fidèles épouses, avec tous
mes élus? Ne vous avais-je pas [)romis d'ê-
tre moi-même votre récompense? N'est-ce
pas pour vous la procurer plus sûrement,
que je vous avais appelée et qtie vous étiez
entrée au saint état do la religion? Vous
avez négligé, vous avez refusé de vous pro-
curer un bonheur (immense et éternel que
vous avais offert, n'est-il pas juste que vous
é|>rouviez un malheur également souverain
et éterneldont je vous avais menacée? Vous
en appelez à ma justice? mais répondez-
moi, si toute l'éternité je vous eusse laissée
sur la terre, j'en atteste votre propre cœur,
toute l'éternité n'auriez-vous pas été mou
ennemie? Toute l'éternité, n'auriez-vous
|)as persévéré dins la malheureuse habitu-
de que vous aviez contractée de satisfaire
vos goûts, vos inclinations, votre volonté
aux dépens de votre conscience et des de-
voirs de votre saint état? Or, pour {)unir
d'aussi mauvaises dispositions de votre
cœur, est-ce troj) d'un enfer éternel?
Vous en appelez encore à ma bonté qui
est infinie , ;dites-vous? ah 1 malheureuse,
que faites-vous? C'est cette bonté outragée
par vous, et outragée à l'excès qui fait au-
jourd'hui votre condamnation et tout votre
malheur; oui, sans doute, j'ai été bon et
infiniment bon à votre égard; par amour
pour vous, j'ai quitté le sein de ma propre
gloire; pour vous, j'ai vécu dans les souf-
frances, et je suis mort pour vous dans les
tourments et sur une croix ; outre ces grands
bienfaits qui vous sont communs avec le
reste des chrétiens, que de bienfaits parti-
culiers dont je vous ai comblée! Dès votre
jeunesse, dès votre enfance même, je vous
ai prévenue de mes giâces;je vous ai don-
né un naturel porté à la religion, à la piété;
j'ai permis qu'il ait été fortifié par une édu-
cation vraiment chrétienne, j'ai dès l-ors
éloigné de vous, tout ce qui |)Ouvait vous
détourner de la vertu et de votre salut; je
vous ai appelée ensuite, par préférence à
une infinité d'auiris, uu saint ctal de la ry»'
117
DlSCOUTxS DE RETRAIT!:. — SECOND JOUR.
118
ligion; p<Mir voi;s y faire eiitror," j'ai om-
ployc^ (les iiioyons, vous le snvoz, qui tc;-
Uiiienl, on (|afli]ue sorle, du proilij^e ; de-
puis que vous y ôles e'itréo, niôuio depuis
vos infidélités, et malgré touies vos intidé-
lités, je vous ait fait une inimité de grAces
et de toute esjiéce. Hé! qu'ai-je pu l'aire
pour vous (|Uo je ne l'aie l'ail? Ést-il un
jour, esl-il un instant môme dans votre
vie, qui n'ait été mar |ué par quelqu'inio
de mes grâces, accompagnée de (]uelqu'ua
de mes bionl'ails ? ?Jon, jo n'ai cessé de par-
ler, en mille minières, à votre cœur; cœur
ingrat, vous n'avez répondu à tant de mar-
ques de mon amour que par des infidéli-
lés, ma bonté vous l'aliguait pour ainsi
dire; plus j'ai voulu me rapprocher de
vous et plus vous avez travaillé à vous éloi-
gner de moi ; vous avez rejeté toutes mes
sollicitations, vous avez abusé de toutes
mes glaces, vous avez manqué à toutes vos
|)romesses, vous avez rompu tous vos en-
gagements avec moi, vous avez profané tous
mes dons; jusqu'à mes sacrements, jusqu'à
mon propre corps, vous avez tourné tout
en crime, tout en poison : or, celte bonté
devient, aujourd'hui, justice à votre égard;
l'étendue de mes miséricordes doit être la
mesure de mes vengeances. Ahl une seule
de vos profanations mérite l'enfer, et mille
fois plus que l'enfer; est-il rien qui puisse
venger le sang outragé de votre Dieu?
III. Mais ce qui mettra le comble à la
désolation et au désespoir de cette mauvaise
religieuse, dans ce grand jour, c'est que
cette sentence si lerrib'e dusouverain Ju»
ge, par la raison qu'elle sera infiniment
équitable, se trouvera absolument irrévo-
cable. Non, Mesdames, il n'en sera pas de
celle sentence comme de celles que portent
les juges de la terre. Un criminel condamné
ici-bas peut appeler , et appelle en effet,
assez souvent de ses juges à des juges su-
périeurs, et soit défaut de connaissances
ou de formalités, soit créditou quelqu'autre
raison, il réussit quelquefois è faire révo-
quer ou modérer, du moins, la sentence
portée contre lui; mais le juge des anges
et des hommes, c'est un juge infiniment
éclairé qui, connaissant parfaitement el la
grandeur de son être, et la malice du péché,
el l'étendue de sesdroils comme Créateur,
el les devoirs de ses créatures, ne pourra
que porter une sentence proportionnée : ce
sera d'ailleurs le juge su()rèine, le Roi des
rois, le Seigneur des seigneurs : Rer regum,
Dominus dominantiutn {Apoc, XIX, 16), qui
ne recoiinuissanl aucun être au-dessus de
lui, ne pourra par conséquent être réformé
par qui que ce soit en ses jugements; co
sera de plus, un juge parfailemenl désinté-
ressé, que toutes les richesses de la terre
lie pourront corrompre, parce que toutes
les richesses, que tous les trésors de l'uni-
vers lui apitartiennent el qu'il les aura mê-
me déiruils alors, avec la mêrue facilité
(ju'il les a tirés du néant.
Ce sera un Juge irrité (pii ne se laissera
plus loucher de coiupassioii : présentement
lorsqu'il piniif, c'est un père qui cl.Alio s s
('iifaiils, (|ui les oliâtie à regret, qui adoucit
ses cou()S, qui laisse tomber ses verges, dès
qu'il aperçoit des marques do douii'ur et dt;
repentir: c'est en un mot 5 présont le Diiïu
de toute bonté : mais alors, ce sei'a le Dieiî
dr-s vengeances, un Dieu en colère, résolu
d'exterminer des coupables, et qui ne pren-
dra d'autre litre h leur égard, que d'un
Dieu sans mi^éricoi-de : A^o/nein ejus , siiw
misericordia. {Ose., l,G.) Ce sera un juge
absolu, sans égards ni prédilection ; ! s
grands noms, les naissances illustres, les
litres do distinction ne l'effrayeront point
alors, parce que les rois et leurs suj;!*, hjis
grands elles petits se trouveront également,
son ouvrage; disons plutôt, parce que tOiile
grandeur sera anéantie, et que lui seu! se
trouvera grand, en ce jour.
Mais quoi I celte persoime, celle mauv use
religieuse ainsi livrée à toute l'indignation
de son céleste E;)0ux, de son Dieu ne trou-
vera-l-elle donc ni dans le ciel, ni hors du
ciel aucune protection qui puisse la sous-
traire à sa colère? Non, Mesdames. Hé là
qui pourrait-elle avoir recours? h la Mèro
de son Sauveur, do son Kpoux, à la divine
Marie? Elle esl à la vérité le refuge des pé-
cheurs, le secours des chrétiens, la protec-
trice spéciale, la Reine des vierges; mais
celte vierge insensée, après lui avoir té-
moigné dès sa jeunesse une tendre dévo-
tion, après avoir embrassé un institut qui
fait profession de lui être dévoué, en se
livrant au relâchemenf, à une infraction ha-
bituelle de ses devoirs, a négligé son cullc
jusqu'à en omettre ses anciennes pratiques,
jusqu'à les raé()riser peut-être, et à les rail-
ler dans les autres ; elle est morte enfin
dans le péché eldans la haine par consé-
quent de Jésus et de Marie ; comment donc
Marie pourrait-elle devenir alors son avo-
cate et sa prolectrice auprès de Dieu? Se-
rait-ce aux esprits célestes, à celui surtout
qui est commis à sa garde? Mais après avoir
résisté si longtemps à ses inspirations et
l'avoir indisposé par tant de fautes et ce
prévarications, que pourrait-elle en atten-
dre alors? Serait-ce aux saints, 'aux habi-
tants du ciel? aux saintes de son ordre sur-
tout? Mais uniquement attachées à la g'oire
de leur Dieu et de leur institut, s'iotérosse-
ront-elles pour unereligieusequi longtemps
et jusqu'à la morl l'a deshonoré, cet insti-
tut, et oulragé leur céleste Ei)Oux? Serail-ca
aux cimes justes , aux bonnes religieuses
avec lesquelles elle a vécu? Mais méprisées,
raillées , persécutées peut-être par elle ,
sans chercher à se venger, ne solliciteront-
elles pas plutôt le Seigneur de venger sa
propre gloire outragée dans leurs person-.
nés? Serait-ce donc aux âmes infidèles, aux
mauvaises religieuses qui ont été les com-
pagnes ou les imitatrices de son relûciie-
meni, de ses infidélités? Mais ennemies de
leur Dieu comme elle, condamnées et ré-
(U'ouvées comme elle, si elles osaient de-
mander une grâce au souverain Juge, co
serait non i)as _de lui pardonner, mais d>i
UQ
ORATEURS S\rRES. L'ABBE DE MONTIS.
1-20
piinir promptcmenl nans elle, lant de pé-
chés et (le scandales, la cause de leurs pro-
pres fK^cliés et le principe de leur propre
coiidanmalion peut-être. i
Ainsi cette religieusecondamnée par son
Dieu, par son céleste Epoui; condamnée
|)ar les anges et par les hommes; condam-"
née par toutes les créatures, parelle-môme,
suspendue un moment encore, entre deux
éterîiilés sans espérarce et sans appui ;
elle verra et verra pour la dernière fois, son
Juge, son Sauveur, son Epoux et son Dieu
emmener en triomphe avec lui, parmi ses
élus, ses épouses fidèles et chéries, pour
les rendre souverainement heureuses et
heureuses à jamais, aumfiraeinstantqu'elle
se verra, avec tous les autres réprouvés,
précipitée dans les flammes de l'enfer, pour
y soutl'rir les plus allreux lourmenls, et
pour y former sur la perle de son Dieu, di;
son divin et ainiable E|)0ux,des regrets
inutiles et éternels.
Ah I Mesdames, nous croyons vous et moi
<i ce jugement dernier dont je viens de vous
doîiner une légère idée, et cependant n'a-
gissons-nous point comme si nous étions
persuadés cpie tout dût finir pour nous avec
la vie? Quel aveuglement! quelle folie 1
E!i quoil si l'on venait ici nous menacer
de quelque calamité temporelle, balance-
rions-nous à prendre, pour l'éviter, les
plus sages précautions? il s'agit d'un juge-
ment rigoureux qui doit décider de notre
destinée éternelle, d'un jugement que nous
subirons sûrement et que nous subirons
dans peu ; car vous ne l'ignorez pas, ce ju-
gement dernier ne sera qu'une ré()étilioa
du jugement particulier que chacun de nous
doit subir aussitôt après la mort; l'examen,
Ja conviction, la sentence, tout si vous en
exceptez la confusion [)ublique tout sera le
même; voulons-nous donc ne pas craindre,
vouloKs-nous paraître du moins avec quel-
que confiance devant le souverain Juge,
faisons dès à présent, avec fi-uit, ce qu'il
fera pour lors contre nous ; jugeons-nous
nous-mêmes, mais jugeons-nous comme il
nousjugera; examinons-noussérieuscmen' ;
au lieu d'éviter de nous voir-et de nous
connaître, ce qui a causé lant de préjudice
h notre ûrae, sondons scru[»uleusement
notre propre cœur ; ne craignons point d'en
Yoir toute la malice, tous les égarements,
et d'en faire un humble et sincère aveu au
minislre de la péniience; que la honte de
découvrir des taules (lue nnns n'avons point
eu honte de commettre, bien loin de nous
lermer la bouche, soit au contraiie une des
premières [)reuves et un des premiers elfels
lie notre conversion.
Oui, Seigneur, je vous en fais ici la pro-
messe, de travailler promplement et plus
que jamais à purider ma conscience, telle
que j.e|voudrai l'avoir fait en sortant de
ce monde; je n'en resterai [)oint là ; saciiant
que je ne puis espérer de vous, un jour,
miséricorde pour tous ces péchés, si je ne
îes expie sur la leire par la pénitence, et
Pagjiaiit également que de louie.s les péni-
tences, celle qui vous sera la plus agréable,
c'est d'accomplir tidèloment les devoirs du
saint état que j'ai embrassé, j'en prends la
résolution aujourd'hui, ;el de vous offrir,
chaque jour, en expiation de mes infidélités
passées, toutes les peines, les humiliations,
les contradictions (]ue j'y pourrai rencon-
trer. Ah! toute satisfaction doit paraître
légère à qui a mérité l'enfer; pour m'en-
courager à surmonter foute tentation de
dégoût et pour persévérer constamment
dans cette exacte fidélité à tous mes de-
voirs, je me transporterai de temps en
temps, en esprit, à voire redoutable tribu-
nal ; je méditerai souvent la terrible sen-
, tence que vous devez y prononcer contre
tous les réprouvés; enfin, quelque sainte
et régulière que puisse être ma conduite,
à l'avenir, je me délierai beaucoup de moi-
même. Ah ! les Jérôme, les Hilarioa et tant
d'autres saints et saintes, après la vie la
plus longue et la plus ausière, tremblaient
encore à la seule pensée de vos redoutables
jugements : cette crainte cependant, ô mon
Dieu, sera toujours accompagnée, dans
mon cœur, de la confiance ; vous le voulez
ainsi ; non, l'idée du votre miséricorde n'y
sera jamaissép'arée de celle do votre justice;
afin que si la vue de voiie justice me fait
opérer mon salut avec crainte et tremble-
ment, en me faisant éviter toute lâcheté et
toute présomption, la vue aussi de votre
miséricorde, en éloignant do moi toute pen-
sée déses[)érante, m'armera de la plus vivo
confiance en vous ; elle m'ins()irera pour
vous, ô mon Dieu, ô mon céleste Epoux,
un amour sincère, généreux, constant, qui,
après m'avoir fait vivre de la vie de vos
sai; tes épouses sur la terre, me procurera
un jour la récompense que vous leur ré-
servez dans le ciel. Ainsi soit-il.
TROISIEME JOUR.
Premier discours.
SUR l'exercice de i.a pémtence.
Pœnilentiam a^ilp, appropinquat eniin regniim cœ-
lorum. (.Wa<(/j.,IV, 17.)
Failes péjiileuce, parce que le roijanme (les deux e^t
proche.
Voilà, Mesdames, ce que Jésus-Christ di-
sait souvent aux Juifs, en les exhortant à
sortir de leur aveuglement, de leurs crimi-
nelles dispositions, h son égard , et à le re-
connaître [)our le Messie, et voilà ce que !es
ministres de ce Dieu Sauveur ne cessent
de répéter d'après lui , à tous li'S pécîieurs,
pour les engager à satisfaire dès cette vie,
à la justice de leur Dieu, et à s'assurer par
là, une place dans son royaume : Pœniten^
tiam agite. Cependant quelque fréquentes
et quelque imjiorlanles que .soient sur cela
leurs exhortations, qu'il en est peu (pii pa-
raissent s'y rendre dociles, et dans tous les
états! Les chréliens du siècle renvoient,
pour l'ordinaire, au cloître, tout exercice
de la pénitence, et la regardent tout au plus
comme une vertu louat)lo à la vérité, mais
qui ne les oblige [)oint eux-mêmes. Parmi
les personnes qui habitent le cloître, quoi-
que dans un état uniquement consacré à la
421
inortificniion , à la pénitence, qu'il en est
qui ciierclienl assez souvent et sous mille
faux pi'élexles, à s'en dispenser et à s'ap-
procher le plus qu'elles peuvent de la vie
aisée et commode des chrétiens du monde I
ou du moins la pénitence h laiiuelle ellis se
livrent leur devient , faute de dispositions
essentielles, inutile et insuOisanle aux yeux
de Pieu. Je viens donc ici, Mesdames, vous
préserver de ces illusions et do ces préju-
gés et pour cela je dis en premier lieu, que
la pénitente n'es! point de si'.uple conseil
pour vous, mais d'une nécessité absolue ;
je vous le ferai voir dans la première partie
de ce discours; je dis en second lieu , que
toute pénitence n'est agréab'e à Dieu, ni
méritoire par conséquent, qu'autant qu'elle
est accom[)ugnée de certaines dispositions
qui scrunl la matière de la seconde partie.
En deux ujots, la nécessité dans laquelle
vous êtes de faire pénitence : les disposi-
tions dans lesquelles vous devez être, pour
fiiire une vraie pénitence; c'est là tout le
sujet de ce discours : honorez-moi, s'il vous
plait, de toute votre alteuliou. Ave, Maria.
PBEill^RE PARTIR
Voulant ici, ^Jes1Jam^;s, vous convaincre
de l'obligation dans laquelle vous êtes de
faire pénitence, je pourrais insister sur les
différents titres de ii.'les d'Adam; de chré-
tiennes et de religieuses que vous portez;
toutes enfants d'un père prévaricateur,
pourrais-jc vous dire, en vous rapjielanlii
voire première origine, vous ne pouvez
sans prévariqiier vous-mêmes, vous dis-
penser d'une vie pénible et laborieuse h
.aquelle vous avez été condamnées avec
lui : toutes disciples comme chrétiennes,
et toutes de [ilus, épouses, comme religieu-
ses d'un Dieu-Homme souffrant et crucilié,
poiirrais-je vous ajouter en vous ra[)pelant
et aux engagements de votre baptême et à
ceux que vous avez contractés en entrant
dans la religion, vous ne [louvez devenir
conformes à Jésus-Christ votre chef, votre
époux et votre modèle, que par une vie pé-
nitente et mortiliée. Mais sans m'arrôierà
tous ces motifs, je me borne à un autre ,
capable lui seul de vous faire vaincre sur
cela toutes vos ré[)ugnances, ce sont les
|iéchés que vous avez commis depuis que
vous êtes sur la leire.
Oui, Metdami s, vous avez péché, nous
avons tous péché; voilà ce- que nous ne
pouvons nous dissimuler à nous-rnêines
sans nous faire illusion, et ce dont nous ne
pourrions disconvenir, sans aller contre la
vérité, dit saint-Jean; vous avez donc |)é-
ché et dans le temps que vous habitiez le
monde et de[)uis que vous l'avez quitté,
pour vous consacrer entièrement à votre
Dieu dans la retraite. Hélas ! (pie de fau-
DISCOURS DE RETRAITE. >- TROISIEME JOUR.
122
don de cette injure, c'est de faire pénitence;
vous avez péché, et en péchant vous avez
mérité d'être sévèrement |)utiies de votro
Dieu ; or le moyen d'expier cette peine cpio
vous avez méritée, c'est de vous livrer aux
travaux de la pénitence. Knlin vous avez
péché et en. {.échant vous avez accoutumé
votre cœur au péclié, vous avez augmenté
dans vous ce malheureux penchant que
vous aviez et que nous avons tous pour le
péché : or le moyen de le détruire ou do lo
combattre du moins avec succès, ce pen-
chant, c'est de vivre dans l'exercice de la
pénitence. Ainsi la pénitence vous est donc
absolument nécessaire et pour obtenir le
pardon do vos péchés et pour expier la
peine due- à vos péchés, et pour ne [)lus re-
tomber à l'avenir dans vos péchés ; suivez-
moi , s'il vous [liait.
I. Je dis, en premier lieu, que vous de-
vez faire |)énitenco pour obtenir le jiardon
de vos péchés. Tout péché, j'entends sur-
tout. Mesdames, ces péchés (jui donnent
la mort à l'âme, tout péché est un mépris
souverain de la Divinité, une ingratitude
énorme envers la Divinité. Vous n'avez
donc pu en commettre un seul sans outra-
ger votre Dieu et sans devenir ses enne-
mies; mais à cette vérité déjà si humiliante
pour vous, je dois en ajouter une autre
aussi certaine et plus liumilianle, plus
allligeante encore, c'est qu'après avoir ainsi
offensé votre Dieu, et être devenues ses
ennemies par le péché, vous ne pouvez être
absolument certaines en cette vie, d'avoir
reçu le pardon de votre ;péché, et d'ôtie
rentrées en grâce auprès de lui.
Cependant, en établissant ici ces tristes
vérités, je dois convenir (juo si vous ne
pouvez vous assurer parfaitement en cette
vie, du retour de la grâce sanclitiante, dans
votre cœur, vous ne manquez pas de moyens
propres à vous rassurer; or un de ces
moyens, et des moins équivoques, c'est
l'exercice de la pénitence : l^ourquoi cela?
Ah I Mesdames, c'est que si nous consultons
les divines Ecritures, nous y voyous notre
Dieu exiger la pénitence comme un moyen
d'obteiiir le pardon des |)échés; c'est que de
plus, nous l'y voyons pi'ometlre et accordur
toujours le pardon des péchés à la péni-
tence. Vous avez offensé votre Dieu, disait
un projjhète aux Juifs prévaricateurs ; l'u-
nique moyen d'apaiser sa colère [)rôte à
éclater sur vous, c'est de vous couvrir de
cutuiru et de cilice, c'est de pleurer sincô-
renient vos iniquités, de pousser des cris
tes, que de transgressions des [.réceples de
do l'Evangile! Que d'inhdélités encore, que
d'inliaciions peut-être des vœux et des en-
gagements sacrés de la religion! Vous avez
péché mais en péchant vous avez fait injure
à votre Dieu: or le uioyeii d'obtenir le par-.
la redoublés vers le ciel ; voilà la pénitenco
ordonnée. Si l'impie, dit le Seigneur par ua
autre de ses prophètes, fait [lénitence, toutes
ses iniquités ne lui seront point iin})utées,
et elles deviendront à ujon égard, comme si
elles n'avaient jamais été : Non reconlahor
{Fzech., XVI1I,22); voilà le jiardon pr(jmis
à la yén'iiencti. Si vous ne [ailes pénilence, (lil
le Fils de Dieu lui-même, vous périrez tous
également (/>ue,, Xill, 5) ; voilà la nécessilô
de la |)énilence. Fuites pénitence, disait
saint Pierre aux Juifs, touchés et clfrajés
123
ORATEURS SACRES. L'ABDE DE MONTIS.
m
de ses [irédicalions, et recevez le baptême, pour
la remission de vos péchés {Act.,l[, 38) ; voilà
la promesse ilu f)or(lon faile à la péiiilence,
promesse authentique que le Seigneur nous
répèle, une iiifiiiiié de fois, par la bouche
de ses prophèies et de ses apôtres, pro-
messe qu'il exé'Ute eu elTet.
Car, en consultant toujours les divines
Ecritures, c()ral)ien de [)échcurs, et de gran Is
péciieurs auxquels la pénitence a obtenu
une entière rémission de leurs crimes 1
Aussi l'Eglise lou_joiirs animée du l'esprit
de son divin Epoux, dès les premiers siècles
de son établissement, n'admettait les pé-
cheurs à la réconciliation, qu'après leur
avoir fait expier leurs péchés, par de lon-
gues et pénibles satisfactions : nous ne la
voyous |)lus, à la véri'é, appli|uer ces
règles sévèr.'S de pénitence ; mère charitable
et prudente, lorsqu'elle a vu ses enfanis
perdre celte première ferveur du christia-
nisme, elle a cru devoir se relâcher de son
extérieure sévérité ; mais ne nous abusons
pas cependant, en changeant de conduite,
elle ri'cj pas changé d'esprit, et si elle s'em-
presse aujourd'hui de réconcilier les pé-
cheurs, elle ne les dispense pas, pour ce'a,
de faire pénitence; ce n'est même toujours
qu'après leur avojr imposé quelques peines
saiisfactoires, qu'elle prononce sur eux, la
sentence de réconciliation.
Vous donc, épouse de Jésus-Christ, vous
qui, après avoir eu le malheur de vous éloi-
gner de lui et de l'otrenser, et |)eut-être
inôrae, depuis que vous l'avez pris pour
votre Époux, dans la religion, vous qui avez
paru revenir à lui et vous convertir; vous
qui, dans de certains moments de réflexions
sérieuses, paraissez inquiète, incertaine si
le Seigneur vous a pardonné , voulez-vous
en juger sainement? Rentrez ici, pour un
moment, au-dedans de vous; rappelez-vous,
dans quels sentiments vous vous êtes ()ré-
sentée au sacré tribunal, et avec quelles
dispositions vous en êtes sortie. Etiez-vous
alors sincèrement déterminée à venger sur
vous voire Epoux et votre Dieu, outragé
par vos infidélités? Vous ètes-vous livrée,
en effet, à des travaux pénibles, qu'inspire
toujours un esprit vraiujent pénitent? Ah!
dans ce cas, je n'hésite point à vous le
dire; rassurez-vous.; Mais n'auriez- vous
point cru, au contraire, qu'il vous sullisait
de déclarer, à un ministre de l'Eglise, vos
péchés, et de l'entendre prononcer sur vous,
les paroles de la réconciliation, sans rien
faire de plus? S'il en était ainsi, que vous
devez craindre, ce n'est point dire assez,
vous devez être assurée que le Seigneur
n'a point agréé votre repentir, et que par ce
défaut de disposition à la pénitence, il n'a
I)oint ratifié dans le ciel, cette sentence
d'absolutior, portée en votre faveur, sur la
terre, par un ministre trop crédule et trop
indulgent peut-être.
II. Mais je vais plus loin présentement, je
veux que vous soyez véritablement rentrée
en grâce auprès de votre Dieu, que vous en
ayez môme loutc la certitude qu'on pi'ul en
avoir, en cette vie; je dis plus, quand un
prophète serait venu vous apprendre, comme
autrefois à David, que le Seigneur a oublié
vos iniquités; quand vous auriez entendu,
de la bouche môme du Fils de Dieu, comme
Madeleine, que vos péehés vous sont remis,
je devrais toujours vous dire que vous êtes
encore obligée de faire pénitence. Pourquoi
cela? Ah! c'est que pour vous rappeler ici
une vérité que vous avez dû a[)prendre avec
les éléments du christianisme et que vous
n'avez pas dû oublier, c'est que le Seigneur,
on vous pardonnant l'injure que vous lui
avez faite par le péché, ne vous a pas pour
cela remis toute la peine que votre péché
avait méritée. Non, Mesdames, et remar-
quez bien ceci, je vous prie; après avoir
malheureusement perdu sa grâce et son
amitié, par le péché, et surtout, après l'a-
voir otfensé encore, depuis qu'il vous a fait
l'honneur de vous mettre au rang de ses
épouses, il pouvait vous rejeter pour tou-
jours, et, malgré votre repentir, vous ré-
prouver sans miséricorde; il pouvait aussi
tellement attacher la grâce de son pardon,
à votre repentir, qu'il ne vous restât plus
rien à expier par la pénitence; mais si la
première de ces voies, paraît peu conforme
aux vues de sa miséricorde, il semble aussi
(jue la seconde eût violé les droits de sa
ju.siice; qu'a-t-il donc fait? Ah 1 Mesdames,
c'est ici que vous devez admirer les bontés
infinies do votre Dieu, dans la conduite
qu'il a tenue à votre égard ; il a réuni admi-
rablement ces deux grandes perfeciions, la
justice et la miséricorde; par le péché, vous
l'aviez offensé et vous étiez devenues ses
ennemies, et lorsque vous êtes reiournées
h lui, il vous a pardonné et vous a rendu
son amitié, voilà la miséricorde; mais par
le péché, vous aviez mérité l'enfer : or cette
peine éternelle, à cause de la sincérité de
votre conversion, il a bien voulu la changer
dans une peine temporelle, voilà la justice :
admirable tempérament de la sagesse infinie
de votre Dieu, "dans lequel il paraît avoir eu
autant égard à votre intérêt qu'à sa jiropre
gloire, et où par conséquent sa miséricorde
a égalé sa justice, puisque, comme le re-
marque saint Augustin, si en vous pardon-
nant le péché, il ne vous remet pas, pour
l'ordinaire, toute la peine qui lui est due,
ce n'est que pour vous en faire mieux con-
cevoir la malice et l'énormité, et pour vous
inspirer, par là, plus d'horreur et d'éloi-
gnement. Et en effet, si malgré cette peine
qui reste attachée au péché, nous le com-
mettons si facilement, que serait-ce si nous
n'avions jamais à donner à notre Dieu, pour
toute satisfaction, que quelques signes do
douleur et de repentir?
Ainsi cette vérité une fois bien établie de
la nécessité d'une satisfaction, il ne vous
reste donc à vous, qui avez tant de chutes
peut-être et d'infidélités à vous re[)rocher,
qu'à vous en punir vous-uiôioes, dès cette
vie, ou d'en remettre pour l'autre la puni-
tion à votre Dieu ; d'agir présentement avec
une sainte sévérilé contre vouï-mômuSj
1-25
DISCOURS DE RETRAITE. — TROISIEME JOUR
126
ou de vous exposer à toute !a sévérité de
votre Dieu; or y a-l-il à balancer?
Al) 1 Mesdames, qu'il est terrible, et sur-
tout pour une personne Siiécialemi'nt con-
sacrée à Dieu, de louibrr cnire les mains
de ce Dieu tout-puissant, détinuité h se
faire justice par lui-même! Quenepuit-e
vous re()réseuter ici la triste situation de
ces personnes, et de ces persuniies reli-
gieuses suriout, qui sorieiit de ce monde,
sans avoir [)leiiienient satisfait à la justice
de leur Dieu ! que ne puis-je vous laire
connaître tout ce qu'elles ont à soulfrir, de
ce feu allumé par le Seigneur, pour venger
sa gloire, feu actif cl jaloux, destiné à pu-
rifier les âmes de leurs moind;es souillures,
feu cruel et dévorant du purgatoire dont les
supplices, comme le pensent plusieurs Pères
ei docteurs de l'Eglise, ne ditlèrenl de
ceux de l'enfer que par l'espérance qui s'y
trouve et d'où les âmes ne doivent sortir
qu'après avoir payé jusqu'à la dernièie
oboK', pour me servir de l'expression de
l'Evangile 1 A quoi pensez-vous donc, lors-
qu'après bien des offenses, grand nombre
ii'inlidélilés, vous négligez les plus légères
satisfactions? Que faites-vous lorsque,
dans un état tout consacré à la mortilica-
lion, vous évitez toute pénitence? Hélas 1
vous vous réservez à de longs et de rigou-
reux supplices; vous travaillez de plus à
retarder votre t)onheur éternel : entendez-
donc mieux vos intérêts, vous pouvez pré-
sentement, avec très-peu, payer beaucoup
à votre Dieu; mais aussi, souvenez-vous
que plus vous vous serez épargnées, dans
cette vie, et moins le Seigneur vous par-
donnera dans l'autre, que plus vous aurez
été indulgentes pour vous-mêmes, et plus
voire Dieu usera de sévérité à votre
égard
Ili. Mais s'il se trouvait ici [de ces per-
sonnes qui paraissent peu redouter les
peines de l'autre vie, pourvu qu'elles ne
soient point éternelles, je dois leur allé-
guer un troisième motif et bien puissant,
pour les engager à faire pénitence, c'est
qu'elle leur est absolument nécessaire, pour
se préserver du péché. Oui, Mesdames,
pour nous préserver du péché, et pour per-
sévérer dans la grâce, vous le savez, outre
une bonne volonté de notre part, il faut de
plus, du côté de Dieu, des secours abon»
dants, des grâces fortes, et des secours
d'autant plus aboudanis, des grâces d'autant
plus fortes, que nous avons vécu plus luiig-
Icmps dans le péché, et que nos mauvaises
habitudes ont jelé de plus |)rorondes ra-
cines: or ces Secours aboudanis (jue nous
ne pouvons nous procurer, par nos propres
forces, ces grâces furtes et extraordinaires
que Dieu ne nous doit point, à qui les don-
nera-t-il? Sera-ce à ces personnes qui, après
l'avoir longtemps offensé, bornent à quel-
ques courtes prières, loule leur satisfaction?
Ne sera-ce pas j)lutoi à celles qui, pénétrées
de douleur à la vue de toutes leurs intidé-
lité.s, entrent dans une sainte iudignalion
contre ciles-mômes, et se livrent courageu-
sement aux travaux les plus rigoureuxde la
pénitence?
Voilà en effet ce que l'Eglise a vu dans
tous les temps, et avec la plus grande con-
solation ; des pécheurs convertis l'édifier
autant par la sévérité de leur pénitence,
qu'ils l'avaient affligée par leurs désordres ;
des personnes célèbres quelquefois par leurs
dérèglements, dévenir d'illustres pénitentes.
Ce n'était pas seulement pour obtenir le
pardon de leurs péchés, et pour les expier,
dès cette vie; la vivacité de leur repentir,
l'ardeur de leur amour pour Dieu, les
grâces, les consolations, les faveurs extra-
ordinaires dont il les comblait, auraient pu
les tranquilliser; mais après avoir eu le
malheur d'offenser leur Dieu, elles vou-
laient se mettre dans une heureuse impos-
sibilité, pour ainsi dire, de l'olfenser en-
core; or elles savaient que le grand, que
l'unique moyen pour y réussir, c'était de se
mettre dans un étal de pénitentes; elles
étaient convaincues qu'il n'y avait que
l'exercice d'une sévère pénitence qui pût
rendre efficaces leurs bonnes résolutions,
et qui pût achever de détruire en elles l'ha-
bitude du péché, qu'elles avaient malheu-
reusement contractée.
Mais pour vous convaincre encore plus,
vous en particulier et qui sentez intérieu-
rement, et qui ne montrez que trop à l'ex-
térieur peut-être, votre éloignement pour
toute espèce de mortification, pour vous
convaincre combien il est essentiel de vivre
dans la pénitence pour persévérer dans la
grâce, je ne veux ici d'autre exemple que
vous-même; tant de fois réconciliée au Sei-
gneur, pourquoi avez-vous fait jusqu'ici
d'aussi promptes et d'aussi fréquentes re-
chutes? Humblement prosternée aux pieds
d'un ministre de Jésus-Christ, aux appro-
ches des grandes solennités surtout, ou
dans des temps de solitude et de retraite,
le cœur pénétré, ce semble, d'une vraie
douleur, vous lui aviez promis et à votre
Dieu par conséquent, de qui il tenait la
place, de vous observer à l'avenir, d'éviter
ces fautes, ces infidélités, ces transgres-
sions que vous vous reprochiez et dont
vous vous accusiez; vous lui aviez promis
d'être désormais toute à votre Dieu, comme
vous le lui aviez juré, en prononçant vos
vœux solennels; vous parliez de bonne foi,
je veux le croire; pourquoi donc des pro-
messes si sincères sont-elles devenues si
peu efficaces? Comment avez-vous pu re-
tomber si facilement dans ces fautes, dans
ces infidélités que vous délestiez si sincè-
rement? Avec de si grands sentiments,
pourquoi si peu de persévérance? Ahl n'y
aurioz-vous, de vous-même jamais pensé?
A[)[)renez-le du moins aujourdhui, et qu'une
si fatale expérience vous rende plus cir-
conspecte à l'avenir; vous n'êtes redevenuo
si infidèle au céleste Kpoux que [)Our ne
vous être jamais rendue vraiment péni-
tente, ou [)Our avoir trop tôt cessé de l'être,
voilà la vraie cause. Lorsque le ministre du
s;icremcnt, également éclairé et zôlé uour
127
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MOiNTIS.
125
votre sanclificalion, je le suppose, vous ré-
concilia au Seij,'iiem', en vous imposant
quelques prières ou quelques œuvres sa-
li sfdctoires, il eut l'allenlion de vous faire
remarquer que vous étant rendue aussi in-
fidèle h votre Ditu, vous no deviez pas
vous horn^r à ce [leu qu'il vous imposait,
cl qu'il n'était point d'autre mojon pour
vous de persévérer dans la grâce et dans
l'anaitié de votre céleste Epoux, que de
mener désormais une vie de contrainte et
de raorlilication ; il njla même jusqu'à vous
indiquer le genre de morlitiration et do
pénitence qui était [ilus conforine aux in-
firraiiés de votie âme et à l'état saint que
vous aviez embrassé ; vous le (0n)|)rîles
bien alors; dans ces moments de recueille-
ment et de ferveur, tout ce qu'il vous dit,
à son défaut, vous vous léseriez dit à vous-
même ; vous iui promîtes, en elTct, de
suivre des avis si raisonnables et si salu-
taires ; mais qu'est-il arrivé ? Ah 1 vous le
savez, celte ferveur passagère et trop peu
solide, une fois dissipée, toutes ces belles
résolutions se sont évanouies, vous avez
craint mal à propos (|uol(|ues regards, quel-
ques jugements, peul-êtie aussi quelcpies
railleries sur voire changement de con-
duite, le respect humain vous a retenue ;
vous avez vécu, quelque temps à la vériié,
sans péché, mais aussi sans pénitence;
dans ces circonstances, l'état de liberté, de
dissipation, de tiédeur auquel vous vous
étiez livrée, s'est montré à vous sous do
nouveaux attraits; l'esprit Icnlateur est re-
venu avec sept autres esprits plus mé-
chants que lui ; la place était sans défense;
il fallait se rendre ; vous vous ôli.'S rendue
en effet, vous avezsuccondjé; voilà, encore
une fois, la source de toutes vos rechutes;
(Donvenez-en de bonne foi, vous n'avfz été
jusqu'ici si peu fidèle h votre Dieu, que
|)arce que vous aviez oublié tro[) tôt que
vous étiez et à raison de vos infidélités, et
à raison de votre étal, obligée à la [)éni-
lenco.
Ne croyons donc pas. Mesdames, pouvoir
vivre dans la sainteté sans l'exercice de la
pénitence. Hé quoi I l'on a vu, dans tous les
tenifis, et nous le voyons encore de nos
jours; des ânjes innocentes, se condamner,
pour se préserver du péché, à toutes les
austérités de la pénitence. Quoi! l'ajjôtre
des gentils, ce vase d'élection, comblé des
faveurs du ciel, tout occupé de la gloire de
son Dieu et du salut de ses frèies, saint
Paul ne cessa. t d'aflliger sa chair, de peur,
nous dit~il, qu'après avoir montré aux au-
tres le cbemi I ou salul, il ne vînt à s'égarer
lui-même (1 Cor., iX, 27j ; et nous, après
tant de chutes et d'inlidélilés, nous avec
des passions toutes vives encore peut-être,
nous croirions pouvoir nous [>réseiver du
péché, saiiS mortification, sans [)éni;encel
Non, non, Mei-dames, de grandes infirmités
exigent toujours les plus gratides inécau-
lions; voyez, considérez une personne
éclia|ipée pour ainsi dire, d'entre les b;as
de lu luorl; uuelles altenlions dans §u con-
valescence! Que de conîrainlos ! Que de
privations! Que de sacrifiées! Combattre
ses goûts et ses inclinations; réprimer ses
désirs, se livrer à un régime et h des remè-
des aussi douloureux et [ilus insupportaliies
quelquefois que le mal qui les oceasioime;
rien ne lui coule, parce (pj'il s'agit d'éviter
une rechute toujours dangereuse et funeste;
voilà noiie état dans l'ordre de la grilee;
nos longues habitu<les dans le péché nous
ont malheureusement réduits à un état db
langueur et de faiblesse, qui deviendrait
inlailliblement pour nous, le princi[)e de
quelque rechute, toujours plus dangereuse
pour le salut, que le premier élal du péché,
si nous n'employions, pour nous en pré-
server, le remède efiieaee de la pénitence.
La pénitence et mêuje une sévère pénitence,
vous est donc indispensable, même en vous
supposant sincèrement convertie et vrai-
ment pardonnée, vous venez dH le voir;
mais jus(pi'oCi doit aller celle sévérité, et
quelles (piaiilés doit avoir votre |)énilence,
pour être agréable au Seigneur, et ulile à
votre salut'.' C'est le sujet de la seconde
partie.
SECONDE PARTIE.
Quand nous lisons dans saint Ambroise
qu'il avait trouvé plus de chrétiens qui
eussent conservé l'innocence de leur bap-
lônie, que de pécheurs (jui eussent fait une
pénitence convenable (ce sont les propres
paroles du saint docteur), nous sommes
d'abord tentés de le soupçonner d'une
pieuse exagération ; mais lois(]ue nous ve-
nons à rechercher nous-mêmes, avec les
lumières de la foi, et selon les règles do
1 Evangile, tout ce qu'exige une pénitence
convenable, nous sommes bientôt forcés de
convenir qu'il n'y a rien d'outré dans ces
expressions. Na vous abusez donc [)oint
ici. Mesdames, puisqu'il vous serait uu
jour, infiniment préjudiciable de vous être
lait illusion, dans une affaire aussi iujpor-
lante ; voulez-vous savoir quelles conditions
exige une vraie pénitence, et connaître,
par là, si vous avez jamais mérité, devant
Dieu, le titre de pénitentes? Examinez
d'abord quel a été le motif de la pénitence
à laquelle vous voils êtes condanmées ;
voyez ensuite si vous avez donné à votre
pénitence, toute l'étendue, qu'elle devait
avoir; considérez enfin si vous avez per-
sévéré dans l'exercice de votre [)énilence,
car je dis, et je vous prie de le bien re-
marquer avec moi, je dis que toute péni-
tence, pour être véritable et méritoire aux.
yeux de Dieu, doit êlie tout à la fois jiure
dans son motif, universede dans son objet,
constante dans son exercice; c'est cequejo
vais présenlemcnl vous expliquer, si vous
voulez m'accorder encore quelques Uio-
menls de votre attention.
I. Je dis, en premier lieu, que votre pé-
nitence doit être pure dans le motif ; c'est-
à-dire, que lorsque vous avez entrepris du
vous livrer à la pénitence, vous avez dû
avoir iiileiilion, et n'avoir d'autre iulontiou
m
DISCOURS DF RETRAITE. — TROISIEME JOUR.
150
que d'ap.iisor la colère do volro Dieu et
(le snlislaiie à sa juslice; vous avez dil
iivoirsans cosse, coiiiine le Roi-Proplièlc,
vos infidélilés devant les yeux, pour les
|)luurci' el les délesloi-; ;"> la vue de louics
ces iulidélilés, vous avez dû exciter dans
voire âme ce trouble salutaire, celle sainte
inquiétude que ressentait ce saint roi pé-
nitent; vous avez dû et vous devez encore
ne perilre jamais de vue l'excès des bontés
d'un Dieu pour vous el l'excès de votre in-
gralilude à son éj^ard; convaincues ;inlé-
rieurenient que vous l'avez souvent el griè-
vetnent oll'ensé el cfue par- là vous vous
êtes niallieureusemenl éloignées de lui,
l'unique lin de votre pénitence doit être de
vous rapproclier de lui el en uiê;ue-tcmps
de vous réformer, de vous sanctifier vous-
uièmes; voilà ce qui est essentiel à toute
{.'éintence, eu voilà l'esprit^ sans cet esprit
(Je jiéiiitcnce, vous pourrez bien en avoir
les apparences, vous pourrez bien vous li-
vrer à S( s travaux, à ses ligueurs mêmes et
à Ses austérités; mais si vous n'avez Dieu
tl votre salut en vue, tout ce que vous
pourrez faire, ne sera que des feuilles el
i;on des fiuits du pénitence, dit saint Au-
gustin, folia, nun fruclus.
Mais <iuoi 1 se peul-il qu'on se livre aux
travaux de la j)énitence, ^a^s avoir cet es-
prit de pénitence! Plût à Dieu, Mesdames,
que ce ne lût qu'une idée sans réalité ; mais
combien de fois a-t-on vu, et dans le saint
élût de la religion niôrae, l'orgueil el l'hy-
pocrisie se couviir du manteau de la péni-
tence I Combien de fois a-t-on vu des ()er-
sonnes pénilenles ne l'être que pour le
paraître aux yeux des autres, el pour se
procurer par là leur estime et une vaine
réputation de sainteté 1 Coiubien en a-l-on
vu qui, après s'être livrées d'abord aux
travaux de la [léniience avec [lunlé d'in-
lenliou, ont fail ensuite de tristes chutes,
jiour s'être glorihées de leurs humiliations
*it de leurs austérités? Mais si les per-
sonnes pénilenles avec des motifs aussi
criminels, sont peu communes, celles qui
manquent d'un raolif bien pur, sont-elles
si rares? Car erdin, serait-ce avoir un motif
bien pur, une inlention bien agréable au
Seigneur,. de se livrer aux exercices de la
[léniience, uniquement dans la vue doblo-
nir promptemeiit, d'un de ses ministres,
une absolution, dont un plus long délai,
pourrait, en certain lenqis surtout, à cer-
taines fêles, à des solennités, occasionner
des regards el des soupçons qu'on redoute
bien plus, que les regards el la colère du
Seigneur? Combien cependant (jui, par la
conduite qu'elles liennenl aussilôi après
avoir été réconciliées au Seigneur, ne
|irouveul que lro[), qu'elles pensaient bien
moinsdans la péniieuce qu'elles oui faites,
cl satisfaire à la juslice de Dieu, qu'à sau-
ver les a|)i)arence> ? Serait-ce encore avoir
un molif bien pur, une intention bieii
droite, de faire pénitence [lar coutume, et
pour fane comme les autres? Combien ce-
pendant, et dans la relii^ion, qui pratiquent
les jeûnes et les austérités que prescrit lo
saint institut, parce que cela est d'usage, et
qui ne pensent point à reclilier ou à renou-
veler du moins, sur ceKi, leur i'teniion?
Serait-ce enlin avoir un motif bien pur,
une inlention bien droite, do se livrer à la
j)ériitence uniquement pour se délivrer de
quelques njaux temporels, et pour se pro-
longer une vie morlelle, dont on est sou-
vent bien plus occu[)é que de la vie de l'éter-
nité? Combien cependant qui imitent en
cela, ce prince im()ie dont le Saint-Esprit
nous a tracé la pénitence el la réj)robat on ?
Que fallait-il à Aniiochus pour être un vrai
f)énitenl ? Vous le savez; rentré enlin en
lui-même, humilié sous la main toute-
puissante du Siigneur (jni s'était ap.oesantio
sur lui ; il avait promis de réparer tous les
maux qu'il avait faits; [lour preuve de la
sincérité de S( s promesses, déjà comraen-
çait-il à les réparer; que manquail-il donc
à sa pénitence |)0ur être agréable au Sei-
gneur? Ah ! Mesdames, resseiitiel, l'es )rit
lui-même de la pénitence, une intention
droite, pure et suina'urelle ; cep:iiice n'a-
gissait eu tout que par un molii' naturel et
tout humain,; il voulait conjurer la mort
qui le menaçait el se délivrer des grandi
maux qu'il soulfrail; son intention n'allait
pas |)lus loin, aussi sa pénitence fut elle
rejelée du Seigneur et ne Je préserva point
de la réprobation éternelle. Voulez-vous
donc, Mesdames, que la vôtre vous soit
utile, commencez par en bien purifier le
motif; tout ce que vous avez à faire ou à
souffrir, en genre de pénitence, (hélas 1
dans voire saint état, tout vous l'annonce,
tout len.i à vous coniraindre, à vous mor-
tifier) nlfiez-le d'aboi d au Seigneur, dans la
vue de satisfaire à 5a justice et de vous
laire des saintes; renouvelez même, do
temps en temps, celle droite intention, afin
que ce qui aura été surnaturel dans son
principe i»e devienne pas tout naturel
dans la suite, et sans mérite parconséquent ;
alors votre pénitence sera véritablement
pure dans son motif; mais elle doit-être
encore universelle dans sou objet.
II. Que veux-je dire par là? Ah!' fth-i-
dnraes, je ne dois pas vous le di>simuler
ici ; tout ce qui répugne le plus à la nature,
mais ce qui e^t cependant absolument né-
cessaire; car enfin, jiour vous en convain-
cre, vous surtout à qui la conscience re-
proche dans ce moment lant de fautes,
tant d'infidélités ; savcz-vous ce que vous
avez fait, loisquo de juste que vous étiez
par la grilce, vous vous êtes rendue par le
péché, ennemie de votre Dieu? Il n'est
rien, pour ain.-i dire, que vous n'ayez
tourné contre lui. Oui , votre ârue avec
toutes ses facultés, et votre corps avec tous
ses .sens, desquels vous auriez dû vous
servir, pour glorifier voire, Dieu, vous vous
en êtes servie, une infinité de fois à l'oT-
feiiser;les créatures qui vous avaient été
données, comme autant de moyens et de
degrés pour vous élever vivs votre Dieu,
vous eu avez fait, par la dépravation de
131
BRATEURS SACRÉS. L'ABBE DE MOiNTIS
{$2
voire cœur, autant d'insliumenls de vos
péchés: or la pénitence, vous le savez, c'est
précisément une réparation du l'injure faite
b Dieu par le péciié ; d'où je conclus que la
vôtre, pour être légitime, doit nécessaire-
ment embrasser tout ce qui, et au-dedans
de vous et au-dehors, a pu être pour vous
la Crtuse ou la matière du ftéclié. .
Oui, ce corps qui était devenu, par votre
baptême, et de plus, par votre consécration
toute spéciale au Seigneur, le temple du
Saint-Esprit, vous en avez fait vous-même,
par le péché, la demeure du démon; voilà
dabord l'objet de votre pénitence. Voulez-
vous faire »ine pénitence convenable, écri-
vait saint Ambroise, à une vierge qui avait
été intidèle au Seigneur, après l'avoir choi>i
pour son époux? Commencez, lui disail-il,
à réformer et à mortifier dans vous, tout ce
qui a pu vous servir à l'offenser; ces yeux
que vous avez livrés à une trop grande dis-
sipation, qu'ils soient désormais condamnés
à une perpétuelle modestie, et qu'ils ne
s'ouvrent plus que pour verser dos torrents
de larmes sur la perte de votre innocence;
ce visage dont vous avez cherché à relever
une vaine beauté, qu'il ne se monlre plus
que pâle et détiguré, autant par la vivacité
de votre repentir, que par l'excès de vos
austérités; ce corps que vous avez trop
flatté et que vous vous êtes appliquée si
longtemps à satisfaire, qu'il gémisse désor-
mais, sous la cendre et le cilice; je dois
vous en dire autant à vous qui , sans vous
être rendue coupable d'aussi grands désor-
dres, avez cependant à vous reprocher bien
des taules contraires au vœu sacré que vous
avez prononcé aux pieds des saints autels;
voulez-vous, sans vous flatter, satisfaire à
ia justice de votre Dieu ? Ces sens que vous
avez tant de fois satisfaits, contre les remords
de votre conscience, faites-en des sens tout
nouveaux, par une entière réforme de vous-
même; ce corps que vous avez fait servir
au péché, failes-le servir présentement à la
justice et à la sainteté; remettez l'ordre
établi dans vous par Je Créateur et détruit
par le péché; soumettez absolument la
chair à l'esprit, afin que l'tsprit lui-même
soit soumis à son Dieu.
Mais ce n'est pas tout encore ; la pénitence
du corjis est nécessaire, mais elle ne suffi t|)a s,
il faut de plus la |)énilence du cœur,unepéni-
tenceinlérieure, sans laquelle l'extérieurese-
raii abboluiiieni mutile; c'est là cette circon-
cision spirituelle qui doit surtout vous occu-
I>erdaii!> voire pénitence. Ou i^ Mesdames, tou-
tes les personnes qui ont offensé leur Dieu,
ne peuvent pas toujours, même dans la
religion, se livrer aux jeûnes et aux macé-
rations ; et en général ne doit-on rien en-
trefirendie d'exiraurdinaire , en ce genre,
sans l'avis d'un guide sage et éclairé et sans
ia j)ermission de ses supérieurs ; mais toute
personne, dans quelque état qu'elle soit et
dans quelque situation qu'elle puisse se
trouver, est toujours susceptible de cette
l)éi)itence tiu cœur: voilà cependant, j'ose
le dire, ce qui est le plus négligé de la pé-
nitence ; voilà l'illusion de la plupart des
personnes qui, après avoir renoncé sincè-
rement au péché, sont résolues de servir
fidèlement le Seigneur; on se condamne
volfiniiers à des jeûnes et à des austérités,
indiscrètes môme quelquefois ; on s'impose
desœuvres de piélé et de charité; on se sur-
charge de prières et d'exercices de religion
auxquels l'on est souvent fidèle jusqu'au
scrupule, et à l'abri de tout. cet extérieur,
on laisse là l'intérieur; on ne touche point
au cœur; on conserve dans ce cœur, un
attachement, une inclination , un ressenti-
ment, une haine, une passion en un mot,
qu'on voit bien être un obstacle à sa per-
fection, à sa sanctificaiion. et dont on sent
bien que Dieu demande le sacrifice, mais
qu'on ne peut se résoudre à lui faire.
Or, voulez-vous bien régler votre péni-
tence ? brisez, brisez vos cœurs [)lulôt que
de déchirer vos vêtements, dil un prophète
(Joël, II, 13); c'est du cœur, dit le Seigneur
lui-même, que naissent tous les péchés,
allez donc au principe , coupez la racine;
attaquez courageusement vos passions ,
celle surtout qui a i^ris le dessus dans votre
cœur; vous la connaissez bien, celle pas-
sion dominante qui a mis tant de fois , en
jeu, toutes les autres; et qui a été pour
vous, la source de tant de fautes; c'est à
celle-ci comme à la plus chère, et à la plus
dangereuse par conséquent, que vous devez
faire la guerre la plus cruelle ; c'est là cet
Agag qu'il faut nécessairemeiit immoler;
en vain délruiriez-vous la nation entière
des Amaléciles, dès que vous en conservez
le roi, vous allez contre,la volonté du Sci-
gueur et vous encourez sa disgrâce.
Pour être vraiment pénileiUe, jiénitonle
dans le cœur, renoncez donc, mais sincère-
ment, mais du fond du eœur, à tuut ce qui
a pu vous porter à olfeiiser votre D eu ;
renoncez à ces altachements ex-ci'ss.fs et illé-
gitimes, à ces amitiés particulières qui ont
toujours été aussi préjudiciables à votre
communauté que funestes à yous-même;
renoncez à cette vie mulle, oisive, dissijiée,
si peu conforme à la gravité et à la sainlelé
de félat que vous avez embrassé: subsli-
tuez à ces amusements frivoles qui vous
occupent depuis si longtemps peut être ,
substituez dts occupations el des exercices
dignes d'une épouse de Jésus-Chrisl, el con-
formes à vos devoirs ; lailes si bien que
vos heures el vos moments se trouvent tous
employés à la gloire de Dieu, et à voire
avancement spirituel, et qu'à rexem[)le de
ce solitaire dont parle saint Jérôme, bien
loin d'avoir le temps d'offenser Dieu, vous
ayez à peine celui de respirer. Renoncez à
ces aises à ces commodilés, à ces salistac-
lions, a ces sensualilés (|ue vous vous pro-
curez avec tant de soin et de recherche,
el qui sont si opposées à l'esprit de niorli-
ficaiion et de croix, (]ui doit animer une
épouse de Jésus-Christ. Renoncez à ces
envies, h ces anlijialliies, à ces ressenti-
ments, à ces aversions que vous nourrissez
dans votre cœur, et qui uc paraissent ueui-
133
DISCOURS DE RETRAITE. — TROISIEME JOUR.
134
Cire que trop îi l'oxlérienr; pardonnez sin-
cèrement et tic bonne foi , comnio voiià
souli.iitoz iiue Dieu vous pardonne; en un
inot, pour (Mre une vraie pénitente, fait-es-
vous un cœur tout nouveau ; aiipliquez-vous
à en changer les goûts et les inclinations,
ou à les rél'ormer du moins : je dis à les
réformer, car en vous supposant ici un
cœur tendre et sensible, je ne prétends
point condamner, en vous, cette sensibilité,
et vous obliger h vous en défaire. Hé I le
pourriez-vous ? C'est le Créateur lui-môme
qui l'a mise dans votre cœur, mais pour
sa gloire et pour voire salut; ainsi ce qu'il
faut dans votre pénitence, c'est de faire
chonger d'objet à cette sensibilité; au lieu
•les créatures qui l'ont vainement occupée
jusqu'ici, lournez-la entièrement vers votre
Créateur; soyez, couune Madeleine péni-
tente, uniquement sensible aux perfections
de votre Dieu; ne montrez, comme elle,
tîe l'ardeur que pour plaire, en tout, à votre
Dieu, et alors vous aurez tout à la fois, un
cœur tt^iidre et chrétien, un cœur sensible
et pénitent.
A tous ces traits, convenez-en ici, vous
épouse de Jésus-Clirisl , qui vivez depuis
longtemps peul-ètre, dans la négligence et
la tiédeur; vous ne reconnaissez point là
votre pénitence. Hélas 1 à ce seul détail de
dis|)Ositions et de pratiques, si conformes
cependant à ce que vous devez à Dieu, et à
ce que vous vous devez à vous-même ;
sentez-vous au-dedans de vous,' la plus
grande répugnance. Mais si vous ne pouvez
encore vous résoudre à tant de sévérité
contre vous-même, que n'acceptez-vous du
moins, dans un esprit de pénitence, les
peines et les croix que le Seigneur vous
'jnvoie, et qui ne sont pas rares dans voire
^ainl état. Car telle est sa bonté pour vous,
que connaissant votre éloignement pour la
pénitence et^ la nécessité dans laquelle
vous êtes de' vous y livrer, il veut bien
suppléer, en quelque sorte; h votre lâcheté ;
entant sans raison, vous manquez de cou-
rage pour supporter une opération doulou-
reuse, à la vérité, mais nécessaire, et ce
médecin charitable, veut bien vous la faire
lui-même, et dans le temps quelquefois que
vous y pensez le moins. Que de peines en
elTet, que de contradictions, que d'intirmi-
tés, que de privations, que de croix en un
mol, et de toute espèce, vous rencontrez
chaque jour! elle naissent, pour, ainsi
dire, sous vos pas; or voilà la matière de
votre péuiteuce, et d'une jjénitence d'au-
tant plus mériloiie, que n'étant point de
votre choix, vous n'avez rien à craindre de
l'amour-propre : au lieu de ces plaintes, de
ces murmures peul-èlre, qui vous échap-
jtent quelquefois, au lieu de chercher de
stériles .consolations, aujjrès des créatures,
au lieu de ces vains etforts pour vous re-
leiirer, pour ainsi dire, de dessous la
main tout-puissante de voire Dieu, sou-
uiellez-vous humblement ; un simple re-
gard sur vos inlidélités et sur ce qu'elles
oui mérité, puis tournez-vous vers votre
Dieu : adorez et remerciez également, te
Dieu de bonté qui vous chAtie en père, en
ami, en époux, dans le temps, pour navoir
pas à vous punir en juge, en ennemi, eu
Dieu, dans l'élernité. Frappez, Seigneur,
devez-vous lui dire, dans toule la sincérité
de votre cœur, frappez, sans ésard à cet
amour déréglé do moi-môme ; ne considé-
rez dans moi que mes péchés, et n'écoulez
dans vous que votre miséricorde; me voici
par votre grâce sincèrement disposée à
souffrir tous les maux dont votre justice
est résolue de me punir; quelque grands
qu'ils puissent être, dès que vous les bor-
nerez à cette vie mortelle, ils n'égale-
ront jamais la grandeur de mes infidé-
lités.
HJ. Mais ces péchés dont vous vous êtcss
rendue coupable envers votre Dieu vous
obligent à une pénitence non-seulement
pure dans son motif et universelle dans son
objet, mais encore constante dans son exer-
cice. Ah 1 quand dans toule la vie vous
n'auriez commis qu'un seul péché, il de-
vrait suflire pour vous faire verser, le reste
de vos jours, des torrents de larmes, dit
saint Grégoire pape, ad fletus perpétuas.
Pour vous faire senlir celle vérité , Mes-
dames, je n'ai qu'à vous raf)pel(T les
preuves par lesqu'elles j'ai établi la néces-
sité de la pénitence, elles prouvent égale-
ment la nécessité de sa persévérance. Oui,
vous devez et nous devons tous persévérer
dans la pénitence, parce que nous ne pou-
vons jamais être assurés, dans cette vie,
d'avoir entièrement apaisé la colère du
Seigneur et d'en avoir obtenu le pardon
de nos péchés; parce que si nous voulons
comparer le nombre et la grièveté de nos
péchés aux peines de l'autre vie, ou même
à celles que l'Eglise nous eût imposées au-
trefois, pour un seul de ces péchés, nous
conclurons aisément que quelque longue
que puisse être notre pénitence en cette
vie, il nous restera encore, pour l'autre,
bien des [)échés à expier et bien des dettes
à acquitter par conséquent ; parce que enfin
c'est l'unique moyen qui nous reste, do
nous [)réserv(r du péché et de persévérer
dans la grâce de noire Dieu.
Mais quoi! toujours dans la morlifica-
tion, dans les larmes ? que cela est dur à la
naturel J'en conviens. Mesdames, je V()us
avouerai môme, d'après saint Bernard, que
cette pénitence de loute la vie a quelque
chose, par sa continuité, de |)lus rude, en
quelque sorte, que le maityre lui-mêm.^
Mais quand il y aurait encore [dus à soul-
frir, dès qu'il n'est point j)Our nous d'autre
moyen de nous procurer le ciel, y a-t-il à
hésiter? Mais je dois vous ajouter ici, une
vérité qu'une épouse de Jésus-Christ ne
j)cut ignorer, c'est que la pénitence, même
dans sa plus grande sévérité, n'est ja-
mais sans la paix et le contentement du
cœur. Oui, Mesdames, et voilà sa dilléience
d'avec le péché ; le péché commence à la
vérité, par quelque ombre de plaisir etde
satisfaction, mais qui se teriuine toujours
135
ORATEURS SACRES,
par des remortis et des chogrins réels ; et la
pénitence au contraire, après avoir fait cou-
ler quehiues larmes toujours bien douces,
procure, dès celle vie, une paix et des con-
solations intérieures que ne connurent ja-
mais les péclieurs les plus sensuels, et
qu'il est bien plus aisé de ressentir que
d'exprimer; pour s'en convaincre, il ne
faut que voir, dans les maisons religieuses
surtout, ceux et celles qui se livrent, sans
ménagement, à toutes les rigueurs de la
plus austère pénitence.
Ah 1 Seigneur, je le comprends aujour-
d'hui, et je suis enîièrement convaincu
de cette sentence qu'a prononcée le Saint-
Esprit, que si je néglige de faire pénitence
en cette vie, ce n'est point entre les mains
(Jes hommes que je tomberai après ma mort,
mais entre vos mains, entre les mains d'un
Dieu déleroiiné à se faire par lui-môme
une justice exacte et rigoureuse, à laquelle
je ne [>ourrai me soustraire. Ah I pour--
rais-je donc m'y exposer, à cette justice re-
doutable ! Non, non, mon Dieu, tandis que
je le |)uis encore, je prendrai moi-même
vos intérêts eu main; je ne négligerai au-
cune de ces occasions qui se présentent si
souvent, dans mon élat, de me mortilier et
de satisfaire par-là à votre justice; pour
n'avoir pas, dans l'autre vie à faire pé-
nitence de la pénitence que j'aurai faite
en celle-ci ; je réfléchirai souvent sur tout
ce que je vous dois, à raison de mes pé-
chés, et à tout ce que je me dois à moi-
même; je penserai souvent' à tout ce que
je voudrai avoir fait à la mort, el surtout à
ce moment auquel je paraîtrai à votre re-
doutable tribunal; mais comme tout ceci
doit être autant l'ouvrage de votre grâce
que mon |)ropie ouvrage, donnez-moi dès
aujourd'hui, ô mon céleste Epoux, et je
vous le demande par tout le sang que vous
avez ré[)undu pour moi, donnez-moi cet es-
prit de componction et de pénitence qu'ont
eu tant de saints et tant de saintes surtout,
qui m'ont précédée dans mon institut el dans
cette sainte maison ; alors j'accei)terai avec
soumission, avec joie même , les peines et
les croix que votre adorable et aimable pro-
videitcu daignera m'envoyer; je me livrerai
de |dus en plus, et sans répugnance et avec
courage à tous ies exercices de la pénitence
que mon état me prescrit. Que j'aie bien
cet esprit de pénitence, et alors j'aimerai à
faire pénitence; je deviendrai, comme tant
de sanits et de saintes, .insatiable de croix
et de pénitence; je regarderai comme un
vrai bonheur do vivre sur la terre, dans un
exercice liabiluel de pénitence. Heureux
état en etlét aux yeux de la foi, puisque
a[)rès m'avuir enîièrement i purihé dans
celle vie, il me procurera infailliblement,
dans l'autre, un bonheur souverain et éter-
u«l. Ainsi soit-ii.
L'ABBE DE MONTIS. i3C
TROISIEME JOUR.
Second discours.
Sun l'oraison mentale.
Oralioni instate. {Coloss., IV, 2.)
Soyez cissidus à la prière.
Voilé, Mesdames, ce que l'apôtre saint
Paul recommandait aux fidèles de Colosses
et à tous ceux qui avaient embrassé l'Evan-
gile de Jésus-Christ. Rien, en effet, de plus
recommandable et de plus nécessaire dans
le christianisme que la prièr.erpar elle nous
rendons à notre Dieu le culte et l'adoration
que nous lui devons comme ses créatures;
I)ar elle encore nous lui représentons nos
besoins dans l'ordre de la nalure et de la
grâce, et nous sollicitons de son infinie
bonté les secours Sfdriluels surtout, qui
nous sont nécessaires pour vivre saintement
sur la terre, et nous procurer le bonheur
du ciel.
Vous ne doutez pas de ces vérités. Mes-
dames, vous reconnaissez sur cela vos de-
voirs, et comme chrétiennes et comme
épouses de 'Jésus-Christ; vous vous en ac-
quittez même, je deis le dire ici, avec re-
ligion et avec édification. Mais outre la
prière vocale, qui fait une de vos principa-
les obligations dans votre saint élat, il est
une autre espèce de prière, prière mentale,
ap[)elée oraison, méditation, qui sans vous
être aussi expressément ordonnée, vous est
cependant très-utile , je dirai même néces--'
saire,et que vos saints fondateurs ont jugé,
à l'exemple des Pères de l'Eglise et des
maîtres de la vie spirituelle, devoir vous
recommander comme un moyen des plus
propres à vous conduire à la perfection, à
la sainteté; moyen en eifet qu'ont employé
tous les saints , et dont se servent encore
avec un grand fruil, non -seulement les
chréliens de l'un et de l'autre sexe, spécia-
lement consacrés au Seigneur dans la reli-
gion; mais de plus ceux qui, engagés dans
les différents états du siècle, travaillent
avec zèle à l'imiiorlante alfaire de leur sa-
lut. C'est, Mesdames, pour vous inspirer
un grand alliait [)our le saint exerciee de
l'oraison et pour vous engager à vous y li-
vrer avec une exacte fidélité, que j'entre-
prends de vous prouver de quelle utilité
il est pour vous, dans votre saint état: mais
comme il se trouve jusque dans la religion
des personnes qui, j)ar leur faute, ne reti-
rent aucun fruit de ce saint exercice, pour
rendic [)lus , complet et plus instructif ce
discours sur l'oraison, j'y joindrai de plus
les conditions nécessaires pour s'en bien
acquitter; en deux mots, les grands avan-
tages que procure à une religieuse l'exercice
de l'oraison, ce sera le sujet de la première
partie ; les dis{)Osilions dans lesquelles doit
se mettre une religieuse pour faire avec
Iruit l'exercice de l'oraison, ce sera le sujet
de la seconde paitie. Honorez- moi , s'il
vous plaît, de toute votre attention. Ave
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour vous inspirer ici , Mesdames, un ar-
137
DISCOURS DE RETRAITE. - TROISIEME JOUR.
138
(icnl amour imur l'oraison, ou pliilôl, pour
tuii^nieiiler eu vous celui quo je supposo
quv3 vous avez pour ce saint exercice , jo
pourrais vous dire, que Jé-sus-Chrisl voire
clief, votre époux et votre nioJnle, vous en
adonné l'exemple; nous lisons dans l.'Kvan-
gi!e qu'au milieu d(3 ses travaux, de ses
«"Clions de zèle pour le salut des Ames qu'il
était venu racheter et sauver, il se retirait
la p.uit dans un lieu solitaire pour y prier
son I*ère éternel, et pour s"_}' ontretnnir avec
lui ; qu'il était si fidèle à ce saini exercice
(jue ses soullVances, que les tourments mêmes
de sa passion , ne l'en détournèrent pas ;
que, jusque [tendant la iloulnureuse agonie
qu'il soullVit dans le jardin des Oliviers,
bien loin de le discontinuer, il le [)rolongea
au contraire : Prolixius orabaC (L»c.,XXll,
41.) Je pourrais vous dire que ce Dieu Sauveur
a rejjardé cet exercice si important dans l'or-
dre liu salut qu'il la spécialement recomman-
<ié à Ses disciples, vigilale et orale. {Mctttli.,
XX\J, kl.) Je |)0urrais vousdire encore qu'il
n'est rien de plus honorable pour une ilme
chrétienne, et encore plus pour une épouse
de Jésus-Christ, que de s'entretenir fami-
lièrement avec son Dieu , de s'unir jiar là
étroitement avec son Dieu ; (]U9 si. un sujet,
un courtisan se trouve lort honoré, lorsque
son souverain daigne converser quelques
moments avec lui, à plus forte raison, une
sinqjle créature doit-elle regarder, comme
un grand honneur de s'entretenir avec son
Créateur et son Dieu , de lui pailer seul à
seul, et cela non rarement, et quelques mo-
nit-nts, mais aussi souventetaussi longtemps
qu'elle le désire.
Mais je vous laisse, Mesdames, à faire
vous-mêmes et à étendre ces réflexions ; je
me borne ici à vous montreiles grands avan-
tages que vous pouvez trouver dans l'orai-
son, |»ar rapport à l'ouvrage de votre perfec-
tion et de votre salut ; car, comme ce doit
être 5 vos ,yeux la plus grande, la plus
importante et môme à (lar 1er proprement ,
la seule aû'aire qui doive vous occuper, vous
ne devez aussi regarder comme avantage
jtour vous que ce qui a rapport, et que ce
qui tend au succès de celte affaire. Or, je
remarque trois grands avantages que vous
procure l'oraison , dans l'ordre du salut et
de la perfection. Premièrement, il est néces-
saire que vous connaissiez bien vos devoirs,
que vous soyez parfaitement éclairées, sur
I étendue des obligations du saint état que
vous avez embrassé; or l'oraison vous les
donne, ces lumières, ces connaissances. Se-
condement, il ne vous sulUt pas de connaî-
tre vos devoirs, vous devez de plus être
disposées à les accomplir, et pour cela dé-
sirer sincèrement d'être aidées et fortifiées
par la grâce; or vous acquérez dans l'orai-
son celte bonne volonté, et vous y puisez
de puissants secours du ciel. ïroisième-
ment enfin, vous avez besoin d'être soute-
nues et consolées, dans des temps, surtout
'Je peines, de tentations et d'épreuves insé-
parables de tous les états, et qui se trouvent
u.iiiS le vôtre ; or l'oraison vous doniuî en-
OisATiLns SAcuis. LXVIII,
core ce courage, et ces consolations ; jo dis
donc que l'exercice de l'oraison peut tout à
la fois vous éclairer sur l'élenine do vos
devoirs, vous fortifier dans l'accomplissement
do vos devoirs, et vous consoler dans les
peines qui accompagnent vos devoirs: lu-
mières, forces, coisolations. voilJi les trois
grands avantages attachés à l'exercice de l'o-
rai'.on, et qu'il faut r|ue je vous fasse connaî-
tre ici.
I. Et d'abord. Mesdames, nous ne pou-
vons tous être trop pénétrés d'admiration
et de reconnaissance envers notre Dieu,
pour tous les moyens de salut qu'il nous a
donnés; mais s'ils sont grands etabondant*,
ces moyens, pour tout chrétien en général,
ils le sont encore plus pour vous, ses épou-
ses, qu'il a appelées à un état plus parfait,
que le eoraraun des clu'éliens; or un do ces
grands moyens que vous trouvez dans vo-
tre étal, c'est de pouvoir vous livrer plus
facilement à la méditation, h l'oraison, que
les chrétiens du monde, et y puiser des lu-
mières, des connaissances plus abondantes,
dans l'ordre du salut cl de la perfection.
Pourquoi, en effet, voyons-nous si peu de
foi, de vertu, de piété dans le mon le ? Pour-
quoi s'}' trouve-l-il, et dans tous les étals,
si peu de chrétiens fidèles h la loi du Sei-
gneur, dociles à ses commamlemenls et à
ceux de son Eglise? Pourquoi les voit-on
se livrer en insensés, aux passions les plus
déréglées, aux plus grands désordres ? Ah 1
Mesdames, je vous l'ai déjh dit, c'est que-
tout livrés au monde, aux plaisirs, aux amuse-
ments du monde, ils ne se tournent jamais
vers leur Créateur; tout au plus, quelques
courtes prières vocales, récitées par habi-
tude, précipitamment, sans nulle attention;
mais jamais de retour sérieux sur eux-mê-
mes, de réflexions suivies sur ce qu'ils doi-
vent à Dieu, au prochain et îi eux-mêmes;
si l'on ne voit personne, ou presque per-
sonne dans le monde qui fasse le bien, et
un bien propre au salut, méritoire du ciel,
c'est, dit le Roi-Prophète, qu'il n'est per-
sonne qui relondje sur son propre cœur,
qui s'enlreiienne, devant Dieu, de ses dé-
fauts el de ses devoirs.
Or voilà l'avantage qufi vous avez, vous.
Mesdames, dans votre saint état; chaque
jour, vous en consacrez une partie à conver-
ser avec votre Dieu, 5 méditer dans le si-
lence et dans le recueillement, tout ce qui
peut vous exciter à son service, et h con-
courir au succès de votre salut; c'est là en
oiTet que, réfléchissant sur ce qu'il est en
lui-même, et par rapport à vous, ce Dieu,
au service duquel vous vous êtes entière-
ment consacrées, vous découvrez el admi-
rez chaque jour ses infinies perfections ;
cette i)uissance à laquelle rien ne peut ré-
sister ; celte sagesse qui gouverne, depuis
tant de siècles, et avec un ordre infini, ce
vaste univers; celte Providence qui s'étend
à tous les êtres qu'il a créés; celle sainlelé
qui réprouve tout ce qui est contraire à sa
gloire, tout péché el tout ce qui a l'appa-
renco du péidié; celle justice qui récompensa
139
ORATRUUS SACRES. LABRE DE MONTIS.
UO
on qui ininit en Dieu, ses rr^alums, selon
le bien ou le mal qu'elles ont t'ait; celte
bonté surtout qu'il a manifestée d'une fa-
çon si éclatante, dans la rédemption des
hommes, et qu'il a exercée d"uiie façon
plus marquée sur vous. Mesdames, en vous
délivrant, comme par miracle, de la corrup-
tion du siècle, en vous comblant de grâces
et de faveurs, dans un étal saint, et dans
Uquel il vous est si facile de vous sancti-
lier; c'est là que vous méditez la grandeur
de cette religion que le Dieu Sauveur a éta-
blie, et dans la(|uelle il vous a fait naître,
par préférence' h une inlinilé d'autres ; que
vous découvrez et que vuus admirez, dans
celte religion, la profotnleur, la sublimité
de ses mysières, l'équité de ses préceptes,
ia majesté de son culte, la magniticenco de
ses solennités, les vertus et la gloire de
-ceux qu'elle a sanctiliés; c'est là (jue, mé-
ditant sur le monde que vous avez (|uitlé,
vous en découvrez le vide et le néant, que
•vous vous convainquez de plus en plus de
la perversité de ses maximes, de la tyran-
nie de ses l)ienséances, de la frivolité de
sas plaisirs, de la fragilité de tous ses biens ;
c'est là, c'est dans l'oraison que vous ap-
prenez à bien connaître la laideur du vice,
et la beauté delà venu ; que, retombant sur
vous-mêmes, que^ sondant en la {irésencc
de Dieu, les replis de votre cœur, vous
apercevez les fautes dont vous vous êtes
rendues coupables, et les défauts, les im-
pcrfeclions, les penchants irop naturels qui
vous dominent, et les verlus chrétiennes et
religieuses que vous devez avoir et qui
vous nianquent; que vous apercevez éga-
lement les moyens les plus (uopres à expier
vos fautes, el à vous en préserver, à vous
corriger des vos défauts, à vous guérir de
vus imperfections, à acquérir les vertus et
les mérites que votre Dieu adroit d'exigerde
vous ; que vous af)prenez encore à bien con-
naîtie les ennemis de votre salut, les t)iéges
qu'ils vous tendent, leurs ditférenles tenta-
lions, el tout à la fois, à les repousser avec
succès ; c'est là que vous apftreuez tous vos
devoirs par ra[)port à l'état que vous avez
embrassé , que vous découvrez tous les
avantages de ce saijit état, les prérogalives
et les secours puissants et sans nombre
qu'il vous olï're ; c'est là, en un mot. c'est
clans l'oraison que vous apprenez tout ce
que vous devez savoir, el tout ce que vous
devez faire ou éviter pour plaire à votre
Dieu, pour vous perfectionner et vous sau-
ver; ah I qu'une âme religieuse qui se livre
constamment à la médilaiion, à l'oraison,
devient savante 1 Que de connaissances su-
blimes, que de grandes et solides vérités
elle acquiert chaque jour, el que les plus
grands génies ne peuvent se |)rocurer jiar
l'application el le travail. Oui, Mesdames,
on a vu quelquefois des personnes sans es-
[iiil, sans taienis, ignorantes et grossières,
ravir d'admiraiion ceux qui les entendaient
parier des vérités célcsles qu elles puisaient
dans leurs entretiens avec Dieu ; ali I c'est
que le Saint-Esiiril les instruisait Iui-ai6me;
peu'-on n'être pas infiniment éclairé, infini-
ni'eiil liabili', (pjand on est enseigné par un
ans i grand inatlre, par la vérité essci t el'f-?
Mais un autre avantage, et bienconsidér ibli',
que l'oraison procure à la reli^'ieuse qui s y
livre, c'e^t, a|irès lui avoir fait connaître
ses devoirs, de les lui faire pratiquer
II. VoMs le savez, Modamcs, il nesuflll
lias, pour opérernolri' salut, de les connaître
ces devoirs, il faut de plus meilre la main
à l'œuvre et les praiiipier; le serviteur qui
aura su la volonté de son maître et qui ne
l'aura pas exécutée, dit le Fils de Dieu ,
sera plus grièvement [)uiii que celui qui
l'aura ignorée, et c'est là le second avan-
tage (|ue procure l'exercice de l'oraison ;
elle n'est point une science de pure spé-
culation comme la [dupart des sciences
profanes qui sont un ob.el de (ravail, d'élmle
|)0ur les savants; c'est une science qui, aux
lumières, aux connaissances, joint la pra-
tique et l'action; qui, a|)rès avoir fait con-
naître à une [)prsonne chrétienne el reli-
gieuse tout ce qu'elle doit faire pour plan-o
à Dieu, tous les devoirs qu'elle doit remplir
pour entrer dans les desseins de son Dieu
sur elle, la porte enicaceraenl à les retnplir,
ces devons. Oui, Mesdames, le devoir et .'e
premier devoir dune religieuse et du chré-
tien même en général, c'est d'évilei- le mal
el de faire le bien, de se préserver du [)éché
et de pratiquer la vertu ; le ciel ne peut
s'acquérir que per là. Oi' voilà les bons
fctfels .jue produit l'oraison dans uneûme:
elle lui inspire d'abord une sainte horreur
du péché; si elle avait le malheur d'en êiie
coupable, elle la porte às'en purifier pr miji-
lemenl ; voilà ce qui Cil d"ex[)érience ; qu'on
jmisse engage r une personne plongée dans
les plus grands désordres à méditer, à
faire oraison, quelque invétérées que puis-
sent être Ses mauvaises habiluJes, on la
verra bientôt recourir à Dieu par la péni-
tence; voilà ce qu'on a vu une infinité do
fois. Coinment un saint Ignace réussissait-
il à convertir laniet de si grands pécheurs
qu'il [)assail dans l'esprit des moïKiains
pour un enchanteur? c'est (pie dans les re-
traites qu'il leur faisait faire et qu'il avait
mises eu vigueur, il les forçait, pour ainsi
dire, à réfléchir sur eux-mêmes, à méditer
les vérités impoitanles de la ieligio:i. Co'n-
mentenellel les méditer sérieusement et
Iréquemment, ces grandes vérités, el nu
l»as se rendre? Comment rétlécliir profon-
oémenlsur la grandeur infinie de Dieu, sur
sa U)ule-{)uis.sance, sur la sévérité de ses
jugemenls, sur la rigueur des lourmen s
dont il punit les coupables dans l'autre vie,
el ne pas redouter celle [luissance, cesju-
gements et ces peines? Commenl méditer
sérieusement sur l'infinie bonté de notre
Dieu, sur la grandeur des récom[)enses qu'il
réserve et qu'il prodigue ài ceux qui lui onl
été fidèles sur la terre, ei ne pas j)rendre
la résolution de se mettre dans un étal à évi-
ler-sa colère el à mériter ses récompenses?
Oui,«Mesdames, dans l'oraison, à mesura
que les ténèbres se dissipent, que l'esprit
lil
DISCOURS DE RETKAITK
TROISIEME JOUR.
U2
s'ôclaire, qu'il (It'rniivro la fausseté des pré-
jugés (lu monde, la perversité do ses niaxi-
ines, la vanité îles biens et des avantages
qu'il peut donner, la volonté s'échauire, le
cœur s'entlanome et se remplit du désir
d être tout ù Dieu, de mépriser tout le reste;
on sort de l'oraison plein de force et de
oourage, dis(>osé h surmonter tous les obs-
tacles, à comb.itlre et à repousser tous les
ennemis du salut; on en sort plus détaché
des créatures et de soi-môme, résolu d'évi-
ter non-seulement les péchés griefs qui
<lonnent la mort h l'âme, mais môme jus-
qu'aux fautes légères et tout ce qui pour-
rail refroidir le cœur de Dieu et arrêter le
cours de ses grâces ; rien ne coûte alors, on
se sent prêt à faire à son Dieu les plus
grands sacrifices, à supporter |)our lui les
plus rudes épreuves, h soulfrir les persé-
cutions les plus cruelles; on Si>rt de l'orai-
son, en un mot, plus saint, plus parfait,
plus chrétien, plus religieux qu'on n'y était
entré : voilà les merveilleux elfets que pro-
duit une exacte fidélité à l'oraison ; comme
au contraire la négligence et le dégoût de
ce saint exercice produit le dégoût de ses
devoirs et la négligence au service de Dieu.
Ce que j'avance ici, iMesdames, n'est encore
que trop fondé sur l'expérience; si l'on
voit quelquefois, dans les maisons reli-
gieuses, des épouses de Jésus-Christ se
rendre indignes par leur conduite de cet
auguste titre; si l'on en voit qui, après avoir
embrassé avec ardeur la voie (le la perfec-
tion, deviennent lâches, tièdes, indifté-
rontes pour les devoirs de leur saint état,
qui scandalisent môme quelquefois par
leur dissi|)ation, par leur peu de vertu et
de piété; la source du mal, la i)rcmière
cause de ce changemcntde conduite, si l'un
veut y faire attention, c'est d'avoir négligé
et abandonné l'exercice de l'oraison; elles
n'ont fait autant de progrès dans le relâ-
chement et ladissi()ation que parce qu'elles
ont cessé de méditer les vérités de la reli-
gion et les obligations de leur état.
Pour vous convaincre de plus en plus de
cette vérité. Mesdames, et pour prouver
que l'uraison est un moyen de |)erfeclion
des [dus ellicaces, lisez l'histoire des per-
sonnes de l'un et l'autre sexe (lui, dans dif-
férents éials et dans le vôtre surtout, sont
parvenues à un éminont degré de sainteté ;
vous verrez que toutes ont été adonnées à
l'oraison et ont été fidèles à ce saint exer-
cice ; mais regardez de plus autour de vous,
considérez celles qui parmi vous ont eu
le [)lus de vertu , le plus d'amour de Dieu,
le plus de douceur, de condescendance, de
I harilé envers le prochain, le plus d'atta-
cliemcnt à leur saint état, qui en remplis-
sent les obligations et jusqu'aux moindres
observances avec le plus dexactiiude, qui
évitent avec plus d'attention jusqu'aux plus
Iieliles fautes, aux plus légères imperlec-
lions; qui montrent, en un mot, le plus de
f)iété, de perfection, de sainteté, vous ver-
rez que ce sont celles qu'on peut appeler do
vraies filles d'oraison, qui y ont le plus
d'attrait, qui s'en <lispensent le moins, qui
ainieiU .'i s'entretenir avec leur Dieu et inli-
niment plus qu'avec ses créatures; non-
seulement ce sont Ik les plus parfaites, mais
ce Sftnt encore le-; i)Ius heureuses, les plus
contentes dans leur état; car voilà le troi-
sième effet de l'oraison et le troisième avan-
tage qu'il procure : il remplit le cœur d'uno
religieuse de consolations solides, propres
à l'encourager dans l'accomplissement do
ses devoirs.
III. Il nefaul point lodissimnier ici. Mes-
dames, il est des peines et des contradir--
tions h souffrir dans le service de Dieu; il
est des é|)reuves et de différentes épreuves
à supporter : épreuves et coniradictions de
la part des ennemis du salut qui lodoublent
leurs efforts, à proportion qu'ils voient qu'on
redouble de zèle et d'attention pour y tra-
vailler; éprouves, coniradiciions de la part
du prochain : plus on est fidèle à tous ses
devoirs, exact h toutes ses observances , et
plus on est exposé au mépris, Ji la censure,
à la critique. Hélas! plus d'une fois rt
même dans les communautés les plus ré-
gulières, l'on a vu les personnes les plus
saintes, les plus parfaites ex()Osées, aux
railleries, au mépris, à la persécution mô-
me quelquefois; épreuves , contradictions
de la part de soi-mômo : quelle contrainte
et quelle violence à se faire pour se rendre
fidèle à cerlaines observances , pour remplir
certaines fonctions, cerlains emploits, pour
sui)porler certains esprits, certains caraciè-
ros, et par laque (1 ennui, que de dégoût,
que de chagrin à siirmonier I preuves, con-
tradictions de la jiart du Seigneur qui, pour
purifier sans cesse une de ^es épouses et
pour la sanctifier de plus en |)lus, la visite
par des infirmités habituelles et humilian-
tes quelquefois, par des p.'ines do l'espi it
pi u> douloureuses encore que ce] les du corps,
par des obscurités, des ténèbres, par des
sécheresses, des aridités qui la réduisent à
des doutes, à des inceriilu les, à des per-
plexités qui la plongent dans une détresse
de cœur, dans un abattement qu'il faut
avoiréprouvé, pour le bien connaître.
Or, oiî trouver au milieu de tant d'épreu-
ves, des consolations solides (\u\ encoura-
gent, qui préservent de l'ennui et du dé-
goût? Ahl Mesdames, c'est dans l'oraison ;
oui, sup[)0sez l'âme la plusexercée, la plus
éprouvée de Dieu et des liommes, si elle
converse habituellement avec son Dieu,
elle n'est plus malheureuse, elle n'est plus
à plaindre: Eh! comment s'occuper sé-
rieusement de tout ce que son Dieu est en
lui-même et de tout ce qu'il a fait pourelle,
de ses amabilités, des poiiections infinies
qu'il possède, de ses grâces, des faveurs
qu'elle en u reçues, de ses bienfaits privilé-
giés et sans nombre dont il l'a comblée et
dont il ne cesse delà combler, et ne pas
trouver douces, sup[)ortables, aimables mô-
me, les peines qu'elle éprouve? Comment
penser à tout ce que son Epoux céleste a
fait et souffert pour elle, à toutes les raar-
Ques d'amour qu'il lui a prodiguées, de()uis
MZ
ORATEURS SACRES. L'ABDE DE MONTIS.
liï
surtout qu'elle s'esi donnée ù lui dans In
religion, et ne pas onlrer avec résignation,
luènie avec satisfaction, dans toutes ses
vues, dans tous ses desseins? Ah I qu'une
;1nie qui s'occupe ainsi de son Dieu dans
l'oraison, qui converse chaque jour avec
son Dieu, éproiivede paix et de consolalion I
Klle y entre quelquefois, troublée, inquiè-
te, agitée : elle en sort tranquille, satisfaite
et consolée : elle y entre dans rauierlume,
pleine de sécheresses et de dégoûts; elle
en sort comblée de douceurs spirituelles,
beaucoup plus friciles à sentir qu'à expri-
mer. Qui pourrait dire les faveiirs, les ca-
resses dont le Seigneur se plaît à honorer
une âme qui, chaque jour est iidèle à s'en-
tretenir avec lui? Que do saints et de sain-
tes Ton a vu inondés de grâces extraordi-
naires dans l'oi'aison ! que de conununica-
l!((ns intimes 1 que de suavités iniérieuresl
que de ravissements, que d'extases qui
lijur taisaient sentir en quelque sorte, sur
lu terre et dans ce lieu de leur exil les dou-
ceurs de la patrie, les consolations du ciel I
Aussi ne trouvaient-ils de plaisir, de vraie
satisfaction qu'à s'entretenir avec leurDieu;
c'éluiljo leur centre, leur plus douce occu-
[)ation, l'objet de tous leurs désirs : non
contents d'y eiiiplnyer une partie du jour,
après avoir accordé à leur corps un court
et léger sommeil, ils passaient encore la
plus grande partie delà nuit dans ces ravis-
sants entretiens. On en a vu, après avoir
persévéré aussi longtemps dans ce saint
exercice, gémir et se plaindre de ce que le
soleil venait les distraire et les tirer, comme
malgré eux de leurs douces et inexprima-
bles contemplations. Voilà ce qu'ont éprou-
vé dans l'oraison et ce qu'éprouvent en-
core en bien plus petit nombre, à la vérité
qu'autrefois, tant u'ùQJes favorisées de no-
tie Dieu.
Alaus si toutes les fiersonnes qui se livrent
à ce saint exercice, ne participent pas à ces
glaces extraordinaires, h ces laveurs sin-
gulières que Dieu ne doit à personne en
cette vie, toutes au moins n'en sortentjamais
sans y avoir é|)rouvé les etlets de son infi-
nie bonté. Que Ue lumières consolantes I
que de pieux mouvements! quedesaintes
pensées 1 que de désirs ali'eclueux qui, en
leur insjiiranl le mépris et le détachement
des créatures, les enllammenl do plus en
plus d'amour jiour leur Créateur, qui non-
.seulemeut les font marcher avec courage
et fidélité dans la voie des commandements
t't des conseils du Seigneur, mais qui do
plus les entretiennent dans une paix, dans
un contentement intérieur que les iiéi.hcurs
et les impi( s ne connaissent point, et que
le monde avec tous ses biens et tous ses
avantages ne |)eut [irocuror 1 Ce que j'avan-
ce ici, vierges chrétiennes, je pourrais
bien en appeler à votre témoignage et en
attester votre propre cœur ; combien de fois
èies-vous sorties ue ce saint exercice avec
un accroissement d'attachement pour votre
saiiit état, d amour pour votre céleste Epcmx,
ne désir do lui l'iiiire, toutes consolées,
délivrées des peines, dfs inquiétudes que
vous y aviez apportées? Combien do fois
y avez-vous ressenti des douceurs , des
suavités spirituelles qui ré()an'.iaienf., mê-
me à l'extérieur et sur son visage, un air
de satisraclion el de joie que vous n'aiiriez
pu cacher à vos sœurs, et qui ont servi, en
les édili;nit, à vous porter vous-mêmes à
remplir avec une nouvelle ardeur les obli-
gations et les observances do votre saint
état? Tels sont les gr.uids avantages que
procure l'exercice de l'oraison, et s'il se
trouve (ii^s personnes même dans le saint
état de la religion qui ne les ressentent
fias, ces grands avantages, je ne crains point
do le dire ici, c"osl qu'elles n'aî)|)orten l
point à ce saint exercice les dispositions
outoutpsles dispositions nécessaires pour
y participer. C'est de ces disjiosilions dont
je dois vous entretenir ilans ma seconde
partie.
SECONDE PARTIE
Ce ne sont point, je dois le redire ici ,
Mesdames, ce ne son', point les moyens de
salut et de perfection qui nous manqueni;
notre Dieu, toujours plein de bonié et de
miséricorde pour nous, nousen offreabon-
damment dans tous les états et dans le vô-
tre surtout, épouses do Jésus-Christ; mais
c'est nous le plus souvent qui manquons à
ces moyens; ou nous les négligeons, ou
nous nous en servons dans des dispositions
qui nous les rendent inutiles i)Our notre
salut, et qui par là nous rendent ()lus cou-
pables aux yeux de notre Dieu. Un de ces
moyens des plus utiles et des plus efficaces,
c'est la méditation, l'oraison, je viens de
vous le prouver ; mais afin qu'il soit tel
pour nous, il exige certaines distiositions.
Le Saint-Esprit l'a dit (lue pour bien faire
oraison, nous devons y [)réparer notre âuie:
Ante orationein , prœpnra animain tuain
{Eccti.,Win, 28}; sans cela, sans cette
piéparation, c'est tenter Dieu, et vouloir
qu'il nous accorde des grâces sans mettre
les conditions qu'il exige de nous pour
nous les donner.
Or pour les bien connaître ces disposi-
tions, nous n'avoiii qu'à considérer co
qu'est en lui-même cet exercice de l'orai-
son, et quelle est la hn que nous nous
proposons, en nous y livrant Qu'est-ce
(Jonc que l'oraison? C'est un colloque, un
entretien avec notre Dieu , qui tend à nous
perfectionner et à nous faire connaître , do
plus en plus, ses desseins sur iidus, dans
l'ordre de notre perfeciion et do notre salut;
si c'est un entretien avec notre Dieu , nous
devons donc y apporter tout le sérieux ,
toute ra])plication qu'exige sa majesté su-
prême, cl dont nous pouvons être capabi s;
si cet exercice ten^i à nous sanctifier, à nous
peifectionner , nous devons donc nous ap-
jiliquer à nous purifier et à nous i)rései ver
de tout ce qui pourrait déplaire à notre
Dieu , et nuire à notre perfection , à notre
sanctilication ; si cet exercice sert à nous
faire connaltie les desseins el les voies de
{45
DISCOUUS DE RETRAITK. — TROISIEME JOUR.
f J6
Dieu sur notis, nous devons donc nous
souniellie à loules ses volonléî; , é^lre dis-
posés à tout ce qu'il peut exiger do nous,
pour le servir et pour lui plaire ; ainsi , re-
cueillemenl dans l'esfirit, pureld dans le
cœur, diicililé dans la volonté; (elles soiil
les conditions, les dispositions absoMimcti
nécessaires pour faire l'oraison avec fruit ;
c'est ce que je vais vous expliquer en peu
de mots ; renouvelez-iioi, s'il vous plaît,
liuile voire altention.
I. Je dis , en premier lieu , recueillement
dans l'esprit. Oui, Mesilaii'.e-; , el cette jire-
niièredii-position, Jésus-Chrisl lious l'a pros-
crite lui-uiûme ; lorsque vous voudrez vous
livrer à ia prière, à roraison, disait ce divin
Maître à sesdi;-ci|)les, relirez-vous dans votre
chambre, cl là, la porte fermée, pilez dans le
secret (.l/o///t , VI, G) ; que voulail-il nous
faiie enlendre par là ? C'est que devant nous
LMitreleniravec Dieu, (lansroraison,etdevant
D'uisy e 'tretenir lie la plus noble et de la plus
iniporlanle ail'aire qui puisse nous affecter,
qui est celle de notre salul , nous devons y
!ip|)<irler une altenlion , y mcllre une appl.-
calion digne et de la grandeur du Toul-
Puisî-ant avec lequel nous avons l'honneur
(le converser, et de l'imporlance do l'allairo
que nous tiailons avec lui; voyez, dans le
monilft, lors(|u'on a une affaire qui occupe
el qu'on juge irès-importanle, ce n'est |)(iint
dans le lun.ullo tl au milieu des cercles
qu'on la traite ; on se retire à l'écart ; tout
se |)asse avec les plus profondes rétlexions,
et dans le plus grand secret; mais que font
les affaires les plus importantes du temps,
eu conqiaraisiiU de l'unique alfaire do l'é-
ternilé? Il s'agit dans l'oraison, tout à la
fois, de |)arler à notre Dieu, de lui rendre
le culte et les devoirs qui lui soi;t dus , do
lui adresser nos vœux et nos prières, de
lui demander des grâces, dos secours qui
nous sont nécessaires, et de plus, d'enlen-
dre ce qu'il voutira dire à notre esprit et
encore plus à notre cœur.
Or c'est dans la retraite , dans le plus
profond recueillement que nous pourrons
l'entendre ; j'e /a mènerai dans la solitude,
nous dit-il, parlant d'une âme qu'il chérit
tl qu'il veut sanctifier, et là ^ je parlerai à
ion cœur, j'écoulerai tout ce qu'elle aura à
lue dire, comme elle entendra facilement
clle-ujêuie tout ce que j'aurai à lui prescrire,
pour sa [icrlection, et jiuur qu'elle se rende,
(le plus en plus, agréable à mes yeux :
Ditcain cam in solitudinein et loquar ad cor
fjus. [Ose.j 11, li.j 11 s'agit encore dans
l'oraison , de méditer les veiités célest* s et
élernelles; d'en bien convaincre noire es-
prit, de nous en pénétrer, de les l'aire pas-
ser dans notre cœur, d'en tirer les (onsé-
quences directes et relatives à nos besoins
sjiintue's, à notre salut; il s'agit de roth';-
(liir allentivement sur nous-mèrues , de
fonder sincèrement et de bonne loi , notre
jiropre cœur, do voir, d'examiner de près,
ce qu'il peui y avoir, dans ce cœur, de dé-
sagréable à noire Dieu , de contraire à nos
tngagi.inenls, à nos promesses jit s'agit
encore de clurcher ot de choisir les moyens
les plus [iropres, [lour nous guérir de nos
défauts, el pour nous délivrer de nos mau-
vais penchants : or pour tout cela, vous le
sentez assez. Mesdames, il faut la [dus
grande ap()licati()n, la plus sérieuse atten-
tion, le recueillenuMit le plus parfait.
Mais il me semble entendre ici quel-
qu'une d'entre vous nie dire qu'elle est
très-persuaiiée qu'on ne peut bien faire la
méditation , l'oraison , s:ins nn grand re-
cueillement ; qu'elle ne manque jamais ,
en s'y livrant, de recueillir le plus qu'ello
peut son esprit : mais que, malgré ses bons
désirs et tous ses elforts, elle ne peut
rester dans ce recueillement si nécessaire ;
qu'il suffit qu'elle se livre à la prière ou à
l'oraison pour être assaillie de mille pen-
sées étrangères, de mille distractions qui
l'occupent, comme malgré elle; mais qui
que vous soyez, pour vous répondre ici ,
je vous demande, si vous êtes bien dans
ce recueillement d'esprit tel que je l'entends,
et tel que l'exige en effet ce saint exercice,
pour y réussir; vous vous mettez , dites-
vous , en recueillement, en commençant
voire oraison ; vous n'y étiez donc pas au-
paravant : mais prenez garde, s'il vous
plaît, que lorsque je vous ai dil que le re-
cueillement était nécessaire pour bien
faire son oraison, j'ai entendu parler, non
d'un recueillement momentané, jiour ainsi
dire, et [lassager, qui ne dure que quelques
instants, avant de vous mettre à l'oraison,
et qui cesse aussitôt après en êlre sortie,
mais d'un recueillement constant, habituel :
or y êtes-vous dans ce recueillement ? c'est-
à-lire, de|)uis votre réveil jusqu'à votre
sommeil, conservez-vous, travaillez-vous
du moins, à conserver vos sens dans une
retenue et dans une uioitiliealion conli-
nuelîe? N'occupez-vous votro esprit que du
seul objet qui doit l'occuper, qui est Dieu?
Cependant le vrai recueillement dit tout
cela , et tout cela est nécessaire pour vous
eiitrelenir , sans peine, et d'une manière
utile, avec Dieu ; si vous ne l'avez pas fait
jusqu ici , commencez du moins, essayez de
vous mettre dans cette moi tiîication inté-
rieure surtout , si convenable à une épouse
de Jésus-Christ, ijui a renoncé à toute
créature, par amour pour son céleste Epoux;
ne voyez ni n'entendez, ou plutôt ne veuillez
voir ni eoteiidre que ce que vous devez
voir et entendre; ne montrez jamais aucune
curiosité sur tout ce qui se passe et au
dedans, et plus encore au dehors du monas-
tère ; excepté ce qui regarde vos devoirs
et vos emplois, ne vous occupez de rien;
marchez toujours, en un mot, en la présen(^,e
de Dieu , el conduis.' z-vous , comme s'il n'y
avait ipie Dieu el vous sur ia terre : avec
cette conduite et ces précautions, vous se-
rez bien moins distraite dans vos oraisons,
ou vos distractions vous nuiront beaucoup
moins; car on supposant ipje vous fassiez
lout ce qu'il faut , et que vous vous mettiez
dans CCS saintes dispositions , vous ne de-
vez pas croire cependant que vous l'.'auroz.
147
ORATLLUS SACRES. L'ABBE DE MOMIS.
US
plus de dislraclions , ni juger que vos dis-
trat'iions soient des fautes; s'il en est de
voloiilaiies qui naiss«nl d'un esprit «?l d'un
cœur trojf dissipés , et peu disposés parla
h l'oraisoi) ; il en est aussi d'involontaires
qui peuvent 6lre des épreuves du Seigneur
qui veut purifier une âuie, et la sanctifier;
ou le plus souvent encore, ce sont des ten-
tations de l'esprit infernal qui , sachant
combien l'exercice de l'oraison peut vous
être utile pour voire sanctificalion , redou-
ble ses ellorts pour on eiiifiécher tout le
fruit ; lors donc que vous aurez fait tout ce
(|ui dépend de vous pour rejeler les dis-
tractions, et vous mettre en recueillement,
si ces distractions vous assiègent toujours,
iicceptez, avec soumission, cette épreuve du
Seigricur; humiliez-vous ()iofoi)(léraent, de
ne pouvoir vous tenir en sa sainte présen-
ce, attribuez-la, celte éjireuve, à vos infi-
délités passées, reconnaissez humblement
que vous n'êtes pas digne de converser fa-
milièrement, comme lunt de saints et de
saintes , avec ce D,cn toul-puissant, devant
lequel les anges tremblent et se confondent;
dès que vous vous apercevez que votre
es|)iil s'égare et vous échappe, rappe!ez-le
«uissilôt, mais sans trouble, sans elïorls
d'imaginalion , et suitout à l'exemple de
sainte Thérèse, sans vous rebuter, sans vous
dégoûter du saint exercice do l'oraison, et
alors vos distractions , bien loin de vous
nuire, deviendront pour vous, comme elles
le furent pour celle grande sainte, un
moyen sûr de mériter et de plaire à votre
céleste é|)Oux.
II. Mais si le recueillement de l'esprit est
iiécest;aire pour bien l'aire l'oraison, je dis
que la pureté du cœur l'est encore plus;
pour 3'ea convaincre, il ne faul que penser
en(;ore à la tin de l'oraison. Que nous propo-
sons-nous, en elfel, lorsque nous nous y li-
vrons? C'est d'adorer la majesté intinie de
îioire Dieu, de reconnaître son souverain do-
mairœ sur nous; c'est de lui demander tous
nos besoins, et nos besoins spirituels sur-
tout; c'est do solliciter de sa boulé, des gla-
ces de lumières et de forces tout ensemble,
qui nous fassent connaître etacconq)lir tous
nos devoirs; c'est, en un mot, de chercher
les moyens les plus [trojires, les plus elhca-
c( s, pour nous rendre parfaits et pour nous
faire des saints.
Or, pour rem[)Iir toutes ces vues, vous le
sentez assez. Mesdames, nous devons d'a-
bord nous rendre agréables aux yeux de no-
tie Dieu, cl pour ceia nous préserver, je ne
dirai pas seulement, du péché griefqui don-
ne la mort à l'âme; elil comment oserions-
nous nous présenter devant lui, et solliciter
ses faveurs, si nous étions, par le péché, ses
ennciuiis, des objets de colère à ses yeux?
Mais je dis de plus nous préserver du péché
véniel, et surtout de toute atlection au péché
véniel ; pourrions-nous compter sur ses bon-
lés, sur ses grâces, si nous ne craignions
pas de l'ollenser, de lui déplaire? C'est avec
les âmes qu'il regarde comme toutes 5 lui,
qu'il se plaîl à .converser; c'est à ccllcs-ià
qu'il aime à se ("ommuniquer ; c'est le cœur
lui-môme qui doit prier et parler à Dieu
dans l'oraison; vous devez donc vous prépa-
rer à ce saint exercice par la pureté du
cœur, mais pureté qui ne se borne point en-
core à l'éloigneraent de tolil péché, mais qui
exige de plus un détachement sincère do
toute créature. Oui, vous qui vous êtes so-
lennellement consacrée h votre Dieu, pour
ne vous occuper cpie de son service, dans la
retraite, vous qui, pour cola, avez généreu-
sement 1 énoncé à tout, vous ne pouvez es-
pérer de vous entretenir avec votre Dieu,
d'une façon agréable f)0ur lui, et utile pour
vous, qu'autant que vous remplirez les en-
gagements que vous avez contractés avec
lui, qu'autant que votre cœur sera vérita-
blement dégagé de tout objet créé ; car vous
le savez, l'époux que vous avez clioisi, ou
pour mieux dire, qui vous a choisie lui-
même, est un époux qui a acquis un domai-
ne absolu et universel sur votre cœur, en
sorte que si vous vous présentez à lui, avec
un cœur partagé, attaché h la créature, vous
l'olîensez, vous devenez une épouse infidèle,
et vous le forcez par là de s'éloigner de vous.
Mais, prenez garde encore, Mesdames,
que ce détachement du cœur, si nécessaire
pour vous entretenir utilement avec votre
Dieu, ne se borne point aux objets étran-
gers, et hors de vous, il doit s'étendre en-
core plus sur vous-mêmes; en vain seriez-
vous détachées de toute créature, si vous
tenez à vous, si vous vous aimez vous-
mêmes, vous n'êtes plus dans la disposition
qu'il exige de vous, et dès lors, vous ne
pouvez [)lus compter sur ses communica-
tions, sur ses faveurs ; et voilà ce qui ojt, un
ellet pour plusieurs un obstacle el un très-
grand obstacle au progrès et aux g'aiuls fruits
de l'oraison: c'est donc un cœur vide de
toute créature, elvidede vous-mêmes, qu'il
vous demande pour converser avec vous
el pour vous faire sentir les ellels salutai-
res de sa sainte présence.
Ce n'est pas tout encore: celte pureté de
cœur que je dis nécessaire pour bien faire,
l'oraison ne consiste pas seulement à éviter
le jiéché, à n'avoir aucune atrection au pé-
ché, à être sincèrement dégagée do toute
créature et de vous-mêmes, elle demande
de plus, un cœur orné de vertus, et des
vertus propres à votre saint état, et de l'hu-
milité surtout. Oui, Mesdames, en vain, sans
celle-ci, [losséderiez-vous toutes les autres,
elle est la base et le fondeuienl de la sain-
teté; elle est le Irait, par lequel Jésus-Christ
jirélend que vous lui ressembliez; si vous ne
la |iossédez pas, celle vertu, dès lors il ne
j)eut vuus regarder, ni vous traiter comme
ses vraies épouses; il déclare qu'il a en
horreur les superbes, el que ce n'est que
les humbles qu'il favorise de ses grâces. Ah!
combien, en etfet, parmi les épouses mêmes,
qui en sont absolument privées, de ces grâ-
ces, parce qu'elles manquent de celte vertu 1
Hélas ! l'on se plaint quelquefois qu'on n'é-
prouve dans l'oraison que ténèbres, quo
dégoûls, qu'aridités; cli ! comment, avecun
119
DISCOUUS DE r.E'mAI'FK. — TUOfSïKilK JOUR.
Isa.
rceiir plein (11' liii-inôiue,oiifléil'('rgii<M!,pour-
lail-on compter sur les laveursd'un Dit-u <|iii
i.ese l'Iail iju'avoc les pelils elles hiiinblos?
Voiiloï-^uus (lotir, Mesdames, participer
h ces giiices priviiéj^iées, à ces commuiiii a-
lioiis intimes, que le Soigneur a si souvent
prodiguées <^ ses suintes épouses, dans l'o-
raison ? Soyez ce (luell .s unt été, so)'ez
humbles, petites, anéanties à vos propres
yeux; mettez-vous comme elles, en esprit,
aux pieds île toutes vos sœurs, regardez-
vous indignes de leur société, et du litre
aiigusie d'épouses de Jésus-Christ que vous
portez ; ayez pour cela sans cesse vos pé-
chés, et vus inlidélilés, devant les yeux;
comme eiles, aimez à ère ignorées et com-
ptées pour r.en; saisissez avec ardeur, tou-
tes les occasions qui peuvent se [irésenler,
et qui se pié^entent souvent d.nis la reli-
gion, de pratiquer riiiimilité; désirez, mais
sincèrement, les humiliations ; recevez du
moins avec soumission, toutes celles que la
divine Providence vous envoie: voilà, j'ose
lodire, la disposition la plus favorable pour
attirer sur vous les reg.irds du céiesie
époux, et pour participer à ses faveurs dans
l'oraison ; mais une tioisiàme condition né-
cessaire encore pour faire avec fruit ce
saint exercice, c'est la docilité et une par-
faite docilité, dans lit volonté.
111. Car entin, que jirétendez-vous, M^'S-
dames, en faisant rnaison ? C'est d'obtenir
du Seigneur, des lumières et des secours
l)our marcher sûrement dons la voie de la
perfectio i, dans laquelle vous êtes enliées,
et pour y laire chaque jour de nouveaux
pio^rès : or, il faut |)our ci'la, que vous vous
m-iiilriez |)arfaitemenl docih'sà tout cerpi'il
peut exiger de vo s; sans cet:e docilité, les
giAces, les si;cours(iue vous recevriez dans
i'oinison, bien loin de vous rendre plus
agréabhîsà ses yeux, ne serviraient au con-
traire (ju'à vous rendre |)lus coupables,
et <]u'à refroidir son cœur à voire égard.
Cependant, Mesdames, voilà un défuut as-
sez commun, même dans les âmes séparées
du monde par étal, et adonnées à l'orai-
son ; on se présente, à la vérité, chaque
jour assidûment à ce saint exercice, mais
on s'y présente d.ii)S des dispositions de
cœur qui en empôclKnt tout le fruit; on
sent par exeuqiie, que Dieu condamne tel
et tel défaut, tel attaclieuient, telle dispo-
sition de i'àffie qui nuit au progrès de la
perfection à lacjuelle on s'est engagée, en
embrassant le saint état de la religion; on
sent que Dieu demande depuis longtem()s
|ieut-êire telle réforme, tel sacritice ; c'est
dans l'fjraison surtout, que les insj)iralioi!s
et les reproches se font sentir, mais on
s'est fait un système de conduite au(|uel
on tient, et auquel on veut tenir; en vain
la grilce presse, sollicite, on résiste; et par
celle résistance on rend inutiles les bons
elFets de l'oraiSon. Ce f|ui est dom; bien né-
cessaire, Me.>dames, pour profiler de ce saint
exercice, c'est d'y apporter un cœur docile,
une volonté sincèrement disposée à ne met-
Ue aucune borne à vulre perfeclioii, 3 cu-
trer sur cela, dans toutes les vues, aans ton*
les desseins de votre Dieu survou-i; c'est
de lui dire, comme le Uoi-Prophète: Parlez,.
Seigneur, ordonnez; mon cœur est |)rél et
disposé à vous obéir : Paratwn cor meuin.
Mais celle bonne volonté, cette docilité
de cœur ne consiste pas seulement à suivre
les inspirations de la grâce ; elle doit de plus
se montrer dans les dill'érentes voies que lo
Seigneur tieid à votre égard, dans l'oraison;
et voilà un autre écueil à éviter dans c©
saint exercice; à la vérité, quand le Seigneur
s'y communiijue u'une façon sensible; lors-
(|u'il pénètre lâtne de vives lumières, qu'il
la con;ble de (hjuceurs et de consolations :
ah! l'on se plaîl alors à luéditerel à s'enlre-
tenir avec son Dieu; ce temps do l'oraisoïc
paraît couit alors; 01. désirerait pouvoir in
prolonger; mais lorsque le Seigneur vient à
changer de conduite, lorsq.ue d'un état dit
lumière et de consolation, il fait |)assor dans
les ténèbres d'une nuit obscure, el marcliec
par une route pleine d'épines, de sécheres-
ses et d'aridités, ce saint exercice devient
abrs pénible et fatigant; on est tenté de
l'abandonner; on croit môme le devoir, re-
garciarit comme perdu (oui le temps qu'on
y emploie. Ahl fasse le ciel, Mesdames, que
vous do'iniez jamais dans une pareille illu-
sion 1 Quelque conduite que |)uisse tenir
dans l'oiaison, le célesle époux à votre
égard, montrez-lui toujours la même sou-
mission et la même exactitude à ce saint
exercice. Eh ! que vous imjvorie comme il
agit avec vous, pourvu qu il fasse son œur
vre en vous; s'il veut vous conduire au ciel,
par des voies |)énibles et ci uciiiantes, sou-
mettez-vous, réjouissez-vous même de de-
veuir par là, [)lus semblables h ce qu'il a été,
pendant sa vie mortelle, el d'éprouver l.i
conduite qu'il a tenue envers les Thérèse,
les do Chantai, el tant d'autres saintes, et
qu'il tient encore envers ses épouses qu'il
chérit le plus, et qu'il apjtelle à une plus
éminenle sainleié ; pensez alors que les dou-
ceurs el les consolations sont l'apanage de
l'autre vie, et les peines el les croix, le par-
tage de celle-ci ^ pensez que voire céleste»
éfioux sait intiniment mieux que vous, ce
qui vous est le plus utile; rendez-vous jus-
tice, en vous reconnaissant indignes de con-
solations et de faveurs; faites servie ainsi
jusqu'à vos ténèbres et à vos sécheresses,
pour vous perfectioner, par une résignation
parfaite aux volontés de votre Dieu. Hélas I
une autre conduite à votre égard vous pré-
judicieiait [)eut-êire, il()ourra!t vous arri-
ver, comme le dit saint François de Sales, de
préférer les consolations de Dieu au Dieu
des consolations.
Ahl Seigneur, si je veux ppésentemenl
faire un retour sur moi-même, que de grâ-
ces dont je me suis privée par ma faute I
Que de mérites par conséijuent j'ai perdus
pour n'avoir pas fait, du saint exercice de
l'oraison, tout le cas que je devais en faire,
ou pour m'en être mal acquittée. Hélas 1
combien, dans mon saint institut, et dans
celle sainte maiswi, se sonl élevées et s'é-
151
OUATEURS SACHES. L'ABBE DE MO.NÏIS.
15-2
lèvent (ticore par l.'i , à la sainteté! C'en est
fait , ô mon Dieu , plus convaincue que ja-
mais de l'utilité , de la nécessité, de l'effi-
cacité de l'oraison, pour me sanctiGer, je
vais m'y livrer avec plus (l'applicalioii et «Je
fidélité que jamais ; pour la fiiircavec fruit,
j'éloignerai , avec soin , tout ce qui pourrait
3' mettre obstacle; je me tiendrai, avec le
secours de voire gi;1ce, dans ce recuiille-
mont,dans relie solitude intérieure, abso-
lument nécessaires pour entendre votre
voix, au fond de mon cœur; je travaillerai
à le puriller, ce cœur, h le rendre tel que
vous le désirez , c'est-à-dire exempt de tout
péché et de tout attachement aux créatu-
res et à moi-même ; mais je vous promets
surtout, ô mon Dieu, de me rendre désor-
mais docile aux inspirations de réforme et
de sanclificalion que vous me donnerez
dans l'oraison, et à la conduite que vous y
tie'idrez à mon éj^ard. Non, je le recon-
nais ici , je ne mérite pas ces faveurs ex-
traordinaires dont vous daignez honorer vos
épouses fidèles et fervenles; faites de moi
tout ce qu il vous (ilaira; trop heureuse que
vous veuilliez bien me souffrir en votre
sainte présence, je ne veux plus y paraître
que pour y traiter avec vous de la griinde
affaire de ma perfeeiion et de mon salut.
Daifinez, Sfii^tipur, bénir ces résolulions ,
et faites qu'après vous avoir vu dans, cette
vie, des yeux de la foi dans l'oraison , je
puisse trouver dans l'autre mon souverain
bonheur, dans la contemplation éternelle
de vos infinies perfections. Ainsi soil-il.
TUOISIÈME JOUU.
^ Tioisiciue disronrs.
SLR L'KtfFER.
piscedile a nie, maledicli, in igncm selcrnum. {Matlh.,
Ilelirei,-vous de moi, maudits, allez nu feu étemel.
Quelle terrible sentence I Oi'^'lc affreuso
destinée [)our une personne chrétienne , et
encore plus, Mesdames, [Jour une personne
religieuse! Être rejetée sans miséricorde
et pour toujours , par un Dieu qu'elle avait
choisi solennellement pour son époux, qui
l'avait honorée lui-môme du titre de son
épouse, titre auguste qui devait faire son
éternel bonheur dans le ciel, mais qui , à
laison de l'état du péché dans lequel elle
aura quitlé la terre , contribuera à la rendre
souveiainement et éternellement malheu-
reuse dans l'enfer. Dans ce grand jour de
la manifestation publique des consciences,
jour de triomphu et des vengeances, |)our
son Dieu Sauveur, pour son céleste Epoux,
après l'accueil favorable qu'il aura fait en sa
présence , 5 tous les justes, et sui tout è ses
saintes et (idèles épouses , après les avoir
invitées avec toutes les marques de sa ten-
dresse à venir prendre possession de son
royaume éternel que leur aura mérilé leur
fidcliié h son service, Venile, bcnedicli ,
(Muiih., XXV, 3k) elle le verra plein de
colère et d'indignation se tourner vers
elle, la charger de toutes ses malédictions,
et la condamner avec tous les autres ré-
prouvés aux fl.unmes de l'enfer, pour y
expier, pendant l'ékrnité, les outrages
(]ue pendant sa vie elle aura fails h sa
gloire : Dtscedite a inc , maledicli , in igncm
œiernum. (Ibid., kl.)
C'est sur l'enfer, et sur l'enlVr d'une reli-
f:ieuse que j'ai dessein .le vous enlrclenir
ici , Mesdames : vérité bien elTrayanle! oui,
sans doute, je no pnUends point vous le
dissimuler; mais si je viens porter la crainle
et l'effroi au milieu de vos cœurs, je puis
bien vous le dire, comme autrefois saint
Augustin ie disait à son peuple , ce n'est
qu'après avoir été elîVayé moi-même : Ter-
riliis tcrreo ; et si , sur celte giande vérité,
je n'ai rien de consolant à vous dire, c'est
que la méditant, je n'y ai rien trouvé qui
pût nie rassurer raoi-rrême; heureux en-
core , vous et moi , si cette crain'e des pei-
nes de l'enfer nous inspiiait une horreur,
un éloignement infini pour lu [)éché qui
feul peut nous firocurer un aussi grand
malheur! Qu'esl-ce donc que cet enfer? Ah I
Mesdames, écoulez !e, et ne l'oubliez ja-
mais ; l'enfer est la peine du péché; l'enfer
est aussi fondé sur la nature du ()éché ; je
m'explique : dans les iilées de la théologie ,
riiouime f)ar le t'ét;hé tombe dans deux
grands désordres ; il s'éloigne injustement
de son Créateur, et il se porte avec dérè-
glement vers la créature : Aversio a Deo , et
conversio ad crealuram. Or, pour punir le
pécheur de son allachement déréglé à la
créature, son Créateur se sert de la créa-
ture elle-iuème [tour le tourmenter dans
l'enfer; pour punir le pécheur de son éloi-
gnement injuste de son (Créateur, le Dieu créa-
teur ne fait, et voici le plus grand des mal-
heurs, il ne fait que le priver de sa présence
dans l'enfer; en deux mois, la religieuse ré-
prouvée, plus malheureuse dans l'enfer, par
le mal dont elle est tourmentée ; ce sera le
sujet de la première partie de ce discours ;
la religieuse réprouvée , plus malheureuse
encore dans l'enfer, par le bien dont elle
est |)rivée ; ce sera le sujet de la seconde
partie. Honorez-moi, s'il vous plaît, de
toute voire allunlion. Ave, Maria.
PHEMlÙilE PARTIE.
Il est. Mesdames, de la destinée de tonte
créature raisonnable de rendre nécessaiie-
ment gloire à son Créateur. Heureuse la
personne chrétienne, heureuse la religieu-
se surtout, (jui , convaincue de ce grand
piincipe. aura lâché d'y conformer sa con-
duite sur la terri"! Mais malheur à celle (pii
aura élé assez téméraire pour refuser de
gloriiier son Dieu, en celle vie, en répon-
dant aux desseins de sa miséricorde, parce
qu'elle sera forcée de le glorifier dans l'au-
tre , en éprouvant les effets de sa justice!
Ah ! Mesdames, il n'est aucur. [lécheur sur
la lerre, dans quehpje étal qu'il soil;je(lis
pluï encore , il n'est aucun léjirouvé dans
l'enfer qui puisse alléguer sur cela son
ignoran(;e; oui , cette f)ersonne, celte épou-
se de Jésus-Christ, qui vivait depuis si
longlenqis dans l'oubli de ses devoirs, ddus
153
DISCOLUS DE ULTKAITE. — TUOISILME JOUR.
loi
rii;i|)iiudc(Iii péché; celle épouse de Jésns-
Clirisliiiii ôliiil depuis !oni:;t«'m|)s, depuis plu-
sieurs iuiiH^espeut-f'lre, louln l.i fois un sujet
de scandale pour ses sœurs et d'afflictions pour
s s supéricurs.'combiendefoislagrâcedosiin
céleste E|)0iix, l'a-l-elle invitée, pressée, sol-
licitée de sortir de cet état de relAclieinent
el d'inluiélilé dans lequel elle s'était uial-
lii'ureusenienl ()longée 1 Coniltien de l'ois le
niinislre de Jésus-Christ, riiomme de Dieu
auquel elle se trouvait comme forcée de
s'atiress r souvent, pour sauver au moins
k'S apparences ; combien du fois Ta-t-il aver-
tie que le Seigneur, fatigué de ses résis-
tances continuelles à ses grAces, éclaterait
enfin, et qu'il n'était rien de plus terrible,
pour une épouse de Jésus-Christ, comblée
depuis longtemps de ses bontés, que de
tomber enlre les mainsde ce Dieu Sauveur
longtemps oulragé et prêt à se venger ; mais
en vain ces importantes vérités retentis-
saient souvent à ses oreilles ; également do-
iiiiuée et aveuglée par son penchant 5 la
dissipation, au relîlchement , elles ne fai-
saient aucune impression sur son cœur;
peut-êlre même 5 l'endurcissement ajou-
tait-elle, comme les pécheurs el les incré-
dules du siècle, de les combattre, ces saintes
vérités, ou de païailre en douter du moins,
et bien loin d'en être touchée, peut-être al-
lait-elle jusqu'à se railler également et des
ministre'> qui les annonçaient et de celles
de ses sœurs qui en paraii.saient touchées
et convaincues; mais le ternîc fatal où son
Dieu l'attendait, pour exercer sur elle les
droits de sa |uslioe et pour lui faire boire
jusqu'à la lie le calice de son indignation
est entin arrivé; la mort, comme un voleur
qui surprend au milieu de la nuit, [lourme
servir de la comparaison du Fils de Dieu,
la mort l'a saisie, comme tant d'autres, celte
épouse infidèle de Jésus-Chiist, au milieu
de ses infidélités ; et l'instant oii elle est
ex()irée, ce môme instant l'a vue, connue
le luauvais riche, ensevelie dans l'enfer.
Ce pren)ier coup une fois fiappé , la jus-
tice de son Dieu n'étant plus retenue par sa
lûiséiicorde, sendjlable à une mer agitée,
qui a entin rompu la digue qui s'était^long-
temps opposée à ses Ilots en fureur, s'est dé-
cliargée tout entière sur elle: les créatu-
res dont elle avait si longtemps abusé, contre
son Dieu , perdant pour ainsi dire, leur
insensibilité, se sont élevées contre elle,
el se sont otferles, comme à Tenvi , à leur
Créateur, [)Our être autant d'instruments de
sa justi( e, et pour venger sa gloire outragée.
Or, de louies les créatures, il n'en est
point, et la justice humaine n'a pu en trou-
ver de plus propre à punir et à tourmenter
les criminels que le feu, parce qu'il n'en est
point de fdus agissante, de plus pénétrante
ni de plus douloureuse par conséquent;
c'est aussi lu feu que le Seigneur a choisi
pour se venger du pécheur, et dont il fait
comme le Ibnd de ses tourments dons l'en-
fer; et quand je dis du feu, n'imaginez
point ici. Mesdames, dans cette exj)ression,
!in sens ligure, tel que quelques mondains
inifiics si intéressés à ne rien croire de réel,
de cette elTrayante vérité , cherchent à le
persuader h eux-mêmes; lorsque les |)r(>-
phèles parlent de l'enfer, c'est toujours sou6
l'idée d'une prison de feu , d'un étang de
soufre enflammé; et leFils d(î Dieu lui-même,
lorsqu'il menace les pécheurs dans l'Fvan-
gile, et qu'il leur annonce d'avance l'arrêt
qu'il portera contre eux, au grand jour de
ses vengeances, c'est [lar ces ()aroles terri-
bles : Ite, maleflicli, in ignein œternum. « Al-
lez, maudits an feuHernei !n parolesd'un Juge
(pii, pour l'ordinaire, exprime sa sentence
en termes clairs et nullement équivoques,
paroles que les Pères de l'I-lglise onl tou-
joursinterprélécs, etque l'Egliseelle-mèniea
toujours entenduesd'un feu réel et véritable.
C'est donc une vérité de foi que le ré()rou-
vé dans l'enfer est enseveli dans le feu ; mais
quel feu? Ah I Mesdames, un feu dont le
nôtre n'est qu'une ombre , une image bien
imparfaite; celui-ci en elfet, c'est la bonté du
notre Dieu qui l'a créé pour noire soulage-
ment, [)0ur nos besoins; mais celui de l'en-
fer, c'est sa justice qui l'a allumé, dans s:i
colère, pour se venger également des anges
rebelles et des hommes j)révaricaleurs ; un
feu qui tient lieu au réprouvé de tous les
maux imaginables, comme le dit saint Chr.\-
sostome: In uno iijnc, omnia lormenla sen-
liunl ; ou pour dire quelque chose de plus
(irécis encore, un feu qui fait souffrir au ré-
prouvé une com|)lication parfaite de tous les
maux, et qui les lui fait soulliir dans toute
leur rigueur.
I. Je dis, en premier lieu , que lu feu de
l'enfer fait souUrirau réprouvé unecom|)li-
cation parfaite de tous les maux: et d'abord,
Mesdames, je ne puis m'empécher de rendra
ici un hommage à la justice infinie de notre
Dieu, (Quelque sévèrii qu'elle me paraisse;
car enfin, et vous devez en convenir avec
moi, le pécheur em[)lo.yaut , pour l'ordinai-
re, contre son Dieu, ei tout ce qui est hors
de lui et tout ce qui est de lui et dans lui,
n'esl-il pas juste que tout ce qui est hors de
lui concoure à le punir, et que tout ce qui
est en lui et de lui participe à la peine
qu'il doit subir, et qu'il soit puni , selon
rex|iressiûn du Saint-Esprit, par les choses
mêmes |)ar lesquelles il a péché : Per qiiœ
peccavit,per hœcel pnnielur? (Sap., Xll, 17.)
Ainsi sans parler présentement de son es-
|)rit et de sa volonlé, cette plus noble por-
tion de lui-même, qui éprouve une ])eine
d'autiUit plus grande qu'elle a eu plus du
pari à ses prévarications, ce pécheur, cette
religieuse qui , sur la terre, n'a su rien r'e-
fustr à ses sens, et qui s'est fait coimue une
élude particulière de ne leur rien refuser,
dans l'enfer, pour toutes ces sensualités,
elle soutire des tourments iiroportionnés au
nondjre el à l'énormilé des péchés qu ellu n
commis par leur ministère.
Ainsi, au lieu de tous ces objets., la sour-
ce, sur lu terre ou l'occasion pour elle de
tant de péchés, dans l'enfer, elle no voit
celte religieuse réfirouvée , qu'une pris'/fi
alfrcuse , (ju'un lieu de ténèbres el de mi-
Î5.J
ORATEL'ItS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
153
sèrfts.dans lequel elle esl sans cesse saisie
d'horreur par l'horreur el le désordre qui
y régnent; ses regards ne lonihenl que sur
des réprouvés comme elle; elle ne voit que
des ennemis, que des démons en lureur,
que «les spectres épouvantables qui lui
causent des alarmes el des frayeurs conti-
nuelles. Au lieu de ces enireliens si agré-
ables, si tendres et trop libres qu'elle se
))rocurait sur la terre , et qui n'ont fait
qu'amollir son cœur; dans l'enfer, elle n'en-
tend que cris lugubres, que gémissemenls,
que grincenionts de dimls, que hurlements,
que blasphèmes, qu'imprécations contre
Dieu.
Ah ! Mesdames, si pour une belle âme, si
pour un bon cœur, il n'est rien de plus
agréable, de plus consolant, sur la lerre,
qtje de vivre avec des amis chez qui ré-
gnent égalenicnl la raison, le sentiment, la
religion, et la probité, quelle situation,
au contraire de se trouver dans l'enfer, en
la société de tout ce qu'il y aura jamais eiî
de plus scéléral, de plus infâme dans l'uni-
vers ! Quel état d'avoir sans cesse devant
les yeux ce que l'on déteste, et ce que
sans ce■^se, l'on voudrait voir détruit et
anéanti ! Au lieu de cette reciierclie dans sa
nourriture, au lieu de celte délicatesse, de
tous ces excès si contraire» à l'esprit de
niortincatiou 5 laquelle elle s'était dévouée,
cette religieuse dans l'enfer, elle éprouve
une faim dévorante qu'elle ne peut satis-
faire, ei une soif ardente causée par le feu,
le fiel et Tamerlume, lui fait sans cesse
désirer et demander, comme le mauvais ri-
che, sanspouvoir l'obtenir, une goutte d'eau,
î)our rafraîchir sa langue. Au lieu de ces
aises, de toutes ces commodités qu'elle se
sera procurées avec tant de soin sur la
lerre, et d'une façon cnlièrement opposée à
son vœu de pauvreté; dans l'enfer, elle se
trouve étendue, liée el comme enchaînée
sur un lit de feu, sans aucun usage de celle
liberté dont elle a tant de fois abusé conlre
son Dieu. Au lieu de ces soins excessifs
qu'elle aura eus sur la terre pour un corps
qui était, et jiar les engagements de son
baplôme el encore plus |)ar les'vœux de la
religion, tout consacré à la pénitence, une
fois réuni à son âme un feu dévorant l'en-
vironnera, ce corps, il le [lénétrera, el, s'in-
sinuant jusque dans la moelle do ses os, il
lui fera soullrir dans tous ses membres
les douleurs les plus cruelles. En un mol,
Mesdames, voir du feu, sentir du feu, le
loucher, le resfiirer sans cesse, être tout
entier dans ce feu et soulfrir dans ce
feu Ions les maux imaginables, tel sera
dit saint Bernard, le sort des corps des
réprouvés dans l'enfer : Curpora doloribus
divola.
Mais ce qu'il y a de sur|>renani, c'est
que ce feu de l'enfer fait soullïir à TAme
réprouvée tous les maux à la fois; sur
la terre, il on est plusieurs qui ne peuvent
agir eMsen)ble sur un même sujet; mais [)ar
un miracle de la puissance du seigneur, il
ne ^'oIl Uouve point d'incompatibles dans
renfer; oui, tous es maux présentement
si variés et dispersés dans l'univers, ils se
sont rassemblés, pour ainsi dire, à la voix
du Seigneur, pour venir fondre tous en-
semble sur cette personne réprouvée :
Omnis dolor irruet super eum. (Job, XX,
22.) Mais ce qu'il y a de plus surpre-
nant encore, c'est que ce feu si cruel n'at-
tend pas pour exercer toute sa cruauté le
grand jour de la réunion des âmes avec
leurs cor|)s ; h l'instant même de la mort do
celle personne, de celle religieuse, au mo-
ment que l'âme séparée de son corps a été
citée par son Dieu, jug(''e, condamnée el
|)récij>ilée dans l'enfer, au même moment
ce feu, par une autre vertu loule miracu-
leuse que Dieu lui a communiquée, a com-
mencé d'agir aussi sensiblement sur celte
âme que si elle était déjà réunie à sou
corps, en sorte que Gain, ce premier des ré-
prouvés, soulfre depuis tant de siècles, au-
tant de lourinents que si son corps fût des-
cemlu avec sou âme dans l'enfer.
il. Mais ce qui rend le sort d'une per-
sonne, d'une religieuse réprouvée encore
pins déplorable dans l'enfer, c'est que non-
seulement ce feu lui fait soullrir une com-
plication parfaite do tous les maux, en
sorte qu'il n'en est aucun que l'esjjrit d«
l'homme puisse imaginer, ou que la i)uis-
sance d'un Dieu [)iiisse créer, dont elle ne
soit louimenlée; mais (ju'il les lui fait souf-
frir, de (dus, dans toute leur rigueur. Vous
me demandez sans doute ici, Mesdames,
quelle esl donc celle rigueur des peines de
l'enfer? Al) I fasse le ciel que vous el moi
non ayons jamais par nous-mêmes une
parfaite connaissance ! mais ne pourrai-jo
pas vous répondre, par com;iaraison, sur la
rigueur des maux de l'enfer, ce que je vous
dirais, d'après l'apùtre saint Paul, sur la
grandeur des biens du ciel;, c'est que
comme c'est un Dieu qui récompense en
Dieu ses élus, c'est aussi un Dieu qui punit
en Dieu les réprouvés; c'e.«t que comme
l'œil n'a jamais vu, l'oreilie ja nais entendu,
le cœur de l'homme jamais senti tous les
biens que Dieu prodigne dans le ciel <i
ceux qui lui ont été fidèles sur la lerre,
également ne peuvent-ils se comprendre ni
tomber sous les sens, tous ces maux don.t
Dieu [)unit dans l'enfer ceux qui ont été
assez téméraires pour l'oulrager sur la
lerre. Ainsi quand je vous peindrais ici,
avec les couleurs les plus vives, tous les
maux que la justice liumaine a jamais in-
veidés pour punir les criminels; quand j'y
joindrais les supplices que la fureur des ty-
rans, et que la cruauté des bourreaux leur
ont fait iniHginer, pour tourmenter les mar-
tyrs; quand je vous mettrais de plus, sous
les yeux, d'une façon sensible, tous les
lléaux que les péchés des hommes leur ont
attirés el que la colère d'un Dieu leur a fait
éprouver dans tous les temps; croix, gibets,
tortures, gu-^rres, maladies , incendies, je
devrais vous ajouter, tout cela n'est point
l'enfer, ou |)Our j)arler plus exaciement,
tous ces maux se trouvent bien dans l'cii-
1;.7
DISCOURS LE UETRAITE. — TUOISIOIE lOlK.
158
fer; mais ils s'y foiil senlir avec tout une
iiiilre .Ti'tivité que sur la terre ; en sorte,
dit sailli Aiiguslin, que quelque rigoureux
qu'ils nous paraissi nt firésenlement tous
ces maux, non-seulement ils ne peuvent
ôlre comparés h ceux de l'enfer, mais nous
devons mùme les regarder comme rien, en
ctHiiparaison deceuxde l'enfer : Non parva,
Sdl nuUa siinl.
Eu circl. Mesdames, Inus les maux que
nous pouvons souQrir sur la terre n'agis-
sent pas toujours avec un degré de rigueur
qui fasse succomber ceux qui les souffrent;
mais dans reiiltr, non-seulement une per-
sonne réi)rouvée souffre tous les maux ima-
gi'iiibles, mais elle les souffre encore avec
tous les degrés de violence que la toute,-
puissance d'un Dieu est capable de leur
(•ommuni()ui r; en surle qu'il n'est pas un
inslant oiî toute pi rsonne réprouvée ne
puisse dire dans l'enfer, comme le mau-
vais riilie : Je souffre inliniment dans ce
ffu ■.Cruciorin hac flanuna. [Luc, XVI, Si.)
Sur la terre, si les maux agissent avec une
vi(dei](;e peu commune, on est dès lors as-
suré qu'ils vont bienlùl cesser ; l'expérience
nous convainqu.uit, tous les jours, que la
violence d'un m;d et sa durée sont comme
iticompjilibles en cette vie, mais dans l'en-
fer les maux lourmenlent d'une manière
iulinie, pour ainsi dire, en sorte que bien
loin do s'épuiser en agissant, Dieu leur
comu)unique sans cesse une nouvelle vi-
gueur pour tourmenter le réprouvé ; pas
un instant par conséquent où une per-
sonne réprouvée puisse dire dans l'enfer, je
souffre peu.
Sui' la terre, les plus grands maux ne sont
pas loujouis sans ressource; il en est beau-
coufi qui cèdent enfin aux recherches de la
science, et aux opérations de l'art qui les
atla(iuent; mais dans l'enfer, une personne
réprouvée souffre sans qu'on puisse apj>li-
querle moindre remède à tous ses maux;
pas un instant, par conséquent, où elle
puisse dire dans l'enfer, je ne souffre plus.
Sur la terre, si un mal est sans reuiède, on
le laisse asïcz souvent ignorer à la per-
sonne qui le soulfre, ou son imaginalion se
plaît du moins à ne pas le regarder comme
incurable, et par là, une misérable la plus
désespérée ne fut jamais ou Le se crut ja-
mais, sans (iuel(|ue espérance ; mais d;uis
l'enfer, non-seulement une personne ré-
l>rouvée ne reçoit aucun soulagement, mais
elle sait, elle est même intimement convain-
cue qu'elle n'en recevra jamais aucun ; pas
un instant, par conséquent où elle puisse
se du-e a eile-mèuie, dans quelque temps je
ne souffrirai plus. Sur la terre, un mal de
quelque durée cesse en quelque sorte d'ê-
tre un mal ; la nature se familiarise avec
lui, ou plutôt un mal continué devient
comme une seconde nature; mais dans l'en-
1< r, queique longtemps que souffre une
personne réj)rouvée, ses maux lui sont
toujours aussi nouveaux, toujours aussi
cruels (jue le premier instant auquel elle
en fut asiaillie; pas un iuslunt, par consC-
qui'iil, où elle puisse dire dans l'enfer, je
souffre moins.
Sur la terre enfin, les plus grands maux
el les maux les plus désos[)érés ne sont ja-
mais sans quelque esjjùce de soulagement;
l'entretien d'une personne amie console, la
vue de quelque objet disirait, des réflexions
étrangères élèvent l'âme quelquefois au-
dessus dos sens; le sommeil arrête pour
quehjue temps du moins, et sus[)end le
sentiment des douleurs; mais dans l'enfer
rien de fout cela ne peut soulager une per-
sonne réprouvée ; point d'autre objet dans
l'enfer que ce feu ardent qui la tourmente;
j)oinl d'autre réflexions, d'autres pensées
dans l'enfer, que celles de son souverain
malheur el de ses péchés qui le lui ont pro-
curé ; |)oint d'autres amis dans l'enfer que
des réprouvés comme elle, qui souffrent
comme elle et avec elle; point d'autre so-
ciété (jue des esprits de ténèbres, que des
démons, autant de ministres et d'instru-
ments de la justice divine, uniquement ap-
pliqués, acharnés même à la tourmenter;
nul repos dans l'enfer; le feu agit avec trop
de violence et avec une trop constante ac-
tivité pour permt;ltre aux sens de s'assou-
pir; l'âme est tout appliquée à son mal el
en est tellement occupée que rien n'est ca-
pable de la distraiie de la pensée et du
sentiment de ses douleurs; pas un instant
par conséquent, où elle ne se dise à elle-
même: je soulfre infiniment dans cet enfer
el je suis sûre de n'y jamais moins souf-
frir.
Ah! Mesdames, faul-il que nous ne pa-
raissions insensibles que sur le seul objet
qui devrait exciter toute notre sensibil léet
nous causer les plus justes frayeurs. Eh
quoi! une légère douleur, présentement,
pour peu qu'elle soit de durée, nous de-
vient insupportable; quedis-je? l'appaience
même du mal nous effraye; nos regards
peuvent à peine se fixer sur une personne
infirme qui porte quelquefois empreintes
sur son corps les marques de ses infirmités;
le récit des soutfrances des autres nous
fait soulfiir nous-mêmes. Hélas ! celte lé-
gèie peinture (jue je fais ici des supplices
do l'enfer suflil peut-être pour blesser
notre délicatesse; que sera-ce donc (ie l'en-
fer lui-même '? Comment pourrons-nous
donc supporter ces su|)plices eux-mêmes?
Qui de nous, qui de vous pourra donc habi-
lirces brasieis éternels? (Via., XXXIII, H.)
Oui vous surtout, vierges clirétiennes, ce
qui doit vous faire redouter infiniment ces
tourments de l'enfer, ce sont ces titres de
chrétiennes el de religieuses, de disciples
et tout à la fois d'épouses de Jésus-Chrisî
que vous j)ortez; oui, ces titres si honora-
bles et si avantageux pour vous, ces litres
qui, dans les desseins de votre Dieu, doi-
vent taire loule votre gloire et tout votre
bonheur, ce sont ces titres augustes, si
vous veniez à les profaner, si vous vous en
rendiez indignes, (jui feront votre ignomi-
nie el tout vutre malheur dans l'autre vie.
Oui , eu caruclèie absulumeul ineffaçable
159
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
ICO
que vous nvcz reçu dans voire ba[tlôme et
(]an( vous no pouriioz pnr conàéquont vous
dépouiller luêmc au fond des enfers: oui,
ros onctions saintes qui auront plus d'une
fois consarré votre chair dans les sacre-
nienls (ie l'Kglise; oui, ce corps surtout, ce
corps ol ce ^ang adorable de Josus-Clirist ,
que vous aurez mille fois reçu dans le sa-
crement eudiarislique ; oui, cet dtat si saint
de la religion (|ue vous avez embrassé vo-
lontairement ut malgré de grandes opposi-
tions peut-être; ce saint habit que vous
avez paru si ardemment désirer, dont l'on
vous a vu vous revêtir avec autant d'em-
|)ressen)ent que de consolation; oui, ces
engagements sacrés que vous avez si haute-
ment contractés avec votre Dieu ; ces vœux
solennels c|ue vous avez [)rononcés en sa
présence et aux pieds de ces saints autels;
oui, ces grâces sans nombre et de toute es-
pèce que vous avez reçues ; ces moyens
puissants et infniis de perfection et de sa-
lut (jui vous ont été présentés, en consé-
quence de ces engagements et de ces voeux;
voilà, si vous venez à vous perdre, ce qui se
tournera contre vous; voilà ce qui formera
pour vous un enfer particulier au milieu
même de l'enfer; voilà ce qui vous fera
sonh;iiter d'être mises au rang du Juif et
de l'infidèle; mais voilà ce qui donnera de
l'aliment, pour ainsi dire, et une nouvt Ile
activité à ces flammes vengeresses de l'en-
fer pour augmenter vos tourments d'autant
de degrés (|ue vous aurez [ilus l'eçu qui; le
Juif et rii.lidèie et que vous aurez plus
éprouvé qu'eux les bontés et les miséri-
cordes irdiuies de votre Dieu. Mais piiur
vous donner une connaissance plus parfaite
encore de l'aifreux état d'une religieuse
réprouvée dans l'enfer, après vous avoir
montré combien elle est malheureuse par
les grands maux dont elle est tourmentée,
j'ajoute que ce qui la rend infiniment plus
malheureuse, c'est la jjrivalion du plus
grand de Ions les biens, qui est son Dieu ;
c'est ie sujet de la seconde partie.
SECONDE PAUTIE.
ans le ciel les plaisirs sensi-
Comnie n
blés que Dieu se plaira à communiquer à
ses élus et à ses épouses prédestinées sur-
tout et les qualités glorieuses desquelles il
revêtira leurs corps ne doivent faire ce-
pendant qu'une béatitude accidentelle ,
comme parlent, les théologiens, béatitude
infiniment inféiieure à la possession de
Dieu lui-même, dont elles seront assurées
pour toujours , ainsi les maux sensibles
(jue le feu de l'enfer fait soulfrir à celles
(jui sont réprouvées ne doivent être regar-
dés, quehjue terribles qu'ils nous parais-
sent, que connue leur réprobation acciden-
telle et qui n'est rien à leurs yeux, compa-
rée à la perle élernelle de leur Dieu, ce qui
a fait dire à saint Chrysostome que les ré-
pro\ivés sont infiniment plus tourmentés
|iar la [lensée des biens du ciel qu'ils ont
jierdus, que par 1^ sentiment des maux de
rci'fer (ju'ils se sont {uocuréj.; J'iur, coclo
torquentur qnmn igné. Dans nne malièro
des plus importantes^ fiu'on puisse traiter
dans les chaires chrétiennes, je n'emploie-
rai point ici, Mesdames, un style et wn
plan étudiés; j^ vais me bornera repré-
senter tout simplement à votre esprit trois
réflexions qui ( ccupent sans cesse, dans
l'enfer une religieuse réprouvée; plût à
Dieu que vous et moi nous voulussions
nous en occuper souvent, dès celte vie!
j'oserais bien assurer qu'elles ne seront
jamais dans l'autre le sujet do nos tristes
et infructueuses méditations. J*ai perdu
mon Epoux et mon Dieu : première ré-
flexion qui a commencé le désespoir de
cette religieuse réprouvée. J'ai ()erdii mon
Hpoux et mon Dieu |)ar nia faute : seconde
réflexion qui a augmenté son désesfioir.
J'ai perdu mon Epoux et mon Dieu pour
toujours: troisième réflexion qui a mis le
co;nble à son désespoir. Reprenons s'il
vous plaît, et suivez-moi.
I. J'ai [icrdu mon Epoux et mon Dieu et
en le perdant, j'ai tout perdu : première
pensée qui a saisi celte mauvaise religieuso
an moment oij le souverain Juge lui a
prononcé cette terrible et irrévocable sen-
tence: Relirez-vous de moi; chargée de, mn.
vinlcdiclion, (dlcz au feu éUtnel. {Matlh,
XXV, 41.) A peine avait-elle donné cette
personne, (juelques signes de connaissance
et de raison qu'on lui avait fait entendre et
qu'on lui avait ajipris à ()rononcer elle-
même , que son Dieu l'avait créée et niu-
quement créée pour lui; qu'il ne l'avait
mise pour un temps sur la terre qu'aliu
qu'elle l'aimât , qu'elle le servît , qu'elle Je
glorifiât par des œuvres suintes et qu'elle
pûl mériter |)ar là, de jouir élei'nellemenl
de lui dans le ciel; ces premiers éléments
de sa religion, imprimés tiès l'eiifanco
dans son esprit, avaient été fortifiés dans
la suite par des insiruclions plus étendues
ot par des réflexions |)lus suivies; elle sen-
tait bien et cent et cent fois, elle se l'était
dit à elle-même, que son âme était d'une
substance trop noble et d'uiie capacité trop
immense pour pouvoir être pleinement
remplie par tous ces faux biens qui l'envi-
ronnaient ; ce fut niême celle intime con-
viction qui l'engagea à renoncer absolumiMil
au monde , à tous les biens et à tous les
avantages du monde, et à se consacrer en-
tièrement et |)our toujours à son Dieu dans
la retraite; mais son ca'ur, livré dans la
suite au relâchement, à la dissipation , la
détourna bientôt de la voie <ie |)erfection
et de sainteté qu'elle avait choisie el lui fit
oublier les saints engagemenls qu'elle avait
si généreusemenl contractés avec son Dieu ;
après l'avoir une fois perdu, en perdant
par le jiéché la grâce sanctifiante, elle s'ac-
coutuuja insensiblement à celte perle; elle
s'y endurcit enfin par ditférentes rechutes
et n'en sentit jamais bien depuis l'impor-
tance ni les suites si funestes.
Mais quel changement à la mort! Quelle
surprise dans l'autre vie ! Cette âme dé-
gagée des liens de son cor|>s, délivrée de
ir,i lîlSCOLUS DE lŒ TKAITE. — TilOlSIEME JOUR. 112
loulos SOS passions, onlcvée <> tonlcs les f'-r, c'i'sl (jn'c l.'o voit, qu'elle est môme iii-
crc^;Uures, elle commît alors (i.iirailoiiu'iil, limonionl convaincuo (|ue c est uiiiquomeiil
celle âuio, qu'elle n'a jamais [)u avoir, el par sa faille qu'elle a pcr:lu son Die-!. Ui
(pi'elle n'a jamais «lu rechercher ni dési- n);ilheur qu'on n'avait pas pu (>révoir, ou
riM- par (Oiisétiiienl d'autre hien que son contre ie(|uci on s'tUail mis en garde, |)()ur
l)i(u ; ail I une (lùche violenuncni décocliée ainsi cire, par do sa>;;es précautions, n'(;>t
le fend pas les airs avec plus de rapidité, jamais, quand il arrive, sans (juelque es-
el une pierre, ilaiis sa chute, ne tend pas pece de consolai ion; c'en est une de pou-
avec plus de vitesse vers le centre de la voir rendre lénioignage aux aulres, el de se
terre, que celle âme ne leiu] vers son Dieu ; le rendre 5 soi-même, que si l'on est rnal-
lous les biens et tous les avantages d>Ma iieureux, on ne peut l'imputer à son impru-
lerro, Ions les trésors et loules les cou- dence, à son peu do prévoyance ; mais ètro
lonnes de l'univers lui seraient oiferles malheureux, et ne lôtre (jne parce qu'on a
alors, qu'elle les rejetterait avec mépris, négligé do se préserver de ce malheur;
connue incapables de la satislaire; c'est son mais être souveia inement malheureux, et
Dieu, son eélesle Epoux, son centre uni- ne l'être que parce (|ue l'on a fait volontai-
que et sa fin dernière qu'elle veut, el ce renient, de sang-froid el de gaielé de cœur,
n'est que son Dieu qu'elle veut; mais l'in- pour ainsi dire, tout ce (ju'ii fallait ()Our
fortunée se sent comme repoussée par une s'attirer ce souverain niallieur; voilà une
main invisible; plus elle fait d'elfoit pour des plus cruelles situations ipj'on. plii^so
s'a|)j.roclicr de son Dieu, et plus son Dieu imaginer : telle est celle d'uie religieuse
se pla ît à la rejeter; |dus elle veuts'éian- réinouvée dans l'enfer. J'ai i)U n'être pas
cer vers le séjour des bienheureux, et plus dans ce lieu de tourments, se dit-elle, et se
son Dieu se plaît à la replonger dans les dira-t-elle sans cesse, j'ai |)u posséder dans
llammes de l'enfer. le ciel mon Dieu, mon unique et céleste
Ahl si cette âme pouvait au moins no Epoux, j'ai pu me procurer une des [ive-
plus aiiner ce Dieu qui ne veut plus d'elle : mières places dans son royaume; en qua-
mais non, |)Ius elle s'en voit haïe et dé- liiô de son épouse, il me l'avait destinée; jj
lestée, et plus elle se sent coitinie naturel- l'ai pu, et je ne l'ai pas voulu!
leiiient porter à le reclieiclier et à s'alla- Oui, je l'ai pu. Ahl toutes les grâces qui>
cher à lui. Ah I si cette âme ainsi rejetée de i^on Dieu lui a faites, dans tout le cours do
sou Dieu i)Ouvait se dérober entièrement à sa vie, et depuis surtout qu'elle était entrée
sa vue, et se tenir pour toujours loin de dans le saint état de la religion, et qui se
lui: mais non, en vain a|>pelle-l-elle la présentent sans cesse à son esprit, peu-
mort à son secours, en vaui conjure l-elle venl-elles ne pas arracher d'elle cet aveu
les collines et les montagnes de la sous- si humiliant el si déses|)érant tout cnsom-
traire pour toujours aux yeux et à la co- ble? Saintes penséas, bons mouvements, re-
lère de son Dieu, elle en sera, à la vérilé, proches intérieurs, inspirations et sollicila-
toujours assez éloignée pour ne pouvoir lions secrèles, pi'juses lectures, exemj)le.3
faire son bonheur, de sa présence, mais il éd fiants, conseils salutaires, touchantes
lui sera toujours sullisamuienl présent, pour exhortations, sacrements reçus, confessions
lui (aire sentir, |iar une vive impression de et coniinunions fiéquentes, saintes retrai-
tes perfections inlinies, tout ce (pi'olle a [e>', et tant do fois répétées, tant do giâ-
perilu, en le perdant. Ame criminelle, lui ces, de se(0tirs s|)irituels, tant de moyens
dira t-il, dans ta colère, é()Ouso ingiale et do sanctification et de touio espèce, dont
intidèie, jet'avais |!ar une miséricorde toute une partie aurait sulli peut-ôlre au salut
s[)éciale donné lous les moyens de. t'alta- d'un grand nombre d'autres, elle voit, mais
cher à moi et do me servir, et les moyens avec la i)lus exirême douleur, qu'elle les a
tout à la fois les plus propres, les plus efli- négligés, méprisés, profanés, et ([u'elle en
caces elles plus aiiondanls; tu les as négli- a fait autant d'instruments de sa réproba-
gés, tous ces moyens de salul; tu n'as [las lion; elle connaît, mais trop lard, cette re-
voulu me servir et m'aimer dans le temps, ligieuse infidèlle, combien elle a été peu
lu chercheras, mais en vain, à m'aimer raisonnable non-seulement de ne pas se li-
dans l'éternité; lu as refusé de jouir de vrer elle-même à la piété, à la pratique do
moi dans le séjour de ma gloire, ingrate ses devoirs et de ses observances, mais en-
ci insensée, tu n'oublieras ce[)end;uit ja- core de censurer, Je railler colles do ses
mais ton Epoux, et qu'en cette (jualilé, je sœurs (pii montiai 'ut de l'exacliiude à les
devais être Ion uni(iue el la souveraine observer. O insensées ([uo nous avons été,
béatitude, el jamais, jamais je ne ferai ton ne peut-elle s'emiièclier de dire aux com-
honlieur. Ah ! Mesdames, pour comprendre pagnes de ses dissipations, et aux coinfilices
tjute la douleur el tout le désesiioir d'une do ses égarements, ô insensées! nous t ai-
âme qui se voit ainsi rejelée sans n.iséri- lions d"esprils faibles, nous regardions
corde d'un Dieu qui devait faire tout son comme des âmes sinijdes, celles do nos
bonheur dans le ciel , il faudiail, selon la sœurs qui, sincèrement utlachées à nolro
pensiie de saint Bernard, connaître [larfai- saint état, se rendaierii lidèles à ses plus
lement tout ce qu'est ce Dieu qu'elle a per- petites pralipies, à ses [ilus légères ob-
iiu : Tanta pœna, quanliis ipse. servancis; mais qu'e les ont montré di»
il. .Mais cequi augmente encore le désos- raison et de sagesse, ces religieuses fei-
po.r de celle redgieuse répiouvée dans l'en- ventes, et ijue notre imp.rudeuce, notre Ïj
1G3
ORATELiRS SACRES. LABBE DE MONTIS.
i(il
lie a été grande de ne pas marcher constam-
nien', à leur exemple, dans les sentiers si
aimables (ie la justice et de la perfection, aux-
quelles nous nous étions vouées, comme
elles !
Mais à tous ces moyens de salul négligés,
pour augmenter la douleur et le désespoir
de cotte religieuse réprouvée, se joignent
tous les péchés qu'elle a osé commettre
contre son Dieu. Sur la terre, outre qu'on
ne connaît jamais parfaitement la naturedu
|)éclié, on ne se rappelle jamais entièrement
tous ceux qu'on a eu le malheur de com-
mettre; ils se succèdent les uns aux autres,
dans l'exécution, il en est h peu près de
même pour la mémoire; les péchés d'un
jlge font oublier, pour l'ordinaire, les pô-
ctrés de l'ilge qui a précédé et ceux-mfimes
qu'on ne peut se dissimuler è soi-même,
ne tûche-t-on pas^ le ()lus souvent, et jus-
qu'au sacré tribunal quehjuefois, justjue
dans la déclaration sacramentelle qu'on en
l'ait, de les cacher, de les déguiser du moins,
d'en diuiinuer la malice et l'énormité.
Mais dans l'enfer, il n'en peut être ainsi :
tous les péchés que cette personne, cette
religieuse aura con)mis dans le cours d'une
vie des plus longues peut-être, se (irésen-
lent h son es|)rit, raa's ils s'y [)résentent
pour la tourmenter, comme ils se sont pré-
sentés à elle au lit de la mort, et (Micoro
plus, comme son souverain .luge les lui a
re()résentés lorsqu'il l'a citée à son redou-
table tribunal, c est-à-dire qu'elle les voit
tous; il n'en est aucun qui échappe h sa
mémoire; elle les voit tous enseaible; il
n'en est pas un seul qui ne fasse une vive
impression sur son esprit; elle les voit tous
et continuellement; elle ne peut un ,seul
instant se distraire d'une vue également
affreuse et humiliante; elle les voit tous
avec toute leur laideur et toute leur dilfor-
milé; elle ne peut plus, comme autrefois,
les pallier, les cliangcr, les excuser.
Ahl Mesdauies, rendons encore ici hom-
mage à la justice de noire Dieu ; car, eidiii,
telle est sa bonté pour nous présentement
que nous ne pouvons commettre un seul
péché qu'il ne soulève aussitôt noire cons-
cience contre nous-mêmes, alin de nous
engager |)ar là, à le détester ce péché, à en
faire pénitence; mais ono faisait sur la
terre cette religieuse intiiièle? Au lieu de se
servir de ces troubles de l'âme, de ces re-
proches intérieurs, de ces remords salu-
taires, |)our sortir de son étal d'inlidélité,
voulant toujours pécher, satisfaire toujours
ses penchants naturels, elle cherchaii, au
contraire, à dissiper ces troubles, à f.iiro
taire ces reproches, à étoull'or ces remords,
et peut-être, en clfet, à force d'inobservan-
ces, d'intidélités, de chutes et de rechutes,
élait-elle parvenue à se procurer cette fu-
neste |)aix, cette all'ieuse tranquillité; mais
dans l'enfer, bien loin de pouvoir se procu-
rer une pareille satisfaction, tous les |)échés
qu'elle a commis, tous ceux qu'i Ile a l'ait
commettre aux autres, par sa ((uiduile, par
ses propos, par ses conseils, tous ces scan-
dales qu'elle a causés dans sa comrannau'é,
ces relâchements qu'elle y a introduits, et
qui y auront subsisté plusieurs années,
plusieurs siècles peut-être après sa mort,
voilà ce qui se présente et ce qui se |iré-
senle-ra sans cesse à son esprit pour la cou-
vrir de confusion et de dése'^poir; c'est là
ce ver de la coii'^cience , ce ver ron-
geur qui ne raeuit jamais, dit le Fils de
Dieu : Vermis non moritur. {Marc, IX .
'••5.} Voilà ce qui la désespi'rera, ce qui i;i
tourmentera sans cesse, voilà ce qui déso-
lera, ce qui désespérera tous les réprouvés,
ce qui armera les unes contre les autres
toutes les religieuses inlidèles et prévarica-
trices d'une même maison, d'une même
communauté; toutes ne seront occupées,
dans l'enfer, qu'à s'accuser mutuellement,
qu'à se reprocher, les unes aux autres, leurs
coupables facilités, leurs conseils perni-
cieux, leurs complaisances criminelles, leurs
exemples scandaleux; plus elles auront été
unies dans le mal sur la terre, et [lus elles
seront .divisées, et se détesteront dans
l'enfer.
III. Mais celle triste, celte affreuse situa-
tion d'une religieuse dans l'enfer, combien
durera-t-el!e? N'y aura-i-il pas un temps,
un Jour 011 elle pourra se flatler d'avoir en-
lin expié ses péchés et d'avoir satisfait à la
justice de son Dieu, d'être rentrée en grâce
auprès de lui? Non, Mesdames, et voilà
môme, à parler [)roprement,,ce qui fait son
enfer. Vous avez, sans doule, été effrayées
de ce déluge de maux qui doivent inonder
son âme et son corps, mais on peut abso-
lument les souffrir tous ces maux, sans être
enseveli dans l'enfer; vous avez compris
quel grand mal c'est d'èire séparé d'un
Dieu qui doit l'aire l'unique béaliludi; de
l'âme, mais, sur la terre le péi lié mortel ne
fait-il pas, en quelque sorte, ce divorce,
cette séparation de l'âme d'avec Dieu? Ainsi,
soull'rir tous les maux imaginables, et do
plus, la perte de î-on Dieu, c'est déjà un
grand malheur ; souifrir tous ces maux et
la perte de son Dieu, uni(|uement par sa
faute, c'est un malheur [dus grand encore;
mais souffrir tous ces maux et être sûr de
l'avoir ()erdu pour toujouis, voilà ce qui
met le ci)mble au désespoir de celte mal-
heureuse réprouvée, et voilà encore une
fois, ce qui fait son enfer; celte seule pen-
sée, j'ai perdu mon Dieu, mon céleste
époux, mon tout, pour l'éternité, la lient
dans une désolation , dans un désespoir,
dans une fureur qui, sans cesse, lui fera
souhaiîer sa destruction et son anéantisse-
ment, quoique toujours assurée de i/ètre
jamais détruite ni anéantie.
O éternité, éternité! Quel lerme pour
une personne chrétienne et religieuse, pour
une é[)0use de Jésus-Christ dans l'ei.fer!
Quelle vue! quelle réllexionl Ne vous al-
toiidez pas. Mesdames, que je vous en
donne ici une idée parfaite de cette élei-
nilé;clle ()articipe, eu quelque sorte, à
l'infinité de noire Dieu dont elle est un des
allribuls, elle est [>ar conséiiueiit iucom-
DlSœunS DE RETRAITE. - TROISIEME JOUR.
pr'Mipnsihlc comme lui; nîi 1 les Ames qui
enresscnlenldès h présent tout le poids, ne
1.1 compreiineiil p.TS et ne la comprendront
jamais; faites tionc telle supposition, telle
comparaison qu'il vous plaira; comptez, si
vous le pouvez, tout ce qui peut se comp-
ter dans l'univers ; mcltez tous ces nom-
bres ensemble, ajoutez et mulli|»liez les
uns par les aiilres, ajoutez cl multipliez
encore, l'imasination s'égare et se conloiid;
puis, dites-vous à vous-mêmes, ce n'est
))oint là l'tHernilé, parce que tous ces nom-
bres, quelqu'immenses qu'ils soient, tiiii-
raient, et que i'élernilc n'aura point de tin;
parce qu'une persoiuie réprouvée pourrait
épuiser, eh, que dis-je 1 parce qu'elle épui-
sera en efTei tous ces nombres et mille et
raille fois plus encore, et que son éleriiiié,
bien loin d'être terminée, sera pour elle
connne si elle ne faisait que commencer.
Arrêtons-nous Ih, Mesdames; mais avant
de terminer ce discours, faisons enseuji)le
quelques réflexions dont je m'assure que
vous sentirez toute la vérité : il est donc
une éternité malheureuse; il est donc
un enfer; je croirais faire une injure h vo-
ire foi de vous soupçonmT môme d'en dou-
ter; pour mériter celte éternité njalheu-
rcuse, cet enfer, un seul péché mortel suf-
(il, autre vérité aussi constante et do la-
quelle vous êtes également convaincues;
vous avez péché, vous en particulier cpii
m'écoutez. et peut-être beaucoup péché ;
je vous renvoie sur cela au lémuignage do
votre consiience; vous avez donc mé-
rité l'enfer, conséquence nécessaire et
que vous avez tirée vous-même toutes les
fois que vous avez osé olfenser grièvement
»olre Dieu ; mais ce qui est plus triste en-
core c'est que, sûre d'avoir mérité l'enfer
par vos péchés, vous n'avez aucune certi-
tude de ne le plus mériter, parce (jue quel-
ques signes de douleur que vous ayez don-
nés par le passé, ou que vous puissiez don-
ner à l'avenir, quelque pénitence que vous
ayez faite ou que vous vous proposiez de
faire encore, vous ne pouvez être jamais
absolument certaine des dispositions de
votre cœur, ni jamais pleinement assurée
par conséquent du |)ardon de vos péchés.
Mais je dois vous dire quelque chose
d'aussi certain et de |)lus terrible encore; et
Bûallieurà moi, si j'ajoutais ici un seul mot
aux vérités évangéliques que je vous prô-
cliel mais malheur également à moi, si
j'eiitre|irenai> de ks alfaiblir ou d'en rien
lelranuher! c'est que i)our mériter celle
éternité malheureuse, cel enfer, il n'est pas
nécessaire de commeltre le mal, il ne faut
que ne jias laiie le bien. Oui, Mesdames,
ui.e vie molle el sensuelle a sulfi pour faire
I éprouver le mauvais riche; une vie indu-
lenle el paresseusea causé la perte du servi-
teur rjui avait enfoui son talent: il faut agir,
en un mol, pour se sauver, il faut accomplir
tlaccomplir constamment les piécep es du
Seigneur et ceux de son Eglise, les engage-
lueiilsde son baplêiue, les devoirs de son
«îiat; outre ces ublii^ations essoulielles coiu-
iôG
munesà tous les chrétiens, \1 faut, pour une
religieuse, pour une épouse do Jésus-Christ,
observer exa;temcnl les vœux sacrés qu'elle
a prononcés, nu pied dos saints autels, et
dont les moindres infractions offensent tou-
jours le Seignour; elle doit vivre el persé-
vérer conslammeni dans un renoncement
réel et sincère au monde; à tous les biens,
.'i tous les avanlages qu'offro le monde; elle
doit mener une v e recueillie, intérieure,
mortifiée; elle doit en un mot, porter sa
croix, mais la porter tous les jours, comme
Jésus-Christ, el d'après Jésus-Christ son
chef, son époux el .«on modèle. Voilà vos
obligations h toutes, Mesdames : or jugez
sur "cela, si tout ce que vous faites, c'est
précisément tout ce que vous devez faire; si
Dieu vous citait, dans ce moment à son tri-
bunal pour disciiler toutes vos œuvres,
pour vous examiner sur lous vos devoirs do
chrétiennes et de religieuses, et pour dé-
cider, par \h, de votre destinée éierneile,
pourriez-voiis vous flalter de trouver grAce
auprès de lui? Qu'en pensez-vous.? Je ne
veux encore ici d'aulrejugeque vous-mêmes.
Ali î Seigneur, si je veux en effet rélléchir
sérieusement sur moi, quel sujet de confu-
sion el de crainte! Si je veux tourner mes
regards vers les temps |)assés, sur les années
(le ma jeunesse surtout, que de fautes qui
ont raérilé l'enfer 1 Mais quand je les aurais
expiées toutes ces fautes, par une sincère
pénitence, ne le mériterai-je plus, cel enl'er?
Vivé-je présentement et dans mon saint
élal, de façon h vous plaire et à compter
sur vos récompenses éternelles? Hélas Ijo
suis si attachée à mes aises, h ma liberté,
à moi-même; comment pourrais-je donc
supporter les flammes de l'enfer ? Comment
puis-je donc m'exposer à m'y trouver ense-
velie un jour el [)Our toujours? C'en eslfaii,
ô mon Dieu, je suis bien résolue de no plus
risquer ma destinée éternelle; pour évitée
do descendre après ma mort dans les jtri-
soiis de l'enfer, je suivrai l'avis de saint
Bernard; j'y descendrai souvent en es|)rit
pendant la vie; au lieu de rejeter celle vé-
rité des suji[)lices éternels, lorsqu'elle se
présentera à mon esprit, j'y penserai, je la
méditerai souvent et surtout lorsqu'il se
trouvera quelque occasion, quelque tenlalio'i
de manquera rues devoirs et de vous offen-
ser; je me demanderai alors, ce que se de-
mandait un ancien solitaire, si celle action,
si ce péché vaut bien une éternité de sup-
plices, et si je me sens assez de force et de
courage, pour habiter ces brasiers éternels ;
pensée salutaire; elle a ()euplé autrefois les
déserts, elle m'a fait renoncer moi-même
au mor.de et à lous les biens, à lous les
avantages (jue m'ollrait le monde; faites
encore, ô mon céleste é()Oux, par votre
giAce, (pi'tdlo me soutienne désormais, dans
la |lrati(^ue de mes devoirs et contre tous
les assauts des ennemis de mon salut; faites
qu'elle nie fasse persévérer le reste de m s
jours, dans voire service et dans votre
amitié; heureuse persévérance qui, aj»rês
m'a voir préservée du plus grand de lous les,.
167
ORATLUKS SACi'.KS. LADUE DK MdNTIS.
!f)8
ir,;uix qui est l'enfer, me procurera inf.iil-
liblemeul le plus grand de tous les biens,
qui est le séjour de voire gloire éternelle.
Ainsi soit-il.
QUATRIÈME JOUU.
l'ri'iiiii r (lisc'oiii's.
SUU LA COMMUMON.
Qui manducal nieam carncm et. bibit nioiitn saiignineni,
in nie manel et eyo in eo. (Jo m., \ I, '<! .}
Ci'lui qui iiiaïuje. ma cluiirct qui boit inc!is:iiig, demeure
en moi et moi en lui.
Quel avantage, et lont à la l'ois, quel
lionneui' [)0ur nous. Mesdames! Ce Dieu
toul-pnissanl qui, par amour pour nous, a
quitté le sein de sa propre gloire, qui est
venu sur la terre liiiljiter parmi nous pour
nous délivrer de l'esclavage du démon et
du péché, et pour nous [trocurcr l'entrée
dans son royaume élernel, ce môme Dieu,
peu content de s'ôlre livré aux souilVances,
rit à la mort, pour nous sauver, et pour
liuus soutenir contre les ennemis de notre
salut, a voulu de pins, en nous donnant sa
propre chair à manger, et son propie sang
à boire, être non-seulement avec nous,
uiais encore au dedans de nous, et que
nous lussions également nous-mêmes avec
lui et dans lui : Jn me manel et ego in eo.
Quelle libéralité! Quelle bonté!
Mais ce que nous devons admirer ici,
c'est bien moins la bonté de Dieu [)Our les
hommes, que l'aveuglement et l'ingratitude
ues hommes envers Dieu. Que de chrétiens
dans le monde négligent de se procurer un
aussi grand bien ; combien qui n'apjjrochent
jamais ou que très-rarement du la table
sainte! Combien d'autres qui s'y présentent
dans des dispositions criminelles ou [)eu
pro|.res à les taire participer aux elîets sa-
lutaires qu'elle devrait produire dans leur
cœur! Vous avez, vous. Mesdames, le bon-
heur de recevoir souvent ce Dieu Sauveur,
votre céleste éjjoux, par la communion;
vous regardez même cet avantage, comme
un des plus considérables que vous piocure
voire saint état; vous vous appliquez, de
plus, à le lecevuir dans des Uis[)Ositnjns
jiropres à lui plaire, <'t à participer à ces la-
veurs. Pour vous conlirmer dans ces })ieux
sentiments, pour faire croître môme dans
votre cœur le désir de la communion, et
d'une sainte comumnion, j'entreprends,
dans ce discours, de vous l'aire connaître
tout le prix du bientait eucharistique, et de
vous indiquei' les moyens d'y j)urliciper
dignement et avec l'ruil. Eu deux mots :
les avantages que la Lomniunion procure à
une religieuse ; ce sera le sujet de la |)re-
mière partie. Les dispositions dans les-
quelles doit être une rehgieuse, })ar rap[iort
à la communion; ce sera le su|el de la se-
conde [lurlie. lioiiorez-moi, s'il vous olaît
de louie voire attention. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
C'est une vérité , Mesdames, dont nous
ne pouvons disconvenir, et qui n'est que
trop loiidée sur l'exfiérience, que Ions, mal-
■iieureuse uoslérilé d'Adam, dans tout, nous
nous nous rt'cherchons nous-mêmes, nous
retombons con ti nu el lemeiit sur nous- m.ê m es,
nous rapportons tout h lious-mèmes, c'est là
cet amour désordonné de nous-n)êmes
qu'un Père de l'Eglise appelle avec raison
le premier vivant et le deriiier mourant,
et qui lait courir avec tant d'ardeur les chré-
tiens du siècle après les honneurs, les ri-
chesses, les plaisirs et tous les avantages
que le monde possède, qu'il oO're à ses par-
tisans, parce qu'ils les regardent faussement
comme de vrais avantages capables de les
rendre heureux. HêlasI Ce n'est pas seule-
ment au milieu du siècle que règne cet
amour excessif de soi-même; jusque dans
les états les plus opposés ii l'esprit et aux
maximes de ce monde corrompu, jusque dans
l'état de la religion el parmi les épouses de
Jésus-Christ, il règne et s'y manifeste sen-
siblement quelquefois. Combien en ellet
qui, afirès avoir renoncé solennellement au
siècle, à la gloire, aux honneurs du siècle,
se livrent h dessenlimenls d'orgueil et d'am-
bition, qui ne peuvent souffrir d'être mé-
prisées, d'être oubliées, qui cherchent l'es-
time et les louanges, qui tiavaillenl à S'i
procurer les |)remières places et des em-
plois qui les distinguent !
Combien encore qui, après avoir fait un
sacrifice des biens et des richesses de la
terre, s'altachinl à des objets qui, pour ôlra
[leu considérables en eux-mêmes, ne lais-
sent pas d'occu{)er leur cœur, et qui, par lii,
leur tiennent lieu des pins grandes riches-
ses. Quel aveuglement ! Quelle folie! dans
un état d'abaissement, d'humilité, qu'elles
ont embrassé, elles recherchent des hon-
neurs, mais des honneurs faux et trompeurs,
peu proportionnés à Ja noblesse de huir
âme et au titre honorable qu'elles portent
de chrétiennes et d'épouses de Jésus-Christ.
Dans un élat do dénùment, de pauvreté,
elles s'attachent à des objets fragiles el pé-
rissables, incapables de remplir leur cœur
uniquement créé pour [lOsséder un bien
inlini el éternel tout ensemble.
Or je viens ici, Mesdames, vous faire
connaître et vous proposer un moyen et un
moyen sûr de vous préserver de ces mau-
vais ell'ets de i'amour-propre ; un moyen sûr
de vous aimer raisimnablement et sainte-
ment vous-iuêmes, de vous procurer tout à
la lois des honneurs et des richesses, mais
des honneurs et des richesses vraies, soli-
des, dignes des épouses de Jésus-Christ :
c'est de recevoir ce Dieu Sauveur dans la
communion. Oui, Mesdames, et peul-ôire
n'avez-vous jamais fait ces réllexions; tou-
tes les fois que vous approchez de la table
sainte, vous y recevez véritablement voue
Dieu, le Créateur du ciel et de la terre, cet
Être souverain, le Maître absolu de tous les
ôlres ; quoi de plus grand, de plus honora-
ble pour vous 1 Toutes les fois que vous
approchez de la table sai ite, vous y recevez
votre Dieu, mais un Dieu plein d une bonlé
et d'une libérable intinie, disposé à répan-
dre sur vous ses grâces el à vous combler
de ses bénédictions. Quoi de plus iniéres-
169
DISCOURS DK UETIIAIT
s.niit. de plus nv,Tn(,igeii\ pour voiisl Ainsi,
pnr la ooninuiiiion, vous roccvcz un Dieu
(riino graïuieiir et d'iino majeslé infinie ;
voilà voire élévalion, voilà voire s'oire. Par
la communion, vous recevez un Dieu d'une
bont(5 et d'une libéralilé infinie; voilà voiro
avantage, voilà voire Irt^sor. Pdnétroz-vous
<)e CCS deux grandes vérités; elles sonl bien
propres à vous inspirer un désir ardent de
recevoir souvent et de recevoir sainlement
Jésus-Cbrist dans l'eurliarislie.
I I. Je dis, en premier lieu, que par la
communion vous recevez un Dieu d'une
grandeur et d'une majesté infinie. El d'a-
bord, Mesdames , pour vous mieux faire
connaître Imil le prix du bienfait eucliaris-
lique, avant de vous le faire considérer en
lui-même, je dois remonter [)lus haut et
vous rappeler dans quelles circonstances il
a été institué, ce grand bienfait ; elles servi-
ront à vous faire comprendre, avec tous les
saints, comme le dit l'apôtre saint Paul, la
liautcur, la profondeur et lotîtes les dimen-
sions de la cliarilé de Jésus-Christ envers
les îiommes. (Kplies., III, 18.) Vous le savez,
ce Dieu Sauveur, aj»rôs avoir rpiiMé, par
amour pour nous, le sein de sa propre
gloire, après êlre descendu du ciel en terre
pour nous sauver; (\\H-es y avoir vécu pour
nous dans les humiliations et dans les
souffrances; dans le temps qu'un de ses
apôtres a déjà conçu dans son cœur le projet
(le le livrer h ses ennemis; prêt d'être livré
en eifel par eux à la mort et à une mort tout
à la fois la plus ignominieuse et la plus
tnieUe ; son amour, son ardent amour pour
ijous, qui n'était point satisfait encore, lui
fait trouver le mo^'en admirable de retour-
ner au ciel vers son Père, et de demeurer
cependant sur la terre parmi nous; il n'hé-
site pas, pour cela, de forcer, pour ainsi
dire, toutes les lois de la nature, et de faire
violence à tous les êtres ; par un prodige,
par le plus grand de lous les prodiges, qui
avait besoin de toute la sagesse d'un Dieu
pour être conçu, et de toute sa puissance
pour être opéré , il change du pain en son
pro[)re corps, et du vin en son propre sang,
afin non-seulement d'être tous les jou/s
avec nous, mais encore de se faire lous les
jours lui-môme, si nous le voulons, notre
iiourriluro spiriluelle.
Voilà ce qu'est lu sacrement eucharis-
tique; c'est là, c'est d.uis ce sacremenl
adorable, que ce Dieu Sauveur se lient, et
(|u'il se tiendra pour nous jusqu'à la fin
des siècles ; qu'il s'y tient dans l'étal le
plus vil, le plus humiliant, presque anéanti
sous les es|)èces d'une substance qui
il'existe plus, (|u'il s'y tient exposé aux
mépris et aux injures; ah 1 que dis-je, qu'il
y souffre tous les Jours les mépris et les in-
jures, je ne dirai pas seulement de ses en-
nemis et des ennemis de son Eglise, mais
de plus, de ceux (|ui loiil piolession d'être
ses tlisciples cl ses ministres mèiue quel-
<\wjlo\s. AJais , Mesdames, ce Dieu, toul
anéanti qu'il vous paraît suus les espèces
•acramentellcs , c'est cependant ce Dieu
OhaTKLBS SACRl-S. l.XVIU.
E. — QUATRIEMK JOUR ilif
loiit-puisssDl qui, d'une soulo parole, a <;rért
le ciel et la terre, et qui, d'une seule pa-
role, peut les faire rentrer dans le néant
d'où il les a tirés; c'est ce Dieu, maîtreab-
solu des hommes et des anges", que vous
recevez au dedans de vous, toutes les fois
que vous approchez de la sainte table.
Dans les autres sacrements, il se Itorne à
vous communiquer sa grAce; mais dans
celui-ci, c'est non-seulement la grâce que
vous recevez, mais l'auteur lui-môme de la
grâce qui veut bien se donnera vous; co
ne sont pas seulement les dons et les bien-
faits de Dieu que vous y recevez, c'est
Dieu lui-môme, avec ses dons et ses bien-
faits : quelle gloire I quel honneur pour
vous I Ah I Mesdames, si votre souverain,
votre roi daignait entrer dans votre sainte
demeure, et cela uniquement pour vous y
voir et s'y entretenir avec vous, pour vous
donner, par là, des marques spéciales de
sa protection et de son attachement, vous
regarderiez avec raison cette déuîarche do
voire roi comme une marque de distinc-
tion des plus honorables et des plus flat-
teuses pour vous, digne d'en Iransmellro le
soutenir à celles qui viendraient après
vous ; cependant que serait, dans le vrai,
celle visite dii (irince ? A quoi se borne-
rait-elle? A vous honorer, quelques mo-
menis, do sa présence; lout au plus, à
joindre à celte faveur quelques grâces,
quelques bienfaits, médiocres après tout
en eux-mêmes, et qui ne deviendraient
considérables pour vous qu'à raison de la
majesté du prince duquel vous les auriez
lyçus ; mais dans la communion, ce n'est
point un prince, un souverain de la terre
qui vous honore de sa visite, c'est le Maître
lui-même des souverains de la terre, lo
lloi des rois, c'est votre Dieu lui-môme qui
vient à vous, qui ne se borne pas à vous
honorer, quelques instants , de, sa pré-
sence, mais qui va jusqu'à se donner à
vouj, jusqu'à entrer au dedans de vous,
jusqu'à s'unir à vous de l'union la plus
étroite et la plus excellente; union si ex-
cellente (jne, comme le dit Jésus-Christ
lui-aiôme, toutes lesfoisque nousie recevons
dans la communion, il demeure en nous et
nous demeurons dans lui : Jn me manei
cl ego in eo. Union si excellente que,
selon l'expression de ï'erlullien, notre âme
se nourrit et s'engraisse de son Dieu, toutes
les fois que notre chair se nourrit du corps
el du sang de Jésus-Christ : De Dec ani-
ma saginaiur. Union si excellente que par
elle, dit saint Cyrille, noire chair devient
la chair de Jésus-Christ, notre corps le
corps de Jésus-Christ ; Unum Chrisli corpus.
Union si excellente que, selon la pensée
d'un autre Père de l'Eglise, elle nous fait
entrer ew communication, en participation
de la nature de notre Dieu; que nous deve*
nous, en quelque sorte, des dieux nous-
mêmes ; Deiformes nos reddil. Vo4là, Mes-
dames , l'honneur el la gloire que nout
recevons par la communu)n cl juir une
seu'le conruanion,
&
171
ORATr':iJRS SACRES. LARRE DE MONTIS.
172
O mon Diou 1 qu'esl-ce quo IMjoinmo pour
(]uo vous daigniez vous occuper ainsi de
]ui, l'honorer aussi fréquemment et aussi
intimement de votre présence? Quoi!
l'Eglise regarde avec étonnement que vous
jiyez voulu liabiler quelque temps le sein
(le la i)lijs pure etdc la plus sainte de toules
les vierges 1 A qui'is senliraeuls d'adaiira-
lion et de reconnaissance ne devons-nous
donc pas nous livicr, lorsque nous vous
voyons toujours dispcjsé à habiter au milieu
de nous et au dedans de nous, viles et mé-
prisables créatures ; à vous unira nous de
l'union la plus excellente et la plus par-
faite? Mais ce qu'il y a de plus essentiel
pour vous, Mesdames, ce qui doit vous faire
admirer l'ardeur de l'amour de votre Dieu,
do votre céleste époux pour vous et vous
j)énétrer de la plus vive reconnaissance,
c'est que cette union de Jésus-CInist avec
vous [lar ia communion n'est pas seule-
ment inliniment honorable pour vous, mais
qu'elle vous e:^t do plus infiniment avanta-
geuse, paice que si vous y recevez un
Dieu d'une grandeur et d'une majesté in-
linies, vous y reccivrez de plus un Dieu
d'une bonté et d'une libéralité infinies.
H. Plût 5 Dieu, Mesdames, qu'il me iùl
donné de vous faire connaître parfaitement
tous les biens et les grands biens que votre
céleste époux prodigue h votre âme, par la
sainte communion ! Hé I (lui pourrait jamais
les exprimer? C'est un Dieu, dit saint Au-
gustin, qui, quoique toul-[)uissaiit, n'a pu
vous donner rien de plus : Plus dure non
potuit ; c'i;s[ un Dieu (lui, quoique rempli
d'une sagesse inliiiie, n'a j)u imaginer rien
de jilus avantageux pour vous : I^/us dure
tiescivit. C'est un Dieu qui,(pioique iiiliiii-
nieiit riche, n'a eu rien de plus à vous don-
ner : Plus dure non habuit. Ah ! pouvait-il,
dit saint Bernard, nous donner rien du
meilleur que lui môme? C est dans ce sa-
crement en elfot, qu'en se communi(iuant
ù une de ses é()ouses surtout, il la fortilie
en lui communiquant tous les secours prn-
jires à conserver et à augmenter sans cesse
dans elle la vie de la grAce, et qu'en môme
lemjis il l'encourage et la console dans tou-
tes les peines et les diilicultés inséparables
de cette vie mortelle, et qu'elle rencontre
dans l'ouvrage de sa [)erfection et de son
salut; ainsi^ Mesdames, grâces de secours
et grâces de consolations; mais secours les
plus puissants, mais consolations les plus
solides, voilà ks grands biens, les inesti-
niabies avantages que procure toujours une
sainte communion.
Je dis, secours les plus puissant^: hélas l
vous le savez, et vous l'éprouvez comme le
reste des mortels; dans ce lieu de notre
exil nous avons tous à nous soutenir con-
tre des ennemis redoutables; les états mô-
me les plus saints, les épouses elles-môines
de Jésus-Christ, jusque dans le fond de leur
solitude é|)rouvent leurs attaques et se
trouvent exposées à leurs tentations; le
monde, ce monde pervers qu'elles ontaban-
douné avec tant de courage pour évilei de
pariiniper à sa perversité, vient quelquefois
les distraire jusque dans leur solitude, et
leur débiter ses pernicieuses maximes ; le
démon, ce serpent internai, .qui, comme le
(lit ra()ètie saint Pierre, tourne sans cesse
autour de nous pour nous dévorer, plus il les
voit occupées <i se sanctifier, ces vieiges
chiélieiHKîs, plus il leur tend de pièges
el. fait (i'eU'oils pour les |)erJre; elles-mô-
mes quehiuefoiss'unissent à ces deux grands
ennemis de leur salut, en cherchant è sa-
li>fairc leurs inclinations natuielles, en se
livrant à l'immorlilication, à la lâcheté, à
!a nvllesse; fiar là, insensiblement leur es-
prit s'aveugle jiarles |)réjugés, el leur cœur
se dérègle par les intidélités; pDur se sou-
tenir contre tant de dangers, [lour résister
à des ennemis si redoutables, et tout en-
semble aussi acliarnés à leur perte, de
quelles armes n'ont-elles pas besoin 1 Elles
les trouvent, vous les trouvez. Mesdames,
dans la communion; ce sacrement euL-ha-
ristique est non-seulement un remède qui
achève de vous guérir des plaies que le
péché aurait pu faire à votre cœur, et uii
feu qui vous puritie de ce qu'il pourrait y
avoir encore en vous d'imparfait aux yeux
de votre céleste époux iJynis consumens;
mais, comme le dit le saint concile de
Trente, c'est de plus un antidote excellent,
propre à vous préserver à l'avenir de tout
péché, et surtout des péchés qui donnent la
mort à l'âme; c'est un pain qui vous for-
tilie : Pajiis confortans, qui vous soutienl
dans vos faiblesses, qui vous donne la fore
de re[)Ousser les ennemis de votre salut,
qui vous fait remporter sur eux d'éclataii-
les victoires, qui vous excite puissamment
à la pratique de la vertu, à l'accomplisse-
ment des devoirs et des observances de
votre saint état, qui vous porte à combaitiB
[)ersévérammeiit les [lenchants naturels, à
moitilier vos passions, qui vous fait sui-
monler courageusement les obstacles ipii
se rencontrent si souvent, dans l'ou-
vrage de votre perfection et de voire
salut ; qui, en augmentant dans votre âme
la foi, res[)éiance et la charité, y enir. tient
cette vie intérieure, toute spiniuelie, si es-
sentielle à des épouses de Jésus-Christ, et
qui doit vous conduire à r.mmortalité ; ah 1
quand on a au dedans de soi l'auteur et le
consommateur de la sainteté; on en connail
alors tout le prix de cette sainteté ; on en
conçoit les plus grands désii s ; il n'e l rien
qu'on ne soit disjiosé à faire et a soulfrir
pour y parvenir ; alors l'esprit s éclaire, ei
le cœur s'enilamme insensiblement du f u
de l'amour divin : c'est alors qu'on connaît
le vide du monde, qu'on voit le faux, le
néant de tous les avantages qu'il possède,
qu'on s'en détache de plus en plus, qu'on
les méprise; alors on connaît la nature el
la giièveté du péché; on est disfiosé alors
à tout soulfrir, à tout sacrifier plutôt que do
le commettre; en un mot, dans la commu-
nion, en participant au corps de Jésu>-
Chrisl, on a l'avantage de participer à son
osjjrit ; on ne pense plus, et on ne peut
173 DISCGUUS DK UEÎKAITR
plus poiisor, |);ir1i'r et agir (|iio comme a
|)eiist5, a
QUATKIEMK JO.llH.
17i
pario el a agi Jcsus-Cliiisl. Voilî»
es merveilleux elfels qu'a |)rniliiil.s, dans
tous les lom|)s, iiiio communion bien faite;
voilh co tpii faisait dos premiers fidèles au-
tant ilo saints; voilà ce qui rendait nos
martyrs si formes, si courageux à défendre
la foi ; après s'être nourris do copain des
forts, des hommes, des femmes, déjeunes
vierges même, ne redoutaient point de pa-
raître devant les tyrans, de se trouver dans
les l)ras et sous Ks coups des boui'reaux;
c'était en quittant la sainte table, selon
r«\pressiou de saint Clirysoslome , autant
de lions (jui ne craignaient point, ce n'est
pas dire assez, qui ne respiraient qu'après
les flammes et les autres su|)plices dont on
lus menaçait : Ut leones flanunus spiranlcs.
Ceqiu' jcdis ici, vierges chrétiennes, épou-
ges lie Jésus-Clirist, j'en ap|)elle à^votre pro-
pre témoignage; quand vous étes-vouj. senties
plus de foi, plus d'altacliement à voire saint
état, plus de mépris des créatures, plus de
dclacliement de vous-mêmes, plus de zèle
do votr^ perfection, plus d'allenlion à vous
corriger de vos défau^l^; à pratiquer la vertu,
a rouq)lir vos devoirs, plus d'amour pour
vulre célesfe Epoux, plus de désir de vous
unir à lui, plus d'ardeur à agir el à souffrir
|K)ur lui? Alil sans doute, c'est lorsque
vous avez eu le bonheur de le recevoir dans
la communion. Mais ce n'est pas le seul
])ien que produit en veus ce sacrement;
non-seuiemoiU elle vous procure une in-
finité de grâces et de secours, pour vous
faire travailler utilement à voire salut, mais
ollc est de plus, pour vous, une souice abon-
dante de (douceurs el de consolations pro-
pres à vous soutenir el à vous consoler
dans les peiues inséparables de l'affaire d(j
votre salut.
Les p.einos, les Iribulalions el les croix,
vudà. Mesdames, le partage ordinaire de
tous les enfants d'Adam; dans quelque état
1 1 dans quelque condition qu'on puisse se
trouver, on ne peut absolument les éviter
et s'en préserver : hélas! ce soûl les justes
et les saints qui s'y trouvent le plus expo-
sés ; c'est [lai- là que le Dieu Sauveur a
voulu disliuguer ses élus des élus du siè-
cle; ajirès être rentré lui-même dans sa
gloire, par les souffrances, il a voulu y con-
duire, par la même voie, les Ames qui sont
à lui et celles surtout qui, en qualité de
ses é|>ouses, foui gloire do n'être qu'à lui;
outre les peines, les infirmités et tous les
niaui. communs à tous les hommes et qui se
trouvent dans tous les élals, que de |)eines
liai liculières attachées à leur saint état I
(juo d'iiuiiiilialions, que de morlilicalions
^e présentent sans cesse et qu'on ne peut
t'viler! que de sacrifices par conséqucnl à
laire el à renouveler 1 Mais, outre ceJa, que
lie ditléreiiles épreuves de la part du Sei-
grieurl Que d'incertitudes, que d'agitations,
que de ténèbres dans res|)ril 1 Que de dé-
luissemenls, que de sécheresses, d'aridités,
de, dégoûts dans le cœurl Que de priva-
tions cl quelquefois que do maux , (^uo
d'infirmités pour le corps ! Ah! qu'il esl à
craindre que tant et de si rudes épreuves
n'abattent el ne découragent une épouse de
Jésus-Christ, el ((u'eile ne se lasse enfin do
marcher dans une route toute semée do
ronces el d'é|)ines 1
Or le moyen, Je ne dirai pas seulement
do souffrir patiemment ces peines, ces
épreuves, do surmonter tous les dégoûts
(pi'clles peuvent pioduire, mais encore de
les dissiper ou du moins d'éf)rouver, au
milieu de toutes ces peines el de tous ces
dégoûts, la plus grande (laiv, les c< nsola-
tions les plus solides, c'est de recevoir Jé-
sus-Christ dans la cou)munion. Oui, Mes-
dames , la table eucharisliquo, pour m'ex-
primer d'après les Pèr(!S et les docteurs de
l'Eglise, est un festin délicieux où l'âme «st
nourrie et rassasiée du froment des élus,
qui n'a rien de com|)arable en beauté et en
bonté tout ensemb'e ; c est le pain des angos
qui non-seulementrend amie de Dieu oipar-
ticipanle des biens el des trésors de Dieu,
la personne qui s'en nourrit, mais qui de
plus a la vertu de la changer, do la transfor-
mer, el d'une personne terrestre el charnelle
en faire une céleste et toute spirituelle : t'a?
lerrcno facil cœlestem. (1 Cor., XIV,47.j C'est
un délicieux prélude de la joie future du ciel,
un gage assuré de la gloire des élus : Pi-
gnnsfuturœ gloriœ. C'est une manne pré-
cieuse qui, bien mieux encore que celle qui
tombait dans le camp du peuple do Djeu, a
tous les goûts que l'on peut désirer et qui
|iar là devient, i)Our une âme, une source
de t)aix, de douceurs el de coosoJations
qu'il esl jilus aisé de ressentir que d'ex()ri-
mer. V^oilà, Mesdames, ce que l'on voit,
même au milieu du monde quelquefois,
tout corrompu qu'il est, et parmi ces dilï'é-
renles personnes qui habitent au miliea
de lui, sans participer à sa corruption;
l'on en voit d'affligées par de longues et de
douloureuses infirmités; l'on en voit quQ
la perte des ricliesses ou des personnes Jos
plus chères, ou que mille autres funestes
événements, si communs dans le monde, ré-
duisent dans l'étal le plus triste, le plus digne
de compassion; l'on en voit d'accablées sous
le poids des affaires les plus critiques, les
plus épineuses, ou qui se tiouvent sans
cesse exercées par des esprits d'une hu
meur aigre et fâcheuse avec lesquels elle*
sont obligées de vivre; cependant, au mi-
lieu de ces diU'érentes peines , on les voit,
ces personnes vraiment chrétiennes , heu-
reuses et tranquilles, et bien loin de seré-
voller ou de murmurer contre le Seigneur,
elles adorent humblement el bénissent Ma
ujain loule-puissante qui s'appesantit sur
elles el qui les éprouve. Or, d'où peuvent
venir des dispositions aussi saintes, une
aussi grande tranquillité et si contraire à la
nature"? Ah 1 c'est dans la communion, c'esj
qu'elles se sont fait une heureuse habi-
tude de se nourrir du pain eucharistique;
elles sont si convaincues qu'il fait, ce pain,
toute leur force el loule leur consolation,
'pi'elles manifestent le plus grand eji.j>r£5.»
i-5
semenl pour s a| i)rGclier de la table sainle.
Mais -^u'ai-je h^soin ici, Mesdames,
d'exempics étranet^rs pour vous prouver
cette grande et si consolante vérité ? Ce
sont surtout les épouses de Jésus-Christ
qui éprouvent piUS sensiblement encore
les merveilleux eiïeU et toutes les dou-
ceurs que procure h l'âme la communion;
oui, l'on en a vu et l'on en voit encore, de
ces vierges I cliréliennes , véritablement
saintes, qui, connaissant tout le prix d'une
communion, la désirent avec ardeur ; qui
attendent, avec une sainte impatience le
jour, le moment auquel elles doivent s'as-
seoir à ce céleste banquet, qui montrent,
comme le cerf altéré, une soif ardente,
pour puiser à celle source intarissable de
grûces et de faveurs; on les voit tomber
dans une espèce de langueur, dans un abat-
tement, dans un dessèchement de cœur,
lorsque quelque obstacle les empêche de
manger ce pain céleste: on en a vn, l'on
en voit encore, de ces épouses de Jésus-
Christ au milieu des peines, des mortifica-
tions et de toute la contrainte qu'exige
l'état saint et pénible qu'elles ont embrassé,
couler des jours heureux et tranquilles,
inonlrerscnsiblement au dehors celle |>aix,
ce conleniement intérieur dont elles jouis-
sent; ce n'est [loint dire assez: on eu voit
de ces dignes épouses du Dieu Sauveur, au
milieu môme quelquefois des plus grandes
peines et dos plus douloureuses inlirmités,
sortant de la sainle table, loules ravies en
Dieu, sans aucun sentiment [)Our les créa-
tures, éprouver les plus doux ell'ets de l'a-
mour divin et goûter, dans de saintes ex-
lases, dès cette vie, les délices de la vie fu-
ture, et participer, en quelque sorte, a;ix
joies des bienheureux. Ce sont là, à la vé-
rilé, des efl'ets peu communs de la commu-
nion, ce sont des grâces singulières et ex-
iruordinaires, que Dieu n'accorde que rare-
ment, et à des âmes d'élite ; mais pour la
paix et le contentement du coeur, [)Our les
douceurs et les consolations spirituelles, je
ne crains point de le dire, ce sont les eifeis
ordinaires qu'il produit dans un cœur qui
le reçoit dignement. Vous m'alléguerez ici
peut être, que ces merveilleux ellels, si dé-
sirables, vous les désirez en elfet; niais
qu'après une communion, qu'après même
bien des communions réitérées, vous ne les
avez point éprouvéd's; dans ce cas, j'o^e
vous dire, que vous ne devez vous en pren-
dre qu'A vous-mêmes; car, prenez-j gaide,
s'il vous plaît, ce n'est point inditîerem-
ment à toute communion, ce n'est qu'à uns
bonne et sainte communion, ce n'est, comme
je vous l'ai dit, qu'à ceux qui le reçoivent
dignement, que le Seigneur accorde ses la-
veurs et ses bienlails. Vous devez juger
par là. Mesdames, combien il est important
l)ourvous d'entrer sur cela, dans ses vues,
et de correspondre à ses desseins ; ainsi,
après avoir considéré les grands avantages
que doit vous procurer la communion,
voyons les dispositions dans lesquelles
vuus devez Cire, ()ar rapport à la coui-
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTÎS. MO
raunion ; c'est le sujet de la seconde paitie
SECONDE PARTIE.
Si dans la communion nous recevons ne
Ire Dieu lui-même, comme la foi nous l'ap
jiretid, et un Dieu de toute bonté, le prin-
cipe et le disiribuleiir de tout bien, nous y
recevons aussi un Dieu de sainteté, l'en-
nemi et le vengeur du péché : deux idées.
Mesdames, qui suffisent pour vous mettre
dans des dispositions convenables, par rap-
port à la communion ; car, si vous y recevez
un Dieu de sainlelé, qui a en horreur le
péché, qui punit sévèrement le péché, vous
devez donc lui présenter, en le recevant,
un cœur pur, exempt de tout péché, qui dé-
teste sincèrement et souverainement le pé-
ché. Si vous recevez un Dieu de bonté, qui
ne cherche qu'à se communiquer à vous,
qu'à répandre sur vous ses grâces, et à
vous faire part de ses trésors, vous devez
donc montrer un grand désir de le recevoir,
un vif empressement à [)articiper à ses
grands bienfaits. Ainsi, Mesdames, pour
faire répondre les deux dispositions dans
lesquelles vous devez être, par rapport à la
communion, aux deux avantages que je vous
<ii iàil voir êlre les elfots de la communion ;
je dis, on preuiier lieu, que le Dieu qui se
donne à vous, étant d'une grandeur et
tout à la fois d'une sainteté infinie, vous
devez donc, jiar respect pour lui, le, rece-
voir saintement. Je dis, en second lieu, que
le Dieu qui se donne à vous, étant un Dieu
d'une bonlé et d'une libéralité infinie,
vous devez donc, par intérêt pour vous-
mêmes, le recevoir fréquemment : deui
dispositions , lesquelles bien communes
dans le christianisme, réjouiraient le ciel,
édifieraien l'iiglise, et n(jus f .raient tous
des saints; dispositions qui devraient se
trouver, dans un degré plus parfait encore
dans des é()Ouses de Jésus-Christ. Renou-
velez-moi, s'il vous plaît, toute votre atten-
tion.
1. Je dis, en premier lien, que vous devez
communier saintement. Oui, Mesdames, les
choses saintes ne doivent être que pour b-s
saints, sancla sanctis ; en recevant le cor()s
de Josus Chiiit, vous devez, et votre unique
intention doit êlre de participer également
à son esprit; notre chair, selon la belle
jiensée de Tertullien, que j'ai déjà citée, no
se nourrit du corps et du sang de Jésus-
Christ qu'afin que noire âme se rem|)lisse
et s'engraisse en quelque sorte de ce Dieu-
Sauveur; voila la sainte et l'excelleute union
que vous formez avec votre céleste époux,
dans la communion, union si intime et si
sainte, que votre esprit ne doit jilus faire,
selon la pensée de l'apôtre saint Paiil, qu'un
même esprit avec Jésus-Christ: Unus sptri
lus est (1 Cor., VI, 17j ; c'est-à-dire que
vous devez, autant que la faiblesse humaiiie
|)eut le permettre, penser et agir en tout
comme Jésus-Christ a pe/iaé et agi sur la
terre ; c'est-à-dire que, dans la communion
et [)ar la communion, ri doit s« faire dans
vous un changement tel qu'il se fait dans
!T7
DISCOLllS DE RETRAITE. — QUATRIEME JOl^R.
178
i'Eiicliarislie ; que cotucne le pain et le vin
y sont changés et transformés en corps et
en sang de Jésus-Clirist, de môme voire
esprit et votre cœur de terrestres qu'ils
sont, doivent devenir C(Mcstes et tout spi-
rituels; c'est-à-dire que vous devez ment.T
dans votre saint état, et au milieu des exer-
cices qui vous y occupent, la vie (|ue mène
Jésu5:-Clirisl dans l'Eucharistie, être petites,
liumbles, anéanties comme lui ; paraître,
par cotiformilé 5 ses senliments et aux
exemples qu'il vous a donnés, également
insensibles à tous les plaisirs et à toutes
les disgrâces de la terre; vous devez, comme
lui, n'ôlre occupées que de votre Dieu,
ne cliercher en tout que la gloire de Dieu.
Voilà, Mesdames, les dispositions saintes
dans les(iuellps vous devez être pour rendre
vos communions agréables au Seigneur et
nvaniageuses pour vous; mais à cond^ien
d'épouses do Jésus-Christ ne pourrais-je
pas dire : Sonl-ce là vos dispositions? El
d'abord, pour entrer sur cela dans un détail
qui pouna servir à celte instruction et à
votre confusion peut-être, je vous df.mando
quel raolif vous conduit, pour l'ordinaire,
à la table sainte? Est-ce pour entrer dans
les vues de Jésus-Christ, pour vous unir
véi ilableraeiit à ce Dieu Sauveur, pour com-
muniquer à son esprit, pour recevoir ses
grûces et participer à ses trésors? Hélas I
n'est-ce pas quelquefois et le plus souvent,
par bienséance, par coutume, par respect
iiumain, pour faire comme les autres; pour
éviter des regards et des soupçons que vous
craignez bien plus que les jugements et la
colèie du Seigneur? Vous n'avez, grâce à
Dieu, dites-vous, que des vues chrétiennes,
qu'une intention bien pure en vous appro-
chant de la sainte table; je le veux encore
puisque vous m'en assurez; je vous de-
mande donc présentement quels sont vos
sentiments, et dans quelles dispositions e^t
votre âme, lorsque vous recevez voire Dieu ?
Vous n'êtes point, à la vérité, de ces per-
sonnes qui, parvenues au coud)le de l'aveu-
glement et de l'endurcissement, osent re-
cevoir leur Dieu, ce Dieu de toute sainteté,
dans un cœur corrompu par le [léché; non,
vous n'avez point été assez téméraires pour
vouloir [ilacer l'arche du Seigneur avec
l'idolt! de Dagen, ni assez ingrates (lour
trahir comme Judas voire Dieu Sauveur par
un baiser; un pareil attentat vous eût
même fait horreur; mais si vous ne vous
éies pas rendues coupables de jirofanation,
de dessein prémédité et par malice, no
1 avez-vous point été par illusion peut-être
et par le défaut de dispositions absolument
nécessaires, pour faire saintement cette
sainte action?
Car enlin, avant de vous approcher de
la table sainte, vous êtes-vous ajipliquées
à puritiiT votre cœur, à en faire une de-
meure digne du Dieu que vous alliez rece-
voir? L'avez-vous pouv cela sérieusement
examiné, ce cœur? en avez-vous sondé jus-
qu'aux replis les |)lus caché», jusqu'aux
mouvements ks plus secrets, pour voir
tout ce qui pou voit. \ déjtlaire à votre Dieu?
Avez-vous déclaré dans le tribunal de la
|)én:tence vos fautes et toutes vos fautes, et
avec des sentiments d'une vraie douleur,
d'un repentir intérieur et bien sincère?
Ali I si cela eût été, vos rechutes, vos infi-
délités eussent-elles élé aussi promptes et
aussi multipliées ? Au lieu de ne rien né-
gliger pour bien faire contiaîlre l'état de
voire âme au ministre do Jésus-Christ dans
la déclaration que vous lui avez faite de
vos péchés et de vos infidélités, n'avez-vous
pas cherché à les pallier, à en diminuer à
ses yeux toute la malice? N'est-ce pas même
pour cela peut-être qu'à l'hoiuiue de Dieu,
envoyé par lui t)0ur vous conduire, vous
avez voulu et vous avez réussi à en substi-
tuer un autre, plus indulgent, moins clair-
voyant^ et par là plus do volru goût, c'est-
à-dire qui, vous connaissant moins ou qui
n'ayant pas le môme zèle pour votre salut,
qui ne prenant pas un aussi grand soin de
votre âme, vous laisse vivre selon le sys-
tème de liberté cl de relâchement que vous
vous êtes malheureusement formé et quo
vous suivez depuis longtemps?
Mais si vous n'avez point à vous repro-
cher dans le choix d'un guide spirituel do
pareilles intentions qui ne peuvent être que
très-injurieuses à voire céleste Epoux et
très-funestes à votre âme, et si vous n'a-
vez rien négligé pour bien faire connaître
au ministre du sacrement l'état de votre
âme, êtes-vous toujours sorties du sacré
tribunal avec une résolution ferme et
constante de vous préserver à l'avenir des
fautes que vous lui avez déclarées, et d'é-
viter les occasions (jui vous les ont fait
commettre? Avez-vous formé de plus le
dessein de venger vous-mêmes votre Dieu
par une pénitence proportionnée à vos
fautes? L'avez-vous exécuté, ce dessoin?
Vous êtes-vous appliquées à mener • uno
vie plus régulière, plus fervente, plus mor-
tifiée, plus religieuse en un mot et |)lus
chrétienne? Ah! Mesdames, jans les pre-
miers siècles de l'Eglise, et cette réflexion,
jt; vous l'avoue , m'a souvent fait trembler
pour les pénitents de nos jours, et encore
plus i)our moi-même; dans la primitive
Eglise, les pécheurs pénitents n'étaient
admis à la table sainte qu'après avoir par-
couru, pendant de longues années, diffé-
rents degrés d'une pénitence rigoureuse et
souvent publique; à la vérité, l'Eglise,
mère toujours charitable et prudente ,
n'impose plus de pareilles épreuves à ses
enfants ; mais en ciiangeant de conuuite,
elle n'a pas pour cela changé d'esprit;. si
elle permet aux pécheurs réconciliés, de
participer aux saints mystères, avant d'a-
voir satisfait, de tout leur pouvoir, à lu
justice de leur Dieu, elle les dispense si
peu de la pénitence, qu'elle exige toujours
et de tous, comme uno disposition absolu-
ment nécessaire, pour recevoir la sacre-
ment eucharistique,, un cœur non-seulement
contrit et humilié," mais encore disposé à
la salisfacliou cl bien résolu de s'^ livrer.
<79
ORATEtiRS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
(80
Voilà ce qui' 6st nécessaire pour la communion
t'I pour une bonne et suinte communion.
Mais ce n'est pas tout encore ; s'il est des
dispositions nëcessaires pour bien commu-
nier, il en est d'antres aussi essentielles
flpr^s avoir communié ; or pour continuer
ici l'examen de votre cœur, je vous de-
mande quelles ont été les vôtres, et dans
quels sentiments vous êles-vous trouvées,
après avoir reçu votre Dit-u Sauveur? Au-
rait-on pu dire de vous, le jour de vo-
tre communion , ce que dit Jésus Christ
de Z.ichée, le jour qu'il l'honora de sa
visite, que le salut était entré ce jour^là
dans i.a maison? Vous ôles-vous senlies
alors pleine de reconnaissance envers
votre céleste Epoux, pour un aussi grand
bienfait ? Car ce n'est pas seulement l'hon-
neur et le respect qu'exige de vous un tel
hôte, dit saint Bonavenlure; c'est encore,
et surtout, un tendre amour; or c'est [ar
les effets encore plus que par les paroles,
c'est en remplissant nos devoirs, et en ac-
complissant sa volonté que nous lui témoi-
gnons cet amour. Vous êles-vous donc
appliquées à préférer, et toujours et en
tout sa volonlé à la vôtre? Avez-vous évité
avec soin, -l^s fautes et les transgres-
sions que vous n'ignoriez pas devoir lui
déplaire et l'offenser?
Mais il ne suffit pas d'éviter le mal,
quand on est vraiment à Jésus-Christ, il
faut de plus faire le bien; or quel bien
avez-vous fait, el en quoi vous ôles-vous
montrées vraies disciples et parfaites
«épouses de ce Dieu Sauveur ? Après une
communion, avez-vous paru plusallenlives
aux inspirations de sa grîlce, et plus do-
c.les à y correspondre? Vous a-t-on vu
plus fidèles à tous les devoirs de voire
.'iaint état, et plus exactes à toutes les ob-
servances qu'il vous prescrit? Vous êles-
vous trouvées plus délochées des créatures
el de vous mômes? Avtz-vous été plus
recueillies, plus charitables, plus humbles
et plus morliliées .surtout? car comme le
dit un Père de l'Eglise, la |)ersonne qui
aime à se nourrir dans la chair du Eils de
Dieu, ne peut plus aimer et flatter sa
propre chair: avez-vous senti, dans votre
cœur, pour le céleste Epoux, un allache-
menl, un amour, jusqu'à être disposées à
tout souffrir el à tout sacrider pour lui,
jusqu'à oser, comme saint Paul, délier le
ciel , la terre (!t l'cnler , de vous faire
perdre cet altacliemenl, cet amour, jusque à
jiouvo.r due, comme cet apôtre, que ce
njélait i)lus vous qui viviez, mais que
c'était Jésus-Christ (jui vivait en vous?
Encore une lois, vous êles-vous trouvées
dans ces disposilions ? Hélas ! tout au plus,
le jour de votre communion, vous mon-
trez un peu plus de recueillement et de ré-
gulai'ilé; mais ce que l'on voit et ce que
vous devez c'percevoir vous-mêmes, c'est
le môme amour-propre, la même recherche
de vos aises et de vos commodités; ;'est
le njôme attachement à vos lumières, à
votre, jugement, > voire volonlé ; c'est en
un mot, la môme langueur, la même lâcheté,
la même tiédeur, la môme indifférence
pour votre avancement spirituel.
Ah! Mesdames, une seule communion
pourrait et devrait nous faire des ;sainis et
tant de communions multipliées ne servent
quelquefois qu'à nous rendre moins reli-
gieux, moins parfai's, el par là moins agréa-
bles aux yeux de notre Dieu ; car, prenez
garde, s'il vous plait, el ce que je vais vous
dire, c'esl d'après les plus grands maîtres
de la vie spirituelle, le sacrement eucha-
ristique est un remède, mais qui ne peut
être inditrérent ; s'il ne guérit pas, il se
tourne, pour l'ordinaire, en poison.
Si cela est, me direz-vous, s'il faut tant
et de si saintes disposilions pour bien com-
munier, s'il est si facile Jet si préjudiciable
de mal communier, il est donc plus conve-
nable et plus sûr de s'abstenir absolument
de la communion? Ah I Mesdames, je suis
bien éloigné de tirer avec vous une consé-
quence opposée tout à la fois aux intentions
de notre Dieu Sauveur, aux vœux de l'Eglise,
à l'esprit de votre saint état et à votre pro-
pre intérêt ; ainsi, si j'ai dit que recevant,
dans la communion, un Dieu d'une gran-
deur et d'une sainteté infinies, vous devez
le recevoir saintement, je dis aussi que, re-
cevant dans la communion un Dieu d'une
bonté etd'une libéralité infinies, vous devez
l'y recevoir fréquemment.
II. Oui, Mesdames, nous nejiouvons tous
comme chrétiens négliger la communion,
sans aller contre l'esprit de l'Eglise noire
mère; quoiqu'elle n'oblige les fidèles et
sous peine d'anathème, d'approcher qu'unu
fois cîiaque année de la table sainte, dans
tous les temps el surtout assemblée dans
le saint Concile de Trente, elle a témoigné
combien elle souhaitait que tous ses enfants
se nourrissent souvent de ce pain céleste. Ce
n'est au reste l'intention de l'Eglise de Jésus-
Christ, que pat ce que c'est l'intention de Jésus-
Christ lui-u)ême. Ce Dieu Sauveur ne s'est
mis en effel dans ce sacrement sous les es-
])èces si communes du iniin, que pour nous
iaire entendre qu'il désirait d'être notre
nourriture de chaque jour; il n'y cache,
sous de simples syniboles, sa gloire el sa
divinité, que pour nous inspirer pour lui
l)lus d'attrait et pour nous donner auprès
de lui un accès [)lus libre et fdus facile;
c'est pour cela qu'il nous [)roleste que ses
délices sont u'ôlie avec nous, (pi'il nous in-
vile de recourir à lui pour èlre soulagés
dans nos misères el consolés dans nos pei-
nes. Vous convenez de tout ceci avec moi,
vous qui vous êtes fait un plan d'approcher
rarement de la sainte lubie; vous admirez,
vous louez, dites-vous, l'attrait sensihltj
que monîrenl plusieurs de vus sœurs pour
la comujunion et la fréquente communion;
mais [lour vous, ajoutez-vous, votr.e propre
indignité vous arrête; ce que l'Apôtre vous
dit sur cela vous effraye; vous craignez de
recevoir dans de luauvaises dispositions
voire Dieu infiniment grand, inlinunenl re-
douU'ble; mais celle indignité que vous
DISCOURS DE RETRAITE. — UL'ATUIEME JOLR.
îillégiiez, il n'est personne qui ne pnisse
l'alléguer comme vous; qui jamais pour-
rait se rendre parfaitement digne de rece-
voir son Dieu ? Dans ce cas, le Seigneur
aurait donc inutilement institué ce sacre-
ment et l'Eglise aurait fait injustement un
précepte d'y participer. Mais cette indignité
(|ue vous alléguez, pour vous (Jispenser de
la communion, vous pouriiez l'alléguer éga-
li ment |)our vous priver îles autres sacre-
ments, oourvous dispenser de la prière et
de tous les autres exercices du christia-
nisme en général et de votre saint état en
jiariiculier. En èles-vous plus digne? Mais
prenez garde, s'il vous plait, que ce n'est
pas seulement les loris et les saints que
Jésus-Christ invite h sa table, ce sont encore
les fa blés et les infirmes, les boiteux et les
aveugles qu'il force même d'entrer dans la
salle du banquet. Mais si saint Paul vous
dit que, manger et boire indignement le
corps et le sang de Jésus-Christ, c'est boire
et manger, s'incorporer sa propre condam-
nalicn (ICor., XI, 29), ce qui doit vous faire
craindre avec raison, Jésus-Christ a dit
aussi lui-même que quiconque ne mangera
point sa chair et ne boira point son sang,
n'aura point la vie en soi (/oan., VI, Si), ce
qui doit vous rassurer; deux vérités que
vous ne devez ni oublier ni sé|)arer, et qui
bien entendues, vous porteront et à com-
munier fréquemment et à communier sain-
tement; ainsi si citle raison de votre pro-
pre indignité que vous alléguez, comme
tant d'autres peut être dans vous un senti-
ment de religion, de respect pour les saints
mystères, elle pourrait bien n'être aussi
qu'une tentation, qu'une illusion ou qu'un
prétexte pour res er et pour vous autoriser
dans votre tiédeur, dans un relâchement
<iue vous sentez bien devoir peu se conci-
lier avec la fréquente communion et dont
vous n'avez pas la force, disons plutôt le
courage et la volonté de vous guérir; ah I
je jugerais de vous favorablement si je
vous voyais sérieusement occuiiée à vous
rendre digne de la communion, à prendre
pour cela des moyens efficaces pour vous
corriger de vos défauts, pour acquérir les
vertus qui vous manquent, j)Our vous éle-
ver à la perfection que demande votre saint
étal; mais quoi ! convaincue comme vous
Iiaraissez l'ôlre de votre propre indignité,
l'on ne vous voit rien faire pour en sortir
et |)our vous rendre autant qu'il est en
vous digne d'approcher et fréquemment do
la table sainte. Soyez denc ici de bonne
foi; vous n'ignorez pas que pour recevoir
souvent au dedans de vous votre-Dieu Sau-
veur, ce Dieu de toute sainteté, il faut tra-
vailler sérieusement à devenir une sainte,
à réforruer en vous tout ce qui est con-
traire à la sainteté, h mener une vie recueil-
lie et mortifiée; et voilà, accoutumée h vous
laire peu de violence, à quoi vous ne pouvez
vous résoudre: je dois donc conclure que la
ré.Uona ce que vous montr( z pour la fré-
quente communion est plutôt une illusion,
un faux orélextc, qu'un vrai respect pour lo
«85
sacrement, qu'une sainte fiayeur qu'ont
eue quelques âmes saintes, mais qui, plus
éclairées et plus dociles que vous no s'éloi-
gnèrent jamais pour cela do la sainte table.
Peut-être encore, outre votre propre in-
dignité, m'alléguerez-vous l'indignité des
autres; vous me direz que celles de vos
sœurs, que, quelques-unes du moins, qui
communient souvent, ne vous paraissent
pas, pour cela, plus [larfaites et plus sain-
tes; qu'elles montrent autant et plus de dé-
fauts quelquefois que celles qui, comme
vous, communient plus rarement. Mais d'a-
bord n'y a-t-il point, sur cela, de l'aveu-
glement, des préjugés dans votre esprit, do
l'injustice et de la malignité même dans
vos jugements? N'exigez -vous point de
celles qui communient souvent une perfec-
tion chimérique et mal entendue? Ne pre-
nez-vous point, et malicieusement peut-
être, pour fautes graves, des fautes légères,
des imperfections, des misères insépara-
bles de l'humanité? Car enfin les saints,
pour être des saints, n'en sont pas moins
des enfants d'Adam , faibles et fragiles par
conséquent ; le juste tombe jusqu'à sept
fois le jour, dit le Saint-Esprit, sans cesser
d'être juste, mais si vous remarquez des
défauts dans celles qui approchent souvent
de la table sainte, que serait-ce si elles en
approchaient rarement? Mais je veux con-
venir ici, pour un moment, avec vous, qu'il
en est, même dans l'état religieux, qui abu-
sent de la communion fréquente; qui, par
un aveuglement des plus pitoyables, allient
avec elle l'orgueil, l'amour d'elles-mêmes,
un attachement scandaleux peut-être à leur
aise, à leurs commodités; une légèreté d'es-
prit, une dissipation habituelle, qui leur
fait ou transgresser ou mal observer les de-
voirs et les exercices de leur saint état.
Mais qu'en conciurez-vous? que c'est la fré-
quente communion qui les rend aussi im-
parfaites? Rien ne serait plus injuste; dites
plutôt que l'on peut abuser, et que l'oa
abuse en elfet de tout dans la religion. Qui
pourrait approuver des communions aussi
défectueuses, pour ne rien dire de plus?
Mais pour une religieuse que vous verrez
abuser visiblement de la communion fré-
quente, je pourrais vous en montrer mille
qui profitent de cette nourriture céleste;
qu'on voit s'avancer, chaque jour, dans la
voie de la perfection et du salut; qui font
des progrès sensibles dans le détachement
des créatures et d'elles-mêmes, dans l'ac-
complissement des devoirs de leur état,
dans la mortification des sens, dans le désir
des biens du ciel, dans l'amour surtout de
leur céleste Epoux, et dans l'application à
lui plaire. Voilà ce que l'on a vu, dans tous
les temps; jamais les fidèles ne furent plus
fervents et plus parfaits que dans les pre-
miers siècles de l'Eglise, parce que jamais
la table sainte ne fut plus fréquentée; et
voilù ce que nous voyons encore à présent,
et jusqu'au milieu du monde, malgré toute
sa corruption , et dans tous les étals ; de
vrais chrétiens sérieusement occupés a
ffi5
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
184
plaire h Dieu et h se sauver, mais qui tous ■
Gommunienl souvent, qui ont un vrai désir,
une sainte faim de ce pain céleste; voilà co
qui se voit, encore plus, dans les commu-
nautés régulières et ferventes ; leur ferveur
et leur régularité, prendre sa source dans
la communion fréquente : vérité si sensi-
ble, que celles qui paraissent aujourd'hui
avoir abandonné l'esprit de leur institut,
n'ont commencé à s'en éloigner et à le
perdre, qu'en se dégoûtant et en s'éloi-
gnaiit peu h peu do la table sainte, et ne
persévèrent dans la dissipation et le relA-
i-hement que par cet éloignement et ce dé-
goût. Ah! s'il n'était permis aux (dirétiens,
dans quelque état qu'ils fussent, de ne rece-
voir qu'une seule fois, dans sa vie, Jésus-
Christ dans le sacrement eucharistique,
connaissant son excellence et les grands
avantages qu'il procure, ils gémiraient du
s'en voir si longtemps privés; ils atten-
draient, avec une vive et sainte impatience,
ce jour heureux auquel il leur serait libre
d'y participer. Tous, et toujours, et tous lus
jours, nous (jouvons nous |)rocurer ce bon-
lieur; combien cependant, je ne dirai pas
seulement parmi les chrétiens du siècle,
peu instruits, ia plupart, de l'excellence de
ce sacrement, mais même parrui les minis-
tres et les épouses de Jésus-Christ, qui ne
|)0uvent ignorer les grands biens qu'il |)ro-
cure, et qui ne montrent cependant aucune
ardeur, aucun désir de se nourrir de ce
()ain des anges, qui ne le reçoivent que
rarement et Irès-rarement 1 Qu'il est à
craindre , qu'après avoir négligé un aussi
grand bien, pendant la vie, le Seigneur,
pour [lunir ces personnes de leur indif-
férence, ne [)ermette qu'elles eu soient
privées à la mort, et par là, de grands
secours si nécessaires, dans ces derniers
moments.
Ah ! Seigneur, que ces grandes vérités
que je viens d'entendre, ont fait naître de
réflexions dans mon es|irit et produit de
regrets dans mou cœurl Hélas 1 ce n'est
point d'avoir communié rarement ou d'avoir
eu trop d'éloignemenl pour la communion,
que je me reproche dans ce moment; les
instructions solides que j'ai reçues depuis
que, par votre grâce, j'ai été' introduite
dans cette sainte maison, les bons exem-
ples que m'ont donnés mes sœurs, les [iro-
grès que je les ai vu faire dans la sainteté
m'ont bien convaincue des grands avantages
que procure la coujinunion et la fréquente
communion. Mais ce que je dois me repro-
cher et ce que je me reproche bien sincère-
ment, c'est d'avoir si peu profité des com-
inunions sans nombre que j'ai faites, depuis
que je me suis consacrée entièrement à
vous ; c'est d'avoir allié avec la communion
fréquente une conduite idche, tiède et im-
parfaite; c'est, en (larticipant si souvent h
votre corps adorable, d'avoir si peu parti-
cipé à votre esprit, d'avoir si peu travaillé à
me perfectionner, à me sanctifier. J'en
prends dans ce moment la résolution, ô
mon céleste E[)0ux; je ne cl^ercherai point
désormais à diminuer le nimbrc cie mes
communions, parce que je sais que votre
volonté est que dans mon saint état je
communie souvent , mais je m'appliquerai
plus que par le passé h rendre fructueuses
et saintes toutes mes communions. A
l'exemple d'un grand saint, les jours qui
s'écouleront d'une communion à l'autre ,
j'en ferai des jours d'actions de grâces pour
la dernière communion que j'aurai faite, et
tviut à la fois de préparation [)our In première
communion que j'aurai le bonheur de faire,
en m'appliquant surtout à me corriger de
mes défauts et à acquérir les vertus propres
de mon étal; par là, tous mes jours se-
ront pleins, agréables à vos yeux, et n)é-
ritoires de vos récompenses éternelles.
Ainsi soil-il.
OUATRIEME JOUR
Second discours.
SUR LE SILENCE.
Si qiiis puUt se religiosum esse, non rcfrenans lin-
guam su.im, tiiijus vana eslteligio. {Jac, \, 26.)
Si (judqu'nn d'entre vous croit avoir de In religion,
cl qu'il ne retienne pas sa langue, su religion est vaine'.
C'était, Mesdames, à tous ceux qui avaient
reçu l'Evangile de Jésus-Christ et embrassé
la foi du chrislianisnip, (pie l'apôtre saint
Jacques adressait ces paroles : Si l'on ne
savait pas gouverner sa langue, se con-
server dans le recueillement et dans le si-
lence, il ne croyait pas qu'on pût avoir, je
ne dirai pas cette religion spéculative (jui
consiste à croire les mystères que le Dieu
Sauveur est venu enseigner aux hommes,
mais de plus cette religion pratique c^ui porte
à lemplir tidèlenjcnl les préceptes et les
devoirs qu'il prescrit dans l'Evangile, et
qui sont absolument nécessaires [>our lui
plaire et pour se sauver.
Mais si tel était l'avis du saint apôtre,
jiar rapport à tous les fidèles en général,
et s'il pensait que sans cet amour et cette
pratiijue du silence, ils ne pouvaient avoir
une vraie religion, une piété solide, un sin-
cère attachement à Jésus-Christ et à son
Evangile, à combien plus forte raison son
jugement doit- il être appliqué aux |)erson-
nes chrétiennes qui, comme vous, Mesda-
mes, ont embrassé l'Evangile dans toute sa
perfection qui, non contentes d'en obser-
ver les préceptes se sont obligées de plus
à en pratiquer les conseils , à s'en faire
môme autant de préceptes; qui ont l'hon-
neur d'appartenir à Jésus-Christ, non seu-
lement comme ses disciples, mais encore
comme ses épouses, et qui, en celte qualité
font profession de tendre ix la perfection, à
la sainteté et à la plus haute perfection, à
la plus sublime sainleté ; c'est donc pour
vous engager à entrer de i)lus en plus dans
l'esprit de votre saint état, et à ne rien né-
gliger de tout ce qui peut contribuera vous
y perfectionner, à vous y sanctifier, que
l'entreprends de vous entretenir ici de la
prati(]uc du silence, qui l'ait un des articles
de votre règle et de vos constitutions. Pour
traiter celle matière d'une façon égalemcni
!R5
niSCOLRS DE RLiRAITE. — QlJATUlLMi: JOUR.
ISO
"solide et .nslruclive, jai, fo semble, aeiix
choses h l'aire dans ce discours; c'est, en
premier lieu, de vous bien convaincre do
la nécessilô oii vous êtes, d'observer le si-
lence, de vous metlre ici devani les yeux
les motifs qui doivent vous porter h l'ob-
server, ce silence. C'esi, en second lieu, de
vous montrer la manière de l'observer, do
vous donni r des règles sûres pour le bien
observer; je veux dire, pour l'observer
d'une fiiçon qui soit tout à la fois agréable
à votre Dit u et avantageuse pour vous-mê-
mes : Ainsi tout simplement et en deux
mots. Pourquoi devez-vous observer le si-
lence ; ce sera le sujet de la première partie
de ce discours : comment devez-vous ob-
server le silence; oe sera le sujet de la
seconde partie. Honorez-moi, s'il vous
plaît, de toute votre attention. Ave, Maria.
PREJUÊRE PARTIE
Telle a été, Mesdames, la fin, l'inlenlion
de votre Dieu, en vous séparant par une
prédilection toute spéciale du commun des
chrétiens, et en vous admettant par préfé-
rence à une inliriité d'autres, au rang illus-
tre de ses épouses, dans le saint ét:it de la
religion, telle a été son intention de vous
procurer des moyens plus abondants, et des
moyens plus sûrs, plus faciles qu'aux chré-
tiens du monde, de vous sanctitier, de vous
sauver; Itlle adû être aussi et telle a été
on effet voire intention à vous-mêmes, en
correspondant à tous les desseins du Sei-
gneur sur vous, de vous servir fidèlement
de tous ces moyens de perfection et de sa-
lut, qu'il veut bien vous donner pour aller
à lui. Or, un de ces moyens, c'est le silence
qui vous est prescrit dans do certains temps
de la journée; vous ne pouvez lo néglij^er
sans aller contre ses volontés et contre les
engagements que vous avez contractés avec
lui; pourvous le prouver, .Mesdames, j'avan-
ceici trois proposiliousJes quelles vouscon-
naîlrez aisément la vérité. C'est en premier
lieu que vos constitutions vous le prescri-
vent ce silence ; vous ne pouvez donc y
uian(iuer sans leur désobéir. C'est, en se-
cond lieu, que le bien général de votre
communauté le demande ; vous ne pouvez
donc le rompre, sans lui causer un vrai pré-
judice. C'est, en troisième lieu, qu'il est
de votre intérêt personnel, de votre bien
particulier, que vous l'observiez ; vous ne
pouvez donc le négliger saas vous nuiie à
vous-mêmes. Ainsi, je dis que vous devez
observer le silence, et par obéissance à vos
constitutions, et pour l'utilité de vos sœurs,
et pour votre |)ropre avantage; trois rai-
sons qu'il me sera aisé de vous rendre sen-
sibles.
I. Je dis, en premier lieu, que vous devez
observer Je silence, parce que vos consti-
tutions vous le prescrivent. Vous le savez,
Mesdames, et je n'ai rien sur cela à vous
op|)rendre; cent et cent l'ois depuis que
vous vous êtes consacrées à voire Dieu ,
dans cette sainte maison, vous avez entendu
lire cet arlide de vos coDslilutions, et cent
et cent tois, vous l'avoz lu vous-mêmes;
mais ce que je dois vous ajouter et vous
faire remarquer ici , pour vous prouver
l'importance de cette prali(jue, c'est qu'elle
n'est point une pratique particulière h
votre institut, et (|ui ne se trouve quedans
vos constitutions; tous les grands hommes,
ces saints et illustres personnages qui,
pleins du désir de la gloire do Dieu et du
salut des âmes ont été dans l'P'.gliso des
fondateurs, des instituteurs d'ordres reli-
gieux de l'un et de l'autre sexe ont tous re-
commandé, prescrit même le silence dans
les règles et les constitutions qu'ils leur
ont données, parce qu'ils l'ont tous jugé
un moyen nécessaire pour travailler ellica-
cemeni à leur avancement spirituel, à leur
perfection. Tous ces hommes de Dieu n'ont
fait en cela. Mesdames , qu'imiter oes an-
ciens Pères du désert, ces hommes qui,
dans un corps mortel, menaient une viii
angélique , et (pii, quoitpie sur la terre,
avaient comme lo dit l'Apôlrc, leur conver-
sation dans le ciel {Philip., \U. 20); ces
hommes qui, par la sublimité de leur sain-
teté et par leur parfaite union avec Dieu,
avaient un si grand crédit auprès de lui,
que les plus étonnants |)rodiges parais-
saient ne leur rien coûter, qui avaient ac-
quis un si grand empire sur les créatures,
qu'elles paraissaient toutes se plier à leui-
volonté; ces hommes parfaitement éclairés
dans les voies de Dieu, ils étaient si con-
vaincus et par leur pro|)re expérience, que
le silence était absolument nécessaire pour
se sanctifier dans la retraite, que lorsqu'il
se présentait à eux quelqu'un pour être
reçu au rang de leurs disciples, une des
premières pratiques qu'ils lui prescrivaient
c'était de ne |)oint parler, de garder un pro-
fond silence, la regardant cette disposition,
cette pratique comme absolument néces-
saire, pour pouvoir écout<'r avec irait les
leçons de vertu et de sainteté qu'ils venaient
recevoir dans le désert. Cette vérité, au
reste, est si sensible qu'elle n'a point été
ignorée môme des philosophes païens;
quelques-uns d'entre eux et des plus célè-
bres ne commençaient à initier dans les
mystères de la philosophie ceux qui s'é-
taient faits leurs disciples, qu'après les avoir
obligés de garder des années entières et
plusieurs années le plus profond silence.
Vous ne devez donc point être étonnées.
Mesdames, si toutes les règles ellesconsti-
tulious des ordres religieux, et si les vôtres
en particulier sont si exactes à exiger de
vous celte sainte pratique. .
Mais, me dira ici quelqu'une d'entre vous
peut-être : oui, je lésais, notre règle, nos
constitutions nous ordoinient le silence;
mais, si je fais bien de l'observer, dans de
certains temps marqués, ce silence qu'elles
me prescrivent, je sais aussi que lorsque je
ne l'observe j)oint, je n'olfense poinl Dieu,
je ne me rends coupable d'aucun péché.
J'ai déjà répondu, dans un autre dis-
cours, è celle objection ; mais pour votre
satisfaction, ma chère sœur, cl pour votre
1S7 ORATEURS SACRES. L'ABBL jDE MONTIS. 1S8
instruction jo veux bien y répondre encore égard, vous i'éloignoz de vous, el vous lo
ici ; je conviens donc avec vous (car jnninis forcez par voire conduite à vous priver de
vous ne me verrez vous rien exagérer ni bien des grâces qui, reçues avec lidélité,
vouloir vous charger d'un fardeau que le vous en eussent attiré une infinité d'au-
Seigneur et vos sainis fondateurs ne vous 1res; or, n'est-ce donc rien pour vous,
oui point imposé), je conviens avec vous épouse de Jésus-Christ, d'indisposer ainsi
que vous pouvez, par rap;iort au silence, ce Dieu Sauveur, jusqu'à le forcer de vous
enfreindre, ou pour parier plus justi' no [iriver de ses grâces et de ses faveurs? Pour
pas observer vos constitutions, sans péché; peu qu'il vous reste de désir de voire per-
uiais, en premier lieu, quelle idée me don- feclion et de votre saint, pouvez-vous re-
nez-vous des dispositions de votre âme? garder, d'un œil indifférent, et votre con-
Quoi I il n'y a donc que \i\ crainte du péché duite à l'égurd de votre céleste époux, et
qui doive vous arrêter ou vous faire agir la conduite de votre céleste éi)oux à votre
dans votre état? Ne vous étesvous pas égard?
engagée, lorsque vous l'avez solennelle- Mais ce n'est pas tout : j'ai h vous dire de
ment embrassé ce saint étal, à plaire en plus, en troisième lieu, el d'après les doc-
tout, et toujours à votre céleste Epoux? leurs elles casuites, et d'après saint Tho-
Avez-vous alors distingué entre co qui est mas et saint François de Sales surtout,
péché, et ce qui ne l'est pas? Si dans le temps qu'il vous est plus plus facile que vous no
lie vos épreuves vous aviez montré ouver- (tensez de vous tronqier, de donner sur
lement ces sentiments, ces dispositions, cela dans l'illusion; car enfin, quoique
dans lesquelles vous paraissez être aujoiir- vous puissiez absolument rompre le silcnci^
d'iuii, qu'aurail-on pensé de vous? Croyez- prescrit par la règle sans vous rendre cou-
vons (jue la communauté à laquelle vous ap- pat)le de péché, il est bien rare ce|)endant
! ai tenez présentement, vous voyant si peu que vous ne pécfjiez en effet, parce que,
d'attrait, sipeu dezèlepourvolreavancement comme ils le disent, lorsque vous rom[)fz
s.irituel, |)our, voire perfection, vous eût le silence, il y a toujours alors, ou mépris
admise et reçue dans son sein? Mais vous- de la règle, ou scandale, et quelquefois l'un
menus j'en atteste ici votre [)ropre cœur, et l'autre. Je dis, mé|)ris de la règle au
iiial^zré votre façon de penser et de vous moins indirect, car si vous en faisiez tout
conduire, quelle idée auriez-vous de ces le cas que vous devez en faire, et qu'elle
jeunes personnes .qui parcourent actuelle- mérite, vousseriez certainement plus exacte
ment, dans le noviciat, leur carrière do à l'observer; de plus, vous ne rompez lo
|)réparalion et d'épreuve, si elles vous pa- silence prescrit que par dissi|)alion, par
raissaient déterminées à ne se point cou- légèreté d'esprit, jtar amour do votre li-
former à ce que [irescrivent sur le silence berté, fOur vous satisfaire, et qu'en vous
la règle el les constitutions qu'elles dési- prêtant aux suggestions du malin esprit,
rent enlb^a^ser, sous ce prétexte qu'elles qui , sachant le préjudice (|ue vous vous
|)ourronl le rompre, ce silence, sans olfen- causez par là, n'omet rien pour vous exciter
série Seigneur? Quelle idée, encore une à le rompre, ce silence; or, vous conjui-
fois, en auriez-vous? Les jugericz-vous sant par de i)areilles impressions, êtes-vous
bien appelées au saint état delà religion, sûre d'éviter toute espèce de faute en par-
i)ien propres à y édifier leurs sœuis el à s'y lanl? J'en appelle ici et à l'expérience el à
sanclilier elles-mêmes? Et lorsqu'il s'agi- votre propre témoignage. Mais quand il n'y
rait de leur sort, vous scntiriez-vous bien aurait aucun mépris de la règle et que vous
p/Orlée à leur accorder votre suffrage? pourriez m'en ré|)ondre, me répondriez-
Mais je dois vous dire, en second lieu, vous avec autant d'assurance qu'il n'y a
qu'en co iveuanl avec vous que vous pou- aucun scandale, ni par rapport à celles
vez absolument transgresser la loi du si- avec lesquelles vous roiiipez le silence,
lence sans péché, c'esl toujours une témé- ni part rapport à d'autres (]ui en sont
rilé pour vous de ne pas l'observer; car témoins? Me répondiiez-vous aussi sûie-
vous n'ignorez pas, et vous ne pouvez igno- menl des suites que cette Iransgicssion,
ler qu'il est des grâces spéciales attachées légère en elle-même, si vous vouliz, peut
à tout ce que vous faites de bien et à tout avoir pour les unes cl {)Our les autres?
ce qui vous est prescrit dans la religion; Celle question me conduit naturellement à
grâces très-avantageuses, très-précieuses la seconde raison que j'ai alléguée pour
fiour vous par conséquent, puisqu'elles vous engager, Mesdames, à garder le si-
vous servent à vous- acquitter de vos de- lence; c'est que le bien général de la com-
voirs, et à praticjuer vos exercices de reli- munauté [tarait l'exiger,
gion,avec jjIus de facilité, de feiveur et 11. Dans toute société, dans toute com-
U'amour, ei (ju'eiles concourent par là à munauté, el surtout dan.s une communauté,
augmenter le nombre de vos mérites, à dans une société de vierges consacrées spé-
ajouter à votre couronne de gloire pour cialement au Seigneur, vous le savez, lou-
réternité. Que faites-vous donc lorsque les les personnes qui la composent doivent
*ous rompez ainsi, sans scrupule, le si- concourir à son bien, à y conserver, à y
lence qui vous est prescrit? Vous déplaisez mainienir en tout la régularité, qui est un
sûrciiient à votre célesle époux; quoicpic des plus grands biens dont elle j)uisse
vous ne l'oll'ensiez pas formellement, vous jouir; que quelques-unes, (pi'une seule
refroidiiSi.'Z cependant soii cœur à votre mêuic de ces jiersunnes |sc donne sur cela
(89
niscoLiis Di: ultuami
Ql ATRIl.Mi; JOUR.
tWt
dos libeili^s qoi .y soient coniraires, dès loi s
le bel Didre, celle liarnioiiie .uiiviiraljle (nii
la ri'iid égaleiiieiil agréable à Dieu ol chère
h riiglise, est «lérangt'C, est troublée; or,
voilà le inauvai.s ellet que produit cette li-
berté de parler, dans un temps prescrit,
pour le silence ; car enfin vous, ma chère
sœur,«qui la prenez sans scrupule et qui la
prenez souvent, celle lib'^rlé, sons prétexte
(jii'il n'y a point de péché, pouvez-vous
nmipre" ainsi le silence sans induire quel-
()u'une de vos sœurs à le roni|>re avec vous?
Non, sans doute ; soit que vous soyez la
|ircniière à parler à votre sœur, soit que
vous répondiez à votre sœur(pii vous parle,
le premier reprnche que vous fait votre
conscience, c'est (pie vous portez l(>s nuîres
ù enfieiniire un article de votre règle, ou
que du moins vous y concourez avec elles;
que vous êtes cause d'un scandale pai' cou-
séquenl, scandale d'autant |)lus grand (|uo
vous engagez un plus grand nombre de vos
sœurs à rompre le silence, ou qu'un plus
grand nouibre se trouve témoin do voire
infraction ; scandale qui deviendrait beau-
cou() plus grand encore si, par voire rang,
|)ar la place que vous occu|)iZ ou par vulre
âge, votre ancienneté dans la relifiion, vous
étiez plus obligée de donner l'exemple à
vos sœurs ; or, n'est-ce rien devant Dieu
de scandaliser celles que vous devez édi-
lier, que vous vous èles engagée d'édifier
en entrant dans la religion? il s'en trouve
parmi elles d'une conscience timorée, qui
croiraient mal faire, offenser Dieu, si elles
romp.aieut le silence, sans raison, sans né-
cessité ; vous les y poitez cependant par
votre conduite; est-ce là agir charilabie-
luent à leur égard? Elles font mal de se
scandaliser, dites-vous; cela peut ôtrc;
mais ne lievez-vous donc pas respecter leur
conscience, leur faiblesse même, si vous
voulez? Ali ! l'apôtre saint Paul pensait et
agissait bien différcmmenl, lui (pji disait
quesi, manger de la chair qui lui était per-
mise par l'Evangile, par la loi de Jésus-Christ,
scandalisait ses fières, encore iroji altechés
à la loi de Moïse, il n'en mangerait jamais.
Mais d'ailleurs, ce que vous faiies, vous,
celle liberté que vous vous donnez de [)arler
d;ins le temps de silence, de rompre le silen-
ce, et que vous cro_5 ez pouvoir vous donner,
toutes vos sœurs peuvent se croire en droit
de le rouifire comme vous, et si elles le lom-
pent en tlfet, que devient alors la commu-
nauté entière? Où est 1^; bon ordre? Que de-
vient cotle précieuse régularité? Qu'une
l'crsonne séculière soit introduite, pour
(quelque raison , dans une communauté où
I on ne se fait aucune peine de parler en
tout temps et en tout lieu, ciuelle idée s'en
formera-t-elle? Ne la regardera-t-elle pas
plutôt comme une assemblée de personnes
di.ssi|jées et toutes mondaines, que comme
une société de religieuses, do véritables
épouses de Jésus-Christ? N'en sorlira-t-elle
pas aussi mal édiliée qu'elle eût été édifiée,
si elle l'eût trouvée au contraire dans un pro-
luud silence?
ÎMaisje vais plus loin encore, Mesdames,
et je dis (pi'une coinmunanté qui ne connaît
point, qui n'observe |)oint le silence, ne peut
jamais être une communauté régulière sur
tout le reste ; ci Ile dissipation générale sup-
pose dans toutes, dans le plus grand nom-
bre du moins, |)eu d'estime et peu d'amour
pour leur saint état et pour tout ce qui peut
contribuera les y perfectionner, et beaucoup
d'inclination, d'attrait à se satisfaire , à ne
se gêner, à ne se mortifier en rien. Aussi un
très-grand personnage, très-versé dans les
voies de Dieu eî dans la direction des per-
sonnes religieuses, disait qu'on lui donnru
à conduire une communaulé la moins ré-
gulière, que s'il pouvait l'engager à obser-
ver exactement le silence, il osait promettre
de la changer, delà réformer entièrement;
il disait aussi de la communauté la plus ré-
gulière, la plus édifiante, (jue si le silence
n'y était plus observé, il était assuré qu'elle
perdrait bientôt cette grande régularité et
donnerait insensiblement dans les plus
grands désordres. Ceci est fondé sur l'ex-
périence. Vous verrez. Mesdames, au juge-
ment de Dieu, que bien des communautés
religieuses, qui avaiijiit longtemps édifié et
consolé l'Eglise, par leur ferveur, leur ré-
gularité, ne se sont livrées à une dissipation
habituelle, et ne sont tombées dans un scan-
daleux relâchement, que |)our n'avoir point
fait assez de cas du silence. Mais avançons;
j'ajoute que vous devez observer le silen-
ce, pour votre bien [larticulier. Troisième
raison.
m. Je n'ai pour cela , Mesdames , qu'à
vous faire remarquer la lin que vous vous
êtes proposée, en entrant en religion; g'a
été pour vous perfectionner, et pour plaire
à votre Dieu en vous perfectionnant : or
■vous le savez, le jiremier degré de la per-
fection, c'est d'éviter le [léché, et non-seu-
lement le péché grief qui donne la mort à
l'âme, mais jusqu'au péché le plus léger et
tout ce qui peut déplaire au Seigneur; et
voilà le premier avantage que procure le
silence bien observé, il produit le recueil-
lement extérieur, et ce recueillement est un
moyen de voir de loin et pour éviter les
occasions (jui peuvent se présenter d'offen-
ser Dieu et de lui déplaire; comme au con-
traire l'atlrait à parler porte facilement à
commettre des fautes, des infidélités : le
Saint-Esprit l'a dit, qu'on ne peut parler
beaucoup, sans se rendre cou|)al)le de pé-
ché et l'expérience ne lo confirine que troji;
on commence par des propos indifférents
et l'on finit, par en obtenir d'indiscrets et
de mauvais quelquefois; le démon toujours
allenlif à proliter des [lenchants, des dis-
posilions du cœur, après avoir engagé uno
personne religieuse à transgresser un arti-
cle de sa règle, a beaucoup moins de peine
à la faire aller plus loin; s'élant mise par
sa légèreté dans une situation à tiéplaire
à son Dieu et à no devoir plus compler sur
i.es grâces f)rivilégiées (jui font repousser,
avec facilité et avec succès, les assauts du
lualiu esprit , elle succombe loti aisément
!91
ORATEURS SACRES L'ABBE DE MONTIS
192
à SCS suggestions. Ju'iine rolii^ieuse qui
dans le jour, et quelquefois plusieurs fois
lejour'ne se fait aucun scrupule de rom-
pre le silence, fasse le soir son cxnuien
avec une sérieuse adenlinn , elle trouvera
sûrement à se reprocher bien des railleries,
des médisances contre ses sœurs, bien des
censures, des plaintes, des murmures pcut-
ôtre contre ses supérieurs, bien des fautes,
en un mot, et de toute espèce; mais quanil
cela ne serait pas, quand elle pourrait s'as-
surer rje ne jamais charger sa conscience
de quelque péché, ce qui est contre l'ex-
périence, elle conviendra du moins avec
moi , que le temps qu'elle emploie à parler,
et qui est consacré, par la règle, au silence,
est un temps absolument perdu pour elle ,
pour le ciel , pour son éternité : or est-il
permis, surtout à une épouse do Jésus-
Christ qui doit employer tous les inslants
de sa vie, que son céleste Epoux lui a mé-
rités au piix de tout son sang , et qu'il lui
a mérités uniquement afin qu'elle les em-
ployât à sa perfection, à son salut, lui est-
il permis de les employer à des riens, h te-
tir des propos qui au moins déplaisent tou-
jours au Seigneur, s'ils ne l'otï'ensent pas?
Ah! le Saint-Esprit dit expressément que
nous rendrons un jour à notre Dieu un
compte exact et rigoureux , même d'une
parole oiseuse: quel com,-)te une personne
religieuse n'aura-t-elle donc pas à lui
rendre d'une infinité do paroles, de
propos, d'entretiens tenus contre sa vo-
lonté l
Mais un autre degré de la perfection, c'est
de pratiquer la vertu et toute espèce de ver-
tus; de saisir avec zèle toutes les occasions
de se rendre agréable au Seigneur; c'est
aussi le second avantage que procure la pra-
tique du silence. Au lieu que le désir de
parler porte naturellement à la dissifjalion,
qu'il la produit et l'entretient ; que cette
dissipation , devenue bientôt habituelle ,
donne du dégoût pour les observances, pour
s'tniretenir avec Dieu; qu'elle empêche
môme qu'on ne l'entende, lorsqu'il daigne
p.iilerau coiur, l'amour du silence produit
des effets tout opposés et bien propres à
sanctifier une personne religieuse, en la
retenant daHs le recueillement, dans un
calme intérieur qui lui sert et. à se bien
connaître et à connaître tous ses devoirs; il
lui inspire cons6iiJcmment le goût de l'o-
raison, le désir de s'entretenir avec Dieu;
il la rend également attentive et docile aux
inspirations de la grûce, et de là, quels
grands biens, quels avantages pour celte
âme 1 Que d'actes de fidélité I que de vertus
l)raliquées dans un seul jour I Par consé-
quent, que de nouveilies grâces, que de
nouveaux mérites, que de nouveaux degrés
de gloire, pour le ciel ! Ce que j'avance ici,
Mesdames, est encore fondé sur l'expé-
rience ; quelle difl'érence en effet entre une
personne religieuse, tidèle à observer le
silence, et celle qui ne se fait aucune peine
de le rompre I La première se tient dans un
recueillement qui se manifcsle sensible-
ment an dehors; l'intérieur de son âme
paraît peint sur son visage ; on jugerait, en
la voyant, qu'elle marche continuellement
en la présence de son céleste Epoux et
qu'elle s'entretient habituellement avec lui ;
toujours vis-h-vis d'elle-même, elle aper-
çoit aisément les pièges que lui tend l'esprit
tentateur et les moyens les plus propres
pour s'en garanlir;ce silence fidèlement
observé lui inspire le recueillement, et le
recueillement augmente réciproquement
son goût pour le silence et tout à la fois
son attrait pour l'oraison, pour s'entretenir
avec son Dieu; elle sort toujours en effet
de ce saint exercice, avec plus d'estime de
son état et de désir de sa perfection.
Alais qu'il en est bien autrement de !a
religieuse qui ne sait pas rolenir sa langue 1
elle fait assez connaître qu'elle n'a pas un
grand attrait pour les pratiques do son saint
état, ni pour le recueillement. Une personne,
et une personne religieuse surtout, grande
parleuse, ne fut jamais une religieuse inté-
rieure, une fille d'oraison ; livrée à une dis-
sipation qui ne se manifeste que trop au
dehors, elle sent au dedans d'elle-même,
une répugnance pour tout ce qui peut la
rappeler h son Dieu; les temps consacrés à
s'entretenir avec lui dans l'oraison, ou à
chanter ses louanges, elle les emploie sans
goût, sans consolation, dans une distraction
coiilinuelle ; ces temps lui paraissent tou-
jours trop longs; elle les abrège le plus
qu'elle peut; elle en attend du moins la fin
avec impatience pour pouvoir se livrer sans
gêne, sans contrainte h son penchant h se
répandre, à se communiquer au dehors;
aussi, bien lo'n de faire des progrès dans la
vertu, de s'avancer dans la voie de la per-
fection, elle ne fait que retourneren arrière;
le démon, toujours attentif à saisir les
moyens de la perdre, lui fournit des occa-
sions de se satisfaire, aux dépens de ses de-
voirs; c'est une place sans fortificalions,
sans défense, qu'il attaque comme il veut
et toujours avec succès, et qu'il n'abandonne
point, qu'il ne lui ait fait perdre, par quel-
que faute griève, la grâce et l'amitié de Dieu;
car voilà le malheureux effet que produit le
plus souvent, dans une religieuse, cette
dissipation habituelle qui la porte à se satis-
faire, à parler dans des temps que la règle
lui interdit.
Ce n'est donc pas, comme vous lo voyez,
une chose aussi peu importante qu'on
le pense et qu'on !e dit quelquefois, de
ne pas observer Je silence , dans ; la reli-
gion, de le rompre facilement et sans scru-
pule ; si vous aimez sincèrement votre saint
état, si vous désirez véritablement de vous
rendre en tout agréables à votre céleste
époux, vous devtz donc observer le silence,
vous venez do le voir : mais comment de-
vez-vous l'observer, ou plutôt, quelles dis-
positions doivent accompagner votre silence,
afin qu'il plaise au Seigneur, et qu'il vous
soit utile à vous-uiômes; ''est le sujet de
la seconde partie.
iOS
DISCOURS DE RETRAITR
SECONDE PARTIE.
Ce n'ost point, Mosd.imes, à parler [pro-
prement, do faire le bien, qui nous rend
dignes de récom(iense, aux yeux de noire
Dieu ; c'est de le bien l'aire, ou |)our parler
plus juste, ce n'est plus f.iire le bien, j'en-
teiids un bien méritoire du ciel, de ne le
l>;is bien faire; l'on peut se livrer en eCfct J»
des nclions bonnes et saintes en ap|)areiice,
mais qui cessent d'être telles, lorsqu'on ne
les fait j)as dans un esprit droit, et avec des
dispositions saintes; plusieurs, et dans les
étals les plus saints, a|)rès avoir paru livrés
à des œuvres, et à ûc6 praliques saintes en
elles-mêmes, seront cepemlant, à la lin de
leur course, sans aucun mérite, pour avoir
agi dans des dispositions mauvaises ou i^eu
cbréliennes ; quoique riciies et opulents eu
apparence, ils se trouveront, comme le dit
la Uoi-Proplièle, les mains vides, et ,vrai-
n)enl pauvres en mérites au jugement du
Seigneur, Ce principe général dont vous
sentez la vérité, Mesdames, je l'applique à
U» pratique du silence et je dis que si vous
ne l'observez pas avec une intention pure
et droite ou dans tous les temps qu'il vous
est prescrit, on selon les règles de sagesse
qu'il exige vous n'entrez point dans les
vues qu'ont eues vus saints fondateurs lors-
qu'ils en ont fait un article de vos cons-
titutions; ainsi atin que voire silence soit
<igreabie à votre célesle Epoux et méritoire
pour vous, je dis que vous devez l'obser-
ver saintement , que vous devez l'observer
constamment ; que vous devez l'observer
prudemment; c'est ce que je vais vous ex-
jiliquer si vous voulez m'accorder encore
quelques moments de votre atlenticn.
1. Je dis en premier lieu que vous devez
observerle silence saintement c'est-i-Jire,
avec un motif ,pur une intention droite et
saillie. Vous me deuiandez peut-être ici, si
l'un peut l'observer ce silence et ne point
avoir cette pureté d'intention. Je vous ré-
ponds que cela se peut ; dans ceci comme
dans tout le bien que nous avons à faire et
que nous faisons, il peut aisément se mê-
ler des intentions purement naturelles qui
le rendent sans mérite devant Dieu, inutile
par conséquent pour le salut qui le rendent
mauvais même et condamnable, si le motif
est tel aux yeux du Seigneur. Une religieuse
garde le silence mais c'est par une espèce
(Je paresse naturelle, parce (ju'elle ne veut
jms se donner la peine de [larler; car l'on
vuit des caractères qui portent l'indolence
jusque-là; ou elle le garde si vous voulez
par pbilosopbie, par amour d'elle-même,
par un goût naturel, parce (ju'elle aime la
solitude; ou si vous le voulez encore elle
l'observe par amour de sa liberté, parce
qu'elle ne veut pas se gêner ni déjtendre
de personne. Qui ne voit que de pareils
motifs ne sont pas sufiisants [)Our rendre
son silence religieux agréable à son céleste
époux et méritoire pour elle? Une religieuse
observe le silence, mais par tem[)éraiuent
nar une liumeur sombre cl mélancolique
. — QUATRIEME JOl R. IKl
qui la domine et qu'elle n'a jamail Irava lié
à surmonter, qui fait que bien loin de vou-
loir parler (juand la règle le défend , elle
s'en abstient môme quand la règle le per-
met ou qu'elle l'ordonne; humeur qui l'ait
([u'ellefuit ses sœurs, que leur compagnie
lui est h charge et lui dé()laît ; est ce là un
motif bien pur qui puisse être agréable à
Dieu et susceptible de ses récom|)enses?
Une religieuse observe le si'euce mais
|)ar politique par respect humain, j)ar os-
lenlalion, par hy|iocrisie, parce (ju'elle est
bien aise de se faire une réputation parmi
ses sœurs, de ne pas enfreindre sa règle et
ses eonstitutions, ou t>arce qu'elle redoiile
les avis les réprimandes de ses supérieur
ou parce qu'elle a des vues quelqu'inlérèt
h se conserver leur estime et leur alleclion,
Soiil-ce là encore des motifs dignes d'une
épouse de Jésus Christ, qui s'est engagée
à se rendre agréable à ses yeux en tendant
en tout à la perfection?
Quand donc, Mesdames, votre silence
sera-i-il un silence vraiment religieux, qui
plaise à votre Dieu et qui vous soit méri-
toire? C'est lorsque ce sera véritablement
le silence de la religion que vous observe-
rez, je veux dire, lorsque vous l'observerez
pour Dieu, par amour pour lui. Il esc bon
de garder nos paroles^ mais pour Dieu, pour
sa gloire, dit saint François de Sales; ce
sera lorsque vous n'aurez, en les gardant,
d'autre motif que de [)laiie à votre célesle
Epoux, que d'obéir à votre règle, à vos
constitutions; que d'entrer dans les vucn'
qu'ont eues vos saints fondateurs, en vous
le prescrivant; je veux dire [)our vous con-
server dans un saint recueiileme'il, si pro-
pre à vous rendre familier l'exercice de la
présence de Dieu, à vous entretenir avec
fruit, avec lui, dans l'oraison ; à vous rendre
mieux disposées à entendre sa voix, lors-
qu'il daigne parler à votre cBur, et plus do-
ciles aux inspirations de sa grdce; à vous
acquitter, avec moins de distractions et
avec plus de fruit, par conséquent, de tous
vos exercices et de toutes vos pratiques de
piété. Il sera, votre silence, vraiment re-
ligieux, lorsque vous aurez intention, en
l'observant, de ne pas nuire à votre com-
munauté, de ne pas troubler le bon ordre,
la régularité qui y règne, do ne pas scan-
daliser vos sœurs!; que vous aurez dessein
même de leur donner bon exemple, de les
éditier. Quand de pareils motifs vous feront
agir, qu'il vous porteront à obéir à vos
conslitutionsen observant le silencequ'elles
vous prescrivent, soyez assurées alors que
votre céleste époux vous regardera avec
complaisance, et comme des épouses selon
son cœur, et sur lesquelles il se plaira à ré-
[)andre ses grâces et ses bénédictions. Je
dis plus présentement, c'est que si c'est su-
blimes motifs vous déterminent à observer
le silence, vous l'observerez constamment.
Seconde disposition.
Ce n'est qu'à la constance, qu'à la persé-
vérance, vous le savez. Mesdames, que votre
ueifection coui'jiy votre salut est attachée.
Î'JS
ORATF/lRS sacres. I/AUr.L l)K MONilS.
198
Si i!nns un Jemps vous vous rendiez lidèles
à ce (lue vous |)rest:rivenl voire roi^le cl
vos coDSlilulions, el que (J.ins un autre,
vous vous donnassiez la liberté d'y contre-
venir, ou eu i'aisanl ce qu'elles vous défen-
dent, ou en vous obslenaut cle ce qu'elles
vous prescrivent, je vous l'ai déjà dit, et
l'on ne j^eul trop vous le redire, vous mon-
treriez (pie vous asi;issez bien plus par ca-
liriee, par légèreté ou [lar queLpieaulre mo-
tif naturel et lout humain, (pie par un vé-
rital)le amour jiour voire Dieu el pour
voire sailli état ; vous ferie? évidemuient
connaître alors que vous n'avez jias un
vrai zèle, un désir ardent et bien sincère de
voire avancement spiriluel, el de (ilaire, en
y travaillant , à votre céleste époux, com-
bien cependant qui, sur cet article de vos
constitutions que je Iraco ici montrent
une légèreté d'esjirit, une ineonstance, ou,
si vous voulez, une inconséquence de con-
duite qui suflit pour persuader à' ceux el à
Cl lies (pii les voient agir, que ce n'est point
véritablement l'esprit de Dieu qui les anime.
Ou observe.le silence dans un temps, el on
.'c rompt dans un autre; à l'ajifjroche do
quelques fêles, de quelques grandes solen-
nités ou pendant une relraite, l'on pense à
se mettre, comme l'on dit, en dévotion ; ou
allecte alois la |)lus grande régularité; on
se ferait scrupule de manquer au silence;
rien de [ilus^éditiant que celte conduite, que
celle evaclitude; mais malheureusement,
elle dure [teu; la fêle une l'ois passée, la
solennilé célébrée, la relraite terminée, on
rejjiend sa première conduite ; même dissi-
pation, même liberté de [larler quaujiara-
vanl ; l'on se dédommage par là, en (piel-
(pie sorte, de la gène, de la violence qu'on
s'étail faite pendant quelques jours.
On observe le silence, mais c'esl dans un
lieu plut(jt que dans un aulre ; on ne vou-
<lrait pas parler, par exemple, dans le lieu
consacré à adorer le Seigneur, destiné à le
(irier et à chanler ses louanges, on se le
j'cprocherait comme une grande prévari-
cation , el j'avoue < n ell'el, Mesdames, Ique
sa donner celte liberté dans un lieu saint,
de parler au choeur sans née sAé, unique-
4uent pour parler, c'esl uiu; faute plus con-
sidérable (|uo de parler en lout aulre lieu;
mais oulie que dans une maison religieuse,
toutes les parties qui la couqiosenl sonl
san(;liliées par la consécration (jui en n été
laite au Seigneur, pour y servir de séjour
a ses épouses, je dois vous faire remarquer
que vos constitutions, lorsqu'elles vous
pres'.Tivent le silence, ne font aucune dis-
linciion entre lieu et lieu ; que l'iiilenlion
et de ceux qui les ont composées ces coiis-
lilutions, el de l'iiglise notre mère ([ui les
n approuvées, c'esl que le silence soil ab-
soluuien* observé dans toute la maison ;
qu'il suit universel [»ar rap[)orl aux lieux
comme par rapport aux temps prescrits. Ou
observe le silence, mais c'esl avec quelques
personnes plul(jl qu'avec d'autres ; on se
trouve placée dans un endroit avec une
sueur qui ne plaii jias, el qui n'est [las, si
vous voulez, d'un caractère à plaire, avec
laquelle, dit-on, il est impossible de sym-
paliiiser ; on oltserve «'xaclement le sib-ncc
avec elle ; s'il lui aiTive de parler, de faire
quebiue cpiestion, fût jce même avec (luel-
que espèce de raison el de nécessité, on ne
lui ré|)Ond pas, ou on ne lui répond (juc
pour lui objecter la loi et le tem|)S du si-
lence ; il est bien clair alors que ce n'est
plus Dieu, mais soi-même qu'on cherche ;
que ce n'est point par amour pour Dieu
(ju'on se conduit, mois par amour pour soi-
même; cela eït si vrai que si, au lieu de
celle sœur peu aimable et jieu aimée avec
la(|uelle on se trouve, la Providence, par la
voie de la supérieure, donnait pour aide,
pour com[)agne, celle pour laquelle on se
sent une inclination naturelle qui ne se
manifeste que trop peut-être, el qu'on ne tra-
vaille point assez à déraciner, l'on n'aurait
certainement plus la même fidélilé el la
même exaciilude au silence ; on ne se ferait
aucune peine, aucun scrupule de parler, de
lier peut-être d'assez longues conversations,
malgré les remords de la conscience. Or
voulez-vous, Mesdames, plaire vénlable-
meiit à votre céleste Epoux et vous avancer
chaque jour, chaque instant même, dans la
voie de la perfection? n'ayez que lui en
vue ; obéissez à votre règle et à vos ciaisti-
lulions uniquement jour lui el par zèle de
votre sanctilication ; cl alors vous ne ferez
sûrement aucune réserve, aucune distinc-
tion des personnes, des teiups ni des lieux;
tous les lieux, tous les temps, toutes les
personnes seront pour vous les mêmes,
dès qu'il s'agira de pialiquer le silence.
Hé quoil Mesdames, ce Dieu toul-pnis-
sanl et inlinimenl aimable que vous servez,
cl pour lequel seul vous devez faite loul ce
que vous faites, ne mériic-t-il pas telle al-
teiiliou de votre part, celle consance à ac-
complir lout ce qui vous esl prescrit, pour
lui jdaire? N'est-il pas toujours le même, à
voire égard, toujours voire Dieu el votn;
é|»oux, mais un Dieu plein de boné, un
éjjoux rempli d'amour pour vous ? Chaque
jour, chaque iiiSlant du même jour el de la
nuit, il prend soin de vous, il veilo sur \ouo
toutes et sur chacune do vous, comme .«-i
elle était seule l'objet de sa providence et de
tous ses soins. 11 vous comble do ses bien-
faits dans l'ordre de la naluie il de la grAce;
àcluHjue inslanl, il vous donne des marques
sensibles de son amour, en vous commun. -
quant, presqu'à clia(|ue instant, de nouvel-
les grices, de nouveaux secours, pour vous
faire |)iali(iuer la veilu ei Irav.iiiler, av.,c
succès, au grand ouvrage de votre perfec-
tion et de votre salut. Pourriez-vous donc,
en |ieiisaiil sérieusement à lout ce (|u'il e*l
à votre égard, à loul ce qu'il continue de
faire pour vous, lui refuser ces légirs lé-
nioignagcs do voire attachement? Pourcjuoi
lui refuser ces petites marques de votre li-
délité (ju il vous demande el que vous sen-
t z bien, au fond de votre cœur, qu'il vous
demande, par les troubles, le> reproches,
les remords que vous éi)rouvjez, toutes ks
197
DlSœniS DE RETRAITE.— QUATRIEMi; JOIR.
1?8
fois que vous vous donnez la liberté do rom-
jirc le silence, dans un Icmps défendu el
Siuis néeessilé? Vous devez donc, si vous
avez sincéieinent à cœur de plaire, on loul,
à voire céleste Epoux, et d"av;\ncer sans
cesse d;uis la voie de la perfection, vous
devez observer saintement el constamment
le silence; mais cela ne suffît pas, il faut de
plus, l'observer prudemment : troisième et
dernière disposition.
III. Que veu\-je dire par-là? Le voici,
Mesdames; c'est qu'en observant le silence,
vous devez user de discrétion ; discrétion
qui e5t une vertu, mais qui n'est point as>ez
i:onnue parmi les personnes relij^icuses ;
vertu que les anc:ifns Pères du désert, les
jihis éclairés, les plus versés dans la spiri-
tualité, ilans les voies de Dieu, cslimaienl
beaucoup, qu'ils recommandaient avec soin
à leurs disciples, vertu qui consiste à se te-
nir toujours dans le milieu, à éviter les ex-
liÔMies cù le bon ne se trouve jamais ; verlu
qui fait qu'on s'acquitte de tous ses devoirs,
qu'on fait inèmc toutes ses actions avec
cet'.e modération, cette sagesse, celle pru-
dence chrétienne qui est absolument néces-
saire, pour leur donner un véritable prix,
ou du moi is qui en augmente le mérite a.ux
yeux de Dieu. Or cette discrétion, cet e
prudence par rapjiort au silence, consiste
d'abord à ne iioinl l'étendre au-delh du
temps prescrit : une sœur observe à la vé-
rité exactement le silence, dans tous les
tenq)s où elle doit l'observer; mais silen-
cieuse par caractère, par humeur, par tem-
pérament, ce silence qu'elle observe, loul
le temps (jue la lègle l'ordonne, |iarce qu'il
est de son goût, elle l'observe également
iiu-tJelà, (Ile aUecle même et s'opiniâtre ii
le garder, même au teu)ps des ré<.'réal:o:is ;
ce n'esl plus alors entrer dans l'esprit de
ses fondateurs, et observer fidèlemenl ses
eonstitulions. Le Saint-Esprit l'a dii, qu'il
est uu temps de parler, et un temps pour se
laire : or le temps de jiarler pour vous, mu
chère sœur, c'est le temps qui vous est ac-
cordé pour reliicher un peu votre espiit el
soulager votre corps. Si vous crojez devoir
le [)asser dans le silence, vos sœurs croi-
rout avoir le môme droit que vous, et alors
cet exercice ordonné très-sagement, connne
les autres, par vos constitutions, ne sera
plus observé par votn^ faute
Mais non-seulement la vertu de prudence,
tie discrétion ne permet pas de garder lo
silence, lorsqu'il n'est pas ordonné ; mais
elle exige de plus quelquefois qu'on le cell
rompe Uans le temps même où il est jires-
cril. Une religieuse, par exemi)le, à raison
do son emploi ou pour quelque autre cause,
lera une question à une de ses sœurs ; mais
parce que c'est le temps du silence, celle-ci,
par une délicatesse de conscience mal pla-
rée, s'abtient de lui répondre el la lorce
par-là de manquer à (juelque chose de son
«inploi; qui ne voit que la discrétion, la
prudence lui permettait, lui prescrivait
môme de parler et de réiiondre A la (jucs-
Uou qu'on lui a faite? Lue sueur un peu trop
parleuse, si vous voulez, vous adresse la
parole dans le temps du silence, du grand
silence même ; elle vous parle de plus,
sans la moindre nécessité; failes-luientcii-
dre, à la bonne heure, par qnehpie signe et
avec un air surlout de douceur et d'amilié,
qu'elle prend mal sou'tcmps ; mais sans y
avoir égard, ol!e s'ob>tine à vouloir que
vous lui répondiez; si vous vous obsljnez,
vous, à garder le silence, vous l'injpalien-
Icz, vous l'aigrissez, vous iis(]U('z à 'a met-
tre en humeur, en vivacité, à lui faire olfeii-
scr Dieu, par consé(|uent. Que faut-il donc
faire alors? vous rappeller ce (pie dit saint
François de Sales, que la complaisance,
que la charilé envers le prochain doit t'Ui-
nager sur tout, que vous devez l'exercer
jusiju'au péclié exclusivement ; c'est consé-
quemmenl d'avoir égard à la faiblesse de
votre sœur de ne vous faire aucune peine
de lui répondre; parlez-lui donc, mais com-
me vous le prescrit le môme saiiil, lardivr-
mcnt, doucement et brièvement. Turdiveiueni,
en lui faisant connaîire (jue vous ne vous
déterminez à lui répondre que par purii
complaisance, que pour ne lui causer au-
cune peine; doucement, en accompagnant
votre réponse d'atrabililé, do cordialité c^ui
la fasse se retirer d'au[irès de vou-; égale-
ment satisfaite et édiliée ; enlln brièvemcni,
en ne liant point avec eilu une conversa-
tion longue et inutile, el en répondani en
peu de mots et d"un ion qui se ressente du
silence. En gardant ces règles de disirétiou
et de prudence , vous pouvez être tran-
quille; bien loin d'avoir quelque faute à
vous reprocher, vous aurez fait au contraire
un acte de charité (pii peut avoir môme un
meilleur eliel et un plus grand mérite que
vous ne pensez, en donnant lien à celto
sœur de rétlécliir sur sa pro[)re indiscré-
tion, et sur la conduite sage el discrète 'quo
vous avez tenue envers elle ; en lui fai-
sant prendre |)eut-ê(re encore la résolu-
tion do proliter de votre exemple , et
d'être plus circonspecte et plus régulière à
l'avenir.
Liilin, Mesdames, celte prudence, celle
sage discrétion, si elle ne vous interdit pas
absolument de parler quehpiefois dans lo
temps consacré au silence, elle exige aussi
que vous vous énonciez toujours alors en
peu de i)aroles, avec toute la gravité, la
modestie et le recueillement dont vous êtes
cai'ables ; que vous pailiez toujours d'un
Ion à no jamais troubler ni scandaliser
celles de vos sœurs qui pourraient vous
voir ou vous entendre; elle exige de plus
que vous pensiez devant Dieu à ce que
vous avez à ié|)ondi-i; et de quelle maniéie
vous devez ré[)ohdre, alin de n'avoir, eu
parlant, aucun reproche à vous faire; c'est
un avis qu^e donne le Saint-Es|iril, el qui
était si bien prati(pjô par les anciens soli-
taires, ([u'ils n'ouvraient jamais la bouche,
(]u'après avoir élevé leur cœur à Dieu ;
aussi un d'eux, à la mort, disait-il à ses
frères assemblés autour de lui, qu'il ne se
rappelait pas d'avoir jauiais [iroféré une
K9
ORATiaRS SACRES.
I nrolc, dont il eûl à se ropcntii-. Si vous
n'en êtes pas à ce dejjré de perfeclion, Mes-
dames, n'aver-vous rien du looiiis à vous
reproclier sur celle pratique du silence, si
rucorainandée dans tous les inliluls et dans
le vôtre en ()arliculitT? Un relour ici sur
vous-aiÊmes ; alil quand Jésus-Clirist exi-
gerait de vous des observances mi. le t'ois
jilus dilTiciles, vous devriez vous y confor-
lueravec plaisir. Hélas I bien des religieu-
ses ne sont si peu tidèles à cet article de
leurs constiluiions , que parce qu'elles
regardent le silence comme une source
d'ennui. Qu'elles sont dans l'illusion ITout
ce qu'on fait pour Dieu, cl surtout dans
votre saint état, vous le savez par ex[)é-
rience, Mesdames, est accompagné de con-
solations qui ne sont bien connues, à la vé-
rité, que des religieuses ferventus et cons-
tamment régulières; avec l'apparence de la
tristesse, elles sont intérieurement dans la
joi>i, comme le dit l'apôlre saint Paul :
Quasi tristes, semper aulem gaudenles. ( Il
Coi-., VI, 10.) Mais quand il y aurait quel-
que peine, une épouse de Jésus-Christ
n'est véritablement telle à ses yeux qu'au-
tant quelle travaille à se mortitier, à soul-
liir comme lui et pour l'amour de lui.
Ah 1 Seigneur , je le conçois et je le re-
connais aujourd'hui , que le silence, dans la
religion, n'est point une protique indillé-
renle; que c'est même un moyen très-pro-
pre à s'avancer dans la voie de la perluclion,
parle rtcueiilemenl intérieur qu'il j)roduit
et qui l'accouqiagne. Hélas 1 si apiès tant
d'années passées dans ce saint état, je me
trouve si peu })arfaite, une des causes peut-
ôlre, c'est ma trop grande dissipation qui
m'a empêchée de me soumettre h des prati-
ques que j'ai trop regardées jusqu'ici comme
peu importantes ; on me l'a dit tant de l'ois,
que dans la religion il n'y a rien de petit,
lien à négligei- ; (jue les actions éclalanlcsy
sont [)eu communes; que c'est la tidéliié
aux petites choses qui t'ait la religieuse fer-
vente aux yeux du céleste époux. Je le re-
connais aujourd'hui, et plus que jamais,
û mon Dieu ; je prends donc, dès ce mo-
ment, la résolution de me rendre plus h-
dèle è observer le silence dans tous les
temps prescrits par mes constiluiions ; met-
tez vous'iiième. Seigneur, une garde à mes
lèvres : Poiie custodiam ori meo (l'sat.
CXL,3), atin que tidèle à cette pratique
si sagement ordonnée, si utile aux so-
ciétés religieuses, si avantageuse jiour moi
en particulier, je puisse par le recueillement
intérieur qu'elle produira dans moi , croître
chaque jour en vertu , en (>eiieciioii , en
sainteté, el mériter par là vus giâces dans
le temps, el vos récunipen>cs dans l'éterni-
lé. Ainsi soil-il.
L'ABBE DE MONTIS. iOO
QUATRIÈME JOUR.
rioisième discours.
SLR LA TIÉDELK.
ll.ibeo adversum l«, quod charitalem tuam primani re!i-
quisii. {Apoc, II, 4.)
J'ai un reproche à vous faire, qui est que vous vom êtes
relâché de votre première charité.
C'est , Mesdames , à l'évêque d'Ephèse,
que bien des interprètes croient être 'iimo-
lliée , ce disciple de ra|)ôtre saint Paul , que
Jésus-Christ faisait ce reproche : depuis
surtout qu'il avait été élevé à l'épiscopat , il
avait mené une vie digne, ce semble, de
celte redoutable dignité; le Seigneur recon-
naît en effet qu'il s'est livré à toutes sorles
(le bonnes œuvres : Scio opéra tua {Apoc,
11, 2.j; il rend justice à l'ardeur de son
zèle, qui le portait à ne pouvoir môme sii) -
orler les méchanls: Non paies suslineremu-
1)0
ios Jlbid.), h recher> hi'r'cl à éloigner du
divin bercail ceux qui, ()Our séduire les
Ames, se gloriliaient faussement du titre
d'apôtres; le Seigneur convient de plus
que cet évèque a soulfert avec la plus
grande patience et en mémo temps avec la
plus grande fermeté , fiour la gloire de soh
nom ; et cependant quoiqu'il parût remplir
si fidèlement ses devoirs , il n'est point s.ms
tache aux youx du Seigneur; il s'était re-
lâché de sa première ferveur: Charitalem
tuam primam rdiquisli ; son cœur s't lait
insens, blemenl relroidi pour son Dieu ;
à une vie active et toute d'amour avait
succédé un état languissant et de tiédeur ;
voilà ce que le Seigneur lui reproche ; tt-l
est l'état d où il le presse de sortir et pour
lequel il l'exhorte, il lui ordonne môme de
faire promplcment pénitence, s'il ne veut pas
éprouver, dès cette vie, ses chûlimenls et
son indignalioii.
Hélas I Mesdames , ce reproche el ces me-
naces que le Seigneur faisait à cet évoque
de la primitive Eglise, ne pourrait-il pas le
faire ou ne pourrait-on |)as le faire de >a
part, je ne dis pas seulement à ces chréiie.is
qui au milieu du UiOnde lont f)rofession
de le servir, mais de plus à ces personnes
qui, après avoir tout quitté , se sont entiè-
rement consacrées à lui dans la relraile?
Combien qui vivent dans la tiédeur, dans
une langueur Sjiirituelle eniièiem. ni oppo-
sée à l'esprit du saint état qu'elles ont em-
brassé 1 Ah! saint Bernard disait qu'il y
avait peu de maisons religieuses où il n'y
eût des âmes tièdes; si cela éiait de sou
temps, que devons-nous penser du nô.re?
C'est, Mesdames, pour vous faire craindre
cet état, el pour vous en préserver, que j'en-
treprends ici de vous le faire connaître, et
dans sa nature et dans ses ell'e's. Je dis pour
cela, en premier lieu, que l'état de tiédeur
est très-mauvais, considéré ei lui-même,
parce qu'il nous éloigne de Dieu ; ce sera
le sujet de la première partie de cet en-re-
lien. Je dis, en second lieu, que l'élal ne
liédeur est Irès-lunesle considéré dans ses
ftleis , parce qu'il éloigne Dieu de nous;
ce sera le sujet de la seconde | artie : a tcn-
lion , je vouspiic. Ave, Maria.
201
DISCOURS DE RETRAlTi:. - QUATftlE.Ml:: JOUR.
PnHUlÈUE PAUTIE.
202
Avant, Mesdames, de vous f.iire considi^-
rer la tiédeur, soil par rapporta Dieu, soit
iiar rapport à nous, il convient, ce semble,
de fixer vos idt'es et de vous luire couutiîU-e
ce tiue c'est, dans la reliai"!! sur eut, d'élre
(innsla tiédeur : ainsi être tiède pour une
personne religieusi!, c'est, à la vérité, ne
jias se livrer ouverloinont au crimi' , mais
c'est aussi ne pas pratiquer lidèlenifut la
vertu ; c'est ne pas scandaliser par un mé-
I ris formel des rèi^les et des observances ,
tuais c'est aussi ne pas édifier par une pra-
li(|ue exacte et continuelle de toutes les rè-
gles et des moindres observances; c'est, si
vous voulez, rem|iiir à l'extérieur ses de-
voirs, mais c'est ne les rem|>lir qu'à l'exté-
rieur; c'est, au lieu de faire toutes ses ac-
tions avec f)urelé d'intention, uniquement
vu vue de plaire à Dieu , de lui obéir, de
lui témoigner son amour et de travailler
par-là à son avancement s|)iriluel , à sa per-
r«!otion, c'est se conduire en tout par des
motifs non |)as aLyiolument criminels, mais
purement nalurels et tout huuiains ;~ c'est
agir par coutume, par bienséance , par res-
pect bumain; ainsi on ne peut pas dire
qu'une personne religieuse dans la tiédeur
baisse absolument son étal, mais aussi ne
peut-on ttas dire qu'elle l'aime assez pour
en remplir les devoirs avec zèle et avec
f. uit : elle n'a pas h la -vérité un éloigne-
mont constant pour la vertu; mais aussi
eiien'a pas pour la vertu assez d'attachement
pour la pratiquer en lout temps et en toute
occasion; elle est inôiiie vertueuse, mais
par intervalle et jusqu'à un ceitain degré ;
l'humilité , elle la pratiquera , mais pourvu
que rien alors ne blesse son amour-propre ;
tu mortification elle s'y livre ({uelquelois ,
luais enneujie de touie gèni! , de toule con -
irainte, elle se ménage avec soin dans le
leojps même où elle paraît se mortifier, et
manque peu les occasions qui se présentent
de se procurer ses aises et ses commodités ;
la charité, la condescendance, elle se pi été
mi soulagement du prochain par naturel,
par tempérament peut-être , mais elle est
uieu éloignée de vouloir souffrir et encore
moins de se sacrifier par amour pour lui ; la
douceur, la patience, elle en donne quei-
qcjt'fo.s des marques , mais en choses légères,
et pourvu qu'elle ne soit [)as trop exercée,
trop contrariée; l'obéissance , elle la prati-
que à l'extérieur , elle y met inôme du zèle,
bi la chose commandée est do son goût, ou
SI la personne qui commande lui est agréa-
ble , mais pour l'obéissance de res|)rit qui
consiste à juger et bon et bien ce qui lui est
commandé, elle ne s'y croit point obligée,
cl se dédommage de la gêne que lui cause
ion obéissance extérieure et apparente, par
une censure et une révolte iniérieure et
(.achée ; la («auvreté , elle n'est pas sans dé-
sir ft sans cupidité ; elle sait à la vérité se
passer dans son état de ce qu'elle ne peut
•ibsolument se procurer, mais bien loin
<raimer les privations et u'être dans un dé-
OUATELRS SACUÉ5. LXVIJI.
lacliemenl absolu, universel , quo le dé-
tours et de moyens elle emj.ioie à se pro-
curer ce qu'elle désire, puis ipie d'illusions,
que de faux prét'^xles pour s'excuser et se
iranquilliser sur des uioyens qu'elle voit
bien n'èlre pas conformes à la sainteté de
ses vœux , de ses engagements 1 Ainsi ,
mesdames , comme vous le voyez, une per-
sonne tiède dans la religion ce n'est point
une personne scandaleuse, elle paraît à l'ex-
térieur remplir ses devoirs; ce n'est point
une hypocrite, elle n'a point l'ambition de
|)asser pour une sainte; c'est-à-dire qu'à
proprement parler elle est sans attrait pour
le péché , et sans goût pour la vertu ; qu'elle
n'est ni bonne ni mauvaise , ou pour me
servir de l'expression du Saint-Esprit, elle
n'est ni froide ni chaude : Utinam frigidus
esses aut calidus'J [Apoc , III , 15.)
Ah ! Mesdames, cette légère peinture de
l'état de tiédeur, devrait suffire pour vous
en insi irer une crainte et un éloignement
infini ; mais pour exciter encore |)lus efiî-
cacement ces sentiments dans votre cœur,
je dis présentement que cet état est très-
mauvais en lui-même, parce qu'il ne tend
qu'à nous éloigner de Dieu et pour vous le
prouver j'avance ici quelques principes
dont je me flatte que vous sentirez toute la
vérité; c'est en premier lieu, quo le Dieu
que nous adorons ne nous a créés que
pour le servir dans l'état et selon la manière
qu'il n fixée dans ses décrets éternels: c'est
en second lieu, qu'en quelqu'état et dans
queliiuc situation qu'il nous ait mis sur la
terre, c'est autant par amour pour nous
que pour sa gloire ; c'est par un elfet de cet
amour pour nous qu'il nous a comblés et
qu'il nous comble sans cesse d'une infinité
(Je grâces et de bienfaits c'est en troisième
lieu, que notre Dieu ne nous a point mis
sur la terre et dans tel et telétatpouryderaeu-
reréternèllement, mais qu'après l'avoir servi
quelque tem[)S, dans l'étatoù il nousa placés,
il nous destine à une récompense ou à une pei-
ne proportionnée ou auxmérites que nous au-
rons acquis, ou aux fautes que nous aurons
commises dans cet état. Ainsi, Mesdames, ces
principes une fois ()0sés, voici les consé luen-
ces que nous en devons naturellement tirer.
C'est, en premier lieu, que nous devons
nous soumettre humblement aux volontés
d'un Dieu infiniment puissant qui a tout
droit sur nous. C'est en second lieu, que
nous devons nous , montrer parfaitement
reconnaissants envers un Dieu infiniment
bon qui nous comble de ses grâces et de
ses bienfaits. C'est en troisième lieu, que
nous devons craindre et redouter un Dieu
infiniment juste, lequel s'il doit nous ré-
compenser de nos bonnes œuvres, doit
aussi nous punir de lout ce que nous au-
rons fait dans, notre état de désagréable à
ses yeux: or cela étant , je dis présente-
ment que tout chrétien et à plus forte rai-
son que toute personne religieuse, no peut
se tenir dans un état de tiédeur, d' lan-
gueur, dans le service do Dieu, sans se
rendre tout à la fois et rebelle aux volontés
$os
OHÀlLlIkS SACRES. I/AB«E DÉ MONTIS.
S»4
(lesjii Dieu cl ingfiiU' <iiix hioiilails de sou
Dieu el insensible aux proun^ssos et aux
menaces de son Dieu , el ct)nsé(|ueniraenl
sans mépriser forniellemenl el la puissance
el la bonlé el la justice de son Dieu. Sui-
vez-moi s'il vous plaît.
1. Oui , Mesdames, mépris formel de la
puis'^ance de Dieu, voilà la première injure
que lui fait 1 /Ime tiède dans la religion ; ce
Dieu lout-|iuissan(, el je vous l'ai «léjh dit,
(fui de toute éternité se suflisait parfaite-
ment à lui-même, aurait pu nous laisser
lous et pour toujours dans les ahimes du
néani ; mais aussi nous eu ayant tirés, par
un etforl de sa puissance et nous ayant
faits créatiwes raisoiniahles, capaljles de le
connaître el de l'ainrer, il n'a pu nous for-
mer que pour sa gloire^, de là l'obligation
étroite dans laquelle nous sommes tous,
de ne rien l'aire i|ui puisse lui déplaire; ce
n'est point assez, de là l'obligation d'en-
trer dans loutes ses vues cl lie le servir
précisément dans l'état et de la manière
dont il veut que nous le servions ; car, vous
le savez, Mesdames, c'est iui-même, c'est
notre Dieu qui a fait tous l«s états et qui
nous a destinés tous el de toute élerniiéà
(]uelqu'un de ces états, et vous comprenez
aisément |)ar là , combien il serait dérai-
sonnable el dangereux môme de se choisir
lin état, sans consu'ter sa volonté, et encore
plus, comme il ariive cependant quelque-
fois, contre sa volonté.
Or, dans ces étals si multipliés el si diffé-
reiiis les uns des aulres, il est des obliga-
tions communes h tous, il en est de S()écia-
les et propies à chaque étal; tendre à Dieu,
l'aimer et le servir, éviter de lui dé|ilaire et
de l'offenser, travailler au contraire à lo
glorifier par des œuvres saintes et inéritoi'-
res, faire le bien en un mot, el s'abstenir
du mal, voilà ce qui est co.mmun à tout
état ; voilà les devoirs indispensables à tout
clirétien, dans quelque état qu'il se trouve;
mais pour la manière de servir Dieu et de
lui plaire; pour la qualité des œuvres qu'il
faut faire ,oour entrer dans ses vues et pour
le glorifier ; ()Our les degrés de [)eiiectioii
et de sainteté qui doivent accompagner ces
œuvres; [lour l'esprit en un m'jDl, qui doit
animer la conduite et les actions, tout cela,
Mesdames, est diirérent en chaque étal;
vùilà ce qui spécifie el co qui caractérise
cliaque état, ce qui dislingue un élat d'un
autre étal : dans les uns il y a beaucouj» de
devoirs, il en est beaucoup moins dans les
autres ; ceux-ci paraissent plus doux et plus
aisés et ceux-là plus difficiles el plus aus-
tères ; il en est qui paraissent compatir
avec les honn(;urs, les richesses el avec
tous les avantages que le monde procure;
il en est d'autres qui ne subsistent que par
la privation de ces mômes avantages ; voilà
la différence que le Tout-Puissant a voulu
mettre en ce monde dans la manière de le
servir; c'est là celle belle el admirable va-
riété qui fait l'ornement et la beauté de l'E-
glise il peu près comme les ditrérenls corps
dt; biumeiilà deslmés à dill'érenls usages,
font la beauté d'un palais ou comme ce
iiond)ie prodigieux d'étoiles au ciel , de
poi.ssons dans la mer, d'animaux sur la
teire et d'oiseaux dans les airs, font la ma-
gnilicence de ce vasie univers et annoncent
la gloire el la puissance de celui qui l'a créé.
Or, Mesdames, la première conséquence
(|uo vous devez tirer de tout ceci c'est que ,
comme ces êtres inanimés tendent tous
chacun à sa manière à glorifier leur créa-
teur, en suivant toujours et aveuglément
SCS volontés, vous, créatures raisonnables
que Dieu par un |)rivilègt! tout spécial a^
|ilacées dans un étal saint et parfait , vous'
devez donc le servif avec plus de perfec-
tion et de s-ainteté que celles qu'il a placées
dans le monde et qu'il a mises au rang du
commun des chrétiens; ce que vous devez
conclure encore, c'est que lorsque vous ne
servez pas votre Dieu avec toute la perfec-
tion et toute la ferveur donl vous êtes ca-
pables, qu'il attend de vous et qu'exige vo-
ire étal, dè.î lors vous détruisez, autant
qu'il est en V(Uis , cet ordre, cette économie
admirable de la >ages^e de votre Dieu ; vous
vous rendez rebelles aux volontés de votre
Dieu, volontés que vous ne pouvez ignorer
et par conséquent vous paraissez mépriser
la grandeur et la [niissaiicc de votre Dieu.
Ame tiède el lâche s'il en était ici quel-
qu'une, [leut-ôlre dans ce moment, fr.ippén
de ces grandes vérités, demandez-vous in-
térieurement pourquoi votre Dieu a voulu
plus exiger de vous que de beaucoup d'au-
tres, en vous plaçant dans un état dont les
devoirs sont el en si grand nombre el si
dilfieiles à remplir; âme aveugle, je pour-
rais vous répondre que vous vous lrom[)ez
dans le jugement que vous portez, sur les
ditférenls états qui parlageiii le chrisiianis-
me. Je pourrais vous dire que ceux que
vous regardez i)eut-ètre avec envie, ()rocu-
leiit inlinimenl i)lus de peines et d'inquié-
tudes, plus de leniations el plus d'ob>taili's
au salut par conséquent, que celui dans le-
quel vous vous trouvez et que bien loin do
vous [ilaindre des disi)Ositions de la provi-
dciice à Totre égard, vous lui avez une obli-
gation toute S()éciale, mais je n'ai sur cela
qu'une réponse à vous faire; c'est (jue vo-
tre Dieu VOUS ayant créée et placée sur la
terre jiour lui el uniquement pour lui , il a
été le maître de votre destinée; que !e po-
tier, |)Our me servir de la comparaison de
l'apôlie saint Paul, emploifi l'argile à faire
tel vase qu'il lui plaît, sans que celui-ci
puisse lui en demander la raison; qu'cl;inl
tous sous la main toute-puissante de notre
Dieu et que lui appartenant tous à titre de
créatures, il serait déraisonnable, injuste,
im|)ie môme, de vouloir lui faire rendre
compte de la conduite qu'il tient à notre
égard ; qu'ayant comme notre Créateur,
tout droit sur nous il peut par conséquent
faire de nous ce qu'il lui |)laît et nous
desiiner à toUe condition, à tel étal sans
que nous ayons droit do nous plaindre ;
qu'il doit nous suffire de savoir qu'il agit
en toul ot qu'il ne peut même agir en tout,
SOS
DISCOLllS DK RKÏIIAITF. — QUATRIEMK JOUR.
208
(j'ic pour sa gloire et pour notre boiilioiir,
et que nous uo pouvons par consécpicnt ni
nous plaror diins un état où il rie nous veut
pas> ni vivre dans l'él.it où il nous veut, au-
Ireoaeiit qu'il le souhaite, sans aller direc-
teiuent contre sa volonté suiirême et par
Conséfiuent sans un inéprià formel de sa
grandeur et de sa puissance.
II. Mais un autre injure que fiiil h son
Dieu, une personne religieuse tiède et indo-
lente h son service, c'est de mépriser son in-
finie bonté; plus nous éprouvons les effets
de celte bonté inépuisable, plus aussi de-
vons-nous lui en témoigner n<)tre reconnais-
sance. Si cela est, Mesdames, pour qui cette
obligation est-elle pi us étroite que pour vous?
Auxquelles de toutes les créatures O'^t-il don-
né plus qu'à vous, des témoignages de son
amour et de sa prédilection? Oui vous, ma
chère sœur> vous ijui portez aujourd'hui
un cœur froid et languissant, qui ne dit tien
et qui ne sent rien, pour votre Dieu, ah î
pour vous guérir de cette insensibilité, je
ne veux ici que vous rappeler, un moment,
vous-même à vous-même, que vous faire,
on peu de mots, l'histoire des miséricordes
de votre Dieu à votre égard; je ne vous rap-
pellerai pas même toutes ces grâces qui vous
sont communes avec le commun des chré-
tiens, et qui, considérées attentivement, se-
raient capables de gagner, pour loujouis, un
cœur à son Dieu; je ne veux vous parler
que de ce qui vous est propre et [)ersonnel ;
rappelez-vous donc, dans ce moment, avec
quelle bonté, votre Dieu a permis que vous
ayez puisé, dans la retraite peul-êlre^ et
peut-être aussi dans cette sainte maison,
une éducation vraiment chrétienne, dont
tant d'autres ont été privées, et qui en eus-
sent beaucoup mieux |irofilé que vous; rap^
p>€loz-vous ces premiers sentiments de chris-
tianisme et de piété que vous conçûtes dès
votre jeunesse, qui vous portèrent dès-lors
à mépiiser le monde, avec tous ses char-
mes, qui vous tirent sentir le faux de tous
les biens et de tous les avantages du monde,
ft cela, dans un temps, et dans un âge où
tant d'autres ne respirent qu'au moment de
les posséder et d'en jouir. Rappelez-vous
'jomment ces désirs de renoncer à tout, par
amour pour votre Dieu, et de vous consa-
crer entièrement à lui, dans la retraite, s'ac-
LTurenl insensiblemcnl etsefortitièreni, mal-
gré les obstacles ; hé 1 que dis-je, par les
obstacles même que vous suscitèrent les en-
nemis de votre salul, et par (juels moyens
votre Dieu vous mil à portée de les satis-
faire ces bons désirs; au dedans de vous,
que de troubles, que d'incertitudes, que de
dégoûts, suscités par le malin esprit! Au
dehors, et de la part des créatures, que do
(JiQicultés, que d'obstacles! Cependant, par
la grâce de votre Dieu, toutes ces lenlalions
furent dissipées ; tous les ennemis de votre
salut furent confondus ; toutes les dillicultés
furent surmontées, avec un succès qui vous
j>arut, plus d'une fois, tenir du [)rodige,etqui
vous porta si souvent à en rendre de vives
actions do grâces à votre Dieu, doilvous ne
pouviez méconnaître l'infinie bonté à voire
égard. Prête h vous consacrer entièrement à
votre Dieu, rap[)elez-vous, avec quel empres-
sement et quelle sainte impatience vous at-
tendîtes ce jour auquel vous deviez consom-
mer votre sacrifice; avec quelle joie, avec
(juelle jaiisfaction vous le vîtes arriver, avec
quelle allégresse, avec quelle dilatation de
cœur, vous prononçâtes les |)arolesd'un en-
gagement solennel avec votre Dieu; vous
en versâtes des larmes dejoie, vous en fîtes
verser à ceux qui furent les témoins de vo-
tre courageux sacrifice; qu'un pareil spec-
tacle causa déplaisir dans le ciel, et d'édili-
cation dans l'Église I une fois consacrée, et
toute à votre Dieu, setisibic à tout ce qu'il
avait fait pour vous attirer et Vous attacher
irrévocablement à lui, à quels senliuicnis
de reconnaissance et d'amour ne vous li-
vrâtes vous [)ointl Combien de fois, dans !a
ferveur de vos oraisons surtout, vous r<ip=.
pelant tant de faveurs singulières que vous
ne pouviez méconnaître, dîtes-vous comme
le Roi-Prophète: Que rendrai-jeau Seigneur,
et que pourrai-je lui rendre pour tout ce
qu'il a bien voulu faire pour moi? Quid
retribttam Domino pro omnibus quœ rclnbuit
tnihi? ( Ptal. CXV, 12.) Combien de Ibis,
seule avec votre divin époux, réfléchissant
sur la grandeur du bienfait de voire voca-
tion, vous arriva-t-il de lui dire, comme ce
saint roi: Vous avez rompu, ô mon Dieu,
tous les liens qui m'attachaient aux créa-
tures, et par là , vous m'avez mise dans
l'heureux état d'être uniquement à vous :
Dirnpistivinculamea. [Ibid., 17j. Jamais, non
jamais, une faveur aussi singulière ne sor-
tira de ma mémoire; toute ma vie, je ne
cesserai de vous offrir, par reconnais^
sance, des sacrifices de louange : tibi sacri-
ficabo hostiam laudis. [Ibid.) Avec quel
zèle en effet, et avec quel courage ne Vous
vit-on pas marcher dans cette nouvelle
carrière où vous étiez entrée ! Quelle ailen-
tion à éviter jusqu'aux fautes les plus lé-
gères! Quelle fidélité à remplir jusqu'aux
moindres observances ! Quel empressement,
quelle ardeur à plaire en tout au céleste
époux 1 Or pourquoi vous êtes-vous ralen-
tie? Ce que l'apôire saint Paul écrivait aux
Galales, permettez^moi de vous le dire ici,
âme tiède et languissante; i. y a quelques
années, iVous couriez si bien dans la voie
du salut et de la perfection, currebalis
bene, qui a donc pu vous arrêter ou vous
relarder dans votre course? Quis errjo vos
impedivil? {Galat., V, 7.) Hé quoi! ce Dieu
que vous serviez si fidèlement, dans les pre-
miers jours de voire consécialion, n'esl-il
pas encore aujourd'hui, comiue alors, le.
Dieu, l'unique Dieu de voiro cœur! S;'s
bienfaiis, pour être anciens, eu sont-ils
moins des bienfaits? Hé 1 que dis-je, aux
bienfaits anciens, n'en a-t-il pas ^ajouté de
nouveaux? Pouvez-vous les méconnaître?
Vous ne [louvez donc vivre à son service;
dans le relâchement et la tiédeur, sans faire
injure à sa bonté. Mais ce n'est pas tout en-
core ; non-seulement l'âme tiède dans la re.r,
i(!7
OKATF.l'US SACHKS. L'ABBK DE MOM IS.
ses
li'^ion, ni6[iiiso la pui.vsance el la boulé do
son Dieu, mais elle se rend coupable, do
plus, d'un mépris roraiel de sa jiislico.
111. Hélas 1 Mesdames, vous ôteslrepinslrui-
tfs |iOurl'ignoier, mais peul-ôtre aussi n'y
pensez- vous point assez ; lorsque voire Dieu
vous a ajipelées ii vous détacher de toul,
par amour j)0ur lui, el ci mener dans la le-
traite une vie plus parlaile que le commun
des chrétiens, il a eu dessein et il vous l'a
solennellement promis, de vous donner un
jour dans le ciel une récompense [)ro[)or-
lionîiée à la grandeur el à l'héroïsme de vos
sacrifices, récompense bien su|»érieure par
conséquent à celle qu'il réserve au commun
«les chrétiens lidèles 5 sa loi; en altendaiit
la récom[)ense du ciel, celte récompense
<ilernelle , il vous a promis, de plus,
une récompiense du temps , de vous dé-
donima;:,er dès cette vie deloutce que vous
♦ piilliez pour lui, par un centu[)le en grâces,
t'U douceurs, on consolations, en tranquilliié
que vous avez en etl'el éprouvées dès V(.treeii-
liéedaiis la religion, et qu'il n'eût tenu (pi'à
vous d'éprouver jusqu'à ce jour. Mais auss',
Mesdames, voire Dieu ne s'en est pas tenu
là à votre égard; connaissant et toute la
fragilité de votre cœur et louie la vigilance
des ennemis de votre salut, |)0ur vous fixer
irrévocablement à son service, il a joint les
menaces aux promesses ; s'il vous a donné
lieu d'espérer les récompenses de sa libé-
rale bonté, il a voulu aussi que vous crai-
gnissiez les chtltiments de sa justice redo;i-
labie; et vous voyez par celle conduite de
vo;re Dieu, que, sur la n)anière de se com-
porter à votre égard , il ne vous a point
lai.ssé une pleine et entière liberté , puis-
([ue s'il est tlisposé h vous récomp-enscr
d'une manière proportionnée à voire tidé-
lilé, il est aussi bien résolu de vous faire
exjner vos trangressions et vos inlidélilés,
par des peines pro[)Ortionnées el très-rigou-
leiises.
Hélas I ma chère sœur, vous qui vous êtes
formé, depuis longtem[)s peut-èlre, un plan,
un système de conduite si opposé à la ()er-
.feclion de votre saint étal, el si éloigné des
vues que Dieu a sur vous , vous n'ignorez
pus ces vérités (jue je vous prêche; mois
peut-être vous rassurez-vous mal à pro[)OS
sur vos dispositions et sur l'état c'e voire
Unie : vous savez bien que ce Dieu que vous
servez, a, dans les trésors de sa colère, des
peines souveraines et éternellesdont il doit
punir les âmes qui se seront rendues cri-
minelles uses yeux par des transgressions
essentielles; vous vous aimez trop \)oui
vouloir vous exposer à d'aussi alfreuv lour-
jiients, et h vous voir privée pour loule l'é-
ternité , de votre Dieu ; mais redoutez-vous
également d'en être, pour un temps, séparée
après votio mort ? Craignez-vous de subir
-les peines temporelles par lesquelles il
jacliève de purifier. les Ames dans l'autre vie,
et de les rendre dignes de jouirdans le ciel
de sa présence? Or, si cela n'esl |)as, cette
disposition do voUt cœur, dans un élat
aussi sublime el qui exin^e autant d« sain-
teté, est seule capable de vous perdre ; je no
larderai [tas à vous prouver combien vous
pouvez vous méprendre, et que dans le
leuq)s que vous ne prétendez que vous ex-
poser aux effets passagers de la colère de
voire Dieu, vous êtes, dès à présent, peut-
être, ou vous risquez de vous mettre dans
la suite, dans un état à mériter ses chûli-
nients et ses supplices éternels.
Mais (|uand vous auriez sur voire élat
actuel une assuiance que les ûmes mên)o
les ])lus ferventes n'ont jamais en celle vie,
et qu'à plus forte raison, vous ne pouvez pas
avoir vous-même; je pourrais insister ici
sur la grièveté des [leines [)assagères de l'au-
tre vie. Ah I si je vous faisais ici une peinture
de tout ce qu'ont à soulfrir ces personnes
tièdcs autrefois, et peu attentives à plaire à
leur Dieu, qui sont sorties de ce monde,
sans avoir satisfait pleinement à la justice
(le leui- Dieu ; si je voulais recueillir ici, et
vous citer tout ce que les Pères el les doc-
teurs de l'Eglise out dit sur l'état de ces
ûmes souffrantes, quelqu'assurée que vous
■ |)uissiez êlre,je vous effraierais sans doute.
Mais je laisse toutes ces considérations, el
je dis que non-seulement vous faites injure
a la bonté de votre Dieu, en résistant sans
cesse k ses giâces, en paraissant n'avoii*
aucun égard h tout ce ([u'il a fait pour vous,
el à tout ce qu'il est disposé à faire encore,
mais, que, de plus, vous jiaraissez ne faire
aucun cas de ses menaces el de ses châti-
ments, tt (|ue par conséqueiit vous vous
rendez coupable encore d'un mépris formel
de sa justice : or, malheur, malheur à l'âme
qui mé[trise ainsi son Dit'U, et qui le mé-
prise dans ses perfections les plus essen-
tielles, parce que Dieu saura bien se venger
de tous ses mépris par un mépris récipro-
que! mais mépris de Dieu pour sa créiituro,
bien différent dans ses ell'els, de celui que
sa créature peut avoir pour lui. Celle-ci, en
effet, en méprisanlson Dieu, lui fail injure,
à la vérité; mais elle lie peut ajirès loul
porter préjudice ni à la grandeur de son
être, ni à sa félicité, au lieu que le mépris
(lue Dieu fail d'une âme qui lui est infidèle,
el surtout de l'âme religieuse qui lui doit
plus que loule autre, ne peut qu'être infi-
niment préjudiciable à celle âme;: car si
l'élal de tiédeur est très-mauvais en lui-
même parce (}u'il nous éloigne de Dieu,
j'ajoute présentement que cet étal est des
plus funestes en ses effets, [)arce qu'il éloi-
gne Dieu de nous; c'est le sujet de la se-'
coiide partie.
SECO.NnE PARTIE.
Si notre Dieu, maître absolu de tous les
êtres, a destiné ses créatures .raisonnables
aux différents étals qu'il a créés el dans
lesquels elles doivent nécessairem'ent entrer
pour se conformer h sa volonté suprême,
il a aussi, par une suite de celte volonté et
do celle puissance souveraine, attaché à
chaque élat. des grâces propres cl particu-
lières ; je dis plus eni'ore, il a des'iiné, dans
5a'j
DlSCOlJXS Dt UETRÂITF.. — gUATUlDMK JOl'H
iiini|Hf éini cl à cli;u|iio |)(.'rsoiiiie, une ccr-
laiiie niosîire, un cerlaiii nouihre ilc gifKîes
<|iii, s9SiicceiJ.ini les unes jmix iuilros, doi-
vent servir b les sani;titier sur la terre et h
les faire arriver par \h, .m boniiour d,ii ciel ;
grâces d'autant [)'ms abondantes et d'autant
plus fortes (jne l'éiat est pins relevé, mais
aussi jirâces dont il esl inliiiiincnl dange-
reux pour le sailli d'inteiioniiire le cours
et de romitre renrhainenimil.
Or voilfi cependant, Mesdames, ce que
fuit l'Ame reli;iiruse tpii vil dans la lAchelé,
dans la liédcur ; plaiiée dans un élat saint
ot des plus saints de tous ceux que Dieu a
formés, elle a droit parr.onséquenl de comp-
ter sur les secours abondants, sur les grAces
spéciales que le Seigneur y a attachées :
ujais que fait l'Ame en relusanl d'entrer
dans les vues de perfection (jue Dieu a sur
elle? elle arrête pour ainsi dire le bras
de Dieu; elle indispose contre elle lo cœur
de son époux céleste, et se privo par là des
grâces qu'il était disposé h lui communi-
quer et qui doivent la sanctifier; de là qu'ar-
rive-l-il ? Ah ! Mesdames, concevez-le l)ien
aujourd'hui, et fasse le ciel que vous n'en
fassiez jamais une triste épreuve! c'est que
privées de ces grâces d'étut qui étaient des-
tinées tout à la fois h éclairer son esiuil et
à échauÛ'er son cœur, celte religieuse tiède,
infidèle, tombe dans un étal absolument
op})osé h ces deux grands avantages; je
\eux dire qu'au lieu de ces grandes lumières
que produisent ces grâces, son esprit s'obs-
curcit de plus en [dus sur tout ce qui lui est
le plus important de bien savoir; et ce qui
esl plus funeste encore, son cœur s'habilue
à l'inlidélilé et ^'endurcit insensiblement
dans une résistance conlisuielle à son Dieu;
ainsi aveuglement de l'esprit, endurcisse-
ment du cœur, voilà les deux elfels funestes
que ne manque jamais de produire l'étal
lie tiédeur; en^core quelques moments de
votre attention, je vous prie.
J. Oui , Mesdames, aveuglement dans
l'esprit; voilà le premier effet de la tiédeur,
tl le piemier chAlimenl que Dieu exerce
envers une religieuse tiède et lâche à son
service; aveuglement qui se répand sur
toute sa conduite, mais qui se manifeste
surtout et sur la nature des fautes qu'elle
commet, et sur les moyens de perfection
qu'elle em()loie. Je dis sur la nature des
uiutcsqu'ellecoHimet; d'un côté, vivantdans
une dissipûlion continuelle, au moins inté-
rieure, se trouvant d'ailleurs privée de celle
foi vive et lumineuse qui éclaire parfaite-
ment l'esprit sur toutes les choses célestes
et qui ont rapport au salut, que de fautes
et de toute espèce elle commet I que d'in-
lidélilés lui écha()pent qui contristenl lo
Saint-Jisprit et indisposent contre elle It
télesle KpouxlMais ce qu'il y a de. plus
etfra.yanl aux yeux de la foi, c'est le juge-
ment qu'elle porte sur les |)écbés quelle
commet; c'est ce malheureux sysîème dans
lequel elle esl et qui est ordinaire dans les
âmes tièdes, de s'en tenir précisément à
ivitci les fautes cousidérabWs, les [léchos
2;o
gi id's ; oui , tandis (lue la religieuse fer-
vente est sans cesse sur ses gardes, qu'elle
re loiiio jusqu'à l'apparence nuMiie du mal,
(pTclle tien!, à l'excmiile du Hoi-Propliète.
toujours son Ame eniro ses mains, pour ne
rien faire qui puisse déplaire à son Dieu,
que jusqu'aux fautes du pure fragilité, in
séf)arabl(!S pour ainsi tlire do l'humaniié,
elle se les refiroche avec sincérité, qu'elh»
s'en accuse avec douleur, qu'elle travaille h
les expier par des œuvres de mortification,
(jue rien en un mot ne paraît léger à ses
yeux dès qu'il alta()ue la majesté siiprèm"
de son Dieu, la religieuse tiède au conlrairo
nié|)rise, intérieuremciil au moins, ces dé-
licatesses de- conscience qu'elle traite do
scru|Hile; elle regarde comme d<*s petits
génies celles qui évitent avec soin les l'aulcs
môme les plus légères, qui se rendent fidèles
jusqu'aux moindres observances; (dus sage
et plus éclairée à ses propres yeux, elle se
livre è mille transgressions qu'elle juge
n'ôlre pas considérables, quoiqu'elles le
soient quelquefois aux yeux de Dieu, di-s
fautes sur lesquelles les docteurs les pliis
éclairés sont souvent incertains et erv
suspens ; après un sérieux examen , ils
n'osent décider si elles éteignent tout à fait
la charité ou si elles ne font que la dimi-
nuer et rallaiblir, s'il faut les meltre dans
le genre du grief ou du léger, du véniel ou
du inorlel ; cette religieuse tiède, avec bien
moins de lumières et de connaissances, se
décide hardiment ; elle les commet sans in-
quiétude ces fautes comme fautes légères ;
à peine daignc-t-ello en faire mention au
tribunal de lu pénitence, ou du moins les
déclaru-t-elle sous des enveloppes et dans
des termes qui servent à faire illusion au
m nibtre de Jésus-Christ et à le tromper.
Mais si celle âme liéde est si aveugle sup
la nature des fautes qu'elle commet, elle no
l'est pas moins sur les moyens de perfec-
tion qu'elle emploie ; car avec ses disposi-
tions et malgré cet élat de lâcheté et do
tiédeur, elle paraît tendre quelquefois à la
perfection ; non-seulement il ne paraît rien
et elle a grand soin qu'il ne paraisse rion
dans elle qui puisse scandaliser, mais elle
fait quelquefois des œuvres et des démar-
ches qui pourraient faire croire qu'elle a
du zèle pour sa sanclitication : mais Dieu
qui voit le fond de son cœur, permet, par
un terrible mais juste châtiment, qu'elle
s'égare même dans le bien qu'elle paraît
faire. On en voitjcn effet dans des commu-
nautés de ces personnes tiédes et indiffé-
rentes pour leur Dieu, qui paraissent vou-
loir se perfectionner par des voies extraor-
dinaires et nullement propres à leur élat ;
si elles font des lectures spirituelles, elles
choisissent les livres et les auteurs qui leur
conviennent le moins, à tous égards, et,
laissent là ceux qui , proportionnés à
l'esprit de leur institut, seraient propres
à le ressusciter en elles. Dans les |)rali(pies.
de piété et de mortification même aux-
(pielU's elles se livrent , elles sonl guJtJées-
non par la ferveur, non par amour p>u;'
■±\i
ORATEURS SACRES. I/ARBE DE MONTIS.
ÎIS
leur ct'!cst« Epoux , rriflis par caprice et
jmr l'oiiiour-propre : Ji les suivrfi i]o près, cl
»jiii pourrait sonder jusqu'à l'inlcrieur de
leur volonté, venait clairement que dans
lout ce qu'elles font ou ce qu'elles parais-
sent faire de bien, ce qui les anime, ce
n'est ni le désir de la sainteté, ni l'esprit do
leur saint état; jusque dans le choix d'un
guide spirituel, p.iraît visiblement quelque-
lois leur aveui^leu^ent ; jamais contentes de
celui qui leur est présenté [lar l'autorité su-
périeui'C, cl qui, h parler en général, a
))lus de griïce que tout autre, pour les
conduire, elles en veulent un qui leur
plaise, el dont le p'us grand talent et l'uni-
que talent quelquefois est de leur plaire.
Ce n'est pas ceiiendanl, Mesilamcs, que je
prétende condamner lf)utes celles qui croient
avoir besoin d'un secours extraordinaire,
j)our la direction de leur conscience, je «ais
qii'afin qu'une épouse de Jésus Chrisi puisse
])roriler des lumières et des conseils du
ministre auquel elle découvre ses misères,
ses infirmités spirituelles, ce qu'il y a de
plus intime et de plus seciet dans son
Âme, elle doit avoir en lui une confiance
qu'on peut bien conseiller mais qu'on ne
peut ordonner el qui ne se trouve j)as
toujours ; je sais que s'il est des ministres
jtieux el éclairés, de vrais Ananies envoyés
])ar le Seigneur pour conduire ses épouses
et qui mérileol toute leur confiance, il en
est aussi qui osenl prophéiiser au nom du
Seigneur , quoique le Seigneur ne les
ait point envoyés, qui par des vues basses
el toutes naturelles, ambitionnent d'autant
plus la direction de ces âmes d'élite, qu'ils
sont moins propres à les conduire à la
perfection. Je conviendrai de plus que
ceux et celles qui gouvernent des commu-
nautés où se trouvent ces guides aveugles
el déplacés sont dans une étroite obligation
d'avoir égard aux désirs, aux besoins el
aux sollicitations de celles qui soulIVenl
d'une pareille direction. Agir autrement,
ce serait pécher également contre la pru-
dence et la charité chrétienne, tenir une
conduite direclemeiil op|>osée à res|)ril
de Jésus-Christ, à l'intention de l'Eglise et
aux disposilions des saints fondateurs
d'ordres.
Mois pour revenir présentement h mon
suj»l, ce qui fait le mal de la religieuse
tiède et lâche, et ce qui |)rouve son aveu-^
glemenl, c'est que le droit qu'elle croit
avoir de s'adresser, pour sa conscience, à-
lel guide qu'il lui plaira, elle n'en use qu'à
ROn préjudice; c'est. qu'au lieu de consulter
dans ce ciioix le plus grand bien de son âujp,
la volonté de Dieu et de ses supérieurs, ne
.«iuivanl au contraire que son goût, son
caprice, et des vues quelquefois liumaines.
et plus condanu)abIes encore, par une per-
mission de Dieu, qui est une première pu-
nition de ses infidélités, elle s'adiesse à
celui qui", n'ayant |toinl grâce pour elle, ne
jieul que l'emretenir dans son relâchcmenl
lit sa tiédeur; elle lui donne toute sa con-
UiUicç, elle lui montre un attachement, elle
affecte m^me de montrer à l'extérieur pour
lui, un attachement tout naturel, attache-
ment qtipjipiefois n'eiproque, également pi-
toyable et ridicule dans le directeur, et
dans la dirigée, el qui suffîrait pour faire
juger que, pour un pareil choix , Dieu n'a
[Joint été consulté.
II. Mais à cet aveuglement de l'esprit
déjà si funeste à l'âme religieuse, dans la
tiédeur, se joint l'endurcissement du cœur,
j)lus funeste encore, puisfpi'il la conduit,
pour l'ordinaire, à l'impénitence tin-de.
L'âmo tiède ne peut rester longtemps dans
cd état sans résisler à bien des grâces ; q'io
de remords de conscience qu'elle étoutfe 1
que de re[)roches intérieurs (pi'elle ne
veut point entendre! que d'inspirations
secrètes auxquelles elle n'a aucun égard;
or (|ue produit pour l'ordinaire, celte rt--
sistance habituelle à son Dieu? Ah I Mes-
dames, ce que l'on ne voit que trop sou-
vent, l'enilurci^sement du cœur; une
espèce d'insensibilité pour Dieu, el pour
toutes les choses de Dieu; après s'être
contrainte quelque teutps , elle se tasse
enfin de cette violence; la nature est sr
faible, la volonté est si portée au mal, que
dès qu'une âme se trouve abandonnée h
elle même, dépourvue des se(;ours du ciel,
au moins de ces secours abondanls e^t
elRcaces cpie le Seigneur prodigue-, dans la
Feligion, à ses épouse-s tidè-les, lasse de
traîner le joug du Seigneur, no pouvant
plus, pour ainsi dire, supporter le poids di«
jour el de la chaleur, elle se met enfin ;>
son aise; se borBant à sauver les appa-»
rences, elle donne une libre carrière à ses
goûts el à ses penchants , l'endurcissemenl
se forme alors insensiblemen-t, et s'accioîfc
comme par degrés: les confessions et les
comHJunions dont cette religieuse tiède so
dispei>se le plus (ju'elle peut, mais qui sont
encore assez fréi^uenles, les fêtes les plus
dévotes, les lectures les [tins pieuses, les
prédications les plus pathétiques, les évé-
nements même les plus frajtpants , les
plus etlVayants dont elle est témoin quef-
quefo-isj rien de lout cela n'est capable do
la loucher, de l'émouvoir; son indo-lence,
celte paresse spirituelle la réduit eiilin,
comme le dit le Saint-Esprit, à une espw;e
de léthargie dont rien ne peut la tirer :
l'igredo tinmillit soporcin. {Prov., XIX, 15.}
Dans cet étal d'engcjurdissemenl, de fai-
blesse du côté de la volonté, d'oubli cl
d'aUandoH du côté de Dieu, qu'il survienne
quelque tentation violente, l'ennemi du
salul sait s'en piévaloir; après quelques
laibles et légères résistances, on succombe
enfin. Il est vrai (juc celte âme paraît se
réveiller alors; une faute griève la trouble
et la déconcerte ; elle recourt au sacremeùl
de pénitence, niais sans une vraie douleur,
sans une vivacité de ref)eiilir proportionnée
à i'énormité de sa faute. U'aulres occasions
de péché se présentent bienlôî, reiinemi
du salut a grand soin de les faire naître ;
on retombe plus facilement (pie la pre-
uuèrc fois; on se relève ensuile; on re-
51?
DISCIU i;s M. KKIIIVI
loirb) encore ; iiisonsihlomenl oii s'iiccnii-
lumo à ces recliillos ; plus elles se mulli-
plient, mnius eHos elfraicnl, parce qu'on
se imillip)iaiU, l'espril s'aveugle et le cœur
s'endurcil de plus en plus : on se rassure
sur ce que l'on a recours au sacreinont de
pénilence. Dieu permet que le ministre
s'aveugle i^galemeul, qu'il juge n'y avoir,
dans celte i\me, (]ue de la faiblesse, de la
fragilili^, tandis que Dieu n'y voit qu'un
esprit et un cœur également séiJuits et
corrompus ; ce n'est pas que celte ûme ne
s'alarme quelquefois sur son état : car l'en-
durcissement n'est jamais si complet que
la grâce ne se fasse sentir encore. Hélas I
placée dans un lieu saint, ayant sans cesse
de saints exemples devant les yeux; tou-
jours, ou presque toujours dans des exer-
cices de Religion et du sainlelé, souvent
seule et vis-à-vis d'elle-même, elle ne peut
s'empêcher de retomber quelquefois sur
elle et de faire une triste et effrayante
comparaison de son état présent avec l'état
passé ; mais que fait alors l'esprit lonla-
hiur? Pour conduire infailliblement cette
âme à sa perte, il s'applique à lui rappeler
toutes les grâces singulières qu'elle a re-
çues de son Dieu, et lui fait entendre que
ce Dieu de bonté, ayant autant fait pour
elle, ne permettra point qu'elle meure dans
le péché; il la rassure sur les derniers
secours spirituels qu'on a toujours pronip-
lement et facilement dans son saint état,
et par des exemples de quelqueS'Unes qui,
«près une vie |)assée dans la tiédeur, n'ant
)(oinl été privées do ces secours è la mort :
ainsi, ce qm devrait la faire rentrer en
flle-Bi6me, et exciter dans son cœur les plus
vifs regrets, cet amour infini et toujours
constant de son Dieu, à son égard , c'est là
précisément, par une permission de Dieu
qui est la première et la plus terrible puni-
tion (ju'il puisse exercer sur celte âme,
dans celle vie, c'est là ce qui la tranquillise
et ce qui la retient pendant bien des années
quelquefois dans celle'es[)èce d'indilléreûce
et de léthargie sur son saltit.
Mais enfin le temps arrive oiî le Seigneur
a résolu de l'appeler à son jugement, celle
é[)Ouse Hifiilèle: ce n'est point, si v-ou* vou-
lez, par une de ces morts subites ou précipi-^
tées qui ne laissent aucun temps à la ré^
llexion et au re|)enli-r; hélas! ce n'est pas
seulement au milieu du monde qu'on meurt
ainsi; vous le savez, Mesdames, jusque
dans le sein de la religion, Dieu exerce
ipieiijuefois de pareils jugements. Mais ja
veux que celte personne religieuse, depuis
longtemps dans des dispositions si con-
l'-aires à la sainteté de son élal, voie la
mort s'approcher, comme de loin et à pas
It-flts, pour 'ainsi dire, et qui laissent tout
lieu à la réflexion, el tout le temps do re-
cevoir les secours spirituels qu'on donne
jtour l'ordinaire, dans les derniers moujenls ;
en protilera-t-elle? On en voit à la vérité,
(pii, accoutumées à se tromper et à se Halter,
se llattent el se trompent jus(ju'à la niori,
quij.'vprcs un grand nombre d'annéi^s passées
TK. - Qi vruiivui: join. ?!*
d;uis un élal q.ui alarme ccnv et- celles qui le
connaissent , se tionnenl elles-mêmes dans
la plus grande sécurité; séduites et aveu-
glées jusqu'à la fin, elles passent tranquille-
ment du lit de la mort au tribunal de leur
Dieu, sans paraître redouter le compte ter-
rible qu'elles vont lui rendre île ses. graines
cl de leurs infidélités; mais il faut aussi
convenir. Mesdames, que le nombre do
celles-ci, esi peu considérable : quehju'as-
suranceel quelque Iranquillitéjqu'on ail eues
pendant la vie, il s'en faut bien qu'on en
jouisse dans ces derniers moments; tout
cliangfe, lout se réforme à la mort; à mesure
que les créatures s'éloignent el dispa-
raissent, les penséi.'S et les jugements
changent et se rectifient. On voit alors les
choses non comn^e autrefois, telles qu'on
voudrait qu'elles fussent, mais telles qu'elles
sonl en elfet ; c'est-à-dire, que le vice et la
vei'tu, le relAchement et la régularité, la
tiédeur et la ferveur, paraissent, aux yeux
d'une religieuse mourante, ce qu'elles sont
en. elles-môines, aux yeux.de Dieu; ces
idées si fausses el si dangereuses qu'on s'é-
tait formées, sur la perfection et sur son
étendue, ces préjugés, ces erreurs, ces pres-
tiges, toul se dissipe alors el fait place'à la
vérité. Dans cet état, une âme religieuse se
rappelle ces grâces signalées et sans nombre
qu'elle a reçues de son Dieu; elle se rap-
pelle CGS premiers temps, ces années de sa,
jeunesse, où fidèle à la grâce, elle faisait
chaque jour, de nouveaux |)rogrès dans le
délachement du monde et d'elle-même, et
dans l'allachemeiî-t de son Dieu ; elle se
rappelle cette prédileclioii de son Dieu
qui l'a mise, par préférence à une infinité
d'autres, au rang de ses épouses; elle se
rappelle ces jours heureux qui suivirent sa
consécralion à son Dieu; celte attention,
celte docilité aux inspirations, et aux moin-
dres inspirations de la grâce; cette fidélité,
celte ponctualité à tous ses exercices; cette
crainte, cette horreur du péché, el de tout
ce qui avait l'apparence du péché, ce con-
tentement intérieur, cet amour de son saint
élal ; ce désir de s'unir à son Dieu, de s'en-
tretenir avec lui, de croître sans cesse, en
son saint amour. Cet élat si heureux, et qui
n'est plus, elle est forcée de le comparer
avec l'état de dissipation, de tiédeur, d'in-
différence, de dégoût de ses devoirs, dans
lequel elle est loujbée par sa faute; ah I elle
ne peut s'empêcher de dire alors, comme le
saint homme Job : Qui me donnera de me
trouver, comme dans les temps passe's : « Quis
rnihi iribuai ut simjuxta menses pristinos !»
{Job, XXIX, 2.)
Heureuse encore, celle âme, si cette con-
naissancesi parfaite d'elle-même l'engageait
à retourner |)romplement vers son Dieu I
jamais il no rejeta uii cœur contrit et humi-
lié; mais (lu'arrive-l-il le plus souvent? ié-
duile et tromuée depuis longtemps par l'en-
nemi de son salut, elle l'esl encore, el plus
(|ue jamais, dans ses derniers moments,
l'endanl la vie, lorsque la grâce excitait des.
Irc!uble5 et des remords dans boa c.'jm;, ii, .
2r3
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
9.i<i
t.-liorchsit à la rassurer sur les disposilinns
ijnns losquellcs elle paraissait ôiro de ne
vouloir rien conimellre de morlei, de crl-
niiiicl aux yeux de Dieu; il lui faisait en-
ItTidrn qu'il viendrait un leit)ps où il lui
serait aisé de réparer ses infidélités, et de
reprendre son ancienne i'i'rv( iir ; qu'au
moins à la rnorl, environnée de secours
spirituels, elle pom rail l\iiie une eoiife>sion
exacte de toutes ses fautes, délester ses
jours de rclAcheiuenl et de tiédeur, et se
rendre par là, son Juge et son Epoux favo-
rable : mais arrivée au ternie de sa vie, l'es-
prit tentateur tient, à son égard, une con-
duite tout opposée. Pendant la vie, il
;l'enlretenait dans son relâchement, par l'es-
jpérance: il l'y reiicnl à la mort, par le
désespoir; tout ce qu'il lui avait fait re-
garder, comme fautes légères, et sans con-
iséquence, il les lui représ; nie alors, comme
ides péchés griefs, comme des crimes
'énormes; il s'a|)pliquo, et il réussit assez
souvent, à l'effrayer par celle mullilude
innombrable de fautes qu'il grossit à ses
yeus; il lui fait enlendre qu'elle est trop
éloignée de son Dieu, pour pouvoir se rap-
procher de lui, et que son Dieu est trop
irrité contre elle, pour qu'elle puisse jamais
Je fléchir; qu'il n'est plus de ressource pour
elle; avec de pareilles idées, quel avantage
pourrait-elle tirer des secours spirituels?
On les lui procure, je le suppose ; mais bien
loin d'e servir à la purifier et à la tranquil-
liser, ils ne font que la rendre plus trou-
blée et pius coupable à ses propres yeux;
tout ce qu'un ministre de Jésus-Christ, qui
connaît ses dispositions intérieures, et té-
moin de ses alarmes, lui dit alors, pour la
rassurer, ne sert au contraire qu'à augmen-
ter sa douleur et son désespoir : cette bonté
infinie de son Dieu, qui l'a recherchée et
choisie par prédilection, pour être à lui, et
ehlièremenl à lui; toutes les grâces singu-
lières et sans nombre qu'il lui a prodiguées,
depuis qu'elle s'est consacrée à son service,
c'est là précisément ce qui la fait Ireinbler,
S'il lui ditque l'Epoux céleste est prêt à venir
è elle, et à la recevoir dans ses sacrés taber-
nacles ; ah ! ce n'est plus pour eWel un Epoux
chéri et plein de bonté, il n'est à ses yeux
qu'un juge sévère, prêt à lui faire sentir
tout le poids de sa colère. Quelle situation!
qu'elle est ditl'érenle de celle d'une reli-
gieuse fidèle et fervente qui, toute sa vie,
s'est appliquée à remplir les devoirs de son
étal! Celle-ci, plus elle voit s'approcher cet
heureux moment qui doit terminer sa course
et ses combats, et qui doit la réunir pour
toiijours à son céleste Epoux, plus elle se
sent pénétrée de joie et de consolation. En
vain l'esprit tentateur cherche à la troubler,
par le souvenir de ses fautes, elle se les est
^ouvent reprochées, elle s'esl longtemps
appliquée à les expier, par la pénitence;
elle se lès rappelle encore avec douleur,
mais avec une douleur tranciuille qui ne
rempôche point de mettre loule sa conliance
dans son époux et son Dieu; elle meurt
avec une paix cl une sérénilé d'iime qui
annonce sensiblement sa sainteté, et qui est
comme un indice, un avant-goût du bon-
heur éternel, dont elle va bientôt jimir.
Mais la religieuse tiède et infidèle, au lit de
la mort, rien n'est ca|iable de la tranquil-
liser, de la rassurer; on la voit dans des
troubles, dans des agita lions qu'on atiribiio
aux maux violents que cause une mort
prochaine, mais qui sont bien plus quelque-
fois, les etl'ets des frayeurs de l'âme que des
douleurs du corps; et tandis qu'un mi-
nistre de l'Eglise, et que ses sœurs touchées
de son état, [irosternées autour d'elle, se
répandent en gémissements et en prières,
pour lui obtenir la grâce de mourir dans le
baiser du Seigneur, le Seigneur l'appelle à
lui, pour lui faire rendre de toute sa vie, un
compte exact, redoulable à tout chrétien,
mais infiniment plus redoulable encore,
pour une âme que, par un privilège spé-
cial, il avait placée dans un état plus saint
et plus parfait que le commun des chré-
tiens.
Alil Mesdames, à ce léger portrait que je
viens de vous tracer de la religieuse tiède
et de sa déplorable fin, il n'en est aucune
de vous, j'ose le présumer et m'en llaller,
qui, réilécliissant sur elle-même, puisse s'y
reconnaître, qui ne sente même intérieure-
ment un éloignemenl infini [)Our ce mal-
heureux et si funeste élat. Il me reste donc
en terminant ce discours, à vous conjurer,
avec tout le zèle que m'inspire le ilésir
ardent que j'ai de voire sanctification, de
vous en préserver le reste de vos jours; et
pour cria pensez souvent au litre^dont vous
êles honorées, au rapport glorieux que
vous avez avec votre Créateur, aux enga-
gements solennels cl sacrés que vous avez
conlraclés avec lui, au courage avec le(pud
vous les avez conlraclés ces engagements,
et aux jours de fidélité et de ferveur qui
les ont suivis ; demandez-vous souvent
comme saint Bernard, pourquoi vous avez
renoncé au monde et vous êles venues
dans la retraite; rappelez-vous tout ce que
ce Dieu de bonté a fait pour vous attacher
spécialement à lui : ces grâces privilégiées
et sans nombre dont il vous a comblées,
depuis vos premières; années jusqu'à ce
jour; surtout excitez de plus en plus votre
cœur à l'i^mour de votre céleste éfioux.
Ah ! Mesdames, s'il est des peines et des
dillicullés à servir constamment le Sei-
gneur (il en est sans doute, je ne dois pas
le dissimuler ici), c'est l'amour qui les fait
surmonter; je dis plus même, d'après saint
Grégoire, il n'y a que l'amour qui nous
fasse rougir, pour ainsi dire, de trouver
des difiicultés au service de notre Dieu.
l'ro,iosez-vous pour modèles les saintes
qui vous ont précédées dans votre institut
et dans celte sainte maison; comparez la
paix (lu cœur, les consolations intérieures
(pie [jrocure la ferveur, avec les peines et
les remords inséparables de l'état de tié-
deur: enfin, proposrez-vous,'pendaiit celle
retraite et promettez-le souvent à vj[n>
célesle Ej)Oux, de le servir le resle do V(js
217
DISCOURS DE RETRArn:. - CÎNQllKME JOUR.
218
jours, nvcc In plus grande ferveur, la j^liis
exncte tidélilé.
Oui, Seijiiieur, je vous promets dans ce
momcîil do les faire, ces considéralioiis
snhUaires, et de prendre ces résolu lio-is
saintes qu'on me propnse ici; hé, piiis-je
prendre trop de i récaution pour éviter ce
malheureux état de langueur, de tiédrur.si
i;idigne d'une de vos é[ioui;es, si préjudicia-
l)le à sa perfection et à son salut? Oui, Sei-
Kneur, oubliant, ci Tt-ïeniide de l'apôtre saint
Paul, tout ce que j'ai fait ponr vous jusqu'ici,
je vais ren)|ilir avi-c plus de fidélité que ja-
mais la carrière qui me reste à parcourir,
hélas ! et qui est peut-être |>lus avancée que
I'e no le iieiise : bien loin de mettre ûas
lornes à ma perfection, je suis bien résolue
d'entrer dans touies vos vues cl de corres-
|)oiidre à tous les desseins de sancliticalion
que vous avez sur moi. Ali! heureuse et
mille fois heureuse, celle qui vit loin du
monde et de ses dangers, (jui appelée à la
retraite et dans le saint (tai de la religion,
eu remplit tous les devoirs, avec celle fidé-
lité, celle proîupliludo et cotle gaielé qui,
nu senliiiient de saint FruPçois de Sales,
font la vraie ferveur à vos yeux ! heureuse,
dès cette vie, par les grâces et les consola-
tions S|)irilu(.lles dont vous ne cessez de la
combler, mais intinimcnt plus heureuse,
dans l'autre, par les biens immenses dont
vous rérompenserez sa ferveur, dans vos
labernatles éternels! Ainsi soit-il.
ClNQLlî-ME JOUR,
Ptemier discours.
Sl-I» I.'OBHISSANCE.
Oboiliie i>r,Tiiosilis vcslris el subjacete eis. illebr.,
XIII. 17.)
Obéissi'i à vos supcrimrs et soyez-leur soumis.
C'était , Mesdames , à tous ceux qui
avaient enibrassé la loi de Jésus-Christ ,
que saint Paul adressait ces paroles. Après
avoir donné lui-même des preuves de son
entière obéissance, de sa parfaite docilité
au Seigneur, dès l'instant qu'il se convertit
h lui, persuadé que l'obéissance était [)Our
tous les chrétiens un des moyens les plus
[iropres pour plaire à leur Dieu et pour as-
surer leur salut, il leur en recommandait
la pralicpie, envers ceux que la Providoiîce
avait placés sur leurs tôles: Obedite prœ-
positis vcstris.' Ov si le saint Apôlre
jugeait celle vertu si avanlageusc et né-
cessaiie môme à tout fidèle on général,
pour se sauver, de quel avantage et de
quelle nécessité n"esl-elle donc pas pour
vous, Mesdames, qui, outre les obligations
qui vous sont communes avec tous les
chrétiens, avez contracté avec votre Dim,
dans la religion, des engagements plus
étroits encore, et celui en particulier, de
renoncer pour toujours à votre volonté, à
vûlre liberté?
Cependant, malgré ces engageraenls sa-
crés l'on ne voit que trop souvent dans la
religion, des vierges chrélionnes qui, [)ar
leur conduite paraissent les avoir oubliés ;
oui ^e soublrajeiit sans scru|)ule à l'aulo-
riti'" supérieure, ou qui du moins pra'iquent
rol)éissancy avec des dispositions qui la
reudeiii désagréable au Seigneur el sans
fruit, sans mérite pour olles-mêmos. Quoi-
que, grAco au Seigneur, vous |)araissioz,
vous. Mesdames, sur cette grande ot belle
V'^rtu, dans des dispositions saintes, con
venables à votre saint étal, pour vous en-
gager à y persévérer le reste do vos jours,
j'ai cru devoir vous en enirelenir ici, et
pour cola, vous montrer tout à la fois les
molits qui doivent vous eng-iger à prati-
quer la sainte vertu d'ohéissance : co sera
le sujet de la première partie de ce discours ;
et les qualités que doit avoir cette obéis-
sance pour être pratiquée avec fruit : ce'
sera le sujet de la seconde partie. Honoroz-
moi, s'il vous plaît, de toute votre attention.
Ave, Maria.
PREMIÈRE PAUTIE.
Vous le savez. Mesdames, dans quoKjuo
étal que nous puissions être, nous ne devons
juger de toul, dans celle vie, que par les
vues do la foi, que par rapport à la vie
éternelle, que par rapport à notre salut;
nous ne devons estimer les choses, parcon-
sé(|uenl, qu'autant qu'elles no nous détour-
nent point de !a voie du salut, qu'autant
qu'elles nous conduisent au salut. Or si c'est
le jugement (|uo tout chrétien doil porter, à
plus forte raison devez-vous pensisr ainsi,
vous, Mesdames, qui, comme épouses deJé-
sus-(ihrist, avez le bonheur de vous houver
dans un étal tout de peifection et de sainte-,
lé. Vous devez prendre les moyens les plus
prop.res h plaiie à votre céleste épolix, p;ircc
(jne ce sont eux qui, en vous faisant mar-
cher, avec le plus dt; sûrelé, dans le chemin
do cette [xrfection que vous avez embrassée,
vous 3^ font march'r aussi avec le plus de
paix et do satisfaction. Or voilà ,les excel-
lents clfots que produit la sainte vertu d'o-
1,'éissance ; elle est pour vous loul à la fois,
la voie la plus sûre el la voie la plus con-
solante, dans Tordre du salut.
1. Je dis, la voie la plus sûre, et cela pour
deux raisons: c'est, en premier lieu, que
Jésus-Christ, qui doit être on tout, votro
modèle, a pratiqué loule sa vio, cotte vertu ;
c'est, en second lieu, que vous vous êtes
engagées vous-mêmes à |)ratiquer cetio ver-
tu; ainsi rexem[)le de votro céleste Époux,
vos propres engagements, deux motifs
puissants dont vous allez senlir toute l'im-
porlance.
Je dis, premièrement, l'exemple deJésus-
Christ: oui. Mesdames, quoique lo Dieu-
Sauveur ail fait éclater, pendant sa vie mor-
telle, toutes les vertus, il en est cependant
dont il a jugé la pratique plus nécessaire
pour nous, et (pi'il a aussi paru pratiquer
plus(|ue les autres; or il n'en est point qui
ail plus brillé dans lui, que celle de l'obéis-
sance; s'il quille le séjour de sa propre
gloire. S'il descend sur la letro, s'incarner
dans le sein d'une Vierge, c'est pour obéir
aux ordres de son Père oiornol ; lovit ce qu'il
a fait, dani loul le cours du sa vio mortelle,
aitt
oriATi:ijRS s.vcHiS. LABiî;: d;: «).\iis.
1^^
SI liiile en Egypte, dès les prem'ers jours lie
sa naissance, ses missions dans la suite, ses
courses, ses V03'ages, ses prédii aiion*, ses
soins et ses travaux, pour sauver les ïimes,
lout a été, j>our obéir à son Père éternel ;
l'état de misère, de pauvreté dans lequel il
a vécu , les injures, les calomnies; les persé-
cutions auxquelles il a été exposé de la part
des Juifs ses ennemis, tout ce qu'ils lui ont
failsoull'rir dans sa Passion, le mépris et
les opprobres dont il a été rocouvert, les
différents supplices qu'ils lui ont fait subir,
lout ce qu'il a fait en un mot et tout ce qu'il
a souHerl depuis le premier instant do son
incarnalion, jusqu'au dernier soupir de sa
▼ip, il l'a fait et souflert pour remplir les
décrels de son Père éternel ; il a été obéis-
sant, pour me servir de l'expression de l'A-
l>ôlre , jusqu'à mourir et h mourir sur une
( roix : Obediens usque nd mortem cnicis.
{Philip., ]I, 8.) Non-seulement il a montré
la j)lus parfaite obéissance aux ordres de
son Père éternel , mais il s'est abaissé de
[>lu& jusqu*à obéir aux créatures ; quoique
le maître lui-même, comme Dieu ot le Créa-
teur de tous les êtres, il a voulu obéira
Marie et à Joseph, leur être soumis comme
le tils le |ilus docile; c'est môme la seule
vertu de sa jeunesse dont parle l'Evangile :
EraC subditus illis. {Luc, IJ, 51.) C'est cette
vertu qui l'a porté encore, quoique le Uoi
des rois, le Souverain des souverains, h se
soumettre aux rois, aux souverains de l'u-
nivers, à leur payer le tribut, à obéir enfin
à ses ennemis, à ses bourreaux eux-mêmes.
Or vous le savez. Mesdames, tous, en
qualité de chrétiens, de discif)les de ce
Dieu Sau^'eur, qualité que nous avons re-
çue dans le baptême, nous sommes dans
l'obligation de nous conformer eu tout à Jé-
sus-Christ, d'imiter ce Dieu Sauveur dans
les vertus qu'il a pratiquées pendant sa vie
mortelle, et dans une obligation si étroite
que, sans celle conformité, dit saint Cy-
pricn, nous ne méritons pas le nom de chré-
tiens; à plusforle raison, vous, Mesdames,
qui, à ce litre de chrétiens, de disciples de
Jésus-Christ, avez ajouté celui d'épouses de
ce Dieu Sauveur, vous trouvez-vous dans
une obligaiion plus étroite encore que le
r(Sle des chrétiens, de voui rapprocher le
plus qu'il vous sera possible de ce divin
modèle, en sorie que vous ne pouvez vous
regarder, et qu'il ne vous regarde en eifet
lui-même, comme des épouses dignes de
lui et selon son cœur qu'autant que vous
travaillez à l'imiter, que vous pratiquez
toutes les vertus qu'il a pratiquées lui-même,
ot par conséquent la sainte vertu d'obéis-
sance, qui, comme l'a dit saint François de
Sales, a été la chère vçrlu de l'Epoux dans
laquttle et pour laquelle il a voulu naître ,
vivre et mourir.
Mais un autre motif capable lui seul de
vous porter à la pratique de cette vertu ,
ce sont les engagements que vous avez pris
avec voire Dieu, et la promesse que vous
lui avez faite en entrant dans la religion,
{Tomesse authcnliijue, engagements irré-
vncables auxquels vous ne pouvez pas vous
rfiidro infidèles sans une criuiinelle préva-
rication. Oui, Mesdames^ lorsque vous eni-
brassAles la saint état de la religion, vous
renonçâtes hautement à votre propre vo-
lonté, h votre. liberté; vous proniHes à votr<i
Dieu d'obéir en tout et pour tout à ceux
qui vous tiendraient sa place sur la terre :
tel fut le vœu que vous files alors, vœu
solennel et sacré ; c'est au pied, des
saints autels et en présence de votre Dieu
que vous en prîtes à témoin, que vous le
prononçâtes; vœu, j'ose le dire, le plus ex-
cellent de ceux que vous fîtes alors. Par le
vœu do pauvreté, vous n'avez renoncé
qu'aux richesses de la terre, qu'à ce qui
était hors de vous par conséquent ; par lo
vœu de chasteté vous avez renoncé aux
désirs des sens, et à tout ce qui pouvait flat-
ter votre chair et la satisfaire. Mais par le
vœu d'obéissance, c'est à ce qu'il y a do
vous, et dans vous, de plus intime, de plus
précieux et de plus cner pour vous par
conséquent ; c'est h votre propre volonté,
à votre liberté, c'est à vous-même et h tout
vous-mêmes que vous avez renoncé. Vœu
le plus excellent encore, parce qu'à le bien
prendre, il renferme les deux autres et les
comprend si bien que, dans quelques ins-
tituts, comme dans celui de saint Benoît,
on ne prononce que celui-là; ce qui a fait
dire à saint Thomas et à sainteThérèse qu'i;
était le plus important des trois ; à sainte di)
Cl)anlal, que sans lui une religieuse n'était
qu'un fantôme de religieuse, et à tous les
maîtres de la vie sfiirituelle], qu'il était la
base et le fondement de la perfection reli-
gieuse : vœu si excellent qu'il a la vertu,
pour l'ordinaire au moins, d'anéantir ceux
que vous auriez pu faire avant d'eutrer en
religion, et que vous pourriez faire y élant
entrée; vœu d'ailleurs de la plus grande
étendue, par les obligations qu'il renferme,
conuTie vous le verrez dans la suite de ce
discours.
Voilà donc l'engagement sacré que vous
avez contracté, non avec les hommes, mais
avec votre Dieu , et qu'il a- bien voulu
accepter en vous recevant au rang de ses
épouses ; vous ne pouvez donc pl-usy contre-
venir sans les rompre, ces engagements, et
par conséquent sans prévarication et sans
crime, crime et prévarication d'auiaut plus
énormes que la matière de votre désobéis^
sance serait plus im[)Orlante. Oiii, Mesda-
mes, et voilà la différence qni se trouve
entre les devoirs que renferment vos vœux
et les observances que vous prescrivent
vos constitutions; celles-ci, absolument
parlant, comme l'enseignent saint Thomas,
saint François de Sales et tous les docteurs,
n'obligent point sous pein-e de péché, en
sorte que s'il ne se trouve ni mépris ni scan-
dale qui accompagne la transgression, ce
qui, à dire vrai, en est rarement exempt,
l'on ne peut pas dire qu'il y ait une otfense
de Dieu, un vrai péché. Mais.il n'en est
pas ainsi de vos vœux et de celui de l'obéis-
saucc jiar consé^^uenl ; vous ne pouv&?.
»1
DISCOURS DE RETRAlTb:. — CI.NQLIKMK JOUR.
in
los oiirreiiidrc sans otTensorlo Seigneur, snns
comintltn; un piVlié qui est [)lus ou moins
grit'f, cl propurlion que \a transgression est
plus ou moins considL^rahle; en sorte que
toutes les fois que vous désobéissez h celle
qui, dans la religion, a reçu de Dieu la mis-
sion pour vous gouverner et vous com-
mander; dès lors,quel(|uo légère que puisse
^Ire la matière de votre désobéissance, elle
est ]iour vous une vraie faute, un vrai pé-
ché, une espèce même de sacrilège , par le
mauvais usage que vous faites d'une vo-
lonté, d'une liberté (lui n'est plus à vous,
que vous avez toute consacrée au Seigneur.
Eh quoi ! si vous aviez pris quehjue enga-
gement avec les créaiuies , vous seriez 11-
dèle à les remplir; vous regarderiez comme
un déshoimeur, comme un cri ine,de manquer
à votre parole, à vos promesses; comment
donc pourriez-vous man(|uer h celles que
vous avez faites à votre Dieu, qui, au jour
de ses vengeances, vous en fera rendre un
com|>te exact et rigoureux? Car c'est sur-
tout ce vœu d'obéissance que vous avez
lait de votre jiropre volonté, tpii sera l'ob-
jet de votre examen dans ce grand jour;
ceux qui résistent à la puissance légitime
résislenl à Tordre de Dieu, dit saint Paul , et
se soumeltint h la condamnaiion ; Sihi dam-
nationem acquirunt. {Itom., XIII, 2.) C'rsl de
tout inférieur que |)arlait l'Apôtr'3: (pi'uùt-il
dit et pensé de ceux et de celles qui ont lait
h leur Dieu un sacrifice solennel el sacré
de leur propre volonté dans la religion?
, 11. Mais non-seulement l'obéissance»
.nprès le vœu que vous avez fait, est la voie
lu plus sûre pour votre salut, soit parce
(ju'elle vous approche de i)Iusprès de votre
oélcsle Kpoux, ^Qil parce (ju'elle vous rend
fidèles h des eiigagcmeiiis solennels que
yous avez contractés avec lui i mais elle est
de plus |io\ir vous la voie la plus satisfais
sanle, la plus consolante ; le plus grand
bien, je dis même, l'unique bien réel
el soliue que vous |)uissiez vous procu-
rer en celte vie, vous le savez, Wesda-
nies, c'ttbt la tranquillité, le contenlement
de l'âme, la paix du cœur; voilà l'avatilage
que pn cure l'obéissance religieuse. Quoi
lie plus consolant, en elfet, que de penser
qu'on est entièrement el pour toujours sous
la main de Dieu, que c'est a Dieu qu^on
obéit en obéissant à ses supérieurs, qu'on
ne peut alors s'égarer ni l'olfenser?
Dans le monde, avec la plus grande, la
j)Ius sincère volonté de travailler à son sa-
lut t'id'enlrcr, sur celle importante aifaire,
dans toutes les vues de Dieu, ou ne sait
quelquefois qu'entreprendre; entre plu-
t^ieurs movens de sanclilicalion qui se |)ré-
seutent à l'esprit, l'on est incertain lequel
sera plus agréable au Seigneur. Si l'on n"a
jias pour se conduire un de ces guides sages
pieux el éclairés, qui malhcureusemenl ne
sont i)as cou)muns,on peut aisément se
tromper dans le choix : l'esprit des ténè-
bres (|ui sail se transformer en ange de
lumière, suggère quelquefois des moyens
qui, bien loin de sanctilicr, ne servenlquà
- nourrir l'amour-propre et à éloigner de la
voie (bi salut. Mais dans la religion, en
suivant exactement ce qui est ordonné par
la règle ou ce que prescrivent les sni)é«
rieurs, on ne peut être exposé aux illusions
do l'espril tentateur; Ion est srtr do faire
In volonté do Dieu el de travailler edlcace-
raenlà sa perfection, à son salut. C'est on ce
sens (jue le Saint-Kspril a dit que celui qui
se conduit habituellement par l'obd'issance
doit remporter el chanter des victoires : Vir
obediens loquetur victorias. (Prov. XXI, 2S )
Que de mérites en elfet unO: personne leli-
^ieusc acquiert alors et cliaque jour I
Comme il n'est presque pas d'instant où ellu
ne fasse quelque sacrifice de sa propre vo-
lonté pour [»laire à son céleste Epoux ;
aussi n'est-il pas un instant où le céleslc
époux ne la regarde avec complaisance et
où il ne lui accorde de nouvelles grâces,
de nouveaux secours qui la rendent de jour
en jour plus agréable à ses yeux et qui
son', en même tem|)S, pour elle une sourct»
des plus solides consolalions.
Quoi de plus consolant en effet que de
savoir qu'on obéit à un maître intiiiiuient
grand , au-dessus de tous les êtres, toul-
puissanl, qiii peut récompenser, et qui a
dessein de récompenser ce qu'on fait pour
lui, par des biens immenses et éternels! A
un maître inliniment aimable, plein d'a-
mour el do bonté, pour ses créatures, qui
le servent avec fidélité I A un maîire ipii ,
jiar sa science infinie, connaît tout , el voit
lout ce qu'on fait pour lui, qui ne l'oubliera
pas, qui ne peut môme l'oublier! A un
maître infmiment é(piilnble , qui n'ordonne
rien que de raisonnable , qui dans loul ce
qu'il ordonne, a aulaul égard h 1 intérêt ,
au bonheur de ses créatures qu'à son pro[)re
inlérôt , qu'à sa propre gloire ; qui agit de
plus, avec elles, qui les aide par ses gril-
cos, à accomplir toul ce qu'il leur ordonne 1
A un maître bien différent par là , des maî-
tres de la terre, assez souvent durs, in-
traitables, injustes, impuissants ou in-
grats.
Quoi de plus consolant encore, que de
sentir qu'en obéissant , on |)lail à ses supé-
rieurs; qu'on se rend agréable à leurs yeux,
qu'on allège, autant qu il est en soi, le far-
deau de la supériorité, fardeau duquel il
faut être chargé , pour eu connaître el en
sentir tout le (loids, mais qui devient plus
pesant encore , par l'indocilité des esprils
qu'on a à conduire ! Obéissez à ceux qui sant
placés sur vos têics, dit saint Paul , soyez-
leur soumis : « Obedite. » La raison qu'eu
donne l'x\i)ôlre , c'esl qu'ils rendront un
compte exact au souverain Juge de leur
conduite, comme supérieurs. Voilà ce qui
a loujours fait trembler les saints, ei les
plus grands sainls, lorsqu'on a voulu les
placer au-dessus des autres ; voilà ce (pii
le;:r a fait employer toute sorte de moyens
pour se préserver des honneurs et des dign'-
lés , ce qui les a pénétrés de chagrin lors-
(|u'ils se sont vus forcés de les acce[)lei .
Mais à cette raison ((u'allôgue l'A polie iiu'^f
ORATiaUS SACRi:S. L'ABBE DE MONTIS.
m
nigagor les fidèles àobi'irh leurs siipriieiirs,
il en jni'il une autre bien impnrlnnle en-
core, c'est ;ilin que les su[)érieurs s'ac-
«(iiitient (le leur cm|tioi avec joie et con-
vrilaiion, olnonavec chagrin eten ^^(^missant :
('um gatidio et non gcmcnCcs, {fJcb7'.,\]U, 17);
(|ui nepeiilCtreqnelrôs-préjudiciableaux in-
lérieurs, ajoute l'Apôtre : Non cxpedit vobis.
[Ibid.) Ah I qu'il est dangereux on otrel, pour
une [lersonne religieuse de déplaire , [)ar
son indocilité , à celle qui lui tient la place
do Dieu , sur la terre! Que les gémisse-
ments do celle-ci, que les larmes qu'elle
répand quelquefois devant le Seigneur, sont
funestes à celles qui lui causent ces gémis-
sements et ces larmes 1 Qu'il est à craindre
«pie le Seigneur no leur fasse entendre in-
lérieuromeut , ce qu'il dit au prophète Sa-
nmel, qui gémissait en sa présence , de
l'indorililé des Juifs qu'il avait à conduire :
Ces espiits indociles refusent de vous écou-
ler, parce qu'ils ne veulent pas m'écoiiler
nioi-nièrae ; c'est sur moi que retombe le
mépris qu'ils osent faire de vos avis et de
vos ordres ; mais prenez patience , un jour,
je me vengerai de ces révoltes et de ces
mépris; je n'attendrai pas même, pour cela,
le grand jour de mes vengeances, pour leur
faire éprouver mon indignation et ma colère.
De là en ellet quelquefois les maux corpo-
rels et spirituels qui affligent ces personnes
indociles; de là du moins, ces troubles in-
térieurs, ces remords, ce dégoùl, cet ennui,
ce mécontenten)ent de leur état qui les ob-
sèdent et qui les suivent partout, et jusqu'au
lit de la mort. Hé 1 en peut-il être autre-
ment? Peut-on n'être pas dans le trouble,
accablé de remords, quand on sait et qu'on
ne peut se dissimuler qu'on contrevient à
des engagements sacrés qu'on a contractés
volontaireiuenl avec son Dieu; quand on
voit que par sa conduite on déplaît à sa su-
périeure , qu'on est sa croix et tout à la
lois un sujet de scandale pour toute une
«;ommunauté; qu'on est condamné par tout
ce (]ui s'y trouve de plus régulier, île plus
sailli? Non, non, en vain une re igieuse
indocile allecte quelquefois beaucoup de
tranquillité, de contentement au-dehors ,
sa conduite qu'elle sait déplaire à Dieu et à
ses supérieurs, lui cause souvent des cha-
grins et des remords qui la déchirent d'au-
laut plus cruellement au -dedans d'elle-
même, qu'elle allecte davantage de les ca-
cher au-dehors.
■ Bien différente par-là de la religieuse
obéissante et docile ; comme celle-ci fait son
bonheur de ses devoirs et à obéir aux per-
sonnes qui lui tiennent la place de Dieu sur
la terre, Dieu veut bien, pour l'ordinaire,
récompenser son obéissance, dès cette vie,
})ar un {contentement intérieur, par des
consolations spirituelles qu'il faut éprouver
jiour les bien connaître; t)leine de foi, con-
sidérant toujours sou Dieu dans ses supé-
rieurs, quelque opposition qu'elle puisse
avoir pour ce qui lui est commandé, elle
l'exécute avec docilité, avec plaisir même,
parce qu'elle sait que c'est la volonlo de
son Dieu qu'elle accomplit; elle sait et se
rappelle souvent, qu'après tout, elle ne
peut aller au ciel que par la voie par la-
quelle y est entré son céleste Epoux, j(>
veux dire, par les peines et les souffrances ;
elle sait que les souffrances les plus pro-
pres à la sanctifier, à la conduire au ciel,
sont non les souffi-ances de son propre choix,
mais celles qui lui viennent par la disposi-
tion de la divine Providence ; elle sait qu'elle
ne peut se tromper en obéissant à ses supé-
rieurs, qu'il n'y a qu'à gagner pour ello,
que la plus petite action faite par obéissance
est méritoire aux yeux de Dieu ; elle sait
que cette obéissance la préserve d'une in-
finité de tentations et de dangers pour son
salut, qu'elle ne peut que lui procurer une
abondance de grâces et de secours, qui lui
rend, chaque jour, plus facile l'affaire im-
portante de sa perfection 'et de son salut;
elle sait que colle obéissance la f<jrti(ie do
plus en plus; contre un des plus redouta-
bles ennemis de son salut qui esl sa propre
volonté; elle sait que (juand elle ne réus-
sirait pas dans ce qui lui esl recommandé,
< lie n'en serait pas moins agréable à Dieu
et n'en mériterait pas moins une récom-
pense pour l'éternité, |)arce que ce n'est
poirii le succès, mais l'action, l'obéissance
qu'il lui demande; elle sait tout cela, ello
en est inlimement convaincue: voilà ce 'pji
la rend si contente. Souvent et très-j;:».j-
vent, elle bénil le Seigneur de l'avoir mise
dans un étal aussi consolant en lui-niôiiie
qu'il est avantageux pour, elle; elle sent"
tellement, au-dedans d'elle-même, l'avau-
l;ige et la nécessité d'être sous robéissaoce,
quelle serait tentée de dire, comme autre-
fois un jeune solitaire : Ah! (ilûl à Dieu,
qu'au lieu d'une supérieure le Seigneur
m'en eût donné plusieurs, je marcherais
plus sûrement encore dans la voie du salut 1
Voilà, au milieu des peines, des tentations,
des obstacles qu'elle icnconire quelijuefois
dans son état, voilà ce qui la tient dans la
plus grande sécurité; semblable à un pas-
sager qui dort tranquillement sur le vais-
seau qui le porte, comptanl sur l'habileté
du pilote chargé de le gouverner, elle se
rassure également sur les lumières et la
prudence de celle que la divine Providence
a mise en sa place pour la conduire; elle
dit souvent comme le Uoi-Prophète : Que
peut-il m'arriver et que pourrait-il me man-
quer [lùisque le Seigneur me conduit lui-
même : Dominus regil rnc et nihil inihi décrit.
[P^al., XXII, 1.)
Oui, tandis, que la religieuse indocile,
plus attachée à sa volonté qu'à celle do ses
supérieurs, passe sa vie dans l'amerlumc,
dans des peines intérieures, qu'elle ne peut
ni cacher aux autres, ni se dissimuler à
ellc-môme, et qu'elle la termine, celte vie,
dans des agitations, dans des remords qui
lui font tout craindre pour l'avenir el qui
la jettent quelquefois dans le plus affreux
désespoir, la religieuse, au conlraire, (jui a
toujours aimé l'obéissance et (jui se conduit
en tout par celle belle vertu, coule jusqu'à
iih Disr.oi us Di; retr uti;. — cinoiiemi: jour. î2C
Ifl (,n (Ips jours lieuieiix cl iranquilli-s ilans solidiié. Ronoiivcloz-inoi, pour cela, je tous
la paix ol avec des consolations intéiit'ures i)rio, volri* allention.
qui sont pour ccllos (pii la voienl leriiiiiier I. Jo dis, en pix'nuer lion, que rolxHs-
sa cnirièrt', un indice fccrlain qu'elle nieurl sance doit Cire |irorri[)te, dans l'exéculion,
vérilalilrmeol dans le Seii^neur, et qiii sont Sans celte (lualilé, elle n'a |)lus lo niênic
pour Llli'-uiêino , un pressenti i eut , un prix; c'est sur cela, en cllel, qu'on jugi;
avant-i;oili de la |)aix cl dos délices éler- cominunéiiicnl , et jusque dans le inonde,
ncîles. Voilà donc, Mestlauies, les grands du ni(^rile et de ratiacluMiient de la person-
hiens que procure loujoins la sainte vertu ne qui ohéit. Un sujet , un courtisan qui
(l'ob'5issance à celles qui, ilans no.'ro saint inetirail <le la Irtileur et des délais 5 ren>
l'inl, la praliciueul avec liiléliié ; lels son!, p!ir les volontés du souverain , tnanifesle-
par coiiséipient, les uiolil's |inissaiits (|ui rail par-là, el son peu de zôle à le servir,
doivent vous onj^agor à la praiiqiier liclèle- el sou peu d'alla';lienienl à sa personne;
luenl vous-mônies toute voire vie. .Mais je aussi voyons-nous ceux (jui l'approchenl do
ne dois |)oii<l en rester là; après vous les f)lus près,nietlre le plus d'ardeur et do
avoir fail considérer, ces nioiifs, je dois de proiiiptilude à exécuter ses ordres. Or si
plus vous l'aire voir quelles qualités doit une créatuie niOfitre celle lidélilé, pour une
avoir votre obéissance pour plaire au Sci- autre créature qui ne lui est supérieure
gnourel pour vous élro utile à vnus-niéiurs: que par lo rang distingué qu'elle occupo,
c'est le sujtl de la seconde partie. quel zèle el ([uel eui|iresseraenl ne doit
(Jonc pas avoir une siuq)le créalure lors-
SECONDE PAKTiE. ((u'olle obéil à son Créateur el son Dieu?
Car, comnie le dit saint Ignace dans sa
D'après lout ce que je viens de vous dire, lettre sur l'obéissance, lorsque votre supé-
Mcsdames, vous avez di\ conclure que de rieur vous appelle, vous ne devez pas dou-
loutes les vertus cluélieniies el religieuses, ter (jiie ce ne soit Jésus-Christ qui vous
l'obéissance est la plus essenlielle ol tout à apjxdlo, et qui vous commande lui-même;
la lois la plus excellente. Toi est, en effel, coniinent donc metlriez-vous de la lenteur
le senliiuenl des Pères de l'Eglise el de dans l'exécu ion d() ses ordres? Ne serait-co
saint Grégoire, |ia|)e , surtout : la raison pas lui témoigner que vous n'avez i)as un
qu'en donne ce saint docteur, c'est qu'elle vrai désir, un virenq)ressemenl à lui plaire,
est la seule qui, à propren.enl /larler, corn- cl jk r conséquent un l'è>-grand ai:acliement
mande toutes les autres vertus el qui las à sa peiso'ine ? Le vér lablo obéissant , dit
conserve. Cf!|)endant, ipjelque oxiellenle el saint Rernard , no sait melire aucun relar-
quelque nécessaire (ju'elle soit celle vertu, dément dans rcxéculion (les coiiimando-
el dans tous les étals, qu'elle est race, ce- menls (pii lui sont faits,
pondant, au moins, la vraie et parfaite Vo;l:i , en etfel, ce qui fit le mérite d'A-
obéissance, même dans les étals qui con- brabam ; au premieiordre que Dieu lui don-
duisenl, par eux-mêmes, à la perfection 1 ne de quitter sa jialrie , il l'exécute à l'ins-
Voiis me demandez sans doute ici, Mesda- tant; il part au milieu môme de a nuit,
mes, ce (|ue j'entends par une vraie el par- Voilà ce qu'ont fail les aiiùlres; à l'instani
laite obéissance, et quelles qualités elle doit (juo Jésus-Clirisl leur ordonna île le suivre,
hfoir pour èlre telle aux yeux de Dieu ; j(! ils qu ttôrenl tout el se mirent à sa suite.,
jiourrais, pour vous répondre, n'eu exiger Voilà ce que tirent Marie el Joseph, lors-
(|u'une, qui est l'amour : Aillle^, pourrai -jo (|ue l'ange leur ordomia de la part du cid
vous dire, aimez sincèi-euionl votre Dieu, cle (piiUer Nazaioli ; ils |)arlonl sanSrelar-
obéissez en loul, par amour pour votre demenl et | orient Jésus enfant en Egypte.
Dieu, el voire obéissance aura tout ce (pj'il Voilà ce que tirent les mages el ce qui U'ur
faut pour lui (ilaire. Mais pour vous don- f)rocura di* se coiivcrlii- à la foi de l'Evan-
ner une instruction plus étendue, je dis que glle ; dès qu'ils a|ierçurenl la nouvelle éloi-
volre obéissance ne sera jamais pai'faile, si le, ils abandoiirièrenl leur peuple et leur
tous lardez à exécuter ce qui vous est près- patrie, pour aller reconnaitre ol adorer le
(fil, ou si vous exécutez absolument elsaiis Messie. Et voilà ce (pjo font el ce (lu'onl
distinction,cequi vouseslproscril,ou si vous fail dans tons ios lemi)s, ks personnes reli
entreprenez d'examiruu' el .de juger ce qui gieuses, saintes el ierventos;au promiei-
vous est iirescrit, ou enlin si vous ne mei- signal de la volonté de Dieu , manifestée
lez pas le même zèle et la même lidélilé à par leur règle ou par leurs supérieurs, <ui
exécuter tout ce qui vous est prescrit. Do les a toujours vues iiuitter tout , obéir
loul ceci vous devoz conclure avoc moi prom()lemoiil ; elles n'ont môme été lecon-
(pie l'obéissance religieuse, pour être sans nuts saintes ol foi veines, distinguées dcsliè-
liéfaut aux yeux de Dieu el méritoire |)Our dos et di s impaifaile>;, quo par celte exac-
vous, doit être, tout à la fois, une oliéis- iilude, cttlo pont tu..l.lé si ossenliolle, on ef-
sance promjde, ipiant à l'exéculion; uni- fe', qu'elle a toujours éié recommandée par
verselle, quant à l'objet; aveugle, cpiaiit tous les maUios do la vie spirituelle, par
au jugemeit; enlin, cons'anle, quant à lu lous les fondalours ou insliluleurs d'ordres
piuliquo. DéveIO|i|ions toutes ces idées, el toujours mise en vigueur, par ceux el
elles donneioirl lieu à un détail de priiici- colles qui, placés par la Providence à la lêlo
j»es el du consé(juences des(iu(;lles je m'as- dos autres, oui eu le plus de zèle [lour le
sure que vous sentiicz l'importante ol la uiaiiUien delà régularité, et pour la per-
Sî?
ORATEURS vSACRES.
fection des âmos ronfiées à leur soin. Evac-
liliido, poDclualité si essentielle, si agii'iib'e
à Dieu, que plus d'une fois il a paru l'ap-
prouver par (les prodiges. Vous le savez,
Mesdames, et je vous i ai déjà rapporlé, ce
Irait de ce solitaire qui, laissant en sa cel-
lule, pour obéir plus |)ionipteuient , une
Uttre à demi formée, la trouva à son retour
achevée en or. Mais exactitude du moins,
que le Seigneur récompense toujours, dès
cette vie même par des grâces abondantes
qu'il répand sur ceux et celles qui la [ira-
liquent : aussi le démon qui voit combien
cette ponctualité a de force, pour détruire
son empire, n'omet lien pour en détourner
les personnes religieuses ; il leur fait enten-
dre que, pourvn qu'elles obéissent, il im-
porte peu (|u'clles monlreni, en obéissant,
une si scrupuleuse exactitude, qu'il y a
même de la petilesse d'esprit à s'astreindre
b ce i)rcmier instant; et dès qu'il a pu réus-
sir à faire nieîtie quelque délai dans l'exé-
cution de ce qui est reconunandé, il ci'oit
n'avoir pas tout perdu, et avoir même causé
uti vrai préjudice a l'âme, en la privant
par-l.T de la grâce atlacliée à cetle ponctua-
lité.. V'ous sentez par-là, Mesdames, com-
bien il est important d'obéir proUiple-
nienlet sans délai; vous devez être dans
la disposition de ce pro|iliète lorsqu'il
disait au Seigneur : Mcvoici, envoyci-
inoi: * Ecce ego, mille me. » {Isa., VI, 8.)
Vous devez due comme le Uoi-Proplièle :
Mon cœur est prêt , Seigneur, mon cœur
est prêt à exécuter tout ce qui me seia
commandé de voire part : l'arutuin cor
tveiim. (Psal. LVl , 8.) L'obéissance pour
êire méritoire doit donc être promple ,
mais elle doil, de plus, être universelle ,
c'est-à dire s'étendre à tout : seconde qua-
lité.
11. C'est cependant , Mesdames, je dois le
dire ici, ce que l'on ne voit pas toujours
dans les coiumunaulés, même les plus ré-
gulières quelquelois : quand ce qui est or-
d(jnné plaît et se trouve confoinie àceipn!
l'on désire, ah! î'on montre alors la plus
gr.inde docilité; mais en est-il de même
lors(jue les choses couuuaiidées répugnent
et dé(»laibent ? Que de moyens l'on cherche
alors, pour se dispenser d'accoui|ilir ce qui
e.>l ordonné, sans | arailie désobéir formel-
lement! On ne se conknle pas >i'alléguer
soi-même à sa snpéiieure des raisons (jui
lie sont rien moins que convanicantes ,
(|u'on a puisée dans sa lépugnanec, dans
s.)n umour-proj»re, on les comniuniiiue de
plus, avec un Ion de conlitleuce et un air
du bonne foi, aux [lei sonnes propres à faire
changer d'idées et de volo;ité à la supérieu-
re; l'on se |)laiiu amèrement quelquefois, do
ses préjugés, de ses prédilections , on les
exagèie; ponit d'adresse, de détours ([u'oii
( mploie pour la laïuener à ce que l'on sou-
haite. On réussit en ell'cl pai-là quelquefois
use faire défendre, ce qui ne plaît pas, ou
a se laiiu ordonner ce qui plaît; on se pro-
cure adroileiueni des permissions des or-
dres, des d.s]ien»es,(ies singularités toujours
L'ADBE .de MONTIS. îâi
préjudiciables au bien général d'une com-
munauté; or, je vous le demande, est-ce là
accomplir véritablement le vœu d'obéissan-
ce! N'est-ce pas plus faire sa propre volon- 1
lé que celle de sa sufiérieure, ou pluiût
faire sa firopre volonté, en paiaissant obéir
à sa supérieure? Alil une religieuse aussi,
imparfaite peut bien faire illusion aux au-
tres, et se la faire à elle-même; mais elle
ne peut tromper Dieu qui, voyant de pa-
reilles dispositions dans son i oeur, bien loin
d'approuver tout ce qu'elle fait , n'y répand
aucune bénédiction : aussi se trouve-l*elle ,
cette religieuse, sans goût, sans consolation
parce qu'elle voit bien et qu'elle ne peut se
dissimuler, qu'elle n'est point dans l'ordre,
(pi'elle se reclierche elle-même , dans le
le leîïips et dans des clioses où. elle ne de-
vrait chercher que Dieu, n'avoir que Dieu
en vue.
Voulez-vous donc. Mesdames, travailler
véritablement à voire pe'fection, et n'avoir
rien à vous re[)roelier, par rapport à votre
V(eu d'obéissance? Ne faites aucune distinc-
tion dans tout ce qui |)eut en être l'objet;
montiez la mêiiie di cilité, la mô.ue fidélilé
aux ordres, aux commandemenis qui vous
ré|)ug'ient et à ceux qui vous plaisent, et
que vous pouvez désirer; soyez bien per-
suadées que v(uis vous tendiez d'autant |)lus
agtéables à Dieu el que vous aocjUcrrez
d'autant plus de mérite (pie vous sentirez
|(lus (l'opposition et que vous vou$ ferez plus
de violence pour obéir; vous n'aurez point
à craindre alors d'agir par le mouvement de
votre profue volonté, de i'amour-propre qui
corromjit souvent les actions les plus sain-*
tes. Klendez cetle soumission, cetle docili*
té, non-seulement à ce qui peut regarder
le bien de votre communauté en général ,
mais encore à tout ce qui a rapport à Votre
conduite particulière; ne faites rien, e«
gei:re de jirières, do priilifiues, de niorîiti-
calions, de bonnes œuvres qui ne soit mar-
qué au coin de rohé.ssancc ; souvenez-vous
de ce que dit le Seigneur aux Juifs, par ua
prophèie : Vos jeûnes et vos solemnilés me
déjilai-ctii, je les ai rejetée?, parce que
votre ptoj.re volonté s'y trouve: Jnvenilur
loluiUis tua. [Isa., LVIll, 3.) Combien en
elfet , |)af là , de bonnes œuvres, de prières
d'austérités perdues pour le ciel 1 L'absti-
nence laite conire l'obéissance, ou sans,
l'obéissance, dit saint François de Sales,'
Ole le |iéehé du corjis, pour le me. Ire dans:
le cœur. Llle rlfaiblit le corps, dil-il encore
et elle lot tilie l'aiiniui-ptopre. Si donc vous
voulez |)iaiie au Seigneur en obéissant,
fiites (jue votre obéissance soit sans res-
triction, sans .'éserve; ([u'elle s'éteilde éga-
leuienl à tout ce (lue l'on peut vous oi don-
ner et à tout ce que vous aurez à faire ; c'a
toujouis été la pratique des personnes re-
ligieuses, vérilablemetit saintes : plus elles
ont été saintes et |)lus elles se sont ap[)li-
quées à combattre en tout, leur propre vé-
lo ilé. ALus cela ne suflit i)oint; alin que
voire obéissance soit parfaite, elle doit ôtro
encore aveugle : troisième qualité.
2s«j hisroiiis ni: hkti'.aiti.. (.inqiîemf, Join. âSo
m. Voilà cepeiiil.uil unandi» alms assez lùivain .illégiieriez - vous encore les d(5-
ooramun dans la religion : on obt'it .'i la faiils de celli! (jiii vous conimaniJo : jo pour-
vérité, mais ou se iléJoniinage, en (juolijue rais vous dire (|uo c'est voire indocilité et
sorte, de la contrainte qu'il a fallu se faire votre ainour-jMOpre qui vous font imputer
pour obéir, en raisonnant sur ce qui a été à votre supérieure des défauts (|u"elle n'eut
conuiKindé; on juge sa supérieure, non- jamais, ou exagérer ceux qu'elle peut avoir;
seulement au-dedans do soi , mais avec que si vous éiiez plus humble, plus déla-
d'aulres (juelipiefois; on lui impute des chéu de vuu>-mC'Mie et plus docile surtout,
motifs tout naturels et peu cliréticns; on vous la jugeriez bien plus laVoiablemenl ;
tombe indirectement du moins, sur ses dé- vous ne verriez (pie ses bonnes qualités,
fauls, sur sa conduite dans le gouverne- «lue ses vertus ; mais enfin, quand Dieu ali-
ment. Rien cependant de |ilus injuste, j'ose lail permis qu'il se trouvât à votre télé uno
le dire, que celle liberté de juger, do cen- liersonue qui aurait les défauts que vous
surer ses su|)érieurs, parce (ju'ils ont sou- lui imputez, et de plus considérables eu-
vent pour agir, pour commander, des rai- core, ils ne pourraient être pour vous une
sons que b s inférieures ne peuvent péné- raison du no pas vous soumettre à ses or-
irer ; parce que si la cliarité onlonne de dres; ce ne sont point des anges quo lo
juger toujours favorablement do son pro- Seigneur commet pour gouverner les en-
cliain , en général, Ji plus forte raison fanls dAdanj , mais des enfants d'Adan»
l'exige-t-elle, pour le procbain supérieur : eux-mômes, sujets par conséquent aux fai-
ie dis plus, parce (jue, quand la supérieuio blesses de ,1 humanité ; ainsi, quelque im-
n'aurail pas une inlention bien droite, un pai faite que pourrait élre celle qui voui
motif bien pur, dans le commandement commande, vous lui déviiez toujours une
iju'eile fait, dès que ce commandement n'a soumission aveugle et entière; elle adroit
rien de contraire aux préceptes du Sei- dej'exiger de vous; pensez qu'avec tous
gneur et à l'esprit de l'institut, on doit lui ses délauls, elle vous tient la place de Diou
obéir. A la vérité, elle réJlOndra.^ Dieu de sur la terre; (|ue c'est donc îi Dieu que vous
l'ordre qu'elle a donrjé et du motif (juilo obéissez eu lui obéissant; que ce n'est
lui a fait donner; mais pour la |)ersonne | oint au visage de voire supéiieur.e (|ue
religieuse, elle ne réjiondra à Dieu (pie do vous devez regarder, dit saint François de
sa docilité, ou de son indocilité. Voilà co Sales; moins elle aurait de quoi vous
(jiii faisait dire à saint Ignace, que si le j'Iaire, et moins vous aurl( z à craindre de
chef de l'Eglise, Si le pajie lui ordonnait de f"ire pour l'amour de la créature ce que
s'exposer sur la mer dans un vaisseau, vous devez faire uniquement |)Our l'amour
sans provision, sans pilote, sans gouver- du Ciéateui-, et de perdre par-là lo mérite
nail, il ne balancerait pas à obéir, a] puyé de votre obéissance.
sur celte belle maxime, qui n'est point as- -Mais, me direz-vous encore, celte obéis-
siz Cl nnue dans la religion, que la pru- sance aveugle (jue vjus exigez interdil-elle
(lance est toute pour la personne qui com- toute représentation à sa supérieure? N-in,
mande. Vuilà ce qui engageait ces anciens Aîesdames, mon dessein nefuljamaisde rien
solilaires, si éclairés dans les voi* s de la exagérer : il est bien vrai, je vous lai déjà
peilfCtiou, à commander à ceux qui leur lait voir, qu'il est beaucoup plus parlait
élaicnl soumisdes actions inutiles, et (|uel- d"obéir sans porter aucun jtigeuient sur la
(juelois ridicules en apjunence, auiant (Jaiis chose commandée; c'a touj(;urs été la |)ra-
la vue d'anéantir leur propre jugement t.(jue des personnes religieuses les plus
(jue de rompre leur pio|)re volonté. Ce (jui suintes et les plus parfaites ; mais je dois
prouve qu'en cela ils étaient animés de l'es- convenir aussi qu'il n'est aucun mal à faire
prit de Dieu, c'est que |ilus d'une fois il a à sa su|)érieure des représentaiions, pour-
paru approuver l'obéissance de pareilles vu loatehjis qu'elles soient faites avec pru-
aclions par de vrais miracles. 11 ne sullit deiiee et avec docilité;jedis avec prudence,
donc pas, pour une parfaite obéissance, c'est-à-dire apiès avoir bien pesé devant
d'obéir simplement de la volonté, d'exécuter D.eu s'il est nécessaire ou convenable, du
ce qui est ordonné ; mais elle exige de plus moins, de les faire ces représenlalio.'is ; |o
une soumission de jugement, un ac(pjies- dis avec docilité, parce i|U'après les avoir
cernent intérieur de reS[)rit à te qui est faites avec dioilure et avec respect, une ré-
ordonné, ligieuse doit se tenir dans un é|uilibro
lui vain allégueriez-vous que vous noju- de volonté, dans une parlaile indilléience
Kcz votre supérieure (jue sur les petites snr le jugement qu'en portera sa supé-
(Ikjscs qu'elle vous cemmande ; vous pou- rieure, et toujours dans une sincère dispo-
vez aisément vous tromper et juger |)uu lui- sitioii d'obéir ; et si celle-ci n'y a aucun
portant en soi ce qui l'est beaucoup peut- é^ard, elle doit se retirer aussi satisfaite ,
elle à ses yeux et aux yeux de Dieu. Qn'é- aussi tranquille du moins , (|ue si sa supé-
tait-ce en apjiarence que de manger ou de rieure lût eiitr(Je dans ses vues. Avec ces
ne pas manger une pomme? C'était cepeh- disjiositions, j'ose dire que les représonla-
dani à celte tléfense (]u'était attaché le sort lions no feront point perdre le mérite de l'o-
du genre humain; le malheur d'Adam et béissance, qui uon-seulemenl doit eue
•lEve, et qui rejaillit sur toulo leur {)0sté- prompte, universelle et aveugle; mais du
riié, fut d'a'.oir raison lé sur la défense du plus constante : (jualrième et deraièie (lua-
Seigiic'jr. i.lj.
231
ORAÏELKS SACUKS. LABBE DE MONTIS.
232
IV. C'est-à-dire, Mosdaaies, qu'il ne siiflil
pas d'obéir quelque temps en tout, mais
(|u'il faut obéir en tout cl toujours, qu'il faut
persévérer dans celle disposition jusqu'à In
iiioi-t. Voilà l'esem|)le (|ue vous a donné
voire céleste Epoux : 7/ a été obéissant, dit
l'Ai ô;re, et Jusqu'à la mort. « Obediens usque
ad mortem. ;> {Fhilip., II, 8.) Il n'e^l donc
ni litre, ni âge, ni emploi qui fiuisseni dis-
penser ses épouses de la pratique (ie l'obéis-
sance; car de prétendre, par exvmple, que
l'ancienneté, dans la religion, soit une rai-
son pour se souslraiie à l'autorité supé-
rieure, c'est une illu^ion, un abus. Il est
vrai qu'une supérieure doit avoir des égards
pour le grand âge, pour l'ancienneté, et
surtout pour les inlirmités qui l'accompa-
gnent assez souvent; mais cette attention
la regarde uniquement : le devoir des in-
férieuies, dans quelque situation qu'elles
puissent être, est luujours d'obéir. Plus
môme elles conqitent d'années de religion,
plus eWes doivent cet exemple aux autres;
s'en dispenser, c'est un scandale toujours
préjudiciable à une communauté et ilunt
elles rendront un compte rigoureux à leur
céleste Epoux. Aussi a-t-on toujours vu,
dans la religion , les personnes les plus
avancées eu âge, mais aussi également
avancées eu peii'ection, en s;iinlei.é, mon-
trer jusqu'à la mort la plus scrupuleu.'ie do-
(•ililé à leur supérieure; et un des plus
beaux éloges qu'on croie l'aire d'elles, lois-
que l'e Seigneur les a appelées à lui, c'est de
due (jue ni leur grand Age, ni les impor-
tants services qu'elles ont rendus à leur
communauté, m môme k'urs inlirmiiés, ne
les ont point empêchées de praliijuer en
tout eljus(|u'o la lin de leur course, la s:;i )le
vertu d'obéissance, et avec autant de (idélilé
tpie dans les premières années de leur pru-
iession., Ce n'est donc, Mesdames, qu'a celte
constanle obéissance !|Ue votre saiictilica-
lion,Ji toutes, est attachée ; il ne servirait de
rien d'avoir bien commencé si vous tini>siez
mal. Cette belle vertu est tellement alta-
chée à votre saint état qu'elle le distingue
des autres étals du monde, el qu'elle vous
constitue vraiuient religieuses, vraiment
épouses de Jesus-Chiist ; cesser de la pi'ati-
uuer, ce serait cesseï de u;é.iler, ce litre
Si honorable, si avantageux lout ensemble
])Our cette vie et jiuur l'auire.
Ah! Seigneui-, si je veux faire ici un sé-
rieux retour sur luoi-mème , par rapport à
la |)rati(jue de celle vertu de l'obéissance,
qui n'esl point de simple conseil pour moi,
mais d'une obligation étroite depuis mes
engagements solennels dans la religion; si
je viens à c(jmparer les dernières années de
ma vie religieuse avec les premières, quel:e
ditféreuce 1 que de reproches à me l'aire !
que de [irétextes, que de détours [lour élu-
der les ordres de mes supérieurs ou poul-
ies ramener à mes volontés! Que de juge-
ments téméraires, que de pro[)os indiscrets
sur leur conduite dans le gouvernement!
Q;ie de murmures, que de plaintes, que de
resislaiiLes ouvertes ou indirectes du moins I
One d'imperfection encore dans les actes
d'obéissance I Que de défauts 1 Ah 1 Sei-
gneur, je le reconnais et le confesse ici, en
votre sainte présence : depuis longtemps je
n'ai point fait de celte sainte vertu d'obéis-
sance tout le cas que je devais en l'aire, ou
j'ai trop lot oublié les engagements que j'ai
contractés aux [)ieds de vos saints autels,
de la [iratiquer lidèlcment et toute ma vie,
celle belle vertu, si (iropre à me détacher
de moi-même et à m'attachera vous; quelle
grâce vous m'avez faite, ô mon céleste
Epcmx, en m'ap[)elant au détachemenl ab-
solu de ma propre volonlc^, de ma liberté!
Hélas I si funeste à tant d'autres, celle li-
berté, elle m'eût été également funeste à
moi-même ; j'en aurais abusé pour vous
offenser et pour me [lerdre. Ah I dans ce
moment, j'y renonce de nouveau el pour
toujours; dans ce moment je la renouvelle
avec plaisir cette |)romesse solennelle que
)e vous ai faite de iiasser mes jours dans
l'obéissance et dans la plus parfaite obéis-
sance. J'ai besoin pour cela de votre grâce,
ô mon divin Sauveur; je vous demande cette
obéissance, mais une obéissance ,siiii[)le,
aveugle, qui ne raisonne point; [iromple,
littérale, qui ne mette aucun délai, qui
s'empresse d'agir, d'exécuter ; entière , gé-
nérale, (lui n'aiimetle aucune restriclioii,
qui s'étende à lo;;!; constante, courageuse,
(jui ne se rtbnle, ne se dégoûte jamais;
pure, alfectueuse, qui n'ait que vous en
vue, qui me lasse obéir uniquement par
amour [;our vous. Quel bonheur pour moi,
si je passe le reste de mes jours dans la
prali(iue d'une obéissance aussi parfaite !
Quelle paix , quel contenlement intérieur!
quelle abonlanco de grâces et de secours
jeu letireiai dans lo lemiis ! quels degrés
de récompense el de gloire elle ,me i)rocu-
rera dans l'éternité I Ainsi soil-il.
CINQUIÈME JOUU.
Seioiid (liscoius.
SUR LES RÉCIIKATIONS.
Vciiile seorsum, el req\iicscilc pusillum. (ilnrc , VI,
31-) . . „,
^ Vend vous retirer a l écart, et vous rc})oser tin j:;u.
Telle élail. Mesdames, la bouté, la cha-
rité du Dieu-Sauveur envers ses disciples ;
dans le temps que lout occupé lui-mônio
du grand ouvrage de la rédemption des
honuues, il passait ses jours à |)arcourir
les villes et les bourgades de la Judée, que
son zèle le taisait courir avec ardeur ajirès
les brebis égarées de la maison d'Israël,
jusqu'à se fatiguer et à oublier ses propres
besoins, il voulait que ceux qu'il avait as-
sociés à son ujinistère se délassassent un
peu de la fatigue des missions dont il les
chargeait, et qu'ils prissent de temps en
temps un repos qu'il ne prenait jias lui-
môme, ou qu'il ne i)renait que pour les en-
gager à suivre sou exemple : liequiescitc
pusillum.
Ces grands el saints personnages qui ont
été inspirés de fonder des ordres religieux
do l'un et de l'autre sexe, ont cru devoir so
DISCOURS DE RETRAITE. — CLNQUIEME JOUR.
r.i
conformer on cela, comme on toul le reste,
î> la coi'.diiile lie nnlre aimable S.-uiveur ;
<|uelqueauslère.(HiefiUla vie que quelque-
rtiis surlouloiil prescrile h ceux el à celles
qui lievaient embrasser leur inslilut, ils
oui voulu (|ue liaus certains temps, el que
cha(jue jour mùmo, ils prissent uu peu de
ilélasseuienletde repos: mais prenez '^ixrda
aussi, mesdames , que rmteulion de vos
saints fondateurs, que celle de l'Eglise elle-
luôme, en app.rouvaul votre règle et vos
constitutions, a 'été, non de vous porter à
la dissipation elau relâclieuieiit, mais de
vous soulager, de reposer tout à la fois et
votre es[.rit el votre corps, atin de vous
rendre plus projires à soutenir les travaux
pénibles, et à remplir les devoirs assujettis-
sants du saint (Haï de la religion. Ainsi,
pour bien entrer dans leurs vues, vos ré-
créations sont un exercice que vous devez
sanctitier,comuie touslcsautres qui remplis-
sent \olrejournée;c'eslcequej'enlreprends
de vous prouver dans ce discours : U)ais
pour le rendre d'une instruction plus solide
cl plus élendue, j'irai plus loin encore.
A|>rès vous avoir |)rouvé que vous devez
sancliOer vos récréations, je vous montre-
rai de plus qu'il est aisé de les sanctilier,
qu'il est une manière de les prendre qui
peut les rendre agréables à Dieu et méri-
toires pour vous. En deux mots, lus motifs
qui doivent vous engager à vous récréer
saintement; ce sera le sujet de la première
partie de ce discours ; les dispositions dans
lesquelles vous devez être, pour vous ré-
créer sainiemeni ; ce sera le sujet de la se-
conde partie. Honorez-moi, je vous prie,
de toute votre atleniion. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Tout chrétien, et encore plus toute per-
sonne spécialeruent consacrée au Seigneur,
dans le saint étal de la religion, doit se
rappeler souvent ce que le divin Maître di-
sait à ses apôtres et à ses disciples, et dans
leurs personnes à tous ceux qui devaient
comme eux, el d'après eux, embrasser toute
la perleclion de son Evangile, que si la vie
luluie devait leur procurer un repos el un
boiilieur parfaits, la vie présente, qui ne
leur élait.dunnée que pour se procurer celle-
là, ils devaient la pa;ser dans les |)eines
et les coiilraJicliorjs, dans, la nioililica-
lionel da:is les souOrances; qu'ils veiiaient
le monde el les partisans du monde se li-
vrer à la joie, aux ris el aux plaisirs, mais
(jue pour eux, les mépris, les [lerséculions
el les larmes devaient être leur partage. Ce-
pendant, .Mesdames, quelque sévères que
çaraissuiil d'abord cette [)iédiclion et ces
maximes du Dieu Sauveur, el quelque in-
tention qu'il ait elle de voir tous ceux qui
sont vérilableuient a lui s'y conformer, il
eonnaissail pariailement la faiblesse des
enfants d'Adam, el combien ils sont peu ca-
pables de su()porler une gêne continuelle,
une application suivie de l'esprit, un tra-
vail du corps non mlerrompu. lia donc fait
Yûir, par la conduite qu'il a tenue envers
OniTEURS S*CRf:S LXVlll.
ses apôtres, qu'il ne désapprouvait point
que ceux qui , {i.ar un abandon total du
monde, se sont entièrement consacrés 5 sni
Service dans la retraite, se donnassent
quelque relAche pour pouvoir plus long-
lem|)s, el pour sa gloire, se livrer aux exer-
cices de l'état de pénitence auquel il lésa
lui-môme appelés. Ainsi, Mesdames, vous
pouvez sans vous éloigner de l'esprit de vo-
tre céleste époux , prendre chaque jour
quelques moments pour lécréer votre es-
prit el délasser votre corps ; mais en vous
permettant ce délassement, vous devez vous
rappeler encore une autre maxime et un
autre devoir que vous prescrit l'Evangilu
que vous professez ; c'est qu'il n'est point
d'action, quelque naturelle, etquelqu'in-
dilférenle qu'elle puisse êirc en el.'e-môine,
que vous ne puissiez el (]ue vous nedeviez
ra()porler à Dieu et rendre dignes parla de
ses récomiienses éternelles ; c'est [irécisé-
menl ce que vous dit l'apôlre saint Paul :
Soit que vous mangiez ou que vous buviez,
soit que vous fassiez toute autre action, vous
devez en la faisant, ne point perdre de vue
votre Dieu, agir en tout pour sa gloire, (i
Cor., X, 31). Or si pour toute action, en gé-
néral, [)Our toul exercice, vous devez, pour
plaire au Seigneur el mériter ses récompen-
ses, avoir celle (lure, celte droite intention,
j'ose dire que vous devez l'avoir plus spé-
cialement encore, si l'action à laquelle vous
vous livrez n'est point telle que vous
puissiez la faire ou ne la point faire à votre
choix, et encore i>lussice n'est point une
action i)assagère, et qui se fasse rarement
el de loin en loin, el enfin si ce n'est point
une action qui, comme plusieurs autres,
porto directement el par elle-même au re-
cueillement et à la piété, mais dans laquelle
il soit aisé de s'oublier el de dé[)laire au
Seigneur, Or voilà. Mesdames, cequej'ap-'
plique à vos récréations, et je dis que ce
qui doit vous engager à les prendre pour
Dieu, à vous y livrer sainiemeni, c'est, en
piemier lieu, que c'est un exercice qui
n'est |)oiiil de votre choix, mais qui vous
est prescrit par voire règle et vos consti-
tutions ; qu'en second lieu, ce n'est point
un exercice qui revienne rarement, mais
qui se rét'ète souvent, qui se répète chaque
jour; (jue c'est, en troisième lieu, un exer-
cice qui (lorte parlui-môme à la dissipation,
à riuimortilicalion, dans lequel on peut ai-
sémenl oublier les règles de la modération
que doit toujours garder une vierge chré-
tienne, une é|)Ouse de Jésus-Christ ; sa ré-
création est donc toul à la lois un exercice
ordonné, un exercice fréquent, un exer-
cice dangereux : trois raisons bien capa-
bles de vous engager à vous y livrer sain-
tement.
1. Je dis d'abord exercice ordonné: vous
le savez. Mesdames, la récréation est un
articlede vosconslitutions ; elles vous pres-
crivent cet exercice comme elles voas pres-
crivent tous les autres, et en cela, je ne
puis m'empêcher d'admirer et vous devez
admirer avec moi to zèle de vos saicl»
33ê
ORATEURS SACRES. L
fondateurs, zèle sage et prudent qui les
a portés à pourvoir h tout ce qui pou-
vait contribuer à vous sanctifier, li si bien
réi^ler et distribuer vos jours et vos mo-
ments, que dans tout ce que vous faites il
n'y eût rien d'indilférent, d'inutile à votre
«vaiictiment spirituel, rien qui ne lenilît à
la gloire de Dieu et à voire sanctification;
voilà le grand avantage que vous trouvez
dans voire saint (5tat et que n'ont point les
chrétiens du monde; ceux-ci passent sou-
vent à déiil)érer sur ce qu'ils doivent
faire un temps qu'ils devraient employer
à agir; ils suivent le plus souvent, dans ce
qu'ils entreprennent, non les lumières de
la raison ou les principes de la religion,
mais plutôt la légèreté de leur esprit et le
caprice de leur volonté, et c'est surtout dans
le choix de leurs récréations et des pla'sirs
:uixquels ils se livrent, qu'ils paraissent
bien peu raisonnables et bien peu chré-
tiens. Pour vous, Mesdames, vous n'a-
vez sur cela aucune inquiétude h avoir;
vous savez et vous êtes parfaitement con-
vaincues que vous ne pouvez déplaire à
votre Dieu dans les récréations que vous
prenez, parce que vous ne pouvez ignorer
fjue vous faites absolument sa volonté en
exécutcint ce que vous prescrivent vos
conslitulions, et vous devez ôfrc trarquilles
cl sur l'esjjèce de délassement, de récréa-
tion que vous prenez, et sur le temps et
l'élendue du temps que vous y employez.
Mais, de cette vérité, il est aussi quelques
conséquences que je dois tirer et que vou^s
devez tirer avec moi ; c'est, en premier lieu,
que si vos récréations vous sont prestriies
par vos constitutions comme tous vos autres
exercices, vous ne devez donc pas plus vous
dispenser decelui-ei sans nécessité et de
votre propre volonté que de tous les autres.
Je sais bien, et j'en suis déjà convenu avec
Yous, que généralement parlant ces consti-
îations ne vous obligent point sous peine
do péché, mais je sais aussi et je vous l'ai
dit encore, qu'une religieuse qui, sous ce
piélexte, transgresse ces constitutions, qui
s'abionle de la récréation, surtout si cela
lui arrive fréquemment et sans raison, sans
permission, ne i)eut guère s'en dispenser
sans une espèce de mé[)ris de ces conslitu-
lions ; que c'est du moins montrer bien peu
d'estime pour elles et pour les saints qui
les ont composées, bien peu d'amour pour
son saint état, et bien peu de zèle pour sa
perfection; mais je dis de plus qu'elle ne
peut s'en absenter, souvent au moins, sans
quelque scandale; que c'est induire, par
son mauvais exemple, ses sœurs à s'en dis-
penser comme elle, et se montrer par là
bien peu ferveutu et très-peu fidèle à ses
observances.
Mais une autre conséquence que vous de-
vez tirer de celte dernière considération.
Mesdames, c'est que pour entrer dans l'es-
prit de vos constitutions et de ceux qui les
o[il com[)Osées, il ne suffit pas d'assister à
la récréation comme vos sœurs , mais que
vous devez la prendre comme elles ; car il
ABBE DE .MONTIS, 23(5
en est de cet exercice comme do tous les
autres qui partagent votre temps dans la
religion, qu'on peut faire bien ou mal, se-
lon les dispositions qu'on y apporte: ainsi
une religieuse qui, unie à ses sœurs au
temps et au lieu de la récréation, bien loin
do se récréer affecterait de garder un morne
silence; qui par humeur, par caprice, ne
voudrait contribuer en rien au relâchement,
à la joie commune, irait contre les inten-
tions de ses fondateurs et de ses supérieurs,
elle nuirait même par là à ses sœurs en les
empêchant, par son air et ses manières, do
se livrer à une honnête gaieté, nécessaire
pour délasser l'esprit et le corps, et ne pour-
rait compter par conséquent sur les grâces
attachées à cet exercice comme à tous les
autres. La récréation est donc un exercice
ordonné, mais c'est de plus un exercice fré-
quent : seconde raison pour s'en acquitter
saintement.
II. Tel est. Mesdames, l'avantage que vous
trouvez dans votre saint état, qu'il n'est
aucun instant de votre vie qui ne soit con-
sacré au service de votre Dieu, qu'il n'est
par conséquent aucune action, aucun exer-
cice qui, avec une fin particulière, n'en ait
une générale qui est de vous perfectionner,
devons sanctifier, de plaire à votre Dieu
et de mériter ses recompenses éternelles
en vous perfectionnant, en vous sanctifiant;
mais vous devez juger aussi qu'afin que
toutes ces actions, ces exercices produisent
en vous ces excellents effets, il ne suffit pas
précisément de les faire, ces actions, de s'ac«
quitter de ces exercices, mais qu'il est es-
sentiel de les bien faire, de s'en acquitter
saintement, je veux dire avec des disposi-
tions qui répondent à la fin qu'ont eue vos
saints fondateurs en vous les prescrivant.
Si cette maxime est vraie pour toute
action, [)our tout exercice en général, à plus
forte raison doit-elle être appliquée à une
action, à un exercice qui se fait fréquem-
ment, tel qu'estceluidont je vous parle ici;
chaque jour, et deux fois le jour f)Our l'or-
dinaire, vous employez près de deux heures
à ivos récréalions ^ans parler de quelques
autres d'une plus longue durée que la règle
vous permet et qui vous sont accordées
quelquelois ; or je prétends que la répé-
tition fréquente de cet exercice est un motif
de plus pour vous do vous en acquitter d'une
façon, je ne dirai pas seulement qui ne
puisse pus nuire à votre âme, mais de plus,
qui vous rende agréables au Seigneur et qui
augmente vos mérites à ses yeux ; que par
conséquent, du bon ou du mauvais usage
que vous pouvez en faire, il y a beaucoup
à perdre ou à gagner |)Oiir vous. Hélas 1
Mesdames, vous le savez, il n'est pas une
heure, i)as un instant, de tout le temps que
nous avons à passer siir la terre, duquel
nous n'ayons un jour h rendre un couipte
rigoureux au souverain juge, parce que tout
le temps de celte vie le Dieu Sauveur nous
l'a acheté, il nous l'a mérité au [)rix de ses
souffrances et de tout le sang qu'il a ré.-
pandu dans sa passion ; mais il ne i»ous l'a
«1
DISCOURS DE RETRAITE. - CINQUIEME JOUR.
233
procure qu'nfin quo nous l'employions À
assurer notre bonlicuréternel dans le séjour
de sa gloire, en correspondant îi lous ses
desseins sur nous, cl en remplissant avec
fidélité lous les devoirs de l'élat où sa di-
vine providence nous a placés; cela est si
vrai que cette seule perte de temps, sans
se rendre coupables d'autres crimes, suffira
peur causer la réprobation éternelle d'une
infinité de chrétiens livrés à l'inaction, à
l'oisiveté. Ce n'est donc point une chose
indifférente :en elle-même; il est donc bien
important |)Our vous, Mesdames, de ne vous
ponit' faire illusion et de bien faire une
action <]ue vous répétez tant de fois dans le
cours d'une année, que vous avez répétée
une infinité de fois dans le cours de votre
vie, et qui se trouvera [)ar conséquent avoir
absorbé une bonne partie du temps que
vous aurez passé sur la terre, en sorte que
si vous aviez le malheur de mal employer
ce temps, vous vous trouveriez à la fin do
voire course privées, par voire faute, d'une
inlinité de giûces attachées à tous vos exer-
cices, attachées par conséquent à celui-ci
comme au\ autres, et dénuées de plus
d'une inlinité do mérites que vous auriez
pu et que vous auriez dû acquérir, et dont
vousêtesstîres de rendre com{)leà votreDieu.
La récréation est donc un exercice ordonné;
c'est de plus un exercice fréquent, journa-
lier ; mais c'est encore un exercice dange-
reux et Irès-'dangereux par lui-même; troi-
sième raison qui doit vous engager à vous
en acquitter saintement.
m. Dans quelqu'état que nous puissions
être, et quelque saint que puisse être l'état
dans lequel nous sommes, jamais cependant
nous ne sommes entièrement à l'abri des
dangers du silut. Le vôtre, Mesdames, tout
saint et tout sanctifiant qu'il est par lui-
tuème, n'en est point exempt; s'il vous
préserve de quelques dangers auxquels
sont exposés les chrétiens du monde, il en
est d'autres que vous avez à craindre et
contre lesquels vous avez à vous (irécau-
tionner; un de ces dangers et des plus
communs dans la religion, est une négli-
gence à s'acquitter, ou en s'ar.quiltanl des
devoirs et des exercices qu'elle impose.
Hélas 1 jusque dans les actions les 5)lus
saintes qui tendent le plus par elles-mêmes
à la perfection, à la sainteté, il est à crain-
dre, par le défaut d'une intention droite et
pure, ou faute de dis|)Ositions nécessaires,
qu'elles ne se fassent sans mérites, et
qu'elles ne soient désagréables aux yeux
lie Djeu ; mais si cela est viai en général
et 'J'exjjénonce pour tous vos cxeicices,
même les plus saints, à plus forte raison
devez- vous le craindre pour un exercice qui
porte beaucoup moins que les autres au
«ecueillemenl et à la sainteté , telle qu'est
la récréation. Oui, Mesdames, ce qui rend
cet exercice si dangereux, c'est qu'au lieu
que dans les autres vous cherchez à répri-
nier les [mendiants de la nature et à la mor-
litier, dans celui-ci, au contraire, vous lui
procurez un soulagement, un repos qui
peut aisément produire, et qui ne produit
que trop souvent en efl'et l'immortilicat'on,
la dissipation et le relâchement. Je veux
croire que ce n'est point là votre motif e:)
prenant votre récréation; une bonne oî
sainte religieuse n'y doit chercher qu'à
donner à son esprit et à son corps un délas-
sement honnête qui lui donne la force de
rera[)lir tous les devoirs de son saint étal,
et les emplois qu'elle y occupe; mais jo
sais aussi, et vous devez en convenu-
avec moi, que rien n'est plus difficile
(jue de s'y tenir dans un juste milieu,
que de garder toujours la modération dans
les délassements; l'esprit de l'homme est
si naturellement porté à la dissipation,
sa volonté a un penchant si violent pour
tout ce qui peut la fiatter et la satisfaire;
son cœur setit un attrait si vif pour la sen-
sualité, pour le plaisir, qu'il lui est bien
difficile, en se récréant, de no pas donner
dans quelque excès, de s'en tenir toujours
au plaisir innocent et modéré, en sorte
qu'il lui est beaucoup plus facile de se pri-
ver de toute satisfaction , de tout plaisir
que de s'arrêter et de se modérer dans ce-
lui qu'il prend : voilà ce qu'ont reconnu,
dans tous les temps, ceux qui ont le mieux
étudié et connu le cœur humain et tous ses
penchants, et voilà ce qui est en effet d'uno
expérience journalière.
Mais> Mesdames, ce qui rend plus dan-
gereux encore cet exercice de la récréation,
c'est le temps auquel vous vous y livrez;
ce sont les circonstances qui l'accompa-
gnent ; c'est après votre repas, c'esl-à-diro
après avoir foriilié votre cor/)s, après avoir
donné à votre chair, en la soulageant, plus
d'activité et de forte pour se satisfaire et
pour se révolter contre l'esprit. Il est vrai
que dans ce temps qui suit immédiatement
la nourriture que vous avez donnée à votre
corps, votre esprit est moins propre à se
recueillir qu'en tout autre temps ; l'âme,
qui participe pour ainsi dire à toutes les
atleclions du corps, se trouve alors comme
lui dans une espèce, d'engourdissement
qui la rend incapable d'une appliciiliou
suivie: c'est donc en effet le temps le plus
convenable pour donner à l'un et à l'autre
le repos et le délassement dont ils ont be-
soin. Aussi tous les fondateurs et institu-
teurs d'ordres se sont-ils accordés à dési-
gner ce temps d'après les repos, pour
l'heure de la récréation, des conversations:
mais quui(juece soit le temps le plus con-
venable jiour se récréer, il n'en est pas
moins viai que c'est aussi le temps le plus
dangereux. Si avant de se livrer à une re-
création l'on sortait d'un exercice saint par
lui-même, si l'on venait d'offrir au Sei-
gneur ses vœux et ses prières, ou de s'en-
tretenir avec lui dans l'oraison, l'esprit
rempli de saintes i)ensées, le cœur pénétré
de ideuses affections, on se tiendrait natu-
rellement sur ses gardes, ou craindrait plus
d'otrenser 1-e Seigneur et de lui déplaire;
ces pensées et ces sentiments de piéiédoni
l'âme se sentirait remplie arrèlcryiçnl ot
259
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS,
2ïa
tieridiaient en quelque snrto en respect
toutes les facultés de l'Aïue, et comme en-
chaînées toutes les passions et les inclina-
tions raturelies : mais il n'en est pas ainsi;
celle réciéalion se prend après que la na-
ture venant d'être l'efaile, pour ainsi dire,
a ac(iuis une nouvelle force, pour satisfaire
ses inclinalions et ses passions, toujours et
essentiellement opposées à l'esprit du chris-
tianisme, et encore plus à celui de i'élal reli-
gieux. Mais ce n'est pas tout, Mesdames, ce
quiaugmenleencoie le dangerde vouséelia])-
per en rétréalion, de vous y comporter de
façon à déplaire au Seigneur, c'est la liheité
que vous avez alors de paiier, de vous en-
tretenir les unes avec les auties : Celui, dit
l'apôtre saint Jacques, qui ne pèche pas par
la langue, est véritablcmcnl parfait. (Joe,
III, 2.) Il faut convenir qu'en elfet ce genre
de perfection n'est pas commun; lieu de
plus rare que de converser quelaue temps
sans avoir de fautes h se reprocher; c'est
ce que reconnaissent souvent les personnes
religieuses véritab'e.nent zélées pour leur
avancement spirituel, et qui ne manquent
jamais de s'examiner sérieusement sur la
manière dont elles se sont comportées, tant
qu'elles ont eu à [)arler et à converser avec
le prochain ; les paroles soiit les signes et
les expressions non-seulement des idées
de l'es|)rit, mais encore des sentiments, des
«(Tections, des passions du cœur : or c.^t-:l
une personne, quelque sainte el quelque
parfaite qu'on jjuisse la supposer, qui n'ait
toujours quelque inclination naturelle op-
posée à la perfection, à la sainteté? sainteté
qui consiste bien moins, après tout, à n'a-
voir aucune passion, aucun défaut q'j'à les
réprimer, à les morlilier, à les coiriger.
Ce n'est donc que par la plus grande vigi-
lance, que par une attention réOéchie et
(continuelle, autant sur ses propos que sur
sa conduite, qu'on peut réussir à éviter hs
loUtes, à morlilier ses passions, à réprimer
ses mauvais [)eneliaiils. Mais de tous les
tenqis de la journée el de tous les exercices
qui la remplissent, il n'en est point, vous
le sentez assez. Mesdames, où l'on soit
moins disposé à se morlilier, à se contrain-
dre, à s'observer, que celui.de la récié;ition:
réunie h ses sœurs, uniquement pour don-
ner quelque relâche à son es[)rit, nu jieu
de repos à son corps, on se croit en droit
de se dissiper un peu, de dilater son cœur ;
de là cette pente naturelle à se salisfaire en
tout ce qu'on ne croit pas péché; de là celle
liberté qu'on se donne de manifester, par
ses propos, ses pensées, les jugeuients de
son esprit, comme les alfections, les senli-
luenls de son cœur : or est-il bien aisé de
se donner sur tout cela une pleine, une
entière liberté, sans passer les bornes et
sans se rendre coupable de quelques fautes,
et de fautes considérables ujême quelque-
lois. Voilà, Mesdames, les dangers auxque.s
vous exposent vos récréatioiis ; je croi?,
sur cette ciaiière comme sur touie autre,
Il avoir r, en outré, rien exagc-ré; plus d'une
t'.tis peut-ètiC; eu m'écoutant, ôtes-vous
convenues intérieuremont (ju'en eiTet tout
ce que je vous disais était fondé sur l'ex-
périence et' sur votre [irijpre expérience. Il
vous est donc bien im|)Orlf;nt de veiller at-
tentivement sur vous au temps de vos ré-
créations, de vous appliquer à vous récréer
saintement, vous venez do le voir; maisqua
devez-vous faire et dans quelles disposi-
tions devez-vous 6tre pour vous récréer
saintement? c'est le sujet de la seconde
partie.
SECONDE PAUTIE.
• Vous le savez, Mesdames, nos actions,
quelles qu'elles soient, ne peuvent être sain-
tes,e'esl-à-dire agréables à Dieu et méritoires
pour nous, qu'autant qu'elles sont faites dans
do saintes dispositions. Il faut convenir ce-
[ endant que toutes n'exigent pas Je même
genre de dispositions. Celles qui ont un
ra{)port plus immédiat à Dieu et à son ser-
vice, comme la jjrière, la méditation, la
confession, la communion, demandent sans
doute des dispositions plus intérieures et
plus parfaites que celles qui, quoique de-
vant toujours lui être rapportées, ne regar-
dent pas son culte d'une façon aussi directe,
telles que le travail manuel, les repas, le
sommeil et la récréation, de laquelle je vous
enireiiens ici : or, pour juger quelles disf)0-
sitions sont nécessaires pour s'acquitter
saintement do cet exercice , il n'y a qu'à
voir les défauts dans lesquels on tombe le
plus communément en s y livrant; les ver-
tus opposées à ces défauts : voilà les dispo-
sitions nécessaires pour s'en bien acquitter.
Quels sont-ils donc, ces défauts les plus or-
dinaires? Les voici: le premier que je re-
marque, c'est que sous le prétexte de se ré-
créer et de donner quelque relâche à son
esprit, on se livre à un trop grand épan-
chement, à une trop grande dissipation;
or, le remède, c'est de conserver, j)endant
cet exercice, un certain recueillement qui
n'est point i"ncom|)atible avec le délasse-
ment et le repos qu'on y prend ; le second
défaut dans lequel on tombe lacilement (n
récréation, c'est d'y chercher trop à se sa-
tisfaire , c'est de se rechercher trop soi-
même, de retomber trop sur soi-ujême, de
trop vouloir, en un mot, 0(CU()er les autres
de soi ; or, le remède à ce défaut, c'est de
conserver, à la lécréation comme p.irlout
ailleurs, de bas senliments de soi-même,
d'éviler toulcequi pourrait flatler et nour-
rir l'amour-propre. Enfin un troisième dé-
faut, et trop commun dans les récréations,
et qui Cbt comme une buile du précédent,
c'est d'être trop indiilérent pour les autres,
de manquer d'attention, de complaisance a
leur égard ; or le remède, c'est de chercher
à leur plaire , et de se montrer toujouis
charitable à leur égard. Ainsi, Mesdames,
esprit de recueillement, esjjrit d'humilité,
esprit de charité ; voilà les disposilions qui
me paraissent les plus nécessaires pour
prendre saintement vos récréations. Encore
quelques moments de votre altentioi!, je
vous I); i
î:î
DISCOURS DE RETRAlTt:. — CINQUIEME JOUR.
25-2
1. Je dis, eu preuiic-r non, esprit <ie re-
cueillemeiil ; mais prenez garde ici, Mesda-
nios, que je ne demaiule pas, <i vos rè-
tnt'alions , le même rocueiliemont qu'au
saciifii'O de la messo, par exemple, qu'à
l'oraison, h l'oflice divin, ou dans la ré-
ception des sacrements : dans ces cxer-
i icos tout de religion et de piété, vous ne
I)ouve2trop vous melire dans un saint et
profond recueillement, qui vous porte à
rentrer entièrement au dedans de voiis-
mônios, à vous unir élroilement à voire
Dii u ; qui vous tienne, pour ainsi dire, tou-
tes pénétrées de votre Dieu, toutes abîmé, s
en voire Dieu ; non, le recueillement que
je dis nécessaire pour vos récréalions
n'exige pas tout cela, parce que tout cela
n'est pas compatible avec le repos, le
délassement de l'esprit et du corps. Ce que
je demande, c'est un recueillement qui.
au milieu du délassement et de la joie qui
l'accoiripagne, laisse assez de présence d'es-
jirit pour n'y jamais perdre la discrétion, la
modération, modération qui doit se mani-
lesler d'abord dans tout l'intérieur, qui fait
qu'on reste dans on maintien honnête et
dévof, qui empêche qu'on ne se livre à un
enjouement excessif, à une dissipation ou-
trée, à des rires immodérés comme les pei-
sonnes du monde. Celles-ci ne croient se
bien réjouirqu'autant qu'ellesdonnent dans
l'excès, et dans les plus grands excès (juel-
quefois ; tout [dais'r décent et modéré, par
la même, leur déplaît, et ne peut suffire à
leur cspri! trop dissipé, et h leur cœur dé-
|travé et corrompu : mais les plaisirs, les
amusements des personnes spécialeujent
coi)Saciétsà leur Dieu, doivent toujours se
ressentir de la sainteté de leur état ; on s'y
livrant, elles ne doivent jamais oublier ni
perdre de vue les engagements qu'elles ont
contractés avec le Seigneur, et l'obligation
uans laquelle eiles sont, eu (jualilé de ses
épouses, de suivre en lout ses leçons, de
Uiarchcr sur ses traces, et de passer leurs
jours, comme lui par conséque!:t, dans la
tristesse, dans les tribulations et dans les
larmes. Ainsi, si leur règle, leur consti-
tution leur permettent d'employer quelque
temps à se récréer, leurs récréalions doi-
vent être bien moinsde vraisplaisirs qu'une
courte et légère suspension do la prière, de
l'application et du travail. Celte modération
fait cûcore qu'on ne s'épanche pas trop au
dehors, qu'on ne donne pas une trop grande
carrière à ses sens, de façon à ne pouvoir
pli;s les retenir, la récréation finie. Si elle
permet, si elle exige même qu'on parle,
qu'on s'entretienne avec ses sœurs, elle in-
leriiit aussi un flux excessif de [)aroles qui
les fatigue, et qui les empêche de parler è
b'ur lour; elle interdit de plus touteparole,
lout propos qui manifeste la connaissance
et l'amour du monde, et de tout ce que le
monde estime le jdus, et (jui puisse l'inspi-
rer aux autres. Mais ce qu'elle interdit sur-
tout, (elle modération, c'est tout discours
trop libre, trop licencieux, qui puisse alar-
mer la modestie. Mesdames, un seul mot
iiu|)ru(iemment lAcne en recréalion, a plus
d'une fois troublé des conscie ^ces tendres
et délicates. Celte modéralion fait (pi 'en
se récréant on se tient en ];i présence de
Dieu : ces deux choses ne sont |ioinl incom-
p.ffibles. On a vu, et l'on voit encore, quoi-
(pie malheureusement plus rarement qu'au-
trefois, des personnes religieuses no pas
perdre, dans tout le cours de la journée, la
piéseiice de Dieu. Si vous n'êlesjias oneoro
parvenues à ce degré de [)erfectioii, colle
modération vous portera du moins l\ vous
rappeler de tonqis en temps cette présence
de Dieu, à élever, au milieu de votre ré-
création, voire esprit et votre cœur vers
Dieu, pratique si utile, que dans quelques
communautés, une religieuse est pré()Oséc
pour rappeler à Dieu, dans ce temps, loutea
sessœurs,etpourleur fa ire élever leurs cœurs
vers lui. Cette modération s'élendant à loul,
et interdisant tout excès, emiiêche encore
qu'on n'use d'une trop grande familiarité,
soit dans les expressions, soit dans les ac-
tions, dans la conduite ; familiarité toujours
nuisible à une communauté, lorsqu'elle y
règne, et qui souvent a été la source do
bien des désordres ; elle fait donc, ceil(!
modération, qu'en se parlant on allie un
air et un ton de cordialité et d'amitié, avec
les égards et un certain res|)cct qu'on se
doit mutuellement, et qu'exige toujours la
qualité d'épouses de Jésus-Christ. Voilà,
Mesdames, les bons effets que produit cet
esprit de recueillement, lorsqu'on le porte
à la récréation, et qu'on l'y conserve ; il em-
pêche qu'on ne se rende coupable, et qu'on
n'ait, en sortant do cet exercice, bien des
fautes à se reprocher: il lait plus encoiv,
il fait qu'on passe aisément et sans peine
de cet exercice naturellement dissifianl aux
exercices les plus sérieux et les {dus dé-
vols ; mais pour passer saintement ses ré-
créalions, cet esprit de recueilleiueul no
suffit pas, il faut de plus un esprit d'humi-
lilé.
II. L'humilité, vous le savez, Mesdaïae;
est la première de toutes les vertus, la
base et le fondement de la vraie perfec-
tion, de la vraie sainteté ; c'est une vertu
nécessaire par conséquent à tout chrélien,
et encore plus à des épouses de Jésus-
Christ ; c'est à elles surtout, que le divin
Sauveur dit, comme il le disait à ses dis-
ciples : Apprenez de moi que je suis doux et
humble de cœur {Matth., IV, 29j ; et si l'on
voit dans la religion si peu do personnes
s'élever à la perfection qu'exige leur saint
éial, c'est le plus souvent au défaut do
celte vertu qu il faut l'atlribucr. Mais s'il
est un temps où une épouse de Jé.sus-
Clirist doive mettre cette belle vcrlu en
pratique, c'est au temps de la 'récréation,
parce que c'est celui où il est aisé el assez
commun de se laisser aller à des défaut';
qui lui sont 0|»posés. Une religieuse so
trouvant alors dans une plus grande liberl»
que dans tous les autres temj)S de la journée,
si elle n'est véritablement huiidjle, il est
bien à craindre qu'elle n'idjuse de celle
fÀZ
ORATFAIRS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
3i4
liberté pour flatter son amour-propre, tt
pour satisfaire sou orgueil; de là en effet,
quand on ne s'observe pas, cette facilité à
parler de soi et des siens, à insinuer adroi-
tement quelques mots sur ses bonnes qua-
lités, et quelquefois au«si sur ses défauts,
sur son peu de capacité et de mérite, mais
qui n'ont pour but que de se faire estimer
davanliige de celles avec lesquelles on con-
verse ; de là celte intention, cette adresse,
li se joindre aux personnes distinguées par
leur naissance, par leur emploi, ou par leurs
belles qualités, et quelquefois aussi, à s'u-
nir à celles qu'on juge inférieures à soi,
dans l'intention de primer, de dominer sur
elles; de là ce ton de supériorité qu'on
prend sur les j^jlres, cette liberté qu'on se
lionne de les interrompre, de combattre
leurs idées, leurs sentiments, de proposer
les siens avec empire, de vouloir qu'ils
soient écoulés, et de plus, universellement
approuvés; de là celte délicatesse, cette
jiauleur, ces pnroles sèclies, aigres, offen-
santes, lorsqu'on les voit contredits et com-
battus; de là cet entêiement à les défendre;
cette vivacité, cette chaleur dans la dispute,
et qui trouble souvent autant la paix avec
soi-même, qu'avec les autres: or ces dé-
fauts qui se commettent et qui se manifes-
tent dans les récréations, si vous voulez y
faire attention, Mesdames, partent tous du
même principe, de l'aniour-propre, de l'or-
gueil qui porte à se préférer aux autres, à
vouloir l'emporter en tout sur les autres;
le remède par conséquent, pour s'en cor-
riger, et le plus grand préservatif pour les
éviter, c'est l'humililé. Oui, qu'une reli-
gieuse soit sincèrement, intérieurement
liumble, on la verra, en récréation, conser-
ver là, comme ailleurs, et plus qu'ailleurs
encore, de bas senliments d'elle-même;
quelque nom qu'elle i)Orte, quelques talents
qu'elle ait, de quelques bonnes qualités
qu'elle soit douée, elle sera bien éloignée
de s'en enorgueillir, de se faire valoir; on
no la verra point y chercher à se faire es-
timer de ses sœurs; jamais on ne l'enten-
dra parler ni de ses défauts, pas plus que
de ses verlu>:, ni de sa naissance, de ses
parents et du rang qu'ils peuvent tenir dans
Je monde ; ayant la même estime et les
mêmes égards pour toutes ses sœurs, elle
se ferait scrupule de préférer les unes aux
autres ; elle se joindra tout simplement,
sans chois, sans prédilection, avec les pre-
mières aue la Providence lui présentera, ou
avec celles que l'obéissance lui prescrira;
si elle avait un choix à faire, une préfé-
rence à donner, pour suivre l'exemple de
son céleste Epoux, qui ne dédaignait pas
de converser avec des disciples simples et
i^rossiers, son humilité la porterait à se
joindre à celles qui paraissent les moins
i'onsidérables et les moins recherchées :
bien loin de vouloir primer, tenir le pre-
mier rang dans les cercles où elle se trouve,
cornme elle ne parlera que parce qu'elle s'y
croi.t obligée, pour soutenir la conversa-
tion, elle n'aura point la petite vanité d'j
faire briller son esprit, de vouloir être
écoulée, louée et ajiplaudie : bien éloignée
de désirer qu'on pense comme elle, et
qu'on adhère en tout à ses propos, à ses
opinions ; toujours animée des sentiments
d'une vraie humilité, on la verra déférer en
toui aux avis des autres, rechercher tou-
jours bien plus à faire paraître ses sœurs
qu'à paraître elle-même. Voilà, Mesdames,
les bons effets que produit la sainte vertu
d'humilité, lorsqu'elle règne véritablement
dans l'âme; au lieu que l'orgueil, que l'a-,
mour-propre fait commettre une infinité do
fautes, et dans une seule récréation quel-
quefois, l'humilité au contraire, non-seule-
ment préserve de toutes ces fautes, mais
elle fait pratiquer bien des vertus, ,et aug-
menter, par là, le nombre des mérites,
dans un exercice bien capable, si l'on n'y
prend garde, de faire perdre ceux qu'on
avait acquis dans les autres.
111. Mais si le recueillement et l'humilité
sont des vertus si nécessaires à une per-
sonne de communauté, à une religieuse,
pour se conduire saintement au temps de
la récréation, il en est une troisième, et j'ose
le dire, d'une plus grande nécessité encore,
c'est la charité, Mesdames; c'est cette bella
vertu, la reine de toutes les vertus, qui pro-
duit l'union, un des plus grands biens, di-
sons même le plus grand bien dont puisse
jouir sur la terre une sociéié religieuse,
mais bien, je puis l'ajouter ici, qui , quel-
que désirable et quelque avantageux qu'il
soit, ne se trouve [las toujours, môme par-
mi des épouses de Jésus-Christ : il ne s'y
trouve que trop souvent des caractères que
la divine Providence semble n'y avoir pla-
cés que pour exercer les autres, et leur
procurer par là un moyen de plus de méri-
ter et de se sanctifier; caractères plus pro-
pres à causer le trouble qu'à maintenir la
paix, et qui ne se manifestent jamais mieux
que dans les récréations : or ces caractères
peu profires à la société, parce qu'ils sonl
peu doués de charité, ce sont des personnes
diliiciles et impatientes qui ne peuvent rien
souffrir, qui veulent, qui prétendent qu'on
supporte les défauts qu'elles peuvent avoir,
mais qui ne peuvent prendre sur elles de
supporter Ks défauts des autres, qui por-
tent.leur impatience jusqu'à se choquer,
dans leurs sœurs, des défauts naturels
quelquefois; ce sont des personnes ombra-
geuses et sensibles, qui pleines d'elles-
luêuies, s'imaginent toujours qu'on parle
d'elles, qu'on les examine et qu'on les cen-
sure ; qui interprètent toujours mal ce que
l'on peut dire, ou que le moindre mot de
raillerie, dit quelquefois simplement et
sans malice , offense grièvement; ce sont
des personnes entières et volontaires, in-
capables de la moindre complaisance, qui
ne savent janiais se piier aux inclinations
des autres, esprits contrariants et bizarres
qui se font comme une loi non-seulement
de ne pas penser comme les autres, mais
encore d'agir toujours, de se comporter en
«.out autrement que les autres ; ce sont des
S4S
DISCOURS DE RKTRMTE. — CINQUIKMK JOUR.
!ir.
personnes brûles et grossières, sans édu-
cation, sans politesse, qui ne savent dire
ou répondre rien de gracieui, qui se plai-
sent à dire des rriallionnêlelés ; ce sont des
[)ersonnes vives et bouillantes, peu accou-
tumées à ré()rinier leur impétuosité natu-
relle, qui prennent leu au moindre inoi
(jui les choque, qui ne manquent jamais do
laire éprouver leur ressentiment par des
jiaroles dures et oireiisantes ; ce sont des
personnes naturellement portées à la criti-
que, à la raillerie, qui trouvent h censurer
tout, à se moquer de tout , qui cédant sans
résist;ince à ce pencliant,à cetle [lassion
de censurer et de railler, purlnnt leur cen-
sure et leur raillerie non-seulement sur
leurs sœurs, mais encore sur la conduite
des personaes préjiosées pour les gouver-
ner ou pour Ksdi.igcr; qui aiment mieux,
otlenser lepri^liain et lui déplaire, que de
i'abstenir d'uu mot également plaisant et
ulTensant; ce sont des personnes qui atTec-
leut de paraître en tout mystérieuses et
cachées, qui dans leur conduite et leurs
discours ne monlrenl rien (io franc, de na-
turel ; qui sont si accouluuiées à la dissi-
mulation, que jusque dans les choses les
plus sim|)les, les plus coiuuiunes, elles font
les réservées , comuie dit saint François de
Sales, en ne s'expriniant jamais comme
elles pensent , et |)arlant le plus souvent
tout aulreuient qu'elles ne pensent. Tous
ces carartéres, vous les comprenez comme
moi. Mesdames, non-seulement ne concou-
rent ()oint au bien général, mais ils ne [)eu-
vent que lui nuire beaucou[) en éloignant
celle pais, cetle concorde, celle union qui
doit l'aire tout le bonheur d'une société
religieuse, d'une troupe d'épouses de Jésus-
^lirisl. Or tous ces défauts étant esseu-
liellement opposés à la charité, absolument
incompatibles avec la charité, il ne faut
donc, pour s'en préserver ou pour s'en cor-
riger, que se livrer à la pratique de cetle
Vertu, que s'alferujir dans celte sainte et
belle vertu. Qu'une religieuse, en elfet,
soit véritablement charitable, on la voit dès
lors toujours au lemps des récréations édi-
fier ses sœurs et leur plaire à toutes, parce
qu'on la voit sup[)orler leurs délauts ,
(juels qu'ils puisseul être, ne pas s'en aper-
cevoir, les excuser même dans les occa-
sions et chercher à les dédommager en
quelque sorte par ses bonnes façons, des
rebuis et des dédains qu'elles ont à essu.yer
quelquefois, u'iguorant pas la belle maxime
de saint François de Sales, quNI faut ôlre
complaisant pour le i)iochain jusqu'au pé-
ché exclusivuuienl ; ou la voil ne tenir ja-
mais à ses goûts, à ses penchants, à ses
iaclinaiions naturelles; on la voit les sacri-
ti. r ujêuie volontiers" et avec plaisir, aux
/oùts et aux inclinations des autres ; se
faire toujours beaucoup plus de plaisir de
faire leur volonté que la sienne projire ;
bien éloignée de vouloir mortiûer ses sœurs,
de leur répondre avec humeur et vivacité,
elle souifre j).ilieinmenl et avec la plus
grande égalité d'ûinc_ les paroles vives cl
pou mesurées qu'on peut lui dire, ou les
(irocédés peu agréables f|u'oti peut avoir
à son égard ; ne perdant jamais cette dou-
ceur qui fait son caractère, quelque sen-
sible (lu'elle soit <i ces mauvais procédés,
elle a soin d'étouffer, dès leur naissance,
les petits ressentimenls qui peuvent s'é-
lever dans son cœur, et do ne répondre
à ces procédés que par des cordialilés,
des attentions , [)ropres <» se gagner les
cœurs les moins disposés pour elle :
constamment occupée, et uniquement occu-
p.ée de l'ouvrage de sa ()erfection, jauiais ou
no la voil censurer, bh\mer, condamner les
actions d'autrui; et bien loin de se donner
cetle liberté, touchant les personnes supé-
rieures, elle se ferait un point de conscience
de l'exercer même à l'égard de la dernière
de la communauté : par ce même |)rincipe,
sachant combien les railleries sont propres
à offenser, et que les plus spirituelles sont
celles souvent qui offensent le plus, elle
éviîe avec soin de badiner, de railler per-
soinie; extrêmement compalissante, car on
l'est toujours, quand la charité règne dans
le cœur, on la voit s'intéresser sincèrement
pour celles que le Seigneur daigne visiter
par des infiiniités corporelles, ou par des
peines de l'esprit, [dus douloureuses en-
core que celles du corps ; on la vo.l se join-
dre à elles, leur d(jnner les secours, les avis
et les consolations dont elles sont suscep-
tibles; en un mot, sans avoir aucune amilié
particulière, qu'elle évite, qu'elle abhorre
même comme la ruine des communautés,
elle montre, dans les temps do récréations,
comme partout ailleurs, un attachement
égal pour toutes ses sœurs, quelques dé-
fauts qu'elles puissent avoir, et quelque
peu aimables qu'elles puissent être; sa cha-
rité |ne lui fait apercevoir dans elles que
des sœurs qui lui sont chères, que des épou-
ses de Jésus-Chrit, destinées 5 vivre comme
elle et avec elle, au séjour élernel de la'
gloire; pleine de charité en un mot, il ne
lient [loint h elle qu'il ne règne dans toute
la maison et dans tous les cœurs une paix,
une concorde universelle et [iarfaite. Que!
spectacle en effet plus agréable, plus ravis-
sant qu'une troupe de vierges, qui, appe-
lées par le Seigneur à le servir dans un
même lieu et soiis les mêmes lois, parais-
sent, au temps de leur récréation surtout,
oij elles se trouvent toutes réunies, vivre
dans une union parfaite, n'avoir toutes, à
l'exemple des premiers lidèles, qu'un cœur
et qu'une àme, se léjouir toutes, mais véri-
tablement, dans le Seigneur, supporter uiu-
luellemenl, leurs défauts, leurs misères, tou-
jours inséparables de la faible humanité,
s'honorer, se prévenir , se respecter les
unes les autres, s'aimer toutes également,
dans Dieu et pour Dieul Quel spectacle en-
core une fois ! Qu'il serait édifiant aux yeux
des fidèles, qui en seraient léujoins, et qu'il
est agréable aux yeux du Seigneur, leur di-
vin époux, qui les voit 1 11 représente, en
quehiue sorte, le séjour de fa gloire, où tout
est dans la joie et dans la pai^ ; mais héi&i 1
i.l
ORATEURS SACRES.
il fjiul en convenir ici, il n'est pas aussi
commun qu'il devrait l'ôtrr^, même dans les
loriimunaulés quelquefois, qui ont une rc^-
l^ulariié ; que de fautes se commettent,
dans les r(''cri^ations, contre la sainte vertu
de cliarité! Combien d'épouses do Jésus-
C.lirisl, auxquelles cet exercice, qu'on peut
rendre méritoire, comme tous les autres, a
été l'occasion de bien des divisions, des aii-
ti| atbics, des aversions môme nourries et
conservées quelquefois ju<;(ju*à la mort, et
le |)rincipe par là de leur répr )balion I Com-
bien du moins qui, dans les examens qu'el-
les font en terminant la journéi', se trou-
vent couiables par rap|)orl à cet exercice,
d'une inlînilé de fautes, et de fautes con-
sidérables quelquefois!
Ah 1 Seigneur, cela n'est que trop vrai,
pour moi du moins; combien de fois, au
sortir de la récréation, j'ai eu 5 me repro-
cher de m'élre comportée, dans cet exer-
cice, non-seulement sans charité, mais do
plus sans humilité, et avec une dissipation
que j'ai portée ensuite aux plus saints exer-
cices, et qui m'ont enqiêcliée de m'en ac-
quitter, comme je le devais I Que de fautes
et de toute espèce en pensées, en senti-
ments, en paroles, en actions, dont je me
suis rendue cou(rable,et par-là, que de
fautes encore j'ai fait commettre aux autres
peut-être! Combien de fois, je me les suis
leprochées, et vous me les avez inlérieure-
nient roi rochées vous-même. Seigneur!
Combien de fois je les ai portées au tribu-
nal de la pénitence, nie résolvant toujours,
et toujours promettant de veiller plus sur
moi, et faute d'attention, de vigilance, y
retombant toujours 1 Hélas! cet exercice
peut me sanctifier; il doit me sanctifier,
comme tous les autres; que de vertus h y
pratiquer lorsqu'on y porte un esprit chré-
tien et religieux! que de mérites par con-
séquent j'ai perdus! lise répète si souvent
cet exercice. J'ai donc rendu, par ma faute,
absolument inutile, pour mon salut, une
partie considérable de ma vie; quelle affli-
geante réflexion ! Quelle perte 1 Ah! je vais
travailler à la réparer démon mieux; j'en
j'rends la résoiulion dans ce moment, ô mon
l^ieu ; tout ce temps que vous voudrez bien
m'accorder, pour me reposer, pour me ré-
créer, je vous promets de l'employer désor-
mais (l'une façon conforme à res[)rit do ma
lègle et de mes constitutions ; pour cela, je
vous aurai toujours présent à mon esprit,
et encore plus dans ruon cœur; je veillerai
et me ferai une heureuse habitude de veil-
ler, pendant cet exercice, sur mes pensées,
sur mes jugements, sur mes affections, sur
mes f)aroles, sur mon maintien, sur toute
ma conduite en un mot, afin qu'il ne se
trouve rien que d'édifiant, pour mes sœurs,
et rien pour moi que de digne de vos récom-
penses éternelles. Ainsi soit-il.
L'ABBE DE MONTIS.
CINQUIEME JOUR.
«kS
Troisième discours.
SUR I.A FIDÉLITÉ AUX INSPIRATIONS DE LA
GRACE.
Exliorlamur ne in vacuum graliam Dei recipialis. (Il
Coc.VIJ.)
Nous vuns exhortons à ne pus recevoir en vain la grâce
de Dieu.
Tel était, Mesdames, le zèle de Tapôtre
saint Paul pour le salut et la perfection
d(.'S âmes qu'il avait gagnées à Jésus-Christ :
sachant que ces nouveaux chrétiens qu'il
avait faits no (pouvaient se soutenir dans
la foi et dans l'amitié de leur Dieu, dont ils
étaient devenus le temple et la demeure,
(]ue par une grande fidélité à cette grâce
qui les avait enfantés h Jésus-Christ, il se
cro.yait obligé de les exhorter à ne la ja-
mais recevoir en vain, à se prêter fidèJe-
ment à ses inspirations qui les portaient
sans cesse à des retranchements, h des mor-
tifications, h. des œuvres saintes, propres à
faire mourir le vieil homme et à perfec-
tionner l'homme nouveau, formé dans eux
par le saint baptême.
Mais hélas ! qu'elle est rare, cette parfaita
fidélité aux inspirations de la grâce, non-
seulement parmi Jes chrétiens du siècle;
sans cesse environnés de oaille objets qui
les occupent et qui les distraient, ils sont
bien peu capables d'entendre le Saint-Es-
prit lorsqu'il parle à leur cœur ; mais de
plus, parmi les personnes qui, ayant fait un
divorce éternel avec le monde, se sont en-
sevelies pour le reste de leurs jours dans
la retraite, à dessein d'y accomplir plus
exactement l'Evangile de Jésus-Christ et
d'y mener une vie plus parfaite que les
chrétiens du siècle! Combien parmi elles,
combien de ces épouses de Jésus-Christ
qui ne font aucun [)rogrès dans la voie de
la perfection et de la sainteté , parce
qu'elles refusent d'écouter la voix du Sei-
gneur et encore moins de s'y rendre doci-
les 1 Ne pourrait-on pas leur dire ce que
saint Etienne disait aux Juifs ses persécu-
teurs? Vous résistez et vous vous êtes l'ait
une malheureuse habitude de résister au
Saint-Esprit et à tout ce qu'il vous inspire
pour votre sanctification, pour vous rendre
agréables à votre céleste Epoux : Semper Spi-
rilui rcsi$litis.{Act., VII, 51.) Hélas! Mesda-
mes, que de reiiroches intéiieurs, que de
bons mouvements, que de saintes pensées,
que de vues d'amendement, de sacrifice, de
perfection vous avezchaquejour,el plusieurs
fois le jour, et qui, par voire faute, devien-
ntîiit absolument inutiles, nuisibles même à
votre âme! Ce sont autant d inspirations do
la grâce que vous rejetez et auxquelles vous
ne craignez point de résister. Le zèle dont
je dois être animé et queje ressens en effet
f)Our votre sanctification, pour votre perfec-
tion, me porte à vous exhorter aujour-
d'hui, à l'exemple de l'Apôtre, à ne ja-
mais recevoir en vain, les grâces que
votre céleste Epoux vous communique.
Ees raisons sur lesquelles je vais appuyer
*49 WSCOURS DK RKTRAITE. — ClNQl'IEMK JOUR 250
rot imnorlanl avis seioiil bien propres h irô.s-injiirieusn è râiiio ijui les rcjcltc; sui-
vons lâiro prendra plus (|iie jamais celle vezinoi j(> vous prie et vous en convien-
rèsolnliou pour l'avenir : in.iis j'irai plus tirez aiséinenl avec moi.
loin; après vous avoir prouvé combien il 1. Je tlisen [iremier lieu, que (otilo résis-
esl essenliel pour vous de ne point résister lance aux inspiralions de la grAce, surtout si
aui inspirations de la grûce, je tâcherai do elle est habituelle, est très-injurieuse 5 Dieu;
vous montrer comment vous devez vous y comment cela? Le voici. C'est que celte ré-
[ir(Mer et y correspondre : en deux mois, sislaiice annonce toujours un caractère do
les motifs qui doivent vous enj:ager à être nif''|)ris et un caractère d'ingratitude envers
(idèles aux inspirations de la grâce ; ce sera Dieu. Je dis, caractère de mépris. O vous qui
le sujet de la première partie de ce di>- depuis que vous avez eu le bonlieur d'èlro
cours : les qualités (]ue doit avoir votre li- admise au rangiies épousesdo Jésus-Chrisf,
déhlé aux ins(>iralions de la grâce ; ce sera dans la religion , avez élé ftivorisée d'une
le sniet de la seconde partie. Honorez-moi, inliiiilé de grâces, d'une infaiité d'inspira-
s'il vous plail, de toute votre attention, ^i-e, lions qui toutes tendaient h voire avancement
Marin. Sjiiriluel, à vous faire prali(]uer des actes do
PUEMiiinE PAUTiE. verlu proprcs à vot re Sailli état, mais (juï vous
èlesfailcommeunemalheureuse habitude de
Vous le savez, Mesdan'cs, et c'est une n'y pas correspondre, sous prétexte peut-être
vérité de foi que sans la grâc(î nous ne (]u'il no s'agissait pas pour vous d'actes fort
pouvons être agréables h notre Dieu ; c'est importants, d'obligations essentielles; avez-
elle, c'est celte grâce sanctifiante qui rési- vous jamais fait réflexionque la moindre de
dant au fond de notre cœur, nous fait ses ccsgrâcesque vous regardez commesi()euile
vrais serviteurs et ses amis, qui nous dis- chose, a coûté le sang d'un Dieu? que c'est
lingue des infiiièles, des hérétiques et des pour vous les procurer, ces grâces et ces ins-
pécheurs, qui, tous privés de cette grâce, ne pirations, que le Fils de Dieu a quitté le sein
[icuvent être que des objets de haine et de de sa gloire, qu'il a vécu sur la terre dans la
eolère à ses yeux: mais outre celte grâce pauvreté et les soulfrances, qu'il est mort sur
sanctifiante et habituelle que nous avons une croix au milieu des plus alfrrux suppli-
reçue dans le saint baptême et que nous ces? Lorsque vous avez tant do fois résisté
recouvrons par les autres sacrements, lors- à ces grâces et rejeté ces inspiration.^, avez-
que nous avons eu le malheur de la perdre vous jamais fait ces réflexions? Rien n'est
par le péché, il en est d'autres que les Ihéo- plus vrai cependant, ce sont autant de vérités
logiens appellent grâces aciuelles, grâces de foi que vous nii pouvez révoquer en doute.
qui nous sont si nécessaires pour faire Vous devez doncen conclure que toutes les
le bien, que sans elles, comme le dit l'a- fois que vous n'avez pas [)rofilé et que vous
poire saint Paul, nous ne pouvons faire ne |irofitez pas encore de ces grâces sans
la moindre action, avoir même une seule nombre qu'il vous a données, et qu'il con-
pensée qui soit agréable au Seigneur el mé- tinue de vous donner, que tout(!S les fois
riloire du ciel que vous les rejelez, c'est un mépris de ces
Or, de ces grâces actuelles, il en est de giands dons du ciel dont vous vous rendez
deux sortes; il en est qui opèrent avec coupable. Or, ce njé()ris ,ne doil-il pas re-
Dous, qui nous aident à faire le bien, en tomber naturellement sur celui de qui vous
sorte que ce bien que nous faisons est au- le recevez? Ne lui montrez-vous pas par là
tant l'ouvrage de la grâce que le nôtre, que vous ne faites pas une grande estime
comme le dit l'Apôtre : Graiia Dei mecuin. de tout ce qu'il fait pour vous '! Ah I et pre-
(1 for., XV, 10.) Il en est d'autres qui opè- nez bien garde à ceci; ce Dieu Sauveur,
rcnt sans nous, dans notre àine, qui nous volie célesle Epoux, par toutes ces grâces
préviennent et nous avertissent de ce (pje qu'il vous fait, n'a d'autre dessein que de
nous devons faire ou éviter pour nous saiic- vous instruire de vos devoirs , que de vous
lifier, grâces qui éclairent notre ente ide- montrer les moyens les [dus propres pour
ment, qui excitent noire volonté, qui la aller à lui et pour lui plaire, que de vous
pressent, qui la sollicitent; ce sont ces der- faire avancer dans le chemin de la perl'ec-
nièrcs grâces que j'appelle inspirations du lion dans lequel il vous a fait entrer; et
Saint-Esprit, et auxquelles je dis qu'il est vous, au lieu de correspondre à ses soins, à
liès-im|)ortanl pour vous, Mesdames, de ses desseins sur vous, vous osez lui dire
correspondre, qu'il est même très-dange- comme les im[)ies dont il est [)arlé dans
reux et très-funeste de rejeter. Pour vous l'Ecriture : Vous venez à moi, Seigneur,
c:i convaincre, considérons-les, je vous et vous vous aoprochez de moi pour ui'é-
prie, ces grâces, ces insi)iralions, soit par clairer et pour m'instruire, ut moi je ne
r.q)porl à Dieu qui les donne, soit par rap- veux être instruile ni éclairée par vous;
porta la personne qui les reçoit : or je dis retirez-vous de moi :n Recède a nobis; » v lUs
(|u à les considérer par rapport à Dieu, les voiilez me conduire vous-même, me monlier
rejeter, n'y pas correspondre, c'est lui les voies les plus propres pour ma sanctiti-
laire injure; c'est l'outrager. Je dis qu'à les cation et pour vous plaire; ces voies me dé-
considérer, ces grâces, par rapport à la plaisent, je ne les suivrai point: Scien-
{tersonne qui les reçoit, c'est se causer un tiamviurumtuarumnotumus. {Job,X\l,Vv.)
irès-grand jiréjudice; la résistance aux ins- ^'ollà ce que vous avez dit et ce que vous
pirations de la grâce est donc loul à la fois dites toutes les fois que vous résistez à
W1
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE'MONTIS.
2i»
quoique grâce, à quelque inspiration du
Saint-Esprit, qui tend h vous rendre meil-
leure et plus parfaite; vous ne prononcez
pas (le bouchn, è la vérité, ces [laroles do
rébellion et de mépris; vous auriez horreur
de proférer do |)areils blasphèmes; mais
voire conduite pleine de résistance, de dé-
sobéissance, a suffisamment manifesté vos
sentiments et les dispositions de votre
tœur. Voilà donc la |)remière injure que
vous avez faite et que vous continuez de
faire h Jésus-Chrisl, toutes les fois que vous
rejetez ses grâces et ses inspirations; vous
le mé|)risez, vous le rejetez, vous rendez
inutiles, à votre égard, les travaux de sa
passion, vous foulez aux pieds, comme dit
l'apôlre saint Paul {Hebr., X, 29), le sang
que ce Dieu Sauveur a répamJu pour vous ;
vous anéantissez, autant qu'il est en vous,
la vertu et le mérite de sa croix. Quel mé-
pris I Quelle injure I Ah 1 pour vous rendre
cette vérité plus sensible, si vous voyiez
une d'enire vous ne faire aucun cas des
avis que lui donnerait celle que la divine
Providence a mise à votre tête, pour vous
conduire et vous faire marcher tidèlenient
et constamment dans le saint état que vous
avez embrassé; si cette sœur, au lieu de
prendre les moyens que lui proposerait sa
supérieure, vous paraissait n'y faire aucune
attention; si vous la voyiez vivre toujours
avec ses défauts et ses imperfections, qu'en
diriez- vous? qu'en penseriez -vous? du
moins, ne jugeriez-vous pas avec raison
qu'elle ra<in(]uo d'égards et de respect en-
vers celle qui lui tient la place du Seigneur
sur [la terre? Hésileriez-vous à appeler in-
jure et mépris une pareille conduite? Qu'est-
ce donc, à l'égard de votre Dieu? Quelle in-
jure ne lui fjiles-vous pas, el de quel mépris
ne vous rendez-vous pas coupable à son
égard, lorsque vous rejetez et que vous vous
la tes une habitude do rejeter, de ne [las pa-
raître même écouter les avis secrets ot in-
térieurs qu'il vous donne sans cesse pour
l'embellissement de votre âme, pour voire
porfection et voire salut? Mais ce n'est pas
tout; rejeter, ou si vous voulez, ne pas se
prêter aux inspirations de la grùce, ce n'est
pas seulement se rendre coupable de mépris
à l'égard de Dieu, c'est do plus lui donner
des marques d'ingratitude.
Vous le savez, Mesdames, et vous ne
pouvez môme l'ignorer, c'est pour lui, [)Our
sa gloire que voire Dieu est occupé de voire
[ erfection et de votre salut; s'aimant né-
cessairement lui-même, il n'a pu ne uas
avoir ce motif, cette tin, en tirant du neanl
des créatures raisonnables , capables de le
connaître et de le servir, et de celles sur-
tout qu'il s'est attachées par des liens [dus
«étroits et plus sacrés. Mais, outre cette tin
sublime qui est inséparable de tout ce qu'il
fait hors de lui, en vous donnant, Mesda-
mes, toutes ces grâces, ces ina[)irations qui
vous attirent de [)Ius en plus à lui, qui vous
montrent tout à la fois, et les motifs et les
moyens de vous saiictiiier, de vous perfoc-
fioiiner el de lui ith'irc en vous perleclluu*
nant, en vous sancliiianl; il a eu une autri»
fin, un aulre motif qui vous regarde, c'est
voire propre bonheur, c'est de vous rendre
par votre fidélité à ses grâces, à ses inspi-
rations , souverainement heureuses dans
l'autre vie , et d'autant plus heureuses que
votre fidélité aura été plus grande et plus
constante. C'est donc l'amour, et un amour
infini qu'il a pour vous, qui l'engagea vous
donner, à vous prodiguer toutes ces grâces;
oui, cet amour qui Ta porté à se dépouiller
pour un temps de sa propre gloire, à venir-
se revêtir sur la terre de notre humanité et
avec elle de toutes ses misères, cet amour
qui lui a fait mener la vie la [)Ius pauvre et
la plus mortifiée, et souffrir pour vous une
mort accompagnée de tourments et d'igno-
minie; c'est ce môme amour qui le porto
encore à s'occuper sans cesse de vous, à
vous montrer et à vous fournir tous les
moyens que cet amour lui a fait trouver
pour vous rendre heureuses, à prendre au-
tant de soin de vous, que si son propre
bonheur était attaché au vôtre, qu'il dépen-
dît absolument du vôtre.
Ah I Mesdames, si dans le monde una
personne avait à un grand, à un souverain
les plus grandes obligations; si ce souve-
rain, si ce grand n'avail ri»n négligé pour
procurer à cette personne un élat d'éléva-
tion et d'opulence qui l'eût rendue des plus
heureuses sur la terre, s'il avait fait de
grands travaux, soulTert même bien drs
maux pour lui [)rocurer une aussi heureuse
situation, s'il n'eût cessé de lui donner les
avis les plus sages ; les conseils les plus
utiles, les plus propres à se maintenir dans
sa haute fortune, à l'accroître môme encore;
quels témoignages de reconnaissance cette
personne ne devrail-elle pas à son bienfai-
teur? Mais si au lieu de lui témoigner toute
sa reconnaissance, elle paraissait au con-r
traire inditTérente et comme insensible à
ses soins, à toutes ses bonlés à son égard;
si elle ne daignait pas même écouler ses
bons conseils ou si elle les écoutait sans
vouloir s'qïx servir, les suivre; qu'en pen-
seriez-vous? Pourriez-vous vous empêcher
de l'accuser d'ingratitude et de la plus
noire ingratitude? Voilh cependant ce que
vous faites et ce que vous êlos , lorsque
vous rejetez ces grâces, ces inspirations
que vous donne si souvent votre Dieu, pour
travailler efficacement à votre perfection ot
par conséquent à votre salut éternel. En
rejetlant ces grâces ces inspirations, en
n'y correspondant pas, vous montrez que
ces dons, ces bienfaits, tous témoignages de
son amour pour vous, vous affectent peu.
Au lieu de lui rendre amour [lour amour,
vous ne répondez aux témoignages conti-
nuels (ju'il vous en donne que par dei
irails d'indifférence et d-'ingratitude el d'une
ingratitude d'aulant plus condamnable que
vous n'ignorez pas qu'en qualité de ses
épouses il vous uonne des témoignages de
son amour en plus grand nombre et do
plus considérables qu'aux chrétiens du
siècle en vous faisant plus de part qn'à eux
IS5 DISCOURS DE RKISAITE
Je SOS grâces el de ses dons spirituels. Quoi
de plus capal)le de porter un bon cœur à so
rendre attenlif et docile aux inspirations
de la grince I Mais pour vous y engager
eniore plus, après vous avoir lait consi-
tltVer ces grâces, ces inspirations du côté
de Dieu et par l'injure que vous lui faites
lorsque vous n'y correspondez pas, je veux
de plus vous les faire considérer par raj)-
port h vous-mêmes par le préjudice que
TOUS vous causez en les rejetant.
11. Oui, Mesdames, puisque comme je
Tiens de vous le dire et je me flatte que
vous en êtes bien persuadées, puisque c'est
pour vous, pour votre bien que ces grâces,
ces inspirations du ciel vous sont données
et pour le plus grand de tous les biens qui
est voire salut, votre félicité éternelle, il
s'ensuit que ce n'est point entendre vos in-
lérêis ; que c'est vous causer un très-grand
[•réjudiee de négliger ces grâces, de ne
point mettre à profit ces inspirations; pour
vous, en convaincre, écoutez, je vous prie, et
soytz attentives à une suite de vérités bien
propres à vous rendre plus que jamais do-
ciles à In voie du Seigneur.
Première vérité. Ces grâces, ces inspi-
rations que vous recevez, ne vous sont
ftoint dues : elles ne sont môme, comme
e dit l'apôtre saint Paul , ap[)elées grâces
que parce que nous n'y avons aucun
droit, qu'elles nous viennent de l'inlinie
bonté, de la pure libéralité de notre Dieu.
Pren?z garde à ceci, je vous prie : Jésus-
Christ, par sa mort, nous a bien mérité à
lous et nous donne en effet tous les secours
suffisants, toules les grâces nécessaires pour
opérer notre salut; penser autrement ce
serait tomber dans une erreur justement
proscrite par l'Eglise: mais pour telles et
telles grâces, et surtout pour telles inspi-
ratioris en particulier ii no nous les doit
point; c'est par amour pour nous qu'il
nous les donne : son esprit souffle où il veut,
dit saint Jean. {Joan., 111, 8.) Ainsi lorsque
nous refusons de correspondre à ces grâces,
à ces inspirations, dans l'idée et avec l'es-
pérance qu'elles reviendront et que nous
pourrons nous les procurer une autrefois,
nous nous faisons illusion, nous nous trom-
pons.
Car et voici une seconde vérité; il est,
dons les décrets de notre Dieu, un certain
nombre de ces grâces, de ces inspirations,
lequel une fois épuisé, le Seigneur se re-
lire et ne se fait plus entendre au moins
aussi sensiblement et aussi intimement à
notre cœur; je dis aussi intimement, parce
que, outre ces grâces générales et suffisan-
tes que le Seigneur s'est engagé, en vertu
dts mérites de sa passion , de ne nous pas
refuser et avec lesquelles nous pouvons
toujours éviter le péché et pratiquer la
vertu, il est des grâces spéciales dépure
[irédilection qui nous éclairent et qui nous
exciient plus sensibleinenl, plus fortement
à nous conformer à ce que noire Dieu exi-
ge de nous : telles sont ces inspirations se-
ciètes, ces mouvements inlérieurs que nous
CINQUIEME JOUI\. 254
sentons et qui agissent nu dedans de nous,
dans de certains moments, en certaines cir-
constances et qui nous portent, nous exci-
tent vivement à quelque acte de vertu, à
quelque sacrifice agréable à notre Dieu et
utile à notre perfection: or c'est eette es-
pèce de grâces, ce sont ces inspirations
particulières que je dis qu'il est dangereux
de rejeter, parce que le nombre n'en est
pas illimité, parce que le Seigtieur nous lo
donne pour ainsi dire avec poids el mesure,
parce que , comme il a fixé le nombre do
nos jours et de nos moments, de même a-t-
il déterminé celui de ces grâces, de ces ins-
pirations particulières ajirès lequel nous ne
devons plus en espérer.
Mais ce qui doit encore puis, Mesdames,
vous engager à une parfaite lidéliié à tou-
les les inspirations, c'est que ce nombre
fixe, déterminé par lo Seigneur, n'est pas le
même j'our tous les fidèles: troisième vé-
rité. Oui, notre Dieu distribue ses dons
con^me il lui plaît et ci qui il lui plaît; il
est telle âme à laquelle il semble prodiguer
ses grâces et dont le nombre est infini pour
ainsi dire; il en est d'autres auxquelles il
ne les donne qu'avec réserve el en fielit
noiiibri! ; vouloir sonder ses décrets et cher-
cher la raison de celle ditféreiite conduite
à l'égard des âmes qu'il a toutes rachetées
et qu'il appelle toutes 5 jouir de sa gloire
dans le ciel, ce serait une témérité ; le mo-
tif qui le fait agir est entièrement caché,
dit saint Augustin; mais il ne peut être
injuste : Occulta, non injusla. C'est à nous
d'en profiler avec d'aulant plus de fidélité
que ce nombre de grâces, d'inspirations,
déterminé et ditlérent pour chacun de nou>,
nous est absoluuienl inconnu, Qualrièmu
vérité.
Si nous pouvions, Mesdames, compter
sur une certaine mesure, sur un certain
nombre d'inspirations, nous serions encore
coupables et nous ferions toujours injure à
l'inlinie bonté de notre Dieu de n'y pas
correspondre fidèlement ; mais nous ne
nous exposerions pas au moins à des ris-
ques aussi considérabh.'S ; l'usage que nous
ferions des inspirations suivantes pour-
rait nous dédommage' et réparer en (|uel-
que sorte la perte et l'abus des inspirations
précédentes; mais ii n'en peut être ainsi:
iion-seulement le Seigneur ne nous a point
promis que ses grâces, que ses bontés pour
nous seraient inépuisables ou qu'elles se-
raient en tel nombre, en telle (juantité ;
mais dans mille endroits des divines Ecri-
tures il nous fait entendre le contraire.
C'est pour cela qu'il nous exhorte à écouler
sa voix lorsqu'elle se lait entendre à noire
cœur, à lui ouvrir lorsqu'il frappe h la porte,
à aller à lui lorsqu'il nous appelle; c'est
j)Our cela qu'il menace ceux qui l'auront
méprisé, de les mépriser à son tour. Vous
résistez h la volonté de votre Dieu , vous
refusez d'aller à lui et de lui répondre, il
viendra un temps où vous l'appellerez, vous
l'invoquerez, où vous désirerez qu'il parlo
encore à voire cœur, mais en vain ; irrité de
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MOJNTIS.
2::6
V ^s lésislancos et de vos mépris il fera la
S'Mirde oreille. Oui , tandis Mue les diues
il ièlf'S h SOS inspirations et h toutes ses vo-
lontés puisent avec abondance h !a source
de ses grâces, que leur fidélilé .^ une ins-
I iraijon leur en procure une autre à laquelle
elles se rendent également dociles, vous ,
î\me infidèle, âme ingrate qui vous faites
une habitude et coninie un jeu de mépriser
ses avis intérieurs, de rejeter ses inspira-
tions, ses so'lici'ations, il \iendra un temps
où vous en éprouverez la soif la plus cruelle;
oui, cette rosée du ciel qui depuis si long-
temps et toujours inutilement est tombée
sur votre cœur, n'y lon:bera plus et le lais-
sera dans la sécheresse, dans une cruelle
aridité. Mais ce qui doit vous causer plus
de frajeur encore, et je vous l'avouerai
Iraiicheraenl ici, Mesdames, ce qui m'en
cause beaucoup à moi-même , 'ce qui doit
vous engager et me porter moi-même h
cette parfaite fidélité à toutes les ins[>iia-
lions du Saint-Esprit , c'est que celle qui,
dans le dessein de Dieu doit être la der-
nière et mettre le comble a la mesure, n'est
pas d'une autre nature et n'est pas souvent
plus considérable que les autres: cinquiè-
me et dernière vériié.
Le dernier pas qui fait tomber dans un
précipice, n'est |.as d'une autre es(>èce que
ceux qui l'ont précédé; ainsi en est-il de la
dernière grâce, de la dernière inspiration.
Non, Mesdames, le Seigneur, à la vérité, a
des grâces fortes et d'éclat, par lesquelles il
appelle quelquefois les âmes à lui, et les
engage efficacement à son service : telles
furent celles qui convertirent un Paul, un
Augustin, urie Madeleine, une Marie l'Egyp-
lienne et tant d'autres; mais il en est aussi
di; moins éclatante^, de [)!us communes, des-
(juelles il se sert ordinairement pour se
gagner les cœurs et se les rendre fidèles; or
c'est quelquefois à une grâce qui paraît lé-
gère en a[)iiarence, c'est à une inspiraiion
peu considérable pnr elle-même qu'il a at-
taché notre préJeslination, notre salut. Vous
vous sentez inspirée de faire telle mortifica-
tion, <ie vous livrer ch lelle pratique, de faire
tel sacrifice h votre Dieu; cela vous [)arait
peu considérable; au lieu de vous y rendre
fidèle, à pe:ne y failes-vous attention. Mais
si c'était à cette pratique légère, en appa-
rence, à cette mortification, à ce petit sacii-
lice que Dieu eût attaché votre prédestina-
tion, si c'était; là la dernière démarche qu'il
eût résolu de faire auprès de vous, le der-
nier assaut particulier qu'il voulût livrer à
votre cœur; si cette gr-âcte, si celte inspira-
t:on, une fois négligée, méprisée, rejelée,
son cœur devait se refroidira votre égard,
s'éloigner de vous, et vous laisser désor-
mais vous livrera votre tiédeur, à voire lâ-
cheté, la regarderiez-vous comme si peu de
chose? y feriez- vous si peu d'attention?
Vous n'en savez rien ; cela peut être cepen-
dant. Vous devez donc, si vous avez sincè-
rement votre sakit h cœur, ne rien né-
gliger ; vous devez vous rendre constam-
ment fidèles à toutes ks s'Aces, îi toutes
les inspirations particulières de voire Dieu.
' Hélas) Mesdames, s'il nous était donné
de voir tant d'épouses de Jésus-Christ qui
gémissent et qui pleurent [iréscntoment, et
(]ui pleureront éternellement leurs infidé-
lités dans l'enfer; vous et moi, pourrions-
nous adresser 5 une de ces âmes infortu-
nées, et lui demander, qui ilonc a pu, dans
l'étal saint et sultlime où son Dieu l'avait
placée sur la terre, la conduire et la préci-
piter dans ce lieu d'horreur, dans cet abîme
de tourments et de désespoir qu'elle ha-
bite ; elle nous répondrait sûrement (]ue ce
sont ses iufidélilés, ses résislances habi-
tuelles aux gr'âces et aux inspirations du
Saint-Esprit, qui ont causé sa perle éter-
nelle, A[)rès quelques années de fidélité et
de ferveur, dans mon saint état, nous di-
rait-elle, je me suis relâchée insensible-
ment; je sentais souvent, et dans les com-
menc(;ments surtout, des reproches in-
térieurs, de vifs remords : ils m'étaient
importuns , je cherchais à les étouffer.
Combien de fois mon céleste Epoux (ah I ce
nom prononcé augmente mon désespoir et
mes tourments), combien de fois il m'a ap-
pelée, sollicitée, menacée môme; il rue de-
mandait plus d'assiduité et plus d'attention
h mes exercices, à mes observances, plus
dM mortification extérieure et intérieure ;
moins d'amour de moi-même, moins de re-
cherches de mes aises et de mes commo-
dités : plus de fidélité, en un qioI, à mes
engagpments, aux devoirs de mon saint
étal. Après avoir longtemps résisté à tant
de grâces, après avoir rejeté tant d'inspira-
tions, il s'est lassé enfin, il s'est indigné
contre une épouse aussi infidèle; il a com-
mencé par s'éloigner de moi; ces grâces de
prédilection, ces inspirations particulières,
je ne les sentais plus, elles ont cessé; jo
n'ai plus entendu sa voix au fond de mon
cœur; sa [)i'édiction et ses menaces, que
j'avais tant de fois entendues, que j'avais
lues moi-même si souvent dans les divines
Ecritures, elle se sont accomplies sur moi :
npi'ès m'avoir longtemps appelée , a[)i-ès
m'avoir souvent invitée de revenir à lui,
a|)rès avoir [)arlé plusieurs années h mon
cœur infidèle et (lissij)é ; voyant que je ne
ré[)ondais à tant d'invitations quu par des
négligences, par des résislances et des mé-
jitis, il s'est enfin retiré : celte soustraction
de glaces et d'inspirations dont il m'avait
menacée, je l'ai éprouvée en effet : il m'a
abandonné dans sa colère à tous mes dé-
sirs, à toutes les affections dépravées de
mon cœur; de là un aveuglement de l'es-
prit qui m'a empêchée de bien voir le nom-
bre et la grièveléde mes infidéliiés,.et tout
le danger de mon malheureux état; mais
plus que tout cela, de là un endurcissement
de cœur qui a fait disparaître en moi tout
acte et tout sentiment de dévotion; endur-
cissement, qui des petites fautes, des infi-
délités légères, m'avait fait tomber insen-
sibliment et comme par degrés dans les
fautes les plus grièves, dans un oubli to-
tal, et dans une transgression habituelle des
S&7
DISCOURS DE RETRAITE. - CINQUIEME JOUR.
2:i8
(lavoirs les plus essenliels de iiioii c'f;il;
nveuyl^inoiil ut cndurcissoment qui liront
l'ail que s'accioîlre jusqu'aux derniers jours
de ma vie, cl qui ui'oul coiiduile cnjin et
nrécipik^e dans l'abîuie de uialheurs où je
suis nujounriiui plongée, cl pour toujours.
Voilà , Mesdames, le que vous dirail sû-
rement une épouse de Jésus-Clirist infidèle
el réprouvée; la source, la vraie cause de
la réprobation de celle religieuse, chois io
par le Seigneur, enlre des millions d'aulres,
poi;r ôlre un jour et pour toujours avec lui
dans sa gbdre, c'est l'abus de ses giûces,
de ses inspirations; une dernière méprisée,
rojetée en a rempli la mesure el a nds par
là le sceau h sa perle éternelle. Ueconnais-
sez donc ici, Mesdames, qu'il n'est rien,
non-seulement 'de plus injurieux à votre
Dieu, que de ne pas correS|^ondre aux ins-
pirations de sa grâce, mais encore de idus
dangereux pour vous, de plus préjudiciable
à vulre âme. Mais n'en restons pas là; pour
avoir une inslrucliou plus complète sur
celte importante matière, après avoir consi-
tlérô les motifs qui doivent vous engager à
vous reiidie fidèles à ces inspirations, voyons
présentement quelles qualités doit avoir
votre fidélité, a(in qu'elle puisse concoui ir
à votre sanclilication ; c'est le sujet de la
seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Il est certain, el de foi même, qu'il nous
est libre de correspondre ou de ne pas cor-
respondre aux inspirations de la grâce; que
MOUS pouvons toujours les recevoir, ou les
rejeter. Il est également certain et de loi
que nous rendrons tous un jour à notre
Dieu un corajile exact et rigoureux de ces
grâces, de ces inspirations que nous aurons
reçues, du bon ou du mauvais usage que
nous en aurons l'ait. Hélas I Mesdames, il
n'est personne, dans votre saint état surtout
où l'on est beaucoup mieux instruit des
voies de Dieu el de l'obligalion d'y corres-
pondre qu'on ne l'est communément dans
le siècle, il n'est personne qui ne soit per-
suadée de ces vérités : mais malgré celle
persuasion et ces lumières, qu'il en est peu
qui monlrenl au Seigneur celle fidélité en-
lièrc et parl'aite à ses inspirations. On ne
se dit pas à la vérité, on aurait bonté
môme de se ie dire, qu'on ne veut pas cor-
respondre aux desseins de Dieu et se prêter
Bux inspirations de sa grâce; mais avec une
volonté vague, générale et indéterminée ue
les suivre dans la pratique, on ne les suit
pas, on y résiste; on su sent souvent iiis-
jdré de luire pour son avancement spiri-
tuel, pour sa perfection, une action, un
acte de morlilication, un relrancbeinent, un
sacrifice; mais ou l'on hésite, ou balance,
on perd le temps, et l'inspiration passe et
s'évanouit; ou l'on se pro|)0.se d'être dans
la suite, fidèle à une autre ou d'une aulre
espèce; et avec cette illusion, on rend inu-
tile celle qui se présente, parce qu'elle |)ii-
lait lro[) comballre les inclinations de la
nature; ou bien encore, après avoir résisté
à de véritables insfurations, qu'on ne pou-
vait s'empèclier de regarder comme ielles,^
on s'arrête |)ar caprice quelquefois a cel es
(jui sont fausses, qui ne sont que des sug-
gestions de l'amour-propre, ou du démo.'i.
Or, Mesdames, pour éviter ces défauts si
préjudiciables à la vie intérieure et toute
sainte que vous devez mener dans vo'.re
élal.jedis (jue votre fi<iélité aux inspira-
lions du Saint-Es|irit doit être prom[)le et
sans délai, universelle el sans choix, pru-
dente el sans illusion :v'est ce que je vais
vous'cxpliquer ; conlinuez-moi, je vous prie,
toute votre attention.
I. Je dis, en premier lieu, que la fidélité
aux inspirations de la grâce doit èl^^e prorap-
t(^ el sans délai. Oui, sans doute, Mesdames.
Qu'est-ce, en effet, que cette inspiration?
Une lumière subite qui éclaire tout à coup
l'esprit, qui lui montre une faute à éviter,
un jjien à faire, un nouveau mérite à acqué-
rir; c'est une secousse, un mouvemeni mo-
mentané (]ui excite Ta volonté, qui l'invite,
la sollicite à faire ce bien, à éviter cette
faute, à se |)rocurer ce nouveau mérite;
c'est comme un rayon, un éclair prompt et
|)assager : si vous ne da'gi:ez pas y fairtj
attention, ou si y faisant aiteniion vous ne
prenez pas sur vous de vous y prêter, d'y
acquiescer, vous rendez inutile celle lu-
mière surnaturelle, ce bon mouvemeni,
cette inspiration secrète de la grâce : elle
passepour vous etne revient plus: celtegrâce
négligée, rejetée, vous en fait perdre une infi-
nité d'autres que votre fidélité à celle-ci vous
eût sûrement procurées ; vous interromiiez
par-là, el vous rompez par voire faute un en-
chaînement précieux de grâcesetdejinérites;
de grâces de la part de votre Dieu, de méri-
tes de voire part, et qui, dans les desseins
de Dieu, devait concourir à votre p^rlec-
lion, enrichir votre couronne de gloire et
vous conduire au ciel. Ah ! la grâce du
Saint-Esprit, dit saint Augustin, ne |)ermeî
aucun délai, ne souH're aucun retardement;
il faut saisir avec soin l'occasion qui sa
présente et que Dieu vous présente lui-
même, de lui plaire, de lui témoigner votre
fidélité el votre amour : c'est lui-même qui
daigne venir à vous, (pii frap|)e à la porte
de votre cœur : Slo ad ostiuin et pulso.
{Apoc, 111, 20.) Si dans le moment qu'il
vous fait sentir sa [)résence vous n'êtes
promptes à lui ouvrir el à le recevoir, il se
relire olfensé. Ce qui fil le malheur des
vierges insensées; dont le Dieu Sauveur
[)arle dans l'iivangile, ce (pii les exclut pour
toujours de la salle et de la société de l'E-
poux, ce fut le retardement qu'elles appor-
tèrent à le recevoir; elles y étaient dispo-
sé(!s, à la vérité, mais elles temporisèrent,
elles ne mirent pas la promptitude el l'at-
feclion qu'il exigeait d'elles et qu'il méri-
tait; quand elles se présentèrent, la jorle
élail fermée; elles eurent la douleur de
s'entendre diie qu'on ne les connaissait
[loinl : Ncscio vos. {Mallli., X.XV, 12.)
Héhis,! Mesdames, voire céleste Epoux «e
présenlG souvent à vous: sa venue ycj»
S59
ORATEURS SACRES. LABBE DE MONTIS.
200
est annoncée par les inspirations de sa grâ-
ce : c'esl par là qu'il veut entrer dans votre
cœiir pour le perfectionner, le sanctifier,
pour en jouir de plus en plus; vous devez
donc entrer dans toutes ses vues, corres-
pondre fidèlement et promptement surtout
à tous ses desseins sur vous : c'est à cette
promptitude qu'il reconnaîtra votre atta-
chement, votre amour pour lui; qu'il vous
distinguera de ces é|)Ouses tièdes, lâches
et indifTérenles pour lui : c'est h cette mar-
que qu'on juge de l'atTeotion des créatures ;
c'est à celle promptitude à exécuter ses or-
dres, à satisfaire ses désirs, à les prévenir
môme en quelque sorte, qu'un souverain
juge de l'amour de ses sujets, de ses cour-
tisans; qu'un maîire juge de rattachement
de ses serviteurs, un ami de celui de son
ami. Si vous avez un sincère et un ardent
amour pour votre céleste Epoux, vous cher-
cherezdonc àlui en donner des preuves, |yous
saisirez les occasions de satisfaire ses
désirs. C'est par amour pour vous qu'il
vous donne ce^ grâces, ces inspirations;
en vous les communiquant , il a aulai.t
en vue voire bonheur éternel que sa pro-
pre gloire : vous devez donc lui rendre
amour pour amour et vous montrer, par ce
sublime et excellent molit, fidèles et |)romp-
tement fidèles aux inspirations de sa
grâce.
Mais ce que je conclus de là, Mesdames,
et ce que vous devHZ en conclure avec moi,
c'esl que s'il est si important de correspondre
promptement et sans délai aux invitations
du Seigneur et aux inspirations de sa grâce,
il faut donc vous rendre allentives à ces
inspirations, vous tenir pour cela toujours
en recueillement et vis-à-vis vous-mômes:
vos yeux et les oreilles de votre cœur doi-
vent toujours être fixés \evs votre Dieu
pour connaître et pour entendre ses volon-
tés sur vous; comme les yeux d'un bon
sirvitcur se tournent continuellement sur
son maître, jjour connaître et pour exécu-
ter ce qu'il exige de lui : car enfin que vous
servirait d'être disposées à ()rofiier de ces
glaces et de ces inspirations quand elles se
présenteront à vous, si vous êtes habituel-
lement si dissi[)ées et tellement hors de
vous (jue vous n'ai)erceviez pas môme
quand olles se présentent; si votre es|)rit
était tellement renqili des objets créés et
de tout ce qui vous environne qu'il ne lût
|)oint alleclé, ou que|très-mé(liocrement,
des opérations du Sainl-lisprit en vous,
t-ctte ailenlion, celle présence d'esprit est
d'autant plus importante que ces inspira-
lions viennent en tout temps ol dans le
lem{)s quelquefois où l'on s'y allend le
moins, quelles [lassent rapidement comme
un éclair et qu'il n'est point en notre pou-
voir de les rappellcr el de nous eu procu-
rer. Votre fidélité aux inspirations de la
grâce doit donc être prompte : première
<JiS[)osilion ; mais elle doit être de plus,
universelle , il faut n'en rejeter aucune:
seconde disposition, t
, II. Celui qui crainl véritable ncnl le Sei-
gneur, ne néglige rien, dit .e Sainl-lisprit :
« Qui timet Vominum , nihxl negligit. »
{Eccle., VU, 19.) Il est vrai, Mesdames, et
j'en conviens ici, ces grâces, ces inspirations
de la grâce du Seigneur, dans votre saint
état, n'ont ordinairement pour objet que
des pratiques, des privations, des sacrifices
qui paraissent peu considérables en eux-s
mêmes; mais faites réflexion, je vous prie,f
que ce n'est point à faire de grandes œuvres,
des actions d'éclat, que. le Seigneur vous a
destinées, en vous appelant au saint étal de
la religion ; si vous ailendicz, [)0ur le servir,
et pour lui donner des preuves de votre at-
tachement et de votre fidélité, des occasions
de faire do grandes cho^e-:, vous passeriez
bien des années, el toute votre vie même,
dans l'inaction, et sans rien faire pour votre
perfection et voire salut. Considérez de plus,
que ce n'est point sur l'importance et sur
l'éclat de nos œuvres, que Dieu nous ju-
gera, et qu'il nous jugera tous; mais sur la
pureté de nos intentions, sur notre exacti-
tude à nous conlormer à tous ses désirs, et
surtout, sur l'amour avec lequel nous aurons
agi pour lui. Pensez encore à ce que dit le
Saint-Esprit, que la personne qui se montre
fidèle dans les petites ciioses le sera sûre-
ment dans les [dus considérables; et qu'au
coniraire, celle cpii mant^ue de ceUe fidélité
que le Seigneur lui demande, dans les pe-
tites choses, se rendra infidèle dans les
grandes; que c'est môme se disfioser à de
grandes chutes, à des fautes considérables,
que de se livrer facilement aux petites.
Pensez enfin à ce que dit saint Augustin,
que ce n'est point petitesse, faiblesse d'es-
prit, comme on l'entend dire quelquefois,
même à des épouses de Jésus-Chrisl, de se
rendre fidèle à Dieu, dans les plus petites
choses, de correspondre aux plus peiiti'S
inspirations de la grâce; que c'esl au con-
traire la preuve d'un grand cœur, d'un cœur
noble et généreux.
lin elfel, Mesdames, quand Dieu inspire
à une âme quelqu'aelion d'éclat, quehpie
grand sacrifice, cette âme recueille alors,
pour ainsi dire, toutes ses forces; comme il
ne s'agit de se taire violence que pour
quelques moments, on s'arme de courage,
ramour-[)ropre s'en môle quelquefois; ou
ne peul se djssimuler que cette action heu-
reusement terminée, on en tirera une grande
satisfaction et un grand fruit, pour soi, ou
pour les autres : tout cela excite l'âme, et
la soutient : il n'est donc point étonnant
qu'on s'y porte avec courage, et avec plaisir
môme; mais lorsqu'il s'agit de se rendre
fidèle à mille inspirations, à mille petites
piaiiqiies légères en apparence, qui le plus
souvent ne sont connues que de Dieu et de
l'âme qui les reçoit, et de s'y rendre iidèle,
non une l'ois, el de loin à loin, mais sou-
vent, mais tous les jours, mais plusieurs
l'ois le jour : convenez-en ici, Mesdames, il
faut un grand courage; il n'esl qu'une âme
forte, généreuse, (qui soit capable d'une
pareille fidélité. Hélas 1 on en juge ainsi
dans le monde : ce n'esl point à de graiu es
261
actions, è <]es trails éclnlanis de générosité,
qu'on juge de l'amilié, de rnllacliemenl du
cœur; c'est par mille petites attentions,
c'est à un soin journalier et momentané,
pour ainsi dire, de plaire h la personne
aimée, de lui donner des marques de cet
ûltacliement. Il en doit être ainsi, à l'é^'anl
de votre céleste épou\. Mesdames :_ il n'a
aucun besoin de vous, vous ne pouvez ni
rien ôler, ni rien ajouter à sa gloire essen-
tielle : il se sudil parfailement à lui-môme,
mais il a attaché ses gr;lces, ses bienfaits,
ses récompenses, pour le temps et pour
l'éternité, à une fulèle^et totale corresjjon-
dance 5 tous ces désirs qu'il vous fait sen-
tir, au fond de votre cœur, par les insf»ira-
lioiis de sa grâce; n'y faire aucune alleiUion,
OU n'y pas correspondre, c'est lui témoigner
une indiirérence, un mépris môme, auquel
il ne peut être insensible, et qui ne peut
que vous être préjudiciable.
Voilà à quoi ne pensent point assez une
infinité de personnes, et d'épouses de Jésus-
Christ surtout; livrées 5 la retraite, à une
l'Ius grande solitude que les chrétiens du
siècle, le Seigneur leur fait ()]us sentir
aussi, les louches et l'onction de sa grâce :
plus jaloux de leur perfection et de leur sa-
lut, il leur montre aussi j)lus souvent et
plus sensiblement les moyens d'y parvenir :
mais qu'arrive-l-il? C'est que séduites par
l'esprit tentateur, qui connaissant coii.'bien
une entière lidélilé aux inspirations de la
grâce, leur serait avantageuse, et contri-
buerait à les sanciifier, il leur fait regarder
ces inspirations, comme de peu de consé-
quence; il les enirelienl dans ce malheu-
reux préjugé, qu'après tout, ces infidélités,
ces résistances ne Jes rendent pas crimi-
nelles aux yeux du Seigneur; que si elles
manquent à celle qui se présente, elles
pourront se rendre fidèles à d'autres qui
leur seront olferles dans la suite, et aux-
quelles cependant lorsqu'elles se présentent,
elles ne sont pas plus fidèles qu'à celles
qui ont précédé; ainsi, au lieu de joindre
fidélité à fidélité, ce qui seul peut contri-
buer à leur avancement spirituel, à leur
perfection, et à augujenler sans cesse le
nombre de leuis mérites cl leur couronne
de gloire, pour l'éternité ; elles ajoutent au
contraire, infidélité à injidélilé, résistance à
résistance. Ainsi, tandis (jue rép()use fidèle
et fervente, par sa constante (iocilité aux
lusjiiraiions du SaiiU-lisprit, se rend de
plus en plus, favorable à son céleste
iîpoux; et se [irucure sans cesse, de nou-
velles grâces ; l'épouse iufidèla au contraire,
le force, par ses résistances, à s'éloigner'
d'elle; éloignemenl des [ilus tuncsles à son
âme, que son aveuglement et sa dissipation
l'empèchenl d'apercevoir, mais qui n'en est
pas moins réel et véritable. Il est donc bien
important. Mesdames, que voire fidélité aux
grâces et aux inspirations du Seigneur, soit
iion-seulemenl prompte, mais de plus uni-
verselle; qu'elle s'étende à toute espèce do
grâces et d'inspirations : mais cela ne suQit
l'as, il faut encore que cette tidélilé soit
DISC0L1R4 DE RETRAITE. — CINQUIEME JOUR. 262
sngo et prudente : troisième et dcrnièro
qualité,
m. Je veux dire qu'il faut du discerne-
ment pour bien connaîlre les opérations du
Saini-Esprit, parce que s'il est des inspira-
tions qui sont son ouvrage, il en est do
fausses qui ne n;érilenl pas ce nom, et qui
viennent de l'esprit tentateur. Vous l'avoz
souvent entendu dire. Mesdames, cl cela
n'est malheureusement que trop vrai; Sa-
tan, cet ange de ténèbres, se transforme
quelquefois en ange de lumière; que de
personnes, et de [)ersonnes religieuses sur-
tout, ont é!é séduites et se sont perdues
par là! C'est pour cela que l'apôlre nous
exhorte à ne pas croire à tout esprit : Noliu
omni spiritui credere. (I Joan.. IV, 1.) Ma s
comment connaître si l'on n'est point le
jouet du démon, et si l'on ne lui obéit
point dans le temps qu'on croit faire la vi-
lonlé de Dieu? Est il sur cela des règles
sûres qu'on puisse suivre, et qui puissent
préserver de ces dangereuses illusions?
Oui, Mesdames, il en est et de si sûres qu'en
les suivant, l'on ne peut se tromper ni être
trompé : en voici quelques-unes que je
vous propose, écoutez-les, je vous prie.
Première règle. Voyez si l'inspiration qui
vous vient vous porte à la perfection, et si
elle est utile à voire avancement spirituel ;
si ce que vous vous sentez inspirées de
faire, tend à la pratique, à un acte d'humi-
lité , par exemple de mortification , de déta-
chement de vous-mêmes, do chaiilé, de
pauvreté, à quelque acte de vertu en un
mot ou chréiienne ou religieuse; concluez
dès-lors que c'est Dieu qui vous le deman-
de ; Satan ne peut être contraire à lui-même;
tout ce qui tend à vous rendre plus hum-
bles, plus mortifiées, plus détachées, plus
saintes par conséquent et plus agréables h
votre céleste Epoux, déplaît trop à cet en-
nemi de tout bien et le fait trop souff'iir
pour qu'il puisse jamais en être raulcur
et vous le suggérer.
Seconde règle. Considérez si l'inspiration
qui vous vient vuus porte à quelque acte
extraordinaire, qui vous donne à l'exté-
rieur et vis-à-vis vos sœurs, un air de sin-
gularité, et qui ne tende point à réformer
votre intérieur. Si cela était, défiez-vous
en ; dès que cette prétendue inspiration
contribuerait plus à exciter et à nourri.-
votre amour-i)ropre qu'à le mortifier et
vous perfectionner, je vous le dis hardi-
nient, elle ne vient point et ne peut venir
du Saint-Esprit; vous devez la rejeter,
parce que vous devez vous conduire en
tout, comme le ()lus grand nombre des per-
sonnes régulières et ferventes avec les-
quelles vous vivez; la vie commune, voilà,
généralement parlant, ce que Dieu exige
do vous : malheur à ces |)ersoiines qui,
dans les communautés religieuses, affectent
en tout, dans la pratique même du bien, de
se distinguer, de montrer de l'extraordi-
naire dans leur conduite qui, souvent
cho(iue leurs sœurs et les scandalise plus
qu'il ne les édifie ; après avoir beaucoup
'■HJTj
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
Sti
» lait, disons mieux, oprès avoir paru et cru
faire beaucoup, elles ne se trouveront pas
moins les mains vides et sans mérites, un
un jour, aux veux de leur céleste Epoux.
Troisième rèijle. Et voici même, Ma-
danies, la plus importante et la f)lus sûre.
Examinez si l'inspiration qui vous vient est
bien conforme, je ne dirai pas seulement,
à l'esprit du saint état de la religion eti
général, mais de plus à l'esprit de voir'e
saint inslilut en {)articnlier ; car si elle
y était vérilablement contraire, si ce que
vous 6les iiisj)irées de ^'aire combatiait
visiblement votre recèle et vos consliiu-
tions, si vous étiez inspirées de faire co
qu'elles vous défendent ou uiômc ce quelcs
ne vous ordonnent pas, dès-lors je n hésiie
point à vous le dire, quelque apparence de
bien que puisse avoir la chose inspirée,
c'est une in.spiralion fausse et illusoiie;
(juand, au lieu d'une simple ins[)iration, un
ange vous a[>[)araîtrait , sous une forme
sensible, pour vous en donner l'ordre, de
lii part du Seigneur, c'est j'ange de ténè-
l'res qui se montrerait à vous sous la li-
gure d'un ange do lumière; dites lui har-
diment et promptemeni, anathôme.
Au reste, Mesdauies, voulez-vous vous
eonduire sûrement, par rapport aux inspi-
ralions, et ne pas devenir le jouet de l'es-
jirit tentateur '? Consultez toujours, avant
d'agir, au moins pour une action un peu
importante, consultez celle que le Seigneur
a placée pour veiller à votre conduite;
consultez également l'homme de Dieu,
qu'il vous a donné pour vous instruire et
vous diriger dans la voie du salut et de la
perfection; l'un et l'autre doivent vous
conmîtie et savoir ce qui j)eut être uiile
ou préjudiciable à votre avancement spiri-
tuel ; en écoutant et en suivant leurs con-
seils , vous n'aurez point à craindre de
vous égarer de prendre pour inspiralion
du Saint-Esprit ce qui ne serait que l'e^fei
d'une imagination échauffée , ou quune
sugession du malin esprit. En su[)posanl
même qu'ils vous décidassent contre la
volonté (Je Dieu jiourvu qu'il n'y eût rien
d'opposé à ses commandements, à sa sainte
loi, vous ne feriez rien qui lui fût désa-
gréable et qui pût [)réjudicier au bien de
votre âme. Ce que je vous dis ici, c'est
(l'a|)rès h.'S plus grands maîtres de la vie
.sjiirituelle, d'après sainte Thérèse. Vous
ï.avez sans doute ce Irait de la vie de cette
grande sainte. Honorée des visites de
Jésus-Chiist , sous une forme sensible ,
elle recevait l'ordie de son directeur de
renvoyer celui qui lui apparaissail , de
former môme sur elle et sur lui le signe du
salut; quoiqu'inliniiuent jilus éclairée,
plus habile dans les voies extraordinaires
Gt surnalurelies que ce directeur, quel-
qu'assurée qu'elle lût de la vérité de ces
apparitions, quelque répugnance qu'elle
sentît à faire une action (jui tendait à la
priver do la bienheureuse présence de son
très-aimal)le Epoux, elle n'hé.sitait |)oint à
obéir, ap.puyée sur cette maxime si vraie, si
utile dans la pratique, qu'il était plus
avantageux pour elle et nlus agréable à
Jésus-Christ de paraître lui déplaire que
de désobéir au ministre qu'il lui avait
envoyé [)nur la conduire. En suivant celle
sage maxime. Mesdames, votre fidélité
aux inspirations de la grâce, sera non-
seulement prompte et universelle, mais
encore accompagnée d'une prudence qui
vous préservera des illusions de l'amoui-
propre et des pièges de l'esprit ten-
tateur.
Ah I Seigneur, si je veux présentement
jeter les yeux sur tant d'années qui se
sont écoulées depuis que j'ai eu le bon-
heur de me consacrer solennellement à
vous , au lieu de celte constante et parfaite
fidélité à toutes vos grâces, à laquelle j'au-
rais dû me livrer, et qui m'aurait rendue,
chaque jour, plus parfaite et plus sainte à
vos yeux, que d'infidélités au contraiie
j'aperçois ! Que de résislances, que de faux
prétextes pour m'autoriser dans mes déso-
iiéissances et mes révoltes I Je projetais
sans cesse de vous être plus fidèle à la-
venir, et toujours, je vous ai montré ia
môme résislance, la môme indocilité. Que
de glaces, que d'inspirations saintes j'ai
leçues de votre infinie libéralité, qui au-
raient fait de moi, une de vos épouses
selon votre cœur, si j'eusse été fidèle h y
correspondre ! Hélas 1 avec beaucoup moins
de ces glaces, de ces inspirations, plusieuis
autres se sont sanctifiées ; elles sont môme
parvenues à un éminent degré de sainteté.
Ma vie religieuse surtout a été un enchaî-^
nement de grâces et d'infidélités ; quel
compte, et quel terrible compte à vous
lendre un jour 1
Alil Seigneur, je reconnais aujourdh'ui
mon aveuglement, et dès (jue vous permet-
tez que je le reconnaisse, et que je m'en
humilie, en voire sainte piétence , je dois
croire que vous no voulez i>as me traiter
dans votre colère, et vous éloigner de moi.
Hélas! je n'éprouve que trojtque j'ai lassé
votre patience; mon âme, def)uis longtemps,
est dans une langueur et dans une séche-
resse qui doit me faire tout craindre pour
l'avenir. Ah 1 ce que je dois plus redouter,
après tant de résislances à vos grâces, et
ce que je redoute le plus aussi , c'est votre
silence : ne l'employez pas davantage, ô
mon céltfSle époux : A'e sileas a me. {Pial.
XXVII, 7.) Je [irends ici la résolution , et je
vous le promets, de me rendre f»lus atteji-
live que jamais, aux touches de votre grâce,
à tout ce que vous daignerez m'inspirer,
|)our ma sanctificalion: je n'en resterai point
là. Hé! (jue me servirait d'entendre votic
voix, si je ne m'y rendais docile; jo vous
promets de [)lus , cette [tarfaite docilité
que vous exigez de moi ; j'espère réparer
par elle, mes ingratitudes et mes inlidéli-
lés passées, croître sans ce.^se en sainteté,
à vos yeux, et mériter, par là, un accrois-
sement continuel de vos grâces et de vos
inspiralioiiS , qui me procurera enfin, dans
le sein de votre propre gloire, une récoa-
^65
DISCOURS DE RETRAITE. — SIXIEME JOUR.
2GG
pense proportionnée à ces grûoes que j'au-
rai reçues de vous , et h ma fidélité à y cor-
resDondro. Ainsi soit-il.
SIXIEME JOUR
Premier discours.
SUB LA VIE IJiTÉRIEURE
Vila veslra abscondita est cum CliriMo in Deo.
{Col., m, 5.) , .
Votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Chrtst.
Voilà, Mesdames, l'engagement qu'ont
contracté tous ceux qui ont été régénérés
dans les eaux salutaires du baptême * et
qui , par là, oui été inscrits au catalogue
des disciples de Jésus-Clirist. Ils sont moris,
et ils ont été ensevelis avec le Dieu Sau-
veur, pour reprendre avec lui et par lui,
une vie nouvelle et toute spirituelle , c'esl-
à-dire, qu'ils sont morts, ou qu'ils ont dû
mourir à tous les penchants de la nature,
à tous les désirs de la chair, à tous les
avanlages du sièclCj à toute créature en un
uiol, |)Our ne plus vivre qu'à la grâces qu'à
Dieu, et que pour Dieu, en se conformant,
avec fidélité, aux exemples , et à la vie de
Jésus-Clirist, aux règles et aux maximes de
sou Evangile qu'ils ont embrassé; c'est là
cette vie intérieure, celte vie cachée en
Dieu que l'Apôlre désirait dans tous ceux
qu'il avait convertis à la religion chrétienne;
Vie cachée plus convenable et plus à désirer
encore dans les personnes qui, comme vous.
Mesdames, se sont séparées entièrement du
monde, |)Our se sanciifier |)lus sûrement,
dans la retraite , [lour s'allacher plus étroi-
tement au Dieu Sauveur, et pour approcher
de plus près de ce divin modèle. Vie cachée,
et toute en Dieu, heureux état qui rend
une âuie semblable, en quelque sorte, aux
anges et aux bii nheureux , et plus habi-
lame du ciel qu'elle dé.<îire, que de la terre
qu'elle habile.
Mais hélas I qu'elle est rare celle vie
toute intérieure , même [)armi les épouses
de Jésus-Christ! Ahl Mesdames, qu'il en
est peu , même dans votre saint état j qui la
coiuiaissent cette vie sublime et toute cé-
leste, ou qui veuillent du moins se mettre
dans les dispositions propres à y entrer I
On la regarde* pour l'ordinaire, comme un
élut pénible qui ne peut porter que l'ennui
et le dégoût dans le cœur; ou si l'on
aperçoit les grands biens qu'elle procure,
on u a |)as le courage de faire ce qu'il con-
viendrait pour l'embrasser. Quoique par la
miséricorde de Dieu, vous soyez, vous.
Mesdames, bien éloignées de ces mauvaises
dispositions, quoique vous désiriez bien
buicèrement au contraire, de correspondre
toujours, et en tout, dans votre saint état,
au\ desseins de voire Dieu sur vous, et do
\ous rendre de plus en plus, des épouses
dignt-s de lui, et selon son cœur, pour vous
alkrmir dans ces pieux sentiments, et pour
accroître môme vos bons désirs, j'enlre-
preuds de vous donner ici une idée de celle
Vie intérieure et cachée en Dieu ; de vous
faire connaître combien elle est utile, avan-
tageuse à l'âme religieuse qui s'y livre, et
Ohatëcks sacrés. LXVIll.
à la lois, de vous montrer les voies qui y
conduisent sûrement, et qui sont propres à
vous conserver dans cet heureux état. En
deux mots, les grands avanlages que pro-
cure la vie intérieure, ce sera le sujet de la
première partie de ce discours. Les moyens
nécessaires pour entrer dans cette vie inté-
rieure; ce sera le sujet de la seconde par-
tie. Honorez-moi, s-'il vous plaît, de toute
votre attention. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE,
Pour vous faire bien connaître, Mes-
dames, les avantages considérables que pro-
cure la vie intérieure et cachée, qui a été
si louée et si recommandée par tous les
maîtres de la vie spirituelle, et pratiquée
par tous les Saints et les saintes solitaires
surtout, il sullirait presque de,vous la défi-
nir; vous dire ce qu'elle est, vous manifes-
ter sa nature et ses effets, c'est vous faire
connaître son excellence et les grands biens
qu'elle procure à l'âme qui s'y livre;
qu'est-ce donc que cette vie intérieure et
cachée en Dieu avec Jésus-Christ ? Ah I
Mesdames, je pourrais vous dire d'abord
qu'il n'y a que ceux qui ont le bonheUr de
vivre de celle vie toute céb.sie qui la con-
naissent, et qui puissent en parler digne-
ment ; le peu cei)endanl que je pourrai
vous en dire, en suivant mes lables lu-
mièresj et en bégayant, pour ainsi dire, sur
celte sublio^e et importante matière, sufiira^
j'ose le dire, pour vous faire convenir que
c'est la pcrio de TEvangilej ce trésor caché
qui mérite bien qu'on se donne toulcs les
I)eines, et qu'on fasse les plus grands efforts
pour se la procurer.
Vivre d'une vie intérifiure et toute ert
Dieu, c'est être intimement et habituelle-
ment convaincu de la grandeur, de la ma^
jesté infinie de Dieu, de sorl immensité, de
sa présence dans tout l'univers, et surtout
dans son propre cœur ; c'est ne pas perdre
de vue ce Dieu présent paitoul, et marcher
continuellement en sa présence; c'est ban-
nir de son esprit tout autre objet, ne s'oc-
cuper que de ce Dieu, Créateur, Rédemp-
teur, sanctificateur et bienfaiteur tout en-
semble ; c'est se [)laire à l'adorer, à le louer,
à rendre hommage à ses perfections infi-
nies ; c'est le porter autant dans son cœur
que dans son esprit, l'aimer ardemment,
et n'aimer que lui ; c'est ruettre toute sa
satisfaction, tout son bonheur à le servir,
à lui plaire, à n'agir en tout que pour sa
gloire et par amour pour lui. Vivre d'une
vie intérieure et toute en Dieu, c'est ne
plus tenir à la terre que (lar les liens du
corps ; c'est avor toute sa conversation dans
le ciel, comme dit l'apôtre saint Paul ; c'est-à-
dire, tourner toutes ses pensées, toutes ses
affections, tous ses désirs vers le ciel et
pour le ciel. Vivre d'une vie intérieure et
cachée en Dieu, pour une épouse de Jésus-
Christ surtout, c'est ne vivre, n'aspirer, et
no respirer que pour le céleste Epoux ;• c'est
n'avo;r d'autre désir et d'autre a[)pliiation
qu'à éviter ce qui pourrait lui déplaire,
9
267
ORATEURS SACHES. L'AUBE DE MONTIS.
2C8
qu'à faire loul ce qui peut lui êlre agréable ;
c'est meitre loul son bonheur en celle vie,
à penser à lui, h se remj^lir de son esprit,
de ses- maximes, de ses sentiments, de ses
exemples ; à le prendre en loul pour son
modèle; vivre en un mol, d'une vie inté-
rieure et cachée avec Jésus-Chrisl, c'est faire
régner absolument Jésus-Christ dans son
cœur, ou plutôt, c'est comme l'éprouvait
le môme Apôtre, cl comme il le disait lui-
même , ne plus vivre soi-même, sentir
qu'on ne vil plus soi-même, mais que c'est
Jésus-Chrisl qui vil en soi.
Voilà, Mesdames, une idée de celle vie
intérieure si excellente et malbeusement
Irop peu connue; quelque faiblie qu'elle soit
celle idée, elle a dû sans doute exciter
dans voire cœur, un ardent désir de vous y
conformer ; mais pour augmenter dans vous
ces bons désirs, je ne dois point m'en tenir
là ; pour remplir mes engagements, je vais
vous faire considérer plus en détail les ad-
mira'bles effets qu'elle produit et vous prou-
ver par là, qu'elle est un des plus sûrs
moyens, je dirais môme le moyen unique
d'arriver à la [)!us sublime perfection, et
cela pour trois raisons dont vous sentirez
toute la vérité; c'est en premier lieu que
dans cette vie intérieure on craint d'otfenscT
Dieu, on redoute même de lui déplaire,
par la plus légère infidélité. C'est, en se-
cond lieu, qu'on fait plus encore, qu'on est
tout occupé à lui plaire; qu'on saisit avec
ardeur les moindres occasions de se ren-
dre de plus en plus agréable à ses yeux ;
c es-l, en troisième lieu, que dans cet état une
âme religieuse ne tenant plus à la terre et
à tout ce qu'elle contient, n'étant occupée
que de son Dieu et du soin de lui plaire,
elle se tient aussi parfaitement unie à lui
que son état de voyageuse sur la terre peut
le lui permettre; je dis donc que la vie in-
térieure et cachée on Dieu, fait éviter avec
soin le péché et tout ce qui a l'apparence
du péché; qu'elle fait pratiquer avec fidé-
lité la vertu et toute espèce de vertu j qu'elle
procure par là une union étroite et cons-
tante avec Dieu; l'âme religieuse peut-elle
trouver sur la terre rien de plus consolant,
de plus avantageux pour elle et un moyen
plus efficace de perfection et de sainteté?
1. Je reprends et je dis que le premier
effet de la vie intérieure et le premier
avantage qu'elle procure, c'est de faire évi-
ter le péché et touie espèce de péché. Vous
le savez, Mesdames, la première voie du
salut et le premier moyen de perfection ,
c'est d'éviter le mal et qui conduit à un au-
tre plus parfait encore, qui est de faire
le bien; mais ce qui relève infiniment la
vie intérieure, et ce qui en prouve l'excel-
lence, c'est que ce n'est pas seulement de
grands désordres, des péchés griefs qui font
perdre la grâce et l'amitié de Dieu qu'elle
préserve: hélas 1 dans le saint état de la
religion, quoiqu'on y éprouve comme dans
tout autre état des tentations, qu'on y ren-
contre des obstacles au salut, il faut cepen-
dant convenir qu'ils sont bien moins fré-
quents et bonucoup moins nangorcux que
dans le monde; et si les ennemis du salut
livrent des combats à ceux et à celles qui
habitent une sainte solitude, il faut conve-
nir aussi que les secours et les moyens de
sanctificalion qu'on y trouve pour repous.ser
les assauts ûi^a ennemis du salut y sojil
bien plus abondants et beaucoup plus effi-
caces que ceux qui sont offerts aux chré-
tiens qui vivent au milieu du siècle. Mais
si la personne religieuse se trouve commu-
nément à l'abri des jurandes tentations, dos
chutes considérables ; il faut avouer que
l'état saint qu'elle a embrassé, l'obligeant à
travailler sans cesse à sa perfection , l'as-
treignant surtout à une infinité de devoirs,
d'exercices et d'observances qui demandent
des soins et une altenlion continuelle sur
elle-même , elle se trouve par là exposée
plus que les chrétiens du siècle, à bien des
fautes légères, à raille infidélités qui offen-
sent toujours le céleste Epoux, époux ja-
loux , qui exige de toutes celles qu'il a ho-
norées du litre auguste de ses épouses un
accroissement perpétuel d'amour et de sain-
teté.
Or, voilà , Mesdames, le grand avantage
que procure la vie intérieure et cachée :
non-seulement elle fait éviter les fautes con-
sidérables, les péchés griefs, mais une per-
sonne religieuse , dans cet heureux élat , se
trouvant absolument dégagée des créatures
et d'elle-même , n'y ayant plus de milieu
pour ainsi dire entre son Dieu et elle, plus
pénétrée par là de sa faiblesse, de ses im-
perfections, de ses misères, elle se tient
aussi dans une défiance continuelle d'elle-
même, elle met toute son attention à éviter
jusqu'aux plus petites fautes, jusqu'aux lé-
gères inobservances. Oui, tandis que la reli-
gieuse peu intérieure, trop épanchée au-
dehors, trop dissipée, ne réfléchissant point
assez et sur la sainteté de son étal, et sur
la grandeur du Dieu auquel elle appartient ,
se rend coupable de mille infidélités que sa
trop grande dissipation l'empêche d'éviter,
tandis qu'elle commet une infinité de fau-
tes, sans presque s'en apercevoir, ce qui ne
l'excuse point aux yeux de son céleste époux
qui voit ce qu'elle est et ce qu'elle devrait
être, tandis qu'elle les commet ces fautes,
facilement et hardiment, qu'elle ressent et
qu'elle montre peu de douleur, après les
avoir commises, qu'elle ne pense pas même
à s'en accuser au sacré tribunal, ou qu'elle
s'en accuse plutôt i)ar habitude que par un
vrai motif de religion et de repentir ; la re-
ligieuse intérieure et vraiment intérieure,
agit bien dilléremment parce qu'elle pense
bien différemment aussi; la loi vive dont
elle est animée, la tenant dans une convic-
tion habituelle do la grandeur infinie du
Dieu qu'elle sert et auquel elle s'est donnée
sans réserve , et de l'élévation de l'état
qu'elle a embrassé, persuadée que cet é-tat
l'oblige à travailler avec application et sans
interruption au grand ouvrage de sa per-
fection, de sa sainteté, également convain-
cue que le péché el tout péché*, quelque lé-
id}
DISCOURS DE RETRAITE.
oflonso (ou
siaiëme jour.
270
ger qu on puisse le supposer
jours la majeslé iilliiiie d'uni Dieu qui mô-
rile (J'èlre servi , loué, adoré et ^lorilié [uir
loules ses créatures raisonnables el p.ir
celles surtout qu'il a élevées par une pré-
dilection spéciale, au rang de ses épouses
et être servi et glorifié par elles, de In iu;i-
nière la plus parfaite dont elles peuvent
être capables; pleine de ces grands senti-
meiils, elle évite avec soin , je ne dirai pas
seulement tout ce qui pourrait, en genre dtj
péché, ollenser ce Dieu intinimciit aima-
ble et qui l'a inliiiinieiit aimée, mais de
plus , tout ce qui |)ourrait lui déplaiie
en genre d'imperfedion ; presque point
distraite par aucun objet créé l'esprit el le
cœur également tournés pai* une heureuse
habitude vers son Dieu, elle lient pour
ainsi dire, continuellement son Ame entre
ses mains; elle s'observe aVec la plus scru-
puleuse attention, afin de ne rien l'aire qui
puisse en ternir Téclal el la beaulé;ce n'est
pas qu'avec ces dispositions, qu'avec toute
son attention à plaire en tout à son céleste
Kjioux, elle n'ait encore quelquefois des
taules el des iraperfeclions à se repro-
cfier. Hélas! le cœur humain , quelqu'alla-
clié qu'on le suppose à son Créateur, est
toujours si faible, si fragile que le plus
juste, le plus parfait tombe, et plusieurs
fois le jour, selon l'expression même du
Saint-Esprit; mais ces fautes, j'ose le dire,
ne nuisent point el ne peuvent nuire à sa
perfection, à sa sainteté, parce qu'oulre
qu'on doit les regarder plutôt comme des
faiblesses inséparables de l'iiurtianité, que
comme des fautes réfléchies et volontaires ;
c'est que le regret qu'elle en conçoit, celle
épouse fidèle de Jésus-Christ,- Ja douleur
avec laquelle elle s'en accuse dans Je sacré
tribunal , les résolutions saintes qu'elle
prend, les promesses sincères et réitérées
qu'elle fait à son céleste Epoux de s'obser-
ver davantage à l'avenir, d'éviter avec plus
de soin, ces infidélités qu'elle se reproche
et qui lui déplaisent, tout cela sert à la pu-
rifier, à la sancliQer de plus en plus, à l'at-
tacher toujours plus étroitement à son Dieu
el à attirer sur elle une plus grande abon-
dance de grâces et de bénédictions. Voilà
donc le |)remier avantage que procure à
l'âme religieuse celle vie intérieure et ca-
chée, c^est de lui faire éviter le péché et
jusqu'à l'apparence môme du péché; mais
un autre uvanlage qu'elle lui procure en-
core, c'est de lui faire pratiquer la vertu et
toute espèce de vertu.
lî. Quand on seul au-dedans de soi un
grand éloignemenl pour le péché et pour
loul péché, on est alors tout disposé à faite
le bien , à pratiquer la vertu. Une personne
religieuse qui craint véritablement d'olfeu-
ser Dieu, qui s'observe conliiuiellemenl
pour ne pas déplaire à son céleste Epoux,
n'eu resle pas là pour l'ordinaire; elle cher-
che à lui plaire et à se rendre en tout agréa-
ble à ses y eux; or, n'ignorant pas que le moyen
le plus sûr, que l'unique moyen même de lui
l*laire,c'esl de II availler sans relâche à l'ouvra-
ge de sa perfection selon les engagements
SMcrés qu'elle a pris avec lui, elle s'applique
continuellement à orrier son âme de toutes
les vertus , el de celles surtout qui sont les
plus conformes el les plus proportionnées
au saint état qu'elle a embrassé. Voilà te
bon elfel que [)roduil toujours la vie inté-
rieure el cachée , el (ju'ello seule peut [)ro-
duire. Oui, Mesdames, une religieuse qui
ne connaît jioint celle vie de recueillement
et loute en Dieu, une religieuse qui rentre
peu en elle-même, qui s'est malheureuse-
ment accoutumée à (lissipe^ son esprit et
son cœur, à les tourner beaucoup plus veis
les objets tréés que vers l'objet iiicréé ,
vers son Dieu, ne produira jamais de grands
actes do vertu , el no peut devenir vérila-
blemeril sainte et parfdte; si elle ne mène
pas une vie entièrement Ofjposéë à la sa n-
toté de son état, si elle ne porte pas la dis-
sipation jusqu'à manquer à ses devoirs les
plus importants, jusqu'à transgresser ses
observances les plus essentielles el à scan-
daliser ses sœurs par une conduite peu lé-
gulière; elle ne fait du moins aucun pro-
grès dans le chemin de la perfection ; elle
resle là el retourne même en arrière , t)ar-
ce que, comme le disent les maîtres do l;<
vie spirituelle, c'est reculer que de ne [loint
avancer dans la voie de la sainteté. Toute
son attention se borne à sauver les appa-
rences, à ne pas s'altirer des réprimandes
ou des reproches; toutes les vertus qu'elle
paraît pi-aliquer sont purement extérieures,
fondées le plus souvent sur des motifs na-
turels et tout humains; elle vit sans mérite
par conséquent aux yeux de son céleste
Epoux. Que d'occasions en elfel de faire le
bien et de lui plaire se présentent chaque
jour dans son sainl étal que la trop grande
dissipation de son esprit l'empêche d aper-
cevoir, ou si elle l'aperçoit, la tiédeur dan»
laquelle elle vit et qui est toujours l'effet de
sa dissipation les lui fait omettre; que de
moyens de sanctification elle néglige 1 Que
d'inspirations secrètes elle rejette! Que de'
remords qui s'élèvent quelquefois dans sort
âme et qu'elle étoulfe 1 Que de grâces et da
toute espèce dont elle abuse et qu'elle rend
inutiles? Ah 1' que dis-je, plût à Dieu qu'el-
les ne fussent qu'inulffesl mais de l'abus
desquelles elle rendra un jour un compte
rigoureuî à son Dieu et qui serviront-
peu l-ôtfe à sa réprobation. Mais bien diffé-
reiile est l'a conduite de la religieuse q.ui
lùène une vie vraiment intérieure el cachée;
ne voyant en tout qua son céleste Epoux,
marchant sans cesse en sa présence et sous
ses yeux, loul autre objet ne peut plus ni
rafl'ecler ni la distraire : animée de l'unique
désir de lui plaire, de se rendre sans cesse
agréable à ses yeux , et ttiujours [)Ius digne
par là du lilre auguste de son épouse dant
il l'a honorée ; elle saisit avec ardeur tou-
tes les occasions qui peuvent se présenter
et qui se |)résenlent si souvent à elle de
pratiquer la vertu , de se sanctifier j ell« pc-
gurderail comme une faute , comme un cri-
me de négliger aucun des moyeiis de sanc-
271
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MOiNTIS.
272
lificalion qu'eUe trouve dans son saint état :
de là celte fidélité à s'ncquilter avec la plus
scrupuleuse exactitude, non-seulement de
ses devoirs les plus essentiels, mais encore
des moindres observances que lui pres-
crivent sa règle et ses constitutions ; de là
celte soumission aveugle aux moindres vo-
lontés de ses supérieurs ; de là celte égalité
d'humeur, celte douceur, celle condescen-
<iance, celte charité universelle pour ses
sœurs qui la fait estimer et aimer tout
ensemble ; de là celte afiplication à s'acquit-
ter avec une scrupuleuse exactitude des
fonctions et des emplois dont elle se trouve
chargée; de là celte religion, ce saint re-
cueillement dans ses prières et dans tous
ses exercices qui regardent le culte de
Dieu; de là celte piété, celte ferveur dans
la réception des sacrements et dans ses
communions surtout, de là celle allenlion
à correspondre à toutes les inspirations du
Saint-Esprit; presque point distraite, elle
aperçoit et sent promptement en elle les
moindres opérations de la grâce ; son céleste
Epoux n'a qu'à remuer les lèvres, pour me
servir de rex|)ression de sainte Thérèse ,
aussitôt elle l'entend , elle le comprend et
lui obéit. Eh ! quelle abondance de nouvel-
les grâces ne lui procure pas cette parfaite
docilité! Grâces dont l'accroissement jour-
nalier la fait croître chaque jour aussi en
perfection et en sainteté; de là ce dégoût,
cet éloignement de tout ce qui pourrait la
distraire et la priver de la présence de son
Dieu et de ses doux entreliens avec lui :
ainsi ayant bien moins de distractions ,
étant beaucoup moins exposée aux tenta-
lions des ennemis de son salut, en rece-
vant une infinité de grâces et de secours
pour les vaincre, on ne doit point être
étonné de lui voir faire chatpio jour des
progrès sensibles dans la vole de la sainteté,
et qui établissent enfin son âme dans une
union étroite et constante avec son Dieu :
troisième effet de la vie intérieure et ca-
chée, et troisième avantage qu elle produit
et qui suit, comme naturellement, des deux
premiers.
111. Oui, Mesdames, comme une grande
attention à éviter tout ce qui pourrait offen-
ser le Seigneur et lui déplaire, porte natu-
rellement à le servir et à lui plaire par la
pratique des vertus et de tout le bien dont
on est capable; de même aussi cet éloigne-
ment du mal et celte pratique habituelle du
bien met l'âme dans une situation qui l'at-
tache à son Dieu et qui attache son Dieu à
elle, qui forme, par conséquent, entre son
Dieu et elle une union intime, et la plus
inlime que puisse permettre le séjour de
la terre. Ici, Mesdames, je dois vous avouer
mon insulfisanceet ma faiblesse; la matière
que je traite est trop au-dessus de moi pour
que je puisse vous la rendre sensible et telle
qu'elle est; pour en bien parler, il faudrait
en avoir joui de cette intime et admirable
union de l'âme avec Dieu, et encore les âmes
qui ont ce précieux avantage d'en jouir, à
peine peuvenl-elles la faire connaître aux au-
tres; elles la sentent, elles la goûtent et ne
la comprennent pas. Ah 1 Seigneur, daignez
dans eu moment, sans égard à mon indi-
gnité, piiiifier mes lèvres de ce charbon
ardent et tout céleste qui purifia celles de.
votre prophète, afin que je puisse bien
faire connaître et inspirer à vos épouses,
et à des épouses qui n'aspirent qu'à se
sanctifier et à vous plaire, le moyen le plus
sûr d'y réussir. Qu'esl-ce donc que cette
union inlime avec son Dieu pour une per-
sonne religieuse qui s'est toute livrée à une
vie intérieure et cachée? Ah î Mesdames,
c'est du côté de l'âme, ne plus vivre, ne
plus respirer que pour le céleste Epoux ;
c'est ne chercher, no vouloir que lui; c'est
mettre toute son occupation, toute sa félicilé
sur la terre à s'entretenir avec lui, à n'agir
que pour lui. Ahl toutes les créatures dé-
plaisent alors; on enfuit la vue et le com-
merce; il n'y a que la nécessité, que le de-
voir qui lès rende supportables; comme
Madeleine, l'amante de ce Jésus, on dési-
rerait pouvoir être jour et nuit en sa pré-
sence et à ses pieds; on voudrait s'occuper
sans cesse de ses amabilités, de ses per-
fections, s'en entretenir sans cesse et sans
cesse en entretenir les autres; tout autre
pro[)OS, tout entretien qui n'y tend pas, qui
ne l'a pas |)our objet, ennuie et fatigue; à
l'exeu'ple du Roi-Prophète (Psal. LXXll,
24), cette épou«e intérieure s'écrie souvent :
Ah! Seigneur, qu'y a-t-il sur la (erre ou dans
le ciel qui puisse me plaire , que je puisse
désirer, hors devons ! Comme l'Apôtre (Rom.,
Vlll, 35, 39), elle se plaît à protester et
à répéter à son céleste Epoux que rien dans
le ciel, sur la terre ou dans l'enfer, ne
pourra jamais la séparer de lui, ni affai-
blir l'attachement, l'amour ardent qu'elle a
conçu pour lui.
Qu'est-ce encore que celte union de la
religieuse vraiment intérieure avec sou
Dieu, à la considérer du côté de Dieu lui-
même? Ah! Mesdames, c'est le commerce
le plus intime, le plus pur, le plus conso-
lant, le plus avantageux qu'un Dieu puisse
avoir sur la terre avec la créature; aucun
autre objet ne l'interrompant cet admirable
commerce, ce Dieu de toute bonté qui ne
cherche qu'à se communiquer à nous, re-
garde alors son épouse avec des yeux de
complaisance; il la chérit, il lui fait con-
naître sensiblement son amour pour elle,
il lui communique les moyens les plus efli-
caces et les plus abondants, afin qu'elle se
rende de jour en jour plus agréatjle à ses
yeux et plus digne de lui. Que de grâces,
et de toute espèce, il répand dans celte
âme, qu'il voit disposée à les recevoir!
Que de vives lumières, que de connaissan-r
ces sublimes, que de vérités toutes célestes
il lui communique, et qui ne servent qu'à
la convaincre de i)ius en plus du vide, du
néant des créatures, et en même temps des
grandeurs, des amabilités, des perfections
infinies de son Dieu I Que de secours, que
de moyens il lui prodigue chaque jour et
[)resque à chaque instant, qui lui font pra-
275
DISCOURS DE UETIIAITE.— SIXIEME JOUR.
274
tiquer sans cesse la verîu, accomplir, avec
la plus grande fidélilé, tous les devoirs do
chrétienne et de religieuse, et qui, par là,
lui font faire des progrès sensibles et con-
linuels dans la voie de la perfection et de
la sainteté! Mais de plus que de communi-
cations intimes, que de douceurs, que de
consolations.que de faveurs, que de caresses
elle reçoit du céleste Epoux, qui lui pro-
curent quelquefois des ravissements, des
extases, sous lesquelles l'iiumanité trop
faible est prête à succomberl Extases, ra-
vissements qui lui font goûter, en quelque
sorte, dès celte vie, les suavités, les délices
du ciel, et qui la forcent de s'écrier, d'après
le Prophète-Roi : Oh ! que te Seigneur est
bon , quil est doux à ceux qui ont le cœur
droit, cl qui sont entièrement à luil Quam
suavisest Dominus!(PsaL LXXII, 1;XXX11I,
9.) 0 qu'il est consolant, qu'il est avanta-
geux pour moi d'être entièrement, d'être
toute à mon Dieu 1 Mihi adhœrere Deo ho-
«MH. est. {Psal. LXXIJ, 28.)
Ce n'est cependant |)as. Mesdames, que
cet état d'une félicité sensible soit fixe et
de durée, que la religieuse intérieure se
trouve toujours comblée de consolations
et de douceurs : oh 1 non : Jésus-Christ a
passé sa vie dans les tribulations, dans les
souffrances; ce n'est que par elles qu'il est
rentré dans le séjour de sa gloire; il veut
que ceux et celles qui sont le plus à lui, et
ses épouses surtout, y entrent par la môme
voie : c'est pour cela qu'il tem[)ère, pour l'or-
iiaire, ces grâces sensibles, ces faveurs sur-
naturelles, par des peines, des souffrances,
et de toute espèce, qui les rendent plus
semblables à lui. Tantôt ce sont des ténè-
bres épaisses dans l'esprit, qui empêchent
son épouse de voir et de sentir les vérités
saintes de la religion, jusqu'à se regarder
sans croyance et sans foi; tantôt ce sont dus
sécheresses, des aridités dans le cœur; c'est
un éloignement, un abandon du célflste
Epoux, un délaissement total qui l'affl'ge
et la désole, qui l'entretient dans une pen-
sée accablante d'avoir encouru son indigna-
lion, de se croire digne do sa colère éter-
nelle et destinée aux flammes de l'enfer;
quelquefois ce sont des croix, des mépris,
des persécutions de la part des créatures,
et de celles souvent dont elle aurait cru
devoir espérer des consolations et des se-
cours ; d'autres fois c'est l'esprjl malin qui
a la permission d'attaquer celte âme, de la
troubler, de l'agiler par des tentations de
toute espèce, et des plus horribles quelque-
iois ; ce sont encore des souffrances dans le
corps, ce sont des douleurs cruelles qu'on
ne ()eut expliquer ni faire conn<iître, que
tous les remèdes ne peuvent soulager, et
qui les aigrissent môme et les augmentent
le plus souvent : mais au milieu de tant de
peines et dépieuves, la religieuse vraiment
intérieure n'est p'iiui à plaindre, parce qu'au
milieu de toutes ces peines elle aperçoit la
main de son Dieu qui la frappe; elle adore
ses desseins sur elle; elle reçoit tousses
coups avec soumission, elle les aime : elle
fait tellement son bon plaisir du plaisir que
Dieu prend à la faire souffrir, que quelque
grandes que soient ses souffrances elle s'é-
crirait volonliers, comme nn saint Fran-
çois Xavier : Encore davantage., Seigneur,
encore davantage; ou comme une sainte
Thérèse : Vous voulez que je souffre, ô
mon céleste Epoux, je veux donc souffrir;
je désire si ardemment de souffrir pour
vous plaire , que sans cela la vie me serait
à charge, ou souffrir, ou mourir; ou plus
encore, comme une autre amante du Dieu
Sauveur : Vous voulez que je vive et que je
souffre ; eh ! bien, je le veux ; ah 1 je le dé-
sire aussi ; souffrir, oui souffrir, et ne point
mourir. V^oilà, Mesdames, jusqu'où va la
religieuse livrée à la vie intérieure et ca-
chée ; elle trouve sa paix, sa joie, tout son
bonheur dans son Dieu : infiniment éloi-
gnée de tout ce qui pourrait déplaire h son
céleste Epoux, toute occupée de plus à sai-
sir les moyens et les occasions de lui plaire,
elle passe ses jours dans une union si
étroite avec lui, qu'aucun autre objet ne
peut l'occuper et la distraire de] cette in-
time et inexprimable union : état heureux,
et le plus heureux des étals qu'on puisse
concevoir et se procurer sur la terre 1 Mais,
hélas ! je dois l'avouer ici, qu'il est rare cet
état 1 Ah 1 c'est que l'on en voit peu, même
parmi les épouses de Jésus-Christ, qui cher-
chent et qui se plaisent dans celte vie in-
térieure et cachée en Dieu, qui seule ce-
pendant peut procurer cet heureux état. Je
ne doute point. Mesdames, que ce portrait
que je viens do vous en faire, tout faible
qu'il est, ne vous ait inspiré de l'attrait et
du désir pour elle : ainsi, après vous avoir
entretenu des grands biens qu'elle procure,
il convient de vous faire connaître la voie
et les moyens d'y entrer et d'y persévérer :
c'est le sujet de la seconde partie.
SECONDE PAUTIE.
Ce serait une illusion. Mesdames , de
penser que celle vie intérieure de laquelle
je viens vous faire connaître l'excellence,
est un état extraordinaire, auquel le Sei-
gneur n'appelle par une faveur particulière
que quelques âmes d'élite ; il faut la grâce,
à la vérité, et bien des grâces pour y par-
venir à cet heureux étal, comme pour tout
ce qui est de perfection, et méritoire aux
yeux de Dieu :oui sans doute, mais avec
ces grâces qui ne nous manquent jamais,
tous et dans tout état, nous pouvons nous
le procurer : ce ne sont pas seulement les
personnes religieuses et ensevelies dans la
retraite qui y parviennent; jusqu'au mi-
lieu du monde, jusque dans le centre des
grandeurs et de l'opulence du siècle, on
peut y parvenir; et on en a vu en effet qui
ont vécu, et qui sont morts dans celle vie
intérieure et toute en Dieu : il faut cepen-
dant convenir, quedans la religion, loin du
monde et de ses tenlalions, on trouve bien
moins d'obstacles et beaucouj) plus de
moyens pour s'y établir. Pourquoi donc,
ujôme dans ce saint étal se trouvo-l-il si peu
27 J
ORATEURS SACRES. LABBE DE MONTIS.
276
do personnes qui paraissaient vt^ri table-
mont intérieures, et qui se plaisent à vivre
toutes cachées en Dieu? Ah I Mesdames,
c'est que pour parvenir à cet étal, il faut
bien des efforts, des démarches , des sacri-
fices qui cotltentet qui répugnent à la na-
ture, qui la mortifient, et auxquels on n'a
pas le courage, disons plutôt, auxquels par
un excessif amour de soi-raôme, on n'a
pas la volouté de se livrer. Pour vous en
convaincre, Mesdames, et pour vous faire
connaître tout ce qu'il convient de faire
poyr entrer dans cet heureux et sublime
état, je dois vous rappeler ri<lé(; que je
vous en ai donnée, dès le commencement
de ce discours. Vivre d'une vie intérieure
et cachée, c'est vivre de la vie ta [)lus déga-
gée, la plus pure, la i)Ius parfaite qui soit
possiLilc sur la terre ; ou pour réunir tout
sous une seule idée, vivre d'une. vie véri-
tablement inlérieure et cachée, c'est vivre
(le la vie de Jésus-Christ, le prendre en tout
p'urson modèle, le représenter sensible-
uiciil en to,ute sa conduite : or, vous le sa-
vez. Mesdames, quoique le Dieu Sauveur
.*e soit donné à nous comme le modèle de
louies les vertus qu'il a pratiquées, dans le
d<^gré le plus éminent ; il en est cependant
dui ont paru dans lui, ce semble avec plus
d'éclat, et dont il nous a recommandé la
pratique comme des moyens plus sûrs de
perfection. Je remarque d'abord que, depuis
sa naissance jusqu'à sa mort, il aparus'hur
milier, s'anéantir; bien loin de rechercher
J'estime et les louanges des hommes, il a
fui constamment les honneurs, et a paru se
nourrir en quelque sorte , de mépris et
d'ignominie. Je remarque' en second lieu,
qu'étant venp sur la terre pour rétablir la
gloire de son Vèreélernel, en travaillant à
Ja rédemption des hommes, il se retirait
souvent et Içs nuits surtout, dans des lieux
solitaires et écartés pour s'entretenir et
traiter avec lui dé ce grand ouvrage. Je re-
marque enfin, qu'on établissant une loi
sainte, quiprometla.it à ceux qui l'embras-
seraient et qui rDjjservcraient fidèlement,
lin contentement, un bonheur intini dans
l'autre vie, il leur enjûigaait de vivre, en
celle ci, dans les peines et au milieu des
croix; que lui-même leur en a donné l'e-
xemple en vivant dans les souffrances, et
rn mourant parles plus affreux su[iplices:
ainsi, humilité, mais une humilité sincère;
oraison, mais une oraison continu^^lle ;
mortification, mais une mortification uni-
verselle : voilà de toutes les vertus du chris-
tianisme, celles qui me paraissent les plus
propres à faire vivre de cette vie inlérieure
et toute en Dieu qui conduit à la plus su-
blime perfection, ou plutôt qui est la per-
fection la plus sublimé elle-même; pour
vous en convaincre, je vous i^emande en-
core quelques moments de votre altentio'i.
I. Je dis en premier lieu l'humilité. Kile
■,'st cette vertu, vous le savez, Mesdames,
-^'u t'ile doit être du moins, la vertu de tous
ies chrétiens ; c'est à tous ses discijiles sans
excejttion, à tous les fidèles que J,e Dieu
C
Sauveur a dit: Apprenez de moi que je suis
humble de cœur [Malth., XI, 29) ; à plus forte
raison l'exigc-rt-il de ceux et de celles qui,
dans un état plus parfait que les simples
fidèles, doivent s'appliquer è» se perfection-
ner et à lui devenir semblables. Mais pre-
nez garde. Mesdames, quej'ai dit humilité
bien sincère, c'est-à-dire, une humilité de
cœur et toute intérieure ; c'est celle-ci qu*il
exige de ses épouses, parce que c'est celle-ci
qu'il a pratiquée lui-même : jamais il n'a mi,s
de complaisance en lui-même : Nonsibipla-
cuit ; jamais il n'a cherché sa propre gloire
mais uniquement la gloire de son Pèro
éternel ; il ne s'est point borné à des signes
extérieurs, et souvent équivoques d'humi-
lité : il a été jnsqu'à s'anéantir comme le
dit l'Apôtre, exinanivit scmetipsum [Philip.,
Il, 7); jusqu'à se déclarer l'opprobre et le
rebut des hommes ; jusqu'à, souffrir les per-
sécutions les plus humiliantes, la mort la
lus ignominieuse. Disciples, et tout ensemr
le épouses de Jésus-Christ , voilà votre
modèle ; voulez-vous véritablement l'imiter ,
vivre de la vie de ce Jésus, votre céleste
Epoux? Ne cherchez ni à vous complaire
en vous-mêmes, ni à plaire aux créatures.
Si je cherchais à plaire aux hommes, di-
sait le grand Apôtre des nations, je ne se-
rais pas véritablement le serviteur de Jésus"
Christ, {Galat., I,10.)Evitezavec soin toutes
les occasions dans lesquelles vous pourriez
paraître, et vous attirer l'estime ei les louan-
ges des créatures. Désirez-vous sincèrement
vivre de cette vie inlérieure et cachée, de
vivre en Dieu et toutes en Dieu? Ne
vivez plus .^ vous, renoncez à vos lumières,
à votre esprit, à votre jugement, à tout
vous-même ; en un mot, vous ne pouvez
entrer dans cette voie, sublime de perfection
et de sainteté, de vous-mêmes et par vos
propres forces; il vous faut des secours du
ciel, des grâces du Seigneur, d'autant plus
abondantes et plus fortes que vous êtes plus
éloignées de cette voie de perfection, que
vous avez plus à combattre vos passions et
à vaincre les inclinations de la nature : or
vous ne pouvez compter ces grâces extraor-
dinaires, qu'autant que vous serez vérita-
blement humbles. Gè n'est point dans les
lieux élevés et sur les hautes montagnes,
que tombe Ja pluie qui féconde la terre,
c'est sur les lieux bas; ce sont les vallées
qu'elle arrose et sur lesquelles elle s'ar-
rête. Il en est de même de la grâce ; c'est
sur les petits et sur les humbles qu'elle so
répand avec abondance : jamais le Seigneur
n'écouta les désirs des cœurs enflés d'or-
gueif; il leur résiste, et les rejette au con-
traire : Superbis resistit [Jac, IV, C); ce
n'est c^ue sur ceux qui sont convaincus,
pénétrés de leur néant, qui sont alfeclés
(l'une sincère et parfaite humilité, qu'il
jette des regards de bonté et auxquels il
communique les trésors de sa grâce : Hu-
milibus dat graliam [Ibid); ce sont en un
mot, les cœurs vides d'eux-mêmes, qu'il se
plaît à rcm.p!:.'' ds ses grâces. Hélas I vous,
ma chère sœur, qui manifestez quelquefois
577
DISCOURS DE RETRAITE. - SIXIEME JOUR.
278
(ie granas désirs de vous élever vers votre
Dieu, de vous unir étroilemcnl à voire Diou,
vous qui lorsque vous lisez, ou que vous
eiHendez lire l'histoire de ces personnes
vraiment parfaites, qui jiarvenues dans la
religion, à un étal sublime (fe sainteté, mar-
chaient continuellement en la [irésonce de
Dieu, qui ont vécu de longues années dans
un délacheraenl absolu, universel des créa-
tures, ahîinées toutes en Dieu, vivant de
cette vie intérieure etcachée en Dieu ; vous,
dis-je, qui sentez alors un grand désir d'i-
niiier ces grandes âmes, ces vraies épouses
de Jésus-Christ, et qui vous étonnez môme
quelquefois de ce qu'avec tant de désirs, de
prières et d'etl'orts, vous avancez si peu, de
ce que vous êtes si éloignée de celte vie
sublime et toute en Dieu. Ah! la vraie
cause de votre peu de succès, la voici ;
vous tenez trop à vous-même ; l'amour^pro-
pre habile et règne trop dans votre cœur;
vous ne faites rien ou vous ne faites point
assez pour combattre et détruire cet en-
nemi, et le plus redoutable ennemi de vo-
ire salut et de votre perfection; vous l'en-
Irelenez au contraire; vous l« nourrissez i>ar
mille pensées, mille retours sur vous-
même; vous cherchez adroitement, par vo-
ire conduite et par vos propos, l'estime et
les louanges des créatures, vous redouiez
et vous évitez avec soin jusqu'au |)lus léger
mé()ris; vous ne pouvez supporter d'être
ignorée, oubliée, d'être censurée, répri-
mandée; comment, dans cet état et avec ces
dispositions, pourriez-vous vivre de celte
vie intérieure et cachée? Voulez-vous donc
çincèrement y entrer et y faire les grands
progrès qu'y ont faits tant d'autres vierges,
dans votre élal, dans votre saint institut et
dans celle maison même que vous habitez,
exercez-vous, comme elles et aussi sérieu-
sement qu'elles l'ont fait, à la pratique de
l'humilité; soyez, comme elle, véritable-
ment humble de cœur et d'esprit; je veux
dire, soyez petite et anéantie devant le
Seigneur et à vos propres ^yeux ; mellez-
vous, en esprit du moins, aux pieds de tou-
tes vos sœurs, reconnaissez que vos péchés
et vos intidélités vous ont rendue indigne
du titre auguste d'épouse de Jésus-Christ
que vous portez; recevez toujours, avec la
plus parfaite résignation, les mépris et les
liumilialions qui peuvent vous arriver; al-
lez plus loin encore, désirez-les ces humi-
liations et ces mépris, aimez-les, recevez-les
avec joie, remerciez le Seigneur de ce qu'il
vous iraite en épouse chérie; quelque con-
duite qu'on puisse tenir à votre égard, pen-
sez qu'il n'est point de mauvais iraitemenls
que vous ne méritiez; en un mol, aimez à
C'ire ignorée cl comptée pour rien, même
|)armi vos sœurs, cet avis dit et renferme
lout. Lorsque vous serez parvenue à colle
vraie et sincère humilité, vous deviendrez
alors, si j'ose le dire, une épouse de Jésus-
Christ digne de lui, et selon son cœur; il
vous regardera avec des yeux de complai-
sance ; il vous comblera de ses grûces qui
vous élèveront à Iik, qui vous attachant c'
vous unissant de plus en |)lus h lui, vous
feront marcher constamment dans celte voie
intérieure et cachée. Humilité et une véri-
table humilité, voilà donc le premier moyen
et le premier degré pour parvenir h cet
lieureux étal; mais il en est un autre
aussi nécessaire, c'est la méditation, l'o-
raison.
11. Pourquoi cela? Ah 1 Mesdames, c'est
que cet exercice de l'oraison porte naturel-
lement à imiter Jésus-Christ, et à aimer
Jésus-Christ, deux sentiments qui ne peu-
vent que détacher le cœur de lout objet
créé, que produire le recueillement, la vie
intérieure. Je dis à imiter Jésus-Christ, rien
de plus naturel, de plus commun que do se
conformer h ceux qu'on voit, qu'on fré-
quente, et qu'on aime le plus ; pourrions-
nous donc converser souvent avec Jésus-
Christ, penser et méditer souvent tout co
qu'a fait ce Dieu Sauveur, pendant sa vie
mortelle, et ne pas désirer, ne pas travailler
à le prendre en toute notre conduite, pour
notre modèle ? Comment réfléchir, chaque
jour, et plus d'une fois le jour, sur l'altraît
qu'a eu ce Dieu Sauveur pour la vie cachée
qui l'a porté à passer les trente premières
années de sa vie, dans la retraite, absolu-
ment inconnu, ignoré; attrait qu'il a fait
paraître également, pendant les trois années
qu'il a employées i l'ouvrage de noire ré-
demption, ne se montrant en public qu'au-
tant que la gloire de son Père et le salut
des âmes semblaient l'exiger, se retirant
souvent, ou seul, ou avec ses apôtres, dans
des lieux déserts, pour s'occuper à la mé-
ditalion, à la prière. Ah! quand on pense
sérieusement à celte conduite admirable du
Dieu Sauveur, quand on médite attentive-
ment et souvent sur ses actions, sur la
conduite qu'il a tenue et de plus, sur les
désirs, sur les sentiments qui ont occupé
son cœur sacré, on se fait alors un devoir,
un honneur, un plaisir de penser comme
lui, d'agir et de se conduire en lout comme
lui et d'après lui ; on fait plus encore alors,
on conçoit et l'on sent croître de plus en
plus dans son cœur un vif attachement,
un ardent amour pour lui, un désir violent
de ne vivre qu'en lui et tout pour lui. ,
Car voilà un autre effet que produit la
méditation, l'oraison : plus on s'occupe des
perfections et des amabilités de ce Dieu
Sauveur, plus on réfléchit sur ce que son
amour pour les hommes lui a fait opérer
et souffrir, et plus on sent son cœur péné-
tré de sentiment et de reconnaissance, d'at-
tachement et d'amour : or point de moyen
plus propre à l'imitation que cet attache-
ment ; on cherche toujours à se rendre sem-
blable à l'objet auquel on a livré son cœur,
parce qu'on sait (jue le moyen le plus efli-
cace de lui plaire, le témoignage d'amour
le moins équivoque qu'on puisse lui don-
ner, c'est de l'imiter, c'est de paraître eri
tout^ penser, parler, agir comme il pense,
comme il parle et;comme il agit ; ce qui a
fait dire à sainl Augustin que le moyen lo
plus sûr d'exécuter ce (jue l'on désire pour
279
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
280
plaire à Dieu, c'est de l'airaer : Ama et fac
quod vis. Rien ne coule quand le cœur est
gagné ; on saisit alors tous les moyens
pour réussir et pour surmonter tous les
obstacles avec facilité. Et ceci, Mesdames ,
est fondé sur l'expérienee ; une religieuse
adonnée au saint exercice de l'oraison ,
qu'on peut appeler une fille de l'oraison ,
est toujours recueillie et vraiment inté-
rieure; à l'exemple du divin Maître, son
céleste Epoux, çlle fuit le monde et tout
commerce avec la créature; elle aime et
recherche le ])Ius qu'elle peut la soliîude;
tandis que la religieuse qui ne se livre à ce
saint exercice qu'à l'extérieur, que par cout
tume, par respect humain, n'en retire au-
cun fruit; que toute hors d'elle-même,
elle ne cherche que des occasions de dissi-
per son ennui ; qu'elle se plaît à voir le
iponde, à entendre parler de ce qui s'y
passe, ^ s'entretenir avec les personnes
qui l'habitent; ^a religieuse qui aiiiie à
converser avec son Dieu, 9 méditer ses per-
fections, qui fait surtout de la vie et des
souffrances du Dieu Sauveur l'objet le plus
fréquent de ses méditations, son coeur s'en-
flamme de plus en plus pour son céleste
Epoux, elle entre insensiblement dans tous
ses sentiments; son esprit se remplit de
ses maximes ; comme lui, elle fuit et dé-
teste le monde, ce monde corrompu que la
crainte de participer à sa corruption lui
a fait abandunner; à l'exemple du Dieu Sau-
veur, elle cherche la solitude plus pro-
pre à l'entretenir dans un saint et habituel
recueillement; les entretiens des habilants
du siècle la fatiguent et l'ennuient ; elle les
fuit et ne s'y prête que par bienséance
ou par nécessité; elle ne consent à com-
muniquer avec les créatures qu'autant que
la gloire de Dieu, que son salut et ses
devoirs jiaraissenl l'exiger; tout son at-
trait, son plaisir, c'est d'être loin de tout
objet créé, avec lui seul; dans les i'vé-
quenlset sublimes entretiens qu'elle a avec
lui, son esprit s'élève iijsensiblement , il
s'éclaire , il acquiert sans cesse de nou-
velles connaissances qui ne font que la
convaincre de plus en plus du néant des
créatures, qu'à augmenter son dégoût pour
elles, et en môme temps qu'à lui donner
chaque jour de plus grandes idées des per-
fections de son Dieu, qu'à lui inspirer un
désir ardent d'être unie à lui dans le séjour
de sa gloire ; comme le Roi-Proiihète , elle
gérait idors sur la trop longue durée de son
pèlerinage; au sortir de son oraison, de ses
colloques tout de feu aver son céleste
Epoux, sa plus grande peine est de se voir
obligée de retourner vers les créatures;
quelque parfaites, quelque saintes que puis-
sent être celles avec lesquelles elle vit ,
elles ne sont point son Dieu; il n'y a que
lui qui puisse lui plaire et dans qui elle
puisse mettre sa consolation et son repos ;
ainsi quoique encore sur la terre, ses pen-
sées, ses désirs, toute sa conversation est
dans lec\o\iPhilipp. 111,20); et voilà, Mes-
dames, cette vie intérieure et toute cachée
en Dieu, malheureusement trop peu connue.
Une sincère humilité et l'exercice habituel
de l'oraison produisent cet heureux état;
mais il est une troisième vertu propre à y
faire persévérer: c'est la mortification; mais
une mortification universelle,
111. La vie du chrétien est une vie de pé-
nitence et de croix ; prétendre aller au ciel
par une autre voie, c'est se faire illusion ;
c'est par là, je vous l'ai dit, que Jésus-Christ
est entré dans sa gloire; c'est aussi par là
qu'il veut que nous y entrions tous. Epou-
ses de ce Dieu Sauveur, vous qui, en cette
qualité, avez contracté une obligation plus
étroite encore de marcher sur les traces do»
votre céleste Epoux, vous comprenez de
quelle importance il est pour vous de me-
ner une vie dure et mortifiée; mais ce qui
doit vous y engager encore, c'est qu'elle
est un excellent moyen de vous rendre vrai-,
ment intérieures. Oui, Mesdames, mortifi-
cation; mais j'ai dit moriilication univer-
selle , c'est-à-dire mortification intérieure
et extérieure; l'une et l'autre sont égale-
ment nécessaires pour vivre de cette vie
cachée qui doit faire sur la terre l'objet do
vos plus grands désirs. Je dis mortification
intérieure; pourquoi voit-on si peu de re-»
iigieuses, quoique dans la solitude, vrai-
ment intérieures? Hélas! Mesdames, c'est
qu'on en voit peu qui s'appliquent à se
mortifier ; avec de l'eiactilude,^ le plus sou-
vent par routine, par habitude aux jeûnes
de l'Eglise et de la. règle et aux pratiques^
de mortification qu'elle prescrit, on vit
dans une mortification continuelle, on veut
tout voir, tout entendre, savoir tout ce qui
se passe dans l'intérieur de la maison, et
môme ce qui se dit, ce qui se passe au de-,
hors et au milieu du monde ; jusque dans
les lectures de piété, c'est la curiosité plu-
tôt que le désir de la perlection qui les fait
choisir; jusque dans les pratiques de re-
ligion, on cherche bien moins à plaire au
Seigneur et à se sanctifier qu'à satisfaire
son gotlt et ses caprices; au lieu de ^cher-
cher à mortifier sa chair et ses sens, sous
prétexte de quelques infirmités, et quel-
quefois imaginaires, on montre pour son
corpsji pour sa santé, une inquiétude et des
attentions souvent aussi fatigantes pour les
autres que pour soi-ujême; avec une pa-
reille conduite, comment pouvoir devenir
intérieure? Mais ce qu'il y a de plus et ce
qui y forme un plus grand obstacle, c'est
qu a l'immortification extérieure et du corps
on joint l'intérieure, riramortificaiion du
cœur : on a fait à son Dieu un sacrifice uni-
versel des créatures et de soi-même ; et
cependant on retire de dessus l'autel une
partie et la plus excellente partie de la
victime qu'on y avait placée; je veux dire
qu'après un pareil renoncement on con-
serve mille atiachements qui déplaisent au
céleste Epoux qui arrêtent le cours do ses
grâces et qui «mpèchent les intimes com-
municatioiis avec lui; on tient, et avec ex-
cès quelquefois, à une famille; on prei'd Je
plus vif intérêt à tout ce qui la regarde -j ou
331
DISCOURS DE RETRAITE. SIXIEME JOUR.
2S2
lient à certaines personnes, on se lie étroi-
tement avec quelqu'une de ses sœurs, on
se fait ensuite coaarae un devoir d'approu-
ver et de suivre sa façon de penser et d'a-
gir, on épouse ses niéconlentementi:, ses
intérêts; on entretient, et quelquefois ou-
vertement avec cette sœur, une amitié par-
ticulière qui scandalise toutes les autres;
on tient à de petites choses, après avoir
solennellement renoncé aux plus grandes
quelquefois; on s'attache à de petits meu-
bles, è des livres, à des pratiques, à des
riens, mais qui occupent le cœur et qui of-
fensent le céleste Epoux. Hélas I et plus que
tout cela, on tient à soi-même ou plutôt on
ne tient à tout cela que parce qu'on tient à
soi-même, à ses jugements, à ses désirs, à
sa propre volonté; on en a fait autrefois
un entier sacrifice au Seigneur, et l'on
trouve cependant dans raille occasions l'art
de la satisfaire cette volonté propre, de la
Ipréférer à la volonté de ses supérieurs, mal-
gré les remords d'une conscience qui crie
Suelquefois bien haut; mais qu'on lâche
'apaiser sous mille prétextes et par mille il^
iusions suggérées fiar l'amour- propre et
par le démon intéressé à entretenir une
religieuse dans une habitude d'immortir
ficalion : or est-il étonnant, Mesdames,
que , dans cet état , on ne parvienne
point à celte vie intérieure et cachée,
qu'on s'en éloigne même de plus en plus?
Voulez-vous donc vous procurer cet heu-
reux avantage, pensez que comme chré-
tiennes, et encore plus comme religieuses,
vous êtes dévouées à une vie de pénitence
et de croix ; livrez-vous courageusement à
une mortification intérieure et extérieure
tout ensemble; ap{)liquez-vous à retenir
vos sens dans un parfait recueillement;
faites si bien que vous n'entendiez et ne
vo_yiez que ce que vous devez voir et en-
tpndre ; tuyez tant que vous pourrez les
entreliens, avec le monde surtout ; une reli-
gieuse qui aime le parloir, et qui le fré-
quente, en sort toujours moins religieuse
et plus mondaine qu'elle n'y est entrée;
soyez sobre dans vos paroles ; aimez le
silence; on l'a dit souvent, et cela est vrai,
une religieuse grande parleuse ne fut jamais
une religieuse intérieure ; à ce silence de la
langue, joignez celui de l'esprit, je veux
dire, ne pensez qu'à Dieu et à des choses
saintes, utiles à votre âme; travaillez de
plus à soumettre la chairà l'esprit, saisissez
les occasions de la mortifier et de l'affaiblir ;
sans la livrer à des austérités extraordinai-
res, indiscrètes, suggérées quelquefois par
un subtil amour-propre, livrez-vous avec
fidélité à celles que vous prescrit votre
rè^le; souffrez, en esprit de pénitence, les
infirmités que le Seigneur vous envoie ; en
conservant raisonnablement votre corps,
pour vous rendre plus longtemps utile à la
communauté à laquelle il a|ipartienl, évitez
d'en prendre un soin immodéré, |)lus nui-
sible souvent qu'utile à la santé ; celle mor-
tification du corps vous disposera à la mor-
tification du cœur, la plus essentielle, qui
règle la première, et lui donne tout son mé-
rite; renoncez donc pour cela h votre pro-
pre volonté , dans tous les événements,
même les plus désagréables ; ne voyez que
Dieu et sa souveraine volonté; purifiez
votre cœur de tout attachement, de toute
passion; aimez toutes vos sœurs, et toutes
en Dieu et pour Dieu ; par le motif de cet
amour, supportez paliemment leurs défauts,
leurs humeurs, leurs caprices ; compatissez
à leurs imperfections, à leurs faiblesses;
cherchez à plaire également à toutes, com-
battez sans cesse les inclinations de la na-
ture, ne tenez absolument à rien, quelqu'ap-
parence de bien que vous voyiez, qu'à la
volontéde Dieu, et h cellede vos supérieurs,
interprèles sûrs de celle de Dieu ; bien loin
de chercher l'estime et les louanges, pré-
férez et ambitionnez l'oubli, l'indifférence
et les mépris ; ne désirez pas même les con-
solations spirituelles; pensez que les séche-
resses et les épreuves sont plus propres à
vous faire mourir à vous-smêines, et à vous
rendre plus agréables au Seigneur ; être, en
un mot, dans une mortification intérieure,
pour une religieuse , c'est diriger et appli-
quer toutes les puissances de son âme, son
esprit, sa méujoire, sa volonté, son cœur
tout entier à louer, à aimer et à imiter le
céleste Epoux, moyen sûr d'entrer dans la
vie intérieure et cachée, disons plutôt, qui
est lui-môme la vie intérieure et oachéf».
Hélas 1 il n'est que trop vrai, ô mon Dieu,
ma propre expérience sufi^it pour m'en con-
vaincre, que si jusqu'ici j'ai été si peu re-
cueillie, si peu intérieure, c'est que j'ai peu
aimé et bien peu pratiqué la mortification;
il ost bien temps que j'entre dans vos vues
que je ne puis ignorer, que je me sanctifie
dans l'état saint où votre divine miséricorde
m'a placée; mais je ne puis me rendre
sainte sans une vie intérieure et cachée ;
vous m'en inspirez aujourd'hui, et plus que
jamais, le désir; je vais donc prendre les
nioyens les plus propres, pour y parvenir;
j'entreprendrai, pour cela, une guerre
sainte contre moi-même ; je saisirai les oc-
casions qui se [)résenteront de me faire vio-
lence, de mourir en tout, à moi-môme; à
cette mortification, je joindrai la pratique
de l humilité, sans laquelle je ne puis vous
ressembler, ni vous plaire; je m'entretien-
drai dans de bas sentiments de moi-même.
Hélas! je trouverai toujours, au dedans de
moi, assez de motifs de m'humilier,- dô
m'anéantir à vos yeux ; j'accepterai avec
résignation les humiliations, de quelque
part qu'elles me viennent, je ferai plus, je
les aimerai, je les rechercherai , je m'appli-
querai encore, et plusquejen'aifait jusqu'ici,
h ra'entretenir avec vous, dans l'oraison ;
c'est en rentrant souvent dans mon cœur,
que j'apprendrai à me .nerdre et à vous trou-
ver, à me procurer par là cette vie intérieure
et toute cachée en vous. Heureux étati
Peut-on le connaître et ne le pas désirer?
Peut-on le désirer et ne pas prendre les
moyens les plus propres pour y parvenir?
J'en [irends la résolution, et en votre saint©
283
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MOISTIS.
18i
présence, 6 Epoux chéri de mon cœur, c'est
vous qui me l'inspirez, donnez-moi la force
de l'accomplir, afin que je ne vive plus que
dans vous, que par vous, et que pour vous,
dans le temps comme dans l'éternité. Ainsi
sûit-il.
'SIXIEME JOUR.
Second discours.
SUR LA PAUVRETÉ,
Si vis perfeetiis esse, vade, vende quse l>abes, et veni,
«cquere me. {Malth , XIX, 2t.)
Si vous voulez être parjail, allez, vendez ce que vous
avez, venez et me suivez.
, Ce fut, vous le savez. Mesdames, la ré-
ponse que Jésus-Christ fil à ce jeune homme
qui, dès sa jeunesse, s'était montré fidèle
observateur des préceptes de la loi ; pressé
intérieurement du dé.'^ir d'une plus grande
perfection, il demande au Dieu Sauveur ce
qui lui reste à faire, pour y arriver : Quid
faciam? {Matth., XIX, 16.) Allez, lui dit le
divin Maître, vendez tout ce que vous avez,
hâlez-vous de vous dépouiller de toutes
vos possessions, vende quœ habes ; par ce dé-
tachement universel, vous mériterez d'être
mis au rang de mes disciples, de marcher
è ma suite :5ei7M«re me {Ibid., 21); heureux
ce jeune Israélite, si, docile à la grâce qui
lui parlait par la houclie de l'Auteur lui-
même de la grâce, il eût exécuté fidèlement
et promptement ce qu'elle exigeait rie lui ;
mais il était riche, il possédait môme de
grandes richesses : Mullas habebat possessio-
nes; et ce qu'il y eut de plus malheureux
pour lui, il tenait à ses richesses, il les ai-
mait ; au lieu de suivre Jésus-Christ, il se
retira tout triste à la vérité, abiil trislis
(f6id., 22), fâché dene poiivoirserésoudreau
dépouillement qu'on exigeait de lui; mais
manquant à un conseil qui devenait un pré-
cepte pour lui, il manqua tout à la fois, et à
la grâce de la vocation et à son salut éternel.
Plus heureuses vous, Mesdames, et plus
fidèles que ce jeune homme aux inspira-
lions du Seigneur, dès qu'il vous a fait en-
tendre, que pour obtenir une place dans son
royaume, vous deviez renoncer à tout et lo
prendre seul pour votre partage, l'on vous
a vu sacrifier généreusement et par des vœux
solennels, tout ceque vous pouviez avoir ou
espérer des biens et des avantages du monde,
et préférer dans la reh'gion la qualité de
pauvres épouses d'un Dieu pauvre aux ti-
tres du monde les plus flatteurs et les plus
pompeux. Mais disons-le ici, Mesdames, et
convenons-en de bonne foi, qu'il en est de
ces épouses de Jésus-Christ qui , après
s'être mises volontairement dans cet état de
pauvreté évangélique oublient, dans la
suite, l'étendue des cngagemenis sacrés
qu'elles ont contractés avec le Seigneur;
qui n'ayant plus la même estime et le môme
attachement pour un état qui doit faire ce-
oendantun jour toute leurgloire et tout leur
bonheur, transgressent sans scrupule le
vœu solennel de pauvreté qu'elles ont fait,
qui commettent, du moins, bien des fautes
opposées à la perfection de ce vœu et qui
se j)rivent par là des grâces privilégiées et
abondantes altachées h leur saint état.
Quoique, par la miséricorde de Dieu, Mes-
dames, vous soyez bien éloignées de ces
mauvaises dispositions, pour vous affermir
dans la résolution où vous êtes d'observer,
avec une constante fidélité, le vœu de renon-
cement à tout que vous avez prononcé avec
tant de courage et que vous renouvelez
chaque année avec autant d'édification pour
les fidèles que de consolation pour vous ,
j'entreprends de vous entretenir ici, et des
grands avantages que vous procure l'état do
pauvreté évangélique que vous avez em-
brassé, et les grandes obligations que vous
avez contractées en i'embrassant. En deux
mots : l'excellence du vœu de pauvreté ; ce
sera le sujet de la première partie de ce
discours. L'étendue des obligations du vœu
de pauvreté; ce sera le sujet de la seconde
partie; la matière est, vous le voyez des
plus intéressantes, je vous demande, s'il
vous plaît, toute votre attention. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour vous prouver ici. Mesdames, com-
bien ce vœu de pauvreté que vous avez fait
en entrant en religion est excellent en lui-
même, je n'ai qu'à vous faire remanjuer que
c'est à Dieu lui-même que vous [l'avez fait
ce vœu, que c'est pour suivre la volonté de
votre Dieu, pour remplir ses desseins sur
vous, pour lui donner un témoignage au-
Iheniique de votre attachement et de voire
amour; que c'est de plus aux pieds des
saints autels et à la face du ciel et de la
terre que vous l'avez fait ; or est-il rien de
plus noble, de plus héroïque, de plus ex-
cellent parconséquent qu'un sacriûca, qu'un
vœu fait dans de pareilles vues et avec de
pareilles circonstances? Mais je dois vous
faire considérer de plus que vous l'avez fait
ce vœu, non-seulement pour plaire à Jésus-
Christ qui vous ap.ielait à un état de per-
fection plus grand que celui des chrétiens
du siècle, mais encore pour suivre son
exemple et pour marcher sur ses traces;
or est-il rien de plus grand, de plus hono-
rable pour vous, que d'avoir en celle vie
une ressemblance particulière et la plus
parfaite avec ce Dieu Sauveur que vous avez
choisi pour votre époux ? Mais ce n'est pas
tout encore ; en prononçant ce vœu de pau-
vreté, vous vous êtes par là comme assurées
un bonheur éternel pour l'autre vie, et pour
celle-ci une abondance de grâces, de se-
cours et d'avantages de toute espèce, pro-
pres à vous le procurer ce bonheur éternel,
avantages que vous n'eussiez point trouvés
dans toute autre situation, en (out autre
état. Je me borne à ces deux derniers traits,
cl je dis que ce vœu de pauvreté que vous
avez fuit, est pour vous tout à la fois et une
source de gloire et une source de bonheur;
dévelop|)ons ces idées, elles sont bien pro-
pres à vous convaincre do l'excellence de
voire vœu.
I. Je dis en premier lieu que .a pauvreté
que vous avez embrassée solennellement
en eulranl en religion, est une source da
i33
DISCOURS DE RETRAITE. — SIXIEME JOUR.
280
gloire pour vous : pourquoi cela? Pnrco
qu'elle vous approche de plus près de voire
Dieu Sauveur et qu'elle vous procure une
ressemblance plus particulière et plus par-
faite avec lui. Si j'avais à parler aux cliré-
liens du monde, accoiilumés à se g'orifier
de titres honorables, de naissance illustre,
d'oeuvres éclatantes, propres à flatter leur
orgueil ou même d'œuvres mauvaises et
criminelles quelnuefois , condamnées par
la religion et l'évangile qu'ils professent,
mais qu'ils jugent propres à se concilier
l'estime d'un homme pervers et corrompu,
ennemi déclaré de Jésus-Christ et de ses
saintes maximes, je croirais devoir m'ap-
pliquer à leur prouver que ce n'est point
en tout cela qu'ils doivent mettre l'honneur
et la gloire, mais à se rendre chaque jour
plus chrétiens en imitant Jésus-Christ leur
Dieu Sauveur, le modèle comme l'auteur
de la vraie sainteté ; je leur dirais qu'il n'y
a que celte imitation dont ils puissent se
glorifier sur la terre, parce qu'elle seule
peut les glorifier dans le ciel. Mais je parle
à des personnes vraiment chrétiennes, qui
pénétrées dès la jeunesse de ces grands
sentiments de religion et de foi, n'ont point
hésité, pour mieux assurer leur éternité
bienheureuse, d'embrasser la perfection
du christianisme, en joignant à l'accom-
plissement des* préceptes de l'Evangile ce-
lui des conseils, et qui sont bien convain-
cues qu'il n'est pour elles de vraie gloire
sur la terre, que celle de se conformer en
tout à Jésus-Christ, de le prendre en tout
pour leur modèle. Voilà en eCfet, vierges
chrétiennes, l'avantage que vous avez trouvé
à vous dépouiller de tout pour Jésus-Christ;
car vous le savez, ce Dieu Sauveur, des-
cendant du séjour de sa gloire , habitant
parmi les hommes pour les racheter et les
sauver, a tellement pris la pauvreté en af-
fection, qu'il a voulu s'incarner dans le
sein d'une vierge pauvre, naître dans une
étable abandonnée, y manquer de tout se-
cours; que pendant sa vie mortelle il n'a
rien possédé, qu'il n'avait pas môme, comme
il le disait, à reposer sa tête, qu'il est enfin
expiré nu , sur une croix, et a été enseveli
dans un suaire et mis dans un sépulcre qui
n'était point à lui ; voilà jusqu'où a été son
attrait pour la pauvreté, attrait si grand
qu'on peut dire que la [iremière et la der-
nière leçon que nous a donnée ce Dieu
Sauveur, a été une leçon do pauvreté; or
ce qui est honorable et infiniment honora^-
bie ponr vous, Mesdames, c'est d'imiter ce
Dieu Sauveur dans la pratique de celte
vertu ; c'est .Tapi>rocher, par voire saint
éiaf, de ce divin modèle, le plus parfaite-
n)ent qu'il est possible en cette vie, et de
vous élever bt-aucoup par là au-dessus des
simples chrétiens. Kl quand je dis des sim-
ples chrétiens, je n'entends pas seulement
pHrIer ici des chréiicns du momie, qui n'en
ont que le nom, qui sont bien plus remplis
de l'esprit et des maximes du monde que
de l'esprit de Jésus-t^lirist et des maximes
de son Evangile, qui bien loin d'çalimer la
sainte vertu de pauvrelé, de l'aimer, de la
pratiquer, la méprisent au contraire, qui
en rougissent, qui l'évitent avec soin, qui
paraissent n'estimer que les richesses, qui
pour s'en procurer, aux moyens honnêtes
et légitimes , en ajoutent d'illégitimes et
quelquefois de criminels. Tous ces mauvais
chrétiens composent ce monde que notre
Dieu Sauveur a haï et condamné, et qu'il a
frappé de malédictions et d'anathèmes ; il
y aurait bien peu d'honneur pour vous à
ne pas ressembler à tous ces indignes chré-
tiens; je parle de plus, des vrais chrétiens,
de ceux qui, vivant au milieu du monde,
sont bien éloignés de l'aimer ce monde, de
se conformer à ses maximes corrompues,
qui n'ignorent pas que si les richesses no
sont point absolument condamnées dans
l'Evangile, elles y sont représentées commo
de grands obstacles au salut, qui n'en usent
en effet que comme n'en usant point, c'est-
à-dire avec un vrai détachement de cœur et
d'esprit ; qui se comportent, en un mot,
sur cela, d'une façon conforme à ce qu'exige
ce Dieu Sauvrur et son Evangile qu'ils pro-
fessent et dont ils ne rougissent point. Ce
sont ces chrétiens fidèles, ces vrais chré-
tiens du monde que vous surpassez de beau-
coup dans l'imitation du Dieu Sauveur;
quelque vrais chrétiens que nous les sup-
posions, ils ne le suivent après tout que de
loin, et ne l'imitent que bien imparfaite-
ment; il n'a rien possédé pendant sa vie
mortelle, et ceux-ci [lossèdent et se trou-
vent quelquefois dans une prodigieuse opu-
lence; quoique sans attachement aux ri-
chesses, quoique disposés à les perdre, si
tels étaient les desseins do la divine Provi-
dence, ce qui fait tout leur mérite à ses
yeux, ils jouissent cependant des aises, des
commodités toujours attachées à la posses-
sion des richesses. Mais pour vous, Mes-
dames, vous ne vous bornez point à ce dé-
tachement purement intérieur, à ce déta-
chement du cœur si diŒcile à concilier avec
la possession, et qu'on croit avoir quelque-
fois sans l'avoir en effet; ce qui vous rend
véritablement conformes à Jésus-Christ,
votre céleste Epoux, c'est qu'à ce renonce-
ment du cœur, à cette pauvreté spirituelle,
vous avez ajouté un renoncement absolu
el universel, une pauvreté réelle; vous
faisant gloire déjuger des richesses comme
Jésus-Christ en a jugé lui-même, vous avez
paru les mépriser comme il lésa méprisses
lui-même ; comme lui, vous avez voulu no
posséder rien en propre, ne tenir absolu-
ment à rien sur la terre; grandeurs, ri-
chesses, plaisirs, aisances, commodités,
vous avez absolument et solenn^ellemenl
renoncé à tout ; c'est là cette ressemblance
parfaite avec votre Dieu Sauveur qui fait
toute votre gloire, comme elle fit celle des
chrétiens de la [)rimiiive Eglise. Le vœu
(le pauvrelé que vous avez fait dans la re-
ligion vous est donc infiniment honorable,
première raison de son oscellcnce; mais
il vous est de plus infiniment avanlagcu5^
seconde raison.
287
ORATEURS SACRES. L'ARBE DE MONTIS.
288
II. Et voilà ce que ne peuvent compren-
dre ces chrétiens du monde qui font con-
sister tout le bonlieur de ceUe vie dans la
possession des richesses : nous avons ce-
pendant pour garant de cette vérité la Vérité
éternelle. Jésus-Christ lui-même qui ne pou-
vant ni se tromper, ni nous tromper, a dé-
claré hautement dans l'Evangile, qu'heu-
reux sont les pauvres : « Beati pauperes
(Maith., V, 3j; » qui a comparé les riches-
ses de la terre à des éniiies qui font souf-
frir et qui tourmentent; qui a porté des
malédictions contre les riches ; qui a pro-
rois hautement à tous ceuY qui auraient
abandonné leurs biens, leurs possessions,
jiar amour pour lui, non-seulement la pos-
session du ciel, la vie éternelle, mais de
plus, dès celte vie, le centuple de tout ce
qu'ils auront généreusement sacrifié pour
ini : promesse du Dieu Sauveur qui, comme
vous le voyez, Mesdames, ne renferme pas
seulement les biens de la grâce et de la
{gloire, des avantages spirituels, mais des
avantages môme temporels.
Je dis en premier lieu, avantages tempo-
rels. Oui. Mesdames, quoique ce n'ait point
été 15 votre vue, en renonçant au monde et
à tous les biens du monde, le Seigneur ce-
pendant, qui ne se laisse jamais vaincre
en générosité, a voulu vous faire participer
dans un sens au bien-être des chrétiens du
monde, vous faire jouir des avantages du
temps et d'une façon môme plus satisfai-
sante que n'en jouissent les chrétiens du
monde; car enfin, comme le dit et l'a fait
remarquer un grand maître de la vie spi-
rituelle, pour des parents que vous avez
abandonnés, en quittant le monde, vous
avez trouvé dans la religion des supérieurs,
des pères spirituels, pleins de charité, de
bonté, de tendresse pour vous, qui veillent
avec la plus grande attention à tous les be-
soins tout à la fois de votre corps et de
votre âme; vous y avez trouvé une supé-
rieure surtout, mère charitable et bienfai-
sante qui se montre bien plus occupée de
ses chères filles que d'elle-même, qui, dans
toute occasion, vous donne des témoigna-
ges non équivoques de son amo\ir mater-
nel; en sorte qu'à vous considérer de ce
côté-là môme, vous êtes mieux peut-être
que vous n'eussiez été dans le monde, oii
des parents souvent tout occupés d'eux-
mêmes, étouffent quelquefois dans eux les
sentiments de la nature ; pour les biens, les
prétentions, les espérances que vous avez
sacrifiées en disant un éternel adieu au
monde, vous êtes entrées en participation
de tous les biens et de toutes les commodi-
tés de la communauté, que vous avez choi-
sie pour y servir le Seigneur et qui s'est
engagée en vous recevant dans son sein, à
ne vous laisser manquer de rien de tout ce
qui pourrait vous être nécessaire : vête-
ments, nourriture, habitation, soulage-
ments en santé ou en maladie ; tout vous
est donné, sans que vous soyez presque
dans le cas de faire connaître sur tout cela
vos désirs et vos besoins; en sorte qu'on
peut vous mettre par voire situation, au
rang de ces chrétiens dont parlait l'apôtre
saint Paul , qui n'ayant rien, possédaient
tout,\K nihil habentes, omnia possidentes
(II Cor., VI, 10), » et qui les possédez avec
bien moins de peine et d'inquiétude que les
personnes du monde; combien parmi celles-
ci sont dans le besoin et manquent du né-
cessaire et qui sont d'autant plus à plain-
dre quelquefois, que n'osant faire connaî-
tre au dehors leur triste situation, leur in-
digence, elles se trouvent par là, dans l'im-
puissance de recevoir aucun secours : mais
parmi ceux qui possèdent des richesses,
que «l'alarmés, que de crainte de les per-
dre! Que d'accidents et de toute espèce,
qui, malgré tous leurs soins, les leur font
perdre en effet ; que de chagrin alors de
s'en voir privés! Mais quel embarras
pour se procurer tous ses besoins dans,
le monde, et pour s'assujettir à mille va-
nités, à mille superfluités qui y sont en
usage ! Plus on y a de bien, de possessions ,
de litres, de serviteurs, et plus on y esl à
plaindre, plus on y gémit souvent sur son
malheureux sort. Hélas! ne le voyez-vous
pas vous-mêmes, Mesdames, lorsque vous
vous trouvez dans l'occasion et dans la néces-
sité de les entretenir quelques moments,
ces personnes du monde, de quoi vous par-
lent-elles le plus souvent ? Des peines
qu'elles ont, des discussions, des procès
que leur occasionnent les biens qu'elles
possèdent; ne les entendez-vous pas quel-
quefois vous juger bienheureuses de n'avoir
pointa éprouver dans votre état, de n'3'
avoir pas même à craindre les fraudes et
les injustices; les contre-temps, les injures
des saisons, de vous trouver à l'abri de
raille accidents et de mille chagrins insépa-
rables des états du monde et de la posses-
sion des richesses. Voilà en effet l'avantage
que vous trouvez dans voire étal de pau-
vreté : c'est là, selon saint Jérôme, ce cen-
tuple que Jésus-Christ vous a promis dès
celte vie, pour avoir tout quitté par amour
pour lui. Mais d'autres Pères de l'Eglise,
élevant leurs pensées plus haut, ne se bor-
nent point à ce centuple, au bien-être de
celte vie, à des avantages purement tem-
porels, communs après tout, aux bons et
aux mauvais, et dont jouissent môme pour
l'ordinaire, bien plus, les mauvais que les
bons; c'est dans les avantages spirituels
attachés au dépouillement évangélique,
qu'ils le font consister ce centuple.
Qu'ils sont grands en effet, Mesdames,
ces avantages 1 qu'ils sont considérables!
Les avez-vous jamais bien connus? Et d'a-
bord que de fautes, que de péchés il pré-
serve, ce dé|)Ouillement : sainl Paul l'a dit,
et l'expérience ne le manifeste que trop,
que les richesses et l'amour des richesses
sont comme une malheureuse racine d'où
sortent une infinité de criroes : Radix om-
nium inulorum, cupiditas. (I Tim., VI,
10.)
Quels sont|en effet dans le monde les chré-
tiens qui se livrent le plus au péché, qui vi-
28»
DISCOURS DK RETRVITE. — SIXIEME JOUR.
290
vent ordinairement dans riiabiluilodupéché,
qui commelient le plus d'espèces de péchés,
qui montrent le |ilus d'éloignement pour
les devoirs que leur prescrit l'Evangile,
qui en rougissent le plus» qui paraissent le
moins disposés à suivre son esprit et ses
Iniaiimes ? Vous le savez, ce sont les riches,
ce sont ceux qu'on appelle les opulents du
siècle. Que de traits d'irréligion, d'indévo-
lion , d'impiété dans leurs propos 1 Que de
marques d'orgueil, de faste, d'ambition dans
leur conduite I Que d'actes de fraude, d'in-
justice, de dureté dans leurs procédés 1
Que d'inJiiréretico, (|ue de Iroideur pour
leur Dieu I Pensent-ils à lui rendre le culte
et les devoirs qu'ils lui doivent? Quelle
insensibilité, quelle indififérence pour les
biens du ciel ! quel oubli de leur salull
Hélas 1 ils vivent et le plus souvent ils
meurent sans s'en occuper, sans y [)enser :
voilà les malheureux effets que produisent
les richesses pour l'ordinaire, mais dont la
pauvreté religieuse préserve une épouse de
Jésus-Christ; ne possédant rien, ne pou-
vant rien posséder, elle se trouve par là
délivrée, comme d'un seul coup, d'une in-
finité de désirs, de tentations et d'une inli-
jiité u'obsiacles au salut par conséquent;
hors d'état, par les engagements sacrés
qu'elle a contractés avec son Dieu , de se
procurer des richesses , à peine l'esprit
infernal la tente*l-il de quelques désirs
toujours faibles, et par là toujours faciles
à repousser.
Mais ce n'est pas là le seul avantage que
vous trouvez, vierges clirélieniies , dans
votre étal de pauvreté évangélique ; non-
seulement il vous préserve d'une infinité
de maus, de tentations, de péchés attachés
à la possession des richesses, mais il vous
procure de plus une infinité de biens, de
grâces, de mérites dans l'ordre du salut.
Que de vertus en effet ne produit [)as cette
veriu de pauvreté I L'humilité : qu'on est
peu porté à se remplir d'idées avantageuses
de soi-même, à s'élever au-dessus des au-
tres, à les méjiriser, lorsqu'on vit loin du
monde, privé de tous les biens du monde l
qu'on est peu porté.aux sentiments de fâsle,
(Je hauteur, d'ostentation qu'inspirent les
rh;hesses et qu'on voit en effet dans les
riches 1 Qu'on comprend aisément alors, et
qu'on pratique facilement cette maxime de
Jésus-Christ : Apprenez de moi que je suis
doux et humble de cœur 1 {Matth., XI, 29.)
La mortification : qu'est-ce qui rend les
mondains si dissipés, si portés aux plaisirs
des sens et à se satisfaire? Ce sont leurs
richesses; ils ne pensent et ils ne s'occu-
pent autant à flatter leur chair et à satis-
faire leurs passions, que parcB qu'ils trou-
vent dans leur abondance les moyens de
remplir tous leurs désirs : mais une
ép<juse de Jésus-Christ qui a tout aban-
donné, qui se trouve dans un dénuement
universel, ah! qu.'elie pense peu à se flatter,
à se satisfaire 1 Elle porte avec plaisir la
croix de Jésus-Christ dont elle s'est volon-
tairement chargée ; elle suisil avec ardeur
les occasions de se mortifier qui se pré-
sentent si souvent dans la religion, où
malgré les attentions de celles qui gou-
vernent, on se trouve dans le cas de man-
quer quelquefois, môme du nécessaire.
Soumission 5 la volonté de Dieu i pleine do
foi, sachant que rien ne nous arrive que
par l'ordre ou la permission de la divine
Providence, qu'en tout elle agit autant pour
notre bonheur que pour sa gloire, elle est
bien éloignée, cotte religieuse, de ces plain-
tes, de ces murmures qui échappent si sou-
vent aux chrétiens du monde, dans les re-
vers do fortune qu'ils éprouvent ; dans tout,
elle adore les desseins de Dieu sur elle, et
s'y soumet; c'est ce qui la tient dans une
égalité d'humeur qui ne se di^meiil point,
dans une paix inaltérable. Cliarité pour ses
sœurs : en étant beaucoup plus occupée que
d'elle-même, elle ne cherche qu'à les sou-
lager; ce qui rend communément les chré-
tiens du monde si peu sensibles aux besoins
de leurs frères, c'est cet attachement ex-
cessif à leurs richesses, c'est que craignant,
et quelquefois même au milieu de la plus
grande abondance, de manquer du néces-
saire, ou par un défaut tout opposé em-
ployant leurs richesses à satisfaire tous
leursdésirs, ils se trouvent ou par leur dissi-
pation ou par leur avarice, dans une situa-
tion à ne pouvoir, ou à ne pas vouloir sou-
lager les indigents : mais une religieuse
bien appelée, se plaisant dans son état de
pauvreté, se trouve sans attachement, sans
désir; ces attentions que les gens du monde
ont pour eux-mêmes, elleles lourne vers ses
sœurs; on la voit s'oubliait elle-même, s'oc-
cuper de leurs besoins, employer tous les
moyens que l'obéissance et ses emplois peu-
vent lui permettre, à-les leur procurer^
Amour de Dieu : ah 1 les mondains et les
riches mondains surtout, ne l'aiment point
ce Dieu si bon, si aimable en lui-même ; à
peine pensent-ils à lui quelquefois; l'es*
prit et le cœur remplis des créatures et
d'eux-mêmes, ils ne paraissent occupés qu'à
se faire une fortune, qu'à la conserver, qu'à
l'augmenter* Hélas I bien loin d'aimer et de
servir leur Dieu, que d'offenses, que d'in-
justices, que de crimes leur opulence et
leur cupidité leur fait commettre 1 mais une
personne lelig euse, qui a tout abandonné^
tout sacrifié par amour i)0ur son Dieu, peut-
elle, dans son saint état, n'être pas occupée
de lui, et du soin de lui plaire? Elle l'a
pris pour son j artage, pour le tom|)S comme
pour léternilé ; elle le regarde donc comn e
l'unique objet, l'unique bien qui [)uisse
remplir son cœur et le satisfaire; elle ne
veut et ne désire que lui ; il est pour elle
toutes ses richesses, tous ses trésors; il est
son tout : Deus meus et omnia. Voilà, Mes-
dames, les saintes dispositions que produit
la pauvreté religieuse, dans une âme qui
s'y est vouée pour toujours : au lieu que la
cupidité enfante tous les vices, cette seule
vertu au contraire, comme le dit un Père
de l'Eglise, est la source de toutes les ver-
tus; elle les fait naître, elle les nourrit, eHo
-291
ORATEURS SACRES.
les enlreliftiil, les cûiiservoj et procure par
l.'i, une infinilé de grâces, de secours, de lu-
mières et de consolations. j
Mais si la pauvreté religieuse est si avan-
tageuse, pendant la vie, à une âme qui a eu
le courage de l'embrasser, quels grands
biens ne lui procure- t'elle fias encore à la
niorl I Ah! c'est alors que paraît bien sen-
siblement la dillérence qui se Irouve entre
un riclie du siècle et un pauvre de Jésus-
Christ; celui-là ne peut même penser à la
niort sans trouble et sans clfroi ; l'atlache-
nii nt qu'il a eu, toute sa vie, po\ir des biens
faux et périssables, et qui, bien loin de s'é"
teindre ou de diminuer dans ses derniers
jours, ne fait que s'accroître au contraire;
ce dépouillement universel et forcé, dans
lequel il va bientôt se trouver; les suites
affreuses et inévitables de ce déjtouillement;
le compte terrible qu'il va rendre à son
Oéateur, du mauvais usage qu'il a fait de
ses richesses, voilà ce qui lui cause les plus
justes alarmes, et ce qui le f)longe quelque-
fois dans le plus affreux désespoir : mais la
religieuse vraiment pauvre, bien loin de
redouter la morl, la regardant comme la iin
de toutes ses peines, et le conmiencement
de son souverain bonheur, elle la désire
avec ardeur; elle l'attend avec une vive et
sainte impatience; etj lorsqu'elle en est
frappée, on la voit terminer, dans la paix
et dans les consolations, des jours saints,
passés dans la mortification et dans la pau-
vreté. Voilà les grands avanlages que ()ro-
Gure ce dépouillement évangélique, et si
une personne religieuse m'avouait qu'elle
ne les connaît point, ces grands avantages,
qu'elle ne les a point éprouvés, elle devrait
en conclure, et j'en conclurais moi-même,
qu'après avoir embrassé cette sainte vertu,
dans la religion, elle ne l'a point pratiquée
dans toute son étendue ; c'est ce qui m'enga-
ge, après vous en avoir fait voir toute l'excel-
lence, à, vous en (retenir des obligations qu'el-
le impose; c'est le sujet de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
il faut en convenir ici. Mesdames, il n'est
rien dans la religion, sur quoi il soiî plus
aisé, j'ajoute^ et qui soit plus commun, que
de se tromper sur ce qui regarde la sainte
vertu de pauvreté ; comme elle embrasse
tout el qu'elle s'étend à tout, sans la plus
grande vigilance, que de fautes on peut
commettre I On ne voit en effet que trop
souvent, des personnes consacrées au Sei-
gneur dans la religion, qui en remplissent,
avec édilication tous les devoirs, toutes les
observances, mais qui, sur la pauvreté, se
permettent bien ilt'S choses qui attaquent
l'essence du vœu qu'elles en ont fait, ou qui
se trouvent du moins 0{)posées à sa perfec-
tion. Combien par là, de religieux et d'é-
pouses de Jésus-Christ se trouveront, sur ce
seul article peut-être, condamnables au ju-
gement de Dieu ! Pour vous préserver, Mes-
dames, de ce souverain malheur , j'entre-
prends de vous bien faire connaître ici, touie
1 éttndue du vœu soK-nnel de pauvreté que
L'ABBE DE MONTIS. '■^'-^'^
vous avez fait, et ics grandes obligations *
qu'il vous impose; et pour cela, je dis, en
premier lieu, que vous devez avoir, dans
le fond de votre âme, une estime et un
amour véritable pour cette sainte vertu
que vous avez embrassée; je dis, en se-
cond lieu, que dans toute votre conduite,
vous devez avoir la plus grande attention à
ne rien faire qui y soit contraire; c'est à
dire, que votre pauvreté doit être tout à la
fois, intérieure dans son principe, et univer-
selle dans la pratique : deux vérités dont il
me sera aisé de tirer des conséquences que
vous ne pourrez désavouer, et qui vous
porteront à vous examiner sérieusement
sur ce devoir important, et un des plus im-
portants de votre état.
I. Je dis, en premier lieu, que votre pau-
vreté doit ^tre intérieure^ qu'elle doit pren-
dre son principe dans votre cœur, être vrai-
ment l'objet de votre amour, et c'est même
ce qui dislingue la pauvreté religieuse de
tant d'autres espèces de pauvreté que l'on
voit dans le monde. On y voit en effet des
pauvres, des indigents qui sont nés dans cet
état ; mais sonl-ce là des pauvres de Jésus-
Christ? Non ; parce que bien loin d'aimer
leur état de pauvreté, ils le souffrent impa-
tiemment , ils se servent quelquefois ^.de
moyens illicites et criminels pour en sortir;
bien loin d'adorer les desseins de la divine
Providence et de s'y soumettre, ils attirent
le plus souvent sur eux, par leur murmure
et leur révolte, son indignation et sa colère;
l'on voit encore, dans le mondes des pau-
vres qui sont nés avec des richesses cl
quelques - uns avec d'abondantes riches-
ses, mais qui, par leur mauvaise conduite,
par leur débau he, par un luxe immodéré^
ou quelquefois par des entreprises témé-
raires faites par ambition ou par cupidité^
sont totïibé3 dans l'indigence : sonf-ce là
des pauvres de Jésus-Christ? Non; parce
qu'ils n'aiment point leur pauvreté, et que'
bien loin de l'aimer ils la détestent, qu'ils
regrettent leurs richesses et n'omettent rîeii
pour s'en [irocurer encore. L'on a vu au-
trefois dans le monde, des philosophes, des
sages du paganisme renoncer à leurs ri-
chesses, jeter volontairement leurs trésors
au fond de la mer; mais eeux-là même
étaient-ils pauvres de Jésus-Christ? Non;
outre qu'ils n'étaient point éclairés des lu-
mières de l'Kvangile, c'était bien moins
l'amour de la pauvreté qui les faisait agir,
que l'amour d'eux-mêmes : c'était par on
esprit d'ostentation et de faste, comme ils
se le sont reproché quelquefois, qu'ils ont
foulé aux pieds le faste et les richesses de
la terre ; ainsi peut-on le dire, le monde et
le démon ont leurs pauvres, mais pauvres
réprouvés comme eux. Quels sont donc les
vrais pauvres, les j)auvres de Jésus-Chris ?
Ah ! .Mesdames, ce sont ceux et celles qui,
comme vous, ont renoncé par amour pour
lui et pour suivre son exemple, au monde
et à tous les biens- du monde, qui, après
avoir généreusement embrassé la sainte
vertu de [lauvreté, l'aimeni, la chérissent
293
DISCDURS DE RETR VITE. - SIXIEME JOUR,
291
celle belle vertu, qui sont inliraement con-
vaincus do celle sentence qu'a firononcée le
divin Sauveur, et que ne j^reuvent goûter ni
entendre le monde et tous ses j^fartisans,
qu'heureux, dès cette vie, sont les pauvres
et les pauvres d'esprit et de cœur : Beali
pauperes spiritu. {Matlh., V, 3.) Il ne suflit
donc pas pour être vériiableraent pauvres
aux yeux du divin Maître, d'avoir renoncé
absolument à ses richesses, à ses espérances
dans le siècle, il faut de plus n'en faire au-
cun cas, il faut les mépriser véritablement
cl surtout n'avoir aucun attrait, aucun aita-
cliemcnt [lour elles; il faut les haïrsincère-
inent aussi bien que le monde qui les
donne; c'est là cet esprit de pauvreté que
demande Jésus-Ciirist, môme dans les cliié-
tions du siècle, qui les possèdent ces ri-
chesses, mais qu'il exige d'une façon plus
éminente et plus parfaite encore dans ceux
et celles qui ont tout quitté pour s'attacher
à lui : esprit de pauvreté qui caractérise les
pauvres évangéliqués et qui les dislingue de
tous les autres pauvres qui se trouvent dans
le monde; esprit de pauvreté qu'avaient les
apôtres, qui, selon la belle remarque de
saint Grégoire pape, ne possédant rien, se
glorifiaient cependant d'avoir tout quitté
pour Jésus-Christ, parce qu'ils avaient re-
noncé jusqu'au désird'avoiret de posséder.
La pauvreté évangélique et religieuse doit
donc être d'abord intérieure, mais elle doit
être de plus universelle : seconde qualité qui
suit même naturellement de la première.
II. Car enfin, si la pauvreté est vérita-
blement dans le cœur, elle s'étendra à tout
cl sur tout: cela s'entend assez : mais il
s'ensuit de là qu'une religieuse qui est vé-
ritablement pauvre, qui a l'esprit de pau-
vreté, doit, en fait de biens, de richesses,
ne rien désirer, ne rien donner ni recevoir,
ne rien posséder comme à soi : autant de
conséquences et très-importantes que je
dois développer ici.
Je dis, en premier lieu, ne rien désirer;
il n'est point permis, dit l'auteur du livre
de \'lmitalion,ûe désirer ce qu'il n'est pas
permis de posséder; vous pensez aux ri-
chesses, vous les désirez ; si ces richesses
ne sont pas dans vos mains, elles sont dans
votre cœur, et dès lors vous n'êtes plus
pauvres d'esprit et d'affection : Pauperes
spirilu; vous n'tïles donc ()lus véritablement
pauvres de Jésus-Christ. En vain m'allé-
gueriez-vous que ce n'est point pour vous
que vous formez ces désirs, que c'est pour
soulager les pauvres ou pour votre com-
munauté; je vous réponds que l'état de
pauvreté réelle que vous avez vouée au Sei-
gneur, vous dispense et vous interdit même
de pareils désirs, que vous devez vous bor-
ner à prier pour les personnes qui sont pour
vous un objet de comjiassion, et abandon-
ner votre communauté aux soins do la di-
vine Providence, surtout si vous n'êtes pas
chargée par quelque emploi, d'administrer
ses biens et ses revenus; j'ose avancer que
ces désirs auxquels vous vous livrez , ne
peuvent être, pour vous, riu'une source de
dislraciions, de peines rt d'inquiétudes, et
vous porter de plus quelquefois à des solli-
citations, h des demandes indiscrètes, inju-
rieuses à la sainteté de votre état, et qui
édilieraient peu les personnes du monde
auxquelles vous vous adresseriez, quelque
disposées qu'elles vous parussent à satis-
faire vos désirs.
Je dis , en second lieu, que celte pau-
vreté intérieure et universelle doit vous
engager à ne rien donner ni recevoir sans
une permission expresse et légitime de vo-
tre supérieure. Prenez garde, s'il vous plaît.
Mesdames, je dis , permission expresse,
parce qu'en ceci lasim[)le présomption no
suflit pas ; quelque persuadées que vous
puissiez être de la bonne volonté de votre
supérieure, il faut ()Our la sûreté de votre
conscience et pour vous préserver de la
transgression de votre vœu, une permission
formelle et explicite ; je dis permission lé-
gitime, parce que, si vous demandez à don-
ner ou à recevoir, sans une vraie raison,
sans une vraie nécessité, la permission que
vous demandez et qu'on vous accorde est
nulle devant Dieu, parce que votre su|>é-
rieure n'est point au-dessus de votre règle,
qu'elle lui est soumise comme une sim()le
particulière , qu'elle ne peut absolument
vous dispenser des vœux que vous avez
prononcés solennellement ; en sorte que la
permission qu'elle vous donne est moins
une dispense de votre vœu, qu'un jugement
qu'elle porte, et que, comme supérieure,
elle est en droit de porlerque, dans tel cas,
dans telle circonstance que vous lui ex-
posez, votre vœu ne vous oblige point; sans
cela, ce que vous donnez ou recevez, est
un vrai larcin fait à votre communauté à
laquelle appartient ce que vous vous ap-
propriez ; larcin qui est un péché morttl,
de sa nature, selon tous les casuistes, mais
qui peut n'être que véniel à raison de la
légèreté de la matière.
Je dis, en troisième lieu, que cette pau-
vreté intérieure et universelle que vous
avez vouée, vous oblige à ne rien avoir, à
ne rien conserver d'inutile et de superflu,
ni directement, ni indirectement. Voilà ce-
pendant, Mesdames, un abus qui n'est que
trop commun dans la religion : on est à la
vérité, bien éloigné de regretter les biens
qu'on a quittés dans le monde, ou auxquels
on avait droit de prétendre ; mais apiès avoir
fait quelquefois les plus grands sacrifices
pour se consacrer au Seigneur, on tient à
do petites choses, à des riens ; le cœur s'oc -
cupe de livres, d'images, de petits meubles, de
petites commodités auxquelles on sent bien
qu'on est attaché, sur lesquels la conscience,
dans de certains moments surtout, fait de vifs
reproches, maissur lesquelleson cherche par
des raisonnements dictés par l'amour-propre,
à se faire illusion; mais attachement qui
indispose, qui refroidit le céleste Epoux,
époux jaloux qui veut le cœur, et tout le
cœur de ses épouses, et dont le refroidis-
sement prive une leligieusc d'une infinité
de grâces et do consolations, et la conduit
295
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
296
quelquefois insensiblement et par degrés
à la perle éternelle. Tous les maîtres de la
vie spirituelle, tous les instituteurs d'or-
dres surtout, onl été si convaincus de cette
vérité, qu'il n'est point de précautions
qu'ils n'aient prises pour préserver leurs
enfants de cet attachement aui petites
choses. Saint Ignace veut que les supé-
rieurs aient, sur cet important article, la
plus grande attention, qu'ils éprouvent
souvent les religieux qu'ils gouvernent et
qu'ils les privent absolument de tout ce à
quoi ils pourraient paraître attachés. Saint
François de Sales, ce prélat si éclairé dans
les voies de Dieu, le plus grand directeur
des âmes qui ait paru, atin d'entretenir ses
filles de la Visitation dans un dégagement
total du cœurj dans un détachement uni-
versel qu'il jugeait nécessaire, pour tendre
à la perfection religieuse, ordonne, dans
ses constitutions, que chaque année, elles
changent, non-seulement de cellules, mais
encore de tout ce qui peut ^(ro à leur
usage ; en sorte que ces saintes filles se re-
gardent, en quelque sorte, par là, comme
des étrangères et des voyageuses, jusque
dans leur propre habitation. Il faut donc,
Mesdames, pour être vraiment pauvres de
Jésus-Christ, ne rien avoir, ne rien possé"
der ; mais prenez garde que j'ai ajouté, ni
directement ni indirectement: je dis di-
lectement, c'est-à-dire, de n'avoir et de ne
conserver dans votre cellule, ni argent ni
meuble, ni quoi que ce soit sans la permis-
sion des supérieurs. Vous savez sans doute
l'hisloire qu*a faite saint Grégoire pape,
d'un relig eux. qui fut trouvé, après sa
mort, pos>éder quelques pièces d'argent;
ce saint et éclairé fiontife, instruit de celte
prévarication, et interrogé sur ce qu'on
devait faire, ordonna qne ce religieux se-
rait enterré avec son argent, hors du mo-
nastère et dans du fumier, et que chaque
religieux irait jeter de la terre sur la fosse*
en disant les paroles que saint Pierre dit à
Simon le Magicien : Que ton argent périsse
avec toi { Act., Vil, 20); et saint Gré-
gloire ajoute que l'exécution de cette
sentence leur causa lant d'etfroij que tous*
dans la crainte d'avoir du superlîu, allè-
rent porter presque tout ce qu'ils avaient à
leur supérieur. Il faut convenir que d'avoir
de l'argent en sa cellule est un désordre
peu commun; mais j'ai dit de plus, ne rien
posséder indirectement; et c'est ici, Mes-
dames, où je ne i)uis m'empêcher de gémir
surun abus malheureusement trop commun,
dans des communautés religieuses et des
plus régulières même quelquefois. A la vé-
rité, on est bien éloigné d'avoir chez soi et
en sa possession, rien de contraire au vœu
de pauvreté ; mais l'amour de soi-même,
de soti bien-être a fait imaginer un moyen
{luur se satislaire, qu'on croit ou pour
mieux dire, qu'on voudrait se persuader
être innocent, mais qui ne l'est ceriaine-
nient point devant Dieu, c'est d'avoir ou sa
pension, ou quelqu'autre argent qu'on re-
çoit en main tierce; et sous le prétexte
qil'On n'en fait usage que du consentement
de la supérieure, l'on croit être en sûreté
de conscience, mais bien mal-à-ftropos,
j'ose le dire; c'est un abus qui, pour être
assez commun* n'en est pas moins un abus
contraire à l'esprit de Jésus-Christ et de
son Eglise, et au vœu solennel de pauvreté
qu'a fait une personne religieuse; car enfin,
quelle différence peut^elle mettre entre
posséder par elle-même, et posséder par
autrui, entre avoir chez elle ou avoir chez
une autre? Si* pour une vraie propriété, il
fallait conserver soi-même ses richesses,
les plus grands et leS plus riches du monde
seraient dits les plus pauvres, puisqu'ils
ont, pour l'ordinaire, des intendants, des
trésoriers qui reçoivent , et qui gardent
leurs trésors. Mais , pourra me dire une re-
ligieuse qui se trouve dans le Tcas et dans
les dispositions que je condamne ici, ces
Opulents du siècle regardent leurs reve-
nus, leurs richesses, comme à eux, ils y
sont attachés; et moi, grâces à Dieu, je
n'ai aucun attachement à cette pension qui
m'a été donnée, ni à l'argent qu'elle me pro-
cure. Vous n'y avez aucun attachement?
Vous le dites, et vous le croyez sans doute;
mais qu'il vous est aisé sur cela de vous
faire illusion ! Quoi, cet argent est donné
pour vous, pour votre usage, il est mis en
réserve pour cela, vous ne l'ignorez pas*
vous le savez si bien que vous ne demandez
à votre supérieure défaire quelque» dépense,
que parce que vous le savez; que* si vous
étiez sûre au contraire , qu'il ne restât
plus rien de cette pension, vous n'auriez
point de désirs ou vous ne jenseriez point
à les satisfaire; que, pour le genre de dé-
pense que vous voulez fairej vous Calculez,
vous comptez avec vous-même, que vous
ne demandez la permission de faire une
dépense qu'au-dessous et jamais au-dessus
de cet argent mis en dépôt pour vous;
que, si votre supérieure désire en faire un
usage étranger à vos besoins, elle croit de-
voir vous en parler, elle vous en parle de
façon à paraître vous demander un consen-
tement, et vous lui répondez toujours de
façon à paraître le lui donner; que si elle
en usait autrement à votre égard, vous en
seriez sûrement affectée, du moins au de*
dans de vous-même si vous n'alliez pas
jusqu'à montrer du mécontentement au
dehors: or, je vous le demande, soyez ici
de bonne foi* tout cela ne suppose-t-il dans
l'âme aucun attachement, aucun sentiment
de propriété? Mais je veux qu'en ellet vos
sentiments soient aussi purs que vous le
dites, et que vous soyez pour cet argent,
sans aucun attachement; qu'en conclure?
Que vous n'êtes point, à la vérité, coupable
de transgression de votre vœu de pauvreté,
et en péché mortel par conséquent, mais
aussi, que vous n'êtes point sans faute,
sans 'péché aux yeux de Dieu, parce que, si
vous n'attaquez' pas directement l'essence
de votre vœu, vous allez du moins contre
la perfection de ce vœu, et vous vous met-
tez dans un danger continuel de le Irans-
*)7
DISCOURS Dt; RETRAITE. — SIXIEME JOUR.
2D8
presser : or une religieuse ijni, par 'son élat,
sVsl engagée solennellement h tenJro sans
cesse à la perfection, y tend-elle, y Iravaille-
t-elle sérieusement en tenant une pareillo
conduite? ■
Mais, mo dira encore cette religieuse à
pension et à grosso pension peut-être; ou-
tre que je n'ai assurément aucun atlaclie-
Mient à cet argent, je n'en fais jamais usago
sans une permission expresse de ma supé-
rieure et voilà ce qui me rassure. Prene?
garde; si vous Clés véritablement devant
Dieu sans aucun allacliement et dans une
disposition sincère de vous conformer à la
volonté de voire supérieure, son consente-
ment vous met à l'abri du crime de proprié-
té, mais il ne vous excuse pas de toute faute
devant Dieu, pour les raisons que je viens
(le vous dire ; il est bien vrai que votre su-
périeure en vous donnant cette permission
t'St beaucoup plus coupable que vous en
la dem^indant; en supposant qu'elle n'ait
point introduit cet usage dans sa commu-
nauté, elle serait toujours très-coupable
di.-vanl'Dieu, d'enlietenir et de ne point
abolir unecouiume, un abusqui, quelqu'an-
(ifU qu'on puisse le supposer, reste tou-
jours abus; elle rendrait certainement un
jour au Seigneur un compte rigoureux
d'avoir exposé par 15, les âmes contiées à
ses soins, à une lentalion perpétuelle de
transgresser un vœu delà religion, compte
d'autant plus rigoureux, que par sa place,
elle était obligée d'éloigner d'elles tout
obstacle à leur perfection, à leur sainteté.
Mais c'est l'intention de mes parents, do
ceux (]ui me donnent ces secours, qu'ils ne
soient que pour moi, que pour de petits be-
soins que la couimunauté ne donne point.
AIjI ma chère sœur, si vous vous condui-
siez on tout dans la religion selon les in-
tentions de vos parents, vous seriez cer-
tainement une mauvaise et très-mauvaise
religieuse; quelque religion que vous leur
supposiez, ils connaissent si peu l'esprit
et les devoirs de votre saint état et ce
qu'exigent vos vœux surtout que, pour sui-
vre parfaitement leur intention, vous de-
vriez avoir en votre cellule cet argent qu'ils
vous donnent et en disposer absolument à
votre volonté.
Quant à ces besoins que vous dites que
la communauté ne donne [>as ; s'il en était
ainsi, ce serait une énorme injustice, dont
vos supérieures se cliargeraient devant
Diou, et quelquefois aussi celle devossœurs
chargée du temporel, si par un excès d'é-
cenoiiiic, ce qui se voit quelquefois, elle
I.Uiait des dillicuilés et des refus injustes
cl mal à propos; en vous recevant dans son
seni, la cuiumunauté s'est engagée à vous
duiiner tout ce qui pourrait vous être né-
cessaire; ellene [>euiymanijuer sans injus-
tice et sans désobéir au saint concile de
'ircnte, qui lui entait une obligation expres-
se ; mais i)renez garde aussi que si votre
communauté, par des accidents, par des re-
vers, qui ne sunl que trop communs, se
trouve i'ius p.rès de rindigen,:e que de l'o-
UlUTELUS SACntS. LX\ 111.
pnlence, vous devez avoir égnrdà sa péni-
ble situation et la partager /jvec toutes vos
sœurs; il ne serait pas juste que vous eus-
siez des soulagements dont elles sont pri-
vées; la lin que vous vous êtes proposée
en entrant en religion, a été de vous livrer
au déniiment, aux privations, h la péni-
tence; tout 00 qui peut en détourner doit
vous être suspect et interdit.
Mais, medirez-vous enfin, cette morale
si sévère que vous nous prêchez n'est point
générale : des ministres pieux et éclairés
m'ont assuré qu'avec les précautions que je
prends, je pouvais m'en tenir à mon ancien
usage. A cela, ma chère sœur, j'aurais bien
des questions à vous faire; et d'abord si
lorsque vous êtes entrée en religion, vous
aviez sur cela quelques doutes, et si au no-
viciat vous trouviez ma morale outrée et
trop sévère, si cela était, vous pouviez re-
tourner an siècle et garder vos (lossessions,
personne ne vous ayant forcée à les sacri-
fier; mais une fois le sacrifice fait, il n'y a
plus à revenir, vous ne pouvez sans injus-
tice et sans crime retirer de dessus l'autel
la moindre partie de l'offrande que vous
avez faite volontairement à votre Dieu ;
mais je me borne ici à une seule question :
que voudrez-vousavoiri'aiià la mort?Serez-
vous plus satisfaite alors d'avoir écouté
quelques docteurs un peu relâchés , qui
avaient peut-être quelqu'inlérôt à décider
selon vos désirs et vos penchants, que d'a-
voir suivi la décision de ceux qui vous
paraissent aujourd'hui iropsévères?Ne vous
direz-vous pas alors, ce que vous devriez
vous dire dès à présent, qu'après tout, dans
le doute, il étaitplus prudent de suivre le
plus sûr, par la raison que c'était le plus
parfait? Ne vous reprocherez-vous point
alors d'avoir autant consulté sur cetarticle,
et ne conviendrez-vous point que c'était
l'amour de vous-même, de vos aises, do
vos commodités qui vous a fait proposer
des cas, et chercher, mendier des décisions
qui vous fussent favorables? Quand on veut
être tout à Dieu, ne mettre aucune borne à
sa perfection, on n'a point tant de questions
à faire, tant do cas à proposer ; on voit alors
d'un seul coup-d'œil ce qui est le plus par-
fait, et on l'embrasse avec courage : telle
est la conduite des religieuses les \,\us
ferventes. Ali! Mesdames, à la mort, car
c'est toujours par ce point de vue qu'il faut
juger de tout, à la mort les préjugés ces-
sent, les ténèbres se dissipent , les senti-
ments naturels s'anéantissent : on voit alor.ï
que dans ces consullalions, on n'a agi de
bonne foi, ni avec Dieu, ni avec les autres,
ni avec soi-même. Heureuse encore la reli-
gieuse qui, reconnaissant dans ces demi, rs
moments ses erreurs, s'en humilie devant
Dieu et se condumno dans le temps, pour
n'être pas condamnée dans l'éternité; mais
que fait alors l'esprit tentateur? Adroit à
prolilcrdu trouble decette âme, il tâche de
lui [)ersuader que par ses sentiments et sa
conduite, elle s'est mise hors de la voie du
salut ; pendant la vie, il réussissait ï\ laras-
10
290
ORATEURS SACRES. L ARBE DE MONTIS.
300
surer contre ses remords, h les éloufTer : h
la mort, au conlvairp, il les lait renaître et
les augmente, ces remords ; il lui fait voir
clairement la fausseté des principes sur le.--
quels elle s'appuyait, le peu de fond qu'il
y avait à faire sur des décisions données,
ou par ignorance ou par complaisance;
les plus légères fautes contre la pauvreté,
il lui en fait aulant do crimes énormes, et
réussit quelquefois, par le trouble et le dé-
sordre qu'il met dans son âme , à la jeter
dans le désespoir, et à lui ôter toute espé-
rance en la miséricorde do Dieu , et toute
ressource au salut.
Après toutes ces réflexions, Mesdames,
voyez sérieusement et devant Dieu, si vous
n'avez rien à vous reprocher, sur votre vœu
de pauvreté; sondez mais bien sincèrement,
votre propre cœur; ce que je puis vous assu-
rer ici, ce que j'ai entendu, plus d'une lois,
de la bouche des ministres les plus occupés
h la direction des personnes religieuses, ce
(jue j'ai jugé moi-môme depuis tant d'an-
nées que la divine Providence m'a appliqué
à ce saint ministère, c'est qu(> bien des
épouses de Jésus-Christ seront réprouvées
^)our la seule transgression de leur vœu de
•pauvreté.
Ah! Seigneur, si je le sonde ici de bonne
'foi,'raon cœur, que je découvrirai de fautes
commises contre la sainte vertu de pau-
'vreté I Hélas ! si je n'ai pas des transgressions
importantes à me reprocher, que de satis-
factions passagères 1 que d'aliacheraenl h
des choses inutiles et sui)er{lues, contraires
du moins à la |>erfection de mon vœu, qui
•vous ont déplu et qui ont arrêté sur moi lo
cours de vos griices I Ah 1 Seigneur, c'est par
une prédilection toute particulière que vous
m'avez ap[relée à ce renoncement universel,
à -ce déiK)uillem«ni total des biens du
monde. Hélas! si je les av-als possédés, ces
•biens, ils ne m'auraient servi, commeà une in-
finité d'autres, qu'à vous offenser et à me
l»erdre ; vous l'avez dit, quedilïïcilement les
riches entreront dans le ciel ; la conduite
•<ies riches du siècle ne confirme que trop
•celle terrible sentence; c'est de tout mon
cœur que je vous ai fait le sacrifice de tous
les biens périssables de la terre, c'est dans
les mêmes sentiments que je vous le renou-
velle dans ce uioment et que je vous pro-
mets de ne rien faire, sur cet objet impor-
tant, qui puisse me rendre désagréable à
vos yeux; vous seul, ô mon Dieu, pouvez
remplir mon cœur el le satisfaire; vous
seul l'occuperez el le satisferez le reste de
mes jours, comme vous seul, je l'espère do
vos miséricordes infinies, l'occuperez et le
rendrez souverainement heureux dans les
iiècies des siècles. Ainsi soit-il.
SIXIEME JOUR.
Troisième discours.
SUR LA LECTURIi SPIRITUELLE.
Aliende lecUoiii. (1 Uni., IV, 13.)
Appliquez-voui à lu lecture.
C'était, Mesdames, un des avis que l'afjô-
ire saint l'aul donnait à son cher discii>le
Timolhée, afin qu'il pût s'avancer dans la
voie (le la sainteté et y conduire plus sûre-
ment les autres. C est l'avis qu'ont donné,
dans tous les temps, les maîtres de la vie
spirituelle et les directeurs des consciences,
h ceux el à celles de la conduite desquels la
divine Providence les a chargés; plus ils
ont eu de zèle pour leiviiul et la |)erfeclioii
de ces âmes confiées à leurs snins, et |)lus ils
ont eu d'attention à leur recommander de
saintes lectures; les regardant comme un
moyen |des plus propres à les instruire de
leurs devoirs et à les leur faire accompjir;
c'est ce qui est recommandé surtout aux
personnes qui, éloignées par étal du com-
merce du monde, sont consacrées plus spé-
cialement, dans la retraite, au "service du
Seigneur. Il n'est point d'institut, point
d'ordre religieux dont les conslitutions ne
prescrivent, dans la journée, soit en com-
mun, soit en particulier, une lecture do
piété ; elle vous est prescrite à vous, Mes-
dames, comme aux autres épouses de Jésus-
Christ; chaque jour vous employez toutes
un certain tein[)s à ce ineux el saint exer-
cice; mais [)crraettez-moi d« vous le de-
mander ici, en retirez-vous tout le fruit que
vous pourriez et que vous devriez en reti-
rer? Depuis tant d'années que vous enien-
dez lire ou que vous lisez vous-mêmes tant
et de si excellents ouvrages do piété, quel
profit vous en est-il reveuu,pour Je.bien de
votre âme? Pourquoi un moyen si propre
à porter des épouses de Jésus-Christ à la
vertu, à les sanctifier, en rend-il un grand
nombre si peu vertueuses, si peu saintes?
Je crois et vous en conviendrez sûrement
avec moi, Mesdames, je crois pouvoir l'at-
tribuer, ce peu de fruit des lectures spiri-
tuelles, à deux causes : au peu de cas qu'on
fait de ce saint exercice et aux mauvaises
dispositions avec lesquelles on s'en ac-
quitte; je veux dire qu'une religieuse n'a
pas, le plus souvent, une assez grande idée
de la lecture spirituelle, qu'elle n'est point
assez convaincue de son eiricacilé pour la
conduire à la sainteté, et que de plus, elle
ne s'en acquitte point de façon à en res-
sentir les salutaires effets. Ventreprends
donc ici. Mesdames, pour vous rendre cet
exercice plus utile, plus avantageux à votre
âme, de réformer ou plutôt d'étendre et de
perfeciionner sur cela vos idées el vos dis-
positions; vos idées, en vous prouvant que
ïâ lecture spirituelle est un des grands
moyens (jue vous ayez, dans votre saint
élat, de vous sanctifier ; ce sera le sujet du
la première partie de ce discours : v;)s dis-
positions, en vous montranl que la lecture
ne peut vous sanctifier qu'autant que vous
la ferez d'une manière propre à produire en
vous ce bon effet ; ce sera le sujet de la se-
conde partie. En deux mots, les motifs qui
doivent vous engager à vous rendre fidèles
à la lecture spirituelle, les dispositions
avec lesquelles vous devez faire la lecture
spirituelle ; c'est toute la matière de cet
enlretien. Honorez-moi , s'il voui plaît, du
toute votre aliention. Ave, Marin.
501
DISCOURS DE RETRAITE. - SIXIEME JOt'R
PRKMlfeRE PARTIE.
Ai
Nous no pouvons, Mcsdanies, assez ad-
mirer et janiais assez reconnaitre l'infinie
bonté de notre Dieu , qui après nous avoir
donné son pro[)re Fils pour notre libéra-
teur, pour notre Sauveur, nous a de plus,
en conséquence de ce grand bienfait de la
rédem[ition, procuré une intlnité de moyens
propres à nous faire travailler efTicacement
h notre salut; un de ces moy.ens, c'est la
lecture des ouvrages que des hommes, éga-
lement habiles et expérimentés dans les
voies de Dieu, ont composés, dans la vue de
faire connaître aux chrétiens, dans quelque
état qu'ils puissent se trouver, l'excellence
de la vertu, les avantages de la dévotion,
l'étendue de leurs devoirs et les moyens
de les accomplir. Or ces motifs purs et re-
ligieux, qui ont porté ces pieux auteurs à
composer des ouvrages de dévotion , doi-
vent également nous engager à proûter de
leurs travaux et à les lire avec fruit. Je dis
'Jonc pour cela. Mesdames, que ce qui doit
vous engager à faire assidûment vos lec-
tures spirituelles, c'est qu'elles sont propres
tout à la fois à vous faire bien connaître la
vertu , à vous faire aimer la vertu, à vous
taire pratiquer la vertu.
1. Je reprends et je dis, en premier lieu,
que la lecture spirituelle fait connaître la
vertu ; et d'abord , Mesdames, par ce terme
de vertu , je n'entends pas parler ici île cette
vertu stoique, purement naturelle et toute
humaine, de laquelle se paraient avec faste
les anciens philosophes et de laquelle ceux
de nos jours, qui quoique infiniment éloi-
gnés des modèles qu'ils atlecientde suivre,
se glorifient encore ; Aiorlu feinte qui con-
siste bien moins à réprimer ses passions
quà (laraître les réprimer; à se montrer
i)on et juste dans les occasions où il n'y a
ni un grand intérêt ni de grandes diflicultés
h le paraître; vertu fausse et toute exté-
rieure qui subsiste avec l'orgueil, l'amour-
pro[)re, quelquefois avec l'irréligion et l'im-
piété et le plus souvent avec les vices les
plus grossiers et les passions les filus bru-
tales; je parle d'une vertu surnaturelle^et
toute céleste, de la vei tu chrétienne et reli-
gieuse qui consiste à mortilier les passions,
à craindre le péché et jusqu'à l'apparence
même du péché, à s'en préserver, à éviter
avec soin tout ce qui pourrait oll'enser le
Seigneur et lui déplaire; vertu qui porte à
accomplir en tout ses volontés, à se rendre
de plus en plus agréable à ses yeux, à rem-
plir pour cela avec une scrupuleuse exac-
titude tous les devoirs de l'état auquel la
divine Providence a appelé; vertu en un
mot qui consiste, comme le dit le Roi-Pro-
l>lièle, à se préserver du mal et à faire le
bien : Déclina a malo cl fac bonum. [Psal.
XXXVl, 21.) Or le premier avantage que
(irocure la lecture spirituelle , c'est delà
bien faire connaître, cette vertu , d'en don-
ner une juste idée , d'en montrer l'excellen-
ce et les avantages, et cela en faisant con-
naître d'abord le [)éché qui lui est directe-
ment opposé: par elle en effet on découvre
sa nature et sa malice, les effets funestes
qu'il produit, les ravages qu'il fait dans un
cœur qui devient son esclave; par elle ou
connaît toute la haine que Dieu lui porte,
toute l'opposition (|u'il a avec la sainteté
du christiaiiisme en général et de l'état re-
ligieux en particulier; par elle une reli-
gieuse apprend à connaître ses différents
devoirs de chrétienne et de religieuse , les
moyens qu'elle doit employer pour s'en ac-
quitter dignement et qui peuvent la condui-
re à la perfection à laquelle elle doit tou-
jours tendre , dans son état. Par elle, elle
connaît les voies diverses et admirables dont
Dieu se sert pour attirer une ûme à lui,
pour la délacher des créatures et d'elle-
même, pour l'élever à la plus sublime sain-
teté. C'est par la lecture spirituelle, en un
mot , qu'une religieuse apprend à con-
naître et à juger sainement de tout , de la
vertu et du péché, du bien et du mal, des
avantages et des maux qui se trouvent mê-
lés et confondus sur la terre, des plaisirs et
des disgrâces qu'on éprouve successivement
dans le monde; je dis à en juger sainement,
c'est-à-dire, non en aveugle et selon les
fausses idées, les préjugés de ce monde
pervers et corrompu et de ses insensés par-
tisans , mais selon ce qu'en a jugé le Dieu
Sauveur lui-même, selon les maximes do
son Evangile, selon les principes de la re-
ligion sainte qu'il est venu établir sur terre;
en sorte qu'on peut dire, par i)roportlon,des
livres de piété, de ceux surtout, qui ont été
composés par des saints animés de l'esprit
de Dieu, ce que l'apôtre saint Paul disait
à Timothée des livres saints dictés par le
Saint-Esprit: Qu'ils sont propres et utiles pour
éclairer, pour corriger, pour instruire des
moyens de se conserver dans la justice et
de parvenir à la perfection : Ucilis ad docen-
dum, ad erudiendum injustilia, ut sit homo
perfeclus. (II Tiin., 111, 16.j Que de vives
lumières, en effet, acquiert par de pieuses
lectures une chrétienne et surtout une re-
ligieuse, une épouse de Jésus-Christ, lors-
qu'elle s'y livre avec assiduité et avec do
saintes dis()Osilions! Que de vérités subli-
mes et toutes célestes elle découvre chaque
jour! Que de connaissances importantes et
solides elle se procure, qui servent à lui
montrer de plus en plus les moyens de
plaire à Dieu, de se rendre plus agréable
à ses yeux, de, s'avancer, de faire môme do
grands piogrès dans la perfection qu'exige
le saint étal qu'elle a embrassé ! Voilà donc
le preiiiieravantage que retire de la lecture
des ouvrages de piété, la religieuse qui s'y
livre; c'est de bien connaître la vertu, d'en
sentir tout le prix. Un autre avantage |)l.us
essentiel encore, c'est après l'avoir bien
connue, de concevoir de l'amour, de l'atta-
chement pour elle.
II. Car voilà, Mesdames, la différence
qui se trouve entre la vraie vertu et ces
prétendues bonnes qualités que possèdent
les philosophes moiuiains, et qui les font
regarder comme d'honnCles gens, des gens
505
ORATEURS SACRES. L'ABRE DE MONTIS.
504
estimables; pour peu qu'on veuille les re-
gnrder de près, ces (jualilés, et surtout
avec les lumières de la foi, et selon les
principes de l'Evangile, on s'aperçoit bien-
tôt, qu'elles ne sont rien moins que ce
qu'elles f)araissent à l'extérieur : on les
voit toutes fondées sur des défauts, sur des
vices même, ce qui porte naturellement à
les mépriser, ces fausses vertus, et h mé-
priser également ceux qui s'en glorifient;
mais pour la \raie vertu, j'enlends la vertu
clnéticnne et religieuse, comme elle est
loule fondée sur la pureté du christianisme
et la sainteté de l'Evangile ; comme elles ne
peut produire, et qu'elle ne produit, en ef-
fet, que d'excelhiuls fruits, qu'elle (end en
tout à procurer la j^loire de Dieu et la per-
fection des ûmes, le bonheur et le repos de
tous les étals, plus elle est connue, plus
elle est estimée, et plus on conçoit d'es-
lime pour elle, plus aussi on l'aime, on
s'attache à elle ; voilà encore l'heureux ef-
fet que produit la lecture spirituelle lors-
qu'on s'y livre avec de saintes dis[)Ositions ;
après avoir connu par elle le prix de la
vertu, combien elle est estimable en elle-
même, de l'estime elle fait passer à l'atla-
chement, à l'amour; on l'aiuie dans les
autres, on ne peut liie et considérer les
prodigieux effets qu'elle a |)roduils, dans
tant d'âmes qui se sont sanctifiées par elle,
sans se sentir du penchant, et un certain
attachement pour elle : on va plus loin en-
core; on désire de la posséder, celte ai-
mable, cette i)récieuse vertu, de devenir
vertueux, comme ceux qu'on admire. Com-
ment une religieuse, par exem|)le, qui lit,
avec allcntion et assiduité, des livres qui
l'instruisent de l'obligation de son saint
étal, (|iii lui font conuailrc les moyens de
les accom|ilir, peut-elle n'être pas portée à
l'aimer, à le chérir, cet état auiiuel le Sei-
gneur l'a appelée, [tar préférence 5 une in-
finité d'autres, à airuer ces devoirs, ces
exercices, ces pratiques qui lui procurent
des avantages aussi considérables et sans
nombre? Peut-elle s'empêcher de i'ormer
et de grands désirs, et de grands projets
de s'y lendre, plus que jamais, fidèle? Com-
ment peut-elle surtout lire la vie et les ac-
tions saintes de celles qui l'ont précédée
dans la religion, et auxquelles la sainte
Eglise a décerné un culte public, qu'elle
propose h sa vénération et ii son imitation,
ou de celles qui, sans avoir élé |)lacées sur
les autels, ont vécu, dans ce saint état,
dans son institut et dans sa propre maison
jieut-èlre, en vraies et |)arfailes épouses de
Jésus-Christ, et qui sont mortes en odeur
de sainteté? Comment pourrait-elle lire en
détail les actions saintes qui ont rempli
leurs jours et qui les ont sanctifiées, leur
fidélité h tous leurs devoirs et jusqu'à leurs
plus ()etites observances, leur amour pour
leur céleste époux, leur intime et conti-
nuelle union aveclui, leur a()()iication cons-
tante à lui plaire, à entrer dans toutes ses
vues, à correspondre à tons ses desseins
sur elles; leur charité envers leurs sœurs ,
leur mortification, leur patience à suppor-
ter tranquillement et avec amour les mé-
pris, les contradictions, les persécutions
même quelquefois auxquelles elles ont été
exposées, ou les maux, les infirmités, et
n)ille autres espères de croix intérieures et
extérieures, par lesquelles le céleste Epoux
se piaît à éprouver et à purifier les
épouses, et les épouses les plus chéries?
Comment pourrait-elle lire tant de mer-
veilles de la grâce, dans des personnes (pii
ont été faibles comme elle, et |)lus faibles
qu'elle peut-être, sans se sentir de l'attrait,
non-seulement [tour ces saintes peisonnes,
mais encore pour la vie sainte qu'elles ont
menée, pour ces actions de piété auxquelles
elles se sont livrées, pour toutes ces vertus
chrétiennes et religieuses qu'elles ont pra-
tiquées, dans le degré le plus éminenl, et
avec la plus grande |)ersévéranee, cl qui
les ont conduites insensiblement à la plus
grande peifeclion, à la sainteté la (dus su-
blime? Peut-elle alors ne pas désirer de
ressembler à ces saintes qu'elle ne peut
s'emjiêclier d'admirer et d'aimer; de vivre
et de mourir, couiuie elles, dans l'amour
du céleste époux?Dclà, er.( clfet, ces sen-
timents de religion, de piété, d'amour pour
Dieu, d'attrait, d'atiachenient pour son
saint état, de désir de sanctification dont
elle se trouve pénéirée, a|)rès une boinie et
sainte lecture. De là ce dégoût, cet éloi-
gnement qu'elle conçoit [lour le monde,
l^oui- tous les avantag'es faux et tronqieurs
qu'il odVe et qu'il prodigue quelquefois à
ses partisans. De là celte crainte, celte hor-
reur qu'elle ressent, je ne dirai pas seule-
ment pour les fautes grossières, pour ces
péchés qui donnent la mort à l'âme et qui
la rendent ennemie de Dieu et digne de ïa
colère éternelle; mais de plus, pour les
moindres fautes, pour les |)lus légères in-
fidélités, pour tout ce qui peut déplaire au
céleste é|)0ux. Ahl l'on se trouve quelque-
fois après une lecture de piété comme après
une niédilation, tout changé, transformé
en un autre soi-même; de tiède, de lâche,
de peu attachée, et peu fidèle qu'était une
religieuse à tousses devoirs, à ses obser-
vances, elle se sent (licine de bons désirs,
rem|)]ie d'amour pour son saint état et pour
ses saintes |)raliques, cl surtout pleine de
bonne volonté pour l'avenir, aniuiée d'une
résolution ferme de s'y rendre plus fidèle
que jamais; car voilà le troisième effet et
le troisième avantage que procure la lec-
ture spirituelle : non-seulement elle fait
e:>timer la vertu, elle la fait aimer; mais
surtout, et ce qui est essentiel, elle engage
à la [jrati(iuer.
III. Que seiai(-ce en effet. Mesdames,
d'avoir do restimo pour la vertu, de con-
cevoir même un certain ai:rail, un allache-
mcnl pour elle, [tour les devoirs qu'elle
prescrit, si on en restait là ? Les plus grands
|>écheurs, les ira[)ies eux-mêmes ne peu-
vent s'empôchir de l'estimer cl de sentir,
au dedans d'eux-mêmes, un certain pen-
chant pour elle, dans le lemjis même (jue,
503
DISCOI'IIS DE RETRAITE. — SIXIEME JOUR.
'.06
pour s'anloriser dans leurs ddrt^glcnients et
(l;iiis leur iin|ii(?ti^, ils |ior<iisscril au deliors
la mépriser, (pi'ils la railleni cl la (lersécu-
Icnl qucli|uetbis; les démons eux-môines,
l.)ul onueinis tpi'ils sont de la vcrlu, (|ue!-
([u'acliarnés iju'ils soient à la combattre, h
la détruire, sont couime forcés de lui rendre
liommagç, de reconnaiiro tout son priv et
d'estimer ceux u.ui la pratiquent sincèrc-
nient, ce qui no sert qu'il augmenter leur
désespoir et leurs tourments; ce n'est donc
point seulement dans restimc et dans l'a-
mour du bien que consisie le salut et que
le Seigneur a mis ses récompenses éter-
nelles; c'est à le prali quer, à s'y livrer;
c'est de l'aire, de mellre la main à l'œuvre
qui nous rend agréables au Seigneur, dignes
•le son amour et de ses grâces dans le
temps, de sa bienveillance et de ses récom-
penses dans l'éternilé ; or voilà l'heureux
eU'et que | mduit la lecture spirituelle;
après avoir donné une vraie itlée et la plus
grande idée de la venu, après avoir inspiré
de l'allrail et un véiilable allacliement pour
elle, elle (lorle nalurellement à s'y livrer, à
la pratiquer. Oui, Mesdames, comme la lec-
ture des mauvais livies, de ces ouvrages
coui|)Osés pour comballre notre sainte reli-
gion et pour l'anéantir, si elle pouvait l'être,
aveugle l'esprit, pour l'ordinaire, qu'elle af-
faiblit la foi sur les mystères cl sur toutes les
saintes vérités du clirislianisme, qu'elle ins-
pire de l'éloignemenl, du dégoût pour tout
ce tiu'il jirescrii de praliipies et de devoirs;
comme la lecluro de ces livres composés
avec art, 5 dessein de porter aux plaisirs
sensuels, ne manque jamais de corr(jm-
pre le cœur, d'exciter et de lonienler le dé-
règlement des passions, de môme ausst la
lecture des choses saintes porte naturelle-
ment h la sainteté; l'onction de la grûce qui
accompagne ces bonnes lectures se répand
insensiblement dans le cœur; après avoir
éclairé et convaincu l'esiuit, elle louche la
volonté, elle l'ébranlé et la détermine enlln
ii [iratiquer, à imiler ce dont les yeux et
Icsprit viennent de s'occuper : voilà ce qui
est d'expérience, ce que l'on a vu cent et cent
fois. Oui est-ce (pii convertit saint Augustin?
qui d'un homme tout livré à ses passions,
aux dérèglements de la chair, en lit un
iiomme pénilent et morlilié, un vrai chré-
tien, un saint cl un grand sainl? La lecture
des épities de saint Paul ; c'est là ce qui lui
ouvrit enfin les yeux, sur ses désordres, co
(^ui lui en lit concevoir la plus grande hor-
reur, ce qui l'engagea u'en sortir | romp-
lement, do se C'inverlir sincèrement à son
Dieu. Vous savez sans doute. Mesdames, co
que rappoil"^ ce saint docteur lui-même, do
ces deux ollicieis de l'empereur qui, as-
sistant, par hasrird, h la lecture de la vie do
saint Antoine, furent également touchés et
éclairés, et se dirent l'un à l'autre. Que fai-
sons-nous? A quoi se teiinimra la vie que
nous menons? Quel fruit et quelle récom-
pense tirerons nous de tous ces travaux, de
ces services cpie nous rendons à un homme
uiortol comme nous ? Hélas ! celui dont nous
venons d'en'entlro -lire les actions, et une
infinilé d'aulres, ont vécu, comme lui, dans
réloigiicment du monde, dans le mépris des
honneurs, des richesses et des plaisirs de la
terre; il se sont livrés au recueillement, à la
[iénitence, ils ont paru uniquement occupés
de plaire au Seigneur, en pratiquani fidèle-
ment sa loi, en se conformant, non-seule-
ment aux préceptes, mais encore aux sim-
ples conseils de l'Evangile de Jésus-Chrisl,
et a|)rès avoir vécu heureux et contents sur
la (erre, ils ont ravi le ciel, et se sont as-
suré une récompense souveraine et éier-
nelle; et nous, après avoir employé nos la-
lents, épuisé nos forces, noire sanlé, nos
richesses, au service d'un grand du monde,
incapable, avec toute sa grandeur el tout
son pouvoir, de nous rendre parfaitement
heureux, que pouvons-nous en attendre?
Quel bien peul-il nous faire, en cette vie,
et dans l'autre surtout? Ces sages et solides
réflexions les portèrent enfin à préférer le
service du maître souverain de l'univers à
celui d'un prince de la terre, et à se consa-
crer pour toujours, dans la retraite, aux
œuvres île sainteté et de salut.
Qu'est-ce qui changea entièrement le
cœur de saint Ignace? Qui, d'un brave guer-
rier, en fil un courageux soldat de Jésus-
Christ, le fondateur d'un ordre célèbre, qui
a rendu à l'Eglise les plus grands services?
Une lecture de la vie des saints, entreprise
même plutôt pour charmer l'ennui où le
|)longeait un repos forcé, que pour s'édifier
et s'instruire; le Seigneur s'en servit ce-
pendant pour lui ouvrir les yeux, pour lui
faire sentir le vide, le néant des honneurs
el de la gioire qu'il avait recherchés jusque
là avec tant d'avidilé. Ignace, tout changé,
transformé en un autre homme, tourne ses
vues, ses desseins, ses démarches, non plus
vers une gloire vaine, chimérique et pas-
sagère, mais à se procurer la gloire souve-
raine el éternelle du ciel, en travaillant
courageusement à celle de Dieu. Combien
d'aulres exemples de pareilles conversions
ne pourrais-je point vous citer ici, Mesda-
mes, occasionnées par des lectures de piété
suivies et assidues ! Mais pour vous en con-
vaincre, (lu'ai-je besoin d'exemples étran-
gers? Je n'hésiterai point à en appeler à vo-
tre iiroi're expérience. Combien do fois,
ai)rès une lecture sainle, après avoir lu avec
attention un trait des miséricordes du Sei-
neur envers les âmes, ou quelques vérités
les plus iujporlanles de la religion, nvez-
vous été intérieurement émues et touchées ?
Combien de fois, après avoir lu les avanta-
ges que procure la vertu, dès celte vio, el
dans l'autre surtout, el les maux au con-
traire qu'attire le péché, ne vousêles-vous
pas senties sollicitées intérieurement do
prendre plus que jamais les moyens d'évi-
ter ces maux, et de vous procurer ces
avantages, et pour cela de vous ac(iuittcr,
avec plus de fidélité que jamais, de vos de-
voirs de chrétiennes et de religieuses, de no
rien négliger |iour plaire h votre céleste
époux el pour vous sauclitior? Combien do
5C7
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
508
fois, après avoir lu tout ce que votre Dieu
a fait pour t')us les lioiniues en général et
pour vous en pnriiculi; r, après avoir lu tous
ces bienfaits généraux et particuliers, des-
quels il vous a comblées et desquels il ne
cesse de vous combler; après avoir lu l'his-
toire de ses peines, de ses travaux, de sfs
humiliations, de ses souffrances, par les-
quelles il a mérité votre réderaplion, volie
sniictiflcalion, combien de fois une pareille
lecture vous a-t-elle conune forcées de re-
tomber sur votre conduite passée, sur vous-
mêmes, de vous reprocher de n'avoir pas
correspondu assez fidèlement à tous ses
desseins sur vous, de n'avoir point assez
profité de tous ces moyens de sanctification
qu'il vous a offerts et comme prodigués; de
n'avoir point rendu, par là, ses souffrances,
son sang et sa mort aussi efficaces, à votre
égard, que vous l'auriez pu et que vous l'au-
riez dû ? Avez-vous pu vous livrer à toutes
ces 'réflexions et vous faire tous ces re-
proches, sins prendre des résolutions sain-
tes, sans former, pour l'avenir, des pro-
ieis de réf)rme et de fidélité? Combien de
fois encore, en lisant la vie, les actions
saintes et héroïques de ceux et de cel-
les qui se sont sanctifiés dans le christianis-
me et dans votre saint institut, peut-être,
combien de fois vous êtes-vous reproché
de ce que, dans le même état, avec les mê-
mes secours, les mêmes moyens de sancti-
licalion, vous en avez si peu profité et en
profitez si peu? Combien de fois vous est-il
arrivé de vous dire à vous-mêmes ce que se
disait saint Augustin? Hé quoi I écouterai-
je toujours mes répugnances, mes inclina-
lions naturelles, ma lûchelé? Pourquoi ne
pourrais-je pas ce que tels et telles ont pu :
Niimqiiiapoterisquodistielislœ?Wavez-\ous
pas ensuite, comme lui, pris la résolution
de prendre pour modèles de votre conduite
à l'avenir, ces justes dont vous admiriez la
sainteté? De profiler, à l'exemple de ces
grandes âmes, des grâces considérables at-
tachées à votre saint état ; de vous rendre,
plus que jamais, fidèles aux engagements
sacrés que vous avez contractés avec votre
Dieu ! De travailler pour cela, avec plus de
zèle et d'application que par le passé, au
grand ouvrage de votre perfection? N'a-t-on
jias, en effet , aperçu du changement en
vous, et n'avez-vous pas, pendant quelque
temiis du moins, montré plus d'exactitude
et de fidélité à tous vos devoirs, mené une
vie plus recueillie, plus mortifiée, plus fer-
vente, plus religieuse, en un mot? Voilà
donc. Mesdames, les plus admirab'es effets
que produisent des lectures saintes; après
avoir donné une véritable idée de la vertu,
apiès en avoir fait connaître tout le pris et
les grands avanlages qu'elle procure à l'âme
(]ui s'y livre ; après lui avoir inspiré le gotît
el l'amour de la vertu, le désir sincère de
l'embrasser, de s'acquitter de ses devoirs,
de se perfectionner et do se sanctifier, elle
finit |)ar t)Orter la volonté à s'y livrer en
elfel, 5 travailler uniquement et consfam-
uieni à sa sanctification, h éviter pour ccia,
avec soin, le péché, les infidélités, les im-
perfections môme qui la détourneraient de
ta voie dé la perfection et de la sainteté, qui
l'empêcheraient du moins d'y marcher, d'y
courir, pomme elle le doit, et à employer
couragtMisemetit tous les moyens qui peu-
vent concourir à la perfectionner, à la sanc-
tifier. Mais, Mesdames, afin que la lecture
spirituelle produise ces excellents effets, il
ne suffit pas de se livrer à cet exercice, il
faut, de plus, s'en bien acquitter. Ainsi,
après avoir considéré les grands avantages
que peut procurer la lecture spirituelle,
voyons présentement, comment et avec quel-
les dispositions il faut la faire pour en re-
tirer du fruit et profiter de ces avantages,;
c'est le sujet de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Ce n'est pas, Mesdames, vous le savez,
de faire une action sainte en elle-même qui
nous rend agréables à Dieu, et qui nous
sanctifie, c'est de la faire saintement. Com-
bien qui, dans ce qu'ils font, ou dans ce
qu'ils paraissent faire pour Dieu, le ren-
dent absolument inutile et se mettent dans
le cas de n'en recevoir aucune récompense,
par le défaut d'intention pure, de disposi-
tions saintes? Appliquons cette vérité au
sujet que je traite ici. Bien des chrétiens,
les personnes religieuses surtout, sont com-
munément exactes, assidues à la lecture
spirituelle; chaque jour, on les voit se li-
vrer à ce saint exercice. Pourquoi donc et
coaiment se peut-il que [)lusieurs n'en re-
tirent aucun fruit et n'en deviennent pas
plus saintes? Le voici : c'est qu'elles pè-
chent, ou dans la fin qu'elles se proposent
dans leur lecture ou dans leur conduite après
leur lecture. Voulez-vous donc. Mesdames,
que vos lectures spirituelles soient toujours
saintes, utiles et (irofitables à votre âme?
Ayez soin, avant de lire, de bien purifier
votre intention; apportez, en lisant, louto
l'attention , toute l'application dont vous
êtes capables; raeltez en pratique, après
avoir lu, les sentiments et les moyens de
salut et de perfection que votre lecture
vous aura indiqués; En trois mots, infenlioa
pure avant de lire; application suivie en
lisant; docilité constante après avoir lu :
voilà ce que je vais vous exjiliquer si vous
voulez m'accordor encore quelques moments
do votre attention. i
L Je dis que la première disposition né-
cessaire pour faire, avec fruit, une lecture
spirituelle, c'est une grande pureté d'inten-
tion; c'est là. Mesdames, ce qui donne le
I)rix et la valeur à toutes nos actions; les
plus considérables faites sans ce motif ne
sont rien devant Dieu; comme au contraire
les plus petites, les moins importantes, en
apparence, dès qu'elles sont accompagnées
d'un'.molif surnaturel, d'uneintention droite
et sainte, sont toujours agréables et méri-
toires à SCS yeux. Un verre d'eau froide
donné jiar le motif d'une vraie charité ne
sera point sans récompense, a dit le Fils de
D eu : or, une religieuse ne l'a point^ ce
500
DISCOURS I)L RETRAITE. — SIXIEME JOUR.
510
inotifsurnalurel, celte intention pure elagréa-
Mo an Seigneur, lorsqu'elle cniroprend une
ieoture spirituelle par un esprit d'orgueil,
de ruriosilé, d'amusement, lorsqu'elle elicr-
clie et se procure des livres peu co'ivenn-
bles h ses dispositions, à son étal, des li-
vres à la mode, si je puis m'exprimcr ainsi,
qui ont de la réputation, qui sont d'un stylo
lieuri et recherché ou qui traitent des ma-
tières d'une spiritualité, d'une mysticité
extraordinaire ou dangereuse pour elle
peut-ôtre; elle ne l'a point, celte intention
pure, lorsqu'elle lit de bons livres pour
pouvoir en parler comme les autres et
dire qu'elle les a lus; ce n'est [)Oint avoir
une intention pure et sainte de lire par
amour-propre pour se former des idées et
parler lelangagedela piété, delà spiritualité,
pour passer pour mystique dans l'esprit
des autres, ou bien encore pour pouvoir
s'élever à un état et à des voies extraordi-
naires auxquelles le Seigneur ne l'appelle
point et qui peuvent la jeter dans l'illusion,
clans l'égarement.
Ainsi, pouravoir cette pureté d'intention,
Mesdames, vous devez donc ne rechercher
dans vos lectures que la gloire de Dieu,
et la plus grande sanctification de vos âmes;
vous devez désirer et avoir intention de
vous instruire de plus en plus des moyens
propres à vous avancer dans la voie de la
|.orfeclion, dans laquelle vous êtes entrées ;
mais pour cela, vous ne devez donc lire que
des livres propres à produire en vous ces
bons elfets. Loin de vous par conséquent
toute autre espèce décrits, quelqu'ins-
truclifs d'ailleurs qu'ils puissent être; en
vous consacrant au Seigneur, dans la reli-
gion, vous avez dû renoncer, et vous avez
renoncé en eifet à tout ce qui pouvait être
contraire à votre perfection: or le moindre
danger que vous jpuissiez courir, à lire des
histoires ou d'autres ouvrages profanes,
c'est de dissiper votre esprit, de dessécher
votre cœur, et de vous dégoûter par là, non-
seulement des livres de piété, mais encore
de la piété elle-même. Il est cependani, sur
cela, une exception à faire; il est des reli-
gieuses que l'emploi qu'elles occupent dans
la religion, que l'éducation de la jeunesse,
dont elles sont chargées, autorisent à faire
des lectures propres à la former et h Tins-
Iruire ; mais encore, dans ce cas, outre un
motif bien pur, bien religieux qu'elles doi-
vent avoir, il est pour elles de sages précau-
tions à prendre, soit dans le choix des li-
vres, suit par rapport au temps de ces
lectures, aûn qu'elles ne puissent nuire à
leur âme, à 'a perfection qu'elles doivent,
toujours et en tout, avoir principalement
en vue, dans leur saint état.
Mais si vous devez. Mesdames, généra-
lement parlant, ne lire que des livres de
piélé, ce n'est pas une raison pour vous de
lire indifféremment tous les livres de piété.
Hélas! combien aujourd'liui surtout et plus
que jaujais, qui niérileut bien peu ce titre !
Combien de ces livres conqiosés sans ordre,
sons ouclion, sansciialeur, ouvrages dictés
le plus souvent par -l'amour-propre, et par-
la toujours aussi préjudiciables <» ceux (pii
les font, qu'inutiles à ceux qui les lisent 1
Loin de vous surtout. Mesdames, je ne dis
pas seulement ces livres do doctrine qui ne
contiennent que l'erreur, et uniquement
composés pour la défendre et pour porter
les esprits à la révolte conire l'Eglise, je
dis de plus, ces livres de piété dictés par
l'esprit de nouveauté ; c'est par eux, vous
no l'ignorez pas, que l'erreur est entrée
dans une infinité de monastères, qu'elle s'y
soutient et qu'elle conduit une infinité
d'épouses de Jésus-Christ à la réprobation
éternelle. Ces livres, ne fussent-ils ni con-
damnés ni erronés, dès que vous êtes as-
surées que leur auteur était, par ses sen-
timents, ennemi de Jésus-Christ et de son
Eglise, l'Esprit-Saint n'ayant point présidé
h son travail, jamais ils ne pourraient, ces
livres, vous porter à une vraie piété, et con-
tribuer 5 vous perfectionner, à vous sancti-
fier. Rien en effet, je dois vous le dire ici,
rien qui ait moins d'onction, qui porte
moins à la dévotion, que ces prétendus li-
vres de piélé composés par quelques réfrac-
taires, desquels on exalte cependant asse-z
souvent, et avec autant d'emphase que de
fausseté, le mérite et l'excellence.
Voulez-vous donc. Mesdames, que vos
lectures spirituelles vous soient véritable-
ment utiles, cherchez et préférez toujours
des ouvrages faits par des saints, reconnus
tels par l'Eglise, ou qui soient morts ses
vrais enfants, et en odeur de sainteté; ils
l'ont prêchée [lar leurs actions pendant leur
vie, ils la prêchent encore et l'inspirent
après leur mort dans leurs écrits. Quelle
onction répandue dans les écrits d'un saint
Bernard, d'un saint Bonavcnture, d'un saint
François de Sales, d'une sainte Thérèse, et
de tant d'autres que nous avons le bonheur
de posséder, et que nous n'estimons point
assez I On ne peut les lire sans se sentir in-
térieurement porté à pratiquer la vertu, à
l'aimer sans se reprocher et sans rougir de
n'être pas ce que l'on doit être, et ce qu'il
est si facile d'être.
Mais parmi les vrais, les bons livres de
piété, et c'est un autre avis que ie crois de-
voir vous donner ici, Mesdames, préférez
toujours et à tous les autres, ceux qui
traitent de l'excellence et des devoirs de
votre saint état ou de votre saint institut, oa
ceux du moins qui y ont le plus de ra|i-
port; ce sont ceux-là qui vous instruiront
solidement, et desquels par^conséquent vous
retirerez plus de fruit. Et ne me dites point
ici, ce que j'ai entendu dire plus d'une fois,
que vous les avez tant lus, ces livres, que
vous les savez par cœur; car h cela je vous
répondrais en premier lieu, que vous vous
trompez; qu'il y a dansées livres une in-
finité do vérités utiles, de principes solides,
qui vous ont échappé; qu'un excellent livre
d.e piélé, un livre ûe'V Imitation de Jéfus-
Christ, par exem|)le, est une mine richa et.
inépuisable, dans laquelle on découvre sans
cosse de nouveaux trésors; qu'à une ceu"
su
ORATEURS SACRES. LABRE DE MONTIS.
512
lième Icc'ure, (et ceci est d'expérience) on
aperçoit des vérités qui avaient échappé à
totiies les précéflentcs.
Mais je vous dirais, en second lien, que
quand il serait vrai que vous les sussiez
jiar cœur, ces bons livres, ce n'est pas là de
quoi il s'agit; l'essentiel est de les avoir
dans le cœur, d'en goûter les niaxiaies et la
doctrine, de l'aimer, de la pratiquer : or en
ôles-vous 15, je vous le demande ? Saint
Tliomas, ce grand docteur de l'Eglise, disait
que le moyen de devenir savant, était de ne
lire qu'un livre : ce n'est donc point un
moyen de devenir habile dans la science
des saints, do parcourir rapidement un
grand nombre de livres, de s'en procurer et
surtout d'en posséder un grand nombre.
Abus, Mesdames, (pour le dire ici en [)as-
sant) assez commun dans les monasières;
des religieuses exactes d'ailleurs, délicates
même sur la pratique du vœu de pauvreté,
ne se font quelquefois aucun scrupule d'a-
voir beaucoup de livres, de se former dans
leur cellule une pelile bibliothèque, s'ap-
puyant et cherchant à tranquilliser leur
conscience, quoique mal à propos, sur une
permission qu'elles n'auraient pas dû de-
mander, et que la supérieure n'aurait pas
dû m.corder, et qui à la mort ne les pré-
servera point de vifs remords, et au tiibu-
nal de Dieu, des reproches d'avoir lians-
gressé sur cet article un vœu solennel qui
ne soulfrait aucune exception. Une inten-
tion bien pure, l'unique motif de s'instruire
et de s'avancer dans la voie de la perfec-
tion, remédierait par lui-même à de pareils
abus. Mais à cette première disposition, il
en fout ajouter une autre, c'est une applica-
tion suivie pendant la lecture.
• . 1. C'est le défaut de celte application.
Mesdames, qui rend souvent inutile et sans
fruit la lecture spirituelle. Combien en eil'et,
surtout dans les communautés religieuses,
qui, outre les lectures communes qu'elles
entendent, en l'ont chaque jour de particu-
lières, qui sont même exactes et fidèles à
cet exercice, qui cependant ne contribue
en rien h leur avancement spirituel, faute
de celte allenlion, de celle conslante appli-
calionlCombieneneffeten esl-il auxquelles,
tn interrompant leur lecture, on pourrait
dire ce que le saint diacre Philippe dit h
l'eunuque de la reine de Candacc, qu'il
rencontra lisant un prophète! Conqjrenez-
vous bien ce que vous lisez? Hé 1 comment
le comprendraient-elles? Elles portent à ce
saint exercice un esprit naturellement et
habituellement dissipé, occupé do toute
autre affaire que de celle de leur perfection
et de leur salut. Comment le compren-
drttienl-elles? Elles lisent avec tant dodis-
traction et si peu d'application que leur lec-
ture terminée, si on leur demandait ce
qu'elles viennent de lire, quelle matière
et quel j)Oint de doctrine ou de spiritualité
leur lecture a eu pour objet, à peine j)0ur-
laienl-elles le dire, bien loin d'être en état
(le rendre compte des pensées cl des son-
limenls qu'elle leur a fait concevoir. Com-
ment le comprendraient-files? EHcs lisent
avec une préci(iilalion qui ne leur permet
pas de faire la moindre réflexion, le f)lus
petit retour sur elles-mêmes; c'est-è-dire
qu'elles lisent pour pouvoir dire j'ai lu,
pour dévorer promplement un volume,
dans la vue d'en prendre un aulre qu'elles
désirent de lire, désir purement naturel,
fondé uniquement sur la petite vanité de
pouvoir se glorifier d'avoir lu un tel livre,
d'en porter un jugement bien plus fondé
sur les idées des autres que sur leurs pro-
f)res idées, ou [)Our pouvoir se glorifier en-
core qu'elles ont fait lecture de tant de vo-
lumes dans une année, lecture qui, plus
elle a été rapide et abondante, plus aussi
a-l-elle été stérile et infructueuse. Com-
ment comprendraient elles ce qu'elles li-
sent? Elles mettent toute leur attention,
non aux bonnes maximes, aux vérités sain-
tes que le livre contient, mais à la façon et
au style avec lequel ces vérités et ces maxi-
mes sont exprimées.
Désirez-vous donc. Mesdames, profiter de
vos lectures, demandez d'abord au Seigneur
qu'il vous inspire un grand désir de les
mettre en pratique; demandez- lui plus
d'une fois cette grâce dans le cours de vo-
tre lecture, et surtout lorsque vous ne
comprenez pas ces vérités saintes, ou
qu'elles vous affectent peu; appliquez-vous
ensuite à vous-ihêmes ce que vous lisez;
sondez, interrogez votre propre cœur; exa-
minez vos dispositions actuelles; deman-
dez-vous à vous-mêmes si vous n'avez rien
à vous reprocher, si votre conduite se
trouve conforme à ce que vous lisez; lors-
que vous vous sentez touchées, arrêtez-
vous alors, revenez sur ce qui vous a fait
impression, relisez-le plus d'une fois, c'est
un moyen sûr do l'imprimer de plus en
&lus dans votre esprit et dans votre cœur,
ne excellente pratique encore, c'est d'é-
crire, en peu de mots, ce qui vous a frap-
pées et touchées, afin de le relire de temps
à autre, et surtout lorsque vous vous sentez
lièdes et lâches, sans goût, sans attrait
pour la piété, ce qui arrive eux âmes les
plus saintes et les [)Ius [jarfailes quelque-
fois; ces petits écrits, fruits dn vos lectu-
res, vous réveilleront, pour ainsi dire, ils
vous ranimeront : vous vous demanderez
alors p'^urquoi vos dispositions sont chan-
gées ; &i vous n'avez pas toujours le même
Dieu à servir, le même époux à satisfaire,
le môme ciel à conquérir, les mômes en-
gagements à remplir, la môme âme h per-
Icctionner et à sauver; à l'exemple de la
sainte Vierge qui, œmme le dit l'évaiigé-
lisle, conservait dans son cœur, et qui ré-
fléchissait sur tout ce qui regardait son
cher Fils Jésus-Christ {Luc, II, 51); vous
vous rappellerez souvent les vérités saintes
qui vous auront occupées ; mais vous n'en
resleroz pas là; vous vous sentirez inspi-
rées, et vous en prendrez la résolution d'a-
gir, iio réduire en pratique ce qui vous a
touchées, ce que vous av^z jugé propre à
vous eauctifior, à vous rendre de plus en
S13
DISCOUlîS DE RETRAITE. — SIXIEME JOUR.
5U
plus agrCaliIe'S Ji volrc célosto é|>oiix , dor-
nièro disposition qui doit suivre vos lec-
tures S|iiriluclles.
m. Que vous servirait en olTot, Mesda-
mes, de choisir de bons livres, dos ouvra-
ges propres à vous instruire dans les voies
de la perfection et à vous y faire marclior?
Que vous servirait encore de les lire avec
toute l'allention dont vous ôtes capables,
d»^ faire, sur ce que vous lisez, les ré-
flexions les plus sérieuses, les plus utiles h
voire avancement spirituel, si vous en res-
tiez là? Vous deviendriez alors comme cette
personne dont parle l'apôtre saint Jacques
(7ac.,I,23), qui, après s'être considérée
dans un miroir, se relire, et ne pense plus
h ôjer les taches qu'elle avait aperçues sur
son visage; ainsi après avoir considéré,
dans une bonne et sainte lecture, ce que
vous devez faire et ce que vous ne faites
pas, après avoir remarqué ce que vous Wi-
les et ce que vous ne devez pas faire,
après avoir aperçu, en un mot, le bien que
vous nefaiiespas, les vertus que vous no
pratiquez pas, les œuvres de n)ortificalion,
de cl.arité, de sainteté auxquflles vous
fiourriez et devriez vous livrer, et que vous
négligez cependant, après avoir considéré
dans vous tel el tel défaut, telle et telle in-
lidéliié, telle et telle imperfection qui est
entièrement opposée h l'esprit de [)erfec-
lioii que vous avez vouée, dans votre saint
élal, l'essentiel est do vous armer do cou-
rage, d'entreprendre prom|)tcment et sans
liésiter tout le bien que vous jugez devoir
faire pour vous perfectionner, pour vous
sanclilier; sans cola vous vous rendriez
beaucou|) plus coupables aux yeux de Dieu
que celles qui, dans votre saint état, se
trouveraient moins instruites et moins
éclairées que vous. Le serviteur, dit le Fils
de Dieu, qui connaît la volonté de Sun maî-
tre et qui ne la fait pas, est bien plus ré-
piéhonsible et plus digne de chillinient que
celui qui ne la connaît pas.
Voilà donc, Mesdames, quel doit être io
fruit el la (in unique de vos lectures spiri-
tuelles ; c'csl do vous rendre meilleures,
plus saintes, [>lus parfaites aux yeux de
voire céleste éj)0ux; le résultat de vos ré-
Ik'xions, de ces retours sur vous-mêmes
(juc vous n'avez [m vous empêcher de faire
en lisant, c'est de prendre des résolutions,
mais particulières, mais eflicaces, relatives
à la lecture que vous avez faite , et conve-
!i,ib!es à voire étal, aux bes!)ins de volrc
.iiue. Prenez garde , s'il vous plaît, je dis
résolutions eflicaces, c'est-à-dire, que vous
mettiez véritablement à exécution ; car en-
lin , il arrive assez souvent, surtout lors-
qu'on lit des livres de piété, avec attention ,
et dans do -'ainles dispositions, do former
dos jirùjets pour l'avenir, de |)rendro des
résolutions, do f.dre des [iromessos au Sei-
gneur, mais assez souvent aussi, on ne va
I as jjIus loin, c'esl-à-dire (lu'oii est tout do
feu pour les résoluliims , el tout do glace
(>our laclion ; au lieu do mettre, et piouqi-
temeni, la main ■» l'œuvre, ou écoute su lû-
clielé, l'amour de ses ais( s, de ses commo-
dités; et sous mille faux prélexles suggérés
par l'ospril leiitateur , ou par l'amour [)ro~
pre, on ne fait rien do tout ce qu'on avait
projeté do faire et de ce qu'on sent bien
qu'il faudrait faire pour plaire au Seigneur:
on ne se dit pas, à la vérité, qu'on ne veut
pas agir, se combattre, se mortifier; non, on
n'en vient pas jusque-là; mais on remet
sans cesse à un autre temps, et à un temps
qui ne vient jamais, ce qui fait qu'on reslo
toujours aussi lâche, aussi tiède, aussi im-
parfaite, et qu'au milieu de tant do secours,
de moyens de perfection, de sainteté, on
meurt dans sa lâcheté, dans sa liédeuret avec
tous ses défauts, toutes ses imperfections.
Hélas 1 Mesdames, il y a longtemf)s qu'on
l'a dit, et cela n'est que trop vrai : l'enfer
est rempli de bons desseins, de grands
projets, de saintes résolutions; l'essentiel,
pour la sainteté, est donc d'agir, d'exécu-
ter, et promptoment, lout ce qu'on a jugé,
devant Dieu, devoir faire pour so sancti-
fier et pour lui plaire.
Ah ! Seigneur, est-ce ainsi que je me suis
conduite depuis tant d'années que j'ai le
bonheur d'ôlie dans la religion? Je me li-
vre, à la vériié, avec assez d'exactitude, à
des lectures saintes et propres h me sanc-
tifier, et qui en ont sanctifié une infinité
d'autres; cependant combien peu de fruit
j'en ai retiré jusipi'ici 1 No serait-ce point
que j'ai plutôt cherché à satisfaire et à
nourrir mon esprit qu'à réformer et à sanc-
tifier mon cœur? Que de livres j'ai lus par
pure curiosité, el que je jugeais même pou
propres à me perfectionner, ou si j'ai fait
des lectures convenables, quelle atïenlioii
y ai-je donnée? Combien do ^fois j'y ai
porlé un esprit distrait et dissi[)é qui m'a
empêché do faire d'uliles réflexions et de
prendre des résolutions do me corriger ! Si
j'en ai prises quelquefois, hélas! je les ai
toujours rendues, par ma faute, inellicacos;
mais puisque vous permellez, ô mon Dieu,
que je sois éclairée aujourd'hui et que je
connaisse les obstacles qui, jusqu'à présont,
ont empêché le fruit de mes lectures, je
me profjoso de les éviler à l'avenir : je ne
mo livrerai donc jamais à ce saint exercice
que je n'aie purifié devant vous mon in-
tention et invoqué les lumières de votre
Esprit Saint; j'y porterai ensuite un re-
cueillement, une allontion qui ne mo fasse
rien perdre des vérités saintes dont j'occu-
perai mon esprit. Je no quillorai point la
lecture sans (irendro quelques résolutions
particulières, coidurmes à ce cjuc j'aurai lu
el aux besoins do mon âme; je regarderai
les ouvrages do piélé que je lirai comme
dus lellres pleines d'avis salutaires quo
m'écrivcsnt ceux et celles qui se sont sanc-
tifiées sur la terre cl ([ui jouissent présen-
tement du bonheur de vos élus, ou comme
des écriis dans lesquels vous me déclarez
vos volunlés. Avec ces pensées el dans do
panilles dispositions, mes lectures seront
véritablemoiit utiles à Uion âme; elles la
i'eifcctionneronl, elles la sanctifieront et la
315 ORATEURS SACRES L'AIÎBE DE MONTIS.
rendront enfin par là plus digne de vous et
de vos récompenses éternelles. Ainsi soit-jl.
SEPTIEME JOUR.
Premier discours.
116
SUR L AMOUR DE DIEU..
Diliges Doniiiium Deiim luiim ex lolo corde liio, et
ex tola anima liia, et ex omnibus viribiis luis, el ex
omni nienle Uia. {Veut., VI, 17, 3; Luc, X, 27.)
Vous (limerez le Seigneur votre Dieu de (oui voire
cœur, de toute votre àme, de toutes vos {orccs, et de tout
votre esprit.
Tel est, Mesd.imos , le pri'cepte que Dieu
donna par lerainislère de Moïse à son peu-
|)le , ot que Jésus Christ a renouvelé dans
sou Evangile en l'appelant le [)reinier et le
plus grand des préceptes. Le premier, par-
ce qu'il est à la tête de tous ceux que le
Seigneur a laits; le plus graïul , parce qu'il
nous porte à l'accomplissement de tous les
aulres, qu'il les relève infiniment, qu'il nous
aliache si étroitement à noire Dieu, que
pour réunir dans ufi seul mot de saint Au-
Kiislin tous les éloges que les Pères de
l'Eglise lui ont donnés, il nous rend en
(pielque sorte dcis dieux nous-mêmes :
Deum ditigis , Deus eris. Que nous sommes
donc heureux. Mesdames, de pouvoir ai-
mer nolrt) Dieu I Ah 1 s'il ne nous l'eût per-
mis , la considération et de son infinie graiî-
d'ur el de noire extrême bassesse , de notre
néant, nous eût sans doute empêchés de pré-
tendre à ce bonheur; mais non-sçulement
il nous le permet; jaloux, pour ainsi dire,
de la possession de nos cœurs il nous invite,
il nous presse, il nous sollicite, il nous
commande môme de l'aimer : Diliges Do-
miniini Deum tuum. Mais que devons-nous
le plus admirer ici , ou la bonlé d'un Dieu
qui sollicite, qui veut l'amour de l'homme,
ou l'insensibilité de l'homme qui refuse à
Dieu son amour? Car, sans parler .de tant
de milliers d'infidèles qui bien loin de l'ai-
mer ne le connaissent pas, qu'il eA rare
cel amour, même parmi les chrétiens, mô-
me parmi les personnes attachées à son ser-
vice d'une façon j)lus parliculièrc, plus i)ar-
laite que le comnuui des chrétiens I C'est
donc, épouses de Jésus-Christ, pour exciter
de {)lus en plus vos cœurs à aimer votre
Dieu, et à l'aimer coaune il exige lui-même
que vous l'aimiez, que je viens vous remet-
tre devant les .yeux, et les motifs puissants
qui doivent vous engager à aimer Dieu : ce
sera le sujet de la première partie de ce
discours; et les qualités que doit avoir vo-
tre amour pour être sincère et véritable :
ce sera le sujet de la seconde partie. En
deux mots: Pourquoi devez-vous aimer vo-
tre Dieu? Comment devez-vous aimer voire
Dieu? Deux réflexions des plus intéressan-
tes; honorez-moi, s'il vous plait, de toute
votre attention. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour vous engager efiricacement, Mesda-
mes, et pour nous engager tous à aimer
notre Dieu , je n'ai, ce semble, qu'à vous
faire considérer dllentivemcut ce qui se
passe dans notre cœur par rapport aux
créatures; il en est en effet que nous ai-
mons paraîtrait, par inclination naturelle,
parce qu'elles possèdent des perfections, des
qualités qui nous les rendent aimables,'; il
en est d'autres que nous aimons par grati-
tude, par reconnaissance, parce que nous
en avons reçu autrefois des bienfaits, ou
que nous eu recevons peut-être encore ac-
tuellement : ainsi nous aimons naturelle-
ment ou ce qui est aimable en soi ou ce
qui a de l'amour pour nous. Cela élant.
Mesdames, je dis que tout doit vous porter
à aimer votre Dieu, parce que si vous le
considérez en lui-môme, c'est un être doué
d'une infinité de perfections : pourriez-vous
donc ne pas aimer un Dieu infiniment aima-
ble en lui-même ? Si vous le considérez par
rapport à vous-mêmes, vous remarquerez
une infinité de bienfaits dont il vous a com-
blées et dont il vous comble tous les jours;
pourriez-vous donc ne pas aimer un Dieu
qui vous a aimées et qui vous aime infi-
niment? Ainsi les perfections infinies de vo-
tre Dieu ; les immenses bienfaits de votre
Dieu; deux puissants motifs par lesquels
je prétends lui attacher aujourd'hui et plus
que jamais tous vos cœurs.
1. Et d'abord. Mesdames, si j'entreprends
de vous faire connaître votre Dieu pour
vous engager à l'aimer, je ne prétends pas
vous en donner une idée paifaite et (jui
renferuic tout ce qu'il est en lui-môme.
Non, ce serait une témérité do l'enlrepren-
dre; nous pourrons bien un jour le voir el
le posséder; mais jamais, jamais nous ne
le pourrons comprendre; quelqu'incompré-
hensible cependanl (ju'il soil en lui-même,
je ne crains point d'avancer que ce que no-
tre faible raison soutenue des lumières de
la foi nous en découvre , est bien capable
de nous engager à l'aimer et à l'aimer de
tout notre cœur ; car je dis et je vous prie
de le remarquer avec luoi ; je dis que Dieu
possède une infinité de perfections éuiinem-
raent, qu'il les possède purement, qu'il les
possède constamment; il les possède émi-
nemment, f)arce qu'il les {)Ossôde sans bor-
ne ni limite; il les possède purement, parce
qu'il les possède sans aucun mélange d'im-
(lerfeciion ; il les possède constamment,
parce qu'il les possède sans craindre de les
perdre jamais: autant de qualités qui, ne se
trouvant dans aucune créature, devraient
nous détacher de toutes pour nous altacher
uniquement à notre Dieu Créateur.
Je dis donc, en premier lieu, cpie Dieu pos-
sède une infinité de perl'eclions éminemmeiil,
c'est-à-dire sans borne ni limite. Oui , Mes-
dames, notre Dieu est l'Etre suprême, cet
Etre par excellence, indépendant de loul
être, qui n'ayant pu ôire borné ni limité à
un certain nombre, à un certain degré do
perfection, en possède par conséquent une
infinité et dans un degré infini. Keprésen-
tez-YOus donc un objet parmi les créatures,
qui renferme en lui-môme tout ce qu'il peut
y avoir de plus beau, de plus parfait, de
plus ca[>able do concilier votre estime et
317
DISCOURS DE RETRAITE. — SEPTIEME JOUR.
S18
de gagner voire cœur : donnez , donnez
pour cela tout l'essor à voire esprit et à
votre imagination ; puis, dites-vous h vous-
mêmes : tout cela n'est point mon Dieu ;
tout cela n'est rien, comparé à mon Dieu;
toutes ces beauU'^s et toutes ces perfections
ne sont que dos ombres légères, des traits
l)ien imparfaits des l)eaulés et des perfec-
tions inlinies que Dieu a bien voulu impri-
mer sur ses créatures, mais qui, à parler
proprement, ne méritent pas le nom de per-
fections : grandeur, sagesse, puissance,
douceur, raagniliccnce , bonté, non, vous
n'êtes rien, lorsque je vous considère bors
lie mon Dieu; lui seul est véritablement
grand, parce que lui seul ne reconnaît au-
cun être au-dessus de lui et qu'il n'a au-
cun besoin de ses créatures pour se soute-
nir; sa grandeur, ainsi que toutes ses au-
tres perfections, ne reconnaissant d'autre
borne que l'infini : Et înagnitudinis ejusnon
est finis. {Psal. CXLIV, 3.) Lui seul est
donc infiniment grand, infiniment puissant,
infiniment riche, infiniment sage, lui seul
par conséquent est infiniment aimable.
Ah! Mesdames, nous avons tous un |)en-
cfiant, une inclination naturelle pour ce
qui est aimable ; je ne dois point la con-
damner ici, celle inclination, c'esl le Créa-
teur lui-môme qui l'a mise au fond de no-
tre cœur : mais ce que je voudrais, ou plu-
tôt ce qu'il exige de nous, lui-même, c'est
qu'elle ne se tourne jamais, cette inclination,
vers aucun objet indigne de notre cœur;
aimons, à la bonne heure, mais aimons ce
qui mérite véritablement d'être aimé : or
Dieu, et Dieu seul mérite notre amour,
parce que lui seul possède de véritables
perfections. Et pourquoi, dit saint Anselme,
iriez-vous chercher dans les créatures ce
que vous trouvez dans le Créateur? Aimez,
aimez votre Dieu et vous avez tous les
biens que vous pouvez désirer et posséder,
accoutumez-vous à aimer le Créateur dans
ses créatures. Hé quoi ! s'il se trouve dans
elles du beau et du parlait, celui qui leur a
donné ces beautés et ces perfections n'esl-
il pas infiniment plus beau et plus parfait
lui-même?
Mais non-seulement noire Dieu possède
émi[icmment ses perfections, c'est-à-dire,
dans un déliré infini, mais il les possède
encore purement, c'est-à-dire, sans aucun
niélangf d'imperfection. Quiind il se trou-
verait. Mesdames, de vraies perfections
dans les créatures; hélas! vous le savez,
elles sont mêlées de tant de défauts et d'im-
perfections, que cela seul devrait suflTiro
pour nous en détacher entièrement ; en est-
il quelqu'une qui en soit exempte? Les
plus belles qualités ne sont-elles pas même,
le plus souvent, accompagnées des plus
grands défauts? Voilà eu elfet ce qui fait
courir et voltiger le cœur de riiomme d'ob-
jet en objet, sans qu'il (>uis3e jamais se
lixcr et st satisfaire ; ah I n'en soyons même
(las surpris : nous attribuons ce change-
ent, pour l'ordinaire, à inconstance, à lé-
m
gèrclé : mois d'où vicnl-clle, celle incons-
tance elle-même? Le voici : c'esl que lors-
qu'on veut considérer de près les créatures,
toutes ces prétendues perfections, qu'on
avait cru apercevoir, s'évanouissent bien-
tôt et ne laissent plus entrevoir dans elles
qu'un vide affreux, incapable de satisfaire
pleinement le cœur. Mais il n'en est pas
ainsi de notre Dieu : bien loin de remar-
quer en lui le moindre défaut, la plus lé-
gère imperfection, plus on lo considère et
plus on y découvre de beautés et de per-
fections. Oui, Mesdames , pendant toute
l'éternité, l'occupation des anges et des
saints, dans le ciel, sera de le contempler,
sans ennui, sans dégoûl, parce que, pen-
dant toute l'élernité, ils découvriront sans
cesse en lui de nouvelles beautés, et par
conséquent de nouvelles raisons de l'aimer
et de s'atlacher à lui. Esprits célestes, et
vous, âmes bienheureuses, qui possédez
dès à [)résent votre Dieu, que ne pouvez-
vous nous manifester ici tout ce que vous
éprouvez dans la contemplation d'un objet
aussi parfait et si digne d être aimé 1
Mais non-seulement notre Dieu possède
éminemment ses perfections, c'est-à-dire,
d.ins un degré infini; non-seulement il les
possèae purement, c'est-à-dire, sans défaut
ni imperfection : mais je dis, en troisième
lieu, qu'il les [)Ossède constamment, c'est-
à-dire, sans craindre de les perdre jamais.
L'amour tend par lui-même à rendre heu-
reux : or pour être véritablement heureux
on aimant, il faut être sûr de posséder tou-
jours l'objet auquel on a livré son cœur;
d'où je conclus que tout ce qui n'est pas
Dieu, ayant ce défaut de durée et de stabi-
lité, nous no pouvons raisonnablement y
attacher notre cœur. Je veux, en effet, que
nous ayons trouvé parmi les créatures, un
objet rempli de perfections et exempt de
tous les défauts qui les accompag lenl pour
l'ordinaire ; j'ose dire que nous n'en som-
mes que |)lus malheureux, parce qu'enfin
cet objet perdra bientôt pour nous tous
ces agréments qui ont su nous plaire el
gagner n-otre cœur, soit par sa destruction,
soit par la nôtre; l'expéiience journalière
ne nous permet pas de douter do celle vé-
rité: hélas! peut-être mêu^e, avant cette
cruelle séparation, quelqu'accident imprévu
les ravira-t-il ces agréments, ces perfections,
à cet objet de notre aitachemenl ; vous le sa-
vez, quelques moments suffisent quelque-
fois pour changer la créature la plus parfaite.
Il n'y a donc que vous, ô mon Dieu , qui
ne pouvez rien perdre de vos perfections,
parce que vous seul êtes essentiellement
ce que vous êtes, essentiellement parfait;
toutes les créatures sont sujettes aux vicis-
situdes, au changement: mais ce 'que vous
êtes, ô.Dieu unique, ô le Dieu de mon cœur,
vous le serez éternellement. Consolez-vtius
donc, vous surtout vierges chrétiennes,
épouses de Jésus-Christ, vous qui par un
généreux mépris de tout ce qui n'est pas
votre Dieu , pouvez vous glorifier, comme
saint Paul, d'être mortes et crucifiées au
monde, et pour qui le monde est égalt;-
519 OllAIEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS. 320
ment criicifiô; consoloz-vous , réjouissez- h volro Dion pour vous avoii' tirées du
vous, tressaillez de joie, vous aimez votre néant, que ne lui devez-vous point pnur
Dieu, vous lui avez livré et promis pour vous avoir délivrées de l'esclavage du dé-
toujours volro cœur: ah! cela vous suflll, mon cl du péciié ? Second bienfait qui sur-
ne craignez point de le perdre jam.n's; éler- passe d'autant le premier que la grAce elle-
nellement il sera votre épo\ix et voire Dieu, môme est au dessus de la nature. Vous le
mais un Dieu, un Epouxétcrnellemonl beau, savez: l'homme créé d'abord dans la jus-
élernellemerit iiarl'ait, et par conséquent un lice et dans la sainteté, f)lac(^ dans un lieu
époux, un Dieu éternellement digne d'ôtre de délices, comblé de Ions les dons de la
aimé. Mais si vous devez Cire [)orlées (lar nalureel de la grâce, se trouva bientôt, par
iitlrait, par inclination à aimer votre Dieu, sa désobéissance h scm Dieu, privé de tous
parce qu'il est infiniment aimable en lui- ces grands avantages, déjiouillé de toutes
même, vous devez encore l'aimer à titre do ces illustres prérogatives et condamné aux
reconnaissance, parce qu'il vous a aimées peines et aux ina'lieurs que nous, sa mal-
et qu'il vous aime inliniment. lieureuso postérité, nous éprouvons encore
II. Il n'est rien, dit saint Augustin, qui tous les jours; état d'autant plus déplora-
pagne plus sûrement le ca'ur de riiomme, ble do l'homme après son péché, qu'ayant
que de lo prévenir par les bienfaits ; et il offensé Ln Dieu d'une grandeur et d'une
faudrait, ajoute le saint docteur, (pi^il fût majesté infinie, il ne pouvait par lui-mênie,
bien dur, bien insensible ce cœur si, n'ai- faible et Impuissante créature, réparer l'in-
niant le premier, il ne rendait au moins jure faite à son Dieu : or qu'a fait tu)tre
amour pour amour. Il n'est point de vertu Dieu? Toujours |)leiu de bonté et do com-
en effet, Mesdames, dont nous nous glori- passion pour l'ouvrage deses mains, malgré
fions plus que de la reconnaissance : cela son infidélité, il a bien voulu se charger
étant, je dis que vous ne pourriez, sans la lui-ménio de sa réconciliation; son pro[)re
plus énorme ingratitude, vous dispenser Fils a (juilté pour cela le sein de sa gloire;
d'aimer votre Dieu à cause des grands bien- il est descendu habiter parmi les coupables,
faits dont il vous a comblées et dont il vous et par une vie pleine do sviud'rancos et par
comble tous les jours; bier)faits généraux une mort de supplices et d'ignomirjie, il a
qui vous sont communs avec lo reste des déchire, dit l'apôtre saint Paul, i'arrôt
chrétiens, bienfaits particuliers qui vous do proscription jtorlé contre nous tous,
regardent personnellement, tous vous on- (Col., H, 14.) Tel a été l'amour d'un Dieu
gagent à aimer votre Dieu et à l'aimer de pour nous : ce n'est point un ange de sa
tout votre cœur. cour qu'il a envoyé pour opérer notre ré-
Le premierdeces bienfaits est sans doute, conciliation: c'est lui-même qui est des-
Mosdames, de vous avoir donné l'être; ccndu pour cela du ciel en terre; ce n'est
liélas I peut-être n'avez -vous jamais fait point par quelque courte satisfaction, la
attention à la grandeur de celui-ci, parce plus légère eût été plus que suffisante : une
que jamais peut-être vous n'avez fait de se- serJe laraie, un seul soiqiir, une seule goutte
rieuses réflexions sur votre origine. Quelle de son sang eût pu nous réconcilier parfai-
bonté cependant de votre Dieu, (|ui de toute temcnl Hvec Dieu son Père ; mais son amour
éternité se suffisant parfaitement à lui-mê- nour nous lui a fait soulfiir les louruienls
me, n'avait aucun besoin de ses créatures les plus cruels et les plus ignominieux, el
[)our son bonheur: quelle bonté d'avoir répandie jus(pi"h la dernière goutte de son
été vous chercher dans les profondeurs, sang sur la croix. Oui, Mesdames, c'est en
dan? les abîmes du néant, de vous avoir vertu de ce grand bienfait de la rédemp-
clioisics et préférées à une infinité d'autres tion, que nous avons été faits de nouvelles
qu'il pouvait créer à votre i)lace ! Mais créatures, connue parle l'Apôtre (11 Cor.
(juelle bonté encore, parmi ces espèces d'ê- V, 17j ; que d'objets de colère el d'indigna-
Ires possibles à Tinlini, de vous avoir faites lion que nous étions aux yeux de Dieu par
créatures raisonrinbles, de vous avoir com- le pcclié, nous sounues devenus les enfants
municjué une petite portion do sa divinité, adoplifs du l'ère éternel, les frèies el ies
comme parlent les Pères de l'Eglise, par la- cohéritiers du Fils de Dieu , les temples et
quelle en vous connaissant vous-mêmes, la drtzueure du Saint-Esprit ; or si l'on juge
vous êtes comme forcées de le reconnaître pour l'ordinaire de la nature de l'amour par
pour voire preii:ier iirincijie el pour votre la qua.ilé des bieniails, jugeons par la giari-
dernièrc fini Car voilà, Mesdames, votre deur de celui-ci , jusqu'à quel point notre
noble origine , voilà la mienne: toutes les Dieu nous a aiuiés.
créatures, c'est j>our nous, pour notre usage Mais que ne lui devons-nous |)oint en-
que Dieu les a tirées du néant : mais |)0ur core, vous el moi, pour nous avoir appliqué
nous, ô mon Dieu, nous devons tous le re- ce bienfait de la rédeuq)lion d'une façon si
connaître, d'après saint Augustin, c'f s* pour spéciale; car enfin combien de milliers d'in-
vous seul et lellenient l'Our vous seul que fidèles, qi}'\ par un dessein de sa divine
vous nous avez formés, que toutes les créa- providence, (jue nous devons plutôt adorer
turcs ensemble ne sero'it jamais capables (iu'aitprofondir, demeurent ensevelis dans
de satisfaire notre cœur, cl qu'il sera lou- les ténèbres de l'intidélilé, tandis que pour
jours, ce cœur, dans une agitation conti- nous, dès les premiers instants do notre
nuelle , tandis qu'il ne vous possédera pas. naissance, il nous a éclairés des lumières
Mais, Mesdame-, si vous èles bi redevables de lu foi par le saint baplêiuo I Combien
521
DISCOURS DE RETRAITE. — SEPTIEME JOUR.
encore, parmi es cnrélions cus-rnômes ,
qui naissent cl meurent tous les jours il;uis
le sein de l'erreur, tandis (jue pour nous,
ou il noii-s en a lin5s dès nos plus londres
iinnécs peul-ôlre, ou il nous a lait naîiro
de parents callioliquos, qui nous ont (■levés
avec soin dans toute la pureté do la foi !
Combien qui, après avoir malheureuse-
ment perdu la grâce du baptémo par le (lé-
elié, ont été sur[)ris par la mort sans pou-
voir se reconnaître, et plusieurs, après un
premier péché mortel I au lieu quo pour
nous, npiès bien t\GS péchés réitérés, après
mille et mille rechutes (>eut-ètre, il nous a
toujours donné le temps de retourner à lui
par la pénitence, et a toujours agi avec mi-
séricorde à notre égard. Or celle seule
bonté de noire Dieu à toujours nous souf-
frir, à nous allendre et à nous pardonner
toujours, malgré tant de rechutes et d'in-
(idélités, ne devrait-elle pas nous enga-
ger à I aimer, et à l'aimer de tout notre
cœur?
Mais, Mcsdaïucs , outre ces grands avan-
tages qui vous sont communs avec tant
d'.iulres, que de bienfaits qui vous re.nar-
di'ul personnellement, et dont vous êtes
encore redevables à rinfinie bonté de votre
i'ieu ! Ah! (juand il n'y aurait que celui de
>olre vocatio:i au saiiIl état de la religion ;
(juavez-vous fait à voire Dieu pour |u'il je-
tât sur vous des i égards de miséricorde, pour
(ju'il vous fît surmonlor, comuje par miracle,
pour ainsi dire, une iuliniié d'obstacles qui
vous paraissaient à vous-niômcs iieut-ôire
insurmontables, pour qu'il vous délivrât,
connue d'un seul coup, de tous les dangers
du monde, et que par préférence à une infi-
nité d'autres, il vous mît au rang do ses
épouses, cl dans un ordre et dans une com-
munauté qui conservant heureusement l'es-
I rit de son saint institut, vous uiontre et
vous procure les moyens d'en remplir
exactement tous les devoirs? Mais que de
bienf.iils particuliers, que de grûces spé-
ciales ont suivi ce bienfait et cette grâce de
la vocation 1 Sans parler do plus d'une oc-
casion peut-être où vous auriez péii misé-
rableiuent, si Dieu n'eûi veillé d'une façon
toute Sjiéciale à votre conservation , que de
faveurs singulières dont il vous a coiublées
depuis que vous vous éles solennellement
consacrées à luil Ah! Mesdames, en est-il
(luelqu'une parmi vous, ()ui no soit forcée
de convenir ici intérieurement qu'en eiïet
elle a éprouvé plus d'une fois, depuis
qu'elle est dans la religion, des eil'els d'une
bouté toute particulière du Seigneur à son
égard? Que do secours, que de grûces, et de
toute espèce! Que de saintes pensées! Que
de bons seniiuienls l Que d'insjiiralions
secrètes! Que île pressantes sollicitations
de travailler plus que jamais à l'ouvrage do
votre perleciion! Que de reproches inté-
rieurs lorsque vous avez commencé à né-
gliger sou service et à vous éloigner de
lui 1 Que de i.-aresses de sa part au con-
Ifaire , que de consolations spirituelles,
lorsque vous l'avez servi avec fidélité I Que
d'occasions do péché éloignées ! Que de
lentalions assoupies! Quo de pieuses lec-
tures 1 Que do ferventes instructions (pii
ont touché et eiillammé môme votre coeur I
Que d'oxcniiiles édiliants dont vous avez
été sans cesse environnées, et qui vous
ont vivement excitées h la sainteté! Tels
sont les bienfaits quo vous avez reçus
et (]ue vous recevez chaque jour et pres-
qu'à chaque instant do la libéralité de
votre Dieu : bienfaits qui, quelque |)eu con-
sidérables qu'ils vous paraissent, sont ce-
pendant inUniment grands, si vous voulez
les considérer, et par rapport à l'infinie
grandeur du Dieu qui vous les donne, et
par rapport à l'amour infini avec lequel il
vous les donne, et par rapport à la lin inli-
niment avanlagiMise (lour laquelle il vous
les donne, qui est voire salut éternel. Ah!
Mesdames, si un prince, un roi de la terre,
hé, quo dis-jc, si la peisonne la plus com-
mune vous av.iit rendu un service essen-
tiel, vous useriez do retour <i son égard, et
si vous ne [louviez lui rendre bienfait pour
bienfait, vous lui rendriez au moins amour
pour amour. Et votre Dieu, dont les bien-
faiis sont et si grands et en si grand nom-
bre, quel droit n'a-(-il donc pas il'exiger
votre amour? Pour toute reconnaissance de
tout vous-mêmes, vous ne [louvcz lui don-
ner et il ne vous demande aussi que votre
cœur; el encore do ce cœur que vous lui
avez autrefois livré avec tant de solennité
el tant de courage, il n'en demande que
l'amour, el de cel amour que la |»référence.
Aiioez-le donc, Mesdames, ce Dieu si digne
d'être aimé, tout vous y engage, et ce qu'if
est en lui-même et ce qu'il est par rapport
à vous, et ses perlèclions el ses bienfaits.
Mais alin que votre amour pour Dieu soit
sincère el véritable , quelles qualités
doit-il avoii"? C'est le sujet de la seconde
()artio.
SECONDE PARTIE.
Rien déplus juste elde plus essentiel dans
le chrislianisme que l'amour de Dieu, jo
viens de vous le prouver; rien cependant,
j'ose le dire, do plus rare parmi les chré-
tiens et quelquefois môme parmi ses épou-
ses que cet amour, j'entends un amour sin-
cère el véritable; car si pour aimer vérita-
blement Dieu, il suffisait de lui en faire de
bouclie quelques proteslations, j'avoue que
cet amour ne serait point aï rare; mais
l'amour, le véii table amour de Dieu ne se
borne point à ces marques équivoques et
superficielles; pour être tel, il exige et sur-
tout de vous, épouses de Jésus-Christ, cer-
taines disjiositions (jui doivent répondre aux
idées que vous avez de votre Dieu. Or vou$
savez el vous venez de le voir, qu'il possède
en lui-môme une infinité de perfections ,
qui le mellent infiniment au-dessus de tous
les êtres qu'il a créés : voire amour pour
lui doil donc être d'abord un amour d'estime
au-dessus de tous les ôires, de préférence
à lous les litres. Vous savez encore, el volr.e
propre cœur vous rend ce témoignage, qu'il
vous a manifesté lui-même son amour par
525
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
Mi
«ne infinité do bienfaits : votre .imour pour
lui ne doit donc pas ôtre un amour simple-
ment spéculatif, mais un amour qui se dé-
montre surtout par les bienfaits. Ainsi,
Mesdames, toutes les qualités de l'amour
de Dieu , je les réduis à deux principales,
selon l'idée qu'il nous en donne lui-môme
dans son précepte, l'une qui regarde l'es-
prit et l'autre la volonté; et je dis que, pour
être sincère et véritable, il doit être a^ifiré-
cialif par rapport à l'esprit : diliges ex tota
mente tua; et eireclif [)ar rapport à la vo-
lonlé : diliges ex loto corde, et ex omnibus
viribus tuis. Je vais vous expl iquer ces deux
propositions, si vous voulez bien me renou-
veler toute votre attention.
I. Quoiqu'à parler proprement, l'amour
et tout amour prenne son principe dans le
cœur, on peut dire cependant, dans un sens
plus étendu, qu'il est un amour d'estime que
l'esprit produit, amour d'estime qui, étant
fondé sur la connaissance de l'objet, précède
pour l'ordinaire et qui devrait môme, pour
être raisonnable, précéder toujours celui du
cœur. Lors donc que j'ai avancé que l'amour
de Dieu doit être appréciatif par rapport à
l'esprit, j'ai voulu dire, Mesdauies, que vous
deviez aimer votre Dieu, non pasauiantqu'il
le mérite, votre â:ne n'étantpas ca[iable d'un
amour infini, mais du moins autant que
vous le pouvez: c'est-à-dire, que vous devez
ne rien aimer et estimer au-dessus de votre
Dieu, ne rien aimer et estimer môme autant
que votre Dieu, et ne rien aimer et estimer
que par rapport à votre Dieu ; reprenons.
Je dis d'abord que vous ne devez rien
aimer et estimer au-dessus de voire Dieu.
Cela n'est-il pas bien juste ?Si votre Dieu est
nar l'excellence de son ôtre au-dessus de tous
les êtres qu'il a créés, ne doit-il tlonc pas ôtre
aimé et estimé par préférence à tous les êtres ?
Est-il donc rien de plus injuste et de plus
déraisonnable que de donner la première
place, dans son esprit, aux créatures et la
dernière au Créateur ? Ali 1 Mesdames, nous
sentons tous assez l'injustice do celle pré-
férence, nous la condamnons tous, dans
noire cœur; mais, dans notre conduite,
n'en sommes-nous point coupables nous-
mêmes? Car enfin, n'est-il point quelque
bien, quelqu'avanlage, quoiqu'objet, sur la
terre, que nous estimions plus que noire
Dieu? Ne cherchons-nous point à nous les
procurer au risque de lui déplaire? Si cela
était, en vain lui proteslerîons-nous que nous
l'aimons, notre conduite prouverait assez
que notre protestation n'est pas sincère.
Mais non-seulement, Mesdames, vous de-
vez ne rien aimer au-dessus de votre Dieu,
mais vous "devez de plus ne rien aimer et
; estimer autant que voire Dieu; seconde vé-
rité qui suit nécessairement de la première :
car si Dieu ne reconnaît aucun égal, il ne
doit donc y avoir aussi aucune égalité dans
voire estime et dans votre amour. Non,
Mesdames, le monde, à la vérité, avec lous
ses avantages, n'en exigera jamais autant,
l'illusion serait trop grossière; aussi con-
.sent-il que nous ayons quelqu'amour pour
Dieu, pourvu qu'il le partage avec lui : mais
votre Dieu, c'est un Dieu jaloux qui, ayant
un domaine absolu sur vous, surtout en qua-
lité de ses épouses, ne peut souffrir le
moindre partage avec qui que ce soit dans
votre cœur. Ne croyez donc pas l'aimer ja-
mais sincèrement, tandis que vous aimerez
quelqu'autre objet avec lui et autant que
lui; l'amour que vous devez à votre Dieu,
pour ôtre vrai, doit être souverain, c'est
même là sa qualité la plus essentielle : or
pour ôtre souverain, il doit êlre unique,
dit saint Augustin. Hé quoi. Mesdames, si
vous étiez capables d'un amour infini, vous
devriez aimer infiniment votre Dieu, et un
cœur aussi faible et aussi borné qu'est le
vôtre, et que, de plus, vous lui avez livré
entièrement et pour toujours en vous con-
sacrant solennellem.eiit à lui, vous le [larta-
geriez, vous le diviseriez encore? Non, non,
mon Dieu, je le dis ici, d'après saint Augus-
tin, ce n'est point vous aimer, que d'aimer
quelqu'objet avec vous et auianlque vous.
Mais quoi, me direz-vous, pour aimer vé-
ritablement notre Dieu, ne devons-nous donc
rien aimer et estimer sur la terre? Ce n'est
pas, Mesdames, ce que j'ai voulu dire; je
saisque nous pouvons, que nousdevons mô-
me aimer notre prochain. Dieu lui-môme
nous en a fait un préreple;je sais encore que
nous pouvons, dans un sens et chrétienne-
ment, nous aimer nous-mêmes, puisqueDieu
veut que nous réglions l'amour que nous
devons au prochain sur celui quenous avons
pour.nous ; je sais encore que nous pouvons
avoir une certaine estime, un certain at-
tachement pour l'étal, l'emploi, la situation
où la Providence nous a placés, aussi bien
que pour les |)orsonnes auxquelles elle nous
a associés; ainsi, si j'ai dit que vous ne
deviez rien aimer et estimer au-dessus de
Dieu, ou môiue autant que Dieu , je dis
aussi que vous pouvez raisonnablement
vous aimer vous-mêmes et aimer et estimer
les autres créatures, pourvu que celte es-
time et cet amour soient subordonnés, à
l'estime et à l'amour que vous devez à votre
Dieu. Pour mieux comprendre ceci, distin-
guons avec saint Augustin deux sortes d'a-
mour : un amour fixe et permanent qui ne
se rapporte à aucun aulre objet , et un
amour indirect et passager qui doit néces-
sairement se rapporter à un autre : or c'est
de ce dernier amour que vous pouvez vous
aimer et aimer les autres créatures, parce
que cet amour que vous leur portez doit
nécessairement être rapporté à votre der-
nière fin qui est Dieu, en sorte que l'amour
de Dieu doit être, pour m'expr jmer d'après
un Père de l'Eglise, comme un grand fleuve
qui reçoit et qui absorbe tous vos autres
attachements, comme autant de ruisseaux
qui viennent se décharger dans son sein, ou
comme un centre commun où. doit néces
sairement tendre tout l'amour que vous
portez aux créatures. De là quelles consé-
quences ! Ahl Mesdames, les avez -vous
jamais bi^in comprises? De là il s'ensuit que
pour aimer véritablement Dieu, vous n'êtes
3i3
DISCOURS DE RETRAITE. — SEPTIEME JOUR.
3^26
pas, h la vérilt^, obligées d'abandonner ac-
tuellemeiU voire pairie et le lieu que vous
haiiilozj't'lal, la silualion où vous vous trou-
vez, les personnes qui vous plaisent, que
vous aimez et avec lesquelles vous vivez;
mais il s'ensuit que vous devez ôlro acluol-
lemcnl disposées à abandonner tout, h sacri-
fier tout ce que vous avez de plus cher sur
la terre , si cela était nécessaire, et qu'il
l'exigeAt de vous en témoignage de votre
amour; et c'est en ce sens que vous devez
entendre ces paroles de Jésus-Christ si ré-
voltantes d'abord et si sévères h la natu-
re, et que vous avez entendues on effet
lorsque i'ous avez renoncé absolument au
monde :Que celui qui ne hait pas son père
et sa mère, ses frères et ses sœurs, et qui
ne se hait pas soi-même, n'est pas digne
de lui et ne peut Ctre son disciple. De là il
s'ensuit que pour aimer véritablement Dieu,
vous n'ôtes point obligées de lui sacrifier ac-
tuellement votre repos, votre santé, votre
répulation, votre vie même; mais il s'en-
suit que vous devez Cire actuellement dis-
posées à lui faire tous ces sacrifices, quoi
qu'ils (lussent vous coûter, si cola était né-
cessaire, pour témoigner à Dieu votre
amour. Telle était la disposition intérieure
de l'apôtre saint Paul lorsqu'il osait défier
le ciel avec toute sa puissance, l'enfer avec
toute sa malice, l'univers entier avec tout
ce qu'il peut avoir de plus redoutable ou
Je plus séduisant, de lui faire perdre l'a-
mour de son Dieu : disposition, Mesdames,
qui, quelque sublime qu'elle vous [laraisse,
n'avait rien d'excessif ni d'outré; si vous
n'y 6les pas, si nous n'y sommes pas nous-
mêmes dans celte disposition, dès-lors nous
préférons la créature au Créateur, et dès-
lors nous n'aimons plus notre Dieu de cet
amour d'eslinie et de préférence que j'ai
appelé appréciatif par rapport à l'esprit, et
qui doit être encore effectif par rapport à la
volonié.
II. L'amour de Dieu, le véritable amour
de Dieu ne f»eut être oisif; c'est un feu à
qui l'activilé est tellement e.-sentielle, dit
saint Grégoire pape, que s'il ne produit
aucun effet, ce n'est plus un amour véri-
table. Ainsi, Mesdames, afin que le vôtre
soit sincère, non -seulement votre esprit
doit estimer Dieu au-dessus de tout et par
préférence à tout; mais voire volonté doit
encore agir soit au-dedans d'elle-même.
Soit au dehors; au dedans par les affec-
tions qu'elle doit produire : Oiliges ex tolo
corrfe (»o; au dehors par les œuvres aux-
quelles elle doit se livrer : Diliges ex omni-
bus viribus luis. Prenez garde , s'il vous
j.laîl; lorsque je disque la volonté doit
produire des affections, je ne prétends pas
cependant exiger dans l'amour de Dieu une
ceitaine lendrcsse ou sensibilité que le
e(eur y éprouve quelquefois. Ahl je le sais,
il est bien rare d'aimer sincèrement sans
qu'elle se trouve, celle sensibilité ; tous les
jous en effet, nous l'éprouvons dans l'amour
des créatures ; qu'on nous parle, qu'on
nous entretienne de ce ({uo nous aimons.
nous no lardons pas à mnnifeslor au dehors
l'affoclion que nous portons au dedans. Jo
dois cependant convenir ici, d'afirès saint
Thomas, (jne Dieu étant un [lur esprit qui
ne 'peut tomber sous les sens comme les
créatures, nous pouvons par conséquent les
aimer avec plus de sensibilité, sans cepen-
dant les aimer plus que notre Dieu ; je dis
plus encore, d'après ce saint docteur, je dis
iiu'il est môme beaucoup plus méritoire
d'aimer Dieu dans celle vie, sans éprouver
cette tendresse, celte sensibilité qui cause
|K)ur l'ordinaire des douceurs, des consola-
tions, des ravissements même quelquefois et
des extases qui après lout ne rendent l'âme
ni meilleure ni plus parfaite, qui ne sont
point en noire pouvoir, dont Dieu favorise
quelques âmes d'élile et de lout temps in-
nocentes surtout, mais qu'il no doit à per-
sonne en cette vie. Ainsi, Mesdames, lors-
que j'ai dit que votre volonté devait pro-
duire des affections, j'ai voulu dire que
pour témoigner à Dieu voire amour, vous
deviez de. temps en temps en produire
des actes qui peuvent bien s'exf)rimer |)ar
les paroles, mais qui doivent surtout |)ar-
tir du fond du cœur et de l'intérieur de
la volonté; et ce n'est point ici un simple
conseil, une pratique arbitraire de dévo-
tion que jo vous propose : si vous aimez
véritablement votre Dieu, rien de plus in-
dispensable, de plus essentiel que do lui en
faire quelquefois des proleslations.
Mais dans quel temps, me direz-vous,
sommes-nous précisément obligés de pro-
duire ces actes d'amour? Ahl dans quel
temps? Celte question, j'ose le dire ici, ne
vous paraîi-elle pas injurieuse à votre Dieu?
Hé quoi! ne devez-vous donc lui dire que
vous l'aimez, que lorsque vous ne pouvez
vous en dispenser sans l'offenser? Dovrait-
il donc y avoir sur cela quelque règle ou
quelque précepte? Voire Dieu n'esl-il pas
toujours infiniment aimable en lui-même?
Chaque jour, chaciue instant môme do vo-
tre vie n'esl-il pas marqué par quelqu'une
de ses grâces, accompagné de quelqu'un de
ses bienfaits? Pourquoi donc à chaque ins-
tant ne lui témoigneriez-vous pas votre
amour? Mais si vos occupations, et encore
plus la légèreté de votre esprit, ne vous per-
mettent pas ce saint exercice qui fait toule
l'occupation des bienheureux dans le ciel,
pourquoi du moins lorsque vous pensez à
ses perfections ou à ses bieiif.iiis, ()Ourquoi
dans vos médi talions et dans vos prières,
pourquoi en commençant et en terminant
la journée, ne lui ))rolesteriez-vous pas que
vous l'aimez ei que vous l'aimerez toule
votre vie, el de tout votre cœur ?
Mais non-seulcraent votre volonté doit
produire des actes au-dedans d'elle-même,
mais elle doit encore» agir au dehors, et cela
en accomplissant les œuvres, les devoirs do
clirélicnnes, el ceux auxquels vous ôîes en-
gagées, et que vous prescrit le saint état
que vous avez embrassé; dernière qualité
lie l'amour de Dieu, la plus sûre môme, et
la moins équivoque. Kn effet, Mesdame5, et
327
OUATKURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS. ï
528
prenez-y garde, s'il vous pliiîl, vous pouvez
aisémenl vous faire illusion sur ce griuid
précepte de l'amour divin; vous |)ourriez
vous persuader que vousaiinoz Dieu, [larco
que vôtre esprit conçoit de lui quelquefois
des idées sublimes et relevc'-es; vous pour-
riez encore vous flatter d'avoir de l'amour
poiir lui, parce que votre bouche en [iro-
nonce quelquefois des actes, ou qu'il se
forme dans votre cœur quelques senti-
ments alfeclueux, sentiments que Tertul-
lien appelle, avec raison, des saillies, dos
élancements d'une âme , qui uniquement
créée pour son Dieu, se tourne quelque-
fois, comme [lar une ponte naturelle, vers
lui, sans pour cela Tuimor véritablement.
Quand donc pourrcz-vous vous rendre à
vous-mêmes ce témoignage si consdlanl ,
que vous aimez sincèrement votre Dieu ? En-
core une fois, c'est lors(juo vous agirez à
l'exléricur, (pie vous obscrx erez fidèlement sa
loi et ses préceptes; c'est I rsijue vous vous
nionlrerez fidèles à observer voire règle el vos
constitutions ; c'est en un mot, lorsque vous
vous reridrez exactes à accomplir vos de-
voirs de chrétiennes et de reli.ieuses; mais
prenez garde, qu'il faut [)uur cela les
accomplir, ces devoirs, entièrement el sans
aucune réserve: l'amour de Dieu est indi-
visil)le dans son objet, comme la foi dans le
sien; en sorte que, comme l'on perd la foi
sitôt qu'on doute d'un seul article de la re-
ligion, quoiqu'on croie à tous les autres, de
niêrae aussi n'a-t-on jdus d'amour pour
Dieu, quand on transgresse une seule de
ses volontés, quoique d'ailleurs on accom-
plisse toutes les autres. Il laut les accom-
plir constamment, ces devoirs, c'est-à-dire
sans interruption ; car de les accomplir
dans un temps avec fid(^lilé el dans un au-
tre y manquer sans scrupule, c'est agir alors
plutôt Dar caprice et par légèreté que par
un vrai motif d'amour. La preuve la |)lus
sensible que vous puissiez donner à Dieu
de votre amour, c'est donc d'observer tout
ce que vous prescrit l'Evangile que vous
prolessez, d'observer de plus avec une cons-
tante fidélité tout ce que vous prescrivent
la règle el les constitutions que vous avez
embrassées. Je dis enfin qu'il faut les ac-
complir saintement, tous ces devoirs ; c'est-
à-dire, Mesdames, que vous devez suivre
à la lettre l'avis important que donnait l'a-
pôtre saint Paul aux fidèles deCorinllie, do
faire toutes leurs actions dans l'auiuur de
J)ieu : Omnia vestra in charitate fiant [l Cor.,
XVI, U); non que je veuille cependant
qu'il n'y ail d'autres vertus dans le chris-
tianisme que l'amour, ou que ces autres
vertus n'aient des motifs propres et méri-
toires par eux-mêmes; non que je préten-
de qu'il soit absolument nécessaire d'accom-
j'agner chacune de vos actions en particu-
lier; chacun de vos exercices, d'un molif ou
d'un acte explicite d'amour, ou que toute ac-
tion, que tout exercice fait sans ce motif
d'amour, soit autanld'aclions défectueuses,
criminelles môme aux yeux, de Dieu; loin
de moi des sentiments plus d'une fois
proscrits par l'Eglise! niais lorsque je vous
exhorte, d'après l'Apôtre, à faire toutes vos
actions dans l'amour de Dieu , c'est parce
qu'avec cet amour, j'entends cet amour par-
fait qui est incompatible avec le péché mor-
tel et que les théologiens appellent amour
de charité, c'est, dis-je, qu'avec cet amour
vos moindres bonnes actions sont méritoi-
res pour votre salut, et que sans cet amour
au contraire, les plus grandes et les plus
éclatantes en af^parcnce ne sont d'aucun
prix aux yeux de Dieu et ne peuvent
vous mériter un seul degré de gloire pour
le ciel.
Un retour présentement sur vous, Mes-
dames : pouvez-vous vous flatter d'un amour
sincère el véritable pour votre Dieu ? Inter-
rogez ici, mais de bonne foi, votre propre
cœur, en sorte, comme le dit saint Augustin,
fiue ce soit votre cœur qui réponde : Respon-
àeat cor vestruin; si, pour aimer véritable-
ment Dieu, il faut l'estimer au-dessus do
tout et ()ar préférence à tout, en avez-vous
conçu jusqu'ici assez d'estime [>our être du
moins dans une disposition habituelle de
lui faire tous les sacrifices el les plus grands
sacrifices qu'il puisse exiger de vous? Ah !
combien de fois, même depuis que vous
avez renoncé au monde, avez-vous mis dans
votre esprit el dans votre conduite surtout
la créature au-dessus du Créateur ? Si, pour
aimer véritablemenl, il faut de temps en
temps lui en faire des protestations, avez-
vous été fidèles à ce devoir, indispensat)lo
selon tous les théologiens ? ou du moins
dans les actes d'amour que vous produisez
(juelquefois, votre cœur est-il de concert
avec vos lèvres, el sentez-vous intérieure-
ment ce que vous exprimez au dehors? Enfin
si pour aimer vérilablemenl Dieu il faut ac-
complir ses préceptes el tousses précei tes,
vous acquitter de tous les devoirs que vous
prescrit votre saint état, remplir exactement
tous les engageraenls que vous avez con-
tractés en rendjrassahl, y êlcs-vous fidèles?
Les remplissez-vous, ces engagements? du
moins les remplissez-vous entièrement sans
en rien retrancher et cons'amment sans ja-
mais vous relâcher? Quel fond de morale et
de réflexions 1 Quels reproches votre cons-
cience n'aurait-ellti pas sur cola peut-être à
vous l'aire !
Oui, mon Dieu, je suis forcée de l'avouer
ici à ma conlUsioii, comme saint Augustin ;
si jusqu'ici j'ai eu si peu d'amoui' pour vous,
c'est |)Our vous avoir connu trop lard , ô
beauté toujours ancienne et toujours nou-
velle I Sero te amavi, sera te cognovi ; mais
[)résentemenl du moins que je vous recon-
nais pour un Dieu infiniment aimable en
vous-même et qui m'avez infiniment aimée ;
également pénétrée de la grandeur de vos
bienfaits, dès ce moment je m'attache et
[)lus que jamais à vous; je neveux plus
aimer que vous. Hé! peut-il donc y avoir un
plus grand inaltn.'ur sur la terre que de ne
vous pas connaître el de ne vous point ai-
mer, ô mon J>ieu? Mais quoique sineère
que soit la résolution que je prends, ou
;)
DISCOURS DE RETRAITE.
SEPTIEME JOUR.
;^o
plutôt que jo ronoiivelle aujourd'hui de
vous ainiorot de n'ainicrque vous, rendez-
la eHîc.iro, ô Dieu lout-puissanl , par voire
sainte grAce, car je puis bien vous olïenser
sans vous, mais sans vous je; ne saurais
vous aimer. Daignez donc imprimer de plus
en plus dans mon esprit l'idée de vos per-
fections infinies; rendez surtout mon cœur
toujours plus sensible aux grâces particu-
lières et sans nombre dont vous m'avez
comblée et dont vous ne cessez de me com-
bler dans le saint état auquel vous avez bien
voulu ra'appder, par préférence à une in-
finité tfaulres. FaiU'S, ô mon Dieu, que ce
cœur qui vous appartient, c> tant de titres
quejovousai livré solennellement autre-
fois et sans aucune réserve, vous soit dé-
sormais inviolablement attaché, afin qu'a-
près vous avoir aimé sincèrement et de
tout m(ui cœur, dans le temps, je puisse
trouver toute ma félicité à vous aimer et à
vous posséder dans l'éternité. Ainsi soit-il.
SEPTIEMF. JOUR.
Second discours.
SLR L'tMOX DES COEURS.
IIpc est praeceptuiu n]euin,ul diligalis iuviccm. {Joan.,
XV. 1-2.)
C'est «n comman(kiU£Ul que je vous fais, de vous aimer
les uus les autres.
Voilà, Mesdames, ce que Jésus-Christ
exigeait de tous ceux qui s'attachaient h lui;
ce (juMI leur recommandait surtout, c'était
ramour du procliain , c'était de tenir tou-
jours, les uns .\ l'égard des autres, une con-
duite pleine de douceur, de condescen-
dance et de charité; cependant, quoique
dans les intentions de notre iMeu Sauveur,
cet amour du prochain doive régner dans
If christianisme, faire même , avec Tamour
de Dieu du()uel il dérive, la base et le fon-
dement de toute vraie sainteté, qu'il est
rare |)armi 1rs chrétiens cet amour! qu'il
en est peu qui |)uissent se glorifier et se
rendre à euy-iuêmes ce témoignage si con-
solant, qu'ils aiment le i-rochain, ou qu'ils
l'aiment avec toute l'étendue et toute la per-
fection que Jésus-Clirist a donnée au pré-
cepte (ju'il en a fait I Kh ! plût h Dieu que > e
ne fût que parmi les chréiiens du siècle,
que cette union, cette charité si louée, si
recommandée par le divin Maître, fût aussi
rare ou aussi imparfaite 1 mais jusqui; dai s
ces sociétés qui se sont engagées, et (|ui
foui profession de tendre à la perfection,
vous en entretenir ici, vous bien faire con-
naître sa nécessité, ses avantages et tout à
la fois les qualités qu'elle doit avoir pour
être agréable Ji Dieu, utile à votre perfec-
tion et méritoire |)Our votre salut. Je dis
donc pour cela, en premier lieu, qu'il est
très -important à une communauté reli-
gieuse de c 'Userver cette union des cœurs,
cette chanté; je dis, en second lieu, qu'il
n'est pas si facile (lu'on le pense de la con-
server cet e union, qu'on y trouve bien des
obstacles qu'il est essentiel de bien coniai-
Ire, pour êlre plus en état de les éviter, de
les surmonter. Eu deux mots, Mesda.nes.
les motifs puissants qui doivent engager
des épouses de Jésus-Chrisl h conserver
entre elles l'union et la charité; ce sera le
sujet de la première partie de ce discours.
Les moyens les [)lus eflicaces que doivent
employer des épouses de Jésus-Christ [lour
conserver entre elles cette union et cette
charité; ce sera le sujet de la seconde par-
tie. La maiière est, comme vous le voyez, des
plus intéressantes; honorez-moi, s'il vous
plaît, de toute votre, attenti )U. Ave, Maria.
PBEMIFRE PARTIE.
Si l'état religieux préserve de bien des
dangers du salut, de beaucoup d'écueils
auxquels sont exposés les chrétiens qui vi-
vent au mil eu du monde; il faut cep.-ndant
convenir, Mesdames, qu'il ne préserve pas
entièrement et absolument de tous. Or, un
de ces écueils malheureusement trop com-
mun dans la religion, comme dans le s'ècle,
c'est la division, la désunion des esprils et
des cœurs ; c'est une antipatliie, un éloigne-
me il qu'on y conçoit quelqurfois, les uns
envers les autres, "et qu'il est même plus
facile, j'ose le dire, d'y concevoir que dans
lemouile; les personnes qui riiabitent, et
qui se trouvent obligées, par état, de vivre
ensemble, peuvent se perJre de vue quel-
quefois.; mille événements, mille circo'ii^-
lauces contribuent à les séparer pour uii
temps du moins, pour quelques heures dans
"la journée; (lar là elles se trouvent moins
exposées à voir et à souffrir des défau's,
des humeurs, des travers, les unes des a -
1163 ; mais dans la religoi, celles qui s'y
trouvent, étant sans cesse ensoinble chaque
jour, les mêmes exercices h s réunissant et
les mettant continuellement à | o; lée de se
voir, de se pat 1er, d'agir ensemble, qu'ji est
à craindra que la désunion, le dégoût, l'a-
de joindre à raccomplissement des précep- version même et la haine quelquefois, ne
les de i Evangile celui de ses conseils, au
lieu de l'union, de la charité qui devrait
animer ceux et celles qui les composent,
l'on voit assez souvent , el «luelquefois
même avec scandale, régner parmi elles la
désunion, la discorde. Grâces à la divine
miséricorde, l'on n'a rien de pareil à vous
reprocher. Mesdames; quelque estime i|ue
vous fassiez de celle union xles cœurs, de
celte belle verlu de la charité, el quelque
aitenlion que vous ayez à la pratiquer pour
vous engagiîr à l'aimer de [ilus en plus, et à
ne rien négliger pour l'entretenir el la con-
server au milieu de vous, j'ai cru devoir
OnATELRS SACRÉS. LXVIIL
prennent la [ liCe de la vraie charité 1 Ce-
liendani, Mesda.ues, si cette ch;irité esl né-
cessaira , parmi les simples chrétiens, el si
nécessaire que, sans cesse, il n'y a plus, aux
yeux du Seigneur, de vrai christianisme, de
véritable sainteté; à plus t'orle raison e.-t-elle
nécessaire parmi des viei'gei chrétiennesqui, i
en embrassant le suinl éiat de la religion, ,
se sont engagées à | r.iti juer le chri>ti -
nisme dans toute son é e idue. dans toute la
perfection de la sainteté qui, plus encore
que les simples chr tiens , doivent entrer
dans toutes les vues de leur céleste Ejioux,
accomplir toutes ses volontés, et qui ne
il
553
ORATEIIUS SACRES. L'ABBE DE MOiSTlS.
532
pc-uvenl 'sans cela ospôrcr de pafx, de bon-
heur dans le temps comnm pour l'élernité.
Voici, en effet, Mesdames, les motifs puis-
sants qui doivent vous engager à conser-
ver, à faire croître même encore entre vous,
s'il est possible, celle cliarilé, cette union
des cœurs ; c'est en premier lieu, que telle
est la voloîilé du Seigneur; c'est, en second
lieu, que c'est votre propre avanlage, que
de là dépend voire salisfiiclion el votre bon-
heur; deux véritf^s qui, bien conçues, de-
vraient faire, je ne dirai pas seulement d'une
communauté, mais même de toute la terre,
un paradis.
I. Je dis donc, en premier lieu, que ce
qui doit vous engager h entretenir en vous
la plus grande union, à conserver les unes
envers les autres la j lus parfaite charité,
c'est que telle est la vnlnulé du Seigneur.
Il n'est rien on effet qu'il ait paru avoir plus
h ea^ur, et dont il ait plus recommandé la
pratique à ses apôtres et à tous ses disci-
y)\es:Amez-vous, leur disait souvent ce divin
'Slctïlre, aimez-vous les uns les ouvres. Et ce n'é-
tait pas un simple conseil qu'il leur donnait et
qu'ils pussent négliger sans crime : c'était un
commandement, un précc[)te, et son pré-
cepte, comme il l'appelait : Hoc est prœcep-
tum meum, el un précepte nouveau , parce
que, quoiqu'il eût éié déjà donné dans l'an-
cienne loi à nos pères, il l'a renouvelé et
mis en vigueur, qu'il lui a donné un motif
plus pur, plus parfait en l'étendant aux en-
nemis, et en le [lurgeant des fausses inter-
prélations inventées parles scribes elles
pharisiens; précepte d'aiœer le prochain, si
essentiel, (]ue ce Dieu-Sauveur le joint au
précejjte d'aimer Dieu, qu'il déclare que ces
deux amours de Dieu el du prochain par-
tent du même [)rincipe, qu'on doit les re-
garder comme deux ruisseaux qui coulent
de la même source, et comme deux actes
produits parla même habitude; que dans
eux consistent la loi el les pro|)liètes : pré-
ce|)le si imporlant, qu'il déclare encore à
SCS disciples, que ce qu'ils feront au moin-
dre de leurs frères, [)ar ce principe, par ce
sentiment d'amour, il le regardera elle ré-
compensera unjourcomnie fait à lui-même:
précepte si excellenl, qu'il en établit la pra-
tique sur l'amour qu'il a lui-même j)our
les hommes : Sicut ùilexi vos. (Joan., XV,
12.) Je dis plus encore, qu'il en donne pour
modèle l'union qui est entre son Père et lui,
l'amour qu'il avait lui-même pour son Père,
et que son Père avait pour lui : Ulsintunum
sicut el nos. {Joan., XVil, 11.) Aussi les
apôtres pleins de l'esprit el des maximes de
leur divin Maître et qu'ils prenaient en tout
pour leur modèle, se sont-ils appliqués à
inspirer à tous les chrétiens, cette 'union
des cœurs, cette charité universelle. Saint
Jean surtout, qu'on peut ap|)eler l'apôtre
'Je la charité, et que saint FraïK^ois do Sales
appelle l'apôtre de la belle l dilection ,
saint Jean leur répétait sans cesse ces
belles paroles : Mes enfants , aimez-vous
les uns les autres. Et [lour les y enga-
ger, il n'hésitait point à décider que celui
qui n'aimait point ses frères qu'il voyait,
ne pouvait aimer Dieu qu'il ne voyait pas ;
que celui qui disait qu'il aimait Dieu, et
qui n'aimait pas ses frères, parlait conlie
la vérité, qu'il était un menteur; jusqu'à la
plus extrême vieillesse, il ne cessa de leur
reconniiandcr la pratique de celte belle
vertu; et les voyant surpris do ce qu'il leur
répétait conlinuellemenl la même leçon, il
leur déclara ce qu'il avait appris du.diviii
Maître; que le précepte de la charité était
le préci.^ple par excellence; qu'il suffi-
sait : Hoc sufficit, parce qu'il renfermait,
en quelque sorte en lui-môme, tous les
aulres préceptes; que celui qui ne l'ac-
complissait i)as ne connaissait pas Dieu,
qui est amour et charité ; et que quehpie
vivant qu'il parût à l'extérieur, il était vé-
rilablemenl mort à la grâce et aux yeux de
Dieu : Qui non diligii,manctinmorte. [Joan.,
111, \*.) Sain! Paul, cet autre apôtre qui
avait. puisé dans son ravissement les con-
naissances les plus élevées, les vérités les
plus sublimes, ne cessait également dans
SCS épîlres, d'exhorter les lidèles auxquels
il les adressait, d'aiiuer le prochain : Surtout,
écrivait-il aux Colossiens, ayez entre vous
une vraie charité. (Co/., 111, ik.) Est-il néces-
saire, écrivait-il encore aux fidèles de Thes-
salonique, que je m'étende beaucoup pour
vous exhorter à pratiquer entre vous la cha-
rité, puisque c'est du Seigneur lui-même
que vous avez appris à vous aimer les uns
les autres? A Deo didicistis, ut d'digatis in-
vicem (1 Thess., IV, 9) ; et une autre raison,
qu'à l'exem^tle de saint Jean, il leur allé-
guait, c'est que toute la loi est i enfermée
dans ce précepte de l'amour de Dieu et du
prochain : In une sermone impletur [Gai., V,
14); qu'il en est comme la plénitude : Ple-
nitudo legis, dilectio. [Rom., Xlll, 10.) Rien
donc de plus essentiel dans le christianisme,
qui est une religion, une loi d'amour, que
cette charité muiuelle et réciproque : elleesl
comme l'abrégé de l'Evangile et de toute la
morale chrétienne, ont dit les Pères de l'E-
glise, et saintBernard surtout : Totius Evan-
yelii breviarium.'EUii est un moyen sûr de
s'élever à l'amour de Dieu, dit saint Augus-
tin. Parelle, dit saint Grégoire, pape, i'a-
niour de Dieu s'augmente et se fortilie;
l'on ne i)eut en négliger la pratique sans
aller contre l'esprit de l'Evangile et contre
les intentions et la volonté de Jésus-Christ.
Aussi ce divin Sauveur a-t-il déelaié pen-
dant sa vie mortelle, que c'est à la pratique
de cette vertu et à l'observation de ce pré-
cepte de la charité du prochain, qu'il recon-
naîtrait ses vrais disciples. Or, Mesdames,
s'il parlait ainsi des simples tidèles, pour-
rait-il regarder, je ne dirai pas seulemeni
comme ses disciples, mais encore comme
ses éjiouses at des épouses selon son cœur,
des vierges chrétiennes destinées dans les
desseins de sa providence à vivre ensemble
sous la même règle, et à mériter par l'ob-
servation exacte ue cette règle, la môme
récompense, le séjour de sa gloire, qui,
bien loin de pratiquer entre elles cette cha-
ôii
DISCOURS DE ULTR.VITE. — SEPTIEME JOUR.
554
'itiWiu'il leur ;i (aiil rocominandée, seraient
divisées, i|iii oonstTveraionl les unes en-
vers les aiihes de la froideur, do l'éloi^ne-
nienl, de l'anlipalliie, cl fieut-ôtre niôine,
des seîiliiniMit» d'aversion el de haine ? Vous
(levez donc praliquer avec une grande (klé-
lité celle belle vcitu de la cliarilé, parce
que (elle esl la volonté du Seigneur, parce
que c'est un coraniandement, un précepte
qu'il vous a donné; vous n'en pouvez dou-
ter : mais un aulrc molif et bien puissant
encore f!our vous y engager, c'est votre pro-
pre bien, ce sont les grands avantages qui
sont allacliés à la pratique de celte vertu.
11. Oui, Mesdames, au sentiment d'un
Père do l'Église, tous les co-mmanderaents
que le Seigneur a lails et tous les préceples
qu'il nous a donnés sont autant do marques
de sa bonté pour nous, autant do bieiitails
dont il nous a honorés : Oinne mandalum,
beneficnim. Mais c'est surtout du précepte
de la charité, de l'amour du prochain qu'on
doit le dire : car sans parler ici des biens
du ciel, des récompenses éternelles qu'il
procure infailliblement dans l'autre vie ,
puisque c'est la charité qui ouvre aux jusles
les portes du ciel, qu'il n'y a que ceux qui
auront pratiqué cette vertu , qui pourront
espérer d'y entrer, que Jésus-Christ a dé-
claré dans l'Evangile, /]u'au grand jour de
ses vengeances, c'est sur l'accomijlissement
de ce précepte do la charité qu'il nous ju-
gera tous ; qu'il n'y fera miséricorde qu'à
ceux qui auront été miséricordieux envers
leurs hères, qu'il proportionnera les tré-
sors de sa gloire dans le ciel, aux œuvres
de charité opérées sur la terre. Sjus parler
do ces biens do l'éternilé, de ces grands
avantages de l'autre vie, quels avantages
ne nous procure pas dans ie temps el dès
telle vie, cette union clirélieuno, cette
charité exercée envers le prochain! Kl d'a-
bord, Mesdames, n'est-ce pas un grand
avantage [)0ur nous que ce;te chaiité envers
le prochain, puisque, comme nous l'assure
l'apôtre saint Piene, elle couvre la multi-
tude de nos péchés, c'est-à-dire, que quel-
que cunsidérabies que puissent être les
lautes, los iniquités dont nous nous som-
mes rendus coupables envers le Seigneur,
dès que nous exerçons hdèlement et parlai-
lement la charilé envers nos frères, cette
belle vertu l'engage el le force en quelque
sorte à les oublier entièrement ces iniqui-
tés, et à agir envers nous, comme si nous
ne les eussions jamais commises : OperiC
itnillUudinefn pcccalorum? {l Petr., iy,8.)
y est-ce pa-> un grand avantage que celui
dont nous parle l'ai)ùlre saint Joan, que
lorsque nous nous aimons les uns les au-
ires, non-seulement nous demeurons dans
notre Dieu, in ipso muncinus (l Joan., IV,
I3y, mais que de plus notre Diou deiueure
en nous, in nobis tnanel (l Joan,, 111, 2'jj ,
c'esl-a-uire, qu'à raison do celte bonne et
sainte disposition de noue part, il se i)laità
faire sa résidoiice au milieu de nolro.cœur;
qu'aluis il nous comble d'une inlia'ité de
grâces, de secours, défaveurs, qui nous ion-
(huit [)lus propres à remplir tons nos de-
voirs, à sunnonler toutes les tentation-, et
à repousser tous les assauts des ennemis
de notre salut, nous rendent plus justes,
plus saints, plus agréables à ses yeux el
plus dignes de son amour? Aussi aprf'S ces
gi'aiides maximes, puis-jo dire, s iiis crainle
(fexagérer qu'un corps, (lu'u-ie socié é re-
ligieuse surtout, au milieu de laquelle règne
une parfaite union, une vraie charité, doit
être regardée, pour me servir des paroles
du Saint-Esprit, par les grâces, les béné-
dictions abondantes qu'elle reçoit du ciel,
comme une armée rangée en bataille, terri-
ble et formidable à tout l'enfer : Terribilis
ni casiroruin acies ordinaia. [Cant., VI, 9.)
,.' Mais U'i autre avantage, Mesdames, que
procure toujours cette union, cette charité,
lorsqu'elle règne dans tous les cœurs, et
qui est une suite naturelle de ceux dont je
viens de vous parler, c'est la paix ; je no dis
pas une paix ap|)arente, simplement exté-
rieure, mais une paix intérieure et vérita-
ble, le plus grand bien, disons môme, l'u-
ni(jue bien solide et véritable qu'il soit en
nuire [)Ouvoir de nous [procurer sur la terre.
Oui, cette paix que le monde ne ()eut don-
ner, qu'il ne connaît pas môme; cette paix
que tous les biens, tous les avantages et
tous les plaisirs de la terre n'ont jamais pro-
curée, et qii'ilsne peuvenljamais procurer;
celte paix que les impies, que les pécheur.^
ne goûtent jamais, pas même lorsqu'ils se
glorilient le plus d'être dans la paix : c'esi
celte paix intérieure et toute céleste, celle
aimable paix qu'éprouvent et que goûtent
des âmes fidèles, des vierges deJésus-Chrisi
surtout qui se trouvent unies entre elles,
non-seulement par la môme habitation et
par la profession du même étal, mais de.
[ilus par les liens d'une véritable charité;
que souvent elles peuvent s'écrier alors
avec le lloi iirophèto -.Ah! qu'il est ayréa-
ble, qu'il est, Oun, qu'il est avantageux pour
nous d'iiabiier ensemble, et de vivre dans une
parfaite union'. {Psal. CXXXU, 9.) Non-seu-
lement elles la goûlent au dedans d'elles-
mêmes, cette paix délicieuse, mais elles la
manifestent sensiblement au dehors : elles
se la communiquent réciproquement par
des manières pleines d'alïabilité, d'atten-
tion, de [irévenance. Quelle ditférence en
elfet, entre une communauté où règne uno
union parfaite, uno concorde universelle,
et celle où les esprits et les cœurs sont di-
visés ! Quels troubles dans celle-ci 1 que de
prévarications 1 que d'associalions illicites I
que d'amitiés particulières et le plus sou-
vent criminelles aux yeux do Diou 1 Que do
soupçons injusles! que <ie jugomenls té-
méraires 1 que do contidences indiscrètes!
que de rapnorts peu fondés! (juo de haines!
que a'aversions secrètes! que de murmures!
(jue de brigues ! quede cabales! que ('.'éclats
[lubiics (juolqueluis et scanJaleux par consé-
quent! quodagitalions on un mot, dans
les esprits ! que d'elfervesconc(; dans les
cœurs! Ah! une communauté divisée, je nu
crains iioint de lo.Jire, c'est l'imago de l'on-
S35
ORATEURS SACRES. LABRE DE MONTIS,
538
fer. Les d(^mons, les réprouvés qui l'iiabi-
lerit, ce lieu de leurs supplices, sans cesse
I fci) guerre les uns avec les autres, ne sont
' occupés qu'à se délester, qu'à cbercher à
se nuire, qu'à s'acrabler luuluellement de
reproches et d'injures ; c'est un séjour de
Iroubles et de calamités. Ainsi en est-il, [)ar
proportion, d'une communauté désunit;
les personnes qui Ihabilenl, entretenant la
division | arrai elles, se déplaisent mutuel-
lement ; elles s'ofTensenl les unes les autres:
en se déplaisant, en s'olTensanl, elles dé-
plaisent à leur Dieu; elles olTensent griève-
ment leur Dieu, ce Dieu de paix et de cha-
rité, la charité cssenlieUc. Ainsi opposées à
Dieu et au prochain, en guerre avec leur
Dieu et avec le prochain, comment pour-
raient-elles ôlre en jiaix, comment pour-
raienl-elles n'être pas en guerre et dans
une guerre perpétuelle avec elles-mômcs ?
Mais quelle dill'érence, quel spectacle au
contraire qu'une communauté au milieu de
!a(}uelle règ'ie une parfaite union, une cha-
rité universelle! Quel |)lus beau spectacle,
plus agréable au ciel et à la terre, aux anges
et aux hommes, qu'une troupe de viei'ges
qui, toutes épouses du même Dieu, desti-
nées à vivre ensenible et sous la môme
règle, se conduisent f)ar le môme esprit;
qui participant souvent par la sainte com-
munion au corps ^■doruble de Jésus-Christ
leur céleste Epoux , paraissent participer
toutes également à son esprit, qui est un
esprit de paix, de douceur, de patience et
de charité; qui se rassemblent chaquejour et
jdusieursfois le jour pour chanter ses louan-
ges, en unissant leurs voix y réunissent éga-
lement leurs cœurs; qui, dans leurs différen-
tes fonctions et danslesemploisdiversqu el-
les exercent, paraissent agir et ne se conduire
que par un véritable esprit de charité; qui,
malgré lescontie-temps, les contradictions,
les humeurs qu'elles ont quelquefois à es-
suyer des caiacières souvent diliiciles avec
lesquels elles habitent, montrent ce()endant
toujours la même patience, la même égalité
(l'âme, qui se sup[)ortent mutuellement dans
leurs défauts, dans leurs misères, toujours
inséparables delà faible humanité et atta-
chées à la condition de tous les enfanls
d'Adam; qui se supporleni et se pardonnent
sans peine les petits tons, les impatiences,
les vivacités qui échajipent quehjuefois,
même aux plusdouceset aux plus parfaites.
Quel spectacle encore une fois plus conso-
lant I our leurs supérieures, pour l'Eglise
8lle-mênie I plus édifiant pour les personnes
du monde qui se trouvent quelquefois dans
le cas de les voir et de lus connaître ! Quoi
tle plus ag' éable pour le ciel, pour les anges
et jjour les saints 1 Le bonheur de ceux-ci,
dans le séjour de la gloire, c'est d'être par-
faitement unis eniie eux, de n'avoir tous
qu'une seule et unique volonté qui est de
se conformer parfaitement à la volonté de
Dieu, de n'avoir qu'un seul et unique désir,
qui est que leur Dieu soit glorifié, comme
il le mérite, par toutes ses créatures, de
n'avoir qu'un seul et unique attachement.
qu'un seul et unique amour qui est l'amour
de leur Dieu; et voilà par proportion, au-
tant que la faiblesse humaine peut le per-
mettre, ce que font dès à présent des vierges
et des épouses de Jésus-Christ parfaitement
unies entre elles; leurs pensées, leurs af-
fections, leurs désirs, leurs actions, tout
est pour leur Dieu ; elles pensent, elles
désirent, elles agissent également et toutes
ensemble pour jilaire à leur Dieu, [)our se
coniVinner en tout à la volonté de leur Dieu;
'On les voit travailler toutes de concert et
autant qu'il est en elles à la gloire de leur
Dieu. Ah 1 ce Dieu de toute bonté, peut-il
alorsnepas jeter un regard de com()laisatice
et de miséricorde sur des âmes qui, par
leurs sentiments et leur conduite, se trou-
vent aussi agréables à ses yeux? Que do
grâces, que de secours, que de consolations
il leur prodigue 1 Oui, tandis qu'il regarde
avec indignation des vierges qui vivent
dans une division qui les conduit toujours
à l'oubli de leurs devoirs les plus essentiels
quehpiefois et qui ne se tient pas toujours
dans l'intérieur de la communauté, mais
qui, perçant et se manifestant assez souvent
au dehors, ne | eut que scandaliser les vrais
(idèles : tandis qu'il jirive de ses grâces de
f»rédilection des épouses aussi iididèles et
peu dignes de cet auguste titre, il se |)l,;î'
au contraire à répandre sur celles-là les
bénéiiiclions les plus ; b:,ndantes. Ainsi
forlitiées et consolées tout ensemble par des
grâces sans nombre (jue le céleste 1'4)ouï
leur communique à toutes avec une espèce
de I rofuiion, s'.iimant toutes dans leur Dieu
et pour leur Dieu, s'excitant muluellement
au service de leur Dieu, travaillant ensemble
et comme à l'envi à ( laire'à leur Dieu,
elles coulent des jours heureux et Iran-
quilles, et quoique encore sur la terre el au
milieu des peines insé|)arables de celte vie
mortelle, elles goûtent on quelque sorte
les douceurs du ciel et particif)eni aux dé-
lices de la vie éternelle. Loisque la mort
vient enlever (juelqu'ui.o d'entre elles, cette
sép-aralion leur fait à la vérité verser d(!S
larmes et leur cause de sincères regrets,
parce qu'elles s'aiment sincèrement; mais
après avoir jiayé ce peiit tribut à la nature
que la religion n'intcrdt pas, elles se con-
sulenl par les vues d; la loi selon l'avis de
rA[)ôlr(', [)leine5 d'uni' ferme esjiéranceque,
dans (pielijues années, el es se trouveront
toutes réunies en Dieu. Voilà donc, Mes-
dames, le grand bien que [uocure pour tou-
jours à de dignes é[)ouses de Jésus-Christ
cette charité qu'elles exeicent avec une
constante tidélilé les unes envers les au res.
Tels sont les grands avantages que leur
procure celte union des cœurs, celte paix
universelle i|u'el!es ont soin d'entieienir
entre elles ; vous en êtes bien convaincue-,
vous les connaissez ces grands avantage s,
vous luéritez de les épiouvoi', et vous bs
éprouvez en elfet. Dieu mieux que moi
vous seriez en état de les exprimer et de
les bien faire connaîre aux autres ; mais
aussi plus vous les connaissez et les éprou-
557
DISCOURS DE RETRAITE. — SEPTIEME JOUR.
ÔZè
vc/, plus vous en sentez le prix, plus aussi
vous devez craindro de les perdre et devez,
pour cela, prendre les moyens les plus pro-
pres et les plus eOicaces pour l'enlrelenir
Ht pour la conserver parmi vous cette cha-
riiL^, celte union des cœurs, ciui seule peut
vous les proeurer ces grands avantages ;
mais que laut-il faire pour cela, et quels
sont-ils ces moyens? C'est ce que j'espère
vous montrer dans la seconde oarlie.
SECONDE PARTIE.
Il faut en convenir ici. Mesdames, s'il est
une obligation pour nous d'aimer, et d'ai-
mer sincèrement le prochain, nous éprou-
vons souvent, à l'accomplir cette obligation,
beaucoup de répugna:ice et de peine. Que
noire Dieu nous fasse un précepte de l'ai-
mer, nous trouvons dans les perfections in-
tinies qu'il possède, et dans les immenses
bienfaits dont il nous a comblés et dont il
ne cesse de nous combler, les plus grands
motifs, les mo ifs les plus puissants de nous
attacher à lui, de l'aimer de tout notre cœur;
mais qu'il nous fasse le même coramande-
nienl, par r.ippart au |)rochain et à tout pro-
chain, voilà co qui nous paraît d'une praii-
(pie la plus diflicile quelquefois ; nous ren- cel
controns assez souvent, dans les défauts de
ce prochain, dans ses actions, dans ses ma-
nières, dans la conduite qu'il tient à notre
égard, les plus grands oltslacles à nous at-
tacher f< lui, et à l'aimer Cependant, Mes-
dames, le commandement de notre Dieu y
est exjtrès, nous ne ()Ouvons en douter :
Vous aimerez, nous a-t-il dit, votre Dieu de
tout votre cœur, et voire prochain comme
vous-mêmes. {Matlh., XXll. 37.) Il s'agit donc
de trouver l(;s moyens de l'accomplir ce pié-
re[)te Uu Seig' eur, et de surmonter les obsta-
cles (;ui s'oppos'jnl à son accomi Ksseinentjde
conserver, vis-à-vis de ce prochain surtout,
avfc lequel nous sommes obligés de passer
LOS jours, celle charité, celte union sans la-
quelle nous ne pouvons absolument plaire à
notre Dieu; et pour cela, considérons ici, un
nionienl avec attenlion, ce qui trouble, pour
l'ordinaire, celle paix, celle union, jusque
dans les maisons de ret-aiio, de sainlelé, et
parmi les épouses elles-mêmes de Jésus-
Chiist : le voici, ce me semble, Mesdames,
je me Halte que vous en conviendrez aisé-
niont avec moi ; c'est en premier lieu, qu'on
n'a pas toujours pour ses sœurs, dans sa
ton.luite el dans ses procédés, toute la dé-
Irrence et tous )es égards qu'on devrait
avoir; c'est en second lieu qu'on s'afieete trop,
qu'où se montre trop sensible, à la conduite,
aux procédés de ses sœurs : or, pour remé-
dier à ces deux sources de divisions, que
faul-il faire? Le voici; c'est d'avoir des
sentiments el de tenir une conduite entière-
ment opposée à ces défauts; je veux dire,
qu'une religieuse qui dé*ire d'entret( nir
la paix, l'union avec ses sœurs, doit tout à
la fois, se considérer par rajifiort à ses sœurs,
et considérer ses sœurs par rapport à elle;
en se considérant, par rapport è ses sœurs,"
clic doit user de la plus grande circonspec-
tion, pour ne pas leur déplaire, je dis plus,
pour leur plaire en tout ; en considérant
ses sœurs |)ar rapporta elle, elle doit user
de la plus grande patience, pour ne point
s'oiïcnser de ce qui peut, dans elles, lui dé-
plaire. Ainsi , Mesdames , attention, mais
attention scrufiuleuse; patience, mais pa-
tience inaltérable : voilà deux dispositions
peu communes, il en faut convenir, mais
excellentes, mais très-utiles, nécessaires
Diême, pour conserver loujours, avec le ()ro-
ch.-iin, l'union et la charité. Dévelo|)()ons ces
deux idées, etenirons dans quelques détails ;
et pour cela, renouvelez-moi, je vous prie,
votre attention,
I. Je dis, en premier lieu, qu'une reli-
gieuse, en se considérant par rapport à ses
sœurs, doit veiller attentivement sur elle-
même, pour ne rien dire ou ne rien faire
qui puisse leur dé()laire, je dis plus encore
pour ne rien sentir et ne rien penser de
contraire à la charité qu'elle leur doit; c'est
à-dire, qu'elle doit {lorter une scrupuleuse
attention tout à la fois, sur ses actions, sur
ses paroles, sur ses sentiments et sur ses
pensées. Je dis attention sur ses actions :
quelles sont en elfet, dans une communauté,
celles qui conservent le moins la paix et
l'union avec les autres? Ne sont-ce pas celles
qui se regardant elles-mêmes, bien plus que
le prochain, craignent peu de leur causer
quelques peines, pouvu qu'elles se satisfas-
sent ; or la vraie charité ne cherche point ses
propres intérêts, dit l'apôtre saint Paul :
« Nonquœrit quœsuasunt{l Cor., Vlll,5), »
elle exige au contraire qu on suive ce prin-
cipe de la loi naturelle, de no pas faire à
autrui, ce qu'on ne veut pas qui soit fait
à soi-même. Quoi, vous prétendriez conser-
ver l'union et la paix avec vos sœurs, et
vous ne voulez pas avoir la même complai-
sance pour elles? Vous refusez souvent de
leur rendre service, et dans le temps quel-
quefois que vous exigez d'elles à la rigueur,
tout ce qu'elles vous doivent, ou si vous leur
rendez service, c'est de mauvaise grâce,
avec une répugnance dont elles s'aperçoi-
vent, et dont vous voulez bien qu'elles s'a-
perçoivent; vous vous conduisez envers
celles qui n'ont pas le don de vous plaire,,
d'une façon qui ne manifeste que trop vos
sentiments à leur égard; vous prenez vis-à-
vis d'elles, un air de hauteur, des manières,
flores et dédaigneuses ; vous affectez, comme,
dit saint François de Sales, des contenances
réfrogneuses : or je vous le demande, est-ce
l'esprit d'une vraie charité qui vous anime
alors? Cet espritqui, lorsqu'il règne dans un
cœur, le dispose aux plus grands sacrifices,
qui inspirait à l'afjôlre saint Paul, le désir
de se faire mêmeanalhème pour ses frères?
J'ai dit attention sur les paroles; et voilà.
Mesdames, j'ose le dire, la source la plus
commune des divisions dans les commu-
nautés; si chacune des personnes qui les
composent prenait sur elle de no jamais
rien dire qui pût aigrir les esprits et les
cœurs, on y verrait régner une charité, une
paix universelle, mais suivant son carac-
339
tère vif et imiuMueux, une sœur s'échappe
et fait sentir son humeur par des paroles
brusques, par des réponses peu honnêtes,
offensantes même; il n'en faut pas davan-
tage pour indis[)Oser un cœur trop sensible
peut-être, et point assez vertueux ; de là
une indisposition intérieure, une antipa-
thie qui se convertit ensuite on ressenti-
ment, en aversion. Hélas, Mesdames, et vous
le verrez clairement dans l'autre vie, com-
bien de fois une parole^ offensante et p(Mi
mesurée a-t-elle^élé le principe d'une haine
réciproque qui, pour ne pas avoir été com-
batti;e, étouffée dès sa naissance, a séjourné
dans !e cœur, toute la vie et jusqu'à la
mort ! Mais si l'on s'abstient de parler mal
à ses sœurs, on ne s'abstient pas toujours
d'en parler mal ; rulre source de division ;
on se donne la liberté de censurer, de con-
damner des défauts assez considérables
peut-être, avec des gémissements, si vous
voulez, mais qui n'empêchent pas que la
charité ne soit blessée ; sous prétexte que
la personne est connue, on ne se fait aucune
peine de révéler des taits ignorés de plu-
sieurs, on enfait des confidences indiscrètes,
<.;on(idences qui, îiar la raison que ce qui se
dit en secret dans une communauié ne, peut
être longtemps secret, passent de liouche
on bouche jusqu'à celle qui en est l'objet ;
confidences jqui ne servent qu'à aigiir les
esprits, qu'à inspirer de l'éloigneraent et du
mé| ris, et contre celle de qui on a |)arlé,
etaussiquelquefois contre celle quia parlé: or
la charité'interdit tout discours, toute parole
capable de nuire au prochain ; si elle em-
pêche qu'on ne s'en offense, elle défend
aussi d'irriter par là et d'offenser; mais cela
ne suflît pas.
J'ai dit, de plus, attention sur les senti-
ments du cœur; que servirait de ne rien
dire ou de ne rien faire de contraire à la
charité, si on livrait son cœur à des sonti-
ments d'aigreur et d'aversion? Que serait-ce,
au yeux du céleste Epoux, que cette con-
duite extérieure, si file n'était accompagnéi;
et même l'eflet de la charité intérieure?
elle n'aurait alors d'autre mérite à ses yeux
que celui des gens du monde qui passent
j)0ur raisonnables et paisibles, mais qui peu
remplis de l'esprit et des maximes de l'E-
vangile, cherchent en philoso[)hes par des
motifs naturels et tout humains et le plus
souvent par amour pour eux-mêmes, à con-
server lu paix avec les autres; di.^onsde
|)ius qu'une religieuse qui n'aurait point
dans son cœur une vraie charité pour ses
sœurs, ne pourrait longtemps la conserver
à l'extérieur et la conserver également à
J'égard de toutes; dans raille occasions dé-
licates qui se présentent souvent, la raison
seule ne fera point des efforts que la reli-
gion demande et que la grâce seule peut
opérer. Vous devez dnnc vous ap[)liquer
surtout. Mesdames, à bien établir datis
votre cœur un amour sincère, une charité
véritable et universelle pour vos sœurs;
je dis égale parce que si vous ne devez ex-
clure aucune d'elles de votre cœur, vous
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS
340
ne devez aussi y donner a aucune une
place singulière, n'en aimer aucune d'une
amitié particulière; amitié particulière, ami-
tié fausse, purement naturelle, toujours
opposée à la vraie charité; amitié [)articu-
lière , amitié injuste qui ne s'entretient
qu'aux dépens et au préjudice de la chariié
commune; amitié également funeste aux
deux sœurs qui s'y livrent et par les infidé-
lités, les péchés qu'elle leur fait commettre
et la soustraction des grâces qu'elle leur
cause; amitié, au sentiment de sainte Thé-
rèse et de tous les maîtres de la vie spiri-
tuelle, la ruine <ies communautés; amitié
aussi que tous les instituteurs, les fondateurs
d'ordre ont tous défendue; votre charité
pour être vraie doit donc être égale et
universelle. Ah 1 je sais bien que toutes vos
sœurs ne peuvent pas vous être également
agréahles; jesais que, comme on sent pour
quelques personnes un certain penchant
naturel, on é[irouve aussi, pour d'autres,
un éloignement, une aniii)alhie dont on no
pourrait souvent expliquer la cause ; je veux
de plus que cet éloignentent, que cette an-
tipathie soit fondée, qu'elle soil l'effet des
défauts, des mauvaises qualités de votre
sœur, de son caractère, de son humeur,
de sa conduite envers vous ; je dis que tout
cela ne doit point refroidir votre cœur à
son égard, que vous devez l'aimer sincè-
rement comme toutes les autres, que pour
plaire conslanjaient à votre céleste Epoux,
vous ne lievez faire aucun discernement,
que vous devez étouffer promptemenl tout
éloignement, toute antipathie dès que vous
la sentez naître dans voire cœur, que vous
devez même donner des marques d'affection
et de cordialité encore plus marquées à
celles pourlesquelles vous sentez au dedans
de vous moins de penchant et d'attrait.
J'ai dit enfin attention sur les pensées et
les jugements. Oui, Mesdames, il faut aller
jusque-là si vous voulez conserver dans votre
cœur une vraie charité, une union parfaite
avec toutes vos sœurs; car si vous donnez
sur cela libre carrièreà votre es[)rit, si, sur
ce que vous voyez dans vos sœurs, vousen-
tre[)renez de les soupçonner, de les juger,
ces soupçons, ces jug'ements, dès que vous
ne les rejetez pas de l'esprit qui les a for-
més, passeront bientôt dans la volonté qui
les adoptera, et dès lors vous vous rendrez
cou[)ables de fautes contre la cliarilé, et
d'autant plus grièves que votre jugement
aura été plus considérable. Je sais bien en-
core qu'un ne peut queltiuefois s'empêcher
de voir des fautes ou des défauts qui sau-
tent aux yeux, pour ainsi dire. Je sais que
la vraie charité n'oblige point déjuger blanc
ce qui est noir; mais, je sais aussi qu'il est
très-aisé de se tromper dans les jugements
qu'on porte sur le |)rochain, qu'il ne faut
[»as le )uger facilement et à la rigueur, de
peur d'être jugé de même, un jour, par le
Seigneur. Je sais que la charité veut qu'on
interprète toujours en bien tout ce qui en
est susceptible, que si une action de dix
faccs^n'en montrait qu'une favorable, c'est
Ml
DISOOllIlS l»E KETnAlTi:. — SEniEMK JOUR.
342
( elle-Ià qu'il f;iuilr;ii( ndoplcr. Je sais (|ii(!
la charité exige que qii.iii'l on iio peut juger
tMi bien une aclion du prochain, on la cou-
vre autant (|n*on le peut, t)ien loin tle la
faire ronuaîlre ; qu'on se borne alors à prier
pour la |)erso;iiio et h on remettre le juge-
mont au Seigneur. Je sais encore que la
charité lienianile que, pour avoir moins de
pensées et de jugements sur le prociiaiii,oii
n'ait pas les yeus si ouverts sur ce qu'il
fait; (lu'on soit toujours beaucoup plus dis-
pnso à voir ses vertus pour les imiter et
s'en édifier, que ses défauts pour les con-
ilnniupr et s'en scandaliser ; qu'il vaut in-
liniment mieux tourner les yeux sur soi-
même, parce que si l'on n'a pas, par sa
pl."Ce, autorité sur les autres, on no doit
répondre au souverain Juge que de sa pro-
pre perleclion. Voilà tout ce que dicte l'es-
prit lie charité qui est l'esprit de Jésus-
('hrisl;'cn s'y conlormanl, on réussit, dans
une communauté, à conserver l'union et
la paix.
Il me semble ici entendre une sœur nie
ilire'quc cesiuaxiu;os que je lui débite, sont
irés-sages, très-chrétiennes, mais qu'elles
)>e sont presque pas praticables quand on
vit en communauté; qu'elle souhaiterait,
|)0ur m'en convaincre, que je pusse liabiter,
quelques jours seulement, iiarmi elles et
connaître les ditférents 'caractères avec les-
quels il faut vivre. A cela je réporuls à celle
chère sœur que je conviens qu'il n'est point
aisé do conserver la paix avec toutes sortes
d'esprits et de caractères'; mais, qu'après
tout, le Seigneur l'exigeant, comme une
disposition nécessaire | our lui plaire et
pour se sanciifior dans la religion, il faut
chercher et saisir tous les moyens propres
à y réus-ir. C'est pour cela. Mesdames, qu'a-
près vous avoir fait voir qu'à se considérer
jiar rapport au prochain , il faut la plus
grande atlention pour ne pas lui déplaire,
.l'ajoute (|u'à considérer le prochain, par
rapport à soi. il faut la jiliis grande patien-
ce, pour qu'il ne déplaise |»as.
11. Oui, Mesdames, il faut en convenir,
ot j'en suis déjà convenu, avec vous, de bon-
r.e toi, il se trouve, et assez fréquemment,
dans les communautés de ces personnes
p: u sociable*, do ces caraclèrcs incapables
(;'■ nlieienir 1 union et la paix avec le pro-
ch.iin ; je vous les ai dépeints dans un autre
U:C)urs. Hélas! une seule |)ersonne réunit
t|USlquet'ois plusieurs de ces défauts qui,
comme on s'exprime assez souvent, la
rendeni insupportable : mais, ma chère
sœur, vous surtout qui trouvez diilicilo
dans la pratique, colle morale que je vous
prèihe, c'est [irécisément parce qu'elle vous
fiaraîl insupportable celle sœur, que vous
di'vcz vous appliquer davantage à la sup-
puhr; pour vous y engager, je pourrais
vous dire, que plus vous sonlez li'opposilion
p.iur elle, (pje plus vous vous faites de vio-
lence |)0ur la supjiorter, plus aussi vous
vous rendez agréable à votre céleste Epoux,
et digne de ses grâces; je pourrais vous
dire que celle sœur, quoique pleine de dé-
fauts, est destinée à vivre éternellement
avec vous dans le ciel, qu'elle y sera plus
élevée que vous pout-étro, (lu'elle fait fieut-
ètre encore pour si; corriger de ses défauts,
plus d'ell'orts que vous n'en faites pour
vous corriger des vôtres. Je pourrais vous
dire, d'après saint François de Sales, qu'iino
communauté religieuse, n'est point une
assemblée de parfaites, mais do [lorsonnos
qui travaillent à le devenir. Jo pourrais
vous dire qu'il n'est pas une personne sur
la terre, quelque sainte qu'elle soii, cpii
n'ait des défauts; que la sainteté eon.sislo
Inen moins h n'en point avoir, (|u'à les
combattre, qu'à s'en servir pour s'humilier
et s'anéantir avec Dieu; (|uo c'est pour cela
qu'il permet que les saints en aient qui se
manifoslent sensiblement qiiehjuefois. Je
pourrais vous dire, ma clioro sœur, (ju'ac-
couiuuiéo comme vous l'êtes, à censurer
votre sœur, à nourrir dans votre cœur l'é-
loignement, ranlijialhie (lue vous avez con-
çue contie elle, il n'est point étonnant que
tout dans elle, vous déplaise; (pie vous
exagérez ses défauts dans v(;tre esprit, que
vous en supposez peut-être (ju'ello n'a pas,
(]ue c'est là ce (juc produit la prévoniicu
|)Our l'ordinaire; que cela est si vrai, que
tout d:ins elle, et jusqu'au bien qu'elle l'ait,
vous révolte : je pourrais insister sur towt
cola; mais je veux bien sup|)0ser, |)our sn
moment, que celte sœur est telle que vous
la déjieignoz, qu'elle a des torts tiès-consi-
dérables vis-à-vis de vous, je n'ai qu'unu
seule chose à vous diie, et (Ui'une seulo
(]uesiion à vous faire : conmiont votre Dieu
en a-l-il agi jus(prici avec vous, et com-
ment en agit-il tous les jours? Vous le savez,
et ra|)peloz-le-vous dans ce niomonl; il vouj
a donné des témoignages de son amour,
jusqu'à souffrir et à mourir pour vous, et
dans le temps qu'il p:évoyait vos péchés, et
toutes vos ingratitudes à son égard : il n'en
est pas domeuié là; par une prédilection
toute particulière, il vous a tirée comme
par miracle peut-être, de la contagion du
siècle, il vous a iniroduite dans une maison
sainte, il vous a mise là au rang do ses
épouses; il n'a cessé, depuis col heureux mo
mont, de vous combler do ses grâces, mal-
gré des fautes, des rechutes et des inlidé-
lités sans nombre, que vous ne pouvez
vous dissimuler, et (pie dans ce moment
vous vous ro{>roclioz intorieureiuent. Or
pour tous ces témoignages do son amour,
malgré votre indignité il vous demande ce
Dieu- Sauveur voire Ejioux, que vous ai-
miez le prochain, son épouse à laquelle il
vous a associée malgré ses torts et ses dé-'
fauts, que vous raiiiiioz pour l'amour do
lui ; il vous déclare cju'il n'agréera point
vos proteslaliotis d'amour pour lui, bien
plus encore (juo vos prolostalioiis d'amour
pour lui no seront point sincères si vous
n'aimez vérilablement votre prochain et
tout votre jirochain. Pourriez-vous , après
cela sans ingratitude , lui refuser ce qu'i'l
vous demande? C'est donc, Mesdames, l'iu-
leiition de votre céloslc époux eu vous réu^
3Î3
ORATEURS SACRES. LADCE DE MONTIS.
Mi
nissant sous la même règle, que vous vous
aimiez sincèrement les unes les autres ; que
vous vous donniez réciproquement et sans
exoefilion , des témoignages d'attachement,
«lue vous vous supportiez toutes eliaritable-
nxMit malgré les défauts et avec les défauts
quo vous pouvez avoir. Ainsi l'apôtre saisit
l';iul le prescrivait-il aux simples fidèles , fi
lous les disci()les de Jésus-Christ : Aller al-
ierius onera porlale. (Galal., Yl, 2.) Soyez
patients envers tom, leur écrivail-il encore :
J^'atienles estole ad omnes. (1 Thess., V, 14-.)
l'renez g.iid', Mesdames, il dit envers tous,
paice qu'il savait (jue la charité, îa vraie
charité doit s'élendn; à tous. Hé quoi! si
vous vous bormz à .limer celles de vos
^œlir■iqtli ont des qualités du cœur et deKes-
pr t qui les r( ndenl aimables ou qui vous
donnent des marques iJe leur amitié, quel
méii:e avez-vuiis auprès de voire Dieu , et
quelle réx;o;npcnse pouvoz-vous en allen-
uiu? Vous ne faites a'ois que ce que font
les infidèles qui sans religion et sans foi,
suivant les sentiments de la nature, se bor-
nent h aimer ceux qui leur plaisent ou qui
leur font du bieii. La vraie chanté, la cha-
ri é (hré ieune et religif use consiste donc à
aimer le | rochiin queliiue peu aimable qu'.l
nous paraisse et quelque peu d'amour qu'il
ail pour nous. Voulez-vouî donc, vous sur-
tiul ma chère sœur, qui jusqu'ici vous êtes
livrée sans beaucoup de scrupule à des
sentimonls peu conformes à cette belle ver-
tu de la charité, voulez-vous donner à voire
eélesle Epoux des témoignages non équi-
voques de votre amour? Ah 1 si je le veux ,
il le sait bien lui-même, que je veux l'aimer
cet Epoux si aimable, si d giie de mon
amour; c'est l'unique bien-aimé de mon
cœur; j'ai tout fait pour lui; je ne crains
point de l'en prendre lui-même à témoin,
j'ai renoncé absolument à lout et pour tou-
jours pour être toute à lui , [)Our lui donner
des témoignages constants et non équivo-
«juesde mon amour. Eh bien! je le crois,
ma chère sœur; mais si cela est, aimez
donc votre prochain, aimez donc sincère-
ment et de lout voire cœur, vos sœurs, et
toutes vos sœurs, su|)pO( tez-les toutes avec
leurs défauts ; montrez-leur par votre con-
duite pleine de coidialilé que vous avez
oublié les torts qu'elles oui pu avoir à votre
égard; éloulfez jusqu'aux plus petits res-
sentiments, surtout lorsqu'elles viennent
réparer auprès de vous ce qui a paru dans
elles vous olfenser: ah! recevez-les alors
avec amitié, faites-leur connaître par tout
votre extérieur que vous leur pardonnez,
mais bien sincèrement , mais de tout votre
cœur; au lieu de vous entretenir intérieu-
rement de leurs procédés à votre égard ,
pensez souvent à ce que vous devez à Dieu,
à votre prochain et à vous-même; et ne me
dites point que celte sœur qui fait votre
tourment est d'un caractère à ne pouvoir
vivre en paix avec elle , que mil'e fois vous
avez fait à son égard des avances qui n'ont
servi qu'à l'aigrir, à l'indisposer encore
plus contre vous, quo vous n'êles pas la
seule dans la communauté qui éprouviez
ses mauvaises façons, que vous seriez dis^
posée à souffrir de toute autre, mais qu'i
decelIe-15, vous l'avouez, cela est plus
fort qu? vous, Ahl ma chère sœur, ne m'al-
léguez ici , ,je vous en conjure , que les rai-
sons et les excuses que vous pourrez allé-
guer légitimement au jugement de vctie
Dieu : or je vous le demande , soyez de
bonne loi, croyez-vous que votre céleste
Epoux devenu alors voire Juge veuille les
recevoir ces raisons et ces excuses? Oserez-
vous môme les lui alléguer? Hé ([uoi I lors-
qu'il nous a rcconimaiidé à tous, la cha-
rité, l'union, la patience, a-t-il distingué
entre esprit el esprit, entre caractère et
caractère? Ne nous a-l-il pas ordonné d'ai-
mer même nos ennemis , du leur pardonner
sincèrement el pour l'amour de lui , de leur
faire tout le bien qui déiiendail de nous ? Et
lui-même ne nous a-t il pas donné cet
exemple? Qu'était-ce que ses ennemis?
En vii.-on jamais déplus injustes et de plus
barbares? Cependant sur la croix il a prié
pour eux son Père éternel, il a soulferl pour
eux les tourments les plus alfr^ux, la mort
la plus ignominieuse et la plus cruelle,
autant pour nous donner l'exemfjle que
pour opérer notre salut : or tout ce que
vous avez souffert ou à souffrir ^ ost-il com-
parable à ce qu'a soulfert voire célesle
Epoux? Reconnaissez, reconnaissez donc
les illusions de l'amour-propre et les pièges
que vous tend rennemi de votre salut ; pen-
sez que votre Dieu ne peut rien vous com-
mander de trop au-dessus de vos forces,
qu'il vous donne toujours des secours pro-
portionnés à ce qu'il exige de vous; dire ou
penser le contraire, ce serait une erreur,
une impiété. Votre Dieu vous ordonne
d'aimer sincèrement vos sœurs et toutes,
vos sœurs, vous devez donc les aimer toutes
je dis plus, vous pouvez donc les aimer
toutes. Pensez que les efforts que vous fe-
rez pour éteindre en vous tout ressentiment,
toute aigreur conîre cette sœur qui vous a
déplu , et pour lui donner en toute oc-
casion des preuves de votre patience, de
votre cordialité , ne pourront être que très-
agréables à votre céleste Epoux, et très-
avantageux pour vous par conséquent.
Ail ! heureux, dit Jésus-Christ, heureux
les doux , « bcati miles. » Heureux les
pacifiiiHes , « bcali pacifici. » Parce quils
posséderont la terre [Matlh., V, 4, 9),
c'esi-h- dire , les avantages, et le plus
grand avantage qu'on puisse se procurer
sur la terre, qui est la paix de l'âme, le
contentement du cœur : mais hélas ! où
sont-ils ces esprits vraiment amis de la
paix, qui sans égard aux défauts .du pro-
chain, l'aiment uni(juemont, dans Dieu et
[îour Dieu ? 0\x se trouvent-ils ces carac-
tères doux et pacifiques, pleins d'égards
.pour le prochain, incapables de rien faire
qui puisse lui déplaire, toujours attentifs
au contraire à saisir les occasions de lui
faire du bien, toujours disposés pour cela
à sacrifier leurs iulérèls et leurs penchants?
DISCOURS DE RETIIAITE. — SEPTIEME JOtU.
546
Ou se l!Oiivonl-i!s ces caractères d'une liu-
meiir toujours <?gale, d'une patience inallé-
r.ibio, que les injures, les mauvais pronédt^s
n'nigrissc; l poi. t que les pins gnmdcs in-
jusiices n'irritent noint, qui se nioiilront
comme insensibles .'i tout le mal que le
prochain |)i'ut leur l'airo, qui, bien loin (Je
lui on téiiioi.uner le moindn; ri^ssonlimonl,
rt'doublenl d'altcMtion et de boiini'S ma-
nières h son égard ? N'exagérons rien ici :
l'on en voit encore du c^s ciractf^res lien-
reux, si |>roi'res à contribuer an bonheur
li" la socirlé. Chaque communauté en
possède ; et celle-ci, plus peul-tMrc que bien
(I autres: mais ne le dissimulons point
aussi, ils sont rares; rien de plus commun,
même dans h.'s connnunauîés les mieux
composées et les plus régulières, que de
voir de ces esprits moins propres h entrete-
nir la paix et la charité, qu'h causer des
divisions, (pii prennent toujours leur
source dans ramour-propre,dans un amour
excessif de soi-même.
Ali ! Seigneur, si je veux rentrer ici sé-
rieusement en moi-même, me rappeler la
conduite que j'ai tenue, depuis que j'ai le
lionhcnr d'être dans la religion, que, de
fautes jai)erçois contre le prochain auquel
vous m'aviez associée ; que de divisiofis,
que d anlipathies, que d'aversions même
conçues et entretenues dans mon cœur, et
qui trop connues, n'ont pu que mal édifier
mes Sœurs ! Quand j'ai éviié les scandales
et les éclats, et bien plus p;ip respect hu-
main, que par amour pour vous, que de
fautes dont je me. suis rendue coupable 1
Que de défauts d'attention , de complai-
sance ! Que de paroles de censure, de rail-
lerie, de vivacité 1 Que de refus de service
pour n'avoir pas voulu me mortifier et me
contraindre 1 Que d'occasions encore où j'ai
montré à mes sœurs, combien peu je sup-
portais leurs défauts ! Combien de fois j'en
ai parié de ces défauts, je les ai exagérés,
je les ai découverts à u'aulres, je leur ai
communiqué mes dégoûts, mes répu-
gnances, mes antipathies I Combien de fois
je m'en suis entretenue avec moi-même, et
me suis livrée à des pensées, à des juge-
ments, qui n'ont servi qu'à indisposer
encore plus mon cœur 1 Voilà, Seigneur,
les fautes que je me reproche, en votre
sainte présence; c'est l'amour-propre, cet
•unour excessif de moi-même, qui me les a
fait commeltre ; je le reconnais aujourd'hui:
aussi suis-je bien résolu de le combattre
• •t de le morlirier cet ennemi de ma fier-
fcclion; je sais (lue je ne puis vous plaire,
iju'aulant que j'entretiendrai, avec toutes
mes sœurs, une charité, une union cons-
lanie et parfaite, et que je serai disposée à
laire les plus grands sacrilices, pour la
(onserver cette union. C'est la résolution
(]uo je prends, dans ce moment, ô mon
Dieu, et que j'aurai soin de renouveler de
temps en temns , et dans les occasions
surtout , où j aurai à souffrir de mon
jirochain. Faites, par votre grâce, que le
reste de mesjours, la ,divine charité règne
d.ins mon cœur, (iik; je croisse même,
chaque jour, en (euvres inspirées parcelle
reine des vertus, alin qu'après l'avoir
fidèlement pratiquée dans celte vie, elle
puisse me conduire un jour, et pour
toujours, dans vos sacrés tabernacle^. Aiisl
S0!l-il.
SEPTIEME JOUU.
Troisième discours.
SUR l'obéissance a l'egmsi..
Si Eoclesiam non audiprit, sit libi siciil clliuiiiis cl
pnblicar.us. (Muttlt., XVIII, 17.)
Si quelqu'un n'écoute pasl'Eglise, regnrdez-le comme un
païen el comme un publicain.
Ce ne sont point. Mesdames, les docleurs
ou les pasteurs de l'Eglise qui ont [)ro-
noncé celle terrible sentence ; on pourrait
les soupçonner d'avoir voulu s'allribuer
une autorité absolue et excessive, ou s'ils
la prononcent (juelquofois celte senlenco,
ce n'est que d'après Jésus-Christ, le |)re-
mier pasteur de celte Eglise qu'il a insti-
tuée sur la terre par ses travaux el par l'el-
fusion de son sang sur la croix, pour nous
ouvrir à tous les portes du ciel. Malheur
donc à Ceux qui, nés [)ar une grâce spéciale
dans le sein de celle Eglise, lui rei'iisent
l'obéissance, ou du moins une obéissance
entière et parfaite I Car vous le savez. Mes-
dames, vous l'avez a[>pris avec les élémenls
de la religion : c'est dans celle Eglise de
Jésus-Christ, comme le dil saint Augustin,
qu'on aiiprend et à bien croire et f^ bien
vivre : In qua bene creditur et bene viviCur ;
et qui, ayant reçu du Dieu-Sauveur le fiou-
voir de conduire ses enfants par la sainlelé
de sa morale, et de les instruire par la f)u-
reté de sa doctrine, a droit aussi d'eviger
d'eux une double obé'ssance : l'obéissance
de la volonté pour accomi)lir ce qu'elle leur
prescrit, et l'obéissance de l'esprit pour
croire ce qu'elle leur enseigne. Mais hélas!
l'on a vu, dans tous les siècles, de ses en-
fants, ou désobéissants à ses préceptes, ou
indociles à ses décisions. C'est de cette der-
nière désobéissance que j'entreprends de
vous entretenir ici. Mesdames, comme la
plus funeste au salut, parce qu'en aveuglant
i'espril et en endurcissant le cœur, elle ne
laisse pour l'ordinaire aucune ressource h
la conversion. J'entreprends donc de vous
entretenir dans ce discours de l'obéissance
que vous devez et que nous devons tous à
l'Eglise, quant à sa doctrine, à ses décrets
sur sa doctrine. Je vous montrerai pour
cela, en premier lieu, les motifs puissants
qui doivent engager tous les fidèles à obéir
aux décisions de l'Eglise; ce sera le sujet
de la première partie de ce discours : mais
comme il esl aisé de se faire illusion, et
qu'il n'arrive en effet que trop souvent
qu'on se fait illusion sur l'étendue que doit
avoir celle obéissance , je vous montrerai
de plus les qualités qu'elle doit avoir pour
être agréable à Dieu et utile au salut : C',
sera le sujet de la seconde partie. Quoique,
par la miséricorde de Dieu vous soyez tou-
tes. Mesdames, enfants dociles de l'Eglis».;,
^ue celle communauté se soit môme de lu il
547
ORATEUUS SACRES. LABBE DE MONTiS
318
temps distinguée par son îillocbeincnt h la
foi, autant que par son exacte régularité,
j'ai cru cependant que vous entendriez avec
plaisir des vérités qui ne peuvent que vous
aireraiir dans voire soumission à l'Eglise,
el vous faire rendre do |)lus en plus des ac-
tions (le grâce au Seigneur de vous avoir
préservées des séductions de l'erreur. Ho-
norez-moi, s'il vous plaît, de toute voire
attention. Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
1. 'apôtre saint Paul l'a dit, Mesdames,
qu'il faut qu'il y ait dcf hérésies : « Oportet
ethœre.scs esse (1 Cor., XI, 19); et la rai-
son qu'il on apporte, c'est qu'elles servent
à faire connaître les justes, les vrais servi-
teurs de Jésus-Christ. Le Dieu-Sauveur lui-
incmc a prédit h ses apôtres qucson Eglise,
(Ct'e barque nr-stérieuse dans laquelle se
îrouveiit égaleineiit U-s bons et les mauvais,
les justes el les pécheurs, serait sans
cesse agitée par les vents de la [lersécution
el de l'erreur. Dans presque tous les siè-
cles, en effet, il s'est trouvé de ces esprits
orgueilleux et pleins d'eux-mêmes qui,
mettant leur gloire à ne pas penser sur ia
religion comrue le commun des tidôles, ont
refusé opiniâtrement de se soumettre aux
l'useignements et aux décisions de l'Eglise.
Heureuse encore cette Eglise, ou moins à
plaindre si elle n'avait eu à géuiir que sur
raveuglemenl et la désobéissance de quel-
(jues novateurs I mais ce qui, dans tous biS
l'Miips, l'a le [ilus affligée, c'est que peu
contenîs de se révolter contre elle, ces no-
vateurs, ils ont entraîné dans leur révolte
une inlinitéde chrétiens de l'un et de l'au-
tre sexe qui, séduits par le goût de la nou-
veauté et aussi par un air de réforme que
ces hérésiarques ont presque toujours af-
fecté pour en imposer par là el se faire plus
ai-émenl des partisans, sont sortis de la
voie du salut : chrétiens aveugles el dignes
<le toute compassion, après avoir volontai-
rement perdu de vue celte étoile lumineuse
.|ui seule a reçu de Jésus-Christ le droit de
les éclairer el de les conduire sûrement
dans les roules do la foi, ils errent pour
ainsi dire à l'aventure et au gré de leurs
propres idées, de leurs préjugés, dans les
.-^entiers de l'incertitude et de l'erreur, et
ne [)euvent par conséquent goûter la paix et
les consolations que ressentent les enfants
<ie l'Eglise sincèrement attachés à leur mère
el dociles à toutes ses décisions. Voilà en
effet, Mesdames, les deux grands avantages
que trouvent les vrais hdèles dans leur at-
tachement el dans leur soumission à l'E-
glise. En premier lieu, toute leur sûreté;
et en second lieu, lout leur bonheur : deux
puissants motifs bien propres à nous enga-
ger tous à celte obéissance entière el par-
faite.
1. Je dis en premier lieu , que le fidèle
dans quelqu'état qu'il soit, trouve sa sûreté
dans une parfaite soumission à l'Eglise: jo
dis plus môme, qu'il no peut la trouver que
dans celte soumission onliôfo et parfaite.
Vous le savez, Mesdames, il no nous swiFit
pas d'agir, de faire des œuvres saintes en
apparence, pour être des saints, pour nous
procurer réicrnelle félicité à laquelle notre
Dieu nous a tous destinés. Il faut croire de
plus; il faut avoir la foi: disons môme que
sans la foi tout (;e que nous pouvons faire
de i)ien ne peut être méritoire du ciel, par-
ce que sans ta foi, dit l'ApoIre, il est im-
possible de plaire à Dieu. {Ilehr , XI, 5.) Or
notre Dieu Sauveur, en nous ordonnant do
croire, en nous montrant l'objet de notre
croyance, de notre foi , nous a de plus pro-
curé un motif sûr, un fondeuient solide sur
lequel nous pouvons et itous devons apiili-
quer noire croyance, c'est l'autorité de l'E-
glise: lorsqu'après s'être choisi des apôtres
et leur avoir ordonné d'aller prêcher son
nom à toutes les nations, de leur appren-
dre la dnclrino du salut qu'il leur avait ap-
f)rise à eux-mêmes : Jte et docete {Mallh.,
XXVIII, 19), il leurpromit en même temps
tout ce qui pouvait engager ceux qu'ils
convertiraient el qu'ils feraient entrer dans
son Eglise, à les écouler, à ajouter foi à ce
(pi'ils leur enseigneraient; il leur |)rorait
de leur envoyer son Saint-Espril, et que
cet Esprit de sainteté et de vérité tout en-
semble serait toujours avec eux, qu'il les
assisterait et les dirigerait dans toutes leurs
décisions sur la foi et sur les mœurs, dans
lout ce qu'ils presciraient à faire ou à croire
aux enfants de son Eglise. C'est là, Mesda-
mes, cette Eglise enseignante, h'S apôtres
el les successeurs des apôtres ; c'est à eux,
et n(m à tous les fidèles, comme l'ont iméi-
giné les novateurs qui, pour s'autoriser dans
leur révolte, ont confondu grossièremen'
l'Eglise enseignée el l'Eglise enseignante,
les brebis et ies pasteurs, h^s lidèles el les
pontifes; c'est seulement aux a|)ôlres el à
leurs successeurs, qu'il a dit : Qui vous
écoute m'écoule, et qui vous méprise me mé-
prise. {Luc, X, 16.) C'est à eux seuls qu'il a
dit qu'il serait avec eux par l'assistance de
son Saint-Esj)rit , qu'il y serait tous les
jours, omnibus diebus ; c'est à eux seuls
(ju'il a ()romis que son Eglise enseignante
qu'ils représentaient , subsisterait dans
tous les siècles et jusqu'à la lin des siè-
cles, usque ad consummalioncm sœculi
{Matth., XXVIII, 20) ; que malgré les guer-
res, les persécutions qu'elle aurait à sou-
tenir du dehors, malgré les révoltes de ses
|)ropres enfants et les cliagrins qu'ils lui
causeraient, les portes de l'enfer ne pré-
vaudraient jamais contre elle; que toujours
attaquée jamais elle ne serait vaincue el dé-
truite: paroles (jui prouvent (lue ces pro-
messes d'assistance et d'infaillibilité ne
doivent point se borner aux seuls aiiôtres,
mais de plus à leurs successeurs; qu'elles
doivent également s'étendreà tous les temps
soit que les pontifes soient assemblés, soit
qu'ils se trouvent dispersés, Jésus-Christ
n'ayant fait sur cela aucune distinction ; et
celte distinction étant même enlièremenl
opposée à l'énoncé de ses [iromesses qui
dans tous les temps ont eu leur effet : celle
3U
DISCOURS DE RETRAITE. — SEPTIEME JOUR.
3£0
T'glise loujours ft^-me, toujours subsistante,
a vu pnssér en effet et s'anéanlir snccessi-
vement des royaumes el des empires. Dès
les premiers siècles de son établissement,
elle a en h souffrir d'honibies persécutions :
presque dans tous les siècles des ennemis
puissants font attaquée et ont voulu la dé-
truire, mais ses ennemis ont élé détruits
eux-mêmes. Les persécutions ont cessé:
elle est restée, cette Eglise , victorieuse et
triomphante ; dans tous les temps elle a vu
de ses enfants orgueilleux et indociles, l'af-
fliger, la déchirer, combattre par des dog-
mes impies, la doctrine sainte qu'elle te-
nait de Jésus Christ.; mais dans tous les
temps elle a dit anathème aux novateurs :
leurs erreurs, quelques-unes, après avoir
fait (le grands ravages, se sont enfin éva-
nouies; celles qui subsistent auront infail-
liblement le môme sort; la parole de Jésus-
Christ y est expresse, les portes de l'enfer
ne prévaudront point contre elle.
Voilà donc. Mesdames, le fondement de
noire foi, voilà le motif sur lequel nous
devons appuyer notre croyance et notre
obéissance à l'Eglise, son infaillibilité pro-
mise par Jésus-Christ ; tant que nous nous
tiendions unis au vicaire de Jésus-Christ,
successeur de Pierre, et aux premiers pas-
teurs successeurs des apôires, nous n'avons
point à craindre de nous tromper ni d'être
trompés; si nous l'étions, je ne crains point
de le dire ici, ce serait Jésus-Christ lui-
même qui nous induirait en erreur, puis-
qu'il veut que nous les écoulions ces pas-
teuis, comme parlant en son nopj et assis-
tés de son Esprit. Aussi depuis l'établisse-
ment de l'Eglise, on les a Vus user de ce
droit,exercer cette autorité que leur a don-
née le divin maître ; on les a vus s'appliquer
à éclairer, à instruire les fidèles, s'élever
contre toute doctrine contraire à la foi, et
dire constamment anathème à tous ceux
qui ont refusé de se soumettre h leurs ju-
gements et d'adopter luurs décisions. Voilà
encore une fois ce qui doit fixer et rassurer
tous les enfants de l'Eglise, tous les fidèles,
dans quelqu'état et dans quelque situation
qu'ils puissent être, quelques lumières et
(juelques talents qu'ils puissent avoir, es-
prits sublimes ou bornés, doctes ou igno-
rants, grands ou petits, monarques ou su-
jets,-; voilà leur sûreté à tous, voilà ma sû-
reté à moi-môme; dès que je liens à l'Eglise
enseignante, àce-cor|is des pasteurs que
Jésus-Christ a établis, |onr m'éclairer et
me conduire et auxquels il a promis son
assistance perpétuelle, dès lors je n'ai plus
rien à craindre, il ne me reste qu'une seule
chosu à faire et dt^s plus faciles, c'est- de
connaître et de voir si cette Eglise a véri-
taldement parlé, si c'est bien le vicaire de
Jésus-Christ, avec le corps des pasteurs,
qui me propose une décision, un décret :
dès (jue j'en suis assuré, dès lors je suis
sûr aussi do tenir à la vérité, à la foi ;
au lieu que si je refuse d'écouler la voix
des premiers pasteurs et do me soumettre
à leurs décisions, à leurs lumières, dans
quel Iab3rintlic je m'engage! Dans quel
abîme de doutes et de dillicultés je me
préci|)ite ! Car enfin je me trouve forcé
alors d'en croire, ou à mon propre esprit,
ou à quelques docteurs particuliers : or
rien de moins raisonnable td de moins sûr
que ces deux partis; si je veux suivre mon
propre esprit, esprit faible et borné, à quels
égarements ne m'exposé-je pas? Hélas!
il prend si souvent cet esprit, l'erreur pour
la vérité, môme dans les objets les plus
naturels et les plus proportionnés à ses lu-
mières, comment pourra-t-il me guider sû-
rement et saisir le vrai, lorsqu'il eiitre-
()r( ndra déjuger sur des objets surnatureLs
et intiniment au-dessus do lui? Dansquelles
erreurs; je dis plus, dans quelles absurdités,
dans quelles folies n'ont pas donné ceux
qui ont voulu, en matière de religion, se
conduire par leur propre esprit ? Opinions
les plus bizarres, les plus insensées, doc-
trine la plus monstrueuse, la plus abomi-
nable, voilà ce que dans l'Eglise ont produit
si souvent ces esprits orgueilleux qui,
après s'être soustraits à l'autorité légitimn
préposée par le Dieu Sauveur, pour les in-
struire, onl voulu penser et juger sur la
religion et sur la doctrine, uniqtiement
d'après eux-mêmes, cl qui, au lieu de sou-
meltre humblement leurs lumières aux
décisions de l'Eglise, ont osé appeler des
décisions (le l'Eglise, et les soumettre aux
faibles lumières de leur esprit.
Mais, Mesdames, y a-t-il beaucouj» plus
de sûreté pour un fidèle, lorsqu'il se borne
à croire quelques docteurs particuliers el à
se conduire aveuglément par leurs lu-
mières, par leurs décisions? Quoi de plus
injuste, de plus téméraire I Je dois ajouter,
quoi de plus insensé que de ne vouloir
écouter ni le vicaire de Jésus-Christ, ni le
corps entier des premiers pasteurs, parlant
avec lui et d'après lui, ni son propre pas-
teur, son évoque uni au vicaire de Jésus-
Christ et au corps des pasteurs, pour
jiréférer, à leurs conseils et à leurs déci-
sions , les décisions et les conseils do
(luelques docteurs particuliers, esprits in-
dociles qui assez communément cachent,
sous le manteau d'une régulaiité extérieure
et hypocrite, une conduile quelquefois la
plus déréglée, qui du moins ne s'enlretien
nent et qui ne s'appliquent à entretenir des
âmes simples et malheureusement trop
crédules, dans la désobéissance, dans la
révolte contre l'Eglise, que par des prin-
cij«es d'entêtement et d'orgueil ; qui qprès
s'être jetés témérairement dans le parti de
l'erreur, n'ont pas assez d'humil'ité, de
religion et de bonne foi, pour convenir
(ju'ils se sont trompés, ou cpii ne tiennent
aussi opiniâtrement au parti l'ebelle que
par des vues de c.ipidité, d'intérêt, que
jiarce qu'ils trouvent dans la trédulilé des
personnes qu'ils ont séduites, d'abondantes
ressources, des secours qu'ils n'ont pas le
courage de sacrifier à la fui, à la vérité;
«luelle témérité encore une fois dans une
persoiHie qui se conduit el qui se fait gloiro
3!:ii
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MO.NTIS.
bSS
d'èlre conduite par de pareils guides 1 Peut-
elle jamais se rendre à elle-même ce témoi-
gnage si consolant qu'elle prend le parti le
[ilus sûr, pour ne pas errer en matière de
fui el pour s'assurer le ciel par conséquent ?
Le vrai moyen et l'unique moyen de se
tranquilliser et d'aj^ir avec sécurité sur un
objet aussi imiiorlant, c'est donc, INk'sdames,
d'obéir aux premiers pasteurs unis au vi-
caire de Jésus-Clirist, de se tenir toujours
au tronc de l'aibre; ainsi le conseilla un
fameux et trop fameux sectaire, à un parent
qui le consultait sur le parti qu'il devait
prrndre dans les disputes qui agilaient
l'[v^lise, conseil qui suffira pour le con-
(iamner au grand jour de la manifestation
ries consciences, et qui prouvait ouverte-
ment l'inconséquence et l'injustice de sa
c induitu f^nvers l'Eglise; mais si une obéis-
sance entière et bien sincère à l'Eglise fait
toute notre sûreté, j'ajoute de plus qu'elle
fait toute notre consolation , tout notre
bonheur; notie bonheur pour l'autre vie,
noire bonheur pour celle-ci.
IL Je dis bonheur pour 1 autre vie ; quel-
ques bonnes œuvres que nous |)uissions
faire, quelque éclatantes qu'elles puissent
ôire à l'extérieur, c'est une vérité de foi,
Mesdames, qu'elles ne s nt vraiment sain-
tes et méritoires du ciel, qu'autant qu'elles
s')nl opérées par la chanté, j'entends la clia-
lité habituelle et sanctifiante, qui seu'e peut
nous rendre agréables à notre Dieu et di-
gnes de ses récompenses éternelles; mais
celle vertu ne sub^isla jamais dans un chré-
tien, dans une chrétienne rebelle à l'Eglise ;
dès qu'elle lui refuse la soumission qu'elle
lui doit, dès lors elle n'est plus véritable-
ment son enfani, quoiqu'elle paraisse lui
être encore atlachée à l'extérieur; Jésus-
Christ l'a déclaré expressément et a déclaré
également que hors de son Eglise il ne peut
y avoir de salut : cette doctrine du divin
Maitre, les Pères et les docteurs de 1 Egli-
se l'ont tous et constamment enseignée.
Celui-là ne [)eut avoir Uieu pour père, dit
saint Augustin , qui n'a pas l'Eglise pour
mère; ce n'est plus être véritablement chré-
tien, dit encore !e môme saint docteur, de
ne plus tenir à l'Eglise de Jésus-Christ; et
la raison qu'il en donne, c'est (^ue celui qui
lui refuse la soumission qu'elle exige de
lui, ne peut avoir au dedans de soi, l'esprit
de Jésus-Christ qui seul |)eut vivifier les
bonnes œuvres et les rendre méritoires du
ciel. Hélas! Mesdames, je le dis en gémis-
sant et la plus vive douleur dans le cœur;
combien de ()ersonnes dans le monde, après
des bonnes œuvres mullipliées presqu'à l'in-
lini,se trouvent cependant, à la mort, faute
de cette soumission à toutes les décisions
de l'Eglise, dignes des analhèmes et de la
colère éternelle du souverain Jugel Com-
bien de personnes religieuses, après une
vie des plus longues peul-êlre, passée dans
l'exercice de la mortification et dans la [)ra-
tique des devoirs pénibles de leur saint
état, se trouvent également par ce défaut de
soumission, non-seulement sans mérite"^.
devant h' Seigneur, mais de plus cou-
pables , criminelles et réprouvées à ses
yeux! Elles paraissent, à la vérité, ces per-
sonnes, livrées h des œuvres saintes; priè-
res, oraisons, austérités, communions, tout
se fait au deliors avec piété, avec religion,
tout parait sain! ; mais, hélas! ce sont dus
arbres (^ui, avec la jilus belle fapparencc,
sont sans aucun fruit; elles ne sont riches
ces vierges chrétiennes, qu'en apparence ;
au grand jour de la discussion des cons-
ciences, elles se Irouveront les mains vi-
des dans une pauvreté réelle, dans un dé-
tiûment total de grâce et de mérites, dou-
blement mortes aux yeux du Seigniîur et
par le défaut do foi et par le défaut de cha-
rité.
Oui, voilà, Mesdames, le mallieureux
état de ces |)ersonnes qui séduites et trom-
pées par des docteurs du mensonge ou qui
aveuglées par des préjugés de la naissance
ou du l'éducation, refusent d'ouvrir les yeux
à la lunjière qu'on leur présente et qui per-
sistent opiniâtrement à refuser à l'Eglise,
l'obéissance qu'elles lui doivent ; on les en-
tend dire quelquefois que la charité défend
déjuger et de condaujner personne, qu'à
Dieu seul appartient le jugement des créatu-
res. Oui, sans doute; mais l'apôlie saint
Paul ne la possédait-il jjas celte belle vertu
de la charité et mcuie au plus grand degré,
puisqu'il désirait de se rendre an;ithème
pour ses frères; et cependant ne condani-
nair-il personne, lorsqu'il écrivait aux Co-
rinthiens que les avares, les médisants et
lait d'autres espèces de pécheurs dont il
fait l'éuumération, n'entreraient jauiaisdans
le royaume des cieux?Ne condanuiail-il
personne lorsqu'il écrivait à son disci[)le
Timoihée, qu'un cerlain Alexandre lui avait
fait beaucoup de mal, mais que Dieu lui
rendrait, selon ses œuvres? (lli'tm.,lV, 14.)
Tant de pontifes, de pasteurs, de ministres
de Jésus-Christ ne condamnent-ils jamais
|)ersonne, ou sont-ils donc sans charité,
lorsqu'ils déclarent publiquement dans les
chaires ou secrètement au sacré tribunal à
tous ceux qui ne suivent ()as l'esprit et les
maximes de l'Evangile qui uiènent une vie
licencieuse, indigne du caraclère de chré-
tien qu'ils ont reçu dans le saint baptême,
qu'ils courent à leur |)erle éternelle? Mais
ces i)ersonnes elles-mêmes qui se plai-
gnent ainsi à ceux qui leur font sentir le
danger de leur état, lorsqu'elles voientquel-
qu'un pour qui elles s'inléressent , refuser
de se réconcilier avec un ennemi, de re-
noncer à une habitude criminelle , croient-
elles manquer à la charité , en disant à ce
p.ireni,à cet ami, que s'il reste dans ses
mauvaises dispositions, il n'y a point de
salai à espérei- pour lui , que l'enfer sera
sùieiui nt son jiartage? Voilà précisément.
Mesdames, ce que nous, ministres de Jé-
sus-Clirisl, nous disons aux j)ersonnes que
nous voyons dans une désobéissance for-
melle à quelque décision de l'Eglise; nous
ne prétendons pas les condamner absolu-
ment, les réprouver, à Dieu ne iilaise I
DISCOURS DE RETRAlTi:. — SEPTIEME JOl'R
OitO
comme r.i|iôirc .«nint Paul, nous devons ôlio ,
disposés à sncrilier jusiiu'c» noire propre
vie , pour les sauver : nous n'ignorons;pas
qu'ù Dieu seul a|)i)nrtieiit le jugemcnl des
«luies; que d'ailleurs, ses n)isériconics sont
infinies ; (jue jusqu'au dernier soupir, dans
quelque mauvais élat qu'une ûme pui-iise
ôlrc, elle peut toujours retourner à lui, par
un sincère repentir : niais ce que nous leur
disonset ce (]ue nous devons leur dire, c'est
que si elles persistent jusqu'à la mort dans
celle malheureuse disposition de désobéis-
sance, il ne peut y avoir de salut à espérer
pour elles ; nous leur disons et nous devons
leur dire que ce n'est pas croire et avoir la
foi que de n'élre pas soumise toutes les dé-
cisions de l'Eglise, et que si Jésus-Clirisl a
dit que celui fjui croit sera sauvé, il a dit
aussi que celui qui ne croit passera condam-
né : Qui non credideril condemnabilur. (Marc,
XVI, IG.)
Mais s'il faut croire et obéir en tout à l'E-
glise, pour se procurer un bonheur éternel,
le bonheur de l'autre vie, je dis de (dus que
celte obéissance peut seule nous procurer le
bonheur du temps, nous rendre véritable-
ment heureux dès celle vie. Hélas 1 dans ce
lieu de noire exil, dans cette vallée de n)i-
sères et de larmes, peut-on as|)irer à un vé-
ritable bonheur? \'ous surtout, Mesdames,
qui [)0ur uueux vous assurer le bonheur du
ciel, avez embrassé un élat de perlectiou ( t
de croix qui vous pi'ive de tous les avan-
tages que le monde |«résente à ceux qui vi-
rent au milieu de lui, et par lesquels il _""ré-
tend, quoKjue bien lau s.ment, les rendie
heureux, |)ouvez-vous vous rendre heureu-
ses sur la terre? Oui, Mesdames,; quoique
dans un élat de moriiticatioti et de croix, il
est un bonheur que vous pouvez vous [ ro-
curer, et que vous pouvez goûter dès celle
vie, que goûtent en ellel les âmes qui sont
sincèrement el toutes à Dieu ; c'est un cer-
tain contentement inlérieur, c'est la paix du
cœur; bonheur réel et véritable qui est au
dedans de nous, el qui dépend de nous ; bon-
heur que les pécheurs, el tous les ennemis
de Dieu ne peuvent se procurer. Or celle
paix solide, cette paix du cœur, une per-
sonne, une épouse de Jésus-Ciirist peulelle
la posséder loiS(iue rélléchissanl sur elle-
même, elle se trouve dans un élat habituel
de désobéissance à l'Eglise? Peut-elle l'avoir
celte paix, loisque les suiiérieurs préposés,
par II; Seigneur, pour la conduire, lui disent
que pour élre vrai enlanl de l'Eglise, il faut
se soumelire, de cœur el d'espiil, à toutes
ses décisions; (pie lorsque le souverain
poiilile a porté son jugemeiilsur un ouvrage,
quel qu'il puisse èlre, el que le corps des
jiremieis jiasteurs a adhéré à ce jugemeni,
tout fidèle, dans quelque étal qu il soii,
doit s'y jSoumellre ; que refuser sa sou-
niission alors, c'est se rendre coupable d'un
péché grief, ciue persister dans ce refus de
soumiss.on, c est se tenir dans une disposi-
tion, dans une habitude criminelle par con-
séquent, que c'est s'exposer, je -dis plus,
que c'est faire vérilablement, autant de sa-
554
criléges qu'elle reçoit de sacromenis? Quoi 1
lorsque le souverain pontife, le vicaire do
Jésus-Christ lientformellement ce langage à
un simple fidèle, .'i une religieuse; lorsque
ses supérieurs, lorsque son évèque, lorsque
tous les évéques, Ions les imnlifes de l'EgUso
se joigneiil au vicaire de JéMis-ChrisI, jioup
lui tenir le même laiigag<', elle aura, cette
religieuse, en ne les écoulant pas, l'esprit
tranquille, la paix dans le cœur? Non, non,
s'il reste encore, dans celle âme, quehjues
sentiments de religion, quelques désirs de
salul ; si une longue et opiniâtre ré'islance,
et si un abus fré^pient des choses saintes,
n'ont pas tout à fait aveuglé son esprit et
endurci son cœur, non, je ne croirai jamais
qu'elle puisse avoir la paix au dedans
d'elle même : en vain me proteslera-l-ellei
de sa iranquillilé , du repos de sa con-
science ; je lui dirai hardiment qu'elle cher-
che h se faire illusion!; dans de certains
momenls suriout.de réflexion plus sérieuse,
où la grâce agil plus fortemeni sur son
cœur, ()eut-elle s'empôcher de se dire à elle-
même : mais si je venais à me tromper,
mais si mes su|iérieiirs, si le vicaire de Jé-
sus-Clirisl, .'■i lous les évêques, qui, après
tout, sont plus écliiiiés que moi, et ipie Jé-
susChiisl m'a donnés pour m'inslruiie, s'ils
nie (lisent vrai, où en suis-je ? Quel est mon
étal ? Quel sera mon sorl? Si comme ils me
l'assurent lous, ce défaut de soumission iiio
rend criminelle aux yeux de Dieu, tout lo
bien que je fais, dans mon saint étal, est Jonc
réellement sans mérite pour moi ; mais s: je
meurs dans celle di-position, je n'ai don»;
plus de ressource; une élern'elle réproba-
tion sera donc en elfet le fruit de ma crimi-
nelle résistance, f)endant toute I éleriiiié :
moi, épouse de Jésus-Christ, de^tinée en
ce'le qualité, à occuper une des premières
places, dans son royaume, je terai donc ré-
duite à foimer, dans l'enfer, sur ma mal-
heureuse in. locililé, des regrets inutdes et
éternels? Une religieuse qui peui faire, et
qui fui: en ell'et quelquefois, comme malgré
elle, CCS raiscnnements, peut elle être heu-
reuse el tranquil.e? Non, non, je k'[ré[ète,
quoi qu'elle en dise, sa conscience doit s )U-
venl l'agiter, la tourmenter; qui peul donc
la retenir,:dans son attachement à ses idées?
Ah 1 le voici, Mesdames ; el si jamais elle re-
vientdeses préjugés, elle l'avouera tie bonne
foi, comme bien d'autres l'ont avoué en ef-
fet; c'est bien moins une intime persuasion
qu'elle est uans la voie la plus sûre; ce qui
nepeut être queie respect liumain, le qu'en-
diia-l-on; c'est qu'elle ne veut pas déplaire
à certaines personnes; c'est i'amour-|)ropre
el bien mal entendu, puisqu il est plus glo-
rieux devant les hommes comme devant
Dieu, d'avouer qu'on s'est trom|)é, que de
persiïti r dans l'erreur ; c'est peul-êlre en-
core, la crainte d'une trop grande réforme,
d'être obligée de revenir sur le passé, de
refaire des confessions dont on voit bien la
nullité. Voilà les motifs qui retiennent une
épouse de Jésus-Christ dans sa désobéis-
sance à l'Eglise; el tandis qu'elle alfecle
5^o
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MOÎSTIS.
'}j(i
beaucoup do trnnquillilé au deliofs, elle
reste agitée par des remords cruels qu'elle
porte jusqu'au loudjeau ; car voilà ()Our l'or-
dinaire sa funeste fin; après avoir long-
temps résisté h la grâce qui la sollicitait de
prendre la voie la f)lus sûre, l'unique voie
})Our opéi'er son salut, on obéissant à ses
pasteurs légitimes, après s'être laissé long-
temps séduire, elle est encore sédui-te alors;
ce n'est pas que dans ces derniers moments,
la grâce n'agisse encore sur son cœur : mais
accoutumée à lui résister, Dieu, plus irrité
que jamais contre cette éjjouse infidèle,
permet (pi'elle se fasse illusion jusqu'à la
tin, et que malgré des agitations, des trou-
bles qui ne se manifestent que trop au dc-
Iiors, elle meure dans la désobéissance à
l'Eglise, et dans l'inimilié de son Dieu
par conséquent : bien [ditrérente de la
religion véritablement soumise, celle - ci
sincèrement attachée à l'Eglise , se dé-
fiant avec raison, des lumières de son es-
prit, redoutant tout ce qui a l'apparence de
nouveauté, parfaitement soumise aux déci-
sions des premiers pasteurs, fidèle d'ailleurs
à tous les devoirs de son saint état, coinme
elle a vécu sans remords et dans la paix inté-
rieure, elle voit, sans inquiétude, la mort
s'aj)proclier, dans l'espérance que le souve-
lain Juge lui pardonnera ses fautes et ses
faiblesses ; elle meurt dans le baiser du
Soigneur, avec une paix, une tranquilliié
<|ui fait l'admiration et l'édilicalion de tou-
tes ses sœurs. Tels sont, Mesdames, les
grands avantages que procure une entière
et parfaite obéissance à l'Eglise : une sé-
cui'iié, une assurance intime qu'on ne peut
se tromper; et do plus, outn.' la récompense
du ciel, dans l'autre vie, dès celle-ci, un
bonheur réel qui consiste à vivre et à mou-
rir dans la paix, du cœur. Mais pour y par-
ticiper à ces grands avantages, il faut aussi
que cette obéissance à l'Eglise soii, comme
je l'ai dit, entière et parfaite, et pour cela
qu'elle soit accompagnée de certaines dis-
positions qui vont faire la matière de la se-
conde partie.
SECONDE PARTIE.
Nous sommes tous, Mesdames, si convain-
cus qu'en qualité d'enfants de l'Eglise,
nous lui devons l'obéissance, non-seulement
sur les préce|)tes qu'elle nous impose, pour
régler nos mœurs, mais encore sur les dé-
cisions qu'elle nous présente , pour fixer
notre croyance , qu'on n'a point vu d'héré-
siai(jues et de sectaires qui n'aient |)roleslé
qu'i;s étaient soumis à celte Eglise , et
qui n'aient tenté de prouver cette soumis-
sion , par des professions de foi , fausses à
Ja véi'ilé, cai)tieuses et insullisanies par
conséquent; ainsi ils se disent soumis à
l'Eglise, et ils ne le sont ()as véritablement,
parce qu'ils ne le sont que de bouche et
non du fond du cœur; ils se disent soumis
à l'Eglise et ils ne le sont jias entièremeiit,
parce (}u"ils exceptent et qu'ils rejettent
quelqu'une de ses décisions, quelques-uns
de ses décrets. Or, afin que votre soumis-
sion, votre obéissance à l'Eglise soit agréa-
ble à Dieu et à l'Eglise elle-même, elle doit
être exemjtte de ces deux défauts, je veux
dire (ju'elle doit être, en premier lieu, sin-
cère, partir du fond du cœur; et en second
lieu, universelle, renfermer tout ce qui i^ent
en être l'objet. Ces deux réfiexions étant
de la jilus grande importance; je vous prie
de me renouveler, pour quelques moments,
toute votre attention.
1. Je dis, en [iremier lieu, que l'obéis-
sance àl'Eglise, pour ôlre véritable, doit
être sincère et ir.térieuie. Oui, Mesdames,
c'est de la bouche qu'il faut confesser la foi,
et la manifesterau dehors, pour être sauvé :
Ore confessio pi ad salulem ; mais c'est dans
le cœur :^ue cette foi doit être, si l'on veut
paraître juste aux yeux de Dieu : corde cre~
ditur adjustitinm. {Itom. , X, 10.) Aussi
l'Eglise l'a-t-elle toujours exigée cette sou-
mission intérieure. Jamais elle ne regarda
comme enfants dociles , que ceux (jui ont
cru intérieurement la doctrine qu'elle leur
a enseignée : à la vérité , il n'en est pas
ainsi dans la société civile; un père qui fait
un commandement à ses enfants , ou un
roi qui intime des ordres à ses sujets,
n'exige point absolument une soumission
intéiieure et du cœur , elle est , à ta vérité,
plus convenable , comme plus parfaite;
mais un souverain n'ayant qu'à mai-itenii'
l'ordre et la police dans ses Eiats.etun
père n'ayant qu'à veiller sur le gouverne-
ment extérieur de sa famille, l'un et l'autic
s'inquiètent peu ap;ès toui, qu'on les ap-
prouve intérieurement dans ce q-.i'ils or-
donnent . ou dans ce qu'ils délendent ,
pourvu qu'on se conforme, et (iu'oi paraisse
se conformer à leur volonté: mais pour
l'Eglise notre mère, il n'en est pas ainsi ;
comme elle a été instituée par le Dieu-
Sauveur, non-seulement pour régler la con-
<luite extérieure de ceux qui sont à lui ,
mais de plus, et surtout pour régler leur
intérieur , et les conduire par là, à la sain-
teté, et par la sainteté , au bonheur du ciel,
elle ne peut se contenter d'une soumission
purement extérieure, qui se bornerait à la
main, pour ainsi dire, mais (]ui n'alfecterait
lioinl i'dme,et ne la rendrait point vraiment
soumise : ainsi , quand l'Eglise présente à
tous ses fidèles , un nouveau décret qui
condamne une erreur nouvelle ou renouve-
lée, et déjà condamnée, tout fidèle est obli-
gé d'y adhérer, de s'y soumettre de cœur
etd'espiit, parce qu'alors, comme le dit
saint Bernard , la loi de la bruche ne vaut
rien sans la fui du cœur: Non vuklfides oris,
sine fîde cordis. Cii n'est donc point entrer
dans res|)!it de l'Eglise, être vraiment en-
Jant de l'Eglise , de s'en tenir sur le décret,
à un silence respectueux , comme on l'ap-
fielle : silence qui n'est qu'un subterfuge
niventé par les hérétiques , pour se sous-
traire réellement à l'obéissance ; silence
qu'ils allèguent, et qu ils loiit beaucoup va-
loir , lorsqu'on les presse de se soumettre,
mais q'u'ils n'observent guère: silence faus-
sement aj)pelé rcspeclueux, pu-isqu'il oiar-
557 DISCOURS BK UETRAITF,
(HIC nu oonliaire leur peu do rospcci pour
l'Kglise : disons mieux, silenco réolleiuonl
injurieux à l'Eglise, puistiu'ils ne rnl)scr-
SKPTlKMr: JOUR.
z:i»
vent et ne ralièiiiient (pie parce (pi'ils no
sont pas persuadés inu^rieuronient de l'au-
lorilé infaillible de l'Eglise , el du droit
cju'elle a d'exiger, do tous ses enfants, une
soumission sineère et intérieure , sur tous
ses décrets. Ce n'est point encore vive véri-
tablement eii/ant de l'Eglise , de s'en tenir
à une espèce (io neutralité, (Je ne vouloir
être, comme l'on dit, d'aucun parti ; langage
ordinaire de ceux el de celles qui ne veu-
lent pas se soumettre, el qui uianil'eslent
également leur faconde penser; langage
qui n'est ((ue sur les lèvres, et pour en iui-
jioscr aux sii|)érieurs ecclésiastiques, mais
qui n'empêche pas, que dans les occasions où
l'on croit pouvoir agir et |)arler librement.
Ton ne montre de la chaleur et le plus vif
intérêt pour la mauvaise cause qu'on a
inalheureusemeut endjrassée : mais je dis
plus, langage injuste , s'il était sincère et
injurieux à l'Eglise. Je dis injurieux à
l'Eglise, parce que c'est là supposer fausse-
ment un parti opposé ù un autre parti, ce
qui n'est pas , et ne |ieul être. Toutes les
hérésies qui ont pai'u , l'Eglise , usant du
droit que lui a donné Jé>us-Cliri,st, les a
toujours conu'amnées ; elle ne doit pas plus
êlre regardée comme un parti opposé à un
autre, qu'un souverain qui enlreprendrail
de souMictlrede ses sujets , qui a.yanl formé
un parti (Kuis l'Etat , se seraient révoltés
contre lui: mais j'ai dit de [ilus, langage
injuste et très-injuste , parce tiue, lorsqu i)
s'agit de foi et de soumission à l'Eglise, la
neutralité ne peut être permise. Celui qui
n'est pas pour moi, a dit le Fils de Dieu lui-
môme, est véritablement contre moi : Qui
non est mecum, conlra me est {Luc.,Xl,2'3) ;
celui par conséquent qui n'est pas ouverte-
ment pour l'Eglise, soumis à loules les déci-
siùnsde l'Eglise^ à laquelle ce Dieu Sauveur
a comiDUuiqué son autorité, esldonc formel-
lement contre l'Eglise, rebelle à 1 Eglise:
vuilà ce qu'ont enseigné conslamineut les
Pères et lesdocteuis. Tout c:iié>ien est, en
celle qualité , soldat de Jésus-Christ, dit
Tertullien : J7r Christiunus, miles. Or uu
soldat, qui d;ins les occasions, se tiendrait
à l'écart, qui refuserait d'obéiià son [iriuce,
de défendre sa [talrie, serait ngardé, avec
raisou, comme un Iraitre tout à la fois, à sa
patrie, et à son roi : de môme une personne,
enfant de l'Eglise, dansquei(jue étal qu'elle
l-.uiss(; être, qui refuse de rendre raisou de
sa croyance à ceux qui sont préposés pour
la lui demamler, ou qui voyant l'Eglise al-
la(iuée, calomniée ()ar des rebelles, se borne
au silence, se rend coupable de trahison, de
lâcheté , et ne peut être regardée comme
vrai enfant de celte Eglise. Je sais qu'il faut
delà niodéiation, de la prudence, dans la
défense de l'Eglise et de la foi; un zèle
trop vif, téméraire el indiscret, est plus pro-
pre à nuire à l'Eglise, qu'ù la servir et à la
défendre : aussi suis-je bien éloif^né d'ap-
[)rouver des excès que Jésus-Christ et son
Eglise elle-même interdisent et condamnent,
l^lais si un zèle excessif et peu mesuré est
condamnable, une indillérence allectée ,
lors(]u'il faut manifester sa foi, l'est égale-
nu;iil; c'est rougir alors de Jésus-Christ.
Or il a déclaré (|u'il rougira un jour, devant
son Père, de ceux qui auront rougi de lui
devant les hommes. Hé quoi! l'on a vu,
dans tous les temps, et nous le voyons en-
core, avec douleur, les partisans de l'er-
reur, la défendre avec un zèle, une ardeur
singulière; rien no leur cotite, lorsciu'il
s'agit d'accréditer leur.fausse doctrine, de
se conserver des prosélytes, ou d'en aug-
menter le nombre; et une personne, une
religieuse qui se dit catholique, sincère-
ment attachée h l'Eglise, croirait remplir
toute justice, en se tenant tranquille, en re-
fusant de parler el de s'ex[)liquer, lorsqu'il
serait utile et nécessaire même, pour l'édi-
licalion et [>our empêcher tout soupçon sur
sa foi, qu'elle fil connaître ses senlimenls?
Non, non, Mesdames, tenir une {)areille con-
duite, alfecter une pareille indifférence ,
c'est prouver (|u'on n'a j)as une soumission
intérieure el sincère à l'Eglise; c'est l'ol-
finser par conséquent el l'outrager; c'est
olfeiiser el outrager Jésus-Christ son chef
et son auteur. La soumission, l'obéissance
à l'Eglise, pour être vraie, doit donc être
sincère el se montrer telle : mais elle doit,
de plus, èlre universelle, s'étendre à tout
ce qui en est l'objet ; seconde qualité aussi
nécessaire au s;iiut, que la première.
11. Voilà ce|)enda'it, j'ose le dire ici, à
quoi on reconnaît le plus sûrement, une
personne ()eu soumise à l'Eglise ; si elle se
tiouvj dans quelques circonstances qui la
forcent, pour ainsi dire, de rendre raison
de sa joi, à ses supérieurs, rien de plus
beau, de plus étendu que sa profession do
foi : elle ne fera aucune dilliculté de con-
damner toutes les erreurs qui ont été jus-
(^u'ici cond.im'iées par l'Eglise, mais sans
faire jamais menlion de celle à laquelle
elle est uialheureusemeiit attachée, ou au
parti qui la soutient; elle se dira soumise à
tous les décrets de l'Eglise, mais t0Uj0ur.->
en mettant de côlé,eii exceptant celui qui
condamne les novateurs du temps [trésent
el le seul cependant pour lequel ses supé-
rieurs exige d'elle el formellemeul, expres-
sément , sa soumission. Voilà au reste ,
Mesdames, ce que l'on a vu dans tous les
t.inps. Les pélagiens condamnait nt sincè-
reuienl les dogmes d'un Arius, d'un Nes-
lorius el de tous les hérésiarques qui les
avaient précédés, mais non la doctrine de
Pelage leur luaître. Les luthériens, les cal-
vinistes disaient et ont toujours dit volon-
tiers anathème à Pelage el à lous les autres
novateurs, mais jamais à Luther, à Calvin.
Or, ji; le (Jemande ici, esl-ce là une con-
duite droite et suivie? N'esl-ce pas avoir
un poids et un poids, une mesure et une
mesure? Ah 1 Mesdames, poi^r peu qu'une
jiersonne opiniâtrement allachée à un poii t
de doclriue condamné [lar l'Eglise, voullii
réiléchir sérieusement sur sa conduite, ei
5:9 ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS. 560
df^poser d'anciens et mallieurcnx préjugés, tours eux-raômcs acquiescer, parce que ces
n'jiecoiitiaîlrait-elle pas une incorii^équoncc décrets n'avaient aucun rapport à leur mau-
sensible , une évidente contradiction? Ne vaise doctrine I Mais cnfin-je demande si c'est
nous y liompons pas, la toi est indivisible ne rien condamner que de déclarer qu'un tel
dans son objet, comme l'amour de Dieu livre, qu'un loi ouvrage contient des propo-
dans le sien ; en soi te que, conmie on n'a sitions. et telles proftositions qu'ondésigne,
plus un véritable amour pour Dieu, quand dont les unes sont hérétiques, les autres
on transgresse volontairement un seul de scandaleuses, les autres blasphématoires, et
ses préceptes, quand d'ailleurs on accora- le reste; je demande si la soumission est cen-
plirait tous les autres, de luôme on n'a sée portée sur rien, quand on croit, d'après
plus une vraie loi, une soumission en- le jugement du souverain poniife et des
lière et parfaite à l'Eglise, quand on la re- évêques, que toutes ces propositions sont
fuse à un seul de ses décrets, quoique telles en elfet que les qualilie le décret qui
d'ailleurs on se dise soumis à tous les au- les condamne? N'est-ce pas pour un enfant
très. Tel est le sentiment de tous les doc- de l'Iiglise, vouloir s'aveugler et avoir peu
leurs de l'Eglise. Hé quoi I Jésus-Christ, de docilité dans l'esprit, que de se souuiet-
loisqu'il nous a ordonné de l'écouter cette Ire à ce décret", fiarce qu il ne lui dit |uis
Eglise et do lui ol>éir, a-t-il distingué en- expressément, c'est cette proposition qui
tre décision et décision, entre décret et est hérétique, colle-là est scandaleuse? Ah 1
décret? Quoi 1 l'on paraît se soumettre à un Mes. lames, quand une personne, une reli-
décret ()ui a toutes les formalités requises gieuse surtout est sincèrement attachée à
pour en faire un décret de l'Eglise, et Ton l'Eglise et à Jésus-Christ son célesteÉpoux,
refuse sa soun.'ission à un autre qui est e'.lo est bien éloignée de pareils sentiments
absolument revêtu des nièmes formalités? et (Je tenir une pareille conduite. Vous avez
Quelle contradiction! quelle inju>tice I Ce sans doute enleiulu parler de l'acte géné-
n'est donc plus l'autoiité iidaillible de reux de soumission et de docilité d'un pré-
l'iiglise qui ins|dro celle soumission; ce lat des plus vertueux, et des j)lus é>laiiés
n'est donc qu'a|)rès avoir examiné, jugé un du siècle dernier; un de ses ouvrages fut
décret, qu'on le reçoit ou iju'on le rejette; déféréau vicaire de Jésus-Chiisl, (jui, après
on devient donc véritablement soi-même, un iiiûr examen, le condamna par un de-
juge de l'Eglise : quel aveuglement 1 quelle cret : les évéques de Franco assemblés ac-
témériié! ceplent le décrel. Dès que le prélat l'ap-
Mais comment se soumettre h un décret prend, c'en est assez pour lui : il reconnaît
qui ne condamne et qui ne spécitie aucune que l'Eglise a parié; peu content de se
erreur? Sur quoi tombe la condamnation, soumettre de cœur et d osjirit à la décision
et surijuoi doit lombcr notre soumission V du souverain pontife, il monte en chaire et
Voilà, Mesdames, une objeclion qu'allé- donne à ses diocésains l'exemple de la [)lu(>
gnenl bien des personnes, pour refuser à parfaite obéissance ; il condamne lui-mômt)
l'Eglise la soumi.N3!on qu'elle exige d'elles ? sou livre et leur en défenii absolument la
Mais pour y réiondie, je pourrais dire à lecture : voilà ce que produira toujouis
une personne qui me la ferait celte objec- l'humilité chrétienne, quand e.'le règtio vé-
lion, (ju'à la vérité l'Eglise notre mère, en rilablement dans un cœur,
condamnant tel livre en particulier, aurait Mais quoi I obliger des lilles ignorantes
pu spécilier chaque erreur et les faire con- qui ne doivent savoir que leur règle et les
Jiaîlre aux fidèles ; oui sans doute; mais devoirs du saint, d'être tliéf logieimes, de
quoi, parce qu'elle n'a {)as jugé à (irupos parler de doctrine quelles n'enlendeut pas,
d'en agir ainsi, un fidèle se croira en tlio.t, cela est- I juste et raisounable? N.,n, Mes
par celte seule raison, do n jeter son dé- dames, je conviens volonliers, avec vous
cret ot de ne s'y fias sounieilre? Quoi de que des le igieiises ne doivent point connaî
plus injuste! Cette su})position va vous le Iro et savoir des dogmes qui piiS^ent la por-
faii'e sentir. Un homme a un fils qu'il tée de leur esprit!; ce no fut aussi jamais là
aime lendremeiil; {dein de sagesse, il lui l'intention des ^upérieurs ecciésiasliques,
défend d'aller dai;s un tel lieu, ou de b é- qui souhaiteraient, au. contraire, que ces
ciuenler une telle personne, lui alléguant filles ignorassent toutes et absolument ces
qu'il a de bonnes raisons pour lui faire celte disputes qui divie il les fidèles et aflligoiit
l'Eglise. Uien, en ell'et, ne les console plus
défense, sans lui rien dire de plus; ce fils
refuse d'obéir à ce bon jtère, par la raison
qu'il ne lui a pas spécifié en détail, les
ces supérieurs que do \oir des communau-
,. . . , -- tés, sans diversité de senlimenls, qui bien
dangers qu'il y aurait pour lui, à fréquenter unies entre elles et par ieniiment soumises
ce lieu ou cette personne? Quelle idée au- à toutes les décisions de I Eglise, no s'en-
riez-vous de cet enfant et de sa docilité? Ireliennent jamais des maiières qui en sont
Cependant, absolument parlant, ce père l'objet; ils en bénisbent le Seigneur et ne
j)ourrait se tromper, dans les motifs de sa sont occupés alors qu'à écai 1er les loups do
délense, au lieu que l'Eglise toujours diri- ces pures et saintes bergeries; mais quand
gee par le Saint-Esprit, ne peut errer, lors- ils voient, au contraire, de ces vierges chré-
qu elle entreprend de diriger notre foi et de tiennes qui, malheureusement séduites par
régler nos mœurs; mais de plus, combien de faux docieuis, sont dans une disposi-
d erreurs que l'Eglise a condamnées, par de tion de désobéissance à un décrel porté par
pareilsdécrets,elauxquelsona vudesnova- l'Eglise, qui oblige tous les fidèles h s'y
DISCOURS DE RETRAITE. — SEPTIEME JOUR.
SCÎ
I
soumcllre, el sous les peines los plus rigou-
reuses; quand ils voient que ces vierges,
par leur désobéissance, encourent vérila-
bleuient ces peines canonirjiies, (|u'elles de-
viennent par là criminelles aux yeux de
Dieu, que tonl ce qu'elles foui de bien, dans
cet étal, se trouve, par ce défaut de soumis-
sion, sans mérite devant Dieu; quand ils
voient qu'elles fréquenlenl peu les sacre-
ments, ou (pi'aussi mal dis|)Osées, elles
u'en approchent que pour, les profaner;
quand ils voient ou quand ils savent du
moins, (jue bien loin de garder un silence
qu'elles font tant valoir, lorsqu'on les ex-
Ijorte à se soumollre, elles se rassemblent
secrètement pour discourir et s'encouraj^er
récipro(juement dans leur désobéissance,
que malgré les défenses de leur supérieur,
de leur évè(|ue, elles lisent des livres em-
poisonnés qui ne peuvent que les confirmer
et les entretenir dans leurs mauvaises dis-
positions; pour peu qu'ils aient, ces supé-
rieurs, de zèle de la gloire de Dieu et du
salut des âmes, peuvent-ils rester dans
l'inaction, laisser se perdre des âmes pré-
cieuses à Jésus-Cljrisl, dont le soin leur a
été confié et dont ils doivent lui rendre, un
jour, un comité rigoureux? Qui peut donc
les blâmer, s'ils travaillent à ramener au
divin bercail ces brebis égarées? Ali I ce
(]ui serait injuste et blâmable dans eux, ce
serait d'abuser de leur autorité par des ma-
nières dures et rebutantes; ministres de
Jésus-Chrisl, ils doivent toujours se mon-
trer aniinés de cet esprit de douceur, de pa-
tience et de cliarilé dont leur divin Mailre
leur a donné l'exemple, môme envers les
jilus grands pécheurs; un zèle ardent, im-
pétueux el trop vif ne fut jamais propre quà
éloigner les esprits et à indisposer les cœurs;
mais quand il se montre ce zèle, aceonipa-
gné de douceur et de cordialité, ce qu'il y
a de condamnable alors, c'est la censure
qu'on en fait el la résistance qu'on lui mon-
tre.
Mais il est une loi du prince qui défend
de parler de ce décret, sur lequel on exigo
la soumission et de tout ce qui y a rappoit;
les supérieurs ne peuvent donc en parler
eux-mêmes sans désobéir au prince. Pour
jépondre à celle objection, que ne manquent
jamais de faire ceux et celles qui se tiou-
vent pressés [lar de fortes raisons : je dis,
en premier lieu, que ce n'est point aux in-
férieurs à censurer la conduite de leurs su-
|)éi leurs; que quand on a, pour eux, un
véritable respect, on les juge toujours fa-
vorablement, el l'on présume qu'il ne font
rien et qu'ils sont incaiiables même de rien
faire contre leur devoir : mais je réponds
plus directement, en second lieu , que le
prince peut, à la vérité, pour de sages rai-
sons, inlerdiie .ù ses sujets dts écrits el des
disputes, qui tendent bien moins à décou-
vrir el à défendre la vérité qu'à animer les
esprits, qu'à faire naître et à entretenir des
troubles et des divisions, des guerres intes-
tines, toujours préjudiciables b l'Etal : mais
je dis aussi (]ue, par cette loi du silence, le
OuATELilS SACHES. LXN'ill.
souverain n'a jamais |>rélendu fermer la
bouche aux évôipies el à ceux qui los repré-
sentent, (ju'il l'a ainsi formellement. déclaré
lui-même. Hé! comment fiourrail-on croire
(ju'un monar(|ue [qui se glorilie du lilro do
roi Irès-chrélien et de tils aîné de PPlgiiS",
qui s'est montré attaché h la cliaiiede Pierre,
soumis h ses décrels el ennemi de toute
nouveauté, qui a paru connaître les devoirs
des évèques el la mauvaise foi desTréfrac-
laires, ail eu intention, par la loi, de favo-
riser ceux-ci et d'em|)èeher teux-îà d'ins-
Iruire les tiilèles ronliés à leur soin et
d'exercer un mtnislère qu'ils tiennent de
Jésus-dhrist, et du(iuel ils doivent lui ren-
dre compte un jour; alléguer h ses supé-
rieurs la loi du silence, est donc une pure
défaite el une marque évidente de désobîis-
sance à l'Eglise, Ajucs avoir réfuté, AJos-
dames, les diilicullés qu'on fait, pour l'or-
dinaire, pour se n>aiiitenir dans des sonli-
menls de révolte, je joins ici une ré/lexion
qui paraîtra équitable à tout esf)rit sans
prévention ; c'est que tant d'objections el de
répliques sont un fort préjugé contre la
personne qui les fait : c'est qu'il faut que
la cause qu'elle défend soil bien mauvaise
pour se voir comme f(jrcée d'alléguer les
mènies difficultés et faire les objections
qu'ont faites, dans tous les temps, les hé-
rétiques et ceux mêmes que cette personne
regarde comme tels, de tenir le môme lan-
gage, d'employer les ujêmes moyens de dé-
fense, d'user des mômes détours, des mêmes
subterfuges. Ah! Mesdames, la vérité a une
marche bien plus droite et bien |)lus sim-
|ile : la vraie foi montre bien plus de can-
deur el d'humilité : je dis d'humilité sur-
tout ; car si l'on montre tanl de résistance
à ses sujiérieurs, à son évôqu(% à toute l'E-
glise; je l'ai déjà dit et je ne puis trop lu
répéter, c'est l'attachement à son propre
sens, c'est l'orgueil. Qu'une religieuse soit
véritablement humble, |)etite à ses propres
yeux, qu'elle se délie de ses lumières ; qu'elle
ail d'ailleurs un vrai désir de se sanclitier
dans son saint état, quehfue aveuglée qu'elle
jiuisse être par des préjugés de naissance
ou d'éducalion, j'ose |)rometlre de lui faire
sentir bientôt la vérité et de la remettre
dans la voie de la foi el du salut.
aurait à
quelques
Conclusion, pour la reli(jieuse qui
se reprocher de ta résistance à
décisions de l'Eglise,
Ahljelevois el le reconnais présente-
ment, ô mon Dieu, que c'est l'orgueil qui
m'a retenue jusqu'ici dans l'erreur; oui,
CL-l orgueil (|ui a perdu Lucifer, qui a pré-
cipité tant d'liérésiar(pjes, de novateurs,
(le sectaires dans l'enfer, c'est ce môme
orgueil (pii m'a dominée el (^ui m'a ren-
due sourde aux avis les plus charitables
de mes su[)éiieurs, qui m'a f.iit employer
pour défendre ce que j'appelais fausse-
ment la vérité des moyens que ma cons-
cience me re|irochail. Ah I .Seigneur, vous
n'avezjjas permis à mon égard, ce que vous
le avez permiïà l'égaid d'une inliiiiléd'aulies,
12
:;6;!
0RA'[E11RS SACRES. L'A-BDE DE MONTIS.
zu
moins coupables que moi [)eul-6lre, que la
mort me surprît dans ma désobéissance; c'est
un effet de votre miséricorde, dont jo no
veux plus rae rendre indigne. Dès ce mo-
ment, ô mon Dieu, j'en f)rends la résolu-
tion ; chaque jour je vais vous adresser de
ferventes prières pour assurer ma foi et
mon salut; à ces prières jo joindrai des
instructions et des lectures , que la crainte
do me soumettre à Ja vérité uj'onl fait re-
fuser tant de fois. Daignez, Seigneur, les
accompagner de votre grûce ; pour l'obte-
nir, je vais rem[)iir avec plus de fidélité que
iamais les devoirs et les observances de
mon saint état; eh I que me servirait d'y
avoir été fidèle, si je manquais de soumis-
sion à l'Eglise, sans laquelle je ne puis ac-
quérir aucun mérite et vous plaire. Quelle
douleur pour moi à la mort, quel déses-
poir dans l'éternité, si je persistais à fermer
Jes yeux à la vérité? Hélas! citée à votre
redoutable tribunal, qu'auiais-je à vous al-
léguer pour ma justification? Serait-ce une
excuse légitime, à vos yeux, d'avoir préféré
mes propres lumières à celle des premiers
pasteurs et à l'autorité de l'Eglise entière?
Ne permettez pas. Seigneur, que mes pré-
jugés m'aveuglent plus longtemps; daignez
ui'éciairer vous-même et m'attaclier uni-
quement à vous, afin qu'après avoir vécu
sur la terre, dans la foi et dans la charité,
je puisse un jour participer dans le ciel à
vos récompenses éternelles. Ainsi soil-il.
Conclusion pour une religieuse docile et sou-
mise à toutes les décisions de l'Eglise.
Ah 1 Seigneur, quel aveuglement 1 Qu'el-
les seraient dignes de compassion et cou-
pables à vos yeux, ces vierges vos épouses,
qui devant vous montrer et à votre Eglise,
plus d'attachement et de soumission que les
sim[)les fidèles refuseraient d'ouvrir les
yeux à la vérité, et vivraient dans une ha-
bitude de révolte contre les premiers pas-
teurs I Quel malheur pour elles, après une
vie de retraite et de mortification, de se
voir, par une orgueilleuse et criminelle dé-
sobéissance, privées [)our toujours de votre
vue et des joies du ciel qui en devaient
être la récompense 1 AhJ je le sais, qu'il est
irès-diliicile de se défaire des préjugés de
]a naissance ou de l'éducation. Quelles ac-
tions de grâces n'ai-je donc pas à vous ren-
dre, ô mon Dieu, do m'avoir lait naître, par
jiréférence à une intinité d'autres, dans le
sein de la véritable Eglise, et de m'avoir
procuré de plus, une éducation dans la-
quelle j'ai puisé, avec des sentiments de
religion et de piété, ('elui d'un attachement
sincère à la foi et surtout de m'avoir placée
dans une sainte maison qui se glorifie de la
plus entière soumission à toutes les déci-
dions de votre Eglise, et qui m'a conlirmée
ii-.oi-même dans ces saintes dispositions.
Mais que rae servirait , ô mon céleste
lipoux, d'avoir cru si je ne vis pas d'une
façon conforme à ma croyance? Hélas 1
parmi ce grand nombre de vos épouses re-
Ijelles, il en est peut-être qui rempiic^st nt
|)lus exaclement (juc uioi les devoirs de
noire saint état; pour me condamner ne me
les citerez vous [)Oint au grand jour de vos
vengeances? Quelle confusion ne doivent
pas m'inspirer ces réflexions I Mais ce que
celle confusion doit produire surtout, c'est
de me faire joindre désormais à la soumis-
sion, à la foi dans l'esprit, la charité, fa
piété, )a , ferveur dans le cœur; j'en prends
la résolution dans ce .moment. Oui, Sei-
gneur, avec le secours de votre grâce, je
vais liavailler plus que jamais à ma perfec-
tion, en mettant plus de recueillement dans
ma conduite, plus d'exactitude à mes de-
voirs et aux observances de mon saint élal,
plus d'attention à orner mon âme de toutes
les vertus nécessaires à vos épouses; au
motif de ma sanctification j'ajouterai, dans
cette conduite régulière, celui d'obtenir de
votre miséricorde la conversion de ce grand
nombre de vos épouses qui, par un défaut
de soumission à l'Eglise, courent en aveu-
gles à leur perte éternelle. Après avoir tra-
vaillé par là sur la terre, autant qu'il esl eu
moi, à votre gloire, j'aurai le bonheur, je
l'espère de voire miséricorde, d'y partici|)er
un jour et pour toujours dans le ciel. Ainsi
scii-il.
HUITIEME JOUR.
Premier discours.
SUR LE BONHECR DU CIEL.
Justi in perpeluum vivent, et apud Dorainum est
merces eorum. {Sap., V, 16.)
Lesjustes vivront éleniellement, et c'est du Seigneur
qu'Us reçoivent leur récompense.
Tel esl. Mesdames, l'heureux sort de ces
justes et de ces épouses du Dieu Sauveur
surtout, qui ont terminé leur course dans sa
grâce et dans son amitié; en payant, comme
les autres, le tribut à la mort; elles ont
paru, à la vérité, aux yeux des faux sages
du siècle, juivées du bonheur de la vie ;
mais qu'elle leur a été avantageuse cette
privation, puisqu'on les délivrant de toutes
les peines inséparables de celte vie mor-
telle, elle les a mises en possession d'une
vie constante et éternelle! Jusli in perpe-
tuum vivent. Cependant, Mesdames, ce n'est
[)oinl précisément à vivre éternellement
que consiste le bonheur des élus dans le
ciel; à ne considérer que celle subsistance
éternelle en elle-même, il n'ont rien en
cela que de commun avec les réprouvés
dans l'enfer; mais ce qui fait le souverain
bonheur des uns et le malheur souverain
des autres, c'est que ceux-ci ne subsiste-
ront que pour servir d'éternelles victimes
à la colère de leur Dieu qu'ils auront irrité
l)ar leurs crimes, et que ceux-là au con-
traire vivront éternellement pour jouir do
leur Dieu comme d'une récompense qu'il
leur aura accordée, pour lui avoir été fidèle
sur la terre. Vous n'en doutez pas, Mesda-
mes, de celle récompensedu ciel; la parole
de voire céleste Epouxy est iroj) ex()resse ;
vous en avez de plus,, un sentiment trop
profondément gravé dans votre cœur. Ce-
pendant mettez-vous , avez-vous mis du
>r.5
DISCOURS DE RETR UTF:.
tout le zèle et tout
HUITIKME JOUR.
moins jusqu'h présent
l'empressement qui dépend do vous, pour
vous assurer ce bonheur du ciel ? C'est donc
pour en exciter ou pour en augmenter dans
vous le dc^sir, cpie je viens vous en entre-
tenir ici. De quoi s'agil-il donc pour vous ?
Quelle est donc celle récompense du (ici
qui vous est oiïerte et qui nous est otlerle
à tous? C'est, dit saint Augustin , un état
dans lequel Dieu lui-môme rendra parfaite-
ment heureux notre esprit et notre cœur;
noire esprit en se communiquoiit à lui,
comme un principe fécond de lumière etde
vérilé; noire cœur en se communiquant à
lui comme une source abondante de paix
et de coiisolaticns. Je m'arrête à cette pen-
sée du saint docteur, et je dis que dans le
ciel notre esprit sera parfaitement heureux,
par les connaissances sublimes et abondan-
tes que Dieu lui communiquera ; ce sera le
sujet de la |iremière partie de ce discours.
J'ajoute que, dans le ciel, notre cœurjouira
d'un bonheur également parfait, par lajoie
pure et solide dont Dieu la pénétrera ; ce
Sera le sujet de la seconde paitie. La ma-
tière est comme vous le voyez, Mesdames,
et des plus intéressantes, et tout à la fois
des plus consolantes. Je nie tlatte que vous
voudrez bien m'honorer de toute votre al-
leulion. ^t-e, Maria.
PREMIÈUE PABTIE.
Si je viens ici, Mesdames, vous entretenir
du bonheur du ciel, ce n'est pas cependant
que je prétende vous en donner une idée
parfaite, et qui renferme tout ce qu'il est eu
lui-même ; non, ce serait une témérilé de
l'entreprendre : les saints, les esprits cé-
lestes eux-mêmes qui le possèdent dès à
présent ce boidieur ne le comprennent {)as,
et ne le comprendront jamais. Hé! qui
pourrait sur la terre, nous en donner une
parfaite connaissance? Si, comme l'ai-ùtro
saint Paul, nous consultons nos sens, quel-
ques beautés que nous puissions aperce-
voir dans ce vaste univers, elles ne peu-
vent être comparées aux beautés du ciel ;^ et
quelque magnitiques descriptions qu'on
puisse nous en faire, elles ne répondront
jamais à cequ'il est en lui-même; si nous
consultons notre propre cœur, quelqu'insa-
liable qu'il nous paraisse; ah I ce qu'un
Dieu [)ré(iare dans le ciel à ses élus, sur-
passe inlinimenl l'immensité de ses désirs ;
si nous consultons les Pères de l'Eglise, ces
hommes si éclairés dans les choses célestes
et divines, quelques etl'orts qu'ils aient faits
|)Our nous taire connaître le bonheur du
ciel :Hé! que de merveilles n'onl-ils pas
publiées de vous, ô cité de mon Dieu? Jls
nous répondront tous, d'après saint Augus-
liu, qu on [)eul bien l'acquérir ce bonheur,
mais qu'on ne peut jamais l'estimer ce
(ju'il vaut; que semblable au Dieu qui en
fsl l'objet, il est bien plus aisé d'en dire ce
qu'il n'est pas, que ce qu'il est; et qu'en un
mot, il sur()asse inliniment en excellence
et en beauié, tout ce qu'on en pourrait ja-
luais dite ou {tensur. Après cela, Mesdames,
tout ce que je pourrai vous en dire moi-
même ne sera-t-il pas plus profiro h en di-
minuer la gloire h vos yeux, qu'A vous eu
donner une véritable idée? Pour remplir
co|)cndant voire attente et mon ministère,
essayons, en suivant les lumières de notre
foi, et par coaiparaison avec les avantages
de la terre de connaître qutd est donc cet
objet de notre es|)érance, et quelles sont
les richesses, comme dit saint Paul,
de cet héritage qu'un Dieu nous destine
dans le ciel.
I. Je dis, en premier lieu, que dans le
ciel, notre esprit sera parfaitement heureux
par les connaissances que Dieu lui commu-
niquera. Nous désirons nalurellement tout
savoir et tout connaître ; désir après tout,
de tous ceux que nous pouvons former en
cette vie, un des |)lus raisonnables, parce
qu'il est un des plus conformes à la nature
d'une substance toute spirituelle, telle qu'est
notre âme : mais ce n'est point sur la terre
que nous pouvons le satisfaire ce désii'.
Pourquoi cela ? Ah ! Mesdames, c'est qu'à
quelque étude que nous nous livrions, nous
no pouvons savoir (|ue |)eu ; c'est que ce peu
de savoir nous coûte encore bien de l'ap-
plication, bien du travail; c'est que ce peu
de savoir est d'ailleurs toujours mêlé de
beaucoup d'erreurs et d'incertitudes ; c'est
qu'entin nous oublions aisément cefieuqu;;
nous apprenons si dillicilement : mais dans
le ciel, notre esprit n'aura rien à craindre
de tous ces inconvénients. Non, Mesilames,
et voici la différence ; iesconnaissances quo
nous pouvons acquérir dans cette vie soûl
courtes et bornées, et celles qu'un Dieu
nous communi(|uera dans le ciel seront
universelles dans leur objet ; nos connais-
sances sur la terre sont diflîciles et fati-
gantes, et celles du ciel seront faciles dans
leur acquisition ; nos connaissances sur la
terre sont obscures et incertaines, et celles
du ciel seront infaillibles dans leur motif;
nos connaissances enlin sur la terre sont
changeantes et [)assagères, et celles du ciel
seront constantes dans leur durée. En moins
de mots dans le ciel, nous saurons tout
absolument ou sans rien ignorer; noussau-
rons tout facilement ou sans nous fatiguer;
nous saurons tout infailliblement ou sans
nous tromper; nous saurons tout conslam-
nietil ou sans janiais l'oublier.
Je com(irends et je dis en premier lieu,
fiue dans le ciel nous saurons tout absolu-
ment ou sans rien ignorer. Avec celte cu-
riosité qui nous est si naturelle, avec cette
avidité de tout a[)prendre et de tout savoir,
que savons-nous et que pouvons-nous sa-
voir? Supposons la personne la plus sa-
vante, joignons à l'esprit le plus solide et le
plus pénétrant, l'étude la plus longue et l;i
plus infatigable ;quo saura-t-clie, après tout,
ou i)lulôl que n'ignorera-t-elle point en-
core, si nous la consultons celte personne
(pie nous regardons pent-ôlre comme un
londs inépuisable do science et d'érudition?
Elle-même nous avouera, si elle est de
lionne ]oi,queilo ne sait lien ou que ie peu
ORATEURS SACRÉS. L'ADBE DE MONTIS.
308
de connaissances qu'elle a acquises n'ont
servi qu'à lui en fiiire apercevoir une infi-
nité d'autres (ju'ello n'a point ol qu'elle
prévoit ne pouvoir jamais acquérir. Mais
dans le ciel, noire âme n'y sera pas plus tôt
introduite, que la vue de notre Dieu la rem-
plira d'une infinité de connaissances et de
connaissances les plus sublimes. Oui, Mes-
dames, notre esprit, cet esprit a présent si
faible et :si borné dans le ciel, Dieu rélè-
vera au-dessus de lui-même, il le fortifiera,
et par la lumière de gloire qu'il lui com-
munique, il nous donnera, non pas de le
connaître par rétlexion et en énigme, comme
en ce monde, dit l'Apôtre : Per spéculum in
anigmale, mais de le voir à découvert et
tel qu'il est en lui-môme : Facie ad faciem,
sicuti est. (I Cor., XIll, 12.) 11 ne sera donc
plus pour nous notre Dieu dans le ciel, un
Dieu d'une lumière inaccessible ; ce ne sera
plus ce Dieu terrible qui, posant autrefois
des barrières sacrées au pied de la montagne
qu'il habitait, ne manifestait sa présence
que par le tonnerre et par les éclairs, et ne
faisait entendre sa voix que du fond d'un
épais nuage; ce sera un Dieu aimable et
infiniment aimable qui , après nous avoir
introduits jusque sur la montagne sainte de
Sion, dans le propre séjour de son repos ,
nous permettra de le voir, de l'approcher, de
contempler ses rayons éternels, celte ma-
jesté infinie, sans crainte d'en ôtre opprimés
])ar sa gloire.
Oui, Mesdames, c'est par le secours de
celte lumière de gloire que nous connaî-
trons parfaitement alors en Dieu cette gran-
deur, celle puissance, celle sagesse, cette
justice, cette bonté, toutes ces perfeclions
infinies que nous ne pouvons connaître dans
cette vie, que par les elTels admirables
qu'elles pioduisent; c'est avec cette lu-
mière de gloire que nous connaîtrons par-
faitement alors tous ces mystères ineffables
qui font à [)résent l'objet de notre foi, et
qui sont le fondement de notre religion; un
Dieu seul en trois dillérentes personnes;
la Divinité elle-même unie étroitement avec
l'humanité; que nous comprendrons claire-
ment alors cet abaissement, cet anéantisse-
ment infini de la part du Créateur, cette
grandeur, celte élévation également infinie,
j)Our ainsi dire, du côté de la créature; que
nous verrons alûis l'adorable humanité de
ce Dieu-Homme, non plus, comme autre-
fois, dans les souffrances et chargée de nos
misères; mais toute rayonnante de gloire
et comme un vêlement resplendissant de la
Divinité. C'est par celle lumière de gloire
que nous connaîtrons parfailement alors
lous ces effets si prodigieux de la rédemp-
tion des hommes, ces décrets éternels et
bienfaisants d'un Dieu pour des créatures
toujours ingrates et toujours aimées; ces
voies im})énétiables de prédestination, ces
moyens elficaces de sanctification, cette in-
finité d'événcmenls tous dirigés- pour le
bien de ses élus, cet enchaînement mysté-
rieux de grâces et de faveurs à l'égard de
toutes ses créatures raisonnables, et sur-
tout à noire égard. Oui, vous.le verrez alors,
vous, épouses de Jésus-Clirisl, tout ce que
ce Dieu de bonté aura fait pour vous et
pour chacune de vous; lous ces bienfaits
généraux et particuliers dans l'ordre de la
nature et de la grâce ; toutes ces faveurs,
ces grâces spéciales. dont il vous a com-
blées, vous appelant à l'état religieux et
depuis qu'il vous a fait entrer dans ce saint
élat; vous verrez cette correspondance,
cette fidélité de votre pari, foules ces œu-
vres d'obéissance, de détachement et de
mortification, de justice et de sainteté, qui
auront composé votre couronne de gloire
jusqu'5 vos chutes et vos infidélités que
votre Dieu, par les sentiments de repentir
que vous en aurez conçus, aura fait servir
à votre perfection et a votre salut; toutes
vos démarches, en un mot, par lesquelles
il vous aura conduites au ciel comme par
la main, depuis le premier instant de vo-
tre raison jusqu'au dernier soupir de votre
vie.
C'est avec cette lumière de gloire que
nous connaîtrons parfaitement alo.''s ces
cieux immenses, ces astres éclatants, toutes
ces parties si variées et si magnifiques qui
composent ce vaste univers; que nous con-
templerons à loisir tous ces rapports singu-
liers qu'elles ont les unes avec les autres;
que nous verrons clairement tous ces res-
sorts de la nature qui font à présent le su-
jet de notre admiration et de nos recher-
ches, mais sur lesquels nous ne pouvons
donner que de faibles conjectures. C'est
encore avec celte lumière de gloire que
nous connaîtrons parfailement alors cette
multitude presqueinfinie d'esprit célestes,
avec toutes les perfections sublimes dont
Dieu les a ornés dès leur création ; que
nous verrons également le corps entier des
élus, ce troupeau chéri et jirédestiné du
divin Pasteur, cette Eglise Jieureuse et
triomphanie, tous les saints et la Reine
elle-même de tous les sainls, avec tous les
diirérents degrés de gloire dont il aura ré-
compensé leurs mérites; que vous verrez,
vous, Mesdames, loutcis celles de vos sœurs
qui, dans celte maison et dans votre saint
institut, se seront distinguées par leur ré-
gularité,'par leur sainteté, que vous aurez
prises pour vos modèles et qui auront con-
tribué par là à votre sanctification; que
nous verrons tous et avec une consolation
indicible, tous ceux de ces élus qui nous
auront été unis dans ce monde par les liens
du sang ou de l'amitié, lous ceux qui se
seront spécialement intéressés à notre salut
ou au salut desquels nous nous seront spé-
cialement intéressés nous-mêmes. C'esl, en
un. mot, {)ar le secours de celte lumière de
gloire que nous connaîtrons parfaitement
dans le ciel tout ce qui se peut connaître,
et que nous saurons .tout ce qui se peut
savoir; plus d'ignorance alors, plus de foi
môme, p;^rce que celle vertu suppose l'i-
gnorance : nous saurons tout absolument,
sans rien ignorer, nous saurons tout encore
facilement et sans nous fatiguer.
56D
DISCOURS DE RETRAITE. - HUITIEME JOUR.
370
II. Beaucoup do lumières et de sagesse,
dit le Sainl-Es|)rit , suppose beaucoup do
peine et do dégoût; et vouloir, ajoute lo
Sage, acquérir toujours de nouvelles con-
naissances, c'est vouloir s'imposer sans
cesse de nouveaux travaux. Quelque cour-
tes en effet et quelque bornées que soient
les connaissances que nous pouvons acqué-
rir en celte vie, qu'il nous en coûte ce[)en-
danl pour nous les procurer! Que de nuits
à percer! Que de recherches à faire! Que
de difficultés à résoudre! Que de préjugés
h combattre! Que do volumes à dévorer!
Mais dans le ciel, le premier instant de la
vue de notre Dieu sera le premier instant
de la perfection de toutes nos connais-
sances : il ne nous en coûtera pour tout
savoir que d'ouvrir les jeux et de voir
notre Dieu. Ce ne seront plus alors quel-
ques heureux et rares génies qui auront
acquis à grands frais et avec beaucoup de
peines et de travaux, le titre de savants ;
les bienheureux le deviendront tous au
premier moment de leur entrée dans le ciel.
Oui, Mesdames, cette personne à présent
ignorante et grossière, celte personne si
simple et si bornée, qu'elle vous paraît à
peine capable de réflexion; si jamais elle
entre dans le séjour do la gloire, la voilà I
tout à coup remplie de la science de Dieu
même : la voilà par conséquent et dans un
instant, inflniment plus éclairée que tous
ces vasles génies ensemble, que tous ces égale lacil
savants si renommés qui ont fait l'ornement
cl l'admiration de leur siècle. Pensée bien
consolante pour ces âmes chrétiennes, ou
peu éclairées, ou qui sacrifient leurs lumiè-
res à leur sanctification, pour ces ûmes qui
préfèrent à la science profane qui enfle, la
science du salut qui édifie el.qui, à l'exem-
ple de ra{)ôlre saint Paul, n'ambitionnent
sur la;lerre que de savoir Jésus-Christ et
Jésus-Christ crucihé; qu'elles seront un
jour abondamment dédommagées dans le
ciel, puisque nous y saurons tout facile-
ment et sans nous fatiguer, tout encore in-
failliblement et sans nous tromper.
m. Hélas! Mesdames, peut-on appeler
science en celte vie quelques connaissan-
ces mêlées de tant d'erreurs el d'incerti-
tudes : nous courons tous, j'en conviens,
nous courons tous après la vérité, nous pa-
raissons lous la chercher avec empresse-
ment, avec avidité : mais do[)uis la chute
du iiremier homme, notre esprit toujours
rempli de doutes et de ténèbies, à peine
quelquefois la pouvons-nous apercevoir,
cette pure, cette aimable vérité : toujours
infiniment élevée au-dessus do nous, nous
no parvenons presque jamais jusqu'à elle;
toujours environnée de nuages épais, rare-
ment la pouvons-nous découvrir; et lors
môme que nous nous flattons, que nous
nous glorifions le plus de la tenir et do la
posséder; hélas! elle nous échappe et nous
ne tenons le plus souvent à sa place (pio
l'erreur et le mensonge. Mais dans lo ciel,
quelle dilférencel « U heureuse région, »
s'iicrie un Père de l'Eglise, « où Israël sera
sans cesse rassasié do la vérité ! » Que notre
science en eUet, Mesdames, y ressemblera
peu h cette s(;ience obscure et ténébreuse
do cette vie ! Nous y puiserons la vérité,
non dans ces ruisseaux troubles et bour-
beux comme à présent, mais à la source
même : <lès que notre Dieu se sera montré
à nous, comme le soleil qui dissipe dans un
instant tous les nuages, et qui par l'éclat de
ses rayons fait disparaître les autres astres,
de môme notre Dieu dissipera tout à couj)
les ténèbres de notre esprit, et en nous
communiquant une infinité do connaissan-
ces, il nous fera part en môme temps de sa
certiludo et de son infaillibilité : |)lus de
doutes par conséquent dans le ciel, plus
de ténèbres pour les élus; pour être sûrs
et infaillibles dans leurs connaissances, il
ne leur faudra point recourir à des lumières
étrangères, consulter des génies supérieurs,
se livrer à de longues et à de profondtiS
méditations, parce que la divine vérité les
éclairera elle-même, parce quo Dieu porte-
ra lui-môme ses purs rayons de lumière,
jusqu'au fond de leur âme : Dominas Deiis
illuminabil illos. {Apoc, XXII, 5.)
IV. J'ai dit enfin que dans le ciel nous
saurons tout constamment el sans rien oii-
)licr. Tel est, Mesdames, un autre défaut
de toutes nos connaissances en cette vie,
qu'après les avoir acquises avec beaucoup
de diiriculté, nous les perdons avec une
iié. Les connaissances d'un âge
font oublier pour l'ordinaire les connais-
sances de l'clge qui a précédé ; elles se suc-
cèdent en quelque sorte les unes aux autres
et se détruisent comme nos jours et nos
■ années : nous ne devons pas en être surpris ;
elles participent à la nature de tous les
êtres créés qui en sont l'objet; elles on ont,
par conséquent, toute l'inslabililé : mais
dans le ciel, par une raison tout opposée,
nos pensées et nos connaissaucos ne seront
sujettes à aucune révolution, dit saint Au-
gustin, parce que l'objet infini dont s'occu-
pera notre esprit ne sera lui-môme sujet à
aucun changement; parce qu'il sera pour
nous une lumière qui subsistera autant que
lui-même, uno lumière élerniille par con-
séquent, dit un prophète : Erit tibi in lu-
cem sempitcrnam. [Isa., LX, 19.)
r^ï.Oui, Mesdames, ce Dieu aimable et de
toute bonté qui voudra bien être notre bon-
heur dans le ciel, les angos le coiilcmplent
depuis le premier moment do leur fidélité,
avec un plaisir toujouis nouv(iau; les élus
également s'occuperont do lui [)cndant l'é-
lernité, sans discontinuer et sans le moindre
dégoût, parce qu'il no sera jamais moindre
à leurs yeux, et que les uns et les autres
découvriront sans cesse en lui, et pendant
tous les siècles, de nouvelles beautés, des
perfections toujours nouvelles. Voilà ce qui
les tient, et ce qui les tiendra dans des
extases et dans des ravissements éternels :
voilà ce qui leur fait clianler, et ce qui
leur fera chanter à jamais, en l'honneur de
ces porluclions infinios, do ces beautés tou-
jours auciennes en ollos-uiùmcs, mais tou-
Zii
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS,
jours nouvelles pour eux, un cantique lou-
Jours nouveau : Cantubunt canticum novum.
(Psal. CXLllI, 9.) Tel sera donc l'heureux
sort (ie tous les élus dans le ciel ; tel sera le
vôtre, Mesdames, tel sera le mien, si vous
et moi avons le bonheur d'être de ce nom-
bre. Dès que notre Dieu se manifestera à
noire esprit, tout pénétré de la divinité,
perdu, abîmé dans la divinité, il cessera,
en (luelque sorte d'être notre esprit, pour
devenir l'esprit de Dieu lui-même, selon
i'exj)re3sion de saint Augustin : Péril mens
humana, et fit divina. Mais ce ne sera là
cependant, qu'une }iartie de notre félicité ;
car si Dieu doit se communiquer è noire
esprit, comme le principe de toute vérité,
il se communiquera encore à notre cœur
couuno la source de tout bien et de toute
consolation : en sorte que si notre esprit
doit êli'c d.ins le ciel, parfaitement heureux,
par les connaissances subliujes et abon-
dantes que Dieu lui communiquera, notre
cœur jouira d'un bonheur également par-
lait, (lar la joie pure et solide dont il le |)é-
nétrera. C'est le sujet de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
La joie, selon l'idée qu'en donne la philo-
sophie, est un contenleiuent du cœur qui se
repose dans la possession d'un objet qu'il
regarde comme capable de le satisfaire. Or,
afin que celte joie soit légitime et parfaite,
vous en conviendrez aisément avec moi,
Mesdaiiios, quatre conditions sont abs(jlu-
inent nécessaires : il faut en premier lieu,
que cet objet ne soit pas un bien en idée,
tin bien purement imaginaire; autrement
notre cœur ne serait [)as sans illusion : il
faut, en second lieu, que cet objet ne soit
pas un bien partagé un bien qui en sup[)Ose
d'autres; autrement notre cœur ne serait
(las sans désir : il faut, en troisième lieu,
que cet objet ne soit pas un bien mêlé ou
accompagné de maux, de défauts et d'im-
perfections, autrement notre cœur ne serait
pas sans amertume; il faut enlin que cet
objet ne soit pas un bien fragile, un bien
de nature à fiouvoir être perdu; autiement
notre cœur ne serait pas sans crainte, sans
inquiétude. Cela étant, je dis que ce ii'est
point sur la terre, mais uniquement dans le
ciel, que nous pourrons jouir d'une joie vé-
ritable et parfaite, d'une joie pure et solide,
parce (jue ce n'est que dans le ciel (jue
nous posséderons tout à la fois, un bien
sans illusion, qui nous'salisfera solidement,
et un bien sans [tarlage, qui nous satisfera
pleinement, et un bien sans défaut, qui
nous satisJera purement; et un bien sans
un, qui nous satisfera éternellement. Fasse
le Seigneur que ce |)arailèle que je vais
continuer, d'une façon plus sensible encore
et plus étendue que je ne J'ai fait, des avan-
tages du ciel et de ceux de la terre, nous
inspire à tous, un n;épris souverain de
ceux-ci, et un désir ardent do nous pro-
curer ceux-là; renouvelez-moi, s'il vous
plaît, toute votre alleniion.
1. Nous sc'uimcs tous laits, Mesdames, et
tellement faits pour être lieurcux, que dans
toutes nos démarches, sans presque nous
en apercevoir, nous ne travaillons que pour
cela. Mais hélas! aveugles que nous
sommes, nous cherchons presque toujours
notre bonheur sur la terre; et ce n'est que
dans le ciel que nous pourrons le trouver.
Oui, .Mesdames, c'est uans le ciel que nous
serons parfaitement heureux, parce nous y
posséderons notre Dieu. Or, en possédant
Dieu, nous posséderons d'abord un bien,
sans illusion, qui nous satisfera solidement.
Les biens de la terre peuvent bien nous
distraiie et nous occuper quelques mo-
ments : mais ils sont Irop vides, et notre
cœur est trop immense, pour qu'il puisse
s'en faire une félicité parfaite; et en effet, à
quelque point d'élévation qu'une personne
soit parvenue, elle voit toujours des degrés
à monter, et dès lors, tous les honneurs
dont elle jouit, ne font qu'exciter son am-
bition, bien loin de la satisfaire : quelqu'a-
boudautes que soient ses richesses, elle
sent toujours qu'elle peut les augmenter,
et dès lors, tout ce qu'elle possède, ne fait
qu'irriter sa cupidité, bien loin de l'apaiser :
quel(]ue vils que soient ses plaisirs, elle y
cherche toujours des douceurs qu'elle n'y
trouve point, et dès lors, tous ceux aux-
(juels elle se livre, ne fruit qu'enflammer sa
jiassion, bien loin de l'éteindre. Ainsi, de
(juel(pie coté que l'homme se tourne dans
ce monde, il voit partout un videalfreux;
et dès qu'il veut s'attacher aux créatures,
ah ! il sent aussitôt dans son cœur, quelque
chose de plus vaste que l'univers entier.
Lh I devons-nous en être surfiris, ô mou
Dieu? Toutes les créatures, c'est pour nous,
c'est pour notre usage, que vous les avez
tirées du néant : mais pour nous, nous no
pouvons longtemps nous v méprendre, et
nous sommes forcés d'en convenir, d'a[)rès
saint Augustin; c'est |)our vous seul, et
tellement pour vous seul, que vous nous
avez l'oimés, que toutes les créaiures en-
seiuble ne sei'Ont jamais capobles de satis-
faire parfaiteaient notre cœur, et qu'il sera
toujours, ce cieur, dans une agitation con-
tinuelle, tandis qu'il ne vous possédera
l>oint.
Ah 1 Mesdames, dans le saint état oft le
Seigneur \ous a placées et du fond de votre
retraite, gémissez sur l'aveuglement de ces
mondains^ qui , pour satisfaire une folle
ambition, recherchent, avec tant d'empres-
sement, de vains et chimériques honneurs :
|)Our vous, touinez, tournez toute votru
ambition vers le ciel, c'est là qu'elle sera
pleinement satisfaite, parce que c'est là
que les élus participent à la gloire elle-
même de leur Dieu ; c'est là qu'ils reçoi-
vent de leur Dieu, une couronne mille fois
plus précieuse que toutes les couronnes do
la terre, et qu'ils sont mis en possession
u'un royaume intiniment plus grand que
les ro.yaumes de mille mondes entiers.
Plaignez, ])laignez ces mondains qui sont
tous occuj)és à se procurer des biens ol
dis richesses. Hé quoi 1 pourrait on dire à
57r
DIS(:OURS Di: rvETRAlTi:. — HUITIEME JOUR.
un de ces insensés, d'après saint Augnsdn,
vous vous arrôlez au\ biens do la terre, ah 1
que vous vous uu^|)renez et que vous vous
avilissez 1 Vous aimez la terre, et vous seul
valez plus que tous les trésors de la terre
ensemble : Terram amas, mclior es ; vous
aimez la terre, et vous seul valez plus que
l'univers entier. Oui, ces cieux dtmt vous
admirez l'élévation et la magniliceni^e, vous
ôtes d'une nature infiniment plus élevée et
plus excellente vous-même: Cœlum con-
Cemplaris, altior es. Oui, cet astre brillant,
00 soleil dont vous admirez l'éclat et la
beauté, vous êtes, aux yeux de votre Dieu,
une créature intiniment plus belle et plus
parfaite vous-même: Solem miraris , pul-
chrior es. Apprenez donc à vous connaître
et à régler vos désirs sur votre élévation ;
sachez qu'il n'y a que votre Dieu qui soit,
par la grandeur de son être, au-dossus de
vous : il n'y a donc que votre Dieu qui
puisse vous satisfaire parfaitement ; il n'est
donc que le ciel que vous puissiez légiti-
mement désirer. C'est là en effet, Mes-
dames, que Dieu sera inOniment prodigue à
votre égard, parce que c'est là qu'il vous
mettra en possession de ,lous ses biens ; ce
n'est point dire assez, c'est là qu'il se
donnera lui-même à vous pour récompense;
quelle bonté et quelle magnificence de
votre Dieul Pourrait-il donc vous donner
rien de meilleur que lui-môme? Mais aussi
trop avare, je vous le dis d'après un grand
saint, oui, trop avare serait votre cœur, si
un Dieu ne lui suflisait pas. Gémissez en-
core sur la folie de ces chrétiens du monde
qui courent avec ardeur après les plaisirs
qu'il leur présente: des plaisirs charnels
et grossiers sont-ils donc proportionnés à
la noblesse de leur âme, et peuvent-ils
véritablement la satisfaire? Non, non, Mes-
dames, les vrais plaisirs ne sont que dans
le ciel ; c'est là, en effet, qu'un fleuve dé-
licieux arrose et réjouit sans cesse la cité
du Seigneur; c'est là, je ne dirai pas qu'un
Dieu entre dans ses élus; il est un bien^trop
immense et leur cœur serait trop étroit pour
le contenir; mais c'est là que les élus en-
trent eux-mêmes dans leur Dieu, qu'ils
participent à la joie et à la félicité de leur
Dieu : Jnira in gaudium Dominitui. [Mallh.,
XXV', 23.) C'est là que toujours avides de
[ilaisirs, ils en goûtent sans cesse de nou-
veaux, sans que leur désir leur cause la
moindre peine, et leur abondance, le moin-
dre dégoût ; c'est là, c'est dans ce séjour de
félicité, qu'enivrés de joie et de consolation,
ils nagent sans cesse, dans un torrent de
délices et de voluptés : Torrenle voluptalis
potabis eos. [Psal. XXXV, 9.)
il. Mais en possédant Dieu, non-seule-
ment nous posséderons un bien sans illusion
qui nous satisfera soliJe.iieni, miiis nous
posséderons encore un bien s;uis paitago
"jui nous s.it sfera pleinement. QueUiue
heureux qu'on puisse èlre sur la terre,
Mesdames, on ne peut cependant [)0sséder
tous les biens et tous les avantages qui s'y
tiouvenl; plusieurs suul incomjuitiljlcs et
s'excluent les uns les autres; ainsi l'éléva-
tion et les honneurs ne peuvent guère com-
patir avec le repos et la liberté; la paix de
l'âme et la santé du corps subsistent rare-
ment avec l'opulence et les plaisirs ; mais
des avantages qui ne s'excluent pas formel-
lement ne se supposent fias nécessairement,
je veux dire qu'il ne suffit pas de posséder
un des biens, un des avantages de la lerro
pour avoir nécessairement tous les autres :
ainsi la vertu et le mérite ne supposent pas
toujours de l'estime et de la réputation, et
une rép/Ulation faite n'annonce pas toujours
un vrai mérite ; ainsi les richesses ne sup-
posent pas nécessairement de l'esprit et du
savoir, et la science et l'esprit ne donnent
pas toujours les richesses ; ainsi les grandes
places ne supposent pas toujours de grands
talents, de vastes connaissances, et les con-
naissances et les talents ne procurent pas
toujours les places et une situation propre
à les faire valoir; nul bien en un mol, nul
avantage dans le monde qui donne ou qui
suppose nécessairement tous les autres, et
voilà par conséquent de quoi n'y être jamais
parfaitement heureux. Qu'un mondain pos-
sède tous les biens et tous les avantages do
la terre, mais qu'un seul lui manque;
voilà de quoi désirer pour son cœur, et ce
seul désir suffira pour lui faire oublier, et
compter pour rien tout ce qu'il possède
pour no s'occuper que de ce peu qu'il ne
possède pas. Mais il n'en est pas ainsi dans
le ciel ; en possédant Dieu, nous posséde-
rons un bien qui nous tiendra lieu de tous
les biens, parce qu'il renferme en lui-même
tous les biens, dit saint Chrisostome :
Ipsum unum omnia nobis erit. Oui, Mes-
dames, en possédant notre Dieu, nous possé-
derons ensemble tous les biens, tous les
avantages, toutes les {)erfections et toutes
les qualités que nous pouvons désirer, et
qui peuvent no. .s rendre heureux ; ainsi
nous serons grands de la grandeur de Dieu
même, sages de sa sagesse, puissants de sa
j)uissance, riches de ses richesses : Unum
omnia nobis eril ; c'est un bien infini qui
nous rem()lira entièrement, non par des
Is voies étrangères et en s'épuisant comme
les |)rince3 de la terre, mais en se commu-
niquant lui-iuôme à nous; en sorte que,
cOiUmedans le ciel, en voyant notre Dieu,
nous verrons tout en lui, également en le
possédant, nous posséderons et nous se-
rons sûrs de posséder tout dans lui et avec
lui.
m. Mais en le possédant nous posséde-
rons encore un bien sans défaut, ([ui nous
satisfera purement. Telle est, vous le sa-
vez, Mesdames, la nature de tous les biens
de la terre, que non-seulement ils sont faux
en eux-mêmes, et par là absolument inca-
pables de nous satisfaire véritablement,
mais qu'ils sont de plus toujours juôlés de
défauts et d'imperfections, et toujours ac-
compagnés d'ailleurs d'une iniiiiilé do mi-
sères qui devraient suffire pour nous eu dé-
tacher entièrement. Nul bien en ellel, nul
avantag'' dans ce mon le qui ne porte pour
373 ORATEURS SACRES; L'AfcBE DE MONTIS
«insi dire son mal ol son d(;s;ivaniag(3 nvt-c
lui; les lioMieurs ne se (rouvcnil jani.-iis
sans do grands soins, sans de vives inquié-
tudes; lus places les (dus iionoral'ks soi.t
les plus fatigantes; on voudrait èlre tout h
soi, et il faut vivre le pins souvent tout
jiour les autres. Si nous considérons avec
allentioi) la nature des lichessos qui sont
l'objet de la cupidité des habitants du siè-
cle, quoi de [ilus imparfait I Que do peines,
que de travaux pour se les procurer! Que
d'attention, que de soins pour se les con-
server! Que d'alarmes, que de crainte lie
ks perdre! Que de douleurs, que de cha-
grins lorsqu'elles leur écliappcnt en eil'el 1
Mais tout ce que nous appelons plaisir sur
la terre est-il moins mêlé de défauts et d'iin-
perfuctions? Qu'y trouvc-l-on pour l'ordi-
naire? Hélas! Mesdames, vous le savez,
sinon par votre expérience, du moins par
ee que vous en avez entendu dire, ou par
ce que vous en avez vu souvent dans Us
antres, lorsque vous viviez dans le monde:
ennui, dégoût peri)étuel, peines, travaux
inévitables, maux réels, iuOrmilés fréquen-
tes, cris do la conscience, remords cuisants;
voilà les fruits ordinaires des plaisirs de ce
monde.
Mais quand les honneurs, Tes richesses
et les plaisirs de la terre ne seraient pas
mêlés d'aulant de défauts et d'imperfec-
tions, li'S mondains seraient-ils exem()ts
• l'une infinité de misères nécessairement
attachées à notre humanité ; misères, vous
le savez, Mesdames, misères de toutes parts;
misères dans l'ordre de la nature; misères
par ra(iport à l'es{)rit ; trop ou trop peu de
lumières et de connaissances font souvent
également notre tnalheur; au défaut de
maux réels notre esprit ne se feint-il pas
le i>lus souvent pour nous tourmenter des
maux imaginaires? Misères par rapport au
cœur; h combien de faiblesses n'est-il pas
sujet? A combien de tentations n'es'-il pas
exposé ? De combien de mouvements, de
caprices et de désirs n'esl-il [las sans cesse
a^'ié? De combien do passions n'est-il jias
le jouet? Misères par rajjport au corps ; (|ue
de maux dont il est sans cesse environné!
Que de douleurs, <]ue de soulfrances quand
il en est attaqué 1 que de remèdes, que de
nouveaux tourments par conséquent pour
l'en délivrer! Mibôres même, misères dans
Tordre de la grâce; e^l-on dans l'état (iu
péché? Quelle situation de se voir l'ennemi
de son Dieu et sans cesse exposé à des sup-
plices éternels ! Qui jamais a pu être en
} aix avec soi quand il a osé faire la guerre
à son Dieu, dit le saint homme iob ? Kst-on
en état de grâce! Ah 1 l'on se voit alors at-
taqué par tous les ennemis du salut, enne-
mis d'aulant plus à craindre que sans cesse
autour de nous, avec nous, au dedans de
nous, ils nous livrent des combals loujours
nouveaux : or, à tous ces combats il faut
autant de victoires ; une seule défaite de
notre part nous ferait perdre le fruit de
tous nos triomphes; et encore avec toute
fclte altention, et malgré toute cette per-
57a
sév'i'rance, hélas 1 nous avons sans cesse h
nous délier de notre [)ropre cœur, et nous
demeurons loujours incertains si nous som-
meç dignes d'amour ou de haine. Voil<i,
dan3 cette vallée de larmes que nous habi-
tons, notre situation à tous, dans quelque
état que nous puissions être; les avantages
que nous rencontrons sont bien peu consi-
dérables, et les maux que nous avons h
craindre y sont sans nombre; les biens quo
l'on estime tant sont tous faux ou imagi-
naires, et les maux (}ue nous soulfrons ne
sont que trop réels, nous les ressentons
tous; nous ne sommes même jamais plus
éloquents que lor'^que nous gémissons sur
tous ces maux et que nous faisons le détail
de toutes ces misères.
Mais dans le ciel plus de maux, plus de
défauts, plus d'imperfections, plus de mi-
sère et d'aucune espèce. Non, Mesdames,
les hoiineurs que nous y recevrons ne nous
y seront point à charge ; notre gloire n'y
sera obscurcie d'aucun nuage; notre éléva-
tion y sera toute pour nous : nous régne-
rons avec noire Dieu, mais sans peine, sans
in(]uiétude, comme notre Dieu. Les riches-
ses que nous y p>osséderons seront Dieu lui
même, bien souverainement parfait, et par
l'assemblage d'une infinité de perfections,
dans un degré infini, et par l'exclusion de
tout défaut, de la plus légère imperfection.
Nos {ilaisirs y seront purs; loin de nous
toute idée grossière de volupté charnelle;
voir noire Dieu, le connaître et l'aimer, le
voir et l'aimer encore; se plaire infiniment
dans celle vue, dans cet amour, voilà les
plaisirs du ciel : nous ne les comprenons
pas à la vérité, mais ce que la foi m'a[)i)rend,
c'est que ces plai>irs surpasseront d'autant
et mille fois plus les jilaisirs des sens, quo
le ciel lui-môme est au-d( s-ius de la terre,
et que l'espiit est su[)érieur au cor|)s. Plus
de trouble, plus d'agitation pour res()rit
dans le ciel : uniquement occupé de son
Dieu, nul autre olijel ne pourra le distraire
de cette délicieuse contemplation; plus de
faiblesses pour le cœur; plus de passions
déréglées ; plus do désirs illégitimes, plus
d'attachements criminels : l'amour de son
Dieu le tiendra dans une conformité si par-
faite à toutes ses volontés, que jamais il ne
pourra, ce cœur, aimer ou haïr que ce quo
son Dieu trouvera digne d'amour ou do
liame. Plus de guerre, plus de division
dans le ciel ; les élus seront tous dos rois,
mais des rois qui auront tous les mêmes
vues, des intérêts communs : leurs cou-
ronnes, quoique do différents [irix, ne se-
ront [)oinl pour eux des objels d'une envie
et (t'une jalousie réciproque,; le ciel sera le
séjour d'une paix et d'une charité parfaite.
Les élus s'aimant tous dans leur Dieu et
pour leur Dieu, se réjouiront également et
se trouveronl égalemen.l heureux ; et de
leur propre bonlieur, et du bonheur do
leurs Hères. Plus d'adversités dans le ciel,
plus do contradictions, plus de croix. Vé-
rité bien consolante pour ceux qui pleurent
et qui souillent en cette vie. Oui, Mesdames,
577
DISCOURS DE RETRAITE. — HUITIEME JOUR.
578
Dieu se plaira h essuyer leurs larmes et à
les dédommager de leurs peines, par les
plus abondantes consolations; non, on n'en-
tendra point dans le ciel les plaintes et les
gémissements des misérables, parce que
tout moyen d'affliction en étant banni, il ne
s'y trouvera point de misérables par consé-
(luent. Plus dans le ciel d'inquiétude sur sa
destinée éternelle, plus de ces crucifiantes
incertitudes sur son salut, parce qu'il n'y
aura plus d'ennemis à combattre, plus de
tentations h repousser, plus de chutes à
craindre : l'esprit tentateur, après avoir
longtemps servi à la fidélité des saints, en-
chaîné enfin par l'ange du Seigneur, n'aura
plus le pouvoir de leur nuire, et les saints
n'auront plus qu'à chanter leurs triomphes
et à jouir du fruit de leurs victoires, i
Plus, dans le ciel, de ces besoins du corps
si fréquents, de ces nécessités si humilian-
tes : ornés des qualités glorieuses dont Dieu
les revêtira, les corps des élus participeront
dans le ciel h toute la béatitude dont ils se-
ront susceptibles, sans ressentir aucun de
tous ces maux qui les accablent dans ce
monde. Oui, .Mesdaïues, ce coips, cofnnie
le dit l'apùtre saint Paul qui, poussière et
terre dans son origine, aura été rendu à la
terre et sera redevenu poussière, ce même
corps ressuscitera un jour; et a[)rès avoir
été rinslrumenl des mérites de l'âme sur la
terre, il ira dans le ciel , parlicijier à sa
gloire; ce corps qui aussilôt sa séiaralion
;d'avec l'ûme, aura élé enseveli dans le loui-
beau et qui, par sa corruption, séia devenu
lia nourriture des vers, ce même cor|)s re-
jprendra, un jour sa première forme et de-
jviendra dans te ciel, plus brillant que les
^astres et incorruptible, en quelque sorte,
jcomnie Dieu lui-môme : ce corps qui aura
[été sujet sur la terre à tant de faiblesses,
^(ie douleurs et d'infirmités , dans le ciel, il
'ii'é[)rouvera aucune do ces uiisères, et après
.avoir été une fois sujet à la mort, i! se Irou-
jVera pour toujours soustrait à son em|)ire ;
,ce corps entin ([ui, [)ar celle pente ualurelie
avec laquelle il se porte vers le centre de la
terre, paraît tenir de la nature des plus vils
animaux; dans le ciel, parl'agililé que Dieu
lui communiquera, i! parcourra dans un
instanl les espaces immenses de la Jérusa-
lem céleste, et |)ar la sublililé de tous ses
membres, il paraîtra plutôt un esprit qu'un
corps.
IV. Mais ce qui mettra le comble au bon-
heur des élus dans le ciel, c'est qu'en (los-
sédnnl Dieu ils posséderont un bien sans
fin qui les satisfera éternellement. Quand
il serait vrai, Mesdames, qu'il y aurj^il des
biens réels en ceile vie; quand nous pour-
rions parvenir à posséder tous ses biens
ensemble, quand tous ces biens ne seraient
môles d'aucun des maux qui les accomjja-
gneiit pour l'ordinaire , je dis toujours que
nous ne serions {)as, pour cela, parfaitement
heureux; pourquoi cela? Ah ! vous me pré-
venez, sans doute : c'est que tous ces biens
ne sont oiuès tout, que les biens du temps
bien passagers et périssables comme lui ;
au lieu que les biens du ciel, qui sont l'ob-
jet de notre espérance, sont les biens de
l'éternité, bien lises et durables comme elle
par conséquent. Qu'a-t-on vu, en effet, dans
tous les leinps, dans le monde, et que voyons-
nous encore? Do grandes fortunes renver-
sées], des hommes élevés jus(ju"aux. nues
disparaître tout à coup et laisser à peine
quelque vestige de leur élévation; des ri-
ches qui paraissaient par leur cupidité de-
voir envahir toutes les possessions, réduits
h une extrême indigence. Mais si tous ces
heureux du siècle n'éprouvent pas ces re-
vers, que devient leur prétendue félicité à
tous, lorsque la mort vient les enlever à
tout ce qu'ils avaient de plus cher en ce
monde? Hélas 1 ils en sortent avec quel-
qu'éclat, à la v'érité : mais à peine sont-ils
dans le tombeau que toute leur grandeur et
jusqu'à leur souvenir s'y ensevelit avec
eux. Il n'est donc point de vrai bonheur
où il ne peut y avoir d'assurance d'une
éternité, dit saint Augustin.
Ah 1 Mesdames, que nous sommes grands
vous et moi par notre destinée; nous n'y
pensons point assez, que nous sommes
grands, puis(iue pour notre parfait bonheur
il ne nous faut rien moins qu'un bien sou-
verain et éternel tout ensemble 1 en sorte
que comme la possession môme élernello
do tout autre objet que notre Dieu, ne pour-
rait nous rendre parfaitement heureux, de
môme la possession môme de notre Dieu,
mais qui ne serait |ioint éternelle, ne pour-
rail sullire h notre cœur; mais aussi, pos-
séder son Dieu et le posséder toujours et
être sûr de le posséder toujours ; toujours
jouir de son Dieu et sentir, dans cette jouis-
sance une joie, une félicité toujours nou-
velles, quelle situation I Ah! Mesdames,
dans l'impossibililé où je me trouve de vous
la faire parfaitement connaître, cette heu-
reuse situation d'un élu du ciel, voulez-vous
du moins vous en former vous-raûmes, par
comparaison, une légère idée? Considérez
ces âmes chrétiennes et religieuses surtout
qui, sincèrement détachées du monde et
d'elles-mêmes, servent leur Dieu dans la
retraite avec un cœur pur et sans paita:^e.
Vous en connaissez, sans doute, car il en
est encore, quoique malheureusement en
petit nombre, de ces âmes vraiment saintes
que Dieu chérit parce qu'il en est sincère-
ment et ardemment aimé; voyez et peut-
être l'avez-vous éprouvé vous-mêmes dans
de certains moments surtout où il veut bien
se communiquer à l'Aine d'une façon plus
marquée, quelle paix t quelles douceurs!
queJles consolations ! Or si dans ce lieu
d'exil et dans celte vallée de larmes, Dieu
est si bon à tous ceux et à ses épouses sur-
tout, qui ont le cœur droit et qui sont sin-
cèrement à lui, que ne fera-t-il point pour
elles, arrivées au terme et introduites dans
ses sacrés tabernacles ? Si présentement
quelques gouttes de consolations qu'il laisse
comme distiller sur la surface de leur cœur,
leur causent des joies, des suavités, des
transports,^ des ravissemenls même quel-
5?9
OBATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTlS.
?80
quefois et di^s eîîases sons lesquelles l'hu-
nianilé (rop faible est prête h succomber;
que sera-ce donc, lorsque ce Dieu de toute-
puissance et de toute bonté, mettra tout son
pouvoir à les rendre heureux, qu'il leur
prodiguera ses caresses dans le ciel et qu'il
fera couler au milieu de leur cœur, ces tor-
rents de voluptés et de délices qui ne tari-
ront jamais.
Voilà donc ce qu'un Dieu réserve dans le
ciel à ses élus. Mais, Mesdames, à cette vé-
rité si consolante dont je viens de vous en-
tretenir.je croisdevoir en ajouter une autre
bien dilîférenle et aussi certaine cependant ;
c'est que ce bonlieur du ciel si grand, si
immense, peu et très-peu le posséderont;
Jésus-Christ l'a dit lui-môme : Pauci electi.
(Malfh., XX, 16.) Ce n'est pas que le Sei-
gneur ne nous l'offre à tous ; mais combien,
non-seulement parmi les chrétiens du mon-
de, mais même parmi ses épouses, se mon-
trent indifférentes pour les biens éternels I
On ne se borne tout au plus qu'à des désirs
faii)les, généraux et ineflTicaces. Cependant
ne nous abusons point ici, nous n'avons
pas un droit absolu sur le bonheur du ciel ;
c'est notre héritage à tous, à la vérité, mais
(jui ne sera cependant que pour ceux d'en-
tre nous qui se seront rendus les co-héri-
liers de Jésus-Christ, en se faisant sembla-
bles à lui; c'est une récompense qui nous
est promise, mais qui ne sera que pour ceux
qui auront observé avec fidélité la loi du
Soigneur et accompli constamment les de-
voirs de leur état ; c'est un royaume qui
nous est otTert, mais dont la conquête est
réservée à ceux qui auront combattu, toute
leur vie, les ennemis du salut. En un mol.
Mesdames, le bonheur du ciel, c'est le com-
ble de la gloire, mais vous et moi n'y par-
viendrons que par l'humilité la plus pro-
fonde : c'est un trésor infini de biens et do
richesses, mais nous ne pouvons l'acquérir
que par un véritable esprit de délacheuient
et de [)nuvreté : c'est le séjour des vraies et
pures délices ; mais nous n'y entrerons sû-
rement que par la mortitication des sens et
l'exercice de la pénitence : voilà les condi-
tions, elles sont dures, à la vérité.
Mais, Seigneur, peut-il donc trop m'en
coiiler pour me rendre souverainement heu-
reuse et heureuse à jamais? Mais quelque
dures qu'elles soient ces conditions, avec
te^ secours de voire grâce, qui jamais ne
m'abandonne, est-il rien que je ne puisse
entreprendre avec succès? Mais quand vous
exigeriez plus de moi encore, y aurait-il à
hésiter puisqu'il n'est aucun milieu pour
moi entre le ciel et l'enfer, et que tout ce
qui ne mène point à une éternelle félicité
conduit infailliblement à un malheur éter-
nel ? Ah I quand je n'aurais rien à espérer
pour l'autre vie je devrais encore vous ser-
vir avec fidélité, vous, mon Dieu, mon Créa-
teur et mon Epoux, infiniment aimable en
vous-même et qui m'avez témoigné votre
amour, par une infinité de bienfaits; mais
puisque vous voulez bien m'allirer à vous
l'ar l'espoir des récompenses , je me servi-
rai donc de ce motif si inléressanfpour moi;
ayant sans cesse devant les yeux ma desti-
née éternelle, je me considérerai et plus
que jamais comme une voyageuse et une
étrangère en ce monde; toutes mes pensées,
tous mes désirs, toutes mes actions ne ten-
dront plus que vers la céleste patrie ; je ne
jugerai désormais de tous les objets de la
terre que par rapport au ciel; et puisqu'il
n'est pas un instant même od je ne puisse
ajouter à ma couronne éternelle, je tiendrai
sans cesse mon âme entre mes mains, pour
ne rien faire qui puisse vous déplaire; je
me livrerai de plus dans mon saint état et
avec une constante fidélité, à la pratique des
vertus et à l'accomplissement des devoirs
et des observances qu'il me prescrit, afin
qu'après avoir vécu de la vie de ,1a grâce,
dans le temps, je puisse vivre avec vous et
dans vous, de la gloire dans l'éternité. Ainsi
soit-il
HUITIEME JOUR.
Second discours.
SUR LA PRÉSENCE DE DIE[J.
Médius vestrum slelit, quem vos nescilis. ( Mallh.,
I, 16.)
Il est au milieu de vous, celui que vous ne connaissez
pas.
C'était, Mesdames , le reproche que le
divin précurseur faisait aux Juifs ; ils atten-
daient avec impatience le Messie, ce libé-
rateur d'Israël annoncé si souvent et depuis
si longtemps promis par les prophètes; il
était déjà au milieu d'eux, il ne cessait et
par ses discours et par ses prodiges do les
convaincre de sa présence; aveugles et in-
sensés, ils s'obslinaient à le méconnaître,
et toujours ils attendaient celui qu'ils pos-
sédaient. Hélas! ce reproche que Jean-Bap-
tiste faisait aux Juifs, ne pourrait-on [las
nous le faire à nous-mêmes? Non-seule-
ment ce Dieu sauveur est sans cesse, comme
tel, au milieu de nous, non-seulement il
résido corporollement dans nos temples
sous les espèces sacramentelles, mais la
très-sainte Trinité elle-même est au milieu
de nous ; ce Dieu en trois personnes est sans
cesse avec nous, et tellement avec nous, que
nous sommes toujours présents à lui, et
qu'il est toujours présent à nous et présent
partout, ce Dieu qus nous faisons profes-
sion d'adurer et de servir. Nous le croyons,
Mesdames, et en cela, nous sommes moins
aveugles que les Juifs; mais ce qui nous
rend aussi coupables et |)lus coupables
<iu'eux encore, c'est que bien loin de nous
conduire en tout d'une manière conforme à
celle foi de la présence de Dieu, nous nous
conduisons au contraire, le plus souvent au
moins, comme si nous ne le croyions pas.
C'est donc de celle vérité de la présence
de Dieu dont j'entreprends de vous entrete-
nir ici : véiiié lro[) négligée dans les chaii'es
chréliennts, |)arce qu'on la juge [leut-èlre,
quoique injustemeni, peu [iroporlionnéo au
commun des chrétiens, mais que je crois
moi, d'une pratique aisée pour tout chré-
tien, et encore plus pour des épouses do
Jésus-Christ, cl que je regarde par consé-
581
DISCOUllS DE RETR.VITE.
HUITIEME JOUR.
qtient comme un moyen de sanclificaiion
pour vous, Mesdames, et cela pour deux
raisons qui vont laire la malière de ce dis-
cours. C'est, en premier lieu, (|ue l'etercice
de la présence do Dieu est un moyen des
plus propres à faire éviter le péché; ce sera
le sujet de la première partie. C'est, en se-
cond lieu, que l'exercice de la présence de
Dieu est un moyen des plus ellicaces pour
faire pratiquer la vertu ; ce sera le suy:t de
la seconde jinrtie. Je m'estimerais heureux
et ne croirais pas, iMesdames, ma petite
mission auprès de vous sans fruit, si, eii la
terminant, je pouvais vous porter toutes à
la pratique de ce saint exercice; je l'espère
avec le secours de la gnlce. Honorez-moi,
s'il vous [)lail de toute votre attention, ^i-e,
Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Ne nous le dissimulons point ici, Mesda-
mes, pour peu que nous veuillions rétlécliir
sur nous-mêmes, nous remarquerons aussi-
tôt dans notre volonté, bien plus de |)en-
cliant nu mal que d'allrait |)0ur le bien :
effet déplorable de la chute du premier
iiomme I avec assez de lumières pour con-
naître le bien et pour l'approuver, nous nous
livrons le plus souvent au m il que nous re-
connaissons et que nous désapprouvons;
co[ien(!anl lous créés pour jouir ne notre
Dieu dans le ciel, et ne pouvant nous pro-
curer ce bonheur de l'élernilé qu'autant
(pie nous aurons été fidèles dans le temps
à nous [)réserver du mal, à éviter le péché,
nous devons donc autant, par intérêt
que par devoir, chercher et employer tous
les moyens qui peuvent servir à nous le
faire éviter : or, un de ces moyens et des
plus eflicnces, c'est l'exercice de la présence
de Dieu. En elfet, Mesdames, nous pouvons
considérer Dieu présent à nous sous trois
dillérenis respects, par son essence, par sa
puissance et par sa science : par son essence,
c'est un Dieu infini en lui-nsême qui, par
l'immensité de son être, environne, remplit
et pénètre lous les êtres qu'il a créés : par
sa puissance, c'est un Dieu dont le jouvoir
est absolu et sans borne, et qui agit en tout
au dehors de lui-même pour les créatures
et avec ses créatures : par sa science, c'est
un Dieu dont les connaissances infinies s'é-
tendent à tout, qui voit par conséquent
toutes les démarches de ses créatures rai-
sonnables, et qui les voit, pour les punir
ou (>our les récompenser selon le bien ou le
mal qu'elles auront fait. Or, ces principes
une lois i)0sés,j'en lire trois conséquences
Lien imporlantos pour nous; c'est, en pre-
ujier lieu, que si Dieu est [irése^t partout
par son essence, c'est donc toujours dans
le sein même de ce Dieu, noire créaleur,
que nous péchons; c'est, en second lieu,
que si Dieu est pré^elIt partout par sa ()uis-
saiice, c'est donc toujours par le moyen
même de ce Dieu i;otre bienfaiteur que nous
j)échons; c'est enfin que si Dieu est [)résent
partout iiarsa scienci;, c'est donc toujours
sou? les yeux même de ce Dieu uolie juge,
583
que nous péchons. Trois réflexions qui,
bien a|)profondies , seraient capables do
lions inspirer pour le péché et |iour toute
espèce de péché, toule l'horreur qu'il mé-
rite.
I. Je dis, en premier lieu, que Dieu est
présent partout 4)ar son immensité; c'est
ici, Mesilarnes, une vérité de foi : Je rem-
plis, nous dit-il lui-même, y« remplis le ciel
el la terre de ma présence : « Cœlum et terram
impleo.n (Jerem., XXIlI,2i-.) Il ne nous faut
donc point aller bien loin pour trouver notre
Dieu, dit l'apôtre saint Paul ; il est sanseessa
îivcc nous, autour de nous, au dedans do
nous, je dis plus encore, d'a[)rès l'Apôire,
nous sommes nous-mêmes dans lui. C'est
dans lui, dans le propre sein de sa divinité
que nous vivons, que nous existons, que
nous agissons : In ipso vivimus, movemur et
sumus. {Ad., XVll, 28.) Oui, ce Dieu plus
grand, plus immense que le monde entier,
le Dieu que mille mondes ne ()Ourraient
contenir, sa grandeur ne reconnaissant d'au-
tre borne que rmtiiii, il csl cependant dans
moi el je suis dans lui ; sa divinité est plus
présente à mon urne que mon âme elle-
même ne l'est à mon corps, puisque mon
Ame est inséparable de la Divinité, que sem-
blable à une éponge au milieu de la mer,
elle est toute environnée, toule pénétrée de
la Divinité. Ah I que je me suis loiiglemi»s
mépris, ô mon Dieu, disait saint Augustin,
revenu de ses égarements, que je me suis
longtemps mépris! Je sentais bien que j'é-
tais fait pour vous, et uniquement pour vous;
je vous cherchais, je me suis longtemps fa-
tigué à vous chercher hors de moi, et vous
étiez dans moi, vous habitiez au fond de
mon cœur : Intus eras, ec ego foris le quœre-
bam. De là aussi, de celte première vérité,
que devons-nous conclure? Ah! c'est que
nous sommes aussi toujours présents à la
Divinité ; c'est que lorsque nous agissons,
c'est donc toujours dans le sein même de
cette Divinité que nous agissons, c'est par
conséquent que quand nous péchons, c'est
toujours dans le sein môme de la Divinité
que nous péchons. Oui, Mesdames, et celle
vérité, les seules lumières de la raison ont
suffi pour l'établir. Le philosophe romain,
assez éclairé [lour connaître que le Dieu de
l'univers ne [louvail être véritablement Dieu
s'il n'était partout par son immensité, fut
assez judicieux pour en conclure que le
moyen do ne rien f^ire d'indigne de l'hon-
nêle homme, c'était de penser souvent à la
présence de ce Dieu qui est partout. Mais
nous, à plus forte raison, éclairés des lu-
mières de la foi qui nous rend tout autre-
ment sensible celte vérité, quelle impres-
sif^n ne devrail-elle pas faire sur nos es[)rils
et sur nos cœurs ? Ah ! dit saint Ambroise,
quel esl noire aveuglement et notre lémé-
riié?Quol! nous ciaigoons les yeux des
hommes ; lorcjuo nous voulons nous livrer
à des actions indignes, nous savons nous
dérober à leurs regards, et nous osons les
commeltre sous les yeux de noire Dieu !
Quoi ! la présence d'un grand, d'un roi de
585
ORxVTEURS SACRES. LABBE DE MONTIS.
S8i
la terre suffirait pour réprimer en nous les
passions les plus violentos; et la présence
du Koi des rois, la présence du Dieu du
ciel et de la terre ne ferait aucune impres-
sion sur nous 1 Quoi ! cet être souverain de-
vant lequel les chérubins par respect se
couvrent de leurs ailes, celui en la f)résence
duquel les séraphins et tous les esprits cé-
lestes tremblent et s'anéantissent, nous,
vers de terre, poussière et cendre, bien loin
de trembler devant ce Dieu toul-puissant,
autant notre Dieu que le Dieu des anges,
bien loin de lui rendre les devoirs de res-
pect et d'ddoralion que nous lui^ devons,
nous irions jusqu'à nous élever téméraire-
ment contre lui, jusqu'à souilleraulanl qu'il
est en nous son immensité par nos crimes,
comme il s'en plaint par un de ses pro-
phètes : Inquinabar inmedio eorum. {Ezech.,
XXII, 2G.1 Ah! si vous voulez pécher im-
punément, disait saint Augustin, cherchez,
chercliez donc un endroit oiî votre Dieu ne
se trouve pas.
II. Miiis si Dieu est présent partout, pat-
son essence, [)ar son irhmensilé, il I est
encore par sa puissance. Vous le savez.
Mesdames, Dieu ayant fait l'homme unique-
ment pour lui, pour sa gloire, il a voulu
aussi qu'il tînt tout de lui, qu'en tout et
pour tout, il dépendît absolument de lui,
et si absoluhient, que s'il retirait un seul
instant son bras tout-puissant qui le sou-
tient, il retomberait aussitôt dans le néant
d'où il l'a tiré. Par lui en effel, et par lui
seul, l'homme produit ses pensées, il forme
ses projets, il exécute ses volontés et celle
dépendance de son Dieu, dans l'ordre de la
grûce, puisque, bien loin de pouvoir s'éle-
ver à l'état de sainteté et de s'y soutenir par
lui-môme, il n'est pas même capable, comme
ledit l'Apôlie (II Cor., lil, 5) sans le se-
cours de son Dieu, de la moindre bonne
])eusée dans l'ordre du salut; ainsi sans
son Dieu, l'homme ne peut rien, comme il
peut luul avec son Dieu ; mais je dois vous
dire quelque chose de plus encore. Mes-
dames. Kli ! que ces vérités sont consolantes
pour désunies qui aiment à se renifilir des
|)ensées ei des sentiments de la foi! C'est
que si Dieu a fait l'homme pour lui, [jOur
sa gloire, et si pour cela il est et agit sans
cesse avec lui; comme il a fait également
toutes les autres créatures pour riiouime,
])our l'usage de l'homme, c'est aussi pour
l'homme qu'il est et qu'il agit dans elles et
par elk'S, en sorte que [lar elles il l'édaii©,
par elles il l'échaulle, il le nourrit, il le sou-
lage, il le recrée et le conserve. Voilà donc
ce qu'est ce Dieu de bonté à mon égard, il
est pour moi dans toutes les créatures,
non-seulement il les conserve pour moi,
mais [)Our nioi il agit dans toutes et par
toutes, en sorte qu'il paraît occupé de moi,
comme si j'éiats le seul être dans l'univers
qui exigeât tous ses soins. Mais aussi, Mes-
dames, si cela est, si Dieu est sans cesse
avec moi et sans cesse occu[)é de moi, je
dois donc m'occuper égal-emenl de lui; s'il
n'el sa gloire à luire agir pour moi toutes
ses créatures, je dois donc moi, mettre mon
attention et tout mon plaisir à agir en tout
de concert avec lui, à ne chercher que lui,
que sa gloire, dans l'usage de ses créatures.
Voilà en effet ce qu'ont fait tous les saints,
et ce qui les a faiisdes saints; leur foi vive
leur faisait voir, ce n'est point dire assez,
leur faisait aimer le Créateur dans ses créa-
tures, et dans les moindres de ses créatures;
le plus [letit objet, une fleur des champs, un
brin d'herbe a suffit à quelques-uns, pour
les ravir en Dieu, [lour les remplir d'admi-
ration, d'amour et de reconnaissance envers
leur Dieu; de là cette intention non-seu-
lement à n'abuser d'aucune de ses créa-
tures, mais do plus à les faire servir à sa
gloire. Maisaussi voilà, parune raison toute
opposée, ce qui nous rend si coupables à
ses yeux lorsque nous nous livrons au pé-
ché, parce que de quelque nature qu'il
puisse être ce péché, c'est toujours par noire
Dieu, par ses secours et les moyens qu'il
nous donne que nous le commettons. Ahl
Mesdames, ne pas penser à un Dieu qui
pense sans cesse à nous ; ne pas nous plaire
en la présence d'un Dieu qui paraît sans
cesse occupé de nous, c'est déjà un grand
mal ; déplaire à un Dieu qui est sans cesse
avec nous [lour nous conserver et pour
nous aider dans toutes nos démarches, of-
fenser un Dieu qui multiplie ses bienfaits,
àj notre égard, en mullifiliant les instants
de notre existence, c'est un mal plus grand
encore: mais nous servir de plus de ce Dieu
de bonté pour lui déplaire et l'offenser,
juais tourner contre lui tous les bienfaits
que nous en avons reçus, et que nous en
recevons à chaque instant, santé, esprit,
lumières, tous les talents de l'âme et du
corps, les employer tous contre son Dieu,
et par là le faire servir lui-môme, comme il
s'en plaint par un de ses prophètes, à nos ini-
quités : Servire me fecistis in iniquilalibus ve-
«^rts. (/sa. ,XLU, 24..) Voilà, Mesdames, le plus
grand de tous les désordres, et voilà cepen-
dant ce que toute personne qui se livre au
péché, pijut et doit se reprocher.
111. Mais une troisième raison bien ca-
pable de nous faire éviter le péché, c'est
que non-seulement Dieu est sans cesse avec
nous, par son essence et par sa puissance,
mais qu'il l'est encore par sa science; je
veux dire que non-seulement Dieu est dan.s
nous, et nous sommes dans lui, que non-
seulement il agit en tout par nous, f)0ur
nous et avec nous, et que nous agissons
dans lui et par lui, mais que de [tins, et par
une suite nécessaire de cette [irésence im-
médiate et continuelle, il voit tout ce que
nous faisons, et le voit, non pas en témoin
indillérent, mais comme Juge souverain
qui se servira un jour, de celte connaissance,
pour nous récompenser ou pour nous pu-
nir, selon ce qu'il aura vu en nous, de bien
ou de mal. Oui, Mesdames, point de vérité
plus clairement énoncée dans les divines
Eciilures. Lorsque les proiihètes voulaient
retirer le peuplo de Dieu de ses prévarica-
tions, ils no croyaient pas le pouvoir faire
385
DISCOURS DE RETRAITE.
HUITIEME JOUR.
58«
avec plus de succès, qu'en le rappelant
h celle présence de son Dieu, qu'en lui ré-
pétant souvent que Diou avait sans , cesse,
les yeux fixés sur lui; c'était aussi cette
vérité dont se servait le Roi-Prophète, 'pour
s'exciter à servir fidèiemont son Dieu, ot
à accomplir parfaitement sa sainte loi : Où
pourrais-je aller, ô mon Dieu, pour me dé-
rober à la pénétralioti de votre esprit, et où
fuirnis-je pour me soustraire à la lumière de
votre visage? disait ce saint roi pénitent:
« Quo ibo a spiritu tuo, et quo a facie tua
fugiam? » Quand je pourrais m' élever jusque
dans les deux vous y êtes, vous y faites voire
demeure: « Si ascendcro in cœlum, tu illic
es: » Si je descendais jusqu'aux abîmes de
Venfer, je vous y trouverais encore : « Si de-
scendero in infermtm, ades. » Quand il me
serait donné de me transporter, avec des ailes,
au delà des mers et jusqu'aux extrémités de
la terre, bien loin de pouvoir me dérober à
vos regards, ce serait vous-même, 6 mon Dieu,
qui m'y conduiriez, et votre main seule me
soutiendrait dans ma course: « Manus tua
deducel me, cl tenebit me dextera tua. » Je
rai dit encore, que peut-être les ténèbres me
cacheraient à vos yeux: « Dixi : Forsitan te-
nebrœ conculcabunt me. » Mais la nuit elle-
même devient toute lumineuse pour me dé-
couvrir à vous, et jusque dans mes actions
les plus secrètes : u El nox iltuminutio mea
in deliciis meis. » Non, les ténèbres les plus
épaisses n'ont aucune obscurité pour vous, et
la nuit la plus noire est pour vous, comme
un beau jour: « Nox sicut dies illumina-
bitur. » [PsaL CXXXVlll, 7 seq.)
Cette grande vérité, Mesdames, dont ce
saint roi ()araissait si pénétré, elle est si
jjjen gravée dans le cœur de l'homme, qu'on
a vu dans tous les temps, les pécheurs alTec-
ter de la combattre et travailler à, s'en dé-
l'aire pour pouvoir s'autoriser dans leurs
désordres. Qui est-ce qui me voit? Ainsi le
Saint-Esprit fait-il parler, dans les divines
Ecritures, un de ces pécheurs impies, déter-
uiiné à satisfaire ses désirs déréglés et à
éloutler les, cris de sa conscience: Qui est-
ce qui me voit? « Quis videt me? » Les ténè-
bres m'environnent , les murs me couvrent de
toutes parts, je ne suis vu de personne : « Ne-
ino circumspicit me ; » qui craindrais-je donc ?
Le Très-Uaut ? Mais quand il verrait mes
crimes, il ne s'en souviendra point .-«iVo/i ??ie-
viorabitur.)>[tccli., XX.lil, iio, 20.) Voilh ce
qu'il a dit ce pécheur impie; et dès là ,
qu'est-il arrivé ? Ah ! iJesdamus, c'est que,
délivré de cette fitnsée importune d'un
Dieu présent partout et présent au fond de
son cœur, ses passions, comme une mer
agitée qui a eniin rompu la digue qui s'op-
posait à ses tlots en fureu.'-, se sont déchaî-
nées : il a chassé absolument son Dieu de
son esprit; et dès lors, dit le Roi-Prophète,
ses voies ont été souillées par le crime : « In-
quinatœsuntviœ ejus.»{Psal. X, 5.) Tuile fut
en cllel la conduite ue ces deux iufûmfis
vieillards qui osèrent attenter h la vertu de
la chaste Suzanne : apiès s'être bien assurés
d'être tachés aux y<ux des h mines, pour
s'enhardir dans leur abominable dessein»
ils cherchèrent à éviter les regards du Sei-
gneur : ils commencèrent h détourner leurs
yeux du ciel , pour ne pas penser au Dieu
qui y réside. Hommes aveugles qui se flit-
taient vainement qu'en no pensant plus à
leur Dieu, leur Dieu ne penserait plus éga-
lement à eux. Voilà, Mesdames, ce que l'on
voit et ce que l'on ne voit (jne trop souvent
dans les ))écheurs; les péchés au\(pjels ils
se livrent, alfaiblissent insensiblement la
foi de la présence de Dieu ; et celle foi
ainsi affaiblie et quelquefois absolument
éteinte dans l'esprit, le cœur se livre sans
ménagement au péché et h tous les désor-
dres du péché; le pécheur fait ordinaire-
ment rim[)ie et l'impie soutient et perfec-
tionne pour ainsi dire le pécheur, il com-
mence i)ar souhaiter que Dieu ne voie pas
ses crimes ; et il en vient cnlin en les com-
mettant et en les multipliant sans cesse à se
persu;ider que Dieu ne les voit point en
effet : insensé il se flatte que le Diou de Ja-
cob )ie le voit point, ou qu'il ne fait aucune
attention èses démarches. Quoi I ce Dieuf
par qui tout a été fait et qui a tout fait pour
lui, pour sa gloire, serait donc comme
ces dieux de pierre ou d'argile, que les
piyens se fabriquaient do leurs propres
mains ; coiimie ces vaines idoles, il au-
rait des yeux et il ne verrait fias; des
oreilles et il n'entendrait [)as : ce Dieu, qui
lui-même a formé dans l'homme ces sens et
ces organes, par lesquels il enti-nJ et il voit :
ce Dieu tout-puissant lui-même serait sans
voir et sans entendre 1 Non, non, ce Dieu
que maigié tous ses efforts, le pécheur ne
peut absolument méconnaître, voit tout,
rien n'échappe à ses regards, omnia videt ;
toutes nos œuvres, hé! que dis-je, jus-
qu'aux pensées les plus secrètes de notre
esprit, jusqu'aux sentiments les [ilus inti-
mes de notre cœur : tout dans nous lui est
présent: Omnia nuda oculis ejus, {Hcbr.,
IV, 13.) Oui , Mesdames, les bomnies ne
peuvent voir que nos œuvres extérieures,
mais notre Dieu pénètre jusque dans l'in-
térieur de nous-mêmes: Intuetur cor. (I Reg.f
XVI, 7.), Nos pensées et nos désirs il les
voit lorsque nous les formons; je dis plus
encore, ô mon Dieu, et sans cela, seriez-
vous véritablement mon Dieu ? Mes pensées,
je ne les ai pas encore conçues et déjà de-
puis longtemps, elles sont présentes à vo-
ire esjirit : Intellexisti cogilaliones meas de
longe. [Psal. CXXXVlll, 3.) Tuutes mes
démarciies, en un mot, longtemps avant
que j'en forme le projet , vous les avez pré-
venues : Omnes vias meas prœvidisti.{lbid.,
4.) Mais ce que je dois surtout vous faire
remarquer ici , Mesdames ; et ce dont en
oûet il est bien important pour nous do
nous bien convaincre, c'est (lue notre Dieu
ne voit tout en nous que pour nous juger
sur tout: c'est, comme le dit saint Augus-
tin, qu'après avoir été le témoin de notre
conduite en cette vie, il en sera dans l'au-
tre le juge, et un juge inexorable; et voilà
une des raisons et 'a oriucipale raison qui
5«7
ORATEURS SA€RES.
a porlé les gentils à rejeter le Dieu dos
chrétiens. Ceux qui plaçaient des dieux
partout , n'en voulaient point dans leur
cœur: ils ne pouvaient se résoudre, remar-
que un ancien auteur, à reconnaître un
Dieu qui examinait avec une trop curieuse
altenlion , même les désirs et les pensées.
Mais nous, qui éclairés des lumières de la
loi, faisons profession de croire à un Dieu
qui voit et qui connaît tout, qui par la per-
f'iction de son être, ne peut même s'empê-
cher de tout voir et de tout connaître, nous
qui ne pouvons ignorer que ce Dieu ég;i-
iement éclairé et tout-puissant, se servira
un jour de ses coniiaissances pour nous
jiiger, pourrions-nous vivre et nous plaire
dans la transgression de sa sainte loi 1
Ah! Dieu me voit, ses pensées comme
mes actions, mes iniquités comme mesjus-
lices, tout est présent h mes yeux; tout le
sera également à ce moment auquel il me
jugera : je dois donc éviter de l'offenser et
de lui dé|)laire; voilà la conséquence que
je dois nécessairement tirer si je prends
quelque intérêt au bien de mon âme, à mon
salul éterui'h Hélas! si je ne la tirais |)as
cette ccnséquence, ou si elle ne faisait au-
cune iuipression sur moi, ne serail-cc pas
une pr(!uve que le Seigneur se serait déjà
éloigné de moi, et m'aurait livié dans sa
colèYe aux désirs déréglés de mon cœur?
Conséquence si juste, si naturelle, qu'un
des piemiers ai)ologistes de la religion
chrétienne ne croyait jias pouvoir mieux
que parla défendre les iidèles accusés au-
près (le l'empereur, de commettre, dans
leurs assemblées, des crimes infâmes.
« l'rince, disait Tertullien à Marc-Aurèle,
les chrétiens, que vous ne connaissez
point assez, et qu'on s'etîorte de noircir
dans votre esprit, font profession de croire
à un Dieu qui voit tout, qui connaît jus-
qu'à leurs pensées les [)lus secrètes, et qui
doit un jour les punir ou les récomjienser,
selon le bien ou le mal qu'il aura vu dans
eux; comment donc pourraient-ils, sous les
yeux de ce Dieu auquel ils ne peuvent se
soustraire, commettre des crimes que la
raison seule doit faire délester? » El voilà
en elfet la conséquence que lira la vei-
lueuse Suzanne dans la situation la plus
dangereuse et la plus critique pour elle;
obligée ou de déplaire aux hommes ou d'ol-
lenser son Dieu, convaincue que ce Dieu,
auquel rien n'échappe, a|)rès avoir été le
témoin de son innocence, en serait un
jour le rémunéraleur, elle ne balança point
à conclure qu'il valait mieux pour elle loin-
ber innocente entre les mains de ses per-
sécuteurs que de se rendre criminelle aux
yeux de son Dieu et digne de ses châtiments
éieniels. Mais ce n'est | as là le seul avan-
tage que nous procure l'exercice de la pré-
sence de Dieu : non-seulement il seit à
r.ous faire éviter le péclié, il est encore un
moyen sûr do nous faire pratiquer la vertu:
c'est le sujet de la seconde partie.
L'ACBE DE MONTIS.
SECONDE PAUTIE.
Î88
Ce serait, Mesdames, une illusion et
une illusion bien dangereuse pour nous de
croire remplir toute justice à l'égard de no-
tre Dieu , en nous bornant à éviter le péché.
A la vérité commettre des actions qu'il nous
défend, c'est lui déplaire et l'offenser : mais
nous abstenir des œuvres qu'il prescrit à
chacun de nous dans l'étal où sa Provi-
dence nous a placés, c'est également lui
déplaire cl travaillera notre perte éternelle;
cen'tist pas seulement le serviteur débau-
ché qui a dissipé ses talents , qui est con-
damné dans riivangile; c'est encore le ser-
viteur paresseux qui , au lieu de les faire
valoir, s'est contenté de les enfouir. Ainsi
le litre de chrétien et de vrai chrétien, et
encore plus celui de nlic^ieuse, d'épouse de
Jésus-Christ , dit nécesja renient deux cho-
ses : éviter le mal et faire le bien : Déclina
a malo et fac bonum [Psal. XXXVI, 27) ; s'ab-
stenir du péché et pratiquer la vertu. Or,
Mesdames, dans l'idée du christianisme, et
selon les principes de l'Evangile , pratiquer
la vertu c'est s'acquitter hdèlement de ses
devoirs et de tous ses devoirs ; mais pour
nous en acquitter avec fidélité de ces de-
voirs, il faut d'abord les connaître , et dési-
rer môme bien sincèrement do les connaî-
tre : il faut, après les avoir connus, être
aussi sincèrement disposés à les pratiquer;
et voil^ le double avantage que nous pro-
cure encore l'exercice de la présence do
Dieu : il nous fait connaître le bien et il
nous le fait pratiquer; il nous conduit h la
connaissance de nos devoirs; il nous excite
à raccomplissemenl de nos devoirs. Encore
quelques , moments de votre attention , je
vous prie.
I. Je (lis en premier lieu que rexercici- de
la présence de Dieu nous conduit à la con-
naissance de nos devoirs. Je vous donnerai,
nous dit le Seigneur dans les divines Ecri-
tures, je vous donnerai l'intelligence né-
cessaire pour comprendre mes volontés, et
ce que vous devez faire pour moi : je vous
enseignerai la voie dans laquelle vous devez
marcher pour me plaire : Inlellectum libi
dabo et instruam te in via hac qua gradieris-
{Puai. XXXI, 8.) Mais, Seigneur, permettez-
moi de vous le demander; que ferez^-vous pour
cela? Par quels moyens me donnerez-vous
cette connaissance si nécessaire et si avan-
tageuse [lourmoi? M'enverrez-vous quel-
qu'un de vos esprits célestes, ou un de vos
prophètes pour m'intimer vos ordres ? Non ,
je ne ferai que hxer mes yeux sur vous, je
me rendrai présent à votro esprit; et par-là
je vous rendrai vous-même occupé de ma
présence, et par conséquent occupé de vos
devoirs : Firmabo super te oculos meos
[Ibid,), moyen srlr et facile de nous raj)|)eler
bientôt tout ce qui est dii à cet Etre tout-
))uissant , de qui nous tenons tuul , et à qui
par conséquent nous devons tout raj)porter ;
moyen ({n'employait e;i etfel le Roi-Propiiète
une fois revenu à son Dieu {)Our se tenir fi-
dèle aux proiuesses qu'il lui avait laJle>
589
DISCOURS DE RETRAITE. - HUITIEME JOUR.
S{>9
d'observer oxaclemeiil le rcsie de ses jours
sa saillie loi; il letiail sans cesse les yeux
tournés vers lui : Ociili wfi scmper ad Do-
minum. [Psal. XXn.lo.) Sans cesse il avait
présent à son esprit ce Dieu qui voit tout :
Providebam Dominum in conspeclu meo scm-
per {Psal. XV, 8); et voilà ce que nous
é(irouverons nous-mêmes, si nous voulons
nous rendre familier ce sain! exercice. Hé-
hisl nous envions quelquefois le sort des
apôtres et des disciples de Jésus-Christ qui
toujours dans la compagnie du divin Maî-
tre étaient à portée d'entendre souvent ses
salutaires instructions. Il nous semble encore
que si nous eussions vécu du temps de ces
saints et illustres personnages dont on nous
lait quelquefois de si raagnifujues éloges,
nous n'eussions pas manqué de profiter de
leur zèle et de recourir à leurs lumières
|)Our apprendre à travailler comme eux ef-
licaceniont à notre salut. Ah 1 Mesdames,
le plus souvent nous sommes nous-mêmes
(Je concert avec l'esprit tentateur pour nous
laire illusion ; outre que nous ne manque-
rons jamais d'Ananies pour connaître les
volontés du Seigneur sur nous lorsque ,
comme Saul , nous serons sincèrement dis-
})osés à^ nous en instruire , nous avons
sans cesse notre Dieu avec nous; pensons
(ju'il est là présent et qu'il nous voit : moyen
facile pour nous rappeler promptemenl ce
que nous lui devons. Oui , Mesdames , nous
nous trouvons quelquefois dans des cir-
constances délicates oili notre penchant,
notre intérêt se trouve en compromis, pour
ainsi dire avec notre conscience : nous
voudrions nous satisfaire, mais nous ne
voudrions pas offenser le Seigneur ; le ie-
rail-il ? Voilà le doute dans lequel nous
sommes quelquefois et avec lequel nous ne
pouvons passer outre, sans 1 offenser en
ellel. Or, je dis que si nous pensions alors
que Dieu nous voit pour nous punir ou
pour nous lécompenser, communément
parlant nous ne serions pas longtem{)s à
voir ce qui est le plus conforme à la vo-
lonté et à la disposition de la loi : je dis
communément parlant, car je sais bien
qu'il peut y avoir des doutes qui sufiposent
l'ignorance de quelques principes de mo-
rale que tout particulier n'est pas absolu -
iijeni oliligé de savoir et qui exigent par
conséquent qu'on recoure à des lumières
supérieures; mais j'ose avancer que dans
une infinité de circonstances, ce seul sou-
venir d'un Dieu présent est ca[>able de ré-
I andre tout à coujidans res])ril assez de
lumières pour faire afipercevoir ce qu'il
convient de faire ou d'éviter, en sorte que
celte [)résence de Dieu est comme les
rayons du soleil qui, en éclairant le lieu
jta-r lequel ils passent , loiil découvrir une
inOnité d'objets qui sans'eux échapperaient
à la vue, ou comme une glace de miroir
quii fait apercevoir des taches qu'on tût
ignorées sans elle. Voilà , Mesdames, pour
vous rendre par une autre comparaison
celte vérité plus sensible encore, vyilà ce
qui se pasoe dans le monde et dans le grand
monde surtout. Qu'un sujet se présente
devant le souverain, non-seulement il évite
avec soin tout ce qui pourrait blesser ses
regards et lui déplaire; mais cette seule
pensée qu'il est en la présence de son
prince va jusqu'à lui rappeler tout ce qu'il
doit faire pour lui plaire et pour prévenir
jusqu'à ses désirs.
II. Mais non-seulement l'exercice de la
présence de Dieu a la vertu d'éclairer notre
esprit sur nos devoirs et sur tous nos de-
voirs, mais il a encore celle d'échauffer
notre cœur, d'exciter notre volonté, do dis-
siper sa langueur, son indolence, de l'ani-
mer elTicacement à accomplir ces devoirs
qu'il lui fait connaître et à les accomplir
tout à la fois pleinement, facilement et par-
faitement. Je dis (deinement c'est-à-dire.
Mesdames, que quand nous penserons que
Dieu a sans cesse les yeux fixés sur nous,
nous ne nous bornerons point à quelques-
uns de nos devoirs pour en négliger d'au-
tresquelquefois aussi essentiels; convaincus
de celle grande vérité que Dieu n'est témoin
de toutes nos démarches que pour nous en
punir ou nous en récompenser un jour,
nous nous appliquerons également et à évi-
ter tout ce que la loi sainte nous défend,
et à pratiquer tout ce qu'elle nous ordonne;
persuadés de plus que non-seulemenl Dieu
voit l'extérieur de nos œuvres, mais qu'il
pénètre également jusqu'au fond de notre
âme, qu'il en voit clairement les pensées
et les désirs, nous ne bornerons point notre
fidélité à son égard à régler nos œuvres,
à ne rien faire à l'extérieur qui puisse l'of-
fenser, mais nous veillerons encore scru-
puleusement et sur toutes les pensées de
noire esprit, et sur tous les mouvements et
toutes les affections de notre cœur; nous
j)rendrons garde qu'il n'y ait rien et hors
de nous et au-deda'ns de nous qui ne soit
dans l'ordre et agréable aux yeux de Dieu ;
el voilà en effet ce qui rendait le saint Koi-
Pro[)hèle si exact à accomplir les comman-
aemenls et tous les commandemenls du Sei-
gneur; c'est, comme il le dit lui-même,
qu'il savait et qu'il se rapf)elait souvent
que son Dieu l'observait sans cesse, el que
toutes ses voies étaient toujours présentes
à ses yeux : Servavi mandata tua, quia om-
nesviœ mece in conspeclu tuo.{PsaL CXVllI,
168.)
J'ai dit que l'exercice de la présence de
Dieu nous fait accomplir nos devoirs faci-
ment. Ah ! Mesdames, lors(jue nous nous
sentons sollicités intérieurement par la
glace d'être plus fidèles à notre Dieu, con-
venons-en ici de bonne loi, iious nous ex-
cusons sur noire faiblesse el sur les cir-
conslances dans lesquelles nous nous trou-
vons; nous prétendons trouver dans la loi
même do noire Dieu el dans les devoirs
qu'elle nous prescrit, des difficultés, des
ira|)Ossibililés qui nous arrêtent; or pour
j)Our nous guéiir d'une illusion qui ne peut
que nous entieteuir dans l'inaciioM et nous
conduire par là à une |)erte éternelle, lo
moyen de nous bien convaincre de celle
501
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MOMIS.
502
vérité qu'a prononcée le Fils de Dieu lui-
môme que son joug est doux ot son far-
deau léger, c'est de nous familiariser jiour
ainsi diift avec la présence de Dieu. Pour-
rions-nous en effet être convaincus que ce
Dieu lout-[)uisS'nnt qui ne nous a n)is sur
la terre que [jour le servir et nous procurer
par là une récompense éternelle, a sans cesse
les yeux fixés sur nous et ne pas nous en-
courager à son service. Eh ! que dis-jc, ne
pas trouver doux, aimable, facile tout ce
qu'il exige de nous pour lui plaire et pour
mériter cette récoiii|)ense infinie qu'il nous
offre ? Ah ! un soldait qui combat et qui sait
qu'il combat en |irés<!iice et sous les yeux
de son général ou de son prince, avec quelle
ardeuril agit I avec quelle aisance il affronte
les plus grands dangers I avec quelle inlré-
pidiléil surraonle les plus grands obstacles.
Hélas 1 Mesdames, ces services, quelque
importants qu'on les suppose, s'ils ne peu-
vent être ignorés de ceux de qui il a droit
d'en attendre la réconq)ense, ils peuvent
cire oubliés du moins et ils le sont sou-
vent en effet; mais ce qui doit nous encou-
rager et nous soutenir dans le service de
Dieu, c'est que s"ila sans cesse les yeux
fixés sur nous, il n'oubliera point et qu'il
ne peut même oublier elne pas reconnaître
tout ce que nous faisons pour lui, motif
bien puissant. Il soutint autrefois un géné-
ral du peuple de Dieu ; le brave Judas >ia-
chabée se trouvant avec un petit nombre de
soldats vis-à-vis une armée nombreuse,
s'appliqua à les convaincre de cette pré-
sencede leur Dieu dont il était si convaincu
lui-même, et aussitôt soutenus et consolés
j)ar celte sainte pensée, dit le texte sacré :
Prœsentia Dei deleclati {\l Mach., XV, 27j,
ils attaquent courageuscmeni le général Ni-
canor, et malgré sa grande supériorité, ils
le défont, le tuent et mettent eu fuite son
armée entière. Et voilà. Mesdames, ce qui a
soutenu autrefois tant de saints martyrs au
milieu des plus affreux tourments ; si tous
n'ont pas vu réellement, comme saiiii
Etienne, les cieux ouverts et Jésus-Christ
dans sa gloire, tous l'ont vu des yeux de
la foi ; voilà ce qui les faisait souffrir, je ne
dirai pas seulement avec courage et patience,
mais encore avec joie et avec des consola-
tions qui étonnaient également et les mi-
nistres et les s[)ectateurs de leurs sufjplices.
Voilà ce qui a soutenu et ce qui soutient
encore tant de justes au milieu des croix
par lesquelles le Seigneur les éprouve ; celle
seule j)ensée que Dieu les voit leur rend
facile, agréable môme tout ce qu'ils ont à
souflrir [)Our lui. Voilà ce qui a soutenu et
ce qui en soutient d'autres dans les di-
verses tentations (lue leur livrent les en-
nemis de leur salut; ils savent, comme le
dit saint Ephrem, que non-seulement ils
ont les anges pour témoins mais encore le
Dieu des anges lui-même pour spectateur
dans leurs combats : voilà ce qui les rend
fermes et intré[)ides ; assurés aussi bien que
le Roi-Prophète qu'ayant leur Dieu à leur
côté ils ne.peuvenl être vaincus, ils se mon-
trent inébranlables. Voilà enfin ce qui fait
marcher tant de justes, ce n'est point dire
encore assez : vo.là ce qui les fait courir
dans la voie et des commandements et des
conseils du Seigneur; car cet exercice de
la présence de Dieu fait qu'on s'acquitte
de ses devoirs non-seulement pleinement et
facilement, mais encore parfaitement.
Je veux dire. Mesdames, pour ra'exprimer
d'après un des prélats des plus éclairés et tout
à la fois des plus pieux du siècle dernier,
que cet exercice de la présence de Dieu est
le vrai ressort de la perfection. Marchez en
ma présence, dit autrefois le Seigneur au pa-
triarche Abraham, marchez en ma présence
el soyez parfait: « Ambula coram me cl eslo
perfeclus. » (Gc«., XVII, 1.) Prenez garde,
s'il vous plaîl ; le Seigneur, ne dit pas à ce
père des croyants: Marchez en ma présence
el vous deviendrez parfait, mais dès lors
vous , êtes i parfait, pourj, nous faire en-
tendre que si l'on ne peut êire parfait sans
l'exercice de la [irésence de Dieu, l'on i)ar-
vieiit aussi à cet état de perfection, dès
qu'on est dans l'exercice de la présence de
Dieu. Au^si les divines Eciitures, lors;]u'elles
nous parlent d'un Al)el, d'un Abraham, d'un
Noé, de ces saints de l'Ancien Testament ,
elles |)araissent borner leur éloge à ce seul
trait, qu'il a marché toute sa vie en la pvé-
sencc de Dieu : Ambidavit coram Deo ; et
tous les jours encore, lorsque nous voulons
louer quelqu'un de ces saints qui se sont
sanctifiés , soil au milieu du monde, soit
dans le secret de la solitude, nous ne croyons
pas pouvoir mieux prouver le sublime do
ses verlus et de sa sainteté qu'en disant
qu'il s'était fait une heureuse habitude de
penser toujours à Dieu, qu'au milieu des
occupations quelquefois les plus distrayan-
tes, il ne perdit jamais la présence de Dieu.
Et en eifel, el ceci parait vous regarder
plus spécialement, vierges ctiréliennes, qui,
en qualité d'épouses de Jésus-Christ, vous
tiouvez dans une obligation plus étroite que
le commun des chrétiens, de tendre sans
cesse à la jjcrfection ; qu'est-ce que celte
perfection en elle-même? C'est d'agir en
tout })ar les vues les plus pures et les plus
relevées, c'est entretenir avec son Dieu la
liaison la plus intime, l'union la |)lus étroi-
te jiar une foi vive, par une charité ardente,
par une conformité entière de pensées, de
senliments et de désirs avec son Dieu ; c'est
ne [)lus voir et ne plus vouloir, en tout,
que son Dieu ; c'est être dans une dispro-
l)ortion totale de soi-même, c'est mourir et
mourir continuellement à soi-même pour
ne vivre qu'à son Dieu el pour son Dieu;
la perfection en un mol el la vraie perfeclion,
c'est l'amour el l'amorir parfait, le [lur
amour: or un moyen bien i^ropre à mettre
dans cet heureux et sublime état qui ne
peut être bien connu que de ceux et de
celles qui en jouissent, c'est de marcher
sans cesse en la prései,ce de Dieu, c'est de
se bien convaincre de cette vérité que Dieu
nous voit. Voilà en effet ce qui snutinl
Wiiysc dans une tcnlalion des plus délicates;
S93
DISCOURS DE RETRAITE. — HUITIEME JOUR.
394
se représentant des yeux de la foi, comme
présenta lui, ce Dieu invisible qu'il adorait,
]l ne balança point h préférer de soufTriravec
ses frères, plutôt que de jouir dans le pa-
lais de Pharaon, d'une vie heureuse et
tranquille. Voilà , malgré la corru[)lion de I
noire siècle, voilà ce qui fait marcher, di-
sons môme, voilà ce qui fait courir, voler
tant de saints de l'un et de l'autre sexe,
non-seulement dans la voie des commande-
ments du Seigneur, mais encore dans celle
(le ses conseils. Ali ! quand on est bien con-
vaincu de celle vérité, on se fait alors com-
me un oratoire au fond de son cœur, et là
on se plaîlà y voir Dieu, à !ui rendre tous les
hommages d'adoraiion, de respect de soumis-
sion el d'amour, dont onestca[)able; non-seu-
lement on s'abstient alors de tout ce qui
pourrait otTenser ce Dieu aimable et lui dé-
jilaire, mais on s'applique de plus à si bien
régler el «on intérieur et son extérieur,
qu'il n'y ait rien qui ne soit conforme à ses
désirs. On ne se borne point alors au bien
qui est de précefile, on cherche à faire lo
meilleur el le plus parfait qui n'est que de
conseil. DaTis tout ce que l'on entreprend,
bien loin de se rechercher soi-même , on
s'applique à si bien purifier ses intentions,
que tout soit fait uni(|uemenl pour la gloire
de ce Dieu qui voit loul. Dès lors plus de
goût, plus d allachemenl pour les créatures;
comme on ne voit plus que Dieu en elles,
on ne peut plus les aimer que pour Dieu et
dans Dieu; toutes les pensées de l'esprit,
tous les désirs du cœur, tous les mouve-
ments de la volonié se portent alors natu-
rellement vers Dieu ; comme le Roi-Pro-
phète, on peut prolester que dans le ciel et
sur la terre, il n'y a rien qu'on puisse dé-
sirer si ce n'est Dieu : Quid mihi est in cœlo
et a ie quid volui super lerram? [Psal.
LXXII, 25. j Comme Tajiôlre saint Paul, on
ose défier les puissances du ciel, de la terre
el (le l'enfer, de faire même oublier ce Dieu
inliniment aimable, qui occupe également
l'esprit el le cœur. Oui , celte seule pensée,
Dieu me voit, me rend loui h coupS(jumis
el docile à (oui ce que Ditu peut ordonner
ou permellie à mon égard; Dieu me voit,
et dès lors, élévation ou abaissement, ri-
rhesses ou pauvreté, eslime ou mépris,
santé ou maladie, satisfactions ou dégoûts,
consolallons ou sécheresses, croix, souffran-
ces, délaissements, persécution, crucifiement
tout m'est égal ;Dieu me voit : ah I dès lors, si
j)Our sa gloire il faut abandonner patrie,
parents, biens, amis ; s'il faut traverser de
vastes mers, courir d'une extrémité du
monde à l'aiitre , rien ne me coûtera ; la
chair et le sang ne pourront rien sur moi : eh !
qu'importe après tout où je sois placé sur
la terre, pourvu que mon Dieu soit à mes
côtés, pourvu qu'il ne me perdejamais de
vue et que moi-même j'aie toujours les
yeux fixés sur lui ? De là cette paix du cœur,
ce calme intérieur au milieu des peines et
des croix inséparables de cette vie mortel-
le. Ainsi, celle pensée de la présence de
Dieu, sujet de désespoir pour les pécheurs,
OBATCliUS SACRÉS. LW'lll.
est non-seulement pour les justes le princi-
pe de leur perfection et de leur sainteté el
parla celui de leur félicité dans l'auire vie,
mais elle devient encore, dès celle-ci la
source de leur bonheur et de leur tranquil-
"ité. Vous ne pouvez en disconvenir, vier
ges de Jésus-Christ qui m'écoulez, mai*
peut-être regardez-vous ce saint exercice
comme trop sublime et trof) difficile. Ah 1
si cela est, vous vous trompez; c'est d'une
vérité pratique que j'ai prétendu vous en-
tretenir ici ; à la vérité, il s'en trouve sur-
tout dans la religion, qui, après s'être en-
tièrement détachées des créatures et d'elles-
mêmes, ont acquise une heureuse habitu-
de de penser toujours à leur Dieu, de ne
perdre jamais leur Dieu de vue ; mais c'est
là un don particulier du ciel , une de ces
grâces extraordinaires que Dieu leur accor-
de en récompense des grands sacrifices
qu'elles lui ont faits et de la parfaite fidé-
lité qu'elles lui monlrent, mais qui n'est
point absolument essentiel à cet exercice,
il en est d'autres qui se représentent Dieu
comme une lumière qui les pénètre ou
comme une mer qui les environne, ou qui,
avec les mômes secours de l'imaginaliou
se rei)résenlenl la [)ersonno sacrée de Jésus-
Christ toujours à leur côté. Ces exercices
sont bons et louables sans doule; car de
prétendre qu'il puisse y avoir sur la terre
un élat de foi, d'adoraiion sublime, de pur
amour oiî l'âme n'admette, oii elle doive
même rejeter les objets sensibles et jusqu'à
l'adorable humanité du Dieu Sauveur; c'est
une doctrine des faux mystiques que l'Egli-
se a justement proscrite : mais si ces exerci-
ces sont bons en eux-mêmes, ils ne^sont
point cependant nécessaires , on ne doit
même en user qu'avec modération; trop d'ef-
forts d'imagination pourraient nuire égale-
ment à l'esprit et au cor{)s. En quoi donc,
l'exercice de la présence de Dieu peul-il
être facile et à la portée de tous? Le voici.
Mesdames, c'est de faire de temps en temps
des actes de foi , sur la présence de Dieu
el sur son immensité ; c'est en consé-
quence de cotte foi , de former, envers ce
Dieu présent , des actes d'adoraiion et
d'amour; c'est lorsque nous rencontrons
du beau et du parfait, dans ce monde , de
nous élever aussitôt jusqu'à notre Dieu, de
passer rapidement, comme le faisait saint
Augustin, de l'admiration des créatures à
celle du Créateur, infiniment plus beau el
plus f)arfait lui-même. C'est lorsque ce Bieu
de bonlé nous fait sentir sa présence, d'une
façon [dus marquée, par quelques bienlals
ou même par des aflliclions et par des croix,
de nous tourner aussitôt vers lui, d'adorer
el d'aimer sa |)rovidence à notre égard, de
nous mettre en sa sainte présence, dans
une disposition de cœur conforme à notre
situation et à ses désirs ; c'est enfin que, si
nos occuiialions et encore plus peut-être, la
légèreté de notre esprit, noire dissipation
naturelle ne nous permettent pas u'e nous
occuper continuellement do notre Dieu, d'y
fcnscr ou moins, de temps on temps, de
>^ 13
593
ORATEURS SACRES. L'ADRE DE xMONTlS.
396
faire plusieurs fois dnns le jour, liommage
à ce Dieu si bon, qui ne reste avec nous,
présent à nous, que pour nous conserver et
nous faire du bien ; c'est d'envier au moins
l'état de ces saints qui, libres et dégigés de
lout objet créé, passent leurs jours dans un
recueillement parfait, sans cesse occupés
de la présence de leur Dieu.
Ah ! qu'heureuses en effet, ù mon Dieu,
sont les âmes, en cette vie, qui, après avoir
tout quitté pour vous, ne voient plus que
vous, dans la sainte retraite à laquelle vous
les avez appelées I Heureuses les ûmes que
tous les objets créés ne peuvent plus dis-
traire, qui, lout occupées de vous, vivent
«lans une union parfaite et constante avec
vous ! Appelée, [)ar votre sainte gr5c ', à cet
étal de retraite, do séparation du monde,
laites également, ô mon Dieu, que je sois
du nouibi'e de ces âmes vraime)il parfaites,
vraiment saintes, afin qu'après avoir mis
comme elles tout mon bonheur sur la terre
h vous voir des yeux de la foi, par ré-
flexion et en énigme, comme le dit l'AfJÔlre
(I Cor., Xlil, 12), je puisse un jour, et pour
toujours, mettre avec elles et avec tous les
t.ainls, toute ma félicité à vous voir, dans
le ciel, face h face et tel que vous êtes en
\0us-même. Ainsi soit-il.
HUiTlEME JOUR.
Troisième discotirs.
SUR LES FKllTS DE LA RETRAITK.
Quid rclribuam Lomino, pro omnibus quas relribuil
niilii-' [Psal.. i;XV,l-2.)
Que rcndrai-je au Seigneur vour tous les biens qu'il
tit'u laili'/
Tels furent,- Mesdames, les sentiments de
David à la vue de tout ce que son Dieu
avait daigné faire pour lui; s'il fut un temps
où il parut oublier ce qu'il lui devait, en se
livrant au jiéché, en demeurant même tran-
quillement dans le malheureux état du i)é-
ché, revenu tout à coup h lui après les re-
proches que lui lit un prophète de la part
du Seigneur, pénétré de douleur et de re-
gret d'avoir tenu envers S(jn Dieu une con-
duite aussi criminellH, il s'humilia en sa
présence, il recoiuiut hautement (|u'il avait
péché et grièvement péché : l'eccoti (11 Reg ,
XU, 13), et p.ar la sincérité et la vivacité
de son repentir, il mérita d'apfirendre de la
bouche de ce môuie prophète que le Sei-
gneur , louché de la conversion de son
cœur, lui avait pardonné ses pédiés ; plein
d'admiration à la vue des grandes miséri-
cordes du Seigneur à son égard, il ne les
oublia jamais, et désira le leste de ses
jours pouvoir lui donnei' des témoignages
de la plus vive reconnaissance : Quid retri-
bunm Domino pro omnibus quœ rtlribuit
mihi?
Moins coupables à la vérité, Mesdames,
aux _veux de voire Dieu , que le Uoi-Pro-
phùle.il n'en est cependant aucune de vous
qui ne l'ait oOensé et qui n'ait à se repro-
cher, môme depuis qu'elle s'est consacrée
h lui dans le saint état de la religion bien
des iaules, grand nuubre d'inlid^'iltés , lié-
las ! peut-être mémo, comme David, aviez-
vous vécu jusqu'ici dans une es|)èce de sé-
curité, dans une aveugle tranquillité sur
-toutes ces fan les, sur tant d'infidélités. Mais
entin le Seigneur a permis qu'un de ses
ministres soit venu vous ouvrir les yeux
et vous faire connaître cl tout ce que vous
avez été et tout ce que vous devriez être,
non-seulement comme chrétiennes, comme
disciples de Jésus-Cluist, mais encore comme
épouses de ce Dieu Sauveur. Revenues à
vous-mêmes, également frappées et des im-
portantes vérités du salut et des grandes
obligations de votre état qu'on vous a ex-
posées par ordre et en détail , vous avez
compris le danger auquel , par vos infidé-
lités , vous avez exposé votre âme; tou-
chées intérieurement par la grâce, vous
av{(z pris, tout m'engage à le su[)poser
ici , vous avez pris les moyens les plus
propies pour vous réconcilier parfaitement
avec le Seigneur cl |)0ur vous conserver,
le reste de vos jours, dans la régularité,
dans la ferveur et par là dans sa giâce et
dans sonamitié, A la vuede ce nouveau bion-
fiit, de cette nouvelle grâce que vous a faite
votre Dieu, avez-vous pu et pouvez-vous
ne pas vous écrier souvent comme le Roi-
Prophète: Que rendrai-je au Seigneur pour
celle nouvelle grâce qu'il m'a faile, et que
l)oarrai-je faire pour lui en témoigner tmile
ma reconnaissance ? (?iu'(/ retribuam Domi-
no, pro omnibus quœ relribuil mihi ? C'es\,
Mesdames, pour exciter de plus en plus
dans vos cœurs ces sentiments de la plus
vive reconnaissance envers votre céleste
lipoux , et augmenter encore ces désirs
(l'attachement et de fidélité à son service
que vous avez conçus, que j'enire()rends,
dans ce discours , le dernier qui rae reste à
vous prononcer, de vous rappeler toutes les
grâces qu'il vous a faites dans ces jours
(jue vous venez de f)nsserdans le recueille-
ment et la retraite, et de vous indi(]uer, de
plus, la conduile que vous devez tenir dé-
sormais pour profiler de toutes les grâces
que vous avez reçues. En deux mots, tout
ce que votre Dieu a fait pour vous pendant
la retraite, ce sera le suji l de la première
partie de ce discours. Tout ce que vous de-
vez faire [our votre Dieu après la retraiie»
c'est le sujet de la seconde partie. Hono-
rez-moi comme à l'oidinaire, je vous t"'ie,
de toute votre a lien lion. Ave, Maria.
l'UEMlÈKE PARTIE.
A juger des choses dans les vues et selon
les régies de la foi, il n'est de vrai bien, et
vous ne devez regarder, vous surtout. Mes-
dames, couune de vrais biens, comme des
avantages réels en celte vie que ceux qui
ont rai»[)ort à votre sanctification et qui
|teuvenl par là vous conduire au ciel au-
quel vous êtes spécialement destinées. Cela
étant, je dis que la retraite vous a procuré
trois avantages considérables [)ar rap{)Or; h
votre salut, et d'autant ()lus considérables
tju'ils sont absolument contraires aux elfels
lunLSUîS ([ue produit le péché, qui seul peut
507
DISCOURS DE RETRAITE. — HUITIEME JOUR.
3i)»
uiellrc obstacle au salul. Pour bien vous en
convaincra, remarquez, je vous prie, avec
moi que le péché, pour peu qu'il subsiste
dans l'Ame d'une |)crsonne chrélieune el
ei.core plus d'une épouse de Jésus-Christ,
aveugle son esprit, qu'il (^ndurcii son cœur
el qu'il la rend par là l'ennemie de sou
Dieu ; or, je trouve que la retraite a produit
heureusement dans vous, Mesdames, trois
avantages entièrement opi)Osés h ces mal-
heureux effets du péché; car je dis qu'elle
a éclairé votre esprit , qu'elle a touché
votre cœur, et qu'eu vous engageant par \h
h purifier votre conscience, elle vous a par-
faitement réconciliées avec votre Dieu. At-
leution à tout cela, je vous prie.
1. Je dis donc que le premier effet de la
retraite, et le premier avantage qu'elle vous
a procuré, c'est d'éclaircir voire esprit :
comment cela? Le voici. En vous donnant,
par rapport au grand ouvrage de votre per-
fection et de votre salut, des connaissances
que vous n'aviez pas, et de plus, en per-
leil'onnant, sur cet important objet, les lu-
mières et les connaissances que vous aviez.
Je dis d'abord, connaissances que vous
n'aviez pas; combien, en effet, de nouvelles
lumières, cette suite de vérités les [ilus
importantes que vous avez entendues tous
ces jours et que vous avez méditées, n'a-
l-elle pas fait entrer dans votre ân)e? Que
de réQoîions, el de réilexions solides vous
avez faites, el que vous n'aviez jamais
faitesl Que de saintes vérités, les unes
effiayanles , d'autres consolantes se sont
présentées à votre esprit et s'y sont pré-
sentées pour la première fois peut-ôire,
depuis que tous vous êtes consacrées à votre
Dieu dans la religion ! Or, cette augmenta-
tion sensible de lumières, de connaissan-
ces, de vérités du salut est déjà un grand
bien pour vous; votre foi par là a pris un
nouvel accroissement el bien salutaire;
c'est présentement un grand avantage pour
vous de penser plus chrétiennement el
plus reli;Sieusemeni que vous n'aviez pensé
jusqu'ici; mais ce qui est un plus grand
avantage i)Our vous encore, c'est qu'outre
les nouvelles connaissances relatives à
votre perfection et à votre salul que vous
avez puisées dans la retraite, elle a déplus
perletlionné celles que vous aviez.
Oui, Mesdames, à la vérité, elje dois le
dire ici, je vous dois cette justice; vous
connaissez déjà vos obligations et de chré-
tiennes ei de religieuses. Après une éduca-
lioii vraiment chrétienne, puisée dans la
leiraite peut-être, et dont vous aviez heu-
reusement conservé le fruit, môme au mi-
lieu du monde; appelées dans la suite par
le Seigneur à un état plus saint el j)lus par-
lait que ie commun des chrétiens, en corrts-
pu;;ddnl aux vues, aux desseins de votre
Dieu sur vous, en suivant votre vocation;
et après l'avoir suivie, l'on vous a vues
dans le lem.ns de vos épreuves 5urtout ,
vous instruire vous-même avec soin et re-
cevoir avec docilité toutes les instructions
qu'où vous a données, sur les devoirs atta-
chés à votre vocation : m;iis avec tout cela,
vous devez en convenir ici avec moi, quelle
force, quelle étendue n'ont |)as procurées h
à toutes ces instructions chrétiennes et re-
ligieuses, les réflexions nouvelles et sui-
vies que vous avez faites pendant votre re-
traite ? Ainsi l'on vous avait bien dit que
vous deviez travailler conslanmKmt et clîi-
cacemont à l'ouvrage de votre |)erfection et
de votre salut, que c'était votre grande,
votre unique affaire, que vous n'étiez sur
la terre et dans la religion que fiour cela.
L'on vous avait bien dil qu'il fallait pour
cela éviter le péché, qu'un seul péché mor-
tel sufiisait pour vous rendre à jamais un
objet de la haine et de la colère de votre
Dieu ; que pour léviier ce péché mortel, il
fallait craindre et éviter jusqu'au péché vé-
niel, jusqu'aux fautes les [)lus légères, qui
y conduisent insensiblement; qu'il n'éiait
rien de plus affreux, que de joindre la morl
avec le péché, qu'on tombait alors entre les
mains d'un juge terrible, qui, après avoir
fait rendre un compte rigoureux de toute la
vie, condamnait une personne morte dans
le péché à des flammes éternelles ; qne l'u-
nique moyen d'éviter ces peines élernclles
et de se procurer au contraire le bonheur
des élus, c'était d'expier pendant la vie, ses
[léchés, par les travaux de la pénitence;
oui, l'on vous avait bien dit tout cela ; vous
le saviez cent et cent fois, vous l'aviez en-
tendu dire , et vous vous l'étiez dil autant
de fois à vous-mêmes : mais vous le saviez
en général, et de la pointe de l'esprit, si je
puis m'ex[)rimer ainsi.
Mais dans ces jours que vous venez de
passer dans la retraite, en méditant sérieu-
sement sur toutes ces grandes vérités, que
de pensées nouvelles vous sont venues !
Que do réflexions solides vous avez faites
el que vous n'aviez jamais faites 1 Que do
conséquences ira|)ortanles vous avez ti-
rées el relatives à volr(! état , et auxquel-
les vous n'aviez jamais pensé! Ainsi sur
votre salut, vous avez appris à juger, el
mieux que jamais de son excellence et de
sa nécessité, et par le cas que Dieu lui-mê-
me en a fait, par loulcequ'il a opéré, pour
vous le procurer, et par les maux affreux et
inévitables que vous vous procureriez en le
négligeant. Ainsi sur le })éché, vous avez
vu et vous avez compris clairement que ce
n'est passeulemenl celui qui donne la mort
à I âme, qui est funeste à la religieuse, mais
encore le péché véniel, par l'injure qu'elle
fait à son Dieu el les uails d'ingratitude
dont elle se rend coupable à son égard, par
les grands biens dont elle se prive, et par
les grands maux qu'elle se procure,jusqu'à
se mettre, en s'y livrant, en danger de sa
réprobation; sur la mort dans le péché,
vous avez compris l'état de douleur et do
désesi)0ir dans lequel se trouve une épouse
de Jésus-Christ, qui meurt dans la haine
de son céleste Époux, et par la vue des pé-
chésqu'ellea commis, el des grâces dont
elle a abusé, et par l'aljandon général des
créatures, cl oar l'étal affreux où elle va
599
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
400
se trouver: sur le jugement dernier, vous
vous ôles transportées en esprit au tribunal
du souverain Juge, vous avez réfléGlii mû-
rement sur le compte torriblo qu'il y fera
rendre un jour h une épouse intidèle, et do
tout le mal qu'elle aura fait, et de lout le
bien qu'elle n'aura pas fait ou qu'elle aura
mal fait ; vous n'avez pu qu'être elfrayées
de la sentence également terrible, juste et
irrévocable qu'il portera contre elle en la
prétipitant dans l'enfer; sur cet enfer,
(juelssenlimenis et quel elfroi n'a pas excités
dans votre cœur, la jjcnsée des maux terri-
bles que fait souffrir à une âme religieuse,
un feu vengeur, instruiuent de la justice et
de la colère de son Dieu, et la pensée sur-
tout de la perte et de la perle élernelle de
ce Dieu, qui devait iaire lout son bonheur
dans l'élernilé? Sur la pénitence, vousavez
compris et mieux que jamais, combien elle
vous élait iiécessaire, pour obtenir le pardon
de vos péchés pour les expier et pour les
évitera l'avenir; mais qu'il fallait pour cela
qu'elle fut sincère celle pénitence, constan-
te, universelle. Voilà, Mesdames, les gran-
des et sérieuses réflexions, ijuc vous a fait
faire votre relraile sur ces vérités imporlau-
tesdu salut, qui vous sont couimunes avec
le reste des chréliens : mais elle vous a pro-
curé ce mêmn avantage encore sur les vé-
rités et les obligations qui vous sont parli-
culièreset jiropres à votre sainl état. A la
rérilé , dejiuis que vous avez le bonheur
d'être dans la religion, bien des fois, vous
aviez entendu dire et vous vous éliez dit à
vous-mêmes, que vous n'y étiez enlrées
que pour observer la règle et les constilu-
lions de l'institut que vous avez embrassé ;
que vous deviez surtout observer vos vœux,
avec la |ilus scru[)uleuse attention, et vous
acquitter avec exaclilude de tous vos exer-
cices, et surtout de l'oraison et de l'oilice
divin; que tout ctjiisqu'à vos récréations
tendait à vous sanctitier;^ qu'il fallait sur-
tout éviter l'élal de liédeur toujours funeste
à une âme religieuse; qu'un des grands
moyens de vous conserver dans la régula-
rilé, dans la ferveur, c'é a)t de vous tenir
dans le recueillement, en observant le si-
lence i de vous Iaire une habitude de la pré-
sence du Ditu, mais surtout, de vous rendie
attentives et dociles aux inspirations de la
grâce; d'exciter sans cesse votre cœur à l'a-
u)Our de votie Dieu, et de [lenser souvent
aux biens du ciel; de vous encourager à la
persévérance, par rcs[)oir des récompenses
éternelles. Voila ce que vous saviez encore,
ce que vous n'avez [)U même ignorer, de-
puis que vous êtes dans la religion.
AJais dans la relraile, que de nouvelles
lumières vous sont connues, en méditant
sur toutes ces vérités, et eu rélléchissant
sur ces devoirs, ces observances, ces prati-
(ju(;5 attachées à votre saint état 1 Que do
nouvelles connaissances vous avez acquises,
ft qui vous ont également surprises, instrui-
tes et consolées! Ainsi sur l'observance
de votre règle el de vos con>titulions vous
avez couJi>ris tlairemeul, que c'était un
moyen suret nécessaire de satisfaire vos su-
périeurs, d'édifier vos sœurs, et de travailler
avec fruit <^ voire sanctification ; mais qu'il
fallail, pour cela, les observer ces règles, et
sans réserve, et sans délai et sans interrup-
tion. Quant à vos vœux, sur celui de l'obéis-
sance, vous vous êtes convaincues qu'il
élait, dans votre saint état, un moyen de sa-
lut tout à la fois et le })lus sûr et le [)lus
consolant, mais que pour éprouver ces bons
etfels, votre obéissance devait être prompte,
universelle, aveugle et conslante. Sur la
pauvreté, vous avez vu qu'elle était pour
vous une source do gloire et de bonheur
tout ensen)ble, pour celte vie et pour l'au
Ire; mais que |iour cela, elle devait être in-
térieure, partir du fond de votre cœur; et
universelle, en ne tenant et en ne vous at-
tachant à rien. Sur l'oraison, vous avez dé-
couvert'avec [ilaisir les grands avantages
qu'elle vous procure, en vous faisant con-
naître vos devoirs, et en vous les faisant ac-
complir avec autant de facilité que de con-
solation; mais qu'il fallait, peur les gnûler,
ces grands avantages, un vrai recueilleaient
dans res[)ril, une grande pureté dans le
cœur el une parfaite docilité dans la vo-
lonté. Sur l'oflice divin, vous n'avez j)as eu
de peine h vous convaincre qu'étant une
prière, et une (irière adressée directement à
votre Dieu, el au nom de l'Eglise, que vous
lui adressez aussi fréquemment, il élait,
soit avant de le réciter, soit en le récitant,
soit ajirès l'avoir récité, des dis[)Osition3
saintes que vous ne deviez nullement négli-
ger. Sur vos délassements môme, sur vos
réc.réalions , vous avez vu qu'élmt pour
vous un exercice ordonné par vos consiilu-
lions, qui d'ailleurs se répèle souvent, el
un exercice de plus, très-dangereux en lui-
même, vous deviez |)0ur vous en acquitter
saintement y ap{)orler lout à la fois un es-
[irit de recueillement, d'humililé el de cha-
nté. Sur la tiédeur, vous avez appris à
craindre et à vous [(réserver d'un état des
plus funestes à une é{)ouse de Jésus-Christ,
puisqu'il |)roduit dans elle le malheureux
elfei de l'éloigner de son Dieu et d'éloigner
son Dieu d'elle, jusqu'à la conduire à uno
perle éternelle. Sur le silence vous avez
jugé qu'il était imi'orlatit pour vous, de l'ob-
server, et pour obéir à vos constitutions, et
pour édifier vos sœurs, et pour vous avancer
vous-mêmes dans la voie de la [)erfection,
mais (pi'alin qu'il eût en vous ces bons ef-
iets, vous deviez l'observer, et avec ()urelé
d'inieniion, et bvcc persévérance, el avec
une sainte prudence. Sur la [irésence de
Dieu, vous avtiz dû concevoir un grand
aurait pour ce saint exercice, après vous
être bien convaincues qu'il est un moyeu
des [ilus ellicaces , tout à la fois, jiour
vous préserver du péché , et pour vous
faire pratiquer la vertu. Sur l'amour de
Dieu, en voyant combien il est aimabU;
en lui-même , el condjien il vous a ai-
mées; en méditant ainsi sur ses perfections
el sur ses bienfails, et surtout sur les im-
menses el singulieis bienfails dont il vous
401
DISCOURS DE RETRAITE. — HUITIEME JOUR.
402
a combliVs jusqu'ici, avez-vous pu ne pas
exciter votre cœur h un amour appréciatif,
qui vous le fît préférer à tout, et effectif,
qui vous fit accomplir constamment tou-
tes ses volonlés. Sur le bonlieur du ciel,
quL'ls ardents désirs n'a pas excité dans vous,
Ja pensée qu'un Dieu , en se donnant h
vous, vous rendra un jour, souverainement
heureuses, et par les connaissances subli-
mes qu'il communiquera à votre esprit, et
par la joie pure et éternelle dont il pénétrera
V'ire cœur. Encore une fois, Mesiiames,
sur toutes ces grandes vérités du christia-
nisme, vous devez en convenir ici, et sur
les devoirs les plus essentiels de votre saint
étal, le Seigneur vous a donné, ces jours
ci, une infinité de lumières et de connais-
sances toutes nouvelles pour vous, bii^n
propres ti vous taire concevoir plus claire-
ment que jamais les engagements sacrés
que vous avez contractés avec lui, et comme
cinéliennes et comme religieuses : voilà
donc le premier effet qu'a produit, dans
vous, la retraite, et le premier avantage
que vous en avez retiré, votre esprit éc'airé,
parfailement instruit sur tout ce qu'il est
important que vous saciiiez, pour bien ser-
vir voire Dieu, et pour travailler elficace-
nienl à votre salut : mais elle a de plus, cette
retraite, touché votre cœur, second effet et
second avantage plus considérable encore.
11. Car ce n'est pas, Mesdames, f)récisé-
ment de croire qui fait le vrai chrétien, la
vraie religieuse aux yeux de Dieu; la foi,
h la vérité, est absolument nécessaire pour
cela, mais elle ne suflit pas. Combien do
personnes, dans la religion qui, ayant reçu
comme vous une éducation vraiment chré-
tienne, n'ont point perdu les principes de
foi qu'on s'élait appliqué à inculquer dans
leur esprit; elles croient, mais elles s'en
tiennent 15 malheureusement. Hélas! la foi
se trouve môme dans l'enfer; les réprou-
vés, les démons eux-mêmes croient les
vérités de notre sainte religion, ils croient
et ils tremblent, dit l'apôtre saint Jacques :
Credunt et contremiscunt. (Jac, II, 19.) Co
n'est donc point assez d'avoir la religion
dans l'espril, il faut de plus l'avoir dans lu
cœur, parce que c'est la cœur qui la fait
mettre en pratique. Or, voilà ce qu'a pro-
duit voire retraite; non-seulement la grâce
qui l'a accompagnée, a éclairé votre esprit,
mais elle a de plus touché sensiblement
votre cœur. Eh! cela pouvait-il n'être pas,
Inrsijue vous avez réfléchi sérieusement sur
tout ce que ce Dieu de bonté a fait pour
vous attirer à lui et pour vous sauver; sur
toutes CCS grâces dont il vous a comblées,
Cràces générales qui vous sont communes
avec le reste des cliréiiens, mais surtout,
grâces particulières qui vous regardent per-
sonnellement; lorsque vous avez rétléchi
sur cette prédilection toute gratuite, [lar la-
quelle il vous a tirées de tous les dangers
du monde, et vous a placées dans la leli-
gion et mises au rang de ses épouses, par
jirélérence à une intinilé d'autres qui
eussent beaucouji mieux iirofité de ces gran-
des grâces que vous peut-être; lorsque
vous avez réflécdi sur celle patience à vous
souffrir avec les mauvaises dispositions de
votre cœur, à attendre votre retour toutes
les fois (]ue vous avez paru vous éloigner
de lui, tandis qu'il a exercé ses jugements
et ses vengeances sur une infinité d'autres
de ses épouses moins coupables à ses
yeux que vous? En réflécliissant ainsi sur
celte bonté toute spéciale, sur cette miséri-
corde infinie do votre Dieu à voire égard,
sur tant de grâces, tant de secours, sur
tant de bienfaits dont il vous a comblées,
et dont il ne cesse de vous combler, votre
cœur a-l-il pu n'être pas louché et attendri
jiisipi'aux larmes? Oui sans doute, il l'a
été, et plus d'une fois, je dois l'augurer de
la bonté de vos cœurs ; de là dans vous,
en effet, ces sentiments de reconnaissance
et d'amour. Ah! condjien de fois, dans ces
saints jours, ne vous êtes-vous pas dit à
vous-mêmes : E!i! qu'ai-je fait à mon
Dieu, pour qu'il ait agi envers moi avec
tant de bonlé? Non, jamais elles ne sor-
tiront do ma mémoire; volontiers comme
le Rùi-Prophèle : Je chanterai à jamais ses
miséricordes infinies à mon égard : « Miseri-
cordias Domini in ceterniim cantabo. {Psal. »
LXXXVIU , 2.) Ah ! pourrais-je un seul
instant ne pas aimer un Dieu infiniment ai-
mable en lui-même, mais de plus, infini-
ment bon pour moi, qui, depuis que j'existe,
n'a cessé de me donner des témo'giages
sensibles do son amour? De là ces résolu-
tions saintes, ces promesses réitéré s de le
servir le reste de vos jours avec une par-
faite et constante fidélité ; d'entrer, pour
cola dans toutes ses vues, de correspondre
à_ tous ses desseins sur vous, et surtout
d'éviter avec soin tout ce qui lourrait lui
déplaire et 1 offenser ; de là ces projets de
réforme, ces bons propos de vivre désor-
mais dans votre saint élat, avec une plus
grande régularité que par le passé, do rem-
plir fidèlement tous les devoirs et jusqu'aux
plus petites, aux plus légères observances:
projets, résolutions, promesses (pii n'ont
point été l'effet de quelques moments d'une
lerveur sensible et passagère, mais qui ont
été le fruit de vos profondes méditations, et
que vous avez renouvelés souvent et avec
consolation même, pendant votre retraite.
Ah I vous avez fail plus encore; j'ai lieu de le
présumer du moins : [lour vous convaincre
vous-mêmes de la sincérité de vos senli-
nienls et de vos |)roniesses j)Our ne les ja-
mais oublier, et pour pouvoir plus sûre-
ment les mettre en praliiiue, vous les avez.
tracées do votre propre main sur le pafjier,
afin dans des temjts d'ennui, de dégoût, de
lenlations qu'éprouvent quelquefois même
les âmes les plus saintes, de pouvoir vous
les représenter à vous-mêmes, et en les
lisant, devons animer, de vous encourager
à la [lersévérance. De 15 enfin, cet em-
[iressemeiil, ces démarches pour (jurifier
entièrement votre cœur, pour vous ré-
concilier parfailement avec votre Dieu;
lioisièmc cUet de votre retraite, et Iroi-
403
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
iU
sièrae avantnge qu'elle vous a procuré.
m. C'est quel(}ue chose à la vérité, d'a-
voir rendu son esprit vraiment chrétien,
vraiment relij^ieux, des'êlrebien convaincu,
et des grandes vérités du christianisme, et
des devoiis essentiels de son étal: c'est
J)eaucoup plus encore, si ces vérités ont
fait une vive impression sur le ((eiir, jus-
qu'à le toucher et à lui faire produire des
sentiments, des désirs, des résolutions
d'une réforme absolue et générale: tout
cela est Irès-avanlageux sans doute; mais
cependant tout cela ne suffît pas pour opé-
rer le salut. Il y a longtemps qu'on l'a dit,
et je vous l'ai déjà dit moi-même, Mes-
dames, l'enfor est rempli de bons désirs:
Combien de personnes religieuses actuelle-
ment dans ce lieu de tourments qui, tandis
qu'elles étaient sur la terre, touchées dans
'Je cerlains moments par la grâce, et plu-
sieurs après une retraite sont rentrées en
elles-mêmes, ont reconnu leurs égaremen'.s,
se sont proposé d'en sortir, ont faitsurcela
de belles promesses au Seigneur, mais qui
malheureusement s'en sont tenues à des pro-
messes, et qui, pour n"avoir pas corres-
pondu à la grâce lorstpi'elle lesappelait,sont
mortes selon la prédiction de Jésus-Clirist,
dans leur péclié 1 Grâces en soient rendues
à l'infinie miséricorde de mon Dieu 1 L'on
no peut point vous reprocher, Mesdames,
et vous n'avez point à vous re[)roclier, j'ai
même la plus grande confiance que jamais
vous n'auiez à vous reprocher de pareilles
infidélités. Si [lendant votre retraite vous
avez entendu la voix du Seigneur, i)ien loin
d'endurcir vos cœurs par des résistances à
sa grâce, vous vous êtes fait un devoir et
une consolation u;ême d'y correspondre.
Touchées et confuses d'avoir été jusqu'ici
si peu fidèles à voire Dieu, vous ne vous
fîtes point bornées a des désirs, à des ré-
solutions, à des promesses; vous avez mis
à l'inslant, pour ainsi dire, la main à l'oeu-
vre pour iravailler effîcacement à votre ré-
forme, à voire sanctification; vous avez
inontré le plus grand empressement à pu-
rifier votre conscience de tout ce qu'il pou-
vait y avoir de désagréable aux yeux de
votre céleste Epoux ; vous ne vous êtes pas
môme bornées pour cela à une déclaration
ordinaire de vos fautes; dans la crainte de
n'avoir pas toujours apjiorté au sacrement
de pénJlence toutes les dispositions néces-
saires pour en bien profiler; dans la vue de
réparer tous les défauts qui auraient pu se
trouver dans vos autres confessions, vous
avez cru devoir revenir sur ces confessions,
l'aire une revue plus détaillée et qui ))ût
vous tranquillisera l'avenir; ou si l'homme
de Dieu auquel vous avez confié le soin de
votre âme n'a pas jugé à propos de vous
permettre sur cela J'entrer dans un grand
détail, quel soin du moins vous avez pris
et (|uello jnéitaratiou vous avez apportée
l'Our approcher du «■acremect de pénilencel
Quelle alleiilion à bien sonder voire cœur!
U'ielle application à vous exciter à une vraie
eJouleui', à une sincère componction, à un
ferme propos de ne pius offenser volro
Dieu ! Quel contentement aussi, quelle con-
solation vous avez ressentie lorsque le mi-
nistre de Jésus-Clirist a prononcé sur vous
les paroles de la réconciliation I Ah 1 il
vous a semblé dans ce moment que jamais
le pécliô n'entrerait dans voire cœur, que
vous choisiriez plutôt mille fois la mort que
de vous exi)Oser à le commettre. C'est dans
ces saintes dispositions que vous avez reçu
voire Dieu dans la communion ; c'est la
dernière grâce qu'il vous a faite, grâce qui
a mis pour ainsi dire le comble à toutes les
aulres, et que vous avez regardée comme
un gage autlienlique de son amour pour
vous, et de votre amour pour lui. Voilà
donc. Mesdames, les giands avantages que
vous avez trouvés dans volro retraite;
voire esprit a été éclairé, votre cœur a été
touché, votre conscience a été jturifiée;
vous éies devenues et plus que jamais les
amies et les vraies épouses de votre Dieu;
quels grands biens, quels fruits f)lus con-
sidérables," plus importants pouviez-vous
retirer, vous qui après avoir renoncé géné-
reusement et pour toujours à tous les biens
et à tous les avantages de la terre, avez
déclaré solennellement que vous preniez et
que vous vouliez avoir uniquement votre
Dieu pour voire partage dans le temps
comuie dans l'éternité ? Mais j)our protiler
de ces grands avantages, pour conserver
ces fruils {irécieux que vous avez recueillis
dans la retraite, que faut-il faire? C'est le
sujet de la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Plus les grâces que nous avons reçues du
Seigneur sont considérables en elles-mêmes
et propres à nous attacher à lui, plus aussi,
Mesdames, nous nous rendrions coupables
u'ingratitude A ses yeux si jamais il nous
arrivait de les oublier ou d'en abuser. Hé-
las 1 combien de |)ersonnes cependant, et
dans tous les étais, qui après avoir éprouvé
et quelquefois d'une façon la plus sensible,
les bontés et les miséricordes du Seigneur,
se montrent dans la suite peu fidèles à leurs
promesses, aux engagements qu'elles avaient
contractés avec luil Que de personnes, que
d'épouses même de Jésus-Christ pleurent
actuellement, gémissent dans l'enfer et s'y
désespèrent, pour avoir rendu inutiles les
grâces que le Seigneur leur avait faites
cJans une retraitel L'es|)rit éclairé, convain-
cu, et des grandes vérités de la religion, et
des grandes obligations de leur état, le
cœur louché, pénétré et des bontés infinies
du Seigneur, et de leurs infidélités, de leur
ingraliludeà son égard, elles n'avaient rien
Omis pour se réconcilier avec lui, [tour re-
couvrer ses faveurs et son amitié. Kien nn
liarut plus saint, plus édifiant que leurs dis-
positions, dans leur retraite et que leur
conduite, afjrès en êlre sorties : mais fauto
de [trécautious, de vigilance, que ces dispo
sitions saintes ont peu duré! Elles pleurent,
elles géiijissent ces vierges infidèles; elles
pleureront, elles gémiront, elles se déscs*
403
DlSCOl'RS DE RtTRAlTt. — HUITIEME JOUR.
4oa
pèleront pendant l'élernilé, mais inulilo-
inenl, sur leur peu de persévérance. C'est,
Âlesdames, pour vous faire éviter celle in-
constance dans le service de votre Dieu si
jiréjudiciable à la perfection cl au salut;
c'est pour vous préserver des maux atlVeux
qu'attire après lui ce défaut de persévé-
rance, que je crois devoir terminer ces ins-
tructions par vous proposer des moyens
jtropres à vous faire persévérer dans les
dispositions saintes dans lesquelles j'ai la
Consolation de vous voir. Or tous ces
moyens, je les réduits à quatre, mais
que je regarde comme essentiels ; les
voici. C't^st en premier lieu de vous rappe-
ler souvent les grandes vérités que vous
avez méditées pendant la retraite. C'est en
second lieu d'exécuter avec lidélité les réso-
iiitions saintes que vous y avez prises.
C'est en troisième lieu de vous délier beau-
coup (le vous-mêmes, de vos propres foices.
C'est en quatrième lieu de fréquenter, mais
de fiéquenter saintement les sacrements :
quatre moyens de persévérance que je
crois si sûrs, que si vous éliez bien lidèles
à les employer, j'oserais moi, vous promet-
tre que vous serez le reste de vos jours
toutes à votre Dieu : qualro moyens dont
chacun demanderait pour être bien traité
un discours entier ; j'espère cependant,
sans abuser de votre patience, en dire assez
pour vous fciire prendre devant Dieu la ré-
solution de les mettre lidèlement et cons-
tamment en pratique.
1. Je dis d'abord qu'il faut vous rappeler,
et souvent, les grandes vérités méditées
dans la retraite. Mesdames, c'est la dissi-
j)alion de l'espril, je v(ms l'ai dit, qui cause
pour l'o.-dinaire le dérèglement du cœur;
quand on perd de vue les vérités de la reli-
gion, insensiblement la foi diminue et s'é-
teint entin, et quand il n'y a j)lus de foi, il
n"y a presque plus de ressource au salut.
Pourquoi voit-on, non-seulement dans le
monde, mais encore dans le saint élat de la
religion, des personnes qui, aprèj avoir re-
noncé à tout et quel(]uelois à tout ce qu'il
y avait de plus flatteur, de [)lus avantageux
dans le monde, pour se donner entièrement
à Dieu, pourquoi les voii-on vivre dans
l'outdi de leur salut et dans une négligence
tiabitueile des devoirs de leur samt élal?
Pourquoi les voil-on si rarement rentrer en
elles-uiêmes, et se convertir? Pourciuoi
meurent-elles toutes, ou (iresque toutes
tomme elles ont vécu? Ab! c'est qu'elles ne
réfléchissent jaiuais sur tout ce qui pourrait
les ra|.f)eler à leur Dieu et à elles-jiômes ;
cesl que si quelques occasions, quelques
événements les furcent, [lOiir auisi due, à
des réflexions sérieuses, e.les les éloignent
avec soin, elles emploient toute espèce do
moyens j.our se distraire et pour chasser
de leur esprit des pensées qu'elles jugent
importunes et lro[» sérieuses, et (lui seraient
bien propres cependaiil à changer leur
tueur et h le convertir. Il est donc bien im-
porluntpour vous, Mesdames, si vous vou-
lez vous 50ulen:r dans la régularité dans la
pratique des devoirs de votre <5tat, de rap-
peler souvent à votre esprit les grandes vé-
rités que vous avez méditées pendant votre
retraite, et celles surtout qui ont fait le plus
d'impression sur vous; cela vous esl d'au-
tant I lus nécessaire, a|)rès les bons senti-
ments que vous avez conçus, dans ces jours
de grâce et de salut, et ajirès les rés'du-
tions saintes que vous avez prises, que le
démon redoublera ses elforts pour vous les
faire oublier, et pour vous replonger dans
le relâchement et la tiédeur. N'allez pas
croire, au reste, que ces pensées, ces ré-
flexions saintes auxquelles vous vous
livrerez, vous causent de l'ennui, et niel-
lent de la tristesse dans votre esprit. Héhis I
vous l'avez entendu dire peut-être, c'est du
moins ce que disent ces personnesdu mon-
de livrées à une dissipation excessive et
habituelle, et qui prétendent par là s'auto-
riser dans une manière de vivre que leur
conscience leur reproche souvent, qu'elles
aiment et qu'elles ne veulent pas changer.
Mais .vous le savez, Mesdames, vous l'avez
déjà éprouvé, et il ne tient qu'à vous de
l'éprouver encore, on n'est jamais plus en
paix, on ne goûte jamais une joie plus
pure, plus solide, que lorsque le coeur ab.-
horre véritablement le péché, et qu'il esta
Dieu et tout à Dit^. Or voilà l'heureux clïiit
qu'a produit et que produira toujours la
{leiisée de la moit, des jugements de Dieu,
des peines de l'enfer et de toutes les véri-
tés im|)ortantes du salut ; voilà ce (m'ont
toujours éprouvé et ce qu'éprouveront tou-
jours ces personnes vraiment religieuses
qui les ont sans cesse dans l'esprit , ces
grandes vérités, qui les méditent, et qui,
chaque jour, travaillent à s'en convaincre;
qui en conséquence de celle conviction so
livrent, dans quelques instituts surtout, à
de grandes et de continuelles austérités.
Demandez-leur quel ellel produisunl dans
elles ces méditations fréquentes des ventés
les plus terribles de la religion ; voyez-les
seulement, suivez-les dans les dillérenls
exercices quilesoccupeîit, et à cet extérieur
de tranquillité, de sérénité, je dirais à cetto
joie môme qui se manifeste si sensiblement
au dehors, vous jugerez aisément de laiiaix
et du conlentement de leur cœur. La pre-
mière condition nécessaire pour rendre
persévéïants les fruits de voire retraite,
c'est donc de rappeler souvent à votre es-
{uit, les vérités du salut et de perlectioi»
que vous y avez méditées ; mais une autre
aussi essentielle, c'est de vous rendre lidè-
les aux résolutions que vous avez prises, et
aux promesses que vous avez faites à votre
Dieu.
il. A la vérité. Mesdames, et c'est une
justice queje dois vous rendre, et que jo
vuus rends ici avec pluisir, vous avez mon-
tré pendant toute celte retraite, la plus
grande exactitude à vus exercices, et de
plus, de lre;-grandes dispositions à corres-
pondre aux inspirations de la grâce; té-
moins les unes les autres, de votre régula-
rilé et de vos saintes dispoiilions, vuus vous
i07
ORATEURS SACHES L'ABBE DE MONTIS.
êles réciproqueraenl édifii^es, consolées et '
encouragées et ça été pour moi-même, qui
n'ai pu l'ignorer, un sujet fie la plus sensible
consolation; plus d'une fois j'ai béni et re-
mercié le Seigneur de tout ce qu'il a fait dans
vous par sa grâce. Eh 1 pouvais-je concevoir
d'aiilres sentiments? Il m'est témoin que je
désire votre salutavec aulant d'ardeur que je
désire le iiiien propre ; mais ce que je lui ai
demandé surtout etce que je necesserai de
lui demander |)0ur vous, c'est de vous con-
server dans ces heureuses et saiules dispo-
sitions, et [)Our cela, de vous rendre fidèles
à vos résolutions et à vos promessss; car
je dois vous on prévenir ici, vous ne serez
pas toujours dans celle firveur sensible que
vous avez éprouvée peul-être, et qui vous a
soulenues dans le coûts de votre retraite;
vous vous trouverez dons quelque temps, et
bientôt peut-être, exposées à de nouveaux
pièges de l'ennemi de votre salut, vous se^
rez tentées d'ennui, de dégoût, d'abandon-
ner un genre de vie tout de contrainte, de
pénitence, de mort à vous-mêmes. C'est
alors, Mesdames, que vous devez vous rap-
peler les résolutions saintes que vous avez
prises, pendant voire retraite; il sera l)ien
important pour vous de recourir alors à la
lecture de ces éciils, pleins des [)ieuses
réflexions que vous avez faites, et des ré-
solutions saintes que vous avez prises;
vous vous deri andercz alors dans quelles
dispositions étciil votre Aaie, [lendaiit ces
jours heureux que vous avez passés dans
la solitude, et pour quelles raisons vous
avez écril vous-mêmes ces réflexions
et ces lésolulions. Vous vous deman-
derez encore si ces raisons ne subsis-
tent plus, si vous n'avez pas toujours le
mêmeDieu à servir, les mêmes engagements
à remplir, le même enfer à éviter, le même
ciel à conquérir, la môme âme à perfection-
ner et à sauver. De pareilles rctïexions
vous rappelleront à vous-mêmes; elles vous
porteront à résister courageusement à toute
tentation et à remplir, avec fidélité, les pro-
messes que vous avez faites et renouve-
lées, de tout voire cœur, à votreDieu. Mais
cela ne suffit point encore, Mesdames : en
vain voire cœur serait sincèrement disposé
à accomplir vos résolutions et promesses ;
tout cela j'ose le dire, vous deviendrait inu-
tile, sans une vertu encore; c'est la dé-
liance de vous-mêmes.
m. Oui, Mesdames, dans les sentiments,
et avec les saintes dispositons dans les-
quelles vous avez le bonheur d'être présen-
tement, il vous semble que c'en est fait,
■que vous avez embrassé, |>our le reste de
jvos jours, la pratique de la perfection; la
conduite des religieuses tiècles et impar-
faites vous paraît si déraisonnable, si in-
sensée, que vous êles bien résolues de ne
vous y conformer jamais; que vous ne pou-
vez môme comprendre comment une per-
sonne consacrée à son Dieu, dans le saint
t'tal de la religion, peut s'y livrer : mais,
pudgré toute l'équité et la sincérité de ces
iPPUincnls, il tsl une autre vérité, qu'il
408
est important que vous sachiez, et que je
ne dois pas vous dissimuler ici, c'est qu'une
religieuse, une é[)Ouse de Jésus-Christ,
quoiqu'à l'abri, dans son élal, de bien des
tentations auxquelles sonl'exposés les chré-
tiens du monde , n'est pas cependant
exemple de toute tentation; c'est que, jus-
que dans son saint état, elle trouve des
obstacles à son salut, soit au dehors, soit
au dedans d'elle-même, et souvent de très-
grands obstacles ; c'«st que comme enfant
d'Adam , elle sent sans cesse au dedans
d'elle-même une loi de péché qui s'oppose
à la loi de vertu et de sainteté qu'elle a em-
brassée ; qu'elle sent une pente, une incli-
nation naturelle pour la liberté et pour la
satisfaire; c'est que, malgré les grands, les
puissants secours qu'elle trouve dans son
élal, pour résister aux tentations et pour
combattre ses inclinations naturelles et dé-
pravées, elle peut succomber et se rendre
infidèle h son Dieu; c'est qu'avec tous ces
secours, })Iusieurs épouses de Jésus-Christ
succombent en eifet, se rendent inlidèles h
leur céleste Epoux, vivent et meurent dans
leur infidélité. Or le vrai moyen , Mes-
dames, d'éviter tous ces pièges, de résister
constamment aux tenlalions des ennemis de
votre salut, de vous rendre fidèles aux réso-
lutions saintes que vous venez de prendre,
c'est de vous craindre vous-mêmes, de vouj
défier beaucoup de vous-mêmes, c'est d'être
bien convaincues de votre propre faiblesse,
de voire {)iopre fragilité, que vous avez
tant de fois éprouvée, malgré toutes les
promesses que vous aviez faites à votre
Dieu; celle crainte, celle défiance de vous-
mêmes, vous portera à élever souvent vo-
tre esprit et votre cœur vers le ciel, à re-
courir sans cesse à votre céleste Epoux,
|)ar la prière, à le conjurer d'achever sou
œuvre en vous, de vous soutenir par sa
grâce. C'est celte défiance de vous-mêmes,
qui, dans la vue d'obtenir des secours abon-
dants de votre Dieu, vous tiendra fidèles
à tous vos devoirs, à toutes vos observan-
ces et surtout à fréquenter saintement lei
sacrements : quatrième et dernière disfio-
sition nécessaire pour conserver les fruits
de la retraite.
ly. Prenez garde, s'il vous plaît. Mes-
dames, je dis saintement; je n'ignore point
que, dans voire saint éiâf, vous les fré-
quentez ces sacrements; chaque semaine,
et [)lus d'une fois même dans la semaine,
l'on vous voit déposer vos péchés aux
pieds d un prêtre, puis vous présenter à la
table sainte; mais je snis aussi que, sur
cet objet important, on peut se conduire,
sans presque s'en apercevoir, par routine,
[lar bubilude, ou par quelque^ autre motif
purement naturel. Combien, en effet, même
dans le saint étal de la religion, se fami-
liarisent trop avec les sacrements et les
reçoivent sans fruit 1 Combien qui, depuis
bien des années peut-être, se confessent
souvent et communient de même sans se
corriger d'aucun défaut, sans acquérir au
cune vertu, sans faire un pas par consé-
409
DiSCOLRS DE RETRAITE. — HUITIEME JOUR.
4iC
quenl dans la voie de la perfeclion 1 Ainsi,
Mesdames , je ne saurai» Irop vous exhorlcr
h continuer de vous confesser et de com-
munier souvent; mnllieur à moi si j'enlre-
[irunais de vous détourner d'une pratique
si conforme à l'esprit cl aux intentions de
Jéïus-Christ et de son Eglise, et des plus
propres à vous perfectionner, à vous sanc-
tifier I mais ce que je désire et à quoi je ne
jniis trop vous exhorter, et ce que je re-
garde comme un des mo\-ens des [)ius effi-
caces, pour vous maintenir dans les saintes
dispositionsdans lesquelles vousavez le bon-
heur d'être, pour rendre elficaces les réso-
lutions sainies que vous avez prises dans
votre retraite, c'est d'apporter toujours,
dans la réception des sacrements toutes les
dispositions qui dépendent de vous, c'est de
vous présenter toujours au sacré tribunal,
avec cet esprit d'humilité, de douleur, de
componction qui seul peut vous assurer le
pardon de vos fautes, et vous procurer une
parfaite réconciliation avec votre Dieu ; c'est
île recevoir toujours Yolrecéleste Epoux, dans
la communion, avec des sentiments de reli-
gion,d'anéantissement, de reconnaissance et
d'amour, qui seuls peuvent vous procurerces
grâces abondantes etconsolantesqu'il se plaît
à prodiguer quelquefois, dans ce sacrement,
aux âmes bien disjiosées; c'est en un mot, de
faire toujours ces deux actions avec auiant
d'attention et de pré|)aralicn, que si vous
les faisiez pour la dernière fois. Voilà, j'ose le
dire ici, Mesdames, les moyens les plus pro-
pres à vous faire persévérer dans la grâce,
et dans une exacte tidélilé à tous vos de-
voirs, et aux résolutions saintes que vous
venez de prendre, dans ces jours de grâce
fct de salut. Mais si malgré ces résolutions
que vous avez prises, et ces promesses que
vous avez faites et réitérées plus d'une fois à
votre Dieu, si n)algré les bons sentiments
clces dispositionsde piété, de sainteté dans
lesquelles vous êtes présentement, vous ve-
ciezà manquerdetidélité.s'il vousarrivaitde
tomber dans quelque faute, quelque griève
qu'elle pût être, ne vous découragez pas;
relevez-vous i)romptement, ne lardez pas
à purifier votre âme dans les eaux salutaires
de la [lénitence. Nous avons un Dieu plein de
bonté et de miséricorde, qui n'ignore pas
de quel limon il nous a formés; il connaît
nuire fragilité, noire faiblesse; il est tou-
jours prêt à nous rendre son amiiié, à nous
pardonner, dès que nous lui témoignons une
vraiedouleur, un repentir sincère. Mais sans
tomber dans des fautes considéral)les, si
vous vous trouviez tentées dans la suite,
d'ennui et de dégoût, soyez courageuses à
les surmonter : pensez alors comme l'A-
[lôtre, que si de vous-môn-es, vous ne pou-
vez rien, dans l'ordre de votre salut, vous
pouvez loul dans votre Dieu et avec votre
Dieu, qui vous aide et qui vous soutient par
sa grâce ; rappelez-vous alors les pensées de
l'iéié, les sentiments de ferveur que vous
avez eus dans votre retraite; pensez aux
bons dés.rs que vous y avez conçus, aux
résolutions saintes que vous y avez formées.
Pensez alors h tout ce que vous voudrez avoir
fait, lorsque vous vous trouverez à vos der-
niers moments, prêles à terminer votre car-
rière, et surtout lorsque vous vous trouverez
au tribunal, et aux pieds de votre céleste
Epoux, devenu alors votre examina leur et vo-
trejuge,pourIui rendreuncomple exact et ri-
goureux de toutes les pensées de volreesprit,
de tous les senlimenls,de toutes les affections
de voire cœur, de toutes les actions de votre
vie, et pour l'entendre décider de voire sort
éternel. Lorsque vous éprouverez quelque
peine au service de votre Dieu, que vous
aurez des efforts et des sacrifices à faire,
des répugnances à surmonter, ah 1 pensez
alors que, dès celte vie même, vous serez
abondamment récompensées de la violence
que vous vous ferez et des victoires que
vous remporterez sur vous, par le calme de
la bonne conscience, par la paix du cœur,
le [)lus grand bien, l'unique bien même so-
lide et réel que vous puissiez vous procu-
rer en celte vie; mais pensez surtout aux
grandes, aux immenses récompenses que
vous vous procurerez et qui vous attendent
dans l'autre ; pensez que le ciel, que la pos-
session éternelle de votre Dieu dans le sé-
jour de sa gloire, méritent bien que vous
souffriez quelques instants sur la terre et
que, comme vous le dit l'apôtre saint Paul,
quelques moments de peines et de tribula-
tions auxquelles vous aurez été exposées
vous procureront un poids injmense et inex-
primable d'une gloire et d'un bonheur qui
ne finiront jamais.
Fasse le ciel qu'il en soit ainsi! je l'es-
père. Mesdames; j'ai la plus grande con-
fiance que ces saints exercices que vous
venez de faire avec autant de fruit pour
vous que d'édification et de consolation
pour moi, influeront sur le reste de vos
jours; que jamais vous n'oublierez et les
grâces que le Seigneur vous y a faites, et
les promesses que vous y avez faites vous-
mêmes au Seigneur.
Oui, mon Dieu, je l'espère aujourd'hui
et je me complais dans cette consolante es-
pérance; vous savez que l'unique motif
qui m'a porté à entretenir ces vierges, vos
épouses, et des grandes vérités de notre
sainte religion et des devoirs les plus im-
[)ortants de leur saint état, a été de les dé-
tacher plus que jamais des créatures et
d'elles-mêmes et de les attacher irrévoca-
blement à voire service; vous les avez vues
tous les jours attentives aux instructions ,
aux leçons de salut et de perfeclion que
voire ruinislre, quelqu'indigne qu'il solide
cet honorable titre, leur a données de votre
part ; vous les avez vues dociles aux inspi-
rations de votre grâce, résolues de vous
plaire en tout désormais et de ne plaire
qu'à vous. Daignez, ô mon Dieu, achever votre
ouvrage ; continuez de jeter des regards de
bonté et de miséricorde sur ces cœurs qui
vous appartiennent à tant de titres ; con-
servez-les dans les sentiments de piété, de
ferveur et d'amour qui les animent au-
jourd'hui; soulcnez-lcs pai' votre H^âce au
41)
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MOMIS.
412
milieu des écueils et coiilre (ouïes les alla-
que-s des ennemis do leur perfection et de
leur salut; faites qu'elles ne pertlent jamais
de vue les enjiageiuenls solennels et sacrés
qu'elles ont contractés avec vous ; que toute
leur vie elles mettent leur attention, leur
plaisir même et leur consolation à remplir
exactement tous leurs devoirs, a vous servir
et à vous plaire, alin qu'après avoir acquis
à vos yeux, le mérite et le litre de vos fi-
dèles é|)ouses dans le temps, elles reçoi-
vent toutes un jour, et moi avec elles, vos
récompenses dans l'élernité. Ainsi soil-il.
ANALYSE DES DISCOURS.
LA VEILLE DE LA RETRAITE.
SUR LA RETRAITE.
Tout le temps que le Seigneur nous ac-
corde doit être employé à noire salut; mais
le plus propre à y travailler avec succès, ebl
celui d'une retraite.
Premier point. — Les motifs qui doivent
eni^a^er une religieuse à faire la retraite.
I. Elle lui est nécessaire si elle est dans
l'état du péché. Après avoir passé ses pre-
mières années de religion dans la régularité
et la ferveur, elle n'a oublié dans la suite
son Dieu et son salut, que parce qu'elle a
cessé de se recueillir el de méditer. Or la
retraite la fait rentrer en elle-même: elle
lui fait connaître de nouveau sa lin dernière,
ses obligations comme chrétienne et comme
religieuse; sa foi se rallume sur les grandes
vérités de la religion. Pénétrée alors de dou-
leur sur le lassé, elle forme de bons propos
pour l'avenir : que de saints dans le ciel,
que de justes encore sur la terre doivent
leur conversion à ces saints exctrcices 1
II. La retraite est nécessaire à la religieuse
qui est en état de grâce. Quoique juste, elle
a des défauts à corriger, des passions à ré-
primer; elle a des confessions el des com-
munions lièdes, imparfaites à réparer; elle
a de puissants ennemis à couiballre, le dé-
mon, le monde et sa propre chair. Or la re-
traite, 1° éclaire son es{irit en lui faisant
connaître ses faib'esses, ses imperfections
el ses fautes; 2" elle écliauffe sa volonté,
elle oxcile dans son cœur une horreur du
péché et de tout péché, de vifs regiet.s sur
le f)assé, des désirs ardents de se corriger à
l'avenir et de se perfectionner; 3" elle met
parla son âme dans une paix qu'elle ne
goûtait point lorsqu'elle était infidèle et peu
fervente.
Second point. — Lesdis positions néces-
saires à une religieuse pour bien faire la
retraite.
L Disposilions intérieures: 1° désir bien
sincère d'en profiter, fondé sur l'estime
qu'elle doit en avoir, la regardant comme
un temps très-précieux f)ropre à purifier el
à sanctifier son cœur ; 2" docilité parfaite,
qui la rende attentive aux inspirations de
la grâce el bien disposée à y corresfjondre;
3" grand courage pour entreprendre tout
ce que son Dieu lui demandera jioursa ré-
forme et sa perfection ; sans cela, il n'y au-
rait dans elle ni vrai désir, ni vraie doci-
lité.
II. Oispositions extérieures : 1° exacti-
tude \ tous les exercices; malgré les tenta-
tions d'ennui et de dégoût que le démon lui
suggérera ; 2° un grand recueillement ; sans
celle disposition , toutes les dispositions
Seraient inutiles; garder pour cela un pro-
fond silence, fermer les yeux et les oreilles
à tout ce qui pourrait distraire.
Conclusion. Combien de retraites j*ai fai-
les jusqu'ici sans en profiler 1
Résolutions, i" De m'appliquera bien faire
celle-ci; 2" do me mettre pour cela dans les
disposilions intérieures et extérieures que
je viens de méditer; 3' de me rendre sur-
tout attentive et docile aux ius()iralions de
la grâce.
PREMIER JOUR.
PREMIER DISCOURS. — Sur le salut.
Le salut «st l'unique affaire qui doive
nous occup'îr sérieusement ; ce()endant c'est
la plus négligée, non-seulement par les
ctirétiens du siècle, mais même quelquefois
par les personnes religieuses.
Premier POINT. — Le salut est l'affaire la
plus im[)orlanle.
I. Considérée par rapport à Dieu. C'esl
pour nous sauver (|u'il nous a tous tirés du
néant; c'est pour celle fin qu'il s'est choisi
un peuple |)urticulier dans l'ancienne loi;
que dans la nouvelle, il a envoyé sur la
terre son propre Fils; c'est pour celte fin que
ce Dieu Sauveur a vécu dans la pauvreté et
dans les soulfrances, et qu'il est mort dans
les tourments el sur pne croix; qu'il a fon-
dé son Eglise; qu'il y a établi des pontifes
et des docteurs qui ont le pouvoir do re-
mettre les péchés ; qu'il a institué des sa-
crements qui nous communiquent la griko
sancliliante. Admirez la bouté infinie de
notre Dieu.
II. Le salut est l'affaire la |)Ius impor-
tante, considérée par rap()Ort à nous. C'est
une affaire, 1° personnelle, qui regarde di-
reclemenl notre âme, à laquelle nous de-
vons travailler nous-:nèmes el non par d'au-
tres ; 2" indispensable, les autres regardent
lo temps et jieuvent être négligées : de
celle-ci dépend notre éternité; 3° très-pres-
sée : nous n'avons, pour y travailler, quo
415
ANALYSr: DES DISCOURS.
PRKMIEII JOUR
4U
le Icmps de noire vie, toujours court et
incertain; 'i-'' irrc'-parable : houreusement
terminée, je jouirai Je mon Pieu (^aiis l'éter-
nité; une fois manquée, je gémirai <5ternel-
lemenl lie sa perle dans les llammes de
l'enfer. Que sert présenlemont aux réprou-
vés d'avoir joui, sur la Icrre, des biens du
monde?
Second point. — L'afT.iire du salut est la
plus diflicile. Quoique Dieu veuille nous
sauver tous, nous pouvons tous nous per-
dre; une inlinilé et dans tous les étais, se
perdent en effet.
I. Le salut est très-difTicile à une reli-
gieuse, considéré par rapport à Dieu. Il lui
impose, pour cela, de grandes obligations :
1* générales, communes à tous les chré-
tiens; ses préceptes et ceux de son Eglise.
Il faul k's accomplirnécessairemcnl; il n'est
qu'une impossibilité réelle qui puisse en
dispenser... 11 faul les accomplir universel-
lomcnl ; un seul transgressé rend criminel
à ses yeux... Il faut les accomplir constam-
ment; ce n'est qu'à la persévérance que le
salut est allaclié. 2° Obligations particuliè-
res à une religieuse : Elle doil accomjdir
les conseils de l'Evangile, devenus des pré-
ceptes i)0ur elle. Elle doil encore plus (|ue
les ciirétiens du siècle, imiter eu tout Jésus-
Christ, pratiquer et aimer comme lui, l'iiu-
mililé, la pauvreté, -la morliOcalion et les
croix. 3' Obligations [)arliculières à son
inslitui; elle doit se remplir de son esprit
et le suivre en toute sa conduite.
II. Le salut est Irès-iiilliriie, considéré
par rapport à la religieuse. Elle a de puis-
sants ennemis à comballre : le démon, d'au-
tant plus acharné à sa perle, qu'il la voit
idus appliquée à son salut : le inonde, qui,
malgré sa séparation d'avec lui, vient la
trouver dans sa solitude et lui débiter ses
pernicieuses maximes : elle-même, toujours
bien plus portée ou mal qu'au bien. Que de
tentations elle éprouve et de toute espèce 1
Que de vigilance par conséquent à avoir 1
Que de violence à se faire!
Conclusion. Que de reproches j'ai à me
faire! Combien j'ai négligé mon salut jus-
qu'ici !
Résolutions : 1° de penser souvent à une
heureuse ou malheureuse éternité qui m'at-
tend ; 2° de ne rien négliger pour éviter
celle-ci et pour me procuTor celle-là; 3° d.'c-
viter, sur ce grand objet et la pusillanimité
et lu présomption, me confiant en mon Dieu,
qui veut sincèrement me sauver.
PREMIER JOUR. .
SECOSD DISCOURS. — Sur l'office divin.
C'est une obligation pour tous les chré-
tiens d'adresser à Dieu, pour tous leurs be-
soins, des vœux et des prières. Elle esl plus
étroite pour les minisires do Jésus-Christ
et pour toutes les personnes religieuses
obligées, comme eux par l'Eglise, à réciter
l'ofilce divin. •
l'nKMiER poi.vT. — Les motifs qui doivent
engager une religieuse à bien réciter l'of-
tice divin,
I. C'est une prière adressée, non à un
souverain de la terre, mais à Dieu, le maî-
tre et le souverain de tous les rois de l'uni-
vers. Offices dos mysières de Jésus-ChrisI,
de ceux de la très-sainte Vierge, des anges
et des saints : Tout se rapporte à Dieu ;
c'est faire, en partie, ce que font les anges
et les saints dans le ciel ; quoi de |»Ius ho-
norable !
II. C'est une prière publique faite par
ordre de l'Eglise et en son nom. Elle enjoint
à ia religieuse, comme à ses ministres, do
rendre à Dieu le culte qui lui est dû, de le
prier pour la conversion des infidèles, des
hérétiques et des pécheurs, pour la persé-
vérance des justes, pour la délivrance des
âmes du purgatoire, jiourles fondateurs et
les bieidaiti.'urs de son ordre en particulier
et de sa communaulé; enfin, pour toutes
ses sœurs et pour ell< -inéme. Elle se trouve
par là comme associée au saint ministère.
III. C'est une prière fré(|uente qui se ré-
pète tous les jouis et plusieurs fuis le jour.
Que de fautvs mulli()liées, par conséc^uent,
si elle s'en acquille mal ! Que de grâces, au
contraire, que de secours elle se procure, si
elle le remplit, comme elle le doit ! Quoi de
plus édifiant (lu'une troupe de vierges qui
chantent ovec recueiliemenl et piété, les
louanges du Seigneur! Mais aussi quel
scandale, lorsqu'elles paraissent les chanter
avec précipilatioD et indévotion!
Second point. — Les dispositions avec
lesquelles une religieuse doit réciter l'ol-
fice divin.
I. Dispositions avant /'o/'/icc, 1° Recueillir
son esprit. C'est la |)lus nécessaire; penser
qu'elle va parler à Dieu, l'adorer et le prier.
Eloigner tout sujet <le dislraclion. Il faut
{'our cela un recueillement non ()assager et
pour le moment, mais habituel. 2° Purifier
son cœur. Comment oserait-elle paraîtra
devant Dieu et espérer d'en être écoulée, si
elle se trouvait coupable de péché grief ou
môme d'affection au péché véniel? Elle doit
donc lui présenter un cœur pur, innocent,
contrit de toutes ses fautes et déterminé à
n'en commettre aucune. 3" Diriger son in-
tention ; ne pas s'en acquitter |)ar coutume,
par respect humain, mais pour adorer Dieu
et solliciter ses grûces; renonçant à toute
distraction, implorant dévotement son se-
cours en disant : Deus, in adjuloriuin,
II. Dispositions pendant l'oflicc divin.
1° Altenlion. Le réciter avec des distrac-
tions volontaires, ce n'est pas satisfaire au
I)réce|)te; c'est otienser Dieu, bien loin de
le prier. Elle doit l'appli |uer, sinon au sens
des paroles, si elle ne les entend pas, mais à
Dieu (jui en esl l'objet et la lin; 2° dévo-
tion. C'est son cœur surtout qui doil prier ;
il doil être, pour cela, rempli de l'amour de
Dieu,; 3° exactitude. Par rapport au lieu, le
réciter au chœur ei en commun, comme sa
règle l'ordonne. S'en dispenser sans raison,
c'est une faute et un scandale. . . Par rap-
port au temps, (juitler tout, dès que la clo-
che appelle à l'oirice. Il y a une grâce atia-
chée à celte ionclualité... Par rapport au
415
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MOÎNTIS.
116
(•hanf, se dispenser de chanter, sans raison,
c'est n'êlre au ciiœur que de corps , et ne
pas remplir son devoir.
III. Dispositions après l'office. 1° Remer-
cier Dieu d'avoir permis à une pauvre pé-
cheresse de lui rendre hommage et de chan-
ter ses louanges ; 2° réfléchir un instant sur
ses fautes et ses distractions, pendant l'of-
fice; 3° en demander pardon au Seigneur, et
promettre [)lus d'attention h l'avenir.
Conclusion. Quelle idée ai-jo eue jusqu'ici
de l'office divin , et comment m'en suis-je
acquittée?
Itéiolulions. VDe penser souvent h l'excel-
lence età la sainteté de cet exercice; 2° de ne
mabsenler jamais du chœur, sans une vraie
nécessité; 3° d'y assister toujours avec un re-
cueillement iniérieur et extérieur tout en-
semble, qui fjuisse [ilaire à Dieu et édifier
mes sœurs.
PREMIER JOUR.
TROISIÈME uiscouus. — Sur la mort d'une
religieuse dans le péché.
Combien de chrétiens dans le monde, môme
d'épouses de Jésus-Christ dans la religion,
éprouvent celte terrible prédiction qu'il fit
aux Juifs, qu'ils mourraient dans leur péché!
Phemier POINT. — Première réflexion qui
commence l'état de douleur et de regrets
d'une mauvaise religieuse à la mort : la vue
du pa5sé. Sa foi qui avait paru éteinte de-
puis longtemps se rallume alors, et lui fait
voir clairement tout ce que son Dieu a fait
pour la sauver, et tout ce qu'elle a fait pour
se periJre. 1° Vue de ses péchés. Mais com-
n)cnl? elle les voit tous. Péchés contre Dieu,
contre le prochain et contre elle- même ;
péchés propres et péchés d'autrui, aucun
n'échoppe à sa mémoire. Elle les voit tous
ensemble. Ils se réunissent dans sa mé-
moire pourl'accabler... Elle les voit sans in-
terru[)tion; elle ne peut plus comme autrefois
en détourner la vue et se distraire... Elle
les voit avec toute leur malice. Elle ne peut
les diminuer, les excuser comme lorsqu'il
lui plaisaient. Le démon, pour la plonger
dans le désespoir, grossit môme à ses yeux
les fautes les plus légères. Quel état [)Our
une épouse de Jésus-Christ.
2" La vue de toutes les grâces qu'elle a
reçues de son Dieu; grâces générales et
communes; grâces particulières et do |)ré-
(lik'Ction, toutes se présentent à sa mé-
moire; elle voit l'abus qu'elle en a fait, elle
voit qu'il lui était facile d'y correspondre,
de vaincre avec elles toutes les teiilalions ;
en vain demande-l-elle 5 Dieu un peu de
temps pour se convertir; ce temps lui est
refusé.
Second point. — Seconde réflexion, qui
met le comble à la douleur et aux regrets
d'une mauvaise religieuse : la vue de l'a-
venir. Tant qu'elle est dans la voie, elle a
toujours des grâces suffisantes pour se con-
vertir; mais au lieu d'y travailler, elle s'oc-
cu()e de pensées désespérantes.
I. La pensée des créatures qu'elle est
forcée d'abandonner. 1" Abandon de son
corps qu'elle a livré à la sensualité, au lieu
de le mortifier. 2° Abandon de son état, de
ses emplois auxquels elle s'est attachée par
des motifs tout naturels, pour sa satisfaction
[larticulière. 3° Abandon des personnes
qu'elle a aimées d'un amour désordonné, et
plus que son céleste Epoux.
IL La pensée de l'état funeste oij elle va
se trouver. 1° Un jugement terrible à subir :
son céleste Epoux qui va devenir son Juge,
mais un juge infiniment éclairé, à qui rien
n'échappera de toute sa vie et qui discutera
tout... Tout-Puissanf, aucjuel rien ne peut
résister... Infiniment é(|uitable, disposé à
tout punir comme à tout récom|)cnser...
Inexorable, qui ne se laissera plus toucher
de miséricorde.
III. La pensée de la sentence qu'elle va
subir. Destinée par son Dieu à une ()lace
élevée dans le ciel, elle voit qu'elle va être
jirécipilée dans l'enfer avec les démons et
les réprouvés. Et cela fiour toujours; la vue
de cette éternité surtout, la réduit au plus
grand désespoir. Sur quelques signes de
religion et de repentir, elle reçoit les der-
niers sacrements; elle expire enfin, et tan-
dis qu'on fait des prières pour elle, le Sei-
gneur la cite h son tribunal, la juge et la
condamne au feu éternel. Quel fond de
réflexions, surtout pour une religieuse in-
fidèle à ses devoirs.
Conclusion. Mourrai-je sainte ou réprou-
vée? question que je puis résoudre moi-
même. Comment vivé-je? Telle est la vie,
telle est la mort, dit saint Augustin.
Résolutions. 1° De penser de temps en
temps à la différence de la mort d'une reli-
gieuse fervente, ou d'une infidèle; 2 de me
tiansjiorter souvent en esprit, au lit de la
mort, et de me demander ce que je voudrais
avoir fait alors; 3 de demander tous les
jours, au Seigneur, de mourir de la mort
des justes.
SECOND JOUR.
PREMIER DISCOURS. — Sut le péché vénlet.
Tout chrétien , et encore plus une reli-
gieuse, ne peut travailler efficacement à son
salut, si elle n'évite non -seulement le pé-
ché mortel, mais encore le véniel.
Premier point. — Le péché véniel est
très-injurieux à Dieu. La religieuse qui le
commet, surtout facilement, se rend cou-
pable.
1. De mépris envers son Dieu. Il l'a créée
uniquement pour lui ; il l'a mise pour cette
fin dans l'état de la religion; il lui a pres-
crit tout ce qu'elle devait faji-e pour lui
|)laire ; elle le sait : ce|)endant, iJans mille
occasions elle ne craint point do lui, déso-
béir; elle sait qu'il a une 0(i|)osilion si
essentielle avec le péché, que quand il s'a-
girait de tirer toutes les âmes du |)urgutoire
et celles de l'enfer même, il ne serait pas
l)ermis de commettre le plus léger. Cepen-
dant elle le commet sans scru{)ule; quel
mépris 1
11 D'ingratitude envers son Dieu. Qu'elle
se rrqipelle les bienfaits qu'elle en a reçu?.
417
ANALYSK DES DISCOURS. - DEUXIEME JOUR.
418
ceux surloni qui lui sont pnrliculiors ; sa
vociition à l'élal reliyicMix, par priîféroricc
à une infinilo li'aulres; les ol»slacIes qu'il a
levés, pour l'y faire entrer; les grâces dont
il l'a con)l)l('ie depuis : pour toute recoriuais-
sance, il lui diTuamie de lui ôtrc fidèK', en
évitant loule espèce de péché; cependant
elle en coinniel facilenieni, sous prétexte
qu'ils ne sont |)as mortels, et les mulliplie;
esi-ce là lui témoigner sa reconnaissance et
son amour?
Second poI^•T. — Le péché véniel est (rès-
préjudiciajjle à la religieuse qui le commet.
I. Il la prive des grâces du ciel, sinon dos
générales, du moins des spéciales et de
prédilection. Il refroidit le cœur de Dieu à
son ég.ird ; comme il réconifiense un acte
de fidélité par une nouvelle grâce, il punit
aussi un acte d'infidélité par une soustrac-
tion de grâce. Elle met donc, par là, ohsiacle
à l'ouvrage de sa perfection; de là des re-
mords continuel?, la perle de la paix inté-
rieure dont jouit la religieuse fidèle et
fervente.
II. Le péché véniel la conduit insensible-
ment au mortel. Ce n'est point, à la vérité,
sou intention; mais 1" elle se trompe dans
le jugement qu'elle porte de ses péchés.
2' Le mépris des petites choses conduit à de
grandes chutes ; le Saint-Esprit l'a prédit, et
l'expérience le confirme. 3° Les péchés vé-
niels multipliés affaiblissent peu à [leu la
charité qui s'éteint enfin entièrement. Com-
bien, par là, d'âmes infidèles se croient
justes, et qui ne le sont [ilus !
IIL Le f)éché véniel la conduit h l'impé-
iiitence finale. Une religieuse actuellement
dans l'enler, si on pouvait l'interroger, di-
rait que c'est sa facilité à commeitre le
péché véniel qui, |)eu à peu, l'a conduite au
mortel; qu'elle s'est accoutumée, par là, à
résister à la grâce, et jusqu'à la mort; une
personne jiiongée dans de criminelles habi-
tudes, touchée tout à coup, revient quel-
quefois plus aisément à Dieu, que celle
qui, par des fautes vénielles, est tombée
enfin dans le péché mortel.
Conclusion. Ai-je jamais regardé le pectié
véniel aussi injurieux à Dieu et aussi fu-
neste à l'âme qu'il l'est en eU'et.
Résolutions. 1° D'éviter avec soin jus-
qu'aux fautes les plus légères. 2° De m'exa-
ujiner scrupuleusement sur cela et de m'en
confesser avec une vraie douleur. 3" De
penser souvent combien la facilité à com-
nieilre les fautes vénielles est opposée à l'é-
lal de perfection que j'ai vouée à mon Dieu.
SECOxND JOUR.
SECOND DISCOURS. — Sur l'observation de la
règle et des constitutions.
C'est Dieu qui destine aux dilférenls
étuis. Les personnes qu'il relire de la con-
t.igiun du luonde en les appelant h l'état re-
ligieux, sont les plus heureuses; mais pour
cela elles doivent observer fidèlement leur
règle et leurs cunslilulions.
Pkeuieh puint. — Pourquoi une religieuse
doit-elle observer sa règle et ses conslilu-
tiofis?
1. Pour la consoialion de ses supérieurs;
non qu'elle ne doive avoir en vue que de
leur plaire, ce serait hypocrisie; mais aussi
les persomies supérieures étant établies
pour maintenir la régularité, une religieuse
qui n'est pas fidèle à sa règle leur désobéit,
et à Dieu par conséquent dont elles tien-
nent la [)lace; lesp'aintes qu'elles lui font
ne peuvent être que très-préjudiciables à
une religieuse infidèle.
il. Pour l'édification de ses sœurs. Tous
les chrétiens en général sont obligés de
s'édifier ; à plus forte raison les personnes
religieuses, parce qu'elles sont plus occu-
pées que les chrétiens du nsonde du service
de Dieu.... Parce que leurs obligaliotissont
d'une plus grande étendue... Parce que leurs
fautes peuveut moins se cacher que dans le
monde... Parce que des fautes légères, qui
ne scandaliseraient pas dans le monde,
scandalisent dans la religion.
III. Pour sa propre sanctification. Dans
tous les états, pour se sauver, il faut en
a(;comj>lir les devoirs .. A la vérité, on ne
pèche pas en manquant à la règle et aux
constitutions... Mais 1° Tous les casuisies
couvienneut, d'après saint Thomas, qu'en
y manquant il y a presque toujours mépris
de la règle ou scandale, et péiché par con-
séquent. 2° On n'a jamais vu une religieuse
se sanctifier en transgressant la règle elles
constitutions qui lui ont été données comme
le plus grand moyen de sanctification.
Second poikt. — Comment une religieuse
doi t-e 1 1 (; obser v er sa règle et ses consli lu lions?
I. Entièrement et sans réserve. C'est à cet
accomplissement total que sa sanctification
est attachée. Quand elle se livreraii à toute
autre œuvre, quelque sainte qu'elle parût,
elle irait contre la volonté de Dieu. Mal-
heur à celle qui distingue ce qu'il y a d'im-
poitant d'avec ce qui ne l'est, pasi II n^ a
rien de petit dans la religion. Il y a des
grâces attachées aux plus légères pratiques.
Ainsi pensent et agissent les saintes reli-
gieuses. Excuse qu'on allègue souvent.
1" Son em[)loi ; mais que d'observances
omises et compatibles avec l'emploi 1 2°
La coutume. Mais si elle est un abus, quel-
que ancienne qu'elle soit, il faut la réfor-
mer. 3° La permission de sa supérieure.
Mais elle n'est f)0inlau-dessus de la règle;
si elle dispense sans raison, elle pèche et
celle qui se sert de la dispense.
II. Prompteraent et sans délai. Au pre-
mier signal, il faut tout quitter, c'est Dieu
qui appelle. Il y a une grâce attachée à cette
ponclualilé, c'est pour cela que le démon
lente de (lilîérer. C'est ce qui priva les
vierges folles de la compagnie de l'Epoux.
III. Constainment et sans interruption.
On monlre de l'exactiiude dans les pre-
mières années de religion, puis on se
relâche. Il en est de môme, après
une retraite ou une grande fête. Celte
inconstance prouve que ce n'est pas Dieu
(ju'on cherche. Une ferme constance du-
4i9
ORATEURS SACRES. L'ABDE DE MONTIS.
420
mande da cournge; il faut se faire violence;
mais elle est nécessaire pour ravir le ciel....
Il faut ne pas regarder l'avenir, tentation
du démon pour décourager, mais ne pen-
ser qu'au moment présent. Quelle dilîé-
rence, à la mort, entre une religieuse
qui a toujours été fidèle à sa règle, et celle
qui ne l'a été que par caprice, i)ar intervalle I
Conclusion. Que j'ai de reprociies à me
faire sur ce qui regarde ma règle et mes
constitutions! Que d'infractions! que de
négligences!
Résolutions. 1° De penser souvent que je
ne puis être heureuse dans l'autre vie, ni
aaême dans celle-ci, que par une fidélilé
entière etconslanteà It «observer; 2° de pro-
mettre tous les malins, h nio:i céleste Epoux,
cette fidélilé pour toute la journée; 3° de
me confesser exactement des moindres
négligences dont je me trouverai coupable.
SECOND JOUR.
TROISIÈME DiscocRS. — Sw Ic jugement dernier .
Nous redoutons tous la mort, surtout à
cause du terrible jugement qui doit la sui-
vre. C'est ce qui fait trembler les pécheurs
dans leurs derniers momt-nts, et encore plus
une mauvaise religieuse.
Premier point. — La sagesse de Dieu ma-
nifestée aujugement dernier par l'exameu
qu'il fera dé la mauvaise religieuse.
I. Il l'examinera 1° sur le mal qu'elle aura
fait, sur tous les péchésqu'elle aura commis.
Péchés de l'esprit, péchés du cœur, péchés de
paroles, péchés d'actions, péchés propres,
péchés d'auîrui; le Seigneur lui montrera
tous ces péchés dans un instant avec toute
leur diirormilé. Il les montrera de plus à tous
les hommes assemblés. Quelle confusion
pour elle ! 2° Sur le bien qu'elle n'aura pas
fait et qu'elle aurait dû faire. Omission de
ses devoirs, de sa règle, do ses constitu-
tions; négligences dans ses emplois; abus
de ses talents, des lumières de son esprit,
des qualités de son cœur, de tous les dons
de la nature et de la grâce. 3" Sur le bien
qu'elle aura mal lait. Celui qu'elle aura lait
dans l'état du péché, rejelé étant sans mérite.
Celui qu'elle aura fait en état de grâce, mais
]iar des motifs naturels, également rejeté.
II. Le Seigneur la convaincra de tout le
mal qu'il trouvera dans elle. 1° Par sa reli-
gion, lui montrant une conlradiclion entre
sa foi et sa conduite ; entre ses vœux de
baptême et de religion et ses œuvres. 2° Par
sa raison. Que de fautes commises contre
ses lumières, contre sa conscience dont ol e
étoulfait les remords ! 3" En réfutant toutes
les excuses qu'elle pourra alléguer pour sa
justification, il la forcera par là de s'avouer
indigne de toute miséricorde.
Second point. La justice de Dieu niani-
fesiée au jugement dernier par la sentence
qu'il portera contre la mauvaise religieuse.
\. Sentence extrêmement redoutable. Pe*
sez chaque parole. Retirez-vous de moi,
maudits. ( A/a//A.,XXV,41.) Un Dieu parlera
ainsi à son épouse qu'il avait destinée à
être éternellement heureuse avec lui. Allez
au feu; feu dont elle avait paru douter peut-
être, avec les impies du siècle, pour y souf-
frir tous les tourments dont son âmo et son
corjiS seront susceptibles ; ^fernc/, pour y
demeurer autant de temps qu'il sera son
Dieu et qu'elle sera son ennemie.
il. Sentence infinimeni équitable. En ap-
pellera-l-elleà sajustice? mais il l'en avait
menacée de cette sentence... Mais dans le
doute, elle devait prendre le plus sftr... Mais
si elle lui eût éié fidèle, elle eût reçu une
récompense éternelle... Mais si toute l'éter-
nité, il l'eût laissée sur la terre, elle n'eût
cessé de l'olfenser. En appellera-t-elle à sa
boulé? Mais il lui rappellera tout ce qu'il a
fait pour la sauver; tous ces bienfaits géné-
raux et particuliers dont il l'a comblée et
auxquels elle n'a répondu que par la plus
énorme ingratitude.
III. Semence absolument irrévocable ; par
la raison mêmeciu'elle sera infinimeni équi-
table, ce sera d'ailleurs un juge infiniment
éclairé, incapable de se tromper... Un juge
suprême qui ne reconnaît aucun être au-des-
sus de lui ; un juge désintéressé que tous les
trésors de l'univers ne pourront corrompre ;
un juge irriré qui ne se laissera plus loucher
de compassion ; un juge absolu sans égards ni
prédilection... Celte religieuse sera donc
sans ressource alors. A qui aurait-elle re-
cours? A la sainte Vierge? Elle en a né-
gligé le culte; elle l'a méprisé et raillé
peut-être, dans les aulres... A son ange
gardien? Elle en a, sans cesse, rejeté les
inspirations... Aux bienheureux du ciel?
Uniquement occu})és de la gloire du Sei-
gneur, ils le solliciteront de la venger, dans
cette épouse infidèle. Ainsi sans espérance,
au 'nioinenl qu'elle verra tous les justes en-
trer dans le ciel avec Jésus-Christ, elle se
verra piéci|»itée avec tous les réfirouvés
dans l'enfer.
Conclusion. Je crois à ce jugement re-
doutable; m'y suis-jebien préparée jusqu à
présent?
Résolutions. 1° De m'examiner souvent
moi-même et exactement, surtout, pour mo
confesser. 2" De travailler à expier mes pé-
chés, par un accomplissement fidèle des
devoirs el des observances de mon état.
3° De me transporter de temps en temps,
en esprit, au tribunal du souverain Juge,
et de méditer la sentence qu'il portera con-
tre les réj)rouvés
TROISIÈME JOUR.
premier discours. — Sur l'exercice de ta
pénitence.
Il y a une infinité de pécheurs dans lo-
monde; très-peu se livrent à la pénitence :
ils la renvoient au cloîlre. Plusieurs, dans
la religion, ou s'en dispensent ou la font
sans fruit.
Premier point. — Les motifs qui doivent
eng.iger une religieuse à faire i)éni:ence.
Outre les litres de fille d'Adam, de chré-
tienne et de religieuse qui l'y obligent.
l. La pénitence lui est nécessaire, pour
obtenir le pardon de ses péchés. En péchant,
sn
ANALYSE DKS DISCOURS. — TROISIKMK JOIR.
422
elle n oulragi^ son Dion ; elle ne peut snvoir
jibsolunieiil s'il lui a par.innm^. Le ii)oy(Mi
(le se rassuicr sur cel?), c'e^l 'le faire p<^-
nilciice, parce cpie Dieu proiiiel, dans les
divines Ecriluros, le pardon à la pénilence ;
aussi l'Eglise n'a jamais réconcilié les pé-
cheurs, sans leur enjoindre quelque j)éni-
ten(;e.
H. La pénilence lui est nécessaire, pour
expier ses péchés. Quand elle serait sûre
d'en avoirobtenu le pardon ; oiilre la coulpe,
il reste toujours la |ieino, que d'éternelle
Dieu a bien voulu changer en temporelle,
et qu'elle doit subir, ou dans celle vie ou
dans le purgatoire, donl les peines sonl in-
fniiinenl plus rigoureuses c|ue tout ce qu'elle
peut soullrir en ce monde.
111. La pénitence lui est nécessaire, [tour
ne plus retomber dans ses |)écliés. Pour n'y
plus retomber, elle a besoin de grAces, el
d'au'ant plus Ibries, qu'elle a plus ()éciié :
or ces grâces l'ortes, Dieu ne les donne
qu'aux personnes vraiment converlies, (^ui
se livrent à la [)énilence. il est d'expérience,
qu'il n'y a que celles-là qui persévèrent ; les
autres sont des rechutes continuelles.
Second roi.\T. — Les dispositions dans les
quelles une religieuse doit faire pénitence.
I. Sa pénileiice doit être pure dans sun
motif. N'avoird'autre inleiiliun que d'apai-
ser la colère de Dieu et de satislaire à sa
justice : en voilà l'esprit ; t.aus cet esprit on
peut se livrer aux rigueurs même de la pé-
nitence par orgueil pour paraître i)énitent ,
ou pour un temps, dans la vue d'obtenir
une I romfite absolution ; ou par coutume,
pour faire comme les autres ; ou pour se dé-
livrer de quelque mal temporel , comme
Antiochus.
II. Universelle dans son objet. Tout ce
qui est dans elle et liors d'elle lui a servi à
otlenser Dieu , tout doit donc être employé
à sa (léiiitence Son cor[)s qui du tem|)le
du Saint-KsjMil est devenu par le péché la
demeure de Satan, elle doit le livrer aux
jeûnes tl aux macéiations... Mais la péni-
tence intérieure, celle du cœur, est néces-
saire surtout; elle doit donc combattre ses
passions, la dominante surtout; elle doit
renoncer h tout attachement terrestre, à
toute dissipation et Oisiveté, è une vie com-
mode et sensuelle ; elle doit s'appliquera
réformer entièrement son cœur et accepter
en espiit de pénitence toutes les croix que
le Seigneur lui envoie.
ilL Loiisiaiite dans son exercice. Un seul
péché mortel lOmmis sufîit pour cela , parce
qu'elle n'est jamais certaine d'en avuir ob-
tenu le pardon. L'est d'ailleurs le moyen do
jouir de la paix du cœur et des consolations
du ciel.
Conclusion. Coupable de tant dépêchés ,
si je néglige de faire pénitence en cette vie
je tomberai sûrement après ma mort entre
les mains d'un Dieu qui se fera une exacte
justice par lui-même.
HésoluCions. l" De penser souvent à tout
le que mes péchés ont mérité et à ce (pae je
voudrais avoir fait a la moil pour les expier.
2" De demander souvent an Seigneur l'espril
dooomiiotiction qu'ont eu tous les saints pé-
nitents, -i' D'accepler en esprit de pénilenf^e
tomes les peines que Dieu m'enverra et de
nie livrer courageusement à toutes les prati-
quesdemortilication prescrites parraa règle.
TROISIÈME JOUR
SECOND DISCOURS. — Sur Voraisoïi mentale.
Elle a été pratiquée par tous les saints,
recommandée par lous les maîtres de la vie
spirituelle et prescrite par lous les fonda-
teurs d'ordres.
Pkemier point.— Les granilsavantages que
l'oraison nienlale procure à une religieuse.
I. Elle l'éclairé sur l'étendue de ses devoirs.
Très-peu de chrétiens dans le monde sont
fidèles à leurs obligations parce qu'ils ne ré-
fléchissent point j.ureux-niémes, et qu'ils ne
s'entrctiennenljamaisavec Dieu ; c'estceiine
fait chaque jour une épouse de Jésus-Christ.
Que de lumières, que de connaissances
elle acquiert par là sur la grandeur et les
perfections infinies de son Dieu, sur la
giièveté du pc'ché, sur les am.ibililés de la
vertu, sur le néant du monde, sur la subli-
mité de son saint état! C'est dans l'oraison
qu'elle aperçoit ses fautes, ses imperfec-
tions, ses mauvais penchants el en même
temps les moyens les plus propres pour se
réformer el se perfectionner.
II. L'oraison l'excile à l'accomplissement
de sesdevoirs. Il ne lui suffit pas de con-
naître f)our se sauver, elle doit agir ; or
l'oraison lui fait joindre la pratique à la
spéculalion. Elle la [)0rle à haïr et à fuir
le péché et louie espèce, de péché. Soncœur
s'eiillimme du désir d'ôlre tout à Dieu;
elle se sent disposée alors à faire, pour
plaire à son céleste Epoux, les plus grands
sacrilices. Les religieuses his [)lus exactes
à tous leurs devoirs ont toujours été adon-
néesà l'oraison.
III. L'oraison la fortifie el la console,
dans raccom[)lissemenl de ses devoirs. Il
est, dans le service de Dieu, des tentations,
des coniradiclions, des é[>reuves. Une reli-
gieuse fervente est souvent raillée, mépri-
sée môme dans sa communauté quelque-
fois; elle est sujette à des ennuis, à des
dégoûts; le Seigneur lui-même l'éprouve,
soit par des f)eiiies inlérieures, |)ar des té-
nèbres et des aridités, soit par des inlirmi-
tés ç<)rporelles; qu'elle s'entretienne lidèle-
nieiit avec lui dans l'oraison, elle en sort
tuule consolée, fortifiée et i)lus dis[)osée que
jamais à tout faire et à tout soulfrir pour lui.
Second point. — Lesdisposilionsnécessai-
res à une religieuse [loiirbien faire l'oraison.
I. Recueillement de l'esprit. Jésus-Christ
a recommandé à ses apôires de se retirer
dans une chambre , la porte fermée pour
prier. Il s'agit dans l'oiaison de s'occuper
de sa [lerfection, de parler à Dieu, de solli-
citer ses grâces, d'entendre ce qu'il dit , de
méditer les vérités célestes, do sonder et
de bien connaître son propre cœur; tout
cela demande la plus grande altention, et
j.'ar conséquent un grand recueillement, qui
423 OUATEURS SACRES.
soil môme liabiluel on conservant son es-
prit et ses sens, dans la morlidcation.
II. Pureté de cœur. La fin de l'oraison est
d'adorer Dieu cl do lui d(Miinndcr tous ses
besoins, dans l'ordre du salut surtout; il
fiiut donc pour cela, qu'elle se rende agréa-
ble à ses yen\, quelle évite de l'oflenser
non-seulement par le péché mortel, mais
encore par louts faute vénielle, bien volon-
taire; il faut que son cœur soit dégagé de
toute an'eclion terrestre, et d'elle-même
surtout; qu'il soit de plus orné de toutes
les vertus |)ro|ires de son étal, et de l'Iiu-
înilité surtout; l'orgueil est le pUis grand
obstacle aux fruits de l'oraison : Le Seigneur
résiste aux superbes, el donne sa grâce aux
humbles. {\Pelr., V, 5.)
III. Dociliié de la volonté. No faisant
oraison que pour se lemlro parfaite, elle
doit se montrer docile à tout ce que Dieu
exige d'elle. Il lui demande quelquefoisdes
sacrifices qu'elle lui refuse, parce qu^elle
s'est fait un système de conduite (lu'elle
ne veut pas abandonner. Docilité encore à
sesoumelire h toutes les voies du Seigneur
à son égard dans l'oraison, à accepter les
ténèbres el les aridités par lesquelles il
conduit souvent ses épouses les plus sain-
tes et les plus chéries, comme les lumières
et les consolations.
Conclusion. Que de grûces et de mérites
dont je me suis privée jusipi'ici, pour avoir
négligé le saint exercice de l'oraison, ou pour
m'en Être mal acquittée!
Résolutions, i' De m'y rendre , chaqno
jour, très-exacte. 2° D'éloigner avec soin,
tout ce qui m'empêcherait de la bien t'iire
el d'en profiler. 3" D'y prendre des résolu-
lions pratiques que Dieu m'y inspirera et
de les exécuter.
TROISIÈME JOUR.
TROISIÈME DISCOURS. — Sur l'cnfcr.
Quelle afïrcuse destinée , surtout pour
une épouse de Jésus-Christ, de se voir pré-
cipitée pour toujours , avec les réprouvés,
dans les flammes de l'enter !
Premier point. — La religieuse inalbeu-
reusedans l'enfer, par le mal qui la tour-
mente. Le Seigneur, pour venger sa gloire,
de toutes les créatures a choisi le feu; il
est de foi qu'il y a un feu réel dans l'enfer.
1. Le feu fait soull'rir à la religieuse une
complication parfaite tle tous les maux : 1°
11 la fait souffrir dans tous ses sens; elle
ne voit qu'un lieu d'horreur et de ténèbres;
elle n'entend que jurements, qu'impréca-
tions, que blasphèmes contre Dieu. Elle
éprouve sans cesse une faim dévorante, et
une soif ardente causée [)ar le liel et l'amer-
tume. Elle ne touche que du feu; elle en
est toute pénétrée. T Ce feu lui fait souf-
frir tous les maux à la fois ; il n'en est point
d'incompatibles, dans l'eiifer. 3" Ce feu lui
fait S(juifrir dès à présent aussi sensible-
ment tous ces maux, que si son corjjs était
déjà réuni à son âme.
il. Le feu lui fuit souffrir une com[>lica-
L'ABBE DE MONTIS. 424
lion parfaite de tous les maux, dans foule
leur ri, ueur. 1° Elle souffre tous les maux
imnginables, dans tout le degré de violence
que Dieu f)eut leur communiquer. 2° Elle
les souffre sans interruption. 3° Elle les
souffre sans espérance d'aucun soulagement;
elle est môme certaine qu'elle n'en recevra
jamais aucun, h-" Elle les souffre sans pou-
voir s'y habituer. 5° Elle les souffre sans
pouvoir se distraire et sans la moindre con-
solation. Si celte légère peinture de l'en-
fer effraye, que sera-ce de l'enfer lui-même,
pour une religieuse surtout qui aura abusé
d'une infinité de grâces de son Dieu ?
Second point. — La religieuse ()lus mal-
heureuse encore dans lenfer, par la perte
du plus grand de tous ses biens, qui esl son
Dieu. Trois réflexions l'occupenl sans cesse
pour la désespérer.
Première réflexion. J'ai perdu mon Dieu,
el en le perdant j'ai tout perdu. Elle se rap-
pelle l'éducation chrétienne qu'elle a re-
çue ; les sentiments de piété qui l'avaient
fait renoncer au monde; ses temps de fer-
veur dans la religion; puis ses infidélités,
ses péchés, toutes ses rechutes dans le pé-
ché ; elle est convaincue (qu'elle n'a pu être
faite que pour son Dieu; la On dernière, son
centre unique, qui lui fait sentir tout ce qu'elle
a perdu, en le perdant; de là des efforts
continuels, pour s'approcher de lui, quoi-
que toujours repoussée et rejetée; de là des
désirs sans lin de son anéantissement,
quoique toujours assurée de n'être jamais
anéantie.
Seconde réflexion. J'ai perdu mon [Dieu
par ma faute. Elle voit qu'il ne tenait qu à
elle d'éviter l'enfer, et de se procurer le
ciel ; toutes les grâces qu'elle a reçues de
son Dieu et dont elle a abusé, se présentent
à son esprit pour la déses|)érer; il en est
de même de tous les péchés quelle a commis,
et qu'avec le sec«urs do ses grâces, elle
pouvait ne fias commettre. De là ces re-
grets de n'avoir pas avoir imité ses sœurs
ferventes, de les avoir même raillées et mé-
prisées; d'avoir rejeté et étouffé une infi-
nité de remords; c'est là ce ver rongeur qui
la désespère.
Troisième réflexion. J'ai perdu mon Dieu
pour toujours. Etre sûre de souffrir tous les
maux, [>endant rélernilé;ôtre sûre d'avoir
(lerdu son Dieu pour toujours ; voilà pré-
cisément ce jqui fait son enfer, et ce qui
met le comble à son désespoir. O éternité 1
éternité 1 on ne [)eut la comprendre, quelque
su|)j)osiiion et quelque comparaison qu'on
fasse.
Conclusion. J'ai cent et cent fois mérité
cet enfer éternel. Hélas! ne le mériié-je
[loint encore ?
Résolutions. 1" De descendre souvent en
esprit, dans l'enfer, pour y considérer le
malheureux élat, surtout des religieuses
réprouvées. 2° Dans les temps de dégoût et
de tentations, de me demander, si je jiourrai
habiter dans des brasiers éternels. 3' De
prier souvent le Seigneur de m'insj)irerune
sainte fraveur de l'enfer.
«15 ANALYSE DES DISCOURS.
QUATUIÈME JOUR.
PREMIER DISCOURS. — Sut lu communion.
Un Dieu, après s'ôlre soumis pour nous
sauver aux souifrances, aux ignominies et
à la mort, a voulu encore nous nourrir de
sa pro|)re chair Quelle bonté! Combien ce-
pendant, même dans la religion, le reçoi-
vent rarement ou indignement 1
PREMIER POINT. — Lcs avantagcs que la
communion procure à une religieuse. Dé-
sirer des honneurs, s'attacher aux créatures :
deux effets funestes de l'amour-propre,
jusque dans la religion. La communion les
corrige.
I. La religieuse, par la communion, re-
çoit un Uieu d'une grandeur intinie, voilà
son élévation. C'est le môme Dieu qui
d'une parole a créé l'univers, qui se donne
à elle, non-seulement par sa gràt e, comme
dans les autres sacrements, mais qui se
donne lui-même, et qui s'unit à elle, de
l'union la plus excellente, en sorte qu'elle
devient une avec lui; quel honneur I
II. Par la communion elle reçoit un Dieu
d'une bonté infinie ; voilà sa ricliesse. Il
l'enrichit en etfet de toutes ses grâces.
1* Grâces de secours les plus puissants qui
la lortifient contre tous les ennemis de son
salut ; une seule communion a souvent fiorté
des martyrs à souffrir les plus alfreux sup-
plices pour leur Dieu. 2° Grâces de consola-
lions les plus solides. Les personnes les
plus saintes participent le plus aux peines
et aux croix ; or la communion préserve
des dégoûts; elle console et met le calme
et la paix dans le cœur, jusqu'à [iroduire
quelquefois des ravissements et des extases.
SECOND poi?«T, — Les dispositions néces-
saires à une religieuse pour bien commu-
nier, i
I. Si elle reçoit un Dieu d'une grandeur
intinie, elle doit donc par respect le recevoir
sainleincnl. Elle doit, en participant au
corps de Jésus-Christ, participer à son es-
prit, penser et agir comme Jésus-Christ a
agi et pensé sur la terre; pratiquer l'humi-
lité et toutes les vertus qu'il a pratiquées;
n'être occupée que de lui ; prendre garde de
ne pas communier [)ar respect humain, par
coutume; s'appliquer avant lu communion.
à bien puriûer son cœur; à confesser tou-
tes ses fautes avec une vioio doulour, à
remplir tous ses devoirs avec la plus grande
exactitude.
il. Si elle reçoit un Dieu d'une bonté in-
Qnie, elle doit donc le recevoir fréquem-
ment. C'est son intérêt personnel. C'est de
plus l'intention de l'Eglise et de Jésus-
Christ lui-même ; c'est pour cela qu'il s'est
mis dans le sacrement sous les espèces si
communes du pain. Il invite, il presse de
venir à lui ; il menace si on ne vient pas.
On allègue quelquefois son indignité; mais
personne n'en peut être parfaitement digne;
mais ce sont les faibles et les inlirmes qu'il
invile à son banquet; mais il déclare que
qui ne le recevra pas, n'aura pas la vie en
lui. C'est souv.'ut un prélcxle pour rcs-
Oratllrs sacré?. LXV'iM
— QUATRIEME JOUR. 445
ter dans sa lâcheté ; le négligor, pendant
la vie, c'est s'exposer à en être jirivé à la
mort.
Conclusion. Que de communions j'ai fixi-
tés sans préparation et sans me réformer I
De combien je me suis privée par ma fautel
Résolutions. 1° De désirer de communier
souvent. 2° De me mettre en état de faire
au moins toutes les communions de règle.
3° De ne rien négliger pour m'y bien dispo-
ser et pour en tirer du fruit.
QUATRIÈME JOUR.
SECOND DISCOURS. — Suf le sUcncë.
Les personnes du monde qui vivent dans
la piété , s'appliquent à gouverner leur
langue; elles observent, autant qu'elles
peuvent, le silence; c'est une plus grande
obligation encore pour des religieuses
qui doivent tendre à la plus grande per-
fection.
PREMIER POINT. — Pourquoi une religieuse
doit-elle observer le silence?
I. Pour obéir à ses constitutions qui h;
lui })rescrivent. Tous les fondateurs d'or-^
dres l'ont ordonné comme un moyen propre
à conduire à la perfection ; ils ont imité en
cela les anciens pères du désert qui impo-
saient, pour première pratique, le silence à
ceux qui voulaient être leurs disciples. On
dit pour s'excuser que ce n'est point un pé-
ché de rompre le silence. Cela est vrai, ab-
solument parlant; mais 1° qu'est-ce qu'une
religieuse qui ne craint de déplaire à Dieuj
que par le péché ? Est-ce l'engagement
qu'elle a pris avec lui? Que penserait-elle
d'une novice qui serait dans ces disposi-
tions ? 2° Il y a toujours des grâces attachées
à l'observation du silence; c'est donc en
faire peu de cas. 3° Il y a presque toujours
du péché à le rompre, à cause ou d'un mé-
pris au moins indirect de la règle, ou du
scandale: car,
II. Elle doit observer le silence pour l'uti-
lité de sa communauté qui no peut se sou-
tenir que par une exacte régularité. En rom-
pant le silence, elle engage d'autres à le
rompre; -elle scandalise surtout les faibles.
Une personne séculière qui verrait une
communauté peu exacte au silence, se
scandaliserait ; cette liberté de parler sup-
pose toujours une grande dissi()aiion qui
produit insensiblement le relâchement et le
désordre.
m. Elle doit observer le silence pour sofi
avantage particulier, il produit en elle le
recueillement qui, 1° la porte à éviter les
plus petites fautes; 2" lui inspire du goût
pour l'oraison et pour la pratique de ses
devoirs et des vertus de son état. Différence
sensible entre une religieuse grande par-
leuse, et une qui aime le silence et qui
l'observe.
SECOND POINT. — Comment une religieuse
doit-elle observer le silence ?
I. Saintement. C'est-à-dire, non par pa-
resse, parce qu'elle ne veut pas se donner
la peine de [)arler ; non [)ar amonr d'elle-
même, paice (lu'ellc ne veut pa^s se. gêner;
U
m
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
421
non par une hu-meur sombre, mélancolique,
qiii lui fasse fuir la sociélo de ses soeurs ;
non par respect humain , par oslenlation
pour passer pour exacte et régulière ou
pour plaire à ses supérieurs, mais par un
raolif pur, uniquement pour plaire h Dieu,
pour obéira sa règle, pour édifier ses sœurs
j)Our s'acquitter avec fruit de tous ses exer-
tices.
II. Constamment. L'observer dans un
temps, le rompre dans un autre-; l'observer
i\ l'approche des grandes fêtes, se dédom-
mager ensuite de la contrainte qu'elle s'est
faite; l'observer dans un lieu -et non dans
tous; l'observer avec une sœur qu'on aime
peu, le lompre avec une autre qu'on aime
davantage ; c'est agir alors par des vues na-
turelles et non par religion, par piété. Elle
doit donc l'observer pour plaire à Dieu en
tout temps, en tout lieu et avec toutes ses
sœurs.
Jll. Prudemment. C'est-à-dire avec dis-
crétion, vertu peu connue, recommandée
j)ar les Pères du désert et qui fait éviter en
tout les extrêmes. Pour cela, ne point éten-
dre le silence, hors le temps prescrit; j)ar-
1er au temps des récréations ; le rompre
môme quelquefois dans le temps prescrit
par charité pour répondre à une sœur afin
de ne la [)oint mécontenter, mais parler bas
alors et en peu de mots pour ne {las scan-
xlaliser les autres.
'Conclusion. Que j'ai de reproches h me
faire sur le silence 1 Que je l'ai peu estimé
et peu observé jusqu'ici.
Résolutions. 1° De le regarder désormais
comme un moyen propre à me faire tendre
à la perfection. 2° D'êlre iidèle à l'observer
dans tous les temps et dans tous les lieux
prescrits. 3° Lorsqu'il m'arrivera [ de le
rompre sans nécessité ,de m'en confesser
loujours avec une vraie contrition.
QUATRIÈME JOUR.
TROISIÈME DISCOURS. — Suv la tiédeur.
Le reproche que le Seigneur fit à l'évêque
^'Ephèse d'être déchu de sa première fer-
veur, d'être tombé ,daiis la tiédeur, à com-
bien de .personnes religieuses ne pourrait-
on pas le faire ?
PREMIER POINT. — L'état dc tiédeur con-
sidéré en lui-même est très-mauvais dans
une religieuse, parce qu'il l'éloigné de
Dieu. Qu'est-ce que vivre dans la tiédeur?
C'est ni commettre le crime, ni pratiquer la
vertu. Une religieuse tiède ne hait pas son
état, mais elle ne l'aime pas assez pour en
accomplir tous les devoirs ; elle est sans at-
trait pour le péché, mais aussi sans goût
pour la piété; elle n'est ni hypocrite ni
j>caiidaleuse, ni bonne ni mauvaise ; or cet
olaU'éloignedeDieu. Première vérité. Dieu
nous a tous créés pour le servir dans l'état
auquel il nous a appelés. Seconde vérité :
11 nous a mis en tel état autant pour notre
bonheur que pour sa pro|)re gloire. Troi-
sième vérité : Il ne nous a point rais en tel
état pour toujours ; mais après l'.y avoir
servi quelque temps, il nous destine à une
récompense ou h une peine éternelle. De le,
première conséquence : nous devons donc
obéir à un Dieu tout-puissant qui a tout
droit sur nous. Seconde conséquence : nous
(levons donc témoigner noire reconnaissance
à un Dieu infiniment bon qui veut nous
rendre infiniment heureux. Troisième con-
séquence : nous devons donc redouter un
Dieu infiniment juste qui peut nous punir
comme il peut nous récompenser. Cela
posé, une religieuse tiède se rend coupable:
1° de mépris de la puissance de son Dieu
en refusant de le servir comme il le désire
dans l'état saint où il l'a placée. 2° De mé-
pris de son infinie bonté; mépris d'aulanl
plus grand qu'il l'a comblée de [)lus de fa-
veurs et de grâces, et avant son entrée, et
depuis son entrée dans la religion. 3° De
mépris de sa justice. Elle n'ignore pas que
son Dieu, pour l'engager à le servir avec
plus de fidélité, a joint les menaces aux
promesses, les châtiments aux récompenses j
cefiendant, en se livrant à la lâcheté, à la
tiédeur, elle paraît peu redouter les
peines temporelles, même celles du purga-
toire.
SECOND POINT. — L'étal de tiédeur consi-
déré dans ses efïeis, est très-funeste à la
religieuse parce qu'il éloigne Dieu d'elle.
Il a attaché à son étal des grâces dont il est
dangereux d'interrompre le cours; c'est ce
que fait la religieuse tiède; elle indispose
son céleste Epoux contre elle; de là pre-
mier châtiment : aveuglement de son es-
prit 1° Sur la nature de ses fautes : elle en
commet une infinité sans presque s'en aper-
cevoir ; elle se trompe sur le jugement qu elle
en porte, ou elle ne s'en confesse point, ou
elle s'en confesse sans douleur. 2° Aveu-
glement sur les moyens de perfection
qu'elle emploie. Elle laisse les communs
pour en [irendre d'extraordinaires; dans
ses lectures, dans ses prières, même dans
ses actes de mortification, jusque dans lo
choix d'un guide spirituel. Dieu permet
qu'elle s'égare et qu'elle se trompe.
Second châtiment : l'endurcissement de
son cœur. Après avoir résisié à une infi-
nité de grâces. Je Seigneur irrité ne lui
donne plus de ces grâces fortes et privilé-
giées, ce qui la réduit à une insensibilité
prodigieuse pour Dieu et pour sa perfec-
tion. De là des chutes et des rechutes sans
nombre dans des fautes même grièves. Le
démon, quand il lui vient quelque remords,
la rassure sur sa conversion à l'avenir ; il
la trom})e jusqu'à la mort en exagérant ses
fautes; en lui faisant trop redouter les ju-
gements de Dieu, il la jette enfui dans le
désespoir de son salut.
Conclusion. N'ai-je po^nt été dans ce fu-
neste étal de tiédeur? N'y suis-je point en-
core ?
Résolutions. V De penser souvent à mes
engagements dans la religion. 2" D'exciter
sans cesse mon cœur à l'amour de mon cé-
liiste Epoux et au désir de le servir comme
il l'exigodemoi. De prendre pour modèles
les saintes de mon institut, et de ne mellre,
429 ANAL\SE DES DISCOURS
comme elles, aucune borne à maperfeclion.
CINQUIÈME JOUR.
PREMIER DISCOURS. — Siir l'obéissance.
Tout chrélien et encore plus la religieuse
doit obéir à ses supérieurs qui lui tiennent
sur la lerre la place de Dieu.
PREMIER POINT. — Les molifs qui doivent
CINQUIEME JOUR.
430
engager la religieuse à pratiquer l'obéis-
sance.
I. Elle est pour
pour se sauver. 1°
en a donné l'exenip
ait plus éclaté dans
elle la vie I» p!us sûre
Parce Jésus-Christ lui
le. Point de verlu qui
lui. Sa naissance, sa
vie, ses missions , ses souffrances et sa
mort, tout a élé pour obéir à son Père éter-
nel ; il a été obéissant jusqu'à la niort de
la croix. Il a obéi, non-seulement à Marie
et à Joseph, mais encore à ses persécuteurs
et à ses bourreaux. 2° Parce que entrant
en religion, elle a fait, aux pieds des saints
autels, un vœu solennel de renoncer pour
toujours à sa propre volonté, vœu le plus
excellent de tous ceux qu'elle a faits, parce
qu'il louthe de plus près et qu'il comprend
dans un sens les deux autres; le rompre»
en matière importante surtout, c'est donc
une prévarication.
II. Elle est, pour elle, la voie la plus con-
solante. Elle lui procure le plus grand des
biens de cette vie, la paix du cœur. Les per-
sonnes du monde, avec les intentions les
plus pures, peuvent douter et être inquiètes
sur ce qu'elles ont à faire pour servir Dieu,
mais la religieuse obéissante à sa règle et
à ses supérieurs, sait qu'elle obéit à Dieu,
maître infiniment éclairé, qui voit tout et
déterminé à tout récompenser. Quoi de plus
consolant 1
SECOND POINT. — Lcs qualités que doit
avoir l'obéissance d'une religieuse.
1. Elle doit être prompte, quant à l'exécu-
tion. Un sujet n'est estimé do son roi,
qu'autant qu'il exécute ses ordres, sans
hésiter; que doit-ce donc être, quand Dieu
lui-même commande à sa créature ? Exem-
ples des apôtres qui quittent tout, au pre-
mier signal; de Marie et de Joseph fuyant
en Egypte; des m;iges, dès qu'ils voient
l'étoile. Celte promptitude dislingue les
religieuses régulières et ferventes, des
lièdes et des imparfaites. Dieu l'a souvent
approuvée par des prodiges, et la récom-
pense toujours, par des grâces spéciales.
Le démon qui le sait, lait tous ses efforts
pour l'empêcher.
IL Elle doit êlre universelle, quant à l'ob-
jet. Obéir également quand la chose com-
luandée déplaît, comme lorsqu'elle plaît.
Se servir de voies indirectes pour ne point
obéir, c'est faire alors sa propre volonté et
déplaire à Dieu ; plus on se fait de violence
pour obéir, plus l'obéissance est méritoire.
IIL Elle doit êlre aveugle, quant au juge-
ment. Ne point juger ses supérieurs; ils
jnl souvent des mulifspour ordonner, que
les inférieurs ne peuvent pénétrer; il y a
toujours du niérile à obéir. Délies disposi-
tions de saint Ignace et des anciens solitaires,
qui obéissaient à des commandements inuti-
les quel(]uefois eu ridicules. Nejuger rien de
[)etit de ce qui est commandé; ne point re-
garder les défauts de la personne qui com-
mande. On peut faire des représentations,
mais avec prudence et avec docilité, tou-
jours disposé à obéir.
IV. Elle doit être constante, quant à la
pratique. Obéir en tout et toujours, jusqu'à
la mort, comme Jésus-Christ. Nul âge, nul
emploi ne doit en dispenser. Les anciennes
doivent, sur cela, l'exemple aux autres.
Elles les scandalisent, quand elles s'en dis-
pensent sans raison.
Conclusion. Que de reproches je dois me
faire sur la pratique de l'obéissance 1
Résolniions. 1° Lorsque je sentirai de Ja
répugnance à obéir, de penser au vœu so-
lennel d'obéissance que j'ai fait. 2" De re-
noncer chaque jour à ma propre volonté.
3" De regarder toujours mon céleste ïilpoux»
dans la personne de mes supérieurs.
CINQUIÈME jour!
SEC0?<D DISCOURS. — Sur les récréations.
Pres(]ue tous les fondateurs d'Ordres Ont
prescrit dans leurs règles des temps de dé-
lassements, de récréations; c'est un eier-
cice duquel il est aisé et assez commun
d'abuser.
PREMIER POINT. — Les motifs qui doivent
engager une religieuse à se récréer sainte-
ment.
I. C'est un exercice prescrit par la règle.
Donc 1° elle ne peut s'en dispenser sans
permission et fréquemment, sans mépriser
la règle el sans scandaliser ses sœurs. 2°EIIe
doit véritablement s'y récréer; s'y montrer
taciturne, par humeur, par caprice, ce se-
rait un mal et nuire à ses sœurs.
II. C'est un exercice fréquent. Donc si
elle s'en acquille mal, elle fait bien des
fautes, et se prive d'une inlinité de grâces
attachées à cet exercice, comme aux autres,
et dont elle rendra un compte rigoureux au
Seigneur.
III. C'est un exercice dangereux. 1° Les
autres tendent à mortifier l'âme et à la per-
fectionner; celui-ci est pour soulager Je
corps et l'esprit : or il est plus aisé de se
I)river de tout plaisir que de se modérer
en s'y livrant. 2* On prend cet exercice
ajtrès les repas, après avoir fortifié la chair.
3° On y a la liberté de parler; autant de
dangers d'y faire bien des fautes, si Tonne
veille sur soi.
SECOND POINT. — Les disposilious néces-
saires à- une religieuse, pour se récréer
saintement. Elles doivent êlre opposées aux
fautes qu'on y commet ordinairement.
I. Esprit de recueillement, non pas tel
qu'il le faut dans les exercices de religion
et de piété; mais qui laisse assez de |)ré-
sence d'es|)rit, pour se tenir dans la modé-
ration qui empêche de trop se dissiper, ou do
trop parler ou de rien dire d'indécent ou de
prendre Irop^de familiarité ; ce qui est tou-
jours préjudiciable h une communauté.
II. Esprit d'humililé, qui empêche do
45i
ORATEURS SACRES. L'ABBE DE MONTIS.
452
s'occuper de soi, de parler do ses parents,
de prendre la supériorité sur ses sœurs, de
les interrompre, de les contredire, de sou-
tenir ses sentiments avec chaleur.
111. Esprit de charité, qui produit l'union
des cœurs, le plus bel ornement d'une com-
munauté, aux yeux de Dieu et des hommes ;
qui porte à souffrir patiemment les diffé-
rents caractères qui s'y trouvent nour l'or-
dinaire.
Cvnclusion. Combien oe fois, au sortir
d'une récréation, ai-je eu h me reprocher
de m'y être montrée peu chrétienne et peu
religieuse!
Résolutions. 1° Avant la récréation , de
l'offrir à Dieu, et de lui promettre d'y éviter
toute espèce de fautes. 2° Pendant la ré-
création, de me le rendre, de temps en
temps, présent à mon esprit, comme un
moyen propre à me faire observer ma pro-
messe. 3° Après la récréation, de penser
un moment comment je m'y suis con-
duite, et d'expier, par quelques petites
•mortifications, les fautes que j'y aurai com-
mises.
CINQUlÈiME JOUR.
TROISIÈME DISCOURS. — Sur la fidélité aux
inspirations de la grâce.
Elle est rare, celle parfaite fidélité, non-
seui«mentj>armiles chréUens du siècle, trop
dissipés pour entendre la voix du Seigneur,
mais encore parmi les personnes religieuses.
PREMIER POINT. — Pourquoï unc religieuse
doil-ell« être fidèle aux inspirations de la
grâce ?
I. En y résistant, elle fait injure à Dieu.
1" En se rendant coupable de mépris en-
vers l;uiî la moindre de ces grâces a coûté
tout le sang de l'Horame-Dieu, c'est lui fSire
connaître qu'elle n'en fait pas grand cas,
qu'elle ne veut pas suivre ses avis. Ce serait
un crime de tenir cette conduite, vis-à-vis
ses supérieurs, qu'est-ce donc de la tenir
envers son Dieu *? 2° En se rendant coupa-
ble d'ingratitude envers Dieu. En commu-
niquant ses grâces à son épouse, il a autant
en vue son bonheur que sa propre gloire ;
c'est pour la rendre souverainement heu-
reuse dans l'éternité ; Ws rejeter ces grâ-
ces, c'est donc lui témoigner qu'elle est peu
sensible à tout ce qu'il a fait pour elle : que
penserait-elle d'une personne qui aurait les
plus grandes obligations à un souverain, à
un grand, et qui refuserait de suivre les
bons conseils qu'il lui donnerait ?
II. En résistant à ces grâces, elle se fait
tort à elle môme. Une suite de vérités le lui
prouvera. 1» Ces inspirations ne lui sont
point dues ; elles sont purement gratuites;
elte ne peut donc y compter pour raveuir.
2° Il est pour chaque âme une mesure do
ces grâces spéciales, a()rès lesquelles, le
Seigneur irrité, n'en donne plus que de
communes. 3° Celte mesure n'est pas la
même pour tous ; il les distribue comme il
lui [)laîl. 4° Il menace dans les divines
Ecritures de se retirer, quand on ne répond
pus à ses inspirations. 5° La dernière grâ:o
spéciale qu'il donne, n'est pas d'une autre
espèce que les autres ; elle est quelquefois,
en apparence, des moins considérables. Qne^
d'épouses de Jésus-Christ pleurent et se dé-
sespèrent dans l'enfer, pour avoir résisté
aux inspirations de la grâce !
SECOND POINT. — Comment une religieuse
doit-elle être fidèle aux inspirations de la
grâce ?
I. Sa fidélité doit être prompte et sans dé-
lai. Une inspiration est un éclair, un mouve-
ment subit et passager ; n'y pas correspon-
dre aussitôt, c'est la perdre et bien d'autres
qui l'auraient suivie ; c'est rompre volon-
tairement un enchaînement de grâces et de
mérites qui devaient la sanelifier. C'est ce
qui fil rejeter les vierges folles de la société
de l'Epoux. C'est à cette promise correspon-
dance que Jésus-Christ recoimaît la fidélité
et l'attachement de ses épouses.
H. Sa fidélité doit être universelle et sans
choix. C'est quelquefois une inspiration de
faire une pratique qui paraît peu considéra-
ble en elle-même : mais Dieu demande ra-
rement à ses épouses, des actions d'éclat; ce
sont les petites pratiques qui doivent les
sanclitier dans leur état ; c'est sur cela qu'il
les jugera un jour, et sur l'amour avec le-
quel elles auront agi, et qui se manifeste
plus dans les petites choses que dans les
grandes.
m. Sa fidélité doit être prudente et sans
illusion. Satan se transforme quelquefois
en ange de lumière, pour séduire les épou-
ses de Jésus-Christ.
Règles pour éviter sa séduction : l" Voir si
rins{)iration tend à l'avancement spirituel,
à la fTatique des vertus, à quoi le démon
n'engagera jamais. 2° Voir si l'inspiration
porte à la singularité, à flatler l'amour-pro-
|)re ; s'en défier alors et préférer toujours
la vie commune. 3° Voir si rins[)ir<iiion,
quoique sainte en elle-même, est conforme
à l'état de la religion en général et à son in-
stitut en particulier. Rejeter hardiment loul
ce qui est opposé à sa règle et à ses consti-
tutions. 4° Dans le doute, consulter son con-
fesseur et sa supérieure et leur obéir exac-
tement, à l'exemple de sainte Thérèse.
Conclusion. Si je jette la vue sur lanl
d'années passées dans la religion, que de
résistances, que d'infidélités aux inspirations
de la grâce 1
Résolutions. 1° De me rendre désormais
bien attentive aux mouvements de la grâce ;
2" d'exécuter avec fidélité, tout ce que le
Seigneur m'inspirera, pour lui plaire et m©
sanctifier; 3° de m'iraposer avec la permis-
sion de mon confesseur, quelque pénitence»
lorsque j'y aurai été infidèle
SIXIEME JOUR.
PREMIER DISCOURS. — SuT la vie intérieure.
Tout chrétien, par le baptême, s'est en-
gagé âne vivre qu'à Dieu, et que [lOurDieu.
C'est un engagement [)lus étroit encore,
pour les peisonnes qui ont renoncé au siè-
cle, pour se sanctifier dans la religion.
PREMIER POINT. — Lcs grands avantages
435
ANALYSE DES DISCOURS. — SIXIEME JOUR.
45 i
que la vio. iiilérieuro et cacht^o |)rocuro îi
iiiio religieuse. Qu'est-ce que celte vie? En
deux mots, faire réguer Jésus-Christ tout
seul dans son cœur. ;
I. Cette vie intérieure lui fait éviter le pé-
ché et tout péché. Au lit^u que la religieuse
peu intérieure, tro[) épanchée vers les créa-
tures, commet une infinité de fautes, sans
remords, sans presque s'en aporcevoir, la
religieuse intérieure, absolument dégagée
iJi'S créatures et d'elle-même, toute occupée
«le son Dieu et du désir de lui plaire, évite
avec soin même les fautes les plus légères.
M. Elle lui fait pialiciuer la vertu, et
toute vertu. C'est une suite de cet éloigne-
nientdu péché. Elle voit clairement que l'u-
nique moyen de pl.iire à son Diru, c'est de
travailler à sa perfection , en ornant son
âme de toutes les vertus propres de son état ;
de là dans elle, une obéissance aveugle à
ses supérieiis, une charité sans bornes en-
vers le prochain, un détachement universel,
un dégoût perpétuel de tout ce qui n'est
pas son Dieu.
m. Elle la tient dans une union intime
avec Dieu. Etfel naturel de son éloignement
du péché et de son application à pratiquer
!a vertu. Union si excellente qu'on ne peut
la connaître qu'en l'éprouvant, et qu'on no
j>eul la faire connaître, lorsqu'on l'éprouve.
C'est pour l'âme de la religieuse, ne plus
respirer que pour son céleste Epoux, mettre
toute sa félicité sur la terre , à s'occuper de
lui et à s'entretenir avec lui. C'est, du côté
du Seigneur, une complaisance à voir son
épouse dans des dispositions aussi saintes,
et une bonté infinie à la combler de grâces,
de secours, de caresses et de consolations,
lors môme qu'il l'éprouve par des croix.
SKCOND POINT. — Les moyens nécessaires
à une religieuse, pour entrer dans cette vie
intérieure et cachée. C'est vivre de la vie de
Jésus-Christ : elle consiste donc 5 l'imiter.
Ainsi, premier moyen, une humilité pro-
fonde qui soit véritablement dans le cœur,
à l'exemple du Dieu Sauveur, qui a été
humble jusqu'à s'anéantir et à se déclarer
l'opprobre des hommes. Elle doit pour cela
renoncer sincèrement à ses lumières, à son
esprit, à tout elle-même.
Second moyen, une oraison continuelle.
l" Elle porte à imiter Jésus-Christ. Com-
ment s'entretenir souvent avec lui, et ne
pas désirer de lui ressembler, et surtout,
dans sa vie cachée de trente ans? 2° Elle porte
à aimer J-ésus-Christ : cominoiit s'occuper
souvent de ses perfections et de SiiS bien-
laits, et ne jias s'attacher à lui? La plus
grande saiisfaclion d'une religieuse adonnée
à l'oraison, est en etfet d'être dans la soli-
tude, toute occupée de son céleste Epoux.
Troisième moyen, une mortiliuation uni-
verselle : 1° Extérieure. Une religieuse qui
aime à voir et à satisfaire ses sens ne sera
jamais fort iniérieure. 2' Inléricure. La
uiorlilicalioa du cœur; sans celle-ci, l'exté-
rieure est inutile. Une religieuse, pour être
intérieure, ne doit être attachée ni à sa fa-
mille, ni à sci iojuis, ni à ce rpij est à son
usa;j;e, ni même aux consolations spiri-
tuelles.
Conclusion. O vie intérieure et caoliée;
heureux état pour une épouse de Jésus-
Christ, que je t'ai peu connue jusqu'^ici !
Résolutions. 1° De demander tous les jours
au Seigneur, la grâce do devenir véritable-
ment intérieure ; 2° d'embrasser avec zélé
les trois moyens projwsés pour y parvenir ;
3" d'imiter, le plus que je pourrai, celles de
mes sœurs qui me paraissent les plus inté-
rieures.
SIXIÈME JOUR.
SECOND DISCOURS. — Sur la pauvTeléi
Heureuses les personnes que le Seignenr
a appelées à un détachement universel;
mais plus heureuses celles qui n'ont point
oublié le vœu solennel qu'elles en ont
fait.
PREMiEn POINT. — L'excellence du vœu
do pauvreté.
I, 11 est, pour une religieuse, une source
de gloire. 1* Elle suit l'exemple de Jésus-
Christ, qui, après avoir quitté par amour
pour nous le séjour do sa gloire, a voula
naître et vivre dans la plus extrême pau-
vreté, jusqu'à n'avoir pas à reposer sa tôle.
2° Cet état la dislingue non-seulement de
tous les mauvais chrétiens du monde, mais
encore de ceux qui y servent Dieu, mais qui
ne sont pauvres que de cœur et d'esprit.
IL Ce vœu est pour elle une source do
bonheur. 1° Il lui procure de grands avan-
tages temporels. Elle trouve dans la-reli-
gion plus qu'elle n'a quitté en renonçant au
monde, en père et mère, en nourriture, en
biens, en commodités. Elle est exempte des
soins, des inquiétudes et des revers de
fortune qu'éprouvent les habitants du siè-
cle. 2° Il lui procure des avantages spirituels
plus grands encore. Il la préserve d'une in-
finité de fautes et de tentations auxquelles
les riches du siècle sont exposés. Il lui fait
acquérir les [)lus belles vertus. L'humilité,
la mortification, l'amour de Dieu, la con-
formité à sa volonté, la patience, la charilé
envers le prochain; au lieu que les riches-
ses portent aux vices contraires à ces ver-
tus, à l'orgueil, à l'immonificalion des sens,
à l'oubli de Dieu, à la ifcvolte contre ses
lois, à la dureté envers le prochain. Il la
comble à la mort de paix et de consola-
tions.
SECOND POINT. — L'éteuduo des obliga-
tions du vœu de |)auvrelé.
1. Elle doit être intérieure dans son prin-
cipe. Pour êlre vraie pauvre de Jésus-Clirisl,
une religieuse doit mépriser les richesses,
aimer la [lauvreté et ditlérer en cela des
pauvres du monde qui la détestent pour
l'ordinaire.
IL Elle doit être universelle dans sa pra-
li(iue. Elle doit la porter : l" à ne rien dé-
sirer ni pour elle ni pour d'autres; ce lui
serait une source do distractions ; 2' à ne
rien donner ni recevoir, au moins sans une
permission non inter|)rétée, mais expresse,
et dy plus, légitime, sa sujiéricure ne pou-
455
ORATEURS SACHES. L'ABBE DE MONTIS.
456
yani, sans une vraie raison, la dispenser
(le son vœu; 3° à ne rien posséder d'inutile
et superflu; ne tenir à aucun meuble, ni
directemeni, l'ayant chez soi, ni indireclc-
nienl, l'ayant chez un autre, comme de l'ar-
gent ou sa pension. Abus consiilérable sur
«et article, toléré par des supérieurs ou des
directeurs trop relâchés, mais qui sera un
jour pour eux et pour leurs filles spiri-
tuelles, un sujet de reproches et de con-
damnation peut-être.
Conclusion. Si je veux sonder mon cœur
sur le vœu de pauvreté, que j'ai de fautes à
me reprocher 1
Résolutions. 1° Do remercier souvent le
Seigneur de m'avnir appelée au renonce-
ment des richesses , cause de la réprobor
tion de tant de chrétiens; a»" d'examiner,
pendant ma retraite si je n'ai point de su-
|)erflu dans ma cellule ; 3° de me défaire
pourageusement de tout ce que je jugerai
être peu conforme à la plus exacte pauvreté
religieuse.
SIXIÈME JOUK.
TROISIÈME DISCOURS.. — Sur la lecture spi-
rituelle.
Les directeurs des consciences la recom-
fnandenl toujours comme un moyen efTicace
de salut et de porfeciion. Elle est prescrite
et d'usage dans toutes les communautés re-
ligieuses,
PREMIER POINT. — Les motifs qui doivent
porter une religieuse ,à se rendre exacte à
|a lecture spirituelle.
I. Elle lui fait connaître la verlv»; non la
vertu des philosophes, fausse et purement
pxtérieure, mais la vertu chrétienne et re-
ligieuse qui tend h réformer l'âme et à la
sanctifier en lui faisant connaître le péché
qui lui est opposé; ses devoirs de chré-
tienne et de religieuse, en lui apprenant à
juger de tout, selon les vues de la foi; en
lui communiquant une infinité de connais-
sances dans l'ordre du salut.
IL Elle lui fait aimer la vertu. Elle ne
peut la bien coiuiaître sans l'estimer, ni l'es-
timer sans l'aimer, d'abord dans les autres,
puis sans désirer de la posséder. La lecture
dos vies saintes surloi>t, produit ce bon efiel.
Que de bons désirs , de pieux sentiments
fie saintes résolutions après une lecture bien
faite I
IIL Elle lui fait pratiquer la vertu. Il lui
serait inutile de la connaître et de l'eslimcr
si elle en restait là ; c'est à la pratique que
Dieu a attaché ses grâces et ses récompen-
ses : or, la lecture touche la volonté, elle
l'ébranlé et la détermine au bien. C'est elle
qui a converti saint Augustin, les officiers
de l'empereur dont parle ce saint docteur,
saint Ignace et une infinité d'autres.
SECOND POINT- — Les dispositions avec
lesquelles une religieuse doit faire la lec-
ture spirituelle.
I. Intention pure avant la lecture. Elle
seule donne le prix à nos actions. Ne point
Jire des livres profanes ou peu convenables
^ son étal, ni des livres de piété faits par
des hérétiques ou auteurs suspects. Préfé-
rer ceux qui ont été composés par des saints,
et ceux qui ont ra()port à l'état religieux.
Ne point lire ceux-ci par curiosité, jiar
amour-propre, pour paraître spirituelle, ou
pour s'élever à des voies extraordinaires,
mais chercher uniquement à s'instruire et à
se sanctifier.
IL Application suivie pendant la lecture.
N'avoir pas pour cela un esprit habituelle-
ment dissipé; ne pas se livrer en lisant h
des distractions volontaires. Ne pas lire avec
précipitation. Avoir plus d'attention aux
choses qu'au style et à la manière de l'au-
teur. Réfléchir sur soi en lisant. Prier de
temps en temps le Seigneur d'éclairer l'es-
prit et de toucher le cœur. Relire ce qui a
louché, l'écrire même en peu de mots pour
se le rappeler dans le temps des tentations
et des dégoûts.
m. Docilité constante après la lecture.
Mettre en pratique ce qu'on a lu. Sans cela
les luniières, les réflexions, les résolutions
même lui seraient inutiles et la rendraient
plus coupable que celle qui ne les aurait pas
faites; l'enfer est rempli de bons désirs et
de saintes résolutions. Elle doit donc exé-
cuter promptement ce qu'elle a résolu pour
sa perfection.
Conclusion. Hélas I quel fruit ai-je lire
jusqu'à présent de tant de lectures pieuses
que je fais exactement chaque jour?
Résolutions. 1° D'implorer toujours les
lumières du Saint-Esprit avant de commen-
cer ma lecture spirituelle; 2° de lire avec
toute l'attention dont je serai capable;
3" d'exécuter fidèlement tout ce que le Sei-
gneur m'y aura inspiré pour me réformer
et pour lui plaire.
SEPTIÈME JOUR.
PREMIER DISCOURS. — Sur l'amour de Dieu.
Quelle bonté de notre Dieu I il ne nous
permet pas seulement de l'aimer, il nous
le commande. Cependant qu'il est peu
aimé !
PREMIER POINT. — Les motifs qui doivent
engager une religieuse à aimer son Dieu,
I. Ses perfections infinies. 1° Il les pos-
sède éminemment, sans borne ni limite. Il
est l'Etre par excellence, indépendant de
tout être. Toutes les perfections des créa-;
tares sont des traits bien imparfaits des
siennes. 2° Il les possède purement, sans
aucun mélange d'imperfections qui se trou-
vent dans les créatures les [)liis parfaites,
ce qui est cause que le cœur qui s'attache à
elles, n'est jamais jileinenient satisfait. 3° Il
les possède constamment sans craindre de
les perdre jamais, au lieu que la créature
la plus parfaite peut perdre, dans un ins-
tant, et [)erd à sa mort du moins, toutes
ses perfections. Quel bonheur pour une
épouse de Jésus-Clirist de s'être attachée à
un Dieu qui sera le nième pour elle pen-
dant l'éternité!
IL Ses immenses bienfaits. 1° Il l'a créée
par préférence à une infinité d'autres. Il lui
n donné une âme capable de le conna|irç?
457 ANAJ.YSE DES DISCOURS
et de l'aimer. 2' Il l'a délivrée du l'esclavage
du démon et du péclié en mourant sur la
croiï. 3" Il l'a éclairée des lumières de la
foi par le baptême et l'a fait naître dans le
sein de l'Eglise, grâce qu'il n'a pas faite à
une infinité d'autres. 4° Il lui a pardonné
une infinité de péchés qu'elle a commis.
5' Il l'a préservée de la contagion du monde
(Bt l'a mise au rang de ses épouses,', et, en
celte qualité, il l'a comblée d'une intinilé.de
grâces.
SECOND POINT. — Lcs qualitésiquo doit
avoir lamour d'une religieuse oour son
Dieu.
I. Il doit être appréciatif par rapport à
l'esprit, c'est-h-dire, 1" ne rien aimer et es-
timer au-dessus de Dieu ; cela est bien
juste, puisqu'il est infiniment au-dessus
de tous les êtres qu'il a créés; 2° ne rien
ainuT et estimer autant que Dieu. C'est un
<?poux jaloux qui Veut et qui mérite tout
ie coeur; il ne peut soutfrir le moindre par-
tage; S-" ne rien aimer et estimer que par
raftporl à Dieu; en sorte qu'elle soit dis-
posée à tout perdre et à tout sacrifier pour
lui témoigner son amour.
II. Il doit être effectif par rapport à la
volonté. 1^ Au dedans, par des actes d'a-
mour qui partent surtout du fond du cœur,
et qu'elle doit produire même plusieurs
fois le jour. 2° Au dehors, en se livrant à
des actions chrétiennes et religieuses, en
accomplissant tous les devoirs que son état
lui prescrit, mais qu'elle doit accomplir en-
tièrement, n'en omettant aucun; constam-
ment, sans jamais se relâcher; saintement,
par le motif d'un véritable et pur amour
pour Dieu.
Conclusion. Si je veux sérieusement in-
terroger mon cœur, que j'ai peu aimé mon
Dieu jusqu'ici 1 Combien de fois j'ai donné
sur lui la préférence aux créatures I
Résolutions. 1° De m'appliquer à détacher
mon cœur de toute créature et de moi-même
surtout; 2° de m'habituera |)roduire sou-
vent, et du ff)nd du cœur, des actes d'amour
de Dieu; .3* d'agir en tout, et de tout souf-
frir par ce motif si parfait et si méritoire do
J'amour de Dieu.
SEPTIK.ME JOUl\.
SECOND Di COURS. — SuT l'union des cœurs.
Celle union fondée sur l'amour du pro-
chain, si recommandée par Jéi-us-Christ,
est rare parmi les chrétiens du monde, et
ne règne pas toujours dans les communau-
tés religieuses.
PREMIER POINT. — Lcs motifs qui doivent
engager une religieuse à conserver cette
union avec ses sœurs.
I, C'est la volonté du Seigneur. Il n'a
rien tant recommandé è ses disciples que
de s'aimer les uns les autres. Il a appelé
l'amour du prochain son préce[)le, parce
qu'il l'a renouvelé et en a étendu la i)ratique
aux ennemis. Les apôtres et tous les saints
ont imité en cela leur divin Maître.
II. Ces! son avantage, l' l'our l'autre vie.
Ue Seigneur jugera un jour et récou)pensera
SEPTIEME JOUR.
458
selon les œuvres et les degrés de charité.
2* Dès cette vie. Le Seigneur remet les pé-
chés à ceux qui exercent la charité. Il se
plaît à combler de grâces et de bénédic-
tions, une communauté dans une parfaite
union ; bien différente de celle qui n'y est
pas, elle jouit d'une paix solide qui en fait
un paradis sur terre.
SECOND POINT. — Lcs moycns qu'une re-
ligieuse doit employer pour conserver l'u-
nion avec ses sœurs.
I. Se considérant par rapport à elles. At-
tention scrupuleuse. 1° Sur ses actions; ne
faisant rien qui puisse leur déplaire, agis-
sant môme en tout pour leur plaire. 2° Sur
ses paroles; ne disant rien qui puisse les
offenser; n'en parlant jamais mal, mémo
par ('onfidence. 3° Sur ses sentiments;. sans
cela sa charité serait purement extérieure.
Elle doil aimer également toutes ses sœurs,
évitant les amitiés particulières, toujours
funestes à une communauté, 4° Sur ses ju-
gements et ses pensées ;-iuterprélani, autant
qu'il est possible, tout en bien.
II. En considérant ses sœurs par rapport
h elle. Patience inaltérable. Ayant à vivre
avec des caractères de toute espèce et quel-
ques-uns peu sociables, elle pensera que
Dieu la souffre, avec tous ses défauts, qu'il
l'a aimée malgré toutes ses ingratitudes,
que c'est lui qui lui ordonne de souffrir de
son prochain avec patience, et qu'il lui en
a donné l'exemple.
Conclusion. Que de fautes contre la cha-
rité et de toute espèce dont je me suis ren-
due coupable envers mes sœurs, pour m'ê-
Ire trop aimée moi-même!
Résolutions. 1° De m'observer attentive-
ment pour ne leur poinl déplaire ; 2° de ré-
parer, dans le moment et avec humilité,
les plus petites fautes contre la charité;
3° de lu'appliquer à préférer toujours la sa-
tisfaction de mes sœ.irs à la mienne.
SEPTIEME JOUR.
11^»
TROISIÈME DISCOURS. — Sur Vob^issance à
l'Eglise.
Ce n'est pas seulement parmi les chré-
tiens du siècle qu'on trouve des réfractai-
res aux décisions de l'Eglise; l'on en voit
malheureusement encore parmi les épouses
de Jésus-Christ.
PREMIER POINT. — Lcs lootifs qui doivent
engager une religieuse à obéir à l'Eglise.
I. iÉile trouve, dans son obéissance, toute
sa sûreté. Dieu a proniis l'inlaillibilité à
à son Eglise, qui est le corps des pasteurs
réuni à son vicaire le Souverain Pontite ;
voilà ce qui doil la rassurer et lui faire pré-
férer leurs décisions à son propre esprit,
si sujet à se lrom[)er et au jugement do
(juelques docteurs particuliers, indociles
par orgueil et le plus souvent par intérêt.
II. Elle trouve, dans son obéissance, son
l>oiiheur. 1° Pour l'autre vie. Tout ce qu'elle
opère de bien no peut être méritoire du
ciel sans la charité habituelle qui ne réside
poinl dans une personne rebelle à l'Eglise.
Que de mérites perdus pur là! Que de [ici'.
45î^
ORATEURS SACRES. L'ARBE DE MONTIS.
440
sonnes qni paraissent vivantes et qui sont
mortes aux yeux do Dieu par le défaut de
foi 1 2° Bonlieur pour celte vie. Par le ret>os
intérieur, par la paix du cœur qu'une épouse
do Jésus-Clirislne ppui posséder, lorsqu'elle
refuse d'obéir à l'Eglise par orgueil, par,
respect humain. Que de jours passés dans
le trouble, dans l'inquiétude, dans les re-
mords, malgré son atrectation à^ se dire
tranquille 1
SECOND POINT. — Les dispositions dans
lesquelles une religieuse .doit obéir à VE-
glise.
I. Son obéissance doit ôlre sincère et inté-
lieure. L'Eglise l'a toujours exigé de ses en-
fants. Le silence respectueux ne suilit donc
pas et' lui fait injure., La neutralité est éga-
lement condamnable; n'être pas pour elle,
cest être contre elle et contre Jésus-
Christ. Elle doit donc montrer du zèle pour
la défense de la foi, mais un zèle sage et
prudent, convenable à son sexe et à son
état.
H. Son obéissance doit être universelle.
La foi est indivisible dans son objet ; no
pas soumettre son esprit à un seul article,
c'est se rendre coupable; soit que l'Eglise
condamne les erreurs, en général ou en
particulier, elle exige une égale soumission.
L'ignorance qu'on allègue est un prétexte.
C'est une raison de plus d'obéir à l'Eglise.
Autre prétexte. La loi du silence. Le sou-
verain n'a eu intention que d'empêcher les
troubles dans l'Etat, et non de fermer la
lîouche aux évêques chargés par Jésus-
Christ d'instruire les âmes confiées à leurs
soins.
Conclusion pour une religieuse réfraclaire.
Je le reconnais présenlement, si jusque ici
j'ai refusé de me soumettre à l'Eglise, c'est
inon orgueil, ce sont des vues tout humai-
nes qui m'ont séduite.
Résolutions. 1° De demander, tous les
jours à Notre-Seigneur la grâce de connaî-
tre la vérité; 2° d'écouter avec respect et
docilité les instructions et les avis de mes
supérieurs ; 3° de m'acquilter iidèlemetit de
lous mes devoirs , pour mériter la grâce
tl'ètre éclairée.
Conclusion pour une religieuse soumise.
flélasl je plains souvent les épouses do
Jésus-Christ, que des préjugés de naissance
ou d'éducation retiennent dans l'erreur;
mais que me servira d'avoir cru si je vis
mal?
RésolVftions. 1° De remercier souvent le
Seigneur de m'avoir procuré une éducation
chrétienne et catholique; 2" de rendre cha-
que (jour ma |fui [dus active, en m'ac(|uil-
tant îidèlement de tous mes devoirs; 3° do
faire toutes les semaines quelques prières
pour la conversion des religieuses, non sou-
mises à l'Eglise.
HUITIÈME JOUR.
PREMIER DISCOURS. — Sui U bonlieur du
ciel.
On ne doute point do cette consolante
vérité «'u bonheur éternel des élus dans le
ciel, mais jusque dans la religion on no
s'en occupe point assez.
PREMIER POINT. — Daus lô ciel l'esprit
d'une religieuse sera parfaitement heureux
par les connaissances sublimes que Dieu lui
communiquera.
I. Connaissances universelles dans leur
objet. Par la lumière de gloire qu'il, lui
communiquera, elle le connaîtra, avec tou-
tes ses inOnies perfections; elle connaîtra
tous les mystères de notre sainte religion;
tout ce que Dieu a fait pour la sauver; tou-
tes les parties si variées de l'univers, lous
les esprits célestes, tous les élus.
IL Connaissances faciles dans leur acqui-
sition. Sans études, sans travail , au pre-
mier instant de son entrée dans le ciel,
elle sera éclairée de la science de Dieu
môme.
IlL Connaissances infaillibles dans leur
motif. Plus d'erreurs dans le ciel, plus de
doutes, d'ignorance, de ténèbres, parce que
la divine Vérité elle-même l'éclairera.
IV. Connaissances constantes dans leur
durée. Elles ne seront sujettes comme celles
de cette vie , à aucune révolution. Pendant
toute l'éternité elle contemplera son Dieu
sans 'ennui, sans dégoût , parce qu'elle dé-
couvrira sans cesse en lui de nouvelles
beautés.
SECOND POINT. — Daus le ciel, le cœur
d'une religieuse sera parfaitement heureux
par la joie solide dont Dieu le pénétrera.
L Elle possédera un bien sans illusion
qui la satisfera réellement. Honneurs, ri-
chesses, plaisirs, tout y sera vrai, [)arco
qu'elle trouvera tout cela dans son Dieu.
H. Elle possédera un bien sans partage
qui la satisfera pleinement, parce que son
Dieu lui tenant lieu de tous les biens, elle
ne |>ourra |)lus rien désirer.
IlL Elle possédera un bien sans défaut
qui la satisfera purement. Plus de misères
dans le ciel et d'aucune espècej; plus de
peines, d'inquiétudes pour l'esprit; plus
de chagrins, de passions, de faiblesses pour
le cœur ; plus d'infirmités, de douleurs, de
souHVances pour le corps.
IV. Elle possédera un bien sans fin qui la
satisfera éternellement. Il ne peut y avoir
un vrai bonheur, où il n'y a point d'assu-
rance d'une éternité; or, en possédant son
Dieu, elle le possédera et seia intimement
convaincue qu'elle le possédera éternelle-
ment.
Conclusion. Qu'il est grand ce bonheur
du ciel I Mais, hélasl très-peu le posséde-
ront. Le mérilais-je? Ai-je fait jusqu'ici
tout ce qu'il faut pour le posséder?
Résolutions. V De m'exciler à la fidélité
à tous mes devoirs, en pensant souvent à la
grandeur des récompenses éternelles; 2° de
demander tous les jours pardon à Dieu, des
péchés^qui ont pu me fermer pour toujours
les portes du ciel ; 3" de me livrer f)lus que
jamais à la pénilence, afin de faire, s'il se
piiul, tout mon purgatoire on celte vie et de
jouir plus tôt de mon céleste Epoui^.
441 ANALYSE DES DISCOIRS.
HUITIÈME JOUR.
second" discocrs. — Sur la présence de
Dieu.
CVst un moyen de sanclificalion qui est
Itop négligé, convenable cependant à tout
( liiétien, et encore plus aux épouses de Jé-
siis-Ciirist,
PREMIER POINT. — Ccl exercice esf très-
propre à préserver une religieuse du pé-
ché. Première vérité. Dien qui a loul créé,
e^l présent partout, par son immensité, il
.-emplit et pénètre tout jusqu'à son cœur :
c'est donc toujours dans le sein de Dieu son
Créateurqu'elle pèche. Seconde vérité. Dieu
fst présent partout, par sa puissance; il agit
dans tout avec ses créature?; c'est donc
toujours par le secours de son Dieu bien-
laiifur qu'elle pèche. Troisième vérité.
Dieu est présent partout par sa science, il
voit tout, rien ne peut lui être caclié ; c'est
donc toujours sous les yeux de Dieu, son
jugp, qu'elle pèche.
SECOND POINT. — Cct excrcico est très-
propre à porter une religieuse à la vertu.
I. Il Ja conduit à Ja connaissance de ses
devoirs. Qu'elle pense que Dieu la voit, elle
n'aura plus de doute, sur ce qu'elle doit
faire pour lui plaire.
II. Il la porte à l'accomplissement de^ ses
devoirs; 1° à les accoraiilir tous. Qu'elle
pense que Dieu la voit, elle ne négligera
rien de tout ce qu'elle lui doit ; 2° h les ac-
complir plus facilement. Qu'elle pense que
Dieu la voit, rien ne lui coulera de tout
ce qu'il exige d'elle ; 3° h les accomplir par-
faitement. Qu'elle pense que Dieu la voit,
elle agira en tout, par le :molif du pur
amour, qui fait la vraie perfection.
Conclusion. Que j'ai négligé jusqu'ici cet
eiercice de la présence de Dieu, si propre
cependant à me perfectionner!
Résolutions. 1. De faire, plusieurs fois le
jour, des actes de foi, de la présence de
Dieu : Dieu me voit; 2° lorsque je serai
tculée de quelque infidélité, de me dire; si
je succombe, Dieu me verra; 3" lorsque
j'aurai commis quelque faute, de me dire
pour m'exciter dans le moment à la con-
trition : Dieu m'a vue.
HUITIEME JOUR.
TROISIÈME DISCOURS. — SuT les fruits de la
retraite.
Après avoir fait une retraite, il est bien
juste de témoigner au Seignenr, sa recon-
naissance, pour les grâces qu'on en a reçues,
et de prendre les moyens d'en profiter*
PREMIER POINT. — Les grands fruits qu'une
religieuse a retirés de sa retr.iite.
1. Son esprit a été éclairé, 1° elle a ac-
ULITIEME JOUR.
412
quis (les connaissances importantes qu'elle
n'avait pas. Que de nouvelles lumières, en
méditant les grandes vérités de la religion,
et les principaux devoirs de son élall 2° les
connaissances qu'elle avait ont été perfec-
tionnées. Que de nouvelles idées lui sont
venues, en méditant sur le salut, sur le pé-
ché, sur la sévérité des jugements de Dieu,
sur la mort, l'enfer, etc., puis sur les prin-
cipales observances de son saint état, sur
l'ofiice divin, l'oraison, le silence, etc., et
sur les vœux de la religion surtout !
11. Son cœur a été touché. Pouvait - il no
l'être pas, en méditant sur les perfections
infini(.'s de son Dieu, et en se rappelant tous
ses bienfaits, toutes les grâces générales et
spéciales qu'elle en a reçues, la grâce de sa
vocation surtout?
IIL Sa conscience a été purifiée. Les re-
grets qu'elle a formés sur le passé, et les ré-
solutions qu'ellea prises pour l'avenir, l'ont
j)Ortée à faire une revue exacte, accompa-
gnécsurtout d'une vraiedouleur, qui a sup-
j)iéé à bien des confessions faites avec trop
I)eu d'examen et de contrition.
SECOND POINT. —Les moyens qu'une reli-
gieuse doit prendre pour conserver ^ les
l'ruiis de la retraite.
II. Se rappeler souvent les grandes véri-
tés qu'elle y a méditées, et celles surtout qui
l'ont le plus touchée.
H. Exécuter fidèlement les résolutions
qu'elle a prises, malgré l'état de langueur,
d'ennui et de dégoût dans lequel elle pourra
se trouver dans la suite.
III. Se défier beaucoup d'elle-même, en se
rajipelant souvent ses chutes passées , et
en pensant que plus le démon la verra ap-
pliquée à se perfectionner, plus il fera d'ef-
forts pour la perdre; ce qui la fera recou-
rir sans cesse au Seigneur et dans la
prière.
IV. Fréquenter les sacrements. Mais sain-
tonienl avec religion et piété, et non [)ar ha-
bitude, ce qui est assez ordinaire aux reli-
gieuses qui se confessent, et qui commu-
nient souvent.
Conclusion. En sera-l-il de cette retraite,
comme de tant d'autres que j'ai laites» et qui
n'ont point servi à me réformer.
Résolutions. 1 De faire, chaque mois, un
jour de retraite, où je lirai les écrits que j'ai
faits, dans celle-ci, et où j'examinerai soi-
gneusement les progrès que j'aurai faits
dans la verJu; 2 d'employer fidèlement les
moyens de persévérer dans la ferveur que
je viens de méditer; 3 si j'ai le malheur de
tomber dans quelque faute un peu considé-
rable surtout, de ne point me décourager,
mais de m 'exciter 5 une vive douleur, et
d'aller promptement me purifier dans, les'
eaux salutaires de la pénitence \
NOTICE SUR CHARLES LE BOURG DE MONMOREL-
Charles Le Bourg de Monmorel.néàPonl-
Audemer, fut fait aumônier de la duchesse
deBourgogneen 1697. L'abbaye de Lannoi lui
la récompense de son talent pour la chaire,
autant que l'effet de la protection de Madame
de Mainlenon. Nous avons de lui un recueil
iVHomélies estimées, sur les évangiles des
dimanches, des jours du carême et des mys-
tères de Jésus-Christ et de la sainte Vierge.
Celle collection précieuse aux curés de
campagne et môme à ceux des villes, forme
10 volumes in-12. L'auteur écrit avec sim-
plicité, avec précision, et ne s'éloigne guère
de la méthode et du style des saints Pères,
dont il place h propos les plus belles sen-
tences. Nous ignorons l'année de sa mort.
Nous avons été assez heureux pour dé-
couvrir quelques-uns de ses sermons iné-
dits , remis par un de ses [larenls à un
ecclésiastique du diocèse de Bayeux. Le ton
plus soutenu de ces sermonf. nous permet
de les éditer dans notre Collection des Ora-
teurs ; mais nous réservons les Homélies
j>our notre Cours de Prônes.
ŒUVRES ORATOIRES
DE
CHARLES DE MONMOREL.
INEDITES.
SERMONS.
SERMON PREMIER
, SLR LA CHAUITÉ.
Homo quidam eratdivesel induebalur purpura el bysso
et e'pulabalur quotidie splen lide, el eral quidam meii-
dicus nomine Lazarus qui jacebal ad januam cjus cupieiis
salurari de micis quie cadebanl de mensa divilis el
iiemo illidabat. (Luc, XVI, 1.)
Il y avait un cerlain riche qui était vêtu de pourpre et
de fin lin et faisait tous tes jours grande chère, et il y
avait un mendiant nommé Lazare qui était couché à sa
porte ne vuulant que les miettes qui tombaient de la table
du riche, el personne ne les lui donnait.
Toute l'Ecrilure sainte, dil le grand Augus-
tin,ne blâme proprement qu'uneseule chose,
et ne recommande qu'une seule chose. Elle
blâme la cupidité, elle recommande la cha-
rité. Voilà à quoi se rapportent tous ses
préceptes et ses conseils, tous ses exemples
et ses paraboles , tous ses mouvements et
ses figures ; déraciner la cupidité du cœur
de l'homme, y planter la charité en la place,
c'est régler en un moment sa vie et ses
mœurs, et il n'en faut pas davantage pour
en faire un juste sur la terre ou un bieii-
houreux dans le ciel. Mais cet esprit de l'E-
criture qui règne partout, paraît d'une façon
particulière dans l'évangile d'aujourd'hui.
Nous y voyons la cupidité d'un riche dans
tout son jour. C'est un homme (jui n'aime
que lui et qui rapporte tout h lui; mogni
fique en habits , délicat en viandes et en
mets; uniquement occupé de ses commo-
dités et de ses aises, et le cœur si bien fermé
pour tout le reste, qu'un misérable couché
à sa porte, n'ayant besoin que des miettes
de sa table, il ne les peut obtenir. D'un autre
côté, le pauvre, moins occupé de son indi-
gence que du bon usage qu'il en sait faire,
détaché des biens de la terre autant qu'il en
est privé, lève des mains pures au ciel. Jl
ne murmure contre personne; il honore et
aime ce riche dont la cruauté le tue. Eh !
qu'en arrive-l-il. Messieurs? La mort dé-
pouille le riche et revêt le pauvre. Le riche
est enseveli dans les enfers. Voilà le par-
tage de la cupidité. Le pauvre est porté par
les anges jusque dans le soin d'Abraham.
Voilà la récompense de la charité. C'est de
ce défaut de charité que j'ai dessein de vous
entretenir. Dans ce discours, je ne m'attache-
rai ni à l'ambition du riche, ni à sa mollesse,
ni à son avarice, ni à sa dtirelé, ni au mau-
vais usage de ses biens. En vous parlant de
son défaut de charité, je vous parle de loul.
La cupidité était son crime (!t la source de
tous ses crimes ; ou pour mieux dire la cu-
pidité était seule tousses crimes ensemble.
4i5
SERMONS. — SERM. I, SUft LA CHARITE.
U6
Charité chréliciine, amour «iu |irocli<iin, plé-
nitude de la loi, Aine de l'Eglise, coninian-
dement de Jés;:s-Christ par excellence, tou-
jours si nécessaire et [tourlanl aujourd'hui
si refroidie et môme si ignorée, plaise à
l'Esprit de charité et d'amour que je te fasse
aimer, ou du moins que je le fasse con-
naître. C'est, divin Esprit, la grâce que je
vous demande par les niériles de voire
Epouse. Ave, gracia plena.
Trois sortes de personnes manquent de
charité et pèchent contre la (harilé, car les
uns n'ont pour le (irociiain qu'un amour
vicieux, imparfait ou naturel. Les autres au
lieu d'aimer le prochain le haïssent et divi-
sent le corps de Jésus-Christ par des partia-
lités et des dissentions, Enlin les troisièmes
se vantent de ne haïr aucun de leurs frères
t't d'être en bonne intelligence avec tous.
Mais c'est un amour languissant et inutile
et qui consiste à ne leur point faire de mal
plutôt qu'à leur faire du bien. Les premiers
pèchent contre la nature de la charité, les
seconds contre l'étendue de la charité, les
troisièmes contre les devoirs de la charité.
Or à ces trois maux il faut lûcher d'appor-
ter (rois remèdes. Je dis donc aux premiers
que la charité doitètre surnaturelle et divine,
voilà sa naiure. Je dis aux seconds qu'elle
doit être universelle, voilà son élenduc. Je
dis aux troisièmes qu'elle doit être agissante
et secourable, voilà ses fonctions et ses de-
voirs. Trois caractères de ia charité, dans les-
quels je trouverai tous les traits qui me sont
nécessaires pour vous en faire le tableau.
PREMIÈRE PARTIE.
Comme l'homme est né pour la société et
que le lien d'une société raisonnable ne sau-
rait être que l'amour, il faut de nécessité
que les hommes qui vivent ensemble aient
ou feignentau moins quehjue sorte d'amour
les uns pour les autres. Un homme, dit saint
Chrysostome, qui ne veut être qu'à lui, qui
ne veut vivre que pour lui et qui, ayant
besoin de ses semblables, ne veut pas leur
rendre des offices réciproques, est un homme
qui ne doit pas êlre compté et qui n'est pas,
sans douie, de notre espèce. Ainsi, mes
frères, l'homme partagé qu'il est entre la
cupidité et la société, la cupidité qui le
porte à vivre pour soi, la société qui l'oblige
à vivre pour les autres, parce qu'il y va de
l'intérêt de sa cupidité même de servir les
uns et de ménager les autres; il se forme
naturellement entre les hommes, dans tous
les états et dans tous les pays, une
sorte d'union imparfaite qu'une intinité de
divisions particulières ne laissent pas de
troubler et où ce besoin que l'on a d'autrui
et la dépendance mutuelle, entretiennent
une i)aix apparente et une liaison intéressée.
Dans une société pareille on n'y traiique
pas seulement des choses nécessaires à l'u-
sage do la vie, il s'y fait encore un tralic
continuel de services, de soins, de complai-
sances, d'assiduités qui s'échangent contre
des biens de pareille nature ou contre d'au-
tres plus solides et plus réels; car ce qu'on
tiomie on le donne taut qu'il se peut à usu-
re ; l'on loue pour être flatté , l'on prôl«
des paroles pour avoir des choses ; l'on ris-
que peu dans l'espérance de retirer beau-
coup. Voilà, mes frères, ce qui s'appelle l'ha-
bileté et même l'honnêteté du monde. Si la
cupidité des particuliers voulait prendre un
autre route et aller brusquement à ses tins,
elle n'y trouverait pas son compte; tous
s'opposeraient aux entreprises d'un seul,
mais ce qu'on ne peut faire par force on y
réussit par arlitices. Vous diriez qu'on veut
flatter l'amour-propre des autres, et ce ne
sont quedes voies détournées par lesquelles
on tend à satisfaire le sien. La plupart sem-
.blent travailler pour autrui, et personne ne
travaille dans la vérité que pour soi. Ainsi,
les mêmes choses qui divisent les hommes
les réunissent; ainsi tous trompent et se
laissent tromper. L'union paraît au-dehors;
mais le principe de la division règne tou-
jours au dedans. La complaisance n'est qu'un
métier, la libéralité qu'une avarice, la paix
qu'une politique; celui qui loue méprise
dans le fonds de son âme ; celui qui obéit
voudrait commander; celui qui pardonne,
attend une occasion pour se venger; celui
qui observe les lois de la société est au dé-
sespoir de ne les pouvoir enfreindre.
Il n'y a jamais eu que le royaume de
Jésus-Christ oiî un amour élevé au-dessus
de la nature établit entre les chrétiens une
union sincère et une société parfaite. La
cupidité n'y est point contraire à la société,
jiarce que la charité y détruit la cupidité.
Les biens do la terre y entrent pour quel-
que chose; mais les chrétiens en font peu
de cas et ces sortes de biens ne sont capa-
bles ni de les unir ni de les diviser. Ceux
qui en ont, en prennent ce qui leur en faut
et distribuent le surplus à ceux qui n'en
point. Des biens d'un ordre supérieur tit d'un
autre prix sont la matière principale du
commerce; et ces biens spirituels étant
d'une nature à ne se point diminuer par lo
.partage, ils ne sont sujets ni aux usurpa-
lions de l'injustice, ni aux désordres do
l'ambition, ni aux querelles de l'avarice, ni
aux concurrences de l'envie. Tous s'aident à
mériter ou à posséder un même bien; le
grand nombre augmente la joie, et la pos-
sessionde tousn'ôte rienàla possession d'un
seul, puisque la félicité d'un seul devient au
contraire la félicité de tous. Tel est cet amour
céleste que le Fils de Dieu est venu nous
inspirer; telle est la société qu'il a prétendu
former sur la terre; telle était la manière
dont les hommes devaient vivre (es uns
avec les autres suivant les premiers des-
seins de leur création. Car pour remonter
jusques à l'origine des choses, c'est une
solide pensée du grand Augustin que,
dès le commencement du monde , Dieu
commença [)ar mettre dans les hommes
des principes et des impressions de charité.
Il leur en lit même une importante leçon,
ajoute ce Père, par la dllférenle manière
dont il produisit l'homme et les bêles; en
cllel, de chaque espèce d'animaux il en
créa plusieurs individus à la foisj mais il
4i7
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
4iS
ne forma qu'un seul liomme et voulu! qiin
tous les autres descendissent de celui-là : Ex
«no, dit l'Ecriture , /ec?7 omne yenus homi-
niiminhabitaresuper terram{Acl. XVII, 26).
Ainsi, me? frères, le genre humain ne de-
vait être qu'une famille, el les hommes de
(DUS les temps et de tous les lieux, prove-
nus d'un seul mariage, portaient, à l'égard
les uns'des autres, les principes d'un aaiour
inviolable et d'une charité fralernelle. Le
péché troubla cet ordre, révoltant l'homme
contre lui-même, il le révolta contre ses
semblables, et la chair d'Adam qui devait
être une source d'union, devint une source
de division. Ce n'étaient plus que meur-
tres, que guerres, qu'injustices de toutes
parts. La loi de Moïse commença à rappe-
ler les hommes de leurs excès et de leurs
égarements, en attendant que la loi de l'E-
vangile vint réunir en un seul peuple toutes
les nations de la terre. Elle fit voir, dans
un peuple particulier el séparé, l'idée d'uno
société paisible; elle en rétablit les règles ;
elle ordonna d'aimer le prochain comrue
soi-même; mais cette loi qui condamnait
la cupidité sans avoir la force de la détruire,
laissa toujours dans l'homme le principe
fécond des divisions et des désordres.
C'était donc à vous, mon divin Sauveur,
qu'il était réservé par les décrets d'une pré-
destination éternellede venir être surla terre
le Législateur el^le grand Apôtre do la cha-
rité. C'élaiten vous et par vous que tout de
vait être réconcilié. Oui , mes frères, le se-
cond Adam prend la |)lace du premier. Jé-
sus-Christ, chef et [)ère de tous les hommes
d'une manière toute nouvelle, les enfante
par sa grâce, les attache les uns aux autres
par son amour. Le cœur el les entrailles de
Jésus-Christ, voilà le centre de la charité,
voilà où tous les hommes se rassemblent,
voilà où l'apôtre saint Paul nous souhaite:
Quomodo cupiam vos in visceribus Christi.
(Plntip.,1,8.)
Mais écoulons la manière dent ce divin-
Législateur s'en eslex[)liqué lui-môrae: Hoc
e$t prœceptiiin meiim ut diligatis invicem sic-
ut dilexi vos. (Joan., XV, 12). C'est ici mon
commandement et mon précepte. Il l'ap-
pelle son commandement, comme si tous les
autres n'étaient pas les siens, comme s'il ne
s'attachait qu'à celui-là ou que l'observation
de tous les autres dé|)onUîl uniquement
de l'observation de celui-là: Hoc estprœcep-
tum meum. C'est ici mon commandemenl ,
que vous vous aimiez les uns les autres com-
me je vous oi aimés ; quel modèle de charité,
quelle perfection et quelle nalure d'amour I
Èlen un autre endroit il ajoute : v Manduium
novumdo vobis ut diligaUs invicem sicul dilexi
vos. (Joan., XMI , iii.) » Jcvous faisun com-
mandement nouveau, que. vous vous aimiez
les uMs les autres comme je vous ai aimés. Ici
le grand Augustin demande pourquoi le Fils
de Dieu apiielle ce précepte de la charilé
un commandement nouveau, car, disent-ils,
n'avait-il pas été déjà ordonné dans l'Ancien
Testament d'aimerson prochain, commesoi-
Uiôine, elles Israélites ne regardaieotijs pas
co préceple, comme un dos [iliis grands et
(les plus iti(li<;[)onsables -le la loi? El proxi-
tnum tuumsicut leipsum [Mallh., XXII, 39).
Appliipiez-vous, mes chers auditeurs, à la
solution de ce Père qui vous fera compren-
dre de quelle nature est l'amour que le Sei-
gneur nous demande pour le prochain, oi
combien il doit être élevé au-dessus de la
raison el des sens.
Les Juifs étaient bien obligés d'avoir de
la charilé les uns pour les autres, mais à
considérer comme ils observaient ce pré-
ceple, il se trouve une extrême différence
entre les Israélites et les chrétiens: car la
nature produisait cet amour en eux, et rien
que la grâce ne le peut former en nous. Ils
aimaient le prochain, comme ils s'aimaient
eux-mêmes, c'est-à-dire d'une manière sensi-
ble et charnelle ; el le modèle de noire amour
est de nous aimer comme Jésus-Christ nous
a aimés. Ils ne s'aimaient les uns lesaulres
que par rapport à cette terre délicieuse et
à ces biens matériels el périssables qu'ils
devaient posséder ensemble; mais la fin do
l'amour des chrétiens, c'est de s'unir pour
la conquête du ciel, c'est de s'avancer en-
semble vers la possession d'un môme Dieu.
Car voilà les véritables caractères de la cha-
rilé chrétienne: Un Dieu en est le prin-
cipe, un Dieu en est le terme et la fin. Que
si dès le temps de l'ancienne loi quelques
justes se sont trouvés marqués de ce glorieux
cyraclère, on peut dire que dès lors ils ap-
partenaient à la loi de grâce ; car la loi a été
donnée par Moïse, el la grâce n'a jamais
été donnée que par Jésus-Christ.
N'est-ce donc pas un commandement bien
nouveau que celui qui nous élève ainsi au-
dessus de la nature et do nous-mêmes?
N'est-ce pas un commandement bien nou-
veau que celui dont l'observation nous sanc-
tifie intérieurement el nous renouvelle ?
N'esl-ce pas un commandemenl bien nou-
veau que celui qui. nous a été donné par
ce nouvel homme qui nous le fait observer
par sa grâce, non pas selon l'ancienneté do
la lettre, mais selon la nouveauté de l'es-
prit? Confessons-le par notre propre expé-
rience, mes frères, s'aimer de cette manière,
c'est s'aimer d'une manière bien extraordi-
cl bien nouvelle: Mandatum novum do vo-
bis ut diligatis invicem, sicut dilexi vos.
C'est pourtant ainsi que s'oimaienî tous
ces pren;iers chréliens dont nous ne pou-
vons lire riiisloire sans admiration et sans
honte. Dégagés de toutes les aUections im-
pures, indifférents pour tous les objets pé-
rissables, le sang du Fils de Dieu |)ar lequel
ils avaient été régénérés formait entre eux
une alliance non-seulement l>ien [)lus sainte,
mais encore bien plus éUoile que la proxi-
iiiilé d'un sang profane. Tant d'iiommes dif-
férents qui ne s'élaient jamais vus comj)0-
saienl, non pas une même famille, mais un
môme corps, une seule âuio aniiuait tout ce
corps mystique dont Jésus-Christ était le
chef; un seul esprit le remuait. Se trouver
tous à certaines heures dans le lemple; unir
leurs prières et leurs vœux comme pour
149
SERMONS. — SERM.
allaquer le ciel par la force ou remporter
par la multitude, rompre et manger ensem-
ple le pain s;icr^, mystère de charité et
d'union, s'aider en tout, no se contredire en
rien, supporter les défauts et partager les
afflictions les uns des autres; point de con-
testations ni de disputes, si ce n'rlait d'hu-
milité et de modestie ; beaucoup do joie et
do sinc(^rilé au dedans, beaucouj) d'union
et d'éiiiticalioii au-dehors; voilh un peu de
mots les mœurs et les occupations de cette
Eglise naissante. Pour les biens et les ri-
chesses de la terre ils les mettaient en com-
mun. Ainsi, ayant un certain nombre de
riches, ils étaient sûrs de ne point avoir de
pauvres; le plus ou le moins n\-ivait pas de
lieu (tarmi eus et ils estimaient que toutes
choses devaient être égales entre ceux qui
n'avaient qu'une môme foi et un même
Jésus-Christ et à qui Jésus-Christ était tou-
tes choses.
Encore du temps de Terlullien on recon-
naissait les chrétiens à cet amour fraternel.
« Voyez, voyez, se disaient les païens, en se
les montrant, comme ils s'aiment les uns les
autres et comme ils sont prêts de mourir les
uns pour les autres I Vide ut se invicem di-
liganl et quomodo pro alterulrum mori sint
para/i. «Combien de fidèles cachés que cette
marque innocente découvrait à leurs per-
sécuteurs et livrait aux supplices et , aux
bourreaux! Aujourd'hui, mes frères, recon-
naîtrait-on les chrétiens à celte marque?
Y eùt-il jamais moins de charité parmi les
païens ou plus de division [)armi les bar-
bares? Ce[)endant sans cela point de chris-
tianisme ni de salut; car, ne nous y trom-
pons point, quelque parfaite que soit cette
charité, elle n'en est pas moins d'obligation,
quelque sublime qu'elle nous paraisse, c'est
{'Ourtant le premier degré par où l'on com-
mence d'être chrétien ; c'est la marque à
laquelle on reconnaît les vrais disciples de
Jésus-Christ. Èh ! n'est-ce pas Jésus-Christ
iui-même qui nous le dit : In hoc cogno-
scent quia discipuli mei eritis si dileclionem
habueritis ad invicem? [Joun., XIll, 35) Or
ce que le Fils de Dieu a dit, il fie l'a pas dit
pour un temps, il l'a dit pour loule la suilo
des siècles : In hoc cognoscent. C'est propre-
ment à cela que l'on verra si vous êtes mes
<jisciples, si vous avez de la charité les uns
pour les autr'^s. En effet, dit ici le grand
Augustin, toute autre marque est équivo-
que. Les biens de la nature et de la fortune
sont inditléremment possédés et par ceux
qui connaissent Jésus-Christ et par ceux
qui ne le connaissent [tas; la foi, les sacre-
ments et tous les autres biens spirituels sont
coujmuns aux justes et aux impies. N'en
verra-t-on pas ({ui diront un jour au Fils de
Dieu ; Seigneur nous avons fùil des miracles,
nous avons chassé les démons en votre nom, et
auxquels le Fils de Dieu répondra :En vérité,
je nevous connais point. [Mutth ,Vll,22,)Sans
parler ici de ceux dont par le l'apotre saint
Paul, qui distribueraient tous leurs biens
aux pauvres, qui livreraient leurs corps aux
llamiiies,qui parleraient de nos mystères
I, SUR LA CHARITE. i.m
comme des anges et qui, n'ayant point la
charité ne devraient être regardés, que comme
un airain sonnant dont la vaine agitation
ne fait que battre l'air et produire quelque
résonnemenl aux oreilles, tant il est^ vrai
que sans la charité l'homme n'est rien,
qu'avec la charité il est tout ce qu'il peut
être, parce qu'il n'appartient qu'à la charité
de nous incorporer à Jésus-Christ , parce
que cette charité est le lien qui nous atta-
che à son corps mystique. D'où il s'ensuit
que, manquant de celte charité, nous som-
mes étrangers h. son égard, et que ce n'est
que par celte charité que nous sommes vé-
ritablement à lui et que nous pouvons pas-
ser pour être véritablement ses disciples :
In hoc cognoscent quia discipuli mei eritis
si dileclionem habueritis ad invicem. Encore
un coup avoir le cœur animé de cet amour
surnaturel et divin qui est la vie de nos
âmes et par lequel nous aimons , non-
seulement Jésus-Christ, mais encore tous
les chrétiens qui sont les frères de Jésus-
Christ et les nôtres; voilà à quoi le disciple
bien-aimé dans ses Epîtres ; voilà à quoi
l'apôtre saint Paul et Jésus-Christ même
réduisent toutes les obligations du christia-
nisme. Aimons-nous donc les uns les autres,
conclut le grand Augustin, mais aimons-
nous, non comme s'aiment ceux qui se cor-
rompent : Non sicut se diligunt qui corrum-
punl ; non tomme s'aiment les hommes qui
ne se regardent que comme hommes : Non
sicut se diligunt homines quoniam homines
sunt, mais comme se doivent aimer des
chrétiens, parce qu'ils sont dieux, enfants
d'un même Dieu et fret es de ce Fils unique
avec lequel ils doivent posséder un même
héritage : Scd sicut se diligunt quoniam dii
sunt, et filii Altissimi omnes, et Fitii ejus unici
fratres et cohœredes.
Non pas comme s'aiment ceux nuise cor-
rompent; car il en est une infinité dans le
monde de ces sortes d'amours dont le péché
est le lien. L'on croit aimer l'objet d'une
f)assion impure et tout le but de celte af-
fection maudite est de séduire celte per-
sonne, de la précipiter dans un abîme de
corruption et de malheurs, de la rendre in-
fâme devant Dieu et devant les hommes ;
tous elfels d'un amour mille fois plus cruel
et plus dangereux que la haine. L'un se pi-
que d'être fidèle à ses anjis; nuiis l'on le-
garde comme le devoir d'une amitié fidèle
et constante de soutenir non-seulement
leurs intérêts, mais encore leurs (lassion.s
et leurs désordres ; mais l'on se lait une ha-
bitude et une affaire de se prêter des armes
les uns aux autres à mesure qu'on en a be-
soin. Qu'i! en coûte quelque injustice à ce
magistrat, quelque prévarication à cet hom-
me qui d'ailleurs se pique de probité dans
sa profession, une violence à celui-ci, une
fourberie à celui-là, c'est à ces coiiditions
que l'on est ami ,■ et l'on n'est pas di^Mie
d'un si beau nom si l'on hésite ou si l'un
recule pour si peu de chose. Que vous di-
rai-je davantage ; l'on s'associe pour la dé-
bauche, l'on se ligue pour une vengeance
I3i
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
A&l
commune, l'on entre en sociélé d'un gain
honleux et inique qui enrichit les particu-
liers et qui ruine le public. L'on fait des
cabales odieuses dans les compagnies les plus
graves ou les plus saintes; ceux qui sont cou-
pables des mêmes crimes travaillent de con-
cert à s'assurer une môme inipunité. Voilà
ce que le monde appelle des amilies ; mais
voilà ce que la raison et la foi ne jieuvent
reg^arder que comme de véii tables coinfilici-
tés :iVon sicut se diligunt qui corrumpunt.
Il est encore une autre espèce d'amour
qui n'est fias criminel comme celui-ci, mais
qui ne laisse pas d'être fort imparfait et
beaucoup au-dessous des obligations du
chrisiianisme. Non sicut se diligunt homines
guonian homines sunt. L'on aime ses pro-
ches et ses amis, mais l'oi! no lient à ses
proches (|ue par la chair et le sang, mais
l'on ne s'unit à ses amis que pour des fins
naturelles, iiiditf(^rentes ou imparfaites;
l'on se fait des émis de vanité et des amis
d'inclination; l'on s'attache à celui-ci par
une vue de fortune, à celui-là [lar une règle
de bienséance ; l'on se joint [)Our jouir en-
sernble des agréments et des commodités
de la vie; l'on ne cherche qu'à former des
sociétés agréables et même des liaisons
honnêtes, où certaines vertus morales pré-
dominent. Tout cela serait bon pour d'hon-
nêtes païens, mais pour des disciples de
Jésus-Christ, les devoirs de la charité, les
inlcrêls de la charité, les joies que produit
la charité, voilà ce qui les doit occuper;
voilà ce qui les doit unir. Toute liaison que
la charité ne forme point est indigne d'eux
et est une espèce de prévarication pour eux.
La nature de la charité est donc d'être éle-
vée et de nous élever nous-mêmes au-des-
sus de la nature. Que si elle doii-être toute
divine dans sa nature, elle doit ôuoencoie
universelle dans son étendue et c'est la deu-
xième partie de ce discoins.
SECONDE PAKIE.
La diversité dus hommes, l'inégalité de
leurs rangs et la contrariété de leurs inté-
rêts et de leurs humeurs sont, ce mesembie,
trois grands obstacles qui s'opposent a l'é-
tendue de la charité et qui la pourraient
renfermer dans des bornes trop étroites et
trop injustes. En ell'et, la diversité des honi-
njes les éloigne les uns des autres ; leur
inégalité les place les uns au-dessus des
autres et leur contrariété les soulève les
uns contre les autres. iMais le propre de la
chariié, quand elle aniuje vérilablement le
cœur d'un chrétien, c'est de surmonter tous
ces obstacles et de s'étendre et sur cette
diversité et sur celle inégalité et sur celte
coutrariété; sur cette diversité des hommes
pour les ra[tprocher, sur cette inégalité
pour les égaler, et sur celle contrariété pour
les réconcilier.
Sur celte diversité des hommes pour les
rapprocher; car n'est-ce pas là le grand
ouvrage de la venue du Fiis.de Dieu et le
grand etfel de cette chariié "qui en fui le
iruit. Tous les peuples étaient étrangers les
uns à l'égard des autres; autant de nations,
autant de mœurs différentes. Point de lien
pour réunir ceux que les terres ou les mers
séparaient.; mais à peine commence-t-on à
annoncer Jésus-Christ dans Jérusalem, que
toutes les nations se rassemblent. La mu-
raille qui séparait le peuple de Dieu d'avec
les gentils est abattue; les hommes autre-
fois divisés par la diversité des langues re-
trouvent le don des langues comme le signal
qui les rappelle. Les Juifs et les Grecs, les
Mèdes et les Perses, les Scvthes et les Ara-
bes entendent les apôtres parler leurs dif-
féients langages et se soumettent aux mô-
mes lois. Tous les peuples ne sont plus qu'un
peuple ; tous les pays ne sont qu'une même
Eglise. De tant d'hommes si éloignés et si
différents, il s'en forme un seul corps qui
est le corps de i'E|>ouse dont Jésus-Christ
est l'Epoux. Vouloir borner celte Eglise à
uii moindre espace que l'univers, c'est vou-
loir déchirer celle robe de Jésus-Christ qui
ne se divise point et qui n'est que d'un
seul tissu. Ah I disait legrand Augustin aux
donatistes, qui prétendaient que l'Eglise du
Fils de Dieu n'était proprement que dans
l'Afrique et parmi eux, le Père éternel a
donné à son Fils toutes les nations pour son
héritage et vous voulez réduire tout ce grand
héritage à'si peu de chose? Eiil n'esl-ce pas
la principale de toutes les luarques aux-
quelles les saints docteurs ont toujours pré-
tendu qu'on devait reconnaître l'Eglise et
la distinguer de toutes les sociétés sehis-
maiiques?Elre une et être universelle, voilà
ce qui ne peut convenir qu'à la religion du
Fils de Dieu. 11 y a partout des hérétiques,
remarque judicieusement saint Augustin ,
mais ce sont des hérésies différentes. Il y a
partout des catholiques, mais ce n'est
qu'une même Eglise. Dans l'Afrique les do-
natistes, dans l'Orient les eunomiens; com-
me si nous disions aujourd'hui : ici les lu-
thériens, là les calvinistes; mais dans tou-
tes les parties du monde toujours cette so-
ciété universelle de laquelle toutes ces sec-
tes particulières se sont retirées. Il en est
donc, conclut admirablement ce Père, com-
me de la vigne et de quelcjues sarments;
l'Eglise qui est la vigne du Seigneur, a
étendu ses branches [)ar toute la terre; et
toutes ces branches qui sont unies les unes
aux autres, font un seul arbre et vivent
d'une même vie. Mais les héréliiiues ou les
schismatiqiies sont coiiaue auiaiit de sar-
ments nuisibles qu'on a coupés en divers en-
droits et qui y sont demeurés, qui ne vivent
plut; de la vie commune, et qui, n'ayant plus
d'union avec les tidèles, n'onl j)as même do
liaisons ensemble. Jlla lanquam vilis cre-
scendo ubique diffusa, ilti lanquam sarmenla
inulilia qna ubi prœcisa sunt , ibi remanse-
runt ; alii hic, alii ibi; nu^quam désuni; ipsi
lamen se non noverunl.
y Or ce que nous disons du corps de l'E-
glise se doit dire de ia cliarité qui en est
làaie ; car comme c'est la superbe qui sé-
pare et qui disperse les hérétiques , c est la
ciiarilé qui unii et qui lie tous les membres
do l'Eglibc. Ainsi cette charJlJ doit être une
-i55
SERMONS. — SEUM. 1, SUR LA CHARITE.
iU
et universelle tout à la fois : une pour rns-
sembler tous les fidèles, universelle pour
s'étendre et se communiquer à tous les fi-
dèles. Mais admirez , mes frères, comme la
charité chrétienne réduit tout à une par-
faite union ou plutôt à une parfaite unité ;
car il n'en est pas comme d'une société ci-
vile où chacun vit séparément, et cherche
son intérêt particulier et ses avantages. Ici
cliacun travaille pour les autres, et les au-
tres Iravaillent pour lui ; les biens sont com-
muns, les grâces appartiennent également
à tous; celui-ci a reçu le don de prophétie,
cet autre le don des miracles; mais c'est
un même esprit qui opère tout dans un mê-
me corps. Peut-être , (Jit le grand Augustin,
n'avez-vous reçu aucun de ces dons, mais si
vousaimez, vousiesaurcz tous. Si vousainiez
l'unilé , tous ceux qui les ont reçus les ont
reçus pour vous. Olez votre envie, ce que
j'ai esta vous ; que j'aie banni la jalousie de
mon cœur, ce que vous avez est ù moi. La
charité unit ce que la cupidité sépare. L'œil
ne voit pas pour lui, il voit pour tout le
corps; la main ne travaille pas pour elle,
elle travaille pour tout le corps. Qu'un chré-
tien fasse des prières ou de bonnes œuvres,
fût-il aux extrémités de l'univers, comme
il fait avec moi partie d'un même corps je
ressens le fruit de sa bonne vie. Je |)arli-
cipe au mérite de ses prières et du ses ban-
nes œuvres : Particeps ego sum omnium li-
mentium te el custodienlium mandata tua.
\Psal. CXVIU, 93.) Mais aussi quelque peu
de commerce que j'aie d'ailleurs avec un
chrétien, quelque inconnu qu'il me soit, je
suis obligé île mon côté, non-seuleujenl de
prier pour lui en général mais encore de
lui rendre, quand l'occasion s'en présente,
de bous ofBces en particulier. Hé I quoi,
ajoutcsaintAugustin, ce chrétien manque du
nécessaire et vous avez du superflu I II est
traîné en prison par des créanciers nupi-
loyables et vous pouvez aisément l'aider
dans cette nécessité urgente I Mais, dites
vous, c'est un homme que je n'ai jamais vu,
je n'ai nulle liaison avec lui; s'il était do
mes amis ou de mes proches je n'hésileruis
pas à le secourir. Oh 1 que vous connaissez
peu la nature de la charité 1 Un chrétien
peut bien vous être inconnu, mais un chré-
tien peut-il vous être inditl'érent '! Un chré-
tien {)eut-il être étranger à l'égard d'un au-
tre clirétien? Ah 1 si vous aviez un peu de
charité, n'auriez- vous pas pour tous les
membres de Jésus-Christ un amour plus
sincère el plus fort que tous ces amours vi-
cieux ou imparfaits qu'inspirent le monde
et la nature 1 Quoi? vous ne [irélendez exer-
cer la charité chréli«hne qu'envers ceux
dont les intérêts vous sont chers el recorn-
maudabies d'ailleurs 1 Ce n'est donc pas la
charité qui vous pousse, c'est la chair el
le «ang qui vous déterminent ; car si votre
charité était véritable elle serait universelle.
A^-ez-en pour un de vos frères vous en au-
rez infailliblement pour tous; n'eu ayez
point pour tous, il est bien stir que vous
n'eu avez pour aucun.
Passons h rinégalité|des rangs, des condi-
tions etdesélats, car c'est le second obstacle
qui s'ofifiose à l'étendue de la charité chré-
tienne. Et en effet cette inégalité de rangs
et d'emplois abaissant ceux-ci ju^qnes dans
la boue, élevant C( ux-là jusqu'aux situa-
lions les plus sublimes, comn)e si c'éiaient
des hom:i es d'une autre espèce, les sépare
les uns des autres et les em|)êclie d'avoir
de liaison et de société les uns avec les au-
tres. Or le propre de la chaiité.est de ré-
duire toutes ces inégalités à une égalité
parfaite, égalité non-seulement en ce qui
regarde les biens spirituels , mais encore en
ce qui regarde l'usage des biens et des
avantages temporels.
Egalité dans les biens spirituels, parce
queiiDieu il n'3' a point d'acception deper-
sonnes el que tous sont égaux à ses yeux.
Vous /citis, disait l'apôlre Saint Paul aux Co-
rinihiens, tous <0MS qui avez été baptisé en Jé-
sus-Christ, vous êtes revêtus de Jésus-Christ et
ce testament précieux qui vous est communvous
rend égaux et cache toutes les différences ex-
térieures qui vous distinguaient aup<<ravant,
car en Jésus-Christ il n'y a ni différence do
nations, cdmnie de Juifs el de Grecs, ni diffé-
rence de conditions comme d'esclave et de li-
bre, ni différence de sexe comme d'hom-Ties
et de femmes, d'autant que vous n'êtes tous
qu'une même chose en Jésus-Christ. Omnes
enimvosunuin estisin Christo J esu. [Galut.WX,
26-29.) L'original grec porte d'autant que
vous n'êtes tous qu'une même personne. Cum
enim vos unus estis. El en eflel, mes frères ,
oii il n'y a qu'un cœur el qu'une âme, il
n'y a sans douie qu'un seul homme. Le
grand Augustin ajoute, d'autant que vous
n'êtes tous qu'un môme Jésus-Christ qui
aime et qui est aimé; qui aime ses mem-
bres et que ses membres aiment en s'aimant
mutuellement eux-mêmes. Qu'on ne nous
parle donc [)lus de l'inégalité des biens de
ce monde; vous possédez également les
biens de la grâce. Vous aspirez également
aux biens éternels ; qu'on ne nous cite plus
l'inégalité de la naissance, cette première
naissance est effacée ; tous les chrétiens sont
frères depuis qu'ils sont tous devenus en-
fants de I)ieu. Or quand on est égal dans des
qualités de celte importance , l'inégalité qui
se trouve dans des choses de néant, doit-
elle ou peut-elle encore être comptée?
Egalité en ce qui regarde l'usage et la dis-
tribution des biens et des avantages tempo-
rels ; car quoique la charité ne détruise pas el
quecesoil elleau contraire qui entretienne le
plus solidement cet ordre du monde visible,
qui est l'ouvrage de la Providence et dans le-
quel il fautnécessairemeiil qu'il entre del'in-
égalité et de la subordination, les uns étant
destinés pour commander, les autres pour
obéir, ceux-ci en étal de donner, ceux-là en
étal de recevoir. Néanmoins la charité apporie
de si justes tempéraments à toutes ces diffé-
rences que, dans cette inégalité, tous sont
égaux, el que, dans cette subordination, tous
se irouvenl satisfaits. Ce n est donc pas que,
les riches se défassent de leurs richesses,
4S5
mais c'est qu'ils se défont de leur avarice;
ce n'est donc pas que les grands renoncent h
leur grandi'ur, riuiis c'est qu'ils renoncent
à leur anibilioii. Ainsi, mes frères, l'amour
de l'ordre relenaMl celui qui obéit dans la
situation oii il doit être à l'égard de celui
qui commande, l'humilité ne laisse pas d'a-
baisser celui qui commande jusques à la
situation de celui qui obéit. Ainsi le pau-
vre ne pouvant ni ne voulant pas s'élever
jusqu'il l'élat du riche; une compassion
c}irétienne ne manque pas de faiie descen-
dre le riche dans toutes les nécessités du
pauvre. Ainsi cette inégalité bitn loin de
détruire l'union est plutôt ce qui l'acca-
sionne et ce qui la fortifie. Si Ions les horn-
mes étaient égaux, personne n'aurait besoin
de personne; mais dans l'état présent, le
riche a besoin du pauvre et le pauvre a be-
soin du riche ; car le pauvre sert le riche et
le riche nourrit le pauvre; le riche distri-
bue des biens temporels au pauvre , le pau-
vre lui procure les spirituels. Ce que cha-
cun a de trop, il le donne; ce qu'd a do
trop peu, il le reçoit. Que voire abondance ,
dit l'apôtre Saint Paul, rempiisse le vide de
leur pauvreté , afin que voire défaut soit aussi
suppléé par leur abondance et qu'il se fasse
une égalité : « Veslru abundanlia illorum in-
opiani suppléai ul et illorumabundunlia vestrœ
inopiœ sit supplementuin et fiai œqualilas. »
(tl. Cor. VIII, H.)
Uien que la cu|)idilé ne peut détruire
celte égaillé parfaite; car qu'esi-ce que la
cujiidité? demande le grand Augustin, si
ce n'est souhaiter des biens périssables plus
qu'il n'en faut ? Est aulem cu])iditas telle
plusquam sufficil ! Soit qu'on prétende !>lus
deslime qu'un n'en mérite, et c'est ce qui
s"ap})clle orgueil; soit qu'on veuille trop
de gloire, et c'est ce qui s'appelle ambi-
tion, soit qu'on travaille à amasser trop de
richesses, et c'est ce qui s'appelle avarice,
soit qu'on recherche excessivement le |)lai-
sir, et c'est ce qui s'appelle la convoitise de
la chair, car voilà, mes frères, la source de
toutes les divisions. Et en etlet , si chacun
ne voulait des biens et des commodités de
la terre qu'autant qu'il lui en faut, il y en
aurait assez pour tous; mais dès lors que
plusieurs en prennent trop , il y en aura
sans doute beaucoup qui n'en auront pas
assez, et de là l'usurpation des plus forts
et l'oppression des plus faibles; de là les
injustices, les envies, les meurtres, les usu-
res et les larcins.
Mais ôtez celte cupidité et mettez la
charité à la place, vous rétablissez en un
moment la paix et l'égalité partout. Egalité
encore une fois non dans les rangs , mais
dans les cœurs , non dans les biens, mais
dans une distribution équitable des biens.
Car dès que la charité s'en môle, personne
n'a plus sujet de se plaindre. Tous sont par-
tagés à proportion de leur indigence et de
leur emploi. Ce chrétien a moins de coui-
modilés que cet autre, par rap[»ort à ce qu'il
a; mais il en a autant par rapport à ce qu'il
est, ou plutôt à ce qu'ils sont tous deux,
ORATEURS SACRES. DE MOîSMOREL. 456
comme dans le corps de l'homme (car c'est
toujours la com|)araison de saint Paul)
comme dans le corps de l'homme où cha-
(|ue partie lire do la nourriture autant qu'il
lui en faut, et communique le surplus aux
autres. Grande diversité entre les parties
qui forment ce corps, grande inégalité,
mais toujours néanmoins une parfaite éga-
lité ; diversité dans leurs situations et dans
leurs ligures, inégalité dasîs leur dignité
et dans leurs emplois; égalité dans leur
corres|)ondance , dans les offices qu'ils
se rendent et dans les secours qu'ils se
se prèient.
Excellente leçon pour ces dieux de la
terre et pour ces ricîies du monde qui ne
sont que pour eux-mêmes, et qui voudraient
que tous les autres ne fussent que pour eux;
qui, eu lieu d'éiudier les obligations de leur
rang et de se souvenir que les grands sont
bien plus fails pour servir ceux qui leur
sont soumis,' que les inférieurs ne sont faits
pour servir les grands, emploient to.ite
l'autorité qu'ils ont sur les autres non pas
à les soutenir et à les proléger, mais à les
o[»primer et les accabler; gens sans sensi-
bilité pour des maux dont ils n'ont aucune
expérience , ne pouvant souHVir la vue
d'une misère qui peul-êlre leur reproche
celle dont la fortune les a tirés ; inaccessi-
bles dans leur hauteur , tyrans dans leurs
humeurs, scandaleux dans leurs plaisirs,
emportés dans leurs passions, irréconcilia-
bles dans leur colère, insatiables dans leurs
usurpations , notre évangile, mes frères ,
nous en produit un de ces riches coupables
qui se renfermant, pour ainsi dire, dans la
circonférence de leur fortune et de leurs
plaisirs, n'en sortent jamais pour se ré-
pandre sur la misère d'autrui. Un malheu-
reux est à sa porte; il n'a besoin que des
miellés de sa table et il ne les saurait obte-
nir. Mais hélas! mon Dieu, pour un mauvais
riche qui paraît dans notre évangile; com-
bien en est-il aujourd'hui dans nuire Eglise
bien plus durs et bien [)lus iuij)itoyables
que lui; combien de malheureux qui gé-
missent à leur porte et que l'un ne regarde
point ; qui demandent ce qui lyur est dû,
et que l'on ne satisfait point, auxquels oii
reîienl ce qui est à eux, au lieu de leur
donner ce qui est à soi; que l'on rebute au
lieu de les écouter, que l'on insulte, au lieu
de les soulager, que l'on dépouille au lieu
de les revêtir, que l'on ruine au lieu de les
enrichir.
Eulin, mes frères, un troisième obstacle
qui s'oppose à l'étendue de la charité chi-é-
tienne et qui la renferme dans d'injustes
bornes , c'est la conlrariélé. Contrariété
d'humeurs, conlrariélé d'iulérèls, conlra-
riélé dans les dissensiou-s et dans les ini-
miliés.
Conlrariélé d'humeurs ; car combien
voyons-nous tous les jours de scand.des
contre la charité, qui ne viennen: que de là?
combien d'aversions sans raison et de pur
caprice ? combien d'anlipatliie» naturelles ,
(jui dégénèrenl en inimitiés, d'î^utanl plu*
4u<
SF.R.MONS. — SERM. I, SUR LA CHARITF.
im
irréconcili«Tbles que la muse secnMe de la
division consiste, non pas dans des hiens
qu'on peut céder, ou dans des prélonlions
donl on peut décider , mais dans le fond
d'un tempérament qu'on ne veut et que
môme on no peut [)as réformer. Combien
de confrères dans un môme corps tiui ont
pris riiabilude de se contredire en tout et
qui ne peuvent jamais èlre d'un même sen-
timent sur rien ? Combien de proches dans
uneméme maison qui ne sauraient coin paiir,
le temjis qui use les autres inimiliés ne
f.iisant tous les jours (ju'aigrir et renGuv(!-
ier celles-là ? Combien do femmes qui, mal-
gré la fréquenlation des sacrements, trou-
blent tous les jours la paix domesliijue par
de nouveaux emporleuienls, ou plutôt pnr
un em[)ortemenl continuel, et qui ne tait
que changer incessamment de malièfe ?
Combien qui, au lieii de se faire un devcjir
capital, de bien vivre avec cefui au(|uel la
providence les a attachées et h-s a môme
soumises, en viennent à des ruptures d'éclat,
comme si cette piété dont elles l'ont une
profession extérieure, et qui condamne si
sévèrement de pareils divorces, était capa-
be de les justifier aux 3'eux du public?
Remontez jusqu'à la source : une compldi-
saiice en telle occasion, un ménagemtMit,
un sacrifice d'un ressentiment |)eut-6lie
d'ailleurs bien fondé, [)réviendrait tous ci'S
désordres ; or c'est à ces sortes de sacrifices
que vous oblige non-seulement la prudence
humaine, mais encore la charité chrétienne.
Car enfin, demande le grand Augustin,
comment iie devons-nous [loint aimer la
charité, puisque c'est par elle que nous ai-
mons toutes les autres choses de la ma-
nière qu'elles doivent être aimées. Un chré-
tien, mes frères, serait indispensableaient
obligé de donner sa vie pour les intéiôis
de la charité, et une personne qui se |iré~
tend vertueuse ne voudra pas pour cela
faire une violence à son humeur, risquer
une complaisance, ni relâcher des droits de
sa vanité ou de la bizarrerie de son amour-
propre 1
Contrariété d'intérêts; car n'est-ce pas
là, demande l'apôtre saint Jacques, la source
la plus couMiiiine des querelles et des ini-
mitiés qui iléihirenl l'Eglise de Jésus-Christ :
Unde bella et liles in vobis ^ nisi ex concupi-
icenliis vestris? [Jac, IV, 1.) D'où peuvent
procéder tant de guerres et tant de dissen-
sions parmi vous, si ce n'est de vos con-
voitises ? Vous (iréiendoz à la possession
des mêmes biens, et vous vous imisez les
uns aux antres. C'est de là qu'on voit les ini-
mitiés se foraier, les guerres s'allumer, les
jalousies se produire, et môme les meurtres
et les homicides se commettre : Concupi-
scilii et non habetis, el non poteslis adipisci:
litiyatis et belligeralis, zelalis et occidilis.
{JOid., 2.j Or ce que l'apôtre saint Jacques
reprochait aux premiers fidèles, dans ce
lemps'de charité et de ferveur, à combien
plus forte raison le devoiis-tious reprocher
aujourd'hui aux chrétiens ?
Quand il n'y aurait que la seule fureur
OaATELRS SACRÉS. LXVlll.
des procès, jusqu'à quelle extrémité n'est-
elle point parvenue? Pour un intérêt de
néant et soiivent nour des contestations où
rentôteraenl et I animosilé ont bien plus
de part que l'inlèret môme, l'on se traduit
devant les tribunaux, et dès lors plus d'ac-
commoden^eiit ni de concili.ilion : l'on n'a
garde d'en faire les proportions; l'on a
bien de la peine à les écouter. Honneur du
monde, bienséance, intérêt temporel, on
ménage tout, on veut sauver tout, excepté
la charité que l'on abandonne sans [teino
et que l'on sacrifie sans remords. Ahl disait
l'apôtre saint Paul aux Corinthiens, n'est-ce
pas déjà un crime pour vous qu il soit besoin
de tant de jugements et de tant de tribunaux
parmi vous ? « Jam quidem omnino delictum
est in vobis, quod judicia habelis inter vos
(l Cor., VI, 7); » car si vous êtes disciples
de Jésus-Christ, quenendurez'VousIplutôt les
injures, que ne souffrez-vous plutôt les fraudes
el les violences ? « Quarenon mugis injuriam
accipitis^quare non magis fraudent patimini!»
{Ibid.) .Mais au lieu de souffrir l'injustice,
vous lacommettez; bien lnin d'endurer le tort
qu'on vous fait, c'est vous-mêmes qui le
faites et qui le faites à vos frères : Sed vos
injuriam facilis et fraudalis^et hoc fratribus
{Ibid. , 8.) El en elfet, mes frères, jiour ne
pas sortir de la «.alière où nous sommes
entrés, (lour une atfaire juste que l'on sou-
tient, combii.n d'injustes que l'on entre-
l»rend ? et par quelles voies les soutient-on,
el avec quelles dispositions les poursuit- m?
Vous le savez, chrétiens , là où le procès
commence, on peut dire (|ue la chaiié hnit.
Dès lors qu'on s'est dé<;laré celte maudite
guerre , quelque proche que l'on soit,
quelque ami que l'on ail été, |d(is de com-
merce, plus de société , i lus d'ofTices réci-
proques, quelquefois (>lus de |.robité ni de
bonne foi; se surprendre les u-is les autres
par des artilices donl on a f lit un métier,
se consommer par des procédures inutiles,
se susciter mille nouvelles ati'aires ()our se
chagriner, prévenir les juges par des sup-
positions spéci'iuses, tenter l'avarice do
celui-ci, chercher à profiter de quelqu'autie
faible que l'on connaît à celui-là, se décrier
par des médisances particulières, se déchi-
rer ()ar des libelles scandaleux ou ]mv des
déclamations publiques, prostituer sans
aucune nécessité le secret et l'hoineur des
familles, tirer les morts de leur sépulcre
()Our leur ôier leur réputation après leur
mort, comme une espèce de seconde vio
qui leur était encore restée, voilà comme
les chrétiens praticiuent la charité sur cette
malière, voilà comme en usent les disciples
de l'Evangile, eux à qui le FilsdeDieu avait
si expressément recommandé que quand
on leur demanderait la robe, de donner en-
core le manteau, et quand on les frapfierait
sur une joue, de tendre l'autre; c'est-à-dire
auxquels le Fils de Dieu avait ordonné de
tout perdre plutôt que de perdre la charité,
el de tout soulfrir plulôl que de souffrir la
ruine ou l'altération de la charité. « En vé-
rité, disait le ^rand bainl Chrysoslome à
^r;9
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
iGO
son peuple, quainl je fais rc^tloxion ?) co qui
s(^ (i.TSso parmi nous, quand jo vois (les
fhréliens enrôlés non j)as (ians n;ie milice
prolane et sous un même ca|)ilaine , mais
dans une religion toute sainte et sous un
même Jésus-Clnist, tourner les armes les
lins (;onlre les aulres, entretenir des guer-
res civiles et irréconciliables dans l'Kgiise,
s'altaquer, se combattre, se détruire, s'ôier
les -uns aux aulres souvent l,i vie de l'hon-
neur , (quelquefois la vie du corps, toujours
la vie de la grûce, par une mort bien plus
t(Mrible que celle que des armes moti^'-
riclles peuvent doinier, je ne sais p!us
où'j'en suis, et je ne nie trouve ni assez
de regrets, ni assez de larnn s pour |)laindre
et pour pleurer dignement de si cruelles
et dé si funestes tragédies. » Mais je passe
insensiblement, mes frères, à la demièie
espè(e de contrariété qui divise les chrétiens,
et qui consiste dans les haines et dans les
inimitiés.
En effet, malgré le précepte de Jésus-
Ghrist, qui nous a recommandé par toute
son autorité d'aimer nos ennemis ; malgré
l'exemple de Jésus-Clirist qui, altaché à la
croix, a prié pour ses bourreaux ; malgré les
promesses de Jésus-Christ ijui a mis noire
salut à ce prix et qui nous crie dans son
Evangile : Pardonnez et il vnuxsera pardonné:
u Ditnillileet dimilletur vobis {Luc, VI, 37);»
malgré les menaces de Jésus-Chrisi, qui nous
assure qu'on ne fera point de miséricorde à
ceux qui n'en auront point fait à leurs frères ,
on voit encoredes chrétiens entretenir contre
(les chrétiens des inimitiés éternelles; on
voit des créatures usurper les droits de
celte vengeance que Dieu s'est si ()articuliè-
remeut et si solennellement r(^servée; on
voit des hommes qu'on ne peut apprivoiser
avec des hommes, pendant qu'on y ajjpri-
voise les animaux les plus farouches elles
plus sauvages. Mille conjonclui'es favorables
à la réconciliation se présentent : les amis
s'entremettent, les ministres du Seigneur se
l'ont entendre, les sacrements se reçoivent,
les années se passent, et les haines ne ti-
nissent point. Ni la raison, ni la grâce, ni
les hommes, ni le Seigneur, ni la nécessité
du salut, ni la crainte de l'enfer, ni ce sang
du Fils de Dieu qui a lout pacitié dans le
ciel et sur la leire, et que les chrétiens
vont offrir et recevoir en commun dans ce
sacriOce de réconciliation et dans ce mys-
tère de |)aix, qui est le symbole et le centre
de te charité, ne, peuvent triompher du
cœur de ce chrétien ni de son obstina-
tion. Quoiqu'il proleste quelquefois qu'il
ne veut point de mal à son ennemi, il ne
peut pourtant s'empêcher ni de parler de
lui, ni d'y penser, et quand il en parle, ce
n'est jamais sans médisance ou s.nns aigreur,
et quand il y pense, ce n'esl jamais sans
iimertumeou sans aversion; ses prospérités
lui font toujours de la peine, ses disgrâces
lui font toujours un secret plaisir. Il pré-
tend ne le point haïr; mais il ne [)rétend
pas l'aimer, ni le voir. El tout cela le plus
souvent, si nous voulons remonter à l'ori-
gine des choses, pour un discours mal rap-
porté et qu'on n'aura pas pris la peine d'é-
claircir ; pour un mauvais ofiiceque ce chré-
tien nous aura rendu sans avoir intention
de nous le rendre f)cut être; pour un mé-
rite qu'une envie secrète (pii est en nous
ne lui saurait pardonr.(îr. Eh I quand. il nous
aurait le plus cruellement outragé sans
avoir ri'en l'ait de notre part pour nous at-
tirer de pareils outrages, aurions-nous
droit pour cela de violer tout ce qu'il y a
de plus sacré? Faudrait-il nous en prendre
au Fils de Dieu et nous vtnger sur noire
salut, du prétendu tort que cet homme in-
juste aurait l'ail à noire fortune ou à notre
Innuieur ? « Ah! mon cher auditeur, dit ici
le grand Augustin, si lu ne veux plus avoir
de sociéié avec ce chrétien, songe que tu
ne saurais plus en avoir avec Jésus-Chrisi.
En eff'et, ce chrétien fait jiarliedu cor|>s do
Jésus-Christ comme toi ; si tu le sépares
des [)arties de ce corps, il est évident que
lu te sépares du corps; et si tu le sépares
du corps, lu n'as plus de communication
avec le chet. Car, tu as beau le séparer. du
corjis de Jésus-ChrisI, Jésus-Christ ai'mo
son corps et il ne s'en séparera pas [lour
cela, il n'y aura que loi qui demeurera» S('-
paré et du chef et des membres lout à la
iois. Ah 1 si ton frère a péché contre toi,
souviens-loi donc qu'il ne fait qu'un mémo
tout et qu'il n'est qu'une même chose avec
toi, et sui)porte ses fautes comme tu sup-
|)orlerais les tiennes, si tu te voyais tombé
dans un crime et que tu commençasses h
avoir du goût et de l'estime pour la verlu,
ou si tu no l'épargnes pas pour l'amour de
lui, épargne au moins Jésus-Christ en sa
personne; car par quel bizarre partage
prétendrais-tu honorer un chef cl maltrai-
ter un corps q\ii lui est uni? Si lu blesses
le pied, la langue ne criera-l-elle pas: Tu
me blesses. Ce n'est |)as qu'on ait touché h
la langue, mais c'est qu'on a touché à son
corjis. Quand Saul persécute les tidèles de
Jésus-Chri.st, Jésus-Christ ne crie-t-;l pas du
haut des cieux : Saul, Saul, pourquoi me
persécules-tu? {Act., IX, 4^.) Oui, mes frères,
conclut saint Augustin, car tout ceci est de
lui, oui, mes frères, *ésus-Chrisl est déjà
monté dans le ciel, et il y est monlt'i le [)remier
[larce qu'il esl notre chef, mais les tidèles
qui sont le corps de Jésus-Christ, sont encore
rampants sur la terre. Gardes-loi bien , [>ar
conséquent, de blesser aucune partie de ce
corps, si tu nerveux blesser celui (jui nous
assure que ce qu'on fait au moindre des
siens on le fait à lui-même. »
Il me resterait à vous faire voir que celle
même chai ilo qui doit être surnaturelle et
univ(Mselle, doit encore être elhcace ; mais
qu'il me sullise ici de vous dire que c'est
une erreur, à la vérité bien commune, mais
en même temps bien grossière, de s'imagi-
ner qu'on satislail au précepte de la chanté
quand on ne fait pas de mal au prochain,
sans se mellre en peine de lui faire du
biei!. Ecoulez co que dit l'apôtre suint
Paul : La charité n'csi point envieuse, elle
m
SKiniONS. — SER.M. I
ne s'enfle point, elle n'est point ambitieuse,
elle ne cherche point ses intérêts, elle ne se
réjouit point du mal du prochain: voilà
ce que l.i cli<irilc (léfeiid; mais ne dil-il pas
au même endroit pour nous faire enleii-
dre les obligations positives que cotte vertu
irnf)Ose : La charité est bénigne, elle est pa-
tiente, elle soujfre tout, elle croit , elle espère
tout (I Cor., XIII, 4-7), c'est-à-dire, qu'elle
est toujours dans l'action, dans les travaux
et dans les peines.
Ajoutons à ceci ce que dit si souvent l'a-
pôtre saint Jean : Mes enfants, que notre
amour ne soit pas sur noire langue et ne con-
siste pas en paroles, mais en œuvres et en vé-
rité [l Joan., III, 18), pour nous inspirer,
que là oij il n'y a que des paroles, il n'y a
jioint ■d'amour, cl qu'une cnarilé sans œu-
vres ne peut patser pour une charité véri-
table. E-t ne dites pas, ajoute-t-il en un
autre endroit, que vous aimez Dieu lorsque
vous n'aimez pas ou que vous n'assistez pas
TOtre frère ; car si vous n'aimez pas votre
Irère que vous voyez, comoTent pouvons-
I10U5 croire que vous aimiez un Dieu que
vous ne voyez point? (1 Joan., IV, 20.)
Pour comprendre aisément la pensée et le
raisonnement de cet apôtre, remarquez,
s'il vous plaît, qu'on peut distinguer deux
sortes d'amour, un amour de spéculation et
un amour de pratique : pour ce qui est de
l'amour de spéculation, qui ne consiste que
dans des alfections, il ne dépend point de
nos sens et n'est point attaché à nos œu-
vres, la foi nous représentant la Divinité
comme un objet infiniment plus aimable
que toutes les créatures. Il nous est iacile
d'aimer Dieu, ou du moins de nous per-
suader que nous l'aimons de cette sorte d'a-
mour, quoique nous ne le voyions pas, beau-
coup plus que toutes les créatures que nous
voyons. Mais l'apôtre saint Jean parie ici
de celte deuiièrae espèce d'amour qu'il re-
garde comme l'essentiel et le solide, qui
est toute action et qui consiste en œuvres
charitables et en bons oflices. Or la nicjesté
et l'indépendance de Dieu le mettant hors
d'état de recevoir ces marques d'amour et
ces secours Je charité de notre part, si nous
les refuions aux chrétiens , inutilement,
conclut cet apôtre, prétendrons-nous aimer
la Divinité et le prochain; inulilement
prélenduns-nous aimer le prochain, puis-
que nous lui refusons ces marques essen-
tielles de notre amour, qui doivent passer
jiour notre amour même, et inutilement
prétendons-nous aimer le Seigneur, puis-
que le Seigneur étant hors delà portée de
LOS sens et de nos biens, nous manquons à
lu servir de la seule manière dont il le [tuut
et donl il le veut être, c'est-à-dire, eu la
personne de ses pauvres et de nos Irères,
ses images et ses enfants, dans lescjuels
il a voulu se rendre visible. Qui enim non
dili(jit fralrem suum quem videt , Deum
quenx non videt quomodo polest diligere?
Or à quoi se réduisent tous les devoirs et
loulesles fonctions de cette charité eliicaco
el agissante? A procurer, mes frères, autant
, SUR LA CIIARITF:. 402
qu'il est en noire pouvoir deux sortes de
biens au prochain, les biens temporels el
les biens spirituels.
A lui procurer les biens temporels; car
si quelqu'un possède les biens el la subs-
tance de ce monde el que voyant son frère
qui en a besoin, il fernie impitoyablement
son cœur et ses entrailles à la pitié, com-
ment peut-on croire que la charité demeure
en lui? Ainsi, mes frères, assister les pau-
vres, consoler les aflligés, délivrer les oaj)-
lifs, secourir les malades ; c'est-à-dire don-
ner à manger à Jésus-Christ quand il a
faim, lui donnera boire quand il a soif, le
revêtir quand il est nu, le visiter quand il
est infirme, le délivrer quand il est dans
les prisons, voilà la preraièie occupation
de la charité chrétienne. Oculus eram cœco
et pes claudo, disait le saint homme Job en
parlant du temps de son abondance : » J'étais
l œil de l'aveugle et le pied du boiteux (Job,
XXII, 15), » c'est-à-dire, j'étais le refuge
de tous les misérables ; je suppléais à tous
leurs besoins ; ils étaient stlrs de trouver en
moi tout ce qui leur manquait. Mais parce
que les premières intentions de la charité
se portent et s'élèvent à des biens plus no-
bles et plus solides; la deuxième et princi-
pale fonction de celte vertu est (le s'aider
les uns les autres à acquérirles biens de la
grâce, à obtenir les biens de la gloire, rap-
l)0rlant même toujours les temporels aux
éternels. Car ne vous imaginez pas qu'il
n'appartienne qu'aux pasteurs de l'Eglise
et aux ministres de Jésus-Christ de «onlri-
buer à la sanctification des âmes; travail-
ler à se sanctifier les uns les autres, s'en-
courager et s'enflammer les uns les autres
dans la pratique de la vertu, s'aider à faire
ensemble le chemin de la gloire, voilà la
vie des chrétiens, c'est pour cela qu'ils sont
en ce monde, c'est pour cela qu'ils sont dans
l'Eglise. El par quelles voies s'acquitter ùd
cet im{)0it;inl devoir? Par les bons exem-
ples, mes chers frères, que l'on doit donner
continuellement à son prochain, par les dis-
cours de religion et de piété qui devra, ent
l>rendre la place de tant de conversations pro-
fanes el scandaleuses qui aujourd'hui règnetil
si fort dans le monde • par la correction pru-
dente et charitable qu'il faut faire à ceux qui
sont tombés dans quelque désordre; par
l'inslruclion qu'on doit si iiidis()ensablement
à ceux qui dépendent de nous, si l'on ne
veut tomber dans le cas du grand Apôlre qui
dit qu'un chrétien qui n'a pas soin de son
domestique est pire qu'un infidèle (I Tim.,
V,8); par les châtiments salutaires donl on
est obligé de se servir quand on a l'auloriié
en main, pour ramener à la vertu ceux qui
s'en sont écartés. Que vous dirai-je davan-
tage! évitant avec soin lou' ce qui peut éloi-
gner les hommes de Dieu et tâchant toujours
de les attirer el de les porter à Dieu, ceux-
ci par notre humilité, ceux-là par noire dé-
sintéressement, nos amis par une sainte
fidélité, nos ennemis (lar une invincible
patience , les plus indifférents par nos ser-
vices, ceux avec qui nous n'avons aucun
iCZ
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
iCi
cominercG par la biejiveiiliiiice, tous panies
oi'lices conlinuels el par une vie sans repro-
che et pleine d'édification; n'y ayant rien, h
le bien prendre, dans la vie à quoi l'on ne
puisse donner l'esprit el le mérite de la
charité : Omnia veslra in charilale fiant.
!lCor.,X.\l, 14.) Point d'aU'aire qui ne doive
être une allaire de charité, point d'action
qui ne doive être une action de charité , si
nous voulons remplir les devoirs infinis
de cette vertu et nous rendre tout à lors, à
l'exemple du grand Apôtre.
Je finis, mes frères, par celte belle exhorta-
tion que taisait i'apôtre saint Paul aux Colos-
sieus {Coloss., III. 8 et seqq.j : Nunc ergo
deponite et vos oj?mta; maintenant donc que
l'on a tâché de vous développer le mystère
et de vous faire comprendre les obligations
<Je la charité chrétienne, dépouillez-vous
de tout ce qui peut y être conlraire. Iratn,
indignatioriem, maliliam, turpem sermonem:
mêliez bas ces colères, ces haines, ces jalou-
sies, ces indignations contre le prochain, ces
malices, ces discours qui oti'ensent ou qui
scandalisent. Induite vos autem sicut electi
Dei viscera miser icor diœ , benignitatem, hu-
militatem,7nodesliam,patientiam: mais revè-
tez-vous au conlraire des entrailles de la mi-
séricorde, de celle bénignité, de celle hu-
milité, de celte modestie, de telle patience
et de toutes ces autres vertus qui sonl les
compagnes insé()arables de la chariié chré-
tienne. Supportantes invicem et donantes
vobismetipsis sicut et Dominus donavit f o-
bis : vous supportant les uns les aulies et
vous relâchaiil les uns envers les autres de
vos droits, comme le Seigneur qui a lanl
relâché des siens envers nous. Super omnia
autem charitalem habete, quod est vinculum
perfectionis : eiiiin ayez la charité qui est
le lien de la perlection , el la menez au-
dessus de tout, au-dessus de toutes tes
liaisons, au-dessus de tous ces biens pé-
lissables que la cupidité convoite, que le
crime entretient; au-dessus de tous ces
amours que la naiure inspire. Qu'elle
triomphe de tout, qu'elle réunisse tout;
si vous êtes éloignés, qu'elle vous rappro-
che; si vous èles inégaux, qu'elle vous
égalise; si vous ôles contraires, qu'elle
Vous réconcilie. Donnez tout j/our I obtenir
et vous donnez vous-mêmes, piulol que de la
perdre. C'est un lien de perfection, mais
t'est un lien d'obligation ; c'est elle qui lait
les justes sur la terre, c'est elle qui lait
les bienheureux dans le ciel où nous con-
duise, etc.
SERMON II.
Pour le jour des Cenares.
SUR LA MunT.
Memenlo, nomo, quia pulvis es el in pulvercm rever-
leris. (Gen., Ht, 19.)
Sotwiem-loi, homme, que tu es poudre, el que^tu re-
lournerat en poudre.
Est-il donc possible, mes fi ères, que
l'homme le puisse oublier, el pendant que
toutes les créatures lui rendent téiuoionage
de ce qu'il est, et l'avertissent de ce qu il
doit être, faut-il que Tliglise prenne encore
le soin de lui redire de temps en lemps:
Mémento, homo, quia pulvis es et in pulrerem
reverteris. Ah, mes frères, tout nous parle
de la brièveté de notre vie, tout nous parle
(le ce néant, d'où nous sommes à peine sor-
tis que nous commençons à y rentrer. Si jo
lève les yeux au ciel, j'y vois des aslresdonl
le mouvement mesure ma vie, et qui, for-
mant des jours el des nuits, me font souve-
nir que mes jouis sont comptés el qu'après
avoir encore éprouvé duranl quelque temps
celle succession de lumière et de ténèbres,
la mort me doit plonger dans une éternel e
nuit. Si je porte mes regards sur les objets
qui m'enviionneni, la mort qui enlève les
hommes à tous moments sans aucune dis-
tinction d'âge ni de condilions, me donne
de cruelles alarmes, el la vicissitude des
saisons, les combats des éléments et la dé-
cadence de la nature qui rebâtit incessam-
ment sur ses [nopres ruini.s, m'avertissent
que tout passe et que je ne suis ici qu'eu
passant. Si je ramène mes réllexions sur
moi-même, les douleurs et les maladies,
les divers besoins d'une vie défaillante el
attaquée de toutes parts, les chaiigemeuis
du lemj)éramenl el de i âge me font com-
prendre que la ujort me suit, qu'elle m'ac-
compagne, (|u'elle m'attend ; qu'elle me suit
des moments qui m'é-
sont à elle dès qu'ils ne
; qu'elle m'accompagne, se
et m'emporlanl toujours
en attendant qu elle m'em-
pour recueillir
chappenl et qui
sonl plus à moi
mêlant partout
quelque chose
porle moi-môme, et qu'elle m'attend, me
dressant des embûches pour me surprendre
et me poiler le coup fatal, quand j'y pen-
serai le moins. £n un mot si je rabaisse
les yeux jusque sur celle terre qui me
souiient, j'y trouve tout à la fois et mon
commencement et ma fin, et ma destruction
et mon origine; et ces tombeaux el ck'S épi-
laplies me disent pur un silence bien plus
élo(juenl : Mémento, homo, quia pulvis es el
in pulverem reverleri."! Ah I Seigneur, la va-
nité el la dissipation de mon esprit me
lauiaienl fait oublier, mais je commence à
m'en souvenir : l'Iioiume n'était qu'une
poignée de poussière que vous prîtes dans
vos mains el que vous animâtes de votre
souille; el dès que vous venez à retirer cet
esprit qui en fait toute la liaison el la con-
sistance, celle poussière so dissout, et cet
homme rentre dans sa première nature :
Auferesspiritum eorumet déficient, et in pul-
verem suum revertentur.[Psul. CIIl, 29.] Mais,
Seigneur, ce que vous files pour l'homme,
daignez le faire pour le chrélien. Voilà des
cendres salutaires sur cet auiel que 1 Eglise
a préjjaiées pour être répandues sur nos
lèles, animez-les de voire esprit, el par ce
nouveau mélange, vous formerez en nous
des hommes d'une créalinn nouvelle :
Einitles spiritum tuutn et creabuntur. [Ibid.,
30.) Demandons celte grâce, mes frères, par
l'intercession de Marie. Ave, Maria.
De toutes les religions du monde, c'est
sans doute la religion chrétienne qui a jugé
le plus saineiûeni de la nature el de l'un-
453
SERMONS. — SERM.
lité do la mort. Dans les aiilres religions, li; Fil
mes frèro«, bien loin (le se servir de la
mort (tour sanclifier tout ce qu'ils avaient
de profane, los jteuples mal instruils ne la
rrovaient rnpftbl(! que de profaner tout ce
qu'ils avaieni do sacré Les Romains avaionl
exprcsst^ment défendu qu'on cnlPriiU les
corps dans leurs (eraples, s'imaginant que
des sacrifices offerts en présence des moi ts
n'auraient pu avoir que des effets désavan-
tageux et funestes : Ne funeslentur sacra,
disait un grand jurisconsulte sur ce sujet.
Parmi les Juifs mêmes, c'était assez d'avoir
rencontré ou touché le corps d'un niort
pour être réputé impur, et dès iors il n'é-
tait plus permis d'avoir de commerce avec
)es hommes, ni de s'approcher des autels
qu'après avoir été purifié par les cérémonies
de la loi.
Jl n'en est pas ainsi parmi nous : c'est la
mort qui nous purifie ; c'est dans nos églises
que nfnis enterrons les corps des chré-
tiens. Il faut passer par-dessus ces corps
pour s'approcher du corps de Jésus-Christ
qui réside sur cet autel, et au lieu, disait
excellemment saint Chrysostome, faisant
.nllusion à la cnutume de son siècle oi!j l'on
enterrait déjà les morts non pas dans les
églises, mais à l'entrée et sous les vestibules
des églises, au lieu que Moïse avait fait
mettre à l'entrée du tabernacle des miroirs
où les enfants d'Israël avaient coutume de
se regarder pour se mettre en état d'assisler
avec plus de décence nu sacrifice, et pour
étudier la poslure d'humiliation aveclaquelle
ils devaient se présenter devant le Sei-
gneur, nous voyons h l'enlrée de nos tem-
ples des sépulcres de ces morts qui sont
comme les miroirs de nos âmes, destinés à
nous faire rentrer en nous-mêmes et h exci-
ter en nous ces disposilionns d'humilité et
de pénitence que demandent la sainieté de
ros mystères et la majesté du Dieu que
nous adorons. Ce n'est pourtant pas assez
de penser à la mort dans nos temples ; la re-
ligion que nous professons nous oblige d'y
penser partout, et si vous demandez h Ter-
tullicn la définition d'un chrétien, il vous
dira que los chrétiens sont des hommes
destinés à la mort, qui se familiarisent avec
la (non, (pii ne s'occupent que de la moit,
(|ui ne travaillent que pour la niort. Voilà,
mes f[ères, Ti-xcellente matière dont l'Eglise
m'engage à vous parler aujourd'hui, favo-
riscz-moi de votre attention, et dans ce pre-
mier discours qui doit servir de préparation
h tous les autres, je tâcherai de vous faire
voir l'abrégé de toute la science et de tous
les devoirs du chrétien; l'abrégé de toute
la science du chrétien dans la science de la
mort, et l'abrégé de tous les devoirs du chré-
tien dans la [)ratique de la mort. Méditer la
rnort; voilà notre élude; |)ratiquer la mort,
voilà notre emploi, et c'est aussi ce qui doit
faire tout le partage de ce discours.
PREMIÈRE PARTIE.
Personne ne i'ignoro plus aujourd'hui,
ks prédicateurs vous Tout dit cent fois et
11, SUR LA SIORT. ¥fi
Fils de Dieu est lui-raôrao descendu du
ciel pour nous le dire : que la vie présente
n'est rien; que nos passions sont aveugles;
que nos attachements sont injustes; que
nos désirs sont corrompus; que la vanité
nous séduit ; que le faux éclat des ciéatures
nous trompe, et que si nous étions raison-
nables dans la matière du monde o('^ il nous
est le plus important de l'être et le plus
pernicieux de ne l'être pas, l'unique parti
que nous aurions à prendre serait de nous
attacher à la loi de Dieu, de mépriser tous
les biens périssables , de nous mépriser
nous-mêmes, et de travailler sans cesse à
nous acquérir dans le ciel des trésors, des
honneurs, des plaisirs, qui nous feront par-
tager avec Dieu môme l'éternité d« son
bonheur et la souveraineté de son enjpire.
Voilà en deux mots l'abrégé de toute la
morale chrétienne; voilà ce que le Fils de
Dieu nous fait entendre encore a(jjourd'hui
dans son Evangile : Tfiesaurizale vobis tke-
saurox in cœlo, ubi nec œrugo, nec linea de-
molilur, nec fur es effodiunt. (Mallli. ,yi, 20.)
Vous êtes chrétiens, mes frères, et vous
croyez par conséquent toutes ces maximes
fort vraies ; cepenilani l'expérience fait voir
que vous vous conduisez le plus souvent
comme si vous ne doutiez point qu'elles
ne fussent fausses. Or je prétends qu'il ny
a rien de plus efficace pour nous ramener à
ces grandes vérités, pournousen [)ersuader
et nous en convaincre, que la pensée de la
mort, le souvenir de la mort, la méditation
de la mort : Mémento, homo, quia pulvis es et
in pulverem reverteris.
Pour bien entendre ceci, mes frères, re-
marquez, s'il vous plaît, que le Seigneur
nous avait donné trois sortes de lumières
pour nous conduire, la lumière des sens,
la lumière de la raison et la lumière de la
foi : la lumière des sens, pour connaître
les choses matérielles et qui nous sont com-
munes avec les bêtes ; la lumière de la rai-
son, pour connaître les choses humaines
et qui nous sont communes avec les hom-
mes ; la lumière de la foi, pour connaître les
choses divines et qui nous sont communes
avec les anges. Mais qu'arrive-t-il ? les sens
se laissent tromper par les objets matériels
et périssables ; la raison se laisse corrompre
par les sens , et la foi se trouve souvent al-
térée et alfaiblie par le mélange de la rai-
son. Quel moyen donc de rectifier tout cela ?
Eludions la mort, chrétiens^ méditons la
mort; appliquons-nous à la mort, et dans
cetteseule vuede la mort nous trouveronset
la convicliou de nos sens, et la conviction
de notre raison, et la conviction de notre foi.
Que dis-je, la conviction de nos sens ?
les sens sont-ils capables de conviction ?
et quand il s'agit principalement de reli-
gion el de christianisme, les sens n'y sont-
ils [)as inutiles et même entièrement oppo-
sés ? Oui, mes frères, en toutes sortes do
sciences, beaucoup plus en ce qui regarde
la science du salut, les sens y sont d'abord
nécessaires; mais ils se trouvent dans la
suite inutiles et dangereux, Car il en ost
V.7
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
im
(Jcsseiis, dit le ginn»} A\ifiustin, à peu près
comme des vaisseaux qui sont nécessaires
sur la mer el sans lesquels il n'est pas pos-
sible d'arriver à la terre ferme; mais dès
que l'on est arrivé au bord, l'on quitte
I» vaisseau. Un reste d'agitation vous fait
peut-être chanceler encore aux premierspas,
mais bientôt vous vous lassurez el vous
pouvez aller d'un pas ferme où votre vo-
lonté vous porte et où votre raison vous
conduit. De même, il n'est guère possible
à l'homme de rien apprendre si d'abord les
sens ne -j'en mêlent. La foi même, dit l'apô-
tre saint Paul, etilre dans l'esprit par l'o-
reille : Fiâcs ex auditu {Rom., X, 17), mais
dès que l'homme est parvenu à quelque
connaissance de la vérité, après s'être servi
de ses sens, il faut qu'il s'en défasse el
(|u'eiraçanl autant qu'il se peut toutes les
impressions qui lui en sont restées, il com-
mence à avancer d'un esprit ferme dans la
reciierche de la vérité, ne suivant plus d'au-
tres guides que sa raison ou la religian : sa
raison s'il s'agit de choses naturelles, et sa
religion s'il s'agit de choses révélées.
Il n'y a que la mort, mes frères, qui
molle une exception à ce principe si géné-
ral et si solide, car le propre d(! la mort
c'est de nous apprendre la vérité par les
sens; c'est d'affermir môme notre raison et
notre foi par le témoignage des sens, c'est
de nous désabuser des erreurs des sens et
de nous en désabuser par les sens; Ainsi
en toute autre occasion l'on doit écarler les
sens, et il en est comme des serviteurs d'A-
braham qu'il faut laisser au pied de la mon-
tagne, parce qu'ils ne feraient qu'inter-
rompre le sacritice ; mais dès qu'il est ques-
tion de la mort, il faut les rappeler et les
rapprocher. Il faut que les yeux voient,
que l'odorat flaiie, que les mains louchent,
el alors ce témoignage des sens, sanclitiés
el convaincus {)ar la présence de la morl,
nous met en un moment dans toutes les
dispositions où la religion nous demande,
el cela par une im|)ressian semblable à ces
preuves géoméliiques qui se font à l'œil
el qui au lieu de paroles convainquent en
un instant par des exemples contre lesquels
il n'est pas possible de rien opposer.
Que ne m'est-il permis, chrétienne as-
semblée, de vous rendre aujourd'hui la
mort présente de celle manière 1 Vous savez
(|u'il se fait quelquefois dans la médecine
des déuionbtralions analomiques des corps;
l'on ex[)05e les corps à la vue des assistants ,
l'on examine les parties qui les comj)Osent
et, par une inspection exacte du morl, l'on
l'ait des remar(iues qui peuvent beaucoup
contribuer à l'iiislrucliuii ou à la conserva-
tion des vivants. Je voudrais, mes hères,
par une anaioniie de religion, pouvoir ex-
jjoser ainsi un mort à vos yeux nour l'uli-
i:ié et la sancliticalion de vos âmes. Je le
ierais observer soigneusement à mon audi-
toire. Je dirais à ce riche avare : Tiens, vois
la nudité de ce corps; lu l'as connu, cet
Itomme, il avait une fortune bien plus con-
sidérable que la tienne; mais regarde
comme la moi l l'a dépouillé, el juge après
cela si lu as raison d'amasser, aux dépens
de ta conscience et de ton salut, tant do
biens inutiles dont la brièveté de la vie ne
le permettra |)as de jouir, el si ra[)ôlre
saint Paul était mal fondé quc7nd il disait
à son disciple Tirnolhée : Nous n'avons
rien apporté en ce monde, et nous n'en em-
porterons rien; pourvu donc que nous ayons
le vivre et le vêlir, ne nous embarrassons
pus du surplus : (. Habentes autem alimenta
et quibus tegamur, his conlenti simus. »
(I Tim., VI, 7, 8.We dirais à cet homme
de qualité si entêté de sa naissance, de ses
litres ou de ses emplois : Tiens, \&is cet
homme autrefois si élevé au-dessus des
autres ; regarde comme la mort l'a humilié,
y resle-t-il encore quelque apparence de
distinction ? Et ne comprends-tu pas main-
tenant Id justice de ce reproche que le Sage
laisait 5 ceux (jui se repaissent deschimère*
de leur orgueil : Terre, pourquoi l"élèves-lu;
cendre, pourquoi te méconnais-lu '! Quid sa-
perais, lerraet cinis?{Eccli.,X, 9.) Je dirais à
celle personne qui a pour son cor|)S des
complaisances si excessives : Viens , vois
jusqu'où la morl a poussé celle créature
autrefois le charme des yeux, mainlenant
le supplice des sens ; vois, vois ces yeux
[)rivés et de lumière et de feu, ce teint
|)lombéel livide, ces traits défigurés, ce vi-
sage qui fait peur, celle chair que de vils
insectes dévorent ; voilà le funeste état où
ton corps doit être réduit, et conclus, après
cela, si lu as raison d'en faire une idole, et
si Salomon n'avait pas raison de dire que la
grâce du corps n'est qu'illusion, que la beau-
té n'est que mensonge, et que la femme qui
fait de la crainte du Seigneiir son élude et
son ornement est la seule qui méiile do
l'eslimo et des louanges : Fallax gratta et
vnna est pukhritudo , mulier timens Domi^
numipsa laudubitur. {Prov., XXXI, 36.) En
un mol, je m'adresserais à toutes les condi-
tions et ("i tous les élals ; je j)arlerais à tous
ceux qui me voudraient entendre : ou plu-
tôt je ne leur dirais rien ; je laisserais par-
ler le mort, je l'écoulerais comme les au-
tres. A la vue de cel objet allreux, nous nous
entretiendrions en secret du néant de loules
les grandeurs humaines, el de loules les
choses périssables. Alors le charme se trou-
vant heureusement rompu, j'ouvrirais les
yeux pour admirer mon aveuglement, j)our
me détromper de mes erieurs, pour me dé-
faire de mes préjugés, pour désavouer l'in-
juslice de mes passions, pour briser les
chaînes qui m'attachent à la créature et au
monde. Et après une intinilé de pensées so-
lides et salutaires, s'jI me jirenail envie do
roujpre le silence, ce ne sérail que pour dé-
plorer le sort et l'impruden' e des aveugles
mortels. Vivement persuadé el brûlant de
persuader lys autres, j'iiais presser tous les
hommes d'accourir à cel utile spectacle; si
quelque amateur du monde refusait de ve-
nir à i'école de la morl, je lui ferais une
pointure lidèle de ce qu'il ne voudrait pas
voir,clje troublerais au moins sa félicité ci
IflO
SKRMONS. — SEUM. Il, SIJU LA MOUT.
m
sa fausse paix par ccl avertissenveiil- lugii-
lii(« : Memcnlo, homo, quia puliis es cl in
pulverein reverleris!
()ii(3 si ce iiioil n'est pas loiijoiirs pré-
StMil à nos yeux, du moins poul-il ôlre pré-
sent à nos esprits ; car la mort ne nous ins-
Iruil pas souleinenl [lar les sens, elle nous
convainc encore par la raison. El en elfet,
mes frères, c'est assez d'être raisonnable et
d'ôtro mortel pour mépriser tons les biens
d"ici-bas et pour en reconnaître l'imposture
nialgré ce faux éclat qui les environne et cjui
nouséblouit. Cet a tiacheruen tau monde, celte
préoccupation en faveur du monde, ces em-
porteraents d'une jeunesse eifrénée qui no
respire que les amusemenisdu monde et qui
ne reconnaît d'autre divinité que le monde,
sont choses vaines; la vérité est élernelle
mais l'erreur ne le saurait être ; tôt ou lard
la raison de l'homme se désabiis, et secouant
le joug des passions, elle condamne ses ju-
gements et confesse iiautenient la vanité
de toutes les choses moitelles ; mais il en
est qui rendent ce témoignage bien plutôt
et bien plus , facilement que les autres. Les
philosophes le rendaient volonlaiiement et
de fort bonne Iieure, pressés qu'ils en étaient
par la force de la vérité et par la lumière
de la mort, dans la méditation de laquelle
ils faisaient consister la véritable sagesse.
Salomon cl une infinité d'autres qui lui res-
semblent en cela, se sont détrou)|)és et se
détrom[)ent tous les jours par l'expérience
plutôt que par la spéculation ; et .après
avoir erré longtemps de plaisir en plaisir et
de créature en créature, convaincus enfin
d'une maxime qu'ils ont afiprise aux dé-
pens de leur innocence, on les entend crier:
Vanité des vanités el tout est vanité ! {Eccle.,
I, 2.) Il en est d'autres à qui les misères et
les chagrins de la vie tirent cet aveu de la
bouche ; car, dit excellemment le grand Au-
gustin, les adversités, les peines el les dou-
leurs do ce monde sont dans l'ordre de la
providence ce que les tortures des criminels
sont dans l'ordre de la jusiice des hommes.
Kiles pressent l'homme ÎJe s'accuser et l'obli-
gent à confesser malgré lui le néant des
créatures et l'injustice de ses jiassions et do
ses attachements : Incumbil corpori quœ-
slionarius ûolor. .Mais pour ceux que ni la
médila iun, ni l'expérience, n: ri!islal)ililé
ÛGS l'iaisirs, ni la force de la douleur n'ont
f>as encore persuadés durant la v.e, ils ne
manquent pas au moins d'èlre persuadés à
la mort. Voulez-vous savoir ce que c'est (lue,
le monde ? ne le demandez pas à ceux
qui en jouissent, ils en sont Iroj) entêtés ;
demandez-le à ceux qui en ont joui et qui,
étant près de mourir, n'ont plus dintérêl à
se déguiser ce qui en est, ni à le déguiser
aux autres. Deuiandez-Ie aux rois et aux
conquérants qui oiit passé toute leur vie
dans les poujpes et dans les délices du mon-
de, et vous les entendrez à la lin, fidèles
interprètes de cette vérité qui les éclaire et
les instruit, prononcer d'une voixjlrem-
blanle, mais d'un esprit ferme el assuré, des
oracles merveilleux sur le mépris el la va-
nité du monde : témoin ce grand et célèbre
sultan d'Egypte (jui ayant conquis Jérusa-
lem et la Palestine, et après avoir remporté
tant (Pédalantes victoires sur les chrétiens,
(iiMit il avait été la terreur, se voyant mou-
rir parmi la magnilicence et la gloire, vou-
lut qu'un de ses |iriiici|)aux officiers, prenant
le suaire oii il allait ôlre enseveli, l'aitachât
au bout d'une lance, et qu'ayant levé ce nou-
vel étendard qui était comme l'étendard de
la mort, il allât criei' par toutes les places
publiques de la ville : « Voilà, voilà tout
ce qui va rester à l'empereur de ses ricties-
ses, de son autorité, et de ses conquêtes ! »
tant il est vrai, mes chers frères, que toutes
les choses du monde nous découvrent en-
fin leur faible, el que l'amour (jui nous atta-
che aux créatures ne manque pas de se dé-
mentir el de se déliuiro aux approches do
la mort, comme si l'aveu sincère du néant et
d(>. la vanité du monde étant un tribut légi-
time (lue l'homme doit à la vérité, la Provi-
dence ne p')uvait permettre qu'il sortît do
ce monde sans avoir payé ce tribut.
D'où je conclus, mes frères, qu'il est
im()os'-ible que.nous ne soyons ()as désabu-
sés des erreurs de nos passions ou par la
présence de la mort, ou par la médilation
delà mort; parla présence de la mort, lors-
que le s|)ectacle d'une mort prochaine et
inévitable saisissant tout d'un coup nolr«
raison, la mort elle-même nous effrayera,
nous détrompera , nous convaincra. Par la
méditation de la mort, lorsque notre raison
au contraire saisissant la mort par avance»
elle s'allache à l'examiner, à l'étudier, et
en tire toutes les lumières nécessaires jioiir
la conduite de notre vie. Mais il y a celle
différence entre ces deux manières dont la
mort nous désabuse , que souvent la i)ié-
sence de la mort nous désabuse inutile-
ment, et que la méditation de la mort nous
éclaire toujours utilement ; car la mort n»
nous faisant voir le néant du monde qu'au
moment que nous sommes prêts de lo
quitter, c'est une lumière qui souvent ne
j)ioduil en nous que de vains regrels et un
inutile désesjjoir, au lieu que la pensée de
la mort se répandant sur toute la suite de
noire vie nous instruit, tandis que nous
sommes encore en élat défaire un bon usage
des lumières el des insiiuclions qu'elle
liOiis donne. Heureux [)ar conséquent si,
sans attendre la mort, nous nous occupons
de bonne heure à l'étude et à la médilation
de la m(»rt 1 Heureux si , au lieu d'allendre
à connaîire le monde, que le monde nous
ail trompés, nous le connaissons assez lot
pour ein.|>êcher (ju'il ne nous trompe! «Heu-
reux, ajoute te grand Augustin, si nous
nous iiAloiis de dire u'ileiiieiit : Tout pusse,
pour n'ètie pas réduits à la nécessité malheu-
leiise (II; dire toujours inutilement, l'out est
passé: -^ Modo fructuose dicainus: Transeunl,
ne lune dicamus infructuose : Transierunt.»
Mais ijue sera-ce, mes chers auditeurs, si
aux lumières de la raison el de la mort nous
ajoutons celles do la foi , c'est-à-dire si
après avoir considéré la mort par les sens
47J
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
172
et par la raison nous la considérons encore
par les vues de la religion el du clirislia-
nisme. loi tout change de faco, un nouvel
ordre de choses se présente h mou es|)rit;
rélernité elfaie le te/nps, la mort nVsi
plus une fin, mais un commencement. Un
autre monde, une aulre vie, d'autres biens
el d'autres maux, tout y est nouveau, tout
y est grand, tout y est sans fin. Or je pré-
tends que la mort ainsi considérée est la
chose du monde la plus propre pour exci-
ter notre foi, fiour l'Hllermir, pour l'animer
et pour la rendre agissante. Eu effet, ôlcz la
méditation de la mort, cette gloire qu'on me
jiromet, cet enfer dont on me metuice, ce
jugement de Dieu auquel on m'avertit do
me préparer, loutes ces vérités appartenant
à un puire monde, je ne les vois que dans
un grand éloignement, et cet éloignement
affaiblit rim|iression qu'elles devraient faire
sur moi, et U'e prive de la meilleure pariie
du fruit que l'on eu pourrait attendre. Mais
la mort nj'approche tous ces grands objets ;
elle me les rend présents ; elle me les rend
sensibles. Il faut mourir; dans ceite seule
jiroposition , dès lors que je suis chrétien,
je découvre tous mes devoirs, comme autant
de conséquences renfermées dans leur prin-
cipe. 11 faut mourir, et par conséquent, il faut
croire; car de quelque manière que j'affecte
aujourd'hui de me distinguer du reste des
hommes par des sentiments [«articuliers, je
mourrai comme eux, et en mourant je vou-
drai croire comme eux, n'osant pas alors
prendre sur moi le risque de mourir dans
mon libertinage. Il faut mourir : ce serait
donc à moi une grande extravagance de
borner, pour ainsi dire, la fortune de mon
âme à celte vie malheureuse et périssable;
car, dit admirablement saint Augustin,
comme un homme qui n'est dans un pays
(pi'en passant ne songe pas à s'y faire de
grands éiabiissements , mais envoie f)lutôt
ses biens par avance au lieu où il do't faire
un séjour perniancnt: de n)ftrae le chrétien
qui ne sait le jour ni l'heure qu'il doit par-
tir de ce monde, ne doit travailler qu'a en-
voyer SOS mérites et ses bonnes œuvres
dans cette régioti céleste où il espère de
faire un séjour éternel, et ce d'autant plus
(ju'après cette vie, il n'y aura plus moyen
de rien acquérir et qu'il ne trouvera dans
l'aulre que ce qu'il s'y sera procuré par le
bon ou le mauvais usage de celle-ci. Il faut
mourir: cette seule vérité m'explique foules
ces autres vérités : Bienheureux ceux qui
pleurent, parce quils seront consolés: Bien,'
heureux ceux quisouji'rent : Bienheureux ceux
qui sont en bulle à ta persécution et à l injus-
ttce{Matlh.y\, 5,10), et méfait convenir de
tant d'autres maximes évangéliques si con-
traires d'ailleurs à n)es inclinations et aux
lausses lumières d'une nature corrompue.
Il faut mourir: donc la restitution des biens
}nju»lement acquis n'est plus une affaire;
le détachement du monde est une pru-
dence; la mortification des sens est encore
plus raisonnable (ju'elle ne me paraît diffi-
cile. Voilà, mes chers auditeurs, la manière
dont les chrétiens ont toujours raisonné sur
ce sujet. Tempus brève est, disait l'apôlre
saint Paul aux Corinthiens : « Le temps de la
vie est court. » Hé ! que s'ensuit-il de là?
Reliquum est ut qui utuntur hoc mundo tan-
quain non utenles sint, et qui fient tatiquam
non fli-ntes, et qui yaudent lanquamnon gau-
dentes, et qui emunt lanqunm non possiden-
tes : 'xll s'ensuit que ceux qui sont possesseurs
des commodités de la terre doivent en jouir
comme s'ils n'en jouissaient point; que ceux
qui pleurent doivent être comme s'ils ne pleu-
raient point; que ceux qui se réjouissent
doivent se réjouir comme s'ils ne se rrjouis-
saienl point ; que ceux qui achètent doivent
être comme s'ils ne devaient pas posséder ce
qu'ils auront acheté; car la figure de ce
inonde passe (16'or., Vil, 29-31),» et nous
nous avançons sans cesse vers un monde
qui ne ()as.sera point. Il faut mourir, encore
un coup, mais je ne sais quand je dois
mourir et il n'y a point de moment où je
ne puisse cesser de vivre. Il ne faut donc
pas différer ma pénitence d'un nicment;
toujours en garde contre mes passions, loii-
jouis préparé à la mort et toujours m'y [)r<''-
{/arant, il ne me reste, suivant le conseil du
Fils do Dieu, qu'à veiller incessamment
parce que je ne sais le jour ni l'heure, et
qu'il me faut paraître devant un juge qui
peut-être mo surprendra , ou plutôt qui
ra'ayant averti qu'il me surprendra , ne
manquera pas encore de me surprendre de
quelque manière que je me sois attendu à
ôtro surpris.
Mais (jue ne puis-je vous représenter ici
les sentiiuenis et les dispositions d'un chré-
tien qui, ayant négligé toutes ces lumières
durant la coups de la vie, se trouve néan-
moins prêt à paraître devant le tribunal du
Seigneur ! Je souhaitais tantôt, mes chers
auditeurs, vous pouvoir exposer le corps
d'un mort, ïiiaisje souhaiterais présentement
vous pouvoir exposer l'âme d'un mourant.
Je ne'sais si vous prétendez vous (>iquer
sur ce sujet de constance et de force d'esprit,
mais croyez-moi, c'est un étrange état que
de se voir dans le lit de la mort, un crucifix
à la main, l'âme sur les lèvres, le corps
tourmenté de mille douleurs, l'esprit agité
de mille peines, enviionné de ses proches
el de ses amis qui fondent eu larmes: mais
abandonné à soi-même, attendre le mo-
ment décisif non-seulement de sa vie et de
sa mort, mais encore de son salut et de sa
damnalioii éternelle. Cette agonie et ces
convulsions qun forment dans cet honmie
les derniers efforts de la nature ne sont
qu'une faible image de ce qui se passe dans
son âme; ce n'est pas la perle de la vie qui
l'embarrasse, la crainte de la mort est la
moindre de ses craintes. Un Dieu irrité,
des démons furieux, un enfer ouvert, des
crimes si souvent réitérés, des grâces anéan-
ties, des occasions de salut perdues et irré-
parables, voilà ce qui occupe une âme ainsi
placée dans les confins de la vie et de ht
mort et comme dans les bornes communes
de l'éternité et du temps. Vous savez,
AU
chrétiens, l'état où se trouva notre prernier
père après son péché. Le Seigneur Tap-
[)elle; il cherche inutilement à se cacher,
et à peine son trouble et sa crainte hii
laissent-ils la forcée île prononcer ces |)aroles:
Timiii eo quod nudiis esscm, et abscondi tne.
{Gen., 111,10.) Ah I Sei|;iienr, l'état où je
nip suis vu m'a fait h-mio, votre voix m'a
fait peur, je cliercliais à me dérober h vos
veux et à vos justes reproches. Telle, dit
briiiène, et mille lois plus funeste encore
est la disposition d'un |>éclieur mourant et
dénué de mérites. Il reconnaît, jiour ainsi
dire, la nudité de son i)me, mais il ne
dépend plus do lui de la revêtir; il
voudrait ditlérer, mais la voix de son
juge l'ai'pello; il cherche à se cacher; mais
on le force de comparaître. Le silence serait
SON parti, mais il faut répondre à un Dieu
(^ui veut entrer en jugement avec lui. Au-
jourd'liiii l'un se forme un Dieu miséricor-
dieux par excès : alors on le verra armé de
foudres et de carreaux, prêt à faire éclater
toute la sévérité de sa colère. Aujourd'hui
l'on se contente de faire des projets de pé-
nitence, dont on re:net l'exécution à l'ave-
nir; alors il n'y aura f)lus d'avenir pour la
faire, et l'on se trouvera arrivé au dernier
instant de la vie sans l'avoir faite. Quelle
sera donc alors, mes chcrs auditeurs, votre
consolation et voire ressource ; avec quelle
confiance vous adresser à ce Dieu que vous
aurez outragé quand il était en votre pou-
voir de lui rendre des hommages volontai-
res et agréables? Avec quelle facilité mé-
riter la rémission de vos péchés, lorsque la
douleur et la maladie vous permettront à
neine de penser aux choses qui vous étaient
les plus familières? Avec quelle sûreté
vous on reposer sur la sincérité de votre
contrition, tandis que votre cœur corrompu
vous rendra malgré vous mille secrets té-
moignages de son impénitence? Ehl que
pourrez-vous alléguer pour votie justitica-
lion? Prétendrez -vous que les créatures
Tousont séduits, elles qui vous avaient don-
né tant de marquesde leur vanité et de leur
inconstance? semblables à ces roseaux qui
se courbent sous la main de ceux qui s'y
appuient, comme pour les avertir de ne s'y
pas appuyer. Vous plaindrez-vous de n'a-
voir pas été assez instruits, après avoir mé-
prisé tant de fois les inspirations du Sei-
gneur et les instructions de ses ministres?
Pourrez-vous soutenir que vous n'avez |)as
eu assez de temps pour la pénitence, en
ayant tant donné à vos passions et à vos
plaisirs? Serez-vous bien fondés à vous
plaindre de la brièveté de la vie ou de la
surftrise de la mort, a|)rés en avoir été si
souvent et si solennellement avertis? Que
nous resle-t-il donc, mes frères, sinon d'é-
tudier la mort, de consulter la mort, d'é-
couter la mort, de prévenir souvent, par
de sérieuses méditations, les sentiments et
les dispositions où nous nous trouverons à
la mort, de commencer dès aujourd'hui à
régler nos jugements sur ceux que nous
leruns en niourant, à estimer ce que nous
SERMONS, — SEKJi. II, SLR LA MORT. 47»
(■stimerons en mourant, îi condamner ce (|ue
nous condamnerons en mourant. Mais ce
n'est pas tout, et pour être un vérilablo
chrétien, il faut joindre la pratique de la
mort cl la science de la mort; c'est ce que
j'ai encore à vous l'aire voirdans la deuxiè-
me partie de ce discours.
DEUXIÈME PARTIE.
Ce n'est donc pas assez de prévenir les
lumières de Va mort, il faut encore préve-
nir les coups de la mort, en emprunter les
traits, s'accoutumer h mourir avant que
nous mourions, et, par un utile apprentis-
sage, lâcher de nous faire volontairement
à nous-mêmes ce que la mort nous doit faire
un jour malgré nous. Voilà ce que les sages
du siècle n'ont point compris ; car si vous
voulez savoir, dit saint Jérôme, la ditlé-
rencequise trouve sur ce sujet entre les
philosophes et les chrétiens, voyez la diffé-
rente manière dont ils s'en expliquent. Pla-
ton (lit que sa pliilosophie est une médita-
tion de la moi t : Medilalio mords; mais
saint Paul dit que sa vie est une n)ort con-
tinuelle: Quotidie moriur (ICor., XV, 31.)
Ainsi Platon pense à la mort et la regarde
de loin pour s'y f)réparer et pour s'y ré-
soudre ; mais saint Paul se familiarise avec
la mort, et par une généreuse impatience,
il anticipe la mort. 11 y a donc, conclut saint
Jérôme, une perfection dans le chrétien bien
au-dessus de celle du philosophe; car la
philosophe se contente de vivre comme un
liomme qui songe qu'il doit mourir, et le
chrélieu s'occupe à mourir comme un
homme qui ne songe filus h vivre: Aliud
enim vivere moriluruin,aliud mori victuruin.
C'est, mes frères, cette mort s|)irituello et
intérieure qui nous est si recommandée
dans les Ecritures de la loi nouvelle; c'est
de cette mort que parlait le grand Augustin
quand il disait : « Ali ! Seigneur, nous sa-
vons que nos âmes doivent un jour être dé-
liichées de nos corps; mais avant que nous
mourions de celte mort naluielle, fniles-
nous la grâce de mourir de cette mort évan-
gélique, qui est si précieuse devant vous,
et qui est la mort ou plutôt la vie do vos
justws et de vos élus : Da nobis mortem is-
lam evangelicam prius mori. » Mais, [)OUi-
njourir de celle mort évangélique et chré-
tienne, que laul-il faire? Je vous l'ai déjà
dit, chrétiens, il n'y a qu'<i faire en nous
volontairement et |>ar avance tout ce que
la mort y doil faire un jour i/ifailliblement
et lualgré nous. Or il me semble que les
elfels de la mort se peuvent réduire à trois,
principaux: la mort égale .toul , la mort
séjiare tout, la mort anéantit tout ; car
nous pouvons prévenir cette égalité, cette
séparalion. cet anéanlissement : cette éga-
lité de la mort en nous humiliant, cette sé-
paration en nous mortiliant, et cet anéan-
tissement de la mort en nous sacrifiant.
La mort égale tout : elle renverse les.
trônes, elle abaisse toute hauteur, elle roiupt
tous les rangs, elle confond toutes les dif-
férences. Tant que dure cette vie pénssa-
475
ORATEURS SACRES, DE MOiNMOREL.
476
ble, , un osl riclio, l'autre est pauvre, l'un
maître, l'autre esclave ; celui-ci roi, celui-
là sujet; mais dans l'empire de la mort,
tout y est semblable, tout y est poussière,
tout y est néant; el sur celte poussière, à
laquelle la mort nous réduit, elle n"y laisse
pas la moindre trace de supériorité ni de
distinction. Les Pères de l'Eglise recher-
chent la raison de cetfeconduite et de cette
providence particulière, qui voulut ôter
aux enfants d'Israël la connaissance du
tombeau de Moïse; quelques soins qu'ils
y a[)portassent, ils n'en eurent jamais de
nouvelles. Plusieurs estiment que ce lut
pour ôter à ce peuple une occasion d'idolâ-
trie; Dieu, prévoyant que si les Israélites
eussent trouvé le corps de ce prophète,
I)oiir le(iut'l ils avaient une si gramle véné-
ration, ils n'auraient pas manqué d'en l'aire
l'objet d'une adoration sacrilège. Mais non,
reprend admirablement le grand Augustin,
ce ne lut pas pour celte raison (jue Dieu
en usa de la sorte ; l'on ()ourrait plulôt ido-
lâtrer un corps vivant, mais l'on n'ido-
laire point un corps mort, el ce lut sans
doute par un principe tout contraire
que Dieu voulut que celui de Moïse de-
meurAt caché. S'ils avaient vu le corps de
Moïse corrompu et réduit en cendre, eux
qui avaient vu autrefois ce grand homme
tout environné de gloire, lorsqu'ildescendil
de la montagne pour leur apporter la loi ,
c'eût été ruiner cet ascendant que Moïse,
tout mort qu'il était, devait conserver sur
eux. Autrefois, pour se proportionner à
leur faiblesse, il s'était vu obligé dévoiler
son visage dont ils ne pouvaient supfiorler
l'éclat. Mais depuis que la mort a déliguré ce
même visage, il faut que |)0ur ménager la
faiblesse de ce peuple la Providence prenne
le soin de le cacher sous d'autres voiles, et
que par une obscurité mystérieuse, elle
entretienne le res|)ecl qui est dû et à la
mémoire du législateur et à l'autorité de
la loi. Grandeur, autorité, noblesse, for-
tune, titres, emplois, rien de tout cela ne
descend dans le tombeau ; diverses inscrip-
tions au dehors, même poussière et même
cc)rru|)tion au dedans, car il en est de la
ditléronce des rois à peu près comme do
ces arbres qu'on voit dans les forêts : tant
qu'ils sont en pied, on en sait les espèces
et les noms, on en remarque la dilTérenle
hauteur, mais que le feu y ait passé, l'on n'y
recormaîl plus rien; les cendres du cèdre
ne se peuvent distinguer dans celles du
plus petit arbrisseau. Que si la mort abaisse
tout, si la mort égale tout, qui fera en nous
cette preujière fonction de la mort? Ce sera
l'iiumililé, mes frères, car c'est l'humilité
qui nous abai.^se el qui nous anéantit, non-
seuleiiicnt à l'égard de Dieu, mais encore h
l'égard des hommes, réduisant tous les chré-
tiens à se ranger les uns au-dessous des
autres, et malgré la distinction des conditions
et des états, nous mettant dans une position
sincère de ne nous croire au-d'jssus de
personne et de croire plutôt tous les autres
au-dessus de nous; el c'e^l ce que l'Eglise
prétend par la cérémonie d'aujouril'hui,
lorsque jetant une même poussière sur la
lôte de tous ses enfants, elle leur dit à
chacun d'eux : Mémento, homu,quiapulvis es
et in pulverem reverteris. Car c'est comme si
elle disait à cet homme que sa naissance ou
sa fortune ont placé dans une situation si
sublime : Aujourd'hui tu es un peu plus
grand, un peu plus élevé que les autres,
mais bienlôt le jour arrivera que lu repren-
dras aussi bien qu'eux la figure de celle
même poussière dont lu as été tiré comme
eux. Poussière de la mort, que tu es un
contre-poison admirable contre le venin
de notre orgueil 1 Souvenir de la mort, que
lu es nécessaire i)our nous maintenir dans
notre devoir, par h; considération de notre
néant I C'est de celte pensée salutaire que les
Césars mêmes, quelque païens qu'ils fussent,
sentaient bien qu'ils avaient besoin, prin-
cipalement dans les plus grands jours de leur
vie el dans les cérémonies do leurs triom-
phes , puisque , suivant la remarque de
ïerlullien, il marchait toujours immédiate-
ment a[)rès le char de l'empereur un hérault
qui lui criait de teiniis en temps : Memen/o
leesse hominem: n Souvenez-vous que vous
êtes homme, » de peur que la magniticence
et l'éclat dont il se voyait environné, lui
laissant oublier les misères de sa condition
mortelle, il n'allât se perdre dans les idées
d'une vanité qui n'aurait pu lui être que
très-funeste. Mais c'est aussi celte même
pensée que le dévot saint Bernard revêtait
d'expressions si chrétiennes, lorsque, par-
lant au pape Eugène avec tout le respect
qu'un religieux devait à un souverain Pon-
tife, mais en même temps avec toute la li-
berté qu'un maître se pouvait donner à
l'égard de son ancien disciple, il lui adres-
sait ces paroles : « Saint Père, je sais que
vous êtes le grand prêtre de la loi nouvelle,
le premier des évoques et l'héritier des
apôtres. Je sais que vous réunissez en
voire auguste personne le gouvernement
de Noé, l'ordre de Melcliisédech, la dignité
d'Aaron, l'autorité de Moïse, l'onction de
Jésus-Chrisl même; mais pour être devenu
ce que vous n'étiez pas, pour cela vous n'eu
êtes pas moins ce que vous étiez. Dé|)Ouil-
Icz-vous donc un peu de cette gloire qui
vous entoure, de celte |)om()e qui vous oc-
cupe et de tous ces vains ornements qui ne
sont i)roprement à l'égard de l'homme que
comme ces feuilles dont notre premier pèro
se couvrit dans le paradis terrestre. Otez,
quand ce ne serait que pour un moment,
celle pourpre, ces tiares, ces palais, ce
grand embarras, cette foule de domestiques
et de suppliants. Eh 1 que Irouverez-vou»
sous tani el de si précieuses enveloppes?
Un homme pauvre et misérable qui n'est
que cendre, que corruption et que péché,
se [ilaignant de ce qu'il est, ne rougissant
pas de ce qu'il est nu, et reconnaissant que
tel qu'il est il est destiné pour le travail, et
non [)as pour le plaisir ni pour la grandeur.
Voilci, grand j)onlife,je ne dis pas ce que
vous avez élé ou ce que vous serez un jour,
477
SERMONS. — SFRM. Il, SUR LA MORT.
iT8
mais ce que vous êtes dès à [présent, el ce
que veus devez tâcher de vous paraître
continuellement à vousrinôme, en atten-
dant que la mort vous le fasse paraître à
l'égard des autres. » Or, mes frères, ce que
saint Bernard rei)résenlait à ce pontife, c'est
ce que nous devons nous représenter aussi
chacun à proportion de notre condition et
de notre état ; car si celte pensée de la
mort est ca})able de contrebalancer l'éléva-
tion des plus grandes dignités de la terre,
comment ne serait-elle pas capable (ie sou-
tenir les personnes du commun dans une
juste et ()arfaile modération ? Si nous nous
appliquions de temps en temps [cette pous-
sière originelle, comme le Fils de Dieu ap-
pliqua une boue mystérieuse sur les yeux
de l'aveugle auquel il rendit la vue, il n'en
faudrait pas davantage [)Our nous empocher
de nous méronnaître el [lOiir guérir l'aveu-
glement de cet orgueil qui tait aujourd'hui
de si grands désordres dans le monde; de
Cil orgueil qui nous porte îl nous élever
sons cesse sur les ruines des autres, quoi
(pi'il nous en puisse couler du côté do la
religion el de la conscience ; de cet orgueil
qui rend la domiiialion dus grands si dure
et si odieuse, et l'obéissance des intérieurs
si im|)arfaiie et si.conlrainle ; do cet orgueil
qui, nous faisant au moins imittr ceuv que
nous ne pouvons égaler, nous fait donner,
par désaffections de grandeur, dans des ri-
dicules que le monde même ne peut souf-
frir; de cet orgueil qui, étant accompagné
de puissance, est la source féconde detaiil
de cruautés et d'usurpations, sous lesquel-
les la. faiblesse et la justice se trouvent
malheureusement opprimées; de cet orgueil
qui, s'en prenant à Dieu même, attaque in-
solemment sou autorité, soit par des ré-
voltes de l'esprit contre sa religion, soit
par des murmures contre sa providence,
soit par une rébellion du cœur contre ses
préceptes et ses volontés ; de cet orgueil en
un mot qui est le commencement et la con-
sommation de tout péché, le péché ne con-
sistant que dans une prétendue indépen-
dance par laquelle la créature aime mieux,
se plaire à elle-même et ne dépendre iiue
d'elle-même que de s'assujettir à [tbiireà Dieu
etdese ranger sous la dépendance des lois de
Dieu. Encore une fois, si nous nous occu-
|uons du souvenir de la mort, il n'en fau-
drait pas davantage |)our nous faire souve-
nir de ce que nous sommes el pour nous
retenir dans la situation .où no .s devons
être. Personne ne s'élèverait plus au-dessus
du rang que la providence lui a marqué.
On serait ol)éissanl à 1 égard de Dieu et
jialient à l'égard des hommes. Ou rendrait
justice aux autres et on se la rendrait à soi-
même. Ainsi l'humilité égalerait tous les
états et les entretiendrait en même temps
dans une parfaite subordination ; car on lie
laisserait pas lie garder les dehors de la
grandeur, mais l'on y joindrait l'intérieur
et même les dehors de la modestie et de la
douceur chrétienne; el, par une distinction
éjuilable de la dignité et de la personne,
la personne serait toujours humiliée, el la
dignité ne manquerait ,pas de se trouver
soutenue.
La mort égale tout, mais j'ai dii en se-
cond lieu que la mort sépare tout : Siccine
séparai amara mors? Est-ce ainsi que la
mort cruelle sépare? » disait autrefois ee roi
malheureux, qui venait d'entendre pronon-
cer l'arrêt de sa mort et qui, ayant été vaincu
et emmené captif par le roi d'Israël, afirès
son royaume et sa liberté, était encore près
perdre la vie : Siccine séparât amara mors ?
{l Reg.f XV, 32.) Est-ce ainsi que la mort
cruelle sépare? Elle nous sépare en effet do
nos amis, de nos proches et de tous les
hommes tout à la fois ; elle nous arracho
nos biens ou plutôt elle nous arrache à nos
biens, à nos plaisirs, à nos dignités et à nos
attachements; elle sépare en un mot les
deux parties essentielles qui nous compo-
sent, et, pendant que l'homme quille tout ce
monde visible, elle le réduit à l'étrange né-
cessité de se quitter soi-même et de se diro
à soi-même un triste et rigoureux adieu.
Séparation universelle de la mort, second
objet de notre imitation, deuxième règle de
notre conduite. Mais qui fera en nous cette
seconde fonction delà mort? ce sera, mes
frères, la mortification chrétienne; l'humi-
lité égale loul, mais c'est à la mortification
à nous séparer de tout. C'est ce glaive que
le Fils de Dieu est venu apporter sur la terre
pour séparer le frère d'avec le frère, le fils
d'avec le père, et la femme d'avec l'époux ;
c'est cette vertu qui portant ses impressions
salutaires jusque dans le fond de notre
intérieur, nous éloigne du monde, nous
ap[»rend à nous passer du monde, divise
l'esprit d'avec la chair, et nous détache el
des créatures et de nous-mêmes. « C'est par
cette vertu, dit ïertullien,que les premiers
chrétiens travaillaient à se préparer au
martyre, s'exerçant à la feraîelé el à la
douleur par le retranchement des plaisirs,
el s'établissant peu à peu dans l'état d'une
généreuse liberté qui leur faisait mépriser
la mort, après avoir couf)é pour ainsi diro
tous les liens par les(|uels nous avons cou-
tume de tenir h la vie : Soient enim ad
hanc obstinationem abdicalione voluptatum
erudiri quo facilius vitam contemnant, ain-
pulalis quasi retinaculis ejus. » Eu un nmt
c'est cette vertu qui, tirant son nom de la
mort, la doit regarder coiiune son modèle;
la mortification n'étant autio chose qu'un
essai et uuo ()rali(|ue continuelle de la
mort. Morluiestis, disait sur ce sujet l'apôtre
saint Paul aux premiers tidèles. Ne vous y
trompez pas, mes frères, si vous êles de
véritables cliiélieiis vous êles de véritables
morts ; (juoique vous soyez encore dans lo
monde, vous notes pourtant plus du
monde et on peut dire qu'il n'y a plus
de monde pour vous. Crucifiés avec Jésus-
Christ et ensevelis avec Jésus-Christ, vous
avez éloulîé la vie de la nature et des sens,
et la seule vie où vous devez désormais
pi étendre, c'est celte vie secrète etglorieuso
(lui est cachée uvoc Jésus-Ctirisl daus le
179
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
480
foin de la Divini é : Morlui eslis et vita ve-
stra ahscondila est cum Christo in Deo.
(Col., 111, 3.) En lin mot, dit exnellemment
S. Prosper, n'êlro touché ni de ralliait des
plaisirs, ni de l'éclat des richesses, ni de
la vanité des honneurs, avoir des yeux qui
re voient point, une langue qui ne parle point,
des sens qui n'agissent point, ôlre exempt
cl lies illusions de l'orgueil, et des fureurs
de la colère, et des chagrins de l'envie, et
du trouhle des aulres passions, également
insensible et aux louanges qui flattent et
flux railleries qui chofjuent, et aux insultes
<iui outragent, et h tous les étals oti l'on
se Irouve, et à tous les accidents qui arri-
vent ; dans le monde, mais séparé du
monde, sans aucun commerce avec le
monde, sans aucune attention aux choses
<iu monde, sans aucun mouvement à l'égard
du monde, voilei proprement l'état du mort
et l'obligation du chrétien. Mais parce qu'il
n'est pas possible que nous nous trouvions
jamais, ici-bas du moins, que nous demeu-
rions longtemps dans une disposition si
parlaiie ei que celte malheureuse convoi-
tise qui subsiste jusf|u'à la mort dans les
plus justes et dans les plus saints, y excite
toujours, malgré eux, quelques mouve-
menls de péché et entretient toujours dans
leurs cœurs quelques restes de la vie du
monde, que nous reste-t-il, mes chers audi-
teurs, sinon de faire peu à peu ce que nous
lie pouvons pas faire tout d'un coup; car
voilà quelle doit être la grande occupation
des chrétiens, de combattre cette convoitise
qui les combat, de travailler sans cesse à la
diminuer et à l'affaiblir, de nous détacher
de quelques-uns de ces objets qui nous
arrêtent et nous cafilivent, nous exerçant
ainsi à mnuiir, pour ainsi dire, à diverses
reprises et en plusieurs fois, puisqu'il ne
nous est pas possible de mourir en une
seule. Je meurs tous les jours; disait l'apô-
tre saint Paul aux Corinthiens : « Quolidie
morior.ïi (I Cor., XV, 31.) Dans l'ordre de la
nature, on peut dire que i;ous mourons
tous les jours; il n'est pas d'heure qui ne
nous Ole une heure de notre vie. Chaque
instant nous retranche une portion de nous-
mêmes. Mais si nous mourons tous les
jours dans l'ordre de la nature, il faut tâcher
de mourir tous les jours par les ojjérations
lia la grâce : Quotidiemorior.ll faut quitter
toutes les créaluies les unes après les au-
lres, aussi bien serait-il trop dilficile de les
abandonner loulcîsà la fois, comme ce grand
conquérant de l'antiquité qui, ne pouvant
faire passer un fleuve à ses troupes, à cause
de sa rapidité et de sa prol'ondeur, le lit
sé|)arer en un grand noml)re de petits ruis
seaux et le rendit guéal)le par ce moyen.
Ahl rien n'est plus malaisé quand un hom-
me est près de mourir que de rompre tout
d'un coup avec toutes les créatures de l'uni-
vers. Quelle affliction, quelle douleur, quel
désespoir 1 Mais quand on a encore quel-
que temps à vivre, quoi de plus facile que
ue romi)re insensiblement toutes ses atta-
ches, que de mourir aujourd'hui à l'égard I
d'une passion et demain à i egaro n une au-
tre; que de se priver tantôt d'un plaisir illé-
gitime et lanlôld'un {)laisir innocent; que
de s'ôter soi-même une partie des biens par
les aumônes, une partie des honneurs par
les humilialions, une partie des commodi-
tés de la vie par de saintes austérités; en
un mol, que de se dépouiller de toutes les
choses dont on peut se [lasser, et de se dé-
tacher au moins de toutes celles dont on ne
peut pas se dépouiller; prévenant ainsi la ri-
gueur de la perte générale par plusieurs
perles successives, et la dilliculté d'une
privation forcée |»ar plusieuiîs privations
volontaires. Car enfin si nous étions dans
la disposition où de véritables chrétiens
doivent ôlre sur lalerre,nous nous ferions
une habitude de pratiquer ainsi la mort,
et nous nous metliions j)eu à peu hors
d'état de craindre la mort, puisqu'elle no
pourrait plus nous faire (jue ce que nous
nous serions déjà fait avant (Ile. Ingredieris
in abundanlia sepulcruin, disait un des amis
de Job h cet illustre patriarthi. (Job, V,
26.) Maintenant que vous voilà dépouillé
de tous les biens de la terre, vous entrerez
dans le touibeau avec une lieurc use abon-
dance. Les princes et les grands du monde,,
que la mort dépouille tout d'un couj), et le
plus souvent à l'imjtrovisle, dt* leurs biens,
de leurs avantages et de leur autorité, en-
trent dans le tombeau avec une grande di-
sette; oiais pour ceux qui, en ayant été dé-
pouillés par des coups de la Providence ou
»'en étant dépouillés volontairement eux-
mêmes, ou en ayant au moins retiré leur
atleclioii,onl eu soin, comme le saint homme
Job, de se remplir des biens de la grâce, on
peut dire que la mort leur ôte bien moins
quelle ne leur donne, et qu'ils enlrent (ians
le sépulcre avec une sainte abondance et
avec une parfaite tranquillité : Ingredieris
in abundanlia sepulcrum.
lînhn, mes frères, une troisième vue et
un troisième usage de la mon , consiste à
la considérer, par raftporl à Dieu, comme
une deslruction qui nous anéantit devant
lui et comme un sacrifice que nous lui
pouvons olfrir. C'est [lar le sacrilice que les
hommes ont toujours lâché de s'acquitter
envers Dieu de toutes leurs obligations, et
ce saciihce renferme essenlieilemeni la
destruction de la victime ; car la créaturo
n'élanl pas ca|)abiede |)roduire ce qui n'est
pas, elle ne peut honorer Dieu que parla
destruction de ce qui est. Dieu nous donuo
l'être, mais nous ne saurions lui rendre que
le néant, parce que l'être est à lui et qu il
n'y a que le néant qui soit à nous. Or,
comme J'hoiiime n'a rien de plus cher ni de
plus précieux que soi-même, il s'ensuit
que l'homme ne [)eut jamais mieux hono-
rer la Divinité que i)ar la destruction de
soi-même; et que le plus grand sacrifice
que l'homme puisse jamais olfrir au Sei-
gneur esl le sacrifice de sa vie ; mais il faut
conclure que ce grand sacrilice ne peut con-
sister que dans une aixepiation libre et vo-
otilair'j de ^a mort, laissant à la Providence
SERMONS. - SERM. 111, SUR LAIRECIILTE DANS LE PECHE.
481
lo soin u en délerminor lo temps, le gfiiire
et les circonslances, et se conleiilanl do
rnc('e[)ler, avec un esprit de patience et de
l'oirrir à Dieu avec un esprit do rel-gion ;
voilà, mesciiers auditeurs, le grandsacriiice
ai-Kpu'l nous devons contiuuelleinent nous
préparcr.Le Fils de Dieu mourant sur la croix
dans le moment et de la manière que le Père
célesle lui avait marqué à olferl (^e sacrifice
avant nous, et nous le devons otliir après lui.
Mais le Fils de Dieu l'aolFerl pour les pt^cliés
d'autrui ; et nous, nous devons TollVir pour
les nôtres. C'est ce sacrilice que l'apôtre
saint Paul avait sans cesse ilevant les jeux
et qui lui faisait dire : Ego enim jam delibor
€l tempus resoliUionis ineœ inslat (II Tim,,
IV, 6); car je sens bien (jue le teuj|)S de ma
tlfcslruclion approche, et je suis proprement
conmie une vicliine qui ne fait (qu'attendre
le coup qui la doit inifnoier, et qui a déjà
reçu l'aspersion, c'est-à-dire qu'on a déjà
fait sur elle les cérémonies préliminaires
du sacrifice. Sans ce sacrilice, mes frères,
la mort n'a rien que d'alfreux pour les hom-
lues, rien que de désespérant pour les pé-
cheurs; mais le propre de ce sacrifice est
de faire changer celle mort de nature et de
nous la rendre môme filus uiile et plus
souhaitable i|ue la vie ; car mourir dans un
esprit de viclime où un chrétien doit mou-
rir, c'est mourir comme Jésus-Christ est
inorl. L'ouvrage de notre prédestinalioi,
c'esl de donnera Dieu tout ceque lacréaluro
lui peut donner, honorer toutes s- s perlec-
tions et nous acquitter de tous nos de-
voirs; c'est par un secret admirable de la
grâce nous faire un mérite devant lui, de
la chose du monde qui dépend le moins do
notre choix ; d'un supplice, une vei lu;
d'une peine, une olfrande; d'un effet du
péché, un instrument et une source de
grâce. Mon Dieu, devons-nous donc dire,
toutes les fuis que nous pensons qu'il (aui
mourir, alin de le pouvoir dire avec plus de
facilité quand il faudra mourir en edet,
mon Dieu, je reconnais devant votre majesté
adorable l'équilé de vos immuables ariêts;
je confesse que je mérite la morl, non-seu-
lement par le péché que j'ai contracté dès ma
naissance, mais encore par tous ceux que j'ai
commis dans toute la suite de ma vie. Je suis
sorti volontairement de l'ordre de la sagesse,
et jevfux rentrer volontairement dans celui
de voire justice; voilà le criminel qui se
prosterne devant votre tribunal, non pour
demander une grâce, mais pour lecevoir
une peine; voilà une viclime fugitive (jui
revient au pied de l'aulel el qui se présente
d'elle-même au sacrilice. Je vous offre donc
uaa morl, comme un sacrifice |»ro|)iliatoire
l'our mes péchés. J'accejile de lion cœur la
séparalion de mon âme u'avec mon corps ;
celte solitude effroyable, celle piivalion
universelle, ce divorce éternel qu'il faut
faire avec toutes les créatures, te débiis
d'une chair imjmre que j'ai tant aspu'ée ;
celle poussière et toutes les autres rigueurs
de la morl, si contraires aux inclinations
de ma nature. Je meurs dans un aveu siii-
m
cère de mon néant; dans un repentir véri-
table de mes offenses; dans une cerlitudo
entière de votre religion : trop heureux,
mon divin Seigneur, si, par cette punition
de mes crimes, j'apaise voire colère; si
par cet nnéanlissen:ent démon ôlre je puis
rendre iiommage h la souveraineté du vôtre,
et si par ce sacrifice do ma vie j honore vo-
tre immortalité, voire sagesse el toutes vos
perlVrlions infinies. Je Unis, mes frères,
par où j'ai commencé ; Souvenez-vous que
vous êtes poudre el que vous retournerez
en poudre; et en vous en souvenant priez
aussi le Seigneur qu'il s'en souvienne el lui
dites souvent avec le saint homme Job :
Mémento, quœso,quodsicut lutum feceris me,
et in pulverem reduces me. [Job, X, 9.) Alil
Seigneur, souvenez-vous-en, (]ue je ne suis
que |)Oussière, que vous avez choisi là la
niatièie la plus (iropre ()ar son indignité
à faire éclater voire puissance ; souvenez-
vous-en, et que ce souvenir vous désarme;
car (juplîe gloire pour vous d'employer une
force infinie conlre un néant animé? quel
honneur pour ce bras tout-puissant de lou-
droyer de la boue? Oui, mes cliers audi-
teurs.il ii'G\\so\is'utn\:l{ecordatusesl quoniam
pulvis sitmus. [Psal. CIJ, 14.) Il est disposé
à nous faire grâce ; disposons-nous de notre
côté û la recevoir; mé litons la mort, pra-
tiquons la mort; méditons la mort et nous
servons de ses lumières pour détromper
nos sens, pour éclairer notre raison elpour
animer notre foi; prati(juons la mort et
dans la vie humilions-nous, mortifions-
nous, sacrifions-nous : ainsi nous devien-
drons de parfaits chrétiens, el en nous sa-
crifiant coiitinuellement ici-bas, nous nous
rendrons dignes de vivre éternellement
dans la gloire, où nous C(niduise, etc.
SKU.MON m.
SUR I.A UECUUTlî DANS I.E PK^'-HÉ.
Cum imimindus spirilus cxieril de lioniiiie, dicit: Re-
verlar in doiiium meani unde exivi; el lune vadil el assu-
iiiil spplem alios spiritus iiequiores se, et iiigressi dalji-
lanl ibi el liuni novis^iina liominis illiuspeiora prioribus
{Luc.,\\, 24,26.)
L esprit impur ayant été chassé hors de l'homme, il iHt:
Je retournerai en ma maison d'où je suis sorti ; et alors il
s'en va et prend sept autres esprits plus méchants que lui,
el y étant entrés, ils i( habitent, el te second état de cet
homme devient bien pire que le premier.
L'Evangile d'aujourd'Jiui a deux faces
bien différentes. Dans la première partie
nous y voyons Jésus-Chrisl victorieux du
démon, le faire sortir avec empire du corps
d'un malheureux auquel cet esprit infernal
avait ôlé jusqu'à l'usage de la parole ; car le
Fils de Dieu rendit tout d'un coup la parole
à ce muet et la liberté à ce possédé, el rem-
plit d'admiration, par ce prodige, tous ceux
qui en furent les témoins : Erat Jésus ejiciens
dœmonium etitluderat mutum, et cumejecis-
set dœmonium, loquebalur mutusel mirabantur
turbœ. (Luc, XI, i^.) Mais, dans la seconde
partie, nous y jvoyons le démon victorieux
en quelque manière de Jéaus-Chiisl. Ce
n'est pas (pi'il retourne dans ce même
corps d'où il vient d'être chassé, mais c'esl
que Jésus-Christ, lu.»aiême, prenant occasion
de nous parler de la possession de l'âme au
ZS:
ORATEURS SACRES. DE MONMORLL.
484
sujet lie la possession du corps, qui n'en
est que la ligure, nous représente le déiuon
(|ui rentre avec une es|)èce de lrionif)lie
dans une âme d'où la grâce l'avait obligé de
se retirer, et qui y rentre avec une nou-
velle escorte, y amenant sept aulres esprits
plus rnéchanls que lui, pour y hahiler avec
lui, d'où il arrive que le second état de ce
pécheur devient bien plus funeste et plus
pitoyable que le premier : Et tune vadit et
assumit septem alios spiritus nequiores se, et
ingressi hubilant ibi, et fiitnt novissima homi-
nis illius pejora prioribus. De sorte, mes
frères, que si nous rassemblons le com-
mencement et la fin de noire Evangile, nous
y trouverons une peinture fidèle de ce qui
se passe tous les jours dans l'âme des chré-
tiens, où Jésus-Christ et le démon parais-
sent alternalivement vaincus et victorieux
par les diverses vicissitudes de" la grâce et
du péché ; car que font autre chose la plus
grande partie des chrétiens d'aujourd'hui,
que d'aller confesser les péchés qu'ils ont
commis, et de recommencer ensuite à com-
mettre les péchés qu'ils ont confessés,
comme s'ils se repentaient tour à tour, sui-
vant l'expression deSalviun, tantôt de leurs
crimes et tantôt de leur pénitence. Voilà,
sans doute, l'une des plus grandes plaies do
l'Kglise; voilà l'une des plus dangereuses
illusions de ce siècle ; voilà l'une des plus
importanles matières dont on puisse jama s
vous entretenir. Ames saintes et religieu-
ses, qui, ayant généreusement rompu noii-
seuleuieut avec le démon, mais encore avuc
le monde et avec vous-mêmes, êtes venues
dans ces cloîtres sacrés y fixer votre vertu
et y assurer votre constance ; uniquement
oicupées à garder une entière fidélité à
votre divin Epoux, permettez-moi de choi-
sir aujourd'hui , à l'exemple du grand Apô-
tre, ce qui doit être plus utile et ce qui
doit être utile à un plus grand nombre.
J'espère même que celte matière ne sera
pas sans utilité .nour tous, j)uisqu'ello vous
donnera lieu non-seulement de louer la
miséricorde de Dieu, voyant les ténèbres et
les abîmes dont sa grâce vous a [)réservées,
mais encore d'opérer de plus en plus voire
salut avec tremblement et avec crainte, et
d'exercer votre charité, en demandant sans
cesse au Seigneur qu'il vous rende dignes de
faire une véritable pénitence. Commeii(;ons
|)arimplorer tous pour ce sujet lagrâcedu S.-
E<pril, par l'intercession deMarie.j4tie,A/ariV/.
Que doil-on penser d un chrétien qui
étant rentré en grâce avec le Seigneur, et
après avoir fait une sincère et légitime |>é-
nilence, vient à succomber de nouveau 5 une
plus forte attaque du démon et retombe
malheureusement dans le [)éché. Le Fils do
Dieu, mes frères, nous a déjà répondu que
le joug du démon s'a[)i)esanlit sur cet
hnnmie , qu'il le charge de nouvelles chaî-
nes bien plus dilliciles à rompre que les
premières, que le nombre de ses tyrans se
multiplie, et que le second étal où il se ré-
duit est incomparablement plus| funeste et
plus dangereux que celui d'où il avait été
lire. Mîiis (pio doit-nn fienscr d'.in chrétien
qui , (ie['uis un fort long temps, s'est fait
nue bizaire habitud*,' de passer éternelle-
ment du péché au sacrement de la péni-
tence et du sacrement au péché. Il me sem-
ble, qu'en suivant le même principe, on
peut croire que ce chrétien est bien éloi-
gné de la grâce, que son âme est bien con-
firmée dans le crime, qu'il y a môme bien
de l'illusion dans ces vains extrcices d'une
piété ap|)arenle , qui n'est jamais suivie
que d'abominations et de rechutes, et que
malgré toutes ces prétendues réconcilia-
lions avec Dieu, il vient un temps où Jé-
sus-Christ, tant de l'ois chassé de ce cœur,
n'y entre plus et n'y règne plus, non pas
même allernaliveraenl avec le péché. Le
démon s'y étant enfin établi comme ce con-
quérant, dont il est |)arlé dans la suite de
notre Evangile , qui possèiie sans trouble et
en repos une place où il s'est rendu le maî-
tre, it d'où il ne peut plus être chassé que
par de grandes et extraordinaires violences :
Cum fortis armatus ciistodit atrium sHum^
in pace sunt ea quœ possidet. [Ibid., 21.)
Appliquez-vous, mes chers auditeurs, à
développer avec moi ce mystère d'iniquité,
car mon dessein est de vous faire com-
{)rendre, s'il m'est possible, combien on
doit faire peu de cas de ces pénitences in-
fructueuses, dont l'effet dure si peu, et qui
sont toujours suivies de rechutes, et com-
bien on doit craindre et éviter ces rechutes
qui sont de si grands et de si invincibles
obstacles à la pénitei;ce. Je dis donc, pre-
mièrement, que les rechutes fréquentes
rendent la pénitence fort suspecte, et jedis,
eu second lieu, qiie ces mêmes rechutes
rendent la péiiilence fort diliieile, pour ne
pas dire njoralement impossible. Les re-
chutes habituelles dans le péché rendent
la pénitence très-suspecte, et un chrétien qui
fréquente les sacrements et commet tou-
jours les mômes crimes nous donne lieu
de croire qu'il ne s'est pas encore bien con-
verti. Les rechutes ordinaires dans le péché
lendenl la pénitence très-difhcile et un
chrétien qui s'aiiprocho de temps en tem|)S
des sacrements, et retombe toujours dans
le désordre, nous donne lieu de craindre
(pi'il ne se convertisse jamais : deux véri-
tés qui feront tout le partage do mon dis-
cours et tout le sujet de votre attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Quand la pénitence qui est toujours sui-
vie de rechutes pourrait être sincère et légi-
time, il faud ait toml)er d'accord qu'elle ne
Serait pas fort utile; lui donner une si tOjr>e
durée et des boi nés si éuoites, c'est du moins
ôtt r à sa ve: tu tout ce qu'on ôte à soi éten-
due, et dès lois, nous la pounions cumpa-
ler à ces viandes (jui ne nourrissent pas le
malaue, [)arce que la laiLLsse de son esto-
mac les lui fait rejeter aussitôt qu',1 les a
prises, ouàces arbres qui ne peuvent se fane
déracines, ni produire de fleurs ni de fruits,
parce qu'on les transplante trop souvent; tant
j1 est vrai que les choses les [>\u8 prolilables
deviennent inutiles auand on n'ai, reçoit les
485
SERMONS. — SERM. III, SUR LA RECHUTE DANS LE PECHE.
466
impressions qu'en passant. Disons d'avan-
tnge: le Fils de Dieu nous avaiu api ris Lpie
le nouvel état où le pécheur se précipiie par
son inconstance est toujours plus mauvais
et plus funeste que celui d'où il avait été ru-
liré, il s'en suit que ces pénitences, tou-
jours suivies des mêmes désonlres, ne ser-
virnienl qu'à rendre le chrétien plus cou-
pable, qu'à redoubler In crime de son in-
gratitude et à donner de plus en plus au
démon de nouveaux avantages et un plus
grand empire sur lui.
Mais je passe plus loin, et je dis que ces
pénilemes, que la plupart des chrétiens ont
couiume de faire toute leur vie, alternati-
vement avec le péché, sont toujours aes pé-
nitences très-suspectes et souvent des péni-
tences très-fausses. Et pour bien comprendre
ma pensée, il n'y a qu'à se souvenir que le
véritable repentir est un don de Dieu, qui le
donne quand il lui plaît et à qui il lui plaît,
suivant ceque dit TEci iture, que l'esprit sou-
fle 15 où il veut. Spirilus ubi vull spiral [Joan.,
Jll, 8); que m4me quand Dieu est résolu de
Je donm^r au pécheur, il n'a guère coutume
de le lui donner tout d'un coup, se plaisant à
lui faire sentir son indignité et à lui iaire
acheter sa grâce par les gémissements et par
Jes larmes, par les jeûnes, par les mortifica-
tions et par les aumônes, conformément à
ce que disait autrefois Daniel, à ce roi su-
perbe et profane : Rachetez vos péchés par
vos aumônes, peut-être Dieu se rendra-i-il fa-
vorable à vos désirs et propice à vos ini-
quilés : n-Forsitan ignoscet deliclis tuis.^{Dan.,
IV, 2i.) Et en eflel, mes frères, cette dou-
leur uécei-saire pour effacer le péché sup-
pose un renouvellement entier dans l'âme
du pénitent, consistant 5 se dépouiller du
vieil homme, pour se revêtir du nouveau,
à changer toutes ses passions de situation
et de place, à aimer tout ce qu'on avait haï,
à haïr tout ce qu'on avait aimé, à faire
passer, selon l'expression de l'Ecriture, la
colère de Dieu dans le cœur de l'homme:
In me transierunt irœ tuœ {Psal. LXVIl ,
17j, et à nous armer d'une juste sévérité
contre nous-mèujes, jiour le venger pleine-
ment de nos révoltes et de nos ingratitudes :
wi un mot, à jurer une guerre éternelle à
tout ce qui s'aj)pelle péché, et cela, m(!S
chers frèies, n.n pas par les apparences
d'une pénitence arlilicicuse et hypocrite,
tomme ceux qui se font une habitude et un
honneur des dehors de la |)éiiilence et de
la vertu, pour satisfaire à la bienséance,
pour arriver à leurs lins et [lour gagner
fesiime des hommes, plutôt qua pour at-
tirer la miséricOide do Dieu ; non pas p;!r
Jes vues de la chair et du sang, et par une
douleur lâcheineni intéressée, comme coux
qui, fatigués dan» la voie de l'iniquité, se dé-
goûlciit Ou péiihé, [)arce qu'il los a couverts
li infamie ou qu'il les a léduils ii queltiue
misère lemporelie, bit-n plus coiitnls de la
{leine (jue de i'oireiise, bien plus t .uchés de
l'eHelquedc la caase, et voulant néanmoins
que Dieu prenne pour lui celle se;isibilité
naturelle qu'ils Ont pour leurs propres in-
térêts ; non pas encore par une douleur lé-
gère et superlicielle, et psr une réconcilia-
tion qui n'est pour ainsi dire que de céré-
monie, comme tant de chrétiens qui vien-
nent au moins tine.fois laii témoignera
Dieu qu'ils ont du ressentiment de Teurs dé-
sordres, sans êlre fâchés, à Te bien prendre,
de toutes ces actions criminelles qui of-
fensent Dieu, mais étant plutôt fâchés que
Dieu s'en ottense, et demeurant toujours en
effet dans les mêmes engaj^ements et daifs
les mêmes commerces: non pas, en un moi.
par une espèce (de douleur involontaire et
forcée comme ceux qui, à l'article (Je la mort,
disent adieu au (léché, les larmes aux yeux
et avec de sensibles regrets, se persuadant,
dit saint Bernard, être fâchés d'avoir mal
vécu, lorsqu'ils ne sont fâchés que de ne
pouvoir [)lus vivre de même: mais au con-
traire, par les molif-i d'une contrition sin-
cère, suriiatureile, intérieure, vol 'ntaire et
nniviT-«LlIe, élevée infiniment ai. -dessus de
la naliiie f.l des sens, qui s'élend à tous les
péchés du pa^sé et de l'avenir, et à toutes
les circonstances des temps et des lieux ,
établissant l'homme dans une disposi ion
secrète, de perdre tous les biens et de souf-
frir tous les maux de la vie, plutôt que do
retomber dans le péché, [larce que la grâce
a triomphé de son cœur, et l'ai tache à son
devoir {lar des chaînes plus fortes que tou-
tes les passions desquelles il se voit heu-
reusement affranchi.
Telle est cette grande et salulaire dis()o-
sillon de pénitence et de grâce que Dmmi
seul peut opérer dans l'âme du péclieui;
car, comme raisonne excellemment le grand
Augustin, si l'homme pouvait se donner uiio
pareille disposition à lui-même, il faudrait
dire, par une conséquence nécessaire, mais
par un blasphème des i)lus impies tt des plus
extravagants, que la créature pourrait se
faire elk-môme bien meilleuie que Dieu no
l'a faite, car Dieu nous a fait jjommes, et
nous nous furionsjustes. L'ouvrage de l'hom-
me serait donc plus parlait et plus excel-
lent que celui de Dieu! Ah ! dit ce Père, si
l'homme a quelque pou\oir de lui-môme, ce
n'est que le pouvoir de se perdre. Comme
dans l'ordre de la nature il peut bien s'ôlcr
la vie, mais non passe ressusciter; de même,
dans l'ordre de la grâce, il peut bien seul
tomber dans le péché, mais il ne peut pas
s'en relever. Faites-y réilexion, iiws chers
auditeurs: du moment que vous commettez
un péché noiable, vous vous précipitez dans
un abîme, et vous vous engagez volonlaire-
ment dans un étal duquel ni vos inutiles
étions ni toutes les créatures ensemble no
vous pourront jamais tirer : Deditme inma-
num de qua non polero surgere. {Thren..
1, ik.) Il faudra pour cela la main loule-
puissanle de ce même Dieu que vous méprisez
et qae vous rendez votre ennemi [)ar vo-
tre désobéissance, rien moins qu'un mira-
cle de sa bonlé ne pourra vous rétablir dans
votre [)remicr état, et alin de ,rengagrr à le
faire, larmes, gémissements, austérités , il
faudra tout uicllrc en usage, pour lâcher de l\ù-
487
ORATELUS SACnKS. DE JIONMOREL.
488
chir d'iibord son juste courroiiic. Que dis-jo,
vous ne l'apaiserez jamais si! ne s'est iui-
inôrae premièrement apaisé , et vous de-
meurerez à jamais dans la r(^gion eldans les
ombres de la mort, si un regard favorable
de ses yeux ne porte la lumière dans voiro
âme et ne vous donne la pensée de retDur-
ner à lui, et si par un secours miséricor-
dieux et prévenant il ne vous attire et ne
vous presse lui-même, et ne \ons fait faire
toutes les démarches nécessaires pour com-
mencer à vous rapprocher de lui (1).
C'est donc h Dieu à former la contrition.
Mais si c'est <i Dieu à la former, ajoutons
que c'est au temps et <i la persévérance du
pécheur h la «iécouvrir et à la faire con-
naître aux honmies; car souvent la nature
prend la place et les apparences de la grâce,
l'amour-propre tire de son fonds une eSj)èco
de contrition sufiposée qu'il ne laisse pas
de faire |)asser pour légitime. Le pécheur
prend queh^ues désirs de conversion pour
la conversion môme, sa passion prédomi-
nante se sauve dans cet embarras, et parce
qu'elle ne se soucie que d'être, il lui est
l)ien inditférent d'êlre délruile en idée,
pourvu qu'elle subsiste. En efl'et : Quis scit
ii convertatur? « Quipeut donc savoir s'il est
véritablement converti? » {Joël, Xll,i '-t.) Quis
scit ; qui peut démêler tous ces divers niou-
veaients do la grâce et de la nature? L'Ecri-
ture remarque trois sortes de troubles dans
le pécheur; le trouble des yeux, le trouble
de l'âme, le trouble du cœur. Souvent le
pécheur est troublé par la crainte des juge-
ments de Dieu; son trouble paraît jusque
dans ses yeux. On le voit qui veise quelques
iarnîes: Turbatus est oculus meus. {Psal. VI,
8.) Maisquui ! reprend admirablement Pierre
deBiois, lesiariues ne viennent-elles pasaux
yeux dans les spectacles qui excitent la pi-
tié, et quelquefois dans une représentation
profane aussi bien que dans une confes-
sion. Alors on s'alHige des maux d'auirui,
ol pour des maux qu'un sait fort bien n'être
pas réels. Or il vous demande après cela si
ces pleurs qu'on donne ainsi à une douleur
feinte, doivent passer pour les signes in-
faillibles d'une douleur véritable. Vous rae
direz que ce trouble n'est pas seulement
dans les yeux ou dans l'imagination, qu'il
est encore dans le fonds de I âme, et qu3
c'est elle qui est troublée par lénormilô
des crimes tpi'elle a commis, et par l'ap-
j)réhension des sup|)lices qui la ruenacent:
Animaviea conturbata est. [Psal. XL1,7.) C'est
beaucoup, mais ce n'est l'as encore assez,
car ilfaulque ce trouble aille jusqu'au cœur:
Jn me lurbatum est cor tueum. [Psal. CXLII,
4.) ;Lui seul peut traiter utilement cetie
grande affaire avec Dieu, et si le cœur ne
s'en mêle, s'il n'est louché, s'il n'est vérita-
blement changé, dès lors on peut s'assurer
que tout le reste n'est rien. Or, de discerner
dans un pécheur qui gémit si c'est l'ima-
gniation qui est agitée, ou le cœur qui est
converti, c'est sans doute ce qui passe
tout le pouvoir et toute la lumière des hom-
mes. Ce chrétien qui demeure attaché h son
crime est tellement déguisé, que hii-même,
dit saint Grégoire, il ne s'aperçoit pas du
déguisement. Il croit être un parfait péni-
tent et il ne l'est point, tandis qu'un autre
qui l'est, craint au contraire de ne l'être
})as. Il trompe les yeux de ceux qui le
voient, il trompe toute la |)rudence de son
confesseur, il se trompe comme les autres.
Il n'y a que Dieu seul qui ne peut se trom-
per, et (|ui examinant, souffrez que je me
serve de l'ex[)ression de Tertullien, et q\ii,
examinant si celle pénitence est de bon aloi,
sonde le cœur jusqu'au fond, et n'en accepte
les sentiments qu'aulant qu'il y reconnaît
la marque et les caractères de sa grâce.
Ainsi, riios frères, à ne juger que par les
dehors de la (lénitence de deux grands rois
dont il est parlé dans l'Ecriture, je veux
dire de Manassès et d'Antiocims, nous au-
rions sujet d'avoir des sentiments égale-
ment favorables de tous les deux, car An-
tiochus lit paraître la même huu)iliié et le
môme empressement queManassès; le même
repentir de ses fautes, la môme envie de
s'en corriger à l'avenir, et de réparer toiit
le passé par des moriilicalions, par des au-
mônes et par des restitiilions ahondanles.
Néanmoins Dieu en décida autrement, il
agréa la pénitence de Tun, et il rejeta les
larmes et les gémissements de l'autre. Que
si Antiochus avait survécu à sa prétendue
conversion, il n'aurait pas manqué de justifier
la colère du ciel par ses rechutes, étions
ces sentiments de pénitence, que la seule
crainte de la mort avait formés irrégulière-
ment et à la hâte, n'auraient duré guère
plus que le péril qui les avait fait naiire,
Manassès, au contraire , soutint l'honneur
de la grâce par sa fermeté et par sa conduite,
et la durée de sa pénitence ne laissa pas
lieu de douter de la vérité de sa conversion.
En un mot, on ne doute |)oint que Dieu
ne puisse achever une conversion aussitôt
qu'd la commence, et que sans avoir égard
aux lois ordinaires de la grâce, laquelle a
coutume aussi bien que la nature de pren-
dre du teujps pour donner la perfection à
ses ouvrages, il ne sache faire des saints en
un moment, comme il peut produire des
tleurs et des fruits et leur donner la matu-
rité sans attendre la longueur et la vicissi-
tude des saisons. Mais outre que ce sont,
dit saint Bernard, des miracles et non [)as
des exemples, remarquez, s'il vous plaît, que
quand Dieu en use de la sorte, et qu'il con-
vertit et sanctifie en un instant un saint
Matihieu, un saint Paul, une Madeleine, ces
conversions miraculeuses ne manquent [)as
d'être sout(uiues dans la suite par la per-
sévérance et f)ar les austérités de ces mô-
mes péclieurs qui ont été convertis. Car ne
croyez pas, mes chers auditeurs, que Dieu
prétende les dispenser des devoirs de la
(1) Il est facile de voir que l'auicur écrivait iluii!» un temps où 'es esprits éiaicnt imbus des doctrine»
•antenisies, condamnées par l'Eglise.
4oJ
SER^fONS. — SERM. III, SLR I.A RECHUTE DANS LE PECHE.
4<)0
pi^nilence, il ne î'ail qu'on dilïérer Taccoin-
plissenient à leur égard, ne croyez pas qu'il
n'en coule rien à ces péihoiirs qui «onl si
subilemenl saiiclifiés, ils feront <ij>rès leur
conversion ce qu'ils auraient dû faire au[)a-
ravant, et de quelciuc manière que la raisé-
ricorde de Dieu en ait usé envers eux, ils
ne laisseront pas lot ou taid de désintéresser
sa justice. Mais quand on voit un cliré-
lien qui se convertit en nn instant et qui
retombe aussitôt ajirès, et cela non pas une
fuis, mais une infinité de fois, jusqu'à s'en
faire une habitude qui dure autant que la
vie, comme s'il était en droit (Je disposer de
Jésus-Christ et de ses grâces de la môme
manière que leceiilenier de l'Evangile dis-
posait de ses domesli(]ues et de ses soldais
en les faisant aller et venir, en les renvn\ant
et les rappelante son gré -.Eldico haie : Vade,
et ladil; et alii.-Verii, et vcnit {Malth., VI 11,
9.), j'en aUcsle votre loi et voire raison,
Messieurs, n'y a-t-il point lieu de douter
de la vérité de ces sortes de conversions,
ou, pour parler plus jusle, peul-on douter
qu'elles ne soient visiblement fausses et
pleines d'illusion el d'iiypocrisie?
Ici, mes chers auditeurs, je me sens obligé
de vous remettre sommairement devant les
yeuxces salutaires rigueursque riîgliseexer-
çait autrefois envers ses enfants au sujet de
la pénitence, et ces précautions admirables
qu'elle prenait pour la rendre sincère. Qu'un
chrétien eûi été assez malheureux pour
perdre la grâce de son baptèuic et pour
commettre quelque péché qui fût jugé di-
gne d'une pénitence exemplaire, savez-vous
comme on le traitait, je ne dis pas quand
il demeurait attaché opiniâtrement à son
crime, je dis quand il le venait confesser
avec douleur et qu'il en demandait la ré-
mission? Pendant des années entières, tout
péniiont qu'il était, on le traitait comme un
excommunié. La seule société qu'il avait
avec les fidèles dans le temple consistait à
pouvoir encore entendre la parole de Dieu
avec eux; mais l'explication de l'Evangdc
Unie, personne nigiiore qu'avant la célébra-
lion des divins mystères le diacre ne fît
sortir trois sortes de [lersonnes hors de
l'église : ceux qui élaient en pénilence; les
catéchumènes, c'est à-dire ceux qui n'é-
taient pas encoie baptisés; et les énergu-
iiiènes, c'esl-à-dire ceux qui étaient |)u^sé-
dés du démon. Cependant le |)énitent exilé
du saint aulel et retranché de la cuinmii-
niûti des lidèles, était occupé à des exei-
cices morlitianls et laborieux ; celle priva-
lion des mystères el des saciements de
1 "Eglise lui metlail devant les yeux le fu»
note état de ces réprouvés qui seront sé-
parés d'avec les ouailles de Jésus-Christ el
exclus pour jamais de son céleste royaume,
el la vue d'un pardon, quoique éloigiié,
qu'on lui faisait espérer, le soulenait dans
la pratique de ces oeuvres pénibles et hu-
miliantes des(juelles il ne se seiail jamais
acquitté, du moins avec tant do conuilioa
et de ferveur, si on lui avait accordé d'a-
iiord une indulgence |irccipitée ; car le i)é-
OBAiiiiiiis SAcniis, LWIII,
iluMir,reniar(iue judicieuseineni Tertullien,
n'est jamais si bien disposé à se punir de
SOS crime que(piaiid il voit le glaive de la
justice qui lui pend pour ainsi dire sur la
tète, le temps de la pénilence étant celui
où Dieu nous menace, et non pas celui où
il nous pardonne, parce que le temps de la
pénilence doit ôlre un temps de péril et de
crainle : Ctim pendcntc vcnia pœna prospU
cilur; CHin Deus comminatur non cuin igno^
scil, quia tcmpus pœnitentiœ idem est quod
pcriculi et timoris. Ce que vous pouve;4
vous-môines, cluéliens, con'.inner (lar vos
firopres expériences; car, quand on vous
suspend la grâce de l'absolution pour quel-
que temps, n'est-ce pas alors que vous fui"
les de idus sérieuses réflexions sur l'énor-
mité de votre péché, que vous Iravaillex
plus volontiers à en mériter le pardon, au
lieu qu'ayant reçu promplemonl une ab-
solution bonne ou mauvaise, on arrête là
tous ses remord?, on coni; te que c'est uriQ
bonne alfaiie linie avec Dieu, el l'on ne so
met plusguères en peine d'expier des pé-
chés que l'on suppose être remis, ni d'at-
tirer une grâce que l'on croit avoir obtenue»
Mais s'il arrivait que le pénitenl, après
avoir oblrnu la grâce de la réconcilialion,
vînt à retomber dans le môme ou dans
quelque semblable désordre, c'est ici, Mes-
sieurs, où la sévérité était exlrcuu'; car dès^
lors il n'y avait plus de discipline pour lui.
Nous ne voyons pas qu'on lui accordât l'im-
|iosiiion des mains, môme à l'article de la
mort ; en un mot on l'abandonnait ou à sa
pénilence particulière, ou à son impéni-
tence ; à son impéoitence si, ayant perdu
la voie du ^alut, il continuait à suivre les
désirs et les égareinenls de son cœur; à sa
l)énilence pariiculière si, touché d'un nou-
veau repentir, il travaillait à apaiser la co-
lère du ciel et tâchait, par ses gémisse^
metits, par ses auslérilés, par ses aumônes
et par la ferveur de son amour, de suppléer
devant Dieu le déiaul de cette absolution
qui lui était rofusée.
Je ne dis pou; tant pas que tous les pé*
chés, même les plus secrets, fussent sujets ;i
celte espèce de [)énitence qui était propre^
ment ce que nous appelons la pénitence
publique. Le grand Augusliii, dans la der-
nière de ses cinquante homélies, nous dit
positivement qu'il dépendait de la prudence
et de l'équité du |)asleur de proportionner
la |)énitence à la qualité des olî'enses dont
le pécheur ^'accusait, et de la rendre pu-
blique et exemplaire quand il le jugeait à
propos pour réjiarer quelque scandale. Je
nedispasnon plus qu'o;i ne pi'ut jamais,
après le baptême, recevoir l'absolution sa»
crameiitellé qu'une fois. 11 est certain que
la pénilence publique ne se réitérait jamais ;
sans i)arler ici de la manière dont l'Egliso
en usait à l'égard des péchés secrets el moins
énormes, nous n'avons qu'à lire les canons
de la pénitence, si nous voulons voir da
combien d'années élait puni un seul pé-
ché , par combien d'austérités il fuilait
passer pour en obtenir la rémission, el à
je
431
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
A2^
quelles éprouves FFlglise meltail un péni-
tent, nlin de s'assurer de sa sincérité et de
sa cnnslanco.
Il csl vrai, me répondrez-vous peut-ftlre,
mais aujourd'hui les choses ont bien chan-
gé de face, et les chrétiens autorisés par
la discipline présente, peuvent bien s'en
tenir à un usage plus doux. C'est ici, mes
chers auditeurs, où j'ai besoin du renou-
vellement de votre attention pour vous
faire voir l'illusion du pécheur el la faus-
seté des conséquences qu'on a coutume de
tirer de ce changement de disci[)line. L'E-
glise ne change point d'esprit , mais elle
jieul changer de conduite. Sa sévérité n'est
jamais que pour le salut des âmes; et s'il
arrive que les chrétiens, étant devenus,
quoique par leur faute, trop faibles pour
la supporter, ne s'en fassent plus qu'un nou-
veau sujet de transgression et de scandale,
n'esl-il pas à-propos qu'un peu de douceur
et de condescendance s'y joigne. Ainsi, mes
frères, ces temps funestes et marqués par
l'Ecriture étant arrivés où la charité se de-
vait refroidir, el les chrétiens, peuple au-
trefois si saint, ayant rompu peu à peu les
digues que les sacrés canons avaient oppo-
sées à leurs passions, et par un déborde-
ment d'iniquités ayant commencé à se li-
cencier avec des païens, à toutes sortes de
crimes; que fera l'Eglise, brûlant de zèle
pour le Seigneur, et d'amour pour ces chré-
tiens. Elle cherche des tempéraments
pour les réunir ; elle est la première à faire
des avances, cédant deson autorité et deses
droits, courant après les chrétiens fugitifs
et révoltés, employant à son tour les larmes
et les prières auprès d'eux, el leur faisant
pour leur réconciliation avec Dieu, les me-
nus poursuites qu'ils avaient coutume de
lui faire à elle-même quand ils étaient
plos raisonnables et plus soumi^i, pour me
servira l'égard des pécheurs de la belle
comparaison dont le grand Augustin se
servait à l'égard des hérétiques. Quand on
veut enter une greffe sur un arbre, fait-on
dilliculté de faire une incision à cet arbre ?
do môme quand il est question de gagner un
pécheur, l'Eglise veut bien qu'il lui en
coûte quelque chose ; elle souiiiira s'il en
est besoin qiielque plaie en sa discipline :
Fit quidem aliquid lanquam in cortice arbo-
ris malris contra integrilalem severilalis.
Mais la charité qui couvie la multitude des
péchés fermera cette plaie, et ce pécheur
étant rentré en société avec les justes, el
participant avec eux à cet esprit de vie que
Jésus-Christ communique à son Eglise,
ne laissera pas do produire dans la suite
aussi bien qu'eus, des fruits de sainteté et
de grâce : Verumtamen ad Dei misericor-
diam precibus fusis, coalescenle insitorum
pace ramorum, chantas coopcrit mullitudi-
ncin peccatorum.
Ainsi, mes frères, la facilité de l'Eglise
n'est (]ue pour favoriser votre pénitence cl
ce|)enclanl vous vous en servez pour favori-
ser votre impénitence. L'on vous donne plus
souvent les sacrements el vous en faites
des sacrilèges; l'on vous accorde plus aisé-
ment la rémission des péchés, et vous ne
faites presque rien pour vous en assurer.
Croyez-vous que la corruption des mœurs
ait rendu le chemin du ciel plus aisé et qu'à
mesure que les crimes se sont multipliés,
la justice de Dieu en soil devenue plus trai-
table et la grâce plus facile à obtenir? Con-
cluez plutôt, si vous voulez raisonner juste,
que c'est cette indulgence de l'Eglise qui
vous doit faire trembler; car enfin si l'Eglise
vous dispense à son égard de la rigueur
de sa disci|)line, elle ne vous en dispense
pas à l'égard de Dieu. Ainsi plus elle vous
est indulgente, plus Dieu vous sera rigou-
reux ; plus elle emprunte à sa miséricorde,
plus il faudra que vous rendiez à sa justice;
moins vous lui permettrez de [irendre de
précautions [)Our s'assurer de la vérité de
voire conversion, et plus toutes ces conver-
sions vous doivent être suspectes.
Sur quoi nous devons encore soigneuse-
ment distinguer entre l'indulgence de l'E-
glise et l'indulgence de ses ministres, car
l'indulgence de l'Eglise n'est jamais exces-
sive et ne prend la place de la sévérité
qu'autant que la sévérité se trouverait inu-
tile ou pernicieuse. Lisez le saint concile
de Trente, et vous verrez quelles sont les
inlenlions de l'Eglise sur ce sujet, quelle
envie elle aurait eu de rétablir l'ancienne
discipline, combien elle a fait de nouveaux
canons plus convenables au temps et aux
circonstances présentes, comme elle charge
les confesseurs de tous les péchés qu'ils
entretiennent par leur facilité et pour les-
quels ils n'imposent pas des satisfactions
assez grandes, el comme elle déclare après
les Pères, que la pénitence étant un baplô-
me laborieux , baptismus laboriosus, c'est
une règle contre laquelle ni le relâchement
du siècle, ni la délicatesse des chrétiens ne
sauraient prescrire, que la grâce perdue
après le baptême ne peut jamais se recou-
vrer que par des larmes abondantes el de
grands travaux : Non sine magnis noslris
flelibus et luboriOiis. Quand donc il se ren-
contre dans l'Eglise de ces minisires lâches
ou complaisants qui ne songent qu'à absou-
dre le pénitent sans jamais Iravaillor à le
convenir, qui, pour parler avec le prophète,
annoncent la paix lorsqu'il n'y a point de
paix el mettent des coussins sous la tête du
pécheur pour lui aider à s'endormir dans son
crime, malheur à eux i puisqu'au lieu de
vous délier ils se lient eux-mêmes avec
vous. Mais malheur à vous lorsque, négli-
geant les médecins habiles el expérimentés
qui pourraient travailler ulilemenl à vous
rendre la santé, vous en allez chercher quel-
qu'un qui ne fasse que couvrir p.romple-
ment vos plaies, au lieu d'y ai)pliquer à loi-
sir les reuièdes qui seraient nécessaires
pour les fermer el pour les guérir.
Que dis-je 1 si vous obtenez si facilement
une [iréteiidue absolution de quelques mi-
nistres de l'Eglise, n'est-ce pas le plus sou-
vent que vous les lromj)ez, el peul-on dire
que vous observiez les maximes, même les
495
SERMONS. — SERM. lîl, SUR LA RECHUTE DANS LE PECHE.
plus relûohéos qui pourraient en quelque
manière vous favoriser. Vous ne doutez |)as
au moins que, pour obtenir la rémission de
vos crimes, il ne faille les détester et les
haïr, les confesser sans aucune omission ni
déguisement, en rom|)re les liens, on quit-
ter les occasions ; [leut-on dire que vous
vous acquittiez de ces devoirs? Un moment,
avant que de s'approcher du sacré tribu-
nal , l'on lâche d'être fâché d'avoir offensé
Dieu, l'on va chercher dans sa mémoire
quelques sentiments de religion qui y sont
restés; il s'en imprime pour ainsi dire quel-
ques faibles vestiges sur la surface de l'âme ;
ron s'étourdit quelque temps pour ne pas
faire de réûexions à ses attachements se-
crets. L'on trouve dans un livre une formule
de contrition toute prêle, l'on dit qu'on est^
fâché d'avoir offensé Dieu : mais est-ce le
cœur qui le dit et qui le fait dire à la bou-
cha, ou n'est-ce point plutôt la bouche qui
tâche de le faire répéter au cœur. Qu'est-ce
donc que cette conversion dont on se flatte ?
un mouvement de lèvres, une pensée de
l'esprit, un tour d'iraagirialion. Vous vous
«ccusez de vos péchés, mais comment vous
en accusez-vous ? avec une infinité d'omis-
sions, cet examen si prompt et si superficiel
que vous avez l'ait de votre conscience n'a-
yant pas été suffisant pour vous faire remar-
quer le nombre et les circonstances des cri-
mes que vous connaissez, ni pour vous en
découvrir une multitude qui vous échap-
pent, ou que [)eut-êlre vous ne connaissez
pas. Vous vous accusez de vos |)échés et
vous vous confessez avec assez de naïveté
de certaines offenses où la cupidité ne prend
pas beaucoup d'intérêt; mais pour ceux
qu'elle réclame et oui sont la première
source de tous les désordres de voire vie,
que fait-on? l'on en supprime les princijiales
circonstances, Ton ne parle point des ncca-
sions qui nous y engagent ni des habitudes
que nous en avons contractées, et parce qu'il
n'v a point de ministres de l'Eglise, quelque
relâché qu'il pût être, qui tolérât longtemps
l'abus de ces pénitences hypocrites, qui
sont toujours suivies des mêmes rechutes,
l'on cheiche toujours de nouveaux confes-
seurs et, par une malheureusedissimulation,
on les engage à traiter comme une inlirmilé
passagère, des crimes invétérés dont on ne
Veut pas qu'ils [)énètrent le secret ni qu'ils
troublent la possession; que si c'est un péché
moins grossier où le raisonnement puisse
quelque chose, c'est-à-dire qu'on |)uibse
couvrir de quelque prétexte ou soutenir de
(pielque excuse, dès lors on a la témérité
ue le soustraire au jugement de l'Eglise et
l'on se décharge soi-même de l'obligation
de s'en accuser, parce qu'on ne veut pas se
charger de l'obligation de s'en corriger. Au
le^le, à peine eat-on retiré des pieds du
prêtre qu'on se retrouve à peu près dans la
même ilisposilion qu'auparavant, du moins
ménage-i-un toujours les occasions du pé-
c.jé; on en rajipelle lesidées, onen aime les
intrigues. Non, l'on ne se résoudra point à
rompre ce commerce, l'on se promet scule-
4!)i
ment de le rectifier, l'on avoue que Q'a été
une source de désordres [)ar le passé, mais
l'on cherche à se sauver sur la fidélité de
l'avenir, l'on se flatte de n'aller plus jus-
qu'au crime, mais on veut aller jusqu'aux
(iernièrcs bornes qui le séparent d'avec la
vertu. Ainsi, Messieurs, [lécheur par pro-
fession et par état, pénitent seulement par
intervalles et en passant, l'on déteste tou^
jours le péché et on ne le quitte jamais, et,
par un aveuglement qui n'est aujourd'hui
que trop commun, il se trouve ainsi que
toute la religion d'un chrétien ne consiste
qu'à aller déclarer de temps en temps à un
prêtre qu'il mène une vie toute criminollo
et toute païenne. Je conclus que toutes ces
sortes de pénitences qui ne sont soutenues
d'aucun amendement, sont très-souvent
fausses et doivent toujours être fort sus-
pectes; mai.» si elles sont suspectes pour le
passé , elles sont aussi fort dangereuses
|)Our l'avenir. C'est ce qu'il me reste à vou3
i'aiie voir dans la deuxième et dernière par»
tie de ce discours,
DEUXIÈME PARTIE.
Ce serait peu que les conversions qui no
sont pas véritables fussent inutiles. Le maU
heur est que quand elles ne sont pas vraies,
elles sont criminelles, et que quand elles ne
sont pas utiles elles sont pernicieuses. Point
de milieu entre un sacrement qui donne la
grâce et un sacrement qui se tourne en pen-
ché et en sacrilège. Ainsi les pénitences
qui se trouv.ent fausses faute de contri-
tion et d'amendement, ne sont pas seule'-
ment insullisantes pour le salut, mais elles
mettent le salut en un danger imminent ; et
dès-lors qu'elles ne convertissent pas le pé»
cheur, elles deviennent eiles-rtjêraes de
très-grands obstacles à sa conversion. Ce
qui sera fort aisé à vous faire comprendre,
soit que nous considérions ces fausses con-^
versions à l'égard du pécheur, soit que
nous les considérions à l'égard de Dieu.
A l'égard du pécheur rien ne l'éloigné tant
de la pénilencequecequiproduiten luil'eU'
durcissement du cœur, funeste image de la
damnation, visible caractère d'une léproba'r
tion presque certaine. Or il est aisé de faire
voir que rien au monde ne produit cette
malheureuse disposition dans une âme ,
comme les fausses pénitences et les fréquent
les rechutes, et cela pour deux ou trois rai-
sons que je vous prie de bien entendre.
La première c'est que les fréquentes re^
chutes multiplient le péché jusqu'à l'infini,
et en fortifient par conséquent de plus en
plusI'habilude.KL'ennemidemon salut,» dit
le grand Augustin, «s'était emparé de ma vo-
lonté et, sans qu'il eût d'autres liens pour me
retenir que cette volonté môuie que le péché
avait rendue dure et inflexible, il m'en
avait fait comme une chaîne de fer, de lar
quelle il ne m'était pas possible de me dé-r
gager. Eh 1 comment s'était formée cette
chaîne? insensiblement et [leu è peu. De !a
tentation du [)éché j'étais d'abord passé à
la complaisance , de la complaisance à
l'acte, do l'acte a la rechute. La rechulf?
iiî
ORATEURS SACRES. DE MONMORFJ..
/,%
avail produit l'atlacliemenl au péché. L'al-
taclioincnl avait passé en habitude, et l'ha-
bitude émit devenue une nécessité, et cette
nécessité s'élail enfin tournée en une espèce
de désespoir : voilà tous les anneaux de ma
chaîne, voilà tous les degrés de ma servi-
tude. En vain je travaillais h ma liberté,
tous mes inutiles elforis ne servaient qu'à
me faire mieux connnîire mon impuissance.
Il est vrai que je ne demeurais sous la loi
du péché que, parce que j'y voulais bien
demeurer, njais c'était par cette raison-lù
même que ju n'en sortais point, et que je
n'en pouvais sortir, car je voulais toujours
l« péché, et pour en sortir il eût fallu ne le
vouloir plus. Ainsi mes liens en étaient
d'autant plus torts qu'ils faisaient pour
ainsi dire puilie de raoi-môrae ; ce n'étaient
point dos liens formés de quelque matière
étrangère, il eût été plus facile de s'en dé-
barrasser; ma volonté liait et était liée, elle
était la chaîne et la captive tout 5 la fois. »
Appliquez-vous ceci, mes cliers auditeurs,
•el jugez de là combien le joug du péché
s'ap{)esanlit sur vous et combien votre con-
version devient dillicile à mesure que vous
continuez à aimer le péché, à commettre le
réelle et à entretenir plus longtemps les
habitudes et les atlachemenls au péclié.
La deuxième raison pour laquelle ces pé-
nitences dont nous parlons sont periiicieu-
ses, c'est qu'étant fausses et étant néan-
moins regardées comme légitimes et véii-
tables, elles étoullent dans le pécheur la
^oix et les remords de sa conscience. Il
n'est personne de vous qui ne la connaisse
.par expérience, cette voix intérieure qui
nous reprend quand il en est besoin, qui
nous avertit, qui nous presse, qui nous
exhcrte, qui nous menace, celte syndcrèso
que Dieu a mise au milieu dii nous, poury
soutenir ses intérêts, pour y faire valoir
son autorité et pour nous faire souvenir do
ce tribunal redoutable où il rendra à chacun
selon ses œuvies ; celte loi ou cette lumière
.secrète parlacjuelle les lois sont observées,
la grâce écoulée, les crimes condamnés, les
pécheurs confondus, les pénitents ramenés,
les ignorants instruits, les justes consolés,
celte conscience, en un ujoi, qui se scan-
dalise des désordres d'aulrui et qui ne peut
consentir aux noires, qui se fait entendre
à nous, malgré nous, qui môle des amer-
luinesaux plus doux [)laisirs, qui juge et
(|ui condamne ceux qui sont assis sur les
tribunaux, qui fait trembler ceux qui font
tiembler l'univers. C'est de cette cons-
cience que le grand Augusiiu explique mys-
tiquement ces |iaroles du Fils de Dieu :Esto
consenliens adversario luo clum es in via, ne
forte Irudat le judici, et judext radat te mini-
slro {Mallh., V, 25] : Prends bien soin de
l'accorder avec ton adversaire, tandis qu'il
est en chemin avec toi, de peur qu'il ne
le livre au juge, et que le juge ne te li-
vre aux ministres do ses ro(tuutàbles ven-
geances ; car c'est celte conscience, en
ellet, (jui est toujours en cette vie l'ennemi
déplorabie du [lécheur, avec lequel il ne
peut se réconcilier que par la vertu, qui
l'accusera devant le souverain Juge et qui
l'ayant fait livrer aux démons se joindra
à eux pour le tourmenter, se changeant en
un ver secret (\\n le rongera toujours et no
mourra jamais. Ainsi, Messieurs, f)Our par-
ler sainement des différents effets de la con-
scie!ice par rapi)ort aux différents états des
hommes, il faut dire que le malheur des
damnés, c'est d'avoir éternellement le péché
cl le remords du [léché, parce qu'ils ont éter-
nellement ijii remords qui [)unit le péché et
qui ne le saurait ellacer. Le bonheur des
justes en celle vie et on l'auire, c'est que
la giAce les a heureusement délivrés et du
péché et du remords du péché. L'avantage
du commun des chiéliens c'est qu'étant
tombés dans le péché, ils ont un salutaire
remords qui les sollicite d'expier ce péché el
de rentrer dans la voie du sa!ut par la pra-
tique de la pénitence. Mais le malheur des
pécheurs endurcis ou, si vous voulez, des
reprouvés en celte vie, c'est de séparer le
remords d'avec le péché, c'est de garder le
péché elde se défaire du remords. Or il n'y
a que deux voies par lesquelles le |)éi;heur
impénitent se puisse défaire de ce remords :
1.1 première c'est quand, h force de crimes
cl de désordres, il vient enfin à bout d'ou-
blier sa religion et d'étouffer la voix de sa
conscience; l'iiof-ie, dit l'iicriture, étant par-
venu jusqu'au fond de l'abîme, méprise tout
parce qu'il ne sent plus rien : Jmpius , cum
in profandiim vencrit , contemnit. [Prov.,
XVill, 3.) Mais une seconde voie de se dé-
faire du remords plus abrégée et plus ordi-
naire, c'est de se tromper soi-même par de
fausses pénitences, c'est d'interrompie de
temps en temps le cours de ses désordres
par la réception de quehiues sacrements
infructueux qui au lieu de détruire le pé-
ché n'cMentque le remords du péché el qui
bien loin de donner la grâce, ne donnent
qu'une malheureuse tranquillilé qui entre-
tient le pécheur dans ses ciésordres el lui
Ole les moyens qui lui seraient nécessaires
pour on sortir. Et celte seconde voie est en
un sens encore plus dangereuse (jue la pre-
mière; car enfin, quelque abandonné que
soit un liberlin, il est dillicile que cet éloi-
gnemenl de toute religion, cette siuguiarilé
ou [)lutôt cette irrésolution dans sa créance,
cedéréglementdans toute sa conduite, cette
corruption dans les mœurs ne le troublent
de temps en temps et ne fassent d'assez for-
tes impressions sur son âme. Mais le [)écheur
au contraire qui hante les sacrements de
l'Eglise (el c'est ici ma ieconde raison), le
pécheur, dis-je, qui hante les sacrements
de l'Eglise ne se délivre pas seulement des
reproches de sa conscience , il se remplit
encore d'une fausse confiance et d'une mal-
heureuse présomi)tion. Celte fréquentation
des sacrés mystères l'éblouil; semblable à ce
Pharisien, sij[)erbe dont il est parlé dans l'E-
vangile, ii s'ai)|)laudit au pied des autels, re-
merciant le Seigneur des prétendues grâces
qu'il lui fait, méprisant les autres pécheurs,
no compianl ses désordres que pour lOM
457
SERMONS. — SERM. lîî, SLR LA HhXIlLTE DANS LE rECHE.
m
pi'U el comptant ses vertus et ses pratiques
hypocrites pour beaucoup. Comment vou-
lez-vous qu'il fasse [)LWiitei.cc ? il ne croit
pas en avoir hesoin, el d'ailleurs il ne la
connaît plus, il en a perdu l'idée, il (irond
pniir p(5nilence ce qui n'est aux yeux de
Dieu qu'une impénilence formée. Cliose
éiiangc, s'il était plus élitij^né des sacre-
nienls, s'il était jilus ahantlonné au crime,
il S'rait moins éloi^çné de la gràfe. Le mal-
lieureus état où il se verrait, l'obligerait
peut-être de songer aux moyens d'e i sor-
tir ; mais par un i>iivcrsement funeste, les
moyens par où les autres eu sortent sont
ceux qui i'y engagent de plus en pins. Les
sacremunis des autres sont ses sacrilèges ;
au lieu d'antidote il y trouve un nouveau
poison, et ce venin, dit Hugues de Saint-
Victor, esl com-ue celui des aspics : Vene-
nuin (tspidtim insunabile ; car, û\l ce Pèri',
ce qui rend la piqûre de l'aspic mortelle el
incurable, c'est qu'elle commence par en-
dormir celui quia été piqué cl le met ainsi
bors d'éla! de prendre les remèdes néces-
saires pour en empêcher le dernier elfel. La
fausse pénilence en fail autant ; elle endort
lepécbeur dansses désordres et lui [)rocuro
un l'unesle repos el une malheureuse con-
liancequi lui ôte la liberté de songer à sa
guérison el à soii salul. Cependant, dit ex-
rellemmenl sainl Bernard, l'Ecrilure nous
assure que du cùlé que l'arbre sera tombé
il y demeurera toujours : Ubi cecideril ar-
bor,ibi erit. [Eccle., XI, 3.) Mais comment
savoir de quel cùlé il doit tomber? il n'y a
qu'à regarder, répond ce Père, le cô;é où il est
!e plus souvculel vers lequel il penche le plus;
car de quelque manière qu'il soit agité par
les venls, il y a bien de ra|)parence qu'à la
tin il tombera de c(;lu;-!à. Ne nous Ilallons
point, chrétiens ; quoique il ne soit pas im-
possible qu'un homme qui a toujours vécu
dans le j'éclié meure dans l'état de grâce,
comme il n'est pas iuipossible qu'un homme
qui a toujours vécu dans l'état de grûco
meure dans celui du péché, néanmoins,
selon les règles ordinaires, il esl bi(!n plus
vraisemblable qu'il meure comme il a vécu,
que sa disposition prédominante emporte
enfin la balance, el que, n'ayaul faii que
de fausses pénitences durant sa vie, il ne
peut guère en faire de véritables à l'heure
de la mort.
Tels sont les funestes présagi'S (|ue les
pénitences fausses et inutiles nous donnent
de rim[)énileuce finale el de la réprobation
du pécheur; que sera-ce si nous les consi-
déions par rapporta Dieu el lanl qu'ellessont
les objets de sa justice el les causes de son
abandonnemenl? car !a luème Ecriture qui
nou>. apprend qucleS''J(jneur ne souhaite pus la
mort de l'impie, mais qu'il veut plutôt quil
se convertisse el qu'il vive [Ezech., XX.X.1II,
11), nous a[)pre[id aussi que la patience du
Seigneur a ses bornes et qu'il est une me-
sure de péchés après laquelle la justice
prend la jilace de la miséricorde; (pie le
père de famille ôte le talent au serviteur
inutile el (lu'on prive les ingrats du royauuie
de Dieu qu'ils avaient au milieu d'eux pour
lo transporter à des âmes moins coupables
el |)his lidèles ; qu'inulilemi'iil le juste gé-
mit devant le Seigneur pour un pécheur
qu'il a rejeté de devant sa face, (jue lui -
même il endurcit lo cœur des tyrans, que
lui-même il livre les âmes superbes el cor-
rompues à leur sens réprouvé et aux dé-
sirs de leurs passions; eu sorte qu'après
cela ils voient el ne voient ()lus, ils écou-
tent et n'enlendenl plus, et qu'enfin il est
des hommes qui , ayant méprisé Jésus-
Christ, le cherchent el ne le sauraient trou-
ver; d'où il arrive qu'ils meurent malheu-
reusement dans le crime. Que si vous vou-
iez voir toute cette terrible doctrine ramas-
sée dans un seul passage, il n'y a qu'à écou-
ler ce que le Seigneur nous dit dans le pre-
mier chapitre des Proverbes: Je vous ai ap-
pelés el vous avez refusé d'obéir à ma voix ;
je vous tendais la main el vous ne me regar-
diez pas seuleujenl ; vous avez transgressé
mes préceptes, vo;:s avez négligé mes re-
proches, vous avez méprisé mes menaces.
Ué! qu'en arrivera-l-ile:ilin? c'est qu'à l'iieuro
de voire mort je vous négligerai à mon
tour, je vous mépriserai et par de justes
moqueries j'insulterai encore à tous vos
malheurs. El quand ce que vous craignez
vous sera arrivé, (juaud celte mort toujours
plus prom[)lo que vous ne |)ensiez vous
aura surpris comme un furieux orage au-
quel on ne s'altenJail pas, alors vous m'in-
voquerez el je ne vous exaucerai point; vous
emploierez beaucoup de diligence h me
chercher el vous ne me trouverez point.
(Prov., I, 28 seq.) Or de savoir, mes
iVères, quand Dieu doit abandonner le pé-
cheur el quelle mesure il a jn-escrile à nos
crimes et à sa patience, c'esl ce qui n'est
pas au [)ouvoir de la créature, car qui a été
son conseil et quel autre que lui peut don
ner des bornes à sa miséricorde ? vu, prin-
cipalement qu'étant le aiaîlre de ses grâces,
il a jiilié de ceux dont il veut avoir f)itié,
el que, sans que personne ail droit de lui
demanJi r pourquoi en usez-vous ainsi? il
fait comme bon lui semble, plus de miséri-
corde aux uns el plus de justice aux au-
tres. Ce qu'il y a de certain, mes frères,
c'est que deux choses contribuent davantage
à éloigner la grâce el à nous en rendre in-
dignes, premièrement le grand nombre des
péchés, et en second lieu leur malice et
leur énormité particulière. Or, ces deux
choses se rencontrent dans un [técheur qui
s'est fail une coutume do hanter les sacre-
ments et de commettre élernellement les
mômes crimes. Qui peut nombrer les pé-
chés d'un homme qui ne s'est [)resque ja-
mais rien refusé, emporté par la violence
des habitudes et soutenu par la vaine con-
fiance des pénitences qu'il avait faites ou
de celles qu'il prétendait faire? Et pour ce
qui est de l'énormilé, sans parler ici des
|)écliés qui ont fait le désordre et l'allache-
ment de sa vie, quoi de plus énorme que le
sacrilégii, quoi de plus énorme el do plus
luucsle que d'abut>er des mystères les plus
^!>
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
500
terribles de la religion que de fouler aux
pieds le sans de Jésus-Cbrisl renfermé dans
nos sacrements, qu(! de traiter son corps
adorablecomme ufi aliment profane, que de
manger si tous moments sa condamnation
et son jugement? Ah ! disait le grand prêtre
h ses enfants : Comment et pourquoi vous
êtes-voiisabandonnésà commettre des crimes
deccttesorle, des crimes les plus grands qui
se puissent imagner : Qunre facitisres hujus-
cemodi, rcs pessimas? (I Reg., 11, 23.)|Vous of-
frez des sacrifices, il est vrai, mais vous les
offrez indignement, et vous ne cessez de les
profaner par votre avarice et par des larcins
abominables. Ah Is'il arriveà l'hommede pé-
cher contre un a utrehomme,le Seigneur peut
sansdouie lui remettre cette offense, mais si
l'homme s'allaque à Dieu et pèche contre
Dieu même, qui osera prier pour lui ou qui
pourra lui être propice? [Ibid., 25.) J'en dis
autant de ceuxquis'approchenlindignemenl
des sacrements de l'Eglise. Si cechrélien avait
commis toute autre sorte de péché, il pour-
rait avoir recours au sacrement de péni-
tence, mais il a violé son asile, il a pro-
fané l'autel de sa réconciliation. Il a été in-
sulter à son Sauveur jusque dans les mys-
tères qu'il avait établis pour lui faire grâce,
croyez-vous donc au'il lui soit si facile
d'obtenir celle miséricorde qu'il a tant et
tant de fois outragée ?
Après tout, mes frères, ne nous laissons
pas tromper par les apparences. Une péni-
tence fausse ressemble à une pénitence sin-
cère; surtout quand il est question d'al-
ler paraître devant le tribunal du Sei-
gneur, tous les chrétiens font à peu près
les mêmes choses; l'on voit une grande dif-
férence de mœurs et de conduite durant
la vie, mais on ne voit que des justes à la
mort; mais qui doute que Dieu ne distingue
ce que nous ne pouvons et ne devons pas
distinguer? Ce chrétien qui a vécu toute sa
vie dans le désordre et qui ne fait qu'at-
tendre le moment qui décide, non-seule-
ment de sa vie, mais encore de son éter-
iiilé, reçoit les sacrements de l'Eglise avec
de grandes démonstrations de piété et de
douleur, car la crainte d'une damnation pro-
chaine est capable de faire faire bien des
figures à l'amour-propre. Il ne manque rien,
dit-on, à cette pénitence. Les assistants en
sont édifiés et attendris, chacun souhaite-
rait de mourir de même, et on espère vo-
lontiers pour autrui un pardon dont on sent
bien que l'on a besoin pour soi ; mais Dieu
qui pénètre le fond des cœurs enjuge bien
autrement. Ce pécheur secrèleraenl encore
attaché è son crime, piie, soupire, témoigne
un grand rei)enlir, et la Seigneur s'irrite de
ses prières, il mé(trisc ses soupirs, il n'est
point louché de ses regrets; au moment où
il va rendre lâuie, quelques actes de con-
trition mal articulés roulent encore sur ses
lèvres, mais il en est comme de quelques
gouttes d'eau qui coulent sur une pierre, qui
ne pénètrent point, et ne sont [las capables
de la laver, et malgré cet appareil d'une
douleur ajipareutc et exeiuplano, l'arrèl de
K
ce pécheur est prononcé, ol loule ceiie pré-
tendue pénitence au lieu d'attirer la misé-
ricorde du ciel, n'est qu'une espèce de ré-
aration forcée qu'avant d'être livré à ses
bourreaux le Seigneur l'oblige de faire pu-
bliquement à sa justice.
Je finis, mes chers auditeurs, en vous
adressant [)ar avance ces paroles, qu'à la
fin de cette sainte quarantaine on vous ré-
pétera tant de fois dans les divins offices:
Jérusalem, Jérusalem, convertere ad Ûomi-
num, Deum tuum. {Jer., IV, 1.) Ame chré-
tienne, depuis si longtemps f)Oursuivie par
les bienfaits, par les grâces, par les repro-
ches et par les menaces de ion Dieu, prends
enfin une sincère et sérieuse résolution de
te convertir. Ouvre les yeux à des vérités
|sur lesquelles lu n'as peut-être jamais fait
que de Irès-légères réflexions, reconnais
la profanation de tous ces sacrements que
tu as si indignement reçus, la fausseté de
les contritions, l'inutilité de tes confessions,
le défaut de les satisfactions, et l'importance
de les rechutes ! apprends de saint Grégoire le
Grand, qu'on ne doit jamais croire un pé-
cheur véritablement converti, que quand il
achève par ses œuvres ce qu'il a commencé
par ses paroles, et que le Fils de Dieu
ayant donné sa malédiction à l'arbre qui
avait de si belles feuilles et qui n'avait point
détruit, il no faut pas se persuader qu'il
agrée l'appareil de la confession sans les
fruits de la pénitence. Apprends de saint
Ambroise, que la véritable pénitence impose
un parfait changement de mœurs, qu'elle
afflige le pécheur pour tout le reste de sa
vie, et que les chrétiens qui l'ont faite
comme il faut, ne peuvent guère se réduire
à la triste nécessité de la faire jamais do
nouveau. Ap()rends par la réflexion du
grand saint Augustin, que le Fils de Dieu
n'a jamais guéri deux fois un même lépreux,
ni deux fois rendu la vue à un même aveu-
gle, ni ressuscité deux fois une même per-
sonne, pour nous faire comprendre, dit-il,
par l'exemple de ces miracles corporels,
qui n'étaient que la figure des spirituels,
qu'un pénitent doil bien craindre la re-
chute, et que le Seigneur ne fait pas tou-
jours si souvent qu'on le pense miracle sur
miracle, pour convertir tant de fois un
même pécheur.
Que conclurons-nous de (oui ce discours?
conclurons- nous qu'il vaut donc mieux s'é-
loigner des sacrements de l'Eglise, et ne
s'en pas approcher si souvent, de peur do
mettre son salut en danger par des profa-
nations et par des sacrilèges? A Dieu ne
j)laise que de tous ces principes solides que
nous avons posés, nous eu tirions une si
fausse et si pernicieuse conséquence, comme
si c'était un moyen pour nous sanctifier,
que de renoncer aux moyens que le Fils de
Dieu a établis pour notre sanctification, et
et qu'il y eût f)!us de facilité à opérer son
salut en négligeant les instruments qui
doivent opérer notre salut, et sans lesquels
il n'est |)as possible, selon les lois ordi-
naires de la Providence, de faire uolre sa-
SOI
SERMONS. - SKRM. IV, SUR LE SAINT SACRIFICE DE LA MESSE.
502
lui ; voilà pourtant en quoi cousiste le dé-
règlement et la bizarrerie de l'esprit des
hommes, toujours prôts à donner dans des
oxtréujiiés vicieuses, au lieu de s'ei) tenir
à ce juste milieu et à ce tempérament
équitable qui est la [ilace et la situation de
la vérité et de la vertu. Les uns |irofaneiit
les sacremenis, et les autres les négligent ;
les uns s'en approchent trop souvent eu égard
à l'état indigne et à la disposition. oii ils soiil,
et les autres ne s'en approchent point du
tout. Les premiers attirés, disent-ils, par
la douceur et l'ellicacité du sacrement, les
seconds rebutés par sa sainteté et par son
élévation ; ceux-là donnant tout à une con-
flance téméraire et qui n'est pas œuvre de
dist;erneme/it et de respect ; ct'ux-ci défé-
rant trop à un respect mal entendu, et qui
n'est pas accompagné de confiance ; et co
qu'il y a de plus déplorable, les uns no
laissant pas détendre à la même fin, et les
autres réussissant également à entretenir
leur impénitence, ou par cette fréquenta-
lion impie des sacrements ou parcet éloigne-
ment injuste des sacrements. Et moi je vous
dis, chiétiens, que si vous voulez travailler
sérieusement à votre salut, le seul parti
que vous avez à prendre c'est de vous ap-
procher souvent des sacrements, pourvu
que vous ne vous en approchiez pas indi-
gnement. Et je dis outre cela que, presque
le seul moyen de vous en approcher digne-
ment, c'est de vous en approcher souvent,
pourvu que vous soyez do bonne foi avec
Dieu, et que celle fréquentation des sacre-
ments se trouve soutenue par l'amende-
ment de voire vie, et par des effets qui ré-
pondent de la vérité de votre conversion, et
de la sincérité de vos intentions ; car enfin,
mes chers auditeurs, s'approcher rarement
des sacrements et s'en approcher digneruent,
sont deux clioses impossibles à concilier;
vous prétendez ne vous approcher des sa-
crements de l'Eglise qu'une fois l'année,
eh 1 quelle apparence de vous maintenir si
longtemps dans un étal de sagesse et de \
grâce , sa:is vous unir au principe de la
grâce! et sans éprouver bientôt, dans un sens
inysiérieux et moral, la vérité de ces pa-
roles que disait autrefois le saint roi
David : Mon cœur est devenu tout faible et
tout languissant, parce que j'ai négligé de
mangerco|iain qui était destiné pour me for-
tifier et me faire vivre : Et nruit cor meum,
quiaoblilussumcomederepanemmeum. {Psal.
Ll, 5.) Quedis-je? n'est-il [)as visible que
la plupart de ceux qui s'a[)i)rochent si ra-
rement des sacrés mystères, ne diûerent
si longtemps à s'en approcher que f)Our
avoir lieu de demeurer plus longtemps dans
le crime et ditféreraienl encore davantage,
si le [)réceple de l'Eglise ne les engageait
enfin, à faire quelques efforts faibles et sou-
vent inutiles pour en sortir? En un mot, ou
vos pénitences sont suivies d'amendement
el de changement de vie, et alurs qui pour-
rait vous empêcher de fréquenter les divins
mystères, et scricz-vous assez cruels et
assez injustes cuvcrs vous-mômes, pour vous
priver d'un secours si nécessaire et si es-
sentiel ; ou vos pénitences sont toujours sui-
vies de rechutes, et alors quelque rares
que soient ces prétendues pénitences, n»
voyez-vous pas évidemment que tout (••()
ce que j'ai dit contre ceux qui fréquentent
les sacrements et commettent toujours les
mêmes crimes retombe pareillement contre
vous ? Encore une fois, rien de plus impie
(|ue des'approchcr souvent des sacrements,
et de s'en approcher indignement ; rien de
plus difficile et de [)Ius contraire que de s'en
approcher rarement el de s'en approcher di-
gnement; rien déplus nécessaire que de s'en
approchersouvent etdignemenlloutà la fois.
Prenons donc ce parti, mes chers frères, et
si jusqu'à présent nous avons vécu dans le
crime, commençons par demander au Sei-
gneur avec larmes et avec gémissements,
la grâce d'une véritable conversion. Dé-
testons sérieusement le péché ; mettons-nous
entre les mains de quelque minisire de
l'Eglise sage et expérimenté, qui puisso
juger sainement de nos maladies et de notre
santé, et qui soit capable de nous conduire
sûiemenl dans le chemin du salut: faisons dea
fruits de pénitence, travaillons à nous ren-
dre dignes de la fréquentation de ces divins
mystères; enfin, hâtons-nous de chercher le
Seigneur pendant qu'on le peut encore trou-
ver, mais cherchons-le avec droiture et avec
simfdicité, et quand nous l'aurons trouvé*
ne le perdons plus, mais possédons-le tou-
jours ici par la grâce, pour nous mettre en
état de le posséder éternellement par la
gloire. Ainsi soit-il.
SERMON IV.
SUR LE SAINT SACRIFICE DE LA MESSE.
Elinvenil in lemplo vendonles boves el oves et co-
lunibas, eloinnes ejecll de lemplo, oves qtioque el boves,
el his qui veiidebaiit colurabas dixit : Aul'erie isla liinc,
{Joan., 11,14, 16.)
Kt il trouva dans le temple ceux qui veiidaieut des bœu(s ,
des moutons et des colombes, et il les chassa tous du tem-
ple et en fil sortir lui-même les moutons el les bœufs, et il
dit à ceux qui vendaient des colombes : Olez tout cela d'ici.
Cette colère, unes frères, dont le Fils de
Dieu paraît aujcurd'hui si animé dans le
temi)le n'est pas seulement sainte et édifian-
te, elle est encore mystérieuse. II châtie les
profanateurs du tem()le, mais il rebute en
même temps toutes les victimes qui étaient
destinées aux sacrifices de la loi ancienne,
auferle ista hinc « otez tout cela d'ici , »
et par le, dit l'auteur do VOavrage im-
parfait que plusieurs attribuent à saint
Chrysostome, il nous fait entendre qu'à ces
anciennes victimes et à ces anciens sacrifi-
ces il est près de substituer de nouveaux
sacrifices et de nouvelles victimes ; que ia
grâce va accomplir et |)erfecîionner la loi,
que le Saint-Esprit va succéder aux colom-
bes et que les hommes faisant mourir dans
leur cœur les passions criminelles et les
inclinations corromj)ues seront immolés dé-
sormais en la place de ces hosties matéri-
elles el irraisonnables. Ainsi dit ce Père ;
chasser du teiii|)le ceux (jui vendaient des
victimes [)Ourles sacrifices; les châtier et lfc3
mz
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
50 i
reprendre, c'est proprement comme si le Fils
(le Dieu disait aux Juifs ce qu'il leur avait
(l(''ja tant dit par la houclie des prophètes :
Jh n'accepterai point vos boucs ni vos tau-
laux; vos cérémonies et vos solemnilés me
sont en abomination ; immolez au Seigeur le
sacrifice de louanges et lui rendez vos hom-
inages et vos vœux, car il ne veut point
(l'ofîrandes; mais je veux de la piété et delà
loi ;je ne veux plus d'boslies mais je veux des
cœurs ou plulôt je veux que la foi soit l'of-
irande, que le cœur devienne l'Iiostie et que
les hommes s'immolant d'une manière tou-
te spirituelle soient eux-mêmes les sacitica-
teurs et les victimes. Mais en quel lieu de-
vons nous principalement nous acquitter de
ce devoir, si ce n'est dans nos temples, et en
quel temps si ce n'est quand Jésus Christ se
sacrifie lui -môme sur l'autel et que nous
«ssisions à son sacrifice? C'est, mes frères, de
celte obligation de nous iiiimoler nous-mê-
mes avec le Fils de Dieu et de la manière
loute intérieure et toute sainte dont nous
devons assister au sacrifice et contribuer à ce
sacrilice, que j'ai pris dessein de vous en-
tretenir aujourd'hui. Rien de plus capable,
cerne semble d'intéresser votre piété et do
mériter votre aiteniion, puisqu'il s'agit d'une
action si^ im[iorlante et si ordinaire tout à
la, fois ; c'est l'action la plus importante et la
plus excellente de la vie, et l'Eglise et les
jiaïens mômes en ont été si persuadés qu'ils
ont appelé le sacrifice l'action par excellence,
comme si J'homroe n'était censé agir que
lorsqu'il traite de sa religion avec Dieu et
qu'il ne fût censé traiter de sa religion avec
Dieu que quand il lui offre le sacrifice, qui
en est l'acte le plus essentiel et le |)lus au-
guste. Mais c'est encore une des actions ks
}»lus ordinaires dans la religion que nous
professons ; il n'est personne qui ne doive
«ssistor, et il n'en est guère qui n'assiste tous
les jou rs au sacrifice de la messe. Quel désor-
dre par conséquent si l'on s'acquitte mal de ce
devoir et quel intérêt n'a t-on pas de savoir
bien faire ce quel on doit faire si souvent? Es-
jirit-Saint, accordez-nous vos lumières el vos
grâces pour cet effet, vous qui préparâtes la
matière du sacrifice de la loi nouvelle dans
le sein de la divine Marie, lorsqu'un ange
lui dit comme nous allons faire : Ave Maria.
Comme la corruption el la lâcheté do
l'homme le portent toujours à diminuer ses
obligations, quand on dit aux chrétiens que
Je Fils de Dieu est venu abolir les sacrifices
des Juifs et qu'il s'est substitué lui-môme
en la place de toutes les victimes de la loi
«ncienne, il leur est assez naturel et assez
ordinaire de conclure de \h qu'ils sont donc
quittes de l'obligation du sacrifice, que s'il
leur en reste encore quelques uns à otï'rir
ce ne sont que des sacrifices imparfaits qui
L-onsistenten prières, en aumônes, en bonnes
œuvres et dont la détermination particulière
dépend assez de leur liberté et de leur choix;
qu'au surplus Jésus-Christ se -sacrifie lui-
même pour eux, et, qu'assistant à son sacri-
lice, ils peuvent et doivent se décharger de
toutes leurs dettes sur celte adorable vic-
time qui, étant d'un prix infini, est plus que
sufi^sante pour les acquitter pleinement en-
vers la divinité. Aussi voyons-nous assez de
chréliens qui ont soin d'assister au sacrifice
et même de faire olfrir le sacrifice, mais
h peine en vojons-nous qui, assistant au sa-
crifice de Jésus-Chrisi, songent à se sacrifier
eux-mêmes, ou pour mieux dire quisfvient
persuadés que ce n'est que par le sacrifice
de soi-même qu'on peut dignement assis-
ter et utilement participer au sacrifice de
Jésus-Chrisl. Voilà, mes frères, la grande et
solide vérité que je veux tâcher d'établir et
de développer dans ce discours. Non, le Fils
de Dieu sacrifié ne nous dispense pas de
l'obligation du sacrifice, puisque son sacri-
fice au contraire nous impose l'obligation de
nous sacrifier; le Fils de Dieu sacrifié ne lais-
se pas à notre choix la détermination du
sacrifice, puisque c'est le sien au contraire
qui doit déterminer la forme et la mesure
du nôtre. Jésus-Christ immolé, première vic-
time de notre sacrifice. Jésus-Christ immolé
unique modèle de notre sacrifice en qualité
de victime; je vous le répète, il s'immole
pour nous et nous oblige à nous immoler
avec lui; en qualité de modèle, il nous
apprend à nous immoler comme lui : deux
propositions qui feront tout le partage de-
ce discours.
PUEMIÈRE PARTIE.
C'est par le sacrifice que les hommes ont
toujours tâché de s'approcher de la divinité
et de se réconcilier avec la divinité ; mais
ce n'était que parle sacrifice de la loi nou-
velle qu'ils pouvaient obtenir ces grands et
salutaires effets, une seule victime étant
capable de leur procurer ce qu'ils auraient
toujours attendu fort inutilement de toutes
les autres. En effet, mes frères, si vous
ôtez Jésus-Christ aux hommes, que seront
à l'égard de Dieu toutes les victimes qui
lui ont jamais été ou qui lui pourraient ja-
mais être offertes? Que sont-elles même
à notre égard ? des êtres mortels et périssa-
bles comme nous, des créatures autant ou
[•lus imparfaites que nous. Or, qu'elle appa-
rence que le pécheur puisse être réconcilié
avec Dieu par un médiateur aussi coupable
que lui, ou que l'homme pût être ramené à
la divinité par une créature qui en serait
aussi éloignée que lui ? C'est donc pour cela
que le Seigneur nous a donné son Fils unique,
c'est pour cela que dans les projets de sa
providence el de sa miséricorde éternelle,
il a su préparer une victime capable d'ho-
norer dignement toutes ses perfections et
de satisfaire abondamment à tous nos be-
soins, c'est pour cela qu'il a placé comme
dans une situation moyenne entre le ciel et
la terre un homme-Dieu, qui tenant tout à
la fois à notre nature et à la sienne, ras-
semble le ciel et la terre, réconcilie Dieu et
les hommes en sa divine personne, gagc^
commun et réciproque de l'amour du Sei-
gneur et du nôtre, qu'il nous a donné et
que nous lui rendons; qui lui offre nos
prières et qui nous communique ses bien-
faits ; par lequel il ne dédaigne [>as de se rap-
5)3
SÎ.RMONS. — SI;RM. IV, SLU LE SAINT SACRIFICE DE LA MESSE.
5flS
procher de nous, el par lequel il nous est
facile de Tiens ixMinir à lui. Avant cfla,
dis»iil l'apôlre saint P.iul aux prenii(M-s clné-
lirns : Vous étiez loin de la Diviiiilt^: Era-
tis enim longe [Ephes., II, 13), car, quelle
plus grande dislance que d'une créature à
lin Dieu el d'une créalure coupable à un
Dieu juste et irrité; Setl facli cslis prope in
sanguine CItristi, « mais vous êtes devenus
proches dans le sang de Jésus'Clirisl. » {Ibid.}
Sans cela que nous servirait-il de connaître
Dieu puisqu'il nous serait inaccessible, et
quelleconsolalion de savoir le ternie quand
on ne sait point do voie pour y arriver?
De ce principe, mes frères, il en résulte
que personne n'a jamais approché de Dieu
que par Jésus-Chrisi, que nulle créature n'a
jacDais pu apaiser la Divinité que par le sa-
crifice de Jésus-Christ, ce qui fait avancer
au grand saint Augustin une proposition
dont il ne sera pas dillicile de vous faire
convenir, qu'à ()arler pro|iremenl et exacte-
ment il n'y a jamais eu de véritable sacri-
fice que celui-ci, tous les aulres ne pouvant
être appelés des sacrilices qu'auiaul qu'ils
perticijjenl à ctlui-ci ou qu'ils ont quelque
rapport ou quelque liaison avec celui-ci.
En elTet, le disciple bien aimé étant entré
dans la céleste Jérusalem et dans le temple
de la gloir») des bienheureux, il n'y voit
qu'un seul autel et qu'une seule victime.
J'ai vu, dit-il, un agneau vivant, mais ayant
ides apparences de mort. Or, c'est cet inno-
cent agneau dès l'origine du monde qui est
venu etfacer les péchés du monde : Agnus oc-
cisusab originemundi[Àpoc.,W\\,%), c'esl-o-
dire toujours p'résenteldans le temps et dans
l'élernité aux yeux de Dieu ; au mérite et à
la mort duquel il a toujours accordé et accor-
dera toujouis toutes les grâces qu'il a jamais
faites et qu'il fera jamais aux hommes.
Et pour mieus comprendre cette vérité
capitale de notre religion, il n'y a, dit saint
Augustin, qu'à bien distinguer ces quatre
choses : l'oblation du sacrifice, la |)rédic-
lion et les figures du sacrifice, l'imitation
et les fausses copies du sacrifice, la conti-
nuation et la mémoire du sacrifice. L'obla-
tion du sacrifice de l'Agneau s'est faite sur
l'autel de la croix, où le Fils de Dieu a versé
son sang et a été immolé en odeur desuavité
\\ son divin Père. C'est à celte unique obla-
lion que se rappoi talent loules les oblations
el tous les sacrifices de la loi ancienne, qui
n'en étaient que les prédictions el les ligures ;
sacrifices que le précepte de Dieu avait mul-
lijdiés à l'infini, parce qu'il en fallait une in-
finité pour expliquer les dilférenls carac-
tères et les vertus infinies de celui-ci.
Pour ce qui est des sacrifices des païens,
ils ne doivent être regardés que comme de
fausses imitations du i-acrifice de notre re-
ligion, inspirées ()ar cet ange superbe el apos-
tat qui avait autrefois [irétendu usurper le
trône de Dieu, et lait encore de[)uis tous ses
cO'orts pour usurper son autel et pour s'attri-
buer le souverain culte (]ui lui est dû. Il n'y
a donc jamais eu que le sacrifice de la croix
qui ail dû j^asscr pour un véritable sacri-
fice. Cl lui de nos autels n'en est paj un
au'.re, il n'en est que la continuation et la
mémoire; faites ceci en niéuioiro de moi,
dit le Fils de Dieu à ses apûlres ; et l'apûlre
saint Paul ajoute : Toutes les fois que vous
mangerez ce pain et que vous boirez ce calice^
vous annoncerez la mort du Seigneur. (1 Cor.f
XI, 20.) Ici, mes frères, il me souvient de ce
que. Moïse disait au peujile d'Israël en l'ns-
Iriïisanlsurles cérémonies et sur les précep-
tes do la loi. Quand donc, lui disait-il, on
vous demandera que signifient ces témoi-
gnages et ces cérémonies : Quid sibi volunt
Icstitnonia hœc et cwrimonial {Peut., VI, 20)
vous réiiondrez : Nous élions enclaves de
Pharaon, el le Seigneur nous ayant tirés
d'une manière merveilleuse et inouïe du
pays et de la puissance de ce tyran, il nous
a ordonné d'en user ainsi pour célébrer à
jamais la mémoiie de notre délivrance elle
pouvoir de notre divin libérateur : Servi
cramus Phiiraonis et eduxit nos Dominus de
JEgijpto in manu forli, prœcepitque nobis
ut faciamus omnia légitima hœc. [Ibid. ,
21-24.) N'en puis-je pes dire autant on ce
qui regarde nos secrets mystères ? Si l'on
nous demande: quesignifient ces cérémonies,
que veut dire cet autel, celte oblation, ce
corps d'un côlé et ce sang de l'autre? Nous
élions esclaves du démon, el le Fils unique
du Très-Haut nous ayant tirés par l'effusion
de son projiro sang do colle dure captivité,
il nous a commandé d'observer ces cérémo-
nies pour célébrer à jamais le bienfait de
notre Piédemption et l'excès de ses infinies
miséiieordes. Oh I que l'hérétique no dise
donc p>as que le sacrifice do l'Fucharistie
déshonore le sacrifice de la croix, comme
s'il n'avait pas été sufifisant pour nous ré-
concilier avec Dieu. Bien loin de le désho-
norer, il n'a été institué que [)Our l'honorer
el le faire honorer par tous les chrétiens.
Bien loin de sujjposer que le sacrifice de
la croix n'ait été que d'une valeur limitée, il
fait voir évidemment que le mérite de ce sa-
crifice n'a point de bornes ; car quelle [ilus
grande preuve que le prix d'une victime et
d'un sacrifice est infini, que d'offrir tous les
jours celte môme victime, que d'appliquer
tous les jours les fruits de ce sacrifice sans
crainte d'en voir jamais la fin ni que la va-
leur de celte victime et de ce sacrifice ne
s'épuisenl. En quoi, mes frères, il est néces-
saire de faire remarquer une belle différence
entre les sacrifices de la loi ancienne et le
sacrifice de la nouvelle; car, ce qui faisait
voir l'insuffisance des sacrifices de la lot
ancienne, c'est que les Lévites, si vous y
prenez garde , en olfraient tous les jours de
différeras et de nouveaux, témoignant ain-
si qu'ils eussent bien voulu obtenir, par
cet le multiplicité d'hosties qui se succédaient
les unes aux aulres, ce qu'une seule n'était
pas capable de mériter. Mais le Fils do Dieu,
dit l'apùlro saint Paul, n'a jamais otl'ert
qu'un sacrifice; et par ce sacrifice, dont la
valeur est infinie et dont lo mérite dure
toujours, il a oblenu pour ton? les pécheurs
une abulilioii entière et une réconciliation
507
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
508
éternelle : Ilic autem unam pro peccalis of~
ferens hostiam una oblatione consummrtvit
in s empiler num snticlificatos. (Hebr., X, 12,
14-.) Or c'est colle même victime elce môme
sacrifice quo nous offrons incessamment au
Seigneur, et que nous lui remellons tous
les jours devant les yeux. Ahl disait
excellemment saint Gaudence, évéque de
Brescia, en f)arlant de l'agneau pascal:
Chaque famille parmi les Juifs offrait un
agneau différent, et on recommençait tous
les ans à en offrir de nouveiux. Mais dans
l'Eglise d(! Jésus-Glirist, il n'y a qu'un seul
aj^neau qui suffît pour tous, c'est le même
qui a été immolé sur la croix et qui est
immolé sur l'autel; celui que les premiers
chrétiens offraient est celui que nous of-
frons aujourd'hui, c'est le môme qui est
offert par tous les |)euples et dans tous les
temples de l'univers, toujours immolé et
toujours vivant, inépuisable dans sa va-
leur comme il est immortel dans sa durée.
Voilà, mes frères, les graftdes idées que
le chrétien doit avoir du sacrifice de Jésus-
Christ; voilà les grands principes de reli-
gion dont il se doit renqilir quand il vient
dans nos temples assister à ce sacrifice et
s'acquitter de ce devoir si auguste, si es-
sentiel et si inif)0itaiit. Quelle affaire se
traite sur cet autel? car c'est ainsi qu'il se
doit parler secrètement à lui-même ; quel
ouvrage s'y accomplit? quelle victime s'y
immole? quelle alliance s'y contracte? C'est
la grande affaire de tous les siècles, c'est ce
grand ouvrage de la rédemption du genre
humain que tant de rois et de prophètes
avaient souhaité de voir, et «lui nous a été
réservé par les soins d'une miséricorde of-
ficieuse. C'est cette adorable victime sans
laquelle nulle créature n'a jamais obtenu
rien, avec laquelle nous sommes bien sûrs
d'obtenir tout, n'y ayant point d'autre nom
dans le ciel ni sur la terre par lequel nous
puissions être sauvés. C'est en un mol,
l'alliance de Dieu et des hommes qui se
renouvelle. Jésus -Christ , faisant encor(i
couler sur nos autels ce môme sang qu'il
a répandu sur le Calvaire, en sorte que les
chrétiens de tous les temps et de lous les
lieux , devenus itrésents par eux-mêmes à
ce grand œuvre de la réconciliation des hom-
mes, chacun tâche d'en remporter la part
qui lui doit écheoir et qu'il peut es[)érer à
la Rédemption de Jésus-Christ. Heureux si
nous savons profiter de ces avantages et si
nous remplissons, de notre côté, les condi-
tions de l'alii'ince que le Fils de Dieu est
tenu de nous faire contracter avec le Sei-
gneur.
Loin d'ici ces esprils aveugles et corrom-
pus qui, par une erreur extravagante dans
la spéculation, mais qui n'est que trop com-
mune, dans la pratique, se persuadent
que Jésus-Christ ayant satisfait pour eux, il
ne leur reste plus rien à faire pour leur
salut, et par un abus sacrilège de ses mé-
rites infinis, non contents de mettre leur
confiance on lui, fondent secrètement sur
lui leur orésomplion , leur lâcheté et leur
impénitence, comme si le Fils de Dieu n'é-
tait monté sur la croix que pour se rendre
le protecteur de nos crimes, et qu'au lieu
de les détruire par la grâce il fût venu les
fomenter par l'impunité.
Jésus-Christ, immolé sur la croix, sur
nos autels, n'est pas seulement la victime
de notre réconciliation , mais il doit encore
être regardé comme le signe de ce sacrifice
spirituel et invisible que tous les chrétiens
sont obligés d'offrir intérieurement au Sei-
gneur; ap(iliquez-vous à cette pensée.
Comme il n'y a rien dans le monde naturel
de meilleur ni de plus parfait que l'homme, cl
qu'il n'y a rien dans l'homme de meilleur que
son esprit et sa volonté, ce sont sans douty
les premières et les principales victimes que
Dieu , dès le commencement du monde,
avait voulu qui lui fussent offertes. Tous
les sacrifices extérieurs n'ont jamais été
dans son intention que les signes visibles
de ce sacrifice intérieur et invisible, à peu
près, dit le grand Augustin, comme les pa-
roles qu'on [)rononco sont les signes des
choses qu'on pense ; et c'est pour cela,
dil-il ensuite, qu'on n'a jamais pu, sans im-
piété et sans idolâtrie , offrir à d'autres
qu'au Souverain Etre même le sacrifice ex-
térieur, parce qu'étant la marque de ce dé-
vouement absolu par lequel la créature rai-
sonnable se consacre à la Divinité, il ne
faut par conséquent accorder l'un qu'à celui
qui a droit de prétendre à l'autre, et l'on ne
doit immoler des hosties malérielles qu'à
cet être adorable dont nous devons être, en
esprit, le sacrifice et les victimes. Les Juifs
ne eomprenaient point celte obligation, ou,
s'ils ne manquaient pas à la comprendre,
du moins manquaienl-ils beaucoup à s'en
ac({uitter; car, n'est-ce pas e<! qui faisait le
sujet le plus ordinaire des reproches que le
Seigneur avait coutume de leur adresser par
la bouche de ses |)roi)hèles. « Ehl à quoi
bon toutes ces victimes, leur disait-il ? |)Our-
quoi vous obstinera m 'offrir des sacrifices?
en vain, voulez-vous que je mange la chair
de vos taureaux ou que j'en boive le sang.
Songez, songez à vous purifier de vos ini-
quités; cessez de faire le mal, commencez
à faire le bien ; immolez au Seigneur le sa-
crifice de louange et portez vurs lui vos dé-
sirs, vos afi'ections et vos cœurs. » {PsaL
XLIX, 9-15.) Or, mes frères, vous êtes trop
éclairés en ce qui regarde notre religion,
pour vous persuader que celte obligation
ait cessé par la venue du Messie, et pour
ne pas savoir, au coniraire, que c'était à la
loi de l'Evangile qu'il était résiervé d'offrir
le sacrifice du cœur.
« Femme,» disait le Fils de Dieub la Sa-
maritaine, «voici le temps que l'on ne sacri-
fiera jilus ni dans le temple de Salomon, ni
sur la montagne où. vos pères ont adoré,
mais où les vrais adorateurs adoreront,
c'est-à-dire, comme l'expliiiuenl les Pères,
sacrifieront en es\m[ et en vérité. » [Joan..
IV, 21.) Et, n'est-ce pas dans ce même es-
prit, (jue loulcs les Ecritures du Nouveau
Tcblameni nous remettent si souvent de-
soa
SERMONS. — SEHM. lY, SLR LE SAINT SACRIFICE DE LA. MESSE.
510
vant les yeux l'obligation de ce sacrilice
S()iiiliiel , nous Jisanl tantôt (|iio nous som-
mes les temples (iu Dieu vivant : Vos eslis
temphwi Dei vivi (!I Cor., VI, 16); taniftt
que tous les cliréliens se doivent considé-
rer eux-in(>tiies comme une nation sainte et
comme un sacerdoce roval : Gens sancta, re-
gale sacerdolium (1 Pelr., il, 9); tantôt qu'il
faut nous iii'moler commodes hosties vi-
vantes : tiostiam viventcin. (Rom., \ll, 1.)
L'Ecriture nous dit que nous sommes les
temples du Dieu vivant, pour nous faire en-
tendre que ce n'est pas seulement dans ces
temples matériels et inanimés, mais que
c'est dans nous-mêmes que se doit faire la
cérémonie de notre sacrifice. Elle nous dit
ensuite qm* les chrétiens sont une nation
sainte et un sacerdoce royal, pour nous
insinuer qu'en ce qui rcgaide cette obliga-
tion, nous ne devons pas nous en ra[ipor-
tcr à ceux qui pourraient olfiir des sacri-
fices pour nous, mais (ju'en un certain sens
chaque chrétien doit ôtre lui-môme le prê-
tre de son sacrifice. En un mot, elle ajoute
qu'il faut être des hosties vivantes, pour
apprendre qu'il ne faut pas se contenter
d ofTi ir au Seigneur des victimes étrangères,
en sorte que le chrétien, ne donnant à Dieu
que ce .qui est hors de soi, se garde soi-
même pour soi; mais qu'étant les temples
et les sacrificaieurs, il est d'un devoir indis-
pensable que nous soyons aussi les victimes.
Or, en quel lieu ou en quel temps, ainsi
que je vous l'ai déjà dit, le chrétien s'ac-
quillera-t il de ce grand devoir, si ce n'est
au pied dos autels, et dans ces moments
précieux oiî le Fils de Dieu s'immole lui-
même pour nous et nous donne, dans sa
personne, l'exemple d'un sacrifice tout in-
visible, tout spirituel et tout intérieur? Les
sacrifices des Juifs étaient trop extérieurs
et leur donnaient lieu de répandre toute
leur religion au dehors, mais le sacrifice de
l'Eucharistie, mystère de foi, nous fait ren-
trer en nous-mêmeset nous excite à faire in-
térieurement en nous mêmes tout ce que la
religion nous apprend que le Fils de Dieu
fait en lui.
Ainsi l'avait prédit le propliète Malachie,
que cet Ange du Testament, que les Juifs
cherchaient et attendaient depuis si long-
temps, viendrait enfin dans son temple,
qu'alors le sacrifice de Juda plairait infini-
ment au Seigneur : Et ptacebit Domino sa-
crificium Juda {Malac, Jll, 4), et qu'en
même temps il y aurait des sacrificateurs
qui lui olliiraient des sacrifices de jus-
tice: Et erunt offerentes Domino sacrificia in
jusliii^. (Ibid., 3.) Il parle d'un seul sacri-
fie e , et néanmoins il parle de plusieurs sa-
crifices. 11 parle d'un seul sacrifice qui est le
sacrifice de Jésus-Christ plus agréable au Sei-
gneur que tous ceux qui lui ont jamais été
ou qui lui pourraient jamais être otferts;
mais il parle de plusieuis sacrifices, sacri-
ces de justice que les chrétiens devaient
offrir au Seigneur, en immolant leurs |)as-
sions et leurs inclinations corrompues;
mais sacrifices qui se réunissent à ce seul
et incomparable sacrifice, lorsque les chré-
tiens, assistant au sacrifice de Jésus-Christ,
y viennenidonner publiquemenlauSeigneur
des témoignages sincères de leur dépen-
dance, de leur soumission et de leur
amour, s'immolant avec ce divin Messie
qui s"immole lui-même pour eux.
En effet dit le grand Augustin, le Fils de
Dieu immolé dans l'eucharistie, n'est pas
seulement la victime de notre sacrifice et le
signe de notre sacrifice, mais il y doit en-
core ôtre regardé comme la première et la
plus excellente portion du sacrifice que
tous les chrétiens doiventotfrir, et pour en-
tendre ce grand mystère, il n'y a qu'à nous
souvenir de deux belles qualités que l'apô-
tre saint Paul donne à Jésus-Christ. Il l'ap-
pelle le premier né de toute créature: Pri-
mogenitus omnis creaturœ (Coloss., 1, 15) et
en un autre end.-oit il dit que lePère céleste
l'a établi chef de toute l'Eglise : Ipsum po-
suitcapul super omnemEcclesiam.(Eph.,l,2'-l.)
Jésus-Christ, premier-né de toute créature
s'olfre lui-même sur l'autel et en s'oEfrant
lui-même, il offre toutes les créatures avec
lui. Semblable, dit saint Chrysostome, à
ces premiers-nés de l'ancienne loi qui avaient
droit d'offrir le sacrifice pour tous ceux qui
étaient nés après eux. Il n'en est donc pas
ici comme d'une personne particulière qui
ne parlerait que pour soi, qui ne sacrifierait
que pour soi. Jésus-Christ, produit avant
tous les êtres, Jésus-Christ, Dieu et homme
tout ensemble et rassemblant par consé-
quent en son adorable personne toute la
différence des êtres, Jésus-Christ, en un
mot à la tête de tous les êtres, parle pour
tous les êtres, sacrifie pour tous les êtres et
sacrifie même tous les êtres. Dj sorte, Mes-
sieurs, qu'en nous saciifiant avec lui, nous
ne faisons pour ainsi dire, que ratifier ce
que Jésus-Christ a fait pour nous, entrant
par un consentement particulier et volon-
taire dans cette offrande générale, dans la-
quelle il ne peut tenir qu'à nous que nous
ne soyons compris.
Mais il y a quelque chose de plus parti-
culier pour tous les chrétiens, car Jésus-
Christ étant le chef do son Eglise, et tous
les chrétiens étant ses membres, c'est l'in-
tention du Seigneur dit le grand Augustin,
que de ce chef et de ces membres réunis,
il ne s'en fasse au pied des autels qu'un seul
corps et qu'une même offrande. Le Fils do
Dieu s'est offert lui même sur le Calvaire
pour son Eglise, mais celte Eglise qui ne
faisait que de naître, n'était pas encore en
état ni d'offrir ni d'y être offerte. C'est donc
proprement dans nos temples que se con-
somme le sacrifice de Jésus-Christ, c'est
dans nos temples que Jésus-Christ offrant
son Eglise, s'offre lui -môme avec elle
et que l'Eglise offrant Jésus-Christ , s'olfre
elle-même avec lui. C'est dans nos tem-
ples que s'accomplit cette belle parole ,
de l'apôtre saint Paul , qui dit que le Fils *
de Dieu n'a répandu son sang que pour pu-
rifier un peuple qu'il avait dessein d'offrir
à son Père et pour le rendre digne d'être
511
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
oM
offert et d'ôlre accfipté: Ut mundaret popu-
lum acceplabilein {TU., II, l'i^); et cet autre
do l'apôtre saint Pierre qui dit que le Fils
d(! Dieu n'a souffert que pour nous mettre
en t'iat d'être |)rése!Ués à Dieu comme des
victimes après nous y avoir pi-é|)arés par la
mortifieation du cor[)s et par la vie cl la
consf^rralion de l'esprit: Ut nos offenet Dco
mortificaton quidem carne, vivificatos nutem
spiritu (I Petr., III, 18); si bien, Messieurs
(]ue le Fils de Dieu ayant prononcé, par la
bouclie du prêtre ces paroles eOicaccs sur
le pain qui est consacré : Hoc rst corpus
meum : a Ceci cl mon corps (Mallh., XXVI,
2G), » on peut dire qu'il en étend la sii^nifi-
cationsur lous les lidèles, comme s'il disait
on parlant de tout le peu|)lc qui assiste au
sacrifice ; ceci est encore mon corjis com-
posé de tous les chrétiens qui sont mes
membres, ceci est mon corps, vivant de ma
vie. animé d« mon esprit et nourri de ma
propre subslance; ceci est mon corps mys-
tique que j'unis par ce sacrement h mon
corps naturel connue un cor|)s (pii doit te-
nir à son clier|)our ne faire plus de tous les
deux qu'un seul tout et un mémo saorillce.
Quelle consolation pour un chrétien 1 mais
en même temps qu(;lle obligation. Quelle
consolation, piiisqu'étant iniis h Jésus-Christ
nous ne Taisons jiUis qu'une même chose
avec lui et ne saurions manquer de j)artici-
per à sa sainteté, h sa force, à sa grandeur;
à sa sainteté malgré nos péchés, à sa force
malgré nos infirmités, à sa grandeur malgré
notre indignité et notre bassesse; bien silrs
de tout oblenir de Dieu et ne craignant plus
qu'il nous n.'fuse rien pourvu que nous joi-
gnions seulement notre attention au sacri-
lice de Jésus-Christ, nos prières <i ses mé-
rites, notre foi à son sang, notre fidélité à
ses grilces, nos es[>rits à son esprit, nos
cœurs à son cœur et tout ce que nous som-
mes à tout ce qu'il est. Mais (pielle obli-
jjation? puisque jtonr être uni à ce divin chef
il faut avoir quelque sorte de proportion
avec lui; des mend)res qui n'ont pas de pro-
portion avec le chef, n'étant pas capables,
dit saint Chrysostome, de comparer un cor|)5
avec le chef si ce n'est un corps monstrueux
et tel que le corj)S do Jésus-Christ ne peut
pas être. Or quelle confora)ité avons-nous
avec le Fils do Dieu lorsque nf»us assistons à
son sacrifice, ou plutôt quelle contrariété
n'y a-l-il pas entre lui et nous? Quelle con-
solation néanmoins lorsqu'un (hrélicn qui
assiste au sacrifice de la messe, se sentant
en la présence de son Dieu, accablé de con-
fusion et de crimes, embarrassé, pour ainsi
dire, de la grandeur de Dieu et de son pro-
pre néant, de la justice de Dieu et de ses
propres désordres, de la bonté dont Dieu lui
a donné tant de marques et de la malice et
des ingratitudes qui viennent en foule se
représenter à sa mémoire, il peut tout d'un
coup ranimer son courage et relever ses
espérances, en disant seulement au Père
éternel avec le prophète : Uespice in faciem
Christitui. (Psal. LXXXIII, 10.) Père ado-
rable, jetez les yeux sur la face et sur la
personne de votre Christ, car si je n'étais
pas soutenu par ses mérites et par sa pré-
sence, quelle témérité serait-ce à moi de
me firésenler devant vous et que pourrais-
je atltmdre de vous, que de funestes effets
de celte colère que j*ai tant et tant de fois
provofjuéo? Le voilà, ce Fils bien-aimé, le
seul objet de vos complaisances, qui par
l'effet d'une miséricorde infinie, prie pour
moi, satisfait pour moi et vous représente
qu'il a souffert les douleurs les plus cru-
elles pour moi; qui par les liens d'une cha-
rité admirable m'unit h lui , me justifie en
lui et me confond heureusement avec lui ;
ne me regardez donc pas sans lui et ne me
séparez pas d'avec lui. Si vous considérez
les outrages que je vous ai faits, considérez
l'honneur et la gloire qu'il vous rend. Si
vous voyez mes révoltes, voyez ses abais-
sements. Si vous méprisez mon indignité
et ma bassesse, envisagez sa dignité et sa
grandeur. Si vous pesez l'énormité de mes
fautes, pesez le prix et la valeur de son sang.
Si vous jetez les yeux sur les dérèglements
de ma vie, jetez-les en môme temps sur les
mérites et sur la cruauté do sa mort ; car
enfin tous les pécheurs ensemble ne sau-
raient vous ôter autant de gloire qu'il vous
en donne, et je puis dire que dans ce sacri-
fice il fait pour moi bien plus que je n'ni
jamais fait contre vous: Respice, respice in
fdciem Chrisli lui.
Mais (pielle obligation, mes chers audi-
teurs, quand nous venons à faire réfiexion que
pour |)ro!iler de ces mérites, de ces humi-
liations, de ces douleurs, de cette mort et
de ce sacrifice de Jésus-ChrisI, il est indis-
pensablemeut nécessaire d'entrer dans les
saintes dispositions de Jésus-Christ, de co*
opérer à ses mérites, de prati(]uer ses hu-
miliations, de porter en nous les sacrés ca-
ractères de sa mort et do ses douleurs, en
un mot, de mourir après lui et de nous sa-
crifier avec lui ; et que le Père éternel, nous
adressant les mêmes paroles que nous lui
avons adressées, a droit de nous dire, do
son côté, par un équitable retour : Hospice,
respice in faciem Chrisli tui. Ah! chrétien,
jette, jette toi-même les yeux sur rexemi)!o
et sur la personne de ton Christ ; si tu veux
(lue je le regarde comme ton médiateur,
regarde-'e donc comme ton modèle ; si tu
veux que son innocence me fasse oublier
tes crimes, déteste donc tes crimes et te re-
vêts de son iiuiocence; si tu veux que je le
pardonne pour l'amour de lui , travaille
donc à me satisfaire comme lui. En effet,
Messieurs, le sacrifice que Jésus-Christ
olfre nous détermine la forme et la mesure
de celui que nous devons offrir. Il en est la
première victime, mais il en doit être en-
core l'exemjjlaire et le modèle, et c'est ce
que jo dois vous faire voir dans la deuxième
partie de ce discours.
SECONDE PARTIE.
Comme toutes les actions du Fils de Dieu
doivent être la règle des nôtres et que d'ail-
leurs son sang et le nôtre ne doivent être
si:
SERMONS. — SERM. IV, SIR LE SAINT SACRIFICE DE LA MESSE.
51 i
que les dilTérenios portions d'un sou' ot
unique sncrifice, il s'cnsuil évidcnniiciU que
pour bien savoir ce que nous devoîis i'airo
jiu pied do l'oulel, il n'y a qu'à bien étudier
lout ce que Jésus-Christ fait sur i'.iulel el
de quelle nature est le sacrifice qu'il .v otl're;
à quoi le grand saint Léon nous réjiond,
d'abord en général que coiunie tous les
autres sacrifices représentaient celui-là, ce-
lui-là représente aussi tous les autres ; il
est lui seul de la nature de tous les autres.
Mais saint Tliomas nous explique ceci plus
en détail. Il y a, dit-il, quatre perfertions
en Dieu qui exigent princijialement le sa-
crifice : sa grandeur, sa justice, sa miséri-
corde et sa bonté ; car dans tous les sacri-
fices que les liomnies doivent oll'rir, ils ne
peuvuntse proiiosir (|ue ces quatre fins : de
reconnaître la grandeur de Dieu, ou d'a-
paiser sa justice, ou de remercier sa boulé
et sa miséricorde, ou d'en obtenir de nou-
velles grâces, de nouveaux bienfaits. Et en
effet, toutes les différentes boslies de la
loi ancienne se rapportaient à ces qujitre
cliefs; car l'iiolocausle où toute la victime
était consumée, tendait à recon.naîire la
grandeur de l'être de Dieu ()ar lu néant oià
cette victime était réduite. L'Iiostie propi-
tiatoire était ollurle à la justice divine pour
le péché, et les deux dernières, qui s'ap-
pelaient hosties pacifiques, honoraient la
bonté et la miséricorde de Dieu, [)uisqu'elles
lui étaient offertes, l'une fiour le remercier
de ses dons et l'autre pour en impétrer de
nouveaux. El c'est, dit saint Thomas, sous
ces différentes idées que nous pouvons
considérer Jésus - Christ dans son sac'i-
lice , puisiiu'ii s'ulfie tculd'un cou() au Père
éleriiel et coujme holocauste [lour recon-
naître sa grandeur, et comme hostie [)ro-
pitiatoire pour apaiser sa justice, et co. urne
hostie pacifique pour remercier et pour at-
tirer sa boulé et sa mi.>éricorde. Voilà, mes
frères, ce que Jésus-Christ immolé fait sur
l'autel et ce (pie nous devons lAclier de
faire avec quelque sorte de proportion
comme lui. Je m'arrèle [irincipalement aux
deux [)remières considérations et oommeuco
par la grandeur île Dieti et par l'holocauste
qui lui est offert.
Le propre de l'holocauste est donc d'ho-
norer le souverain être de Dieu et sa sou-
veraine indépendance, en témoignant, par
la destruction et l'anéanlissement de la
victime, que Dieu est par excellence celui
qui est : E(jo sum qui suin [lixod., ill, IV) ;
et que toutes les nations sont devant lui
comme si elles n'étaient pas : « Omnes génies
coram illo quasi non sint.» (/sa., XL, 17.} En
effet, Dieu existe par lui-ujôme et la créa-
ture n'cxise que par emprunt; Dieu est la
source de l'ètie, le cenUe de l'être, le pro-
priétaire de l'être, el la créature n'est d'elle-
même que néant, retourne d'elle-même dans
le néant, n'a rien qui soit prO|)remenl à elle
que le néant. Si donc nous voulons oi'rir à
Dieu quelque chose (jui soit à nous, il faut
lui offrir lu néant. Il nous donne l'être, mais
nous ne saurions lui rendre que le néaul. lit
parce que la créature n'a [)as même le pou-
voir d'anéanlir ce qui est, comme elle n'a
pas celui de produire ce qui n'est pas, c'est
pourcela que les honmics voulant au moins
détruire la victime autant qu'il leur était
possible de la détruire, ont toujours em-
fdoyé le feu comme le plus actif des êtres
d'ici-bas; en sorte que cette victime étant
réduite en cendres cl n'étant plus ce qu'elle
était, rendait au moins par cette espèce de
destruction un témoignage public et so-
lennel à cet être indépendant et immortel,
que rien ne peut détruire et qui ne peut
jamais cesser d'être ce qu'il est. Mais quoi !
disait le prophète Isaïe, quand on couperait
aujourd'hui toutes les forêts et que, no
faisant qu'un bûcher de toute la terre, on
y brûlerait tous les animaux de l'univers,
de quel prix serait un tel holocauste aux
yeux du Dieu que nous adorons, et quelle
proportion pourrait avoir un fiareil hom-
mage avec ses perfections infinies? Il fallait
donc, mes fières, au Seigneur, un holocauste
d'une autre espèce et une victime d'une
autre nature; il fallait qu'un Dieu mémo
s'anéantît el s'immolât. Or, c'est ce que le
Fils de Dieu est venu faire dans la loi nou-
velle : Exinnnivil semetipsum : « ]l s'est
anéanti ltii-méine.»{Pliilip.,U,l .) Voilà, chré-
tiens, le grand mystère de notre religion;
le néant d'un Dieu honore l'être d'un bien.
C'est sur la croix que Jé>us-Christ a com-
mencé ce sacrifice, mais c'est sur l'autel
qu'il le consomme, et comme il y avait
dans le lem[)le deux différents autels, l'au-
tel des victimes oà les animaux étaient
égorgés, et l'autel des holocaustes oià ces
victimes élaienl brûlées el réduites en cen-
dres, c'est sur la croix coujmo sur l'autel
des victimes que le Fils de Dieu a répandu
son sang; mais c'est sur l'autel des hnlo-
caustes qu'il se consume pour la gloiie du
Seigneur, y brûlant de ce feu sacré (|ui le
dévore, je veux dire de ce parfait amour
par lequel il s'offre éternellement à son di-
vin Père toujours vivant et toujours sous
des apparences de mort; toujours vivant
pour offrir, toujours mourant pour être
offert ; ne voulant jias sur cet aulel ni jouir
tout à fait de l'être parce qu'il ùterail à son
Père la gloire de son anéantissement, ni
tomber tout à fait dans le néant, parce qu'il
ôterait à son Père la gloire qu'il lui procure
par le bon usage de lêlre; mais se balançant
lui-même, pour ainsi dire, entre lêlre el
le néant, se donnant à l'un sans s'ôter à
l'autre, et honorant lout d'un coup le Pôro
éternel p'ar tous les deux.
Voilà un sacrifice qui vous paraît sans
doute bien élevé, mais il ne laisse |)as d'être
à la portée de votre imitation; car il faut
offrir un parfait holocauste comme Jésus-
Christ, s'anéantir comme Jésus-Christ,
être consumé par un feu sacré comme Jésus-
Christ. Parlons sans figure, mes frères, il
faut entrer dans les sentiments d'une pro-
fonde humilité, el c'est en cela que doit con-
sister votre anéantissement; il faut aimer
le Seigncurpar-des.sus toutes choses, et c'oit
515
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
-M 6
ct'l amour el celte chaiilé fervente qu'on
peut regarder en tout corarae le feu qui doit
brûler la viclimn et echever riiolocausle.
Je dis en premier lieu qu'il faut com-
mencer par s'humilier el s'anéantir devant
le Seigneur. Grands de la terre quand vous
venez assister au sacrifice de la messe, son-
gez que vous venez rendre vos hommages
à une grandeur infinie; apprenez de Jésus-
Christ immolé que plus vous êtes grands,
plus vous vous devez à l'iiumililé. Il est plus
grand, mais il est en même temps plus hum-
ble que vous ne sauriez jamais le devenir,
élevez-vous tant qu'il vous plaira, vous ne
monterez jamais si haut; humiliez-vous
tantgue vous f)Ourrez, vous ne descendrez
jamais si bas. Cependant, quand vous as-
sistez au sacrifice, peut-on dire que vous
vous acquittiez comme il faut de ce devoir
si essentiel à la créature, el qui consiste à
donner à Dieu des témoignages de votre
dé|)endance et à lui faire un aveu sincère
de voire néant? Car si vous êtes dans les
senlimenls où vous devez être sur ce sujet,
jiourquoi celle ditricuilé à vous occuper des
pensées d'humiliation que la religion vous
suggère ; pourquoi celle facilité a vous oc-
cuper de vous-mêmes el de vos prétendus
avantages, vous regardant toujours par les
endroits qui vous meltenl au-dessus des
autres el jamais par ceux qui vous sont
communs avec les autres, el pensantjusques
au pied des «ulels, presque toujours à ce
que vous êtes à l'égard des hommes et pres-
que jamais à ce que vous ôles à l'égard de
Dieu; pourquoi toute celte alfoclation d'une
pompe et d'une prééminence jirofane, ne
pouvant en rien vous mettre sur le pied des
dmes fidèles, cherchant à vous distinguer
jusque dans les actes de la religion que
vous professez, el voulant ainsi donner à
voire humilité même îe caractère de votre
orgueil. Ah I défaites-vous, quand ce ne se-
rait que pour un moment, de ce luxe qui
vous environne, de ce faste qui vous éblouit,
de celle vanité qui vous trompe, de celle
llatlerie qui vous séduit, de ces qualités
qui vous liront, de tous ces avantages qui
sont peut-être en vous, mais qui no sont
point à vous. En un mol, rendei:-vous vous-
même à vous-même el alors vous décou-
vrirez vos misères el vos fa blesses, vos
crimes el vos défauts; el alors ayant dé-
pouillé ce néant déguisé de toutes les appa-
rences dont il élait revêtu, vous le retrou-
verez tel qu'il est, et pour vous acquitter
enveis le Seigneur, vous lui rendrez digni-
tés el prérogatives, et ces avantages comme
des biens qui sont à lui, el vous lui offrirez
votre néant comme la seule chose qui soit
à vous. En vérité, disait le grand Augustin,
en parlant de l'incarnalion du Fils de Dieu,
qui est venu guérir notre orgueil par le
mérite de ses humiliations, c'est une grande
ruiséricorde qu'un Dieu humble, mais c'est
une grande misère qu'un homme suj)eibe :
Magna misericordia Dcus liumilis , magna
miseria liomo stiperbus; maJs hélas, mes
che:s audiieurs, que ces deux prodiges dont
l'un devait détruire l'aulre, se renconlreiit
encore souvent dans nos temples, lorsqu'au
même lenq)S (|ue le Fils de Dieu s'anéantit
sur l'aulel, le chrétien superbe se remplit
d'orgueil au pied de l'aulel I Quel spectacle
aux yeux du Père éternel, quand il voit
d'un côté ce Dieu humble, et de l'autre cet
homme superbe; d'un côté ce Dieu humilié
pour expier l'orgueil de ce chrétien, et de
l'autre ce chrétien moins soumis el plus
indépendant que jamais; d'un côté un Dieu
qui s'est rendu obéissant jusqu'à la mort
(Je la croix, elqui renouvelle encore dans
son sacrifice la mémoire el les témoignages
de son obéissance, el de l'autre ce chrétien
qui secoue le joug de l'Evangile, et qui se
révolte contre toutes les lois el toutes les
volontés du Toul-Puissanl. Quel renverse-
ment quand ce Dieu de gloire devant qui
les choses qui sont comme si elles n'étaient
pas, voil ce pécheur qui n'est rien et qai
affecte de paraître quelque chose, pendant
que cet auguste médiateur qui possède la
plénitude de l'être, em[)loie sa puissance et
fait des mircicles pour honorer la Divinité
par son néant. Ali! mes frères, si nous
avions un peu de foi, en viendrons-nous
jusqu'à 'Je jiareils excès, assisterions-nous
aux redoutables mystères autrement que
dans des pensées el des vues continuelles
de nos misères, de nos faiblesses, de noire
néant, de nos crimes, de notre dépendance,
el nous meltrions-nous dans un étal tel que
l'humilité du Fils de Dieu, dans son sacri-
fice, au lieu d'êlre le remède de noire or-
gueil en devienne la plus terrible el la plus
inévitable condamnation ?
Il faut donc que l'humilité nous anéan-
tisse, mais il faut, en môme lemns que lo
feu de la charité nous consume, lu aimeras
le Seigneur Ion Dieu de tout ton cœur, d".
tout ton esprit, de toute ton âme, de toutes
tes forces. Voilà, mes frères, le grand pré-
cepte, voilà le premier précepte, voilà le
seul précepte el la loi ; c'est le grand pré-
cepte el tous les autres ne sont que des
conséquences de celui-ci; c'est le seul pré-
cepte et tous les autres se trouvent renfer-
més dans celui-ci; mais si c'est le grand
précepte, le premier [)récepte, le seul pré-
cepte que le Seigneur nous a fait, c'est aussi
le don, le grand don, le premier don, le
seul don que nous lui pouvons faire el le
don général el parfait véritablement digne
de lui el dans lequel Ions les autres dons
se trduveiil cominis. C'est un don que nous
faisons au Seigneur, et quoi(ju'il soit, vrai
que le Seigneur a un souverain empire sur
nous et que tout ce qui api arlienl à la créa-
ture est toujours bien jilus à lui qu'à elle-
même, il est vrai, pourtant, que le Seigneur
a mis l'homme, comme parle l'Ecriture, en
la main de son conseil. Il n'y a que la li-
berté de l'homme, dit Teilullien, qui ba-
lance remi)iie de Dieu el qui semble don-
ner quelque li u de douter si Dieu a un
domaine absolu sur tous les êlres : Sola
hominis libertas dominium Dci reddit ambi-
(juum. Il dépend donc de nous do donnor
5i7 SERMONS. - SERM. IV, SUR LE
nolro amour .'i Dion el il nous le demnnJe
cuiimie un don : Mon fils, donne moi ton
cœur : « Fili, prœbc milii cor luum. [Pror.,
XXIIl, 20.) C'est le granci don, car nios
frères, qu'avons-nous de plus précieux que
noire amour, et ne savons-nous pas que les
hommes mt-mes ne comptent pour rien tous
les autres dons si nous leur refusons celui-
ci ? C'est le premier don, car on ne donne
jamais rien qu'à ceux qu'on aime et à cause
qu'on les aime, d'où il s'ensuit, évidem-
ment, que tous les autres dons supposent
celui-ci et ne peuvent jamais être que des
suites de celui-ci; c'est même le seul don
que nous puissions faire à Dieu, car tout le
reste est à lui. il n'y a que notre amour
qui soit à nous : Meœ sunl ferœ sylvarnm,
jumenta in monlibus et baves. [Psal. XLIX,
10.) Tous ces animaux, disait-il au prophè-
te, tous ces animaux que lu me jiourrais
immoler ne sont-ils pas à moi et ne sont-ils
pas sortis de mes mains? si donc tu me
veux oH'rir quelque cho."^e qui soit à toi ,
immole au Seigneur le sacrilice de louanges
et lui donne les affections et tes vœux :
Immola Dca sacrificium laudis et redde Al-
tiisimo vola tua. (Jbid., 14.) C'est encore
un don vérilablemtint digne de Dieu, car,
dit le grand Augustin, Dieu élant la bonté
essentielle, il pe peut être bien honoré que
par l'amour, et comme c'est une bonté
souveraine, i! ne saurait être bien honoré
que par un amour souverain. Enfin, mes
fières , c'est un don général et qui com-
prend tous les autres dons. Les autres ver-
tus ne font à Dieu que des présents parti-
culiers et limités. L'aumône lui donne des
biens temporels, la continence donne le
corps, la loi donne l'esprit ; mais la charité
donne tout, elle consacre tout, elle consu-
me tout, elle met le Seigneur en possession
de tout. El en ellei, dès qu'on aime véritable-
ment Dieu, on ne saurait plus lui refuser
rien, ni lui désobéir en rien. Les autres
vertus ne sont donc que des sacrifices par-
ticuliers et communs; mais la charité est
un véritable et un parlait holocauste. Peut-
on dire, mes frères, que vous l'otfriez au
Seigneur, et n"aurais-je pas plutôt lieu
de 'lire, aujourd'hui ce (lu'lsaac disait au-
trefois à Abraham au pied de la montagne :
Ecce ignis et ligna sed ubi est victima holo-
causti : u Foi7« le feu et le bois où est la vic-
time de l'holocauste?» (Gm.,XXlI, 7.)Hélas,
cet amour de Dieu semble èlre enlièremenl
aboli dans le christianisme. Saint Pjul ful-
minait autrefois des anaihèmes contre ceux
qui n'aimaient pas le Seigneur et les chré-
tiens sembleril persuadés , au moins par
leur conduite, que si c'est une grande vertu
de l'aimer, ce n'est point un si grand crime
de ne l'aimer pas. Ce précepte ne passe que
pour un conseil, ce grand [irécepte n'e>t
irailé que comme s'il était le plusitelit;
ce premier précepte n'est regardé que com-
me celui qu'on doit observer le dernier, ce
seul précepte est peut-être le seul qu'on
révoque en doute, et celui dont on a le plus
de diUiculté à convenir. Au lieu de brûler
SAINT SACRIFiCE DE LA MESSE.
518
d'un feu sncré, la jilupart des chrétiens n'ap-
porlenl, comme les enfants d'Aaron, qu'un
feu profane au sacrilice et n'ont le cœur
sensible que pour des objets périssables,
dont la cupidité les rend les esclaves et
les victimes. Aveugles que vous êtes, vous
ne voudriez pas offrir à la créature le sacri-
fice visible et extérieur, et vous lui offrez,
le sacrifice intérieur et invisible dont l'autre
n'est que la figure, et qui est celui dont
Dieu est uniquement jaloux. Voilà pour-
tant la disposition vu sont peut-être la plus
grande partie des chrétiens. Vous aimez
Dieu, moucher auditeur, plus que telle et
telle créature, mais vous aimez ceite autre
créalure |)Ius que Dieu; vous assistez au
saint sacrifice, mais vous y apportez un
allacheraent criminel, mais vous entretenez
toujours une habitude contraire à la loi di-
vine, mais une passion prédominante dis-
pute à votre Dieu et lui enlève même l'em-
pire de votre cœur. Allez, vous êtes un ana-
thèmc , vous êtes un ingrat envers Dieu,
qui lui refusez le seul don qu'il vous de-
mande et le seul don que vous lui pourriez
offrir; vous êtes une créature révoltée, qui
transgressez ce grand précepte qui renferme
tous les autres et sans lequel il nous est
inutile d'observer tous les autres; vous
ôles un im[»ie qui, semblable aux enfants
d'Héli, profanez le sacrifice et retirez indi-
gnement de l'autel une |)Ortion de la victi-
me qui était destinée au Seigneur; vous
êtes un idolâtre qui, manquant à rendre à
la Divinité, le culte que vous lui devez,
avez encore la témérité de rendre ce même
culte à un objet matériel et périssable. Alil
conclut le grand Augustin, persuadons-
nous une bonne fois de cette obligation si
indispensable et si essentielle, et commen-
çons tout de bon à briller du feu de la cha-
rité : Incipiamus ardere charilule; mais brû-
lons-cn sans cesse jusqu'à ce que ce feu ait
consuu)é en nous tout ce qu'il y a de maté-
riel et d'impur : Donec lolum moriale con-
sumalur, et que tout ce qui échapi>era aux
flammes de cet amour, redevienne inces-
samment la matière d'un nouveau sacrifice :
Et quod consiimptiim non fuit transeat in
saci'ificium Dei. Voilà, mes fières, ce que
j'appelle un véritable holocauste, s'anéantir
devant Dieu et aimer i)arfaitenienl Dieu;
c'est ainsi que font toujours pratiqué les
véritables serviteurs de Dieu. Examinez lus
senliments les plus secrets de ce juste qui
se consume au (lied de l'aulel. Ouvrez le
cœur de celte victime, tout y est feu ou
cendres, ce sont les cendres de fhumililé
avec les flammes de la charité : vous n"y
trouverez rien autre chose.
Mais, me direz-vous, il est bien dilTicile
d'être d'abord dans ce parfait esprit de sa-
crifice que vous nous demandez et que fa
refigion nous demande, et si l'un se trou-
vait par malheur dans un état de péché,
faut-il donc pour cela se retirer de la société
des fidèles et s'excommunier soi-même du
sacrilice de Jésus-Christ?Gardez-V(/us bien,
mes chers auditeurs, de donner dans colle
519
nilATEL'HS SACRES. DE MONMOREL.
MO
funeste exlrémilé. Nous ouvrons la porte
du lemplo à tous les pécheurs, parce c'est
là qu'ils doivent être sanctifiés et convertis,
et où le Fils de Dieu étaii auliefois envi-
ronné de malades qui le suivaient pour tâ-
clier d'obtenir de lui leur guérison. Il ne
s'olTense pas que son autel soit environné
de pécheurs, quand principalement ces pé-
cheurs souhaitent et lui demandent sincè-
rement la giâce de leur conversion. Ainsi,
nies clicrs auditeurs, si vous êtesdans l'étal
du péché, vous trouverez une ressource et
un remède à votre péché dans le sacritice
môme de Jésus-Christ; car le Fils de Dieu,
dans ce sacrifice, n'honore pas seulement
la grandeur et la souveraineté du Père
Eternel, il travaille encore à y apaiser sa
justice, rappelant pour cela ses humilia-
tions et ses douleurs, rouvrant pour ainsi
dire ses plaies; en un mot, paraissante ses
yeux comme une hostie propitiatoire, et
faisant à là face de l'univers une espèce de
pénitence publique pour tous les péchés
des hommes. Sur quoi, mes frères, il me
semble que nous devons soigneusement
distinguer enire l'effet du sacritice de l'au-
tel et l'etlet du sacrement do la pénitence^
en ce qui regarde la sanclitication du pé-
cheur. Car le sacrement confère la grâce
au chrétien pourvu qu'il soit dis|)osé à la
recevoir ; mais c'est le propre du sacrifice
de lui obtenir cette salutaire disposition
qui le prépare à celle grâce. Ainsi, le sacre-
ment suppose le changement du cœur et le
sacrifice nous le [)rocure. En un mot, le
sacrement nousjustitie et le sacrifice nous
convertit. Et c'est en ce sens que le saint
concile de Trente nous assure que le Sei-
gneur, ajiaisépar le mérite de celte adorable
victime, a coutume de nous remellre les
péchés les [dus énormes : Uujus obtalione
placatus crimina eliam ingentia dimitlit ;
faisons rétlexion, mes frères, à une vériié
si im[)ortanle et si pleine de consolation
pour nous, et de quelque manière que nous
nous sentions coupables ne laissons pas de
venir assister avec confiance au sacrifice
de Jésus-Christ. Mais si nous y assistons
dans l'étal de péché, ne soyons pas assez
malheureux pour y assister dans une ac-
tuelle disposition au |)éché et dans la vo-
lonté formée de retourner au péché. Que
laites vous, mon divin Sauveur? vous de-
mandez pardon pour ce chrétien, et il ne
le demande [)as lui-même; vous faites [)éni-
leuce pour lui, et il veut demeurer impé-
nitent; vous prétendez apaiser la justice
du Père éternel en sa faveur, et il prétend
coulinuer à lui faire des outrages, t^alll^-
sant votre médiation par sa conduite et
désavouant ouverlemeni tout ce que vous
faites pour lui. Ah I mes frères, dans les
premiers siècles do l'Eglise, les i)écheurs
qui étaient dans l'exercice actuel de la pé-
nilence n'étaient |)asjugés dignes d'assister
au sacrifice, et peisonne avant la célébra-
lion oes saints mystères n'ignore quel'ins-
iruclioQ ou rexplicalionde l'Evangile finie,
le diacro ue fit soi tir Irois sortes de per-
sonnes hors de l'Eglise; les pénitents, les
cntéchumèneî, c'esl-h-diro, ceux, qui n'é-
taient pas encore baptisés, et les énergu-
mènes, c'est-h-dire, ceux qui étaient pos-
sédés du démon. Aujourd'hui l'Eglise per-
suadée que ses enfants ne sont plus capa-
bles d'une discipline si sévère, et que cet
éloignemerit des mystères de leur religion,
qui les ramenait autrefois à leur devoir no
ferait plutôt que les confirmer dans leur
impénitence, l'expérience prouve qu'au lieu
de suivre en cela les saintes instructions de
l'Eglise, il s'en trouve un nombre infini assez
hautains pour assister pendant di's années
entières ausacrificeavecl'altacliement actuel
au péché, ayant pris souvent leurs mesures
pour aller an sortir de l'Eglise commettre
le péché ; disons davantage, qui, pendant
l'action redoutable du sacrifice, ne s'occu-
pent que des idées du [)éché, et qui au lieu
de faire au moins quelque réflexion sur la
sainteté de ces adorables mystères, ne font
au conlrairo que les j)rofaner, ou [lar des
pensées seciè;es et criminelles , ou même
par des irrévérences publiques et scanda-
leuses. Car, mes frères, les choses en sont
venues jusqu'à cet excès. Aulrel'ois, dit le
grand saint Chrysostome, toutes les maisons
des chrétiens eussent pu passer pour autant
d'églises; aujourd'hui toutes les églises
semblent être devenues auiant de n;aisons
profanes, sans aucun égard pour ces re-
doutables mystères qui fonl trembler ies
anges de frayeur. Pendant l'action même du
sacrifice, l'on tourne le dos à l'autel, l'on
s'emporte à des rires éclatants et dissolus,
l'on s'entretient de choses iudilférentes, l'on
y |)aiie même des choses les plus criminelles,
l'on y devise de médisance, l'on y fait à l'ob-
jet d une [lassion impure des proleslalions
d'un dévouement impie. Quel horrible ren-
versemenilQuelIc merveille, continue saint
Chrysostome, que la foudre ne tombe pas au
ciel et ne réduise en cendres et ce lemple
ainsi profané, et ces insensés qui le profa-
nent, et ces ministres qui ont lu lâcheté du
le laisser profaner ; el ne croyez point, con-
tinue ce Père, que ce soit ici des exagéra-
tions, car il est vrai que ces sortes do
scandales et d'irrévérences méritent la
foudre.
Quoi vous deviez venir au sacrifice pour
apaiser le Seigneur, el il semble que vous
n'avez dessein que de le venir insulter;
vous lui deviez des satisfactions, et vous
choisissez son temple pour y .commeilre
de nouveaux crimes I Vous voulez assister
à la médiation de ce divin Uédem[ileur qui
offre à la divinité son sang et ses mérites
pour nous, et par un emportement furieux,
au lieu de vous mettre en état de [)rofiler
de cette médiation , vous ne faites qu'oulra-
gerelle médiateur ella divinité loul à la fois.
Ah! chrétiens quel le action, a utrefoissisain le
mainlenaiit si profane et si corrompue? Est-
ce là ce que tu rends au Seigneur? Est-ce
ainsi que tu t'acquiltes de les obligations
euvers lui? Voilà pourtant les seules mar-
ques qu'une iutiuilô^do chréliens douuoul
h2t
SLRMONS. — Si:UM.
V, SI U LE JOlUl DE PAQUES.
K22
aiijourd'liui dolcur religion ; voil^ ios seuls
ados qu'ils on exercent. Mais, ô Dieu! di-
sait le grand Angnslin aux païcms en leur
reprochant l'impureté de leurs sacriOces ,
car les chrétiens nous réduisent à leur faire
les mémos reproches, par la manière dont
ils se comportent dans la religion la plus
pure et dans les cérémonies les plus sain-
tes , ô Dieu ! quel sera votre liburtinagc, si
c'est là voire religion, quels seront vos scan-
dales, si votre piété est un scandale, et
quels peuvent être vos crimes, si c'en sont
là les expiations; Quœsunt sacrilegia, siilta
sac7'a, aut qua inquinutio,si illalavatio? As-
sistons au sacrilice, mes frères, mais assis-
tons-y, aussi bien que Jésus-Christ, comme
des hosties propitiatoires, en posture depé-
nilenls, dans un esprit de contrition et de
douleur, et joignant nos salisfaciions à
celles du Rédempteur, en sorte que ce qui
manque à la valeur des nôtres puisse être
suppléé par le mérite des siennes. Trois
sortes de personnes, dit saint Ambroise,
assistèrent diiréremment au sacritice de la
croix: Les preuiiers étaient ceux qui fai-
saient (les outrages à Jésus-Christ comme
les Juifsot les bourreaux ; les secondsélaient
ceux qui regardaient ce tragique spe(-lacle
d'une manière indiU'érente et en jiassant ;
les iroi.'^ièmes qui n'étaient qu'en bien petit
iiouibre, étaient ceux qui, comme iecente-
nier, furent touchés des douleurs et des
vertus de cet houuue juste, et qui, remplis
de toutes les merveilles qui s'étaient pois-
sées à sa mort, s'en retournaient frappant
leurs poitrines et disant : Celui-là était véri-
tablement Fils de Dieu. « Vere fiUus Dei
eratisle, » (iUa<i/j.,XXVll, 5'+.) La môme dil-
lereiice ne se trouve-t-elie pas encore dans
nos égises où ce grand sacritice se renou-
velle tous les jours; les uns n'y sont occu-
pés qu'à déslionorer la diviniié et à ou-
iiagur Jésus-Christ jiar leurs sacrilèges et
par leurs irrévérences; les autres ne s'y
trouvent que comme en passant, sans [ires-
que aucun sentiment de religion : Prœter-
euntes (Maith,., XXVll, 33), y assistant
par des vues purement humaines, jiar cou-
lumr, par politique, par bienséance ; mais
les troisièmes, mes chers auditeurs, dont il
faut faire en sorte que nous soyons tous,
sont ceux qui, étant persuadés par les lumiè-
res d une vive foi que c'est véritablement
le Fils de Dieu qui s'immole sur cet autel :
yereFilius Dei crat iste, délestent sérieuse-
ment leurs péchés y poussent des soupirs
de pénitence, Iruvaillenl coiiiuie Jésus-
Christà y aiiaiser la justice d'un Dieu ir-
rité et s'en retournent lra[)[)aiit leur [joi-
irine jiar le luouvemenl d'une sincère dou-
leur : ii7 revertvbanlur percutienies peclora
sua. (Luc, XXlll,it8.)
Il mu resterait à vous faire voir que le
1-ils ne Dieu s'oll're au Père Kternel uaiis le
saint sacritice pour le remercier desgiûces
qu'il nous fait incessamment et pour lui
eu demanderde nouvelles, et cpi'eii cette qua-
lité, Duus devons jojihire fius prières aux
siennes et nus remercîuients au xsiens; mais
OuATi.tRS SiCWÉS. LXVlll.
tout ce que je vous al dit jusqu'à présent
vous fera sans doute assez com()rendie tout
cecjueje pourrais vous dire Ih-dcssus.Tout ce ,
(lui n'est (loint péché en nous, toutce charme
en nous, tout co qui nous appartient ou qui
nous peut appartenir dans l'ordre de la na-
ture et de la grâce est sans doute l'ouvrago
du Seigneu"- et l'elfet de sa libéralité. "il
est donc juste de le remercier pour le
passé et de solliciter tous les jours sa bonté
et sa miséricorde pour l'avenir; mais parce
que nos actions de grâces ne sont pas di-
gnes de lui être oll'ertes , c'est pour cela que
le FiL-.de Dieu sar l'autel remercie pournous
et que nous venons assister à son saLTifico
pour joindre notre reconnaissance à la sienne
et pour l'olfrir lui-môme au Seigneur comme
le supplément oe cette reconnaissance.
Mais parce que nous vivons dans une si
grande dépendance des dons du Seigneur et
que nous ne pouvons par nous-mêmes mé-
riter que ses châtiments, c'est pour cola
que nous intéressons le Fils de Dieu dans
nos prières. Et ce divin Sauveur se sacrifiant
entièrement pour nos intérêts , il prie
dans tous nosbesûins, il prieavecnous, il prie
pour nous, il prie en nous; et nous obtenons
infailliblement par lui ce que nous ne pour-
rions jamais obtenir sans lui. Ap[)rochons-
nous donc, mais approchons-nous avec
confiance de cet autel. En olfranl Jésus-
Christ au Père Eternel, nous lui donnons de
quoi nous acquitter de toutes nos dettes,
nous lui olfrous de quoi [)ayer toutes ses
grâces. Adorons-le par Jésus-Christ , apai-
sons-le par Jésus-Christ, remercions-le
par Jésus-Christ, sollicitons-le |)ar Jésus-
Christ; mais demandons lui surtout la grâce
d'une véritable conversion par les mérites
de Jésus-Christ, ahn que nous puissions
mériter de le louer à jamais avec Jésus-
Christ dans tous les siècles des siècles.
Ainsi-soit-il.
SERMON V.
SLU LE JOUR DE PAQUL»
Hsec (lies quam fecil Uominus; exsullenius et laetemur
in eu. {Psal. CXVII, 24.)
Voici le jour que te Seigneur a fait et auquel il faut
abandonner nos cœurs à la jOie.
Ce serait se faire une peinture peu fidèle
et peu agréable de la religion que nuus pro-
fessons, de s'imaginer qu'elle n'eût donné
aux chrétiens que la mortilication en partage,
comme si n'ayant rien que de funeste ou d'in-
commode à nous annoncer, elle ne pouvait
produire en nous que des sentiments do
douleur et de tristesse; mais le mystère de
la rébUi rectiun suilil pour la justilier de co
r(:,iroche. Ces jours passés, chrétiens audi-
teurs, nous avons ressenti les tristes impres-
sions delà mort d'un Dieu, nous avons mêié
nos larmes à son sang, lie! n'était-t-il pas
bien juste de nous atiliger avec lui, [)uisqu'il
no souilVait(jue pournous; mais aujourd iiui
sa résurrccliuii triomphante commence h
nous donner autant de joie qu'elle lui donne
de gloire ; ce n'est plus cejour do conlusion
et de désordre où la jmissance des ténèbrtis
sortie des eniers el exer(^a:il un pouvoir ty-
17
525
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
'>24
lannique sur la terre; avait ôié la pu;ieur au
crime , l'éclat h l'innocence, la lumière aux
astres, la pitié aux hommes et môme la vie à
un Dieu ; c'est un jour d'allégresse et de lu-
mièrequi rend l'éclat à un soleil éclipsé, qui
raiïermit une terre ébranlée et qui, rétablis-
sant l'ordre et la sérénité partout, redonne
la vie à Jésus-ChrisI, le salut aux hommes,
la joie aux anj^es, remet les pécheurs en li-
berté, les créatures dans'Ieur situation, la
mort dans les lie-ns, le démon et le péché
dans l'esclavage; jour où l'Eglise, transpor-
tée hors d'elle-même et pour la gloire de
son époux et pour ses propres avant.iges, ré-
[)and une joie innocente dans le cœur deses
enfants, ne leur permettant pas seulement de
se réjouir mais les y engageant par des
invitations et par son exemple, et s'inter-
rompanl elle-même dans toutes les louan-
ges qu'elle donne au Seigneur par cet adora-
ble cantique qu'elle redit incessamment :
hœc dies quamfecit Dominus, ejcsullertnus et lœ-
leinur in ea ; Esprit saint, divin consolateur
do nos âmes, dégoillez-nous de toutes ces
joies impures qui ne sont fondées que sur
la vanité et sur le mensonge, et donnez-nous
en faveur du mystère que nous célébrons
quelque avant-goût de celle béatitude cé-
leste qui éclate dans Jésus-Christ triom-
phant, et à laquelle sa résurrection nous per-
met aujourd'hui d'aspirer; et vous, divine
Mari'e, qui apprenez avec un si grand plai-
sir que ce Fils adorable est sorti glorieuse-
ment du tombeau, au lieu de vous saluer
pleinedegrâce, nous allons vous saluer plei-
ne de joie et vous dire avec l'Eglise : liegi-
na cœlif lœtare.
Quelque sublime que soit le mystère de
la résurrection du Fils de Dieu il peut être
pourtant regardé et comme l'objet de notre
espérance et comme celui de notre imita-
tion. 11 y a des mystères dans la religion
chrétienne qui ne font qu'exercer notre loi ;
mais celui-ci doit animer nos désirs et régler
notre conduite ; que dis-je, la plupart des
autres pour sanctitier l'àuje morlitient le
corps, au lieu que la résurrection de Jésus-
Christ promet la félicité au corps comme elle
opère la sainteté dans les âmes. Que le cœur
ellachair se réjouissent doncau Dieu vivant
(Psal. LXXXlll, 3), et vous, mes chers au-
diteurs, préparez-vuus à recueillirces deux
fruits de grâce etdejoie qui sont attachés à
la résurrection du Fils de Dieu et qui faisaient
Ja double matière de toutes les instruc-
tions que l'apôtre SaintPauI donnait aux pre-
niierschréliens sur cesujel. Jésus-Christ res-
suscité, principe delà résurreclion à la gloire:
ce sera mon premier jioiut; Jésus-Christ res-
suscité,modèle de la résurreclion à la grâce: ce
.sera le second; etdans l'un et dansl'aulreexa-
niinant sérieusement notre conscience et no-
tre conduite, nos dispositions et nos mœurs,
il nous sera facile de conclure si nous som-
mes en droit de nous promettre cette résur-
rection future et de nous flatter de cette ré-
burreclion présente.
PREMIER POINT.
La crainte de la mon et le désir de l'im-
mortalilé sont les deux sentimenis du
monde les plus naturels à l'homme. L'on
craint la uiort par ce mouvement commun
à tous les êtres, qui leur fait chercher ce
qui les contente, et éviter ce qui les dé-
truit. Placez l'homme en tel degré de gran-
deur et de félicité qu'il vous plaira, et
qu'une maladie pressante vous oblige à lui
porter la nouvelle de sa mort, vous le ver-
rez Irombler h la seule prononciation d'un
nom de si mauvais augure; son rang, sa
()rospérilé, sa fortune, ses grandes riches-
ses, bien loin de le défendre de celle frayeur,
ne servent qu'à l'augmenter: ce sont autant
de nouvelles dépouiilesque la mort lui doit
enlever, et qui contribuent à lui rendre ce
S()ectre plus formidable. En vain s'armera-t-il
du secours de la raison; quelque concertés
et hypocrites que soient les philosophes sur
cesujel, il n'en est point qui ne se trou-
ve saisi d'épouvante au s|)eclacle de la
mort d'autrui, ou qui ne pâlisse aux appro-
ches de la sienne. En vain rappellera-l-il
tout son courage pour en soutenir l'idéeou la
présence. Il faut trembler quand on la voit
qui vient détruire et anéantir tout, jusque*
à ce courage par lequel on la méprise, jus-
ques à ces raisonnements qui semblaienl
nous armer contre elle. Celte séparation
cruelle de l'âiiie d'avec le corps, cet adieu
universel et involontaire, celte privation
de toutes choses, ce triste débris d'un corps
que l'on aimait tanl, qui de corps devient
cadavre et qui d'un cadavre, lequel conservait
au moins un reste de ligure humaine, de-
vient ensuite, selon la remarque de Terlul-
lien , un je ne sais quoi qu'on perd de vue
et qui n'a pas même de nom dans aucun»
langue; tout cela trouble les plus tranquil-
les, alarme les [)lus vertueux , ébranle les
plus fermes et accable les plus forts.
Mais de cette crainte de la moit cjui est
si naturelle et si bien fondée, jirocède le
désir de l'immortalité; si l'homme corrompu
ne [)eut parvenir à être immortel, du moins
y tend-il continuellement par ses désirs.
Le malheur est que le désir de l'immorta-
lité et la crainte de la mort, ces deux dis-
positions qui lui sont également naturel-
les lui sont également inutiles, li a beau
craindre la m(u't, il n'en meurt pas moins;
il a beau souhaiter i'iuimorlalité, il n'y ar-
rive pas davantage; en vain tous ces artili-
ces que la vanité lui suggère pour tâcher
de se survivre à soi-même ; en vain cette
douce illusion d'un père qui croit se voir
renaître dans ses enfants; en vain ce soin
passionné que prennent les hommes de leur
mémoire, de leurs cendres, do leurs funé-
1 ailles; en vain ces j)ortraits, ces statues,
ces monuments, ces mausolées, pour se
conserver dans le monde en effigie, lors-
qu'on ne peut plus y demeurer en etfet; en
vain ces soins empressés de se faire |)lacer
dans l'histoire pour sauver au moins son
nom de ce naufrage général, Tiisles conso-
lations, vains etforls [)ar lesquels on s g t-
furce inutilement de soustraire quelque
[lurlion de vie à l'empire de la mort.
5iS
SERMONS. — SERM. V. SU
Il csl vrai que la plupart des païens et
surtout les pliilosophos"! ont porlé leurs
pensées et leurs espérances plus loin. Ils
ont compris que nous étions immortels du
côté de l'âme. Ils n'ont pas même douté
qu'on ne dût attendre une béatitude dans
l'autre vie ; mais, pour ce qui est du corps,
ils n'ont pas prétendu qu'il dût y avoir au-
cune part , le croyant mortel sans aucun re-
tour et supposant que l'âme en le quittant
s'en séparait pour toujours et n'avait qu'à
lui dire un éternel adieu.
O pauvres mortels, s'écrie le grand Au-
gustin, vous voilà donc condamnés irrévo-
cablement à la mort, mais que ne donneriez-
vous pas pour l'aire changer cet arrêt, que
ne leriez-vous point pour vivre toujours «-t
pour vivre non pas d'une vie malheureuse
et sujette à tant de peines et de chagrins
comme celle que vous menez ici-bas, mais
d'une vie glorieuse et iraraorlelle, exemple
de toutes sortes de maux , comblée de tou-
tes sortes de biens. Levez, levez les yeux
vers cet homme qui s'appelle Jésus-Christ,
cl par une promesse aussi avantageuse
qu'inouie et dont il donnera de solides as-
surances, vous l'entendrez vous adresser
ces paroles : Celui qui croit en moi pour être
mort ne laissera pas de revivre : et celui qui
est vivayit et qui croit en moi je le ferai vivre
à jamais {Jonn., XI, 25, 26.)
Or, Messieurs, cette (iromesse que le Fils
de Dieu nous avait faite pendant sa vie, il
nous la confirme aujourd'hui par le mys-
tère de sa résurrection. En effet, que le Sau-
veur du monde nous eût promis et nous eût
mérité par sa mort une immortalité glo-
rieuse, c'eût été beaucoup, mais ce n'eût
pas été encore assez, et il fallait que, pour
ménager notre faiblesse dans une matière
si diilicile et si importante tout à la fois, il
en montrât dès cette vie un exemple écla-
tant et une preuve inconleslable dans sa
personne. Et c'est ce qu'il a fait en se res-
suscitant lui-même et en se faisant voir ainsi
glorieux et ressuscité à une multitude d'a-
pôlres et de disciples qui ont signé celte
vérité lie leur sang. Cesse donc, cesse faible
raison, de troubler la tranquilliléde ma foi
et ne viens plus par des raisonnements té-
méraires t'op|)oser aux douces idées que
Dousdonnent l'espoirel l'allenledela vie fu-
ture. Jésus-Christ est ressuscité, qui |)eut
m'erapêcher de croire que je dois ressusciter
conuiie lui? et ce Jésus-Chrisl ressuscité
porte encore les marques toutes sanglantes
de ses humiliations el de ses douleurs. Pour-
<pjoi donc désespérer que celle même chair,
aujourd'tmi sujette à tant de misères, ne
puisse un jour devenir im[)assible el glo-
rieuse comme la sienne, d'autant plus que,
su ivanll'expression de l'Apôtre, Jésus-Chrisl
est ressuscité comme le premier-né des morts
{Coloss., I, 18J ; el que, dans l'ordre de sa
divine Providence, il a voulu que sa résur-
rection lût regardée comme le gage et le pré-
jugé de la nôtre [Ephes., J, \.k)\ fut-il jamais,
mes chers audi leurs, unjour plus avantageux
el plus fortuné pour nous? Au coramence-
R LE JOUR DE PAQUES. 526
ment de cette sainte quarantaine,i'on ne vous
parlait que de mort, el le ministre des au-
tels, revêtu d'flrnements lugubres, vous se-
mait des cendres sur la lèto el vous répé-
tant le même arrêt que la justice d'un Dieu
irrité prononça à notre premier père, vous
disait d'une voix triste el touchante : Sou~
viens-loi, ô homme , que tu es terre cl que tu
retourneras en terre. (Gen., IH,19.) Mais au-
jourd'hui, dit ici le grand saint Chrysostome,
en vous monlranl co nouvel Adam qui a
pris la place du premier et qui est votre
chef aussi bien que le premier, nous avons
de quoi vous faire de plus heureux présa-
ges et l'on peut vous dire avec confiance :
Souviens-toi, homme, que tu es ciel et que
lu retourneras au ciel.
Qui nous empêche, mes frères, d'être sen-
sibles à cet espoir et de goûter, par avance,
la gloire de cette résurrection. J'en remar-
que plusieurs causes qu'il est important de
découvrir et que peut-être vous reconnaî-
trez dans votre cœurau momentque je vous
les remettrai devant les yeux.
On ne participe point à la joio de ce mys-
tère : premièrement parce qu'on n'est |)as
peut-être assez pleinement et assez vérita-
blement persuadé.
En effet il subsiste au milieu de l'Eglise
une espèce de libertins qu'on ne connaît
pas pour tels el qui seraient fâchés de se
l'avouera eux-mêmes, soit que, par une juste
punition de leurs désordres, lisaient i.erdu
le don de la foi, soit que rintérét qu'ils ont
à craindre une autre vie les {)orio à douter
qu'il y en ait ou à se flatter qu'il n'y en a
point. Incertains et chancelants, ils doutent
en secret, ils agissent comme persuadés en
public; chrétiens en certains cours de l'an-
née, pécheurs, el peut-être imjiies, dans tout
le, reste ; fidèles dans les temples, libertins
en certaines compagnies : en un mot, croyant
el ne croyant pas selon les temps, les lieux
et les différentes situations <le leurs âmes.
Mais ils ne songent pas, les insensés, qu'être
chrétien de la sorte c'est être véritablement
impie, puisque douter de la foi c'est être in-
lidèle, et qu'en matière de religion c'est
prendre parti que de n'en prendre point.
Mais ne nous arrêtons pas à ces monstres ;
serait-il juste de troubler aujourd'hui !a piélé
de mes auditeurs parces idées de libertinage
ou d'ôler le pain de le parole aux enfants de
l'Eglise pour ledonnerà ses eniiemis secrets.
En second lieu, si on ne partici[)e point à
la joie du mystère (|ue nous célébrons, ce
n'est pas que la plupart des chrétiens n'aient
la foi de la résurrection, mais c'est qu'ils n'y
pensent point. Le croirions-nous si notre
|)ropre expérience ne nous ôlail tout lieu
d'en douter, celle immortalité glorieuse que
Jésus-Chrisl est venu nous mériter, par 1 ef-
fusion de son sang, celte béatitude de l'au-
tre vie pour laquelle seule nous sommes en
celle-ci, cet unique nécessaire auquel la
vraie (irudence doit sacrifier tout le«re,ste,
celte fin bienheureuse, ce seul terme digne
de tous nos désirs, cette Jérusalem céleste où
nos cœurs devraient être déjà moulés avec
S27
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
528
Jésus-Christ à peine Irouve-l-clle place en
noire mémoire, à peine y pense-l-on sérieu-
sement une fois en toute l'année, que n'ai-je
dit en toute la vie. Où est donc noire foi, mes
chers auditeur-s, qu'avons-nous fait de noire
raison? QuandSaint Paul-prêclia Ja résurrec-
tion future dans Je célèbre Aréopage, les uns
s'en moquaient, les autres, plus indulgenls,
lui répondirent : Nous vous entendrons sur
celte matière quelqu'aulre fois. Qui doute
que les prédicateurs de l'Evangile ne trou-
vent de pareils esprits dans le sein de l'E-
glise même? Il y en a peu qui tournent nos
mystères en raillerie, mais combien y eu
a-l-il qui difièrent loujouis à y penser et qui
disent secrètement comme les aréofiagites :
Aiidiemus te de hoc ilerum. {Act., XVII, 32.)
On croit le mystère de la résurrection ;
on pense même quelquefois à celte gloue
future ; mais si on y pense, on iie la goûle
point : pourquoi ? parce que le cœur des
chrétiens, corrompu |)ar la cupidité et par
l'usage des plaisirs de ce monde, ne peut
plus avoir que du dégoiit pour ceux que le
Seigneur nous promet. L'houjiue aninjfil ne
conçoit rien au-dessus de la [lorlée de l'a-
nimal ; toule son âme est dans ses sens ;
plus de béatitude pour lui , s'ils n'y ont la
meilleure part. Il en est clone comme de ces
lâches Israélites de la tribu de Kuben et de
Gad qui, prêls à passer le Jourdain et à en-
trer dans la terre })romise, disaient à Josué :
Nous avons trouvé ici un pays fort bon pour
l'entretien de nos troupeaux, nous vous le
demandons pour noire partage, permellez-
lious d'y fixer noire demeure ( Nuin. ,
XXXÎI, 4 ; Josue, I, 12 seq. ) ; et uo se
trouverait-il pas peut-être jiarmi nous un
nombre dechréliens qui, enchantés p;ir leurs
jjassiuns, renonceraient volontiers aux pro-
iuesses de l'élernilé, Irojj conlenls de leur
sort si, évitant les fâcheux passages de ce
monde en l'autre, ils pouvaient demeurer
ici-bas pour y nourrir leurs ajjpélils brutaux
de ces aliments grossiers que lournisseiil
les biens et les plaisirs de la terre.
Enfin, une dernière raison qui nous em-
pêche de particij)er à la voie du ujyslere
que nous célébrons, et d'aspirer à celle im-
ujorialité, que la résurrection du Fils de Dieu
olfre à notre espérance, c'est que, si nous la
croyons, si nous y {)ensons, si nous la goû-
tons, au moins sentons-nous bien que nous
ne la méritons point; car 1 apùiie saint Paul
nous dit en une inlinilé d'endroits que, pour
partager la gloire de Jésus-Christ, il luut
avoir auparavant partagé ses humiliations et
) ses soutiVances. (II Cor., 1,7.) Ainsi, mes
Irères, celle bienheureuse iiumorluliie nous
cliarme, mais les condilions auxquelles on
nous l'otfre, nous refroidissent. Le myslèie
d'aujourd'hui nous en approche, mais no-
tie indignité nous en éloigne. Le triomphe
de Jésus-Christ nous allire, mais sa croix
nous confond. Les exemples de tant de
héros du christianisme accueillent nos dé-
sirs, mais leur sainleté rebule noire cou-
rage. Eu ell'et les saints, suivant les ves-
ligesdeleur divin chef, oui tout entrepris et
tout enduré pour parvenir h celle vie iur
mortelle. Ils ont été lapidés, coupés par
morceaux lapidait sunt, secti snnt; éproo-
vés par les plaisirs et par les peines, fuyant
le monde, eux dont le monde n'était pas
digue, menant une vie cachée dans dos dé-
serts ou la perdant sur des échafauds; et
tout cela, dit le grand Apôtre, pour arriver
à la gloire de cette résurrection bien meil-
leure que cette vie qu'ils perdaient, que
celte grandeur et ces plaisirs du monde
qu'ils méprisaient, ut meliorem invertirent re-
aurreclionem. {Hebr., XI, 35,38.)Quelaisons-
nous de semblable, nous qui croyons et qui
espérons la uiême chose, ne prendrons-nous
jamais notre parti, et la religion sera-t-elle la
seule malière où des hommes raisonnabhiS
agiront d'une manière toule contraire à leurs
principes? Vous êtes chrétiens, mes frères,
et vous vivez comme si vous ne deviez ja-
mais mourir, ou plutôt comme si vous de-
viez mourir pour toujours et que vous ne
dussiez jamais revivre; mais écoulons l'A-
pôlre sauitPauI : Omnes quidem resurgemus
sed non omnes immutabimur : « Nous ressus-
citerons tous tant que nous sommes, mais
nousnercssuscilerons pas tous pour la gloire.ïf
(I Cor., XV, 51.) En elfel, mon cher auditeur,
s il dépendait de toi de ressusciter ou de ne
ressusciter [)as, ou s'il était en ton [(Ouvoir
de rendre par une brutale conduite Ion âme
mo! telle comme ton corps, alors tes crimes ne
te laisseraient rien àcraindre aprèscette vie;
ei lu le llatlerais de rentrer dans le néant
comme dans un relranchement conlre la
colère du Seigneur, ou si tu pouvais au
moins empêcher que ce corps ne se réunit
un jour à Ion âme, il en serait quitte pour
èlre mangé par des vers, et ce serait une
moilié de loi-inêine qui écha[)perait à la
vengeance divine. Mais, hélas! il faut res-
susciier; au lieu de rendre ton âme mor-
telle comme ton corps. Dieu saura le moyen
de rendre ton coprs immortel comme loii
âme. La justice fca toutes les résurrec-
tions que la miséricorde ne fera pas. Elle-
même elle ouvrira les tombeaux, 'et faisant
une juste violence à la poussière et à la
mort, elle les forcera de lui rendre son cou-
])able, et ce qu'il y a de plus effrayant, c'est
que ce corps de jiéché sera donné en [iroie à
des flammes vengeresses qui le brûleront
sans le consumer, Dieu ayant résolu de
le faire toujours vivre pour le faire Um-
jours mourir, et d'enirelenir à jamais son
suj^plice {)ar de funestes miracles.
Mais n'allons point troubler la joie de ce
jour solennel parde si iristes augures. Pre-
nons une ferme résolution de travailler sé-
lieusemenl à nous rendre dignes d une
résurreclion glorieuse. Le Fils de Dieu nous
en montre aujourd'hui le clieuiin, el s il esi
le principe de la résurreclion à la gloire, il
veul être encore le modèle de la résurrec-
tion à la grâce; c'est la seconde et dernière
parlie do ce discours.
I)EUXIh;ME POINT.
Quand le premier homme eut transgresse
le précepte qui le menaçait de la mort, il
titiO
Sr;RMONS. — SERM. V,
ne laissa pas île survivre à sa désobéissatico ;
son âme mourut h l'iunire inème par le |)t'-
ch(^, mais sou corps vécut encore des siècles
entiers, ne faisant nt^annioinsquctrainerune
malheureuse vie qui pouvait déjà passer
pour une espèce de mort. Mais, dit saint
IJcrnord, le même ordre qui s'est trouvf^
dans la chute de l'homrue se doit garder
aussi dans sa réfiaration, car comme son
corps était mort le di^rnier ; i! ne doit_ res-
susciter que le dernier, mais comme l'iime
et it morte la première, c'est par elle cpie
doit commencer la résurrection. Un jour
vit ndra que le Fils de Dieu réformera ces
corps vils et corrorofius et les rendra immor-
tels et glorieux comme le sien. Mais cepen-
dant il faut travailler h ressusciter ces Ames
que le péché a fait mourir. C'est sans doute
cette résurreclion de l'âme que saint Jean
appelle dans son Apocaly|)se la résurreclion
première, et c'est (le cette résurreclion mys-
tique et mor.ile que le Fils do Dieu nous
])rescril aujourd'hui toutes les règles par
plusieurs belles circonstances du mysièie
que nous honorons, qui doivent être i'ob|et
de notre imitation, en sorte, dit l'apôtre
saint Paul, que comme Jésus-Chri-^t est res-
suscité des morts, nous tâchions de ressus-
citer de même par une vie sainte et nou-
velle qui exprime en nous tous les traits
de ce Sauveur glorieux et ressuscité : Ut
quomodo Christus surrexit a mortnis ita et
nos innovttate vitœ ambulemus (Rom., VI, '+).
La première de ces circonstances exem-
))Iaires, c'est la promptitude avec laquelle
le Fils de Dieu ressuscite ; car il n'était pas
possible qu'il demeurât longtemps entre les
bras de la mort, et les [)rophètes ayant pré-
dit que le Fils de Dieu ressusciterait le
troisième jour, sitôt que le troisième jour
vient à paraître, Jésus-Christ sort de son
tombeau, n'y denieurant qu'autant qu'il
en est besoin pour ne pas démentir la vé-
rité des prophéties. En vain les saintes
femmes se reufient-elles 5 son sépulcre dès
leplusgrand matin : Valdemane {Marc.,Wi,
2) , il en est déjà sorti et l'on ne l'y trouve
plus. Excellente leçon pour les chrétiens
qui ont été assez malheureux 'pour mourir
de !a mort du péché, et qui leur apprend à
ne [)as demeurer longtem|is en ce pitoyable
état ; car voulez-vous .savoir pourquoi la
plupart des chrétiens ont tant de peine à
rentrer dans la vie de la grâce, c'est qu'ils
séjournent trop longtemps dans le tombeau
du péché. On vous les a fait observer cent
fois, mes chers auditeurs, ces difficultés si
particulières et si mystérieuses que le Fils
de Dieu apporta à la résurrection du Lazare;
Il enfrémit, il en pleura, il s'adressa extraor-
(iinairement à son Père pour l'opération de
ce prodige. Il lui fallut même appeler le mort
d'une voixforte eltonnante , et tout cela, di-
sent les Pères, parce qu'il y avait déjà quatre
jours que le Lazare était mort et enfermé
dans le sépulcre : Jam fœlft quatriduanus.
(7oan., XI, 39.) Fh ! combien de chrétiens
qui demeurent dans l'étal ilu péché, non
l»as (Quatre jours ni quatre mois, mais des
SL'I\ LE JOUR DE PAQUES. MO
années entières o' qui no songeraient ja-
mais ^ la résurre(;lion do leurs âmes, si la
tète do la résurrection n'arrivait. Alors on
les voit en foule dans nos églises ([ui clier-
client à s'accuser de leurs crimes, jioussés
[lar la nécessité du précepte |ilutôt (|ue par
le mouvement d'une sincère douleur, et tra-
vaillant à faire une confession à la hâte,
qu'on doit regarder comme la cérémonie du
temps plutôt que comme la pénitence du
cœur : encore, après avoir croupi des lem|)s
infinis dans leurs désordres, veulent-ils que
le ministre de Jésus-Christ les ressuscite; eu
un mol, ne pouvant souifrir qu'il y apporte
la moindre dillicullé. Hélas! les chrétiens
de la primitive Eglise, qui n'avaient ni
alfaire à un autre Dieu ipie nous, ni plus
d'intérêt à se sauver que nous en avons
pour avoir passé quelques moments dans le
péché, passèrent des années entières dans
les exercices d'une rigoureuse pénitence.
David mê(ue, ajoute saint Ambroiso, David
qui vivait sous une loi beaucoup moins
sainte et moins parlaileque la nôtre, n'ayant
commis (ju'un seul crime d'impureté, lavait
toutes les nuits son lit de ses larmes; mais
les chrétiens d'aujourd'hui [)Ortant leurs dé-
sordres jusque dans les règles les |)lus in-
violables de leur religion, que font-ils? lis
s'abandonnent au crime durant tout le cours
de l'année, et se contentent d'en gémir un
moment à la fête de la Utsurrcction, c'est-à-
dire qu'ils abrègent la pénitence au lieu d'a-
bréger le jiéché, et qu'ils prolongent le péché
comme ils devraient prolonger la pénitence.
La seconde circonstance que je remar(|uu
dans la résurrection de Jésus-Christ, c'est
sa lidélité dans ses promesses": Resurrexit
sicut dixil : « Jl est ressuscilé comme il Va
dit.» [Office de l'Efjlise.) Il l'avait promis a
ses aj'ôtres, et il a tenu sa |)arole. Ali I mon
cher auditeur, combien de fois as-tu pro-
testé au ministre de Jésus-Christ que lu
voulais ressuscitera la grâce, et que tune
retomberais plus dans le péché? Combien
y a-l-il d'années que tu promets la mèiuo
chose et que tu en viens faire un serment
solennel au pied des autels sur le cor[is et
sur le sang de Jésus-Christ. Mais ces pro-
messes ont toujours été rétractées, ces ser-
ments violés, ces lumières éteintes, ces
grâces et ces résolutions anéanties. Ne veux-
tu donc pas être dans cette communion pas-
cale plus fidèle et plus sincère que les au-
tres fois? Oui, mon Dieu, nous le voulons,
mais pendant que nous faisons quelques
faibles efforts pour sortir du tombeau du
[léché, em|)loyez la force de votre bras pour
opérer ce prodige en notre faveur ; car en
vain y travaillons-nous si vous n'y travail
lez, et en vain disons-nous que nous vou-
lons ressusciter, si, par un effet de votre
puissance et de votre miséricorde, vous ne
dites à chacune de nos âmes comme à la
fille du prince de la Synagogue : Puella, tibi
dico, surye. [Marc, V,41.j Ame pécheresse,
c'est moi qui le le dis, lève-toi et sors de ce
cercueil où tes (tassions et de funestes en-
gagements le retiennent.
531
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
532
La troisième circonstance que je remar-
aue dans le mystère que nous célélirons,
c'est la vérité de la résurrection du Fils de
Dieu : Surrexit Dominus vere : a Le Seigneur
est ressuscité véritablement. » Les apôtres
ont d'abord bien de la peine 5 le croire. Ils
traitent de vision tout re que les saintes
femmes leur disent; et Thomas, plus opi-
iii.llre que les autres, proteste qu'il n'en
ctoiia rien si, par une expérience cruelle,
Je Sauveur ne lui permet de toucher et de
rouvrir ses sacrées plaies; mais le Fils de
Pieu ne refuse rien à ses disciples de tout
ce qui peut contribuer à affermir la créance
de ce mystère. II veut bien que Thomas,
qui est comme la main de i'Kgiise touche
pour tous les chrétiens les cicatrices de ses
plaies; et il demeure même quarante jours
avec s^es apôires pour leur donner à loisir
toutes les preuves et les assurances possi-
bles d'une vérité si essentielle. Chrétiens
qui avez solennisé la Pâques par la récep-
tion des redoutables mystères, vous vous
ilaitez (i'ôlre ressuscites à la grâce, mais
ôles-vous ressuscites véritablement ? No
sonl-ee point (jufclques fantômes de résur-
lection comme celui que l'enchanteresse fit
voir h Saiii, après lui avoir promis de res-
susciter à ses yeux le prof)hète Samuel;
n'êtes -vous point comme ces sépulcres
dont il est [)arlé dans l'Evangile, blam his
au di hors par une bienséance, où la fêle de
la résurrection vous engage, mais toujours
riMiiplis'au dedans de corruption et de pour-
liiurc. Car ne vous y trompez [)as , mes
frères, ceux qui sont ressuscites aux yeux
de Dieu et ceux qui ne sont ressuscites
qu'aux yeux des hommes se ressemblent.
On les voit dans ces jours sacrés confondus
au pied des autels également revêtus des
apparences de la piété; cependant les uns
sont morts et les autres sont vivants; les
uns ont quitté le f)éché, les autres y sont
demeurés attachés; les uns ont fait une
sainte communion et les autres n'ont lait
qu'un sacrilège. Mais me direz-vous, rien
lie nous force à nous aller accuser de nos
péchés, et dès lors que nous nous résolvons
à remplir ce devoir, on ne doit pas douter
que nous ne soyons de bonne foi envers le
Seigneur et que notre repentir ne soit vé-
ritable. Kl moi je vous ré()onds qu'a l'égaid
d'un grand nombre de cinétiens, il n'est
presque pas possible de douter du contraire;
car s il faut aujourd'hui vous développer ce
mystère d'inifiuité, voici, ce me semble, la
raison pourquoi une intinilé de chrétiens
font tigure do se convertir quoiqu'ils ne se
convertissent pas. En effet, tant que le pé-
cheurn'estpas tombé dans l'abime de 1 im-
piété et qu'une bienséance humaine ou un
reste de remords t'oblige à garder encore
quelques mesures de religion, il n'a garde
de manquer à certains devoirs essentiels
dont l'accomplissement est capable, à ce
qu'il lui semble, de réparer tous les désor-
ores de sa conduite, et dont l'omissiun le
cliargerôil aux yeux d'aulrui et à ses pro-
jiies yeux d'u:i reproche d'.nélig'.oii qu'il
serait fâché de s'attirer. Ainsi, mes frères,
le précepte de la communion pascale le
pressant d'un côté et ses passions de l'autre,
ne pouvant souffrir le poids de son iniquité
qui l'accable, ni s'engagera une vie morli-
fiaiate qui le rebute, que fait-il ? Il trouve
un tempérament entre ces extrémités : il
f)rendra et du péché et de la pénitence ce
qu'il y a de commode, il en écartera ce qu'il
y a de fâcheux; il retient son attachement
au péché pour se défendre de l'austérité de
la pénitence, il va chercher de la tranquil-
lité et se revêtir d'une piété extérieure dans
le sacrement de la pénitence, pour se garan-
tir des reproches d'aulrui et de ses propres
remords; et parce qu'une bonne et une
mauvaise confession se ressemblent, on
laisse le soin à l'amour-propre de nuus per-
suader qu'elle est bonne pendant que notre
impénilence secrète ne manque pas de la
rendre mauvaise.
La quatrième perfection que je vois écla-
ter dans la résurrection de Jésus-Christ
c'est la sainteté, car c'est en effet Téloge
que l'Eglise lui donne quand il appelle ce
iiiystère saint par excellence : Per sanctam
resurreclionem luain. Pour bien entendre
ceci, mes frères, remarquez s'il vous plaît
que le Fils de Dieu, pendant qu'il menait
une vie mortelle, avait encore, malgré son
innocence, trois grandes liaisons avec Je
péché : il conversait avec les pécheurs, il
portait la ressemblance du péché, il était
chargé de la dette du péché; mais le mys-
tère de la résurrection qui répand sur
lui l'éclat d'une gloire céleste et d'une sain-
teté divine, dissipe ces ombres de péché et
détruit toutes ces apparences. Je dis qu'il
était obligé de converser avec les pécheurs :
et ne savez-vous pas que les pharisiens
s'en faisaient un scandale et voulaient lui
en faire un crime; mais par la gloire de sa
résurrection il est séparé d'avec les pé-
cheurs ainsi que parle l'Ap/ôtre : Segregatus
a pecmtoribus. [Ilebr., VH,2G.) Si Made-
leine veut baiser ses [)ieds, il la rejette et
ne permet plus qu'elle s'approche de lui.
Lorsque j'étais encore avec vous, dit-il à ses
apôtres : « Ciim adhuc essem vobiscum. »
{Ltic, XXIV, kk.) Eh quoi! demande le
grand Augustin , n'esl-il pas encore ^vec
eux? il leur parle, il les écoule, il leur ré-
pond. Non, depuis qu'il est ressuscité il
n'est plus avec personne, car, dit saint Au-
gustin, tel est le caractère de la sainteté de
Dieu : il est partout par son imiuensilé,
mais il est séfiaré de tout par sa sainteté.
Que si le Fils deDieu quitte la compagnie
des pécheurs, il quitte aussi l'apparence
du péché. En effet , dit l'apôtre saint Paul,
depuis que Jésus-Christ est ressuscité on- ne
le connaît plus selon la chair : Non juin
eum secundum carnem novimus. (Il Cor., V,
16.) Pourquoi? jiarcequecette chair adorable
qui, durant tout le cours de sa vie mortelle,
jiassait pour une chair pécheresse, ne peut
plus passer que pour une chair innocente ;
elle avait porté les traits de la ressemblance
du {)éclié, mais elle ne porte plus que des
SERMONS. — SERM. V. SLR LE JOUR DE PAQUES.
554
caraclùres de sainteté et de grAce. Kiilin
Jésus-Clirisl n'a pas seulemcnl quille l'ap-
parence du péché, mais il en a payé toutes
les dettes. Il s'était chargé de nos crimes et
il les H étouiïés dans son sang. Il avait pris
sur lui toutes nos langueurs et il les a gué-
ries en sa divine personne. Le mystère d'au-
jourd'hui nous le l'ail voir glorieusement
sorti de tous ses engagements. Il a vaincu
nos ennemis sur le Calvaire, mais il en
triomf)ho dans sa résurrection.
A'oilà, chrétiens auditeurs, ce que nous
di'vons l'aire après notre auguste modèle;
mais voiif» poul-t^tre tout le contraire de co
ijue nous faisons. L'on prétend être ressus-
cité à la grâce; mais quitte-l-on pour cela
la compagnie des pécheurs? Au contraire,
l'on voit toujours les mômes personnes, l'on
entretient toujours les mêmes liaisons, l'on
veut faire dans le monde la môme figure,
étant pénitent, qu'on y a faite étant pécheur.
Non, l'on ne lompra pas ce commerce, mais
on se promet de le rectifier; l'on avoue ([ue
c'a été une source de désordres par le passé,
juais on cherche à se sauver sur la fidélité
de l'avenir; l'on se fîatte de n'aller plus
jusqu'au crime, mais on veut encore aller
jusqu'aux dernières bornes qui le sépa-
rent de la vertu. Abus, chrétiens, abus. Pour
être parfaitement ressuscité, il faut quitter
la compagnie des pécheurs, il faut môme
quitter l'apparence du péché, c'est-à-dire
qu'il faut renoncer à certaines choses qui,
n'étant pas criminelles en elles-mêmes,
portent néanmoins la ressemblancedu crime.
Vous avez des conversations trop fréquen-
tes avec cette [lersonne; je veux que ce
commerce soit innocent, mais le monde
s'en scandalise. 11 faut, dit le grand Apôtre,
non-seulement vousabslenir du péché, mais
encore vous dépouiller de l'apparence du
péché : Ab omni specie peccali abstinele vos.
(I Thess., V,22.) Vous dites que vous n'êtes
point mal avec cet ennemi, mais vous l'éviiez
ap:ès Pâques comme vous l'évitiez aupara-
vant; il faut que le public soit témoin de
votre réconciliation comme il l'a été de vos
dissensions. Enfin, après vous être séparé de
la compagnie des pécheurs et avoir détruit
en vousjusqu'à la ressemblancedu péché, il
ne vous rester.i plus qu'à voir si vous en avez
expié la peine, si vous en avez payé toutes
les dettes : Expurgate velus fermentum (I,
Cor.j V, 9), vous dit aujourd'hui l'Eglise
a()rès ra|)ôtre saint Paul. Purgez ce vieux
levain, délivrez-vous de ces restes; faites
en sorte, par vos prières, par vos jeûnes,
par vos aumônes, que bientôt vous ne deviez
plus rien au péché, atin(|ue vous soyez une
créature nouvelle qui n'ait plus rien à dé-
mêler avec le [)é( hé : Expurgate vêtus fer-
mentum ut sitis nova conspersio.
La cinquième et dernière perfection qui
éclate dans la résurrection du Fils de Dieu,
c'est son immortalité : Chrislus resurgens ex
niortuis }am non vioriiur : « Jésus-Christ
étunl resuscilé ne meurt plus ; » Mors illi uî-
tra non dominubitur : « La mort n'aura plus
d'empire sur lai.» lltoin., M , 0.; Voilà, mes
chers auditeurs, l'un des points les plus es-
sentiels de la résurrection de nos âmes.
Beaucoup, si vous le voulez, ressuscitent à
la fête de Pâques; mais, hélas I c'est pour si
peu de temps, et ils retombent si tôt dans
le péché, que cet intervalle de grâce ne doit
presque être compté pour rien : Vidi irnpiuin
firma radice , disait le saint homme Job :
« J ai vu l'impie qui avait jeté de fort profon-
des racines. » (Job V, 3.) En vain fai'-il sem-
blant de vouloir se tourner du côté du ciel,
vous diriez cette fleur qui paraît avoir
du penchant à suivre le cours du soleil :
eilo s'agite, elle change un peu de situation ;
mais ce n'est pas pour aller bien loin , car
tous ses mouvements dépendent d'une ra-
cine qui la retient. Voilà l'état de la plupart
des chrétiens : sitôt que la résurrection de
Jésus-Christ arrive, sitôt que ce soleil de
justice commence à monter glorieux et
triomphant sur l'horizon de l'Eglise, vous
diriez qu'ils se vont convertir; ils s'appro-
chent des divins mystères, ils font quel-
ques faibles efforts pour se détacher du cri-
me; mais ils tiennent toujours à la terre,
et bientôt ils se retrouvent dans les mômes
dispositionsoùilsélaient auparavant. Etran-
ge aveuglement d'un chrétien qui, après
avoir été réconcilié avec le Seigneur, re-
commence à faire alliance avec le péché et
avec la mort. Qu'aurait-on dit, mes chers
auditeurs, pendant que Jésus-Christ con-
versait avec les hommes, si l'un de ces
morts qu'il avait ressuscites se fût plongé le
poignard dans le sein, et, par une fureur
liizarre, eût voulu s'ôier à lui-môme cette
vie nouvelle qu'il avait reçue par un mira-
cle? Telle est pourtant la conduite d'un chré-
tien qui méprise la grâce de sa réconcilia-
tion et retombe volontairement dans lo-
péché.
Je finis, mes frères, par celte parole de
l'Evangile de saint Jean: Venit Itora , et
nunc est, quandomortui audient vocem Filii
Del {Joan. , IV, 23) : Chrétiens, l'heure est
venue et nous voilà dans le temps sacré
où les raoris entendent la voix du Fils do
Dieu. O vous, morts, que le péché, l'oubli
de Dieu, des passions infâmes, des liaisons
scandaleuses, des habitudes prolongées re-
tiennent tout vivants dans un sépulcre où
vous n'avez que les ténèbres et la corrup-
tion en partage, écoutez la voix de ce divin
libérateur qui vous appelle ; souffrez que lu
ministre de Jésus-Christ lève celle pierre,
et (jue, par l'autorité que le Seigneur lui a
conliée, il écarte ce scandale, celle occasion
funeste, ce commerce abominable qui, de-
puis si longtemps, vous empêche de sortir
du malheureux état où vous ôles et vous
prive de la grâce et de la lumière du ciel.'
Mais en quittant le péché, quittez-le parfai-
tement ei sans nulle réserve ; car je remar-
que une belle différence entre la résurrection
du Lazare et celle de Jésus-Christ. Le Lazare
sort de son tombeau, mais il en sort avec
son cercueil et son suaire , les pieds et les
mains liés : « Ligatis pedibus et manibus
[Matlh., XXII, 13} ;m au lieu (lue les feininas
535
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
5Ô6
saintes Iroiivonl dans le toiiili(\nu du Fils
do Dieu loiil ce qui avait servi îi I ensevelir.
Bel exerajMe qui nous aftprend qu'en ressus-
citant h la grâce il faut laisser dans le tom-
beau tous ces liens du péché, tous ces en-
gngeuieiits au péché, toutes ces intrigues du
péché qui sont les sources fatales de notre
inconstance et de nos rechules. Que si nous
nous sentons en disposition de ressusciter
ainsi, nous n'avons qu'à nous réjou'r et nous
pouvons solenniser avec une piarfaile con-
liance celle Pàque sacrée qui sera pour nous
une source de consolations et de grâces. Ce
terme de Pâques signifie passage. Puissions-
nous donc passer dans cette auguste solen-
nité, du péché h la grâce, et, par une sainte
persévérance, nous mettre en élat de pas-
ser un jour de la grâce à la gloire où nous
conduise, etc.
SERMON VI.
POUR LE JOUR DE l'aSCENSION.
Viri Galilai, quid stalis aspicienles in cœlum? hic
Jésus qui assumptus est a vobis, véniel quemadmodura
vidistis eum euiuem in cœlum (Acl.,l, 11.)
Hommes de Galilée, pourquoi demeurez si longtemps
à regarder ainsi vers te ciel ? Ce même Jésus qui vient de
vous être enlevé, en descendra un jour de la même manière
que vous l'y avez vu monter.
Ce sont des anges qui adressent ces |)a-
roles à des apôtres. Ils les reprennent au
lieu de les consoler; et, sans leur donner
le loisir de se remettre delà surprise et de
la douleur où l'ascension de Jésus-Chri:-t
les avait laissés, ils viennent d'abord inler-
rorapre leur admiration et redoubler leur
surprise en leur disant de la part de Jésus-
Chrislmême : Viri Galilœi, quidslalis aspi-
cienles in cœlum? hommes de Galilée, pour-
quoi vous arrêter à promener ainsi d'inu-
tiles regards vers le ciel? Que dites-vous ,
mes frères, de la conduite des anges et de
celle des apôtres. Ces anges r.e sont-ils pas
bien sévères, ces apôtres ne vous semblent-
jls point plus dignes d'être plaints que d'ê-
tre blâmés? car n'esl-il pas bien naturel par
exemple lorsque l'on a dit adieu sur le
rivage à un auji qui s'est embarqué sur la
mer, de se tenir encore quelque temps après
son départ à regarder fixement l'endroit où
son vaisseau a commencé à le dérober à nos
^-eux, et les apôtres pouvaient-ils être blâ-
mables d'en user ainsi à l'égard de leur di-
vin Maître qui venait de s'élever dans l'air
et de disparaître dans les nues ? Mais qui
sonunes-nous, pour justifier leur conduite,
quand ce sont des anges et des anges en-
voyés de la part dun Dieu qui se mêlent ue
les corriger ou de les reprendre? Oui, les
apôtres étaient cou[)ubles, et leur imperfec-
tion était telle, qu'après avoir passé des an-
nées entières en la compagnie du Fils de
pieu, au lieu des impressions de sa givîcu,
ils ne se portaient encore vers lui que |)ar
des mouvements humains et naturels, ils
admiraient ses mystères selon la chair et
ne se meil.iient point en élat de les ressen-
tir selon l'esprit. Aujourd'hui ils ne con-
templent son ascension que comme un beau
Sjtectacle qui occupe leurs yeux cl qui en-
chante leurs sens, et c'est pour leur ropro-
clier ce désordie que l'ange leur dit : Hom-
mes de Galilée, h quoi bon celte extase et
celte admiration inutiles; au lieu de lever
vos yeux au ciel, élevez-y vos esprits et vos
cœurs, et sans vous arrêter à admirer le mys-
tère do l'ascension de Jésus-Christ comme
une pompe étrangère à laquelle vous n'au-
riez aucune part, sachez que votre Maître
ne vous en a rendus les témoins que pour
vous en faire tirer des conséquen(-es qui
soient glorieuses pour lui et profitables
pour tous. Mais nous , chrétiens, qui som-
mes sans doute bien plus imparfaits que les
apôtres dans les voies du salut et en tout ce
qui regarde les mysières du christianisme,
ne devons-nous pas nous appliquer tous les
fiu'ts de cette importante leçon?
Je peux dire que voici l'un des plus beaux
fruits et l'un des plus nécessaires de toute
la morale chrétienne, puisqu'il s'agit de
vous faire entendre comment ces tnysières
que le Fils de Dieu n'aO|)érés que [oour votre
salut, doivent opérer ici-bas votre sanctifi-
cation, et quelles sont les imi)ressions in-
térieures que tous ces mysières en général-
et celui de l'ascension eu particulier, doivent
faire dans notre cœur et dans nos âmes. De-
mandons pour ce sujet la grâce du Saint-
Esprit, et comme ce sont des anges qui nous
doivent prêcher aujourd'hui en nous a.dres-
sanlles mômes fiaroles qu'ils ont adressées
aux apôtres, ce sera aussi un ange qui nous
[uophétisera des paroles pour implorer le
crédit de Marie et pour lui dire : Ave, gra-
tia plcna.
Il est des mystères dans le christianisme
qui ne peuvent être l'objet que de notre
spéculation ou de notre foi ; il en est d'au-
tres qui sont les objets de notre imitation
et l'exemple de notre conduite, et il en
est d'une troisième sorte qui sont les ob-
jets de nos désirs et comme le germe de
nos espérances; mais ces choses qui sont
paitagées ailleurs, se trouvent réunies dans
le mystère que nous célébrons qui est le
commencement des autres, et comme le
centre où tous les mystères de l'incarnation
de Jésus-Christ aboutissent ; car il y a en
etfel dans l'ascension du Fils de Dieu non-
seulement de quoi coiitemj)ler , mais encore
de quoi imiter, et non-seulement de quoi
imiter, mais encore de quoi espérer. Or les
apôtres manquaient également à tout cela.
Ils contemplaient ce mystère avec une
grande atlenlion, mais ils ne le regardaient
que sous des vues l'oit imparfaites et fort
humaines, leurs esprits n'étant encore que
grossièreté et qu'ignorance. Les apôtres
mamiuaient à imiter ce mystère, puisqu'au
lieu de détacher leurs cœurs de la terre
comme Jésus-Christ en éloignait son corps,
ils avaient encore pour son humanité sainte
un attachement tout matériel et tout terres-
tre ; les apôtres ne trouvaient pas de quoi
espérer dans ce saint mystère, [luisque, ne
|)Ouvanl suivre le Fils de Dieu dans son
élévalioii glorieuse et ne croyant pas qu'il
vuukU revenir avec eux, ils désespérèrent
557
SFRMONS. — SEIl.M. VI, POliR LE JOl'Il DE L'ASCENSION.
S58
de se reiroiivor jamais avec lui ; mais les an -
pps onrrijtcnt |iar leurs paroles ces Irois dé-
iaiils dans les a|iôlres et dans les cluLHieiis,
ainsi riue nous le verrons dans la suite , car
ils élèvent leurs esprits pour contempler;
ils relèvent leurs cœurs pour imiter;
ils relèvent leurs courages povir espi'^rer.
Ce que nos es|)rils doivent priiici|ialenient
contemjder dans ce mystère, ce que nos
cœurs y doivent imiter; ce que nos corps y
doivent alleiidre et espérer et quelles dis-
positions sont requises pour tout cela, c'est
ce que j'ai dessein de vdus i'aire voir dans
les trois parties Je mon discours.
PREMIÈRE PARTIE.
La pompe et la niagniticence du mystère
de l'ascension de Jésus-Clirist ont de quoi
nous éblouir, et pour le proportionner à
notre vue, j'ai cru qu'il fallait en lenifiérer
le brillant par le ménagement nécessaire
des ondjres et des obscurités qui se trouvent
dans les humiliations. Et en elFet l'on ne
saurait contempler la gloire de Jésus-Christ
d'une maniète plus édifiante et plus solide
qu'en la considérant par rapport h ses au-
gustes bassesses qui en ont été les vérita-
bles principes. Lesapôlres avaient coutume
de séparer mal à propos Jésus-Christ souf-
frant d'avec Jésus-Chiist glorieux. Quand
il était dans les opprobres et dans les dou-
Je-jrs, ils l'abandonnaient lâchement et ne
tenaient plus aucun compte de sa gloire ;
cl quand ils le voyaient glorieux et honoré,
ilsse persuadaient aussitùlquil avait changé
de nature et ne songeaient i)lus à ses dou-
leurs ni à ses opprobres. El en effet, ils ne
contemplent son ascension que comme un
spectacle extraordinaire qui attire leur cu-
riiisité. Or, Ton peut dire que leurs es[)ri(s
demeurent inutiles afin de donner Iroj)
d'occupation à leurs yeux, tant ils sont
accoutumés à ne juger de tous les mystères
que |iar les impressions dilférenles que ces
mystères font sur leurs sens, et c'est pour
les reprendre de ce défaut que l'ange leur
dit : Viri Galilœi, quid slalis aspicienles in
cœlum? hommes de G.iJilée, eh ! à (jijoi vous
amusez-vous, vuus regardez votre maître
comme si vous ne le comiaissiez plus; mais
s'il a changé d'étal, il n'a pas cliaiigé de
nature ni d'inclination; hic Jésus qui as-
sumplus est a vobis, c'est ce même Jésus
qui a tant été parmi vous, uù. il est tou-
jours lui-môme par l'estime qu'il a pour les
huniilialions et |)our les souffrances. Oui,
cet Homme-Dieu que nous voyons juste-
ment as.sis à la droite du Père Eiernel, est
celui-là même que vous avez vu crucifié
avec un larron à la sienne; nous le voyons
couronné de gloire et vous l'avez vu cou-
ronné d'épines; c'est ce Jésus-Christ qui a
été trahi si lâciiement et (jui a été fouetté
si cruellement, qui a exjiiré à vos yeux et
pour vos péchés d'une mort si honteuse et
si tragique, hic Jcsus, et non-seulement ce
Jésus que vous voyez si glorieux est ce
même Jésus qui a souffert toutes ces choses,
uiajsvou,'; ne le veinez pas glorieux, s'il ne
les avait soullVrlos et il n'est glorieux tpie
parce (ju'il a été assez humi)le et assez
obéissant pour les souffrir.
L'apôtre saint Paul eidre dans les mêmes
sentiments quand il prend tant de peine à
nous faire remarquer (jue celui qui est élevé
au-dessus de tous Ic^ cieux est celui-là
même qui était descendu jusi]ue dans le
centre de la terre; car voilà en deux mots
tout le mystère d'aujourd'hui : Quoniain
qui asccndit, ipsc est et qui descendit primuin
in inferiores parles terrœ. [Ephes., IV, 9.)
Et voilà, en effet, chrétiens, comme la Pro-
vidence a voulu que les huniiliations de
Jésus-Christ servissent à balancer ses gran-
deurs et que ses grandeurs servissent à re-
lever ses humiliations ; sur quoi saint Bo-
naventure dit excellemment (|ue le repos do
la foi des chrétiens se trouve dans la hau-
teur et dans la [irofondeur : Quies fidei in
subliinilale et profnndilale. Prenez garde
que les choses élevées n'ont point de lepos;
elles tombent souvent par leur propre
poids; remarquez que les choses basses se
remuent sans cesse, elles cherchent natu-
rellement à s'élever. Ainsi, mes frères, si
la foi du chrétien n'avait que des mystères
sublimes ou que des mystères bas et ram-
pants, il lui serait malaisé de se souteiur;
Uiais elle est appuyée sur la grandeur et
sur la bassesse comme sur deux pôles qui
la rendent ferme et immobile. Qiiaml le
chrétien se voit rebuté par la honte et jiar
les opprobres de la croix de Jésus-Christ,
il a de quoi corriger cet excès par le souve-
nir de sa grandeur et de sa gloire, et quand
la gloire de Jésus-Christ vient h lui pa-
raître trop au-dessus de sa ()ortée, il peut
ap|)orter un tempérament à cet autre excès
par le mélange des humiliations et des oj)-
probres de sa croix.
Mais c'est ici que nous avons besoin de
nous élever avec Jésus-Christ par l'ascen-
sion morale de nos esprits, pour tâcher d'aller
apprendre dans les secrets de la prédestina-
lion éternelle, pour quelle mystérieuse rai-
son Dieu a voulu faire monter son Fils à
la gloire par ce chenun si étrange des dou-
leurs et des humiliations. Voici l'excellenlo
raison que sanit Bcriiai'il nous en donne :
C'est, dit ce Père, que Dieu iiyant été dé-
shonoré d'abord |)ar l'orgueil de Lucifer,
il a voulu, pour s'en faire à lui-môme une
réparation aullieiitiquo et pour donner à
tfjules les créatures la plus mémorable de
toutes les inslruclions, que son. Fils, son
propre Fils prit en tout et partout le
ciinirej)ied de la conduite de cet ange su-
perbe, Lucifer avait dit : Je montera*, et le
Fils de Dieu dit : Je descendrai; Lucifer
avait dit : Je monterai et je me rendrai sem-
blable au Très-Haut : « Asccndam et similis
ero AUissimo.» {Isa., XIV, ik.) El moi, dit
le Fils de Dieu, je m'anéantirai et me rendrai
semblable à une vile créature: Exinanivit
semelipsum formam servi accipiens, in simi-
liludincm hominum j'uclus. {Philip., 11, 7.)
Mais ce Lucifer su[)erbe a été humilié et
Jésus-Clirist humble a été exalté. L'on peut
539
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
5i0
dire ilo Lucifer quo celui qui voulait mon-
ter si haut, est celui-là même qui est tombé
si bas; et l'on dit de Jésus-Christ que celui
qui est descendu si bas, est celui-là même
qui est monté si liaut. Voilà les deux grands
spectacles du temps et de l'éternité ; voilà
l'exécution solennelle de ce double arrêt
qui est gravé dans le cœur de Dieu et dont
il nous a donné dans l'Iivangiie uni> copie
en ces termes : Qui se exaltât, humiliahitur,
el qui se humiliai, exattabilur.iMalth.,X\l\l,
12.) Voilà comme nous pouvons dire de
notre Dieu ce qu'un profane disait du sien,
que sa grande occupation était d'élever tout
ce qui est bas et de renverser tout ce qui est
élevé; occupation véritablement digne d'un
Dieu. Et voilà, en un mot, comme pour
nous instruire par des exemples plutôt que
par des paroles, il a voulu donner à toutes
les créatures et à tous les siècles, en la per-
sonne de Lucifer, l'exemple d'une superbe
humiliée, et en la personne de Jésus-Christ
le modèle d'une humilité exallée.
C'est de celle manière que nous devons
''ontenipler le mystère de l'ascension de
Jésus-Clirist, si nous voulons le méditer
avec fruit; car si nous ne prétendons le re-
garder qu'avec des vues humaines, et |)ar
cet éclat extérieur qui paraît agréable à nos
sens et qui peut flatter noire vanité, dès lors
nous méritons qu'on nous dise : Viri Gali-
lœi, quid aspicilis in cœlum. Hommes chré-
tiens, pourquoi regarder le Fils de Dieu
raonlant au ciel, si vous ne voulez le re-
garder soutl'ranl et humilié sur la terre? Il
est assez remar(iuable que quand Jésus-
Christ monte sur la croix, il y monle à la
face de tout l'univers. Il no s'en cache [loint
et nous ordonne même de le regarder : Ins-
7)îce, dil-ilà chacun de nous,e< fac secundum
exemplarquod tibi in monte monstratumest.
« Regarde et travaille sur le modèle que je t'ai
donné sur cetlemontagne.v {Exod.,W\,kO.)
Mais, quand il est question de monter au
ciel, il choisit pour cela un lieu écarté et no
veut |)oint qu'on le regarde : Viri Galilœi,
quid aspicilis in cœlum. Ajoutons que quand
il avait voulu paraître glorieux dans sa
transfiguration, piour y faire comme le i)ré-
lude du mystère d'aujourd'hui, il avait
choisi unesolitude, je veuxdirela montagne
du Thabor, pour être le premier théâtre de
sa gloire, ne prenant que trois apôtres avec
lui pour les en rendre témoins; mais ce
n'est pas tout, on ne parle pas à ces trois
apôtres de faire aucun usage de leurs yeux,
on leur parle seulement de faire usage do
leurs oreilles : Jpsum audite : « Ecoutez-le.»
{Maltfi., XVII, 5.) Ehl [)Ourquoi l'écouter?
Ahl c'est sans doute que ie Fils de Dieu
parlait avec Moïse et avec Elie sur le Tha-
bor, de la mort qu'il devait endurer en Jé-
rusalem : Loquebantur de excessu quem
completurus eral in Jérusalem. {Luc, IX,
31. j 11 n'eût pas été avantageux aux apôtres
de ne s'arrêter qu'à voir la gloire de sa
transtiguration, et il leur était plus utile
d'écouter le discours de ses humiliations et
de ses soulfrances.
Or, tout cela ne tend qu'à nous apprendre
qu'il ne faut jamais séparer sa gloire dans
ses humiliations, et que c'est dans les mys-
tère? de sa gloire que se trouvent les plus
belles leçons de l'humilité chrétienne. C'est-
là que cette vertu me paraît dans son plus
beau jour, et pour moi, je vous avoue
qu'elle me semble bien plus éloquente sur
le mont des Olives que sur le Calvaire. Elie
y emprunte, du Fils de Dieu, tout l'éclat de
la majesté qui l'environne ; c'est une humi-
lité couronnée contre laquelle on n'a plus
aucun prétexte de se révolter, et si jusqu'à
présent nous avons refusé d'être humbles
par le molif de l'humilité , elle nous invite
h nous hunjilier par le motif de la gran-
deur môme. D'où il s'ensuit, mes chers
auditeurs, qu'il y a bien de la différence
entre l'humilité de Jésus-Christ et l'humi-
lité d'un chrétien. Car l'humilité du Fils de
Dieu offrait une humilité honteuse qu'il a
été cherciier dans la pauvreté, dans la bas-
sesse et dans le mépris au elle faisait avant
lui toute sa splendeur. Mais l'humilité des
chrétiens est une humilité glorieuse qu'ils
[)rennent dans Jésus-Christ même, qui l'a
honorée dans sa personne et qui la rend ho-
norable dans les nôtres. Humilions-nous
donc, soit parce que Jésus-Christ s'est hu-
milié avant nous, soit parce qu'il a été
exalté, et que nous pouvons prétendre à
être un jour glorifiés comme lui. Mais com-
ment nous humilier? En lâchant, par exem-
ple, de nous anéantir devant la grandeur de
Dieu, reconnaissant de bonne foi que nous
sommes devant lui comme si nous n'étions
pas ; qu'il n'y a en nous que péché, que cor-
iU[)lion et que misère, ou du moins que tout
le surplus est absent, s'il est bien vrai qu'il
y ait quelque chose de surplus et qui nous
mettra en état dédire intérieurement avec
le Prophète : Grâces au Seigneur, je suis
un homme qui connais assez ma pauvr.etéel
mon indigence : Ego vir videns paupertatent
meam. {Thren., 111, 1.) Mais comment nous
humilier? Enassujeltissant noire esprità tous
les dogmes de la religion et en nous assu-
jettissant nous-mêmes à toutes les lois de
l'Eglise, et à tous les devoirs du christia-
nisme, quoi qu'il en puisse couler à noire
amour-[iropre et à celle fausse graiuleur
d'âme qui veut dominer partout , et qui ne
saurait se soumettre en rien. Mais couiment
nous humilier ? En profitant do toutes les
disgrâces de la fortune, de toutes les misè-
res de la vie, de tous les chagrins qui nous
accablent, do toutes les adversités qui nous
arrivent, et regardant tout cela par rapport à
la Providence, à laquelle il est juste que
nous soyons soumis, suivant ce que dit si
bien le Sage, qu'il doit y avoir de la subor-
dination entre Dieu et l'homme, et qu'il
n'est pas raisonnable que l'homme veuille
aller de pair avec Dieu : Justum est homi-
nem subditum esse Deo et non paria sentire.
(liM«c.,lX, 12.) Mais comment nous humi-
lier? Eu souffrant avec patience toutes les
l'aillerics et tous les outrages de nos enne-
mis; on élouifaiil tous ces sentiments de
541
SERMONS. — SERM. YI, POUR LE JOUR DE L'ASCENSION.
US
vengeance qui ne peuvent provenir que (ie
l'orgueil, eu panlounant Ji ceux cpii nous
persécutent, en disant «lu bien de ceux qui
nous caioninienl, appuyés sur ee fomle*-
luent que s'ils disent de nous quoiqije mal,
ijui n'est point en nous, il y en aussi bien
d'autres qu'ils ne disent |>as, et qu'ainsi il y
a ilieu de faire une compensation utile de
leurs médisances (lubliques avec nos imper-
teolions secrètes ; qu'à part tout, nous étant
nous-mêmes si fort décriés devant Dieu,
par nos crimes et par nos péchés, nous no
devons pas compter pour grand cliose , si
ce n'est pour eu faire un usa^'e de péni-
tence, qu'on nous fasse perdre notre répu-
tation devant les hommes; puisqu'enfin ce
n'est ni l'estime des hommes ignorants ou
intéressés, ni la nôtre qui nous rend consi-
dérables, mais le jugement que le Sei-
gneur porte en faveur de nos actions et de
notre conduite.
Mais comment nous humilier? En allant
quelquefois au-devant de l'humiliation,
sans attendre qu'elle nous vienne chercher,
comme leFils deDieu, quiétantsi glorieux
dans le ciel, est venu exprès chercher à
s'humilier sur la terre, tous ses abaisse-
ments n'étant qu'un effet de sa liberté et de
son choix : car, dit l'apôlre saint Paul,
auand il a été question d'humilité: Jésus-
Christ s'esi humilié lui-même. « Humiliavit
semelipsum.» Mais, quand il a été question de
gloire et de grandeur, il a laissé à son Père
le soin de l'exalter : Propter quod el\ Veus
cxaltavit illum. [Philip., 11,9.) Ah 1 lors-
qu'il fallait monter sur le Calvaire, l'Ecri- ';
lure dit qu'on l'y menait et il y allait de
son bon gré : Ducebant eum ut crucifigere-
tur [Matth., XXVII, 31); mais lorsqu'il
s'agit de monter glorieusement au ciel,
l'Ecriture dit qu'il y est porté; comme si
son inclination ne l'y jiorlait pas : El fcre-
balur in cœlum. [Luc, XXIV, 51.) Elle dit
encore qu'il est enlevé : Hic Jésus qui as-
sumptus est [Act., I, II), pour nous dire
|que son humilité souffre en cette rencontre
fune espèce de violence. Car, pour parler
avec saint Bernard , le Fils de Dieu
sachant combien nous étions passionnés
pour la grandeur, a voulu nous frayer
un chemin bien sûr à la gloire et consa-
crer, par l'humilité, une élévation que
l'orgueil rendrait toujours profane ou mal as-
surée : Suo descensu salubrem nobis conse-
cravit ascensum, en un mot, dit ce Père,
nous donner l'alternative dans le mystère
d'aujourd'hui, ou de nous élever avec lui,
en nous humiliant, ou de nous firécipiter
avec Lucifer, en nous exaltant. Il faut donc
humilier nos esprits dons la conlemplalion
de la grandeur vl de l'ascension de Jésus-
Christ, luais il faut détacher nos cœurs de la
terre, si nous voulons suivre la suite de ce
mystère; c'est la deuxième inijinssion qu'il
doit faire en nous et la deuxième partie do
mon discours.
SECONDE PARTIE.
Los apôlros s'étaient rétablis dans les
dispositions d'une joie tranquille, par les
preuves incontestables que le Fils de Dieu
leur avait données de sa résurrection; mais
sitôt qu'il vint à leur parler de départ, il
n'en fallut pas davantage pour les remettre
dans la consternation et pour les plonger
autant que jamais dans une profonde tris-
tesse : Sed quia hœc'Jocii tus snmvobis, trisli-
tia implevit cor vestrum. (Joan., XVI, 6.)
11 avait beau leur reprocher qu'ils ne l'ai-
maient point puisqu'ils ne voulaient point
sacrifier aux intérêts de sa grandeur la sa-
tisfaction sensible qu'ils avaient de sa pré-
sence : Si diligerelisme, gauderctis utique,
quia vado ad Patrem. [Joan , XIV, 28.) Il
avait beau leur dire qu'il était expédient
pour eux qu'il s'en allât: Expedit vobis
ut ego vadam (Joan. XVI, 7) , et que s'il ne
moulait au ciel, le Saint-Esprit ne descen-
drait point : Nisiabiero, Paracletus non véniel
(Ibid.); ni la gloire du Fils de Dieu, ni
la descente du Saint-Esprit, ni l'intérêt de
leur propre sanctification n'étaient pas des
motifs assez forts pour l'emporter dans
leur cœur sur cet attachement opiniAtro
qu'ils avaient à leur satisfaction sensible.
Voili^ en quoi consistait proprement cette
dureté de cœur que Jésus-Christ leur re-
procha en les quittant: Exprobravilduri-'
tiamcordiseorum. [Marc, Wl,i'*-) C'étaient
des cœurs rampants qui ne pouvaient s'é-
lever au-dessus des choses sensibles, et
s'ils avaient eu la liberté d'un tel choix, ils
auraient mieux aimé parle goût de leur
amour-[iropre que le Fils de Dieu lût de-
meuré avec eux sur la terre que de monter
avec lui dans le ciel. Nos inler()rètes ont re-
marqué que les anges reprochent aux a})ôtres
cette disposition par ces paroles : Viri
Galilœi, quid admiramini aspicienles cœlum ;
car ils prétendent que c'est comme si on
leur disait: 0 vous qui n'êtes |)lus de ce
monde, vous qui êtes en possession de
vous considérer déjà comme les citoyens
du ciel et les domestiques de Dieu, pour-
quoi donc regarder encore le ciel avec
celle admiration avec laquelle on regarde
les pays étrangers : Admiramini aspicienles
in cœlum. Or, mes frères, c'est celle même
disposition qui esl aujourd'hui si universelle
dans les chrétiens de regarder le ciel avec
le môme éloignement qu'on devrait avoir
de la terre, et de regarder la lerre avec les
mômes attachements qu'on devrait avoir
pour le ciel, et c'est cette môme dis[)osilion
que le mystère de l'ascension de mon Sau-
veur doit détruire dans nos cœurs, en les
élevant avec lui au-dessus de tous les ob-
jets matériels et périssables; car voila sans
doute un des points les plus essentiels de
la morale chrétienne, que tous les mys-
tères du Fils de Dieu doivent [lorter dans nos
cœursuneffetdegrâce particulier et différent,
et que loute l'économie de la vie spirituelle
ne consiste que dans les diverses impulsions
que son huinanilé sainte fait dans îios âmes,
tilô
ORATEURS SACRES. DE MO?\MOREL.
selon les divers élals où l'Eglisu nous le
représente. Celte proposition se Ironve éln-
blie dans toiili'S les inslriiclions de saint
Paul. Quand il parle de l'incarnai ion du
Verbe, il prétend que nous ressentions en
nous-mêmes celle môme incarnation qui en
est conimiî le caractère et que l'anéantisse-
nienldu Verbe fait chair anéantisse tous les
fidèles : Hoc enim sentite in vobis quod et in
CfiristoJcsu, qui cum in forma Dei esset, se-
tnetipsum exinanivil formam servi accipiens.
(Philip., II, 7.) Quand il nous instruit sur la
passion du Fils de Dieu, il dit que celte
mort doit avoir en nous nne opération edi-
cace, etque, non content de faire mourir par
les influences salutaires de la mort d'un
Dieu toutes les passions dans nos âmes , il
faut encore en porter les livrées sur notre
corps fiar la morlificalion de nos sens :
Semper morlifîcalionem Jesii in corpore no-
slro circumferenles, (H Cor., IV, 10.) Quand
il Iraile de la résurrection du Verbe incar-
né , il prélend nous ressusciter avec lui ; et,
supf)0sant que la gr;lce nous ait déjà ôlé la
vie de la nature corrompue comme on avait
ôlé à Jésus-Cluisl la vie mortelle ou passi-
ble, il veut nous l'aire enlrei- dans l'usage
d'une vie toute divine sur le modèle de la
vie glorieuse avec laquelle le Fils de Dieu
sort de son tombeau : Ut quomodo Christ us
surrexit a wortnis , ita et nos in novitale
vitœ ambiilemvs.{Roin., VI, k.) Kiitin quand
il parle du mystère ûq l'ascension, il dé-
clare que le fruit de la grâce de ce niyslère
est de nous détaclier de la terre et de nous
enlever avec le chef dont nous sommes les
membres, c'esi-à-dire avec Jésus-Christ,
jusqu'à la droite du Père Eternel où il est
i\ss\s : Quœ sursum sunt quœrite ; ubi Chri-
slus est in dexlera Dei sedens; quœ sursuin
sunt sapite non quœ super terram. (I Cor.,
Jll, 1, 2.) C'est par là que nous apprenons
ritilention du Verbe incarné, savoir quo lout
ce qui s'est passé dans son cor()s naturel se
réitère dans son corps mystique. C'est de
celle manière qu'il vilen nouslorsque toutes
les circonstances de la vie mortelle et de la
vie glorieuse se rc^présenlent dans nos per-
sonnes. Et saint Bernard, qui était si bien
\i^rsé dans celte sublime théologie, distin-
guait par ce principe tous les chrétiens en
jilusieurs espèces: II y en a, dit-il, en qui
Jésus-Christ n'esl |)as ué: sunt quibus non-
dum nalus est, et ce sont ceux qui n'ont
|)as encore assujetti leur esprit à l'humi-
lité de la foi; car c'est celle humilité qui
seule peut nous faire dire que ce petit en-
f.int nous est né. Il y en a en qui Jésus-
Christ est né, mais en qui il n'esl pas en-
core assez robuste (lour souO'rir : Sunt qui-
bus nondum passus est, et ce sont ceux qui,
ayant tâché de se convertir, ne travaillent
pas néanmoins à la mortilicalion de leurs
sens.
Il y en a d'autres en qui Jésus-Christ a
imprimé le mystère de sa mort, mais en qui
il n'est pas encore ressuscité ; Sunt quibus
nondum surrexit. Et ce sont ceux (]ui, fai-
sant une rigoureuse pénitence de leurs
péchés ne goûtent pas encore les plaisirs et
la sensibilité de la grâce. Enfin il y en a en
qui Jésus-Chi'ist est ressuscité, mais à l'é-
gard desquels il n'est pas encore monté au
cil I ; sunt quibus nondum ascenditin cœlum;
et ce sont ceux qui, étant dans la même
disposition que les apôtres, ont pour Jésus-
Christ môme un attachement simple et
grossier, dévots par tempérament, cher-
chant dans les exercices de la piété de quoi
satisfaire leur humeur ou leur amour-pro-
pre, ou n'ayant pour les choses de la grâce
qu'une sensibilité qui se confond avec celle
de la nature. C'est pources âmes qu'il est ex-
pédient que le Fils de Dieu s'en aille. Il faut
que la présence sensible leur soit ôlée, il
faut qu'on les sèvre de ce lait s|)irituel, atin
que, se nourrissant d'un aliment plus soli-
de, ils se mettent en étal de devenir plus
robuste. D'où il s'ensuit, conclut excellem-
ment saint Thomas, que le mystère de l'as-
cension est un mystère de consommation
et d'enlèvement, non-seulement à l'égard
do Jésus-Christ, mais encore à l'égard de la
vie spirituelle et de la perfection chiétienne;
car la perfection chrélienne, dit saint Tho-
mas, consistant proprement en deux cho-
ses, à être attaché à Dieu par amour et par-
faitement détaché de tout ce qui n'esl pas
Dieu, c'est le mystère de l'ascension, [)ri-
vativenient à tous les autres, qui opère ces
ellets dans les apôtres, c'est ce mystère qui
d(''gage le cœur des at)ôlres, non-seulement
de tous les objets criminels ou indiiférents
mais encore de l'attachement imparfait et
profane qu'ils avaient pour l'objet du monde
le plus sacré, et c'est un miyslère qui, les
ayant détachés de tous, les attache à Dieu
|iar un amour spirilue! et plein qui n'est
plus fondé sur la passion corporelle de Jé-
sus-Christ, et qui n'a plus 'ien de connnun
avec les sens, double disposition de grâce
ac(]uise indispensabiementdans les apôtres
pour les [)réparer h la réception du Saint-Es-
prit, et qui nous fait comprendre combien le
Fils de Dieuavait de raison de leuradresser
ces paroles : Nisi abiero, Paracletus non vé-
niel, (/oan., XVI, 7.) Ne vous y trompez pas,
nies chers disciples, il faulque vous receviez
le Saint-Esprit, mais il tant qu'il vous en
coûte ma présence cor[)orelle et sensible,
et si je ne monte au ciel, cet Esprit saint
ne descendra point sur la terre; mais, chré-
tiens, il est temps de vous demander si vous
sentez que le mystère de l'ascension pro-
duise aujourd'hui ces grands etfets dans sos
âmes ou plutôt où en ètes-vous ? Le Fils de
Dieu esl-il né en vous? y a-l-il soullerl ? y
est-il ressuscité? y est-il monté au ciel?
Avez-vous seulement jamais pensé à celle
obligation indispensable de faire en vous-
mêmes une expression tidèle de tous les
mystères du Verbe incarné. Mais savez-
vous bien qu'on ne peut prétendre au salut
sans avoir recule Saint-Esprit qui est la fin
et l'âme de l'ÉvangUe.Or savez-vous que cet
Esprit-Sainl ne peut opérer rien que dans un
cœur dégagé do toutes les affections de la
terre, (juc Jésus-Christ a sanclilié par ses
SERMONS. — SERM. VI, POUR LE JOUR DE L'ASCENSION.
mystères el par ses places, cl dans leciiiol
il a fourni, pour ainsi dire, loulesa cirrière.
Al) 1 mes irèros, (iit le dévot saint Bernard,
ne nous laissons point abuser par la, llalle-
rie d'une contiance trompeuse ; si le Fils de
Dieu n'a pu accorder, en faveur de ses apô-
tres, sa |>résence h laquelle ils étaient trop
attachés avec la |»résence du Saint-Es|)rit,
oh 1 comment pourrions-nous faire compatir
cetEs()ril-S3int avec tantd'atlachemenis que
nous avons, non pas pour un Homme-
Dieu, mais pour tant de viles et ditrérenles
Cl éalures; non pas pour la personne de Jésus-
Christ, n)ais pour nous-mêmes;jnon pas pour
une chair divine, mais pour une chair de pé-
ché, pour une chair corrompue, pour une
chair abominable devant Dieu. Le Saint-Es-
prit s'acconimodera-t-il mieux.de nos désor-
dres que de l'imperfection des apôtres, et
croyons-nous que le Fils de Dieu veuille a voir
pour nous une indulgence qu'il ne put avoir
pour eux? Après tout, ajoute saint Bernard,
l'on ne peut recevoir la grâce de la Penie-
cùte sans avoir reçu celle de l'Ascension :
Or l'Eglise qui demande Imijours dans cha-
que fêle la grâce qui est attachée h chaque
niy>lèie, sup[)lie aujouid hui la divine Ma-
jesté que comme Jé?us-Chiist a quitté la
terre par sou ascension , de même nos
cœurs et nos esprits soient transportés
dans le ciel, pour y faire avec lui une rési-
dence éternelle : Uc aicut UnigeniCum tiiuin
ad cœlos ascendisse credimus , ila nos quo-
que mente in cœlesùhus habiteinus. El en
tllet un chrétien qui a reçu cette grâce,
c'est-à-dire , un chrétien véritablement
chrétien, se porte jusque dans le sein
de la diviuilé, par le mouveiuent d'un
amour généreux et sincère, persuadé qu il
est que le cœur doit être là où est son tré-
sor; tout son cœur est dans rélernilé parce
qu'il n'y a plus de trésor pour lui dans le
lemps. Jl ne se considère que comme un
élranger ici-bas. 11 ne compte la vie que pour
une espèce de jièlerinagc , la plus grande
prospérité, que jiuur un beau jour de clie-
uiin, les j.'lus superbes jtalais que pour des
lieux de passage, et tous les divertissements
du siècle que pour des amusements vers les-
quels il n'a pas le temps de se distraire.
Cependant il soupire vers sa céleste patrie,
et n'y pouvant si tôt arriver, il y envoie p.ir
avance toutes ses [)enï>éeset ses désirs, s'en
[trenant avec indignation à son corj s qui
refuse de suivre son âme : que vous dirai-
je davantage? 11 regarde d'un même œil tous
les biens et tous les maux de ce monde, n'y
mettant d'autre dillérence que celle que le
bon ou le mauvais usage y peuvent mettre,
Se consolant de tout, ne se passionnant
pour rien, sans attachement pour la vie,
sans appréhension [lour la mort , sans d s-
solution dans ses joies, sans impatience
dans «es maux et sans dérèglement dans
ses désirs, voilà les elfetsde celle ascension
de cœur que le Fils de Dieu nous demande
j)0ur imiler aujourd'hui la sier.ne. Ct\ donc,
mes chers auditeurs, sursum corda: qua
chacun fiorie son cœur en haut, pour sui-
546
vre et jiour imiter le triomphe de Jésus-
Christ, sursum corda ; car c'est ainsi que le
grand Augustin exhortait autrefois son peu- •
pie sur le mystère que nous célébrons. Ça, '
chrétiens, élevez-vous au-dessus du len'ips
pour respirer un peu l'air de la bienheureuse
éternité, llelevez ces cœurs et ces esj>rits
accablés sous le joug de tant de crimes,
sous la tyrannie de tant de passions, sous
le poids de tant d'atfaires. Un peu de cou-
rage (lour rompre tous ces liens profanes
qui vous amusent deuuis si longtemos sur
la lerre.
L'Ecriture nous dit que le Fils de Dieu
montant au ciel menait comme en triomphe
la ca[riivilé caplive, captivam duxit captivi~
intem. {Ephcs., IV, 8.} "^e ne sont pas des
captifs qu'il traîne après lui, car ces cap-
lils ne le sonl plus dès lors qu'ils sont à la
suite de Jésus-Christ ; ce n'est qu'à la c.q)-
tivité qu'on en veut et c'est c^llii qu'il retient
caplive pour mieux assurer noire liberté :
captivam duxit caplivilatem. Mais quelle
est celle captivité dont il nous dégage ?
C'est lacapliviié du péché. Avez-vou.s aimé
jus(ju'à présent les biens delà terre, c'était
l'avarice qui étail v(jtre ca;)tivilé; avez-vous
été passionné pour les grandeurs ou pour
les plaisirs de ce monde, c'était l'ambition,
c'était la volu[)lé qui était voire esclavage,
et c'est une caplivité qu'il faut que le Fils de
Dieu rende captive; ce sonl ces pussions qu'il
faut attacher à son char de triomphe, ce sont
ces liens d'or ou d'argent, ce sont ces chaî-
nes formées parla chair et par le sang qu'il
faut briser; en sorleque notre cœur, j^iarfai-
temenl délaclié de tout cela, jiuisse pren-
dre son essor vers le ciel avec Jésus-Christ.
Nous y sommes obligés non-seulement pour
imiter ce mystère, mais encore pour nous
luellre en état d'y attendre la gloire et le
retour. C'est à nos esprits à contempler la
gloire de l'ascension de Jésus-Christ , c'est
à nos cœurs à l'imiier; mais ajoutons que
c'esl encore à nos cor[is à s'y préparer,
TUOISliiME PARTIE.
C'est ce que les anges font encore enten-
dre aux apôtres par ces paroles de mon
texte : Hic Jésus qui assumptus est a vobis
sic véniel queino.dmodum vidistis eum eun-
tem in ccelum. Car c'esl comme s'ils leur di-
saient : Ne croyez pas avoir fie.'du la pré-
sence de votre niailre pour toujours; un
jour viendra qu'il descendra du ciel avec
autant de pOiu[)e et de majesté qu'il y
monte, revenant sur la terre revêtir vos
corps (le la même gloire dont le sien éclate
présentement à vos yeux. Et le Fils de Dieu
s'en était expliqué lui-même dune façon
encore plus claire lorsqu'il leur avait (jil :
Mes chers discij)les, je m'en vais au ciel
vous jnéiiarer des trônes et dos couronnes,
el je reviendrai ensuite vous rendre glo-
rieux eoiiime moi, parce que ma félicité ne
me semblerait pas entière si je ne la parta-
geais avec vous : Vado parure vobis locum,
et cuin prœparavero vobis locum, ileruin vz~
itiam el accipiam vos ad mcipsum ul ubi ego
5i7
OPxATEURS SACRES. DE MONMOUEL.
KiS
8um illic et vos silis, {Joan., XIV, 2.) C est
pourquoi les Pères publient que l'ascension
de nos cœurs, que l'on nous demande, n'est
que le gage de l'ascension de nos corps que
l'on nous promet et qui ne saurait manquer,
pourvu que nous nous y pcéparicjns comme
il faut.
L'Apôtre dit bien davantage ; car il ajoute
que dès <i présent nous sommes assis avec
Jésus-Christ à la droite du Père Eternel :
Consedere nos fecit in cœlestibus in Christo
Jesu. (Ephes., U, 6.) Jît tout cela fondé sur
ce grand principe qu'il établit en un autre
endroit que le Fils de Dieu a voulu former
son Eglise sous Vidée d'un corps dont il a
été décl.u-é le chef : Ipsum posuit caput
super omncm terram. ( Ephes. , 1 , 22. ) Car
de là il résulte deux conséquenGcs . la
première que le chef étant couronné de
gloire, il faut tôt ou tard que ses membres
lui soient unis dans cet état glorieux, puis-
qu'autrement ce serait quelque chose de
monstrueux de voir éternellement d'un côté
un chef sans membres et de l'autre des
membres sans chef. Aujourd'hui que le
chef et les membres sont dans des lieux et
dans des états différents, le Fils de Dieu est
obligé de souffrir pour un temps cette sépa-
ration violente et l'état présent du corps de
l'Eglise peut élre naïvement exprimé par
celui de ces petits poissons qu'on trouve
dans rEgy[)te après le débordement du Nil
cl qui ayant la tête formée, n'ont encore
que de la tête et de la boue au lieu de
corps, parce que la trop grande prompti-
tude des eaux à se retirer n'a pas laissé ù
la nature assez de loisir pour achever ce
qu'elle avait commencé. Chrétiens, Jésus-
Christ est déjà formé à la gloire, c'est un
chef dont nous sommes les membres et nous
pouvons conclure le voyant ainsi glorieux
que son corps, pour n'être encore que boue
el-que fange, ne laissera pas d'entrer bien-
tôt en participation de ses avantages : Quo
prœcessit gloria capilis , dit saint Léon, eo
spes vocalur et corporis.
La deuxième conséquence qui se doit ti-
rer du même principe, c'est que ce qui ap-
partienl à chacun des membres appai tenant
à tout lo corps et ce qui se dit des |)arlies
devant être attribué au tout, il s'ensuit que
puisque le Fils de Dieu nous a fait entrer
avec lui en société d'un mênie corps , sa
gloire doit être regardée comme la nôtre.
Ainsi l'on dit que tout l'homme est couron-
né, quoique la tête seule poite la couronne :
Gloria et honore coronasli eum. {Hebr., 11,
7.) L'Apôtre a donc raison d avancer quo le
Fils de Dieu étant monté au ciel, tous les
chrétiens y sont montés en sa personne et
que ce divin Sauveur étant assis à la droite
(lu Père Eternel, nous y sommes tous assis
avec lui : Consedere nos fecit in cœlestibus in
Christo Jesu. [Ephes., il, 6.)
Mais a[)rès que lapôtie saint Paul nous a
entretenus de ces glorieux avantages, après
nous avoir j/laces jusques à la- droite de
Dieu, savez-vous ce qu'il iiilère de tout
ceia? !e voici, mes IVères, en deux mois ;
Mortificate ergo incmbra vcstrn quœ siint su-
per terram. [Coloss., III, 5.) Et par consé-
quent morlitiez vos corps qui sont sur la
terre. Ah! que celte théologie est belle.
Remarquez bien ces termes : super terram,
vos cor|is qui sonl sur la terre, car quand
nos corps seront dans le ciel , ce ne sera
plus le temps de les mortifier, ce sera le
temps de les glorifier; et vous convenez ai-
sément par là, qu'en qualité de membres,
nous avons deux rehitions différentes avec
Jéjus-Christ , une relation à Jésus-Christ
glorieux et une autre relation à Jésus-Christ
crucifié , et comme les membres doivent
avoir du rapport et de la conformité avec
le chef auquel ils sont unis pour ne pas
faire un corps qui soit dissemblable à lui-
même, il est naturel, pour ainsi dire, que
les chrétiens soient glorieux dans l'éter-
nité, parée qu'ils y sont joints à un chef qui,
étant lui-même glorieux, ne peut leur y com-
muniquer que des sentiments et des influ-
ences de gloire ; mais il faut aussi quo les
chrétiens soient mortifiés dans le temps,
puisque, s'ils sont véritablement chrétiens,
ils y sont inséparablement unis à un chef
qui ayant été lui-même atlbgé de mille
douleurs sur la terre, ne peut leur commu-
niquer que des seniimenls et des iniluences
de douleur et de morlitication. Et voilù ,
mes cliers auditeurs, en quoi consiste tout
le christianisme de ce monde et tout le
christianisme de l'autre, d'être entièrement
scn)blabies à Jésus-Christ soulfrant et en-
suite d'être semblables à Jésus-Christ glo-
rieux; et la même Ecriture qui nous apprend
que la croix était l'unique voie par oij le
l'iis de Dieu devait entrer dans sa gloire,
nous redit aussi cent et cent fois que la
moi tilicalion est le seul moyen par oii nous
pouvons arriver à la noire. Hé 1 comment
rentendez-voiis donc, chrétiens, vous qui
méconnaissez le nom de la mortification ,
vous qui semblez n'avoir reçu un corps que
pour en flatter tous les dés;rs et pour en
satisfaire toutes les inclinations, et qui, au
lieu de le pré{)arer à des plaisirs étcinels
I)ar quelque douleur passagère, ne travail-
lez au contraire C|u'à le (iréparer aux sup-
plices de l'éiernité |)Our des voluptés d'un
moment. Eh ! do bonne foi, mes frères, ce
corps qui ignore ainsi toutes les douleurs et
tous les mystères de la mortification, ce
corps qui n'a jamais embrassé la croix do
Jésus-Christ , ce corps vil e^clave de toutes
les passions et de toutes les faiblesses hu-
maines, ce corps nourri depuis si long-
temps dans l'iniiiuité, dans les déli<;es, cor-
rompu par la volupté, enflé i)ar la vanité,
devenu incapable dd toute discijiline et de
l)uto règle par une longue habitude de
sensualité et ce corps étant réduit à l'état
où vous savez (ju il est et que je vous le
représente, vous semble-l-il un sujet piopre
à recevoir les iiupiessioiis de ia gloire de
Jésus-Christ, n'a-l-il pas plutôt l'air et l'oj;-
[)arence d'une victime quo vous n'avez en-
graissée jusiju'à présent que pour être
sacrdiée h. sa justice? He! ne savez-vous jias
SF.RMO^S.- SKUM. VU, TOI 11 I>A FETK DR LA TOUSSAINT.
fin
que le Roi tie la gloire ol le Uni dos veriiis
ne sont qu'une même chose. Dominus tir-
tutiitn ipse est rex glorke {Psal. XXIU, 10 )
el si, par une supposilion impossible, voire
corps venait à Iriomplicr aujonrd'liui avec
Jésus-Clirisl, ne seiail-ce pas le triomphe
du péché piulôt ([ue le Iriomplie do la vertu?
ne serait-ce point mettre les récompenses
de la croiv et de l'Kvangile hors de k'ur
|)lace,- transporter à la vanité ce qui n'ap-
pnrtient qu'à riuimanilé, au plaisir ce cpii
doit être pour la mortitication , au crime ce
(jui tst réservé pour la pénitence, élever le
monde sur le Irùne de Jésus-Christ, faire
posséder le royaume de Dieu par la chair
el par le sang, et emprunter les couronnes
de la grâce et de la gloire [lour honorer nu-
bli<jucment la nature corrompue? Ah ! mes
frères, si nous prétendons à la gloire du mys-
tèieque nous célébrons, prenons donc une
ferme résolution do travailler sérieusement
à la mortilica'ion ; tr.ais nous ne saurons
moiiitier nos sens si nous ne détsclions nos
cœurs et nous ne pouvons réussir à déta-
cher nos cœurs, si auparavant nous n'avons
humilié nos esprits. Humilions donc nos
esprits sous la main toute-puissante de Dieu.
Détachons nos cœurs de tous les objets
périssables , affligeons nos corps par les
douleurs salutaires de la mortilication cl de
la [)énilence, car c'est ainsi que nous rece-
vrons la grûce du mystère de l'ascension
en ce monde pour en obtenir la gloire en
l'autre.
SI-UMON VII.
POtR LA FÊTE DE LA TOUSSAINT.
Gloria bœc est omnibus saiiclis ejus {Psal. CXLIX, 9.)
C'esl celte gloire qu'il a préparée à tous ses suints.
SI jamais un orateur a trouvé |dans son
sujet de quoi disposer lavorablement son au-
ditoire, c'est un avantage, mes frères, que
les {irédicateurs évangéliques ont aujour-
(1 hui, lorsqu'ils viennent entretenir les chré-
tiens de la béatitude, et qu'api)uyés sur
l'autorité infaillible du Dieu qui les a faits
ses ministres, ils leur découvrent un che-
min sûr pour arriver ii la gloire, car ce n'est
que pour celte béatitude et pour celle gloire
que travaille tout le monde |)olilique et
raisonnable; c'est celle gloire que les con-
quérants ont cherchée dans le succès de
leurs entreprises, les philosophes, dans la
forme de leurs raisonnements, les braves,
dans le mépris de leurs vies, les tyrans, dans
l'usurpation de leur puissance, mais que
tous ensemble ont cherché inutilement,
puisque c'est un bien qu'on ne peut tenir
que de la main de Dieu, et que c'est une ré-
cofupense qu'il ne destine que pour les
saints : Gloria hœc est omnibus sanclis ejus.
Confessons néanmoins la vérité. Celle im-
portante et agréable matière ne fait pas
dans les esprits des chrétiens tout l'elfet
qu'on en devrait raisonnablement atten-
dre, et jf les trouve là dessus dans deux
dispositions bizarres également opposées et
à leurs intérêts et à leur devoir, et qui me
S50
font comprendre que si Ihommo est un
chef d'reuvre dans la nature, il doit passer
pour une esp.èce de monsire dans la nio-
rale. En effet, on lui découvre une gloire
élernello, une félicité inlinie, plus grande
que ses espérances, plus vaste que tousses
désirs, à laquelle non-senlemcnt il peut f>ré-
tendre sans crime, mais à laquelle c'est un
crime pour lui que de no prétendre pas, et
il demeure insensible à celle découverte.
On lui donne des facilités [lOur parvenir
à celle béalilude ; on lui en apprend les
moyens. On le sonlient par les exemples de
ceux(iui y sotil déjà arrivés, et il demeure
malgré cela dans une oisiveté, dans une né-
gligence et dans un éloignement qu'on ne
peut comprendre. Voilà, mes frères, deux
grands désordres que je me suis proposé de
combattre dans les deux parties de ce dis-
cours, l'oubli et l'ignorance de l'homme à
l'égard de sa béatitude el de sa (in ; sa négli-
gence el son aversion à l'égard des moyens
iiui y conduisent. Entrons jusque dans lo
fond de son cœur pour démêler, s'il se peut,
tout ce qui s'y passe sur ce sujet. Esprit
saint, c'est vous, qui suivant la pensée du
grand Augustin, êtes le soulïle adorable, à la
faveur duquel les chréliens portés sur la
croix de Jésus-Christ comme sur le vais-
seau de leur imagination, après avoir vo-
gué sur la mer orageuse de ce monde, doi-
vent arriver toujours au port ue la bienheu-
reuse éternité; commencez donc à y tourner
dès à présent les désirs et les affections de
mes auditeurs, je vous en conjure par les
mérites de votre épouse, à laquelle nous
allons dire : Ave, Maria.
PREMIÈRE PARTIE.
Il est des objets dans la religion dont
l'homme n'aime pas ualurelleraenl à s'oc-
cuper. Parlez-lui des peines de l'enfer ou
des horreurs du jugement dernier, son
esprit se trouble ou Se révolte à des vérités
si terribles, el s'il y pense quelquefois par
intérêt, au moins, peut-on dire qu'il n'y
[;enso jamais par inclination. Mais il n'en
est pas ainsi de la gloire du ciel. EI!o
n'olfre rien à noire esprit qui ne soit con-
forme à noire penchant, en tlattant ce f)re-
mier désir de l'homme, auquel tous ses au-
tres désirs se rapportent, qui est celui de se
rendre heureux. C'esl proprement dans ce
point de christianisme que la foi confine
avec la raison et que la nature se trouve
d'accord avec la grâce. Néanmoins, il ne pa-
raît pas que les chrétiens pensent à la béa-
titude pi us souvent, ni [il us volontiers qu'aux
autres articles de leur foi. Quoique le Fils
de Dieu soit venu nous découvrir el nous
promellre des biens éternels et infinis, en
la place de ces biens matériels et terrestres
qui faisaient toute l'occupation et toute
l'espérance des Juifs, .l'on |)eut faire encore
aujourd'hui la même plainte que faisait le
Sage d''ins l'ancienne loi : Nescit homo fincm
suum. [Eccle., IX, 12.) L'homme ne connaît
[)()int la lin pour laquelle il a été créé, ou
s'il la connaît , l'oubli volontaire dans
riKi
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
55-2
lequel il vil ordinairemoiit sur ce sujet,
faisant en lui l'ellel de I ignorance, le met
dans le rang de ceux qui ne la connais-
sent pas.
Je ne parle point ici à ces chrétiens cor-
rompus et aveuglés par une longue suite de
désordres, qui, portant partout ailleurs leur
orgueil et leurs prétentions si haut, dou-
tent néanmoins de l'excellence et de V\n\-
mortalilé de leurs âmes, et se réduisent sur
le chapitre de la félicilé, non pas à l'espé-
rance des Juifs, mais à la condition des bê-
tes. Tout homme raisonnable doit avoir
meilleure opinion de son âme que de celle
des animaux, et la nature même, sans !a
religion, dit agréablemet Laclance, semble
nous avoir voulu distinguer p;ir la ditrérenco
de la situation, tournant la tête et les yeux
des animaux vers la terre, conune pour
dire que c'est là qu'ils doivoni V(,'nir, et
élevant la tête et les yeux des hommes vers
le ciel, pour leur insinuer que c'est là qu'ils
doivent tendre.
Je parle à des chrétiens persuadés de tout
ceci, non pas par des autorités humaines,
mais [lar une autorité divine, et qui, malgré
cette persuasion, ne laissent pas de vivre
dans un oubli et dans une iiidiiïérence dé-
j)lorables à l'égard de celte fin bienheureuse
où la Providence les a[ipelle. Que si vous
voulez vous examiner inlérieurcment sur
ce désordre, il vous sera facile d'en décou-
vrir les causes et l'origine; car, en premier
lieu, nous regardons la gloire du ciel com-
me quelque chose de trop élevé au-dessus
de notre nature. La félicité de ce monde
nous scrid)le plus proportionnée à nosgoûls
et à nos faiblesses ; quel moyen de penser
tans cesse à un étal oià l'un ne peul rien
comprendre ?iVotts avons bien delà peine,
dit le Sage, àeonnaîlre les choses qui sont
sur la terre: «Difficile œstimamus quœ in
terra sunt. w (Sap., IX, 16.) Il faut bien du
travail pour démêler celli-s qu'une dislance
un peu considérable dérobe à nos yeux tlà
nos connaissances : A'f quœ in prospeclu
sunt invenimus cuni labore. [Ibid.) Qui donc
[jourra faire monter son esprit au-dessus
des éléments et des astres, [>our aller exami-
ner ce qui se [)asse dans le ciel : Quœaulem
incœlis sunt quis investigare poleril ? (Ibid.)
En second lieu, les créatures nous en-
chantent; elles arrêtent [)Our ainsi dire nos
désirs et nos alfections au passage; elles
ca[)livent nos esprits et nos cœurs, et l'a-
mour-propre d'intelligence avec les sens
trouve bien mieux son compte à des biens
présents et cor[)orels, qu'on peul voir et
posséder tout à la lois, qu'à des biens spi-
rituels et éloignés qu on ncconnaiiqu'avec
beaucoup d'obscurilé, et qui ne peuvent
Cire ici-bas que les objets de notre espé-
rance.
Mais enfin, les maux de ce monde nous
occupent eficore [dus que ses biens. Les
chagrins nous viennent de toutes paris, les
adversités nous abattent, les maladies nous
accablent, mille accidents imprévus et iâ-
tliuux nous sur|)rennent et nous traver-
sent si bien, qu'au lieu do songer à nous
rendre heureux dans l'autre vie, il setrou-
ve que c'est une nssez grande occupation
que de songer à nous défendre d'être mal-
heureux en celle-ci. Hé quoi dom- ! la
séjour de la terre qui ne doit être qu'un
passage pour nous conduire à notre fin,
n'esl-il propre que pour nous en éloigner,
et le Seigneur au liiu de nous donner des
moyens p-our parvenir à la béatitude, a-t-i!
prétendu nous faire trouver partout des
obstacles? Ahl chrétiens, ne chargeons pas
la Providence de nos désordres et accusons
nous plutôt nous-mêmes du mauvais usage
que nous faisons de tous ces moyens, qui
devraient entretenir dans nos âmes la pen-
sée et le désirde la gloire. Car, pour ex.i-
niinerpiir ordre tous ces prétendus obsta-
cles, si la béatitude est si élevée au-dessus
de iiotre nature, n'est-ce pas ce qui nous
doit piquer d'une noble envie de parvenir
à cet état glorieux; n'est-ce pas ce qui nous
doit donner en cette vie une passion plus
loi'ti.' de le connaître ? Saint Grégoire de
Nysse explique cela par une belle suppo-
sition. Si un enfant renfermé dans le sein
de sainère était capable de raisonnement,
et qu'il entendît faire la peinlure de ce mon-
de, qu'on l'entretint de ces cieux et de
ces astres qui roulent sur nos têtes et qui,
ayant deux mouvements opposés, de l'un
l'ont la variélédes saisons, et de l'aulrelasuc-
cession lies jours ei des nuits; qu'on lui fit un
récit fidèle des éléments, des mélaux, des ar-
bres, (!es plnnleset de tant d'animaux divers,
ou qui marchent sur la terre, ou qui volent
en l'air, ou ijui nagent dans l'océan , mais
surtout (]u'élant d(;sliné pour régner, on lui
parlai de la magnilicence dos palais ijui lui
seraient destinés, de l'éclat de son trône,
des divertissements et des liomieurs qui
seraient un jour les suites et les apanages
de sa digniléet de son rang, quelle serait
sa disposition à de si surprenantes et de si
agréables nouvelli s ; quels etl'orls d'imagi-
nation pour tâolior do se former de jus;es
idées do tout ce qu'on lui en dirait ! quelle
curiosité pour tout ce qu'on ne lui en di-
rait pas! Quelle impatience de se voir en
liberté, et en élal de jouir de ces bi. ns et
de ces avantages dont il n'aurait qu'une
connaissance imparfaite et confuse ! Voilà,
dit saint Grégoire de Nysse, voilà l'élal du
chrélien, tandis (}u'il est renfermé dans lo
sein de l'Eglise, qui le doit enfanter à la
gloire; la môme dillerence qui se trouve
enire le sein de nos mères et ce giaml uni-
vers, se trouve, ii;es frères, entre cède terre
de ténèbres, d'e\il et de misères (pie nous
liabilons, et la Jérusalem céleste que nous
devons un jour habiter; l'on nous. parie do
sa beauté et de sa grandeur, des avantages
et des couronne» (jui nous y attendi ni ; ce
S(»n! des plaisirs el des biens, dont les !)iens
et les [)laisirsdece liiondunefournisseni que
des idées trè;-défectiieu>es et trèi-gio^^sières.
L'apôlre saint l'iinl donne la-dessus le dé.i
à nos imaginalions; en faut-il davaniage [)uur
occuj'cr nos déiirs, nos idrclions, a[rè?_
t«5
SERMONS. ~ SERM. VU, POUR LA FETE DE LA TOUSSAINT.
ii
toul l'application et l'étude de l'enfant dont
nous avons parlé ne contribueraient en
rien à la jouissance des biens qu'il serait en
droit d'espérer. Mais l'élude de notre fin
dernière est une condition essenliollc pour
y parvenir, et c'est ce qui nous devrait obli-
ger à ne la [)erdre jamais de vue, puisqu'on
ne peut [)osséder la béatitude sans la méri-
ter, ni la mériter sans la désirer, ni la désirer,
sans la rendre souvent présente à son ima-
gination et à sa pensée.
Mais vous me dites que les créatures
nous dissipent et nous occupent, et que
les biens et les joies do ce monde nous
font prendre le change. Autre dérégle-
raenl , dit saint Augustin , puisque le
Seigneur ne nous avait donné ces biens
visibles que pour nous porter à la connais-
sance des invisibles ; biens imparfaits, oij
Dieu, par un beau trait de sagesse, faisant
un juste mélange de perfections et de dé-
fauts , a voulu qu'il y eût assez de défauts
pour nous en dégoûter, quand nous sommes
en péril de nous y trop attacher, et y a mis
néanmoins assez de perfections pour en
faire comme des ébauches de la béatitude,
et pour nous donner dans le temps quelque
avant-goût des joies qui nous attendent
dans l'éternité. Car c'est ainsi , dit saint
Augustin, que l'esprit d'un chrétien peut
passer des uns aux autres, et qu'à la vue de
loutes ces grandeurs de la terre qui nous
surprennent , de ces richesses qui nous
éblouissent, de ces beautés qui nous cap-
tivent; de ce soleil, de cet Océan, de
ces éléments et de tous ces êtres qui ne
se meuvent dans la nature et ne travaillent
que pour nos intérêts, nous devons nous
dire intérieurement en nous-mêmes : Ah 1 si
le Seigneur a formé tout cela pour nos corps,
pour ces corps, dis-je, si vils et si méprisa-
bles à ses yeux, que n'aura-t-il point fait
pour nos âmes? S'il a été si libéral jiour des
pécheurs, ne le sera-t-il pas pour des jus-
tes? Sil nous traite ainsi dans une prison
el dans ce lieu d'exil et de passage, que se-
ra-ce, ou plutôt que ne sera-ce point dans
son palais et dans ce séjour éternel qui a
été formé proprement pour nous et pour
lequel nous avons été formés? Gardons-nous
donc bien de juger de sa magnificence \iav
les elfets qui nous en a|)i)araisseiU ici-bas;
car, dit le f)rophèle Isaïe, le Seigneur n'est
point magnifique partout ailleurs que dans
le ciel : « Jbi solum modo magni ficus est Domi-
nas noster. » [ha., XXXI1I,21.) Ces cieuxet
ces asires nesont à la Jérusaleui céleste que
comme des dehors négligés; ces créatures et
ces biens (jue nous voyons avec lant decom-
plaisance, que nous désirons avec tant d'ar-
deur, que nous poursuivons avec tant d'em-
pressement, ne sont destinés que [)Our la
consolation des misérables: mais ne croyez
pas qu'ils soient propres à faire le sort des
bienheureux.
J'en atteste votre expérience, mes frères,
quelque préoccupés que vous soyez à
l'égard des biens et des plaisirs de ce monde,
ne les trouvez-vous pas mêlés d'ainerluraes
OuATEtRS SACRÉS. LXVllI.
et de défauts? Quelque lieu que vous ayez
de vous louer de cette vie mortelle, n'avez-
vous pas mille sujets de vous en plaindre?
Quelle vie, si nous y faisons réfli'xion ? in-
certaine dans sa durée, inconstante dans
ses prospérités, laborieuse dans ses emplois,
incommode dans ses besoins, funeste dan»,
ses accidents, criminelle dans ses attache'.
Quelle vie 1 qui lient plus de la mort que
de la vie, où les divers changements des
âges, des tempéraments et des saisons nous
ôtent incessamment quelque chose et nous
font mourir pour ainsi dire en détaill Quelle
vie, encore un coup, sujette aux emjiorte-
ments de la jeunesse et aux incommodités
de la vieillesse , aux dérèglements de la
prospérité et aux chagrins de l'adversité,
aux fureurs de i'envie et aux insultes de
la médisance, à l'injustice des hommes et à
l'illusion des démons, à la diversité des
maladies et à la nécessité de la mort 1
Mais quelle conséquence devons-nous ti-
rer de tous ces maux? Ah ! mes frères, le
dessein du Dieu que nous adorons, est qu'ils
servent à nous dégoûter des créatures. Ce
sont des amertumes salutaires qu'une mi-
séricorde officieuse a ré()andues sur les
douceurs empoisonnées de ce monde; ce sont
autant d'avertissements qu'elle nous donne
de mépriser tout ce qui n'est pas Dieu et
de penser sans cesse à l'état bienheureux
qui nous doit délivrer de ce corps mortel
et de toutes les misères qui y sont insépa-
rablement attachées. L'abbé Rupert explique
ceci par la comparaison des Israélites gé-
missant en Egypte sous la tyrannie de
Pharaon. «(.Car, dit ce Père, toutes les peines
qu'ils y enduraient, tous les ennuis dont
iiss'yvirentaccablés, avaient été projetés et
ordonnés par le Seigneur, de peur qu'ils no
s'attachassent à cette terre barbare, el pour
leur donner lieu d'envoyer par avance leurs
soupirs et leurs aflections vers celte terre
promise dont il leuravait fait espérer la pos-
session. » De sorte, mes frères, que si nous
entrons dans celle pensée, il n'y aura filus
de maux ni de chagrins dans la vie qui ne
portent leur consolation avec eux; les lar-
mes que nous versons sur la terre nous
feront recourir à celui qui nous a promis
de les essuyer dans le cÀe\. Les doul/.'urs (t
les maladies nous feront souvenir de cet
élatoiila santé des hommes ne sera plus
capable d'aucune altération; la mort qui
nous elfraye aussitôt que nous y pensons,
el qui se présente à nos yeux sous tant de
formes si ditférentes el si hideuses, nous
portera à souhaiter une vie dont l'iiiimorla-
litéest un des principaux caraclères. Que
vous dirai-je davantage? nos dissensions
nous feront asp'rer à la paix dont jouissent
les bienheureux, nos troubles à leur repos,
nos craintes à leur sûreté, nos déplaisirs à
leur joie, nos besoins à leur abondance, nos
désordres à leur sainteté, et la diversité do
nos maux à la plénitude de leurs biens.
Mais l'amour -propre no s'accommode
guère de tout ceci. Rapporter toutes choses
à la béatitude, est une contrainte qui le gêue
18
55B
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
r,m
el il ne veut point «Mrs conlrninl; les l)iens
de lj gloire lui paraissent des hiens éloignés,
et il no veut point attendre ; les plaisirs de
l'autre vie sont spirituels et demandent un
homme spirituel, et il ne peut se résoudre à
abandonner le parti de son corps el de
ses sens. V^oiià, mes frères , les grands (ié-
sordres de l'honiuie, voilât sa grande corrup-
tion. Disonsdoncqu'encequi regardela béa-
titude,le cœur a bien plus detort que l'esprit,
el que c'est proprement?! l'égard du cœurque
nous devons dire : A^cscj/ /tomo fmem suiim,
que « l'homme ne connail point sa fin ; » car
l'esprit est assez persuadé que la der-
•nière (in des créatures raisonnables ne sau-
rait être quele Créateur. La religion l'ensei-
gne aux chrétiens, la raison môme en a
convaincu les philosophes, mais le cœur s'é-
igare volontairement dans la roule que la foi
lui a tracée. Ne pouvnnt atteindre si tôt la l'é-
■ licilé oi^elleesl, il s'etTorce de la trouver el
de rétablir où elle n'est pas; il s'en forme
:nne infinité de fausses copies et ne déses-
père fias quaprès s'être fait une béati-
tude en ce monde, il ne puisse parvenir
encore à l'autre; déserte qu'un mouvement
<ie eu[iidité el d'intérêt ne lui permettant
ipas do renoncer à celle qui est la plus pro-
che, il se flatte ainsi de les posséder suc-
cessivement toutes deux. Dans cette dispo-
sition criminelle, s'il se trouve quelque
créature àson gré, il s'y attache paramour;
s'il est question de la posséder ou de lui
plaire, il ne lient plus aucun compte do la
Divinité ni de ses lois, et cet objet dont il
l'ait sa priiici[)ale affaire, n'étant plus à son
égard dans le rang des créatures ni des
moyens, parce qu'il lui ôte toute sorte de su-
bordination à l'égard de Dieu, c'est une fin der-
nière qu'il a contrefaite, c'est une idole qu'il
s'est formée, c'est unedivinitédesafaçonà la-
quelle il rend uncullesacrilége [larson affec-
tion elparses soins. En effet, notre amourest
noire véritable religion, etce.qucnous aimons
préférablement à tout le reste doit passer, dit
Origène, pour la divinité que nous adorons.
Je ne m'arrête point à vous faire ici le dé-
tail de tous ces objets auxquels vous pou-
vez vous altacherpar une all'eclion déréglée ;
votre conscience vous les représente assez;
ce sont les richesses de la terre, ce sont les
plaisirs de la vie, ce sont les grandeurs de
Ja fortune, ce sont toutes les créatures en-
semble, parmi lesquelles votre cœur incons-
tant promène ses désirs vagabonds, sans rien
trouver qui le satisfasse. Et souvent, sans
idier plus loin, on peul dire que c'est vous
qui êtes les idoles el les adorateurs tout à
ia fois, vous faisant de vous-mêmes une lin
dernière et une divinité à laquelle vous rap-
portez lout le reste sans aucun rapport aux
ordres de Dieu.
Ne sonl-ce pas, mes chers auditeurs, les
dispositions où vous êtes, et y en a-t-il
beaucoup parmi vous qui ne trouvent point
à se reconnaître dans ce portrait? Mais
qu'arrivo-t-il de lout cela ? C'est qu'étant
ainsi entélés des biens de ce monde, dès lors
nous n'avons plus que du dégoût pour les
biens do l'étornité; c'est que les discours
nous('iinuienl,c'estqueIapensée même nous
en fatigue, c'est qu'attachés à celte vie mor-
telle par les liens d'une convoitise ou d'une
cupidité insatiable, nous ne craignons rien
au monde tant que d'en sortir ; c'est que cet
amour que nous avons iléplacé ne peut plus
nous ramener à son objet légitime ; c'est que
ce cœur enchanté des créatures renoncerait
i! Dieu pourjaniais, pourvu qu'on lui assu-
rât une possession éternelle et tranquille de
tous les plaisirs el de toutes les commodités
dont onpcut jouir ici-bas; c'est que l'esprit,
s'égarant aussi de son côté, commence à
douter de tout et ne convient plus de rien,
s'élant soustrait par orgueil à la conduite
de la foi. Il s'évanouit désormais et se perd
dans la confusion de r.es raisonnements el
de SCS pensées. Ah 1 Seigneur, ne perraellez
pas que nous tombions jamais dans un si
pitoyable état, ou si par malheur nous
élions soilisde l'ordre de votre Providence,
faites-nous y rentrer par la force de votre
grâce toute-puissante : Notum fac mihi, Do-
mine, finem me am : « Oui, Seigneur, failcs-moi
connaître ma fin [Psal. XXX VIH, 5) ; » fui-
tes-moi comprendre que ces objets périssa-
bles sont faits pour moi, mais que je ne suis
pas fait pour eux, et qu'ayant été formé de
voire main, ce n'est pas à mon ânieà se faire
une fin selon mon humeur et mon caprice,
mais que c'est h moi à tendre incessamment
à celle à laquelle vous m'avez destiné. Fai-
tes-le connaître à mon esjirit , mais faites-
le sentir à mon cœur; el après les avoir
tournés tous deux du côté de la béatitude,
donnez-moi encore assez de courage et de
fermeté pour embrasser el pour pratiquer
constamment tous les moyens qui y con-
duisent; car, ne vous y trompez pas, mes
frères, cette félicité n'est que pour les saints :
'< Glorm hœc est omnibus sanctis ejus. »
Cependant les chrétiensy prélen dent et no
laissent pas, en y prétendant, de })renlre
des chemins tout contraires à celui qui y
mène; c'est un second aveuglement, c'est
un second désordre que je dois combattre
dans la seconde partie démon «liscours.
SECONDE PARTIE.
N'est-ce pas, en effet, un dérèglement
bien étrange, que les créatures les plus in-
sensibles tendant h leur tin sans la connaî-
tre, l'homme qui connaît la sienne ne fasse
le plus souvent que s'en éloigner. Ce iral-
heur de l'homme est pourtant une suite do
sa dignité et de ses grandeurs; caries au-
tres créatures étant dépourvues de connais-
sances ou du moins de liberté, elles n'ont
pas à délibérer sur la lin ni sur les moyens,
el c'esl proprement l'alfaire d'une sagesse
éternelle et infaillible de régler hnirs mou-
vements el de les conduire au terme pour
lequel elle les a destinées. Mais l'homme
étant le maître de ses actions et de son
choix, il a le pouvoir de s'égarer, parce qu'il
a la faculté de se conduire, et ce qui le f'aJl
manquer aux desseins de Dieu, c'esl qu'il a
en sa disposition de les suivre ou de ne les
suivre pas. Il ne lient donc pas au Seigneur
587
SERMONS. — SF.RjI. VU, POUR LA FFTE DE LA TOUSSAINT.
5:i8
que les hommes n'arrivent à leur fin. Jésus-
Clirist est même descendu du ciel pour
nous en apprendre le chemin et pour lever
etôler les obstacles que le péché y avait op-
posés. Notre nature était corrompue et il
îious a mérité la grâce; notre esprit ne se
conduisait que par l'erreur, et il nous h ap-
porté sa loi; nos actions n'étaient plus que
des scandales, et il nous a donné des exem-
ples. C'est cette grâce qu'il est venu répan-
dre dans nos cœurs ; c'est cette loi qu'il a
tracée dans son Evangile; ce sont ces exem-
ples qu'il a rendus visibles dans sa personne
et en celle de tous ses saints. Néanmoins,
mrs frères, comme le cœur de l'homme
cherche toujours à qui se prendre de ses
désordres, nous nous plaignons de tous ces
moyens. Cette grûce nous paraît trop in-
certaine ; t;f tle loi nous semble tro|) dure ;
ces exemples nous semblent trop éloi-
gnés ou trop faibles. ïaisez-vous, lâcheté
humaine; la solennité d'aujourd'hui vous
ferme la l)Ouche , et comme c'est la tin qui
donne la perfection aux moyens, on peut
dire que la béatitude des saints achève de
résoudre toutes ces difficultés. Et, en effet,
quand je pense comme il faut à la béatitude,
je trouve qu'elle me répond du secours de
cette grâce, qu'elle m'adoucit la didiculté
de cetieloi, et qu'elle fortifie merveilleuse-
ment l'autorité de ces exemples.
Oui, la béatitude me répond du secours
de la grâce, car quand je fais réflexion à la
fin pour laquelle je suis destiné, c'en est
assez pour me convaincre que Dieu ne man-
quera pas de me fournir les secours qui sont
nécessaires pour y parvenir. Je sais bien
que l'homme a mérité, par sa chute, que
Dieu l'abandonnât à sa misère et h son im-
j)uissance; mais cet homme n'a-t-il pas été
lâcheté par les mérites de Jésus-Christ?
Mais depuis cette corruption générale, Dieu
îi-t-il cessé de créer des âmes raisonnables?
El comme sa sagesse ne lui permet pas de
rien produire sans le destiner à quelque fin ,
dirons-nous avec Calvin, qu'il ail produit
la plus grande partie de ces âmes pour l'en-
fer, ou ne dirons-nous pas plutôt avec l'E-
glise qu'il les a toutes créées |)Our la gloire ?
N'ordonne-t-il pas à tous les hommes d'es-
pérer la béatitude, et comme l'espérance
suppose un bien possible qui lui sert d'ob-
j»;t, n'esl-il pas aisé de conclure que Dieu,
nous commandant d'espérer, s'engage par
ce [)récepte à nous donner une grâce sans
laquelle l'acquisition de la gloire serait ab-
solument impossible à toutes les .forces de
1.1 nature. N'allons donc (loint nous embar-
lasser mal à propos dans les secrets impé-
nétrables du mystère de la prédestination.
Je sais que ceux qui seront sauvés ne le
peuvent être que par un pur ellet de la mi-
ïéricorde de Dieu ; mais je sais aussi que
Ceux qui seront réprouvés ne le peuvent
être que par un arrêt éijuitdble de sa jus-
tice ; et de là je conclus que comme il laisse
à ceux qui se sauvent assez de liberté pour
.'•e perdre, il ne faut pas douter qu'il ne
donne à ceux qui se damnent assez de grâce
pour se sauver. D'accorder maintenant celle
prédestination et cette grâce de Dieu avec
ce mérite et cette liberté de l'homme, c'est co
qiieje ne puis otquc je nedois pas entrepren-
dre, car je veux profiler de ce bel avis que
donne le Si^^a dans l'Ecclésinsliyne.c. III, v.
21 : Alliora te ne qitœsicris et fortiora te ne
scrulntns fucris : v Garde-toi bien d'examiner
des choses qui sont au-dessns de toi. nSedqiiœ
tibi prœcipit Deus illa cogita semper. « Mais,
au lieu d'occuper son esprit à des mystères
qui te [lassent, songe aux préceptes que
Dieu t'a commandé d'oservcr. » lin ctret,nou;!
avons affaire à un Dieuriui ne veut pas que
la créature connaisse pour connaître, mais
qui veut qu'elle ne connaisse que pour agir;
ainsi, ne pensant qu'.^ réduire en pratique
ce que je vois, je laisse à la sagesse et à la
miséricorde de Dieu ce que je ne comprends
pas. Si je tombe dans quiilque péché, au
lieu de m'en prendre au défaut de la grâce,
je n'en accuse (]ue ma liberté; si je fais
quelqu'œuvre de vertu, bien loin d'en don-
ner la gloire h ma liberté, j'en rapporte
tout l'honneur et tout le mérite à la grâce ;
et m'établissanl, pour l'avenir aussi bien
que pour le présent, dans une disposition
mêlée de confiance et de crainte; je me
mets en état de travailler à mon salut en la
présence de mon Dieu avecautant de crainla
et d'humilité que s'il ne dé[)endait que de
lui, et avec autant de confiance et de tidé-
lilé que s'il ne dépendait que de moi.
Il est vrai, mes frères, que la loi de
l'Evangile nous impose de grandes et do
pénibles obligations ; mais y a-t-il rien qui
soit plus capable de nous adoucir la rigueur
et la difficulté do celte loi que l'espérance
de la béatitude, surtout quand nous venons
à faire réflexion que tout ce qu'on nous
demande est si peu de chose à l'égard de ce
qu'on nous promet ? Magna jubet, sed ma-
jora promittit. Voilà proprement ce qui a
fait tant de saints; voilà ce qui a confiné
tant d'anachorètes dans les déserts; voilà
ce qui a fait descendre du tiône tant de
])rinces et de monarques; voilà ce qui a fait
monter tanl de martyrs sur l'échafaud; voilà
ce qui a rendu les pierres douces à un saint
Etienne, le feu agréable à un saint Laurent,
la croix aimable à un saint André : Aspicic-
bant enim in remuneralionem {Hebr., XI, 26} :
car ils avaient en vue celle récompense qui
élail destinée à leurs soutfr;inces cl à leur
lidél'té. Ça donc, mes chers auditeurs, un
peu de religion et de courage I L'on nousofl're
la môme gloire qu'à eux, mais l'on ne jtré-
lend pas qu'il nous en coûte tanl. Il ne s'a-
git pour cela que de régler nos passions sur
les maximes de l'Evangile. Hé 1 quel motif
plus pressant pour nous y obliger que ce-
lui de la gloire dos saints? 11 est des esprits
forts qui se font un mérite cl un honneur
d'être [)eu sensibles à la crainte; mais où
sont les cœurs bien fa^ts qui ne se laissenl
loucher à l'espérance de la gloire? El si la
seule idée d'une gloire mondaine et profane
a fait entrepiendre cl exécuter dus choses
si sur()rcnanles aux hommes et aux con-
559
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL
560
quérants de l'antiquiie, la promesse d'une
gloire solide el élernelio n'est-elie pas ca-
pable d'animer les chrélicns les plus laii-
guissanls el les plus lâches ?N'avez-vous ja-
mais fait réflexion à ces animaux mysté-
rieux qui tirent le cliariot dont il est ()arl6
dans Ezéchiel ? Rien de plus réglé que leurs
mouvements, rien de plus impétueux que
leur course. Ce n'est pas seulement un aigle
qui vole, c'est un lion, c'est un homme,
c'est un bœuf, le plus pesant de tous les
animaux, lis avancent tous de compagnie
el ne s'arrêtent jamais. Mais il y a une cir-
constance bien remarquable et qui fait
extrêmement à mon sujet : Similitudo fir-
mamenli super capila eorum (Ezcch., I, 22) ;
c'est que l'imas^e du tlrmament est peinte
au-dessus de leurs tôles, car c'est, en eflet,
la félicité du firmament, c'est la félicité du
ciel qui doit régler les mouvements de nos
passions, les faire toutes servir à la gloire
de Jésus-Christ et les attacher à son char
pour la patrie céleste, soit que ce soient des
passions élevées el représentées par l'aigle,
comme l'esjtérance et le désir; soil que ce
soient des passions douces et représentées
j)ar riiomrae, comme l'amour el la joie ;
soit que ce soient des passions cruelles
et représentées par le lion, la vengeance
et la haine ; soit que ce soient des passions
pesantes et représentées par le bœuf, la
paresse et la tristesse.
En un mol, si nous avons besoin de modè-
les pour travaillera l'ouvrage de notre salut,
la religion nous donne encore après l'exem|)le
de Jésus-Christ celui d'une infinité de saints
de toutes conditions, de tout sexe, de tout
étal qui en suivant ses maximes ont mérité
de régner glorieusement avec lui. Faisons-
nous justice, mes frères; le plus souvent
nous regardons les saints comme des hom-
mes extraordinaires qui ne peuvent nous
servir de règle ; soit ,qu'on les considère
dans les humiliations qu'ils ont éprouvées,
ou dans la félicité où ils sont, l'on se ré-
volte également contre ces augustes mo-
dèles. L'éclat de leur gloire nous éblouit ;
il les élève au-dessus de notre portée; quand
on nous les montre en cet état nous disons
volontiers à leur égard ce que les Israélites
disaient deshabitantsde la Palestine -.iSequa-
qumn adhuticpoimlum vulemus ascendere,quia
forlior nobis esl : uNous ne pouvonspus arri-
ver jusqu'à la terre où ce peuple s'esl établi,
parce quil a bien plus de force que nous. »
(Num., XUI, 32.) {^uQ si au contraire nous
considérons la manière dont les saints ont
-vécu tant qu'ils ont été ici-bas, alors leurs
austérités el leurs humiliations nous dé-
j)lai!3ent; ce n'est plus l'éclat de la grandeur
qui nous éblouit, mais trop de bassesse qui
nous rebute; notre orgueil nous inspire du
dégoût pour ce qu'ils ont été, el bien loin
de croire ces grands hommes au-dessus de
nous, nous ne pouvons nous résoudre à
nous abaisser jusqu'à eux. Mais que fait
aujourd'hui l'iiglise pour nous ôter cette
faible excuse? Elle mel comme dans un
uiôme point de vue leurs mérites et leur
gloire, leurs travaux et leurs récompenses ;
ce qu'ils ont fait sur la terre et ce qu'ils
possèdent dans le ciel. Voyez-vous cette
multitude innombrablede bienheureux, ce
sont des hommes qui ont été ce que nous
sommes ; que le monde a méconnus, qui
ont passé leur vie dans l'humiliation, mais
aussi dans l'exercice des vertus <;hrétien-
nes; ils se sont sanctifiés au milieu des
obstacles que nous éprouvons nous-mêmes
h chaque pas. Il les ont vaincus, el ils
triomphent aujourd'hui dans le ciel. C'est
ainsi qu'en réunissant ce que les saints ont
de plus glorieux et ce qu'ils ont de plus
méprisable aux yeux des hommes, et trou-
vant tout d'un coup dans leurs difl'érents
états de quoi animer notre lûchelé et de
quoi confondre notre orgueil, il ne nous
reste [dus qu'à imiter leur conduite, fondés
sur celte espérance, que nous ne pouvons
manquer à être ce qu'ils sont , pourvu que
nous fassions ce qu ils ont fait tandis qu'ils
étaient ce que nous sommes. Cependant,
chrétiens, admirez notre bizarrerie et notre
injustice : nous voulons posséder la gloire
des saints el nous ne voulons point imiter
leurs exemples ni leurs vertus; el si vous
y prenez garde, il en est peu parmi nous
qui ne fasse des souhaits conformes à celui
de ce malheureux prophète dont il esl parlé
dans le livre ûesNombres, c. XXIIl, v. 10 :
Morintur anima mea morte justorum, et
fiant novigsima mea horum similia : « Que
mon âme, dit-il, meure de la mort des justes,
et que ma fin soit semblable à ta leur. » Tel
esl, dit le dévot saint Bernard, tel est le
dérèglement des chrétiens ; ils veulent mou-
rir comme les justes, mais ils ne veulent
pas vivre comme eux; ils veulent ressem-
bler aux saints dans l'autre vie, mais ils no
parlent pas de leur ressembler en celle-ui.
Dans toutes les affaires du monde, quand
on veut la fin on commence par en prendre
les moyens ; l'on met tout en usage el l'on
profite incessamment de toutes les occasions
qui peuvent avoir quelque rapport avec
cette fin qu'(m se propose jusqu'à ce qu'on
ail réussi à se la [)rocurer; la seule aifairo
du salut, la plus importante de toutes, se
traite tout autrement; el vous diriez que
l'homme renonce en celle reiicontre, non-
seulement aux lumières de la loi, mais en-
core à celles de la raison ; car il passe toute
sa vie comme s'il avait dessein d'êiro
damné, el néanmoins il prétend (|ue sou sa-
lut se trouve fait tout d'un coupa l'arlich)
de la mort et sans qu'il ait jamais pensé à
le f.iire. Ah 1 chrétiens, reconnaissons au-
jourd'hui notre aveuglement. Nous nous
piquons d'avoir de la conduite pour les
choses de ce monde, sera-l-il dit que nous
en manqutM'ons dans la seule où il esl si
nécessaire de ne pas en manquer ? Ah 1 sou-
venons-nous que la vraie prudence, suivant
la doctrine des philosophes profanes, con-
siste à connaître la fin et à prendre les
moyens qui y conduisent. Levons donc les
yeux vers la béatitude éternelle, faisons-
vo noire princij»ale occupation ; rappoi'-
5G1
SEUMONS. — SEPvM. VIII, POUR LA DEDICACE D'UNE EGLISE.
563
lons-y loules nos affections, et ayons en
liorreur tout ce qui peut en éloigner nos
ilésirs, ne regardons plus les biens de ce
monde que comme des moyens qui peu-
vent nous servir à y arriver plus incré-
ment. Demandons sans cesse le secours
do cette grûco qui nous y doit conduire;
cbservons avec oxaclilule toutes les lois
et toults les maximes de l'Evangile; en un
mol, imitons avec fidélité l'exemple des
saints et nous nous mettrons en état de
participer élernellement h leur gloire.
SERMON VIII.
POUR LA DÉDICACE d'uXE ÉGLISE.
El andivi voccm de Uiroiio dieentem: Kcce labeniacu-
lura Dei cuni honiinibus, el habitabilcum e.\t.{Apoc., XXI,
5)
fc"J j'ai enUndu une voix qui parlait itu Irôiie, et qui di-
sait : Voici le tubernadc de Dieu avec les hommes, et il
habitera parmi eux.
Monseigneur,
Il n'est pas besoin d'avoir recours aux
figures pour interpréter celle révélation de
l'AiiOcalypse, el la cérémonie d'aujouni'hui
y donne un sens bien naturel el bien lillé-
ral. Car ce lemfde nouvellement construit
doit élre regardé comme un tabernacle où
Dieu va se jnetlre pour ainsi dire à la por-
tée des bommes; et la voix du trône, Mon-
seigneur, celle voix céleste et etiicace, qui
annonce la sainielé du tabernacle, elquien
achève la consécration, n'est auireque vo-
tre parole, q'ii par la force des prières de
l'Eglise vient de changer la nature de ces
pierres el de ces matériaux profanes, nous
obligeiint de la itart > e Dieu à regarder cet
éditice comme une nouvelle région de grâce
où le ciel et la terre se rassemblent, el où
Dieu elles lionmies doivent entretenir dé-
sormais un saint et admirable commerce :
f:t audivi voceni de tlirono dieentem : Ecce
tabernaculum Dei cuin hominibus, et habita-
bit cum eis. Disons davantage : s'il est un
trône dans le ciel, qui est le Irône de Dieu,
il est des trônes sur la terre, qui sont les
trônes des rois : mais Votre Grandeur s'est
fail entendre ici comme la voix de ce dou-
ble Irône: Et audivi vocem de throno. Au-
jourd'lmi, Monseigneur, vous y venez delà
part de Dieu pour y répandre ses grûces, et
déjà vous y aviez annoncé les libéralités de
notre incomparable monarque, précieux
gages el obligeants ellels de sa jtiété solli-
cilée par la vôtre. Et voilà. Monseigneur,
en deux mots, vosoccujialions continuelles;
médiateur entre Dieu et les créatures, mé-
diateur entre le monarque et les sujets,
tantôt vous représentez à la Divinité les
besoins des hommes, tan loi vous répandez
sur les hommes lesbénédiclions elles grâces
que le Seigneur altacho à vos fondions el
à votre ministère; lanlôt, vous faites servir
au[»rès du prince la contiunce dont il vous
honore à la [)rotecliou des (larliculiers el à
i'uiiiilé des peuples; tantôt vous réveillez
le zèle el l'amour des [»euples rassemblant
leurs vœux, et leur ordonnant des prières
solennelles pour la conservation du [irince;
quelquefois vous expliquez la loi du Sei-
gneur en public, et nous faites enlenare ses
divines volontés conune l'oracle du sanc-
tuaire, el comme une voix qui ravit les es-
prits el qui < ouverlil les cœurs : Vox de
throno ; sn\i\enl nous vous voyons revêtu
de l'aulorité du prince, décider ce grand
nombre d'affaires qu'il commet à vos lu-
mières et à vos soins, vous rendant lui-
niônie l'un dés oracles de sa justice et
comme la voix de son trône : Vox de throno;
toujours à Dieu, toujours au prince, tou-
jours à l'Eglise, toujours aux chrétiens,
toujours aux peuf)les, et |)armi tant d'oocu"
palionsel d'embarras, toujours parfaitement
à vous-mômei Seigneur, [)uisniio le taber-
nacle est [)réparé, et que la voix du trône
s'est fail enlendro, il est tem[)s que votre
gloire et votre majesté viennent remplir ce
temple que l'on a bâti en votre honneur, et
que l'on a consacré à voire nom. Descendez-y
donc avec la plénitude de vos grâces, et
nous apprenez la n)aniàre dont nous devons
nous y comj)orler pour n'en pas profaner la
sainielé, el pour y profiler de voire auguste
présence. Unissotis-nous, mes frères, pour
y exercer ensemble le premier acte de reli-
gion, el pour y recevoir les premières grâ-
ces du ciel, que nous allons demander [lar
l'inleroession de Marie. Ave, Maria.
Monseigneur,
Deux sentiments bien différents m'occu-
pent loul à la fois; la joie et la douleur me
partagent. A la vue de cet édifice nouveau,
de ces magnifiques ornements, de celle foule
de chrétiens, de celle piélé dont on voit des
marques partout, en un mol, de celle au-
gustecérémonieoù l'Eglise, épousede Jésus-
Christ, paraît dans son plus grand appareil,
je me trouve saisi d'une joie semblable à
celle que témoignèrent les prêtres de la
Synagogue et tout le peuple d'Israël, lors-
que le temple étant bâti, les autels élevés,
et le tabernacle achevé, l'on transporta l'ar-
che du Seigneur dans le lieu qui lui était
pré[)aré, et qu'on célébra la solennité de la
consécration du temple par des sacrifices,
par des chants de louanges, el par des accla-
mations publiques. Mais en même temps un
mouvement de tristesse vient troubler ma
joie ; il me souvient de l'élat où était la Fils
de Dieu, lorsqu'altachanl ses regards et ses
pensées sur la ville de Jérusalem, il s'allen-
dril et versa des larmes : Videns civilatem,
fîevil super illam (Luc, XIX, 41) ; il |)ré~
voyait la destruction de la sainte cité, et
surtout, dit saint Jérôme, la profanation du
leuifile, el les sacrilèges que les Romains
devaient commettre un jour jusqu'au pied
des autels. Chrétiens, la manière dont vous
vous comportez dans les autres églises nie
fail prévoir malgré moi le sort funeste de
celle-ci. Au moment que ce prélat la con-
sacre, je songe que vous la profanerez; le
Seigneur y sera honoré, mais il y sera mé-
prisé ; l'on y administrera des sacrements,
mais l'on y commellra des sacrilèges. Je.
m'uUache, mes frères, a cejte deuxième idée;
je veux, s'il m'tst possible, prévenir, voa
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
504
irrévérences, assurer l'honneur de ces .mu-
le!s, el vous représentant d'un côté la sain-
teté (Jes églises, el de l'autre les pi()fana-
tions dont la plupart des cliréliens s'y ren-
dent coujiables, mettre toiume dans un
[loint de vue votre reiijjMon et votre irré-
ligion , vos devoirs et vos déréglemenls ;en
un mot, tout ce que vous laites dans nos
temples opi)Osé à tout ce que vous y devez
faire. Pourquoi vo us re I en ir|)l us longtemps?
la religion demande riiOHiuJO tout entier.
11 f;iut, dit l'apôtre saint Paul, que le cœur
croie, mais il faut que la bouche confesse.
[Rom , X, 10); il faut delà j)iélé pourl'àmo,
mais il en faut aussi pour le corps. Néan-
moins vous détruisez cet le double piété dans
nos églises, la piété i/jtérieure par ladissi-
jtalion de vos esprits, la piélé extérieure
par vos irrévérences, et par vos scandales.
Comprenez donc ma pensée, mes frères : la
religion chrétienne doit être intérieure, et
vous la rendez dans nos temples toute ex-
térieure et toute hypocrite; elle doit être
extérieure, publique et éditiante, et vous la
rendez scandaleuse : deux sortes do profa-
nation auxquellesse rapportent toutes lesau-
ires, et que j'ai dessein de dévelop[)er el de
comballredanslesdeux parties de ce discours.
PREMIÈRE PARTIE.
Saint Thomas donne trois fonctions à la
religion, adorer, prier, sacrifier; trois fonc-
tions qui s'exercent principalement dans nos
tem[)les, mais trois fonctions qui s'exercent
|)rin(:ipalement par l'esprit. Néanmoins les
clirétiens n'y emploient le plus souvent que
le corps, et c'est en cela que consiste leur
premier désordre, puisqu'ils réduisent la
religion à être purement extérieure, et en
ce qui regarde l'adoralion, et en ce qui re-
garde la prière, et en ce qui regarde lu sa-
critice. Je commence par l'adoration.
L'on peut adorer Dieu partout, mais il
vaut pourtant mieux obéir autant qu'il se
peut à cet oracle de l'Ecriture : Adorate
Dominum in atrio sancto ejus: « Adorez le
Sciyneur et l'adorez dans son temple [Psal.
XGV, 9),» car ce temple est saint, et une ac-
tion aussi sainte est comme hors de sa (ilace
dans un lieu profane. Mais en quoi consiste
cette adoration?
Adorer Dieu, c'estreconnaîlre sa grandeur
el sa souveraineté intinie, lui rendre hom-
mage et de tout ce qui est à nous, et de
tout ce que nous sommes nous-mêmes;
l'invoquer comme notre premier principe,
l'honorer comme notre dernière lin, rap-
porter intérieurement tout ce qu'on doit
croire à sa parole, tout ce qu'on doit faire
à sa loi, tout ce qu'on doit devenir à sa
conduite ; attribuer ce que nous sommes à
sa puissance, ce que nous avons à si bonté,
ce que nous soullrons à sa justice ; nos grâ-
ces à sa miséricorde, nos lumières à sa
sagesse. En un mot, lui référer tout, le pré-
lérer à tout, le louer do tout, et dans un
aveu sincère do son excellence et de notre
i)assesse, lui protester <^ la face des autels
(ju'il est tout et que nous ne sommes rien,
ce qu'il a mis en nous par la créalion pou-
vant bien passer pour un être à l'égard du
néant, mais ne pouvant passer que pour un
néant à l'égard de son divin être.
Or il est évident que cette adoralioii ainsi
conçue est I allaire de l'esprit et non pas du
corps, et que l'homm.e intérieur et caché
qui consiste en raison el en volonté est
proprement celui qui adore. Les idolâtres
ne rendaient à leurs dieux qu'un culte cor-
porel et extéi'ieur, et le dénion, caché sous
la figure et dans les slalues de ces divinités
supposées, ne leur en demandait pas da-
vantage, bien sûr que l'âme de ses adora-
teurs était à lui, pourvu qu'elle fût aux ob-
jets périssables de ce monde. Pour ce qui
est des Juifs, ils connaissaient le vrai Dieu,
mais toutes leurs cérémoiiies n'étaient que
des figures et des ombres. Attachés à la chair
et au sang, on ne peut pas dire qu'ils fus-
sent véritablement au Seigneur, mais ils
exprimaient par les actes de leur religion
la manière dont les chréiiens y devaient
être, et voilà poui'quoi le Fils de Dieu dit
à la Samaiitaine : Venil tempus cumveri ado-
ratores adorabunt in spirilu el vcritate:
« Femme, voici le temps que tes vrais adora-
teurs adoreront en esprit et en vérité. » (Joan.,
IV, 23.) Ils adoreront en esprit, pour se dis-
tinguer des païens qui n'adorent que du
corps, et ils adoreront en vérité , pour
se distinguer des Juifs qui n'adorent
qu'en figures. Lt il ajoute ' ensuite fiour
prouver l'excellence et la nécessité de ce
nouveau culte : Spiritus est Oeiis et eos qui
adorant eum in spiritu et veritate oporïet
adorare. {Ibid., 24.) Car c'est comme s'il
disait h tous les hommes: si Dieu était un
corps, les humiliations du corps pourraient
ou le tromper ou le satisfaire; mais Dieu
est un esprit et il faut par conséquent que
ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en
vérité. Ainsi, mes frères, réduire la religion
comme vous faites le plus souvent dans nos
temples à quelques postures d'humiliation,
à quelques génuflexions, à quelque piété
apparente, à quelques cérémonies exté-
rieures, c'est sans doute ne rien entendre
au christianisme, c'est détruire l'essentiel
de votre culte, c'est ruiner l'excellence de la
loi évangélique, c'est être païens ou Juifs
dans le sein même de l'Eglise, ce n'est pas
adorer le Seigneur en Dieu, c'est l'adorer
en idole.
Passons à la prière, car c'est la deuxième
fonction que la religion doit exercer dans
nos églises. Nous ne sommes tous ensem-
ble, disait Tt;rtullien aux idolâtres, nous
ne sommes qu'un corps dont la religion est
l'âme. Nous nous assemblons dans nos tem-
ples comme pour attaquer le ciel par la
force et l'emporter par la multitude. Là
nous formons des vœux pour les empereurs
et pour tous les besoins de l'Etat. Là par
des prières ferventes et par des chants mé-
lodieux et touchants, nous nourrissons no~
ire foi, nous élevons noire espérance, nous
ranimons notro ciiarilé ; oll'rant au Sei-
gneur, non pas quel(]ues gi'ains d'encen.j,
mi
SERMONS. — SERAI. Mil, POUR LA DEDICACE DUNE EGLISE.
5G5
c est à-(lire les larmes d'un nrbre d'Arabie,
mais nos larmes el nos gémissements; non
pas le sang d'une viclime massacrée, mais
un cœur volontairement contrit; non pas
(les paroles superstitieuses et inutiles, mais
une oraison sainte et dévote qui part d'une
cliair pure, d'une àme iimooenle, et à la
lorination de laquelle l'Esprit de Dieu tra-
vaille fui-méme intérieurement avec nous :
Sed orntionem de carne pudica, de anima in-
nocenti, de Spiritii saiiclo profettam.
Telle était la conduite et la façon de
prier des premiers chrétiens ; aujourd'liui,
reconnaissons-le à notre confusion , la plu-
|-/art de nos oraisons ne consistent que dans
le mouvement dos lèvres. L'on lient un livre
dans une église et l'on ne s'occupe qu'à y
réciter beaucoup de prières vocales, mal-
gré l'instruction du Fils de Dieu qui nous
avait défendu si expressément de faire
comme ces païens qui s'imaginaient qu'à
force de crier ils se faisaient entendre et
exaucer de leurs dieux. Ainsi l'on s'amuse
à parler, mais l'on ne songe point à prier,
mais l'on ne reiitre point en soi , mais tel
chrétien qui prie ne pense ni à Dieu, ni à
lui, et souvent la distraction emportant l'es-
prit ailleurs donne lieu à un juste repro-
che de saint Cyprien. Hé! mon frère, com-
ment prétendre que le Seigneur l'entende
lors(iue lu ne t'entends pas toi-même! L'on
frappe sa poitrine avec le prêtre en certains
endroits du sacrifice; mais à quoi peut-il
servir, dit saint Augustin, que la poitrine
soit fiappée quand le cœur n'est pas touché?
l'on prononce tout bas les louanges de la
Divinité pendant que les ministres de l'au-
lel les chantent tout haut, mais ces louan-
ges se trouvent démenties par une âiae im-
pure dont les sentiments forment un langa-
ge tout ojiposé, déshonorant le Seigneur par
autant de blasphèmes secrets qu'elle entre-
lient d'habitudes et do passions criminelles.
Que vous dirai -je davantage? Beaucoup
pressent le Seigneur par leurs prières de
faire ce qui leur phùt, mais presque point
qui se mettent en peine de vouloir ce qu'il
veut, ni de faire ce qu'il ordonne, d'où il
arrive, suivant l'expression d'un prophète,
(}ue les chrétiens ne donnant à Dieu que
des paroles et ne paraissant à ses yeux qu'a-
vec un intérieur i'em|)li de désordres : Us
fie font que semer du vent pair ne moisson-
ner que des tturOillons : « Ventum semina-
bunl et lurOinem meienl. » [Ose., Vlli , 7.j
C'est-à-direquepar ces oraisons prétendues
dont ils battent l'air inutilement, ils ne
lont (lu'irriter la majesté do Dieu et s'atti-
rer les tlé.iux de sa justice par les moyens
mômes qui auraient dii leur concilier les fa-
v(;urs de sa miséricorde. Ah! disait autre-
fois le saint roi David, qui par !e privilège
d'une grâce anticipée s'était fait une habi-
tude de prier u'une manière si chrélionne
parmi les Juifs el avanl le cluistianismo
même: Ah Seigneur, c'est mon cœur qui
vous il parlé, c'e-t lui<pji vous garantit lèse x-
jiressions de ma langue : Tibidtxit cor meuni.
[l'sut. X\VJ,8j Au moment ({uo j'catre
dans vos sacrés tabernacles, il n'est rien en
moi qui ne ressente les impressions de
votre auguste présence. Mes yeux se bais-
sent, mes genoux se lléchissent, mes mains
se joignent, ma bouche s'ouvre, mais c'est
mon cœur qui prend la parole, ou si ma
bouche dit quelque chose, elle ne dit que
ce que mon cœur lui fait dire: Tibi dixit
cor meum.
Enfin la troisième chose pour laquelle on
va dans les temples, c'est pour y offrir des
sacrifices : /n^rojôo in domum luam in ho-
locaustis [Psal. LXV, 13): car c'est un sen-
timent gravé dans le fond de la nature et
que le péché n'a |iu effacer, qu'il faut une
religion et <|ue toute religion demande des
autels el des sacrifices, comme si l'homme
convaincu secrètement de sa faiblesse cher-
chait à appuyer du témoignage de tous les
êtres les hommages qu'il rend à la divinité
qu'il adore, faisant parler pour cela le sang
des victimes et la voix des créatures mou-
rantes.
Mais autant que la religion chrétienne
diû'èredes autres religions, autant son sa-
crifice est-il différent des antres sacrifices.
Vous le savez , mes frères, ce qui s'offre
tous les jours sur nos autels. Grûce à Jé-
sus-Christ, nous ne sommes plus dans ces
siècles d'idolàlrie et d'aveuglement ou les
hommes abusés olfraioiil non-seulement des
animaux, mais mémo des hommes à des
divinités ennemies. Nous ne sommes plus
dans ces premiers teaqis où les anciens pa-
triarches allaient choisir dans, leurs trou-
peaux de quoi faire leurs offrandes. Il n'est
plus même question d'a[»porter des pièces
de monnaie pour acheter des hoslies. Jé-
sus-Christ a chassé les vendeurs et les ache-
teurs du temple. L'Agneau sans lâche que
personne n'a besoin d'ai heler, parce qu'il
apparlientà lous, est la victime qui se donne
sans violence et qui est immolée sans car-
nage, prérogative admirable de la religion
chrétienne, car dans les autres religions,
c'est aux sacrificateurs <i fournir la victime.
Ici au contraire c'est Dieu qui la fournit
ou plutôt c'est lui-môme qui la devient.
Mais pourquoi cela, mes chers auditeurs?
Il ne s'ensuit pas que aous puissions par-
ticiper au sacrifice sans y contribuer enqu(d-
que chose; non, disait le saint roi David
à celui qui lui voulait céder gratuitement
un fonds où il avait pris dessein de bâiir le
temple, non, il ne sera pas dit qucjefusseau,
Seigneur mon Dieu des olJ'randes quineme cou-
lent rien: uNcquaquam, etnonofferani Domino
Deo liolocausluiçiraluila, (\l Itey ,WlV,2'i.}
En cllet, quanti il est question d'honorer la
divinité, les peuples les plus bai'bares con-
vienneiil que chacun y doit employer ce
qu'il a de |dus précieux et de meilleur; et
ilans le sacrifice même de nos autels où la
viclime descend du ciel toute prèle h être
ollerle, n'en coùte-t-il jias encore une vie
saciamenlelle ù Jésus-Christ, des adorations
aux anges, des vœux cl des prières aux
ministres de l'Eglise, une espèce d'anôan-
lisscment à lu substunco du [)ain et du vii!?
IGl
ORATEURS SACRES. DE MONMOKEL.
508
Or je vous demande après cela si le cliré-
lien iissislaiit au sacrifice, n'y doit pas a|)-
porler de son côté loiU ce qui dépend de sa
piélé t't de ses soins. Ah 1 puisque la victi-
me ne lui coûte rien, il faut au moins qu'il
tire de son rœur des senlimenls j)ropres à
s: condei" l'oHVande d'un si excellent sacri-
lice! Ah ! puisque la cérémonie se lait [)Our
nous, i! faut réunir en nous tout ce qui
s'.y passe, mourir d'une mort mystique avec
Jésus-Christ, adorer avec les anges, prier et
ollVir avec les jirôtres , s'anéantir et ôtre
transformé comme les éléments qui sont
convertis au corps et au sang du Fils de
Dieu! Il faut entrer dans les desseins et dans
les dispositions du Sauveur, détester nos
(léchés, parce qu'il les expie, se mettre en
élat de recevoir des grâces, parce qu'il en
demande, le présenter au Seigneur [lendanl
qu'il s'immole, s'humilier lorsqu'il s'humi-
Jie, étouffer nos passions puisqu'il se prive
dans l'Eucharistie de l'usage de tous les
sinis, pratiquer intérieurement les verius
puisqu'il y en donne de si gr.inds exenifiles,
louer le Père Eternel avec ce divin Média-
teur qui le loue, le ^loritier avec le Fils
bien-aimé qui le glorifie, en un mot join-
dre nos prières h ses mérites, notre foi à
son saiig, notre fidélité à ses grâces, nos es-
prits à son esprit, nos cœurs à son cœur,
nos corps à son corps, et tout ce que nous
somnies à tout ce qu'il est, en sorte que de
lui et de nous, c'est-à-dire du Fils de Dieu
et des hommes, du médiateur et des fidè-
les, du chef et des membres, il ne s'en fas-
se qu'un seul corps, une seule victime et
nne même offrande. Car voilà, dit le grand
Augustin, le dessein du Fils de Dieu sacri-
fiant et sacrifié sur l'autei, voilà en quoi
consistent sur ce sujet les obligations des
chrétiens; mais la plupart n'y font aucune
réflexion. L'on vient au sacrifice par habi-
tude ou par bienséance, l'on n'y assiste le
I)lus souvent que de corps et cependant
j'espiit du chrétien indocile et corrompu
refusant de faire des réflexions utiles et sé-
rieuses, ne se trouve occupé que de baga-
telles, que d'intrigues, que de pensées in-
diiférentes, que d'idées de fortune et de
plaisir, que de passions criminelles, que do
joies ou de tristesses profanes. Ahl mes
chers auditeurs, tous viennent à la messe
et le plus souvent personne n'y est. Hé!
comment se peut-il faire que Ja sainte Jéru-
salem soit déserte, lorsqu'elle est pleine de
peuple? Quomodo sedet sota civitus plenu
populo? [Thren., 1, 1.) Elle est pleine de
peu[)le; personne ne manque de s'y rendre
à certaines heures ou du moins à certains
jours: Plma populo ; mais néanmoins elle
est désfiile: Sola çivilas, et ce sont vos dis-
sipations, ce sont vos absences d'esprit et
de cœur t|ui font celte solitude. Rendons-
nous justice, mes frères, l'on se [)rosterne
au [)ied de iautel , l'on adore la sainte vic-
time, mais parmi ce grand nombre de chré-
tiens dont la foule environne Jésus-Christ,
<»ù est l'âiiie qui comme la femme liémo-
rhoisse le louche par la foi et s'en retourne
Songez-vous à le détester lorsqu'i
tion de paraître devant ce Dieu
guérie de ses infirmités; où est le chré-
tien qui assistant au sacrifice, en prenne
la disposition et l'esprit ; où est celui qui
touché d'un sentiment de religion pendant
qu'on célèbre les redoutables mystères y
produise un acte de foi ou d'amour de
Dieu, y pousse un soupir de contrition, y
verse une larme de pénitence? Ahl s'il
était permis de fouiller jusque dans le
secret de vos cœurs, quelles abominations
au contraire n'y découvrirait-on pas à Irar
vers ces dehors hypocrites dont vous vous
parez pour ménager l'estime des hommes!
J'en atteste vos consciences, chrétiens, pen-r
dant que l'Agneau deDieu s'immole sur nos
autels, n'est-ce pas en ce temps et dans ce
lieu comme dans les autres, que res[)rit
recueilli en lui-même s'occupe des pas-r
sions les plus criminelles et les plus hon-
teuses, que l'on flatte une sotte vanité par
des réflexions ridicules, que l'on Jiiachino
les vengeances, que l'on trameles perfidies,
que l'on conçoit les impuretés et les adul-
tères, apposant ainsi, comme les entants
d'Aaron, un feu profane en la-place du feu
sacré et joignant par un bizarre et funeste
mélange, le ciel à l'enfer et le sacrifice au
sacrilège. Que si vous n'êtes pas assez im-
pies pour venir en la présence de Jésus-
Christ commettre les actes du péché, n'y e^
ap()orlez vous pas au moins les habitudes?
est ques-
dont les
yeux ne sauraient regarder le mal et qui
ne peut souffrir l'iniquité? Quel monstre
dans la morale, mon cherauditeur ;prélends-
lu être l'adorateur de Ion Dieu et son en-
nemi toutà la fois? Tes genoux se fléchis-
sent devant lui et ion cœur superbe se rér
voile contre lui ; tu fui rends un hommage, et
des mesures sont prises au sortir de là, pour
l'offenser et le trahir. Pourquoi venir dans
ce saint lieu? Est-ce pour adorer ou pour
insulter? Misérables que nous sommes,
s'écrie saint Jérôme, puisque les vices des
pharisiens ont passé ()ar une succession
fatale jusqu'à nous! Ils avaient corrompu
l'Ancien Testament, et comment traitons-
nous le Nouveau? Il avaient perdu l'esprit
de la loi, hé! qu'avons-nous fait de l'esprit
de l'Evangile, et si le Seigneur venait une
seconde lois sur la terre, n'aurait-il j)as
lieu de nous faire le mênie reproche qu'il
leur faisaii?//?//)ocrite, hypocrites que vous
êtes, car qu'est-ce donc que l'hyfjocrisie,
si ce n'est faire paraître au dehors uns
|)iélé que l'on ne ressent j oint au dedans?
honorer le Seigneur des lèvres pendant
que le cœur le déshonore? donner quelques
apparences à la vertu et entretenir in-
térieurement le péché ? IJypocritœ, bene de
tobis prophclavit Jsaias; que le prophète
Isaïe vous a naïvement dépeints, en disant:
Populus hic labiîsinc honorât, cor aulem eo~
rum loiuje est a me. {Matlh., XV, 78.) Ce
peuple garde encore quelques mesures;
ils inlioiiorent des lèvres^ mais leur cœur
csl bien éloujné de moi! Convenez donc de
la véiilé de mon premier reoroche: la rcli-
509
SERMONS. — SEH.M. MU. POUR LA DEDICACE D'UNE EGLISE.
gion doit ^Ire intérieure el vous la reniiez
loJle extérieure et toute liypocrite. Mais
ce n'est pas tout, la religion doit ô(re exté-
rieure, public] ue et édifiante, el vous la ren-
dez scandaleuse ; autre dérèglement dont il
nie reste à vous parler dans la deuxième
partie de mon discours.
SECONDE PARTIE.
C'est beaucoup que la religion soit inté-
rieure ; mais ce n'est pas assez, il faut
qu'elle soit extérieure et publiijue. Il faut
qu'elle soit extérieure, dit saint Thomas, et
que l'esprit intéresse le corps dans les tiom-
niages qu'il rend à la Divinité: soit, dit ce
grand docteur, parce (jue le corps apparte-
nant à Dieu aussi bien que l'ûme, il doit
par conséquent l'honorer et le reconnaître
en sa manière ; soit parce que l'âme sujette
à être touchée et souvent à être séduite par
les sens, ne saurait mieux faire que de les
occuper à certaines cérémonies, lesiiuelles
étant les marques de !a piété intérieure en
deviennent les causes el servent à la redou-
bler et à l'entretenir; soit parce que les
chrétiens qui sont obligés h croire sont en-
core obligés, suivant l'expression de l'E-
criture, à confesser leur religion devant
les hommes, et à la répandre au dehors
par des œuvres sensibles et édifiantes.
J)'où il s'ensuit que celte môme religion
qui doit être exlérieuredoitêire encore pu-
blique. En effet les honneurs publ'cs hono-
rent bien plus que les hommages secrels,
et l'on ne doit pas douter que Dieu se
trouve honoré d'une manière bien plus
digne de lui, à mesure que la religion a
plus d'éclat, el qu'il y a un plus grand
nombre d'adoraleurs qui s'assemblent en
SQn nom. El d'ailleurs la religion doit être
uniforme; il faut donc que ceux qui la
professent en exercent les actes ensemble,
puisque c'est celle union qui entretient
celle uniformité, el qu'elle ne manquerait
pas de contracter des qualités étrangères
et de changer bienîùt de face, si on en lais-
sait l'usage à la bonne foi ou au caprice des
particuliers. En un mot les hommes qui
iOnt fragiles et inconslanis, onl besoin les
uns lies autres [)Our se niaiiilenir et pourso
foilitier dans la pialique de la vertu; ce
qui faisait dire à saint Jérùiue que c'était
un élat bien dangereux que celui de ces
ermites qui vivaient seuls el éloignés de
toule société dans les déserls, au lieu que
les religieux qui vivent en commun, se sou-
liennenl par le bon exemple, chacun proli-
l.intde la vertu des autres sans leur en rien
ôler, el contribuant de son chef à augmen-
ter la leur sans rien diminuer de la
sienne.
Mais, mes frères, admirons ou plutôt dé-
plorons la corruption des chrétiens d'au-
jourd'hui. Il serait malaisé de définir si
leur religion est intérieure ou extérieure,
pui«;que le plus souvent elle n'est ni l'un
ni l'autre. La plupart bien loin de rendre
au Seigneur les hommages du cœur el de
l'âme, ne gardent jiab uiOmv les dehors, et
570
bien loin de lui rendre des iiommnges ex-
térieurs, ils lui font (les outrages fxiblics.
Vous diriez qu'ils ne s'assemblent dans nos
églises que pour l'outrager de concert :
ainsi le temple devient le théûlre de l'im-
[)iélé, el la religion n'est plus qu'un scan-
dale déshonorant la Divinité au lieu de
l'honorer, et pervertissant les chrétiens au
lieu de les édifier.
Autrefois le Seigneur enleva le prophète
en esprit et l'avant placé dans le temple d«
Jérusalem il lui dit : Prophète, perce la mu-
raille : Fode parietem {/îzech., VIII, 8),
et lu verras les abominations qui se passent
jusque dans le sanctuaire. Mais hélas! il
n'est pas besoin aujourd'hui d'aller cher-
cher le crime derrière les murailles; il ne
faut plus de don de prophétie pour le décou-
vrir dans le fond des consciences; il n'y a
qu'à ouvrir les yeux, il se produit de toutes
paris. Je vous disais tantôt que nos temples
sont destinés pour adorer , pour prier
et pour sacrifier, mais les chrétiens y
prennent le contre-pied de tout cela.
Au lieu d'adorations ce ne sont que pos-
tures indécentes, que génuflexions, pour
ainsi dire estropiées, que distractions visi-
bles, qu'irrévérences scandaleuses. Chré-
tiens, Jésus-Christ s'immole pour vous et
vous lui tournez le dos; les sacrés vieil-
lards de VApocahjpse se prosternent devant
le trône de l'Agneau, et vous êtes debout
ou assis ; les anges tremblent, el vous vous
emportez à des rires éclatants etdissolus; lo
Fils de Dieu s'anéantit sur l'autel , et
vous dispuiez au pied de l'autel d'une vaino
préséance ; et vous afleclez d'y venir avec
tout l'appareil d'une pompe superbe et
mondaine ! Les femmes assises sur des
carreaux, promenants des regards vaga-
bonds et les ramenant seulement de temps
en temjjs dans un livre, au lieu d'y prati-
quer la modestie chrétienne, semblent y
avoir oublié la modestie de leur sexe. Les
hommes se contentant de mettre un genou en
terre au moment le plus essentiel et lo
plus auguste du sacrifice, font bien voir
qu'ils songent à toute autre chose qu'a
pieu, et que ce mystère adorable est l'objet
de leur mépris plutôt que de leur apulica-
tion.
Il n'y a pas moins d'abus en ce qui re-
garde la prière. Bien loin de prier du cœur
l'on ne prie pas seulement des lèvres, et au
lieu de prononcer au iiioins de la langue
les louanges du Seigneur, l'on s'entretient
de choses indilférentes. Que dis-je? l'on y
I)arle des choses les |)lus criminelles, l'on
y débile des médisances, l'on y sème des
calomnies, l'on y fait de piquantes critiques
de ceux qui vont et qui viennent ; l'on y
tient des discours de galanterie, ou plutôt
se laissant aller aux différentes agitations
d'une imagination déréglée, et employant
alterpaliveuient sa langue à des usages infi-
niment opposés, l'on y récite une (irière
et ensuite l'on y lance un trait do satire;
l'on commence une oraison et on l'inlcr-
romi>l l'our faire une raillerie contre lo
571
ORATEURS SACRES. T)E MONMORKL.
572
prochain; l'on s'miresse au Seigneur et
on le quitte pour dire une [laiterie .'i une
vile créature: Ah 1 dit l'apôtre saint Jac-
ques, comment se peut-il faire que d'une
inêmesource il coule des ruisseaux si dif-
férents , et que d'une même houche il
sorte des discours si contraires ? [Jac,
m. 11.)
El après cela quelle part pouvez-vous
avoir au sacrifice puisque vous n'y contri-
buez que par des mépris, par des abomi-
nations et des sacrilèges ? Generatio prava
atque perversa, hœccine reddis Domino, po-
pule stulleet insipiens? {Deul., XXXll, 5,6.)
Chrétiens, race autrefois si sainte, mainte-
nant si profane et si corrompue , hé I
comment as-tu si fort dégénéré de I.t no-
blesse de ton origine ? Tu avais été formée
du sang précieux d'un Homme-Dieu, et lu
foules ce sang aux pieds ! Jésus-Christ,
que les ingratitudes n'ont pu encore faire
changer, recommence tous les jours sur
l'autel è offrir de nouveau sa vie, sa njort
cl ses mérites pour loi, et au lieu de secon-
der son sacrifice lu le profanes, et au lieu de
joindre les vœux aux prières dece divin mé-
diateur, lu l'insultes, et au lieu d'offrir celle
innocente victime à la Divi ni té offensée.lu ou-
trages et la divinité cl ia victime tout à la fois I
Peuple slu|iide et insensé 1 est-ce là ce(]uolu
rends au Seigneur ? Hœccine reddis Domino ?
Les anciens patriarches lui rendaien Ides ani-
maux et des fruits comme iin tribut do leur
l'econnaissance. Les Juifs qui ne recevaient
de sa libéralité que des biens corruptibles
et temporels, ne manquaient pas malgré la
dureté de leurs coeurs, de lui porter dans le
temple les prémices de tous les biens de lu
terre. Ces peuples barbares et sauvages,
auxquels le Seigneur n'a communiqué
qu'un léger rayon de sa divine lumière, no
laissent pas de lui en rendre quelque chose
par ces regards qu'ils portent au ciel dans
leurs afflictions et dans leurs besoins, |)ar
ces remords qui les tourmentent après
leurs crimes, et par tous ces autres senli-
ments que Tertullien appelle les instincts
de la religion et les témoignages d'une ilme
naturellement chrétienne. Le seul chrétien
lui doit tout et ne lui rend rien. Je me
trompe, il lui rend pour tant de lumières et
de bienfaits des irrévérences dans nos
églises, des scandales au pied des autels,
des mépris de la religion et du sacrifice :
Hœccine reddis Domino, papule stuUe et insi-
piens ? Quel horrible éloignement des des-
seins du Fils de Dieu 1 11 failait sacritier nos
passions au pied do l'autel, et c'est \h où.
ou les fait triompher avec plus d'éclat; il
fallait immoler nos cœurs à ce Dieu qui,
rebutant tous les anciens sacrifices, ne veut
plus que celui du corps de Jésus-Chrisl et
celui du cœur des chrétiens; et c'est là ou
l'on a la témérité de l'offrir à la créature,
la préférant ouvertemeiilau Créateur, et pi-
quant ainsi d'émulation ce Dieu jaloux au-
quel un oppose non pas une idole de bois
ou de marbre, mais une idole de chair qui
l'enqiorle à ses yeux sur son autorité et
sur tousses droits 1 semhlabieà celle idole
que le |)rophôte vit à la ()orte du temjile,
qu'on appelle l'idoledu zèle et qui ne sem-
blait placée dans une situation si sainte»
que pour attirer le courroux et pour pro-
vo(|uer toute la Jalousie du Seigneur: £/
eral slatulum idolum zeli ad provocandam
œmulationem. {Ezech., VIII, 3.) Et ce qu'il
y a de plus effroyable, c'est que les chré-
tiens qui assistent ainsi au sacrifice croient
satisfaire par là aux devoirs de la religion
qu'ils professent; car voilà les seules luar-
ques qu'ils en donnent et les seuls actes
qu'ils en exercent; c'est parla qu'ils se
distinguent des hérétiques et des idolâtres.
C'est ainsi qu'ils adorent la divinité et qu'ils
l'apaisent. Mais, ô Dieu, disait le grand Au-
gustin aux paï(!ns, en leur reprochant l'in-
taniie et l'impureté de certains sacrifices,
car les chrétiens nous réduisent à leur
faire les mêmes reproches par la manière
dont ils se comportent dans la religion du
monde iaplus [lureet dans les cérémonies les
plus saintes, ô Dieu, quel sera votre liberti-
nage, si c'est là votre religion? quels seront
vos scandales si voire piété est un scandale?
quels seront vos sacrilèges, si ce sont là
vos sacrifices, ou quelles jieuvent être vos
crimes si c'en sont là les expiations? Quœ
sunt sacrilegia si illa sacra, aut quœ inqui-
nalio si illa lavutio ? Mes frères, on voudrait
que vous eussiez de la piété [larloul, mais
si vous avez à être iuqîies que cetne soil
pas dans nos églises.
Saint Jérôme écrivant avec toute i ardeur
de son zèle à un certain Sabinien qui
avait osé enlever à Jésus-Christ l'une des
vierges sacrées qui vivaient en commun
dans la crèche de Bethléem, et qui y pra-
li(iuaient la vertu sous la conduite de ce
grand homme : Infelicissime mortalium, lui
disait-il, ô le plus malheureux et le plus
coupable des moi-tels : in spetuncam illum
in qua Filius Dei nalus est, et veritas de
terra or ta est, de stupro condicturus ingre-
deris : il est donc vrai que tu as eu le fronl
d'eiiUer dans celle grotte sacrée où le Fils
de Dieu est descendu du ciel et où la vé-
rité a pris naissance de la terre, pour y
parler d'impurelé à l'une de ses ép<juses.
Tu songeais à corrompre une vierge dans
ce lieu sacré où une Vierge nous a donné
un Sauveur: In Virginis cubiculum virgi-
ncmdecepturus irrepis, et il ajoute ensuite :
An non timebas ne de prœsepiovagirel in fans ?
Ah 1 ne craignais lu poinl (]uo le fils do
Marie ne se fit entendre du fond de sa crè-
cfie, et que par ses cris, il ne révélât tes
désordres et ne condamnât ce qu'il con-
damnera un jour à la face de l'univers,
d'une voix terrible et lonnanle?
Or ceque saint Jérôme disait à Sabinien,
ne le [)ûurrait-il pas dire à plusieurs chré-
tiens ? J'en laisse l'ajiplicalion à vos cons-
ciences ; mais je vous prie, mes chers audi-
teurs, de faire avec moi une réflexion. Si
jamais il vous arrivait de voyager dans les
pays consacrés par la présence visible de
Jésus-Chrisl et i»ar les mystères de uoiro
d75
SERMONS. — SERM. Vlll, POIR LA DEDICACE D'L.NE EGLISE.
■i
rédemption ; si ce clirélien se voyait dans
la crèche oiî le Sauveur a pris naissance, s'il
se trouvait dans le cénacle, s'il montait sur
le Calvaire, ali ! sans avoir plus de religion
(ju'il n'en a, n'est-il pas vrai que son cœur
se trouverait attendri, que les sentiments
du christianisme It^s plus vifs et les plus
ardents se rallumeraient en lui, qu'au moins
ses passions demeureraient alors en sus-
pens? Néanmoins ces lieux ne sont sain's
que i)ar les nivslères (]ui s'y opérèrent au-
trefois ; aujourd'hui, ils sont [)rofanés par
des cérémonies sacrilèges, et par les su-
perstitions des ennemis du nom chrétien.
Nos temples, au contraire, sont saints [lar
lopéralioii de ces mêmes mystères qui s'y
renouvellent tous les jours sous nos yeux ;
en vain clicrche-t-on h Jérusalem les iraces
du sang do Jésus-Christ ou les vestiges de
>es pieds, et l'on ne les trouve («lus. Ici,
l'on adore son corps et l'on boit son sang,
chacune de nos églises étant proprement
unccrèche où Jé^is Christ prend naissance,
un cénacl^^où il nous fait asseoir à sa ta-
ble, un Calvaire où il s'immole pour nous.
Mais ce ([ui fait notre inseusibiliié dans
jios temples, c'est que nous y sommes tous
les jours, la coutume et l'iiabilude détrui-
sent nos réflexions:; s'iJ n'y avait qu'une
seule église au monde, chacun s'empres'
serait d'y courir, ei [lersonne ne serait as-
sez impie pour manquer de religion ; mais
il y en a partout, et de là on (irend insen-
siblement occasion de diminuer du res-
pect qu'on doit aux lieux saints. Ensuite,
on les traite comme des lieux profanes, et
cnlin l'on en vient jusqu'à cet excès de s'y
comporter comme si c'étaient des lieux de
débauche et de scandale.
Mais vous. Mesdames, qui souvent êtes
les causes ou les occasions de ces désor-
dres, je ne puis finir ce discours sans vous
en faire des reproches au nom de Jésus-
Christ; et devant ces mômes autels dont
vous profanez la sainteté par les irrévéren-
ces, par les immodesties cl par les scanda-
les que vous commettez ou que vous faites
com mettre. Où est votre piété, où est votre
religion, où est votre foi? A quoi bon ce
luxe profane et ces alfectalions de vanité et
de lasle? Kst-ce dans nos églises qu'il faut
faire parade de vos pi étendus avantages?
Est-ce au pied de l'autel que la créature
doit recevoir de l'encens? Est-ce dans le
sanctuaire qu'il faut travailler à se faire
des adorateurs ? N'avoz-vous [)as des mai-
5<jns qui ne sont déjà que trop profanées,
et faul-il profaner encore l'église de Dieu?
Je sais bien que ie plus souvent vousy sau-
vez les apparences, et que par une modes-
lie feinlH ou véritable, vous vous y conser-
vez cette répulationde piété qui est altachée
au sexe. Mais ne comptez-vous pour rien
de n'y venir que pour voir ou (lOiir ôlro
vues? Mais n'avez-vous point de remords
dt; cttic! ambiti(»n secrète, (pii par un al-
teiilal semblable à celui de l'ange a|)ûslat,
vous porte à usurper le trône de Dieu, 5 lui
enlever des cœurs el 5 vous faire aimer
en sa présence préférabicraent à lui?
Ministres du Seigneur, corrigez publique-
ment ces désordres; ne souffrez pas que ces
idoUîS entrent en concurrence avec le Dieu
d'Lsraél, ni que Dagon se fasse adorer au-
près de l'arche. Nous ne sommes plus au
temps où le fou descendait du ciel pour
consumer ceux (jui apporteraient un feu
profane dans le sanctuaire : mais c'est à
votre zèle à prendre la cause de votre maî-
tre, et à venger sa querelle. Jésus-Christ ne
paraît [ilus visiblement dans les temples
|)Our chasser les profanateurs, mais il vous
a confié son autorité pour les chasser eu son
nom.
Mais à quoi sert-il de parler à des chré-
tiens (|ui ont là lémérilé de mépriser le Sei-
gneur? x\uroni-ils plus de resjiect |)0ur la
parole ? Les femmes chrétiennes sont sou-
vent ou tout à fait vertueuses ou tout à fait
éloignées de la vertu; les ministres sont
(]uelquefois ou timides ou intéressés : c'est
donc à vous. Divinité, que l'on doit révé-
rer en ce lieu, que je dois adresser ma voix.
Je me |)lains à vous des irrévérences quo
l'on commet contre vous : Deus, venerunù
génies in hœreditulem tuam , poUuerunt
templum sanctum tuum : « Seigneur, les
nations profanes sont enlrées dans voire
héritage el ont souillé la sainteté de vo-
tre demeure. [Psul. VIH , 1.) Autrefois
les Romains profanèrent le temple de Jé-
rusalem, et du temps de nos pères les
hérétiques onl démoli nos églises, dépouillé
nos autels, brûlé les sacrées hosties ; mais
si les uns et les autres agissaient contre les
lumières de notre foi, du moins suivaient-ils
les [irincipes de la leur ; laissons donc les
ennemis do l'Eglise : je me plains de ses en-
fants. Par un em[)orLement que nulle nation
n'a jamais vu, ils méprisent le Dieu qu'ils
adorent ; ils manquent de respect [)Our leurs
propres temples et |)Our les cérémonies do
leur religion; ([uand des étrangers l'ont at-
taquée, ils onl pris les aimes |)our la défen-
dre; on les à vus passer les mers pour aller
soutenir l'Evangile contre rAlcoran,et, sans
sortir de ce royaume, n'a-t on [las vu les fidèles
sujets d'un roi très-chrétien prodiguant
leur sang et leur vie contre des réformateurs
prétendus qui, sous prétexte do réédifier
l'église ne tiavaillèrenl (ju'à la démolir el à
la détruire? El néanmoins si on cherche des
catholiques en la [.ersonne de ses défen-
seurs zélés, l'on n'y trouvera le plus sou-
vent (|ue des [irjfanaleurs pul)lics. Et, voil ,
Seigneur, ce ijui fait aujourd'hui notre hon-
te : Facti suinus opprobrium vicinis noslris,
et derisio his qui in circuitu noslro sunt
[Psal. XLIU, 14j : la religion du Christ est
changée en op|)robre ; nous sommes deve-
nus un sujet d'insulte et de raillerie aux
étrangers et à nos voisins.
Le prophète Ezéchiel annonçait aux Juifs
de la paii du Seigneur que leurs abomina-
lions robligcraient à se retirer de son sanc-
tuaire : llccedain de sancluurio meo. {fJzech.,
Vlll, 6) Qui sait, mes frères, s'il ne s'est
j uinl déjà retiré de nos églises? L'on y eu-
575
ORATEURS SACRES. DE MOiNMOREL.
576
Ire et l'on n'en est plus toiichcS l'on y prê-
che la parole de Dieu el elle ne lait aucun
fruit, l'on s'accuse au pied de ces sacrés
Irihunaux et l'on no se convertit point, l'on
va prendre le corps de Jésus-Christ à cet
autel, et l'on retombe toujours dans les mô-
mes crimes; l'on assiste tous les jours au
sarrificp, et à peine y a-t-on un sentiment
de religion. Ouvrez les yeux, mes chers au-
diteurs, à des vérités sur lesquelles vous
n'avez peut-être jamais fait que de très-lé-
gères réflexions, et que j'ai jugé à propos
de vous déduire dans une assemblée aussi
célèbre et dans une occasion aussi solem-
nelle que celle-ci. Ah ! mon cœur, le Sei-
gneur est véritablement ici el tu ne le sa-
vais pas, ou du moins lu faisais comme si
tu n'en eusses rien su ; mhis désormais il
n'en sera pas ainsi, au moment que je pren-
drai le dessein de venir dans ces sacrés ta-
bernacles, l'idée de la saiiilelé et de la gran-
deur de mon Dieu bannira de mon esprit
tous les objets et toutes les pensées profa-
nes; en entrant dans celte église, cette eau
mystérieuse que je répands sur mon front
me fera souvenir de laver les taches de mon
âme- et de détester mes péchés pour me
mettre en état de paraître avec quelque sor-
te de décence devant une majesté adorable :
les images et les reliques sacrées de tous
ces héros du cbristianisrise qui ont soute-
nu la religion que je professe par l'austérité
(le leur vieou |iar lacruautéde leurmortme
feront goûter les vérités de ma foi et rani-
meront ma pieté et mon zèle à la vérité de
ces incomparables exeu)ples , même ces
morts ensevelis sous mes pieds me désabu-
seront des et reurs des sens el me remettront
devant les yeux l'inconslance el la brièveté
de" tous les plaisirs et de toutes les gran-
deurs de la lerre ; alors j'adorerai le Sei-
gneur avec tremblement et avec crainte :
Adorabo ad tcmplum sanclum luum in timoré
tuo [Psal. V, 8 ); et pendant que mes genoux
se courberont devant sei auleis uion esprit
s'anéantira devant lui ; alors je prierai de
l'âme comme des lèvres : Psallam spiritu,
psallam et mente. (1 Cor., Xllll, 15.) Etau lieu
de m'en tenir à la prononciation de quel-
ques prières vocales, je m'attacherai à [)ro-
duire intéiieurement des actes de foi, d'es-
pérance de charité et de toutes los vertus
chrétiennes. Alors j'accompagnerai le sacri-
fice de nos autels d'une multitude de sacri-
fices volontaires: Voluntarie sacrificabo liOi.
( Psal. LUI, 8. ) El pendant que Jésus-Christ
immole son corps, mon ame sera toute à lui,
et je la ré{)andrai devant lui, et pendanKju'il
honore le Seigneur j'honorerai le Seigneur
avec lui, et pendant qu'il lui rend des ali-
tions de grâce je le remercierai comme lui;
el [)endant qu'il apaise sa justice je mêle-
rai mes larmes à son sang et mes satisfac-
tions à ses mérites. Je finis, mes chers audi-
teurs, par la même révélation de l'Apocalypse
par laqucdiej'ai commencé ce discours: l'a-
pôlro saini Jean après avoir oui la voix
du irOrie, ajoute que celui (pit éla t assis sur
ic Irùue cria tout haut : t'cce nova facio
omnia {Apoc, XXI, o) : « Voici ce que je fais
tout nouveau », vous avez commencé un nou-
veau leraple, mes frères, et en cela l'on ne
peut assez louer votre piété et un zèle qui
vous |)nrt(ronlà l'achever sans doute bien-
tôt ; mais ce serait peu qu'il n'y eût que l'égli-
se qui lût nouvelle, il faut des cœurs nou-
veaux, des esprits nouveaux, des chrétiens
nouveaux, de nouvelles adorations, de nou-
velles prières, de nouveaux sacrifices, une
ferveur nouvelle, une piété nouvelle, une
application nouvelle. Ecce nova facio omnia.
Répondez par votre fidélité aux desseins do
la grâce qui doit opérer ce sacré renouvelle-
ment en vous, et qui, de ce temple matériel
et périssable, vous fera monter un jour dans
le lemple de la bienheureuse éternité, pour
y glori.fier le Seigneur dans tous les siècles
des siècles.
SERMON IX.
POUR LA FETE DE SAINT JOSEP'H.
Intiiemiiii qua'itiis sit hic. (Hebr , I, 4.)
Considérez combien celui-là est grand.
C'est ce que l'apôtre saint Paul disait au-
trefois de Melchisédech, ce grand homme
dont l'Ecriture avait négligé de nous ap-
prendre les parents et les alliances selon l<-v
chair, parce qu'il en avait de bien plus no-
bles et de bien plus considérables selon
l'esprit; paraissant dans l'Ecriture, comme
un homme tombé du ciel, pour être la figure
du sacerdoce de Jésus-Christ : mais c'est
ce que j'applique au glorieux saint Joseph,,
ce grand homme qui n'a point d'autre gé-
néalogie que celle d'un Dieu fait homme,
sans songer qu'il est fils de David , ne so
glorifie que d'être père de Jésus, et d'une
manière où la chair et le sang n'ont point
de part ; en un mot, qui n'a pas été la figure
des offices et des fonctions que le Fils do
Dieu venait exercer sur la terre, mais qui
en a été le témoin et le confident ; car c'est
pour vous inviter à reconnaître son excel-
lence et ses [)rérogatives, que je vous ré-
pèle aujourd'hui ces paroles: Inluemini
quantus sit hic. Considérez avec attention
combien celui-là est grand. Les grandeurs
de la terre ne tiennent pas longtemps contre
nos méditations ; pour peu que nous les
examinions par les lumières de la raison et
de la foi, nous en découvrons bientôt la pe-
titesse, et |)Our se conserver leur faux
éclat, elles ont besoin d'un faux jour que
notre vanité leur ménage. 11 n'en est pas
ainsi des grandeurs qui sont fondées sur la
vertu el sur la grâce ; nos lumières les dé-
couvrent el ne les dissi[)ent pas, et la vertu
jette un brillani qui la fait même respecter
de ses ennemis; pendantque le vice n'ad'^al-
tiails que pour ses partisans et pour ses
esclaves. Disons davantage, la sainteté ex-
posée aux yeux de Dieu ne se dément poiu.t,
elle a de quoi soutenir ses regards. La nU'
jeslédu Seigneur etface toutes les grandeurs.
|)rol'anes, mais elle ne fait qu'éclairer le mé-
rite de la sainlelé et de la grâce; c'est [)0ur-
quoi quand l'Ecriture parle d'un saint, elle
ne dit {)as qu'il est grand aux yeux des
î;77
SERMONS. — SERM. IX, POUR LA FETE DE SAINT JOSEPH.
S78
hommes ou à ses propres yeux, car cela
ii'esl rien, mais elle dit qu'il est grand aux
yeux de Dieu cl cela est tout: Erit 7}wgnus
coram Domino. [Luc, 1, 15.) Tel est le mé-
rite de Joseph ; pour le bien connaître et
pour le bien l'aire valoir, il faut le considé-
rt-r par rapport à tout ce qu'il y a de plus
grand, et dans l'ordre de la grAce, et dans
celui de la gloire; et an lieu que les flatteurs
qui font les panégyriques des grands du
monde, et qui cherchent à leur assurer
beaucoup d'élévation et de gloire, ne les
considèrent que parrajiport à ce qui est au-
dessous d'eux, il no faut comparer un saint
qu'à ce qui est au-dessus de lui. Or il ne
voit au-dessus de lui que trois cl)0ses: la
Divinité, Jésus-Christ, la divine Marie: la
Divinité à qui il faut demander d'abord des
lumières pour son éloge, Jésus-Christ, dans
lequel il faut aller chercher la source de
toutes les grandeurs de Joseph, et la di-
vine Marie son épouse, à laquelle nous
allons dire: Ave, Maria.
L'ordre de la nature, l'ordre ae la grAce,
celui de la gloire et celui de l'union hypos-
tatique sont quatre ordre diflérenls, que la
Providencedivine a élevés les uns au-dessus
des autres, pour nous élever nous-m6n)es
et nous conduire jusqu'à Dieu. Et en efl"el,
comme le rang de la créature ne se prend
que de la liaison qu'elle a avec la Divinité,
plus celle liaison est élroile, plus la créa-
ture se trouve dans un état parfait et dans
une situation élevée. Or il est certain que
dans l'ordre de la nature, l'homme ne lient
à Dieu que par la sujétion et ia dépen-
dance. Dans l'ordre de la grâce, le chrétien
s'unit à Dieu par la grâce sanclifianle, mais
ce n'est pas un lien indissoluble, puisqu'il
ne faut qu'un seul péché pour le rompre.
Dans l'ordre de la gloire, l'union des bien-
heureux avec Dieu est indissoluble el éter-
nelle, et elle est même si étroite, que la
créature n'en aurait jamais pu imaginer
une plus parfaite. Néanmoins, l'union hy-
postalique est beaucoup plus admirable,
{)uisque, dansia personne du Rédempteur,
Dieu s'est uni à l'homme jusqu'à devenir
homme lui-môme, l'etTel el le terme de celle
liaison et de ce mystère n'étant ni la créa-
tion d'un homme comme dans l'ordre de la
nature, ni un saint comme dans l'ordre de la
grâce, ni un bienheureux comme dans l'or-
dre de la gloire, mais un Dieu-Homme inli-
nimenl élevé au-dessus de tous les hommes,
de tous les saints, de tous les bienheureux,
et de tous les êtres ; et c'est par rapport à
te dernier ordre que je veux considérer le
glorieux sainl Joseph, Je pourrais vous le
faire voir dans loua les autres et vous ré-
péter à chacun : Jntuemini quantus sil hic.
Vous le verriez dans l'ordre de la nature
comme un grand homme, formé du sang
des rois d'isracl et de Juda, recorninan-
dableparsa prudence, par safidélité; et, par
de pareilles qualités, vous le verriez dans
l'ordre de la grâce, comme un grand saint,
pratiquer avec un zèle et une patience in-
fatigable, les vertus les plus héroïques et
les plus rares. Vous le verriez dans l'ordre de
la gloire, comme un bienheureux que le
Seigneur a pris soin de distinguer dans le
ciel par le caractère glorieux d'une béati-
tude particulière; mais dans tout cela, vous
n'y verriez qu'indirectement l'époux de
Marie cl le père de Jésus, puisque ce sont
des qualités attachées à l'incarnation du
Verbe, et conséquemment, à l'ordre de l'u-
nion hypostatique : ordre admirable oii je
vois entrer trois sortes de personnes qui
contribuentà le composer, et avec lesquelles
Joseph a des liaisons bien glorieuses et
bien intimes. Marie qui a été le principe de
l'incarnation sur la terre. Dieu qui en est
le principe dans le ciel, et Jésus-Christ qui
en est le terme et qui appartient el au ciel,
et à la terre tout à la fois. Marie, Jésus-
Christ, la Divinité, trois noms de grandeur
et d'excellence qui comprennent luut ce
qu'il y a de grand dans l'êiro créé et dans
l'être incréé, tout ce qui a été, tout ce qui
est, et tout ce qui sera grand dans le temps
et dans l'éternilé, el par rapport auxquels
je veux vous faire juger de la grandeur et
des avantages de Joseph : Intucmini quantus
sit hic. Considérez donc bien ces trois gran-
des liaisons dans Joseph, ce qu'il est à
l'égard de Marie, ce qu'il est à l'égard do
Jésus, ce qu'il est à l'égard de toutes les
personnes divines ; la grandeur de Jose|)h,
parraj)port à la grandeur de Marie, ce sera
mon premier [toint; la grandeur de Josepli,
par rapport à la grandeur de Jésus, ce sera
le. second; la grandeur de Joseph par rap-
port à toutes les personnes divines; voilk
tout le fruit de son éloge, pendant lequel
nous pouvons [)ar réflexion, envisager noire
petitesse, et dans lequel faisanl entrer toutes
les vertuspar lesquelles ce grand saint a sou-
tenu son élévation et ses avantages, je tire-
rai des conséquences pour nous, capables
de nous porter à cette humilité, à cette ti-
délilé, àcet amour de Dieu et à toutes ces
vertus, qui seules peuvent faire notre véri-
table grandeur.
PREMIER POINT.
Trois qualités difl'érenles ont contribué,
ditns Marie, à l'incarnation du Verbe divin :
sa virginité, sa fécondité el son innocence ;
mais sa virginité devait demeurer cachée,
sa lécondilé devait ôlre accompagnée, et son
innocence avait besoin d'être défondue.
Comprenez donc, s'il e.^t possible, quelle
csl la gloire et l'excellence de Josepli : In-
tuemini quantus sit hic. Puisque Dieu la
choisi piéférablcment à tous les hommes,
pour cacher celto virginilé, i»our accompa-
gner cette fécondité, el pour défendre celle
innocence. Il cache la virginité de Marie,
parce ([u'il est époux. Il accompagne 'a fé-
condité de Marie, parce qu'il est viorgo. Il
défend l'innocence de Marie, parce (ju'il
est juste. Voilà les trois grands ollices qu'il
rend à Marie et les trois liaisons qu'il a
avec elle.
Je dis, en premier lieu, qu'il cache lo
mvslère de la* virginité de Marie, car tout
579 ORATEURS SACRES
le monde voit bien que Mnrie est mère,
mais personne ne sait qu'elle est viorge, et
le mariage de Jose[iI) est un voile sacré qui
couvre d'un coup rincarnalion du fils et la
virgitiilé de la mère. Ainsi, dans l'ancienne
loi, il fallut qu'une nue enveloppât le taber-
nacle av;in' que la majesté de Dieu le remplît :
Operuilnuhes tabernaculum et gloria Dotnini
implevit illud. {Exod., XL, 3^.) Ainsi, dans
la loi nouvelle, quand le Verbe divin est pro-
duit sur nos autels, il ne veut pas y paraître
d'une njanière éclatante, il se dérobe exprès
à nos yeux, et se renfermant sous leses|)è-
Ces du sacrement, pendant qu'il se fait con-
naître aux lidèles, il se met à l'abri de la cu-
riosité des profanes. C'est donc ici oij je
peu-x (lire avec l'apôtre saint Paul : Sacra-
menttim hoc magnum est. {Ephes., V, 32.)
Oui, le mariage de Joseph et de Marie est
un grand sacrement, c'est un mystère qui
cache le plus grand de tous nos mystères.
Concluez donc combien celui-là est grand,
h qui son mariage donne une autorité légi-
time sur une créature qui n'a que Dieu au-
dessus d'elle etqui voit toutes les créatures
au-dessous. Les autres époux n'ont jamais
eu d'autorité que sur des femmes, et saint
Pau! m'apprend que la virginité est libre et
indépendante, mais cette virginité, revêtue
qu'elle est de la qualité de Mère de Dieu,
se soumet à la puissance et à l'autorité de
Joseph.
Il es! vrai que si Marie est vierge, Joseph
est vierge de son côté. 11 cache la virginité
de Marie parce qu'il est son époux , mais il
accompagne sa fécondité parce qu'il est vierge
comme elle. Dans la formation du mon de.
Dieu ayant créé le [irooiier hoinnie : 7^ ncst
pasbon, dit-il (Ge/i., l\, 18), que l'homme soit
seul : « Nonesl bonnm hominem esse solum. »
Faisons-lui un aide qui lui soit semblable.
lit l'Ecriture ajoute que, dans toute la terre,
il n''y avait point de créature semblable à
Adam ni qui put lui servir d'aide; il ne s'y
trouvait que des animaux incapables d'entrer
en sociétéavec lui : «Ada-vero noninvenieba-
tur adjutorium simile sibi. » {Ibid.,'2.0.)Ma\s
dans la réparation de l'homme, dit saint Ber-
nardin de Sienne, cet ordres'est trouvé chan-
gé. Ce n'a pas été un homme, maisunefemme
bénie entre toutes les femmes, qui a été for-
mée d'abord ;i la grâce; Marie , destinée à
être la mère île Jésus, est la première créa-
ture qui paraît dans ce monde nouveau. Or
il n'était pas bon qu'elle fîit seule: elle avait
besoin d'un aide |)our accompagner sa fécon-
dité et i)Our assurer sa réput.ition. Mais en
vain lui chercherez-vous parmi toutes les
créatures de l'univers un aide qui lui soit
semblable; l'on ne trouvera dans tous les
enfants des hommes quecorruption et impu-
reté, et c'est |>our cela que la puissance de
Dieu forme Joseph et le donne à Marie;
c'est un aide qui a une juste proportion
avec elle; c'est un aide qui lui est sembla-
ble; la pureté de Joseph est semblable à la
pureté de Mario; l'humilité de Joseph est
semblable à l'humilité de Marie ; la charité
(le Josej)h est • semblable à la charité de
DE MOiNMOlVEL.
380
Marie. En un mot, tout Josepli est formé"
Siir elle, parce qu'il n'est formé que pour
elle, et c'est pour cela que lange lui vient
dire de la [>art de Dieu : Joseph, noli tim'ere
accipere Mariam conjugrm lunm: « Joseph,
ne craignez pas de prendre Marie pour votre
épouse. r> {Matlh., 1,20.) Car c'est comme s'il
lui disait, suivant la pensée de saint Chry-
sostome : Joseph, ne vous troublez point,
Marie est vierge aussi bien que vous. Sa
qualité de mère fera naître votre respect,
mais votre qualité d'époux doit rappeler
votre confiance. La loi a commencé votre
mariage et la grâce le confirme; un Dieu en
est l'auteur, un Dieu en sera le fruit, et un
ange vient en être le ministre. La virginité
de Marie a besoin d'être accompagnée ; le
ciel vous en établit le gardien; conduisez
cette épouse dans ses voyages, consolez-la
dans ses déplaisirs, servez-la dans ses be-
soins, soyez tout <i elle et elle sera tout ;»
vous : Joseph, noli timere accipere Mariam
conjugem luara.
11 fallait donc que Joseph fût vierge pour
accompagner la fécondité de Marie, mais il
fallait encore qu'il fiit juste pour défendro
Sun innocence, et c'est à quoi il ne manque
pas ; quelque suspecte que puisse devenir
l'innocence de Marie aux yeux des hom-
mes, elle n'a rien à craindre pourvu que Jo-
seph en soit le juge. Aussi, mes lrères,pro-
nonce-t-il en sa faveur parce qu'il est juste,
et il la justifie dans son cœur, malgi'é tout son
embarras et toutes les apparences contrai-
res : Joseph autem cum esscl justus noluiC
traducere eam {Ibid., 19); mais en la justi-
fiant à son égard, il |la protège à l'égard des
autres. Car voilà, dit saint Thomas, la rai-
son pour laquelle ce mariage était d'une
nécessité indispensable. Oiez Joseph de la
famille de Jésus, que deviendra Marie?
comment se défendre de la calomnie, com-
ment se garantirde la sévérité de la loi ? Je
îais bien que cet adorable enfant qu'elle
porte dans son sein est l'ouvrage de l'Ks-
prit-Saint : Quod enim in ea nalum est de
Spiritu sanclo est [Ibid., 20) ; mais quelqui;
soin qu'on eût pour en persuader les Juifs,
le crime n'aurail-il pas toujours été pour
eux beaucoup plas vraisemblable que le
mystère. Ah! chrétiens, pour donner un
é|)0ux à Marie, il semble qu'il y avait ù
balancer si on lui donnerait un Dieu ou un
honmie, un Dieu seul pouvait bien former
le Verbe dans son sein, mais il ne pouvait
pas être son époux visible pour la défendre
de la calomnie et pour la servir exté-
rieurement dans ses besoins. Un homme
seul pouvait bien lui rendre ces derniers
offices, mais il ne pouvait pas être le [)rin-
cipe pur et fécond de l'incarnation du
Verbe. Ce Dieu n'eût été que pour sa vir-
ginité, cet homme n'eût été que pour sa
ré()ulation, et il fallait les garantir toutes
deux ; n)ais qu'a fait le Père éternel ? il a
donné tout d'un couj) à Marie le Saint-Es-
prit et saint Joseph, un Dieu et un homme,
tous deux vierges, tous deux époux de cette
Vierge, tous deux sainteaient associés à
>gl
SERMONS. — SERM. IX, POUR L.\ FETE DE SAINT JOSEPH.
celte qualité, tous deux lui ont fait onii)ro
vn leur numière : El rirlus Allissimi obum-
brabit iWi. {Luc, l, 35.) Le Saiiil-Espril,
;ui dedans d'elle-m^me, Josepii au doliors ;
le SaiiU-Espril la protégeant contre les dé-
mons, Joseph contre les hommes; et comme
s'ils avaient eu en quelque façon bosdi-i do
la coopération l'un de l'autre, le Saint-Es-
prit s'est chargé de la formation de Jésus-
Chrisl, et Joseph a été comme substitué en
la place du Saint-Esprit pour tout ce qui
regardait la protection extérieure de Marie,
et peut-être sont-co là ces deux cachets ei
ces deux sceaux qu'on veut donner à notre
sainte épouse dans le Cantique : Pone me
nt signanilum super cor luum : « Mettez-moi
com>ne un cachet sur votre cœur {Cant.,
VIll, 6) ; » voilà le langage du Sainl-Es['ril :
Pone me ut signaculum super brachium
tuum : « Mettez-moi comme un cachet sur
votre bras {ibid.) ; » voilà le partage et l'of-
tice de Joseph. Le Sainl-Ksprit est comme
le cachet du cœur, il ferme le cœur de
Marie, en sorte que rien de profane n'y
puisse entrer, et il imprime dans le sein de
Marie, par l'application de sa vertu, l'image
vivante et la tigure substantielle de la Di-
vinité. Mais Joseph est comme le cachet du
bras; il scelle, pour ainsi dire, le mystère
de l'incarnation du sceau de son mariage, et
le Verbe incarné, qui en est le fruit, porte
tellement le caractère de Fils de Joseph que
tous ceux qui le voient se demandent 1rs
uns aux autres : N'est-ce pas le fils de Jo-
seph : « Nonne hic est filius fubri? » {Mat th.,
XIII, 53.)
I?e tout ceci, mes chers auditeurs, tâchez
de vous en former quelque idée conforme à
la grandeur et à la sainteté de Joseph, et
surtout souvenez-vous de ce beau principe
de .'>aint Thomas, que quand Dieu destine
les hommes à quelque emploi, il ne man-
que jamais Je leur donner les grâces qui y
sont proportionnées, et dont ils ont besoin
pour s'en acquitter dignement. D'où il s'en
suit que le Seigneur ayant destiné Joseph
à des emplois si sublimes et si glorieux, il
n'a pas manqué de verser en lui toiile la
plénitude de ses bénédictions et de ses di-
vines faveurs. Mais ce que Jose[ih a fait Je
son côié a été de soutenir l'excellence de
celle vocation |)ar une grande fidélité, d'en
remplir exactement les devoirs, d'en con-
server la grâce et de l'augmenter inces-
samment par le bon usage qu'il en savait
faire.
Et c'est ici, par conséquent, oiî je peux
dire à tous les cliréliens, ajirès l'apùtre saint
Paul : Videte vocalionem vestram. {ICor., I,
26.) Voyez, examinez et ap[irofondissez vo-
ire vocation; Joseph a été établi dans la
famille de Jésus-Christ pour y faire les fonc-
tions auxquelles le ciel l'avait destiné, et
nous, mes frères, dès lors que nous sommes
cliréliens n'avons-nous pas été établis dans la
maison de Jésus-Chrisl, qui est son Eglise,
jiour y remplir les devoirs auxquels la re-
ligion nous eng.ige?Gensdu monde, nevous
y troiiq.ez pas, do quelque distinction que
vous vous flaltioz, à quelques ditTéren-
tos occupations que votre propre choix ou
une élection honorable vous ait attachés,
votre première et voire principale qualité
c'est d (Hie chrétiens, et si cette qualité,, qui
vous est commune avec tous les lidèles,
autorise ou souffre quelque variété en vous,
c'est pour vous imposer des obligations
|>liis petites, plus bornées ou plus étendues,
suivant la diversité des places (pie vous
remplissez ou des |)Ostes que vous occupez.
Tels sont les desseins et les intentions de
la Providence, et j'ose dire qu'il n'aurait
pas élé en son pouvoir d'en disposer autre-
ment, puisque suivant les règles d'une loi
éternelle el inviolable, la nature n'ayant été
formée que pour la grâce, tout ce qui est
temporel ne doit jamais ôlre (ju'un moyen
pour tendre et pour arriver à ce qui est spi-
rituel, et que suivant celte belle suiiordina-
tion que rA()ôtre à si noblement exprimée,
toutes les créatures étant pour l'homme,
l'homme ne saurait être que fioiir Jésus-
Chrisl, comme Jésus-Christ ne saurait être
que pour le Seignour. Cupendaiil, chacun
pense à ce qu'il doit faire pour le mouvie,
el jiersonno ne pense à ce qu'il doit faiie
pour la religion. Les grands songent à être
grands, mais songent-ils à être humbles, et
c'est pourtant dans celte profession d'hu-
milité que consiste la vraie figure qu'ils
sont obligés de faire dans l'Eglise, au Fils
de Dieu ? Les riches travaillent toujours à
être riches; mais, hélas ! ils ne pensent | oint
que si le Seigneuries a fails riches, c'est pour
distribuer ces biens périssables, el non pas
pour les retenir, pour en faire part aux pau-
vres (]ui sont les membres du corps mysti-
que de Jésus-Christ et non pas pour en faire
des amas inutiles et superflus. Ceux mêmes
que la sainteté de leur niinistèVe aitacho
jiar un devoir plus spécial aux intérêts do
la religion, oublient quelquefois l'Eglise
dans l'église même : uniquement occupés h
chercher dans la maison du Fils de Dieu
celle gloire profane ou celte utilité sordide
que les gens du siècle vont chercher sur
les Ihéâlres de la vanité ou dans les lieux
destinés au trafic et à l'avarice. Enfin, mes
frères, on le peut dire avec le [)r0[)liète, que
firesque lous se sont égarés de leur voie :
ce dérèglement général introduit insensi-
blement dans la sainte Jérusalem toute la
confusion de Babylone el, jior un renverse-
ment déplorable, tous ces rangs el tous ces
emplois divers qui parlageul les fidèles
d'aujourd'hui, au lieu d'une difrérence de
vertus ne se trouvent bien souvent luarqués
que par une différence de crimes plus énoi-
mes ou plus légers, plus rares ou plus fré-
quents, plus secrets ou plus scandaleux,
suirant la diversité des états, des occasions
et des bienséances. Quel remède à do si ef-
froyables abus ? Videte vocalionem vestram ;
souffrez, mes chers audileurs, que je vous
ramène aux princi|)es de votre vocation.
Vous avez élé appelés au christianisme,
soyez donc ce qu'il vous plaira, mais com-
mencez toujours par être chrétiens. Il est
K8"
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
S84
vrai que la vorlu, h laquelle celte qualité
vous oblige, doit être diiïérenle, etj'ajoule
même qu'elle doit ôlre inégale. Ah! quela
qualité d'époux de Marie imposait h Joso[)h
de grandes et de singulières obligations.
Tel degré de pureté qui eût été sudisaut
dans un autre éiat eût-il été suffisant pour
celui-là? Telle ferveur qui, partout ailleurs,
aurait fait des saints ii'aurait-elle pas fat
de Joseph un homme tiède et im[)arfail?
Telle vertu qui serait héroïque pour nous
n'aurail-elle pas été une espèce de préva-
rication pour lui. Appliquons-nous ceci,
mes frères, et ne croyons pas qu'on doive
mettre sur un autre pied la vertu de tous
les cliréliens qui sont dans l'Eglise. La sain-
teté d'un ministre des autels doit être, sans
doute, bien autre que celle d'un homme
profane; la sainteté d'une é[)Ouse de Jésus-
Christ doit être bien plus entière et plus
parfaite que celle d'une personne du mon-
de. Le zèle du salut des Ames qui peut suf-
fire à un chrétien ne suffira pas à un pas-
leur. Combien de gens se damnent dans
l'état qu'ils ont embrassé, qui peut-être au-
raient eu assez de vertu pourse sauverdans
un autre? Cet homme qui gouverne mal
aurait de la disposition à bien obéir, cet
autre qui est superbe dans l'abondance se-
rait humble dans la paurrelé ; et, cependant,
mes frères, Dieu vous jugera, non pas sur
ce que vous feriez, mais ()lulôt sur ce que
vous faites, et il condamnera jusqu'à la vertu
que vous avez par celle que vous n'avez
pas et que votre état vous oblige, néan-
moins, d avoir.
Je vous le répèle encore une fois : Vi-
dete vocalionem vestram. Chrétiens qui
voulez faire votre salut , étudiez votre
vocation, examinez-en les règles, suivez-en
les principes, aimez-en les obligations et
les conséquences. Je dis que vous en aimiez
les obligations, car souvent vous prenez le
change; non, personne ne veut êlre ce qu'il
est, chacun veut êlre ce qu'il n'est pas, et
quand môme vous êtes bien résolus à quit-
ter le péché, l'on vous voit, le plus souvent,
courir à quelque vertu déplacée et qui n'est
point la vertu de votre élat. Une femme
voudra faire l'oraison lorsqu'il est question
de songer à des affaires essentielles et do-
mestiques. Un homme qui se doit au pu-
blic voudra imiter la relrailed'un solitaire ;
un solitaire voudra porter dans le monde
un zèle scandaleux et mal réglé. Ah! mes
chers auditeurs, travaillez à faire votre de-
voir et ne travaillez point à faire celui des au-
tres, faites comme ces animaux mystérieux
du charriot d'Ezéchiel, dont il est dit que
chacun suivait sa roule, que chacun mar-
chait devant soi : llnumquodque coram facie
sua ambulabat. (Ezech., 1, 12.) Ou pour nous
<ionnerun plus excellent modèle, jetez les
yeux sur notre Siiinl, vous avez vu comme
il s'est acquitté de ce qu'il devait à Marie.
Vous allez voir comme il s'acquille de ce
qu'il doii à Jésus, c'est la deuxième partie
de mon discours.
DEUXIÈME POINT.
Deux choses font le mérite et la grandeur
de Joseph considéré par rapport au Fils de
de Dieu: l'autorité qu'il a sur Jésus-Chrisl
et l'amour qu'il a pour Jésus-Christ ; l'auto-
rité qu'il a sur Jésus-Chrisl, voilà la gran-
deur de Joseph; l'amour qu'il 3 pour Jésus-
Christ , voilà la sainielé et le mérile de
Joseph. Le Père éternel lui donne cette
autorité, et le Saint-Esprit lui donne cet
amour. Le Père Eternel qui a produit son
Verbe dans l'éternité, fournit à Jose[)h le
titre de père; le Saint-Esprit qui l'a formé
dans le temps, donne à Joseph un cœur de
père; ce sont, mes frères , les deux belles
liaisons qui attachent Joseph à cet Homme-
Dieu que le ciel lui ordonne de regarder et
de traiter comme son fils.
C'est du Père éternel, dit l'apôtre, que
provient toute paternité : Ex quo omnis
palernitas [Ephes., 1!I , 15) ; aussi , est-ce
dans le Père éternel que je vais chercher
d abord la paternité de Joseph. Joseph est
stérile parce qu'il est vierge; Joseph a re-
noncé au désir de la postérité qu'il aurait pu
laisser après lui; mais par quels principes 3-
a-t-il renoncé? Par un principe de religion et
de respect; par le respect qu ila pour son Dieu,
par le respect qu'il a pour Marie, et c'est
pourcelaquelePèreéternel, pour récompen-
ser cette stérilité volontaire de Jose{»h, lui
donne son fils pour le sien : Accipepuerum et
malrem ejus : « Joseph, lui dit-il, prenez le fils
et lamère{Mallh.,lK.,1i3), «la mère est votre
épouse, il faut encore que le fils soit votre
enfant. Mais, mes frères, ce qu'il y a déplus
singulier, c'est l'autorité que le Père éter-
nel donne à Joseph sur son Verbe, autorité
que le Père éternel n'avait pas avant le
mystère de l'incarnation. Pour entendre
ceci, il n'y a qu'à remarquer que les pères
ont régulièrement deux qualités à l'égard
de leurs enfants : de la fécondité pour
les produire et de l'autorité pour les gou-
verner. Dans l'élernité bienheureuse, Ij
Père a la fécondité nécessaire pour pro-
duire son Verbe, mais il n'a point d'auto-
rité sur lui, puisque le Fils est égal au Père:
Non rapinam arbitrnliis est esse se œqualein
Deo. {Philip., 11, 6). Mais dans la plénitude
des temps on voit le contraire en la per-
sonne de Joseph; car Joseph gouverne le
Verbe de Dieu, mais il ne le produit pas.
L'on trouve donc dans le Père éternel à
l'égard du Verbe incarné, une génération
sans autorité, et l'on trouve dans Joseph à
l'égard du Verbe incarné, une autorité sans
génération. C'est ainsi. Père adorable, quo
vous en usez quelquefois avec vos créatures;
du fond de leur néant vous les faites arri-
ver jusqu'à vous et parut) piodige depuis-
sauce et de bonté, vous ne dédaignez point
d'employer toute la force de voire braj!
pour élever les enlunts des hommes jusqu'au
trône et jusqu'à la participation cJe votre
grandeur: Secundum altitudinem tuamuul-
liplicasti (ou comme porte une autre ver-
sion : elevasli) filios hominum. {Psal. XI, 9.)
68 >
SERMONS. — SER.M. IX, POUR LA FETE DE SAINT JOSEPH.
rM
Après cela, mes frères, pourrait-on douter
de 1a graïuienr de Josepli? Admirez une si
belle silnalion; placé entre le Père Eternel
et Jésus, il représente la personne de ce
Père, il commande avec autorité à ce Fils.
Quelle excellencepour Joseftli qui comman-
de, quelle nouvella espèce d'humilité pour
Jésus qui obéit! Ah! je vous disais tantôt
que la grandeur de Joseph se devait tirer
de la grandeur de Jésus-Christ ; je me suis
• rompe, ce n'est point de la grandeur de
Jésus-Christ, c'est de son abaissement, c'est
de riiumilialion de ce Dieu qu'il iaut pren-
dre rélévaliou de cet homme; et voilà, mes
frères, ce qui met Joseph infiiiimeiU au-
dessus de tous les hommes, de tous lesjus-
tes , de tous les saints, puisque Jésus-
Christ s'étant abaissé devant Joseph, il
n'y a plus de grandeur, je ne dis pas dans
la nature ou dans la fortune , je dis dans la
grâce ni dans la gloire qui ne rende hom-
mage à la sienne ; car c'est ici où nous
pouvons nous servir de ce beau raisonne-
ment de saint Paul qui' a donné lieu aux
paroles de mon texte : Intuemini quantus
sit hic, dissit-il aux Hébreux en leur par-
lant de Melchisédech , dont l'excellence lui
servait à prouver rexcellence de Jésus-
Christ : Considérez quel peut être ce grand
hom m e, Cm « et décimas dédit Abraham palriar-
cha ; auquel le patriarche Abraham paya
des dîmes et rendit de si grands honneurs.
Car, ajoute saint Paul, si Abraham a recon-
nu la dignité et l'autorité de ce pontife, esl-
ce aux Israélites à la contester, eus qui se
glorifient d'être les enfants d'Abraham et
qui en ce temps-là, étant tous encore
tenlermés dans le sang de ce patriarche,
sont censés avoir rendu avec lui les raôn)es
li'ommages qu'il a rendus. {Hebr.,V[l, 4-10;)
J'en dis autant de Joseph ; anges du
ciel, hommes de la terre , comprenez, s'il
vous est possible, quelle peut être l'éléva-
tion de ce saint, puisque le Verbe incarné
qui est l'Abraham de la loi nouvelle et le
vrai père des croyants a bien voulu lui
être soumis; Eu erai subditus illis {Luc, II,
51); car enfin, quand Jésus obéissait à
Joseph, tous les saints qui ont jamais été
et qui seront à jamais , tant de vierges et
de solitaires, tant de confesseurs et de mar-
tyrs, tant d'apôtres et de docteurs, tout cela,
(lis-je, n'esi-il pas contenu dans le sang
<)u Fils de Dieu comme dans un germe fé-
cond d'où ils ont été tirés? Ce sont donc
des enfants qui ont été soumis à Joseph par
la soumission de ce Rédempteur et de ce
Père.
Telle est l'autorité que le Père Eternel
donne à Joseph , mais le Saint-Esj)rit y
ajoute de l'amour et de la tendresse. Mais
pourquoi ne dirons-nous pas que le même
kspriiqui, de Marie vierge en a fait la mère
de Jésus-Christ, de Joseph vierge, en a fait
aussi le père de Jésus-Christ quoique d'une
manière bien différente. Oui, mes frères,
cet esprit a<Jorable opérait tout à la fois et
aans le sein de l'épouse et dans le cœur
de l'époux ; par la première de ces opéra-
ORiTKlKS SACRÉS. LWllI.
lions, il était porté non plus sur les eaux
comme dans la création du monde, mais sur
le sang de Marie pour rn faire une ciéalion
nouvelle et pour y former un enfant sans
père, 'et par la dernière de ces opéralions,
il était porté sur le cœur de Joseph qui est
une source d'amour et de vie pour y faire
un autre prodige, et pour y former un père
sans enfant. Ainsi pour faire de cette épouse
une mère de Jésos-Clirisf, il fa'liil qu'elle
donnât son sang; et pour faire de cet épi)ux
un père de Jésus-Christ, il fallut seulement
qu'il prêtât son consenlemonl et son cœur.
Que dis-je?Ce n'est plus le cœur de Joseph,
ce divin Esprit lui en donne un autre.
Dabo vobis cor novuin; n Je vous donne-
vcrai un cœur nouveau, » disait Dieu à son
peuple [)ar la bouche de son prophète.
(Ezech., XXXVI, 2G.) V;)ilà ce que le Saint-
Esprit fait à Jose|)h , il lui ôte son cœur et
lui donne un cœur de père, et de là cet
amour si tendre que Joseph a pour Jésus,
de là ces soins et ces empressemenis de ce
père pour ce fils; de là cette douleur quand
il le perdit, et celte joie quand il l'eût re-
trouvé dans le temple. Faut-il gagner à la
sueur de son front de quoi faire vivre cet
enfant? Faut-il abandonner son pays et courir
dans des terres étrangères pour l'enlever à
la persécution de ses ennemis , Joseph tra-
vaille et renonce à son travail ; Jose[)h
emporte Jésus dans l'Egypte et le ramène
dans la Judée ; il le nourrit, il l'élève, il le
défend; préparé à tout, ne trouvant jamais
de dillieulté à rien. Enlin il est destiné pour
avoirsoin de Jésus, voilà, en un seul mot, tout
ce qu'il fait; ou s'il fait quelqu'autre chose,
il ne le fait que pour cela. Amour de Joseph
toujours agissant et toujours égal comme
un feu qu'on ne peut trouver sans mouve-
mept, que tu me parais adînirable! Kemai-
quez s'il vous plait, mes frères, queJose[)ti
dans toute la suite de l'Evangile ne dit pis
un mot ; que les anges lui viennent faifL*
des commandements de la part de Dieu, il
écoute et obéit sur-le-champ, mais il obéi*,
sans rien dire; et, en effet, quand il est
question des volontés ou des intérêts de ce
(|ue Ton aime, la réponse n'est pas la pa-
role, ce doit être l'action. Hé poun|uoi Jo-
seph parlerait-il ? il n'est élab!i que pour
agir, aussi ne voyons-nous rien de lui (jue
son action et son silence, et voilà ce (jue
j'appelle un amour |)arfait.
Belle leçon [)Our tous les chrétiens, et
bien conforme à ce grand avis que leur
donne l'apôtre saint Jean : FilioU, non dili-
gainus lingua neque verbo, sed opère et vcri-
tute : Mas enfants, leur dit il, que notre
aiuour ne soit pas seulement dans notre
bouche et sur nos lèvres, mais s'il est vé-
ritablement dans nos cœurs, qu'il (claie
par nos actions et par nos œuvres : Scd
opère el veritale. (i Joan., III, 18.)
Nous ne somujes pas les i)ères d'un Dieu
conime Joseph, mais nous sommes les en-
fants d'un Dieu par le privilège d'une filia-
tion ou la chair et le sang n'ont |)oiiii (k;
liait non jilu- qu'a la jialeiinlé de cesaiiii:
S87
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
Qui non ex sanguinibiis nequc ex voluntate
carnis, scd ex Deo nati snnl. (Joan., 1, 13 )
Le Fils l'avait adoplé pour son père elle
Pèrenous a adopl(^s pour ses enfants, on
plutôt ce même Père et ce même Esprit
qui ont contribué à la paternité de Jose|)h
contribuent aussi à noire adoption, car c'est
le Père Eternel qui nous a donné le litre
d'enfants, et c'est le Saint-Esprit qui nous
en donne l'esprit etl'uaiour. Voyez quelle
est la i)onlédu Père céleste, dit saintJean,
(l'avoir voulu non-seulement qu'on nous
appelle enfants de Dieu, mais encore que
nous le so^'ons en effet ! Videte qualem cha-
rilalem dedil nobis Paler, lit Fitii Dei no-
minemur et simus. (1 Joan., III, 1.) L'amour
de Dieu, dit saint Paul, a été répandu dans
nos coeurs par cet Esprit-Saint qui nous a
été donné, et qui nous met en droit d'appeler
Dieu notre Père : « Charitus Dei diffusa est
in cordibus nostris per Spiritum sanctum
qui datas est nobis in quo clamamus: Abba
J'ater. ■» (Rom., Y, 6.) El \o'\\h, mes frères,
en deux mois l'essentiel et labrégé du chris-
tianisme ; être enfants de Dieu [lar la grâce,
aimer Dieu comme noire Père [lar la charité;
voilà toute la morale de l'Evangile . Voilà
dit incessamment l'apôtre saint Paul dans
toutes ses épîlres , voilà ce qui nous dis-
lingue des Juifs qui n'étant que sur le pied
d'esclaves dans la maison du Seigneur
avaient un cœur dur pour Dieu et don-
naient leur amour aux biens et aux plaisirs
de la terre.
Mais hélas 1 mes chers auditeurs, quelles
sont vos dispositions sur ce sujet 1 Avez-
vous celte qualité d'enfants ? En avez-vous
l'esprit et l'amour? Je vous demande .^i
vous avez la qualité d'enfants, car il j a
telle ditlereuce entre la nature et la grâce
que dans l'ordre de la nature, un fils qui
esl désobéissant et révolté ne cesse pour-
tant pas d'ôlre tils, parce que celle qualité
est fondée sur la nature môme, et que la
nature demeure en lui, malgré ses révoltes
et ses désobéissances. Mais les chrétiens
n'étant enfants de Dieu que par la grâce, (il
la glace étant incompatible avec le péciié;
ils cessent, par conséquent, d'ôlre enfants
au moment qu'ils commencent à être pé-
cheurs. Aii 1 mes frères, si pur un événe-
ment que la grâce du Seigneur et la tidélité
de Joseph rendaient impossible, si Juseph,
dis-je, avait renoncé a la qualité de père de
Jésus-Christ, s'ill'avait méprisée, s'il avait
négligé les soins et les devoirs qui y étaient
attachés, et qu'abaiiduniiant la sainte fa-
mille dont il était le chef, il eût osé cher-
cher ailleurs des occupations el des amuse-
moTàts inutiles. Alil la seule [tensée de ce
<iésordre vous l'ait iiurieur, bien qu'il ne
vous paraisse pas, sans doute, aussi grand et
aussi etl'royabie qu'il aurait été dans co
saint. Mais ce même dérèglement est en
vous tel que celle sui>posilion vous le fait
paraître en lui : Car enhn, le Seigneur vous
avait adoptés [lour ses enfants, el qu'avez-
vous fait de celle adoption? Vous y renoncez
|)vur rien, un plaisir, un honneur, un vil
intérôt, c'est tout ce qui vous lient lieu
d'une qualité si sublime et si glorieuse, et
après l'avoir perdue vous passez les années
entièrps, sans vous mettre en devoir ni mô-
meen peinede la recouvrer. Semblables à cet
insensédont parle l'Ecriture qui, ayant enga-
gé sa primogéniture à si vil prix n'en était pas
pour cela plus affligé: Abiit parvipendcns
quod primogenita vendidissel. (Gen., XXV,
3k.) Mais en cela bien [)lus insensés que lui,
parce qu'on prétend qu'on peut mépriser
les biens de la terre sans un grand aveugi -
ment, et qu'on ne peut pas sans une espèce
de fureur estimer les biens de l'éternité parla
foi, y avoirdroit par la grâce, et y renoncer
pour des choses dont la raison seule et l'ex-
périence ne manquent f)oint au moins par
intervalles, à nous faire sentir la vanité et
le néant. Cet aveuglement, chrétiens, nous
empêche de plaindre noire infortune,
mais il n'empêche pas le Seigneur do se
plaindre de nos outrages : Ciel écoule, terre
prends des oreilles pour entendre, car c'est
ainsi qu'il s'explique ()ar la bouche de son
prophète. Et que va-l-il dire après avoir
ainsi rendu tout l'univers attentif ? Fj'/ios
exaltavi et enulrivi, ipsiautem spreverunl me :
Je m'étais formédesenfanls du fond de leur
néant et de leur i)Oussière, je les avail éle-
vésjusqu'à une si noble alliance; je les
avais enrichis de mes grâces, comblés de
mes faveurs, nourris d'unalimenl tout divin
et tout céleste, et après cela qu'en esl-il
arrivé? I psi autem spreverunl me : Ils se sont
révoltés contre moi, ils me négligent et me
méprisent. (Isa., I, 2.j
Que si vous avez la qualité d'enfants de
Dieu, en avez-vous l'esprit et l'amour? Est-
ce cet esfirit qui vous anime ? Kst-ce cet
amour qui vous possède? Car ne nous Hât-
ions pas, meschersauditeurs; l'on n'estchré-
tien qu'autanl que l'on est enfant de Dieu
et l'on n'est enlant de Dieu, dit l'Apôtre ,
qu'autant qu'on est animé de son esprit:
Qui spirilu Dei aguntur, ii sunt filii Dei.
[Rom., VllI, 14.)
Et que dirons-nous donc d'une infinité
de chrétiens qui à peine ont jamais ressenti
les effets, ni les impressions de cet amour;
qui, au lieu d'obéir à Dieu avec une ten-
dresse d'enfants, murmurent contre ses
commandements comme des esclaves; qui
bien loin de se laisser conduire par l'esprit
de Dieu n'ont d'autre règle qu'une pruden-
ce de chair et une sagesse criminelle el cor-
rompue dont le christianisme n'a jamais
été jusqu'au cœur, ne consistant que dans
quelques actions extérieures qu'ils s'urru-
chenl de temps en temps, et qu'ils donnent
à la bienséance ou quelquefois à l'hypocri-
sie, qui font des biens de la terre -eur capi-
tal, et qui regardent ceux de l'autre vie
tout au plus comme un accessoire ; qui, bien
loin de souffrir ou d'agir pour Dieu ne
trouvent que du chagrina en entendre par-
ler ; en un mot, qui au lieu de recoimaître l'a-
mour divin comme un souverain bien cher-
chent à l'éviter, comme un ennemi; deman-
dent même s'il est de conseil ou de pré-
S89 SERMONS. — SERM. l\. POUR
cepio, comme un enfant qui liispiilerait de
l'obligalioii li'airaer son père. Que dirons-
nous, dis-je, de ces sortes de gens ou qu'en
pourrions-nous dire autre chose, sinon que
re sont des fantômrs de ciiréliens qui en
ont l'.ipparence sans en avoir la réalité ; des
statues qui en ont le dehors sans en avoir
le dedans ; des ca davres qui en ont le corps
sans en avoir l'âme; ou, si vous voulez, des
monstres composés (ie plusieurs espèces,
qui ont le cœur du Juif avec le corps du
chrétien, l'esprit de l'esclave avec la qualité
de l'enfant, qui ont touie la disposition de
la loi et qui n'ont que les cérémonies de la
grâce. Mes frères, voulons-nous être chré-
tiens? Il faut aimer le Seigneur et l'aimer
d'un amour d'enfants comme Joseph l'a
aimé d'un amour de père ; agir comme Jo-
seph, obéir comme Joseph, servirDieu sans
réi)ugnance et sans interruption comme
Joseph; car c'est ce qui a fait le mérite de
cfi saini, el c'est aussi ce qui doit faire le
nôtre. Continuons et achevons son éloge.
TROISIÈME POlSr.
II me reste encore à vous faire voir les lia'-
sons de Joseph avec toutes les personnes
divines, et peut-être que les deux premières
parties de ce discours nous auront déjà con-
vaincus par avance de celles-ci. Rassem-
blons donc tout ce que nous avons dit jus-
qu'à présent, et nous imaginons que les per-
sonnes divines redisent en faveur de Joseph,
ce qu'elles dirent autrefois pour la for-
mation du premier homme : Faciamus ho-
minem ad imaginem el similitudinem noslram.
(Gen.,1,26.)
Lorsque Dieu eut fait le ciel et la terre,
les personnes divines tinrent comme un
conseil particulier pour la formation de
riiomme : Faisons l'homme, se dirent-elles,
à noire image et ressemblance. Ce n'est f)as
que Dieu n'eut laissé quelque vesli!;^e de
ses perfections et quelijue image de ce qu'il
est dans les différentes créatures qui étaient
sorties de ses mains. Le soleil et les astres
pariaient de ses lumières iiiactessibles.
L'océan, le vas'e océan repiésLMitait son
iiiirnensilé, la tene figurait la s abilité de
son être, incapable de tout cluin^emenl. La
succession [urpétueile des lenips marquait
l'éternité de sa durée, el l'univers erili: r
était comme un léger crayon de sa divine
honié. Le premier homme fut créé è ) i-
muge de Dieu, parce que Dieu lui c(jii)-
niunicpia ceilaines perfections de réserve
dont les autres créatures étaient privées. Le
Seigneur est immortel, tous ces êtres natu-
rels sont passagers et périssables; il donna
son immortalité à l'homme. L'; Seigneur est
libre, il est la raison primitive et essen-
tielle, tous ces êtres ne sont ni libres ni
raisonnables; il donna à l'honmie la li-
berté el une portion de sa raison. Le Sei-
gneur est saint, toutes ces créatures ne sont
pas capables de l'être; il lit oart de celle
sainteté à l'homme.
Or, nous f)Ourrions dire que les per-
sonnes adorables qui sont en Dieu, firent
LA FETE DE SAINT JOSEPlV ^01
quelque chose ue pareil ers f.iveuf d<» l'in-
compar-ablc Joseph, le<; traitant 5 l'éganl d»
tous les hommes, comme elles avaient
traité le premier homme, à l'égard de tons
les êtres. Le Sei^;neur formant le monde île
la grâce, a distribué diverses perfections aux
justes el aux saints qui sont comme les
jiarties raisonnables qui le composent. A
tous, il leur a don né la sa in télé, qui est connue
le [»remier degré de l'être surnaturel ; mais
outre celte sainteté, il a donné la sagesse
aux uns, comme aux profihèles cl aux doc-
leurs, sa force aux autres comme aux apô-
tres et aux martyrs, sa pureté aux vierges,
sa puissance à tous ceux qui se sont rendus
célèbres par leurs miracles , mais il tail
quelque cliose de plus pour Joseph, il lui
communiciua certaines perfections de réser-
ve, qui non-seulement sont particulièi-es à
la Divinité, mais qui même sont particulières
à chacune des personnes qui sont en Dieu.
Joseph est à l'image des trois personnes,
parce qu'elles lui communiquent non-seule-
raenl les perfections qui sont particulières
à la Divinité, mais encore certaines pré-
rogatives qui lui sont personnelles; cha-
cune de ces trois personnes lui confère ce
qu'elle a de plus personnel ou de plus cher.
Le Père céleste a-t-il quel(|ue chose de plus
personnel que sa divine paternité, il en (it
part à Joseph, autant que Joseph en est ca-
pable. Le Verbe divin a-t-il rien qui le dis-
lingue davantage, du moins, à l'égard des
hommes, que celte humanité, de laquelle il
est révolu; il soumet celte humanité à la
conduite de Joseph? Le Saint-Esprit a-t-il ja-
mais eu avec les créatures une liaison ()ln.s
sainte, que celle qui l'altache en qualité
d'époux à la divine Marie? Quod enim in en
nalumesl deSpiritu sancto est. (Mallli.,!, '•20.)
il confie celte épouse s) la fidélilé de Joseph,
si bien, mes frères, que Joseph n'esl sur la
terre el dans la famille de Jé^us-Christ que
pour y représenter ces trois personnes ado-
rables : Faciamus hominem ad imaginem et
shnililudinem noslram. il est l'image du
Pèie, parce qu'il est père comme lui; il e>t
l'image du Fils, parce qu'il esl le chef de sa
famille au lieu de lui; il esl l'image du
Saint-Esprit, parce qu'il est époux de Marie
avec lui; il exerce sur le Fils de Dieu la
même autorité qu'aurait le Père Eternel, s'il
avait un corps; il gouverne la Jaunile de
Jésus-Christ, comme Jésus-Christ la gouver'-
nerail lui-même, s'il était dans un âge plus
avancé; il rend à Marie les mêmes oliices
que lui rendrait rEs|)ril-Saint, s'il |)araissait
visiblement à ses yeux.
Mais parmi toutes ces liaisons de gran-
deur que Josepti a avec toutes les personnes
divines, n'oublions pas deux ressemblan-
ces particulières qu'il a encore avec leVerbo
fait chair, et qui seront plus uliles pour
l'édiQcalion de nos âmes. Je veux dire celte
liaison d'humilité el celle conformité d'hu-
miliation qui l'attachent el qui le font res-
semblera Jésus-Christ. Non, mes frères,
rien n'est plus grand que Joseph, mais rien
n'est en même temps, ni plus humble, ni
fifll
ORAILLUS SACRES. DE AlOiNMOHEI..
S'j'i
plus luiiuilié que Josepli. Rien n'est plus
humble, et pendant qu'il commande à un
Dieu, vous le vo^ez dans l'Evongile, obéir
à des anges avec une soumission et une
promptitude qui surprend. Rien n'est plus
humble, et peul-ôlre est-il le saint le plus
caché et le plus inconnu de lous ceux qui
ont été connus. Il ne veut vivre que pour
Dieu seul et dans lo secret de son cœur.
Le monde est è l'égard de Joseph, et Joseph
à l'égard du monde comme s'ils n'étaient
point tous deux. Rien n'est plus iiurable,
car Josei)h a toujours Jésus-Christ devant
les yeux, et c'est ce qui ciilrelient en lui la
pensée do son indignité et de son néant, La
grandeur enfle quand on la regarde par
rapport aux homujes, mais la grandi-ur hu-
milie quand on la regarde par rapfiorl à
Dieu.
J'ajoute, mes chers auditeurs, que rien
n'est plus humilié; car n'est-ce pas une
grande humiliation pour ce saint, quoique
ies anges le trailent encore de fils de David,
que les hommes ne le regardent plus que
conarae un malheureux artisan, réduit à l'é-
tat d'une pauvreté honteuse? Humilité de
mon Sauveur, vous êtes la source de la
grandeur de Joseph, mais vous ôles en mê-
me ttmps la source de toutes les humilia-
lions de Joseph. Remarquez, s'il vous plaît,
que quand Dieu (it à David la promesse de
) incarnation de son Fils, David était un
prince assis sur son trône dans l'éclat et
dans la magnificence; mais à mesure que le
temps de l'accomplissement de celle pro-
messe vint à s'approcher, la famille de Da-
vid tomba insensiblement en décadence,
c'est-à-dire que la grandeur du siècle des-
cendait comme par degré pour venir rendre
houimage à l'humililé d'un Dieu. Voilà le
principe des humiliations de Joseph, voilà
Ja cause de sa pauvreté, de sa mortification
et de ses peines.
N'avez-vous pas fait réflexion, mes frères,
que tout ce qui apf^rochait de la personne
adorable de Jésus-Christ pendant qu'il était
ici-bas, devait être humble et méprisable
selon le monde ? Sa divine mère, Joseph,
qui lui tenait lieu de père, ses apôtres, ses
disciples furent lires, vous le savez, des
étals les moins considérables, ou des profes-
sions les plus abjectes ; et l'Evangéliste nous
apprend que le Fils de Dieu, conversant
avec les hommes, 1 on ne vit croire en lui
qu'un fort petit nombre de ceux qui avaient
quehiue [irééminence, et qui tenaient quel-
que rang illustre parmi les Juifs : Non enim
mulli ex principibus crediderunt in cum (Ij.
Ce n'est pas que dans la suite i! n'ait triom-
phé de toute la grandeur du siècle, el qu'il
n'ait assujetli à sou empire les plus grands
monarques de l'univers , mais il voulait
commencer par les humbles et par les pau-
vres; et tel était le projet de sa divine sa-
gesse, non pas d'employer ce qu'il y avait
(1) Ce lexle ne se trouve pas «lans rtcriture,
Il tail geiilenienl ullusioii aux paroles de saint
t'aii! dans l'Epiire 1" aux Uoriuiliieus (c i,
de plus foi't (l;ins l'uniVers pour soumettre
ce qu'il y avait de plus faible, mais de choi-
sir ce qu'il y avait de plus faible pour at-
terrer ce qu'il y avait de plus fort. Encore,
quand il reçoit à son service les puissants
et le» i)olenlats, n'est-ccjamais qu'à condi-
tion qu'ils se dépouilleront, sinon de leur
grandeur, au moins de leur faste et de leur
orgueil ; et que remontant à cette fausse
élévation dont la religion de Jésus-Christ
les trouve ordinairement enlêlés, ils vien-
dront au pied de sa croix, imiter, par une
cond;;ile salutaire, ce divin modèle qui n'a
frayé aux hommes pour arriver à la gloire,
d'autre chemin que celui de l'humilité et
de l'abjeciion.
Voilà, mes chers auditeurs, ce qu'on
vous répèle tous les jours ; voilà ce que vous
lisez vous-mêmes presque dans toutes les
pages de l'Evangile, et malgré tout cela
peut-on se flatter que ces saintes maximes
aient pu s'établir jusqu'à présent d;ins vos
cœurs? Hélas 1 rendons-nous justice : y eùl-
il jamais chez les idolâtres plus de vanité et
|)lus de faste qu'il y en a parmi nous? Votre
luxe, votre magnificence, vos suporfluités,
vos manières, vos alfecialions, vos en vies, vos
vengeances, vos points d'honneur poussés
jusqu'à l'extravagance ou jusqu'au ridicule
et pardessus tout, cette ambition insatiable
dont une âme est possédée, toujours prête
à se former de nouveaux projets, quoiqu'il
en coûte à la [)robité, à la religion, à la
vertu pour les faire réussir, tout cela sont-ce
les témoignages que vous rendez à l'humi-
lité de Jésus-Christ? Hé quoi I s'il est ques-
tion de vous approcher de lui et de venir
lui rendre vos hommages dans ce lieu saint,
vous affectez même d'y paraître avec tout
l'appareil d'une pompe superbe et profane,
comme si vous vouliez vous distinguer jus-
qu'au pied des autels, et donner à voire hu-
milité même le caractère de votre orgueil 1
Que vous dirai-je davantage? Si les minisires
de la parole de Dieu entrent un peu dans le
détail des humiliations du Fils de Dieu , ne
s'aperçoit-on [)as que cela vous rebute et
vous scandalise? La qualité d'artisan vous
fait peine dans Josejih, la profession de pê-
cheurs vous choque dans les apôtres; il
faut ménager là-dessus vos dispositions et
votre délicatesse, voilà oià nous en sommes
réduits et peut-être sommes-nous des pré-
varicateurs qui cherchons lâchement à ac-
commoder l'humilité de la religion aux sen-
timents de votre vanité, au lieu que ce se-
rait à vous à corriger votre vanité et à ré-
former vos senlimenls parles lumières de
la religion et sur les maximes fondamenta-
les de l'Evangile. Non , ce n'est point à
nous à changer de langage, c'est à vous à
vous défaire de vos jiréoccupations et de vos
erreurs. Ah 1 Seigneur , s'écrie ici le granu
Augustin , les hommes veulent vous res-
sembler , mais, hélas 1 qu'ils s'y prennent
-IG, 27.) S. Jean dit an contraire , cli. xn,
}irincipibits multi creduleruiu in eum.
£■-•
SERMONS. - SERM. X, POIR LA FETE DE SAINT AUGUSTIN.
mai ! Vous tMes grornJ et vous èles saiiU.
Ils veulent è[ro graiuls comme vous, mais
ils MO veiilont point ôlre saints comme vous ;
fcpcndanl pour arriver ii ce qu'ils veulent
il faudrait faire le contraire de ce qu'ils
font. Qu'ils ne s'attachent ipi'à la sainteté,
et tous iLMirs vœux seront satisfaits; car en-
lin ils ne trouveront jamais la sainteté dans
la grandeur, mais il est infaillible qu'ils
trouveraient la grandeur dans la sainteté; et,
comme le Fils de Dieu est venu nous aj)-
prendre que la vraie sainteté est foiKlée sur
les humiliations, il ne faudi-ail qu'être lium-
bies, mes frères, et nous nous trouverions
bientôt et grands, et saints, et humbles
(oui à la fois. Je vous laisse l'exemple de
Joseph pour vous convaincre de cette im-
portante v('\'\[é: Intuonini quanlus sit hic,
«{Hehr., VII , 4-,)» considérez combien celui-là
est ^rn/u/;_ mais d'oii a-t-il tiré sagrandeui?
list-ce do la fortune ou de la grûce, de
ses biens tenqiorels ou de ses vertus, de son
orgueil ou de son humilité, des liai>ons ho-
liorables qu'il avait avec les hommes ou do
celles qu'il a eues avec le Seigneur? Ah 1
mon cieur, jusqu'à présent nous avons
ignoré le vrai chemin de la gloire; nous la
clierciions oiî elle n'est pas et nous la né-
gligeons oii elle est. Cesse , cesse de cou-
rir après de faux honneiws que la religion
interdit, car qu'y gagnerais-tu de vouloir
l'agrandir malgré le Seigneui-? N'a-t-il pas
plus de puissance pour l'abatt.eque tu n'as
de force pour l'élever? Oui, mon Dieu, je
commence à ouvrir l'>s yeux à vos divines
lun)ières. Celle grandoLir solide et durable
qui se trouve en vous, me fait voir le néant
et la vanité de toutes celles que l'on pré-
tend trouver hois de vous. Je cherchais à
plaire aux hon)mes ou à me jilaire à moi-
njème ; mais à l'avenir toute mon ambition
sera (ie vous plaire, toute ma gloire seia de
vous aimer, iou;e mon élévation sera de
me souujetlré à vos saintes lois. Si votre
Providfiice a attaché au rang où je suis
q'iclqui s honneurs !em,iOrels et périssables,
je les verrai sans émotion, je les possé-
derai sans attachement, je les soutiendrai
sans atf: dation et me mellrai en état de
m'en voir dépouiller sans chagrin et sans
dé|ilaisir. Ma grande élude sera de remplir
les devoirs de ma vocation et non |ias (Je
faire valoir les droits et les préférences de
mon état. Mon premier empk)i sera d'être
chrétien et de vivre en chrétien, de vous
liaiti T en Père, puisque vous m'avez traité
en lils, et de soutenir, par un amour sincère
et par une exacte lidélité, cette alliance
euleste à laquelle vous m'avez élevé. Ma
grande disposition à l'égard des honneuis
tl des riciiesses de la terre sera d'appren-
dre à les mépiiser, et non pas de travailler
a les acquérir ou à les augmenter ; car voilà
les sentiments où il laut revenir lot ou tard
et je sens que mon cœur n'est fait qiie pour
(lia. Kn un mot,njon divin Seigneur, je
( omprends avec votre saint prophète que la
goire, le nom , la félicité de ceux qui s'é-
ioijincnt de vou; uc seront gravés (juu sur la
5fi.t
poussière : Hecedentes a te in terra scriOenlur
{Jerem., XVll, 13), et que le [iremier souQle
de votre colère dissipera ces. vains caractères
de grandeur et anéantira ces faibles ouvra-
ges; mais l'exemple de vos saints me con-
vainc (jue ceux qui s'attachent à vous seront
heureux dans le tem|is et dans l'éternité;
dans le temps par le grAce, et dans l'éter-
nité par la gloire; je vous la souliaite.
SERMON X.
POUR LA FETE DE SAINT AUGUSTIN.
Non habemiis Pontificein qui non possit computi iii-
Ormalitnis nostris lent.Umn per omiija. (Hcbv., IV, ir;.)
Ce n'est pas ici un Pontife qui suit insensible à nos maux
tl qui miisse être sans compassion pour nos fiiiblessus,
puisqu'il a éprouvé en sa personne tout ce que nous éprou-
vons dans les nôtres.
Do quehiue manière que nous regardions
les saints, notre lâcheté nous les fait ton-
jours paraître comme des hommes extraor-
dinaires qui ne peuvent nous >ervir de rè-
gle : soit que nous les considérions dans
l(_-s humiliations où ils ont été ou dans la
félicité où ils sont, nous nous révoltons
également contre ces augustes modèles.
L'état de leurs humilialions et de leurs
soutfrances rebutent la délicatesse de notre
amour- propre. Celui de leur gloire et do
leur bonheur désespère la faiblesse de no-
tre nature ; et c'est ainsi que l'esprit de
l!homme toujours bizare, toujours ennemi
de lui-môme, se rend tous les exemples des
saints iiuitiles, parce que séparant leur
nature d'avec leur gloire, et leur félicité
d'avec leurs humiliations , il méprise d'un
côié ces humiliations comme étant troj»
au-dessous de lui pour les éviter, et de
l'autre il renonce à cotte félicité comme
étant lui-même trop au-dessous d'elle pour
y prétendre. Mais que faut-il faire pour re-
médier h ce désordre? Il faut faii'e comme
saint Paul qui, voyant que les chrétiens
tombaient à l'égard de Jésus-Christ , dans
les mômes dispositions où nous sommes à
l'égard des saints, avait coutume de join-
dre Jésus-Ciirist crucilié à Jésus 'Christ
glorieux. 11 faisait servir sa croix de eon-
lre-poi(Js à l'éiévalioii de sa gloire, et le
mettait tout d'un coup devant leurs yeux
comme un |)onlife rempli de gloire et com-
me une victime chai géode plaies, afin de
ranimer leur espérance et de leur faire
counaitre, |)ar l'amonreuso expérience que
ce divin Sauveur avait voulu faire de tous
leurs maux, la compassion qu'il avait sans
doute i)Our eux et la conOinee (pi'ils de-
vaient avoir en lui: JSon habemus Ponlifi-
cein qui non possil compati infirmilatibus
noxlris lenlatuin per omnia. C'est de celte
manière que j'ai dessein de vous représen-
ter aujourd'hui le grand Augustin. Je ne
veux point séparer ses avantages de ses
faiblesses, et je veux vous en fa,re un por-
trait auquel la science, les vertus el la grâ e
serviront de lumière el de couleurs, et dont
les erreurs, le péché el le libertinage de sa
jeunesse seront les nuances el les ombres.
Ne croyez pas que je puisse le suivre ton-
jtjurs dans les extases de son amour, ou
595
dans les élévations de sa doclrine. Il faul
regarder cet incomparable original par
quelque endroit qui soit à notre portée, ei,
sans rien dérober àj l'éclat de ses mérites ,
faire voir que si nous ne pouvons pas être
de grands saints et de grands docteurs com-
me Augustin , nous devons au moins êtie
|)énitents conune lui, parce qu'il a été pé-
clieur comme nous, et qu'en un mot nous
sommes en droit d'attendre de ce sacré Pon-
I it'e, de la compassion et de l'assistance pour
toutes nos faiblesses, puisqu'il lésa person-
nellement éprouvées. Non habemus Ponli-
ftcem qui non possit compati infirmitali-
tnis noslris Icntalum per omnia. Esprit-
Saint qui avez é!é le seul auteur de ses lu-
mières et de ses grâces, donnez-nous tou-
tes celles qui sont nécessaires pour en par-
ler et pour en |)nrler avec édification. Je
viius en conjure par les mériles de Marie
h qui nous albuis dire : Ave, Mann.
Quoique le Fi's de Dieu soit devenu par
son incarnation un nioilèle que nous som-
mes obligés d'imiter, nous regardons pour-
tant toutes les vertus en sa personne com-
me étant trop au-dessus de nos forces. Nous
opposoiis à un si bel exemple que Jésus-
Cbrist était un Dieu et que nous ne som-
mes qiie des hommes, qu'il n'avait piis
ciiiDiue nous de diiïiculté pour la vertu, ni
d'inclination pour le vice; que s'il a été sujet
aux peines du corfis, il n'a [las été sujet
aux tentations de l'âme; ei nous faisons
servir en un mot toutes les ditférences avan-
tageuses qui s'élèvent au-dessus de nous
ou de prétextes à notre libertinage, ou
d'excuses à noti'e malice. Ainsi il a été de
la conduite de la Providence, pour pousser
è bout !a lûclielé du chrétiei) et pour la
poursuivre jusque dans ses retranche-
ments, de nous faire voir la vertu dans des
originaux qui fussent |)lus proportionnés
à nos forces et plus conformes à noire fai-
blesse. C'est [lour cette laison qu'on nous
met une ii linilé de sainis devant les jeux
dont les uns nous montrent une sainlelé
innocente, et les autres une sainteté péni-
tente; dont les uns ont été libertins et les
autres hérétiques ; les uns très-savants 1 1
les autres Irès-grossieis, [lour nous ensei-
gner que la vertu est de tous les états, com-
me elle est de tous les temps et de tous les
lieux ; que dans le palais de la gloire il y a
des modèles et des exem[)laires pour tous
ceux qui veulent travailler, et qu'il n'est
point d'obstacles à noire salut non-seule-
ment que nous ne puissions surmonter,
mais encore que d'autres n'aient déjà sui-
montés. Mais il me semble que ce qui est
commun à tous les saints est particulier à
rincomparabbî saint Augustin. Soulfiez-
moi donc de l'envisager aujourd'hui , enn-
uie le noble supplément des exenqdes de
Jésus-Christ, comme un pécheur qui a pos-
sédé toutes les grâces qu'on peut rencon-
trer dans un chiétien, mais qui a éprouvé
toutes les faiblesses qui se [)euvenl trouver
dans un homme, et qui a vaincu en soi tou-
tes les diilicultés qui s'opposent à notre
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
.W6
sanctification. En effet ces ditïicullës peu-
vent se réduire à trois chefs. Premièremi'iit
nous venons au monde avec l'intidélité ,
nous sommes pour ainsi dire hérétiques
nés. Il se forme souvent dans nos esprits
un combat dangereux de la raison contre
la foi. Secondement, nous vivons dans les
habitudes du péché, nous avons de la peine
à nous convertir, et la nature entretient
dans nos âmes une guerre irréconciliable
contre la grûce. Troisièmement, quand
nous sommes convertis nous avons de la
peine à bien aimer, et il demeure dans no-
tie cœur une cupidité malheureuse qui ré-
fléchit tout notre amour sur nous-mêmes,
et qui arrôle tous les progrès de la charité
et tous les mouvements de l'amour de iiieu.
Le Fils de Dieu n'a point éprouvé ces trois
sortes do laiblesses; s'il nous a donné des
leçons de la foi, de la pénitence et de la vic-
toire que nous devons remporter sur l'a-
mour-propre, il ne nous en a point donné
d'exemples. Il ne croyait pas les choses p-T
la foi, parce qu'il les voyaient clairemerit
par la lumièie de gloire. Il n'a [)oint été
un sujei capable de pénilence, parce qu'il
n'a pu être un sujet capable d'aucun péché
Il n'a jamais lemiiorté de victoire sur la
conv(jilise, sur les passions, parce que la
convoitise ni les passions ne lui ont jamais
livré des combats. Mais Augustin a été su-
jet à tous ces()érils. il a passé par tous nos
désortires; libertins, il a été hérétique; pé-
cheurs, il a été pécheur; chrétiens lâches,
il a été imparfait. Cependant cet hérétique
est devenu le plus illustre et le plus infail-
lilde de tous les docteurs de notre religion
et de notre foi, ce sera ma première partie.
Ce jiécheur après avoir été sujet à toutes
les corruiilions de la nature est devenu le
plus cher de tous les favoris de la grâce.
Ce sera la seconde. Cet homme, si rempli
de |)assions et d'amour-proiue est devenu
le plus achevé de tous les modèles de l'a-
mourdii'in, ce sera la troisième. C'est ain.-i
que cet auguste pontite ayant éprouvé loi.-
tfS nos faiblesses, peut trouver dans le sou-
venir des siennes, des motifs de compassion
pour les nôtres. C'est ainsi (pie l'expérien-
ce qu'il en a faite doit animer notre conti-
ance, puisqu'il a triomphé en sa personne
et f)our lui et pour nous de tout ce qui peut
nous alfaiblir; de la faiblesse de noire rai-
son d.uis ce qui regarde la foi, de la faiblesse
de noire nature daiiS ce qui regarde la grâ-
ce, et de la faiblesse de notre amour dans
ce qui regarde la perfection. Non habemus
Ponlificem qui non puifsit compati iufirmita-
iibus nostris tenlulu>n per omnia; c'esi touie
la matière de son éloge et tout le pariago
de mon discours.
PREMIÈRE PàRTlft.
C'est la première épreuve et la première
diiïiculté de l'homme chrétien d'être obligé
de croire des choses qu'il neco'oprend poini.
Son entendeuieiit qui, d'ans toutes les au-
tres matières, a coutume de ne croir.- de ses
objets (jue ce qu'il en voit et qui est eu
5.97
SKRMONS.— SERM. X, l'OL'U LA FETK DE SAINT AUGUSTIN.
598
possession d'ôlre juge el témoin en sa |irn.
pre cause, doit renoncera tous ces privilé-
g<?s dès i|u'il s'agit des mystères de la reli-
gion. Il faut (pi'ils'en rapporte au jugement
el à la disposition d'aiilrui, que ses propres
lémoign'nges lui soient suspects et qu'il se
donne à lui-niôme le démenti de tout ce
qu'il croyait voir, pour commencer à croire
ce qu'il ne voit |ias. C'est ce qui fait dire à
Guillaume de Paris que cet entendement
est comme un petit souverain qui règne
fort paisiMement, si ce n'est quand la foi
vient lui déclarer la ^ut^rre: Ex omnibus acli-
bus intellcctus solum creare bellum Itabet; et
c'est ce qui fait aussi que la fui se trouve si
so\ivent aux piises avec la raison, et que la
raisou est si ran ment dans une bonne in-
itdiigence avec la foi. Le chrétien, en cet
élal, est dans le même embarras où serait
un liomme si ses deux yeux voyaient les
choses dilléiemment et lui en faisaient des
rapports Cuuiraiies; car il ne saurait lequel
des deux croire au préjudice de l'autre. Et
en efl'et la foi et la raison sont connue les
deux yeux de notre âme ; la raison est l'œil
de la nature, la foi est l'œil de la grâce.
Mais ces deux \eux voient quelquefois les
choses d'une manière toute contraire. Celle
contrariété excite du trouble et cle la sédi-
tion dans l'entendement de l'homme, et
I homme, en cette rencontre, ue peut jamais
avoir l'esprit tranquille , s'il ne fait aider
sa raison par sa foi, ou si faisantcomme l'é-
pouse du sacré Cantique, quand elle veut
gagner le cœur de I Epoux, il ne ferme un
de ses yeux, c'est-à-dire l'œil de la nature,
pour ne se conduire plus que par l'autre,
r'est à-dire [lar l'œil de la foi et de la grâce,
Vulnerasli cormeum in uno oculorumtuorum.
[Cant., IV, 9.)
Le grand Augustin est sans doute un des
chrétiens qui a été le plus lidèle et le plus
soumis. Il est peut-être celui de tous qui
a rendu les plus grands services à notre
foi ; m.His on peut dire qu'il est aussi un de
ceux qui a trouvé le plus de difficultés à
s'y soumettre. 0 Dieu , quand Augustin
voudra embrasser la religion catholique,
pourra-t-il bien renoncer aux lumières de
son esprit? Quelle apparence qu'Augustin
puisse se délier dans les matières de notre
créance de ce bel esprit qui l'a servi si fidè-
lement dans la connaissance de tous les
êtres; de cet esprit, dis-je, si subtil et si su-
blime, qui par sa seule pénélraiion, et sans
autre maîire que lui-même, avait su venir
à bout de l'obscurité des caiégories dAris-
!ole ; de cet es{)rit qui se fai>ait jour dans
la profondeur de tous les sccrels de la na-
tuie, el qui trouvant toutes l(;s sciences dans
son propre fonds, semblait les inventer ou
ne faire que s'en souvenir (junnd il venait
à les a[iprendre. La beauté de l'esprit d'Au-
guslin était accompagnée d'un grand or-
gueil. Il ne faut |ias sélonner s'il ne vou-
lait se raïq'orter qu'à lui-^nème de sa reli-
gion el de sa conduite. Il donne dans l'hé-
résie des manichéens par cette seule raison
uu'ils blâmaient hautement la prétendue
iyranr)ie que la religion catholique exerce
sur nos esfirils, et que par une clause spé-
ciale ih lui prometlaieni de lui laisser son
tîsprit d'information et d'enquête. C'est dans
cette secle qu'Augustin commence h faire la
guerre à la véritable religion et remporte
tous les jours mille avantages contre elle
par ses discours et par ses écrits, dans les
disputes publiques et dans les conversations
particulières. Mais une erreur comme celle
des manichéens ne pouvait tenir longtemps
contre la subtilité et contre le discernement
d'Augustin. Que fera-l-il donc? son es[)ril
qui est nature llemenl amoureux de la vérité,
la cherche partoutoiiil y a quelque apparence
de la trouver. Il lit même l'Ecriture sainte ;
mais comme il la lit avec un esprit de suffi-
sance, il se dégotlte de la simplicité de son
style, et ne pénèlrepoitit dans la profondeur
deses mystères. C'eslainsi qu'Augustin privé
de la foi, promène dans les es|)aces imaginai-
res de mille opinions chiméri(|ues , un esprit
vagabond, chancelant et incertain comme
un |)ilote qui a perdu la tramontane et qui
au lieu de conduire son vaisseau, le laisse
tloiter à l'aventure au gré des vagues et
des vents, au hasard de le voir s'échouer
sur le sable on se briser contre les r(»chers.
Mais la vérité se découvrira enfin à mon
saint, il ne la peut pas trouver sur la terre,
elle descendra du ciel en sa faveur. Il se
détachera peu à peu de toutes les préoccupa-
tions qu'il a prises contre la religion catho-
lique. Il en examinera les principes, non
[)lus avec un esprit prévenu, mais avec un
esprit désintéressé qui demandera de bonne
foi à s'instruire. En un mot, sa raison éclai-
rée par la grâce, avouera ingénument que
sans la soumission de la foi, elle ne saurait
-lie tranquille, et après tant de mouve-
ments inquiets, elle tiouvera dans celte foi
comme l'aiguille de la boussole dans le
point de l'étoile polaire, de quoi borner
toutes ses recherches et de quoi fixer tou- •
tes ses inconstances.
Mais , Messieurs , avant de pousser
plus loin l'éloge du grand Augustin, il mo
semble que nous pouvons faire deux ré-
flexions utiles sur son infidélité. Car nous
pouvons dire de lui ce qu'il a dit lui-même
des patriarches de l'antiquité, qu'ils nous
instruisent par leursdéfauts aussi bien que
par leurs vertus, et que ce sont des astres
qui ne laissent pas de nous éclairer dans
leurs éclipses. Jnstruunt nos non solum do-
centes sed etiam errantes, La première ré-
flexion consiste à vous faire voir la diffé-
rence qu'il y a entre la conduite d'Augus-
tin et celle de nos libertins. Augustin est
dans l'erreur, mais Augustin qui est un
esprit raisonnable, cherche incessamment
le parti de la vérité. 11 en demande des nou-
velles partout, au lieu que nos libertins,
doutant assez souvent de la vérité de leur
religion, ne songent point à s'en éclaircir,
demeurent dans un assoupissement lélha."-
gique sur ce sujet et s'en rapportent à tout
ce qui en peut êlre, sans prendre seulement
la peine de s'informer de ce qui en est. Je
5«9
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
600
ne saurais blâmer ceux qui vouant à entrer
dans notre religion, examinent d'abord avec
un esprit d'huriiililé et de prudence, les
choses qu'on leur commande do croire, qui
doutent une Tois pour ne douter'plus jamais,
qui br<)ii!enl pours'alfermir, comme une mer
qui s'agite de ()eur d'être agitée, et qui, pour
parler avec un (uof.me, se remuent eux-
mêmes par fermeté, pour se précnutionner
contre les mouvements de l'incoiislance :
Ipsa Constantin concussi sunt adversiis in-
ronstantiœ concussioncm. Mais je ne puis
souffrir ces esprits foris ou f)lulôt ces es-
nrils faibles qui se niellent sur le pied de
nier tout ce qui ne leur snuto point aux
yeux, qui méprisent nos mystères parce
qu'ils ne les peuvent comprendre, et qui
attribuent encore à la force de leur esprit ,
ce qui ne vient que de la faiblesse de leur
raison, qui, par la plus grande injustice du
monde, veulent juger souverainement de la
religion, sans vouloir seulement lu connaî-
tre, qui la condammnt parce qu'elle les
condamne et qui comme le singe , vou-
draient casser le miroir qui leur représente
leur laideur. Cet lionune , ce liber-
tin avoue intérieurement qu'en cas que
la religion soit véritable et telle qu'on la re-
présente, il faut qu'il soit nécessairement
damné. Il confesse que son sort éternel dé-
pend de la solution de cette question im-
portante. Néanmoins c'est assez pour lui
que la chose ne soit pas évidente pour faire
comme s'il était bien assuré qu'elle fût
fausse. Il se retranche daiis les ténèbres
de son ignorance, comme dans un fort im-
prenable, et de celte même incertitude qui
devrait le faire trembler, s'il avait un peu
de raison, il s'en sert pour se mettre inté-
rieurement en repos. Ce monstre de morale
se contente de se maintenir toujours ciuiant
qu'il peut dans des dispositions probléma-
tiques. Il doute do tout et ne s'infoinie de
rien, comme si en doutant de tout il pou-
vait s'assurer de quel(]ue chose, et comme
si c'était assez pour empêcher que les vé-
rités chrélieimes fussent de dire que peut-
être elles ne sont pas.
La deuxième rëllexion que nous pouvons
faire sur l'infidélité de saint Augustin ; c'est
que la Providence divine semble l'avoir per-
mise |iOur servir de remède à la nôtre. Ce
Dieu qui sait tirer l'être du néant, la lumiè-
re des ténèbres et la grâce du péché, sait
trouver aussi en notre faveur une source de
foi dans un abîme d'infidélité. La foi de l'E-
glise est principalement appuyée sur les
apôtres et sur les docteurs; mais parmi ces
apôtres, il a fallu qu'il y eut un Thomas
incrédule, et [)armi ces docteurs il a fallu
qu'il y eut un Augustin infidèle. Thomas
a voulu toucher au doigt la vérité du corps
naturel de Jésus-Christ, et Augustin a vou-
lu toucher au doigt la vérité de son corps
mystique qui est l'Eglise; Thomas a t'ait une
épreuve corporelle de notre foi, et Augus-
tin en a fait une épreuve spirituelh; celle
foi roule sur ces deux pôles, elle [lorte sur
ces deux Atlas qui en sont devenus plus fer-
mes après avoir été cnancelants. Si leur foi
a ruiné noire infidélité, leur infidélité,?» ser-
vi utilement notre foi. On peut dire de cha-
cun des deux que ses ténèbres font le mê-
me effet que ses lumières : sicut tenebrœejiis
itn et lumen ejus. Ah ne disons donc point,
mes frères, que nous ne croirons pas si
nous n'examinons jusqu'au fonds les prin-
cipes de la religion ; Augustin l'a déjà dit
avant nous, et il n'est plus besoin que nous
le disions après lui : il s'est dit à lui-môme
tout ce que nous pouvons nous dire sur ce
sujet. Ce grand génie est comme la pierre
de louche de notre foi et l'on fieut dire do
la foi d'Augustin en particulier ce que saint
Paul a dit de la foi en général: qu'il est une
preuve convaincante des mystères les plus
obscurs et un argument inlaillible des cho-
ses qui nous paraissent le moins. Argu-
tnentum non appnrenlium. ( Hebr., XI, 1. )
i Que si l'inlidélité d'Augustin est si élo-
quente sur le sujet de la religion, que ne
dirons-nous point de sa science et de sa
foi. Ah I mes frères, tous ceux qui auraient
quelijue difficulté sur noire cioyance n'au-
raient qu'à aller consulter les écrits de ce
grand docteur qui sont connue les archives
de noire foi. Certes le grand saint Jéiôme
écrivant 5 Augustin en f)ersonne lui protes-
tait, dès ce tenips-l;i, qu'il n'y avait pointdo
catholique qui ne le regardât comme le ré-
parateur et pour exprimar ses termes dans
toute leur signitication comme le nouveau
créateur de l'ancienne foi de l'Eglise catho-
licjne. « Te conditorcm antiquœ rursum fidei
teneranttir atque suspiciunt ; » mais, que ce
qui était un plus grand préjugé de sa gloi-
re et de son mérite, c'est qu'il n'y avait pas
un hérétique en particulier qui ne le re-
gardât comme son tléau personnel et qui ne
le délestât comme le destructeur tie sa sec-
te: et quodsignnm mnjoris gloriœ est, omnes
liœrelici delestantur. En ell'et, mes frères, il
n'y a point d'hérésie qu'Augustin n'ait ren-
versée, point d'hérétique (|u'il n'ait confon-
du, point d'objection qu'il n'ait prévenue,
point de mystère qu'il n'ait expliqué, point
de question qu'il n'ait décidée. Ce grand
soleil de grâce esl comme le soleil de la na-
ture, il est de tous les tem{)S el de tous les
lieux, il porte sa lumière dans tous les siè-
cles, il ne s'est pas contenté d'étoulfer les
erreurs de son temps, il en a encore étoulfé
une infinité avant leur naissance; il a parlé
de tout, il a décidé de tout, et l'on peut dire
avec vérité qu'il n'y a jamais eu depuis Au-
gustin et qu'il n'y aura jamais dans l'Eglise
aucune diificullé nouvelle à laquelle on ne
puisse trouver dans Augustin une solution
ancienne. S'il s'agissait de compter les mer-
veilleux exploits qu'il a faits pendant sa vie
et tous les succès qu'il a obtenus, ce serait n'en
rapporter qu'une partie que de dire qu'il a
défendu et conservé au Père éternel sa qua-
lité de créateur du ciel el de la terre conlre
les rêveriesdes manichéens; au'Verbedivin,
sa qualité de Fils de Dieu malgré les blas-
phèmes des ariens ; à Jesus-Christ sa qua-
lité de Rédempteur conlre l'orgueil des péia-
601 SERMONS— SLUM. X, POIR LA FETE DE S.VINT AUGUSTIN. C02
gietis;M'Eglis('sa qualité d'universelle on (le vont Aiigusliii consulte l'Eglise pour savoir
catholique nialgrélcs scliismos et les itarli.i- ce qu'il doit croire, mais Irôs-soLivetit aussi
lités (les (io'uiliàles, et à la religion, sa qna- l'Eglise consulte Augustin pour savoir ce
iité d'ortlioilose et de vér table, contre Tira- qu'elle doit enseigner, jus(]ue-là que nous
piétt^ des libertins, conire l'endurcisseniont voyons des conciles généraux et œcnniéni-
drs Juifselconlrelasupeis'iliondesidolàlres. ques dont les canons ne sont formés que
Au reste, mes frères, un des grands avan- des pensées et même des propres [laroles
lages qu'avait Augustin contre l'erreur, ve- du grand Augustin ; comme si rÈglise ne dé-
nait, ce roe semble, de ce qu'il avait été en- daignait pas d'être quelquefois I'tcIjo de
gagé Ini-môme dans l'erreur. Rien de plus cet illustre docteur, comme si toutes leurs
fort qu'Augustin contre les hérétiques par- [lensées et toutes leurs paroles étaient en
ce qu'il avait été hérétique. Il savait com- commun, et commfi si l'Egiise voulait bien
inent il les fallait attaquer, el par où ils être la langue et l'organe d'Augustin, com-
avaitnt de la peine à se défendre, comme me Augustin a été la langue et i'oi'gane de
ces capitaines qui, ayant servi quelque l'Eglise. Voila, mes frères, une [)artie des
temps dans le | arti ennemi , tirent de là boiis oiïices qu'il a rendus i\ la foi : voyons
avantage [lour le détruire, parce qu'ils con- ensuite ceux que la grâce lui a rendus et
naissent le terrain el qu'ils savent de Ion- qu'il a rendus à la grâce, c'est la deuxième
gue main le fort et le faible de ceux à qui uartie de mon discours,
ils ont alfaire. Augustin, entrant dans l'Egli-
se, n'y vint pas sans armes et sans délen- ueuxié;me partie.
se. Le |)arli de l'erreur a^'ait pris soin de
l'armer sans savoir que c'élait [)Our sa firo- Il y a bien de la différence entre la grâce
pre ruine. Augustin sortant des ténèbres qui était donnée b l'homme innocent et
de l'inlidélilé lit, pour lui r(^ndre à lui-mê- celle qui a été donnée à l'homme pécheur,
me une pensée qu'il m'a prêtée, comme les La grAce de l'homme innocent était une
Israélites qui en sortant de rEgy()le empor- giâce tranquille qui aidait à la nature sans
lèrent tous les bijoux et toutes les richesses la combattre, et qui, n'ayant rien à démêler
des Egyptiens qu'ils avaient eu soin de leur avec la volonté du premier homme , n'était
emprunter et dont ils avaient dessein de destinée que pour agir de concert et pour
faire des offrandes à Dieu. Augustin a{)por- travailler paisiblement avec elle; mais la
la dans l'Eglise toutes les sciences profanes grâce de l'homme fiécheur est une grâce
et y apporta toutes les connaissances des guerrière qui est armée de toutes pièces,
païens, comme leur rhétorique, leur philo- qui attaque la nature, qui surmoale la vo-
sophie et surtout une grande subtilité d'ex- lonté, qui ne fait que livrer des combats
prit qui était à l'épreuve des plus grandes et (]ue remporter des victoires. Mais paruîi
dilHiultés. 11 apporta tout cela aux pieds des toutes les victoires qu'elle a jamais rempor-
autels pour en faire un sacrifice à la foi. tées, on peut dire que celle qui la mit en
Mais après avoir consacré cts armes profa- possession du cœur d'Augustin , a été une
lies par cette offrande, il les reprit de la des plus importantes et une des plus célè-
main de l'Eglise qui les lui remit entre les bres. Si la grâce surmonta la nature dans
mains. Il recommença à s'en servir mieux ce cœur, la nature y coujbaîtit fortement la
que jamais, il destina tous ses talents à un grâce. Augustin était tombé dans une cor-
aulre usage et les ornements de sa vanité, ru[)!ion si générale qu'il n'y avait rien en
il en fit comme autant de boucliers pour la lui qui n'eût pris parti pour la n;iture cor-
religion et pour la loi. Il faut avouer que rompue; c'était peu que son esprit fût hé-
c'était un des plus grands avantages que la rétique, si son cœur n'eût pas été volup-
foi pouvait se procurer h elle-même (jue de tueux ; mais il avait hien plus d'atlachemcnt
meltie le grand Augustin dans ses intéiêfs. à ses jilaisirs qu'à ses o|)inions 11 laliait
En gagnant Augustin elle gagnait sans au- que la grâce lit en lui tout ce qu'elle avait
cun combat une infinitédebatailles; et quand jamais fait séparément dans les aufres. En
sa raison qui avait été révoltée contre cette effet, Messieurs, si la grâce attaque David
foi vint à lui être réconciliée et à combat- dans l'ancienne loi, elle n'a à combattre que
Ire sous ses enseignes, il est certain que ce l'impureté de son corps ; si elle attaque
fut un coup d'état pour l'Eglise; aussi ne saint Pierre dans la nouvelle, elle n'a à com-
ful-elle pas longtemps sans le leconnatlre battre que l'iiitidélité de son esprit; si saint
comme le plus ferme de ses appuis, comme Paul est pécheur, ce n'est que parce (lu'il
le plus inl;itigable de ses soldats et comme est infidèle; si Madeleine est pécheresse, ce
le [)lus infaillible de ses docteurs. Je dis, mes n'est que parce qu'elle est impudique ; mais
frères, qu'il est le plus infaillible quoiqu'il Augustin est iîifidèle et impudique tout à
aiibeaucoujt plus éciit que tous les autres; la fois. 11 faut réduire son esprit et son corps,
car dans tous les autres vous y trouvez fou- p.uce qu'ils se sont également révoltés. Ah l
jours quelque dogme particulier qui n'a (jiielle victoire pour la grâce , mais quelle
point él'' approuvé'de l'Eglise. Mais Augus- dilhcullé pour Augustin. Il nous dit lui-
lin depuis sa conversion n'a jamais ensei- même qu'il était comme un monstre, cf.n:-
gné ni écrit la moindre erreur, Augustin et posé de deux volontés dirTérentes; il tou-
l'Eglise disent toujours la même chose et lait et il ne voulait |ias, ne pouvant com-
c'esl assez d'écouter l'un ou l'autre pour prendre comment le corps obéit si facile-
savoir la [lensée de tous les deux : très-sou- ment à l'esprit dans les actions naturelles,
G05
ORATEURS SACRES. DE MONMOREL.
C9i
cl comment, pour celh's de la ^rûce, son
(spnl avnil laiil de poine fi se commander
et h s'ohéirà soi-nièmi'. Ildemanciait ci Dieu
la (;oii(incnpe, cl il craignail qu'il ne la lui
donnât. Au inoins eûl-il élé bien aise que
c.o. n'eût |)as élé silôl, •amant mieux le plai-
sir lie salisfaire sa ronvoiliso que l'avanlage
<l.> la voir éteinte. C'était alors, dit ce grand
lionunc, que les voluptés, mes anciennes
amies, venaient niurn)urer h mes oreilles,
cl. connne si elles m'cussenl tiré par der-
rière, semblaient me dire tout bas d'un lan-
gage doux et flatteur : C'est donc h ce coup
(|ue tu nous quilles? Peux-tu bien nous
dire adieu pour toujours, et nous abandon-
ner pour jamais? Si cette voix n'était pas
assez puissanie pour me faire relourner
sur mes pas, elle l'élait assez pour me faire
arrêter tout d'un coup. Je ne recuhiis point,
niais je demeurais en suspens corauje un
bomme qui reprend haleine et qui n'en
IK'ut i»lus, me voj'ant tout proche de nn)n
but, cl perdant presque l'espérance de l'at-
teindre. Mais enliii ce moment saeré, m ii-
i|né par les soins d'une (irédeslin.ition él' i-
nelle pour la conver.sion d'Augustin, était
arrivé, et Augustin s'était rencontré dans
ce jaruin et sous ce figuier qui était comme
le rendez-vous que la miséricorde avait
donné à ce pécheur. La grâce commença
une si célèbre cérémonie par l'elfusion d'un
lorreni de larmes qui prit naissance dans
Je cœur d'Augustin et qui vint à couler i)ar
ses yeux. Il enlcndil une voix d'en haut
(|ui iui criait: Prends cl lis. Il lut dans les
É()îtres de saint Paul qui se trouvaient en-
tre ses mains, ce célèbre passage qui porte
qu'un chrétien ne doit plus avoir rien de
commun, ni avec les plaisirs de riin[)ureté,
ni avec la sensualité du goût, ni avec les
prétentions de l'orgueil, ni avec les cha-
grins de l'ennui, et que toute son occu|)a-
lion sur la terre doit consister à se rcélir
peu à peu des livrées et des vertus de son
adorable Sauveur : Non in cubilibus et im-
pudicitiis, non in cowmessalionibus cl ebrietn-
liùus; non in conlenlione cl œinulatione, sed
induimini Dominum Jesmn ClirisCum. [Rom.
XIII, 14-.) Ayant rejoint A'ijjius qui était
venu dans le racme jardin avec lui, ils trou-
vèrent que la suite du texte portait ■.Jn/irmuni
aulem in fide assumile. Ayez soin de ména-
ger avec charité la foi et les dispositions
(l'ini chrétien nouvellement converti. [Rom.
XIV, 1). Comprenant que ces paroles s'a-
dressaient à ce cher ami, il lui demanda le
secours de sa direction et de sa conduite.
Voilà Augustin converti pour toute sa
vie, pour le temps et pour l'éti rnilé. Qu'.
fera ce nouvel Augustin? Il prendra en
tout et partout le coiilre-pied de l'ancien ;
Il se rendra la caution de ses dettes, il satis-
fera pour lui, ou plutôt cet Augustin se fera
son procès à lui-même. Il préviendra les
jugements de Dieu, el, suivant la belle
pensée de Terlullien (|ui dil que la péni-
tence est la vi( e-géranle de la justice, il s'en
prononcera les arrêts el les exécutera sur
sa personne.
En effet, Messieurs. quedoit fairela justice
divine dans l'autre vie? Le Prophète nous le
dit en deux mots : Judic(diil in nalionibtiSr
implebit ruinas [Psal. CIX,G) : le Seigneur ju-
gera les nations el il réparera lesruiiies; c'est-
à-dire, disent les interprètes, qu'il remettra
toutes choses dans l'ordre, (ju'd fera ren-
trer dans l'ordre de la ju'^lice ceux qui au-
ront vo du sortir de celui de la miséricorde ;
qu'il corrigera les dérèglements du [)écheur
el qii'il ellaccra toutes les taches dont K^
['éclié semblait avoir marqué la conduite de
sa Providence. Un pécheur dans l'abondan-
ce, un juste dans la misère, le vice sur le
trône, la vertu dans les fors, le criminel
dans les honneurs, l'innocent dans le mé-
jn is sont comme autant de taches h la gloire
de Dieu, comme autant de brèches que io
péclié fait h la Providence. Le Seigneur,
dans le jugeinerd dernim-, remettra chnqm;
chose à sa place; il essuyera toutes ces ta-
ches; il remplira toutes ces brèches : lin-
plcbil ruinas. La pérniencc qui, selon saint
Thomas, est une partie de la justice vindi-
cative fait la Uième chose dans Augustin.
Augustin |)écheur n'avait pas -en lui une
aU'ecliou qui ne fut déréglée par une pas-
sion qui ne fût hors de sa place; mais
Augustin [)énilent fait raison h la Provi-
dence de tous ses désordies. 1! trouve chez
lui un pécheur dans les délices, il le con-
damne à des mortifications (jui dureront
autant que sa vie; il y trouve un orgueil-
leux et un esprit fort, il l'abbat et le rem-
plit de confusion et de honte; il y trouve
un hérétique, il le soumet; il y trouve un
iinpu(li(iue, il le punit; il lui ordonne des
châtiments à proportion de ses plaisirs ou
plutôt il ne garde aucune mesui'e avec lui ;
il le pousse à bout et le maltraite jusqu'à la
mort. Mais ce n'est pas assez; Augustin a
fait triompher publiquement l'erreur de la
vérité; il a insulté impunément aux secta-
teurs de la véritable religion ; il a scandalisé
les forts, il a perverti les fail)le>; ce sont
autant de ruines (lu'il faut relever, autant
de brèches qu'd faut réparer : Implebit rui-
nas, et il les réparera. Il rendra à la gloire
de Dieu, mais il lui rendra avec usure
tout ce qu'il lui a ôlé; il lui payera les
intérêts de ses funestes relardements. S'il
a prêté sa voix et sa plume à la défense
de l'hérésie, il les consacrera pour jamais
aux intérêts de la religion catholique;
s'il a élé l'avocat du mensonge, il de-
viendra l'oracle de la vériié; [)Our quelques
personnes qu'il a perverties, il en conver-
tira une infifiité dans le monde par ses
exemples, par ses préu. calions el par ses
écrits : hnphbil ruinas. En un mol, ce chré-
tien qui a éprouvé toutes les corruijtions
de la nature deviendra tout d'un coup le
[dus cher de tous les lavoris de la grAce ;
el, en effet, il me semble qu'il se conlracle
une alliance particulière entre la grâce et
Auguslin dans le moment de sa conversion.
C'était sous un arbre que Adam et Eve
avait perdu la grâce, et c'est sous un arbre
(lu'AugusUn l'a retrouvée : Sub arbore malo
f.OS
SERMONS. — SERM. X, POUR LA FETE DE SAINT AUGUSTIN.
606
susciCavi te ; ibi corrupla est mater tua, ibi
violata est qenilrix tua. .Mais au lien d'une
^j-ilce qui avail olé ^ l;i mefci du franc aiibi-
iVe dans l'étal .le la jiislico originelle el qui
avait succombé sous rcITorl de la liberté
(i'Adam, il se trouve d'intelligence avec
une grâce victorieuse, dont les attraits ont
une puis>ance inévitable pour gagner le
(œurde l'homme, el [lour lui faire trouver
son plaisir et sa gloire dans sa défaite.
Nous lisons dans le livre des Juges que la
sage Débora, (|ui était l'illustre prophétesse
d'Israël et comme la générale des armées du
Seigneur, ayant à entrejirendre une guerre
loi i importante , voulut associer le vaillant
Barac!) ïi la gloire de ses conquêtes. Elle
lui proposa île le mettre à la léle de dix
mille hommes (lour marcher contre ce cé-
lèbre Pisara qui était la terreur du peuple
do Dieu. Barach réfiond 'i celle propo.Nilion
en ces termes : Si venis mecum vadam, si
nolueris venire nonpcrgam; Si vous voulez
y venir j'irai volontiers; mais si je suis tout
seul je n'irai pas. Débora lui réplique :
Jbo qtivJem, sed in hac vicevictoria i-eputabitur
in manu midieris : J'irai donc, puisque
vous le voulez, mais souvenez-vous aussi
que quoique ie péril du combat doive être
jiartagé entre nous, tout l'honneur do la
victoire sera néanmoins pour moi. {Judic,
IV, 8.) Ah! Messieurs, que ceci nous repré-
sente tidèlement l'union de la grâce de Jé-
sus-Christ avec le franc arbilre de l'homme
et l'alliance de cette même grâce avec le
cœur et l'esprit d'Auguslin. Dans l'élat de
l'imiocence, la grâce et l'homme combat-
laent ensemble, mais c'était l'homme qui
commandait. La grâce élail pour ainsi due
à ses gages; elle avançait ou reculait au
gré de son franc arbilre, et quand l'Iiomme
remporlait quelque victoire, il en méiilait
la louange et en avait presque tout l'hon-
neur. Mai.sia volonté de l'homme ayant été
corrompue et élant devenue malade, lâi he
el impuissante par le péché, il a fallu don-
ner le commandement à la grâce. Au lieu
d'un secours qui secondait les forces de
riiouime innocent , l'on donne à l'homme
criminel une force indomptable qui triom-
phe de sa faiblesse. Au lieu que la grâce
n'agissait que par le branle et par le mou-
inent de la volonté, la volonté n'agit plus
(pie par le branle el par le mouvemenl de
la glace. Elles ne comballenl jamais l'une
sans l'autre; mais quand ou perd la bataille,
on ne s'en prend qu'à la liberté, et quand
ou remporte la victoire, on n'en donne
l'honneur qu'à la grâce. Voilà de quelle
manière la grâce s'allie à la volonté du t)é-
ciieur; mais cette même grâce comme une
autre Débora, fait aujourd'hui un Iraité su-
li nnei avec Augustiu comme avec un autre
Barach. Celte illustre conquérante qui com-
bat dans nos âmes tout ce qui s'opfiose à
la gloire de Dieu, etqi'i est comme le lieu-
lei.ant générai de ses armées, intéresse
Augustin dans son parti el lui veut donner
une commis>ion honoialde i our aller com-
battre, contre les péiagieiis, l'orgueil de la
nature corrompue, [)0ur aller soutenir par-
tout la nécessilé de la grâce de Jésus-Christ
el f)Our aller défendre la cause de sa mort
et de son sang, Augusiin y consent. Animé
d'un si beau zèle, honoié d'un si grand
emploi, il sacrifia tontes choses h une (]ue-
relle si importante; mais il sent bien (ju'il
no saurait pas faire un pas si cette même
grâce qu'il va défendre ne le soutient, si
elle ne l'accompagne partout, et si elle ne
fait avec lui ce qu'il a dessein de faire pour
elle : Si venis mecum vadam, si nolueris ve-
nire non pergam. Oui, Augusiin, la grâce
vous accompagnera toujours et no vous
abandonnera jamais; vous la ferez triom-
pher dans l'Eglise comme elle aura triom-
phé dans votre cœur: elle travaillera pour
vos intérêts et vous travaillerez pour les
si'ens; elle viendra à bout de la révolte do
vos passions et vous viendiez à bout de
l'insolence de ses ennemis; vous irez ar-
borer j)arlout ses élendards; vous la ren-
drez victorieuse des oatliDliques et des liber-
tins, des hérétiques et des inlidè!(!S, des
lâches et des orguidlleux; vos exemples et
vos actions, vos éirits et vos livres, vos
iJisputes c<i vos sermons, vos travaux et vos
veilles, voire pénitence et voire amoui',
voire cor,)s et votre âme, enfin toutes (dio-
ses ne seront en vous que les armes offen-
sives et défensives de la grâ;e. Dans les fa-
tigues que vous souffrirez |)Our les inlérêls
et dans les combals (pie vous livrerez pour
sa vengeance, vous en aur.z toute la peine
el vous lui en donnerez foule la gloire, vous
sèmerez et elle moissonnera; vous courrez
mille hasards dans vos b dailles, et elle rem-
portera tout l'avantage de vos victoires,
voire humilité le veut ainsi, el c'est une
des clauses du traité que vous avez fait avec
la grâce, llluslre alliance d'AugUbtin, avec
la grâce de Jésus-Chrisl, Augustin lui lient
lieu de toutes choses; Augustin est l'esciave
de la grâce ; il a élé surmonté et pris par la
grâce en juste guerre; il se fait unfilaisirde
porter ses chaînes; il sera soumis éternelle-
ment à son autorité elà ses lois; et comme
par la disposition du droit tout ce que les
esclaves acquièrent, ils ne l'acquièrent que
pour leur maître : Quidquid servusacquirit,
domino acquirit ; de même tout ce que fait
Augustin, il ne le fait que pour la grâce;
toutes ses acquisitions sont pour elle. Au-
gustin est l'eulant bien-aimé do la grâce;
la grâce l'a enfanté avec beauccuip de peine,
mais dans cet enfantement mystérieux, on
peut dire (jue ça élé l'enfant (jui a enduré les
tranchées de la mère. Augustin, après mille
peUiCS el mille diflicullés esl devenu l'en-
fani le plus chéri do celle grâce et de celle
mère. Augusiin est rajiôlre de la grâce;
c'est d'elle qu'il a reçu sa ujission. il no
prêche que la grâce, H ne parie que de la
grâce. Augusliii est le secrétaire et le tru-
chement de la grâce; c'ist par lui qu'elle
s'exprime; c'est [lur lui ()u elle nous parle,
nous pouvons lui dire avec le Prophète quo
la grâce et répandue sur ses livres : iJif-
fusa est gralia m (ahiis tàis.{l*sol, XLIV, 3.)
fi07 ORATEURS SACRES. DE MONMOREL. COS
cl il peut nous dire qu'elle esl aussi répan- (jcli<ip|)or. Aussi [)Oiil-oa tiiro que sa tuo-
due dans tous ses ouvi-Hgos et que sa !an- raie esl la |ilus pure morale qui fût jaujais,
gue et sa plume prclent également leur parce qu'elle est toute fondée sur la soli-
minist^re à la beauté et h la promptitude de dite du saint amour. Dans l'école de saint
ses expressions : Lùîgrua wm cfi/'iHMfs scribe Augustin, l'amour divin et l'amour-propre
velociter scribentis. {Psal. XLIV, 2.) Enfin sont deux célèbres rivaux qui partagent
Augustin est l'arbitre de la grâce ; si on lui tous les cœurs et toutes les actions des
conlestequelque chose, sion veut retrancher liommes, la moindre pensée, le moindre
de sa domin.ition et de ses droits , elle s'en mouvement de l'ilme qui n'a()partient pas
rapportée Augustin, elle passera par tout à l'amour divin, appartient infailliblement
ce qu'Augustin en aura dit. Si bien, Mes- à l'amour-propre. Ce sont deux pôles sur
sieurs, qu'il y a une infinité do relations quoi roule toute la vie humaine et Uiesur©
entre Augustin et la grâce de Jésus; leurs toute la vie chrétienne ; l'on ne s'ap|)rociK;
idées sont si étroitement unies qu'on ne de l'un qu'à mesure qu'où s'éloigne de l'au-
saurail penser à Augustin sans penser 5 la Ire. Ce sont deux fameux architectes qui
grâce, pi-nser à la grâce sans penser à Au- ont bàlideux villes, lesquelles seront d'une
guslin. Car s'il est le favori et le docteur de éternelle durée. L'amour que nous avons
la grâce, il ester/core le docteur et le modèle pour Dieu et qui va jusques au mépris do
del'amourdivjnqu'il fait Iriompherde toutes nous-mêmes, a bâti la sainte cité de Jérusa-
les attaques de l'amour-propre, c'est la der- lem; et l'amour que nous avons pour nous-
nière partie de uion discours. mêmes et qui va jusiiuesau mépris de Dieu
TiioisiisME PARTIE. ^ ^^'■' '" ^^^^ abominable de Babylone, Cet
L'amour-propre fait deux choses à l'é- amour de Dieu qui s'ap[)elle charité, est un
gard de l'amour divin. Quelquefois il l'ai- nionument qui nous porte à jouir de Dieu
l'ère el le corronq)!, quelquefois il limite V^^'' Dieu même, et à nous servir seule-
et le falsifie. En premier lieu l'amour-pro- "'^'"' ^^ ^^al le reste pour l'amour de lui.
pre altère l'amour divin el le détruit eiitiô- Cet amour-propre qui s'appelle cupidité,
remenldans nos cœurs, comme quand il le est un mouvement par lequel nous rélléchis-
combal à force ouverte, qu'il lève le masque sons sur :ious-mêmes celle jouissance qui
et que, secondé de l'orgueil, il nous donne ne doit être que pour la dernière lin, nous
pour les lois de Dieu un mé[)ris que nous arrêtant aux créatures pour l'amour d'elles
devrions avoir pour nous-mêmes, ou qu'il ou [>lulôt pour l'arnour de nous. De 15 cet
nous donne pour nous-mêmes un attache- incomparable docteur conclut que la vertu
iiicnt et une complaisance que nous de- n'esta le bien prendre, que la règle de I a-
vrions n'avoir que pour Dieu. En second uiour: Vir lus esl ordo amoris, qnciionnini ii
lieu, l'amour-propre imite el falsifie l'amour n'y a qu'une passion chez les Sioïques, qui
divin; c'est lorsque par un siratagème qui est lamour, le ressort el le ()remier mobile
lui estforl ordinaire, il tâche de se substi- de toutes les autres, de même, il n'y a
tuer en la place de son ennemi, el que nous qu'une vertu parmi les cliréiiens, qui est
déguisant ce cpi'il est, il se fait passer à nos l'amour sans laquelle toutes les autres doi-
yeux pour ce qu'il n'est pas. Une infinité vent être comptées pour rien, et qui seule
de chrelieiiss'imaginent qu'ils aiment Dieu, renferme généralement toutes les autres
ils 9 en rapportenl à quehpies actions e\té- qui ne sont que ses espèces et ses modiîi-
I ieures,à quelques devoirs de piété, à quel- cations ; qu'aiiisi la tem|)érance n'est qu'ui
ques mouvements airectifs qui n'en sont amour sobre, la justice qu'un amour éiiu-
que des preuves fort trom|)euses et des table, la pudeur qu'un amour discret, la
marques fort équivoques. Or le plus sou- force qu'un amour constant, et toutes les
vent toute cette piété et tout cet amour vertus ensemble, qu'auianl de ditlérenls
n'est qu'un fantôme d'amour divin de la amours, ou plutôt un seul amour qui cot
façon de leur auiour-(MO[)re. Cependant un toujours le même malgré la diveisaé de
homme s'applaudit en secret de cette vertu ses matières et la diflérence de ses opéra-
prétendue ; les autres y sont trompés et il lions, que la religion Cdlholi({uenedemar!de
y est trom[ié lui-môme. C'est une fausse que cet amour au chrétien, et que ()0U!-
monnaie qui ne laisse [>oinl d'avoir cours, vu qu'il aime, il n'a qu'à faire ensuite
parce qu'elle a foule la hgure et toute la loul ce qu'il \oudva : A ma et fac quod vis,
ressemblance de la bonne. Le grand Au- {)arce que accomplir ce préce[)le, c'est ac-
guslln remédie à ces deux désordres. Pie- complir tous les autres, el qu'accomplir les
mièrcment, il nous fait connaître le vérila- autres sans celui-ci, c'est n'en accomplir
ble amour ; deuxièmement, il nous le lait aucun. Qu'en un moi, l'amour divin txpli-
^enti^. Il nous le fait connaître par sa doc- ([ué de cette manière, esl le fruit de la
trine, et il nous le fait senlir par son nouvelle loi, le caractère du clirélien qui
exemple. 11 le discerne [tar ses lumières, et le dislingue du juif, le sceau cjui marque
il en l'ait le premier essai sur sa personne, les enfants de Dieu, l'Imile qui nous adou-
Jamais aucun docteur n'a connu la na- cil le joug de la loi cl de l'Evangile. La vie
lure de l'amour divin el celle de l'amour- de l'âme, l'âme des vertus et la vertu des
propre comme le grand Augustin. Il y était chrétiens qui sont sur la terre, el des saints
savant par sa [)ro[)re expérience, il n'avait (jui sont dans le ciel, vodà ce que uion
garde de se laisser surprendre jamais à des saint nous a appris de l'amour de Dieu,
pièges aux(picls il avait eu tant de peine à Que si de sa doctrine nous voulons pas-
COn
SrRMONS.— SEUM. X, POl R LA FETE DE SAINT AUGUSTIN.
c:o
sera SCS cxeiuplos, vous vorrrz qu'il ni'
fjiil pas unejiclion qni ne soit animée yi\r
lin si noble niolif, soil que nous le rej;;ir-
dionsd.nns sn vie conlemplalive ou dans sr.
vieaclivo, ilans les emplois de son épiscn-
pat ou dans les temps précieux qu'il donne
h In solitude et à la retraite. Augustin est
toujours Augustin, c'esl-^-dire, lonjonis
aiin.int et toujours cnllamméde ce feu que
son Sauveur était venu allumer sur la terre.
Mais si vous le regardez dans ses extases,
vous l'y verrez non pas comme un homme,
mais comme un sérapliin mortel h qui la
rliair sert de matière, et à qui la cliarilé
sert de forme , se consumera tous moments
en désirs dans la contemplation de celi(;
Vérité éternelle qu'il avait méconnue si
longtemps, et de celte beauté infinie (ju'il
avait aimée si lard; tanlùt il poussait mille
soupirs et s'abandonnait à mille sensibles
regrets d'avoir prodigué si longtemps son
amour à des êtres qui ne méritaient ([ue
son aversion et sa haine ; tantôt il se re-
prochait sa folie, qui lui avait tiré si sou-
vent des larmes des yeux en faveur de la
mort de Didon, laquelle n'avait pas voulu
survivre à la perle d'Enée, pendant qu'il était
lui-même insensible à la mort de son âme,
laquelle avait élé sans vie tout le temps
(ju'elleavailété à l'égard de Dieusansamour;
tantôt il déplorait l'aveuglement des mor-
tels, qui s'amusent à chercher inulilenient,
dans la vanité des créatures, cet amas de
beauté et de bonté qui ne se peut trouver
que dans l'unité du Créateur, qui chercherit
toute la vie leur félicité où elle n'est point,
et qui ne la cherchent point où elle est;
tantôt il se sentait enflammé d'un si vio-
lent désir de voir el de [)Osséder son Dieu,
que son corps s'en détachait de ses sens, et
que son âme s'en détachait presque de son
corps. Ahl mon Dieu, disait-il, dans ses
amoureu-x transports, jusques à quand soui-
frirez-vous que l'on m'insulte et que l'on
me demande : où estdonc Ion Dieu, sans que
je puisse le faire voir, parce que je ne le
vois pas encore? quelle raison pouvez-vous
avoir pour vous cacher davantage à mes
yeux, et pour vous refuser encore à la pas-»
sion innocente que mon cœur sent pour
vous? si vous me dites qu'il faut mourir
pour vous voir, j'accepte celte condition
volontiers ; que je vous voie donc, atin que
je meure, et que je meure afin que je vous
voie : Eia, Domine, moriar ut te videam, vi-
deam ut hic moriar; car je compte la mort
pour rien, ou plutôt je la compte pour beau-
coup, si c'est elle qui doit me mettre en
possession de l'objet adorable de mes sou-
pirs.
Est-ce donc Augustin, mes chers frères,
que nous entendons parler ainsi; est-ce lii
cet Augustin autrefois si rempli d'amour-
l)roprc, autrefois si amoureux de lui-même,
qui n'aimait que des beautés mortelles, et
qui ne cherchait qu'à en être aimé. Oui,
sans doute, c'est cet Augustin autrefois si
libertin, autrefois si vûlu{)tueux, autrefois
SI impudique, ou plutôt ce n'est plus lui,
(t la grâce l'a tellement changé, qu'i Ile n'a
presque pins rien laisséen lui de lui-môme.
El après cela, |)ouvons-nous dire qu'il y
ail de l'impossibilité dans nos conversions ?
Ouello rr-i^nn nous em[)6cho de nous con-
vertit? Avons nous de l'ataeliemcnt |)our
le monde, mais Augustin en avait pour In
moins au'.ant que nou«. Avons-nous, de la
diflicuiléà renoncer aux nlaisirs? mais Au-
gustin y a eu plus de diniculté cpie per-
sonne. Avons-nous quelque malheureux
tempérament qui nous sollicite iiicessam-
ment au péché, quelque habilnde qui nous
y entretienne, quelque occasion (jui nous y
engage, (pielque créature qui nous y en-
lraîn(>: mais, mes frères, nous n'avons pas
une faiblesse Ih-dessus que noire augusie
ponlifo n'ait éprouvée : pas un seul obsta-
cle nes'oppose à notre salut qui ne se s it
opposé au sien. Nous sommes en droit d'at-
tendre aujourd'hui du secours et de la
compassion de sa {»art, pourvu qu'il vo'e
quelque courage et quelq-.ie fidélité de la
nôtre. Non habcmus Ponli/lcem qui nonpos-
sil compati iufirmitatibus noslris. Augustin
a soulfert toutes nos peines, \\ a soutenu
tous nos combats, il a surmonté tous nos
ennemis : Tentatwnper omnia. Esl-cela rai-
son qui donne de la peine à notre foi ? est-
ce la nature qui étouffe en nous les senti-
ments de la grâce? est-ce l'amour-firoi)ro
qui emi)6clie dans nos âmes le progrès de
l'amour divin ? Augustin nous a fait raison
de tout cela, Tentatum per omnia. Sd peux
dire de lui ce que saint Paul a dit de Jésus-
Christ, qu'il a étoulle toutes sortes d'inimi-
tiés en lui-même: !nterficiens inimicilias in
scmctipso {Ephcs. ,\l,i6j; l'inimitié delà rai-
son et de la foi, l'i^iimilié de la grâce et de
la nature, l'iniujitié de la charité et de la
cupidité. Mais ce n'est ()as assiz qu'Augus-
tin ail vaincu dans sa personne, il veut
encore vaincredans les nôtres; il veut éten-
dre ses victoires jusque sur nous. La grâce
a triomjihé dans Auguslin, et Augustin a
triomphé par la grâce; mais la grâce et Au-
guslin qui ont toujours été invincibles quand
ils ont élé ensemble, se réunissent aujour-
d'hui pour triompher du cœur des chré-
tiens. Avouez, mes frères, que l'exemple
d'Auguslin est quelque chose de bien fort
et de bien puissant; c'est un esprit qu'on
peut appeler véritablement un esprit fort ;
il n'y a point de faiblesse à croire ce qu'il
croit, et à nous laisser persuader de ce
qu'il nous dit; c'est un savant qui a exa-
miné toutes les religions et toutes les sec-
tes; il est imfiossible qu'il n'ait pus choisi
la meilleure. C'est un saint quia [^assé par
tous les plaisirs de la vie; sa vertu n'est
point une verlu de tempérament, sa rc"
traite n'est point un elfet de mélancolie;
c'est un pécheur qui nous attire par sympa-
thie, et il est cerluin qu'un pécheur conver-
ti est bien plus propre h faire des conver-
sions qu'une infinité de justes qui n'auront
jamais [/éché. Un j)écheur s'en rapporlo
plus volontiers à un pénileni, el liouve un
I)laisir secret à imiter plutôt la vertu lie
611
ORATEUlîS ^.\CUi::S. DE MONMOREL.
CI2
ceux qui lui ont é{6 semblables dans le
vice. En un mot, Augustin est un pénitent
qui nous fait voir que la pénitence a des
avantages que l'innocence n'a Jamais tnis,
et qui nous ins'nue, par son exemple, que
comme Dieu trouve sans comparaison plus
de gloire dans la conversion d'un pécheur,
quediins la sainteté d'un grand nombre
d'innocents , nous devons renoncer de bon
cœur à tous nos désordres, dans cette pen-
sée pleine de consolation, que Dieu en
pourra faire des sources de gloire pour lui,
et que peut-ôlre il se plaira à faire abon-
der la grâce là où le péché aura abondé;
cai il ne faut [loint douter que le libertin.tge
d'Augiisli') ne fasse en lui un très-grand
honneur à la grAcc. Si Augustin n'avait
point été héréti'jue, il ne serait pas surpre-
nant de le voir le plus grand de tous les
docteurs de l'Iîglise; s'il n'avait pas élé li-
bertin, sa sainteté serait privée d'une bon-
ne partie de son éclat; s'il n'avait jamais
aimé le monde, i! n'y aurait pas lanl de
merveille à le voir si passionné d'amour
pour son Dieu. Qu'aUemions-nous dofic,
mes frères, à '"aiic comme le grand Augu;-
tin?Ne vo\ilons-nous | as conlnbuerde tou-
tes nos forces à faite un si bon usage do
ii'is péchés ? voulons-nous nous opjiuser
plus longtemps aux vie loues et aux opéra-
tions de la giâre ? Ah I mes frères, si vous
m'en croyez, allons nous jeter aux pieds
de notre illustre ponlilé : Adeamusergo ciim
fiducia ad llironum gruliœ ejits,ut mistricor-
dimn consequamur et graliam inveniamus in
au.rilioopportuno, conclut saint l*au\(Hebr.,
XIV, 16), après les paroles de mon texte.
Approchon^-nous de cet autel oij l'on ho-
nore ce gra: d saint; demandons-lui sa
compassioi) pour nos misèies, et le secours
de sa charité et de ses | rièies pour nous
obtenir de puissants etfets de la miséri-
corde divine. Augustin est le Irôiie vivant
delà grâce; elle a régné en lui et par lui;
c'est là où luKis la devons aller chercher. Il
iaut rcndie les armes à la gtâce et à ce
grand ca|)i(a:ne dont elle se seit encore au-
jourd'liui pour nous soumettre ; préparons-
leur de nouveaux triomphes, ajoutons quel-
que chose à leurs Irojjhées; mettons au
pied de cet autel une raison soumise, étei-
gnons son llaujbeau, et renonçons à toutes
les connaissances qui peuvent être con-
traires aux sentiments de notre foi ; don-
nons-y le coup mortel à la nature; lâchons
d'y égorger l'amotir-propre, porions-y des
cœuis contrits, ajoutons-y des vices sur-
montés et des passions étouffées, alin que
par cet appareil nous puissions rendre quel-
que honneur à la mémoire d'Aiiguslin et à
la souveraineté de la grâce ; ou si nous ne
pouvons pas étouffer nos passions, tâchons
de les consacrer en les faisant changer
d'objet; donnons à la Divinité la tendresse
de cet amour que nous avons pour le monde.
Ayons pour la gloire de Dieu ce zèle au-
dacieux qui nous anime pour les intérêts
de la nôtre; transportons aux biens du ciel
cet empressement que l'avarice nous a
inspiré pour ceux de la terre. Commen-
çons h sanctifier [)ar une offrande salutaire
toutes les puissances de notre âme et toutes
les facultés de notre corps, en les em-
ployant à de nouveaux usages, afin decom-
balire le démon par ses propres armes, ot
en changeant en instruments de salut, les
passions qui nous conduisaient à la perle
de nolrj âme.
Cependant, mes révérer.ds Pères, si l'exem-
ple d'Augustin convertit véritablement ces
pécheurs, c'est à vous à les recevoir entre
vos bras pour faire fructifier en eux les se-
mences de la sainteté et de la vertu ; c'est l\
vous que je dois adresser ces paroles que
saint Augustin adressa à son cher Alipius
dans le moment de sa conversion, en lui de-
mandant le secours de sa conduite : infir-
mum in fidc assumite. Prenez soin de ces
nouvelles productions de la grâce; char-
gez-vous (le défendre les conquêtes de no-
ire Père et de lui en faire de nouvelles.
Vous avez entre vos mains les armes dont
lu grand Augustii se servait pour combattre
le péché, et pour convertir les pécheurs.
Sa doctrine est dans vos esprits, sa pénitence
sur vos corps et sa charité dans vos cœurs ;
vous êtes les enfants de son amour, les hé-
ritiers légitimes de son zèle, et comme les
suppléments de ses glorieux desseins. Au-
gustin a fait dans rinslilulion de votre saint
ordre ce (pie Jésus-Christ a fait dans l'éta-
blissement (le son Eglise; Jésus -Chri>t
avait un corps naturel qui ne pouvait pas
demeurer toujours sur la terre, il a mis e;i
sa place un corps mystique qui agit en son
nom, qui souffre en son nom, et qui animé
de l'esprit de Jésus, i)oursuit ses desseins
etajouto incessamment à ses victoires. Au-
gustin ne pouvant demeurer toujours ici-
bas par une imitation ingénieuse de son
amour, a . substitué aussi en la place de sou
corps naturel, un corps mystique qui, étant
animé de son esprit, fait partout ce qu'Au-
gustin ne pouvait faire que dans un lieu,
et fait toujours ce qu'Augustin n'a pu faire
que dons un temps, soil qu'il faille soutenir
les intérêts de la foi contre l'erreur, ou ceux
de la grâce contre la nature accomplie, ou
ceux de l'amour divin contre l'amour-pro-
pre. C'est ainsi, mes frères, qu'Augustin
est comme un modèle éternel que nous
[)Ouvons ne perdre jamais de vue, et qui
se présente toujours à nos yeux, en la pei-^
sonne de ces saints religieux, ou comme un
docteur qui nous instruit, ou comme un
pénitent qui nous édifie, ou comme u't
amant qui nous enflamme; tâchons, mea
frères, desuivie ces illustres exemples, et
de profiter de la vertu du père et de celle
des enfants, afin (ju'après avoir reçu la grâce
parle minislère de son docteur et de so'i
plus cher favori, nous puissions un jour
participer à la gloire que je vous souhaite
au nom du Père, etc.
NOTICIi
SUR BARTIIELEMI MALUEL
Bartliélemi Maurel naqiiil dans le mois
de juin 17o8, an lien de Lascovdomines,
pnroisse de Faba.«, dans le diocèse d'Albi,
Il (Ommença ses éludes dans le lieu de sa
naissance. Ses lienreiiscs dispositions en-
gagèrent ses pareiils <^ l'envoyer de bonne
heure au collège d'AII)i, qui, depuis le dé-
part des jésuites, se trouvait dirigé par une
société d'ecclésiastiques, non moins distin-
gués par leurs vertus que par leur science,
et dont la mémoire est encore en vénération
auprès de ceux qui les connurent. Sous ces
maîtres habiles le jeune élève fil de rapi-
des progrès; on remarquait surtout en hii
une imagination vive et féconde, un dis-
cernement sûr, une grande facilité pour
écrire, une raison précoce : heureuses qua-
lités qui, réunies à la piété franche el sin-
cère qui l'anima de bonne heure, el à un
grand amour de l'étude, semblaient annon-
( tr la carrière distinguée qu'il devait par-
courir.
Après avoir terminé son cour de philoso-
phie, il s'adonna tout entier à l'étutle de la
théologie. Alors commencèrent à se i^raver
l'urtonienl dans son esprit les princijies (Je
celte loi qu'il a défendue avec tant de zèle,
et de cette morale de Jésus-Christ cpi'il a
annoncée avec tant de dignité et d'é.'o-
quence.
S. Em. le cardinal de Bénis, archevêque
d'Albi, se trouvant à Rome, l'abbé Maurel
fut envoyé à Castres, où il reçut les saints
ordres. Bientôt après on olfrit à ce jeune
jirètre, dont le talent commençait à se faire
connaître, la chaire de |)hilosuphie au col-
lège d'Albi el en même temj)S un emploi
plus impor;anl à Toulouse. Le nouveau
prêtre, rempli de l'esjjrit de son état, tit le
sacrifice des avantages que lui offrait le
séjour d'une grande ville, el accepta la
la cliaiie du collège, emploi plus modeste,
qu'il occupa d'une manière plus distinguée
lundanl plusieurs années, tt où il eut la
consolation de vivre avec une société de
\eriueux t'cdésiastiques.
Lu 1788, il fut nommé vicaire de Sainte-
Marliunne d'Albi. 11 eut pour émule dans
le saint ministère un frère décédé curé à
Cablres, et qui fut le modèle des prêtres.
•M. Maurel, qui voj'ait avec douleur s'é-
teimlre chaque jour le llund)eau de la foi,
b'occupa d'opposer de son côté une digue
aux progrès ellrayanls de l'incrédulilè; il
établit dans la paroisse qu'il desservait des
coniércnce> sur la religion qui furent sui-
vies avec em|)resseraeni.
Ce fut \h (|ue l'abbé Maurel commença S
faire connaître son inébranlable attache-
ment h la foi catholique : aussi parut-il
comme un homme dangereux aux ennemis
de la religion, qui préparaient tant de maux
à notre malheureuse patrie. Il ."efusa le
serment ci la Constitution civile du clergé.
Dès lors la réputation dont il jouissait et
son opposition bien connue au nouvel or-
dre de choses le signalèrent à la haine du
parti dominateur; il ne dut la conservation
de ses jours qu'à la Providence, qui parut
aveugler ses persécuteurs pour le dérober
h leurs regards et à leurs poursuites
L'abbé Maurel fut obligé de quitter Albi ;
il se retira dans le pays de sa naissance, où
il s'occup.a avec courage h faire connaître à
ses compatriotes les erreurs conlenues dans
la nouvelle Constitution.
Aussitôt que l'arrêt de déportation fut
publié, le confesseur de la foi partit pour
l'exil; il se réfugia en Italie. Il se reiiilit
d'abord à Nice, de là à Home et Ancône.
Pendant trois ans qu'il habita ces contrées
il se livra avec la plus grande ardeur h l'é-
tude, à la composition de ses sermons. Il
s'aidait, dans ce précieux travail, des lu-
mières et du bon goût de quelques ecclé-
siastiques français, qui partageaient son
exd ; il soutui liait ses ouviages à leur ci i-
lique. Ce fut durant ce temps qu'il composa
ces discours solides, [ileins d'onction, re-
marquables par la manière élégante et facile
dont ils sont écrits, et qui, dans la suite,
devaient produire en b'rance de si heu-
reux fruits de conversion et de salut.
L'abbé Maurel voulut quitter l'Italie,
mais où aller? Les mouvements do son cœur
et de sa foi guidèrent ses pas; il partit
pour la France : il n'était encore que con-
fesseur, il aspira au litre glorieux de mar-
tyr.
Au commencement de 1796 il rentra dans
ses foyers. Quelle fut sa douleur quand il
fut le témoin des ravages qu'avaient faits
dans le lieu de sa naissance et les paroisses
voisines l'esprit d'impiété, el ces malheu
reuses doctrines qui avaient plongé la Fran-
ce di.ns un abîme de maux. 11 s'occupa k
faire revivre parmi ses compatriotes les
précieux enseignements de la foi, à rame-
ner les esprits, [)acifier les cœurs, calmer
les ressentiments, fermer en un mol les
plaies profondes faites à* la religion et à la
société. Les plus heureux succès couron
nèreul ses ell'oils 1 La haine des cnneaii»
de la leligion lut impuissante; plusieurs
615
ORATEURS SACRES. MALREL,
616
fois sa liberté failiil ôlrc compromise ,
mais rien ne put affaiblir son zèle; et lors-
qu'on 1801 il quitta lo lieu de sa naissance,
il eut la consolation de voir rentrer dans le
soin de l'Eglise romaine un grand nombre
de paroisses qu'il avait évangélisées, et les
croyances chrétiennes refleurir dans ces
contrées.
A cette époque, il se rendit à Albi, où
Ton conservait le souvenir de ses vertus et
de ses talents. Deux stations qu'il y prôciia
peu de temps après placèrent tout à ctiup
l'abbé Maurel au rang des orateurs les plus
distingués. Ses succès dans la chaire mon-
trèrent en lui un homme supérieur; il
réunissait toutes les qualités d'un élo-
quent apôtre : un raisonnement solide, un
goût sûr, un style énergique, la connais-
sance du cœur humain, une élude appro-
fondie des saintes Ecritures, un débit noble
et majestueux, une action vive et variée,
une voix sonore, forte et flexible; une phy-
sionomie expressive, une éminente piété,
un grand amour de l'étude, des intentions
pures, un zèle ardent et éclairé pour le sa-
lut des ûmes.
Sa réputation comme orateur chrétien et
les précieuses qualités qu'il possédait, lui
avaient assuré dans les rangs du clergé dos
provinces du midi de la France une pbice
iionorable. M. l'abbé de Candel fit connaître
ce pieux et éloquent prédicateur à Monsei-
gneur d'Aviau , archevêque de Bordeaux.
Cet illustre et sivant prélat invita M. Mau-
rel à se rendre dans son diocèse pf)ur y
exer(;er son zèle apostolique. IM'enlendit,
il admira son talent et ses veilus, et depuis
lors il chercha h le fixer auprès de lui. L'es-
poir d'être utile à la religion lui fit quitter
son |ia>s natal. 11 s'établit bientôt tinlre
M. Maurel et ce digne archevêque la il us
touchante inliuiité; et le plus bel éloge
que l'on p.uisso faire de ce vertueux prê-
tre, c'est de dire qu'il fut digne d'être
l'aii.i d'un des plus grands prélats qu'ait
eus l'Kglise
Monscigurui
^ô'ise, une des gloires
Animé des mêmes in-
de France. Le souvenir de
d'Aviau est encore dans tous
les cœuis; son nom est en vénération : il
fui l'hoiineur de l'Ej;
de notre épisco[)at.
lenlions, et n'ambitionriant que le triomphe
de la religion, le salut des peuples et la
conversion des méchants, ce saint arche-
vêque formait avec lui les plus heureux
projets pour parvenir 5 ces consolants ré-
sultats. M. Maurel fut nommé chanoine
titulaire de l'église mélropolit.iiiie de Saint-
André. Il a constammenl rempli avec le
plus grand succès le ministère de la [uédi-
cation dans la plupart dos diocèses. L'on
se rappelle avec quel empressement ses
stations étaient suivies : il instruisait par
ses paroles, il édifiait par sa piété.
Lorsque des jours heureux semblèrent se
lever pour noire malheureuse patrie, et que
la religion florissait à l'ombre d'un pouvoir
tulélaire, il fonda à Bordeaux l'élablisse-
ment des Missions. Son zèle sembla pren-
dre un nouvel essor; et, à l'exemfilo de
Vincent de Paul, il apostoiisa les villes et
les campagnes, et ramena à Dieu un grand
nombre de pécheurs el de chrétiens faibles
et timides qu'il savait persuader et con-
vaincre. En 1822, il se consacra aux retrai-
tes ecclésiastiques, tâche importante et dif-
ficile, puisqu'il s'agit d'instruire les doc-
teurs de la loi, et de conduire dans la
voie de la perfection les guides mêmes du
salul. La raodeslio de M. Àlaurel refusait un
un si redoutable ministère : ce fut une de
ses vertus favorites; le bien seul de la re-
ligion put triompher de sa résistance.
Un prélat vénérable (1), el dont le nom
est cher à l'Eglise de France, faisait revi-
vre à celte époque [larmi le clergé l'adini-
ble institution des retraites ecclésiastiques.
Il connut M. Maurel, et apprécia bientôt les
talents de notre com()alriote. Nous sommes
heureux de rapporter l'extrait d'une lettre
de ce prélat, alors vicaire général de Cham-
béry, adressée à M. Maurel. Tout éloge
serait ici superflu: il sutTit de citer fidèle-
ment :
« Oui, certes, mon digne confrère et ami,
vous remplirez dignement les saintes fonc-
tions des retraites ecclésiastiques; n'en
douiez pas, Dieu vous a donné abonda.ii-
ment tout ce qui contribue à faciliter ce re-
ligieux ministère. Ajoutez à la salutaire in-
fluence de vos exem|)les l'entraînement do
vos puissantes paroles ; parlez aux gardiens
du sai;cluairo : heureux quand on peut,
comme vous, se présenter à eux sous la
double autorité de la vertu et de la science.
Et ensuite, le grand ressort pour mettre
tout cela en œuvre, c'est le Credidi propier
quod locutus sum. (Psal. CXV, 10.) Oui,
uion digne et vénérable confrère, Credidi .
tout est là. Eh! la foi dans un prêtre te.
que vous, grand Dieu! que ne peut-elle
opérer? Les prêtres fussent-ils comme des
montagnes, ou bien y eût il des montagnes
de prêtres, vdus les transporteriez où vous
voudriez. Vous savez qui j'ai pour garant
de cette vérité. »
M. Maurel a oonné des retraites ecclé-
siastiques dans la plupart des diocèses, et
en particulier dans ceux du midi de la
France. Sa carrière de prédicateur a duré
jusqu'en 1825, où il éprouva une première
attaque d'apoplexie au milieu de ses tra-
vaux apostoliques. Il avait été désigné pour
|)rêcher h la cour le carême de 1826; mais
son étal éiait trO[) languissant. Sa longue ma-
ladie fut un acte continuel de résignation; el
sa mort celle d'un saint prêtre. Il rendit
son âme à Dieu le 18 mai 1829.
On a toujours reconnu dans le pieux et
savant ecclésiastique dont nous venons de
parler, un homme (ilein Je l'esprit de Dieu,
méditant ses sermons au pied de la croix,
et ne soupirant qu'après le salut des âmes.
Parmi les vertus qu'il possédait, et qui eu
faisaient un prêtre selon le cœur de Dieu,
(1) Monseigneur de Rey, ancien évcque de Pygnerol, depuis évéque d'Annecy.
617 RETRAITE. - INSTRUCT. I, OUVERTURE DE LA RETRAITE
on remarquait une piélé rare, qui s'esl
constaujuieul souleuue duranllecours d'une
vie viainieiit sacordolale ; une liumililé
profondH, qui lui faisait repousser avpo une
certaine brusquerie, les louanges qu'on lui
donnait : on l'a vu déchirer, avant d'en avoir
terminé la lecture, des lettres où on lui don-
618
nait des éloges ; un grand désintéresse-
ment, qui se manifestait assez fiar ses abon-
dantes charités ; une foi ardente, qui bril-
lait dans toutes les circonstances de sa vie,
qu'on remarquait dans son idngag», ses
actions et les conseils qu'il était appelé à
donner; enfin, urie angélique pureté, qui le
faisait vén(;rer comme un saint prêtre.
ŒUVRES COMPLETES
DE B. MAUREL*
RETESAITE ECCLESIASTIQUE
ou
CHOIX D'INSTRUCTIONS SLR Ll^S TRINCIPAUX DEVOIRS DES l'RETRES.
INSTRCCTION I.
OCVKUTURE DE LA RETRAITE.
Beiiovamini spirilii mentis veslraî el induite novum
bcc.;«)m. (E;j/i€S.,IV,23.)
Messieurs,
Le sacerdoce est aussi élevé au-dessus de
toutes les grandeurs humaines, que le ciel
l'est au-dessus de cette terre que nous ha-
bitons. Au moment qu'uri faible mortel est
consacré prêtre, il cesse en quelque sorte
d'ôtre compté parmi les enfants des honi-
nics, il meurt au monde el va prendre une
seconde naissance dans le ciel ; el c'est du
ciel qu'il eSt envoyé ensuite par le Très-
Haut, comme fut envoyé son Fils éternel,
pour être sur la terre l'ambassaileur de la
Divinité et le représentant de Jésus-Christ
auprès dos peu[)les, pro Chrislo iegalione
fnngimur (Ephes., VI, 20); pour procurer
Sans cesse, comme lui, lia gloire de Dieu ;
annoncer la sainteté de son nom^ inspirer
le désir de son royaume, et y conduire les
âmes confiées à ses soins.
Telles sont, Messieurs, vous le savez, les
nobles fonctions auxquelles nous fûmes
destinés au moment de notre sacerdoce ; et
nos sentiments durent être en harmonie
avec ces fonctions. Dès ce moment il ne dut
y avoir en nous rien de terrestre; tout en
nous dut porter l'empreinte du doigt de
Dieu qui venait de nous associer au minis-
tère du Prêtre éternel. Nos pensées, nos
désirs, nos actions , notre vie tout entière
durent être une image continuelle des (len-
Sées , des désirs, des actions, de la vie
même de Jésus-Christ. Voilà, vénérables
confrères, l'esprit de notre vocation que
l'Apôtre nous exhorte à renouvulei' : Heno-
OhaTKURS SACRÉS. LXVIM;
vamtni spirîtit mentis vcstrœ [Ephes., IV, 23);
et c'est pour opérer ce graiiil rehouvelle-
raenl et former en nous un homme nouveau
que nous nous sommes réunis dans ce lied
de recueillement et de prière.
Qui peul, en effet, renouveler le cœur dé
l'homme, sinon celui qui en est l'auieni^.
qui le tient sans cesse dans ses mains
comme un vase d'argile, et peut seul lui
donner la forme qu'il lui pl.iit? et à qui
le Créateur du sacerdoce actorde-l-il l'es-
prit du sacerdoce, sinon à ceux qui sont
affamés de la justice el dés vertus sacer-
dotales? Qui esuriunt et siliûnl jusiitiam.
(Matlh.., V, 6.) C'est au nom de Dieu que
nous nous trouvons rassemblés; Jésus-
Chribl est ici au n^ilieu de nous, suivant
l'oiacle sorti de sa bouche divine. Que le
monde cesse donc de nous vanter ces as-
semblées solennelles présidées pal- des rois,
et quelquefois toutes composées de rois :
que sont-elles auprès d'une réunion prési-
dée par le Roi des rois, par le Roi immortel
des siècles? Oui, Messieurs, c'est Jésus-
Christ lui-même qui nous préside d'une
manière visible dans la personne de son au-
guste pontife, et d'une manière cachée,
non-seulement [)ar Sa présence dans ce
sanctuaire, mais encore par l'influence dé
sa grâce et les lumières de son esprit.
O mon Dieu! daignez abaisser les regard.^
de voire miséricorde sur tous les membres
de celle assemblée, et en particulier sur le
dernier de tous, qui pourrait vous dire avec
bien plus de raison que votre j)rophète i
Ncscio loqui {Jcrëin., I, 27), et que sans
iloute vous n'avez choisi pour annoncer
vos vérilés, lui (pji devrait bien plutôt loS
écouler de la bouche de ses auditeurs)
20
619
ORAIEURS SACRES. MAUREL.
1520
qu'afin de continuer celte marche adornlde
lie votre Providence, dont parle voire Apô-
tre : Infirma tmindi elegit Deus, et ignohilia
et contemptibilia. (1 Cor., 1, 27.) Heureux,
Messieurs, d'avoir pour appui de ma fai-
blesse rindulg;ence de vos lumières et de
vos vertus, et surtout la sagesse d*un prélat
qui daigne m'associcr momentanément aux
travaux de son zèle et me rendre témoin do
la ferveur de son clergé I
Dans ce premier entretien nous nous oc-
cuperons de la nécessité de nous renouveler
dans l'esprit de notre vocation, et du grand
moyen quo Dieu nous alfre dans -cette re-
traite pour opérer ce renouyellement.
PREMIÈRE PARTIE.
Avant de commencer cette sainte car-
rière, daignez. Messieurs, me permettre
une réflexion qui nous donnera h vous et
à moi une entière liberté de cœur et d'es-
prit, si nécessaire au succès de cette re-
traite. Vous me croyez sans doute asse-z
raisonnable pour ne pas me dissimuler
(|L!'on doit parler à des prêtres autrement
(|u'h des laïques, et pour ne pas sentir
qu'il y aurait en moi autant d'injustice
()ue de ridicule de prétendre instruire qui
(lue ce sf'il d'entre vous, rien de co qut' je
dirai ne vous est inconnu. Oh 1 il serait
tro|) à plaindre le prêtre qui ignorerait les
dovoirs et les vertus du sacerdocei Mais,
hélas 1 on est si exposé à négliger dans la
pratique et môme à perdre insensiblement
de vue les vérités que l'on connaît le mieux 1
io viens donc les rappeler en votre pré-
sence et me les appliquer à moi-môme; je
viens gémir sous vos yeux de mes. propres
faiblesses et de mes innombrables inlidé-
tités. Chacun de vous sans doute en fera
autant au fond de son cœur, et ainsi co
sera la conscience de chacun qui sera son
juge, et le prédicateur ne fera autre chose
que ce que forait un livre qu'on lirait à
haute voix ; mais du r«sle ce sera un livre
très-simi)lo, qui rappellera les vérités les
jilus graves et les plus sublimes sans au-
cune espèce d'ornement, sans aucun de
ces tours recherchés qu^on emploie quel-
quefois pour captiver l'attention d'un peu-
])le léger et irréfléchi. Il serait bien
trompé celui d'entre vous qui attendrait
ici quelque chose d'extraordinaire qui le
saisît et rontraînât presque malgré lui. Le
succès de celte retraite ne sera dû qu'à la
réflexion et à la prière; et si quelqu'un se
sentait peu touché, c'est qu'il aurait peu prié
ou peu réfléchi.
Pour établir la nécessité où nous sommes
do nous renouveler dans res|)rit de notre
vocation, nous n'aurons qu'à considérer d'a-
bord le clergé en général, et ensuite cha-
:.un de nous en particulier.
Il semble, Messieurs que les secousses
violentes qu'a éprouvées le clergé pendant
.ilus de trente ans auraient dû opérer en
\\i\ un renouvellement parfait, et ramener
jaiis l'Kglise les avantages des premières
[)erséculiui)s, el faire revivre ces jours heu-
reux de furveur, de modestie, de désinté-
ressement, de zèle, de piété, où les pre-
miers disciples de Jésus-Christ présentaient
un spectacle digne de fixer les regards du
ciel et l'admiration de la terre. Jl semble
que, dépouillés des anciennes propriétés d-e
l'Eglise, et ayant à peine le nécessaire pour
soutenir notre existence, nous aurions dû
retirer nos alfeclions de cette terre mau-
dite, et ne regarder les richesses et toutes
les choses d'ici-bas que comme de la boue
et de l'ordure, suivant l'expression de l'A-
pùlre, et ne soupirer qu'après les richesses
impérissables du sièc'e futur. Il senble
qu'abreuvés tous les jours d'ignominie et
accablés des railleries du libertinage et des
sarcasmes de l'impiété, nous ne devrions
plus chercher notre gloire que dans la croix
de Jésus-Christ, et nous féliciter avec ses
apôtres d'avoir été trouvés dignes de quel-
que opprobre pour son nom; que, privés
des commodités du luxe, jadis accumulées
par Topulence, et forcés de nous arracher
aux douceurs du repos pour écha(>per aux
angoisses de la misère, nous devrions san-
clitier nos privations et nos soulfrances par
des motifs chrétiens, el édifier un mondo
pervers par une patience et une souraissifui
inaltérables. Il semble, en un mot, qu'é-
prouvés par tous les genres d'amertumes,
une vie pénitente, retirée, sobre, modeste,
laborieuse, devrait faire aujourd'hui le ca-
ractère distinctif de tous les ministres de
Jésus-Christ.
C'était sans contredit une des vues de la
Providence en frappant le clergé de tant de
plaies, car ses coups dans celte vie partent
toujours d'une main paternelle; et c'était
une des espérances qui consolaient les
bons prêtres (j'en ai été le témoin) dans
les commencements de la tourmente révo-
lutionnaire. Oui, en gémissant des rava-
ges de l'impiété et des défections scanda-
leuses de plusieurs de leurs eonfrèies, en
adorant la sagesse d'un Dieu qui corrigea
toujours les grands désordres |)ar de gran-
des tribulations, ils disaient au fond de
leur cœur : « Mais du moins l'Eglise, si
fortement agitée, va se renouveler et rajeu-
nir comme l'aigle : Renovabititr ut aguilœ
juveîitus tua [Psal. eu, 5); mais du moins
nous aurons un clergé pur, chaste, pieux,
ap[)liqué à ses devoirs, détaché des vanités
et des plaisirs de la terre, plein d'ardeur
pour les choses du ciel et la gloire de Jé-
sus-Christ. L'ambition el la cupidité ne le
détourneront plus de la sainteté de ses
fondions; le luxe et la volupté ne le jette-
ront plus dans le tourbillon du monde et
n'amèneront plus les grands scandales qui
ont si souvent affligé la terre; nous verrons
enlin les prêttes tels qu'ils doivent être,
uniquement occupés de la prière, de l'in-
struction des peuples, de la sanctification
des ûmes , et les grands exemples laissés
par les Apôtres ne seront pas seulement
un monument de l'hisloire et un objet d'ad
miiation; nous l»^s verrons renouvelés,
ressuscites en quelque sorte, et opérau'
C2I
UETRAITE. - INSTRUIT. I. OUTERTUUE DE LA RETRAITE.
Cli
sur les peuples les mômes prodiges de grâce
et de s.ilut. »
Vénérables vieillards dont le zèle el la
fermeté ont soulenu dans ces jours de
deuil l'Eglise consternée, n'est-ce pas par
ces belles cs[)éranccs que vous consoliez
sa ilouleur cl la vôIre? Mais, hélas! ces
espérances se sonl-ellcs pleinement réali-
sées ? s'esl-il l'ait dans les mœurs du
clergé toutes les réformes que vous aimiez à
vous promettre? Sans doute les grands
coups dont Dieu l'a frajipé en ont fait dis-
paraître de grands désordres ; mais n'y
reste-l-il plus rien(iui blesse l'oeil de Jésus-
Christ et arrête les progrès de son Evan-
gile? Le luxe, loisivilé, la sensualité, grûf^e
aux clumgemeuls opérés p.iriJii nous, n'y
sont plus si communs ; niais en sont-ils
entièrement bannis? Mais n'y règne-l-il
pas d'autres désordres que le malheur des
temps n'a pas supprimés, qu'il a peut-ôtre
accrus; le dirai-jel peut-être fait naître?
N'y a-t-il pas encore de fausses vocations,
provenant du môme principe d'ambition et
de cupidité; les ressources du sacerdoce,
quelque faibles qu'elles soient aujourd'hui,
ne sont-elles pas néanmoins pour certaines
classes le môme écueil que l'étident pour
des classes plus distinguées les richesses
du temps passé? aujourd'hui comme alors
Tavarice ne pousse-t-elle pas dans les rangs
du sacerdoce des ministres indignes que
Dieu rejette?
Je pourrais pénétrer plus avant dans le
sanctuaire, et vous y montrer quelques se-
crètes désolations et de grandes pluies.
Vous y verriez l'Eglise aflligée répandant
des larmes amères sur ces désordres qui la
déshonorent. C'en est assez : Ne cherchons
pointa rappeler plus longtemps ici ses pro-
londes douleurs. En portant vos regards sur
le clergé. Messieurs, vous verrez d'un côté
de sublimes vertus, d'immenses travaux,
fruits heureux d'un zèle ardent el éclairé;
el de l'autre, des abus et des scandales qui
forment de loin en loin comme des ombres
])assagères a ce magnitlque tableau.
Mais, Messieurs, si d'un côté les désor-
dres qui régnent encore dans l'Eglise doi-
vent être pour nous un motif puissant do
nous renouveler dans l'esprit de notre vo-
cation, l'état où se trouve chacun de nous,
juste ou pécheur, devient un nouveau mo-
tif de cette nécessité.
Ce n'est pas seulement à ceux d'entre
nous qui, par un aveuglement lamentable,
se trouveraient cng.-igés dans des habitudes
et des passions évidemment criminelles, ni
h ceux qui auraient des doutes fondés sur
l'étal de leur conscience, elqui, malgré ces
doutes, ne craindraient pas d'a|tprocher du
saint autel, c'esl-à-Jire de profaner tous
les jours le sang de Jésus-Chrisi ; ce n'est
pas, dis-je, seulement aux prêtres prévari-
cateurs que ce renouvellement est néces-
saire ; il l'est à tous, môme aux prêtres les
plus réguliers el les plus fervents.
El en effet. Messieurs, qui de nous ose-
rait se Ualter d'avtjjr atteint le degré do
perfection auquel Dieu nous appelle? Qui
de nous oserait so dire sans défauts et sans
faiblesses? Or tant qu'on a des défauts, ne
faut-il pas se comballre, se réprimer, s'ex-
ciier, s'encourager, travailler sans relAche
à former en nous cet homme nouveau, ceC
homme intérieur, recueilli, religieux ; cet
homme de piière, d'oraison, de saints dé-
sirs ; cet homme de paix, de mansuétude,
de piété, d'humilité; cet homme de Dieu,
en un mol, qui ressemble à Jésus-Christ
ou qui en approche. Et pour arriver là, ô
mes chers confrères, que de chemin il nous
reste à faire 1 Que de changements! Que de
retranchements 1 Que de sacrifices ! Que do
combats contre nous-mêmes, contre notre
humeur, notre lâcheté, notre inconstance,
noire paresse 1
Hélas I nous sentons la nécessité de celte
réforme; un remords secret nous en avertit
tous les jours; mille fois la voix de la
grâce a parlé 5 noire cœur, mille fois nous
nous sommes rej^roché cotte vie tiède et
dissipée, celte multitude de négligences el
de fautes journalières, cette insensibilité,
celte froideur, colle séi.heresse an milieu
des fonctions les plus saintes et des mystè-
res les plus touchants. Nous senlons quo
nous ne sommes pas ce que nous devrions
être; une paix parfaite n'habite pas dans
notre cœur, et nous formons sans cesse la
résolution de la recouvrer pir une vie plus
fervente. Mais, hélas 1 jusqu'à quand nous
en tiendrons-nous à des résolutions? N'est-il
pas lefnps enfin de les réaliser? Hora est
jam nos de somno surgere. {Rom., XIII, 11.)
Et ce qui doit suit lut nous faire trembler
dans cet étal d'indiiféreace et d'apalhie, c'est
que les secours el les moyens ordinaires
qui réveillent les simples fidèles nous trou-
vent froids, et nous laissent presque tou-
jours insensibles. Les vérités saintes , en
éclairant les âmes aveuglées, les loucheni ,
les ramènent peu h peu à Dieu ; el nous , à
force d'annoncer ces vérités, nous nous y
accoutumons et nous n'en sommes plus
fraf)pés. On dirait <iue notre devoir se borne
à les prêcher sans en proliler: aussi, en
préparant nos instructions , sommes-nous
plus occupés de l'impression qu'elles pour-
ront faire sur les autres quo de nous en pé-
nétrer nous-mêmes el de les appliquer à
nos besoins. Le tribunal de la pénitence
offre tous les jours aux ti'dèles bien disposés
le remède cl le préservatif du |)éché , la
guérison de leurs passions el l'accroisse-
ment de leurs vertus; pour nous, c'est une
pure cérémonie el une affaire d'habitude:
nous nous présentons quelquefois sans
douleur, et nous nous relirons sans chan-
gement. La table sainte ranime, échauffe,
euibrase les âmes pieuses et les fait courir
à grands pas dans les voies de la perfection ;
pour nous , ie saint autel n'est plus qu'une
source journalière de froideu.- et de dégoût ,
et peut-être de malédictions el d'anathèmes.
Les événemiHils terribles, les morls frap-
jiantcs et imprévues, raniment les âmes les
plus endurcies; [»our nous, ce sont des
ùi5
ORATKUUS SACRKS. MAUIŒL.
02 i
speclacles uses qui ne nous éionnenl plus ,
qui no. disent rien à noire cœur et ie lais-
sent dans son aveuglement. Les infirmités
de l';1ge, l'iihandon des créatures, les ap-
[iroclies de sa tin font souvent dans un 11-
dèie une impression utile ; il se détache
d'une vie qui va lui échapf)er, il songe enlin
î^ un Dieu qui est près de le. juger; mais,
dans un prêtre làclio ou infitièle, riiabiludc
de voir des mourants fait que la mort n'a
plus rien qui l'eirr.iye; la crainte de Dieu ,
au lieu de se réveilk-r, s'émousse et s'éteint
tous les jours, à proportion que les années
succèdent; 1 âge n'apporte en lui d'autre
thangement que de mulli|)lier ses transgies-
sioris et d'accroître l'aveuglement qui en
résulte: le long usage des fonctions saintes
l'a familiarisé avec ce qu'il y a de |)lus sacré
et de plus terrible dans la religion, et de la
familiarité au mépris il n'y a qu'un pas. Ce
mépris s'accroît avec les années : aussi dans
cerlains prêtres âgés ne relrouve-t-on pres-
que |)lus de décence pour les choses saintes.
Oli I quelle serait funeste l'erreur d'un
jeune prêtre qui se (iromettrait , après une
jeunesse passée dans la dissipation et la va-
nité, une vieillesse |)ieuse et fervente 1 Hé
(juoi, Messieurs, le mot de l'Esprit-Saint :
Adolescens juxta viam suani, etiam cum se-
rt lier il , non recedet ab ea (Prov., XXII, G),
ne se véiifie-t-il pas tous les jours dans les
prêtres d'une manière encore plus terrible
(jne dans les lidèles ! et quels sont, je vous
prie, les désordres d'un ministre infidèle
qui s'éteignent avec i'i'ige? Est-ce i'avarice?
est-ce la volupté ? est-ce l'intempérance ?
le manque de zèle, le dégoût de l'étude,
lie l'oraison, de Tnistruction ilo son peuple?
Ouvrons les yeux, mes chers confrères, et
nous verrons qu'un prêtre (|ui fut déréglé
d»'is la première moitié de sa vie, l'est or-
ilinairemenl le reste de ses jours, et de-
vient môme pire à la lin do sa course; que
les passions peu réprimées dans la jeu-
nesse , loin do s'affaiblir, se fortifient et
s'accroissent avec les années ; que les vices
de l'adolescence, comme dit encore l'Es-
jull-Saint, poursuivent le vieillard jusqu'à
la Un de sa carriète; (ju'ils pénètrent dans
la moelle de ses os; qu'ils infectent jusiju'ci
sa caducité , et vont doronr avec lui au fond
du tombeau, jusqu'au grand jour de la ré-
vélation, où tout sera manifesté aux yeux
lie l'univers: Oisa ejus imptebuntur vitiis
adolescenliœ ejus, cl cum eo in pitivere dor-
vàent, [Job , XX., 11.)
Et ce (ju'il y a de |iarticulier peur nous
dans cet oracle, c'est, je le répète, qu'il
s'accomplit dans les prêtres d'une manièi'e
encore plu» terrible que dans le commun
des cliréliens. Vous demandez pourquoi?
Eh*! Messieurs, c'est qu'ajipelé à une sain-
teté plus sublime, un prêtre est toujours
plus coupable dans ses désordres que les
siaqdes tidèles; c'est qu'il abuse de plus de
gitlces, c'est qu'il ehange les ressources de
salut dont i!-est le dispensateur, en moyens
do perdition; c'est que le sang de Jésus-
Chiisl f (|u'il a mille et mille fois profané ,
appelle par des cris plus terl'ibles les ven-
geances du Ciel , et en fait descendre un
endurcissement [dus profond et des malé-
dictions plus éclalanles.
O jeunes prêtres, précieuse espérance de
l'Rglise , appliquez- vous donc sans plus
larder à vous renouveler dans l'esprit de
votre vocation , h ressu.-'Citer en vous cet
esprit de grâce et de prière qui vous fut
communiqué dans le jour solennel de votre
sacerdoce. Et nous qui touchons au bout
de notre course, qui voyons déjà le tom*
beau ouvert devant nous , voudrions-nous
apporter au tribunal de Jésus-Christ cette
mollesse de mœurs et cette tiédeur de zèle
que nous savons être si opposées à la sain-
teté de notre é/al? Hora csljam nos de sonino
surgere [Rom., Xlll, 11) : Ce mot s'adiesse
à tous , aux jeunes comme aux vieux; et le
grand moyen de nous renouveler, Dieu
nous l'offre à tous dans celte retraite. Sujet
du second point.
SECONDE PARTIE.
A la fin de ces jours de salut, chacun de
nous renouvellera entre les mains du pre-
mier pasteur les engageraens sacrés de sort
sacerdoce , et nous dirons tous à Dieu , en
présence des anges du ciel et des fidèles de
la terre: Dominus pars hœredilalis mcœ et
calicïs mei. {Psal. XV, 5.) Heureux si ce re-
nouvellement des promesses sacerdotales
est l'expression et le fruit du renouvelle-
ment sincère de notre cœur! heureux si
cette retraite détruit en nous toutes les af-
fections terrestres , tous les désirs des
choses d'ici-bas , et nous remplit d'ui.»e
sainte ardeur pour les choses de Dieu et
d'une douce et ferme espérance de son
royaume ! car c'est en cela que consiste le
lemjuvellement auquel nous exhorte notre
grand A|)ôtre. Et quel moyen plus efficace
pour l'opérer, que les réflexions, les l>ons
exemples, les prières ferventes qui rempli-
ront ces huit jours de recueillement?
Je dis les réfiexions : pour se corriger il
faut se connaître, et pour se connaître il
faut réfléchir, méditer la loi de Dieu et la
comparer avec notre conduite; rappeler nos
devoirs et nos infidélités ; placer devant
nous, d'un côté, le tableau des vertus sa-
cerdotales, et de l'outre, celui de nos dé-
fauts , de nos négligences, de notre lâcheté.
La source de toutes nos fautes, c'est l'irré-
flexion : Vesolatione desolata esl oinnis terra ^
quia nullut est qui recogilcl corde. {Jerem ,
XU, 11. j N'esl-ce })as à nous. Messieurs,
plus encore qu'aux simpb s fidèles, que ce
reproche est adressé? Hélas I combien de
prêtres légers et irréfléchis qui ne médi-
tent ja^mais , qui agissent sans cesse au ha-
sard, par humeur, j)ar cai,)rice ; qui vivent
d'une manière souvent plus inconsidéiée et
plus imprudente que certains laïques 1 Sans
ce^se entraînés ou par la multitude souvent
accablante de leurs lonctions, ou par la dis-
si[)aiion de leur caractère, ou parle tu-
multe de leurs affaires temporelles, de leurs
voyages, de leurs rapports avec le monde^
&2:i
RETRAITE. — INSTUUCT. I, OUYERTUUE DE L\ RETRAITE.
G26
pcijl-ùlre (lo ItMirs amusements ol île leurs
pl.iisirs .jamais ils ne renlrenl , jamais ils
n'Iial^ileiU en eux-mêmes. Leur propre
l'œur leur osl aussi étranger qu'une région
inconnue; leur conscience est à leurs yeux
cou):ue quelqu'une de ces terres lointaines
tju'uu voyjigeur n'aperçoit que comme en
pa>s.inl.
Kt (le là une mullitudc de fautes qu'on
ne (iélesie jamais assez et dont on ne se
cor. i^e jamais, parce que ja;uais on ne Its
aperçiiii ; ou si on les voit, ce n'est que de
loin, et elles nous paraissent si petites et
.-i'Iégères, (pie nous croyons devoir les uiO-
piiser: tandis que vues de près, elles nous
paraîtraient peut-être énormes et mons-
trueuses. C'est ainsi, Messieurs, que se
forme cet aveuglement si terrible, surtout
dans les prêtres, qui conduit peu à peu au
sacrilège, à l'endurcissement, à la mort
d ns.le péché. Ah! félicilons-nous d'avoir
été conduits par la m;iin de Dieu dans ce
lieu de retraite, où, ?i l'abri pendant quel-
(pies jours des dislnictions du monde, il
no'is sera enfin permis de penser à nous,
et de ne penser qu'à nous.
C'est ici, mes cliers confrères, que rappe-
lant ()Our nous-mêmes les grandes vérités
de la religion, que ()eut-ôlre nous n'avons
jamais méditées que jiour les autres, nous
n:)us dirons dans le silence et le recueille-
ment : Où en suis je pour mon salut, dont
la pensée, hélas ! m'a bien souvent échappé?
voudrais-je mourir dans l'état où je me
trouve? Si le souverain Juge m'appelait à
l'heure même au tribunal de sa justice,
quelle sentence y entendrais-je ? Que de
îautis, grand Pieu I dejiuis le premier
usage de ma raison, et peut-être depuis
mon entrée dans le sacerdoce 1 Les ai-je ex-
piées ? en ai-je reçu le |)ardon? puis-je
croire que la justice éternelle soit satisfaite
de mes [)énitences passées? y a-t-il eu do
la sincérité dans l'accusation, de la viva-
cité dans le repentir? la houle, la honte!
ne m'a-^-clle pas lié la langue sur certains
désordres humiliants? une passion mal
éteinte ne m'a-t-elle pas ramené aux mômes
occasions? Que ^lenser de tant de rechutes,
piécédées de tant de [)rouiesses? N'ai-je
aucun motif de craindre d'avoir abusé des
sairements, d'avoir peut-être accumulé sa-
crilège sur sacrilège?
O mon Dieu I j'ai peut-être besoin du mê-
0ie exaiuen que faisait avec tant de cruu-
poncllou le loi Ezéchias : liecogilabo libi
oiiines annos meos in amariludine animœ
mœ. {Isa., XXXVIII, 13.) Jai peut-être be-
soin de faire pénitence de mes pénitences
mêmes, de me repentir de m'ôlre si mal
repenti : et jusqu'ici je me suis aveuglé
sur un objet si im[)0rtantl et je n'ai • pas
craint de monter à l'autel avec une con-
science douteuse, embarrassée, incertaine,
(|ue j"aveuglais encore davantage en cher-
chant à la calmer 1 Oh I quel besoin n'ai-jo
donc pas de cette retraite ! Il faut eiilin
sortir de ce sommeil mortel où je suis
plongé; il l'aut enlin arrêter le cours de ces
sacrilèges, et surtout de cette passion invé-
(èrée qui en a été la source. Non, plus de re-
tard dans un ouvrage duquel dépend mon
éternité : dès aujourd'hui je commencerai
à interroger sévèrement ma conscience, et
j'irai ensuite en ex|toser le détail, non pas
à un prêtre lûctie, peu zélé, peu instruit,
qui me flatterait et me laisserait dans mon
aveuglement, mais à un ministre fidèle,
qui ait assez de force pour me dire toute
vérité, et assez do charité pour com|iatir à
ma faiblesse, pour m'encourager à tous les
sacrifices et me montrer dans le Père des
miséricordes le remède à tous mes maux.
O vous, dépositaires vénérables du secret
des consciences, qui exercez l'auguste et
consolant ministère de réconcilier des prê-
tres avec Dieu, ah I plus que jamais, vous
vous rappellerez la touchante parabole du
Samaritain ; vous verserez sur ces plaies,
peut-être, hélas ! trop profondes, cette huile
bienfaisante qui les adoucit, et ce vin mys-
térieux qui fortifiera des membres encore
languissants. Dilatez vos entrailles, vénéra-
bles prêtres de Jésus-Christ, dites h cet in-
firme : Courage, mon frère, lo Seigneur
vous guérira ; mais dites-lui aussi avec une
douce fermeté : Si mantis tua scnndalizet
te, abscide eam.,.; si pes, amputa illum...; si
oculus, erue ewn. {Matth., XVIII, 6 seq.)
Mais les avantages de cette retraite ne se
ItornerojU pas au bienfait inappréciable
de nous tirer de notre aveuglement, soit
p.ar nos propres réflexions, soit par les lu-
mières el la sagesse d'un bon directeur :
nous y trouverons encore un secours qu'où
trouve si rarement ailleurs, surtout dans
les campagnes et les postes isolés ; je veux
dire les bons exemples d'une multitude d-'
confrères dont le recueillement, le silence,
la componction, la piété, l'assiduité à tous
les exercices, l'attitude respectueuse au pied
des saints autels, nous instruiront, nous
toucheront, nous encourageront bien plus
élocjuemment que tous les discours. Les.
vérités qui auront frap()é nos oreilles, nous
les verrons à l'instant |)ratiquées par nos
voisins et nos amis, et pour ainsi dire déjà
écrites dans leur conduite et leur ferveur.
Oh l que ce langage muet sera persuasif!
On peut résister à une vérité entendue;
mais comment résister à un bon exemple
dont on est le témoin? comment ce pièirc
cou[)able pourra-t-il ne pas gémir de ses
désordres en voyant un piôtre pieux ver-
ser des larmes sur ses fragilités? comment
ce prêtre vain, présomptueux, indocile à
l'autorité de ses supérieurs, [>ourra-l-il ne
pas éprouver une sainte confusion de son
orgueil en voyant une multitude de prêtres
vénérables entourer chaque jour avec tous
les témoignages du respect le premier pas-
teur, le consulter avec modestie su? les
difficultés les |)lus graves du saint minis-
tère, recueillir avec avidité les paroles de
vérité et de sagesse qui sortiront do sa
bouche, et rappeler avec foi le mot divin
adriissèaux Apôtres el à leurs successeurs:
{Jui vos audit, me audit"! ILuc, X, Iti.] ou
«27
ORATEURS SACRES. MALRLI.
mi
<*elui aarcssé aux disciples d'Emmaùs :
Nonne cor notirum ardens erat, dum loque-
relur nobis? (Luc, XXIV, 32.)
Le silence lui-môtiie qui régnera dans
cet asilo, hors le temps des récréations,
sera une voix éloquente qui parlera h tous
les cœurs. En entrant dans quelques-uns
de ces lieux solitaires où la piété s'est
vouée à Dieu et s'est retirée pour tou-
jours du tuniullo du monde, on est frappé
du silence religieux qui y règne et presque
tenté de regarder ce lieu si paisible comme
irihahité. Mais l'élonnement et le respect
sont bien plus grands lorsqu'on aperçoit
un nombre considérable de religieux occu-
pés d'emplois divers, et les exerçant tous
<lans le silence du recueillement le plus
profond. A ce spectacle, l'étranger étonné
se trouve aussi sans parole; il n'a que des
yeux pour admirer et un cœur pour scnlir,
et la méditation et la componction entrent
malgré lui dans son âme. Voilà le spectacle
édifiant que va offrir pendant huit jou^s
cette maison de retraite; et alors quelle
facilité pour le saiiil exercice de la prière!
Car, vous îo sentez, Messieurs, ce renou-
vellement et celte réforme dont le désir
nous a conduits ici ne peuvent être que
l'effet de la prière, et d'une prière fervente.
Dieu seul peut agir sur nos cœurs et les
tirer do la tiédeur oii ils se trouvent; Dieu
seul peut renouveler nos âmes dans la piété
et la ferveur, et il n'accorde ses dons qu'à
ceux qui les sollicilent : pour les obtenir,
il faut demander, frapper, cherclier : et quel
moyen plus favorable à cette recherche que
cette suite non interrompue de prières, do
méditations, de saints gémissements qui
nous occuperont dans cette retraite?
Dans le reste de l'année, que de prières
faites à la hâte, sans foi, sans respect, sans
recueillement, et par suite sans succès!
Ici, tout nous portera au recueillement et
h la componction. Le Seigneur n'habite point
dans le trouble; l'Esprit-Saint ne se com-
munique I as dans le tumulio du monde et
des passions; mais il a (iromis de parler
au cœur de l'âme fidèle qu'il a conduite
dans la solitude. C'est à l'ombre de l'autel,
c'est aux pieds do Jésus-Christ qu'une âme
tranquille et bien préparée peutdire, comme
Samuel, avec une humble et saiuie com-
ponction : Loquere, Domine, quia audit ser-
vus tuus. (I Reg., lli, 9.)
Et où Dieu a-l-il parlé h ses grands ser-
viteurs? où les a-t-il forlifiés dans l'esprit
de leur vocation, sinon dans le calme de la
reiraile et de l'oraison? Ignorons-nous que
le ministère de Moiso fui précédé de qua-
rante ans de retraite dans los déserts de
Madian ; que les prophètes n'ont annoncé
los vérités saintes qu'après les avoir n)é-
ditées à loisir dans los montagnes et dans
le croux des rochers, m montibus et spclun-
cis ; que le précurseur de l'Hoinme-Dieu se
r»Hira dès son enfance dans le désert, et
n'en sortit que pour accomplir son subUmo
ministère et aller dire h un roi ailullèie:
Aon Itcet tibd {Mattli., IV, '*}; el muurir en-
suite victime de son zèle; que Jésus-Christ
lui-même, Jésus-Christ! qui sans doute
n'avait aucun besoin de recueillement,
voulut cependant, pour confirmer ses le-
çons par ses exemples, se préparer à la
prédication de son Evangile par trente an-
nées de retraite, el ne la commencer qu'a-
près quarante jours et quarante nuits pas-
sés dans le jeiïne et la prière ; que les Apô-
tres n'entreprirent la conversion de l'uni-
vers qu'après avoir attiré l'esprit de Dieu
par dix jours de recueillement et d'oraison?
Les hommes apostoliques qui ont paru
dans la suite, les Athanase, les Grégoire,
les Basile, les Jérôme, les Hilaire, les Be-
noît, les Bernard, où ont-ils puisé les grâ-
ces extraordinaires que Dieu répandit sur
leurs travaux, sinon dans le silence de la
solitude et la ferveur de la prière? El nous
prétendrions partager leurs succès sans
prendre les mêmes précautions el les mê-
mes moyens! nous surtout, dont la vie, ha-
bituellement plus dissipée que la leur, sem-
blait exiger, s'il était possible, des retours
bien plus sérieux surnous-mômes, et des
gémissements bien plus fréquents sur l'ex-
cès de nos faiblesses el tes périls de nos
fondions!
Grands saints au ministère desquels nous
avons l'honneur de succéder, vous surtout,
saints pasteurs, saints prêtres, qui sancti-
fiâtes ce diocèse par vos prières et vos
sueurs, quel touchant spectacle ne doit pas
offrir à vos yeux celle pieuse assemblée I
Vous voyez ici les émules de votre zèle el
les continuateurs de vos travaux : les mô-
mes paroisses qui entendirent votre voix
entendent la leur; les mêmes temples, les
mêmes lieux où brilla votre sainteté, sont
témoins de leurs vertus; ils instruisent les
enfants de ceux que vous avez instruits
vous-mêmes; ils prêchent le même Evan-
gile, le même Dieu que vous, el rencon-
trent les mômes obstacles, et de plus grands
peut-ôtre, au succès de leur ministère.
Leurs besoins, leurs dangers vous sont
connus. Eh I ne diraient-ils rien à votre
cœur? pourriez-vous ne jias vous inté-
resser aux fiasteurs du môuie troupeau que
soigna votre tendresse, aux cultivateurs do
la môme vigne qu'arrosèrent si souvent vos
larmes et vos sueurs? Vous êtes à la source
de toutes les grâces, et ils sont entourés de
tant d'ennemis, accablés de tant de sollici-
tudes 1 Ils ont interrompu pour quehpies
instants leur ministère atin de respirer un
peu, at)rès tant de fatij^ues, et demander à
l'auteur de tout bien des lumières et des
forces nouvelles. Oh I daignez leur obtenir,
et s'il m'est permis de m associer à l'inté-
rêt que je réclame pour eux, daignez nous
obtenir à tous cet esprit do grâce et do
prière, cet esprit de forée et de sagesse à
qui vous dûtes les saintes ardeurs do votre
zèle et le succès de vos travaux.
629 RE TUAI IL. i.t^ittov^i. ii, ouu l.l, o.h-iU i ui^a tuunti^oi
INSTRUCTION II.
LE SALUT DES PRÊTRES.
650
Ecce nunc tempiis accfptabile, ecce nunc dies salu-
lis. (li Cor., VI, 2.)
Messieurs,
Quand on jttle un coop d'^œil altenlif sur
la conduite journalière du Irès-grand nom-
bre (les hommes, peut-on ne pas gémir do
celle indifférence monstrueuse qu'ils témoi-
gneni pour leur salut? Ils croient cepen-
dant, du moins la plupart, qu'ils n'ont été
placés sur la terre que pour adorer Dieu et
le servir, et mériter ainsi un bonheur éter-
nt'l; ils croient qu'au sortir de cette vie ils
seront tous jugés par ce Dieu suprême, et
reçus dans le cie/ s'ils sont morts dans la
justice, ou précipités dans l'enfer, s'ils sont
morts dans le péché. D'après cette croyance
générale, loules leurs pensées, tous leurs
travaux, tous les instants de leur vie ne
devraient-ils pas être employés à se pré-
server de cet épouvantable malheur destiné
au crime et à mériter le bonheur suprême
promis à la venu? Et cependant, hélas 1
c'est la chose qui les occupe le moins. Tout
absorbés dans leurs aflaires ou leurs plai-
Mrs, ils ne songent qu'à la vie présente,
jamais à l'éternité : ils n'en ont pas le
temps, disenl-ils ; un terrent de .xollicilu-
des et desoins eraporlo tous leurs moments
et n'en laisse aucun pour le salut.
Nous gt'missons, mes vénérables confrè-
res, sur cet inconcevable aveuglement ; mais
n'anrions-nous pasjusqu'à un ceriain point
le malheur de le partager? Tout occupés du
salut de nos frères, ne serions-nous pas
assez imprudenis pour négliger le nôtre,
et pour dirf! comme les gens du monde, que
nous n'avons jias non plus le temps d'y
penser. Ah 1 du moins celte pitoyable ex-
cuse ne peut avoir lieu dans ces jours de
retraite. Nous voici séparés momentané-
ment de nos iravaux |)0ur nous occuper
de nous-mêmes et de nous seuls; pour don-
ner enfin une attention plus suivie à notre
propre salut; pour inter-f-oger avec plus de
soin notre conscience, nous demander à
nou5-mêmes un compte plus sévère de nos
œuvres, et préparer avec plus d'exactitude
celui que bientôt peut-èlre nous aurons à
rendre au souverain Juge. Il faut que ce
peu de jours de recueillement etde réflexion
nous assurent une éternité de bonheur. Il
faut que dans ces jours de ()rière et de mé-
ditation nous affermissions en nous les
fondements d'une sainleié solide, qui en-
suite aille toujours croissant et ne se dé-
mente jamais.
Oh 1 quelle abondance de trésors spiri-
tuels, que de consolations inelfables nous
allons tous recueillir dans tes jours de sa-
lut, si nous avons le courage de descendre
au fond de nos cœurs, et d'écouter avec at-
tention la voix du remords, et surtout la
voix de l'Esprit-Siiint, à laquelle peut-être
nous avons résisté jusrpi'ici I
Je vais m'enlielcnir avec vous, mes chers
confrères, de l'objet le plus important de
la morale chrétienn*, de la n-écessité <lu
salut et de la manière d'y travailler. .Mon
Dieu, soyez dans ma bouche, soyez dans
nos cœurs, et faites-nous entendre à tous
les paroles de la vieéternelle l
PREMIÈRE PARTIE.
Mille fois, mes chers confrères, vous
avez expliqué à vos peuples cette parole
évnngélique : Porro unuui est necessarium.
{Luc.,\, 4^2.) Voici le moment de nous
l'appliquera nous-mêmes. Oui, la chose la
plus nécessaire, c'est le salut ; disons mieux,
le salut est la seule chose véritablement
nécessaire. Approfondissons ces deux,
grands- princi[)es, d'où nous tirerons quel-
ques conséquences.
Et d'abord, mes chers confrères,^ est-il
rien de plus nécessaire à l'homme que son
vrai bonheur ? et le bonheur véritable est-
il autre chose que le salut, c'est-à-dire la
jouissance éternelle de ce Dieu qui est la
source do la joie et de la paix, hors duquel
on netrouveque tristesse etqu'amertunie?
c'est-à-dire la possession éternelle du
royaume de Dieu, de ce royaume où l'on
n'a rien à souffrir, rien à désirer, rien à
craindre, parce qu'on y possède tous les
biens avec la certitude de ne les perdre ja-
mais ? car voilà le salut.
Qu'importe la destinée passagère que la
terre peut nous offrir ? Hélas 1 cette vie
n'est qu'un instant : quelles que soient les
jouissances que l'on [)eut y trouver, elles
vont finir; nous touchons à la mort, l'éler-
inïié va s'ouvrir devant nous. Or quelle sera
pendant l'éternité la dcsiinée de l'homme,
s'il ne se sauve pas ? Où ira-t-il, s'il est ex-
clu du royaume de Dieu ? Que lui restera-
t-il, que possèdera-i-il, s'il est privé de ce
bonheur suprême que Dieu promet à la
vertu, mais ne promet qu'à la vertu ?
Ici, vénérables confrères, la foi se réveille,
et l'imagination la plus intrépide s'épou-
vante. Quoi, des tourments affreux 1 un feu
dévorant et éternel 1 une éternité de remords,
de rage, de désospoirl car hors du ciel rf
n'y a que cela; et le salut ou gagné ou perdu
n'est autre chose qu'un bonheur infini ou
qu'un malheur sans tin.
0 mes chers confrères , et comment
donc la concevoir, cette indifférence mons-
trueuse pour le salut qu'on a|)erçoit ()arloul,
et qui afflige votre zèle, même dans des
hommes ([ui se disent chrétiens ? Forcés
d'avouer qu'ils sont malheureux, môme au
sein de la prospérité, sans cesse agiles par
des craintes et des désirs qui renaissent
sans cesse ; tourmentés par des passions
fougueuses qui ne leur laissent pas un seul
instant de repos et de tranquillité, Dieu
leur montre, Dieu leur promet, s'ils sont
fidèles à sa loi, une éternité de bonheur
parlait; mais il les menace, s'ils la trans-
gressent, cette loi sainte, d'une éternité de
feux et ue su|)plices ; et ces grands specia-
ces ne le» touchent pas ; que dis-je ? ils ne
(131
ORATEURS SACRES. MAUREL.
Çja
(iaigneiil pas môme y nrrêler leurs regards;
ils les écartent, ils les éloignent de leur
pensée comme des souvenirs importuns;
et sans cesse aveuglés par des penchants
honteux, tout absorbés dans leurs affaires,
leurs travaux, leurs vanités et leurs plai-
sirs, ils tiennent sans cesse, comme les ani-
^naux, leurs yeux et leur cœur alt^chés aux
objets de !a terre; decelte terre qui va s'é-
crouler sous leurs pieds, de cette terre où
ils ne posséderont dans peu d'années que
l'étroit espace qui servira de demeure ^
leur cadavre elaux vers qui les dévoreront!
Qui pourrait concevoir une semblable folie
si l'on n'en voyait des traces à chaque
pas?
Mais, ô mon Dieu ! aurait-elle pénétré,
celle inconcevable folie, dans votre propre
maison? dans ce sanctuaire même qui doit
être l'asile de toutes les lumières et de
toutes les vertus ? Se trouverait-il parmi
nous quelque esprit assez irréfléchi [)Our
partager l'aveuglçuient et le malheur des
gens du monde ? de ce monde que nous
sommes chargés d'instruire et d'édifier pins
encore i)ar nos exemples que par nos dis-
cours ? Y aurait-il parmi nous quelque
uiinistro infidèle à qui le grand Apôln; pût
léiîétcr ces foudroyantes paroles : « Confi-
dis Içipsum esse ducem cœcorum, lumen eo-
rum qui m lenebr;is sunt ; erudilorem ins.i-
pievtfium, magislrum infantium , habentem
forinam scieiiliœ et veritatis. Qui crgo alium
doces O mus cliers confrères I qui de
nous ne tremblerait en entendant relenlir,
pour ainsi dire, du haut des cieux ces terri-
bles reproches : Qui ergq alium doc§s, te-
ipsutii non doces ; qui px«çiicas non fur an-
dum, furaris; qui dicis non mœchnn^um,
mœcharis.... qu\ abominaris idola, sacrile-
yium facis ? [Rom.,U, 19, 22.)
Quel serait dot.'C notre but, vénérables
confrères, en partageant les vanités, les
cupidités, les désordres et les scandales
d'un monde que nous devons guérir de sa
corruption ? Penserions-nous arriver par là
au vrai bonheur ? Mais nous savons que la
route du vrai bonheur, c'est do craindre
Dieu et d'observer ses commandements;
que c'est même là lout l'homme, et que sans
cela l'homme n'est rien : Hoc est eniin om-
nis hotno. {Eccle. Xll, 13.) Mais nous prê-
chons et à l'eiifiiiice et à la vieillesse que
l'homme n'a élé créé que pour «idorer Dieu
sur la terre, et le posséder dans l'élernilé;
ou, en d'autres termes, que, pour parvenir
au salut, posuit nos Deus in acquisitionem
salulis. (l Tliess., V, 9.) Ces vérités fonda-
mentales ne regarderaient-elles que les laï-
ques ? Les ministres du Dieu immortel
u'auraient-ils aucun intérêt à s'occuper de
cette vie future, ou éternellement hou-
leuse ou éternellement malheureuse,
qui nous attend tous, prêtres et fidèles,
au delà du tombeau ? Car en vain vou-
drions-nous nous aveugler, l'une ou l'au-
tre de ces deux éternités sera pour tous, qui
que nous soyons, noire fiarlage inévitable.
Pendant la courle durée de notre mortalité,
nous sommes tous placés et comtne sus-
pendus entre ces deux éternités; un fil,
hélas 1 bien facile à se rompre, nous tient
allachés à la terre. Le moment approche
où ce fil si fragile sera tranché par le glaive
de la mort. Et alors 1.... grand Dieu I quelle
alternative 1 et alors de deux choses l'une ;
ou notre âme sera transportée par les es-
prits immortels dans le séjour du Dieu do
paix, ou elle sera entraînée par les démons
elle poids de ses crimes dans l'abîme éter-
nel du désespoir. Yoilà ce que nous sa-
vons, voilà ce que nous croyons; et nous
défions l'impie de pouvoir jamais détruire
celle grande et majestueuse vérité. Elle est
émanée de la bouche de Dieu môme, et la
l'arole de Dieu ne périra point. Les mé-
chants descendront dans un supplice éter-
nel, et les bons entreront dans une gloire
immortelle : Ibunt fii in supplicium œUr-
num,jusli auteinin vitam ceternam. [Matth.,
XXV, iG.) Qu'on serait à plaindre si l'on
était insensible à de telles vérités I Le pre-
mier principe est donc démontré ; rien de
plus nécessaire que le salut, ou en d'autres,
termes que la possession du royaume de
Dieu, puisque, si l'on est exclu de ce royau-
me, on tombe par cela seul dans un abîme
de maux éternels. Après la mort, ou le
ciel ou l'enfer; il n'y a pas de milieu. Donc
rien de plus nécessaire que d'éviier le pé-
ché mortel, ou d'en sortir au plus tôt si
l'on y est tombé, puisque le péché mortel
est le grand obstacle au salul. Que médit
la conscience sur cet article ? suis-je cou-
pable dequel"]ue péché mortel queje n'aie
pas encore ex()ié ? suis-je dominé par quel-
qu'une de ces passions que je condamne
si hautement dans les autres? ai -je jamais
célébré avec une conscience criminelle ou
douteuse ? Àh ! sans plus tarder, pénileiH
ce, changement de vie, douleur profonde,
confession sincère ! sans quoi, hélas! point
de salut.
Rien de plus nécessaire que le salut :
donc je dois préférer le salut à tout, et il
n'est point de sacrifice que je ne doive faire
plutôt que de com|)rometlre mon salut :
donc je dois être disposé à tout perdre, for-
tune, santé, réputation; à tout souffrir,
humiliations, injustices, persécutions, plu-
tôt que de m'exppser à me perdre. O mon
Dieu! plutôt la mort du corps, à l'exemple
des martyrs, que de donner la mort à mon
ûme par quelque aciion, quelque lAcheté ou
quelque crainte criminelle. Et [)Ourquoi?
parce qu'il n'est rien de plus nécessaire
que le salut. Ajoutons, et c'est ici le second
principe, parce (jue le salut est la seule
chose véiiîablement nécessaire, unwn ne-
cessurium. {Luc, X, h2 )
Eu effet, pour être véritablement heu-
reux, car c'est là mon grand d^sir, il n'est
pas nécessaire que je sois riche, estimé,
considéré, applaudi ; il n'est [)as nécessaiio
(|ue j'aie telle (jualilé de l'esprit, tel avan-
lage du corps ; que je goûte telle satisfac-
tion, queje réussisse dans telle entreprise;
il n'est pas nécessaire que-je parvlçune à
6.^5
RETRAITE. — INSTRUCT. II, SUR LE SALUT DES PRETRES.
m
telle. place, h tel emploi; qiiojosois îi ra!)ri
de telle cnnirailiclion, de telle intirmité -, (]iio
je prolotigo ma vie jusqu'à telle (époque;
rien de tant cela ii'esl nécessaire, i\ mon
bonheur : et quand j'aurais tout cela, jo
ne serais pourlanl pas heureux; il me man-
querait encore bien des choses ; je serais
(lu moins allli|ié par la crainte, disons
mieux, par la certitude de perdre bientôt
ce que je posst^dais. La crainte de la mort
cmpécliera toujours le vrai bonheur : aussi
qui jamais a été heureux dans celle vie?
Pour être véritablement heureux, il est né-
cessaire, absfdumenl nécessaire que je me
sauve; mais il n'y a que cela de nécessaire:
car si je me sauve, je suis assuré d'une im-
mortelle félicité; et si je venais à me per-
die, je tomberais dans un malheur irrépa-
rable.
Donc le salut est tout, et sans le salut
tout le reste n'est rien. Le siiliil yagné, tout
« st gagné ; le salut penlu, tout est perdu.
Donc je dois travailler à mon salut sans re-
ladie, tous les jours, tous les instants du
jour, et ne m'occuper des autres choses que
licfns la vue do me sauver. Il m'est conso-
lant, ô mon Dieu I de pouvoir trouver mon
salut dans tout ce que je fais, en le faisant
pour vous plaire 1 Donctoqtes les positions
où Dieu jugera à propos de me placer doi-
vnt m'ôire indill'érentes, puisque je puis
les faire servir toutes à mon salut. Qu'im^
porte la vie Iranquide ou agitée, obscure
<iu éclatante c|ue j'aurai menée sur la (erre,
pourvu que je parvienne à la gloire de l'ér
ternelle félicité? Ahl c'est donc veis ce
grand but que doivent se diriger tous mes
olforts, tous mes projets, tous mes travaux,
toutes mes craintes, toutes mes espérances.
Non, je ne dois désirer que le salut, je ne
dois craindre que la perte du salut; tout lo
reste, je dois le laisser entre les mains de
la Providence, bien assuré qu'elle ne négli-
gera rien de ce qui peut èlre utile h mon
vrai bonheur, c'est-à-dire à mon salut.
Cherchez avant lou[, dit Jé-^us-Glirist, le
royaune de Dieu et sa justice, et laissez
le soin du reste à voire Père céleste ; il vous
le donnera parsurcroit dans la m(!sure que
sa sagesse trouvera convenable. Quel ne
serait pas votre aveuglement, continue Jé-
sus-Christ, si vous alliez vous jeter dans le
trouble et l'.igilalion pour les besoins ou
les jouissances de cutie vie ! nolUi; sollicili
tsse. [Matlh., VI, 31.)
Eh I que sert à l'homme, ajoutet-il, de
chercher à s'élever, à s'agrandir, à se dis-
tinguer, à obtenir, s'il était [lossible, lis ri-
chesses ou lesapp'audisseraenls delouiruni-
\ers,s'il vient à |ieidreso!i àm{.'lQuid prodest
homini si mundum universum lucn-tur, aui-
mœ ver 0 suœ détriment um patiahir? [Luc. XI,
!25.) Paroles sublimes dans voire siiii[)!ic.lé,
n*occu|)erez-vous jamais notre pensée ? De-
puis dix-huit cents ans yods lelentissez dans
les chaires chrétienni-s, ne relentircz-vous
jamais au fond de nos cœurs, lorsque nous
ne cessons de vous rappeler aux simples
tidèies? C'est .vous qui dûiuiûles jadis à
riïglise tant de martyrs, et au ciel tant de
sainis personnages; c'est vous qui arra-
châtes au monde tant d'esclaves du vice,
et peuplâtes les déserts d'anachorètes et de
pénitents; c'est vous, précisément vous,
qui trans|)ortûles François Xavier de la ca-
|)itale de ce royaume jusqu'au fond des In-
des, et qui convertîtes par son ministère
des milliers d'infidèles; c'est vous qui avez
fourni aux lionunes apostoliques do tous
les siècles ces lrailsd'élo(|uence, ces pein-
tures énergiques des vanités mondaines qui
triomphaient des cœurs les plus obstinés.
Que sert à l'homme, s'écriaient ces grands
saints avec cet accent de feu que donne
l'Esprit-Saint, que sert à l'homme de gagner
tout l'univers, d'obtenir les sulfrages et la
confiance de toute la terre, s'il vient à per-
dre son âme, quid prodest? Et à ces paro-
les l'avare frémissait, l'orgueilleux s'humi-
liait, les plus grands pécheurs se hâtaient
do se convertir. N'y aurait-il que nous,
prêtres de Jésus-Christ, que des paroles
si touchantes ne loucheraient |)as ?
Donnons l'essor à notre imagination, réu-
nissons dans notre pensée tout ce qui com-
pose le prétendu bonheur do ce monde :
esprit, science, beauté, réputation, riches-
ses, plaisirs, dignités , a[)plaudissements
fjuhlics, célébrité dans tout l'univers : à
quoi tout cela servi ra-î'.-il si l'on tombe
apfès la mort dans un abîme de feu et de
désespoir? Qu'a servi à ces |)réten lus grands
hommes dont l'histoire a occupé nos pre-;
mières études, à ces brillants génies, à ces
héros conquérants, à ces orateurs, à ces
artistes fameux dont la gloire a rempli
tout l'univers; que leur a servi celte écla-
lanle renommée, s'ils ont sacrilié leur salut
au désir de la célébrité, et qu'ils n'aient
eu d'aul/e but dans leurs ouvrages que
cette vaine immortalité qui n'est rien au
delà de ce monde? Celle gloire si bruyanlo
les a-l-elle garantis du jugement de Dieu?
a-t-elle désarmé le bras de sa justice ? Ah !
dit saint Augustin, leur nom est célébré
sur une tetre où ils ne sont plus, et leur
âme est tourmentée dans un abîme où ils
seront toujours, laudantur ubi non sunt ,
crucinntur ubi sunt.
Nous, vénérables confrères, qui sans doute,
n'aspirons [)as à lanlde célébrité, mais qui
([ui peul-ètre prétendons à des distinc-
tions, à des çm|)lois, à des postes plus ho-,
norables ou plus lucraliis, à une répula-
lio, 1 dé science et de lalent (lui nous élève
au-de.ssus du vulgaire, à quoi, je vous lo
demande, nous serviraient ces avantages
humains, si, à rexenq)le de ces faïucux
hérétifjues enllés de leurs talents, des Arius,
des Neslorius, des Pholius, si l'orgueil et
la cupidité étaient le mobile de notre con-
duite ; si c'était la vanilé [ilutôt que la piété,
l'œil des hommes plutôt que l'œil de Dieu,
(pji encouragi'âl nos lrav;iux, à quoi tout
cela nous servirait-il, et à vous et à moj,
dans ce moment redoutahie et peul-ôtre
[irochain où nous paraîtrons devant lo tri-
bunal d'un Dieu qui jugf les justices inôiues,
633
ORATEURS SACRES. MACREL.
6S6
et ne récompense- que ce que l'on a fait pour
lui plair??
QuaiMl bien même, par une apparence de
zèle ou certains dons extérieurs, nous tra-
v.iillerions utilement à la sanclificalion et
au salut de nos frères ; quand bien même
nous opérerions des conversions éclatantes,
et que nous viendrions à bout de ramener à
Ôieu toute une paroisse, toute une contrée,
l'univers enlier, à quoi tout cela nous ser-
virail-ilrSi nous négligions notre salut, et
qu'à la tin de noire course nous entendis-
sions cette parole altérante: Ouvriers d'ini-
quité, retirez-vous de moi, je ne vous con-
nais point, je ne vous connus jamais : Nun-
qnam novi vos? (Matlh. ,yil, 23.)
Vénérables confrères, n'oublions donc
jamais que la chose la plus nécessaire, la
seule véritablement nécessaire, unum ne-
cessarium, c'est le salut. Mais comment de-
vons-nous y travailler? c'est ce qui nous
reste à examiner.
SECONDE PARTIE.
Comment faut-il travailler à son salul?
Premièrement, avec courage, î;«re7j7er agite,
et confortetur corvestrum [Psal. XXX, 23) ;
secondement, avec confiance, confidite, ego
viei mundum. {Joan., XVI, 33.) Pourquoi avec
courage? parce que le salul présente beau-
coup de difficultés qu'on ne peut vaincre
sans eCorts, sans sacrifices, sans une vo-
lonté intrépide, énergique, fortement pro-
noncée.
Je nesais, vénérables confrères, si jamais
vous avez fait une réflexion qui me parait
frappante. Il me semble que le mot saluC
annonce par lui-même quelque chose de
difficile et de rare où peu de gens réussis-
sent. Quand on veut exprimer le bonheur
de quelqu'un qui a échappé avec peine aux
dangers d'un incendie, d'un naufrage, d'une
bataille sat)glante, d'une contagion désas-
treuse qui ravage tout un pays, on dit qu'il
s'est sauvé de cet incendie, de ce naufrage,
de ce combat, de celte contagion où lant
d'autres ont péri; il est aisé de voir dans
ces quatre exemples autant d'images dos
dangers sans nombre que nous courons
dans la carrière si difficile du salut éternel.
Eh! quel incendie plus terrible que celui
où le feu des passions, souvent allumé par
l'imprudence, enflammé par la curiosité,
alimenté par la présomption et le plaisir,
dévore tout ce qu'il peut atteindre, accroît
sa vivacité par le nombre même de ses vic-
times, étend et porte au loin ses ravages
par les étincelles brûlantes qu'il jette de
toutes parts! O mon Dieu! vous le voyez
du haut de votre trône, il ne faut quelque-
fois qu'un mauvais prélre qui a laissé s'al-
lumer au fond de son cœur une flamme im-
pure, pour causer dans toute une paroisse
un incendie de volupté et d'incontinence,
dont il est responsable, puisqu'il en est l'au-
teur.
Quel naufrage plus affreux que celui qui,
au milieu de ce monde pervers, justement
comparée une mer orageuse, engloutit tous
les jours tant d'âmes infortunées dans les
abîmes du péché et de la mort 1 Kl le sa-
cerdoce, qui semblerait être un port assurié,
luet-il toujours à l'abri de ce naufrage? ne
voil-en pas tous les jours un nombre d'ec-
clésiastiques vains et légers aller perdre
dans les sociétés et les amusemenls du
monde celte piété, cette pudeur, cette in-
nocence de mœurs qu'ils avaiefit puisée et
qu'ils auraient conservées dans le calme de
la retraite?
Quel combat plus sanglant que celui que
le prince de l'enfer, à la tète de toutes les
passions , livre sans cesse aux enfants
d'Adam, qu'il trompe par ses pièges, qu'il
effraye par ses menaces, qu'il séduit par
l'appât du plaisir ou de l'inlérôtr et qu'il
immole à ses fureurs 1 contre qui dnrigti-t-
il avec plus d'acharnement ses cou[)S meur-
triers, sinon contre les chefs de l'armée
qu'il combat, je veux dire contre les prê-
tres ?
Quelle contagion plus funeste que celle
du mauvais exemple , qui , semblable à une
peste ou à une vapeur empoisonnée, entre
par les yeux, par les oreilles, par tous les
organes du corps, par toutes les facultés de
l'esprit, et porte le venin du vice et le
coup de la morl au fond d'une âme jusque-
là innocente I Combi-en de prêtres n'ont-ils
pas trouvé dans le commerce d'un confrère,
je ne dirai pas corrompu, mais dissipé, oi-
sif, relâché , l'exlinciion d'un zèle et d'une
piété jusqu'alors si édifiants!
Voilà, mes cliers confrères, un
aperçu de nos périls les plus ordinaires,, et
il en est tant d'autres que je n'ai ni le temps
ni le courage de nommer. Or quelle force
ne faul-il pas pour vaincre lanl d'ennemis,
et pour marcher d'un pied ferme, au milieu
de tant de dangers, dans la, roule de la
sainteté; c'est trop peu dire, de la perfec-
tion ecclésiastique, seule capable de nous
conduire au salut!
Aussi, vous le savez, quand nous prê-
chons aux gens du monde qi:e le royaume
des cieux soulfre violence , et que ce n'e>t
que par la force qu'on le r.ivit; que la porte
de la vie est étroite, et qu'on n'y entre que
par de grands etforts ; que la couronne im-
morteile n'est décernée qu'aux combats et
aux victoires, et qu'aussi il en est peu qui
l'obticnn^nl, parce qu'il en est peu qui
veuillent se gêner et se vaincre, l'âme in-
dolente qui avait conçu quelque désir (te
salut se sent tout interdite et déconcertée.
Si nous ajoutons, comme conséquence né-
cessaire de ces [irincipes , que, pour se sau-
ver, il faut non-seulement s'éloigner de tou-
tes ses forces des dangers du péché, non-
seuienient renoncer aux objets qui ont été
jusqu'ici pour nous une occasion de chute,
mais se renoncer soi-même , abneget semel-
ipsum (Malth.f X.Vlf'ik); mais combattre
sans cesse les défauts de son caractère,
mais réprimer avec force une passion nais-
sante , mais lutter tous les jours contre les
désirs de l'ambition et l'aiguillon do la vo-
lupté, coiilie les emporlemcnls de la colère
légep
637 RKTRAITE. — INSTRLC T. Il,
ell'injoumission h la Providence, contre les
iiinximes du monde et les craintes du res-
pect huinain, nous avons la douleur de voir
que l'âiue lAclie , en entendant le délai! de
ces précautions et de ces combats, loin de
se relever et de fortitier son courage , se li-
vre à un abattement plus sensible, et que
les armes du salut lui tombent presque des
mains. Mais si nous rappelons l'oracle de
Jésus-Christ, que pour se sauver il faut
persévérer dans ces lutles et ces elTorls
jusqu'à la fin de sa course, et que ce n'est
qu'à cette coniinuilé non interrompue de
vigilance, de zèle, tle renoncements et de
s.icrifices , que le salut est promis, l'àrae in-
dolente, tout épouvantée , s'écrie en frémis-
sant : Hhl qui pourra donc être sauvé? a quis
poterit salvus esse? » (Marc, X , 26.)
Le voilà, mej chers conirèrts, l'ennemi
le plus dangereux du salut, celte lAche pu-
sillanimité qui recule d'elfroi à l'aspect des
obstacles 1 La crainte sans doute est néces-
saire dans l'ouvrage du salut : le grand
Apôtre en était pénétré, le roi pénitent
frémissait au souvenir de ses crimes; mais
c'élail une crainte active ot laborieuse, qui,
loin de les abattre, réveillait leur zèle et
soutenait leur vigilance : leur courage s'en-
flammait en proportion des obstacles. La
première chose que rEspril-Saint nous re-
commande, c'est sans doute de craindre
Dieu : Deum time ; mais il ajoute de suite :
et observez ses commandements, el manda-
tn ejus observa. {Eccle. XII, 13.) Il nous dit
ailleurs que ce n'est que par les bonnes
œuvres qu'on assure son salut.
A quoi peut conduire une crainte lâche
el pusillanime qui éteint toute ardeur el
arrête tout elTori? écliappe-t-on à un dan-
ger [lar la seule crainte de ne pouvoir s'y
soustraire? Un soldat jette-t-il les armes
parce qu'il est entouré d'ennemis furieux?
Les obstacles du salut sont terribles , j'en
conviens ; mais , souffrez que je vous le de-
mande en m'interrogeant moi-même le pre-
mier, serait-il moins terrible de tomber
dans un feu dévorant? Qui de vous , s'écrie
un prophète, pourra habiter avec des ar-
deurs éternelles? Il faut pourtant opter en-
Ire le salut et un supplice éternel.
Ame pusillanime I si par malheur il s'en
trouvait ici, rougissez donc de votre lâ-
cheté; et sur les traces de tant de saints,
aussi faibles que vous, qui ont livré une
guerre à mort à leurs pussions et à leurs
vices; et sur les traces de lanl do mar-
tyrs qui ont affronté les glaives et les
bûchers, el ont vaincu la crainte de la
douleur par l'espérance de l'immortalité;
que dis-je? Et sur les traces de tant de
chrétiens, de tant de bons prêtres encore
vivants, qui luttent chaque jour avec suc-
cès contre des occasions et des penchants
malheureux , élancez-vous aussi avec cou-
rage dans la carrière du salut, viriliter agi-
te, el , comme eux, vous vaincrez tous les
obstacles, non par vos propres forces,
vous connaissez le mot de Jésus-Christ :
'Sans moi tous ne pouvez rien [Joan. , XV ,
SUR LE SALUT PES PRETRES.
638
5); mais par la force de ce Dieu sauveur
(|ui disait à ses disciples : Confiez-vous en
moi ; fai vaincu le monde, et par moi vous
le vaincrez aussi l « Con/idite, ego vici mun-
dum. yy [Juan. , XVI , 33.)
Voilà* le second sentiment qui doit nous
animer dans l'ouvrage du salut, la confiance
en Dieu , mais une confiance sans bornes ,
puisque la puissance et la bonté divines sont
infinies. Je puis tout, disait le grand Apô-
tre, dans celui qui me fortifie. Je sais le mot
terrible de Jésus-Christ , peu d'hommes se
sauvent ; et même peu de j)rêtres, ajoute en
tremblant saint Chrysostome; mais je sais
aussi qu'il ne péril que ceux qui veulent
périr. Hé quoi 1 mes cliers CDnfrères , Dieu
veut , vous n'en doutez pas, le salut de nous
tous : ce ne peut être de sa pari une volonté
impuissante -, Dieu nous ordonne à tous d'o-
pérer notre salut : il ne nous fait pas un
précepte impossible; Dieu nous promet à
tous la grâce du salut : il ne nous donne
pas une espérance illusoire.
Qu'y a-t-il donc dans le salut qui doive
nous décourager? Serait-ce la multitude el
l'énormité de nos crimes? Mais ignorons-
nous que Dieu ne veut la perte de personne,
nolens aliquos perire (Il Petr., 111, 9) ; pas
même de l'impie :nolo mortem impii{Ézech.,
XXXIII, 11.); et qu'il n'est aucun coupa-
ble à qui ne soit ouvert ce tribunal de mi-
séricorde où le pardon suit toujours le re-
pentir ? Pœnitemini , et convertimini , ut de-
Icantur peccata vestra. {Act., III, 19.)
Seraii-ce ce chaos d'occupations, d embar-
ras, de sollicitudes attachés à un ministère
gui devient tous lesjours et plus pénible el
plus dangereux? Mais celte foule d'hommes
apostoliques qui nous ont précédés, les
Athanase, les Grégoire, les Xavier, les
Charles Borromée, étaient-ils moins occu-
pés, moins exposés que nous? Les temps
où ils ont vécu étaient-ils moins difficiles,
moins orageux? Et cependant ils se sont
sauvés.
Serait-ce l'excès de notre faiblesse el la
violence de nos tentations? mais sont-elles
plus violentes que celles d'un Paul , d'un
Jérôtne, d'un Augustin? Hommes de peu do
foi ! pourquoi donc nous défier de ce Dieu
lou:-puissant qui est témoin de nos combats
et nous prépare la victoire? Nous accusons
peut-être la rigueur de sa providence et la
lenteur de son secours : mais ne savons-
nous pas que ce sont les grandes épreuves
qui enfantent les grandes vertus? Mais
ignorons-nous qu'une sainteté éminente
fut toujours précédée et souvent accompa-
gnée de fortes tentations? Ahl soutenons
donc avec courage cette lutte terrible, et es-
pérons en co Dieu puissant qui ne délaisse
jamais ceux qui sentent leur faiblesse el in-
voquent son secours. Du sein de nos dan-
gers, disons-lui , comme le Prophète, avec
celle humble confiance qui fut toujours
exaucée: Non, Seigneur, je ne craindrai
point cette mulliludo d'ennemis qui m'as-
siègent de toutes parts ; Non timebo millia
populi circumdantis me. [Psal. 111,7.) Ce
6Sa
ORATEURS SACRES. MAUREL.
610
sont, li est vrai, comme des lions rugis-
s.inls prêts h mo dévorer; mais.ô mon
Dieu 1 leurs dents meurlrièrcs seront bri-
sées par la force de votre bras , et leurs
morsures deviendront impuissantes , denses
peccatorum CiWtrivisli. {Psal. III, 8.)
Mes chers confrères, c'est un principe si
consolant de notre foi, que Dieu ne per-
mettra jamais que nous soyons tentés au-
dessus de nos forces 1 que dis-je ? qu'il nous
fera trouver dans la tentation môme une
source de vertu et de mérite, faciet cutn
Untatione proventiim! {{ Cor., X, 13.) Oh I
ce n'est pas la grâce qui nous manque, c'est
1.1 volonté de correspondre à la grâce. Don-
nez-moi un prêtre fortement résolu do se
sauver quoi qu'il en coûte; un prêtre coura-
geux , iMlré[>ide, qui ne craigne que Dieu et
ses jugements: placez-le dans une circon^
stancefucheu.se, à la tête d'une paroisse,
d'un eni[)lûi difficile; suprosez-le assailli
(l'une tentation , d'une persécution violent
te, et vous lentpndrez s'écrier avec géné-
rosité : « Quoi ! pour un plaisir d'un mo-
ment , pour une fortune de boue, pour une
réputation, une considération passagère , je
voudrais perdre une éternité de gloire et de
bonheur I Quoi 1 je craindrais les railleries,
les calomnies, les menaces de quelques
mortels , et je ne craindrais pas la justice
élernelle du Dieu vivant! » Voil5 les senti'^
raents qui triomphent de teus les obsta-
cles.
An^es pusillanimes, ranimez donc votre
confiance et méprisez ces vains fantômes
qui semblent a.ssiéger la carrière du salut
et vous en défendre l'entrée. Atfronlez-les
courageusement , et ils disparaîtront ; mar-
chez à la victoire, et vous vaincrez. Ne di-
tes plus : Je voudrais bien, c'est l'expres-
siao des lâches ; mais veuillez fermement
vous sauver, et vous vous sauverez ; non,
je le réi)ète , par vos propres forces, qui
ne sont, hélas 1 que faiblesse, mais par la
force de celui qui a vaini;u le monde et en-.
chaîné .'enfer, et qui a promis tout seouu:s
il la prière.
Ici, mes chers confrères, il me semoh;
voir le séjour des élus s'ouvrir sur nos lêtes
et déployer à nos yeux tout l'éclat de sa
gloire et de sa magnilicence, tandis que
l'enfer développe sous nos pieds l'épouvan-
table horreur de ses feux ut de ses suppli-
ces; et en même temps il me semble en-
tendre une voix, partie du trône de Dieu
qui nous crie h tous : « Il s'agit dans cette
retraite de vous décider pour l'une ou l'au-
tre de ces deux demeures. Voulez-vous
posséder éternellement les richesses et la
gloire du ciel, ou voulez-vous habiter éter-
nellement dans les abîmes et les horreurs
de l'enfer? Choisissez entre ces deux éter-
uilés, et vivez ei;i conséquence. Pour en-
trer dans le ciel, il faut observer jusqu'à la
mort toute l'étendue de ma loi; pour tom-
ber dans l'enfer, c'est assez d'un seul crime
que la pénitence n'a point expié. Votre sort
mains, choisissez; mais hâ-
murt est là ; et après la
est entre vos
Icz-vous, car la
mort, il n'y aura plus de choix à faire»
il n'y aura qu'un jugement irrévocable h
subir. »
O mon Dieu ! il y a bien longtemps que
mon choix est fait et que je vous ai pris
pour mon unique partage : Dominns pars
hœredilatis meœ. {Psal, XV, 5.) Pour(|uoi
faut-il que mon inconstance soit venue si
S'uvent trahir mes résolutions et m'arra^
cher à voire service? Ah I je rcs|)ère, celte
retraite la réprimera, l'enchaînera, coite
inconstance criminelle. Non, ([uoi qu'il m'en
coule, je ne veux plus quitter les saintes
voies du salut. Quoi 1 tomber dans l'enfer
après qu'un Dieu est mort pour m'en pré->
server 1 quoi I tomber dans l'enfer après
avoir peut-être introduit tant d'âmes dai;s
le ciel ! 0 Jésus 1 j'attends aussi de vos mé-
rites et de votre sang la possession éter-
nelle de votre royaume.
INSTRUCTION III.
LE PÉCniJ MORTEL.
Quisex voDis arguel me de peccato (Joan., VIII, 46.)
Messieurs,
Dans les jours de sa vie mortelle, le Fil.s
fie Dieu donna bien des preuves éclatantes
de sa divinité. Les morts sortis des tom-
beaux, les aveugles, les muets, les paraly-
tiques subitement guéris; une multitud©
atfamée rassasiée dans le désert; tant de
prodiges dont Jérusalem et Samarie furent
tour à tour les témoins; cette force invin-
cible par laquelle il attirait tous les hom-
mes à sa suite; enfin la sublimité d'une
morale inconnue jusqu'à lui, tels étaient les
glorieux témoignages qui annonçaient que
son origine était divine. Cependant una-
des preuves les plus frappantes que Jésus-
Christ a données de sa divinité, c'est celle
noble assurance avec laquelle il défie la
malice de ses ennemis de trouver dans sa
conduite la plus légère faute : Quis ex vobis
arguet me de peccalo. Placés au milieu des
peuples pour perpétuer son ministère et
annoncer son Evan^Mle, nous devrions aussi
pouvoir défier, comme lui, la malice des
enfants du siècle, el leur dire : Portez un
regard inquiet sur toute notre conduite,
examinez nos actions, consultez toutes nos
démai'ches, interrogez, si vous le voulez,
tous nos pas; qui de vous nous convaincra
de péché : Quis ex vobis arguet me de pec-
cato? Ne pensez pas, Messieurs, que ce
noble défi fût en nous une présomption té-
méraire; c'est là ce qu'ont fait tous les
saints : par l'étenduf, la perfeclion, la per-,
sévér.uice de leur sainteté, ils ont toujours
défié le monde. Et n'était-ce pas ce que di-
sait autrefois le grand Apôtre, lorsque, s'a-
drcssant aux fidèles de la primitive Eglise,
il s'écriait : Non, je n'ai rien à me reprocher
à vo.s yeux : « kihil inihi conscius swn. »
(1 Cor., IV, 4.) Peut-être aux yeux de Dieu
ne suis-je pas pour cela justifié; mais enfin
ma vie est irréprochable et au-dessus de la
critique d'un, monde sévère observateur de
la vertu : Nifiil mihi conscius sum
Pouvons-nous, Messieurs, tenir aujour-
G4!
IIETRAITE. — INSTRUCT.
d'hni le môme langage? Hélas I les |ilaics
de rKgliso sont prolbtjdes, sa douleur est
ainèro ; le prùtre pèche comme le peuple :
tii une vocation sublime, ni l'abondance des
grAt-es reçues, ni la grandeur d'un niinis-
lère augusle, ni la IVtSjuentalion des mys-
tères redoutables, ni la prédication de la
parole sainte ne mettent un prêtre de Jé-
sus-Christ h l'abri d'une funeste chute. Il
désoie donc cette vigne chérie du Seigneur,
(jue sa main elle-même a plantée, ce mons-
tre allVeux, le plus grand ennemi de I hom-
me 1 O Dieu I protégez votre héritage ; et si
le péché règne dans le monde, (pfil épar-
gne du nioins voire Eglise. 11 l'épargnera,
Messieurs, si nous, (]ui sommes ses minis-
tres sur la terre , non contents d'apprendre
aux fidèles h fuir le péché, qui est le seul
mal véritable, nous travaillons h entretenir
dans nos esprits une horreur loujou'rs re-
naissante pour lui. Nous devons le crain-
dre : les plus justes sont ceux qui le re-
doutent le f)lus, |)arco qu'éclairés des lu-
mières d'en haut, ils savent mieux en a| pié-
cierla malice. Nous aussi nous chercherons
maintenant à la découvrir tout entière dans
ce discours, dont voici tout le partage :
l'énormité du péché mortel dans un prêtre;
eflets terribles qu'il produit en lui , tel est,
Messieurs, l'objet de votre attenliou.
PREMIÈRE PÀ&TIE<
Si les peuples que nous instruisons tous
les jours du haut des chaires chrétiennes
assistaient niaintenant à ce discours, et que,
portant leurs regards sur cette vénérable
assemblée, ils me vissent au milieu de
vous, vous annonçant la parole divine^ et
qu'ils m'entendissent [lailer du péché à des
prêtres, seraient-ils étonnés du sujet de
notre entretien? Nnn, Messieurs, ils ne le
seraient [)as, car ils ne savent que ti'op que
l'iniquité pénètre quelquefois dans la terre
des saints; que la perlection d'un élat ne
rend pas iaipeccable celui qui s'y trouve
jtlacé ; que l'ange a péché jusque dans le
ciel môme, le premier homme dans lu
paradis de délices, le Prince des apôtres
dans un des moments les plus dou'oureux
de la vie de son divin Maîlie; qu'en un
mot, les colonnes qui paraissent les plus
inébranlables [leuvent être facilement ren-
versées. Ah 1 Messieurs, si nous employons
toutes les ressources de notre zèle pour
éloigner !es simples fidèles du péché, en
aurons-nous moins pour nous engagera le
fuir nous-mêmes?
Se révolter, leur disons-nous, contre un
Dieu créateur, qui ne nous a faits à son
image que |)our tiouver en nous des imita-
teuis de sa sainteté , qui nous ordonne de
n'adf)rer et de ne servir que lui, quelle au-
dace 1 Attaquer un Dieu tout-puissant qui a
son trône au-^ lessus des astres, un Dieu in-
lininieiit plus fort «jue nous , qui d'un
souille peut nous détruire, comme dit le
Projdièlo, et qui a creusé un abîme de feux
et de supplices pour punir les infracteurs
de sa loi, (pielle témérité I quelle folie lOu-
ilt, SIK I.R PECIIK MORTEL. 642
tragcr un Dieu dont l'essence est la bonté
et la miséricorde, (jui nous aime avec plus
de tendresse que le meilleur des pères
n'aime ses enfants ; qui nous fait du bien
chaque jour, à clia(|ue instant du jour,
hélas 1 5 l'instant même que nous l'olfcn-
sons, puisqu'il ne cosse de nous conserver
la vie et la l'orce dont nous abusons contre
lui 1 quelle ingratitude! Insulter à un Dieu
sauveurijui nous a aimés jusqu'à se livrer
à la mort pour nous ; le crucifier de nouveau
|iar nos crimes, cet aimable Uéderapteurj
qui ne cesse du haut de sa croix de nous
appeler à lui, de nous prévenir de sa grâce,
do nous présenter ses plaies et son cœur
ouverts pour nous recevoir, et de nous
montrer dans les cieux Ja récompense de
notre amour pour lui, quelle cruauté!
quelle noirceur!
C'est par toutes ces réflexions que nous
tâchons de faire naître dans le cœur des
fidèles des sentiments de repentir et de
componction ; ces vérités touchantes, ces
images attendrissantes les émeuvent quel-
quefois jusqu'aux larmes. N'y aurait-il que
les prêtres qui opposeraient à tant de mo-
tifs une coupable indiUéience? les piètres,
en qui on devrait trouver le modèle et la
perfection de toutes les vertus! qui, du
moins, s'ils ont eu le malheur de pécher,
devraient être inconsolables de leur chute,
toujours, hélas! beaucoup plus grande que
celle ÛGS laïques! Et c'est là une rétloxiou
sur laquelle il convient d'insister.
Oui, mes chers confrères, le péché mor-
tel dans un prêtre est beaucoup plus énor-
me, et par suite beaucoup plus |)unissablo
que dans un simple fidèle. Pourquoi? i'
Parce que nous connaissons mieux la loi da
Dieu et l'obligation de l'observer; 2° parce
que nous avons tout à la fos plus de' mo-
tifs et plus de moyens d'y être fidèles ; 3"
parce que le péché mortel est toujours en
nous une espèce de sacrilège qui profane
la consécration de notre personne et la
sainteté de notre état.
N'est>il pas d'abord évident que la gran-
deur du péché augmente en proportion de
la connaissance qu'on a de sa malice, et
que plus on est instruit de ses devoirs,
})lus on est ca[)able d'y manquer? Pourquoi
le péché des anges rebelles Irrila-t-il si
fort la justice du Très-Haut, et pourquoi
fut-il si promptemenl et si sévèrement
puni, sinon parce que ces esprits célestes,
placés autour du trône du Dieu éternel^
avaient une connaissance plus el:iire de la
grandeur de ses perfections et de la soumii-
sion que lui doivent ses créatures ? Et nous,
vénératjles confières, appelés par l'E'pril-
Sainl ks anges de la terre et la lumière dv
monde ; nous, placés dans le sanctuaire
môme du Dieu trois fois saint, recevant les
premiers rayons de sa grûce et de sa vérité ;
nous, chargés d'annoncer aux houimes ses
divins enseignements; obligés d'étudier^
de méditer, d'expliquer sa loi ; et délivré»,
pour nous consacrer avec plus de soin à ce
noble ministère, des sollicituiles et dos eu-
C43
ORATEURS SACRES. MAIIREL.
6i4
Itarrasdu siècle; nous qui tenons sans cosse
dans nos ni«ins les livres sacr(^s où sont con-
signés celle loi el les docunienls de l'E-
glise qui la développent; nous, qui savons,
qui jirêclions que la seule pensée volon-
taire du crime est un crime : Perversœ co-
gitationes séparant a Deo {Sap., 1, 3); nous,
qui avons chaque jour l'occasion d'appliquer
les principes de la morale évangélique, qui
par conséquent ne pouvons ni les ignorer
ni en perdre le souvenir; nous enfin, envi-
ronnés de tant de lumières, si à portée d'é-
clair cir nos moindres doutes, ayant un accès
si facile auprès de l'Esprit de vérité el des
pontifes do l'Eglise, qui en sont les inler-
prèles, croirions-nous, vénérables confrè-
res, n'être pas beaucoup plus coupables
dans nos intidéliiés ou nos prévarications
que le commun des cbréliens, la plupart
sans éducation, sans lettres, souvent sans
intelligence, sans moyens d'instruction, at-
lacliés par la nécessité à des travaux tumul-
tueux, plongés dans les atfaires et les soins
de la terre, dont nous sommes dégagés ?
Les laïques sans doute, quoique bien sou-
vent coupables dans leur ignorance, parce
<iu*ils fuient ou rejettent la lumière, peu-
vent cependant, dans bien des circonstan-
ces, nous répéter avec une sorte de raison
ce mot du grand Apôtre : Jgnorans feci
(i TiiH., J, 13), je ne savais pas que celle
action fût un péché, je no croyais pas qu'il
y eût en cela un si grand maî. Mais nous,
Messieurs, nous siérait-il d'apporter celle
excuse? serait-elle recevable sortant d'une
Louche qui doit être le siège môme de la
science et de la doctrine? Labia sacerdotis
cuslodienl scientiam , el legem requirent ex
ore ejus. {Malach., Il, 2.)
Hé quoi I vénérables confrères , nous ne
cessons de dire au\ tidèles : Craignez Dieu
t't observez ses commandements , fuyez le
péché comme vous fuiriez à l'aspect d'une
bôle féroce, à l'approche d'une couleuvre,
d'uiie vipère, qui viendrait pendant la nuit
partager votre couche , quasi a facie colubri,
fuge peccata [Eccli., XXI, 2); arrachez l'œil
el coupez la main qui vous scandalise ;
éloignez-vous de l'occasion du péché; abs-
leiiez-vous de tout ce qui a l'apjiarence du
mal; plutôt la mort que de transgresser en
un seul point la loi sainte de voire Dieu I
el après ses touchantes exhortations , nous
irions nous-mêmes l'enfreindre, celle loi
immortelle que nous aurions si éloquem-
nient préchée 1 Quoi, nous aurions repré-
senté Dieu comme seul grand , seul ado-
rable , seul digne des hommages et de
l'amour des mortels, et notre cœur ne serait
rempli que do l'amour de nous-mêmes et
des créatures 1 noire zèle apparent pour les
intérêts delà religion n'aurait d'autre prin-
cipe que la vaine gloire ou la cupidité! les
mômes vices que nous aurions condaujnés
dans leslidèles: l'injustice, l'inlempériince,
la haine, la jalousie, la détraction, se
trouveraient aussi en nous-mêmes l nous
serions un objet de scandale et de chute
pour les faibles! O mon Dieu! ne [>or-
raeltez pas que nous vous forcions de nous
dire un jour : De ore tuo le judico , serve
nequam [Luc. , XIX, 22j : ministre infidèle,
votre jugement est sorti de voire liouche.
Qu'avez -vous enseigné et qu'avez-vous
fait? pensiez -vous qu'il y eût un autre
Evangile pour les prêtres que [)0ur les
laïques? el ignoriez-vous que la connais-
sance plus distincte de ma loi en rendait la
transgression plus criminelle et plus punis-
sable? Qui coguovit . et non fecit , vapulabit
multis. {Luc. , XII , 47.)
Une autre considération bien propre à
nous faire sentir que nos péchés sont plus
graves que ceux d'un simple fidèle, c'est
que nous avons plus de motifs et plus de
moyens de nous attacher à Dieu et à sa loi,
tdus de motifs, n'y en eût-il d'autres que les
faveurs sans nombre dont Dieu nous a com-
blés depuis l'instant heureux où il nous per-
mit de dire : Dominus pars hœreditatis meœ
et calicis mei. (Psal. XV, 5.) Qu'élions-nous
avant le sacerdoce? et que serions-nous
sans le sacerdoce ? Je no parle pas de quel-
ques avantages temporels que cet état su-
blime nous a peut-être procurés, et en plus
grande abondance que nous n'eussions pu
les trouver dans le siècle : plus de moyens
d'éducalion , plus de ressources pour la cul-
ture de l'esprit et du cœur, plus de consi-
dération , plus do réputation , peut-être
môme, malgré la position actuelle du cler-
gé, plus d'aisance et de fortune. Quelle ne
serait pas notre ingratitude S), au lieu de
faire servir ces avantages à la gloire de
celui qui en est l'auteur, nous en abusions
|)Our satisfaire notre ambition ou noire
vanité? combien ne serions-nous pas nial-
hcureux, si le Seigneur pouvait nous adres-
ser le môme reproche qu'il faisait à son
ancien peuple ; Filios enulrivit et exaltavi;
ipsi auleinspreverunt me. {Psal. 1,2.)
Mais des avantages bien supérieurs vien-
nent s'otfrir ici à notre reconnaissance, et
accuser notre ingratitude. Que serions-nous
devenus dans le monde, si Dieu, par une
grâce privilégiée, n'eût daigné nous reti-
rer de celte région de ténèbres et de raort ?
comment aurions nous opéré notre salut,
au milieu de ce torrent d'iniquités et de
scandales? Hélas! Messieurs, pour faire
sentir aux simples fidèles le bienfait inap-
préciable de leur vocation à la foi , et l'in-
gralitude dont ils se rendent coupables en
abusant de celte grâce privilégiée, nous
comparons les lumières , les secours sans
nombre quelle christianisme fournit h
l'homme pour le conduire à un bonheur
immortel , avec cette ignorance profonde ,
celte corruption monstrueuse, cet étal d'a-
bruiissement qui règne dans le paganisme.
Pour nous, vénérables confrères, si la li-
cence de nos mœurs contrariait la sainteté
de notre élat , n'aurions-nous pas intini-
ment plus de motifs de rougir de notre in-
gratitude, nous, distingués des fidèles parle
sacerdoce; élevés, non-seulement à la dignité
d'enfants de Dieu, mais à celle de ses mi-
nistres; nous que Dieu honore, je ne dis
645
RETRAITE. — INSTRl'CT. III, SUR LE PECHE MORTEL.
6i6
pas du'litre cie ses serviteurs, mais de celui
(Je ses .-imis : Jam noti dicam vos servos , vos
outem dixi amicos (Joan., XV, 15) ; iious,
ap|)el6s , non-seuicmcnl à la lahie du Sei-
gneur, mais à son autel, à cet aulel où coule
to«us les jours par nos mains le sang de la
Victime sans tache, à cet aulel d'où sortent
jTflr noire ministère toutes les gr;lccs, toutes
■les lumières, tous les trésors de sainteté et
de salut que Dieu répand sur la lace du
monde?
Hé quoi 1 mes cliers confrères , tous les
jours nous tenons dans nos mains le récon-
ciliateur des hommes avec Dieu, et nous
serions nous-mên)es ses ennemis! tous les
jours nous distribuons aux fidèles le pain
•de vi^, le gage de l'immortalité, et nous
serions nous-mêmes dans un étal de mort
^.l de damnation 1 tous les jours nous nous
nourrissons de cet aliment céleste dont les
anges mêmes se trouveraient indignes, et
Jious mangerions noire jugement el noire
condamnation 1 Au sortir de celte nouvelle
lène , nous irions , nouveaux Judas , livrer
h ses ennemis, je veux dire à nos liassions,
cet Agneau divin qui se serait donné à nousl
Tandis que la pitié des fidèles retirera de la
table sainte un accroissement de ferveur et
d'amour pour le Dieu qu'elle a reçu, nous
ne trouverons, nous, au saint autel , qu'une
nouvelle source de froideur, d'indillérence
el de mépris pour ce sang auguste que nous
avons profané, el qui, du fond de nos cœurs,
va infiniment plus haut que celui d'Abel
vers le trône des vengeances divines I
Voilà, Messieurs, ce qui nous rend en-
tièrement inexcusables; c'est qu'avec plus
de motifs, nous avons aussi plus de moyen's
de nous garantir du péché. En effet, tous
les trésors de la grâce ne sont-ils pas dans
nos mains? ne pouvons-nous pas ouvrir à
notre gré tous les canaux de la miséricorde
divine? quel moyen , quelle source de salut
j a-t-il dans la religion que Dieu ne nous
ait confiés? El au mileu de tant de secours,
nous nous perdrions I Quoi , absoudre du
péché, et vivre soi-meuie dans le péché!
purifier les consciences, et garder soi-même
une conscience souillée! ouvrir aux autres
la roule du ciel, et marcher soi-même dans
c»»lie de l'enfcrl comment concevoir une
pareille monstruosité?
Lorsque les simples fidèles se plaignent à
nos pieds qu'ils manquent de force pour
résister aux tentations, nous nous empres-
sons de les exhorter à une vive confiance
en Dieu, à une vigilance perpétuelle sur
rux-mômes , à la prière , aux saintes lec-
tures , à la fuite des occasions, el surtout à
la confession fréquente. Mais tous ces
moyens ne sont-ils pas infiniment plus aisés
el plus puissants pour nous que pour eux?
n'avons-nous pas mille fois plus de facilités
de recourir à Dieu , de méditer sa loi , el de
nous raj)peler que ses grâces sont toujours
proportionnées à nos besoins; qu'il est sans
cesse à nos côtés prêt à nous secourir; qu'il
ne permet jamais que les tentations soient
au-dessus de nos forces ; qu'il ne délaisse
jamais ceux qui l'invoquent avec confiance?
A qui toutes ses vérités soKt-elles plus pré-
sentes qu'à un prêtre, qui les rencontre
sans cesse dans son bréviaire , dans ses
études, cl dans les instructions qu'il pré-
pare pour les fidèles? Qui |)eut plus facile-
ment qu'un prêtre s'éloigner des occasions
dangereuses , lui à qui son minisière ne
permet de paraître dans le monde que par
nécessité ou par charité; lui que l'opinion
publique contraint de se surveiller, et en-
toure, pour ainsi dire , d'un rempart do
modestie el de circonspection ; lui que son
habit seul avertit de mener une vie grave «l
retirée?
Puisque nous connaissons donc, Mes-
sieurs, la loi de Dieu mieux que les simples
fidèles; puisque nous avons plus de motifs
et plus de moyens de l'observer, avouons en
gémissant que nos fautes sont toujours
beaucoup plus grandes que les leurs, et
que, comme l'enseigne le dernier concile,
ce qui n'est en eux que péché léger et vé-
niel , est souvent en nous péché grave et
mortel; qu'une |)arole, une raillerie qui no
seraient dans la bouche d'un laïque qu'une
simple légèreté , prennent souvent dans la
nôtre, dit saint Bernard, le caractère du
blasphème; qu'un regard, une attitude, une
familiarité indiscrète qu'on remarque à
peine dans un homme du monde, sont sou-
vent un scandale dans un homme de Dieu ;
qu'une irrévérence , une dissipation dans
le lieu saint, qu'on pardonne à un simple
fidèle, sonlsouvent en nous une profanation
et un sacrilège.
Que dis-je, Messieurs , chacune de nos
fautes n'esl-eile pas, où qu'elle soit commise,
une espèce de sacrilège qui profane la con-
sécration de nos personnes et la s:,inleté si
sublime de notre état? Eu elfet.oùquenous
soyons, ne porlons-nous pas avec nous le
caractère el les engagements sacrés qui
nous lient à Dieu ? Je ne dis pas seulement
l'engagement du baptême qui nous est com-
mun avectous les chrétiens, par lequel nous
renonçâmes à Satan, à ses pompes el à ses
œuvres; mais surtout l'engagement particu-
lier qui signala noire entrée dans l'étal ec-
clésiastique, par lequel nous renonçâmes
aux espérances du siècle pour n'avoir d'au-
tre héritage que le Seigneur; mais ce vœu
solennel de chasteté, qui n'a d'autres bor-
nes que celles delà vie, et qui s'étend mê-
me aux désirs et aux pensées; mais cette
onction sainte qui consacra nos mains à
Jésus-Christ , el en fit des instruments de
religion, de charité, desainielé ; ensorteque
la personne tout entière d'un prêtre esluno
victime dévouée, consacrée à Dieu, reliréo
des travaux, des négoces, des agitations du
monde, et destinée uniquement à un mi-
niiilèrede paix et <ie salut. Après des enga-
gements si sacrés, nous ne craindrions pas
de prosliluer ces mains sanctifiées par une
onction céleste à des trafics ignobles, à des
œuvres de ténèbres; ce cœur qui sert tous
les jours de trône à Jésus-Christ, à dos af-
fections Icrrcstrcs, à des vues d'ambition el
(547 ORATEURS SACRES
»le vanilé ; oetio bouche tous les jours leinle
(lu si'.ng (le Jésus-Chrisl. h des railleries
iiiJécenles, el à des paroles oeut-êlre trop
libres I
Si, selon le langage des Pères, l'énormilé
MALREL.
648
(lu péclié csl eu proportion avec la digiiil^
du coupable, tnnto niajus peccnlu7n, dit
saint Isidore, qixanlo major qui peccat , qui
jourra mesurer la cuipabilili^ d'un prôlre,
aussi élevé au-dessus du reste des hommes,
niômedes [irinces et des t(^les couronnées,
j.ar la sublimité de son ministère, que le
ciel l'est au-dessus de la terre; d'un prêtre
qui devrait égaler en sainteté les anges
mêmes, qu'il surpasse en dignité ? D'un au-
tre côté, si le re|)enlirdoit être proportion-
né à l'énormilé de la faute, à quels gérais-
îiomehts, à quelle amertume tie douleur et
de componction ne doit pas se livrer un
prêtre colipable 1 et quel ne serait pas son
malheur, s'il allait dé(;larer ses fautes avec
la môme froideur, la même sécheresse, et
peut-être la même dissimulation qui le fe-
iaietJt gémir dans un sitnple fidèle 1 mais
cette nécessité d'un repentir profond^ et
amer sera encore mieux sentie par l'ex-
posé des ellets terribles que produit le
péché mortel dans un prêtre. Sujet du se-
cond point.
SECONDE PARTIE.
Si la gloire, l'honneur et la paix sDht le
partage de quiconque fait le bien, dit le
grand Afxjlre : Gloria, et honor,etpax omni
operanCi bonum ; l'affliction, l'opprobre et
la douleur sont la justi^ punition de qui-
conque fait le mal, Iribulalio et angustia
in omnem animam operanlis malnm; et cela
regarde le prêtre plus encore quelesimjdo
Wûh\Q, Judœi primum et Grœci. [Rom., II,
9,10.)
En effet. Messieurs, tandis que le bon
prêtre, toujours content au fond de son |
cœur, parce qu'il fait en vue de Dieu tout
ce qu'il p.eul, jouit de la considération de
SCS supérieiiis et de ses confrères, môme
<ies gens du monde j forcés, au milieu de
leurs désordres, d'estimer la vertu; tandis
que surtout il a la consolation de posséder
la contiance et l'amour de ses ouailles,
qu'il est sans cesse encouragé dans ses tra-
taux |)ar les fruits de son ministère, qu'il
voit s'accroître tous les jours (et c'est là,
mes chers confrères, un bonheur qui est dû
à Vos vertus, et qu'éprouve sans doute i)lus
Ou moins chacun de vous), dans quelles
angoisses, dans quels troubles et quels re-
mords ncst pas plongé un mauvais prêtre!
dans quelle ignominie et quelle abjection
iie Iraîne-t-il jias une existence [)énible,
cruelle, i)arce qu'il sent qu'elle est non-
Seulement inutile à l'Eglise, mais funeste
et scandaleuse!
Nul de vous n'ignore l'oracle de l'Esprit-
Saint contre les [)rêties inlidèles, qui , en
m'éprisant leur ministère, attirent sur eux-
mêmes les mépris publics : Ad vos, o sacer-
dotes, qui despicilisnomcn meum.(Mutac., 1,
6.) Vos recessislis de via, cl scandudzatis
plurimos in leije (Malac, II, 8.) Propler
qiiod et eqo dcdi vos contcmpciOiles et Inimi-
les omnibus populis. (//>id.,9.) Oui, vénéra-
bles confrères, le trouble, l'amertume, le
remords au fond du cœur; )e mépris, l'op-
probre, l'avilissement au milieu des peu-
ples : voilà le partage d'un mauvais prêtre.
Un prêtre [)révaricat''nr I hélas! c'est une
plaie, un fli^au pour l'Eglisf», et un suji-'t de
douleur pour tous les gens de bien. Que
dis-jeî les méchants eux-mêmes, en i'ap-
})laudissant quelquefois par intérêt, le ciui-
damrienl et le maudissent en secret. Le
monde, tout impie qu'il est, disons mieux,
précisément parce qu'il est impie, s'acharne
à le déchirer, à grossir même ses désordres,
et à chercher dans ses égarements une
arme de plus contre la religion dont il est
l'indigne minisire : îvirtout on le fuit, par-
tout on le rejette; il i)romône de iiaroisse
en paroisse le scandale de son inconduite
et l'indécence de ses mœurs, jusqu'à ce
qu'enlin, fatigués des clameurs et de l'indi-
giiaiion publi()ue, les supérieu s se voie'U
forcés de lui retirer un ministère qu'il pro-
fane. Je n'insisterai pas davantage sur ces
tristes détails, bien persuadé qu'ils ne trou-
veraient ici aucune application.
Mais pourrais-je omettre , sans frustrer
Votre attente et votre piété, ces coups bien
plus terribles, ces châlimenls bien p'us
éclatants dont le bras de Dieu a frappé clans
tous les siècles les prêtres infidèles? Ou-
vions les livres saints, consultons l'histoire
de l'Eglise; voyez Nadab et Abiu, pour
avoir employé dans le sacrifice un feu
étranger, consumés, à l'instant même par
une tlamuie dévorante sorlie du sanctuaire ;
voyez Dalhan et Abiron, pour avoir résist(î
à l'autorité d'Aaron et de Moïse, engloutis
tout vivants dans les entrailles de la terre;
voyez les enfants d'Héli, pour avoir, par
leur cupidité, éloigné le peuple des sacri-
fices, périssant tous les deux le même jour
d'une mort sanglante, ainsi qu'Héli lui-
môme complice, par sa mollesse, de leurs
prévarications; voyez l'imprudent Osa...;,
grand Dieul quel châtiment, et pour quelle
faute!.... Voyez l'iruprudent Osa, en puni-
tion d'un zèle trop vif et troj) indiscret pour
1 arche du Seigneur, fra|)pé de mort, et
tombant aupiès de cotte arcihe redoutable.
Que dirai-je du |)remier mauvais prêtre
(ju'ait eu la loi nouvelle, du prêtre choisi
et sacré par Jésus-Christ lui-môme ; du per-
fide Judas, déchiré après sa trahison par un
repentir aussi amer qu'inutile, se cJélrui-
sant lui-même dans le désesi)oir, et se [)ré-
cipitant de ses propres mains dans l'abîme
de l'enfer? que dirai-je d'un Arius, d'un
NestoriuSj et de cette longue suite (J'héré-
siarques et de prêtres scandaleux, de Ces
rava.^jeurs de l'Eglise de Jésus-Christ, qui
l)resque tous ont leiininé une vie criminelle
par une mort violente et ignominieuse?
car, mes cheis confrères, il est rare quCj
pour couvrir d'un juste opprobre .les désor-
dres d'un mauvais prêtre, et corriger parla
le scandale qui en résulte, Dieu ne le fiap|.e<
649
RETRAITE. — INSTRtCT. III, SUR LE PECHE MORTEL.
(>50
ne l'Iiumilio d'une manière éclatante, et
n'imprinio ou sur sa vie ou sur sa mort,
quelquefois sur l'une et sur l'autre, le sceau
de su colère et de son indignation.
Le souvenir de ces cliâliments exléiieurs
est-il donc nt^cessaire pour inspirer aui
bons jirèlres une vive horreur du péché, et
aux coupables une douleur profonde de
l'avoir commis ? n'est-ce donc pas assez des
ravages intérieurs qu'éprouve, à l'insu des
hommes, une âme criminelle? Qu'il est af-
freux, l'état de cette âme que le péché a sé-
parée de Dieu, et privée de la vie de la
grâce 1 quelle est terrible, celle mort spiri-
tuelle qui éieiiit en nous l'esprit de Dieu,
qui force cet esprit sanctificateur de s'éloi-
gner de nous, qui nous soumet aux aua-
thèmes de la justice et de la colère d'un
Dieu, et fait de notre âme un objet d'hor-
reur mille fois plus hideux aux yeux de la
foi que ne l'est un cadavre aux yeux de la
nature !
Mais quoi, un prêtre privé de la grâce
sàiiclilianle, dont il est f<our les autres le
dispensateur! un prêtre ennemi de Dieu,
frappé de mort aux sources mônjes de la vie 1
mais comment se former une idée d'un mal-
heur qui esl au-dessus de tout malheur?
Quoi, ce prêtre qui, dans les premiers jours
de son sacerdoce, en était par sa piété le
plus brillant ornement, qui ûxait par sa
modestie et sa candeur l'admiration des an-
ges et des hommes ; ce prêtre, dans le cœur
duquel Jésus-Christ venait lous les jours se
reposer avec tant de complaisance, est au-
jourd'hui l'ennemi de Jésus-Christ, tout en
accomplissant les fonctions de son minis-
tère 1 quoi, l'esprit de Jésus-ChrisI n'habite
plus en lui ! il n'y a plus d'amitié, plus de
confiance, plus d'intimité entre lui et Jésus-
Christ 1 cette âme, jadis si belle, cet or si
pur, s'est chaiigé en un vil métal! au lieu
de la bonne odeur de Jésus-Christ qu'il ré-
pandait jadis par ses vertus, il ne sort au-
jourd'hui de ce ministre infidèle qu'une
odeur de mort, de pourriture et d'infection 1
quoi, ce n'est plus qu'un cadavre qui, en
montant à l'autel, porte l'ellroi dans celte
multitude d'esprits célestes dont le sanc-
tuaire est environné, et qui s'écrient, mais,
hélas! en vain : Sancta sanclis... Pavete ad
sanctnarium meum {LeviL, XXVI, 2)! ce
n'est plus qu'un cadavre qui, en s'avançaiit
vers la chaire évangélique, entend la voix
formidable dont parle le Prophète : Pecca-
toriaulem dixit Ùeus : Quare lu enarrasjus-
titias meas [Psat. XLIX, 16j? ce n'esl plus
qu'un cadavre qui, assis dans le tribunal
saint, aperçoit la justice éternelle le frapper
d'autant d'anathèmes qu'il prononce d'ab-
solutions, el entend sa conscience indignée
lui crier avec horreur : Medice, cura (eip-
«»m/ (Luc, IV, 23.)
Cependant il ne sort de la bouche de ce
jnêlre que des paroles édifiantes; ses con-
seils sont bons, ses avis sages, sa démarche
modeste, son extérieur recueilli, sa vie la-
borieuse, son zèle actif, tendre et compatis-
sant ; toutes ses œuvres portent l'empreinte
Obatuurs saches. LXVMl.
de la charité : Nomen habes quod vives, et
mortuus es. {Apoc.,111, 1.) Les hommes ne
voient que les a|)parences : Dominns autitn
iiUuctur cor (I lieg., XVI, 7) ; et c'est dnns
ce cœur hypocrite que le péché a enfanté la
mort : Pcccatum générât mortem. {Jac, I, 15.)
Oui, dit Tertullien, tout pécheur est un
homicide: vous demmdez qui a été tué:
ah! ce n'esl pas un éiranger, ce n'est pas
môme un ami ; c'est sur lui-môme qu'il a
porté une main meurtrière; ol avec; (|uellcs
armes? en transgressant la loi du Sei^îieur.
Homicida est qui admisit pcccatum : quœris
quem occiderit : non exlroneum, non inimi-
cum, sed seipsum; que telo? offensa Dei.
Quoi, Messieurs, un prêtre homicide! et ce
malheur, qui devrait le rendre inconsola-
ble, a été peut-être pour lui un jeu, un
amusement, un triomi)ho dont il s'applau-
dit!
Omon cher confrère lia mort d'un parent,
d'un ami, vous arrache des pleurs, remar-
que saint Augustin, et la moit de votre
âme est pour vous un sujet de joie! Les
anges pleurent, l'Rsprit-Saint est dans la
tristesse à l'aspect de cette âme toute cou-
verte de plaies, et ces plaies sont voire ou-
vrage ! Oui, ajoute saint Ambroise, c'e-t
vous qui l'avez livrée à la-mort, cette âme
infortunée, en la livrant au péché : Animain
tuam, miser, perdidisti; c'est vous qui l'avez
percée d'autant de traits mortels que vous
avez commis de crimes; et dans un prêtre
prévaricateur, qui pourrait dire le nombre
de ces crimes, hélas! ne iû'.-co que les sa-
crilèges qu'il accumule lous les jours et à
chaque fonction de son ministère ! Vous la
portez au dedans de vous, cette âme crimi-
nelle, comme un cadavre hideux que le
tombeau de l'enfer esl près d'engloulir :
Ipse ambulans ftinus tuum portare cœpisti,
et vous ne poussez pas des tris de douleur,
l'on n'entend pas retentir sans cesse vos
gémissements el vos sanglots! non acriler
planyis, non jugiler ingemiscis!
Mais comment gémirait-il sur le triste
ét^t de son âme? il ne le connaît même
p;is. Et voilà, Messieurs, le malheur le plus
déplorable d'un prêtre f)révaricateur : cet
aveuglement profond qui lui c:)chc, peut-
être depuis longues années, les plaies sai-
gnantes de sa conscience et l'urgente néces-
î«ité d'y porter remède, aveuglement qui a
lieu sans doute, plus ou moins, dans toute
espèce de coupal)les; mais qui, dans un
mauvais prêtre, est presque toujours ex-
tiême, et souvent sans retour; aveugle-
ment qui résiste quelquefois même à l'im-
presiion extraordinaire d'une retraite à
laquelle le coupable n'assiste que par forme
et par respect humain; aveuglement qui lui
fait chercher dans les principes les plus
clairs des exceptions favorables, qui l'en-
tretient, au milieu des plus grands désor-
dres, dans une épouvantable sécurité, et le
fait monter tous les jours tranquillement a
l'autel, tandis qu'il devrait se tenir au fund
du temple dans l'immiliation et la douleur,
et s'écrier avec le put>licain : Deus^ propi-
21
eM
ORATEURS SACRES. MAUREL.
6S2
tins csto mihi peccatori {Luc, XVIll , 13) ;
nveuglemonl qui lui ferme les yeux, même
sur (Tes (l(';sor<ires qui frappent les regards
publics! Hélas I combien de fois n'a-l-on
y)as vu des paroisses entières gémir tout
bas de certains dérèglements dans leur pas-
leur, que lui seul ne voulait point voir 1
C'est, dit saint Augustin, |iour punir ces
passions abnminaldes que Diei: répand sur
l'esprit les f»lus énateses lénèbres, sparg:ns
pœnales cœcilates super U'icHns cupiditates.
Mais ce n'est pa? t( i.t De l'aveuglemenl
ci l'endurcissement il n'y a qi 'ur pas ; et ce
jias terrible n'a-l-il pas été franchi par ce
jirOtie insensible que rien n touche, que
rien n'émeut, ni les remords de la con-
science, qu'il est venu à bout d'étouder, ou
qui ne lui paraissent que de vains scrupu-
les ; ni les avis d'un ami généreux, d'un
confrère zélé, qu'il taxe de prévention ou
de jalousie; ni le tribunal de la pénitence,
qu'il ne connaît que pour les autres, dont il
{■"éloigne pour lui-niême des années entiè-
res,ou auquel il n'af)porte quedéguiscmenl
el indocilité; ni les vérités les plus terri-
bles, qu'il prêche sans doute aux fidèles,
inais qui n'ont pour lui rien de frappant,
parce qu'elles n'ont rien de nouveau; ni le
.spectacle de la mort, aVec lequel il s'est fa-
miliarisé, et dont il ne médite jamais les
.suites formidables; ni, ledirai-je? les abî-
mes de l'enfer eux-mêmes, dont il écarte
liuiporlun souvenir, ou dont peut-éire, hé-
las 1 il a perdu la foi 1 Un prôire qui à force
de crim(!S s'est endurci méprise tout, dit
lEsprit-Saint : Cum in profundwn peccala-
riim venerit, conlemnit. (Prov., XV11J,3.) Il
riH craint ni Dieu ni les hommes, ajoute
saint Bernard : Nec Deum timetiHec homines
vereSur.
Où aboulira-l-il donc, ce prêtre infortuné?
s'accomplira-t-elle en lui, cette menace af-
freuse qu'il a si souvent annoncée aux cou-
pables qui lui ressemblent : Mors peccatc-
rtm pessima l {PsuL XXXHI,22.) Ah l Mes-
sieurs, si l'abus des grâces conduit ordinai-
rement la plupart des pécheurs h cette lin
lamentable, que n'a pas à craindre un prêtre
qui a résisté, qui résiste sans cesse à tous
les moyens de salut 1 Mais la crainte est loin
de lui;"il est plongé dans cette fausse paix
dont parle l'Espril-Saint, mille fois plus ter-
rible que la guerre ; et c'est. Messieurs, celte
alTreuse sécurité, cette épouvuntable insen-
sibilité qui réalise tous les jours le mot de
l'Ecriture : Cor durum hahebil maie m no-
vissimo. lEccli.,ni, 27.) Oui, un prêtre en-
durci meurt ordinairement comme Judas,
dans le désespoir : Irès-souvent c'est une
mort subite qui l'emiiorte, au milieu de ses
sacrilèges et de ses désordres ; et s'il a le
temps de rentrer en lui-môme, il n'en a pas
le courage ; il n'ose espérer en un Dieu qu'il
a toujours outragé : le souvenir de ses cri-
mes le confond, le trouble, le consterne, mais
ne le change pas ; en vain la voix charitable
d'un confrère vient l'exhorter è la con-
tiance; le sang de -Jésus-Christ, qu'il a pro-
fané pendant tant d'années, celle mullilude
de sacreraens et de fondions saintes qu'il
a convertis en sacrilèges, ont formé à ses
yeux comme un torrent de vengeance et de
fureur qui l'entraîne. La vue du tribunal
éternel où il va comparaître, la présence
di'S démons qui l'entourent, tout prêts à
saisir son âme au sortir du corps, et cette
place alTreuse qu'il aperçoit nialgré lui aa
fond des enfers, tous ces objets d'horreur
l'épouvantent, le désespèrent, lui ôlenl tout
usage de sa raison et de sa foi; il meurt
comme il a vécu»
Vénérables confrères, craignons cette mort
effroyable, moins rare peut être que nous ne
pensons, et bâlons^nous de la prévenir en
retranchant les causes qui pourraient l'a-
mener. Descendons avec courage au fond
de cette conscience aveuglée, qui peut-être
nous a été toujours inconnue; 4ondons-en
la profondeur, interrogeons-la avec sévé-
rité, et disons-nous chacun à nous-mêmes,
dans un sens bien did'érent de celui des juifs
au Précurseur : Tu qtiis es? (Jean. 1, 22),
qui es-tu? Es-tu un homme dominé par
1 orgueil et la vanité? Satan est dans l'enfer
en ()uniiionde ce vice. Aurais tu le malheur
de vivre dans cette attache criminelle qui
perdit Judas, l'amour de l'argent? serais-tu
l'esclave de cette passion d'ignominie qu'on
ne peut nommer sans fiissonner d'horreur :
Nec nominetur? [Ephes.y V, 3.) Parcourons
ainsi la série des passions; et lorsque nous au-
rons rencontré celle qui nous domine, li-
vrons-lui un combat h mort, el ne cessons do
combattre que nous ne l'ayons exterminée,
comme on poursuit sans relâche un loup
furieux jusqu'à ce qu'on ait délivré la con-
tréequ'i! ravage. Malheur à nous. Messieurs,
sidanscegraud combat nous nous laissions
vaincre par le découragement 1 Hélas 1 c'est
ordinairement faute de contiante que les
conversions, surtout dans les i)rêtres, sont
si rares : on craint trop, et on tspèro trop
peu.
Cependant, Messieurs, ignorons-nous
l'immensité des miséricordes divines? est-if
un coupable, quelque alfreuse qu'ait été sa
vie, qui ne puisse, je ne dis passe convertir,
mais devenir un grand saint ; témoin un saint
Paul, un saint Augustin ; et ces miracles
se font quelquefois en un instant. On a
vu, vous le savez, des libertins, des im[)ies
se convertir tout è coup, comme saint Bo-
niface, en contemplant ou en médiiant le
courage des martyrs, devenir, par un élan
sublime, martyrs eux-mêmes, et passer dans
un instant des horreuis du crime au séjour
des élus.
Mon Dieu 1 votre bras n'est pas raccourci ;
opérez encore, si vous le croyez néces-
saire, de semblables inodiges, et renouve-
lez la face de la terre, en renouvelant celle
du clergé.
INSTRUCTION IV.
LE PÉCHÉ VÉNIEL.
Ab orani specie mala abslinele vos. (I TUsi., V, 21)
Messieurs,
Ce n'était {>as assez pour le grand Apôtre
^53
RETRAITE. - INSTRUCT. lY, SU« LE PECHE VENIEL.
PREMIÈRE PARTIE.
«51
(l'avoir nrrnché Ips peuples onx superstilions
de l'iJo.'ilirie et à lou^> les désordres qui en
étaient les funestes suites; ce n'était pas
assez pour lui de leur avoir appris à fuir les
crimes, les abominations, les grandes ini-
quités dont ils avaient été jusqu'alors les
tristes esclaves : il devait perfectionner son
ouvrage »^l les exhorter à s'obstenir même
des fautes légères, pouraccomplir dans toute
son étendue l'Evangile qu'il leur annon-
çait, et qui devait être désormais la ré^lode
leurs mœurs. Aussi leur disait-il : Abste-
nez - tous de Vapparence même du mal :
« Ab omni specie niala abstinete vos. Ma-
xime salutaire, et sur laquelle repose toute
la perfection, je ne dis pas seulement du
christianisme, mais encore plus du sa-
cerdoce : car si le simple fidèle est obli-
gé pour être vraiment chrétien de fuir les
fautes les plus légères, le prêtre, dont
l'état est si vénérable et si saint, que ne
doit-il pas faire pour les éviter? maxime
cependant trop malheureusement oubliée
par des hommes qui paraissent redouter à
peine les péchés dignes de la colère du
ciel, et qui ne craignent pas de tomber tous
les jours dans une multitude de fautes lé-
gères, sous le fiivole prétexte qu'elles ne
donnent point la mort à l'âme, et ne ra-
vissent pas l'amitié de Dieu. C'est là, Mes-
sieurs, une des illusions les plus dange-
reuses où puisse nous jeter l'ennemi de
notre salut; car l'oracle de l'F.spril-Saint
s'accomplit tous les jours à nos yeux : Ce-
lui qui méprise les petites choses tombera in-
sensiblement dans l'abime : « Qui spernit
modica paulalim decidet. » {EccU., XIX, i .)
Une étincelle mai éteinte cause souvent un
vaste incendie; la plus petite ouverture
sullit pour remplir d'eau un navire et le
submerger au milieu des llols.O Dieu, ne
cesserons-nous jamais de traiter de léger le
péché véniel et d'en mépriser les suites
iuneslesl
De toutes les vérités qu'on peut offrir à
la méditation d'une assemblée vertueuse,
je u'en connais pas de plus utile que celle-
ci : il faut nous pénétrer d'une sainte hor-
reur pour ces fautes légères. Le péché
mortel eflVaie par lui-même toute âme qui a
la foi; l'ennemi de notre salut ne le sait
que lioj), aussi ne commeuce-t-il jamais à
tenter cette ûme par de grandes fautes; il
sait l'amener insensibleruenl dans ses piè-
ges, on lui faisant commettre dos péchés
légers qui ne lui laissent aucun remords,
qu'elle accuse sans repentir, avec lesquels
elle se familiarise, et qui, en l'éloignant de
J>ieu, lui enlèvent enfui ce précieux trésor
de la grâce sanctifiante, qui était son plus
bel ornement; malheur digne de nos larmes
et de nos regrets, et qu'il faut éviter pour
ainsi dire avec autant de soin que la perte
iiiêine de la grâce. C'est dans ce dessein,
Messieurs, que je viens aujourd'hui vous
parler du péché véniel. Deux réflexions fe-
ront le partage de cet entretien : 1° nous
devons éviter avec soin le péché véniel;
2* nous drivons en craindre l'habitude.
Lorsque je viens vous entretenir. Mes-
sieurs, du péché véniel, je n'entends pas
parler ici d&ces fuites de fragilité, d'inad-
vertance et de surprise, qui échappent à la
faiblesse humaine, môme ii l'âme la plus
fervente, et qu'elle désavoue aussitôt qu'elle
vient de les commettre : ces sortes de fautes
irréfléchies et involontaires ne sont que trop
le triste partage des hommes sur la terre;
les plus parfaits, les plus grands saints eux-
mêmes , n'en étaient pas entièrement
exempts ; et c'était là le sujet perpétuel
de leur crainte et de leur douleur, comme
souvent le moyen dont Dieu se servait pour
les humilier, les éprouver, réveiller et sou-
tenir leur vigilance. Je ne parle ici que des
péchés véniels commis avec intention, do
propos délibéré, avec maturité et réflexion,
contre les lumières de l'esprit et le cri do
la conscience. Or, Messieurs, les différents
motifs qui doivent nous [)orter 5 éviter avec
soin ces péchés, sont très-propres à faire une
impression profonde sur notre esprit, à
éclairer notre jugement et à nous conduire
dans la voie de la perfection ecclésiastique.
En effet, nous devons fuir le péché véniel,
1° parce que ce péché est un très-grand mal,
beaucoup plus grand qu'on ne le pense
d'ordinaire ; 2° parce que Dieu le ])unit avec
beaucoup de sévérité; 3° parce qu'il est
souvent douteux si le péché qu'on re-
garde comme véniel n'est pas mortel.
Oui, Messieurs, le péché véniel est un
mal très-grand ; plus grand , disent les doc-
teurs, qne tous les maux sensibles de cette
vie; plus grand que la destruction d'une
ville, d'une province, d'un empire, de tout
l'univers; plus grand que la mort de tous
les hommes et l'anéantissement de tous les
êtres créés; en sorte que s'ils no pouvaient
être conservés que par un péché véniel, il
vaudrait mieux qu'ils périssent plutôt que
ce péché ne fût commis : aussi a-t-on vu,
même de nos jours, de saints prêtres, do
pieux fidèles , préférer le sacritice de leur
vie à un léger mensonge : et en effet, que
sont tous les maux des créatures auprès de
l'offense du Créateur? Tout péché, quelque
léger qu'il paraisse, est une violation de la
loi de Dieu, une désobéissance à l'autorité
de Dieu, un manque de respect pour la ma-
jes:é de Dieu, un défaut de soumission à
la providence de Dieu, une ingratitude en-
vers l'infinie bonté de Dieu, une insulte à
la véri.é, à la pureté, à la sainteté de Dieu,
une indifférence pour les intérêts de la
gloire de Dieu et de la religion, et, pour
tout dire en un mot, une préférence du
néant Je la créature à la souveraineté du
Créateur. Oui, quiconque pèche, môme en
matière légère, préfère le coupable plaisir,
le frivole avantage qui lui revient de celti;
faute, à l'autorité et à la grandeur de celui
(|ui la défend; il aime mieux déplaire au
Seigneur que de se priver d'une misérable
satisfaction.
Qu'on dise ensuite :Ce n'est là qu'un pé-
«5^
ORATEURS SACRES. MAUREL.
656
thé véniel I Oui, mais c'est cependant en un
sens un mal infini, puisqu'il blesse une mn-
jeslé intiiiie. Sans doule Dieu le pardonne
plus facilement que les grands crimes, et
voilà pourquoi on l'appelle vétliel ; mais ce
pardon n'est jamais accordé sans repentir;
et ce repentir serait im|)Ossible à l'homme
sans les niériles du Rédempteur. Quoi, se
faire un jeu d'une faute qui ne peut être
effarée que par le sang de Jésus-Christ!
Elle est légère 1 elle coûte donc peu h évi-
ter; est-on excusable de se la permettre?
Dieu a droit d'exiger de nous les sacrifices
les [)lus pénibles, [)Ourquoi lui refuser ceux
qui sont faciles? Elle est légère I elle ne sera
cependant pas oubliée au tribunal du sou-
verain Juge : ne fût-ce qu'une parole oi-
seuse , qu'une pensée inutile, on en rendra
compte, reddent ralionem. (Alallh. ,X\l,3G.)
Elle est légère! elle est cependant un obs-
tacle à la possession du royaume de Dieu,
où rien d'impur n'entre jamais. Tant que
celte faute sul)sistera, le ciel restera fermé
au coupable. Comruent peul-on mépriser ce
qui éloigne du souverain bonheur, co qui
exclut, du moins pour un temps, de la pré-
sence du Roi de gloire?
Biliges Dominum Deum titum ex toto corde
tiio, et ex Iota anima tua, et ex (oia mente
i'ua,et extotavirtutetua (MoH/i., XXII, 37) :
voilà la première, la plus grande des véri-
tés; voilà le fondement de toute la religion.
Or, Messieurs, qu'on cite un seul péché vé-
niel qui ne soit en O|»po:iition avec ce com-
mandement,avec cet amour souverain, cet
amour sa!is bornes qui est dû à Dieu à tant
de titres, ei qu'il réclame dune manière si
expresse et si solennelle. De boime foi. Mes-
sieurs, avons-nous jamais bien compris,
quoique nous ne cessions de le prêcher,
toute l'étendue, toute la force de ce grand
précepte? et si nous en avons une juste idée,
d'où vient que le péché, môme le plus lé-
ger, ne nous contrisle pas jusqu'au fond du
cœur? S'il nous éclwpfie une parole incon-
sidérée à l'égard d une personne que nous
iiimnns ou que nous respectons, nous nous
hâions de lui en témoigner nos regrets; une
inadvertance, un oubli, un manque d'égards
dans la société, nous rendent confus, et
quelquefois inconsolables; d'où vient que
»ious n'éprouvons rien de semblable dans
certains manquements à iV-g-ird de Dieu?
d'où vient que nous ne surveillons [)as sans
cesse les mouvements de notre cœur, nos
pensées, nos souvenirs, les images qui se
pré.^enlent à notre esprit, nos jugements,
iius soupçons, nos iiaroies, nos regards et
nos moindres actions, afin que jamais notre
volonté n'admette rien qui i)uisse déplaire à
Dieu et conlrister l'Esprit-Sainl? ngarde-
rions-nous comme un bon (ils celui qui se
bornerait à ne pas contrarier la volonté do
son père en choses graves, qui ne craindrait
pas de le choquer sans cesse en des choses
légères, et qui n'aurait pour lui aucune at-
tention, aucujie prévenance, aucun empres-
sement à seconder ses désirs? Passc-t il
pour un bon ami, celui qui ne manque
pas, il est vrai, à son anii dans les gran-
des circonstances, dans les services im-
portants; mais qui dans tout le reste se
montre froid, oublieux, inattentif, indif-
férent?
Nous ne servirions Dieu que lorsqu'il s a-
git d'éviter l'enfer! nous sommes donc dos
mercenaires et des esclaves, et le beau liire
d'enfants de Dieu ne nous appartient |)as.
Nous conlestons avec lui, nous lui refusoiw
tout ce qu'il n'exige pas sous peine de mortî
cl nous osons lui dire que nous l'aimons
de tout notre cœur, de toute notre âme el
de toutes nos forces ! Nous savons que le
péché morte! crucifie de nouveau le Fils de
Dieu, et nous ne voulons pas grossir le nom-
bre de ses persécuteurs; mais nous ne crai-
gnons pas de lui l'aire, de légères insultes,
ou d'être indifférents aux opprobres qu'il
reçoit ; et nous o>ons nous compter parmi
ses disci|)les et ses amis! Nous ne perçons
pas, il est vrai, ses [)ieds et ses mains ; nous
n'enfonçons f)as la lance dans son cœur;
mais nous ne sommes pas à ses côtés, comme
Marie, pour (ompatir à ses douleurs; mais
nous ne le suivons , comme Pierre, que do
loin ; mais nous craignons de nous compro-
mettre en nous déclarant hautement pour lui.
Est-ce là cet amour généreux , inlréiiido,
aussi fort que la mort? est-ce là cette cha-
rité brtllante qui faisait dire à saint Paul :
Quis nos separubit a charitate Christi? (Rom,,
VIII, 35.J El l(>rsque nous répétons en (-haiie
les mômes paroles, n'est-ce j)as une espèce
de mensonge public que nous proférons? O
mon Sauveur! par qui donc sera accompli
dans toute sa plénitude le grand précepte do
votre amour, s'il ne l'est par vos prêtres?
qui vous aimera donc parfaitement , si ce
n'est vos ministres? eux que vous nourris-
sez tous les jours de votre chair el de voir©
sang; eux qui doivent, non-seulement vous
être unis, mais ne faire qu'un avec vous,
et n'avoir d'autre vie que la vôtre : Viva^
jam non ego, vivil vero in me Christus. (fia-
lut., Il, 20.)
Quand nous n'envisagerions la malice du
peclié véniel que du côté de nous-mêmes,
i)ouvons-nous dire que c'est un mal légt.-r?
Sans doute qu'il ne donne pas la mort à
notre âme; mais que de blessures ne lui
fait-il pas! de combien de plaies dangereu-
ses ne la couvre-t-il pas! (luelle horrible
dilfoimité n'imprime-t-il pas sur cette âme
jadis SI belle et si brillante dans le temps de
sa ferveur! Saint Augustin compare les pé-
chés véniels à des ulcères, à une lèpre hi-
deuse, qui ternissent l<i beautéde cetieâin©
et la rendent indigne des chastes embra.>>S(>
nients du céleste époux ; je veux dire de ces
faveurs privilégiées, de ces grâces de pré-
dilec.ion que Dieu n'accorde qu'aux ardeurs
de la piété.
Mais la diminution des grâces n'est pas la
seule punition du péché véniel. Ouvrons les
Livres saints, el nous verrons les châtiments
les plus terribles infligés pour les fautes en
apparence les plus légères. Pourquoi la
femme de; Lot éprouva-l-elle tout à coup
6.'>7
HETRAITE. — LNSTRUCT. lY, SUR LE PECHE VENIEL.
6jS
III) SI flianiio cliaiigemeiit ? pour une
siijif''^^ curiosilé. Poui'(]iioi Moïse et Aaroii
sonl-ils exclus de la terre promise? pour
une légère défiance. Pourquoi David voii-il
la pesle ravager ses Etais? pour un molif de
vanjlé. Pourquoi Aiiaiiie et Sapliire totnbcnt-
iis morts aux pieds de saint Pierro?pour un
simple mensonge.
Que sont tous les maux de celle vie auprès
des châlimonts du siècle fulur, auprès de
ce purgatoire dont nous iapf)elons sans
cesse la pensée aux peuples, sons jamais en
craindre pour nous-môuies les rigueurs?Oui,
nous prêchons que ces cachols ténébreux,
CCS flammes dévorantes, celte privation si
terrible, quoi(]ue temporaire, de la gloire
céleste, seront apiès la mort le. cliiltimont
des fautes légères qui n'auront pas été ex-
piées dans culte vie; et ccpondanl lii mulli-
lude de ces l'an les ne nous etl'raie jamais 1
•.|»e d:s-je? nous nous complaisons dans ces
retours d'amour-propre, dans celle frivolité
de désirs, dans ces jalousies, ces avers ons
passagères, dans cette légèreté de regards,
dans Celle indiscrétion de paroles, dont l'ex-
pialion nous coûtera peut-èlre des années,
peut-éire des siècles de tourments! OiJ est
notre foi, vénérahies confrères? Quoi 1 si
nous étions certains que telle visite inuiile,
telle heure de le.nps perdue, telle impa-
tience, telle saillie d'humeur, telle dissipa-
lion dans le lieu saint, telle raillerie dépla-
cée, telle sensualité, telle inlempérance ,
seront punies promplement par la privation
de nuire liberlé, de noire santé et de nos
biens, oserions-nous nous les permelire?
el nous ne craignons pa^ les ardeurs du
purgatoire?
Je parle ici à des prèfrcs dont quelques-
uns pour n'être [tas assez vigilans sur eux-
iiièoies, d'autres pour être coupables peut-
f Ire, n'en sont cependant pas moins animés
d'une foi vive : je me contenterai de leur
rapjieler ce que les saints Pèies, saint Au-
gustin en particulier, el la constante tradi-
iion de lEglise, nous apprennent sur ces
prisons souterraines oiî la main de Dieu
chûlie les âmes encore redevables h sa sou^
veraine justice :,le plus terrible cliâtimenl
qu'elles y éprouvent, c'esl la privation de
la présence de Dieu. Ce langage sera d'au-
tant mieux compris ici, qu'il s'adresse à
des prêtres, plus capables que les fidèles
d'apprécier tout ee que cette privation a de
douloureux pour une âme qui conserve
l'amour de son Dieu. Que ces pieux lévites,
que ces âmes ferventes et privilégiées
Tiennent nous raconter tout ce qu'ils
éprouvent de satisfaction et de bonheur
lorsqu'ils se sentent animés, soutenus et
consolés par la présence de Jésus-Christ.
Que ces bons pi êtres dont les hautes vertus
el la tendre ferveur reçoivent tous les jours
de si puissants encouragomeiits, de si nobles
et si pures récompenses dans les inellables
délices qui accompagnent la réception du
plus auguste de nos sacrements, et dont la
vie tout angéli(|ue les rend dignes de par-
lici|.ei- eux célestes extases du grand A^'è-
Ire; qu'ils viennent, dis-je, nous raconter,
s'ils le peuvent, les admirables ravisseiiiGiicS
d'une cime comblée de «lélices par Jésus-
Christ, et enrichie des trésors de sa grâce l
Or, après notre mort, vous le savez, noln^
âme, délivrée do la servitude du corps, se
rapprochera beaucoup plus de sa céleste
origine, comprendra clairement la fin où
elle tend, qui est Dieu; el en se manifestant
<i celte âme dégagée de tout ce qu'elleavait
du mortel. Dieu lui-même lui rend bien
plus douloureux le premier supplice du pur-
gatoire, qui est la privation de sa divine
présence. Je n'insiste pas, vénérables con-
frères, sur ce feu dévorant, qui ne diffère
di- celui de l'enter (pie parce qu'il aura un
terme, allumé [»ar Dieu lui-même, qui fera
éprouvera l'âme fidèle des tourments auprès
«lesquels tous les maux de la lerre, tons les
supplices inventés par la malice des hom-
mes, ne sont rien. S'il y a beaucoup de
prêtres en enfer, combien doil-il y en avoir
dans le purgatoire! Ah! s'il leur était donné
de pouvoir nous raconter ce qu'ils soutfrent
pour l'expiation d'un péché véniel, avec
quel soin extrême, vénérables confrères, no
vous attacheriez-vous [tas à le fuir désor-
mais ! C'esl au nom de la bonté divine, au
nom de ces pasteurs que vous avez connus,
qui vous ont édifiés, mais qui ex|)ient en-
core dans les flammes du purgatoire leurs,
fautes légères, que je viens vous indiquer
les moyens de les éviter, en fuyant jusqu'à
l'ombre du |iéclié : Ab omni specie mala
absdnete vos.
Ce qui rend ici notre aveuglement encore
plus déplorable, c'est qu'il y a une foule
de circonstancLS od il est très-douteux si
ce qui ne nous semble que véniel n'est pas
mortel: il n'y a là-dessus aucune règle bien
claire, et aussi les docteurs les plus habiles
sonl très-ôouvent embarrassés. Nous savons
sans doute, en général, que (;e qui tient le
péché dans les limites du véniel, c'est ou
la légèreté de la matière ou le défaut d'ad-
vertance et de consentement; mais ces
deux points sonl-ils toujours bien faciles h
décider? Sans doute il y a une ligne de dé-
marcalion où finit le péché véniel et où
commence le péché mortel; mais cette li-
gne est-elle toujours bien sensible? Qui
pourra nous assurer que dans cette multi-
tude de fautes que nous aimons à croire
toutes légères, quoiqu'elles présentent des
nuances si dilférentes, il n'y en a. eu au-
cune où l'objet de l'infraction ait été grave
et la volonté consommée? Qui nous assu-
rera que tel égarement d'esprit pendant
le saint sacrifice, que tel défaut de zèle à
l'égard d'un malade mort sans sacrements,
d'un enfant mort sans bapléme, n'ont été
que légers? Qui nous assurera que tel res-
sentiment, telle parole injurieuse, telle mé-
disance, n'ont pas éleinl en nous la charilé
fiaternelle? Qui nous assurera que celle
misérable vanité, ce désir de la gloire bu-
raaine qui agit sans cesse en nous, ne nou&
a |)as séparés entièrement du cœur de Dieu,
comme les Pharisiens, et que dans les con-
659
ORATEURS SACRES. MAUREL.
660
sfMis de sa jusiice ce suprême scrutateur
n'a pas déjà dii de nous, coinme d'eux : Re-
ceperunt mercedem? (Matlh.,Yl, 5.) Qui nous
assurera que celle liaison si sensiijie, ces
entrevues secrètes et prolongées, ces fami-
Jiarités peu réservées, n'ont pas été jusqu'à
J'in'quilé?
^ Toutes les fois que l'amour des créatures
l'emporte sur l'amour divin el forme la dis-
position dominante du cœur, le péché est
mortel. Ce principe est sans doute très-
clair; mais l'application en est-elle toujours
bien facile? Hé qui peut sonder l'abîme
impénétrable du cœur humain? Qui peut
en connaître tous les ressorts, en mesurer
tous les mouvements, en démêler toutes les
affections; qui peut suivre ces innombra-
bles sinuosités oij se cachent souvent à
notre insu l'amour-propre el la cupidité?
Qui le peut, sinon celui qui l'a formé, ce
tœur si variable, si caché, qui ne le perd
pas un seul instant de vue, et qui en con-
naît à fond la corruption, l'orgueil, la sen-
sualité, le degré de résistance qu'il oppose
à la grâce, et la violence du penchant qui
l'entiaîne vers les créatures? La grièvelé
d'une faute dépend de tant de choses : de
l'objet de l'action, des circonstances qui
l'accompagnent, du lieu, du temps, des per-
sonnes, du scandale et surtout de l'inten-
tion et des motifs. Comment être sûr que
dans tout cela il n'y a rien eu que de léger,
surtout de la part d un prêtre, tenu par son
état à une sainteté éminente, obligé de don-
ner en tout l'exemple 'de la perfection? De
la part d'un prêtre qui prêche avec saint
François de Sales aux simples fidèles, que
pour être digne de communier tous les huit
jours, il faut avoir détruit toute espèce d'af-
fection au péché véniel, et qui ne craint pas
de monter lui-même tous les jours à l'autel
avec une mulitude d'affections déréglées?
De la part d'un prêtre sans cesse observé
par la malignité, dont les moindres fautes
l'euvent causer souvent un grand scandale,
et à qui Dieu impute souvent comme cri-
me, dit le concile de Trente, ce qui ne se-
rait dans un laïque que faute légèie : Levia
eliam delicta quœ in ipsis maxima forent,
effugienl.
Quelqu'un dira peut-être que toutes ces
réflexions ne sont bonnes qu a faire naî le
des scrupules. Non, vénérables confrères,
l'effet naturel de ces réflexions, et le but
de celui qui les projiose, c'est d'entretenir
ou de former une conscience eiaete et ti-
morée; et malheur à un prêtre qui ne l'au-
rait {)as telle 1 S'il élait si facile de distin-
guer le péché mortel du péché véniel, pour-
quoi donc le grand Apôtre craignait-il si
fort d'avoir perdu l'état de justice ; Nihil
mihi conscius sum, sed non in hoc justifica-
tus sum? (l Cor., IV, 4.) Pourquoi le {iro-
pliète soUicilait-il avec tant d'instances le
jiardon de ses fautes cachées : Ab occuUis
tneis munda me? [Psal. XVill,13.) Pourquoi
coraplail-il ses ignorances au nombre de
ses péchés les plus dangereux : Jgnoranlias
mzas ne memineris? {Psal. XXIV, 7.)
Donc, mes chers confrères, craignons plus
que la mort, et effaçons par nos larmes les
fautes, même les plus légères. Elles déphii-
sont à Dieu, n'est-^ce pas assez pour déplai-
re à une âme chrétienne, el surtout à
une âme sacerdotale? Elles seront sévè-
rement punies par la justice de Dieu, si
elles ne le sont par notre pénitence : ne
serait-ce pas être ennemis de nous mêmes
que de nous les permettre ou de ne pas les
expier? 11 est souvent douteux si elles ne
vont pas jusqu'au péché mortel : voudrions-
nous compromettre notre salut en les mé-
prisant? Nous devons donc éviter avec le
plus grand soin de commettre délibérément
un seul péché véniel : que ce soit là, pour
le reste de nos jours, une maxime fonda-
mentale qui demeure toujours écrite dans
nos esprits; mais surtout nous devons
craindre d'en contracter l'habitude : seconde
maxime que je vais développer.
SECONDE PARTIE. î
Qu'est-ce que l'habitude du péché véniel ?
C'est celte malheureuse facilité de tomber
dans des fautes légères qu'on commet ordi-
nairement sans remords el qu'on accuse
presque toujours sans repentir. Or, Mes-
sieurs, pour éloigner à jamais, ou pour dé-
truire, si par malheur elle existait, cette
funeste habitude, il m'a paru important de
considérer avec vous : 1° l'extrême faciiit6
avec laquelle on la contracte; 2" le danger
terrible auquel elle expose; 3" les remède?
d'un mal si dangereux.
Et d'abord l'habitude du péché véniel est
d'autant plus redoutable qu'elle se forme
avec une extrême facilité. Ici, mes chers
confrères , nous n'avons besoin d'autres
preuves que de notre [iropre expérience.
Hélas 1 nous sommes si ennemis de la gêne
et de la contrainte, si portés à rechercher
ou du moins à accueillir ce qui flatte nos
penchaiils, que pour peu qu'on néglige les
précautions de la vigilance , on manque
bientôt à la loi de Dieu en quelque |)oinl.
Le plaisir qu'on a trouvé dans celte faut©
nous invile à une seconde, et celle-ci à une
troisième, qu'on se reproche encore moins
que la première, parce que ce qui nous
(laite nous semble toujours excusable sous
quelque rapport : voilà le commencement
do l'habitude. Ohl malheur à celui qui ne
se hâtera pas d'écraser ce serpent naissant l
Principiis obsla. Il esl facile, sans doute, à
l'aide de la prière el de la réflexion, de cou-
per dans sa racine celte habitude d'autant
plus dangereuse qu'elle est plus effrayante;
mois si l'on se livre au dégoût alors si na-
turel de la prière, mais si l'on néglige la
méditation, les saintes lectures, la pensée
de Diea et de ses jugeraenls, oh 1 quels pro-
grès el quels ravages ne fera pas en peu de
temps celte funeste habitude 1 Rendons ceci
sensible par quelques suppositions qui ne
se sont, hélas l que trop souvent réalisées.
Veuillez excuser. Messieurs, la familiarité
de ces exemples, malheureusement juslitié&
par l'expérieuce de tous les jours.
6G1
RETRAITE. — INSTRUCT. IV
3
Pénéiré de ces grauiles maximes : Sancti
estote, quia eqo sanctus sum {Lcvit., X. k'-t) ;
Eslote pcrfecli sicut Pater tester cœlestis
perfectus est (Matth., V, îtS), un prôtre s'é-
tait fait une loi de ne paraîlre dans le monde
ue lar nécessité ou par charité, et surtout
e s'interdire ces vains amusements qu'on
regarde seulement comme propres à distrai-
re, mais qui souvent coraprometlenl rinno-«
cence. Engagé un jour à se prêter h une
partie de jeu, il s'en défend avec honnêteté;
on insiste, il s'excuse encore, mais avec un
peu de faib'esse ; on le presse, et il se rend,
avec regret sans doute, mais il se rend. La
partie s'engage, on le trouve ainialde, on
vante la douceur de son caractère et les
charmes de sa piété : c'est ainsi, lui dit-on,
qu'il faut s'y prendre pour convertir les
gens du monde; on ne gagne rien avec eux
que par l'aménité. La pariie tinie, on l'in-
vite à revenir un autre jour; il y revient,
on le trouve encore plus aimable. Dans peu
de temps, il aura contracté l'hahilude du
jeu, et peut-être l'esprit du monde.
Mais ce n'est pas tout. Rentré chez lui
deux ou trois heures plus tard que de cou-
tume, le plan de ses orcupalions se trouve
dérangé : sa lecture spirituelle n'est pas
faite, son office n'est pas dit,'; tout cela se
fait précipitamment. Ce n'est pas tout en-
core, 11 s'est couché plus tard, il se lève
plus tard; sa méditation est à peine com-
mencée qu'on vient l'avertir qu'il est at-
tendu au confessional ou h l'autel. Tout se
préci|iile, tout s'embarrasse : point de cal-
me dans l'esprit, point de liberté dans le
cœur et peut-être point de modestie dans
les mouvements du corps. Le lendemain,
c'est le même désordre; un jour apprend
sa malice à un autre jour. Bientôt toute sa
conduite présente un dérangement .univer-
sel. Ce n'est |)Ius le même homme, or» s'en
étonne, on en cherclie la cause. La cause"?
c'est une complaisance déplacée.
Encore une autre supposition : Un prêtre a
réussi dans quelque fonction de son mi-
nistère, et on lui en fait compliment. De
tous côtés ce ne sont que félicitations,
qu'applaudissements. Il n'y est pas insen-
sible; la vanité s'insinue dans son cœur :
que de ravages elle va y causer 1 II rappelle
avec complaisance tout ce qu'on lui a dit de
flatteur, et il se croit des talents et une
airesse que jusquMci il n'avait pas
même soui)çonnés ; le! de ses confrères
n'est pas si heureux; il l'en plaint, et il se
met dons son cœur au-dessus de lui. Bien-
tôt il le méprise, bientôt il se regarde com-
me un être privilégié; et la vamlé empoi-
sonnera toutes ses œuvres et tarira la source
de ses mérites; et la témérité présidera à
ses démarches , et le jettera dans raille
('■cueils; et la présomption et la fierté lui
ôt(;ronl la confiance et lui raviront des cœurs
que l'humilité et la modestie lui avaient
gagnés. Et quelle aura été la cause de lant
(le maux? un mouvement d'orgueil qu'il
u'aura pas réprimé.
|e voulais cxpo?cr souleracol avec quelle
, SUR LE PECHE VEMEL. 6i5i
facilité on contracte l'habitude dos fautos
légères; ot voilji que déjà j'en ai montré lo
danger. Ce danger, dignes confrères, est
d'autant plus grand, qu'il est d'abord moi'is
aperçu. Souffrez que je vous lo demande:
parmi les prêtres lûches et tièdcs (et la ti '••
deur n'est autre chose cpie l'iiabilude du
péché véniel ), parmi en\ , dis-je , en est-il
aucun qui soit fortement convaincu de co
grand principe, de celle esjièce d'axionio
enseigné par l'esprit de vérifé : Qui spernit
modica, paulatim decidel? On le lit, o i
le prêche , on le voit se réaliser dans; les
autres, et jamais ou n'en craint l'elïet
pour soi-même. Voilà la so.urce de tout
le mal : oui, la première cause des plus
grands désordres c'est précisément celle
fausse sécurité qui entraîne peu à t'cil
de négligence en négligence, de chute
en chute, jusque dans l'abîme du péché
mortel, et souvent sans qu'on s'en aperçoi>
ve; car, je le disais tout à l'heure, on peut
devenir ennemi de Dieu 5 son insu, et sans
le croire ; la limite qui sépare le véniel du
mortel n'a pas toujours des caractères bien
marcjués; on y arrive insensiblement satis
s'en douter. Il est rare qu'on perde tout h
coup la vie de la grâce : Nemo repente
fit scelestus; il en est de la mort de l'âme
comme de celle du corps, l'une et l'autre
s'opèrent par degrés: un malade s'alTaibli',
agonise, s'éleinl peu à peu ; on le croit en-
core en vie, et il est mortl... 0 mes chers
confrères! n'en est-il pas peut-être ainsi
de quelqu'un d'entre nous ? Nomen habea
quod vivas, et mortuus es ! { Apoc, Ul , i.)
Ce mot terrible , vous le savez , a été dit
d'un homme de Dieu qui jouissait d'une
grande réputation de vertu ; c'est l'évêque
de Sardes : les hommes admiraient sa piété
son zèle, sa régularité ; mais Dieu, qui voit
le fond des cœurs, ne jugeait pas comme
les luimmes: Non invenio opéra tua plena
{Jbid., 2): voilà la cause de sa morl. Ses
œuvres étaient édifiantes, mais elles n'a-
vaient pas celle plénitude, cette perfection
de sainteté que Dieu exige de ses ministres:
Non invenio opéra tua plena. Vous deman-
dez ce qui lui manquait? l'Espril-Saint n'a
pas jugé à propos de nous en instruire:
peut-être élail-ce un défaut de rectitude
«lans l'intention, quelque motif humain que
Dieu réprouvait. Quoi qu'il en soit, véné-
rables confrères, rentrons en nous-»mêmes
et faisons-nous chacun cetlo question : Y
a-t-il dans mes œuvres celle plénitude sans
laquelle on se trouve, et souvent sans le
croire, dans un étal de morl? Mon Dieu!
que celte incertitude esl terrible pour un
bon prêtre 1 Ah I dignes confrères, elle
l'est bien davantage pour un prêtre tiède;
el malheureusement il n'en est pas frappé
comme le bon prêtre. N'y a-l-il pas j)eul-
Ctre quelque défectuosité grave qui échap-
pe h tout autre œil qu'à celui de Dieu?
Mais quand même nous serions certains
que nous tenons encore par un faible lien
à la vie de la grâce, qui pourrait ne j)a$
trembler on rappelawi les paroles adressées
6C3
ORATEURS SACRES. MAl'REL.
m
par l'Espril-Sainl î» un autre évoque , celui
•Je Laodicée : Je connaig vos œuvres, et je
sais que vous n'êtes ni froid ni chaud : il
serait à souhaiter que vous fussiez /'un ou
rautre : dùns le dernier état, vous auriez
toutes mes complaisances; dans le premier
vous seriez effraya de vous-même, et une
sainte confusion vous ramèner.iit h mes
pieds : Mais parce que vous êtes tiède , je
commencerai à vous rejeter de ma bouche,
comme on rejette une boisson d(^goû'.anle :
sed quia tepidus es, incipinm le evomere ex
ore meo. {Apoc,, III, 16.) 11 fallait la plume de
l'Esprit-Sainl pour peindre avec celte éner-
gie le malheur et le danger do l'âme tiède :
elle n'est pas encore rejelée de Dieu , mais
elle va commencer à l'être, incipiam te evo'
mère. Dieu l'a gardée jusqu'ici par un ex-
cès do raiséiicorde ; depuis longtemps elle
pèse sur son coeur, et lui cause, pour ainsi
dire, des dégoûts ; il s'est retenu, et a com-
primé l'envie de s'en délivrerai a supporté
avec patience ses infidélités, ses vanités, ses
légèretés, ses négligences, ses caprices;
mais enfin son indulgence divine est pous-
sée à bout; il est prêt à la rejeter. Il altenr
dait que cette âme lâche se réveillât de son
engourdissement, et reprît sa ferveur pri-
mitive; mais, hélas 1 elle s'en écarte tous
les jours davantage; nulle vigilance, nul
retour sérieux sur elle-même, nul géaiisse-
jnent intérieur sur ses misères ; ce sont
toujours les môm'ss habitudes de la vie :
toujours des confessions sans repentir, tou-
jours des fautes sans désir de se corriger,
sans clTorls pour se vaincre ; le Seigneur est
las de la supporter; il va la rejeter de sa
bouche et de son cœur, incipiam te evomere
ex ore meo; et en la rejetant, il ne fera
qu'accomplir la malédiction annoncée par
son prophète : Malediçtus qui facit opus Dei
rtegligenter! {Jerem., XLVIII, 10.) Car celle
malédiction n'est autre chose, dit saint Au-
gustin, que l'abandon de Dieu, Deus négli-
gentes deserere consuevil.
Mais quoi, l'abandon de Dieu! Oui,
pieu refuse au prêtre lâche et tiède, non
pas toute espèce de secours , mais ces
secours privilégiés, ces grâces eïtraurdi-
naires qui soutiennent le prêtre fervent au
milieu des tentations et des dangers d'un
ministère difficile, et le font marcher de
victoire en victoire , de vertu en vertu ;
tandis que réduit aux secoursordinairos, le
prêtre indolent se traîne, i)lulôt qu'il ne
marche dans la carrière de ses devoirs.
Comme il n'apporte aucun remède à sa lâ-
cheté, sans cesse elle augmente : à force do
s'oublier et de perdre de vue les vérités de
la foi, les lénébrss de son aveuglement s'é-
paississent tous les jours: tous les jours ses
fautes se multiplient, ses négligences s'ag-
gravent, et par suite son âu)e s'atl'aiblil,
t'aU'aisse, se soutient à peine; une forte
Icnialiun survient tout h coup, il chancelle
et il succombe 1 Du fond de l'abîrue oiî il
est tombé, il aperçoit en haut le prêtre fer-
vent, victorieux par une grâce parti^cu-
lière d'une tentation semblable, marchera
grands pas dans les voies de la perfection.
Hé quoi ! Messieurs, Dieu serait-il tenu
d'être généreux et prodigue envers celui
qui est avare à son égard ? n'a-t-il pas dit
dans les Livres saints: Qui parce seminat ^
parce et metet (II Cor., IX, 6); Omni ha-,
benti dnbitur, et abundahit; ei aulem qui non
habet , et quod videtur habere , auferetur ab
eo. (Matih., XXV, 29.) Qu'y a-t-il du reste,
dans cette marche de la Providence qui
doive nous étonner? n'esi-ce pas ainsi que
nous en agissons nous-mêmes envers nos
amis? si un serviteur nous sert avec em-
pressement, si chaque jour et à chaque ins-
tant nous le trouvons prêt à exécuter, h
prévenir môme notre volonté, n'ajoulons-
nous pas au prix de son travail des dons
gratuits, des soifis, une attention particu-
lière h adoucir son existence? et nos amis
ne reçoivent-ils pas de nous des marques
d'nmitié toujours proportionnées à l'ardeur
de celle qu'ils nous témoignent?
Or, Messieurs, si la tiédeur, c'esl-àrdire
cette hahiluile des fautes légères sans cesse
renouvelées et jamais expiées, d'un côté
augmente notre faiblesse, naturellement si
grande, et de l'autre diminue les secours
de la grâce, seuls capables de nous soute-
nir, faul-il s'étonner qu'il se vérifie tous
les jours, cet oracle terrible que je ne ces-
serai de répéter : Qui spernit modica, pau-
lalim decidet ! le mépris des fautes légè-
res conduit pou à peu h de véritables
crimes. Ne vo.yons-nous pas de nos pro-
pres yeux celte prophétie de l'Esprit-Saint
sans cesse confirmée par l'expérience?
Nul de nous vraisemblablement qui n'ait
été témoin de quelque grande chute dans
quelqu'un de nos confrères; qu'avons-
nous dit aussitôt ? Je n'en suis pas étonné ;
il y avait bien longtemps que je le vo)[ais
léger, vain, dissipé, inexact à ses devoirs,
imprudent dans ses liaisons, avide des jeux
et des plaisirs du monde ; s'absentant sou*
vent de son poste, marchant à grands pas
dans les sentiers d'une coupable négli-
gence.
Mais que dis-je? nous-mêmes, n'avons-
nous jamais fait (Quelque grande chute , du
moins secrète? ne son>mes-nous pas forcés
de convenir quelle fut précédée tl'une mul-
titude de fautes légères que nous négligions?
Ah 1 c'est donc à nous aussi que s'aiires-
sent les paroles de l'Esprit-Saint h l'ange
(i'E[)hèse : Je connais vos anciennes bonnes
œuvres, vos travaux, votre zèle, voire pa-
tience; mais j'ai un reproche à vous faire,
c'est que vous avez abandonné votre pre-
mière ferveur : Ki Sed habeo adversum te, quod
charilalcm tuamprimam reliquisli. » [Apoc,
II, 4.) Rappelez ce que vous étiez dans les
commencements do volro sacerdoce , et
voyez ce que vous êtes aujourd'hui : vous
n'êtes plus exact à l'oraison , vous vous
confessez trop raremeut, vous avez quitté
certaines pratiques qui soutenaient voire
piété; on vous voit trop répandu dans le
monde, et ce n'est pas toujours le zèle qui
vous y conduit; vous négligez le caléchis-
665
RETRAITE. — INSTRUCT. Y, SUR L'ENFER.
66(5
pour
et je
n>e, le son des malades, rinstriicUon do
voire p(Mi[ile, le SMiiit Iribiinal do la péni-
tence, l'élude 1 Vous étiez jadis si exact à
tous ces devoirs I Conlomplez l'élévation
d'où vous êtes tombS et hûlez-vous de faire
pénitence et de retourner aux premières
œuvres de voire piélé : Memor esto unde
excideris , et âge pœnilentiam , et prima opé-
ra fac (Ibid., 5.)
Voil.'i les deux grands remèdes de in tié-
deur. Je n'en dirai qu'un mol: le pretnier
consiste dans la pénitence, âge pœnilenliam ;
mais une pénitence sincère, courageuse,
elTicace, qui aille jusqu'à déraciner du cœur
ces petites passions , qui mènent peu à peu
Bux grands excès : la vanité, la légèreté , la
dissipation, le penchant à la raillerie, la
paresse, la jalousie, l'impatience, la sus-
ceptibilité , l'esprit d'intérêt , l'amour du
jeu et de la bonne chère. Ces fautes légères
font en nnsens plus de ra;il(|ue lesgratidcs,
parce qu'on redoute celles-ci , au lieu qu'on
pe se méfie [)ns de celles-là : aussi saint
Cbrysoslome s'appliquail-il à inspirer
le péché véniel une horreur encore
vive que pour le mortel.
Hélas! Messieurs, je l'ai déjà dit,
le répèle, il est rare qu'on déteste sincèrê-
luenl le péché véniel: on le commet sans
remords, et on l'accuse sans douleur. Et
que faut-il penser de ces sortes de confes-
sions? sont-elles simplement nulles? sont-
elles sacrilèges ? C'est un point qui sera dé-
cidé au tribunal de Dieu ; il l'est déjà dans
le cœur d'un prêtre timoré qui ne veut pas
compromeltre son salut. Nous enseignons
que la partie la plus essenlielle de la péni-
tence, c'est la contrition; ô mon Dieu l et
après avoir iTèché colle doctri'ie, nous nous
présenterions nous-inêmes au tribunal re-
doutable par routin;! cl par manière d'ac-
quit, sans un véritable rOj'ret , sans un
désir sincère de changerde vie! Sans doute,
mes chers confières, nous sommes loin de
penser que ce malheur nous soit jamais ar-
rivé; mais cependant , les seules manques
satisfaisantes du vrai repentir sont les ef-
forts qu'on fait ensuite pour tenir ses réso-
lutions. N'aurions-rnous rien à nous repro-
cher sur un objet aussi grave?
Le second remède de la tiédeur, c'est de
reprendre les saintes pratiques qui soiile-
naienl jadis notre piété, prima opéra fac:
l'examen de conscience, l'oraison, la lec-
ture s|):rituelle , la pensée habituelle do
Dieu, la iVéquenle co'ifession et lesaulies
œuvres de (ùélé. Malheur à nous si ces pra-
tiques nous paraissent un joug insup|)iir-
table 1
Ignorons-nous, dignes confrères , celle
grande vérité qui a peuplé les déserts , et a
fdit trembler les plus grands saints: Quam
arda via est quœ ducil ad vilam , et pauci
sunl qui inveniunt eam 1 {Malth., Vil, 14..)
Serail-re parce que la route du ciel est
étroite, que nous voudrions élargir notre
conscience, et nous faire de notre propre
autorité des principes commodes , contredits
pir l'Évangile? heynum cc^lurum vim pali-
tnr, etviolentirapittnt illud (Malth., XI, 12) ;
Contendite iutrare per angustam portam.
{Luc., X1!I, 2ï.) Ah! le souvet)ir de ces
maximes peut-il laisser le moindre doute
sur les deux grands remèdes que je viens
d'exposer!
O mon Dieu! quand ferez-vous roflounr
dans votre clergé cette ferveur apostoliijue
qui étonna l'univers et le convertit! (|uaiid
verrons-nous d'autres Paul se féliciter d'ar
voir renoncé à tout pour l'amour de Jésus-
Christ; regarder toutes les choses d'ici-bas
comme un néant, dans l'espérance de ga-
gner Jésus-Christ, et malgré ces sentimens
sublimes ne pas croire cependant avoir at-
teint le degré de perfection auquel il est
appelé; mais oubliant ce qu'il a déjà fait et
soulferl pour son Maître, tant de travaux ,
tant de courses, tant de persécutions, tant
de peuples convertis à la foi, poursuivre
avec courage, sans regarder en arrière, la
route qui lui reste à parcourir, et s'élancer
sans cesse, par des elforls tous les jours
renouvelés, vers le prix immortel que lui
destine Jésus Christ? Quœ relro sunt otli-
Viscens ad ea vero quœ sunt priora . extendeus
meipsum , ad destinaluin persequor, ad bra-
vium supernœ vocalionis Ôei in CItrislo Jcsu,
[Philip , 111, 13, U.)
INSrRUCïlON V.
i/enfeu.
Quis non timebit le, o Rex genlium ! (Jerem., X, 7.)
Messieurs ,
Qu'il serait insensé, celui qui ne crain-
drait pas le dominateur des rois el des peu-
ples, le juge suprême de tous les hommes,
le maître absolu du temf)s et de l'éternité î
Mais, au contraire, qu'il est raisonnable,
qu'il est même heureux ce'ui qui ne craint
autre chose que la puissance et la justice de
ce Dieu immortel! Hé, Messieurs , |iour-
quoi craindre autant les hommes, qui ne
sont fiar eux-mêmes que faiblesse, et qui
vont sitôt disparaître? (piel mal, a[>rès tout,
peuvenirils nous faire? nous censurer, nous
contredire , nous mépriser, nous calomnier»
nous enlever notre réputation , nous dé-
pouiller de nos biens , nous priver de nos
emplois; allons plus loin, nous arracher la
vie? certes leur puissance et leur malice ne
peuvent aller au delà.
Mais que sont tous ces maux temporels
auprès des vengeances éternelles ? Le seul
malheur vérll.ible , c'est le malheur éternel .
parce que c'est le seul qui ôte toute res-
source: hélas! il ravit jusqu'à l'espérance,
premier fondeiHent d:u bonheur. Les mar-
tyrs ne se tiouvaient pas malheureux au
lond des cachots , au milieu des glaives el
des bûchers , parce qu'en perdant la liberté
et la vie, ils avaient l'espérance de l'im-
mortalité, et d'une immortalité souverai-
neiuenl heureuse. Mais la mort dans le pé-
ché , et ce jugement alfreux et irrévocable
(jui en est la suite ; mais cette éternité de
feux et de sup[)lices qui doit être le partage
du réprouvé; mais ce déses|toir, celle rage,
ces remords, cel enchainemeul de tourments
667
qui ne doivent jamais finir, c'est IJi le seul
malheur véritable. Ahl dit Jésus-Clirisl ,
ne craignez donc pas ceux qui peuvent loiit
an plus tuer votre corps, et ne peuvent tuer
votre âme; mais craignez celui qui peut
pr.rdre votre âme et votre corps, et les pré-
cipiter pour toujours dans l'aOîme de l'en-
fer : c'est citluilà que vous devez craindre :
« Hune timete! » {Malth., X, 28.)
C'est celle crainte, don précieux de l'Ks-
pril-Sainl, commencement de la sagesse et
de la juslificatiun , que nous allons lâcher
d'exciter dans nos cœurs, en ra|i|)elaiit les
jirincipes de notre foi sur les lotiruiens et
la durée de l'enfer. Qui a plus besoin que
les prôlrcs de médit r et de s'appliquer à
eux-mêmes ces vérités redoutables I Hélas,
Messieurs , pour ramener les pécheurs à
Dieu, et maititenif les justes dans l'obser-
vance de la loi, nous nous attachons à les
ftlfrajer par la f.einture de ses jugemens el
de ses vengeances; et souvent nous-mêmes
nous y sommes insensibles; les âmes les
plus ferventes Iremblenl , répandent à nos
pieds des lai mes , et nous, plus coupables
qu'elles , nous conservons une épouvanlablo
sécurité; il semble que la justice divine ne
pui.ose nous atteindre.
Cependant, Messieurs, puisque les pé-
ciiés des prêtres , nous l'avons déjà dit ,
sont plus énormes que ceux des laïques ;
puisque d'ailleurs nos fonctions les plus
saintes sont environnées de mille écueils et
de mille dangers , qui fdus que nous doit
trembler de tomber dans l'enfer? Laissons
lin monde aveuglé repousser avec une sorte
de fureur nos instructions sur cette matière.
Tour nous , sur les traces des Ei>hrem , des
Jérôme, des Bernard, de tous les saints,
descendons reiaintenant en esprit jusqu'au
fond des enfers, afin de ne pas y descendre
réellement après la mort. Aussi , pour éviter
ce malheur, nous examinerons dans cette
méditation ce que c'est que l'enfer des urè-
tres, et à quels prêtres il est destiné.
PREMIÈRE PÂRTIK.
Heureux t Messieurs , de n'avoir pas be-
soin, comme les simples lidèles, d'affermir
notre foi sur la vérité et l'éternité de
l'enfer 1 C'est une grâce privilégiée dont
pous devons remercier tous les jours la
divine miséricorde : car, hélas 1 qu'est-ce
qu'un homme qui ne croit pas à l'enfer? et
que serait un prêtre dont la foi chancelle-
rait sur cet article fondamental? La raison
elle-même nous apprend que le crime res-
tant si souvent- impuni sur la terre, il est
indubitable qu'il sera puni après la mort ;
sans quoi Dieu ne serait pas juste , Dieu no
ferait pas Dieu ; et la foi nous enseigne que
le sup[)lice des méchans qui meurent dans
l'inipénitence sera éternel : Ibunt ht in sup-
vlicium œternum {Matth., XXV, 46]; que le
ver qui les rongera ne mourra jamais , ver-
mis eoruin non moritur. [Isa , LXVI , 2V.)
Mais quel est ce suj)li(:e, quel est ce ver
rong^'ur ? J'ouvre rÉv-ingtlo, et je lis la
ORATEURS SACRES. MAUREL. 668
sentence formidable que les méchans enten-
dront un jour de la bouche du souverain
Juge : Discedite a me, matedicli, in ignem
œternum. {Ibid., kl.) Voilà en peu de
mots ce que c'est que l'enfer : la séparation
élernelle de Dieu et le supplice d un feu
qui ne s'éteindra jamais ; c'est Dieu lui-
même qui nous enseigne cette grande véri-
té; el c'est son propre Fils qui l'a annoncée
à la terre, au milieu des mir.icles les plus
éclatants : 0 roi des nations! qui ne craindra
pas votre justice? « Quis non timcbit te, o
llex gentium ? »
Quel moment, Messieurs, que celui qui
leruiine la vie d'un mauvais prêtre que ni
les remords de sa conscience, ni les con-
seils de ses confrères, ni les avis de ses
supérieurs, ni les vérités saintes qu'il a
mille fois lues et prêchées, ni les exemples
terribles dont il a été témoin, n'ont pu re-
tirer du désordre, et qui meurt comme il a
vécu ! Je me le figure ce prêtre avare, ce
prêtre voluptueux, ce prêtre sacrilège , qui
se[)romellail, il y a peu de jours, une longue
CJirrière, arrêté par le Tout-Puissant au rai-
lieu de ses crimes, et... je ne dirai pas frap-
pé de mort à l'instant même, ce qui cepen-
dant arrive tous les jours, mais enchaîné
sur un lit do douleur. Ah 1 s'il voulait s'hu-
nnlier sous la main puissante de ce Dieu
qu'il a jusqu^ici méconnu, s'il invoquait
avec confiance coDieu de miséricord», tou-
jours prêt à écouter la voix du repentir,
même dans un prêtre prévaricateur, il [)0urr
rail encore désarmer le bras de sa justice.
Mais que vois-je ? Trompé et maîtrisé par
ces esprits de mensonge dont il a été jus-
qu'ici l'esclave; qui, sortis du fond des abî-
mes, entourent son lit funèbre, et s'eflor-
cenl d'éteindre dans son cœur toutes les lu-
mières de la foi, et surtout tous les senti-
ments de l'espérance, je le vois,, ce mal-
heureux prêtre, insensible i la voix d'un
confrère qui cherche à le toucner, bien plus
af^igé des douleurs de son corps que des
plaies de son âme, bien plus occupé de ses
allWires temporelles que de l'éternité qui
va souvrir devant lui,, je le vois lutter a;vec
des efTorls insensés contre le glaive de la
mort, qu'il apperçoit prêt à tomber sur sn
tête. Cependant, on essaie de tous les
moyens de guérison; on s'empresse, on s'a-
gite autour de lui; mais soins inutiles;, il n'y
a plus d'espoir : peu à [)eu ses forces s'é-
puisent, mais, hélas ! sa foi ne se ranime
pas ; son agonie s'avance, mais son âme ne
se détache pas de la terre ; sa langue s'em-
barrasse, ses yeux s'éteignent ; tout à
coup j'entends crier : il expire I il est
mort !.... Le voila tout tremblant aux pieds
de Jésus-Christ !....
Malheureux ! lui dit le souverain Juge,
dans quel état |)arais-tu devant moi, et que
peux-tu attendre de mon inllexible équité ?
Je l'avais fait pour être heureux, et heureux
de mon propre bonheur ; si ma loi eûl été
la règle constante de ta vie, j'eusse été moi-
môme la récompense élernelle. J'étais mort
pour te sauver, tout mon sang avait coulé
669
RETRAITE. — INSTRLCT
sur la croix pour l'ex|>ialion dP tes crimes ;
et >i lu eusses voulu les expier loi inônie,
en partageant ma [)énileure et imiiaril mes
vertus , tu parl.jgerais élernellemenl ma
gloire et ma héaiilude ; m;iis puisque lu
as vnuhi vivre séparé de moi par le péché,
tu en seras malgré loi séparé pour toujours.
Ame criminelle I lève les yeux et considère
ce que (u as perdu I vois cette félicité que
je t'avais destinée ; contemple ces trônes
de lumière, où sont assis tant de bons ()ré-
Ires dont le zèle avait souvent ravi ton ad-
niiraiion ; eniends les cris d'all(''gresse. les
chants de triomphe qui ont succédé à leurs
Kémissemenls ; tu serais le compagnon de
leur gloire, si tu l'avais été de leurs travaux
et de leurs vertus. Prêtre infidèle 1 emporte
avec toi ces images déchiranle*, et va loin
de moi pleurer à jamais ton ingratitude : Dis-
cedile a f/ie, maledicti !
Quel coup de foudre 1 être à jamais sépa
ré de Dieu, de ce Dieu qui est le centre de
tout bonheur, hors duquel on ne trouve
qu'amertume et que désespoir 1 de ce Dieu
qui avait oifert à ce malheureux toutes les
richesses de son royaume, et dont il a dé-
daigné les promesses et rejeté les secours!
de le Dieu que ce prêtre ingrat approchait
de si près sur la terre, qu'il a tenu si sou-
vent dans ses mains, qu'il a otferl, reçu,
distribué mille et mille fois 1 de ce Dieu
dont il était le ministre» l'ami, le confident 1
de ce Dieu dont il dispensait les trésors, les
grâces, les sacrements, les miséricordes I
Quoi 1 Messieurs, être exclu à jamais de la
présence et de l'amitié de ce Dieu qui iui
»vail permis d'agir aveclui si familièrement,
et qui ne sera plus son Dieu, qu'il ne pour-
ra plus appeler des notas si aimables de Pè-
re et de Sauveur 1 Ah I je le sens, il faudrait
ici des larmes, plutôt que des paroles.
Toute la gloire, toute la magnificence de
ce Dieu immortel étaient promises à cet in-
fortuné, et il les a perdues ; perdues par
sa faute, perdues pour toujours ! pensées
désespérantes qui le tourmenteront pen-
dant l'éternité entière. C'est là, Messieurs,
ce ver rongeur et immortel dont nous par-
lions tout à l'heure, et qui n'est autre cho-
se que le souvenir des moyens qu'on a eus
de se sauver, le reraods d'avoir abusé de
ces moyens, et la certitude qu'on ne pour-
ra plus les obtenir. Je pouvais être heu-
reux, et, par ma faute, je ne le serai jamais 1
A chaque instant de ma vie, j'aurais pu mé-
riter une éternité de bonheur ; hélas l J'a-
vais en main les grâces sans nombre de
l'auteur de tout mérite, et par ma finie, jo
ne le puis plus, ni ne le pourrai jamais. Au
sein de mes désordres, je conservais cepen-
dant l'espérance d'obtenir ce bonheur, par-
ce que j'espérais meconvertir, et jiour avoir
dilléré ma conversion, celte double espé-
rance m'est ôlée [lour toujours : non, plus
de ressources, plus de moyen de salut ; il
se trouve maintenant sur la terre des pé-
clieurp plus coupables que moi qui y par-
viendront, à ce salut éternel, |>urce qu'ils
feroul péuiteuce ; el uioi, mibéiuble I lu pé-
Y, SUR L'ENFER. 670
nitence m'est désormais iD:ipossible, le ciel
à jamsis fermé !
A chaque instant ces affreuses pensées se
présenleiil ii son esprit, et viennent déchi-
rer son cœur; sans cesse il entend une voix
qui crie dans les cieux ; Prôlrf-s fidèles l
goûtez el voyez combien le Seigneur est
doux à ceux qui l'ont aimé et fait aimer :
Gustate et vidcle quoniam suavis est Domi-
nus ! {Psal. XXXlll, 9.) En même temps les
voûtes de l'enfer retentissent de ces paroles
lugubres : El toi, malheureux ! sens et vois
combien il est dur et amer d'avoir aban-
donné le Seigneur Ion Dieu, el d'avuir élé
un scandale jiour tes frères : Scilo cl vide
quia malum et amarum est dereliquisse le Do-
minum Deuin tuum ! {Jerem., U, 19. )
Le mauvais prêtre trouve sur la terre
qu'il est doux el facile de vivre éloigné de
ce Dieu dont le nom cependant est sans
cesse sur ses lèvres ; il redoute couirae un
tourment le souvenir de sa présence ; tout
ce qui pourrait lui en rappeler la pensée,
médilalions, saintes lectures, réfleiians pieu-
ses, il l'nbîiorre; il se fait dans le délire
de ses passions un affreux système de l'ou-
blier, comme si cet oubli le dérobait à ses
regards. Oh l s'il pouvait comprendre com-
bien il est terrible d'en être séparé après la
mort l Séduit mainleiianl par l'éclat trom-
peur des créatures, il y trouve une esfièco
de consolation, inca|)able sans doute de le
satisfaire, mais qui sudlt pour lui cacher
jusqu'à quel point Dieu est nécessaire à
son bonheur. Les choses visibles sont les
seules qui le frappent ; les objets de ses
passions, les seuls qui l'intéressent ; les ri-
chesses, la gloire, les plaisirs, les seuls
biens qu'il ambitionne. Dieu n'entre pour
rien dans le plan de son bonheur, parce au'il
ne voit pas que Dieu seul peut remplir 1 im-
mensité de ses désirs.
Mais lorsque, arraché par la mort à tous
les vains objets qui le séduisent, il com-
mence enfin à sentir que l'homme ne peut
être heureux sans Dieu , il le cherche,
il l'appelle , il l'invoque , ce Dieu im-
mortel dont il sent un besoin si pressant;
mais, hélas I c'est trop lard 1 Prêtre infidèle 1
il fallait le chercher pendant la vie : alors
tu l'aurais trouvé! Mais que dis-je? il le
trouve sans douter est-il de lieu oïl il ne
soit pas? mais que Irouve-t-il en lui? un
Dieu irrité, un juge inflexible, uu vengeur
implacable.
11 était si facile à apaiser pendant la vie!
il désirait alors d'être désarmé ; il en indi-
quait, il en offrait les moyens. Avec quelle
ardeur ce père tendre ne soupira-t-il pas
après le retour de ce (ils dissi|v3leur! avec
quel empressement ce bon pasleur no cou-
rail-il pas après cette brebis égarée, ne
cessant de l'appeler par les cris touclianls
de sa grâce 1 Combien de fois Jésus-Chrjst
n'avait-il pas jeié sur ce prêlre coupable,
comme autrefois sur le premier de ses
apôlres, un regard de bonté et de tendresse,
pour l'exciter à la p iiiitence î combien de
fois U'j lui avail-il pas dit iulOrieurem.en:l»
671
comme nu discii)Ic' perfide : Mon ami 1 que
Initcs-vous? tous k-s jours à l'autel vous
trahissez le Fils de l'homme par un baiser 1
Osculfl Filium hominis tradis !{Liic.t XXII,
48.) Combien d'autres coupables se sont
rendus h la douceur de ses invitations, et
chantent naainlenant dans les cieux les
bienfaits de son Amour! Ce malheureux
était destiné au môme bonheur; il avait,
pour l'obtenir, les mômes moyens, les mô-
mes grâces, les mômes lumières, les mêmes
exemples, les mômes avis, les mêmes re-
mords, la même retraite; pourquoi donc
l'a-t-il perdu, ce bonheur si facile à acqué-
rir? Hélas! pour contenter une vaine am-
bition, qu'il n'a pu même satisfaire; pour
assouvir des désirs injustes, des passions
criminelles, dont le souvenir le perce de
remords! Cruelle voluplél c'est toi qui
ni 'as ravi la beauté immortelle 1 détestable
avarice» c'est toi qui m'as fernié la sourc c
de tous les biens! abominable orgueil,
c'est toi qui m'as rendu le compagno.n du
démon lui-même! funeste indolence, c'est
toi qui m'as plongé dans cet abîme de dé-
sespoir!
Sans cesse tourmenté par ces noires pen-
sées, ce malheureux élève des yeux en-
flammés vers lo bonheur qu'il a perdu; et
ce spectacle, dit le Prophète, l'abreuve d'a-
mertume : Peccator videbit, et irascetur.
(Psal. CXI, 10.) 11 les voit dans le sein de
Dieu, ce petit nombre de bons prêlresqui
furent jadis l'objet de ses railleries, peut-
être de ses persécutions ; ce voisin f.rvent
dont il blâmai! la retraite et contrariait lo
zèle ; ce confesseur charitable dont il mé-
prisa les avis et censura la fermeté ; ce su-
périeur prudent dont il condamna la vigi-
lance et la trop nécessaire sévérité; il les
voit dans le sein de Dieu, et lui, en puni-
tion de son orgueil el de son aveuglement,
il en est séparé pour toujours. Mais que
dis-je? il les voit au milieu de celle multi-
tude de fidèles qui trouvèrent leur salut
dans la docilité à ses propres instructions,
tant de pécheurs ignorants qu'il éclaira,
tant dhorames injustes qu'il convertit, tant
de libertins, tant de femmes perdues qu'il
arracha à leurs passions; il les voit au faîte
de la gloire, inondés de joie et de délices ;
et à cette vue, il grince des dents, el fréujit
de rage et de désespoir : Dentxbus suis [remet
et tabescet. {Ibid.) Pressé par îa soif du
J)Onheur, car celte soif est immortelle, il
s'agite, il s'élance à chaque instant vers ce
lieu fortuné oij habilenl ses frères; et re-
poussé à chaque instant par une main toulc-
puissanie, il retombe accablé sous le poids
de ses chaînes. Oh ! si je pouvais, s'écrie-
t-il en frémissant, retourner sur la terre
pour y expier mes crimes et réparer mes
scandales! oh! s'il m'était donné de tra-
vaillera la conversion de tant d'âmes que
j'ai négligées et laissées dans le péché!
Désirs stériles, vœux impuissants, qui ne
servent qu'à le tourmenter! Desiderium
pcccatorum peribit. [îbid.). 11 voudrait l'ai-
uier, le glorilier, ce Dieu qui! voit muiale-
ORATEUUS SACRES. MAUREL. , 672
nanl si magnifique, si aimable, si dign« des
hommagi^s de ses créatures, et il est forcé
de le haïr el de le blasphémer ; il voudrait
obtenir de ce Dieu si bon au moins un re-
gard favorable, et sans cesse il en est mé-
prisé, rejelé, abhorré; et sans cesse il en-
tend cet arrêt formidable : Retire toi de
moi, ministre prévaricateur! Discedite a
me, maledicti.
' Le voilà, Messieurs, le plus grand sup-
plice do l'enfer : l'allreuse certitude de ja-
mais ne posséder un Dieu qu'on désire
sans cesse, et hors duquel on ne trouve
c|u'araertume; la certitude qu'on sera tou-
jours plongé dans ce désespoir, et qu'après
des millions de siècles, on sera forcé de sa
dire : J'ai perdu mon Dieu, je l'ai perdu
par ma faute, je l'ai perdu pour toujours !
Mes vénérables confrères, nous ne som-
mes pas surpris qu'un peuple charnel et
terrestre soit peu effrayé de cet épouvan-
table supplice , qui est cependanl aussi
grand, dit saint Augustin, que Dieu lui-
môme est grand. Accoutumé à ne juger des
choses que par les sens, et ne pouvant voir
des yeux du corps les amabilités infinies
de l'auteur de tout bien et de tout bonheur,
l'homme du monde ne peut avoir qu'une
idée très-laible de la douleur d'en être privé.
Mais un prêtre, dont la foi est plus éclairée
sur les perfections de Dieu el sur l'impos-
sibilité d'être heureux sans lui : mais un
prêlre, qui a tous les jours tant de rapports
de confiance el de tendresse avec Dieu,
qu'il serait à plaindre de n'être pas louché
de l'elfroyable malheur de l'avoir perdu 1
Mon Dieu 1 au milieu des secours humains
que je puis avoir ici-bas, vous êtes cepen-
dant mon seul véritable refuge, ma seule
vraie consolation; c'est dans voire sein
paternel que j'aime à répandre mes peines,
et je sens que nul autre que vous iie peut
les adoucir; el lorsque je serais [)rivé des
créatures, vous aussi vous seriez loin do
moi I j'aurais njôme perdu toute espérance
de m'approcher de vous ! Quoi, je serais
seul pendant l'élernité entière, livré sans
ressource au désespoir de vous avoir perdu !
Ah! je ne puis soutenir celle épouvanta-
ble pensée 1 Non, mon Dieu, vous ne mo
manquerez [las dans l'autre vie, parce que
j'espère ne pas vous abandonner dans celle-
ci ; je vivrai de manière à ne jamais me
séparer de vous par le péché. Oui, mon
Dieu! je vous aimerai pendant ma vie; je
mourrai, je lesiière, en vous aimant, et je
vous aimerai pendant l'élernilô tout erii
tière.
Atin que ces vérités saintes produisent
dans nos âmes une impression salutaire,
considérons encore. Messieurs , l'affreuse
destinée d'un ecclésiastique qui tombe dans
les mains du Dieu vivant. Que deviendra
ce malheureux prêtre, séparé, éloigné de
son Créateur, banni à jamais de la présence
el du cœur de son Dieu, condamné à ne
jamais le voir, cet être infini dans ses per-
fections, dont la beauté fera é'e-nelleiDetit
la joie des. élus? que devicndra-l-il? où
675
RETRAITE. - INSTRUCT. V. SUR L'ENFER.
674
ira-l-il ? Quel sora son partage? Quel sera
son S(^jour?. .. Holas I .Messieurs, nous le
savons, mais nous craignons d'y penser :
on nous l'a appris dus noire enlancc, mais
nous en écartons sans cesse le souvenir,
comme si l'oubli pouvait en détruire la
réalité. Quel sera le partage et le séjour de
ce [irôlre infortuné? Un l'eu dévorant, ré-
pond Dieu lui-même, et un feu éternel :
In ignem œiernum; un feu qui ne s'éteindra
jamais : Jgnis eurum nonexstinguitur {Marc,
JX, i3), un feu qui brûlera toujours sa vic-
time sans jamais la détruire : Desiderabunt
mori, et fugiet mors ab eis [Apoc, IX, G) ;
un feu inconcevable dans ses horreurs, et
intiniment supérieur, dit saint Auj^uslin ,
<l toute l'activité du feu terrestre, qui est
co{)endanl si alfrcuse : Non erit isle ignis,
sicul focus tuus; un feu qu'on chercherait
en vain à exjiiiquer, parce que la justice
qui l'a allumé est inexplicable; mais qui
est de nature à tonrnienter sans cesse le
malheureux qui- s'y trouve plongé : Crucior
in hac flamma [Luc, XVI, 2i) ; qui réunit,
dit saint Jérôme, dans son Implacable vo-
racité, tous les tourments ensemble : In
uno igné omnia tormenta sunt ; un feu que
saint Chrysostorae appelle en quel(|ue ^Olte
intelligent ot judicieux, jiarce qu'il saura
distinguer entre coupable et coujiable, et
proportionner la grandeur des tourments
a la multitude et à l'énormité de leurs cri-
mes ; Quantum exegerit culpa, tanlwn sibi
de homine quœdatn flammœ ralionis disci-
plina vindicabit : un feu qui sera surtout
très-rigoureux contre les coupables qui
auront été chargés de la conduite des au-
tres : Durissimum judicium his qui prœsunt,
fiet , un feu qui tourmentera avec force
ceux qui sur la terre auront été au-dessus
des autres : Patentes patenter tormenta pa-
tientur. [Sap., VI, 7). Ah ! mes chers con-
frères, si! n'est rien ici-bdsde plus sublime
que la dignité d'un prêtre, si les {)échés, si
les scandales d'un piètre sont beaucoup
plus énormes, je ne ccsseiai du le réi)éler,
que ceux des tidèles, qui pourra donc me-
surer le muliieur de ce prêtre précipité
dans la profondeur dos enfers, sous tes
pieds des autres coupables, ayant sur sa
lête et à ses côtés des montagnes de feu?
Le saint bonmie Job nous dit que l'enfer
est une légion de mort, de ténèbres et
d'horreurs : Lbi umbra mortis, et nullus
ordo ; sed sempilernus horror inhabital.
{Job, X, '22). Le l.vre de la Sagesse nous le
dépeint comme une mer de l'eu, d'uij il
.s'élève des vap-curs enflammées et des mon-
tagnes brûlantes : Excundescel in iltos aqua
maris (Sap., V, 23.) Dieu disait aulreiuis
par son proi»liète, en parlant de ces lerri-
ban vengeances : Complebo furoremmeum ,
et requicscere fuciuni itidignaiionem meam
in eis. {Ezech., V, 13. j Nuire divin Maître
lui-mêmo nous avertit que l'on n'entend
dans l'enfer que des cris, des regrets et
•J'elTroynbles gémissements : Ubi erit fletus
!t strxdor denlium. [Mattlt., VIII, 12.) Oui,
Vénérables confrères, l'enlor est la oriva-
tion de tous les biens, Ja réunion de tous
les maux; c'est une /)uissance infinie qui
a à sa disposition un feu et des tourments
infinis, dont les malheureuses victimes ne
cesseront j.imais de soiiirrir.
Ici, Messieurs, toutes les idées se con-
fondent, et la foi môme serait presque
ébranlée, si nous n'avions la parole de
Dieu pour garant des vérités que j'expose.
Quoi, être plongé, englouti dans un lac do
feu, dans un étang de soufre et de bitume,
coinmo parle l'Esprit-Sainl! n'avoir d'autre
demeure qu'une maison de feu, d'autre
couche qu'un lit de feu, d'autres vêtements
que des habits de feu, d'autre nourriture
que des flammes, d'autre spectacle que des
flammes, d'autre société que des malheu-
reux enveloppés de flammes, poussant des
cris aflreux, se maudissant les uns les au-
tres, se reprochant les uns aux autres la
cause mutuelle de leur malheur; et cela
toujours, toujours 1 sans relâche, sans
espoir de sortir jamais de ce lieu de tour-
ments 1 Les années s'écouleront, les géné-
rations se renouvelleront, les empires tom-
beront, l'univers entier s'engloutira, et ce
prêtre infidèle sera toujours dans le feu !
et lorsque, après la chute du monde, il t.e
sera écoulé autant de millions de siècles
qu'il y a de gouttes d'eau dans l'immensité
des mers, ou de grains de sable sur le bord
de leurs rivages, ce malheureux n'aura pas
diminué d'un seul instant cette éterni é de
feu 1 sans cesse il la verra tout entière se
présenter devant lui avec toutes ses hor-
reurs, et venir le désesjjérer au milieu do
ses tourments par la pensée uu'elle ne doit
jamais finir
Encore une lois. Messieurs, on ne lient
pas à CCS réflexions ; l'imagination épouvan-
tée se jierd dans ces abimes sans fond ; mais
du moins la foi se soutient; la jiarole de
Dieu est expresse : Jn ignem œternum.
Hé qui de vous, s'écrie un prophète,
pourra donc habiter avec ce feu dévorant?
« Quis poteril habitare de vobis cuni igné
dévorante? » [Isa., XXX, Ik.) Qui de nous
pourra rester étendu et immobile, non pas
une heure ni une année, mais une éternité
de siècles dans ces ardeurs inextinguibles,
cum ardoribus sempiternis? (Ibid.) Qui le
pourra: Quis? Sera-ce ce prêtre sensuel, ce
|)iêtre voluptueux, ce prêtre environné de
luxe et mollesse, compagnon assidu des plai-
sirs, des jeux et des festins du monde; ce prê-
tre immortifié qui peut-être n'a jamais fait de
sa vie une méditation sérieuse sur ce feu
éternel? Vénérables confrères 1 si la seule
pensée de ce feu dévorant est insupporta-
ble, comment donc en supporter la réalité?
Ali ? je ne suis plus surpris de voir les Po-
lycarpe, les Laurent, celle multitude de
martyrs qu'on faisait mourir au milieu des
flammes, qu'on étendait sur des charbons
ardents, qu'on appliquait à des lils de fer
rougis au feu, qu'on couvrait de bilume,
et qu'on aliumait ens'iile comme des flam-
beaux peiidaii'l li! nuil ; non, je ne suis pli'S
supris ue voir ces héros de la toi soufliir
675
ORATEURS SACRES. MAUREL.
676
avec calme, o,l bénir Dieu «u milieu de leurs
tortures; ils voulaient par ces feu 1 passa-
gers échapper aux flammes éleriiolles de
l'enfer. Mais ce qui doit nous étonner,
Messieurs, et en môme temps nous con-
fondre, c'est de nous trouver si faibles, si
lâches, si impatients, au milieu des épreuves
légères et momentanées que Dieu nous
envoie tout exprès pour nous épargner les
tourments affreux de l'éternité. Ce qui doit
nous étonner, c'est que nous ne cherchions
pas à éteindre le feu de nos passions dans
le «ouvenir du l'eu éternel. Ici, mes chors
contrères, permettez-moi une supjiosilion
(|ui devrait, ce me semble, nous être fami-
lière :
Je suppose qu'au moment oij nous serions
tentés de nous livrer à une action hon-
teuse, à une familiarité, à une entrevue
indécente, Dieu permît que l'abîme de l'en-
fer s'ouvrît à nos pieds, que nous enten-
dissions les rugissements, les hurlements
des victimes qui y soutiront; que nous
aperçussions les flammes qui les entourent
s'élever dans les airs, et qu'en même temps
une voix partie des cieux vînt nous crier :
Si tu succombes à celte infAme tontalion,
à l'instant même tu seras précipité dans ce
gouflre de feu ; je vous le demande, qui de
nous ne se sentirait aussitôt une force
toute-puissante pour triompher de resi)rit
impur? Hé, mes chers confrères, n'est-ce
pas ainsi que les Joseph, les Suzanne, les
Jérôme, tous les saints, ont remporté des
victoires si étonnantes? ils se sont armés
de la pensée de l'enfer, et les légions de
l'enfer ont été vaincues.
Est-il l)esoin d'exciter encore dans vos
âmes de salutaires frayeurs, de vous retra-
cer le langage que Dieu lui-même se plaît
h tenir dans nos divines Ecritures, quand
il em|)runte les sentiments de l'indignaliori
et de la haine pour raconter ses terribles
vengeances? Hé que ne peut pjs la tjaine
d'un Dieu tout-puissant, créateur de toutes
choses 1 Je pourrais continuer à mettre
sous vos yeux le texte de nos divines Ecri-
tures; mais vous me devanceriez encore dans
Je récit des fiassages de nos livres saints
qui nous retracerrt les horreurs de l'enler.
J'en appelle d ailleurs à votre foi à vos sou-
venirs, à vos senliiuenls et à vos jiropres
réflexions, pour suppléer, dans un sujet
au-»si grave, à la faiblesse dis moyens de
celui qui vous parle, et qui cherche moins
à vous instruire qu'à vous éditier et à s'é-
diticr lui-même avec vous. Réveillez donc
votre foi, vénérables confrères, sur les chA-
timenls inouïs qui attendent les prêtres
prévaricateurs au fond (.\es enfers, et ()er-
ineltez-moi, après vous avoir exposé, quoi-
que bien faiblement sans doute, ce que
c'est que l'enfer, de vf)us monlrer en se-
cond lieu à quels prêtres il est destiné.
SECOiNDE PARTIE.
Si les simples lidèles, si les chrétiens
fervents auxquels vous rompez vous-mêmes
ie pain de lu divine parole, et qui mettent
en pratique les sublimes enseignements de
l'Evangile, étaient réunis au pied de cette
chaire, ou se confondaient dans vos rangs,
vénérables confrères, pour assister a nos
saints excercices, quelle serait leur surprise
en m'entendant parler de l'enfer à une as-
semblée de iirêtres, en m'entendant suppo-
ser que des prêtres soient capables de
tomber dans les flammes éternelles. Sans
doute ils savent bien que le sacerdoce ne
nous rend pas impeccables, que le lévite
pèche et transgresse quelquefois la loi de
Dieu ; mais ils ne sauraient admettre lidée
d'un [)rêlre coupable qui ne se convertit
pas, et qui, mauvais prêtre jusqu'à son
dernier soupir, meurt dans l'impénitence
finale. Quoi, un prêtre dans les enfers 1 s'é-
crieraienl-ils. Grand Dieu I quel est donc le
sort qui nous attend, nous misérables pé-
cheurs, si nos guides, nos juges, nos direc-
teurs tombent eux-mêmes dans ce lieu de
tourments, qu'ils s'appliquent à nous faire
éviter? Quoi, ce prédicateur si éloquent
qui convertit les impies et arrache les lar-
mes aux plus grands pécheurs ; ce confes-
seur si habile qui répand la lumière dans
les consciences les plus aveuglées, et l'a-
mour divin dans les âmes les plus endur-
cies; ce pasteur si zélé, si chéri, qui jouit
de la confiance et de l'estime générale,
seraient condamnés à blasjthémer Dieu et
à brûler éternellement avec les hypocrites
et les malfaiteurs 1 Quoi, a{)rès avoir con-
duit tant de coupables au royaume de Dieu,
ils en seraient eux mêmes exclus, et ilsdes-
cendraienl avec les méchanis dans ces ca-
chots ténébreux où la justice éternelle
dé()loie sans cesse la rigueur de son brast
On pourrait répliquer à ce fidèle étonné :
Il n'est malheureusement que trop possible
que les prêtres eux-mêmes tombent en en-
fer, il est même certain qu'il y en a. Parmi
les prêtres de la loi nouvelle , le premier
que la mort a frap()ée n'est-il pas une viciirae
de l'enfer? Et qu'est-ue qui l'y a précipité?
une seule passion qui l'entraîna de crime en
crime; l'amour de l'argenla conduit Judas au
sacrilège, à la trahison, au désespoir, au sui-
cide, à l'enfer. Oh 1 Messieurs, sous les yeux
mômes de Jésus-Christ, dans la société
même de Jésus-Christ, à l<i vue des miracles
et des venus de J'';sub-Christ, un homme
privilégié, choi-i de Dieu môme pour être
une des colonnes de son Eglise, tombe
dans l'enfer 1 Qui ne tremblerait après une
chute si étonnante, et si quelqu'un ne trem-
blait pas, ne p')uirait-on pas lui dire avec
vérité : C'est pour vous que l'enfer a été
creusé; car il est de foi que sans la crainte
on ne peut être justifié ; que sans la crainte
on ne peut opérer son salul; que sans la
crainte on n'a pas même commencé de ser-
vir Dieu. Malheur donc à ce prêtre lâche
et négligent qui vit dans une présomp-
tueuse sécurité, qui se re()Ose sur certaines
bonnes œuvres extérieures, sans puriiier
l'intérieur de son âme, et surtout le motif
de ses actions ; qui n'a aucune règle dans sa
cooduil^', ni aucune réserve dans ses pr.ro-
611
nETRAITfe. — l.NSTRU
les; qui moule j» rniilel sans préparalinn,
qui prie sans recueillement, qui ouvre tous
ses sens aux créatures, et oublie la pré-
sence du Créateur; qui néglige ce qu'il ap-
pelle petites choses, lesquelles sont souvent
si imfiorlonles, que de là dépend son salut;
je veux dire l'oraison journalière, la fré-
quente confossiot^ la modestie, l'éloigno-
inent du monde, la fidélité à certaines pra-
tiques 1 Malheur h ce prêtre négligent s il ne
se réveille F'romplenient de son sommeil;
peu à peu il tombera, comme Judas, dans
les plus grands crimes, et il se perdra : Pau-
lalim decidet. (Eccli., XIX, 1)
Pour qui l'enler a-l-i! été creusé? Le
grand Apôtre, dans la première Epilre aux
Corinthiens, a répondu à celte question ; et
combien de fois chacun de f.ous n'a-t-il pas
répété au peuple cette réponse? An nescitis
quia iniqui regnum Dei non possidebunt ?
Ignorez - vous que les méchants n'entre-
ront |)oint dans le royaume de Dieu? et
quels sont-ils ces méchants? Ahl ne nous
y trompons pas : Nolite errare; ce ne
sont pas seulement les assassins, les sui-
cides, les empoisonneurs, les incendiai-
res; ce sont tous ceux qui vivent et meu-
rent dans le péché mortel; car, ajoute l'A-
[lôtre : Neguefornicarii, neque idolis servien-
tes, neque adulteri, neque molles, neque mas-
culorum concuhitores, neque fures , neque
avari, neque ebriosi, neque maledici, neque
rapaces regnum Dti possidebunt. {l Cor., VI,
9, 10.) Ce détail , lomme vous le savez, est
encore plus étendu dans VEpitre aux Ro-
mains.
Ici, Messieurs, je ne demanderai point si
quelqu'un de nous ne se trouverait peut-
être pas dans cette longue série rie coupa-
bles : la quoilion serait injuri use; mais je
demanderai si nous ne serions pas compli-
ces de quelqu'un de ces crimes par un dé-
faut de zèle, de vigilance» de douceur,
de fermeté. N'aurions-nous pas pu empo-
cher dans les âmes contiées h nos soins
quelqu'un do ct-s grands désordres? Car,
ajoute encore l'Apôtre, non-seulement les
auteurs de ces crimes sont dignes do mort,
mais encore ceux qui les approuvent et y
coopèrent: Digni sunt morte, non solum
qui ea faciunt, sed etiam gui consentiunt fa-
cientiùus. {Rom., l, 32.) Oh I queces paroles
sont terribles, surtout pour un prêtre! quoi,
je puis être damné non-seulement pour mes
péchés personnels, mais pour les f)échés
d'aulrui que ma négligence n'aura pas em-
pêchés ! Éh I qui, a cette pensée, pourra se
défendre de l'clfroi qu'ont éprouvé les plus
grands saints ?
Pour qui a éié allumé le feu de l'enfer? Mes-
sieurs, vous connaissez les |)aroles(le Jésus-
Clirisl: Pauci electi{Matth., XXII, U) : quam
arda via est quœ ducitad vilnm, et pauci sunt
^M» invcniunl eam I {Mutlh., \ll, 14.) Mais me
^era-!-il permis de vous rappeler l'applica-
tion bien plus lenibleque saintChrysostomo
a cru devoir faire de ces paroles aux minis-
tres mêmes do Jésus-Christ? Ce nesl pas
témérairement et sans réflexion que je parle.
CT. V, SUR L'ENFER. 6?8
dit 00 Vère ; je m'exprime comme je suis af-
fecté et comme je sens : « Non temere dico, std
ut offrctus sum ac sentio; » je ne crois pas
que parmi les prêtres il y en ait beaucoup qui
se sauvent ; je crois au contraire qu'il y en a
beaucoup plus qui se perdent : « non arbitrât
inter sacerdotes multos esse qui sahi fiant,
sed multo plures qui pereant. » Mais oserai-
je rafjpelerun passage de ce Père, bien jilus
terrible encore sur les pasteurs des âmes :
il va jusqu'à être surpris qu'il s'en rencon-
tre quelqu'un qui se sauve, tant il est ef-
frayé des dangers qui entourent ce minis-
tère ! Miror si quem ex rectoribus salvum
fieri contingat. Je sens, Messieurs, qu'un
passage si terrible, a besoin déire expliqué,
vous savez que le langage des orateurs est
relatif aux circonstances où ils se trouvent
et aux dispositions de leur auditoire. Or
dans le siècle de saint Chrysostorae il n'y
avait qu'un petit nombre de bons prêtres
qui étaient du reste d'une sainteté émi-
nenle. La masse du clergé était plongée
dans la corruption : et de là l'énergie et les
craintes du saint orateur. Ah 1 s'il etlt parlé
à l'assemblée qui m'honore de son atten-
tion, il eût tenu sans doute un langage dif-
lérent.
Cependant, mes chers confrères, les mo-
tifs qui faisaient trembler saint Chrysos-
lome sur le salut du clergé et qui l'éloignè-
rent lui-môme pendant si long-temps du
redoutable fardeau du sacerdoce, ne nous
sont peut-être pas étrangers; les dangers
de nos Ibnctions sont aujourd'hui les mêmes
qu'alors : nous avons à combattre, non-seu-
loment nos propres passions, mais les pas-
sions des [)euples dont le salut nous est
confié, mais l'astuce el les railleries d'une
im[)iélé orgueilleuse que nous devons cher-
cher à éclairer; mais les séductions elles
attraits d'un monde perfide que nous ne
pouvons éviter ni fréquenter, mais que nous
devons tâcher d'inslruire sans le découra-
ger, el de corriger sans l'aigrir.
Est-il donc étonnant que le salut d'un
prêtre soit si diinci!e?et lorsque* nous lisons
dans Isaïo que I abîme de l'enler a dilaté ses
affreuses entrailles ; Dilatavil infernus ani-
mam suam ; qu'il élargit sans mesure son
épouvanlai)le cratère, et aperuit os suum
absque ulto termina; que des milliers de
coujiabl' s de tout âge et de tout rang y
toml)oiil j)èle-!iiêlo tous les jours et à cha-
que instant du jour ; el descendent fortes ejus,
et populus ejus , et sublimes , ghriosique
{Isa., V, ik) : pourrions nous ne pas crain ire
pour nous-uiêiues, plus exposés que le sim-
ple peuple à pécher et à nous perdre? Je
sais sans doute, car à Dieu ne plaise, que je
me permette dans ce sujet surtout la moin-
die exagéralion ; je sais sans doute qu'un
piètre pieux el fervent, qui médite nuit el
jour, comme le Prophète, la loi du Seigiieur,
qui craint le j'éché plus que la mort, qui
gémit sans cesse de ses fragilités, et dont le
zélé el les travaux sont animés d'un désir
pur de plaire à Dieu tt de procurer sd
gloire, ne se perdra pas, pourvu qu'il perȔ-
«79
ORATEtRS SACRES. MAUllEL.
680
vère jusqu'à la mort (lans sa ferveur. Je sais
aussi qu'un prêtre coupable qui s'est jelé
clans les excès les plus monstreux, mais
qui est revenu à i)'\eu avec une coraponc-
lion sincère, et qui s'applique tous lesjours
h réparer ses scandales avec une humilité
profonde et un zèle modeste, ne se perdra
j)as non plus, pourvu que sa pénitence,
comme celle de saint Pierre, dure autant que
&a vie.
Mais, Messieurs, ne nous aveuglons pas,
sommes-nous de ce nombre? Malgré les vé-
rités effrayantes que je r<i|)pelle, nous so"^-
nies tran(juilles; et pourquoi? parce que
sans doute notre conscience ne nous rejiro-
che rien qui puisse nous rendre dignes du
mallieur des réprouvés. Mais cetle jiersua-
slon u'esl-elle peul-ôlre pas retlVl de l'ir-
réllexion et de l'aveuglement? Rentrons
enfin en nous-mêmes, et méditons sérieu-
senjent :Sur l'état actuel de notre âme. Nous
avons fait des fauies, et des fautes graves :
sommes-nous cei tains de les avoir réjiarées,
et d'en avoir obtenu le pardon ? sommes-
nous certains d'être en ce moment dignes
d'amour et en ét;it de grâce? sommes-nous
certains que si le souveiain Juge nous ap-
jieiait à l'instant n»ême au pied de son
trône, nous entendrions de sa bouche une
sentence favorable? Hélas, les plus grands
saii.ts l'ignoraient, et celte incertitude les
faisait trembler.
Nous qu'un orgueil secret condamne peut-
être aux yeux de Dieu, tandis que les hom-
mes nous louent de quelques vertus appa-
rentes ; nous jileins d'aigreur cl de jalousie
contre quelqu'un de rios confrères, lors
même que l'opinion publique nous force do
paraître son ami; nous, qui sous prétexte
de cirlarns besoins futurs, de cei tains pro-
jets de charité, conservons une attache cri-
minelle à l'argent ; nous, qui sous prétexte
de zèle ou de reconnaissance, entretenons
certaines liaisons, certaines fréquentations
que réprouve la décence sacerdotale; ou
qui peut-être, hélas! sommes aveuglés et
enchaînés pai' quelque passion désordon-
née, doul la honte ne nous fra|)pe pas, parce
que nous la croyons ignorée du public;
nous qui tiégligeons depuis si longlenqis
d'accuser certains péchés que la crainte nous
a lait taire, d'éclaircir certains doutes qui
embarrassent notre conscience; et avec les-
quels cependant nous ne craignons pas de
monter tous les jours à l'autel, c'est-à-dire
d'aicumuler sacrilège sur sacrilège, nous
sommes tranquilles I Et |tcui-ètre que celle
retraite n'aboutira pour nous qu'à une con-
version simulée I Ah 1 faut-il ôlie suriwis du
mol de saint Clirysoslome : Jl y aura peu
de prêtres sauvés! Pénétions-nous donc d'une
sainte fiayeur, vénérables conlVères. Oui,
au mcu)«*ni mémo où je parle, (jue dâuies
coupables qui tombent dans l'enter, que de
prêtres prévaricateurs qui vont expier dans
rélerniié le crime de n'avoir pas répondu à
la sainteté de leur vocation ! vous les voy z
des yeux do lu loi se précipiter dans ces
abîmes de feu et do dcscs|'Oir. Ah 1 que ces
Irisles pensées réveillenl plus que jamais,
notre zèle pour le salut des âmes confiées à
nos soins, pour celui de nos confrères et dé
nous-mêmes surtout !
Encore un mol, Messieurs, et je vous laisse
à vos (iropres réflexions, qui feront bien
plus que mes paroles. Je suppose qu'un
ange envoyé des cieux allât sur les bords
de l'enfer, et qu'au milieu des tourbillons
de fumée qui sélancent de ce lieu de tour-
ments, au milieu des cris de rage et de dé-
sespoir dont retentit cetle prison de feu,
cet envoyé céleste fît entendre ces conso-
lantes paroles : Ames infortunées, prêtres infi-
dèles, ouvrez enfin vos cœurs à l'espérance,
revenez sur la terre pour expier vos péchés,
cl le ciel Vous sera ouvert, quelle consola-
lion ne répandraient pas ces courtes i aroies
dans l'abîme du désespoir I Croyez-vous
que ces malheureux délivrés de leurs chaî-
nes abusassent de nouveau de leur liberté,
et ne prissent pas toutes sortes de précau-
tions pour ne pas retomber entre les mains
d'un Dieu vengeur? croyez -vous qu'ils
trouvassent trop pénibles les rigueurs de
la pénitence, l'éloignement de certaines oc-
casions et une vigilance continuelle et sé-
vère sur eux-mêrnes?
Hélas! Messieurs , vous le savez, cette
grâce ne sera jamais accordée aux réprou-
vés; ce n'est quà vous et à moi, capables
encore d'un repentir utile, que Dieu fait
entendre des paroles de salut : les réprouvés
sont perdus pour jamais; jamais ils ne sor-
tiront de ce leu terrible qui les dévore;
jamais ils n'écliapperont à la main venge-
resse qui les frappe; toujours ils se repro-
cheront d'avoir [)erdu par leur faute un
Dieu bon et magnitique qui voulait les ren-
dre heureux ; toujours ils sécheront d'envie,
et do rage à la vue du céleste séjour oij ils
verront les élus el où ils pouvaient entrer
eux-mêmes; leurs tOiirmen;s, I urs remord-",
leur désespoir, seront éternels. El c'est
l'iiiée toujours présente de cette affreuse
éternité , Messieurs , qui doit être, ce me
semble, pour chacun de nous le fruit de ce
discours
O éternité, tu as converti les fiécheurs
les plus scandaleux; le cœur d'un prêtre
.«erail-i! assez endurci pour te résister?
Non, mon Dieu, nous ne résisterons pas à
la plus grande des grâces! Ah! vous nous
montrez bien aujourd'hui que vous ne pu-
nissez qu'à regret, el que le penchant de
votre cœur c'est de pardonner : car si vous
vouliez nous perdre, nous avertiriez-vous
du danger qui nous menace? Un méchant
ne prévient pas son ennemi du mal qu'il
veul lui faire; au contraire, il le Halte, il le
trompe, il l'endort, et l'enlraîiie sans qu'il
s'en doute dans le piège qu'il lui a tendu.
Il n'y a qu'un père qui avertisse d'avance,
qui se plaigne, t\\i\ menace, qui tonne, pour
être dispensé do frapper : et voilà, ô mon
Dieu, ce que vous venez de faire à notre
égard.
Ah! cette grâce privilégiée ne sera pa»
perdue, connue tairt d'aulres ; vous avez
GSl
HETUAITE. — INSTKUCT. VI, SIR LE PARADIS.
C82
parlé h nos cœurs, vous y avez f;iif n;iîlre
une crainte saiulnire. Nous allons chacun
oxamir)er de bonne foi le fond do noire
conscience; nous nous demanderons fran-
chement : Y a-t-il en moi quoique chose qui
puisse me rendre diiiçne de l'enfer? et à
i'inslant même nous nous occuperons avec
courage de changer, de corriger, de suppri-
mer tout ce qui pourrait vous déplaire en
nous. Nous ne nous épargnerons pas, dans
l'espérance que vous daignerez nous épar-
gner. Oli I quel bien aura fait h noire Ame
cette méditation î ce sera vraiment pour nous
un jour dy salut ; de ce jour datera le renou-
vellement de notre ferveur et de notre zèle.
Non , nous n'oublierons jamais que vous
n'avez ouvert aux yeux do notre foi les abî-
mes elTrayants de votre justice, que pour
ouvrir à noire repentir, à notre persévé-
rance le séjour éternel de vos miséricordes.
Misericordias Domini in œlcrnum canlaho.
{PsaL, LXXXVIll, 2 )
INSTRUCTION VI.
LE PARADIS.
Qux siirsuni siml qiisprile. iibi f liri>.liis est in dpxlera
Dei scdens qua> sursiini suiit sapiie, non quae super ter-
rain (Coloss , m, 1, 2 )
Messieurs,
A qui le grand Apôtre adressait-il ces
touchantes paroles? Vous le savez, à des
hommes récemment éclairés des lumières
de la foi, tout embrasés de ce feu divin que
donnent les commencements de la grâce,
et prêts à sceller de leur sang les vérités de
l'Evangile ; à des hommes tout remplis des
dons de l'Esprit-Saint , qui venaient de
prendre le Seignrur |)0ur leur unique par-
tage, dont les pensées et les travaux n'a-
vaient d'autre but que l'avènement de son
règne; è des hommes enlin qui avaient ar-
raché jusqu'aux dernières racines de la cu-
jiidité en se dépouillant de leurs biens et
l'es api'Ortant aux pieds des Apôtres , qui
disaient sans cesse analhème à l'ambition,
aux vanités du monde; ne tenaient plus par
awcun lien à la terre, et dont la conversa-
lion était dans les Cieux. C'est h de tels
hommes que saint Paul, ce grand apôtre
descendu du troisième ciel, ne cessait de
répéter : Elevez vos affections en haut, ne
laissez pas ramper vos cœurs sur la terre ;
cherchez les biens immortels et méprisez
Its choses périssables : Quœ sursum sunt
quœrite, non quœ super terram.
Que dirail-il aujourd'hui, Mci^sieurs, cet
élocioenl Aj ôlre, si descendant des demeu-
r^-s éternelles, il venait évaugéiiser, non
f)lus ces chrétiens fervents qui illustrèrent
e berceau do l'Eglise, et tracèrent à tous
Jtes siècles le modèle de touios les vertus,
mais des hoiumes tels que ceux de nos
jours, aveuglés par les ctiurmes des créa-
tures, amollis et enchaînés par des passions
honieuses, ne sou[iirant quapiès les ri-
chesses, les vanités, les jouissances du
monde, vivant en un mot comme si tout
devait finir avec celle vie, et qu'il n'y eût
rien à attendre au-delà du tombeau? avec
Ol» ATI LUS SACRÉS. l.XVIIl.
quelle force le zèle do cet Apôtre ne s'éle-
verail-il pas contre cet affreux oubli des
biens éternels!
Mais quels ne seraient pas son étonnement
et sa douleur si parmi ces hommes terres-
tres, plongés dans la boue des passions et
indifférents an bonheur de la vie future, il
rencontrait quelque ministre de Jésus-
Christ ! un prêtre attaché .'i l'argent, aux
vanités, aux commodités de ce nionde, et
indifférent pour les richesses, la gloire, 'les
plaisrs de l'éternité! un prêtre, qui dit tous
les jours, et plusieurs fois le jour : adve-
niat regnum tnum {Matlh., VI, 10), et qui,
loin de soupirer a[)rès ce royaume, n'y
pense même pas, tient son cœur sans ces^o
courbé vers la terre, ne songe qu'à des
moyens^ d'existence et de bien-être, et se
refuse l'unique consolation qui puisse adou-
cir ses peines, l'unique encour.igement qui
puisse le soutenir dans ses travaux; je
veux dire l'espérance du Ciel ! ô mon Dieu !
que le sort de ce prêtre est à f)laindre!
Hâtons-nous d^ recourir au remède d'un si
déplorable aveuglement ; ranimons notre foi
sur la grandeur du bonheur éternel que je
propose à votre méditation.
Mon dessein est de vous montrer dans
deux réflexions, 1° l'étendue, 2° la perfection
de ce bo'iheur qui nous attend.
; PREMIÈRE PARTIE.
Je sais, Messieurs, qu'ayant à vous par-
ler de l'étendue du bonheur du ciel, ma
tâche est dilUcile, quelque heureux qu'il
puisse être |>our nous de nous entretenir de
cette éternelle félicité. La vérité habite en-
core un sanctuaire impénétrable, et ce n'est
que comme une énigme et à travers d'ob-
scures images , dit l'Apôtre, que nous pou-
vons l'apercevoir. (16'or.,lH, 22) L'éclat
(ju'elle jette est cependant si vif , qu'il
perce les nuages qui la couvrent et nous
permet de jouir, quoique de loin encore, de
sa bienfaisante lumière. Vous dirai-je, vé-
nérables confrères, pour vous donner une
laible idée du bonheur du ciel , que dans
ce séjour de la gloire nous n'aurons rien à
souffrir, rien à désirer? mais que nus paro-
les sont faibles, que nos idées sont grossiè-
res pour retracer l'étendue de cette féliciié !
Qu'il nous soit cependant permis de faire sur
celte matière quelques réffexions , et do
méditer ensemble sur un sujet aussi vaste
et aussi sublime.
Nous le savons , vénérables confrères ,
riiomme esl né pour être heureux, et s'agite
sans cesse |)Our le devenir. L'ulliail du bon-
heur paraît le C3i»tiverau moment même de
sa naissance ; il le tourmente toute la vie,
h; poursuit jusqu'au tombeau, sans que ses
vœux [)uissent jamais être accomplis : et
c'iiSt là une preuve que le vrai bonheur ne
réside pas sur la terre. Qu'est-ce qui peut
en etlet, remplir l'immensité du cœur de
l'homme, sinon l'immensité d'un Dieu?
Mais, vous le savez. Dieu ne veut commu-
niquer aux hommes ce bonheur inlini dont
il est la source, qu'en récompense de leur
633
ORAfEtitlS SACRES. MAUUEL.
6S4
fiilélilé h SOS préo(^ples. La vie l'résenle est
(loslinée ci honorer Dieu et à pratiquer sa
loi ; l'éternité est deslinée à réeomp.^nser
riiomme rie son obéissance à son Créateur.
Pour nous encour<iger dans cette obéissan-
ce, pres(|ue toujours pénible 5 la nature,
é'evoits sans cesse nos regards vers ce royau-
me éternel où Jésus-Clirisl nous a préparé
à chacun une place; je veux dire un trône
de gloire et de lumière. Le vrai bf)nlieur,
le bonheur parfait qui ronlenle pleinement
le cœur de l'honime, no se trouve que dans
le ciel.
Oui, Messieurs, ce n'est que dans le ciel
qu'on' n'a rien à soullrir. La souffrance, tant
que nous serons sur la terre, sera notre
partage inévitable. Quel est lo mortel qui
n'éprouve ici-bas, môme au sein de la pros-
périté, des contradictions et des amertumes?
quel est le lieu de l'univers qui ne reten-
tisse de plaintes et de gémissements? Hé-
las! sans parler des souil'rances attachées à
la maladie, à l'infirmité, h l'indigence, aux
besoins toujours renaissants de la vie, aux
travaux, aux sollicitudes que ces besoins
néeessilent sans cesse , parmi ceux même
(]ui ne manquent do rien du côté de lasanié
et de la fortune , en est-il aijcun qui ne se
plaigne de son sort? Que de soucis invisi-
bles, que de chagrins amers au milieu des
plaisirs et desjoiesdu monde ! Que de crain-
tes, que d'anxiétés, que de peines secrètes
sous le voile du bonheur! Si nous pouvions
sonder le fond des cœurs, nouii verrions
peut-être que les plus malheureux des
hommes sont souvent ceux-là même dont
la deslinée paraît plus désirable. Quel tour-
ment que la soif insatiable de l'avarice ,
que les projets tumultueux de l'ambition,
que les prétentions et les craintes de la va-
nité, que les chagrins journaliers de l'en-
vie, que les suites fâcheuses de l'intempé-
rance, que l'amertume dévorante de la hai-
ne, que la honte et l'esclavage de la vo-
lu|)tél
Fiii-on môme à l'abri des passions, il est
tant d'événements fâcheux, tant de contra-
riétés soit de la part des hommes, soit de
la part des choses qui em[ioisonnent le sort
le plus doux et le plus tranquille! Et quand
tout nous réussirait au dehors, ne serait-ce
pas assez de nous-mêmes, de nos défauts,
lie nos vivacités, de nos ennuis, de nos dé-
goûts, de nos caprices, pour nous faire sen-
tir que notre cœur est bien loin d'être con-
tent?
Nous nous attacherions à cette vie si mi-
sérable! nous nous obs'inerions à y cher-
cher un bonheur qu'aucun mortel n'y trou-
va jamais 1 et malgré les leçons d'une si
longue expérience, malgré cette foule de
uiaux qui pèsent plus ou moins sur nous ,
nous ne jiorlons |tas un regard , nous ne
poussons ])as un soupir vers le ciel , cette
terre fortunée où Dieu a promis d'essuyer
toutes les larmes et de réjjandre la sérénité
dans tous les cœurs, abstergct omnem lucry-
vtam! (Apoc, VII, 17. j Veis le ciel, celle ai-
mable [lalrie, où la tristesse de notre exil
sera changée en une joie abondanle : Tri li-
lia vestra verlctur in gaudiuml {Joan , XVI
20|, vers le ciel, ce lieu do calme e; do re-
pus, où l'on n'enlendra ni cris, ni plaintes,
ni gémissements : Neque luctus, nec/ue cla~
mor, nef/uedolor e.it ultra! {Apoc , XXI, 4,)
Quel est donc notre aveuglement, mes chers
confières, de soupirer sans cesse après le
bonheur, et d'oublier le séjour même du
bonlieur I
Quand le ciel ne serait autre (hose que
la délivrance des maux de celte vie, ne sc-
rail-oe pas assez pour le désiier arienunent?
Que dis-je le seul espoir des biens cé'est s
n'est- il pas déjh un adouciss ment à vos
souffrances et un commencement de bon-
heur, même dès cette vie? Un malade ne
se sent-il pas soulagé dans ses douleurs oar
l'espérance d'une guérison prochaine? Un
navigateur battu par la tempête, et près de
faire naui'rege, ne s'encourage-:-il pas dans
ses dangers en apercevant le port où il va
aborder, et se re|ioser enfin après tant do
périlleuses fatigues? Un prisonnier à qui
l'on annonce la fin de sa captivité ne conj-
menee-l-il pas à jouir, même dais ses cliaf-
nes, du bienfait de la liberté? Ce ne sont
cependant 15 que des déliviances imparfai-
tes et momenianées : on ne sort ici-b;is
d'une misèie que pour tomber dans mille,
aulres qui nous attendent. Mais le ciel doit
nous aflVanohir de toute misère et p ur lou-
jours : Neque luctus neque dolor erit ultra.
Comment n'être pas consolé par ce, le gran-
de et magnifique espérance? N'et-ce p.as
celte es| érance qui a rendu dans tous lus
siècles les élus si soumis et si patients d ms
les revers? Qu'est-ce q^i soutenait les ma -
tyrs au milieu des tortures , S'non l'cspé-
rance de l'imiuortaliié ? Spes illorum iinmor-
talitate plena est. {Sap., III, k,) Qu'tsl-te
qui tempérait dans Jub la violence de ses
douleurs , siiion la gloire de son Rédemp-
teur, qu'il espérait partager? Reposila est
hœc spes mea in sinu meo. (Job, XIX, 27.) Et
pour dire quelque chose qui nous louche
de plus près, (]u'esl-ce qui allégeait au
grand Apôtre le fardeau du saint mini-tère,
sinon la couronne que lui réservait la boulé
de son nuiîire? Je souifre, s'éoriai.-il dans
ses travaux et ses persécutions , pafio;-; et
je soutfre cruellemenl, soit au dedans, soit
au ûahovs , foris puynœ , inlns timorés (Il
Cor., Vil, o), el je soutire jusqu'à Irouvti-
insupporiabie le fardeau de la vie, tceclet
me vilœ mcœ (Il Cor., I, 8), maisjenesuis
pas pour cela al)allu ni découragé! Je saii
à qui .je confie le déjiôt du mes sonlf auce^,
scio cui credidi (Il Tim., 1, 12), je sais qu'il
y a dans les cleux un juge e(juaable qui
rendra à chacun selon ses œuvres. Quand
viendra l'heureux moment où, dé:ivré de
ce corps mortel, je quitterai enfin celte vie'
laborieuse, |)Our aller me re.ioser dans !e'
sein de Jésus-Chrisl ; desidci iuin liubcns dis-
solvi, €l esse cum Christo ! (Philip., 1, '23.)
Pourquoi , mes chers confrères , au uii-
lien de nos travaux et des contraditt.ons
qui en empêchent si souvent le suc es ; au
C35
lŒTRAITE. — INSTUUCT. VI, SLR LE PARADIS.
686
milieu (le l'indocililé de nos peuplos el des
perséculiuns qu'on suscilo à noire zèle,
poiirciuoi ne pas nous consoler avec ce
grand Apùlrc , mille fois jilus traversé et
plus pcrsécul(^ que nous, par l'espérance
du repos et de la récompense que Dieu
dosline à ses serviteurs, et surtout aux mi-
nistres de sor. Evangile, (ju'il appelle ses
amis? Sans cosse nous nous consumons
dans de vains désirs qui rencontrent sans
cesse des obstacles. i\Iais ignorons-nous que
ce n'est que dans le ciel que lous nos dé-
sirs seront satisfaits? Quand bien môme
toutes les prospérités, toutes les Jouissan-
ces , toutes les consolations de l'univers
viendraient se réaliser el s'accumuler au-
tour de nous , rempliraient-elles un cœur
plus vaste que l'univers? Ici, mes cliers
confrères, je le sens , pour dissiper nos il-
lusions il faut des exemples, bien plus que
des raisonnements. Hé bien, appliquons-
nous à nous-mêmes un fait célèbre que
nous avons si souvent cilé aux simples li-
dèlps.
Jl parut sur la terre il y a trois railJe ans
un mortel privilégié que Dieu, pour l'in-
struction de tous .'es siècles, daigna com-
bler de tous les avantages qu'il est possible
de trouver dans la nature. Ce mortel élait
un monarque qu'aucun monarque n'a égalé
en richesse, en magnilicence , en célébrité.
A la splendeur du plus brillant des diadè-
mes, à toutes les commodités et h tous les
plaisirs qne l'opulence avait réunis autour
de son trône, il joignait une érudition si
vaste el si profonde, qu'aucun savant n'a
jamais pu l'atleindre : le mérite de cette
science prodigieuse était rehaussé par une
sagesse el une vertu que tous les siècles
ont célébrées, et qui le rendaient les déli-
ces de son peuple et l'admiration des peu-
jiles voisins. Lis princes étrangers venaient
contempler de leurs |)ropres yeux ce que la
lenommée racnniail (ie ce prodige, el ils
étaient hors d'eux-môiues en voyant que
la réalité surpassait de beaucoup la renom-
mée. Hé bien. Messieurs, que pensait, que
disait Saloamn au milieu de ce bonheur
extraordinaire dont la terre n'a vu aucun
autre exemple? Ahl n'oublions jamais des
paroles si instructives, si louchantes: J'ai
joui de tout, s'écriait le plus sage des hom-
mes ; je n'ai rien refusé h mes sens ; et, je
suis forcé de l'avouer, je n'ai trouvé dans
toutes ces jouissances qu'un vide désolant
cl une alllicliun profonue : )'idi in omnibus
tanilalein et affliclionem. [Eccle., 11, 11.)
Après un aveu si solennel, nous poursui-
vrions encore une ombre de bonheur qui
nous fuit sans cesse, en insultant, pour
ainsi dire, à notre illusion! nous, minis-
tres d'un Dieu crucitié , nous oserions for-
mer des projets d'ambition et de fortune I
Ame imiiiorlelle, quel est donc le délire
qui t'egare? Reconnais enlin la grandeur de
la destinée, (^l élève les pensées vers un
monde supérieur. Ce qui |iéril a> ec le luiiips
n'est pas fuit |iour conlenter un cœur qui
doit vivre toujours; des jouissances bornées
ne sauraient remplir des désirs immenses.
Non, dit saint Augustin, il n'est qu'un bien
infini, il n'est que Dieu qui puisse suOlre
.^ une Urne formée à l'image de Dieu. Aussi,
Messieurs, vous le savez, est-ce Dieu lui-
même qui veut être notre récompense :
Ego sum merces tua{Gen., XV, 1); Dieu lui-
même qui veut nous associer à sa propre
joie et à son propre bonheur, intra in gau-
f/j«mL'0H;i'njfi{(',(J/af//t. XXVI, 21); Dieu lui-
même qui veut remplir notre ûme de l'a-
bondance do ses biens, replebimur in bonis
domustuœ.{Psal. LXIV, 5.) Mais quels sont-
ils, ces biens ? Ont-ils quelque ressem-
blance avec ceux qui enflamment ici-bas
notre cu|)idité ? avec l'or, l'argent, ia pos-
session de grands biens, la jouissance de
lous les plaisirs terrestres ? Nous serions h
plaindre si nous appliquions à un bonheur
divin les idées grossières de quelques pré-
tendus sages de l'antiquité et d'un sectaire
fameux, qui ne comi)rirent pas les immor-
telles destinées ilo la créature. Non, dit
l'Espiit-Saint, rœ(7 n'a jamais vti, Voreille
n'a jamais compris ce que Dieu prépare à
ceux qui l'aimenl (I Cor., II, 9) ; les pro(>hèie3
eux-mêmes, quoique inspirés d'en haut,
n'ont pu l'exprimer que par un silence
d'admiration. Pour peindre le ciel, il fau-
drait en avoir vu les merveilles. Alais que
dis-je ? Paul y avait élé élevé, et cepen-
dant cet éloquent apôtre n'a pu nous en
dire autre chose, sinon que c'est une ma-
gnilicence qu'il est impossible à l'homme de
raconter: Arcana vcrba quœ non ticet ho-
mini loqui. (II Cor., XII, i.) Mais, du reste,
quelle plus haute idée pouvait-il nous don-
ner des biens célestes, qu'en nous décla-
rant qu'ils sont au-iessus de toutes nos
idées, et que nous n'en (lourrons jamais sur
la terre concevoir l'étendne el la perfec-
tion ?
Tout ce que nous pouvons en dire d'a-
près les livres saints, et ce qui suffit sans
doute pour enflammer nos désirs, c'est que
nous serons remplis de l'abondance de ces
biens, replebimur ; que nous en serons ras-
sasiés, satiabor ; que nous en serons inon-
dés, comme d'un torrent, torrenle potabis
eos(Psal. XXXV, 9); que nous en serons
pour ainsi dire enivrés, inebriabunlur{ibid.).
Tout ce que nous pouvons en dire, c'est
([ue ces biens ne seront autre chose que
Dieu lui-mêuie, qui se manifestera tout
entier à nous, qui remplira notre esprit par
le spectacle éblouissant de ses grandeurs,
qui rassasiera notre cœur /par les elfusious
inellables deson amour, qui embellira nos
corps de la gloire môme de son propre
Fils.
Oui, Messieurs, si notre vie est conforme
à notre foi, un jour ce Dieu si grand, si
|)uissanl, si magnilique, qui habite une lu-
mière maintenant inaccessible, et dont la
grandeur esl encore environnée pour nous
de nuages el d'une mystérieuse obscurité,
se manifestera, se dévoijeia à nous dans
G87
ORATEURS SACRF:S. MAUREL.
ess
tout l'éclat de sa gloire et de sa splendeur.
Nous le verrons, nous le contemplerons ,
non plus à travers des énigmes, et comme
dans un obscur lointain; mais tel qu'il est
en lui-même, et, pour ainsi dire, face à face,
(lit l'Esprit-Sainl; et par cette vue, il nous
élèvera, il nous agrandira, il nous transfor-
mera d'une manière si sublime, que nous
(deviendrons, selon l'étonnante expression
d'un apôlre, semblables à sa divinité: Si-
miles et erimus, quoniam videbimus eum si-
culi est. (IJoan., 111, 2.)
Si c'est aux prêtres surtout que doivent
maintenant s'appliquer ces paroles du Fr(t-
phêle : Ego dixi DU eslis , et filii excelsi
omnes, « vous êtes Ions des dieux, et les en-
fants du Très-Haut {Psal. LXXXIl, G), »
combien à plus furie raison ce sublime pri-
vilège ne sera-t-il pas noire pailage lors-
que la vue de Dieu nous rendra pai tieip mis
de sa gloire, de sa puissance, de ses divi-
nes clartés, de toutes ses perfections. C'est
alors que la lumière de Dieu, infiniment
plus éclatante que celle du soleil, dissipera
€nlin ces ténèbres affligeantes que le péché
a répandues dans noire esjiril ; c'est alors
que, mêlés avec ces grands docteurs qui
ont éclairé l'Iîglise de Dieu, avecles Basile,
les Grégoire, les Jérôme, les Augustin, il
nous sera donné de contempler avec eus
dans son origine même l'éclat immortel de
la vérité, de celte vérité qui lait ici-bas le
tourment de noire espiil, et dont l'élude la
plus approfondie ne [>eul nous oUVir qu'un
bien faible rayon, souvent alléré par l'er-
reur; de celte vérité que l'homme sent si
nécessaire à son bonheur, qu'il la cherche,
ou du moins se flatte de la chercher, lors
même qu'il la fuit.elquy le mensnnj^o ne
peut lui plaire qu'autaiil qu'il emprunte les
couleurs aimables de la vérité I
Que de lumières ne réi)andra pas dans
notre esprit le soleil éternel, source inta-
rissable de toute lumière I Religion subli-
me, dont l'augusle ubscurilé étonne et con-
fond nolie laisoii, vous serez alurs sans
voile et sans mystère; Providence intlfable,
dont nous adorons maintenant l'impénétra-
ble profondeur, vous n'auiez plus alors de
voies cachées ; el toi aussi, nature téné-
breuse, livrée mainlenant aux disputes des
savants, lu seras alors un livre ouvert oiî
l'esprit le plus borné pourra lire toute la
njagniticence d'un Dieu créateur qtii s'y
seia manifesté dans toute la suite ues siè-
cles.
Si les merveilles de celte nature si riche
dans ses productions, el si brillante dans
ses ornements; si la pompe du lirmament,
la majesté des mers et l'inépuisable lécon-
diléde la terre, donnent acjà, dit saint Au-
gustin,unesi haute idée de celouvrier tout-
puissant de qui émane tout ce qu'il y a de
beau et de grand dans l'univers, que sera-
ce lorsque nous le verrons lui-môme, non-
seulement dans la magnificence de ses ou-
vrages, mais dans le propre éclat de sa
gloire el de sa majesté ? Non, dit un pro-
i'iièle. le Seijiiieur n'est vraiment maj^iiifi-
qno qu'au milieu de ci» torrent de lumière
dont il inonde ses élus, solummodo ibi mn-
gnificus est Dominus noster. {Isa., XXXUî,
21.)
Mais celte lumière ineETable ne fera pas
seulement le bonheur de notre espr t; elle
remplira aussi tous les désirs, tous les
vœuï de notre cœur : car, Messieurs, peut-
on contempler le plus beau, le plus luajes-
tueuxel le plus ravissant des êtres, sans
l'aimer, et peut-on l'aimer sans être heu-
reux ? L'amour est l'aliment nécessaire du
cœur; mais si c'est un amour profane qui
s'arrête aux créatures, ce n'est alors qu'une
illusion grossière qui se change bientôt en
tourment, et quelquefois en fureur et en
désespoir. Si l'amour s'élève jusqu'au Créa-
teur, seul digne d'être aimé [lour lui-même,
c'est alors sans doute le [ilus do-jx, lu plus
délicieux des sentiments. Mais ce senti-
ment ne peut être que irès-faible danscei'e
vie, oii nous n'avons de Dieu qu'une con-
naissance très-im[)arfaile , et où d'ailleurs
rasjiecl des c:éaluies vient si souvent nous
disiraire de la c'ontem[)lalion du Créa-
teur.
Ce n'est que dans le ciel oh la beauté de
Dieu, vue enfui sans voile et sans myslère,
captive toute la vivacité de l'esprit, et en-
chaîne par un charme irrésistible toute
l'aclivilé du cœur, que nous pouvons ap-
[irécier combien l'amour divin doit être vif,
pur, tendre el déiiiicux. Bienheureux élu.-l
inondés des douceurs d'un senlimenl si
beau, que no vous csl-il permis de nous ra-
cfjnler ce qu'éprouve votre cœur I ces con-
tinuelles ardeurs, ces brûlants Iransfiorls,
ces saints ravissements d'une âme qui, dé-
gagée des liens du cor[)s, et trans()orléo
li)Ut-h-coup de celte région de ténèbres
diîiis le S(jour de la lumière, voit cntiii
clans tout bOn éclat la beauté immortelle,
qui la conleiii[)le sans nuage, qui la \tos-
sèdesaiis anxiété, qui s'enivre à cha^iue
instant de ses allrails, qui se plonge et se
perd sans cesse dans l'océan de ses per-
fections!
Quel moment. Messieurs, que celui où
l'Eglise vient annoncer à un prêtre fidèle la
fin de sa cap.ivité, el lui dit avec l'accent
de l'espérance : Parlez, ûme chrétienne !
sortez de ce monde, |)ûur lequel vous n'é-
tiez point l'aile, où vous n'avez trouvé que
misères el dégoûts; allez è votre Dieu, (jui
vous leml les bras, et veut vous consoler
de toutes vos peines ! Digne ministre de
Jésus-Christ, allez le coniempler sur le
trône de son amour, ce Roi de gloire, tout
rayonnant de splendeur et de majesté, et
jouissez, dans les doux embrassem.ents de
sa tendresse, de la récompense qu'il a pro-
mise à la pénitence, à la piété, à la ch.is-
lelé, à la charité, à l'amour de la orière, à
la fuite des phiisirs et des vanités du monde,
h la pratique de l'oraison et de la re.raile,
aux travaux et aux fatigues d'un j)éiiib.o
ministère.
Je ne dirai rien de lagloire éciatanie qui
alleiid le corps des élus au grand jour de
\
la résiirr.îcMon ; c'est assez de savoir que
ce sera la gloire même de Jésus-Christ qui
rejaillira sur eu\, et les reudra plus r.i-
dieux que les astres, et plus briliatils que
la lumière. Mais je demanderai comnieiit
il peut se faire qu'un bonheur si parfait no
soii pas l'unique but où se diligent sans
cesse nos pensées, nos projets, iia.> tnlents,
nos désirs, nos espérances, nos entreprises
el tous les travaux de no'.re minisière :
Qiiœ stirsxim sunt (/nœrite, non qttœ super
lerram. {Coloss., III.)
Où esl donc notie foi, vénérables con-
frères? Qu'un idolâtre et un païen, qui ue
connaissent pas la ma!,'nificen('e du Dieu de
l'Evangile, bornent leurs désirs et leurs
alTeclions aux biens trompeurs de celle vie,
je n'en suis pas étonné ; je suis mèuie peu
surf>ris que la plupart des chrétiens qui
connaissent, il est vrai, les promesses de
ce Dieu, mais qui en sont sans cesse dis-
Irails par une multilude d'affaires el de
soins terrestres, élèvent rarement leur
cœurs vers ce bonheur invisible que la foi
no'is montre au-dessus de nos têtes. Mais
que nous, hommes ilc I>ieu, occupés |)ar
état des choses de l'éternité, rappelés sans
cesse par nos études el par nos fonctions 5
la pensée de l'éternilé, placés, pour ainsi
dire, entre le ciel et la lerre, pour élever
T\o< frères de la terre au ciel et les aider à
y enirer, nous oubliassions nous-mêmes
celte demeure éternelle, pour nous occu-
])er de je ne sais (luelles misères qui nous
dégradent, nous avilissent, et souvent nous
soiiillent et nous corrompent, avouons-le,
Messieurs, une telle inditférence n'annon-
cerail-elle pas en nous une foi chancelante,
<iu un cœur perverti, ou le plus déplorable,
le plus monstrueux des aveuglements ;
j'ai presque dit la plus inconcevable des
folies?
Nous j)Ourrions, vénérables confrère^.,
nous rappeler à nous-mêmes les passages
de nos divines écritures qui nous donnent
une idée de la beauté des demeures éler-
nelles el du bonheur qui nous attend;
mais que sont ces descriptions empruntées
à tout ce que la terre nous présente de
grand et de magnifique, auprès de l'idée
(l'un Dieu rémunérateur et créateur de
tontes choses? C'est la présence de ce Dieu
juste el bon, ne l'oublions jamais, vénéra-
bles confrères, qui sera notre plus grande
et notre plus glorieuse récompense; elle
sera pour nous une béatitude consommée,
qui nous tiendra lieu de tout, parce que
nous trouverons en elle la plénitude du
bonheur, du repos et de la joie: parce que
celte récompense sera |)Our nous i'aUran-
chissement de tout mal el la |)Osses6ion de
tout bien. Telles sont, Messieurs, les
considérations propres à réveiller notre
foi sur l'étendue du bonheur que Dieu
nous a préparé de toute éternité. Médi-
tons mainteiianl sur la perfection de ce
bonheur.
RETR.^ITE. — INSTllL'CT. VI, SUR LE PARADIS.
SECONDE PARTIE.
G'tO
Quand je parle. Messieurs, de la |)erfec-
tion du bonheur du ciel, j'entends ce senti-
ment profond de sécurité qui nous en as-
surera l'éternelle possession, et qui exclura
toute crainte de le perdre jamais. Vous
le savez, nous ne vivons ici-bas que d'ap-
préhensions el d'espérances ; les unes se
réalisent bien plus loi que les autres. La
crainte nous portée désespérer que le bien
que nous souhaitons nous arrive, ou, nous
suscitant sans cesse des présages funestes,
elle nous fait redouter le moment où sa
possession nous échappera.
Qui ftonrrail énumérer les craintes per-
pétuelles qui agitent l'homme sur la lerre?
Que ne craint-il pas? Il craint de ne pas
obtenir ce <]u'il désire, de ne pas réussir
dans ce qu'il entreprend, de perdre, du
moins en partie, ce qu'il possède; il craint
les censures, les mépris, l'injustice, la
cruauté des hommes ; il craint la rigueur
des saisons, la fureur des éléments, les ra-
vages des tem|iêles; il craint la pauvreté,
le déshonneur, l'ennui, la fatigue, l'infir-
mité, les douleurs; il craint surtout la
mort, qu'il sait inévitable, el dont le mo-
ment et les circonstances lui sont incon-
nus; il craint justju'à l'ombre du danger,
jusqu'à de vains faulôines; il craint le |)é-
cbé, el celle crainte, la plus sage sans
doute et la plus nécessaire, n'est pas, sur-
tout dans un bon prêtre, la moins pénible ;
il craint les suites et les châtiments du pé-
ché; il craint l'enfer, et l'incertitude de sa
destinée éternelle esl pour lui un sujet con-
tinuel d'anxiété.
Olil mes chers confrères, réjouissons-
nous dans l'espérance de l'immortalité ; au-
cune de ces ciainles n'entrera jamais dans
le séjour des élus; ils sont certains que
leur bonheur durera toujours ; ce n'est pas
assez, ils sont certains que ce bonheur
sera toujours le même el ne s'altérera ja-
mais. Ce sont là, vous le savez, deux, véri-
tés fondamentales que la religion nous
rappelle, et (pie je soumets dans ce mo-
ment à votre méditation : /usfi in perpe-
tuum vivent {Sap., V, 16) ; credo vilam œter-
nam. {Rom., VI, 2-2.) Serait-il possible qu'a-
vec la foi de cette vie éternelle dont l'ex-
pression termine chacune de nos instruc-
tions chrétiennes, nous fissions quelque at-
leiilion è la ligure d'un monde qui n'a de
constant (jue sou inconstance ? Mandas
transit, el concupiscenlia ejus. [IJoan.,
II, 17.)
Ouvrons les yeux, mes chers confrères;
qu'est-ce que la vie de l'homme, qu'un flux
et nn rellux continuel d'élévations et de
chutes, de prospérités et de revers, de
plaisirs momentanés et de longues amertu-
mes? Et malgré celle effrayante instabilité,
nous cliercherions à nous établir, à nous
fixer sur une terre minée par des volcans,
et prêle à s'échapper sous nos pas? Quoi,
Messieurs, au milieu de tant de révolutions
oui agitent cl bouieversuiit sans cesse la
69!'
ORATEURS SACRES. MAUREL.
^n
demeure des mortels, au milieu de lanl
de fortunes qui s'élèvent rapidement et
s'écroulent à l'instant même qui semblait
en assurer la durée; de tant d'iiommes
puissants qui brillent pendant quelques
jours, et disparaissent en un clin -d'oeil
.•^ans laisser après eux de vestiges, nous
poursuivrions encore une ombre de bou-
lii'ur qui peut nous échapper à tout mo-
ment, et qui doit inéviiablea'ent dispa-
raître dans peu d'années 1
Mais qu'il en sera bien autrement, ô mon
Dieu ! de la félicité qui nous attend dans
votre royaume ! Aussi durable , aussi
éternelle que vous, puisque ce sera vous-
même qui serez cette filicilé, elle n'aura
h redouter ni les orages des révolutions,
ni l'inconstance de la fortune, ni l'in-
justice des hommes, ni les ravages de la
mort. Vous l'avez promis, ô mon Dieu 1
et vos promesses sont infaillibles ; vos
élus jouiront à jamais d'une paix et d'une
SL^curité parfaites ; personne ne pourra
leur ravir cette joie pure et inaltérable
qu'ils goûteront dans le sein de votre
nmour : Gaudium vestrum nemo loUet a vo-
bis. {Joan., XVI, 22.)
Voilà, Messieurs, le grana et le sublime
motif que l'Apôtre proposait aux [)ren)iers
lidèles pour les encourager dans les tribu-
Jations et les épreuves passagères de colle
vie. Pourquoi vous laisseriez-vous abattre,
leur disait-il, à l'aspect des travaux, des
s.icrifices, des renoncements, de cette
sainte violence qu'exige le royaume des
cieux ? Ignorez-vous que les combats de la
vertu ne dureront que peu d'années, et que
Ja récompense en sera éternelle? œlernum
qloriœ pondus. (II Cor., IV, 17.) Ah 1 com-
battez donc avec courage et résistez jusqu'à
i.\ tin aux tentations, aux fatigues et aux
dégoûts, dans l'espérance de ce poids im-
mortel de gloire et de bonheur. Voyez les
athlètes du monde, comme ils s'élancent
avec ardeur dans la carrière de l'ambition
et de la cupidité! Comme ils courent jus-
qu'au bout sans s'arrêter, sans perdre
un instant 1 Pourquoi? Pour obtenir une
«couronne corruptible, quelques biens que
<a mort va leur ravir, quelques sulfrages,
quelques applaudissements qui vont se
jierdre dans les airs : El illi quidem ut
corruplibilein coronam accipiant. (I Cor.,
IX, 25,) Et nous, athlètes de Jésus-Christ;
quedis-je? nous, chefs de ces athlètes;
nous, placés au premier [rang dans la mi-
lice sainte, nous abandonnerions la noble
carrière qu'il nous a tracée lui-même, et
que tant de prêtres fidèles, vainqueurs
Ju monde el de la chair, ont parcourue
après lui ! Ou nous nous y traînerions avec
une lâcheté et une indolence honteuse,
nous qui attendons de ses promesses une
gloire impérissable, une couronne incor-
ruptible : nos auLem incorruplam! (iOid.)
Aimons à nous rappeler souvent que le
bonheur des élus sera toujours le même;
nul pressentiment secret qu'il nous échap-
pe, nulle api)réheusiou de le [lerdre ja-
mais; et ce profond sentiment de sécurité,
dont l'instabilité des choses humaines
ne nous permet que d'avoir une idée con-
fuse, ajoutera un prix infini à leur bon-
hi ur. Leur espérance sera fondée sur l'im-
mnrlalilé qui leur est promise : Spes illo-
rutn immortalilale plena est. (Sap., ill, 4.)
Nous avnus pour garant de cette vérité la
souveraine véracité et la souveraine justice
de Dieu.
Mais ce n'est pas assez que les élus soient
à l'abri de toute crainte de perdre.leur bon-
heur; ils sont en outre certains que ce bonheur
ne s'altérera jamais ; je veux dire qu'il sera
toujours également vif, également délicieux,
également senti; et c'est ici une dernière
différence qui le distingue avec tant de
suf)ériorité du bonheur de la terre, essen-
tiellement faux, essentiellement périssable,
mais de plus, inconstant dans ses fausses
douceurs : car. Messieurs, vous le voyez,
on a beau conserver ici-bas les mêmes biens,
les mômes plaisirs extérieurs; on n'est pas
toujours également content; un jour na
ressemble presque jamais à un autre .-s'il
en est de sereins, combien n'en est-il pas
de nébuleux? D'où vient que cet honjme
qu'on trouvait hier si gai et si riant, est
aujourd'hui si sombre et si triste? il n'a
cependant perdu aucune de ses jouissances.
11 faut si peu de chose. Messieurs, pour
troubler ici-bas notre sérénité: un dérange-
ment dans notre état habituel, une idée
fâcheuse qui s'empare de notre âme, un
avis sérieux qui contriste l'amour-propre,
une prévention, une contradiction, une ter-
reur souvent imaginaire, le spectacle de
nos défauts, qui nous humilie, et souvent
nous décourage; le remords de nos fautes,
qui empoisonne plus ou moins nos i)laisirs ;
un obstacle imprévu qui arrête nos projets,
la froideur d'un ami, les succès d'un con-
current, l'indifférence d'un protecteur; que
sais-je ? une inattention, ua oubli, nu
manque d'égards dans la société, suflisent
pour altérer la paix de notre âme.
O élus de Dieu! que vous êtes heureux
d'être à l'abri de toutes ces vicissitudes!
Mais comment ne le seriez-vous pas? en
quittant la terre, vous y avez laissé toutes
les faiblesses de l'humanité : plus de nuages
dans l'esprit, plus de passions dans le cœur,
I)lus d'ambition, surtout [)lus d'amour-pro-
pre source ordinaire de nos peines. Entourés
des rayons de ia véi'ilé, rien ne vous trompe;
affermisdans la justice, rien nevousébranle;
enchaînés les uns aux autres par la charité,
rien ne vous aigrit; sans cesse unis dans le
sein du Dieu de f)aix, vous ne faites tous
ensemble qu'un seul et même cœur.
Car, Messieurs, ce serait bien mal con-
naître celte auguste el imposante réunion
des élus de Dieu que de la croire susceptible
de ces envies secrètes , de ces soupçons
|)énibles, de ces préventions fâcheuses, de
ces petitesses de ia vanité qui altèrent si
souvent ici-bas la paix avec nos frères !
Que i)0urraient s'envier les élus, puiscjue
tous ont ce qu'ils désirent? Eu quoi pour-
69S
RETRAITE. — INSTRUCT
r
mi^nl-ils se ronlriirier, puisque iineamili4
inalt(^rnl)le lour rend coiainiiH à t04is lo
bonheur df ch.-iciiri ? Il l'aut sans doale (|u'il
y ail dans le Ciel dilléreiiles demeures pdur
récompenser les divers degrés de mérite,
niais celle diversité de récompense et de
gloire peu'-ello enfanter aucune jalousie
enlre iles amis qui possèdent tous dans lo
sein du môme Dieu, non-seulement tout le
bonheur dont chacun est digne, mais tout
cebii dont chacun est capable.
Qil'esi-ce donc qui pourrait troubler leur
félicité? Serait-ce la satiété et le dégoûl?
Ici-bas, sans doule, le sort le plus doux
nous fatigue à la fin fiar la seule continuité :
nous nous lassons de tout ; nous avons beau
multiplier, varier nos jilaisirs, nous portons
au dedans de nous un fand de tristesse et
d'inquiétude qui en émousse la vivacité.
Cond)ien de fois la joie est-elle peinte sur
nos figures, quand les chagrins on l'ennui
dévorent en secrel notre âme? Faut-il en
être surpris? Les créatures ont tant de dé-
fauts qu'on ne découvre que par l'usage et
L'expérience: on se laisse d'abord séduire
par des apparences i)rillantes, mais peu à
peu on découvre son erreur, et au plaisir
succède le dégoût.
Comment pourrait-on se dégoûterde vouf,
ô mon Dieu 1 dont la beauté toujours an-
cienne et toujours nouvelle commandera
sans cesse une nouvelle admiration? Après
une intinité de siècles, serez-vous moins
grand, moins aimable, moins magnilique?
Gomnn ni donc vos élus i)oiirraienl-ils se
lasser de contempler volte gloire, de chérir
Votre bnnté, de célébrer vos grandeurs?
lar voilà, dit suint Augustin, ce qui fera
éiernellement l'occupation et la béatitude
dis élu-. Ils verront Dieu sans relâche, ils
l aimeront sans dégoût, ils le loueront satis
falig^ue : u Sine fine rideOilur, sine fustidio
amahilur, sine faligalione laudabitur. » Tou-
jouis rassasiés et toujours avides, plus ils
eoi.templeront la splendeur de la beauté
iDuiiortelie, et plus ils seront épris de ses
attraits; leurs désirs toujours satisfaits re-
naîtront sans cesse pour être sans cesse
satisfaits de nouveau: ce sera une conti-
nuité non inlerrom|)ue d'amour, d'admira-
tion, de sainte ivresse, de transports ravis-
sants qu'il est inifiossible de peindre, |)arce
(]ue l'image ne s'en trouve nulle part dans
la u.iture. Hé que peuvent avoir de commun
les plaisirs grossiersdes sensavec l'éleinelle
béalilude?
Si quelque chose de mortel pouvait oll'rir
une idée de la céleste félicité, ce seraient ces
consolations vives, mais momentanées, que
l'on goûte (juclquefois dans les ardeurs de
l'amour divin. O vous, âmes privilégiées,
[)rêlres |)ieux et fervents, sur qui Dieu se
piaîl à répandre ^\i^s celle vie une partie des
tlouceuis dont il inonde les Saints dans le
séjour de sa gloire, dites-nous, si vous
pouvez, ce qu'éjtrouve votre cœur dans ces
jjeuieux moments, sons quels attraits se
présente n vos }eux l'objet de voire amour.
Les ( hosos de la terre sont olnis bien loin
. VI, SUR LE PARADIS. C'Ji
devons: attendris, embrasés, s-iinlement
pa^sit)n-nés, vous no sentez (|iit! Dieu et le
plaisir de l'aimer. Oii'«"i-'S sont consol.intes,
ces larmes célestes cpii coulent alors de vos
yeux! (jnel stnitiment profane peut être
(•om[iaré à ces élans (l'amour que pousse
alors votre cœur, \\ celle abondance (le sua-
vité qu'y répand l'onction divine? Ces mo-
ments sont courts ; mais comme ils sont dé-
licieux I
Parlez ici à ma place, ô vous, heureux
anacliorètes, qui goûtiez dans les antres des
déserts et le creux des rochers des délices
ignorées dans le palais et sur le Irône des
Césars; ô Paul! ô Antnine! qui passiez les
nuits entiè'-es h. admirer les grandeurs do
Dieu, et qui, surpris [par l'aurore au milieu
de vos ravissements, reprocliicz à l'aslre du
jour de venir troubler la douceur de vos
contemplations, venez nous instruire sur I©
néant des plaisirs de la terre. Et vous, afiôtre
des Indes, immortel Xavier^ retracez-nous
ces torrents de consolation dont vous consu-
mait l'ardeur brûlante de l'amour divin;,
raconlez-nous les prodiges de grâce qui
s'opéraient au fond de votre coeur lorsque,
ne pouvant résister à celte abondance de
douceurs célestes, on vous entendait vous
écrier dans un saint transport: C'est assez,
Soigneur ; c'est assez !
Hélas, Messieurs, qu'est-ce donc que
cette misérable vie oij la faiblesse de notre
mortalité ne peut soutenir, seulement [)en-
dant quelques instants, un rayon devrai
bonheur? Quelle heureuse transformation
ne doit pas éprouver l'ara" fidèle dans ce
séjour de gloire et de paix, où Dieu verse
dans le cœur de ses éius, non par intervalles,
mais sans inierruption ; non goutte à
goutle, mais f)ar tlols et par torrents, ces
imruortelles délices dont ils sentirent sur
la terre une faible émanation 1
La voilà, mes chers confrères, non pas
telle qu'elle est, mais telle que lEsfjril-
Saint a jugé à propos de nous la dépeindre,
celte récompense magnifique, infinimen-t
au-dessus de toutes nos idées et de toutes
nos expressions, puisqu'elle est aussi grande
que Dieu njôme 1 la voilo, celle mesure de
bonheur, pressée, entassée, surabondante,
que Dieu a promise à tous les mortels, et
et surtout à ceux qui en tracent la roule à.
leurs frères.
Le moyen de l'obtenir, vénérables con-
frères, qui de vous l'ignore? Deux choses
sullisent pour obtenir la couronne céleste;
et je résume ici en deux mots toute la [pra-
tique des devoirs du chrétien et du prêtre;
savoir : la conviction intime qu'on peut la
méi'iler, et la volonté décidée et soutenue
de la mériter en ettet. Je puis parvenir au
ciel, et je veux sincèrement y parvenir.
Tout est là : si je réalise cette bonne volon-
té, le ciel m'a[)|»artient.
Oui, je puis parvenir au bonheur du ciel,
j'en SUIS certain : ([uel que soit l'état actuel
de mon âme, dans quelques abîmes d'iui-
quilé que je me sois plongé, quelque né-
gligence que j'aie apportée justiu'ici dans
C93
CrATEURS SACRES. JifAnUCL
696
les fonctions de mon ministère, quand je
.«(■rais '^n ce moment sur les bords de I en-
fer et prêt à y tomber, je puis parvenir à
la demeure éternelle des élus. Wais com-
nipnt ? parce que je puis me convertir,
vivre ensuite comme ils ont vécu, et mou-
rir comme ils sont morts. Oui, je puis par-
venir au bonheur du ciel : et qui m'en em-
pêcherait ? Dieu , qui m'y appelle, qui me l'a
promis, qui ne m'a créé que pour le ciel ?
Jésus-Christ, qui est mort pour m'en ou-
vrir la route, qui m'y a préparé une place,
qui sollicite sans cesse auprès de son Père
les secours dont j'ai besoin pour l'obtenir?
les sainls, qui bi ûlent de m'y voir, qui me
t(?ndent leurs bras et m'otlrent leur protec-
tion? le démon, que les saints ont vaincu,
et que je puis vaincre comme eux, [luisque
j'ai les mômes armes? le monde, dont j'ab-
horre le? maximes, et dont je veux fuir les
vanités et les scandales ; qui m'est étranger,
et avec lequel je n'ai d'autres rapports que
ceux de la charité ? mes passions ? Mais
sont-elles plus puissantes que la toule-
piiissance de la grAceque Dieu a promise à
la prière? Je puis parvenir au ciel : nul
obstacle ne peut m'empêcher de suivre les
traces de tant de saints |)rêlrcs qui y sont
parvenus. Quel motif d'encouragement, ô
mon Dieu 1 et pourruis-je ne pas me réveil-
ler enfin de ma lâcheté et de mon indo-
lence 1
Je puis parvenir au bonheur du ciel , et
je le veux I Je prends la ferme résolution
de ne pas tomber dans les abîmes de l'en-
fer 1 Quoi qu'il puisse m'en coûter, je veux
partager la gloire des élus; et je l'espère,
parce que je le veux d'une volonté eflicace,
dis|iosé à expier mes fautes, à remplir tous
mes devoirs, et à les rem|)lir en vue de
Dieu, qui récompense tout ce qu'on fait
pour lui plaire; parce que je le veux d'une
volonté généreuse, prêt à faire à Dieu tous
les sacrifices qu'il exigera, à me priver de
telle lecture, de tel plaisir, de telle fréquen-
tation que sa loi ru'interdit ; parce que je
le veux d'une volonté intrépide, prêt à en-
treprendre tout ce que Dieu m'ordonnera
Î)ar l'organe de mes supérieurs, sans me
aisser effrayer ni do la grandeur de mes
obligations, ni de la difficulté du poste où
je serai placé, ni des dangers attachés à mon
ministère, ni des railleries et des censures
d'un monde aveugle, ni de la difiiculté de
vaincre mes passions et mes habitudes, ni
des [)iéges sans nombre que me tendra l'en-
nemi de mon salut.
Oui, je veux décidément parvenir au
ciel ; et, avec le secours de Dieu, j'y par-
viendrai : un des grands moyens que j'em-
ploierai sera la pensée journalière du'bon-
heur que l'on y goûte. Oh ! céleste Jérusii-
lem , votre image consolante , toujours
présente à mon esprit et gravée au fond de
mou cœur, viendra sans cesse encourager
mes étions et adoucir la rigueur de mes
souffrances; et s'il m'est permis dans cette
vallée de larmes de me donner quelijue
repos, et d'oublier en passant que je suis
malheureux, nh ! ma principale consola-
tion sera dans le souvenir de cette joie
inaltérable qui m'attend dans votre roy-
aume !
Eiernelle cité, dont Dieu lui-même est
l'architecte et le fondatmr, que ma main
droite se dessèche, que ma langue s'attache
à mon palais, plutôt que d'oublier la magni-
ficence de vos murs et la paix ineffable
de vos habitants 1 Si oblittts fuero tuiJcrit-
salem, oblivioni detur dextera mea; adhœ-
reat lingua mea fnucibus meis si non meini-
nero lui! (Psnl. CXXXVI, 5, 6.) Qu'ils sont
heureux, ô mon Dieul ces enfants de voire
amour, ces prêtres vénérables, qui à côté
des prophètes et des apôtres, entourent
votre trône, et contemplent sans cesse l'é-
clat de votre majesté! Oh! quand viendra
le moment oii je pourrai chanter avec eux
les merveilles de votre puissance et les
douceurs de votre amour? Quand pourrai-
je m'écrier avec cette âme fervente dont
parle l'Esprit-Saint, avec l'épouse des Can-
tiques: Je Tai enfin trouvé, ce Dieu si aimable
qui occu|)ait tous les vœux de mon cœur :
fnvenit quem ditigit anima mea ! Il est à
moi, et je ne crains point de le perdre,
tenui euin, nec dimillam ! [Canl , III, 4.) Hâ-
tez, Seigneur, ce moment délicieux; brisez
les liens de ma captivité q.uii deviennent
tous ks jours plus pesants, et trans|)Ort(!Z-
moi de cette région de ténèbres et de mort
dans le séjour de la lumière et de la vie
éternelle. Que je m'y trouve, ô mon Dieu,
avec tous les membres d'une assemblée
dont l'indulgence doit excuser ma faiblesse
et soutenir mes efforts 1 Prêtres de Jésus-
Christ, puissions-nous à la lin de notre
carrière apostolique nous appli(]uer ces
paroles de saint Paul à son disciple Tiino-
ihée : J'ai été constant dans la foi ; il ne me
reste qu'à attendre la couronne de justice qui
m'est réservée et que le Seigneur en ce jour
me donnera, connue juste juge, non-seulement
à moi, mais à tous ses fidèles serviteurs :
« Cursum consummavi, fidem servavi, in reli-
quo reposita est mihi corona justitiœ quam
reddet mihi Dominus in illa diejuslusjudex,
non solum autem mihi, sed ils qui diiigunt
adventum cjus. » (Il Tiin., IV, 7, 8 .) lit eus
dernières paroles ne reçoivent-elles |)as une
heureuse application dans ce ministre lidèle
qui entre dans le ciel, où il trouve une mul-
titude d'ûmes (lue son zèle y a fait parve-
nir, après en avoir laissé d'autres sur la
terre qui, suivant ses conseils et ses exem-
ples, viennent, le rejoindre dans le séjour
de la gloire? O mon Dieu! ajcordez-nous
le bonheur de nous voir un jour tous réu-
nis dans votre royaume, comme nous le
sommes ici dans votre amour et dans le zèle
de voire gloire. Oh! qu'il n'en soit pas de
cetteassemblée comme de celle des quarante
maityrs, d'où il sortit un lâche et un apos-
tat; ni, liélas! comme de celle de vos a[)ô-
tres, où il se trouva un enfant de perdition.
Que nous tous qui sommes entrés dans cette
retraite, nous nous trouvions dans le
séjour de votre gloire, pour chanter tous
097
RETRAITE. — INSTUUCT
ensombU les bienfaits de voire niiséii-
coi'do 1
Prions, mes cliers confrères, les uns pour
les autres, et prions sans cesse pour obte-
nir cet inefliible bonheur : Orale pio invi-
cem nt sdlvemini ; mitltum enim valel depre-
calio justi assidiia. {Jac, V, 16.)
INSTRUCTION VII.
Li PRIÈRE.
KITuiidam siippr doraura David spirilum gralioe el pie-
cum. {Zacli.,\\, 10.)
Messieurs,
En portant nos regards sur la faiblesse
liuniaino, il est facile de reconnaître com-
bien nous avons besoin de cet esprit de
grilce et de prière, de cet esprit de sagesse
el do piété qui touche et attendrit le cœur,
(]ui le dégoûte des choses d'ici-bas, et lui
insi-ire le désir des biens éternels; qui le
fait gémir sans cesse dans ce lieu d'exil sur
s?s misères personnelles, sur les maux et
les scandales de l'Eglise 1 Apprenons à con-
naître combien nous est nécessaire ce re-
cueillement intérieur qui règle les sens,
cette vie de foi et d'amour qui entretient
dans l'âme une disposition continuelle h
s'élever vers Dieu, en s'iiuuiiliant à ses
pieds, et à se rendre digne de ses bienfaits,
en lui présentant le spectacle de notre in-
digence 1 car c'est en cela, vous le savez,
que consiste l'esprit de prière.
N'est-il lias étrange qu'au milieu des dan-
gers sans nombre qui nous enlourtnl, des
sollicitudes qui nous obsèdent, des travaux
qui nous accablent, des passions qui nous
Agitent, des chutes journalières, et souvent
humiliantes qui attellent notre faiblesse,
nous sentions si peu rexliêuie besoin que
nous avons du secours d'en haut, et que
nous soyons si peu empressés à le demander?
Que les gens du monde soient dégoûtés
de la prière, et qu'ils abandonnent ce saint
exercice, ou ne s'y traînent qu'avec répu-
gnance, rien en cela d'étonnant : ou ils ont
perdu la foi, qui est, dit saint Augustin, la
source de la prière, ou ils sont aveuglés
sur leurs devoirs el sur leurs fautes, et cet
aveuglement est presque universel; ou ils
ne sentent pas la violence de leurs passions,
jtarce qu'ils s'y laissent entraîner sans ré-
sistance; ou enlin, à force de crimes, ils se
sont fait un cœur de fer qui ne sent plus
rien, pas même le besoin qu'il a d'être
amolli.
Mais nous. Messieurs, entourés de tout
l'éiîlatdes lumières des vérités saintes, con-
naissant l'étendue immense de nos obliga-
tions et l'excès de notre faiblesse, é()rou-
vant tous les jours les attaques de l'esprit
de ténèbres; mais nous, exposés sans cesse
aux séductions d'un monde corrompu, que
nous sommes chargés de sanctifier, et qui
trouve si souvent le moyen do nous perver-
tir ; ujais nous, sans cesse entourés des en-
nemis de notre salut, sansccs^^e sur le champ
de bataille, et ne pouvant vaincre que par
des aiLues divines, couiincul se peut-il (juc
Ml, SUR LA PRIIIRE. 6'.»8
nous recourions si rarement h l'auteur de
tout secours el à l'unique soutien de notre
faiblesse?
C'est cet éloignement, ce dégoût de la
prière qui cau>>e toutes nos chutes et qui
rend notre ministère inutile et souvent fu-
neste à l'Eglise. Hàlons-uous d'ap[)liquer le
remède à un mal si dangereux, et convain-
quons-nous, je ne dis pas de l'importance,
maisdel'indispensablenécessiiédela prière.
Nécessité considérée du côté de Dieu, du
côté de l'Eglise et du côté de nous-mêmes :
tel sera, Messieurs, le partage de cel entre-
tien.
PREMIÈRE PARTIE.
Adorer Dieu, se soumettre à sa provi-
dence, croire à sa parole, craindre sa justice,
se confier en sa bonté, le remercier de ses
dons, solliciter ses secours, s'humilier à ses
pieds de ses fautes, lui promettre une obéis-
sance plus jiarfaite, s'exciter à celte obéis-
sance par l'espoir des récompenses qui y
sont attachées, désirer ce royaume immor-
tel, où nous n'aurons plus riwi à désirer ni
à craindre : voilé une continuité d'hom-
magi'S que le Créateur réclaine de tous les
hommes, et h plus forte raison do ses mi-
nistres; voilà des devoirs fondés sur la na-
ture, sur la raison, sur les rapports de la
créature avec le Créateur : aussi point de
peujile, môme parmi les païens et les sau-
vages, qui n'ait adoré et invoqué l'auteur
de l'univers.
Mais combien ces d(!Voirs ne deviennent-
ils pas |)lus sacrés pour un chrétien, et sur-
tout |)Our un prêtre, qui connaît le grand
préce|)te que Dieu lui a fait de l'adorer et
de le prier, Dominum Deum luum adorabis
{Luc, IV, 8) ; de l'adorer d'esprit jiar la mé-
ditation de sa loi, de l'adorer de cœur par
la soumission h ses volontés, de l'adorer de
bouche par le chant de ses louanges et la
reconnaissance de ses bienfaits, de l'adorer
dans son temple par le spectacle religieux
d'une âme recueillie et d'un corps anéanti,
de l'adorer en tous lieux par le souvenir et
le respect de sa présence?
Ce qu'il y a surtout d'encourageant dans
le précepte de la prière, c'est la promesse
que Dieu y a attachée d'exaucer nos v(eux
lorsque nous demandons ce qu'il faut, c'est-
à-dire des choses utiles à noire salut; et de
la manière qu'il le faut, c'esl-à-dire avec
respect et coutiance. Demandez, nous dil-il,
et vous recevrez; cherchez, et vous trou-
verez; frap|)ez,et il vous sera ouvert. Peut-
on commander avec plus d'autorité et plus
de bonté? et n'est-il pas étrange qu'un pré-
cepte si avantageux trouve tant de viola-
teurs? Je vous le demande. Messieurs, si
un roi de la terre était assez généreux pour
faire une semblable [aomes.'e, et assez
jiuissant pour la tenir: demandez, et vous
recevrez; je suis prêt à remplir les vœux
de tous mes sujets; mon trône est acces-
sible à tous, mes trésors sont ouverts à tous,
tous l'objet de ma tendresse, tous le seront
de mvs bienfaits ; si, dis-je, u-c plonu'i^so
639
ORATEURS SACRi:S. MALRtL.
700
si m<nginri(iiie émanait de la bouche d'un
roi de la lerrc, serait-il nécessaire d^exhor-
ler ses sujets à dtMiiander? Avec quelle ar-
deur n'accourrait-on pas de tous l<'S points
de son royaume à un souverain si généreux?
Avec quel eui[)resseraent grands et petits,
riches et pauvres, n'iraienl-ils pas exposer
leurs besoins et leurs désirs ! Cependant,
(|uelle que fiïl la richesse et la munificence
de ce prince, il ne pourrait accomplir qu'une
partie de ses promesses : aucun mortel ne
sera jamais capable de sou-lager toutes les
misères et de contenter tous les désirs.
Mais ici, ce n'est pns un prince mortel,
ce n'est pas un roi de la terre, toujours fai-
ble, malgré sa puissance; c'est le roi im-
mortel des siècles, c'est l'auteur de tous les
biens, le dispensateur de tous les dons, le
consolateur de tous les malheureux, le pro-
tecteur de tous les faibles, le père de tous
les hommes; c'est Dieu hii-mème qui nous
dit à tous avec cette bonté toute-puissante
qui n'appartient qu'à lui : Demandez, et
vous recevrez; ne mettez ()as de bornes à
vos vœux, il n'en est pas h ma générosité;
ne craignez pas d'épuiser mes richesses,
elles sont au-dessus de vos besoins; petite
et accipielis. (Juan., XVI, 2'*.)
Comment se peut il, je le réj)ète, qu'un
précepte si doux et une promesse si magni-
iiipie nous trouvent si froids et si inditfé-
renls? Tous les jours on va fatiguer du ré-
cit de ses besoins les grands et les riches
delà terre; d'où vient qu'on s'adresse si
rarement à Dieu, de qui seul émanent tous
les biens, de qui seul dépend notre vrai
bonheur, et qui veut nous accorder tout ce
qui peut nous y conduire? Qu'y a-!-il, en
elfet, qu'il voulût nous refuser? Il nous
ordonne sans dcsute de demander et de
chercher avant tout son royaume et sa jus-
tice, parce; qu'il n'y a que cela ([ui puisse
nous roiidce solidement heureux ; mais il
nous ordonne aussi et nous promet de nous
accorder même les secours temporels, dans
le degré qu'il jugera coinenable h noli-e
salut, panem noslrum quotidianum da nobis
hodie {Luc, XI, 3), hœc omnia adjicienliir
vobis. (Lmc, Xll, 31.) Ainsi, Mcssieuis, jiré-
sentoiis-nous à Dieu avec la conliance que
c'est un bon père qui veut le bonheur de
ses enfanis. et nos prières seront toujours
exaucées. Sommes-nous dans l'aflliclion, il
nous consolera ; dans Tignorance, il nous
éclaiicra; dans l'incertitude, il nous soula-
gera ; dans la tiédeur, il nous échaullera ;
dans la tentation, il nous soutiendra; dans
le crime peut-être et l'esclavage de quelque
passion, il nous délivrera, il nous conver-
tira; il l'a promis : mais il veut (jue nous
implorions son secours, petite; et que nous
l'implorions avec foi, dans la ferme persua-
sion qu'il |)eut et qu'il veut nous accorder
d'une manière ou d'une autre tout ce qui
est nécessaire à notre vrai bonheur : crédite
quia accipietis et evenient vobis. (Marc. XI, 2V.)
Je dis d'une manière ou d'une autre,
parce que souvent il nous exauce 5 notre
insu, non en nous accordant précisément
l'ôhjet de nos désirs, mais quelque chose
qu'il juge meilleur et [>lus utile, par exem-
ple la charité po!ir un ennemi, au lieu de
nous soustraire à ses vexations; l'humilité
dans un revers, au lieu do la gloire dange-
reuse du succès; l'i patience dans une in-
firmité, au lieu d'une vigueur et d'une
santé dont il prévoit que nous abuserions;
la soumission dans l'indigence, au lit u du
bienfait si souvent funeste des riches?es ; la
force de lutter avec mérite contre certains
défauts, certaines imperfections, au lieu
de nous ôter l'objet de ces combats et do
ces victoires.
Dirons-nous, pour excuser notre dégoût
pour la prière, que nos besoins se muiti
pliant et se renouvelant sans cesse, il nous
faut toujours recourir à la prière? Ah! ne
craignons pas à l'égard de Dieu l'indiscré-
tion que nous pourrions craindre à l'égard
des hommes : ceux-ei se fatiguent bientôt
d'entendre toujours les mômes demandes;,
en Dieu, c'est tout le contraire : la prière
est un hommage qu'il exige; plus souvent
nous le prions, plus souvent nous l'hono-
rons. Peul-ôlrene permet-il la multiplicité
de nos besoins que pour multiplier les mé-
rites que nous procure la prière et les mar-
ques de tendresse qu'il nous donne en nous
secourant
Nos besoins sont sans nombre et renaissent
sans cesse : c'cit pour cela que Dieu nous
ordonne de le prier toujours, de le | rier en
tout temps, de le prier sans cesse : Oportet
semper orare, et non deficere [Luc , XXI, 30);
oranles omni tempore [Luc, XVIII, ij; sine
intermissione orale. (I l'hess., V, 17.) Ce qui
d lit nous rendre ce |)récepte encore plus
précieux, c'est que Jésus-ChrisI, qui en est
Tauteur. a daigné nous en donner lui-même
l'exemple; nuhe action de sa vie oui ne fût
précédée, accompagnée et suivie de la prière;,
il priait en secret, il priait en [lublic, dans
le temple, dans le désert, sur la montagne,
dans les maisons, dans lejardin, sur la croix:
en tous lieux il invoquait la puissance de
son père. Sans cesse uni à lui par une .«ainte
habitude d'adoration et de soumission, il.
ne se bornait pas à prier dans le jour; il
passait quelquefois les nuits onlières dans
l'oraison , erat pernoctans in orutione Dei.
[Luc, VI, 12.) Et depuis^ qu'il est de retour
aux deux, cesse-1-il un stMil instant d'inter-
céder, à la droite de son Père, pour les be-
soins de son Eglise? Mais que dis-je? même
sur la terre, ne prie-t-il pas sans cesse dans
le Sacrement auguste qui le renferme? Le
jour et la nuit n'élève-t-il pas du fond de
nos sanctuaires des mains suppliantes vers
les cieux pendant l'adorable sacrifice ? Que
doit-ce êlrc d'un i)rôtre? inspice et fac secun-
dum exemplar. (Ztxod., XXV, 40.)
Je sais sans doute que notre laiblesse ne
pourrait soutenir une continuité non inter-
rompue d'oraison et d'altenlion à Dieu ; mais
aussi le précepte ne va pas jusque-là. Elever
fréquennnenl notre cœur vers l'auteur de
tout bien et de tout secours, rappeler sou-
vent ea présence, nous entretenir souvent
701
RETRAITE. — LNSTUUCT. Ml, SUR LA PRIERE.
70-2
nvt'C lui do nos besoins el des bosoi'iis d-es
âmes donl il dous a cliargi^s, le consuiler
d;ins nos doutes, lui ex|ioser nos embarras,
lui otl'rir nos travaux, n'avoir en vue, que
de lui plaire et d'exécuter ses volontés :
voilà, vous le savez, en quoi con i>te la
prière. Alors, je vous ledeirande, qu'ya-t-ii
dans ce préeeftle, je ne dis pas d'impossib'e ,
n)ais de difliciid? Est'il de moment, de cir-
constance, de position dans la vie où le
cœur ne soit libre de s'élever à Dieu et de
gémir à ses pieds? Pour nous surtout, dont
les ionclions sont toutes saintes, et nous
rappellent sans cesse la présence de celui
donl nous sommes les ministres ; dans les
agitations et le tumulte du monde où nous
somuies quelquefois forcés de nous trouver,
connue dans le silence el le calme de la re-
traite, qui doil taire nos plus chères délices,
n'est-il pas en notre pouvoir d'adorer ense-
trel la majesté de Dieu et d'implorer son
secours?
Si les Moïse dans la conduite d'un grand
peii|)le, si les Samuel dans les fonctions de
la magistrature, si ksMacliabées au milieu
des aimées et la licence des camps, si les
Joseph, les Daniel, les Mardochée dans le
gouvernement des empires et la dissipation
des cours trouvaient le moyen d'être sans
cesse unis h Dieu, ne pourrions- nous pas,
nous, dans les fondions plus |)aisibles,
éprouver avec eus que la prière continuelle
n'est pas moins facile à lame que la respi-
ration l'est au corps : et en eUel, le libeilin
aiu)e sans cesse cet objet voluptueux qui
enchaîne son cœur; l'avare aime sans cesse
ce trésor qui occupe toutes ses pensées;
l'ambitieux soupire sans cesse après cet
em;iloi, ce posie éclatant qui enflau)me sa
cupidité. Donnons un autre objet ù nos al-
feclions el à nos désirs; tournons-les vers
Dieu, et nous le ()rierons sans cesse : ne
cessons de désirer la gloire de son nom, l'a-
vènemenl de son lègne, la [irospéri'c do son
Eglise, l'accomplissement de', sa volonté, le
secours immortel de sa grâce, le pardon de
nos crimes, la victoire de nos passions, la
délivrance de tous les maux qu'eMl'anle le
péché, el notre cœur répétera sans cesse la
plus belle, la ()lus loucliunie, la plus néces-
saire de toules les prières : Paler noster^
qui es in cœlis [Malth., VI, 9) : car, dit sainl
Augustin , qu'est-ce que la prière conli-
uuello, binon un désir continuel des choses
de Dieu ? Conlinuum desiderium , continua
orulio.
Aussi, pour nous faciliter celle prière con-
tinuelle, si nécessaire à tout chrétien, el
bien plus encore à ses minisires, l'Eglise
a-l-elle jugé à propos de nous commander,
uon-seulemenl de prier sept fois par jour, à
l'exemple du PruphèU;, seplies indie laudem
dixi ttbi {Psal. CW'Ul, 16i); mais deiréu-
nir à certaines époques le peuple dans nos
temples, atjn de rendre à la majesté du Très-
Haut des hommages [ilus éclatanls el |)lus
solennels; mais de joindre à toutes nos cé-
rémonies des prières particulières qui en
retracent l'esiirit et la sainteté, (^ar , Mes-
sieurs, si la nécessité de la prière considérée
du côté de Dieu, qui nous en fait un pré-
c('[)te, esl indispensable pour nous, elle ne
l'est pas moins du côlé de l'Eglise, qui nous
l'impose comme ini tribut : ce nlest pas
comme simples particuliers que nous payons
celte dette sacrée ; c'est au nom do ioule
ri*'glise, donl nous sommes les représentants;
c'e>t elle qui nous députe vers Dieu pour
lui rendre par notre ministère un culte pu-
blic d'adoration, d'invocation, et d'actions
de grâces; c'est elle qui nous place entre
le ciel el la terre pour être ses interces-
seurs, ses médiateurs auprès de la Majesté
suprême. Chaque fidèle est sans doute ob-
ligé de |)rier; malheur au chrétien qui ne
prieiait pas! par cela seul, il se mettrait
hors des voies du salut. Mais combien qui
oublient ce premier de tous les devoirs, ou
qui sont distraits par la continuité de leurs
affaires el de leurs travaux ! C'est pour sup-
pléer è ce défaut que l'Eglise, en nous ad-
mellanlau rang de ses ministres, nous char-
gea de prier pour tous ses enfants, de pré-
senter aux pieds de Dieu la multitude de
leurs besoins et de^leur ouvrir le sein de sa
miséricorde : c'est pour remplir ce noble
ministère, qui nous assimile aux habitants
du ciel, que nous sommes déchargés des sol*
liciludes el des emplois du siècle.
Toules nos forces, tous nos lalenîs, tous
nos travaux, lous les moments de notre vie
doivent être consacrés aux besoins de l'E-
glise; nja;s le premier, le plus important
devoir qu'elle exige de nous, c'est la prière:
aux yeux de l'Eglise, la prière fiasse avant
tout, même avant la prédication, ce grand
moyen établi de Dieu pour f)lanler el con-
server la foi : c'est ainsi, vous le savez,
qu'en.jugeaienl les ApùUas: Nos mUem ora-
tioni ei ininisterio verbi instantes erimus.
{Act., VI, k.) Aussi, avant do j,)rôcher, ils
commencèrent par prier. Ce fut par les ar-
deurs de la prière qu'ils firent descendre
des cieus. cet Esjiril de vérité el du sagesse
qui dissipa les ténèbres de la genliliié, cet
es[)ritde force, de patience, de charité, qui
subjugua la puissance des Césars et soumit
la terre entière à Jésus-Christ. Oui, Mes-
sieurs, c'i'St la prière qui a posé les fonde-
ments du Chiislianisme, c'est la (irière qui
les soutient, el c'est la prière qui rend l'K-
glise invincible au milieu des scandales du
monde et des assauts de l'enfer.
Si la foi n'est pas éteinte par le souffle de
l'inqiiété, si la lumière de l'iivangile se ré-
pand chez les peuples inhdèles à mesure
qu'elle s'allaiblit hélas l chez les nations
chrétiennes ; si l'on voit encore régner la
droiture, la chasteté, la pudeur sur la terre;
si malgré ce lorrenl de corruption qui en-
tiaîne lous les âges et tous les rangs, il se
présente tous les jours aux pieds de l'Eglise
des pécheurs humiliés qui viennent la con-
soler, la réjouir par leur pénitence, n'esl-co
[)as aux prières de cette éjjouse de Jésus-
Christ, aux saints gémissements Ue celte
cl^iste colombe chérie des Cieux, que nous
703
ORATEURS SACRES. MALREL.
704
devons ces prodiges de grûce et du .sain-
teté ?
Or, Messieurs, c'est nous qui sommes les
iulerfirèles el les organes de l'Eglise; c'est
pir nous qu'elle prie et qu'elle gémit entre
le vestibule et l'autel ; c'est de nos prières
qu'elle attend la force dans ses dangers, la
fialience dans ses persécutions, la vicloire
dans ses combats, la lumière pour tant d'en-
fants aveuglés qui déchirent son sein, la
conversion de tant de pécheurs endurcis,
raffermissement de tant de justes ébranlés,^
la tranquillité des emi)ires, le calme des
familles, la paix des consciences, tous les
secours dont elle a besoin pour suivre les
traces, porter la croix de son fondateur, el
pour entrer un jour dans le séjour de la
gloire. Quel malheur pour elle, quel crime
pour nous, si elle était frustrée dans son
aitenle, et qu'elle pût attribuer à la rareté
ou à la froideur de nos j)rières la perte
éternelle de quel.|u'un de ses enfants!
De là l'obligation indispensable de dire
tous les jours cette prière publique, cet
oftice divin dont l'Eglise nous ordonne la
récitation. Nous (ionnuissons tous l'impor-
tance de ce précepte; nous savons que l'o-
mission volontaire d'une partie notable de
l'offlce serait, à moins d'une impossibilité
morale, un péché mortel, digne de l'enfer.
Mais faisons-nous attention que c'est violer
un I récepte que (Je le mal remplir? El si
nous ne cessons d'uverlirnos peupicsqu'on
ne satisfait pas au devoir pascal par une
communion sacrilège, pourrions-nous pen-
ser qu'on satisfit au précepte de l'office
f»ar une récitation précipitée, irrespectueuse
et inatteniiv8?En ellet, Messieurs, la prièie
n'esl-elle pas essentiellement une éléva-
tion de cœur è Dieu ? donc si le cœur est
éloigné de Dieu, il n'y a point de piièrt. Ou
ne manque pas de dire que ces égarements
sont involontaires ; mais peut-on assurer
qu'on n'y a don.. é aacune occasion ni avant
la [irière, par un défaut de préparation, ni
pendant la prière, par un défaut de vigi-
lance et de recueillement?
Sans doute, un prêtre réglé et vertueux,
exact à [)uritier sa conscience et à en ban-
nir la première source ues égarements dans
la jirière, je veux dire l'attache au pécl)é et
aux occasions du péché; un prêtre qui
uime son état, qui ne se [)luît qiic dans ies
fonctions de son ministère, et qui par con-
séquent n'aime pas le monde, dont les ima-
ges tumultueuses el souvent indécentes
viennent troubler le recueillement de la
})rière ; un prêtre qui médite tous les ma-
tins la loi du Seigneur et ra|)pelle fréquem-
ment dans la journée le l'ésultal de sa mé-
ditation; un prêtre qui possède habituelle-
ment son âme dans la jiaix, parce qu'il la
tient bbre des passions, qui n'a d autres
vues, d'autres pensées, d'autre ambition
que la gloire de Dieu et le salut de ses fiè-
res ; un prêtre qui regarde i'oftice divin,
nou comme un fardeau pénible et une ser-
vitude gônanie, mais comme l'acte de reli-
gion le i>lus nécessaire et le plus consolant,
après celui du saint sacrifice ; qui, avant du
le commencer, se recueille, s'humilie, gé-
mit de ses fautes et récite de cœur plus
encore que de bouche cette belle prière
préparatoire oii l'Eglise nous rappelle en
quatre mots toutes les dispositions qui doi-
vent accompagner la récitation du Bréviaire:
Digne, allente, inlegre ac dévote; un tel prê-
tre peut être cru lorsqu'il assure qu'il n'a
donné aucun consentement aux distractions
qui sont venues , malgré lui , troubler sa
piété.
Mais un prêtre qui peut-être, hélas I ne
l'esl devenu que par des vues d'ambition et
d'intérôl, el qui a porté dans le sacerdoce
des espérances el des prétentions qu'il eût
été incapable de réaliser dans le siècle;
mais un prêtre qui se trouve plus à sa place
dans les sociétés et les amusements da
monde que dans les fonctions du saint mi-
nistère, qui rapporte de ce monde, toujours
dangereux, mille idées de vanité, de sen-
sualité, et peut-être de voluplé et de crime;
mais un prêtre qui ne donna jamais une
attention sérieuse à ses devoirs et à ses
fautes, qui ne connaît pas son cœur, ou
n'en connaît que la surface, et ne l'a peul-
êtrejamais purihé d'une raanièie eflicace ;
mais un |)rêlre qui ne lit la parole de Dieu
que pour en laue, aux yeux do public, un
étalage de vanité, et non pour s'instruire et
se réformer lui-môme; mais un prêtre qui
mène une vie lâche, tiède, dissi[)ée,et peut-
être à son insu criminelle ; mais un prêtre
qui ne voit dans l'oflice divin qu' un j)oids
accablant dont il veut se débarrasser au.
j)lus tôt, qui n'y apporte aucune (irépara-
lioii ni d'esprit ni de corps, qui, au sortir
d'une conversation, d'un jeu, d'une alfaire,
la tèle pleine d'idées |)ro!anes qui le pré-
occupent, pour ne rien dire de plus, com-
mence de suite son entretien avec Dieu do
cette môme langue qui vient de se livrera
des plaisanteries, à des discussions animées,,
lui dont la conversation devrait être dan»
le Ciel ; un tel (irôlre peut-il être cru lors-
qu'il assure qu'il ne veut pas les distrac-
tions qui lui viennent dans l'oflice? Il ne
les veut pas! et toute sa vie est un éloigne-
111 eut volunlairedeDieu ; comme, t lui serait-
il uni pendant. la ()rière ?
Ici, Messieurs, je me sens accablé, pres-
que altéré j)ar une i étlexion qui se inésente;
veuillez la méditer avec moi. Parmi les ti-
dèles, il en est si peu qui prient de cœurl
Nulle assemblée religieuse à qui ou ne
puisse [ilus ou moins appliquer le mol ter-
rible (le l'Jivangile : Populus hic labiis me
honorai; cor autem corum longe est a me.
[Mallh., XV, 8.) El les prêtres seraient
aussi du nombrede ces hypocrites IGeserait
aux prêtres que s'adresserait aussi l'oracle
qu'ils ont sans Cesse à la bouche: Maledi-
clus qui facit opus Dei negligenler, [Jerem.,
XLViH, 10.) L'esjiril de prière, aussi étran-
ger aux [irôlres qu'aux laïques, serait en-
tièrement banni de la terre! Je me trompe,
ô mon Dieu ! votre Eglise est sainte, et ren-
feimcra toujours des adorateurs eu esprit
703
ot en vérité
RETRAITE. — LNSTRUCT. VIÎ, SUR LA PRIERE.
700
Mais qui doit présider à co
noble ministère que les anges remplissenl
sans cosse dans les cioux, sinon les prôlros,
losanges de la terre? De là la nécessité
(|ue l'Eglise nous impose do prier; de là
cet esprit de prière dont elle nous t'ait un
religieux devoir. Il me reste à vous montrer
maintenant la nécessité du précepte par
ra()j)ort à nous-mêmes.
SECONDE PARTIE.
C'est un article de foi enseigne en raille
endroits des Livres saints, que sans le se-
cours d'en haut nous ne pouvons rien, ali-
solument rien, dans l'ordre du solut, pas
niême en former le désir, pas môme en avoir
la pensée: Sine we niliil potcstis facere (Joan.,
XV, 5); non quod sufficienlcs simus cogitare
oliquida nobis, quasi ex nobis; sed sufficientia
noslra ex Deo est. (I Cor., 111,5.) Voilà,
Messieurs, vous le savez, la grande preuve
de la nécessité de la prière api)liquée à I
nous-mêmes.
En elfet, sans la grâce point de salut. Mais
sans la prière, comment aurons-nous la
grâce? par conséquent comment nous sau-
ver si lous ne prions ? Par justice rigou-
reuse. Dieu ne nous doit rien: l'unique
fondement de notre espérance, c'est sa bonlé
et ses promesses ; mais celte bonté est libre:
Dieu est maître de ses dons ; il peut les ac-
corder quand il veut, à qui il veut, aux
conditions qu'il veut. Donc, s'il lésa atta-
chés il la prière, et que nous refusions de
prier, quel droit auions-nous de com|>ter
sur son secours? Or, Messieurs, à Texcep-
lion des premières grâces (jui nous dispo-
senl et nous aident à prier, et que Dieu, sans
en être sollicité, nous accorde à chaque ins-
lai t; il n'a promis de secourir que ceux qui
V\i\\oquvvA:Dem'atidcz,etvousrecevrez{Joan.,
XVI, '2'4-); n'est-ce pas nous dire, si vous ne
demandez i)as vous n'obtiendrez pas ? Dieu
sans doute peut faire des exce])iions à cette
règle générale; sa* miséricorde ne sera ja-
mais enchaînée ; il peut accorder des se-
cours aux ingrats même (]ui dédaignent de
l'invoquer. Mais l'a-t-il promis ? et ne serait-
ce pas une témérilé criminelle d'y compter?
Donc, Messieurs, en ne priant pas, ou en
priant mal, on se met volontairement dans
l'impuissance d'éviter le mal que Dieu nous
défend, de pratiquer le bien qu'il nous com-
mande, de sup[>orter les épreuves qu'il nous
envoie, trois considérations que j'exposerai
sommairement, et desquelles il résultera,
je l'espère , cette vérité pratique que par
devoir, comme {)ar inlérèl pour lui-même,
le prêtre doit sans cesse vaquer au saint
exercice de la prière.
Je dis d'abord qu'en ne priant pas on se
met dans l'impuissance d'éviter le mal que
Dieu nous défend. Comment triompher sans
le secours d'en haut des tentations sans
nombre qui nous viennent soit de Satan,
soit du monde, soit de nous-mêmes? de
Satan, qui aitaque un ministre de Dieu avec
mille fois plus de force qu'un simplelidèle,
parce qu'il se promet de la perte du j)asleur
la perle de tout le troupeau, h peu près
comme sur un champ de bataille on dirige
les princi|)aux cou[)s vers les chefs de l'ar-
mée, dans l'espoir que leur chute entraîne-
ra la défiile de l'armée entière : de 'à le mot
de Jésus Christ h ses apôîies: Eccc Satanns
expetivit vos, utcribrarel sicut trilicHm{Luc.,
XXll, 31) ; du monde, qui observe avec ma-
lignité la conduita d'un |)rêtre, cherche
adroitement à l'enlraîner dans quelque im-
prudence qui le couvre d'opprobre, et rende
son ministère inutile en le rendant odieux;
de nous-mêmes, qui, malgré la sainteté de
notre caractère, portons au dedans de nous
le germe de lr)utes les passions ; et ces pas-
sions, si elles ne sont réprimées, causent
en nous, vous le savez, mille fois plus de
ravage et de scandale que dans un laïque,
corruptio boni pessima. A quels excès, grand
Dieu ! ne se porte pas un |)rètre que domine
ou la passion de l'orgueil, ou la passion de
ugunt, ou quelque passion plus délealable
encore.
Or, Messieurs, comment les vaincre,
ces passions furieuses? Comment triompher
des|)iégcsde Satan et des artitices du mon-
de, si l'on n'appelle sans cesse la for-
ce du Toui-Puissant au secours de notre
faiblesse? Serions-nous excusables de dire
avec les mondains que nos penchants sont
invincibles et la loi de Dieu impraiicab.e ?
Ah I sans doute, pourrait nous réponiire
ce Dieu irrité, vous ne pouvez l'accomplir
par Vos propres forces; mais cette impuis-
sance n'esî-elle pas votre ouvrage? Ne suis-
je pas là pour vous aider? N'ai-je pas pro-
mis à la prière le soutien de votre fa.'blesse?
Et si ma grâce vous manque, n'est ce i.as
pane que vous la rejetez, en négligeant do
l'implorer?
On s'éionne quelquelois que certains prê-
tres qui vivent depuis longtemps dans Tha-
bilude du désordre ne donnent, malgré les
avis réitérés de leurs supérieurs et de leurs
confesseurs , aucun signe consolant de re-
pentir : on s'étonne l)ien davantage que
certains autres, qui ont été pendant un
temps un modèle de zèle et de ferveur, se
relâchent , se refroidissent et tombent peu
à [)eu dans une inditférence et une tiédeur
plus scandaleuses souvent que les actions
criminelles des grands couftables. Voulez-
vous en savoir la cause, c'est qu'ils ont
manqué à la précaution si sévèrement pres-
crite |iar l'Evangile : Orale ut non intretis
inlentationem. {Marc, XIV, 38.) Non, Mes-
sieurs , sans prière on ne se convertit pas;
sans prière on ne résiste pas aux tentations,
sans prière on succombe et l'on se perd.
Que sert la récitation d'un office qu'on
dit par habitude, sans respect, sans re-
cueillement, sans piété? Que sert môme la
célébration du plus saint des sacrifices oii
l'on ajiporte un cœur froid et une conscience
mal purifiée, peut-être douteuse ou crimi-
nelle , si l'on ne cherche à ranimer sa foi ,
ou à soutenir sa ferveur [)ar l'exercice jour
nalier de la prière, par cies retours sérieux
sur soi-même , par l'osameu réfiéchi de ses
707 OUATEURS SACRES. MAUREL:
devo.rs et de ses faotfcs, par des gémisse-
raenis fréquents, par des soupirs enflammés
vers le ciel? Ce qu'il y a ici de plus déplo-
rable , c'est qu'on ne désire pas, c'est qu'on
ne sent pas même le besoin de sortir de cet
état d'indifférence et de froideur. Les se-
maines, les mois entiers, hélas! et quel-
quefois les années se passent <lans l'oubli
ce Dieu : les so'ennilés même les plus tou-
chantes ne nous touchent pas , les événe-
ments les plus frapi'ants ne nous frappent
pas , les exemples , les conseils les plus
capables de nous réveiller ne disent rien à
notre cœur : on est tout de ^lace envers
Dieu. Est-il étonnant que Dieu aussi s'at-
tiédisse , pour ainsi dire, à notre égard ;
que ses secours diminuent, que noire fai-
blesse augmente, et que l'abandon ou la
rareté de la prière finisse p-ar nous entraîner
de chute en chute dans l'abîme de la perdi-
tion?
Je dis en second lieu, que î)ar le défaut
de prière ou par les mauvaises dispositions
qu'on y apporte on se met dans Pimpuis-
sance de pratiquer le bien que Dieu nous
ordonne, je veux dire d'exercer saintement
nos fonctions et de les rendre autant qu'il
est en nous utiles et avantageuses aux fidè-
les; car voilà le bien que Dieu commande
à un prêtre : Pnsce oves meas, pasce oçjnos
nieos, (Joan. , XXI, 16, 17.) Or, rcmplira-
t-il ce beau ministère, s'il n'est un homme
d'oraison, un homme intérieur qui s'enire-
lienne fréquemment avec Dieu et le con-
jure sans-cesse de bénir ses travaux, ses
instructions, tous les efforts qu'il fait pour
retirer les âmes du vice et les affermir dans
la vertu? Hé quelle impression [)Ourront
faire sur un peu|)le charnel livré à la vanité,
au plaisir, à la cupidité, des instructions
que n'aura pas sanctifiées le fou sacré de la
prière , qui n'auront pas été méditées au
pied de la croix , sur lesquelles on n'aura
pas conjuré le Père des lumières et des mi-
séricordes de ré()andre cet esprit de vé-ilé,
de sag(!sse, de force, d'onction et de piété,
qni peut seule les rendre utiles et leur ou-
vrir l'entrée des cœurs?
Non , Messieurs , nous ne prêchons utile-
ment ((u'autant que l'Esprit de Dieu parle
par notre bouche, et va iui[)riuier au fond
des ûmes les vérités saintes (jue nous an-
nonçons. Mais croyons-nous que cet esprit
se communique à un prêtre dissipé, plein
de lui-même et vide de Dieu , plus occupé
des affaires de la terre que du désii' de
708
tions , d'oublier leurs infidélités cl de les
mettre à l'abri du reproche dont parle le
Prophè'.e : Peccatori autem dixil Deus :
Qnnre tu ennrras ju.Hitins meus . cl assiimis
(c.^ldincitlum mcum pcr os tuum ! {Psal. XLIX,
16.)
Heureux les ministres évangéliques qui,
convaincus qu'ils ne sont par eux-mêmes
qu'ignorance et faiblesse, que leurs efforts,
leurs veille.«, leurs talents ne peuvent avoir
aucune proportion avec la fin sublime de la
prédication , je veux dire la conversion et
la sanctification des âmes, supplient le maî-
tre des cœurs de les ouvrir lui-même à l'im-
pression de la vérité, d'écarter les illusi^ns
et les préjugés qui pourraient enemjiêchep
l'effet, et de parler de sa voix puissante à
l'oreille intérieure, en môme temps que leur
faible organe ira frapper l'oreille du corps !
Heureux l'homme de Dieu qui , au sortir
de la chaire, loin de s'arrêter à quelques
misérables éloges, moins inspirés par le mé-
i-ite du prédicateur que par l'ignorance , lu
respect-humain, l'amour-propre des audi-
teurs, va se prosterner aux pieds du Dieu
qu'il vient de prêcher, et le conjure de faire
fiuctifier les vérités saintes et de ne pas
permettre qu'elles servent à condamner ni
celui qui les a annoncées ni ceux qui les
ont entendues! O mon Dieu! quand rem-
plirez-vous les ministres de voire parole do
cet esprit de prière , d'onction , d'humilité I
C'est alors , Messieurs , que nous prêche-
rons utilement et ([ue les pécheurs, sainte-
ment consternés et touchés , iront, non pas
nous louer dans les sociétés, mois nous
pailer ni gémir aux pieds du saint tribunal.
Si la prédication produit aujourd'hui si r;i-
remenl ces heureux effets qu'elle a toujours
produits par le ministère des saints , quelle
est la cause de cette stérilité, sinon l'extinc-
tion de res|)rit de prière dans les prédi-
cateurs, sinon i)orce(^ue très souvent le
ministère de la parole n'est ni précédé, ni
accomj)agiié , ni suivi delà prière?
des autres
glorifier Dieu, qui ne sait [nis converser
avec lui avant de parler de sa part aux hom-
mes, ni tirer de la |)ralique de l'orriison
ces traits vifs et pénétrants, cette onction
toute-puissante qui éclaire et convertit?
Heureux les i)ré(Jicateurs (|ui préparent en
[trésence de Dieu ce qu'ils doivent annoncer
en son nom, qui le prient de leur inspirer
b;s sentiments, les idées , le langage qu'il
sait devoir être utiles; qui écrivent, en
(pielque sorte, sous sa dictée et éclairés de
la lumière d'en haut, qui loconjureut avant
de monter en chaire de purifier leurs inlen-
Si nous entrions dans le détail
fonctions sacerdotales, il nous serait aisé
de montrer que si le tribunal delà pénitence
offre si rarement des conversions solides et
durables, c'est que les confesseurs ne de-
mandent pas assez ni la prudence pour eux-
mêmes ni la componction pour leurs péni-
tefils; que si les avis particuliers d'un pas-
teur sont si rarement utiles , c'est que la
manière et relfel n'en ont pas été assez
[)réparés aux pieds de Dieu dans le calme
de l'oraison ; que si les enfants sont si dé-
goûtés de l'instruction qui leur convient et
si lents h en profiter, si les malades dési-
rent si peu les secours de la religion et les
visites de leur [)asteur, si les peuples sont si
peu empressés à accourir à nos temples et h
frétjuenter les sacrements, c'est que ]e()as-
teur n'est pas un homme d'oraison , c'est
qu'il n'a pas puisé dans le cœur adorable
du Sauveur des hommes celte piété douce,
ce zèle tendre et insinuant qui attire , (jui
attache, qui rend la vertu aimable et la re-
liiiion consolante.
709
RETRAITE. — INSTULH.T. VIH, SUR LA MEDITATION.
7<0
C'est dans la pralique de la prière qiio
nous trouverons en Iroisièine lieu le rcinù-
de h nos maux et la force nécessaire pour
supporter les épreuves qu'il p'ait à la di-
vine'Providence de nous envoyer. Noire
intérêt seul nous fait donc un devoir de re-
courir à la priùro, puisque la [iratique de
ce précepte allège le fardeau de nos misè-
res.
Comment un prêtre dépourvu de l'es[)rit
de prière cli<!rclierait-il à consoler son peu-
ple? 11 ne cherche pas à se consoler lui-
uifime au-miîieu do ses tribulations. Si
quelqu'un de vous est attristé, dit rEsjirit-
Saint, qu'il prie : Trislatiir aiiquis vestrum^
orel.{Jac., V, 13.) Quel besoin n'avons-nous
donc pas du secours de la prière! Qui de
nous est à l'abri des (roubles , des chagrins,
des coniradiclions ? Ne fût-ce que les épreu-
ves altachécs à noire ministère, le sort d'un
prêtre a-t-il jamais été plus dé|iiorabie que
dans ces teEups malheureux où l'impiété a
rendu si incertaines les destinées du sacer-
doce, dics mali sunt. {Ephes., V, 16.) Je ne
p;)rle pas de ce qui peut nous manquer du
coté des besoins de la vie : car je suppose
qu'un prôlre n'a point oublié ces paroles du
grand Apôtre : Scio esurire et peimriam pa~
li [Philip., IV, 12); habenles alimenta et
quibits tegamur his contenti sumus, (l Tim.
Vi,8). Ne lût-ce encore que le dégoût et
lus travaux attachés au saint ministère,
qu'est-ce que la vie d'un ministre de Jésus-
Christ, qu'une immolation perpétuelle, un
enchaînement de sollicitudes et de soins qui
se renouvellent tous les jours? Kl le plus
souvent quel en est le succès? Mille obsta-
cles qui entravent chaque jour la marche
de l'Eglise et augmentent l'audace de l'im-
piété , des |)euples indociles qui résistent à
tous nos soins et nous font un crime de
notre zèle, des ()euples ingrats qui ne ré-
pondent à noire atl'ection pour eux que par
un éloignemenl qui nous humilie, à nos
services que par des calomnies et quelque-
fois des ii.jures; des pécheurs que nous no
jiouvons ni attirer au saint tribunal ni con-
vertir quand ils y sont; des scandales pu-
blics qu'on ne |)eut arrêter, des mariages
invalides qu'on ne peut légitimer , unejeu-
iiesse impie et volujnueuse qui méprise nos
instructions, des parents aveugiés qui au-
torisent par leur mollesse et souvent par
leur exemple les désordres de leurs en-
fants : ô mon Dieu, con)nient ne ()as sentir
que vous seul pouvez aJoucir tant d'amer-
tucnes, et comment ne pas crier vers vous
avec le Prophète : De profundis clamavi ad
te. Domine. Parce Domine, parce populo
tuo! (Psal., CXXIX, 1.)
Ahl Messieurs , ces saints gémissements
nous seraient bien plus utiles que les |)!ain-
les éternelles que nous nous ()ermeltons
sur la stérilité de notre ministère, et sur-
tout que les dégoûts et le découragement
où nous jettent ."i souvent des dlfiicultés
sans cesse renaissantes. Si jamais nous
n'eûmes plus besoin d(; la force et du cou-
rage dont lurent investis les apôtres,
croyons au«si que jamais Dieu ne fut plus
disposé h les accorder et h renouveler les
|)rodiges de grAce qui sanclifiùrent le ber-
ceau de son Eglise. Comptons plus sur nos
prières (pie sur nos travaux, et n'oublions
jamais ces paroles si consolantes : Deus ira-
possibitianon jubcf. ; scd jubendo monet fa-
ccre quod possis ; petcre quod non pos-
sis, et adjurât ut possis.
Recourons donc avec empr( ssement à Tan-
leur de tout secours, el jetons-nous avec
confiance dans le sein de sa boulé : Adea-
mus crgo cum fiducia ad thronum gratiip,
[Hebr., W, 16) ; ne le regardons pas comme
un maître sévère dont l'approche est redou-
table, mais comme nn ami plein de douceur
à qui rien ne pîoît autant que la ifranchiso
et la simt)licilé. Il est mille peines secrètes
qu'on n'oserait conlier à aucun mortel ; nu
rougissons point de les ra|)porter à Dieu,
et ne craignons de sa [)art ni rebuis ni mé-
pris : nous tojiim<^s sfln ouvrage-, il ne dé-
daignera rien de ce qu'il a fail; nous som-
mes ses eiif'anls, et jamais père eut-il des
sentimenls aussi tendres? Ne craignons
point de lui exposer avec candeur [onUi
l'étendue de nos besoins; entrons av3c lui
dans le détail de nos misères les plus se-
crèles et les plus humil anles : il a des re-
mèdes tout jirôts pour chacun de nos maux,
et il n'attend ))Our nous secourir que d'être
invoqué.
Non, Messieurs, nous m? compterons do
jours heureux que ceux que la prièri\ ol
surtout la médiialion auront sanctitiés. F,|;e
de la sagesse, la ()rière attire après elle
tous les biens, et il n'y a pas de n aux qu'elle
ne I revienne ou ne guérisse, ou du moins
n'adoucisse. Oh 1 qu'elle soit donc à l'ave-
nir noire compagne (idèle, qu'elle assiste à
noire réveil, qu'eile commence nos jour-
nées, qu'elle préside h nos travaux, qu'elle
anime, qu'elle soulienne toutes nos fonc-
tions ; qu'elle bénisse nos repas, qu'elln
consacre nos délassements , qu'elle nous
suive dans nos voyages, dans nos visitas ;
qu'elle soit sans cesse à nos côlés, le jour
el la nuit, dans nos joies, dans nos peines,
dans le calme de la retraite et dans le tu-
multe du monde.
Mon Dieu ! j'ai bien des grâces à vous
demander ; mais je me borne en ce morne it
à une seule, qui est la source de toutes,
c'rst l'esprit de la prière. Donnez-moi le
goût, la f.ici'ité, la sai'nle habitude de con-
verser avec vous, de vous ouvrir mon cœur
et d'admirer la bonté du vôtre, de vous con-
sulter dans mes doutes de vous commun -
quer mes projets, do vous olîiir mes entre-
prises, d'attendre de vous seul le succès de
mes travaux, et surtout la récora|)ense im-
mortelle dont vous avez promis de les cou-
ronner.
INSTRUCTION VIII.
I.A MK-niTATlON.
Ii: medilalionc mea cxaiilcscct igriis. (Psal. XXXVIII,
*■)
Messieurs ,
Ce feu sacré dont |)arlo ici le Prophèlo
71 i
ORATEURS SACRES. MAUREL.
7!2
est celui que Jésus-Cbnsl osl venu allumer
sur la (erre, et dont il désire .que tous les
cœurs soient embrasés : Ignem veni millere
in terrain, et quid volo, nisi ut accendatur
(Luc, XII, U9); le môme qui descendit sur
les apôtres après ces dix jours de retraite et
(l'oraison qui précédèrent !a conversion de
l'univers ; le même qui avait rendu le vi-
sage de Moïse si éclatant , lorsqu'il descen-
dit de la montagne pour manifester aux
Juifs ce qu'ils avaient recueilli de la bouche
de Dieu même, et 'qu'il leur dit avec celte
onction pénétrante qui n'appartient qu'aux
envoyés du Très-Haut: Vous aimerez le Sei-
gneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute
votre âme et de toutes vos forces [Mcitt., XXII,
37); le même qui était figuré par ce feu malé-
ricl que les prêtres de l'ancienne loi étaient
cbargés d'allumer tous les matins et d'en-
tretenir pendant tout le jour sur l'aule! du
Seigneur: ig'nî's in ultari meosemper ardebit,
quem nutriet sacerdos, subjiciens ligna mane
per singiilos dies. (Levit., VI, 12.)
Oui, mes cliers confrères, le cœur du
prêtre est le véritable autel du Seigneur oiî
doit fMre allumé tous les matins et enlre-
lenu pendant lout le jour le feu sacré de
I amour divin. Le bois mystérieux qui sert
d'aliment à ce feu céle>te, c'est la médi-
tation : m vieditutione mca exardescel ignis.
Le cœur d'un piêlre, dans le .Mlence et le
recueillement de l'oraison, devient comme
un fojer oiJ se rassemblent tous les
rayons du soleil de vérité et de justice,
et d'où ensuite ces rayons et ces ar-
deurs se réfléchissent et se répandent sur
les cœurs des fidèles. Voilà ce qui explique
les prodiges de grûce et de sainteté qu'ont
opérés dans tous les siècles les bommes
vraiment aposloli(jues , et les ell'orls stéri-
les de tant d(^ prêtres dont le zèle bruyant
et tumultueux frappe l'orLille sans atlein-
(ire le cœur. Abl mes chers confrères, c'est
que les [iremiers étaient des bommes d'o-
raison ; c'est l'oraison qui doimait tant de
puissance à leurs paroles et à leurs œu-
vres!
Comment remplir saintement les subli-
mes Ibnclions de notre ministère sans le se-
cours Iréquei.t et journalier de la médita-
lion ? On nous dit i^ue c'est assez pour un
prèlre de bien réciter son bréviaire; mais,
grand Dicu'l comment le diseiu ceux qui
n'ont pas l'usage de la méditation? Qu'ob-
liennenl-ils par celte récitation précipitée,
inaltentive et souvent indécente, (|ue des
fléaux peut-être et des calamités sur l'E-
glise? Comment s'approchent -ils de cet
autel redoutable oij une foi vive, une cons-
cience [)ure, une piété aH'oclueuse, sont
stules dignes de monter? Quels peuvent
donc être les motifs de ce dégoût i»resi|Ut'
univer>el pour un exercice si salutaire? \\
faut, Messieurs, que l'usage de la ujédila-
tion soit quelque chose de bien agréable à
Dieu et de bien utile h l'Iiomme, puisque
l'ennemi de notre salut fait tant deilorts
pour nous en éloigner; malheureusement,
notre paresse et nos passions se trouvent
d'accord là-dessus, comme sur tant a'autres
choses, avec cet esprit de mensonge. On
s'exagère les (lifTicultés de loraison men-
tale, on en méconnaît ou l'on en diminue
les avantages, on va presque jusqu'à se per-
suader qu'elle est inuiile, ou qu'elle n'est
bonne lout au plus que pour les séminaiies
et les cloîtres, comme si un prèlre devait
ê!re moins [)arfait qu'un religieux ou un
séminariste. Cependant, mes chers confrè-
res, formons-nous une idée exacte de celte
sainte pratique, et nous verrons qu'il n'est
rien, 'pour un prêtre surtout, de plus facile,
de plus nécessaire, de plus avantageux, que
l'habitude de la méditaiion.
Mon Dieu, vous le voyez, tout le bien do
celte retraite dépend de celte insiruction.
Un prêtre qui médite n'a pas besoin d'au-
tres secours. El à quoi lui serviraient-ils
s'il ne médite pas? Daignez donc pré|)arer
nos cœurs , et les rendre dociles à une des
vérités les plus importantes <lans l'exercice
des fonctiuns sacerdotales.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour dissi})er d'abord les vains prétextes,
qu'on oppose à la méditation, commençons
pareil monlrer la futilité. Qu'est-ce que la
méditation, ou en d'autres teimes l'oraison
mentale? C'est une application d'esprit et
une élévation de cœur à Dieu, dont le but
est de nous retracer les vérités et les de-
voirs du christianisme, et d'obtenir la grâce
de les mettre en pratique. Il y a une grande
ditférence entre l'étude de la religion et la
niédituiion. L'étude n'exige que l'app ica-
tion de l'esprit, et la raédilaiion demande
de plus le mouvement du cœur. Le but ()ro-
chain de l'élude, c'est d'augmenter nos
connaissances; le but prochain de la médi-
talion, c'est d'accroître notre piété. Ainsi
l'élude de la théologie ou l'élude d'un ser-
mon n'est pas ce qu'on appelle méditation :
c'est une sainte pratique qui procure une
parlie des fruits de la médiiation, d'élever
de temps en temps pendant ces éludes son
cœur à Dieu , et d'appliquer les vérités
qu'on étudie à la réforme et à la perfection
de ses mœurs.
Il y a aussi, comme lout le monde sait,
une grande difl'érence entre la médiiation
et la prière vocale. Celle-ci exige sans doute
rattenlion de l'esprit et le mouvement du
cœur : malheur à celui qui ne prierait que
des lèvres ! Mais celle attention se donne
momentanément aux choses qu'on dit ou
qu'on demande, sans se fixer à aucune en
particulier : tandis que la méditation s'at-
taelie pendant un lem()s plus ou moins long
à une seule vérité princiiiale, pour en tirer
des. conséquences pratiques et exciter dans
le cœur des sentiments analogues.
Quand je dis pendaiil un temps plus ou
moins long, ce n'est pas qu'il ne soit très-
utile de se livrer fréquemment, à l'exemple
des saints, à des all'ections momentanées,
qui, s'élevant comme un trail du fond de
notre âme vers Dieu, sont d'autant jlus
cllicaces, qu'elles sont plus vives et plu? ai-
713
RETRAITE. — INSTRUCT. Mil, SUR LA MEDITATION.
n\
dente?. C'est, comme vous savez, ce qu'on
appelle oraisons jaculatoiros. Les prêtres
fervents se servent do tout pour s'élever à
Dieu avec la ra[)idiié de l'écKiir. Ainsi, en
contemplant la magnificence et les merveil-
les de la nature, ils s'élèvent à l'auteur de
toutes clioses, ets'écriont avec le Proplièie :
Cœli enarrani gloriam Dei,et opéra manuum
ejuf annunliut fînnamenlum{PsuL XV11I,Î),
ou avec saint Augustin : 5» hœc magna sunt,
quanlus est ipse? Si un objet visible les
IVappe par sa beauté, ils rappellent la beauté
immortelle du Créateur dont la jiossession
sera la récompense des privations d'ici-bas
et de la garde de nos sens; ils s'écrient:
Quid milti ei^t in cœlo, et a le quid volui su-
per terrain? Dciis cordis mei, et pars mea in
œlernum. {Psal. LXXII, 23.) Dans une ten-
tation ou une peine, ils répètent les paroles
d'Ezéchias : Domine, vim palior; responde
pro me. (Isa., XXXVIII, 18.) A la vue d'un
mort ou d'un mourant, ils désirent |)0ur
eux-mêmes une mort précieuse : Moriatur
anima mea morte juslorum. [Num., XXIIl,
10.) A l'aspect d'une croix, quede réflexions
se présentent en foule a l'esprit d'un prêtre
fervent : Dilexit me, et tradidit semetipsum
pro me ! {Galiit.fU, 20.) L'amour immense
d'un Dieu qui s'est immolé pour les hom-
Djes, l'ingratitude des hommes qui le cru-
cifient sans cesse par leurs crimes î Oh 1
qu'il serait à plaindre ce prêtre insensible
en qui la vue du signe de notre salut ne ré-
vt'illerait aucune idée aucun sentiment de
i-eligion !
Mais outre ces raéditalions, aussi rapides
qu'elles peuvent être fréquentes, puisque
l'occa.sion s'en présente a chaque instant,
( t qui facilitent la pratique du précepte :
Oporlet iemper orare et non deficere (Luc,
XVlll, 1), un bon prêtre ne manque ja-
mais, à moins d'une impossibilité morale
ou physique, de consacrer tous les jours
au moins une demi-heure à des réllexions
plus suivies sur quelque vérité, ou quelque
vertu, ou quelque vice, et surtout sur le
vice ou défaut qui domine en lui, qui exige
de sa vigilance des combats continuels.
Vous savez, Messieurs, la méthode ordi-
naire qu'on suit diais cet acte si essentiel
de la \ie religieuse. Permeltez-moi de vous
rappeler d'une manière tout à fait simple
ces règles que vous mettez sans doute en
pratique, mais qui conviennent au sujet que
je traite, et veuillez, en faveur des motifs
qui m'animent, excuser la familiarité des
détails dans lesquels je serai forcé d'entrer.
Vous savez que la méditation est compo-
sée de trois parties : la préparation, le cor|)S
de l'orai&on et la conclusion. La pré[)aration
est composée de trois actes : 1° se mettre
en la présence de Dieu et l'adorer; 2" s'hu-
milier et se re|)entir de ses fautes ; 3" invo-
quer lus lumières et l'assistance de l'Esprit-
baint. Le corps de l'oraison comprend aussi
trois choses : 1° réiléchir sur la vérité qu'on
a en vue, en rap[»eler les motifs et les preu-
ves ; voila ce qui s'appelle proprement m^-
dùer; 2' s'appliquer à soi-même la vérité
OBATMiBS SACUÉS. LXViJL
méditée, examiner en (juoi, dans quelles
circonslaiices particulières on y manque,
gémi'' do sa faiblesse, et demander h Dieu
qu'il daigne nous fortifier et nous changer :
c'est |)rincipalemenl en cela que consiste
V oraison mentale ; 3" prcMve des résolutions,
particulières et non générales, relatives à
noire position ; dire par exemple : Dans
telle circonstance Je ferai cela, dans telle
autre j'éviterai ceci ; je vais tûcher de répa-
rer telle faute que j'ai faite, de me rappro-
cher de telle persoine que j'ai aigrie. Enfin,
la conclusion de l'oraison renferme aussi
trois choses: 1° remercier Dieu des lumière?
qu'il nous a données et des résolutions
qu'il nous a inspirées; 2° le prier de les bé-
nir et de nous donner la force de les suivre ;
3° recueillir quehjues-unes des pensées qui
nous ont le plus frappé dans l'oraisOn pour
s'en nourrir et les rappeler souvent dans
le reste do la journée. Un exemple rendt-a
tout ceci plus sensible. Je suppose quejo
veuille méditer sur le péché. Je fais d'avance
quelque lecture sur celte matière: la mé-
ditation sans lecture expose, dit saint Ber-
nard, aux égarements d'une imagination
vagabonde, et quelquefois aux illusions
d'un cœur aveuglé, meditatio sine lectiono
erronea. Après m'être humilié devant Dieu
et avoir imploré ses lumières, je me figure
le péché comme une bête féroce qui ravagé
la terre, qui en veut particulièrement à moi ;
et comme ce monstre est d'autant plus h
craindre qu'il a souvent l'adresse de se
rendre invisible et de surprendre sa victime,
je mêle représente comme caché à mon ré-
veil dans le lieu que j'habite observant
tous mes mouvements, me suivant à mon
insu lorsqueje sors, s'altachant à tous mes
pas, et épiant le moment de tomber sur moi
et de me dévorer. Celle image, comme vous
savez, est de l'apôtre saint Pierre, qui nous
représente Satan, père du péché, comme
un lion furieux qui tourne sans cesse au-
tour de nous, qui est d'intelligence avec
une passion qui nous domine, la colère,
par exemple, ou la lâcheté ou la volupté :
chacun a la sienne, et souvent plus d'une.
Pour me garantir de ce monstre, qui du
reste ne peut me nuire qu'autant que je la
voudrai, je vais considérer l'outrage queje
ferais à Dieu et les maux queje me cau-
serais à moi-même en me livrant au péché.
D'abord, quoi outrage ne ferais-je pas à
un Dieu créateur qui m'a formé àsonimage,
qui m'a donné l'existence et tout ce queje
l)0ssède, qui me conserve chaque jour la
vie, la force, la faculté de penser et d'agir,
si j'avais le malheur de méconnaître son au-
torité, sa puissance, ses bienfaits, et de me
révolter contre sa loi I Quel outrage ne fe-
rais-je pas à un Dieu rédem|)teur qui m'a
aimé jusqu'à mourir pour moi, qui m'a dé-
livré de la damnation éternelle, racheté au
prix de son sang et assuré une place, ,un
irône dans les cieux, si j'allais par le péché
renouveler ses douleurs et ses op[)robresi
et rendre inutiles à mon égfjrd les mérite^
du 3a mort 1 ;jucl outrage ne ferais-ju [lUS à
23
Vi§
ORATEURS SACRES. MAUREL.
7!(î
un Dieu sanctificateur qui m'a éclairé de
ses lumières, enrichi de ses dons, comblé
de ses grâces, si je résistais à ses mouve-
ments, si je rejetais ses inspirations, si je
cherchais à m'aveugler et à étouflfer les re-
mords de ma conscience, pour suivre le dé-
sir de mes passions !
Telle serait ma culpabilité en qualité de
chrétien. Mais si je me considère comme
prêtre, comme honoré d'un ministère su-
périeur à ceJui des anges, comme chargé
(le dispenser les trésors de, la grâce et les
mystères de Dieu , de prêcher en son nom
les vérités du salut, de conduire les. autres
dans les roules de la sainteté et de leur don-
ner l'exemple de toutes les vertus, com-
bien je serais coupable de manquer moi^
même à la doctrine que j'enseigne et de
perdre par mes scandales ces âmes pré-
cieuses dont le salut m'est confié! Et cepen-
dant n'ai-je jamais eu ce malheur? n'y en
s-t-il aucune dont les dérèglements et i'im-
pénitence n'aient pris leur source dans mes
mauvais exemples et dans la froideur ou
l'imprudence de mon zèle, et dont je puisse
me reprocher la perte?
Je considère ensuite le péché par rap^
port aux maux qu'il cause au coupable.
Perdre la vie de la grâce et tomber dans un
élitt de mort aux yeux de Dieu, percer son
âme d'autant de traits mortels qu'on com-
met de crimes, et la rendre mille fois plus
liideuse qu'un cadavre ; n'avoir [)lusde droit
au royaume céleste, avoir quitté la route
qui y conduit et marcher sans cesse sur les
bords de l'enfer, exposé à y tomber à cha-
que instant; s'aveugler, s'endurcir de plus
en plus à projiortion qu'on persévère dans
le crime, et courir à grands pas à l'impéni-
lence tiuale et à la mort dans le péché, ô
mon Dieu 1 quel étatl
Cet affreux étal n'est-il pas le mien? Ne
suis-je |)as, peut-être à mon insu, coupable
de quelque péché mortel? Je ne suis que
trop certain d'en avoir commis dans ma
vie; mais suis-je certain d'en avoir fait une
vraie pénitence? Que de ravages n'a pas
causas en moi pendant ma jeunesse celle
})assion honteuse! était-elle enlièrement
éteinte lorsque j'entrai dans le sacerdoce?
Hélas! l'tist-elle du moins en ce moment?
ne vit-elle fias encore au fond de mon cœur
sous le masque d'une vertu apparente?
telles paroles, telles libertés, telles fautes
qui m'ont paru légères, qui le seraient
peut-être dans un simple tidèle, ne sont-
elles pas en moi, prêtre d'un Dieu trois lois
saint, des fautes graves? Dans ce doule, je
n'ai pas recouru à la piscine sainte, ou je
n'y suis allé que pour m'aveugler davan-
tage ! dans ce doute, je n'ai pas craint de
monter à l'autel, c'est à-dire de profaner le
sang de Jésus-Christ I
O mon Dieu ! qui donnera à mes yeux
une source intarissable de larmes? Non, je
ne veux plus dill'érer de régler ma con-
science; et une fois rentré dans les voies
de la vertu, je ne veux plus m'en écarter :
telle |>récaution m'est nécessaire, je la
prendrai : plutôt la mort, 6 mon Dieu, qu^
de me livrer à telle faute; plutôt la nrort
que de continuer cette vie lâche et tiède,
sans recueillement, sans méditation, qu"i
conduit infailliblement au péché mortel!
Daignez, ô mon Dieu! recevoir et bénir
celte résolution sainte que je prends à vos
pieds. Je n'oublierai plus qu'il en a coûté à
Jésus-Christ tout son sang pour expier lé
péché, et que je dois le fuir comme je fui-
rais à l'aspect d'une bête féroce. Que f,'^
rais-je si le soir avant mon repos j'aperce v;ii s
un énorme serpent étendu dans ma couche?
irais^je la partager avec lui? Quasi a facie
colubri fuge peccata. [Eccli., XXI, 2.)
Ici, mes ehers confrères, je ne deman-
derai pas si ces réflexions, ces sentiments,
ces résolutions vous paraissent utiles; mais
je demanderai si cet exercice vous semble
difficile. Voilà cependant ce que c'est que
méditer : éclairer l'esprit pour émouvoir
le cœur, rappeler avec attention la vérité,
s'excitera la mettre en pratique et gémir
de l'avoir violée; tout est là. Je sais bien
qu'on ne peut y réussir sans le secours de
la grâce ; mais aussi a-t-on le soin de la de-
mander soit avant, soit pendant, soit après
la méditation. Comment donc osera-t-on
dire qu'on n'est })as c.ipable de .'iiédiler?
Toul homme, quel qu'il soit, et à plus forte
raison un prêtre, n'esl-il pas capable de
réfléchir, de prendre une résolution et de
la suivre? la méditation est-elle autre
chose? Quoi, on peut s'occu[)er d'une
affaire, d'un procès, d'une étude, d'un ser-
mon, d'un cas de conscience, et l'on ne
[)eul s'occuper des besoins de son âme!
Ecoutons les prétextes qu'allèguent l'oi-
sivelé et la tiédeur pour se dispenser de
la sainte pratique de la méditation. Mes
fonctions ne me laissent pas le temps de
vaquer à l'exercice de l'oraison. Que di-
tes-vous là, mon cher frère! on trouve le
tem|)s nécessaire pour s'occuf)er de raille
frivolités, et l'on ne le trouverait pas pour
la plus .importante, la plus nécessaire de
toutes les affaires, celle du salut, qui ne se
fait pas sans doute sans y réfléchir! on
trouve le temps nécessaire pour satisfaire
aux besoins de la vie cl soigner le corps;
l'on n'en trouverait pas pour donner à l'â-
me le soin, l'aliment, le repos qui lui con-
vient! Ces sortes de prétextes nous font
[lilié dans un luique; que sera-ce dans
un prêtre?
Mais j'ai l'esprit si léger, l'imagination si
volage; je suis naturellement ti distrait 1
Autre [uétexle des gens du monde : nous
leur disons qu'ils ne sont pas si distraiis
[)Our leur commerce, leurs iningues, leurs
afïaires ; qu'ils savent bien se fixer sur un
projet, sur une entreprise qui doit grossir
leur fortune et étendre leur réputation.
Faudra-t-il qu'on répète cette réponse à un
prêirequi l'a si souvent faite lui-même aux
simples fidèles? Vous avez l'esprit léger !
raison de plus pour l'appli(iuer à la raédi-
talion, qui le tixera. D'ailleurs, ignoro)is-
nous, mes chers confrères, que les d s-
71<
RKTRAITE. — INSTUUCT. VIII, SUR LA MEDlTATIOiN.
il^
traitions sont lu partage de la faihi-esso hu-
maine, et (]u'('lles ne sont coupables dans
la prière (m'aulaiil qu'elles sont volotilai-
res ou en olles-mtimes ou dans l'ocoàsion
qu'on y d(;nne, soit en no se recueillaiU pas
avant de prier, snileu menant une vie lia-
tiituelleiuent dissipée et déréglée? igno-
rons-nous que les égarements involontai-
res, loin de nuire à la méditation, en aug-
mentent le mérite par la patience à les sup-
porter et la vigilance à les érailer?
Mais JH n'ai jamais su méd ter, ni ne le
saurai jamais : cette méthode qu'on ensei-
gne dans l»s séminaires, et qu'on tt-ouve,*
j'en conviens, dans tant de livres, peut être
Irès-honne et très-utile ; mais elle est si
cuni]iliquée, si endjarrassée 1 Convenons,
mes chers coiifières, que c'est le dél'aut
d'habitude qui nous la lait trouver telle, et
que ce manque d'habitude est l'ouvrage de
notre |)aresse et de notre lâcheté. Mais en-
fin n'importe la forme, attachons-nous au
lond : si une méthode qui a été suivie et
enseignée par les hommes de Dieu les plus
reconimandabies en science et en sainteté,
par les Ignace, les François de Sales, les
Vincent de Paul; si, dis-je, cette méthode
parait trop (aiigante à notre dissipation,
employons du moins celte méthode simple
et lacile que l'on conseille aux gens du
monde; elle s'exprime en trois mots : liseZf
réfléchissez, priez.
Lisez soit avant, soit pendant la médita-
tion : la leciure lixe les esprits troj) vifs et
excite les imaginations trop lentes; mais
lisez avec attention et réfléchissez : la lec-
ture est utile pour aider la réflexion, et la
réflexion est nécessaire pour émouvoir le
cœur ; prieZj voilà l'essentiel de la médita-
lion : élever son âme à Dieu, s'humilier à
ses pieds, gémir de ses faiblesses, implorer
le secours de la grâce, s'armer de contiance
et de courage, déclarer une guerre à mort
à ses vices ou à ses défauts, renouveler tous
les jours la résolution de se combattre et de
se vaincie, et faire tous les jours de nou-
veaux etibrts pour acquérir les vertus qui
nous manquent. Quand on a excité dans
son cœur cei saints mouvements, on a bien
médité, quelque méthode qu'un ail em-
ployée. 4
il est donc bien clair, mes chers confrè- '
res, qu'il nesl rien de plus facile pour les
hommes de boiuie volonté, liominibas bonœ
voluntutis [Luc, H, lij, que l'exercice de
la méditatiun; qu'on n'a aucune raison de
s'en disj;enser, et que si dans quelques
circonstances rares on se trouvait, soit par
maladie, soi', par des occupations extraor-
dinaires, dans limpussibililé de donner un
temps suivi à ce saint exercice, il est facile
d'y suppléer en élevant plus souvent dans
le jour son cœur à Dieu par des oraisons
jaculatoires qui forment proprement ce
qu'on appelle l'esprit de prière, cet eSprit
SI familier aux saints et aux véritables
liommes de Dieu.
Les obstacles à la méditation une fois
levés, et toutes les jiréveulious dissijjées,
appliquons-nous, pour nous y encouragei-,
à en coiuiaitre les avantages et la nécessité.
SECONDE PARTIE.
Tout ce que je viens de dire sur ta nature
et la facilité de la méditation en prouve
aussi les avantages et la nécessité, vous
avez pu, Messieurs, vous en convaincre.
Ce que j'ajouterai sera propre à vous faire
apprécier l'importance de l'exercice qui
fait l'objet de cet entretien.
Tous les saints, tous les hommes aposlo-
liqueâ, tous les docteurs de l'Eglise n'ont
qu'une voix pour célébrer les avantages et
les fruits merveilleux de la méditation :
tantôt ils la représentent comme une chaîne
d'or qui esiatiachée au ciel, et qui descend
jusqu'à la terre: c'est par là que nos dé-
sirs s'élèvent à Dieu et que ses grâces des-
cendent à nous; tantôt ils la comparent à
l'échelle de Jacob, qui touche de la terre
au ciel, et le long de laquelle les anges
montent et descendent sans cesse pour
porter nos demandes à Dieu et nous en rap-
porter ses bénédictions; tantôt ils l'appel-
lent la clef du ciel, qui en ouvre toutes les
portes et tous les Irésors. Oraiio jusli clavis
est cœli.
Qu'est-ce que la méditation au jugement
dé saint Jean Climaque? C'est le canal de
toutes les grâces, là destrucliou de tous les
vices, la lumière des esprits, la nourriture
de l'âme, son trésor et sa fichesse; la mé-
ditation égale les hommes aux anges. Quels
sont les fruits de la méditation au Jugement
de saint Bernard? D'abord, dit ce Père, elle
puritie la source même d'où elle tire sou
origine, je Veux dire l'esprit; ensuite, elle
gouverne leiJ mouvements du cœur, dirige
les actions, corrige le.s excès, règle les
mœurs, établit la décence et le bon ordre
dans la vie.
On dira peul-êtré qu'il n'est pas" éton-
nant que des solitaires aient parlé ainsi. Je
pourrais d'abord répondre que ces solitaires
faisaient tout ce que nous taisons : ils étu-
diaient, ils prêchaient, ils confessaient, ils
catéchisaient, ils administraient les mala-
des, ils gouvernaient des sociétés souvent
plus nombreuses que nos paroisses; et
c'est dans la tnéditalion qu'ils puisaient la
grâce d'excercer saintement toutes ces
fonctions. Les Augustin, les Grégoire, les
Chrysostorae n'étalent pas des solitaires;
et Cependant ont-ils parlé autrement de la
méditation?
•^. Mais voici une lîutorité plus moderne
qu'aucun |)rêtre n'oseia sans doute récuser ;
c'est celle d'un gràti J et savant jionlife, dont
les écrits ont obtenli le suffrage de toute la
catholicité, et feront la .règle des siècles
futurs. Vous connaissez tous là fameuse
bulle de Benoît XIV, qui a polir objet
d'exhorter les tidôles, et à [)lus forte raison
les piètres, h l'oraison mentale ; vous con-
naissez les indulgences qu'il accorde soit à
ceux qui sont assidus à cette pratique, soit
à ceux qui i enseignent aux autres, soit a
ceux (iuichercheijt à s'en instruire; voua
719
ORATEURS SACRES. MAUREL.
1-20
savez que a a[»res colle bulle, en faisant
choque jour une demi-heure ou au moins
un quart d'heure de méditation, on peut
gagner chaque mois une indulgence plé-
nière. Eh bien 1 dans colle bulle si célèbre,
quelles grandes idées celte illustre pontife
ne nous donne-l-il pas de l'excellence do
l'oraison mentale, qu'il appelle uneéclielie
mystérieuse par laquelle l'âme s'élève de
ia terre au ciel, une recherche des choses
élernclles, un désir des biens invisibles,
une union délicieuse avec l'Esprit-Saint,
une conversation' familière avec Dieu, une
participation sacrée 5 ses ineffables lu-
mières ! De quels développements ne se-
raient pas susceptibles ces grandes et no-
bles pensées! Appliquons -nous à les
méditer, pour nous encourager à l'exercice
qu'elles recommandent, et dont elles nous
donnent une idée si consolante. Heureux
le [lasteur qui s'appliquera à les donner à
son peuple, ces saints développements, et
qui fortifiera ses inslruclions par la prati-
que! Comment parler dignement de l'orai-
son sans être soi-même un homme d'o-
raison ? Heureux le prêtre qui, en prêchant
aux simples fidèles les avantages inappré-
ciables de la méditation, sera convaincu
qu'elle est avantageuse et nécessaire pour
lui-même! Permettez-moi, vénérables con-
frères, de donner quelques développemenls
à la pensée de ce grand pape, en vous mon-
trant en peu de mots l'oraison mentale
comme une source de lumières, de sainteté,
de force, de joie et de consolation.
. Je dis premièrement une source du lu-
mières qui nous découvre d'un côté l'abîme
de notre néant, et de l'autre la grandeur
infinie de Dieu; d'un côté la corruption de
notre cœur et la multitude de nos défauts,
et de l'autre les dangers qui nous environ-
nent. Or, qui |»lus qu'un prêtre a besoin
des lumières d'en lj;iut, soit pour se con-
duire lui-même dans les fondions loue les
Jours plus dilHciles de son ministère, soit
pour conduire les autres, à travers mille
obstacles et mille dangers, dans las routes
tortueuses du salut? or, où. puisera-t-il ces
lumières, sinon dans une union habituelle
et des entretiens journaliers avec Dieu?
Accedite ad eum, el illuininamini. {Psal.
XXXIH, 6.) Saint Thomas et tant d'autres
saints avouaient (]u'ils en avaient bien
moins a[)pris dans les livres qu'au pied
du crucifix. La méditation fera tous les
jours sur nous ce (lue fit l'Esprit-Sainl le
jour de la Pentecôte sur les apôtres; elle
nous enseignera toute vérité : ;'. Docebit vos
omnem veritatem. [Luc, Xll, 12.) Un prêtre
qui ne médite pas, ne connaît pas Dieu ;
Dieu lui est étiangor. On dit tous les jours
que p-^ur connaître quelqu'un il faut le fré-
quenter; on ne fréquente Dieu que par l'orai-
son : un prêtre qui ne médite pas, ne connaît
p«s la religion; il n'a pas même une iUéejuste
des vérités qu'il prêche. Cette connaissance
est un sentiment que l'Esprit-Sainl peut seul
donner; et cet esprit divin ne se commu-
niiiue|ias aux {)! êtres dissipés qui le fuient.
Un prêtre qui ne médite pas no se coii-
naît pas lui-même; il habite loin de son
cœur; il ne le visite jamais. Comment le
connaîtrait-il ? Le monde compte ses fautes,
censure ses défauts, blâme ses impruden-
ces ; lui seul les ignore. Victime des illu-
sions de son amour-propre, il marche sans
cesse au hasard, sans règle, sans principes,
sans appui, et presque tons ses pas sont
marqués par des chutes.
Un prêtre qui ne médite pas, ne connaît
pas le cœur humain ; il ignore les arlifices
el les remèdes des passions, les nuances
infinies des caraclères et la variété des
moyens propres à les diriger, le jusle tem-
pérament qu'il faut mettre entre la fermeté
el la douceur : un tel prêtre est un aveugle
qui conduit d'autres aveugles; où peuvent-
ils aboutir? C'est la méditation qui nous
découvre les illusions qui trompent la plu-
part des hommes sur la brièveté de la vie
et la fragilité des biens terrestres, sur celte
estime des hommes et cette soif de renom-
mée qui déshonorent le ministère de cer-
tains prêtres; c'est la méditation qui nous
apprend que c'est folie de chercher le
bonheur sur la terre. Ah I qui pourrait ici
nous rendre heureux ! ce que nous pour-
rions posséder nous alfranchiraii-il des
infirmités du corps, des défauts de notre
caractère, des contradictions et de l'injus-
tice des hymraes et de laiit d'accidents qui
troublent le repos de notre âme et la plon-
gent dans l'amertume; c'est enfin la médi-
tation qui tient, pour ainsi dire, nos yeux
fixés vers le ciel, source ineffable de toute
science. Voilà les secours que nous trou-
vons dans la méditation; voilà les précieux
enseignements que Dieu se plaît à commu-
niquer à un homme d'oraison. La médita-
tion est donc une source de lumière.
Jo dis en second lieu que la méditation
est une source de sainteté. Vous le savez,
vénérables confrères, la sainteté n'est autre
chose que l'assemblage de toutes les vertus,'
l'union habituelle avec Dieu , lasoumissioa
constante à sa volonté, l'attention à ne
jamais le contrarier, le désir de procurer
sa gloire , la crainte de lui déplaire , même
dans les choses en a[)parence légères.
Or, c'est surtout aux prêtres que s'adres-
sent ces paroles : Sancti eslole, quoniam ego
sanctus sum (Levit., XI, 45); Estote perfecli
sicut Pater cœlestis perfectus est. {Mattli., V,
i8.) Où trouver une aulro source de colle
sainteté parfaite que l'habitude de l'oraison?
La cause de toutes nos fautes, c'est l'oubli
de Dieu : car qui oserait l'otfenser, s'il fai-
sait attention qu'il est là , qu'il nous voit et
nous entend ? Mais la présence de Dieu nous
sera-l-elle bien familière, sans l'habitude
do passer tous les jours un certain tem[)S à
ses pieds pour lai exposer nos besoins et
gémir de nos faiblesses ? Ce saint entrelien
laisse toujours .au fond du cœur quelque
ciiose qui nous rappelle à Dieu dans le cours
de la journée. Aussi, parmi les prêtres as-
sidus à la méditation, trouvoz-ea un déré-
H\
RETRAITE. — INSTRUCT. M». SUR LA MEDITATIOiN.
7-2:1
plé IS'il l'élail d'abord, il cliangorail bicii-
lôt , el parmi ceax qui ne méditent jamais,
ou presque jamais . trouvez-en un seul qui
ne soit, sinon manifesiement prévaricateur,
tiu moins lâche, tiède, inexact à plusieurs
ikivoirs et voisin de quelque grande cliule
dont peut-être il ne s'apercevra pas, elqui
ne sera connue que de Dieu.
Un prêtre qui ne médite pas se confesse
rar(Mnent , el jjresque toujours sans fruit : il
sadresse à un directeur qui lui ressemble,
et qui n'ose l'exhorter à ce qu'il ne fait pas
kii-même. Un prêtre qui médite choisit pour
confesseur un homme d'oraison et fait tous
les jours des progrès sensibles dans la'piété;
il croît sans cesse dans la science de Dieu ,
comment ne croilrail-il pas dans son amour?
Je dis en troisième lieu que la méditation
rst une source de force, de cette force aposto-
lique qui nous est nécessaire dans l'exer-
cice de notre ministère.
Qui plus qu'un prêtre a besoin de courage,
(lieujaiinanimiléîet où la trouvera-t-il, sinon
(Xins l'oraison , celle force qui animait saint
Paul, el lui faisait dire : Quis nos separabil a
charitate Christi; tribnlalio , an auguslia , an
famés? {Rom., ViJl, 35.) La force chrétienne,
vous le savez, consiste h faire et à souffrir
pour Dieu de grandes choses , magna facere
el pâli. Fut-elle jamais plus nécessaire h un
pasteur, à un ministre évangélique? tant de
d«;lïicul lés à vaincre, tant de dangers à préve-
nir, tant de dégoûts è dévorer, tant de con-
Ir.idiclions à supporter, tant de caractères
uillicilesà ménager, tanldepréventioiiS défa-
vorables à dissi|)erl et celte stérilité d'un
ininislère qui trouve à chaque pasdes cœuis
itidociles, ou des obstacles insurmontables;
et cette ingratitude toujours croissante d'un
lïeujile aveuglé qui ne paye nos services que
d|iiiditférence, de murmures et quelquelois
d'insultes et d'outrages; qui ne veut ni
fournir à nos besoins , ni se prêter aux dé-
penses du culte, ni avoir égard aux saintes
iègles qui nous forcent de contrarier ses
désirs et de rejeter ses demandes 1 Quelle
force, quelle élévaiio:i de sentiments ne
faut-il pas pour se conduire dans cescircon-
slances avec mesure, avec prudence , avec
une sainte énergie tempérée par la dou-
ceur ; pour ne se laisser ni abattre par la
crainte, ni amollir par la flatterie, ni décou-
rager par des travaux souvent excessifs,
et plus souvent , hélas ! infructueux I El où
trouver celte force que la nature ne peut
donner, sinonaux pieds de ce Dieu qui pro-
tège les feibles et fait la volonté de ceux qui
le craignent? Où Jésus-Christ, noire mo-
dèle, puisa-i-il la force héroïque qu'il mon-
tra dans sa passion, sinon dans ces trois
heures d'oraison qui précédèrent ses op-
|)robres? où croyez- vous que ces grands
saints donl les exemples sonl d'autant plus
frapi-ants qu'ils son! plus près de nous, lus
Burromée, les François de Sales, les Vin-
cent de Paul , avaient puisé la force néces-
saire pour réussir dans un si grand nombre
d'entreprises si difficiles el si laborieuses ,
binon dans l'oiaison?
Ah 1 mallicur au prêtre imprudent qui
dans les circonstances difficiles ne court
])ns avec Moïse au pied du tabernacle con-
sulter le Seigneur, et lui demander la lu-
mière pour connaître, el la force pour agirl
malheur au f)rêlre dissifié qui n'examine pas
devant Dieu et avec Dieu , quels moyens il
doit prendre pour cori-iger tel désordre,
pour ramener tel pécheur, pour réussir
dans telle entreprise ! livré à lui-même,
emporté par son humeur ou entraîné par
des considérations purement humaines, ce
prêtre inconsidéré marchera d"iiiq)rudenco
en imiirudenco, tombera d'écueil en écueil
et hnira par renlre son ministère inutile,
et peul-ôtre funisle, en le rendant odieux.
AJais heureux celui qui tous les matins,
après s'être humilié de ses fautes, examine
avec soin dans le calme de la méditation
quelle conduite il a à tenir dans la journée,
(|ui met avec confiance sous les yeux do
Dieu ses peines , ses embarras, ses incerti-
tudes,et lui dit avec saint ï*au\ : Domine ,
quid me vis facere? {Act., IX, 6.) ou avec
Saloraon: Dumihi, Domine, sedium tuarum
Gssistricem sapienliam. {Sap., IX, h.) Vous
m'avez donné un peuple nombreux et diffi-
cile ; donnez-moi la sagesse pour le con-
duire , aidez-moi à le sanctifier et à le sau-
ver ; que, parmi tant d'enfants dont vous m'as
vez établi le père , il ne se rencontre , ô mon
Dieu ! je vous le demande avec larmes , au-
cun enfant de perdition. Oh 1 mes chers
confrères, qui pourrait peindre la force, la
lumière , l'espérance et le bonheur, qui sont
le résultat ordinaire de ces pieux entretiens?
Je dis enfin que le prêlre fidèle trouvera
dans l'oraison une source abondanle de joie
el de consolation.
Lorsque nous lisons dans les Vies des
saints les délices qu'ils goûtaient dans l'exer-
cice de l'oraison , ces torrents de suavité qui
les inondaient, les transportaient hors d'eux-
mêmes , les élevaient jusque dans les cieux;
lorsque nous les entendons s'écrier dans un
saint enthousiasme : Oh! que le Seigneur
esi bon à ceux qui le cherchent avec droi-
ture [Psal. LXXII, 1) ! Qui me donnera des
ailes comme à la colombe ,pour m'envoler
vers lui el me reposer dans son sein? {Psal.
LIV, 7.) Oh! quand viendra l'heureux mo-
ment où, introduit dans ses tabernacles, j«
pourrai enfin conlemplerla beauté de sa facel
Alors, dis-je, que nous voyons les saints
trouver tant de douceurs dans un exercice
qui ne nous semble, héiasi qu'une source
d'ennui elde dégoût, nous sommes étonnés.
Ah ! prenons enfin la généreuse résolution de
voir [)ar nous-mêmes tout ce que l'exercice
de l'oraison a d'avantageux; suivons, au
moins de loin, la trace des saints, qui furent
d'abord des hommes conime nous, faibles,
làche«, imiportifiés , dominés par les mêmes
passions: enfants d'Adam comme nous , ils
étaient soumis à la môme concupiscence.
Qu'ont-ils fait pour la vaincre el pour par-
venir il cet état do paix, de liberté, de joie
intérieure qui ravit uotr'eadmira lion ? Ils ont
médité, ils oui prié , el la grâce les a reu-
725
ORATEURS SACRES, MAUHEL.
724
dus victorieux d'eux-mêmes ; il-s ont per-
sévéré dans l'oraisoii : Erant persévérantes
in oratione. (Act., 1 , l'i) ; et la paix de leur
flme devenait tous les jours plus sensible:
car il ne faut pas croire qu'ils soient par-
venus tout à coup à ces consolations su-
blimes qui nous étonnent ; elles ont été le
fruit lent et progressif d'une oraison assi-
due. Ayons le courage des saints, et nous
ne serons plus surpris de leur bonheur, parce
que nous le goûterons plus ou moins en
proportion du zèle que nous mettrons à les
imiter. Vous avez tous lu la Vie de saint
Ignace: comment s'arracha-t-il aux vanités
d'une vie mondaine? Ce fut en se livrant à
des réflexions sérieuses sur la vie de Jésus-
Christ et des saints j il les prit pour modèles
et tiouva. comme eux dans l'oraison des dé-
lices ineffables.
Ecoulons le langage d'une âme lâche et
tiède: Je: conviendrai que la méditation ne
peut être qu'infiniment utile et avanta-
geuse , qu'elle est une .'•ource de lumière ,
de sainteté, de force, de douceur et de
paix ; je conviens de tout cela; mais est-elle
indispensablemcnt nécessaire pour le salut ?
Oh! qu'il serait à plaindre, me$ chers con-
frères, un [ rélre qui raisonnerait ainsi et
voudrait se borner slriciemenl au pur né-
cessaire! qu'il serait à craindre qu'il y man-
quât , à ce pur nécessaire , à peu près
comme un homme qui, voulant franchir un
précipice, se proposerait de n'era|)loyer tout
juste que la force qu'il lui faut pour parve-
nir au bord opposé, s'exposerait à ne [las
l'atteindre et à tomber dans le précipice 1
Mais précisons davantage la question. La
méditation esl-olle absolument nécessaire?
Voici ma réponse, qui est celle de tous les
docteurs : Je dis d'abord que , sans parler de
l'obligation particulière qu'on peut s'être
içpposéeà soi-môme par des vœux ou sim-
ples ou solennels, il n'y a aucun précef)te
qui détermine la méthode, la durée et les
autres circonsl;mces de la méditation ; mais
je di§ que ce q.ui en fait l'essence et le fond,
et qui consiste à réfléchir sur les vérités et
les moyens du salut, et h dç*mander h Dieu
la force de Les suivie, est pour un prêtre
d'une nécessité absolue et indispensable.
Est-ce assez, mes vénérables confrères,
pour nous convaincre do la facilité, des
avantages et de la nécessité de la médita-
tion ? S il nous restait encore quelque doute
sur le besoin extrême que nous en avons,
rappelons quelques passages de l'Écriture,
par lesquels, je finirai cet entretien. Peut-
on éviter le péché sans méditer les vérités
éternelles t Memorure novissima tua, et in
œlernum noti pecçabis? {E,ccli., VI] , kQ.)
CiOmmenl se sauver sans iaiie pénitence,
et comment le faire sans contiaîlre nos fau-
tes, comment les connaître sans méditer la
loi de Dieu et les exemples de l'Église ? Si
la pénitence est si rare parmi les prêtres,
quelle en est la cause, sinon cet aveugle-
ment qui nous iait dire: En quoi suis-je
coupable? NuHus est qui agat pcnntcntiatn
super peccato suo dicens , quid feci? {Jer.j
Vllf, G.) N'esl-çe pas la négh'gonce de l.i
méditation qui est h source des maux qui
désolent la terre, dit le Prophète: Desoiri-
tione, desolala est omnis terra, quia nullus
est qui recogitet corde. {Jer., XII, 11.) Hélas!
celte affreuse désolation , le clergé ne peut-
il pas se l'attribuer lui-même? Tout prêtre
ii'est-il pas obligé de s'avancer dans les voies
de Dieu? quel moyen plus efficace que la
méditation? ne doit-il 'pas s'appli(pier ces
paroles de Dieu à Josué : Non recédât votu-
men legis ab ore tuo, sed meditaberis in eo
diebus ac nocLibus , ut custodins et facias
omnia quœ scripta siinl^ in eo. Tune diriges
viam tuam, et inteliiges enm? [Josue, I, 8.)
Enfin, un prêtre ne doit-il pas tendre à la
perfection? quel est le moyen plus sûr
que la méditation des vérités éternelles?
Aussi , que nous fut-il dit le jour même
de notre ordination? Vt in lege Dei die ac
nocle méditantes quod legerint credant, qaod
crediderint doceant , quod docuerint imilen-
lur. Celte vérité essentielle, l'Église nous
l'a répétée encore dans un grand nombre de
conciles : Cum in sortem Domini vocati sitis ,
in lege ejus die. ac nocle meditemini. Imprimis
loto castissimi animi sensu incumbile medita-
tioni.
INSTRUCTtON IX.
LA CONFESSION.
Quorum remiserilis peccala, remiUuntur eis, et quo-
rum relinueriUs, relenla sunt. (Joan., XX, 25.)
Messieurs,
A quel degré de puissance et do gloire
Dieu élève-t-il un faible mortel I Quoi! un
privilège, qu'aucun ange, qu'aucun ar-
change n'a jamais eu, dit saint Chrysosto-
me; un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu
et qui semblerait ne devoir être exercé que
par lui seul, est délégué à un homme! et à
un homme pécheur! Un pécheur a le droit
de remettre les péchés ! les clefs du royaume
céleste lui sont confiées! Tout ce qu'il liera
ou déliera sur la terre, sera lié ou délié
dans le ciel. Oui, Messieurs, telle est l'au
gusle prérogative du sacerdoce : les prêtres
seuls ont le pouvoir d'absoudre les pé.-
cheurs. Le salut éternel des âmes dépend
en quelque sorte de nous ; tous les trésors
de la clémence divine sont dans nos mains ;
le ciel s'ouvre sur la tête d'u,n coupable au
moment que nous l'absolvons, àmoiusque
par son impénilence il n'arrête refiicacilé
de notre uiinistôre,ou que nous-mêmes nous
l'exercions sans l'aulorilé ou contre les rè-
gles de l'Eglise.
Quelles actions de grâces, mes ohers con-
frères, ne devons-nous donc pas au l'ère
des miséricordes, à l'auteur de to.ut don
parlait, qui a daigné nous confier un pou-
voir si sublime et si saiulaire ! Mais prenons
garde qu'en nous l'accordaul il nous oi-
donne d'en user avec 'sagesse ; et uudheur à
nous, si notre indolence le rendait inulilu
ou notre témérité préjudiciable! Que di-
rions-nous d'un homme de guerre qui, au
moment d'un combat, laisserait son épée
dans le fourreau, ou la tournerait conlro,
72S
RETRAITE. ^ INSTRUCT. IX, SUR LA CONFESSION.
riô
son pruire? C'est Timage d'un prùlre qui,
au milieu des besoins saiis nouibre où se
trouve l'Eglise, au milieu de celte affligeante
pénurie dj confesseurs, et surtout de bons
conlessours, se refuserait sans raison, au
niinislère de la confession, ou ne l'exerce-
rait qu'avec lâcheté et au détriment dos
âmes, au lieu de les aider à se sauver il
contribuerait à leur |)erte éternelle.
C'est pour prévenir plutôt que pour cor-
riger ce double désordre, queje vais tâcher
d'encourager le zèle sacerdotal au ministère
de la conlcssion. Il faut confesser et bien
confesser : (elles sont nos obligations.
Je me crois dispensé, Messieurs, devons
rappeUT l'imporlance du sujet que je vais
essayer de traiter devant vous en em-
ployant toujours un langage simple et dé-
pourvu d'oruemenis, approprié d'ailleurs
à la faiblesse de celui qui vous parle, qui
trouveryit des m;iî rcs et des modèles dans
l'auditoire qui l'écoute, et dont il sollicite
l'indulgence. J'exposerai dans une première
partie 1 étroite obligation où se trouve un
prêire de se livrer au ministère de la con-
fession. Pans la seconde partie de cet en-
tretien, et dans le suivant, je traiterai des
qualités d'un bon confesseur.
PREMIÈRE PARTIE.
Tout homme est obligé de travailler au
salut de ses frères ; Mandavit unicuique de
profimo suo {Eccli., XVll, 12.) Or, le sa-
lut ne.peut s'obtenir que par la rémission
des péchés, et les péchés ne peuvent être
remis que par le sacrement de pénitence;
les prêtres seuls sont les ministres déco
sa'jremenl : donc les prôlres sont tenus de
confesser. Les pasteurs et leurs collabora^
leurs y sont obligés par charité et par jus-
lice; mais étant aujourd'hui si peu nom-
breux, ii est évident qu'ils ne peuvent suf-
lire à l'immensité des besoins du peu|)le :
donc les prêlres libres sont tenus par cha^
rite, de les aider dans ce saint ministère, à
moins que l'impuissance ou d'autres occu-
pations nécessaires ne contrarient sur ce
point leur bonne volonté.
Ces [irlnci()es sont évidents. Que fait l'en-
nemi du salut pour en détruire l'impres-
sion? il clierche à nous inspirer un excès
de crainte pour les peines comme pour les
dangers qui sont attachés aux fonctions de
confesseur. Le ministère de la confession
(Si pénible; il est très-dangereux : donc il
iaul s'en éloigner autant qu'on le [)eut :
voilà la condusiou de l'esprit de ténèbres.
Je viens combattre ce double prétexte; et
en le réfutant j'exposerai les gra-nds motifs
qui doivent animer, encourager le zèle d'un
prêtre dans l'exercice d'un ministère très-
pénible sans doute, mais nécessaire ; très-
dangereux, mais entouré des lumières et
des secours d'en haut. 11 faut de la force
pour entreprendre ce redoutable ministère,
pour y persévérer et en supporter les dé-
goûts ; il en faut pour suivre, en l'exer-
çant, les principes de 1 Evangile et les rè-
jjles de l'iiglise.
Oui, vénérables confesseurs, voire mi-
nistère est extrêmement pénible ; et peut-
êire que le récit de ces peines contribuera
à votre consolation : car on trouve une
sorte de soulagement <i ses souffrances en
les racontant ou les entendant raconter.
El d'abord, quels sacrifices, quelles priva-
tions ne présente pas la seule entrée du
saint tribunal ! S'arracher au commerce de
la vie, aux douceurs du repos, aux charmes
de la liberlé et de l'indépendance, pour aller
s'enfermer dans une espèce de [irison, et
y |)asser une partie de sa vie ; s'assujettira
la diversi-té des caractères, aux volontés,
aux caprices, aux heures, aux indiscrétions
d'une multitude presque toujours inquiète,
ingrate et grossière; prêter l'oreille au dé-
tail fastidieux des innombrables misères du
cœur humain, et à tout ce que les passions
peuvent offrir de plus triste, de plus mal-
heureux et de plus déchirant; voler au se-
cours des malades et des moribonds, au
risque même de sa propre santé et de sa
vie, parmi les glaces et les frimats, au sein
des ténèbres et des dangers de la nuit, à
travers les ravages et les périls d'une con-
tagion et d'un fléau dévastateur : ce n'est
là que le commencement des peines qui
attendent un prêtre au tribunal sacré.
Mais y entrer avec la certitude qu'on va
rencontrer des ignorants, qui ne veulent ni
s'instruire ni se laisser instruire, qui ne sa-
vent ni s'examiner, ni s'accuser, ni môme
répondre aux questions qu'on leur fait ; des
pécheurs dissimulés ou enchaînés par la
lionle, qui s'enveloppent, qui se déguisent,
qui ne montrent que la surface de leurâine,
et cachent au fond de leur cœur les crimes
les plus énormes ; des pécheurs aveuglés,
obstinés, déraisonnables, qu'on ne peul
arrachera la fausseté de leurs idées, qu'on
ne peut déterminer, je ne dis pas à se cor-
riger de leurs désordres, mais même à con-
venir qu'ils sont coupables; des pécheurs
d'habitude vieillis dans le crime, qui ont
passé une grande partie de la vie dans les
passions les plus injustes et les plus hon-
teuses, el qui pourtant, ou par leur dupli-
cité ou par l'imprudence des confesseurs,
ont trouvé le moyen de se faire absoudre,
eise sont t)longés dans un abîme de sacri-
lèges d'où il faut les tirer ; des pécheurs en-
durcis aussi froids que la glace et aussi durs
que le fer, que d'abord les rétlexions les
plus touchantes ne toucheront pas, que les
vérités les plus terribles n'ébranleront pas,
(jtii résisteront pendant longtemps à tout
ce que le zèle [)eul employer de plus per-
suasif, et qui peut-être ne se conveitiront
entin que pour reprendre bientôt après
leurs habitudes et devenir pires qu'avant
leur conversion. Quelle triste pers|)ective
pour un jeune confesseur 1 de quel courage
ne doit-il pas s'armer, avec quelle ferveur
ne doit-il pas implorer l'esprit de force et
de sagesse avant d'entreprendre un minis-
tère aussi [lénible 1
Mais ce n'est pas encore tout : une fois
cnlré dans ce saint, ujais redoutable minis-
727
ORATEURS SACRES. MAUREL.
lèro, queue force, quelle patience ne faul-il
pa» pour en supporter les amertumes et les
dégoûts sans cesse renaissants, pour dévo-
rer un ennui dont souvent Dieu seul doit
être témoin, pour surmonter des diflicullés
If's unes plus embarrassantes que les autres,
dont souvent on ne peut encore s'ouvrir
qu'c'i Dieu seul, et fpii forcent d'étudier, de
lénéchir, de consulter, si toutefois on le
peut ; qui souvent après toutes ces recher-
ches embarrassent encore; pour soutTrir
dans le silence les plaintes, les censures,
les calomnies qu'attire quelquefois le zèle
môme le plus prudent, et sur lesquelles le
sceau du sacrement interdit jusqu'à une
larole, jusqu'à un geste de justification I
Je sais que ce ministère olfre de grandes
consolations, des effets merveilleux de la
grâce, des conversions qui étonnent et ra-
vissent d'admiration; mais je sais aussi
qu'on ne parvient à de semblables résultats
qu'après des travaux longtemps soutenus et
des prodiges de zèle et d'un dévouement
jilein de piété
Avouons-lo, mes chers confrères, si le
mérite correspond à la peine, et on n'en
peut douter; si les trésors spirituels qu'a-
masse pour lui-même un confesseur zélé
sont en proportion de ce qu'il souffre pour
enrichir ses frères des dons de la grâce,
oh ! quelle magnifique, quelle brillante cou-
ronne doit lui être réservée dans ce lieu où
le. suprême Rémunérateur ne laisse rien
sans récompense, pas même un verre d'eau
froide donnée en son nom 1 N'csl-ce pas
l'espoir de cette couronne, si clairement
promise à nos travaux, qui attache les bons
prêtres au tribunal sacré? l'nusquisque, dit
l'Apôtre, propriqm mercedem aecipiel, secun-
dum suum laborem. (I Cor., III, 8.)
Oui, sans doute, elles sont grantles les
peines attachées au ministère de la confes-
sion, plus grandes peut-être que je ne sais
l'exprimer; et cependant, Messieurs, de-
[)uis dix-huit siècles quel grand nombre de
prêtres zélés, animés de l'esprit de Dieu et
du désir de sa gloire, que ces pénibles tra-
vaux, ces amertumes et ces dégoûis n'ont
pu et ne peuvent décourager] Celle force
surhumaine, qui n'a jamais manqué et ne
manquera jamais dans l'Eglise catholique,
nous-mêmes , vénérables confrères , n'en
sommes-nous pas tous les jours les témoins
elles admirateurs? Quelle multitude de
prêtres respectables, et c'est ici. Messieurs,
voire histoire que je fais, qui se dévouent,
s'enchaînent, s'immolent à ce pénible mi-
nistère, qn'ils remplissent saintement quel-
quefois depuis un demi-siècle, qui consu-
ment un reste de vigueur et de vie sous ce
fardeau accablant, que les anges mêmes
trouveraient formidable, et qui, dans cei-
taines circonstances, portent I héroïsme jus-
qu'à afTronler le péril même de la mort,
tlans l'çspoir de sauver une âme que l'en-
fer s'apprête à dévorer I II n'en faut pas
;louler, Messieurs, un dévouement si cons-
tant de la part d'un prôlre, disons mieux ,
ce iirodige continuel de la grâce qui ailuche
les ministres de l'Evangile à des fonctions
si redoutables, est une des preuves les plus
frappantes de la divinité de la confession.
La force que Dieu inspire aux coupables
l)0ur aller s'huniilier, et aux prêtres pour
s'immoler tous les jours au tribunal de la
pénitence, est un signe évident que l'insti-
tution de ce tribunal est due à Jésus-Christ.
11 en coûte, quand on est pécheur, d'avouer
ses faiblesses et ses turpitudes; mais celle
peine n'a lieu qu'une fois et ne dure qu'un
instant; il en coûte bien davantage à uu
prêtre d'entendre ces détails fastidieux,
sans cesse répétés; de voir sans cesse des
plaies profondes et invétérées , dont le
malade repousse la guérison. Quelle tâche,
ô mon Dieu I vous avez imposée à vos mi-
nistres en leur disant : Quorum rerniseritis
peccata, remilluntur eis, el quorum retinue-
ritis, retenta siint! Uoan., XX, 23.) Mais,
chers confrères, quelque pénible qu'elle
soit, cette tâche, ne craignons pas qu'elle
surpasse jamais nos forces : elle nous vient
de la main de Dieu, nous refuserait-il le
courage nécessaire pour la remplir?
Soyez béni, ô mon Dieu! des soins pa-
ternels que vous donnez à votre Eglise, du,
courage et de la force invincible que vous
inspirez à ses minisires. Un courage si su-
blime, des travaux si constamment soute-
nus n'enflammeraient-ils pas d'une sainte
émulation ce prêire tiède et indifférent ?
On verrait la froideur, l'amour du repos et
de la liberté, de ses aises et de ses plaisirs,
l'éloigner lâchement de cette arène glo-
rieuse, oi> tant de courageux ministres
remportent tous les jours sur l'enfer des
victoires si éclatantes I Lorsque David invi-
ta Urie à aller se reposer dans le sein de
sa famille, quoi 1 s'écria ce vaillant capi-
taine, en ce moment les chefs d'Israël et de
Juda habitent sous des tentes, au milieu
des [)lus rudes travaux, et moi j'irais me
livrer mollement aux plaisirs et aux dou-
ceurs domestiques! Et nous, Messieurs,
tandis que nos confrères sont occupés nuit
et jour dans le saint tribunal à couiballre
les légions de l'enfer et à lui arracher des
enfants de Dieu qu'il retient dans les chaî-
nes, nous irions f)asser les journées entiè-
res, dans des voyages inutiles, au jeu, à la
chasse, dans les sociétés et les amusements
d'un monde ennemi de Jésus-Christ 1 Quelle
excuse pourrions-nous a[>porter au juge-
ment de Dieu , lorsque, à côlé de ces ou-
vriers infatigables qui présenteront à Jé-
sus-Christ une multitude d'âmes sauvées
par leurs soins, qui feront alors surtout
leur gloire et leur couronne, nous ne
pourrions, nous, lui présenter qu'une vie
inutile, vide de travaux el de mérites, et
nous entendrions l'anathème éternel qui
foudroiera le serviteur paresseux : Servum
inntilem ejicite in tenebras exteriores! [Matth.f
XXV, 30.)
Oui, je l'avoue, le ministère de la con-
fession est pénible : mais aussi combien
ji'est-il pas utile; et pourquoi, au lieu de
se laisser efirayer i»ar les fatigues , ne pas
729
RETRAITE. — INSTRUCT. IX, SUR LA COiNKESSION.
750
s'encourager h l'aspect des avantages de co
heau niinislère? Je vous le demande, mes
chers confrères, si malgré la rage de Tim-
piélé, les coiilradiclions des gens du monde
et les obstacles de loul genre qu'éprouve
le ministère pastoral , on voit encore do
temps en temps des eflets merveilleux do
la grâce, des conversions qui étonnent et
préparent la voie à d'autres conversions,
des restitutions, des réconciliations , des
réparations de scandales, la suppression
de grands désordres, le maintien des plus
grandes vertus, le retour de la décence
dans les mœurs, de l'intégrité dans le coni-
raerce, de la concorde dans les familles, de
la fidélité dans les mariages, de la piété
dans tous les âges et dans tous les rangs;
si des paroisses, autrefois scandaleuses,
jirésentent aujourd'hui une imposante réu-
nion d'âmes pieuses qui font rougir le
vice déconcerté; si, dis-je, des fruits si
précieux viennent de temps en temps con-
soler le zèle sacerdotal , à quoi les devons-
nous? à la prédication?
Sans doute, la prédication est la mère de
la foi, et la foi est le fondement do toutes
les vertus ; mais les instructions détaillées,
particularisées qui se donnent au confes-
sionnal, ne sont-elles fias infiniment plus
pro|)res à ranimer et alïermir la foi que les
grands principes et les grandes maximes
qu'on développe en chaire ? Que dis-je, l«s
personnes grossièrement ignorantes, et le
nombre en est grand , peuvent-elles 6lre
instruites ailleurs qu'au tribunal de la |ié-
nitence, ou dans des entretiens simples et
familliors ? Les sermons sont utiles pour
ébranler les consciences, pour engager, at-
tirer les [jécheurs à la confession ; mais
c'est dans les secrets du tribunal qu'on les
instruit vérilablement, qu'on leur afiprend
ce qui leur est le plus nécessaire, et qu'on
n'a pu dire en public; qu'on leur enseigne
ou qu'on leur rappelle, d'une manière clai-
re et conforme à leur ignorance , qu'il y a
un Dieu en iiois personnes, et que le Fils
de Dieu s'est fait Homme et est mort sur
une croix i)our noire salut 1 vérités élémen-
taires que les sermons supposent plu-
tôt qu'ils ne les enseignent. Aussi il n'y a
guère que ceux qui savent au moins les élé-
njents de la religion, qui puissent profiter
d'unserujon, et môuie d'un prône, genre
d'instruction [)lus simple et plus familier.
Ce n'est que dans l'intimité du tribunal qu'on
peut entrer dans tous les détails relatifs à
l'emploi, au caractère, à la position, aux
besoins particuliers de chacun ; dissi|)er ses
illusions, réfuter sus prétextes, éclaircirses
doutes, et aplanir les difficultés qui l'éloi-
gnent du salut. Les détails de la chaire,
nécessairement vagues, ne s'adressent qu'à
la masse des auditeurs; ceux du confes-
sionnal s'adressent à chaque individu. Aus-
si a-t-on jugé dans tous les temps que le
ministère delà prédication est peu utile,
s'il n'est joint à celui de la confession.
L'homme vraiment apostolique les réunit
tous les deux ; on l'entend souvent en chai-
re, et on le trouve plus souvent au tribu-
nal sacré.
D'ailleurs, vous le savez, il est si peu de
gens qui soient capables de suivre le déve-
lofipement des idées et l'enchainement d'un
discours; il en est si peu qui réfléchissent,
qui s'appliquent à eux-mêmes les vérités
générales énoncées dans la chaire I Mais un
confesseur supjilée à tous ces défauts, et
leur dit clairement à chacun , comme Na-
than h David: Prenez garde, mon cher frè.-
re, vous êtes cet homme: Tu es illevir (II
Reg., Xll , 7) ; cette vérité vous regarde , ce
contrat que vous avez fait est usuraire , ce
procès que vous soutenez est injuste, ce
bien que vous retenez n'est pas à vous ; cet
enneuii que vous croyez aiuier, vous le
haïssez, cette lecture qui vous plaît est
criminelle; ces danses, ces spectacles sont
une source de désordres; cette fréquenta-
tion que vous dites innocente est scanda-
leuse ; cette manière de vous comporter
dans l'état conjugal est criminelle.
Vous sentez, Messieurs, quelle abour
dance de lumières doit résulter de ces ap-
plications individuelles. Que de fausses
consciences redressées! Que de devoirs es-
sentiels retracés! Que de doutes éclaircisl
Que de remords précieux excités, et sou-
vent que de craintes chimériques dissipées!
Quelle tranquillité rendue à des âmes alar-
mées mal à propos ! Combien de personnes,
s'élant fait une fausse idée de la religion,
se représentent certains obstacles au saint
comme invincibles, et à qui il ne faut, pour
les détromper et les encourager, que les
notions détaillées, appropriées que donne
h chacun un confesseur prudent et éclairé!
Je ne parle pas des avantages que ce con-,
fesseur trouve pour lui-même dans l'exer-
cice de son ministère : il est si doux de
consoler les aliligés, et c'est surtout au tri-
bunal qu'on les découvre; dej relever les
âmes abaltues, d'encourager les pusillani-
mes, de ranimer les tièdes, d'arracher du,
bourbier des passions les malheureux es-
claves du vice, de soutenir, en l'admirant,
la ferveur des âmes pieuses, dont l'exem-
ple nous excite et nous anime à notre tourl
Hélas I Messieurs, nous trouvons quelque-
fois de ces âmes privilégiées, mille fois plus
parfaites que nous, plus dociles à l'impres
sion de la grâce, jilus attentives à se sur-
veiller, à se contraindre, 5 éviter jusqu'à
l'ombre du péché. Quelle leçon, quel sujet
de confusion |)Our nous, docteurs si inq)ar-
faits de la perfection! Quels motifs n'avons-
nous pas de suivre ces âmes choisies de
Dieu qui nous devancent dans les voies de
la perfection, et qui croient cependant, dans
leur humilité, se trouver derrière et bien
loin do nous 1
Le ministère de la confession est péni-
ble! mais croyons-nous qu'il en coûte moins
aux fidèles de s'accuser qu'à nous do les*
entendre? Que leur disons-nous pour les
aider 5 vaincre cette répugnance? que la
confession est un précepte de Dieu , dont
l'observalioD est indispensable pour Iç sa-
731
ORATEURS SACRES. MAUREL.
7-'i
lut; que la peine d'avouer ses fautes est le
pranti moyen de les expier; que le ciel ne
s'achèle que par des sacrifices et des croix ;
qu'on n'y arrive pas sans se gêner et se con-
traindre. Mais loules ces réflexions, évi(Jen-
les sans doute pour les fiiièies, le sont-elles
moins pour nous, et ne devrions-nous pas
nous les a[)pliquer? S'il y a pour les fidèles
un précepte de se confesser, par là mêffie
n'y en a-t-il pas un pour les prêtres de les
entendre? et le prétexte de la peine est-il
moins frivole pour les uns que pour lus
autres? Les prêtres n'ont-ils pas aussi des
péchés à ex[)ier, une croix à porter, dus
répugnances à vaincre, di-s sacrifices à faire
pour obtenir le salui? Y a-l-il des peines
i:)Ius méritoires que celles de la charité?
Quoi, Messieurs, tanilis que des milliers
d'âmes, aveuglées par l'ignorance ou entraî-
nées par le vice, marchent à grands |ias
dans les voies de la perdition ; tandis qu'une
foule de malades meurent tous les jours
sans sacrements et tombent sans appui et
sans garantie entre les mains de la justice
éternelle, un pi être, au sein de l'indolence
ou livré à des occupations étrangères à son
état, verra indilléremment ce spectacle dé-
chirant, et s'éloignera de ces âmes inforlur
pées qui vont périr sans son secours, sous
prétexte qu'il est trop pénible de les secou-
rir 1 L'erreur de ce prêtre serait bien grande,
et les suites de son aveuglement bien fu-
nesies pour lui. Ainsi, vénérables confrè-
res, se trouvent réfutés ces vains prétextes
qu'un prêtre peut alléguer pour se dispen-
ser du ministère delà confession, ()arce que
ce ministère est pénible à remplir.
Mais, ajoute-t-on, ce ministère n'est pas
seulement pénible, il est très-dangereux, et
dois-je compromettre mon [)ropre salut pour
le salut des autres : Modicœ fidei, quare dubi-
tasli? {Mallh. ,\iy, 31.j Les périls qui vous ef-
frayentsont-ils inconnus de Dieu? Si vous vous
y exposez pour l'intérêt de sa gloire, croyez-
vous qu'il ne sera pas assez fort [lour vous
soutenir? Oui, sans doute, le ministère de
Ja confession est dangereux, et même, per-
mettez-moi de le dire, plus dangereux que
lie semblent le croire certains prêtres témé-
raires, qui s'y jettent sans préparation avec
une aveugle sécurité 1 II est entouré des plus
graves difficultés que souvent on ne voit
pas; et au milieu de tant d'obstacles com-
ment s'arrêter dans de justes bornes? Dan-?
ger de tomber dans un excès de fermeté qui
dégénère en rigorisme, ou dans un excès
de clémence qui devient mollesse et lâche-
té; danger dans les interrogations qu'on
peut pousser troj) loin, et apprendre le mal
qu'on ignore, ou ne pas assez les multi-
plier, et pour négliger de faire accuser le
nombre des chutes, les circouitanccs qui
t'a changent ou en aggravent la nature, le
degré d'habitude et de penchant qui y en-
U'aîne, laisser dans le cœur une ^jariie du
venin qui le corrompt; danger dans les
épreuves qu'on peut trop prolonger et dé-
courager des coupables, d'ailleurs bien dis^
|JOsés, ou ne pas les prolonger assez et ab-
soudre des impénitents, qui n'ont que les
deliors de la conversion; danger dans les
ré[)arations qu'on exige qui peuvent être
ou trop faibles et blesser la justice à l'égard
des personnes lésées, ou trop fortes et la
blesser à l'égard du coupable; danger dans
les pénitences qu'on impose qui peuvent
n'être [las pro|)Oitionnées à la gravité des
péchés ou aux forces du pécheur, et sur-
tout n'être pas appropriées à ses besoins,
à ses tentations, et, en punissant les péchés
commis, ne pas prémunir assez contre la
rechute; danger surtout à l'égard de cer-
tains péchés qu'il est défendu do nommer
ailleurs qu'au tribunal suint, et là encori^
faut-il n'en parler qu'avec réserve et mo-
destie, et éviter les questions inutiles; dan-i
ger à l'égard de certaines personnes dont
le sexe, l'âge, la fragilité deviennent un
écueil continuel pour le médecin qui cher-
che h les guérir. Mais tous ces dangers,
fussent-ils iencore en plus grand nombre,
peuvent-ils excuser la paresse ou la pusiU
iatiimité? El qu'on cite une seule fonction,
même dans les emplois humains, qui ne
soit périlleuse. Partout où il y a des devoirs;
il y a des dangers; mais aussi il y a des
préservatifs. Croyons-nous, je le ré()cte,
qu'en établissant le sacrement de la péni-
tence Dieu n'ait pas prévu cette multitude
d'écueils et de périls qui l'environne et
qu'il n'ait pas préparé à ses ministres
les moyens de s'en garantir? Nous disons
tous les jours qu'il y a des grâces d'état :.
l'étal le plus |)érilleux en serait-il privé?
Croyons-nous que la [)rière, l'élude, la ré-
flexion, le conseil des sages, la pensée ha^
biiuelle de Dieu et le souvenir de sa pré-
sence ne soient pas des armes assez fortes
pour nous rendre victorieux, au confession-
nal comme ailleurs, de tous les pièges de
Satan? On craint tant de se [lerdre dans les
fonctions les plus nécessaires du zèle et
de la chariié, et l'on ne craint pas de trou-
ver sa perte dans la paresse, l'indolence,
la défiance de Dieu, l'indiflérence pour le
salut de tant d'âmes rachetées du sang dtî
son Fils, et confiées solidairement aux soinsi
de ses ministres, j
O vous donc qui avez trop craint jusqu'ici
une fonction encore plus utile et plus néces-».
sairc qu'elle n'est dangereuse, prenez con-
fiance, et entrez avec courage, si vos su-
périeurs l'approuvent, dans la plus belle et
la plus sainte des carrières ; Dieu y sera
avec vous. Pour vous qui y marchez depuis
longues années avec tant de succès et tant
de mérites, soutenez-en avec constance les
fatigues et les périls ; voyez devant vous les
traces glorieuses d'une multitude de saints
ouvriers qui vous ont précédé, et quil
jouissent dans les cieux , avec les. ânies
qu'ils ont sauvées, de la récompense di
leurs veilles et de leurs travaux. Ah! tant
de pauvres pécheurs réclament voire se-
cours , ils vont périr sans votre ministère:
voudriez-vous les abandonner, et sous pré-
texte de ne pas compromettre votre salut ,
manquer au devoir do la cbarilé, sans ia-
:33>
RETRAITE. — INSTRUCT. IX.'SURrA'CONFESSlOK
T34
quelle il n'est point de salu!? Forti animo esto,
noli (imere. (Tob., VU, 20.) Que ciiiiiidriez-
vous? votre faiblesse? Mais Dieu n'est-il
l'as loul-puiss.inl? mais l'Esprit-Saitii ii'a-
i-il pas promis .'i l'Église d'être avec ses rai-
nislres jusqu'à la fm des siècles, et de ne
point permettre que leurs épreuves et leurs
périls soient jamais au-dessus de leurs
lorces ? Ne doutez pas que cet esprit de sa-
gesse et de lumière ne soit à vos côtés pour
vous consoler dans vos peines, vous sou-
tenir dans vos dangers, vous éclairer dans
vos doutes, vous suggérer et mettre dans
Votre bouche, au moment qu'il faudra pair
1er, les paroles de salut, les décisions , les
avis qui seront nécessaires : Spirilus sanclus
docebil vos in ipsa hora quid oporleal vos di-
cere. [Liic, XII , 12. )
Il nous Sera facile de tirer maintenant des
conséquences pratiques de ce qui vient
d'être dit. Ceux qui, sous de vains prétex-
tes , on! refusé de se charger de l'honorable
ministère de la confession , doivent éclairer
leur esprit , dissiper les illusions de la
crainte ou d'une fausse prudence, bannir
leurs erreurs secrètes et se dévouer immé-
diatement aux travaux du saint tribunal :
tel est leur devoir. De son accomfjj'issement
dépend leur salut élerncl. Ceux qui, plus
heureux, se livrent depuis longtemps ave'c
succès à ce ministère doivent s'eDcoura»
ger dans Ja pratique de ces pénibles fonc-
tions, accroître leur zèle et leur ferveur, et
maicher à grands pas dans les voies delà per-
lection sacerdotale. Mais les obligations d'un
prêtre ne se bornent [)as à entendre les
cenfessions, il faut encore rendre profi-
tables à lui-même, à ses pénitents, pour le
présent comme pour l'avenir, les fondions
de son ministère, en faisant une application
des principes et des règles qui constituent
l'art si diiricile de diriger les ûmes, il faut
que le prêtre possède des qualités indis-
pensables qui le rendent digne, en deve-
nant le dépositaire des secrets des conscien-
ces, de tenir la place de Jésus-Christ même :
Pro Christo legalione fungimur. (Il Cor., V,
20.) C'est l'examen sulIisammentai)profondi
do ces_ diverses qualités qui va nous oc-
cuper.
SECONDE PARTIE.
Nul de vous. Messieurs, n'ignore les qua-
lités que saint Charles exige dans un CDii-
fessenr, et que je réduis à quatre : la pru-
dence, la piété, la fermeté et la douceur.
Je commeticerai par exposer les deux pre-
mières.
La prudence, ce grand régulateur des ac-
tions humaines, ^.st en général la science
de bien vivre, de bien faire ce que l'on est
tenu de faire, recta ralio agendorum. l]n
homme prudent cherche les moyens pour
parvenir à un but; il les emploie avec dis-
cernement et molération, avec courage et
persévérance. S'il agit ainsi pour les choses
de cette vie, c'est une prudence humaine,
qui est bonne ou mauvaise, suivant .l'objet
qu'il a en vue et les luovens qu'il emploiç
pour l'atteindre. On sait que la prudence
du siècle, la prudence de la chair, est rér
prouvée de Dieu : Prudentia carnis, mors
est. (Rom., VIII, 6.) Si c'est pour les choses
du salut, c'est alors la prudence chrétienne
qui cherche h connaître en tout la volonté
de Dieu et à raccora()lir parfaitement.
Appliquons ces principes au ministère
de la confession. Le but de ce saint minis-
tère, c'est d'arracher les <1mes au péché, de
les corriger de leurs habitudes, de les rét
concilier avec Dieu, et do les conduire
dans les voies de la sainteté. La connais-
sance et l'application des moyens les [)lus
propres à obtenir ce résultat, voilù cj
qu'on appelle la prudence du confesseur.
Or, ces moyens ne sont autre chose que les
maximes de l'Iîyangile et les règles de l'E-
glise, consignées et développées dans les
ouvrages des Pères, des docteurs et des
théologiens. Ainsi le fondement de la pru-?
dence dans un confesseur, c'est la science
de la théologie; et un prêtre qui entrerait
dans le tribunal sans l'avoir bien étudiée,
sans en avoir une connaissance suffisante,
serait un imprudent, un téméraire qui tom-
berait de faute en faute, qui tromperait,
égarerait, f)erdrait les âmes et se perdrait
lui-même.
Mais cette science Ihéologique doit-elle
être bien étendue ? aussi étendue que la
sphère immense des actions humaines ; car
il n'est pas une action, pas même une pen-
sée qui ne puisse devenir matière de con-
fession ou de direction, et sur laquelle un
confesseur ne puisse dire avec raison :
ceci est bien, cela est mal. Il faut donc
qu'outre la connaissance du dogme, néces-
saire pour éclairer la foi, il connaisse et
ail même approfondi les principes Ihéolo-
giques sur les actes humains, sur le péché,
sur le décalogue, sur la justice, sur les sa-
crera'ints, surtout ceux de la (lénilence et
du mariage, en faisant aux diverses condi-i
lions de 'a vie humaine, une sage applica-
tion de ces principes. Il faut de plus qu'il
ait lu et médité quelques-uns de ces bons
ouvrages qui ont pour but la direction des
consciences, et où les règles do cet art diffi-
cile sont développées avec clarlé, et appli-
quées aux besoins des diverses personnes
qui peuvent se présenierau Irrbunal.
Mais ce n'est pas tout que de connaître,
les principes, il faut savoir les ap[)liquer,t
et les appliquer avec justesse, sans les ou-
trer ni les allaiblir, et les comparer les uns
avec les autres ; car la décision d'un seul
cas exige quelquefois plusieurs prirtcipes^
et si une seule circonstance tie ce cas!
vient à changer, il faut recourir à d'au-
tres princii)es. lîclaircissons ceci pat-
un exemple ; deux personnes sont, l'une
pour l'autre, occasion prochaine de pé/hés
graves; le grand principe, c'est de les obli-
ger à s'éviter, à s'éloigner l'une de l'autre :
,Sj scandnlizaverit te rnantis tua, abscide il-
luiii. {Marc, IX, 42.)Alais l'application de ço
principe peut lairo naître les plus sérieu-
ses diliicullés et entraîner les olus graves
IZ^
ORATEUUS SACRES. MAURBL.
738
inconvénients ; la paix des familles, le bon-
heur des époux, la réputation du prochain,
la charité chrétienne viennent malheureu-
soment trop souvent compliquer une ques-
tion si délicate ^ie sa nature, et dont la so-
lution présente tant d'embarras et tant d'obs-
tacles à un jeune confesseur.
Heureux, dans ces circonstances, un
confesseur qui joint aux connaissances
théologiques les lumières de l'expérience,
et qui a d'ailleurs un esprit droit, juste,
exercé à la réflexion, et assez étendu pour
envisager un objet sous toutes ses face?,
fiour en sontler la profondeur et en déve-
lopper les plis et les re[)lis, pour prévoir
les suites d'une décision et en éviter les
inconvénients, pour peser mûrement et à
loisir toutes les circonstances, pour rappe-
ler les divers principes relatifs à la ques-
tion et ne pas s'attacher à un seul aux dé-
pens des autres; pour s'aider, s'il le faut,
dans cette rccherclie des lumières et de
l'expérience d'aulrui.
Malheur aux esprits étroits et inconsidé-
rés, peu avancés dans la science, qui ne
voyant que la surface d'un objet, n'en pé-
nètrent pas la nature, surtout si à la fai-
blesse de leurs lumières ils joignent un dé-
faut d'expérience et de maturité, et que
guidés par la présomption et l'amour-pio-
|)re, ils méprisent les doctrines des sages,
les observations quelquefois judicieuses de
leurs pénitents, iisprécipilent les décisions
et prononcent sur les dilTicullés les plus
graves au g: é (k leur caprice et de leur hu-
meur ! Ah ! faudra-t-il s'étonner des tristes
résultats de leurs imf)rudenees et du mé-
contentement général qu'elles causeront
dans les personnes sensées 1 Un confesseur
peu instruit, surtout s'il est jeune, qui ne
consulte pas sans cesse, est un fléau, une
calamité pour l'Eglise de. Dieu. Mais, hé-
las 1 comment consulter si l'on n'a au moins
des doutes? et le niojen de douter si oti
n'est passablement in.siruit ? Et nunc erudi-
viini qui judicatis terram. {Psal. Il, 10.)
C'est d'un défaut d'instruction, surtout
s'il est joint à un manque de zèle et de
piélé, que provient ])r6sque toujours cette
afihgeante diversité dans les directioMS qui
éternise les désordres et autorise les hlas-
plièmes. Permettez-moi d'entrer ici, Mes-
sieurs, dans quelques explications.
Je dis en premier lieu : qui éternise les
désordres. Vous le savez et vous en gémis-
sez, en voyant qu'il puisse y avoir dans une
contrée un seul de ces [)rétres faciles, dé-
pourvus d'instruction et de zèle, et avides
de la confiance populaire ; son ministère
paraîtra plus utile et plus profitable, sur-
tout dans une -certaine classe de personnes,
que celui de tous les prêtres du voisinage;
lès gens du monde, dont la conduite est
douteuse, et la foi presque éteinte, s'adres-
seront à lui ; on le trouvera tolérant, et on
lui supposera de grandes lumières; sts
confrèies instruits et pieux s'armeront en
vain d'une sainte fermeté soit en chaire,
boil au confessionnal, [lour détruire cer
tains scandales, certains abus qui se perpé-
tuent dans les paroisses; lui seul paraly-
sera tous leurs efforts; les jugements do
leur sagesse seront cassés au tribunal de
son ignorance et de sa lâcheté. On frémit
quand on pense au compte épouvantable
qui attend ce ministre prévaricateur aux
pieds du souverain Juge.
Honneur donc, et mille fois honneur à la
fermeté des pontifes et à !a sage sévérité
de leurs collaborateurs qui ont le courage,
non-seulement de fermer l'entrée du sacer-
doce à ceux des jeunes élèves qu'ils voient
incapablesd'en remplir saintement les fonc-
tions, mais d'éloigner du ministère des
paroisses, du moins temporairement, ces
prêtres dépourvus de lumières et de piélé
qui ravagent l'Eglise de Jésus-Christ. Hé I ne
vaut-il pas mieux que les paroisses restent
sans pasteur que d'en avoir de semblables?
Un mauvais {)rôlre fait, à lui seul, mille fois
plus de mal que dix bons prêtres ne font
de bien.
Je dis en second lieu que cette aftlit
géante diversité autorise les blas|)hèmes ?
comment se peul-il, s'écrie tous les jours
un monde malin, que le même cas, accom-
pagné des mômes circonstances, soit décidé
par divers confesseurs d'une manière toute
contraire? Quelle est donc la religion qu'on
nous prêche? y a-t-il autant d'évangiles
quede prêtres? Vous connaissez. Messieurs,
la réponse des confesseurs qui donnent lieu
à ces plaintes aflhgeantes. L'un s'excuse en
disant qu'il fait de son mieux, qu'il suit sa
conscience, et agit de bonne foi , que du
reste il n'est pas étonné que certains con-
fesseurs déciuent autrement que lui, parco
qu'il n'ignore pas que sur certaines ques-
tions difficiles, non décidées jiar l'Eglise»
les 0[)inions des plus graves docteurs sont
quelquefois partagées; que saint Bonaven-
ture n'était pas en tout du môme avis que
saint Thomas.
Cette excuse est quelquefois légitime,
mais quand ? quand on a la science sulli-
sante et un véritable zèle ; quand on est ca-
pable d'apprécier les motifs des diverses
0()inions,el qu'on apris,principalemenldai]s
les cas épineux, les [)récaulions exigées par
la prudence, qu'on a relu les principes,
qu'on a rétléchi, consulté, et surtout in-
voqué l'Esprit de lumières; alors, en adop-
tant le parti qui fiaraît plus conforme à la
vérité, on est réellement de bonne foi, et si
l'on se tronqie, l'erreur est excusable. Mais
la bonne foi est-elle compatible avec une
ignorance cou[)able qu'on a pu et dû corri-
ger? mais esi-on excusable quand on ne
ne sait pas ce qu'on est tenu de savoir, et
qu'on néglige d'étudier et de consulter, et
(jue, par suite de cette négligence, on dé-,
cide tout autrement que le commun des
diicieurs et des bons confesseurs? mais alors
n't-sl-on pas reponsable de tous les dé-
sordres qu'on autorise par une fausse dé»
cisioii ; (le toutes les restitutions qu'on
exige sans fondement, ou qu'on n'exige pas
!oi:<qu'clles sont nécebïaire» ; de tous les
757
RETRAITE. — INSTRLCT. IX, SLR LA CONFESSION.
738
scandales, eu fait de ruœurs ou d'amuse-
ments indéceiils, qu'on ne condamne [>as,
tandis que les bons confesseurs les condam-
nent? Et quelle immense étendue n'a pas
souvent celte terrible responsabilité 1
Un autre dira qu'il décide comme tel et tel
de ses confrères, qui peut-être h leur tour
s'appuient de son exemple; qu'il suit l'u-
sage, la coutume, c'est-h-dire une vieille rou-
tine qui n'est souvent (ju'une vieille erreur.
Mais remarque Tertullien , Jésus-Christ ne
s'est pas a[)pelé la coutume, il a dit : Je suis
la vérité, « ego sum veritas « (Joan., XIV,
G.). Or, celte vérité, invariable puisqu'elle
est éternelle, permet-elle d'absoudre les
ignorants qui ne veulent pas s'instruire,
ceux qui ne veulent pas se corriger; les
amateurs des plaisirs , des spectacles, des
romans, des scandales d'un monde maudit
j)i<r Jésus-Christ, une jeunesse voluptueuse
qui ne veut renoncer ni à ses passions ni
aux occasions qui les enflamment; les usu-
riers qui, loin de restituer, ne veulent [)as
môme convenir de leurs fraudes? Et n'ou^
Liions pas que Dieu lui-même a pris soin
de délinir l'usure; qu'il entend par usu-
riers ceux qui reçoivent au delà du prêt :
Ad usuram non commodaverit et amplius
non acceperil {Ezech. , XVIII , 7) , et que la
parole de Dieu est au-dessus de tous les
raisonnements de l'homme.
Permet-elle celte vérité aussi pure que
Dieu môme, d'absoudre les profanaleius
de la sainteté du mariage qui cachent sous
le voile du sacrement les passions les plus
désordonnées; lus vindicatifs qui ne veu-
lent ni se réconcilier , ni abandonner un
procès injuste; les ûmes lâches qui man-
quent liabiluelleujent aux devoirs les plus
graves de leur élat ; en un mot, celte multi-
tude de coupables aveuglés de qui on n'ob-
tient que de vaines promesses, toujours
suivies de rechutes, et jamais ces sacriUces,
ces elTorls généreux qui seuls annoncent
un cœur changé et vérilat)lement conver-
ti?
Mais d'après ces règles, me dira-l-on,
les absolutions vonl élre rares! Et faul-;l
qu'elles soient plus nombreuses que les
conversions? Nous le savons, mes chers
confrères, la conversion d'une âme est oi-
dinairemenl bien dillicile : Perversi difficile
corrigunlur [Eccle., 1, 15.) Il faut quelque-
fois les années entières, hélas! et après des
années on n'est pas toujours consolé (lar le
succès. Mais enfin pouvons-nous pour abré-
ger nos peines , profaner les choses saintes?
et parce que la maladie est longue, sora-t-
il |)eriuis de tuer le malade?
Après avoir fait une judicieuse ap; lication
des vrais priiicii)es, il faut faire goûler au
pénitent la nécessité de cette api)lication ,
la lui faciliter, la lui adoucir, la lui ren-
dre, sinon aimable , du moins praticable; lo
déterminer cnlin à s'y soumettre, ce qui est
la même chose quu le convertir; et c'est ici
le chef-d'a'uvre de la p.rudence. Quelle
adresse no faut-il pas poui- gagner d'abord
la confiance des grands conpab'es, s'absb;-
nanf à leur égard de paroles sèches et do
reproches amers , leur parlant de l'immen-
sité des miséricordes do Dieu avant de leur
peindre les rigueurs de sa justice, les en-
courageant à s'accuser avec sincérité, les
aidant à tirer de leur cœur tout le venin
qu'il renferme et les préparant peu à peu
aux décisions pénibles qu'on aura ensuite à
leurdonner !
Quelle discrétion! pour éviter toute accep-
tion de personnes , pour soigner avec lo
même zèle le pauvre et le riche , l'ignorant
et le savant; pour ne préférer dans nos
soins que ceux qui on ont un besoin {)lus
grand et plus pressant, par exemple les hom-
mes aux femmes, les grands pécheurs aux
Ames pieuses; et encore faui-il trouver le
moyen d'écarter l'odieux que pourrait pré-
senter une préférence si légitime.
Quelle sagesse pour |)arler à chacun sui-
vant son âge, son sexe , son rang, ses dis-
positions, ménageant l'amour- |)ropre de
tous, les traitant tous avec bonté et cha-
rité, leur appliquant pour les guérir, non
pas toujours les remèdes qui sembleraient
les meilleurs , mais ceux que leur faiblesse
peut su[)porler 1
Quelle modération, pour leur exposer
avec calme l'obligation indispensable de tel
sacrifice , de lelle. séparation , de telle resti-
tution , et cela sans les exaspérer, sans les
décourager, ne leur disant pas tout dans le
môme entrelien , ne les pressant pas troj),
mais leur laissant le temps de réfléchir aux
motifs qu'on leur suggère; leur en propo-
sant lanlôl de forts et de terribles, tantôt
de doux et de consolanls ; les faisant des-
cendre au fond des enfers, dont la bonté
divine les a jusrpi'ici préservés, et puis
mouler au sommet du Calvaire , et du Cal-
vaire au haut des cieux, oii les attend la
couronne destinée à leurs renoncements et
à leurs elTorls 1
Quelle patience pour supporter leur aveu-
glement, leurs rechutes, leurs résistances,
leur grossièreté, quelquefois leurs injures 1
quelle dextérité pour réfuter victorieuse-
ment les préceptes qu'ils allèguent, pour
aplanir les obstacles qui les effrayent, pour
leur faire sentir que même leur avaniago
temporel exige les sacrifices que Dieu leur
commande, qu'ils n'auront de repos et de
tranquillité que quand ils les auront faits I
Voilà , Messieurs, si je ne me trompe , eu
quoi consiste la prudence dans Je tribunal :
connaître les vrais principes, les appliquer
avec justesse, et en persuader l'application
au pénitent. Mais cette persuasion est moins
l'ouvrage de la science que de la piété, se-
conde (jualité nécessair'e à un , confes-
seur.
La piété! cet amour tendre pour Dieu,
et compalissant pour les hommes, ce zèle
ardent pour la gloire do celui dont nous
sonunes les ministres et dont nous devons
venger les intérêts (lour le salut éternel des
âmes que la charité do Jésus-Christ a com-
liées à nos soins! La piété 1 ce sentiraen;
7r59
ORATEURS SACRES. MAUREL.
740
de foi, cette onction de l'Espril-Saint qui
nous touche , nous attendrit » nous arrache
des larmes à la vue d'un infortuné qui sa
perd et nous fait courir après lui pour le
garantir du précipice où il va tomtJer 1 La
piété I qui est utile à tout, dit l'Apôtre,
est surtout nécessaire dans le tribunal : car
je vous le demande j comment dissiper le
charme des passions , comment fondre la
glace des coeurs , si Dieu ne nous prête la
lumière et les ardeurs de son esprit? Nous
les donnera-t-il si nous ne «orames unis à lui
par ia firière , la pureté d'intention , l'atten-
tion à le consulter, le désir continuel de lui
plaire? Couament toucherons-nouis les pé-
cheurs , s'ils ne nous voient nous mêmes
touchés de Dieu et remplis de son amour?
Àh I mes chors confrères, il n'y a que les
saints qui persuadent la sainteté : un con-
fesseur pieux qui joint à des lumières sudi-
santes un grand zèle et une grande charité
fait raille fois plus par ses prières , sa mo-
destie , son humilité qu'un confesseur sa-
vant , mais d'une vertu médiocre , par toute
la solidité de ses exhortations et dé ses
avis.
C'est la piété qui gagne la confiance , qui
iiispire la sincérité, qui encourage la timi-
dité, qui réveille les remords , qui fournit
ces expressions embrasées , ces traits de
fcu qui vont droit au cœur , parce qu'ils
sont partis du fond du cœur.
C'est la piété qui invite, qui exhorte, qui
presse foHement en chaire les pécheurs de
Se convertir, et qui ensuite les reçoit à bras
ouverts dans le tribunal, admire avec eux la
puissance de la grâce, les remercie en quel-
que sorte de la joie qu'ils lui donnent par
leur retour à Dieu, leur témoigne la même
all'eclioii, et leur prodigue les mênies soins,
j'ai pres()ue dit les mêmes caresses qu'une
nourrice à son enfant: Tanquain si nuùrix
foveat filios suos. (1 Thess., 11, 7.)
C'est la piété qui, à force d'exhortations,
de soins, de zèle, et surtout d'assiduité au
confessionnal, parvient enfin à établir dans
une paroisse la fréquentation des Sacrements,
et commence à former une réunion d'âmes
ferventes, la plus forte barrière qu'on puisse
opposer au torrent du vice.
C'est la piété, inséparable de la bonté et
de la douceur, qui attire les petits enfants à
ia confession aussitôt qu'ils sont capables
de connaître le mal, qui ouvre leur cœur à
la confiance et leur bouche à la sincérité,
qiii leur rend aimable, mais en môme temps
respectable, Id pratique la plus nécessaire
du christianisfùe, qui ne se borne pas à les
Confesser une fois par an et à la hâte, par
manière d'acquit, avec une sécheresse rebu-
tante ou une familiarité pernicieuse, mais
çui les traite avec un soin religieux, comme
('es âmes raisonnables, comme des amis de
J'ésus-Christ , auxquels elle prépare, plu-
sieurs années d'avance, un sanctuaire dans
leur cœur.
C'est la piété qui, apprenant qu'un malade
est en danger, quitte tout pour volera son
Secours, et pour sauver une âme qui peut-
être, hélas! n'a jamais songé h son salut.
Ah! c'est alors surtout qu'un confesseur a
besoin d'entrailles de miséricorde, t-îscero
muericordife. [Luc, 1, 78.) Mais malheur à
lui s'il oubliait que ce doit être la miséri-
corde d'un Dieu aussi juste que clément,
que le péché n'est jamais rerais, môme à la
mort, sans contrition, et que la contrition
n'existe pas sans réparation, autant qu'on
le peut, des injustices et dos scandales.
C'est la piété qui, sachant que la conver-
sion d'un fœur ne peut-être opérée que par
le maître des cœurs, le conjure d'éclairer
lui-même ses pénitents, de les toucher, de
les amollir, de briser cette chaîne de fer qui
les tient liés à leurs habitudes. Aussi, que
d'âmes endurcies (}ui .avaient résisté aux
froides exhortations d'un prêtre indifférent
et étranger à l'oraison, se trouvent touchées
lorsqu'elles sont dirigées par un prêtre
pieux, sans se douter peut-être que c'est
Ijien moins à ses paroles qu'à ses prières
qu'elles doivent leur changement.
C'est enfin la piété qui adoucit toutes les
peines et surmonte fous les périls attachés
au plus saint des ministères, qui immole
tous les jours un confesseur, qui l'arrache
aux do'iceurs de la vie, qui l'enchaîne, qui
le consume, qui le rend esclave et victime
de la charité. O le glorieux esclavage 1 ô le
noble et sublime dévouement ! Sans doute
un prêtre caché dans les ténèbres, assis au
tribunal sacré, n'est rien aux yeux du mon-
de ; que dis-je? il est souvent l'ubjet des
satires de l'impiété et des insultes du liber-
tinagBj qui se trouve traversé dans ses in-
trigues par le zèle de ce prêtre. Qu'il est
grand aux yeux de Dieu et de l'Eglise 1
qu'ils sont importants les services qu'il
rend à la société des fidèles !
C'est unjuge, un magistrat sacré qui, du
haut d'un tribunal divin, prononce avec
pleine autorité sur l'état des consciences ;
et les anges présents partent aussitôt pour
aller porter ses jugements aux pieds de la
majesté suprême; c'est un libérateurrevôtu
de la toute-puissance divine, qui brise les
chaînes des esclaves du péché, qui com-
mande avec Jésus-Christ à l'eâprit immonde
de sortir de leur cOrps, et cet esprit fré-
missant obéit à sapai'olé; C'est un des chefs
do la milice de Jésus-Christ qUi cOmbat
pour la gloire de son n-aître contre les lé-
gions de l'enfer : Jésus-Christ le contemple
avec joie et le soutient de sa puissance et
de ses lumières ; toute la force des mérites
de Jésus-Christ est confiée 'i sa sagesse et à
son autorité; le sang de Jésus-Christ could
en quelque sorte [)ar ses mains sur les âmes
souillées, et leur rend la beauté primitive
qu'elles trouvèrent jadis dans les eaux sa-
crées du baptême. A ce spectacle les démons
rugissent, l'imidélé se déchaîne, toutes les
passions se révoltent ; mais les passions
sont vaincues, l'enfer est confondu , et le
ciel retentit des cantiques d'allégresse 1
11 me semble. Messieurs, que pour nous
encourager dans un ministère bien pénible
sans doute et bien dangereux, uiais aussi
RETRAITE. — INSTRLCT. X, SUR LA CONFESSION.
7^!
le plus grnnd, le plus important, le plus
iiécess.'iiie pour le salut du niondo, nous
devrions toutes les fois que nous allons au
confessionnal m<5diter un moment cotte
grande vérité, qui a stimulé le zèle de tous
les saints, paui'i electi : et nous dire.'i nous-
mêmes je vais augmenter le nombre dos
élus. Car, mes cliers confrères, pourquoi
celte multitude innombrable d'àmes toutes
créées jiour le ciel, toutes rachetées du
sang de Jésus-Christ, lomhent-elles pour la
plu[)arl dans les abîmes de l'enfer ? Ah 1
c'est en grande partie parce qu'il n'y a pas
assez de bons confesseurs! c'est qu'on
n'exhorte pa«, qu'on ik* presse pas assez
vivement les tidèles de se confesser. Et (pie
faudrait-il dire si c'était pour s'épargner la
peine de It'S entendre? C'est qu'on n'est pas
assez assidu au confessionnal, qu'on ne
veut pas se gêner, qu'on prolonge trop sou
sommeil ou ses plaisirs, qu'on n'a |)as d'or-
dre dans sa conduite, et que le temps man-
<juepour une des obligations les plus es-
sentielles; tandis que, bien ménagé, il
pourrait suflire à tous les devoirs; c'est
qu'un grand nombre de confessions au
moins inutiles, pour ne pas dire sacrilèges,
ne le son!, hélas! que jiar la faute descon-
fesseurs, qui n'apportent |)as au tribunal
saint assez de lumières, assez de prudence,
assez de piété et de véritable zèle. Mon
Dieu ! permstlrez-vous que votre peuple
soit la vicliine de nos erreurs, et que tant
de pauvres âmes rachetées par le sang de
votre Fils trouvent leur perte dans notre
inditîérence ou dans noire imprudence !
Prions Dieu , vénérables confrères, qu'il
écarte de nous cet effroyable malheur, .et
que ce ne soit pas [)our la ruine, m;iispour
le salut de plusieurs que nous avons reçu
les clefs du royaume céleste.
INSTRUCTION X.
SUR LA CONFESSION. {Suite.)
Qui coiiverii feeerit peccatorem ab ejus errore viae
suxsalvabit aiiimam ejus a moi'le.(j6!<;., V, 20.)
Messieurs,
Diverses conditioniS ont eié attachées à
l'exercice des augustes fonctions que nous
remplissons au milieu des peuples : c'est en
les observant que nous assurons le succès
de notre ministère. Tout est grave et essen-
tiel dans le sacerdoce, tout est important
dans l'administration des sacrements ; toais
celui de la pénitence exige le plus de pré-
cautions, et im[)Ose de grandes obligations
h ceux qui sont chargés de l'administrer,
lleprésentanl de Jésus-Christ sur la terie,
le prêtre exerce tout à la fois les fonctions
de juge et de père : comme juge, il con-
diiinne et [lunil; comme père, il doit con-
soler le pécheur repeutiuit, confjndre ses
regrets avec les siens, mêler ses lurmes aux
siennes et soulager celte âme allligée de
bien des maux. La confession, qui met un
IVein à touies les passions de l'homme, qui
guérit toutes les blessures faites au cœur,
qui calme la haine, fait restituer le Lien
7V2
mal acfjuis; qui désarme le crime, qui
présente en un mot à tous les vices la bar-
rière la plus insurmontable, regardée par
les ennemis môme de la religion comme le
chef-d'œuvre de la sagesse divine, devait
en effet exiger du ministre de ce sacrement
d'éminentes qualités. L'Eglise demande de
nous que nous soyons des confesseurs
éniairés, nourris dans les maximes des
saints Pères, instruits dans les vrais |)rin-
cipes,dans les règles de la discipline ecclé-
siastique; attentifs h sonder la dispositinn
des consciences, à nous assurer de la sin-
cérité du refienlir; el!e veut que nous évi-
tions surtout de com|)romeltre notre salut
et celui de nos pénitents par des absolu. ions
précipitées. Ce n'est qu'en suivant es
saintes règles que nous serons les guides
de ses enfanîs dans les voies de l'éternité
et les dignes dis|)ensateurs des mérites in-
finis du sang de l'aiigusle victime par qui
tous les hommes ont été rachetés.
Mais pour remplir de si sublimes fonc-
tions applicpions-nous à bien connaître les
règles qui doivent diriger le confesseur
dans l'exercice de son ministère, et les qua-
lités qu'il doit avoir. C'est encore l'examen
de ces qualités qui va nous occuper; et
après vous avoir parlé de la prudence et de
la piété, je vous entretiendrai maintenant
de la fermeté et de Ja douceur, précieuses
qualités qui ne sont pas moins nécessaires
pour un confesseur quelesdeux premières.
PREMIÈRE PARTIE.
Le grand caractère qui éclate dans toutes
les œuvres de la sagesse élernelle, c'est,
dil l'Esprit-Sainti un mélange de force et do
douceur : force dans les choses, douceur
dans les moyens : Attingit a fine ad fintm
[orlitcr, et disponit omnia suaviter (Sap.,
VllI, 1) ; tel doit être le caractère d'un [)rê-
Ire, surtout dans le minislère de la fténi-
tence. Fermeté douce et insinuante, dou-
ceur ferme et intrépide, voilo ce qui fait les
bons confesseurs, parce que ce sont là les
deux caractères de la charité, dont ils sont
les ministres : Forlis est ut mois, dilectio
{Cant.yYUl, 8); charitas bcnignaest,{lCor,,
Xiil, i.) Mon Dieu ! vous seul pouvez nous
le dounei', ce zèle ferme et doux, parce que
vous seul êtes la charité dont il est l'elfet.
La fermeté d'un confesseur consisie prin-
cipalement à ne jamais s'écarter des véri-
tables règles et de la saine doctrine, à ne
jamais absoudre des indignes, pour quelque
considération que ce puisse èire, quand il
s'agirait d'éviter des persécutions, des vio-
lences, même la mort, fortis est ut mors,
dilectio. Exposons en peu de mots combien,
cette fermeté est nécessaire et les diveis
obstacles qu'on a à vaincre pour l'acquérir.
Ne perdons jamais de vue, vénérables
confrères, que dans un minislère si divm (C
ne sont pas nos idées qu'il faut suivre, ma, s
les principes immuables que Dieu lui-
même a écrits de sa propre main dans
riivangile, et qu'il nous dévelopne et nous
explique par l'organe de son Eglise. Sans
7 45
ORATEURS SACRES. MAUREL.
7 H
doute ces principes sont sévères : ils pros-
crivent toutes les passions et commandent
toutes les vertus; ils ne laissent au péclieur
d'autr« ressource que la pénitence : une
jéniience proportionnée à la gravi-lé de ses
crimes, et une pénitence clairement mani-
lestée par une vie nouvelle et par la répa-
ration des injustices et des scandales passés;
mais celte sévérité n'esl-elle pas l'ouvrage
de Dieu, et pouvons-nous réformer ce qu'il
a fait, ou contredire ce qu'il a dit? Nous
appartient-il de changer les conditions aux-
quelles i\ a attaché le pardon du péché?
'Jes conditions nesoni-elles pas une partie
essentielle de celte loi suprême qui a pour
auieur l'auteur même de la vérité et de la
justice? Malheur donc à nous si nous atten-
tions à la pureté, à l'iritégrilé de celte loi
immortelle qui doit survivre à la chute
du monde! Cœliim et terra transibunt,
terba autem mea non prœteribunt. (Matth >
XXIV, 35.)
Un magistral, un juge de la terre obéit
fidèlement aux lois émanées de la volonté
de son souverain ; il serait punissable si ses
jugements étaient contraires à ces lois : et
nous, juges des consciences, nous nous
écarterions du code évangéliquo que Dieu
lui-même a dicté! et parce que, à la faveur
du secret de notre ministère, nous pour-
rions i)eui-être échapper à l'œil de l'Eglise,
nous croirions échapper aussi à cet œil in-
visible et sévère qui éclaire les ténèbres,
et qui manifestera un jour aux yeux de
l'univers nos infidélités les plus cachées!
Quoi 1 Dieu a dit en mille endroits des livres
saints qu'il rejette les superl)es, et n'accorde
sa grâce qu'aux humblts {Jac, IV", 6) ; (|u'il
abhorre les cœurs durs el impénitents, et
n'écoule que les soupirs d'un cœur contrit
et humilié [Psal. L, 17); qu'il ne pardon-
nera qu'à ceux qui pardonnent {Matth., VI,
lij, et qu'il n'aura de uiiséricorde que pour
les miséricordieux (Jac, II, 13], Il a dil que
son royaume était fermé à l'avarice, h la ra-
pine, à l'usure, à l'inlempérance, à la vo-
lupté, à toutes les passions (I Cor., VI, 10) ;
il a dit que pour entrerdans son royaume il
iaut porter sa croix, réprimer les désirs et
les passions de la chair et se défendre de
la corruption du momie (Matth. ;W\, 2k)',
il a dit que ce monde pervers est l'ennemi
de Jésus-Christ, et qu'un feu éternel est ré-
servé à ses scandales et à ses blasphèmes I
[Matth., XIII).
Et nous, malgré ces maximes d'une éter-
nelle vérité, nous prétendrions réconcilier
avec Dieu des impénitents qu'il repousse,
et absoudre des pécheurs qu'il condamne
et qu'il ne peut évidemment se dispenser do
condamnfr! car enfin peut-il ()ardonncr
sans repentir, sans changement de vie?
Quoi, Messieurs ; ce Dieu qui est la justice,
la saintelé, la sagesse éternelle, pardonne-
rait à des coupables qui ne veulent point
cesser de l'outrager, qui sont prêts à l'ou-
trager un instant après leur pardon, qui
perse v'èrent obstinément dans leurs habi-
tudes, el par conséquent dans l'aireclion au
péché: qui, loin de s'éloigner avec courage
des occasions du crime, ne cessent de les
rechercher; qui refusent de pardonner eux-
mêmes à leurs ennemis, qui ne veulent ni
réparer, ni discontinuer leurs injustices, ni
peut-être, hélas 1 les reconnaître; qui n'ont
la contrition que sur les lèvres, dont le
cœur conserve toujours une attache secrète
aux objets de leurs passions, et dont la con-
duite contredit sans cesse leurs promesses
et leurs prétendues résolutions 1
Mais de bonne foi, en pardonnant à des
coupables qui no veulent pas cesser de
l'être, Dieu ne serail-il pas censé les au-
toriser, les encourager dans le crime, et en
devenir en quelque sorte le complice? Or,
Messieurs, si Dieu ne veut ni ne peut par-
donner sans repentir, sans changement de
vie, comment oserions-nous absoudre des
coupables souvent vieillis dans le crime,
sans nous être assurés, non par luurs pa-
roles, mais parleurs œuvres; non par des
promesses et des protestations qui ne coû-
teiit rien, mais pardes épreuves, des efforts,
des sacrifices, qu'ils sont véritablement re-
pentants et convertis?
A quoi aboutirait cette sacrilège témérité
d'absoudre des indignes, et de donner les
choses saintes à dosâmes impures? Nous di-
rions sur la terre : f absous, et le ciel dirait :
je condamne; hélas! et celte condamnation
ne tomberait pas seulement sur l'iiypocrito
prosterné à nos pieds, mais sur nous-mêmes,
bien plus coupables que lui. Car, Messieurs,
quel crime que de tromper les âmes dans
une circonstance où il s'agit de leur des-
tinée éterncdle, que de les rassurer el alfer-
niir par une cruelle indulgence dans la voie
de la perdition, au lieu de les amener peu
à peu, par une sage fermeté, dans celle du
salut! Quel crime, que de profaner avec
elles le sang de Jésus-Christ, et de les en-
gager av^ec nous dans un enchaînement de
sacrilèges où la mort peut-être les sur-
prendra, et nous surprendra nous-mêmes 1
Pauvres ()écheurs ! qui avez eu le malheur
de tomber dans les mains d'un ministre
infidèle, que votre sort est déplorable, sur-
tout si vous aviez apporté au saint tribunal
une sorte de bonne foi! Vous aviez cru y
trouver ce que vous désiriez el ce que vous
deviez désirer, un juge équitable qui s'ap-
pliquât avec zèle, par des interrogations
prudentes, à connaître en détail toute l'éten-
due de votre culpabilité, et qui ensuite
vous jugeât avec sagesse et avec justice;
un médecin habile qui sondai avec soin la
profondeur de vos plaies, et y appliquât,
non des ()allialifs, mais des remèdes sûrs
et efficaces, le fer et le feu s'il l'eût fallu ;
un guide éclairé qui, d''une main ferme,
vous éloignât de la fausse roule que vous
suiviez, et vous fil une sainte violence pour
vous ramener dans les sentiers de la jus-
tice ; un ami fidèle qui ne vous flattât [tas,
niais vous dit franchement la vérité, vous
proposai des motifs solides de la suivre, et
ne so rebutât (las de vos lenteurs cl de vos
caprices ; uu véritable père, tendre sans
7;5
RETRAITE. — INSTRL'CT. X, SUR LA CONFESSION.
7ÎG
(lonlc, mais cnurngonx; (|iii, .ijaiU plus h
cœur do vous conijîor qiio de vous com-
plaire, vous avcrlU de vo« déf.mts, et vous
reprît île votre incond'jile avec une douce
sincérilé.
Au lieu de lotit cela, qu'avez-voiis (rou-
v(V? Dnnsfpiei pilo.vablc cMal ce tniui^tj-e
infidèle n'a-t-il |ias pkrigé voire âniel Oh 1
quel aflTreux service il vous a rendu sous le
masque do la clémence et de la miséricorde!
Au sorlir du Iribuiial, vous vous êtes peul-
^Mre félicité d'avoir rcncoulré un guide si
douxetsi indulgent. Ali 1 vous no sentiez
pas le Irait mortel qu'il venait d'enloucer
dans votre coeur 1 Quels reproches, peut-
être, n'auroz-vous pas à f.iire un jour, aux
jiiodsdu souverain Juge, .^ ce directeur fai-
ble et craintif, qui, par ciainte de vous dé-
plaire, vous aura perdu, et, [)Our vous épar-
gner un momer.l do tristesse, vous aura
précipité dans une tristesse éternelle I
C.ir, Messieurs, un desg'aiids obstacles à
la fermeté sacerdotale dans le tribunal saint,
c'est une crainte basse et pusillanime qui
nous ompêclie soit de connaître le véritable
état des âmes, soit île leur appliquer les re-
Uièdes convenables. On craint d'interroger
avec soin certains coupables dont l'igno-
rance ou la négligence présenteraient peut-
être des embarras, et on les absout contre
les saintes règles, et quelquefois contre sa
con>-cience. On craint de choquer surtout
les grands et les riches, qu'on sait ôtie plus
(lilliciles, et à qui en etlel on doit plus de
ménagements , mais jamais aux dépens de
la \ élite, (pielque désir que puisse nous
suggérer rauu)ur-propre «le conserver leur
coiiliance et leur protection. Oi; craint de
I erdre la confiance publique et de passer
pour un homme outré et inabordable, co
qu'il faut éviter sans doute, mais |iar une
douceur prudente, et non par une insou-
ciance et une complaisance coupable. On
craint d'éloigner de la direction certaines
personnes pour lesquelles, hélas 1 ou a soii-
veiil bien plus d'afleclion humaine que do
vrai zèle, et à qui peut-être on n'esi ut. le
qu'en ap|iarence, et réellement pernicieux.
On crainl de dégoûter des sacrements cer-
taines personnes (pii, en elfet, en ont grand
besoin, et on y admet une jeunesse dissi-
pée qui aime plus la vanité et le i)hiis;r que
Dieu, qui Iréquenle les assemblées mon-
daines, les danses indécentes, et ne veut
pas reconnaître une multitude de fautes
graves quelle commet soit avant, soit pen-
«lant, Soit a|iiès ces coufiables réunions. On
tiaint de voir, et que le public ne voiedaiis
notre église la table sainte déserte , à cùlé
d'une paroisse où un pasteur complai>aiit
y admet, ()ar une hausse piété, jnesque
tous ceux qu'il confesse.
Mais ignoiO'iï-nous la réponse de l'hs-
pril-Saiiit à louiesces craintes? IS'oli quœ-
rere fieri jiiclca:, nisivaleas virlule irrumpei e
inifjutlales. {hccli.,Vl\, G.) IrrumpcrcQuelm
énergi" dans ceîto expression! Oeum tiinc,
el mandata ejus observa; hoc est eniin omnis
ho»io. [EccIk., \il,ili.) Noiite timere cosfi'ii
"V UnATELRS 3ACUÉS. LXVIII.
ocridnnt corpus, nnimiim nitlcm non po^sitttt
orcidere, scdpofius limcle mm qui polest et
nnimain el corpus perdere in geficniuim.
llnnc timcle. [Matth , X, 28.) N'avoiis-nous
pas reçu (ians rorliiniion l'Ksprit de force
et de magnanimité? Accipite Spirilnm san^
cfinn ad robur {Joan , XX, 22): 7u>n cnim
dédit nabis Deus, dit saint Viwil. Spirilnm
tiinoris, sed virlutis. (M l'im,, !, 7.) N'a-
vons-nous pas été placés dans 1 Eglise du
Dieu vivant comme un mur d'airain, comme
une colonne de fer, qui doit être inébranla-
ble au milieu des vents et des teiiipôles ; je
veux dire au milieu des contradictions des
hommes et de la violence de leurs passions?
Messieurs, un prêtre qui n'est pas au-dessus
des craintes humaines est indigne de son
ministère. O Ambroise I et vous, Jean Né-
l>omucène! oii ôtes-vous? Ahl descendez du
liant des cieux et revenez nous afjprendri!
la noble et modeste fernnité qui (but briller
sur le front d'un représentant de Jésus
Christ; et alors, an lieu de perdre par de
l.khes llalleries les grands et les puissants
du siècle, comme vous nous les instruirons,
comme vous peut-être nous les converti
rons, ou du moins nous honorerons notre
ministère.
Mais ce n'est pas un grand delà terre, me
direz-voiis : c'est un minisire du Roi du
ciel, c'est un de mes coiilrères préposé au
gouvernement d'une paroisse, qu'il u'j peut
priver du saint sacrifice de la messe ni des
sacremeiis; pourrai-jo lui refuser labsolu-
tion? Et en la lui donnant, s'il en est in-
digne, le rendrez-vous plus capable de
monter à l'autel et d'exercer les fondions
saintes? Quedis-je? ne partagerez vous pas
les profanations dont vous aurez craint ('e
l'éloigîier? Ce sont là des choses si palpa-
bles, (|u'oii a peine h les énoncer. Ah ! sans
doute, malheur au piêLro qui vous mettra
dans cet affreux embarras! Mais mille fois
malheur à vous, mon cher confrère, si vous
aviez la lâcheté de favorser ses sacrilèges I
Digni sunt morte, non solum qui faciunt, sed
eliam qui consenliunt facientibus. [Rom., 1,
Mais la fermeté toule seule perdrait ics
ûmes, si elle n'était jointe à l'esprit de man-
suétude, qualil(! qui n'est pas moins essen-
tielle que les autres : nous allons nous en
convaincre en traitant S()écialement de la
douceur dans l'administration du sacrement
de [lénitence.
SECONDE PARTIE.
Un prêtre a besoin de force et de fermeté
|iOur marcher constamment, au milieu des
obstacles el des contradictions, vers le but
de son ministère, qui n'est Gutre chose que
la gloire de Uieu ei le salut des âmes I Mais
ce grand but, il ne l'atteindra jamais, si la
fermeté n'esi tem|)érée par la douceur, la
patience, la modération, un ménagement
continuel. Des esprits et des cœurs no
peuvent êtie ni forcés par la violence, ni
enchaînés parla contrainte; ils sont libres
de céder ou de résister, et en ne peul les
24
Ï47
ORATEURS SACRES. MAUHEL.
7-48
j:;ouvernor que par des moyens adroils ot
insinuants, pardes motifs niisonnables pro-
posas pt?r la l)ienveillance et la douceur. Un
confesseur doit se rappeler ces paroles que
If Sauveur s'appli(iuait h lui-uièuic : Discite
n me quia milis sum. {Mallh., Xt, 29) ; et
l'.ct éloge admirable do la douceur, qui pro-
met la couronne de la terre à ceux qui pos-
sèdent cette précieuse qualité : lieati miles
(juonium ipsi possidebunt terrain. [Matth.y
V, k.)
Otte manière d'agir doit être l'ilrao de
toutes les fondions d'un prêtre, mais on
particulier du minisicre de la confession,
de ce ministère où l'on a ;i combattre loule.-»
les passions, et surtout ctl orgueil si irri-
table qu'on no peut vaincre que par un
esprit de patience et d'humilité. Pour guérir
le malade qu'il a rencontré sur la route de
.léricho, le Samaritain répand sur ses |)laies
de riiuile €t du vin : ce mélange est le
symbole de la force et de la douceur qu'il
faut employer dans les maladies de )"âine :
riiuile toute seule amollirait trop, le vin
irriterait les blessuics : pour guérir les
maux du péché il faut employer la fermeté
des principes et la sévérité des règles; mais
jamais des paroles aigres et des reproches
am(>rs. Ce n'est pas tout : il faut de plus
tempérer la rigueur elle-raC'me des saintes
règles par l'huile de la charité, qui esta elle
seule comme l'unique règle, t)uisqu'elle est
tout à la l'ois la fermeté et la douceur, /"orfis
cst,benignaest.{\ Cor., XIII, 4.) A|)pliquons-
nuus maintenant à méditer sur les pré-
cieuxavanlages et la nécessitédecet espritde
douceur dans le sacrement de la pénitence.
Vous le savez, Me.'-si(!urs , c'est par la
douceur qu'on s'insinue peu à peu dans les
coeurs, qu'on gagne leur alfection , qu'on
obtient leur coniiance, qu'on prend sur eux
un ascendant persuasif, un empire aimable
auquel rien ensuite ne résiste. Cette con-
iiance une fois acquise, il est facile d'éclai-
rer l'.iveugleujent, de dissiper les illusions,
de vaincre les répugnances, de triompher
des volontés les |)lus rebelles; mais ce
triomphe est réservé à la douceur : sans la
douceur on ne réussit à rien. La fierté ai-
giit, la dureté irrite, la sécheresse inti-
mide, riiuuieur déconcerte et décou-
rage; on s'élève contre un ton allier et
impérieux : au contraire, la douciîur plaît,
jiUire, touche, gagne insensiblement les âmes
'es plus dures et obtient les sacritices hjs
plus [,'énibles.
Pour être utile h ses frères, il faut s'en
faire aimer; et c'est la douceur qui obtient
leur amour. Un |)rètre aura beau posséder
ias plus grands talents, avoir de l'instruc-
tion, de l'esprit, de l'éloquence; si ces
bel'es qualités ne sont jointes à la douceur,
si elles sont altérées par un zèle amer,
caustique, bizarre, impétueux, son minis-
lère sera presque stérile. l)iis talents mé-
uiocres, ou même au-dessous du médiocre,
feront mille fois plus s'ils sont accompagnés
de matiières douces, de paroles prévenan-
tes, d'un airalfable, d'un cœur généreux
et compatissant, d'une conduit9 sage et
modérée. C'est là, Messieurs , une de ces
vérités qui n'ont pas besoin de preuves, qui
sont aussitôt senties qu'exposées. Mais,'
hélas ! il est malheureusemeni bien plus
facile de les exposer et môme de les sentir,
que de les mettre en pratique.
Si la douceur doit faire en tout le carac-
tère distinotif d'un ministre de Jésus-Christ,
si elle seule peut assurer le succès de ses
fonctions, quelles qu'elles soient, oh!
quel besoin surtout n'en a-t-il point dans
le tribunal de la miséricorde! Un confesseur
|ui parle h ses pénitents avec douceur et
onction les éclaire, les touche, les ramène
insensiblement; s'il leur parle avec dureté
et amertume, il les aigrit, les irrite et les
éloigne de la pénitence, ou tout au moins
de sa direction. Il est quelquefois permis
de faire entendre en chaire des paroles
énergiques et véhénientes et les accents
d'une vertueuse indignation; jamais au
confessionnal ! Et la dillerence est facile-
ment sentie: c'est (lu'en chaire nos repro-
ches et notre véhémeiice attaquent plutôt
les vices que les personnes; ou s'ils atta-
quent les personnes elles-mêmes, ce n'est
qu'en masse : jamais individuellement ; on
laisse à chacun le soin de s'apt»liquer ce
qu'il croit lui convenir. Mais dans le tribu-
nal tout porte, tout s'adresse à la personne
qui est à nos pieds; elle ne peut rejeter sur
un autre les réflexions que sa confession
nous inspire. Ce qu'd y a de [)lus pénible
pour elle, c'est que sa position et le respect
qu'elle doit à notre minislôi'o lui ôteut môme
le droil de se plaindre.
Un pauvre })écheur n'est-il pas assez hu-
milié par la honte de s'avouer coupable,
sans que nous allions augmenter sa confu-
sion par des paroles sèches et des reproches
amers? Quel ellet peut produire sur lui ce
ton sévère et menaçant, surtout si c'est dans
le début de la confessioi.'? il lui fermera la
bouche et le cœur, et j)eut-èlre Téloignera
j)Our toujours des sacrements. On a tant de
[)eine à sujiporter ces menaces, même dans
un prédicateur, qui ne parle des désordres
qu'en général , et peint à grands traits le
tableau du vice. On ne lui pardonne) la vi-
vacité de ses expressions et la sainte éner-
gie de son zèle qu'autant qu'il les tempère
par des mouvements tendres et affectueux.
Quelle ne doit donc pas être la souffrance
d'un [lécheur qui ne s'est présenté au tri-
bunal qu'avec la plus grande répugnance,
qui a eu à lutter plusieurs jours contre lui-
même pour se déterminer enliii à une dé-
marche si pénible, si, au lieu de trouver
en nous un père,unann, un consolateur
qui encourage sa timidité et fortilie sa fai-
blesse, il ne trouve qu'un maître dur et sé-
vère ? Est-ce ainsi que le père de famille
accueillit l'enfant dissipateur? est-ce ainsi
que le bon ()asteur ramena la brebis éga-
rée? Ces [)araboles, vous le savez, sont une
image de la douceur et de la i)alifcnce de
Jésus-Christ, notre chef et notre modèle;
de Jésus-Christ qui traita avec tant de dou-
149
RETRAITE. - INSTRUIT. X, SU II LA CONFESSION.
730
ceur la femme adultère , qui inslriiisil avec
tant de boulé la Samaritaine, qui pardonna
si prom|itemtMil el sans aucun reproche au
repentir du tjon larron ; rie Jésus-Christ qui
nous a recommandé si expressément d'imi-
ter sa douceur, discite a tne quia viilis siiin
{Mullh., XI, y.9) ; «lui a versé dos larmes de
charité sur les crimes de son ingrate palri(%
et qui lui disait avec une compassion si at-
tendrissante : Jérusalem, Jérusalem! quii
occidis proplictas, quolies volui congr égare
filios tuos, quemadmodum gallina congre(jaC
pullos suos suJb alas , eC noluisti! {Luc,
XMI, 3'*.)
Nous devons juger des autres par nous-
mêmes. Aimons-nous à èlre trop vivement
réprimnntiés? Le cœur de l'homme est né
fier el indépendant ; il repousse tout ce qui
tend a le subjuguer, il ne s'ouvre qu'aux
accents de la douceur, de la tendresse, du
l'intérêt; il aime à dominer, et l'on ne sau-
rait le gagner |)ar un ton de domination :
Torgueil ne se corrige |)as par l'orgueil,
contraria contrariis curanlur. Traitons les
autres comme nous désirons être traités
nous-mêmes. Il n'est peut-être aucun de
nous (|ui n'ait rencontré dans sa vie ()Ui'l-
que directeur caustique el impatient ; (pieile
impression faisait sur nous i'ilprelé de son
liumeur? et nous voudrions l'imiter à l'é-
gard de nos pénitents? Inteltige quœ sunt
proximi tui ex tcipso. {Eccli., XKX.1, 18.)
De bonne foi, mes chers confrères, f)ren-
drions-nous en conversation ce ton décisif
et tranchant qu'on prend quelquefois au
tribunal de la charilé? Ces personnes pour
qui nous avons des égards dans un entre-
tien particulier, les croyons-nous moins
res[ieclables loisqu'ellos sont à nos pieds ?
Que dis-je ? l'étal de gêne et de contrainle
où elles se trouvent alors ne nous comman-
de-t-il [las plus de réserve et d'attention à
leur égard? Pourquoi donc les ménager
moins dans le lieu précisément où elles ont
plus besoin de ménagements? Dans le com-
merce de la vie, (jue! moyen emploie un
homme sage pour détromper quelqu'un
d'une erreur, ou le détourner d'une fausse
démaiche? un ton raisonnable et motléré.
pourquoi ne pas |)rendre ce môme Ion dans
je saint liibunal? Croyons-nous qu'on soit
là moins homme, moins susceplible, moins
irritable qu'ailleurs?
Quelle profonde sagesse dans ces paroles
du grand Apôtiel Ré[)élons-les, Messieurs,
pour notre inslruclion, et qu'elles nous ser-
vent de règli! : Seniorem ne increpaveris,
sec/ oOsecro ul palrem, juvcnes ut fraires,
anus ut maires , juvenculas ul sorores , in
omni cuslilote. (I Tim , V, 1.) Oui , vénéra-
bles confrères, lujus devons aux personnes
âgées une sorte de respect lilial, un langage
qui ait moins le ton de l'instruetion que
celui do la soumission el de la prière, senio'
rem obsecra ul palrem, anus ut maires. Nous
devons aux jeunes gens des deux sexes la
riJÔme honiiêtelé et la même bonté (ju'à des
frères et à des sœurs, juvenes ut fratres,
iurenculcis ul sorores. Mais n'oublions ja-
mais les derniers mots de l'Apôtre : Jn
omni castilate. Ah! malheur ù nous si nous
|)ordions de vue, dajis le lieu le plus saint,
la sublimité de notre ministère! Malheur à
nous si une douceur mondaine, si les ac-
cents de l'adulation pouvaient sortir d'une
bouche consacrée tous les jours par le sang
d(î Jésus-Ghrisl. Je n'insiste passuruti objet
si délicat devant un auditoire qui connaît si
bien les convenances, et qui, en a()pi éoiant
les motifs iie mon silence, ()eut avantageu-
sement y su[)pléer.
Mais outre cette douceur si criminelle,
donl le nom môme nous est interdit fJarl'Es-
prit-Sainl, il est deux autres espèces do
fausses douceurs également coufiables ; jo
veux dire une douceur de tempérament, qui
dégénère si souvent en mollesse el en lâ-
cheté, qui n'ose ni sonder les plaies ni appli-
quer les remèdes convenables qui ne sait
que flatler , que tromper les pécheurs et
enfreindre les saintes règles; et une dou-
ceur de politique qui n'ayant pour mobil<i
que des vues d'ambition et d'intérêt , s'a-
baisse h des ménagements coufiables, sur-
tout envers les grands et les riches, dont
réloignement nous allligerait, et qui craint
plus de choquer les hommes que d'oll'enser
Dieu : Prudentia carnis mors est. (Rom.,
VIII. 6.)
Oh! mes cliers confrères, que nous se-
rions à plaindre si nous apportions dans le
plus sublime des ministères des vues si
basses et des craintes si indignes! La vraiu
douceur prend sa source dans la charité, et
la charité ne cherche que Dieu et le salut
des âmes. La charité est aussi courageuse
que patiente, elle ne flalle ni ne rebute, elle
tient un milieu entre le rigorisme el le re-
lâchement ; elle facilite sans doute les voies
de ia (ténilence, mais sans les élargir; elle
console, elle encourage le pécheur, mais
sans lui caclier le danger où il se trouve,
ni les elforts qu'il a h faire pour en sortir;
elle lui montre un Dieu miséricordieux,
dont le sein est ouvert et les bras tendus (tour
le recevoir, mais sans lui laisser ignorer
les sacritices el les réparations qu exige sa
justice.
Mais ce zèle toujours amer et jamais con-
solant, toujours armé de foudres el eidourô
de terreurs, qui se borne à jieindre l'énor-
luilé du [)éché sans com[)atir à la faiblesse
el aux tentations du pécheur; qui ne parle
que de châtimenls el de vengeances, et
|)resque jamais de clémence el de miséri-
corde; qui semble ignorer que si la crainte
peut éloigner la main des œuvres du péché,
la conliance seule peut ramener le cœur à
Dieu; non, un lel zèle n'appartient pas à la
chaiilé, surtout s'il est accom|)agné d'un
ton de mépris et presque d'insulle. C'est là
l'tiumeur de l'homme et non le zèle de
l'homme de Dieu; c'est un amour-propre
choqué qui Ijlesse les autres.
Mais comment se contenir, me dira-l-on,
quand on rencontre des ignorants qui ne
savent rien et ne veulent rien a(»prendre,
dt'3 entêlés que rien ne peut fléchir, de«
TH
ORATEURS SACRES. MAUREL.
7r;2
endurcis que rien ne peut touclior, des in-
corrigibles qui r(''sistent il tout, des incons-
tants qui retombent sans cesse , qu'on ab-
sout et qu'on ne convertit pas? Comment
se contenir, en voyant plusieurs mois, plu-
sieurs années de travail inutile? Inutile!
mes chers confrères! Ah! aurions -nous
oublié le mot de saint Bernard : Curam exi-
geris,non curalionem? Dieu veut que nous
soignions ce malade, mais il n'exige pas que
nous le guérissions. Noire récoiupense est
attachée, non à nos succès, mais à nos
etï'orls; et ignorons-nous que les soins les
plus méritoires pour nous-mêmes sont pré-
cisément ceux qui nous paraissent les [dus
infructueux pour les âmes qui en sont l'ob-
jet?
Et encore je dis qui nous paraissent , car
l'œuvre de Di(;u sefait souvent à notre insu:
tel pécheur qui nous semble incorrigible
est peut-être sur le point de devenir un
saint. Qu'était saint Paul avant d'entendre
la voix de Jésus sur le chemin de Damas?
un louj), un persécuteur. Que ful-il l'inslant
d'après? un agneau, un apôiie. Les mo-
ments de la giâce ih;soiiI pas toujours ceux
de notre impatience. Il est des lerrcs lentes
qui ne produisent qu'à ia longue, mais dont
la moisson est d'autant plus abondante
qu'elle a été plus taidive.
Croyons-nous d'ailleuis que l'œuvre de
Dieu hâte par un zèlebrustiue et [)récipité?
croyons-nous que nos im/)atiences soient
bien [)ropres à éclairer ces ignorants, notre
humeur à convertir ces orgueilleux, nos
duretés à tourlier ces endurcis? Ah! nos
prières, nos gémissements secrets aux pieds
(Ju Maître des cœurs feraient bien plus que
tous nos emportements. Priez alors, liii
dirais-je, le souverain Maître des cœurs,
qu'il change le vôtre; qu'il Jui inspire cet
esprit de douceur, de patience et de niodé-
rnlion qui vous est si nécessaire pour con-
duire le pécheur dans les sentiers si difliciles
de la pénitence.
Je sens tout cela, me dira quelqu'un ;
mille fois je me suis fait à moi-même ces
réflexions ; mille fois j'ai résolu de traiter
mes jiénUeiiis comme jc désire être traité
moi-même, avec patience et avec bonté, et
mille fois, hélas! mon caractère vif et ar-
dent a fait échouer ces belles résolutions.
Ne l'oublions jamais, vénérables con-
frères, la vraie douceur est toute puisée
dans la charité : Churitas benigna est; elle
s'allie ovec la fermeté, et la fermeté avec la
douceur ; que dis-jij ? elles sont inséparables.
La douceur sans feruielë serait mollesse, et
la fermeté sans douceur serait dureté. Cet
lieureux mélange est possible et aux carac-
tères trop vifs et aux caractères indolents,
pourvu que les premiers se répriment, se
modèrent, se commandent à eux-mêmes, et
(lue lesseconds s'excitent, s'arment deforce
cl de courage. Tout cela est bien dilllcile,
vous avez raison, et je dirai bien plus, c'est
naturellement impossible; mais est-ce à des
prêtres qu'i'l faudra rappeler que la grâce
corrige la nature cl que no.» iîi.èrsjj ifî BOS
efforts attirent la grâce? Quel homme était
nalurellement plus doux et plus timide que
Moïse? et cependant avec ([uel courage ne
parle-t-il pas h Pharaon ! avec quelle fer-
meté ne punil-il [las les murinuraieurs 1
Quel homme était plus vif et plus ardent
que saint Paul ? et cependant avec quelle
douceur ne traite-t-il pas l'incestueux de
Corinlhe, lorsqu'il le voit humilié et repen-
tant! avec quelle charité ne parle l-il pas
aux Corinthiens et aux Galaies I Osnoxtrtim
pntct ad vos, 0 Corinlhiî ! cor nostrum dila-
talumest. (II Cor., VI, II.) Filioli mei,quo3
ilernm parlurio, donec formelur Christus in
voOis. {Galat., XIV, 19.) Quel homme a é\à
|)lus irrme et [)lus intrépide que saint Am-
broise? et cependant quelle n'était pas sa
douceur dans le tribunal : les larmes qu'il
y réjtandait, dit saint Paulin, étaient si
abondantes qu'il en arrachait aux pécheuis
les plus endurcis!
En finissant, vénérables confrères , l'exa-
men des qualités que doit posséder un
confesseur, pénétrons-nous bien de leur
impoi'tance, puisque d'elles dépendent le
succès de notre ministère ; il nous faut do
la prudence et de la piété. La prudence
doit être fondée sur le véritable zèle de
Dieu et du [;rochain, et éclairée des lu-
mières de la science; la piété, qui doit pé-
nétrer notre cœur, doit aussi loucher celui
des pénitents et nous émouvoir nous-mê-
mes à la vue de ces misères. C'est l'umon
de la douceur et de la fermeté qui furuie
le caractère des conft;sseurs, que nous de-
vons nous etforcer d'acquérir. Rappelons-
nous bien que loules les actions d'un prètri;,
surtout son ministère au tribunal de la péni-
tence, doivent êlre empriinls de ce dou-
ble caractère. Mais f|ui nous donnera cet
heureux mélange qui fait la vertu sacerdo-
tale, el qui assure le mérite de nos <eijvres
et le succès de nos travaux? qui nous ap-
prendra cet an des ans dont parle saint
Grégoire, cet ai't admirable de gouverner,
d'éclairer et de convertir les âmes, si ce
n'est vous, ô mon Dieu I qui possédez ce
li'ésor .ie sagesse el de science ; vous qui
seul connaissez le cœur de Ihomme dont
vous êtes l'auteur, et qui pouvez l'uuvriret
le fermer à volonté ; vous qui ôles la source
de la fermeté el de la boulé, de la cliaiilé
el de la douceur?
Que de fautes nous avons commises peut-
êlre, vénérables confrères , dans le minis-
tère le [)lus im|)orlanl de la religion, que
d'âmes qu'une fermeté plus conslanle au-
rait corrigées, qu'une douceur {)lus per-
suasive aurait ramenées el soutenues!
Quelles déchirantes pensées, el quelle res-
ponsabilité terrible! Puisqu'il en est encoie
temps corrigeons nos imprudences, nos vi-
vacités et nos emporlemenls ; inslruisons-
nous de nos devoirs et de nos obligations,
et plions l'espril de vérité d'éclairer nos
esprits. Accordez-nous , ô mon Dieu 1 de
ramener à vous les pécheurs qui se sont
éloignés du sancluaire île la juslice, et
donnez-nous toutes les qualité? que vous
7o3
exigez vous-même de voire représentant,
cl surtout ce sel do la sagesse, cette force
modérée et cette douceur courageuse, qui,
en assurant le succès de notre mii'islère
dans le tribunal sacré , assurent aussi aux
confesseurs ol aux péiiilcnls la couronne
de l'immorlalilé bienlieurcuse.
INSTRUCTION XI.
l'avahice.
Videlc et cavclc ab oinni avarilia. (Luc, XII, lîi.)
Messieurs,
Il semble que dans un siècle où le clergé
se trouve dépouillé de ses antiques riches-
ses, il soil inutile de parler de l'avarice à
des prêtres, et de leur recommander le dé-
(acliement des biens de la icrre, ijuand ils
s'en trouvent privés. Dans ces temps d'o-
pulence et de splendeur, où d'immenses
ressources étaient confiées aux niinivlres
des autels, et où ils pouvaient si facilement
thésauriser et briller même avec éclat dans
le monde, on devait sans doute chercher à
détaciier leur cœur et à |)réve!iir l'abus de
ces trésors que rE^j'ise leur mettait en
main, non pour contenter leur cupidité,
leur vanilé, leur sensualité, mais pour leur
fournir un entretien simple et modeste, les
chargeant expressément, ol parles lois les
})lus sévères, d'employer le superflu en
aumônes et en œuvres do j)iélé; alors on
pouvait, disons-nous, rappeler au clergé
les paroles si énergiques de Jésus-Christ :
Videte et cavete ab omni avarilia. {Luc, X!l,
15.) Prenez garde de vous laisser corrom-
pre par les richesses que vous possédez, et
dont vous n'êtes que les dispensateurs;
examinez bien l'usage que vous en faites,
songez au compte sevèic que vous en ren-
drez un jour, prémunissez-vousconlre touie
espèce d'allache à des biens fiagiles que la
moil va vous ravir el dont labus vous pri-
verait des biens éternels; alors ces ré-
flexions eussent pu n'être pas déiilacées.
Mais aujourd'hui, pourquoi parler de celte
détestable passion, lorsqu'elle n'a presque
plus d'aliment dans le sanctuaire?
Détrompons-nous, vénérables confrères :
qui de nous ignoie, en eflet, que le siège
de l'avarice n'est pas dans les biens, mais
dans les cœurs? Le saint homme Job était
riche et il était pauvre d'allection : Judas
était pauvre el il était avare, il l'eût été
par le seul allachement à l'argent quand
uiôrae il se serait abstenu de s'emfjarer des
•lumônes données à son divin Maître 1 No
douions pas, mes chers confrères, que
même aujourd'hui placé dans un état voi-
sin de l'indigence où Dieu, dans les des-
seins de son adorable providence, a jugé à
propos de réduire le clergé, il soit possible
à un prêtre d'être avare; qu'il désire l'ar-
gent avec trop d'ardeur, qu'il le recherche
avec troj) d'em[)ressemenl, qu'il s'y attache
avec une avidité coupable, qu'il prenne,
pour s'enrichir, des moyens, sinon injustes,
du moins illicites et indignes de lui; qu'il
cherche à amasser, à thésauriser; qu'il se
RETRAITE. — liNSTRUCT. XI, SUR L'AVARICE. 75f
défio de la Providence et se forme pour
l'avenir des craintes opposées à l'esprit du
chrislianisme ; qu'il néglige les pauvres
,iour ne s'occuper que d'enrichir ^les pa-
rents cupides, qui, jetant sur les trésors du
leniplf; le môme œil de rapacité que l'im-
pie Héliodore, se présenlenl <i l'entrée du
sanctuaire cl semblent dire au jeune lé-
vite : prenez ganle, vous n'êtes [)rétre que
pour nous. Môme aujourd'hui, il esl pos-
sible qu'un prôlre avilisse, dégrade son
ministère, el le rende inutile en le rendant
odieux par une avidilé indécente, par une
exigence inhumaine h demander ce qui
lui est dû, [)ar des [ilaintes éternelles sui-
des besoins souvent exagérés, par des me-
naces imprudentes de quitter un peupla
qu'il ne trouve |)as assez généreux. Il est
possible qu'un prêtre se borne à éviter cette
avarice grossière que lout le monde dé-
teste, qui est un opprobre même aux yeux
du monde, et qu'il ne se prémunisse pas
c'SSfcz contre celte avarice secrète, souvent
masquée par des actes de générosité, ou
même de profusion, qui est d'autant plus
dangereuse (]u'elle n'est aperçue que de
l'œil de Dieu, et (ju'on n'a point à en rougir
devant les hommes.
Il n'est pas inutile, même aujourd'hui,
vénérables conlVères, de méditer les paroles
sacrées de mon texte : Videte et cavete ab
omni avarilia. Il n'est [)eut-ôtre |)as de
vertu que Jésus-Christ ait rappelée |)lus
souvent à ses disciples que cet esprit do
détachement et surloul de mépris des ri-
chesses périssables. C'est |)Our entretenir
en nous ce bienheureux esprit de [)auvreté,
qu'en méditant aujourd'hui sur celle odieuse
passion, si déplorable dans un prêtre, jo
ferai voir que l'avarice esl criminelle dans
sa nature et funeste dans ses etfels.
PREMIÈRE PARTIE,
Pourquoi l'avarice esl-elle criminelle dans
sa nature! parce que, selon la pensée de
saint Chrysostome, elle est opposée au pré-
cepte de l'amour divin. Rappelons, en eifet,
ce précepte, tâchons d'en apprécier l'éten-
due, et nous verrons si un prêtre avare
peut se dire l'ami ou l'ennemi de Dieu :
Diliges JJominum Deum tuitm ex loto corde
luo, et ex lola mente tua, et ex Iota fortitu-
dine tua. (Deut., VI, 5.) Or, un prêtre avare
peut-il dire avec vérité qu'il aime Dieu de
tout son cœur, de toute son àme et de tou-
tes ses forces? Peut-il assu!er,sans mentir
à sa conscience, que ses iieiisées, ses sen-
timents, ses craintes, ses désirs, ses solli-,
citudes se dirigent sans cesse vers Dieu, et
ne s'arrêtent jamais aux choses de la terre?
qu'il ne travaille, qu'il ne pioche, qu'il
n'administre les sacrements que pourgl-o-
riher Dieu et non pour accroître sa fortune?
que les intérêts de la religion et le salut
desûmes le touchent [ilus que les avanta-
ges pécuniaires qui lui reviennent de ses
fonctions? qu'il aimerait mieux perdre sa
rétribution et ses honoraires que de nuire,
en les exigeant avec trop d'avidité, à l'œu-
:^r>
ORATEURS SACRES. MAUREL,
7o6
vre de D.ieu et 8ir progrès de l'Evangile?
qu'il préférerait s'exclure è jamais de l'au-
lel que d'y monter une seule fois par l'u-
nique motif de l'aumône allachée à la cé-
lébration di plus saint des mystères?
Car voilà les sentiments d'un prêtre qui
aime véril;;b!ement Dieu: il le profère à
tout, et il regarde avec i'Apôlre l'or, l'ar-
gent et les choses d'ici-bas comme viles
e! méprisables : ArOitror ut stercora (Phi-
lip , 111, 8.) et il s'écrie avec le Prophète :
Qiiid mihi est in cœlo et a te quid volui super
terrain? {Psal, LXXll, 25.) Qu'y a-t-il dans
le ciel et sur la terre qui mérite rnon
.iniojr, sinon vous, ô mon Dieu? et en qui
pourrais-je placer ma confiance et mon
bonheur, sinon dans celui qui est l'unifiur!
source du bonheur et de la p;iix, et qui
j)eut seul remplir l'imuiensité de mes dé-
sirs? Mais, héhis 1 sonl-ce là les sentiments
d'un prêtre avare?
L'amour de Dieu nous fait soupirer sans
cesse api es ta possession de son royaume,
et nous fait dire chaque jour avec respect
et confiance : Advenial regnum luum [Matlh.,
VI, 10); et si le Seigneur veut que nous de-
mandions aussi le pain matériel, nécessaire
è noire subsistance, ce n'est, vous le savez,
que comme un moyen de mériter le pain
incorruptible qui nourrira les élus dans
Féternilé : c'est-à-dire, Messieurs, que s'il
est permis de désirer et de rechercher avec
modéralion les biens de cette vie, ce n'est
pas pour eux-mêmes, l'our en faire le
centre et le terme de nos atfections, mais
comme un moyen de nous attacher à l'au-
teur de toutes choses, de vivre pour lui, de
travailler pour lui, de remplir ses volontés
sur la terre, dans l'attente des richesses
immortelles qu'il nous destine dans son
royaume.
Mais, je le répète, sont-ce là les senti-
ments d'un prêtre avare qui n'aime et ne
•lésire l'argent que pour l'argent lui-même ;
qui y cherche sa satisfaction, son repos,
son bonheur ; qui en fait l'objet principal
de ses pensées, de ses ailections, de ses tra-
vaux, de ses sollicitudes, sans songer une
ce détestable attachement qui le domine
est appelé par l'Apôtre une espèce d'idolâ-
trie, idblorum servitus {Ephes., V, 5) ? Il est
écrit que les Israélites, ayant abandonné le
véritable Dieu , poussèrent l'aveuglement
jusqu'à se faire un veau d'or et à l'adorer.
i.a voilà, le Dieu de l'avare, l'oret l'argent !
ïin effet, les hommages que les païens ren-
daient à leurs idoles, l'avare ne les rend-il
pas à son argent? Il le respecte, dit saint
<jlrégoire de Nazianze; il n'ose y toucher;
lise contente de l'admirer. Quel opi)robre
pour un cœur né plus grand que l'univers I
Ame immortelle 1 à quoi t'abaisses-tu 1 Le
Oéateur t'a élevée au-dessus de tous les
êtres d'ici-bas, et tu ne rougis ()as de le
mettre au-dessous d'une vile matière i'tu es
faite pour commander à toutes l'es créatu-
res, et tu souffres qu'un peu de boue te
tiominel lu ne touches la terre que du bout
des pieds ; tes yeux élevés en haut t'aver-
tissent de la noblesse de ta destinée, et ta
te rabaisses jusqu'à la f)lacer dans un mé-
tal grossier qui doit durer moins que loi!
O ravage du péché d'origine! ô dégradation
de l'espèce humaine!
Quand on réfléchit sur la plaie profonde
que ce péché nous a faite et sur le penchant
violent qu'il a fait naître en nous pour les
choses créées, on est plus affligé qu'étonné
(le voir les gens du monde si avides et si
passionnés pour l'argent. C'est là, en effet,
le grand moyen de contenter tous les dé-
sirs de la concupiscence : avec l'argriit on
satisfait les passions; avec l'argent on
brille, on intrigue, on parvient aux places
et aux dignités; l'argent est le mobile de
tout; esl-ii étonnant qu'il soit dans le
monde la passion de tous?
Mais que celte passion se trouve aussi
dans un prêtre, qui, en entrant dans le
sanctuaire, a renoncé à toutes les concu-
piscences du monde pour s'attacher unique-
ment à Dieu , dans un prêtre, qui a dit aux
pieds des autels, d'une manière si solen-
nelle : Dominus pars hœredilatis tnecs, et
calicis met [Psal. \V, $) , voilà ce qui doit
non-seulement étonner, mais arracher des
larmes. Vous le savez. Messieurs, au moment
de notre consécration chacun de nous a dit :
Oui, mon Dieu ! je renonce de grand cœur,
pour vous servir avec plus de liberté, à tou-
tes les espérances du siècle et à toutes les
jouissances de celte vie; je n'ambitionne
d'autres biens que ceux de votre royaume :
vous seul serez désormais ma portion et
mon héritage. O portion précieuse t ô hé-
ritage magnifique! IJœreditas mea prœelara
est mihi, [unes ceciderunt mihi in prœclaris
{Ibid., (3.)
Après un engagement si sacré, un prêtre
ira s'attacher à des richesses périssables, à
une fortune de boue ! et s'il vient à en être
privé, quel sera, je vous prie, sa ressource
et sa consolation? Un bon prêtre qui souf-
fre les privations altachées à l'indigence
rappelle avec joie et avec confiance que Dieu
lui a promis de ne point l'abandonner :
Jpse enim dixit, non te descram.{IIebr, Xlll,
5). Mais quelle est la confiance d'un prêtre
avare.? l'argent qu'il possède ou qu'il espère
gagner : mais lorsque ce l'rèle appui lui
manque, le voilà plongé dans l'abattement
et le désespoir.
Comment un prêtre oso-t-il prononcer
chaque jour, dans ce grand nombre de priè-
res dont l'Eglise lui a imposé la récitation,
les expressions les plus biûlantes de l'amour
divin, tout en conservant au tond de son
cœur une attache honteuse pour l'argent?
Nemo polest sercire Deo et mammonœ.{Luc.,
XVI, 13.) Jugeons-nous, Messieurs, d'ai)rès
ce grand principe, ei il est infaillible. On ne
peut pas avoir deux maîtres : Est-ce Dieu
(jui est le nôIre, ou l'argent?
Je sais sans doute que toute avarice
n'éteint pas l'amour divin; qu'il y a dans
ce vice, comme dans les autres, différents
degrés, et qu'on ne devient gravement et
uiortolleœeût coupable, que lorsque l'amour
757
(les bioiis ciét^s ilomiiic dans le cœur et
rerïipoilo sur l'amour clo Dieu. Mais à quels
signes neut-oii connaître quel est celui do
ces deux auiours qui maîtrise notre âme?
Il est souvent bien didicile de le discerner :
le cœur de l'Iiomuie est un abîme dont Dieu
seul peut sonder les profondeurs. IMais, du
reste, le seul doute sur cet article doit nous
i'a:ro trendjier et nous déterminer à nous
ouvrir avec franchise à un confesseur pieux,
qui ait reçu le don de sagesse et de conseil.
Craignons, mes cliers confrères, l'aveugle-
ment de ce prùlre dont parle VApocaltjpse ,
qui avait une apparence de régularité et de
vertu, et qui cependant était mort aux yeux
de Dieu!
Pour connailre là-dessus noire innocence
ou notre culpabilité, ap[)liquons-nous à
nous-mêmes un principe dont nous nous
servons pour éclairer la conscience deslai-
(jues. Quand on aime souverainement un
objet, leur disons-nocs , on y pense fré-
quemment et avec plaisir ; on le désire avec
ardeur ; on travaille, on souffre, on se gène
pour l'obtenir ; on surmonte avec courage
1-es obstacles qui en retardent la possession ;
on n'est content, on n'est Iranquilleque lors-
qu'on tient cet objet chéri. Maintenant, vé-
nérables confrères, rentrons en nous-mê-
mes et soyons de bonne foi : à quoi pen-
sons-nous le plus souvent et avec, plus de
Iplaisir? est-ce à Dieu ou éi l'argent? Qu'est-
ce que nous désiions uvec jilus d'ardeur?
est-ce Dieu et son royaume, ou l'argent et
les possessions de !a terre? Pourquoi tra-
vaillons-nous? pourquoi soutirons-nous?
pourquoi nous gênons-nous iousles jours ?
est-ce- î^our Dieu ou pour l'argent? Faisons-
nous chacun à nous-mêmes. Messieurs, ces
mêmes questions, etnous connaîtrons peut-
êire si c'est l'amour de Dieu ou l'amour do
l'argent qui domine dans notre cœur. Une
âu)e qui aime véritablement son Dieu se
jilaît à s'occuper souvent de lui, et surtout
dès le matin, selon res()ression du Prophè-
te : Jn inatutinis mcdilabor in te. ( Psal.
LXIl, 7.) Or, qu'elle est la [)reuiière pensée
qui d'oriiinaire saisit un avare au moment
de son réveil? telle économie à faire, telle
dépense à éloigner, telle dette à faire payer,
telle somme à placer, telle enlre[)rise, tel
conunerce où l'on peut trouver quelque
l)rolil; et quelles sont les pensées qui l'oc-
cupent le reste de la journée? les mêmes,
qui ne le quittent jamais, qui l'absorbent
tout entier et ne lui i)ermetteut que bien
rarement d'élever son cœur à Dieu et de
penser 5 son royaume : nù est le trésor de
l'avare, a dil Jésus-Christ , se trouve son
cœur: L'bi est thésaurus luus , ibi est cor
tuum. {Matth., \ 1, 21.)
Nénérables confrères, ce portrait sans
doute n'est a()plicable, du moins dans tous
Ses traits, à aucun de nous. Mais n'y eut-il
qu'une légère ressemblance, ne serait-ce
pas assez pour nous faire rougir, nous qui
devons aimer Dieu par devoir et par recon-
naissance bien |)lus (jue les simples fidèles,
uarcc que nous devons répondre à la sain-
RETRAITE. — liNSTRUCT. XI, SLR L'AVARICE. 758^
Iclé de notre vocation et nous rendre dignes
des sublimes fonctions qui nous sont con-
liécs. Or, vous le voyez, l'amour de l'argent
est direcleuiont opposé au premier princip»
de notre vocation au christianisme, et de
noire vocation au sacerdoce, (jui esll'amour
de Dieu. Mais l'avarice n'est seulement pas
criminelle dans sa nature, parce (ju'ell©
contiaric dans un [)rêtre les sentiments
d'amour cpi'il doit avoir pour sou Dieu,
mais encore parce qu'elle est en opposition
avec l'esprit et les maxinies de l'Evangile,
et avec les exemples du divin Sauveur.
Je dis d'abord (|uo cette passion est en
o|iposition avec l'esprit et les maximes do
l'Evangile. C'est en elfet, par ces immor-
telles paroles : Beuti pauperes {Mullli.,\ , 3),
que Jésus-Christ commença ce sublime et
touchant discours qu'il prononça sur la
montagne, et qu'il adressa, remarque le.
texte sacré à ses disciples, c'est-à-dire à
nous-mêmes, dans la personne de ses apô-
tres ; et connue cette [)auvreté de cœur est
indispensable pour le salut, les plus riches
peuvent l'acquérir puisqu'elle n'exige que
le détachement et uuu l'abandon des biens
de la terre.
Je ne vous rappellerai pas, vénérables
confrères, que toute l'économie de la reli-
gion se fonde sur l'amour de la croix, et
par conséquent sur le renoncement aux j)lai-
sirs de la terre, le détacliement des riches-
ses et des biens de ce luonde ; en un mot,
sur l'abnégation de soi-même. Vous savez
que la morlilicalion est essentielle à la via
chrétienne, et qu'elle l'est bien davantage
à la vie sacerdotale; que nos passions et
toutes nos inclinations doivent être soumi-
ses à l'entpire de Jésus-Christ : (^ue sunt
Chrisli carnem suam crucifixerunt cuiavitiis
et concapiscenliis {GaUit.,V , i24) ; ipje celte
morlilicalion est nécessaire, oporluit pâli
Chriscam {Act., XVll, 3); (jue la possession
du ciel y est attachée, et ita intrare in glo-
riam suutn ; que si nous voulons marcher à
la suite du Sauveur, il nous faut suivie la
route qu il nous a lui-même tracée, qui
vull ventre posC me abneget semetipsuin et
tollat crucem suam et sequatur me [Luc, IX,,
23); et que chaque prêtre doit pouvoir s'ap-
pliquer ces uiéujorables paroles : Mihiautem
ubsit (jloriari,nisi in cruce Domini (Galat.,
Vl, l4) : paroles qui dans la bouche d'uu
prêtre opulent sont une dérision et un blas-
phème. Mais qu'ai-je besoin de vous rap-
peler ici ces maximes générales de la vie
chrétienne? nous avons dans nos divines
Ecritures assez de textes sai;rés qui flétris-
sent et condamuenlles richesses etceuxqui
les possèdent, et font l'éloge de la pauvreté
sans recourir à des i)reuves indirectes, qui
n'en sont ce()endaiU pas moins frappantes :
car est-il possible de concilier avec l'amour
del'argerU ce renoncement intérieur dont
Jésus-Christ nous fait un précepte?
Oui, vénérables confrères, l'esprit du.
christianisme et l'esprit sacerdotal surtout»
est un esprit de pauvreté et d'aiiéanlisse-
ment : c'est pour cela que notre diviu Mcù-
IhQ
ORATELÎIS SACRES. MAIJREL.
700
Irft voulant, comme il le (lit lui-même,
remplir sa maison, wM'mp/enfMr domus mca
(Lïtc, XIV, 23) , ordonne h ses serviteurs
d'aller lui chercher tous les misérables : il
so jilaîl lui-même h en faire le dénombre-
ment : Allez da.ns les rues de la ville, eœi
cito, et amenez-moi les pauvres, les inOr-
nies et les aveugles, pauperes ac dchiles et.
cmcos et claudos introduc hue, {Ibid , 21 )
Jésus-Christ ne veut dans sa maison que
des pauvres; aux f)auvres seuls il fait uu
a[ipel. Que dis-je, Messieurs? il nous an-
nonce lui-Miôiue que c'est aux pauvres que
sa divine missions'adresse : Je suisenvoyé,
dit-il, pour annoncer l'Evangile aux pau-
vres: Evangelizarepciuperibus. (Z,mc.,IV,18.)
Que I ensez-vous , vcnéiabhs confrères ,
d'une telle prédilection ? Combien le mé-
rite de celle i)auvreté intt^rieure, si rehaus-
sé par le lémoignagedu Sauveur, doit être
grand et précieux à nos yeux! Petisez-
vous qu'après avoir peuplé sa maison de
pauvres, il veuille [leui 1er son sanctuaire
de riches; puisque la |)eifoctiou chrélicnno
exige le reiioncemeut aux richesses, que no
doit pas exigerla |)erfec(ion sacerdotale ? Il
semble que les privilèges et les grâces de
l'Evangile soient dévolus aux pauvres de
Jésus-Christ, qui sont |)!us spécialeuieut
les enfants de Dieu, dit le Prcjplièle, pau-
peres tuos {Psal. LXXI, 2) ; il nous assure
encore que lo pauvren'est pas dansl'oubli
pour toujours : Non in finein oblivio erit
pauperis {Psul. IX, 19); que le Seigneur
s'est fait son refuge, son soutien, et qu'il
veille sui' lui : Oculi cju.i in paupcrcm res-
piciunl. [Psal. X, 9.) Vous savez tous la
louchante parabole du Lazare; qu'elle fut
la glorieuse récompense que sa pauvreté
lui valut, et quel lut le tombeau du riche :
Morluus est aulein et dives et sepultus est in
inferno. (Ittc, XVI, 22.) Nous n'en serons
j)as surpris si nous nous rappelons que le
principal obstacle au salut est l'amour des
richesses et la détestable [)assiou de l'ava-
rice. Vous savez en quels termes notre di-
vin Maître s'en est expliqué, en disant qu'il
est bien difficile qu'un ricliese sauve :C|uam
difficile est qui pecuniam liabent, inlroibunt
in regnuml/ei.(Luc.,X\lU, 2i.) [ilailleuis,
reproduisant la même pensée, il emprunte
une image vulgaire pour frapper à la fois
notre esprit et nos sens : FacÙius est came-
lum pcr foramen acus iransire quam divites
inirare tn regnum Dei. {MuUh., XiX, 2i.)
11 semble que le royaume céleste soit ac-
(juis aux pauvres [lar uu droit spécial ; et
vous, riches, quelle part aurez-vous dans
sou royaume? Aj)|)reiiuz-le , vénérables
confrères, de la IJouehe de Jésus-Christ:
vce vobis divilibus. (Luc, VI, 24.) Tremblez,
prêtres opulents, qui mettez votre bonheur
dans les richesses ; c'est contre vous que ce
terrible anathème a été prononcé.
La misère et l'opulence sont deux grands
éeueils pour le saiut : Tune expose à l'in-
'ustice et au désespoir, l'autre à l'orgueil
et à la volupté ; tt toutes les deux, à l'oubli
de Uitu et des biens éternels. Aussi, le
f)lus sage des hommes se bornait-il à de-
mander une honnête médiocrité, c'est-à-dire
le nécessaire pour vivre, ()ue Dieu ne re-
fusa jamais à ceux qui l'adorent et le ser-
vent : Non vidi jusSum dcrclictwn. [PsvL
XXX VI. 25).
Oui, vénérables confrères, malheur aux
riches, h ceux qui s'attachent à leur opu-
lence, et à ceux qui murniureiit dans leur
pauvreté. Mais heureux celui qui n'a d'au-
tres désirs que ceux de Salomon ! et bien
[■lus heureux celui (jui n'a aucun désir
pour les biens de ce monde, qui, soit dans
l'indigence soit dans la richesse, est pauvre
d'ail'eclion, e'esl-à-dire détaillé des biens do
la terre, de ces biens doul la possession,
dit saint Bernard, est une charge, l'amour
une souillure, et la perle un tourment î
Possessa ancrant, antala inquinant, amissa
cruciant.
Heureux celui qui, content ue son sort,
même au sein de la pauvreté, vil exempt
d'anxiété et d'inipiiélude pour l'avenir, et
sans négliger les précautions de la pru-
dence chrétienne, ce qui serait tenter Dieu,
so rei)Ose,pour sa subsistance, sur les soins
paternels de celui qui nourrit les oiseaux
du ciel el revêt les lis des champs I Si la
providence, disait Jésus-Christ à ses disci-
ples , s'étend aux animaux , même aux
créatures insensibles, quels soins ne fireu-
dra-t-elle pas de vous, qui êtes ses enfants,
ses amis, ses ministres? quanto mugis vos
pusiUœ fidci? {Luc, XXVllI , 28.) Ne soyez
donc pas comme les païens, en sollicitude
pour votre nourriture et vos vètenieuts :
Nolile soUiciti esse quid manducetis , neque
quid induamini. [Matlli , VI, 3'i-.) Croyez-
vous que votre Père céleste ignore vos be-
soins, el ne soi! pas disposé à vous secou-
rir? Ahl cherchez donc avaent tout son
royaume et sa justice; prêchez son Evangile,
enseignez sa loi, faites connaître et g'orifier
son nom; sa main paternelle pourvoira à
toutes vos nécessités, et les secours vous
arriveront par des moyens peut-être que
([ue vous n'auriez pu soupçonner : el hœc
omnia adjicienlur vobis. (Ibid., 33.)
Comment se peut-il, mes chers confrères,
que nous rap[)elions sans cesse au [leuplo
cette belle promesse, et que nous y comp-
tions si peu nous-mêmes, nous qui en
avons fait si souvent la constante expé-
rience? Rappelons lesé|ioques les plus pé-
rilleuses de noire vie; Dieu nous a-t-il man-
qué ? Dans ces temps désastreux oii le
schisme et l'impiété étendaient leurs rava-
ges sur tous les points de notre infortunée
patrie, et qui nourrissait celte multitude
de prêtres tidèles cachés dans les bois et
les cavernes, ou jetés dans les prisops
et les cachots ? N'est-ce pas la main de la
Providence? Et ceux que la perséculioM
avait dispersésdans des contrées lointaines,
souvent chez des peuples ennemis de notre
croyance, comment &ul)sistaient-ils, sinon
par les soins de ce même Di'îu pour lequel
ils soulfraienl ? Vétérans de la milice
sainle, ne cessons de rucontcr aux jeunes
7GI
RETUAITE. — INSTUUCT. \1, SUU L'AVARICE.
762
,nil»!ètcs (|ni r.oiis suivent les merveilles
d'une Pruvidt'iice qui ii'.-ibaiitlonnc jamais
cou\ qui s'allaclionl à elle; ou si elle seiii-
l)lft les délaisser pour un nionienl, en les
livrant au i^iaive do riMii)iélé, ce n'est que
|)Our lulier la fin de leur soutTrance, el les
recevoir dans un lieu où il n'y aura ni be-
soins, ni craintes, ni anxiétés. Concluons
donc avec saint Paul, ce grand interprète
de la doctrine de Jésns-Cliiisl : Sinl mores
sine avaritia , coulenii prœseiitibus; ipse
cnim dixil, non le descrani, neque derelin-
q'iam.JIebr., Xlll, 5.)
Mais ce n'esl pas seulement par ses niaxi-
Uies (jue Jésus-Christ nous a enseigné l'es-
prit de pauvreté : c'est suitout (lar Sfs
exemples, qui ont môme précédé sa doc-
trine- ; cœpit fdccre et docere. {Act.y 1,1.) Con-
lem])lons sa naiss;.nce, suivoiis le cours dt;
sa vie, fixons nos re^iards sur sa croix, et
nous verrons la vérilc des jjaroles de saint
Bernard : Panpcrin nalivilale, pauperior in
vita, paupcrrintus in cruce ; et nous con-
clurons avec rAj'ôlre (jue si, de riche (lu'il
était, il s'est rendu volontairement si pau-
vre, c'est afin de nous enrichir de son indi-
gence, ut illius inopia vos divilcx esselis.
(il Cor., VI il, 3.)
Connue Dieu, il est le maître aljiolu de
tous les biens ; comme homnio, il est le lils
des rois de Juda, et pourtant il n'a rien
possédé sur la terre : en venant au monde,
il ne trouve pas une maison ouverte pour
le recevoir; son habitation est une étable,
et son berceau une crèche? Que dis-je? on
vient le poursuivre jusque dans ceite ché-
live demeure, et il est lorcé de s'exiler ; il
ne rentre dans sa patrie qu'en se cachant
coiriuie un coupable; et où se cache-t-il ?
dans l'asile d'un modeste aitisan , où il vit,
comme un homme obscur, du p.roduit de
son travail. Et lorsque les fonctions de son
ministère ne lui permettent [las le travail
des mains, comment subsiste-il? d'aumô-
lies, lui qui faisait des miracles pour nour-
rir des milliers d'atl'amés. Quelle est sa
demeure? Viilpes foveas habenl, et volucres
cœli mdos; Filius aulein lioininis non habet
ubi caput reclinet. (Match., Vill, 20.) Mais
c'eslsurlout sur la croix quesa |)auvreté est
extrême : il a perdu jusqu'à ses vêtements,
d. venus la proie de ses ennemis; il meurt
réellement détaché de la terre; au milieu
de sa nullité et de ses ojiprobres, de l'abandon
de ses disciples et même de son Père ; il
nous répèle par son exemi)le ce qu il avait
déjà dit de bouche : Qui non renunliat om-
nibus quœ possidel, non potest meus esse dici-
jjulus. [Luc, IV, 33.)
Jésus-Christ naquit pauvre, il vécut et
mourut pauvre. Or, mes chers confrères,
voulez-vous ôlie plus riches que Jésus-
Christ, notre divin modèle? Vous, ministre,
d'un Ûieu né dans un étable, mort sur une
cioix ; d'un Dieu qui de riche qu'il était
s'est rendu volontairement pauvre, qui n'a
pas eu dans sa vie morteTle de quoi reposer
sa tête, et qui semble n'être descendu du
ciel que pour inspirer par ses maximes et
ses exemples l'amour de la [)auvreté el fou-
drover les richesses.
Nous ne cessons de prêcher que c'est là
le grand modèle que tout chrétien est tenu
d'imiter, (pi'il n'y a point de salut sans
cette imitation. Nous croirions-nous, prêtres
de Jésus-Christ, dispensés d'être chrétiens?
Lors(jue le démon de l'avarice se présen-
tera à la porte de notre cœur, lorsijiK; l.i
tentation du méconlent(Mnent et du mur-
mure cherchera à y entrer, allons nous
prosterner devant la croix de Jésus Chiisl,
et là piaig'ions-nous, si nous l'osons, de
iiotie indigence! Hé, Messi(>urs, n'est-ce
pas parce (jue nous étions si fort éloignés
de l'exemple de notre Maître, qu'il a ()eruiis
que le patrimoine de son Eglise ail été dis-
persé, et soit passé dans les mains de ses
ennemis? L'hérésie du xvi' siècle, en usur-
pant les richesses du sanctuaire, n'allégua
d"aulre prétexte que l'usage profane (.\non
en faisait. « Et que sais-je, s'écriait un siè-
cle après un orateur célèbre, si le inême
abus qui règne parmi nous n'attirera pas
un jour à nos successeurs la môme peine,
el si la justice de Dieu ne permettra pas
que des biens sacrés, dont l'usage déshonore
si fort notre Eglise, soient livrés aux ennemis
de son nom, et deviennent la [troie-de Ihé-
résie ? » 11 y a plus de cent ans que ces
paroles ont été |)rononcés dans la caiiitale
de ce royaume, et il en a trente que nous
avons vu leur 'effroyable accomplissement.
C'est, Messieurs, par ces grandes spolia-
tions, si souvent répétées depuis la nais-
sance de l'Eglise, que Dieu rappelle à ses
ministres qu'ils doivent prêcher l'amour de
la pauvreté plus encore parleurs mœurs que
par leurs discours. Ah! loin de nous plain-
dre de l'heureuse indigence que Dieu a ré-
pandue parmi nous, bénissons-le de nous
avoir fourni [)ar là le moyen d'acquérir les
véritables richesses,, je veux dire les vertus
sacerdotales: l'humiliié, la patience, la mo-
destie, l'amour du travail, la fuite du mon-
de, le dégoût des choses d'ici-bas, et le dé-
sir de ces trésors immortels que les voleurs
ne peuvent ravir, ni la rouille dévorer, sui-
vant 1 expression de l'Evangile.
Quel ne serait pas notre aveuglement si,
pressés par tant de motifs de nous détacher
de ces biens fragiles qui perdent lesenfanls
du siècle, nous cherchions encore cmme
eux à nous établir, à nous fixer sur une terro
qui va s'écrouler sous nos pieds, à acquérir
des possessions qui pourraient nous Oter le
goût de nos devoirs, en faisant aux djpens
des pauvres, et [)eul-êlre en com[)romeltant
la décence de notre état, des amas d'or et
d'argent qui seraient un scandale après no-
tre mort I'/iu6en/es alimenta, el quibus Icga-
mur, his contenlisimus.{l Tim.,yi, 8.) L'au-
teur de ces paroles ne voulait pas mémo
recevoir les dons des fidèles, ([ui nouris-
saienl les autres a|)ùlres ; il vivait du travail
de ses mains el i/rêchait gratuitement le dé-
tachement des richesses. Si noire |)osilion
ne nous permet pas de pratiquer une |)eiie-
r!ion si sublime, (^u'oa voie du moins (juo
763
nous savons nous contenter de peu; qu'on
n'entende jamais sortir de noire bouche ces
plaintes indécentes (]ui n'ont d'autre résul-
tat que d'éloigner la confiance de nos peu-
ples, et d'ané;inlir aupiès d'eux les fruits
de notre niinislère. Prêchons Dieu, et non
pas nos besoins; et s'ils vont jusqu'à nous
niellro dans l'impuissance réelle de couli-
nuer nos fondions dans le f)0ste qui nous a
élé assigné, que nos supérieurs soient seuls
dépositaires l'e nos peines, et que leurs
s.iges conseils nous aident à supiiortcr avec
patience les trihulations attachées à l'exer-
cice du saint minisière; montrons-nous dé-
sintéressés, et condamnons plus par ni'S
exemples que par nos |)aroIes l'amour de
l'aigent, directement opposé à l'amour de
Dieu, aux maximes de l'Evangile, comme
aux exemples du divin Sauveur. N'oublions
pas que le plus grand de tous les maux se-
rait l'avarice, dont je vais exjioser les fu-
nestes effets.
SECONDE PARTIE.
Ecoutons l'Espril-Sainl, vénérables con-
frères, qui a pris soin lui-même de tracer le
porirait de l'avarice : liadix omnium malo-
rum cupidilas. ([ Tim.y VI, 10.) Qui volunt
diviles furi, incidunt in tenlalionem et in
laquemn diaboli, el desideria mulla inutilia
el nociva, quœ mcryunt homines in interitum
et perdilionem. {lOid., 9.) Je m'attacherai à
|>rendre dans ce passage reniarquable deux
liaits principaux qui me paraissent répandre
U!ie vive lumière sur tous les ravages de
cette passion détestal)le; c'est celte multi-
tude de désirs inutiles et nuisibles, inutilia
el nociva, dont cette passion est la source,
et qui sont eux-mêmes la source de tant
d'autres maux.
Oui, Messieurs, l'avarice est une source
inépuisable de désii's, desideria mulla: ja-
mais avare n'a dit, c'est assez; el cette mul-
titude de désirs, rA|)ôlre les appelle d'a-
bord inutiles. El pourquoi? 1° parce qu'ils
ne sont jamais [)!einement remplis: il y a
toujours quelque obstacle cpji les contrarie,
(|uelque ii)écom|ite, quelque accident, quel-
que viohition de la loi promise; en un mut
quelque conlrariélé, soit de la part des per-
sonnes soit de la pari des choses, qui dé-
range les projets les mieux concertés : el,
giûces immortelles vous en soient rendues,
v mon Dieu, qui le (lermeltez ainsi jiour
nous éclairer sur la fragilité des choses
d'ici-bas! nialheur 5 ceux qui rejettent celte
grike et ferment les yeux à cette clarté di-
vine! 2° Parce que ces désirs, fussent-ils
pleinement remplis, ne sulliiaienl pas pour
rassasier notre cœur. Ce cœur est immense,
mes chers confrères, infiniment plus vasle
que toutes les possessions de l'univers.
Pour le satisfaire, dit saint Augustin, il lui
faut un bien infini, c'est-à-diru Dieu lui-
uième. El quel aveuglement, de .chercher
le bonheur hors de la source unique du
vrai bonheur, et le souverain bien. hors des
véritables richesses, hors des perfections
infinies du Roi immortel des siècles 1 3" Je
ORATEURS SACRES. MALREL. 76i
demanderai à un prêtre avare, en supposant
qu'il n'ait pas perdu la foi, pourquoi désirer
les richesses, surtout les richesses du sanc-
tuaire? Nous savons que nous ne pouvons
en retirer que le nécessaire pour notre en-
tretien, et que le reste ap[)arlicnt aux [mu-
vres par justice, ou doit leur èlre donné
I)ar charité. Qu'importe donc que nous
avons au delb du nécessaire? C'est un em-
barras, une charge déplus: car nous aurons
à rendre comple de ces biens : pauvres,
nous sommes dispensés de donner; riches,
nous y sommes tenus sous peine de dam-
nation; pauvres, nous serons pardonnes;
riches, nous serons condamnés, parcel pau-
pcri et inopi, et animas pauperum salvas fa-
ciel. [Psal. LXXI, 13.) A quoi sert que noiis
ayons plus que notre voisin, qui a seule-
ment ce qui! lui faut? Nous ne sommes
pas t)lus riches [:our cela, puisque nous de-
vons être aussi modérés que lui dans nos
dépenses, et qu'à la fin de l'année nous
devons trouver .à peu p'ès les mêmes lé-
sultals.
Je sais que la prudence el la charité ne
coiidamnent pas quelques légères épargnes,
que le mallieur des temps ou cirtaines bon-
nes œuvres projetées |)euvent rendre néces-
saires. Mais si c'est la cupidité qui règle ces
é()argnes, alors l'accruissemenl de ces ré-
serves sera un accroissemeul de remords, do
troubles, de craintes, d'anxiétés; et Dieu
permettra peut-être que ces craintes se réa-
lisent, qu'un domestique infidèle, un pare*;t
avide, un assassin [leut-ôlre, viennent ren-
verser cet édifice de fortune (pii avait de si
beaux commencenienls, et donnait è son
auteur de si brillantes espérances.
Quelle honteuse préoccupation pour un
prêlre, que le désir de posséder et d'accroî-
tre ses richesses. Mais combien sont vains
et criminels les efforts qu'il fait pour les
augmenter! Quoferai-je, sodil-ilà lui-même,
quand j'aurai gagné tel procès, réussi dans
telle affaire, amassé telle somme? je son-
gerai à l'augmonler et à grossir encore ma
fortune. Et ensuite? je m'occuperai de la
consolider et do la garantir de loul acci-
dent. El ensuile?je dirai à mon âme: tu as
des i)iens en abondance, repose-toi, el jouis
paisiblement do les richesses, sluUel hac
nocle, animum luam repetunt a le: quœ (ui-
tem parasli y cujus crunl? [Luc, Xli, 20.)
Ces paroles sont foudroyantes [)our un
simple tidèle; mais combien ne le sont-elles
pas pour un prêtre avaie !■ C'est bien à lui
qu'on peulapf)liquer l'expression si énergi-
que de l'Espril-Saint, stultc. Insensé 1 cello
nuit i)eul-ôtre, et très-certainement dans
peu d'années, la mort viendra vous saisir
au sein de voire abondance, au milieu d3
ces projets de fortune, dans l'embarras da
tous ces moyens peut-être iniques, qm
vous employez pour l'augnisnter. Au mi-
lieu peut-être de ces usures, sinon tcnijouis
évidentes, du moins palliées, de ce négoce,
de ce procès, de ces voyages, de ces agita-
tions, de cet enlraineraent de cuj'idilé, qui
ne vous laissent fias un seul instant pour
765
RKTUAITE. — INSrUlCT. XI, SLR LAVARICE
706
pciisorh Dieu cl h I éternité, vous closcon-
drez Jaiis le sein de la terre aussi nu (lue
vous en ôles sorti ; et cette fortune qui
vous aura coulé le salut de votre Ame, .^
qui la laisseroz-vous ? Quœ autcm parasli
cujus erunt ? A qui? A des parents avides,
ingrats, qui la dissi[)eronl sans penser à
vous, sans remplir peut-être vos dernières
volontés; quedis-je ? peut-être en insultant
sur votre tombe <> vos éparjines sordides et
à la bassesse de votre avarice; à des pa-
rents pour qui cette fortune sera un germe
de malédiction ; qui, non-seulement la dis-
siperont en peu de jours, mais dont elle
entraînera la ruine. Car telle est, Messieurs,
vous l'avez vu cent fois, le sort des fortunes
ecclésiastiques que l'avarice a soustraites
aux pauvres, à qui seuls elles apfiarle-
naient ; telle est leur destinée. A quoi donc
ont-L'lles servi au prêtre cupide, el à des
liériliers plus cupides encore?
Mais les désirs de l'avarice ne sont i^as
seulement inutiles à notre bonheur; ils
sont de plus nuisibles el funestes pour le
temps, et infiniment plus funestes pour
l'éternité. Pourquoi funestes pourle temjis?
parce que non-seulement ils troublent ,
agitent, tourmentent l'esprit, le cœur, la
conscience; qu'ils empêchent celte heureuse
liberté, celle douce indépendance que
goûte 5 chaque instant un prèlre désinté-
ressé qui se repose sur la Providence, et
attend bien plus de ses soins paternels, que
l'avare ne peut attendre de ses propres
sollicitudes; mais de plus parce que la cu-
pidité flétrit la réputation, éloigne ou éteint
l'estime, la considération publique, infini-
ment supérieure aux richesses; avilit, dé-
grede le saint ministère dont nous sommes
chargés, en arrête le succès, et en rend
même les fonctions odieuses. Cet insatiable
amour des richesses est encore funeste
parce qu'il détruit nécessairement l'amour
divin, et par suite l'amour du prochain,
sui-tout celui des pauvres; parce qu'il
anéaniit l'amour des devoirs et des fonc-
tions ecclésiastiques, celui de l'oraison et
des pratiques religieuses, l'amour des âmes
et le zèle de leur salut, celui des choses
d'en haut, incompatible avec les désirs de
la cupidité et l'amour de la pauvreté, que
Jésus-Christ est venu inspirer aux hommes,
surtout à ses ministres, et qu'il leur a si
éioquemraent enseignée.
Parmi les bons exemples qu'un pasteur
doit au public, il n'en est point qui lui ga-
gne plus la confiance et l'amour de son
j)eu[)le que le désintéressement et le soin
des pauvres. Un prêtre avare, au contraire,
est à la fois détesté des f)auvres, qu'il ne
soulage lias, et des riches qu'il n'éditie pas.
Je dis d'abord que le prêtre avare est haï
des pauvres, qu'il ne soulage pas. Mon in-
tention n'est pas de rappeler ici è des [)rô-
tres le grand précepte de l'aumône; mais
il imi'orte que nous rappelions tous que
1 auioriié de l'exemple est encore plus né-
cessaire que celle de la parole. Le grand
prétexte de l'avarice, pour excuser sa du-
reté envers les pauvres, c'est de dire sans
cesse .-je SUIS [)auvro moi-même, ctj'avoue
que ce prétexte do la part d'un prêtre ne
fut jamais plus spécieux. Ce|)endant, Mes-
sieuis, d'où vient que certains de nos con-
frères, dont le revenu est aussi modique que
le nôtre ont trouvé le moyen de se faire un©
réputation d'hommes charitables et géné-
reux ? Cette répulalion est si honorable
au sacerdoce, et si utile au succès de nos
fonctions 111 faut croire que ces prêtres
ont plus d'ordre dans leurs affaires, plus
d'économie dans leurs dépenses, plus do
modestie et de simplicité dans leur ma-
nière de vivre. Mais ne pourrions-nous
pas et ne devrions-nous pas les imiter ?
Nous sommes pauvres nous-mêmes; :nais
le sommes-nous autant que ces malheureux
qui sont sans pain et sans vêlements, que
ces malades qui manquent de remèdes? Si
vous avez beaucoup, disait Tobie 5 son tils,
donnez beaucoup; si vous avez peu, donnez
debon cœur une partie de ce peu {Tob. IV, 9).
Vous le savez, mes chers confrères, la mé-
diocrité est en général plus généreuse que
l'ofjulence : oui, les pauvres trouvent ordi-
nairement plus de ressources dans la cha-
rité de leurs semblables, que dans l'abon-
dance de certains riches. Nous louons sans
cesse avec Jésus-Christ la générosité de
celle i)auvre veuve qui, en ne donnant que
deux deniers, donna plus que certains au-
tres qui, favorisés des biens de la fortune,
répandaient des largesses dans le sein de
l'indigence : powrquoi no partagerions-
nous pas son mérite, et n'aspirerions-nous
pas aux suffrages de celui qui la propose
pour modèle ?
Je suis pauvre moi-même I Mais le pu-
blic n'aurail-il pas quelque raison de con-
tester celte excuse, el ne la contredisons-
nous pas nous-mêmes |)ar un extérieur de
vanité, d'élégance , peut-être de somp-
tuosité? N'y a-t-il aucun excès dans nos
vêlements, dans nos ameublements, dans
la multiplicité de nos voyages, et surtout
dans des repas, presque toujours déplacés,
qui en exigent de semblables en retour?
car l'avarice trouve le moyen do s'allier
quelquefois avec le luxe et l'oslenta-?
lion.
Je suis pauvre moi-même 1 Vous dites
vrai, nous répond énergiquement saint Ba-
sile; oh 1 oui, vous ôles véritablement
pauvre, et pauvre de toute espèce de biens,
pauper es profeclo, et omnium egcns hono-
rum; pauvre de charilé, charitale pauper:
pauvre de bonté et de commiséralion en-
vers les mallieureux, benignilate in indigos
pauper; |)auvre de confiance en Dieu et
d'abandon à sa providence, fide erga Ucum
pauper; pauvre d'esj)érance chrétienne et
des désirs des biens éternels , paupe»-
œlerna spe. Voulez-vous devenir riche, don-
nez au pauvre le pain dont il a besoin, et
Dieu vous donnera les vertus qui vous
iiiamiuent : Date et dabilur vobis, 'Luc,
b il lallait des motifs humains pour ré-
7C7
ORATEURS SACRES. MAL'REL.
(C8
veiller en nous les scnlimenlsde la charité,
représentons-no\]S ce concert de louanges
et de bénédictions qui retentissent dans la
|)nroisse d-'an pjisleur charitable, et qui se
répètent dans les paroisses voisines, eleemo-
mosynnsillius enarrobil omnis ecclesia san-
ctorum. {Eccli., XXXI, 1 1.) Qu'est-ce qui a
fait ériger à saint Vincent de Paul des au-
tels parla religion et des statues par les
ennemis môme de la religion ? N'est-ce pas
celle charité inépuisable qui fournissait à
ce prêtre, si pauvre lui-même, tant de res-
sources pour soulager toutes les classes de
malheureux ? Chaque pauvre se plaît à ra-
conlcr les bienfaits de cette main consola-
trice quia essuyé ses larmes et adouci ses
maux ; et le riche, qui en est le témoin,
sont enfin qu'il a aussi un cœur et des en-
trailles; et lorsqu'il entend l'homme de
Dieu instruire sur le détachement, sur le
bon usage lies biens de la fortune, sur l'o-
bligalion de soulager l'indigence, il n'a pas
besoin de preuves pour en être convaincu :
l'exempledu prédicateurlui a tout dit. Mais,
sans cet exemple, toutes les preuves vien-
nent échouer contre celte réplique si ter-
rible : Medice, cura leipsum. {Luc, IV, 23.)
Qui alium doces, leipsum non doces? (Iloin ,
II, 21.)
En ellel, mes chers confrères, comment
réussir à déiruire cette affreuse cupidité
qui domine, dit un prophète, l'univeisalité
presque entière des hommes, a minore
lisf/uc ad majorem {Jerem.,Yl, 13.), si l'on
|)eut nous reprocher à nous-mêuuis ce que
nous proscrivons dans les autres ? Comment
oser annoncer aux pauvres que le royaume
des cieux leur appartient, si nous sommes
nous-mêmes aussi avides d'amasser et de
thésauriser, aussi indilférenis pour les ri-
chesses imi)érissables que ces hommes ter-
jestres et grossiers qui trouveront dans
notre doctrine la censure perpétuelle de
nos actions? Quelle confiance, je vous le
demande, peut inspirer un prêtre intéressé
à un i>euple domine par l'usure et l'avarice?
Comment apaisera-t-il les discordes si sou-
vent causées par l'esprit de cupidité ? cora-
IBent éteindra-t-il la fureur des procès, lui
sans cesse en litige avec sa paroisse pour
de misérables intérêts, lui qui, loin de com-
]>alif à la détresse d'un f»eui)le malheureux,
en exige les droits attachés à ses fonctions
avec une ûpreté barbare, et qui peut-être,
hélas ! dépasse les bornes fixées par de sa-
ges règlements; lui qu'on voit avilir le plus
?aint des états par la recherche de gains
sordides, de honteux marchés ; par des in-
trigues indécentes pour obtenir un poste
plus avantageux, par des plaintes éternelles
sur des besoins souvent exagérés, par des
menaces odieuses de quitter un peuple qu'il
ne trouve pas assez généreux; peut-être,
hélas I... userai-je le dire en présence d'un
clergé si vénérable ?... par l'abus sacrilège
du ministère de la confession, proportion-
nant son indulgence ou sa sévérité, non à
ta nature des crimes et aux règles de l'E-
glise, mais à la fortune de ses pénitents n--
aux espérances honteuses de sa eupidité?
0 opprobre du sacerdoce ! ô abomination do
la désolation! esl-il étonnant, afuès une
conduite si avilissante, que la religion
tombe tous les jours dans le mépris? Non,
un prêtre avare, ou soupçonné de l'être,
loin de faire aucun bien, ne peut être pour
son peuple qu'une pierre d'achoppement tt
de scandale : haï des pauvres, le triomphe
des méchants, il vérifie d'une manière bien
triste les paroles de l'Esprit-Saint : Avaro
nihil est scelestius, niliil est imcpdus quant
amure pecuniam. {L'ccli., X, 9, 10.)
J'ai dit en outre que le prêtre avare était
méprisé des riches et des gens de bien.
Rien en ellel de plus méprisable, même aux
yeux des gens du monde, qu'un prêtre'
avare : il est le jouet des conversations, un
objet de critique de la part de ses parois-
siens, et un sujet de douleur pour ses con-
frères et pour les âmes vertueuses. On ne
trouve jamais en lui que dureté, barbarie
ou indiirérence , et l'on n'entend sortir de
sa bouche que des paroles amères, des
plaintes et des reproches ; il est souveraine^
ment méprisé par les gens de bien. Mais
trouve-l-il un dédommagement au mal qu'il
fait, aux malédictions qu'il attire sur lui, à
l'estime publique qu'il a peidue, |)ar l'ini-
que possession de ses richesses ? Non, Mes-
sieurs.
Qu'est-ce donc qui peut nourrir en lui
cet attachement honteux qui lui attire tant
de maux? Trouve-l-il dans cette possession
quelque bonheur secret qui le dédommage
du mépris de son peuple? Hélas! quel
bonheur peut lui oll'rir un trésor qu'il n'ac-
cumule souvent avec tant de peine que pour
n'en jouir jamais, et pour vivre, au sein de
l'abondance, plus pauvre quelquefois que
les indigents véritables qui sollicitent en
vain ses bienfaits ? car il n'est |)as rare de
voir un prêtre dominé i)ar l'avarice se re-
fuser à lui-même le nécessaire, et mettre
dans sa manière de vivre et de s'habiller
une grossièreté qui va,jusqu'à l'indécence,
et qui, en provoquant les dérisions d'un
monde malin, est un sujet de honte et de
confusion pour ses confières.
L'amour des richesses n'est pas seule-
ment nuisible et ^fuueste pour le temps,
comme vous venez de l'entendre. Mes-
sieurs; mais il l'est bien davantage encore
|)Our l'éternité. Pourquoi ? se demande
l'Apôtre, iiarce que les désirs immodérés de
cette jiassiou précipitent dans la mort du
péché et dans l'élernelle j)erdition : Mer-
yunt homines in inlerilum et perdilionem,
{ 1 Jm., VI, 9.) Au milieu de l'abondance
dont il jouit, au sein de ce repos houleux
qui le rend sourd aux cris de tant de mal-
lieureux, la mort viendra l'arracher, ce
mauvais prêtre, à cette oisiveté sacrilège.
Transporlons-nous à ce moment suprême
oii les portes de l'éternité s'ouvriront de-
vant lui : cette pensée est le grand remède
de l'avarice. Quelle idée aura-t-il des pei-
nes qu'il s'est données pour amasser ce
trésor, des sacrifices de tous genres qu'il
RETRAITE. — ÎNSTRUCT. XI, SUR LAVAKICE.
769
s'est imposés, dos injustices qu'il n'a pas
croint 'le coiiimeilro, de louies les sollici-
(luk's et les ;inxi(^lés que lui a coûté la
triste possession de cet argent, que. !a mort
vient lui armclior, |)Our lejeler nu et dé-
pouillé de tout aux lùods du souverain
Juge ! quels sont les tourments de ceprêlro
av.ire, qui va [lerdre dans un instant le fruit
inique d'un denii-siècle d'épargnes el de
privations, que la cupidité lui a seule irn-
jiosées ! Il n'y a rien eu pour Dieu, dont il
était le ministre sur la terre, ni pour le
prociiain, qu'il devait instruire et édifier
dans celle vie toute consacrée à l'avarice;
aussi, il mourra comme il a vécu ; il se rap-
pellera dans ce moment terrible les plaintes
de tant de Lazares qu'il a délaissés, tant de
honnes œuvres que la Providence lui avait
conlîées, et qui n'ont point été accomplies
parce qu'il a préféré s'appliquer à lui-même,
f>our grossir ses épargnes, l'argent qu'il eût
allu dé|)enser ; il jettera eu mourant mi
dernier regard d'envie sur ce trésor d'ini-
quité, el mourra dans les convulsions de la
cupidité et du désespoir. C'est ainsi quo
meurent les prêtres avares.
jMais c'est surtout au grand jour de la
manifestation dos consciences que ce prêtre
sera jugé selon ses œuvres, et que l'igno-
minie de sa vie, ses calculs cujudes, ses
basses épargnes, ses usures, qu'il avait eu
l'adresse de cacher, seront produits aux
yeux du monde entier. Ostendam gentibus
muUtatctn luam. {Nahum., III, 5.) Quelle sera
la honte de ce malheureux lévite, de quel
effroi son àme ne sera-l-elle pas rcm|)lie
lorsqu'il entendra ce terrible analhôme sor-
tir delà bouche du souverain Juge : Disce- nel
dile a me maledicli in ignem œternwn, qui
paratus est diabolo, et angelis ejus; esurivi
enim, el non dedistis rnihi pot uni : hospes
ercnn, et non coUegistis me : nudus, et non
operui.stis me; infinints, et in carcere, et non
visiiaslis me!.... (Maith , XX.V,4!, 43 ) Los
voilà, ces foudiojanles paroles, cette sen-
tence irrévocable portée contre le prêtre
avare dont la vie a été en opposition cons-
tante avec les maximes el les exemples du
Sauveur. Il savait qu'en secourant les pau-
vres de sa paroisse, qu'en se faisant pau-
vre avec eux, en les visitant dans ces asiles
de l'indigence el du malheur, en les vèlis-
sanl el leur donnant le pain de la charité
et ce verre d'eau froide oll'ert au nom du
Dieu des pauvres, il mériterait une récom-
pense éternelle, parce que Jésus-Christ le
lui avait dit à lui-même : Quundiu fecistis
%ini ex his fralribus meis minitnis, mihi fe-
cistis [ibid., k"*-) ; luais il a [)iéféré l'argent
à Jésus-Christ, la salisfaclioii de ses insa-
tiables désirs à la vie étemelle : aussi il a
sa part dans ce terrible anathème prononcé
contre les riches : Tœ vobis divitiOus {Luc,
W,-!'*.) discedite,muledicli.,in ignem œternuni.
Le voilJi donc précipité pour jamais dans
le goulfre de l'enfer, ce prêtre infortuné;
et c'esl ici surtout que les ()aroles de l'A-'
pùtre,eii parlant des désirs de l'avare, trou-
vuut leur terrible api)lication. Le prepaicr
770
supplice qu'éprouvera ce prêtre avare, ce
sera cette condamnation portée par Jésus-
Christ, qui pendant toute l'éternité lui rap"
pellera qu'il refusa de le vêlir et d'apaisi f
sa faim : car elles retentiront à jamais aux
oreilles de ce prêtre, ces foudroyantes pa-
roles prononcées par le Sauveur au jour du
dernier jugement. Pendant toute l'éternilé
il pourra voir dans le ciel ces pauvres, heu-
reux de leur pauvreté, qu'il a mépri es
repoussés durant sa vie, et auxijuels celle
pauvreté môme, objet de ses raille-ies et do
ses dédains, a ouvert les portes des demeu-
res éternelles; il les verra revêtus de gloire,
inondés de délices, riches de tous les tré-
sors des cieux, placés sur des trônes de lu-
mières au milieu des anges et des archan-
ges : car elles seront accomplies, ces paroles
du Prophète : Suscitons a terra inopem , et
de stercore erigens pauperem, ut collocet eum
cum principibus. [Psal. CXII, 7.) Si, portant
un regard de désespoir sur lui-même, ce
prêtre infortuné considère l'état oii l'a plongé
Tavarice, qu'il sera cruellcme^ t puni er. <e
voyant dans un état de dépouillement com-
l'Iel qui lui a tout arraché, exce[)té son
éternel remords 1 II se verra .dépouillé du
plus grand de tous les biens : il sera privé à
jamais de la présence de Dieu, des immor-
telles récompenses promises h ses élus, e i
même temps de tous les biens de l'âme et
du corps. Perte éternelle de toute espèi o
de paix intérieure, regrets amers, elfroyabhs
remords , horribles déchirements , vœux
impuissants : tel sera l'état de Cette âme ré-
duite à demander l'anéantissement de sou
être, qu'elle n'obtiendra jamais. Perte éter-
nelle de ses Irésois. des conimodités et des
jouissances de la vie, qu'il avait su si bien
se procurer : une soif brûlante lourmeniera
ce prêtre avare qui refusa de l'apaiser dans
les membres soutirants de Jésus-Christ ; une
horrible faim dévoreia celui qui ne voulut
point donner aux pauvres ces uiietles qu'am-
bitionnait le Lazare, et qui tombaient de la
table du mauvais riche. Ajoutez à cela tous
les tourments de l'enfer et les châtiments
destinés à punir les t)écheurs : voil.'i l'état
de ce malheureux prêtre, qui trouvera dans
celle atlieuse ()auvrelé des tourments in-
finis et sans cesse le'iouvelés, parce qu'il
n'est point de vice qui n'ait dans les enfers
ses touriuenls particuliers, Ibi avari miser-
rima egestate arctabuntur.
Vénérables confières, je finirai cet entre-
tien par les mômes paroles qui l'ont com-
mencé : Videte et cavete ab onini uvaritia.
{Luc, XII, 15.) Videte : car, liéhis! il n'y a
point de passion sur laijuelle on s'aveugle
davantage, 'l'ous les hommes condamnent
l'avarice, et |)ersoniie ne se croit avare.
Cette illusion est encore plus forte chez les
jirôlres : ils trouvent tant de prétextes, soit
dans leurs besoins personnels, soit dans
ceux de leurs parents, qu'on doit sans doute
soulager, mais modérétnent , et jamais au
piéjudice de notre ministère. Cavete! Quoil
sacritier notre âme à la cupidité de nos pro-
ches 1 concentrer nos sollicitudes dans les
77»
ORATEURS SACRES. MAUREL.
772
besoins île celte vie présente, et jamais ne
songer sincèromonl h la vie future 1 nous
défier d'une Providence qui, en nous ordon-
nant de lui demander le pain de chaque
jour, nous a promis par Ih niêïue de nous
l'accorder \jacta nuper Dominum curam tuiim,
et ipse te cntitrict. [Psal. LIV, 23) Nolile
soUiciti esse. (Matlh., VI, 31,) NihilsoliicUi
sitis. [Philip., II. 20.) Non vidi jtislumdcrc-
lictum. {Psal. XXXVl, 25.) Quœrite ergo re-
gnum Dei, et hœc omnia adjicientiir iwbis.
(Luc, XII. 31.) Heureux le jirôtre qui op-
pose sans cesse ces immortelles vérités aux
tentations de l'avarice! heureux le piêlre
qui n'est en sollicitude que pour les inlé-
rôls de la religion et le sakil des âmes!
IMoins il craindra pour ses besoins person-
nels, plus Dieu s'en occupera à son insu :
il lui a promis le centuple dans celle vie,
el toules les richesses de son royaume dans
l'élernité, où i! pourra s'écrier avec raison,
et se rendre à lui-même ce glorieux témoi-
gnage : înclinavi cor meum in testimonia
tua, et non in avariliam. (Psal. CXVllI, 36.)
INSTRUCTION. XII.
SUR l'hCMIMTÉ.
Disrile a me quia milis suin et humilis corde (Mallli ,
XI, 29,)
Messieurs,
C'est aux apôtres, c'est aux piôires, plus
encore (ju'aiix simples lidèles, <jue Jésus-
Clu'isl adressa celte grande leçon. JWais
pourquoi , demande saint Bernard , cet
Homme-Dieu s'esl-il borné à se donner
pour modèle de l'humilité et de la douceur?
pourquoi n'a-t-il pas dit aussi : ap|)ri'nez
oe moi qui- je suis chaste, sobre, laborieux,
désintéressé? Pouvons-nous ignorer, Mes-
sieurs, que l'humilité est la mère de toutes
les vertus, el ne manque janiai s de les ame-
ner toutes 5 sa suite. Aussi la vie entière de
Jésus-Christ a-t-elle été un long exemple el
une leçon continuelle d'humilité.
Suivons-le avec saint Basile depuis l'ob-
scurité de la crèche jusqu'à l'ignominie
éclatante de la croix, et sans cesse nous
verrous en lui col amour des humiliations
(jui l'a |iorté,dit l'Apôtre , à s'abaisser, à
s'anéanlir lui-même jusqu'à prendre la
fornn; d'esclave, lui, le Fils é ernel du Très-
Haut : Scmctipsum eocinanivit, forniam servi
occipiens. [Philip., \\, 7.)Né jdus pauvre que
le dernier des hommes, il f)asse de l'é-
table de Bethléem dans l'atelier d'un arti-
san ; il mène, pendant trente ans, la vie
la plus obscure, occuj é à do simjiles el
modestes travaux, soumis à chaque instant
à la volonlé de deux crt'atures, dont il esl
le créateur el le maître suprême. S'il se
niaiiiresle ensuite au monde, ce n'est pas
pour sa piopre gloire : il nous déclare lui-
même que c'est uniquement jioui' la gloire
de celui qui l'a envoyé, el il le prouve en
s'associanl des discif)les pauvres, sans nais-
sance, sans mérite, sans talents, avec les-
quels il va s'exposer aux calomnies cl aux
mépris de toute la Judée.
L'exercice de son ministère, qu'esl-il
autre chose qu'un enchaînement d'humilia-
tions et d'actes continuels d'humililé? avec
quel soin n'évite-l-il pas, autant que la
prudence le lui permet, tout ce qui a de la
pompe et de l'éclat. Du haut des cieux le
Toul-Puissanl l'a appelé son fils bien-aimé,
el il soull're (jue les hommes l'appellent par
dérision le fils d'un artisan, nonne hic est
fabri filixis? [Malth., XIII, 55.) S'il guérit
des malades, il leur défend de publier le
miracle de leur guérison ; s'il paraît sur le
Thabor tout rayonnant de gloire et de splen-
deur, il n'a que trois témoins de ce prodige,
auxquels même il ne permet d'en parler
qu'après sa sortie du tombeau. 11 se dérobe
aux applaudissements qu"excitenl partout
la grandeur de ses œuvres et la sagesse do
ses discours; on le cherche pour le faire
roi, et il se cache; il ne veut pas même
être pris pour arbitre d'un simple dili'érend.
Les princes de la terre, dit-il à ses disci|)les,
donnent avec faste : il n'en sera })as ainsi
de vous; î(; premier se regardera comme le
dernier.(Maf//i., XX, 25, 2G.) Et afin que celte
grande leçon ne s'ellace jamais de leur
cœur, la veille desamort il s'abaisse jusqu'à
leur laver les pieds, el il termine cet ado
si profond d'humililé par ces raémoraldes
paroles qui devraienl bien suffire pour éloi-
gnera jamais du cœur d'unprêlre toulsenii-
ment d'orgueil el de présom|)tion : Exem-
plurn dedi vobis, ut quemadmodnm ego fcci
itaet vos faciatis. [Joan., XIII. 15.)
Il suffit donc. Messieurs, d'être vérilabU;-
ment humble pour être une image accomplie
de Jésus-Christ, et pour posséder comme lui
toutes les vertus. Un n-.ondc aveugle ne voit
dans riiumililé qu'une petitesse d'esj)ril et
une bassesse de sentiments; Dieu y voit le
sentiment le plus sublime et le {)lus hé-
roïque que sa grâce puisse ins[)irer : c'est
la vertu des saints el des parfaits , ei Mario
n'a été la plus sainte el la plus parfaite que
parce qu'elle a élé la j-lus humble des créa-
tures. Je viens donc, vénérables cordrères,
en vo'.is e.'ilretenant sui- l'humiliié, raconter
les mei veilles (]ue la grâce 0[)ère en vous :
Sapirnliain loquimur inler perfectos. (I Cor.,
\i, (5.) Heureux si cette inslruclion peut
m'aider à obtenir moi-même une vertu si
précieuse I
La nature de l'humilité et les motifs
de l'humilité ; tel sera le partage de cet
entretien.
PRE»llÈRE PARTIE,
Qu'est-ce que rinimilité? Ici, Messieurs,
je commence à sentir mon insuffisance.
J'entends, en elfel, les hommes les plus
éminents en sainteté, ces hommes extraor-
dinaires, tout remplis des lumières d'en
haut, m'averlir que l'humilité est un de ces
dons inelfables qu'on ne peut connaître ni
expliquer qu'autantqu'un les possède; que
cette vertu céleste peut seule se comprendre
el se tlélinir elle-même, et que si on a le
malheur d'en êlro privé, il est aussi impos-
sible de la concevoir que de concevoir la
saveur d'un fruit (juand on ne l'a jamais
773 RETRAITE. — INSTIUJC.T. \II, SUR LIIUMILITE. 77i
goûté, ou la lumière du soleil quand on no de moi-ui6me, de quoi los hommes pour-
hi jamais vui-. « L'IiumililtS dit saint Jean raient-ils me louer? Ou c'est une cireur de
riima.iuo, est une science toute sainte dont leur part ou ils ne louent en moi que les
.lésus-Clirisl est le maître, et qu'il n'en- dons du Créateur, Serait-ce de ma fortune,
scigne qu'à ceux que lui-môme en a rendus de mes vêlements, de la pompe peul-ôtre et
dignes. Elle est cachée dans le plus profond de l'éclat dont le luxe m'environne? Mémo
descœurs, et toute l'éloquence des hommes aux .yeux des gens du monde éclairés \n\r
n'en |>eut expriinpr la vertu secrète et im- l'expérience, ces motifs de vaine gloire et
pénélrable. » O mon Dieu I donnez-moi donc d'orgueil seraient aussi frivoles que dépla-
cette belle vertu, et alors seulement je pour- eés ; car l'iniquilédes hommes, les révolu-
rai en parler. tions, des malheurs inqirévus publics et
Cependant," vénérables confrères„quelque privts détruisent (juelquefois toutes les
ii:ca|'abie que je-me sente de faire par nmi- conunodités de la vie et les fortunes les
n;ôme aucune réilexion sur ce grand sujet, plus solides.
je puis du moins, et sans doute vous n'at- Ce qui m'apparlienf, ce qui est vérita-
tendez pas autre chose . vous répéler blement à moi, ce sont mes péchés, et ils
!cs réllexions de ces hommes vénérables sont innombrables ; ce sont mes passions,
qui nous ont laissé dans leurs écrits les et elles sont alfreuses ; ce sont mes défauls,
gr.mdes et vives lumières dont le ciel et j'en suis tout rempli. De quoi donc, en-
tes avait favorisés. Examinons donc avec core une fois, pourrais-je me glorifier? se-
cux comment la grâce fait naître dans un rail-ce de celte vamté que je sens si raépri-
cœur la sainte humilité, et nous sau- sable el dont je suis forré de rougir? serail-
rons te qu'elle est môme avant de la dé- ce de celle basse jalousie qui me dévore et
f.|ijp_ me confond, de cette avarice qui me tour-
touché de Dieu et dégoûté par sa lumière mente, de celte colère qui m'emporte, de ce
des vanités du moude, un homme rentre en penchant hideux à rmjuslice, <à la perfidie,
hii-mème et se demande : qui suis-je? d'où à la sensualité, è des plaisirs désordonnés,
viens-je? Je ne suis sur la terre que depuis à des passions que je me reproche malgré
l)eu d'années. D'où m'est venue l'existence, moi, qui m'avilissent à mes propres yeux,
qui est-ce qui me la conserve? est-ce moi que j ai tant de peine à confier au secret de
qui me suis donné ce corps de boue et celle 'a confession, que je dérobe avec tant de
ûme spiiiluellequi l'anime? Hélas! je no soin aux regards demes semblables? Hélas!
connais pas même le lien (jui les unit. E^t- s'ils venaient à les connaître, j'en mourrais
ce de moi que je tiens cette intelligence, ^l^ honte.
celle raison, celle volonté, cette mémoire, O mon Dieu! tout confus de ma misère.
cette parole qui me distingue avec tant d'à- lout accablé du poids de mes ténèbres et de
vantage de tous les êtres d'ici-bas? Non, ma corruption, je m'abaisserai donc devant
sans doute, je sens que j'ai tout reçu d'un 'e trône de votre grandeur et de votre sain-
ètre supérieur; de moi-même je n'ai rien, teté ; je ra'anéanlirai à vos pieds, et jo m'é-
ie ne suis rien, je ne puis rien, pas même crirai avec votre Apôlre: Soli Deo honor et
ajouter un cheveu à ma têle. Pour exister glorta.l{Rom , XVI, 27.) Je vous rendrai
j'ai eu besoin que la main de Dieu me tirât grâces de vos bienfails, et je gémirai de l'a-
du néant : pour continuerd'être, j'ai besoin bus que j'en ai fait. Je reconnaîtrai mou
qu'il me conserve à chaque instant, celle indigenee et j'attendrai tout de votre libé-
existence : s'il cessait un seul instani de mo rallié. Je me regarderai comme un pauvre
soutenir,je rentrerais dans le néant. Malgré qui a besoin tous les jours de votre assis-
les qualités {)récieuses dont il m'a enrichi, lance ; et afirès avoir reçu l'aumône de voire
malgré celle force intérieure, cette liberté main, je n'irai pas m'en prévaloir, comme
indéliiiie qu'il m'a donnée, je ne puis faire d'une richesse qui soit venue de mon loud.
un pas, je ne puis former une pensée sans Je n'insulterai pas à la faiblesse et à la pau-
son secours. vreté de mon semblable, privé, jiar une
De quoi pourrais-je donc me glorifier? grâce el peut-être par une prédilection de
Serait-ce des qualités de ce corps qui n'est votre part, de certains dons qui m'ont en-
que poussière et destiné à devenir la pâture oigueilli et perdu jusqu'ici, et dont, hélas !
des vers ? serait-ce des qualités de cet esprit j'aurai à vous rendre le eoinijte le plus ri-
qui est né dans l'ignorance et les ténèbres, goureux : Cui muUam datum est, muUuin
et qui, malgré la cullure qu'il a reçue, se quœrelur ab eo. {Luc, Xll, 48.)
iT-ouve arrêté à cha(,ue instant dans ses ope- 'J'els sont, Messieurs, les moyens dont la
rations et ses recherches? serail-ce des (jua- grâce se sert |.ouf détruire en nous ce mi-
lites de ce cœur que le |)éché a i)erverli, séiable orgueil dont nous avons hérité du
même avant ma naissance, et rempli des premier homme, et que celui-ci tenait de
penchants les plus honteux et de sentiments Satan. Une lumière divine nous éclaire sur
pervers? serait-ce de ma force, de mon nos misères et noire néant; elle nous
adresse, de mes laleiits.de messuccès? Mais montre nous-mêmes à nous-mêmes dans
si Dieu seul en est l'auteur, et si je ne puis toute la houle de noire nudilé; elle nous
rien que par lui, n'est-ce pas à lui seul j)résente un portrait lidèle où nous sommes
qu'ai)pailient toute gloire ? serait-ce de forcés de voir toute la laideur de nos vices,
l'estime, de la conUance, des louanges des toute la honte de nos penchants, toute lu
hommes ? mais si je n'ai rieu et ne puis rien profondeur do notre corruption, toute 1«
ORATEURS SACRES. MALREL
iTfi
multitude et toute l'éteniluo de ces plaies
saignnntes que le péclié a faites à noire âme
el dont elle est toute couverte, et notre va-
nité pst forcép dn rougir: Quid superbis
terra et cinis. {Eccli.,X, 9.)
Mais qu'esl-ce donc que l'humilité? Cette
verlu qui scnriblemit si naturelle h l'homme
et qui est cependant si rare ; cetle vertu que
le monde ne connaît et ne connaîtra jamais,
parce qu'il ferme les yeux ?> la lumière di-
vine, qui peut seule nous éclairer sur notre
néant; celle vertu c'oîil les anciens philo-
sophes ont ignoré jusqu'au nom, et que les
sagrs de noire sièc'e connaissent peut-être
encore moins; cetle vertu que Jésus-Christ
seul a pti apprendre h la terre et que Dii;u
seul peut nous inspirer, qu'est-elle?....
lîroulons un grand maître, saint Bernard :
Hiimililas est virtus qua homo verissima siti
cogvitione, sibi ipsi vilescit. Verissima sui
cogniliotie ! Ces trois mots sont remar-
quables: une connaissance supfinici( Ile do
nous-mêmes pouiiait nous inspirer de la
présomption, parce (pi'elle pourrait se bor-
ner à certaines qualités apf)arentes, sans
dévoiler les défauts grossiers qu'elles cou-
vrent; mais une connaissance réelle et vé-
rilable, verissima; mais une connaissance
réiléchie, approfondie, qui nous fera par-
venir jusqu'à la source même de nos fai-
b'esses, qui fouillera dans l'intérieur de ce
sépulcre blanchi dont les brillants dehors
cachent la jiourrilure renfermée au dedans ;
mais une connaissance exacte, sincère qui
[lortera la lumière dans noire àme, et nous
en montrera toute la diiïorrailé. Une telle
connaissance nous rendra nécessairement
méprisables à nos propres yeux, el c'est ce
inépris de nous-:i:êmes qui fait l'essence de
l'humilité : Sibiipsi vilescit. On n'est iiumblo
qu'aulanl qu'on se connaît bien el qu'on
se méprise.
Sans doute que ce mépris no peut tomber
sur les qualités précieuses que nous avons
reçues du Créateur ; sur celle image augusle
de la divinité qu'il a daigné empreindre au
fond de notre âme. Ces dons sublimes
doivent exciter rrolre reconnaissance el noirs
remplir d'admiralion et d'amour pour la
bonlc magnilitiue de leur arrleirr. Mais entiu
quelque admirables que puissent être ces
qrjaliiés, (.lonl on se lait souvent une idée
exagérée , n'élanl [)oinl notre ouvrage,
n'étant qu'un pur dorr, un don gratuit du
■Créaleur, peuvenl-eiUis fournir' la rrioindio
malière à la vanilé? Si accepisli, quid ylo-
riaris, quasi non acceperis? (1 Cor., IV, 7.)
Peirveul-elles nous uoiurer' le moindre (h'oil
de nous |)rélérer à cerlains de nos sem-
blables, moiirs 'avorisés en ai)|)arence par
J'auleur de loul bien, mais qui font, oir
ferait peut-êre un jour, un meilleur usage
que nous, des dons qu'ils orrl reçus ? c;ir,
vous le savez, Messieur's, ce n'est (|uo dans
ce bon usage que consiste le vrai mériie.
Les dons de l'esprit, les qualités du corps,
la douceur du caraclère, la bonté, la géné-
rosité du cœur sont sans doute une apliiude
au Oiérile, un instrument précieux que Dieu
nous met en main pour en acquérir; mais
ils ne oonstiluont pas le mérite lui-même:
s'il en étaitaulremerrtjily auraitdes hommes
pervers en qui il faudrait reconnaître plus
de mérite, plus de droits h l'estime et à la
considération que dans des hommes inlègres
et vertueux qui auraient reçu des lalei ts l)ion
I)lus bornés et de's qualités moins éten-
dues.
D'ailleurs, les qualités les plus bril'antcs
el les plus précieuses, dont on ferait rirêure
un bon usage, nous dispenseraient-elles du
juste mépris que nous nous devons h nous-
mêmes pour cette multilude de passions, do
vices, de défauts, de faiblesses, de péchés
dont nous sommes tout remplis ? Ah ! heu-
reux donc celui h qui Dieu a inspiré ce mé-
pris si raisonnable et si légilirtie de lui-
inênre I Je dis si raisonnable el si légitime:
(ar, Messieurs, que signifie le langage d'un
monde qui ne vorl dans l'humilité qu'igno-
rance, que bassesse, que lâcheté? Si ce lan-
gage était vrai, l'humilité ne serait pas si
rare: partout on renconlre des ignorants,
iics esprits faibles, des âmes lâciies el pu-
sillanirrres. D'où vient que le nombre des
humbles esl si petit ? c'fjst qu'il faut une lir-
miôre ton le divine pour apercevoir sa mi-
sère, el l'on peut dire d'un homme vain que
c'est un véritable ignorant. lih ! que con-
naît-il, puisqu'il ne se corrn.iît i>as liri-
mêrae? C'est qu'il faut une force, un cour-ige
surnaturel pour sentir sa faiblesse et eu
gémir, sans en être accablé; c'est que l'hu-
mililé est eile-môme urre source de force et
de courage, parce que Dieu se plaît h [>ro-
téger, à revêtir de sa pr]issan:;c i;es hjmmes
simples et droits qui se défient d'eux-mêmes,
el ne se contient qu'en lui; c'est qrr'il y a
une grande élévalion d'âme à s'abaisser vo-
lontairement jusqu'à la poussière. Aussi les
esprits étroits et bornés sont-ils en général
peu propres à l'humililé: c'est là d'ordinair'e
où la vanilé réside. Celui qui se dompte lui-
nrême, en domptant son orgueil, est bi/ri
plus lort, dit l'Espril-Sainl, que ctlui ipii
abat des remparts et subjugue di;s pro-
vinces.
La nature de l'humilité, une (ois connue,
il s'agit d examiner sérieusement si cetle
vertu se trouve en nous, et (lour le con-
naître, il n'y a qu'à développer- la délinilioii
de saint Berrrani, et se représerUer les vé-
rités déjà énoircées. Vous demandez ce qua
c'est que l'iiumililé! c'est ce senlirirenl [)rQ-
fond de noti'c faiblesse et de notre néaLl,
qui nous abaisse devant Dieu el devant Us
hommes, ipji nous remplit de mépris pour
nous-roômes, et d'indulgence pour autrui;
qui nous rend soumis à toute autorité étabiio
de Dieu, aux fjasleurs de l'Eglise pour' les
ciroses de la religion, et aux chefs d(,'S gou~
vernerirens pour les choses de la terre; qui
nous inspire un em[)ressement sincère à
rendre à cliacun ce qui lui est dti, el l'estime,
et l'honneur, et le respect, et les égar'ds.
L'humililé I c'est cetle conviclion inliuie de
noire impuissance à tout bien el de notre
lienchaul à loul mal, qui nous fait sentir le
777
RETRAITE. — IINSTIUICT
l)esoin extrême et continiiol que nous avons
du secours de Dieu, et nous porte à implorer
sa lumière dans nos ténèl>res, et sa l'orce
dans noire faiblesse.
L'Imniililél c'est cette ingënuilé do cœur,
celte siiui'licilé, celte droiture d"espril q'ii
nous ri'nd fiiciles à convenir de nos torts, et
à excuser les torts des autns, qui nous lient
habituellement dans la défiance de nos
propres lumières, et nous fait recourir dans
nos perpiexilés au conseil des sages, qm'
nous rend mesurés et modestes dans nos
décisions, discrets dans nos procédés, pru-
dents dans nos enircprises, sobres dans nos
paroles, dociles aux bons avis, et toujours
prêts à accueillir la vérité, de quelque part
qu'elle nous vienne.
I L'humilité 1 c'est la force et le calme
d'une âme pénétrée de son néant, qui voit
sans émotion ou du moins sans murmure
ses dél'auls connus et blâmés, qui ne se
laisse ni enorgueillir par le succès, ni abat-
tre parles revers; qui soutire avec patience
la privation de certains dons qu'elle voit
briller dans les autres, et re[)ousse avec
vigueur la tentation si dangereuse de l'en-
vie, et celle du découragement peut-être
encore plus funeste; qui sufiporte avec ré-
signation les censures, les calomnies, les
mépris, et, loin d'user de récrimination,
bénit ceux qui la maudissent, et i)rie pour
ceux qui la persécutent.
) L'humilité! c'est cette obscurité volon-
taire oiJ se relire un disciple de Jésus-
Christ, et où, caché aux yeuï des hommes,
n'ayant que le ciel pour témoin de ses pen-
sées et de ses intentions, il accomplit dans
le silence la volonté du Père céleste, sans
s'embarrasser ni des discours, ni des juge-
ments du monde, sans chercher d'autre ap-
pui de son zèle ni d'autre encouragement
dans ses travaux que les regards de ce Dieu
invisible qui a |)romis de récompenser tout
ce qu'on fait en vue de lui plaire : vcnlà
Humilité ! A/)pliquons-nous à nous-mêmes
ce qui vient d'être dit, et il nous sera aisé
de découvrir si celte vertu réside en nous.
Elforçons-nous delà bien coniiaitre et nous
aimerons è la |iraliqaer. Après avoir mon-
tré ce que c'est que l'humilité , voyons
maintenant les divers mutil's qui rendent
cette vertu si nécessaire à un prêtre.
SECONDE PARTIE.
Ce qui montre d'abord la nécessité d
l'humililé, c'est que d'apiès l'exposé que
je viens de vous soumelire, elle est le fon-
dement et comme l'assemblage de loules
les vertus, el que sans elle il n'y a aucune
vertu. Sans l'humilité il n'y a ni soumission
à Dieu, ni soumission aux hommes, ni res-
jiecl ()our les lois, soit de l'Eglise soit de
l'Etal ; ni coiilijnce, ni componction dans
la prière, ni patience dans les revers, ni
pardon des injures, ni charité, ni estime,
UJ ménageiuent pour le prochain. Que dis-
je ? l'abience de l'humilité anéaniit jus-
qu'aux œuvres les plus saintes. Qu'y a-t-il
ue plus saint en apparence cjue le zè!c, les
OttATtmS SACBÉS. LX>'ili.
. \ll, SllR LULMiLlTE. T7r,
aumônes, les longues ()rièros des Pharisiens;
cependant quel jugement en porte Jésus-
Christ? Ils cherchent à être vusdes hommes
et ambilionnenl leur estime : aussi leurs
(euvres sont vaincs, lieccperunt mrrcedein
siiam... (Matth., VI, 5) ivjhj vanain, ajoutait
saitit Augusiin. Nul n'entrcn dans le
rovaume de Dieu, dit encore Jésus-Chi ist,
s'il ne se réduit à la pelitesse de l'enfanco
et s'il n'en retrace dans ses œuvi-cs la sim-
plicité (it la candeur : Nisi efficiamiiri sicut
parvuli, non intrabilis in regnnin cœlorum.
[Malth , XVllI, 3.) Go divin Smveiir s'ex-
prime encore d'une manière |)lus décisive
et plus énergique en disant : Ç"* ^'"'' vcnira
post me,abnege( iemetipsum, el sequalur me.
(L»c.,lX, 23.) Méditons ces graves maximes,
elles nous révèlent un sublime enseigne-
ment.
Sans celle abnégation, sans celte mort
de soi-même, sans ce renoncement absolu
à loules les vanités delà terre, tout le reste
n'est lien. En eifel, qu'est-ce (pi'un mi-»
nistre de Jésus-Christ qui se laisse domine."
par le désir de la gloire humaine, tandis
• luo son moîlre a voulu être méprisé
comme le derniei- des hommes, novisiimum
virorum, et mourir de la mort des scélé-
rats, cwm sce/era^«'srepiUa/MA"es< ? (/sa,, LUI,
12.) Que dis-je? tandis que, môme après lo
triom|)lie de sa résuireclion, il daigne con-
server sur nos aulels un étii d'anéaniisse-
menl el de mort, cachant à tous les yeux
d'ici-bas la splendeur do celle gloire qui
embellit les cieux?
O mes chers confrères, tous les jours
noire foi est témoin de ce miracle d'humi^
lité (pji s'opère dans nos mains; tous les
jours elle voit le Très-Haul, docile à la voif
d'un faible mortel, descendre des cieux ii
l'instant même que son ministre l'appelles
siw la terre; tous les jours et à chaque ins-
tant elle aperçoit le Koi <le gloire anéanti
sous les voiles euciinrisliques, et noire orv
gueil ne tomberait pas aux pieds d'un Dieu
si profondément humilié 1 O mon Sauveur î
ô mon Dieu ! (luelle voix éloquente il mo
semble enlendie sortir en ce moment du
fond de ce sanctuaire pour confondre ma
vanité! Vous ôles dans ce tibernacle lo
même qui remplissez !■ s cieux d'une splen-.'
deur immorielle 1 et celte splendeur qui
éblouit les Séraphins est ici éclipsée ! lœii
(le mon corjis n'en aperçoit aucun rayon J
les esprits sublimes qui vous adorent au
plus, haut des cieux, sont ici iitoslernés sur
les marches de cet autel, se voiLinl la face
en piés-nce de votre Majesté, ei chantant h
liaulc voix: Hosanna au liis de David !
Je m'unis à celle multitude d'adorateurs
célestes ; je ciofs tous ces prodiges d'iiunii-
lilé cachés à mes yeux ; et malgré celle foi
habiluelhi qui est un don si précieux do
votie grâce, el en présence de vos abais-p
tements inellables, o mon Sauveur 1 je con-
serverais encore un cœur lier, allier, indO'
cile, indé|)cndant, rebelleà mes supérieurs,
pleiu d'envie [)our mes égaux et de méju-is
pour mes intérieurs, tout rempli d'idées
2'i
779
vainos cl prt'sniriptueases, tout occupé de
prétentions, de jalousies, de distractions,
souvent aussi ridicules aux yeux même de
la saine raison que contraires aux maximes
de la foi !
Car, Messieurs, qu'est-elle donc cette
gloire humaine qui tourmente tant de têtes,
surtout parmi les jeunes lévites? Que ce
mot ne vous choque pas, ô intéressante por-
tion du sacerdoce 1 hélas ! les anciens de la
milice sainte connaissent les tentations do
votre âge. Qu'est-elle, dis-je, cette gloire
frivole, aussi facile à perdre que difficile à
acquérir; cette vaine fumée qui va se dis-
siper dans les airs et que poursuivent ce-
pendant avec, une avidité si criminelle,
même les docteurs de l'humilité? Réfléchis-
sons, mes chers confrères, quel bien solide
peut nous procurer, soit après la mort, soit
même pendant la vie, cette gloire périssa-
ble? Après la mort nous obliendra-t-e!le un
accueil plus favorable auprès du souverain
juge? changera-i-ello sa sentence à notre
égard?... Hélas! notre humilité l'eût rendu
indulgent, et noire vanité le trouvera peut-
être inexorable.
Il n'y a aucun homme qui puisse prétendre
sans doute h unegloireplus pure et plus no-
ble que celle de l'immortel Vincentde Paul :
bons et méchants, tous sont aux pieds ou
de ses autels ou de ses statues. Mais à quoi
lui serviraient tous ces honneurs si son âme
l)ienheureuse n'était dans le ciel ? Y serait-
elle si son zèle n'eût été sanctifié par son
humilité, si ses grandes actions n'eussent
eu pour but que cette vaineimraortalité qui
a perdu tant d'hommes célèbres, dont saint
Augustin a dit : Laudantur ubi n:jn sunt,
cruciantur ubi suni?
Mais que dis-je? même pendant cette vie
quel avantage solide peut nous revenir de
cette misérable recherche de l'estime des
hommes V nous dorinera-t-el!e le vrai mé-
rite ou agrandira-t-elle celui que nous
avons? serons-nous j)lus savants, f)lus élo-
quents, plus adroits, plus vertueux, parce
(jue nous passeious f)0ur tels dans l'opinion
publique? Hé 1 que m'importe, s'écriait
saint Paul, que les hommes me louent ou
me blâment? est-ce de leur opinion, si sou-
vent fausse et toujours incertaine, que dé-
pend mon mérite; ?Ctlui qui me juge avec
vérité et avec justice, c'est Dieu et pas d'au-
tre que Dieu : Qui judicat me, Dominiis est.
(1 Cor., IV, 4. ) Oh 1 c est lui qui m'a|)réciera
ce que je vaux :je ne serai autre chose que
ce que je paraîtrai à ses yeux. Or, que
suis-je en présence de ce scrutateur infail-
lible ? hélas I un grand pécheur qui ai fait
sans doute des efl'orls pour expier mes pé-
chés, mais qui ne suis pas sûr d'avoir
réussi ; qui châtie tous lesjours mon corps,
mais qui ignore si je serai au nombre des
élus ou des léprouvés ! Ainsi s'exprintait le
premier prédicateur et le plus grand théo-
logien de la terre.
Quand même chacun de nous pourrait
dire avec le même Apôtre : Nihil mihi con-
scius sum, ne devrions-nous pas ajouter de
ORATEURS SACRES. MAUREL.
suite avec lui
730
Sed non in hoc jusliftcaCus
sum? (Jbid.) Or, avec cette pensée je ne suis
pas sûr d'être en grâce avec Dieu; pensée
que la foi nous donne , et que personne ne
peut se dispenser d'avoir ; quelle ne serait
pas notre Jaiblesse, disons mieux notre fo-
lie, de nous laisser séduire par le frivole
encensde* louangeshumaines! ceuxqui nous
louent nous connaissent-ils ? Le vrai mérite
est au fond du cœur qui n'est connu que
de Dieu. Que prouvent donc les louanges ,
même les plus sincères , et elles le sont si
rarement !
Ici, Messieurs, je ne puis me défendre
de citer un passage que vous connaissez
tous : Fallax fallacem, vanus vanum , cœcus
cœcum, infirmus infirmum decipit, diim exal-
tât, et veracitermagis confundil y dum inani-
ter laudat. L'auteur de ces [taroles, comme
vous savez , est le même qui avait déjà dit:
Amanesciri, pro nihilo repulari. Oh ! si ces
maximes [)Ouvaient passer de notie mémoire
dans notre cœur, quelle impression feraient
alors sur nous cette multilude de compli-
ments insignifiants dont nous sommes quel-
quefois l'objet, et du reste souvent con-
tredits par des critiques amères! quelle im-
pression, dis-je, feraient-ils sur nous , sur-
tout lorsqu'ils sont répétés par certaines
personnes qui louent un prédicateur sur un
sermon qu'elles n'ont pas compris !
Cependant, vous le savez. Messieurs, il
ne faut souvent que les sutl'rages et les
flatteries des gens du monde pour inspirer
h un jeune ecclésiastique sans expérience
une présomption ridicule, qui le perd quel-
quefois pour le reste de sa vie; ce danger
serait bien plus grand encore, et même
sous plus d'un rapport, si ce prêtre se lais-
sait ainsi flatter par ceux-là môme qu'il ins-
truit des sévères enseignements de l'Evan-
gile dans le secret de la confession.
L'impression naturelle qu'éprouve dans
ces circonstances un prêtre judicieux, con-
damné à entendre ces sortes d'adulations,
c'est de se dire à lui-môme : Ou ces per-
sonnes prétendent remplir un devoir de re-
connaissance-, en louant en moi l'œuvre de
Dieu, qui seul en mérite la gloire, ou elles
me supposent une vanité déplorable, et
cherchent à ni'encourager en la flattant.
Hélas! combien de fois cette dernière ré-
flexion n'esl-elle |»as fondée 1 Vous le savc/,
Messieurs, on ne loue guère en sa présence
un prêtre reconnu pour véritablement hum-
ble et solidement vertueux : on craindrait
de l'offenser. Mais plus on respecte sa mo-
destie, plus on admire les niolil's surnatu-
rels qui animent son zèle, [)lus on les loue
à son insu : car, du reste, la gloire, même
dans ce monde, suit toujours, dit l'Esprit-
Saint, la vraie humilité : Uumilem spirilu
suscipiet gloria. Prenons garde, je dis la
vraie humilité : Uumilem spirilu : car l'hu-
milité simulée, qui n'est qu'un orgueil dé-
guisé, n'obtient d'autre récompense (jue la
confusion et le mépris : Siipcrbum sequilur
humilitas. {Prov., XXIX, 23.)
Sans doute le monde, tout injuste qu il
TOI
RETRAITE. — INSTRUCT. Xlll, SUK LIIUMILITE.
Î8Î
est, esl forcé de rendre hommage à la vertu ;
mais il «ail Irès-bien distinguer le masque
de la vertu d'avec la veitu elle-même; il
n'honore que ceux qui rejetleiit franche-
ment les honneurs. Saint Jérôme a dit, en
parlant de sainte Paule, que la gloire qui
naît de l'humilité resseu)bie à l'ombre qui
suit notre corps : plus on la fuit, plus elle
s'attache à nous; mais si on se retouine
pour la saisir, elle nous échappe en insul-
tant, pour ainsi dire, à notre illusion :
Fugiendo gloriam, gloriam merebaliir, quœ
virtutem quasi umbra sequitur, et appeiilorcs
suijieserens, appitiù contempiores .
Ne distinguons pas, vénérables confrères,
entre les divers degrés d'humilité; appli-
quons-nous à acquérir, dans toute son éten-
due, cette vertu fondamentale qui nous sert
comme d'une échelle mystérieuse pour
nous élever jusqu'à la perfection la plus
sublime. Pouvons-nous choisir entre ce qui
est de conseil et ce qui est de précepte,
quand c'est un devoir pour nous de tendre
à la perfection? Vous le savez. Messieurs,
se mépriser soi-uiême à la vue de ses dé-
fauts et de ses fautes, ne se servir des bon-
nes qualités que la Providence peut nous
avoir d.é/iarties que pour glorifier Dieu, sa-
voir soulfrir avec patience et résignation
l'indilTérence, l'oubli et le mépris des hom-
mes ; repousser les tentations de l'envie,
entiu se croire le dernier de tous : voilà au-
tant de iiréce; tes, dont Ions les jours nous
faisons une rigourt'u>e obligation aux. sim-
ples fidèks. Mais un prètie qui marche sur
les traces de Jésus-Christ doit désirer et
rechercher les humiliations, el se réjouir de
ses opprobres ; malheur au prêtre qui n'as-
pirerait pas è l.t perléction, et ne ferait [las
sans cesse des ell'oris p ur l'atteindre ! Plus
l'éminence de nos fonctions nous élève au-
dessus des simples mortels , plus nous de-
vons craindre ces grandes chutes qui scan-
dalisent el étonnent la terre, et qui le plus
souvent n'ont d'autre source que la vanité,
qui ne résulte que trop d'une malheureuse
et fréquente inexpciience. Quanlo magnus
es, dit l'Espril-Saint , /atwï/i'a le in omnibus
et coram Ueo inverties graliam. [Eccli., 111,
20.) Un édifice très-hardi ne se soutient que
par des fondements creusés très-bas; plus
un arbre élève sa cime dans les airs, [)lus
ses racines descendent dans les profondeurs
de la terre Un prêtre ne se soutiendra point
à la hauteur de ses sublimes fondions, s'il
n'est profondément humble; son niinislère
rélève jusqu'aux cieux, il faut que son hu-
milité l'abaisse jusqu'à la terre. Au milieu
de nos découragements et des épreuves
sans nombre qu'on nous suscite, rap[)elons-
nous ces louchantes (laroles sorties de la
bouche de Jésus-Christ : Beali eslis cum
màledixerint vobis , eu dixerinl omne maluiu
adversum vos, gaudete el exsullale, {Matlli.,
V, 11, 12.) Suivons aussi les traces i\es
ai^ôires, nos devanciers et nos modèle»,
ces parfaits imitateurs de la jierfeciion do
leur divin Maître, qui faisaient éclater une
joie si édihanlo et si pure au milieu des
()ersécutions : Ibant gaudentes. {Act., V, 41.)
Placeo mihi inconlumeliis. (II Cor., XII, 10 )
O mon Dieu! se pourrait-il que cette
vaine estime de quelques mortels, souvent
trompés par l'ignorance ou aveuglés [)ar la
prévenliuti; que ces misérables élog«.<, dis-
tribués avec si peu d'équité et souvent cun-
trcd Is ; que ces éclairs fugitifs dune gloire
niersongèr<', fusse il le mobile de nos vci:-
k'S el de nos sueurs ! Serait-il possible que
neus travaillassions plusieurs mois, plu-
sieurs années, pour faire dire à quelques
esprits bornés que nous avons bien prêjlié,
et [lour faire ciler notre nom avec éloges en
confiant notre prétendue renommée au\
organes d'une publicité si souvent men-
songère! Do semblables Diioyens pour ac-
quérir une ri^putation d'orateur son! indi-
gnes d'un prêtre eî en opposition directe
avec la gravité et ia sainteté de notre mi-
nistère. Mon Dieu ! quelle faiblesse, quelle
humiliation pour l'homme de se laisser
prendre à un piège si grossier! Ah ! c'est
bien peu eslimer ses travaux que de les
vendre à si vil prix! Aspirons, mes chei-s
confrères, à une gloire plus soli Je el plus
durable. Travaillons uniqueujenl pour celui
qui |)eut seul apprécier le mérite de nos
travaux ; et un jour il en sera lui-mêifte la
récompense : il nous l'assure lui-même,
non en présence d'une paroisse, ni d'un
diocèse, ni d'un royaume, mais enprésenre
de l'universalité des nations assemblées;
et cet éloge divin ne trouvera aucun con-
tradicteur, et il retentira dans les siècles ;
Qui se humiliai, exaltabilur.[Luc., XIV, 11.)
INSTRUCTION XIII.
SL'ITE DE L'uUMILlTli.
Vilior Cani plus quam factus sum, el ero Ijumilisin ocu»
lis mets. {U Reg., VI, 22.)
Messieurs,
Après vous avoir entretenus de la nature
de l'humilité el des motifs qui rendent celto
vertu si nécessaire à un prêtre, nous médi-*
terons ensemble sur les avantages attachés
à la pratique de cette humilité sacerdololo
qui a brillé dans nos maîtres, dans les plus
éminents docteurs de I É.^lise, et en particu-
lier dans noire divin modèle. Le vice di;
l'orgueil, surtout dans un | rôtre, est dau=^
tant plus dangereux, qu'il a l'art de se dé-
guiser, de s'envelopper niêine du manteau
de l'humilité. Une connaissance ordinaire*
du monde et une bonne éducation sufiTisent
})Our donner un ton de décence et de mo-
destie. Comme l'humilité corrige les défaut»
d'une première éducation et adoucit lapreté
d'un caractère né fier el im|)érieu.v, de
môme une éducation soignée réprime les
brusiiueriesde l'amour-propre et cache sous
les a|)paren( es de politesse les |)rétention.s
secrèt*s de la vanité. Un orgueilleux qui a
de l'esprit, et un es[iril cultivé , emprunte
ordinairement les formes, les ujanières, le
langage de l'homme sincèrement huMd)le,
parce qu'il vise à l'estime et à la considéra-,
tion que le monde esl forcé d'accorder à
Ja modestie et àrbuunlilé.
783
ORATEURS SACRES. MAIJREL.
784
Mais que dis-jo? non-seaiemont 1 orgueil
a l'adresse de tromper les regards publics, il
trouape niôaie celui qui en est l'esclave : on
est quelquefois vain et orgueilleux à son
insu. On croit n'ngir que pour la gloire de
Dieu, paice qu'on lui offre de bouche ses
actions et ses pensées, et c'est une vanité
secrète qui enfante nos projets, qui préside
à rios démarches, qui anime nos fiinclions,
qui encourage nos travaux, qui est le mo-
bile et le ressort caché de loule notre con-
duite. Le dirai-je? quelquefois, peut-être
sans s'en douter, c'est par vanité qu'on prê-
che contre la vanité. Oh! mes chers confrè-
res, quand celte retr<iite ne produirait
d'autre effet que de dissiper une illusion
aussi funeste, que de faire tomber ce mas-
que imposteur qui nous cache nous-mêmes
à nou^-mêmcs, quel bien ne ferail-elle pas!
Mais ce bien sans doute est déjà fait :
l'Esprit Saint a déjà percé le nuage qui en-
veloppait noire conscience ; nous nous
voyons ei fin tels que nous sommes 1
Mon Dieu ! grâces immortelles vous on
soient rendues. Je rccoiiiiais enfin avec dou-
leur celte multitude de fautes où l'orgueil
m'a entraîné, et je forme à vos pieds la ré-
solution bien sincère d'ôlre à l'avi^iiir plus
humble , non-soulemenl de bouche mais
de cœur, plus circonspect dans mes [)aroles,
plus mesuré dans mes démarches, plus at-
tenlifà ne choquer personne, plus convaincu
de la faiblesse de mes lum.ères, plus déta-
ché de mes idées, fdus soigneux de consul-
ter dans mes dou!es,plus pénétré de mépris
pour nie5 liéfauts, et d'estime pour les ver-
tus d 'autrui : Vilior fiam plus quam fuclus
sum, cl ero humilis m oculis meis (11 lieg.,
VI, 22.) Vénéiab'es confrères, c"est en met-
tant en pratiijue ces maximes do la sagesse
que vous recueillerez dans le cours de voire
carrière apostolique les avantages attachés
à la praliijue de l'humilité, que vous ren-
drez votre ministère fructueux et respec-
table, même à vos ennemis. Appliquons-
310US donc à connaître ces précieux avan-
tages : je vais les exposer dans cet entre-
tien.
PREMIÈRE PARTIE.
La paix avec nos frères, avec nous-mêmes,
avec Dieu : voilà, sans contredit, tous les
avantages, tout le bonheur qu'il est possi-
ble de trouver dans cette vie. Or, celte triple
paix est le fruit précieux de l'humilité, eî
l'on [)eut dire de celle vertu comme on dit
de la sagesse, dont elle est le fondement :
Venerunt mifii omnia buna puriler cum illa.
{Sap., Vil, 11.)
C'est dans l'Iiumililé, et pas ailleurs, que
nous trouverons la paix avec nos frères. Qui
ne sait qu'après avoir troublé le ciel, et
armé les unes contre les autres les intelli-
gences les plus pures, l'orgueil, inspiré [)ar
le père du mensonge, est venu troubler la
terre , et a fait naître parmi les enfar.ts
d'Adam une source de divisions et de discor-
des, qui ne tarira qu'à la chute du monde ?
Le partage des orgueilleux , dit l'Espril-
Saint, ce sont des querelles et des disputes :
« Inter superbos semper jurgia suni. » (Prov.
XIII, 10 )
La concorde avec le prochain ne s'achète
que par beaucoup de sacrifices dont l'orgueil
est incapable. Il faut d'abord s'attacher à
vivre en paix avec S'vs suoTieurs : c'est sans
contredit la paix la plus désirable et la plus
utile. Quele satisfaction pour les déj>ositai-
res de l'aulorilé, et pour ceux qui en sont
dépendants, que cette union do cœurs et de
volontés, cette harmonie de sentimens et de
vues qui rend le bien facib;, et sans laquelle
il est impossible de concourir au môme but,
et de l'atteindre. Pour parvenir à ce résul-
tat, il faut de la suuiiiis ion, de la défé-
rence, de la luodestie, une docilité parfaite,
qui n'interdit pas sai;S doute les observa-
lions modérées et resfx ctueuscs, mais qui
bannit l'entôlement et le eapiice, mais qui
supprime les plaintes et les murmures, mais
qui finit toujours par saciifiir nos idées et
nos lumières aux pensées de ceux que Dieu
a préposés pour nous gouverner, et pour
accomplir ce devoir csseniiel, fondement do
toute société, jiuquel l'Esiuit-Saint a piomis
tous les genres de victoires : Vir obediens
loquetur vicloriam. [Prov., XXI, 28.)
Oui, M (issieurs, comment l'obéissance sera-
t-elle possible sans humilité? quels sont-ils
ceux qui d'ordinaire résistent à l'autorité ,
qui eniravent la marche de l'adrainistralion,
soit dans les diocèses, soit dans les parois-
s s, soit dans les communautés, quels son -
ils, sinon des esprits présomptueux, indo-
ciles, entêtés, qui ne connaissent d'autres
lègles que les vues étroites d'une raisoi
bornée, et souvent les illusions d'un zèle
dépourvu de science et de sagesse?
Pour vivre en paix avec ses inférieurs,
il faut une charité industrieuse et compa-
tissante; je dis industrieuse, (jui fasse plu-
tôt aimer que craindre l'autorité, qui pré-
vienne et aplanisse les obstacles à l'obéis-
sance, qui ait l'art de persuader avant de
commander, qui évite de prendre ce lan-
gage fernje et déterminé que l'obstination
rend quelquefois nécessaire, mais ce ton
d'autorité et de domination qui semble
vouloir forcer les volontés et qui n'obtient
qu'une soumission d'esclave, et jamais cet
assentiment de cœur qui fait la joie de celui
qui obéit et la consolation de celui qui
commande. Je dis une charité comfiatissante
qui n'ordonne jamais rien d'impossible, ni
même de trop pénible, qui ne raé|H-ise ja-
mais le pauvre ni l'ignorant, qui ait égard
aux circonstances, aux défauts, aux infir-
mités, aux besoins personnels des subal-
ternes, qui les soulage, les console , les en-
courage, et leur allège le poids de la sou-
mission en allégeant celui de leurs faibles-
ses.
Or, une telle charité est-elle compatible
avec les brusqueries de l'orgueil et le ton
impérieux de l'obstination? Si l'autorité
d'un pasteur est souvent méconnue de ses
ouailles, surtout des gens constitués en di-
gnité; s'il éprouve des contradictions et des
785
RETRAITE.
INSTRUCT
obstacles à son zèle, même de la part des
amis de la religion ; s'il trouve de l<i résis-
tance jusque dans les personuos attachées à
son service, n'est-ce pas lrè>-souvLM\l parce
qu'il n'y a pdinl dans sa manière de gou-
verner et d'agir celle sagesse, celle pré-
voyance, cette modéralion, ce Ion de bonté
et (le douceur que rhumililé seule peut don-
ner ?
Pour vivre en paix avec nos é.^aux et en
général avec qui' cpie ce soit, il faut nous
pardonner, nous excuser, nous sui)|)0iter
miiiueliemenl dans nos faiblesses et nos
défauls; il faut ménager avec soin les ca-
railères diflîciks, êlre modéré dans les
corruclions et les avis, lem[)éri'r l'ardeur
d'un zèle trop vif et le renlermer dans les
limitas de noire ministère, ne jamais em-
piélLT sur les (iréiogatives des autres; il
faut savoir dissimuler, ignorer, se taire.
Or, (ù trouver le secret de ces ménagements,
la patience el la sagesse de ce silence , si-
non dans le sein de l'iiumilité ? Et d'où vien-
nent la plupart des querelles el des discus-
sions, sinon de celle misérable vanité , si
susceptible, si indiscrète , si pélulente , si
ta, ricieuse '?
Pour vivre en paix avec les hommes il
faut rendre à chacun ce qui lui est dû; om-
nibus débita; cui honorem , hcnorem ; cui
timorein , limorein {Rom., \lll , 1.) Il faut
que les jeunes lévites respectent les lumiè-
res et re\périence de leurs devanciers,
qu'ils les consullenl, qu'ils les écoulent ,
et que les anciens compatissent h rinex[)é-
r ence des jeunes ; qu'ils les avertissent
avec bonté, (pi'ils les instruisent avec pa-
tience. Or, Messieurs, l'humililé seule est
capable de ce respect, de celle docilité dans
les uns et dans les autres, de celle indul-
gence douce et alfeclueuse et de celle réci-
procité de bons sentiments : l'orgueil parle
haut , fron le, s'irrite el irrite les autres.
Pour vivre en paix avec les hommes, il
liiut que la médiocrité des talents applau-
disse sans adulation, et suitoul sans envie,
aux succès de la supériorité ; que celle-ci
encourage sans aucun senlimenl d'orgueil
et de sufïïian'ie les efforts de celle-là; et
l'humilité seule peut inspirer cette justice
et celle sagesse. Toujours lier, toujours
plein de lui-même, l'orgueil envie et dé-
crie un mérite qu'il ne peut égaler, dédai-
gne el décourage un mérite qu'il croit au-
dessous du sien : de là ces rancunes et ces
divisioiis souvenl scandaleuses qu'un mon-
de malin aperroil avecjoie môme dans les
ministres d'un Dieu de paix.
Qu' lie esl l'origine (tes schismes el des
hérésies, Ue ces grandes discoïdes et de
ces opinions singulières réprouvées des
gens sages et modérés, si ce n'est l'orgueil
el la [Tésomplion? On veut se distinguer
des autres, et iouvent cet esprit de singu-
larité el d'amour de la nouveauté conduit
jusqu'à préférer ses lumières à celles même
<le l'Kgiise, et jusquà oublier qu'écouter
l'Eglise, c'esl écouter Dieu lui-même. Qui
t)'c'i»pose à la conversion des hérétiques, cl
. Xni, SUR L'HUMILITE. 7cJ3
en général de tous les pécheurs? l'orgueil,
la présomption : on a honto de s'avouer cou-
pable, on rougit de rétracter ses erreurs
et de réfiaror ses scandales. Quelle est la
cause qui désunit quelquefois les sociétés
les plus saintes et les plus utiles, et arrôlo
le bien qu'elles avaient commencé ? l'or-
gueil et la présomption. On se porle mu-
tuellement envie , on veul s'élever les uns
au-dessus des autres, et l'on s'entraîne
dans une chule commune. Si les [iremiers
chrétiens ne faisaient lous qu'un cœur et
qu'une âme, s'ils n'avaient tous qu'un vœu
unanime, celui de la gloire de Dieu, vers
laquelle ils dirigeaient de concert leurs
communs efforts, n'est-ce pas parce que
riiunnlilé plaçait chacun d'eux au-dessous
de tous les aiiires, el que tous observaient
ponctuellement l'avis de rAi)ôirc? Honore
incivem prœvenientes? {Rom., Xll, 10, )
L'orgueil veut toujours dominer, et il
est impossible que plusieurs occupent à la
fois le premier rang; l'orgueil veul toujours
avoir raison, et il est impossible que la vé-
rité se trouve à la fois dans des opinions
opposées: et de là ces disputes, ces conles-
lalions violentes qui changent quelquefois
en champ do bataille môme les réunions do
l'amitié. Où trouver donc celte paix si dé-
sirable et si rare parnii les liomujcs, sinon
dans l'humilité, qui ne s'emporte jamais,
qui est toujours calme, el ne déreml jamais
ses opinions avec aigreur et obstination ;
qui ne sait parler (lu'avec mesure et modé-
ration, qui préfère un silence modeste à
une discussion conlenlieuse, qui ne con-
tredit jamais sans nécessité, et surtout ja-
mais avec amertume; qui res[)ecle 1 auto-
rité des sages, et se rend à la vérité aussi-
tôt qu'elle l'a.oerçoit; qui déleste l'agilalion
et le tumulte, et cède volontiers la place
qu'on lui dispute, lors môme qu'elle lui
appartient, pour aller prendre la dernière,
qu'on ne dispute jamais à personne, à moin?
d'inie lutte paisible d'humililé.
Vous convienilroz. Messieurs, que quanil
on a l'eslime des hommes, on doit néces-
sairement être en paix avec eux. Or, qui
peut procurer cette estime el cet amour,
sinon l'humilité? Quel est le lieu de l'uni-
veis où l'orgueil ne soit méprisé, haï, dé-
testé? Odibilis coram Dco et liominibus su-
perbia. {Eccli., X, 7.) Quel est, au contrai-
re, celui qui n'aime l'numililé , du moins
dans les autres ? qui |)eut supporter un
homme vain et présomptueux , (]ui ose so
lier avec lui, qui ne tremble à son appro-
che, qui ne redoute cet air de sullisance,
ce langage fier el tranchant qui semble dé-
verser le mépris sur tout ce qui l'entoure?
Sa seule apparition dans une société y fait
naître le silence et la froideur: à l'instant
môme plus do coiumuiiicalions amicales,
[dus de ces épanchements de confiance ((ui
réjouissent le cœur, el souvent éclairent l'es-
prit; dans la crainte de s'attirer de super-
bes dédains, on se regarde el l'on se lail,
ou l'on ne se [jarle ([u'avec circonspeclion;
et bientôt chacun se relire.
m
ORATEURS SACRES. MADREL.
788
Mais, au contraire, qui n'accueille avec
joie un homme simple et modeste qui se
présente avec respect et avec candeur, qui
porte empreinte sur son front la sérénité de
son limo, dont 1rs regards répandent l'araiiié
et i'iiliirent, dont les paroles se font remar-
quer par un caraclère de douceur et de sa-
gesse, dont l'altitude et le maintien annon-
cent qu'il se croit le dernier de tous ? Cha-
cun l'élève dans son cœur en proportion de
ce qu'd s'abaisse, chacun voudrait l'avoir
}'Our ami et pour confident, chacun se sent
porté à le consulter, à l'écouler, à le défen-
dre s'il pouvait avoir des ennemis.
Ce sont des prêtres, des pasteurs de ce
genre qui font les délices des paroisses et
qui les sanctifient, qui attirent le respect
et la confiance même des ennemis de la re-
ligion, qui plaisent, qui intéressent, qu'on
aime à entendre en chaire et à voira l'autel,
à qui l'on ne craint pas d'aller ouvrir son
cœur au saint tribunal, qui terminent les
dilTérends, éteignent les haines, ramènent la
paix dans les familles, et dont le souvenir
aj)rès leur mort est longtemps en vénéra-
tion. Oh! heureux les supérieurs lorsqu'ils
ont à employer de jeunes lévites doués de
ces qualités précieuses ! ils sont bien sûrs
d'être obéis. L'humilité n'attend pas qu'on
lui commande ; le désir de l'autorité lui
suffit, et il n'est pas même toujours néces-
.saire qu'il soit exprimé : l'humilité le pré-
vient, elle s'offre avec respect, elle part
avec une joie et un courage qui présagent
le succès, et va répandre la paix et la con-
.solation qu'elle porte dans son cœur : car le
l'rêtre qui a l'humilité en partage vit en
paix, non-seulement avec ses frères, mais
encore avec lui-même et avec Dieu : de là
les autres avantages de l'humilité, dont il
me reste à parler.
SECONDE PARTIE.
Vous le savez, Messieurs, le grand avan-
tage promis par Jésus-Christ à l'humilité
et à la douceur, sa compagne fidèle, c'est
la paix et la iranquijité du cœur : Discile a
me quia milis sum et humilis cord^, et inve-
nietis requiem animabus vestris. [Matlk., XI,
29.) Ce repos de l'âme, ce calme précieux
qui fait l'essence du bonheur, et sans leijuel
les autres consolations ne sont qu'amertu-
me, c'est l'humilité seule qui le donne :
l'orgueil ne le connut jamais. En effet,
supposons un prêtre qui s'est appliqué long-
temps à connaître ses défauts et son néant,
qui est convaincu de la faiblesse de ses lu-
mières et de la médiocrité de ses talents, con-
tent cependant des dons qu'il a reçus de
Dieu, «lu i)Oste oii l'ont placé ses supérieurs
et du rang qu'il occupe dans l'estime des
hommes ; un [irêtre qui voit, je ne dis pas
sans envie, mais avec joie, dans certains
de ses confrères, une plus grande mesure
d'instruction, de confiance, de zèle et de
succès; un prêtre qui ne désire autre chose
sur la terre que d'être fidèle à sa vocation
et d'accomplir suivant ses moyens la volon-
té de ce Dieu suprême qui l'a honoré du sa-
cerdoce ; qui ne craint autre chose que le
péché et les dangers de son ministère, et
qui, du reste, est plein de confiance en la
bonté de celui qui l'y a appelé, sachant
que ce Dieu juste n'exige de chacun que ce
qu'il peut, qu'il ne commande pas les suc-
cès, mais les efforts pour les obtenir ; et
qu'il a plus d'égards aux désirs du cœur
qu'aux travaux du corps, à la pureté d'in-
tention qu'à l'dgitation et à l'éclat du zèle ;
je vous le demande, Messieurs, oii sera la
paix, si elle n'est pas dans le cœur de ce
prêtre ?
Qu'est-ce donc qui pourrait le troubler ?
l'anibition, la cupidité? 11 n'en a d'autre
que de procurer le salut des âmes, et il at-
tend le pain quotidien du Maître généreux
pour lequel il travaille. L'indifférence, les
mépris des hommes ? il s'en croit digne ; et
d'ailleurs leur estime et leur attention le
touchent si peu I les regards de Dieu lui
sutfisent. Les calomnies, les persécutions ?
il sait qu'elles furent dans tous les temps
l'honorable partage du vrai zèle ; l'indoci-
lité deson peuple, la résistancedesméchants?
il n'ignore pas qu'on a résisté même aux
Apôtres, même à Jésus-Christ, lequel a dai-
gné nous consoler d'avance de la stérilité
de nos efforts, en ne faisant lui-môme dans
sa vie que peu de conversions.
Malgré les obstacles qu'on oppose partout
au [xogrès de l'Évangile, considérons quel-
les sont les paroisses les moins déréglées ,
oii il y a une réunion plus nombreuse d'â-
mes pieuses et de vrais chrétiens? ne sont-
ce p>as celles qui ont pour pasteur un prêtre
reraj)li de l'esprit d'humilité, et animé par
le seul désir de plaire 5 Dieu et par la seule
crainie de lui dé()laire ? Ali 1 Messieurs, s'il
nous était donné de contempler à découvert
l'intérieur de ce prêtre, nous verrions que
les contradictions qui éprouvent son zèle
sont bien loin de lui ôter cette paix inefîable-
qu'il trouve au fond de sa conscience et dans
la certitude des ()romesses divines.
Mais, au contraire, qui pourrait peindre
les troubles et les déjjits d'un prêtre vain,
tyrannisé par son amour-propre, dominé
sans cesse par le désir elfréné d'une gloire,
d'une réputation qu'il ne peut obtenir, que
Dieu ne veut pas qu'il obtienne, et tour-
menté par la crainte de perdre celle qu'il
possède ? Hélas ! il faut souvent si peu de
chose pour le troubler : une critique, une
observation sur quelqu'une de ses instruc-
tions, l'absence d'une personne distinguée
dont il se flattait d'être écouté avec intérêt,
un manque d'égards et de prévenance, une
raillerie, une parole irréfléchie, une visite
omise, une lettre restée sans réponse. On
n'examine pas si les manquements dont on
est l'objet sont vrais ou imaginaires ; s'ils sont
venus de la volonté ou d'un oubli non cou-
pable, s'ils n'ont pas été peut-être nécessi-
tés par certaines circonstances. Pardonnez
à la familiarité de ces détails, mais le péché
d'orgueil a cela de particulier qu'il n'est pas
d'action dans la vie, pour si indifférente
qu'elle paraisse, oiî ce vite ne puisse se
789
RETRAITE. — INSTRUCT. XUI, SUR LHI.MILITE.
790
retrouver. Ingénieux à se tourmenter, l'a-
luour-propre ne voit que malice et mépris
dans ces divers procédés, et se fait un suj)-
plice de ce qui n'est souvent qu'une clii-
luère.
Mais ce qui (rouble surtout un prôlre
vain et ambitieux , ce qui l'agile jour el
nuit, ce qui le rend sombre, chagrin, quel-
quefois violent et emporté, c'est la peine
seorèie de se voir surpassé par un autre
prêtre. Le mérite d'aulrui est pour lui un
supplice; il ne pardonne pas des succès
qui éclipsent les siens ; l'intérêt distingué
qu'on témoigne à quelqu'un de ses con-
frères le blesse et l'irrite; il s'elîorce de
n'y voir qu'une illusion grossière ou une
injustice manifeste, parce qu'il y trouve un
reproche secret de sa médiocrité. Quel
tourment pour la vanité d'un prédicateur,
d'un confesseur, d'un pasteur que le monde
semblera négliger; tandis qu'un confrère
sera *considéré, justement loué et respecté
de tous 1 Fili'i hominum, ul quid diligitis
vaniCalem, et quœrilis mendaciutn. {Psal. IX,
3.) Voilà ce que celte détestable passion de
l'ofjiueil a de spécial et de déflorable pour
les prêtres dépourvus de lou!e humilité.
Laissons, vénérables confrères, à Dieu le
soin de noire réputation ; elle sera bien
mieux dans ses mains que dans les nôtres,":
il connaît bien mieux que nous celle qu'il
nous faut, et il ne manquera pas de nous
la doiuier. ChiTchons-le lui-même, nechi.r-
chofjs que lui, nous le trouverons, et lotre
cœur sera content. N'ayons en vue que sa
gloire, el cette gloire, où que nous l'aper-
cevions, quel qu'en soit l'instrument, sera
toujours ()our nous un sujet de joie : alors
nous nous réjouirons avec Moïse el avec
saint Paul qu'il y ail d autres prophètes et
d'autres apôlres, et même que Dieu, s'il le
juge conveuabli', donne à leurs travaux des
bénédiclioris qu'il refuse aux nôtres ! L'au-
teur de tout bien est le maître de ses dons,
pouvons-nous trouver mauvais qu'il les
répande plusabondamraentsurd'aulres que
sur nous ? C'est, Messieurs, dans celle sou-
mission parfaite, fruit précieux de l'humi-
lité, dans cet abandon total à la sagesse et
à la bonté de la Providence, que nous
trouverons la véritable paix.
Certes, qui que nous soyons, nous devons
tous convenir que nous ne sommes que des
serviteurs inutiles dont Dieu n'a nul be-
soin, servi inutiles sumus [Luc, XVII, 10);
el plaise au ciel que nous puissions ajou-
ter : Quod debuimus facere fecimus ! {Ibid.)
Or, pourvu que je fasse tout ce que Dieu
me communae, que ce soil peu ou beau-
coup, quelle raison pourrai-je avoir de me
troubler ? (juare trislis es, anima mea {Psal.
XLI, 6.) Ne puis-je pas mériter la même
récompense, et même une plus grande, que
ceux qui feront davantage, et qui peul-êlre,
malgré cela, ne feront pas tout ce qu'ils
doivent, ou dont les moiifs ne seront pas
assez purs ?
(^ar, mes chers confrères, vous le savez et
vou^le prècUez,.la mesure, comme lu iiource
du vrai mérite, n'est pas dans les œuvres
extérieures; elle est dans le cœur, dans le
degré d'amour et de zèle qui nous porto
vers Dieu ; c'est le motif [dus ou moins
saint, plus ou moins pur, qui différencie le
mérite do nos travaux. Que cette vérjlf,
IMessiours, est consolante ! quelle est pro-
pre à tranquilliser ! Quel que soit le succès
de nos fatigues, fussent-elles entièrement
stériles, que nous importe pourvu que no-
tre zèle soit pur, dégagé de tout amour-
pro|)re ? Nous pouvons être plus grands
dans le royaume de Dieu que ceux qui con-
vertiront les diocèses et les royaumes.
D'après ces principes, que faut-il penser
de ceux qui, tourmentés du désir de la cé-
lébrité, ne manquent pas de ciler le mot de
l'Espril-Sainl : Curam habe de bono nomme,
et de chercher dans ses |iaroles une inutile
juslification ? Ce qu'il faul en penser ? c'est
qu'ils confondent une bonne ré[)ulaiioii
avec une réputation célèbre. On jouit
d'une bonne réputation quand on est irré-
prochable dans ses mœurs el fidèle à ses
devoirs, et surtout qu'on est humble et mo-
deste. Il esl impossible qu'un tel mérite ne
soit généralement estimé. Je conviens qu'un
prôlre, pour être utile, a besoin de ce genre
d'estime ; mais aussi quel est le prêtre qui
ne puisse l'obtenir ? Les réputations célè-
bres, brillantes, sont bien plus à craindre
qu'à désirer : très-souvent, par l'abus qu'on
en fait, ellesdeviennent un lléau pour l'E-
glise, el toujours elles sont un danger pour
ceux qui les possèdent,
ï Pour guérir le désordre de notre ambi-
tion, ayons sans cesse [)résent ce passage si
grave et si lumineux : Domine, Domine,
nonne in nomine luo prophetavimus, et dœmo-
niu ejccimus? et vir tûtes multas fecimus? et
tum confitebor illis quia nunquam novi vos,
discedile a me qui operamini iniquitatem,
(Matth.,\ll,2'2,23.) Non, mes chers con-
frères, les œuvres en apparence les plus sain-
tes et les plus utiles, les prédications les
plus efficaces, les conversions les plus éclii-
tanles, les miracles môme, si la vanité en
a été le principe el le motif, loin de mériter
aucune récompense, ne sont propres qu'à
provoquer les vengeances du souverain
Juge : Nunquam novi vos ; discedite a me qui
operamini iniquitatem. (Ibid.)
L'homme arrogant excite la colère du Sei-
gneur, dit le Sage, et son inaction même
n'est pas exemple dépêché, parce que la
liaute opinion qu'il a toujours de lui-même
est une source intarissable de péché : Abo-
minât io Domini est omnis arrogans. (Prov.,
XVI, 5.) Donc le prôlre qui n est pas pro-
fondément humble ne vil pas en paix avec
Dieu; et c'est avec raison que j'ai avancé
que l'humililé seule peut nous procurer la
paix, non-seulemenl avec le prochain et
avec nous-mêmes, mais encore avec le Sei-
gneur. Comment vivre en [laix avec quel-
qu'un quand on cherche à lui ravir ce qu'il
a de |)lus cher? Or, Messieurs, ce qui est le
plus cher à Dieu, maître absolu de toutes
choses; ce qu'il s'esl expressément réserve,
731
qu'il a d(5clar(5 solennellement ne vouloir
céder è personne : Gloriam meam allerinon
dabo {Isa., LXVIII, 11), c'est précisément
celle gloire que l'orgueilleux veut usurper.
Il s'éiablit donc une guerre entre Dieu et
l'orgueilleux : qui doit l'emi orîer d;ins une
Julie si inégale, du Créateur ou de la créa-
tare?
Les disciples de Jésus-Christ vinrent lui
raconter avec joie les prodiges qu'ils fai-
saient en son nom. Ecoulons ce que leur
dit leur divin Maître pour les prémunir
contre l'orgueil : Je voyais Salan tomber
du haut des deux comme la foudre ; « Vide-
hamSatanam, sicut fulgur de ccelo cadentem. »
{Luc, X, 18). O Lucifer ! s'écriait Isaïo,
comment as-lu fuit une chule si honteuse I
Quomodo cecidisli de cœlo, Lucifer? {Isa.,
XIV, 12)? Toi qui disais dans Ion cœur :
je ni'élèvf-rai au-dessus des nuages, je mon-
terai au plus haut des cieux, j'iii fait placer
mon trône au-dessus du Irôno de Dieu
tnême?... Et te voilà dans la profondeur du
plus noir des abîmes : Ad infernum delra-
heris in profundum laci. {Ibid., 15.)
Si ce premier des orgueilleux a é/4 puni
d'uncj manière si terrible, à quoi doivent
s'attendre ceux qui l'imilont? Les orgueil-
leux attaquent Dieu à main armée, et Dieu
leur résiste et les poursuit à son tour ;
Deus superbisresistit. (1 Petr., V, 5.) Quels
moyens eraploie-t-il pour les humilier et les
confondre ? souvent les mômes qu'ils avaient
employés pour s'élever. Ils échouent dans
leurs entreprises, et n'en retirent que de
la confusion ; tandis que toutes ses grâces,
toutes ses faveurs, toute la force de sa pro-
tection, tous les témoignages de son amour
sont pour les humbles : Humilibus autem
dut gratiam. {Ibid.) Sur qui jetterai-je des
regards de miséricorde, s'écrie-t-il par son
profihète, sinon sur celte âme simple et ti-
morée, sur ce pauvre prêlre pénétré de
com|)onclion à la vue de ses fautes, et tout
|tremblantau souvenir de mes jugements?
Ad quem respiciam, nisi ad pauperculum, et
conlritum spiritu et tremenlem sermones
mecs. {Isa., LXVJ, 2.)
L'orgueilleux Pharisien, avec la fierté de
son altitude, larrogance de ses regards et
l'étalage fastueux de ses bonnes œuvres,
n'obtient rien du Seigneur, qui n'écuute
pas môme sa [)rière, dédaigne et condamne
sa vanité : car ses |)aroles, dit saint Augus-
tin, étaient bien loin dôtre une prière.
Mais, au contraire, que n'oblient pas cet
iiumble i)ublicain proslernéau bas du lem-
jile, tout confus au souvenir de ses crimijs,
qui n'ose lever les yeux, et s'écrie en frap-
pant sa poiirine : Deus, propilius esto mi/ii
peccatori 1 {Luc, XVJll, 13.j Ati I il obtient
la plus grande des grâces, le pardon de ses
crJines et la paix avec Dieul
Tant il est vrai, remarque saint Chrysos-
tome, qu'un pécheur humble vaut mieux en
un sens aux yeux de Dieu qu'un juste or-
gueilleux. Oui, Messieurs , il y a plus à es-
pérer du salut de l'un que du salut de l'au-
tre. Le juste orgueilleux, juste vrai ou pré-
ORATEURS SACRES." MAUREL. ""2
lendu, qui, comme le |)harisien, méprise et
condamne les autres ; qui ne voit autour de
lui que des coupables et s'applaudit arro-
gamment do sa justice, et se dit h lui-mô-
me : Non snm sicut rœlerihominum{liid., i\),\
tombera luenlôt, s'il n'esl déjà tombé à son
insu, et se précipilera d'abîme en abîme.
Au conirairc, le pécheur humble, en s'a-
baissant comme le publicaiii aux pieds de
Dieu et des hommes, se relèvera de ses
chuics, et acquerra successivement de nou-
velles vertus.
Donc, Messieurs, la plus nécessaire de3
dispositions soit fiour prier avec succès
soit pour se présenter avec fruit au tribu-
nai de la pénitence, c'est l'huràililé. Nous
ne cessons de ra[ii)eler aux peuples ce pas-
sage du Prophète : Cor conlritum et humi-
lialiim, Deus, non despicies. {Psal. L, 19.)
Auriuns-nous le malheur d'oublier celtj
vérité pour nous-mêmes, et de nous pré-
senter à Dieu avec une présomplion pres-
que semblable à celle du pharisien? Ahl si
tels étaient nos sentiments, devrions-neus
être éionnés que Dieu frappât de malédic-
tion nos prières et notre ministère? Car
Dieu ne saurait bénir le ministère d'un prê-
lre orgueilleux.
Mais que de prodiges de grâce, de sancti-
fication elde salut, nese i)luît-ii pas à opé-
rer par le minisière d'un prêtre sincèrement
humble et modeste, qui se délie sans cesse
de lui-môme et ne compte que sur le secours
du Tout-Puissant 1 Aussi , quels furent les
hommes d'abord choisis pour la conversion
de l'univers? Infirma mundi, ignobiliamun-
di. (1 Cor.f 1, 28.) Mais comment ces apôtres
si limides , si vils aux yeux du monde,
ont-ils pu triompher de toute la puissance
(le Saïasi, adoré alors de lu terre entière?
Ahl c'est bien moins par leurs paroles que
par leur humilité, ils [)arureiil comme des
agneaux eu [)résence de loups furieux, de
ces savants su.uerbes, de ces pliilosoi)hes
hautains, de ces princes barbares, de ces
peuples soulevés, et toute celte fureur vint
tomber aux pieds de ces hommes simples et
m(jdestés.
Nous avons succédé au ministère des Apô-
tres ; mais, hélas 1 avons-nous succédé à
leur humilité? Aussi, quel est le succès de
nos travaux? Et quand môme notre vanité
pourrait opérer des jirodiges et convertir
une seconde fois tout l'univers , à quoi nous
servirait de sauver les autres si nous ve-
nions à nous perJie nuus-mêuies? Quid
prodest liomini. {Mallh., XVI, 26.)
Penuetlez-moi, Messieurs, de finir cet
entretien par une réllexion qui me frappe
vivement. Je suppose deux prêtres parais-
sant à la fois au tribunal de Dieu : l'un a
été humble et modesle , l'autre vain et [)ré-
somptueux. Le premier, né avec des talents
médiocres, ou môme au-dessous du médio-
cre , a fait beaucoup de bien; du moins il a
désiré en faiie ; mais Dieu seul a été témoin
de ce bien et de ce désir : les hommes qui
ne jugent que d'après les apparences, n'ont
vu dans ce ])ièlre qu'un peut esprit ou uu
7J3
esprit très-ordinaire, et ont fait peu d'atlen-
tion à lui. I.e socoini , né avec des (|ualités
brillantes et des lalents supérieurs, a jeté
un fïrand éclat : les_ liommes l'ont admiré,
nialheureuseinent il' s'est admiré lui-n)ôme
et a iiiécnniiu la source û'ofi venaient ses
talents, et ccdui qui réclamait la gloire de
ses suciès. l!s se présentent ensi'Uible aux
pieds du souverain Jujj,e ; doivent-ils s'at-
tendre l'un et l'auire à la même sentence?
Auront-ils l'un et l'autre le même soii !
Il me semble entendre une voix cjui ré-
l'ète à l'un d'entre eux les mômes paroles
qui ont été adressées à un autre coupable :
fili, recordarequia recepisli bona in vita tua.
{Luc.,Wl,'2'6) .Mon fiU-, souvenez-vous
que vous avez reçu votre récompense sur la
terre. Vous couriez après l'estime et les suf-
frages des hommes , et vous les avez eus;
vous étiez loué, reclierché , fêlé par les
gens du monde; vous faisiez l'ornement et
Tes délices ce leurs sociétés, vous étiez
i'àme de leurs jeux et de leurs plaisirs; ils
étaient tnstrs lorsque vous ne paraissiez
pas à leurs réunions.
Au contraire, ce pauvre prêlre, vous en
fûtes le témoin, n'a eu pendant sa vie que
dis humiliât ons, et Lazarus similiter mala.
{Ibid.) Il a vécu dans l'obscurité et l'oubli;,
presque personne ne sest aperçu de son
zèle; ses travaux n'ont eu aucun éclat.
Tandis que vous é.iez occupé à briller dans
le monde et à recueillir ses sulfrages,il
était, lui, occupé à l'insu des hommes à
prier, à étudier, à confesser, à catéchiser,
à soigner les malades , à visiter les |)risons,
les hôpitaux ; à préparer quelques instruc-
tions simples , qui n'étaient goûtées que
des gens du peuple, et qui n'obtenaient des
sages du monde, et souvent de vous-même,
que des railleries et des mépris. Ces mé-
pris il lésa supportés dans le silence; il
ne cherchait qu'à me plaire; jetais sans
cesse dans son cœur, et sans cesse loin du
vôtre : puis-je vous traiter tous deux de la
même manière? Vous avez suivi deux rou-
les si opposées ; devez-vous arriver au même
terme?....
Prêtre modeste 1 il est temps enfin que
vous soyez dédommagé; sortez de votro
obscurité, et montez au séjour de ma gloire,
intrain yaudium Dumini lui.. [Malth., XX v'
21). Unicuique secundum opéra ejus. . . {Matlh!
XVI, 27.) Quarite Dominum, dum invenirl
potcsl... '^Isa., LV, 6) et in simplicitule cor-
dis quœnle tllum. (Sup., I, 1.]
INSTRUCTION XIV.
SUR LE ZÈLE.
Ignam veni miUi-re in lerram, el quid volo nisi ut 'ir
C.'Jldatur. (Luc, XII, 49.) "lu msi ui ac-
Messieur«,
Quel est ce feu mystérieux que Jésus-
tbrist a apporté des demeures éternelles
et dont ]l tlésireavec tant d'ardeur nue la
terre soit embrasée ? Il a lé^ondu lui-même
a cette question : Dillrjes Uominum Deum
tnum ex tolo corde tiio, et proximum luum
*^cul leipsuin. (Malth., XXil, 37.jOui, mes
RETRAITE. — LNSTRLCT. \IV, SUR LE ZELE. 791
chers confrères, le feu de l'amour divin
qui consume dans le cœur de l'homme tou-
tes les cupidités, toutes les craintes terres-
tres, qui le purifie, y fait naître le plus ar-
dent désir do la gloire de Dieu et des
richesses impérissables de son royaume;
le feu de la charité fraternelle qui s'épuise
de soins el de fatigues, pour [irocurer h nos
semblables le véritable bonheur, je veux
dire leur sanctitication et leur salut; le
voilà, ce feu précieux que Jésus-Christ
nous a apporté du haut des cioux, et dont
le foyer immortel se trouve dans le cœur
d'un Dieu dont la charité est l'essence,
Deus charitas est (I Joan., IV, 16); le voilà,
ce feu sacré (pie l'Esprit-Sainl, dans sa des-
cente miraculeuse, répandit par torrents
sur les apô'j'cs, et que ceux-ci allèrent en-
suite porter jusqu'aux extrémités do la
terre; le voilà, ce feu divin qui doit brûler
sans cesse dans le cœur d'un prêtre, et de
là se lépandre dans celui des fidèles; ou,
en d'autres termes, voilà lo zèle, ce désir
ardent, intrépide, infatigable, de procurer
la gloire de Dieu et le salut des âmes; c'est
là le grand et sublime sujet qui va nous oc-
cuper dans cet entretien, dont voici tout le
fiartage : Je considérerai le zèle sacerdotal
dan ses motifs, dans son objet et dans ses
principales fonelions.
O vous que rEciiture appelle un feu brû-
lant et un Dieu jaloux 1 vous qui nous ap-
prenez par votre Apôtre que le zèle d'un
prêlre doit co:nmenc(;r par lui-même : at-
tende tibi (I Tim., IV, 16), éteignez dans nos
cœurs le feu im|)ur des |)assions, (pii, hélas 1
sont si souvent un obstacle aux travaux et
aux succès do notre ministère, et allumez-
y pour l'y entretenir ce feu céleste qui re-
nouvela jadis la face de la terre et qui doit
être jusqu'à la fin des teujps la force, la lu-
mière el la consolation de votre Eglise.
PREMIÈRE PARTIE.
Prêcher, confesser, catéchiser, en un mot
remplir les fonctions sacerdotales dans la vue
de s'attirer l'estime et les sull'ragcs des
hommes, c'est vanité : les remplir, ces
fonctions saintes dans la vue d'obtenir des
places, des emplois distingués, c'est ambi-
tion ; les remplir dans la vue di; se faire
une fortune, de se procurer quelques avan-
tages en ce monde, c'est cupidité; les rem-
plir pour rendre gloire à Dieu et faciliter à
nos frères l'acquisilion de- son royaume,,
c'est charité. Si celte charité est vive, ar-
dente et courageuse, mais toujours avec
sagesse et modération , elle prend alors le
nom de zèle. Rendons ces idées sensibles
par un grand e.\emi)le.
Nous lisons dans les Actes des apôtres
que saint Paul, arrivé à Athènes, et voyant
cette grande cité plus malheureuse par ses
erreurs et sa corruption que célèbre par ses
talents liltéraires et les productions de son
génie, sentit ses entrailles déchirées do
douleur et son ûme tout entière agitée d'un
saint désir d'arracher ce peuple aveuglé
aux ténèbres de l'idolâtrie et à l'esclavagij
des passions : incitabaiur- Spiriius ejus { i
793
ORATEURS SACRES. MAUREL.
796
ipso, videns idololatriœ deditam civilatem.
(Ac<., XVII, 16.) Incitabalur ! Qnf^Ue force
dans celte expression 1 II me semble voir
le cœur de cet apôlre s'agiter tout entier,
et sa grande âme s'élever au dehors, coname
pour aller retirer tant de malheureux des
voies de la perdition. Voilà une étincelle
du véritable zèle; le voilà, ce feu de la
charité qui brûle de faire connaîire le vrai
Dieu et de sauver ses frères! Mêliez à la
place de saint Paul un prêtre vain et fii-
vole que la curiosité eût amené dans Athè-
nes : il se serait amusé à admirer les su-
perbes monuments de celte ville fameuse,
la magnificence de ses édifices, l'urbanité
et l'éloquence de ses habitants. Saint Paul
Tie fait attention à ces frivoles avantages
que pour en déplorer l'abus : son cœur se
porte de suite vers Dieu, inconnu dans
cette ville, et qu'il désire y annoncer; de
là ce sublime discours qu'il fit retentir
bientôt après, et avec tant de succès dans
l'aréopage.
Maintenant, mes chers confrères , des-
cendons au fond de notre cœur, et deman-
dons-nous ce que c'est qu'un prêtre qui
manque de zèle. Le môme esprit qui ani-
mait «aint Paul , et qui doit nous animer
aussi, nous répondra que c'est un prêtre
qui n'aime ni Dieu ni lo prochain, ou qui les
aime bien faiblement : car le zèle n'est au-
tre chose que l'ardeur, el, pour ainsi dire la
(kimme de ce dosilj'e amour.
Vcius le voyez donc. Messieurs, les rao-
liî's du zèle dans un piéire se confondent
dans l'amour de Dieu et du prochain. Je dis
d'abord l'amour de Dieu : en effet, con)ment
aimer Dieu et être insensible aux intérêts
de sa gloire, et voir avec indifférence son
nom blaspiiémé, sa loi violée par des im-
pics qu'on peut éclairer, par des ignorants
qu'on peut instruire, par des pécheurs qu on
peut convertir, par des ;1uios lâches et indo-
lentes (lu'on peut réveiller et encourager?
Le propre de l'amour, c'est 'de vouloir du
bien à l'objet aimé; et plus on l'aime, [)lus
on travaille à lui plaire et à procurer sa
gloire. Un bon ami prend à cœur les avan-
tages de son ami comme les siens [iropres.
Sensible à tout ce qui l'intéresse, il se ré-
jouit de sa prospérité^ s'aûllige de ses re-
vers, cherche à adoucir ses peines, le dé-
fend lorsqu'il est attaqué, vole à son se-
cours lorsqu'il le voit dans le besoin. Donc
si nous aimons véritablement Dieu, nwus
lui dirons avec un cœur enflanuué et tou-
ché : 5anc^»^ce<Mrno/?îen tuum; advenial re-
gnum tuum [Slallh. , VI, 9); et ces pieux
désirs, nous chercherons à les accomplir
par nos œuvres, à faire connaître le saint
nom de Dieu elà lui former des adorateurs
en esprit et en vérité; à j)ublier les douceurs
de sa loi, à lui ramener les cœurs qui l'ont
abandonné, à étendre le royaume de son
Fils et les conquêtes de son Evangile, à
multiplier les enfants de son Eglise et les
citoyens de la céleste Jérusalem.
Donc, si nous aimons véritablement Dieu,
nous gémirons à ses pieds des ravages de
l'irréligion, et de la corruption toujours
croissante des mœurs, et nous nous oppo-
seions, autant qu'il sera en nous, à ce tor-
rent d'impiétés et de désordres qui désole
son Eglise; nous n'épargnerons ni veilles,
ni éludes, ni travaux, ni courses , ni fati-
gues, pour dissiper, éclairer cette ignorance
si universelle , et cet aveuglement mons-
trueux qui couvre la face de la terre : pour
faire connaître combien le Dieu qui nous a
créés est bon et aimable, magnifique dans
ses dons, et fidèle en ses promesses, ri-
che en miséricorde et terrible dans sa jus-
lice. Nous instruirons, nous prêcherons,
nous avertirons, nous reprendrons, nous
exhorterons, et surtout nous conjurerons
le Père des miséricordes d'avoir pitié de soa
peuple, de parler à son cœur, de le toucher
de componction et de repentir.
Si nous ne faisons rien de tout cela, pou-
vons-nous dire que nous aimons véritable-
ment Dieu? l'amour peut-il rester oisif et
indifférent? sera-t-il, cet amour que l'E-
criture nous peint aussi fort que la mort,
tranquille spectateur des outrages qu'on
fait sans cesse à Dieu? et ne cherchera-
l-il point à venger les intérêts de sa gloire,
du moins par ses larmes et ses gémisse-
ments? Voyez Phinéès, témoin d'une im-
piété et d'un scandale révoltant, s'armer
d'une sainte indignation, et réprimer l'au-
dace du crime [lar une action vigoureuse
qui a mérité les éloges do l'Esprit-Saint ;
voyez Elie, laissé tout seul au milieu des
ennemis de son Dieu, ne point perdre cou-
rage, et, à force de prières et de gémisse-
menls, obtenir du ciel un miracle éclatant
qui rétablit la gloire du vrai Dieu, et con-
fond les faux prophètes; voyez Maihaihias,
désolé des ravages que cause dans la Judée
l'impie Antiochus, méditer en secret le pro-
jet d'une sainte défense, et [)uis aller crier,
au milieu de Jérusalem, que celui qui a
du zèle pour la loi de Dieu nie suive : Exeui
post me [1 Mac, II, 27) ; voyez Jean-Haptislo
tonner dans le désert contre les vices de
son siècle, et jusque dans son cachot, con-
damner avec une noble magnanimité les
scandales d'un roi adult'ire: Non licel libi
(Mnith.y XIV, k): mourir mariyr de sa fer-
meté, et redire en quelque soi te sa mort, au
milieu de la cour d'Hérode, oij sa tète san-
glante fut apportée : Non licet tibi.
Qu'opposera à ces grands exemples un
prêtre lâche et pusillanime, un pasteur fai-
ble et indolent, qui, dominé par des craintes
humaines, el enchaîné par une faiblesse
honteuse, n'ose ni entreprendre la correc-
tion des vices de son peuple, ni même les
condamner? 11 craint, dit-on, de faire dis
imprudences, des'altirerdes ennemis; mais
ignore-l-il que la prudence de la chair est
ennemie de Dieu, et que la vi'aie sagesse
ne fut jamais pusillanime? C'est cependant
un bon prêtre, ajoute-l-on. Hé Iqu'imjiorle
s'il manque d'énergie dans les circonstances
où il en faut? qu'osl-ce que la douceursans
fermeté, sinon une moilosse couitabloj une
indulgence homicide? N'oublions jarï^ais,.
79V
RETRAITE. — INSTRICT. \IV, SUR LE ZELE.
798
Messieurs, l'iîxrmple lerrible du grand pra-
ire Héli, puni de mort à cause de sa fai-
blesse; il faut sans doute de la douceur, de
1,1 modération dans le car.iclère el les ma-
nières, mais il faut aussi de la force et de
la vigueur dans l'exécution. Telle est, nous
l'avons déjà dit, la marche constante de la
Sagesse incréée : Atlingit a fine ad finemfor-
Hier, et disponit omnia suaviler. [Snp., VIII,
1.1 El()uanci même ce pasteur aurait d'ail-
leurs des mœurs régulières et édillanlos,
quand même il serait un homme de retraite
el d'oraison, croil-il que le bon exemple,
nécessaire sans doute, suflîra sans les œu-
vres d'un zèle aciif et laborieux; il est d'au-
tant plus repréhensible dans son indiffé-
rence, que la régularité de sa vie rendrait
son zèle plus efficace, et le glaive de la pa-
role plus redoutable -.Prœdica verbum, insta
opportune, importune, argue, obsecra, in-
crepn, in omui patientia et doclrina. (Il Tim.,
IV", 2.) Je ne connais pas de passage qui
définisse mieux le vrai zèle avec tous ses
caractères; l'Apôtre veut sans doute de la
modération, mais il veut aussi de l'ardeur,
de l'activité, une sainte énergie, et surtout
une inlaligablo persévérance; c'est à ces
niarques qu'un pasteur peut connaître s'il
aime véritablement Dieu, s'il est véritable-
ment l'homme de Dieu ou l'homme du
iBonde.
Aussi quand saint Pierre répondit à la
triple question de Jésus -Christ : Simon
Joannis, diligis me, par une triple ()rotesla-
lion d'amour, Domine, lu sois quia amo te,
<i quels signes cet aimable Sauveur lui fit-
il sentir qu'on connaîtrait la vérité de ses
sentiments? aux œuvres et aux travaux de
son zèle: Pasce agnos meos, pasce ovesmeas.
lJoan.,Wl, 16.) Non, mes chers confrè-
res , nous ne pouvons dire h Dieu que nous
l'aimons qu'autant que nous paissons avec
zèle le troupeau qu'il nous a confié, qu'au-
tant que nous donnons le lait d'une ins-
truction familière à ces pauvres enfants, à
ces tendres agneaux , si dignes de nos soins
et de noire antour , pasce agnos meos ; qu'au-
tant que nous distribuons le pain de la pa-
role et les sacrements aux personnes ))Ius
âgées qui ont besoin d'une nourriture plus
solide, pasce oves meas. Si des devoirs si
imporlaiiis ne trouvent en nous que froi-
deur, indifférence ou inexactitude; si notre
peuple, [)ar noire faute, est plongé dans
l'ignorance des vérités saintes ou dans le
mépris des préceptes de Dieu ;. si on peut
nous appliquer le reproche de l"Es(>rit-
Saint : Canes muti , non valcntes lalrare.
{Isa., LVl, 10.) C'est en vain que nous di-
sons.à Dieu que nous l'aimons, il rejette
nos protestations, et il nous montre notre
condamnation écrite dans ces paioles sa-
crées : Non diligamus verbo , sed opère et
veritate. (I Joan., 111, 18.)
Je ne dis rien du zèle de la maison de
Dieu, de la décence du culte, de la pro-
preté des ornements et des autels , de l'or-
dre et de la majesté des cérémonies, de la
gravité el du recuoilk'ment dans k'S lune-
lions saintes ; je me bornerai h vous dire :
malheur au prêtre qui n'éprouve pas le sen-
timent du Prophète : Zelus domus tnœ com-
cdit me. {Psal. LXVIII, 10.) On n'aime pas
Dieu , quand on n'aime pas sa maison.
Mais si le défaut de zèle ne peut se con-
cilier avec l'amour divin , le peut-il davan-
tage avec la charité fraternelle? non. Mes-
sieurs. Sans cesse nous prêchons aux sim-
ples fidèles que le premier devoir de cette
charité , c'est de désirer et de procurer, au-
tant qu'il est en nous , le salut du prochain ;
que c'est 15 une obligation que Dieu à im-
posée à lout homme, quel qu'il soit, et
dont personne, absolument personne, n'est
excepté : Mandavit unicuique de proximo
suo. (Eccli., XVII, 12.) El en effet, est-ce
aimer véritablement que de ne pas s'occu-
per du vrai bonheur de celui qti'on aime?
Or, esl-il pour l'honjme d'anli'e vrai bon-
heur que la possession éternelle de Dieu et
de son royaume, c'est-à-dire le salut?
Qu'est-ce tionc que celte indifférence pour
le salut d'aulrui, sinon un signe évident
qu'on ne l'aime pas, du moins de cet amour
surnaturel, prescrit |)ar la loi de Dieu, et
sans lequel on ne peut se sauver soi-même?
Car enfin le précepte évangélique est clair:
nous devons aimer le prochain comme nous-
mêmes, sicut te ipsum. [Malth., XXII , 37.)
Or, serait-ce nous aimer véiitableuieal nous-
mêmes (|ue de ne pas travailler à notre sa-
lul; que de borner nos soins aux jouis-
sances passagères de cette vie, sans songer
au bonheur de l'éternité, qui est le seul
véritable? Comment donc oserions-nous
dire que nous aimons le prochain , si son
salut nous était indifférent? Mais ce n'est
pas lout ; nous devons aimer le prochain ,
non-seulement comme nous-mêmes, mais
comme Jésus-Christ nous a aimés , sicut di-
lexi vos. {Joan., XIII , 34.) Or, tous les dé-
sirs, toutes les démarches, tous les travaux
de Jésus-Christ ont-ils eu d'autre objet que
notre salut? Pourquoi est-il descendu des
fcieux ? pourquoi a-t-il passé sa vie entière
dans les soulfrances? pourquoi esl-il mort
sur une croix? Propter nostram sattitem ,
disons-nous tous les jours au nom de l'É-
glise. Comment donc imiterons -nous, à
l'égard -le nos frères , l'amour de Jésus-
Christ pour nous, si nous ne les aidons de
toutes DOS forces à parvenir au salut , si
nous ne sommes disposés à sacrifier, s'il le
fallait, même notre vie pour leur procurer
le bonheur éternel , comme Jésus-Christ a
sacrifié la sienne pour nous [irocurer à nous-
mêmes ce bonheur. Nous voyons des hom-
mes apostoliques, marchant sur les traci s
de Jésus-Christ , exposer leur vie, pour al-
ler [)lanlerla foi dans des contrées infidèles,
qu'ils arrosent souvent de leur sang; tant
de pasteurs, lan-l de missionnaires, sans
quitter leur patrie , qui est , hélas 1 [)resque
aussi aveuglée et aussi corrompue que les
régions idolâtres , trouvent le moyen do
gagner, par leurs fatigues et leurs prédica-
tions, la palme du njartyre, mourant tous
les jours d'une mort lente, au milieu des
799
ORATEURS SACRES. MAUREL.
800
sollicitudes, des conlradiclions , des persé-
cutions , des angoisses continuelles du plus
pénible des ministères, et se faire un de-
voir glorieux d'ahré^er leur vie pour pro-
curer aux pi'clieurs la vie éternelle. Soin-
nies-nous de ce nombre, mes c'iers con-
frères? Examiiions-nous chacun sérieuse-
ment sur cet article, et voyons s'il y a en
nous ce vrai zèle, cette charité active, la-
borieuse, prêle à (ous les sacritices , SMns
]a(iuoll>' , dit l'Apùt e , tout le resie ne surait
rien : Si charitalem non habuero , nihil nd/ti
lirodest. (i Cor., XllI , 8.)
Si un laïque mmque do zèle pour le sa-
lut de ses tïèros, nous devons lui liire avec
l'Esprit-Saint quM raar;-lie dans les routes
ténébieusos do la perdition : Ambidat in
tcnebris{Psal. LXXXI, 51) ; qu'il est enve-
lojipé des ombres de la mort : Munct in
morte (I Jor/n., lil, 14.); qu'il est homicide
et de son âme qu'il perd et de l'âme de ses
frères qu'il pourrait sauver : Homicidu est.
[Ibid. , 15.)E[ nous, prêtres du Dieu vi-
vant et ambassadeurs de sa miséricorde
auprès des hommes ; nous ministres de
Jésus-Christ, dispensaleurs de ses grâces et
de son sang, vicaires de sa charilé et de
son /èle pour le salut des âmes : Vicarii
charitatis Chrisli; nous, qui n'avons été
élevés au sacerdoce que pour continuer
le ministère du Prêtre éternel, nous ver-
rions froidement nos fières s'aveugler,
s'égarer, courir à grands pas vers le gouf-
fre de l'enfer, sans leur tendre une main
secourable 1 Que dis-je? nous n'irions pas
au-devant d'eux pour les arrêter dans l'en-
traînemenl des fiassions, et pour les exhor-
ter, les presser avec tendresse d'avoir pitié
de leur âme : Miserere aniinœ tuœ! {liccii.,
XXX, 24.)
Personne d'entre nous n'ignore qu'à
revem|)lo du divin pasteur courant après
la brebis égarée, l'apôtre saint Jean courut
après un jeune homme, que son zèle avait
d abord gagné à Jésus-Christ, mais qui,
entraîné par des sociétés perverses et né-
gligé par l'iivèque, auquel on l'avait confié,
en était venu, à force de crimes, jusqu'à
53 faire chef de malfaiteurs. Je vois l'apô-
tre, malgré son grand âge, gravir celte
montagne affreuse (pii recelait l'objet de sa
charité; et sans craindre ni les senlinelles
qui veulent l'arrêter, ni tous bs périls at-
tachés à une entreprise en a[)parence si
téméraire, aller droit à ce chef si redouta-
ble, accoutumé au meurtre et à la cruauté,
mais qui ne peut résister à l'aspect du vé-
nérable vieillard, et changeant tout à coup
son audace en confusion, se met à [irendre
1.1 fuite. J'entends l'Apôtre de la charité lui
crier avec tendresse : « Mon lils, pour-
quoi fujez-vous ainsi votre père? c'est un
•vieillard sans armes dont vous n'avez rien
à craindre. Arrêtez, ô mon (ils! ayez (litié
de mes cheveux blancs, ne craignez pas,
vo're salut n'est pas désespéré; vous [lou-
yez vous repentir; je réjionJrai |iOur vous
à Jé.sus-Clirisl ; je suis prêt à donner ma vie
pour vous, comme Jésus-Christ a donné la
sienne pour tous les hommes. » Ce sont là
les expressions du vrai zèle et d'un zèle
qui eut dans cette circonstance, vous le
savez, un succès si consolant. Nous voyons
dans les ajiôtres, et dans tous les hommes
apostoliques qui leur ont succédé, une
charité vive, tendre, courageuse pour le
SHlut de leurs frères, et vous, mon cher
frère, vous demeureriez plongé dans la
langueur, dans l'indolence, dans une lâche
et criminelle apathie, pouvant suivre, au
moins de loin, ces sublimes modèles, et,
comme eux, arracher quelques âmes au
démon 1 n'eussiez-vous ' le bonheur que
d'en sauver une seule, qui vous bénirait et
bénirait Dieu pendant l'éternité, ne seriez-
vous pas assez dédommagé de vos peines,
surtout si c'était une de ces âmes dont la
chute dtit entraîner la perte de plusieurs
autres? Quels ravages ne causait pas ce
jpune homme converti par saint Jean! Et
que de crimes arrêtés par son retour à la
vertu! Hélas I Messieurs, vous le savez
mieux que moi, tel est l'empire du bon
exemple, qu'il ne faut quelquefois qu'une
seule conversion pour amener la conver-
sion de toute une paroisse, de toute une
contrée. Oui, le salut d'une seule âme en
sauve quelquefois une multitude d'autres
qui se seraient perdues par elle ou avec
elle. Si cette perle éiait l'ouvrage de no-
tre négligence, quel compte terrible ne
nous attendrait pas aux pieds du souve-
rain juge !
Hé quoi! nous dirait Jésus-Christ dans
son indignation, je vous avais chargé du
salut de celte âme, pour laquelle tout mon
sang avait coulé, et vous l'avez laissée pé-
rir I Et c'est votre indifférence, votre pa-
resse, voire lâcheté qui l'a précipitée dans
l'enfer! Ministre infidèle, que pouvez-vous
attendre de ma jusiice, sinon le môme
malheur que vous avez causé à cette âme
infortunée? Sanguinem ejus de manu tuare-
qnirain. {Ezech., III, 18.)
Mes chers confrères, je ne sais si je me
trora|)e,mais il me seml)le qu'un [irôtre qui
manque de zèle a perdu la foi; non, il ne
croit ni au paradis ni à l'enfer. Quoi, Mes-
sieurs, s'il survenait un incendie dans les
lieux voisins et qu'une personne ne pût
ôlre sauvée des llammes que par nos soins,
sur-le-chainp nous sortirions tous de celle
enceinte, et nous volerions au secours de
ce malheureux; un pécheur va tomber dans
les (lammes de l'enfer, nous le voyons sur
le penchant de cet abîme, et nous reste-
rons spectateurs tranquilles d'un malheur
(jui seul mérite le nom de malheur! Une
certaine démarche, une visite, un mot, un
avis amical sufliiaienl |»eul-être pour rame-
ner à Dieu cet infortuné; et celte visite, et
cel avis, (;i cette parole, et celle démarche,
nous ne les tenterons même pas sous pré-
texte (pie ce serait tro() pénible et peut-
être inutile! J'ai donc eu raison de dire,
mes chers confrères, et saint Augustin
l'avait dit avant moi, (]ue manipjcr de zôlo
c'est manquer d'amoar'i>our Dieu et pour
301
RETRAITE. — ;iNSTRUCl. XIV, SUR LE ZELE.
802
le prochain : Qui non zelat, tion anuit.
Vous venez de voir que les iiiolifsdii zèle,
si nécessaire à un prèlre, se [irennenl de l'a-
n;our de Dieu cl du prochain : précrpte sa-
cré pour tout ecclésiasliquc donl le snlut
est attaché à ct-lui de ses frères. Voyons
maintenant quel doit être l'objet de ce zèle,
ou, en d'autres termes, sur qui il doit plus
particulièrement s'exercer.
SECONDE PARTIE.
Appliquons-nous ces paroles do l'Apôlre,
vénérables confrères : Omnibus ovmia facttis
sum. {ICor., IX,. 22.) Le zèle n'est auln;
chose que la charité, et la charité embrasse
dans ses anleurs runiv('r>ali(édes hommes ;
Nec est qui se abscondat a colore ejus.
{PsaK XV 11 1,7).
Sans doute il est des personnes qui inlé-
n ssont d'avantage, pour lesquelles on se
sont plus d'inclination, h l'égard desquelles
notre zèle se trouve, pour ainsi dire, ré-
conipcn-é; mais il est dangereux quelqiie-
i'oisde suivre celle inclination toute humai-
ne, et il est rare que notre zèle soit efficace
auprès de ces personnes qu'on ne sois;no que
I)ai des vues d'intérêt ou de satisfaction:
on les convertit h soi bien plus qu'an Sei-.
gneur. L'acce[)tion des personnes est in-
connue de Dieu, et doit l'èlre de ses minis-
tres. Nous nous devons à tous, aux pauvres
comme aux riches, aux ignorants comme
aux savanis : Sapientibits et insipientibus
debilor sum. [Rom ^ I, 1^0 Jésus Christ, notre
divin modèle, a-t-il exclu personne de sa
charité, et tous les hommes ne sont-ils pas
appelés à larticiper du\ mérites de son
sang? Pro omnibus morluus est Cfirislus.
[Rom., V, 9.) Est-il un jiécheur sur la terre
dont il ne désire le salut? Vult Deus omnes
homines salves fieri. (I Tim., Il, k.)
Je n'ignore j^as qu'un pasteur se doit à
ses ouailles, non-seulement par charité,
mais [lar justice, et qu'ainsi il doit les pré-
férer aux étrangers; ceux-ci n'ont droit
qu'au superflu de son temps et de ses for-
ces ; et ce serait dans un pasteur un étrange
aveuglement de refuser à sa |)aroisse les
soins nécessaires pour consacrer son zèle
aux paroisses voisines, à moins que ses
supérieurs ne l'en eussent expressément
chargé. Mais combien d'occasions oii il peut
être utile aux étrangers, sans nuire à son
troupeau ?
Cependant c'est un principe incontesla-
b!e, qu'en fait tie zèle, comme en fait d'au-
mônes corjiorelles, les secours doivent êlre
proportionnés aux besoins, et qu'on doit
donner plus de teuq)S et [ilus de soins à
ceux qui ont un besoin plus grand et plus
pressant de notre minisière, et en particu-
lier, car il faut ici entrer dans quelques dé-
tail, aux ignorants, aux malades, aux enfants
et aux [lécheurs.
Je dis aux ignorants : Hœc est vita œterna
ut cofjnoscant le sçlum Dcum verum, et quem
misistt Jesum ('hrislum.[Joan., X\ II, 3.) Vous
le savez, mes cheis confrères, on ne peut
èire sauvé sans connaître Dieu et Jésus-
Christ s-in Fils, Il y a dans la religion cer-
taines vérités fondamcnlales dont l'ignoran-
ce, lill-clie d'ailleurs excusab'e dans ceux
qui en sont les victimes, les exclurait cepen-
(lanl du royaume des cicux. A Paspecl d'une
ignorance si funeste, et malhi'ureusement
si générale, notre cœur serait insensib'el
nous verrions des pjiuvres et dos riclu's, dcS'
personnes a(»parlenatit aux classes les |)lus
liumbles de la société, comme aux classes
les ()lus élevées, instruites peut-être- dos
choses de la terre, mais n'ayant qu'une idi'e
insuffisante des choses de Dieu, et nous lais-
serions échapper l'occasion de leur appren-
dre le chemin du ciel I La plus favorable de
ces occasions, vous le savez, Messieurs, c'est
le tribunal de la pénitence.
Oh ! que je plaindrais un pécheur igno-
rant qui tomberait entre les mains de quel-
qu'un de ces confesseurs sans zèle ou sans
science, (jui ne savent que précipiter les ab-
solutions, sans avoir examiné si les coupa-
bles son! suffisamment instruits, et peut-être,
hélas! pour s'épargner la peine de les ins-
truire! A quoi sert d'absoudre un pécheur
que son i;^norance rei d presque semblable
à un infidèle? une telle absolution est au
moins nulle pour ce'ui qui la reçoit; et pour
celui qui la donne, n'esi-elle pas criminelle
et sacrilège ?Heureux cet inforluné pécheur,
si Dieu le conduit à un prèlre zélé, qui non-
seulement l'instruira, mais l'aidera à répa-
rer les sacrilèges accumulés [leul-èlre pen-
dant longues années, soit par l'effet de son
ignorance, soit par l'indifîérence de ses con-
fesseurs!
Nous admirons le zèle de ces hommes de
Dieu qui vont porter aux extrémités du mon-
de la connaissance de Jésus-Christ, et nous
n'auions pas le courage de rendre le même
service du moins à nos proches et à nos
concilojcns! Nous avons vu l'heureux effet
qu'ont produit les instructions simples et
jxipulaires des missionnaires sur les habi-
tants des villes et des campagnes, et nous
n'aurions du goûl que pour ces discours
pompeux, presque toujours sans fruit, ou
qui ne peuvent êlre uliles qu'à ceux qui
connaissent déjà la religion, ou qui en ont
du moins des notions suffisantes, et le livre
qui contient les premiers éléments de celte
religion sainte, le catéchisme, est ignoré
aujourd'hui de la plupart des hommes,
môme do ceux qui se disent chrétiens et
nous vantent sans cesse les progrès des
lumières!
Me permelirez-vous, Messieurs, de vous
rappeler un irait (]ue vous avez lu dans
l'histoire du bienheureux François Xavier?
Savants théologiens, profonds eonlroversis-
tes, écrivail-il du fond des Indes; brillants
prédicateurs! ah! venez a| prendre à do
pauvres sauvages ({u'il y a en Dieti trois
l)ersonnes, et que Jésus -Christ est mort
pour leur salut. Mais que dis-je? une telle
ignorance ne se trouve-t-elle (ju'au delà des
mers? n'est-elle point partout, mais surtout
dans les personnes grossières (jui n'ont reçu
aucune éducation? Ooiumeni donc se peut-
803
ORATEURS SACRES. MAUREL.
60 1
il que certains prôlres témoignent tant de
répugnance pour le soin des hôpitaux, des
prisons, des paroisses de la campagne, sur-
tout de cellesqui s^nl situéesdansdes lieux
agrestes et isolés ? Eh quoi, grand Dieu 1 les
pauvres ha[)itants des hameaux sont-ils
donc moins précieux à vos yeux, moins for-
més à voire image, que les brillantes popu-
lations des villes et des cités? Et seraient-
elles indignes de nos talents, ces Ames sim-
ples et naïves que votre Fils n'a pas jugées
indignes de son snng? Messieurs, c'est une
chose lamenlabie que la difficulié qu'éi)rou-
vent (]uelquofois les premiers pasleurs'pour
faire desservir certaines | aroisses 1 Avant
d'obéir è la voix de l'Eglise, c'est-à-dire à
la voix de Dieu, Ion examine, ^n visite, on
pn.'nd des renseignements sur la nalure du
lieu où la Providence vous envoie, sur les
habitudes, sur le caractère, la générosité des
habilanls, sur les avantages qu'on peut en
attendre. Sonl-ce là les calculs el les spécu-
lations du véritable Zblel Charilas non quœ-
rit quœ sua sunt... Non est ambitiosa... Pa-
tUns est. (1 Cor., Xlll, 4, 5 ) Parce qu'une
paroisse exige de nous des travaux âs>-ilus,
difliciles et obscurs qui nous dégoûtent,
est-ce un tnolif de la rejeter? ne faut-il pas
que ce poste soit remi)li par quelqu'un?
Pourquoi ne serait-ce |)oint par vous, mon
cher confrère, que Dieu y appelle, qu'il juge
digne de soulTrirquelque chose pour la gloire
de son nom, par qui peut-être il veut 0()érer
des prodiges de grâce et de miséricorde? Et
si Dieu vous y apjielle, croyiiz-vous qu'd
vous y abandonne, même sous le rapport
des moyens temporels?
Mais ce sont des gens grossiers, rebu-
tants, intraitables. De qui sommes-nous
donc les ministres, sinon d'un Dieu com-
patissant qui a voulu se charger de nos
misères; d'un Dieu pauvre qui a aimé les
pauvres, qui les a a[)pclés les iiremiers à sa
crèche, qui s"estdit envoyé des cieux pour
évangéliser les pauvres, paiiperibus evangeli-
zare tnisit me (Luc, IV, 18); qui' aimait à
se voir suivi dans les bourgades et les dé-
serts do plusieurs milliers de pauvres ? Et,
Messieurs, de qui nous viennent donc les
plus douces consolât. otis de notre ministère ?
n'est-ce pas presque toujours de ces gens
simples el pauvres, ordniairemenl plus do-
ciles que les riches el les gens du monde?
J'ai dit encore que les malades étaient
l'objet spécial du zèle sacerdotal. Un prêtre
doit, en etfet, par ses secours, ses instruc-
tions et son dévouement, soulager les ma-
lades, leur alléger le fardeau des soulfi an-
ces, en leur ra[)()elant tout ce que la religion
leur oll're d'espoir et de consolation. Il so-
rait à plaindre, ce piètre, ce pasteur négli-
gent qui, par son indolence et sa lenteur,
ou par une absence imprudente, laisserait
mourir un malade sans les secours de la
religion. Celle âme, [leut-ôlre condamnée
au tribunal de Dieu par la faute du prêtre,
viendrait sans cesse, !e jour el la nuit, se
présenter à son souvenir et l'accabler de
reproches d'autant plus aifreux, qu'ils se-
raient, hélas! plus mérités. Cette image
terrible ferait le lourraent du reste de ses
jours ; elle le suivra jusqu'au fond du tom-
beau, jusqu'aux [ieds de son souverain
juge, Mais, au contraire, quel'e consolation
n'eproiive pas un prêtre actif, assidu, labo-
rieux, que ni la privation du sommeil, ni
la craiiue des dangers de la nuit, de la ri-
gueur dos saisons, de la contagion d'uno
épidémie, n'arrêtèrent jamais dans les soins
qu'il devait aux malades, et qui peut dire
avec vérité qu'aucun ne s'est soustrait à sa
vigilance ; qu'il les a tous visités, instruits,
consolés, encouragés aussi souvent qu'il le
fallait. Je n'ignore pas, vénérables confrè-
res, (]ue notre ministère auprès des mou-
rants est quelquefois bien [)énible. Que de
ditficultés, par exemple, pour pénétrer jus-
(ju'à la demeure d'un impie, qui, toute la
vie, a blasphémé la religion, haï el méprisé
ses ministres, et qui les abhorre jusque
dans son lit de mort I que d'obstacles à la
conversion de cette âme si profondément
endurcie! Alil c'est dans les occasions dif-
ticiles que l'on connaît si un pasteur a du
zèle. -Mais nos soins auprès de ce grand
coupable, vieilli dans le crime, seront vrai-
seml)lablemcnl inutiles! Qu'en savons-nous?
Est-il plus coupable que le larron converti
sur la croix? et le bras de Dieu est-il rac-
courci? D'ailleurs ce n'est pas sa conver-
sion que Dieu nous demande; ce sont nos
elforts pour le convertir. P'aisons tout ce
qu'un zèle bien entendu nous suggère :
SI ce malheureux pécheur jiersiste jusqu'à
la lin dans le refus des sacrements, que du
moins il ne puisse nous imputer sa perte
éternelle; et n'oublions [las que le zèle
môme infructueux ne [)erd pas sa récom-
pense, dit saint Bernard : Curam exegeris,
non curalionem.
Ces cas extraordinaires sont rares, le
ministère d'un bon prêtre est toujours
iiécessaire au luomenl de la mort. Daiis
l'état de santé on nié()rise souvent nos
conseils, plus souvent on résisle à nos
avis, et plus souvent encore le bon elfet
n'en est que passager ; mais au moment
de, la mort, au moment où toutes les il-
lusions cessent, où la voix des passions
est enfin forcée de se taire, on nous écouto
avec plus de fruil, el la persévérance peut
être plus facile! Ah 1 faisons alors pour nos
frères tout ce que nous voudrions qu'on fit
pour nous en pareille circonstance. Je le
sais, les conversions diiférées jusqu'à la
mort sont, hélas 1 très-incertaines, et peut-
être très-rares ; mais n'est-ce pas, du nio ns
en partie, par un manque de zèle, ue cou-
rage et de contiance de la part des prêtres ?
Que chacun s'interroge ici et qu'il voie s'il
n'aurait pas péché : c'est une de ces obliga-
tions sur lesquelles nuus sommes poités
à nous faire illusion. Il faut sans doute faire
la part des circonstances, et ne rien négli-
ger de ce que commande la [)rudence hu-
maine; mais aussi il fau.t se rappeler que
notre devoir le plus sacré est de gagner des
Autes à Dieu.
sou
RETRAITE. — INSTKUCT. XIY, SUR LE ZELE.
808
J'ai dil aussi qti'un des piiiicipaux objets
du zèle saconiotal consislait à instruire
les enfants. Vous le savez, l'enfance est
tout h la fuis IMge le plus facile et le |)lus
diflicile pour faire aimer la vertu. Le plus
facile, quand les parents vertueux ont cul-
tivé ces jeunes piaules dès leurs plus ten-
dres années, et ont lait naître dans ces
âmes toutes neuves la connaissance et la
crainte de Dieu; mais si cette preujiôre édu-
cation est vicieuse, et que de malheurs de
ce genre n'avons-nous |)as à déplorer au-
jourd'hui I que de dilllcultés pour tourner
vers Dieu des esfirits faibles et inconstants
qui ont sucé, pour ainsi dire, le vice avec
le lait, et qui peut-être en ont tous les jours
le funeste exemple devant les 3'eux I Apla-
nircesdifiîcullés, c'est pournous, Messieurs,
le plus pénible sans doute, mais le plus
important, le plus nécessaire, et surtout le
plus méritoire de tous nos devoirs. L'amour-
propre, je le sais, ne trouve pas son compte
à soigner des enl'ants ; il aime mieux l'aire
retentir dans une chaire quelques mots fas-
tueux qu'il appelle éloquence qu'éclairer et
diriijer des esprits dissipés et turbulents
qui coûtent plus à contenir qu'à instruire.
Mais le vrai zèle ne raisonne |)as ainsi : il
voit dans les enfants le fondement de l'E-
glise et delà société; et la dillicullé de les
former est pour lui un motif de plus de
multiplier ses efforts. Il aperçoit devant lui,
non les suffrages d'une multitude imposante
qui applaudit un discours péniblement tra-
vaillé, que souvent, du reste, elle ne peut
a[iprécier, niais les suffrages du verbe ir.-
cariié, de ce Sauveur aimable qui disait
pendant sa vie mortelle : Sinite parvulos
venire ad me {Marc, X, ik); qui caressait,
qui chérissait les entants qui leur promet-
tait, ainsi qu'à ceux qui les instruisent, le
royaume des cieux, et qui nous dit avec
tendresse, pour nous encourager dans ce
pénible ministère : Quandiu feiistis uni ex
his minimis, milti fecislis. {.'Jalth , XXV, kO )
Oui, les soins qne vous donnez à ces pau-
vres enfants, c'est à moi-même que vous les
donnez; j'habite dans leur cœur, ou je dois
y habiter bientôt, c'est à vous à m'y con-
server ou à m'y préj)arer une demeure di-
gne de moi.
O illustre Gerson 1 parlez ici à ma place,
vous qui occupiez un rang si distingué dans
la république des lettres chrétiennes, vous
qui avez éclairé la i)Ostérité de tant de sa-
vants ouvrages, vous ne crûtes cependant
pas vous abaisser en apprenant à des en-
fants les premiers éléments de la religion.
Vous aussi, pontifes immortels, la gloire
de l'Eglise gallicane, vous savant évêque
de Meaux, et pieux archevêque de Cambrai,
vous vous êtes (ait gloire de catéchiser la
jeunesse. Serait-il possitjle, Messieurs, que
quelqu'un rougît d un semblable ministère
ajirès de tels exemples?
Je dis enfin que notre zèle doit surtout
s'attacher aux pécheurs. Hé, Messieurs,
n'est-ce pas là le grand et unique objet de
la mission du Jésus Cluisl? Il nous dit lui-
même qu'il n'est descendu des cieux que
pour sauver ce qui avait péri ; qu'il n'est
pas venu appeler les justes, mais les pé-
cheurs; que la conversion d'un seul pé-
cheur réjouit 1 II, s le ciel que la [)ersévé-
rance de (dusieurs jusies. Quelles para-
boles plus louchantes, que celles qui nous
retracent la charité de Jésus-Clirist pour
les pécheurs. Tantôt c'est un pasteur affligé
qui court après une brebis égarée, et la
reporte doucement sur ses épaules; tantôt
c'est un père attendri qui pleure un tils
ingrat dont il a été abandonné, et qui, le
voyant revenir à lui, s'empresse d'aller à
sa rencontre, l'embrasse sans lui faire de
reproche, le baigne de ses larmes, et or-
donne une fête pour célébrer son retour.
Voilà ie langage du divin Sauveur.
Il nous a dit encore, ce grand modèle :
Exemplum dedi vobis, ut quemadmodiun ego
feci, ita elvos faciatis.(Joan., Xlll, 15.) Nous
trouverons dans notre troupeau plus d'une
brebis égarée, et dans noire famille, plus
d'un tils dissipateur. Employons pour les
ramener les mêmes moyens que Jésus-
Christ ; allons avec bonté à la poursuite
des uns, demandons à Dieu, et attrndoi.s
avec patience le retour des aulies. A ceux
que nous croirons (louvuir gagner par nos
avances, donnons à proiios un avis pater-
nel, encourageons-les par quelque ['drôle
tendre et affectueuse. Pour ceux à qui nos
avis seraient encore inutiles, ayons de bons
procédés; voyons-les dans les circonstances
oiî il convient de les voir ; (ju'ils soient
convaincus que nous désirons ardemment
leur retour à Dieu, et qu'ils seront reçus
avec les sentiments d'une charité toute Ira-
ternelle; si nous les voyons s'avancer vers
nous, ou disposés à le faire, quittons tout
pour aller à leur rencontre, et leur abréger
un chemin qu'il coû'e tant à la faiblesse
humaine de parcourir. Prenons garde qu'un
soin excessif pour les âmes pieuses ne dé-
goûte et ne décourage les coupables; n'ou-
blions pas la conduite de notre maître :
Relinquit nonaginta novein, et vadit quœrere
eam quœ perieral. {Matlh., XVIII, 12.)
Mes chers confrères ! la conclusion na-
turelle lia tout ce que je viens de dire,
c'est qu'il n'est rien de |)lus nécessaire dans
un prèlre que le zèle de la gloire de Dieu et
du salut des âmes, qu'un prêtre qui man-
querait dans les choses graves de ce zèle
mériterait déjà l'anathème évangélique :
Servum inutilem ejicite in lenebras exlerio'
res {Matlh., XXV, 30) ; c'est que les moyens
et les occasions d'exercer le zèle étant in-
nombrables, aucune excuse ne peut nous
en dispenser. N'alléguons pas la médiociilé
de nos talents et la faiblesse de notre sauté
pour nous exempter des obligations inhé-
rences au sacerdoce. 11 ne faut que des ta-
lents métliocres pour enseigner les premiers
éléments de la religion, pour expliquer le
symbole et le décalogue, pour donner quel-
ques bons conseils, et placer adroitement,
môme dans une conversation indifférente,
une [laiolo d'édilicûliion; pour secoDi'.ec
ROT
ORATEURS SACRES. MAUREL.
808
une pieuse entreprise, encourager le bon
exemple et conclamner le vice. Il ne faut
pas de grands talents pour s'anéantir devant
la majesté infinie du Très-Haut, et supplier
le- Père des miséricordes de béthr noire nii-
iiislère. Ne nous laissons pas aller à de (i-
mides précautions [)0ur l'entretien du notre
santé, que Dieu saura bien nous conserver,
et qu'il serait d'ailleurs glorieux de com()ro-
mettro à son service- Il est le maître de la
■yie et de la mort, et il ne nous abandonnera
pas, après avoir soutenu dans les travaux
les plus pénibles, les voyages les plus pé-
rilleux, tant de saints prêtres dont la faible
saille semblait exiger les plus grands ména-
gements. Vous savez tous que saint Fran-
çois d'Assises avait des talents médiocres,
et que le grand saint Grégoire, au rapport
des historiens de sa vie, n'eut qu'une santé
chancelante ; et cependant (juel bien n'ont-
ils pas fait I
Gh I mes chers confrères, il me semble
entendre le père de famille nous criant du
haut des cieux : Messis multa, operarii au-
tempauci. {Matlh., IX, 37.) Quid hic slatis,
tota dieoliosi? [Matth , XX, 6.) Jeunes prè-
Irts, pleins de force et de vigueur, homme
de bonne volonté, à l'aspect de ces plaines
jaunissantes qui appellent la main du mois-
sonneur, c'est-à-dire de ces paroisses né-
gligées qui réclament les secours de la re-
ligion, ranimez votre zèle, et courez à ce
champ inimense où vous attendent de grands
travaux sans doute, mais aussi une récolle
abondante ! Et vous, vénérables vieillards,
guidez avec sagesse une ardeur si précieuse,
diiigez avec bonté ces élans de courage, qui
pourraient devenir inutiles , et peul-ètre
même funestes s'ils n'étaient réglés jiar la
prudence, et modérés [vàv la douceur.
Quel que soit notre âge et notre condi-
tion, jeunes et vieux, excitons-nous, en-
courageons-nous muiuellement jiar la {)a-
role et par l'exemple; faisons cliacun ce
que nous pouvons, demandons à Dieu ce
que nous ne pouvons obtenir de nous-mê-
mes, et nous aurons fait ce qu'il exige,
pourvu qu'il voie nos efforts, qu'il trouve en
nous une bonne volonté, une docilité sin-
cère aux bons conseils, une soumission
parfaite à l'autorilé, un altachement iné-
branlable aux vrais priuci[)es, et surtout
cette pureté d'intention qui ne cherche que
Dieu, et ne veut avoir que lui pour j)rix
de ses travaux ! Nous venons de voir sur
qui devait s'exercer le zèle sacerdotal ; il
nous reste A examinerquelles sontses priii-
cipales fonctions, [)Our terminer un entre
tien doni l'importance justifiera, je l'espère,
les développements duns lesquels j'ai élé
obligé d'entrer.
TROISIÈME PAUTIE.
Quelles sont. Messieurs, les principales
fonctions du zèle sacerdotal ? Elles sont
aussi innombrables que les diverses maniè-
res de contribuer à la gloire de Dieu et au
salut du prochain. J'en distinguerai cepen-
daiil trois i)rincii>ales : ce sont l'instruction
des peuples, l'administration des sacre-
ments et nos rapports extérieurs avec le
monde.
Je dis d'abord l'instruction des peuples.
Rappelons la grande mission que Jésus-
Christ nous a donnée dans la personne des
apôtres : Euntes docete.... docentes servare
omnia quœcunque mandavi vobis. {Mallh.,
XXVIIl, 19, ) Le commencement du salut,
c'est la foi. Mais quel est l'organe de la
foi, sinon l'ouïe ? fides ex audilu. (Rom.
X, 17.) Comment les f)euples ncquerront-ils
ou conserveront-ils la foi, s'ils n'en enten-
dent prêcher les vérités ? quomodo credenl
sine prœdicante? {Rom , X, 14-.) De là l'o-
bligalion imi)0sée par TEglise à tous les
pasteurs de faire le prône et le calhécisme,
d'avertir, de reprendre, d'exhorter, de pres-
ser à temps et à contre-temps, comme dit
l'Apôtre, mais toujours avec sagesse, pa-
tience et vérité, m omnie patientia et doc-
irina, {Il Tiin., IV, 2 )
Pénétrés de ces grands principes, le com-
mun des pasteurs, et môme des simples
prêtres, se font un devoir et un honneur
d'annoncer la parole sainte ; il n'est guère
que les piêlres indignes de ce nom qui dé-
daignent ou négligent le noble ministère.
Mais prenons garde, mes vénérables con-
frères, que prêcher n'est pas toujours ins-
truire. La première qualité d'une instruc-
tion, c'est la clarté; et, pour être clair, il
faut avoir soi-même une idée ne:te de ce
qu'on enseigne, et chercher ensuile le lan-
gage le plus à la portée des esprits gros-
siers, qui forment toujours la m.ijeure par-
tie de nos auditoires. Pour être clair, il faut
écarter certaines manières de |)ailer qui,
peut-être, natteraient l'oreille de l'homme
instruit, mais retentiraient vainement à
celle de l'ignorant. Il faut mettre de l'or-
dre, de la suite dans ses idées : car le dé-
sordre fut toujours l'opposé de la clarté.
Ce n'est pas eiicoie assez : pour instruire et
éclairer, il faut, non-seulement exposer la
vérité, mais ra|)peler les motifs les plus ca-
pables de la persuader; et les plus frap-
pants ne sont pas toujours les plus ingé-
nieux ; ce sont les plus faciles à saisir, les
plus conformes à ce bon sens départi à tous
les hommes. Ce n'est pas tout encore : pour
prêcher ulilemeni, il faut attacher l'audi-
teur à la vérité qu'on lui annonce, et pour
cela, la lui présenter d'une manière aima-
ble, intéressaiite, lui montrer que son avan-
tage et son bonheur, môme |)our la vie
[•résenle, ne se trouvent que dans la pra-
tique de la religion, et que sans elle il n'y
a que trouble et an:ertume. Ce n'est pas
encore tout : pour prêcher utilement, il
faut être soi-même [ rolondément pénétré
des vérités qu'on annonce, les sentir vive-
meiit, et avoir un désir ardent de faire par-
tager notre intime conviction à ceux qui
nous écoulen!.
Donc, Messieurs, pour prêcher utilement,
il faut ôlre homme d'étude, de retraite, d'o-
raison : hélas 1 est-il . étonnant que nos
instructions soient si souvent inh uclueu-
809
KETUAlTi:. — LNSTRICT. XIY, SUR LE ZELE.
ses? On chcrrlio à s'osciiser sur les mnu-
vaises disposilinns des auuileurs; n'a-l-on
iitjcun rei)roche à se faire à soi-même?
s'esl-oii préparé avec soin et devant Di«»,
au saint ministère de la parole? a-l-on de-
mandé à l'Espril-Sainl qu'il nous inspirât
lui-même le laniragequi convenait à notre
auditoire? mène-l-on une conduite qui prê-
che par elle-iiiéine? mais surtout faisons-
nous ce que nous conseillons aux autres;
et notre vie ne contredit-elle pas notre
doctrine? Car, Messieurs, permettez-moi
cette applicalion profane, si l'on a délini
l'orateur en général, vir bonus, dicendi pe-
rj7u5, comment oser monter en chaire, si
l'on n'est un bon i)rôtre, un prêtre irrépro-
chable? car il n'y a que les bons prêtres
(jui finissent persuader et convaincre. On
se plaint quelquefois qu'on n'a pas re^u
certains lalenfs qu'on admire dans les au-
tres; mes chers confrères, ce ne sont pas
les talents, du moins tout seuls, qui con-
vertissent ; c'est la sainteté qui supplée
quelquefois tous les talents. Vous le
voyez tous les jours, lequel des deus
fait plus de bien, ou d'un prédicateur bril-
lant qui fait retentir les chaires de sa pom-
peuse vanilé, ou d'un saint prêtre, d'un
saint pasteur qui porte en chaire un exté-
rieur modeste et recueilli, qui montre à
ses auditeurs un cœur tendre et compatis-
saut, plus désireux de leur salut que du
leurs suUrages; et qui persuade bien plus
par l'opinion qu'on a de ses vertus que par
la force des preuves ou les ornements du
discours? C'est celui-là qui porte la lu-
mière dans les esprits et la coiijponction
dans les âmes ; c'est celui-là qui louche, qui
remue, qui convertit, et amène ses audi-
teurs au tribunal de la pénitence, où se
consomme la conversion.
C'est ici le grand théâtre du zèle, et, j'o-
serai le dire, la fonction la plus impor-
tante, la plus décisive pour lu salut des
âmes. Nous devons sans doute commencer
par les instruire, et réveiller ou alfurmir en
elles le don de la foi ; mais la foi n'est que
le commencement de la justihcation que. les
sacrements procurent ou maintiennent.
Aussi, Jésus-Christ, ajjrès avoir chargé ses
apôtres d'enseigner les nations : Doccte,
ajoute de suite , baplizantes eos, et b.iptisez-
k'S. Or, vous le savez, la pénitence est une
espèce de second baptême non moins né-
cessaire que le premier, et sans lequel les
autres sacrements ne peuvent produire leur
elfet. Quel zèle ne devons-nous pas dé-
|)loyer l'Our faciliter à nos peuples l'usage
de la confession, et leur donner le goûtel
l'habitude de cette sainte pratique, la plus
nécessaire de toutes, sans contredit, pour
renouveler la face d'une paroisse, y établir
et maintenir l'esprit de piété 1 quels
efforts ne fait pas un saint [lasteur qui désire
sincèrement le salut de son tioupeau, pour
dissiper les préventions et aplanir les obs-
tacles qui éloignent les péchouis et les
âmes tiedes du saint tribunal ! quels moyens
ingénieuv n'em[»lùie-l-il [las |)our les y al-
Oratul'rs sacrés. L^.^ 111.
SIO
tirer et les encourager! avec quelle ardeur
ne s'applique-t-il pas à éclairer leur aveu-
glement, à les aider avec adresse à dé-
brouiller le chaos de leur conscience ! avec
quel soin n'eniploie-t-il pas les remèdes
convenables pour les corriger de leurs ha-
bitudes, les éloigner des occasions et des
d.ingprs qui les perdent, les arracher 5 l'em-
pire du démon, et faire de ncjuveau des
enfants de Dieu; leur ouvrir le royaume
céleste, les préserver ensuite de la re-
chute, et les soutenir dans les voies de la
vertu 1
Je sais. Messieurs, qu'autant que ce mi-
nistère est sublime, nécessaire, consolant
dans ses effets, autant il est pénible, diflî-
oile et même dangereux pour celui qui
l'exerce. Je sais que pour confesser utile-
ment, et se sanctifier dans cette fonction
en sanctifiant les autres, il faut de grandes
qualités: science, prudence, discrétion, in-
tégrité de mœurs, piété, charité, douceur,
fermeté, désintéressement, pureté d'inten-
tion, et surtout une patience* et une cons-
tance inébranlables. Je sais que ceux qui
réunissent toutes ces qualités craignent en-
core de se perdre en travaillant au salut
des autres, de se souiller en cherchant à
les purifier, de se condamner eux-mêmes
en les absolvant à tort, ou refusant sans
motifs de les absoudre : je sais tout cela;
mais je sais aussi que quand on est appelé
par la Providence, c'est-à-dire par l'organu
des supérieurs, aii ministère de la confes-
sion, on doit affronter avec confiance et
avec courage tous les dangers et toutes les
peines que ce ministère peut présenter, et
qu'on doit craindre de trouver dans un cou-
pable refus la condamnation du serviteur
oiseux et inutile : Servum iniUilem ejicite in
lenebras exteriores (Malth., XXV, 30.) Mais
je sais aussi qu'on sauve plus d'âmes en
confessant qu'en prêchant, et que la prédi-
cation, sous certains rapports, est tout aussi
dangereuse que la confession. Mais il y a
quelque chose do plus dangereux encore,
c'est l'inaction. Hé, mes cliers confrères,
les fonctions du zèle sacerdotal, quelles
qu'elles soient, sont-elles aujourd'hui plus
pénibles et plus dangenmses qu'elles ne
l'étaient du temps des apôtres? Et croyons-
nous que la main toute-puissante qui nous
a soutenus nous abandonnera? croyons-
nous que ce Dieu, aussi sage que bon, qui
veut le salut de tous les hommes, mêuie des
impies et des infidèles, ne veuille pas, à
plus forte raison, le salut de ses prêtres, de
sl'S ministres, de ses amis, qui se sacrifient
tous les jours pour sa gloire? Et s'il veut
notre salut, croyons-nous qu'il nous délais-
sera dans les dangers, et ne proportionnera
jias l'abondance de ses secours à la gran-
deur do nos besoins? Ahl Messieurs, n'ou-
blions jamais cette grande et consolante
vérité : Pcus impossibilia nonjubet,sedju-
bendo monet faci-re quod possis, peterc quod
non possis et adjuvat ut possis.
Pénétrés de ces grands motifs de con-
fiance, écrions-nous donc avec l'Afiôlrii ;
20
8}l
ORATEURS SACRES. MAUREL.
8i;i
Ego autem libentissime impmdam, et stiper*
impendar ipse pro animabus vestris (Il Cor.,
XII, 15.) Oui, Eylise de Jésus-Clirist, dès
ce moraeutje me dévoue de grand cœur, li-
bentissime, h la conquête des âmes el au salut
de vos enfants. Hé quoi 1 je vois vos ennemis
redouL)ler chaque jour d'efforts et de courage
pour vous enlever ces âmes précieuses que
Jésus-Christ, votre époux, a rachetées de
tout son sang; je vois le monde étaler aux
yeux d'une jeunesse inexpérimentée le
charme de ses vanités, de ses plaisirs, de
SCS danses, de ses speciacles, de ses romans,
tout le prestige de ses séductions. Je vois
l'impiété répandre partout, jusqu'au fond
des campagnes les plus sauvages, le poison
de ses doctrines, de ses obscénités, de ses
lilasphèmes ; je vois tant d'âmes, victimes
(le l'erreur, ou jouet des passions, périr
misérablement, faute de secours, faule de
zèle dans leurs pasteurs, ou peut-être par
un manque absolu de pasteurs; et à la vue
de tant de malheurs qui vous arrachent, ô
Eglise du Dieu vivant 1 les mêmes gémis-
sements qu'à l'infortunée Racht.l, je vivrais
tranquille au sein de la mollesse et de
l'inaciion 1 La perte de mes frères ne me
toucherait pas ! je les verrais de sang froid
tomber dans les abîmes éternels, sans leur
tendre une main secouiable, sans déjiloyer
jiour leur salut tout ce (|ue mes faibles la-
lents, miS lumières, mes conseils, ma santé,
ma jeunesse, ou un reste de vigueur près
de s'éteindre, peuvent me fournir de moyens
et de ressources I Quoi, mes chtTS confrè-
res, les Hyacinthe, les Xavier, et tant d'au-
tres, se sont ?i'rachés à leur patrie pour
aller évangéliser des contrées infidèles ; ils
ont alfionié les tempêtes, les persécutions,
tous les genres de périls, pour agrandir le
royaume de Jésus-Christ; el nous, pouvant
partager sans nous déplacer, sinon leur hé-
roïsme, du moins leur zèle et leur mérite,
nous resterions dans une honteuse apathie
et une criminelle oisiveté, sous prétexte
peut-être que l'Eglise a chargé d'autres
que nous de la conduite des âmes, ou que
nous avons de quoi vivre sans nous livrer
aux travaux du saint ministère : comme si
c'était une vie sacerdotale que de traîner
une ennuyeuse et inutile existence dans les
festins el les réunions mondaines! Ce n'est
pas, nies chers confrères, que le zèle nous
interdise tout commeice avec les hommes;
au contraire, et c'est encore une de ses
fonctions les plus importantes. Permettez-
moi d'entrer ici dans quelques détails qui
caractériseront nos rappoits extérieurs avec
le monde : dernière fonction du zèle sacer-
dotal.
Je ne saurais, Messieurs, vous faire
mieux connaître la manière dont vous de-
vez remplir les fonctions de votre ministère
en paraissant au milieu du monde, qu'en
vous retraçant ici les règles admirables que
notre divin Maître donnait autrefois à ses
disciples. Il venait de les choisir, et avant
de les envoyer prêcher son Évangile, il
leur disait : Allez, et annoncez, aux peuples
que le royaume de Dieu est proche : « Euntes
prœdicole dicentcs quia appropinquavil re-
gnumDei »{Matth., X, 7.) Un prêtre donc,
pour accomplir avec zèle les devoirs de son
état, ne doit paraître dans le monde que
pour y parler des choses de l)ieu et de son
royaume : première règle de notre zèle à
suivre au milieu du monde. Nous ne devons
pas nous y enlrelenir des choses profanes;
nous sommes chargés des intérêts de Dit u
auprès (les peuples, el celte auguste mis-
sion doit toujours être présente à notre
souvenir. Obligés par notre état à entrete-
nir des relations avec le monde, nous devons
les sanctifier par nos discours ; et c'est ce-
pendant, Messieurs, par les discours d'un
prêtre que le sacerdoce est quelquefois
déshonoré, et la religion affligée sur la terre.
On entreprend souvent de longs entretiens,
et au milieu de toutes ces conversations,
dans lesquelles on passe une partie du jour,
qui s'écoule avec tant de ra[)idité, il ne se
trouve pas une seule parole pour Dieu de
la part de ce prêtre léger et frivole. Mais
quoi, me direz-vous |ieul-être, parler tou-
jours de Dieu? A cela, Messieurs, je ré-
jiotids : Ouvrez l'Evangile, parcourez l'his-
loiie de la vie mortelle de Jésus-Christ : de
quoi parlait ce divin Sauveur dans le monde?
n'était-ce pas toujours des choses de Dieu?
S'il assiste à des lioces, c'est pour les sanc-
tifier par sa présence et y faire exaller la
grandeur de Dieu; s'il se voit suivi sur la
montagne d'une foule innombrable de peu-
ple, il lui parle; mais, ô Dieu I quel dis-
cours! quelle leçon! quelle doctrine! H
s'entretient avec une femme Cananéenne;
mais quel langage divin ne lui lienl-il pas l
On le voit conveiser avec une femme de
Samarie; mais avec quelle grâce touchante
il lui jiarle des dons de Dieu! 11 entre dans
la maison d'un Pharisien, et c'est par les
plus sublimes discours qu'il l'amène à la
coinaissaiice de la véiité, et lui montre
l'amour divin triomphant d'une gvande ini-
(juité. En un mot, touies les fois qu'il s'en-
li client avec les hommts, ce n'est que pour
|,ur dire : Appropinquavil in vos reynum
Uei. Je sais, Messieurs, que nous ne pou-
vons arriver à la perfection de ce moilèle,
mais du moins serait-ce trop faire pour les
intérêts de Dieu que de vous exhorter à
nièler dans tous vos discours, avec une in-
g('nieuse adresse, quelques paroles édifian-
tes, que paraissent exiger à la fois et la
gravité de nos mœurs et la sublimité de
notre ministère ? Eu agissant ainsi, nous n«
plairf»ns pas au monde, |ieul-êlre; mais,
disait l'Apôtre, si je plaisais aux hommes,
je ne serais [)as le serviteur de Jésus-Chrisf,
Si liominibus placerem, Chrisli servus non
essem [Galat,, 1, 10.) Le monde, affligé de la
gravité du iius mœurs, nous dira peut-être,
dans un sens dilférenl sans doute, ce que
disait la Mère de Jésus h son Fils : Pourijuoi
nous traitoz-vous ainsil Quid fecisli nobis
SIC, (Luc, H, 18.) Pourquoi nepas vousaccoiu-
moder un peu à nos coutumes, à nos inclina-
lions el à nos usages? pourquoi no pas parler
813
RETRAITE. — INSTRUCT. XV, SUR LE ZELE
811
coinre nous? Répondons au monde avec iô-
sus-Clirisl : Pourquoi cherchez-vous en moi
l'homme profane: vous n'y Irouverez que le
prêlre fidèle : Quid est quod me quœrebatis?
{ Ibid. ) Vous paraissez élonné que je
parle de Dii'U et des intérêts de sa gloire;
mais ne savez-vous pas que je me dois tout
entier aux atTaircs de mon Père? Nescieba-
tis quia in his quœ Pntris mei sunC oportet
vie esse? (Ibid., k^.) C'est par ces discours,
pleins de religion et de piélé, que nous
oi'rérons la conversion des pécheurs, figurée
dans l'Evangile par la guérison des infirmes,
itifinnos curale; la résurrection des morts,
luortuos suscitate; el la fuite des démons,
dœmones ejicile. (Matth., X, 8.) Avant d'en-
trer dans une ville ou dans une maison,
continuait Jésus-Ch^ist, demandez avec soin
s'il est quelqu'un qui soit digne de rece-
voir votre parole: Inlerrogate quis in ea di-
gnus sic [Ibid., 11) : el voilà la seconde règle
de notre zèle au milieu du monde. Nous
devons faire un sage discernement des as-
semhlées au milieu desquelles nous parais-
sons, il est dans nos villes et dans nos
campagnes telle maison dans laquelle il y
aurait presque un espèce de scandale de
nous voir paraître : c'est là que se trouve
un monde réprouvé ennemi de Dieu, el
pour lequel Jésus-Christ lui-même ne pria
jamais. Que pourrait faire un prêtre au nii-
lieu de ce monde dont la Vérité éternelle a
dil qu'il est tout entier établi dans le mal?
Ah! ces assemblées tumullueuses doivent
être pour lui comme une terre maudite,
une région oii il ne doit jamais entrer.
Voudrait-il, emporté par l'ardeur de son
zèle, y faire entendre quelques paroles de
salut; mais n'est-il ()as écrit qu'il ne faut
pas donner les choses saintes aux chiens,
pour leur servir de pâture, niplacerles pier-
res précieuses devant les animaux im-mon-
des? [Mallh., VII, 6.) Ainsi» Messieurs, lors-
qu'il noussera facilede prévoirque notre mi-
nistère sera inutile dans tel ou tel autre lieu,
el qu'il n'y sera pas honoré, n'y paraissons
jamais. Quand un prêtre se trouve dans ces
maisons dont je parle, el oil (larmi ceux qui
les habitent il n'en est aucun qui ait des
sentiments de religion, les fidèles, étonnés,
se demandent : Que va faire ce ministre de
Jésus-Christ dans cet endroit où il est si
déplacé? Qu'une grande prudence nous di-
1 ige donc dans l'exercice de notre zèle. In-
terrogeons, examinons avec soin :7n/errog'a<e
quis inea dignus sit. Enfin, dit Jésus-Christ
à ses diciples, ne passez p;is avec trop de
fyjiliié d'une maison à l'autre: Nolile liaiis-
ire de doma in domum [Luc, X, 7) : troi-
sième et dernière règle de notre zèle dans
le monde. Il ne faut pas y itaraître souvent
par de Iroj) fréquentes visités. 11 n'est peut-
être pas de matière oij il soit plus facile de
tomber dans l'illusion que dans celle dont
je parle; et l'espril humain, dil Terlullien,
n'est jamais plus adroit que lorsqu'il faut
justifier une chose qui lui plail, et qui ce-
pendant peut devenir condamnable. Un pas-
teur, dil-on, doit connaître son troupeau.
Il faut visiter les malades, consoler les-
alUigés et solliciter pour le pauvre le pain
el le secouis de la charité: motifs louables
sans doute; mais, de bonne foi, ces motifs
sont-ils bien les véritaides ? Je ne veux pas
ici les examiner l'un après; l'autre : j'accorde
que les visites que l'on fait dans la paroisse
sur de semblables raisons peuvent être ex-
cusées, el même quelles sont quelquefois
nécessaires , raaisje blâme ici la trop grande
multiplicité de ces visites, qu'il est très-
difficile de pouvoir justifier, el dont la fré-
quence entraine souvent d'énormes abus.
D'où vient, en effet, Messieurs, que ce prê-
tre, au milieu des fonctions de son minis-
tère, ne trouve jamais le temps de faire
l'oraison, la lecture spirituelle et les autres
exercices de piété, si ce n'est à cause de ces
visites? d'où vient que l'étude est entière-
ment négligée, et qu'on redoute môme d'y
penser, si ce n'est à cause de ces visites!
d'où vient enfin que dans telle paroisse les
enfants ne sont pas instruits, les malades ne
sont pas secourus, la maison de Dieu n'est
pas tenue avec la décence convenable, si ce
n'est à cause de ces fréquentes visites 1 On
désirerait s'approcher du tribunal de la pé-
nitence, le pasteur ne s'y trouve pas; on
voudrait le voir, lui parler, le consulter, il
est inutile de le chercher dans sa propre
maison.
Quel que soit le motif qui nous engage à
nous répandre dans le monde, il est cer-
tain, Messieurs, qu'il est très-souvent inu-
tile et môme nuisible, d'y paraître trop.
Croira-ton que tous lesjours, el plusieurs
fois le jour, vous allez dans cette maison
où vous êtes si assidu pour consoler cet
alfligé, visiter cet infirme, ou implorer la
secours de la charité? Non, Messieurs, on
ne le croira pas; on dira que ce n'est là
qu'un prétexte, que d'autres molifs vous y
appellent; el peut-être ne se trompera-t-on
pas. Voilà pourquoi l'Eglise, assemblée dans
ses conciles, n'a rien tant recommandé aux
clercs que la fuite du monde; voilà pour-
quoi presque à chaque page dans ces livres
où sont renfermées ses vénérables règles,
elle conjure les prêtres de ne paraître dans
le monde que rarement et comme à regret.
Elle veul que leur zèle sache s'arrêter dans
de justes bornes, et que sous le prétexte
du bien des âmes, ils ne compromettent pas
le salut élernel.
Nous venons de considérer. Messieurs, le
zèle dans ses motifs, qui ne sont que l'a-
mour de Dieu et du prochain, dans les per-
sonnes sur qui il doit spécialement s'exer-
cer, et enfin dans ses principales fonctions.
En finissant cet entretien, il importe que
nous ra{)pelons que toutes les qualités et
môme tous les succès du zèle, découlent
d'un grand principe qui doit être sans cesse
l'âme el le mobile de toutes nos fonctions.
Travaillons uniquement pour Dieu, n'ayons
en vue que sa gloire, et notre zèle sera tou-
jours ce qu'il doit être : vif et sage, ferme
el doux, noble et désintéressé, courageux
el couslaul, toujours î'oumis aux règles
815
ORATEUPxS SACRES. MAUREL.
S16
de l'Eglise et à la volonlé de nos supérieurs.
N'oublions jamais que le vrai zèle ti'es.t
aulre chose que l'amour ardent de Dieu
et du prochain ; et connue tout ce qui lient
à cet amour est ordre et sagesse : Ordinavit
in me charitatem {Cant.^ Il, 4), il n'y a dans
le vrai zèle ni lâcheté, ni respect humain,
ni humeur, ni caprice, ni vanité, ni jalou-
sie, ni témérité, ni précipitation, ni vues
d'intérêt, ni rien, en un mot, qui puisse
nuire à la gloire de Dieu et au salut «les
âmes. Ecartons avec soin tous ces défauts,
et alors en travaillant à sauver nos frères ,
nous nous sauverons nous-môraos, et nous
obtiendrons cette récompense magnitique
et immortelle que Dieu a promise aux mi-
nistres de sa parole et de ses sacrements :
Qui ad justiliam erudiunl multos, fulgebunl
quasi stcllœ in perpétuas œternUates. {Pan.,
XII, 3.)
INSTRUCTION XV.
SUR l'exemple.
Exemplum eslo Ddeliura. (I Tim., IV, 12.)
Messieurs,
De tous les moyens de persuader îa vé-
rité et d'inspirer la vertu, il n'en est pas
de plus efficace que le bon exemple; sans
le bon exemple, tous les autres moyens de-
viennent inutiles. Grand Dieu ! que viens-
je donc faire ici? ne devrais-je pas imiter
Origène qui, ra()pelanl les paroles du Pro-
phète, que j'ai déjà citées plusieurs fois :
Peccatori autem dixil Deus : Quarc tu enar-
ras justilias meas {Psal. XLIX, 16), au lieu
de prêcher descendit de chaire et alla s'hu-
milier dans le silence et s'anéantir devant
la majesté du Très-Haut?
Le bon exemple est un prédicateur muet
qui ne choque jamais, qu'on écoute sans
prévention, qu'on n'oserait contredire, qui
pénètre dans le cœur sans résistance. Les
paroles peuvent convaincre, et elles ne con-
vainquent pas toujours; jamais elles ne per-
suadent sans le bon exemple; le bon exem-
ple tout seul persuade sans paroles. La vie
édifiante d'un saint prêtre fait mille fois
plus d'impression que tous les discours ;
et si ce prêtre, fidèle image de Jésus-Christ,
après avoir prêché par l'exemple prêche
aussi par la parole, comme il le doit, sur-
tout s'il est pasteur, ses instructions sont
toutes-puissantes.
S'il fallait des [treuves à rap|)ui de cette
vérité, nous les trouverions aussi multi-
pliées que les membres de cette assemblée.
Faudra-t-il attribuer le succès de cetle re-
traite aux vérités qu'on y aura entendues?
Non, Messieurs; elles ne sont .uou\elles
pour aucun ; ce sera aux bons exeui(>les
aue chacun de vous admire tous les jours
dans chacun de ses confrères; ce sera à
l'inlluenco réciproque de vos vertus, ani-
mées et encouragées par celles de vos su-
périeurs. On peut résister à une vérité
entendue, mais comment résister à un bon
exemple? on est forcé de se dire : Ce que
fait tel de mes coufrères, pourquoi ne le
ferais-je |)as ? il est mon semblable, pour-
quoi ne pas l'imiter?
Mais si le bon exemple produit toujours
une impression heureuse, quels ravages ne
cause pas le mauvais, surtout si celui qui le
donne réunit d'ailleurs certaines qualités
importantes comme l'âge, le rang, les ta-
lents, l'autorité I Quel contraste, mes chers
confrères, entre un prêtre vain, dissipé,
sensuel, négligent, répandu dans le monde,
f)eu modeste, peu recueilli, avare, qui con-
tredit sans cesse ses instructions par sa con-
duite, et un prêtre grave, circonsj)ect, labo-
rieux, mortifié, désintéressé, retiré du
monde, appliqué à la prière, qui se montre
à l'autel comme un ange, en chaire comme
un apôtre, et dont les mœurs sont la preuve
permanente et visible de sa doctrine !
C'est ce contraste que je vais tâcher de
développer. Il m'a paru que les elfets du
bon exemple seraient mieux sentis s'ils
étaient placés à côté des ravages du mau-
vais : ce sera la lumière à côté des ombres :
Contraria conlrariis opposita magis eluce-
scunC. Mais vous, ô mon Dieu I qui êtes la
lumière incréée, vous seul pouvez répan-
dre sur ce tableau toutes les couleurs de la
vérité, et préparer nos cœurs à l'impression
de votre grâce.
PREMIÈRE PARTIE.
Un prêtre qui donne mauvais exemple ou
qui n'en donne pas de bon, ce qui est la
même chose pour lui, est pour son peuple
le plus terrible des fléaux, c'est la plaie la
plus douloureuse de l'Eglise. Pourquoi?
parce que l'effet inévitable du mauvais
exemple dans les prêtres est de détruire
ces deux principes qui sont comme le fon-
dement de l'Eglise, je veux dire les bonnes
œuvres et les croyances religieuses; en un
mot un tel prêtre pervertit les mœurs et
ébranle la foi.
Malheur au pécheur scandaleux qui de-
vient pour ses frères une occasion de chute
et de péché I il vaudrait mieux pour lui, â
dit Jésus-Christ, qu'on lui attachât unemeule
de moulin au cou, etqu'on le précitât au fond
de lamer.(Ma//A.XVl!I 6.) Mais, hélas Ique
sera-ce si ce pécheur scandaleux est un prê-
tre 1 Un piètre de qui on a droit d'attendre, de
qui ou attend en elfel des exemples de piété,
de 7.èle, de travail, d'humilité, de patience,
de charité; rexem|)le de toutes les vertus 1
un prêtre, qui trouve dans ses promesses
solennelles et son caractère sacré autant
de motifs pour travailler sans relâche à la
sanctilication dos âmes ; qui, par sa consé-
cration et par la mission de l'Eglise, a été
établi docteur, pour éclairer les fieuples
dans la science (ie Dieu; guide, pour les
conduire dans les routes du salut ; médecin,
pour guérir les infirmités et les maladies
de l'âme; médiateur, [)Our réconcilier les
cou{)ables avec le ciel ; intercesseur, pour
leur ouvrir, par ses prières, le sein do la
clémence divine; modèle, pour leur retra-
cer dans sa conduite les vérités qu'il leur
annonce, et pouvoir leur dire avec 1 Apôtre:
817
RETRAITE. — INSTRUCT. X, SLR L'EXEMPLE.
<SI8
Soyez mes imilaleurs, comme je le suis
moi-même de Jésus-Christ -. Imitalores met
eslole , sicut et ego Chrisli. (Philip., III. 17.)
Que sera-ce si ce prôlre, ou par sa négli-
gence à instruire son peuple, ou peui-ô.ro
faute (l'ôtre. assez instruit lui-môme; par les
doctrines erronées qu'il lui enseigne, ou
par un manque de zèle à veiller sur ses
mœurs et à corriger ses vices; par des ab-
sences habituelles de son poste et des n)an-
(juemenis fréqiients à ses fonctions, ou par
une vie dissipée , déréglée , criminelle , au
lieu de conduire les âmes dans le chemin
du ciel, les en éloigne, les en dégoùie , et
li's entraîne dans la roule de la perdition,
où il narche lui-même? Quel nom faudra-t-
il donner à ce |>rôtre scandaleux , et quel
l;ingaj;e faudra-t-il em[)loyer pour donner
une juste idée des ravages que cause ce loup
dévorant dans le troupeau de Jésus-Christ?
Cetie expression , vous le savez, vénéra-
bles coniières, est de l'Évangile; le texte
sacré me la fournil. Vous n'ignorez pas que
pour faire ap|irécier les maux sans nombre
que cause un mauvais prôlre, un prôlre
scandiik'ux , l'Écriluie le compare aux bêtes
féroces les plus terribles : Lupus, aper , fé-
rus; et vous savez aussi que ftar prôlre
scandaleux on n'entend pas seulement ceux
qui sont familiarisés avec des passions gros-
sières, et dont une conduite criminelle a
déjà mérité l'animadversion des supérieurs;
qui font gémir la piété de leurs confrères,
cl provoquent tous les jours les dérisions
d'un monde malin et impie. Ah! s'il n'y
avait que ces scandales grossiers qui aflli-
geassent l'Eglise, elle serait du moins con-
solée par leur rareté, et vengée par l'indi-
gnation publique!
N'a-t-elle pas bien plus à gémir sur ce
nombre plus grand de prêtres sans piété ,
qui n'éditient pas ; sans humilité, qui ne
cherchent qu'une gloire humaine; sans
zèle, sans activité, qui manquent habi-
tuellement à leurs devoirs, au catéchisme,
au prône, au confessionnal ou qui remplis-
sent leurs fonctions d'une manière irréli-
gieuse, quelquefois indécente, et rendent
leur ministère inutile en le rendant mé()ri-
sablel Ceux-là aussi ne sont-ils jias [)Our
leurs frères une occasion de chute? Une oc-
casion d'autant plus entraînante, que sou-
vent ces sortes de prêtres ont le malheur
de plaire aux gens du monde, dont ils tlat-
tent l(;s penchants , parce qu'ils partagent
leurs plaisirs, dont ils n'osent ni reprendre,
ni même improuver les désordres, parce
qu'ils en sont, hélas! jusqu'à un certain
point les imitateurs?
Veuillez remarquer que quand même un
prôlre déréglé aurait l'adresse de cacher ses
désordres, et de n'avoir d'autre témoin de
son inconduite que Dieu et sa conscience,
il ne laisserait pas sous plusieurs rapports
d'être un scandale pour ses fières. Vous
demandez comment! d'abord parce qu'il
occupe dans l'Eglise de Dieu la place u'un
bon prêtre qui prierait utilement pour elle ,
et dont les larmes et les gémissements apai-
seraient le courroux du ciel. Car, je vous le
demande, quelles grâces peut obtenir un
mauvais prêtre, dont la prière est souvent
elle-même un péché? Hélas! c'est un enne-
mi de Dieu, qui ne songe pas même à se
réconcilier avec lui qui copendant intercède
pour ses frères 1 Qnel avantage peut-il leur
revenir d'une semblable intercession ? Que
peut obtenir do son roi un ministre disgra-
cié? Si non places, a dit un Père, non pla-
ças.
Est-il naturel que Dieu bénisse les tra-
vaux et les fonctions d'un prêtre qui ne tra-
vaille que pour son ambition et sa vanité?
Se trouvant vidn de cet esprit intérieur de
zèle et de piété qui n'a que Dieu en vue, et
qui cherche franchement, non les suffrages,
mais le salut des hommes, quel succès
peut avoir son ministère? Quels fruits peut-
il en résulter? Hélas! il prêche et n'instruit
pas, il confesse et ne convertit pas, il ca-
téchise les enfants et ne leur inspire pas le
goât de la vertu ; peut-être même néglige-l-
il l'instruclion de ceux qu'il serait le plus
aisé d'instruire; il visite les malades, ne les
console pas , ne les aide pas à se détacher
de la terre et à soupirer vers le ciel. Or.
un prêtre qui ne fait pas de bien, ne fait-il
point par là même beaucoup de mal?|II no
sanctifie pas les âmes, donc il les laisse dans
le péché , lui qui était chargé de les en re-
tirer ; il ne les sauve pas, donc il les perd,
donc il donne la mort : et n'est-ce pas là ce
qu'on appelle un grand scandale ?
Mais d'ailleurs. Messieurs , les désordres
d'un prêtre secrètemeiit infidèle peuvent-ils
rester longtemps inconnus? Le faux zèle el
la fausse piété ressemblent-ils parfaitement
à la piété el au zèle véritable? N'y a-t-il
aucun signe qui fasse reconnaître les hypo-
crites à leur insu? Si Salomon sut distin-
guer la véritable mère d'avec celle qui s'en
donnait le nom, croyez-vous que les peu-
ples ne distinguent pas aussi le prêtre sin-
cèrement pieux d'avec celui qui n'a que les
dehors de la piété? Si le cœur brûle d'un
feu profane on aura beau le cacher il se pro-
duira bientôt au dehors ; il est impossible
de se contrefaire toujours; il se présente
n)ille occasions où l'on se montre sans s'en
douter ce qu'on est; et il faut souvent si
peu de choses pour se déceler : la manière
dont on entre dans l'église, dont on s'y
tient, dont on prêche, dont on prononce les
prières publiques. Messieurs, le seul moyen
de paraître toujours vertueux, c'est de l'ê-
tre en effet. 11 y a un je ne sais quoi dans le
maintien, dans la manière de parler ou d'a-
gir dans les habitudes qui manifeste |)lus
ou moins ce qui se passe dans un cœur
coupable, et fait naître au moins des soup-
çons ; et les sou}içons qui planent sur un
prêtre à quoi ne conduisent-ils pas.
Non, dit saint Chrysostome, les prêtres
occupent une place trop éminente pour que
leurs fautes, même les (>lus secrètes, puis-
sent rester longtemps ignorées ; ce sont des
hommes publics, tous les yeux sont fixés
sur «ux, cl la malignité a trop d'inlérôt à
m
ORATEURS SACRES. MAUREL.
KfO
les trouver en défaiil fmiir ne pas observer
dans le plus grand détail jusqu'aux moin-
dres do leurs déniarclies. On les suit, on
les épie, ou remarque jusqu'à leur silence,
<>f l'on connaît bierilôl les personnes qu'ils
fréquentent, les visites qu'ils reçoivent, la
conduite particulière qu'ils tiennent dans
leur domestique, ei même dans le secret
du tribunal sacré; et lorsque le voile qui
cachait leurs désordres vient <i être liéchiré
quel étonnenient, grand Dieu! quel triom-
phe [)Our les méchants I Quel décourage-
ment parmi les bons I Quelle joie secrète
dans les âmes lâches et indolentes!
Pourquoi tant se contraindre s'écrio-l-on
alors de toutes parts , dès que les prêtres
se contraignent si peu? Pourquoi m'inter-
dirais-je ce qu'ils se permettent avec tant
de facilité? Us sont mes guides , je ne puis
mieux connaîlre qu'eux ce qu'il faut faire
et ce qu'il faut éviter. Sans doute qu'ils ne
veulent pas se damner; |)Ourrais-je me
damner moi-même en les imitant? Et alors
t^'js les remords se calment, toutes les
craintes disparaissent , les bonnes résolu-
lions sont abandonnées ; plus de gêne , plus
de privations ; le chemin du ciel n'est [)lus
celle voie étroite qui elfrayai*, c'est celle oi!i
Ion voit marcher si commodément ses maî-
tres et ses modèles.
Je vous le demande , Messieurs, qui do
vous n'a pas trouvé dans le saint tribunal
des preuves des faits que j'avancfi?combirn
d'âmes dont la chute ou rendiircissement
n'ont pris leur source que dans les scanda-
les de quelque prêtre! Nous avons beau
leur dire que les exemples, quels qu'en
soient les auteurs, ne prouvent rien contre
l'Evangile; que. la conduiledes plus grands
saints eux-mêmes n'a pas toujours été ir-
réprochable; qu'il n'y a que les actions de
Jésus-Christ, impeccable par nature, et cel-
les de sa sainte Mère, impeccable par pri-
vilège, gui soient comme des témoignages
de la sainteté la plus pure; nous avons beau
icur rappeler le mol du Fils de Dieu tou-
chant les prêtres de l'ancienne loi : Faites
ce qu'ils vous disent, mais ne faites pas ce
qu'ils font. [Malth., XXllI, 3.) Hélas! mes
chers confrères, l'homme est si porté à s'a-
veugler, si enclin à croire permis ce qui
flatte ses passions, que le mauvais exemple,
surtout de la part des prêtres fera toujours
raille fois plus d'impression que toute H
force et toute la vérité de nos discours. On
n'interprète l'Evangile que d'après la con-
duite de ceux qui le prêchent. Si leurs ac-
tions ne sont pas en harmonie avec leurs
instructions, on néglige celles-ci et l'on s'en
lient à celles-là ; on se figure que la sévé-
rité de notre morale est une pieuse exagé-
ration, et que nous demandons plus qu'il
ne faut afin d'obtenir le nécessaire.
Mais que dis-je?ce n'est pas seulement
la morale, c'est la foi elle-même qui est
ébranlée par nos scandales. Oui, on vajus-
qu'à traiter de fable et de chimère les vé-
rités les plus respectables, par cela seul
qu'on les voit contredites par les mœurs de
^inriiA de la pro-
de la décence du
ceux qui les annoncent. On se persuaile
que nous ne croyons pas nous-mêmes la
doctrine que nous prêchons, et qne notre
ministère en chaire n'est qu'un jeu de théâ-
tre : Car enfin, dil-on, si ce prêtre croyait à
la présence de Jésus-Christ dans nos tem-
ples, qu'il ne cesse cependant de nous rap-
peler, serait-il si peu soi.i^neux
[)reté du lieu saint et
culte? le verrait-on si dissipé dans les céré
monies les plus graves, si peu recueilli, si
peu touché jusque dans la célébration du
plus auguste des sacri lices? traiterait-il avec
tant de légèreté le corps adorable de son
Dieu et de son Juge? s'il croyait comme il
le prêche, que le vice de la concupiscence
multiplie tous les jours le nombre des ré-
prouvés, qu'il ne faut qu'un désir impur
pour mériterdes flammes éternelles ?serait-
il lui-môme si libre dans ses propos , si
léger dans ses regards, si familier dans ses
manières, si inconsidéré devant les per-
sonnes dont l'âgeet le sexe lui commandent
la plus grande réserve? s'il croyait à l'é-
ternité d'une vie future, qu'il prêche cepen-
pant avec tant de force, serait-il si attaché
aux biens de la terre, si avide d'argent, si
dur envers les f)auvres, si empressé à exi-
ger ce qu'on lui doit, si occupé d'enrichir
des parents qui abusent de ses bienfaits ?
Mais que dis-je? (car je dois signaler ici,
du moins pour le prévenir, un scandalequi
a malheureusement lieu quelquefois) si ce
prêtre croyait à cette grande vérité, si sou-
veBl répétée dans les livres saints : Nequc
fures, neque avari , neque rapaces, regnuin
Deipossidebunt (I Cor., VI, 10), porterait-il
le mépris de ses propres principes jusqu'à
tolérei* dans le tribunal , jusqu'à insinuer
dans les conversations, oserai-je le dire ?
jusqu'à commettre peut-être lui-môme cer-
taines usures, palliées à la vérité, sur les-
quelles les lieux qu'il habite, les personnes
qu'il fréquente, la nature même du prêt, et
les circonstances dans lesquelles il se trouve
l'aveuglent et l'induisent dans une fatah;
erreur, et cela au mépris formel des pré-
ceptes de Jésus-Christ et des enseignements
de l'Eglise.
Nous nous plaignons sans cesse, mes
chers confrères, que la corruption des
mœurs aUaiblit la foi, et que l'atlaiblisse-
mént de la foi augmente à son tour 1,
pravation des mœurs. Mais n'est-ce
nous qui sommes les premiers auteurs do
cette décadence? n'est-ce pas à nous qu'on
peut ap|iliquerce qu'a dit le grand Apôtre,
après le prophète Isaïe : Nomen Dei per vos
blasphematur inter gentes? {Isa., LU, 5.)
Oui, vénérables confrères, ce sont nos scan-
dales, bien plus que les sophismes de
l'imine, qui font blasphémer le nom de Dieu
et dans les villes, et dans les campagnes,
qui ébranlent les fondements de la loi dans
tous les cœurs, même parmi ce peupieautre-
fois si simple et si docile, et qu'aujourd'hui
on a besoin de convaincre qu'il y a un pa-
radis et un enfer.
Aussi transportons-nous dans une paroisse
dé-
pas
8il
RETRAITK. — INSTRUC
giiuvernéo par m ninuvais prûlro : C|u'y
verrons-nous ? d'.ibord l'ab-ence de la piété,
lout languit dans celln paroisse in'orlunée,
tout y porte rcn)preinle du dépérissement
et de la mort; c'est une terre aride frappée
de stérilité; tribunaux de la pénitence sans
pénilents; table s;dnle sans (onvives; sa-
crement adorable sans adorateurs ; Jésus-
Christ seul dans sa maison , pendant six.
jours de suite, et le dimanche, cpjcls adora-
teurs, grand Dieu ! ou pluîôt quelle di^si|)a-
tion I quel tumulte I (jueile indécence! on
dirait une assemblée de vanilé plutôt qu'une
assemblée de religion.
Du lieu saint transportons-nous dans les
diverses familles de celte [«auvre paroisse :
qu'y iroiivons-nous ? les enfants sans in-
siriii'tions et les vieillards dans Tignoranco
et l'enduicissemeiit ; les hommes mûrs,
pli)ngés dans l'avarice et dans toute sorte
d'excès; les adolescents empoités par l'or-
gueil, par l'impiété, parles passions les plus
nuisibles et les plus criminelles; les jeunes
personnes sans modestie et sans pudeur,
et leurs mères sans vigilance et sans fer-
meté; des enfants sans respect pour les au-
teurs de leurs jours, insultant la vieillesse
et se jouant des lois divines et humaines;
des mariages illégitimes, et qu'on ne songe
pas à légitimer; les lois du jeûne et de l'ab-
stinence méconnues, violées sans remords;
les jours saints profanés, non-seulement
par des travaux sacrilèges, œais pav des
assemblées mondaines , dos jeux condam-
nés, des réunions scandaleuses ; les fraudes,
les rapines, les inimitiés, les discordes dans
les familles, les procès, tous les genres de
désordres répandus sur les divers points de
cette paroisse, et y répandant à leur tour
l'oubli de Dieu et le mépris de la religion;
et au milieu de ces spectacles déchirants,
un pasteur tranquille, indifférent au salut
de son peu|)le, disant que tout va bien dans
sa paroisse , occupé d'allaires temporelles,
de lectures frivoles, de voyages, de m relié,
de négoce, de chasse, de jeux, d'amuse-
ments, peut-être d'aitrigucs criminelles,
promenant de maison en maison, de festin
en festin, son indolence et sa criminelle oi-
siveté !
Oh! mes chers confrères, il me semble
entendre la voix indignée du père de fa-
mille : Quoi ! il y a tant d'années que j'at-
tends du fruit de cet arbre et je le trouve
toujours stérile ! Succide ergo iilam, ut quid
etiam terram occupai? « Coupez-le, arrachez-
le : pourquoi occiipe-t-il encore inutilement
la terre? » (Luc, XIII, 7.) Hélas 1 ce coup ter-
rible n'est peut-être pas loin; la hache est
déjà levée, et ce [)asteur aveuglé ne l'aper-
çoit point, et il ne songe ni à sa (in pro-
chaine, ni au compte qu'il est prêt à rendre
au Pasteur des [)asteurs de tant d'âmes qu'il
devait sauver et qu'il a perdues. Mille lu-
mières brillent en vain pour percer cet af-
freux aveuglement : avis de ses confrères ,
avis de ses supérieurs, secours extraordi-
naire d'une retraite, tout est employé , et
l'endurcissement de ce prôtrc va toujours
T. XY, SUR L'EXEMt>LE. 822
croissant. Mais que vois-je ? la miséricorde
divino s'est enfin lassée; le moment de la
justice arrive; la hache tombe, et l'arbre est
renversé. Vénérab'cs confrères, ouvrons les
yeux de la foi I (piel spectacle que la confu-
sion et le désespoir de ce prêtre infidèle,
tout tremblant aux pieds de Jésus-Christ,
qui lui redemande ses âmes précieuses, ra-
chetées de son sang! Mais qu'entends-je ?
quels cris de malédiction do la bouche de
ces âmes infortunées, qui, du fond des en-
fers, accusent ce mauvais pasteur de leur
perte éternelle, et appellent sur lui le môme
supplice qu'il leur a mérité.
Mais hâtons-nous de consoler nolredouleur
par un spectablo bien ditTéreni, et bien plus
analogue h l'assemblée qui m'écoute : point
de fléau plus terrible pour un peuple, point
de plaie plus douloureuse pour l'Kglise ,
que les scandales d'un mauvais prêtre: la
perte des mœurs et de la foi en est le triste
résultat, nous venons de le voir. Voyons
maintenant les heureux effets du bon exem-
ple dans un prêtre fidèle.
SECONDE PARTIE.
La nécessité et l'efficacité du bon exemple
sont deux points de morale qu'un pasteur
zélé n'expose jamais sans fruit devant son
peuple. Mais ces deux vérités ne regardent-
elles pas les prêtres, [)lus expressément
encore que les simples fidèles ? n'est-ce pas
h nous surtout que le grand Apôtre a dit :
Providentes bona, non tantum coram Dec,
sed etiam coram hominibus? {Rom., XII, 17.)
En effet, tous les hommes sans exception,
et à plus forte raison les prêtres, sont obli-
gés de travailler au salut de leurs frères :
or, quel e>t le grand moyen de procurer ce
saiut, sinon le bon exemple? C'est Jésus-
Christ lui-même qui nous l'enseigne ce
moyen, et qui nous commande de le mettre
en pratique. Après avoir dit à ses apôtres
qu'ils étaient la lumière du monde, il ajoute :
Sic luceat lux vestra coram hominibus, ut vi-
deant opéra vestra bona, et glorificent Patrem
vestrum, qui in cœlis est. (Matlh., V, 16.)
Arrêtons-nous un moment à un texte si ex-
pressif et si substantiel; il renferme un en-
seifinement précieux pour les prêtres.
Quelle est cette lumière dont parle Jé-
sus-Christ? est-ce la lumière qui naît de
l'instruction? la clarté des pensées, !a force
ou la noblesse du langage, l'enchaînement
des I reuves, les traits sublimes, les formes
d'une éloquence pathétique et entraînante?
Non , mes chers confrères , c'est la lumière
des bonnes œuvres, Opéra vestra bona; et
cette lumière, raille fois plus éclatante que
celle des prônes et des sermons, est-il aucun
prêtre qui ne puisse et par conséquent ne
doive la répandre autour de lui? Tous sans
doute n'ont pas reçu au même degré le don
de la |)arole, quoique tous soient tenus do
parler et d'instruire le mieux qu'ils peu-
vent; mais tous ne |)euvent-ils pas donner
des e\em[)les de patience, de douceur, de
modération, de fermeté, de désintéresse-
ment, de zèle, de piété? Jésus-Christ .nous
y oblige : Luceat lux veslra. Non, il ne sut-
82r,
ORATEURS SACRES. 3ÏAIJREL.
iîi
firait pas de faire le bien en secret, Jésus-
Christ veut que nous le fassions aussi en
public, eoram hominibiis. II faut que les
hommes voient, au moins dans certaines
circonstances, nos aumônes, nos mortifica-
tions, n.itre soumission à la Providence,
notre cliaritt5 envers nos onnetiiis , nos bons
procédés envers ceux qui nous persécutent,
et nos edoi ts pour les ramener à Dieu : Ut
videanl opéra vestra bona.
Je sais sans doute que la main gauche
doit ignorer le bien que fait la droite; qu'il
nous fst ordonné de fermer notre porte et
de prier en secret, de laver noire face et de
caclier nos jeûnes; mais pas toujours! il
faut savoir allier la charité avec l'humilité;
il faut que, suivant les règles de ce discer-
nement que donne l'Esprit-Saint, nos bon-
nes œuvres soient tantôt cachées et tantôt
visibles, ut videant. Et pourquoi visibles ?
est-ce atin d'obtenir ce que chercha ent les
pharisiens, l'estime et les louanges des
tiommes? ah I non sans doute, nous rece-
vrions alors notre récompense ici-bas; mais
atin de l'aire glorifier ce Dieu suprême qui
coniemple du haut des cieux l'action et
l'intention, et ne récompense que ce qu'on
fait en vue de lui [)iaire : Ut glorijîccnl
Patron vestrum qui in cœlis est.
Aussi Jésus-Christ, qui a voulu nous don-
ner à la fois des leçons d'humilité et de
charité, mais plus en actions qu'on paroles,
après avoir fait le bien en secret pendant
trente ans, et en()ublic pendant trois, nous
a-t-il laissé, en aiouranl, ce grand précepte
qui est l'abrégé de tout l'Evangile, et qui
devrait être l'objet d'une éternelle médita-
tinn pour un prêtre : Exemplum dedi vobis,
ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis.
(Joan.,X!lI,15.)
La nécessité du bon exemple, surtout
dans un |)rêtre, est donc évidente; mais son
etlicacité no dira t-eile rien à nos cœurs?
Si, dans une action [>érilleuse un chef mili-
taire commandait à ses soldats d'avancer,
en se tenant lui-même derrière eux, croyez-
vous qu'il fût obéi? ils ne marchent que
parce (ju'ils voient le chef à la tête courir le
l>remiei- à l'ennemi. Il en est de même dans
la milice sainte; rien ne touche et n'ins-
pire la vertu, rien n'enflamme le zèle et la
piété, dit le concile de Trente, comme le
bon exemple et la sainteté de ceux qui se
sont consacrés au divin ministère : Niliil est
quod alias inagis ad pielalem et Dei cullutn
assidue inutruat, quam corum vita et earem-
plum, qui se dicino minislerio dedicarunt.
D'où vient ce pouvoir, cet empire si en-
traînant du bon exemple? Vous le savez,
mes chors confrères, il prend sa source dans
la nature elle-même; rhounne est né imi-
tateur; un penchant naturel nous porte à
l'aire ce que nous voyons faire; sans doute
ce penchant est incomparablement plus
fort [)0ur le mal que pour le bien; aussi
les mauvais exemples sont bien plus fu-
nestes que les bons ne sont utiles. Mais
ceux-ci sont pourtant le plus grand moyen
d'inspirer la vertu : Longum iter per prœ»
ceptn; brève per exempta. Cette maxime est
vraie pour tout : on résiste souvent h un
bon conseil ; il est plus rare qu'on résiste à
un exemple, surtout quand il est persévé-
rant, et qu'il est doimé par des hommes
que leur autorité, leur science, leur expé-
rience nous rendent respectables. N'est-ce
pas là ce que sont auprès des peuples les
ministres évangéliques? Aussi, dit saint
Léon, ils instruisent bien plus eflicacetnent
par leurs œuvres que par leurs paroles î
Plenius opère docetur, quam voce.
Pour nous borner ici h quelques idées
particulières, plus faciles à retenir, quel
est, je vous le demande, le grand moyen de
ranimer la foi, aujourd'hui, hélas 1 presque
éteinte, et de réveiller l'indifférence pres-
que nniverselle? n'est-ce pas le bon exeni-
ple ? Et quand je dis de ranimer la foi, je
pourrais ajouter d'en prouver la vérité.
L'autorité de l'exemple, démontre, en effet,
plus solidement les vérités du christianisme
que l'éloquence de la parole? Je me con-
f. sse, donc je crois à la confession ; c'est la
pratique la plus pénible, la plus humiliante,
la plus contraire à tous les penchants de la
nature; donc je ne m'y détermine que [tar
un secours divin qui m'élève au-dessus de
la nature ; et si c'est Dieu qui me donne, et
qui peut seul me donner la force de me
confesser, c'est donc lui qui a établi la
confession. Cette preuve, que fournissent
à la fois tant de chrétiensde tous les siècies»
est à l'abri de tous les sophismes. Parcourez
toutes les vérités de la religion, et voyez
s'il en est une seule que l'exemple ne dé-
montre mille fois mieux que tous les dis-
cours. Ou sait ce qu'il en coûte pour prali-
quei" la chasteté, le pardon des injures, la
pénitence, l'abnégation de soi-même; on
ne se gênerait |)as ainsi, si l'on n'avait non-
seulement la conviction que ces vertus sont
nécessaires, mais de plus l'espoir d'obtenir
cette force qui lriom{)he do notre faiblesse.
Or, Dieu n'accorde ses grâces que pour
remplir les préceptes de sa loi ; l'impie et
le libertin n'ont rien à opposera ces sages
dispositions de la Providence divine. La
vérité du christianisme a été mieux dé-
montrée par Ihéroique patience des mar-
tyrs que par toute l'érudition des apolo-
gistes.
Aussi, quels sont les bons prédicateurs?
Ce sont ceux qui font leurs sermons, disait
ingénieusement un des plus illustres prélats
de l'Eglise de France (1); c'est-à-dire, ceux
qui pratiquent la doctrine qu'ils prêchent.'
Alors ils prêchent non-seulement lorsqu'il*
sont en chaire, mais dans toutes les circons-
tances où ils sont vus. On aime à lire dans
la conduite d'un ministre do Dieu la doc-
trine qu'on a déjà entendue de sa bouche.
Un des compagnons de saint François-Xa-
vier prêchait dans une ville infidèle, en pré-
sence d'une assemblée nombreuse, lorsque
(1) Monseigneur Louis-François d'Orléans de La MoUp, évcaue d'Ainien>
ns
RETRAITE. — INSTRL'CT. XV, SUR L'EXEMPLE.
89G
un homme de la lie du peuple s'approche de
lui, comme pour lui p.uler, et lui fait une
grave insulte, la même que d'ignobles va-
lets firent éprouver h Jésus-Christ dans le
cours de sa [lassion. Le missionnaire, sans
se permettre la moindre (ilainle, sans faire
paraître la moindre émotion, essuie son
visage, et continue tranquillement son dis-
cours. Il n'en fallut pas davantage pour <lé-
cider le succès de la prédication; une pa-
tience aussi suljlime ravit d'admiration
toute l'assemblée, loucha surtout un des
plus savants personnages de la contrée qui
était ()résenl. Il avait résisté jusqu'alors au
pouvoir de la parole, il ne résista pas h ce-
lui de l'exemple; Quoi 1 se dit-il à lui-même,
tuie religion qui in-^piro tant de modéra-
tion, tiint de grandeur d'âme, qui rend
l'homme si supérieur à lui-ciêine, ne serait
qu'une religion humaine? Non, il est im-
possible quelle ne vienne pas du ciel. Après
le sermon, il demanda le baptême, qu'on
lui donna solenuellemenl, et sa conversion
en entraîna un grand nombre d'autres.
Voilà les preuves qu'emploient les saints!
ils emploient aussi, comme nous, les preu-
ves de dooirine, mais les succès prodigieux
de leur ministère sont dus principalement
h l'éclat de leurs vertus Supposons ileux
pasteurs, l'un irès-érudil, irès-éloquent ,
ma;s d'une vertu {)eu solide ; l'autre, d'une
médiocre instruction, d'une éloquence très-
onliiiaire, mais d'une piété, d'une charité,
d'un zèle à toute épreuve : lequel des deux
fera le plus de bien dans une paroisse?
Nous le voyons tous les jours, ce sera le
dernier. Comment s'y prenait saint Jean-
Bapiisie pour persuader les vérités austères
qu'il prêchait ilans le désert? faisait-il de
longs raisonnements? opérait-il même des
miracles? Non, il pratiquait ce qu'il disait.
On entendait sortir de sa bouche ces [laro-
les îévères : Pœnilenliam agite, appropin-
quavit enim regnuin cœlorumlMalth., iil, 2).
i'rogenies vipcrurumquis demonstruvil vobis
fugere a venlura ira ? facile ergo fructum
diynitm pœnitentiœ (Luc, JII, 7, 8). Mais
couimeni des^aroles qui semblent si re-
pou.>siuites pouvaieni-eiles attirer tout Jéru-
salem, et convertir les [)é(heuis les plus
endurcis? L'Evangile nousex[tlique ce mys-
tère : Joannes hubebat vestimentum de pilis
camelorum, et zonam pelliccam circa lumbos
suos, esca aitlem ejus erat locusta et mel sil-
veslre. l'um exibut ad eum Jerosolima, et
omnis Jiidœa baplizabantur ab eo con-
filenlespeccatasua [Matlh., 111, 4-6). Un vô-
leuient pauvre et lude, une vie sobre et
morliliée, la retraite et l'oraison : voilà ce
(jui donnait aux paroles de saint Jean une
loice toute-puissante. On ne [)eut argumen-
ter citnlre de telles preuves, et voilà tout le
secret de la sévère éloquence du précur-
seur du Messie.
Ne doutons pas. Messieurs, que l'impiété
de notre malheureuse pairie, si [)rolonde
d'ailleurs et si audacieuse, résistât à de
semblables démonstrations. On a laif, pour
la coiid)ailre, do savants ouvrages, bien
utiles sans doute; mais si Dieu, dans sn
miséricorde, daignait nous donner deux ou
trois hommes seulement d'une sainteté
éminente et d'une vertu supérieure comme
les Hyacinthe, les "Vincent Ferrier, les Bar-
thélcmi des Martyrs, les Vincent de Paul,
croyez-vous que leurs exemples ne fissent
pas infiniment plus d'impression que toute
la dialectique de nos anciens controversisles
et le talent de nos écrivains, si estimables
d'ailleurs.
Mais pour convertir il ne sufTit pas de
ranimer la foi ou do prouver ce qu'elle en-
seigne, il faut de plus encourager la fai-
blesse et réveiller la lâcheté ; et c'est encore
là le privilège du bon exemple. Ce qui éloi-
gne le plus souvent de la vertu, c'est qu'or»
la croit ou impossible ou trop difficile ; mais
quand on la voit pratiquée par des êtres do
même nature que nous, par des hommes
qui sont nés avec les mêmes penchants et
les mêmes faiblesses, le cœur se ranime, le
courage s'enflamme, et l'on s'écrie avec
saint Augustin : Quoi 1 Victorin a triomphé
de ses passions, et moi je resterais esclave
des miennes I Je vois devant moi tant de
modèles de chasteté, de tempérance , de
piété, et je craindrais d'entrer dans une
carrière que tant d'autres ont parcourue
avec succès? Et lu non poleris quod isti et
istœ ?
Qu'est-ce qui convertit saint Pacôme et
fit de ce soldat païen un fervent solitaire?
la charité compatissante des chrétiens en-
vers les prisonniers. Il fut touché de la
beauté d une religion qui inspire des sen-
timents si humains. Et l'univers entier, par
quoi fut-il converti ? par les vertus des apô-
tres, répond saint Chrysostorae, bien plu.<»
(|ue par leurs miracles : Miindum converte-
runl, non pr opter miracula quœ fecerunt,
sed quia in ipsis verus erat gloriœ pecunice-
que contemptus. Oui , mes chers confrères,
un mépris généreux de la gloire et de l'ar-
gent est un espèce de miracle qui touche
bien plus que la guérison des aveugles et la
résurrection des morts. Si les apôtres, en
|)rêchant l'Evangile, s'éiaient bornés à com-
mander à la nature et à se faire obéir des
éléments, sans doute on les aurait admirés
comme des hommes extraordinaires; peut-
être même eût-on cru les vérités qu'ils prê-
chaient; mais on aurait dit: Si ces vérités
sont aussi certaines qu'ils l'annoncent,
pourquoi ne les pratiquent-ils pas eux-
mêmes? et s'ils s'en dispensent, ne pou-
vons-nous pas aussi nous en dispenser?
Mais en les voyant retracer par leurs exem-
[)!es les vertus sévères qu'ils prêchaient, et
marcher les |)reiniers dans la route pénible
que leur Maître avait teinte de son sang,
les f)lus indifférents se sentaient la force <Je
les suivre, et entraînaient après eux une
foui'-' d'imitateurs. C'est ainsi que dans ces
temps heureux les fidèles étaient chacun
comme autant d'apôtres et présentaient l'E-
vangile comme écrit dans leurs actions, ou,
pour parler le langage de ïertulien, les
[iromiers chrétiens (J'al')rs, étaient par Isurs
827
ORATEURS SACRES. MOREL.
828
mœurs un abr(''gé de l'Evangile : Compen-
dium Evnngelii.
Héli.-s I ils le seraient encore aujourd'hui
s'ils voyaient en nous les vertus des apô-
tres. Jugeons-en par nous-mêmes : lorsque
nous rencontrons un confrère pieux et zélé,
îic sommo-nous pas mille fois plus touchés
de ses exemples que nous ne le serions de
ses avisîMaisque dis-je?en lisant la Vieiies
saints ne sentons-nous f»as s'allumer dans
dans notre cœur une piouse émulation, un
saint désir <.'e ]esimiter?Ne nous roprochoiis-
nous pas d'y avoir manqué? n'avouons-
nous pas que c'est p.ir noire faute, et ne for-
mons-nous pas la résolution de combaltre
avec vigueur tel défaut, le! ()enclianl qu'ils
ont vaincu? Or, Messieurs, si le seul récit
des actes de la Viedessainis produit en nous
une telle impression et ranime ainsi notre
courage et notre ferveur, que ne fera pas
le spectacle touchant de ces mômes vertus,
si nous les voyons mettre en [)ratique?
Aussi quelle différence entre une parois e
qui a reçu du ciel le bienfait inappréciajjle
d'un saint pasteur, et celle qui a le malheur
t''avoirà sa tête un chef peu édiliantl Je sais
sans doute qu'un pasteur exemplaire n'a
pas toujours la consolalion de corriger tous
les désordres; mais du moins il instruit, il
surveille, il exhorte, il presse, il loue, il re-
prend, et surtout il édifie. A force de tra-
vaux et de vertus, il parvient h former une
réunion de chrétiens fervents, qui, en iuii-
tant les exemples de leur guide, rappellent
sans cesse et fortifient ses instructions, en-
couragent la vertu timide, et confondent
l'orgueil des méchants, opposent une bar-
rière au torrent du vice et forcent le crime à
se cacher et à rougir de ses propres excès.
Mais vous savez que le bon exemple d'an
pasteur ne borne pas son influence à ses
ouailles, et que celle salutaire influence
s'étend sur les autres pasteurs, comme sur
les autres paroisses.
Vénérables confières, regardons comme
le plus important de nos devoirs l'obliga-
tion du bon exemple ; donnons-le en toutes
choses, m omnibus, suivant la doctrine de
l'Apôire. Permettez qu'en finissant je rap-
pelle les saints avis qu'il donnait à ses disci-
ples, Tite '.■t Timolhée : Jn omnibus, disait-
il au premier, te ipsum prœbe exemplum bo-
norum operum, in doctrina, ininlegrilate,in
gravitale; verbum, sanum, irrepreliensibile,
ut is qui ex adverso est, vereatur, niliil ha-
bens maliimdicere denobis. « Montrez-vous un
modèle de bonnes œuvres en toutes choses, dans
la pureté' de votre doctrine, dans Vinlégrilé
de votre vie, dans la gravité de vos mœurs ;
?ue vos paroles soient saines et irrépréhensi-
les, afin que nos adversaires soient forcés de
rougir de ta haine qu'ils nous portent, n ayant
aucun mal à dire de nous » {Tit. il, 7,8.
Ce môme Apôtre reflète à peu près les
mêm«s instructions à Tiuiothée : Ncmo ado-
lescen-tam tuam contemnal; sed exemplum
est 0 fideltum m verbe , in conversatione, n
char tate,infide,in castitate. «l Ayez soin que
pers.inne neméprisevotre jeunesse; mais soyez
l'exemple des fidèles dunsvosparoles,d(ins votre
conduite, dans la charité, dans lafot, dans la
chasteté. » (1 Tim. IV, 12. j 11 faudrait plusieurs
discours pour dévelop|)or ces maximes ad-
mirables; vos réflexions feront ici bien mieux
que les miennes, et vous remarquerez dans
ces deux textes trois choses expressément
répétées, et qui sendjient tenir d'une ma-
nière toule particulière au cœur de l'Apô-
Ire. La première regnrde le bon exemple
dans la foi et la doctrine : In fide, in do-
ctrina. Oh I qu'il serait à plaindre, ot quel
mal ne ferait pas un prôtre téméraire qui
laisserait échapper le moindre doute sur la
doctrine de l'Église, et sur la soumission
et le respect qui sont dus aux premiers
p.isieurs, et surtout à la chaire de saint
Pierre I
La seconde regarde la manière de parler :
in verbo, verbum sanum, irreprehensibile. Il
ne doit sortir de la bouche d'un prôlre rien
que de vrai, de grave, do sensé, de prudent,
de religieux, religione plénum, comme s'ex-
piime le concile de Trente. Ne confondons
pas une gaîlé discrète avec la légèreté :
celle-ci serait un scaiid.ile. Le mot de saint
Bernard trouve ici sa place : Ce qui n'est
qu'une pure plaisanterie dans un homme du
monde, est souvent un blasphème dans la
bouche d'un prôtre : In ore laicinugœ inore
sacerdotis blasphemiœ.
Enfin, ce qui en troisième lieu doit fixer
notre attenlion dans les paroles de l'Apôtre,
c'est la nécessité du bon exemple en fait de
mœurs : in integritale, in castitate. Oli ! mes
chers confrères, c'est ici la vertu par ex-
cellence pour un prôtre, c'est ici laplus;in-
dispensable des vertus sacerdotales, celle
que les gens du monde observent le plus
d;ins un ecclésiastique, et qu'ils exigent de
lui avec le plus d'autorité. C'est sur l'obser-
vation du précepte de la chasteté qu'ils se
montrent le plus sévères à notre égard ; car
pour eux-mêmes, vous le savez, ils se par-
donnent tout ; et c'est précisément pour cela
qu'ils ne nous pardonnent rien, pas un re-
gard, pas un geste, pas une parole, pas un
sourire déplacé. Sans doute le Seigneur le
permet ainsi pour nous rendre plus diffi-
cile la violation de la plus sainte des lois.
Mon Dieu I faites que du moins sur un point
aussi délicat chacun de nous puisse répéter
avec sécurité le mot sublime de notre mo-
dèle : Quis ex vobis arguet me de peccato?
[Joan., Vlli.ie.) Portons tous ce défi aux en-
nemis de la religion.
Oh 1 mes chers confrères, qu'il est véné-
rable et justement vénéré cet homme de
Dieu qui se montre partout et en tout une
image vivante delà modestiede Jésus-Christ
Ilabitu, geslu, incessu, sermone, comme parle
le concile de Trente. Quel respect, quelle
confiance n'inspire-t-il pas, lorsqu'il paraît
dans une assemblée! La bonne odeur de ses
vertus, disons mieux, la borineodeurde Jésus-
Christ qui vit et agit en lui, s'exliale aussi-
tôt do toutes parts, connue un parfum pré-
cieux : Christi bonus odor sumus (11 Cor.,
11, 15). Il se répand autour de sa personne
829
RETRAITE. — INSTriUCT. XVI, SUR F,ES VOCATIONS ECCLESI ASTIQUES-
850
je ne sais quoi de céleste, qui instruit, qui
louche, qui plaît, qui console, qui imicou-
rage, qui n^jouil, (jui coiiiniuni(|ue ii loulos
les â!iios une lioiire éinulalioii pour le bien
et I ardeur de l'ainour divin : IVec est qui se
abscondat a calore ejus {Psnl. XV 1 1 ! , 7) . Pu isse
chacun de vos paruissicns rccoiinnîlre dans
leurs pasteurs le portrait de cet homme do
bien I
INSTRUCTION XVI.
tES VOCATIONS ECCLÉSIASTIQUr.S.
Videle vocalioncm vcsirain. (I Cor., I, 20 )
Mes frères (5) ,
En crevant cet immense univers, Dieu a
fixé à chacun des êtres, soit maléricls, soit
raisonnnb'osqui le coraposent, la place qu'il
doit occuper et la fonction qu'il doit rem-
plir. De là la beauté de l'ordre f)h.ysique qui
nous charme dans les uns, et l'harmonie de
l'ordre moral qui règne dans les autres; car
tout ce que Dieu fait est bon, sage, partaile-
ment lé.lé. parfaitement ordonné. Il a atta-
ché au fil marnent ces vastes corps tout écla-
tants d'une lumière douce et bienfaisante ,
et a chargé le soleil de nous éclairer pen-
dant le jour, et la lune et les étoiles pendant
la nuit. Il a couvert la surlace de la terre
d'une niuItiUide innombrable et variée d'a-
nimaux , de plantes, de fleurs, de fruits,
destinés au service et au plaisir de l'homme.
11 a enchaîné la fureur de la mer, il a per-
mis qu'elle servît au bien de la terre, sans
la ravager, et qu'elle facilitât à ses habitans
leurs rapports et leur commerce avec les
contrées les plus lointaines. Si cet ordre
admirable venait à cesser, l'univers rentre-
rait dans le chaos.
Même sagesse, même harmonie, même
beauté priiiiilive dans l'ordre moral , dont
Dieu est aussi l'auteur, mais qui malheuse-
nient peut êHe altéré bien souvent par la
licence des passions et la malicedes hommes.
Chaque êlre raisonnable a ici- bas sa desti-
nation particulière ; les uns sont pré|)Osés
pour commander, diriger, instruire; les
autres sont chargés d'obéir, de se soumettre
et de recevoir avec reconnaissance les lu-
mières et les secours qu'on leur procure.
C'esl la divine Providence, toujours sage,
toujours paternelle, qui fixe et fait connaître
à chacun l'emploi qu'elle lui assigne, qui
lui donne les inclinations, les talents, les
qualités propres à cet emploi , et qui lui a
pré[)aré les moyens et les secours dont il
aura besoin pour en remplir les devoirs et
en éviter les périls; pour en vaincre les dif-
ticuUt's et pour s'y sauver , car le grand but
de Dieu , comme il doit être le nôire , c'est
notre salut éternel.
Heureux donc celui qui embrasse l'état
auquel Dieu l'appelle, et qui s'y conduit
d'une manière clirélienne 1 11 y trouve la
tranquillité de la vie présente et l'espoir si
consolant du bonheur de rélernité. Mais
qu'il serait à plaindre celui qui, par impru-
(l) Ce discours était prêché dans les églises ca-
lliedrales en présence des lidcU-s, <iui b'eiupresiaieut
dence, avarice ou ambition , entrerait dans
un état auquel il n'est pas appelé! Hélas 1
en contrariant les vues de la Providence,
il se préparerait des remords et des malé-
dictions pour cette vie, et mettrait son salut
éternel dans le plus grand péril.
Mais si l'obligation de répondre chacun i^
notre vocation est si grande, si im|)orianle
pour toute espèce d'étals, combien plus ne
!'est-elle pas pour les deux étals les plus
saints et les plus sublimes que Dieu ait
établis; je veux dire l'état religieux et l'état
ecclésiastique. Ah! malheur à un enfant
qui enirerait dans un de ces états sacrés
sans y être appelé de Dieu, ou qui n'y en-
trerait pas y étant appelé ! et malheur, mille
fois malheur ! aux parents aveuglés et dé-
raisonnables qui contrarieraient la vocation
de leurs enfants! ils les perdraient et se
perdraient eux-mêmes.
Mes frères! le vénérable pontife qui gou-
verne votre diocèse avec autant de sagesse
que de bonté , s'occu[)ant nuit et jour du
malheur de tarit de paroisses privées de
culte et de pasteur, nous a exjiresséraent
recommandé de vous exposer l'obligation
oià sont les pères et mères de favoriser,
d'encourager de toutes leurs forces, mais
sans la viole^nter, la vocation ecclésiastique
dans leurs enfants. Quelle plus belle occa-
sion de traiter ce grand sujet! Certes, si
quelqu'un d'entre vous avait besoin de re-
noncer à certaines préventions contre lo
{)lus important de tous les états, et de se
former une haute idée de l'excellence du
sacerdoce , quoi de plus propre à la lui ins-
pirer que le spectacle auguste qui frappe
en ce moment vos yeux! Vous voyez ici une
réunion solennelle de pasteurs, dont les
vertus et les talents vous sont connus , et
dont le zèle a ravi votre admiration en tant
de circonstances. L'Esprit-Saint , dans le
calme de la retraite , vient de leur donner
des forces nouvelles pour aller continuer
l'œuvre de Dieu avec plus d'ardeur encora
et plus de succès; et dans un moment, ils
vont renouveler entie les mains du premier
pasteur, et en présence des anges du ciel
et des fidèles de la terre, l'engagement
sacré de travailler toute leur vie à la sanc-
tilicalion et au salut de leurs concitoyens.
Quel père, quelle mère ne se féliciterait de
voir quelqu'un de ses enfants au n(jmbre
de ces vertueux pasteurs qui font la conso-
lation et lagloire de l'Eglise, et auxquels le
monde lui-même, tout aveuglé qu'il est, est
forcé de rendre hommage?
Entrons en matière, et veuillez tous,
mes frères, me prêter une attention sou-
tenue.
PREMIÈRE PARTIE.
Pousser dans le sacerdoce un enfant qui
n'y est pas appelé est un crime énorme,
[ilusrare peut-être aujourd'hui qu'autrefois;
éloigner du sacerdoce un enfant que Dieu
de se rendre à l'iinpcsanle cérémonie de la clôture
Icb 'elraitCB.
851
ORATEURS SACRES. MOREL.
853
y appelle , pst un criiiie aussi grand , et
conimiin aujourd'hui dans certaines classes.
Pourquoi ? c'est entre autres choses parce
qu'un monde impie qui ne veut point de
prêtres, parce qu'il ne veut point de Dieu,
s'attache tous les jours à décréditer la di-
gnité d'un élat qui contrarie ses passions,
«'t dont le seul aspect réveille ses remords.
A force d'entendre dire dans les sociétés
mondaines que le sacerdoce est un élat
méprisable, inutile, onéreux, cerîains pa-
rents en conçoivent une horreur secrète,
qu'ils inspirent à leurs enfants. Parenis a-
veuglés, veuillez réfléchir, et vous revien-
drez de vos préventions ; et vous verrez
qu'il n'est rien de plus grand, rien môme
de plus nécessaire au boriheur du monde
que le sacerdoce. Développons ces deux
idées autant que les homes d'un simple
entretien nous le permettent.
Je dis rien de plus grand : car, mes frè-
r-^s, qu'est-ce qu'un prêtre? c'est un hom-
me que Dieu a relire des soins profanes et
de la corruption du monde , pour le consa-
crer aux Iravaux glorieux et aux fonctions
sublimes de la religion; c'est un homme
qui lient sur la terre la place de Jésus-
Christ, et qui est auprès des autres hommes
l'ambassadeur de la Divinité: Pro Christo
iegatione fungimur; (Il Cor., V, 20) disons
mieux, c'est un homme qui en un sens
n'apparlient plus à la terre, mais qui est
placé entre la terre et le ciel, afin d'offrir à
Dieu les supplications, les vœux, le besoin
des peuples, et de faire desi-endre sur eux
les secours, les grûces, les bénédictions de
Dieu.
Un prêtre! c'est un homme chargé par
office d'intercéder avec Jésus-Christ , le
prêtre éternel , pour la conversion dos pé-
cheurs, l'affermissement des justes, la sanc-
tification et le salut de tous les hommes, la
paix des familles, la prospérité des empi-
res, l'union entre les rois et entre les peu-
ples, le bonheur et la tranquillité de toute
la terre ; et cet homme, priant au nom de
Jésus-Christ et avec Jésus-Christ obtient,
des glaces et des secours privilégiés que
n'obtiendraient pas le reste des mortels.
Un prêtre 1 c'est un homme chargé d'an-
noncer aux autres honmies les volontés
éternelles du Créateur, les oracles de sa vé-
rité, les maximes de sa loi, les bienfaits de
sa miséricorde, les promesses et les mena-
ces de sa justice ; et ce ministre de la parole
sainte. Dieu veut qu'on l'écoute avec le
même respect qu'on écouterait la voix mê-
me du Très-Haut: Tanquam Deo exhorlanle
per nos ; [Ibid.) et si quelqu'un méprisait
ce prêtre, insliuisant, prêchant, catéchi-
sant au nom et par l'autorilé de Jésus-Christ
Dieu le menace de le punir aussi sévère-
ment que s'il méprisait Jésus-Christ lui-
même: Qui vos spernit me spernit [Luc,
X, 16.)
Un prêtre! c'est un homme qui occupe
dans le tribunal de la pénitence la place du
Juge suprême, qui interroge les cœurs, qui
sonde et juge les consciences, qui les ab-
sout ou les condamne, qui remet ou retient
les péchés, qui prononce sur la destinée
éternelle des âmes, qui ouvre ou ferme l«
ciel avec la même autorité que Dieu lui-
même : Quœcunque allignveritis et soheritis
super terrnm, eriint ligata et soluta in cœlo
[Matth. XVIII, 18.)
Un prêtre 1 c'est un homme qui paraît
tous les jours à l'autel pour offrir à Dieu,
quoi? Dieu lui-même; un homme qui re-
nouvelle tous les jours le sacrifice auguste
de la croix , et inonde en quelque sorte la
terre entière du sang de Jésus-Christ. Oh!
qu'il est grand, qu'il est vénérable, ce mi-
nistre de la religion, opérant le plus subli-
me des mystères ! Mais comment le racon-
ter, ce prodige des prodiges? Un prêtre s'a-
vance annonçant par la gravité de son
maintien l'appareil de la religion qui l'en-
toure, l'importance du ministère qu'il va
remplir : il "monte 5 l'autel revêtu de la mê-
me puissance , et portant dans son cœur les
mêmes vues de Uiiséricordeque Jésus-Christ
porta sur le Calvaire. Les prières les plus
solennelles, les cérémonies les plus augus-
tes, précèdent le plus majestueux des sa-
crifices. Le minisire du Très-Haut offre du
pain et du vin, et invite les fidèles à élever
leur cœur veis le trône éternel : tout à coup
un silence grave se répand dans l'assemblée
sainte; le recueillement le plus profonda
succédé au ch.int des cantiques. Frappé de
ce spectacle, l'impie lui-même est forcé de
se montrer religieux. Cependant tous les
esprits sont dans l'attente; une vive émo-
tion agite tous les creurs: le signal est
donné, le voici enfin ce moment sublime!
Cieux ! soyez saisis d'élonnement ! et toi,
terre 1 prépare-loi à adorer ton Maître. Celui
que les patriarches ont appelé par tant de
vœux, celui que les prophètes ont annoncé
par tant d'oracles, va descendre du haut des
cieux sur cet autel. Le prêtre ne lient en-
core dans ses mains que du pain et du vin ;
il prononce ces paroles toutes-puissantes:
Ceci est mon corps, ceci est mon sang [Matth..,
XXVI , 26), et le pain et le vin ne sont
plus; il n'en reste que les apparences; et
c'est le corps et le sang d'un Dieu, c'est Jé-
sus-Christ lui-même, environné de ses an-
ges, qui se trouve entre les mains du prê-
tre, et se présente aux adorations du peu-
ple 1 Le ciel est descendu sur la terre, et
c'est un prêtre qui a opéré ce prodige!
Ah! heureux donc, mille fois heureux,
vous, enfant de bénédiction, que Dieu ap-
pelle à l'état sublime du sacerdoce ! et vous,
()ère de cet enfant, à qui Dieu destine l'hon-
neur de donner un ministre à l'Eglise, un
coopérateur à Jésus-Christ, un ange visible
à la terre 1 et vous, mère, qui serez bénie
un jour par cet enfant chéri que votre sein
a porté, et duquel on pourra dire en un
sens, comme du Fils même du Très-Haut:
Heureuses les mamelles qui vous ont allaité 1
heureuses les entrailles qui vous ont enfanté l
[Luc, XI, 27.) Mère fortunée, ah! félicitez-
vous, et bénissez Dieu d'avoir été choisie
pour donner la vie à un enfant qui sera un
835 RETIWITE. — INSTRICT. XVI, SUR LES VOCATIONS ECCLESIASTIQUES.
jour grand devant le Seigneur, plus grand
en quelque sorte que Jean-Baplisle et tous
les prophètes, qui ont eu, il est vrai, Je
bonheur d'annoncer, mais non d'ofTrir, de
tenir dans leurs mains Jésus-Chrisl ; plus
grand que les cieux, puisque le maître des
cieux obéira à sa voix ; mille et mille fois
plus grand que tout ce qu'il y a de grand it
d'élevé sur la terre 1
Oui, mes frères, la sublimité du sacerdoce
est au-dessus de toutes les grandeurs hu-
maines. Daignez m'écoufer, vous surtout
qui avez entendu de la bouche des imines
un langage si différent. Je sais sans doute
que le prêtre n'est, par lui-même, comme le
reste des hommes, qu'un faible mortel en-
touré de misères et d'infirmités ; mais je dis
que le caractère auguste et l'autorité sacrée
dont Dieu lui-même l'a revêtu le placent
au-dessus de toutes lesgrandeurs humaines.
Et en effet, qu'y a-t-il ici-bas qui puisse
égaler la dignité d'un re})résenlaut de Jésus-
Christ? Serait-ce l'autorité d'un juge, d'un
magistrat, de quelque autre dépositaire du
pouvoir? Un prêtre l'a aussi, celle autorité;
mais les juges, les magistrats de la terre,
ne prononcent que sur des objets matériels,
ne gouvernent que les corps, et un prêtre
juge et gouverne les âmes, infiniment su-
périeures aux corps. Serait-ce la dignité si
imposante d'un général d'armée ? Un prêtre
aussi esta la tête d'une milice, puisqu'il est
rnvoyé par l'Eglise militante pour combattre
ies ennemis du Seigneur. Mais quels sont-
ils, ces ennemis qu'il a le pouvoir de re-
pousser et de vaincre? Ah 1 ce ne sont pas
quelques milliers d'hommes faibles et mor-
tels; c'est louie la force et toute l'impétuo-
sité des (lassions humaines ; c'est toute la
malice et toute l'astuce du monde armé
contre Jésus-Chrisl ; c'est toute la puissance
et toute la rage des légions de Tenfer.
Serait-ce les ministres d'un roi mortel
qu'on pourrait comparer avec un ministre
du Roi des siôcles, marqué d'un caractère
ineffaçable qui doit durer autant que Dieu
même, tandis que le caractère des représen-
tans d'une puissance hiitnaine peut cesser
à chaque instant? Serait-ce encore la ma-
jesté des rois eux-mêmes qui pourrait sur-
passer la dignité d'une prêtre? Et lui aussi
est roi, et pour marque de sa royauté, il
porte, dit saint Anselme, une couronn-i sur
la tête. Mais prenez garde, son empire n'e^t
pas borné à quelques provinces, comme celui
des rois ordinaires; il embrasse tous les j)eu-
ples, toutes les contrées de la terre : Domina'
hitur a mari usque ad mare. (Psal., LXXI,
8.) Ce n'est pas tout: il descend jusqu'aux en-
fers qui lui obéissent; il s'élève jusqu'aux
cieux, dont il a les clefs, et où personne sans
distinction ne peut entrersans son nnnistère.
Aussi quels hommages n'ont pas rendus
dans tous les temps les souverains et les
potenlais de la terre à la dignité sacerdotale !
«piel auguste et touchant spectacle que la
vénération d'un Constantin pour l'assemblée
fiontificale de Nicéel que l'obéissance d'un
Tliéodose à l'autorité du prêtre de Milan I
8ô4
que les égards et le respect de l'empereur
Maxime pour l'évêque de Tours, et même
pour le simple prêtre que saint Martin me-
nait avec luil Mais surtout quel sublime
S|teclacle que l'attitude res[)ectueuse du fier
Attila en présence du pontife romain I Ce
fameux dévastateur qui so nommait lui-
même le fléau de Diou et la terreur de l'uni-
vers, après avoir mis la mo tié de l'Europe
h feu et à sang, allait p )rter les mêmes ra-
vages dans la capitale de l'Eglise; saint
I^éon va à sa rencontre, et, soit par les
charmes de son éloquence, soit par l'ascen-
dant de ses vertus et l'éclat de sa dignité,
soit par une force surnaturelle dont l'avait
investi le Dieu des armées, ce seul prêtre
arrête au milieu de ses triom|ihes, et fait
rétrograder un conquérant féroce, ivre de
ses victoires, entouré d'une armée nom-
breuse, qui faisait reculer lui-même les
jieuples et les rois.
C'est ainsi , mes frères , que Dieu se plaît,
quand il veut, à montrer le sacerdoce su-
périeur h tout ce qu'il y a de |)lus grand ,
de plus imposant , de plus majestueux sur
la terre. Mais que dis-je , sur la terre ? igno-
rons-nous que , pour nous donner une
juste idée de la dignité des prêtres , Dieu
lui-môme va prendre des termes de compa-
raison jusque dans les cieux , et qu'il leur
donne le même non» qu'aux intelligences
les plus sublimes, qu'il les appelle des an-
ges ? Angélus Domini exerciluum. Et que
dis-je encore, la dignité sacerdotale n'est-
elle pas, sous ciTlaJns rapports, supérieure
à la dignité angélique? Quel est l'ange à
qui Dieu ait dit: Tout ce que vous délierez
stir la terre sera délié dans le ciel? [Mallh.,
XVllI , 18.) Les anges adniirent l'autorité
des prêtres, et vont |)or(er aux [)ieds du
Très-Haut les jugements des consciences;
mais eux-mêmes ne peuvent juger. Quel
est l'ange qui ait reçu le pouvoir de consa-
crer lo corps de J('si;s-Clirist ? Les anges se
tiennent prosternés sur les marches de l'au-
tel, tandis que le prêtre, debout, opère lo
plus grand d<;s mystères. Marie seule a pu
produire une fois ce corps adorable que lo
prêtre produit tous les jours.
Une dignité si élevée ii'inspirera aux gens
du monde que mépris et dédain 1 ils la
trouveront au-dessous de leur rang, de
leur naissance , de leurs prétentions ; oserai-
je le dire , ils la trouveront indigne do leurs
enfatit^l Je ne co inais pas d'aveugkment
plus déplorable. Et qu'elle est donc la
source de la vraie grandeur? n'esl-ce jias
Dieu, seul grand par nature, seul i<uteur
de toutes les grandeurs créées? Or qui ap-
proche de plus près la majesté du Très-
Haut que les prêtres, ses amis, ses minis-
tres, ses confidents; les prêtres, exécuteurs
de ses ordres, distributeurs de ses grâces,
représentants auprès des peuples de sa
puissance et de sa bonté?
Ahl sans doute, malheur au prêtre si la
grandeur de ses vertus ne répondait à l'ex-
cellt-nce de ses fondions, si la profondeur
de sou humilité n'égalait la sublimité de son
835
ORATEURS SACRES. MAUREL.
85C
ministère ! Mais quand môme un prêtre
aurait le malheur d'oublier ses devoirs,
serail-il permis aux fidèles d'oublier sa di-
gnité? Hé 1 aies frères, si vous connaissiez
les dangers de nos fonctions et les assauls
terribles que nous livre l'enfer, vous nous
trouveriez dans nos fragilités bien plus di-
gnes de vos prières (]ue de voï censures.
Cependant, nous l'avouons , un prêtre dont
la conduite serait en opposition avec la
sainteté deson état, serait beaucoup plus
coupable que les simples fidèles ; mais ceux-
ci seraient-ils disi>ensés pour cela de res-
pecter son ministère, si émiiiecûment divin?
Non sans doute. Le ministère sacerdotal est
(e plus grand, le plus important auquel la
créature puisse être appelée; mais je dis
encore qu'il est le plus nécessaire au bon-
heur du monde , comme nous allons le voir
dans la seconde partie.
SECONDE PARTIE.
Souffrez que je vous le demande , vous
qui , témoins des travaux sans nombre qui
remplissent la vie d'un prêlre, ne cessez
cependant de les appeler des gens inutiles,
onéreux môme à la société : qui a donc con-
servé dans les siècles de barbarie le <lc()ôt
si [)récieux des sciences, qui a sauvé dans
ces temps d'ignorance l'étincelle du génie,
et ranimé le flambeau pilli-ssanl des leitres,
sinon les prêtres? Vous ne cessez de vanter
le progrès des lumières: quelles lumières
auriez-vous donc si les |irêtres n'avaient
conservé les anciens manuscrits, ces mo-
numents antiques de l'esprit humain? les
prêtres eux-mêmes n'ont-ils pas laissé à
leur tour des monuments de génie encore
fdus précieux, dont s'honoreront toujours
'éloquence et la littérature? Oserait-on re-
garder comme inutiles, comme onéreux h
la société, ces grands orateurs de l'Église
qui ont dépassé les orateurs les plus fameux,
de l'antiquité païenne, les Grégoire de Na-
zianze , les Basile, les Clirysosloaie , les
Ambroise, les Augustin, les Léon ; et s'd
faut nommer quelques-uns de ceux qui ont
illustré notre l'rance, lesHilaire, les Paulin,
• les Bernard , les Fénélon , les Bossuet ?
quels noms plus célèbres pouna-t-on i)la-
cer à côté de ceux-là?
On parle saris cesse des bienfaits de la ci-
vilisation. Mais qui a donc civilisé les
mœurs sauvages du paganisme, et répandu
dans la société celte douceur de sentiments,
cette cliarilé si prévenante et si généreuse,
cette urbanité, cette aménité de manières
que le christianisme seul peut donner et en-
tretenir, sinon les prôlres ? On ne cesse de
louer, d'encourager la culture de la terre et
les dévelopi)ements de l'industrie. Mais qui
a donc défriché les forêts de l'ancienne
Gaule et de rEuro()e entière ? qui a insiùré
le goût de l'agriculture et de tous les arts
utiles sinon ces prêtres, ces laborieux, ces
infatigables cénobites dont les services ne
trouvent aujourdhui dans un monde ingrat
que calomnies et dérisions? Ainsi, dans ces
temj)S de malheur, nous [)Ouvons le répéter
hautement, le monde est plein d'injustice en-
vers les prêtres ; il oublie trop souvent que
nos vénérables devanciers ont sauvé la ci-
vilisation, que se sont eux qui dans le mo-
yen âge , lorsque la société perdait ses
mœurs et était déchirée par des guerres in-
testines ou détruite par des hordes de bar-
bares, ont préservé la société en recueillant
ses débris dans ces vastes asiles élevés à la
la gloire de la religion ; il oublie que c'est le
christianisme, par le ministère des prêtres,
qui a détruit l'esclavage et appelé tous les
hommes à la vraie liberté des enfants de
Dieu. Le souvenir de ces bienfaits a traver-
sé les âges, et semble s'être effacé dans ce
siècle, où le dévouement du clergé pour les
lettres, les sciences, les beaux-arts et tout
ce que l'aiitiquilé nous a laissé de chefs-
d'œuvre, devrait être plus vivement appré-
cié. Qu'on cesse donc de calomnier le cler-
gé, en lui prêtant un prétendu système d'i-
gnorance et en le déclarant l'ennemi des
lumières. Qu'a-t-il a redouter ? la doctrine
qu'il enseigne est divine : le sacerdoce est
descendu du ciel, et (ie()uis dix-huit siècles,
il expose à l'examen du monde les litres
de son origine et les livres vénérables sur
lesquels il fonde sa
Pour nous élever
croyance.
à des considérations
d'un ordre supérieur, demandons-nous à
nous-mêmes : Qui veille tous les jours à la
pureté des mœurs et au resjject des proprié-
tés ? qui enseigne les règles de la morale,
de la justice, de la tempérance, de la pudeur,
sinon les prêtres ? qui conserve la chasteté
de vos filles, la fidélité de vos épouses, la
probité de vos domestiques ? qui inspire à
tous les membres de votre famille la crain-
te de Dieu, et par suite la soumission, le
respect, l'amour pour votre personne ?qui
prêche la concorde, désarme la vengeance,
combat l'avarice et éteint la fureur des
procès ? qui protège vos champs contre la
main du ravisseur, votre commerce contre
les fraudes de l'injustice, votre honneur
contre la langue.du médisant, votre vie con-
tre le fer de l'assassin ? ne sont-ce pas les
prêtres ?
Que deviendrait la société entière sans
les lumières et les secours de cette religion
bienfaisante dont les prêtres sont les mi-
nistres ? combien de malheureux resteraient
sans pain et sans vêtements 1 combien de
haines, de divisions s'éterniseraient dans
les familles 1 Et l'on ose dire que les prê-
tres sont des gens inutiles et onéreux à la
société !
C'est ici que l'injustice des hommes se
dévoile dans tQute sa nudité : on dirai| que
leur intelligence a été obscurcie par les plus
épaisses ténèbres, que le souvenir du passé
s'est effacé de leur luémoire. On ne recon-
naît plus en eux cette émanation divine qui
distingue la créature intelligente ; et on
peut leur appliquer, à ces hommes perver-
tis par les passions, ces paroles remarqua-
bles du Prophète : Homo cuni in honore
essel, non inlellexit comparalus est jumenCis
insipientibus, et similis (actus estillis. {Psal-,
837
RETRAITE. — INSTRUCT. XVI, SUR LES VOCATIONS ECCLESIASTIQUES.
8Ôλ
XLVllI, 13.) Oui, riiommecorrompuparlos
passions est devi'iui senibl.ible aux animaux;
le flambeau de la raison s'est éteint pour
lui : il méprise ce qu'il devrait honorer, et
honore ce qu'il devriii mépriser. Toujours
(idèle à res()rit de son institution, le sacer-
doce veille aujourd'hui, comme autrefois,
au dépôt sacré de la religion, de la morale
et des lois : lui seul a reçu le pouvoir de
conjurer les tempêtes, de faire aimer les
pouvoirs de la terre en les montrant subor-
donnés à celui du Très-Haut, de rendre
au monde une paix troublée depuis long-
temps ; lui seul touche les cœurs, sait ren-
dre les lois rcs|)ect,ibles, et peut faire d'une
société déchirée et ensanglantée une socié-
té de frères. Voilà les prérogatives du sa-
cerdoce, \oilà le pouvoir des prêtres. Ce-
lui des princes n'atteint que les actions de
leurs sujets : le |)rêlre enchaîne le cœur,
domine la volonté. Aussi, mes frères, vous
le savez, que sont les lois civiles auprès lies
luis religieuses ? Quel est le meilleur sujet,
comme le meilleur époux, le fière irrépro-
chable, l'aiiii Adèle ? n'est-ce pas le bon
chrétien ? Où choisiriez-vous des frères,
des amis, des confidents, des conseillers, si
ce n'est dans le rang de ces hommes dont
la probité repose sur les croyances religi-
euses. Que chacun s'interroge ici : A qui
aimeriez-vous mieux donner votre confian-
ce tout entière, à celui qui croit h la reli-
gion, à l'existence de l'enfer, ou à celui qui,
dédaignant toute croyance, ne reconnaît
pour loi suprême que celle de son intéiôt
et de ses passions.
Mais élevons-nous à des considérations
encore plus hautes. Vous n'êtes pas fait
pour cette vie, raon cher frère; il y a au
fond de votre âme un germe d'immortalité.
Vous vous sentez appelé à un bonheur
que la terre ne peut donner; et la religion
vous montre au-dessus de votre tète un
royaume de gloire, un séjour délicieux que
Dieu a prorais à la verlu. Mais qui vous
guidera dans la route ténébreuse de ce
bonheur? Qui vous garantira des écueiis
dont elle est semée, sinon les j/rêlres ? Si
vous tombez, qui vous relèvera? si vous
vous égarez, qui vous ramèneia? Comment
rentrerez-vous en grâce avec Dieu, si vous
l'avez ûUensé; comment expierez-vous vos
crimes ou vos faiblesses, comment mourrez-
vous, sans le ministère et le secours des
prêtres?
Vous ne craindriez pas d'éloigner vos en-
fants d'un état si honorable, si utile, si né-
cessaire au bonheur du monde ! Je ne parle
|)as seuleruenl du bonheur de l'éternité, je
parle du bonheur même de la vie présente :
cor, hélas ! qu'est-ce que l'homme sans re-
ligion ? c'est un lion déchaîné, un tigre fu-
rieux qui répand partout la désolation et la
mort. Ignorez-vous que, dès sa naissance,
l'orgueil et la cupidité le dominent, que la
jalousie et la vengeance le dévorent? Igno-
lez-vous que la misère que la religion ne
console [>as entante les crimes, que l'ava-
nce ne connaît point de frein, que la soif
de l'or s'enflamme par les rapines, que les
méchants conspirent , que les nations se
soulèvent, que les trônes tombent, que la
société se dissout, que tous les crimes et
toutes les horreurs ravagent la terre? Vous
savez tout cela, parce que, hélas? vous en
avez été les témoins, et peut-être les victi-
mes. D'un autre côlé, ignorez-vous que Ions
ces maux causés par l'absence ou le iné|T;s
de la religion ne peuvent se réparer et se
prévenir que par l'influence de la religion?
que la religion seule, par son em, i;e secret,
peut veiller efficacement à votre conserva-
tion et au maintien de la société ; que le
méchant peut échapfier aux regards des
hommes et au glaive des lois, mais qu'il ne
peut échapper aux regards de Dieu et au
glaive de la religion? Or, je vous le de-
mande, cette religion bienfaisante, protec-
trice, subsistera-t-elle sans prêtres ? les
firêlres seuls ne sont-ils i)as chargés d'eu
proclamer les lois et les promesses, d'en
faire craindre la justice et la sévérité, d'en
répandre les lumières et les bienfaits? Et
vous ne voulez pas de prêtres I et vous dé-
goûtez du sacerdoce ceux de vos enfants
que Dieu y appelle, pour les jeter dans un
état dont Dieu les repousse!
Oh! si le clergé avait encore les biens
et les dignités qu'on lui a ravis, nous n'au-
rions pas besoin de vous réconcilier avec
cet état, et de vous en montrer la nécessité ;
vous seriez alors les premiers à taire en-
trer vos enfants dans le sanctuaire ;que dis-
je? peut-être à en forcer l'entrée si l'Eglise,
dans sa sagesse, croyait devoir la leur fer-
mer. Détestable cupidité ! c'est donc toi qui
paralyses, qui détiuis les vocations ecclé-
siastiques! Monde aveuglé ! tu seras tou-
jours affamé d'or et de vanité! Eh bien,
parents avares, peut-être impies, refusez à
Dieu cet enfant qu'il réclame, et qui n'ap-
part ent qu'à lui ; la religion s'en passera
et son sacerdoce n'en sera pas moins per-
pétué. Ecoutez la promesse de Jésus-Ciirist
à SCS apôtres : Je serai avec vous tous les
jours jusqu'à la fin des siècles. [Mallh.y
XXVIU, 20j donc, jusqu'à la tin des siècles,
il y aura toujours des prêtres. Vous croyez
embarrasser Dieu par l'orgueil de vos re-
fus 1 il ira arracher les David et les Amos
de leurs travaux rustiques, et il en fera
des prophètes ; et vous serez forcés de les
vénérer 1 Le sacerdoce ne s'éteindra sur la
terre que lorsque la terre sera détruite, et
alors le sacerdoce montera au ciel 1
Le clergé n'a plus les biens et les hon-
neurs qu'il avait autrefois , c'est un malheu'r
pour les peupks, c'est un bonheur pour les
prêtres: Heureux, dit Jésus-Christ, ceux
qui souffrent pour la justice ! (Malth., V, 10.)
Le clergé est négligé, oublié, et il s'en ré-
jouit; son Maître est né dans l'obscurité et
a vécu dans les privations. Le clergé est
avili, persécuté, et il s'en félicite ; son Maî-
tre est mort sur une croix d'où il est
monté au plus haut des cieux. Le clergé est
pauvre I... Vous vous trompez ; il est riche...
et en quoi? en vertus, en patience, en hu-
859
ORATEURS SACRES. MAUREL.
bJO
milité, en zèle, en sainteté 1 11 n'a pas les
Liens de la fortune, et il a en plus grande
abondance les biens de la grâce. Citez un
seul prêtre, digne de ce nom, qui se plaigne
de son sort, et qui regrette ce qu'il a laissé
dans le monde ou ce que Je monde lui a
ravi ! 11 en est séparé, de ce monde pervers,
et voilà son bonheur ;sa vertu en est moins
exposée, il est à l'abri d'une infinité d'é-
fueils et à la source de toutes les grâces.
Que de facilités n'a-t-il pas pour sauver son
âme, que peul-ôtre il aurait perdue dans le
mondel Ella vôtre 1 père avare 1 et l'âme
de cet enfant que vous refusez à Dieu, que
deviendra-t-elle ? Vous voulez le faire en-
trer dans les vues de votre ambition, l'as-
socier à votre commerce, à votre emploi,
l'élever peut-être à quelque poste [)lus écla-
tant; et après il faudra mourir; et à
quoi servent tous les avantages de la terre,
si l'on vient à perdre son âme?
Parents aveugles et barbares I pardonnez-
moi ces expressions, dures en apparence,
mais inspirées par la charilé elle-même, et
par la douleur profonde que nous cause
votre conduite, vous allez donc immoler
votre tils è votre cuj)idilé! Ces qualités
précieuses dont Dieu l'a enrichi pour la
gloire de son Eglise, cette droiture d'esprit,
celte douceur de caractère, celle candeur
d'innocence, tous ces trésors, vous allez
les ravir à Dieu, pour les livrer au monde,
son ennemi 1 Cet enfant si intéressant, né
pour inspirer la vertu et consoler l'Eglise,
vous allez l'engloutir dans le gouHre do
voire ambition; pour ne pas vous déplaire,
il va contrarier les vues de son Créateur;
il va sejeierdans le tourbillon des |)aisions
et se [)récipiter de désordre en déiordre,
d'abîme en abîme ; il va marcher sur vos
traces, i! vivra dans le péché, il tombera
dans l'enfer, et vous y trouverai...
Mais non 1 oh ! non, il n'en sera pas ainsi.
Vous rélléchirez, cl vous verrez que Dieu
seul est le maître de noire destinée, que
Dieu seul est capable de rendre l'homme
iieureux; et cet enfant chéri, peut-être
unique, vous le lui oîfrirez, vous le lui
donnerez avec le même courage et la mémo
joie qu'Abraham lui olfrit Isaac. Cet enfant
d'espérance qui aurait fait votre tourment
dans le monde, fera voire consolation dans
le sacerdoce; vos autres enfants peut-être
vous abandonneront, et celui-ci sera le bâ-
ton et la lumière de voire vieillesse; il vous
éclairera sur le néant des choses humai-
nes, il vous arrachera à ces idées d'ambi-
tion qui vous dévorent, il vous obtiendra
par ses vertus, comme saint Louis de Gon-
zagiie obtint à son père des pensées et des
senlimenls |tlus chrétiens.
Au milieu de votre prospérité, je vous le
prédis, vous éprouverez des pertes, des
cliagrins, d(is revers, car, hélas I quel est
l'homme qui n'en éprouve |)as?Ceux de
vos enfants que vous aurez donnés au
monde ne pourront vous oll'rir d'autre sou-
lagement que de nièler leurs larmes, et
peul-ôtre leurs murmures aux vôtres...
L'enfant que vous donnerez à Dieu appli-
quera sur vos plaies le bcaume sacré, et
toujours salutaire de la religion; je veux
dire, l'espérauie d'une autre vie qui adou-
cit toutes les amertumes de celle-ci ; il vous
montrera le soutien et le prix de la patience
dans le cœur d'un Dieu dont la mort a ou-
vert aux hommes le séjour de l'immortalité.
Peu à peu ce uionde qui vous plaîi lant
se retirera de vous; successivement toutes
les créatures vous ubandonneronl; vous
vous trouverez à la fin de votre carrière
sans appui, sans consolation, et volre^en-
fant, prêtre do Jésus-Christ, sera h vos cô-
tés; ses frères peut-être seront alors loin
de vous, et lui ne vous quittera pas; sans
lui, vous seriez seul; mais vous l'aurez
donnée la religion, la religion vous le ren-
dra |iour consoler votre agonie; il vous ai-
dera à calmer, à puritier votre conscience;
peut-être sera-ce de sa propre main que
vous recevrez les derniers secours de la re-
ligion ; vous entrerez avec confiance dans
l'éiernilé, et vous irez vous féliciter dans
le sein de Dieu d'avoir donné à son Eglise un
enfant précieux qui en fera la gloire, qui
aura été l'inslrument de votre salut, et qui
célébrera un jour avec vous les louanges du
Dieu trois fois saint pendant l'éiernilé tout
entière.
NOTICE HISTORIOUB SUR RIBIER.
Ribier (César), né à Lyon en 17G2, entra
au séminaire de Sainl-lréiiée de celîo villfî.
Lorsqu'il eut reçu les ordres, il l'ut chargé
du soin de la ()aroisse de Farnaj, annexe
de Saint-Paul en Jarrets , où il se fit chérir
des hahitanls par son zèle pour le salut
des Ames et son excessive charité. Ayant
refusé le serment ordonné par la constitu-
tion civile du clergé , il éprouva quelques
persécutions, et fut même renfermé à Sauit-
Paul; mais bientôt mis en liberté, il se re-
lira à Lyon , puis il fut contraint de s'expa-
trier. Pendant son exil, il chercha à acquérir
quelques connaissances en médecine, espé-
rant que celte étude lui faciliterait les
moyens, en rendant la santé aux corps, da
procurer le salut des ânies. En 1795 , il re-
vint à Lyon, et fut désigné pour remplir les
fonctions de secrétaire du conseil de l'ar-
clicvêché , qui était alors gouverné par
les vicaires généraux e;i l'absence de 1 ar-
chevêque, M. de Marbeuf. Une nouvelle
organisation ayant eu lieu dans le diocèse,
en 1802, il devint vicaire à Saint-Nizier,
une des plus importantes paroisses de
Lyon. En 1807, il fut nommé curé à Lara-
jasso, petite paroisse située dans les mon-
tagnes du Lyonnais. Dans les dernières
années de sa vie , M. Dévie, nommé évêque
ne jc.ey, qui l'honorait aune manière
particulière, voulut se l'atlaclier en qualité
de son premier vicaire général; mais il
céda aux prières de ses paroissiens, qui le
regardaient comme un père , et il resta au
milieu d'eux. Ce vénérable pasteur leur fut
enlevé le 14- mai 1826. Une Notice sur sa vie
a été imprimée en 182G, in-8°. Son humilité
ne lui a pas permis de rien faire imprimer
jiendant sa vie ; mais on a publié après sa
mort : Le Paradis sur lu terre, ou le Chré-
tien dans le ciel par ses actions ; Méditations
sur V amour de Dieu pour tous les jours
du mois, sur la communion , pour entendre
la sainte messe , et divers autres exercices en
forme de méditations , précédés d'un Abrégé
de sa vie , Lyon , 1827 , in-18; 2' édition ,
1828, avec son portrait; ouvrage qui a ob-
tenu le plus grand succès, et qui convient
à toute espèce de personnes, parce que ce
sont des sujets détachés, qui forment la
matière d'amples réflexions pour celui qui
veut entrer dans la vie spirituelle : Confé-
rences et sermons , suivis d'Avis et d'une
Retraite de trois jours pour les premières
communions , et d^un plan de retraite pour
les religieuses , Lyon ^ 1828, 1 vol. iii-12. Il
a laissé, en manuscrits , un grand nombre
de Sermons et û'Jnstructions familières.
ŒUVRES ORATOIRES
DE CÉSAR RIBIER
CURÉ DE LARAJÂSSE.
StRMON PREMIER.
Sin LA CnAINTE DE LA MORT.
<^iia liora non piilalis Filius hominis venturus est.
(l/rtU/i., XXIV, 4i.)
Le Fils de t'homnie viendra à l'heure que vous iaUen-
drez le moins.
Il n'es! rien qui puisse nous rendre les
rigueurs du jugement plus présentes et les
variétés de celte vie plus sensibles que le
moment môme qui commence les unes cl
termine les autrt^s. Moment latal, d'où dé-
pend noire bonheur ou notre malheur éter-
nel, moment formidable qui duit décider de
Ubatfxrs sacrés. LXVHI.
notre sort pour une ecernité ; moment in-
connu mais décisif. Chaque instant de no-
ire vie nous en approche; nous y toucho is
souventlorsmêrae que nous nous un croyons
le plus éloignés; cependant si ce moment
marqué dans les décrets éternels, nous
surprend dans l'élat de péché, c'est fait de
nous, notre perte est certaine, notre réfiro-
balion assurée, notre damnation inévilable;
nous n'aurons comme l'ivraie, d'autre sort
que le feu, et le feu éternel. Quel sujet de
crainte, si nous y pensons! quel trait de
sagesse d'y penser fréquemment? Est il
?,7
Sic
rien qui nous intéressedavanlage, qui nous
intéresse plus personnellemont, qui nous
intéresse dans une nialière plus iniporlnn-
le, et qui par conséquent exige de noire
part, une atteniion i)lus sérieuse et plus
continuelle? Rentrons donc en nous-mê-
mes; craignons que la raort ne nous sur-
prenne dans un moment où nous serions,
aux yeux de Dieu , coupables de quelque
péché : c'est une crainte qui, éioigiianl de
nous le règne du péché, établira dans nos
cœurs celui de la justice; c'est donc une
crainte dont nous ne pouvons trop nousoc-
cuper; pourquoi ? parce que la crainte des
surprises de la murl est de toutes les crain-
tes la plus sage et la mieux fondée : vous
le verrez dans mon premier point, parce
que la crainte des surprises de la mort est,
de toutes les craintes, la plus utile et la
plus sancljfianle : vous le verrez dans le
second; en un mot, il est prudent, il est
utile de craindre les surprises de la mort,
vous le démontrer c'est tout mon dessein.
ORATEURS SACRES. RIBîER.
liment, sans aucun signe de
84 i
PREMIEU POINT.
Je l'ai dit, mes frères, s'il est une crainte
bien fondée, une crainte à laquelle nous
puissions nous livrer avec sagesse, c'est
celle de nous trouver surpris par la raort
dans un état contraire au salut; les raisons
en sont convaincantes : l°li n'est rien do
si funesîe qu'une telle surprise; 2° Il n'est
rien cependant à quoi nous soyons si ex-
posés, rien qui soit sujet à tant de diflicul-
tés et d'incertitudes : suivez-moi dans tou-
tes ces réflexions, rien de plus naturel, rien
do plus sensible.
Je dis, en premier lieu, qu'il n'est rien de
si funeste que les surprises de la mort ; en
efl'el, qu'est-ce que la mort pour chacun do
nous? de quoi décide-t-elie? quelles en
sont les conséquences? c'est à quoi nous
ne réfléchissons jamais assez, et ce qui mé-'
rite cependant toute notre attention; nous
nous formons, il est vrai , de tristes, d'ef-
îrayantes idées de la mort, nous ne pou-
tons y penser sans frémir; mais rarement
frémissons-nous de ce qu'elle a de plus ter-
rible 1 Notre attention ne se porte (las au-
delà de ce qui frappe nos sens; et c'est
uniquement sur ce qui s'olfre à nos yeux,
que nous nous re[)résenlons ce qui doit
nous arriver à nous-mûmes h l'heure de la
mort : nous voyons un homme qui vient de
mourir, nous le voyons dans un état où
tous les avantages de te monde ont dis-
paru [lour lui : jilus de parents, | lusd'amis,
plus de plaisirs, plus d'honneurs, plus de
richesses pour lui ; nous concevons ai^^é-
mont que celle entière séparation , que ce
dépouillemenl total est bien alîreux h la
nature, et par ce sentiment assezsemblable
à celui de l'impie Agag, nous nous écrions
alors, ô amère, ô cruelle mort! est-ceainsi
que tu nous enlèves aux objets les plus
cliers de notre amour : Siccine séparai amara
mors 1 (l Reg.,\Y, 32 ) Nous voyons un corps
|teul-Olre auparavant robuste et plein de
banlé, nous le voyons sans force, sans scn-
vie ; nous
voyons ce cadavre, désormais inutile et
mémo atfreux, se changer en pourriture et
devenir la proie des vers et des insectes.
Qu'est-ce que l'homme, disons-nous alors,
par une liiste, mais naturelle réflexion.
Quid est hoc? Peut-être même que cet affli-
geant S[)ectacle nous ouvre, pour un mo-
ment les yeux sur la vanité des avantages
de ce siècle : voilà donc, disons-nous, le
terme fatal où vont aboutir les honneuis
les plus distingués, les richesses les i)lns
abondantes, les plaisirs les plus recher-
chés, les talents les plus rares el les plus
cultivés. Mortels infortunés, après un temps
assez court, tous ces avantages disparais-
sent et ne sont plus rien pour nous; n'esl-
ce donc pas une folie de se livrer à tant de
chagrins, de se tlonner tant de mouvements
le pour en obtenir l'inquiôle et passagère
possession : Ut quid diligilis vanilalem et
quœritis mendacium. {Psal. IV, 3.) Unique-
ment frappés de ces pensées, nous en de-
meurons-15 ; mais la foi nous avertit de
porter plus loin nos réflexions, elle nous
présente la mort sous une face infiniment
plus terrible ; point de pompes funèbres,
point de mort exposé dans son tombeau,
donl elle n'emploie le spectacle eff'rayant
pour nous faire celte question encore plus
efi'rayante : voilà, il est vrai, l'état où est
réduit son corps ; mais qu'est devenu son
âme? cet homme n'est plus rien pour ce
monde, le monde n'est plus rien pour cet
homme; mais en quel élat se trouve la
plus noble partie do lui-même, où est-elle
présentement? L'Esprit-Saint nous répond
par la bouche du Sage, quelle est dans la
maison de son éternité, qu'elle estcequ'elie
ne doit jamais cesser d'être, et qu'elle y
sera non pas un an, non pas cent ans; non
pas mille ans, mais pendant des raillions de
siècles, mais pendant une éternité : 76»
homo in domum œlernitatis suœ. [Eccle.y
XII, 5.)
Quel a donc été le moment formidable
d'une décision si imporlante ? celui du der-
nier soupir ; au moment môme, cette âme
a paru devant le souverain Juge, telle qu'elle
élait lorsqu'elle s'est séparée : ou revêtue
de la grAce ou souillée par le péché; et,
selon l'étal où elle s'est trouvée, son sort a
été fixé par une sentence décisive et irré-
vocable, ou pour une élernilé de bonheur
ou pour une élernilé de mallieiir. Si celle
âme a été condamnée, plus d'espérance,
plus de ressources pour elle; de quelque
côté que tombe l'arbre, dil Jésus-Christ,
que ce soit vers le nord, que ce suit vers le
midi, le lieu de sa chute sera celui de sa
demeure; si cet homme est mort dans la
disgrâce deson Dieu, éternellement il souf-
frira, élornellement il brûlera, sans que rien
puisse le soustraire aux inflexibles rigueurs
des vengeances de Dieu. Est-il une déci-
sion plus funeste? en est-il une plus digne
de nos alarmes? Réunissons toutes les per-
tes que l'homme pourrait faire d'ailleurs,
rassemblons sur sa lêle loult's les disgrâces
hLb
SERMONS. — I, SUR LA CRAINTE DE LA MORT.
Si'!
qui iionrraioiUIo menacer, pertes afliligcati-
les, renversement de forliine, violente m<i-
l.idie. injuste persécution, calomnie ;i(roce,
conlusion accabl.inle, mort de ses [)roches
et (le ses amis, en un mol, tous les maux
que nous voudrons y ajouter; c'eût été à la
vérité, dos maux et dos maux allligeants,
mais en môme temps dos maux bornés, des
maux passagers, des maux qui eussent du
moins tini avec la vie ; mais ici c'est le com-
ble, lassemblage de tous les maux ; c'est le
raal souverain, c'est le mal éternel.
Or, ce qu'eût été |)Our cet homme une
semblable mort, elle le serait chrétiens,
pour chacun de nous, si la mort nous sur-
prenait dans l'état du péché; notre sort dés
ce moment serait fixé, décidé pour une
éternitéet une éternité de malheurs; il no
s'agirait [)lus de quelques richesses dont la
[lerle pourrait d'abord affliger votre cupi-
dité, mais dont votre cœur plus détaché
pourrait enfin connaître l'inutilité, mépri-
ser l'inconstance; il ne s'agirait plus de
quelque maladie dont la violence pourrait
alarmer voire sensibilité; mais dont votre
patience pourrait ensuite surmonter, ou du
moins supporter les douleurs; il ne s'agi-
rait plus de quelque mépris dont la confu-
sion pourrait tout à cou[) révolter votre or-
gueil, mais dont votre raison [ilus tran-
quille , pourrait bientôt après mépriser
l'impuissance, ou confondre l'injustice; il
ne s'agirait plus de quelques chers objets,
dont la rnort ou la séparation pourrait,
dans leur commencement crucifier votre
amour, mais dont votre vertu ou du moins
votre inconstance pourrait, avec le temps,
elfacer la mémoire et adoucir l'éloignemenl
il ne s'agirait |)lus d'aucune disgrâce, qui
ne serait peut-être pas sans ressource, ou
qui du moins ne pourrait vous affliger que
pour un temps assez borné; mais il s'agi-
rait de tout perdre et de le perdre pour
toujours; de tout souffrir, et de le souUYir
à jamais, est-il rien de plus cruel?
Quand doue, mes frères, vous auriez
quelque assurance de tomber dans une
disgrdce si formidable, du moment toute-
fois que celte assurance n'est |)oint parfaite,
pourriez-vous être tranquilles sur un sujet
aus.^i important? faudrail-il à votre crainte
un motif plus puissant? or, je vais vous
démontrer que cette assurance n'est point
parfaite, et qu'il n'est rien sur quoi nous
ayons plus de risques à courir, plus de
dangers à essuyer, dangers fondés sur les
dis|»ositions absolument nécessaires à une
bonne mort, et encore plus difflciles à ac-
quérir; dangers occasionnés par l'incerti-
tude où Dieu nous laisse touchant le mo-
ment et le genre de notre mort; dangers
augmentés par l'illusion que nous nous
formons, et qui nous trompent souvent, et
sur la longueur de notre vie, et sur la qua-
lité des dispositions nécessaires pour la
linir saintement.
En effet, mes frères, dans quel état faut-
il se trouver pour mourir de la mort des
iu-sles? il faut se trouver avec un cœur dé-
gagé de toute niTeclion criminelle, un cœur
où la haine, l'orgueil, l'intérêt, l'amour
impur, ni toute autre [lassion ne règne ni
ne domine ; un cœur qui n'ait plus à so re-
procher ni la détention d'un bien qu'il ait
dû restituer, ni outrage, ni scandale, ni mé-
disance, ni calomnie qu'il ait négligé de ré-
parer; un cœur qui, par l'abondance de ses
larmes et l'amertume de ses gémissemens,
soit entièrement purifié de tout ce qu'il
aurait pu accorder h ses inclinations vi-
cieuses ; un cœur oii l'amour de Dieu soit
vraiment dominant, je veux dire un cœur
résolu de tout sacrifier plutôt que de lui
déplaire par la moindre transgression des
lois que lui prescrit la souveraine au-
torité.
Ces principes posés, je Vous le demande,
mes frères, csi-il si aisé de dégager ainsi
notre cœur de toute affection criminelle, et
de l'établir dans ces saintes et nécessaires
dispositions; le démon, toujours acharné à
notre p(3rte; le monde, sans cesse occupé à
nous séduire; le violent penchant que nous
avons pour le mal; notre faiblesse, notre
inconstance ne forment-ils point d'obstacles,
et des obstacles très-difTiciles à surmonter ?
Cependant, qu'il nous manque une seule do
CCS dispositions, eussions-nous accpjis toutes
les autres, toutes les autres nous deviennent
inutiles; ne fussions-nous captivés que par
l'amour impur ou dominés par l'avarice;
n'eussions-nous que la malignité de l'envie
ou les aigreurs de l'animosilé, ne nous
maïKjuât-il que la résolution de restituer un
bien raal acquis, de rétracter une calomnie,
de réparer une médisanco, un scandale;
n'eussions-nous d'autres défauts que celui
d'être sans vertu, noire cœur n'est plus un
cœur agréable h Dieu, et si la mort survient,
c'est un cœur réprouvé. Que de voies peu-
vent donc nous conduire à une mort cri-
minelle 1 Quel danger que nous ne prenions
pas assez sur nous-mêmes pour nous en
garantir. Cependant, mes frères, quelque
difficiles que fussent ces saintes dispositions,
nous pourrions nous flatter de les a voir à la
mort, si nous pouvions savoir sûrement
dans quel temps et de quel genre do mort
nous devons consommer la course de notre
mortalité; rassurés par cotte connaissance,
nous serions peut-être assez courageux pour
nous préparer quelque temps à bien mou-
rir ; mais c'est sur quoi nous n'avons pas la
moindre connaissance : Nescit liomo finem
suum. {Eccle., IX, 12.)
Quel est, en etlet, le temps od l'impla-
cable mort viendra trancher le fil de nos
jours? Est-ce dans une extrême vieillesse?
esi-ce dans un âge moins avancé? est-ce dans
l'adolescence? est-ce dans la jeunesse?
C'est un abîme im[)énétrable aux yeux dti
l'homme : NesciC homo finem suum. En vain
voudrait-il en juger par la bonté de sa com-
plexion, par la force de son tempérament ;
con)bien qui paraissaient devoir vivre jus-
qu'à l'âge le plus avancé, et que nous avot's
vu périr à la fleur de leurs années; mais sj
l'homme ne peut savoir à quel âge de la vie.
847
ORATEURS SACRES. RICIER.
848
il pourra parvenir, ne pcul-il pas du moins
s'assurer de quelques années, de quelques
mois? Non, raes frères, il ne peut pas môme
se promettre de voir ni la (in du jour qui
1 éclaire, ni le terme de l'heure dans la-
quelle il vit : Neque dicm neque horam. Com-
bien qui se sentaient le matin d'une santé
1)arfaiie, el dont le soir on a creusé le tora-
)eau; combien qui, dans l'espace d'une
même heure,ont donné les signes de la plus
longue vie, et ont rendu le dernier des sou-
pirs; mais, ce dernier moment, quelque in-
certain qu'il soit, ne sera-l-il pas accompa-
gné de circonstances tissez favorables pour
nous laisser, si nous sommes pécheurs, les
moyens de nous réconcilier avec Dieu; au-
tre incertitude, autre mystère im[.énétr<ible
h l'homme : Nescil homo finem sinim. Quel
sera, en ell'et, le genre de noire mort? se-
ra-t-elle lente, sera-t-elle précipitée, seia-l-
elle lout-à-fait subite? sera-t-eile du moins
préparée par quelques jours, par quelques
heures de malaiiie? Est-ce le 1' r, est-ce le
feu, est-ce l'eau, est-ce une chute, est-ce
une révolution d'humeur qui la causera
loutà-coup? Ou, si notre mort n'est pas si
prompte, la douleur laissera-t-elle notre es-
prit en liberté? le tiendra-t-elle entièrement
assoupi ? le ministre de l'Eglise sera-t-il alors
présent, ou serons-nous, dans ce dernier
moment, dépourvus de tous secours spiri-
tuels? Voilà ce que nous ne pouvons savoir:
Nescit homo finem smim. Autant do per-
sonnes qui meurent, autant de genres de
mort presque durèrent?, et souvent extraor-
dinaires; cijpendant, si la mort vient dans
un moment où noire tœur ne soit pas pur
aux yeux de Dieu; si le genre de mort ne
nous laisse pas le moyen de nous réconci-
lier avec Dieu, nous voilà morts dans le
péché et réprouvés éternellement.
Ace danger en succède un autre, ni moins
commun, ni moins funeste, c'est l'illusion
où nousjette l'oubli de cette incertitude, en
nous formant une certitude toute opposée;
en nous promettant une vie assez longue
pour ne pas la terminer sitôt; cependant,
quoique nous puissions h chaque instant
mourir, mille exem()les nous le persuadent,
el ne nous permettent pas de douter dans la
spéculation; mais dans la pratique, où le
seniimcnl [)ariiculier sert de règles à nos
jugements, loin de croire que la mort puisse
bienlAt nous frapper, je ne sais pas même
si nous pensons sérieusement que nous
devons un jour mourir : Ncqiioqtiam moric-
mini. {Gcn., 111, k.) Que craignuz-vous, di-
sait le tentateur à nos premiers parents ;
non, rassurez-vous, vous ne mourrez point:
Nequaquam moriemini. Arlilico, quoique
grossier, qui trompa le plus éclairé des
hommes, et qui tromjie encore tous les
jours ses aveugles enfants; ôles-vousdans la
jeunesse, vous envisagez la mort dans un
si grand éloigncment, qu'insensibles à ses
regards, vous «n méconnaissez les appio-
clies. Enfni, vos forces épuisées vous an-
noncenl-elles lo terme de votre course?
Faussement rassurés par voire âge, vous en
méprisez les dangers, vous n'écoulez (pie la
voix du tentateur; vequoqunm moriemini.
Etes-vous dans la lorce de l'âge, robustes et
pleins de sanlé? ne vous promettez-vous pas
de vivre du moins encore autant de temps
que vous en avez déjà vécu? en vain la na-
ture affaiblie vous montre-t-elle dans tous
les autres des exemples contraires, vous
vous en cachez l'événement. La voix du
tentateur prévaut à celle de l'expérience :
nequaquam moriemini; ôtes-vous dans la
vieillesse, ne vous llaltez vous j^as de sa
longueur? vous paraît-ellejamais si extrême
qu'elle ne puisse continuer encorequelques
années? en vain les langueurs de l'âge vous
préviennent-elles sur celles de la mort, le
souflle du séducteur prolonge vos espérai -
ces, sans [)ouvoircependant prolonger celui
de votre vie; nequaquam moriemini, êtes-
vous malades et dangereusement malades? le
mai est-il assez dangereux pour vous pa-
raître incurable? en vain sentez -vous
les rétionses de la mort el de la mort la
plus prochaine, l'oracle d'Accaron est le
seul que vous écouliez :Nequaquar,\ morie-
mini.
Fatale illusion qui nous empêche de
mettre ordre à notre conscience! mais tan-
dis que nous pensons de la sorte, et parce
que nous pensons el agissons de la sorle, la
mort arrive au jour et à l'heure que nous
l'attendons le moins ! elle survient tout-à-
coup; elle est criminelle; nous sommes
éternellement malheureux ; mais quand
même ses coups ne seraient pas si précipi-
tés, qu'ils seraient précédés de quelques
maladies qui nous donnent le temps de nous
reconnaître, quel danger que nous ne nous
reconnaissions que superliciellement , et
cela par unesuite naturellede faux principes,
de fausses idées que nous nous formons
des dispositions nécessaires à une bonne
mort.
En effet, mes frères, quelles idées nous
formons-nous de ces dispositions? Qu'il faut
examiner avec quelque soin l'état de sa
conscience , montrer par une confession
accompagnée de quelques soupirs qu'on se
repent d'avoir mené une vie criminelle, re-
cevoir avec quelques marques de dévotion
les sacrements de l'Eglise; et pourvu que
nous les donnions en ellel, nous croyons
nos intérêts à couvert pour l'éternité ;
mais nous ne pensons pas que tout cela
n'est qu'illusion, illusion dangereuse qui
nous conduit au précipice, si le cœur déta-
ché de tous ses crimes, n'est pas uniquement
attaché au Seigneur; nous ne pensons |)as
que ce parfait changement de cœur, à moins
d'une grâce extraordinaire, n'est ni l'ou-
vrage de quelques heures ni de quelques
jours; qu'il demande de grands eU'orts, de
grandes préparations; qu'il est toujours à
craindre qu à ce dernier moment il tie soit
pns [larfail. Oi-, élanl dans celte erreur, quel
danger n'y a-t-il pas ? Que nous rassurant
mal à propos, nous nous en tenions à des
dispositions insullisantes, el que la mort ne
849
SERMONS. — I, SUR L.\ CRAiSTÈ DE LA MOUT.
8Î)0
survenant loul-à coii}) nous no mourrions
de la mon des impies.
Voulez-vous savoir ce que pense saint
Augustin d'une conversion ditfùrée jusqu'à
'a mon? Je sais , dil-il , que celui-là meurt
a>suré de son salut qui jusqu'à la mort a
conservé la grâce de son haplôme; celui
qui après une vie criminelle mène une vie
pôniienie et chrétienne, celui-là meurt en-
core assuré de sou salut, securus hinc exii ;
mais ccMui qui après une vie déréglée ne se
convertit qu'à la mort meurt-il assuré de
son salut? C'est ce que je ne puis vous as-
surer moi-même: Si securus hinc exit non
hinc securus; je puis, à la vérité, lui ac-
corder l'absolution qu'il me demande; mais
il m'est impossible de lui donner une assu-
rance que je n';ii pas: Pœnilentiam darepos-
sum, securitatein non possum ; pourquoi?
parce que la pénitence d'un inlirme est
elle-même très-laible et languissante.
Je sais qu'une douleur parfaite efface le
pécli-'; et jnstitie le pécheur; mais pour
avoir celte efficace quelles doivent être ses
dispositions? Ce doit être une douleur si
libre dans son sujet, que lussiez-vous le
maitre de la vie et de la mort? vous ne
voudriez pas cependant pour tout ce que le
monde a de plus Uatieur vous porter au
moindre péché : ce doit être une douleur si
élevée dans les motifs, qu'elle vous rende
sufiérieur au monde, à vous-même, ne
craignant dans le péché que l'offense du
Seigneur; ce doit être une douleur si puis-
sante dans ses effets qu'elle détruise la vio-
lence des penchants, l'empire des habitu-
des de votre passion dominante, et qu'elle
efface jusqu'aux plus flatteuses impressions
du péclié ; ce doit être une douleur si cons-
tante dans ses résolutions , qu'elle vous
disposée mourir plutôt mille fois que de
retourner au péché.
Ce principe posé, je vous le demande, mes
frères, une telle douleur est-elle facile à un
homme impénitent jusqu'à la mort, à un
homme naturalisé avec le crime , et à qui
le péché est devenu presque nécessaire.
Point de véritable douleur qu'elle ne soit
libre dans son principe. A la mort votre
douleur sera-l-elle de cette nalure? Le pé-
ché vous a dominé pendant la vie, serez-
vous assez fort |)Our le dominer à la mort?
Détrompez-vous , dit saint Ambroise, vous
ne détesterez le péché que purce que vous
n'en pourrez plus jouir: c'est le péché qui
vous quittera , et non [)as vous qui quitterez
le pécîié. Voire douleur ne sera donc p;is
WUrel Peccala lua dimittenl le non tu illu:
point de véiilablc douleur qu'elle ne soit
surnalurillo : à la mort voue douleur ne
sera-l-el!e [loint servile? Ce sera , dit saint
Cyprien , la crainte de la mort présente et ,
non (las l'horreur du péché passé qui for-
mera votre douleur : point de véritable dou-
leur qu'elle ne détruise l'habitude du |)é-
ché , le pourrez-vous à la mort ? Quoi 1 dans
un moment se détacher de tout objet! se
dépouiller de toute alfcction ! se défuiro de
tous vices ? Quoi I tout d'un coup amortir
de grandes passions, étouffer dos haines
implacables, éteindre des amours furieux ,
retrancher des habitudes invétérées , cela
vous paraît-il croyable? Point do véritable
douleur, si, constante dans ses résolutions,
elle ne vous dispose à tout sacrifier plutôt
que de retourner au péché: à la mort |K)u-
vez-vous vous flatter d'une semblable dou"
leur? car sans [)arler ici de la fragilité et
de l'inconstance de votre cœur, n'avez-vous
pas vu des personnes , ou ne vous ètes-vous
|)as vu vous-même dans quelque maladio
mortelle ; alors quelles protestations l
quelles résoluliouj 1 quelles douleurs 1 Re-
venu en sanlé, en avez-vous été meilleur?
n'ôtes-vous pas retombé et retombé presque
aussitôt ?j
Si j'envisage présentement la confession
que fait un péciieur? Je ne vois rien qui ne
rende sa pénitence douteuse et incertaine.
Quelle confession faudrait-il à la rjiort [lour
être salutaire au pénitent? Il faudrait une
confession générale qui corrige tous les dér
fauts des confessions particulières; il fau-
drait une confession tranquille qui se ît
avec une entière liberté d'esprit et un par-
fait détachement du cœur; il faudrait une
confession humble et sincère qui ne laissât
ni doute au confesseur, ni scrupule au pé-
nitent ; quel moyen qu'un pécheur mourant
pût faire une telle confession? S'il ne peut
assez souvent régler ses affaires , comment
pourra-l-il développer son cœur dans une
confession retardée jusqu'au dernier mo-
ment? Pour la confession il faut de la tran-
quillité de corf)s: en aura-t-il avec des in-
somnies, des tremblements, des vapeurs,
des défaillances et des accidents conti-
nuels? N'ai-je donc pas sujet de craindre
qu'un tel homme finisse avec une vie cri-
minelle par une confession plus criminelle,
et que lorsque le prêlre lui dira: Je vous
absous, Dieu ne lui dise invisiblement : Et
moi je vous condamne ; qu'il ne commette
autant do sacrilèges qu'il recevra de sacre-
ments, et qu'en mangeant son juge il ne
mange son jugement; et que le péché , en
un mol , ne descende avec lui jusqu'au fond
des abîmes: Usque ad inferos peccalum il~
lius. [Job, XXIV, 19.)
lnca|)ab!e d'une bonne confession, quelle
satisfaction pourra-t-il ofïrir au Seigneur?
Je vous le demande, pécheur qui m'écou-
tez ! quelle satisfaction ferez -vous à la
mort' Acceptant la mort olfrirez-vous votre
vie au Soigneur? Erreur, c'est Dieu qui
vous l'arrachera malgré vous -.Une nocle re-
peteni aniniam luani. (twc, XII, 20.) Lui of-
l'rirez-vous les biens do ce iiiO'jde? Erreur,
c'est Dieu qui vous on dépouillera et qui
vengera l'abus que vous en avez fait. Con-
trit de vos péchés, les réj)arerez-vous [)ar
dus verlus contraires? Erreur, le péché qui
vous a dominé pendant la vij, vous domi-
nera à la mort; les vices de votre jeunesse
vous accompagneront jusqu'au t(jnibeau :
Jit cum eo inpulvere dormient. {Job,W, 11.)
Que de voies vous conduisent donc à cette
malheureuse morti Est-il aucun de nos in-
851
ORATEURS SACRES. RIBIER.
lérêls exposé h des dangers si sensibles et
s: multipliés? En est-il aucun qui par son
importance approche de ce'ui-ci? Nous crai-
gnons cependant , nous tremblons au moin-
dre péril qui menace noire fortune, noire
réputation, notre vie, notre santé: com-
ment donc pourrions-nous être tranquille
à la vue de tant de dangers 'qui menacent
noire souverain intérêt? Seigneur, devons-
nous dire tous les jours de notre vie avec
le Roi prophète: Mon cœur est dans le
trouble et dans l'agitation ; je ne puis pen-
ser à la mort sans frémir ; mais ce qui cause
ma frayeur ce n'est |)as la mort considérée
en elle>-même, elle aurait de quoi me flat-
ter, si je pouvais me répondr» que ce fût
une mort précieuse à mes yeux: ce qui me
remplit d'effroi ce sont les pièges d'une
mauvaise mort , d'une mort criminelle : piè-
ges funestes qui me mettent dans le danger
évident d'une éternelle ré()robalion: Peri-
cula inferni invenerunt me, prœoccupaverunt
me laquei mortis. [Psat. CXIV , 3.) Voilà ce
que vous pouvez craindre avec sagesse ;
l)Oint de crainte mieux fondée ; j'ajoute :
point de crainte plus utile et plus sancU-
iiante. C'est le sujet de mon second point.
SECOND POINT.
Il faut bien, mes frères, que la crainte
des surprises de la mort ait une vertu
particulière pour nous sanclitier, puisque
Jésus-Christ, dont toutes les instructions
se rapportent au salut , prend soin de
nous la dépeindre sous tant de ditféren-
tes images si vives, si frappantes, si
terribles. Quelle est, en effet, l'idée qu'il
nous donne de la mort! C'est un voleur,
nous dit-il, qui é[)ie le moment de noire
sommeil pour assurer celui de ses pro-
jets, de ses larcins; c'est un maître qui
f;ii' un long voyage pour éprouver la
vigilance des uns, et surprenilre l'indo-
lence des autres; c'est un époux qui,
après s'être lon'^teajps fait attendre, ar-
rive enlin, m;iis dans un moment où le
feu de la charité leijuise pour entrer au
festin se trouve assez souvent éteint;
c'est un piège où Ton est pris h l'instant,
et dont on ne peut plus s'échapper;
c'est un éclair dont on est tout à coup
saisi ; un coup de foudre donton est subite-
ment frappé; c'est un second déluge qu'on
ne pouvait croire, et qui nous sur|)rend
lorsque dans une fausse sécurité nous
ne pensions qu'à couler le plus agréa-
blement nos jours ; autant d'images, autant
de figures dont Jésus-Christ se sert dans
son Evangile pour nous rendre celte
crainte conlinuelle et familière; nous ne
pouvons donc trop y réfléchir. Pourquoi ?
1° Parce que celte crainte nous oblige
prom|)tement à rentrer dans nos devoirs.
2° A y persévérer lonslummenl. 3° A les
remplir avec plus d'exactitude et de fer-
veur : trois iétl(!xioiis, dont la simple
exposition vous convaincra de la véiilé
que j'ai avancée que la crainle des sur-
piises de la mort élait *!'.! toutes les crain-
tes la plus utile et la plus sanctitidiile.
Je dis en premier lieu que la crainte
des surprises de la mort nous oblige h
rentrer promptement dans nos devoirs.
En effet, 'je suppose un chrétien dans la
disgrâce de son Dieu, plût au ciel que nfa
supposition ne fût ni si commune, ni si
véritable I je suppose que sa conscience
lui reproche à ce moment quelque péché
dont son âme soit mortellement blessée;
Zélé pour son salut, je voudrais lui per-
suader de sortir promptement de cet état
criminel ; mais pour y réussir, que pour-
rai-je lui dire d'assez effrayant ?Luidirai-
je que tandis que son cœur est souillé
de ce péché, il n'est plus aux yeux do
Dieu qu'un enfant de colère, un vase
d'ignominie, un objeld'abomination ; qu'in-
digne d'éprouver ses bontés, il n'éprou-
vera que ses vengeances éiernelles; qu'il
en sera la victime inévitable, si, esclave
de son péché, il persévère dans sa ma-
lice : funeste présage, menaces formidables
qui pourront sans doute le loucher 1 11
prendra peut-être la résolution de met-
tre ordre à sa conscience; mais rarement
se déterminera-t-il par celle voie à le
faire avec assez de promptitude? Je sens
le malheur de mon étal, dira-t-il, je suis
résolu d'en sortir; je le ferai aux pre-
mières occasions, aux fêles prochaines
sans plus tarder,, je veux, par une bonne
confession, me réconcilier avec le Sei-
gneur; mais en attendant celle occasion
favorable, en attendant ces fêles solen-
nelles, il persévère toujours dans l'inimilié
de son Dieu !
Mais si je lui dis : Quoi 1 vous vous
sentez coupable d'un péché qui vous
expose à des vengeances éternelles, et
vous ne pensez |)as à l'effacer par vos
larnies, à l'expier par la pénitence? Mal-
heureuxl si la mort vous surprenait dans
cet état où en seriez-vous? Quel serait
votre sort? Qui vous a dit que, pour peu
que vous y demeuriez-encore , elle ne
vous surprendra pas? Vous attendez ces
fêles, mais les verrez-vous ? Combien qui
les attendent (|ui ne les verront pas 1 vous
attendez ces fêles? pouvez-vous même vous
promettre de vivre jusqu'à demain? Mais
insensé! peut-être que dès cette nuit
on vous redemandera voire âme 1 peul-
êUe que demain matin votre lit vous
servira de tombeau! Vous attendez ces
fêles? mais |)ouvez-vous compter sur au-
jourd'hui, sur celle heure, surce moment?
Si telle était votre crreui-, que d'exemples
funesies, que de morts imprévues l'Ecri-
ture " et l'expérience ne fourniraient-eiles
pas à votre aveuglement 1 Tantôt c'est un
Sisara qui trouve la mort dans le lieu
même où il fuit pour l'éviter; lanlot c'est
un Abimélcch qui renverse les tours de
Sichem, et qui expire lui-môme auprès
de leurs débris. Ici c'est un Absalon qui,
à f)eine échappé au massacre de son
armée, expire dans sa fuite suspendu
enlre le ciel et la terre; là c'est un E/é-
chias à qui le Seigneur fuit annoncer 6a
8oS
SERMONS. — I, SUR LA CRAINTE DE LA MORT.
834
mcrt dans le iem()s tnûme qu'il se llnlie
de goûler en rejios les tVuils d'une glo-
rieuse victoire. Ces terribic-s spectacles
ne cessent d'intiuiider nos yeux ; les uns,
comme ces feux nocturnes qui sô mon-
trent et disparaissent aussitôt, terminent
une vie qu'ils ont h [)eine cou)raencée;
d'aulres, à |)eine sortis des jours de leur
enfance, consomment leur course dès l'en-
trée de leur jeunesse. Celui-ci frappé
tl'uno apoplexie n'a pas survécu d'un
instant; celui-là écrasé par un mur ou fra-
cassé par sa chute n'a pas donné le
moindre signe de vie ; cet autre dans
le jeu, à la table, peut être même dans
la débauche, tout occupé de son [)laisir,
s'est trouvé faible, et a tout à coup ex-
piré. Après des exemples si funestes et
si fréquents ne pouvez vous pas dire com-
me David : Je ne suis peut-être éloigné
de la mort que d'un degré, que d'un ins-
tant : Uno gradu ego morsque dividimur.
(l Reg.jW, 3.) Pouvez-vous donc renvoyer
à un moment aussi incertain une conver-
sion aussi nécessaire! Si donc je lui par-
lais de la sorte, et (|u'oltentif à mon raison-
nement il y fît réflexion, il penserait à se
convertir promptement , à se convertir
sans délai. Faites-le donc vous-même ce
raisonnement; rien de plus sensible, rien
de {dus frappant ; et suivant alors le con-
seil de l'Apôtre, le soleil ne se couchera
point sur votre colère, vous ne tarderez
point à pardonner ceUe injure, à prévenir
cet ennemi, à rétracter cette calomnie, à ré-
parer cette médisance, à éloigner celle
personne funeste à votre vertu; et, si
vous ne pouvez dès ce moment vous ré-
concilier parfaitement avec Dieu, vous pren-
drez du moins de justes mesures pour le
faire le plus promptement que vous pour-
rez, parce que vous sentirez que le moin-
ilre délai peut causer votre perte éternelle.
Le premier ell'et de cette crainte est donc
de nous faire rentrer promf-tement dans
nos devoirs, le second est de nous y faire
persévérer constamment.
En eti'et, mes frères, nous ne pouvons
craindre les surjirises de la mort sans nous
tenir toujours sur nos gardes. Pourrions-
nous ignorer le moment de notre mort
et demeurer indilférent sur la justice de
nos voies? Quelque attrait qu'ait le péché,
quelque penchant que nous ayons à nous
y livrer, quelques sollicitations qui nous
y portent, nous nous trouvons aussitôt
arrêtés par le sou venir de la mort qui pourrait
nous surprendre aussitôt a()rès l'avoir com-
mis. L'espérance de pouvoir l'expier pour-
rait-elle nous autoriser à le commettre, de-
vanl toujours craindre avec justice que l'ins-
tant de la mort ne soit celui qui termine
notre péché ? C'est un voleur, disons-nous,
qui observe sans cesse le moment favora-
ble à ses [)ernicieux desseins. S'il s'en trou-
vait un seul dans notre vie qui pût fa-
voriser la mort , elle pourrait bien en
[irofiter pour nous porter ses coups; coups
lunoslcs, coups (pli nous fierdraient sans
ressources et pour une éternité ! Il faut
donc, concluons-nous, avec prudence no
lui laisser aucun intervalle où elle puisse
nous les porter : c'est le raisonnement que
nous apprend Jésus-Christ, c'est la leçon
qu'il nous donne après cette multitude
d'exemples et de figures dont il se sert pour
nous rendre sensibles les surprises de la
u'ort. Soyez donc continuellement sur
vos gardes, nous dit-il; ne cessez point
do veiller : tenez-vous toujours prêts à
paraître devant le souverain Juge, vigi-
liite itaque, estoteparali {MalCh.,X\lV, kk),
vous no savez ni le jour, ni l'heure de
votre mort; qu'il n'y ait donc aucun, jour,
aucun moment de votre vie oij vous puis-
siez être surpris dans le besoin : Vigila-
te itaque, quia nescitis neque diem neque ho-
ram. {Matih.,XW, 13.) C'est ainsi que nous
devrions raisonnner, et nous trouverions
dans ce raisonnement le motif le plus
efficace, le motif le plus pressant de per-
sévérer dans nos devoirs : j'ajoute de les
remplir avec plus d'exactitude et de fer-
veur.
Oui , mes frères, un homme qui pense
sérieusement aux surprises de la mort ne
bornera pas son attention à se garantir des
crimes évidemment condamnables : ce qui
est sus|)ect, ce qui est dangereux, tout ce
qui |)ourra tant soit peu l'exposer sera aussi
l'objet de ses soins et de ses empressements ;
précautions qu'un prend rarement dès qu'on
n'est point frappé de celle crainte salutaire.
Peut-être, il est vrai, ne voudra-t-on pas se
résoudre à commettre ce qui est décidément
criminel; mais il est des choses dont on
doale, qui inquièteni, qui déchirent, sur
lesquelles on ne peut se calmer et sur les-
quelles cependant on cherche à s'étourdir,
en renvoyant l'éclaicissement à des mo-
ments toujours plus éloignés ; car, en effet,
remarquez avec moi que personne ne vou-
drait mourir dans ces embarras et dans ces.
perplexités de conscience. On ne se rassurer
en partie sur ces cas douteux qu'en se pro^
posant de les éclaircir si le danger devenait
pressant et qu'on se vît aux approches de
la mort. Or, un homme qui pense sérieu-
sement aux surprises de la mort, et qui les
craint effectivement, est dans la môme si-
tuation que s'il en voyait les approches.
L'attendant à tout moment, il pratique tous
les jours ce que les autres ne se proposent
que d'exécuter dans un certain temps : il
ne se réserve point de discussion à faire en
matière délicate et dangereusi', point d'ac-
tion, et surtout d'aclioii im()Orlante qu'il ne
fasse comme la dernière de sa vie. Qu'il s'a-
gisse pour lui de choisir un état, d'acquérir
(pielques biens, de s'engager dans un pro-
cès, de juger quelques différents, il parle,
il décide, il agit en homme qui peut mourir
d'abord après l'avoir fait. Voilà la règle de
toute sa conduite, le conseil qu'il suit daiiS
tousses projets et ses entreprises ; règle
salutaire, conseil infaillible, princi{)e elii-
cace de son exactitude, je dis i)lus, de sa
ferveur.
855
ORATEURS SACRES. RIBIER.
8S6
En effet, frappé rie celte crainte, il ne se
contente pas d'éviter le mal que Dieu dé-
fend, il pratique encore tout le bien que la
religion prescrit, sachant que le ciel ne
s'accorde qu'au mérite; il craint que la mort
ne le surprenant vide de bonnes œuvres, il
ne soit exclu de l'héritage céleste. Tout
occupé de sa crainte il ne passe aucun mo-
ment de sa vie sans s'exercer dans la pra-
tique des verlus chrétiennes. La mort, se
dit-il è lui-même, est cette nuit siérile où,
ne pouvant plus Iravailler, on ne peut plus
mériter. Cependant elle est peut-être proche,
du moins j'en ignore le moment. Si elle
survenait tout à coup me trouverait-elle
suffisamment pourvu de mérites nécessaires
pour obtenir le ciel ? Quel bien ai-je fait
jusqu'ici ? Le peu que j'ai fait, l'ai-je fait
avec mérite? ou plutôt n'ai-je pas lieu de
craindre tout le contraire? If faut donc me
bâter de le remplacer, de l'augmenter, d'en
faire un trésor abondant ; il faut donc, sui-
vant le conseil de rA[>ôtre, qye, protilant
du temps que la mort m'a laissé, je fasse
pour le ciel tout le bien qui dépendra de
moi; œuvres de pénitence, actions de cha-
rité, exercices de religion ; en un mot, tout
ce qui pourra m'enrichir pour l'éternité, il
faut que je le fasse, et que je le fasse promp-
tera»int : le remettre à un temps plus éloi-
gné ce serait risquer de ne pouvoir jamais
le faire. Voilà, chrétiens, voilà la ferveur
qu'inspire le souvenir de la mort et la crainte
de ses suprises.
Craignons-les, mes frères, point decrainle
plus sage, point de crainte mieux fondée,
puisqu'il n'est rien de si funeste, rien de si
incertain que ses surprimes. Craignons-les,
pécheurs, point de crainte plus utile et plus
nécessaire à votre sanctilication ; effrayés
de cette crainte vous ne tarderez pas à ren-
trer dans votre devoir, vous y {)ersévérerez
avec constance, vous les remjilirez avec
toute l'exactitude et la ferveur possibles.
La mort ne sera plus [)0ur vous que le terme
de vos disgrâces et le commencement de
votre bonheur éternel. C'est ce que je vous
souhaKe.
SERMON II.
SUR LE SACEUDOCE.
Prêché à la retraUe de MM. les Prêtres, au
séminaire de Saint-] renée, le 1" septembre
1822.
Jésus Cbrislus heri et hodie ipse cl in saecula. (Uebr..
XIII, 8.)
Messieurs,
Ce que l'Apôtre disait do Jésus-Christ, ne
lM»uvons-nuus [las l'adapler au saceidoce
(.ont nous avons l'honneur d'être revêlu: il
e.vislaii hier dans Jésus-Chris(,/te;-('; il existe
aujourd'hui dans nous par Jésus-Christ,
hodie, et il existera éternelletnent dans nous
avec Jésus-Christ et in sœcula. Ce que le
Sauveur du monde fut sur la terre, ce qu'il
sera éternellement dans le ciel, nous le
serons donc avec lui, prêtres dans le temps,
prêtres dans l'éternité, hodie et in sœcula.
Nous ministres de Jésus-Christ, nous ses
coopérateurs et ses membres, nous scellés
du sceau mystérieux de son sacerdoce, nous
aurons donc le droit de nous élever jusqu'à
lui, et de nous déclarer dans I union la plus
intime, avec lui, prêtres dans le temps, prê-
tres dans l'éternité, hodie et in sœcula.
Sans doute, Messieurs, il existe dans le
sacerdoce une hiérarchie sublime. Jésus-
Christ en est le Pontife des pontifes, lui
seul a été éminemment sacré Roi et Prêtre
par son Père; mais, seul aussi, il a établi
et consacré dans son Eglise des pontifes et
des prêtres. Pierre fut cet apôtre qu'il choi-
sit pour en être la pierre fondamentale ; à
lui seul il a confié le pouvoir de paître ses
brebis et ses agneaux, et seul il possède la
primauté d'tionneur et de juridiction. Cha-
que diocèse à son chef, et nous nous faisons
gloire de respecter ceux que la divine Pro-
vidence a choisis pour veiller sur nous dans
ce diocèse, comme devant rendre compte
de nos âmes à Dieu : Quasi ralionem pro
animabus vestris reddituri. (Hebr., XIII, 17.)
Pilotes ex[)érimentés, ils connaissent les
écueils, et, contiés à leur vigilance, ils nous
les font éviter avec un zèle infatigable,
toujours éclairé par la foi et dirigé par une
charité vraiment paternelle. Nous pouvons
donc, nous devons être soumis à leurs or-
dres, leur obéir comme à des pères ten-
dres et éclairés. Amis vrais et sincères, ils
ont droit à notre aitachement et à notre-
reconnaissance. Nous ferons donc leur joie
et leur consolation? Ut cum gaudio hoc fa-
ciant et non gementes. (Ibid.)
Mais si dans celte hiérarchie sublime de
l'Eglise il en est qui sont élevés à la pléni-
tude du sacerdoce , nous n'y sommes pas
moins placés corume prêtres et revêtus de
la dignité sacerdotale. Nous sommes donc
prêtres dans le temps, et nous serons prê-
tres dans l'éternité : Hodie et in sœcula.
Oh pasteurs vénérables, respectables con-
frères 1 qu'il me soit donc permis dans celte
grande solennité de considérer avec vous le
prêtre sur la terre, le prêtre dans les cieux :
Hodie et in sœcula.
Un sujet aussi sublime demanderait sans
doute un nouveau Chiysostome pour en
parler dignement; j'ai donc droit de récla-
mer toute votre indulgence.
Pour vous, chrétiens, mes frères, qui,
solidement attachés à la religion de Jésus-
Christ, venez- avec empressement célébrer
avec nous la fête du sacerdoce, vous con-
naissez sans doute les avantages de noire
ministère, et vous en recevez avec recon-
naissance les coiisolalions et lesfruils ; mais
peut-être n'en connaissez-vous |)as assez la
dignité et la grandeur 1 N'est-il pas à crain-
dre que quelques-uns de ces nuages, for-
més [lar celte im|iiété du siècle qui s'elforce
d'atlaquer, d'avilir, d'anéantir le sacerdoce
de Jésus-Christ, n'aient obscurci votre foi
sur la grandeur et la dignité du prêlre?
Venez donc aujourd'hui vous édifier avec
nous: que votre foi soit éclairée, alfermie,
et que pour votre consolation vous appre-
857
SERMONS. — 11, SUR LE SACEUDOCi:.
8ii8
iiiozonfm quiToqueJésus-Christni'M.Thlilous
les olîoils «le roiifer ne sauraient ledôtriiirc.
Vierf^e sainte, vous êtes la reine du rlergù;
vous aimez et protégez les prêtres, daignez
psr votre entrcMiiise m'obtenir les lumières I
de l'Esprit saint. Ave Maria.
PREMIER POINT.
Pour se former une idée de la dignité et
de la grandeur du prêtre sur la terre, il
suflira sans doute de considérer le sacerdoce
et dans son institution et dans ses fonctions ;
et d'abord dans son institution.
Pour créer le vaste univers et former
riiooime à son image et à sa ressemblance,
Dieu n'a voulu que le ministère de sa toute-
puissance, et nulle autre main que la sienne
n'a touché à son ouvrage; mais pour ré-
pandre les bienfaits de la rédemption, et
sauver le monde, Jésus-Christ, par une in-
stitution admirable , s'associe des hommes
qu'il prend dans le monde ; il les élève au-
dessus du monde, et ils ne sont plus de ce
monde : Demundo non estis. {Joan., XV, 19.)
D'après une vocation si sublime, et qui
n'appartient qu'à lui seul, pour distinguer
ces hommes choisis des autres liommes, il
établit pour eux un sacrement [larliculier
qui, par un rite sacré fait couler sur eux
une onction sainte qui les introduit dans
son sanctuaire, en lait ses ministres, ses
coopéraleurs et ses prêtres, les consacre et
les destine à lui aider à sauver le monde.
Dei adjulores estis. (1 Cor., III, 9.)
D'après une institution si solennelle, le
sacerdoce ne doit plus soullVir aucune in-
terruption ni dans sa dignité, ni dans ses
pouvoirs, ni dans ses fondions. Toujours
il existera tel qu'il était lorsque Jésus-
Christ, comme homme, l'exerçait sur la
terre. Toujours le ministère sacerdotal
aura des prêtres qui seront pasteurs comme
Jésus-Christ, pères spirituels comme lui;
sauveurs et rédempteurs comme lui. D'a-
près une institution si sublime, toujours il
existera dans le ministère sacerdotal, non-
seulement une succession, une continuité,
mais même une identité de ministère entre
Jésus-Christ et ses prêtres. En effet, assis
à la droite de son Père, Jésus-Christ est
toujours ce qu'il était parmi nous le pontife
éternel , scmpiternum habel sacerdolium
{Hebr. ,Yll, 2Î) ; donc en confiant ses fonc-
tions à ses ministres, il ne s'en est |)as dé-
pouillé; dès lors tout ce que font les prê-
tres , ils le font non-seulement d'après
l'ordre de Jésus-Christ, au nom de Jésus-
Christ, comme Jésus-Christ, n)ais encore
avec Jésus-Christ. Tout ce qu'ils opèrent
sur la terre, Jésus-Christ le produit con-
jointement avec eux dans le ciel. S'ils por-
tent au Pèie éternel les vœux des peuples,
Jésus-Christ les lui |)résente; s'ils sèment
la parole évangélique, Jésus-Christ la fait
germer; s'ils confèrent les sacrements, Jé-
sus-Christ en fait jaillir la grâce; s'ils pro-
noncent la rémission des péciiés, Jésus-
Christ ralilie leur sentence; s'ils immolent
la victime du salut, Jésus-Christ est le luin-
ripal sacrificateur : pu un mot, il n'y a pas
un seul acte du ministère sacerdotal qui ne
soil en même lemps un acte do Jésus-Christ,
et qui ne tire son mérite et son efficacité de
a coopération de Jésus-Christ.
Et pour nous donner une idée plus grande
et plus élevée de l'union intime du minis-
tère sacerdotal, avec celui de Jésus-Christ,
ce divin Sauveur la compare à celte union
ineffable qui ne fait qu'une nature de lui
et de Dieu son père.
Ecoulons-le établissant en plusieurs en-
droits entre lui et ses apôtres la môme
relation qui est entre son père et lui. La
mission qu'il leur donne est la même que
celle qu'il a reçue de son père : Comme
mon Pèrem'a envoyé je vous envoi-i : « SiciU
misit me Pater et ego mitto vos. ^o [Joan. ,XXy
21.) Les etfets de cette mission sont les
mêmes. Celui, dit Jésus-Christ, qui vous
reçoit me reçoit, et celui qui me reçoit reçoit
mon Père gui m'a envoyé: « Qui recipit vos
me recipit et qui me recipit recipit eum qui
misit me (Matlfi. X, 40); » Quiconque vous
écoute m'écoute, et quiconque vous méprise me
méprise; et en me méprisant, méprise celui
dont je suis l'envoyé. « Qui vos audit me audit
et qui vos spernic me sperniC, qui aulem me
spernit spermil- eum qui misit me. » {Luc, X,
16.) La doctrine qu'il leur enseigne est
celle qu'il a apprise de son Père : Omniu
quœcunqueaudivi a Pâtre meo nota fcci voOis,
(Joan. , XV, 15.) Il n'est qu'un avec son
père, et de môme ses ministres ne doivent
faire qu'un entre eux : Sint unum sicut et
nos unum sumus. [Joan. XV^ll, 11.) Dieu lo
Père élail dans Jésus-Ghrisi se rétoiiciliant
le monde, et Jésus-Christ confère à ses
prêtres le même ministère de la réconcilia-
tion : Dédit nobis minisierium reconcilialio-
nis, quoniam quidem Deus erat in Christo
munûum réconcilions sibi. (Il Cor., V, 19.)
La gloire qu'il a reçue de son Père il la
leur communique ; Ego claritatem quam
dedisti mihi dedi eis. Le Père est toujours
avec le Fils, et le Fils avec le Père, et Jé-
sus-Christ promet à ses apôires d'être avec
eux jus([u'à la consommalion des siècles :
Pater in me est et ego in Paire ; ecce ego vo'
biscum sum omnibus diebus iisquc ad con
aummaiionem sœculi. [Malth. XXVilI, 20)
Entin tout jugement a été donné à Jésus
Christ par son Père, et Jésus-Chrisl leur
déclare qu'ils peuvent tout délier sur la
terre et dans les cieus, qu'ils lieront et dé
lieront les consciences : Pater omne judi'
cium dédit Filio quœcunqiie ligaveriliSf
etc. [Joan. V, 22.)
Il est donc vrai (jug le sacerdoce par son
institution unit intimement le prêtre avec
Jésus-Christ, le grand pontife de la iiou
velie alliance; mais si nous sommes si
étroitement unis à Jésus-Christ par notre
dignité, nous devons donc aussi lui être
unis par nuire sainteté; si nous avons tant
de part au sacerdoce de Jésus-Christ, nou,?
devons donc avoir part aussi à son esprit;
si nous sommes ses lieutenants sur la li rre,
si nous tenons i.ui rang si distingué dans
859
ORATEURS SACRES. RiBlER.
860
son Eglise, nous devons donc aussi nous
ilislinguer par notre zèle pour ses intérêis;
si en[in nous faisons l'admiration du monde
par notre dignité, nous devons donc aussi
iaire l'admiration du monde par nos vertus.
Comme Jésus-Christ lui-même nous devons
donc parmi les fidèles briller d'une lumière
plus pure, cl brûler d'une ardeur plus vive ;
notre esprit doit être comme une source
féconde de lumière pour les é(-Iairer, noire
cœur comme une fournaise d'aiiiour pour
les embraser, et noire âme connue une fon-
taine intarissable de grâce pour les sauc-
litier.
Faul-il s'étonner ensuite que le sacer-
doce si grand par son institution, le soit
également dans ses fondions ? En elTet,
émané du Père, confié par le Fils, secondé
par le Saini-Ksprit, le sacerdoce de Jésus-
Christ répond parfaitement à la dignité d'un
Homme-Dieu dans les fonctions saintes qui
lui sont confiées.
Qu'il est beau de le voir le Sauveur du
monde donnant la mission à ses apôtres, et
les instituant les héritiers de sa puissance
comme ils l'étaient déjà de son sacerdoce
élernel 1
C'est après sa résurrection, c'est lorsqu'il
est revêtu de son immorlalilé, de sa gloiie
et de son triom()lje ; c'est en présence de
la plus nombreuse assemblée des fidèles et
dans une de ses plus éclatantes appari-
lions, que, revêtu de toute la fmissance et
de l'autorité qu'il a reçue de son Père dans
le ciel et sur la terre, il dit à ses a{)ôtres,
mais comme en souverain et en maître :
Comme mon Père m'en tnvoyé je vous envoie :
a Sicut misit me Paler el eç/o millo vos [Joan.,
XX, 2), c'est-à-dire, comme mon Père, en
m'envoyant dans le monde m'a confié une
puissance sans borne dans le ciel et sur la
terre, comme il m'a chargé de remplir des
fondions indispensables pour la rédemption
du monde, de même aussi je vous envoie
avec la même puissance, et vous confie les
mêmes fonctions dont il m'a chargé aui)rès
des hommes.
Or, Messieurs, d'après celle mission so-
lennelle nous disons que si les principales
fonctions de Jésus-Christ surla terre furent
d'instruire le monde, d'etfacer les péehés
du monde, d'olfiir un sacrifice inelfable
|)0ur la rédemption du monde, le prêtre
aussi n'a point de fonctions plus sublimes
à remplir el (jui relèvent plus éminemment
la grandeur de son niinislère que les fonc-
tions admirables dont nous venons de par-
ler; el d'abord lorsque Jésus-Chrisl fut
envoyé sur la terre, il y vint pour évangé-
liser les pauvres el donner sa grâce auv
hommes en les insli uisanl, eruaiens nos ;
c'est aussi dans ces mômes vues qu'il a é;a-
bli ses apôtres el lésa chargés de parcourir
îes nations pour les enseigner : Eunles do-
cete omnes yenles. [Maltli., XXV111,19.) Vous
êtes, leur dit-il, la lumière du momie; vous
êtes ce flambeau qui dissij)e les ténèbres
et répand sur la Icrre la lumière donl Dieu
jsl l'auteur cl le [)ère ; ce flambeau élevé
sur le chandelier pour répandre la clarté
dans toute la maison de Dieu; ce flambeau
enfin qui, comme le disait Jésus-Christ de
son précurseur, brille el échauffe tout h la
lois •.Lucerna ardens et Incens (Joan.,V, 35) ;
flambeau sacré qui, allumé au feu de la
charilé divine, dissipe les ténèbres, éclaire
les esprits el embrase les cœurs. Et afin,
continue Jésus-Chrisl, que votre doctrine
soit toujours la mienne, à vous, mes apôtres
bien aimés, il vous est donné de connaître
les mystères du royaunie de Dieu. Toutco
que j'ai appris de mon Père, je vous lai fait
connaître; pénétrez jusque dans les mys-
tères les plus profonds do ma divinité^ el
annonc>?z |)ar toute la terre les vertus de
celui qui vous a tirés des ténèbres de l'igno-
rance pour vous communiquer la lumière
admirable : Virlulesannuntieiis ejus qui de
tenebrisvos vocavil in admirabile lumen suwn.
(I Petr., H, 9.)
Vos lèvres sont les dépositaires, non seu-
lement des mystères les plus profonds, des
dogmes les plus relevés el les plus conso-
lants, mais encore elles prêcheront la mo-
rale la plus noble, la plus sage, la plus
pure. Allez donc, enseignez toutes les na-
tions, tous les âges, tous les états; c'est
moi, maître souverain, qui vous l'ordonne.
Si mon Père a créé le monde par moi qui
suis sa parole el son Verbe, il /eut aussi
que par moi, toujours sa parole vivante et
son Verbe éternel, vous enseigniez, vous
régénériez, vous sauviez le monde. Moi
j'ai conquis le monde [)ar mon sang, el c'est
à vous h le conquérir par la prédication
de mon Evangile; allez, ne craignez point,
IrûUj eau faibie et timide, ma parole ne sau-
rait être liée dans voire bouche, ni altérée
par les efforts de l'enfer. Je serai avec vous
jusquà laeonsommation des siècles : « Usque
ad consummationem sœculi.{Ma[tli.,XWlil,
29.) Ce n'est pas vous mais l'esprit de Dieu
mon Père, qui parlera par voire bouche :
Spiritus pairis vestri qui loquclur in vobis.
[Matlli., X, 20 ) Mais, f-lessieurs, il ne sufTU
point aux ministres do l'Evangile d'annon-
noncer les mystères de Jésus-Christ, de
prêcher la morale de Jésus-Chrisl, il faut
encore qu'ils annoncent aux peuples leurs
crimes el leurs désordres pour les ramener
5 la pénitence el les pardonner : Annuntia
populo meo scelera eorum, {Isa., LVllI, 1.)
il faut qu'à l'exemple du prophète, ils ras-
semblent, d'une voix forte el puissante,
non pas en songe seulement, mais en réa-
lité cette multitude d'ossements dispersés,
desséchés dans les campagnes et leur souf-
llenl un esjirit de vie : spirant spiraculum
vitœ. {(^en., 11,7.) Le ministère évangélique
n'esl donc pas borné comme celui des prê-
tres de l'ancienne loi à juger les lépreux
sans pouvoir les guérir. Nous [irôtres de la
loi de grâce et d'amour nous pardonnons
le pécheur, nous détruisons le péché dans
son cœur, nous prononçons une sentence
d'absolulion sur sa lôte, el h l'instant il
rentre dons la paix de la grâ^e el l'amour
de son Dieu. Le dirai->^ Messi.'urs, à Jésus-
8C: - SEKJfONS. - II,
Christ, Fils ùe Dieu, il a fallu tout son sang
pour la (Jestruclion du péché ; et un prôlre
approuvé par la verlu de ce niênie sans;, le
détruit avec une facilité sans égale ; il lève
la main; il dit : Je t'absous; et h ce mot sa-
cré les murailles de Jéricho tombent on
poudre, et le péché n'est plus.
Heureux fidèles qui écoulez dans l'élon-
ncmcnlet l'admiration les pouvoirs qui nous
sont confiés; vous pouvez avec confiance
vous adresser à nous et nous dire comme
on le disait autrefois à Jésus-Christ : Prê-
tres du Seigneur, si vous le voulez, vous
pouvez n<,iusguérir:5it;<5, potes memxindare,
et nous vous répondrons avec Jésus-Christ :
Oui, nous lo voulons, sovez guéris; ro/o,
mundare. [Matlh., VIII, 2,'3.)
Nous sommes donc au tribunal sacré do
nouveaux Jésus-Christ ; et si comme autre-
fois, étonnés et scandalisés de ce que nous
pardonnons les péchés, on nous disait
comme les scribes le disaient à Jésus-
Christ, qui est-ce qui peut remettre les pé-
chés, si ce n'est Dieu seul? Quis potest di-
mitlere peccala 7iisi soins Deus{Luc.,'V,'2\) ;
nous leur répondrions s ms hésiter que nous
sommes comme des dieux sur la terre;
ego dixi, dii estis (Psa/. LXXXI, 6) ; nous
leur dirions que notre sacerdoce a quel-
que chose de singulier entre Dieu et les
hommes , avec Dieu les prêtres sont des
hommes, et avec les hommes ce sont des
dieux. Hommes par faiblesse et peut-être
par leurs fautes; mais dieux parce pouvoir
touchant de délier les âmes, de les rendre
au bonheur et h la vie. Eux seuls ont donc
le pouvoir de réconcilier le pécheur avec
Dieu, parce que h eux seuls il a été dit : Re-
cevez le Sainl-Esprit ; ceux à qui vous remet-
trez les péchés, ils leur seront remis ; et ceux
à qui vous le< retiendrez, ils leur seront re-
tenus. {Jean. XX, 23.) Parole puissante qui
a retenti et retentira dans toute lasuile des
siècles, paroles sacrées qui en établissant
le prêtre comme un nouveau Jésus-Christ
sur la terre, donne à toutes les absolutions
qu'il prononce légitimement la force et
refficacilé de pardonner tous les crimes.
Prêtres du Seigneur qui avez en main le
pouvoir de lier ou de délier les consciences,
pensez que la sentence d'un jirêtreau tribu-
nal de la confession détermine d'avance la
scntencedu souverain Juge lorsqu'il viendra
juger la terre ; votre sentence sera lue dans
l'auguste assend)lée des saints et du monde
entier; puisse-l-eîle réjouir le ciel, etfairo
trembler les démons et l'enfer.
Si lo ministère sacerdotal est si g'-and
dans les fonctions saintes qui lui sont con-
fiées pour prêcher l'Evangile et remettre les
péchés, ne devons-nous pas ajouter qu'il
n*^- a rien de [ilus grand, de [dus excelk-nt
et de plus parlait que le pouvoir aduiiiable
que les prêtres exercent sur le corps et le
sang(Je Jésus-Christ? A eux seuls a été don-
né le[»uuvoirde consacrer le Dieu de majes-
té; et ce que Jésus-Christ a fuit une fuis la
veille de m mort, en changeant le pain en
son corps, et lo vin en son sang, le |)rètre
SUR LE S.\CERDOCE.
802
le fait tous les jours b l'aulel ; hoc facile in
meam commemorationem. {Luc, XXII, 19.)
Oui, le prêtre d'une parole toute puissante
consacre et bénit le corps adorable et le sang
précieux de Jésus-Christ, il le porte dans ses
mains, il le reçoit dans sa bouche, il le dis-
tribue aux fidèles; pour tout dire, en un
mot, ce même Jésus, qui fut obéissant à
son Père jusqu'à la mort, et à la mort de la
croix, se rend obéissant à la voix du prêtre
età sa volonté. Il descend du haut descieux,
et se place dans ses mains: Obediente Deo
vocihominis. {Josue, X, l'i..)
Uni, identifié aveceux, c'estparleurminis^
tere et leur organe que Jésus-Christ opère
le mystère de la transsubstantiation. Ceci
est mon corps; ceci est mon sang, dit le
prêtre, et ces paroles, dans sa bouche, n'ont
pas moins de force que dans la bouche do
Jésus-Christ qui les prononce avec lui : Obe-
diente Deo voci hominis.
Avec un tel |)ouvoir et une union si inti-
me faut-il s'étonner que le prêtre soit char-
gé d'cdfrir et de renouveler, d'une manière
non sanglante, le sacrifice redoutable de
Jésus-Christ sur la croix? Itecevez , dit le
Pontife, au prêtre qu'il consacre, le pou-
voir d'olfrir des sacrifices à Dieu, tant pour
les vivants que pour les morts : l\im pro vi-
vis quant pro defunctis.
Voilà donc le prêtre montant à l'autel,
exerçant une puissance au-dessus de toute
puissance humaine, une puissance que ni
les hommes, ni les intelligences célestes
n'auraient été ca[)ables d'imaginer; une
puissance qui non-seulement lui donne le
pouvoir de reproduire Jésus-Chiist dans ses
mains, mais encore de l'immoler et de l'of-
frir en sacrifice à Dieu son Pèie.
O puissance inconcevable! dans Ift sacri-
fice du Calvaire, Jésus-Christ lui soûl avait
droit de s'oifrir à son Père; il y était tout à
la fois le prêtre et la victime. Dans le sa-
crifice de l'autel, qui est la continuation de
celui de la croix, li transporte à son minis-
tre son droit sur sa personne divine; il se
l'associe, il parait le substituer à sa placo
en qualité de prêtre, et semble ne réserver
pour lui que sa qualité do victime. 0 rene-
randa sacerdotum diqnitas!
Eileest donc grande et sublime la dignité
du prêtre sur la lerie I et k quoi peut-on la
comparer?
Sans doute, Messieurs, eileest grande la
dignité des fidèles en qualité de membres
de Jésus-Christ; niais si leur dignité doit se
mesurer selon l'Apôtre, parl'éminencede la
place qu'ils occujtentenson cor[)S mystique,
et par la ()lus grande ou plus petite partici-
pation de son esjirit et de sa vie, quelle sera
donc la dignité et la grandeur des prêtres?
ne sont-ils pas les premiers et les nrembreà
les plus nobles de Jésus-Christ ? ne |)artici-
|,ent-ils [las de plus près à res[)rit et à la vie
do Jésus-Christ? ne sont-ils pas ses yeux
pour éclairer son peuple, sa bouche pour
l'instruire, ses bras pour le défendre, ses
mains pour lui distribuer ses grâces, sis
chefs subalternes j)oui' le conduire? Que dis-
8C5
jHl ne sonl-ils pas Içs dc'posilaires de sa
puissance, ses aiinislres |)Our le représen-
ter ses prêtres pour l'immoler?
Nous révérons comme les images du Dieu
du ciel les puissances légitimes de la terre;
nous leur rendons hommage et obéiss^ince;
et cependant nous ne croyons pas manquer
au respect profond que nous leur devons ,
en disant que la dignité des rois n'approche
point de la dignité du prêtre. Celle-là no
donne pouvoir que sur les hommes, et la
noire nous en donne sur un homme Dieu.
Celle-là ne donne autorité que sur les corps,
et la notre nous en donne sur les âmes. Les
rois ne distribuent que les biens de la terre,
et les prêtres sont les distributeurs des biens
célestes; ils ferment l'enfer; ils ouvrent les
cieux.
lit vous , Vierge sainte, Vierge pure et
sans tache. Mère de mon Dieu , quelle di-
gnité ! quelle grandeur peut égaler la vôtre?
Permettez cependant, qu'en qualité do
prêtre , ne faisant qu'un avec Jésus-Christ
votre Fils , nous établissions un rapport
intime entre la dignité du sacerdoce et la
dignité de Mère de Dieu. De part et d'autre.
ORAÏEUUS SACHES. RIBIER. 864
ministère de notre personne. L'Apôtre des
nations veut que les hommes nous hunoreni
comme les ministres de Jésus-Christ et les
dispensateurs des mystères de Dieu ; mais il
veut aussi honorer lui-même son ministère:
Minislerium meum honorificabo. {Rom., XI ,
13.) Uespectons-le de même, pour qu'il
nous fasse respecter, et soyons assurés qu'il
nous honorera d'autant plus par sa dignité
que nous mettrons plus de soins à l'honorer
])ar nos vertus.
Le prêtre sur la terre nous venons de le
^oir.
Le prêtre dans le ciel sujet d'une seconde
réllexiun.
SECOND POINT.
c'est le même Dieu
que
la sainte Viergo
adorons avec
à nos mains ;
a sublimité do
la i'iovidence
conçoit dans son sein, et le prêtre dans ses
mains. C'est par la vertu do l'Esprii-Saint
que ce grand mystère s'opère de part et
d'autre. L'ange dit à Marie : Spirilus sanC'
tus supervenie$ in te {Luc.l, 35); et dans
l'ordination l'évêque dit au prêtre : Accipe
Spiritnm sanctitm{Joan,, XX, 23); mais ce
qui doit nous causer ()lus d'étonnement en-
core, c'est de voir le Fils de Dieu ne s'in-
carner qu'une fois avec une chair passible
et mortelle dans le sein d'une Vierge si
pure et si parfaite, tandis que tous les
jours, revêtu de gloire et d'nnmorlalilé ,
il se renferme dans le cœur d'un prêtre :
Quis audivit unquam laie. (Isa., LXVl ,
8.)
Prêtres de Jésus-Christ ,
respect les mystères confiés
mais n'oublions jamais que
l'élat auquel tious a élevés
n'est assurément pas pour faire naître dans
nos cœurs des sentiments d'orgueil. La
grandeur de notre ministère doit bien plu-
tôt nous humilier , quand du haut de son
élévation nous portons nos regards sur nous-
mêmes, quand nous pensons h ce que nous
devrions être pour y correspondre, et à ce
que nous sommes... pauvres et faibles créa-
tures 1 souvent pécheurs, toujours près de
le devenir; pourrions-nous prétendre à cet
excès d'honneur? Considérons la sublimité
de notre sacerdoce; mais que ce soit pour
nous pénétrer de ce qu'elle exige de nous.
Ne sé[)arons jamais nos obligations de notre
dignité , ni les travaux du ministère des
honneurs du sacerdoce. S'il est eiijoint aux
lidèles de nous porter respect , de nous
rendre obéissance , il nous est enjoint avec
rigueurde mériter leurs hommages. N'alfai-
blissons point par notre conduite la vénéia 3
tion (ju'ils doivent à notre consécration ,
ne les accoutumons i)as à distinguer nuire
Heureux le prêtre qui , à la fin de ses
jours, peut, à l'exemple de saint Paul, se
rendre le témoignage consolant qu'il a bien
combattu, qu'il a consommé sa course et
conservé la foi ; il ne lui reste plus qu'à
recevoir la couroime de justice qui lui est
réservée par le souverain Juge : Jn reliquo
reposita est mihi corona justitiœ. (II Tim.,
IV, 8.)
Ici , Messieurs , s'ouvre à nos regards
étonnés un spectacle ravissant de gloire et
de bonheur pour le prêtre entrant dans les
cieux. Mais dans l'impossibilité de soulever
tout ce poids immense de gloire qui l'at-
tend, et pour tixer notre attention sur un
objet particulier, arrêlons-nous à cet amour
parfait qui doit intimement et élernelle-
inent unir le prêtre avec Jésus-Christ dans
le ciel.
Vous le savez, Messieurs, il n'y aura ,
pour lo prêtre surtout , aucune vertu qui
n'ait son genre de récompense , dès-lors
tous ces mérites cachés aux yeux des
hommes; ces larmes répandues enlre lo
veslibule et l'autel; ces talents accumulés
avec les deux talents qui lui furent conliés ;
ces âmes sauvées par son zèle et ses travaux,
tout contribuera à embellir sa couronne;
tout ce qu'il aura fait pour se sauver lui-
môme , tout ce qu'il aura fait pour sauver
les autres , tout ce qu'il aura fait pour glo-
rilier son Dieu, mérites cachés, mérites
publics, tout serviia à le faire briller dans
de perpétuelles élernilés : Jn perpétuas œ^
icrnilutcs. {Dan., Xll, 3) 'J'out recevra du
Piince des pasteurs une couronne incorrup-
lible d'une gloire éternelle : Immarcessibi-
Icin (jloriœ coronum. { I Pctr.,\, k.) Dès ce
moment et pour toujours Jésus- Christ
n'appellera plus si'S prêtres que du beau
nom d'flmi : Vos aulem dixi amicos meos
(Joan., XV, 15) ; il disposera pour eux de
la môme récompense dont Dieu son Père
aura disposé l'our lui-même : Jîgo dispono
vobis sicut disposait Paler meus re(jnum.
{Luc, XXll, 29.) 11 ne soulTrira pas que
ses ministres soient placés ailleurs que là
où son Père l'aura placé lui-même : Volo
ul ubi sum ego et illi mccum sint, {Joan. ,
XVII, 24.) Il leur distribuera des trônes
pour juger avec lui les nations et les rois:
Scdcbitis cl vos jadicutUcs duodccim tribus
i.\>■■^
SERMONS. - II, SUR LE SACERDOCE.
Israël {MaHh. , XIX , 28.) Il rôpandrn enfin
(J;ins leiirânie, lioiiiu-iir, yloire, hénédio-
tion, amour, oui. Messieurs, «imour, m.iis
nmour parlait; c'esl-.Vtiire , amour iiilini du
vdlé de Dieu, amour (éternel du côté du
prôlre. Entrons , Messieurs, autant que la
faiblesse humaine peut le permettre , dans
ces mystères d'atnour où Dieu et lo prôlre ,
consumés du même amour, ne feront plus
dans les v\eu\ qu'un seul et même Chtist :
Ego in eis et tu in me ut sint consummuli in
tiuum (7onn., XVII. 23) ; ijeureux si nous
jionvions faire hrillei h vos ^eux quelques
étincelles de ces brasiers "d'amour, que
la charité immense d'un Dieu, allumera
éternellement dans le cœur d'un saint prôtre.
Si dans celte vallée de larmes Dieu pré-
pare quelquefois à ses amis des transports
impétueu's de bonheur et d'amour, est-il
donc si difflcile de conjecturer ce qu'il fera
pour ses prêtres dans le ciel ? Si des créa-
tures ont pour nous des charmes si puis-
sants , si nous voyons se former des liens
si étroits entre des parents et des amis, se-
rait-il donc si diflicilc d'en conclure quel
sera l'attrail doux et impérieux, l'inclina-
tion violente et invincible qui emportera ,
entraînera, réunira toutes nos facultés dans
Dieu, nous unira avec Dieu le Père, prin-
ci[)e et créateur de toutes choses avec Jé-
sus-Christ Fils de Dieu, qui n'a pu instituer
le sacerdoce , consacrer ses prêtres, les
oindre de la vertu et de l'onction de son es-
prit d'amour, sans leur imprimer des rap-
poils de ressemblance avec lui, sans leur
donner une inclination, un besoin, un in-
stinct de réunion et d'amour? Et si cette
inclination divine est ralentie maintenant
I)ar les liens du corps, par le spectacle des
objets sensibles; lorsque ces liens seront
brisés , lorsque ces objets auront dis[)aru,
quelle sera son activité, son impétuosiié ,
son ardeur?
Non , Messieurs, la pierre qui se préci-
pite, la flèche qui fend les aiis, la foudre
qui divise la nue, ne tendent pas si rapide-
ment à leur but que l'Ame sainte et pure
d'un bon prôlre admise au bonheur éter-
nel, s'élance au même instant vers l'objet
infini qu'elle contemple, s'attache et s'unit
à lui, se [lerd et s'oublie en lui parles saints
transports de l'araonr. O transports subli-
mes et inelfables! O amour des saints prê-
tres dans le ciel ! Amour désormais parlait
et invariable, amour sans partage et sans
mélange, sans ellort et sans ilégoût, sans
tiédeur et sans inconstance ; sans incerti-
tude et sans crainte , sans mesure et sans
lin I... Amour des bons prêtres dans le ciel,
indissoluble union cJu prêtre avec son Dieu,
n'aimant que Dieu en tout, et aimant tout
en Dieu. O mystère auguste du divin
amour I Toute l'énergie des écrivains sacrés
s'est comme épuisée |)Our le pein(Jre et te
faire connaître. Tanlôt ils appellent celle
communication d'amour une itarticipalion
de la nature divine, une consommation,
une peileclion d'unité; tantôt ils i'a[)pelluiit
une transformation en DiCu, une uiorche
SCG
étcrni'lle de splendeurs en splendeurs; ils
l'appellent une ivresse de délices dans les
saillis, lin transport de volupté qui les inon-
de ; ils l'appellent une fournaise d'éternel-
les ardeurs, dans laquelle l'âme plongée
comme le fer dans le feu qui le pénètre, se
perd abîmée dans le sein de Dieu, toute pé-
nétrée, toute embrasée de son amour, ne
iaisant plus avec son Dieu qu'amour et bon-
heur... Oui, oui. plus que lout cela, Mes-
sieurs, plus qu'amour et bonheur; Dieu
dans ses prêtres, les prêtri^s dans Dieu; les
prêtres dans Jésus-Christ Fils de Dieu, Jé-
sus-Christ dans ses prêtres; les |)rêires de-
venus participants de la nature divine par
Jésus-Christ, Jésus-Christ communiquant à
ses prêtres toute la gloire de son sacerdoce,
tout l'amour de son Père.
O vous, mon cher auditeur! vous dont
le cœur n'est encore ici-bas que le (;œur de
l'homme; cœur infortuné si avide de bon-
heur et si altéré d'amour , si empressé à
chercher ce qui est aimable et si prompt à
s'enflammer pour ce qui le paraît , si facile
à séduire et si souvent trompé; cœur in-
fortuné, console-toi ,jelle-toi dans le sein
de Dieu, tu trouveras en Dieu ce que tu
cherches ici bas en vain. Ne cherche donc
plus qu'en Dieu ce que partout ailleurs tu
chercherais vainement.
Oui , Messieurs, une fois arrivée au grand
jour de l'éternité, à ce moment fortuné où
l'Ame du prêtre paraîtra devant ce soleil
de i'éternellejuslice, à ce moment el pour
toujours, elle lo verra, elle le contemplera
et l'aimera ; et de même que le soleil ma-
tériel qui nous éclaire, remplit nos yeux
de son image et de sa chaleur; ainsi la lu-
mière divine fortifiant l'âme du prôtre en
l'éclairant, produira en elle une image
abrégée de sa divinité et de son amour. O
vérité certaine et consolante 1 nous sommes
ici bas les oints du Soigneur par sa grâce ;
la gloire do noire onction sacerdotale ne
paraît point encore, mais lorsque le Sei-
gneur se montrera à nous, nous lui serons
semblables, parce que nous le verrons tel
qu'il est, nous participerons à ce qu'il est ,
parce que les rayons de sa gloire , les feux
de son amour, l'oncliou de son sacerdoce
nous pénétreront et nous rendront sembla-
bles à lui; parce que, en voyant Dieu tel
qu'il est , nous connaîtrons dans lui, nous
aimerons dans lui, nous posséderons dans
lui tout ce qui peut être renfermé dans
l'infinie simplicité , dans l'immense unité ,
dans l'inépuisable fécondité de l'Etre par
excellence; pour tout diro, en un mot, en
connaissant, en aimant el possédant Dieu ,
nous connaîtrons , nous aimerons et possé-
derons un Dieu qui possède tout et qui est
tout en toutes choses : Omnia in omnibus.
(1 Cor., XV, 28.)
Et c'est ici, .Messieurs, que nous suc-
combons accablés sous le {)Oids immense
de la Divinité, sous eu poids immense de la
connaissance, de l'amuur et de la posses-
sion d'un Dieu. C'est ici que nous treSiml-
lons de joie et d'amour... C'est ici que uo-
857
ORATEURS SACRES. RIBÎER.
808
tre intelligence anéantie conçoit enfin la
plus haule idée, I.t seule véritaJjle idée du
bonheur céleste, o' tel que la foi nous le
promet; c'est ici que nous comprenons
cette parole du Seigneur au Père des
croyant-; : Ego ero merccs tua magna nimis
(Gm., XV, 1) ; c'est moi, dit le Seigneur,
oui, moi-même ; je serai votre récompen-
se, votre récompense trop grande; merces
tua magna nimis. Quelle parole , Messieurs,
et que veulent d^ire ces mots, une récom-
pense trop grande, sinon une récompense
au-dessus de notre nature , au-dessus de la
nature entière, au-dessus de toute nature
possible, infiniment au-dessus de noire
cœur, de nos désirs, de notre amour. Mer-
ces tua magna nimis.
Rappelons ici , Messieurs , la parole de
l'Evangile adressée au servileur lidèle, et
h plus forte raison au prêtre de Jésus-
Christ • il n'est pas dit que la lélicité de soa
maître lui sera communiquée avec écono-
mie, il est dit qu'il entrera lui-même dans
la félicité de son maître, qu'il y sera plon-
gé , abîmé, perdu comme dans un Océan
sans limites et s.iiis fin. Intra in gaudium
Domini lui. [Mallh., XXV, 23 )
C'est ici où nous comprenons cette autre
parole du S;iuvour à ses disciples et h tous
ses prêtres : On jettera dans voire sein une
mesure de bonheur non-seulement juste,
mais pleine, non-seuleinent pleine , mais
comblée, non-seulement comblée, mais
pressée, non-seulement pressée , mai? su-
rabondante, qui débordera de toutes [)ails,
qui sera plus grande que vous-même : et
si sur la terre nos désirs surpassent et dé-
bordent toujours les biens que nous pos-
sédons; dans le ciel au contraire, le bien
infini que nous y posséderons surpassera,
débordera sans cesse tous nos désirs. Men-
suram bonam, plenam , conferlam, coagita-
tam supereffluenlem dabunt in sinum ves-
trum. (Lmc.,V1,38.)
Faut-il s'étonner ensuite du silence du
grand apôtre après ses sublimes ravisse-
ments? Car, remarquez je vous prie, ce si-
lence si étonnant, si mystérieux. Paul, ce
grand apôtre , a été transf)orté par l'esprit
de Dieu jusqu'au troisième ciol, c'est-à-dire
du moins dans les secrets de Dieu, dans ce
bonheur immense qui est réservé aux élus.
L'Eglise entière semble attendre de lui qu'il
jettera du moins quelques lumières sur ce
grand objet de nos espérances; mais Paul
répond qu'il n'est pas permis à un homme
mortel d'en parler, que les hommes ne sau-
raient le com|treiidr« : Non licel homini lo-
qui. (Il Cor. Xli, k.) Pourquoi cela. Mes-
sieurs? Le voici : parce que dans celte élé-
vation surnaturelle de l'Apotre, non-seule-
ment il avait vu tous les biens connus,
existant en Dieu d'une manière bien autre-
ment plus parfaite qu'ils n'exislent à nos
yeux; mais il avait vu des biens innoui-
brables et inconnus dont nous n'avons pas
même l'idée; il avait vu s'ouvrir devant lui
des abîmes imjiénétrables de félicité dont
nous ne soupçonnons pas même les pre-
mières notions, et dont par conséquent,
aucune image terrestre, aucune expiession
humaine ne pouvait nous instruire. Par
conséquent Paul, rendu à. son élal de mor-
lalilé après ses ravissements ineffables, de-
vait demeurer accablé comme il l'était par
le souvenir confus de son bonheur sans en
avoir lui-même des idées distinctes. L'A-
pôtre devait donc s'écrier comme il a fait
p.ir la plus rigoureuse nécessité : Que l'œil
de Vhomme n'a point vu, que Coreille n'a
jamais entendu, que V esprit de Vhomme n'a
jamais conçu ce que Dieu prépare à ceux qui
l'aiment (I Cor., II, 9j et qu'il est impossi-
ble à l'homme d'en parler : Non licet homi-
ni loqui. (Il Cor., XII, k.)
El, certes, si l'Apotre avait pu parler ce
seraient ses paroles mômes qui auraient
rendu nos froideurs excusables; car si l'A-
pôtre avait pu parler, nous aurions donc
pu l'entendre; si nousavoins pu l'entendre,
nous aurions pu concevoir, mesurer le bon-
heur dont il aurait parlé, comme nous com-
prenons le bonheur de la terre. Mais quel-
que grand qu"ait été ce bonheur, dès que
nous aurions pu le concevoir et le mesu-
rer ; nous aurions donc été plus grands (jue
lui, comme nous sommes plus grands que
le bonheur de la terre? nous aurions donc
pu nous dégoûter comme on se dégoûte du
bonheur de la terre? ce bonheur n'aurait
donc pas mieux répondu à l'immensité de
nos désirs que le bonheur de la terre? ce
bonheur enfin n'aurait jamais pu être un
bonheur éternel ; et tout espri"t réfléchi dès-
lors qu'il aurait compris les paroles de
l'Apôtre et le bonheur dont il aurait parlé;
dès-lors il aurait eu le droit de se dégoûter
d'un bien qu'il peut concevoir et qui doit
durer toujours; il aurait eu droit de le re-
garder plus petit que lui , et dès-lors de le
traiter comme un bonheur vain, comme on
traite ceux de la terre.
Mais que les promesses de la foi sont bien
anircraent plus solides et plus étendues 1
Le bonheur du ciel promet aux désirs im-
mortels de l'homme un bonheur éternel
dans sa durée; il promet aux désirs im-
menses de l'homme un bonheur infini dans
sa nature, [larce qu'il n'y a qu'un bonheur
infini dans sa nature qui puisse seul être un
bonheur sans terme dans sa durée.
Je n'examine point ici. Messieurs, si
dans les bienheureux il y aura une succes-
sion éternelle de connaissances et d'amour
toujours nouvelle et jamais épuisée, une
succession de désirs toujours satisfaits et
toujours renaissants; ou bien s'il y aura un
seul acte éternel de connaissance, de jouis-
sance et d'amour ; je l'ignore: mais je sais
que si Dieu se sullit éternellement à lui-
même, il pourra donc aussi éternellement
me sudire à moi-même: je sais que si Dieu
s'aime éternellement lui-même u'un amour
infini, je pourrai donc aussi l'aimer éternel-
lement et dans toute I étendue îles désirs
de mon cœur.
Terminons , Messieurs , ces réflexions
consolantes en nous adressant ti Jésus-Christ
SERMONS. - m, SI R LA SAINTETE DE L'EGLISE.
863
le bifti ainu^ do son Père, le PoiUife éter-
nel, le CliL-r dos pasteurs et dos prôlres.
O Jésus, S;uivoiir adorable 1 daignez au-
jourd'hui adaicUre tous vos prêtres dans
le sanctuaire de votre amour. Daignez au-
jourd'hui recevoir nos ctBurs en réparation
des refus injustes de tant do cœurs ingrats
qui vous outragent et ne vous aiment pas.
O vous donc pontifes vénérables , pas-
lours fidèles! vous tous saints prèlres qui
régnez avec Jésus-Christ dans les cieux,
combien parmi vous qui furent ici-bas nos
modèles nos amis et nos frères.... Auriez-
vous donc Oiiblié ceux qui vous ont suc-
cédé dans des paroisses que vous avez si
tendrement aimées? Vous connaissez les
dangers qui nous environnent de toute pari;
plus que jamais l'impie s'elforce de rouler
sur nos têtes les flots brûlants el empoison-
nés de l'enfer, soyez donc avec Jésus-Christ
nos puissans médiateurs. Priez iiour nous ;
secourez nous : Veslris siiccurrite, o sancli,
filiis! ad porlam ducite quos lioslis mediis
luclari fluclibus. Saints prêlr.s , obtenez
jiour nous et pour les lldèles qui nous sont
confiés; obtenez du Oieu bon, du Dieu
très haut qu'il grave son amour dans nos
coeurs : Per vos exposcimus, ut f/ni vos mu-
neral , Detis allisshnus , in noitris inférât
atuorem cordiOus. [Prose de la 'Toussaint.)
Mais n'oublions pas, en finissant, de nous
adresser à Jésus-Christ.
Ole plus saint des pontifes ! ô le meil-
leur des maîtres I ô le plus tendre des
frères] ô le plus généreux des amis ! rece-
vez aujourd'hui nos cœurs; quoique adoucis
el sanctifiés par l'onction sainte du pardon,
ils sont encore bien peu dignes de vous;
mais nous osons dire qu'ils vous aiment,
et l'amour ennoblit tout, l'amour donne du
prix à tout. Ils sont bien peu nombreux ces
cœurs que nous vous offrons; mais ils ai-
ment, et l'amour console de tout; ils fu-
rent, hélas I peut-être coupables à vos
jeux, mais ils aiment, et l'amour répare
tout. Ils vous ressemblent bien peu, mais
ils vous aiment, et l'amour perfectionne
tout. C'est l'amour qui unit les volontés;
c'est l'union des volontés qui rend les cœurs
semblables. Nos volontés sont les vôtres,
nos cœurs sont les copies du vôtre, doux,
bumbles, purs, pleins d'amour comme le
vôtre sur la terre pour être un jour inon-
«lés d'amour et de consolations ineffables
dans le ciel. Ainsi soit-il.
SERMON III.
Prêché à S.-Nizier, le jour de la fête patro-
nale, le 16 avril 1809.
SUR LA SAINTETÉ DE l'ÉGLISE.
Credo sanclam Ecclesiara. (Symbole des apolres.)
C'est avec joie que nous pouvons publier
notre fui sur l'Eglise lorsque nous avons à
célébrer la fêle des saints, puisque la gloire
de leurs vertus devient le triomphe de l'E-
glise, de l'Eglise leur mère et notre mère
qui les a sanctifiés, et nous promet comme
à eux les secours pour parvenir 5 la sain-
teté. Cette manière do célébrer ces jours
870
de fêle est tout h la fois un hommage rendu,
aux saints qui jouissent de la félicilé éler-
nelle, le tribut de reconnaissance porté k
l'Eglise que Jésus-Christ a établie déposi-
taire de son autorité et de ses grâces , el un
puissant encouragement pour nous do mai"-
chcr sur les Irucos des sainis. Eh 1 qu'avons-
nous do mieux h faire aujourd'hui pour la
gloire de saint Nizior.ijui fut un des plus
illustres [lontifes de l'Eglise qui se trouve
dans la chaire apostolique, qui lie le pas-
leur de ce diocèse avec saint Pothin, le fon-
dateur de la foi dans noire patrie, avec
saint Jean, disciple de Jésus-Christ , avec
Jésus-Christ lui-même, que de rappeler no-
tre foi sur l'Eglise dont saint Ni/.ier fut un
des soutiens fidèles, et n'a mérité nos hom-
mages que parce qu'il a puisé en elle biS
vertus dont ensuite il l'a honorée.
Nous faisons profession de croire avec bj
saint concile de Nicée, l'Eglise une, sainte,
catholique, apostolique. Je ne m'attacherai
à relever que la sainteté de l'Eglise. La
sainteté c'est l'attribut le plus essentiel de
Dieu; c'est elle que les chérubins chantent
incessamment, et que nous chanterons éter-
nellement avec eux. C'est à la répandre sur
nous que tendent tous les mystères de
notre religion , et si l'Eglise catholique ro-
maine notre mère est vraiment sainte, elle
est dès lors l'unique, la vraie épouse de
Jésus-Christ. Je viens donc réveiller votre
loi sur l'avantage que vous avez d'apparte-
nir à la sainte Eglise catholique romaine,
et vous rappeler ensuite les devoirs que
vous avez à remplir envers elle pour être
fidèles à votre vocation. Quel moment heu-
reux pour fixer votre attention sur la sain-
teté de l'Eglise! C'est le dernier de ce temps
pascal pendant lequel l'Eglise vous a pro-
digué ses tr-ésors , et de tous ceux qui l'ont
voulu a fait des saints. Ave, Maria.
PREMIER POINT.
Nous disons que l'Eglise est sainte, el
nous en apportons quatre raisons; parce
que Jésus-Christ est son auteur, parce que
sa doctrine est sainte, parce rjue ses sacre-
monts sont saints, parce qu'il n'y a des
saints que dans sa société ; prêtez votre al-
tention , parce que tous ces caractères qui
assurent la sainteté à l'Eglise sont autant
de titres de gloire pour nous qui avons le
bonheur d'êlre ses enfants.
1° Jésus-Christ, le fondateur de l'Eglise
catholique romaine, non - seulement est
saint, mais la source de toute sainteté;
non-seulement il est le chef de l'Eglise,
mais il prend encore le titre d'époux pour
mieux montrer son union avec elle el la
comiuunicdlion qu'il lui fait de sa sainlelé.
Jésu>-Clirist a aimé l'Eglise, dit l'ajjôtre
saint Paul, et il s'est livré à la mort |)Our
elle, afin de la sanctifier. (Ephes., V, 25,
20.) De là vient que saint Pierre, ce pre-
mier chef visible de l'Eglise catholique ro-
ruaine, appelait les fidèles qui avaient reçu
le don de la foi la race choisie, ta nation
sainte, le peuple conquis. {IPetr., Il, 9.) El
qui pourrait oxjirimer tout ce que vaut à
871
ORATEURS SACRES. RIBIL^
' l'Rglise el h chnciin na ses cnfanls celte
union intime avec la sonnée de la sainlelé?
C'est pour la .laisser se répandre sur nous
que le Fils de Dieu s'est fait homme, et
que, par un amour infini, il nous unit à lui
aussi étroilemeni que les membres du corps
humain le sont à la tôle. Les cni'anls de
l'Eglise forment h; corps de Jésus-Christ,
et il est le chef qui répand un esprit de vie
dans tous les membres. C'était le grand ar-
gument de saint Paul pour engagei' les pre-
miers lidèles à vivre dans une grande pu-
relé de mœurs. Nos corps, disait-il, sont les
membres du corps de Jésas-Chrisl , nous
sommes les temples de f Esprit-Saint, el nous
ne som7nes plus à nous. « An nescilis quo-
872
nielle de Jésus-Christ. Mon Père vous don-
nera l'esprit de vérité afin qu'il demeure
éternellement avec vous et je serai avec
vous jusqu'à la consommation des siècles,
u Ecce ego rohiscum sumusque ad consumma-
tionem sœculi. [Matth., XXVm, 20.) En sorte
que ces dogiaes sont la pure vérité sur la
nalure du Dieu infiniment saint et parfait,
sur les effets de son amour pour les hom-
luos, et sont une règle infaillible pour dé-
terminer notre croyance, la soumission de
notre esprit et noire reconnaissance. Sans
(ioute ces dogmes surpassent notre raison,
niais après avoir rendu à Dieu, notre Créa-
teur, le juste hommage de la soumission
de notre esprit à sa parole, nous avons à
niam corpora veslra membra sunt Clirisli admirer des vérités qui îtoutes nous hono
templum sunt Spiritus suncli et non eslis
veslri. » (I Cor., VI, 15, 19.)
Quel avantage pour nous tous, mes frè-
res, d'être les enfants de l'Eglise catholique
romaine, puisque par là même nous som-
mes les membres du cor[)s de Jésus-Christ,
et que la sainteté de notre chef doit se ré-
pandre sur nous. Ce litre d'enfant de l'E-
glise nous assure la prédilection do Dieu,
et toutes les grâces que Jésus-Christ nous
a méritées par ses soutlVances et le sacri-
tice de la croix.
Jouissez de ce précieux avantage, justes
qui , obéissant aux préceptes de l'Eglise,
avez eu le bonheur de vous puritier dans le
sacrement de pénitence, et de vous unir
[dus étroitement avec Jésus-Christ par le
sacrement de reucharistie. il n'y a j)lus en
vous de litres de condamnation, si vous
persistez dans l'union avec voire chef, si
vous tenez les résolutions que vous avez
I>rises do marcher sur ses traces : Nihil
ergo damnationis est iis qui sunt in Christo
Jesu. {Rom., VIII, 1.) il est le Sauveur de
son corps : Jpse Salvator corporis ejus.
(Ephes., V, 23.) Sa toute-puissance et son
infinie bonté sont les solides fondements de
voire espérance. Si parmi cet auditoire il
s'en trouvait qui n'eussent pas satisfait au
devoir pascal, je leur dirais aussi : Réjouis-
sez-vous vous-mêmes, et prenez courage
pour vaincre vos passions et vous mettre en
état de vous réconcilier avec Dieu. Sans
doute, si vous aviez le malheur de mou-
rir dans vos péchés, il ne vous aurait
servi de rien d'être membres de la sainte
Eglise romaine; vous seriez passés par le
crible et séparés du bon grain pour être
jetés dans le feu comme la paille; mais tant
que vous êtes, au moins extérieurement,
membres de la vraie Eglise, votre état n'est
pas désespéré. Vous êtes des membres morts,
mais le chef de l'Eglise a le pouvoir de res-
susciter les morts. De cet amour qu'il porte
à son Eglise découlent des grâces de péni-
tence pour vous dont vous pouvez encore
profiter , dont je vous exhorte à profiter
promptement.
2° Nous disons que la doctrine de l'Eglise
est sainte; c'est l'iisprit Saint qui la dirige
et dont l'assistance lui est promise jusqu'à
la fin des siècles, d'après lu [)romesse tor-
rent, élèvent noire esfirit et nous donnent
. di s idées sublimes de la dignité de l'homme
et du sort qui attend les justes dans le sein
de Dieu.
Sa morale est sainte et tend à nous rendre
des saints ; elle pourvoit à toutes les si-
tuations de la vie , elle règle tous nos de-
voirs envers Dieu , envers le prochain ,
envers nous-mêmes d'une manière si par-
faite qu'elle rend aimables à tous les hom-
mes ceux qui sont fidèles à l'observer. On
convient qu'il fait oon vivre avec eux, qu'on
peut se fier à leur amitié, à leur parole,
que soit qu'ils soient seuls, ou qu'ils soient
observés, les intérêts du prochain sont tou-
jours sacrés pour eux. Morale si sainte
qu'il n'est aucune vertu qu'elle ne prescri-
ve, qu'elle ne place dans le cœur, qu'elle n'y
fasse régner. Morale si pure qu'elle interdit
à l'esprit et au cœur la pensée et le désir
de ce qui lui est contraire. Les pères et les
cnfanls, les époux et les épouses, les maî-
tres et les serviteurs, les rois el les sujets,
tous trouvent dans celte morale de l'Eglise
une garantie de leurs droits. Mais qu'est-il
nécessaire de m'étendre là-dessus? n'a-
vons-nous pas îe témoignage de nos enne-
mis? Tous ne vantent-ils |)as notre morale?
ne va-t-on [las jusqu'à trouver heureux
ceux qui ont le courage de la mettre en
pratique ? et ceux même qui nient nos dog-
mes, parce que leurs passions ne s'accom-
modent pas d'un enfer éternel qui les at-
tend, ne [)cuvent, malgré la corruption de
leur cœur, s'emiiôcher de désirer que no-
tre morale soit annoncée, soit mise en
jiratique, parce qu'ils y trouvent leurs in-
térêts, et sont è l'abri par elle et des ven-
geances, et des fraudes et des passions
des autres hommes. N'est- ce pas par un
reste de conformité de leur morale avec
celle de l'Eglise calholi(]ue romaine, que les
sociélés cliréliennes qui sont retranchées
de son sein s'attirent encore une espèce de
considération, viennent à bout de trom-
per ceux qui sont inattenlifs, et de leur
faire presque croire qu'ils ne sont en dilfé-
rend avec nous que sur des objets [leu es-
sentiels et qui no touchent point au salut?
N'est-ce pas à l'aide de ces points qui nous
restent encore communs qu'ils veulent
faire oublier la nouveauté de leur origine,
sr.R"Mo:^. — m, sur la sainteté de legusë.
ÇT3
les crimes , les sranJ.iIes des aulels do
2eur prétendue rtMoriiie el le .'ang qu'ils
ont fait ré|iaiKlre? Oui, tous, amis et en-
nemis, et ceux qui l'observent el ceux qui
n'ont pas le courage de s'y assujettir, tous
Tanteiit notre morale.
La discipline de l'Eglise, qui n'est autre
chose que des règles pour mettre en garde
contre les infractions de sa morale sainte
cl sublime , s'accommode à nos besoins et
I eu! varier suivant les circonstances ; mais
toujours elle ne prescrit que ce qui tend à
perfectionner l'homme et lui faliciler la
sainieté, qui est le but auquel tend tou-
jours et de tous ses efforts la sainte Eglise
catholique romaine. On se déchaîne beau-
coup contre cette discipline; mais ces cla-
meurs de nos ennemis sont un témoignage
en faveur de l'Eglise; ces règles de disci-
pline sont des sentinelles dont on redoute
la tidéliîé; c'est une barrière qu'on ne
peut franchir et qui défend le camp de l'E-
glise ; ce sont, pour les mauvais chrétiens,
des lois trop sévères, tro[) gênantes, et
qu'ils voudraient secouer; ce sont donc
tJ'uliles, de nécessaires, de solides préser-
vatifs, el dès lors que! motif de s'y sou-
mettre pour ceux qui désirent parvenir à la
sainteté 1
Quel avantage pour nous, mes frères,
enfants de la sainte Eglise romaine, nous
avons la sagesse de Dieu pour guide, et
dès lors nous jouissons de tout ce qu'il
y a de bon dans la morale enseignée dans
les autres sociétés, et nous les surfias-
sons toutes. Nous sommes assurés d'être
toujours dans les voies de la sainteté tant
que nous écoulerons les enseignements de
1 Eglise , et quelque nous marchions au
milieu d'un monde corrompu , au milieu
des ombres de la mort, du péché, nous
sommes assurés d'une règle toujours lu-
mineuse, toujours infaillible pour nous gui-
der vers le ciel notre éternelle patrie.
' 3° Mais à quoi servirait celle règle infail-
lible pour guider notre croyance et nos
mœurs si nous restions aux prises avec
noire faible raison et les penchants de no-
tre cœur? La sainteté de l'Eglise serait ad-
mirable; mais nous ne pourrions y attein-
dre. C'est ici surtout que se monire grand
et magnifique le cliet de notre religion
sainte. Eu tondant son Eglise, il l'a pourvue
de tous les moyens de sanctificalioii pour
ses enfants. Les sacrements de l'Eglise ca-
tholique romaine sont le troisième litre de
sa sainteté. Institués pai Jésus-Christ, et le
pris cJe son sang précieux, ils nous ai>pli-
quenlles mériies suivant nos dill'érenls be-
soins. Nous entrons dans le sein de l'E-
glise ()ar le baplème qui nous lave de ce
f»éché originel que nous ne pouvons nier,
es suites en étant si bien imprimées dans
les |ienchaiils de notre cœur el dans les
misères auxquelles nous sommes sujets.
D'enfants d'un père coupablo et dignes
.comme lui d'une éternelle colère , nous
devenons les enfants de Dieu. Non -seule-
ment, dit l'apôtre saint Jean, nous sommes
OniTEU'RS SACXÉi. LXV'iil.
871
appelés les onfanls de Dieu, mais nous le
sommes réellement. Nous en poitons le
caractère ineffaçable qui réclame conli-
nuellemenl les bontés de Dieu pour nous,
tant que par une infidélité volontaire nous
ne renonçons pas h nos glorieux privilèges.
Dans un Age plus avancé, et lorsque les
passions prêtes à se développer nous cour-
rions les plus grands risques de perdre la
grâce de notre baplême, l'Eglise vient con-
firmer en nous le don de la foi par le sa-
crement de la confirmation, qui nous im-
prime un nouveau caractère ineffaçable
comme celui du baptême ; il nous rend
parfaits chrétiens et nous donne non-seu-
lement la force de prali(iuer les lois de Dieu,
mais le courage de confesser hardiment
noire fui, de mépriser les menaces de ses
ennemis et la mort môme... Non content de
ces deux sncremonts, qui ne se peuvent
réitérer, l'Eglise se hâte de profiter des
premiers moments où nous pouvons com-
prendre sa doctrine, pour nous ouvrir ses
trésors les plus précieux. Elle nous admi-
nistre, dans le sacrement de l'Eucharistie,
la cliair même de notre Dieu, elle nous
unit i^ lui de la manière la [ilus intime, afin
de mettre l'innocence du premier âge à
l'abri de toutes séductions entre les mains
de Jésus-Christ. Eh I quel puissant préser-
vatif, et avec quelle prodigalité elle nous
offre ce préservatif immanquable ! Ce n'est
pasunefois seulemenlqu'elle nous le donne,
elle nous le permet souvent, elle nous in-
vite tous les jours à sa table sainte. Et de
quelle manière engageante i Elle nous dit
que noire Sauveur, son époux, et le nôtre
veut s'unir à nous pour que nous deve-
nions ce qu'il est ; elle nous dit qu'il nous
y invite, parce que nous sommes faibles et
que nous ne pouvons nous passer de lui
pour nous soutenir dans le chemin du ciel,
où il nous a préparé des places. Si malgré
de si pressantes invitations, si malgré la
puissance de ce préservatif, nous avons la
malheur de fuir la table sainte et de tomber
dans le péché, l'Eglise ne nous abandonne
pas; elle a des remèdes pour guérir toutes
les maladies de notre âme. Elle nous ap-
pelle au sacrement de pénitence ; elle pleure
sur notre malheur, el de la manière la plus
tendre, la plus touchante ; elle nous appelle
pour pansQi nos plaies et nous rendre la
sainieié quj nous avoiiS perdue. Eh Iquello
est sa joie lorsqu'elle peut user des pou-
voirs souver.iins que son éfioux lui a don-
nés pour délier le pécheur el lui rendre
l'esjjérance, en I assurant que ses pécliés
lui sont remis 1
C'est encore par elle que le mariage, ce
contrat si essentiellement lié au bon or-
dre de la société, reçoit une ssnciion qui le
rend respectable et sacré. En vain les" plus
sages législateurs se sont etforcés de rele-
ver la dignité de cet état, no pouvant com-
mander au cœur, leurs lois sont sèches et
stériles; et plaçant le divorce à côté de
leurs [jompeux. discours sur le mariage, ils
en déiruisuieui tout l'elfel. Mais ce (ju'il
28
87Î
ORATEURS SACRES. RIBIER.
87 fî
leur était impossible de fyiro avec toute
leur raison, Jésus-Chrisl rttreclue en éle-
vant ic mariage h la dignité de sacrement
qui donne aux époux les grâces qui leur
sont nécessaires pour rendre leur union
sainte, en supporter les charges, en rem-
plir les devoirs toute la vie; et l'Eglise
qui en son nom déclare aux époux que le
lien du mariage est indissoluble, a le pou-
voir de lui donner une bénédiciion qui
adoucit tout ce qu'a de dur pour les
«iuns et l'inslabililé du cœur humain
arrêt irrévocable.
Après avoir suivi ses enfants pas h
l'Eglise ne les abandonne [las lorsque
moment de la maladie vient faire trembler
pour leurs jours. Elle les accompagne aux
portes de l'éternité, et c'est dans ce mo-
ment surtout qu'elle déploie sa tendresse
pour les purifier de leurs fautes, les conso-
ler dans leurs maux, les soutenir et les en-
courager contre la crainte de la mort et ks
las-
S0!1
pas,
terreurs du jugement de Dieu. A tout ce
qu'à d'humiliant et de pénible la vue de la
mort qui doit séparer notre être, livrer no-
tre corps à la pourriture du tombeau, tra-
duire notre âme devant son juge elle op-
pose le sacrement de rextrêrae-onclion qui
nous purifie des restes du péché, la vraie
cause de la mort, et détruisant en nous
par les mérites de Jésus-Christ ce qui pour-
rait irriter la colère de Dieu, elle fait suc-
céder l'espérance à la crainte, la foi dans la
résurrection future à rhumilialion de la na-
ture; humaine ; enfin elle confère la grâce
de mourir saintement ; grâce plus précieuse
que la vie la plus heureuse et la olus
longue.
Quel avantage, mes frères, d'être si puis-
samment soutenus dans les voies do la
sainteté par des moyens si saints qui ai-
dent notre faiblesse et nous donnent tou-
jours, quand nous les recevons dans de
bonnes dispositions, les forces proportion-
nées à notre état, à nos dangers, aux dif-
férentes circonstances dans lesquelles nous
pouvons nous trouver! Ah ! sans doute, si
après vous avoir étalé les mystères de la
religion, les lois de Dieu et tout ce qu'a de
sévère la morale de l'Eglise , on vous
abandonnait à vos propres forces, ,vous au-
riez raison (le vous [)laindre, vous pourriez
réclamer contre un joug que la raison peut
approuver, mais ne peut porter; mais après
être convenu avec vous que les forces hu-
maines n'y sufTisent pas, ^ nous vous ajou-
tons avec l'Eglise, ce qui est impossible
aux hommes est possiljlo à Dieu. Venons
doue recevoir sa grâce, participer aux for-
ces du Sauveur, et n'imitons pas ces mal-
heureux sectaires qui, eu se séparant de la
privés de
il nous est
sainte Eglise romaine, so sont
ses sacrements vivifiants dont
impossible de nous passer.
4.° Aussi, et c'est le quatrième titre de la
sainteté de l'Eglise, ce n'est que dans so
société que se forment les saints. Elle est
cette arclie hors «le laquelle le déluge du
péché inonde et fait périr toute chair. Co
n'est que dans son sein que l'on trouve des
hommes irréprochables , d'une conduite
sainte, édifiante qui répandent la bonne
odeur de Jésus-Christ. Que si l'on nous
conteste ce fait, nous avons à apporter
en preuve les miracles que Dieu a faits de
s ècles en siècles pour prouver la sainteté
de ses serviteurs. Le Dieu de vérité qui no
peut nous induire en erreur, après avoir
dit au chef de l'Eglise romaine : Tu es
Pierre, et sur celte pierre je bâtirai mon
Eglise (Mattli., XVI, IG), après avoir ajouté
que celui qui n'écoute pas l'Eglise doit
être regardé comme un païen et un publi-
cain, fait des miracles en laveurfde la seule
Eglise romaine, qui prouvent que ceux
qui lui ont été les plus fidèles, les plus
obéissants à ses |)0ntifes, à ses lois, sont
des saints. Qu'en faut-il conclure? Que la
sainte Eglise romaine seule forme les saints
au témoignage de Dieu, et ce témoignage
est d'autant plus convainquant, que les so-
ciétés qui sont séparées do l'Eglise romaine
conviennent qu'il no s'est point opéré de
miracles parmi elles, que leurs fondateurs
et aucun de leurs sectateurs n'en ont point
opéré, et qu'elles ne peuvent cacher la
honlojqui leur revient tles scandales mon-
strueux do cos prétendus réformateurs de
l'Eglise catholique romaine
En vain donc on nous vante certain,'
membres de ces sociétés retranchées di
la l'Eglise romaine, comme des gens vertueux
et
dignes
de tout respect, leur prétendue
sainteté n'a pas le sceau de Dieu, et le seul
vraiment certain. Nous conviendrons d'ail-
leurs volontiers que , même dans le pa-
ganisme, on admire quelques traits de vertu
qui font honneur à l'humanité, et rappellen
à l'homme qu'il est destiné à quelijue chose
de sublime, à une vie meilleure que celle
de la terre, nous conviendrons que l'on
trouve des hommes pratiquant certaines
vertus morales qui sont quelquefois géné-
reuses, bienfaisantes; mais la sainteté est
quelque chose de plus sublime que tout
cela. Elle est la conformité de la vie entière
avec celle do Jésus-Christ. Elle joint aux
vertus d'éclat les vertus cachées qui* sont
agréables à Dieu , à l'aumône la charité
tout entière qui a son siège dans le cœur
et qui fait oi)érer les biens de tout genre,
les fait opérer à l'insu môme de celui
qu'elle oblige, qui ayant Dieu pour motif
no cherche (jue ses yeux. Elle joint l'humi-
lité à toutes ses actions; à la bienfaisance
envers les hommes elle joint l'amour pour
le Créateur; cet amour qui veut lui plaiie
par les sacrilicos les plus |)énibles; cet
amour qui expie, à l'imitation de Jésus-
Christ par les rigueurs d'une pénitence vo-
lontaire, les fautes échappées à la faiblesse.
Où trouver en honneur, autre part que dans
l'Eglise romaine, la chasteté, cette vertu
angélique, imf^ossible à l'homme, et si au-
dessus de ses forces que la grâce seule de
Dieu peut la donner? Ce n'est pas dans les
sociétés séparées de l'Eglise romaine, qui,
[)rivées de la grâce, se sont dès le princi,'C
S77 SERMONS. — III, SUR LA
iiionlrées les ennemisd'une vertu qu'elles iic
poiivaienl .iltciiulre.
Or, (]ii"l biiiilieur, mes frères, d'ôlre les
onf.inls (le la sainte Eglise calholique.ro-
niaiiie, d'ûlro on cette qualiié les iVùres des
saints, d'ôtro assurés que si nous voulons
écouler l'Eglise, profiler des grâces qui
nous y sont données, nous parviendrons
aussi 5 la sainteté, et cela tout nalurelle-
tiienl et par la force de cette prédilection de
Djpu, liotre Père, pour nous- N.OiJS n'avons
qu'à ne pas repousser sa main libérale, qui
nous ayant placés dans sor) Eglise, nous y
(liï.!-ribue abondainuient les grâces dont nous
avons besoin. De ce précieux avantage
naissent des devoirs qu'il nous faut exami-
ner. C'est le sujet do la seconde partie do
ce discours
SECOND POINT.
Le premier devoir que nous impose la
grâce de notre élection, par préférence à
tant d'autres pour être enfants de l'Eglise
catholique romaine , membres du corps
mystique de Jésus-Christ, cl comme tels
héritiers du ciel, c'est sans doute la recon-
naissance; reconnaissance de tous les jours,
reconnaissance sans bornes, puisjuo c'est
un bienfait inappréciable, ei dont les effels
se reproduiront, pour notre bonheur, pen-
dant toute l'éternité. Bicp.fait que nous
n'avons |)U mériter, et que nous tenons de
l'infinie bonté de Dieu qui nous a prévenus,
qui, pour assurer notre salut, nous a dé-
livrés des dangers en nous plaçant dès nutrt
naissance dans le sein de l'Eglise, où nous
avons puisé la vérité. Cette reconnaissante
doit produire deux effets; le premier une
joie intérieure, et qui soit dans le fond
même du cœur, laquelle se répandra sur
toutes nos actions et nous rendra le fardeau
du Seigneur doux et léger. Réjouissez-vous,
disait souvent aux premiers fidèles, lapôire
saiul Paul, réjouissez-vous, je vous le ré-
pète, et que celte joie vous doiiiie cette
modération qui fasse admirer la vertu des
grâces de Dieu ! Gaudete ilerum gaudcle
modcstia vestra nota sit omnibus hominibus.
{Philip., IV, k.) Le second etTet est une
action de grâces extérieures: cette recon-
naissance ne doit pas être cachée au fond
de notre cœur; mais elle doit se manifester
au dehors. Serait-il possible que nous sen-
tissions véritablement le bienfait de notre
vocation à TEglisc, si jamais notre bouciie
ne publiait les miséricordes de Dieu à notre
égard: Corde credilur, ore aulem fil confessio
ad saluiem (Rom., X, 10) ; et si nous éliois
ingrats envers Dieu à ce point de n'oser
cunlesscr le plus grand de ses bienfaits, si
nous rougissions d'en témoigner notre re-
connaissance, n'aurions-nous pas àcraindi'i
celle foudroyante menace de Jésus-Christ,
de ne point reconnaître, devant son Vcre
céleste, ceux qui devant les liomujes auront
craint de manifester leur attachement pour
lui : yam qui me erubesceril, hune (iUus ho-
Diinis erubescet cum vcnerit in majeslale sua.
(Luc, IX, 26. j Cette manifestation publique,
authentique de nuire reconnaissance [loar
SAINTRTE DE L'EGLISE.
878
notre vocation ;» la sainte Eglise catholique
romaine nous est d'autant plus nécessaire,
qu'elle est un moyen de conserver notre foi.
Nous sorions bien près de l'abandontier, si
nous n'osions nous glorifier de la sainteté
de l'Edise, de ce titre dont la gloire re-
jaillit sur nous.
Ils ne le remplissent pas ce devoir de re-
connaissance, ceux qui sont si indilférenls
pour ce bienfait, qu'ils n'y pensent jamais,
qui se plaignent continuellement de la pe-
sanleur du joug du Seigneur, qui s'affran-
chissent (le leur projsre autorité, de tout ce
qui déplaît aux sens, qui quelquefois, hé-
las I faui-il l'avouer h la lionle de notre siè-
cle, seraient bien aise d'êtro nés In rs du
sein do l'Eglise caltioli(jue romaine, pour
être, disent-ils, débarrassés des remords
que leur causent leurs infidélités habituel-
les aux vérités éternelles qu'ds ne [jeu-
vent nier. Ils le remplissent bien moins ce
devoir de reconnaissance, ceux qui osent
dire que toutes les religions sont bonnes,
ou qui semblent le dire, soit en assistant
aux offices des hérétiques, soit en rendant
à ceux qui sont morts liors du sein de l'Égli-
se catholique romaine des honneurs qui
supposent une espérance commune ; assis-
tance, honneur qiii sont interdits par la loi
et les lois de l'Église. Leur inditférence
lient à l'ignorance coupable dans laquelle
ils vivent de la doctrine de l'Eglise.
C'est le second devoir que nous impose
le bienfait de notre vocation, d'étudier la
doctrine sainte de l'Église, de nous en pé-
nétrer, d'en nourrir notre esprit et notre
cœur, de fixer notre attention sur les rayons
do sainteté (jue Jésus-Christ a répandus
avec profusion, mais qui ne sont visibles
qu'aux amateurs de la vérité, qui se plai-
sent à la chercher. Elle est celle doctrine
de l'Eglise l'enseignement de l'Esprit-Saint,
la troisième personne de la sainte Trinité,
et c'est encore lui-même qui, après avoir
confié le dépôt des vérités saintes à l'Egli-
se, veille conlinuelleraont sur elle , afin
qu'elle en soit la fidèle et infaillible dispen-
satrice. C'est encore lui-môme qui veut
bien être notre maître [larticulier ; qui nous
donne l'intelligCDce des renseignements de
l'Église, nous rend dociles à sa voix, incli-
ne notre esprit à la soumission, échaulfe
notre cœur, et lui ins|)ire l'amour pour
celte étude. Doctrine de la sainte Église ca-
tholique romaine, science la plus certaine,
puisqu'elle a l'Esprit-Saint pour maître,
l'Église infaillible pour interprète ; scien-
ce la plus sublime puis(|u'elle a Dieu lui-
môme et réternité [/our objet ; Dieu le Créa-
teur de tout, le modérateur de tout, le
maître souverain de tout ce qui existe : sa
beauté parfaite, dont les i)rélendues beautés
terrestres ne sont q\ie de faibles oiubres ;
sa sagesse, dont noire sagesse n'est qu'une
faible et trop faible émanation ; sa Ijonlô
infinie ou puisent toutes les créotures, et
dont les meilleurs cœurs ne peuvent nous
donner qu'un modèle très-imparfait. L'étei-
nilé bienheureuse, c'est-à-dire , la récom-
8'9
ORATEURS SACRES. RIBIER.
ponse des Smos justes, la fin de nos tra-
vaux, do nos souffrances, le but de la ver-
tu dont rien do créé ne peut nous donner
une idée, mais dont la doctrine de l'Église
inspire et le désir et un avant-goût qui con-
sole la foi, soutient l'espérance. Doctrine
de l'Église, science seule nécessaire, puis-
que les autres passeront, et que celle-ci
seule restera, que la vaine gloire des au-
tres contestée souvent dans ce monde ne
passera pas à l'éternité, ou n'y passera que
pour l'ignominie de ceux qui l'auront pré-
férée à la gloire d'être savants dans la scien-
ce des saints ; en un raot, science de la
sainte doctrine de l'Église, science la jilus
satisfaisante puisqu'elle est le chef-d'œuvre
de la sagesse de Dieu et de son amour piMir
les hommes, science cependant la plus né-
gligée. Dans l'enfance, on apprend son ca-
téchisme, mais bientôt on dédiiigne cette
étude lui préférant les connaissances du
monde. Hélas 1 le dirai-je ? on voit tous
les jours des personnes qui avaient été pré-
venues par là grâce, se faire un mérite de
connaître toutes les nouvelles productions
du bel esprit, croire qu'elles no seraient
pas sur le bon ton, si elles no lisaient les
lomans nouveaux, et qui repoussent l'étu-
de de la religion vers laquelle l'Espril-Saint
les poussait intérieurement autrefois. At-
traits qu'elles n'éprouvent plus depuis
qu'elles ont corrom[)u leur goût et se sont
livrées à l'esprit du monde. L'ont-ils étu-
diée cette science de l'Eglise catholique ro-
maine, ceux qui disent que les proieslants
prêchent la môme morale que nous. Ce lan-
gage n'annonce-t-il pas le vide de leur es-
prit et de leur cœur, j'oserai dire les vices
cachés qui les rendent insensibles à la
beauté de l'É^^lise romaine, étrangers à sa
sainteté?
Le troisième devoir c'est de profiter avec
empressement des sources de sainteté que
renferme l'Église. Ses sacrements étant
institués pour soutenir notre faiblesse, ce
serait une contradiction manifeste de vou-
loir devenir saint sans prendre les seuls
moyens qui [)euvent nous rendre la sainte-
té possible. Mais pour en profiter il faut y
avoir recours souvent. Le mal est dans no-
tre cœur : là des passions furieuses et tou-
jours renaissantes nous poussent à la vio-
lation des lois de Dieu et de l'Eglise. Bi-
nons n'usons du remède aussi souvent que
la maladie l'exige, il ne faut pas prétendre
se soutenir longtemps. Pleinsde précautions
dans les maladies de nos corps, nous som-
mes empressés d'apppelcr les médecins , de
demander des remèdes qui nous jiréservent
des suites de la maladie ; et dans celte ma-
ladie des passions, dont nous sommes tous
atteints, dont les suites sont la mort de la
grâce qui nous expose 5 une éternité de
châtiments, nous sommes indilîérenls sur
les remèdes prompts et inlaillibles qui peu-
vent nous remettre et nous conserver dans
les voies de la sainteté. Ceux qui fuyent
les sacrements ne vivent-ils [las comme les
protestajils ? Il n'est donc l'as étonnant
qu'ils élèvent le protestantisme en riv;il de
l'Eglise romaine. Déserteurs de la table
sainte et du sacrement de pénitence, il se-
rait étonnant qu'ils fussent fermement atta-
chés à la foi de l'Eglise romaine qui con-
damne leurs passions, qui veut les extir-
per, qui veut qu'ils en fassent une sincère
pénitence.
Le quatrième devoir c'est un attache-
ment sincère è l'Egliso et un dévouement
à ses intérêts. Elle est noire mère, et ses
intérêts sont les nôtres. Ce serait donc être
bien indifférents à Siis bienfaits ; bien négli-
gents pour notre salut si nous n'avions
pour l'Eglise, qui nous a engendrés à
Jésus-Christ, qui nous protège contre les
ennemis de notre salut, qui nous nourrit
du lait de sa doctrine, qui nous soutient
parla force des sacremenis, un amour fi-
lial qui nous fasse partager ses sentiments,
prendre part à ses triomphes et nous ré-
jouir avec elle, partager ses peines et nous
affliger avec elle de ses combats, de ses
pertes.
Cet amour pour la sainte Eglise romaine,
notre mère, s'il est sincère, jiroduira deux
effets bien remarquables, le premier de
nous lier plus étroitement avec nos frères
enfants de la môme Eglise; plus étroite-
nient avec ceux qui lui sont plus fidèles et
1 honorent davantage par leurs vertus. La
charité que Jésus-Christ nous a prêchéedoit
se répandre sur tous les hommes ; ainsi
quand je dis que nous devons avoir uno
prédilection particulière pour nos frères
les enfants de ''Eglise romaine, je n'exclus
pas de notre amour nos fi^ères errants, les
ennemis de l'Eglise; mais j'assure seule-
ment la prédilection, une préférence mar-
quée pour ceux qui sont réchauffés, nourris
uans le sein de l'Eglise comme nous. Une
estime mutuelle, une charité prévenante, le
secours des prières, un tendre attachement,
voilà ce que se doivent les entants de la
même mère.
Pour nos frères errants, béias ! à l'estime
qu'ils ne peuvent mériter tant qu'ils seront
dans l'erreur, il faut substituer la compas-
sion ; aux prévenances, unt sage discré-
tion, afin de ne pas se lier d'amitié avec
ceux qui peuvent atténuer et môme perver-
tir notre foi. Et certes, l'Eglise sait bien
mieux que nous quels sont les devoirs de
la charité, et cependant elle ne traite pas
également tous les hommes. Prodigue do
sa tendresse envers ses entants, prévenante
même à l'égard des pécheurs, elle sépare
de son sein ceux qui ne l'écoutent pas,
comme Jésus-Christ le lui recommande,
et ne veut pas que nous ayons avec eux.
cette familiarité, cette société intime qu'elle
recommande à ses enfants.
Le second eli'et de notre attachement à
l'Eglise, c'est le respect pour les pasteurs
et une soumission prompte à ce qu'ils or-
donnent en son nom. C'est par eux qu'elle
répand ses bienlaits, ils sont les organes
choisis par l'Esprit-Saint, pour nous ensei-
gner la saine doclriue ; ils sont les minj*
881
SERMONS. — 111, SLU LA SAlNTETIi DE LECLISE.
S82
très ae ses sacrements, sources de grâces
pour nous. C'est par eux qu'elle nous ou-
vre les portes du ciel, et ferme l'enfer ou-
vert sous les pieds des pécheurs. Ce serait
un attachement, une soumission imaginai-
res si nous ne les manifestions h ceux qui
nous parlent enson nom et la représentenf.
Saint Paul recommandait avec instance ce
respect, cette soumission pour les pasteurs
et il en donnait trois raisons importantes :
Jpsi perrigilant qtinsi ralionem pro anima-
btt.j vestris reddituri [Hebr., XI H, 17) ; ils
veillent sur vous comme devant rendre
compte de vos âmes; vous leur êtes confiés
par Jésus-Christ, le souverain pasteur de
nos âmes. Mais comment, sans celte corres-
pondance de tendresse de leur part, de sou-
mission et de respect de la vôtre pourront-
ils s'acquitter de leur charge, trouvant
sans cesse des obstacles dans l.'i dureté et
l'insensibilité de voire cœur? Ut cum gau-
dio hoc faciant. [Ibid.) Seconde raison, c'est
afin que non-seulement ils puissent opérer
votre salut, mais qu'ils y travaillent avec
joie, parce qu'alors ils s'y livreront avec
plus de zèle, et vous en retirerez [ilus de
fruit. Et non gemenles, hoc eniin non expe-
ditvobis. (Ibid.) Sans ce respect, celte sou-
mission, ils seront toujours gémissants sur
vos désordres, et ils ne pourront attirer
sur vous les bénédictions de Dieu, et ce-
pendant sans cette bénédiction qui répand
la grâce dans lésâmes, comment ferez-vous
votre salut?
Mais parmi les pasteurs celui surtout au-
quel !a foi et voire attachement pour l'Egli-
se doivent assurer votre respect et votre
dévouement entier, c'est le souverain pci-
life, chef de la sainte Eglise catholique ro-
maine, vicaire de Jésus-Christ sur la terre;
il est la pierre angulaire de l'édifice de l'E-
glise, l'héritier des .'promesses faites à saint
Pierre, le chef de la sainteté sur la terre, et
le vrai père des saints. Qui ne mange pas
l'agneau avec lui est un prol'ane ; mais .au
lieu de vous prescrire ce que vous lui devez,
il suûll de vous rapfieler le bel esem|)le
que vous avez donné à toute la chrétienté.
Lorsque Pie Vil, ce vénérable pontife a
passé, il y a quelques ans, dans cette ville ;
ses vertus vous étaient inconnues, votre
vénération avait donc un autre objet? La
loi se réveilla dans tous les cœurs; elle vous
lit courir sur les pas du clief de lEglise et
solliciter sa bénédiction. Vous ne pûtes
voir sans lui témoigner un profond respect,
un atlachenient sincère, celui qui nous re-
présente Jésus-Christ sur lu terre. Ce mou-
veuient spontané qui attachait tuus les yeux
sur un vieillard inconnu, sans pom[)e, sans
aucun de ces dehors qui accomiognent les
souverains de la terre, ce sentiment géné-
ral qui atlichait tous les cœiirsà ce pontife
i'iaient commandés à tous par Ja foi, par
Cette loi dont plusieurs, hélas 1 ne soup-
çonnaient pas l'existence, et que tous fu-
ient étonnés de retrouver si profondément
grbvée dans ie fond de leur cœur. Eh bien,
mes Itères 1 c'est cette fui qui fut triom-
phante à cette époquequej'invoque aujour-
d'hui ; elle doit être réfiéchie, elle ne iloit
pas être un simple mouvement passager,
mais un sentiment constant, persévérant,
et vous lier au chef de l'Eglise, vous faire
réjouir avec lui et vous rendre ses intérêts
communs. Il faut que la joie de volroobéis-
sance, de votre dévouement, le soulage de
la pénible charge de vos âmes, et que lors-
qu'il prie pour ses frères, vos pasteurs,
qu'il est chargé de confirmer dans'ja foi, il
le fasse avec cette elfusion de cœur^qui pé-
nètre le ciel.
Voilà, mes frères, les devoirs que nous
avons à remplir en qualité d'enfants de la
sainte Eglise catholique romaine ; devoirs
honorables, doux et satisfaisants pour
les bons chrétiens, et surtout devoirs
sanctifianis pour tous ceux qui les rempli-
ront avec fidélité. Et pour les remplir que
faut-il que bien sentir le précieux avan-
tage d'appartenir à l'Eglise sainte, d'être,
par notre admission au nombre do ses en-
fants, assurés d'être membres du corps
mystique do Jésus-Christ, sûrs d'être ini-
tiés dans les vérités de la sagesse éter-
nelle, d'être nourris, soutenus des sacre-
ments dans toutes les positions de la vie;
sûrs enfin de devenir des saints, si nous le
voulons sincèrement, puisque ce n'est que
dans sa société que se forment les saints,
et qu'elle n'est fondée que pour faire des
saints.
Ahl si noire foi dans la sainteté de l'E-
glise romaine est vraie et sincère, si elle
est agissante, ne tremblons plus sur le sort
de la catholicité en Fiance. Que les enne-
mis de l'Eglise redoublent leurs efforts
contre elle, cela ne peut nous étonner,
les attaques sont prédites, mais les victoi-
res de l'Eglise le sont aussi. C'est à Pie VU
que Jésus-Christ a dit dans la personne de
saint Pierre :Tu es Pierre, et sur cette pierre
je bâtirai mon Eglise^ et les portes de l enfer
ne prévaudront pas contre elle. Restons donc
fermement attachés au souverain pontife,
et personne ne pourra nous arrach.er du
sein de l'Eglise malgré nous. Nous avons
la parole de Jésus-Christ en faveur des
brebis de ce bercail : Non rapiet cas qitis-
quam de manu mea. [Joan., X, 28.) Menions
par notre fidélité à remplir nos devoirs la
grâce de la persévérance; augmentons le
nombre des saints qui sont dans l'Eglise
romaine, afin que Jésus-Ciirisl fasse giâco
aux [)éclieurs. Enfin lions bien noire soit
avec celui de la sainte Eglise romaine par
noire dévouement à ses inléiôls, noiro
respect, noire soumission, parce que les
miracles ne couleront rien au Toul-Puis-
sant pour tenir la parole qu'il a donnée de
soutenir l'Eglise catholiiiue romaine; dans
cette confiance que rien ne nous détourne
des voies de la sainteté. Mais remplissons
notre desti.née, qui est d'être des saints sur
la terre, pour partager ensuite dans le ciel
le bonheur du Dieu trois l'ois saint. \!i>«*
soil-il.
883
ORATEUUS SAtRES. RIBIEil.
88 i
SEUMON IV
SUR LE COKLR DE JESL'S.
Mvstorium quod abRConditiim fuil a sspcuMs nunc nia-
iiirestaliim esl. (Col., I, 26, 1.)
Le niystère aui a été caché aux siècles passés iiotts esl
manifesté.
Le grand mystère de la ch.iriié du Fus de
Dieu nous est donc eidin révélé? Ce mys-
tère (|ui a été caché aux patriarches et aux
prophètes , ce iriyslère que nos pères dans
la loi ont connu sans l'approfondir; ce mys-
tère d'amour que nous prêchons avec tant
de succès; ce grand mysièrc, dis-je, nous
est donc enfin révélé : Nunc manifestatum
est. Oui, mes frôros, le cœur de Jésus nous
est ouvert, et avec lui tous les trésors de
la science, de la sagesse et de la honlé de
Dieu nous sont oiîtiiis : Nunc manifeslatum
est.
Il ne s!a-,it donc plus desavoir si le culte
oiïert au sacré cœur de Jésus est un culte
pieux, n i'eelsaint.ll nes'agil plus de justifier
ce culte ; l'Eglise s'est [)rononcée, et ie grand
mystère de la charité d'un Dieu qui sem-
blait voilé aux siècles passés, nous est au-
jourd'hui découvert dans tout son jour:
Myslerium quod ubscondilum fait a sœcutis
nunc manifestatum est. Nutie intention est
donc, dans ce discours, de faire connaître
et goûter le culte que nous rendons au
cœur sacré de Jésus, et d'y faire trouver à
plusieurs une source de salut et de giâces.
Pour cela nous examinerons : l'"la sainteté
de ce culte considéré dans son objet ; â° la
nécessité de ce culte considéré dans sa fin ;
c'est tout le sujet de ce discours.
O cœur de Jésus, mon Dieu ! pour la
gloire duquel je vais parler, faites couler
sur mes lèvres cette onction sacrée dont
vous êtes la source : mettez dans ma bou-
che ces tons persuasifs qui louchent et en-
flamtnenl, et dans le cœur de ceux qui m'é-
coutent ces dispositions heureuses à la
vérité et h la piété qui ne viennent que de
vous.
Vierge sainte, auguste Marie, vous dont
le cœur maternel n'eut pas d'occupation
plus douce que d'étudier les inclinations
du cœur tilial de Jésus, vous connaissez
toutes les voies qui conduisent à lui, dai-
gnez nous y conduire vous-même. On est
bûr d'être bien reçu par le fils lorsqu'on
est présenté par la mère; daignez soutenir
et protéger ce discours par voire puissante
intercession. Ave, Maria.
PUEMIER POINT.
Ce n'est pas sans raison que raj)ùlre saînt
Paul nous prévient que les mystères qui
sont cachés aux savants et aux sages du
siècle, sont révélés aux petits et aux hum-
bles : Abscondisti hoc a sapientibus et reve-
tasti caparvulis. {Matth., XI, 25.) En effet,
qa'on interroge les prétendus sages du
siècle sur l'objet du culte rendu au cœur
do Jésus, vous ne trouverez dans leur ré-
ponse qu'un raisonnement obscur, incertain,
et qui vous jette dans des subtilités stériles
«t ennuyeuses. Au contraire, les âmes sim-
)iles mais ferventes, sans tant de raisonne-
ments et do détours, dirigées par le senti-
ment, touchent au vrai du premier coup et
d'un seul mot. 11 n'en esl pas une seule
parmi elles qui, interrogée sur ce qu'ele
j/rélend honorer aujourd'hui, si c'est le
cœur sensible de Jésus, ou sim|)lement son
amour, ne réponde à l'instant que c'est l'un
et l'autre. Cette réponse suflit; elle dit
tout, et nous allons la dévelo()|)er.
Nous disons donc que le culte rendu au
cœur sacré de Jésus a pour objet, 1' le
cœur sensible de Jésus. En elfel, c'est un
dogme sacré de notre religion sainte que
le Verbe divin, dans l'incarnation, a voulu
s'unir, non-seulement à ce qu'il y a dans
l'homme de plus noble, qui est Fespril,
mais encore à ce qu'il y a de plus vil, qui
est la malière et la chair : Et Verbum euro
facluin est. {Joan., 1, H.) Dès-lors le corps
de Jésus, uiôme séparé de son âme sainte,
tel qu'il fut dans le tombeau, étant tou-
jours uni à la divinité, exigeait nécessai-
rement un culte légitime d'adoration : donc
aussi le cœur matériel et sensible de Jé-
sus, étant incontestablement uni h la di-
vinité, demande qu'on lui rende un culte
d'adoration tel qu'on le rend à son corps.
Celle conséquence esl de soi rigoureuse •
Jn ipso inhabital plenitudQ divinitalis corpo-
ralitcr. {Coi, 11,9.)
Ce princi[)e une fois établi, je demande
s'il est un homme sur la terre qu: n'ait f)as
é|)rouvé que le cœur participe à toutes les
airections de l'âme, ei conlrd)ue, à sa ma-
nière, à les accroître, à les enflammer? Mais
Jésus étant homme comme nous, et les
lois mystérieuses de l'union de l'esprit et
du cor[)s étant dans lui les mêmes que dans
nous, son coeur particij)ait donc à tous les
sentiments de son âme sainte, il contri-
buait donc à les accroître, à les eidlammer?
Il y avait donc dans Jésus comme dans
nous une action et une r'5aclion réciproque
de la volonté sur le cœur, et du cœur sur
la volonté? Donc, si on peut adorer les
affections» de Jésus, les volontés saintes do
Jésus, on [)eut aussi adorer son cœur, puis-
que par ses tressailleujcnts, ses embrase-
ments, ses élaocemenls, t>es saintes lan-
gueurs, ii augmentait l'uclivilé des allec-
tions et les sentiments vertueux et tendres
de la volonté do Jésus pour Dieu sou Père
et pour les hommes ses frères
Mais, d'après ces principes, je demande
si ce n'est pas un usage, aussi ancien parmi
les hommes cju'il est universel, d'honorer
spécialement les cœurs des personnes il-
lustres, de conserver précieusement le?
cœurs "des personnes tendrement aiméesj.
bien persuadés que parmi les dépouilles de
leur moralité, le cœur est ce qui a eu le
plus de part à leurs sentiments tendres et
généreux? Je demande si toutes les pas-
sions quelles qu'elles soient, criminelles
ou vertueuses, n'en ap{)ellent pas tous les
jours au témoignage du cœur, par une es-
pèce d'instinct irrésistible? Je demande
s'il est un langage plus commun jiarmi les
SERMONS. — IV. SUR LK COKUR DE JESUS.
88()
hommes que ceiui qui aKribuo nu cœur les
vertus ou les vices, les bonnes qunliîés i!u
les défauls? Je demande si jDIeu lui-niôni(;
ne se conforme pas à ce langage en riiille
endroits divers de nos Ecritures ; s'il n'est
pas dit mille fois que Dieu paidonne à un
cœur tendre et humilié, qu'il exige riiom-
innge di: cœur, qu'il exauce les désirs du
cœur, qu'il veut (Mre aimé de toute l'acti-
vité du cœur, qu'il sonde les cœurs, et voit
leurs p'us secrets mouvements, qu'il répand
dans les cœurs le feu de son amour, ie de-
mande enfin si, Jésus lui-môme, so propo-
sant pour modèle, n'a pas dit de lui-même:
Apprenez de moi que Je suis doux et humble
de cœur : « Discite a me quia initis sum et
liumilis corde. » [Matlh., XI, 29.)
Mais, mes fières, ces rétlexions une fois
admises, il est donc vrai, d'après ces mômes
réflexions, que le suffrage de Dieu et celui
des hommes, que le ciel et la terre, la nature
et la foi, la raison et les passions, les Ecii-
lures, l'expérience, le sentiment, tout se
réunit pour nous apprendre que le cœur
sensible de Jésus a été réellement le siège.
Je centre, et même en un sens très-vrai un
principe et une cause de son amour.
Si donc dans le culte qui a pour objet es-
sentiel les souffrances de Jésus on n'a (tu
choisir d'autre objet sensible que les plaies
sacrées de Jésus, qui a suuifert, on ne pou-
vait donc aussi, dans un culte qui a [)0ur
objet essentiel l'amour de Jésus, choisir
d'autre objet sensible et réel que le cœur de
Jésus plein d'amour pour nous
De tous ces principes il est facile de con-
clura; en second lieu que le culte rendu au
cœur de Jésus n'a pas seuleuieut pour objet
le cœur sensible de Jésus, mais qu'il tend
principalement à nous rappeler l'amour qui
l'enllamme à l'égard des hunnnes.
Et voilà précisément sur quoi l'Eglise nous
invite aujourd'hui à réfléchir, ce que l'E-
glise nous invite à rappeler, à honorer d'un
culte spécial; car, n'en douions [)as, voilà
l'oijjet essentiel du culte que nous rendons
au ea'ur divin de Jésus; voilà ce dont nous
instruit le souverain pontife dans la bulle
d'instiiution de lu fête du 'Sacré-Cœur. Nous
désirons, dit-il, que tous les fidèles, sous le
symbole de ce cœur sacré, honorent jilus
alfectueusement l'aujour de Jésus soullrant
pour nous, et instituant pour nous le sa-
crement de son corps. Voilà le culte, la so-
lennité que semblait désirer, annoncer le
saint concile de Trente, lorsque avec l'A-
jiôlre il conjurait tous les chrétiens par les
entrailles de la miséricorde divine de rap-
peler fréquemment le souvenir de l'amour
de Jésus pour eux ; voilà enfin ce que nous
crie la religion tout entière , puisque la
vérité capitale élémentaire de noire foi c'est
que nous sommes à Dieu et que Dieu est à
nous uniquement par les mérites et l'a-mour
du JébUS: Per Chrislum, Uominum nostrum.
Alais cet amour de Jésus quo nous rappe-
lons aujourdiiui, en célébrant la fétc de s"on
cœur, esl-il donc bien véritable et sincère?
Oui, mes frères, oui, n'en douions pas, Jé-
sus a aimé les hommes, et c'est par son
amour que nous possédons tous les biens
dans l'orilro du salut. Jésus a aimé les
honniies, mais comment les a-t-ils aimés ?
Sa gloire et son bonheur dépendaient-ils de
son amour? Non. |)uissance, grandeur, gloi-
re et bonheur, tout était dil à son huma-
nité sainte, étroitement unie à la personne
adorable du Verbe. Le bonheur des hommes
rachetés et sauvés par les souffrances de
Jésus, ne pouvait et no devail lui procurer
qu'une gloire accidentelle dont la [irivation
n'eût diminué en rien sa gloire essentielle
et son essentiel bonheur. Jésus eût été grand
et heureux sans nous, et cependant il désire
nous rendre heureux, aussi ardemment. rfue
si, sans nous il n'eût pu l'être; voilà la no-
blesse de son amour, le plus libre, le plus
désintéressé et le plus pur qui fut jamais.
Oblaius est quia ipse voluil. {Isa., LUI, 7.)
Jésus a aimé les hommes, mais comment
les a-t-i!s aimés? La divinité qui habitait en
lui laissait-elle un libre cours aux senti-
ments de l'humanité ? Aimait-il eommo
nous aimons? Oui, oui, sans doute, répond
saint Paul; le pontife qui nous a été donné
a voulu passer par toutes nos épreuves
pour compatir à toutes nos infirmités, et
par là nous aimer plus alfectueusement.
[Hebr., IV, 15.) En effet, la compassion est lo
plus tendre sentiment dont le cœur humain
puisse être modifié ; elle suppose la ressem-
blance, elle est un luélange de douleur et
d'amour ; c'est l'amour, souffrant tous les
maux de la personne aimée. Jésus en éprou-
va donc pour nous les émotions attendris-
santes ; il les éprouva comme nous, et raille
fois plus vivement que nous; voilà la ten-
dresse de son amour. Tentatum per omnia nt
possil compati infirmilalibus noslris. (Ibid.)
Jésus a aimé les hommes, mais comment
les a-l-ils aimés? Sa compassion pour nous
n-t-elle été indolente et stérile comme elle
l'est si souvent dans nous pour les maux
de nos semblables? Non: mais la plus agis-
sante qui fut jamais; car, s'il est De l'essen-
ce de ce sentiment de faire désirer la fin des
maux de celui qu'on aime, la perfection de
ce sentiment consiste à se charger des maux
de celui qu'on aime pour l'en délivrer. Or,
Jésus a été blessé pour nous, il a porté nos
iniquités, nos langueurs et nos douleurs;
voilà riiéroismo de son amour: Languores
nostros ipselulil. {Isa., LUI, 4.)
• Jésus a aimé les hommes, mais comment
les a-l-il aimés? Dans l'ordre éternel des
décrets divins, les ignominies, les tourments,
la mort et la moitde la croix étaient né-
cessaires pour sauver les hommes. Jésus,
en so soumettant librement à cet ordre ri-
goureux, s'y est soumis non-seulement avec
résignation, mais avec joie, parce qu'il s'y
est soumis avec amour, et que l'amour sait
faire aimer jusqu'aux douleurs que l'on
soulfre pour" ce que l'on aime ; voilà la
générosité do son amour : l'roposito gau-
dio suslinuil cruceni. {Hebr. y Xll, 2.)
Jésus aime les hommes, mais en les ai-
mant met-il à son amour des restrictions
in
ORATEURS SACRES. RIBIER.
8S3
odieuses? n'aurait-il élé le Sauveur que d'un
[lelii nombre en laissant tous les autres
dans la cruelle incertitude s'il les a aimés.
Non, il a été le Sauveur de tous ; il a désiré
sincèrement, ardemment le salut de tous; il
a voulu souffrir et mourir pour tous: Snlva-
tor omnium pro omnibus mortausest. (11 Cor.
V, 15.) Voilà l'universalité de son amour.
Jésus aima les hommes, mais quels hom-
mes I Ah, chrétiens ! si l'amour a quelque-
fois donné au monde le spectacle attendris-
sant et sublin)e des sujets immolés pour
leur roi, des rois dévoués pour leurs. sujets,
des amis pour leurs amis, des pères pour
des enfants, des enfants pour des pères ;
toutes ces victimes amoureuses avaient du
moins la consolation de mourir pour des
cœurs reconnaissants ; elles portaient au
milieu de leurs sacrifices la douce consola-
tion d'être .aimées; mais mourir pour des
ingrats qui "ne répondent à tant d'amour que
par l'indilférence et l'outrage; pour des in-
grats dont l'ingratitude doit rendre un jour
inutiles les désirs du plus tendre amour ;
un tel sacrifice était réservé à Jésus, et
voill), voilà l'excès de son amour : Vix pro
jiislo quis morilur. {Rom., Y, 7.)
C'est ainsi que Jésus aima les hommes
durant le cours de sa vie mortelle! Mainte-
nant son amour est-il ra'.enli ou éteint? et
triomphant dans le ciel, a-t-il oublié des
frères si tendrement chéris sur la terre?
Ah! loin de nous une telle pensée! Jésus
est toujours le même; recueillons de sa
bouche les preuves de son amour toujours
subsistant. Il est monté dans le séjour de
sa gloire, plus occupé, ce semble, de notre
bonheur que du sien ; il est allé nous y |iré-
parer des places. Vado parare vobis locum.
(Joan., XIV, 2.) 11 veut que là où il est, là
s(denl avec lui ceux qu'il aime: Volo ut ubi
sumego etUli sintmecum. (7oaM,,XVll,24.) La
gloire qu'il a reçue de son^Père, il faut qu'il la
fasse rejaillirsurses frères ' Charilnîem quam
dedislimiliidedieis.{Ibid.,'2'î.}L'umonéUoile
l'union d'amour qu'il y a entre son Père et
lui, il veut l'établir entre son Père et nous :
Ut sinl unum sicut et nos unum sumus. [Ibid.,
11.) C'est pour nous qu'il se présente sans
cesse .à ce Père céleste; c'est pour nous qu'il
olî're sans cesse le prix de son sang une fois
ré{iandu, c'est pour nous qu'il prie; c'est
notre cause qu'il plaide. 11 sollicite les com-
passions divines pour nos misères, les se-
cours liour notre faiblesse, le pardon pour
nos offenses; il nous montre les couronnes
et les trônes qui nous attendent à ses côtés;
bou bonheur ne sera parfait que lorsqu'il le
partagera avec nous: Apparet vuUui Dei pro
nabis.. {Weir.,lX,24^), inlerpellut pro nobis..
{Rom., VIII, 3'*]; uUvocatuin habemus apud
Palrcm... (1 Joun., 11, i); dabo vobis sedere
mecum, {Matth..> XiX, 28.)
Tant de preuves et de témoignages au-
raient sufli sans doute pour un amour autre
que celui de Jésus; mais pour Jésus tant
de témoignages et de preuves étaient in-
suflisantes encore. Sur la lin de sa vie mor-
telle, obligé de retourner bientôt au ciel
qui l'appelle, dans quelle alternative la loi
nous ref)résente placé ce tendre et divi;T
Sauveur! S'il diffère d'aller à son Père pour
rester parmi les hommes, l'amour lilia! gé-
mira de ces délais ; s'il se hâte de quitter
les hommes pour aller à son Père, l'amoup
fraternel gémira de l'absence. Comment
accorder ces deux intérêts 0|)posés? Jésus
accordera l'un et l'auire. 0 adresse ineffa-
ble ! ô admirable invention de l'ingénieuï
amour! Jésus retournera à son Père sans
quitter des frères qu'il aime. Ce Jésus assis
au plus haut des cieux , par un [irodige
inconcevable, se rendra sans cesse présent
sur la terre en mille endroits divers à la
fois; il fixera au milieu des hommes le sé-
jour de son repos. Si sa présence n'y est
pas sensible, elle n'en sera pas moins douce
ni moins consolante. Si les voiles d'un sa-
crement envelopfient sa gloire, l'araourse
dévoilera par des bienfaits. C'est dans ce
sacrement d'amour qu'il converse avec ses
frères, qu'il les voit et les contemple, pour
ainsi dire, de plus près. C'est là qu'il écoute
leurs plaintes, reçoit leurs confidences,
essuie leurs larmes avec des attentions
plus que maternelles ; c'est là qu'il leur
parle seul à seul avec une ineflable fami-
liarité, qu'il prend plaisir h reposer sur
leurs cœurs, (ju'il s'unit à eux f)ar les
nœuds les [)lus étroits et les plus sacrés do
la nature et de la grâce.
0 vous donc, mes amis et mes frères !
venez à moi ; vos douleurs m'attendrissent ;
je désire les soulager: Venite ad me omnes
qui laboralis. [Mallh., XI, 28.) V^euez cher-
cher auprès de moi des consolations; ve-
nite, venez me trouver dans les temples
oij je réside, faites ce premier pas. Puis-e
moins exiger de votre amour? Venez, et
vcius reconnaîtrez bientôt que je ne vous
appelle pas en vain. Mille autres l'ont
éprouvé avant vous , éprouvez-le après
eux. Non , jamais , jamais un de mes frères
ne viendra me confier ses peines , ses fai-
blesses , ses craintes, dans le silence de
mon sanctuaire, qu'il ne s'en retourne ras-
suré, fortifié, consolé : Venite adme omnes...
et ego reficiamvos.
Ah! lorsque vous ne pourrez plus. venir
à moi , lorsque les langueurs de la maladie
ou de la mort vous en tiendront éloignés ,
ne craignez pas que je vous abandonne.
Alors j'irai, j'irai moi-même à vous ; j'or-
donnerai aux ministres dépositaires du sa-
crement de mon amour de ne consulter que
mon amour et d'oublier ma dignité; j'irai
soutenir un ami souffrant et abattu; j'irai
donner le baiser de paix à un frère expi-
rant; je m'approcherai du lit de ses dou-
leurs ; je me reposerai sur ses lèvres mou-
rantes ; je recueillerai ses derniers soujùrs ;
je consolerai ses derniers instants ; je lui
dirai : Chrétien , mon frère , racheté de moa
sang, ne crains rien , je suis avec toi. Laisse
laisse tomber sans regret, sous les coups
de la mort, celte chair de; péché qui t'en-
vironne ; je saurai te la rendre un jour
triomphante et réparée; je lui imprime ac-
8J9
SERMONS. — IV, SUR LE COEUR DE JESUS.
8'JO
luellomenl, par ma cliair divine, le sceau
de la lésiirreclioii glorieuse. Pour ton Amo,
remets-là entre mes mains ; ce sont les
mains d'un tendre frère, d'un ami le plus
aimant 1 Ah I se cliangerait-il pour toi en un
I jugo inflexible ? Non ; jo la protège cette
âme, je la défends; elle m'appartient, elle
m'a tant coulé ; je la garde pour la vie éler-
nello.
O Jésus ! tels et mille fois pjus tendres
encore sont les sentiments de votre amour !
puisse, du moins la faiblesse de mes ex-
pressions en faire concevoir une légèie
idée ! O amour do Jésus pour leshomnu'S;
amour sans modèle comme sans imitateur;
amour pur, noble, désintéressé; amour ar-
dent, actif, généreux , tendre, compalis-
saiit, libéral, universel, patient, constant,
invincible 1 Disparaissez, transports des pas-
sions humaines, emportements, délires de
l'amour criminel I toules vos ardeurs sont
glacées , comparées au saint amour de Jésus
pour des frères rachetés de son sang, nour-
ris de sa chair, appelés à sa gloire.
La sainteté du culte rendu au corps sacré
de Jésus considéré dans son objet , nous
venons de le voir; nécessité de ce culte
considéré dans sa lin , sujet de mon second
point.
SECOND POINT.
S'il est incontestable que la religion n ad-
met proprement aucune singularité, au-
cune nouveauté en genre de culle , il
n'est pas moins certain qu'elle exige et
commande quelquefois un renouvellement
de ferveur dans le cœur de ses enfants
rour certains senlimenls de la piété chré-
tienne , et c'est là d'ordinaire ce que
se propose l'Eglise parll'institution des nou-
velles solennités. Elle s'est donc proposé
une tin semblable en instituant la fête de ce
jour. 'Quelle est celle fin? Plusieurs l'ont
confondue avec celle que l'Eglise se pro-
l»ose dans la fête du corps de Jésus-Christ ,
et sans doute ils se sont trompés. S'il eu
était ainsi , le reproche d'inutilité faile à la
fêle du cœur de Jésus serait fondé; mais
non, mes frères, non. La fin de ces deux
fêles est parfaiieraent distinguée; la pre-
mière est S|)écialement rétablie pour rani-
n;er notre foi en la présence réelle de Jésus-
Christ dans le sacrement de nos autels; la
seconde a une fin plus générale, et en un
certain sens, plus louchante encore; elle
est singulièrement destinée à ranimer parmi
les fidèles un plus ardent amour pour Jé-
sus. Ainsi nous l'apprend le souverain Pon-
tife dans les paroles que nous avons déjà
citées.
Mais pourquoi exiger aujourd'hui plus
qu'en un autre temps ce renouvellement,
Cet accroissement d'auiour pour Jésus dans
les cœurs fidèles? Ah, mes frères 1 pour-
(|uoi ? parce que l'amour des hommes pour
Jésus languit aujourd'hui, s'affaiblit, s'éteint
plus que jamais dans tous les ea'urs. Voilà
la raison fatale el trop véritable (juia rendu
cp.ite nriiivelii'. ivûluuuité et le culle qui, lui
esl propre comme indispensabîemenl né-
cessaires. Entrons dans la jKreuve. Après les
louchantes images qui nous ont occupés
jusqu'ici en nous peignant ce que Jésus a
été pour les hommes, et ce qu'il est encore,
considérons maintenant ce queles hommes
sont pour Jésus, et ce lugubre tableau nous
prouvera la nécessité indispensable de la
solennité qui nous rassemble.
Laissons à part les peuples infidèles as-
sis à l'ouibre de la mort, les peuples héré-
tiques sé|)arés du corps mystique de Jésus-
Christ; «irrôtons nos yeux sur ce qui
nous environne et nous touche de plus
[très, sur les chrétiens placés dans le sein
de la véritable Eglise. Quels sont-ils ces
cœurs chrétiens pour Jésus depuis près
d'un siècle? La plupart vivent dans un ou-
bli profond do Jésus, dans une indifférence
fjerpétuelle pour ses bienfaits, et s'ils ne
l'ont point encore renoncé de jbouche, ils
le renoncent fous les jours par leurs actions;
Faclis negant. {Tit.,\, 16.) A peine Jésus
voit-il un petit nombre d'àmes vraiment
fidèles comme perdues dans la foule, lous
les autres ne lui olfrent que des cœurs in-
constants, partagés sanscesseentre quelques
vertus é(iuivoques et mille infidélités trop
certaines; voilà l'état du christianisme
parmi nous de|iuis près d'un siècle.
Mais si parun ceux qui ont conservé la
foi il en est si peu qui soient ddèlemenl atta-
chés à Jésus, que sera-ce donc de ceux qui
l'ont perdue? Adorable et tendre Sauveur 1
tandis que tant de cœurs ingrats vous ou-
blient, faut-il encore qu'il y ait sur la leire
des cœurs qui ne vous ont connu que pour
se sépar^ir de vous, vous outrager et vous
haïr ?
Ah 1 mes frères, le nombre n'en est que
trop grand 1 voilà le triste et lamentable
malheur de notre siècle, trop éclatant pnur
le cacher, et qui demanderait des larmes
de sang pour être dignement pleuré. Oui,
le christiauismeparmi nousesl actuellement
infecté d'un peu|)le d'ennemis de Jésus qui,
par des apostasies ouvertes, déclarées, d ac-
tions, d'écrits et de discours, rompent lous
les nœuds qui les attachent à Jésus et dont
les mains sacrilèges ne lancent pas un seul
trait contre notre religion sainte, qu'il
n'aille retomber nécessairement et direc-
tement sur Jésus son divin auteur, outra-
ger sa dignité et blesser son amour. Jamais,
non jamais le Sauveur que nous adorons
n'a été plus indignemonl outragé qu'il l'est
sous nos yeux. Les hérésies ont altéré sa
doctrine, il est vrai, mais il n'en est au-
cune qui n'ait respecté, du moins en quel-
(lue ciiose, sa personne sacrée : |)Our les
ennemis dont je parle, Jésus n'est plus ri> n.
Les païens persécutaient Jésus dans ses
membres, c'étaient des aveugles, criminels
sans doute, qui outrageaient ce qu'ils au-
raient pu connaître, mais qui a[irès tontine
le connaissaient pas. Ici ce sont des hommes
éclairés, élevés dans la loi de la divinité de
Jésus, eiivirormés des preuves, des lémoi-
luo'ii'iiiijei qui l'atleslent, c'est donc do
SOI
ORATEURS SACRES. RIBIEK.
802
leur pnrl une défeclion oulraseaute môrquée
de tous les traits de l'iugralitiide et du mé-
pris. Au milieu des pt^rséculions des pre-
miers siècles, Jésus vit des apostasies arra-
chées par la faiblesse et la crainte, d'ordi-
naire démenties par le cœur et bientôt ré-
tractées. Parmi nous ce sont des apostasies
inspirées par la corruption, parfaitement
libres, réfléchies, soutenues dont on fait
gloire couime d'une force de raison. Ras-
semblons, réunissons toutes les circons-
tances, plus nous y réfléchirons, plus nous
serons convaincus que depuis la naissance
du christianisme, le cœur amoureux de Jé-
sus n'a jamais reçu de la part des hommes
de plus sanglantes blessures. Depuis près
d'un siècle l'impiété a vomi contre Jésus
plus de blasphèmes que seize siècles n'(;n
avaient entendu ; depuis une centaine d'an-
nées, nous avons vu renouvelés, dans un
certain nombre d'écrits alfreux, ces traits
bizarres d'une infernale rage pour Jésus,
que l'on ne trouvait à travers seize siècles
que dans un Julien l'Apostat. Dans quel-
ques ouvrages plus sacrilégemenl impies,
ces blasphèmes contre Jésus sont allés jus-
qu'à une espèce de délire et de fureur sans
exemple.
Je ne parle de ces horreurs qu'en frémis-
sant, et vous ne pourriez, chrétiens, les en-
tendre sans frémir; mais, d'après ces lugu-
bres couleurs, je m'adresse maintenant, se-
lon l'esprit de l'Eglise, à des cœ'urs ver-
tueux, à vous tous, mes frères, qui con-
servez encore et de la foi et dej'amour pour
Jésus. Vous voyez les outrages que l'on fait
à Jésus ; ces outrages vous aliligent. Kh !
([uoi, nous en lienilions-nous h une afllic-
lion religieuse, à la vérité , mais d'ailleurs,
secrète ei stérile, sans elfel comme sans
éclat? Qu'un père bienfaisant et tendre
trouve parmi ses enfants' un cœur ingrat et
rebelle, quel sera, je vous le demande, le
devoir de ceux qui lui resteront hdèlcs et
soumis? Leur suflira-t-il, en ne prenant au-
cune part à la révolte de leurs frères, de
la contemplerd'ailleurs d'un œil sec et tran-
quille? Ne sera-ce pas à eux de réunir au-
tour de ce père outragé et aliligé leurs
cœurs reconnaissants, de le consoler dans
son atlliclion, de s'ciflliger avec lui sur l'in-
gratitude de leur frère et de le dédomma-
ger |)ar un redoublement de zè'e, de lidé-
iité, de service el d'amour? Eli bien, nies
frères, voilà précisément ce que Jésus nous
demande dans la fête de son cœur. Du haut
du ciel où il règne, de nos tabernacles sa-
crés oij il repose ; ce tendre Sauveur nous
adresse aujourd'hui ces amoureuses plaintes
comme autrefois par la bouche du pro-
phète... O vous, mes adoraieurs et mes su-
jets flJèles, soyez sensibles à ma juste dou-
leur! j'ai élevé des enfants avec des soins
paternels : Filios enutrivi ; \q, les ai portés
dans mes bras, je les ai placés dans le sein
do mon Eglise, je les ai marqués liu sceau
de mon ba[)tômo et de mon amour, et les
ingrats ont méconnu ma tendresse, profané
mes bienfaits : je no trouve dans îes uns
que froideur, oubli , indifférence : je ne re-
çois des autres que mépris et outrages :
Ipsi aulem spreverunt me. (/sa., I, 2.) Dans
l'aflliction que leur ingratitude me cause,
je cherche des consolateurs. N'en Irouve-
rais-je point ? Consolatorem quœsivi. (/sa.,
LXIII, 5.) L'amour aflligé n'est bien con-
solé que par l'amour; c'est aux enfants qui
me restent à me consoler de ceux que j'ai
perdus. Rassemblez-vous donc troupes zé-
lées et fidèles au signe de ce cœur qui vous
a si teodi'emeiit aimées ; offrez à ce cœur
attendri sur vous, blessé pour vous, brû-
lant encore pour vous d'éclatants et publics
hommages, qu'il y ait des jours consacrés
parmi vous pour apprendre à mes ennemis
que mes bienfaits sur la terre trouvent en-
core des cœurs sensibles et reconnaissants.
Tels sont, 'chrétiens, les plaintes et les
invitations de ce Dieu Sauveur; répondre
à ces invitations, voilî» la On véritable de
cette solennité, voilà {l'esfjrit de ce culte
qui lui est propre; c'est un culte d'aïuour
et de ré|)aration ; et voilà en même tem[)S
ce qui nous fait comprendre et bénir la sa-
gesse de l'Eglise dans rap|)robalion nou-
velle, et plus authentique d'un culte de-
venu, oui devenu nécessaire dans le siècle
malheureux, dans les circonstances déplo-
rables, oij nous nous trouvons.
C'est donc à nous, chrétiens, qui voyons
le mal, pour ainsi dire, à son dernier excès
et les moyens de réparation solennellement
autorisés, c'est à nous d'entrer dans des
vues si saintes ; c'est à nous, s'il nous reslo
une étincelle île foi et d'amour, de nous
déclarer ses consolateurs iidèles, en nous
déclarant des adorateurs de son cœur; c'est
à nous de nous souvenir d'une réponse
que faisaient nos pères aux sectateurs de
Calvin, lorsque ceux-ci leur reprochaient
comme une nouveauté les honneurs pom-
peux rendus 5 Jésus-Christ dans la fêle de
son corps. Sans doute, leur disaient-ils,
cela est nouveau, et il le faut bien, [)uis-
que ce Dieu Sauveur. reçoit par vous, dans
ce sacrement, des outrages inconnue aux
premiers siècles ; il faut lui faire un triom-
phe que les premiers siècles ne connurent
pas. Ainsi, lorsqu'on nous demande : Pour-
quoi un culte singulier, public, éclatant au
cœur de Jésus et à son amour? Répondons :
Parce que son amour est singulièrement
affligé, universellement oublié, publique-
ment et insolemment oulragé.
A ces motifs généraux en ajoulerai-je,
chrétiens, qui nous sont personnels ? C'est
dans le sein de notre France, vous le savez,
que Jésus fit naître et approuver d'abord
ce culte affectueux offert à son cœur ; pour-
quoi? parce que dans le soin de notre
France il devait trouver plus d'ingratitude,
de noirceurs et de haine. Oui, mes frères,
nous sommes forcés do le dire, c'est parmi
nous surtout que la piété et la foi se sont
si fort allaiblies, c'est parmi nous que Jésus
a été plus oublié, plus outragé. 11 y a plus
encore, c'est par nous, par le scandale de
nos exemples (jue le mal a infecté les peu-
Si)3
SERMONS. — lY, SUU LE CŒUR DE JESUS.
894
j)lc'S qui nous environnent : c'est l;i conta-
gion de nos mœurs qui a répandu dans \'Ea-
ropo catholique un esprit d'irréligion, d'ira-
piété. Ce sont nos livres malheureux qui,
sous le prétexte d'une littérature plus
recherchée, vont semer jusqu'aux extré-
mités ..lu monde le poison et la mort des
times, enlever à Jésus des adorateurs et lui
susciter des ennemis. Depuis près d'un
siècle, nous le disons avec la douleur la
f)ius profonde, la France est couverte d'An-
lechrists ; c'est donc à nous (|u'esl singu-
lièrement imposé le devoir de consoler
Jésus des outrages dont nous sommes les
témoins, dont nos concitoyens, nos amis,
nos parents, nos frères peut-être, sont les
couiplices ou les autours? C'est à nous, en
cotisoinnt Jésus de l'apaiser, de solliciter
auprès de lui, pour les ingrats même qui
l'outragent, le pardon et la grâce dont son
coîur bienfaisant est la source intarissa-
ble.
Faut-il pour nous y animer des exem|)les
touchants ? le ciel nous les a prodigués.
L'Église do France plus (lu'aucuno autre
Eglise du monde, et avant et après noire
all'reuse révolution, a vu ses plus illustres,
ses plussaints évoques autoriser, approuver
le "-ulte du cœur de Jésus, le propager par
leurs exemples, y exhorter par leurs dis-
cours, le défendre par leurs écrits. Nous
avons vu et nous voyons encore tout ce que
le sanctuaire comiile parmi nous do mi-
nistres plus fidèles, tout ce que le cloître
compte d'âmes plus ferventes et plus pures ;
tout ce que le monde lui-aième, tout cor-
compu qu'il est, renferme encore de cœurs
sincèreuient pieux, se déclarer les secta-
teurs de ce culte d'amour. Nous avons vu
une de nos [villes marquantes, Marseille,
[«r des supplications solennelles au cœur
compatissant de Jésus, arrêter , détourner
les liéaux de la peste; nous avons vu une
pieuse reine dont la mémoire sera long-
temps en bénédiction, porter dans l'assem-
blée de nos pontifes ses tendres vœux,
réunis à ceux de ses augustes enfants,
pour la gloire du cœur de Jésus. Ainsi
l'autel et le trône ont concouru parmi nous
à la propagation de ce culte sacré; et, puis-
que aujourd'hui nous voyons, malgré les
etlbrts des impies, se pro[)ager et se répan-
dre la dévotion au cœur de Jésus, es|)éions
que cette dévotion si tendre intéressera,
louchera, attenJiira l'amour de Jésus en
notre faveur. Oui, oui, mes frères, le cœur
de Jésus protégea dans ce royaume et le
trône et l'autel ; il sera pour la France le
précieux garant du renouvellement de la
piété et de la foi. Mais poursuivons, et je
dis, si le culte reritlu au cœur sucré de Jésus
e>l nécessaire |)our réparer l'ingratitude
di-s ^hommes qui l'oublient, l'ingratitude,
plus odieuse encore de ceux qui se sépa-
rent de lui, l'ingratitude infernale do ceux
u^ui le poursuivent et l'outragent, il n'est
pas moins nécessaire, pour réveiller le sou-
venir amoureux de Jésus, pour rallermn'
l'uuiou étroite a\ec Jésus, pour oïl'rir des
réparations à Jésus ; trois devoirs essentiels
d'un vrai adorateur de son cœur, je dis :
1° nécessaire pour réveiller le souvenir do
Jésus ; souvenir journalier, fréquent et ha-
bituel, est-il donc possible do passer un
seul jour sans penser à ce bon Maître 1 Ah
qu'un tel jour peut bien être apt)elé un jour
perdu, un jour malheureux 1 Non, non; il
n'en est pas ainsi d'un cœur qui aime : sa
première pensée est pour Jésus l'objet do
son amour ; le premier elîorl de ses lèvres
est pour prononcer son saint nom. Cent
fois le jour il répète ce nom sacré; il ne le
répète jamais sans douceur et sans fruit ; il
ne le perd pas de vue dans ses travaux, et
Jésus lessanclilie , il se souvient de lui dans
ses peines, et Jésus les adoucit; il ne l'ou-
blie pas dans ses prospérités, et Jésus les
partage, les consacre, les modère. Ah!
qu'une vie passée ainsi dans le souvenir
de Jésus est honorable et douce h. ce Dieu
sauveur I qu'elle le console etficacemeut de
l'oubli des cœurs insensibles.
Culte nécessaire; 2° pour affermir notre
union avec Jésus; union intime conser-
vée, resserrée par une participation plus
fréquente au sacrement de son amour : un
fidèle adorateur du cœur de Jésus n'écoute
point ces principes plus apparents que so-
lides. Quiconque a dans le cœur un amour
habituel pour Jésus, une crainte habituelle
de lui déplaire et do violer sa loi ; celui-là
peut et^doit fréquemment s'unir à Jésus à
la table sainte; il le peut parce qu'il aime;
il le doit pour aimer toujours plus.
Union intime avec Jésus conservée, res-
serrée par de fréquents hommages rendus à
ce Dieu sauveur dans les tabernacles paci-
fiques où il repose et oii il est délaissé. Ua
fidèle adorateur du cœur de Jésus vient donc
souvent lui faire sa cour; il sait pour ces
visites amoureuses, pour ces tendres confi-
dences, il sait se ménager des moments fa-
vorables, les dérober, s'il le faut à de frivo-
les plaisirs. Un fidèle adorateur vient tou-
jours déposer dans ce cœur compatissant
seschagrins et ses peines; il vient le con-
sulter dans ses doutes; l'implorer dans ses
dangers, calmer aujjrès de ce cœur si doux
les mouvements tumultueux des passions
qui l'agitent; il vient aussi quelquefois,
sans intérêt personnel, conduit par le seul
amour, s'attrister et gémir des outrages que
reçoit ce bon Maître : et cet exercice de ré-
paration appartient surtout en propre à la
solennité et à la dévotion de ce culte.
Culte nécessaire 3' pour offrir des répa-
rations à Jésus. Ah I mes frères, voulons-nous
que ces tendres réparations aient encore
|)lus de ferveur et soient f)lus favorable-
ment reçues? Offrons-les dans un saint
concert, réunissons-nous pour les offrir.
Vous le savez, l'Eglise n'a pas invité, ex-
horté en vain. Dans tout l'univers catholi-
que, Jésus voit aujourd'hui dos milliers
d'adorateurs fidèles, rassemblés régulière-
ment avec ses anges autour de son cœur
bienfaisant. Partout ces fidèles adorateurs
forment entre eux de religieuses sociétés,
893
ORATEURS SACRES. RIBIER.
896
dont tons les nieniores sont animés d'une
sainte émulation pour dédommager et con-
soler Jésus des outrages de ses ennemis.
£h bien! entrons dans ces sociétés pacifi-
ques. Que Jésus voie votre nom inscrit
parmi les noms chéris qui font profession
dé l'aimer plus ardemment. Ayons comme
eux et avec eux nos moments déterminés
et marqués d'adorations, de réparation et
de prières. Plût au ciel, plût au ciel que ces
pieuses sociétés fussent aussi mullipliécs
qu'elles sont conformes à l'esprit de la foi,
aux vœux do l'Eglise qui les approuve et
ouvre en leur faveur le trésor de ses indul-
gences et de ses grâces.
Avec une telle approbation pourrions-
nous redouter la censure des esprits faux
ou celle des profanes mondains? El oui
sans doute nous entendrons les uns ou les
autres répéter d'un ton de mépris : Encore
des associations, encore de nouvelles con-
fréries? et [lOurquoi pas, leur répondrons-
nous? et quelle idée fâcheuse jtorte donc
avec soi ce mot d'association ou de confré-
rie ()Our exciter vos superbes dédains?
Parmi vous, partisans du monde, tout n'est-
il pas rempli d'associations diQérenles for-
mées par la frivolité, la vanité ou le crime?
N'avez-vous pas des associations pour vos
spectacles dangereux, pour vos assemblées
oiseuses, pour vos jeux destructeurs, pour
vos sciences vaines ? et il nous scia défendu
d'en former pour la religion et la piété?
Vous condamnerez dans nous, dès qu'il s'ii-
gil de vertus, ce que vous approuvez |)our
vous-mêuje dès qu'il s'agit du vice? Allez
donc, censeurs injustes, allez vous enivrer
de plaisirs, vous étourdir de fracas dans
vos sociétés funestes, nous n'irons pas vous
y chercher. Nous ne portons pas envie à l'é-
clat de vos j&ies, pourquoi nous envieriez-
vous nos [lieuses larmes? Allez, si vous
l'aimez mieux, chercher dans vos théâtres
un enthousiasme voluf)tueux sur de fabu-
leux héros et leurs intorlunes imaginaires,
laissez-nous un attendrissement [)lus vrai
et plusjuste que le vôtre, et malheureuse-
ment pour vous trop juste et trop vrai;
laissez-nous nous rassembler autour des au-
tels de notre Maître, contempler son cœur
bienfaisant et compter les plaies que vous
lui faites; laissez-nous considérer Jésus si
grand et par vous si peu connu, Jésus si
aimable et par vous si peu aimé, Jésus si
présent pour vous et par vous si abandonné,
Jésus si occupé de vous et par vous si ou-
blié, Jésus si libéral envers vous et par
vous si négligé, Jésus si tendre, si compa-
tissant, si patient et par vous si indigne-
ment raéi)risé, outragé, persécuté; laissez-
nous étudier à loisir ces contrastes déplore-
bles, savourer l'amertume des larmes qu'ils
font répandre, et puissent nos cœurs, eu
les répandant, se briser de douleur et se
consumer d'amour.
Adorateurs du cœur de Jésus, voilà nos
sentiments et nos devoirs, nos exercices et
nos hommages, voilà la lin principale des
sociétés (}ue nous formons ; voilà le nœud
qui les unit ces sociétés si douces; voilà
l'esprit qui les anime et le caractère qui les
distingue. Veuille donc le ciel, je le répète,
malgré la prévention et ses censures, mal-
gré le monde est ses mépris, veuille le ciel
multiplier de plus en plus ces pieuses so-
ciétés et leurs fidèles sectateurs. Veuille le
ciel exaucer les vœux que j'en forme en ce
moment 1 Puissions-nous voir , chrétiens,
dans toute l'étendue de TEglise, au sein de
chaque église particulière, puissions-nous
voir pariout, comme on le voit avec atten-
drissement et édification dans celte paroisse,
s'élever un sanctuaire de réparation et d'a-
mour, un autel spécialement consacré au
cœur de Jésus et à son amour !;Puissions-
nous voir briller dans ce sanctuaire choisi
tous les attributs de l'amour de Jésus !
Puissé-je mériter de remplir à l'entrée
de ce sanctuaire l'emploi du chérubin au
jardin de délices, et m'écrier sans cesse avec
un transport d'amour : Cœurs insensibles,
retirez-vous... Ap[)rocliez, cœurs fervents
et tendres, c'est à vous qu'est permis l'ac-
cès de ce sanctuaire pour vous y consumer
des ardeurs du divin amour; mais que dis-je I
âmes fidèles, seriez-vous donc les seules
invitées à ce culte sacré? les pécheurs en
seraient-ils donc exclus? Non, mes frères,
non sans doute il n'en est que trop qui s'era
excluent eux-mêmes. Hélas ! combiende ces
cœurs obstinés dans le mul, qui, prévenus
sans cesse, mais en vain, des douceurs de
la grâce , des effusions de cœurs de
Jésus, s'endurcissent do plus (n plus aux
rayons du soeil de justice, comme la fange
impure se durcit aux rayons du soleil ordi-
naire; ces cœurs ainsi disposés ne peuvent
honorer le cœur de Jésus tanl qu'ils persé-
vèrent dans leur affreux mépris des grâces ;
mais il est des cœurs coupables, il est vrai,
mais sans obstination , des cœurs qui ont
du moins une horreur commencée de leur
étal déplorable, ah I ces cœurs jieuvent avec
confiance venir à la porte du sanctuaire se
frap|)er la [)oitriue comme le publicain, et
s'écrier avec les senlimonts d'un cœur contrit
et humilié : Cœur de Jésus, cœur de Jésus
blessé d'amour pour moi , cœur de Jésus
cruellement, mais heureusement ouvert
parla lance de mes jiéchés, soyez-moi pro-
pice, à moi pauvre pécheur : « Propitius esta
mihipcccatori.» {Luc, XVliJ, 13.)
O Jésus, sauveur adorable 1 daignez-nous
admettre aujourd'hui dans le sanctuaire de
votre amour ; daignez recevoir aujourd'hui
nos cœurs en réparation des refus injustes
de tant d'ingrats qui vous outragent. O le
[dus saint des maîtres 1 ù le [)lus tendre des
frères 1 Ole plus généreux des amis! recevez
aujourd'hui nos cœurs, ils sont, à la vérité,
bien peu dignes de vous, ces cœurs que nous
vous olfrons, mais nous osons dire qu'ils
vous aiment, et l'amour ennoblit tout, l'a-
mour donne du prix à tout; ils sont bien
peu nombreux ces cœurs que nous Vous ol-
frons, mais ils vous aiment, et l'amour cou-
sole de tout. Ils lurent [)t;ut-ôire longtemps
coupables, ces cœuisuueuous vous olfrons;
897
SERMONS — V SUR lA
mais ils aiinenf, et l'amour oublie tout, l'a-
mour rép.ire toul, l'amour pardonne loul;
ils vous ressemblent bien peu, ces cœurs (jue
nous vous offrons, mais ils vous aiment, et
l'amour peit'eclionne loul; c'est l'amour qui
unit les volontés, c'est l'union des volontés
qui rend les cœurs semblables : nos volon-
tés seront les vôtres, nos cœurs seront les
copies du vôtre, doux, humbles, purs cotnme
le vôtre sur hi terre, pour être un jour inon-
dés de consolations ineffiibles et éternelles.
Ainsi soil-il
SERMON V
Sin LA DÉVOTION ENVERS MARIE.
l'ecil inihi magna qui potens est. (Luc, I, 19.)
Pour se former une idée de la réception
que le Verbe divin lit è Mario lors do son
enliée dans les cieux, il faudrait se former
une idée de la réception quo Marie lU au
Verbe divin lors de son entrée dans cette
vallée de larmes; mais ces deux mystères si
sacrés et si élroilement liés l'un à l'autre
sont inelfables pour nous et au-dessus de
nos expressions. San.s donc vouloir pénétrer
clans la hauteur et la profondeur de ces
mystères qui nous seront un jour dévoilés,
arrêtons-nous à un sujet qui, étant plus à
noire portée et plus conforme à nos besoins,
pourra réveiller et nourrir |)lus sûrement
noire dévotion envers Marie ; cl pour cela
examinons combien est noble, juste, solide
et indispensable notre culie envers Marie;
et nous dévelojiperons ensuile les avantages
<Je ce culte.
PREMIER POINT.
Sous quoique point de vue que nous con-
sidérions la tiès-augusie, la Irès-sainte et
très-bienfaisante Marie, mère de Jésus notre
Sauveur et Rédempteur ; soit que nous la
considérions en elle-même el dans les rap-
ports qu'elle a avec Dieu par sa dignité, ses
vertus el sa gloire ; soit que nous la consi-
dérions dans les rapports qu'elle a avec nous
en qualité de réparatrice et ds médiatrice
des hommes, il est incontestable que nous
lui devons un culle spécial, unique, extra-
ordinaire : culte inlinuutnl inférieur sans
doute à celui que nous rendons è Dieu ; mais
aussi très-su()érieur à celui que nous ren-
dons aux anges et aux saints, et que la
théologie <ip|)ella culte û'Iiyperdalie, culte
que !"Eglise a toujours rendu à Marie avec
une spéciale distinction, et que par consé-
quent aucun enfant de l'Eglise ne peut lui
icfuser, sans se rendre couj)able d'une cri-
minelle intidélité. Voilà, mes frères, une
vérité préliminaire (lue j'c^iière vous déve-
lopper un jour, et qui demande un discouis
miier, mais qui nous servira de principe et
(le base à tout ce que je me pi opose de vous
dire aujourd'hui.
Je dis donc qu'il n'est point de culte, do
dévotion plus noble, plus juste, j)lus solide
et l'ius indisjtensable, aprCs celui que nous
devons à Dieuelà Jésus-Christ son Fils, que
le culle el la dévotion envers Marie : et la
preuve en est dans la |conduile de l'Eglise,
DEVCTTON ENVERS M.VRIE. gffg
c'est-à-dire, dans l'anliquilé, la perpétuité,
l'universalité et la ferveur de son zèle à ho-
norer Marie.
Je dis d'abord antiquité du zèle et de
r»ireclion de l'Eglise à honorer Marie. Dès
le premier siècle les fidèles honorèrent la
mémoire des martyrs de Jisii?-Christ; donc
ils honoraient aussi la mémoire de Marie;
cl comment, en effBl, en honorant les ser-
vileurs auraient-ils négligé la mère? Com-
ment auraient-ils oublié celle que l'Evan-
gile même nous apprend à honorer comme
la Reine des martyrs, comme celle dont lo
cœur fut percé du même glaive de douleur
que celui de son divin fils : Tuamipsiusani-
mam doloris gUidius perlransivil. (Luc, II,
35.) Saint Luc fit le premier l'image de Ala-
rie. Sai'nt Polliin qui avait vécu longtemps
dans lo premier siècle et sons la conduite
immédiate de l'apôtre saint Jean et de saint
Polycarpe, son disciple, selon l'ancienne
tradition, fut le premier qui érigea un
autel dans Lyon, et y déposa unç image
de la saillie Vierge au'il avait apportée de
l'Asie. I
Dès le II* siècle les Justin, les Irénée,'
ces hommes qui louchaient presque aux
temps apostoliques, parlent de Marie comme
l'Eglise de nos jours. Dans le m', Ori-
gène rend un hommage spécial à sa plé-
nitude de g'âces. Terluilien lui donne lo
titre de réparatrice du genre humain. Saint
Grégoire Ihaumalurgo entre sur un si beau
sujet dans un saint enthousiasme, elso livre
aux plus doux transports... Dans le iv*
siècle, les persécutions éteintes , la paix
rendue à l'Eglise firent éclater le zèlo
des peuples pour la gloire de Marie, des
temples magnifiques lurent élevés sous son
invocation... C'est dans ce siècle que rcleii-
tirenl dans.tout l'univers chrétien les éloges
de Marie, mille fois répétés par ces bouches
éloquentes, les Athanase, les Ephrem, les
Basile, les-Grég'oire de Nazianze, les Epi-
phane, les Ambroise, les Jérôme, les Au-
gustin ; c'est dans leurs écrits que l'Eglise
a emprunté plusieurs de ces éloges subli-
mes, de ces tendres prières qu'elle met en-
core tous les jours, en l'iiniineurde Marie
dans la bouche de ses enfants.
Mais il est surtout une époque mémo-
rable oiî l'alfection des peujiles pour lo
culle de Marie parut dans tout son jour.
Ce fut, vous le savez, vers le commen-
cement du v' siècle que Neslorius, pa-
triarche de Coiistantino|)le , osa publi-
quement condamner le titre de Mère de
Dieu que l'Eglise avait toujours donné
h Marie, et que l'apostat Julien avait même
reproché au chrislianismo plus d'un siè-
cle auparavant, A peine les discours do
co patriarche curent-ils commencé de se
réi)andre dans Conslantinople, qu'une es-
pèce de consternation générale t>e répan-
dit avec eux dans celle grande vi:ie. 0:i
vit le peiqile lidèle sortir plusieurs lois
avec indigiialion du temple où .Mario
venait d êiro outragée; on l'enlenJit gé-
mir araèrcraenl et publi(juemenl sur cet
890
ORATEURS SACRES. RlBîER.
yoo
outrage. i)es troupes nombreuses de soli-
taires quillèreiil leurs retraites pour faire
oiilendre aussi leurs plaintes, pour dé-
fendre la cause de Marie, et plusieurs
.décrurent trop heureux de soutfrir des tour-
ments ou des alfronts, pour une si belle cau-
se,de Is part de Nesloriiiset de ses partisans.
Cependant pour calmer l'agitation des
esprits qui devenait plus vive de jour
en jour, un concile général est indiqué.
Par une Providence spéciale le lieu en
est fixé à Eplièse, afin que les habitants
de cette métropole, spécialement dévoués
à Marie, fussent tout c^ la fois les témoins
et les instruments de son Iriomplie.
Tandis que les Pères du concile étaient
assemblés pour la première et principale
session, tandis que saint Cyrille qui pré-
sidait au nom du |)ape Célestin P% pronon-
çait ce discours sublime que nous avons
encore; tandis que les titres de Marie
étaient discutés par le concile avec cette
sagesse qui règne dans ces auguslus as-
semblées, un peuple, innombrable inter-
rompant ses travaux', oubliant ses pro-
pres intérêts, occupé de ceux de Marie,
était réuni autour de la basilique et at-
tendait la décision avec une sainte im-
patience sans que la longueur de la ses-
sion, prolongée depuis la [)remière heure
du jour jusque bien avant dans la nuit,
pût las.ser la constance de son zèle
Lorsque la voix unanime des Pères eut
dit analhème à Ntstorius, gloire à Ma-
rie, Mère de Dieu, à Tinstant un saint Iraiis-
pori saisit tous les cœurs, un cri d'alégre.-se
soitit de toutes les bouches ; Mario e.st
Mère de Dieu ! Alarie est Mère de Dieu 1
mille k'ux allumés dounci'ent à cette
ijuit fortunée l'éclat du plus be;iu jour. Les
jiontiles vengeurs de .a gloire do Marie
furent conduits au milieu des acclaiiia-
tions publiques, des parfums exi^uis brû-
laient sur leur j)assage, les chemins étaient
jonchés de (louts sous leurs [)as. Il n'y
eut à Ephèse aucun fidèle qiii ne regar-
dât le triomphe de Marie comme son
propre triomphe. A Alexandrie, , mêmes
sentiments, mômes transports à Anlioche,
et dans tout l'univers chrétien on a reçu
la décision du concile avec enthousiasme.
Voilà, s'écriait-on, la véritable foi. Gloue,
gloire à Maiie, Mère de Dieu!
Ici, mes Irères, soutirez (jue je fasse
une (question. Si de nos jours la gloire
de Marie était ouli'agée par quelque nou-
velle erreur, comme elle le fut alors;
ce que Maiie trouva de tendresse et do
zèle le trouverai t-e
Oii I sans doute, aug
Mère de Dieu, tenJre nière des hommes,
vous trouveiiez encore un nombre choisi
de cœurs fidèles vivement touchés des
intérêts de votre gloire; mais qu'il s'en
trouverait |ieu I Non, mes frères, non; je
crois que nous sommes forcés d'en con-
venir, et de le dire à notre honte... Mais
du moins sou nics-nous foi ces d'avouer
que le culte de Marie, qu'une leniire 'Jé-
volion h Marie est dans ITîiîlise un sen-
timent aubsi ancien que l'Eglise elle-
uièùie. A cette noble et sainte antiquité
je pourrais y joindre sa perpétuité; mais
tous les auteurs de tous les siècles
nous la prouvent, et si dans les dert)iers
tem|)S l'on a entendu les clameurs d'un
Luther et d'un Calvin qui osent traiter
la dévotion à Marie de cuite supersti-
tieux, qui de nous oserait soutenir avec
eux une pareille erreur? Il faudrait donc
dire que pendant dix sièries Dieu aurait
laissé son Eglise dans la plus grossière
erreur, et que fiour l'éclairer il n'aurait eu
d'autres réformateurs à lui susciter que
des prêtres impudiques et des religieux
apostats? Ce qui fait frémir, ce qui est
absurde, ce qui renverserait tout à la fois
et la dignité de la mère et la sagesse du fils.
Cependant au'milieu des suffrages in-
nombrables qui per|)étuent le culte de
Marie, souffrez, ô Vierge sainte ! que nous
en distinguions ici de particuliers.... La
France, oui la France, ses pontifes, ses
peuples, ses rois, ont toujours fait écla-
ter le, zèle le plus vif pour votre gloire,
et si nos souverains déposèrent autre-
fois leurs sceptres et leurs couronnes
sur l'autel de Marie, notre roi veut en-
core aujourd'hui que nous célébrions cette
fêle avec pompe, et (ju'elle so termine
par une' procession so.'ennelle à la gloire
de Marie. O Mère de Dieu I puisse, sous
votre protection puissante, la fui se con-
server parmi nous, toujours jture, cetl6
foi si attaquée de nos jours. Oui, mes
frères, un royaume chrétien est en sûreté
pi)ur sa foi tant (|u'il est sous l'ombre
mat^MnelIc de Marie, mais il a tout à
craindre lorsqu'il n'y est plus : et une
pieuse observation a luoutré que la trop
fameuse Constantinof)le ne commença d'être
6chismati(iue et malheureuse que lorsque
ses peuples curent perdu [lOur Marie
leurs antiques et religieux sentiments.
Mais reprenons, et à l'antiquité, à la
per[iétuité du culte de Marie , ajoutons
son universalité. Le culte des autres
saints est toujours plus ou n:oins reu-
lermé dans certaines limites et de tenips
et de lieux ; celui de Marie embiasse
seul et tous les temps et tous les lieux.
Partout où la religion de Jésus - Christ
a été annoncée.: sous les climats les |)lus
sauvages, chez les peuples les plus bar-
bares,! la dévotion à Marie s'est aussitôt
répandue dans une ineffable douceur,
partout l'Eglise s'adresse à Marie ; elle
e de nos jours?.... s'adresse à Marie pour tout : giâces spi-
uste Vierge, sainte rituelles et temporelles, calamités publi-
ques, afflictions j)arliculières, tout est du
ressort de sa bienfaisante médiation.
Partout l'Eglise répand à pleines mains
ses indulgences |)our les moindres par-
ties de son culte. Point d'éloges dans
l'Eglise plus sublimes, plus louchants, (ilus
universels que ceux de Marie : elle est
la reine des cieux, la souveraine des
anges, la maîtresse du monde, la mère
SERMONS. — V SUR LA DEVOTION ENVERS MARIE.
maison do paix, la ;ior(o
do langage plus aireclneux
l'Egiise dans les prières
901
admirable, .a
du ciel : poinl
que celui de „
qu'elle adresse h Marie : ce sont des
cris, des gL^nisscmenls, des larmes de
tendresse. Toutes les expressions de
l'amour filial ne rendent que faiblement
ses transports pour celle qu'elle appelle
sa vie, sa douceur, son espérance, sa
consolation et sa joie. Viki, dulccdo, spes
nostra,.. ad le clamamus... sitspiranms...
grmenles et fientes.
Malgré la décadence de la piété et de
la foi parmi nous, il n'est point de culte
qui so:t plus universellement répandu
que celui de Mctrie; chaque année il est
nombre de fêtes en l'honneur de Marie,
chaque semaine il est un jour qui lui
est |ilus spécialement consacré. Trois
fois le jour nous la saluons "par les pa-
roles de l'ange... Dans tout io monde
chréli'jn c'est un nombre ifjnombrable
de temples dédiés à l'honneur de Marie ;..
que de jneuses associations en son honneur!
Il n'est point de royaume, poinl de
ri"
ÎIC2
le, point de hameau, jioint d'église qui
ne [lossède quelque autel, quelque image
ou quelque monument élevé à la gloire
de Marie. Que dis-jel il n'est i)oint
de maison, point de famille, à moins
que la religion n'en soit entièrement
bannie, qui ne l'invoque le malin et le
soir dans ses prières, qui no s'adresse à
elle dans ses besoins, qui ne mette en elle
sa confiance. Oh ! combien les expressions
de la piété de nos pères étaient naïves et
touchantes dans leur belle simplicité 1 Alors,
mes frères, alors dans chaque maison, dans
chaque famille on y trouvait des marques
authenliquesde leur dévotion envers Ma-
rie. C'eût été une désolation pour nos |)ères,
si, en entrant dans leurs maisons, ils n'y
eussent point aperçu l'image de celte au-
guste Vierge, hunorablement placée, décorée
religieusement. Oui, cliatiue jourproslernés
devant cette image l'on y rendait en famille
des homu:ages à Marie, l'on y faisait ses
prières, tout ce ressentait dans la famille
d'une tendre piété, d'une louchante dévo-
tion. O religieuse simplicité de nos pères 1
ô mœurs antiques! qu'ètes-vous devenues?
vous avez fui loin de nous ; avec vous ont
fui les véritables vertus. Hélas I à [)eine
maintenant ose-t-on [)arlerdes grandeurs de
Marie, des bontés de Marie. O Mère de mon
Dieu, mère de miséricorde! puissé-je donc
aujourd'hui en affermissant les fidèles dans
la néicssité de vous rendre leur culte et
leurs hommages, les y encourager puissam-
ment, en leur rappelant les précieux avan-
tages qui y sont attachés.
SECOND rOlNT.
Avant vl'entrer dans le détail des avanta-
ges inestimables qui sont attachés à la dé-
votion à Marie et pour prévenir toute fausse
interpréiatio[i des vérités consolantes que
i.ous allons développer, il iujporle de re-
marquer ici (pie nous [tarions d'une vérita-
ble dévotion, etnon point précisémenld'une
certaine fidélité d'habitude à quelques for-
mules do prières récitées à l'honneur do
Mario, le plus souvent sans attention comme
sans alfection; car, quoique nno telle fidé-
lité soit l'expression d'un commencement
ou d'un reste de bon désir et puisse être
appelée une dévotion imparfaite, expirante
ou commencée, il est certain qu'elle ne
suffit pas pour mériter le titre de dévot
à Marie et les avantages qui y sont at-
tachés, [)arce qu'il est évident que les ré-
conii)enses du serviteur zélé et fidèle no
peuvent être assurés au serviteur lâche et
paresseux. Il faut donc pour former ce que
j'appelle dévotion à Marie et en espérer les
avantages, il faut à son service une affeclion
'\y{{ senUjlable à celle de l'Eglise, constante,
sincère et pleine de confiance , et c'est d'a-
près cette réfiexion que nous allons consi-
dérer la dévotion à Marie dans deux sortes
de personnes , dans les justes et les pé-
cheurs. Dans les premiers comme un des
signes les plus consolants de prédestination
et de salut; dans les seconds comfne un
principe de conversion moralement infailli-
ble.
Il .serait inutile sans doute de vous prou-
ver que la dévotion à Marie est pour les
justes un de ces signes doux et consohnls
de prédestination et de salut. Si nous prou-
vons que la dévotion à Marie est pour les
pécheurs un principe assuré deconversion,
nous pouvons conclure, à plus forle raison,
qu'elle sera pour les justes un principe mo-
ralement certain et infaillible de persévé-
rance et de salut. Disons cependant pour
la consolation des ûmes justes et craintives,
que l'expérience la |)lus antique, la plus
constante et la plus universelle, nous prouve
qu'une ûrae juste , sincèrement dévouée au
culie de Marie, no périra pas. Jetons en
cU'et un regard attentif sur tous les temps
de l'Eglise et sur les âmes qui, dans tous
les lemps farenl spécialement dévouées à
Marie. Qu'y verrons-nous? D'abord en gé-
néral une foi plus vive, plus simple, plus
docile et plus pure; f(ji qui est la base de
tout l'édifice du salut. Oui, mes frères, la
soumission, la docilité furent toujours les
caractères des serviteurs de cette auguste
Merge. L'erreur inquiète, indocile, superbe
ne s'accorde pas avec ce doux nom , ou si
quelquefois par un aveuglement fatal et
rare, un serviteur de Marie suit pour un
temps des routes écartées; de deux choses
l'une; ou il quitte ces routes perdues, ou
il perd le sentiment de sa dévotion; ou il
cesse d'être enfant de Marie, ou il redevient
enfant de l'Eglise. Il e^t en cegenredesexem-
jfles frappants, chaque siècle a eu les siens,
et il est écrit en particulier que lorsque saint
Dominiiiue et ses dignes coopérateurs tra-
vaillaient avec tant de zèle à la conversion
des Albigeois, ils ne commençaient h regar-
der ces hérétiques inconstants et trompeurs
comme solidement et sincèrement conver-
tis que lorsqu'ils les voyaient s'affectionner
aux [iratiques de la dévotion à Marie, tant
903
ORATEURS SACRES. RIBIER.
904
une longue expérience leur avait appris
que celle dévotion ou suppose une foi déjà
pure, ou la conserve, ou ne larde pas à la
procurer.
Jetons un regard attentif sur les fidèles
serviteurs de Marie; c'est parmi eux que
nous verrons en général des âmes plus sain-
tement affectionnées aux choses divines,
plus sensibles aux impressions de l'amour
divin, qui est par excellence la voie du sa-
lut. La dévotion à Marie a une verlu spé-
ciale pour disposer et former les cœurs à
celte parfaite cliarilé; c'est pour cela que
Marie est appelée la mère du bel amour:
Mater pulchrce dilectonis.
JeUinsun regard allenlif sur les servileurs
zélés de Marie; cest [larmi eux que nous
verrons en général plus de fidélité dans la
pratique de toutes les vertus chrétiennes,
fidélité à la prière, sanclificalion des jours
consacrés, assiduité aux saintes instruc-
tions, fréquentation des sacrements, devoirs
de l'élat, charité pour les pauvres, soula-
gement des malades, visite des prisonniers,
zèle pour les âmes, saints exerai)les, bonn.
odeur de Jésus-Christ répandue |)ariout.
Jetons enfin un regard attentif sur les
fidèles serviteurs de Marie ; c'est parmi eux
que nous verrons en général des chrétiens
mourir d'une mort plus douce et plus con-
solante; mort précieuse qui est la consom-
mation du salut. Et certes, mes frères, [)uis-
que les servileurs de Marie demandent si
souvent sa protection pour ce dernier ins-
tant... Priczpour nous maintenant et à Vheure
de notre mort , n'esl-il pas juste que Maiie
en ce dernier instant protège spécialement
ses servileurs! xVh que l'illustre et pieux
saint Grégoire de Nazianze avait bien com-
j)ris celle vérité 1 Je serai trop heureux,
disait ce Père, si le nom de Marie peut ôlie
le dernier effort de mes lèvres mourantes
et consacrer mon dernier soupir; à ce nom
de paix le ciel me sera ouvert comuie l'ar-
che fut ouverte à la colombe lorsqu'elle y
revint portant un rameau d'olivier. Mes
frères, l'histoire nous apprend qu'on a vu
plus d'une lois des hommes couverts de
blessures, é[)uisés de sang, mais le t:ora de
Marie à la bouche, les livrées de Marie entre
les mains, demeurer comme suspendus en-
tre la vie et la mort par la vertu de ce nom
puissant, jusqu'à ce qu'un ministre de l'E-
glise leur eût apporté les derniers secours
de la paix et du salul... Mais sans recourir
à ces prodiges rares sur lesquels il serait
imprudent de compter, combien de chré-
tiens fidèles en ont fait la douce ex|)érience;
combien de fois on les a vus franchir toutes
les idées funèbres qui troublaient leur ima-
gination pour venir se reposer avec sécu-
rité sur le doux nom de Marie; on les a vus
du lit de leurs douleurs jeter sur l'image de
Marie de pieux regards; on les a entendus
s'écrier: O Vierge sainte! dans ce moment
critique, où loul m'elfraye, oià j'ignore si je
suis juste ou pécheur , el ce que je vais
devenir, montrez ce que vous êtes. Je sais
du moins que je fus toujours un de vos ser-
viteurs. Soyez donc aujourd'hui ma défense.
Abondonneriez-vous dans ce dernier jour
celui qui vous a invoquée tous les jours de
sa vie?.. Non; vous m'entendez, vous m'exau-
cez, ô mon asile, ô mon espoir! puissances
infernales, retirez-vous, reconnaissez celle
qui vous a vaincues, respectez ce qui lui
appartient. O Marie 1 un de vos serviteurs
ne périra pas.
' Chréliens, mes frères, qui de nous à son
dernier moment ne voudrait pas avoir le
droit de parler ainsi à Marie? Imprimons
donc dans nos cœurs en traits profonds et
enflammés le signe sacré de serviteurs de
Marie, caractère des élus... Vous, surtout
parenls vertueux qui m'écoutez, parmi les
soins d'une éducation chrétienne, n'oubliez
rien pour donner à vos enfants le caractère
d'enfants de Marie, dites-leur souvent et ré-
pétez-leur sans cesse : Mes enfants , souve-
nez-vous que toute ma tendresse n'est rien
en comparaison de celle qu'a pour vous
Marie. Oui, j'aimerais mieux mille fois que
vous oubliassiez ce que vous me devez, que
do vous voir oublier ce que vous lui devez.
Avec ce langage, j'ose vous assui'er sur ce
point du dIus consolant succès. L'expé-
rience a appris que de tous les sentimeuls
de la religion un de ceux qui trouve l'en-
fance plus sensible, qui s'insinue plus dou-
cement dans son cœur, c'est le sentiment
de la dévotion à Marie; l'expérience a ap-
pris que pour cel âge , tout faible qu'il est,
ce n'est point un sentiment stérile et fri-
vole, mais, au contraire, que les enfants
dévoués à Marie sont aussi en général plus
(idèles aux devoirs que leur âge com[)Orle,
plus exacts à leurs prières, plus respeciueux
et [ilus soumis à leurs parents; l'expérience
a|)prend surtout que celle dévotion est pour
l'enfance la sauvegar«ie des bonnes mœurs
dont elle maintient l'innocence, alfaiblit les
attaques, écarte les dangers.
Pères vertueux , pieuses mères, écoutez
donc les invitations que vous lait aujour-
d'hui Marie comme autrefois son divin Fils :
Sinite parvulos ventre ad me. [Marc, X, 14.)
Laissez, vous dil-elle, laissez venir à moi
les petits, les plus petits enfants ; parvulos.
L'innocente candeur de cet âge me plaît;
c'est pour eux surtout que j'aiuie le nom et
les fonctions de Mère des hommes , n'atten-
dez pas un âge Irop avancé pour les consa-
crer à mon service; souvenez vous que si
l'enfer s'empresse toujours trop loi do sur-
prendre dans ses pièges ces âmes inconsi-
dérées, vous ne piouvez vous hâter trop tôt
de les jeter dans mes bras, de les cacher
dans mon sein maternel, où ils seront (dus
en sûreté que dans les vôtres : Sinite
parvulos venire ad me. Heureux , mes
Irères , les parents chrétiens qui répon-
dront à des invitations si douces, qui inspi-
reront de bonne heure à leurs entants de
tendres sentiments pour Marie, une fidé-
lité scrupuleuse aux pratiques d'un culte
journalier. Si par là ils ne Ics-défendent pas
entièrement pour la suite de leurs jouis de
tous les pièges du vice, par là du moins, ils
SERMONS. — V, SUR LA DEVOTION ENVERS MARIE.
905
jettercfnl dansleurs cœurs un principe de con-
version toujours actif, singulièronionl puis-
sant, moralement infaillible; et voilà enfin
]a grande parole qu'il nous est si consolant
de développer, que la dévotion à Marie est
pour les pécheurs un principe de conversion
moralement irifàillible... Dieu de paiir et de
véiité, mettez ici dans maboucliedes paroles
pacifiques et vraies ; qu'un zèle, doux h
l'excès, ne change point Marie en protectrice
du péché ; mais aussi qu'un zèle amer jus-
qu'à la cruauté, ne ferme pas les bras de
Marie aux pécheurs.
Mes frères, pour éviter toute confusion,
source d'erreurs , commençons par bien
fixer nos idées. 11 ne s'agit point ici de
montrer que Marie est spécialement le re-
fuge des pécheurs pénitents qui désirent
actuellement revenir à Dieu ; c'est une vé-
rité reconnue par la tradition, démontrée
par l'expérience; il ne s'agit pas non plu>
de savoir si un pécheur peut avoir envers
Marie une dévotion faible, trompeuse ou
fausse, l'on en convient; il s'agit donc uni-
(juement d'examiner si un pécheur peut,
dans l'état du péciié, avoir une véritable
dévotion à Marie, com()ter sur sa protection
spéciale et en ressentir les heureux tdfets.
Oui, mes frères, il est certain qu'un pécheur
peut avoir celle dévotion ; car, en {ierdant
la charité, il n'a pas perdu la foi, l'espé-
rance et les autres vertus de prière, d'hu-
milité, de pénitence et de douleur de ses
péchés; il peut donc mettre en prati(jue ces
actes qui parlent d'un principe bon el sur-
naturel ? donc il peut avoir la dévotion eu-
vers Marie? Avec celle dévotion envers
Marie un pécheur ne doit pas moins comp-
ter sur sa proleclioii S[)éciale , et pourquoi
n'y compterait-il pas? Marie n'esl-elle pas,
d'une manière unique, extraordinaire, l'a-
sile et le refuge des pécheurs? N'est-ce pas
le litre que lui donne plus fréquemment
l'Eglise, et sous lequel elle l'invoque et
apprend à l'invoquer avec plus de ferveur?
Marie n'esl-elle pas l'hériiière des senti-
ments de Jésus-Christ, son fils, qui a aimé
les pécheurs jusqu'à mourir pour eux?
n'esl-elle pas la plus fidèle image de Jé-
sus-Christ, son fils, qui montra toujours
une bonté singulière à sui)porler les pé-
cheurs, à les ap[)eler, à les recevoir, à leur
parduîiner? Marie n'esl-elle pas en quel-
que sorte redevable aux pécheurs de sa
gloire, puisque c'est à leur occasion qu'elle
est Mère de Dieu, mère puissante? c'e^t
donc aussi pour les pécheurs qu'elle veut
êlremère de miséricorde et de bouté, qu'elle
fait gloire de l'être el qu'elle éi)rûuve à l'être
un tendre et vertueux plaisir. Aussi les
rères nous la représenlenl sous l'image do
ces villes de refuge établies chez les Juils,
dans lesquelles les coupables étaient à l'abri
des poursuites de la justice humaine. Saint
Bonavenlure nous la peint sous les traits
d'une reine bientaisanle qui reçoit un sujet
crimiiiel dans l'intérieur de son palais : elle
attend que la première colère du prince soit
apaisée; cependant elle lient caché ce mal-
OaATEUHS SACRÉS. LXVIll.
90«
heureux fugitif avec dos précautions iîi-
quièles; elle l'anime, le console, relève ses
espérances, lui fait sentir son crime, lui
montre les moyens de le réparer, fait valoir
ensuite son repentir el ses larmes, el mé-
nage enfin sa grâce entière; et pourquoi
Marie ne serait-elle pas l'asile des pécheurs?
l'Kcriture ne nous apprend-elle pas que la
prière d'Abraham protégeait des villes cri-
minelles?... que la prière de Moïse proté-
geait Israël muiinéel révolté?... et la prière
de Marie, mille fois plus puissante que
celle des Moïse et des Abraliaiu, n'obtien-
drait pas son effet. Il y a plus, mes frères,
il y a plus encore : Abraham et Moïse
priaient pour des insignes pécheurs, sans
qu'ils l'eussent demandé, sans qu'ils le sus-
sent, et pour ainsi dire, malgré eux, tan-
dis que Marie intercède pour un coupable
qui, du moins parles sentiments que je lui
suppose, sollicite tous les jours sa média-
tion. Aussi, mes frères, cette puissante mé-
diatrice ne se conten'era pas de suspendre
les coups de la justice céleste sur la tête
d'un i)écheur, elle fera plus, elle remplira
en sa faveur les fonctions dont parle l'E-
vangile, en intercédant pour l'arbre infruc-
tueux, en empêchant qu'il ne soit arraché
et brûlé; elle demandera du temps, et pour-
quoi? Pour le cultiver, l'arroser et lui faire
porter enfin des fruits de bénédiction.
Marie est donc le refuge spécial des pé-
cheurs... Oui, ceux qui s'adressent à elle...
Je m'arrête ici, chrétiens, el quoique j'aie
[lour garant de ce que je vais vous dire un
des P^res de l'Eglise, je n'ose presque ache-
ver O Jésus, médiateur suprême 1 vais-
je donc faire outrage à votre divine média-
tion ? Non , non, je vais l'honorer en hono-
rant celle de votre Mère. Oui, dit saint An-
selme, les pécheurs qui s'adressent à Ma-
rie sont quelquefois plus favorablement re-
çus, plus promplement exaucés que ceux
qui s'adressent immédiatement à Jésus : Fe-
locior est nonnunquam satus, invocato no-
mine Mariœ, quatn invocato nomine Jesit.
Mais sur quoi , dira-t-on, est fondée cette
parole de saint Anselme? Elle est fondée
sur la volonté de Jésus qui l'ordonne ainsi
pour glorifier la médiation de sa Mère, qui
souvent ne veut exaucer que par la média-
tion de sa Mère; elle est fondée sur l'aveu
des pécheurs eux-mêmes et sur l'expérience
tanl de fois renouvelée et si solennellement
confirmée par les ministres de l'Evangile.
Oui, mes Irères, il importe de l'observer
ici pour la gloire de Marie el pour le salut
peut-être de ceux qui m'écoulent. Oui , plus
d'une fois l'on a vu des pécheurs écrasés du
poids de leurs chaînes, sans cesse faisant
pour les rompre d'inutiles efforts el sans
cesse retombant dans l'abîme de leurs an-
ciennes mœurs, dans la fange impure de
leurs habitudes criminelles , toutes les for-
ces de la religion étaient pour ainsi dire
épuisées auprès de leur inconcevable fai-
bk'sse. C'est Marie qui leur a tendu la main ;
c'est elle qui les a relevés, affermis, sauvés.
Ce sont dos prières à Marie, dos pratiques
2»
D07
ORATEURS SACRES. RIBIER.
DOS
pieuses en son honneur qui leur ont obte-
nu des grâces victorieuses de liberté et de
paix... L'on a vu des pécheurs obsédés
par le démon du désespoir, détournant leurs
yeux égarés de ce beau ciel fermé pour eux,
appelant en forcenés l'enfer qui les atten-
dait. Toutes les tendresses de la religion
étaient épuisées par les noirs accès de leur
fureur. C'est Marie qui a porté la lumière
dans ces horribles ténèbres; c'est l'invoca-
tion de Marie qui a fait renaître le calme et
l'espoir dans ces âmes désespérées; c'est
Marie qui a arraché aux démons une proie
comme certaine et trompé de l'eiifer la
cruelle attente L'on a vu des pécheurs
tantôt sur des lits de douleur et de mort, ou
sur les écliafauds que dresse la justice hu-
maine ; on les a vus le cœur plus dur que
des rochers, insensibles à toutes les paroles
de. pénitence; on a vu do zélés ministres
s'affliger, se tourmenter vainement autour
de leur endurcissement déplorable; toutt.s
les terreurs, toutes les douceurs de la re-
ligion étaient taries auprès de leur obstina-
tion invincible. C'est Marie qui en a triom-
phé ; on a invoqué Marie pour eux ; on les
a déterminés entin à prononcer le doux nom
de Marie, et à ce nom bienfaisant, ces
cœurs de bronze ont commencé de se fléchir,
de s'amollir. On a vu bientôt des larmes de
componction couler de ces mêmes yeux qui
peu d'mslant avant en versaient de rage et
de fureur.
O homme pécheur, s'écrie ici le dévot
saint Bernard 1 et retenez , mes frères, celte
touchante pensée : Pécheurs, vous n'osez
approcher du trône du Père céleste ; le son
de sa voix redoutable vous fait frémir; et
trop semblable au criminel Adam dont vous
descendez, vous cherchez un épais feuilla-
ge, un asile sombre qui vous mette à l'a-
bri de sa présence: Ad patrem verebaris ac-
céderez ad foHa currebas ; mais il a eu pilié
de votre m;ilheuretde vos craintes, et pour
ranimer votre confiance il vous a donné son
Fils bien-aimé pour être votre médiateur,
votre sauveur, votre frère : ce Fils est Dieu
comme ^on Père, et il est devenu homme
comme vous. Que n'avez-vous pas à espé-
rer d'une telle médiation? Jesum tibi dédit
mediatorem Hé quoi 1 cependant vous
tremblez encore 1 Homme pusillanime , jié-
cheur, que craignez-vous?.... Ah I j'entends
la voix de vos terreurs secrètes. Ce média-
leur , dites-vous, est, il est vrai, homme
comme moi, mais il est Dieu , et les dou-
ceurs de son humanité semblent à mes
yeux se perdre dans l'éclat de la Majesté
divine. 11 est mon frère, j'en conviens,
mais il sera un jour mon juge, juge inflexi-
ble, et ce nom i-edoulable déjuge me glace
d'ellroi Que désirez-vous donc, pé-
cheurs ? Que voulez-vous ? Ah ! sans doute
vous voudriez un trône de pure clémence ,
un trône qui ne fût jamais environné d'au-
cun appareil de rigueur, un trône où la
bonté seule fût assise et qui fût pour vous
comme un premier degré avant.d'arnver au
Médiateur suprême Fh bien I le ciel
vous l'a donné ce trône de bonté et de clé-
mence pure : c'est celui de la bienfaisanle
Marie. Il n'est rien dans Marie d'effrayant
et de terrible. Ali, pécheur! tout annonce
autour d'elle paix et miséricorde... Mes
ciiers enfants I concluait saint Bernard, sui-
vons donc la marche qui nous-est tracée ;
qu'elle est facile 1 qu'elle est douce pour
des hommes aussi faibles, aussi timides que
iioiisl Allons à Jésus par Marie, comme par
Marie Jésus est venu à nous; allons au Fils
[lar la Mère, pour nous élever ensuite au
Père par le Fils. Voilà la marche, la pro-
gression et l'abrégé de toutes nos espérances.
Pécheurs ! ô vous donc , pécheurs 1 que
je voudrais aujourd'hui convertir par Ma-
rie, écoutez en finissant ces paroles conso-
lantes : Marie est toujours votre mère; elle
est véritablement voire mère, et toujours
mère de miséricorde et de bonté; elle veut
aujourd'hui exercer envers vous ces fonc-
tions de mère allachées à son titre; fonc-
tions de tendresse, de protection, de par-
don, d'intercession, do grûces, et jamais de
rigueur et de sévérité Il semble que son
Fils adorable, en l'établissant mère des hom-
mes, refuge des pécheurs, lui a dit : Ma
mère, en vous communiquant mes pou-
voirs et ma tendresse, vous ne recevrez
rien de moi qui inspire la terreur... Moi ,
juge et sauveur des hommes , j'exige d'eux
la crainte et l'amour. O ma mère I je no
veux partager avec vous que l'amour.
Je ferai des menaces, vous n'annoncerez
que des promesses ; j'infligerai quelquefois
des peines , et vous n'accorderez que des
grâces. Ces mains si tendres qui m'ont por-
té ne furent point destinées à lancer des
foudres; qu'elles ne ré(»andent que des
bienfaits. Jamais voire front, plein d'une
majesté douce, ne sera marqué des traits
de la colère, il n'ollrira aux yeux des hom-
mes que ceux de la clémence. Les hommes
aimeront uniquement la mère que je leur
ai donnée après l'avoir choisie pour moi-
même, et l'amour qu'ils auront pour elle
préparera leurs cœurs à l'amour qu'ils doi-
vent avoir pour moi.
Ainsi a parlé Jésus... O douces et conso-
lantes paroles!., heureux les cœurs dociles
f'our les entendre; heureux ceux qui mé-
riteront d'en éprouver les ellets par une
confiance filiale et vive en Marie 1
Mes frères, puissé-je être assez heureux
pour avoir échauflé lous les cœurs d'une
sainte atfection au siTvice de Marie? Puis-
sé-je avoir marqué aujourd'hui le front des
justes d'un signe de persévérance et de sa-
lut, et avoir jeté dans l'âme des pécheurs
un germe de conversion toujours fécond eu
fruits heureux... Si quelqu'un en doute,
qu'il en fasse donc l'heureuse expérience,
qu'il choisisse parmi les prières que l'E-
glise adresse à Marie, celle qui le touchera
plus sensiblement , qu'il s'impose la loi do
la réciter lous les jours avec une effusion de
confiance et de désir, et bientôt il éprouvera
que je ne l'ai {)as trompé.
Mais, ô Mario, asile des pécheurs! sou-
909
CONFLUENCES. — 1, SUR L\ MISERICORDE.
910
frez quft, pour satisfaire le zèle qui m'en-
flamme pour voire gloire, je vous dematulo
aujourd'lmi une preuve acluelle et prompto
de la vérilé de ce que j'avance. S'il est par-
mi ceux qui m'écoulent une âme égarée qui
vous invoque et réclame voire secours... ô
Marie! discernez-la dans la foule, saisissez-
la de celle main puissante qui sait quand il
lui plaît arracher à l'enfer sa proie; et de
cette voir puissante et douce qui retentira
dans son cœur, dites , dites aujourd'hui :
Voilà ma conquête; puissances des ténèbres,
soyez confondues; anjjes du ciel, applau-
dissez à mon triûm|)he; enfants des nom-
mes, connaissez mon pouvoir. O Jésus I ô
mon fils! voilà ma conquête; c'est par vous
et pour vous que je l'ai faite, c'est à vous
que je la présente. Recevez celte âme dans
le sein de vos miséricordes, lavez-la dans
votre sang ; attachez-la à vous avec lous
mes servileurs qui sont toujours les vô-
tres pour le temps et pour l'élernilé. Ainsi
soit-il.
CONFERENCES.
PREMIÈRE CONFÉRENCE.
SCR LA MISÉRICORDE.
Misericordias Domini in selernum eantabo. ( PsnI.
LXXXVllI, 2.)
Je lie cesserai de publier les miséricordes du Sci-
gtieur.
Les prédicateurs doivent-il traiter direc-
tement dans les chaires chrétiennes le sujet
des miséricordes divines?... En traitant ce
sujet publiquement devant des auditeurs
sans choix, n'esl-il pas à craindre que plu-
sieurs n'en abusent pour s'enhardir au pé-
ché ? Ne serait-il pas plus sage de réserver
Jes consolalions de ce touchant sujet pour
des instructions secrètes , où l'on peut les
appliquer avec prudence selon les personnes
et les besoins? Telles sont, chrétiens, les
questions que se font quelquefois les mi-
nistres de la parole, et que je me suis
faites à moi-même. A ces questions voiei
les réponses :
Premièrement , il est certain , dans les
principes de la foi , que la parole de vive
voix ne doit être et n'est parmi nous qu'une
explication de la parole écrite , une inter-
prétation des Ecritures. Or , puisque dans
les Ecriiures les écrivains inspirés parlent
si hautement des divines miséricordes, on
a donc pu , dans lous les temps , en parler
comme eux et après eux. Misericordias
Domini in aiernum eantabo.
Secondement, puisqu'il est des discours
spécialement consacrés à peindre les ter-
reurs des vengeances, il est juste qu'il y
eu ait aussi de consacrés spécialement à
déployer les richesses des bontés divines.
Misericordias, etc.
Troisièmement, il est certain, d'après la
tradition et les exemples des Pères , que les
vérités de la foi doivent être plus ou moins
développées, selon le lemps et les besoins:
or , point de temps , point de siècle où les
saintes terreurs de la loi aient été plus blas-
phémées que dans le nôtre. Donc il n'est
point de siècle ou les ministres delà parole
soient |ilus obligés de rappeler les saintes
douceurs de la foi , [)Our justifier ses ter-
reurs. Misericordias Domini, etc.
Quairièmeraent , il est des pécheurs si
elfrayés de la grandeur du Dieu qu'ils ont
outragé , et de ses jugements redoutables ,
si consternés de l'énormilé de leurs crimes
et de la profondeur de leur malice , qu'ils
sont tentés d'un désespoir affreux. Il faut
donc réveiller la confiance de ces grands
pécheurs, et leur donner une espérance so-
lide de leur |)ardon.
D'après ces réponses, je n'hésile plus,
mes frères , à vous parler des miséri-
cordes du Seigneur, et à vous développer
tout ce qui peut établir et justifier celte
miséricorde. Elle est patiente et empres-
sée.
Le Seigneur vous attend, disait le pro-
phète Isaïe: Exspectaivos Dominus ; il vous
attend, et pourquoi? Pour exercer envers
vous sa miséricorde ; il sera glorifié en vous
pardonnant : Exspeclat ut misereatur ve-
stri ; exaltabitur parcens vobis. {Isai., XXX,
18.) Dieu est patient, dit l'apôtre saint
Pierre , il est patient pour vous , il ne veut
pas qu'aucun de vous périsse ; mais il veut
que lous reviennent à la pénitence : Paliens
est propter vos, nolens aliquot perire, sed
omnes ad pœnitentiam reverii. (II Petr., III ,
9.) La bonlé du Seigneur, dit l'apôtre saint
Paul, vous donne le temps du repentir.
Mépriserez-vous les richesses de sa longa-
nimité? An diintias bonitatis ejus contem-
nitis? (Rom. , II, 4. ) O Seigneur, s'écrie
l'auteur du livre de la Sagesse, que votre
esprit est doux [)Our tous les hommes sans
exception ! Quam suavis est spirilus tuus in
omnibus. (Sap , XII, 1. ) Il n'en est aucun
(|ue vous n'éjiargniez dans les desseins de
votre patience. Vous supportez leurs of-
fenses, et semblez les ignorer dans l'altetiio
de leur retour. Vous leur donnez le temjis,
les occasions, les moyens de revenir à vous:
Parois omnibus, misereris omnium, dissimu-
las peccuta, dans lempus, locum pœnilenliœ.
{Sup., XI , 2k.)
Tels sont d'abord , mes frères , sur la
[)alieuce du Seigneur, quelques-uns des
lexles sacrés. Pour les rappeler lous, il fau-
dra.l un discours entier , et il nous sufliia
01!
ORATEURS SACRES. RIBIHR.
912
de faire ici quelques remarques impor-
tantes sur le premier caractère de la misé-
ricorde.
Observons donc premièrement que , dans
la doctrine des Ecritures , cette patience mi-
séricordieuse n'excepte et n'exclut personne.
Il est des pécheurs sans doute que Dieu at-
tend plus longtemps , et d'autres qu'il at-
tend moins. Cette incertitude, infiniment
sage, est en même temps bien effrayante;
mais tout eflVayante qu'elle est , elle ne
détruit pas pour cela la vérité consolante ,
et qui est de foi, savoir, qu'il n'y a jamais
eu, qu'il n'y aura jamais d'homme pécheur
sur la terre qui , après le péché exécuté ou
conçu , n'ait été ou ne doive être, du moins
quelque temps , l'objet de la miséricorde
divine patiente et lente à punir: Parcis om-
nibus... misereris omnium... volens omnes rê-
ver li.
Observons, en, second lieu que , dans la
doctrine des Ecritures, cette patience mi-
séricordieuse du Seigneur est fondée sur sa
puissance même. Vous avez pitié de tous,
parce que vous pouvez tout : Misereris
omnium, quia omnia pôles. Parce que le
Seigneur est infini en pouvoir , il semble
craindre, en quelque sorte, d'irriter et d'ai-
grir son pouvoir infini; il le modère par sa
sagesse; il le captive par sa bonté; il res-
semble, selon l'expression du Prophète , à
un guerrier redoutable (^ui retient sa colère
contre un imprudent ennemi qui l'outrage;
il lui donne le tem[)s de la rétlexion , et il
ne se lève enfin , pour venger sa cause, que
lorsque l'insolence, l'obslination est portée
à l'excès : Excitalus lanquam potens Domi-
nus. (^Psal. LXXVll, 05.)
Observons, troisièmement, que cette pa-
tience de Dieu est fondée sur son éternité
même. Les jours de l'homme sont comptés ,
nous dit l'ecclésiastique; le nombre de ses
jours , comparés aux siècles éternels qui
ies renferment , ressemble à une goutte
d'eau devant l'immensité des mers : Èxigui
anni , in die œvi , quasi gulla aquœ maris ;
et c'est pour cela, conclut l'iicrivain sacré,
propter hoc, c'est pour cela môme que Dieu
est patient à l'égard des hoiiimes : Propter
hoc patiens est in illis ; c'est peur cela qu'il
répand sur la brièveté de leurs jours les
profusions de sa miséricorde : Propter hoc
effundit super eos miscricordiamsiiamJEccli.,
XV111,8, 9.)
Observons, enfin , que cette patience di-
vine est souvent si étonnante dans ses misé-
ricordieuses lenteurs, que la foi du juste
en est ébranlée , selon l'expression des
Livres saints, la piété s'en attriste, nos pieds
chancellent comme ceux de David, en con-
templant la paix des pécheurs: Pêne moli
sunt gressus mei pacem peccatorum videns.
{Psal. LXXII, 2.) Il est des crimes si noirs,
des états de crimes si longs , des criminels
si odieux, que notre zèle imprudent s'aigrit,
s'irrite et s'enHamme. Itous sollicitons
presque les foudres du ciel, comme les en-
fants de Zébédée. Nous appelons les ven-
geances divines, trop lentes, au gré de nos
désirs. ■
Zèle imprudent et av(!ugle ! Heureux ,
mes frères, que les vues de Dieu ne soient
pas semblables aux nôtres. Incapable de
passion ainsi que d'ignorance , seul il voit
tout, et il voit tout bien. Seul il connaît, dit
le Sage , la perversité de la volonlé de
l'homme , dont nous ignorons l'étendue,
l'intensité , les degrés divers : Vidit prœ-
sumptionem cordis , subversionem eorum.
{Eccli., XVlll, 10.) Seul il sait jusqu'à quel
point il doit porter sa patience à l'égard de
chaque pécheur en particulier, quel inter-
valle de temps, quelle mesure de lenteur
est nécessaire pour remplir, à l'égard de
chacun en particulier, les desseins de sa
miséricorde; et malheur donc à nous,
n)alheur si cette patience adorable devenait
jamais pour nous un scandale réfléchi ! si
nous osions jamais formellement l'accuser,
la condamner et nous plaindre, au lieu
d'entrer dans ses vues , et de souhaiter
comme elle, non la mort ilu pécheur, mais
sa conversion etsa vie I Vidit subversionem,
ideo adimplevit propitiationem , ut conver-
lantur et vivant. {Ibid.)
Hélas ! quel esl celui de nous qui n'a
pas besoin que Dieu prenne patience avec
lui! Disons donc souvent à Dieu comme ce
débiteur de l'Evangile : Patientiam habe in
me. [Matlh., XVliL 29.)
Cependant, ô mon Dieul quelque admi-
rable et doux que soit ce premier caractère
de votre miséricorde, s'il était seul, il ne
serait que glorieux pour vous sans être
utile à l'homme pécheur. En vain vous at-
tendriez le pécheur téméraire; votre pa-
tience ineffable l'enhardirait au crime, si
aux lenteurs à le punir vous n'ajoutiez
l'empressement à le rappeler, second ca-
ractère de la miséricorde, confirmatif du
premier, mille fois plus touchant encore,
et tracé en traits de flammes à toutes les
pages des Ecritures. Grands exemples, pa-
roles énergiques, douces images, tout nous
y dépeint à chaque page les empressements
du Dieu de bonté.
Consultons, en effet, les Ecritures, et
nous y verrons d'abord que le premier
Ihéûtre du péché fut le premier théâtre de
la miséricorde. Dieu n'appelait Adam pé-
cheur, d'une voix menaçante, que pour en-
tendre de lui une réponse de repentir; et
si, au lieu d'une réponse de repentir et de
douleur. Dieu n'entendit de la bouche de
l'homme que la vaine réponse d'une justifi-
cation fausse, de qui l'homme eul-il à se
plaindre, si ce n'est de lui-même?
Consultons les Ecritures, et nous y ver-
rons que le premier meurtrier de la terre,
tout odieux qu'il était, fut le plus tendre-
ment appelé par la miséricorde ; et si le
fratricide Caïn se précipita, après son crime,
dans les ténèbres du désespoir, peut-il se
plaindre qu'on lui eût refusé les douces lu-
mières de l'espérance, l'offre de la grâce ot
du pardon?
Consultons les Ecritures, nous y verrons
913
CONFERENCES. — I, SUR LA MISERICORDE.
yti
qu'avant le déluge Dieu fit avertir pendant
cent ans les lioinmes coupables.
Consultons encore les Ecritures, nous y
verrons que longtemps avant de faire
i^clater sa vt-ngeanco sur des villes coupa-
bles, Dieu leur envoya un juste pour les
rappeler par ses exemples et ses discours.
La veille mùme du jour où la vengeance
doit éclaier sur ces villes infâmes, le ciel
parle encore par des prodiges; il envoie
deux anges, les ministres de cette bonté qui
a|)pelle l'homme pécheur jusqu'au dernier
instant...
Consultons enfin les Ecritures, nous y
verrons que, pendant vingt siècles, la na-
tion juive tout entière fut une preuve con-
tinuelle des empressements divins à rap-
peler les pécheurs. Toujours, au même
instant où cette nation devenait coupable.
Dieu lui suscitait des hommes de sa droite,
des hommes de miséricorde et de pais, jiour
l'inviter au repentir; et l'on peut délier
hardiment dans l'histoire de cette nation,
dans l'histoire de la religion entière, l'on
peut défier de montrer un seul exetn|»le de
punition marquée qui n'ait pas été précédé
par de fréquentes invitations.
El si des exemples généraux nous pas-
sions aux faits particuliers, quel champ
s'ouvrirait devant nous! Que d'exemples
innombrables des invitations les plus dou-
ces pour les plus grands criminels, après
les plus grands crimes 1 .. Quel crime que
celui de David, si favorisé de Dieu, et de-
venu tout à la fois adultère, homicide du
plus fidèle de ses sujets! Quel aveuglement
dans le crime ! Près d'une année s'est écou-
lée sans repentir, et presque sans remords;
et cependant quelle douceur dans le Dieu
qui rappelle; quels ménagements, quelle
adresse miséricordieuse pour rappeler plus
sûrement! les reproches sont cachés dans
la bouche du prophète sous le voile d'une
|)arabole; il faut que David se condamne
sans se reconnaître, afin qu'il se trouve
sans excuse après s'être reconnu; toute la
tendresse des hommes inveola-l-elle jamais
une plus douce invitation?
Quelles odieuses prévarications que celles
de tant de rois d'Israël et de Juda ! Quels
pécheurs que les Jéroboam, les Achab, les
Jorairi, les Ochozias, les Sédécias, les Ma-
iiassé 1 Quels scandales, de la part de ces
lois, pour les peuples témoins de leurs ex-
cès I Quelle corruption dans les peuples
qui vivent sous ces rois ! Et c'est précisé-
ment au milieu de tant d'excès et de crimes
que Dieu fait entendre, par la voix de ses
|)rophèles ces louchantes invitations que
nous lisons encore dans leurs divins écrits,
que nous ne pouvons lire sans ôlre émus,
sans admirer et bénir l'inelfabie empresse-
ment de la bonté qui les inspire.
Mais tous ces laits éclatants, généraux
ou particuliers, tous ces exemples connus
cl publiésdes divines miséricordes, ne sont-
ils pas des preuves sensibles des ojiérations
secrètes el journglières de ces mêmes mi-
iéricoides à l'égard de cha'j[ue pécheur?...
Et, certes, quel est le pécheur qui ne les
connutjamais*, ces opérations secrètes, ces
touchantes invitations? S'il en est un seul,
qu'il se lève, qu'il donne en ce moment le
démenti à mes paroles ; s'il est assez hardi
[)0ur l'entreprendre, qu'il dise s'il n'entendit
jamais la voix du reproche et du remords
retentir au fond de son cœur. Mais qu'est-
ce que le reproche et le remords, sinon la
voie de la miséricorde et de la grâce qui
invile l'homme au repentir? En combien
de manières différentes celte miséricorde
ineffable, et la grâce de son inter|)rèle parle
tous les jours ! Que de formes variées elle
prend 1 Que de langages divers elle em-
prunte pour se faire entendre à tous et à
chacun en particulier I Avec quelle dou-
ceur elle se plie aux caractères et aux
mœurs, aux faiblesses et aux défauts! Elle
ébranle les uns par des terreurs salutaires ;
elle détache les autres oar d'utiles dégoûts ;
elle frappe celui-ci par des disgrâces heu-
reuses ; elle prépare dans celui-là la guéri-
son de l'âme par l'infirmité du corps; elle
choisit les moments favorables, elle les
fait naître, elle en profite; elle demande
peu pour accorder beaucoup; elle garde
quelquefois un silence ménagé avec art,
pour rendre bientôt après ses invitations
plus frappantes; elle se tait pendant un
temps pour parler ensuite plus haut et obli-
ger le pécheur d'être plus attentif; elle ne
se lait jamais absolument; elle parle au
pécheur le plus odieux ; elle parle jusqu'à
la fin; elle appelle jusqu'au dernier instant.
Sa voix louchante et douce se mêle pres-
que toujours aux derniers soupirs même
de l'iniquité... On dirait, ô mon Dieu! que
vous avez besoin de l'homme; on dirait
que votre bonheur dépend de son retour,
tant vos recherches sont constantes et vos
poursuites empressées.
Et de là, mes frères, de là ces images in-
nombrables si fréquemment présentées dans
les Ecritures, et oiî nous voyons employer
tour à tour, pour peindre les empressements
de la miséricorde, tout ce que la nature
offre de plus naïf, déplus sensible et de
plus tendre. Tantôt c'est un maître désolé
de la dispersion d'un troupeau qui faisait
toute sa richesse; il appelle à grands cris
ses brebis fugitives; il s'empresse de les
ramener au bercail; il promet de guérir
leurs blessures, d'élancher leur sang, de
fortifier leur faiblesse : Quod perlerai re-
ducam, quod confractum alligabo (Ezech.,
XXXIV, 16); tanlôl c'est un ami fidèle qui
frémit sur le dangeroùil vientd'apprendre
qu'est exposé son ami. L'amour alarmé,
inquiet, chasse le sommeil loindesesyeux ;
il prévient le lever del'aurore ; il va frapper
à la porte de celui qu'il aime; il trouble à
grands cris un repos funeste; il n'eslpoint
de paix pour son cœur, qu'il n'ait pourvu
à la coMservalion des jours qui lui sont
chers : Ainicus maneconsurgens. Ici c'est un
père tendre qui a pitié de la jeunesse de
ses enfanls, qui connaîileur témérité, qui
les avertit, les reprend , les châtie avec
ni3
ORATEURS SACRES. RIBIER.
0!6
iimonr : Quomodo mixeretiir pater filiorum.
{Psal. Cil, 13.) L^ c'est une mère alteiilive
qui ne snurait oublier le fruildeses entrail-
les, qui veille sur un faible enfant, qui le
suit du cœur et de l'œil, observe toutes ses
<lémarclies, se trouble en le perdant de vue,
cent fois le rappelle dans son sein, toujours
prêle à courir elle-même à la seule ombre
du danger : Nunquid oblivisci potest mulier
infanlem suum, ut non misereatur... ego la-
men non obliviscar lui. {Isai., XLIX, 15.)
Ailleurs, le Seigneur est représenté sous
le symbole d'un époux déshonoré, outragé
par une épouse perfide. L'homme pécheur
est représenté sous le nom de cette épouse
infidèle et hardie, qui a donné à ses désor-
dre.*- une publicité scandaleuse. Les hom-
mes ne pardonnent pas de tels outrages;
l'amour irrité devient fureur; mais les
sentiments de Dieu ne sont pas ceux des
hommes...... Infidèle Israël, perfide Juda,
reviens, s'écriait -il par la voix de ses
prophètes : Revertere , aversatrix Israël :
reviens à ré()0ux de ta jeunesse, il Je
rappelle encore, il conserve pour loi une
inclination d'amour ; il oubliera tes per-
fidies, il te rendra son cœur, il (e rendra
jusqu'aux ornements de ta [ireraière inno-
cence : Oblivisceris pudoris adolescenliœluœ.
(Jer.y 111, 12.)
Quelles images, mes frères, quelles ima-
ges 1 quels traits, ô mon Dieu I pour vous
représenter! Si nous avions eu l'audace de
les choisir, n'auriez-vous pas eu le droit
de les condamner et de nous dire : Hom-
mes téméraires, pourquoi m'avez-vous dé-
gradé? 5 qui m'avez-vous comparé? Cui
aciimilaslis tnc? {Isai., XLVI, 5.) Mais c'est
vous. Seigneur, qui les avez choisis ces
traits en apparence si indignes de vous ;
c'est vous qui n'avez pas craint d'être dé-
gradé par eux, pour rappeler par eux le
pécheur plus doucement. Ce sont vos mi-
nistres qui, par vos ordres, ont répandu
dans leurs écrits' ces traits louchants de
vos miséricordes 1 Que dis-je! c'est votre
Fils adorable, c'est l'envoyé de la miséri-
corde par excellence, c'est Jésus lui-môme
qui a présenté ces traits dans ses discours,
qui les a chargés el embellis de Irails plus
doux encore; c'est Jésus qui s'est peint
comme un }>asteur aliligé, inconsolable,
non lias seulement de la perle de tout le
troupeau, mais de l'égarement d'une seule
des ouailles; c'est Jésus qui a peint son
empressement à rechercher le pécheur
sous les traits a'une veuve indigente qui
cherche avec inquiétude la pièce de mon-
naie qu'elle a perdue; c'est Jésus qui s'est
appelé le médecin des âmes, spécialement
envoyé pour guérir leurs blessures ; c'est
Jésus lui-même qui a daigné se représenter
(le père du prodigue) sous une image plus
douce, plus naïve que toutes celles que je
viens d ollrir, lorsqu'il s'écriait avec une
si vive douleur : Jerusalcm,'Jcrusnlem,quo-
tiesvolui congrcyare jilios tuos queiniiUuio-
dum gallina conyrcgat pullos suos subulasi
(/Waf{/i., XXIll, 37.) Quelles paroles, me
fièrps t qui me donnera d'en faire compren-
dre l'énergie? qui pourrait y être insensi-
ble?
Car, l" ce n'est point ici directement un
reproche dans la bouche de Jésus, c'est
une douce plainte ; ce n'est pas le mou-
vement d'une sainte colère, c'est un souve-
nir douloureux , qui semble subitement
inonder son âme attendrie. 2° Pour mieux
exprimer sa douleur, Jésus emploie le trait
le plus naïf qui soit dans l'ordre des choses
sensibles; il compare un peuple criminel à
de faibles oiseaux qui vont devenir la proie
d'un animal ravisseur, et que leur mèreap-
pelle en vain pour les défendre; il se com-
pare lui-même à celle mère inquiète; il
compare ses discours aux cris perçants et
douloureux que l'instinct de mère lui arra-
che; il s'atllige et gémit de leur inutilité,
3° Jésus ne dit pas : Jérusalem, je t'ai ap-
{•elée une fois ; mais il dit avec vérité et
transport : Combien de fois... aQaotiesvolui, »
combien de fuis j'ai voulu rassembler tes
enfants! parole remarquable el sacrée dans
le sujet que nous traitons. Combien de fois
Dieu a[)pell8 chaque [)écheur personnelle-
ment!.... combien de fois Jésus appela
les Juifs ! Quoties volui congr égare filios
luos'J
El certes, mes frères, que fui la mission
de Jésus tout entière, telle que l'Evangile
nous la présente, sinon un accomplisse-
ment littéral el continuel de ces paroles?
un exercice continuel, une image sensible
de cette miséricorde ineffable qui|rappelle
les hommes pécheurs? Quelle bonté ce ten-
dre Sauveur fil toujours paraître envers les
pécheurs qui l'environnaient! Le scandala
même des péchés les |)lus cclalanls ne le
rebutait point : comme il se laissait habi-
tuellement aborder, consulter, interroger!
par qui ? par des pécheurs. Comme il leur
répondait avec douceur! comme il les in-
vitait en général ! comme il les prévenait
quelquefois en particulier! Il entrait dans
leurs maisons; il s'asseyait à leurs tables;
il ne dédaignait pas de manger avec eux ;
il fallait bien que sur ce point il y eût dans
sa conduite un singulier caractère de faci-
lité et d'indulgence, puisque les scribes et
les pharisiens, ces justes prétendus de la
synagogue, en firent à Jésus un sujet spé-
cial de reproche, qu'ils n'avaient pas fait au
précurseur de Jésus, quoiqu'il annonçât
comme lui la pénitence : re[»roche par con-
séquent auquel n'avait pas donné occasion
la conduite du précurseur, plus sévère sans
doute el moins compatissante envers les
pécheurs que la conduite de Jésus.;
Mais reproche injuste el faux, criminel
el vain, auquel Jésus ne répondit jamais
que par des exemples toujours ,plus mulli-
[tiiés de miséricorde el de tendresse... tMi-
séricorde envers Zachée et tant d'autres
publicains que Jésus n'appela auprès Je
lui que pour les changer en des hommes
justes, équitables, charitables el détachés.
Miséricorde envers la Cananée infidèle,
que Jé.'^us n'appela par ses prodiges que
917
CONFERENCES. — II, ACCORD DE LA JUSTICE AVEC LA MISERICORDE,
918
pour la changer en une Israélite fervente.,.
Miséricorde envers la pécheresse de Jéru-
salem, que Jésus défendit des reproches
pharisaïques, et changea en une victime de
l'amour divin... Miséricorde envers la pé-
cheresse de Saraarie, que Jésus n'attendit
et n'invita doucement par son entretien
que pour la changer en apôtre du Messie...
Miséricorde envers Pierre, que Jésus n'afi-
pela par un regard d'amour que pour chan-
por ce disciple apostat en un péuitent sin-
cère... Miséricorde enfin inetTahle, inexpli-
cable envers le perfide apôîre qui le trahit.
Jésus choisit et appelle l'odieux Judas,
malgré la prévoyance de son crime; Jésus
pendant trois années supporte l'odieux Ju-
das, malgré la connaissance de ses premiers
crimes; Jésus plus d'une fois ménage l'o-
dieux Judas, môme en montrant qu'il con-
naît le crime; Jésusappelle, avertit, mena-
ce l'odieux Judas au moment qui précède
le dernier crime; Jésus enfin appelle, in-
vite encoie, au iDoment môme oii le crime
est commis, il fait entendre un doux repro-
che, il donne à Judas.le nomd'ami, lorsqu'il
ne mérite que celui de traître.... Conce-
vons, mes frères, s'il est possible, un em-
j)ressementplus tendre, une plus touchante
bonté, et concluons avec la certitude de la
foi, que Jésus, étant la splendeur de Dieu,
le Verbe fait chair, l'image consubslan-
tielle du Père des miséricordes, le Père des
miséricordes nous offrait donc dans les ac-
tions de Jésus une preuve sensible etcon-
vainquantedo son empressement journalier
à rappeler les pécheurs, chaque pécheur
en particulier. Concluons, avec la certitude
de la foi, non-seulement qu'il n'est point
de pécheur qui ne soit l'objet de celle mi-
séricorde, patiente et lente dont j'ai déjà
parlé, mais encore qu'il n'en est point en-
vers qui Dieu n'exerce avec plus ou moins
d'étendue celte miséricorde empressée à
rappeler, dont la vie de Jésus nous oUreles
exemples continuels, le modèle ell'image :
Jésus splemior suOstanliœ Dei. Jtsus imayo
bonilulis illius.
CONFÉRENCE 11.
ACCOUD DE LA JUSTICE AVEC LA MISÉBI-
COBDE.
Juslilia et pas osculatae sunt. {Psal. LXXXIV, It.)
La miséricorde et la justice se concitietU en Dieu
Si Dieu le Père se nomme, dans les Ecri-
tures, lu Pèie des miséricordes par excel-
lence, leDieu de toute ( o: solalion : Paler mi-
^ericordiaruin, Ueus tolius consolationis (IJ
Cor.,1, 3), il s'appelle aussi le juste Juge, le
Dieu vengeur : Judex justus. Nous devons
dunc.en parlant des miséricordes du Seigneur,
ne jiorter aucune aileinte à sesjusiicesel à se.s
vengear:ces, parce que, si la justice ne dé-
liuit point la miséricorde, la miséricorde
non plus ne saurait déli uue la justice. Mon
intention est donc, aujourd'hui, de concilier
ou plutôt de justifier les (erreurs de la foi
par lescaiaclères de la miséricorde, patiente
cl empressée, dont nous .' vous parlé dans
l'instruction précédente. Et ici, mes frères,
je vous invite à ne rien perdre d'une dis-
cussion importante; nouvelle pourplusiours,
consolante pour tous'; nécessaire même au
plus grand nombre, surtout dans le siècle
où nous sommes.
Cflr remarquez quR si, par les objections
multipliées et répétées sans cesse contre les
vérités de notre religion sainte, il en est
mille et mille dont la seule droiture fait
sentir au premier coup d'oeil la foiblesse et
la fausseté, il en est aussi de singulièrement
dangereuses , propres ^ troubler et h sé-
duire même la foi des simples; telles sont
surtout celles qu'on fait tous les jours contre
l'élernilé des peines, 11 est donc de mon
ministère el de mon devoir de les réfuter
par le tableau des miséricordes divines, tel
que nous l'avons présenté.
Première objection. La première et une
des plus importantes objections est que les
miséricordes de Dieu ne sauraient se con-
cilier avec cette justice rigoureuse qui punit
une seule faiblesse d'un seul moment, par
des châtiments éternels.
R, Développons, mes frères, l'objection
par la supposition d'un solitaire qui, ayant
vécu plusieurs années saintement, se trouve
sur[)ris tout à coup par un objet qui le sé-
duit; il conçoit un désir criminel ; à ce mo-
ment même un accident imprévu le frappe.
Le voilà jugé, condamné, réprouvé Oii
est ici la miséricorde? N'y a-t-il pas une
cruauté, une justice trop sévère dans le Dieu
qui punit ?.. Ainsi parlent tous les jours les
ennemis de la foi. Vous les ave/, entendus;
je les ai entendus moi-môme plusieurs fois.
11 est donc temps de venger et de justifier
nos principes.
Non, mes frères, non ; à s'en tenir aux
paroles expresses de la supposition, nous
ne sommes point obligés de l'admettre. J'en
atteste, ô mon Dieu 1 vos paroles les plus
sacrées, nous devons même la nier dans
ses termes odieux. Je vous exhorte, mes
frères, à la nier en face de l'incrédulité
avec la fermeté de chrétiens instruits. Je la
nie moi-môme en ce moment, avec toute la
sainte liberté de mon ministère; je la nie
comme une supposition manifestement con-
traire à l'esprit de la religion et des divines
Ecritures. Pourquoi? parce que, comme je
l'ai démontré dans un précédent discours,
il n'est rien de plus formellement marqué
dans les divines Ecritures que l'universalité
de la miséricorde, patiente el lenteà punir,
pour tous les hommes sans exception. Or,
dans la sujiposilion dont il s'agit, ce soli-
taire, puni au premier instant où il serait
coupable, serait évidemuient excepté de cet
ordre miséricordieux et universel que les
Ecritures nous présentent; donc Dieu ne
permettrait jamais que dans la supposition
dont nous parlons, ce solitaire meure subite-
ment dans l'état où on le suppose. Donc
cette su|)position el cent autres semblables
iie sont dans la bouche de l'incrédulité que
des su|)posi lions calomnieuses et fausses,
contraires aux paroles les plus expresses
D19
ORATEURS SACRES. RlBlER.
520
des écrivains sncrés. Dieu a pilié de tous;
son esprit est doux pour tous: Dieu nous
épargne tous; il dissimule les péchés de
tous ; il veut la conversion de tous ; il donne
à tous le temps et les moyens do faire |)éni-
tence : Misereris omnium, dissimidans pec-
catn nolens aliquos perire. Dons lempus
et locum pœnilentiœ. (Sap., XI, 24.)
Remarquez cependant, mes frères, qu'en
déployant ici les miséricordes du Seigneur,
je suis bien éloigné de mettre à sa justice
des bornes hardies el arbitraires ; et Dieu
me garde d'ouvrir les cœurs au péché, de
jeier dans les âmes une sécurité trompeuse,
une funeste présomption; car, remar:iuoz
que, si j'appelle la supposition dont il s'agit
calomnieuse et fausse, il n'en est pas moins
vrai qu'elle pourrait cesser d'être claire-
ment opposée à l'esprit de la foi en y
changeant des circonstances. Si donc, par
exemple, ce solilaire dont nous parlons
avait quitté sa solitude sans nécessité et
sans l'ordre de la Providence, s'il s'était ex-
posé au danger contre tous les remords de
sa conscience, s'il avait plusieurs fois mé-
prisé les avertissements de la grâce, qui le
pressait de fuir le danger; dans ce cas, il
peut, j'en conviens, tomber subitement
entre les mains de la justice; mais alors il
serait faux que le Seigneur eût été sans mi-
séricorde pour lui ; il serait faux que Dieu
punit en lui une faiblesse d'un instant par
des châtiments éternels, puisque la divine
miséricorde se serait montrée envers lui si
tendrement pour l'empêcher d'être criminel;
puisque son crime formerait un tout comme
celui du traître Judas, et que son crime
serait précédé de tant de résistances fré-
quentes, constantes et obstinées.
C'est ainsi que, dans les principes de la
foi, se concilient la justice et la miséri-
corde ; c'est ainsi que la foi , en consolant
l'homme d'une part, lui laisse d'autre [lart
une terreur salutaire , et souvent nécessaire
à sa fragilité: car, si l'on pouvait assurer,
si l'on osait assurer qu'un premier crime
n'est jamais puni , quelles funestes consé-
quences naîtraient bientôt de celte doc-
trine 1 Combien de cœurs présomptueux
seraient enhardis au péché, et comme ten-
tés invinciblement d'être du moins pour la
première fois impunément criminels !.. Mais
non, il n'en est pas ainsi, et la religion,
par sa doctrine, arrête et prévient cet abus.
L'enseignement de la religion est infiniment
doux et sage tout ensemble ; infiniment
doux, lorsqu'elle dit que tout homme pé-
cheur est l'objet de la miséricorde , patiente
à punir, empressée à rappeler; infiniment
sage, lorsqu'elle ajoute que celte miséri-
corde patiente et empressée peut se mon-
trer avant le crime, si tendrement et si
pleinement, qu'après le crime elle cède la
place à la justice ; et par conséquent, comme
il n'est point pour l'homme d'olfense griève
<jui ne soit précédée des invitations de la
miséricorde , il n'est point aussi pour
l'homme d'oifence griève et mortelle qu'il
lie puisse et ne doive craindre comme un
principe de réprobation possible, absolu-
ment et rigoureusement.
Ici, mes frères, admirez et aimez cette
religion qui, sans désespérer l'homme fra-
frile et faible par trop de rigueur, n'en-
hardit cependant pas l'homme présomp-
tueux par trop d'indulgence. Quel œil stlr
et perçant aurait su trouver ces ménage-
ments sages et doux, ces tempéraments de
terreur et de bonté , si nécessaires à l'homme
pour tenir son cœur toujours tremblant
avant le crime , afin de l'arrêter; toujours
espérant après le crime, afin de le rappe-
ler?
Deuxième objection. Mais comment con-
cevoir que Dieu , avec une si grande misé-
ricorde, punisse d'un châtiment éternel un
être aussi faible que l'homme? Cet homme
si faible n'est-il pas plus digne de pilié que
de colère? Et oii est donc la miséricorde
avec une rigueur si excessive?
R. Voici , mes frères , un langage qu'on
entend répéter tous les jours par les enne-
mis de la religion; mais s'il est bien plus
dangereux , plus séduisant que le premier,
il n'en est pas moins fiiux. Ici , mes frères,
renouvelez votre attention ; car il ne s'agit
pas uniquement ici de réfuter el de con-
fondre l'erreur, il s'agit surtout de nous
instruire nous-mêmes ; il s'agit de nous
former des idées nettes et précises sur un
des points les plus importants, l'accord des
miséricordes du Seigneur avec ses justices;
il s'agit de fixer, de déployer en nous ces
sentiments de crainte et d'espérance tem-
pérés l'un par l'autre, qui forment propre-
ment notre état ici-bas.
Vous dites donc que l'homme csi un être
bien faible, mais si faible, qu'il est bien
plus digne de pitié que de colère?... J'en
conviens avec vous; et, certes , en parlant
ainsi vous ne parlez pas contre la foi ; je dis
plus , c'est que la foi nous fait encore mieux
connaître que vous la faiblesse de l'homme.
Oui ,oui, l'homme est un être bien faible;
et j'appelle faiblesse celte difiîculté que
l'homme éprouve à faire le bien que la re-
ligion et la raison commandent. L'homme
est un être bien faible par l'esprit, par les
lumières, par le cœur, pur la volonté , par
l'imagination et par les sens ; et souvent la
liberté affaiblie n'oppose à tout l'allraitdu
mal que les forces chancelantes d'un ma-
lade languissant , exténué, épuisé... Vou-
lez-vous des textes de l'Ecriture pour con-
firmer ces aveux sur la faiblesse de l'homme,
en voici un qui les renferme tous ; il est
émané de la bouche de Dieu môme : Proni
sunl sensus hominis ab adolescentia in malum
[Gen. , VIII, 21), c'est-'i-dire , la nature
spirituelle do l'homme, enchaînée aux sens
el à la matière, a un corps de péché; la
nature do l'homme penche vers le mal
comme un édifice ruineux incline vers sa
chute; l'homme tend au mal par son propre
poids comme une pierre tend vers sa
chu le: Proni sunt , etc.
Mais après ces aveux si frappants sur la
faiblesse de l'homme , refuserez vous de
921 CONFERENCES. — II, ACCORD DE L
donner à riionnne , de reconnaître en lui
les forces qu'il peut avoir?... N'est-il pas
vrai (1UC loiit faible qu'il est, il porte des
princii)es de droiture , de force et débouté,
et que, s'il est capable d'être surpris par la
fragilité, il est aussi capable d'être éclairé
par les cliutes mômes de sa fragilité, capa-
i)le de s'instruire par l'expérience de sa
faiblesse, d'en prévenir les surprises, d'en
éviier les occasions, d'apprendre h les pré-
venir? N'est-il pas capable, surtout avec la
grâce, de retour \ers le bien par le repen-
tir, le remurds et les lumières qui condam-
nent la passion calmée?
Or, si riinmme, lorsque la passion est
calmée, résiste aux lumières, au repentir,
aux remords, s'il n'écoule ni le remords
pour se condamner, ni le repentir pour s'af-
lliger, ni ses lumières pour s'éclairer, ni
son expérience pour se réformer et préve-
nir sa faiblesse, ses surprises , sa passion
et son emportement, je vous le demande,
riiomme dans cet éiat est-il simplement un
être faible? Ne commence-t-il pas à devenir
un être méchant et dépravé [)ar sa faute ;
lin être plus ou moins méchant , selon que
la passion a été plus forte , les lumières
l)lus vives après la passion, le cri des re-
mords plus impérieux, la voix de la cons-
cience plus tonnante , les résistances plus
constantes?
Dites-moi, ne sonl-ce pas les principes
de la saine raison sur lesquels vous jugez
tous les jours des égarements de vos en-
fants, de l'indocilité de vos inférieurs, des
emportements de vos égaux , des caprices
injustes de vos raaîlres, des fautes fie vos
serviteurs , des loris de vos amis? N'est-ce
pas d'après ces principes que vous vous
jugez vous-mêmes , que vous désirez que
les autres vous jugent? Si l'on s'écarte de
ces (irincipes. ne criez-vous pas à l'injus-
tice? Si l'on s'y conforme, n'entendez-vous
pas en vous une voix saorée qui les ap-
prouve? Eh bien, c'est précisément, c'est
uniquement sur ces principes que Dieu
juge les hommes dans la doctrine de la foi
sur les divines miséricordes.
D'après ces principes, Dieu, qui est infi-
nimenl bon, mais qui est aussi essentielle-
ment saint, juste , condamnant le mal , ne
peut donc, sans se renier lui-même , aimer
une créature coupable , méchante , obstinée
dans sa malice. Dieu ne peut donc, ne doit
donc aimer une créature coupable qu'au-
tant qu'elle peut cesser de l'être, et qu'elle
conserve encore pour cesser de l'être, un
fonds d'inclination , de volonté et de désir...
Et nous ne craignons point de dire que Dieu
impute moins à l'homme l'emportement de
la |»assion qui le fait pécheur, que la résis-
tance aux remords qui l'empêche d'être
pénitent. Dieu hait monis dans l'homme le
|)éché que la constance dans le [léché. Plus
il y a dans l'homme pécheur de fragilité et
de faiblesse , et plus il y a d ms Dieu de mi-
séricorde , de ménagemenl, de compassion.
Comme aussi plus il y a dans l'homme
pécheur dobsiiualion ei de consiaiicc, plus
S. JUSTICE AVEC LA MISERICORDE.
922
il y a dans Dieu Je colère, de justice et
de haine; et Dieu ne devient enfin pour
l'homme pécheur uniquement sévère et
juste qu'au moment où l'homme lui-même,
mourant dans le péché, devient unique-
ment méciiant. De sorte que, remarquez
ceci, je vous prie, dans l'économie des
desseins de Dieu sur l'homme, el d'après
les principes de la foi, l'homme est une
créature faible, destinée sur la terre à ré-
parer, par le secours de la miséricorde, son
être dégradé, ou à le dépraver entièrement.
L'homme sur la terre devient tous les jours
ou meilleur qu'il n'est sous l'empire de la
miséricorde pour être un jour éternelle-
ment bon ; ou il devient plus méchant qu'il
n'est , et même formellement méchant ,
par sa faute, pour l'être aussi dans l'éler-
nilé.
Et c'est ainsi que se concilient la justice
el la miséricorde. La miséricorde est pour
la faiblesse, la justice pure pour la mé-
chanceté pure, li n'est donc pas vrai , dans
les prificipes de la religion , que Dieu pu-
nisse éternellement l'homme considéré
commefaible ; il ne punit ainsi que l'homme
considéré comme méchant.
Ecoulez donc, mes frères, et instruisez-
vous de notre religion pour vous défendre
des calomnies injustes dont on veut la noir-
cir. Si nous disions à l'homme que, malgré
sa dépravation et sa faiblesse, sans secours
pour sa faiblesse, sans pitié pour sa fai-
blesse. Dieu le menace de châtiments éter-
nels, vous pourriez être légitimement ef-
frayés; mais ce n'est point là mon langage,
elje ne montre à l'homme les justices du
Très-Haut qu'après lui avoir montré ses
immenses miséricordes. C'est, nous lui di-
sons tous les jours, précisément [)arce que
l'homme est faible, qu'un divin libéialeur
lui a été donné pour réparer ses crimes et
défendre sa faiblesse... C'est parce que
l'homme est faible qu'en vue de ce divin
Réparateur il reçoit tant de lumières, tant
de grâces, pourvu qu'il veuille les désirer,
les demander. C'est , enfin , jiarce quo
l'homme est faible que Dieu lui fait tant
d'invitations, lui ménage tant d'instructions,
d'avertissements, de remèdes, de sacre-
ments, de secours pour sa faiblesse; qu'en-
lin toute la religion entière n'est qu'une
religion de miséricorde.
Mais si après tous ces ménagements <Je
miséricorde l'homme làible par sa nature
n'a do force que pour outrager son Dieu,
si dans son inconstance il n'a de fermeté
que dans le mal ; si, attiré par tant de grâ-
ces, il ne résiste à l'attrait du bien que pour
suivre l'attrait du mal; si, méprisant sa fai-
blesse, il affronte tous les dangers; si par
malice il éloutfe les remords, rejette tous
les secours offerts à sa faiblesse el ne les
demande jamais; si enfin il abuse de cette
patience miséricordieuse qui attend sa fai-
blesse, dans cet étui, je vous le demande,
!'hoiiim(! n'est-il [)as méchant, cl ne devient-
il [)as pour son Dieu , non un objet de mi-
séiicorde, mais un objet de justice? ot au
923
ORATEURS SACRES. RIBIER.
92J
grand jour du jugeraenl Dieu, justifiant ses
éternelles justices par ses immenses misé-
ricordes, ne soriira-t-ii pas à son égard
vainqueur dans ses jugements ? Ut juslifi-
ceris et vincas cum judicaris, [Psnl. L, 6.)
Il est donc faux, et je ne saurais trop le
répéter, il est donc faux que Dieu punisse
éternellement l'homme faible considéré
comme faible. II est vrai , au contraire,
exactement vrai, il est de foi que Dieu, en-
chaînant d'abord absolument sa justice par
sa miséricorde, n'a pendant des temps et
dos temps que patience et bonté pour
l'homme faible et pécheur, tout coupable et
pécheur qu'il est lorsqu'il n'est pas encore
raéuhant. Il est de foi que Dieu, réglant sa
justice par sa miséricorde, ne devienljuste
et terrible pour l'homme pécheur qu'en
proportion que l'homme pécheur cesse
d'être faible et devient méchant ; enfin il
est de foi que Dieu ne devient éternelle-
ment juste et terrible qu'au momentoùle
pécheur cesse d'être faible pour devenir
éternellement méchant.
Troisième objection. Mais luiiiir éternel-
lement ? Il faudrait que le pécheur pût de-
venir éternellement méchant.... Oui, sans
doute, il le peut.... Il le devient lorsqu'à
force de faire le mal il perd tout amour du
bien, il ne veut plus le bien, il ne voit plus
même le bien , il désire du moins ne plus
voir le bien : c'est l'état du plus grand
nombre de ceux qui perdent [)armi nous la
foi.... L'homme devient éternellement mé-
chant, lorsque, sans cesser de voir le bien,
il ne lèvent plus que d'une volonté appa-
rente et fausse, d'une volonté trompeuse ;
c'est l'élal des pécheurs obstinés qui con-
servent encore la foi ;... et lorsque la justice
divine frappe du coup de la mort des [)é-
cheurs de ce caractère, ce n'est, à le bien
prendre, ni lajuslice, ni la mort qui les fixent
dans le péché; elles les y trouvent l'une
et l'autre déjà fixés par leur obstination ; et
par conséquent, ne pouvant plus élre que
les objets d'une haine éternelle, puisqu'ils
sont éternellement méchants.
Voulons-p.ous une confirmation sensible
de cette vérité profonde? nous la trouvons
dans les fiaroles du souverain Juge lui-
même dans la dernière sentence qu'il por-
tera contre les réprouvés : Ite, maledicti ,
in ignem œternum qui paratus est diabolo et
angelis ejus. [Malth., WV,kl.)Oiii, lorsque
l'homme, inconstant et faible par sa nature,
aura étouffé, méprisé ces germes, ces se-
mences de miséricorde qui devaient servir
à le soutenir contre sa faiblesse, et se sera
fixé comme les mauvais anges dans la ré-
bellion et l'obstination ; alors devenu sem-
blable aux mauvais anges, il sera puni
comme les mauvais anges et condamné avec
eux à des feux éternels : Ite, maledicti.
Quatrième objection. Mais pourquoi tel
pécheur est-il frappé tout à coup par la
justice, tandis qu'il ne nous perait encore
«lue faible, tandis que par la miséricorde
tel autre est encore épargné qui nous parait
plus méihaut que faible 1.... Questions im-
pénétrables sur lesquelles il n'appartient
cju'à Dieu de répondre.... Nous sommes
juges incompétents ; Dieu seul scrute les
cœurs et les reins.... Sans juger les faits
particuliers, il nous suffit de connaître les
principes généraux.... Cependant il est des
lumières que Dieu donne à l'homme : lu-
mières générales qu'il est utile, nécessaire
même de consulter, et d'après lesquelles
nous pouvons raisonner... Or, d'après ces
lumières, combien de pécheurs que nous
connaissons et pouvons connaître, qui ne
peuvent plus être appelés des êtres faibles,
trompés, séduits, entraînés par la passion,
mais des êtres méchants et intimement dé-
pravés.... car, je le demande, par exemple,
sont-ils faibles ou méchants ces hommes
atroces et sanguinaires qui, à force de cri-
mes, étoulfant les remords, répandraient le
sang humain comme l'eau, et innonderaient
la terre de sang, si la justice humaine, en
s'emparant de leur personne, ne venaitmet-
Ire un terme à leurs forfaits? Sont-ils fai-
bles ou méchants ces hommes injustes en-
richis depuis tant d'années iiar d'odieuses
rapines, que les lois civiles n'ont pu attein-
dre? Est-il faible ou méchant ce grand,
enflé d'orgueil, qui, loin de répandre dans
le sein du pauvre un superflu sacré, le
prive souvent d'un juste salaire sans que la
voix de sa conscience puisse le rappeler à
des idées plus généreuses? Est-i! faible ou
méchant cet époux perfide, ce père mal-
heureux, cette femme?... Enfin, sont-ils
faibles ou méchants ces pécheurs de tous
étals si communs de nos jours, qui n'ont
étouffé tous ensemble les plus pures lu-
mières de la religion et de la nature que
pour être tranquilles dans le péché, se jus-
tifier à eux-mêmes leurs propres péchés,
s'applaudir et triompher dans les excès de
leurs péchés?
Or, je vous demande, dans ces pécheurs
dont je viens de parier, ne commençons-
nous pas à découvrir non plus cette fragilité
d'un être inconstant et faible, objet des mi-
séricordes, mais cette éternité de malice
d'un être formellement dépravé?... Si ces
pécheurs ne sont point encore arrivés à ce
point fatal de dépravation qui est le terme
précis de la miséricorde , puisque Dieu les
attend et les supporte encore? ne sentons-
nous pas du moins qu'ils approchent tous
les jours de ce terme épouvantable, qu'ils
y touchent presque, et qu'un rien les sépare
de l'une et de l'autre éternité; éternité de
malice en l'homme, éternité de justice en
Dieu. Ici, mes frères, les justices du Très-
Haut, tout effrayantes qu'elles sont, ne
sont-elles pas, en un certain sens, com-
mentées, expliquées, justifiées par l'abus
des miséricordes et la malice élernelle du
pécheur?
Car, mes frères, en citant ici les pécheurs
de ce caractère au tribunal de Dieu, quelle
défense, quelle justification pourronl-ils
alléguer? Diront-ils qu'ils n'ont pas toujours
péché , qu'ils ne doivent pas toujours être
punis?... que leur crime est passé? que la
8S!
CONFERENCES. — II. ACCORD DE LA JUSTICE AVEC LA MISERICORDE.
y2tf
peine doil passer de môme? et ne vous
setnb!e-l-il pas entendre sortir du tribniinl
suiirême cette l'oudroyanle réponse : Si
vous n'avez pas toujours péché, lequel des
deux vous a manqué, le désir ou le temps ;
la volonté ou le pouvoir? Si vous aviez tou-
jours vécu, n'étiez-vous pas déterminé à
péclier toujours? ne formiez vous pas au
dedans devons l'exécrable désir de no ces-
ser jamais de vivre pour ne cesser jamais
de pécher?... Allez donc, pécheurs éternels,
allez .^ des tourments éternels : Ile, mals-
dicti, etc.
O vous qui refusez de croire une telle
sentence, et alfertez do la mépriser, vos
mépris ne sont pas des raisons. Essayez,
par précaution et [tour plus grande sûreté,
essayez de préparer d'avance la réplique
qtie vous pourriez faire à celte sentence
ainsi motivée, en la res^ardant seulement
comme possible; et si vous n'en trouvez
point la rép'icjue, si vous n'en trouvez que
de faibles et d'incertaines , apprenez du
moins à commencer h craindre; af)prenez
que si une telle sentence doil être pronon-
cée un jour, c'est à vous spécialement à qui
elle est réservée; apprenez à ne plus blas-
phémer les terreurs de la foi justifiée par
ses miséricorde-;.
Quant à nous, mes frères, enfants et dis-
ciples de la foi, que celte justification soit
fructueuse pour nous; vous surtout qui
m'écoutpz, et qui peut-être vous trouvez en
ce moment placés dans l'état du péché ou
dans cet état d'alternatives déplorables de
pénitences incertaines el de péchés trop
certains Chrétiens pécheurs, d'après la
doctrine que je viens d'exposer, quels sont
vos pensées et vos sentiments? Ne crois-je
pas entendre une voix secrète qui retentit
au fond de vos âmes ? Puisque le Seigneur,
dites-vous, est si miséricordieux, si com-
patissant, si patient, si empressé pour
J'horame faible, tout pécheur qu'il est, lors-
qu'il n'est pas encore obstiné dans le mal,
j'espère donc toujours dans sa compassion
pour ma faiblesse , et tant qu'il reste au
fond de mon cœur une étincelle de désirs,
une inclination vers le bien, je no dois pas
si fort m'effrayer, ra'alarmer; je n'ai pas à
craindre que dans sa colère Dieu me pu-
nisse comme méchant Paroles dange-
reuses, mesirères, dont je comprends toute
la force comme j'en comprends tout le
danger; car si ces paroles, dans une foule
de cœurs, partent d'un défaut de droilure
et de sincérité, ilaris une foule d'autres
elles sont un fond, un mélange de vérité.
Comment donc discerner l'un de l'autre ?
comment distinguer, surtout dans un pé-
cheur, une espérance vraiment chrétienne
en la miséricorde, d'une espérance fausse,
criminelle et présomptueuse? Le voici, mes
frères, le voici.
Vous dites, pécheurs, que vous êtes bien
faibles, et vous prétendez que tout ce que
je puis avoir avancé de plus fort sur l'ex-
cès de la faiblesse de l'homme, sur la vio-
lence des passions et la tyrannie du péché;
semble se réunir el se réaliser en vous,
vous le dites, et je le crois Mais si dans
cette faiblesse vous 'voulez conserver des
droits à l'espérance et ne pas devenir mé-
chants, voici le premier devoir qu'un être
faible doit remplir: c'est de désirer, d'ap-
peler, de solliciter le secours... Or, ce se-
cours, le désirez-vous , l'appelez-vous , le
demandez-vous? exposez- vous à Dieu vos
misères, vos passions? avez-vous des mo-
ments marqués de prières? priez- vous?
Surtout priez-vous en proportion de votre
faiblesse? Voilà le premier ordre, la pre-
mière invitation de la miséricorde.
Vous êtes faibles, je le crois; mais que
est le second devoir d'un être ifaible, sinon
de se défier de sa faiblesse, ainsi que je l'ai
dit, de s'éclairer, de s'instruire, surtout de
fuir et de craindre les écueils contre les-
quels si souvent échoua votre faiblesse. Or
ces écueils, les craignez-vous ? N'abordez
vous jamais le danger, et n'est-il jamais
pour vous des occasions de péché qu'il vous
est possible de fuir, qu'il vous est facile
de fuir, qu'il vous est souverainement né-
cessaire de fuir?Encore une fois les fuyez-
vous?
Vous êtes faibles, pécheurs, je le crois;
mais quel est le troisième devoir d'un être
faible, sinon de chercher des remèdes, des
préservatifs de sa faiblesse? Or ces remè-
des, les cherchez- vous? n'avez-vous point
remarqué que des occu|)ations utiles, un
peu de gêne sur vos sens, des privations
salutaires, une retraite plus sévère forti-
fieraient l'âme contre le péché... Voilà l'or-
dre de la miséricorde; mais cet ordre, le
suivez-vous?
Enfin, vous êtes faibles, dites-vous; mais
quel est le quatrième devoir d'un être fai-
ble, sinon de chercher une moin habile et
secourable qui le dirige et le soutienne ? Or
cette ruain seconrsbie, prolectrice et amie,
la connaissez-vous, l'acceptez-vous ? Elle
est là où vous la présente la miséricorde ,
là où l'Eglise vous presse de l'accepter, dans
le tribunal de la réconciliation el de la
pénitence ?
O vous, pécheurs ! si vous remplissez fi-
dèlement, constamment ces quatre ilevoirs
que je viens de vous présenter, espérez,
espérez en la divine miséricorde. Jl n'y a
dans votre espérance ni présomption , ni
erreur, ni mauvaise foi, ni témérité. Es-
pérez en la divine miséricorde; vous êtes
par excellence son objet : tout ce que j'ai
dit, d'après les Ecritures, est dit pour
vous.
Mais, hélas! loin de remplir ces devoirs
sacrés, de prière, de vigilance, de préser-
vatifs, de conseils, imposés à un être fai-
ble par le cri même de la faiblesse, ces
devoirs indispensables, si vous ne les con-
naissez pas, alors, [)écheurs, alors de quoi
puis-je vous répondre? de quoi pouvez-
vous prudemment vous répondre à vous-
mêmes? Vous conservez, dites -vous, un
fonds de désirs pour le bien ; mais qu'il est
à craindre que ce désir prétendu ne ao.l
î>-27
OUATEURS SACRES. RIBIER.
928
l'effet d'une volonté apparente et sans ac-
tion 1 Qu'il est à craindre qu'avec une vo-
lonté trompeuse, apparente, vous ne soyez
déjà formellement pécheurs ; vous ne soyez
bientôt plus un objet de miséricorde, mais
un objet de pure justice.
O Dieu des justices et 'des miséricordes 1
puissent vos regards perçants et infaillibles
n'apercevoir ici parmi nous aucun être mé-
chant, aucun être destiné par son orira« à
devenir éternellement méchant ; puissiez-
vous n'y apercevoir que des êtres bons. Si
vous y voyez des êtres encore bien faibles,
déterminez -les, ô mon Dieu! à devenir
bons par votre grâce, pour être un jour
éternellement bons dans le sein même de
votre gloire et do votre intinie bonté.
Ainsi soit-il.
DISGOLRSPOUR DES PREMIERES COMMUNIONS.
AVANT LA PREMIÈRE COMMUNION DES ENFANTS.
Le temple de Jérusalem est-il préparé
dans vos cœurs, mes chers enfants ? vos
âmes sont-elles ornéos de toutes les vertus
chréliermes plus précieuses aux yeux de
Di<;u que l'or dont furent couverts les ché-
rubins du sanctuaire? Avez-vous conçu une
légitime horreur du péché ? la grâce a-t-elle
sanctifié vos cœurs ? Voici Jésus-Christ ;
esprits, cœurs parfaits, jetez des yeuxd'ad-
miralion, de reconnaissance et d'amour sur
l'Auleur des perfections de la nature et de
la grâce. Pécheurs endurcis, éloignez-vous
ou venez dissoudre la glace de vos cœurs
aux approches d'un feu qui sait changer
lis pierres les plus dures en des corps |)lus
mous que la cire : voici Jésus-Christ. Tiè-
dcs dans le service de Dieu, pécheurs qui
vivez sans aimer Dieu et sans le haïr, sans
le servir et sans croire l'outrager, sans le
craindre et sans compter sur ses faveurs ;
voici Jésus-Christ. Que les enfants des Hé-
breux se dépouillent de leurs vêtements
pour honorer son passage, que le |)euj»le
jonche de branches la terre qu'il fuule de
ses pieds, que l'air retentisse des symboles
(le son triomphe, que les grands et les pe-
tits, que tous aillent au-devant de son en-
trée à Jérusalem, que mille voix confuses
prononcent le môme cantique d'honneur à
sa louange, que toutes bénissent celui qui
vient au nom du Seigneur: BenedicUis qui
venit in nomine Domini : hosanna in excelsis
[Matlh. XXI, 9); c'est l'elfetii'une joie coiu-
nuine, d'une surprise générale, d'une ad-
miration universelle et d'un respect le plus
authentique. Depuis [)eu de temps le Sau-
veur du monde avait ressuscité le Lazare
inhumé depuis qualrejours : la mémoire en
était encore récente ; une nombreuse po-
pulace rendant témoignage à ce miracle,
fdusieurs couraient à l'odeur des parfums
do l'Homme-Dien: Mandas lotus posl cum
abat. (Joan., XU, 18. ) Qu'eussent fait ces
ciifanlsi des Hébreux ? que n'eût pas fait
tout le [)eu[)le, si, dégagés des intérêts de
César et éclairés des lumières de la foi, ils
eussent connus lineffabililé des bienfaits de
l'amour divin ? Leurs cœurs n'en eussent-
ils pas étés embrasés ? rien eûi-il été capa-
ble de les émouvoir de leur zclc et de leur
ferveur? Que devez-vous faire, mes chers
enfants ? De quel feu devez-vous être en-
flammés? Aussi vifs que le Lazare ressusci-
té, dégagés par la pénitence du tombeau oii
la malice, les ruses et les charmes du dé-
mon vous avaient ensevelis par le péché ;
éclairés des lumières de la foi et instruits
des vérités de l'Evangile vous savez que
vos cœurs appartiennent à Jésus-Christ,
que Jésus-Christ est à vos cœurs par des
bienfaits qui vous intéressent personnelle-
ment. Jusqu'ici vous n'avez été que de fai-
bles adorateurs de la Majesté divine ; jus-
qu'ici vous n'avez pas connu votre Dieu ,
vous avez ignoré le prix de vos âmes ; vous
avez vécu sans comprendre la fin de votre
création ; mais actuellement vous allez de-
venir des adorateurs en esprit et en véri-
té, vous allez connaître le Souverain de la
nature, que vous êtes l'ouvrage de sa vo-
lonté et de ses miséricordes, ce que Jésus-
Christ a fait pour vous, ce que vous devez
faire pour Jésus-Christ. Jusqu'ici la grâce
sanctifiante a travaillé à vous rendre saints
devant Dieu, à vous faire correspondre
avec fidélité aux dons qui vous ont été faits
pour opérer votre salut, à vous détacher de
la terre pour vous élever au ciel ; mais au-
jourd'hui vous devez être ues saints, la vo-
lonté de Dieu est que vous soyez des saints :
Hœc est voluntas Dei sanclificalio vestra. (l
Thess., IV , 3. ) Le cœur de Jésus-Christ est
l'asile que sa luiséricorde ouvre à vos fai-
blesses pour vous fortifier, pour vous ani-
mer, pour vous faire vivre de la vie dont
vivait saint Paul, lorsqu'il s'écriait : Ce n'est
point mai qui vis, c'est Jésus-Christ qui vil
en moi : ajam non ego vivo, vivit in me
Christus. » ( Galat., 11, 20.) Une grâce ac-
tuede vous est donnée, vous en devez sui-
vre les inclinations et les mouvements,
être tout à Dieu. Aujourd'hui vous devez
faire une alliance. Que dis-je? renouveler
l'alliance que vos pères et mères, que vos
parrains, que vos marraines ont faite pour
vous avec Jésus-Christ, dès le premier mo-
ment que vous avez été faits enfants de
Dieu par le sacrement de baptême qui vous
a rendus aimables à Dieu comme des en-
fants à un père. C'est aujourd'hui, c'est à ce
moment que l'auteur de la grâce vient, mé-
diateur de votre salut, faire ses délices d'être
D2'J
DISCOURS POUR DES IMIEMIERES COMMUMONS.
930
nvec vous : Delicice meœ esse cwn filiis homi-
num. {Prov., Vlll, 31. ) O pro(iige 1 ô mer-
veille I ô mystère I ô puissance divine ! ô
bonté inefl'.ible I Le Messie, le Verbe fait
cliair, le Fils de Dieu qui fui visiter Jean-
Baptiste encore enfermé dans le sein de
sainte Elisabell), vieni aujourd'hui vous vi-
siter, mais t^randeur incompréhensible!
avec cette différence qu'il n'entra pas dans
le saint Précurseur, qu'il ne s'incorpora
pas avec lui, au lieu qu'il veut entrer en
vous, s'incorporer avec vous, ne faire, n'ê-
tre plus qu'une même substance avec vous;
le ciel s'en réjouit, les fidèles de la terre
en sont édifiés, les impies, les matérialis-
tes en sont confus, l'enfer en frémit ; mais
prenez garde, chère jeunesse ! c'est peut-
être de cette première communion que
vous allez faire que dépendent toutes celles
que vous ferez dans la suite. Si vous com-
muniez avec la môme i)uretéquesaint Jean,
avec le môme amour et la même foi que
saint Pierre, si vous recevez cet adorable
sacrement avec la même sainteté avec la-
quelle tous les saints apôtres le reçurent
au jour de son institution, vous serez éter-
nellement heureux avec ces saints enfants
de l'Eglise, vous parlicipeiez aux faveurs,
aux biens de l'Eglise, à ses sacrements, à ses
prières, à ses bonnes œuvres, à ses mortifi-
cations, à ses indulgences. Vous deviendrez
terribles à l'ennemi de votre salut, votre chair
sera soumise à votre esprit, la vertu n'aura
désormais rien de dur et de pénible pour
vous. Les peines temporelles, les afflictions
de la terre, les croix du siècle, la pauvreté,
les mépris, les disgrâces, les persécutions,
les haines, les jalousies et les euvies, les in-
justices ne vous abattront point; les eaux,
Jes fleuves de la mer ne pourront éleindie
en vous le feu de la charité, en diminuer
les légitimes ardeurs; les lenlations vous
seront ui.iles,vous en tirerez avantage;
vos tristesses se changeront en joies, le
seul |)éché, le péciié seul sera l'objet de
votre aversion, de votre indignation, de vos
craintes ; il ne faut qu'une bonne commu-
nion pour vous tout changer, vous instruire
des satisfactions du ciel, vous donner tout
à Dieu, vous enflammer de son amour, vous
remplir de sa grâce, vous rendre entière-
ment agréables à ses yeux; mais, encore une
fois, prenez garde, si vous êtes assez mal-
heureux pour communier comme Judas,
pour faire une mauvaise communion, pour
recevoir l'Homme-Dieu en péché mortel,
dans un esprit, avec un cœur contraire à
l'csprit et au cœur de Jésus-Christ, Dieu et
homme tout ensemble, vous périrez comme
Judas, vous serez les sujets de l'exécration
de Dieu comme Judas, vous éprouverez les
terribles malédictions de Dieu comme Ju-
das; disons-le, vous serez damnés, vous
brûlerez dans l'enfer, vous y maudirez Dieu
comme Judas, vos joies seront suivies de
tristesses affreuses l (Que l'impie nie toutes
ces vérités, ou qu'il cesse d'être impie.) Ha 1
que vous a fait Jésus-Christ, mon cher en-
lunl, pour le venir outrager dans le sacre-
ment de son amour 1 David n'a pas été
trouvé digne de bâtir un temple au Seigneur
à Jérusalem, avec un cœur selon le cœur de
Dieu, il a été rejeté de Dieu ; et vous, mon
enfant I voudriez-vous édifier de vous-même
un temple à Jésus-Christ dans un cœur op-
posé au cœur de Jésus-Christ? vous appro-
cher de Jésus-Christ humble avec un esprit
orgueilleux? de Jésus Christ la sainteté
même avec un cœur corrompu? Oseriez-
vous crucifier de nouveau Jésus-Christ par
une mauvaise communion ? oseriez-vous
vous unir à Jésus-Christ, approcher de Jé-
sus-Christ avec une conscience souillée do
péchés? Qu'ai-je pu faire pour vous que je
n'aie fait, dit le Seigneur? je me suis atten-
du à de bons fruits, ne m'en présentez-vous
que de mauvais? je vous ai aimés, ne m'ai-
mez-vous pas, moi qui suis le Seigneur
votre Dieu? Je vous ai instruits par la voix
de mon serviteur votre curé, seriez-vous
assez hors de vous-mêmes pour n'avoir pas
profité de mes instructions? Je vous ai donné
le temps de faire pénitence, pourquoi no
ravez-vous|)as faite? Ma justice a foudroyé
les anges rebelles api es un seul péché; ma
miséricorde vous souffre, elle vous supporte
depuis longtemps ; j'ai frap[)é h la porte de
voire cœur, votre cœur se serait-il endurci 1
les sépulcres se sont ouverts, la terre a
tremblé, le voile du temple s'est déchiré en
deux, de|)uis le haut jusqu'en bas, le soleil
s'est obscurci à ma mort; votre cœur se-
rait-il un sépulcre fermé à mon amour, h
mon cœurl La nature prête à recevoir son
Créateur, ou pour son salut ou pour sa
damnation, jouit-L'Ile d'une sécurité caj)able
d'affermir ses espérances? Un voile hypo-
crite ne couvre-l-il pas les horreurs d'un
cloaque d'ordures? L'amour-propre cède-t-il
à la lumière de la foi? Je vous ai montré le
chemin du ciel, n'avez-vous suivi que celui
de l'enfer? O mon âme! ma créature ! ma
victoire 1 mon triomphe ! ma brebis 1 mon
enfant, mes bras sont étendus à la croix
pour vous, n'en détournez pas vos yeux;
des plaies de mes pieds, de mes mains el
de mon côté, de tout mon corps sortent des
grâces de salut, puisez-y; mon cœur est un
océan de vertus, le trésor des perleclions do
la nature el de la grâce, la fournaise de l'a-
mour de Dieu, le principe, la règle du zèle
el de la ferveur, la miséricorde! approchez
avec confiance, si vous êtes du nombre des
fidèles, si vous désirez jouir de la vie de la
grâce, si votre foi est soutenue par les
moyens qui lui sont pro[)res. Je vous ai
créés pour une vie éternelle de bonheur,
accomplissez dans votre chair ce qui me
reste à souffrir ; je vous offre les moyens de
parvenir à la félicité des saints, servez-vous
de ces moyens. Je vous ai rachetés par l'ef-
fusion de mou sang, mon sang a été le prix
de votre rédemption, ne lu rendez pas inu-
tile; mon es})rit se présente à vous pour
vous sanctifier, coopérez à ma grâce, ayez
pilié de voire âme, ne la rendez-pas éternel -
Jument malheureuse : Miserere uniinœ tuœ
placcns Deo. [Eccli., XXX, 2'i-.] Considérez
951
qu'il n'y a rion de plus à cramdro qu'une
communion indigne, souvenez-vous qu'il
n'y a rien de plus horrible; considérez qu'il
n'y a aucun péché qui renferme plus de
malice et d'ingralilude, souvenez-vous qu'il
n'y a aucun péché que Dieu punisse plus
sévèrement dans ce monde et dans l'autre,
sur la terre et dans l'enfer; sur la terre pur
l'endurcissement du cœur, une malheureuse,
une séduisante pros[)érité, un bonheur fu-
neste, une félicité toujours à craindre, une
tranquillité, un sommeil, une paix qui con-
duisent à l'impénitence finale; dans l'enfer
fiar les supplices, les tourments, les tortures,
es grincements de dents, les larmes ut le
désespoir, le soufre et le feu ; par la priva-
tion de l'héritage pour lequel nous sommes
créés, par l'inimitié et la haine de Dieu.
Arrête-toi, Judas, n'avance pas davantage;
c'est assez d'avoir profané le sacrement de
pénitence en cachant une partie de tes pé-
chés à confesse, en les déguisant, en le
trompant, en te séduisant toi-même; ne viens
pas encore mettre le sceau à ta réprobation
en t'ap[>rochant de Jésus-Christ, qui peut
permettre à la terre de s'ouvrir dessous tes
pieds pour te livrer dès maintenant à l'en-
fer. Celui qui ne mange point la chair du
Fils de Dieu, celui qui ne boit pas son san^,
n'a pas la vie de la grâce; celui qui mange I
impies, aux
aux incrédu-
cette chair adorable, celui qui boit ce sang
précieux qui a été répandu pour la rédemp-
tion des hommes, est dans la jouissance,
dans la possession de cette vie de salut, nous
dit JésuS'Christ ; mais que l'homme s éprouve
lui-même, nous dit l'apôtre saint Paul :
Probet autem seipsum hoino. (I Cor., XI,
28.) Que celui, que celle qui s'en veut ap-
procher exarniiLe bien son propre cœur; que
les uns et les autres sondent bien les plis et
les replis de leurs consciences : Qui eniin
manducat et bibil indigne, judiciutti sibi
manducat et bibit {Ibid., 29); car celui qui
mange ce corps adorable et boit ce sang
précieux indignement, njange et boit son
propre jugement et sa propre condamnation.
O vous tous, fidèles chrétiens, qui êtes mes
amis, arrêtez-vous, dit la victime de propi-
tiation; faites atienlion, et voyez s'il est une
douleur semblable à la mienne l O vos om-
nes qui transitis per viam, attendue et videle
si est dolor, sicut dolor meus ! [Thren., I, 12.)
M J'ai élevé des enfants je les ai nourris et ils
m'ont méprisé : » Filios enulrivi et exalluvi,
ipsi autem spreverunt me!{lsai., 1,2.) « deux,
écoutez : que toute la terre prête l'oreille à la
voix du Seigneur : » Audite, cœli, et auribus
percipi', terra, quoniam Dominas locutus est,
{Ibid.} « Je vous ai appelés et vous ne m'avez
pas écouté : » Vocavi et renuistis ! « J'ai étendu
la main, et vous ne l'avez pas regardée : »
Extendi manum meam, et non fuit qui aspi-
ceret ! [Prov., l, 2k.) a Je vous ai donné des
conseils et vous ne les avez pas estimés:»
Despexislis omne consilium meum t [Ibid. ,
25.) Je vous ai repris,, j'ai employé les
moyens ordinaires pour vous corriger, vous
avez négligé mes léprimandes, mes correc-
tions, vous avez rejeté mes moyens, ie bœuf
ORATEURS SACRES. RIBIEK. 'ôZi
connaît celui à qui il appartient, et l'animal
.>iuitrétable de son maître, mais Israël ne m'a
pas connu! mon peuple a été sans intelli-
gence, .sans entendement I {Isai., I, 3.)
Je me suis livré à la mort pour lui pro-
curer la vie, et j'ai obligé des ingrats 1
Ma mort sera inutile aux
matérialistes, aux injustes ,
les, aux imjmdiques, aux avares, aux ivro-
gnes, aux médisants, parce qu'ils n'en-
treront point dans le royaume des cieuï,
parce qu'ils périront tous, s'ils ne font do
dignes fruits de pénitence. Mon corps
est une nourriture qui n'est utile qu'aux
âmes saintes, qu'aux chrétiens et chré-
tiennes dont les œuvres sont conformes
à la foi, qu'à ceux qui me cherchent
avec des esprits, avec des cœurs selon mou
esprit et selon mon cœur. Les lévites eu-
rent ordre dans la loi de Moïse de se pu-
rifier pour porteries vases du temple I Je
me suis choisi une mère vierge, j'ai plus
aimé mon disciple Jean que mes autres
apôtres, parce qu'il était le seul vierge, le
plus chaste de tous ; j'ai voulu être en-
seveli dans un linceul sans tache, el être
inhumé dans un sépulcre propre, sans or-
dure, neuf! Je ne trouve ma félicité que
dans des cœurs purs, et aujourd'hui, tous
es jours dans la communion , au pied
des autels, à ma table, au mépris des ri-
chesses de ma grâce, des pécheurs sans pé-
nitence, des hypocrites osent s'approcher de
moi, du plus redoutable de tous les sacre-
ments, profaner ce qu'il y a de plus au-
guste et de [ilus saint dans la religion,
dans l'Eglise, dans le monde ; me crucifier
de nouveau, dit Jésus-Christ : Altendite
el videte si est dolor sicut dolor meus ! {Thren.,
1, 12.) O abîme! ô profondeur! ô impéné-
trabilité 1 Hic positus est in ruinam et in
rcsurrectionem multorum. {Luc., Il, 34-.) Jé-
sus-Christ est là, Jésus-Christ est dans cet
auguste sacrement {)Our la ruine et la ré-
surrection d'un grand nombre de personnes,
pour la perte et le salut d'un grand nombre
de chrétiens I Jésus-Christ est dans ce ci-
boire une source de toutes grâces pour
ceux et celles qui ne s'approchent de lui
qu'avec une âme bien purifiée, qu'après
avoir fait une bonne confession ; j'en re-
viens toujours là, mais c'est une source
de malheurs et de désespoir pour ceux et
celles qui craignent plus les hommes que
Dieu ujême, pour ceux et celles qui ne
s'approchent de ce [)ain mystérieux quo
par hypocrisie, que par coutume, que par
habitude, que pour satisfaire à l'extérieur
de la religion, que pour sauver les ap-
parences et acquérir la tranquillité des âmes
réprouvées. Je frémis quand je pense que
de douze apôtres, il y a eu à l'école de
Jésus-Christ un scélérat, un malheureux,
un indigne communiant 1 Je frissonne, je
crains, j'appréhende qu'il n'y en ait quel-
que semblable parmi vous ; vous aurez
beau dire que la vue de vos parents vous
a engagés à recevoir la sainte Eucharis-
tie, quo la crainte vous a c-rapéchïs do
953
DISCOURS POUR DES PREMIERES COMMUNIONS.
\)Zl
dt^clarer toutes vos iniquilés, que vous
n'avez pu surmonter la honte que vous
en avez conçue, que vous avez cru ne
pas pécher par la mauvaise conscience
que vous vous êtes faite, que le monde,
que le malliuureux qu'en dira-t-oii vous
a séduits, qu'il vous a em|)6chés de dill'ô-
rer votre communion, que vous avez lait
comme les autres, que vous avez consulté
des docteurs en place, que vous avez
écouté des chrétiens de nom, des idolâ-
tres de cœur, aveuglés par leur présomp-
tion, des orgueilleux qui ont l'apparence
trompeuse, Iristes et malheureuses victimes
des illusions de leur esprit et de la corrup-
tion de leur cœur ; nulle excuse ne |)0ur-
ra vous juslitier devant le souverain Juge
des vivants et des morts; rien ne sera
capable de vous soustraire à sa vengeance,
il ne pardonnera pas aux profanateurs de
son corps : Si dercliquens eum projiciet
te in œterniim (1 Par., XXVIII, 9}; ii ne le
pardonnera |)as. mon cher frère, indigne
communiant qui endurcis ion cœur à sa
grâce : Projiciel te in ceternum ; lu é[irou-
veras comme Judas, mais Irop lard, com-
bien il est horrible de tomber entre les
mains du Dieu vivant : Quam horrcndum
est incidere in manus Dei vicentis. [Hebr., X,
31.jMaisque dis-je? mes chers enfants; non,
non, non, voire piété me rassure, ma crain-
te se dissipe ; le zèle avec lequel vous vous
êtes instruits de la doctrine de la reli-
gion, l'ardeur avec laquelle vous avez dé-
siré recevoir Jésus-Christ, les heureuses
dispositions que vous avez reçues du Père
des miséricordes, la capacité que j'ai connue
en vous, les motifs d'édification qui ont
excité mou propre zèle, la foi qui vous
éclaire, l'espérance qui vous anime, la cha-
rité qui vous brûle, l'humante qui vous
coulieiit, votre docilité à vous soumettre
aux austérités de la |)éniteuce, vos sacrifi-
ces, vos ponctualités, votre candeur, ueme
j'ermellenl pas de douter de la sincérité des
marques avantageuses qui m'ont engagé,
qui m'ont pressé, qui m'ont décidé à vous
admettre à la participation des divins mys-
tères. Vous avez attiré sur vous les béné-
dictions de vos pères et mères qui m'ont
rendu de bons témoignages de votre con-
duite, qui ont oublié vos défauts pour ne se
souvenir que de la tendresse qui leur est pro-
pre, dans la douce es[)éraiice que vous se-
rez dans la suite leur joie, leui- gloire et
leur consolation. Vous les avez priés de
vous pardonner tous les chagrins que vous
leur avez donnés, toutes les peines que
vous leur avez faites, toutes vos désobéis-
sances, tous vos manquements de respect ;
vous leur avez prouiis ce que le ciel, ce
que la nature, la religion et l'honneur, ce
que la piété et la reconnaissance exigent
de voua; allons avec confiance à l'Auteur
de la grâce, à Jésus - Christ , à notre
Dieu.
Flexis geniOus coram Sacramento.
Mon Dieu, mon Seigneur, mon refuge,
mon amour, mon tout! je vous demande
pardon pour les enfants que vous m'avez
confiés I Père éternel, pardonnez-leur tous
les péchés qu'ils ont commis; mon Dieu,
créateur de toutes choses, pardonnez à vos
créatures formées à voire image et ressem-
blance; ayez pour aj^réable la prière que je
vous en fais pr()Sterné devant le corps
ailorable de voire Fils; Jésus, fils de David,
reconnaissez votre image. Ne rejetez pas.
Seigneur, Fils éternel du Père, des cœurs
contrits et profondément humiliés! daignez
entendre leurs soupirs, voyez couler leurs
larmes, donnez-nous accès dans votre cœur ;
cœur sacré de Jésus-Christ , recevez-moi
avec les enfants que je vous présente; re-
cevez tous ceux qui sont ici pénétrés, saisis
de sentiments de componction 1 ressuscitez
les morts à voire grâce 1 placez-nous vous-
même où nous désirons habiter tous les
jours de' notre vie et dans la sainte éternité I
rendez notre foi telle qu'elle produise en
nous les fruits de votre amour! soutenez
nos espérances par des œuvres qui lui
soient conformes, conformes à noire foi !
consumez nos cœurs confondus dans le vôtre,
par le feu d'une charité qui détruise en nous
tout ce qui pourrait former obstacle à notre
bonheur! Esprit-Saint, éternel, éclairez-
nous, échaulfez-nous, fortifiez-nous, sancti-
fiez-nous ! Trinité incom()réhensible ! nous
consacrons nos adorations à vos personnes,
noire reconnaissance à vos bienfaits, notre
obéissance a vos préceptes, notre confiance
à vos bontés, nos .imitations à la gloire de
tous vos attributs ; pardon, ô mon Dieu 1 pour
le passé. Grâce, grâce! miséricorde! misé-
ricorde! Montrez que vous êtes Dieu de
miséricorde , qu'il vous appartient de re-
mellre les péchés, de faire des saints !
Erecto corpore.
Courage, mes chers enfants, courage ! I9
ciel est à nous ; le Dieu du ciel et de la terre
nous est favorable, il nous est propice! Le
ciel, la terre, les yeux, les cœurs, les vœux,
l'altitude, les sacrifices des fidèles, leurs
satisfactions parlent, ils s'intéressent pour
nous.
Faites actuellement avec moi les actes de
foi, d'humilité, de contrition, d'amour et de
désir.
Mon Sauveur Jésus-Chrisl, je crois aussi
fermement, que si je vous voyais des yeux
du corps, que c'est vous que je vais rece-
voir, en recevant le très-saint sucremeiitde
l'autel.
Proslernez-vous , mes enfants , recon-
naissez combien vous êtes indignes de la
communion que vous allez faire, et ayez
tout à la fois la confiance du cenlenier.
Excitez-vous à la douleur de vos péchés;
que le Saint-Esprit produise dans vos cœurs
les sentiments, les mouvements d'une con-
Irilion parfaite.
Mon Dieu, je suis infiniment. indigne que
vous entriez en moi, mais dites saulement
une parole et mon âme sera guérie.
Mon Dieu ! je suis marri de tout mon cœur
935
ORATEURS SACRES. RIBIER.
or.c
de vous avoir offensé, parce que vous êtes
infinement bon, infiniment aimable, et que
le péciié vous déplaît; je fais un ferme pro-
pos, moyennant votre sainte grâce, de n'y
jamais retourner.
Levez-vous , témoignez à Dieu voire
amour, que vos cœurs soient entièrement
abîmés , absorbés , confondus et comme
anéantis dans le cœur de Dieu ; ne donnons
pas à Dieu des paroles; donnons lui nos
cœurs.
Mon Dieu! je vous aime de tout mon
creur: mon cœur est à vous, c'est votre
créature, c'est votre ouvrage; je vous aime
par-dessus tout ce que j'ai de plus cher au
monde. Venez, mon Jésus, venez dans mon
cœur, venez prendre possession de l'acqui-
sition que vous avez faite au t)rix de votre
sang, par vos bienfaits, par vos miséri-
cordes 1 mon cœur désire ardemment de
vous recevoir.
Confiteor, Misereatur, Indulgenliam, Ecce
Agnus Dei.
Communion.
EXHORTATION .\PRÈS La COMMUNION.
Etre mort au monde, être mort au péché,
vivre à Jésus-Christ et à sa grâce, c'est êlie
parfait chrétien. Ces enfants sont morts, ô
mon Dieu! ils ne vivent plus; c'est vous,
mon Sauveur Jésus-Christ; c'est vous, ô
mon Dieu! qui vivez en euxl leur vie est
celle de l'apôtre saint Paul: Consummalum
est [Joan., XIX, 30) ; l'action est consommée,
la communion est laite. Jésus-Christ est en
vous, mes chers enfants! vous êtes, dans le
cœur de Jésus-Christ, la chair de Jésus-
Christ. C'est votre chair, voire chair est une
même chair avec la chair tie Jésus-Christ.
Le verbe s'est fait chair et il a habité parmi
nous: « Verbuin euro fuctuin est, et habilavit
in nobis. -a {J oan.,\,\'*.) Il est homme, il est
Dieu 1 11 est Dieu de toute éternité, il s'est
fait humme dans le tem[)s. Adorez notre
Dieu, le Dieu de nos pères. Remerciez notre
rédempteur; demandez avec confiance tous
vos besoins au Tuul-Puissanl; uflVons-nous
sans réserve à celui qui s'est onlièreiiient
offert pour nous. Résignons-nous à sa vo-
lonté, prenons de sages résolutions pour
tout le temps de noire vie, pour vivre et
mourir dans la grâce et dans l'amour de ce-
lui qui nous a créés. N'oublions pas ceux
pour qui nous devons prier. Mon Sauveur,
je vous adore comme mon créateur, je
m'unis aux adorations profondes que lus
anges et les saints vous rendent dans le
ciel, et j'offre à la irè.s-sainte Trinité toutes
celles que vous lui rendez dans le très-saint
sacrement.
Alon Sauveur, je vous remercie de tout
mon cœur de toutes les grâces que j'ai re-
çues de vous, et particulièrement de la
bonté aveu laquelle vous venez visiter un
[jauvre pécheur, une i)auvre pécheresse
comme moi ; souffrez que j'offre à la très-
sainle Trinité les remercîmenls que vous
lui faites pour tous les biens qu'elle a ac-
cordés aux hommes.
Mon Dieu, mon créateur et mon sauveur,
je suis infiniment indigne de vous deman-
der aucune grâce, mais puisque vous m'or-
donnez de le faire, je vous prie de m'ac-
corder toutes celles dont j'ai besoin dans
mon état, particulièrement la victoire de
mes passions, l'humilité, la patience, la pu-
reté, la foi, l'espérance et la charité. Je
vous demande aussi celles qui sont néces-
saires à votre Eglise, à mes parents, à mes
amis, à mes ennemis, à mes bienfaiteurs,
et au pasteur de cette paroisse.
Mon Sauveur, recevez l'offrande que je
vous fais de tout ce que je suis, de tout ce
que je puis, de tout ce que je possède; dis-
posez-en selon votre bon plaisir, et souffrez
qu'en m'offrant à vous, je vous oÛVe vous-
même à la très-sainte Trinité, pour l'ex-
piation de mes péchés et ceux de tous les
hommes. Prenez, mes chers enfants, do
sages, de saintes, de salutaires résolutions
pour tous les temps de votre vie. Renou-
velez le sacrifice de vos personnes à l'Etre
suprême, au Père éternel qui vous a créés;
remercie7-le du bienfait de voire création ;
rendez vos hommagesà Jésus-Christ qui vous
a rachetés; remerciez-le du bienfait vie votre
rédemption. Exaltez la gloire, publiez les
miséricordes , chantez les merveilles de
i'Esprit-Saint qui vous a sanctifiés; priez-
le de perfectionner son ouvrage, d'opérer
en vous le vouloir et le faire, d'éclairer vos
esprits, d'échaulfer vos cœurs, de les telle-
ment remplir de sa grâce ei de son amour,
que rien ne soit capable d'ébranler votre
foi, votre espérance, votre charité. Dieu
est avec vous, le Fils éternel du Père, en
qui le Père éternel a mis toutes ses com-
plaisances ; c'est à lui à vous instruire par
lui-même, c'est à lui à parler à vos cœurs ;
écoutez sa voix, sojez-y dociles. C'en est
fait, ô mon Dieu ! Prévenu de votre grâce,
j'ai résolu ma conversion : j'ai ditdaiis mon
cœur : Je me convertirai au Seigneur mon
Dieu ; je ne remets pas à demain l'ouvrage
que vous avez commencé. La même grâce
qui a su me Prévenir m'accompagne. Le
péché fut mon ouvrage, ma conversion est
le vôtre ; vous le perfectionnerez de plus
en plus cet ouvrage, ô mon Dieu! Votre
grâce qui m'a prévenu, votre grâce qui
m'accompagne ne ui'abandounera jamais;
sans vous je serai ce que j"ai été, mais avec
vous, ô mon Dieu ! ô mon créateur ! ô mon
sauveur! mon cœur sera toujours enffammé
du feu sacré de votre amour. Ma fidélité à
observer voire loi, à obéir à votre Evangile,
à nie soumettre à tous vos ordres, soutien-
dra mon espérance; elle sera la marque, la
preuve que je reconnais votre souverain
domaine et ma dépendance. Je persévérerai
avec vous, je vous aimerai toujours, parce
que vous ne m'abandonnerez jamais à moi-
même, à mon amour-ftropre, au péché, aux
créatures, à la terre! C'est par vous. Dieu
de mon salut, que j'apprendrai de votre
esprit des merveilles qui, en me détachant
des choses de ce monde, m'engageront à
me consacrer à votre service dans le temjîs,
937
DISCOURS POL'R LES FRF.MIERFS COMMLNIONS.
«3»
)>onr rt'giier avec vous dans l'élernilé bieii-
hcnrense.
Que la bénédiction du P6re. du Fils cl
du Saint-Esprit descende sur vous et qu'elle
y soit toujours, qu'elle no s'en écnrto ia-
wnifi. lieurdicdo Dei omtiipoCcntis Palris et
Filii cl SpirilHs Scncti, desccHClnt super vos
cl nKiAent sciiiper.
EXHORTATION AU RENOUVELLEMENT DES VOEUX
DU BAPTÊME.
Ces fonts baptismaux: sont, mes chërs
rnfants, les svmholes do votre réconcilia-
tion avec Dieu; ils rappellent h votre sou-
venir voire origine et le sii^ne de votre
alliance avec Jésus-Christ, la paix, le l)on-
hcur et lo salut de vos âmes. Conçus dans
lo péché, nous avons tous été les esclaves
de celui dont notre premier nèrc (it les
œuvres en désobéissant au Créateur.
Régénérés dans ces eaux, vous êtes de-
venus les enfants de Dieu, ceux de l'Eglise ;
vous avez contracté des obligations dans
les personnes de vos parrains et de vos
marraines qui^ en vous engageant <'» Jésus-
Christ, ont renoncé pour vous à Satan, à
SCS pompes et h ses œuvres.
Devenus en état d'agir par vous-mêmes,
de ratifier les clauses, les conditions de vos
engagements, le ciel demande aujour-
d'hui q'.îo vous prononciez en personne la
formule du contrat fait eniro vous et le
Seigneur. Vos parrains et marfaines ont
demandé à TE^lise de Dieu la foi qui doit
être votre lumière; le ministre des autels,
moi qui ai été, avant et dès le premier mo-
ment de votre naissance, le pasteur du plus
grand nombre de vos pères et mères, le
vôiro; ceux qui ont exercé ^e mémo mi-
nistère que moi à l'égard de ceux qui ont
re<;u le môme sacrement avec et de la même
aulorilé, nous les avons interrogés. Quede-
niandez-vousde l'Eglise de Dieu, leuravons-
iiousdit :Quidpclis ab Ecclesia Dei? ilsont ré-
4>Gndu : F idem, la foi, c'est-à-dire les choses
de la foi, la régénération en Jésus-Christ, la
lumière de Dieu, la grâce qui conduit ;i la
vie éternelle. Dépositaires des trésors du
ciel, nous vous l'avons accordée, cette lu-
mière, cette gr<lce, cette vie; par plusieurs
i)énédiclions, par l'onclion sainte, en vertu
du signe visible, sensible et déterminé |)ar
Jésus-Christ pour la sanctification de nos
âmes, nous vous avons admis au nombre
des (îdèles ; vous avez reçu le caractère
inotVaçable qui vous donne droit 5 l'amour
et à I hériiage de l'auteur, de l'instituteur
dos sacrements.
Prêtre du Très-Haut, votre pontife, |)ré-
posé pour prier pour vous, mes enfants, je
\ous interroge aujourd'hui, dites-moi : que
voulez-vous (lue je demande pour vous nu
Dieu tout-puissant qui vous a créés? (les
enfants répondent : fidein) (lo prêtre conli-
luie) Que le ciel se rende à vos vœux.
Ecoutez les moyens de votre salut; il est
écrit : Vous aimere', le Seigneur voire Dieu
de (ont votre cœui.do toute votre âme et do
tout voire esprit, et voiro prociiain comme
vous-mêmes : voilà la loi.
Satan fera tous ses elTorts pour vous dé-
tourner de raccoin[)lissemont de celle loi,
piur briser les moyens, l'économie devoir»
salut, pour vous persuailer ses œuvres et
ses pompes, les maximes du monde cor-
compu, celles des paroissiens rebelles à
leurs p.isteurs, dans l'esprit de Coré, de
Dathan et d'Abiron, des paroissiens qui
forment ordinairement ce monde corrompu,
dont les vanités vous invitent déjà à ses (dé-
sordres, à ses abominations, aux trophées
do SOI) orgueil. Que réj.ondez-vous à Satan,
au monde corrompu, à la chair rebelle à
l'esftrit? R. Abrenuntio. Souvenez-vous,
chrétiens, que le Dieu tout-puissant , quo
le créateur du ciel et de la terre doii être
le premier princi|)e et la dernière fin do
foules les opérations de voire vie. H. Credo.
Souvenez-vous que vous serez jugés selo:i
vos œuvres par Jésus-Christ le fils de Dieu,
qui est né et qui a souffert pour nous.
li. Credo.
N'oubliez jamais que vous devez religieu-
sement conserver les grâces du Saint-
Esprit, croire à la sainte Eglise, mériter
d'honorer la communion des saints, vous
conserver dans cette communion, espérer
en la rémission des péchés, confesser la ré-
surrection, et désirer de toute r«fîection
de vos cœurs la vie éternelle. R. Credo.
Récitez à basse voix le Credo et le Pater,
Quitus dictis : le prêtre qui les a aussi dits
à genoux, se relève et dit : Dites plus de
cj-ur que de bouche ce que je vais dire de
bouche et de cœur à haute voix.
Prosterné en votre présence, ô mon Dieu I
et aux pieds de ces saints funls baptismaux,
je vous demande pardon des péchés que
j'ai commis contre les vœux et les promesses
que je vous ai faits dans mon baptême: je
renouvelle aujourd'hui ces vœux et ces
promesses avec une ferme résolution d'y
être plus lidèlc. Je renonce de nouveau au
démon pour ne m'altacher qu'à Jésus-
Clirist et h son Evangile. Je renonce aux
pompes du démon et aux vanités du monde,
pour ne plus rechercher que les biens éter-
nels. Je renonce aux œuvres du démon, an
péché, pour ne plus vous offenser. Seigneur,
et passer toute ma vie dans la praliijue de
vos saints commandements.
Ainsi soil-il.
Obaielrs sacrés. LXN'IH.
80
NOTICE HISTORIQUE SUR JOSEPH LAMBERT
DOCTEUR DESORBONNE.
Lamber! (Joseph), fils d'un maître des
comptes, né à Paris en IGSl, prit le honnet
(le docteur (le Sorbonne, et obtint le prieuré
de Palaiseaii, près de Paris. L'Eglise de
Saint-André des Arts, sa paroisse, retentit
longtemps de sa voix douce et éloquente.
Il eut le bonheur de convertir plusieurs
calvinistes et plusieurs pécheurs endurcis.
Il donna t;int à Paris qu'à Amiens des con-
férences, qui ont été imprimées. Sa charité
])0ur les pauvres allait jusqu'à l'héroïsme,
il mourut le 31 janvier 1722, à 68 ans. Ce
lut à la réquisition de ce saint homme que
ia Sorbonrte fit une déclaration qui rend
nulles les thèses de ceux qui s'y seraient
nommés titulaires de plusieurs bénéHces.
Gn a de lui : Vannée évungélique, ou Homé-
lies, 7 vol. in-12, 1692-ÎU95, et en 8 vol. ;
1749. Son élocjuence est véritablement chré-
tienne, simple, douce et touchante. Tous
ses ouvrages sont marqués au même coin,
cl Ton ne peut trop les recommandera ceux
qui sont obligés par état d'instruire le peu-
j)le.Si le style en est négligé, on doit faire
ulteniioii qu'il écrivait pour l'inslruCion des
gens de la campagne, et non pour les cour-
tisans. Des Conférences en 2 vol. in-12,
sous le tilre de Discours sur la vie ecclé-
siastique, 1702, 2 vol.; ce sont les ronié-
rences faites à Amiens et à Paris; L'pilres
et évangiles de l'année, avec des réflexions,
1703, 1 vol. in-12 : Cet ouvrage a élé impri-
mé en deux parues en 1831, et chaque par-
tie a deux volumes in-12; Les ordinations
des saints, 1717 in-12; La manière de bien
instruire les pauvres, 1717, in-12; Histoires
choisies de l'Ancien et du Nouveau Testament,
1 vol. in-12; recueil utile aux ratéchislcs ;
Le chrétien instruit des mystères de la religion
et des vérités de la morale , 1729 ; Instruc-
tions courtes et familières pour tous les di-
manches, et les principales fêles de l'année, en
faveur des pauvres, et |iarticulicreraent des
gens de la campagne, 1721 ; InMructions
sur le symbole, 2 vol. in-12, réimprimées en
1831, 3 vol. in-12; Sur les commandements
de Dieu et de l'Eglise, 2 vol. \n-l2; Deux
lettres sur la pluralité des bénéfices, contre
l'ûlibé Boileau.
ŒUVRES ORATOIRES
DOCTEUR DE SORBONNE
AVERTISSEMENT.
Le litre de ces discours farl as>ez voir
qu'ils s'adressent aux ecclésiastiques. Ce
sont les maximes de l'état ecclésiastique
que je me suis proposé d'établir; et mon
principal dessein a été de les bien impri-
mer dans le cœur de tous ceux qui s'enga-
gent dans la sainte milice du Seigneur.
Cependant ces discours peuvent être lus
avec utilité par ceux qui ne sont point
tippelés à l'état ecclésiastique. 11 est irès-
îiécessaire que tous les chrétiens connais-
son' les principes et les maximes de la vie
ecclésiastique.
(I) In Psal. L. « Quoinodo ad nos pcrl.not in
Ecclisia loqui vobis, sic ad voj prliiiel iii domi-
Tous les chrétiens sont en un sens con-
sacrés prêtres. L'onction sainte qu'ils re-
çoivent dans le baptême leur donne droit
de porter cet auguste titre. Saint Pierre
parle à tous les chrétiens, et il leur dit :
Vous êtes la nation sainte et votre sacerdoce
est royal. (I l'clr.. Il, 9.)
Saint Augustin enseigne (1) que tous les
chefs de l'amille doivent se considérer com-
me les pasteurs de leur famille, et qu'ils
sont obligés de veiller sur tous ceux qui
composent leur maison, à peu près comme
un [)asteur zélé doit donner loule son at-
bus veslris agere,nl bonani ralionem reddalis de liis
qui vobis sunlsubdili. i
941
AYFRTISSEMENT
troupeau.
9B
tenlion ?i l.i comiuile de son
Je souliens encore, oije vais le faire voir
en peu de paroles, qu'il y a un grand nom-
bre d'occasions dans lesquelles les gens du
monde pèchent contre les maximes de l'é-
lat ecclésiasiique, parce qu'ils n'en sont
poinl instruits.
Il y en a plusieurs, à la vérité, à qui la lec-
ture do ces discours pourrait être dange-
reuse, [)arce qu'ils n'y apporteraient que
des dispositions malignes et très-éloignées
de celles oii l'on doit entrer pour en pro-
(iler.
Comme il serait très-criminel d^'épargner
Je vice, et qu'il doit être poursuivi partout
où il se glisse, on n'a pu s'e!n[)ôclier de
parler contre les mœurs des ecclésiasiiques
déréglés. On a cru être indispensnhicment
obligé de condamner forleu:cnt les ahus qui
se rencontrent dans l'étal ecclésiasti(jiic.
Se servir de ces discours pour censurer
indifféremment tous les ecclésiastiques, pour
faire rejaillir jusque sur les saints prêtres
Jes défauts de ceux qui abusent do leur ca-
ractère, pour critiquer inuliloment, cl par
Quand les gens du siècle liront avec ces
réflexions tout ce qui est rapporté dans ces
discours des désordres dos ecclésiastiques,
ils verront que en sont autant de sujets qui
doivent les faire rougir devant le Seigneur,
et les convaincre de l'obligation qu'ils ont
d'expier par leurs larmes et par de rigou-
reuses pénitences les crimes qu'ils ont com-
mis en donnant à l'Eglise des minislres
absolument indignes.
Les vérités expliquées dans ces disconr
leur apprendront de quelle circonspection
l'on doit user quand on offre au Seigneur
des ministres pour servir dans son tem-
ple.
Combien d'autres maximes de la vie ecclé-
siastique dont la connaissance n'est pas
moins nécessaire?
On entend tous les jours les gens du
monde se plaindre du mauvais usage que
l'on fait des revenus ecclésiasiiques. Ils ne
sonl jamais plus éloquents que quand il est
question d'exagérer le luxe e-t la vie mollo
des ecclésiastiques.
La suite de ces discours fera voir que je
esprit de m-iligiiilé, ceux que l'on n'est suis Irès-éloigné de vouloir juslifiercequ-i
poinl en droit de corriger, et donl on est
souvent obligé de cacher les défauts, ne pas
honorer le curaclère ecclésiastique et quel-
quefois même le mépriser, à cause des dé-
fauts de ceux qui sont assez malheureux
pour le profaner : voilà do très-dangereux
aluis et très-ordinaires dans le monde.
La vue de ces abus m'a fait douter pen-
dant quelque temps s'il n'y avait point trop
de péril à rendre publics ces discours, parce
■qu'il y en a qui, [i.";r leurs mauvaises dispo-
sitions, |)cuveiil conv(;rlir eu poison les
saintes vérilés qui y sonl expliquées.
Mais j'espèi'e qu'avec la miséricorde du
Seigneur [)lu5ieurs même de ceux qui ne
sont poinl ecclésiasiiques, apporteront de
meilleures diSi)osivious à la lecture da cet
ouvrage.
Ils y verront qu'il n'y a rien de plus
grand que l'élal ecch'sia^tique, et par \h ils
apprendront jusqu'où doit aller le respect
que l'on doit porter à ceux qui sonl honorés
de ce f.araclèie. Ils apprendront combien il
est criminel de ne faiie aucune dislinclinn
entre un ecclésiastique, el le plus vil de
leurs doniestiquus.
Ils remarqueront tous les maux que can-
senl dans l'Eg'ise les ecclésiasiiques qui
entrent sans vocation et qui profanent leur
caractère.
Quelle conséquence doit-on tirer de celle
vérité? Donc ceux-là sonl criminels qui par
des vues il'inlérêl, engagent leurs enfants
dans l'élal ecclésiasiique, sans avoir examiné
s'ils ont les vertus nécessaires pour se con-
duire dignement dans un élal si saint. Par
Jà ils se rendent complices de tous les pé-
chés de leurs enfants : par là ils deviennent
responsables de tous les abus auxquels ils
ont donné lieu, lorsque de leur autorité ils
ont voulu forcer le Seigneur à recevoir au
-rang de ses ministres ceux qu'il rejetait
comme indignes.
condamnent avec raison. Mais je dis seule-
ment que comme les gens du monde se
plaignent du mauvais usage des revenus
ecclésiasiiques, ils devraient prendre garde
à ne pas mettre ces revenus sacrés entre les
mains de ceux qui les dissipent.
Un père sollicite un bénéfice pour son
fils, et ce fils sera de ces économes infi-
dèles qui dissipent les richesses de l'E-
glise.
Cet homme, au lieu de choisir le plus di-
gne, et celui qui est plus en élat de remplir
les fondions importantes de ce bénéfice,
poussé par des vues humaines, confiera lo
soin des âmes à des loups qui n'entreront
dans la bergerie que pour perdre le trou-
peau.
Qui peut donc nier que tous les chrétiens
n'aient un grand intérêt de connaîlre ce que
c'est que les bénéfices, à qui ils doivent
être confiés, et l'usage que l'on doit faire
de ces saints revenus?
Voilà ce que tous les chrétiens doivent
apprendre ; A resfiecter le caractère ecclé-
siastique, à ne point introduire dans l'E-
glise des ministres indignes, à ne poinl pro-
curer des bénéfices à des hommes qui scan-
dalisent l'Eglise par le mauvais usagu
qu'ils font de ces revenus sacrés.
Voici encore une disposition très-sainte
el dans laquelle il est nécessaire d'entre
quand on lit des discours où. il est parlé d
désordres des ecclésiastiques.
Vous apprenez qu'il y a beaucoup d'
clésiasliqu<is donl les mœurs sonl déréf'
el dont la vio ne répond point à la sai
de leur caractère ; gémissez-en devr
Seigneur, intéressez-vous aux ma
l'Eglise, soyez-en affligés, ce sonl ■
sordies pour les(]uels vous ne po
piandre trop do larmes. l/E-Miso
mère; vous êtes indigne d'être si -"^
94"î
ORATEURS SACRES JOSliPH LAMBERT.
944
si vous n'ôles point touchés, lorsqu'elle no
cesse de vous dire que des plaies si sensi-
bles lui causent une douleur qui est au-des-
sus de toutes les douleurs.
Que les maux de l'Eglise soient encore un
raoïif puissant pour vous engager à prier et
h demander au maître de la moisson qu'il
envoie des ouvriers dans sa vigne.
C'est une praliquetrès-sainle, et à laquelle
on devrait êlre plus exnct. On ne prie point
assez pour l'Eglise, on n'est point assez con-
vaincu que les prières des fidèles ont beau-
coup de Ibrce pour obtenir de Dieu des i)as-
teurs zélés.
Il faudrait joindre à la prière de bonnes
couvres, des aumônes, des jeûnes, des ac-
tions de pénitence. Il faudrait redoubler son
ardeur et son zèle dans les tem|)S que les
ministres du Seigneur sont consacrés.
Quand on considérera combien il est né-
cessaire qu'il y ait de saints prêtres, et com-
bien le nombre en est petit', on confessera
sans peine que l'on ne peut employer tro|)
de moyens pour obtenir du Seigneur une
grâce si précieuse
Au lieu de critiquer inutilement les mœurs
des ecclésiastiques, rentrez plutôt en vous-
mêu)es,et songez à réformer les vôtres. Dieu
permet souvent que les mauvais pasteurs
entrent dans le cliarnp de son Eglise pour
punir les dérèglements du peuple.
C'est une vérité leriible et sur laquelle on
ne fait point assez de réflexion. Le Seigneur,
irrité des péchés de son peuple et voulant
le châtier, [jermet dans sa juste colère, qu'il
soit conduit par de faux prophètes qui le
tromperont et qui exerceront indignement
les saintes foncfons de leur ministère. (111
Iieg.,^2; Isa., 111, h et seq.)
Pleurez donc et gémissez. Puisque ce sont
vos péchés qui sont la source des dérègle-
ments des pasteurs, convient-il qu'ils soient
la matière de vos ;railleries, et ne doivent-
ils pas être plutôt le sujet de vos larmes?
Quand on est pénétré de ces saintes maxi-
mes, il est plus à désirer qu'il n'est à crain-
dre, que les gens du siècle même soient
instruits parfaitement de tous les dérégie-
ujenis des ecclésiastiques.
Plaise au Seigneur que tous ceux qui li-
ront ces discours, se nourrissent de c«s vé-
rités, afin que les ecclésiastiques, et tous
les autres fidèles travaillent d'un commun
record à édifier .l'Eglise, qui n'a jamais eu
plus do besoin qu'à présent des ecclésiasti-
ques zélés qui entrent dans l'esprit de Jésus-
Christ; et qui s'acquittent dignement de
leurs saintes fonctions.
DISCOURS PREMIER.
-JE LA VOCATION A I,'ÉTAT ECCLÉSIASTIQUE.
Quand nous examinerons de près la source
<]e tous les désordres qui se sont glissés dans
l'état ecclésiastique, il ne nous sera pas
malaisé de découvrir, qu'ils viennent prin-
cipalement de ce que l'on entre dans le
sanctuaire avec précii)itation, et sans une
vocation légitime.
L'Eglise gémit de ce que ceux qui de-
vraient être les conducteurs des autres,
sont eux-mêmes hors de la véritable voie.
Ceux qui devraient éclairer sont d.nis les
ténèbres; le sel a perdu sa force, et il n'est
plos en état de préserver les houmies de la
corruption.
Qui pourrait exprimer combien l'Eglise
soutire de se voir trahie par ceux-là mêmes
qui devraient être son plus >-olide api>uiV 11
n'y a point de dérèglement parmi les fidèles
(lue l'Eglise ne pleure; mais ses regrets ne
sont jamais plus vifs, que quand elle est
outragée par ceux que leur caractère oblige
à la déièndre et à soutenir .sou échit. Ali!
si nous avons quelque zèle et quelque an)our
jiour l'Eglise, o[)posons-nous h l'entrée de
tous ces minisires indignes (jui n'entrent
dans son sein que pour ia blesser de plus
près. S'ils ont encore des ore.lles pour en-
tendre, rien n'est plus cai)able de les ell'rayer
(jue de leur faire voir la nécessité tie la vo-
cation, et tous les malheurs auxquels on s'ex-
pose, quand on s'engage dans le sacré mi-
j^isière, sans y être légitimement ajipelé.
'' L est doue Ue la vocaiiun à l'état ecJé-
siastique que je prétends vous entretenir
en ce jour.
Ce discours peut êlre également utile à
ceux qui sont déjà revêtus du caractère ec-
clésiastique, et à ceux qui ne sont point en-
core engagés dans cet état sacré.
Les premiers apprendront à déplorer un
des plus grands malheurs qui puisse arriver
à un homme sur la terre, qui est de s'en-
giger dans le ministère des autels contre
la volonté du Seigneur. La connaissance de
leur malheur leur fera chercher les remèdes
auxquels ils doivent essentiellement avoir
recours pour guérir les (daies {)rofondes
qu'ils se sont laites à eux-mêmes.
Les seconds marcheront avec plus de re-
tenue. Ils y [)enseront sérieusement devant
Dieu. Peut-être ils se trouveront arrêtés
par la crainte de l'irriter, et d'attirer sur eux
ses malédictions. Les précautions qu'ils ai -
porteront pour connaître la volonté de Dieu
ne |)Ourront Inur être que très-salutaires.
C'est le dessein que je me [)ropose en
traitant delà vocation à I elat ecclésiasliquo
dans ce discours que je divise en trois par-
ties. Dans la première, je vous ferai voir la
nécessité de la vocation. Dans la seconde,
je vous monlrerai qui sont ceux qui entrent
sans unelégiliuie vocation. Dans la troisiè-
me, je vous ferai connaître ceux qui sont
légilimeuient appelés.
PREMIER POINT.
•l'ai à vous faire voir premièrement que
U( vocation « toujours été nécessaire, et
9i5
RL'iUAlTE ECCLLS.
I, VOCATION.
fliO
que Dieu dans. Ions les temps s'est claire-
inent ex|)li(:|U(5 sur coite nécessité.
En second lieu , je vous iferai connaître
les raisons importantes qui justifient la né-
cessité de la vocation , et qui font voir que
c'est une très-grande témérité que d'entrer
de soi-niônie dans l'étal ecclésiastique.
La vocaiion a toujours été nécessaire.
Elle l'était <lès le temps de l'Ancien Tesla-
niL-nl, quoique le ministère de l'ancienne
loi ne mt que l'ombre et la figure de celui
de la loi nouvelle. D'où il est aisé de con-
clure, que s'il fallait êlre app.elé dans l'an-
cienne loi, il est encore plus nécessaire
dans la loi nouvelle d'être i![)pelé avant
que d'entrer dans l'étal ecclésiastique.
La vocaiion a été nécessaire dès le temps
de l'Ancien Testament. Voulez-vous con-
naître un grand crime , et que Dieu a sévè-
rement repris par la bouche de ses prophè-
tes? C'est de marcher sans être envoyé;
c'est d'expliquer les ordres de Dieu , avant
qu'il nous ait parlé. Je ne les envoyais pas ,
dit Dieu, et ils couraient d'eux-mêmes. Je ne
leur parlais point et ils osaient expliquer
leurs vaities imaginations comme s^ ils étaient
prophètes. {Jerem.,WlU, 21.) Ils sontdtjuc
criujjnels , ce sont des téméraires , et voiL^i
tout leur crirne. Ils ont marché sans ordre,
ils ont prévenu la vocaiion du Soigneur.
Je ne les envoyais pas et ils couraient.
Celte expression mérite d'être remarquée.
Elle nous l'ait bien connaître le génie de ceux
qui s'appellent eux-mêmes. Il n'y en a
point de plus hardis , quoiqu'ils aient tant
de raison de craindre. Les amis de Dieu ,
les justes, ceux à qui Dieu a parlé, sont
toujours dans la crainte, ils reculent, ils
n'avancent qu'en tremblant. . Les usurpa-
teurs au contraire marchent la tète levée,
ilssehâlent. Les places les plus érainontes
sont l'objet continuel de leurs désirs et de
leurs empressemenls. Qu'ils auraient bien
sujet de modérer leur ardeur, s'ils voulaieni
faire allenlion au nom que Dieu leur donne,
et à la manière dont il les traite dans ses
Ecritures. Ce sont , nous dit Dieu par la
bouche de Jérémie, de faux prophètes.
C'e$t en vain qu'ils partent en mon nom. Je
ne les ai point envoyés. Ils n'ont point reçu
mes ordres, et je ne leur ai point parlé. {Jer.,
XIV, H.) Pour eue minislre du Seigneur,
il faut êlre en élat de parler ,en son nom.
Voulez-vous parler au nom du Seigneur
sans en avoir reçu l'aulorité de lui? Que
vous [arrivera-t-il ? Dieu vous désavouera.
11 déclarera que vous n'ôles qu'un faux
prophète. Donc tous ceux que Dieu n'en-
voie pas, à qui il ne parle point, à qui il
ne commande pas expressément d'entrer
dans son sanctuaire , sont do faux prophè-
tes, réprouvés de Dieu , et considérés com-
me des hommes injustes qui usurpent sans
titre un honneur auquel ils ne peuvent ja-
mais avoir aucun droit.
Vous venez de vuir comment sont repris
ceux qui courent , et qui vont avec préci-
pilalic/n. Je vous ai dit que les amis de
Dieu , ceux à qui il parle, ccui qui ont su-
jet démettre leur confinnco au Seigneur
qui les appelle, gardent une conduite toute
contraire. Téméraires , arrêtez et jetez les
yeux sur un serviteur lidèle qui a eu le
bonheur d'avoir Dieu pour conducteur dans
tontes ses démarches.
Voici ce que l'Ecriture nous rapporte de
la vocation de Moïse. Dieu l'appelle. Il lui
déclare qu'il veut l'envoyer à Pharaon pour
délivrer son peuple. Moïse répond : Qui
suis-je? Suis-je en état d'aller à Pharaon?
N'est-ce pas une entreprise au-dessus de
mes forces que de prendre sur moi de déli-
vrer les enfants d'Lsraèl ? Premier sentiment
d'un serviteur fidèle. Il renire en lui-môme.
Il est pénétré de son indignité. Moïse avait
raison de se défier de tui-mêmc. Mais que
ne devail-ii pas espérer, quand le Seigneur
lui déclare qu'il sera sa force et qu'il se-
ra avec lui? N'en êtes-vous pas étonnés?
Moïse résiste encore après une telle pro-
messe. Le peuple, dit-il , ne me croira pas.
[Exod., IV, 1.) Moïse ne craint point de
représenter b Dieu ses talents qui lui parais-
sent trop faibles , et trop petits. Il faut
que le Seigneur pour se faire obéir com-
mande plusieurs fois, qu'il menace, qu'il
paraisse en colère. Conduite merveilleuse
d'un homme juste qui craint Dieu, qui brû-
le d'un saint désir pour son service, mais
qui connaît le poids de l'emploi donl D'eu
veut le charger. Moïse exécute avec fidéliiô
tous les ordres de Dieu: il surmonte long
les obstacles; il est heureux dans toutes
ses entreprises. Pourquoi cela? C'est que la
Seigneur est avec lui , comme il sera tou-
jours avec tous ceux qui suivront ses or-
dres, qui seront exacts à ne rien entre-
|)i eiulre qu'après l'avoir consulté , et après
avoir connu sa volonté.
Jusqu'ici présent je ne vous ai encore
parlé que des prophètes de l'ancienne
loi. Ce sont des ministres de l'ancienno al-
liance dont je vous ai proposé l'exemple.
J'ai dit que s'il était nécessaire qu'ils fus-
seni appelés, c'esl une preuve invincible
que la vocaiion est encore plus nécessaire
dans le temps de la nouvelle alliance.
Ecoulons avec respect Jésus-Christ notre
législateur, et apprenons de lui quelles sont
ses maximes sur la vocation de ses minis*
Ires : Celui qui n'entre pas par la porte dans
la bergerie, mais qui y monte par un autre
endroit est un voleur. [Joan., 1, 1.) Quelio
est la porte par où doit enlrcr le pasteur
des brebis? Jésus-Clirist nous déclare que
c'esl lui qui est la porte. C'est donc par
Jésus-Christ qu'il faut entrer. Jésus-Chiist
seul a droitd'iniroduire dans la bergerie les
légitimes |)asleurs. Tous ceux qui ne vien-
nent point par Jésus-Christ sont des voleurs.
Mais quel est le bien dont s'emparent ces
criminels usurpateurs ? Ils dérobent le sa-
cerdoce. Ce n'est pas un simple vol, c'est
enlever ce qu'il y a de plus sacré dans la
religion ; c'est commettre un énorme sacri-
lège.
Jésus-Christ a toujours exécuté le pre-
mier les lois qu'il a publiées. Je vois des
vn
OUATEIUS SACHES. JOSEPH LAMDÈRT.
913
linninios qui onl to l)iii)lieur «l'enlrer dans
SCS desseins, qui soiil ses coopt'r.ileurs cl
les dispensateurs do ses mystères, exami-
nons si CCS premiers ministres qui sont nos
vériiiibles modèles, sont venus d'eux-mêmes,
ou si c'est Jésus-Clirist qui les a ciioisis.
II ne laui qu'ouvrir l'Evangile pour déci-
der neltemenl cette imporlanle vérité ; //
appela ses disripirs , et il en clioisit douze
d'entre evx qu'il nomma apôtres. (Luc. XV!,
13.) Jésn'^-Cllrist envoya les douze. [Matth.,
X, 5.) Hélas I si les apô'lres s'étaient oflerts
d'eux-mêmes, s'ils n'avaient pas été en-
voyés, tout leur travail eût été inutile, et
ils n'auraieni rapporté aucun fruit. Jésus-
Christ leur a ainsi parlé': Ce n'est pas vous
qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai
choisis, et je vous ai établis, afin que vous
alliez, et que vous rapportiez du fruit. {Joan.,
XV, 16.) Les apôtres rapportent du fruit,
parce (|u'ils ont été choisis. Si l'Evangile
fait peu Je fruit, c'est la f)lupart du temtis
parce qu'il est prêché pardes ministres que
le Seii,Mieur n'a pas appelés.
Après que le Maître s'est expliqué, il est
pres(|ue inutile de faire parler les servi-
teurs. Ne laissons pas néanmoins d'enten-
dre les ap'ôlres. Une vérité aussi essenlielle
ne peu! être t>'0p solidement ajipuyée.
Les apôtres ont confirmé avec zèle la vé-
rité qu'ils avaient apprise de leur Alnflre.
Peut-on décider plus netten.enl que saint
Paul la nécessité de la vocation? JSul ne
s'attribue à soi même cet honneur, mais il
faut y être appelé de Dieu comme Auron.
(Ucbr., V, 4.)
Le saint afiôtre dans ces paroles combat
le désordre ; il établit la loi ; et il nous [)ro-
pose un exemple.
Le désordre contre lequel saint Paul s'é-
lève fortement, s'est de s'attribuer à soi-
même l'honneur.
La loi qu'il établit, c'est qu'il faut être
appelé de Dieu.
L'exemple qu'il nous propose, c'est celui
d'Aaron. Aaron a été consacré prêtre par
i>n cxfirôs commandement de Dieu. C'est
Dieu (pii (lit à Moïse : Prenez Aaron et ses
enfants .revêlezlcs des Itabils sacerdotaux;
répandez l'huile sacrée sur leur tête {Levit.,
Ylll,2.) Voilà donc une loi générale, eldorit
aucun homme ne peut être dispensé.
Mais comment les hommes prétendraient-
ils par de vaines raisons s'exempter d'ac-
complir celte loi, pendant que Jésus-Christ
même a voulu s'y soumettre. Voici un
exemple qui est bien au-dessus de celui
d'Aaron. C'est l'exemple de Jésus-Christ:
Jt n'a point pris de lui-même la qualité glo-
rieuse de pontife ; mais il l'a reçue de celui
qui lui a dit : vous élis mon fils. [Ilebr., V,
i.) Prcndrez-vous de vous-même ce que
Jésus-Christ n'a pas voulu prendre de lui-
ujôiiie? N'esl-il pas étonnant que la liar-
diesse d'un homme puisse aller jusqu'à
transgresser une loi si ancienne, si solide-
nieni élablie, et confirmée par de si puis-
sants exemples? C'est donc une nécessité
U'êlrc aiipclc du Dieu. La vucaliou a tou-
jours été nécessaire, et cette vérité ne peut
être ignorée, puisque Dieu d.ins tous les
temps s'est clairement expliqué sur cette
nécessité.
11 faut, pour achever de vous convaincre,
vous faire connaître les raisons importantes
qui justifient la nécessité de la vocation, et
qui font voir que c'est une grande témérité
que d'entrer de soi-même dans l'état ecclé-
siastique.
Les fonctions ecclésiasti(iues sont gratï-
des, elles sont élevées; elles sont au-dessus
de la force de l'homme. Elles ne peuvent
être exercées, à moins que l'homme no soit
puissamment soutenu. Il est infaillible que
celui qui n'est pas aidé succombera sous le
fardeau, et ne sera point en étal d'en sup-
porter la pesanteur. Aussi voyons-nous que
Jésus-Christ en choisissant ses apôtres a eu
grand soin de les assurer qu'il serait tou-
jours avec eux. Hélas! qu'auraient-ils pu
faire sans un secours aussi puissant ? A peine
auraient-ils paru , (ju'ils auraient été acca-
blés. Le Fils de Dieu revêt les apôtres de
son Es|)rit. Recevez, leur dit-il. le Suint-Es-
prit. {Joan., XX, 22.) Avant qu'ils aient reçu
ce don, il ne veut i)oint qu'ils forment au-
cune en! rcpri.^e. /demeure;, leur (l\l-'\\ , jus-
qu'à ce que vous soyez revêtus de la force
d'en haut. (Luc, XXiV, 8) 11 connaissait ses
a[:ôtres, ce qu'ils étaient d'eux-mêmes. Il
savait bien que les saintes fondions de leur
ministère étaient au-dessus de leur por-
tée. Voilà pourquoi il les change, il les
liansforme par la force de l'Esprit qu'il leur
communique.
Deux choses sont absolument nécessaires
pour exercer les fonctions ecclésiastiques :
Le pouvoir et la grâce. Le pouvoir d'exercer
les l'onctions ecclésiastiques est donné par
l'ordination. Mais l'Esprit souffle où il veut
(Joan., IIJ, 8), et la grâce nécessaire pour
exercer saintement les fonctions de notre
ministère n'est pas donnée à tous ceux qui
sont revêtus du caractère ecclésiastique.
L'apôtre saint Paul remercie Dieu de cequ'il
a reçu la grâce et l'apostolat. [Rom., I, 8.)
Ces deux dons sont absolument nécessaires.
Un ministre de Jésus-Chriil que la grâce
soutient se sauve lui-mèuie, en travaillant
au salut (Je ceux qui sont confiés à ses soins.
Celui que Jésus-Christ abandonne, se perd
dans son état, et souvent par ses infidélités
il entraîne avec lui dans io précipice un
grand nombre île malheureux. C'est un vo-
leur qui ne vient que pour égorger, pour voler
et pour perdre les dînes. [Joan., X, 10.)
C'e^t dimc un principe certain que tout
homme qui ne sera point aidé d'un secours
})uissant et que Jésus-Cluisl seul peut don-
ner, ne sera point en état d'exercer les fonc-
tions ecclésiastiques.
La grâce nous est nécessaire. A'ous avez
même besoin d'un secours puissant et ex-
traordinaire. Croyez-vous recevoir ce se-
cours, si vous entrez dans l'étal ecclésias-
li(]i;e sans y être particulièrement appelé?
Tout homme (jui vient sans être a[ipelé, en-
tre contre liit vulonlé de Dieu. Il transgresse
'J-iO
une loi scleiinclle , diMit Dieu a loujnuis
recoQimandé l'exéciilinii. La pniiilion oïdi-
n.iire de ce crime, (]iilIIo os(-elle ? La \'v\-
v'jlion des gr;\cos sans lesquelles les loiic-
lions eccli^î-iasli(iiies ne peuvent (Mre exer-
cées avec fruit. Que va faire cet homme qui
(■n're sans vocation? Il va se charger d'un
fardeau qu'il ne (lourra porter.
\oici donc en (juoi consiste In témérité
de celui qui enibrasse l'étal ecclésiastique
avec précipilalioîi et sans avoir connu la
volonté de Dieu. (]'esl un homme qui peut
prescpie s'assurer que Dieu l'iibandonnera,
tt (ju'il n'aura point les grâces nécessaires
j O'.ir exercer les lonclions de son état.
Ce sont ces coiisitléralions qui faisaient
(reml)ier les saints. Voilà pouiquoi ils ap-
l'.orluienl tant de précautions, avant (jue de
^'cngager dans l'étal ecclésiastique. Je veux
seulemenl vous faire entendre ici ce que
saint Cyprien nous rapporte du saint Pape
Corneille. « Son élévation à l'épiscopal n'a
puinl été précipitée. Il avait au[)aravanl
exercé toutes les lonclions ecclésiastiques.
C'est sa litlélilé dans les fondions infé-
rieures, qui lui a fuit mériter ce qu'il y a
t;e |dus grand dans le ministère des autels.
1! rr'a point souhaité l'épiscopal, il ne l'a
point demandé. Sa conduite a élé exlrêrae-
meht opposée à celle de ces hommes super-
bes et pleins d'eux-mêmes, qui ne craignent
point d'envahir cette liante dignité. On l'a
vu paisible et modeste, et dans les vérita-
bles dispositions où doivent être ceux qui
sont choisis de Dieu pour remplir les pre-
mières places; son humilité ne s'est jamais
ilémenlie. Bien loin de faire aucune vio-
lence, c'est lui-même qui l'a soutfeile, cl il
a élé fait évêque malgré lui (2).
Voici, selon le témoignage d'Origène (2),
les qualités essentielles que l'on demandait
dans ceux qui éiaient élevés aux dignités
ecclésiastiques. Nous confions le soin des
Eglises à ceux qui en sont dignes par leur
science et par leur jiiété. Les ambitieux eu
sont indignes. Les modestes doivent être
recherchés. Nous faisons violence à ceux
qui n'auraientjamaisassezde hardiesse pour
exerc- r les fonctions ecclésiastiques, s'ils
n'y étaient contraints.
Si ces vérités sont certaines, si le com-
mandement de Dieu ne peut être contesté,
si une expérience manifeste nous fait aper-
cevoir un si grand nombre d'ecclésiastiques
qui se perdent , parce qu'il est visible que
Di'eu les abandonne en punition de leur té-
mérité; comment se irouve-t-il des hom-
mes assez hardis jiour se pousser d'eux-
mêmes, et sans une Ic'gitime vocation? Ce-
pendant il s'en trouve; le nombre en est
grand; bien loin de diminuer, il semble
(2) Non isle ad episcopalum suljiio pervenit,
sed per omnia ecclesiaslica officia promolus, ei in
diviins adminislrationibiis Domiiiuiii promerilus.ad
baciTdotii sulili'i.e lasligium, cunc.lis rcligionis
{{ladibus àscchdil Tuin dciiide episcopatuni, nue
ipse piisiuiavil, iwc voluil, iiec ul cieteri, qiios ar-
i('içaiil!a; cl MipaibliC suiC luuior iiibljl, iiivasil. Scd
RETI\ArTE ECCLES. - I, VOCATION. f"»»
qu'il augmente tous les jours : Ils viclinent
en foule, et on les voit de tous côtés inon-
der le champ de l'Eglise. C'est la triste vé-
rité que nous avons à méditer dans la se-
conde partie de cet entretien oîi je dois
vous faire voir qui sont ceux qui entrent
sans une légitime vocation.
DEUXIÈME POINT.
Il y a des vérités que l'on n'approfondit
qu'avec peine, et dont on voudr-ail bien quo
les preuves ne fussent pas si claires, et en
si grand nombre. Oh I quelle douleur pour
moi de pouvoir vous faire voir, par une si
longue énuméralion, qu'il y a une infinité
de téméraires qui entrent dans l'état ecclé-
siastique sans une lé;^itime vocation, il ne
faut pour cela qu'examiner le molif qui con-
duit la plu|)ait des hommes, et qui les en-
gage à embrasser l'état ecclésiastique.
^ Qu'est-ce que doit chercher un prêtre et
quel molif iloil-il se proposer? Un prêtre ne
doit chercher que Jésus-Chiist et le salut
de ses frères; un prêtre est consacré pour
servir Jésus-Christ, et pour établir son rè-
gni", d'où il s'ensuit que tout homme qui
entre dans l'état ecclésiastique avec une
autre lin que de servir Jésus-Christ , el do
travailler au salut des Ames rachetées do
son sang, n'enire point par la (lorte , et ii
n'est point appelé.
Les premiers qui entrent dans l'état ec-
clésiastique sans vocation, sont ceux qui
embrassent cet état par une lâche com|)lai-
sance pour des parents intéressés. Ils sont
appelés par leurs parents, et ils ne le sont
point par Jésus-Christ.
Des [)arenls qui ne connaissent point les
maximes de l'état ecclésiastique, ou qui, en
cas (ju'ils les connaissent, n'ont [)as assez do
religion |)Our s'y soumettre, décident d'a-
bord (]ue le bien temporel de leur fantiilio
demande qu'un ou plusieurs de leurs en-
fants s'engagent dans l'état ecclésiastique
La résolution étant for'inée, ils choisissent
eux-mêmes et de leur propre autorité ceux
qu'ils veulent donner à Dieu. Dans ro choix
que considèrent-ils? Leur prof)re utilité. Que
consullent-ils?La/3rMdcncerfe la chaU\{Roin.,
VlIi,6.)Celte [)rudence ennemie de Dieu dont
saint Pau! a déclaré qu'elle conduit à la mort.
Font-ils quelque aiteniion aux ialents de
leurs enfants? Examineront-ils si leurs cn-
fanls ont les qualités nécessaires [)0ur bien
remplir les lonclions de l'état ecclésiasti-
que? C'est à quoi ils ne penseront point.
Esl-co 15 ce qui vous engage à faire choix
de l'étal ecclésiastique? Avez- vous pris
place parmi les ministres du Soigneur, ou
parce que vos parents vous l'ont conseillé,
ou bien même parce qu'ils se sont servis
quielus et modcslus, qualcs esso coiisuevenin qui
ad liunc locum diviiiilus eliginitiir, pro piuiore vir-
ginalis conscienlise suai, cl |)ro liHiniliiale iiigciiirie
sil)i el cusloilil;c verecuiulin;, non ul(iuidani vm»
iacil ut cjjiscopus ficrei, sctl ipse viin passus est,
ul i-l>iscopaluin (oa.tlus a< ( ij crcl. »
(i') L. b. conlra Cchiim.
9M
OUÂ'fELKS SACRLS. JOSEPH LAMBERT
î>:-2
de leur autorilti pour vous dtMeriuiiier? La
meilleure résolulion que vous puissiez
prendre, c'est de changer d'élat. La com-
plaisance vous coulerait tro|)cher. Elle se-
rait également funeste et à vos parents et à
vous-même. Vous vous perdez , parce que
vous entrez dans l'état ecclésiastique avec
de très-mauvaises dis[)ûsitions. Vous per-
dez vos parents^ parce que Dieu leur de-
mandera compte de l'injuste violence qu'ils
vous ont faite. Il faut être appelé de Dieu.
Vous ne l'êtes point. Vous devez donc vous
expliquer au plus tôt, vous devez user de la
liberté que Jésus-Christ vous a acquise.
Faites entendre à vos parents que Dieu est
votre premier père, que vous ne pouvez pas
aller contre ses ordres, qu'il y va de voire
salut éternel , que vous vous perdriez in-
failliblemenl en vous engageant dans un
étal auquel Dieu ne vous a point fait la
grâce de vous appeler (3). « Voire père,
dit saint Augustin , n'aura pas Meu d'en-
trer contre vous dans des sentiments déco-
lère, quand vous ne lui préférerez que Dieu
seul. »
Les seconds qui entrent dans l'état ecclé-
siastique sans vocation, sont ceux qui le
considèrent comme un étal commode, qui
se proposent de passer leur vie dans une
mo.le oisiveté, qui fuient le travail, qui
sont fort résolus de ne recherclier dans la
condition ecclésiastique que ce qui lus flat-
te, et d'éviter autant qu'il sera en eui tout
ce qui pourrait leur causer quelque peine-
Le Sage parle au paresseux, et en lui f;ii-
satil de sévères reproches, il lui dit '.Jus-
qu'à quand vous abandonnez -vous au som-
meil, et ne voulez-vous pas sortir de voire
lit? Le paresseux cache sa main sous son
aisselle, et ne veut pas seulement se donner la
peine de l'appliquer à sa bouche. (Prov., VJ,
9; XIX, 24..) Vous voulez entrer dans l'état
ecclésiastique parce que vous le considérez
comme un état commode, où l'on peut vi-
■vro tranquillement, et s'exempter de toutes
soi tes de peines. Avez-vous la moindre idée
de l'étal ecclésiastique ? Si vous en aviez
tant soit peu examiné les obligations , vous
sauriez que c'est une condition laborieuse ,
et qu'on n'est ecclésiastique que pour iia-
vailler.
Où trouvcrez-vous que Jésus-Christ, en
établissant des apôlres et des ministres, leur
ail permis de |)asser leurs jours dans la
paresse? Quand les apôlres allaient dans
dillérents lieux, et qu'ils imi)0saient les
mains à ceux qu'ils avaient choisis, ont-ils
jamais prétendu que ces hommes pouvaient
«lemeurer tranquilles, et abandonner le
troupeau qui leur élail contié? Etre ecclé-
siastique et vivre dans la paresse sonl deux
Idées qui se couibuttent. C'est un i)rinci;ie
>ùc que .tout ecclésiaslique qui est oisif
n'est point en voie de salul, parce qu'il ne
remj)lit point une condition esseiilielle de
(3) Non irascaliir pater, Deus solus illi piœ-
ferliir.
(,i)Ex cousideralioiie hujuÊ ordinis meuleni meam
son état. Que deviendrait l'Eglise si fous ses
ministres élaieiil dans la même erreur que
vous? S'ils étaient tous dans une aussi mau-
vaise disposilion? Elle serait donc abandon-
née; son champ ne serait point cultivé;
elle serait en proie à ses ennemis; elle se-
rait attaquée de toutes parts sans que per-
sonne entreprît sa défense.
§: Saint Paul veut justifier la vérité de son
apostolat, contre les faux apôtres qui étaient
assez téméraires pour lui en coutt^ster le
litre. De quelle preuve se sert-il pour faire
voir qu'il est apôtre? Ses travaux, ses souf-
frances, voilà sa preuve. Sont-ils ministres
de Jésus Christi J'ose dire que je le suis encore
plus qu'eux? J'ai plus souffert de travaux ,
plus reçu de coups, plus enduré de prisons ,
etc. (I Cor., XI, 23.)
Quand les saints Pères parleni de l'étal
ecclésiaslique et du sacerdoce, ils assurent
tous que c'est un poids, que c'est un far-
deau; mais un fardeau très-lourd. Idée bien
dilTérente de la vôtre.
Ecoutez saint Grégoire, pape (4). Il ne
parle pas seulement du rang auquel il est
élevé, co qui lui fait dire qu'il est pénétré
de douleur dans la crainte qu'il a de no
pas remplir tous ses devoirs; mais il assure
en général que le sacerdoce est un fardeau
très-pesant.
C'est un fioids que vous ne sentez point.
Tout vous plaît dans l'état ecclésiaslique,
tout vous flatte : vous n'apercevez rien qui
vous trouble et qui vous etfraye. Il est doux
de jouir d'un revenu dont on se trouve en
possession sans se donner aucun soin, ni
sans prendre aucune peine. C'est là tout ce
que vous prétendez dans l'élat .ecclésiasti-
que, vous n'avez jamais songé à y travail-
ler : bien loin de cela, le travail vous en-
nuie, vous rebute, vous fatigue. Il esl ab-
solument nécessaire que vous renonciez 5
l'étal ecclésiaslique, et il est sûr que vous
n'êtes point appelés.
Ceux-là, en troisième lieu, ne sont point
appelés à l'état ecclésiaslique, qui n'ont
point de talents pour en remplir les fonc-
tions. Dieu qui veut que tous les ecclésias-
tiques travaillent, n'appelle que ceux qui
ont quelque talent pour cultiver le champ
de son Eglise. Le sacerdoce est un poids.
Il faut doue être en élat de le soutenir.
Je ne demande pas que tous ceux qui se
consacienl à Dieu dans l'état ecclésiaslique
aient des talents distingués. Il n'est pas né-
cessaire que tous aient un génie suj)érieur,
une science sublime, des connaissances re-
cherchées. Il n'est pas nécessaire que tous
approfondissent ce qu'il y a de plus secret
et de plus curieux dans les mystères etdans
la saillie antiquité. Il est esicore moins né-
cessaire pour èlre ecclésiastique d'avoir les
talents qui brillent, (jue le monde estime,
et qui souvent sont jilus dangereux qu'ils
ne sont utiles ; mais au moins nul ne doit
iraiisveiberal vis doloris. Grave naaique esl pott»
dugjsacerdotii. (L. 11, epist; 3yj
953
lîKTIÎAITE ECCLLS. — l, VOCATION.
9'ii
«Tjîpiror à col «^Inl Uiboiieux, à moins, (in'il
ne pui.iso soiilonir !es Irnvaux auxquels l'oi-
(Ire dp la Providence lo doit appliquer.
Je fais grande estime d'un liorame, qui
sait instruire d'une manière familière et
loui-liniitc, (pii peut faire poûler les vérités
dp lEvanj^ile par des explications graves,
sérieuses, pénétrâmes; qui est en état de
donner du lait aux enfants, et de bien faire
entendre les nivslères du salut.
Vous en vojez dont l'esprit lourd et tar-
dif ne comprend rien; à peine i)euvent-iis
rendre raison de leur foi ; on ne voit rien
en eux qui n'attire le mépris ; ils s'acquit-
tent indignement de tous les emplois (]ui
leur sont conllés. Pourquoi donc vouloir
6(re ecclésiastique, pendant que vous avez
une preuve si^re, qui vous fait connaîlre
que l)ieu ne vous appelle point ?
i Voici une dernière classe, laquelle est
très nombreuse ; et cependant il est vrai
de dire que tous ceux qui la composent
ne sont point appelés à l'état ecclésiasti-
que.
L'apôtre saint Paul se plaint que tous
rhncfient leur propre inlc'rél. {Philip., 11,
'11.) Il y «.Il a une inlinilé, qui se font ecclé-
siastiques par intérêt. Dieu les appelle-
t-il? Non. C'est leur intérêt qui les ap-
pelle.
Combien y en a-l-il qui se font ecclésias-
tiques uniquement dans la vue d'avoir des
bénéfices? Le raisonnement qui lesadélei-
minés, c'estque dans le monde ils vivaient
misérables, et sans bien. L'Eglise est leur
refuge. S'ils veulent rentrer en eux-mêmes
et parler de bonne foi, ils sont obligés de
confesser, que s'il n'y avait f)oint de béné-
fice à espérer, ils ne songeraientpoinl àem-
brasser l'état ecclésiastique.
Que dirons-nousde la vocation de ceux
qui n'ont point dessein de rendre aucun
service è l'Eglise, mais seulement de jouir
de ses revenus; qui ne sont ecclésiastiques
que parce qu'ils ont un onde ou un parent,
qui a des revenus considérables dans l'E-
glise; qui entrent dans des bénéfices même
à charge d'âme, parce qu'ils n'ont aucun
autre emploi pour vivre ; car s'il se présen-
te quelque autre condition plus avantageu-
se et moins chargée de soins, ils abandon-
nent avec joie la cure et le troupeau ; qui
$up[)utent combien vaut le bénéfice, mais
qui n'examinent point s'ils peuvent être
de quelque secours à l'Eglise et au pro-
chain ; qui ne songeaient en aucune ma-
nière à embrasser l'élat ecclésiastique, qui
avaient même pris d'autres mesures : mais
un bénéfice auquel ils ne s'attendaient pas,
les a déterminés à s'engager dans la milice
sacrée.
Mettons au môme rang les enfants de fa-
mille qui embiasseni l'élat ecclésiastique,
parce que leur aîné emporte une grande par-
(.')) Mercenarii suni sua qua^renles. Quid est sua
qua^ieiiles? ^Oll Llirislum gralii dilij,'tiiles, non
Deum propler Deuiii quarenits, leini'oialia coin-
moda «ectauich, lucris luliiaiilvs, lioaoics ab lio-
lie (lu bien. Ils (int recours à l'Eglise, afin d'y
trouver les richesses (pie le monde ne peut
leur fournir. Ainsi, il est vrai de dire qu'ils
se font ecclésiastiques pour avoir des ri-
chesses pour vivre avec éclat et pour sou-
tenir leur ambition.
Ce qui fait bien voir combien ils sont
peu appelésà l'état ecclésiastique, c'estque
(juand leur aîné meurt, s'ils sont encore
libres, aussitôt ils abandonnent l'Eglisu
pour retourner dans le siècle. Souvent ils
font gloire de leur changement. Ils témoi-
gnent qn'ils ne regardaient l'état ecclésias-
ti(pie que comme une dernière ressource.
S'ils sont engagés dans les ordres sacrés,
ils se repentent de s'être trop tôt précipi-
tés. Ils sont agités de continuels regrets.
Ils ne demeurent dans l'Eglise que comme
des esclaves. Ils donnent lieu aux gens du
monde défaire des railleries, et de dire:
S'il élit eu plus de prévoyance ; s'il eût su
ce qui devait arriver; si son caractère se
pouvait effacer, nous le verrions bientôt
quitter l'Eglise pour revenir dans le siè-
cle.
Quelle indignité que d'entrer par un mo-
tif si bas dans le plus élevé de tous lesétalsl
Peul-on donner le nom de pasteurs à ceuv
qui se laissent conduire par une lin si cri-
minelle ? Non, ce ne sont point des pas-
leurs. Ce sont des mercenaires.
Les mercenaires, selon la définition que
saint Augustin nous eu donne, ce sont ceux
qui recherchent leur intérêt, qui ne se
donnent point à Jésus-Christ (5), pour Jé-
sus-Christ même, qui n'aiment point Dieu
jiour l'amour de lui-même ; qvii regardent
j)rincipalement leur utililé temporelle, qui
sont possédés de l'amour du gain, qui se
laissent éblouir à l'éclat des hoimeurs
Ces mercenaires sont d'autant plus cou-
pables, qu'ils renversent entièrement l'or-
dre que Dieu a établi. L'ordre de Dieu est
que ses ministres se (iroposcnt en premier
lieu d'annoncer son Evangile. Il leur per-
met ensuite d'user des biens de ce monde,,
parce que s'ils n'avaient pas de quoi se
soutenir, ils ne pourraient pas exercer leur
minislèrc. Les mercenaires, au contraire,
ont pour première fin leur intérêt. Ils con-
sidèrent le ministère évaîigélique conuiio
un ujoyen pour arriver à la fin honteuse
qu'ils se proposent, et do là saint Augustin
prend occasion do leur faire ce reprocije :.
« Les richesses temporelles sont votre fin»
L'Evangile est le moyen (jue vous choisis-
sez pour arriver à votre lin. La fin est tou-
jours plus précieuse que les moyens, donc
vous mettez les richesses temporelles au-
dessus de l'Evangile. Horrible ]>rol'anation
et qui mérite les jilus sé\èies châtiments.
Vous prêterez à l'Evangile, les biens caducs
et /lérissables de ce monde. Combien donc
y en a-l-il qui profanent l'Evangile (Gj ? »
minibus appelentes. (Tracl. 40 in Joan.)
(6) « Si evarifc'elizcmus ut uiaiiOiiceuius, viliiis
iiahtinus Evungelium quaui cibuiii. » [L. Il, Stiin
III monte.)
D'ÎJ
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMLîERT.
936
O vous qui aspirczà l'éliit eccli5«iasliqiie,
prenez gnide quo vous no soyez (ie ces
profiin.'ilinirs. Si vous sentez en vous-mêmes
que c'est le molif iionleux (Je l'intérôl qui
vous guide, renoncez à votre dessein, et
n'augm'Miiez point le nombre des merce-
n<iires qui n'est déjà que trop grand
En voilà donc un grand nombre (pji n'en-
trent |)oint par la porte. Vous en ûles sans
doute effrayés. La plupart vous paraissent
noircis de quelques défauts, (pii vous ren-
dent il bon droit leur vocation suspecte.
Qui sont donc ceux, inc denuuidcrez-vous,
qui sont légitiiiicmoiit a|)pclés ? Vous allez
l'apprendre dans la dernière 'partie de cet
entretien.
TROISn'iME POINT.
Ceux-là sont légitimement appelés qui,
«près avoir pris toutes sortes démesures,
pour connaître ce que Dieu demande d'eux,
ont liou de croire, non point par leur [i;'o-
pre jugement, mais par le jugement de ceux
qui sont établis pour ôlre leurs conducteurs,
que la volonté de Dieu est qu'ils eulreîit
dans l'état ecclésiastique.
Celui-là donc qui veut entrer [)ar la porte,
en premier lieu doit prendre de graiifles
précautions pour connaître la volonté de
Dieu. En second lieu il ne se doit point
conduire par son propre jugement, mais
par lo jugement de ceux que Dieu a établis
pour lui servir de guides.
Tout chrétien doit prendre desprécautions
pour connaître ce que Dieu demande de lui.
Ces précautions doivent être encore plus
grandes, quarid il est question de cboi-
.sir un état : mais quand il s'agit d'embras-
ser l'état ecclésiastique, le plus saint el le
plus sublime de tous les états, c'est pour
lors que les efforts doivent être redoublés,
c'est pour lors qu'un homme qui a la crainte
du Seigneur met en usage tous les moyens
que la prudence chiélii'nne lui inspire
pour découvrir la volonlé de Dieu.
Les moyens les plus oflicaces que Dieu
nous a donnés pour connaître sa volonté
sont la retraite et la prière.
La retraite est le lieu propre pour con-
sulter Dieu. C'est dans la retraite que Dieu
se communique à nous. Les embarras du
monde nous empêchent d'écouter Dieu ;
comment voulez-vous discerner sa voix au
milieu du tumulte? Peut-on entendre ce
que Dieu nous dit dans un lieu oij tant de
voix confuses se mêlent pour établir des
maximes contraires à celles que Dieu nous
6 enseignées? Voulez-vous que Dieu vous
|iarle? séparez-vous de cette multitude re-
belle qui ne le connaît point, et allez dans
la retraite.
C'est pour cela que les sacrements ont
été si sagement établis. Avant ces saints éla-
l)lissements, le désordre était bien plus
commun. Plein de l'esprit du monde, on
s'engageait dans les ordres sacrés, sans
avoir consulté Dieu, et sans l'avoir écoulé.
Tous ceux qui connaissent do quelle im-
l'ortaiice il est (juoDieu nous parie et qu'il
nous conduise, bien loin d'avoir aucune
ré[)Ugnancc |)0ur ces saintes retraites, s'y
renferment avec plaisir, ils y demeurent avec
joie. C'est là (pi'iis se forment, une juste idéo
de la vie retirée, afin d'en contiimcr l'exer-
cice et de faire de leur maison un véritable
séminaire.
Joignez h la retraite les saintes ardeurs
d'une prière fervente. Dès le moment que
vous avez conçu le dessein d'entrer dans
l'état ecclésiasti(]ne, vous ne devez point
cesser de prier. Vous devez presque tou-
jours avoir dans la bouche et dans le cœur
ces paroles du saint prophète David : Sei-
gneur, failcs-moi connaître la voie dans In-
(juetleje dois marcher Seigneur, enseignez-
moi à faire voire volonté. (Psal. CXI. 11, 8.
10) Qu'il ne se passe pas un seul joui- de
voti'e vie que vous ne fassiez à Dieu une si
im|)orlanle prière. Je dis que ces paroles
doivent être dans votre bouche et encore
[ilus dans votre cœur; car vous devez dési-
rer effectivement de connaître la voie dans
latinelle Dieu veut que vous niarcliiez.
Vous devez craindre souverainement de
prendre un ciicinin pour un autre, il y va
de votre salut. Si vous êtes dans la voie où
Dieu veut que .vous marchiez, vous vous
sauverez. Si vous entrez contre la volonté
de Dieu dans une voie où il ne veut pas
que vous marchiez, votre perte estprestjue
assurée Voyez donc de quelle importance
il vous est de dire avec ardeur, et dans ia
sincérité du cœur : Seigneur, faites-moi con-
naître la voie dans laquelle je dois marcher.
LeSeigneur tout |)leinde miséricorde pour
nous, ne manque guère de découvrir sa vo-
lonté à ceux qui ont un désir sincère de la
connaître. Souhaitez donc de connaître la
volonté de Dieu; soyez disposés à la suivre,
quelque obstacle que l'on vous oppose. Si
Dieu veut que vous le serviez dans l'état
ecclésiastique, que rien ne vous arrête;
si Dieu ne veut point que vous soyez au
rangde ses ministres, fermez l'oreille à tous
les conseils pernicieux des prudents du
siècle. Telles doivent être les dispositions
de notre cœur j)our jiouvoir dire sincère-
ment à Dieu: Seigneur, enseignez-moi à
faire voire volonté.
Dans une occasion où il vous est si im-
portant de connaître ce que Dieu veut de
vous, vous ne devez pas vous en reposer sur
vous-même. Non-seulement vous devez
prier, mais encorç vous devez conjurer les
autres de prier pour vous. Employez le se-
cours de tout ce que vous connaissez do
personnes qui vivent dans la piété. Priez
les prêtres du Seigneur de se souvenir de
vous dans leuis saints sacrilices.
C'est ainsi que saint Paul implorait le
secours et les prières do ses fières dans les
nécessités pressantes : Je vous conjure, mes
frères, par Jésus-Christ notre Seigneur el par
la charité du Saint-Esprit, de combattre avec
moi par les prières que vous ferez à Dieu pour-
moi, (liom., XV, âo.) Ayez sans cesse dans
l'esprit t|u'i! s'agil de connaître la volonté
de Dieu, et (luc tout C5l perdu nour vous si
957
UETRAITE IXICLKS. — I, VOCATION,
9.*i8
\
vous i-'iitroz (JansrtHalectlésiasliq'je ooiilre
sa volonté.
Ouancj vous aurez pris ces sagus précau-
tions, il 110 faut pas oncore vous en rap-
porîer 5 vous-niôme. Si vous décidez, si
vous prononcez sur voire voc'Uion, vous
vous appelez vous-niôine, cl c'est un prin-
cipe sûr que celui qui s'ai^pelle lui-raôoie
n'est point appelé de Dieu.
Une des marques de vocation des pins
sûies et des plus consolantes, c'est d'ôlre
appelé par son évêqiie. Ce sont les évéïpies
et les supérieurs qu'ils emploient, que Dieu
3 élaLilis juges de votre vocation. Ecouler
l'Eglise, écouter ses supérieurs, c'est écou-
ler Jésus-Chiisl. Qui vous écoule tn écoule.
(Luc, X, 16.) Si vos supérieurs vous choi-
sissent lorsque vous y songez le moins,
votre vocation est encore plus régulière et
("lus assurée. S'ils vous confèrent un béné-
lice plus laborieux que commode, qui vous
prive des choses agréables, (|ui vous sé|iare
de vos parents el de vos amis, s'ils vous
envoient |iour gouverner des hommes rus-
tiques et peu reconnaissants, c'est encore
une très-bonne marque de l'élection divine.
Car, ()unnd la nature est cruclhée avec se?
convoitises, i'amour-[iropre est moins à
ciaindre.
Je vois vos sentiments. Vous comprenez
liî's-bien que vous êtes obligé d'obéir à
vos supérieurs, [)Ourvu qu'ils vou^ confè-
rent un bénétice commode, et tel que vous
le désirez ; mais si l'emploi est d'un mé-
diocre revenu, s'il est plein de diflicultés,
s il n'a rien qui flatte l'amour-|)ropre, ce sera
vainement que vos supérieurs vous re()ré-
senleroiil le besoin qu'ils ont de vous, et les
services considérables que vous pouvez
lendro è I Eglise; vous ne vous souvenez
plus du vœu solennel d'obéissance que vous
avez prononcé. Esl-co à vos supérieurs à
qui vous résistez, ou plutôt n'est-ce pas à
hidu qui vous appelle par leur bouch;.? ?
Vous devez donc vous adresser à vos su-
périeurs, agir par leur avis, ne point avoir
d'enipressement, n'employer auprès d'eux
aucune sollicilalionque celle de vos vertus,
de voire docilité et d'une soumission par-
laite.
En consultant vos supérieurs, prenez
garde à éviter deux excès qui sont cause
que l'on ne relire aucun fruit des conseils
que l'on demande.
On consulte, mais l'on est déterminé avant
que de demander conseil ; on consulte, non
pas pour s'éclaircir, mais pour trouver des
hommes qui favorisent notre sentiment; on
soutient son avis avec opiniâtreté, jusqu'à
ce qu'il soit a[)prouvé. Est-ce là demander
conseil, ou plutôt n'est-ce pas vouloir se
tromper? Quand vous consultez, ce doit
être avec un esprit de docilité et une dis-
position sincère de vous soumettre aux dé-
cisions de vos su|iérieurs: autrement c'est
vainement que vous les consultez.
Ne soyez point encore semb'able à ceux
qui consultent, raaiscjui se'déguisenl et qui
cachent leurs véritables seulim'.iils. Com-
menl veulent-ils qu'on leur Jo-tne un sago
conseil, à moins (pi'on ne les connaisse
parfaitement? Il faut qu(! celui à (jni vous
vous adressez voie clairoioent tout ce qui
se passe en vous; il faut qu'il sache quel
est l'esprit qui vous anime; si c'est res|,rit
du siècle, si c'est l'esprit de Jésus-Christ. Il
faut (pi'il examine votre comluile, et si votre
vie a élé assez pure classez innocente pour
entrer d.iijs un état qui est si saint; il faut
qu'il sache si vous êtes un homme d'orai-
son; il faut qu'il connaisse si vous pourrez
vous riîsoud.e à mener une vie retirée et
séparée du monde; il faut qu'il reconnaisse
en vous au moins les [)remières semences
des vertus ecclésiastiques qui sont la pru-
dence, le zèle, la fermeté, la modestie, la
pnlicncc, le désintéressement, etc. Voilà le
sérieux examen que doit faire celui quo
vous consultez. Vous voyez de quelle né-
cessité il est de lui ouvrir votre cœur. Si
vous usez à son égard de quelque dissimu-
lation,, c'est vous-même quo vous trompez.
Si lapins excellente marque de vocation,
c'est d'être appelé par ses supérieurs, il
s'ensuit (jue ceux-là peuvent s'assurer qu'ils
ne sont point appelés, à qui leurs supérieurs
déclarent qu'ils ne doivent point songer à
entrer dans l'état ecclésiaslifpie.
L'apôtre saint Paul nous dit que ceux-là
qui se soulèvenl conlre tes puissances élabUes
de Dieu, résislenl à l'ordre de Dieu même.
(/fom., XJII, 2.) Il n'y a point de puissance
plus légitime, et conlre latjuelle il soit plus
criminel de se révolter, que celle des su-
périeurs ecclésiastiques. Prononcez donc
conlre vous-même, et voyez quelle est l'in-
justice de votre conduite.
Afin qiio votre vocation fût légitime, afin
que toutes choses se passassent dans l'ordre,
il faudrait que vous fussiez justement ef-
frayé, en considérant l'élévation de l'état
ecclésiastique; que vous fussiez pénétré do
voire indignité. Vous devriez fuir el vous
éloigner, selon l'exemjjle (pje les saints
vous ont laissé, et il faudrait que ce lût
votre supérieur qui vous contraignît conlre
voire inclination , de vous charger d'un
poids dont la pesanteur vous fait trembler.
Mais vous êtes dans des dispositions ab-
solument contraires. C'est vous qui voulez
forcer voire supérieur à vous introduire
dans le sanctuaire. Il vous résiste, il vous
remontre que vous n'êtes pas suflisamment
éprouvé. Bien loin d'être docile à ses re-
monslrances salutaires, bien loin de vous
retirer avec modestie, il n'y a point de sol-
licitations que vous n'employiez pour chan-
ger Ja volonté de votre supérieur. Un père
el une mère qui ne savent ce qu'ils deman-
dent, ont une précipitation mal entendue
de vous voir revêtu du sacerdoce.
Si le supérieur a toute la force que lui doit
inspirer la sainteté de son caractère, il con-
sidérera toutes vos imporlunilés comme do
nouvelles preuves de votre indignité. Mais
s'il était assez faible pour céder à vos in
justes désirs, soyez convaincu que ce serait
un tiè.>-gr.iad malh 'ur pour vous. Il n'y a
m,9
OKATIÎUUS SACRES. JOSEPH LAMBEUT.
9CU
point de (Joute que vous entreriez par vous-
riièmi*, et sans ôtre appelé : El \nu- consé-
quent vous seriez de, ceux que lo Fils do
Dieu niipello des voleurs. Si i]iielqunn, dit
Jésus-Christ, vient dans la bergerie, et qu'il
n entre point par la porte, mais qu'il y monte
par un autre endroit , il est un voleur.
(Joan., X, 1.)
Ce sont donc vos supérieurs que Dieu a
établis pour vous faire connaîire sa volonté,
il faut que ce soit vos supérieurs qui vous
rassurent, qui vous déterminent, qui vous
introduisent dans le sanctuaire. Retenez
bien celte maxime essentielle : Si vous vê-
liez de vous même, votre entrée est crimi-
ne.'le, et vous ne pouvez entrer avec une
légitime vocation à moins que ce ne soit
par l'autorité de vos supérieurs.
Etre léi^iiimement appelé , c'est donc
après avoir pris toutes sortes de mesures,
j)our connaître ce que Dieu demande de
nous , avoir lieu de croire , non point par
notre propre jugement, mais par le juge-
ment de ceux que Dieu a établis pour ôlre
nos conducteurs, que la volonté de Dieu est
que nous entrions dans l'état ecclésia>li-
que.
Sans doute ces vérités feront connaître à
plusieurs déjà engagés dans l'élal ecclésias-
tique, qu'ils y sont entrés contre la volonté
de Dieu. Il est juste de les instruire et de
leur apprendre ce qu'ils ont à faire pour ré-
parer une faute dont les suites sont si fu-
nestes.
Ou ils sont engagés dans l'élal ecclésias-
tique (lar les saints ordres (ju'ils ont reçus,
ou bien par quelque bénélice dont ils ont élé
pourvus.
S'ils ont reçu les saints ordres sans être
appelés', il n'y a |)Oint d'autre moyen |)Our
réparer celte injure qu'ils ont faite à Dieu,
qu'une longue et sérieuse pénilence (7).
Anciennement les clercs, pour faire péni-
tence, étaient enfermés dans des monastères,
où, étant privés pour jamais de l'exercice de
leurs fonctions, on leur imposait des .péni-
tences très-rigoureuses.
Celui qui est entré dans l'état ecclésiasti-
que sans vocation doit se juger indigne
d'exercer jamais les fondions de ses ordres.
De lui-même, et de son propre choix il doit
se condamner, et prononcer contre lui une
sentence sévère. Tousses vœux doivent êlre
}iour la retraite. C'est là qu'il doit souhaiter
de se renfermer pour répandre des lar-
mes.
Je ne dis pas néanmoins qu'un ecclésias-
tique entré sans vocation, ne puisse el même
ne doive continuer ses fondions, surtout
en ce temps où l'Eglise manque de minis-
tres, et particulièrement lorsque ses supé-
rieurs ra|)pellent. Mais si l'un se relâche;
«i l'on n'oblige plus à observer les anciens
canons dans toute leur rigueur, le remède
de la pénitence est-il moins nécessaire à ceux
oui se sentent criminels d'un péché si
grief?
Il faut donc ipie d'eux-raômes, dans lo
lieu de leur demeure, sans quitter leurs
fonctions, sans se séparer pour toujours des
saints mystères, sans se revôlir d'un sac et
d'un cilice , sans être assujettis aux lois
de l'ancienne pénitence, ils fassent des pé-
nitences qui tiennent lieu de celles qua les
clercs observaient autrefois en se renfer-
mant dans des monastères, en abandonnant
leurs fonctions, en s'éloignant des saints
mystères, 'passant [jlusieurs années revêtus
d'un sac et d'un cilice, observant toutes les
austérités auxquelles les anciens pénitents
étaient soumis.
''■ -Mais si vous êles engagés dans l'Eglise
seulement par quelque bénéfice, comme te
lien n'est {)as indissoluble, il vous sera
plus aisé de remédier au mal.
La première disposition où vous devez
entrer, c'est de consulter des hommes pleins
de l'esprit de Dieu. Vous devez leur ouvrir
voire âme, leur confesser votre faute. Si ces
hommes éclairés, après avoir examiné vos
dispositions, décident que vous ne pouvez
pas conserver plus longtemps les revenus
de l'Eglise, hésiterez-vous un monienl à
leur obéir? Consentirez-vous à la perle de
voire âme, plutôt que de vous dépouiller
d'un bénélice que vous avez injustement
usurpé?
Je sais que ces maximes sont contraires
à celles de notre siècle. Proposer de quiller
un bénéfice c'est, dil-on, outrer les choses
el porler les hommes au désespoir. Mais
les maximes corrompues du siècle ne pré-
vaudront jamais contre un oidre que Dieu
a établi. Vous n'êtes point appelé, quelque
peine que vous ayez de renoncera ce bien
dont la [)Ossession vous jiaraît si douce,
quand il s'agit de sauver son âme, il n'y a
point à délibérer. Il faut s'arracher l'œil,
lorsque cette violence est nécessaire pour
se mettre dans la voie du salut.
Persuadez-vous donc de la nécessité in-
dispensable de la vocation divine avant que
de vous engager dans l'étal ecclésiastique,
et suivant ce principe incontestable, faites
un ferme dessein de ne point recevoir les
saints ordres que vous n'ayez des preuves
assurées de votre vocation. 11 est vrai que
quand les desseins de Dieu ne se trouvent
pas confortnes aux nôtres, el qu'il faut
quitter l'habit ecclésiastique dont nous
sommes revêtus, ou renoncer à des béné-
fices, nous sentons de grandes peines.
L'honneur du monde, la chair, le sang
nous livrent de rudes combats. Mais il .faut
eu ces occasions s'armer du bouclier de
la loi. Voulez-vous attirer sur vous la ma-
lédiction de Dieu, pour n'avoir pas la con-
fusion de vous dépouiller do l'état ecclé-
siastique, dont vous vous êtes revêtu avec
trop de [)récipilalion? La crainte de dé-
jilaire à vus parents, dont la colère est pas-
(7) HujiisiiioJi lapbis ad itroinereiidaui miseri-
cordiam Dei piivata efet cxpeleinJa gecessio, ubi
illis saiiblaclio si fueril (ligna, sil eliam frucluosa.i
(S. Léo., (ipisl. 9'i.)
Pfil
RETRAITE ECCI.ES. — 11, I.XCIJ.L. DE EETAT ECOLES.
%1
sagèro, .nurol elle plus de force que la
crainic de di^i'laire h Dieu, dont la colère
est tHoincllc? La ppiir de perdre des bén J-
ficcs vous fera-l-clle plus d'iiiiprcssion
que colle de [lerdre le ciel? Voulez vous
vous exposer à des remords eOfroyables do
oonscieiice durant toute votre vie et au
d(''sespoir éternel après votre mort?
Mais vous que j'aperçois tout liemblanis,
qui vous trouvez indignes selon voire
jugement, quoique saintement disposés,
rassurez-vous. Hélas 1 peut-être ce discours
ne fera-t-il impression que sur ceux à qui
jl n'est pas principalement adressé! J'ai eu
dessein d'elTrayer les téméraires, et non
pas d'éloigner' ceux qui suivent exacte-
ment les saintes règles que l'Eglise leur
prescrit. Venez, vous (]ue Dieu a marqués
(Le sou sceau, approcliez avec confiance;
l'enlrcpriso est grande et au-dessus de vos
forces ; mais celui que vous voulez S'îrvir,
et en qui vous avez mis votre confiance,
vous soutiendra de sa puissante main et ne
VOUS abandonnera jamais. Que ceux-là sont
heureux, qui, dociles aux inspirations du
ciel, suivent fidèlement tous les mouve-
ments du Saint-Ksprit! Ils marchent et ils
avancent, selon que la lumière divine les
guide et les conduit. Ce sont eux que Dieu
destine pour soutenir son Eglise sur la
terre et pour être un jour des principaux
membres de l'Eglise, des premiers nés qui
régnent iJans i'éterniié.
DISCOURS II.
DE I-'eSCELLKNCE DE l'ÉTAT ECCLÉSI ASTIQDE.
il est déplorable que plusieurs s'engagent
dans l'élat ecelcsiastiquo sans le connaître.
On peut aysur(!r que celte ignorance mal-
lieureuse est la |'riuci()alo source d'une
infinité do désordres, qui causent à l'Eglise
tant de larmes et de gémissements.
D'où viennent ces préci|)italions contre
les(|U(|lt'S l'Eglise a toujours réclamé? Ou
décide presque sans y penser sur une af-
faire importante qui devrait être la ma-
tière de nos | lus sérieuses délibérations.
Il n'y a pas d"état (jue l'on embrasse avec
moins de précaution que l'élat ecclésiasli-
(|ue, quoiqu'il n'y en ail aucun qui on de-
uiande davantage.
D'où vient ce peu de respect pour une
condition dont les fonctions sont si rele-
vées? Les choses les plus saintes sont trai-
tées avec indifférence, quelquefois même
avec mé|)ris.
D'où viennent encore ces fausses idées
que l'on a de l'état ecclésiastique? Les di-
gnilés ecclésiastiques sont à peu près con-
sidérées comme des digniiés séculières.
On les regarde comme des titres fastueux,
rjui donnent droit de se distinguer des au-
tres hommes et de s'élever au-dessus d'eux.
Par lit l'esprit d'orgueil cl de dominalion
s'est introduit dans l'Eglise. Le véritable
honneur atl'iché aux dignités ecclésiasti-
ques sesl détruit, parce qu'on a pris de
mauvaises voies pour le soutenir.
D'ciulres se délenuiiienl à entrer dans
lEglise, comptant que c'est un elal com-
tiiode. Ils .y cherchent leur repos. Ils se
font pasteurs pour manger le lait {Ezech.,
XXXIV, 3), pour s'engraisser, et non point
pour paître le troupeau. L'Eglise a le regret
de nourrir un grand nombre de ministres
(|ui, bien loin do lui rendre aucun service,
la déshonorent, et sont ses plus cruels en-
nemis.
Voilîi birn des abus qui seraient retran-
chés ; voilh bien défausses idées qui se-
raient aisément détruites, si l'on s'appli-
quait sérieusement?! connaître ce que c'est
que l'étal ecclésiastique.
Il n'y a point d'état plus élevé que l'état
ccclésiasli(]ue, et par conséquent il n'y en
a aucun où l'onduive entrer avec plus de
précaution et de respect. L'élévation do
l'élat ecclésiastique n'est point pour nourrir
la su|)erbe ni la paresse : elle esl au con-
traire pour abattre l'orgueil, et pour animer
au travail.
Je veux donc aujourd'hui vous faire
connaître ce que c'est que l'état ecclésiasti-
que. Je me propose de vous en expliquer
la véritable grandeur. Je veux tâcher de
vous ins{)irer les sentiments dont les ecclé-
siastiques doivent se pénétrer en méditant
la noblesse do leur condition. C'est le des-
sein que je me propose dans les deux par-
ties de ce discours. Dans la première, je
vous ferai voir quil n'y a rien de plus
élevé que l'état ecc!ésiasliçiue. Dans la se-
conde, je vous exjliquerai les sentiments
que nous doil inspirer l'élévalion de nolro
état.
PREMIER POINT.
Pour avoir une juste idée de la grandeur
de l'état ecclésiastique, il faut en juger pre-
mièrement par l'homieur queleFils de Dieu
veut que l'on rende à ses miinstres. Seconde-
ment [)ar ra[)[)ort à l'idée que les, saints ont
eue de la grandeur de cet état. Troisième-
meul par rapport aux grands pouvoirs que
Jésus-Christ communique à ses minislros.
Je prétends donc qu'il n'y a rien do plus
grand que l'état ecclésiastique, parce que !o
Fils de Dieu commande de porter un hon-
neur très-grand aux ministres de l'Evangile,
parce que les saints ont cru qu'il n'y avait
rien de plus élevé que l'état ecclésiasliipie,
parce que les puissances qui sont dounéi s
aux ecclésiastiques sui'iiassent toutes celles
de la terre.
Le Fils de Dieu a marqué en plusieurs
endroits l'honneur et le respect tout parti-
culier f|u'il prétendait que l'on rendît à ses
niiuislres. Quand il les envoie prêcher
l'Evangile par tout le monih', il leur dit qu'il
tiendra fait h lui-même t.MU i'honneiir qui
leur sera icndu. 11 leur dit que le mépris
que l'on Icra d'eux rejaillira sur sa personne.
Enlin il menace d'uu supplice terrible ceux
qui ne voudront point les recevoir, ni les
écouter.
Les [irèlres de la loi nouvelle représen-
tent Jésus-Christ. Quaiid on les honore, on
rciid honneur à Jésus-Ctirist même. En
9C3
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
voilà In proHvc Wréo des f)nroles du Fils |do
Dieu nirnio : Celui (jui vous reçoit me reçoit ;
celui qui vous écoute m'écoule. [Matlh.,
X, 40.)
Quand on m<''priso Ii'S miuisirps de Jésus-
Clirist, c'rst J;''Siis-Cljr isf môme f|iie l'on
méprise ; cnr le Sauveur ajoute: Cidui qui
vous méprise me méprise, et celui qui me mé-
prise, méprise celui qui m'a envoyé. {Luc,
X, 16.)
Il est constant que ces paroles de Jésus-
Christ ne regardent pas seulement les
apôtres, mais elles ont aussi été dites pour-
tous les ministres de la loi nouvelle, qui
sont les successeurs des apôtres. C'est ce
que saint Augustin faisait remarquer h son
peuple en lui disant: Si le Fils de Dieu ne
parlait qu'aux apôtres, quand il a dit : Celui
qui vous méprise me méprise, je consens que
vous n'ayez pour moi que des senliinenls
de raépiis (8). Mais si le Fils de Dieu par-
lait de MOUS aussi bien que des apôtres ; si
c'est le Fils de Dieu qui nous a appelés : si
nous avons dans l'Eglise la mônje place que
les apôtres y ont tenue, prenez garde de ne
nous pas mépriser, do peur que le Fils de
Dieu ne répute être f^iit à lui-même le mé-
pris que vous feriez de nos personnes. Les
ministres de l'Evangile représentent donc
f'ncore anjourd'liui Jésus-Clirist aussi bien
que les apôtres. Le même honneur qui était
«kl aux a[>ôties, est dû en premier lieu aux
évoques, en second lieu aux prêtres, et aux
autres minisires de la loi nouvelh'.
Mais voyez quelles menaces Jésus-Christ
fait à ceux qui traiteront avec mépris ses
apôtres et ses ministres. Lorsque quelqu'un
ve voudrtt point vous recevoir ni écouler vos
paroles, en sortant de celle maison et de celle
ville, secouez la poussière de vos pieds.
{Matlh.,\,ik; Luc, V, 10.) Marquez ainsi,
dit saint Chrysostome, t|ue vous ne vculez
rien ncevoii' d'eux, non pas môme la pous-
sière de la terre (9). Les i)aroles suivantes
sont encore plus précises pour nous faire
voir que Jésus-Christ est le protecteur de
ses ministies, et (ju'il vengera sévèrement
(ouïes les injures (jui leur sont faites. Jevous
dis en vérité qu'au jour du juqcntenl Sodome
et Gomorrhe seront traitées moins rigoureuse-
ment que celle ville. {Matth., X, 1o.) Quoi 1
ceux qui ne veulent point écouter les mi-
nistres de l'Eglise, ceux qui ne veulent point
les recevoir, seront traités avec i)lus de ri-
gueur que des villes consumées du feu cé-
leste, pour s'être rendues coupables d'un
crime abominable? il faut donc que celte
oUense soit bien grande, il faut donc que
l'on fasse une grande injure à Dieu lors-
qu'on méprise ses ministres , puisque
pour la réparer il emiiloie une vengeance
si terrible.
Mais le Fils de Dieu a encore poussé plus
loin i'iionneur, qu'il prétend que Ion rende
à ses ministres, puisqu'il veut qu'on les
(8) « Videle ne spernalis nos, ne ad illum pcr-
veiiiai injuria quam nobis feteritis. » (Serin. 102,
ul. ±'t, de verb. Doni.)
•10 V
respecte môme, lorsque leur vie pou rég'ée
semble ne mériter que des mépris. C'est ce
que le Fils de Dieu a marqué dans l'Evan-
gile, lorsqu'il a dit qu'il fallait honorer les
.scribes et les [iharisiens, qu'il fallait les
écouter avec respect. Pourquoi cela? Parce
(}\i'ils étaient assis dans la chaire de Moxse.
(Mft<//i.,XXII!,2.) Le Fils de Dieu connais-
sait les dérèglements des scribes et des pha-
risiens; il savait combien ils lui étaient op-
posés; il savait qu'ils combattaient à tout
moment et en tout lieu sa doctrine et ses
iniracles : Cependant lorsijue les pharisiens
ne cherchaient qu'à le déshonorer ,loiS(|u'ils
tâchaient de délruire dans l'esprit des peu-
ples l'estime qu'il s'était acquise par la
sainteté de sa vie, il fait un commandement
à ses disci|iles qui était entièrement à l'avan-
tage des pharisiens. Il veut qu'en les con-
sidérant comme étant assis sur la chaire
de Moïse, on les honore, et on les écoute,
sans examiier si leur vie ne combat point
leurs paroles et leurs instructions
Quelle que soit la vie de ceux qui sont
assis sur la chaire de Moïse, il les faut ho-
norer; on doit donc rendre encore un plus
grand honneur, conclut saint Chrysosloine,
à ceux qui sont assis sur la chaire de Jésus-
Christ, qui parient en son nom, qui sont
revêtus de son caractère. Car, comme dit
l'apôtre saint Paul : jSous faisons la charge
d^ambassadeurs pour Jésus-Christ, et c'est
Dieu même, qui vous exhorte par notre bou-
che. (Il Cor., V, 20.j
Ne voyez-vous |)a?, continue saint Chry-
sostome, comment tous les peiipes sont
obligés de se soumettre aux puissances sé-
culières, quoique souvent ceux qui obtien-
nent les premières places ne soient pas ceux
qui ont ou plus de noblesse, ou |)lus do
vertu (10). Néanmoins parce qu'ils agissent
au nom du prince, parce (pi'ils ont son au-
torité en main, on ne règle point son obéis-
sance ni sur leur mérite, ni sur leur con-
duite.
Si l'on rend un si grand honneur h ceux
qui empruntent do.s hommes leur auloriié,
Jésus-Christ prélend que l'on ail bien d'au-
tres suntimenls do vénération pour ceux à
qui il contie son pouvoir. Il prélend quu
comuicon honore les puissances séculièies,
sans examiner le mérite de ceux qui en sont
revêtus, on rende honneur au caractère sa-
cré, quand bien même celui qui leporles'en
reiuliait indigne par rirrégulanlé de ses
ii.ceurs. Il laul donc que le caractère des
ministres de Jésus-Ctirist soit bien éievé.
Il faut (lue ce caraclèie soil très-considé-
rable et très-excellent, ()uisque l'éclat n'en
peut être obscurci par les mœurs dépiravées
de ceux qui le portent indignement.
Aussi quelle vénération n'ont point eue
])Our les ministres do l'Evangile ceux qui
ont connu la grandeur et l'excellence de co
caractère sacre?
(9) Honi. 32, in Mallli.
(lOj Hoin.SG, ni Joannem.
tlETRAlTE ECCLE3. — H, KXCELL. DR LETAT ECOLES.
Je n'en rapporte qu'un exemple, c'est ce-
lui de Coiistanliii, le premier empereur
cil rélien.
Nous lisons dans l'Iiisloirc.qne cet em-
pereur port.iil un grand respect à tout ce
qui se jiréliquail dans l'Eglise : mais il n'y
n rien do plus louchant, et qui manpie da-
vantage la profonde vénération qu'il avait
pour nos mystères, que l'honneur qu'il
rendait aux ministres de l'Eglise.
1! est ra|>porlé qu'il recommanda surtout
aux gouverneurs des provinces de respecter
les prèlrcs, et (]u'il ordonna que ceux qui
leur feraient quelque outrage seraient pu-
nis de mort (11).
Nous lisons qu'il fit un édil pour exempter
généralement tous les clercs des fondions
qui auraient pu les troubler, et les empê-
cher de s'ahandonner tout enlicrs à leur
saint n)inislère (12).
Cet empereur rendait toutes sortes d'hon-
neurs aux ministres de l'Eglise. Il leurdun-
naif des témoignages de s^m respect, non
seulement par ses paroles, mais encore
par ses bienfaits. On voyait à sa table des
hommes qui n'avaient rien que de mépri-
sable, si Ion n'eût considéré que leur ex-
térieur et leur liabilleraenl. Mais Constan-
tin n'en portait pas un tel jugement, j arce
que ne s'arrôlant ()as à la surface, et h ce
qui paraissait au dehors, il regardait Dieu
dans leurs personnes. Ils étaient les com-
pagnons tidèles de tous ses voyages, et il
se |)romi'ltait que cet honneur qu'il leur
faisait, lui rendraitDieu plus favorahle(13).
Mais quand il assembla le concile de Ni-
cée, il redoubla ses respects pour tous les
évèques qui conif)osaienl cette illustre as-
semblée. Avec quel respect n'a*sisîa-t-il
pas au concile ? il enlra le dernier dans cet;e
saillie assemblée, avec peu de suite, grand
et admirable par la beauté de sj taille, par
sa gravité, par la majesté qui paraissait sur
son visage. Ce saint empereur se contentant
d'un siège plus bas que les autres, ne vou-
lut [loint i'asscoir qu'après en avoir au|)ara-
vant demandé [lermissiou aux évêques (IV).
Tel était le resj)ect qu'un grand eiiiperour
avait pour tous les ministres de l'Eglise,
fondé sur la sainteté et sur l'élévation du
cet auguste caractère auquel vous aspirez.
Caracttère si élevé que loiis les saints qui
t-nont eu une juste idée ont tremblé lors-
qu'ils ont élé élevés au sacré ministère des
autels. Ils ont tremblé, parce qu'en consi-
dérant combien le rang auquel on les éle-
vait était au dessus de ce qu'ils méritaient,
ils se jugeaient à bon droit indignes d'un si
grand lionneur. Ils ont Iremb é, parce que
sentant la pesanteur du faideau dont on
les chargeail, ils avaient lieu de craindre
que ce fardeau ne lût au-dessus de leurs
90G
forces, et de ne se pas ac(|uitlcr assez fidè-
lomonl de leurs obligations.
Faisons ici paraître, pour confondre la
témérité de ceux ()ui se présentent au sa-
cerdoce, comme si ce rang leur éiait dû,
pour arrêter les i as de ceux qui se préci-
pit(>n'., sans considérer les obligations im-
portantes de cet état, faisons ici paraître
un saint Grégoire le Grand qui se cache
dans une caverne oii on ne l'eût point dé-
couvert si Dieu n'eût fait un miracle. *
Saint Chrysostome prend la fuite, il com-
pose ses livres du Sacerdoce, où il apporte
les raisons du monde les plus louchantes
pour juî^tifier sa conduite, où il explique
divinement la grandeur et les périls du sa-
cerdoce.
Le moine Ammonius après s'èlre coupé
les doigts, ajoute qu'il se coupera la langue
si on persévère à vouloir le faire sortir de
sa reiraile (15).
Un auire solitaire, appelé Ephrom, sachant
qu'il était élu cvèque, alla dans la place,
publique, y fit les actions d'un insensé, évi-
ta par ce moyen les poursuites de ceux
qui le cherchaient pour le ronsacier (IG).
Que ne fil |)oint saint Ambroise pour n'ôiro
pas évoque ? On peut dire qu'en cette occa-
sion son zèle n:' fui pas selon la science,
j^uisqu'it se porta jusqu'à cette extremilé
que de faire entier dans sa raa'son des
femmes de mauvaise vie, (|uoique sa chas-
lelé fût connue.
Rien n'est plus édifiant que ce que saint
Augusiin nous rafipoife dans une de ses
lettres, oiî il décrit, toutes les violences que
l'on faisait à un grand nombre de sainls
pour les obliger h accepter l'épiscopat. Ces
violences allaient jusqu'à les prendre par
force, jusqu'à les enfermer, jusqu'à résister
à leurs cris et à leurs larmes. Vous auriez
dit que c'était d'innoconles viclimes que
l'on conduisait pour 6lro égorgées (17j.
(]e n'était pas seulement l'épiscopat (pii
était si fortement appréhendé dans ces heu-
reux siècles. On élait dans le même sonii-
inenl, et dans la même disposition, à l'é-
gard des autres dignités ecclésiastiques.
Quelle idée pensez-vous que ces grands
hommes avaient de la prêtrise? à peu près
semblable à celle que vous venez de voir
qu'ils avaient de l'épiscopat.
Il faut que (jualie diacres prennent par
force Paulinien, frère de saint Jérôme, pen-
dant que saint Ejiphùue lui impose les
mains.
Qu'esi-il arrivé lorsque saint Augustin a
été ordonné prêtre? Il entre par hasard dans
l'église d'Hippone au même temps que l'é-
vê lue Valèi'e parlait au })eu|)le do l'ordina-
tion d'un prêtre dont il avait besoin. On
l'enlève et on le présente par force pour être
(H) ThooMor. Hiit., 1. r, c. 2.
(12) Eus, IJist., I. ï, c. 7.
{\~)j Lus., De viia Coiisi., 1. i, c. 42.
{\i) Tluo.i., Uisl., 1.1, c. 7.
(15) S.isom., Ilisl., 1. VI, f.TO.
(Iti) Idem,\.i, c. (i.
(17) < Tam miihi ut cpiscopalum susciiiinnt le-
neiiUiriii\ili,perJiicuiilur,iiicliiLlunlur,cuslo(liiiiiliir,
p:uiu(iiur laiil;» q\sx iiolimt, (ioiiec eis adsil volun-
las bus(ipiii;ili «péris boni. > (Episl. 173, iiov .
eil. ul. iOi.j
cr.7
OHATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
f)C8
promu à cette dignité. Il a les vœux do tout
le peuple : tous demandent qu'il soit con-
sacré prftlre. Il n'y a que oc grand saint qui
résiste. Il verse un torrent de larmes pen-
dant la cérémonie de son ordination. Qtiel-
(jiics-uns donnant une mauvaise interpréta-
lion à ses justes regrets, lui disaient pour le
consoler que quoiqu'il fût digne d'un rang
jiius élevé, néanmoins le degré de prêtre
('■lait celui qui anfirocliait de plus près do ce-
lui d'évêque. Mais ce saint homme ne pleu-
rait que parce qu'il considérait attentive-
ment les grands périls oi^ on l'osposait, en
rhonorani de culte dignité (18).
Mais, mo direz- vous, si l'on suivait
l'exemple de ces grands saints: s'il fallait
allcndre qu'on nous fît violence pour ôtre
consacré? [irélres, il n'y aurait presque point
de prôlres dans l'Eglise: si tous reculaient
tt n'osaient se charger de ce pesant fardt^au,
les églises, seraiera désertes et manqueraient
de njinistres.
■J'avoLie que si ces exemples élaient sui-
vis, il y aurait moins de prêtres. Surtout
l'Eglise ne gémirait point de voir au nombre
de ses ministres des hommes hardis qui
usurpent le sacerdoce, qui entrent dans le
sanctuaire sans vocation, qui ne sont point
«épouvantés de la pesanteur du fardeau dont
ils sont accablés.
Pensez-vous que ce fût un malheur pour
riiglise de ne point compter au nombre de
SCS ministres, tous ces hommes indignes du
caractère ecclésiastique, et qui n'en sont re-
vêtus que pour le déshonorer?
Saint Chrysoslome mrnaçant plusieurs de
son troupeau de leur interdire l'entrée île
l'Eglise et la ()articipation des saints mys-
tères, disait: 11 vaut bien mieux olfrir l\
Dieu nos prières avec deux ou trois qui
gardent ses commandements, que d'assem-
bler une foule de personnes corrompues,
qui se perdent et perdent les autres (19) :
aussi quelle que soit l'indigenco de l'Eglise,
il vaut encore mieux qu'il n'y aitau'un pe-
lit nombre de prêtres, pourvu qu ils cIilt-
chcnl sincèrement la gloire de Dieu et le
salut de leurs frères, que de voir une foule
do ministres, qui sont ou scandaleux, ou
tout au moins inutiles, qui se [icrdeni et
qui entraînent dans le précipice les ûmes
ijui sont assez malheureuses pour être sou-
mises Il leur conduite (20).
Mais s'il n'est pas nécessaire d'attendre
une si grande violence que les saints dont
je viens de vous pro[)oser les exemples, au
moins que des sentiments si saints vous
iipprennent, qu'il n"y a rien de plus élevé
(]uc le ministère ecclésiastique. S'ils ont
pris la fuite, au moins ne vous précijiitez
l'as. S'ils ont tremblé, au moins ayez quel-
que senlimeni de crainte. Si le s.uiit minis-
lOie leur a [)aru un lurdcau presque insup-
(18) € Eum lenueruiit, episcopo ordiiiaïuium in-
lulciuiil, omnibus id "iio coiihcnsu ei tlesideiio
(ieii, perliciqiio peleiuibus, ul)erlini co tloiiie. >
(^PosiU. De vil. S. Au(j., c. 4 )
(i9)Iloiii. i/i Maiili.
[•H)) « buuiib est iii;ixiine in or.ilnalione sacerdn-
porlable, au moins sentez la pesanleur du
fardeau que vous voulez porter. S'ils no so
sont engagés dans les cmi)l')is ecclésir-isti-
quos qu'avec peine, quoi(ju'ils eussent des
mar(iucs presque assurées de leur vocation,
au moins attendez pour vous en charger
(|ue vous ayez (juelque marque de vocation.
S'ils ont cru no pouvoir échapper du péril
auquel on les exposait, au moins soyez-en
épouvanté. S'il a fallu que l'Eglise feur fit
violen<;e, au moins ne faitts point de vio-
lence à l'Eglise. Si leur humilité leur a fait
regarder les emplois ecclésiastiques comme
étant au-dessus de ce qu'ils méritaient, au
moins anéanlissoz-vous dans la vua de la
grandeur de votre condition et de votre bas-
sesse. Reconnaissez que quand Jésus-Christ
vous a choisi, c'est un ellet de sa pure bon-
lé; abandonnez-vous entièrement à lui:
protestez -lui que dans tout ce que vous en-
trerrendrez, jamais vous ne chercherez
voire t'ropre satisfaction, mais que vous
n'aurez en vue que sa gloire, et do faire sa
sainte volonté.
N'est-il pas raisonnable que la sainteté de
tant de grands hommes, que vous devez re-
garder comme vos modèles, vous insj)ire au
moins ces sentiments, pour ne pas tomber
dans ce juste refiroche que Tertuilien .fait
aux Romains: Vous louez assez les anciens,
mais dans la pratique vous ne suivez que
de nouvelles règles (21).
Enlin pour achever de vous donner toute
l'estime que vous devez avoir pour un éiat
aussi élevé que le jvôtre. Taisons réflexion
sur les gramics puissances que Dieu com-
munique à ses ministres.
' Saint Clirysostome, dans ses livres du Sa-
cerdoce, emp'oie un chapitre entier à rele-
ver les grands pouvoirs qui sont attachés
au ministère ecclésiastique (22). Nous ne
pouvons les ex|)liquer plus noblement qu'en
nous servant des pensées et des paroles de
ce grand homme.
Saint C.hrysostome parle d'abord de la
puissance que les [irêtres ont reçue de célé-
brer les saints mystères, et de consacrer le
corjis de Jésus-Christ. Quand vous voyez,
Oit saint Chrysoslome, le Fils de Dieu im-
molé sur l'autel, le prêtre qui olîre le sa-
ciihce et qui pr.e; tout le peuple teint et
rougi du sang précieux du Sauveur, [tensez-
vous encore ôire sur la terre et parmi les
hoaimes? Ne vous imaginez-vous pas dans
ce moment que vous êtes transporté jus-
qu'au ciel? U miracle! ô boulé de Dieu 1
celui qui est assis dans le ciel avec le Père
céleste se laisse toucher [)ar les hommes.
Représentez - vous lilio envirimné d'une
multitude iiiliiiie do pcu[)les, le sacritice
étendu sur des pierres, tout le p(;uple dans
le sikiico, le prOj)hôte (jui prie, la tlamme
qui tombe tout d'un coup du ciel sur le sa-
lum paucos bono.*, quam muitos nialos liabere mi-
liisiios. J (Donc. Laieraji. a. caiti. 5. 7.)
("il) « Laudans seinper aaliquos, sed nove dédie
vivais, i [Ap<jl., c. li.j
(2-2j L. m, C.-2.
969
UKTRAÎTK ECOLES. — 11, EXCFXL DE L'ETAT.
d70
orifice. Toutes ces clioses à la vérilé sont
pleines de merveilles; mais ce qui se jinssc
dans les saiiils mysières est iiien plus sur-
prenant. Le prêtre fait descendre non pas le
feu du ciel, mais le Sainl-Ks()rit. Il f.iit de
longues prières, non pas afin qu'une flamfne
céleste consume les choses prépar<5es pour
le sa<^rifice; mais afin que la grâce, par le
moyeu du sacrifice, eiillainme les C(Eurs de
ceux qui sont présmts et les reiule plus purs
que r.irtîciil (71JJ 0 éié éprouvé par le feu. (I
Pclr., I, 7.)
Remanpiez dans ces paroles de saint
Chrysoslome toiilos les merveilles qui arri-
vent dans le sacrifice de la loi nouvelle.
Elles surpassent infiniment les miracles de
l'ancienne loi ; mais remarquez aussi que
toutes ces merveilles se font par l'aulorilé
des prùlres. C'est le prêtre qui célèhre le
sacrifice ; c'est le prêtre qui immole Jésus-
Christ. C'est par le ministère du f)rôtre que
Je Sainl-Esprit descend pour rem[)lir le
cœur de ceux qui assistent au redoutahie
sacrifice. Jugez par là, conclut saint Clir>-
sostome, de la dignité des prêtres. C'est
par leur ministère que s'accomplissL'ut non-
seulement les merveilles que vous venez
d'entendre, mais encore beaucoup d'autres
qui ne sonl pas moins importantes pour le
salut des hommes.
Saint Chrysostome passe ensuite au pou-
voir que le Fils de Dieu a donné aux prêtres
de remeUre les péchés. Voici comment il
en parle :
Ils ont reçu une puissance que Dieu n'a
pas voulu donner aux anges ni aux archan-
ges. Car il a dit aux hommes et non pas
<iux anges : Tout ce que vous aurez lié sur
la terre sera lié datis le ciel, et tout ce que
vous aurez délié sur la terre sera délié dans
le ciel. [Matlh , XVIII , 18. ) Les princes de
la terre oui bien le j)Ouvoir de lier, mais
'€ur pouvoir ne s'étend que sur les corps ;
«fu lieu que les liens qui sont entre les
mains des [irêlres lient les ilmes. Ils ont
leur effet jusque dans le ciel, parce que
p.eu ratifie en haut ce que les prêtres font
ici-bas, et le Maître confirme la sentence
de ses serviteurs. N'est-ce pas là leur avoir
donné toute la puissance des cieux?II leur
ùil: Les péchés que vous aurez retenus seront
retenus : ceux que vous aurez remis seront
remis. {Joan., XX, 23.) Peut-il y avoir une
plus gronde puissance? Saint Chrysostomo
égale en (]uelque manière le pouvoir des
piêlres à celui de Jésus-Christ. Il dit qu'il
est si grand qu'on douterait jiresque qu'un
jKjuvoir de celle élendue pût être commu-
niqué à des hommes. Le Fils de Dieu, dit
ce saint docteur, a reçu du Père tout pou-
voir de juger, elles prêtres ont reçu du Fils
])arcillemeut tout pouvoir de juger. Ils ont
eié honorés de cette puissance, coiuîue s'ils
étaient déjà dans le ciel, comme s'ils étaient
(23) < Apostolico gradui succedeiiies Christi cor-
pus sacio oie conlicmiit. l'i-r eos Clirisliaiii sumus.
Claves rcgni cœluruiii hahentes quodainotnilo antc
judicis diem jnilicaiit. > (Ad lleliodor.)
UniTKins SAnnÉs. LXVIII.
élevés au-dessus des autres hommes et af-
franchis de loulos les passions. H les com-
pare après cela au favori d'un grand roi qui
aurait reçu le pouvoir de faire jeter dans
une prison tous ceux qu'il voudrait, ou de
leur donner la liberté.
Voil;\ donc encore un grand pouvoir que
Jésus-Christ a confié aux prêtres. Le pou-
voir de lier et de délier, de remettre et de
retenir les péchés
Saint Jérôme, voulant nous faire voirquols
sont les d(!ux pouvoirs dont je viens de
vous parler, s'explique en cette manière:
Les prôlres, successeurs des apôtres, consa-
crent le corps de Jésus-Chrijt par la force
des paroles qu'ils prononcent. C'est par
leur ministère (pie nous devenons chré-
tiens. Ils ont les clefs du royaume des
cieux, et ils jugent en quelque manière
avant le grand jour auquel le Seigneur doit
juger tous les hommes (23).
ils consacrent le corps de Jésus. Ils le
consacrent par la force des paroles qu'ils
prononcent de la part de Jésus-Christ. Ils
jugent souverainement. Quels plus grands
pouvoirs Dieu pouvait-il communiquer il
des hommes?
N'omettons pas que c'est par le ministère
des prêtres que Dieu répand ses grâces. Ce
sont leurs sacrifices, ce sont leurs prières
qui réconcilient les liommes avec Dieu et
qui apaisent sa colère. De là vient qu'una
des principales fonctions des ministres de
Jésus-Christ, c'est de |)rier pour l'Eglise.
C'est aux prêtres et aux ministres du Sei-
gneur à se proslerner entre le vestibule et
l autel. Là ils doivent fondre en larmes et
s'écrier ; Pardonnez , Seigneur, pardonnez à
votre peuple. {Joël, 11, 17.)
Les Pères du concile de Carlhage, dans une
lettre qu'ils écrivent au pafie Innocent 1",
parlent de l'ancienne coutume établie dans
I Eglise , qui est que les peuples reçoi-
vent avec respect la bénédiction de leur
évêque. Ils disent que ces bénédictions sont
des prières, par lesquelles les évoques de-
mandent que ceux dont ils ont été établis
les conducteurs aient le bonheur de plaire
à Dieu par la sainteté de leur vie (SV).
Constantin, dont je ne me lasse point de
vous rapporter l'exemple |)Our vous expli-
quer quel est le pouvoir des prêtres que ce
saint empereur a si bien leconuu, Constan-
tin, dis-je, se prépare à combattre contre
Licinius qui lui disputait l'empire (25). Sa-
chant combien le secours du ciel lui était
nécessaire, il s'adresse aux prêtres. Il im-
plore leurs prières et leur assistance. 11 veut
qu'ils l'accompagnent dans tous les fiays
qu'il était obligé de traverser. Licinius, ap-
prenant que Constantin se |)réparait ainsi à
lui faire la guerre, se moque do cet empe-
reur et fait des railleries de sa conduite.
Mais Constantin, plus habile que. les prudents
(24) i Benediccbant, precabantur super popu-
luin, lit reclc ac pie viveiido Deo placeaiil. > (lii-
ter Épisl saacti Au^. 17*j, nov. éd., al. 90.)
(2^) Eus. I. Il De vha conf., c. 4.
o 1
071
ORATELRS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
972
f]u siècle, savait bien qu'il fallait travaillera
se rendre favorable le Dieu des armées, et
qu'un grand moyen pour être écoulé, c'était
d'implorer son secours par le ministère dos
prêtres.
Les prêtres donc sont députés de Dieu
comme médiateurs entre lui et le peuple.
Ils sont chargés de prier pour le peuple.
C'est h eux (l'attirer les grâces du Seigneur,
c'est à eux de l'apaiser. Ils doivent parlicu-
lièromenl avoir en vue ce motif dans leurs
prières, et c'est ce qui les engage à beau-
coup prier.
Ramassons ce que je viens de vous dire
pour vous faire connaître l'excellence du
sacerdoce de la nouvelle loi. Jésus-Christ
commande de rendre un grand honneur à
ceux qui sont revêtus de son sacerdoce. Les
saints ont cru que quand Jésus-Christ reçoit
un homme au rang de ses niinslros, c'est
une faveur qui est infiniment au-dessus de
tout ce quMl peut méiiter. Il n'y a point de
pouvoirs comparahles à ceux que le Fils de
Dieu conficà ses ministres. Ne jugczde l'état
ecclésiastique que suivant ces principes et
vous n'aurez aucune peine à prononcer (]ue
c'est le plus noble et le plus relevé de tous
les étals. De quoi sentiment doit-on être
pénétré en faisant altenlioPi à celte grande
élévation du ministère ecclésiastique 1 c'est
la vérité dont j'ai h vous instruire dans la
seconde partie de cet entretien.
SECOND POINT.
11 n'y a rien de plus grand, rien de plus
élevé que le ministère ecclésiastique. Quelle
conséquence en doivent tirer ceux à qui
Dieu lait l'honneur de les élever au rang de
ses ministres? Ils doivent en tirer cette
conséquence qu'ils sont obligés de s'humi-
lier, do se purifier, de travailler. Autant
qu'un ecclésiastique est élevé, autant il est
obligé de s'humilier. Un ecclésiasliiiue ne
peut soutenir le rang dans lequel il est placé
([u'en menant une vie très-exacte et irès-
])ure. Le minislère ecclésiastique est un
honneur auquel sont attachées de très-
grandes obligations (jue l'on ne peut rem-
plir qu'en travaillant continuellement.
Vous êtes beaucoup élevés par l'honneur
que Jésus Christ vous a fait devons recevoir
au rang de ses ministres. Humiliez -vous
|)rofondément; car si vous devez vous hutni-
lier autant que vous êtes élevés, jusqu'oià
ne devez vous pas descendre, afin qu'il y
ait de laproporliun entre voshumilialions et
le degré de gloire où Dieu vous a fait uionter?
Le Sage nous dit : Plus vous êtes grands,
plus humiliez-vous en toutes choses, et vous
trouverez grâce devant Dieu. {Eccli., lll , 20.)
Il n'y en a point qui ne soient plus obligés
de suivre cette maxime du Sage que les
ecclésiastiques. Us sont grands, et il n'y a
point de grandeur com[)arable h celle des
ministres du Sei;:,iieur. C'est donc une excel-
lente raison i)our s'humilier en toutes choses.
Fn toutes choses, donc ils doivent s'hu-
milier dans toutes les actions de leur vie ;
car à quoi leur servirait toute leur grandeur,
s'ils n'en i)rolilaienl pas pour trouver grice
devant Dieu ? Lorsque la grandeur n'est
point accompagnée d'humilité, lorsqu'elle
n'est point considérée comme un molif pres-
sant qui nous engage à nous humilier, elle
nous élève en apparence, mais dans la vérité
elle nous fait tomber. Toute grandeur par
le moyen de laquelle on ne trouve point
grâce auprès de Dieu n'est que vanilé. Bien
loin donc que la grandeur nous fasse oublier
l'obligation dans laquelle nous sommes de
nous humilier, elle doit au contraire nous
en faire souvenir; car, quelque grand que
vous soyez, vous perdrez tout si vous no
plaisez point à Dieu : et le Sage vous assure
(|ue ce n'est qu'en vous humiliant en toutes
choses que vous trouverez grâce auprès de lui.
Voyons l'exemple que nous ont donné
les premiers ministres que Jésus-Christ a
choisis. Il les a beaticou[) élevés. Si le carac-
tère ecclésiastique a quelque élévation,
n'est-ce pas particulièrement dans ceux qui
en ont été honorés les premiers, et par qui
cedegréd'honneura passé pour venir jusrpj'à
nous? Notre principale gloire dans le minis-
tère ecclésiastique est de succéder aux
a|»ôtres. Nous devons reconnaître que la
gloire de notre état a été dans les apôtres
comme dans son principe. Comme donc l'eau
n'i st jamais plus pure que dans sa source ,
aussi la gloire du ministère ecclésiastique
n'a jamais été plus écialanle que dans h's
a|iêlres à qui Jésus-Christ l'a premièrement
communiquée.
Le Fils de Dieu a déclaré à ses apôti es
qu'ils étaient ses amis, et qii il n'avait rien de
caché pour eux. [Joan., XV, 15.) Les apôtres
ont été les premiers fondements sur les-
quels Jésus-Christ a bâti son Eglise. Outre
les grands pouvoirs qui des a|)ôtri'S ont
passé jusqu'à nous, ils avaient encore celui
défaire des miracles: toute la nature leur
était soumise : les démons mêmes étaient
forcés de leur obéir. Quelle élévation I Ksl-
ce par cette élévation (jue les ajiôtres ont
trouvé grâce auprès de Dieu ? Non , ce n'est
|)oint précisément parcelle élévation, mais
c'est parce qu'ils se sont beaucouj) humilios
dans cette grande élévation.
Pentlanl (^ue les apôtres étaient grossiers,
il y avait conlestatiou entre eux, et ils se
disputaient le premier rang. (Marc, IX, 33.)
Depuis que les a[iôtres furent remplis de
l'Esjuit de Jésus-Christ la contestation chan-
gea, et la dispute fut bien dilférente. Tous
piélendent qu'ils sont au-dessous de leurs
frères , et qu'ds doivent avoir le dernier
rang. U n'y a aucun des apôtres, qui ne dise
avec saint Paul : Je suis le moindre des apô-
tres, (I Cor., XV, 0.) Salut Paul ajoute qu'i7
est indigne d'être appelé apôtre, parce qu'il
a pirsécuté V Eglise de Dieu, (l Tiin., I, 15.)
Daijs un autre endroit le môme sai-it Paul as-
sure qu'il est le premier entre les pécheurs. Les
apôtres donc ont été trè.s-exacts à (Conserver,
au milieu de leur élévation, des sentiments
tiès-profonds d'une humilité sincère. Si nous
leur succédons dans leur élévation, nous
devons aussi leur succéder dans leur humi-
lité. Plus nous sommes élevés , plus nous
975
RETftAlTF.,E€CLES. — 11, EXCELU. DE I/ETAT.
f.7i
devons nous humilier, anlrcnienl nous nous
perdrons, tl nous nous éloign(M"ons enlière-
nien ld(^<;desseins que Jésus-Christ a surnous,
lorsqu'il nous élève au rang doses minislres.
Les gens du monde se servent de leur
élévalioii et de leur grandeur pour flatter
leur orgueil. Ils sont pleins de la bonne opi-
nion qu'ils ont d'eux-mèmos, ils sont per-
suailés que tout leur est dû ; ils sont bien
nises d'être honorés, ils étudient avec soin
toutes les prérogatives attachées à leurs di-
gnités; ils s'oll'enseiit dès qu'ils sont con-
tredits; ils se repaissent de vaines idées;
ils se rendent insupportables par leur hau-
teur cl leurs prétentions chimériques; il
semble qu'ils sont d'une autre nature que
leurs intérieurs, tant ils les méprisent et
les tiennent au-dessous d'eux.
Si les ministres de l'Eglise faisaient le
niéme usage de leur élévation, ils auraient
l'esprit du u)onde que Jésus-Christ a ré-
Itrouvé, et (jui est entièrement incompatible
avec l'esprit ecclésiastique. Un minisire de
riiglise est per.suadé que son élévation ne
lui est confiée qu'atin qu'il rende service
à ses frères, qu'il travaille à les sauver.
Tout élevé qu'il est au-dessus de ses frères,
il est toujours |irôt à s'abaisser au-dessous
d'eux pour les engager à enirer dans la
voie du salut.
Ministres de l'Evangile, ne croyez pas que
vous vous dégradiez en vous iiurailiant. Au
contraire, jau)ais vous ne soutiendrez mieux
l'honneur et l'éclat de votre rang que quand
vous surmonterez en humiliié ceux quo
vous su»-passez par votre dignité.
Oh ! que ceux-là connaissent mal l'esprit de
Jésus-Christ, et les desseins qu'il s'est pro-
posés, en établissant les dignités ecclésiasti
(jues, qui traitent leurs inférieurs avec hau-
teur, qui se rendent inaccessibles, qui
elfrayeut par leurs regards et par leur main-
tien sévère, qui rebutent les |)auvres 1
C'est là l'esprit de domination contre lequel
Jésus-Christ s'est si hautement déclaré ,
quand il a dit : Vous savez que ceux qui sont
princes parmi les nalions veulent dominer, et
qu'ils Iraitenl leurs inférieurs avec empire; il
n en doit jxts être de même parmi vous,
{Mutth., XX, 15.)
Les ecclésiastiques doivent donc extrê-
mement prendre garde à éloigner d'eux tout
esprit de doininat;on. Je n'ap|)réhen(le rien
tant pour vous, dit saint Bernard en écri-
vant au pape Eugène, que le désir de do-
miner. Ce désir est un poison qui donne
la mort à celui qui en est remjtli. Un ecclé-
iiasiique plein de l'esprit de son élal, à
quelque r^iiig qu'il soit élevé, est toujours
alfable, son abord est facile, les plus mal-
heureux sont écoutés, les [lauvros soni ses
chers amis, il sait que ce sont eux que
Jesus-Christ lui recommande, et c'est la
plus forte de toutes les sollicitations (20).
Vous ôles donc élevé au-dessus de vos
frères. 11 est vrai, mais c'est cela même
qui doit vous humilier. Car c\n\ êles-vous
pour être élevé à cette dignité ? Qu'avez-
vous fait pour la mériter? Jésus-Christ vous
a tiré de votre néant, pour vous faire part
de sa puissance. Quel fondement plus solide
pour s'humilier cpie de penser sans cesse
que l'on est dans un rang dont on est in-
digne, et qui est si fort au-dessus de tous
nos mérites? Peut-on avec raison se glori-
fier d'une élévation qui ne vient point de
nous, lorsqu'il y a dans nous dos foiide-
menis si réels et si solides do s'humilior?
Qui est celui, s'écrie saint Paul, qui est ca-
pable d'un tel ministère? (II Cor., Il, IG.)
Si nous en sommes indignes, rentrons donc
en nous-niômes, reconnaissons notre néant;
plus nous serons élevés, plus nous aurons
de confusion, plus nous serons disposés à
nous humilier, on considérant que Jésus-
Christ nous a fait tant do grâces, et que
nous les méritons si peu.
L'honneur que Jésus-Christ nous fait est
très-grand, il faut prendre garde à ne le
point avilir en nous ; mais au contraire
nous devons faire voir que nous connais-
sons le prix de noire dignité et que nous
sommes entièrement appliqués à en soute-
nir l'éclat. L'apôtre saint Paul exliorte les
chrétiens à se conduire d'une manière qui
soit digne de Célal auquel ils ont été appelés.
(Eph., IV, 1.) Il leur dit dans un autre en-
droit : Ayez Soin de vous conduire d'une
manière qui soit digne de l'Evangile de
Jésus-Christ. (Phil., I, 27.)
Que les ecclésiastiques s'appliquent ces
paroles de saint Paul, et qu'ils voient co
qu'ils sont obligés d(! faire |)our se con-
duire d'une manière digne de l'état auquel
ils ont été appelés. Quel est cet élal? Vous
l'avez vu. Il n'y a rien do [ilus grand. Ce
n'est donc qu'en menant une vie très-cxaclo
et très-pure que les ecclésiastiques peuvent
se, conduire d'une manière digne de l'état
auquel ils ont été appelés.
Saint Paul veut que tons ceux à qui l'E-
vangile est prêché se conduisent d'une ma-
nière digne de VEvungile. Ceux-là donc qui
l'annoncont sont encore plus étroitement
obligés de se conduire d'une manière digne
de iEvangile. Quoi do plus saint, quoi de
plus pur que l'Evangilo do Jésus-Christ 1
Ce n'est donc qu'en menant une vie très-
pure et très-sainte que les ministres do Jé-
sus-Christ peuvent se conduire d'une ma-
nière digne de l'Etangile.
Un ecclosiestique qui ne se conduit pouit
d'une manière digne do son élal, en connaît-
il rexcollence? Ne rougit-il jjoint quand il
considère l'extrèmo ijisproportion <jui se
rencontre entre sa vie et sou état? Son état
est Irès-élevé, et ta vie est toute rampante.
Ces choses ont paru à saint Bernard si
extraordinaires et si hors de raison, qu'il
a regardé comme un monstre l'union de la
dignité ecclfcsiasticiue avec une vie, séculière
et profane. C'est une chose monstrueuse dit.
(26) < Niillura lit)i vciiciium, nullum gladium plus loriuido quam lihidinem domiiiaiidi. » (Lib. Ilî
Dr conait., r. 1.)
ORATEURS SACRKS. JOSEPH LAMBERT.
076
ce P'^re, que d'être dans un degré tiès-élev(i,
et d'avoir un cœur rampant; d'occuper la
première place, et de ni(^riter par sa vio
d'être réduit à la dernière place ; défaire
connaître aux aulros la nécessité de prati-
quer de bonnes actions, et d'avoir les mains
vides de bonnes œuvres ; d'annoncer les
maximes de l'Evangile, et de n'en tirer aucun
IVuil, d'avoir reçu du ciel une autorité qui
suppose un caractère ferme, et de ne faire
apercevoir dans sa conduite qu'inconstance
(!t faiblesse (27).
Ce que saint Bernard a considéré comme
un monstre ne se rencontre que trop sou-
vent parmi les ecclésiastiques. Il n'y en a
(|ue trop qui trouvent le malheureux secret
d'allier ensemble toutes les contradictions
qui composent ce monstre énorme dont
saint Bernard vient de parler I O vous 1
qui êtes dans un degré si élevé, n'ôtes-vous
l)oint confus de mener une vie si indigne
du rang (]ue vous tenez? Quelle proportion
entre voire dignité et voire conduite ? Vous
êtes par votre rang ministre de Jésus-Christ;
vous êtes par votre vie esclave du démon.
Vous êtes par votre rang destiné à inspirer
la sainteté ; vous en éloignez les hommes
par votre vie et pur vos mauvais exemples.
Votre rang vous met entre les mains tout
ce qu'il y a de plus saint dans la religion;
et la vie que vous menez ne vous permet
pas d'approcher des choses saintes sans les
profaner et vous rendre plus criminel.
Comme ministre de Jésus-Christ, vous êtes
obligé d'entrer dans son sanctuaire ; comme
pécheur vous n'osez y entrer, et vous crai-
gnez avec raison que Jésus-Christ ne vous
chasse honteusement. D'où viennent tous
ces désordres? C'est la disproportion de
votre rang et de votie vie qui en est le prin-
cipe. Vous n'avez qu'un seul moyen [)0ur les
faire cesser, c'est, suivant le conseil de l'A-
pôtre, de vous conduire d'une manière dj-
gne de l'étal auquel vous avez été appelé.
Vous avez vu que Jésus-Christ veut que
l'on honore ses ministres. Les termes dont
il se sert ont dû vous faire connaître l'ex-
cellence du rang que vous tenez, C'est aux
ministres du Fils de Dieu à entrer dans ses
desseins, et à attirer les respects du peuple
jiar la pureté de leur vie.
Vous savez que le Fils de Dieu veut que l'on
vous honore. Plusieurs ne ie savent que
trop. Mais que vous vous y prenez mal
pour faire exécuter ce commandement de
Jésus-Christ 1 Vous prétendez vous faire ho-
norer en traitant vos inférieurs avec ri-
gueur, en les menaçant, en disant avec tierlé
que vous saurez bien trouver les voies
])Our vous faire rendre l'honneur qui vous
est dû. Ce ne sont pas là les moyens dont
les ministres de Jésus-Christ doivent se
servir pour se faire respecter. 11 y en a
(27) tMenslruosa res gradus summus, et animus
inlimus, » etc. Lib. 11 De cousid , c. 7.)
(28) « Miuus sibi asbUMiemlo qnam oOerUir.
Magnum esl de hoiioi ibus non l;clari, htd el om-
luiii pompjiii iiiaiicui piax'ideie, tl si ([iiid iiiae
iicccssarium rcniiciur, rU luluiii aJ uùiilalcin huuu-
d'aulres plus sûrs, plus chrétiens, plus con-
formes à l'esprit ecclésiastique. On se fait
honorer en n'exigeant aucun honneur. On ne
le demande f)oinl par ses paroles, mais on
le demande, et on l'obtient bien plus sûre-
ment [)ar sa vie. Le vrai moyen d'être res-
pecté, selon saint Augustin, c'est d'exiger
toujours moins de respect (pron n'est prêt
h vous en rendre. Ce n'est point une joio
l»our un ministre (idèle d'être loué et d'être
lionoré des hommes. Il se porterait même,
s'il suivait les mouvements de son cœur, à
retrancher tout l'ajtpareil extérieur {|ui va à
se faire rendre du respect. Sil en conserve
quelque chose, ce n'est point par rapport à
lui-même, mais par raj'portau salut de ceux
au-dessus de qui Dieu l'a établi. Jésus-Christ
veut qu'on vous honore, et vous attirez le
mépris par l'irrégularité de votre conduite el
de vos mœurs l (28)
D'où vient que cet ecclésiastique qui n'a
jamais ouvert la bouche sur l'honneur qui
jui est dû, qui témoigne sur ce sujet une
entière indiiférence , qui rejette même les
honneurs, d'où vient qu'il est universelle-
ment respecté ? D"(jù vient au contraire que
cet autre qui établit en tous lieux ses préro-
gatives et son rang, qui témoigne un vif
ressentiment dès qu'on n'a |)as pour lui
toute sorte de déférence, qui exige des hon-
neurs au delà de ce qui lui esl dû; d'où
vient, dis-je, qu'avec tous ses soins, toutes
ses peines et sa vigilance, il n'attire que
des mépris ? Vous en connaissez la C2use ;
c'est que 1 honneur est la récompense de la
vertu, et quiconque prendra d'autres voies
pour se faire honorer que le mépris des
honneurs el la pratique exacte d'une solide
vertu, prendra de fausses mesures, el n'ar-
rivera jamais à sa tin.
Il y en a encore d'autres qui prennent de
très- mauvaises voies |)Our faire respecter
le caractère ecclésia.stique. Ce soid ceux qui
prétendent se faire honorer par le faste tl
la pompe. Saint Bernard, dans une lettre
qu'il écrit à un grand arclievôqup, fait voir
comben ceux-là se liom[)ent qui suivent un
sentiment si conforme à l'esprit du siècle,
et si peu conforme à l'espril ecclésiastique.
Saint Bernard explique à cet archevêque
quel est le moyeu de rendre illustre son
ministère, suivant ce que dit saint Paul :
Je Iruvuillerai à rendre xUuslre mon minis-
tère. {Rom. y XI, iS.) Ce n'est point, dit-il,
par la magnilicence de vos hi.bits, par le
nombre de vos chevaux, par de superbes
bûtiments, mais [>Rr le règlement des mœurs,
par la sainteté de vos occuiialions, el par
la pratique des bonnes œuvres que vous
rendrez illustre votre uiijiistère (29j.
Quelle est donc l'erreur de ceux qui pré-
tendent excuser leur f iste sur la nécessité
de rendre illustre leur ministère ? S'agil-il
raniiiiin, saluiemqiic conf«rre. » (Nov. éd., al.i4.)
("2!)j « Uoiiorabius aiileiii non tullu vesliuni, non
e(|i!uruin ias-lu, non amplis icdiliLiis, sedornaus ino-
ribus, bludiis spiiiluaiibus, operiijus bonis. » (/>e
mot. cl off. épis, ad Hcnriç. Sen. archi., c. i, 2.)
977 RETUAITE ECOLES. -
desoulenirunedignité séculière ?S*<isit-il >lo
paraître en |)rince lempdiel? S'agil-il inôiiie
de $e f.iiro approuver par les gens du siècle?
S'il fallait l'éclat et !n pompe pour remlte
illustre le iiiiiiislère ecclésia- tique, les apô-
tres en auraient birn mal soutenu l'honneur.
Saint Paul se sérail bien trompé quand il
avance qu'il veut rendre illustre son minis-
tère, JéNUS-Clirisl môme, le prince des pas-
teurs , aurait bien mal connu les voies
qu'il faut prendre pour maintenir le sacer-
doce nouveau qu'il venait établir.
Voilà les raisons fortes et puissantes qui
engagent saint Bernard 5 soutenir (jue le
laste et la pompe ne conviennent point aux
ministres de Jésus-Cbrist.
Pour vous, continue saint Bernard, gar-
dez-vous bien de croire que ces sortes de
vanités soient propres pour lioiiorer votre
saint ministère {30}.
Quelles sont donc les voies de rendre
illustre le ministère ecclésiastique? Vous
les avez entendues : des mœurs réglées, de
sainles occupations, la pratique desbonnes
œuvres. Voilà pourquoi j'ai soutenu que
l'élévation de l'état ecclésiastique engage
ceux qui se consacrent à Ditu dans cet
état, à mener une vie très-exacle el très-
jiure.
Je dis encore que l'élévation de l'état ec-
clésiastique est un engagement à travailler
beaucoup.
L'étal ecclésiastique est un honneur, mais
aussi il ne faut pas oublier que c'est un
jioids et un f.irdeau. L'honneur du sacer-
doce est grand. Que peul-il arriver de plus
coiisidérabie à un hoiume que d'être mi-
nistre de Jésus-Chrisl, que d'agir en son
nom, que d'entrer dans son sanctuaire, que
d'avoir pari à ses secrets , que d'avoir une
portion si éminenle desj puissance? L'hon-
neur est grand, mais les oliligations sont
grandes et redoutables. Celui-là se liompe-
lait lourdement, qui ne considérerait que
l'honneur du sacerdoce, et que ce qui pa-
raît llalter dans la possession des digml^-'s
ecclésiastiques.
Il y a deux choses dans le sacerdoce : il
y a l'honneur, il y a le poids et les obliga-
tions. Ces deux choses sont inséparables ;
je dis même que ce serait une très-mau-
vaise disposition que de s'arrêter à l'hon-
neur du î-acerdoce, que de désirer l'iion-
iieur, que de s'y complaire, que de re-
chercher le sacerdoce a cause de l'hon-
neur.
C'est ce que saint Augustin nous ensei-
gne, quand il nous dit que celui qui est
dans l'emploi ne doit point aimer l'honneur,
ui la [luissance, parce que tous les hon-
neurs du monde ne sont quj vanité. Que
(30) < Vos aiilem, reverendissiine |>aier, vos, iii-
(|uam, aiisil ut in lalibus lioiioril/caiiduni pulelis
ii.iiii^ieriuin veslrmii! i [ll),d )
(ô\) i Non ainandus e^l lionor, quoniam omnia
saiia sub sole, sed opus ijisuin qiio i per euinJtin
lionoieiii lit. > (Lib. Xl.\ De civil. De! c. 19.)
(."»2j « .Nibil est iiiciius, iiiii.l diilcius quain divi-
iiuii! icrulari iiull(» s'rrjii'mi; tli'jsauiuin.l'.icli'.-.ir'-,
11, EXCELL. DE LET.\.T.
973
fuil-il donc regarder dans les emplois?
Il les faut considérer comme une occasion
d(> travailler et d'être utile à son prochain
(31).
Je dis donc que dans le sacerdoce les
obligations sont propurlionnées à l'hon-
neur, et que comme l'honneur est grand,
les obligaiions sont très-grandes. C'est la
véritable idée du sacerdoce, et c'est celle
que tous les saints Pères nous en ont don-
née. Qu'est-ce que le sacerdoce selon tous
les saints ? C'est un poids, c'est un fardeau.
C'est en cette manière que saint Augustin
en parle. !1 n'y a rien do meilleur, rien de
plus doux, dit ce Père, que de méditer
tranquillement les saintes écritures; mais
d'êlre obligé de prêcher, de reprendre, de
faire des remontrances, d'être dans des in-
quiéludes continuelles |)Our le salut de
ses ireres, c'est un grand fardeau, un grand
jioids, un grand travail. Qui ne fuirait un
travail de cette nature (32) ?
Vous avez vu toutes les difîicultés que les
saints apportaient autrefois, quand on Jaur
proposait d'enirer dans le sanctuaire. Vous
avez vu leurs fuites, leurs plaintes, leurs
gémissements, leurs frayeurs. Reconnaissez
présentement quel en était le principe.
Celait le poids du sacerdoce qui les faisait
trembler, c'est qu'ils en connaissaient les
obligations, c'est qu'ils craignaient do n'y
pas satisfaii'e, c'est qu'ils étaient effrayés
du compte terrible qu'ils auraient un jour
à rendre à Dieu. Saint Augustin dit qu'au
jugement de Jésus-Chrisl, tout i'honneur
dont on a été revêtu par le sacerdoce sera
un fardeau (jui accablera (33).
Saint Grégoire parle delà même manière.
Prenez garde, dit-il, écrivanfà un évêque,
au compte que vous devez rendre un jour
du pesant fardeau de l'épiscopat dont vous
êtes chargé (34-).
Que s'ensuit-il de toutes ces maximes si
fortement établies par tous les saints Pères?
Que le sacerdoce est un poids , qu'il est
appelé un [)0ids et un fardeau, parce que
les obligations en sont grandes; qu'on ne
doit point se ch wger du sacerdoce, qu'on
ne soit dans le dessein d'en remplir les de-
voirs; que ceux qui n'y satisfont passeront
replis et jugés très-sévèrement au tribunal
de Jésus-Christ.
> Voilà ce que vous devez imprimer bien
fortement dans vos esprits, vous qui ne con-
sidérez dans le sacerdoce que l'honneur et
votre propre utilité.
Qu'il est agréable à l'homme charnel
d'être respecté, d'avoir un grand noui, de
jouir d'un revenu considérable l Que tout
cela est agréable pendant celle vie, mais
arguerc, co:ripere, magnum onus, magnum pon-
dus, magiius labor. Quis non réfugiât istuin labo-
rem ? » iSeriii. ")39, al. boni. 25.)
(Ô3) « Quit liic lionoranl, ibi oni;r,inl ; qux hic
relevant, ibi gravant. » (Epist. i'i, al. 203)
(ôij ( Quas raliones île sarciua cpisc(»|tatus reJ-
diunub es to^jim alquc co.'isd.ra. » (Lib. IV.)
979
ORATEUUS SACRF.S. JOSKPH LAMHLRT
983
i\ne tout cela sera amer su jugement de
Jésus-Christ
Tout ecclésiastique qui ne sent point le
poids de son état, et qui ne veut pas le por-
ter, est déjà cond.Tmné.
Quel mauvais caractère dans un ecclé-
siastique que de vouloir être oisif? Tout
ecclésiastique est donc obligé de travaille'-.
Dieu demandera aux uns plus, aux autres
moins, selon la mesure de leurs laleiils, de
leurs emplois, de leurs dignités. Mais tous
auront leur compte à rendre, tous seront
examinés sur l'usage de leur tem|)s, il n'y
en a aucun qui puisse éviter d'être con-
damné, s'il est demeuré oisif et s'il n'a [)as
accompli l'œuvre auquel il était obligé, ou
par son caractère, ou piir sa dignité.
Voiiii donc ce que c'est que le sacerdoce;
apprenez à le bien connaître. C'est un grand
iionneur que de servir Jésus-Christ el que
d'être au rang de ses ministres. C'est un
grand bonheur que d'être fidèle à ses obli-
gations et de remplir exactement tous les
devoirs importants du sacerdoce. Mais
quel étrange malheur que d'être ecclésias-
tique, que d'être prêtre, et de ne pas vivre en
ecclésiastique et en prêtre!
Il est dit dans l'Evangile que Jésus-Christ
est la pierre angulaire, cl que celle pierre
écrasera celui sur qui elle tombera. [Matlk.,
XXI, Itk.) C'(Sl ce qui se vériliera dans
ceux qui auront abusé du sacerdoce. Vous
avez vu que le sacerdoce est un poids. Oui
ce poids, oui ce pesant fardeau écrasera
tous ceux qui, pendant celte vie, n'ont pas
voulu en reconnaître la pesanteur.
Tâchons d'éviter une si terrible condam-
nation. Ne nous chargeons jioint légère-
ment d'un si lourd fardeau, età moins que
nous ne soyons obligés de céder à la voix de
Dieu qui nous appelle. Le fardeau du sacer-
doce étant déjà irès-pesant par lui-même, ne
nous précipitons point à le rendre encore
plus lourd en recherchant des dignités
dont l'extérieur est éclatant, mais don lie poids
est au-dessus de nos forces. Si nous sommes
entin chargés du fardeau, et que nous ayons
lieu de croire que c'est |)ar ordre de la di-
vine i'rovidence, eilorçons-nous de le pord-r
de telle manière que nous n'en soyons pas
accablés. Mêlions notre contiance en Jésus-
Christ. Si c'est lui qui nous a appelés, il sera
tidèle à nous soutenir. Soyons exacts à nos
devoirs, ne nous décourageons point, ne
nous laissons point séduire par le malheu-
reux esprit de paresse. Songeons que celte
vie n'est point un lieu de re[)Os, mais que
le travail y doit être continuel. Conduisons-
nous en toutes choses comme de hdèles
minisires, et nous é[)rouverons un jour que
Jésus-Christ sera fidèle à accomjdir la pro-
messe qu'il d l'aile de nous accorder pour
récompense de nos travaux l'élerniié bien-
heureuse
DISCOURS III.
i)E l'esphit ecclésiastique.
Pour être un véritable ecclésiastique il
fuul être légilimemcnt appelé ; mais il no
s'ensuit pas que tous ceux qui sont appelés
soient de dignes minisires de Jésus -
Christ.
Nous avons deux exemples terribles qui
nous doivent tenir conlinuellement dans la
crainte, quelques marques que Dieu nous
ail données, pour nous faire connaître (pie
c'est lui qui nous a appelés. Le [iremier, c'est
celui de Judas. Il av;iil éléappelé par Jésus-
Christ même. Le second, c'est celui du
diacre Nicolas, 5 qui les apôtres avaient im-
posé les mains.
Il est vrai que, quand Dieu nous appelle,
nous avons grand sujet d'est)érer qu'il nous
accordera les grâces (jui nous sont néces-
saires pour bien remplir noire ministère;
mais Dieu a voulu avec raison que nous fus-
sions dans la dé[)endaiice. Ce qui nous est
accordé par un effet de sa nn'séricorde ne
nous est point dû. C'esl à nous de nous te-
nir sur nos gardes, de veiller continuelle-
ment, et de correspondre par une fidélité
inviolable h toutes les grâces que Dieu ré-
pand conlinuellement sur nous.
Une des grâces dont nous avons parlfcu-
lièrement besoin pour nous conduire en
loules choses comme de fidèles ministres,
c'est l'esprit ecclésiasli(|ue. (irâce précieuse
el importante, sans laquelle nous ne pou-
vons a[)fiartenir à Jésus-Clirist, comme lo
saint Apôtre nous le déclare, quand il nous
dit : Si quelqu'un n'a point l esprit de Jé-
sus-Christ, il nest pointa lui. [Hom., VIII,
^ )
Jésus-Christ répandit son esprit sur ses
afiôtres, (|uand il leur dit : Recevez le Saint-
Esprit. [Joan., XX, 22.) Ces! cet Es[)ril di-
vin qui les fortitia. Animés de cet Esprit ils
ont rempli avec force et avec lidélilé, jus-
qu'au dernier moment de leur vie, toutes
les fonctions de leur ministère. Jésus-Christ
qui connaît la force de son Esprit, et le be-
soin que nous en avons, esl encore tout
prêt à nous le communiquer. Voilà pour-
(juoi les évoques, ministres de Jésus-Christ
ol successeurs des apôtres, en nous impo-
sant les mains, répètent les paroles du Sau-
veur du monde, et nous disent de sa oart :
Recevez le Saint-Esprit.
Jésus-Christ nous veut donner son Es-
prit. Pourquoi y a-t-il tant d'ecclésiastiques
qui ne le reçoivent pas? Prenons-nous-en .\
nous-mêmes. C'est nous qui, aussi bien que
les Juifs, résistons au Saint-Esprit. Il a donc
lieu de nous dire comnje le saint Apôtre le
disait autrefois : N'éteignez point le Saint'
Esprit. IS'attristczpas l Esprit-Saint de Dieu
dont vous avez été marqués. (I l'hess., V, lî>'
Ephes., IV, 30.)
Il y a deux sortes d'esprits qui se com-
batleutrun l'autre, et qui sont entièrement
opposés. L'esprit ecclésiastique et l'esprit
du monde. Le grand obstacle qui nous em-
pêche de recevoir l'esprit ecclésiastique
c'est que l'esprit du monde est en nous.
Mon dessein dans ce discours est de vous
|)arler de ces deux esprits, et de vous aj)-
prendre à les connaître. Je vous ferai voir
ce (jue c'est que l'esiirit ecclési.-isrigue, aliu
981
nETRAJTE ECOLES. — IM, DE LESPIUT ECCLESIASTIQUE.
que vous connaissiez combien cet esprit
vous est nécessaire, et que vous fassiez
toutes sortes d'elTorls pour obtenir de Dieu
un dmi si précieux. Je vous apfirendrai ce
que c'est que l'esprit du monde, alin que
vous soyez convaincus de la nécessité qu'il
y a de s'en dôpouiller, et de son incompa-
tibilité avec l'esprit ecclésiastique. Ce sera
le sujet des deux parties de ce discours;
diins la première je traiterai de l'esprit ec-
clésiastique, et dans la seconde de l'esprit
du monde.
PREMIER POIST.
F/espril ecclésiastique est un don excel-
lent que Dieu distribue h ses ministres, afin
qu'étant fnrtitiês de son secours, ils puis-
sent remplir avec joie et avec liabiielé les
fondions saintes et pénibles de leur mi-
nistère.
L'esprit ecclésiastique est un don qui vient
d'en liaut. Il n'y a aucun homme qui n'ait
Ijesoin des dons du Seigneur [lour se con-
duire lidèlemenl dans son élat. Saint Paul
{ ar!e de ces dons de Dieu, lorsqu'il dit que
chacun a son don particulier, selon quil le
reçoit de Dieu : l'un d'une manière et l'autre
d'une autre. (I Cor., VII, 7.) C'esl-h-dire que
chacun léussit dans son étal, selon (]ue Dieu
lui communi(iue ses dons.
Ou vit saintement dans l'élal de virginité,
lorsqu'on a reçu le don de Dieu. Cius qui
ont le don de Dieu vivent saintement dans
le mariage. Ou se conduit avec fidélité dans
la condition ecclésiastique, pourvu qu'on ait
1-e don de Dieu. Mais saint Paul assure que
les dons de Dieu sont communiqués d'une
manière aux uns, d'une manière aux autres.
Tous ne reçoivent fias les dons de Dieu avec
une même* abondance. Tous même n'ont
pas besoin de recevoir les dons de Dieu avec
une égale abondance. Les ecclésiastiques
ont beioin des dons les plus excellents, à
cause de la dignité et des diflicullés de leur
étal. Il faut que les ecclésiastiques comme
les apôtres aient les prémices de l'Esprit,
(liom., \T1I, -23.) Il faut que l'Esprit de Dieu
leur soit communiqué avec plus d'ell'usion
qu'aux autres chrétiens , non-seulement
parce que leurs fonctions sont [)lus élevées,
mais encore parce que c'est par leur ca-
nal que les "lidèles reçoivent l'Ksiirit de
Dieu.
L'esprit ecclésiastique est donné pour
faire avec joie et avec habileté les fonctions
de l'état ecclésiasti(jue. Car, avoir l'esprit
de sa |)iofession, c'est en faire les fondions
avec inclination et avec adresse. Un houjuie
a l'esprit de la guerre quand ses inclina-
lions sont pour les armes, quand il est
adroit dans tous les exercices de la guerre.
Uii homme a l'esprit de l'étude, quand il y
fait de grands progrès. Aussi un ecclésias-
tique a l'esprit de sa profession, il a l'es-
prit ecclésiastiijue lorsqu'il se plaît h exer-
cer les fonctions ecclésiastiques, lorsqu'il a
de l'adresse pour les exécuter avec succès.
Voici donc les deux manjucs aux(ju(!lles
vous pourrez reconnaître 5i vous avez l'es-
982
prit ccclésiasti(iuc. Vous plaisez- vous i^i
exercer les fonctions de cet état? Les faites-
vous avec habileté? Arrêtons nous à ces
deux propositions et examinons-les dans le
détail.
Je dis , premièrement , qu'un ecclésiasti-
que, pour avoir l'esprit de son état, doit so
plaii'eà en exercer les fonctions, il doit les
aimer; il doit, comme il est dit dans \'Ec-
clcsidslique, se donner de tout cœur à ce qui
est de son devoir. {Eccli., XXXVIII, 31.)
Quand je dis ([ue vous êtes obligés d'ai-
nK'r vos devoirs, et de vous plaire dans
l'exercice de vos devoirs, ce n'est point une
obligation qui vous soit particulière. Il y a
des devoirs attachés à chaque condition.
ie Lorsque saint Jean prêchait dans le dé-
sert [Luc, III, 2); lorsque les publicains,
les soldats et des personnes de tout étal
venaient (lour entendre ce saint précur-
seur, il s'atlachait particulièrement à leur
faire connaître les devoirs de leur condi-
tion.'
Toutes les Epîlrcs de saint Pau! sont
pbines d'instructions |)&rticulières que fait
ce grand Apôtre à des hommes de toute
sorte d'élals pour les engagera aimer leurs
devoirs. 11 donne des leçons aux maris,
il en dorme aux femmes chrétiennes. Il
instruit les pères de famille aussi bien
que les enfants. Il parle également des
obligations de ceux qui commandent et
de ceux qui doivent se soumettre. Mais
toutes les instructions de saint Paul ont
toujours pour fin que tout chrétien fasse
son devoir dans son état, et qu'il le fasse
avec amour.
En elfet, nous vivons sous une loi où
Dieu Veut avoir des serviteurs j qui lui
ubéissent de cœur. Dieu veut que nous nous
soumettions non pas comme des esclaves,
mais comme des enfants qui se font un
plaisir d'obéir à leur père.
Si Dieu nous ordonne de faire l'aumône,
il commande en môme temps par la bouche
de son Apôtre, de la faire avec joie (II6'or.,
IX, 7), et il rejette le présent de celui à qui il
semble que l'on arrache le peu de bien dont
il fait part à ses ficres.
L'Esprit du Seigneur, dit le même Apô-
tre, ne se trouve que dans ceux qui s'ac-
quittent de leurs devoirs librement et avec
|)laistr. (Il Cor., III, 17.J
Le même Apôtre ne dit-il pas encore (^uo
l'amour est l accomplissement de lu loi? [Rom.,
XIII, 10.) 11 veut nous apprendre que, pour
accomplir la loi, il faut noti-seulernent ob-
server tout ce qu'elle nous |)rescrit, mais
encore il faut se faire un plaisir d'en rem-
[ijir tous les devoirs.
L'esprit de la loi sous laquelle nous vi-
vons, est donc de se faire une joie de ses
devoirs. Applitjuons ce principe à l'étal
ecclésiastique pour vous faire voir que l'on
n'a l'esprit ecclésiastique que quand oii
aime ses devoirs.
Saint Jean prescrit à lous ceux (|ui vien-
nent écouter ses prédications d'étudier
leurs devoirs, cl do s'en bien acquiller.
m
ORATEUIIS SACHES. JOSEPH LAMBERT.
9a l
Cefle loi nous regarde, aussi bien que ceux
qui écoutaient les iHédications de Jeaii-
liaplisle. Nous sommes ohligés d'éludier
nos devoirs, et de l'aire nos efforls pour sa-
tisfaire à toutes les obligations de notre
état.
Saint Paul s'allache surtout à développer
quelles sont les obi galions particulières
de chaque chrétien dans son état. Ce grand
Apôtre, dans celle recherche générale, n'a
pas oublié les luinislres de l'Eglise. Il a
marqué lous niis devoirs, parliculièreiuent
dans les deux Epiires h Tiinothée et dans
celle 5 Tito. Saint Paul vous dit .à lous
aussi bien qu'à Tiinolhée : Veillez sans cesse,
souffrez constamment les travaux, remplissez
tous les devoirs de votre ministère. (11 Tim.,
IV, 5.) Saint Paul vous dit à tous : Appli-
quez-vous à la lecture, à Vexhorlation et à
l'instruction. (1 Tim., IV, 13.)
Quand saint Piiul parle aux serviteurs, il
leur dit.: Serrez vos maîtres selon la chair
avec crainte et avec respect dans la simplicité
de votre cœur comme Jésus- Christ même.
Servez-les avec affection, regardant en eux le
Seigneur, et non pas les hommes. [Ephcs.,
VI, 5.) Nous sommes lous les serviteurs de
Jésus-Christ. C'est la qualité que |i."end
saint Paul au commenceuient de ses Epî-
Ircs, Paul serviteur de Jésus-Christ. Nous
sommes tous les serviteurs do nos l'ières.
Nous sommes obligés de les servir à l'exem-
ple de JésuvChrist notre maître, qui n'est
pas venu pour être servi, tnais pour servir
les autres. (Matlh., XX, 28.) Au moment
ipie nous nous consacrons à l'état ecdé-
>iaslique, nous faisons une iirolession pu-
blique de rendre service à lous ceux qui
auionl besoin de notre assistance. C'est à
nous de les servir dans la simplicité du
cwur comme Jésus-Christ même. C'est-à-dire
que nous devons reconnaître Jésus Ciirist
diius la personne de nos Irères ; nous de-
vons être persuadés que c'est Jésus-Christ
niOme que nous servons, et cette réllexion
doit animer notre courage et nous combler
de joie.
Nous vivons sous une loi d'amour oiî Dieu
veut que ses enfants se fassent un plaisir de
lui obéir. Donc à plus forte raison les minis-
tres de celle loi d'amour , qui doivent mon-
trer l'exemple eux autres et marcher à leur
tête, sont obligés d'obéir avec promptitude,
avec joie et avec amour.
Dieu veut que celui qui fait, l'auinône la
fasse avec joie. Soit donc que vous fassiez
l'aumône ct)rporelie, soit que vous fassiez
l'aumône spiritueilo,'en rendante vos frè-
res les bons otlices que votre charité vous
inspire, vous travaillez en vain si l'esprit
ecclésiastique, c'esl-à-dire si l'espritd'amour
et de charité n'anime pas vos actions.
L'Esprit du Seigneur est un Esprit de li-
berté, vo^ls n'en serez donc point remplis
que lorsque vous ferez vos devoirs avec li-
berté et sans tontrainle.
Enlin l'amour est l'accomplissement de la
loi. C'est ce qui vous doit convaincre qun
vous n'accomplissez point la Joi que quand
l'amour est le princi[)e de votre obéissance.
Or ce qui se fait avec amour se fail avec joie.
Quelle sera donc la disposiljon d'un vérita-
ble ecclésiastique? vous le v'errez s'acquitter
de ses fonctions avec toute la joie que doit
faire paraître celui qui n'a point de |)lus
grand plaisir que d'agir i)Our Dieu et que do
lui obéir.
C'est de celte nécessité de s'acquitter avec
joie des devoirs de son état que je conclus
qu'un lidèle ministre du Seigneur, animé de
l'esprit ecclésiastique, doit jmrter en lous
lieux avec joie les marques de sa dignité.
Son extérieur, son maintien, ses vêlements
doivent être tels que l'Eglise les prescrit.
Quiconque néglige les marques extérieures
de son état n'a pas l'esprit ecclésiastique ;
car s'il était rempli de cet Esprit, il se ferait
un honneur et un plaisir de pratiquer avec
exactitude toutes h^s lois auxquelles son ca-
ractère le soumet.
C'est de ce même principe que je conclus
qu'un ecclésiastique zélé doit se faire une
joie d'exercer toutes les fondions Je so;i
é!at, même les moindres et les plus basses.
Les moindres et les |)lus basse*. Ahl ne nous
servons pas de ces termes. Il n'y a point de
fondions dans l'état ecclésiastique qui soient
basses. 1! n'y en a aucune qui ne soit inlini-
ment élevée au-dessus de ce que nous mé-
ritons. Le moindre degré dans l'Eglise c-bt
au-dessus de notre condition et de notre
naissance, fussions-nous de la race royale.
Parlons donc plus correctement, et disons
qu'un ecclésiastique tidèle doit se faire une
j(jie d'exercer toutes les fonctions deson étal,
môme cdles que les hommes du siècle par
un jugement très-faux considèrent comme
des fondions basses.
Saint Grégoire de Nazianze en faisant l'é-
loge de saint Cyprien rapporte que (juand co
grand saint se consacra au service du Sei-
gneur, il demanda avec instance d'être appli-
qué aux [ilus vils ministères, et il prétendait
que ces exercices d'hutuilité lui élaieiit né-
cessaires pour vaincre SdU orgueil (33).
Nous lisons dans saint Cyprien que do
saints confesseurs, après avoir soulenu de
rudes combats pour défendre la foi, tenaient
à honneur (t'exercer dans l'Eglise l'olhce du
lecteur.
SaintCyprien avoue qu'Aurélius qui avait
combattu pour la foi, était digne de ce qu'il
y a de plus élevé dans l'Eglise. Néanmoins
il ne [leut dissimuler que ledegré de lecteur
ne soit une abondante récompense de ses
mérites et de ses combats. Kien n'est plus
propre et plus convenable, dit saint Cyprien^
à la voix de celui cpai a si glorieusement
confessé Dieu, que défaire retentir les véri-
tés divines. Il a parlé avec courage, enllam-
mé d'un saint désir de soullrir le martyre:
il annoncera l'Evangile de Jésus-Christ qui
fait les inartyrs. Lorsqu'il était sur le che-
valet, il a été admiré de la multitude, et re-
(5o) Saint Grégoire dit que saint
Cyjuicii
(Jcmand;> a b.Uaym rc,.^lisc. (Oiat. 18.)
RKTUAlTi: ECCLIii*. — III, DL LKSPiai LCCLESIASTIQUK.
985
gardé comiiie uiiiiiiraclede constance; ses
frères seroiil ravis do joio de jeter les yeux
sur lui, el de l'écouter lors(|iie du pupitre
saeré il piibliL'ra les saintes vérités qui doi-
vetU être la règle de noire conduite. Appre-
nez que nous avons, mes collègues et moi,
ordonné ce lecteur. Kt je crois que vous nous
approuverez ; car ji- sais que votre désir est
que l'on donne à i'Egliso un grand nombre
de semblables ministres (3G).
Quoi! un confesseur de Jésus-Christ se
lient bien réconif.ensé d'exer.er dans l'fi-
iilise l'oliice de lecteur, el après cela nous
distinguerons encore entre fonctions el
foncliotis ! celles-ci nous |)araîlront trop bu-
milianles, eelles-là trop pénibles. Nous ac-
ceplerons avec joie celles qui sont selon
notre goûl, celles qui sonl éclatantes, el
mépriserons celles qui sont obscures el qui
i.e nous plaisent pas. Les riches trouveront
un grand nombre de ministres intéressés,
toujours prêts à leur rendre service, et les
pauvres seront abandonnés. Il y auia dans
les villes un grand nombre de ministres oi-
sifs el inutiles; les campagnes n'auront que
le rebul el seront souvent dans une extrême
disette.
Quand il est question de faire des basses-
ses pour obtenir un bénéfice, des hommes
si tiers ne se souviennent ni de leur nais-
sance, ni de leur condition, ni de leur
esprit. Ils se pressent, ils rampent, ils font
la cour à des hommes de néant. Il n'y a rien
de si servile que leur âme, rien de si lâche
que leur flatterie, rien de si prostitué que
leur conscience.
Mais si l'on propose à cet homme qui est
sous-diacre, de chanter les leçons des pro-
phètes et les épîlres des ajiôlres ; si l'oîi |»ro-
pose à cet homme qui est diacre de chanter
le saint Evangile, pour lors enflé de sa nais-
sance, tout plein de son es|)rit et de la bonne
ojMnion qu'il a de lui-iuèuie, il soutient hau-
tement, sinon par ses paroles, au moins par
ses actions, que ces fonctions sonl au-des-
sous de sa condition, de son esprit el de ses
prétentions. Est-ce être animé de l'esprit ec-
clésiastique? Est-ce aimer les fonctions de
son étal? Est-ce entrer dans les desseins de
l'Eglise, qui ne vous reçoit au nombre de ses
ministres, qu'ahn que vous travailliez, non
pas j)Our vos intérêts, mais pour l'utilité de
vos frères.
Mais, me direz-vous, comment aimer les
fonctions ecclésiastiques, qui la plupart du
temps sonl pénibles, infructueuses el plei-
nes de rebuts? Il faut servir des ingrats,
guérir des frénétiques, persuader des obsti-
nés, adoucir des barbares ; il faut abattre
les Jsuperbes, relever les humbles, enrichir
les pauvres, dépouiller les riches; il faut
ôler à l'idolâtre ses dieux, faire aimer la
pauvreté aux avares, le mé|)ris h ceux qui
sont possédés de la vi/nilé, l'humiliation aux
superbes, Tauslérité aux hommes de f)laisir,
la pureté aux impudiques. Il faut bénir el
986
(5C) I Merebaïur laljs clencu; ordinatioiiis ullcriorcs
fiijl, etc. ) (tpibi. ~jZ.)
être maudit, faire du bien souvent h des in-
grats qui s'en olfensent; il l'.iiii procurer A
nos frères le repos en f)erdani U; sien. Il faut
pleurer avec ceux qui pleurent, bégayer
avec les enfants, devenir faible avec les
faibles. Il faut se faire tout à tous. Peut-on
faire sa joie d'exeicer des fondions qui sont
pleines de troubles et de difticultés.
Oui, on le peut quand on est plein de l'es-
prit ecclésiastique. Oui, on le peut, puisque
les apôtres o:il bien i-u exercer avec joie les
fonctions de leur aposlol.it en [irésence des
tyrans, qui leur faisaient soulfrir les suppli-
ces les plus crue's.Oui, O'i le peut, puisque
les apôtres, après avoir été battus de verges
dans les synagogues des Juifs, sont sortis rem-
plis de joie, de ce qu'ils avaient été jugés di-
gnes de souffrir des opprobres pour le nom
de Jésus-Christ. {Act., V, kl.) Que feriez-
vous s'il vous fallait comme les martyrs
souffrir d'horribles persécutions dans l'exer-
cice de votre ministère, et signer de votre
sang les vérités que vous prêchez? On peut
donc aimer les fonctions difficiles, les fonc-
tions rebutantes, quand on est animé de
l'esprit de Jésus-Clirisl ; on peut aimer le
travail, quand on fait attention à la grande
récompense qui nous est pré|)arée; on peut
entreprendre avec joie les ouvrages les plus
difliciles, quand ils nous sont commandés
fiar celui que nous aimons. On peut cher-
cher les souffrances, quand on sait que
c'est par ce moyen que l'on ressemble au
Sauveur des hommes, quand on sait que le
royaume du ciel est fermé à ceux qui ne
veulent point souffrir; quand on sait,
comme saint Paul nous l'a appris, qu'il n'y
a point d'autre moyen [)Our être glorifié
avec Jésus-Christ que de souffrir avec Jé-
sus-Christ. {Rom., VIII, 17.)
Voilà donc la première marque h laquelle
vous pouvez connaître si vous êtes pleins
de l'esprit ecclésiastique. Eles-vous prépa-
rés à exercer avec joie toutes les fonctions
de votre état sans que les difîicultés vous
rebutent, sans que les jugements des hom-
mes, qui sonl ordinairement injustes, vous-
arrêtent et vous troublent?
Voici encore une seconde marque à la-
quelle vous devez examiner si vous êtes
remplis de l'esprit ecclésiastique. Avez-
vous des talenls pour rendre service à l'E-
glise ? Avez-vous des dispositions pour
exercer sinon toutes, au moins quelques-
unes des fonctions ecclésiastiques? Car
quand Dieu appelle un homme à quelque
condition, et surtout à l'éiat ecclésiastique,
il le renq)lit de son Espril, et le caractère
de cet espril c'est de rendre les hommes
capables d'exercer les fondions do l'état
auquel ils sont ap[)elés. - ..
Ainsi lisons- nous que Dieu choisi iBéséléel
et Ooliab pourconslruire le tabernacle. Mais
en môme leuq)s il assure que parce qu'il les a
choisis, «7 les a remplis de sagesse, d'inlelli
gence et de science pour tous les ouvrages
rajus iiiteriin placuit ut ulj ofQcio kciioiiis iuci-
<!87
OUATEIHS SACRES. JUSKPll LAMBERT.,
088
aiixqiiels il avait résolu de les appliciuor.
{Exod., XXXI, 3.)
. Saint Augustin soutient que ce qui est
dit de Béséléel et de Ooiiab se doit rappor-
ter plutôt aux grandes vérités marquées
par io'tabernacle, qu'au tabernacle même
qui n'élait qu'une figure (37). C'esl-à-dire
que Dieu voulait nous apprendre par cette
figure, que quand il appellerait dans la loi
de grâce des minislres pour servir son E-
glise, il les remplirait de sagesse et d'in-
telligence pour bien exercer toutes les fonc-
tions ecclésiasiiques.
Saint Cbrysostome conclut de ce principe
que l'on doit condamner deux sortes de
personnes, qui sont également téméraires
de s'tngager dans l'état ecclésiastique (38).
Ceux-là, dit saint Clirysoslonie, méritent
d être punis très-rigoureusement, qui, après
s'être élevés aux honneurs ecclésiastiques
par leurs, ambitieuses poursuites , n'en
exercent pas les fonctions comme ils doi-
vent, ou par làchelé, ou [)ar malice, ou par
insuflisance.
Mais, ajoute ce saint, ceux-là même qui
n'ont point eu l'ambition de ()arvenir aux
dignités de l'Eglise, et qui ne les ont point
recherchées, n'ont pas droit de prétendre
que Dieu les excusera, s'ils acceptent les
honneurs ecclésiastiques, n'élanl pas capa-
bles d'en remplir les fonctions.
Voyez combien il est nécessaire de pou-
voir rendre service à l'Eglise, puisque ceux
que l'on appelle, et que l'on force môme
d'accepter les honneurs de l'Eglise, selon
saint Chrysostorne, n'ont ni défense ni ex-
cuse, s'ils sont incajjables de remplir leurs
devoirs.
Saint Chrysoslome ajoute : La raison veut
que quand vous seriez appelés, et qu'on
voudrait même vous forcer d'accepter un
emploi ecclésiastique, vous ne vous ar-
rêtiez pas entièrement au jugement des
autres, mais que vous exauiiniez aupara-
vant votre cœur et votre esprit, que vous
examiniez avec soin tout ce que vous
pouvez avoir de force, et qu'après cela, si
vos forces sont suflisantes, vous cédiez
enfin à la violence. Nul homme ne s'engage
à bâiir une maison, s'il n'est architecte :
nul ne s'entremet de guérir les maladies,
s'il n'a api)ris la médecine. Quand on vou-
drait les y contraindre, ils s'en excuse-
raient, et ils n'auraient point de honte d'al-
léguer leur ignorance. Comment donc celui
qui doit prendre soin des âmes ne s'exami-
nera-t-il point lui-môme avant toutes cho-
ses, mais recevra-t-il les honneurs ecclé-
siastiques, quoique son incapacité lui soit
connue. Quelque commandement qu'on lui
fasse, quand bien môme on ajouterait les
menaces et la violence, cet homme doit
constamment refuser un honneur qu'il se
sent incapable de soutenir. S'il l'accepte, il
se perdra, il en perdra d'autres avec lui, et
ce sera tout le fruit de sa complaisance et
de sa lâcheté.
(37) Quaest. 58 m Exud.
Posons donc pour principe assuré qu'on
no doit point entrer dans l'état ecclésiasti-
que, etqup l'on n'a point l'esprit ecclos'as-
ti(]ue, si l'on n'est capable d'exercer les
fondions ecclésiasiiques.
Qui jugera de cette capacité? Sera-ce
vous-iriême? Ah 1 si vous êtes juge dans
voire pro[)re cause, vous vous flatterez.
L'expérience nous apprend fpi'il y en a
une infinité qui se croient habiles, et qui
néanmoins détruisent au lieu d'édifier. Ne
soyez donc pas vous-même le juge des ta-
lents que vous avez, prenez le conseil de
quelque homme prudent qui vous connaî-
tra mieux que vous-même, qui vous aidera
à vous détern)iner dans une affaire si im-
portante, et où il est si dangereux de se
tromper.
Observez toutefois que, quoique pouF
avoir l'esprit ecclésiastique il soit néces-
saire d'aimer ses fonctions, et d'être capa-
ble de les remplir, néanmoins l'esprit ecclé-
siastique ne demande pas que nous fassions
paraître un empressement souvent témé-
raire d'exercer les fonctions ecclésiastiques,
surtout les jilus difïïciles, comme la prédi-
cation et l'administration du sacrement de
pénitence.
Distinguez bien ces deux choses : aimer
les fonctions ecclésiastiques, ôlre capable
de les remplir, et avoir un empres-^ement
déréglé d'exercer les fonctions de l'Eglise.
L'esprit ecclésiastique consiste encore
moins dans une recherche présomptueuse
des bénéfices, surtout de ceux qui sont à
charge d'âme.
Je sais que quand on vous emploiera, vous
ne devez pas apporter une résistance obsti-
née, particulièrement lorsque vous ne vous
êtes pas employé ni directement, ni indi-
rectement pour obtenir les dignités dont
on vous honore. Mais je sais aussi que c'est
préci[)ilation que de se hâter, c'est |trésomp-
tion que de s'offrir, c'est imprudence que
de rechercher, c'est un scandale que de
briguer. Rendez-vous ca|)able d'être em-
ployé, voilà ce que l'esprit ecclésiastique vous
suggère ; mais ne recherchez pas les em-
plois ; les règles de l'Eglise le défendent.
Vous verrez dans la suite de ce discours
que cette recherche des dignités ecclésias-
tiques est une preuve que l'on a l'esprit du
monde qui a été condanuié par Jésus-Christ.
Voici une belle n)axiine établie par saint
Augustin, qui ne peut être trop profondé-
ment gravée dans le cœur des ecclésiasti-
ques. Si l'Eglise voire mère a besoin de
votre secours, prenez garde à éviter égale-
ment et les désirs empressés, et le refus
opiniâtre. Celui qui a reçu de Dieu l'esprit
ecclésiastique aime les fondions de son état.
11 se rend capable de les remplir ; il les
exerce avec joie, lorsqu'il est appelé légi-
timement ; il est très-éloigné de désirer et
de rechercher les dignités de l'Eglise. Son
sentiment naturel est de beaucoup appré-
hender ; son inclination est de fuir ; il
(38) L. IV De sacad., c. ^2.
989
RETRAITE ECCLES. — III, DE L'ESPRIT ECCXESIASTIQIE.
900
occeple avec obt^issanre et il se confie au
Seigneur aussitôt qu'il a connu ce qu'il de-
mande de lui (39j.
Voilà donc ce que c'est que l'esprit ecclé-
siastique ; c'est un don de Dieu qui nous
inspire l'amour des fonctions ecclésiasti-
ques, cl qui nous rend capables de les exer-
cer avec adresse. Parlons maintenant de
res|)rit du monde qui est entièrement op-
posé à l'esprit ecclésiasli(iuo.
SECOND POINT.
Aulanl que nous devons rechercher avec
ardeur l'esprit ecclésiasli(|ue, autant nous
devons renoncer à l'esprit du monde qui
lui est entièrement opposé.
Quand vous avez été lait clerc, on vous a
(]é|iuuillé de l'habit séculier. C'est peu de
chose, ou plutôt ce n'est rien du tout, si
vous avez seulement changé d'habit. Le
dessein de l'Eglise, en vous faisant renon-
cer à l'habit du siècle, a été principalement
de vous apprendre que vous êtes indispen-
sablemenl obligé de vous défaire de l'es-
prit du siècle, et que jamais vous ne serez
rempli de l'esprit ecclésiastique, tant que
vous serez plein de l'esprit du monde.
L'esprit de vérité est un esprit que te mon-
de ne peut recevoir {Joan., XIV, 9, 17};
c'est-à-dire qu'il y a incom[)alibiIité eniVe
l'esprit du siècle et l'esprit de Dieu. Tous
ceux qui sont [)0ssédés de l'un ne jieuvenl
recevoir l'autre.
Dieu, dit saint Augustin, est une fontaine
de laquelle les eaux salutaires de la grAce
découlent avec abondance, mais [)our re-
cevoir ces eaux, il faut apporter un vase
vide. Si le vase est déjà plein, il est im[)os-
sible (ju'il soil rempli des eaux de la grâce
Il dit dans un autre endroit : Les hommes
ne peuvent recevoir l'Esprit de Dieu, [tar-
ée qu'ils sont déjà pleins. Qu'ils te vident
de l'esprit du monde, et pour lors ils pour-
ront recevoir rEs[)rit de Dieu. Ils sont pleins
de l'amour des jjlaisirs, de l'amour de celte
vie, de l'amour des iichesses. Piétcndez-
vous faire tenir du miel dans un vase,
si vous ne répandez auparavant le hel
dont il est rempli V Videz-vous de ce qui
est en vous, alinque vous puissiez recevoir
ce que vous n'avez pas. Il faut donc néces-
sairemenlsedépouillerdel'espril du monde,
autrement il est impossible de recevoir l'es-
jirit de Jésus-Christ.
Qu'est-ce que l'esprit du monde qui est
entièreraentopjjoséà l'esprilde Jésus-Christ,
et par conséquent à res|)ril ecclésiastique '/
Saint Jean nous en donne une jusle idée
quand il nous dit : Tout ce qui est dans le
inonde n'est que concupiscence de la chair,
ou concupiscence des yeux, ou orgueil de /«
vie. (I Joan., XI, 16.)
La concupiscence de la chair, c'cit i'a-
mour dis plaisirs.
(59) I Vos exhorlaniur, ut si quam operam ve-
Slram nialer Eccksia desiiioraverit, ncc elai=oiie
avjila suscipialis, riecljiaiidiciilc dgsidia r«spualis. >
(fc-|»tbt., i8, iiov. cdit., al. 81.)
La concupiscence des yeux, c'est l'amour
des biens de ce monde. Elle est ainsi appe-
lée, parce que les yeux s'ap[)liquant avec
attention à considérer les richesses et les
pompes du miHide, celte vue fait naître dans
nos cœurs un désir déréglé des biens et
des pompes du siècle. D'où vienl que VEc-
clesiaste, nous faisant la i^einlure d'un avare,
dit : // travaille sans cesse : ses yeux sont in-
satiables de richesses, (t'ccle., IV, 8.)
Entin par la superbe de la vie on entend
l'amour des honneurs. Ainsi l'esprit du
monde est un esprit charnel, intéressé, su-
perbe. On se dépouille de cet esprit par de
fréquentes mortifications, par un désinté-
ressement généreux, par une humilité sin-
cère.
Tout ce qui est dans le monde n'est que
concupiscence de la chair. Si donc vous vou-
lez vous dépouiller de l'esprit du monde,
aflaiblissez, combattez, détruisez la concu-
piscence de la chair. Soyez convaincus que
l'amour des plaisirs est très-contagieux;
déracinez de vos cœurs cet amour fu-
iiesle.
Tout ce qu'on peut permettre à un ecclé-
siastique, o'est de mener une vie commune,
se contenlant d'une nourriture simple et
ordinaire, ne recherchant point ce qui flatte
la sensualité.
Si un ecclésiastique se permet [quelque
récréation, elle doit être courte; il doit tou-
jours se souvenir de ce qu'il est ; sa fin prin-
ci.nale dans ses récréations doit être de re-
prendre des forces, afin de retourner au tra-
vail. Ses récréations deviennent criminelles
quand elles durent trop longtemps, quand
elles emportent et qu'elles dissi[)ent son
esprit.
Un ecclésiastique zélé va encore plus loin,
il prafii^ue assidûment des œuvres de mor-
tification; il mène une vie pénitente; il so
retranche [)resque toutes les récréations,
au moins il ne se permet jamais celles qui
sont en usage parmi les hommes du siècle,
et qui tiennent de l'esprit du siècle. Comme
il craint toujours que l'amour des plaisirs
ne trouve entrée dans son cœur, il en
détruit jusqu'aux principes les plus éloi-
gnés.
Cet amour des plaisirs est entièrement
opposée l'esprit ecclésiastique, il rend celui
dans le cœur duquel il domine incapable de
vivre en ecclésiastique et de bien remplir les
fonctions de son état.
L'es[)rit ecclésiastique est un don de Dieu
qui nous porte à aimer nos fonctions quoi-
que accompagnées de diflicultés. Un ecclé-
siastique animé de l'esprit de son état ne se
rebute jamais dans l'exercice de son minis-
tère, de quelque [)éril dont il soit menacé,
(|uelque contradictions qu'il ail à essuyer,
quelque peine (}u'il ait à souffrir. L'esprit
ecclésiastique est un esprit supérieur à tous
les obstacles, à toutes les difficultés, à toutes
(40) t Ut non capiantîpleni siuil, fundanl el ca-
piuiu. Vis ut iiitiel met uiidc accluin nondum lu-
(lisli. Fuiide qtiod habcs, iiicapiasiiuoit non liabcs. »
(S'jini. ô(ji), al. lioui. 37.J
991
OUATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT
9,)2
les fatigues. Parlh vous voyez combien la
mollesse des gens du siècle esl incomjialibie
avec l'esprit ecclésiastique.
Quelle sera la disposition d'un homme
sensuel et ennemi de toute contrainte, lors-
que l'utililé du prochain demandera qu'il
laisse SOS plaisirs et qu'il contraigne ses
inclinations? Un homme amolli par le plai-
sir est-il en état de faire paraîlre cette force
gt^néreuse que rien n'effraye? Le caractère
du plaisir n'esl-ce pas d'affaiblir l'homme,
de le rendre lâche, craintif, paresseux, el
de lui inspirer une grande aversion pour la
peine?
Les fondions ecclésiastiques demandent
de i'ôpplication, l'homme sensuel n'en a qu'à
ses plaisirs.
Pour bien exercer les fonctions de notre
ministère, il faut toujours être prêt, il faut
courir quand le prochain a besoin de notre
secours. Quelle mortification pour un hom-
ine sensuel, lorsqu'il faut interrompre ses
divertissements! Ce qui demande beaucoup
de gravité sera l'ail avec la dernière préci-
pilation, parce que l'on a impatience de re-
tourner à cette partie de plaisir que l'on n'a
quittée qu'à regret.
Les fonctions ecclésiastiques demandent
de la préparation ; il en faut par exem[)le
pour faire une instruction sérieuse et tou-
chante. Un homme adonné à ses plaisirs
trouvera- 1- il du temps jiour se préparer
à bien remplir les fondions de son
état?
Celui qui instruit doit encore plus parler
par son exenqile tjue i-ar ses paroles. Quel
exemple plus pernicieux, plus capable de
corrompre les cœurs, que celui d'un homme
esclave de la volupté? Quelle disposition
pour prêcher la |)éijiience, que de mener
une vie impénitente et toute sensuelle?Un
exemple si corrompu serait capable d'infec-
ter ceux-là même qui sont dans de bonnes
dispositions, combien donc aura-t-il de for-
ce pour retenir dans le vice ceux qui ne
cherchent qu'à se confirmer dans leurs per-
nicieux sentiments ?
Que c'est u;.'e chose indigne d'un ecclé-
siastique que d'aimer la bonne chère; cher-
cher les bons repas ; être délicat dans sa
nourriture; se faire une occupation de flat-
ter son corps ; passer à table un temps con-
sidérable; chercher des artifices j)Our pro-
longer ce tem[)S ; employer une voix qui
doit retentir des louanges du Seigneur à
chanter des chansons (>rofanes; fane voir
en ses mains des marques honteuses de li-
bertinage, qui conviendraient mieux aux
prêtres des dieux infûmes du [)aganisme
(ju'à des ministres de Jésus-Christ, disputer
avec les gens du siècle, et leur contester
le vain honneur d'être de ces hommes dont
parle le prophète Isaïe, quand il dit :
Malheur à vous qui êtes puissants à boire
le vin, et vaillants à vous enivrer. Usai., V,
22)
L'histoire de l'Eglise nous apprend qu'il
y ava-il un solitaire qui ne mangeait jamais
qu'en marchant, et comme on lui demandait
raison de celte conduite, il répondit : C'est
que je ne prétends pas m'appliquer à man-
ger comme à une affaire de conséquence;
je mange uniquement pour satisfaire à la
malheureuse nécessité de soutenir mon
corps (41).
Tel était le sentiment des premiers chré-
tiens. Tertullien, parlant des repas de cha-
rité que les chrétiens faisaient ensemble et
qui précédaient ces veilles bienheureuses
qui étaient entièrement consacrées à la
prière , dit ces belles paroles : Ils mangent
comme le doivent faire ceux qui se souvien-
nent qu'ils doivent employer la nuit à la
prière. Quand donc vous prenez vos repas,
prenez- les avec loule la modération qui
convient à des hommes dont la vie doit
être une prière continuelle, dont la vie doit
être austère et mortifiée (4-2).
Souvenez-vous que la sobriété est une
des vertus que saint Paul recommande par-
ticulièrement aux ecclésiastiques. Il faut,
dit cet a|)ôtre, qu'un ministre du Seigneur
soit sobre. (I Tiin., lil , 2.) Pour vous, dit
le saint A[)ôtre à son disciple Tiniothée ,
Veillez continuellement , souffrez constam-
ment les travaux, faites la charge d'un t/u.m-
géliste, reniplisi>ez tous les devoirs de votre
ministère, soyez sobre. (Il Tiin., IV, 3.)
La sobriété est expressément recomman-
dée |)ar saint Paul, soyez sobre. Mais il est
vrai de dire que les paioles précédentes
contiennent encore un commandement ex-
[)rès de pratiquer cette vertu.
Veillez. Rien n'est plus capable d'endor-
mir les ecclésiastiques que l'amour des
plaisirs. Tous ceux que cet amour possède,
vivent dans l'assoupissement et dans une
extrême négligence de leurs devoirs.
Souffrez constamment tous les travaux.
Qui ne sait que l'amour des plaisirs affai-
blit et qu'il rend insujijio. tables jusqu'aux
plus légers travaux.
Faites la charge d'un e'vange'liste. Quel
évangéliste qu'un homme voluptuecjx ?Qa'il
s'annonce à lui-môme les vérités de l'Evan-
gile et qu'il se convainque que la vie chré-
tienne, à plus forte raison la vie ecclésias-
tique, doit ôlte essenliellemunt une vie cru-
cifiée.
llentplisscz tous les devoirs de votre minis'
tère. Une expérience trop funeste nous fait
voir que i'bomme sensuel les afbaudonne
tous.
L'Apôtre ajoute el finit son importante
instruction par ces ()aroles : Soyez sobre.
Il le laut donc être et il faut pratiquer cette
importante vertu , non -seulement parce
qu elle nous est expressément commandée,
mais encore parce qu'elle est nécessaire
pour observer, tous les devoirs essentiels
de la vie ecclésiastique.
Soyez sobre. Qu'est-ce que cette sobriélé?
(41) SocR., I. IV, c. 23.
(12) « lia saiuraniur ut qui iiiciiiiiieriul cliuui pcr iioctciii ndoraiuluiu esse Deiiiii. » (ApuL 39.)
993
RETRAITE FXCLES. — III, DE L'ESPRIT ECCLESIASTIQUE.
c'est une vorlu Jont l'effet est d'user modé-
rémenl et selon les lois d'une exacte néces-
sité, de tout ce qui peut flcitler rhomme
sensuel. L'homme sobre use modérément
de la nourriture, des récr('<>lions. du repos,
de tous les souingeraents que Dieu accorde
à noire faiblesse. Par ceile sobriété il de-
vient un homme fort, il s'accoutume au tra-
vail; à la plaje des f)laisirs charnels il subs-
titue un autre plaisir, qui est celui de
remplir ses devoirs. Autant que le plaisir
énerve et abat l'esiiril, autant la sobriété le
soutient, le fortitie, le met en étal de s'ap-
pliquer uniquement h bien entendre et à
l'aire goûter aux autres les saintes maximes
de la religion.
Excellentes dispositions pour devenir un
saint ministre du Soigneur, et puisque la
sobriété a tant de force pour nous faire en-
trer dans ces dispositions, un ecclésiastique,
qui a quelque désir de s'acquitter de ses
devoirs, ne doit-il pas embrasserde tout son
cœur une vertu si nécessaire?
Vous voyez donc de quelle conséquence
il est à un ecclésiastique de déraciner en
lui ce funeste amour des plaisirs, et que
cet amour que saint Jean a mis h la tête de
tous les autres, quand il a voulu nous ap-
I)rendre ce que c'est que l'esprit du monde,
est entièrement opposé à l'esprit ecclésias-
tique.
Tout ce qui est dans le monde nest que
concupiscence de la chair ou concupiscence
des yeux. Je vous ai dit que par la concu-
piscence des yeux , l'apôtre saint Jean a
voulu nous faire entendre l'amour des biens
de ce monde. Ce funeste amour est encore
très-opposé à l'esprit ecclésiastique.
Vous avez vu que l'esprit ecclésiastique
est un don de Dieu, qui nous porte à aimer
les saintes fonctions de notre élat. Celui qui
est intéressé aime-l-il les fonctions ecclé-
siastiques? Non, il aime l'argent et son in-
térêt. C'est parrap|)0rt à cet intérêt qui le
domine qu'il s'applique aux fonctions ec-
clésiastiques. Le désir honteux du gain est
le premier mobile do toutes ses actions, et
il n'en exerce aucune qu'il n'ait d'abord en
vue le profil qu'il en retirera. Comme celui
qui est intéressé n'a aucun amour pour ses
fonctions, il est clairque l'esprit ecclésias-
tique ne peut en aucune manière subsister
avec l'esprit d'intérêt, il est clair que l'es-
prit ecclésiastique rie peu! nous animer, que
quand l'esprit d'intérêt est entièrement
banni de notre cœur.
Nul ne peut servir deux maîtres, dit Jésus-
Christ; vous ne pouvez en même temps servir
Dieu et l'argent. {Mutth., VI, 23.] Celui qui
est intéressé sert l'argent ; c'est l'argent qui
le fait agir; il se propose des récompenses
temporelles; il seit l'argent, et par consé-
quent il ne sertiioinl Dieu, car Jésus-Christ
iléclare qu'on ne peut en même temps ser-
vir Dieu et l'argent.
Ceux-là, ii\i saint Paul, qui veulent devenir
riches tombent dans la tentation et dans le
piéqe du diable, et en divers désirs inutiles
et pernicieux qui précipitent les hommes dans
on;
l'abîme de la perdition et de la damnation.
(I 'fini., VI, 9.) L'apôtre saint Paul parle en
cet eqdroil de ceux qui aiment l'argent. Il
prétend que cet amour eslune grande source
de lenlations et de désirs pernicieux.
L'amourde l'argent est une grande source
detenlalion, car il n'arrive guère que celui
qui aime l'argent soit ferme dans ses de-
voirs. Quand un homme aime l'argcnl, on
l'aborde toujours avec assurance qu'on en
sera le maîlre. Les premiers refus n'alar-
ment f)as. Il y a une dernière voie que l'on
n'emploie guère inutilement, et par le
moyen de laquelle on est presque sûr d'ob-
tenir les choses les plus injustes. Celui qui
aime l'argent est exposé à une tentation
conlinutdle de trahir ses devoirs. L'amour
de l'argent est encore la source d'un grand
nombre de désirs, que saint Paul appelle
inutiles et pernicieux. Quand il n'y en au-
rait point d'autre que le désir môme de l'ar-
gent, c'est le |>lus inutile et le plus perni-
cieux de tous les désirs.
C'est le plus inutile, car souvent l'on sou-
liaite l'argent sans savoir même ce que l'on
en veut faire. David dit que l'avare amasse
son argent et qu^il ne sait pour qui il amasse.
{Psal. XXWIII, 7.)
C'est le plus pernicieux de tous les dé-
sirs ; car quoi de plus pernicieux qu'un dé-
sir funeste, qui nous rem[)lil, qui nous
occupe, qui nous possède de telle manière
qu'il est vrai de dire que c'est l'amour des
biens créés dont notre cœur est plein? C'est
le caractère du désir contagieux des biens
de ce monde, d'occuper pleinement !e
cœur. Celui qui est assez malheureux
|iaur désirer les biens do li terre n'a
presque que ce seul désir, et quelle est la
suite de ces tentations et de ces désirs inu-
tiles et pernicieux ? Ils précipitent les âmes
dans l'abîme de la perdition et de la damna-
tion.
Ce qui est si pernicieux dans tous les
chrétiens, ne peut qu'il ne le soit encore
davantage dans les ecclésiastiques. Qu'est-
ce qu'un ecclésiastique qui aime l'argent?
C'est un homme exposé à de continuelles
tentations de prévariquer dans ses devoirs;
c'est un homme qui, pour un intérêt léger,
est capable de faire toutes sortes de bas-
sesses. Un ecclésiastique doit être ferme;
rien n'est plus lâche que celui qui est inté-
ressé. Un ecclésiastique doit parler avec li-
berté ; l'argent lie l.i langue, la moindre
raison d'inléiêl impose silence h celui qui
est esclave de l'argent. La charité d'un ec-
clésiastique doit se répandre également sur
les riches et sur les [lauvres; l'intérêt fait
faire des distinctions odieuses entre les ri-
ches et les pauvres. Un ecclésiastique doit
s'attirer le respect, Teslirae et l'amour; la
passion de l'argent avilit les ecclésiastiques,
les rend méprisables. L'avarice, toujours
digne do haine, a des caractères particuliers
pour se faire hair davantage quand elle se
rencontre dans les ecclésiastiques. Qu'est-
ce qu'un ecclésiasli(}ue qui aime l'argent?
C'est un homme plein de désirs terrestres
833
ORATKURS SACRES. JOSEPH LAMRERT.
qui remplissent son csprii et son cœur. li
est donc ministre du Seigneur, et le Sei-
fçneur n'est ni dans son esprit ni dans son
cœur; l'amour de l'argent l'en a chassé.
C'est-à-dire qu'il est ecclésiastique de nom,
mais que dans la vérilé, il est absolument
liors d'élat de pouvoir rendre aucun ser-
vice à l'Eglise.
Voilà pourquoi saint Paul, en nous décri-,
vant les qualités d'un ministre du Seigneur,
a PU soin de remarquer expressément qu'il
doit être désintéressé. Il faut, dit-il, dans
sonlipîlreh Timolhée, qu'il soit désintéressé.
{\ Tiin.f 111,3) Il lt> répèle encore dans son
iipître à Tile. Il faut qu'il soit très-éloigné
de vouloir faire aucun gain honteux. (TH.,
1,7.)
Qu'il serait ?i souliaiter que les ministres
du Seigneur s'examinassent filus soigneu-
sement sur celte importante disposition 1
Ils n'auraient pas de peine à reconnaître
l'injure et le tort qu'ils font à l'Eglise, lors-
que le désir honteux du gain les co?iduit
dans le sanctuaire contre la défense qui leur
est faite d'y entrer avuc un si pernicieux
motif.
Combien d'ecclésiastiques qui ne cher-
chent que leur intérêt? Corni)ien y en a-
t-il (lui n'ont d'autre vue, on entrant dans
l'Eglise, que de posséder des bénétices, àqui
il ne serait jamais venu dans l'esprit de se
consacrer à Dieu dans l'étal ecclésiastique,
s'ils n'avaient eu une is[)érance très-pro-
chaine de pouvoir se nourrir et s'engraisser
du patrimoine des pauvres
Saint Augustin dans une de ses lettres,
parlanl d'un homme fort riche qui avait
été consacré prêtre dans l'église d'Hippone,
assure que ce qui a touché son peuple,
ce n'est pas l'argent de cet homme, mais sa
personne et ses vertus érainentes. llsfi'ont,
dil-il, fait aucune attention à voire argent ;
mais ils ont été frajipésdu mépris qu'ils ont
su que vous faisiez de toutes vos richesses.
Et c'est là ce qui les a déterminés à vous
choisir {k3).
Voilà la disposition dans laquelle les ec-
clésiastiques (ievraient être à l'égard des
l)iens de ce monde, qu'il paraisse qu'ils
n'en sont |)oint touchés, qu'ils ont des vues
sujiérieures. C'est le Jujoyen de s'attirer
l'estime et le respect. Mais on n'aurajamais
que du mépris pour les ecclésiastiques qui
aiment et qui clierchent l'aigeiit.
Hélas 1 si l'Eglise pouvait abandonner 5
ces malheureux la proie après laquelle ils
courent avec tant d'ardeur, à condition
qu'ils n'usurperaient point un caractère
qu'ils déshonorent, n'y gagnerait-elle point
encore?
Ces hommes qu'un motif d'intérêt a con-
duits dans le sanctuaire, exercent les fonc-
tions ecclésiastiques d'une manière très-
indigne. Ils sont pour l'Eglise un sujet
coniuniel de gémissement, [)arce qu'elle
(45) (Non suiim pecuniaiiuin conimoilumqiiseslvii
a vobis, sed vesiruin pecurii;i: conteiiiptuin dilexit
iii voijis. « (Episl. {"l'a, nov. etiil., :il. lia.)
voit que leur intérêt les fait prévariquer erl
toute occasion , et qu'elle ne remarque
point en eux celle généreuse liberté qui
doit paraître dans les ministres de Jésus-
Christ.
On voit tous les jours des prêtres qui
courent à l'Eglise quand il y a quelque gain
à faire, et qui n'y vont point quand il no
leur en revient aucun profit. On en voit
qui sont dans l'Eglise d'une manière si
dissipée, et si immodestp, qu'il est aisé de
juger (pi'ils y sont uniquement retenus
par le désir du gain. On en vuit qui olfrent
le sacrifice, parce (pi'il y n des rétributions
à espérer, et qui ne l'offriraient pas, si ce
motif bas ne les engageait, dételle sorte
que l'esjiérance du gain est toute la règle
de leurs dévoilons. On en voit qui se dis-
pulenl, et qui ont ensemble des contesta-
tions quand il faut offrir le sacrifice pour
les pauvres, parce que la rétribution n'est
pas si forle. On en voit qui exigent des
droits de ceux à qui ils devraient faire l'au-
niône. On en voit qui se plaignent et qui
murmurent, qui disent hautement qu'on ne
les récom|)ense point d'une manière pro-
I)orlionnée à leurs peines, comme si le pro-
fit tem()orel était toute la récompense qu'ils
allendent.
Cet esprit d'intérêt ne scandalise-l-il pas
les fidèles à bon droit? Nos frères qui se
sont séparés de nous s'en sont offensés, et
faisant rejaillir sur l'Eglise un désordre
qu'elle condamne hautement, ils ne cessent
de nous objecter que nous mettons en com-
merce les prières et le plus auguste de nos
mystères.
Un ministre généreux travaille d'abcrd h
se mettre à I abri de tout soupçon d'intérêt.
11 est convaincu que ce soupçon honteux
serait cajiable de lui faire perdre tout le
fruit de ses travaux. Il aimerait mieux vi-
vre dans une extrême pauvreté que de ja-
mais rien faire contre l'honneur de son mi-
nistère. Il donne encore plus volontiers
qu'il ne reçoit. Lorsqu'il recueille ce que
l'Eglise lui permet de prendre, il le lait
d'une manière si désintéressée, qu'il est
aisé de voir que, selon la j)arolc de saint
Paul : Jl cherche l'âme et le salut des fidèles et
non pasteur bien. (llCor., XU, ik.)
Que nous serons heureux quand nous
nous trouverons dans la même disposilion,
à l'égard des liieiis de ce monde, que le
pape Eugène, à qui saint Bernard rend ce
témoignage honorable : Je n'ai rien à vous
dire louchant l'avarice; car j'apprends que
vous ne faites |)as plus d'estime de l'argent
que de la paille (kï). C'est là l'jdée que nous
devons avoir des biens de ce monde. Ce
sont des biens caducs, indignes de l'estime,
de l'attachement, de l'amour d'un chrétien,
et encore à plus forte raison d'un ecclé-
siastique.
Si nous sommes assez heureux pour par-
(4'i'l I De avarilia non est quod Uium faiigem ia-
tuiiuiii, cuni pecuniam lanquani palcam dicaris lia-
b-Mc. > (Lib. IV De cous., c. ^i.)
ÎH)7
RETRAITE ECCLF.S. - III, DE EESPRIT ECCLESIASTIQUE. «>98
suites rendent indignes des digiiilés ecclé-
venir à ce délacliomcnt et à ce mépris des
biens de la terre, nous serons délivrés do
celte mnllieureuse concupiscence, que saint
Jean appelle la concupiscence des yeuï, et
qui n'est autre chose que l'amour des biens
de la terre.
Il ne nous restera plus, pour achever de
détruire en nous l'esprit du monde, que
de combattre la troisiènie concupiscence,
fjue saint Jean appelle l'orgueil de la vie,
et pnr laquelle il tant entendre la recherche
des honneurs.
C'est ^ l'humilité h qui il appartient par-
ticulièrement iralla(|uer cette dernière con-
cupiscence. L'esprit du monde est un es-
prit d'orgueil, l'esprit ccclésiastiiiue est un
esprit d'humilité.
Si nous étions exacts n pratiquer les le-
çons d'humilité que le Fils de Dieu nous a
laissées, jamais l'esprit d'orgueil ne trou-
verait entrée dans nos cœurs.
Comment Jésus-Christ a-t-il parlé à ses
disciples? Celui qui voudra être le premier
sera le dernier de toua, et même le serviteur
de tous. [Muilh., XX, 26.) ^"o^là la seule
place qu'un ecclésiastique |)eut rechercher,
la dernière et la plus humiliante. Vouloir
être grand, souhaiter les honneurs ecclé-
siastiques, faire des démarches pour les
obtenir, c'est porter jusque dans l'Eglise
l'esprit du moide, lequel, comme vous avez
vu, est un esprit d'orgueil.
Couuuenl tous ceux qui ont tant d'ardeur
pour les premières places ne sont-ils point
elîrayés en considérant qu'ils imitent le
caractère des phatisietis, que Jésus-Clirist
a ^i hautement condamné?
Voici un reproche considérable que le
Fils de Dieu a souvent fait aux. pharisiens.
Il lésa particulièrement rej.ris île ce (|u'(7s
vouliiienl avoir les preiuicres places dans les
festins, et les premières chaires dans les sy-
noyogues ; de ce quils voulaient être salués
dans les places publiques, el être appelés maî-
tres par les hommes. [Matlh., XXI1I,6.) C'est
donc inanil'estemenl avoir l'esprit de phaii-
sien , ré|)rouvé par Jésus-Christ, que de
souhaiter les premières places, que de faire
des démarches pour obtenir les premières
chaiies.
Celle recherche sup;>ose une bonne ojii-
niou de soi-même, qui n'est pas supporta-
ble dans un minisire de Jésus-Christ. C>ir
quand vous désirez celte place ijui vous met
au-dessus des autres, et qui vous charge
de leur coiiduile, ou vous croyez avoir tons
les talents nécessaires pour la bien remplir,
ou vous ne le croyez pas. Si vous ne croyez
pas avoir les talents {)Our vcms acquitter
dignement do l'emploi que vous recherchez,
il n'y a point de léraéiilé pareille h la vôtre,
el qui soit plus condamnable. Si vous vous
tlattez (jue vous êtes en état de soutenir le
poids de l'emploi que vous désirez, la bonne
Ojtinion que vous avez de vous-même vous
en rend indigne. L'orgueil dont vous êtes
coupable ne se peut accorder avec la qua-
lité de ministre de Jésus-Christ.
Qu'il y en a nue ces aiubilieusi'S pour-
siastiques ! Car en tiouve-t-on beaucoup
qui, contents de leur partage, demeurent
paisibloment dans la condition où la Provi-
dence les a placés? Ou |)lulôl quoi de plus
commun que de voir des hommes qui se
livrent à l'inquiéludo. qui ne sont jamais
satisfaits de leur établissement, et qui sont
travaillés d'un désir continuel de s'avan-
cer?
Celui qui n'a point de bénéfice ne peut
C(>m prendre que c'est un l)()idieur de n'être
point chargé d'une administration si dilli-
cile et si |)érilleuse 11 travaille sans cesse,
il ne se donne aucun repos, il n'y a aucun
moyen qu'il ne nielle en usage pour obtenir
ce qu'il désire avec ardeur.
Vous souhaitez un bénéfice. Pourquoi le
souhaitez-vous ? |)Our vivre commodément,
pour avoir un rangqui vous distingue. Voilà
des vues entièrement opfiosées à celles que
l'on doit se proposer, (]uand on entre dans
l'état ecciésiaslii]ue. Lo bénélice que vous
désirez est un bénélice à charge d'âme.
Autant de poursuites que vous faites sont
autant de preuves que vous donnez de votre
indignité.
Celui qui a un bénéfice d'un médiocre re-
venu, veut en avoir un qui soit d'un revenu
plus considérable.
Tous ceux qui sont ainsi agités de dé-
srs, savent-ils ce qu'ils souhaitent ? con-
naissent-ils la bizarerie et l'injustice de
leurs inquiétudes ?
Vous désirez un bénéfice plus considéra-
ble que celui dans lequel vous êtes établi
de|)uis queliiue temps el où vous pourriez
faire du fruit, si vous vouliez travailler à
la sanctilicalion du peuple qui vous est
confié, c'est-à-diri; qu'étant déjà chargé
d'un fardeau qui est au-dessus de vos
forces, vous en souhaitez un autre plus
lourd, dont la pesanteur vous accablera.
Car si vous venez à bout de vos souhaits,
quel sujet n'avez-vous pas do craindre?
Dieu que vous irriiez par votre avidité,
vous accordera-t-il les grâces qui vous sont
nécessaires pour remplir votre ministère?
Que deviendrez-vous lorsque, justement
abandonné de Dieu en punition de vos infi-
délités, vous aurez de grandes obligations
à remplir? V^ous sentez-vous assez de force
pour y satisfaire? Hélas! faible et inutile
instrument, que pourrez-vous lorsque Dieu
ne vous soutiendra pas ? Et sur quel Ibnde-
nient pouvcz-vous es))érer que Dieu vous
soutiendra, lorsque vous transgressez les
lois justes qu'il a établies? J'ai donc eu rai-
son de vous (lire que vous auriez un grand
fardeau h porter et (jue vous en seriez ac-
cablé, parce que vous n'auriez point irms les
secours nécessaires [)Our en soutenir le
j)oids.
Un ecclésiastique pénétré de ces vérités
demeure tranquillement dans sou état.
Quel que soit l'emploi dans lequel il est en-
gagé, il ie irouve toujours au-dessus de ses
forces et de ses mérites, et ainsi il est très-
éloigné d'en désirer un autre. I! prend garde
999
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1000
fiirtont (\(i ne point prévenir les ordres do
la Providence par des inquiétudes crimi-
nelles el pnr des poursuites ambitipusi>s.
ïl demeure donc fprme dans sa condition,
jusqu'<i ce que le Seigneur qui l'a placé l'en
retire. II travaille selon ses forces. Les om-
plois plus élevés le font tremblrr : el il s'es-
lime heureux que Dieu no lui demande pas
d'.iulres preuves de sa fidélité.
Voilh ce que j'avais h vous dire pour
vous faire connaître quel est l'esprit ecclé-
siastique, et quel est l'esprit du monde en-
t'èiemenl opposé h l'esprit ecclésiasti-
que. C'est h vous d'examiner sérieusement
devant Dieu lequel de ces deux esprits est
en vous.
Vous pouvez aisément le connaître par les
rairques que je vous ai apportées pour les
discerner. L'esprit ecclésiastique est un don
de Dieu, par le moyen duquel aous aimons
les fonctions de notre état. Airnez-vous les
fondions de l'état ecclésiasiique? Eles-vous
entré dans l'Eglise avec un dessein sérieux
«le la servir? Des liommes prudents et sages
que vous devez avoir consultés ont-ils recon-
nu en vous quelques talents |>our servir
l'Eglise? Confessez la vérité que Dieu con-
naît et que vous ne pouvez lui cacher. Quand
vous 6tes er-tré dans l'état ecclésiastique
rien n'a été plus éloigné rte votre esprit que
le dessein d'ôir^ utile h l'Eglise, et c'^-st h
quoi vous n'avez jamais pensé. Vous voilà
donc ministre du Seigneur, el il est constant
que son Esprit n'est point en vous.
Si l'on ne reconnaît point en vous les ca-
raclères de l'esprit ecclésiasiique, voyez si
V(jus n'y remaripiez point les signes nial-
heureux de l'esprit du monde. Qu'aimez-
vous? La vie molle el inoccu[)ée. L'Eglise
a des emplois qui sont pénitjles. Elle a des
fc'icltesses et des honneurs. De (out cela
qu'est-ce qui vous a louché? quel a été le
motif de la résolution que vous avez prise
d'embrasser l'élat ecclésiastique ? Vous n'a-
vez jamais senti en vous que beaucoup d'a-
version pour la peine. Les honneurs et les
richesses de l'Eglise; voilà ce que vous avez
considéré. Voilà le point précis auquel vous
vous ôtes arrêté pour former votre résolu-
tion. Il n'est donc que tro|) clair que l'es-
prit du monde est en vous, c'est-à-dire
(|ue vous entrez dans l'Eglise malgré elle,
qu'elle vous déteste, et qu'elle ne peut vous
supporter au rang de ses ministres. Com-
ment croyez-vous que celte témérité sera
punie? El comment ne craignez-vous point
d'irriter Jésus-Christ, l'époux de l'Eglise,
qui, |)renant les intérêts de son épouse, ne
manquera pas de venger un jour les outra-
ges que vous lui faites ?
Travaillez sérieusement à réparer l'olTense
que vous avez faite à l'Eglise; travaillez à
apaiser Jésus-Christ. Vous ne {)ouvez le
faire qu'en vous dépouillant de l'esprit du
monde, et en vous revêtant de l'espril ec-
clésiastique. Fasse le ciel que vous deveniez
de dignes ministres de Jésus-Christ, vérita-
blement animés de son Esprit. Lors'.]ue vous
eu serez pénétrés, vous travaillerez à en
remplir les autres": et Jésus-Christ pour
récompenser votre fidélilé, vous fera la
crAce de se donner à vous pendant toute,
l'élcrnité.
DISCOURS IV.
DE LA SAINTETli DE l'ÉTAT ECCLÉSIASTIQUE.
Il est très-ordinaire dans le monde de
trouver des hommes qui veulent bien em-
brasser un état, parce qu'il est commode,
mais qui ne veulent point en remplir les
obligations, parce qu'ils ne le peuvent faire
sans se contraindre. El c'est ce que les
hommes regardent comme un joug qu'ils ne
peuvent se résoudre à porter.
Ainsi plusieurs se font ecclésiastiques.
Mais qu'envisagent-ils, lorsqu'ils s'engagent
dans cette sainte condilion? Ils sont tVï^s-
allentifs à tout ce qu'il y a de commode
dar)S l'état ecclésiastique. La dignité, le
rang, les biens temporels, le repos, la tran-
quillité, tout cela a pour eux de très-grands
charmes, et c'est uniquement ce qu'ils con-
sidèrent. Quant aux obligations de l'étal ec-
clésiastique, il y en a très-peu qui les con-
naissent ; et de ceux-là môme qui en sont
instruits, on en voit un Irès-peiit nombre
qui aient assez de zèle pour satisfaire à tous
leurs devoirs.
Mais qu'est-ce qu'embrasser l'élat eeclé-
siastique, et n'en point remplir les obliga-
tions? n'est-ce pas vivre dans une révolte
continuelle? n'est-ce pas irriler Dieu?
n'est-ce pas s'exposer manifestement à être
frappé de ses plus terribles coups? Si l'on
connaissait combien Dieu détesie les ec-
clésiastiqui s qui s'égarent, on craindrait
davantage de tomber <lans ses mains ven-
geresses, el il y en aurait sans doute un
grand nombre qui seraient arrêtés par la
juste appréhension qu'ils auraient d'éprou-
ver les effets les {)lus terribles de la colère
du Seigneur.
O vous qui songez en ce jour à vous en-
gager dans la milice sacrée, ne le faites point
en téméraires ; ouvrez les yeux, el voyez.
Considérez ce que Dieu demande d'un ec-
clésia>tique vertueux , n'avancez pas davan-
tage que vous n'ayez fermement résolu d'o-
béir à Dieu, et de remplir avec exactitude
les devoirs importants de la plus sainte de
toutes les conditions.
Mon dessein dans ce discours est do vous
expliquer un devoir essentiel de l'état ec-
clésiastique, qui est de mener une vie sainte
et proportionnée à la sainteté de ce su-
blime état.
Je puis d'abord établir cette proposition
générale. Un ecclésiasiique doit être saint,
et il ne doit rien y avoir dans sa conduite
qui n'inspire la sainteté, d'où je c(mclus que
la première résolution de celui qui s'eng.ige
dans l'élat ecclésiastique doit être de tra-
vailler sans cesse à se sanctifier, et de no
faire aucune action qui ne soit conforme à
la sainteté de son élat.
Tout ce discours sera donc employé à vous
faire voir qu'un ecclésiasiique doit être
saint dans toute sa conduite. Dans la pre-
1001 REiJUlTR ECCL. - IV, SAI.NTRTF ECCF.ESIAST.
mière partie i'o voua monlrcnii combien
1002
e;<iiU ibrles les raisons (jui olili^^enl les oc
(-lésiasliqnes h ô!re des sninls. Dans la se-
(ondo partie je vous expliquerai en quoi
(onsisle celle sainteté si essentielle aux ec-
clésiastiques.
PREMIER POINT.
Pour vous faire connaître quel doit être
un ecclésiastique, et quelle sainteté il faut
avoir pour soutenir la qualité émiiiente do
ministre des saints autels, nous nous ser-
virons de deux voies.
La première sera une voie de comparai-
son. Nous comparerons l'état ecclésiasti(|Uô
avec d'aulri'S éiars qui demandent une
grande sainteté. Cependant il sera aisé de
vous faire voir cjti'un ccclésiaslique doit
surmonter en sainteté ceux-là n)ôme qui
ne se peuvent conduire dignement dans
l<'ur état, à moins qu'ils ne soient très-
saints.
Après nous être servis de cette voie de
comparaison, nous considérerons l'étal ec-
clésiastique en lui-même. La vue d'un
état si saint nous fournira encore des preu-
ves plus puissantes, pour faire voir que
l'on est absolument indigne d'un rang si
élevé, à moins »iue l'on ne mène une vie
Irès-sainle.
Je commencerai par comparer fe minis-
tère de la loi nouvelle avec le ministère de
la loi ancienne, et voici en deux paroles
toute !a force de mon raisonnement.
Dieu voulait que les prôlres de la loi an-
cienne fussent très-saints : cependant les
p-èlres de la loi nouvelle sont obligés d'ê-
tre beaucoup plus saints que les prêtres de
la loi ancienne. Autant que la loi nouvelle
est au-dessus de l'ancienne loi, autant la
saintetédesmiiiislresdelaloi nouvelle doil-
ellesurpasser la sainteté des ministres de la
!oi antienne. Apprenons donc avecsoin quels
H'evaient être les prèlres de l'Ancien Testa-
ment ; il nous sera aisé après cela de nous
juj^er nous-mêmes, etde prononcer quel doit
èi-re celui à qui Dieu fait la grâce de l'établir
au rang de ses ministres.
C'est Dieu qui parle et qui déclare à Moïse,
son serviteur, la sainteté que doit avoir ce-
\u'\ qui approcbe de ses autels.
Le Seigneur dit à Moïse : Parlez auz pré-
Ires enfatUs d'Anron , et voici les paroles que
TOUS leur adresserez. Ils se conserveront
saints et purs pour leur Dieu, et ils ne souil-
leront point son nom, car ils présenltat l'en-
cens du Seigneur, et ils offrent les pains qui
sont consacrés à Dieu. C'est pourquoi ils se-
ront saints. Ils offrent les pains qu'on ex-
pose devant Dieu , qu'ils soient donc saints ,
parce que je suis saint moi-même, moiqaisuis
le Seigneur qui les sanctifie. (Levit., X, 1, C.J
Toules les paroles que vous venez d'en-
tendre sont les paroles du Seigneur même
ijui explique sa volonté à Moïse, et qui lui
ordonne de déclarer aux prèlres les dispo-
sitions qu'il veut essentiellement liouver
en eux.
J'observe iireraièrement qu'en très-oeu
Orateurs sacrés. LWIU.
di> paroles, il réj)ète jusqu'à trois fois :
Qu ils soient saints. C'esl (ionc une marque
(|uo celte sainteté est absolument nécessaire
aux minisires du Seigneur, et ([ue Dieu n'en
veut jioint d'autres au rang de ses minis-
tres que ceux qui sont sàinls.
Je remarque en second lieu pourfjuoi il
veut que ses ministres soient sainis , c'est ,
dit-il, qu'j75 offrent l'encens du Seigneur ,
c'est qu'ils présentent les pains qu'on expose
devant Dieu. La conséquiMice est facile à ti-
rer. Il fallait avoir une grande sainlelo pour
offrir à Dieu de l'encens dans l'ancienne loi ,,
il f.illait avoir une gra'ide sainteté pour
présenter h Dieu les pains de proposition.
Ouelle sainteté ne faul-il pas avoir fiour
offrir à Dieu ce qui est si fort nu-dessus de
l'encens de l'ancienne loi et des f)ains do
proposition ?
Mais voici ma troisième observation. Si
celte sainteté ne se rencontre point dans les
ministres du Seigneur , qu'arrivera-l-il ? Ils
souilleront son nom. lis seront donc coupa-
bles d'une grande prévarication. Car il se-
rait dilHcile d'imaginer rien de plus énorine,
ni qui dé|)laise à Dieu davantage que do
souiller son n)ni (|ui esl la saiii>.'lé même.
Son nom est saint et redoutable. 0 mon âme ,
bénis le Seigneur , et que tout ce qui est en
moi loue son saint nom. [Psul. CX, 9; GII, 1.)
Après ce que vous venez d'entendre ,
pouvez-vous douter que le Seigneur ne de-
mande une grande sainlelé dans les minis-
tres de la loi nouvelle. Autant que le minis-
tère de la loi nouvelle est au-dessus du mi-
nistère de l'ancienne loi, autant est-il né-
cessaire que les ministres do Jésus-Clirisf.
surpassent en sainlelé les minisires do l'An-
cien Testament.
Appliquez-vous donc à vdus-mêmes, mi-
nistres de Jésus-Glirist , toutes les paroles
que vous venez d'entendre. Vous serez con-
vaincus que Dieu veut que vous soyez
saints. Vous serez convaincus que ce que
vous offrez au Seigneur vous oblige à vivre
dans une grande sainteté; vous serez en-
fin persuadés que si vos mcfiurs ne sont pas
pures et innocentes, vous souillez le plus
saint de tous les caractères dont un homme
puisse être honoré.
Après avoir comparé les prêtres de la loi
nouvelle avec les prêtres do la loi ancienne
pour vous faire voir quelle doit êlre la sain-
teté des minisires do Jésus-Christ, nous al-
lons présentement les comparer encore
avec les simples fidèles, et voici quelle sera
la force de ce nouvel argument. Quiconque
esi honoré du nom de chrétien doit êlre
saint. Les [irêtres étant élevés au-dessus
des autres chrétiens par leur caractère,
doivent aussi les surmonter par la sainteté
de leur vie.
Uélasl ne [evcrrons-nous Jamais ces
ours heureux oii tous les chrétiens étaient
appelés des sainis ? Saint Paul les nommait
ainsi dans ses E()îtres, Quand il adressait
ses letlres aux saints de Corinthe, aux saints
de Jérusalem, il parlait à tous les chrétiens.
Le seul nom d^; chréli ■!! nou's (ddi^je dond
32
1003
ORATEUUS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
UM
i\ élre (les saints. Si vous ajoutez h celte
obligation colle que nous impose le carac-
tère de prêtre, nous voilà encore plus obli-
i^t^s h nous observer et à régler nos mœurs
avec tant de précaution, que nous puissions
être appelés des saints.
Un [trôtre tloil-êlre plus saint que les au-
tres cliiétiens, un pasteur qui conduit un
troupeau doit-être plus s.iinl que les brebis
de son troupeau. Dieu, dit excellemment
saint (irégoire de Nazianze , a voulu que
dans son Eglise il y en eût à qui il appartient
de conduire le troupeau, ei qu'il y en eût
d'autres qui sont nés pour obéir et pour se
laissorcon;luire(4-5). C'est h peu prèscequ'on
remarque dans le corps humain. L'homme
esl composé de parties, dont les unes sont
chargées de gouverner, les autres sont sou-
inisés et ne sont dans l'ordre qu'autant
qu'elles obéissent. Ceux qui commandent
sont à l'égard de ceux qui obéissent ce qu'est
l'Ame à l'égard du corps. Mais pour exer-
cer dignement cet empire , dans quelle dis-
position faut-il être ? Ceux-là seulement ,
dit saint Grégoire, méritent d'avoir les pre-
mières places dans l'Eglise qui surpassent
les autres par leur vertu, qui sont deve-
nus les amis de Dieu, et qui sont avec lui
dans une liaison si étroite, que l'on |)eut
«lire qu'ils sont dans une espèce de fami-
liarité avec Dieu.
Saint Ambroise explique aussi d'une ma-
nière bien claire et bien louchante cette
nécessité où sont les pasteurs de se distin-
guer du commun des fidèles par l'excellence
de leur vertu. 11 commence par proposer
l'exemple des anciens philosophes , et il dit
que ces premiers sages avaient cette opi-
nion, qu'ils devaient s'élever au-dessus
des autres par la pratique de la vertu. Saint
Ambroise prétend que ces pliilosojihes
avaient f)risces nobles» idées dans la lecture
des livres saints (46). C'est là que l'on ob-
serve que le peuple demeure au bas de la
montagne, que les prêtres montent en haut
de la montagne, et q^iie Moïse seul entre
dans la nuée. Une distinction si marquée
doit être observée avec soin. C'est-à-dire
que les prêtres doivent. être essentiellement
séparés du peuple. Comment séparés? Par
la sainteté de leur vie , par la régularité de
leur conduite, par la gravité de leurs mœurs.
La dignité de prêtre est un poids , elle im-
f)0se de grandes obligations. Celui qui en
est honoré doit surtout veiller sur lui-mê-
me , il doit faire en sorte que la sainteté de
sa vie réponde à l'élévation de sa dignité?
Comment le peuple respectera-t-il un prê-
tre en qui il ne remarque rien qui attire son
respect?
Le peuple ne voit en cel homme que Irès-
l»eu de vertu , il y observe au contraire des
'léiauts considérables. Par là le caractère
du prêtre est méorisé. Si le peuple esl en
(45) Orat. I, p. 2.
(4ti) « Vides il) sacerdotibus nihil plebeium re-
quiii : quoirodu eiiiih polest observari a populo
qui uiliil liubet secrelum a populo. » (Lib. Ill,epi$r.
fiiute, te prêtre esl encore beaucoup pius
criminel. Si le plus saint de tous les carac-
tères est avili en sa personne, qu'il s'en
prenne à lui-même, à sa négligence, el aux
dérèglements de ses mœurs.
C'est donc par l'éclat de ses vertus qu'un
prêtre doit être parliculièrcment élevé au-
dessus dos autres. Un pasteur a lieu de so
faire des re|)roclies à lui-même, lorstju'il
en remarque dans son troupeau qui sont
plus exacts, plus zélés, plus attentifs à
leurs devoirs que lui. Le posleur qui de-
vrait exciter les autres a besoin lui-même
d'être animé. Pendant qu'un pasteur lan-
guit dans la mollesse, c'est un homme rus-
tique , c't'St une sim[)le femme l qui par la
ferveur de son zèle entretiendra dans une
paroisse l'esprit de piété. Est-ce là marcher
à la têle du troupeau ,coiiimn un pasteur
y est essentiellement obligé? Bien loin qu'un
tel pasteur marche à la tête des autres, il
n'est que trop vrai de dire qu'aux yeuxde
Dieu, il est le dernier de tous. Ce n'est
donc rien d'être le premier par son carac-
tère, à moins qu'on ne le soit par ses ver-
tus. Plus votre caractère vous élève, plus
vous vous dégradez vous-même , lorsque
vous no. soutenez point la noblesse de vo-
tre rang par une vie brillante et remplie de
bonnes œuvres.
Quand le prêtre se compare aux autres,
et qu'il se voit élevé au-dessus d'eux par
l'éminence de sa dignité < il en doit llrer
cette conséquence, qu'il est Irès-étroite-
nienl obligé de vivre dans une grande
sainteté ; mais quand le [irêlre rentrera en
lui-même, quand il fera altenlion à la
sainteté de son caraclère, que de motifs
pressants pour lui faire reconnaître l'obli-
gation qu'il a de se sanctifier. C'est la se-
conde voie dont je me suis proposé de me
servir pour vous faire voir que la vie d'un
prêtre doit être éminente en sainteté.
Tout est saint dans un prêtre. Son carac-
tère est saint. Ses fonctions sont saintes. La
première condition pour les bien exercer,
;'esi de vivre dans une grande sainteté.
Qu'est-ce qu'un prêtre? C'est le ministre
du Très-Haut. C'est le ministre de celui
qui est la sainteté même. Saint , saint ,
saint est le Seigneur des armées, (ha., VJ ,
3.) Il faut qu'il y ait de la proportion en-
tre le maître et le ministre. Le maître est
très-saint, si le ministre n'est pas saint,
sera-t-il digne de le servir? C'est aux prê-
tres à qui Dieu adresse particulièrement
ces [)aroles : Soyez saints , parce que je suis
saint. (Levit., XI, 43.) Soyez saints, parce
que celui que vous servez est très-saint.
Qu'est-ce qu'un prêtre ? C'est le vicaire
de Jésus-Christ. Le saint concile de Trente
dit que Jésus-Christ a laissé les prêtres suv
la lerre comme ses vicaires (47).
Un prêtre est le vicaire de Jésus-Christ ,
(ïl) t Sacerdoies sui ipsius vicarios reliqiiii. >
(S_ss. \l, c. 5.)
1005
RETRAITE EGCL. — IV, SAINTETE ECCLESIAST.
1000
c'esl-à-dire qu'un prêtre lient la place de
Jésus-Christ sur la terre, qu'il doit repré-
seiiier Jésus-Christ. Ah ! quel l'ardeau. Ah 1
qu'il est pesant. Ah I qu'il impose de gran-
des obligations. Peut*on être un digne vi-
caire de Jésus-Christ, peul-on représenliT
Jésus-Christ , à moins (ju'il n'y ait quelque
eonformilé entre nos mœurs et celles de
Jésus-Cliristi Oii Irouvorez-vous celte ima-
ge et cette représentation de Jésus-Christ ,
dans la vie d'un jirêlre qui n'est point
saint? Jésus-Christ zélé pour la gloire de son
Père, Jésus-Christ pauvre, Jésus-Christ
patient , Jésus-Christ plein de sagesse,
Jésus-Christ passant les jours dans la peine,
et dans un travail continuel, voilà celui
dont vous êtes établis les vicaires, en mô-
me temps que vousôtes revôlusdu caractère
de prêtre.
Vous êtes faiis vicaires de Jésus-Christ
pour exercer ses fonctions. Quoi de plus
saint que les fonctions d'un prêtre! Quoi
de plus hardi que do s'appliquer à ces
saintes fonctions, sans avoir auparavant
travaillé à se sanctifier.
Saint Ghrysoslome soutient que les fonc-
tions d'un prêtre sont si saintes et si éle-
vées, que pour les bien remplir il faudrait
être au rang des anges. Il apfielle le minis-
tère des prêtres, un ministère d'ange , c'est-
à-dire qui convient à des anges plutôt qu'à
des hommes. Et c'est sans doute la même
idée que le saint concile de Trente a suivie*
quand il a enseigné que la charge de celui
2ui est établi pour conduire Tes autres
lait un fardeau dont les anges mêmes re-
douteraient la pesanteur (5k8).
Un prêtre eierce le ministère d'un ange.
Quelle conséquence en lire suint Chrysos-
loiiie? C'est qu'un prôlre doit vivre sur la
terre comme s'il était déjà au milieu des
esprits bienheureux (Wj.
Un prêtre est donc obligé de vivre sur la
terre par la misère de sa condition , mais il
ne doit plus avoir aucune inclination terres-
tre à cause de l'état sublime auquel il est
élevé. Uh prêtre est un homme qui doit
mener une vie angélique dans un cor[)S
mortel. Il ne doit plus vivre comme un
iiomrae, quoiqu'il soit parmi des hommes.
Il doil être dégagé «les liens de la corrup-
tion, quoiqu'il soit au milieu de la cor-
ruption. S'il n'est parvenu à cette élévation,
il n'est point eu état d'exercer le ministère
des anges.
Parcourerons-nous ici les saintes fonc-
tions d'un prêtre, il n'y en a aucune qui
ne soit éminenle en sainteté.
Arrêtons-nous à une seule avec saint
Chry.«oslome , et considérons un prftire à
l'uuiol.
Pour lors, dit saint Ghrysoslome, lorsqu'il
invoque le Saint-Esprit, lorsqu'il ollre le
sacritice terrible, lorsqu'il tient long-
temps entre ses mains le Soigneur de tout
le monde, je vous demande en quel rang
nous le devons mettre, à quelle pureié,
et à quelle dévotion nous lo devons obli-
ger (50).
Saint Chrysostome ne trouve rien de plus
grand , ni de plus saint que d'olfrir Jésus-
Christ. Il est très è remarquer que le prêtre
dans cette sainte action tient long-temps
Jésus-Christ môme entre ses mains. Voilà
ce qui fiit que les expressions manquent
à saint Chrysostome, quand il est ques-
tion d'ex})liquer la pureté qu'il faut avoir
pour exercer dignement un si saint minis-
tère.
Saint Chrysostome continue. Il entre
dans un plus grand détail, et soutient que
tout ce qui est dans le prêtre doit être
saint, parce que tout ce qui est dans lui
a parla la plussainle de toutes les oblations.
Ses mains doivent être pures. Il a déjà dit
qu'elles tienneiltet qu'elles touchent Jésus-
Christ. Quelle pureté né doit pas avoir sa
langue, puisque c'est elle qui prononce
des paroles mystérieuses, qui sont si saintes
et qui ont tant de force. Son âme surtout
doit exceller en pureté, autrement com-
menl pourrait-elle servir de temple et de
demeure à l'Esprit divin ? Les anges par
leur présence animent le prêtre, et lui font
voir qu'il faut pres(pie les égaler en pureté
pour 6t^e de dignes ministres du redoU'^
table sacrifice. Saint Chrysostome prétend
que les anges y assistent, que le lieu le
plus proche de l'autel est tout rempli de
ces puissances célestes, (jui viennent rendre
honneur à celui qui est sur l'autel. Donc
la seule fonction d'otfrir le sacrifice de-
mande dans les prêtres une éminenle sain-
teté.
Le prêtre a encore bien d'autres fonc-
tions et d'aulres em()lo!S, qu'il no peut
exercer dignement, à moins qu'il ne se soit
rendu agréable à Dieu par la sainteté de sa
vie.
C est une essentielle obligation pour un
prêtre d'attirer les grâces de Dieu sur le
peuple. Voilà pourquoi il esl dit que les
prêtres sont les médiateurs entre Dieu et
le peuple. Qu'est-ce à dire médiateurs ?
C'est que les prêtres f)ar leur caractère sont
obligés de prier pour le [)euple. C'est à
eux de demander grâce pour le peuple. C'est
à eux d'apaiser la colère de Dieu qu;ind il
est irrité contre son peuple. Tout cela
suppose qu'un prêtre est agréable à Dieu ;
qu'il est en état d'olfrir des prières que
Dieu exauce; que f)ar la sainteté de sa vie
il a mérité d'être de ceux que Dieu consi-
dère comme ses bons et fidèles serviteurs.
Un prêire criminel esl-il en état de secourir
le peuple dansses fvressants besoins ? Quelle
grâce obiiendra-l-il ? Ses prières ne sont-
elles pas plulôt capables d'irriter Dieu que
de l'apaiser? Ecoutez saint Grégoire pape,
et prenez garde aux termes dont il se serl
pour expliquer celle imporlante.vérilé.
Avec quelle contiance, dilsaitil Grégoire,
(18) « Oiius angellcls humeris formidandum.
(Scss. 6, Derefor., cl.)
(49) Lib. m De saccrdolio, c.5
(50) Lib. VI Ue iCMrdoltOi
1007
ORATEURS SACRES. JOSEl'Il LAMBEjn,
ir-as
(!eiuaiidurai-je grâce en faveur des autres,
si je me sens inoi-mêiiie criminel ? Si quel-
qu'un voulait m'employer pour ôlre son
intercesseur auprès d'un homme qui serait
irrité contre moi, cl auprès duquel je n'au-
rais aucun accès, je lui répondrais que je
ne puis point intercéder pour lui, parce qne
je suis inconnu à celui auprès duquel il
veut que je m'emploie (51). Si donc je re-
fuse avec raison de m'employer auprès
d'un homme, lorsque je ne puis pas me
répondre que j'aie quelque crédit auprès
de lui, ne serait-ce pas en moi une grande
témérité que d'entreprendre déparier pour
le peuple, lorsque je sais que je n'ai point
n)ené une vie assez sainte pour me [)résen-
ler devant Dieu, et lui parler en faveur de
sou peuple ? Il faut pourtant le faire dès
le moment que vous êtes prêtre. Le [)euple
adroit de vousdemanderque vous priiez pour
lui. C'est ce que vous ne pouvez exécuter
odicaceaient si votre vie n'est sainte. Tirez
vous-même la conséquence , et voyez de
(juelle nétessilé il est que v(>us soyez
saint dès le moment que vous êtes prô-
ire.
Prêtres du Seigneur, y songoz-vous 1 Et
vous que je vois courir dans le sanctuaire
avec tant de précipitation, êtes-vous assez
purs pour exercer la sainte fonction do
médiateur entre Dieu et le peuple ? Con-
sultez saint Grégoire de Nazianze (52), il
vous apprendra ce que vous devez être,
avantquede vous engager dans l'importanl
eujploi d'intercéder pour les autres. Avant
(ju'un homme se soit rendu le maître de
ses sens, avant qu'il se soit purilié, avant
qu'il se soit mis en état d'approcher de
Dieu, et que la sainteté de sa vie le rende
supérieur aux autres, il n'y a aucune sû-
reté de se charger du soin des âmes, et de
vouloir exercer la sainte fonction de média-
teur entre Dieu et les hommes.
Ah Ique la (dupart des hommes connais-
sent |)eu ce que c'est que d'être prêtre I
Pour être prêtre, il faut être plus saint que
les autres lidèles. Pour être prêtre, il faut
être en état de porter le plus saint de tous
les caractères, d'exercer les plus saintes
fonctions, d'ohtenir de Dieu un nombre in-
fini de grâces, et cependant on en voit tous
les jours un très-grand nombre qui n'ont
pas encore commencé de mener une vie
sainte , et qui néanmoins demandent les
premières j)laces dans le royaume do
Dieu.
Les prêtres les plus saints de l'antiquité
ont tremblé, ils ont fui le sacerdoce , et
le principal motif de leur fuite, c'est qu'ils
jugeaient que leur vie n'était pas assez pure
nour s'engager dans une aussi sainte [)ro-
iession.
Quoi de [)lus touchant, mais en même
temjjs quoi de plus effrayant pour nous
que les paroles d'un saint Grégoire de Na-
(ol) « Ali iiUeiTCilcndum venire nequco, quia
t'j is iioliliaiii c\ Sâilula rainiliarilalc non habco. >
^L b. 1, epiit. -U )
zianze ? jour et nuit je médite sur la
Sciinlelé que demande la contiilion de pasteur;
la conviction oii je suis des excellentes
dispositions dans lesquelles il doit être, mo
remplit l'esprit de troubles. Je me trouve
saisi d'un tremblement intérieur que je
ressens au milieu de moi. A peine puis-je
lever les yeux lorsque je marche. Je sens
mon courage abattu ; mon esprit s'obscurcit;
je ne puis presque ra'expliquer. Je perds
donc absolument la pensée do gouverner
les autres, et je forme une sérieuse résolu-
lion de me cacher dans une solitude, pour
songer uniquement à éviter la colère du
Seigneur dont je suis menacé (53).
Voilà les pensées dont les saints étaient
remplis quand ils faisaient réflexion sur
rexcelience de l'élat ecclésiastique. N'est-
ce plus présentement le môme élat? N'est-
ce plus le môme sacerdoce? Il n'est que
trop certain que c'est le môme sacerdoce
(|ue les saints ont regardé comme un très-
lourd fardeau, et qu'il faut autant de sain-
teté présentement, qu'il en fallait autrefois
pour supporter ce redoutable fardeau. 11
faut donc être saint et mener une vie très-
s<iinte [ibur être élevé au sacerdoce. Nous
allons présentement examiner ce que c'est
que celle sainteté.
SECOND POINT.
J'ai trois maximes importantes à vous éta-
blir, qui vous donneront une juste idée do
la sainteté que l'Eglise demande dans ceux
(jui se consacrent au ministère des saints
autels.
Premièremeuî, l'Eglise veut que ses mi-
nistres ne commencent pas seulement à me-
ner une vie sainte dans le temps qu'ils en-
Irent dans le sanctuaire, mais elle veut que
longtemps auparavant , et même dès le
lim[is de leur tendre jeunesse, ils se soient
exercés dons la pratique des vertus chré-
tiennes et ecclésiastiques.
Secondement, l'Eglise n'estime point
qu'un ecclésiastique soit saint, à moins qu'il
n'observe exactement loule~s les vertus de son
élaf.
En troisième lieu, l'Eglise veut que ses
ministres, peu contents d'eux-mêmes et
de ce qu'ils ont fait, se proposent d'avancer
et de faire continuellement de nouveaux
progrès dans lecheuiin de la vertu.
11 est très-important de bien établir la
première maxime que j'ai avancée, qui est
qu'il n'est pas temps de commencer à se
sanctifier, lorsqu'on est près d'être introduit
dans le sanctuaire, mais qu'il faut long-
temps auparavant avoir pratiqué les vertus
chrétiennes et ecclésiastiques. Il est néces-
saire de faire connaître la vérité de celle
maxime [.our en iiétrom[)er plusieurs, qui,
après av(jir mené une vie profane et crimi-
nelle, s'imaginent que c'est un excellent
moyen pour réparer leurs désordres passés
(5-2) Orat. I , p. :>G, 57.
{:i5) Orat. 1, p. 5U.
1009
RKTRAlTi: IX.CL. - IV, SAl.NTF.Tr. ECCLKSIAST.
IHO
(jiie (l'embrasser l'éUit ecclésiaslii|iie. «'/est
une crieur ciiii s'est iiiissée dans lo monde,
cl qui n';i fait que trop do progrùs. Plusieurs
s'imaginent qu'une vie criminelle n'est point
un obstiicle qui éloigne des saints autels.
Détrompons ces aveiigles et lâchons de lever
II' vorlequi obscurcit une si importante vé-
rilé.
A quoi Dieu appelle t-il ceux qui l'ont
oublié, et qui sont coupables de crimes, il
les appelle îi la pénitence et non point ans
saints onlres. Avoir mené une vie cri-
minelle, quand bien même on en aurait un
regret sincère, quand bien même on serait
résolu d'expier ses pécliés parles larmes et
les œuvres de pénitence, est-ce une raison
qui doive nous faire décider que Dieu ne
veul point que nous songions à nous placer
au rang de ses ministres? Oui sans doute, et
il faudrait des raisons bien extraordinaires
cl très-fortes pour passer au-dessus de celle
règle. Vous vous êtes éloigné de Dieu, vous
avez été l'esclave de vos sens, vous avez
amassé un grand nombre d'iniquités, allez
pleurer vos péchés dans une solitude recu-
lée, et n'usurpez point le sacerdoce contre
la volonté du Seigneur.
Apprenez de sainl Cjprien quels doivent
être ceux qui se présentent aux saints ordres,
il vous répondra que ce doivent être des
hommes sans tache et d'une vie irréprocha-
ble (oi). Quand nous consacrons des prêtres,
dit sainl Cyprien, nous ne devons choisir
que des hommes sans tache, d'une vie sainte
et innocente, dont les sacrifices soient agréa-
bles b Dieu, et qui soient en étal d'être
t-'xaucés, lorsqu'ils offrent à Dieu des prières
pour le salut du peuple. Des hommes noir-
cis de crimes, quoique résolus à faire péni-
tence, ont-ils jamais été appelés des hommes
sans laelie, d'une vie irréfirochable? Mais
au coniraire n'a-t-on pas toujours entendu
jiar des hommes sans tache, ceux qui se sont
éloignés du crime et qui ont vécu dans la
pratique des vertus?
L'Eglise veut que l'on éprouve avec soin
ceux que l'on élève aux ordres sacrés. L'E-
glise veut que celle épreuve soit longue,
sérieuse, exacte. Elle suit en oela les ensei-
gnements qu'elle a reçus du saint Apôtre.
Qu'ils soient éprouvés, dit l'Aiiôlrc en par-
lant des diacres, el qu'ensuite ils soient admis
aux fondions s'ils sont sans reproche. (I l'im.,
111,10.)
Qxi'ils soient éprouvés. Voilà la nécessité
de l'épreuve.
Qu'ils soient admis s'ils sont sans reproche.
Voilà sur quoi parliculièremenl ils doivent
être éprouvés. !1 est nécessaire surtout
d'examiner quelle a été leur cnnduile. Il
faut qu'elle soit sans reproche. Préleiidra-
l-onque celui-là est sans reproche qui a mené
(oi) < In ordinationibus sacerdolum nonnisi iin-
niaculatos cl iniegros auiisiilcs eligere debemus. >
(Kphl. C8.)
(.■)3) I UtnuUtis ordinelur clericus, nisi probalus
vcl episcoporuni examine vel populi tcsliiiionio >
(Cciic. Carih., c. 22.)
une vie déréglée? L'AjxMre ne se coiilenlc
pas que celui qui est admis aux fondions
ecclésiastiques soit dans le dessein de me-
ner une vie sans reproche : mais il veut que
l'on reconnaisse par un examen sérieux,
que la vie qu'il a menée avant que d'enirer
dans le sanctuaire a été excm[)te de repro-
ches et de déréglcmenls.
L'Eglise a toujours suivi avec fidélité cet
enseignement de l'ApOIre.Elle veut que ses
ministres soient éprouvés, et elle veut par-
ticulièrement qu'ils soient éprouvés sur la
conduite qu'ils ont tenue. Que l'on n'impose
les mains à aucun clerc, disent les conciles
de Carthage, qu'il n'ait été éprouvé (35).
Qu'est-ce à dire éprouvé ? C'est-à-dire, seloii
l'explication d'un grand pai)e, que ceux-l?i
seulement doivent êlre reçus dont la vie
a été examinée, el dont on a reconnu que,
par la pratique des vertus, ils ont travailh';
à se rendre dignes du rang auquel ils sont
élevés.
Lo môme pape dit expressément qu'il en-
tend parler d'un long examon. Il supposi;
donc qu'un examen superficiel n'est iioinl
suflisant. Il faut un examen où toute la suite
de !a vie soit considérée avec soin (o6).
L'examen doil être long, parce que souvent
en creusant davantage, on découvre dos
désordres d'une vie qui paraît d'abord inno-
cente.
Dans ces examens l'Eglise n'oubliail au-
cune précaution. Le peuple même était
consulté. Sainl C.y|)rien le témoigne dans
une de ses é|)îtres (57). il écrit à son peuple,
et il leur dit : Nous avons accoutumé do
vous consulter avant que de célébrer les
ordinations.
Voilà donc quel était l'examen que l'E-
glise faisait de ses minisires. C'était un long
examen, c'était un examen oi^i toute la suite
de la vie était considérée; c'était un examen
otj tous étaient écoulés. L'Eglise ne pouvait
f)as employer de |)lus grandes précautions,
ni nous mieux marquer qu'elle ne veut re-
cevoir au rang de ses ministres que ceux
qui ont passé leur vie d.ms la praliaue des
Vertus.
J'ai dit que le souhait de l'Eglise est que
ses ministres aient commencé dès leur plus
tendre jeunesse à observer les maximes du
chrisliaiiismo, el qu'ils n'aientjamais inler-
rompu un si saint exercice. Il n'y a que
ceux-là qui sont véritablemcint saints et
sans reproche, comme le doivent êlre les
minisires des autels.
Une preuve certaine des intentions de l'E-
glise, c'est ce qui a été si sagement ordon-
né dans un grand nombre de conciles, les-
(luels ont voulu que les jeunes clercs, dès
leur plus tendre jeunesse, fussent séparés
du commerce du monde. Ces conciles or-
(56; < Quorum per longum tempus examiiiatn sif
vila, cl mérita fucrinlcomprobala. > (t'p. Nicol. ad
clemm {.P., l. Vlll Conc . p. 1085.
(57) « hi ordinaiioiiibus sotemus vos anic coii-
bulcre. • (Kpiit. Ô7>.)
101
ORATEUHS saches. JOSEni LAiMDERT.
1012
donnent qu'ils seronl élevés dans une niAme
maison, que leur éducation sera confiée h
un hoffime dont la sagesse et la probité
poient connues, et qui les ioslruise des
saintes maximes de la vie ecclésiastique (58).
Par là on reconnaissait leur humeur, leurs
talents, leurs dispositions. Ceux-là seule-
ment, selon les désirs de l'Eglise, étaient
élevés au sacerdocç, qui avaient conservé le
précieux trésor de l'innocence.
Celte discipline a toujours paru si sainte
et si nécessaire que le saint concile de
Trente a souhaité qu'elle fût renouvelée.
Il a réitéré les sages ordonnances qui avaient
été failes sur ce sujet par les anciens con-
ciles. Le saint concile marque que. dès que
les enfants ont atteint l'âge de douze ans
il est temps qu'ils so retirent dasis ces lieux
de sûreté, afii? qu'ils soient à l'abri de la
corruption du siècle, qu'ils soient éprouvés,
et qu'ils soient soigneusement élevés dans
la pratique de toutes les vertus (59).
Mais si dans cet examen long et sérieux
«îoni je viensde parler, l'Eglise veutqueses
minisires soient examinés sur toutes les
verliis qui conviennent à leur état, elle
veut surtout qu8 l'on insiste sur lô pureté.
Le plaindre v;ice contre la pureté fait horreur
h TEglise, d'abord qu'on découvre qu'un
homme est assez malheureux pour êlre
tombé dans ce vice, l'inienlion de l'Eglise
oîst qu'on l'éloigné et qu'on ne lui permette
point l'entrée du sanctuaire.
Quand ils auront alleint l'âge de dix-huit
ans, dit un des conciles que je viens de vous
citer, l'évêque les interrogera en présence
de tout le clergé et de tout, le peuple, et il
les interrogera particulièrement sur la pro-
fession exacte que les clercs sont obligés
de faire, de passer leurs jours dans une par-
faite pureté (60).
Voilà donc une preuve que dans l'exa-
men de ceux qui doivent êlre consacrés
pour servir le Seigneur en qualité de ses
ministres, l'Eglise veut que l'on s'arrête
particulièrement à la pureté
Le concile continue, et dit que ceux-là
seront ordonnés qui auront conservé leur
innocence, et à qui l'on ne pourra reprocher
aucun crime. Mais qu'ils se souviennent
que s'ils tombent dans le pjeché de l'impu-
reté, ils seront condamnés comme des sa-
crilèges, et qu'ils seron i lion ieusement chas-
sés en punition de leur crime.
C'est par là que vous devez juger de l'hor-
reur que l'Eglise a toujours eue pour le
péché de l'impureté, et c'est là ce qui doit
vous faire [)rononcer que l'Eglise ne veut
point que l'on mette au rang de ses oiinis-
(38) Conc. Tolet. Il, can. 1 ; Tviet. ï-\, can. Si;
Aquisgran., sub Siepliano IV, can. 155.)
(59) « Statuit sancta syiiodus ut singuliE cathe-
iliaies, eic. Ceriiini piieroriim numenun aierc, reli-
giose edacare, et ejclesiaslicis disciplinis institueri;
teiieaiUur, in lioc collegio lecipianlur qui ad inuiir
inuin duodeciiu anncs nali sinl. > (Ses.s. 25, De
rcfonn., c. 18.)
(60) « yuibus bigiaiia taslitalis placuit, hi tau-
tres, ceux qui sont tombés dans cet énor-
me péché,
L'Eglise veut donc que ses ministres
aient vécu dans la sainlelédès leur jeunesse,
qu'ils se soient éloignés de tout vi<;e, et
surtout de celui d'impureté.
Je ne prétends pas néanmoins décider
sans exception, que ceux qui ont eu le
malheur de vivre pendant quehiue temps
dans l'oubli de Dieu, et dnns le dérègle-
ment doivent absolument êlre él'Oignés des
saints ordres. L'Eglise a quelquefois ée
justes raisons pour passer par dessus les
règles le plus saintement établies. Ses be-
soins pressants, des talents extraordinaires
qui peuvent se rencontrer dans ces hom-
mes qui se sont égarés, sont quelquefo'is
de justes raisons pour ne pas suivre là rè-
gle dans toute la rigeur.
Mais ce qui doit être observé indispensa-
blement, c'est qu'un homme qui a vécu dans
le péché doit de lui-même et par sa propre
inclination s'éloigner du sanctuaire. Il doiî
s'en juger indigne. Il doit êlre convaincu
que ce qui lui convient, c'est d'être au rang
des pénitents, el non pas d'être au rang des
ministres de Jésus-Christ. Il ne doit appro-
cher des saints aulels qu'après une longue
épreuve. Il faut, pour aiiisi dire, que ce soit
malgré lui, qu'il s'en rapporte au jugement
de ses supérieurs, et qu'il- soit forcé ()ap
l'obéissance qu'il leur doit.
Que ceux-là sont criminels, que ceux-là
sont téméraires qui s'écartent de ces rè-
gles, el qui, n'ayant point mené une via
assez sainte pour êlre au rang des minis*
très de Jésus-Christ, veulent néanmoins
usurper le sacerdoce dont ils sont indignes ;
qu'ils écoutent saint Grégoire de Nazianze,
etqueljes paroles de ce Père leur fassent
juger de L'énormité de leur crime.
« J'ai lionte, dit ce saint homme, (§1) de
paj-lerde ceux qui, n'étant poiiiLplus sauits
que les autres tidèles, mais qui au contrai^
re les surpassent en méchanceté, veulent
traiter les plus saints mystères avec des
mains impures, et quoique leur es^iril soit
entièrement rempli d'idées profanes el sé-
culières, tout indignes qu'ils sont du rang
auquel ils aspirent, ils se poussent, ils se
précipitent, ils se pressent les uns les ^au-
tres pour environner les saints aulels. Ils
regardent le ministère sacré comme un
moyen de contenter leur cupidité, el noii
pas comme utje obligation de vivre dans
une exacte pratique de toutes les vertus.
Ils croient que le sacerdoce les alfranchit
de toutes les lois. Ils ne considèreriL pas
jue c'est un pesant fardeau, et, combien
|iiam appelttores arclis&iinsc via», lenissimo Domini
Hgo subdaïUur. Qilod si inculpabililer ac inoiïense
t'icesimumquiiiiuin xlalisannum peregerint, ad dia-
^(jiiaUis olliciuin piomoveii debeni, caveiidum esl
iiis.nead fuilivos coiicubilus recurranl. Quod bi
fecerini, uisacrilegii rei damnenlur, et ati Êcciçsia
liabeanlur exiraiiei, j (Tolet. 11, can. 1.)
(<3I) Oiat. I.p. 5.
1013
RETRAITE ECCL. - IV, SAINTETE ECCLESIAST.
1014
sera terrible le compte qu'ils seront obligeas
de rendre un jour de raduiinislralion qu'ils
ont iiijiisloment usurpée. »
Oserez- vous après cela approcher du sanc-
tuaire, vous qui pendant un très-long temps
avez suivi le mouvement de vos passions,
vous qui n'avez pas encore songé à expier
les péchés d'une jeunesse déréglée, vous
qui, dans un Age plus avancé, n'fMesni plus
sage, ni plus réglé que vous l'étiez pen-
dant le temps de voire jeunesse, vous en
qui l'on ne remarque ni piété, ni zèle, ni
régularité?
Pour être ministre de Jésus-Christ, il faut
être saint depuis longtemps, et vous crou-
pissez dans le vice depuis longlem|)S. Vous
we concevez donc pas que c'est un énorme
sacrilège que de traiter les choses saintes
avec des mains impures et avec un cœur
souillé. Que vous êtes éloigné d'entendre la
sainte et importante maxime de saint Gré-
goire et des autres Pères de l'Eglise, qui est
que, pour |)rendre place parmi les ministres
de Jésus-Christ , il faut non-seuloment
être saint, mais être plus saint que les au-
tres tiJèles ^
Vous entrez dajis lie sanctuaire après vous
être éprouvé, après avoir mené une vie
sainlp, et telle que l'Eglise demande dans
ceux qu'elle choisit pour les placer au rang
de ses ministres. Ce n'est pas assez. Il faut
vous soutenir avec fermeté dans l'état que
vous avez embrassé. Vous voilà honorés du
caractère ecclésiastique. Caractère le plus
saint qui ait jamais été, et par conséquent
vous voilà obligés de vivre encore plus sain-
tement que vous n'avez jamais vécu. Or
qu'est-ce que vivre saintement dans l'état
ecclésiastique? C'est observer exactement
toutes les vertus de son état.
Un ecclésiastique a des obJigations par
rapport à lui-même. Il en a |'ar rapport au
jirochain, et par conséquent un ecclésiasti-
que n'est point saint, à nxoin.s qu'il ne règle
sa vie conformément à ses devoirs. Un ec-
clésiastique n'est [loint saint à moins qu'il
oe rende à son prochain ce qu'il lui doit.
Un ecclésiasli(]ue est obligé de mener une
vie conforme à la sainteté de son état, c'est-
à-dire que, comme son étal est très-élevé,
aussi les vurtus chrétiennes et ecclésiasti-
ques doivent être en lui dans un degré très-
élevé. On ne peut bien juger, comme dit
saipl Ambroise, de la sainteté des [trêtres
que [)ar la sainteté de leurs actions. Us doi-
vent faire paraître co qu'ils sont plutôt par
k'urs actions que par le nom qu'ils portent.
Il faut qu'il y ait une juste propoition entre
leur caractère et leur conduite. Ce serait
un étrange dérangement ipie de déshonorer
un nom si élevé perdes actions basses et
ram|)antes. Le caractère est divin : il ne faut
donc pas que vos actions soient criminelles,
(62) ( Nomen congruat actioni, aclio respoHdcat
iiomint, ne sil lionor subliniis et vila dcformis, ne
&it deitica profes-sio et illifiia aclio. » {De dign.
laccrd., c. 3.)
et contraires à ce que Dieu demande du
vous (62).
Un ecclésiastique qui veut vivre d'une
manière conforme à la sainteté de son état
doit savoir exactement, et pratiquer avec
régularité, tout ce que les saints canons ont
prescrit aux clercs. Rien n'est plus saint
que ces anciennes règles, et rien ne marque
mieux l'obligation q-ie les ecclésiastiques
ont de vivre saintement que l'application
et la vigilance continuelle do l'Eglise à leur
enseigner les règles qu'ils sont obligés de
suivre.
Bien loin que les temt)S qui se sont écou-
lés aient en rien diminué l'autorité de ces
saintes règles, le concile de Trente déclare
qu'elles sont encore dans toute leur
force. Ce saint concile les renouvelle.il veut
qu'elles soient rétablies dans les lieux, oi^
par un mauvais usage elles auraient été
malheureusement abolies.
Le saint concile déclare que ces ancien-
nes règles obligent les ecclésiastiques de
répandre en tous lieux une bonne odeur par
la sainteté de leurs actions. Us doivent
prendre garde à tout, jusqu'à leur extérieur.
Leur hijbillement doit être conforme aux
règles ecclésiastiques. Leurs paroles, leur
démarche, toutes leurs manières doivent
être réglées avec une si grande exactitude,
qu'on ne remarfjue rien en eux qui ne cor-
vienne à des ministres du Très-Haut.
Donc quoique la sainteté ne dépende pas
de l'extérieur, et que souvent des moeurs
très-corrompues puissent être cachées sous
un extérieur composé, néanmoins un ecclé-
siastique ne peut être saint, à moins que la
sainteté qui doit être au dedans de son Ame
ne rejaillisse au dehors par une exacte li-
déiilé à observer les lois de l'Eglise qui ont
réglé si sagement Texlérieur des ministres
de JésusrChrist.
Le concile de Trente renonvelle particu-
lièrement les anciens canons en ce qu'ils
défendent aux ecclésiastiques le luxe, les
festins, tes danses, les jeux, et la trop grantle
application aux alTaJres séculières.
Sont-ce de& ecclésiastiques que ces hom-
mes efféminés en qui l'on remarque un ex-
térieur mondain, de qui les plus étroites
sociétés sont avec les gens du siècle, qui
se trouvent à leurs assemblées, qui raflinent
sur la délicatesse des hommes les plus sen-
suels, qui font un si pernicieux usage des
biens ecclésiastiques, qui en font la matière
de leur luxe, qui les prodiguent au jeu, qui
plus hardis que les hommes du siècle les
plus passionnés risquent des sommes con-
sidérables, et exposent à l'incertitude d'un
jeu capricieux un bien qui ne leur appar-
tient pas. Voilà l'estime (lue ces ecclésias-
tiques mondains font des règles de l'Eglise,
et voilà la manière indigue dont ils vio-
(63) « Slaluil sancla synodus ut qu;i' alias de
rlericorun» vila gancita l'uerunt, eaden» in posle-
iiini obncrveritur, i de. (Sess. 22, c. 1.)
1W5 ORATELUS SACRES. JOSEPH LAMBERT. iOIC
lent les lois fondamenîales lie l'élat ecclé- jiisirc de Jésus-Christ, qui, en Caisanl .es
siasliqiie. (>rogiès dont jo viens de piirler, se ser.i np-
Qu'il est déploridiie de voir dos hommes, pliqué à se sanclifier lui-même, ne doit pas
f|iii par leur état et leurprofession devraient s'imaginer qu'il ait encore acquis tous les
être des modèles de sainteté, ne mettre degrés de sainteté que Dieu veut trouver en
aucun frein à leurs désirs déréglés, et loni- lui. Un ecclésiastique ne peut être saint à
bersans garderaucune mesure dans les plus moins qu'il ne s'applique à sanctitier les
énormes excès; car, suivant le concile de aulres selon ta mesure de ses talents.
Trente, la précaulion des ecclésiastiques Celle vérilé dépend d'un principe incon-
doil aller jus(ju'à éviter les moi/idres fautes, testahle, qui est que nous soumies faits ec-
el le saint concile déclare jiie ceux qui par clésiastiques pour servir le prochain. Nous
leur état sont obligés de vivre dans une no sonimes (dus /i nous-mêmes, mais nous
érainenle sainteté doivent être persuadés sommes enlicremenl dévoués au serviie d«
(pie toutes leurs fautes font iuporlanlcs nos frères. Ainsi un ecclésiastique pourrait
(lik). Quel nom donnerons-nous aux chutes par rapport à lui-même paraître saint, parce
capilales, (juand elles se rencontrent dans (pie sa vie serait très exacte et très régu-
ceux en qui les moindres manquements lière, et néanmoins il serait vrai de diie
doivent pa.sser [)Our des fautes consi- que cet coc!és;asli(iue serait dans la voie do
déiables? l'égarenienl, parce (ju'il manqueiait à se.s
Que les ecilésiasliques soient convaincus devoirs essentiels.
(pj'ils ne peuvent trop s'observer eux-mô- Voyez les premiers ministres do Jésus-
ii:es, qu'ils ne peuvent apporter trop d'al- Christ. Aus.sjiùt qu'ils ont été consacrés,
li/ntion il régler jusqu'aux moindi'es actions n'ont-ils pas cru qu'ils étaient obligés d'ai-
de leur vie. V'ous avez vu (]ue le saint con- jer chercher leurs frères, et de travailler
(ile veut qu'un ecclésiastique soit attentif avec un îèle infatigable à les ramener de
,ius(|ue sur ses moindres démarches. Puis- la voie do l'erreur? N'ont-ils pas été per-
(!u'ilsap|>arliennenl au Seigneur, dit lesaint suadés qu'ils se devaient toutcnliers à leurs
concile, el qu'il les a ap])elés pour être son frères? Quand pour leur salut ils ont tout
liéiilage particulier, n'esl-il pas juste qu'ils employé, et qu'ils ont donné jusqu'à leur
règlent toutes leurs actions (Je telle manière jiropre vie, ils ont cru qu'ils ne leur reu-
(|u'on ne remarque rien en eux qui n'inspire daienl que ce qui leur était dû.
(le l'anuour pour la religion et qui ne fasse Quelle était la qualité (juo prenaient ordi-
voir qu'ils sont pénétrés de la sainteté de nairemcnl les apôtres? Ils s'appelaient /g«
k'ur ministère (65). serviteurs de leurs frères. (Il Cor., IV, 5.j
Qu'est-ce qu'un ecclésia.«tique attentif? Nous tous (]ui sommes honorés du carac-
C'est un honuiie ijui a conlinuellemenl pré- 1ère ccclésiasti(iue , nous leur succédons
sentes les saintes maximes de la religion dans celte qualité. Nous sommes les servi-
(pic Jésus-Christ a enseignées, les saintes leurs de nos frères. Indignes serviteurs si
règles que l'Eglise a si sagement établies, nous les abandonnons, et si nous n'avons
(^'est un lionime qui, pénétré do ia sainteté (]ue de l'inditrérencc pour leur salut,
de ces lègles, et de la nécessité imiispen- Quoi! vous êtes ecclésiastique. 11 y a
sable où il est de s'y conformer, observe déjà très-longtemps que l'Eglise vous nour-
cxactemenl toutes ses actions. Il prend rit, et que vous vous engraissez de vos re-
garde h ne s'éloigner jamais de la règle. venus, cef)endant vous n'avez jamais ouvert
Un ccclésiasti(jue dans ces heureuses dis- la bouche pour instruire vos frères, pour
positions expiime dans sa vie ces grands \i;s consolei'. Les petits ont demandé du pain,
enseignements, dont la pratique fait le prin- et vous ne leur en avez point rompu.
(ipal orneitu ni de la vie ecclésiaslique. Il (Thren., IV, h.) Vous avez été insensibio'à
est modeste dans son extérieur, il luit le la misère do voire frère, à sa misère corpo-
Irouhle et le tumulte'du monde, il en dé- relie, à sa misère si)irituelle. C'est-à-dire
teste les excès, la lecture des livres saints r|ue voiis avez été ecclésiasli(pie, et qcy
remplit son âme de consolation et renou- vous n'en avez point rempli les fonctions,
velle ses ardeurs, la prière f;.ilses délices, Eu quel rang donc vous placerez-vous, et h
riiumililé est le fondement solide sur le- quoi devez-vous vous attendre ? Jugez-vous
quel toutes ses veiius sont appuyées, il suivant celte maxime enseignée par saint
distribue avec tidélité les biens que Jésus- Chrysostome.
Christ lui a c(;nliés ; une sainte occupation Un piètre, (juelque appli(iné qu'il soit à
succède à une autre, la vie ainsi partagée se régler ses mœurs, s'il néglige le salut de
passe sans ennui, el n'est jamais inutile, ses frères, sera condamné avec les impies
Voilà le mélange heureux qui jette les l'on- à la géhenne du feu. Remarquez que saint
deinents d'une vie ecclésiastique, et par le Chrysostome parle d'un prêtre appliqué à
njoyeii duquel un ecclésiaslique lidèlecom- régler ses mœurs, (jui n'a aucun reproche à
menée d'amasser les vertus qui convien- se faire par l'apport à lui, en qui il n'y au-
nent à son état. rail rien à reprendre, s'il n'avait à répondre
Je dis que ces vertus jettent les fonde- (jue de lui-même. Cependant le voilà con
uents de la vie ecclésiasliiiue ; car' un mi- damné avec les impies. Pourquoi cela? Paice
(til) « Levia ctiain dclicla, (]ii;c in ip-is in;i.\iiii,( (G5) j ISiliil iii.si grave nioderalnm ac rcligi("!«
isstiii, (.-fliigiaid. I jilcnurn pi8ç se feiaiit.
«017
HKTRAITE IXCL. - IV, SAINTETE ECCLESIASl.
qu'il n'a point li.ivjiillé pour ses frères, cl
q'.i'il a néglii^i^ (Je leur niKlre les services
(ju'il leur devait eu (lualilé île prOire.
Voici en peu cie mots la (léilnilion d'un
vérilal)Ie ccck^siaslique. C'est un homme
(pii s'ap|>lique b so simcliGcr lui-même, '^l
à s.incliller les autres.
Mais jusqu'où va son application à se
Fanclilicr? Elle est telle, qu'il n'est jamais
content de lui-même, et de ce qu'il i'ail. Il
se propose sans rosse de faire de nouveaux
proi;rès dans le ( Iii'iuin de la vertu.
C'est enco''e une maxime qu'un ecclésias-
tique doit essentielicnjent suivre pour par-
veniroù Dit'U 1' ip[)i llo. Afalheur à celui qui,
satisfait de lui-même, s'arrêterait tout d'uri
coup, et croirai! qu'il n'est point obligé d'al-
ler plus loin.
Nous devons ôlrc pcrsua'lës que la sain-
teté ecclésiastique est très éniinenle, qu'elle
ne s'acquiert (]u*avcc beaucoup de temps,
de peine, et île travaux. Celui-I.'i , dit saint
Grégoire de Nazianze, esl bien dans l'erreur,
qui croit (|u'un défenseur de la vérité se
forme avec la ujême facilité que l'on fait
une statue (60). Quoi ! vous vous imaginez
qu'en un jour l'ouvrage de voire sanctifica-
tion sera achevé ? Songez-vous ([u'un minis-
tre de Jésus-Chiist est comparé <i unange?
11 laut donc pour soutenir ce nom avoir en
vue d';'cquérir la purclé d'un ange. Cela se
);eut-il J'aire en si peu de temps (67)?
C'est pourquoi le même saint Grégoire de
Nazianze avance, que comme c'est un péché
à un homme fiariiculier de se porter à ce
qui esl défendu par la loi, aussi c'est un
liès-grand défaut dans un prêtre, de ne pas
avancer toujours dans la vertu : car un prê-
tre ne doit pas se conîenler d'une sainteté
cammune, il doit avoir en vue d'exceller,
et il n'y a point do voie qu'il ne doive ten-
ter pour parvenir h cette iioble lin.
Le même saint Hié^olrii de Nazianze dit,
dans un aulie endroit, que c'est un crime de
ne point avancer et de demeurer toujours
au même état, sans passer à uri degré plus
éujinent, à fieu près comme ces machines
qui courent sur le même point sai.s avancer
et sans changer de place (68).
Saint Augustin a fortement élab'i celle
inqiorlante maxime : Si vous dites j'en ai
assez fait, vous ê:es un homme perdu (69).
Celle n;axime convient surtout aux ecclé-
siastiques. Vous dites : J en ai assez fait, je
puis demeurer dans mon état, je jtuis vivre
sans peine, sans in(iuiélude et sans elforls,
vous êtes perdu sans ressource. A'ous croyez
que vous [)Ouvez vous reposer, et moi je
vous dis : Levez-vous, car il vous reste un
grand cliemin à faire, (lil Iteg., XVIll, 7.)
Deux motifs invimMbles vous engagent
au travail.
i.e premier est que vous ne pouvez sans
travailler conserver le bien que vous avez
acquis.
iClij Oral. I, p. 51.
(07) O.at. 1, p. 8.
^|J.S) Oial. :., |>. H).
Le second esl que voui êtes dans une très-
grande pauvreté, et (]u"il vous manque
beaucoup de richesses que vous devez tû«
chf^r d'acquérir.
Oubliant ce qui esl derrière moi, et m'avan-
çanl vers ce qui est devant moi, je cours inces-
samment vers te bout de là carrière, pour
remporter le prix de la félicité du ciel à la-
quelle Dieu nous a appelés par Jésus-Chris*.
(P/ii/., 111, 13.) Voilà l'exemple que sait t
Paul nous a laissé.
Il oublie ce qui esl derrière lui, c'est-?i-
dire tout ce qu'il a fait. Lt |)ar là il nous
apprend à ne point nous conlier en nos Oiu-
vres. Il réfute ta malheureuse opinion do
ceux qui seraient assez insensés pour se
persuader qu'ils ont suffisamment travaillé.
Saint Paul s'avance, il court incessam-
ment, il faut donc sans cesse s'avancer et
faire des etforts. Celui qui se repose ou qui
se néglige s'expose au danger de ne point
arriver an bout de la carrière.
il y en a plusieurs qui sans doute n au-
ront pas de peine à concevoir qu'ils sont
obligés d'avancer. Dans réioignement où
ils sont de la peifocliun de lenr état, com-
ment pourraienl-ils s'aveugler jusqu'à se
persuader qu'ils peuvent Iranquillenfienl
demeurer dans la situalion oii ils se trou-
vent, sans faire aucun eflforl pour so corri-
ger do leurs vices, et pour acquérir les ver-
tus (jui leur manquent.
Alais peut-être y en a-t-il d'autres, les-
quels étant beaucoup |)lus exacts, auraient
plus lieu de croire que c'est assez pour
eux de se soutenir dans leur étal, et que
Dieu ne les oblige point à faire de nou-
veaux etîorls pour avancer et pour se per--
fectionner.
Le démon môme, dont l'orgueil est la der-
nière ressource pour combattre les honimes
quand ils ont résisté à ses autres attaques,
fait ordinairement ses etforts pour inspirer
ces pensées criminelles à ceux qui sont plus
avancés dans la vertu.
Je pailo donc aux ecclésiastiques les plus
zélés, (lui donnent beaucou|) de temps à la
prière, qui s'apijliiiucnt à l'élude, qui n'eu-
l'ouissenl point les talents qu'ils ont reçus,
et qui les consacrent autant qu'ils peuvent
à Putililé du firochain, qui sont fidèles dis-
pensateurs des biens que Dieu a rais entre
leurs mains. La njaxime générale les re-
garde et leur convient. Il faut qu'ils oublient,
ce qui est derrière eux, qu'ils courent, et
qu'ils avancent sans prétendre jamais qu'il
puisse leur être [)ermis de s'arrêter.
Quelle que soit leur Udélilé, quand i s ren-
treront en eux-ujèmes, quand ils examine-
ront les mouvements de leur cœur, les res-
sorts qui le font agir, les secrètes passions
(jui ont tant de force sur nous, ils n'auroni
pas de peine à reconnaître qu'ils sont très-
éloignés d'avoir atteint le but auquel ils
sont obligés de tendre.
^()!J) I Sidixciis: biinicil, piTJsli. » (Semi. l09, a!.
1,') .')e irih. (ii>i)st(di.)
iQiÙ
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
♦020
Ils donnent beancoiip tic temps h la prière,
mais ils n'ont que trop lieu de gémir en re-
marquant que leur esprit et leur cœur s'é-
chappent. C'est donc un motif qui les engage
à s'appliquer davantage, aftn d'acquérir un
plus grand empire sur leur esprit et sur
leur cœur.
ils consacrent è l'éluae une grande piarlie
de leur lem[)s. Le désir de satisfaire à leur
devoir est |('u.r motif principal.* Mais sprjt-
ils insensibles h la gloire? Sont- ils au-
dessus de tous les intérêts humains? ils
peuvent donc rendre leurs intentions plus
droites, ils peuvent se défaire des motifs
humains, pour ne se plus proposer que
celte fin première et principale qni doit
seule nous guider dans toutes nos actions.
Voyez combien ils peuvent avancer.
Ils courent avec ardeur pour le service
du prochain. Mais souvent le découragement
arrête les plus fervenis. Ils n'auront point
assez do confiance au Seigneur au milieu
de leurs enlrepcises. C'est lui qui leur a
promis, c'est lui qui les soutient et ils hé-
siteront. Ils ont donc encore besoin de for-
tifier leur courage. Il s'en faut beaucoup
qu'ils travaillent pour le prochain autant
qu'ils le peuvent 0.1 peut-être autant qu'ils
Iç doivent.
Ce n'est pas assez de soulager le pauvre,
il taut encore avoir des entrailles de com-
passion pour lui. Que ceux-là mômes qui
s.oul de fidèles disj)ensateurs examitient
leurs sentiments, ils s'apercevront aisément
que leur piété n'est pas assez tendre, ni
leur cliarilé assez compatissante.
Tout homme a beso.in d'avancer, parce
que tout homme a des vices dont il doit
travailler à se corriger.
Tout homme a besoin d'avancer, parce
qu'il fait le bien très-imparlaitementet qu'd
doit travailler à le faire d'une manière (ilus
parfaite.
Le seul précepte de l'amour de Dieu est
une preuve certaine qui nous doit convain-
cre de l'obligation que nous avons d'avan-
cer continuellement j car si nous sommes
fidèles nous travaillerons sans cesse à aimer
Dieu d'une manière plus parfaite. Quelques
soient nos efforts, quelque jirogrès que
nous fassians, nous n'aijuerons jamais Dieu
aussi parfaitement que naus devons nous
proposer de l'aimer, et même que nous
sommes obligés de l'aimer, puisque c'est
une maxime certaine enseignée piu- saint
Augustin elles autres Pères de l'Eglise, que
le grand précepte qui nous obligt! ^ aimer
Dieu ne s'accomplira parfaitetuoni que dans
l'autre vie (70).
Confessons donc la vérité. Que celui qui
croirait pouvoir demeurer où il est, rétracte
un si pernicieux sentiment. Reconnaissons
tou5 les jours de plus en plus le besoin
que nous, avons de travailler et de nous
avancer.
Telle est la sainteté à laquelle les ecclé-
siastiques doivent aspirer. Quel sujet de
confusion pour nous, quand nous considé-
rons ce que nous devons être et ce que
nous sommes. Nous devons être des saints,
nous sommes honorés d'un caractère (lui
est saint, où est donc cette sainteté qui de-
vrait animer tous les mouveraenls de notre
cœur et qui devrait paraître dans toutes nos
actions?
Ministres indignes de Jésus-Christ , que
nous avons sujet de craindre que nous
n'ayons déshonoré le saint caractère dont
nous avons été revêtus.
Pleurons, mes frères, pleurons pour nous-
môii'es. Pleurons pour tant de prêtres qui
s'oublient, qui profanent le saint nom do
prêtre, qui ne le portent que pour leur con-
damnation. Un prêtre dans la mollesse, dans,
le luxe du monde, dans les excès , dans le
crime, quoi monstre? Qui croirait que cet
homme est prêtre ? Connnent reconnaî-
tre la sainteté de ce caractère au milieu d^i
ces actions profanes, séculières et crimi-
nelles?
Pleurons pour tant de prêtres qui, plus
réguliers en app«irence, sont encore très-
éloignés de satisfaire à leurs obligations.
Que de prêtres que le monde justifie et que
Jésus-Christ condamnera , parce (ju'ils ont
été des serviteurs inutiles.
Knfin pleurons pour nous-mêmes. Peut-
être plusieurs d'entre nous qui paraissent
bien disposés, seront un jour au rang de
ces ministres criminels, dont les excès nous
font horreur, ou de ces ministres inutiles
dont la paresse ne peut être excusée. Ceux-
là même qui paraissent agir avec |)lus d<i.
zèle, en font-ils assez pour satisfaire à tou-
tes leurs obligations, et quand leurs um-
vres seront pesées dans la balance , ne
seront-elles point trouvées trop légères et
défectueuses?
Seigneur qui nous avez élevés à la digni-
té de prêtres , c'est à vous de nous inspirer
Ic3 scniinjents dont nous devons être pé-
nétrés. Pauvres et faibles'inslruments que
j»ouvons-nous de nous-mêmes? N.ous no-us
remettons entre vos mains. C'est à vous de
nous rendre tels que nous devons être pour
soutenir un si saint nom. Auimez-nous, for-,
lifiea-nous, sanctifiez- nous , convertissez
les pécheurs, et surtout les prêtres crimi-
nels ; car il n'y a que la force de votre grâce
qui puisse briser la dureté de leur cœur.
Puisque nous appartenons à Jésus-Christ
par tant de titres, faites que nous ne nous •
séparions jamais de lui. Nous vous deman-
derons une seule gâce, et nous la recher-
cherons de tout notre cœur, c'est que nous
nous conduisiotLs ici-bas comme de fidèles
minis.tres de Jésus-Christ, afin que nous,
ayons un joue le bonheur d'être réunis
dans l'éternité à celui que vous nous avci
donné {)0ur être notre Chef et noire Roi.
DISCOURS V.
DU JUGEMENT.
Un des urincipaux caractères
de la sa-
(70) « Quod in illa vila lonijilebiuuis, curn videbimus l'acic ad faciem. » (J^c apiiii. et liltcr., c. ult.)
1021
hKTRAlTE ECCL. - V, DU Jl CEMENT.
1022
gesse, c'est do ne se point arrCler nu pré-
sent, mais de jj-évoir ce qui doit nous ar-
river un jour.
Celui qui n'a point de sagesse ni de pré-
voyance n'a des yeui pour voir que le
moment présent; il semblo qu 'il soit sûr
que tous les jours suivants seront sembla-
bles à celui dans lequel il vit, il n'est point
touché de toutes les preuves qui devraient
le convaincre de l'inconstance des choses
humaines. Pour un contentement d'un jour,
il ne craindra point de s'exposer au danger
d'être malheureux pendant plusieurs an-
nées.
L'homme prudent et sage girde une con-
duite tout opposée. Il est plus attentif à ce
qui peut lui arriver qu'à l'élal présent de
§a fortune ; il compte sur des changemenis ;
ce qui est arrivé à tant d'autres, le convainc
qu'il flura lui-môme un pareil, sort, il s'as-r
sure contre les événements, il voit enfin
arriver les jours où l'inconst.ince des choses
buiuaines se fait sçntir; mais il demeure
ferme, il il a des ressources assurées,
parce (ju'il a prévu.
Cette sage prévoyance est parliculière-
menl nécessaire, pour considérer aKenti-
vemeal les grauds événements qui doivent
arriver infaiHiblemcnl après le temps de
celle vie. Nous devons tous comparaître de-
vant le tribuunl de Jcms-Cfirist, afin que
chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou
aux mauvaises actions qu'il aura faites.
(II Cor., V, 1.0.) Voilà ce qu'il est important
de prévoie.
Quand le temps de cette vie qui passe
comme une ombre sera fini ; quand la mort
frappera son coup; quand nous serons cités
devant le tribunal de Jésus-Christ, il ne
sers plus temps de penser aux vérités im-
portantes de la religion : De quelque côlé
que Varhre tombe, il y demeurera éternelle-
taenl. [Eccle., XI, 3.) La prudence ne veut-
elle pas que l'on prévoie des vérités impor-»
tantes, qui nous regardent, et auxquelles il
ri'esl plus temps de penser quand elles s'ac-
complissent? Ê"es/ une chose terrible, dil le
grand Apôtre, que de tomber entre les tnains
du Dieu, vivant. {Uebr., X, 31.) Quand les
S:ainls prophètes |)arlent du dernier jour,
tous les termes dont ils se servent ins()irent
la terreur. Poussez des cris et des hurle-
ments, dil le saint prophète Isaïe, parce que
le jour du Seigneur esLproehe {Isa., XIII, (i);
c'est-à-dire le jour dans lequel le Seigneur
inaniEeslera pa.i:ticulièrement sa puissance.
Faussez des cris, ce n'est pas assez dire,
(/e5 hurlements, l'ous les Ozas seront languis-
sants. Ex|)ression (jui marque notre ex-
trême faiblesse. Les hommes sécheront, ils
seront brisés, ils souffriront des maux comme
une femme qui est en travail, leurs visages
seront desséches comme s'ils avaiçnt été
brûlés par le fui.{lbid , 9.) Quel est donc le
principe et le londcraenl de toutes ces sur-
(70*) « Nos qui vobis vidcniur ioqui de supcriorc
l')ça cuiu linioie, sub pcdibus vcslib sunius, qiio-
i)l.im iiôvimus naam pciiculosa laiio de isla su-
prenantes agilalions? Ces! qtie le jour du
Seigneur va venir. Quel jour? Le jour, cruel
plein d'indignation, de colère et de fureur.
(Ibid., 13.) Toutes expressions que le pro-
phète emploie pour marquer qu'il n'y aura
plus <-)lors de miséricorde à espérer.
^ Ce jour tout rigoureux qu'il doit être à
l'égard de tous les hommes, le sera cn.core
davantage à l'égard des ecclésiastiques. Ils
ont un f)lus grand compte à rendre, et par
conséquent plus sujet d'appréhender.
Saint Augusiin marque à ses auditeurs la
vive impression que fait sur lui la |)ensée
du jugeaient, et s'expli(|ue en ces termes.
Nous qui sommes ici dans un lieu élevé au-
dessus d,e vous, nous nous considérons
comme étant sous vos pieds par la crainle
dam nous sommes saisis, car nous sommes
convaincus que notre élévation nous en-
gage à rendre un grand com()le (70*).
Voilà donc un événement imporlapt que
vous devez prévoir. Il est absolument né-,
cessaire de comparaître devant Dieu. Que
ce soit là votre méditation de'tous les jours.
Vous verrez; aue vous en tirerc? de grands
fruits,
Je \ea% aujourd'hui yo,us proposer cette
importante vérité par rapport, à votre état.
Tous les fidèles ont sujet d'ap[)réhender
les jugements de pieu. Les ecclésiastiques
ont plus lieu de trembler que les autres. Il,
y a deux choses particulièrement à consi-
dérer dans le jugement de Dieu : l'examen
et la sentence.
Les ecclésiastiques, seropt examinés plus,
exactement que les autres. Première pro-
position.
Ils beront condamnés nlus rigoureu-
seïnent que les autres. Seconde proposi-
tion. C'est tout le sujet et le partage de cet,
entretien.
PREMIER POINT.
L'examen rigoureux que Dieu doit faire
de ses ministres au jour de son jugement,
commencera par leur entrée dans l'étal ec-
clésiastique. Dieu ira d'abord à la source. II.
examinera quels ont été les principes qui
nous ont portés à embrasser l'éiat ecclésias-
tique. 11 n' y a point de doute qu'il y ea.
aura une infinité qui seront condamnés,
parce qu'ils seront convaincus de s'être
poussés d'eux-mêmes, et d'être entrés sans,
être légitimement appelés.
La nécessité de la vocation à l'état ecclé-
siastique est invinciblement établie dans
les saintes Ecritures. Je vous en ai rapporté
les preuves dans un autre discours. Vous
avez entendu saint Paul qui prononce que
nul ne doit s'attribuer à lui-même l'honneur
du sacerdoce, mais qu'il faut y être appelé de
Dieu comme Aaron. {Hebr., V, 4.) Vous avez
enlcndu Jésus-Christ, qui assure qu'il est
la porte, et que celui qui n'entre point par
la porte est un voleur. [Joan., X, 1.)
blinii scdc rcddiitur. i (Serin. IW, al. C'a De ver-
bis Domini.)
1025
ORATEURS SACRES, JOSEPH EAMBERT.
l62i
Ccuibien d'ecclésiasiiques qui an jour du
jugement seront rnnvainctis de n'ôlre point
enirc's par Jésus-Christ.
Celui-là enlre-l-il par Jésus-Clirisl qui
n'est ecclésiastique que parce que ses pa-
rents le veulent et l'obligent par des vues
d'intérêt à demeurer dans cet état.
Celui-là entre-l-il par Jésus-Christ qui n'a
jamais considéré l'étot occlésiastiiiue que
comme un éiat commode et comme un lieu
d'asile, oij il se garantirait des misères
dont il était menacé en demeurant dans sa
condition ? S'il n'y avait dans l'Eglise ni
richesses ni bénéfices, combien y en a-(-ii
qui vivent des revenus de l'Rglise, à qui il
ne serait pas même veDu dans l'esprit de
s'engager dans la milice sacrée.
Au lieu qu'on ne devrait entrer dans l'Jîl-
glise qu'avec crainte et avec tremblement ;
au lieu qu'on ne devrait jamais y entrer par
son propre conseil, on ne voit do tous côtés
que des hommes hardis et précipités,
qui n'ont jamais pris conseil que d'eux-
niômes.
Saint Grégoire ds Nazianze (71) se plaint
de ces hommes précipités, qui croicnl qu'en
très-peu de temps on peut acquérir toutes
les dispositions nécessaires pour parvenir
nu sacerdoce. Il les reprend surtout do ce
qu'ils se poussent d'eux mêmes; do ce qu'ils
prennent pour règle leurs désirs et leur
propre volonté ; de ce qu'ils montent avec
hardiesse sur les trônes les plus émincnts;
de ce qu'ils ne sont point épouvantés en
considérant les grandes et imporlanles obli-
galions de l'état ecclésiastique.
Dieu, au jourdu jugement, pour confondre
celte hardiesse et cette précipitation, oppo-
sera la retenue humble et modeste de tant
desoinis qui se sont cachés, qui oui trem-
blé, (|ui ont fui.
Entendez encore saint Grégoire de Na-
zianze. Il dit que le seul sujet qu'il a de se
plaindre de son illustre père et de son cher
^irai saint Basile, c'est qu'ils l'ont en quel-
que manière séduit, en l'arrachant de la so-
litude, où il trouvait toutes sortes de dé«
l'ices pour l'élever au sacerdoce (72). •
'■> Le même saint Grégoire de Nazianze, en
parlant de saint Bazile, dit qu'il n'est point
semblable à ceux qui ont u!i désir immo-
déré do remplir les premières places de
l^Eglise. 11 est parvenu |)ar degrés. Les
premières fdaces ne lui ont été confiées
qu'après qu'il a donné de longues preuves
de sa sagesse, de son habileté et de sa
vertu. Il n'a point cherché les honneurs,
niais il a été recherché, parce qu'il en a été
jugé digne. Son élévation n'a [)oint été l'ou-
vrage des hommes, la faveur humaine n'y
a eu aucune part. C'est Dieu qui s'est expli-
qué, qui a fait voir qu'il le choisissait pour
r.niplir les places les plus importantes de
.son Eglise (73).
Lorsque Néi)Otien fut ordonné prêtre,
;7i) Oral. 20, p. 33(i.
(■■2) Oral. 1!>, p. 512.
("ô) Orat. -20, p. 55,S, . •
combien, selon le témoignage de saint Jé-
rôme, Tie répandit-il pas de larmes? Quels
cris ne fit il point entendre ? Ce fut en cette
seule occasion qu'il parut irrité contre son
oncle qui lui imposait les mains. Il assurait
qu'il n'avait pas assez de force pour porter
le fardeau dont on le chargeait. Mais plus il
témoignait d'éloignemenf, plus il s'acqué-
rait l'estime et l'affection de tous ceux qui
connaissaient ses grandes qualités. Il méri-
tait par son refus la dignité 5 laquelle on
voulait l'élever, et il en était d'autant plus
digne qu'il élevait sa voix pour déclarer
qu"il en était absolument indigne (74).
Le sacerdoce, en ces premiers temps, était-
il d'une autre nature que celui auquel nous
aspirons? C'était le même sacerdoce, mais
ce ne sont plus les mêmes prêtres. Ce no
sont plus les mômes idées des choses sain-
tes. Autrefois la seule obéissance détermi-
nait à accepter les dignités dont les engage-
ments faisaient trembler : maintenant la
seule avidité fait rechercher des dignités
dont on no considère que les commodités
temporelles, et dont 'on a grand soin de se
dissimuler les redoutables engagements..
Que le nombre est grand de ceux qui cou-
rent d'eux-mêmes, et que cette seule préci-
pitation rendra condamnables au jugement
de Dieu.
Ce n'est pas assez d'êlre légitimement
appelé pour être un saint prêtre. 11 faut encore
.soutenir sa vocation' par la pratique des ver-
tus ecclésiastiques. El c'est sur quoi nous
serons examinés au jour du jugement. Dieu
entrera dans la discussion de toutes les
vertus ecclésiasliques, et si nous avons été
négligents à les observer, nous ne pourrons
éviter d'être rigoureusement condananés.
Le désintéressement est une vertu abso-.
Iiiment nécessaire aux ecclésiastiques, et il
y en a une infinité qui périront, parce (ju'ils
ont été malheureusement allachés à leur in-'
térôt.
En trouve-l-on beaucoup qui, suivant
l'excmide de saint Paul, puissent dire qu'ils
sont entièrement détachés de tout inlérêl
humain? Saint Paul regardait celle vertu
comme une vertu ca[)ilale dans un ecclé-
siastique. Il en faisait sa gloire, et nous as-
sure qu'il aurait mieux aimé mourir que de
perdre cette gloire (I Cor., IX, 15), qui lui
était si précieuse et si nécessaire.
Que d'ecclésiastiques qui, au jour du ju-
gement seront convaincus d'avoir été les
esclaves de leur intérêt? Ils ont exercé
leurs fonctions h peu près dans le même
espril que les plus vils artisans travaillent
de leur mélier. Que se sont-ils proposés?
un gain temporel ? Voilà où ils en sonl de-
meurés, et ils n'ont point porté leur vue
plus loin. Les voilà donc de ceux que l'A-
pôlre condamne , parce qu'ils regardent la
piélé comme un moyen de faire des gains
'emporels. (I Tim., VI, 5.)
(74) « Qui gemiliis, qui ejulatus '.'... Qucrebatur
se feno non possc... Moiclialur negaiiili), cpifxl
esse iiolebat, coijih; tligiiior ciai quo se clamabal
iiKii^uuin. »
ii;-2j
RETRAITE KCCL. — Y. DU JUGEMF.M.
1'.2G
D'autres, encore plus altacliés ti I»'iir iii-
;lL^iêl, ne craimlroiU poirUde faire dos has-
'sess(;s, d'avilir leur caracière, de traliir leur
iiiiiiislère, de llUler l'impie dans son im-
pit';lt^ et le péclieur dans ses désirs criiiii-
nols. Les assnjettisseincnis les plus vils cl
les complaisances les plus lâches ne leur
coi") lent rien, pourvu qu'ils arrivent ?> leur
lin. Le propliùle les a pariaileinenl dépeints
(luand il a dit û'onx, qna pour un peu d'orge
tt un morceau de pain, ils ne feront point
(iinîcullé de tuer les dînes. {Ezech., XIII, 19.)
Tous, dit saint Paul, cherchent leur intérêt.
[Philip., H, 21.) Ce vice donc est Irès-ré-
paudu. Qui peut explitpier combien il y en
aura qui seront repris devant Dieu, parce
qu'ils s'en Irouveront rou[ ablcs, lorsqu'ils
ronq)araîtront devant lui?
Le zèle n'est jias moins nécessaire ni
moins recommandé aux ecc'ésiasliques que
lo désintéressement. Qu'est-ce qu'un ecclé-
siastique qui n'a point de zèle? Comment
pourra-t-il soutenir la vue de Dieu? Et s'il
se trouve dépourvu de cette vertu, peut-il
éviter d'être condamné?
Dieu vous interrogera sur le zèle que
vous devez avoir eu f)Our sa maison.
La dévotion d'orner les temples est une
dévotion très-solide et très-ancienne. Dès
les premiers temps les saints ont cru que
c'était une action de [liété, qui était digne
de leurs soins et de leur aptiîioalion. Saint
(irégoire de Nazianze, en faisant l'éloge de
sa sœur Gorgonie, la. loue particulièrement
de ce qu'elle était ttppliquée à orner les
iem|)les au Seigneur, et de ce qu'elle y fai-
sait de raagnitifiues présents (75). Il paraît,
par la description que le même saint Gré-
goire de Nazianze nous fait de l'église de
Nazianze, que c'était un ouvrage où toutes
les règles de l'archileclure avaient été exac-
tement observées. Le marbre et les pierres
d'un plus grand prix avaient été employés
dans la construction de cet édifice. On y
voyait des peintures où la nature était par-
faitement imitée. Le spectateur était étonné
en conlemplaut 'toutes les beautés de cet
ouvrage magnifique (76).
Dieu veut que Jes pasteurs aient uri
grand soin des temples matériels, et la pro-
preté de ces temples fait voir aux fidèles le
soin qu'ils doivent avoir soin d'orner leurs
âmes qui sont les véritables temples du Sei-
gneur.
Combien de fois arrivera-t-il que la mai-
son du pasteur sera dans l'ordre, le com-
mode s'y trouvera, on y remarquera môme
des ornenienls superflus. Entrez dans l'é-
glise, visite/ les ornements. Le temple du
Seigneur est abandonné. A peine croiriez-
voijs que le lieu dans lequel vous êtes , est
celui-là même, où les fidèles s'assemblent
pour rendre leurs hommages à Dieu ? Quelle
S!.ra l'excuse du pasteur? Ce n'est pus lui,
vous dit-il liardiuient, qui est chargé du
lt;mple du Seigneur. Osera-t-il bien encore,
(juandil sera devant Dieu, employer une si
(75) Oral. Il, p. 18-2.
mauvaise réponse? Eh I qui donc en est
chargé, si le pasteur ne l'est |iasl A quoi
ptiurrait-il mieux employer son temps que
d'aller souvent dans soii Eglise, travailler
lui-même à son embellissement, animei ics
antres t>arson exemple? Non, je ne conçois
pas comment un pasteur peut soutenir do
voir dans son église des indécences et des
désordres, auxquels il serait aisé de remé-
dier en y apportant quelque soin. Je ne
conçois pas comment il peut célébrer les
saints ofiices avec des ornements dont l'état
et la figure do'nne du dégoûl. Je ne conçois
pas que sur des choses qui sont d'un de-
voir si étroit, l'indolence et la négligenco
puissent aller si loin. Où est le zèle dusaint
et illustre Mathatias qui, le cœur percé de
douleur s'écriait qu'il n'était pas possiblo
de vivre et de voir les profanations qui se
faisaient dans le temple du Seigneur.
(I Mach., U, 1, 3.)
On entend tous les jours parler de plu-
sieurs malheurs dont l'F.glise est affligée.
Tantôt c'est un scandale, tantôt c'est une
persécution. Il y a peu de moments où
l'on ne s'aperçoive que l'ennemi est venu, et
qu'il a semé l'ivraie parmi te blé (Matth ,
XIII, 25.) Un véritable pasteur est dans do
continuels gémissements en faisan! atten-
tion aux maux de l'Eglisp. Il travaille au-
tant qu'il est en lui pour empêcher les
cruels efforts de l'ennemi. Quand il se sent
dans l'impuissance il a recours aux larmes.
Que nous serions heureux si nous avions
une portion de ce zèle qui f)énélrait saint
l'aul quand il disait que l'application (|u'il
donnait au soin de toutes les Eglises rem-
plissait son esprit de continuelles inquié-
tudes. (Il Cor., XI, 8.)
Un pasteur doit surtout avoir du zèle
pour faire connaître au pécheur l'injuslico
de ses voies criminelles. Il n'y a [)oint d'ef-
forts qu'il ne doive employer pour faire
rentrer dans la véritable voie la brebis qui
s'est égarée. Comment excuser un pasteur
qui demeure tranquille et qui ne sent en
lui-même aucune émotion , pendant que
plusieurs de ses brebis sont en jiroie au
démon. Vous avez donné quelques avertis-
sements. Est-ce assez? Ne faut-il pas les
réitérer? Ne faut-il pas presser? Devez-
vous jamais [)erdre de vue cette brebis qui
vous touche de si près, et dont Dieu vous a
recommandé si particulièrement de lui reii"
dre compte.
Quand donc est-ce que les ecclésiasliques
font ()araître leur zèle ? C'est quand il est
question de maintenir leurs droits, de fai-
re valoir leurs bénéfices, de rentrer en p.os-
séssion de quelque bien qu'on leur a enle-
vé. Pour lors les voyages ne sont pas épar-
gnés; on n'est point épouvanté par les frais
et les avances qu'il faut faire; les amis
sont employés, et ils sont sollicitésjusqu'à
l'importunilé. Saint Bernard se plaint que
tout le zèle des ecclésiasti(|ues se termine
à Jàire valoir les (irérogalives attachées à
(7Gj Oral. l'J, p. 31.3.
10-27
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
4C2S
leur dignité, béfaut de zftie : voilà un grand
reproche que les ecclésiastiques ont h se
faire, et qui leur sera fait infailliblement
par Jésus-Christ, quand ils paraîtront de-
vant lui (77),
Il y a beaucoup d'autres vertus nécessai-
res aux ecclésiastiques. Si dans un seul dis-
cours il était permis de les, parcourir tou-
tes, vous verriez bien d'autres sujets que
nous avons d'appréhender.
Les ecclésiastiques, par exemple, doivent
avoir beaucoup de modestie, et témoigner
un grand lespect pour les choses saintes.
Qu'auront donc h répondre au jugement
de Dieu ces ministres indigrtes, qui sem-
blent outrager le Seigneur dans le, temps
qu'ils chantent ses louanges? Leur dissipa-
tion se fait sentir pour peu qu'on les regar-
de : leurs yeux qui ne sont jamais fixés, et
qui se donnent une pleine liberté de consi-
dérer tous les objets qui se présentent de-
vant eux, font assez connaître que l'esprit
est occupé de toutes sortes de pensées et
qu'on ne fait pas beaucoup d'efforts pour
remplir le cœur du seul objet qui le doit
occuper. On fait voir par toutes sortes de
marqués que l'on n'est dans le temple du
Seigneur que malgré soi, que l'on a une
(rès-forle impatience d'en sortir, et qu'on
n'y demeurerait point si l'on n'était arrêté
par des vues d'intérêt et oai- Qys considéra-
lions temporelles.
Dieu veut que les ecclésiastiques mettent
en lui foule leur confiance, qu'ils soient fi-
dèles à tous les exercices de leur emploi,
qu'ils souttrent avec courage les contradic-
tions qîji sont inséparables de cette vie.
Dieu veut que les ecclésiastiques suppor-
tent les faibles, qu'iljs les ménagent, qu'ils
gagnent leur cœur. Dieu a commandé aux
epciésiastiques de vivre dans la retraite, et
d'éviter les compagnies nù l'on court tou-
jours risque de respirer l'air contagieux du
siècle. Que d'articles iinportafils qui seront
tous examinés, et dont aucun n'échappera à
!a connaissance, à la pénétration et à la sa-
gesse de notre juge 1
Je passe à un grand article, et je ne puis
l'examiner sans être rempli de frayeur, en
considérant le grand nombre d'ecclésiasti-
âues qui périroilt, quand ils seront obligés
e répondre sur cet article important.
Il s'agit du iîompte que vous devei rendre
h Dieu des reveniis ecclésiastiques qu'il a
déposés entre vos mains. Quel usage eu
avez-vous fait?
Celui-là qui paraît, et que Dieu va juger,
est un riche bénélicier qui a possédé des
revenus considéral)les, qui n'a jamais cou-
nu l'esprit ecclésiastique, qui n'a jamais
travaillé pour l'Eglise, qui n'a été ecclésias-
tique que de nom, dont les mœurs ont éié
séculières, mondaines et corrompues, qui
a jiassé sa vie avecles homiaies voluptueux
et les femmes du siècle, qui a employé à
des usages profanes et criminels les reve-
nus dont il s'est trouvé en possession. C'est
celui-ià qui Va tomber entre les mains du
Dieu vivant.
Que d'accusateurs qui vont déposer con-
tre lui et qui vont l'accabler par leurs jus-
tes reproches? Tous ceux que vous avez
scandalisé pat- vos mœurs déréglées, voilà
vos premiers accusateurs.
Les fondateurs de vos bénéfices se ren-
dront témoins contre vous : ils vous accu-
seront devant Dieu : ils vous reprocheront
que vous avez agi directement contre leurs
intentions, que vous vous êtes servi pour
commettre un grand nombre d'iniquités de
ces mêmes biens qu'ils avaient offert à Dieu
j)0ur l'expiation de leurs péchés.
Mais voici encore de plus rigoureux accu-
sateurs et qui ont plus sujet de se plaindre.
Ce sont les pauvres que vous avez délais-
sés et qui demandent vengeance. Le bien
que vous ayez dissipé n'était point à vous,
c'était leur bien. Us ont crié, ils vous ont
représenté que c'était leur bien d*nt vous
faisiez un si criminel abus (78). Vous ne
les avez point écoutés, mais au jour du ju-
gement leurs plaintes sftront reçues, et Dieu
ne pardonnera point à ceux contre qui les
pauvres feront de si justes accusations.
Je parte maintenant à ceux qui ont peu
de revenus ecclésiastiques. Je lés 6n féli-
cite, puisque souvent ces revenus sacrés
sont une occasion de perte pour lés ecclé-
siastiques qu les possèdent. Vods en avez
peu, mais n'm désirez vous J:)oint? Vous
serez jugés selon votre désir. La malédic-
tion prononcée contre les riches tombera
sur celui qui est pauvre en effet, lorsqu'il
est riche de cœur.
Vous avez peu. Croyez-vous pour cela
être dispensés de donner l'aUmône. La cha-
rité est ingénieuse. On voit souvent des
pasteurs qui ont peu de revenu, et qui ne
tarssent pasd'oiiier leurs églises, et de faire
des auiuôrles considérables. La maxime de
Tobie est incontestable, et doit être exacte-
ment suivie : Si vous aiez beaucoup, donnez
beaucoup : si vous avez peu, donnei peu,
{Tob., IV, 9.)
Vous avez peu de bien et vous amassez
quelquefois même des sommes considéra-
bles. Vous avez donc oublié la parole du
Seigneur qui vous a commandé de ne vous
point mettre en peine, et de vous reposer
sur lui. Peut-on se flatter qu'il est permis
d'amasser pendant que l'on connaît des
|)auvres qui sont dans une extrême né-
cessité?
Entrons dans les sentiments de saint Ba-
sile qui ci-oient qu'un ecclésiastique n'est
jamais plus riche, que quand il se réduit
dans une très-grande pauvreté. Porter 'la
croix do Jésus-Christ, selon ce grand saint,
(77) I Vides omncm ecclesiasticum zelum fer-
ve.ic pro sola digniiaie luenda. » (lAb. IV De con-
tid., c. 2.)
(78) « Clamant nudi, clamant famclici, nostrum
est quud cITuiidills. > (S. I3ei(Nardus ad Heitricuiu
Senonen., arcin., c. 2.)
I(>»9
RETRAITE ECCL. - V, DU JUGEMENT.
1030
c'esl un Irésor préférable à toutes les riches-
ses de la terre (79).
Imitons la mère de saint Grégoire de N.i-
zianiequi était fortement persuadée qu'on
ne s'enrichissait jamais davantage que
quand on se dépouillait en faveur des pau-
vres (80).
La gloire d'un ecclésiastique, c'est de
niourir'pauvre à l'exemple de saint Augus-
tin, dont il est rapporté qu'il ne fit point de
testament, parce qu'il conserva jusqu'à la
mort la qualité de pauvre de Jésus-Christ
(81). Ainsi quand il mourut il ne se trouva
en possession d'aucun bien. 11 n'avait plus
rien à donner, parce qu'il avait tout donné
pendant sa vie.
Après l'emploi des revenus ecclésiasti-
ques, viendra l'examen de l'emploi du
temps. J'aperçois encore ici un grand nom-
bre d'infidèles économes, qui seront con-
damnés pour avoir fait un mauvais usage
du temps. Que les hommes oisifs et pares-
seux écoulent en tremblant cette sentence
terrible que J4isiis-Christa prononcée: Jetez
dans les té'nèhres extérieures ce- serviUur inu-
tile. (Matih., XXV, 30.)
Je demande donc en premier lieu si un
prôlre qui languit dans l'oisiveté, qui ne
remplit point son temps, qui ne s'occupe
point à .'élude ni à d'autres exercices con-
venables à sa profession, est en voie de sa-
lut, et je réponds que non.
Je demande en second lieu si on peut
légitimement donner l'absolution à un prê-
tre qui est dans ces dispositions, et je ré-
ponds que non.
Je demande en troisième lieu si un prê-
tre oisif peut sans blesser sa conscience cé-
lébrer tous les jours les saints mystères.
Tous les jours. Hélas 1 je ne le crois pas
même en élal de les célébrer une seule fois.
La première disposition pour célébrer les
saints mystères, c'est de mener une vie ec-
clésiaslique. Celui qui passe ses jours dans
l'ûisivelé constamment ne la mène pas. Quoi !
vous aurez passé l'après-midi au jeu, à des
divertissements profanes; vous aurez été
présent à des repas où l'on aura péché con-
tre les lois de la sobriété; vous aurez même
assisté à des speciacles publics, et dès le
lendeinain je vous vois à l'autel. Retirez-
vous, allez pleurer vos iniquités, allez
prendre de justes mesures pour réformer
votre vie. Si vous osez oITrir le sacrifice
dans les dispositions où vous vous trouvez,
vous ne pouvez qu'Irriter le Seigneur et
attirer sur vous de terribles vengeances.
Dieu jugera les ministres oisifs sur la
perle qu'ils ont faite du temps, et Dieu ju-
gera les ministres téméraires et entrepre-
nants sur la hardiesse qu'ils ont eue d'exer-
cer les fonctions ecclésiastiques n'ayant pas
toute l'habileté nécessaire pour les bien
remplir.
(79-) S. Grec. Naz., orat. 20, p. 557.
(80) Oral. 19, p. 291.
(81) « Tesiameiiium iiiillum fecil, quia unde facfi-
rei Clirisli paujier non hahuit. > (I'ossido.n., De iU«
Que de fondions ecclésiastiques qui sont
mal exercées, contre leis i-èglés de l'Eglise,
au scandale des peuples, à la porte des Ames 1
minisires téméraires qui avez entrepris ce
qui était au-dessus de vos forces, que de-
viendrez-vous quand Dieu vous demaridera
compte de votre administration.
Comme je ne puis pas ici parcourir tou-
tes les fonctions de notre élal, je m'arrête
h une seule, et je dis qu'il y aura une infi-
nité d'ecclésiastiques qui seront condam-
nés aujugemertt de Dieu |)our avoirosé ad-
ministrer le sacrement de pénitence, ne sa-
chant pas lés règles et lesprincipes que l'on
doit suivre dans l'adminislralionde ce sacre-
ment.
• On n'exerce point, dit saint Grégoire de
Nazianre, la profession de médecin que l'on
n'ait ap[)ris à connaître les maladies (82).
On n'est point au rang des peintres que
l'on ne sache comment les couleurs doivent
êlre mêlées, et comment elles doivent être
appliquées avec le pinceau. Ces hommes,
si vous les croyez, sont devenus habiles tout
d'-un coup. Semblables à ces géants dont
les poëtes ont parlé, ils ont été formés en
un instant. A peine ont-ils commencé à
s'instruire, et ils osent déjà occuper des
places que les habiles ne remplissent qu'avec
crainte.
Quelque difficulté qu'il y ait à guérir les
corps, il y en a encore beaucoup davantage
dans lagùérison des âmes (83).
Le sacrement de péniterice doit êlte ad-
ministré avec beaucoup de douceur. C'est-
à-dire qu'un prêtre doit faire bien des avan-
ces pour gagner le pécheur; il doit l'invi-
ter devenir à lui; il doit lui faire voir qu'il
a pour lui des entrailles de père, qu'il dé-
sire avec ardeur sa conversion, qu'il est
sincèrement disposé à lé secourir en toutes
choses, pour l'aider à sortir de la voie de
rini(juité.
Quelle sera donc la condamnation de
ceux qui rebutent les pécheurs, qui leur
montrent un visage sévère, qui les épou-
vantent par des discours pleins de dureté,
qui sont toujours pressés quand les pécheurs
les abordent, qui ditfèrenl mal à propos de
les entendre, et qui les regardent comme
des importuns.
Le sacrement de pénitence doit être admi-
nistré avec beaucoup de charité, mais avec
une charité universelle qui s'élende sur
tous, et dont les pauvres particulièrement
ressentent les salutaires eifets. Les dis*
tinctions entre les riches et les pauvres sont
odieuses : elles sont insupportables, et di-
gnes d'une irès-rigoureuse condamnation
dans les dispensateurs des saints mystères.
Quoi 1 vous voulez que votre tribunal soit
environné de riches, et vous rejetez les
pauvres. Vous avez donc oublié tout ce que
Jésus-Christ vous a prescrit en faveur des
saucli August., c. 30.)
(82) S. Grkg. Nui. orat. 20, p. 535.
(85J lileiu, utat. 1, p. S.
1051
OR.VTEURS SACRES. JOSEPH LAMiîERT.
lOo-i
pauvres; vous ii'ètcs louches ni de son
exemple, ni de ses paroles, j'ajouterai même
ni de ses menaces, puiscpj'il y en a de si
ligoureuses contre ceux qui méprisent les
pauvres. Conabien au contraire de bénédic-
tions que Dieu a promis de répandre avec
profusion sur ceux qui aiment les pauvres,
qui se piaisentavec eux, et qui se portent
volontiers h les servir.
Un bon confesseur doit être un sage con-
seiller, il doit êiro en état de donnnr des
avis salutaires, et de prescrire aux fidèles
les règles qu'ils doivent suivre pour réfor-
mer leurs mœurs, et pour marcher dans le
chemin de lu vérité. Quoi ! cet horauie est
venu à vous et vous l'avez laissé aller sans
lui donner aucun avis ni aucune règle !
Vous vous êtes conlonlé d'enlendi'o le récit
de ses péchés, semblable à un médecifi qui,
étant entré dans lacliambre d'un malade, et
après avoir écoulé le récit fûcheux de sa ma-
ladie, laisserait ce malade sans lui proscrire
aucun remède, et sans lui marquer les rè-
gles qu'il doil suivre pour travailler à sa
guérison.
Le sacrement do pénitence doit être ad-
ministré avec beaucoup de patience. Un pé-^
cheur vient à vous, qui est dans une habi-
tude invétérée. C'est une longue et fâcheuse
maladie. Vous voulez loul d'un coup le
guérir, vous voulez consonmier l'ouvrage
dans une seule confession. Cela se peut-il ?
Et y a-t-i! un homme assez habile pour
pouvoir guérir en si peu de temps des [»laies
si profondes et si Jangereuses?
Le sacrement de pénitence doil êlre admi-
nistré <ivec beaucoup de fermeté. Unconfes-
seur zélé doit ôtie armé pour résister h l'ini-
(juité. Il ne craint rien des hommes, il n'es-
père rien d'eux, il veut leur salut, et c'est
la seule vue qu'il se propose dans tous ses
travaux.
Un des principaux effets de cette fermeté
doil être de ne jamais répandre lo sang do
Jésus-Christ sur les indignes.
Ce pécheur qui se présente à vous est-il
en état d'être guéri? £st-il en état d'être ré-
concilié? Depuis un grand nombre d'années
il persévère toujours dans les mêmes cri-
mes. Les absolutions qu'il a reçues sont
<-ause qu'il est demeuré tranquille, et qu'il
s'est endormi dans l'iniquité. Ah ! si un con-
fetseur zélé eût troublé celte fausse paix,
|teul-être ce pécheur aurait-il rentré dans
lui-même : il n'aurait pu se résoudre à pas-
ser sa vi(; dans l'éloignemenl des sacremeuts.
Ce pécheur vient h vous ; conlirmcrez-vous
à le tlalter? L'ulcère est au dedans : ii faut
couper, il faut aller jusqu'au fond de la
plaie. Vous vous contentez par une lûche
complaisance, de metlie un emplâtre sur
la plaie et de la couvrir. V^ouiez-vo.us savoir
ce que vous faites? Vous ne guérissez pas
!es âmes, vous les tuez, vous n'êtes pas le
|iasteur clés brebis, mais vous en êtes le
l'ourreau. Que de bourreaux qui tuenl les
(8i; « lloc non est curare, sed, si vcruin ilicere
v(iluiiuis, occiilere. Ni'tiui oviuiii pasloies Cise Ue-
âmes par des absolulions précipitées (8'i.).
Terrible vérité 1 Vous répondrez à Jésus
(.hrist de loules les absolutions que vous
avez données : il n'y en a aucune dont vous
ne soyez obligé de lui rendre compte. Soit
que vous soyez convaincus d'avoir péclié
contre les lois de l'Eglise par ignorance, soit
<pie vous soyez convaincus d'avoir trahi vo-
ire ministère par lâcheté, vous voilà certai-
nement condanuiés.
Les ecciésiastiques, et particulièrement
les pasteurs auront un grand compte à ren-
dre, lorsi^ue Dieu lesexamiuera sur ce qu'ils
doivent au prochain.
Qu'est-ce (lu'un pasteur, dans la vérité? Le
sei'vitour de tous ses paroissiens. C'est 5 di-
re qu'un pasieur iloit à son |;euple son
temjis, ses veilles, ses prières, ses soins,
ses études et sa vie mêiue. Oui, vous êtes
les serviteurs de votre |)euple, et vous de-
vez vous gior-fier d'un litre que Jésus-
Christ lui-même a bien voulu porter. Le
Fils de riioiume , no\is d\l-i\, n'est pas venu
pour être servi, mais pour servir les autres,
{Matlh., XX, 28 ) L'apôlre saint Paul a pris
le titre de serviteur, non-seulement à l'é-
gard de Jésus-Christ, Paul serviteur de Jésus-
Christ, m.iis encore à l'égard de ceux à qui
il prêchait l'Evangile. Nous nous considérons,
dit-il, com/ne vos serviteurs. (Il Cor., iV, 5.)
Si le mot vous oU'ense, employons-en un
autre, el disons (ju'un pasteur est un père
qui doit aimer ses enfants avec tendresse, et
(pii, par des soins assidus, leur doit donner
di;s preuves de son amour. Voyons donc le
soin que vous avez de votre troupeau.
Voyons si vous leur rendez tous les services
qu'un père charitable doit h ses enfants.
Vous devez surtout vous appliquer à l'ins-
truction des oiifaiits, et il est de la dernière
conséquence do bien cuhiver ces jeunes
plantes. Vos enfants sont-ils instruits? Vous
dites qu'ils ne se rendent point à vos ins-
tructions. N'est-ce point plutôt vous qui
n'avez aucune exactitude, et qui, bien loin
de les attirer, les rebulez par votre indiffé-
rence, et quehiuefois même [)ar vos dure-
tés? Les pasteuis zélés ont une inliuité d'ar-
liliccs innocents que la charité leur suggè-
re, pour Se faire aimer des enfants, pour
les animer, cl {".uur les engager à se rendre
assidus.
Vous laissez ce |iéchcur dans ses égare-
ments. Croyez-vous donc que vous ne lui
devez rien? Ignorez-vous (juc Dieu vous de-
mandera compte do son âme, el que vous en
serez responsable, si vous ne jioavoz pas
vous rendre lémoigiiagne que vous avez tait
tout ce qui dépendait de vous j)Our le pres-
ser de se convertir?
Vous acquittez-vous de ce que vous devez
aux malades? Vous leur administrez les sa-
crements de l'Eglise, et puis vous les lais-
sez. Croyez-vous que vous avez tout fait ,
et (|ue vous avez rempli tous vos devoiis ?
N'est-ce pas uour vous une ob:igal)OU iudis-
benl l.uiii liant, i {Ctenis Uoinaii., inler Epist.,
siincti Cypri., e;). Il), -jL)
ïO'cS
RETRAITE ECCLES. — V, DU JUGEMENT.
4001
■pensable de visiter souvent les malades, lie
les consoler, de les fortifier, de les encoura-
ger, de leur enseigner à faire un saint usage
de leur maladie?
Vous vous devez tout entier à votre pro-
cliain, jugez donc vous-même si vous ne
méritez pas d'ôtre sévèrement repris, lors-
qu'en tant d'occasions vous le laissez sans
assistance, sans consolation, sans soulage-
r::ent, sans soutien.
Ce n'est pas encore là tout cequi doit êlre
«■saminé au tribunal de Jésus-Clirist. Je dis
que les ecclésiastiques seront môme jugés
sur leurs bonnes œuvres. Je soutiens que
plusieurs actions qui paraissent bonnes aux
veux des homm<'s seront réprouvées par
Jésus-Christ, et qu'elles seront mises au
rang des péchés. Voici une parole d'un pro-
phète qu'on ne peut guère méditer sans en
être effrayé.
Dieu parle à des prêtres, et voici le juge-
ment qu'il fait de leurs solennités. Il dit
qu'il les regarde comme des ordures, qu'il
les rejettera, qu'il leur m couvrira le visage.
(A/a/ac, JI, 2.) Que cette expression vous
serve à concevoir ce que Dieu pense de
quantité d'actions qui devraient servir à
notre sanctification, mais que Dieu rejette-
ra à cause de la oiauvaise disposition de no-
tre cœur. Des prières prononcées à la hâte
et sans respect, des sacrifices offerts ou par
coutume, ou par intérêt, le ministère de la
parole exercé dans la vue de plaire aux
hommes, des empressements qui ont pour
motif l'espérance du gain, de bons offices
rendus au prochain par humeur, par curio-
sité, par une vaine satisfaction que l'on
ressent lorsqu'on a quelque lieu de se flat-
ter que l'on est recherché, et que l'on est
nécessaire. Tout cela devant Dieu, sont des
ordures qu'il rejettera, etquiluiseront très-
désagréables. Quel état que celui d'un prê-
tre qui sera chargé de péchés, et qui se trou-
vera criminel môme dans ce qu'il mettait au
rang de ses bonnes actions?
,11 serait difficile d'exprimer dans le détail
tous les reproches que Dieu fera à ces ec-
clésiastiques infidèles au jour de son juge-
ment. Cuiubien d'autres articles encore sur
lesquels ils auront à répondre?
Voyons, par exemple, les reproches que
Jésus-Christ fait à ces évoques, à qui il
adresse la parole d;ins les premiers chapi-
tres de \' Apocalypse, et nous serons con-
vaincus qu'il y a une infinité d'ecclésias-
tiques qui ont sujet d'appréhender que Jé-
sus-Christ ne leur fasse les mômes repro-
che.*, et peut-être encore avec iilus de lon-
deminl.
Il dira à l'un : Vous vous êtes relâché de votre
première charilé. (Apoc , II, i.) Vous étiez
tout plein de zèle, quand vous vous êtes
engagé dans l'éiat eccébiaslique ; mais ce
zèle a duré peu, el bienlôl après on n'eu a
plus aperçu les moindres vestiges.
Jésus-Curist dira à l'autre : Je ne trouve
point vos œuvres pleines. {Apoc, 111, 2.) Par-
tout je remarque du vide; je vois bien du
lemps inutilement perdu ; je n'aperçois dans
OlUTEURS SâCIlÉS. LXVlIl,
vous aucuno arlio'i qui ne soit mêlée de
quelque défaut considérable.
Jésus-Christ reprochera à cet autre : Vous
êtes un homme tiède, (/ftirf., 16); vous avez
toujours agi avec mollesse; vous ne vous
êtes porté h ce qui était de vos devoirs, que
comme malgré vous, et quand vous n'avez
pu reculer; on n'a jamais vu dans vous au-
cune marque d'ardeur et de courage.
Combien d'autres à qui Jésus-Christ n'au-
ra que trop de fondement h dire : vous
croyez être riche, vous croyez être comblé
de biens, et vous ne savez pas que vous êtes
pauvre, misérable et dans le dernier besoin.
(Ibid., 17.) Vous croyez être riche, parce
que.vous avez fait quelques actions qui ont
eu de l'éclat: mais qu'est-ce que vous êtes
dans la vérité? Vous êtes dénué de tout
bien, et vous serez fort heureux si ces ac-
tions dont vous vous vantez, ne sont pas
pour vous un nouveau sujet de condamna-
tion.
Voilà donc ce que c'est qu'un ecclésiasti-
que entre les mains de son juge : voilà les
reproches qu'il aura à essuyer, et les prin-
cipaux articles sur lesquels il sera examiné.
Terrible examen pour un ecclésiastique ou
négligent ou prévaricateur
Les ecclésiastiques donc seront examinés
plus rigoureusement que les jautres, quand
ils comparaîtront devant, Dieu. La rigueur
de la sentence sera proportionnée à la rigueur
de l'examen. J'ai donc à vous faire voir que
la sentence qui condamnera les ecclésiasti-
ques sera plus rigoureuse que celle qui sera
prononcée contre les autres lidèles. C'est mon
second point.
SECOND POINT.
Je prétends que les ecclésiastiques au jour
du jugement seront traités plus rigoureuse-
ment que les autres; et voici les principes
sur lesquels je m'appuie pour vous faire
entendre cette importante vérité.
Mon premier principe est que les ecclé;.
siasliques ont plus reçu de grâces: de là il
s'ensuit que Dieu leur demandera davan-
tage. Si donc ils n'ont pas travaillé d'une
m.inière proportionnée aux grâces qu'ils ont
reçues, ils seront châtiés plus rigoureuse-
ment que ceux à qui Dieu n'a pas tant
donné.
Que Dieu demandera aux hommes à pro-
portion des grâces qu il leur a faites, ce
principe est de l'Ecriture, et est établi par
Jésus-Christ. On demandera beaucoup, dit le
riis de Dieu, à celui à qui on aurabeaucoup
donné, et on fera rendre un plus grand
compte à celui à qui on aura confié plus de
choses. (Luc , XII, kS.)
Dès que vous êtes ecclésiastique vous avez
[)lus reçu que les autres fidèles. Les autres
ont beaucou[) été élevés quand ils ont été
faits chrétiens; mais vous êtes élevés bien
davanlage , puisque, outre la qualité de
cliiélieii, vous avez celle de prêtre ; vous
êtes les ministres, les amis et les confidents.
Combien de grâces, combien de saintes lec-
tures, combien d'averlisse.iiienls, combien
3a
■{03j
OIIATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
10"
d'iiispirnlions, combien de sacrements reçus
et administrés?
• Celui qui a reçu dix"^ talents n'est appelé
fidèle serviteur, que parce qu'il on a gagné
dix autres. Celui qui a reçii cinq talents
n'est aussi appelé fidèle serviteur, que parno
qu'il en a gagné cinq autres. (Mai^/t,, XXV,
4,) Vous voyez donc que les houimes sont
obligés de négocier et de travailler pour
Dieu à proportion des talents ju'ils ont
reçus. Avoir des dons et en abuser, c'est uu
sujet de condamnation; rien n'est plus cer-
tain que cette maxime. De là vient qu'il est
dit que Jésus-Christ sera pour la ruine et
pour la condamnation de plusieurs {Luc',, II,
3k} ; c'tist que ceux à qui Jésus-Ciirist a fait
des griîces et qui n'en ont pas profité, se-
ront châtiés plus rigoureusement, que s'ils
avaient été abandonnés, et que s'ils n'a-
vaient point reçu de grâces. Les honneurs,
les prérogatives, les faveurs sont d'une
grande utilité pour ceux qui se conforment
aux desseins de Dieu, et qui font un saint
usage de ses dons. Mais, hélas 1 que les
honneurs, les prérogatives et les faveurs
seront nuisibles à ceux qui corrompent les
dons de Dieu par leur malignité et le mau-
vais usage qu'ils en font.
Vous voilà donc devant Dieu obligé de
rendre compte de tout ce que vous avez
reçu, et par conséquent exposé à de plus
rigoureux supplices que les autres, puis-
(]ue vous avez abusé d'un plus grand nom-
bre de dons.
Un second principe qui revient à celui
que j'ai établi, et qui confirme que les ec-
clésiastiques seront punis plus rigoureuse-
ment que les autres, c'est que celui qui
aura eu plus de lumière et de connaissance
sera puni plus sévèreuient que celui qui
aura eu moins de lumière et de connais-
s;;nce.
Ce princijie est encore de l'Ecriture, et
établi par Jésus-Christ. Voici les paroles
qui précèdent celles que j'ai déjà citées : Le
serviteur qui aura sulu volonté de son maître,
et qui néanmoins ne se sera pas tenu prêt, et
n'aura pas fait ce qu'il désirait de lui, sera
battu rudement. Mais celui qui n'aura pas su
sa volonté, et qui aura fait des choses qui mé-
ritent châtiment, sera moins battu. [Luc,
Xlî, 47.)
\'oilà la comparaison faite enlre celui qui
sait la volonté de son maître, et celui qui
ne la connaît pas. La fin de cette comparai-
son est de montrer que celui qui sait la
volonté de son maître sera châtié plus rude-
nienl que celui qui ne la sait point.N'est-ce pas
aux ecclésiastiques àqui ces paroles de Noire-
Seigneur doivent être particulièrement ap-
pliquées ? Ils sont plus instruits que les au-
iies ; c'est à eux d'enseigner la loi de Dieu.
ils sont donc obligés de s'a[)i)liquerà la bien
«onnaître, afin de pouvoir communiquer aux
r.ulres les connaissances qu'ils ont acquises.
(:;:;) Orat. i, p. is.
(86) Iloiii. 73, in cap. XXllI. S. Mallh.
Les lèvres du prêtre seront les dépositaires de
la science, et c'est de sa bouche qu'on recher-
chera la connaissance de la loi, parce qu'il
est l'ange du Seigneur des armées. [Malach.,
l\îais quand bien même un prêtre ne se-
rait |)as instruit, ne croyez pas (ju'il puisse
être de ceux dont le Fils de Dieu a dit, qu'ils
seront châliés moins rudement, parce qu'ils
n'ont pas connu la volonté de Dieu? S'il y
a quelque excuse pour ceux qui n'ont pas
connu, cela ne peut regarder que les simples
fidèles qui ne sont pas obligés particulière-
ment par leur caractère de s'instruire, comme
les prêtres. Mais bien loin qu'un prêtre
puisse alléguer pour excuse qu'il n'a pas
connu, c'est un crime pour lui qui le rend
digne en(^ore d'être plus rigoureusement
châtié. Il sera donc puni comme ceux qui
ont plus connu, et il sera encore châtié pour
être demeuré dans l'ignorance, et pour n'a-
voir pas travaillé à acquérir les connais-
sances qui lui étaient nécessaires dans son
état.
Voilà donc encore le prêtre exposé à de
plus rudes c!:âliments, parce qu'il est plus
instruit de la loi de Dieu que les autres fi-
dèles.
Un troisième principe qui est encore très-
convainquant pour faire voir que les prêtres
doivent s'attendre à un châtiment plus ri-
goureux que les autres, c'est que les péchés
des prêtres sont plus griefs, et par con-
séquent ils méritent une plus sévère puni-
tion.
Le péché par lui-même est quelque chose
de très-grief. Selon saint Grégoire de Na-
zianze, c'est la plus grande et la plus dan-
gereuse de toutes les maladies (85).
Les péchés des prêtres sont plus énormes
que ceux des autres fidèles. Saint Chrisos-
lomc le fait voir, et il dit que le prêtre
pèche premièrement, parce qu'il transgresse
la loi ; secondement sa dignité rend son pé-
ché plus grief; troisièmement, il lui appar-
tient en qualité de prêtre d'animer les au-
tres à la vertu (86). Quand il pèche, son
mauvais exemple devient contagieux pour
les autres, et le péché d'un prêtre est ordi-
nairement la source de beaucoup d'autres
péchés.
Le même saint Chrysostome dans ses
livres du Sacerdoce apporte quatre excel-
lentes raisons pour montrer que les f)échés
des prêtres sont plus griefs que ceux des
autres fidèles (87).
Premièrement, dit-il, quand un simple
fidèle pèche, la plupart du temi>s il ne nuit
qu'à lui-môme ; mais le péché d'un homme
connu cause ordinairement plus de dom- '
mage. Celui qui est dans le vice confirmé
par le mauvais exemple s'opiniâtre dans sa
malice; celui qui pratique la vertu devient
lier et superbe, voyant qu'il peut se préfé-
rer à ses maîtres. Les moindres péchés dej
prêtres paraissent considérables , parce
(87) L. III. c.l4;i. VI, c. H.
4037
RETRAITE ECOLES. — V, DU JUGEMENT.
1038
qu'il est ordinaire de faire plus d'allenlion
à la dignité du coupable qu'à la qualité de
la faute.
La seconde raison de saint Chrysostomo,
c'est que Dieu a toujours lémoi^oé (ju'il
était plus irrité contre les Israélites (luo
contre les autres peuples, et qu'il les cliA-
tieiait plus sévèrement, parce qu'il les avait
honorés de sa protection , et qu'il les avait
comblés de grâces. Il n'est donc pas permis
de douter que Dieu ne soit très-irrité des
péohésdes prêtres, et pour en être convaincu
il n'est besoin que de faire attention aux
grâces qu'ils ont reçues.
En troisième lieu, saint Chrysostome ob-
serve que dans l'ancienne loi, on offrait au-
tant de sacritices pour les seuls pontifes,
(|ue pour tout lepeujjle ensemble. (Levit.,
IV, li.) Il prétend montrer par là qu'il faut
une plus rigoureuse satisfaction pour expier
les péchés des prêtres, et par conséquent
qu'ils sont plus griefs.
Saint Chrysostome ajoute encore une
quatrième preuve, c'est que les filles des
prêtres dans l'ancienne loi , quand elles
tombaient dans quelque péché, étaient
cliàliées plus sévèrement que lesaulres, par
celle seule raison qu'elles étaient filles d'ua
prêlre. {LeviL, XXI, 9.) Si les filles des
prêtres étaient censées plus coupables , si
celte seule circonsiance d'être fille d'un
prêtre élail suffisante pour augmenter con-
sidérablement la lualice de leur péché, que
dirons-nous des prêtres mêmes? N'est-il [uis
certain que l'émineuce de leur dignité
ajoute un nouveau degré de malice à toutes
leur fautes. Saint Bernard le pensait ainsi
quand il assurait que ce qui n'était qu'une
laule très-légère dans la bouche d'un simple
fidèle devenait un blasphème dans la bouche
d'un prêtre (S8).
C'est donc encore un principe certain
que les péchés des prêtres sont plus griefs
que ceux des autres fidèles ; et de là il s'en-
suit que les prêtres doivent s'attendre à un
châtiment plus rigoureux quand ils paraî-
tront devant Dieu.
Un quatrième principe pour faire voir que
les prêtres seront condamnés plus rigou-
reusement que les autres fidèles , c'est que
Jésus-Chrisl a déclaré qu'il était lrès-irri:é
contre ceux qui scandalisent, et qu'il les
clullierait avec beaucoup de rigueur. Malheur
à l'homme , dit Jésus-Christ, par qui le scan-
dale arrive! Si quelqu'un est un sujet de scan-
dale à un de ces petits qui croient en moi, il
vaudrait mivux [jour lui d'être jeté au fond
de lamer. (Matth., XV11I,7.) Nous pouvons
donc établir comme un principe sûr que le
scandale est un péché très-grief, et qui
sera très-rigoureusement puni.
A[)pliqu(>ns ce principe aux prêtres. La
suite ordinaire des péchés d'un prêtre, c'est
de porter le scandale.
Vous avez remarqué que saint Chrysos-
tome, en ramassant les circonstances qui
rendent les péchés des prêtres très-griefs,
insiste très-fortement sur cette considéra-
tion, que les yeux du peuple sont attentifs
sur la conduite des prêtres, et qu'ainsi ils
ne |)cuvenl faire aucune faute que le peuple
n'en soit olft-nsé. Puis donc que les prêtres
scandalisent dès le moment qu'ils se dé-
règlent, c'est à eux de s'appliquer les pa«
rôles de Jésus-Christ : Malheur à l'homme
par qui le scandale arrive. Ce sera véritable-
ment un malheur pour les prêtres d'avoir
scandalisé. C'est une circonsiance fâcheuse
qui les rend plus coupables, et par consé-
quent plus débiteurs à la justice divine.
De là vient qu'il est si souvent recom-
mandé aux ecciésiastiques d'édifier par leur
bon exemple. C'est une des principales ins-
tructions que sainl Paul donne à ses disci-
ples. Rendez-vous, leurdit-il, l'exemple et le
modèle des fidèles dans les entretiens, dans la
manière d'agir avec le prochain, dans la cha-
rité, dans la foi, et dans la chasteté. Il Tim.,
IV, 2.)
Quand saint Paul prescrivait ces enseigne-
ments, il savait de quelle conséquence il
était aux prêtres de donner bon exemple ;
il savait que le scandale qu'ils causent par
leurs péchés est une circonstance qui les
rend lrès-crimin<^ls et qui no peut man-
quer de leur attirer de très-rigoureux châ-
timents.
Voilà les principes qui font voir que les
ecclésiastiques seront plus rigoureusement
punis que les autres fidèles au jour du juge-
ment. Ils seront plus rigoureusement punis,
parce qu'ils ont ()lus reçu de grâces , parce
qu'ils ont plus de luaiière, parce que leurs
péchés sont |)lus griefs, parce qu ils ont le
malheur de porler le scandale.
Représentez-vous maintenant un prôtro
qui a vécu dans le dérèglement entre les
mains de son juge. Il n'y a aucun homme
qui ne tremble en ce jour. L'Iîvaiigi!edit que
les hommes sécheront de crainte. [Luc, XXI,
2G.) Je vois Jésus-Christ armé contre les
réprouvés, je l'entends prononcer une ter-
rible sentence: Allez, maudits, e[c. [Matth.,
XXV, ki.) Je ne conçois rien de plus épou-
vantable que celle sentence. Cependant ce
ne sont encore que de simple fidèles qui
paraissent devant lui, et je dois être con-
vaincu que Jésus-Christ sera plus terrible,
plus menaçant, plus irrité, plus rigoureux,
quand il jugera les prêlres.
Prêtres, nous dit Dieu dans un | rophèle ,
soyez attentifs, car Dieu va exercer ses juge-
ments sur vous, [Osée, V, 1.) Après la des-
criplion des prévarications dont les piètres
se sont rendus coupiibles, le prophète nous
fait entendre le Seigneur qui, pour lums
mur(]ucr quel en sera le châtiment, nous
dit qu'il répandra sur eux sa colère comme
un torrent. (Ibid., 10.) Dieu, dans un autre
prophète, dil que le.s |)écliés des prêtres l'o-
bligeront à exercer les plus teriibles ven-
geances. Sion sera labourée comme un champ,
Jérusalem sera réduite en un monceau de
pierres, la montagne où le temple est bâti de-
(88) 1 hitcr sxculares nugx, nugae suut, iu ore saccrdolis blasplicmi^. > (L. Il De consid., c. 13.)
1)39
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
4Ul()
viendra une forêt. {Mich., 111, 12.) Voili sans
doute une punition bien terrible. Les paro-
les qui précèdent nous font voir que Dieu
n'en vient à ces cxtréinilés que pour nous
faire connaître la griéveté des péchés des
prêtres, et avec quelle rigueur ils seront
punis, lorsqu'ils loraberont dans ses mains
vengeresses.
Figurez-vous un Dieu irrité, qui a très-
présents tous les outrages qu'il a reçus, qui
est résolu de les venger sans miséricorde,
qui s'arme de sa puissance pour punir ses
plus cruels ennemis, vous n'aurez encore
qu'une faible idée de ce qui arrivera , lors-
qu'un prêtre tombera entre les mains d'un
Dieu vengeur.
Appréhendons beaucoup les jugements
de Dieu, suivons l'avis de saint Paul, ei ju-
geons-nous nous-mêmes afin que nous ne soyon^
point jugés (I Cor. , XI , 31) ; jugeons-nou:
nous-mêmes avec exactitude et avec sévé
rite ; ne nous épargnons point si nous vou
ions que Dieu nous épargne; appliquons-
nous h donner ordre aux affaires de notre
maison, car nous mourrons (/sat., XXXVIII,
1), et nous ne pouvons éviter ce ierril)le
coup. Mais quand mourrons-nous? Toutes
les Ecritures nous disent que ce sera de-
main. [Matlh., VI, 30.) 11 faut donc nous bâ-
ter, et nous n'avons aucun tem[)s à perdre.
Mais ne serait-ce pas mieux de dire que la
chose est encore plus pressée, et quil n'y
a point de demain pour nous.
Tout est perdu i)Our un prêtre criminel.
Mais aussi quelle consolation pour un prê-
tre lidèle et qui s'est acquitté saintement de
ses devoirs. Regardez en haut et levez la têle^
car votre rédemption approche. {Luc, XXI ,
28.,
Voici un autre principe par lequel je fi-
nis et qui doit être proposé pour la conso-
lation des prêtres qui travaillent avec exac-
titude a s'acquitter de leurs devoirs. C'est
que comme Jésus-Christ sera très-rigoureux
, à l'égard des prêtres prévaricateurs dans
leur ministère , aussi il sera tout plein de
miséricorde à l'égard de ceux qui ont fait
Jours etTorts pour remp-lir saintement leurs
devoirs. HélasI qui pourrait espérer si Dieu
jugeait selon la rigueur de sa justice, et
selon toute l'étendue de nos obligations?
Mais non, Dieu se relâchera beaucoup en
laveur de ceux qui ont été vigilants et pleins
d'ardeur. 11 excusera, il supportera, il par-
donnera, il oubliera les fautes. 11 fera va-
loir beaucoup plus que nous n'aurions ja-
mais cru des actions qui paraissent peu
considérables , mais qui seront trouvées
d'un grand prix, parce qu'elles ont été fai-
tes pour l'amour de lui.
Qu'il est redoutable de tomber entre les
mains d'un Dieu vengeur! qu'il est conso-
lant de tomber entre les mains d'un Dieu
de miséricorde 1 Evitons ce qui peut irriter
Dieu contre nous. Pratiquons ce qui peut
nous le rendre favorable , afin que Dieu
puisse un jour nous adresser ces [laroles :
0 bon et fidèle serviteur, parce que vous avez
été fidèle en peu de choses , je vous établirai
sur beaucoup. Entrez dans ta joie de voire
Seigneur. (Ma///i., XXV, 21 )
DISCOURS Vî.
DE l'amour de dieu.
• La vérité que j'ai à vous annoncer en ce
jour est d'une telle conséquence, qu'étant
bien imprimée dans le cœur du chrétien,
toutes les maximes de la religion ne peu-
vent plus lui faire aucune peine, et il se
trouve dans la disposition de les pratiquer
avec fidélilé. C'est le grand avantage de ce-
lui qui connaît Dieu , et qui est rempli de
son amour. L'amour de Dieu a cette force
qui rend tout facile à celui qui en est pé-
nétré. C'est que l'amour gagne le cœur.
Toutes les difficultés de la vie humaine
naissent du cœur. Ainsi tout est fait dans la
vie chrétienne quand le cœur est touciié,
et qu'il est rempli du véritable amour.
C'est en ce sens que saint Augustin no de-
mande rien au chrétien, sinon qu'il aime.
Après cela il n'a plus aucune inquiétude
sur sa conduite, et il lui laisse une pleine
cl entière liberté. Aimez et faites tout ce
que vous voudrez (89).
Les difficultés sont grandes dans la vie
ecclésiastique, les fonctions en sont éle-
vées, ceux qui les exercent sont en butte
h la contradiction des hommes. L'état et les
fonctions ecclésiastiques demandent une
grande perfection. Qui donc est capable d'un
tel ministère? (11 Cor., 11, 26) s'écrie le saint
apôtre. Quel moyen plus excellent peut-on
fournir aux ecclésiastiques pour aplanir de
si grandes difïïcultés, que d'imprimer forte-
ment l'amour de Dieu dans leur cœur? Vo-
ire état est plein de dilTicuités, mais celui
qui vous y a placés, en vous inspirant son
amour, vous rendra sa voie facile et son
joug aimable. Aimez et faites tout ce que
vous voudrez. C'est-à-dire aimez et vous
voudrez tout ce que vous devez faire. Ai-
mez et tous vos devoirs vous deviendront
faciles.
Rendez-vous donc attentifs penaant que
je dois vous enlretenir du fondement essen-
tiel de la vie chrétienne et ecclésiastique,
'e veux dire de l'amour de Dieu, qui sera
tout le sujet de ce discours que je partage-
rai en trois parties. Dans la première, je trai-
terai de l'excellence du précepte. Dans la
seconde, je vous expliijuerai les motifs qui
vous engagent ïj l'observer. Dans la troi-
sième, je vous ferai voir les marques aux-
quelles vous pouvez connaître si vous le
pratiquez avec Ja fidélité que vous devez.
PREMIER POINT.
J'ai trois considérations h vous proposer
pour vous faire connaître l'excellence du
précepte qui nous oblige à aimer Dieu.
Nous examinerons en premier lieu l'anti-
quité du précepte. Nous verrons en sec.ond
lieu le soin que Jésus-Christ a eu de le rc
89) « Dilige et Tac quod voles.» (Tiact. 1 inEpisl. Jon/i.)
nji
RETRAITE'ECCLES.- VI. AMOUR DE DlEl'.
101^
uouveler, ot d'en faire le précopte capital
do sa loi. Enfin je vous ferai connaître la
misère extrême où nous sommes réduits,
lorsque nous ne somfies point Qdèles à ob-
server ce précepte, et que nos cœurs sont
vides de l'amour de Dieu.
Le précepte qui nous oblige d'aimer Dieu
est aussi ancien que le monde. Dès qu'il y
a eu des liommes il leur a été commandé
d'aller à Dieu et de l'aimer. Ce n'est pas
seulement depuis la naissance de Jésus-
Christ que ce précepte est connu , et que les
hommes sont indispensablemenl obligés de
s'y soumetire. Ce que l'évangile dit aux
chrétiens, Dieu l'avait dit aux hommes en
les formant. Dieu l'avait dit aux Juifs; et
rien n'est plus souvent répété dans l'an-
rieniie loi que le commandement d'aimer
Dieu.
Je prétends|donc que l'ancienne et la nou-
velle loi s'expliquent de la même manière
sur l'obligation que les hommes ont d'ai-
mer Dieu. Mon dessein n'est pas de vous
rapporter tous les ])assages de l'Ancien Tes-
tament où Dieu a fait connaître aux hom-
mes l'obligation qu'ils ont de l'aimer. Cela
nie conduirait trop loin. Je vous en propo-
serai un seul tiré du livre du Deuléronome.
Ecoulez comment Dieu avait accoutumé de
parler à son peuple.
0 Israël, soyez attentif. Le Seigneur votre
Dieu est le seul Seigneur. Vous aimerez le Sei-
gneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute
votre âme et de toutes vos forces. Ces paro-
les et ces ordonnances seront gravées dans
votre cœur. Vous les raconterez à vos enfants.
Vous les méditerez assis dans votre maison ,
en marchant dans le chemin. La nuit, dans
l'intervalle du sommeil, le matin à votre ré-
veil. Vous les lierez comme un signe dans vo-
tre main. Vous les porterez sur votre front
et entre vos yeux. Vous les écrirez sur le
seuil et sur les poteaux de votre porte. Lors-
que le Seigneur, votre bieu, vous aura fait
entrer dans la terre qu'il a promise avec ser-
inent à vos pères, prenez bien garde de ne
pas oublier le Seigneur qui vous a tirés du
pays d'Egypte; et lorsque vos enfants vous
interrogeront , et vous diront que marquent
ces commandements? vous leur direz : Nous
étions esclaves de Pharaon. Le Seigneur nous
a délivrés. Il nous a commandé d'observer
ses lois et de le craindre, afin que nous soyons
heureux tous les jours de notre vie. [Ueut.,
VI, k.)
Le Seigneur a parlé. Le seul récit de ses
paroles a sans doute louché vos cœurs. Ar-
rôlons-nous à de si louchantes leçons. C'est
(larliculièrement aux [irêlres de méditer la
loi de Dieu, et d'en approfondir tous les
sens.
Israël, soyez attentif. Chrétiens, soyez at-
tentifs, ecclésiastiques, soyez encore plus
altenlifs que les autres. Il n'y a qu'un Sei-
gneur et qu'un Dieu , et de là naît l'obliga-
lion de l'aimer.
Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de
tout votre cœur, de toute votre âme et de
toutes vos forces. Le juif donc, aussi bien
que te chrétien, était obligé d'aimer Dieu do
tout son cœur, de toute son ûme , do toute
ses forces.
Ces paroles et ces ordonnances seront gra-
vées dans votre cœur. Le cœur est le sié^e de
l'amour. Si notre cœur n'est point h Dieu ,
si son amour n'est point dans noire cœur,
nous ne l'aimons point.
Non-seulement Dieu dil que son amour
doit être dans notre cœur, mais qu'il y doit
êlre fortement et comme gravé. C'est-à-dire
que cet amour doit être l'amour principal ,
et que son impression doit êlre forte et per-
manente. Et généralement pariant , il est
vrai de dire que le cœur est le siège de
toute la loi de Dieu. Elle n'est véritable-
ment observée que quand elle est aimée.
YoUh pourquoi David dit si souvent que la
!oi (le Dieu est dans son cœur, qu'elle est
cachée dans son cœur, qu'il l'observe de tout
son cœur. [Psal. CXVIII.
Vous les raconterez à vos enfants. Voilà
de quoi les pères et les mères sotit obligés
d'entretenir leurs enfants. Ils doivent sou-
vent leur exposer l'obligation qu'ils ont
d'aimer Dieu , et leur bien marquer qu'ils
ne sont sur la terre que pour aimer Dieu.
A quoi tendent les fondions ecclésiasti-
ques? Qu'est-ce que les ministres du Siii-
gneur doivent se proposer dans l'exercice
de leur saint ministère? 0"f>I'" doit ôli e la
matière de leurs discours? Quel en doit
être le but? Un ecciésiaslique zélé doit par-
ticulièrement s'appliquer à remplir sou
cœur de l'amour de Dieu, afin de pouvoir
ensuite communiquer aux autres le feu sa-
cré dont son eœur est pénétré. Celui-là sait
mieux s'acquiller de ses fonctions , qui a
plus de talents, plus d'adresse, plus ds per-
sévérance pour porter les hommes à aimer
Dieu, et c'est par là qu'un ecclésiastique
peut, sans se tromper, juger du fruit de ses
Iravriux.
Observez ensuite toutes les précautions
que Dieu prend pour marquer à son peuple
l'exactitude avec laquelle il doit méditer la
loi qui lui est annoncée. Vous les méditerez
assis dans votre maison, marchant dans le
chemin , la nuit dans l'intervalle du sommeil ,
le matin à votre réveil.
A quoi doit penser l'homme qui est
tranquille dans le lieu de son repos , dans
la maison terrestre qu'il occupera pendant
le peu de temps (jue durera son pèlerinage?
Son esprit, pour êlre saintement occupé,
doit êlre plein de celle pensée , qu'il est
sur la terre pour aimer Dieu.
Mais lorsque les afl'aires et les embarras
(le cette vie l'obligeront à sortir (ie sa
maison, sera-l-il moins exact à s'occuper
de cette sainte pensée ? Non; pendant le che-
min même , son esprit sera toujours plein
de cet important objet. Afin de l'empêcher
de se dissiper, il sera exact à reveiller son
allention en se disant souvent à lui-même
que sa seule affaire est d'aimer Dieu.
L'homme, faliguédu travail, est obligé de
s'abandonner au sommeil , pour trouver lo
renouvellement de ses lorcos. Soii lit ([ui
iOi3
ORATEURS SACRES
est un sépulcre avance, ce fait souvenir que
ilans peu il dormira du sommeil de la mort.
S'il est (idèle , son cœur, comme celui de
l'épouse, veillera pendant le temps du sora-
nioii. {Cant., V,2.)La marque de cette vi-
gilance sera que, pendant les intervalles du
sommeil, son cœur se portera vers Dieu.
Et (]uand lo temps sera venu de sortir
de ce tombeau avancé ,fet que son réveil lui
fournira une image de la résurrection , la
pensée dont il sera d'abord frappé , c'est
que les piemiers mouvements de son cœur
sont d'iieureuses prémices qui appaitien-
nenl h Dieu et qui lui doivent ôtre consa-
crées.
» Dieu demande encore à ses enfanis d'au-
tres témoignages de leur fidélité. Il conti-
nue: Fows les lierez (c'esl-à-dire mes paroles)
comme un signe dans voire main. Vous les
porterez sur le front et entre vos yeux. Vous
les écrirez sur le seuil et sur les poteaux de
votre porte.
Les Juifs grossiers se sont attachés ser-
vilement à la lettre. Pour satisfaire à cette
loi, "ils portaient les commandements do
Dieu écrits sur des bandes de parchemin.
Mais ce n'est pas Ih ce que le Tout-Puissant
demandait d'eux et de nous. Son dessein
était de nous faire voir que nous ne pou-
vons penser trop souvent à l'obligation
qu'il nous impose de l'aimer, et que tout
ce que nous voyons nous doit faire souve-
nir de celle imporlanle obligation.
Le Seigneur prend toutes sortes de pré-
cautions avec son peufile. Il n'arrive que
trop souvent que l'on oublie sa loi, lors-
qu'on est dans l'abondance , et que l'on
jouit avec tranquiiliié des l)iens qu'il nous
a mis on Ire les mains. L'ingratitude de
l'homme le fait torober dans ces excès. Ce
qui devrait l'engager h se souvenir plus
exac'.ement de celui qui le comblede biens,
est la source de son oubli. Dieuavertit ex-
pressément son peuple de se-préserverd'un
oubli si criminel. Voilà pourquoi il leur
I)arle du temps de l'abondance, comme
d'un temps funeste dans lequel il est très-
dangereux de *se méconnaître et d'oublier
son bienfaiteur. Lorsque le Seigneur votre
Dieu vous aura fait entrer dans la terre qu'il
a promise avec serment à vos pères , prenez
garde de ne pas oublier le Seigneur qui vous
a tirés du pays d'Egypte. Bien loin de l'ou-
blier, la reconnaissance est pour lors un
motif nouveau qui nous presse plus que
jamais d'observer avec fidélité les lois de
celui qui,aj)rès nous avoir fait connaître sa
puissance , nous donne encore tant de preu-
ves de sa bonlé.
Nous devons nous souvenir des lois du
Seigneur. Nous devons porter les autres à
y penser. Vous avez déjà remarqué que
Dieu ordonne aux pères et aux mères d'ins-
truire leurs enfanis, et do leur faire con-
iiaîlre son grand préce[)te.
il ajoute ; Lorsque vos enfants vous inter-
rogeront et vous diront, que marquent ces
commandements, vous leur direz : Nous étions
esclaves de Pharaon , le Seigneur nous a déli-
JOSEPH LAMBERT. 10 li
vrés. Il nous a commandé d'observer ses lois
et de le craindre, afin que nous soyons heu
reux tous les jours de notre vie.
•Dieu veut que les pères et lesmères las-
sent souvent à leurs enfants le récit des'
merveilles qu'il a faites |)Our les délivrer,
ftlais quel sera le but de ce récit ? Ce sera
pour les portera être fidèles, et pour leur
faire voir (jue toute la félicité de l'homme
d 'pend de son exaclitude à observer la loi
d(; Dieu.
Les ecclésiastiques sont véritablement
les pères de ceux qui sont soumis à leur
conduite. Ils ont droit de vous interroger.
C'est à vous à les instruire des merveilles
que le Seigneur a faites. Mais en môme
temps, afin que vos instructions ne soient
pas infructueuses, faites leur voir que toutes
les merveilles du Seigneur nous doivent
inspirer la crainte, et un saint désir d'ob-
server ses lois.
Voilà comment Dieu parlait aux Juifs-
dans l'ancienne loi. Il leur a expliqué le
précepte f(jndamenlal de la religion. 11 en a
marqué l'imporlance. 11 a souvent répété
son précepte, et il n'a rien omis pour lo
bien imprimer dans le cœur de son peuple.
Et c'est ce qui vous fait voir l'anliquilé du
précepte qui oblige les hommes à aimeiDieu.
Jésus-Christ a renouvelé ce précepte et
il en a fait le f)récepte fondamental de sa
loi. Cela paraît dans l'Evangile par les sages
réponses qu'il a faites à ceux qui l'ont in-
terrogé, et qui lui ont demandé quels étaient
les commandements de la loi.
Un docteur de la loi vient trouver Jé-
sus-Gbrist. Son dessein est plein de mali*-
gnilé, et il n'a aucune autre vue que de lui
dresser des embûches. Mais les desseins des
ennemis de Jésus-Christ ont toujours été si
mal concertés qu'en croyant lui nuire, ils
lui ont donné lieu de faire paraître de nou-
velles preuves de sa sagesse et de sa bonté.
Le docteur de la loi croit peut-être que
Jésus-Christ sera semblable à ces législa-
teurs inquiets qui renversent toutes les an-
ciennes lois pour en établir de nouvelles.
Maître, lui dit-il, quel- est le grand com-
mandement de la loi? Jésus lui répondit:
Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout
votre cœur, de toute votre âme, de tout votre
esprit: C est là le premier et le grand coni-
nuindement. (Matth., XXU, 35.)
C'est le premier commandement. Donc il
esl au-dessus de tous les autres et ii les
sur|>asse tous.
C'est le grand commandement. Il est grand
en toute manière. Il fait connaître la gran-
deur de Dieu. Il rond les hommes grands,
et la véritable grandeur esl attachée à l'ob-
servation de ce commandement. C'est le
grand commandement. Celui qui ne l'ob-
serve point travaille en vain. Toutes ses
actions sont sans fruit, et ne peuvent être
d'aucun mérite. C'est le grand commande-
ment. Ce commandement seul porte à l'ac-
complissement de tous les autres, et en
rend l'exécution facile. Voilà donc !e coq!-
uiandement d'aimer Dieu renouvelé imr
lUJS
RETRAITE ECCLCS. — VI, AMOUR DE DIEU.
iOiii
.li^us-Christ avec iCS deux pius grands titres
qui puissent tMre attribués à une lui i)Our
en faire voir l'excellence.
Jésus-Christ, ferme dans sa doctrine, se
prépare à confirmer ce qu'il a établi avec
tant de sagesse.
L'Evangile nous fait ivoir un autre doc-
teur de la loi qui s'approche de lui. Il vient
pl(?in de malignité. Les docteurs de la loi et
les pharisiens ont toujours été dans cette
mauvaise disposition à l'égard de Jésus-
Christ. Maître, lui dit-il, que faut-il que
je fasse pour posséder la vie éternelle? {Luc,
X . 25.)
Jésus-Christ veut que le docteur de la loi
s'explique lui-même. // hii répondit : Que
porte la loi , quij lisez-vous ? Le docteur de
la loi répond quil est écrit : Vous aimerez le
Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de
toute votre âme , de toutes vos forces , de tout
voire esprit. {Ibid., XXVIL) Jésus-Christ no
peut que confirmer une si sainie et si an-
cienne doctrine. Vous avez fort bien répondu,
lui dit-il, faites cela et vous vivrez. [Ibid. ,
XXVIIL)
La répo'^se de Jésus-Christ a donc tou-
jours été la n;ême, et quand il a été ques-
tion de marquer le précepte fondamental de
la loi , il n'en a jamais établi d'aulreque
celui-ci : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu
de tout votre cœur.
Observez ces paroles de Noire-Seigneur :
Faites cela et vous vivrez. L'homme ne vit
qu'autant qu'il observe le premier et le
grand commandement. Sa vie dé[)end de sa
fidélité, éludés qu'il est infidèle, il est véri-
tablement mort.
Celui qui n'aime point , dit saint Jean , rfe-
ineure dans la mort. (I Joan., III, 14.) Non-
seukment il est mort , mais il demeure dans
la mort. Voyez donc comment il appartient
h la mort, et l'empire qu'elle exerce sur
lui. Quelle ressource pour celui qui est
mort , mais quelle ressource pour celui qui
demeure dans la mort? Tout ce qvii est eu
lui se ressent du son élat. Une impression
de mort se répand sur lui, sur loulcs ses
actions, sur tout ce qui lui apj)artient.
Mon âme, dit le Prophète, est devant vous
comme une terre sèche, et qui n'est point ar-
rosée. (Psal. CXLII,C.)Tel est l'état d'une
âme que Dieu ne rem|)lil point. C'est une
terre desséchée. La rusée céleste ne tombe
point sur elle , que peut-elle produire? Et
oiî la vie n'est l'oint, peut-on espérer de
trouver d'autres fruits que des fruits do
mort?
C'est un état de mort que celui d'un
homme que l'amour de Dieu n'anime point.
Siiiiil Augustin vous le fait voir, et voici
le [>rincipe de ce saint docteur qui servira
beaucoup h éclaircir cette vérité. Saint Au-
gustin établit comme un principe incontes-
table, que Dieu est la vie de l'âme comme
l'âme est la vie du corps. Le cur[)s ne peut
(1)0) < Mors anima; fil ciiiii eani dcseiil Dihi^,
sii'Ut curporis, cuin id dcscrit anima. Etgu iuriti!>-
qiic ici id cbi, totius iiuniini& mur» Cbl, cuin anima
vivre h moins que l'âme ne l'anime. Aussi,
l'âme ne peut vivre, h moins que Dieu ne
la soutienne. Dès que l'âme est sé()jrée du
corps, la mort s'en empare, cl en devient
la maîlressi'. Dès que Dieu se relire, eî
qu'il n'est plus uni à notre âme, rien no
})eut [ilus arrêter la mort , ni l'empêcher
d'exercer son empire sur noire âme.
De là saint Augustin élablit qu'il y a plu-
sieurs sortes de mort. 11 y a la mort du corjis.
Il y a la mort de l'âme. Il y a la mort entière
de l'homme.
La mort du corps, c'est la séparation de
l'âme d'avec le cor[is. La mort de l'âme, c'est
la séparation de Pâme d'avec Dieu. La mort
entière de l'homme, c'est lorsque ces deux
morts , savoir celle du corps et de l'âme se
trouvent jointes ensemble. La séjiaralionda
corps avec l'âme se fait pendant que l'âme
est séparée de Dieu. Pour lors quelle mort fu-
neste? C'est lace quesainl Augustin appelle
la mort entière de l'homme (90). C'est celle
mort que saint Jean appelle la mort seconde.
{Apoc. , XX, ik.) Etre frappé de celle mort,
c'est le plus terrible de tous les malheurs ,
puisque c'est être entièrement perdu pour
i'élernité.
Si celte mort nous effraye, songeons que
nous en sommes incessamment menaces ,
dès que noire âme n'est point unie avec
Dieu, et songeons qu'elle ne peut lui être
unie qu'en l'aimanl. Il n'est donc que trop
vrai que noire âme est vérilablemenl morte,
et que nous sommes dans un éiat continuel
de mort, lorsque nous n'avons point l'amour
de Dieii.
Si nous pouvions connaître l'élal d'une
âme qui est tombée dans cet exlrèiue mal-
heur, si nous avions les yeux assez péné-
trants pour voir au dedans de nous et pour
découvrir l'intérieur de cette âme, sa lai-
deur et sa ditformilé nous feraient horreur.
Saint Augustin connaissait bien la misère
de cet étal. Et c'était le fondement de ses
jusles regrets, quand, faisant des retours sa-
lutaires sur lui-môme, il se souvenait qu'i^
avait été lant de tempssans aimer Dieu, Ce
saint homme ne pouvait se consoler. Il re-
gardait tout le temps de sa vie qu'il avait
passé sans aimer Dieu comme un temps
perdu, comme un temps inutilement em-
[)loyé. Que dis-je ? comme un temps où il
eût mieux valu pour lui n'êlro [joint au
monde; comme un temps oià il avait langui
dans la plus grande de toutes les misères.
Ce saint homme aurait souhaité pouvoir re-
trancher de sa vie un temps si malheureux,
et qui lui avait coûté tant de larmes.
Entendez-le s'écrier au plus fort de sa
douleur : Ah I c[ue j'ai coumiencé tard à
vous aimer, beauté toujours ancienne et
toujours nouvelle. Ah 1 que j'ai commencé
tard à vous aimer (91). Son cœur est péné-
tré de douleur; il regrette un temps qu'il ne
peut recouvrer; U voudrait tout donner pour
a Dco di'serla, dcserilV.oriiUs.> (Lib. XXlll De t'uii.
Ih'i.)
(!'l) i Scro le amavi, lionilas lam aiilifpja cl uni
1047
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBtRT.
104S
racheler ce tcm|)S. Tout le fondement de sa
douleur, le voici el n'en cherchez point d'aii-
Ire : ah! que j'ai commencé tard à vous
îimerl
■ Rentrons en nous-mêmes el voyons si
nous n'avons point sujet de nous faire les
mêmes re|)roche.s. Combien de temps perdu?
Combien de temps pendant lequel la misère
de noire âme a élé extrême? Nous n'avons
pour cela qu'à examiner le temps de notre
vie pendant lequel nous avons eu le mal-
heur de ne point aimer Dieu. Pleurons un
temps si malheureusement perdu. S'il y a
quelque moyen de racheter ce temps, ce no
peut être qu'en le pleurant et en répandant
un lorrenl de larmes. Ecrions-nous avec
sainl Augustin, te cœur fiénéiré de regret
et les yeux baignés de larmes i Ah ! que
'*ai commencé lard à vous aimerl
La circonstance de noire état et la qualité
que nous portons rendent notre misère
encore [dus grande, et par conséquent nous
avons encore plus sujet de la déplorer.
Qu'est-re donc qu'un ecclésiastique qui
n'a point l'amour de Dieu, qui a passé plu-
sieurs années de sa vie sans aimer Dieu, et
qui peut-être est assez malheureux pour ne
point sentir au milieu de son cœur cet
amour si nécessaire?
Pour vous, (lit Jésus-Christ , vous êtes mes
amis, parce que je vous ai fait, savoir tout ce
que j'ai appris de mon Père. [Joan., XV, 15.)
Telle est la disposition de Jésus-Christ à
l'égard de ses minisires. Il les considère
comme ses amis, il leur découvre ses plus
intimes secrets, il les rend participants de
ses mystères les plus élevés. Jésus-Christ
veut que vous soyez ses amis, el vous refu-
sez de l'être. Son cœur est plein de ten-
dresse pour vous, et il ne trouve que de
la dureté dans le vôtre. A quoi devez-vous
vous attendre? Jésus-Christ étant ainsi re-
jeté et méprisé, son amour se changera dans
de justes sentiments d'indignation et de
fureur. Vous avez passé plusieurs années
de voire vie sans aimer Dieu, pleurez et
songez que ce n'est que par les larmes que
vous pouvez répai-er une faute si capitale.
Mais encore à présent votre cœur est dur;
les créatures le captivent, et ce n'est point
Dieu qui le possède. Concevez que c'est le
plus funeste de tous les états. N'y restez pas
pendant un seul moment, travaillez, exci-
tez-vous, faites-vous des reproches, con-
templez votre misère, ne vous la dissimu-
lez poinl; dites-vous souvent à vous-même
que votre malheur est extrême et.qu'il n'y
a (|u'une voie pour en sortir, qui est devons
donner tout entier à Dieu. Considérez avec
attention tant de motifs pressants, et qui
ont tant de force lorsqu'ils sont bien exa-
minés. Comme la vue de ces motifs est très-
pressante, souvent nous résistons, ou parce
que nous ne les connaissons pas, ou parce
que nous n'avons pas soin de les considérer
;ivec toute l'allenlion qu'ils méritent. J'ai
dt'ssein de vous les représenter. Vous ver-
nova; sero le amavi. » (Lib. X.Con/ , c. 27.)
rez combien ils ont de force pour vaincre
la dureté de notre cœur et pour nous porter
à nous donner entièrement à Dieu.'
SECOND POINT.
Considérez ce que c'est que Dieu, ce que
vous êtes, ce que vous avez reçu, ce qui
vous détourne de vous donner à Dieu. Ces
quatreconsidérations vous fourniront quatre
motifs pressants, qui sans doute vous feront
prendre une sérieuse résolution de vous
donner à Dieu pour ne plus jamais vous
séparer de lui.
C'est donc premièrement du côté de Dieu
que vous devez tourner votre vue et vos
considérations. Connaissez ce que c'est que
Dieu. C'est Dieu que je vous propose d'ai-
mer et de servir; Dieu ! ce seul nom ne
vous remplit-il |)as de respect et d'amour.
C'est Dieu qui vous demande votre cœur.
A qui donc voulez-vous le donner, et avez-
vous rien trouvé sur la terre et dans les
cieux qui soit comt)arable à Dieu? O Dieu,
dit le }^vo\A\hi^.,quy a-t-ilquivous soit sem-
blable? (Psat. XXXIV, 10.)
Celui qui vous demande voire cœur et
que je vous propose d'aiiuer, c'est le Sei-
gneur et le grand Roi élevé au-dessus de tous
les dieux. {Psal. XCIV, 3.) C'est celui dont
la magnificence est élevée au-dessus des cieux
[Psal. VIII, .3), dont les cieux chantent la
gloire (Psal. XVUI, 2), dont le nom est ad-
mirable dans toute la terre. {Psal. Vlil, 2.)
C'est celui qui connaît toutes les pensées des
hommes {Psal. XCIII, 11), et qui seul peut
faire leur bonheur. C'est celui qui fait toutes
choses avec sagesse {l^sal. ClII, 2't) , qui fait
des merveilles innombrables {Psal. XXXlX,
C), et nul ne peut avoir des desseins sem-
blables aux siens. {Psal. XCIV, 5.) C'est
celui à qui la mer appartient, et il l'a faite,
et ses tnains ont formé la terre. {Psal. LXXV,
8.) C'est celui qui est terrible, à qui rien ne
peut résister, devant qui les montagnes fon-
dent comme la cire, et toute la terre tremble
devant lui. {Psal. Cill, 24.) Voilà encore une
fois quel est celui qui vous demande votre
cœur. Quoi ! c'est Dieu, et vous avez besoin
d'être exhortés, d'être excités, d'être pres-
sés, d'être conjurés de l'aimer (92).
Saint Basile [)rétend que si l'homme lais-
sait aller son cœur, qu'il ne le contraignit
point, qu'il lui permît de suivre ses mou-
vements naturels, il se porterait par sa
pro[)re inclination el par son propre [)0ids
à aiiiicr Dieu. L'extrême éloignemeul que
les ho.'umes ont de Dieu est la marque la
plus certaine et la plus évidente de la cor-
ruption du cœur. Saint Basile ajoute que
comme il y a en nous une inclination natu-
relle qui nous inspire de nous réjouir de la
lumière, d'aimer la vie, de chérir ceux qui»
nous ont dontié la naissance et de qui nous
avons reçu l'éducation, aussi notre propre
inclination nous doit {lorler à aimer Dieu.
Jl est naturel d'aimer ce qui est bon. Il
est donc encore plus naturel d'aimer ce qui
esl souveraineuieiit bon. 11 est donc eacoro
(9-2) In rcgulis fusioribus, q. 2, p, 529.
1049
RETIIAITE ECCLES. - M, AMOUR DE DIEU.'
1050
pius naturel d'aimer un Dieu qui nous
aime. Quand nous nous d(5tournons de cet
objet souverainement aimable, nous étouf-
fons les lumières de la raison, nous faisons
violence à notre cœur, et nous i'empôchons
de suivre sa pente naturelle. Se forcer pour
ne (loint aimer Dieu, se contraindre pour
fuir ce qui seul peut nous rendre souverai-
nement heureux, n'est-ce [las se vouloir du
mal à soi-même, n'est-ce pas être l'ennemi
(le son bonheur? Ecoutons notre raison,
laissons aller noire cœur, ne lui faisons
plus une violence qui est si funeste. Puis-
qu'il est fait pour Dieu, permettons-lui de
le chercher et de se reposer en lui. Notre
cœur est fait pour aimer Dieu et pour n'ai-
mer que lui. Jamais nous ne serons tran-
quilles, jamais nous ne jouirons de la paix,
pendant que les objets créés rempliront
notre cœur et que nous serons assez mal-
lieuroux pour substituer la créature à la
place du Créateur.
C'est Dieu qui vous propose de l'aimer.
Vous avez vu ce que c'est que Dieu. Voyons
ce que nous sommes, et tirons-en un se-
cond motif, lequel sera encore très-pres-
sant pour nous obliger de nous donner à
Dieu.
C'est nous que Dieu appelle, et c'est dans
notre cœur qu'il veut établir sa demeure.
Autant que Dieu est grand, autant sommes-
nous petits; autant que Dieu est élevé,
aiotant sommes-nous dans la bassesse. Le
Prophète dit : Qu'est-ce que Vhomme pour
être l'objet de votre souvenir? [Psal. Vlll, 5.)
Mais je puis dire à plus forte raison, qu'est-
ce que l'homme, et quel est son bonheur,
lorsque vous voulez bien l'inviter à vous
aimer ?
Le même prophète, dans un autre endroit,
est étonné que Dieu prenne soin de lui. Il
en est étonné, parce qu'il sait ce qu'il est,
et qu'il se considère comme un homme
pauvre, et qui est abandonné : Pour moi je
suis pauvre et abandonné, et le Seigneur
prend soin de moi. {Psal. XX XIX, 18. j Nous
avons donc encore bien plus lieu d'èlro
étonnes quand nous considérons que non-
seulement le Seigneur prend soin de nous,
quelque pauvres et abandonnés que nous
soyons, mais encore qu'il se ()ropose à nous
pour nous être intimement uni.
Dieu veut que vous l'iumiez, vous qui
êtes poussière et cendre, vous qui êtes pau-
vre et dans la douleur {Psal, XXIX, 10;,
vous dont les jours passent comme l'om-
bre {Psal. 11, 12), vous dont l'élre est
comme le néant aux yeux de Dieu. {Psal.
XXXVIU, G.)
'Saint Augustin, pénétré de celte bonté de
Dieu, s'écrie : Qu'est-ce que je suis, et
d'où vient donc que Dieu me commande de
laimer? C'est à nous à chercher, à désirer
à nous empresser. iMais que ce soit Dieu
même qui se mette en peine d'être aimé
de nous, et qui nous en fasse lu commande-
ment, c'est un excès de miséricorde q\nt
nous ne pouvons assez admirer (93). C'est
vous , continue saint Augustin, qui nje
commandez de vous aimer; non-seulement
vous me le commandez, mais si je n'obéis
pas, vous entrez dans des sentiments de
colère. Vous me menacez : on croirait que
l'affaire vous intéresse. Cependant tout
l'avantage est pour moi. Que j'aille à vous,
que mon cœur soit à vous, et que vous y
régniez, c'est toute ma gloire, et il ne peut
jamais rien vous en revenir.
Ce n'est pas seulement en nous comman-
dant de l'aimer, tout indignes que nous en
sommes, que Dieu nous manifeste sa misé-
ricorde, toute notre vie n'est qu'une suite
continuelle de bienfaits et de grâces qui
sont encore un excellent motif pour nous
engager à nous donner 5 Dieu.
Si vous voulez savoir quels sont les
bienfaits de Dieu, quel en est le nombre,
vous n'avez qu'à considérer tout ce qui est
en vous. Car voici le grand principe de
l'Apôtre : Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu f
(II Cor., IV,.) Voyez donc tout ;ce que vous
avez, et rendez gloire à celui de qui vous
l'avez reçu.
Si vous avez de la santé, de la force, une
complexion robuste, tout cela peut-il venir
d'un autre que de Dieu? Si vous avez du
génie, des talents naturels, une mémoire
heureuse, un esprit propre pour les scien-
ces ou les grandes affaires, cela peul-il en-
core venir d'un autre que de Dieu ?
Vous avez reçu tous ces biens, et Dieu
vous les a donnés pour en faire un saint
usage. Ce qui vient de vous, ce que vous
devez condamner en vous, ce qui doit vous
coûter beaucouf) de larmes et de regrets,
c'est d'avoir abusé des dons de Dieu, et de
vous être servi pour J'oifenser de ce qu'il
vous avait donné pour vous sanctilier et
pour le glorilier.
Que de grâces du Seigneur qui vous
sont communes avec tous les autres fidèles
et qui n'en sont pas moins grandes pour celai
Le caractère d'enfant de Dieu, la grâce du
saint baptême, ce sont des biens auxquels
on ne fait presque point attention. Parce
que Dieu les prodigue, il semble qu'ils
sont d'un moindre prix, et il y en a très-peu
qui en connaissent la juste valeur.
// nous a marqués de son sceau, dit le ^ainl
Apôtre, et pour gage des biens qu'il nous a
promis, il nous a donné le Saint-Esprit dans
nos cœurs. (Il Cor., 1, 22.] Voilà ce que saint
Paul représente souvent aux. fidèles com-
me un bienfait qui ne peut être assez esti-
mé, et qui nous doit être continuellement
présent.
Jl nous a marqués de son sceau. C'est donc
que nous sommes à lui, que nous sommes
son héritage, qu'il veut que dans toutes nos
aclions et dans toute la suite de notre vie,-
nous nous considérions comme étant à lui et
comme n'étant plus à nous.
(9Ô) < Qiiid til)i siiin ipse ut ainaii
nii»erias. i (!.ib. 1, Conf. c. o.)
jubcas il MIL', et iiiji faciaii» irascaris milii, et iiiiiieris iiigeiiics
ion
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMSERT.
lOSf
Ce sceau, c'est le Saint-Esprit même qui
est dans nos cœurs et dont nous sommes
les temples. C'est déjà beaucoup pour nous
d'être le temple du Sainl-Esprit. Mais le
Saint-Esprit nous est donné pour gage des
b'iens qui nous sont promis. Quelque élevés
que nous soyons dès celle vie, où nous
sommes déjà les temples du Saint-Espril, oc
que nous possédons n'est encore rien en
comparaison de ce qui nous est promis.
C'est Dieu qui nous a donné, c'est Dieu
qui nous a promis, c'est Dieu qui a voulu
nietlre en nous des gages de ses promesses :
QiCavez-vous que vous n'ayez pas reçu?
Ces gpilces vous sont communes avec
tous ceux que Dieu a honorés de la qualité
de ses enfants. Vous avez par-dessus eux
que vous êtes prêtres, et les ministres du
Très-Haut. Nouvel engagemenl de vous
unir à Dieu encore plus que les autres fidè-
les, puisque vous avez plus reçu.
Plusieurs portent la qualité de prèlre,
mais il y en a bien peu qui connaissent ce
que c'est que d'être prêtre, et combien celte
dignité est grande.
Vous êtes prêtre, c'est-à-dire que vous
êtes l'ambassadeur de Jésus-Christ. 11 vous
envoie pour l'aire connaître ses volontés, il
veut s'expliquer par voire bouche, et quand
vous annoncez aux hommes les vérités du
salut, Dieu veut que l'on vous écoule com-
me lui-même. iYf us /"ajsons, dit saint Paul,
la charge d'ambassadeur de Jésus-Christ, et
c'est Dieu même qui vous exhorte par notre
bouche. {Il Cor., V, 20.) Vous êtes prêtre,
c'est-à-dire que vous êtes de ceux donl
Dieu veut se servir pour accom[)lir son
œuvre. iVoMs sommes, dit saint Paul, /es coo-
péraleursde Dieu. (1 Cor., 111, 9.) Vous tenez
sur la terre la place de Jésus-Christ. Voilà
pourquoi vous êtes appelés ses vicaires (%);
Jésus-Christ a voulu seulement jeter les
fondements do son œuvre. Il a confié le
soin de l'oxéculion à des hommes qu'il a
choisis. Vous en êtes du nombre. Vous êtes
chargés par Jésus-Christ de soutenir son
œuvre.
Si l'on juge de l'éminence d'une dignité
par ses fonctions, quelles sont les fonctions
d'un prêtre? Annoncer l'Evangile, délier
les pécheurs, dispenser les mystères du Sei-
gneur, avoir conlinueilement en main tout
ce qu'il y a de plus saint dans la religion,
toujours parler au nom de Dieu, toujours
agir par son autorité.
Saint Ambroise, examinant quelle est ki
dignité des prêtres, dit qu'elle surpasse tout
ce qu'il y a de plus élevé sur la terre. Il
prétend que la dignité de roi et de prince
est beaucoup plus au-dessous de celle de
prêtre que le plomb n'est au-dessous de
l'or; le conducteur est au-dessus de celui
qu'il conduit, le maître est au-dessus du
disci[)le comme Jésus-Christ l'a {.rononcé.
Les prêtres sont établis pour être les con-
(94) « Jésus Cliristus sacerdoies sui ipsius vl-
carios reliciuil. t (Coitc. Trid., sess. 1 i, c. 5.)
(î)o) « Si regum fiilgDri compares et priucipuin
diaUcmati, long'- ci il iiitciius'l""iJ"isi pliinihi nielal-
ducleurs. Ils sont donc au-dessus de ceux
que Jésus-Christ les a chargés de conduire.
La conséquence de saint Ambroise est qu'iî
n'y a rien sur Ta terre de plus grand que la
qualité de prêtre (95).
Vous la portez cette éminenle dignité.
De qui l'avez-vous reçue? Qu'avez-vous que
vous nayez reçu?
Ramassez maintenant toutes les grâces
que Dieu vous a faites, tous les litres dont
il vous a honorés, toutes ses pi'omesses,
tous les biens dont vous êtes en possession,
tous ceux que vous espérez; dites avec le
Prophète, que le Seigneur a multiplié ses mi-
séricordes. {Psal. XXXV, 8.) Ecriez-vous
encore avec le Prophète : Qui pourra com-
prendre les miséricordes du Seigneur? {PsaL
CVI, 43.)
Mais quel effet produira sur vous la vue
des miséricordes du Seigneur? Je sais ce
que vous sentiriez à l'égard d'un homme
donl la protection salutaire vous aurait été
de quelque utilité dans les ditférentes né-
cessités de celte vie. Je connais voire cœur ;
vous vous piquez de générosité ; quand on
fait le récit de ces ingratitudes, de ces ou-
blis qui déshonorent parmi les hommes,
vous frémissez et vous vous sentez incapa-
ble de tomber dans de pareilles fautes. Ou-
blier les bienfaits de Dieu, êlre insensible
à ses grâces, lui refuser un cœur qui est la
seule reconnaissance qu'il demande de nous,
n'est-ce pas la plus monstrueuse de toutes
les ingratitudes ?
Mais encore pourquoi ne voulez vous pas
vous donner à Dieu, et quelle raison pou-
vez-vous avoir de lui refuser votre cœur?
Ce cœur que vous enlevez à Dieu, à qui le
donnez-vous? Vous en serez vous-même
dans la dernière confusion, quand vous
mettrez dans la balance, d'un côié. Dieu, et
d'un autre côté, ce que vous lui préférez.
Car quelque adresse que vous ayez pour
vous déguiser votre injustice, il n'est que
trop vrai que vous en faites la comparaison.
Dieu s'otlre à vous, vous le savez, vous
n'en pouvez douter; il s'en est trop souvent
expliqué. Le monde s'ollre à vous et vous
présente ses biens; vous avez à délibérer
entre Dieu et le monde. Il est donc cer-
tain que quand vous aurez prononcé, celui
du côté duquel vons vous rangerez, aura
la préférence et remportera la victoire dans
votre cœur.
Parlez maintenant: est-ce Dieu que vous
voulez, est-ce le monde, son enneuii? Mais
c'est à tort que je vous demande que vous
vous expliquiez, vous l'avez déjà fait. Ce
jugement honteux est déjà prononcé; déjà
vous avez dit dans votrecœur que le momie
est plus aimable que Dieu.
Mais en quoi donc avez-vous trouvé le
monde plus aimable?
Ce qui peut faire la valeur d'un bien,
c'est sa durée, sa vérité, sa perfeciion,
lum aii auii fiilgorein compares Niliil iii lioc s;t
ciilo excclifiiliùs saccrdolibus. » ( De diguii.,
saard., c"!, 3.)
1055
RETRAITE ECCLES. — YI, AMOUR DE DIEU.
to:;i
h sùrclé qtio I on peut trouver dans sa
possession.
Je vous dirai donc aujourd'liui, comme
le dit iuitrefuis le prophète Daniel : Etes-
voits si insensés, enfants d'Israël, que d'avoir
ainsi jugé sans connaître la vérité? Retour-
nez pour prononcer un jugement nouveau.
[Dan., XHI, kS.) Je veux donc aujourd'hui
que vous examiniez le jugement que vous
avez l'orme, et que vous déclariez si vous
avez eu r-iison de laisser Dieu et de lui
préférer le monde.
Ce qui fait la valeur d'un bien, c'est sa
durée. Dieu est éternel. Combien dureront
les biens qui vous enchantent? 7/s s^c/teronf
et ils tomberont bientôt, semblables à l'herbe
{Psal. XXXVI, 2) qui languit et meurt
sous les mêmes rayons de soleil qui l'avait
fait naîlre.
Ce qui fait la valeur d'un bien, c'est sa
vérité. En Dieu se trouve la vérité. Savons-
nous rien do Dieu qui ne soit conforme à
la vérité? Voilà pourquoi David demandait
h Dieu : Conduisez-moi dans votre vérité.
(Psal. XXIV, 5.) Les biens que vous pour-
suivez ont-ils cette vérité? Ce sont de faus-
ses lumières qui vous trompenl, et vous
avez éprouvé une infinité de fois que les
biens de la terre ne sont point tels qu'ils
vous paraissent.
Ce qui fait la valeur d'unbienc'est sa per-
fection. C'est en Dieu que toute perfection
est renfermée. Maisavez-vous jamais trouvé
sur la terre aucun bonheur qui lîit parfait.
D'où vient donc qu'il n'y en a jamais eu qui
ait pu vous satisfaire? D'où vient que dans
l'instant mémo que vous jouissez de ces
félicités le plus ardemment désirées, vous
êtes plus occupé de ce qui vous manque que
de ce que vous possédez?
Ce qui fait la valeur d'un bien, c'est la
sûreté; que l'on fieul trouver dans sa pos-
session. Je cherche un bien, dit saint Au-
gustin, que l'on ne puisse m'enlever malgré
moi. Y en a-t-il un autre que Dieu (96)?
N'est-ce pas lui seul que l'on ne peut nous
enlever, et que nous ne perdons que quand
nous sommes assez malheureux pour con-
sentir h le perdre ? Vos richesses terrestres
ne peuvent-elles vous être enlevées malgré
vous? Ou plutôt n'est-ce pas toujours mal-
gré vous qu'elles vous sont enlevées, soit
qu'elles vous échappent par leur f)ropre
fragilité, soit qu'elles vous soient arrachées
jiar la violence des hommes.
Revenez donc encore une fois pour pro-
noncer un jugement nouveau. Lequel vaut
mieux ou de Dieu (lue vous laissez, ou des
biens terrestres que vous poursuivez ? Si
c'est Dieu qui i"enj(.orte au- dessus des biens
deja terre, si la.disproporlion est si grande
(|u'il n'y ait pas même lieu à aucune com-
paraison, pourquoi donc hésitez -vous ?
'i'ournez votre cueuret votre amour du cùié
d'un objet plus digne ; cherchez Dieu et
(OU) « Iii\igito (luaiuiuii quco cl enitor, iil iiiJjil
al. -il4.) \ i ■ >
aimez uniciuement celui que tant de molit's
pressants vous engagent d'aimer. II mo
reste à vous faire voir les marques aux-
quelles vous pouvez connaître si vous avez
l'amour de Dieu. C'est mon troisième point.
TROISIÈME POINT.
Celui qui airaeDieu pensesouvent àDieu.
El c'est la première marque 5 laquelle vous
connaîtrez si vous avez l'amour de Dieu.
Saint Grégoire de Nazianze dit que nous
devrions penser à Dieu aussi souvent que
nous respirons (97). Ce devrait être notre
principale occupation. La nuit, le jour, le
soir, le matin, nous devons méditer les
merveilles du Seigneur et le bénir sans cesse.
Nous nous portons naturellement à pen-
ser à ce que nous aimons. Un père qui
aime ses enfants pense souvent à ses en-
fants. L'avare pense à son argent. L'hommo
voluptueux à ses plaisirs. C'est une maxime
générale, notre esprit est occupé des objets
auxquels notre inclination nous porte.
Quand nous ne pensons point à un objet,
c'est une marque que notre cœur n'en est
point touché.
Cette maxime est d'autant plus véritable
à l'égard de Dieu, que tout ce que nous
voyons nous avertit de nous souvenir de
lui. Si donc nous l'oublions , il iaut qu'il y
ait dans notre cœur un grand fonds d'indif-
férence. Car pour peu que notre cœur soit
louché des bontés de Dieu, comment se
peut-il faire que nous ne pensions pas Irès-
souvcnt à lui au milieu de tous ces objets
qui nous rappellent le souvenir do ses gran-
deurs et de ses perfections ?
Tous les êtres créés ont leur langage , et
il n'y en a aucun qui ne nous parle de
Dieu. Si je veux entendre , dit saint Augus-
tin , la voix des créatures que Dieu a faites,
si je les consulte , je n'en trouveaucune qui
ne me parle. Je les entends toutes qui s'é-
crient d'un commun accord . c'est Dieu oui
nous a faites (98).
Que je sois dans les campagnes, que je
les voie si merveilleusement diversitiées ,
que j'en admire les richesses, que j'élève
les yeux en haut, que je considère tout ce
qui m'environne, que jetasse attention à
la fécondité de la terre qui produit toutes
sortes de fruits; que j'entende ces inno-
centes créatures, qui sans avoir jamais été
instruites , s'excitent mutuellement les unes
les autres à chanlerdes cantiques à la gloire
du Créateur ; tout cela a sa voix : toutes
ces créatures s'expliquent unanimement en
l'honneur du Créateur. C'est donc endurcir
son cœur que de ne point entendre la voix
des créatures qui publient avec tant d'élo-
quence le pouvoir souverain de celui (]ui
les a faites. Il faut avoir bien peu de zèle et
d'amour pour oublier Dieu, lorsque tout ce
qui nous environne nous invite à nous sou-
venir de lui.
Les ecclésiastiques sont encore i)lus in-
(97) Oral. 33, p. 531.
\08; « Exclaiiiave riinl voce niagiia IpbC l'ccii
iios.i (Lii). X Con(., c. ().)(
1055
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
mo
excusable, el c'est une marque d'un plus
grand endurcissement en eux, lorsqu'ils
tombent dans l'oubli de Dieu. Il faut pour
cela qu'ils négligent absolument d'entrer
dans l'esprit de leurs fonctions. Car il n'y
en a aucune qui ne leur fasse voir expres-
sément ce que c'est que Dieu, combien il
est grand, combien il est saint. Un ecclé-
siastique prie. Quelle sera sa prière, et quel
pourra en ôlre le fruit, si son esprit n'y est
point occupé de Dieu ? Sa négligence ne
sera-t-elle point criminelle, s'il lit les livres
saints, s'il administre les sacrements de
l'Eglise, s'il s'applique aux autres emplois
de son élat par coutume et sans attention ?
Il est de môQie assez difficile d'entendre
comment desactions saintes, et qui ont tant
\ie rapport à celui qui est l'auteur de toute
sainteté, peuvent être exercées , sans que
l'esprit soit frappé et que le cœur soit tou-
ché de la grandeur de nos mystères.
Accoutumons-nous, surtout nous qui
sommes ministres du Seigneur, à penser
souvent à lui. C'est l'excellent moyen que
Dieu donne à Abraham pour travailler effi-
cacement à se perfectionner. Marchez en ma
présence, et soyez parfait. (Gen., XVII , 1.)
Voyez David appliqué au Seigneur et fai-
sant des efl'orts conlinuels î)ourne le perdre
jamais de vue. (Psal. XV, 8.)
Faibles, dissipés, terrestres comme nous
sommes, c'est beaucoup pour nous d'ôire
continuellement occupés de la présence du
Seigneur. C est à quoi nous ne jiarvicndrons
pas sans livrer de grands combats, et sans
fairebeaucoupd'efforts. Mais si nous n'éprou-
vons que trop souvent les égarements de
notre esprit, au moins tirons-en quelque
profit. Qu'ils nous servent à nous connaître,
à nous hnmilier, à gémir de nos faiblesses.
Notre esprit s'égare, faisons nos efforts pour
le rendre attentif. Donnons à Dieu cette
preuve de notre vigilance.
Deux grands exercices pour nous. Le pre-
mier de gémir, en faisant réflexion sur les
égarements de notre esprit. Le second de
faire des eflorts pour rappeler nolreesprit aus-
sitôt que nous nous appercevons de ses éga-
rements. Voilà nos occupations pendant le
temps de notre pèlerinage, jusqu'à ce que
nous soyons assez,heureux pour être entière-
ment maîtres de notre esprit, et pour ne le
plus voir occupé que de Dieu seul.
Celui qui aime Dieu déteste souveraine-
ment le péché. C'est la seconde marque à
laquelle vous connaîtrez si l'amour de Dieu
est en vous. Le péché est l'ennemi de Dieu.
On ne peut donc aimer Dieu à moins qu'on
ne haïsse le péché qui est son ennemi capital.
Je suppose que le péché mortel ne se ren-
contre point dans la vie d'un prêtre, et
que dès qu'un homme est élevé à celle
éminente dignité, il fait un divorce éternel
avec le péché mortel. Saint Jean dit que
tout homme qui est né de Dieu ne pèche plus.
(I Joan.,V, 18.) Le sens de cet a[)ôlre est que
les enfantS-do Dieu ne commcllent plus de
ces péchés qui donnent la morl. Si !e péché
mortel ne peut compatir avec la simple '
qualité d'enfants de Dieu, jugez de son
incompatibilité avec la qualité de prêtre. Il
serait plus facile d'unir ensemble le feu et
l'eau, et tout ce qu'il y a de plus opposé
dans la nature, que l'amour de Dieu et le
péché mortel.
Cependant l'amour de Dieu, quelque
force qu'il ait, ne nous empêche |)as do
ressentir les effets malheureux de noire
mortalité. Ceux qui apportent plus de pré-
caution ne laissent pas de tomber. Combien
donc ceux qui se laissent aller à eux-mêmes,
et qui ne vivent pas dans une vigilance
continuelle , ont-ils de fautes à se repro-
cher ?
Pour peu que nous ajons l'amour de
Dieu, il ne se peut que nous ne soyons
touchés", quand nous faisons attention que
nos chutes sont si fréquentes. C'est à bon
droit que cette vie est appelée la vallée des
larmes. C'est un sujet continuel de gémis-
sement d'apercevoir en nous des faiblesses ,
des langueurs, des nonchalances, des dégoûts,
des inconstances. Ouvrons les yeux, entrons
dans nos cœurs. Combien de sentiments qui
déplaisent à Dieu , et qui par conséquent
doivent nous faire gémir.
La fin de la charité c'est que Dieu soit
tout entier à nous, et que nous soyons tout
entiers à lui. Mon bien-aimé est à moi, et je
suis à lui. (Cant., II, IG.) C'est donc à nous
de nous observer, de prendre garde qu il
ne nous échappe rien qui puisse déplaire à
noire bien-aimé. Aussitôt que nous re-
marquons quelque faute qui peut l'offenser,
le seul moyen de conserver cette union
étroite et précieuse, qu'il veut bien avoir avec
nous, c'est de lui exposer nos regrets et de
pleurer notre misère. Ces pleurs, ces gémis-
sements forment une excellente disposition
pour offrir à Dieu des prières qui lui soient
agréables. Car ce qui fait le principal mérite
de la prière, c'est le gémissement du cœur,
el ce qui produit le gémissement c'est la vue
de notre misère : c'est la vue de nos fautes
qui sont notre grande et véritable misère.
Si nous vivons en prêtres nous serons
exempts de péchés mortels. Ce n'est pas à
dire {)Our cela qu'il ne soit pas de notre de-
voir de faire une très-grande attention au
péché mortel el de le pleurer. C'est assez
que nos frères tombent, tous lesjours dans
un grand nombre de fautes mortelles. Celui
que nous aimons- est offensé, ce sont nos
frères qui l'outragent: en faut-il davantage
pour nous exciter à répandre des larmes?
Les prêtres sont obligés par leur élat de
prier pour le peuple, d'attirer les grâces du
Seigneur, et d'a[)aiser sa colère lorsqu'il
est irrité. Ceux-là donc se trompent qui
croient quêtant de fautes qui se commet-
tent dans le monde ne les regardent pas, et
qu'elles leur sont absolument étrangères.
Pouvons-nous les considérer comme telles
et connaître l'union que nous avons avec
ceux qui en sont les véritables auteurs?
Dieu ne vous imputera pas les péchés du
monde; mais il est très-sur que si vous n'en
\o:>i
RETRAITE ECCLE.— Yl, AMOUR DE DIEU.
i05S
êtes pas touchés, il vous imputera voire in-
sensibilité, il vous imputera de n'avoir rien
fait pour apaiser sa juste colère.
♦ Les prêtres zélés sont persuadés qu il y
a toujours des raisons fortes et pressantes
qui lès engagent è pleurer, et à faire des
œuvres de pénitence. Combien de temps ne
faut-il pas employer pour se pleurer soi-
même. Mais comment pourra-t-on demeu-
rer tranquille, et cesser de pleurer, quand
on fera attention à celte grande obligation
qui est imposée aus pr«^lres d'arrêter par
leurs prières le bras de Dieu qui est sans
cesse lové pour punir les crimes énormes
dont le monde est inondé.
La fidélité est la troisième marque que je
vous propose pour connaître si l'amour de
Dieu est en vous. Celui qui aime Dieu étu-
die ses devoirs, et il est lidèle à les remplir.
Un amour stérile et infructueux ne peut
êlre véritable, et ne peut jamais être agréa-
ble à Difcu. Le fruit que Dieu demande e'
qu'il veut trouver en nous, c'est la tidélilé
h nos devoirs. Si quelqu'un m aime il gardera
ma parole, (/oan., XIV, 23.) Les œuvres sont
donc la véritable preuve de l'amour.
Un prêtre qui est à Dieu considère ce
qu'il est, et toutes les obligations qui lui
sont imposées en qualité de prêtre. Il sait
que le nom de prôlre n'est point un titre
vain et qui soit seulement donné pour ho-
norer celui qui le porte, il sait au contraire
que la qualilé de prêtre est un fardeau très-
liesanl, parce que les obligations sont en
grand nombre et irès-diiriciies à remplir. Jl
examine donc quelles sont ces importantes
obligations. Il est convaincu qu'un prêtre
doit beaucoup à Dieu, et qu'il doit beau-
coup au prociiain. Il est convaincu que la
vie d'un ftrélre doit être toute remplie d'oc-
cupations et de bonnes œuvres. L'élude, la
prière, les actions de charité, voilà les occu-
pations qui doivent partager son temps.
Ces occupations contraignent l'homme et
répugnent à ses inclinations. Mais l'amour
fail que l'homme devient supérieur à ses
inclinations. Il se contraint et il- se plaît à
se contraindre, [larce que la volonté de ce-
lui qu'il aime est la règle de toutes ses ac-
tions. Il se dit souvent à lui-môme : Qu'est-
que Dieu demande de moi? Quelles [)reuves
veut-ii que je lui donne de ma fidélité? Dieu
veut que je m'occupe, et il condamne les
prôlres qui languissent dans l'oisiveté. Je
me propose de remplir saintement mon
letnps. Une occupation succédera h une au-
tre, et jamais le démon ne me trouvera oi-
sif. Dieu m'a établi dans le saint ministère
afin que je travaille, et que je serve le pro-
chain. J'irai donc au secours du pauvre, je
rom()rai le pain aux petits, je montrerai à
l'hoiume criuiinol l'iniquité de ses voies.
Dieu éprouve particulièrement noire fidé-
lité dans les dillicuhés, dans les coutradic-
iions, dans les déguùls et les aulres occa-
sions qui morli'ient notre amour-proiire.
bieu permettra que vous travailliez sans
Iruit, que vous n'entrepreniez aucune ac-
tion sainte que les hommes du siècle no vous
contredisent, que vos intentions les plus
droites soient censurées avec malignité; que
ceux que vous comblerez de biens devien-
nent vos persécuteurs. Si vous avez l'a-
mour de Dieu, si vous agissez pour lui , au
milieu de tous ces obstacles vous vous sou-
viendrez que vous èies prêtre, et rien ne
sera capable d'ébranler votre fidélité. Un
prêtre qui a l'amour de Dieu ne s'étonne
point d'être humilié. Il sait à quoi les dis-
cii)les de Jésus-Christ doivent s'attendre
pendant cette vie. Ainsi vous verrez un
prêtre fidèle, toujours ferme dans sa con-
duite. La loi de Dieu et ses devoirs seront
sa règle. Il ne s'en écartera point. Il soutien-
dra l'honneur de son caractère dans toutes
ses actions. Il est à Dieu. Dieu est dans son
cœur. Dieu seul le fait agir, et son exaclu
fidélité est la preuve de la sincérité de son
amour
Celui qui a l'amour de Dieu non-seule-
ment est fidèle à ses devoirs, mais encore
il aime ses devoirs. C'est la dernière mar-
que que je vous pro[)Ose, pour connaître
si l'amour de Dieu est enraciné dans votre
cœur.
Mais, me direz-vous, peul-on aimer ce
qui contraint, ce qui humilie, ce qui mor-
tifie ramoui-propre.et ce qui est contraire à
nos inclinations ? Oui, on le peut aimer,
pourvu qu'un amour supérieur rem[)lisse
notre cœur et y ail jeté de [profondes raci-
nes. Celui qui aime Dieu ne cherche qu'à
lui plaire, el ce qui conduit à Dieu plus im-
médiatement est ce qui lui plaît davantage.
Voici donc ce qui soutient l'homme chré-
tien au milieu des humiliations , et ce qui
le remplit de consolalion el de joie. Je suis
dans la voie qui mène à Dieu; je suis dans
la voie par l.iqiielle Dieu conduit les élus;
je suis dans la voie où l'on amasse plus de
mérite; je suis dans la voie où l'on rencon-
tre plus de moyens pour donner à Dieu des
preuves de son amour el de sa fidélité.
Quoi doncl l'amour divin n'aura-t-il pas
encore plus de force que l'amour du siècle
qui n'est que corruption. Voyez ce que l'a-
mour du siècle fait entreprendre à ceux qui
en sont les esclaves. A quels ennuis, à quels
reliuts, à quelles fatigues, h quels périls ne
s'exposent- ils point ? Celui-là passerait pour
un grand saint, qui ferait pour Dieu ce que
les amateurs du siècle entreprennent tous
les jours pour leurs vaines idoles. Non, l'a-
mour de Dieu ne cédera on rien à l'amour
[irofane. Ceux qui en seront véritablement
remplis feront voir quelle en est la force.
C'est an feu, dit saint Augustin , qui ne
s'éleindra [)oint, quand bien môme lesten-
lalions nous attaqueraient avec loule la vio-
lence f]ue l'on remarque dans les fleuves les
plus rapides. Il est dit de la charité qu'elle
est forte comme la mort. Car de môme que
rien ne peut résister à la mort quand clic
vient Ibndre sur nous, aussi rien ne résiste
à la violence de l'amour divin (99) : iS'ous
demeurons victorieux au milieu de tous les
(?9) • Hiijiis igne;!i imlli tlutlus sxc.ili, tiiiiht (liniriKî tculalionis exslingiinl. Conira violcnli.aii cVa
im9
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT
ir.o
maux par celui qui nous a aimés. Ni la mort,
ni ta vie, ni les anges, ni les principautés,
ni les puissances, ni les choses présentes, ni
les futures, ni tout ce quil y au plus haut
des deux, ou au plus profond des enfers , ne
nous pourra séparer de l'amour de Lieu.
{Rom., Vin, 37.)
C'est par là que vous pouvez juger si
Jésus-Clirist a beaucoup de ministres qui
soient |)leins de son amour. Ceux-là ont-ils
beaucoup d'amour qui s'acquittent de leurs
devoirs par contrainte, par violence et eu
murmurant? Ceux-là ont-ils beaucoup d'a-
mour qui s'effrayent des difficultés, qui en
font naître, et qui par là rompent toutes les
entreprises? Ceux-là ont-ils beaucoup d'a-
mour qui font tant valoir leurs peines cl
*eurs travaux ?
Celui-là a beaucoup d'amour qui est dis-
posé à souffrir pour Dieu, qui ne se rebule
point des difficultés de son emploi, qui s'y
conduU avec prudence, qui les surmonte
av^c courage, qui est si convaincu do la
grandeur de ses obligations, qu'au milieu
de ses peines et de ses travaux, il se repro-
che sans cesse son insuflîsance, son inuti-
lité, son peu de ferveur, son peu de corres-
pondance à toutes les grâces du Seigneur.
Voilà les vérités dont j'avais à vous ins-
truire dans ce discours. Ce que vous venez
d'entendre a dû vous faire connaître que
c'était un discours londaraentol. Dans toutes
les œuvres que nous entreprenons , si les
commencements ne sont heureux, nos en-
treprises ne peuvent jamais réussir. Que
peut donc espérer celui qui n'a point l'a-
mour de Dieu, puisque cet amour est le
commencement de la vie chrétienne et ec-
clésiastique. Qu'on vante tant qu'on vou-
dra les œuvres de cet homme, si l'amour de
Dieu n'est point dans son cœur, le bâtiment
qu'il a élevé est menacé d'une ruine inévi-
table, parce qu'il n'a point de funderaent.
Un ecclésiastique de même qui n'aura pas
Ja charité, travaillera sans fruit. Toutes ses
œuvres seront devant Dieu comme des œu-
vres mortes. Il n'a point l'amour de Dieu, et
il n'y a que cet amour qui les |)uisse animer.
11 ne me reste plus qu'à vous conjurer de
rentrer en vous-même, et d'exominer qu'elles
sont vos dispositions. L'amour de Dieu est-il
dans voire cœur? Que vous êtes riche si
vous possédez ce trésor 1 Conservez-le pré-
cieusement ; n'en souffrez jamais la dimi-
nution. Bien loin de celo,que votre grande
ap[)licalion soit de l'augmenter et décroître
en charité. L'amour de Dieu est cette /jer/e
précieuse de l'Evangile. [Matth., XIII, 45.)
Celui qui la trouve méprise .tous les autres
biens. Il n'y en a qu'un seul qui lui soit
cher, et il est dans la disi>ositiou de renon-
cer à tout |)our le conserver.
Mais si votre cœur est vide et destitué
de l'amour de Dieu , que vous êtes pauvre,
rJlalis iiuuidus nihil potcst. » {In ps(d. XLVIII).
(100) « Oiiuai sanctiini (|iux!(il di.iritas veiiiuiis,
iicyoniiinjiisliiin suscipil nécessitas cliaritalis.Q'.iaiii
s;iiiiiiam si iiulliis impoiiil, peicipieiidai aUnie iii-
lucad.e vacaiiduiucîi veritali. Si auleri) imiioiùlur
que vous êtes h plaindre, que vous êtes
malheureux? Quoi I vous n'aimez point
Dieu 1 Cette beauté souveraine ne vous
charme point: tant de bienfaits répandus
sur vous avec profusion ne vous touchent
point. Quel est donc votre cœur et quelle
en est la nature? Est-il de chair, est-il de
bronze? Je ne puis me persuader qu'en
examinant ce que c'est que Dieu, et ce
qu'il a fait pour vous, vous puissiez per-
sister dans de si malheureux .sentiments.
*■> Apprenons ce que c'est que Dieu, il est
presque impossible de le connaître, et d»
ne [las les aimer. Unissons tous nos cœurs.
Excitons-nous mutuellement à aimer Dieu.
N'omettons aucun des moyens qui peuvent
contribuer à faire croître en nous l'amour
du Seigneur. Que nos paroles, que nos ac-
tions exfiriment les mouvements de noire
cœur. Faisons paraître en tout lieu que
nous sommes des enfants qui sont péné-
trés des bontés de leur [)ère, et qui y ré-
pondent par un amour lidèle. Ne perdons
pas un moment de lem[)s : commençons au
plus tôt à aimer. Ne cessons pas pendant un
seul moment de l'aimer. Quand nous serons
assez heureux pour aimer Dieu, voici quel
sera notre bonheur. C'est que nous l'aime-
rons sans interruption. Car aimer Dieu dans
cette vie, c'est une disposition pour arriver
à ce séjour bienheureux où noire bonheur
sera sans tin, parce que nous aimerons Dieu
iternellement.
DISCOURS VU.
DE LA RïTRAlTE.
Dans le dessein que je me propose au-
jourd'hui de vous entretenir de la retraite,
je ne puis appuyer les vérités dont j'ai à
vous instruire sur un fondement plus so-
lide que sur celui que saint Augustin a éta-
bli, quand il a prononcé ces excellentes pa-
roles, qui sont connues presque de tous les
ecclésiastiques.
« L'attachement que nous.^devons avoir à
la contemplation de la vérité nous engage
à désirer de passer nos jours dans un saint
repos. Les sentiments de charité dont nous
devons être pénétrés nous obligent à ac-
cepter les emplois, lorsque nous en som-
mes chargés par des voies justes que la
providence nous marque. Si Dieu permet
que nous demeurions libres, nous donne-
rons tout notre temps à la recherche et à la
contemplation de la vérité. Si Dieu nous
appelle aux emplois ecclésiastiques, quoi-
que dans la vérité ils nous doivent paraître
un très-pesant fardeau, nous les accepterons
pour obéir aux lois que la charité nous
prescrit. Mais alors môme gardons-nous
bien d'abandonner les douceurs de la con-
templation, de i)eur que privés de cet ap-
pui nous ne soyons accablés par la pesan-
teur de notre fardeau (lOOi. »
suscipieuda est propter charitalis necessitatetn.
Sid Mjc sic ouiiiiiio vei'italis delectalio de^>ereilda
esl , ne siibtraliaUir illa suavilas, et opprimai ista
ueccijiias. » (L:l). X.1X De civil. Dei.)
1061
RETRAITE 'ECCLES. "—
II édiil (lifficile quo saint Au^îuslin sg
servît (le termes plus forls pour noustairo
voir lo graiid amour que nous devous avoir
pour la reirailo. Il établit d'abord ce qu'il
entend [tar la retraite, et il nous dit quo c'est
un saint re|ios, oii l'Ame, libre de tout soin,
s'occupe de la contemplation de la vérité.
Il nous représente ce saint repos comme la
ronijiiion la plus lieureuso à laquelle un
homme [)uisso prétendre, pendant qu'il est
sur la terre. Celui qui est véritablement
sage soupire après ce saint repos. C'est
pour lui une peine très-rude que de sortir
lie cet heureux état. Lorsqu'il est dans
l'action, la retraite a son cœur, et il sou-
liaite toujours que ses liens se rompent,
afin d'avoir [dus de liberté de rentrer dans
une condition au'il r.'a quittée qu'avec ré-
gi et.
Qu'il est nécessaire d'établir fortement
ces vérités dans un siècle où les hommes
haïssent la retraite? Ils se figurent quo l'on
n'y peut passer que de Irisles jours. La plu-
part des hommes mènent une vie tumul-
tueuse et dissipée. Les ecclésiastiques sui-
vent en cela le goût corrompu du siècle.
Les emplois sont brigués. Tous veulent se
produire. Quelques-uns même prétendent
excuser leur inquiétude sur le prétexte
spécieux de zèle et de désir de travailler
au salut des âmes. Désir déréglé ; zèle mal
entendu.
Mais quoi! me direz-vous : faut-il donc
que tous les ecclésiastiques laissent leurs
emplois^ pour aller contempler la vérité
dans un saint repos? Si cette maxime était
suivie, le prochain serait donc abandonné.
Non, ce n'est pas le ce que saint Augustin
enseigne. Autant que ce saint veut que l'on
ait d'ardeur pour la retraite, autant veut-il
que l'on ait de soumission pour obéir à
Dieu, lorsqu'il nous appelle aux emplois
ecclésiastiques.
Mais voici ce qui arriverait, et ce qui se-
rait excelleni, si les maximes de saint Au-
gustin étaient suivies.
Les hommes par leur propre goût pren-
draient le parti de la retraite. Mais Dieu
qui veille sur son Eglise aurait soin de
faire connaître à ceux qui lui sont propres,
qu'ils doivent quitter la retraite pour em-
brasser les emplois ecclésiastiques. De là
il arriverait que ces emplois terribles et
diQiciles ne seraient point pour ceux qui
les recherchent, mais ils seraient pour ceux
qui les fuient et que Dieu ap|ielle.
Malgré tous les raisonnements de la pru-
dence de la chair, la maxime de saint Au-
gustin demeurera ferme et inébranlable, et
il sera vrai de dire qu'il n'y a rien de plus
heureux et de plus sûr que de contempler
la vérité dans le repos et la retraite.
Ce que saint Augustin nous enseigne en
nous i)rO[iosant cette excellente vérité se
réduit à deux propositions qui Icront le
sujet de cet entretien.
La première i)roposition de saint Augustin
est que l'hoiume doit préférer le repos de
Vil, nz LA RETRAITE. 10G2
la retraite aux tro;i!)lc3 qui sont insépara-
bles de l'action.
La seconde, tfuc l'homme engagé dans
lt\s emplois ecclésiastiques doit toujours
ménager du temps pour la retraite et qu'au-
trement il serait accablé par la pesanteur
du fardeau.
Les avantages do la retraite au-dessus do
l'action, les dispositions dans lesquelles
ceux qui sont dans l'aolion doivent être à
l'égard de la retraite; ce sera le sujet et lo
partage de cet entretien.
PREMIER POINT.
La J|irpmière proposition que j'avance,'
c'est que tout chrétien doit aimer la retrai-
te, qu'il la doit préférer à la vie occupée,
que par son propre mouvement et par son
propre choix, il doit demeurer dans la re-
traite; qu'il n'en doit jamais sortir que par
un ordre exprès du Seigneur; que lorsqu'il
abandonne sa retraite il doit trembler
à la vue des périls auxquels il est ex|)Osé.'
Celle préférence de la vie retirée à la vie
occupée est fondée sur l'autorité et sur
l'exemple des saints, qui tousd'un commua
consentement ont prononcé en faveur de la
retraite. |
Vous allez voir, en piemier lieu, les gran-
des ardeurs des saints pour la vie retirée;
en second lieu, pourquoi ies saints ont
désiré avec tant d'empressement de passer
leurs jours dans la retraite ; en troisième
lieAi, c-e qui fait l'essence et la sainteté de
la vie retirée.
Si les saints ont eu tant d'ardeur pour la
retraite, on peut dire que c'est Jésus-Christ
même qui leur a inspii'é ce saint désir.
Comment les saints n'auraient-ils pas aimé
une sainte pratique que Jésus-Christ a
sanctifiée par son exemple? Et le seul
exemple du Sauveur n'est-il pas suffisant
pour nous en faire connaître tous les avan-
tages 1
On est toujours étonné que Jesus-Christ,
qui venait en ce monde pour y opérer do
si grandes merveilles, ait commencé par
passer dans la retraite les trente premières
années de sa vie. Quelque i)récicux etquel-
que saints qu'aient été tous les moments de
sa vie, il a jugé qu'il était encore [ilus avan-
tageux pour nous de nous en cacher une
partie si considérable, que de nous la l'aire
connaître. Le ()rincipal iiiolif de cette con-
duite a sans doute élé de nous appren-
dre la nécessité et l'excellence delà vie re-
tirée.
Dans le tem|)S môme que Jésus-Christ
s'est produit au dehors, et qu'il a exercé
ses saintes fonctions, il a fait voir qu'il
continuait toujours à aimer la retraite.
N'esl-ii pas rapporté dans plusieurs en-
droits de l'Ecriture, qu'il se retirait dans
le désert pour y prier. {Luc.,V,i6.)
Nous voyons qu'il n'entreprenait jamais
aucune aclion importante sans s'y préparer
par la retraite et par la prière. Il observa
celte sainte mclhode quand il ht le choix
important des liromiers ministres dont il
1063
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
m,i
avait résolu de se servir pour l'exéculion
de ses grands desseins. L'iîvangila dit
qu'avant que de faire ce choix , il se retira
sur une montagne pour prier et qu'il y passa
toute la nuit en prière. {Luc, VI, 12.)
Que pouvaient penser les saints en faisant
allerition au soin que le Fils de Dieu a pris
de se cacher dans la retraite et à l'estime
toute particulière qu'il a toujours témoignée
de celte sainte pratique ? C'est là sans doute
ce qui a animé ces vifs désirs qu'ils ont eus
de se séparer du monde ; c'est ià le véri-
table principe de leurs saintes ardeurs pour
la retraite.
Jusqu'où a été cette ardeur? Vous n'en
l)0uvez mieux juger qu'en examinant leurs
tendres et fortes expressions.
Oh 1 plût à Dieu, s'écrie saint Gré-
goire de Nazianze, que je pusse devenir
semblable ou à l'Iiironiielie, ou à la colombe,
afin que, vivant comme elles dans la soli-
tude, je pusse être pour toujours à l'abri
des périls inséparables de cette vie ! Plût à
Dieu que j'eusse la liberté de vivre seul et
renfermé dans un lieu caché, et qu'il me
fût permis de passer tout le reste de ma
vie, n'ayant aucune autre compagnie que
celle des bôles(lOl) I
Voulez-vous des désirs plus vifs et plus
animés que ceux de saint Grégoire? Plût à
Dieu. Il exprime ses pensées les plus secrè-
tes et les plus tendres mouvements de son
cœur. Ils sont tous pour la retraite. Elle est
si fortement aimée que ce grand saint vou-
drait y passer non-seulement quelques an-
nées de sa vie, mnis sa vie entière. La
société des bAles lui parait préférable à
celle des hommes, parce que l'une inspire
l'intiocence et l'autre est accompagnée de
mille périls. •
Quelle était la tristesse des saints lors-
qu'ils étaient élevés aux dignités de l'Eglise?
Je les vois fondant en larmes, comme s'il
leur était arrivé quelque disgrâce inopinée.
Quel était doue le fondement de cette sou-
daine tristesse? Ce qui affligeait particuliè-
remi'nt les saints, c'est qu'on les arrachait
de leur retraite.
Saint Augustin consacré prêtre par l'évê-
que Valère, fait bien voir que c'est là le
|)riiicipal sujet de son affliction. Il ne peut
.se résoudre à abandonner tout d'un coup sa
chère solitude. Il demande par grâce qu'il
puisse y passer encore quelques jours avant
que (l'être appliqué aux saintes fonctions
de son ministère. Jamais on n'a demandé
avec plus d'instance et avec plus d'ardeur,
une grâce souverainement désirée, que
saint Augustin a demandé à son évoque, •
qu'il lui fût permis de rester dans sa bien-
heureuse solitude. 11 le sollicite, il le presse,
il le conjure, il répand des larmes. Il n'y
a point de moyens humains qu'il n'emploie
pour obtenir ce qu'il désire. Se défiant de
son pouvoir, il a recours au crédit et à l'au-
(lOljCarm. 6.
^^0'iJ j lps:\m cliarilatem et afTectiim imploro ut
iiiiserearis miiii.et concédas milii tioc qiio«i rogavi,
teiiipus quarilUin rogavi. * (Lpist. 21, ad Valerium,
torité des amis de son évoque.' Il prétend
que Dieu lui ferait de très-sévères repro-
ches, s'il allait abandonner tout d'un coup
sa chère solitude pour s'engager dans les
fonctions de son ministère. S'il y cvait, dit-
il, quelque contestation formée et qu'il fal-
lût demander un bien appartenant à l'Eglise;
dont on lui disputerait injustement la pos-
session , les plus sages me conseilleraient
de me soustraire pour un temps à l'exercice
de mes fonctions, afin d'aller implorer la
justice et l.a [)roleclion des juges de la terre.
La nécessité de penser à soi-même dans la
retraite n'est-clle pas une bien plus forte
raison pour n'aller point à la hâte exercer
des fonctions si difficiles et si périlleuses?
Serais-je excusable quand j'alléguerais de-
vant le tribunal de Dieu le commandement
que vous me faites, lorsque je sens si bien
le besoin que j'ai de préparation pour l'exé-
cuter? Je vous conjure par Jésus-Christ,
juge.'plein de miséricorde et de rigueur, je
vous conjure au nom de cette amitié sincè-
re et ehréiienne que vous m'avez toujours
témoignée, ne me refusez pas ce que je vous
demande avec ardeur et ayez compassion
de moi (102).
Peut-on parler d'eue manière plus tou-
chante? Peut-on désirer avec |)lus d'ardeur?
Peut-on demander avec plus d'instance?
Quel est le principe de toutes ces pres-
santes sollicilaiions ? Le seul amour de la
retraite.
Vous ne serez pas moins édifiés des dis-
cours de saint Grégoire, pape, que vous le
venez être de ceux de saint Augustin. Ap-
prenez quels ont été les sentiments de ce
saint hommeetjugez vous-mêmes si l'on peut
pousser plus loin l'amour et le désir de la
retraite.
Saint Grégoire, bien loin de se réjouir de
son élévation, est pénétré de tristesse. Son
atfliction vient de ce qu'il est restitué au
siècle et obligé de renouer un commerce
auquel il avait absolument renoncé. J'ai,
dit-il, perdu toute ma joie. La retraite donc
fait toute la joie des saints. Pendant qu'il
semble aux yeux des hommes que je suis
parvenu à un haut degré d'élévation, je sens
au dedans de moi-même que j'ai fait une
chute très -dangereuse. Je faisais toutes
sortes d'etforls pour oublier le monde et
pour m'élever au-dssus de tous les désirs
terrestres. Comme je ne souhaitais plus
rien sur la terre et que je m'étais mis à l'a-
bri des périls, je me considérais comme un
homme qui a échappé à tous les dangers et
qui est dans un port assuré. Mais, hélas!
tout d'un coup mon sort est changé. Je me
vois exposé à de très-dangereux périls et
mon âme est saisie d'une crainte continuelle
(103).
Jamais on n'a plus appréhendé l'éléva-
tion que le saint pape dont vous venez d'en-
tendre les paroles. C'est un homme qui est
ai. 148.) •
{ (105) « Alla qiiielis nie;e gauJia perdidi, ei iiilus
corrueiis asceiidissc extenuj videor, elc. > (Lib.
I, epist. S.)
M&5
convaincu que le commerce du siècle est
toujours Irès-dangereux. Il avait choisi la
solitude comme un lieu de sûreté. Il s'y
plaisait, il y goûtait do saintes et innocen-
tes délices."ll s'était proposé do passer toute
sa vio dans l'éloignomont du monde. Son
élévation , bien loin de le consoler, est le
principe de ses larmes. Ce qui comble les
autres de joie l'accable de tristesse. Il a
perdu tout ce qu'il aimait et tout ce qui
élait capable de lui inspirer de la joio. Un
ambitieux qui serait dépouillé do ses hon-
neurs après lesquels il aurait soupiré pen-
dant un très-long temps et pour lesquels il
aurait travaillé pendant toute sa vie, aurait
peine à oxiirimer d'une manière plus vive
les chagrins dont il serait pénétré au mi-
lieu de sa disgrâce.
Je pourrais ajouter les maximes et l'exem-
ple d'un grand nombre de saints qui con-
viennent de sentiuient et qui tous ont été
remplis d'un grand amour pour la retraite.
Wais comme ils se sont expli(iués de la
même manière, pour ne pas ré|)éter des
vérités dont vous devez déjà être convain-
cus par les témoignages que j'ai rapportés,
je n'ai plus à vous proposer qu'un seul
exemple très-touchant d'un grand saint,
qui a beaucoup aimé la retraite. C'est le
célèbre évêque de Grenoble saint Hugues.
Il est rapporté dans sa vie que ce grand
évêque visitait souvent les saints religieux
qu'il avait établis dans des montagnes recu-
lées et inaccessibles de son diocèse. Quand
il élait avec ces heureux solitaires, il goû-
tait une joie parfaite. Il était aisé de s'a-
percevoir que toutes les aCfectiotis et tous
les mouvements de son cœur étaient pour
la retraite : jusque-là môme que quelque-
fois charmé des douceurs de la solitude , il
oubliait ce qu'il devait à son troupeau. Mais
lechef illustre de cette sainte troupe avait
soin de lui donner sur cela des avertisse-
ments pleins de charité. Il le taisait souve-
jiir qu'il n'était pas libre ni maître de son
temps, qu'il se devait à son peuple, et qu'il
ne lui élait pas permis de se laisser aller
pleinement à ce grand attrait qu'il avait
pour la solitude.
Toutes ces preuves vous doivent con-
vaincre que les saints ont beaucoup aimé
la retraite, et qu'ils l'ont préférée à la vie
occupée.
Vous devez être persuadés que les saints
ne sunt point entrés dans ce .«sentiment
sans de fortes raisons. Voici celles qu'ils
nous ont marquées. Ecoutez-les avec alien-
lion.
Premièrement les saints ont considéré le
sacerdoce comme un poids. Ils ont a|ipré-
bendé de n'en pas remplir les obligjilions.
Sur ce fondement ils ont cru qu'il leur se-
rait plus lacile de travailler à leur salut dans
la retraite que dans les eugageiueuts du
ministère ecclésiasliquo.
(tO-i) 4 Niliil (lifficiliiis, lalioriosiii<:, pericutosiiis
f>pisco|)i, aiu prcshyluri,» li (li;i.-.o:ii ollicio, si eo
modo iiiinislreliir (pio iiosler i:npcr:iU)r jubel. •
OllATEURS SACUKS. LXNIH.
RETRAITE EGCLES. — VII, DE LA RETRAITE.] IO(,;î
En second lieu les saints ont été persua-
dés que le monde était plein do périls, et
qu'il était très-dangereux d'entretenir quel-
que commerce avec le siècle. Déterminés à
choisir la voie qui leur paraissait la filus
sûre, ils ont voulu rompre enlièrement avec
Je monile, et se renfermer dans la solitude.
Les saints ont donc été d'abord etfrayés
du poids du sacerdoce.
Vous avez vu l'ntirait que saint Augustin
avait pour la retraite. B'(\ù venait cet altrait?
Enlendez-le s'en expliquer dans la môme
épitie dont je me suis servi pour vous faii'e
connailie l'ardeur dont ce grand saint brû-
lait pour la solitude. Il n'y a rien de plus
diOicile, de plus pénible, de plus dangereux
que l'oflico d'évètpie, deprèlr(i, et de diacre,
si l'on est dans la disposition de s'enacjuil-
ter en la manière que Jésus-Christ le com-
mande (loi).
Voici les principes de saint Augustin qui
étaient très-b en suivis. Rien de plus dilli-
cile que de bien remplir le ministère ecclé-
siastique. Il faut donc appréhender, il faut
donc fuir une charge si pénible. De là, l'a-
mour pour la retraite, où l'on se trouve heu-
reusement déchargé d'un fardeau qui fpra
toujours trembler tous ceux qui en connaî-
tront la pesanteur.
Saint Grégoire s'appuyait sur le même
principe. Le poids du sacerdoce est très-pe-
sant (103), s'écrie ce saint. Voilà ce qui lui
cause tant d'alarmes, lors qu'on le retire
de la solitude, pour l'engager dans les saintes
fonctions du sacerdoce. Voilà pourquoi il
s'écrie qu'il a perdu toute sa joie et
toute sa tranquillité. Voilà pourquoi il
est saisi de crainte, il se croyait presqu'en
sûrelé dans sa solitude. Hors do sa soliludo
il se voit environné de périls, et il est dans
une crainle continuelle de ne se oas acquit -
ter avec une assez grande fidélité de ses ira-
[lortanles obligations.
Les saints se sont renfermés dans les soli-
tudes pour n'être pas chargés du poids du
sacerdoce, et maintenantl'on fuit la solitude,
[tarée que l'on désire avec empressement le
sacerdoce que l'on ne considère plus comme
un poids. On n'aime plus ce que les saints
ont aimé, et l'on recherche ce que les saints
ont appréhendé.
Quoi de plus hardi que la précipitation
de ces hommes, présumant d'eux-mêmes,
qui se poussent dans les fonctions du sacer-
doce ? Oiî donc allez-vous ? Connai<sez-vous
ce que vous recherchez ? Et si vous le con-
naissez, croyez-vous avoir assez de force
pour su|)()Orler un si pesant fardeau? C'est
une étrange présomplion dans vous et bien
condamnable que de ne point trembler,
lorsque les saints sont pénétrés de crainle.
Si la vue du péril ne vous etfraye pas, la
honte de votre présomplion vous devrait
obliger à vous cacher dans la retraite, pour
y i^'émir d'avoir eu i)lus de hardiesse que les
(lO.'i) « Grave est pondus sacerdolii. » (Lib. I,
cp. 59.)
1037
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
10G8
saints, quoique leurs iorces fussent bien
sup(;rieures aux vôtres.
En second lieu la grande ardeur que les
saints ont eue |)our la reirailc, a eu pour
principe la juste crainte d'être exposés aux
périls qui sont inséparables du commerce
du monde.
Vous vous souvenez sans doute des désirs
empressés de saint Grégoire do Nazianze,
et de ses ardeurs pour la retraite. Si vous
lui demandez le motif de ses empresse-
ments, il vous répondra que c'est qu'il
veut éviter les périls de cette misérable vie.
Saint Basile (106), pénétré des mêmes sen-
timents, et considérant avec attention tous
les périls auquels on s'expose, quand on
respire l'air infecté du monde, donne pour
maxime, de se sé[iarer même de ses pro-
ches, de travailler à jouir de la présence du
Seii;neur dans la retraite, et aOn de n'être
point troublé dans un commerce si saint, il
veut qu'autant qu'il est en soi on évite de
paraître au dehors, et de se montrer aux
hommes.
Saint Chrysoslome (107) nous dit que quoi-
que les passions de l'homme l'accompagnent
toujours, il est néanmoins bien plus aisé de
les combattre dans la retraite, que dans le
commerce du monde. 11 dit que s'il demeu-
rait parmi les hommes, ses passions seraient
forliliées jiar la présence des objets. Ces
bêtes farouches, continue-t-il , m'attaque-
raientavec furie, elles déchireraient mon
âme; elles se rendraient formidables, et
j'aurais beaucoup de peine à les dompter.
Au lieu que demeurant dans ma solitude,
malgré les combats que mes passions ex-
citent , j'espère avec Je secours du Sei-
gneur en venir tellement h bout , qu'il
lie leur restera plus que les cris et les
hurlements.
Demeurer dans le monde, c'est donner de
la force à des ennemis déjà terribles par
eux-mêmes: se cacher dans la solitude,
c'est prendre toutes sortes de précautions,
pour alfaiblir de dangereux ennemis. C'est
là principalement ce que se proposaient ces
hommes zélés pour la retraite.
Je travaillais tous les jours de plus en plus,
dit saint Grégoire po|)e, à me séparer du
monde, et à ailaiblir les passions de la chair
(108). Voilà le motif que ce saint pape
s'était proposé dans sa solitude. 11 la quitte
avec tant de regret, parce qu'il craint que
sespassionsnese révoltent, et nedeviennent
plus fortes, lorsque ses ditférenles occupa-
tions l'engageront à renouer commerce avec
les hommes.
Le commerce du monde a paru formidable
eux saints, môme dans le temps qu'ils ne
s'y engageaient que par un principe de cha-
nté, et pour obéir dux ordres de la Provi-
dence. Observez qui sont ceux qui re-
doutent ce commerce du monde, et quel
est le commerce dans lequel ils s'enga-
-eaietii.
(100) Serm. de abdicalione rcrum, l. H, p. 37G.
^107) De sacerd.. 1. VI, c. 5.
Ce sont des saints qui obéissent à la voix
de Dieu qui les appelle, ce sont des saints
qui ne s'engagent dans le commerce du
monde, que parce qu'ils sont pleins de zèle
et de charité. Us ,ne s'y sont engagés qu'au-
tant qu'il était nécessaire pour exercer leurs
saintes fonctions. Ce sont des saints qui, en
communiquant avec le monde, apportaient
toutes sortes de précautions pour n'ètro
point infectés par sa corruption.
Les saints qui ne s'engagent dans le mi-
nistère ecclésiastique que par l'ordre de
Dieu appréhendent le monde. Ils sont saisis
de crainte quand ils considèrent qu'ils ne
peuvent pas se dispenser de communiquer
avec le monde. Ceux-là donc ont bien lieu
d'appréhender qui se précipitent d'eux-
mêmes dans l'état ecclésiastique, sans con-
naître s'ils y sont appelés. Ceux-là doivent
appréhender bien davantage, qui ne laissent
pas d'usurper le sacerdoce, quoiqu'ils aient
tout lieu de croire que Dieu les rejette, et
qu'il ne les veut point au rang de ses mi-
nistres. Ceux que Dieu appelleont lieu d'es-
pérer qu'il les soutiendra, et qu'ainsi le
commerce du siècle ne leur sera point fatal.
Mais quel secours peuvent attendre les té-
méraires, qui, entrant dans le sanctuaire
n'ont consulté que leur caprice et leurs in-
clinations déréglées? Ils tomberont à cha-
que pas. Le commerce du monde sera pour
eux un dangereux poison qui achèvera de
corrompre leur cœur.
Les saints ont appréhendé le commerce
du monde, quoiqu'ils aient toujours marché
avec beaucoup de réserve et qu'ils n'aient
jamais pris avec le monde d'autres engage-
ments, que ceux auxquels ils étaient indis-
l)etisab!eiiient obligés. Que penserons-nous
donc de ces ecclésiastiques qui aiment le
n)onde, qui se livrent tout entiers au monde,
qui vivent dans une continuelle dissipation,
qui prennent occasion de leur état et de
leur condition, pour communiquer plus li-
brement avec le monde? Ils ne savent ce
que c'est que d'apporter les précautions salu-
taires qui sont absolument nécessaiics pour
ne point se souiller dans le commerce du
monde. Ils y vont la tête levée, sans garder
aucune mesure. Quand on se mêle avec le
monde, et que l'on est dans de si mauvaises
dispositions, il est bien dillicile qu'on ne
se corrompe, et qu'on ne tombe dans un
grand nombre de fautes.
De là il iaut conclure que ceux qui ont
plus d'éloignement pour la retraite, sont
ordinairement ceux qui en ont le plus be-
soin. 1! y en a une infinité à qui le com-
merce du monde est absolumentcontagieux,
parce qu'ils se portent naturellement à la
dissii)aiion. Quand lisseront touchés du dé-
sir de leur salut, et qu'ils voudront elfica-
cement y travailler, ils n'auront point d'au-
tre ressource que de se séparer du monde,
et de luir dans la solitude. C'est là qu'ils
npprendr ml à rompre ces liens funestes qui
(lOS) li Conabar quoiidie extra niuiidum extra
c.iiiiein lii'ii. » [Luco supru ci'.atu.)
1«(59
RETRAITE ECCLES. - VU, DE LA RETRAITE.
4070
soiilla période nos Ames; c'est là qu'ilsap-
prendront à se délaclior de tous les biens
trompeurs de ce monde, pour no plus ai-
mer que le seul bien véritalde, qui e.^t Dieu.
Car voici ce qui fait l'essence ol la sain-
teté de la vie retirée; c'est que dans la re-
traite on écoule Dieu, on goûle Dieu, et
l'on aime Dieu.
Les saints Pères appellent la vie retirée
un saint loisir. C'est le nom que lui donne
saint Augustin (109). Ce serait néanaioins
avoir une l'ort mauvaise idée de la vie reti-
rée, que de la regarder comme une vie oisive
et paresseuse. Celui qui vit saintement dans
la retraite, a sa vie toute remplie de saintes
occupations, elle est donc bien éloignée
d'être oisive.
Saint Augustin soupirant après la retraite,
disait ces belles paroles. Que personne ne
me porte envie, si je demande avec instance,
qu'on m'accordequelqueloisir; car dans mon
iuisir je serai continuellementoccupé (110).
Ayez donc une juste idée de la vie reti-
rée. C'est une vie continuellement occupée
de saintes actions. Celui qui sait bien pren-
dre le véritable espiit de la retiaite est de
ceux dont le Prophète assure qu'ils sont
bienheureux, parce qu'ils méditent la loi de
Dieu nuit et jour. [Psal, 1, 2.) Méditer les
vérités de la religion, s'en nourrir, chercher
sa consolation dans la lecture des livres
saints, y découvrir tous les jours de nouvel-
les beautés, en être d'aulaut plus charmé,
qu'on s'applique plus sérieusement à les
connaître, se combattre soi-même, chanter
les louanges du Seigneur, et bénir son saint
nom : Vuilà les saintes occupations de la
retraite.
C'était l'heureuse occupation des saints.
C'est là ce qui leur rendait leur solitude si
aimable, et voilà pourquoi ils se sont lait
une si grande violence quand ils ont été
obligés de s'en séparer. Car il a fallu obéir
à la voix du Seigneur. La retraite d'elle-
même est préférable à la vie occupée. Mais
quand le Seigneur parle, il laut abandonner
ce que l'on aime, pour aller vil Jésus-Christ
veut nous mener. Jésus-Christ vous api)elle
à la cunduile de son troupeau. Allez, quit-
tez la solitude, obéissez à Jésus-Christ. Vous
ne perdrez pas néanmoins pour cela l'amuur
que vous avez pour la retraite. Cet amour
doit toujours persévérer dans votre cœur,
comme vous allez voir dans la seconde par-
lie de ce discours, oii je dois vous montrer
dans quelle disposition ceux qui sont dans
l'action doivent eue à l'égard de la retraite.
SECOND POINT.
Je sup[)0se que vous êtes légitimement
appelé, et qu'à l'imitation du saint précur-
seur de Jésus-Christ, vous n'êtes sorti du
désert, que quand le Seigneur vous a lait
entendre sa vois. Je dis qu au milieu de l'ac-
tion vous (levez toujours conserver de l'a-
mour pour la retraite.
Car en premier lieu il y a un certain mon-
(t09; < Olium sanclum. >
(\ 10) I Ncmo iiiviUeai oliomeo, quia olium nieum
de dont vous devez vous séparer, et à cet
égard votre retraite doit être perpétuelle,
même pondant tout le temps que vous êtes
dans l'action.
En second lieu, il y a une espèce de re-
traite qui doit être de tous les jours, en ce
que vous devez tous les jours prendre un
certain temps pour vous recueillir et pour
vous préparer à l'action.
En troisième lieu, il vous est encore
très-nécessaire de quitter vos emplois de
temps en temp'^, pour vaquer uniquement
aux saints exercices de la retraite.
Enfin lorsque vous aurez donné un
temps sulïisant à l'action, et que Dieu
vous aura fait connaître qu'il est satis-
fait de voire obéissance, vous êtes obli-
gé de faire voir que vous avez toujours
aimé la retraite en y retournant avec joie.
Etablissons ces princi[)es solides, et fai-
sons voir de quelle nécessité il est d'en
être bien convaincu, pour se conduire pen-
dant qu'on est dans l'action avec toute la
fidélité que Dieu demande dans ses vérita-
bles ministres.
J'ai établi en fwemier lieu qu'il y a un
certain monde auquel les ecclésiastiques
sont obligés de renoncer, et qu'à l'égard de
ce monde ils sont obligés de vivre dans une
retraite perpétuelle.
Ndtre-Seigneur Jésus-Christ disait à ses
disciples : Vous n'êtes point du monde, mais
je vous ai choisis et séparés du monde, (joan.^
XV, 19.) Le Fils de Dieu parle en ce lieu
d'une séparation qui doit durer toujours.
Comment donc croyez-vous pouvoir con-
server quelque liaison avec ceux dont Jé-
sus-Christ vous commando de vous séparer ?
Il vous déclare qu'il vous a séparés du
monde. Qu'est-ce à dire du monde? Jésus-
Christ parle du monde corrom()u, qui suit
des maximes pernicieuses et opposées à
celles de l'Evangile. On reconnaît assez par
une funeste expérience, qu'on ne peut guère
se rencontrer au milieu de ce monde cor-
rompu, sans y respirer un air funeste et
contagieux, qui donne la mort à nos âmes.
Voilà pourquoi sainlBasile (111) enseigne,
que quand on veut mener une vie exacte,
il faut s'éloigner de ceux qui vivent dans
la mollesse et dans le relâchement; et que
c'est s'exposer à un danger évident de se
perdre, que de se mêler avec ceui qui ,no
s'ai)pl!quent [)oint à garder les commande-
menls de Dieu.
Que dirait-on de celui, lequel ayant des
ennemis terribles à combattre, au lieu de
les affaiblir, leur mettrait entre les mains des
armes fortes et puissantes ? N'est-ce pas
absolument vouloir être vaincu? Telle est
la folie de l'homme, qui s'expose au milieu
du monde. Nous portons au milieu de
nous des inclinations déréglées qui nous
livrent de rudes combats. Nous allons
les fortifier au milieu du inonde. Quand
on n'a pas plus de précaution, n'est-
niagniim habet negoiium. > (Epist. 213, al. 110.)
(lit) l\eg. jus.dhp., rej. 0, t. II, p. 559.
i071
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1072
il pas vrai de dire que l'on conjure con-
tre soi-même, et que l'on veut absolument
périr?
Pour peu que l'on considère les engage-
ments de la vie ecclésiastique, quoi de pliis
aisé que de voir qu'un prêtre au milieu du
monde est entièrement déplacé, et qu'il
n'est point dans son lieu? Qu'entend-on
autre chose dans le monde que des maxi-
mes entièrement opposées à celIesdeJésus-
Christ? Ce sont des éloges continuels de ce
que le Fils de Dieu a condamné, et des op-
positions opiniâtres à tous les enseignements
.que le Fils de Dieu nous a laissés. Un mi-
nistre du Seigneur qui ne devrait ouvrir
la bouche que pour condamner Je monde,
approuve lui-môme par ses discours et par
SR conduite les maximes corromfiues du
siècle. On voit un ministre du Seigneur
avoir de lâches complaisances pour les
femmes du siècle. Il les flatte, il leur ap-
plaudit. Un argent dont les pauvres ont tant
besoin, el qui leur appartient est exposé
aux incertitudes d'un jeu capricieux, et
quand le hasard en décide, il tombe entre
les mains des femmes du siècle, qui s'en
si'rvcnt pour entretenir leur délicatesse.
Souvent les gens du monde moins insensi-
bles que les ministres du Seigneur, sont
frcp|)ésdeces indignités, et les condamnent
hautement. Allez, ministres indignes, vous
mériteriez d'être honteusement chassés de
ces assemblées, où vous ne pouvez aller
que vous ne déshonoriez votre caractère.
Celui-là donc qui connaît tant soit peu la
sainteté de son étal, est convaincu qu'il
faut rompre entièrement avec le monde.
Mais pour peu qu'il ait de zèle il n'en
demeure pas là. Un prêtre qui veut s'acquit-
ter saintement de ses devoirs, a peu de
commerce avec les hommes. 11 les voit, il
les reçoit avec bonté , il leur parle sans en-
nui, il n'épargne point son temps, quand il
s'agit de leur être utile. Après avoir satis-
fait à ces devoirs de charité , il se renferme
dans lui-même , et il évite autant qu'il lui
est possible de se répandre au dehors. Par
là il acquiert leur estime , et se met en état
de faire plus d'impression sur eux quand il
leur explique ses sentiments. Afin que les
gens du monde respectassent les ecclésiasti-
ques autant qu'ils le doivent, il faudrait
qu'ils ne vissentque leurs vertus, etqu'ils
les crussent exem[)ts de défauts. Qu'on vous
voie à l'autel, dans la chaire de vérité,
dans les autres fonctions de votre ministère.
Si vous vous rendez familier, il est impos-
sible que vos défauts échappent, et que
J'estime qu'on doit avoir pour vous ne di-
minue considéraldement. C'est ce qui doit
vous convaincre , que pour être utile , vous
devez vivre dans une grande réserve. Voici
une maxime excellente établie par un saint
auteur, qui convient à tous les chrétiens,
et particulièrement aux ecclésiastiques, il
faut avoir de la charité généralement pour
tous les hommes , mais il y en a peu avec
qui il convienne d'avoir de la familiarité
(112).
J'ai dit en second lieu qu'il y a une au-
tre espèce de retraite qui doit être de tous
les jours , en ce que les ecclésiastiques doi-
vent tous les jours prendre un certain
temps pour se recueillir, et pour se préjja-
rer à l'action.
Jésus-Christ, qui était la sainteté môme,
se préparait parla retraite, la prière et
le recueillement aux importantes fonctions
de son ministère. Vous l'avez vu se retirer
et passer la nuit en prière, avant que do
faire le choix de ses apôtres. Nous donc
faibles instruments, exposés à nous trom-
per, à nous décourager, et à corrompre les
plus saintes actions par la mauvaise dispo-
sition de notre cœur, nous sommes bien plus
étroitement obligés de nous retirer pour
écouter Dieu , et pour faire de sérieuses ré-
flexions , avant que d'entreprendre nos
saintes fonctions.
Que de di/î'érence entre un ecclésiastique
qui vit sans réflexion, et un autre qui con-
sidère attentivement ce qu'il est el ce qu'il
doit à Dieu.
L'ecclésiastique qui vit sans réflexion,
fait ses fonctions avec immodestie , et sou-
vent au lieu d'édifier le prochain, i! le scan-
dalise. Des motifs humains sont la plupart
du temps Je principe de ses actions. C'est
l'intérêt qui le conduit, ou c'est l'habitude
qui le fait agir. Il fait souvent des fautes
très-grossières, et il no s'en aperçoit pas.
11 décide avec hardiesse sur des matières
qui lui sont inconnues, et qu'il n'entend
pas. Il se trompe, et il conduit dans les
voies de l'erreur ceux qui ont le malheur
de s'adresser à lui. C'est un aveugle qui
tombe dans le précipice, et qui y fait tom-
ber les autres. Que de fruits malheureux
d'une préci[)itation hardie, et qui n'est
point éclairée par la réflexion 1
,. Voyez au coniraire cet autre ecclésiasti-
que attentif sur lui-même , et qui tous les
jours prend un certain temps pour se ren-
dre à lui-même raison de sa conduite. Tou-
tes ses actions sont accompagnées d'une
modestie qui édifie, et qui donne une haute
idée du ministère ecclésiasticiue. 11 examine
ce que Dieu demande de lui, et c'est Dieu
qui est son guide fidèle dans toutes ses
fonctions. Comme il s'examine souvent sé-
rieusement, et de près , il ne fait guère de
fautes qu'il ne s'en aperçoive , el qu'il ne
s'en fasse à lui-même de très-sévères re[)ro-
ches. La juste défiance dans laquelle il est
de lui-même est un frein qui Je relient, et
qui l'emf)ôclie de prononcer trop hardiment,
iors(|a'il n'est f)as sufiisamment instruit.
Il criiint d'autant plus de se tromper, qu'il
voit bien que ses erreurs ne seraient pas
seulement pernicieuses à lui-môme, mais
encore à ses frères. Comme il sait qu'il est
resjionsable des chutes de ses frères quand
(112) « Chaiilas liabeiida eisl ad oiiines, sed lamllinrilas noii expedil. » (Lib. De imilal Cliristi,c. 8.)
1073
IIETIIAITE ECCLKS. —
elles arrivent par sa fiiulc , il prend toutes
sortes de précautions pour les conduire
dans le droit clieruiu. Voil;» les fruits bien-
heureux de toutes les réllexions que cet
ecclésiastique fait avec exactitude sur lui-
mênio et sur ses obligations.
C'était la sainte pratique de David , com-
me il nous l'explique, quand il nous dit
qu'il est exact h examiner sa conduite. Puis
il nous fait connaître quels sont les fruits
de cet examen sérieux : Et j'ai dressé mes
pas dans la voie de vos préceptes. {Psal.
CXVni.) N'est-ce pas nous faire entendre
que le vrai mo3'en pour dresser ses [)asdans
la voie des préceptes, c'est d'examiner sa
conduite par de sérieuses réflexions ?
C'est donc une pratique à laquelle un ec-
clésiastique doit être très-fidèle, que pren-
dre tous les jours un certain temps pour
examiner ses voies. C'est là qu'il répand
son âme devant Dieu , qu'il le prie de l'é-
clairer, qu'il entre dans l'examen de lui-mê-
me , qu'il se reproche sa tiédeur, qu'il ob-
serve ses défauts, qu'il forme de saintes
résolutions, qu'il connaît ses engagements.
1! sort de cet examen tout plein de zèle.
Lorsqu'ensuite il s'applique à ses devoirs il
est aisé de voir, que Dieu , dont il a implo-
ré les lumières et les secours, l'éclairé et
le fortifie.
Ce n'est pas encore là toutes les précautions
que prend un ecclésiastifiue vertueux pour
travailler efficacement à se sanctifier, et à
sanctifier les autres. Une retraite si courte
et si souvent interrompue par l'action ne
lui paraît pas suffisante. 11 choisit au moins
tous les ans un ceitain temps, dans lequel il
se délivre de tout soin pour se renfermer
uniquement avec Dieu , et pour l'écouter
avec plus de loisir.
Que de raisons fortes et pressantes qui
engagent les ecclésiastiques d'être fidèles à
cette pratique 1
Car en premier lieu , n'est-il pas certain
qu'étant portés de nous-mêmes au relâche-
ment, il est absolument nécessaire que nous
nous renouvellions , que nous excitions
notre zèle, que nous l'ennammious ? Saint
Paul dit à son discii>le Timoihée : Je vous
avertis de rallumer ce feu delà grâce de Dieu
que vous avez reçue par l'imposition de mes
mains. (II Tim. I, G.) Si saint Paul a jugé
que Timoihée qui était si saint avait besoin
néanmoins de rallumer le feu de la grâce ,
il est encore bien plus nécessaire que nous,
qui sommes très-éioignés d'être aussi ar-
dents queTimolhée, nous nous appliquions
à rallumer le feu de la grâce. C'est ce qui
sefail excellemment dans la retraite, et ja-
mais aucun ecclésiastique n'a pratiqué cet
exercice avec de saintes dispositions , qu'il
n'en soit sorti plein de consolation et d'ar-
deur.
En second lieu, qui pourrait expliquer
de quelle importance il est à un ecclésias-
tique do faire do sérieuses réllexions sur
ses obligations? Je dis sur ses obligatioiis
VII, DE LA UEÏRAITE. <OTi
par rapport h lui-même, et par rapport au
prochain.
Par rapport h lui-même. Un ecclésiastique
est obligé de mener une vie pure, exacte,
sainte. 11 est difficile qu'il s'acquitte do cette
obligation, à moins qu'il ne rentre souvent
en lui-même, pour examiner si la régula-
rité de sa conduite réoond à la sainteté de
son caractère.
Les obligations par rapport au prochain
ne sont pas moindres. Qu'est-ce qu'un ec-
clésiastique, sinon un homme qui, par son
caractère, doit se dévouer entièrement au
service du prochain?
Un ecclésiastique dans l'emploi, au milieu
du murmure et du trouble inséparable de
l'action, est-il bien en état de faire toutes
ces rériexions? Il faut donc absolument
choisir un temps, où l'on se procure une
heureuse liberté qui nous mette en état do
nous appliquer uniauemenl à la méditation
de nos devoirs.
En troisième lieu, étant chargés de si
grands devoirs, \\ est impossible que nous
ne tombions dans des fautes très-considé-
rables. Les plus grands saints, nonobstant
leur exactitude, étaient dans des alarmes
continuelles à la vue des fautes qu'ils crai-
gnaient de commettre dans l'exercice de
leur ministère. Us appréhendaient de ne
pouvoir pas se soutenir quand ils compa-
raîtraient au tribunal de Dieu. Souvent nous
ne sommes pas assez frappés de nos fautes,
parce que nous ne les connaissons pas, et
nous ne les connaissons pas, parce qoe
nous ne faisons pas assez de réflexion sur
nous-mêmes. La retraite nous sera d'une
merveilleuse utilité; pour ne pas ajouter à
toutes nos fautes celle de ne les pas con-
naître, de n'en pas gémir, et de ne pas
prendre toutes les précautions nécessaires
pour nous en délivrer. C'est là qu'étant
seul avec Dieu, vous vous ferez rendre à
vous-même un compte exact de toute votre
conduite, vous ne vous épargnerez point,
vous fouillerez dans tous les replis do votre
conscience, vous verrez en détail toutes vos
misères, vous vous jugerez sévèrement.
C'est le moyen le plus sûr que vous puis-
siez embrasser pour obtenir de Dieu qu'il
vous épargne dans son jugement; car saint
Paul a dit que si nous nous jugeons nous-
mêmes, nous ne serons pas jugés de Dieu.
(1 Cor., XI, 31.)
Mais pouiïiuoi tant de difficultés à cette
retraite, puisque c'est une pratique dont on
peut retirer tant de fruit?
Saint Augustin dit qu'il n'y a que ceux
qui ne veulent pas travailler sérieusement
à se purifier, à qui la retraite fait de la peine.
Us ne veulent pas rentrer dans leur cœur,
jjarce qu'ils ne [leuvent supporler la vue de
leur conscience criminelle. Saint Augustin
les compare à un homme (]ui craint de ren-
trer en sa maison, parce (lu'il est assez mal-
heureux pour avoir une fenimc,dont l'hu-
mour fièro, aigre et aliiôrc est incomjatibltf
iOlb
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMDERT.
1076
avec ,a sienne (113). 11 n'a jamais de joie
que quand il sort de sa maison. Quand l'heure
d'y retourner est venue, il coriiinence à s'af-
fliger, parce qu'il sait qu'il n'y trouve que
des chagrins. Que ceux-là sont malheureux
qui cr'aignent de rentrer dans leur cons-
cience, (ie neur d'y être tourmeniés par le
trouble et le remords de leurs péchés I Tra-
vaillez à vous purifier, vous verrez que la
retraite ne vous fera plus de peine, et que
"VOUS n'aurez jamais plus de joie que quand
vous rentrerez dans votre cœur.
Vous aurez tant d'amour pour la retrailc
que vous soupirerez continuellement après
l'heureux jour, ovi Dieu vous permettra de
vous décharger entièrement de votre far-
deau }iour finir voire carrière dans une
sainte et heureuse retraite.
C'est encore l'exemple que les saints vous
ont laissé. Ils ont quitté la retraite avec re-
gret, ils y sont retournés avec joie, aussitôt
qu'il leur a été permis de rompre leurs
liens.
Voyez un saint Grégoire de Nazianze qui
croit devoir quitter pour le bien de la paix
le gouvernement de l'Eglise de Conslan-
linople. 11 est tout plein de joie, parce qu'il
s'en retournera dans sa chère retraite.
Voyez un saint Augustin, avec quelle ins-
tance ne demande-t-il point un succes-
seur? Quel est donc le motif qui le presse?
C'est de pouvoir donner plus librement le
reste de sa vie à la méditation des saintes
Ecritures.
Dans les derniers siècles un dom Barlhé-
lemi des Martyrs ne cesse point de faire
des instances, jusqu'à ce qu'il lui ait été
permis de se décharger du pesant fardeau
de l'épiscopat, pour rentrer dans sa retraite
dont il n'était sorti que malgré lui.
II serait aisé de citer un grand nombre
d'autres exemples qui justifient l'amour
persévérant que les saints ont toujours con-
servé pour la retraite.
La vraie règle est de demeurer dans l'ac-
tion, tant que nous y sommes retenus par
les liens de la charité, tant que le prochain
a besoin de nous, et que nous avons des
forces pour le servir. Et, pour en juger, les
principes les plus sûrs que nous puissions
suivre, c'est d'obéir et de nous soumettre
au jugement de nos supérieurs.
Mais ce que l'on ne peut excuser, c'est de
voir des ecclésiastiques qui ne rendent au-
cun service au prochain, qui souvent le
scandalisent ; on leur fait voir qu'il est abso-
lument nécessaire qu'ils se retirent du mi-
nistère, et ils y demeurent avec obstination.
Vous en verrez d'autres dont les forces sont
usées, ou considérablement aliaiblies. I) est
impossible qu'ils continuent de remplir
'leurs fonctions. Dieu qui leur a demandé
qu'ils se servissent de leurs Iaknis, veut
présentement qu'ils aillent dans la retraite
travailler au compte qu'ils doivent un jour
lui rendre. N'est-ce pas la la véritable hy-
pothèse dans laque. .e un ecclésiastique doit
se rendre justice à lui-môme, et dans la-
quelle il doit faire voir que l'amour de la
retraite a toujours été dans son cœur?
Gardons cet heureux tempérament avec
lequel un ecclésiastique accordera tous les
sentimems qui conviennent <> son caractère
et que Dieu veut trouver en lui. Agissons
en toutes choses non point par humeur, non
point par caprice, non point par notre goût,
mais par les principes que le Seigneur nous
inspire de suivre. Que l'empressement pour
la retraite ne nous fasse point prendre une
résolution déréglée de renoncer à l'action
dans ie temps que Dieu veut que nous de-
meurions dans les emplois. Mais aussi quand
Dieu nous marque que le temps de nous
retirer est venu, témoignons que la seule
volonté du Seigneur nous a retenus. Mon-
trons par une prompte obéissance que nous
avons toujours connu ce que c'est que
la retraite, et que nous l'avons toujours
aimée.
Telles sont les véritables dispositions
dans lesquelles les ecclésiastiques doivent
être à l'égard de la retraite. Rentrons dans
nous-mêmes, et examinons les mouvements
de notre cœur. Qu'il y en a peu qui aiment
véritablement la retraite ? Qu'il y en a au
contraire un grand nombre qui aiment le
tumulte et les intrigues du monde ?
Il y a très-peu d'ecclésiastiques qui s'ac-
quittent saintement de leurs devoirs, parce
qu'il y en a très-peu qui aient les vrais sen-
timents ecclésiastiques. Il }- en a très-peu
. qui les connaissent. Des vues humaines
corrompent des cœurs qui devraient ôire
sainls, qui tievraient être entièrement atta-
chés à Dieu et à leurs devoirs.
Demandons au Seigneur qu'il nous don-
ne une idée juste, une véritable estime, et
un amour ardent de notre saint ministère.
Acquittons-nous de nos fonctions en la ma-
nière que le Seigneur le demande de nous,
non point par des vues basses et inté-
ressées, mais dans la vue de nous sanctifier
et d'obéir à Dieu. Témoignons un grand zè-
le pour le service du prochain, (lendant que
nous avons lieu de juger que nous suivons
l'ordre de Dieu. Défions-nous de nous-mê-
mes, frémissons à la vue de nos misères, de
nos faiblesses, et de nos infidélités, soyons
bien convaincus que quand nous nous som-
mes consacrés à Dieu dans l'élat ecclésias-
tique, c'est un grand fardeau dont nous
avons été chargés. Nous devons souhaiter
de rendre notre condition moins pénible.
Lorsque Dieu le [)ermel, c'est une miséri-
corde, dont nous lui sommes redevables,
et dont nous devons profiter exactement.
Fusse le Seigneur que pénétrés de ces
sentiments nous soyons fidèles <i Dieu dans
tous les étals où sa providence nous place-
ra, afin que nous soyons un jour récompen-
sés avec les serviteurs soumis dans l'éliT-
nité. 1
'115) € Nolunt InUare domos suas qui habciil mains uxores... ul possis libeiis redire ad cor Uiuni,
niiiiida iliud. » (Iii vsal. xxxiii.j
1077
RETR^MTF. ECCLES. — VIII, DE LA PUIKRE.
DISCOURS VllI.
1078
DE LA PRIERE.
Dans le dessein que je me propose de
vous entretenir de toutes los fonctions de
votre état, je ne puis différer plus long-
temps à vous parler de la prière. Ce saint
exercice doit être une do vos principales
occupations. Aussitôt que vous êtes consa-
crés prêtres, vous êtes obligés de donner à
la prière une grande partie de votre temps.
Un prêtre doit être essentiellement un hom-
me d'oraison. Quiconque n'est point réso-
lu de consacrer beaucoup de temps à la priè-
re, n'est pas propre à servir le Seigneur dans
le ministère des saints autels.
Comme vous êtes élevés au dessus des
autres hommes par votre caractère , vous
devez aussi avoir de plus nobles idées des
choses saintes, et en particulier de la prière.
Il n'est que trop ordinaire de trouver des
hommes dans le monde, qui ne connaissent
point assez la nécessité de la prière. Ils ne
sont touchés que de ce qui frappe les sens.
Jls ne sont point instruits des voies que
Dieu veut que l'on suive pour attirer ses
grâces.
Pour vous h qui il appartient par votre
ministère d'approfondir les secrets du Sei-
gneur, vous devez savoir qu'il est très-avan-
tageux au chrétien de prier, que c'est un
temps très-utilement employé, que la priè-
re a beaucoup de force, et que c'est un mo-
yen etTicace que Dieu nous a donné pour
obtenir une infinité de biens que nous ne
pouvons recevoir que de lui.
Il y a aussi très-peu de chrétiens qui
connaissent ce que c'est que prier. Quand
on approfondit ce que c'est que la prière,
on découvre qu'il y en a beaucoup qui
croient prier et qui ne prient jamais. Ce se-
rait un grand malheur pour des ecclésias-
tiques, que de tomber dans ces illusions.
De là il pourrait arriver que ceux qui sont
obligés d'employer à prier une grande par-
lie de leur vie, ne prieraient point. Car ce
n'est point prier que de ne le pas faire en
la manière que Dieu nous le commande.
Vous voyez qu'il vous est nécessaire de
vous préserver de toutes ces erreurs, et
d'apprendre à fond ce que vous avez à faire
pour accomplir le commandement que Dieu
vous fait de prier.
C'est la vérité que j'ai à traiter dans cet
entrelien queje divise en trois parties. Dans
ia première je vous ferai voir que les ecclé-
siastiques ont une obligation toute particu-
lière de prier. Dans la seconde je vous ex-
pliquerai quelle est l'essence do la [irière.
Dans la troisième je vous proposerai les
règles que vous devez suivre, pour vous
bien acquitter de l'obligation qui vous est
imposée de prier.
PREMIER POINT.
Tout homme a besoin de prier et doit
donner beaucoup de teiups à la prière. Les
ecclésiastiques ont des raisons particuliè-
res et très-pressanlos, qui les obligent en-
core plus que les autres d'être très -assidus
au saint exercice de la prière.
Un ecclésiastique pour connaître l'extrê-
me besoin qu'il a de prier, n'a qu'à consi-
dérer ce qu'il est, quelles sont ses fonctions,
et ce qu'il doit à son prochain.
Un ecclésiastique par son état et par son
caractère est obligé d'être saint. De qui
peut-il espérer les grâces éminentes dont il
a besoin que de Dieu ? Et par quelle autre
voie peut-il les obtenir que par la force de
la prière ?
Un ecclésiastique par son état et par sou
caractère se trouve engagé dans des fonc-
tions dangereuses, dilTiciles, au dessus des
forces humaines. C'est ce qui l'oblige de re-
couri r continuellement au Seigneur, et sans
son secours il est impossible qu'il se sou-
tienne.
Un ecclésiastique doit beaucoup à sou
prochain, et ce qu'il lui doit particulière-
ment , c'est de prier pour lui.
Apprenez ce que vous êtes, quelles sont
vos fonctions, ce que vous devez à votre
prochain, et vous vous convaincrez en mê-
me temps de l'obligation étroite qui vous
est imposée de prier beaucoup.
Dès que vous êtes ecclésiastiques vous
êtes obligés d'être des saints. Non-seule-
ment vous devez être des saints, mais en-
core il faut que vous ayez une sainteté
éminente et proportionnée à la saintelé
de votre caractère.
Je vous ai fait voir dans d'autres discours
que le caractère ecclésiastique suppose une
grande sainteté dans ceux qui en sont ho-
norés. Je ne vous répéterai point les preu-
ves dont je me suis servi pour vous con-
vaincre de celte importante vérité. Je ine
contenterai présentement de vous exposer
en peu de mots, quels étaient ceux qui
étaient choisis dans les premiers teiups
pour exercer los fonctions ecclésiastiques.
» On voulait que ce fussent des hommes
pleins de sagesse et du saint Esprit. {Act.,Yl,
3.) Ce n'était pas assez qu'ils eussent de la
sagesse, on voulait qu'ils en fussent pleins.
On voulait qu'ils fussent pleins du saint
i^spri^, et par conséquent on no choisissait
que ceux qui étaient les temples du saint
Esprit, et que ce divin Esprit avait remplis
de grâce et de charité.
Je vous ai montré qu'une sainteté com-
mune n'éiait point sullisanto dans un hom-
me honoré du caractère ecclésiastique.
Tous les saints Pères ont établi celte vé-
rité. Ils sont lous convenus avec saint Ba-
sile (IH), que si.c'élait assez pour un sim-
ple hdèled'êlro exempt de vice et de [)rali-
quer les vertus convenables à son état, l'é-
lévation du caraclère ecclésiastique de-
mandait de plus grands efforts. Un ministre
du Seigneur doit surpasser par sa sainteté
ceux au-dessus de qui il est par sa dignité.
Le rang qu'il occupe demande qu'il fasse
(lli) Ontl, 'funebria .S. BaMii, .ipud Gr. Na/.., oral. 20, p. Ôi3.
Î079
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1080
(io continuels progrès da-is la vertu, Qii'il
considère combien il est éh vé, et qu'il ait
pour principe que sa vertu et sa sainteté
doivent répondre à l'élévalionde son rang.
Saint Grégoire de Nazianze (115) est dans
le même sentiment que saint Basile. II as-
sure que c'est un manquement considéra-
ble dans un prêtre que de n'être pas très-
saint, et de ne pas avancer continuellement
dans la perfection de son état. Dans un
autre endroit, i) dit qu'un prêtre doit être
en état d'approcher de Dieu, et qu'il doit
avoir plus d'accès auprès de Dieu que les
antres fidèles.
Vo3'ez ce que vous devez être, vous n'au-
rez pas de peine à entendre, que vous avez
un très-grand besoin du secours de la
prière pour arriver à la perfection de votre
étal. Vous devez être des saints, vous de-
vez avoir accès auprès de Dieu, vous devez
faire de continuels progrès.
Vous devez être des saints. Il n'y a que
Dieu qui puisse vous sanctitier. C'est moi,
dit le Seigneur, çMitJOMS sanctifierai. [Exod.,
XXXI, 13.) Vous ne pouvez recevoir la
sainteté qui vous est nécessaire que do
celui, de qui l'afjôtre saint Jacques nous
enseigne que vient toute grâce excellente et
tout don parfait, (/ac, ,1,17.) Vous devez
donc vous adresser continueilementà celui
qui est l'auteur de toute sainteté. L'extrême
besoin que vous avez de son secours, vous
avertit assez que vous ne devez jamais ces-
ser d'aller à lui Vous devez, sans interrup-
tion, lui demander celte sainteté éminente,
sans laquelle vous ê!es indignes du rang
où sa providence vous a placés.
Quand bien même Dieu vous aurait déjà
favorisé de ses dons, les saints Pères vous
ont marqué que l'élévat on de votre carac-
tère vous oblige h faii e de continuels cU'orls
pour avancer. Quels seront vos efforts sans
Je secours du Seigneur? Si vous n'en êtes
•auissaniinent soutenus, pouvez-vous avon-
;er, pouvez-vous même faire le premier
pîis? Vos besoins sont continuels, votre
prière doit donc être pareillement conli-
.luelle. Plus les besoins sont grands, [dus la
prière doit être fervente. Vos besoins sont
continuels, vos besoins sont très-grands,
\oilà ce qui doit régler le temi)S et la fer-
veur de votre prière.
Lorsque vous commencerez à entrer dans
l'exercice de vos fonctions, lorsque vous en
examinerez la nature et les diflicullés, vous
sentirez encore très-vivement le besoin que
vous avez de recourir à la [)rière,atin d'ob-
tenir de Dieu ses secours sans lesquels vous
ne pouvez rien.
Il n'y a point de fonctions plus élevées
que les fonctions ecclésiastiques, mais on
même temps, il n'y en a point de plus pé-
rilleuses. Les chutes ne sont jamais plus
ciangereuses que quand on tombe d'un lieu
':rès-élevé. Ceux-là donc que le Seigneur a
-élevés ont bien lieu de trembler. Et comme
il n'y en a point qu'il élève davantage, que
(ll.SjOrm, 1, p. 7, C.8,
ceux qu'il honore de la qualité de ses mi-
nistres, il n'y en a point aussi qui aient
pins sujet de craindre. Que celui qui croit
être ferme prenne garde à ne pas tomber (1 Cor. ,
X, 12), dit le saint Apôtre. C'est un avis
qu'on ne peut trop souvent répéter à ceux
qui sont placés parmi les ministres du Sei-
gneur. Qu'ils prennent garde à ne point
tomber, parce que leurs chutes sontprcsqne
toujours mortelles. Mais comment se sou-
tiendront-ils au milieu des périls qui les
environnent? Ils se soutiendront si le Sei-
gneur les protège. Et comment atlireronl-
ils cette protection qui leur est si néces-
saire ? La voie la plus sûre et la [)lus efficace
qu'ils puissent employer, pour la mériter,
n'est-ce pas la prière ? J'ai invoqué le Sei-
gneur dans ma tribulation et dans mon be-
soin, f ai crié vers mon Dieu. Il a écouté ma
voix de son saint temple. Et les cris que j'ai
faits en sa présence sont venus jusqu'à ses
oreilles. {Psal. XVII, 7.)
Les ecclésiastiques sont établis ponrêlro
les conducteurs des âmes qui soni très-pré-
cieuses à Dieu. C'est là, dit saint Gré^goire
de Nazianze, ce que Dieu demande des
f)asteurs (116). Il les charge de s'appliquer
à la giiérison des âmes. Il veut que lésâmes
qui sont son ouvrage le plus excellent,
soient l'objet particulier de leurs soins.
Pour comprendre combien Dieu nous ché-
rit, il n'y a qu'à considérer le prix qu'il a
donné pour nous sauver. Dieu confie à ses
ministres le soin des âmes qui lui sont si
chères. Il les met entre leurs mains. 11
leur demande toute leur application à cette
œuvre importante. 11 doit un jour leur
faire rendre compte de leur administra-
tion.
Le plus grand malheur qui puisse jamais
arriver à un pasteur, c'est d'avoir négligé
les brebis du Seigneur. Si quelqu'une des
brebis jiérit par sa faute, en faut-il davan-
tage pour le rendre criminel et pour Je
l)erdre sans ressource?
Comme un pasteur pénétré de cesvérites
ne cesse jamais de trembler, il ne cesse
l)oint aussi de prendre toutes sortes de
précautions pour conserver les brebis qui
lui ont été confiées. Une des principales,
c'est de les recommander au souverain pas-
teur. Elles ne sont en sûreté que quand il
les protège. Personne ne [)eut les ravir de
ses mains. Un pasteur fidèle à ses devoirs,
zélé pour le salut de ses brebis, doit conti-
nuellement s'adresser à Jésus-Christ. Il
le prie, il gémit en sa présence, il invoque
son secours tout puissant, il reconnaît que
tout dépend do Jésus-Christ. Il ne compte,
ni sur ses soins, ni sur ses travaux, ni sur
ses veilles, mais il compte uniquement sur
la vigilance, sur la miséricorde, et sur la
protection du souverain pasteur.
Ce qui excite particulièrement la com-
passion d'un pasteur zélé, c'est lorsque
parmi ses brebis, il en aperçoit un si grand
uoujbre qui sont dan? l'égarement, et qui
(116) Orat. l,p. il.
iOSi
RETRAITE ECCLES. — V1!I, DE LA PRIERE.
1082
courent risque de se penlre. Que fera-l-il
dans celle fâcheuse cîlrémilé sinon décrier
au Seigneur, et de le supplier de laire con-
naître à SOS brebis égarées tous !os mal-
heurs auxquels leur désertion les expose?
Un homme no peut jamais en convertir un
autre. La conversion du cœur est l'ouvrage
de Dieu. C'est à Dieu à qui nous disons :
Seigneur, convertissez-nous. (Psal. LXXIX,
20.) C'est à Dieu à qui nous devons aussi
nous adresser pour obtenir la conversion
de nos frères. Autant de (lécheurs qui se
rencontrent parmi ceux qui sont confiés à
nos soins, sont autant de motifs pressants
qui nous obligent de recourir à Dieu pour
demander leur conversion.
Toutes les preuves que nous avons de
notre impuissance, sont des arguments qui
nous font voir clairement la nécessité do la
prière. Qu'un ecclésiastique ait donc pour
principe, que dans toutes ses Ibnclions il ne
peut rien sans Dieu, et que la prière est le
moyen que Dieu lui met entre les mains
pour attirer son secours.
Un ministre du Soigneur paraît dans la
ch/iire de vérité pour établir les maximes
de l'Evangile. II s'est préparé à une si im-
portante action. Mais quelles ont été ses
mesures, et ne s'est-il point trompé dans le
choix des moyens qu'il a embrassés pour
avoir un heureux succès? Il a médité son
sujet, il a cherché les arguments qui lui ont
paru les plus forts pour confirmer la vérité
qu'il prétend établir. Il a beaucoup travaillé
pour mettre ses preuves dans tout leur jour.
..i a examiné la disposition de ses audi-
teurs, et de quelle manière il leur faut
parler pour leur rendre les vérités plus
sensibles.
D'autres songeront h plaire. Ils feront un
grand fonds sur les ornements do l'élo-
quence, lis travailleront à s'attirer des ap-
plaudissements.
Peut-on se tromper |)lus lourdement et
()rendre des mesures plus trompeuses pour
réussir dans une action do cette importance?
Quoi I vous vous préparez à exercer lesaint
ministère de la |)arole, et vous omettez la
jnemière et la principale préparation qui
est la [irière.
Ah 1 cpio cet autre ministre du Seigneur
connaît bien mieux que vous la sainteté de
l'action qu'il se propose d'eni.reprendre. Je
le vois premièrement appliqué à [irier et à
demander à Dieu qu'il fasse fructifier sa
parole.
Pour connaître quels sont ceux qui pren-
nent de justes mesures, il n'y a (ju'à consi-
dérer de <]ui do[)end l'eHet de la prédication,
et à qui il appartient de faire fruclilier colle
divine semence.
Le grand principe est que l'homme frappe
l'air et parle en vain, à moins que Dieu ne
parle au fond du cœur el (ju'il no le louclio.
(117) I Ha-c se possc pielale magis ornliomun,
'(oaiii oraluiuin lacullate non Jiibilot, iiloiando pro
se ac \no illis qiios est allocnUnus, sit oi aloF aii-
It^ijuain di< lui 1 'l.ib IV De rfocO/Hn C/ui'sr, c. 15.
Si ce princi[)e est certain, vous voyez bien
que vous prenez de fausses mesures, jus-
qu'à oc (pie vous vous adressiez <i celui (jui
est le maître des cœurs. Priez beaucoup,
géniisscz beaucoup, parlez beaucoup à Dieu,
c'est une préparation nécessaire, et sans la-
quelle on est très-téméraire, lorsqu'on en-
treprend d'exercer le saint ministère de la
prédication.
Je ne prétends pas que la prière soit la
seule préparation nécessaire. 11 y a d'autres
moyens qui sont dans l'ordre de Dieu, et
dont il nous command(! de nous servir. Mais
jo soutiens que parmi tous ces moyens la
prière est un des principaux. C'est celui sur
lequel il faut particulièrement compter.
Tous les autres moyens n'ont de force
qu'autant que la prière leur en donne. C'est
une vanité, c'est une présomption que de
compter sur soi el no pas tout attendre du
secours du Seigneur. C'est donc une vanité
et une présomption que de ne le pas de-
mander par de ferventes prières. Il en fera
plus, dit saint Augustin, par la force de la
prière que par les efforts de l'éloquence. Il
a prié pour lui, il a prié pour les autres. Il
n'a point encore parlé, el néanmoins il a
beaucoup avancé. Il a parlé à celui qui
touche les cœurs: pouvait-il soconduire avec
plus de sagesse , dans l'obligation où il
est de se proposer [larticulièremenl le
changemonl et la conversion des cœurs?
(117.)
Saint Augustin a été ferme dans celle
maxime, que la sainte vie a plus de force
que l'éloiiuonce humaine, qu'il faut beau-
coup plus compter sur la prière que sur
tous les autres moyens. Mais comme saint
Augustin n'a jamais outré les maximes, il
demeure d'accord qu'un minisire fidèle ne
doit négliger aucun moyen. Il observe
exactement toutes les règles qui lui sont
prescrites avec une forte persuasion que
tout vient de Dieu. Quand ilaplanté, quand
il a arrosé, il attend toutes choses de celui
à qui seul il appartient de donner Vaccroisse-
ment (118],
Il en est de toutes les autres fonctions ec-
clésiastiques, comme du saint ministère de
la parole. Elles sont toutes au dessus des
forces humaines. Tous les saints les ont
considérées comme des fondions acca-
blantes. Ils ont tous appréhendé de succom-
ber sous la pesanteur du fardeau. S'ils ont
respiré au milieu de leur crainte el do leurs
alarmes, ce n"a jamais été qu'en levanl les
yeux au ciel, et en meltanl toute leur osj)é-
rance en celui qui les avait appelés. Ils ont
formemonl cru qu'aucun ecclésiasticjue ne
pouvait exercer dignement sesfonclionsquo
par le secours du Seigneur. Ils ont ferme-
ment cru que le ministre le ()lus habile, le j
I)lus a|)pliqué, le jilus zélé ne pouvait jamais j
réussir qu'autant ([ue le Soigneur bénissait |
(118) < Nec iileo tamon parles suas seiino ces-
saveiil, scii cuni plaiilalor olliciuiri .sui gesseril
inuiiciis ca;lcra itliqiiidat iiicn iiioiituni rclinqiiit.i
(Kpibt. 147, nov. ctlil., al. ll->.)
I«83
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBEliT.
1081
ses soins et ses travaux. Ainsi franpés d'un
côté do tant de sujets qu'ils avaieiU de s'a-
larmer et de se défier d'eux-mêmes ; et d'un
autre côté pleins de charité, et animés d'un
saint désir d'être utiles au prochain, pou-
vaient-ils trop prendre de mesures pour at-
tirer les secours du Seigneur?
Ne soyez point étonnés de voir les saints
si exacts à la prière, donnant un si long
temps à ce saint exercice. Ils croyaient que
c'était un de leurs principaux devoirs, et un
des moyens des plus forts qu'ilspussent em-
ployer pi)ur réussir dans l'exercice de leur
ministère.
Imitez leur exemple , comptez sur la
prière, donnez beaucoup de temps à ce sain*
exercice, connaissez le besoin que vous avez
de vous y appliquer. Voulez-vous devenir
utile à votre prochain, priez.
Les saints ne se contentaient pas de prier.
Ils imploraient encore le secours de leurs
frères. Ils demandaient avec ardeur qu'on
priât, et qu'on ne cessât point de prier pour
eux. Combien de fois saint Paul a-t-il ré-
pété dans ses Epîtres qu'on l'aidât en priant
pour lui? Je vous conjure, mes frères, par
Jésus-Christ et par la charité du Saint-Esprit,
de combattre avec moi par les prières que
vous ferez à Dieu pour moi. [Rom., XV, 30.)
Il conjure ses frères. Il exprime, par là
quelles sont ses ardeurs et ses empresse-
ments. Il les conjure par Jésus-Christ. Il ne
peut employer un nom plus saint, plus re-
specté. Mais eu même temps il ne peut mar-
quer plus vivement, combien il souhaite
que ses frères lui accordent ce qu'il leur de-
mande. Il se considère comme étant au mi-
lieu d'un combat. II sait que dans un com-
bat opiniâtre et où. l'ennemi est puissant,
souvent si l'on combattait seul, on courrait
risque d'être vaincu. Il demande à ses frères
de le secourir et de combattre avec lui.
Quelles sont les armes puissantes dans les-
quelles saint Paul met sa confiance, et dont
il veut qu'on se serve pour combattre avec
lui? 7e vous conjure de combattre avec moi par
les prières que vous ferez à Dieu pour moi.
Écoutez saint Grégoire pape (119). Rien
n'est plus touchant que de l'entendre s'ex-
pliquer, quand il demande que l'on prie
pour lui. Je vous demande par Jésus-Christ
qui doit venir pour nous juger : je vous
conjure au nom des anges qui sont proster-
nés en si grand nombre devant le Seigneur,
au nom de tous ceux qui composent la
bienheureuse Eglise des premiers nés, et
dont les noms sont écrits dans le livre de vie,
aidez-moi et priez pour moi, pendant que
je gémis sous un si pesant fardeau, doni je
crains sans cesse que je sois accablé. Voyez
le motif qui l'engage à demander qu'on prie
pour lui. 11 sent la pesanteur de son fardeau;
il craint d'en être accablé. Voyez la con-
fiance qu'il a dans les prières de ses frères.
(119) « Sub hoc pasloralis ciirœ onere lacesseii-
tom, oralioiiis vesiia* iiiiercessione me adjuvaa^
ne siisci'pta iiieponUera ullra vires pieinaiil. » (Lib.
1, cpisl. iJi.)
(120) « QuiJ aniiblcs ud Dominum nibl p»oddi-
C'eslle secours qui lui paraît le filus prompt
et le plus edicace au milieu de ses besoins,
et de tous les périls dont il se sent envi-
ronné.
Un prêtre qui se considérera lui-même,
qui fera attention à la difTiculté de ses fonc-
tions entrera sans peine dans les mêmes
sentiments que saint Grégoire. Il confessera
qu'il a un extrême besoin de prier, et que
l'un prie pour lui. Que sera-c(! donc quand
5 ces considérations il ajoutera ce qu'il
doit à son prochain ? 11 est obligé de prier
par rapport à lui-même, par rapport à ses
fonctions, il est encore obligé de prier par
rapport <^ son prochain.
Pour connaître combien cette obligation
est étroite, il n'a qu'à considérer ce qu'il
doit à son prochain. Qu'est-ce qu'un prêtre?
c'est un médiateur entre Dieu et le peuple.
Qu'est-ce qu'un prêtre, dit saint Grégoire
pape, c'est un homme qui est élu afin de
prier le Seigneur de pardonnera son peuple
(120). Saint Grégoire de Nazianze assure
[lareillement qu'aussitôt qu'un homme est
prêtre, il doit être persuadé que Dieu l'a
établi pour être médiateur entre Dieu elles
hommes (121).
Saint Grégoire pape est effrayé de cette
qualité de médiateur. Comment, dit-il,
exercerai-je cette fonction si je ne suis pas
agréable à Dieu ? Un médiateur qui ne
plaît point à celui auprès de qui il intercède,
est bien plus en état de l'irriter que d'a-
paiser sa colère (122).
Dieu s'en rei'ose sur les prêtres. Il attend
d'eux qu'ils désarmeront son bras, qu'ils
apaiseront son juste courroux, quand il est
irrité contre les pécnés des hommes. Que
sera-ce si ceux qui doivent apaiser Dieu
demeurent dans le silence, s'ils négligent
un devoir si important, et quelquefois môme,
si bien loin d'apaiser le Seigneur, ils pro-
voquent sa colère par leurs dérègle-
ments.
Quand Dieu est irrité contre le peup o,
lorsque sa patience est poussée à bout,
lorsque les dérèglements des hommes le
contraignent d'assurer qu'il ne veut plus
pardonner, il commence par défendre aux
prêtres et aux prophètes d'intercéder pour
le peuple. Ne priez point pour ce peuple
ingrat, ne parlez point en sa faveur, car je ne
vous exaucerai point. {Jer., VU, 16.
Dieu paraît irrité, il a sujet de l'être. Tant
de crimes, tant d'ingratitudes et de révoltes
lasseraient toute autre patience que la
sienne. Non, il ne peut oublier ses an-
ciennes miséricordes. Il ne souhaite point
que les pro[)hètes obéissent à ce qu'il pa-
raît extérieurement leur commander. C'est
plutôt un avertissement d'un père plein
de miséricorde. Il dit qu'il n'exaucera
point les prophètes, et cependant à peine
les prophètes parleront-ils, qu'aussitôt ils
dis populi inlercessor eligilur? » (Lib. I, epist. 2» )
(1121) S. Greg. Naz., oiat. 5, p. 37.
{l-l'ï} i Cum is qui dihpiicel iiiiercedendum nul-
lllui-, uiJc ad dcleriora aiiunus prov calur. >
1035
RETRAIIE ECOLES.
oblienoronl grâce. Dieu ne résistera point
uux prières de ceux h qui il commande
si expressément de l'apaiser au plus fort
de sa colère.
Lu homtne irrépréhensible, d\[VF^c.r\[iirQ,
s'est hâté d'intercéder pour le peuple. Il vous
a opposé le bouclier de son saint ministère, et
sa pricre montant vers vous avec l'encens quil
vous offrait, il fît cesser cette fâcheuse plaie,
et il fit voir qu'il était votre véritable serviteur.
(Sap., XVIll, 21.)
La prière d'un saint prêtre est un bou-
clier qui résiste aux traits les plus aigus
de la colère du Seigneur. C'est un encens
qui monte jusqu'au ciel. Le bras du Seigneur
s'arrête et il cesse de frapper parce qu'un
saint prêtre a prié.
Les prières des prêtres ont donc beau-
coup de force. Ce sont eux qui négocient
entre Dieu et le peuple. Ce sont eux qui
obtiennent grâce , et qui apaisent le
Seigneur, lors même qu'il a prononcé
les arrêts les plus terribles et les plus ef-
frayants.
Dieu plein de miséricorde veut par-
donner, et il veut que les prêtres le prient.
Si les prêtres manquent à ce devoir impor-
tant il s'en plaindra, il leur fera des repro-
ches, il marquera qu'il est Irès-irrité de leur
uégligence.
C'était à vous, dira-t-il à ces prévarica-
teurs, de m'apaiser : c'était h vous de
pousser des soupirs ; c'était à vous de
parler pour le peuple, et vous ne vous êtes
point fait entendre. La colère qui devait
tomber sur le peuple tombera sur le prêtre.
Si le peuple est châtié, le prêtre le sera en-
core avec plus de sévérité.
C'est un grand péché et sur lequel beau-
coup de prêtres ne s'examinent point. C'est
un grand péclié dans un prêtre que d'ou-
blier sa qualité de médiateur entre Dieu et
le peuple. Qualité importante qui oblige les
prêtres à prier beaucoup ei à redoubler leurs
prières à proportion que l'iniquité augmen-
te. Ceux qui sont engagés à prier par tant
de raisons, ont grand intérêt de connaître
ce que c'est que la prière, et ce qui en fait
l'essence. C'est la vérité dont j'ai à vous ins-
truire dans ma seconde partie.
SECOND POINT.
Ce serait une erreur très-grossière que
de faire consister l'essence de la prière dans
les paroles extérieures , et que de s'ima-
giner (juon a beaucoup prié quand on a
beaucoup parlé.
Jésus-Christ a réfuté celte erreur. Il a
fait voir à ses disci[)les que de prétendre
(jue l'on prie beaucoup, quand on prononce
un grand nombre de paroles, ce serait res-
sen)bler aux païens qui s'imaginent (ju'à
force de paroles (Matlh., VI, 7), ils (obtien-
dront ce qu'ils demandent. Les hommes qui
ne pénètrent point dans l'intérieur ne peu-
vent juger des sentiments des humilies, que
par leurs paroles , et par leurs actions.
Voilà pourquoi ils sont souvent trompés.
Mais le Seigneur ne peut êire exposé à ces
VIII, DE LA^PRIERE. 10S6
illusions. Il connaît le cœur, et lisait enco-
re plus parfaitement que nous ce qui se
passe dans le secret de notre cœur. Nous
prions h son égard quand notre cœur est
plein des sentiments dans lesquels doit être
celui qui parle à son Dieu. La prière n*est
donc pas un cri extérieur, mais c'est le cri
du cœur.
Le sentiment qui nous convient par
rapport à notre état, et qui doit être pro-
fondément marqué dans noire cœur c'est de
gémir. Il nous convient do gémir, parce
que nous sommes dans la misère, et par-
ce que nous sommes exilés de notre patrie.
Si nous connaissons notre misère, si nous
savons que nous sommes bannis, nous de-
vons désirer la fin de notre exil, et soupi-
rer après notre patrie. Voilà donc quelles
doivent être les dispositions de notre cœur.
Il doit gémir et il doit désirer.
Ces principes supposés il est aisé do vous
faire entendre qu'elle est l'essence de la
|)rière. C'est le cri du cœur qui gémit do
ses nii-,ères, et qui soupire afirès la céleste
patrie.
Quand l'Ecriture nous apprend ce que
c'est que la prière, elle se sert inditférem-
menl du mot de prier et de gémir. Prière et
gémissement, c'est la même chose dans le
langage divin. Seigneur, dit David, mon gé-
missement ne vous est point inconnu. {Psal.
XXX VII, 10.) On ne prie que quand on
gémit, et la prière n'est agréable à Dieu,
que quand notre gémissement est sincère.
Nous jïrions donc quand nous connais-
sons notre misère, et quand la vue de no-
tre misère nous oblige à crier vers celui
qui seul [leutnous en délivrer.
Voyez ce sentiment vivement exprimé
par le saint prophète David. Ce saint homme
en était pénétré. Voilà |iourquoi sa prière a
été très-agréable à Dieu. Et voilà pourquoi
il sera toujours le modèle de ceux qui
voudront apprendre à prier, fai crié ver»
vous du fond de ma misère (Psal. CXXIX, 1.)
Voilà toute ^essence de la prière. Le saint
roi connaît sa misère, elle lui paraît extrê-
me. La connaissance de sa misère l'oblige
à crier. Il sait qu'il n'y a que le Seigneur
qui puisse le soulager dans la misère qu'il
ressent. C'est à lui seul à qui il adresse ses
gémissements et ses cris.
Apprenons comme le saint prophète Da-
vid à crier vers le Seigneur du fond de notre
misère. Il ne nous sera pas dilîicile de trou-
ver de justes fondements qui nous obligent
à pousser des cris. Nous n'avons qu'à nous
examiner nous-mêmes et notre propre mi-
sère; quel sujet de gémir I Voyons ensuite
tout ce que soulfre l'Eglise, toutes les plaies
qui lui sont faites. Pour peu que nous l'ai-
mions, comment ne gémirions-nous pas?
Nous devons donc gémir, parce que no-
Ire misère est très-grande. Que sommes-
nous ? A()prenons-le du saint prophète Da-
vid. Pour moi, dit le saint prophète, je suis
un pauvre et je suis dans ta dordeur {Psal.
LXVllI, 30.) Voilà noire étal. Nous sommes
1087
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
\(
des pauvres, el nous sommes dans la dou-
leur.
Nous sommes des pauvres, et noire pnu-
vrelé est extrême. Car il est vrai dédire
que nous sommes aljsolument d(^nués de
tout bien , que nous n'avons droit à aucun
bien, que, délaissés à nous-mêmes, nous
sommes réduits à la plus affreuse de toutes
les misères. Il ne peut y avoir une pau-
vreté pareille à la nôtre , et il est impossi-
ble d'en imaginer une plus grande et plus
entière. On voit tant de pauvres qui se
plaignent et qui poussent des cris. Leurs
maux sont très-inférieurs aux nôtres. La
pauvreté spirituelle est bien une autre pau-
vretéque la corporelle. Si donc nous ne crions
pas, notre insensibilité ne peut venir que
de l'ignorance de nos maux , qui pour n'ê-
tre pas connus n'en sont ni moins grands
ni moins dangereux.
Nous sommes dans la douleur. Qu'est-ce
que cette vie qu'une suite d'afflictions et de
douleurs. Il est étonnant qu'il y ait des
liomraes h. qui la vie présente paraît rem-
plie de charmes. Où sont-ils donc ces char-
mes et ces plaisirs? Car premièrement un
chrétien peut-il se faire un plaisir de ce
qui lui coûte la perle de son innocence , et
de ce qui cause à son âme des blessures
mortelles? Mais d'ailleurs ce qui trouble
et ce qui afflige est bien plus réel et bien
j)lus commun , que ce qui peut causer quel-
que divertissement et quelque plaisir. Où
sont ces hommes heureux qui ne sont point
troublés, qui réussissent dans leurs entre-
prises, qui sont exempts de chagrin, qui
peuvent avec raison faire quelque fond sur
les choses humaines? Où sont-ils ces hom-
mes qui mettent leur bonheur dans les cho-
ses de la terre? Qu'ils parlent, et qu'ils
s'expliquent avec sincérité. Qu'ils mettent
d'un côté dans la balance leurs peines et
leurs chagrins, et de l'autre leurs vains
plaisirs. Lequel l'emportera?
Telle est la nature de celte vie. Elle est
malheureuse, et il faut qu'elle le soit. C'est
un bien pour nous que celte vie soit pleine
de misères. Sentons-les bien ces misères si
réelles, si véritables, mais qui nous sont
si salutaires. Poussons des cris, parce que
nous sommes dans la pauvreté et dans la
misère, et pour lors nous connaîtrons
l'heureux secret de former des prières qui
pénètrent jusqu'aux cieux, qui sont très-
agréables à Dieu, et qui le louchent de
compassion.
Nous devons aimer l'Eglise, et par consé-
quent nous devons être affligés de tous les
maux qu'elle endure , comme de nos pro-
pres maux. C'est donc pour nous un grand
sujet de gémir, que de voir l'Eglise conti-
nuellement persécutée par un si graud
nombre d'ennemis.
L'Eglise souffre au dedans d'elle-même,
et ses propres enfants lui font une cruelle
(125) « Qui isla non dolent non e.^t in eis ciia-
liuis ChiisU. » (Ep. 78, tiov. cilil. ;)I. 1j7.)
0:ii)Ep. loO, uov. cdil. al. 137.
guerre. Au dehors riiie de combats, que
d't nuemis qui ont allligé l'Eglise en se ré-
vollant contre elle, et qui lui coûtent tant
de larmes, parce qu'ils persévèrent dans
leur révolte criminelle?
L'apôtre saint Paul pénétré de l'infidélilé
des Juifs, s'écrie qu'il est saisi d'une tristesse
profonde, el que son cœur est pressé sans
cesse d'une douleur violente. (Rom. , IX, 2.)
Voilà les sentiments que nous doivent in-
spirer les maux que l'Eglise endure.
Ceux-là, dit saint Augustin, qui ne pren-
nent point de part aux maux de l'Eglise,
qui ne les ressentent pas, et qui n'en sont pas
affligés n'ont point de charité (123), L'Eglise
gémit : Nous sommes ses ministres, com-
ment donc ne gémirions-nous pas? Gémis-
sons à la vue des maux de l'Eglise, soyons-
en vivement touchés, poussons des cris,
adressons-nous avec confiance à celui qui
a promis de la protéger et de ne l'abandon-
ner jamais.
J'ai dit qu'il nous est salutaire que celte
vie soit pleine de misères. Car c'est la vue
de ces misères qui nous en détache, et qui
nous inspire de soupirer après une autre
vie qui sera vraiment heureuse et exem|)le
de toute misère. C'est encore un sentiment
que nous devons exciter en nous, et qui est
très-agréable à Dieu. Nous devons particu-
lièrement travailler à en être pénétrés dans
les prières que nous lui offrons (124-).
Saint Augustin dans une excellente lettre
où il traite à fond de la prière, dit que la
prière est le désir vif d'une Ame qui, lassée
des maux de cette vie, soupire ardemment
après le bonheur de l'autre vie. Qui veut
bien prier, doit s'exciter à désirer.
Saint Augustin, dans cette excellente let-
tre, s'appuyant toujours sur le même prin-
cipe, dit que nous prions selon que nous
désirons. Pourquoi des prières vocales ,
pourquoi des temps marqués pour la
prière, c'est afin de renouveler ces désirs
salutaires qui doivent être continuellement
dans le fonds de nos cœurs? Par-là nous
sommes avertis de désirer au moins dans
de certains temps, ce que nous devons
continuellement désirer (125).
Il serait de notre fidélité de nous expliquer
continuellement à Dieu sur ce sentiment
qui doit être si vif dans notre cœur. Mais
comme le poids de notre infirmité nous en-
traîne, comme les affaires du siècle nous
troublent et nous empêchent d'être conti-
nuellement occupés du seul objet qu'il nous
est permis de désirer, le temps de la prière
rappelle notre esprit, excite notre cœur, et
pour lors nous prions véritablement, quand
nous désirons avec ardeur ce qui seul peut
faire notre souverain bonheur.
Prier boaucou(>, ce n'est pas parler beau-
coup, continue saint Augustin, La prière que
le mouvement du cœur soutient et fait durée,
est bien différente de celle dont la seulu
(125)«Verbis rogamus, ut cxcllemiis dcsiderium
Semper orare est scmpcr desiderarc. >
1089
RETRAITE ECCLES. — VIII, DE LA PRIERE. •
109!)
mullihide des paroles fait la longueur (126).
Prier beaucoup c'est gémir beaucoup, c'est
beaucoup désirer. C'est par ces géuiisse-
ments et ces désirs que nous frappons à la
porte dn père de famille. La prière (ces pa-
roles de saint Augustin sont bien dignes
d'être retenues). La prière est une sorte
d'affaire qui pour l'ordinràro se traite plutôt
par des gémissements et par des larmes que
par des paroles et des discours (127). Ces
Inrnies et ces gémissements vont jusqu'au
Irûne de celui, qui a tout fait par sa parole
et qui n'a que faire de nos paroles.
Do ces principes de saint Augustin, je tire
plusieurs conséquences très -certaines et
lrès-im[)orlantes.
La première conséquence de saint Augus-
tin, c'est que^plusieurs paraissent prier qui
dans la vérité ne prient point, parce qu'ils ne
désirent point (128). Combien y en a-l-il qui
font entendre leur voix, qui font beaucoup
de biuit au dehors, mais leur cœur est muet.
Ils ne disent rien qui puisse frapper les
oreilles du Seigneur.
Prier c'est concevoir un saint dégoût des
choses de ce monde, qui nous porte à dési-
rer le souverain bonheur.
Compterez-vous beaucoup sur les prières
des ecclésiastiques intéressés qui sont si
fortement attachés aux biens de ce monde.
Saint Grégoire de Nazianze dit (129) que
ces hommes dont les affections sont char-
nelles ne sont guère en état de porter leur
vues jusqu'aux choses célestes, qui doivent
être l'unique objet de nos désirs. Témoi-
gnent-ils par leur conduite qu'ils ont du dé-
goût pour les choses de la terre, et que leur
cœur en est détaché. Quel est l'objet de leurs
désirs? Sont-ce les biens du temps, sonl-ce
les biens éternels? Le cœur de l'homme ne
î»eut pas se partager. Quand il est attaché
aux biens de la terre, les biens de l'autre
vie ne le touclient poini, et ne sont point
dans son cœur. Si vous voulez apprendre à
prier, travaillez à réformer vos désirs, déta-
chez-vous de ce qui est indigne de votre at-
tachement, aimez ce que vous devez ai-
mer, et pour lors vous commencerez à
prier.
Il n'y a pas aussi d'apparence que l'on
puisse compter sur les prières de ceux qui
ont un grand attachement à la vie présente.
Il est diilicile que les sentiments qui for-
ment la prière, puissent se rencontrer avec
cet attachement qui y est entièrement op[)0-
sé. La prière est le désir d'une âme qui, fa-
tiguée de son exil, souj)ire après sa patrie.
Ceux qui sont attachés à cette vie ne la con-
sidèrent point couune un exil. Ils n'en sont
point fatigués. Leur plus grande application
est de prolonger leurs misérables jours. Ils
cuiiçuivent jieu qu'ils ne seront jamais heu-
(\i(>) ( Aliu t scrmo raullus, aliud diuturnus af-
te< lus. >
(127) I Hoc negolium plus gemitibus quum ser-
nioiiilius agiiur. >
(|-iS) • Odain iiiulli soiiaiil voce, et corde nuil'
jLiii. I lin vnul. CXi.V.)
reux (jue lorsque leurs liens étant rompus,
ils entreront en possession d'un bonheur
sans trouble. Un C(eur où ces sentiments
prédominent est-il on état do former ces dé-
sirs vifs et empressés de rélornité, qui font
l'essence de la prière. Il faut donc conclure
avec saint Augustin, que beaucoup de ceux
qui paraissent prier dans la vérité no
prient point, et peut-être n'ont jamais
prié.
Voici une seconde conséquence qui nous
est encore enseignée par saint Augustin. La
prière est le désir. Nous prions pendant tout
le temps que nous désirons. Nous pouvons
donc prier non-seulement dans les temps
particulièrement consacrés à la prière; mais
encore nous pouvons continuer à prier pen-
dant que nous remplissons nos devoirs,
pendant que nous sommes occupés des
autres actions auxquelles la condition de
cette vie nous oblige de nous appli-
quer (130).
f C'est ainsi que nous pouvons observer le
grand et important précepte de la religion,
qui nous oblige à prier continuellement.
Jésus-Christ a parlé à tous les hommes, et
il leur a dit: Il faut toujours prier, et ne
se point lasser de le faire. (Luc, XVllI, 1.)
L'apôtre saint Paul a dit de môme à tous les
chrétiens: Priez sans cesse. (I Thess.yV, 17.)
Comment observer ce précepte? Faut-il
abandonner toutes les affaires temporelles,
et demeurer continuellement dans les tem-
ples pour y chanter les louanges du Très-
Haut, et pour lui offr-ir des prières? Ce n'est
point là le sens du précepte ni à quoi le Fils
de Dieu a prétendu nous obliger. Vous priez
sans cesse, dit saint Augustin, quand vous
désirez continuellement. Vous cessez de
prier dès que vous cessez de désirer. C'est-
à-dire qu'un homme occuiié de ses devoirs,
appliqué à ses affaires, et qui conserve dans
son cœur ces désirs qui font l'ûme de la
prière, ne cesse point de prier.
Les ecclésiastiques ont beaucoup plus de
facilité que les autres hommes, pour rem-
plir fidèlement le précepte de la prière con-
tinuelle. Ils sont heureusement obligés par
leur état, de s'appliquer presque toujours à
des devoirs de religion. Tout ce qui se pré-
sente devant leurs yeux les excite à former
ces désirs nobles et élevés qui sont l'es-
sence de la [irièro. Un ecclésiaslique apjdi-
qué à ses devoirs a de très-grands avanta-
ges, il est aisé de le concevoir. Mais en voici
un qui est très-considérable, et qui peut
contribuer beaucoup à augmenter l'estime
qu'il doit faire de son état, c'est qu'au mi-
lieu de tous ses devoirs il ne cesse point
de prier, et sa vie est une prière conti-
nuelle.
Ce bonheur est tiès-grand ; mais il ne re-
(129) Oral, l, p. 51.
(lôO) 1 Si desitleras non inlermiuis orare. Ta-
cebis si amare desiileris. Qui desiderat si liiigua
lactai, corde caiilal. Qui aulein non desiduiat
qiioliuul claulorc auies iioiniiiiirn i'eriat, nutus e^t
L)eo. • ilituiu'. X.\XV1I ellAXXVl.)
1091
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1(92
garde q^ie les ecclésiastiques qui estiment
leur étal, et qui s'appliquent sérieusement
à en remplir tous les devoirs. C'est un bon-
heur auquel un grand nombre d'ecclésias-
tiques ne peuvent prétendre, parce qu'ils ne
vivent point selon leur état, et qu'ils aban-
donnent leurs devoirs.
Combien d'ecclésiastiques qui, bien loin
que leur vie puisse être appelée une prière
continuelle, passent tout le temps de leur
vie, sans offrir à Dieu une prière qui lui soit
agréable. Ils irritent Dieu par toutes leurs
actions et même par leurs ()rières. Ils l'of-
fensent quand ils croient le louer. C'est
l'état dé()lorable et ordinaire des ecclésias-
tiques qui abandonnent leurs devoirs; de
ces ecclésiasliques de nom, qui s'engraissent
des revenus de l'Eglise, et qui ne lui rei-
dent aucun service. A peine i)ortent-ils les
niar(iues extérieures de leur élat. Ils n'o-
béissent à aucune loi de l'Eglise. Ils no pa-
raissent ecclésiastiques que pour scandali-
ser et pour donner des preuves d'une ré-
volte entière. S'il est vrai de dire que les
ecclésiastiques fidèles louent Dieu conti-
nuellement, il n'est pas moins vrai de dire
que ces ecclés astiques rebelles irritent Dieu
continuellement, parce qu'ils vivent dans une
révolte perpétuelle.
Appliquons-nous à prier, puisque c'est
un de nos principaux devoirs, mais lâchons
de former de ces prières agréables à Dieu,
et qui sont comnjc un encens précieux
dont la bonne odeur monte jusqu'au trône
du Très-Haut. Eludions-nous nous-mêmes,
soyons bien convaincus de noire propre
misère, soyons sensibles aux maux et aux
afiliclions de l'Eglise, détachons notre cœur
des inens trompeurs de ce monde, connais-
sons le prix infini des biens qui nous sont
promis, désirons uniquement le bonheur
souverain, désirons longtemps, comme parle
saint Augustin, ce que nous posséderons
toujours. Travaillons à prier sans cesse, et
à régler nos mœurs de telle manière que
iiutie vie soit une prière continuelle (131).
Voilà les princi[)es suivant lesquels vous
devez vous former une juste idée de la
prière. J'ai encore à vous expliquer les
règles que vous devez suivre, i)Our vous
bien acquitter de i'obligalion qui vous est
imposée de prier.
TROISIÈME POINT.
La première règle que je vous pi'opose,
c'est de vous exercer à l'oraison meuialu',
et de consacrer tous les jours quelque lemps
à ce saint exercice. Voici les utilités que
vous en retirerez.
Vous avez vu que ce qui fait l'essence de
la prière, c'est de pousser des cris et des
géujissemenls à la vue de nos misères. Vous
avez vu que nous ne sommes en élat de
prier, que lorsque lassés et fatigués de nos
iiiibères, nous désirons avec arueur le bon-
heur infini que nous attendons. Il est donc
important pour bien prier d'étudier nos mi-
• sères, de nous en convaincre, djexaminer
de près le néant des biens de ce monde, et
déconsidérer au contraire la valeur infinie
du bonheur qui nous est promis. C'est ce
que nous exécuterons dans le saint exer-
cice de l'oraison mentale. Prosternés hum-
blement devant le Seigneur, nous exami-
nerons quels sont nos véritables sentiments.
Nous verrons si nous gémissons de nos mi-
sères, si nous désirons le bonheur infini.
Ainsi c'est dans la pratique de l'oraison
mentale que nous pouvons reconnaître si
nos prières sont accompagnées des dispo-
sitions que Dieu veut trouver en nous, et
que nous pouvons nous former dans le
saint exercice de la [irière.
En faisant de salutaires réflexions dans la
pratique de celte oraison, nous nous excite-
rons à gémir, nous réformerons nos désirs,
nous nous mettrons en élat d'acquérir le vé-
ritable esjirit de prière. Nous serons animés
decetesprit, non-seulement pendant le temps
de l'oraison mentale, mais encore dans le
temps que nous ferons des prières vocales.
Nous prierons de cœur, notre cœur gémira in-
térieurement pendant que notre bouche an-
noncera les louanges du Très-Haut. Toutes
nos prières se ressentiront de l'esprit de
grâce, dont nous nous serons remplis. Elles
seront plus en état de monter jusqu'au trône
du Seigneur et d'être favorablement écou-
tées.
Voyez donc le grand fruit que vous reti-
rez de l'oraison mentale. Jamais vous ne
verrez mieux si l'esprit de prière est en
vous, que dans le temps de celle oraison,
litant plein de ce bienheureux esprit , vos
prières vocales en seront aussi animées, et
par là vous avez lieu d'espérer que Dieu les
écoulera avec bonté.
Ma seconde règle est fondée sur ce grand
principe. Tout vient de Dieu, et nous no
pouvons rien qu'avec son secours. Soyons
donc exacts à le demander. Attendons beau-
cou[) de la prière, et soyons convaincus que
nous travaillons efficacement quand nous
jtrions.
Quelle quesoit la multitude de nos occupa-
tions, quel que soit le fardeau dont nous
sommes accablés, il faut toujours qu'il y ait
un temps pour la prière. Gardez-vous bien
de tomber dans l'illusion de ceux qui mé-
nageant mal leur temps, retranchent la
prière, lorsque leurs occupations se mulli-
l'Iienl. Ils sont pressés, ils sont accablés de
soins et d'embarras. C'est pour cela môme
qu'ils doivent prier. Ils avanceront en priant.
Ils reculeront et l'ouvrage sera beaucoup
plus difficile, s'ils abandonnent l'exercice
de la i)rière.
Mais surtout ayez pour maxime, et que
celte maxime soit inviolable pour vous, de
ne jamais rien entreprendre de difficile et
d'important, qu'auparavant vous n'ayez prié.
Dans ces sortes d'all'aires non-seulement
on doit i)rier, mais encore il faut se fortifier
(loi) t QiioJ sempor Iialjuurus es, diudtsiJcra. » {In psal. LXXXIll.)
1093
RETRAITE ECCEES.
par les prières Je ses irères, et surtout par
les prières do ceux (jui menant une vie pins
exacte et plus chrétienne, sont plus en état
d'être exaucés.
Quand vous observerez cette conduite,
vous ferez voir que vous connaissez ce que
c'est que la prière, et quelle en est la force;
vous ferez voir que vous détestez les fausses
maximes des prudents du siècle, qui ne
comptent point sur le secours du Seigneur,
sans lequel nous devons être convaincus que
DOS projets sont vains et nosetlbrts inutiles.
Troisième règle. La prudence clirélienne
est ennemie des excès, et elle met à toutes
choses des bornes raisonnables. C'est un
excès très-criminel que de compter sur soi-
même, et que de ne pas avoir recours à
Dieu, puisque tout dépend de lui. C'est le
crime de ceux qui ne prient point, et qui
entreprennent des affaires importantes, sans
songer que la prière doit toujours être à la
tète de toutes nos entreprises : Mais voici
un autre excès contraire dans lequel il serait
très-dangereux de tomber. Priez autant que
le Seigiieur vous le commande, après cela
agissez avec confiance. Ne soyez point de
ceux dont la dévotion est déréglée, et qui
veulent consacrer à la prière un temps qui
doit être employé à d'autres devoirs es-
sentiels.
Ce n'est pas présentement le temps de
prier. C'est le temps de visiter des malades ;
c'est le temps de l'étude; c'est le temps de
préparer une instruction, c'est un temps
que vous devez à des hommes qui sont aigris
et dont vous pouvez pacifier les différends.
Saint Augustin vous dit que c'est une
chose excellente que de prier beaucoup.
Mais en même temps il vous marque que
vous ne devez point consacrer 5 la prière
des len)ps oii vous êtes appelé à d'autres
bonnes œuvres, et ii des devoirs essentiels
de votre état. Saint Augustin ajoute : Pen-
dant que vous êtes Jans ces saintes occupa-
lions, vous ne discontinuez point de prier;
car il suit toujours son principe, que pen-
dant que le désir des biens éternels est im-
primé dans votre cœur, vous ne cessez point
de prier {132).
"Ce sont ces considérations qui doivent
dissiper les scrupules de ceux qui sont fort
occupés, et qui ne peuvent donner que peu
db teui|)S à la prière. Ils s'en plaignent, et
on leur entend souvent répéter, qu'ils ne
firionl point, et qu'ils n'ont aucun temps
pour prier, et moi je leur réponds, qu'il n'est
point question de suivre son attrait, que
l'homme ne doit disposer, ni de son temps,
ni de ses occu[)alions, mais que notre affaire
essentielle t;st d'obéir à Dieu, et de suivre
sa volonté. Je leur répontls encore qu'ils
ont beaucoup de temps pour prier, et que
s'ils sont fidèles ils peuvent prier contiuuel-
leinent. Dieu, comme dit saint Augustin,
(l52)iCuindiuorarevacat, iil est cum alla bonarum
cl iiecessariaiuiu adioiiiiiii non iiiiptuliuiiliuorii. ia
ijuaiiivis l'i iii lis iildixi, dusiderio sciiiiieruniii luni
t>i[. > (E|)ist. supra ch.)
\ni, DE LA PRIERE. 1094
considère particulièrement vos actions et
votre conduite. Vous njarclioz dans le droit
chemin, et vous ne pouvez vous égarer,
pendant que vous êtes dans l'ordre de Dieu,
et que vous lui obéissez (133). Lorsque vous
êtes fidèle à la lègle, dit encore saint Au-
gustin, pendant même que votre langue
garde le silence, votre vie parle. C'est un
langage excellent qui pénètre les cieui el
qui est très-agréable à Dieu (134).
Tout ce qu'on peut vous accorder au rai-
lieu de ces occupations qui vous donnant
peu do repos, c'est de gémir à l'exemple des
saints, et de soupirer après le temps où dé-
livré de l'occupation, vous aurez plus de li-
berté pour vous appliquer à la méditation
des vérités éternelles. Car c'est le bonheur
de ceux que Dieu n'appelle point à l'action,
et à qui il permet de jouir de la douceur
d'un repos innocent. C'est un état bien
heureux. Tous les saints l'ont bien estimé;
ils l'ont désiré; ils otit supporté avec beau-
coup de peine, d'être arrachés de la retraite.
Ils n'ont consenti h une séparation si rigou-
reuse et si violente que pour obéir à Dieu.
Dieu laisse dans le repos, il appelle à l'ar-
tion qui il lui plaît. Il est le maître : c'est à
nous de nous soumcKre.
Si Dieu nous laisse dans le repos, voici la
règle que nous devons suivre. Connaissons
notre bonheur, servons-nous utilement de
notre repos. Nous avons plus de temps pour
|irier, nous sommes donc obligés de prier
plus longtemps que ceux qui sont dans l'oc-
cupation. C'est à nous de les soutenir par
nos prières. Ceux qui sont dans la retraite
doivent sans cesse songer aux besoins de
l'Eglise, h la misère de laiil de pécheurs qui
persévèrent dans l'iniquité, à tant do bonnes
œuvres qui demeurent, parce qu'on manque
d'ouvriers assez habiles et assez zélés pour
les entreprendre. Que de motifs se présen-
tent en foule pour animer celui qui est dans
la retraite, à gémir et à répandre des
larmes !
Celui qui est dans la retraite ne doit pas
entièrement oublier le monde. Il ne le voit
que de loin. Il est heureusement 5 l'abri,
mais il no doit point oublier que Dieu est
contiiiuellement offensé dans le mond'?. Les
iniquités du monde sont plus que sullisantes
pour entretenir dans un h«>mme pénitent
une source de larmes qui ne tarira jamais,
parce que les crimes du monde, bien loin
do finir, se multiplient tous les jours.
11 ne me reste plus qu'à donner une der-
nière règle pour faire connaître le jugement
qu'on doit porter des dissipations de l'es-
prit qui arrivent pendant le temps de la
prière, et comment il se faut conduire, afin
que ces dissipations très -importunes et
très-ordinaires no nous fussent pas perdre le
fruit de la |)rière.
Il y en a qui st troublent trop des éga-
(15")) « Plus attendit quidivivas,quamquidsones.>
(Iiipsul. CXLVI.)
(i'}'i} ' Si a bui.a vita nunquam déclines lingiia
tua l.iccl, vita lua clamai.» [In p^al. CXLYlll.)
1095
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMDERT.
1096
rements et des dissipalions de l'esprit, et
il y en a qui ne s'en troublent pas assez.
Ceux-là s'en troublent trop qui, quoi-
qu'ils apportent toutes sortes de précautions
|)our se rendre maîtres de leur esprit, ne
laissent pas d'éprouver très-souvent que
leur esprit s'égare. Ils s'en inquiètent. Leurs
inquiétudes démesurées sont souvent le
principe de nouvelles dissipalions. Ils se
persuadent que leurs prières sont sans at-
tention, et qu'elles ne sont point agréables
à Dieu.
Ceux qui se livrent ainsi h leurs. inquié-
tudes, connaissent bien peu jusqu'où vont
les miséricordes du Seigneur. Qu'est-ce
que Dieu demande de nous sinon des efforts
et des témoignages sincères du, 'désir que
nous avons de lui plaire? Nous donnons à
Dieu plus de preuves de notre fidélité en
retenant noire esprit, en le rappelant quand
il est égaré, que nous ne lui en donnerions
si toutes les actions de piété nous étaient
faciles, et si nous n'avions point de com-
bats à livrer.
Ce que Dieu demande de nous, c'est que
nous soyons fidèles, que nous fassions des
efforts, que nous ne permettions point vo-
lontairement à noire esprit de s'égarer, que
nous nous humilions de nos imperfections.
Si, nonobstant nos etl'orts, notre esprit ne
laisse pas encore de s'égarer, Dieu connaît
nos imperlecli(jns, il sait quelle est noire
fragilité. Croire qu'il n'y ail aucun égard,
c'esl une défiance ciiminelle, très-injurieuse
à Dieu, et dont nous devrions bien nous
corriger après toutes les preuves que nous
avons de sa bonté et de sou exlréme pa-
tience.
Il y en a d'autres qui ne se troublent pas
assez des disiracliuns q\i'ils ressentent dans
le temps de l'uraison. Car il y en a beau-
coup à qui ces dissipations ne causent au-
cune inquiétude, et qui néanmoins ont tout
lieu de s'en faire à eux-mêmes de très-sé-
vères reproches.
Ceux-là, par exemple, ont très-grand su-
jet de se troubler des dissipations de leur
esprit, qui recherchent les embarras du
monde, qui se mettent dans des affaires qui
ne sont })oinl de leur ressort, qui s'agilenl
inutilement, qui entrent dans les intrigues.
Comment voulez-vous que votre esprit soit
occu|)é do Dieu, après que vous l'avez rem-
pli des affaires du siècle? Ceux qui sont en-
gagés dans ces sortes d'affaires par étal et
par nécessité, ont bien de la peine à reienir
Jeur esprit, quoiiju'ils aient lieu d'espérer
que Dieu les souliendra. Vous, au contraire,
avez-vous lieu d'attendre les secours du
Seigneur, pendant que vous vous en rendez
indignes en vous occupant contre son or-
dre d'une infinité de soins que vous de-
vriez éviter?
Les ecclésiastiques qui mènent une vie
molle, qui recherchent les [ilaisirs, ont en-
core bien plus sujet de se troubler de leurs
(135) « Invenire se dixll cor suum qnaâi soleret
psal. L\\\\.)
dissipations. Vous apportez à l'oraison un
esprit plein de pensées profanes et crimi-
nelles, un cœur corrompu. Quelle disposi-
tion pour prier! Comment osez-vous vous
présenter devant Dieu? Retirez - vous ,
liDinme criminel ! vous êtes indigne de par-
ler à Dieu. Dans l'élat oiî vous êtes, vous
ne pouvez traiter les choses saintes sans
les profaner. Vous pécherez en ne priant
point, vous pécherez en priant. Prenez
garde, je ne dis pas que vous péchez [larce
que vous priez ; je dis que vous péchez
en priant. Pourquoi cela, parce queje vois
dans le fonds de votre cœur une semenco
de péché qui fructifie jusque dans la prière
Ujême. Ainsi s'accoruplit la menace et la
malédiction du Prophète-Roi, que son orai-
son se tourne enpéché. {PsaL GVlll, 7.) Voilà
les extrémités dans lesquelles on se réduit,
quand on s'éloigne de son devoir, et quand
on observe une conduite entièrement con-
traire à ses obligations.
Tous ceux-là ont sujet de se troubler
de leurs distractions, qui laissent égarer
leur es()rit et qui ne font point d'efforts
pour l'arrêter. Notre es|)rit, selon la remar-
que de saint Augustin, est un fugitif qui ne
songe qu'à nous quitter. Il est de notre
devoir de le poursuivre (135J ; nous de
vons nous conduire dans cette poursuite
avec tant de diligence que nous ayons lieu
dédire comme David, que nous avons trouvé
notre cœur, et que, par la recherche que
nous en avons faite, nous sommes en état
de nous présenter devant Dieu pour lui
offrir nos prières.
Qu'inférerez-vous de ce que vous venez
d'entendre? Qu'il est très-iiri|)or(ant de
prier, et qu'il est encore plus important do
prier dans de saines dispositions.
Demandons souvent à Jésus-Christ ce
que ses apôtres lui ont demandé quand ils
lui ont dit : Seigneur, enseignez-nous à prier.
[Luc. f XI, 1.) Car il faut l'avouer, il y a beau-
coup de chrétiens et même d'ecclésiastiques
qui ne savent point prier.
Il y a longlemiis que vous êtes engagé
dans la milj^çe sacrée, que vous chantez des
caiili(iues a la louange du Seigneur, qua
l'on s adresse à vous comme à un homme
c'nargé d'intercéder pour le peuple ; peut-
être vous n'avez pas encore commencé à
prier.
On s'accoutume à prononcer des paroles.
Est-ce là prier, et peut-on dire que l'on prie
lorsque les paroles ne sont point animées?
N'est-il pas certain que Dieu ne s'arrête
point à nos paroles, mais qu'il examine les
mouvements de noire cœur?
Vous priez lorsque, pénétré de vos mi-
sères, vous gémissez devant le Seigneur;
lorscjue, détrompé des biens de ce monde,
vous désirez avec ardeur les biens infinis
que vous attendez.
Remplissez-vous de ces sentiments. Il
vous est d'une si grande conséquence de
ab eo fugcre et illc sequi quasi fugiiivum. » [Ir
<097
RETRAITE ECOLES. — IX, OISIVETE.
prier. Vo\-cz tous vos l)esoins; voyez fus
besoins pressnnls do l'Eglise. Vous ôles
chargé par votre ministère de venir à son
secours. Vous lui files presqu'inulile lors-
que vous ne savez point comment il faut
pi-ier. Vous cojumencerez à la secourir lors-
que vos iirièrt'S seront accomjiagnées des
disj)ositions qui les rendent agréal)les à
Dieu.
11 y en a qui font plus de hruit, dont les
œuvres éclalenl davanlage, mais il n'y en a
point qui rendent plus de services essentiels
à l'Eglise, que ceux (|ui ont le bonheur
d'ôtio unis à Dieu, et qui travaillent à se
remplir des sentiments dont Dieu veut que
nos cœurs soient pénéirés.
Soyez de dignes ministres du Seigneur,
ap, rochez de son autel avec conliance, ve-
nez lui exjioser vos besoins, venez et lui
parlez en faveur de son peuple. Si vous <Mes
assez heureux pour a[);)rendre une fois
l'heureux secret de prier, vous allez attirer
sur vous et sur loute l'Eglise un nombre
intini de grùces qui seront un jour suivies
de la dernière grâce que Dion fait à ses élus,
lorsqu'il leur accorde la couronne de gloire
d.ms l'élernilô.
DISCOURS IX.
DE LA NÉCESSITÉ DE MENEU U\E VIE OCCUPÉ*)
ET CONTRE l/oiSIVETÉ.
On ne peut guère se former une plus
fausse idée de l'état ecclésiastique, que de
le regarder comme un élal commode, et que
l'on peut embrasser pour y goûter un re-
pos innocent. C'est néanmoins une erreur
très-commune, et dans laquelle tombent un
nombre intini d'ecclésiastiques.
Quel est le motif qui détermine beaucoup
de. ceux qui s'engagent dans l'état eoclésias-
lique? Ils ont uour lin de vivre commodé-
n)ent, d'obtenir un bénélice, d'être exempts
de touie peine, de |)asser leur vie dans l'oi-
siveté. Ce sont gens qui s'aiment eux-
u.ômes, et qui veulent goûter toutes les
comiuodités de la vie. L'état ecclésiastique
leur paraît très-propre pour parvenir à cette
pernicieuse tin.
Qu'il est doux à la nature corrompue de
jouir d'un revenu que l'on reçoit aisément,
d'être récompensé sans avoir travaillé, d'être
délivré de tout soin et de loute occupation
fatigante. Il n'y a rien de plus doux que cet
état, mais selon saint Augustin, il n'y a rien
dej)lus damnable (136.)
Il esl donc faux que l'état ecclésiaslique
soil un étal commode. Au contraire c'est un
état i)énible et plein de dillicullés. Vous
vous proposez, lorsque vous serez ecclé-
siastique, de vivre dans le repos. 11 n'en
faut pas davantage pour vous perdre. Car il
est essentiel aux ecclésiastiques de passer
leurs jours dans la [leine ei dans un travail
assidu.
Je veux donc aujourd'hui détruire celle
fausse idée que l'on a de l'étal ecclésiasti-
que. C esl l'oisiveté que j'attaque. Je pré-
1098
tends que les ecclésiastiques oisifs se per-
dent, et ne sonl point en voie de sailli. En
voici trois raisons qui feront le sujet des
trois parties de cet entretien. Un ecclésias-
tique qui est oisif manque à ce qu'il doil à
Dieu. Il manque à ce qu'il doit à son pro-
chain. Il manque à ce qu'il se doit à lui-
môme. Donnez-moi votre attention, pendant
(juejevous exposerai ces vérités dans la
suite de cet entrelien.
PREMIER POINT.
Les ecclésiastiques, pour bien connaître
l'obligation qu'ils onl de travailler, n'ont
qu'<^ se souvenir de ce qu'ils sont, lis sont
hommes, ils sont chrétiens, et ils sont ecclé-
siastiques.
Dieu a inposéà tous les hommes l'obli-
gation de travailler. Les chrétiens y sont
encore plus particulièrement obligés par la
loi de Jésus-Christ. Mais celte obligation
est si précisément marquée pour les ecclé-
siastiques, que de la révoquer en doute ce
serait s'aveugler soi-même, et n'avoir pas la
moindre idée de l'état ecclésiaslique.
Vous êtes homme. Connaissez donc ce
que vous êtes, et à quoi vous avez élé con-
damné. L'arrêt est célèbre. C'est Dieu qui
en est l'auteur. Vous mangerez votre pain à
la sueur de voire visage. {Gen., 111, 19.) Tel
fut l'arrêt que Dieu prononçi contre le
premier homme après son péché. El comme
nous sommes les descendants d'Adam,
comme nous sommes les enlanis d'un [lère
criminel, comme nous sommes nous-mêmes
des enfants de colère dès le moment que
nous paraissons sur la lerre, pouvons-nous
douter que nous ne soyons tous obligés de
nous soumettre à l'arrêt rigoureux, mais
plein de justice que vous venez d'en-
tendre.
Nous voilà donc obligés en punition de
notre péché de manger noire pain à ta sueur
de notre visage.
La|ilu[)arl des enfants d'Adam ne songent
qu'à inventer des moyens pour se sous-
traire à cette loi. Tous ceux qui peuvent
mener une vie commode, exemple de peine,
sans faire attention à l'arrêt qui les con-
damne, ne veulent point manger leur pain à
la sueur de leur visage. Ceux (^ui, malgré eux
el par nécessité, sont obligés d'obéir, au
milieu de leur peine ne res()irent que le
repos, et quand ils travaillent, ordinaire-
nienl leur tin principale, esl d'arriver à
un étal où ils ne soient plus obligés de tra-
vailler.
L'un dit [>ourquoi travaillerai-je, puisque
j'ai des richesses? l'autre prétend que sa
naissance esl un litre jiour se dispenser
d'obéir à la loi commune : l'autre allègue
une impossibilité chimérique l'ondée sur ce
qu'il n'est point accoutume à |)Orler le joug
uonl on lui propose de se charger : l'autre
soutient qu'il ne |)eul pas être laisonnable-
meiil assujetti aux mêmes lois que ceux
au-dessus de qui son rang cl sa dignité l'é-
(156) « Si iierfuncloric res agalur, nihil ilamnabilius. > (Ep. 1, al. iii.
ORAfELRS SACRÉS. LXVIU.
3&
1099
ORATEURS SACRES
lèvent. La loi de Dieu souffre-t-elle ces ex-
ct'piio?is? Interrogez le Sage, et apprenez
(le lui que tous les hommes, sans en excep-
ter un seul, sont obligés de se soumettre à
la loi (le Dieu qui leur ordonne de manger
leur pain à la sueur de leur visnfje.
Un joug pesant accable les enfants d'Adam,
depuis le jour (/u'ils sortent du ventre de leur
mère, jusqu'au jour de leur sépulture, où ils
rentrent dans la terre gui est la mère com-
mune de tous. (Eccli. XI, 1.)
Qui sont ceux qui sont obligi^s de porter
ce joug posani ? Tous, dit le Sage, depu:is ce-
lui gui est assis sur un trône de gloire, jus-
qu'à celui qui est couché sur la terre et dans
(a cendre ; dcpïtis celui qui est velu de pour-
pre, et qui porte la couronne, jusqu'à celui
gui n'est couvert que de toile. {Ibid.,k.) Il est
(ionc évident que tous les hommes sont
obligés de |>orler le jong.
Pendant conihion de lemps? Oe/i?n's le jour
qu'ils sortent du ventre de leur mère jusqu'au
jour de leur sépulture.
Selon le Sage, il n'y a nucunci exception
ni pour le tenqis, ni pour les personnes. Il
n'y en a aucune pour les personnes. Tous
sont obligée de se soumettre pendant tout
le temps qu'ils demeurent sur la ferre. Et
voilà pourquoi le saint homme Job pro-
nonce, que Vliomme est né pour le travail,
comme l'oiseau pour voler. (Job, Y, 7.)
Eles-vous pauvre cl dans la misère ? Vous
(^les obligé (le travailler par nécessilé. Vos
propres besoins vous font assez se itir la
nécessiié indispensable dans laquelle vous
èles, de vous soumellre à la loi de Dieu,
tilles-vous riche et dans l'abondance? La loi
lie Dieu ne vous oblige pas moitis. Ce serait
pour vous un exîtôiiie malheur, si les dons
(le Dieu vous élaienî une occasion de vous
révolter contre lui. Plus vous avez reçu,
plus vous devez vous sentir pressé d'obéir
à celui qui vous comble de ses dons. W.us
devez donc vous considérer devant Dieu
comme des pauvres, et vous devez faire par
souiiiission et par esprit de pénitence ce que
les pauvres font par nécessité.
C'est donc assez d'être homme et enfant
d'Adam pour se reconnaître obligé d'obéir
à la loi juste el rigoureuse qui nous assu-
jettit au travail.
D'enfants d"Adani nous sommes devenus
par le baplême enfants de Jésus-Christ. Les
enfants de Jés\)s-Christ sont obligés de tra-
vailler. Rien n'est [)lus contraire à l'esprit
i.e Jésus-Christ que l'oisiveté el la paresse.
Uien n'est jilus nécessaire |)Our soutenu- en
nous l'esprit de Jésus-Christ que l'occu-
pation et le travail.
L'esprit de Jésus Christ est que le chré-
tien se contraigne, qu'il se mortifie, qu'il
combatte ses inclinations, qu'il crui^Qe sa
chair, que dans le combat continuel que
l'esprit et la chair se livrent l'un à l'autre,
il prenne garde que l'esprit soit toujours
victorieux, et la chair toujours vaincue.
L'esprit de Jésus-Chrisl est (}ue ses dis-
ci|)les se conlraignenl, et voilà pourquoi il
déclare que son royaume scprend par vio-
, JOSEPH LVMBERT. tm
lence, et que ce sont les violents qui l'em-
portent. (Malt h. , XI, 12.)
L'esprit do Jésus-Christ est que ses dis-
cipelsse mortifient. Mortifiez et faites mou-
rir, dit saint Paul, les membres de l'homme
terrestre qui est en vous. [Coloss , 111, 5.)
L'espril de Jésus-Christ est que ses dis-
ciples combattent leurs inclinations, et c'est
ce que saint Paul nous apprend quand il
nous répèle si souvent, qu'il nous est mor-
tel d'accomplir les désirs delà chair, (Rom.,
VIll, 13.)
L'esprit de Jésus-Christ est que ses dis-
ciples crucifient leur chair. Ceux-là, dit
saint Paul, qui sont à Jésus-Chrisl crucifient
leur chair avec ses passions et ses désirs dé-
réglés. (Galat.,\, 24.)
L'esprit de Jésus-Christ est que dans le
combat continuel de l'esprit et de la chair,
l'esprit soit victorieux et la chair vaincue.
Donc, mes frères, dit saint Paul, nous ne
sommes point redevables à la chair, pour vivre
selon la chair. Que si vous vivez selon la chair,
vous mourrez, mais si vous faites mourir par
l'esprit les pussions de la chair, vous vivrez.
(I{um.,\ni, 12.)
Pouvons-nous autrement que par le tra-
vail et roccuf)ation maintenir en nous l'es-
prit de rnorlification qui est l'âme du chris-
tianisme? Pouvons-nous autrement que par
le travail assujettir In chair, combailro ses
inclinations, la tenir dans la juste sou-
mission où elle doit être à l'égard de
l'esprit?
L'esniave qui est flatté, qui est engraissé,
et qui ne gémit pas sous le joug du travail
abuse ordinairement de la facilité avec la-
quelle on le traite. Et c'est la vérilé que le
Sage a voulu marquer, quand il a dii que
celui qui nourrit délicatement son serviteur
des son enfance, le verra ensuite révolté contre
/mj. (/Vot).,XXlX,2t.) Il n'y a [.oint d'es-
clave pour qui il soit plus dangereux d'a-
voir des ménagements que notre chair. C'est
un esclave qui médite continuellement de
se révolter. Il n'y a point d'autre moyen de
la tenir dans les justes bornes où elle doit
demeurer, que de ne lui donner aucune li-
berté, que (ie la charger de chaînes, et la
faliguer par un travail assidu.
C'est de celle malheureuse esclave dont
on peut dire véritablement ce que Pharaon
(lisait faussement du peuple juif, lorsqu'il
attribuait à un esprit de révolte ledé.sirque
ce peuple témoignait d'aller sacrifier à son
Dieu. Vous êtes, leur disait ce roi impie,
dans l'oisiveté {Exod.V, il), elc'estpour cela
que vous songez 5 vous soustraire de mon
empire. Il faut pour dissiper vos inquiétu-
des vous accabler de travail. C'est ce qu'un
chrétien doitdiro à sa chair lorsqu'il éprouve
ses injustes révoltes. Qu'il y fasse attention.
Les résistances de la chair ne sont jamais
plus obstinées que dans le temps cie l'oi-
siveté. C'est donc par le travail que vous la
réduirez, et que vous lui ferez sentir qu'elle
doit èlre soumise.
Kn effet, |)ourquoi les hommes mondains
ont-ils tant d'aversion pour le travail? C'est
1101
RETRAITE ECCLES. — IX, OISIVETE.
1K>2
que le travail les cnnlraint, et que les
hommes moiulains font pi-ofossion de ne se
jamais contraindre. El an contraire, c'ost
jiar colle raison là môme que le travail de-
vrait leur être cher. C'est par celle raison là
Hic-nie qu'ils devraient se faire une loi de
remplir leur temps; qu'ils devraient com-
prendre c^iie l'on n'est point dans la voie de
sakit, pendant que l'on mène une vie inoc-
cupée. Le travail vous contraint, l'occupa-
lion vous fatigue, altachoz-vous donc à tra-
vailler, et prescrivez-vous des occupations.
Car dès tju'on ne vent point se contraindre,
on ne peut être h Jésus-Christ, et il est sûr
que l'on n'est plus au rang de ses disci-
ples.
C'diii qui n'est point à Jésus-Christ, "celui
que Jésus-Christ ne reconnaît point, et qu'il
ne veut point recevoir au rang de ses disci-
liies , est constamment bien indigne do
prendre place parmi les ministres du Très-
Haut. Il faut encore de plus exfellenles dis-
positions pour être au rang des ministres
des saints autels, que pour demeurer parmi
les sinqiles fidèles. Mais il est certain que si
les vertus des ecclésiastiques doivent être
plus érainentes que celles des simples fidè-
les, ils doivent surtout se distinguer par une
sainte ardeur pour les fonctions de leur mi-
nistère, qui est eniièrement incompatible
avec l'oisiveté et la paresse.
Dès que Jésus-Christ a établi les apôtres
qui ont été les premiers ministres de son
Evangile, il leur a marqué qu'il ne les
élevait à cette dignité, qu'afln qu'ils se con-
sacrassent tout entiers aux exercices de leur
saint ministère. Allez et prêchez. [Matlh.,
X, 7.) Si les apôtres fussent demeurés oisifs,
ils eussent agi directement contre l'intention
de leur Maître, et contre les ordres qu'ils
avaient reçus. Vous succédez aux apôtres
dans le saint minislère de l'Evangile. Si donc
vous ôles oisi.f's, il sera vrai de dire que
vous agissez contre les intentions de Jésus-
Christ, et que vous renversez directement
l'ordre qu'il a établi. Prendre un em()loi
que Jésus-Christ a institué afin que ceux qui
en sont chargés travaillent, et languir dans
1 oisiveté, quoi de |ilus opposé, au bon
ordre, quoi de (ilus contraire aux desseins
de Jésus-Christ?
Montrons, ii\l saint Paul, que nous sommes
de dignes ministres. (II Cor., VI, 4.) Et com-
ment le saint Apôtre prélend-t-il le faire
voir? La preuve principale qu'il en apporte
ce sont ses travaux assidus. Donc ceux qui
ne travaillent point n'ont aucune preuve
l>our faire voir qu'ils sont ministres de Jésus-
Christ. Toute leur conduite au contraire
marque qu'ils abusent de leur caractère, et
(ju'iis ne satisfont point aux engagements
de leur état.
Dans un autre endroit, le môme saint
Paul s'appuyant toujours sur le môme prin-
(157) « N<imen nos pastoris non ail quielem, sed
iaborem susceplsse co^rioscite.... Saceriloiii pra;-
rogaliva si rccia raiiune peiiseiim», sollicilis et
Ljiiic gPieiilibiis iu honore, nec;ligi'iilil)us aul' tu
cipe, fait voir qu'il est apôlre à meilleur
litre que ceux qui osaient lui contester
celte qualité. Quelle est la preuve de saint
Paul ? C'est, dit ce saint Apôtre que fai plus
travaillé qu'eux. (II Cor., XII, 23.) Il y a
donc une liaison essentielle entre le minis-
tère sacré de Jésus-Christ et le travail. L'on
n'est ministre de Jésus-ChrisI qu'autant
qu'on aime son emploi, ot qu'on est exact à
en remplir les obligations. Ohl vous qui
vous dites ministres du Seigneur, quelle
preuve en apportez-vous ? Pouvez-vous dii-e
comme saint Paul (jne vous êtes ministres
de Jésus-Christ, el que vos travaux font
voir que vous soutenez avec honneur ce
rang auquel vous avez été élevé ? Vous êtes
des ministres paresseux, et par conséquent
indignes de voire rang, puis(}ue vous ne
voulez pas vous faire aucune violence à
vous-mêmes pour satisfaire à vos obliga-
tions.
Selon vous, on peut élire ecclésiastique et
mener une vie molle, exemple de peine et
de travail. Les saints Pères se sont donc
bien trompés, quand ils nous ont expliqué
ce que c'est que l'état ecclésiastique, et
quand ils nous en ont fait connaître les en-
gagements. L'état ecclésiastique, selon tous
les saints Pères de l'Eglise, est un joug et
un fardeau. Les saints ont appréhendé de se
charger de ce fardeau, parce qu'ils en con-
naissaieni la pesanleur. Selon vous, c'est
un fardeau léger, et il n'y a rien de plus
facile que de le porter. Vos idées sont donc
entièrement différentes de celles des saints.
Oserez-vous dire que vos idées sont justes,
et que ce sont les saints qui se sont trom-
pés ?
Je vois les plus grands saints dans des
alarmes continuelles après avoir travaillé
pendant toute leur vie; je les vois dans le
trouble. Ils craignent de n'en avoir pas assez
fait. J'entends les reproches qu'ils se font à
eus-mômes. Et vous, au milieu de votre
oisiveté vous êles tranquille, vous n'appré-
hendez point, vous n'êtes agité d'aucun
remords, et vous ne vous faites aucun re-
proche. Le nom de pasteur, dit saint Gré-
goire pape, n'est point donné pour vivre
dans le repos, mais en le recevant Dieu
nous impose l'obligation de travailler. Si
nous savons connaître ce que c'est que io
sacerdoce, nous serons convaincus que
c'est un emploi plein d'honneur pour ceux
qui sont exacts à en remplir les fonctions.
Nous serons persuadés que c'est un fardeau
accablant pour ceux qui négligent les fonc-
tions de leur ministère. Comme donc le nom
de pasteur sera une source éternelle de
gloire pour ceux que le*salut de leurs frères
remplit d'une sainte inquiétude, de même
ce nom sacré sera une source de ré|)roba-
lion pour les paresseux qui abandonnent
leurs devoirs (137).
profeclo crit in onere. Siciit igitiir laboranles, et
circa ariimaruin s;iliUcm solliciios, lioc noiOcMi a.'itn
I) uni a;iernain ducil aJ ^loriain, iia desiiies l'C
ioi|:oiiles urgi'l ad pœaain. j (Lib. IV, ep. 8.)
lîOS
OUATELlRS SACRES. JOSKPH LAMBERT.
Ii04
Voilà (les principes sûrs suivant lesquels
vous pouvez vous former une jusle idée do
l'étal ecclésiaslifiuii. C'est un éiat qui par
soi-même engage au travail ; c'est un élal
que l'on ne doit embrasser que dans le des-
sein de travailler. La qualité de prêtre ac-
cablera ceux qui n'en ont point exercé les
fonctions. Saint Grégoire parle encore plus
expressément. Il ne craint point de dire
qu'une vie molle et paresseuse dans un
prêlre est un caractère de réprobation.
Dieu veut donc (jue les ecclésiastiques
travaillent. Il a institué l'état ecclésiastique
conune un état laborieux : s'y conduire
avec mollesse, c'est renverser l'ordre de
Dieu. Vf)ilà ce qui fait voir qu'un ecclésias-
tique qui ne travaille point dans son état,
manque à PO qu'il doit à Dieu. J'ai à vous
monirer qu'outre cela il manque à ce qu'il
doit à son prochain.
SECOND POINT.
Tout ecclésiastique doit beaucoup au
procliain,^ car c'est un principe incontes-
table que l'on ne doit entrer dans l'état
ecclésiastique que [mur servir le prochain.
L'ecclésiastique paresseux s'éloigne extrê-
mement de celle fin. Il ne sert point le
prochain ; ainsi il n'accomplit point une
de ses principales obligations. Bien loin
de servir le prochain, il le scandalise par sa
vie paresseuse. Qui peut douter que ce
ne soit un grand crime que de scan-
daliser celui que l'on est obligé d'édifier?
L'ecclésiastique paresseux pèche donc
premièrement en ce qu'il ne sert [)oint
io prochain. En second lieu il scandalise
le prochain, et c'est une nouvelle cir-
fonsiance qui aggrave considérablement son
péché.
C'est un grand péché pour un ecclésia-
sliqiie, que d'être inutile au prochain et de
ne le point servir. Car qu'est-ce qu'un ec-
clésiasliciue? A quoi est-il appelé ? Pourquoi
le sacré rainislèro a-t-il été établi iJe Dieu?
Un ecclésiastique est un homme qui n'est
plus h lui. Il est tout entier à son pro-
chain; il est envoyé de Dieu [)0ur servir In
procliain.
Nous nous considérons, dit saint Paul,
comme vos serviteurs. Voilà la véritable
idée du ministère ecclésiastique. C'est un
ministère qui nous assujétit à servir le
prochain, et qui nous engage à nous consi-
dérer connue les serviteurs de nos frères.
Ne croyons |)as que cette idée avilisse no-
tie ministère? Rien n'est plus noble que
de servir le prochain. Lorsque nous ren-
dons service à nos frères, nous le rendons
à Jésus-Christ. Jésus-Christ lui-même a
consacré sa vie au service des hommes.
Vous servez Jésus-Christ, dit saint Augus-
tin, d'une manière qui lui est tiès-agréa-
ble, quand vous rendez service h ceux dont
il s'est déclaré le serviteur (138).
(138) < Beiie Clnisliini servis, si servis quibus
Chiislus s*îrvivil. > {In p:ial. CIII.)
(Ij!)) « EjMscopi pioptei Clii ibUanos populos or-
Le'même saint Paul dans un autre en-
droit, dit qu'il est débiteur à tous, ou Grec,
au Barbare, aux suvanlSy aux ignorants,
(Hom., J, li.) Le ministère ecclésiastique
nous rend débiteurs è nos frères. Que leur
devojis-nous ? Nous leur devons nos soins,
nos travaux, notre teni|>s. Tout cela n'est
filus à nous. C'est un bien qui leur appar-
tient, et dont nous devons disfioser par ra[)-
port à eux.
Voici un beau et noble sentiment expri-
mé par des évêques, et qui doit être pro-
fondément gravé dans le cœur de tous les
ecclésiastiques. Nous sommes consacrés
évoques pour rendre service au peuple
chrétien (139). J'en dis de même de tous
les prêtres, de tous les pasteurs, de tous les
ecclésiastiques. Quiconque est fait ecclé-
siastique n'est consacré à Dieu dans cet
état que pour rendre service à son pro-
chain.
Jusqu'où les apôtres qui sont nos modè-
les n'onl-ils pas porté ce soin charitable
que notre caractère nous oblige d'avoir
pour nos frères ? Saint Paul nous assure que
le soin quil a de toutes les églises attire sur
luiune foule d'affaires qui l'assiègent tous les
jours. (11 Cor., XI, 8, 29) Saint Paul est si
fort altenlif à tous les besoins de ses frères,
qu'il est toujouis prêt de s'affaiblir pour
fortifier les faibles. Il n'arrive aucun scan-
dale dans l'Église qui ne l'afflige et ne Io
pénètre jus(|u'au cœur. Il distingue les
forts d'avec les faibles, afin de donner aux
uns du lait, aux autres des viandes solides.
(1 Cor., 111, 2.) 11 porte continuellement
(/orts son ccBitr tous les fidèles «lu'il a engen-
drés en Jésus-Christ, (li Cor., VII, 3.) Sou
amour est comparable à celui d'une mère
qui nourrit et qui aime tendrement ses pro-
pres enfants. (1 Thess., 11,7.) Cette comparai-
son n'est |)Oinl encore assez forte. Son
amour est si grand qu'après avoir annoncé
l'F.vangile aux lidèles, il aurait encore sou-
haité de leur donner sa propre vie. [Ibid.,
V, 8.)
Le principe de saint Paul était que sa
qualité d'aiJÔtre le rendait redevable à tous,
et voilà tout ce que son zèle lui suggéi'ait
de faire pour satisfaire à cette im[)orlanle
obligation.
Ne sommes-nous pas obligés de nous
appliquera nous-mêmes ce principe de saint
Paul, et de nous convaincre que nous som-
mes redevables à nos frères.
Un pasteur ne peut se dissimuler qu'il
est redevable à tous ceux qui sont confiés
à ses soins. Si une seule de ses brebis se
fterd par sa faute, il 'en répondra à Jésus-
Christ.
11 [.eut arriver,'dil saint Chrysoslomc(UO),
qu'un maître iridulgenl pardonnera à son
berger lorsqu'il aura perdu une de ses bre-
bis ; mais celui-là à (jui Jésus-Christ a con-
fié le soin dy son troupeau perd sou âme,
diiiainiu'. » (Ep. 1-28, inler epist. saiicti Aiigusliiii.)
(140) Lib. Il Ih uti-crd., c. 4.
1103
RETRAITE KCCLKS.
s'il arrivfi par sa faille qu'une seule hrolus
s'c^Karc. 11 iauilra, dil le m«imo saiiil Chi v-
soslonie(UI) rendre à Dieu un conipte exact
de liujles les brebis donl il nous arliar^és do
prendre soin. Saint Clirysoslonie dil de tou-
tes les brebis. Il prétend que c'est de toutes
en particulier, c'esl-h-dire, qu'un soin gé-
néral ne suffît pas. Un pasieur est obligé
autant qu'il le peut de s'appliquer à toutes
ses brebis en particulier. S'il manque à
quelques-unes, le voilà débiteur. Son com-
pte en est chargé, il en répondra devant
Dieu. Saint Ephrera avait enseigné la même
doctrine (142). Il soutient que les évê()ues,
les pasteurs, et les prêtres répondront de
tous ceux qui périront par leur négligence.
Cette perte leur sera imputée. Elle sera sur
leur compte, et ce sera pour eux un sujet de
condamnation.
Jl n'y a aucun ecclésiastique qui ne soil
en quelque sens chargé des mêmes obliga-
tions que les pasteurs. Autrefois on ne con-
sacrait aucun prêtre, qu'on ne l'atlacliât à
une église pour y exercer les fonctions de
son ministère (H3). Il n'y en avait aucun
qui demeurât inutile, et tous rendaient ser-
vice au prochain. C'était le premier ordre,
et f)ar conséquent le plus conforme aux in-
tentions de Jésus- Christ. Si la ■;lisci[)line de
l'Eglise a varié, l'esprit de Jésus-Christ est
toujours le môme. Il veut que tout ecclési-
astique se ccmsidère comme redevable à ses
frères, et qu'il travaille pour le salut de
son prochain.
Vous êtes prêtre, vous voilà donc hono-
ré d'un caractère établi par Jésus-Christ,
afin que celui qui en est revêtu s'applique
au salul du prochain. Croyez-vous pouvoir
impunément renverser l'ordre de Dieu ?
Croyez-vous iiouvoir demeurer libre de
tout soin, pendant que vous êtes dans un
rang oiî l'on n'est placé, que pour se dé-
vouer au service du |irochain.
Vous n'êtes |)oinl pasteur, mais vous avez
le même caractère que les pasteurs, et par
conséquent vous participez à leurs obliga-
tions. L'ordre de Dieu, l'ordre de l'Eglise
e.st que le caractère no soit confié qu'a ceux
qui sont dans la dis|)Osition de travailler.
Il est Irèï-vrai que la qualité de pasieur
ajoute de nouvelles obligations, et deman-
de des soins particuliers : mais de préten-
dre que parce que l'on n'esl pas [lasteur, on
est dégagé de tout soin, et que l'on peut
jouir tranquillemenl de la douceurdu repos;
c'est abuser du sacerdoce ; c'est en ignorer
enlièrement l'inslilution , la nature , et
l'excellence ; c'est vouloir ruiner un ordre
qui doit demeurer ferme dans toute la suite
(les siècles, puisque c'esl Dieu ijui l'a éta-
bli.
De quel œil donc croyez-vous que Dieu
regarde les ecclésiastiques oisifs, et qui ne
rendent point à leur prochain les soins qu'ils
lui doivent ? Vous avez sans doute fait at-
tention à la parabole du (iguivr qui nous est
rap))Oitée dans l'Evangile. Celui qui avait
(\i\) Lib. Vl,c. 1;
(<î"ii S:rtn i^arœn de secundo adveiitu Domiiii.
~ IX, OISIVETE. ilO^^
planté ce (Iguier vient y chercher du fruit
et comme il n'en trouve poi'it il veut (|u'on
le coupe. La grande filainto du raaî:rc du
liguier, c'esl qu'il occupe la terre inulile-
ment. Pourquoi, dit-il, ce figuier occupct-il
In terre inutilement ? {Luc, XIII, 7.) C'est
ainsi (|ue Dieu regarde tous les ecclé>^iasli-
ques oisifs, il les considère comme des
hommes qui ne remplissent p<3int les de-
voirs auxquels ils sont destinés, et qui [lar
conséquent occupent la terre inutilement.
Pourquoi, dit Dieu, cet ecclésiastique est-il
sur la terre? Qu'y fait-ii ? Quel est son em-
ploi ? De quelle édification est-il pour l'Egli-
se ? Il est prêtre, et il esl inutile, il occupe
donc la terre inulilement. Je ne puis le sup-
porter. C'est un aibre qui ne porte point do
fiuit, qui est inutile, et qui [lar conséquent
doit être coupé et jeté au feu.
Non-seulement vous êtes ecclésiastique,
non-seulement vous êtes prêtre, mais enco-»
re vous avez un bénéfice. C'esl un nouvel
engagement qui vous jiresse do travailler,
et qui vous rend inexcusable, si vous passez
voire vie dans l'inutilité.
Voici un des plus criants et des plus per-
nicieux abus qui se soit glissé dans l'Eglis-e.
On y voit un grand nombre d'ecclésiasti-
ques qui [)ossèdenl des revenus considéra-
bles, {!t qui ne rendent aucun service au
prochain. Souvent même il arrivera que les
plus riches seront les plus oisifs. Des ecclé-
siasliijues vertueux préféreront la pauvreté
de Jésus-Christ à tous les trésors de la ter-
re. Animés d'un saint zèle ils ne respireront
que de donner à Jésus-Christ des preuves
de l'amour donl ils brûlenl pour lui et pour
ses membres.
Pendant que ces prêtres zélés travaille-
ront sans relâche, vous verrez d'indignes
ministres qui sont chargés des dépouilles
de l'Eglise, qui les emploient à des usages
prol-jnes, et qui croiraient s'abaisser s'ils
exerçaient les fonctions de notre saint mi-
nistère. Quoi 1 les revenus ecclésiastiques
ont-ils donc été donnés pour fntler la va-
nité, pour entretenir le luxe, pour soutenir
l'orgueil, [lour nourrir la mollesse ? Tout
homme qui jouit des revenus ecclésiasti-
ques, et qui ne travaille point [)our l'Eglise
est dans un étal de péch^. So^i péché est
d"usur|)cr une récompense donl il est indi-
gne, de se faire payer largemenl comme les
ouvriers qui ont le plus do fatigue, quoi-
qu'il passe ses jours dans une honteuse
oisiveté.
Ceux-là môme qui n'ont (jue des bénéfi-
ces que l'on appelle simples, sont dans une
erreur très-grossière, lorsiiu'ils s'imaginent
pouvoir vivre des revenus de l'Iîglise, et se
dispenser de tout travail pour le prochain.
On peut dire des bénéfices ce que je viens
(l'établira l'égard de la prêtrise. Tout prêtre
par son inslilution est chargé de travailler
au salul du prochain. On n'en ordonnailau-
cun dans l'anliciuité, qu'on ne lui assignai
un certaii! peuiile, sur lec|uel il devait veil-
(143) Conc. Calccd., can. (î.
1107
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMI5ERT.
1108
1er. Etre ordonné prêlre, et n'être chargé
d'aucun emploi, c'est une nouvelle disci-
pline. Elle ne peut empêcher que conformé-
ment h l'esprit de Jésus-Christ, et de son
Eglise, tout prêtre ne soit obligé par son
seul caractère de s'employer pour le pro-
chain.
J'en dis de même des bénéfices. Tout ec-
clésiastique qui possède un bénéfice est
obligé de travailler pour l'Eglise. Autrefois
les revenus ecclésiastiques n'étaient distri-
bués qu'à ceux qui les méritaient par leurs
travaux. Les bénéfices sans fonction sont
des nouveautés que l'ancienne Eglise n'a
point connu, et dont elle gémit présente-
ment, parce que cet usage nouveau a pro-
duit une infinité d'abus. Le seul moyen de
rectifier de si condamnables abus, c'est de
suivre l'esprit de l'Eglise, et de n'user de ses
revenus qu'à proportion que l'on s'en rend
digne par les servii;es assidus qu'on lui
rend, ou qu'on lui a déjà rendus, pendant
qu'on a été en état de Iravailler.
Considérez donc attentivement ce que
vous êtes. Vous êtes prêlre ; vous possédez
nn bénéfice; vous voilà condamné, parce
que vous n'accomplissez pas une de vos obli-
gations les plus essentielles qui est do ser-
vir le prochain.
Bien loin de le servir, vous le scandalisez.
Y a-t-il rien dont le prochain soit plus of-
fensé que de la vie molle el, paresseuse d'un
ecclésiastique?
Il arrivera souvent dans une paroisse que
tout un peuple travaillera, il n'y aura que
lesecclésiasliquosqui vivront daiisl'oisiveté.
Les hommes, les femmes, les enfants même,
ions porteront le poids du jour et de la cha-
leur. [Mallh., XX, l'i.) Pendant ce temps un
ecclésiastique à son aise contemplera de
loin les autres qui se fa'.iguent. Il se pro-
mènera, il visitera ses omis, il prendra
avec eux des divertissements, quelquefois
peu convenables à la gravité de son carac-
tère. Cet homme croit que tous les autres
sont obligés de travailler, afin que jjrofilatit
de leur travail et de leur peine, il jouisse
d'un parfait repos. Au contraire le travail
assidu de ce peuple est un averlissement
salutaire qui doit faire souvenir ce pasteur,
qu'il est de son côté obligé d'entreprendre
tes travaux qui lui conviennent. Le travail
de ce peuple vous fournit la nourriture cor-
porelle : travaillez donc aussi afin d'être en
élat de procurer à ce |)euj)le une nourriture
spirituelle. Je ne sais pas comment un pas-
teur, comment un ()rêlre n'est point honteux
de paraître oisif, (lenJant que le peuple
qu'il gouverne gémit sous le fardeau d'un
travail rigoureux et continuel. Le peuple en
est oll'ensé, il en murmure. Est ce le [)euple
qui a tort, ou plutôt n'est-ce pas le pasteur
cl le prêtre qui couj-eruient aisément la ra-
(144) I Non qiiœrere ab eo polerani quotl volebym
secluileiilibus nie ab ejus ame alqne ore caiervis ho-
iiiiniini quorum iniirniilalibus serviebul. » (Lib. VI
Çouf.,c. 3.)
(■I4.>) « Parvo Icnipore scrvaluni estLirca me, cl
cine de ces plaintes et de ces murmures?
Quand on comparera celte vie paresseuse
et inocupée, avec la vie active et remplie
des saints évêques et des saints prêtres, on
aura encore plus lieu d'en être otTensé.
Comment ont vécu les saints qui ont connu
l'importance de leurs emplois, et les obliga-
tions de leurs caractères? Le récit fidèle
qui nous est fait de !a vie de ces grands
saints par des auteurs qui ne peuvent être
suspects, nous fait connaître que la prière,
les actions de charité, les fonctions de leur
ministère remplissaient tout leur temps.
Saint Augustin parlant de saint Anibroise,
dit qu'il ne pouvait presque l'aborder, parce
qu'il était sans cesse assiégé d'une foule de
gens qui avaient recours à lui. Dans les
autres temps saint Ambroise lisait, et c'était
avec tant d'attention, que plusieurs entraient
dans le lieu où il se retirait sans qu'il s'en
aperçllt. Saint Augustin dit qu'il trouvait
ce saint occupé à la lecture, qu'il n'osait
troubler cet homme attentif, qu'il demeurait
dans un profond silence, et qu'il se retirait
sans lui avoir parlé (ikk). Jugez par là de la
grande application de ce saint évoque.
Le môme Saint Augustin (14^5) nous [lar-
lant de ses ûccu{)alions nous fait voir qu'elles
étaient continuelles, et qu'elles ne lui lais-
saient aucun loisir. Il avait demandé avec
instance qu'on lui accordât quelque temps
pour vaquer à l'élude de l'Ecriture. Son
peuple lui avait promis; mais, dit ce saint,
l'on a peu gardé la parole qu'on m'av<iii don-
née. On vient en foule à moi: les occupa-
tions se succèdent les unes aux autres, et
remplissent les jours entiers.
Quand saint Grégoire [larle de ses em-
plois, il dit qu'il gémit sous la grande fouie
de ses occupations, et qu'à peine a-t-il la li-
berté do respirer (146).
Vous me direz sans doute que ceux dont
je vous [)ropose l'exemple étaient élevés aux
premières dignités de l'Eglise. Je le veux,
et je n'ai point de peine à vous accorder,
qu'à cause de leurs importants emplois,
kurs all'aires étaient en [)lus grand nombre,
et de plus grande conséquence que les
vôtres. Mais aussi il faut demeurer d'accord,
qu'il n'y a guère d'emploi ecclésiastique où
il n'y ait assez de fonction pour remplir tout
luttre temps quand on veut s'en acquitter
avec fidélité. Lorsque les emplois ont moins
d'étendue, un ect;lésiastique zélé entre dans
un plus grand détail. Il jirie pour son peu-
ple ; il se nourrit des saintes maximes, il
puise dans les pures sources de la vérité,
afin de réf)andre ensuite les eaux salutaires
qu'il a i)uisées;il n'y a aucun besoin qui
échappe à sa vigilance et à sa charité. Ainsi
le teiij[)s d'un ecclésiastique zélé n'est ja-
mais vide d'occupations, et il est toujours
reuipl;.
postia violenter irruplum aiite meridiein el posl
meridiem nccupalioinljuslioniinum implico;•.^(Epist.
213, at. 100 )
(I4(J) « Gemo quolitlie occupationibus prcssus et
rt'spirare non vjIoo. » (Lib. .1, ep._30.)
1109
RKTRAITE ECCLES. — IX, OISIVETE.
tllfr
Comparons mninlcnant la vie laborieuse
des saillis ecclésiastiques, avoc la vie oisive
(les ecelésiasliques mondains et paresseux.
Quoi âc plus édiliant que les uns! quoi de
plus scandaleux que les autres I Des prêtres
(iui pour toute occupation se promènent,
font des visites, assisten: à des festins, sont-
ce dos prêtres? Saint (uY^goire animé d'un
saint Zi^le contre un prélre de ce caractère,
lui fait de sévères reproclies de ce qu'il
abandonne le soin de son troupeau, et de
ce qu'il ne recherche (dus que la bonne
chère et les festins. Ce grand saint allant
cl la source du mal, nous fait voir que ce
malheureux prêtre s'est perdu, parce qu'il
a quitté l'élude (U7). L'élude abandonnée,
on languit dans l'oisiveté, et de lîi, celle vie
scandaleuse qui attire le mépris de ceux
dont on devrait travailler à mériier Fuslime
par une application exacte à lous ses devoirs.
Jésus-Christ a dit : Malheur â celui par
qui le scandale arrive. {Matlli., XVIII, 7.) Si
c'est un Irès-graud mallieur à lous les cliré-
tieiis d'être un sujet de scandale à leurs
frères', ce malheur est bien (ilus giand pour
les ecclésiastiques qui ont une obligation
particulière d'édifier le prochain et de ré-
pandre en lous lieux la bonne odeur do
Jésus-Christ.
Les ecclésiastiques doivent servir le pro-
chain, ils doivent l'édifier. Les ecclésiasti-
ques paresseux et oisifs ne servent point le
jirochain ; bien éloignés de le servir ils le
scandalisent. Il est donc vrai que les ecclé-
siastiques oisifs manquent à ce qu'ils doi-
vent ù leur prochain. J'ai encore à vous
montrer qu'ils manquent à ce qu'ils se doi-
vent à eux-mêmes.
TROISIÈME POINT.
Nous nous devons à nous-mêmes de veil-
ler à notre propre conservation et de ne nous
pas exposer témérairement à des dangers
manifestes, et où il est presque impossible
que nous ne périssions. C'est ce qui fait
voir que les ecclésiastiques paresseux man-
quenl beaucoup à ce qu'ils se doivent à eux-
mêmes; car il est vrai de dire qu'ils s'ex-
posent volontairement à de très-grands pé-
rils. L'ecclésiastique paresseux et oisif est
en proie au démon. Il est particulièrement
en proie au démon de l'impureté (jui est le
plus furieux de tous les démons.
L'ecclésiastique [jaresseux et oisif est en
proie au démon; car il est certain que ceux
qui sont oisifs , sont^ [.arliculièrement
exposés aux tentations du démon, et que
cet ennemi cruel n'a jamais plus de force,
que quand il attaque ceux qui languissent
dans l'oisiveté.
Le Sage dit que f oisiveté enseigne beaucoup
de mal. [Eccli., XXXlli, 20.) Comment cela?
C'est que le démon, l'auteur et le i^ère de
toute méchanceté, choisit le temps que
nous sommes oisils pour se faire entendre,
et |)Our nous ins[)irerses fausses maximes.
(147) « Didici pastoral! cura derefcta solis le
coiiviviis occiij'aïuiL'.. ncipiaouam l(cii<iiii sluiies.»
Il attaquerait vainement celui qui est sain-
lement occupé. L'esprit qui est rempli de
saintes vérités, n'est point susceptible de
vaines illusions. Quand le corps est faligm^
par un travail assidu, l'esprit qui a une
étroite liaison avec le corps se ressent dr
ses fatigues. Il n'y a pas lieu de crain<lre
au'il se laisse séduire par les suggestions
e l'ennemi. Mais quand le corps est à son
aise, quaiul il est ménagé et qu'il n'est [loint
fatigué par aucun travail; quand l'esprit
n'est point nourri de saintes maximes, pour
lors hîdémon trouve un champ libre, il ()eul
dresser toutes ses embûcdies sans craindr»;
aucun obiitacle. Un esprit vide de bonnes
idées ne tarde guère à être infecté des
fausses maximes du siècle; !a corruption
de l'esprit se répand bientôt jusque sur le
cœur. Voilà donc un malheureux qui de-
vient pour ainsi dire le jouet du démon.
L'ennemi n'a qu'è proposer, il est obéi ; on
donne dans tous ses pièges; on ne songe pa«i
même à se défendre. Qui donca rendu le
démon si fort , el à qui est-il redevable
d'une victoire si complète? 11 la doit toute
entière à l'oisiveté. C'est l'oisiveté qui l'a
intioduit; c'est l'oisiveté qui a été cause
que ses maximes ont été goûtées. Il a l'ait
tous ses progrès, el il est entln devenu ïe
maître par le moyen de l'oisiveté.
Quand le prophète Ezéchiel décrit tous
les crimes de l'infAme Sodome et toutes les
voies malheureuses |/ar lesquelles elle est
arrivée à ce comble d'iniquité, qui a attiré
sur elle une si terrible vengeance, l'oisiveté
est rapporté comme une des principales
sources de ses abominations.
Si l'on entreprenait de faire une triste
description de tous ceux qui ont péri par
roisiv(!lé, que l'énuméralion serait longue?
Il faudrait commencer par Adam. Car,
commesainlChrys(jslome le remarque (14-8),
Adam menait une vie oisive quand il fut
chassé du ()aradis. Saint Paul au contraire
menait une vie laborieuse, difficile, il tra-
vaillait jour et nuit quand il fut ravi au troi-
sième ciel. Et c'est de là que saint Chry-
so-ilome conclut que l'IioMime doit bien
prendre garde à ne pas rejeter le travail
Alais pouri)uc>i rechercher des exemples
anciens, pendant que ce qui fra|)pe nos yeux
a tant de force pour nous convaincre?
Qu'est-ce qu'un ecclésiastique oisif? Quid
objet plus digne de compassion? Je parle
d'un ecclésiastique (jui, quand il a récité
son office et célébré la sainte messe, ne sait
plus de quois'occu[)er. Il n'y a point de doute
que le démon attaquera cet homme. Il est
trop sûr de réussir ()our manquer une si
belle occasion d'établir sa demeure dans le
cœur d'un malheureux. L'ennemi donc ne
ménagera rien, il attaquera fortemenl. Avec
quelles armes se défendra celui qui est
dans la triste situation que je viens de vous
représenter? Il est si faible qu'il ne résis-
tera pas. 11 cédera d'abord à son vaimiueur.
(Lil). ll,ep. 44)
(118) llom. "2 ad pop. Anliocli.
itll
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBEuT,
1112
L'on peut dire que c'est une place ouverte
de tous côtés, l'ennemi n'a qu'à se présen-
ter imur entrer en triomphe. !
N'attendez pas même que cet ecclésias-
lique change de conduite; rien n'csl plus
dangereux qu'une hdhitude de [)aresse
lorsqu'elle est invétérée. On s'accoutume
insensiblement à mener une vie fainéante.
Plus on persévère dans la paresse, plus on
la goûte. Toute autre vie paraît insuppor-
])0!table, l'onjbre môme dn travail épou-
v.mle. Les livres sont une com[)agnie
trè.s-agréable pour ceux qui, par un travail
assidu, ont acquis quelque goût pour les
sciences ; mais les livres sont insupporta-
bles à ceux qui ont passé un letnps consi-
«lérablede leur vie sans s'appliquera l'élude.
Cet homme n'a aucun principe, il n'a aucun
j:oût pour l'étude. Vous lui proposez de
donner quelques heures à la lecture. Il est
Lien tard. En efl'et, il est bien tard, et vous
n'en voyez guère qui prennent la résolution
(Je captiver leur esprit qui ne s'est jamais
contraint. C'est h nous, en déplorant cet
extrême malheur, de (irendro garde de n'y
jioint tomber; et puisqu'il est si difficile de
vaincre, exerçons-nous de bonne heure au
travail ; formons une sainte habitude, qui
nous donne autant de facilité pour le bien
que les méchants enont pour le mal et pour
tout ce qui esi contraire î» la sainteté de
leur profession.
Cet homme donc n'a point de plus grands
ennemis que les livres ; rien ne lui paraît
plus difficile que de s'appliquer et de se
contraindre. Si vous le pressez, il vous le
jiromettra, mais il ne tiendra point sa pa-
role. Point d'étude, point de travail réglé,
point d'occupation ecclésiastique. Il faut
donc jouer, se dissiper, se répandre au de-
hors, fréquenter les mondains. Vous cora-
pienez sans peine tous les progrès que le
démon tait lorsque celui qu'il attaque est
dans de si mauvaises dispositions.
Mais ce qui est encore plus déplorable,
et plus à craindre, c'est que cet homme sera
attaqué par le démon de riuq)ureté le plus
furieux de tous les démons.
Un ecclésiastique imjjur, quelle abomi-
nation! Quel monstre I L'Eglise demande
dans ses ministres une grande sainteté. Elle
veut qu'Us s'éloignent de toutes sortes de
vices. Mais parmi tous les péchés, l'impu-
reté es! le vice que l'Eglise déteste davan-
tage. Elle a déclaré tant de fois qu'elle
ne peut souffrir dons son sein les ministres
impurs. Elle veut que ceux qui sont cou-
juibles de ce péché n'approclient point de
ses autels. Elle veut (|ue ses ministres qui
sont tombés dans ce péché abandonnent
les fondions ecclésiastiques, et qu'ils se re-
tirent [)our faire pénitence. Les ministres
des saints autels ne peuvent avoir trop d'hor-
leur pour l'impureté; ils ne {)euvenl donc
trop en avoir pour l'oisiveté. Car c'est à la
laveur de l'oisiveté que l'imiiurcté se glisse.
Qu'on examine deiirès tous les ecclésias-
tiques qui sont assez malheureux pour
■• s'êlre laissé vaincre par le démon de l'im-
f pureté, comment le démon les a-l-il sur-
pris? Par l'oisiveté. Si de saintes occupa-
lions avaient partagé leur vie. le démon
les eût inutilement, attaqués. Mais f)arce
que le démon les a trouvés oisifs, il n'a eu
aucune peine à s'en rendre maître. Il a at-
taqué, on ne lui a fait aucune résistance.
Ce malheureux a donc été vaincu; et le
voild l'ennemi de l'Eglise, le scandale du
peuple, le déshonneur du clergé, l'horreur
de tous ceux qui ont quelque connaissance
de SOS dérèglements.
11 n'y a donc rien de plus nécessaire et de
plus excellenl que le travail pour surmon-
ter le démon de l'impureté. Eles-vous atta-
qué par ce cruel ennemi, ayez recours à ce
remeilesalutaire.il arrivera rarement que
celui-là succombe qui est exact à s'occuper.
Suivez le conseil |)lein de sagesse que sajut
Jérôme donne à Rustique, et vous verrez
quelle sera votre force pour vaincre toutes
sortes de démons, et surtout celui de l'im-
pureté. Faites toujours quelque chose afin
que le diable vous trouve continuellemenl
occupé (149).
Etant ainsi convaincus de la nécessiié de
vous occuper, il ne reste plus qu'à vous
marquer en peu de mots quelles doivent
être vos principales occupations.
Les occupations des ecclésiastiques se
réduisent particulièrement à trois : à la
prière, à l'élude, au secours que votre ca-
ractère vous engage de rendre au prochain.
Un ecclésiastique doit beaucoup prier,
car comme ses besoins sont grands, il doit
souvent s'adresser à Dieu. Il est obligé du
prier pour lui-même et pour le peuple. Il
est de son ministère d'attirer les grâces de
Dieu, d'apaiser sa colère. Il doitôlrti con-
tinuellement entre Dieu et son peufile.
Quant à nous, disent les saints apôtres, nous
nous appliquerons entièrement à la prière.
(Act., VI, 4.)
Un ecclésiastique doit aimer l'étude et
y donner une partie considérable do son
tem[)s. Tout est perdu [tour un ecclésiasti-
que quand il n'aime poinl l'élude. Il est
nécessaire qu'il étudie pour se mettre en
état de remplir ses fonctions, il est encore
nécessaire qu'il étudie, afin qu'ayant tou-
jours une occupation assurée, il ne soit
point obligé de se répandre au dehors pour
éviter l'ennui.
Voyez tous les ecclésiastiques oisifs, tous
ceux qui vivent dans le dérèglement. Ce
sont des gens qui ne peu vent demeurer seuls,
qui n onl point j'heureux se-Tel de s'occu-
per, qui haïssent les livres.
Celui qui aime les livres a une compagnie
sûre qui ne lui manque jamais ; il se plaît
avec lui-même : Il trouve sans sortir de sa
luaison de quoi remplir tout son tem{)S
Parmi tous les livres il y en a un surtout
qui a la préférence. C'est l'Ecriture sainte.
Ce livre saint est continuellement entre
(ti'J) i l'acilo ailipiid opcris, ut !e seinpor ciiabolus invcnial occiip:.Uuin. »
1113
RETRAITE ECCLES. — X. SCIENCE.
llii
SOS mains, et il en fail ses plus clièies déli-
ces. I/Ecrilure sainte est le livro de tous
les chrétiens, et surtout des ecclésiasliijues.
Tout erclésinstique qui veut vivre dans
l'ordre doit tonner une résolution sincère
de ne passer jaiaois un seul jour sans don-
ner quel(iue temps à la !ectur« et à l'élude
de l'Écriture.
Vdus avez encore une troisième occu-
pation qui vous doit être bien précieuse,
c'est de travailler pour le firoiliain. Vous
n'êtes ecclésiastique que pour servir le
proch.iin. Ainsi il est juste que vous con-
sacriez votre temps à cette importante occu-
pation.
Saint Paul dit à son disciple Tiinothée :
Appliquez-vous à la lecture, à Vexhorlation,
et à Vinslruclion (I Tim., IV, 13.)
Appliquez vous à la lecture, c'est l'étude
dont je viens de vous parler.
Appliquez-vous à Vexhorlation et à l'ins-
trucdon. Instruire l'ignorant, consoler le
malheureux, fortifier le faible, soutenir celui
qui est menacé d'une ruine prochaine, don-
ner de sages conseils, épouvanter le pé-
cheur, lui donner iiorreur de ses voies in-
justes, assister l'opprimé, soulager le pau-
vre dans sa misère , voilà des occupations
véritablement ecclésiastiques.
Vous ne savez à quoi employer votre
temps ? Si vous aviez de la charité, vous
trouveriez bien le moyen de remplir tout ce
grand vide. Au liuu de vous jierdre par
votre inutilité, \ous vous sanclitieriez en
rendant à voire prochain des secours qui
lui sont Irès-nécesssaires et que vous lui
devez, [)uisque vous êtes pi êtres pour vous
consacrer tout entiers au service de voire
prochain.
Proposez-vous donc de vous occuper
saintement, et que ce soit là le partage de
voire vie. Tous les jours vous deslinerz
de certaines heures à la prière. Il y en aura
d'autres qui seront consacrées à l'élude.
Lorsque Dieu vous aura communiqué ses
lumières et ses grâces dans ces deux exer-
cices, vous irez ré[iandre sur votre prochain
les trésors que vous avez reçus.
Quelle ditférence entre un prêtre sage et
vertueux, dont les occupations sont saintes,
et entre un ccclésiaslique qui se dissipe
dans de vaines inutilités? L'un remplit son
ministère, l'autre abandonne ses devoiis.
L'un donne une grande idée du ministère
ecclésiastique, l'autre se fait mépriser, et
souvent ce mépris r(jaillit jusque .sur le
saint caraclère. L'un rend la vertu aimable,
l'autre dégoûte de la vertu. L'un pénètre
les cœurs toutes les fois qu'il exj.lique les
vérités de la religion, l'autre ne parle point,
qu'on ne soit prévenu contre lui, et qu'on
ne lui fasse un secret reproche, qu'il n'est
j)0int convaincu des vérilés qu'il annonce.
L'un touche les cœurs les plus endurcis,
l'autre confirme les pécheurs dans leurs dé-
règlements. L'un amasse des trésors de grâ-
ce, l'autre amasse des trésors de colère.
L'un travaille pour Jésus-Christ, l'autre
travaille pour le démon.
Mais cette différence se tera sonlir en-
core bien davantage à l'Iionre de la mort, et
quand il faudra comparaître devant Dieu.
Venez donc ministres iiiuliles, vous êtes
cités par votre juge, et vous ne pouvez vous
dispenser de comparaître dovanl lui.Oili est
le talent que vous avez reçu ? Quoi ! vous
l'avez cac?ié en terre. Vous paraissez devant
le Seigneuries mains vides. F^a plus grande
partie de votre vie a été employée en amu-
sements. Venez donc et écoutez votre sen-
tence : Qu'on jette le serviteur inutile dans les
ténèbres extérieures. C est-là quil y aura des
pleurs et des grincements de dcnls. [Hlalth.,
XXV, 30.)
Vous viendrez h votre tour 6on ef /îrfc/e
serviteur, vous qui avez eu grand soin de
faire valoir le talent que vous avez reçu.
Vous viendrez les mains pleines de bonnes
œuvres. Votre humilité vous les aura ca-
chées, mais elles seront d'autant |)lus con-
nues de Dieu, que vous y aurez moins fail
d'attention. Ce sera noùr lors le temps de
recueillir ce que vous avez semé. Quelle sur-
prise pour vous, quad vous verrez un Dieu
qui fera tant valoir ce que vous n'avez fait
que par le secours de sa grâce. Vos œuvres
sont les dons de Dieu, et vous en serez ré-
compensé, comme si vous en aviez été le
principal auteur. Mais quel sera le fonde-
ment de cette récom[)ense? Votre fidélité à
bien remplir vos devoirs, votre exactitude
à bien emi)loyer tous les moments que vous
avez reçus de Dieu. Vous avez été tout en-
tier 5 Dieu dans tous les moments de votre
vie. Voilà votre fidélité. Dieu sera tout
entier h vous pendant toute l'élerniié. Voilà
votre récompense.
DISCOURS X.
DE LA SCIENCE.
Pour peu que l'on considère les suites fu-
nestes de l'ignorance dans les ecclésiasli-
ques, on ne peut qu'on ne gémisse du mal-
heur extrême otà l'Eglise se trouve réduite,
de voir ses emplois entre les mains d'un
grand nombre de ministres qui ne con-
naissent ni la sainteté, ni les obligations do
leur état.
L'ignorance des ecclésiastiques est éga-
lement fatale, et aux ecclésiastiques niê-
mes, et au peuple dont ils sont les conduc-
teurs.
Elle est funeste aux ecclésiastiques; car
la corruption des mœurs est la fille de-
l'ignorance, et il certain que la plupart des
désordres qui se glissent dans le clergé, se-
raient arrêlés si l'on pouvait trouver des
moyens sûrs et efficaces pour engager les
ecclésiastiques à aimer l'élude.
Nous ne dirons rien qui ne soit exacte-
ment conforme à la vérité, quand nous
rejetterons les désordres du peuple sur
l'ignorance de ceux qui le conduisent, Ci-r
comment le peuple ne s'abandoimera-t-il
pas à toutes sortes d'excès, lorsqu'il n'est
l)oint instruit, et qu'on ne lui lait point
connaître l'iniijuité de ses voies?
O quel écuoil funeste pour la pureté des
111;
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT
l!t()
moeurs, r]\iR l'afTieiise i;^norance qui s'était
rép'indtiel Les ténèljres étaient si épaisses,
qu'à peine la lumière s'apercevait-elie en
beaiioonp de lieux.
Plusieurs saints émus d'un juste zèle ont
soupiré, ont travaillé, ont fait des efforts,
ont établi de saintes lois, ont employé tous
les moyens qui dépendaient d'eux pour les
faire exécuter. Cependant, nonobstant leur
vigilance et leurs efforts, il s'en faut bien
que l'ignorance soit encore bannie du cler-
gé. Plusieurs, quoique très-ignorants, se
glissent et sont introduits par leur hardies-
se; d'autres ont quelques connaissances,
mais ce n'est pas là ce qu'on entend par
la science ecclésiastique. Le besoin ex-
trême que l'on a d'ouvriers oblige les évo-
ques les plus zélés à S9 reltlcber malgré
eux. L'intention de l'Eglise est qu'on ne
cesse point de crier, et de faire voir aux
ecciésicistiques l'obligation qu'ils ont de se
rendre liabiles.
C'est donc de la" science ecclésiastique
dontje dois vous entretenir. J'ai à vous faire
voir la nécessité de cette science, en quoi
elle consiste, les vues que les ecclésiasti-
ques se doivent proposer dan's leurs études,
et les résolutions qu'ils doivent former par
rapport à l'étude.
Ce serait une trop vaste matière que de
vouloir traiter ces quatre vérités dans un
seul entretien. Les deux premières seront
I? sujet de l'entretien d'aujourd'iiui. Les
d'îux autres seront remises à l'entretien
suivant.
PREMIEll POINT,
L"Eglise ne veut point que ceux qui sont
sans science se placent au rang de ses mi-
nistres. L'Rglise a de justes raisons pour
les rejeter. Il no peut y avoir de raison
légitime pour sç dispenser de suivre
en cela les règles et la discipline de l'Eglise.
L'Eglise a toujours constamment déclaré
(pi'elle voulait que ses ministres eussent
de la science. Il ne faut pas èlre étonné que
l'Eglise, qui a toujours été conduite par le
saint Esprit, ait suivi fidèlement tes ensei-
gnements que cet Esprit divin nous a lais-
sés dans les saintes Ecritures.
Consultez l'Ancien Testament, consultez
le Nouveau. L'esprit de Dieu a toujours été
!e même; il s'est toujours expli(|ué en la
môme manière, sur les qualités que doi-
vent avoir les minisires du Très-Haut. Il a
toujours marq\ié que la science était parti-
culièrement nécessaire à celui qui pré-
tend entrer dans le sanctuaire.
Nous lisons dans l'ancienne loi que l'a-
veuglement était un défaut essentiel, et que
tout homme en (|ui ce défaut setiouvait,
était absolument exclu du sacerdoce. S'il
tst aveugle, s'ii est boiteux etc., il n'appro-
chera point (les saints autels. {Lev.,W\, 18 )
Il est aisé de voir ce que marquait ce dé-
faut dans une loi où Dieu se servait de li-
gures pour nous découvrir ses volontés.
(150) Oral. 20, p. 7>U.
T,es aveugles sont la figure de ceux qui
sont sans lumière et sans science. O voms
donc qui êtes véritablement dos aveugles,
n'avancez pas davantage , le Seigneur vous
détend d'approcher !
Dieu ne s'est pas contenté de pai^er en
figure pour nous faire connaître une vérité
de cette conséquence. Il s'est expliqué clai-
rement et sans figure. Etiiendez-le parler
par un de ses prophètes : Comme vaux avez
rejeté la science (il parle îi ceux qui préten-
daient exercer les fonctions du sacerdoce),
je vous rejetterai aussi, et je ne souffrirai
point que vous exerciez les fondions de mon
sacerdoce. {Ose., IV, 6.)
Il n'y en a que trop parmi les ecclésiasti-
ques qui rejettent la science. Car ceux-là
véritablement ne rejettent-ils pas la science
qui haïssent l'élude, qui sont môme offen-
sés de la vue d'un livre, à qui l'on fait souf-
frir un cruel martyre , lorsqu'on les oblige
(le donner quelque teiu[)s à la lecture des
livres saints?
Vous en verrez même , comme le remar-
que saint Grégoire de Nazianze, (150) qui
se glorifieront de leur ignorance, ll.s ne par-
leront de la science qu'avec mépris; parce
qu'ils croupissent dans l'ignorance, ils vou-
draient que tous les autres leur fussent
semblables, afin qu'on n'eût aucun lieu do
leur faire des reproches.
Ils exercent néanmoins les fonctions du
sacerdoce. Mais comment les exercent-ils,
malgré le Seigneur, et contre ses ordres?
Je ne souffrirai point que vous exerciez les
fonctions de mon sacerdoce. Vous le souffrez
.néanmoins, Seigneur, avec une très-grande
patience. Ces honnnes qui ont rejeté la
science occupent dans l'Eglise des places
imfiortantes. Ils sont past(Mirs , ils sont
chargés de In conduite du troupeau. Il est
vrai que Dieu lessouffie, mais un jour vien-
dra qu'il leur fera entendre le sens de ses
[laroles; un jour viendra que Dieu leur fera
voir ce que c'est que d'avoir exercé malgré
lui les funciions de son sacerdoce.
Dieu, après avoir parlé dans l ancienne lui par
ses prophètes, s\st expliqué dans la loi nou-
vellepar son Fils. {nebr.l,i.)\oyonscomxr\enl
Jésus-Christ appellesesmmislres, elil nous
sera aisé de voir s'ils [)euvent sans science
soute^iir l'auguste nom que le Fils de Dieu
leur donne. Vous êtes la lumière du monde,
vous êtes le sel de la terre. [Mallh., V , 13.) O
unelle lumière (ju'un piôire.sans science!
Ciiiument s'y prendra -t-il pour préserver
les hommes de la coriupliou ? C'est un sel
fade et sans force, il n'est plus bon à rien
(ji'à cire jeté dehors, et à être foulé aux pieds
par les hummes. {Ibïd )
L'apôtre saint Paul en décrivant les qua-
lités que doit avoir le prêtre et l'évêquc,
n'.i pas mant|ué de marquer expresséaienl
qu'il devait être capable d'instruire, (l Tim.,
III, 2.) Ah I quelles instructions que celles
c|ui sont données par celui qui n'a point
de science. Il n'est |)oint ca[)able d'instruire,.
Hi7
RKTRAITK ECCLES. — X, SClEiNCE.
1118
il n'est donc poinl en élal, selon saiiil Paul,
(i'èlre élevé au sacerdoce.
Vous avez entendu les proplièles , vous
avez entendu Jésus-Chrisl, vous avez en-
tendu son Apôtre. Ils veulent absolument
que ceux qui entrent dans le sanctuaire
aient de la science. Voulez-vous apprendre
quelle conséquence l'Eglise a tirée de leurs
paroles? C'est que l'entrée de l'état ecclé-
siastique doit être pour toujours fermée
à ceux qui sont sans scieiice.
L'Eglise ne pouvait pas être plus exacte
à prendre ses précautions, lille défend à ceux
h qui il appartient de lui donner des mi-
nistres, d'en choisir d'autres que ceux dont
la capacité leur est connue. Elle défend à
ceux qui sont sans science do se présenter
aux ordres saints.
Voici comment l'Eglise a parlé h tous ceux
qui sont chargés du choix de ses ministres.
Elle leur dit à tous par la bouche d'un saint
pape : (Ju'aucun ne soit assez osé pour don-
ner le rang de clerc à ceux qui sont sans
lettres et sans science (151). Elle leur dit
à tous par le dernier de ses conciles, qu'ils
doivent s'assurer par un examen exact de
la capacité de ceux à qui ils imposent les
mains, et qu'ils ne doivent les recevoir que
quand ils sont assez habiles [lour instruire
le peuple, et |iour être de fidèles dispensa-
teurs des saints mystères (152).
L'Eglise dans d'autres endroits parle à
ceux qui aspirent aux saints ordres. Elle
prononce disiinctement , qu'aucun ne doit
se présenter à moins qu'il n'ait de la scien-
ce. Si l'on n'est pas exact à suivre celte rè-
gle, celui qui impose les mains et celui h
qui elles sont imposées sont également
coupables. Ils irritent Dieu , et ils méritent
que l'Eglise bnir lasse sentir par des châti-
ments sévères la grièvelé de leur péché.
(133).
On ne peut douter que la piété ne soit
entièremonl nécessaire aux ministres de
l'Eglise. Jugez donc par là de la nécessité
de la science. L'Eglise estime que ,ses mi-
nistres n'ont l'iis moins besoin de science
que de piété. tlWe est aussi exacte à rejeter
les ignorants que It s pécheurs. Elle nous
enseigne par un de ses conciles, que comme
on a grand soin de ne poinl laisser entrer
dans l'Eglise les méchants et les pécheurs,
aussi il ne faut point soulfrir que les igno-
rants usurpent un caractère dont ils sont
indignes (15i). V^oilà donc le crime et l'i-
gnorance mis en paralelle. Retirez-vous,
ministres sans probité , retirez-vous minis-
tres sans science. Ne faites poinl violence à
l'Eglise, elle vous déclare qu'elle ne peut
vous soulTrir , et qu'elle ne veul poinl que
(131) I Nullus illileratos ad clericatus ordinem
promoverc pra;suiiiat. > (Gelasius, Ep. ad episcopos
Lucaniœ.)
(lo-i) I Ili sirit qui a<i doccndum popiiluin ea quaî
scire omnibus necess riiiiii est ad salulem, ac ad-
iiiinistranda sacranieiiia diligeuli examine pixce-
denle, idonei comprobantur. » (Conc. Trid., sess.
23, c. U.
(loâj « Nullus ad batra venial indoctus. .Miter
vous vous placiez au rang de ses nn'nis-
tres.
L Eglise n'agit point sans raison. Elle en
a de très-fortes pour cliasser de son sein
ceux qui n'ont point de science. C'est , dit
le saint pape, dont je vous ai déjh rapporté
les paroles, que celui qui est sans scieni^e
n'est point propre à exercer les fonctions
ecclésiastiques (155).
L'Eglise ne veut point qu'on lui donne
pour ministres ceux qui ne sont point en
état d'exercer les saintes fondions de leur
caractère. Uien ne lui est plus odieux qu'un
ministre inutile. Elle ne le peul souffrir.
Ou n'entrez point dans l'état ecclésiastique,
ou venez-y dans le dessein de travailler,
el a.vec les talents nécessaires pour y faire
quelque fruit ; autrement retirez-vous. L'E-
glise ne veut point de vous, et vous pou-
vez compter que c'est malgré elle que vous
usurperez un titre qu'elle ne veut point
vous donner. Or celui /]ui n'a point de
science, peut-il exercer les fonctions ecclé-
siastiques?
Les principales fonctions ecclésiastiques
sont de prier, d'instruire, d'administrer les
sacrements?
Quelles prières que celles d'un prêtre
dont l'ignorance est si grande , qu'à peine
entend-il ce qu'il dit. Ordinairement les
prêtres ignorants n'ont point de piété. Les
prières les plus touchantes ne font aucune
impression sur eux. La principale source
de leur irréligion, c'est leur ignorance. S'ils
concevaient ce qu'ils prononcent, il serait
presque impossible qu'ils ne fussent pas
touchés.
Ces pseauraes si pleins de majesté, si
propres à inspirer des senliaients de res-
pect, sont prononcés par celui qui est igno-
rant avec une vitesse incroyable, parce qu'il
ne les entend pas.
Le sacrifice même n'est pas excepté. Sa-
vez-vous ce que c'est que le sacriiice que
vous offrez tous les jours, à qui vous I of-
frez, au nom de qui vous l'olfrez? Quelle
lui vous proposez- vous? La manière indé-
cente dont vous vous conduisez dans celle
grande action ne me convainc que trop, que
vous ne connaissez point ce ^que vous fui-
1<!S. Bien loin d'apaiser Dieu par vos priè-
res et par vos sacrifices, vous l'irritez da-
vantage. N'esl-ce pas de ces sacriticus pré-
sentés sans respect, dont Uieu nous parle
pur la bouche d'un de ses prO|)hôles? iVe
m'offrez plus de sacrifice inutilement, voire
encens m'est en abomination. (Isa. I, io.) Un
savant cardinal parlant de ces prêtres qui
prient sans entendre le sens des paroles
qu'ils prononcent, dit qu'ils ne soûl point
ordinaturis et ordinandis imminet Del el Eccleslaî
cjus vindicta. » {Con. Tolel. vin, c. 8.)
(154) I Sicul iiiiqui el peccatorcs minlsieriuiii
saceidoiafc assecjui prohibetiir, ila indocli et iinpe-
iili a lali oSiicio reiraliunlur, > (Conc. Aquisijni.,
sub Slepliano IV, c. 1(J.)
(lod) i Lilleris carens sacris non poicil esse
apius ofliciis. n (Gelas., loco. sup. cil.)
Iit9
ORATEURS SACR'LS, JOSLPH LAMBERT.
ll^2(»
en élald'oiïrir à Dieu ce cvlte raisonnable,
qu'il nous demancie parson A))ôlre. Car ce
110 poul êlre un culle raisonnable, lorstjue
celui (jui le rerd ne connaît [joinlle niérile
de l'oblalion qu'il |)rc'sente (156).
Mais l'ignorance enlreprendra-l-elle de
monter dans la chaire de vérité, pour ins-
truire les autres? Oii donc allez-vous ? Vous
chancelez, vos pieds sont Ireniblanls, vous
êles dans le lieu d'oii vous devez parler, et
vous n'osez ouvrir la houche.
Combien y en a-t-il qui sont obligés par
leur caractère de monter dans la chaire, et
qui n'oni ni lumière, ni talents pour ins-
truire? Je no vous demande pas des dis-
cours éloquents : ce ne sont pas toujours
ceux qui ont plus de force pour convertir
les cœurs, mais il est de votre ministère de
rendre raison de votre loi, d'expliqu/r au
]ieuple les mystères de la religion d'une
manière qui le touche, de donner hovreur
au [)écl)eur de sa vie criminelle.
Saint Grégoire do Nazianze (157) déplore
comme un très-grand malheur qu'un homme
sans science entreprenne d'instruire les au-
tres. Les ignorants, dit-il, joindront sou-
vent la [trésomption à l'ignorance, parce
qu'ils n'ont [)as môme assez de lumière
|)our connaître leur incapacité. Ce son' des
maux, ajoute ce saint, qu'on ne peut assez
pieurt-r, parce qu'ils ont de très-pernioieus
etleis.
Est-ce un prêtre ou |)lulôt un fantôme
de prêtre, (pi'un homme qui ne [leut parler
de ï^a relig on sans attirer 'e mépris deceux
cui récoulent ? Celui qui devrait être mai/re
aurait besoin, tomn^e parle saint Paul, çu'on
lui npprîl les premiers éléments de la foi.
(IJcbr., V, 12.) Conin.eiit, dit encore le njô-
me Apôtre, n'étant pas instruit vous-même,
osez-vous entreprendre d'instruire les autres,
{Rom., Il, 2.) Vous êtes cause que la reli-
gion est moquée, que les libertins en font
des railleries, vous rendez méprisable le
caraclèro que vous poitez. Ces suites fu-
nestes de l'ignorance doivent vous con-
vaincre qu'on ne peut être trop exact à
éloigner du sanctuaire ceux qui n'ont pas
la science nécessaire pour remplir digne-
ment les saintes fondions de cet état.
IMais j'a()crçois encore quelque chose de
jiius déplorable, c'est un piètre ignorant
qui ose s'asseoir dans ces tribunaux sa-
crés, où le pécheur recouvre son innocence,
en se reconnaissant criminel. Un des plus
grands abus qui soit dans l'Eglise; c't st
qu'un ministère aussi important que celui
Ue réconcilier les pécheurs soit exercé par
des homruesqui perdent les âmes au lieu
de les sauver.
C'est ici où il est presque impossible de
compter toutes les chutes que lait ce mi-
nistre léméraire ; ce ministre (jui ne sait
qu'écouter les péchés et donner l'absolu-
tion. Car il n'y a point de confesseurs plus
(I5G) «Qnoniodo raiionabile eril obsequiiim, iibi
Js(|iiiolIeii (iblaiioiiis sii;u non toiuipii inlollec-
iM'ii. » (I*i.ii;is !»A.^i.A^., Oj'inciilo cuHtia iiit,cil'uiiii
hardis que ceux qui sont ignorants. Ils
marchent d'un pas assuré où les i)lus habi-
les et les plus consommés ne vont qu'en
tremblant. Ils font en une heure plus d'ou-
vrage que les plus habiles conlésseurs ne
peuvent en faire en plusieurs jours. Les
pénitents ne font pour ainsi dire quo passer
en revue devant eux. A peine ont-ils fléchi
le genou, qu'aussitôt ils se relèvent et ils
sont congédié-;. Les pécheurs les plus cri-
minels, les pécheurs qui languissent de-
puis longtemps dans des habitudes invé-
térées, ne leur font point de peine, parce
que ne sachant point les occasions où l'ab-
solution doit être différée, ils la donnent
inditléremmeut à toutes sortes de jié-
cheurs.
Indignes ministres du sacrement de pé-
nitence, que vous amassez de péchés I
Vous ne savez point les règles de l'Eglise,
vous ne suivez que votre esprit, et le pro-
phète Ezéchiel, dit : Malheur aux propkè-
Ics insensés qui se conduisent suivant leur
esprit. {Ezech., XllJ, 3.)
Vous donnez la paix h ceux qui sont io-
dignes de recevoir la paix, et le même pro-
(iliète dit que ce sont les faux prophètes
qui trom[)entle peuple, en disant que la
paix rigne, où il n'y a point de paix. {Jbid.,
10.)
Par une condescendance molle, vous
donnez de légères (lénilences à ceux qui
ont commis de grands pécliés, et le mêu>e
Ezéchiel dit encore : Malheur à ceux qui
mettent des coussinets sous les coudes, et des
oreillers sous la tête des hommes pour sur^
prendre et perdre les âmes. {Ibid., 18.)
Votre indulgence facile, ou plutôt votre
molle lâcheté est cause que les |)écheurs
s'endorment dans le crime. Vous êtes donc
de ceux dont parle le prophète Osée. Us se
nourrissent des péchés de mon peuple [Ose.,
IV, 8), c'esl-à-dire, ils llatlenl les péclieurs
de peur de [)erdre les avantages temporels
qu'ils en reçoivent, et tlaltant leurs âmes,
ajoute le |)rophète, ils les entretiennent dans
leurs iniquités.
Vos |)eruicieux conseils sont cause que
ceux qui vous consultent s'engagent dans
de fausses démarches. Apprenez donc des
prophètes, que lors(iue Dieu pour punir
son peujile periiKt qu'un faux prophète
l'abuse, le peuple qui demande conseil et le
prophète qui te donne, sont également coupa-
bles. [Ezech., Xl\,iO.)
Vous ne vous iuforiucz ni du temps qu'il
y a que le pécheur languit dans le péché,
nideselforts (ju'il lait pour sortir de sou
péché, vous ne lui donnez aucun, remède
pour guérir son âme; cependant le concile
de Lairaii déclare que le confesseur comme
un médecin expérimenté, doit appliquerdu
vin et do 1 huile sur les plaies du malade. Il
doit examiner avec une grande diligence les
péchés et les circonstances des iiéchés.atiu
clcrjconim.)
(I.")7) Or.u. I, p. •2-2.
4121
RETRAITE ECCLES. — X, SCIENCE
qu'en ny.inl iiiio enlière connaissance, il
rionne cniispil ;m pénitent, et (ju'il lui ap-
plique dos renièdes convenables à sa ma-
ladie (158).
Voilh donc les justes raisons qui enga-
gent l'Eglise h rejeter 'es ministres igtio-
r.iiits. C'est qu'ils ne sont point proines h
exercer les fonctions de leur ministère ; c'est
qu'ils n'en font presque jamais aucune sans
commettre de Irès-énormes péchés.
A des autorités si précises, h des autori-
tés fondées sur de si solides raisons, que
peuvent opposer ceux qui prétendent pou-
voir, contre la défense de TEglise, embras-
ser sans science l'état ecclésiastique ?
Les premiers disent r Je suis contraint
d'entrer dans l'étal ecclésiastique, et même
d'en exercer les fondions. Je n'ai que ce
refuge pour me sauver de l'extrêiiie néces-
sité dans laquelle je suis réduit.
Les seconds disent, c'est par piété que
je me consacre à Dieu dans l'état ecclésias-
tique, parce que je sais que c'est une chose
très-excellente, que d'être revêtu (in carac-
tère de prêtre, et d'offrir à Dieu le saciifice
de nos autels.
Les troisièmes ajoutent : Je sais que je
n'ai pas toule la capacité nécessaire pour
exercer les fonctions ecclésiastiques : aussi
quand je m'engage dans cet étal ce n'est
point dans le dessein de remplir un minis-
tère qui est au-dessus de mes forces, je
suivrai l'exemple de plusieurs autres qui
vivent tranquillement, et passent toute leur
vie sans faire aucune fonction de leur état.
Il y en a d'autres encore qui n'ajard point
la science nécessaire, veulent excuser leur té-
mérilé, en avançant qu'ils ne prétendent point
occuper les {)remièrps places de l'Eglise, ni
s'établir dans les villes, mais que toule leur
cmbilion est de travailler à la caiupagne.il
t:c f.iut pas, disenl-ils, avoir beaucoup de
science pour faire dans un village la fonc-
tion de vicaire ou de curé.
L'objection des premiers est si absolu-
ment contraire à la raison, qu'A pr'ine uié-
rite-t-elle de réponse. Quoi 1 l'Eglise sera
donc le refuge de ceux lesquels étant pres-
sas par une extrême misère, ne savent f)lus
quel état embrasser? Quoi ! ceux que lo
monde rejette, et qui ne lui i)arai«seiit |)as
capables d'exercer les plus vils emplois, se
(irésenteronl hardiment pour remplir les
fonctions ecclésiastiques , qui sont très-
didiciles, et qui demandent sans doute une
très-grande habileté.
11 est vrai que '^'îglise est le refuge de
ceux qui sont dans la misère, et qui sont
abandonnés ; elle est leur refuge, parce
qu'elle invite les fidèles à les secourir, et
qu'elle-même, sensible à leurs malheurs,
leur accorde tous les secours qui sont en
son pouvoir. Mais que ses functiuns soient
(158) I Sacerdos more péril! medici super in-
fuiKtii vinum el oleuiii ^uliieiihiis sauciati, dili-
Kciiler iriquireiis el peccUDris circiitiistaiilias et
pfcxali i|uil)iis piiKlertl«r i.uelligat, qiiale (lejjeal ci
jjraLeie c<jii->iliiim, cl cujuiiiijji ruiiieJiuin adlii-
il'22
hommes incapables de les
consentira ja-
confiées h des
exercer, parce (pi'ils sont dans la misère,
et qu'ils n'ont aucun autre secours, c'est ce
qui est absolument contre l'intention de
l'Eglise, et 5 quoi elle ne
mais.
Celui-là, dit saint Bernard, qui en s'en-
gageant dans le ministère ecclésiastique,
se propose d'y trouver ce qui lui est néces-
saire pour subvenir aux nécessités de celle
vie, pervertit l'ordre que Dieu a établi. Car
il fait de l'Evangile un moyen ()Our obtenir
les biens temporels. Plutôt que d'abuser
ainsi de l'Evangile, il vaudrait beaucoup
mieux mendier, ou travailler .Ma terre (159).
Je réponds aux seconds que leur piété
est mal entendue, puisqu'elle est contraire
h l'ordre et à l'esprit de l'Eglise. C'est une
chose très-sainte et très-excellente que
d'offrir le sacrilice, mais l'Eglise n'a jamais
établi des prêtres dans cette vue, qu'ils ne
feraient aucune autre fonction ecclésiasti-
que que d'offrir les saints mystères. Vous
avez de la piété. C'est un don qui vient d en
haut, el pour lequel vous devez à Dieu beau-
coup de reconnaissance. Mais Dieu veut
que vous demeuriez laïque, que vous édi-
fiiez les fidèles dans celte condition, que
vous participiez aux saints mystères à la
manière des laïques. C'est une chose ex-
cellente qu'un laïque qui a de la piété. Si
vous avez d'autres prétentions, vous voh'Z
trop haut, vous allez coiitre l'intention de
l'Eglise, et par conséquent vous vous ex-
posez à un danger uianifesle de faire dsis
chutes très-dangereuses.
La disposition des troisièmes est encore
très-criminelle el très-contraire h res[)['il de
l'Eglise. V^ouloir être ecclésiastique pour
n'en point rem})lir les fonctions, c'est à peu
près ressembler à celui qui voudrait êire
soldat, et n'aller jamais à la guerre, qui
voudrait ôlre magistral, et ne [loint rendre
au peuj)le la justice qu'il lui doit. Des piè-
tres sans fonction : c'est un monstre que
l'Eglise n'a point connu pendant plus de
quatorze siècles : c'est un désordre dont
elle gémit, qu'elle tolère malgré elle, el au-
quel elle n'a pu encore s'accoutumer.
Je passe à ceux qui disent que louie leur
vue est d'exercer à la campagne les fonc-
tions de leur état. Je les félicite d'abord; ils
méritent d'être loués. Dieu répand des béné-
dictions particulières sur ceux qui se con-
sacrent au service dos pauvres : mais que
la science ne soit pas nécessaire pour con-
duire les pauvres et les gens de la campa-
gne, c'est une proposition tiès-fausse, et
dont je ne puis demeurer d'accord.
Il est vrai (lu'il ne faut pas une grande
science, ou plutôt qu'il n'en faut point du
tout, pour desservir les cures de la campa-
gne, comme le font un grand nombre de
bere. > (Con. Laler., c. Omuis ulriusque sexiis.)
(ir)9) f Perverso niinis ordine cœle!>lil)us lerre-
na iiiercatnr...melius eiai fodiTc, aiil eliani iiieiidi-
taic. > (Tiacl. iii lijec vci'l)a : Ecce nos leliciulmui
viiniia, c. 5.)
I!Î5
ORATi:UUS SACRES. JOSEPH LAMÎ5EUT.
1124
pasleurs qui sen acL|uilleiit (rès-nial, qui ne
font point de [)rôiie, qui ne font aucune ins-
truction, qui abandonnent leurs ouailles,
qui répandent indifféremment le sang de
Jésus-Christ sur ceux qui sont disposés à
profiler de ses grâces, et sur ceux qui n'y
sont pas disposés, qui ne savent ni conso-
ler les affligés, ni encourager les faibles, ni
éclairer les aveugles, ni étonner les endur-
cis. Mais il faut de la science à la campagne
aussi bien qu'à la ville pour remplir digne-
ment les devoirs d'un bon pasteur. Il faut
avoir fait du progrès dans l'étude de l'Ecri-
ture sainte, aussi bien pour ex|)oser simple-
ment et d'une manière familière les maximes
de l'Evangile , que pour les expliquer avec
éloquence, et d'une manière plus relevée.
En quelque lieu qu9 vous exerciez les
fonctions de pasteur, il faut savoir ga-
gner les âmes, distribuer le pain de la pa-
role, prendre garde à ne donner les sacre-
ments qu'à ceux qui sont préparés è les
recevoir, chercher les brebis égarées, éton-
ner les uns, encourager les autres, fortifier
celui-ci, intimider celui-là , inspirer à tous
des sentiments de componction. Jugez vous-
même si toutes ces choses se peuvent faire
sans science.
Il est donc absolument nécessaire que les
ecclésiastiques aient de la science. L'Eglise
le commande. Elle a de justes raisons pour
le vouloir. Il ne peut y avoir aucune raison
légitime pour se dispenser d'obéir à l'Eglise.
Voyons maintenant quelle doit être la
science des ecclésiastiques.
SECOND POINT.
L"Eglise veut que ses .ministres soient
en état d'exercer les fondions ecclésiasti-
ques. L'Eglise ne confie à ses ministres de
si grands pouvoirs, qu'afin qu'ils les met-
tent en usage pour l'utilité du prochain. Un
ecclésiastique donc doit avoir toute la
science nécessaire pour bien exercer ses
fonctions, et pour mettre en usage les grands
pouvoirs qu'il reçoit lorsqu'il est revêtu du
sacerdoce.
Vos fonctions principales sont de réciter
l'office, d'offrir le sacrifice, d'inslruire, d'ad-
ministrer les sacrements.
l'our réciter l'office avec fruit, il faut en-
tendre ce que l'on dit, et par conséquent
savoir le latin. Il faut être accoutumé à mé-
diter et à goûter les choses divines, a!in
qu'en même temps que notre bouche parle,
notre esprit se nourrisse des vérités qui
sont contenues dans l'office divin. Car si
l'on n'entend pas ce que l'on dit, si l'on ne
sait point méditer les choses divines, com-
ment pratiquer ce que dit saint Cyprien,
que lorsque nous otfrons à Dieu nos priè-
res, il faut que toutes les pensées sécu-
lières et profanes se retirent, et que notre
es()rit soit tout occupé des choses que nous
demandons à Dieu (IGO).
Nous ne le voy(jns que trop par expé-
(160) I Gogllaiio omnis carnalis et saectdaris
absccdal, nec qui.lqiiani luiic animus, (luain iil ti)-
ri 'nce : ceux qui récitent l'office divin sans
entendre ce qu'ils disent, ceux qui n'ont
qu'une connaissance superficielle et légère
des vérités de noire religion, ne peuvent
fixer leur esprit. Comme ils n'ont aucun
goût pour les choses divines, ils récitent
l'office avec ennui et avec vitesse. C'est dans
le temps de la prière qu'ils pensent à leurs
affaires temporelles; ils ne peuvent chasser
ces pensées, [)arce qu'il n'y a que la médi-
tation et le goût des choses divines qui les
éloigne. Voilà ce qui fait que leurs prières
sont sans fruit. Posons d'abord comme un
principe certain qu'un ecclésiastique doit
entendre son office et les prières qui se
récitent dans l'Eglise, il doit connaître les
vérités de la religion que l'Eglise médite
lorsqu'elle adresse à Dieu ses prières.
En second lieu, il est contre l'ordre qu'un
ecclésiastique que l'on prie d'officier pu-
bliquement refuse de le faire, parce qu'il
ne sait ni le chant, ni les cérémonies : et
ainsi un ecclésiastique doit savoir les cé-
rémonies (pie l'Eglise observe, soit dans la
célébration de l'office divin, soit dans le
saint sacrifice de la messe, soit dans l'admi-
nistration des sacrements.
Quoique les cérémonies extérieures ne
fassent point l'essence de la piété, c'est
néanmoins un défaut considérable que de
les négliger. Les ecclésiastiques doivent
s'appliquer à édifier. Il est certain qu'il n'y
a rien qui édifie davantage, et qui soit plus
propre à nourrir la piété des fidèles qu'un
office célébré avec modestie, et où. toutes
les cérémonies de l'Eglise sont régulière-
ment observées.
Peut-on apporter trop de précaution
quand on administre les sacrements de
l'Eglise? On entend tous les jours le? fidè-
les se plaindre de ce que les prêtres usent
d'une trop grande précipitation dans les
fonctions de leur minislère? La gravité
sied toujours bien à un [)rêfre. Elle lui est
absolument nécessaire, quand il est dans
l'exercice de ses fonctions. Un prêtre fi-
dèle lit souvent son rituel,'; il sait tout ce
qui est contenu dans ce livre; il prend
garde à n'omettre aucune des cérémonies
qui y sont prescrites. Il est encore plus
exact à bien apprendre quel est l'esprit de
l'Eglise dans l'usage de ces cérémonies si
anciennes et si saintes.
On en voit quiont beaucoup de science,
mais qui négligent de s'instruire des céré-
monies de rEglise,'et qui même se glori-
fient de cette ignorance. Il est vrai que
l'Eglise tire un grand service de la science
de ces hommes consommés. Mais ne pour-
raient-ils pas sans que leur science en
souffrît aucun préjudice, s'appliquer à sui-
vre l'ordre de l'Eglise dans l'adniinislra-
lion des choses saintes : Il faut pratiquer
ces choses sans néanmoins omettre les autres.
(Maltli., XXIIl, 23.)
En troisième lieu un ecclésiastique ne
lu:;! cogiift (nioJp:cca;ur. > {De oraliom Dumlrjca )
im
REÏUAITE ECCLKS. — X, SCIENCE.
1126
peut instruire , s'il ne sait clislinctemeut
les mystères de la foi CDiilenus au Symbole,
les coinniandemenls (le Dieu et de l'Egliso,
les pécliés qui se cormuellent contre ces
commandements; s'il ne sait le nomhre et
la force des sacrements, cl les dispositions
nécessaires pour les recevoir. Un ecclésias-
tique doit connaître toutes ces vérités, non-
seulement comme les simples fidèles, mais
il doit les savoir d'une manière plus élevée,
il doit les savoir en maître, c'esl-à-dire,
qu'il doit être en état de les enseii^ner h
ceux qui les ignorent, et môme de les dé-
fendre contre ceux qui les attaquent. C'est
ce que nous enseignent saint Pau!, quand il
nous dit qu'un ministre du Seigneur doit
être capable d'exhorter selon la sainte
doctrine, et de convaincre ceux qui s'y op-
posent. (Tit., I, 9 )
Un ecclésiastique doit donc savoir au
moins les principales preuves tirées de
l'Ecriture, et 'de la tradition, dont nous
nous servons pour confirmer la vérité de
nos mystères ; et il doit être préparé à ré-
pondre aux principales objections que les
ennemis de l'Eglise forment [lour attaquer
ces vérités.
Car par exemple , ce n'est pas assez
(]u'un ecclésiastique sache que le Fils de
Dieu qui est la seconde personne est d'une
même nature que son Père, qu'il lui est
consubstantiel, qu'il lui est égal en toutes
choses. Il faut encore qu'il cofmaisse les
preuves solides sur lesquelles cette vi'rité
est appuyée. Et il serait honteux, qu'il fût
contraint de gardi.'r le silence, s'il se ren-
contrait avec quelque ennemi de la divi-
nité de Jésus-Christ, ou avec quelque autre
(jui lui proposerait des doutes sur cette ira-
j)ortanle vérité.
De même il ne sudit pas à un ecclésias-
tique de savoir que Jésus-Christ est réelle-
meul présent dans le sacrement de nos au-
tels. Ce n'est point savoir cette vérité en
maître, que de ne pas connaître les preuves
solides qui engagent l'Eglise è soutenir celte
vérité.
Des ecclésiastiques ne devraient-ils pas
être honteux, d'èlie quolquet''ois réduits ii
fuir le combat qui leur est livré par des
hommes tiès-ignoranls, parce qu'ils sont
encore plus ignoranis qu'eux sur les véri-
tés fondamentales delà religion. C"esl ce
(pji tait voir que les ecclésiastiques sont
mdispensableraent obligés d'étudier avec
ap[)lication les traités de théologie, où les
vérités de la religion sont prouvées contre
les ennemis de notre foi.
En (juatrième lieu, pour bien administrer
les sacrements, et surtout celui de [léni-
lence. Voici la science que demande saint
Charles, ce grand guide des confesseurs
dont l'Eglise de France vous ordonne de
suivre les règles et les statuts.
Ce grand suiul veut qu'un confesseur soit
liès-versé dans h;S cas de conscience, qu'il
ait acquis celte connaissance par l'élude des
sacrés canons, et des livres qui traitent de
cl's matières. Il dit qu'un confesseur doit
avoir continuellement entre les mains quel-
([uos auteurs approuvés qui traitent des cas
de conscience ; mais comme il y a un grand
nombre de ces sortes de livres, et qu'il y
on a beaucoup dont les sentiments sont re-
l;\chés, prenez toujours pour vos guides ceux
qui répondent d'une manière plus conforme
h la simplicité de l'Evangile et à ladoclrine
des saints Pères.
Le grand saint Charles veut encore que
les confesseurs sachent quels sont les pé-
chés vénii'ls ou mortels. Il veut qu'ils sa-
chent les censures, les cas réservés, les sta-
tuts synodaux, et les ordonnances particu-
lières des évoques, les diirérentes pénitences
qu'on peut imposer, les canons péniien-
tiaux.
Sachez aussi les cas dans lesquels saint
Charles veut qu'on diiïère l'absolution, afin
qu'en prenant pour règle de voire con-
duite ce grand saint que Dieu a suscité
dans ces derniers temps pour rétablir la
discipline de l'Eglise, vous vous acquittiez
avec fidélité du ministère le plus dillicileet
le plus important qui soit dans l'Eglise. Si
vous suivez les maximes de saint Charles,
vous ne serez pas de ces confesseurs (jui
flattent les pécheurs, qui les aident à étouf-
fer les remords de conscience dont il sont
pressés, qui couvienl les blessures au lieu
de les guérir, qui font un jeu de la péni-
tence, qui saccommodeut aux faiblesses des
pécheurs, et periueltent tout à la dureté de
leur cœur. Vous ne serez pas de ces confes-
seurs (pii tolèrent un cercle fperpéluel de
confessions et de crimes, qui ne répriment
point Tambilion, qui s'accommodent d'une
vie molle et oisive, qui soulfrent le luxe,
qui peiinctlent à leurs (ténitents de consa-
crer au jeu la meilleure partiode leur vie,
qui ne se scandalisent point de voir qu'ils
aiment le monde, qui trouvent des expé-
dients à toutes choses. Vous ne serez point
de ces confesseurs (jui lors môme que des
pécheurs sont engagés dans des habitudes
invétérées, croiiaient les traiter inhumaine-
ment s'ils leur dilléraient l'absolution un
temps assez considérable pour s'assurer
des promesses cju'ils ont cent fois .violées.
Mais ce qui vous servira principalement
à bien exercer les fonctions de vos ordres,
c'est l'étude de l'Ecriture sainte. C'est pour-
quoi il me semble qu'il serait très-conve-
nable, qu'avant de recevoir les saints or-
dres, on eût lu môme plusieurs fois toute
l'Ecriture sainte, qu'on sût tout ce qu'il y
a d'historique dans les livres de l'Ancien
Testament, et qu'on eut une .entière con-
naissance de toutes les instructions de Jésus-
Christ, de toutes les actions de sa vie, do
tous les miracle.squi nous sontra[)porlésdans
l'Evangile. Il serait aussi très-nécessaire
qu'on eiU lu et uiédilé les Epîlres des apô-
tres, surtout celles de saint Paul. En un mot
un ecclésiastique doit jiosséder le Nouveau
Teslaïuent.
Outre cette étude de l'Ecriture sainte
qu'un ecclésiastique doit avoir déjà faite,
1127
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1128
il faut qu'il soit résolu de s'appliqiuT pon-
dant tonte sa vie à l'élude de l'Ecriture
sainte. Car l'Ecriluresainle est un livre qu'on
ne peut épuiser. Plus on la lit, plus on yap-
pre!)d; plus on la inédite, plus on est édifié.
Plus on s'y applique, [)ltison se rend digne
d'exercer avec fruit les fonctions du sacer-
dnce.
Si vous voulez instruire, sachez l'Ecrilure
sainte : car le peuple a un respect particu-
lier, quand on lui (iit : C'est Jésus-Christ qui
a prêché cette maxime, et voici ses] paroles.
C'est l'apôlre saint Paul qui nous enseigne
celte vérité, et voici comment il parle.
Si vous voulez conduire les âmes et leur
montrer le chemin du salut, sachez l'Ecri-
ture sainte, elle vous apprendia à faire un
juste discernement entre lescasuistes exacts,
et ceux qui sont trop relâchés. Car il faut
aliandoniier les casuisles qui ont trouvé de
vaines subtilités pour disj^enser les hommes
de marcher par la voie étroite de l'Evan-
gile.
Le seul sermon sur la montagne, qn^nd
il est bien médité, décide un nombre infini
de cas de conscience, tous cas de pralicpie
et très-ordinaires dans la vie des hommes.
Ahl le grand auteur que Jésus-Christ [tar-
lant dans les Ecritures.
Il faut pourtant avouer que l'Ecriture ne
contient |)as tout ce qu'il est nécessaire de
savoir pour décider tous les cas de con-
science. Il faut outre cela écouter l'Eglise,
connaître ses règles et ses canons, et liid les
auteurs qui en ont fait le recueil.
Saint Augustin dit que ceux qui sont des-
tinés à servir l'Eglise doivent avoir sans
cesse devant les yeux les deux E|iitres de
saint Paul à Timothée, avec celle à Tile,
parce que ces trois Epîlres enseignent quelle
doit être la vertu et la conduite des minis-
tres de Jésus-Chrisi (161).
Saint Chrysostome reprochait très-sou-
vent à ses auditeurs leur négligence, parce
qu'ils ne s'appinjuaient pas assez à l'étude
de l'Ecriture sainie. Il taul remaniuer que
saint Chrysostome insiruisait des laïques, il
aurait donc parlé avec beaucoup [dus de
force s'd eût adressé son discours à des ec-
clésiastiques
Je sais, dit saint Chrysostome à ses audi-
teurs {1(J2), avec quelle négligence vous li-
sez l'Ecriture sainie, el ainsi je ne m'élo me
l'as que vous y remarquiez si peu do chose.
Dans un aulre endroit après avoir fait voir
le besoin que nous avons eu que la loi lût
écrite: parce que la lumière naturelle était
presque éteime par le péché (163j. Lisons
1 Ecriture el ne nous exposons point à être
condamnés comme nous le serions en elfet,
SI ni)us étions négligents a nous servir de ce
nouveau secours que Dieu nous a donné
pour avancer dans la piété. Il se plaint ail-
(161) < Quas très aposiolicas Epislijlas aiite ocu-
los liabere debol, cui esi m tJcciesia ilocioris per-
soiia iiupobila. » iLib. IV, De Uocirin. lUrislxata
c. 16.)
,(.0:2} lloin. 51 in .y m th.
leurs qu'il y a peu de ses auditeurs qui
eussent pu réciter sur-le-champ ou qu('I(|ue
psaume ou quelque autre partie de l'Ecri-
ture (164-). Le môme saint Chrysostome té-
moigne une très-grandi? indignation de co
que la lecture (ies Epîlres de saint Paul était
négligée par les chrétiens deson temps(lG5).
Il exagère comme un très-grand désordre de
ce qu'il y en avait plusieurs qui ignoraient
le nombre des epîlres que cet Apôtre a écri-
tes. 11 dit qu'il les lisait deux ou trois fois
la semaine, et que celte lecture si souvent
réitérée lui en avait donné l'intelligence,
plutôt que la subtilité de son esprit.
Mais n'y a-t-il pas encore beaucoup plus
lieu de condamner la négligence d'un grand
nombre d'ecclésiasticpies qui n'ont jamai.j
lu d'autre Evangile (pjo celui qu'ils lisent à
la messe? Souvent môme ils le lisent sans
l'entendre. Combien s'en trouve-t-il qui
n'ont aucun goût pour celle divine lecture;
qui passent leur vie à parcourir toutes sor-
tes de livres, et n'ont jamais lu le Nouveau
Testament tout entier; ne suivez {)as un si
mauvais' exemple. Ne passez pas un seul
jour de volro vie sans lire l'Ecriture sainte,
el surtout le Nouveau Testament. Car pour
avoir la science convenable h un ecclésias-
tique, il faut avoir déjà lu l'E. riture, savoir
parler le langage do l'Ecriture, aimer l'é-
tude de l'Ecriture, el être dans le dessein do
s'y appliquer pendant toute sa vie.
Pour vous faire connaître le goût que les
anciens avaient [)our l'Ecriture, et Tassiduité
avec laquelle ils la lisaient, voici un seul
fait de l'antiquilé qui mérite voire atlention,
el qui [)eut beaucoup contribuera vous faire
prendre une sainte résolution de vous ap-
pliquer sérieusement .à l'élude de l'Ecri-
ture.
C'est ce qui nous est rapporté dans l'acte
public qui contient la nomination que fit
saint Augustin du prôlre Eiaclins pour lui
succéder dans la chaire d'Hippone (1G6).
Cet acte, lequel est à mon sens un des
beaux monuments (pie nous ayons de l'an-
tiquilé, nous décrit d'une manière très lou-
chante la tendresse d'un peuple pénétré du
mérite el des vertus de son évoque. Ce jxiu-
jile reçoit la plus triste nouvelle qui |)ul ja-
mais lui être annoncée, il se livre à la dou-
leur; il ne peut consentir à la proposition
que fait saint Augustin d'en subsliluer un
aulre à sa ()lace. Qui ne serait louché deii-
lendre un nombre infini de voix qui se réu-
nissent |)Our pousser ce cri : C'est vous
que nous voulons pour père et pour évo-
que (167)?
Mais. ce que je remarque.particulièrement
dans cet acte: c'est ce que saint Augustin
assure que deux conciles l'avaient chargé Je
travailler sur les saintes Ecritures, et (jue
pour cela il était convenu avec son [leuple
(165) Hom. 1 in Malih.
(164) Hom. "i.
(165) Prœf. in Ev. S. PauH.
(lOlJ) Iiiler. Ep. S. Aug. tlù, al. 110.
(167) « Te paireii), le epiacopuui. >
112:)
qu'il ourail cinq jours i.i i^eiuaino qui lui
seraienl laissées, pour fxi^culer ce quo les
conciles lui avaient prescrit. Mais, dil saint
Augustin, vous ne m'avez point tenu parole.
Vous ôtes venus foniire sur moi. J'ai éié
accablé de soins, et il ne m'est point resté
de temps (168).
Saint Augustin tlemaiide un successeur,
afin qu'en se déidiari^eant sur lui de plu-
sieurs aiïaires, il puisse avoir du temps
pour s'appliquer à l'étude de l'Ecriiure
sainte. Mon loisir sera un loisir fort occupé,
et j'espère que mon travail sera utile à
Eraclius, et par conséquent à vous.
Saint Augustin chargé par deux conciles
de travailler sur l'Ecriture sainte, Sai'it Au-
g^islin convenant avec son [)eu[>le qu'il au-
rait cinq jours la semaine pour exécuter ce
que les conciles lui avaient ordonné, Saint
Augustin abandonnant, pour ainsi dire, ou
du uioins inlorrom|)ant les soins de l'épis-
copat, afin d'avoir plus de liberté de se don-
ner à l'étude de l'Ecriture, Saint Augustin
prononçant que ce travail serait très-utile à
son successeur, et à son peuple, voilà des
circonstances qui doivent avoir beaucoup
(le force pour vous l'aire voir l'estime que
les anciens faisaient de l'étude de l'Ecriture,
vl le soin qu'ils avaient de donner beaucoup
de temps à une si sainte et si nécessaire oc-
cupation.
Mais puisque l'étude de l'Ecriture est
d'une si grande nécessité, puisqu'elle doit
vous servir de fondement dans l'exercice de
vos tVmctions, puisqu'elle doit faire une
partie considérable de vos occupations, per-
mettez-moi de vousdonner ici quelques avis
que je crois très-importants pour lire l'Ecri-
iure sainte avec fruit.
Premièrement, aimez la simplicité de l'E-
criture sainte. Rapportez dans les instruc-
tions que vous ferez les paroles du Fils de
Dieu comme il les a prononcées. N'entre-
prenez pas de les changer sous un vain
prétexte qu'il a parlé d'une manière trop
simple.
Dès les premiers sièles Tatien, comme
nous le rapporte Eusèbe (169) a été con-
damné, parce qu'il avait eu la témérité de
'.xaduire les Epîlres de saint Paul d'une ma-
nière élégante, et d'en changer le stjle.
Je me souviens toujours du saint évêquo
Spiridion qui re[)rit fortement un évoque
nommé Trinhile (170). C'était un homme
(pji se piquait de bien parler. Et comme il
citait dans un discours ces paroles de Jésus-
Christ au paralytique : Empariez votre gra-
bat, il crut que le mot grabat était trop bas,
et ne voulut |)as s'en servir. Spiridion en
colère lui dit : Surpassez-vous en dignité
celui qui s'est servi du mol de grabat?
{IG8) « Placiiii milii el vobis propter enrani
S2ii|.lniariiin,(piatnniilii(ralres et patres mei co-pi-
scopi duolius contiliis Numiiliae et Cai'lliaginis. irn-
poiiere tlij;naii suni, ul per (iiiinipie (lies nt-iuo
Miilii molcslus essct... Parvo lempore servaluni cm
circa me, cl poiie i violeiilor irruplum csi,el iiuii
pi'riT)iitor ail (jikxI volo vacare. »
ilG9)Lib. lV//is/., 0.29.
OaATEL'BS SàCRJvS. LXVLII.
RETUAITE KCCI.ES. — X, SCIENCE. li:.0
Avez -vous Monte de vous servir do ses
paroles ?
En second lieu, lisez avec respect Icxs
passages do l'Ecriture que vous n'entendez
|)as. Soyez persuadés, comme l'etiseigne
saint Paul, quo tonte Ecriture qui est inspi-
rée de Dieu est utile pour instruire, pour re-
prendre, pour corriger, et pour conduire à
la piété et à la justice. (11 Tim., 111, 16.) Si
vous ne comprenez pas les vérités de l'E-
criture, n'en rejetez pas la faute sur les
livres divins, mais sur la faiblesse de votre
entendement.
C'était dans celle disposition quo saint
Denis, évêque d'Alexandrie, lisait l'Apoca-
lypse de sainlJean, comme il nous paraît,
par ré|)ître de ce grand évoque qu'Eusèbe
nous rapporte (171). Quoique ce livre sacré,
dit le saint évoque, surpasse la force de mon
intelligence, je suis persuadé que ce qu'il
contient est divin et digne de nos admira-
tions. Je ne mesure [loint par rapjiorl à la
faiblesse de monjugement les mystères qui
sont renfermés dans ce livre, mais li'ayant
pour guitle que le flambeau de la foi, si je
n'cnlends pas ces mystères, je crois que c'est
leur élévation qui nie rend incapable de les
comprendre. Bien loin de condamner ce que
je n'entends pas, je suis persuadé que c'est
ce qu'il y a de plus sublime et de plus divin
dans ce livre.
Voilà le modèle de la soumission que v Jus
devez avoir, lorsqu'il se rencontre dans VK-
crilure des passages que vous ne compre-
nez pas. Respectez toujours l'ouvrage du
Saint-Esprit. Si vous n'en comprenez pas la
beauté, n'en aijcusez que la faiblesse de vos
lumières.
En eifet, dit sainl Augustin, il n'appartient
pas à tous les hommes d'aplanir toutes les
dilficullés qui se rencontrent dans l'Ecriture.
Nous voyons souvent que ce qui parait
inintelligible à ceux qui ne se sont pas ver-
sés daiis l'étude des Ecritures remplit Il-s
âmes d'un saint respect, lorsque les plus
habiles nous fout voir les sens merveilleux
(jue nous ne comprenions pas d'abord. Ci^
serait donc l'eiret d'une grande témérité, ou
d'un orgueil insupportable que de vo-iloir
comprendre tous les mystères dont l'Ecri-
ture est remplie (172.)
Si l'Ecriture est obscure, dit saint Au-
gustin, Dieu l'a voulu ainsi, afin de doin|)ter
la superbe de l'homme, en l'obligeant h se
donner beaucoup de peine pour en com-
prendre le sens. Dieu l'a voulu ainsi, afin
que l'homme ne méprisât pas les livres
saints ; car il lui est très-ordinaire d'esti-
mer peu ce qu'il enletid sans peine. D'où
il s'ensuit (jue bien loin (ju'un véritable fi-
dèle |t;jisse prétendre qu'il entendra tout
(!70) SozoM , lih. F Ilist. cil.
(171) Lih. VII llht. c.-ir,.
(17:2) « Qiiis non iiilelligal fi ;ri pnsse, iaio il
s«iniicr accuJyre, ut iriulla inJoctis videaiilur al>-
siirda, (pire ciiin a docioribus expoiiuniiir, co lau-
(laiiita videaiiliir elatiiH, q lo claiisa dilTiciliiis ai>j-
riel>aal:ir. » {De nDribm Eccl. catli.)
3ê
WZi
ORATEURS SACRKS. JOSEPH LAMBERT.
11Ô2
ce qui est rapporlé dans l'Ecriture, il doit
an conlraire s'attendre à y trouver de l'obs-
curité. 11 doit shnmilier devant Dieu,
puisque c'est son péché qui est cause que
Dieu n'a pas voulu s'expliquer d'une ma-
nière plus claire et plus inlelligible(173).
En troisième lieu, lisez l'Ecriture avec
une grande soumission à l'autorité de l'E-
glise, îi qui seule il appartient d'en déter-
miner le véritable sens. Si vous trouvez des
passages, dit ïertullien, dont l'explication
vous t)araisse contraire à la foi qui est re-
çue dans l'Eglise, confessez que vous ne les
endendoz pas. Il vaut bien mieux les igno-
rer que de les entendre dans un sens op-
posé à celui qui est reçu dans l'Eglise; car
c'est (oui savoir que de ne rien savoir
qui soit contraire h la foi de l'Eglise (174.).
Rien n'est plus dangereux, selon saint
Augustin, que de ne vouloir écouter que sa
raison seule, quand on s'applique à la lec-
ture des livres saints (175).
Tertullien se plaint de ceux qui ne lisent
les Ecritures que pour y trouver des auto-
rités qui favorisent leurs intentions, et après
avoir expliqué ces autorités selon leur sens,
ils ne remarquent dans toutes les Ecritures
que ces sortes de passages dont ils abusent
(176).
C'est encore ce que nous voyons arriver
tous les jours, il y en a qui ne savent de
l'Ecriture que quelques endroits qu'ils ex-
l)liquent mal pour appuyer leurs sentiments
et pour autoriser leur conduite, qui d'ail-
leurs est condamnée par des passages
très-clairs de TEtrilure^t par les décisions
de l'Eglise.
En quatrième lieu, ne parlez de l'Ecriture
sainte qu'avec un grand respect, et qu'elle
ne soit jamais la matière de vos railleries.
Nous voyons à regret un grand nombre
d'ecclésiastiques, qui tournent l'Ecriture
en proverbes, qui ont à tout propos ses pas-
sages dans la bouche pour en faire des rail-
leries, et pour les appliquer à des choses
indécentes et [irofanes. Si on ne se moque
point de Dieu impunément, peut-on se
moquer de sa parole dont il est si jaloux?
Jésus-Christ a-t-il parlé, afin qu'on détourne
ses paroles h contresens dans ks comjja-
gnies luondaines, et qu'on s'en serve comme
d'un sUjCt de divertissement? Le Saint-
Esprit a-l-il inspiré aux écrivains sacrés des
expressions saintes, atin que des boulions
les usurpent, et en fassent la matière de
leurs railleries? Des livres écrits pour ins-
truire les fidèles sont- ils composés pour
exciter des ris immodérés? Ce livre si res-
pecté par les fidèles qui le lisent avec at-
tention, qui le baisent, qui l'encensent, et
lui portent tant d'honneur, sera-t-il livré à
l'insolence des diseurs de bons mots? Qui
peut expliquer combien ce crime est grand
dans un ecclésiastique qui doit inspirer aux
autres un saint respect et une vénération
profonde pour les divines Ecritures?
Enlin, si vous voulez tirer beaucouf) de
|)ro[it de la lecture do l'Ecriture , lisez-la
dans des dispositions chrétiennes. Ces dis-
positions, selon saint Augustin, sont la
crainte de Dieu, un désir sincère de cher-
cher la volonté de Dieu dans les saintes
licritures, une grande aversion pour les dis-
putes inutiles (177).
Le travail et la piété sont également né-
cessaires, dit le même saint Augustin, ()our
entendre l'Ecriture. En la lisant avec apnli-
cation on découvre les vérités qui y sont ca-
chées (178). En la lisant avec piété on mérita
d'être instruit de ces vérités. Ce qui fait que
la lecture de l'Ecriture sainte est inutile à
tant de personnes, c'est qu'on la lit par cu-
riosité et pour se satisfaire. Mais il y en a
peu qui la lisent avec simplicité et avec hu-
milité. Le Fils de Dieu nous enseigne que
son Père cache les vérités aux sages et aux
prudents, et quil les découvre aux simples et
aux petits. {Matth., XI, 25.)
Voilà la science |)rincipale qu'un ecclé-
siastique doit avoir pour bien exercer ses
fondions. A quoi j'ajouterai qu'un ecclésias-
stique ne doit jamais se dire à soi-même
qu'il en sait assez [lour reni|ilir ses devoirs,
et qu'il serait très-criminel si sur ce fonde-
ment il prenait la résolution d'abandonner
l'étude.
Car, premièrement, comment peut-on se
flatter d'en savoir assez? L'expérience ne
fait-elle pas voir qu'il se présente tous les
JDurs de nouvelles difficultés qui arrêtent
les plus habiles? Si vous n'en rencontrez
pas dans l'exercice de votre ministère, c'est
peut-être parce que vous décidez trop har-
diment de ce que vous ne savez pas; et par
là vous courez risque de commettre des
fautes très-lourdes, dont vous répondrez
un jour quand vous paraîtrez au tribunal de
Dieu.
En second lieu , je veux que vous en sa-
chiez assez pour exercer vos fonctions.
N'est-il pas certain que vous les rempli-
riez mieux si vous aviez plus de science?
Si vous vous appliquiez à la lecture de l'E-
criture sainte , vous y trouveriez tous les
jours de nouvelles lumières. Un pécheur
ne sera point touché de cette roison, il le
sei a d'une autre que la méditation de J'E-
crilure vous fournira. Quand vous vous
(173) « Qiiod totnm provisum divinilus osse non
dubilo, ad edomaiidam labore superbiain et inlel-
li^cium a taslidio revocandum, oui tacite iiivebtigata
pleruiiique viicscunl. > (Lib. Il De doclr. cliri-
itiana, c. (i.)
(174) f Adversus regubm iiiiiil scire, omnia scirc
est. » {De prœscrii).,l\, 14.)
(175) Lib. III De docirina Christian. ,c. 25.)
'(J7G)«Nulh';n aliain Evangelii memoriam curanl.)
{De coroua, c. 1.)
(177) I Homo limens Deum, volunlatem ejus in
Scripiiiri$ banctis diligeiiter inqiiirii, et ne amtl
tertamina, venial ila inslriicliis ad ainbigua Scrip-
tur« disculieniia. t (Lib. 111 De docirina cliristiana,
c. 1.)
(178) « Et diligcnlia et pielas adhibenda est. Al-
lero lift ut scieiites invemamiis, alieio utsciie me-
reamur. i {Do moribus eccl. cullio!., c. 1.)
1153
■RETRAITt: ECCLES. — XI, SCIENCE.
1i3i
appliquoreznlus sérieu'scmenl à vous nour-
rir de ce céleste aliment , vos inslrucliotis
seront plus fortes et elles rendront vns
auditeurs plus attentifs. Un (lasleur ziMé
doit avoir pour principe de ne rien oiuellre
de ce qui peut dépendre de lui pour exer-
cer SIS foticlions en la meilleure manière
qui lui est possible.
En troisième lieu, si vous pouvci faire
de notiveani progrès dans l'éludi! par uii
travail sérieux , croyez-vous que Dieu qui
vous a donné ce talent ne vous en deman-
liera point compte? croyez-vous que celui
tjui a plus de génie, plus de leuips, plus <le
«lisposilions , n'est pas obligé à davantage
que celui qui en a moins ? Donnez-moi donc
l'explication de cette parole de l'Eoriturf :
On redemandera beaucoup à celui à qui en a
donné beaucoup , et on fera rendre un plus
grand compte à celui à qui on aura confié
plus de chosfs. {Luc.,\U, 4-8.)
En quatrième lieu , est-ce qu'il faut tou-
jours compter avec Dieu et ne faire préci-
sément les choses que lorsque l'on croit y
être indispensablement obligé? Pou vez-vous
douter qu'il ne soit très-agréable à Dieu
que vous nourrissiez votre piété et celle du
peuple qui vous est contié par une lecture
continuelle des livres saints? C'est une
chose si digne d'un ecclésiastique d'avan-
cer dans la lecture de l'Ecriture sainte, de
lire les ouvrages des saints Pères!
Quand un ecclésiastique n'éludierait que
parce qu'autrement il ne pi ut fuir l'oisi-
veté, c'est une raison qui démontre que
quelque progrès qu'un ecclésiastique ait
lait dans l'étude, il ne doit jamais disconti-
nuer un travail si saint , si nécessaire, si
convenable à sa profession.
Tous les saints pasteurs ont aimé l'élude.
Us s'y sont appliqués et ils ont cru qu'il
leur était très-important de se rendre habi-
les. Saint Grégoire de Nazianze dit (179)
qu'il n'a de l'empressement que pour les
sciences, qu'il ne se plaint point des peines
qu'il a soulTertes sur la terre et sur la mer
pour les acquérir, qu'il les préfère à tout ce
qu'il y a dans le monde, qu'il n'a rien de
plus cher après les biens inlinis qu'il attend
de la miséricorde du Seigneur.
Deux maximes fondamentales qui sont
une suite nécessaire des principes que je
viens d'établir.
La première, qu'un ecclésiastique doit
beaucoup savoir, pour bien remplir ses
fonctions.
La seconde, qu'un ecclésiastique doit
toujours tâcher d'acquérir de nouvelles
lumières, afin de mieux connaître la sain-
teté de son état et d'exercer plus dignement
le saint ministère qui lui est confié.
Travaillez donc à acquérir cette science
qui vous est si nécessaire. Si vous ne l'avez
pus encore acquise , si vous n'êtes pas en
état de rendre service à l'Eglise , n'entrez
point dans le sanctuaire. L'Eglise a besoin
de ministres, à la vérité, mais non pas do
(179) Oral. 13, p. 96.
ministres inutiles. Elle n'a qu'une Iroi»
grande abondance de ministres qui man-
gent et qui ne travaillent point, qui recueil-
lent et qui ne sèment point, qui s'engrais-
sent de ses biens, et qui, bien loin de lui
rendre service, la déshonorent par une vie
oisive et souvent criminelle.
N'entrez point dans le sein de l'Eglise,
ministres sans scienco, nuées sans eau {Jud.,
i-2j, comme parle l'apôtre saint Judo, doc-
leurs sans doctrine, qui n'avez pour toute
autorité que votre hardiesse , et pour toute
science que vos décisions {jrécipilées.
Ce sont, conlinue le même apôtre, rfcç
nuées sans eau que le vent emporte çà et là
[Ibid.], (larce (ju'ils n'ont aucun principe as-
suré, et qu'ils changent à tout moment de
sentiment et de doctrine.
Ce sont des arbres dont le fruiî ne mûrit
point, arbres stériles, arbres doublement morts
et déracinés (Ibid.), morts premièrement,
parce qu'enirant dans l'Eglise malgré l'Egli-
se, ils se donnent la mort ; mais doublement
morts, parce qu'ils répandent partout une
odeur de mort, parce qu'ils donnent la
mort à ceux qui écoutent leur mauvaise
doctrine.
Ce sont des étoiles' errantes auxquelles
une tempête noire et ténébreuse est réseri'ée
pour l'éternité. {Ibid , 13.)
En ellel, dans la loi ancienne il y avait
des sacrilices pour riguorame du [leuple,
mais il n'y en avait point pour celle des
prêtres, llsemble qu'il n'y a f)0int do salut
à es|)érer pour un ministre sans science.
Jésus-CÎirist n'a pour eux que jies senti-
ments d'indignation. En saint Marc il les
regarde arec colère, affligé de l'aveuglement de
leur canir. {Marc, lll, 5.) En t^aiiU Matthieu,
laissez-les, ce sont des aveugles {Matth., Xli,
k.) Comme s'il disa t, laissez-le.s, leur mala-
die est sans remède.
Prévenez un si étrange malheur. Si vous
n'avez pas la scienct^ nécessaire pour être
ecclésiaslii]ue, il vaut mieux se sauver dans
une condition inférieure que de se perdro
pour avoir usur[)é un honneur qui ne nous
est pas destiné.
Mais tout ce que je viens de dire n'est que
pour effrayer les téméraires qui se précipi-
te,it dans le sanctuaire sans se sonder eux-
mêmes. Que ceux qui sont ap()elés, que ceux
qui ont de la science pour sei vir le piochaiii
entrent avec confiance. Lamoisson est grande,
et il y a peu d'ouvriers {Matth., IX, 37) ,
peu d'ouvriers habiles, peu u*uuvT,ers capa-
bles de rendre service à l'Eglise. Venezdonc
avec contiance, venez secourir l'Eglise dans
ses besoins si piessanis. Venez pour travail-
ler au salut de vos frères, et vous en rece-
vrez la récompense dans l'éiernité.
DISCOURS XI.
DE LA SCIENCE.
J'ai déjà commencé à vous ontrelenir de
la science ecclésiastique. Je vous en ai fait
voir la nécessité et en quoi elle consiste.
lir
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1130
Ce que vous avez vu de la nécessité de
relie science vous a sans (ioule l'ail dé[)lorer
le malheur cxliênie de i'Kgliso. Elle v(mjI
(|ue ses ministres soient savants. Elle le veut
avec raison, [)uisque ceux (^ui sont sans
science, bien loin d'être en état de la servir,
lui font Ions les jours de très-profondes
blessures. Cependant des ministres sans
science, malgré les défenses de l'Eglise, ont
la liardiesse d'usurper les places les j)lus
importantes.
O vous qui avpz quelque autorité, venez
au secours du l'Eglise, cousolez-la dans sa
tristesse, opposez-vous aux téméraires ef-
forts de ces indignes ministres qui déslio-
norenl leur caractère.
Vous qui conservez du respect pour les
ordres de l'Eglise, obéissez aux saintes lè-
gles qu'elle a établies. Si vous voulez t^lre
au rang de ses ministres, que ce soit pour
être de fidèles dispensateurs des mystères de
Dieu (I Cor.f IV, 1); et [luiscjuo !a science
est d'une nécessité indispensable pour exer-
cer dignement les saintes fonctions di; l'élat
ecclésiastique, travaillez avec ardeau'à vous
rendie tels que Jésus -Christ et l'Eglise
veulent que vous soyez.
J'ai donc maintenant à pailer à ceux qui
sont convaincus de la nécessité qu'il y a de
se rendre habiles pour servir ulilemeul l'K-
giise. La science qu'ils ont acquise et dans
laquelle ils se proposent do faire de nou-
veaux progrès, est un précieux talent qui
vient du ciel, et qui peul |)roduire beaucoup
de fruit. Mais comme on peut abuser des
clioses les plus saintes, on peut faire un
très-mauvais usage de la science, on peut
se servir pour sa propre condamnation de
ce que Dieu même nous donne, a!in que
nous l'employons pour notre sanctilicution.
Il y a beaucoup de ministres qui se per-
dront, parce qu'ils n'ont [)oint la science. Il
y en a aussi beaucoup dont la perle est as-
surée, [)arce qu'ils profanent les dons de
Dieu par le mauvais usage quils en font.
Il est donc bien important d apprendre
aux ecclésiastiques à se bien servir de leur
science. C'est le dessein que je me pro|)ose
dans les deux parties de ce discours Dans
la première je vous ferai voir les motifs que
les ecclésiastiques doivent se proposer dans
leurs études; et dans la seconde je vous
expliquerai les résolutions que les ecclé-
siastiques doivent former par rapport ii l'é-
tude.
PREMIER POINT.
On peut se proposer plusieurs vues lors-
qu'on s'applique à l'élude. De toutes ces
vues il n'y en a qu'une seule qui soit légi-
time. Ainsi lorsqu'on n'a pas celte lin uni-
(jua et légitime, il est sans doute que l'on
s'égare, et que l'on s'en propose une qui est
mauvaise.
Quelle est la un qu'un ecclésiastique doit
se [)roposer dans son étude. Je [)rétends que
sa lin unique doit être de glorifier Dieu et
de su rendre utile au prochain. Quelleque
soit votre lin dans vos éludes, si ce n'est
pas la gloire do Dieu qui vous louche, et
<pii vous fait agir, vous vous trompez.
Quand vous vous appliquez à l'élude, c'est
une bonne action que vous corrompez par
une mauvaise fin.
De tous les [lernieieux molifs qui con-
duisent les hoiniues, et qui ne sont que
trop souvent la lin de leurs études, il y en a
trois qui ont beaucoup de force pour les
séduire, savoir, la curiosité, l'intérêt et la
vanité.
Les uns éiudicnl pour satisfaire un vain
désir qui les presse d'acquérir de nouvelles
connaissances, leur passion est de décou-
vrir ce que les autres n'ont point connu.
Leur esprit inquiet est semblable à un feu
dans lecpiel il fout toujours que l'on jette
quel(|ue nouvelle matière pour en entrete-
nir la force et l'activité. Et c'est 15 ce que
l'appelle ôlre dominé par une vaine cu-
riosité.
Il y en a d'autres qui regardent la science
coinnie un moyen de [)arvenir. Ils considè-
rent que l'entrée aux dignités ecclésiasti-
ques leur serait lennée, s'ils n'acquéraient
quelque capacité. Le désir qu'ils ont de s'é-
lever leur fait embrasser avec ardeur tous
les moyens qui peuvent contribuer à l'ac-
complissemenl de leurs desseins. Il est aisé
de voir que c'est l'intérêt qui fait agir ceux
qui sont dans cette mauvaise disposition.
D'autres enfin sont touchés de la gioiro
que l'on acquiert quand on fait du jirogrès
dans les sciences. Le nom de savant est un
nom qui distingue, et qui rend un honnne
recommandabie. Ils se llatlent qu'ils se fe-
ront un nom, (ju'on parlera d'eux avec
honneur, que malgré les efforts de la mort
ils vivront dans l'esprit des hommes. Ceux
que la vanité a séduits se repaissent de ces
fausses idées, et l'on est étonné quanil on
considère combien cette fin. chimérique a
de force pour soutenir les hommes au milieu
de toutes les peines qu'ils se donnent.-
Je parle donc, premièrement, à ceux qui
s'apfiliquent à l'étude, parce qu'ils veulent
savoir. Leur curiosité est-elle raisonnable ?
Peut-on avoir pour fin de re|)ailre son es-
prit par une infinité de nouvelles connais-
sances ? Vouloir toujours apprendre, sans
mettre aucunes bornes à ses désirs, c'est
vouloir pénétrer un abîme qui n'a point de
fond ; c'est vouloir épuiser ce qui est iné-
puisable.
Si celui qui se laisse emporter par sa cu-
riosité a quelquefois le plaisir de se satis-
faire, ce plaisir lui coûte cher. 11 n'est pas
longtemps sans apercevoir qu'il y a nombre
infini de connaissances auxquelles il n'ar-
rivera jamais. Plus il apprend , plus il voit
qu'il y a des choses qu'il ignore. Il s'éloi-
gne de sa fin en tâchant d'en approcher. Ce
qu'il a au-dessus des autres, c'est qu'il
connaît son ignorance. Est il pour cela suf-
fisamment dédommagé de ses peines et de
ses travaux?
Saint Grégoire de Nazianzo assure avec
raison que le désir immodéré desavoir est
toujours suivi d'uu grand nombre de cha-
ÎI37
REÏRAITK ECCLKS. — XI, SCIKNCE.
H."8
grins { 180). Ce qu'on sait, (iil ee Père, f;iit
moins de plaisir que ce qu'on ignore ne
cause lie douleur. I! en est à peu près com-
me de ceux qui ne peuvent irouver d'(!au
pour tHeindre la soii qui les hrille, ou qui
ne peuvent relenir ce qu'ils ont dans les
mains, ou qui ont ùié frapjK^s d'un éclair
qui s'évanouit on un moment.
C'est à ces liomnies qui no sont jamais
contents d'euxmèuMS, et à qui la curiosité
inspire toujours d'aller plus loin que VEc-
clésiastique a^lrcsse la parole. Qu'ils écf>u-
tent les conseils pleins de sagesse de cidui qui
a si bien connu la vanilé desclioses liuniai-
ncs'.Nechercftcz point, dit le sage, ce qui est au-
dessus de vous, et ne tâchez point de pénétrer
ce qui surpasse vos forces , mais pensez tou-
jours à cequeDieu vous a commendé , et n\iyez
point ta curiosité d'examiner la plupart de
ses ouvrages. [Eccli. 111 , 22.)
Il y a donc des choses qui sont au-dessus
d(! nous ; il y en a qui sur[iasstnt nos forces.
Il n'y en a point qui doivent en êire [dus
convaincus que ceux qui font plus d'efforts
pour les pénétrer. N'est-ce pas une évidente
folie que de vouloir voler, lorsqu'on n'a
point d'ailes , et de vouloir à louleforce en-
trer dans une région , dont tous les jiassa-
ges nous sont fermés.
Il y a d'^s choses que Dieu veut que nous
connaissions, et ce sont celles-:?» que nous
affectons d'ignorer. Il y en a d'autres dont
Dieu a voulu nous cacher la coiuiaissance ,
t'A ce sont celles-là que nous voulons péné-
trer. Le rage continue à nous expliquer
celte vérité, et il nous dit : Car vous n'avez
que faire de voir de vos yeux ce qui est caché.
Ne vous appliquez point avec empressement
à la recherche des choses non nécessaires ,
et n'examinez point avec curiosité les divers
ouvrages de Dieu. {Ibid., 23, 24.)
Voilà une excellente règle pour distin-
guer les choses que nous devons appren-
dre, et celles dont nous ne devons point
rechercher la connaissance. Examinons les
choses dont la connaissance nous est néces-
saire selon noire élat. C'est là ce que Diuu
veut que nous sachions , et c'est là oij nous
pouvons avec fruit exercer notre curiosité.
Car, continue le sage, Dieu nous a découvert
beaucoup de choses qui étaient au-dessus de
l'esprit de l'homme. { Jbid., "2.0.) Dieu n'en
a-l-il pas fait assez pour nous, de nous dé-
couvrir tant de merveilles? Les avons-nous
bien étudiées ces merveilles que Dieu nous
a révélées ? Tel qui ne connail [)as les pre-
miers éléujents de sa religion passe vaine-
ment son temps dans la recherche de plu-
sieurs choses dont il est irès-indiiférent
d'être instruit. Quelquefois même ce seront
des imagiiiationslrompeuses, des conjectures
incertaines , des raisonnemenls fabriqués
dans l'école du père du mei;songe , qui
rempliront l'esprit de l'homme. lit c'est Ih
ce que l'ecclésiastique déplore quand il
ajoute que plusieurs se sont laissés séduire à
leurs vaines opinions, que l'illusion de leur
(l80)Orat. I,p. 52.
esprit les a retenus dans ta vanité et le men-
songe. (Ibid., 26.)
Qut'l e-^t le moyen de réprin)er cet esprit
de curiosité, au(|uel il est si dangereux de
se laisser séduire ? C'est de ne point vouloir
savoir ce qui est au-dessus de nous ; c'est d(3
se renfermer dans la connaissance des cho-
ses dont Dieu veut (|ue nous soyons ins-
truils; c'est do n'être point possédé du
désir de savoir ; c'est de s'appliquera l'é-
lude par rapport à Dieu, pour obéir au
commandement de Dieu ; c'est de suivre
exactement l'ordre de Dieu, soit pour le
temps que nous devons donner à l'étude,
soit pour les connaissances que nous devons
t;1lcher d'acquérir, soit pour l'usage que nous
devons faire de notre science.
Ceux-là ne se trompent pas moins qui
considèrent la science comme un moyen
de s'élever, et de parvenir aux dignités ec-
clésiastiques, qui sont le principal objet do
leurs désirs et de leurs empressements.
C'est un principe certain que, quand la fin
est criminelle, les moyens sont aussi cri-
minels. La fin a ce malheureux pouvoir.
Quand elle est mauvaise, elle corrompt Ions
les moyens que l'on emploie pour y parve-
nir. C'est la vérité dont Jésus-Christ nous
instruit, quand il nous dit dans l'Evangile,
que si notre œil est simple, tout notre corps
sera éclairé, mais que si notre œil est mauvais,
tout noire corps sera aussi ténébreux. {Luc,
XI, 34.)
Il est criminel de désirer les dignités ec-
clésiastiques, donc il criminel de s'appliquer
à l'étude dans la vue de s'élever aux digni-
tés ecclésiastiques. Si le principe est certain,
la conséquence no peut qu'elle ne soit cer-
taine. Or, qui peut douter que le désir de
s'élever aux dignités ecclésiastiques ne soit
manifestement condamné? Ce désir est une
ambition d'autant plus criminelle qu'elle fi
pour objet les choses saintes. Ce désir est
un obus des choses saintes. Ce n'est donc pas
simplement un crime, mais c'est une espèce
de sacrilège.
Autre chose est d'éludier, afin d'être en
élat de remplir les d(ivoirs des dignités
ecclésiastiques, lorsque nous y serons lé-
gitimement api elés ; autre chose est d'étu-
dier dans la vue de s'élever aux dignités
ecclésiastiques.
Le premier est dans l'ordre de Dieu; il
connaît le poids des dignités ecclésiasti-
(jucs, il les craint, il les redoute, il les fuit
même, mais seulement il se tient prêt pour
obéir à Dieu, dès le moment qu'il lui fera
connaître ses ordres. Ce n'est point l'éclat
des dignités ecclésiastiques qui l'ébluuil.
Il cherche le travail et non point l'éléva-
tion.
L'autre au contiaire est plein de l'esprit
d'oigucil. 11 vient pour servir Jésus-Christ
avi'c un esprit enlièreraont contraire à celui
de Jésus-Christ. Il veut être grand, et Jésus-
Christ déclare que les pelil-; sont ses bien-
aimés. Il se réjouit d'ôlre 3levé, et Jésus-
i\ô'3
OnATiailS SACRES. JOSEPH LAMDERT.
mo
Christ, veul.que l'on ciierche l'abaissement.
II court après ce que les saints ont fui.
Il n'est [)Oint effrayé de ce qui a paru à tous
les saillis un fardeau au-dessus des forces de
l'homme. Peut-on concevoir une hardiesse
plus grande et une lémérilé plus condam-
nable?
Ce que plusieurs font pour s'élever, et
pour parvenir aux dignités, d'autres le font
pour acquérir un nom et pour établir leur
réputation. On veut être distingué dans !e
monde, y être estimé, y paraître avec éclat.
Voilà pourquoi l'on se donr>e beaucoup de
peine pour avancer dans les sciences, parce
qu'on sait que les gens habiles y sont plus
estimés que les autres. Vouloir être estimé
dans le monde, c'est un désir condamnable
dans tout chrétien, plus condamnable en-
core dans un ecclésiastique, qui par son
caractère est plus obligé d'entrer dans l'es-
prit de Jésiis-Christ.
I.e désir d'être estimé des hommes peut-
il s'accorder avec la morale du Fils de Dieu?
Toutes les maximes que le Sauveur nous a
enseignées détruisent ce pernicieux désir.
Jésus Christ a perpétuellement enseigné à
ses disciples à s'abaisser, à s'humilier, à se
cacher. Tel est le véritable esprit du chris-
tianisme. Vouloir être estimé des hommes,
agir en vue île cette estime, en faire sa tin
et son bonheur, c'est renoncer à cet es-
prit.
C'est une joie bien indigne d'un chrétien
que ceî.'equi a pour principe l'honneur qu'on
lui rend dans le monde, et l'estime qu'on
fait de ses bonnes qualités. Estime fragile
et inconstante qui dépend uniquement du
caprice des hommes. Aujourd'hui ils ( sti-
inent, et demain ils méprisent. Y a-l il quel-
que changement dans ce qui est l'objet de
leur estime et de leur mépris? Non. Mais
c'est que les hommes qui dans leurs juge-
ments ont souvent leur fantaisie pour règle,
ne lont aucune difficulté de suivre en peu
de temps des sentiers entièrement opposés.
C'est pour les hommes que vous travaillez,
c'est pour être estimé d'eux. Ah ! que l'on
'. peut dire avec grande raison que vous bâ-
tissez sur le sable. Un nuage qui s'élèvera,
iiu mauvais pas que vous ierez, une inter-
prétation fâcheuse que l'on donnera à vos
sentiments, un dégoût qui est fort souvent
la suite d'une estime qui a duré quelque
teuqis, il n'en faut pas davantage pour rui-
ner en fort peu de tenqjs un ouvrage qui
vous a coûté tant de peine.
Voulez-vous bâlir sur un fondement plus
solide, travaillez pour Dieu. Faites ce qu il
demande de vous, afin que vous ayez l'avan-
tage de lui plaire. Mettez-vous peu en peine
que votre nom soit considéré dans le mon-
de, mais que vos grand* efforts soient pour
mériter que votre nom soit écrit dans le
ciel. C'est là ce qui peut avec raison causer
h un chrétien une joie solide, suivant ce
que le Fils de Dieu nous enseigne dans
lEvangile, quand il nous dit : Béjouissez-
ronsdece que vos noms sont écrits dans le
iiel. [Luc. X, L7.)
Voilà donc bien des motifs trèssiangereux
que les ecclésiastiques doivent éviter avec
beaucoup de soin, puisque, s'ils étaient as-
sez malheureux pour se laisser séduire par
ces mauvais motifs, bien loin délirer aucun
fruit de leurs études, elles leurs seraient
très-pernicieuses.
11 y a plusieurs chemins détournés, et
dans lesquels on s'égare : il n'y en a qu'on
seul qui conduit à la vérité. Je vous ai dil
que le seul motif qu'un ecclésiastique puisse
se proposer légitimement dans les éludes,
c'est la gloire de Dieu et l'utilité du pro-
chain. Un ecclésiastique qui est conduit par
cet heureux motif n'a plus rien à craindre.
Il peut en toute sûreté s'appliquer à l'é-
tude. Tout le venin que ta science peut en-
traîner après elle ne l'infectera point. 11 a
en lui-même un préservatif sûr et infailli-
ble pour se bien servir de sa science et
pour n'en point craindre les abus.
Un ecclésiastique n'a qu'à considérer ce
qu'il est, et il verra bientôt le motif qu'if
doit se proposer dans toutes ses actions, et
par conséquent dans ses études.
Un ecclésiastique est le ministre de Jé-
sus-Christ. Il est fait ecclésiastique pour
prêcher Jésus-Christ, pour le faire con-
naître, pour affermir son règne, pour an-
noncer sa gloire. C'est donc cette gloire de
Jésus-Christ qu'un ecclésiastique doit avoir
continuellement en vue. C'est un terme
qu'il ne doit jamais cesser de regarder. C'est
cette gloire qui le doit conduire dans toutes
ses actions, qui le doit animer Sa grande
et son unique application doit être d'exami-
ner les moyens dont il peut se servir le plus
avantageusement pour parvenir à une tin
si noble. Il ne sera pas longtemps sans
se convaincre qu'il ne [)eut rien faire
pour la gloire de Jésus-Christ sans étude et
sans science. Il faut donc que le désir do
travailler pour Jésus-Christ lui fasse pren-
dre une sérieuse résolution de s'apphquer
à l'étude. Mais lorsqu'il s'y appliquera,)! ne
s'éloignera jamais de sa tin. La gloire do,
Jésus-Christ l'engage de donner son temps,
à l'étude. La gloire de Jésus-Christ sera
donc aussi le motif qui le soutiendra, et il ne
donnera son temps à l'étude que par
rapport au désir sincère dont il est pé-
nétré do travailler pour la gloire de Jésus-
Christ.
Un ecclésiastique n'est plus à lui dès qu'il
est consacré, il devient le serviteur de ses
frères. Il contracte une obligation particu-
lière de travailler pour eux. Un ecclésias-
tique n'est plus le maître de son temps, de
ses occupations, de ses talents. 11 en est dé-
biteur à ses frères.
Un ecclésiastique est le serviteir de ses
Irères. Qu'il n'oublie jamais ce nom et les
engagements qu'il contracte dès le moment
qu'il consent de porter cet illustre nom. Le
Fils de Dieu s'est assujetti si pleinement au
service de ses créatures, qu'il a consacré à
leur salut jusqu'à sa vie. 11 nous dil qu'il
est venu pour servir el donner sa vie pour (ci
rédemption de plusieurs. [Mallh., XX, 28.)
iHl
RI.THAlTl!: KCCLES. - XI, SCIENCK.
1142
Un ercl6.-.ia<liiiuc duit donc (ont ce qui
est en lui, jusqu'A sa propre vie, au service
«le SCS frères. Un eccitîsiastique convaincu
de cette inipoitanie et étroite obligalion,
n'aura pas de peine h discerner le inolif qui
le doit conduire lorsqu'il s'applique à l'é-
tude. Tous ses efforts doivent être pour ses
frères, [)Our leur snl;it, pour leur f;iire con-
naître le dicmin (jui n'cne à la vie, pour
les CNC ter à y entrer. C'est donc par rapjiort
<i cette oblig ition qu'il doii réglorses études.
Dès qu'il n'a plus celte tin. il oublie ce (ju'il
est, ce iiu'il <loit à ses frères, et pour(|uoi
Dieu lui a f;iii l'honneur de le recevoir au
rang de ses minisltes.
Lorsqu'un ecclésiastique s'applique à
l'étude, sa fin principale doit être de se
rendre utile au prochain. De là il s'ensuit,
en premier lieu, qu'un ecclésiastique ne doit
point se précipiter, et qu'il ne doit point se
charger d'aucun emploi avant qu'il ait ac-
quis une capacité suffisante pour Cire utile
au prochain.
On en voit une infinité qui se hâtent, qui
se présentent avec hardiesse pour remplir
les emplois. Quand vous les examinerez de
près, vous verrez qu'ils ne connaissent ni
les obligations de l'état ecclésiastique, ni la
manière do s'en bien acquitter. Cependant
ils s'avancent, et parce qu'ils marchent
comme des téméraires sans connaître ce
qu'ils entreprennent, ils font à chaque mo-
ment des chutes très-lourdes et Irès-dan-
gereuscs. Cesont des aveugles qui conduisent
des aveugles, et ils tombent tous deux dans
le précipice. {Matth., XV, U.)
Ou donc allez-vous avec tant de vitesse?
Il n'est pas encore temps que vous vous
produisiez. Le fardeau dont vous voulez
vous charger est au-dessus de vos forces.
Si vous en connaissiez la pesanteur, \ous
verriez bien que vous n'êtes point en état
de le porter. Instruisez- vous avec soin de
vos obligations, demeurez dans le silence
et dans la retraite, jusqu'à ce que vos su-
périeurs vous en retirent, et (ju'ils jugent
que vous êtes suffisamment préparé pour
travailler au salut des autres.
Un ecclésiastique doit régler ses études
par rapport à l'utilité de ses frères. De là il
s'ensuit, en second lieu, qu'un ecclésiasli(jue
qui a une capacité suffisante est obligé, lors-
qu'il est légitimement a[)|)elé, d'enjploj'er
les talents que Dieu lui a contiés, et de se
servir de sa science pour l'utilité du j)ro-
chain.
Vous en voyez qui, dévorés par le désir de
savoir, veulent toujours apprendre. C'est
une lun)ière cachée qui n'éclaire point. Ils
ont de rares connaissances, mais ils ne les
communiquent à personne. Avares de ce
qu'ils on', ils conservent pour eux-mêmes
tout le bien qu'ils possèdent, et ne font au-
cune iiart aux autres des richesses qu'ils
(181) • Sicul ille panis dum fraiigeretur accrevit,
sicea quae ad hocopiis aggrtdieiiduin jaiii Doiiiiiius
|tra.'buit,cumdispeiibari cœperint eo ipso suggerenic
auiUiphcabunlur, ut ipso lioc noslro iniiiisli.rio,
ont acquises. Gens très-habiles, si vous le
voulez, mais très-inutiles à l'Eglise; car
avec un grand no i bro de savants dans- cette
disposition, l'Eglise sera allaquée, et no
sera point défendue: Les enfants deman-
deront du pain et personne ne leur en
rompra.
11 arrivera souvent qu'un ecclésiastique
avec une capacité médiocre, mais sulii-
sante, et avec un grand zèle, rendra beau-
coup |ilus de service à l'Iîglise qu'un ecclé-
siastique qui aura beaucoup plus de science,
mais (|ui n'aura point de zèle.
Celte science donc est un don du ciel que
Dieu ne distribue qu'afin que l'on s'en serve
pour éclairer ceux (|uisonldttnsles ténèbres.
Quand ui\ ecclésiastique zélé se sert de sa
science et de ses autres talents pour secou-
rir ses frères, il aperçoit que ses lalenis
augmentent, qu'il devient plus pénétrant,
qu'il acquiert de nouvelles lumières. C'est le
Seigneur, dit saint Augustin, qui suivant
sa [iromcsse donne à celui qui a déjà. Car
que faut-il entendre par ceux qui ont déjà,
sinon ceux qui se servent des biens qu'ils
ont reçus, selon l'intention du souverain
maître. Les pains se sont multipliés, lors-
qu'ils ont été distribués à ceux qui avaient
faim. C'est, selon saint Augustin, une image
de ce qui arrive, lorsque vous distribuez
avec zèle le pain de la parole de Dieu a
ceux qui meurent de faim. En faisant pari
à vos frères de ce que vous avez, vous au-
rez la joie d'enrichir les autres et de vous
enrichir vous-même (181).
11 s'ensuit enfin de ce que vous venez
d'entendre qu'un ecclésiastique dans ses étu-
des ne doit pas suivre son goût, mais qu'il
doit plutôt examiner avec soin ce qui est
utile au prochain, c'est-à-dire, qu'un ec-
clésiastique n'étant plus à lui, mais à ses
frères, il doit préférer l'utilité publique à
son contentement particulier.
II vous serait plus agréable de vous ap-
pliquer à des sciences profanes : vous y
trouvez beaucoup plus de goût que dans
les lectures saintes. Mais ces sciences pro-<
fanes ne serviront qu'à dissiper votre es-
prit, vous n'y recueillerez rien pour nour-
rir votre piété, ni celle du peuple que vous
êtes obligé d'édifier, au lieu que les lectu-
res saintes vous rempliront des maximes de
votre état, et vous fourniront une ample
matière pour porler le peuple à la pratique
des vertus chrétiennes. Y a-l-il seulement
lieu de délibérer : Etne devez-vous pas par
|)référenco à toute autre élude, choisir celle
dont vous retirez plus de fruit, et qui vous
rendra plus disposé à bien exercer les fonc-
tions de votre état. Que cette grande ma-
xime soit bien iuipriniée dans votre âme
que vous n'êtes plus à vous, mais que vous
êies à votre prochain, et |)ar là vous dé-
ciderez aiséuicnl (|uo dans toutes vos oc-
non solum iiuliam paliamurinopiani.sed Je mirabili
ciiain abuiidanlia gauduainus. > (Lib. 1 De doclrina
cliriiliunn, c. 1.)
ni3
ciipaiions vous devez avoir pour but prin-
cipal d'édifier le prochain, et de le porlar?i
suivre fidèlement les maximes de la vie
clirétienne.
Un ecclésiastique doit donc dans toutes
ses actions, et par conséquent dans ses
éludes, avoir uniquement en vue de glo-
rifier Dieu et de" servir le prochain. Il ne
me reste plus qu'à vous faire voir les réso-
lutions que les ecclésiastiques doiventfor-
nier par ra|>porlà l'étude. C'est mon dernier
I oint.
SECOND POINT.
La première résolution que doit former
\m ecclésiastique qui veut faire du progrès
dans l'étude, c'est de beaucoup prier, de
joindre la prière h l'étude, de ne se point
appliquer h l'étude, qu'il n'ait auparavant
demandé le secours du Père des lumières
par une ardente prière. 5« quciquun devons
dit saint Jacqiips, a 6p.9om de sagesse, quUl
I I demande à Dieu. (Jac, I, 5 ) F/apôtre saint
Jacrpies on apporte dans la suite une ex-
<'elletjto raison, c'est que toute grâce excel-
lente et tout don parfait vient d'en haut et
desrend du Père des lumières. (Ibid , 17.)
C'est une erreur de croire que le seul
moyen pour devenir savant soit de feuil-
leter les livres. Souvent on fait plus de pro-
grès au pied de la croix du Sauveur, que
l'on n'en fait en lisant les livres. Jésus-
Christ parle à nos âmes dans le temps de l.i
prière^ il les instruit, il leur communique
ses secrets. Quel profit ne fait-on pas, en
écoulant un maître si plein de science et de
sagesse.
Les prudents du siècle qui donnent tout
aux moyens humains ne peuvent conqiren-
dre qu'on devienne savant par le moyen
de la prière. Mais les prudents du siècle se
trompent. C'est Ih la voie que les grands
saints ont pi'ise pour se rendre hal)iles. Ils
confessent tous qu'ils sont redevables de
leur science à la prière, qu'ils ont a}q)ris tout
ce ipi'ils savent en se rendant disciples de
Jésus-Christ dans la prière et dans lu re-
iraile.
Kn cCfel, la principale science nécessaire
h un ecclésiastique, c'est la science des
saints. C'est cette science qui le renddisci-
ple de Jésus-Christ. C'est celle science qui
lui apprend à se servir de toutes ses con-
naissances pour son salut et pour l'utilité
de ses frères. Qui peut nier que ce ne soit
dans l'oraison que le Fils de Dieu commu-
nique aux âmes celte science divine? Saint
Augustin nous instruit de celle grande
maxime dans une de ses lettres. 11 enseigne
deux excellenis moyens pour venir à bout
do développer heureusement les questions
difficiles. Ces deux moyens sont In prière
et la réflexion. Il parle ensuite de l'élude,
et de rinslruclion qu'on peut retirer en
écoutant les habiles; mais il donne la pré-
férence aux deux moyens qu'il a proposés
OPwVTEURS SACRES. JOSEPH LAiMDEliT. 1144
d'abord. Et il ne fait point de difTicuIté d'as-
surer que la prière a plus de force que l'é-
tude (182).
La science est un don d'en haut, vous
devfz donc vons adresser à Dieu pour
l'obtenir. N'espérez point sans son secours
faire aucun progrès. De là il s'ensuit qu'un
ecclésiastique vertueux, qui veut agir avec
prudence, avant que de s'appliquer à l'é-
tude, doit d'abord s'adresser h Dieu, et im-
()lorer son secours par la prière.
La prière peut beaucoup pour nous aider
à avancer dans les sciences, mais elle ne
suffit pas. J'ai dit qu'il fallait joindre en-
semble l'élude et la prière. Il est très-né-
cessaire de bien connaître cette vérité |)0ur
se garantir de deux extrémités 0()posées, et
qui sont également dangereuses.
Il y en a qui font trop de fond sur l'é-
tude, et qui négligent la ftrière, et il y en a
qui donnent trop à la prière, et qui aban-
donnent l'étude. Les premiers peuvent être
appelés avec raison des savants orgueil-
leux, et les seconds ne doivent point s'of-
fenser si on les nommedes spirituels outrés.
Les savants orgueilleux ne peuvent faire
trop d'attention aux preuves convaincantes
qui font voir combien la prière a de force
pour avancer dans les sciences.
Et quant aux spirituels outrés, il est aisé
de leur montrer que l'avancement dans les
sciences ne dépend pas seuleaient de la
prière, mais encore des efforts sérieux que
nous faisons en nous appliquant exacte-
ment à l'étude.
La nécessité de la prière pour profiter
dans les sciences m'a fait dire qu'un ecclé-
siastique vertueux doit former la résolu-
tion de ne point s'appliquer à l'étude qu'il
n'ait invoqué le secours du Seigneur parla
prière. La nécessité de l'étU'le me fait dire
présentement qu'un ecclésiastique exact
doit former celte seconde résolution de
donner à l'élude une partie considérable
do son temps.
Selon saint Augustin, abandonner l'étude
et ne vouloir pas employer les elforts hu-
mains dont nous sommes capables, c'est
tenler Dieu. Evitons, dit ce Père, de tenter
Dieu, de peur que, nous laissant aller aux
illusions de notre ennemi, nous ne dédai-
gnions eniin d'aller dans les temples sairts
[)our y entendre l'Evangile, ou de lire les
livres, ou d'écouter les hoiumes, dans l'at-
tente (pie Dieu nous enlèvera au troisième
ciel, et (jue nous apprendrons l'Evangile de
la bouche de Jésus-Christ môme. Fuyons
ces lenlalions i)leines d'orgueil et de péril.
Souvenons-nous plutôt que, (pjoique saint
Paul ait été instruit par une voie céleste et
divine, il fut néanmoins renvoyé à uu
bomme pour recevoir de lui les sacrements
et i)0ur être agrégé à l'Eglise (183).
C'est donc tenter Dieu, selon saint Au-
gustin, (jue de ne vouloir pas écouter les
(IS'i) il'his cogil.mtlo cl ovaiulo.proficiunt qii.Tm j j^ ^
l. g ii.lo i;î luciioiulo. » (Eiiii-i, 147, iiov. cdil., al, T\^7>)
Nequc teiilcinus cum cui crcdidiiiius, ne
1145
RETIIAITE ECCIJ:S. — M, SCIENCE.
lUG
hoiiitncs. que de ne vouloir pas mémo ou-
vrir les livrts, que de se llatler que Jésus-
Christ lui-môme nous instruira immédiate-
ment, sans que nous ayons recours aux
moyens humains. Et c'est ce qi-.i détruit
le fondement de ceux que j'ai appelés des
spirituels outrés, qui prétendent fausse-
ment que la prière sup[>lée à tout, qu'elle
donne toute sorte de lumière, et qui aban-
donnent l'élude.
Le mCme saint Augustin explique darrs
un autre endroit ces paroles de Noire-Sei-
gneur : Ne vous mcllez point en psine com-
ment vous leur pailerez. ni de ce que vous
leur direz. Ce que vous leur devez dire vous
sera donné à l'heure même. {Matth., X, 10.)
Saint Augustin soutient que ces paroles
n'autorisent point la fausse prétention de
ceux qui, négligeant toute préparation, ap-
porteraient pour excuse la promesse de Jé-
sus-Christ. Saint Augustin dit que celui
qui veut instruire les autres doit s'ins-
truire lui-môme, qu'il doit faire des elforts
pour acquérir une capacité raisonn;ible, et
telle que la doit avoir un (,'cclésiaslique qui
se propose de bien remplir ses devoirs.
Les paroles de Noire-Seigneur s'entendent
de ceux qui sont préjiarés à bien exercer
leurs fonctions, et qui dans les occasions
imprévues sont obligés de parler avec li-
berté et avec force pour la défense de la
vérité. Jésus-Christ n'aide point les témé-
raires, mais seulement ceux qui ont en lui
une confiance raisonnable et chrétienne.
Quand saint Paul a donné un si grand
nombre d'instructions à Timotbée et h
Tile, n'a-t-il pas fait voir que les minis-
tres de l'Evangile ont besoin d'être ins-
truits (184).
Voilà les principes solides sur lesquels un
véritable ecclésiastique doit régler sa con-
duite ; par là il prend un chemin sûr, et il
évite toutes sortes d'égarements; il obéit
exactement à Dieu, et il se conforme à l'or-
dre qu'il a établi. Il a recours à Dieu, parcQ
qu'il reconnaît que tout vient de lui. Il fait
les efforts dont il est capable, parce (|ue le
Seigneur nous commande de travailler, et
qu'il ne veut pas tout faire en nous, de peur
que nous ne vivions dans la négligence et
oans la paresse
Celte résolution générale de donner à l'é-
tude une partie considérable de notre temps,
doit être suivie d'une résolution particu-
lière d'employer tous les jours à l'élude une
certaine purlie de notre temps.
Autant que nous le pouvons les résolu-
lions générales doivent être réduites à des
résolutions particulières lUen n'est plus
commun que de voir des liommes qui sont
convaincus de la vérité, (jui la soutiennent
môme contre ceux qui l'allaquent ; mais ils
lalil)us iniiiùci versuliis nd ipsum qiioquc PJvangr-
(luiii audienilum aUiiic discendum nolinius ire in
EctleS'as, > etc. (Piologo in lib. De docirina christ.)
(18() I L>i^cal omiiia qua; ducei.da suiit, <|iii el
nobbc vull Lldoccie, a'I lioiani vtro i|is.Ub (lictiudis,
illiid convenire quod bominus ail ; :\ulite coijitare,
ne sont pas pour ceia plus exacts à régler
leur conduite suivant la vérité qu'ils con-
naissent. Ils forment en général de très-
saintes résolutions, et ils ne les exécutent
jamais.
Pour se préserver de cet abus, je dis que
la résolution générale de s'appliquer à l'é-
tude doit ôtre suivie d'une résolution par-
ticulière d'employer tous les jours h l'étude
une partie de son temps. Il est bon même
autant qu'on le peut, afin d'êlre plus exact,
de fixer l'heure et le temps que l'on prétend
employer à l'étude.
La vie ecclésiastique doit être essentiel-
lement réglée. Les différentes occupations
qui conviennent à un ecclésiastique en
doivent faire le partage. Les plus considé-
rables occupations d'un ecclésiastique sont
la prière, l'étude, les actions de charité.
Tous les jours pendant un certain lemps je
prierai, pendant un autre temps je lirai l'E-
criture sainte, ensuite je ferai une autre
étude convenable à ma profession. Celte vie
réglée où de saints exercices se succèdent
les uns auxautres,est un desplus excellents
moyens et des plus nécessaires qu'un ec-
clésiastique puisse choisir pour se sanctifier
dans son élat.
Or, dès qu'un ecclésiaslique veut ainsi se
régh^r, il est de nécessité que l'étude rem-
|)lisse une j>artie de son temps. Voilà [lour-
quoi il est presque impossible de réduire à
celle vie réglée les ecclésiasti»iues qui
n'aimenl point l'élude. Observez leur con-
duite. Ce sont des gens qui rendent et qui
reçoivent des visites inutiles, qui se trouvent
aux assemblées de jeu el de divertissement,
qui fréquentent les compagnies mondaines,
qui forment des intrigues, qui entrent dans
les négociations, qui débitent des nouvelles.
Est-ce là l'emploi d'un prêtre, d'un minisire
du Seigneur, d'un homuie que l'ICglise en-
tretient, afin d'eu être secourue dans ses
{)ressantes nécessités.
Voici donc deui avantages très-considé-
rables, de colle résolution fixe el détermi-
née, que prend un ecclésiastique de donner
tous les jours à l'étude une portion ccns;-
dérablede son temps. Par là il remplit sairi-
teraent un temps précieux, dont Dieu doit
un jour lui demander compte; par là il
amasse des lrés(>rs qui servent à entrcleni-r
sa ()iélé et celle des fidèles.
Pour êlre ferme dans celte résolution de
donner tous les jours à l'étude une certaine
partie de son temps, il est nécessaire de
prendre une troisième résolution qui est de
ne se point rebuter des dilUcultés qui se
rencontrenl dans l'étude. L'un dit que l'ap-
plication à Télude serait préjudiciable à sa
santé ; l'autre se f)!aint qu'il travaille beau-
coup et (ju'il n'avance point. Mais si l'on
cic. Quisquis dicil non esse liomiiiibus prajcipien-
duni.quid vel qncniadinoduni doceant, j)olesl ilicero
apostoliim Pauliiin 1 inioilico cl Tito non deituisse
pra'cipen; qiiod vtl qneniadni'uinin pnccipcrenl
aliis. » [If'j ducIriiKi clirisl., lili. IV, c. \o.)
lin
ORATEIRS SACRES. JOSEPH LAMDERT.
lli«
veut confesser .a vérité, la raison qui en-
gage h Abandonner l'élude, c'est qu'on ne
veut ni se contraindre ni se fatiguer. Cette
raison peut-elle dispenser un ecclésiastique
de s'appliquer è l'étude, puisqu'élanl dans
la milice sacrée, il est encore plus essentiel-
lement obligé de travailler que les autres tî-
ijèles?
Ne dites point que l'étude porterait pré-
judice à votre santé. Une étude modérée ne
nuit point à la sanlé. Rendez-vous justice.
Vous faites beaucoup de choses qui sont
plus capables d'altérer votre santé. Lors-
qu'on s'examine de si près, et qu'on a des
craintes chimériques de nuire à sa santé, on
n'est guère propre à combattre sous les en-
seignes de Jésus-Christ.
Vous dites que vous n'avez ni goût, ni
génie pour l'étude, et que ce qui vous re-
bute, c'est la conviction oii vous êtes que,
même en travaiHant beaucoup, vous n'avan-
cerez point. Et moi je vous réponds que
quiconque travaille avec exactitude fait tou-
jours quelque progrès. Vous n'apportez une
si mauvaise excuse, que parce que l'élude
vous déplaît. Lorsqu'on veut sérieusement,
l'on peut plus que l'on ne se l'imagine. La
paresse fait dire qu'on ne peut pas, mais
dans la vérité c'est qu'on manque de bonne
volonté. Quoique le temps de la jeunesse
soit le temps le [tlus propre pour s'appliquer
serviteur paresseux qui cache en terre le
talent de son maître, et qui le laisse inutile.
{Mallh., XXV, 30.)
Un ecclésiastique qui a de la science, et
qui demeure dans le repos, ne peut éviter
d'être condamné. Premièrement, parce qu'iJ
agit directement contre les desseins de Dieu,
qui ne lui a donné cette science qu'alin qu'il
la répande el qu'il la communique. En se-
cond lieu, parce que l'état d'oisiveté est un
état funeste pour les ecclésiastiques, et il
est constant que c'est un caractère presque as-
suré de réprobation pour un ecclésiastique
que de vivre oisif, el que de ne rendre au-
cun service à l'Eglise.
Une dernière résolution que les ecclésias-
tiques doivent former, c'est d'épargner sur
leurs revenus, afin d'acheter les livres dont
ils ont besoin pour s'instruire de la sainteté
el des devoirs de leur étal.
Un ecclésiastique vertueui regarde son
cabinet comme un lieu chéri, où il se pro-
pose de passer un temps considérable de sa
vie. 11 se fait un plaisir d'embellir ce lieu
non pas d'une manière mondaine, et en y
mettant les ornements dont les gens du
Siècle ont accoutumé de se servir pour orner
les lieux qu'ils habitent. Un embellissement
solide pour le cabinet d'un ecclésiastique,
c'est qu'il soit plein de livres saints qui
conviennent à un prêtre, de livres où l'oa
à l'étude, vous en vojez qui, parce au'ils onl^ puise la science et l'esprit ecclésiastique
un vif désir de se rendre habiles, ne lais- " "' ' ' '
sent pas de faire des progrès considérables,
quoiqu'ils necommencent àéludierque dans
un âge avancé. C'est ce que saint Grégoire
de Nazianze nous rapporte de son père (185).
Il dit qu'il s'appliqua à l'élude fort lard, et
que néanmoins son érudition était si pro-
fonde, qu'il no cédait point à ceux qui
avaient donné à l'étude un temps beaucoup
])lus considérable que lui.
Ce que je vous ai exposé des motifs que
les ecclésiastiques doivent se proposer dans
leurs études vous doit convaincre qu'il leur
est encore très-important de prendre une
quatrième résolution. Tout ecclésiastique
doit avoir en vue dans ses éludes d'être
utile au prochain. 11 doit donc être dans le
dessein de se servir de sa science pour tra-
vailler au salut du prochain.
Je vous ai montré combien il serait dan-
gereux de tenir ses lumières cachées, de
vouloir toujours apprendre avec une avidité
insatiable. La science est un don que Dieu
ne distribue qu'alin que l'on s'en serve pour
éclairer ceux qui sont dans les ténèbres.
Il ne serait pas moins dangereux, lors-
qu'on peut servir l'Eglise, el travailler à
l'inslruclion des ignorants, de demeurer
dans l'oisiveté, soit jtar un trop grand
amour pour le repos, soit parce qu'on a as-
sez de bien |)our'n'6lre pas obligé de s'en-
gager dans les emplois ecclésiastiques.
Aussitôl que Dieu donne des talents,
n est-ce pas afin que l'on s'en serve el qu'on
les lasse profiler? Comment sera traité le.
Un prêtre qui ne peut pas se pourvoir
tout d'un coup de tous les livres qui lui
sont nécessaires, se fait une joie d'acquérir
toutes les années quelque livre nouveau.
L'avidité avec laquelle il prend celle pré-
cieuse nourriture soutient son âme, échaulfe
son zèle, et le rem[)lit d'une nouvelle ar-
deur.
Comment cet ecclésiastique connaîtrait-il
ses obligations? Il n'en entend point parler,
il ne puise point dans les pures sources de
la vérité, il ne trouve que sécheresse dans
lui-même et dans le fond de son cœur.
Quelques saintes lectures pourraient dissi-
per celle sécheresse et échautïer son zèle.
Mais il y en a qui no lisent point, el quand
vous allez dans leur maison vous ne trouve*
aucun livre.
J'entre dans la maison de cet ecclésias-
tique. J'ai impatience de visiter le lieu do
sa retraite. C'est là où je dois être éclairci
s'il s'occupe à lire, el quels sont les livres
dont il se sert [)Our se fortifier dans le»
saintes maximes de son élat. Après avoir
jeté les yeux de tous côtés, j'aperçois enfin
un bréviaire mal en ordre, des livres demi-
rongés, je regarde encore avec plus d'exac-
titude. Mais hélas I quelque perquisition
que je fasse je n'aperçois point de Bible.
Quoi ! Seigneur, point de Bible dans la mai-
son (i'un prêtre. En faut-il davantage pour
concevoir avec fondement une très-mauvaise
opinion d'un prêtre, qui n'est pas même
fourni d'un livre qu'il devrait avoir conti-
Muellemcnl entre les mains, et dont la lec-
085) Oral. 13, 1». 290.
114'J
RtTRAlTL ECCLKS. — XIF, DESINTERESSEMENT.
1IS0
lure devrait faire ses plus clièrcs délices.
Je fuis au plus loi <le cette maison, où je
n'ai rien vu qui ne m'ait inspiré du dégoùl.
Pour clierclier quelque consolation, je vais
au |)lus lot chez cet autre ecclésiastique,
qui a des sentiments plus nobles de sa |)ro-
fession, el'qui est bien autrement pénétré
de ses obligations. En entrant dans celle
maison je respire d'abord une bonne odeur,
je remarque de la propreté sans atfeclation.
J'entre dans un cabinet où tout est en son
ordre. Le premier livre que j'aperçois, c'est
une Bible. Plusieurs remarques qui se pré-
sentent à mes yeux justifient l'exactitude
avec la(]uelle il s'applique à se nourrir de
celte sainte lecture. D'un côté je vois des
commentaires sur l'Ecrilure ; d'un autre
côté, des ouvrages des saints Pères. Ici j'a-
perçois le concile de Trente, le catéchisme
du concile ; là je découvre la vie de saint
Charles, des traités savants et exacls pour
la décision des cas de conscience, de sa ntes
instructions où, après s'être nourri soi-
même, Ton trouve abondamment de quoi
soutenir la piété des tidèles. Autant que je
suis olTensé de la paresse et de l'oisiveté
d'un ecclésiastique qui renonce à l'étude,
autant je suis édifié de l'exactitude eî du
zèle d'un ecclésiastique, qui se ferait un re-
proche à lui-même, s'il n'avait pas passé
plusieurs heures du jour à lire dans ses
iivresqui lui sont si chers.
Voilà les vérités dont j'avais à vous ins-
truire sur la science ecclésiastique. Je
vous ai fait voir la nécessité de cette
science, en quoi elle consiste, les vues
que les ecclésiastiques doivent se pro-
poser dans leurs éludes, et les résolu-
tions qu'ils doivent former par rapport à
Téiude.
S'il n'y a aucune de ces vérités qui ne
soit apf)uyée sur des [irincipes très-solides,
vous voyez de quelle conséquence il vous
est de les suivre et de les prendre pour
règle de votre conduite. Vous êtes engagé
dans Télat ecclésiastique, vous êtes pasteur ;
comment vous conduisez-vous dans ce de-
gré sublime, et qui est sans doute élevé au-
dessus de tous les autres ? Vous êtes pas-
teur pour éclairer, et vous êtes vous-même
dans les ténèbres. Quoi 1 ne tremblez-vous
point en considérant le pesant fardeau dont
vous êtes chargé? Quoi! ne trtmblez-vous
point en faisant rétlexion que vous serez
responsable, non-seulement de toutes vos
chutes, mais encore de toutes celles du
peuple que vous vous êtes témérairement
chargé de conduire. Allez, allez, prenez la
qualité de discifile, c'est celle qui vous con-
vient. Déposez au plus tôt le nom et l'au-
torité de maître; c'est un fardeau trop pe-
sant pour vous, et que vous n'êtes point
en étal de porter.
O vous qui aspirez à l'état ecclésiastique,'
travaillez sans relâche. Si vous croyez que
cet état soit une condition commode, et où
il soit permis de vivre dans une [jarfaiie
tranquillité, vous êtes dans une très-gros-
sière erreur.
O condition heureuse que celle d'un ec-
clésinstiquo capable, qui est entré par la
porte, et (jui soutient avec fermeté le joug
dont le Seigneur l'a chargé ! O condition
lualheureuse que celle d'un ecclésiastique
ignorant ou paresseux, qui est entré dans la
bergerie malgré le Seigneur, et qui n'est
venu que pour voler, pour égorger et pour
perdre le trou|)eau dont il s'est fait le chef
par une criminelle nsurpalion. Prenez garde
à ne pas tomber dans cet exirêrae malheur.
Mais afin d'être de dignes pasteurs, des
ouvriers qui ne fassent rien dont ils aient
sujet de rougir, des ouvriers qui, sadiant
dispenser la parole de vérité (Il Tim., Il, 15),
travaillez tous les jours à croître en science,
en sagftsse et en piéié. Après avoir été de
fidèles ministres, vous aurez le bonheur de
régner éternellement avec le Prince dce
pasteurs.
DISCOURS XII.
DU DÉSINTÉRESSEMENT.
Il serait à souhaiter que les ministres du
Seigneur eussent toujours présentes ces
paroles que l'Eglise nous met à la bouche,
dès le moment que nous commençons à
nous consacrer 5 Dieu dans l'état ecclésias-
tique. Le Seigneur, disons-nous, est la por-
tion de mon héritage, et de mon calice. C'e$t
vous, ô mon Dieu ! qui me rendrez mon héri-
tage. {Psal. XV, 5.) Par là nous proleston»
qu'en nous donnant à Dieu nous n'avons
qu'une seule vue qui est de le servir. Par
là nous protestons que nous n'attendons
qu'une seule récompense, qui est celle que
Dieu par sa bonté infinie prépare à ceux qui
Je servent avec fidélité.
Nous avons tous prononcé ces paroles :
Dominus pars, etc.; mais la diflicullé est de
savoir si elles étaient dans noire cœur ,
lorsque notre bouche les a prononcées. Com-
bien y en a-t-il qui trahissent Dieu dès le
moment qu'ils commencent à se donner à
lui ? Le Seigneur n'est point la ()ortion de
leur héritage. Ce n'est point le Seigneur
qu'ils cherchent. Le ressort qui les fait
agir, la fin qui les pousse et qui les déter-
mine, c'est l'honneur ou le profit qu'ils pré-
tendent rencontrer dans l'étal ecclésiastique.
Fin malheuieuse, désagréable à Dieu, et qui
allire sa colère sur tous ceux (jui, pour s'en-
gager dans un emploi si noble, se détermi-
nent ()ar un motif si bas.
' Mon dessein dans ce discours est de vous
donner horreur d'iuie conduite si criminelle,
et pour cela je vous ferai voir la vériiablo
idée que l'on doit avoir de ceux qui s'en-
gagent dans l'Eglise par le motif sordide de
I intérêt.
Pour vous les bien faire connaître, j'élablis
trois propositions qui feront le sujet des
trois parties de ce discours. Dans la première
vous verrez que ceux qui se font ecclé-
siastiques par iiilérôt sont des ministres té-
méraires qui entrent contre la volonté du
souverain maître. Dans la seconde je vous
montrerai que ce sont des mmistres inutile.-,
qui lie suiil puait i)ropie£ aux fouclioiis Ue
4151
OUATKURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
liai
leur élat. Dans la troisième je vous ferni
voir que ce sont des miiiislrcs scandaleux,
qui déshonorent i(Mjr ruinislère, et qui dé-
truisent au lieu d'édiiier,
PREMIER POINT.
Le Fils de Dieu nous a marqué sa volonté
on plusieurs endroits de l'Ecriture. Si nous
les consultons, nous serons convaincus que
ceux qui sont attachés à leur intérêt ne doi-
vent jioint se mettre au rang de ses minis-
tres.
Disons plus, l'attachement à ses intérêts
est contraire à l'esprit du chrislianisme, et
ceux qui sont infectés de ce vice, bien éloi-
Knés de pouvoir approcher du sanctuaire,
sont indignes du nom de chrétien.
Voici dans quelle (lis|)ositiori le Fils do
Dieu veut que soient non-seulement les mi-
nistres et les pasteurs de son troupeau ,
mais encore tous ceux qui se donnent h lui
et qui le reconnaissent pour maître : Qui-
conque d'entre vous ne renonce pas à tout ce
qu'il a ne peut être mon disciple. ( Luc.,
XIV, 33.)
Quiconque ne renonce pas. ha loi est gé-
nérale et n'excepte personne. Quiconque ne
renonce pas à tout ce qu'il a. La loi est en-
core générale en ce qu'elle nous oblige de
renoncer <'i tout ce que nous avons. Quicon-
que ne renonce pas à tout ce qu'il a ne peut
dire mon disciple. Il s'agit d'ôire disciple de
Jésus-Christ, cl cet auguste nom n'ûppar-
lient qu'à ceux qui renoncent généralement
à tous les biens qu'ils possèdent.
Je sais qu'il no s'agit |)as ici d'un renon-
cement actuel, que l'on peut bénir Dieu en
se servant des biens que sa main libérale
a déposés entre nos mains; mais je sais aussi
cpiedans ces paroles Jesus-Christ demande
an moins un retioncement de cœur, et rien
n'csi plus op|»osé à ce renoncement de cœur
que l'attachement à ses intérêts que j'ai
maintenant à combattre.
Tout chrétien n'esl-il pas obligé d'avoir
la charité ? Saint Paul n'a t-il pas prononcé
que tout homme qui n'a point cette impor-
tante vertu n'est rien (I Cor., XIII, 2.), quand
bien n.ôme il se signalerait par des miracles
éclalanls? Or, mes irères, le même Apôtre,
•■n nous décrivant les caractères essentiels
de la charité, marque très-expressément
que la charité ne cherche point ses intéi êts.
[Ibid. 5) Celui-là donc qui cherche ses in-
térêts n'a point la charité, et par conséquent
il n'est rien, et par conséquent il n'est
point chrétien. Comment pourra-l-il deve-
nir le conducteur des autres, puisqu'il a
besoin d'un maître qui lui ap|!renne les
premiers éléments de la vie chrétienne ?
Jésus-Christ s'e?t encore déclaré claire-
ment contre cet attachement à ses intérêts,
quand il a nuirqué en tant d'endroits de
l'Evangile, qu'il veut que ses disciples ne
se mettent |)oint en peine d'acquérir les
biens de ce monde. Vous savez tous com-
ment il a parlé dans le sermon sur la mon-
tagne. Il y combat surtout les inquiétudes,
les embarras, les veines pouisiiilcs de ces
hommes torreslres, qni oublient qu'ils otil
une Ame. et qui se conduisent comme s'ils
devaient toujours demeurer swr la terre.
Ne vous mettez point en peine [Matth., VI,
32), dit Jésus-Christ : celui qui est attaché h
ses intérêts n'est-il pas dans des inquiétudes
continuelles?
Ce sont les païens, ajoute le Sauveur, çiu
recherchent toutes ces ctioscs. Il ne dit pas ce
SDUt les païens qui usent de ces choses ;
mais il dil : Ce sont les païens qui recher-
chent ces choses. Il y a bien de la différence
entre se servir des biens de ce monde et
les rechercher. Jésus Christ n'a point pré-
tendu condamner ceux (]ui, se trouvant er>
possession des biens de la terre, les dis-
pensent comme dos économes fidèles. Mais
il a condamné ceux qui recherchent, c'est-
à-dire ceux qui aiment les biens de ce mon-
de, qui s'en occupent, qui, n'étant jamais
satislails de ce qu'ils ont, inventent sans
cesse de nouveaux moyens d'acquérir des
richesses.
La ditTérence qui se trouve entre un
homme qui aime les biens de ce monde
et un homme qui n'y met point son cœur,
se sent plutôt qu'elle ne s'explique. Mais
il est certain que cet amour criminel se
rencontre particulièrement dans ceux qui
sont attachés à leur intérêt. Observez com-
ment le Fils do Dieu condamne ceux qui re-
cherchent les choses do ce monde. Il les
traite de païens. Voilà donc ceux qui sont
attachés à leur intérêt comparés à des païens
par le Sauveur du monde; seront-ils encore
après cela assez téméraires pour vouloir
être les ministres de celui qui les mé-
[irise jusqu'à les mettre au rang des
païens.
Vous n aurez pas de peine à concevoir
que Jésus-Christ ne peut souffrir dans ses
ministres des atlachemenls qu'il condam-
ne dans tous les chrétiens, comme je viens
de vous le faire voir. Néanmoins l'ira-
jjortance de la matière demande que je
vous explique comment notre Sauveur a
parlé, lorscju'il a choisi les j)remierr>
minisires de son Evangile. Remarquez
bien les dispositions dans lesquelles il a
voulu (ju'ils fussent à l'égard des biens do
ce monde.
La vocation des apôtres nous est décrite
dans l'Evangile. Il est marqué que le Fils do
Dieu, après les avoir choisis, leur fit un ex-
cellent discours. C'est là qu'il leur explique
ses intentions. C'est là qu'il parle non-
seulement à ses apôtres, mais encore à
idus ceux qui, dans la suite des siècles,
devaient remplir lenr place. Méditons
attentivement la parole de notre maître.
Nous apprendrons quelle est sa volonté, et
les dispositions qu'il demande dans ses
ministres.
A peine Jésus-Christ a-t-il parlé, à peine
a-t-il marqué ceux à qui il voulait que
l'Evangile fût annoncé, qu'il commence à
expliquer la manière généreuse dont il
prétendait que ses disciples en usassent
lorsfiu'ilj exerçaient les fonctions sacrées de
1153
ni: TRAITE ICCCLES.
DESINTEKESSEMENT.
1154
leur niinislùre. licndez, ItMir dil-il, la snnlé
aux malades, ressuscitez les morts, guérissez
les lépreux, chassez les démons, donnez gra-
tuilemenl ce que vous avez reçu gratuitement.
(Matth., X, 8, 9.)
Il dil :'! SOS apôlres qu'ils ontrocu gratui-
lomenl lous les grands pouvoirs par le
mo.yen (les(|uels ils allaient allirer l'estioio
et l'admiration des peuples. Il était néces-
saire do bien imprimer dans leur cœurcelte
vérité, alin qu'ils ne fussent pas assoz mal-
heureux pour se laisser éblouir à l'éclat de
celle grande puissance «lue le Fils de Dieu
venait do leur communiquer.
En second lien, en les faisant ressouvenir
qu'ils ont r( çu lous leurs pouvoirs, il leur
fait voir qu'ils doivent les exercer suivant
les desseins du souverain maître qui leur a
tout donné.
Il ajoute expressément qu'ils ont reçu
gratuilement, afin do leur montrer qu'il
n'exigeait rien d'eux qui ne fût juste et
raisonnable, quand il hMir orJonn.iit de don-
ner gratuitement ce qu'ils avaient reçu gra-
luitement.
Si vous avez l'honneur de devenir minis-
tres de Jésiis-ChrisI, il vous comrauniiiuera
les grands pouvoirs qu'il a donnés à ses
apôtres. Je dis les grands f)ouvoirs, car la
puissance de rendre la santé aux malades,
de ressusciter les morts, de guérir les lé-
preux , ce n'est pas là ce que j'appelle les
grands pouvoirs. Ces pouvoirs sont grands
aux yeux des Ijonimès qui se repaissent de
ce qui est extérieur et de ce qui éclate. La
puissance de rendre la santé à ceux qui
sont malades de la maladie du péché, de
ressusciter les pécheurs à qui le |)éché avait
donné la mort, de guérir la lèpre de l'âme,
de chasser le démon qui règne in visiblement
dans un si grand nombre de pécheurs , voi-
là ce que j'appelle les grands pouvoirs des
a;)ôlres; et ce sont ceux là que Jésus-Christ
communique encore aujourd'hui à ceux
qu'il api)elleau uiinislère de l'Evangile.
Mais n'est-il pas vrai qu'il communique
encore tous ces pouvoirs gratuilement. Il
peut donc vous dire aussi bien qu'à ses
apôlres que vous avez reçu gratuitement ,
et quand il exigera de vous que vous don-
niez gratuitement il ne vous demandera rien
qui ne soit conforme aux lois de la justice.
Il le dit encore aujourd'hui à tous ses mi-
nistres et à tous les [lasteurs, n'en doutez
pas : Donnez gratuitement ce que vous avez
reçu gratuitement.
Je ne conteste pas que vous ne puissiez
vivre de l'autel, que vous ne puissiez re-
cueillir des biens temporels oii vous avez
semé les biens spirituels. Je p.'-étends néan-
moins que vous devez doinier gratuilement,
parce que vous ne devez point raellre de
différence entre le riche et le pauvre. Vous
êtes redevables de votre ministère à tous;
vous vous perdez, si les intérêts; temporels
sont la mesure de votre zèle. Quand vous
recevrez quelque récompense , il faut que
ce soit d'une manière si généreuse que
celui qui vous la donne soil convaincu que
ce n'est pas là le motif qui vous fait agir; il
faut que cette générosité paraisse dans
toute votre conduite, que lous ceux (jui
l'observent soient pleinement persuadés que
les biens de la terre ne sont pas l'objet de
vos désirs: il faut que l'honneur-de servir lo
plus puissant de tous les maîtres vous soil
jtlus précieux que toutes les récompenses
temporelles.
Jésus-Christ a tellement à cœin' que les
apôtres paraissent di'sintérossés, qu'il leur
défend de posséder aucun bien. Ncpossédez
point , leur tlil-il , de l'or, de l'argent , ou
quelque autre monnaie que ce soit ; ne préparez
pour le chemin ni sac , ni deux habits , ni sou-
liers , ni bâton. [Mutth., X, 4.)
Je veux <|ue Jésus-Christ no vous endoman-
de pas tant. Cependant vous voyez dans ces
enseignements qu'il a donnés à ses apôlres
quel est l'esprit devolre maître. Vous voyez
qu'il ne se pique point d'avoir des ministres
qui soient riches, qui soutiennent leur di-
gnité par l'éclat et la [lompe ; au contraire
la pauvreté lui plaît exlrômement dans ceux
qui ont l'honneur de prêcher son Evan-
gile.
Voulez- vous apprendre quelle est la vé-
ritable noblesse, c'est d'êlre enfant dePieu,
c'est d'être membre de Jésus-Christ. C'est
de celte noblesse dont vous devez vous glo-
ritier ; c'est celte noblesse que vous devez
être particulièrement appliqués à soutenir.
Vous la soutiendrez par un grand désir des
biens infinis qui vous sont promis , et par
un grand détachement des biens trompeurs
de ce monde. Les vraies richesses que vous
devez estimer , que vous devez rechercher,
que vous devez amasser, ce sont les vertus
de votre état. Un ecclésiastique est riche
quand il est modeste , zélé, patient , désiri-
léressé, compatissant, ferme, généreux,
intrépide. Il est dans la pauvreté, il n'a
point les biens de ce monde, mais c'est
|)arce qu'il n'a rien que, selon le témoignage
de saint Paul, il possède tout. (II Cor., VI ,
10.)
Vous voulez être ministres du Dieu vi-
vant,ne devez-vous pas chercherjles moyens
de lui plaire, puisque vous formez le des-
sein de vous consacrera son service ? Soyez
jiersuadés que plus vous aurez d'indill'é-
renco et do mépris pour les biens de ce
monde, plus vous trouverez accès auprès de
ce maître, plus vous entrerez dans son esprit
et dans ses desseins, plus vous approche-
rez des premiers apôtres. Jésus-Christ no
les a élevés à une si grande porteclion
qu'atin do nous faire voir ot. nous devons
tendre, et les rejiroches que nous devons
nous faire , quand nous faisons réflexion
que nous sommes si éloignés de la vertu de
ceux dont nous leiions les places.
Jésus-Christ ne vous en demnndo pas au-
tant (ju'à ses apôtres, je veux bien en de-
meurer d'accord ; mais aussi quelle con-
fusion pour vous, si le Sauveurdes honnnes
ayant la bonté de se restreindre en votre
faveur, vous ne salisl'ailes pas à vos obliga-
1155
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
Ilfi6
lions, qui sont de voire aveu beaucoup
moindres que celles desapôires.
Ces fidèles ministres ont exécuté à la
lettre jusqu'aux moindres ordonnances de
leur divin maître. Us n'ont possédé ni or,
ni argent, vous le savez. Pouvez-vous nier
que Jésus-Clirist n'exige de vous au moins
que vous soyez désintéressé dans votre mi-
nistère? Pouvez-vous nier qu'il n'exige de
vous un détachement assez parfait, pour
qu'il soit vrai de dire qu'il est Id portion de
votre héritage?
Lisez les écrits des apôtres, et apprenez
d'eux les dispositions essentielles à relui
qui veut se consacrer au service de Dieu.
Saint Paul enfiùt l'énumération dans la pre-
mière à Timoihée et dans l'Epître à Tite.
Daus l'une et dans l'autre Epître il marque
le désintéressement comme une qualité ab-
solument nécessaire dans celui qui songe
à se consacrer au service des autels. Il faut
qu'un évéqiie, un prêtre soil irrépréhensible,
qu'il soit désintéressé. (1 ï'tm., Hl, 23.)
// faut. L'Apôtre parle donc des disposi-
tions essentielles et obsolument nécessaires
dans l'Epître à Tite : Choisissez celui qui
sera irréprochable, et qui ne sera point porté
à un gain honteux, {l'it. \,1.) C'est-îi-diro
choisissez celui qui a ces trois disposiliotis,
et ne choisissez que celui qui a ces dispo-
tions.
C'est donc h vous d'examiner vos motifs.
Voyez sérieusement devant Dieu vos inten-
tions. Est-ce le zèle de servir Dieu et le
prochain qui vous fait agir? Vous ne pou-
vez douter que ceux qui entrent dans l'état
ecclésiastique par un motif d'intérêt ne
soient des ministres téméraires qui veulent
se consacrer au service du Soigneur contre
sa volonté. J'ai encore à vous faire voir
que ce sont des minisires inutiles, qui ne
sont point propres aux fonctions de leur
état.
SECOND POINT.
Ceux qui se font ecclésiastiques poussés
pur des intérêts humains sont des ministres
inutiles; car si nous examinons de près
leur conduite, nous verrons qu'il y en a un
très-grand nombre qui sont oisifs, et qui
ne rendent aucun service à l'Eglise. Ceux
qui sont dans l'emploi et qui ne peuvent se
dispenser de faire quelques fondions s'en
acquittent d'une manière très-indigne. Us
sont donc inutiles, ou bien par oisiveté, ou
bien par incapacité.
Ceux qui entrent dans l'état ecclésiastique
par un motif d'intérêt n'ont pas tous le
ujêm« dessein et ne gardent pas toujours
la même conduite. Il y en a qui se propo-
sent de vivre doucement, de jouir tranquil-
lement des revenus ecclésiastiques : ils
passent toute leur vie sans exercer aucune
fonction, et sans rendre aucun service è
l'Eglise.
Cette malheureuse espèce d'ecclésiastiques
oisifs, qui était inconnue dans les premiers
siècles, a paru depuis qu'il y a eu des béné-
fices que l'on appelle simples, parce que
l'on prétend que ces bénéfices n'obligent
ni à la résidence, ni à aucun exercice des
fonctions ecclésiastiques.
Il y en a d'autres qui n'ont pas les inten-
tions plus pures que les premiers, mais
comme ils n'ont pas le crédit de pouvoir
obtenir les bénéfices simples, qui sonttrès-
rechorchés dans ce siècle, ils se résolvent
<i entrer dans les bénéfices qui obligent à
exercer les fonctions ecclésiastiques.
Tous ces ministres intéressés regardent
l'étal ecclésiastique comme un abri. Us y
entrent ou par paresse ou parce qu'ils se
reconnaissent incapables d'aucun autre em-
ploi, ou enfin parce qu'ils espèrent vivre
plus commodément dans cet état que dans
aucun autre. Us ont cela de commun que
c'est le motif honteux de l'intérêt qui le.^
guide et qui les conduit.
Pour les confondre et leur faire voir lo
péril de leur état, montrons, premièrement^
que c'est un état Irès-dangereux que de
jouir des revenus ecclésiastiques et ne ren-
dre aucun service à l'Eglise. Montrons, en
second lieu, que tous ceux à qui leurs inté-
rêts sont chers, se conduisent très-mal dans
l'exercice de leurs fonctions, et ne sont
propres en aucune manière à s'en bien ac-
quitter.
Vous êtes ecclésiastique, l'Eglise vous
nourrit, vous jouissez môme d'un revenu
considérable (car il arrive souvent que les
ministres oisil's sont les mieux récompen-
sés), et de propos délibéré vous formez le
dessein de passer votre vie sans travailler
pour l'Eglise.
Ne sulfirait-il point pour vous confondre
et [)Our vous faire connaître que votre état
est très-[)érilleux , de vous proposer ces
paroles de saint Paul : Nous vous décla-
rons que celui qui ne veut point travailler
ne doit point manger. (Il l'hess., lil, 10.)
iVoM5 vous déclarons. C'est un apôtre qui
vous le déclare, nous vous déclarons que ce-
lui qui ne veut point travailler. Voilà votre
hyt)oihèse, voilà votre ét<it, voilà uneiraage
dans laquelle vous devez vous reconnaître.
Nous vous déclarons, etc. Cependant vous
ne Voulez point travailler et vous voulez
manger, et vous voulez vous engraisser des
revenus ecclésiastiques.
Il est vrai que saint Paul a dit, et ces
passages ne sont que trop connus par un
grand nombre d'ecclésiastiques qui en abu-
sent, que l'on ne va point à la guerre à ses
dépens, que celui qui plante une vigne en doit
manger le fruit, que le pasteur mange du lait
du troupeau, (i Cor., VU, 3.) Il est vrai que
saint Paul a dit que la bouche ne doit point
être liée au bœuf qui foule les grains ) (1 Cor.,
IX.,i).)Et saint Paul par toutes ces figures
voulait marquer que ceux qui annoncent
r Evangile peuvent vivre de l'Evangile. {Ibid.,
i'*.) Mais irouvera-t-on dans saint Panique
l'on doit payer la solde au soldat qui no va
point à la guerre, que celui qui n'a point
planté la vigne en |)eut manger le triiit,
(jue celui qui n'a point soin du Iroujieau
en peut manger le lait? Où trouvera-t-on
ii'ol
RF.TR.VITE ECCLES. —
dans snint Paul que celui qui n'annonrp
poinl l'Kvaiigile peut vivre de rKvingiie?
Il n'y 0 point d'erreur plus pernicieuse et
plus Intolérable que de vouloir faire passer
on maxime qu'on peut jouir d'un gros
revenu et ne rendre aucun service h l'E-
glise.
Mais c'est un bénéfice simple. Je le veux.
Que s'ensuit-il de là? que les hommes ne
peuvent point vous obliger à faire des fonc-
tions ecclésiastiques. iMais parce que vous
n'êtes pas obligés devant les liornmes ,
croyez-vous en être légitimement disjiensés
devant Dieu? Ce non) de bénétice simple
nouvellement inventé peut-il renverser les
maximes les plus saintes de la religion?
Croiriez-vous faire une œuvre de suréroga-
{ion, quand vous iriez de temps en tem[)s
dans votre bénétice instruire les ignoranls,
vous informer des besoins dos pauvres,
animer les ecclésiastiques <i remplir leurs
devoirs? N'y a-t-il pas cent occasions qui
se présentent tous les jours de travailler
pour l'Eglise, et si vous n'en embrassez
aucune, croyez-vous que Dieu vous traitera
avec la moine facilité que les hommes?
Croyez-vous qu'il autorisera les maximes
auxquelles la mollesse et l'avarice des ecclé-
siastiques ont voulu donner cours sans au-
cun fondement?
Il y en a même qui, étant chargés par
leurs bénéfices de plusieurs fondions im-
portantes, s'en dispensent et se reposent
sur d'autres de tout ce qu'il y a de pénible
dans leur enq)loi. lis distinguent dans le
bénéfice, ce qui est honorable, ce qui est
profitable et ce qui est pénible. Ils acceptent
l'honneur, ils acceptent le profit; pour ce
qui est du fardeau, l'ombre seule les etfiaye
et ils s'en déchargent entièrement sur d'au-
tres.
Saint Augustin déplore ce désordre dans
une de ses lettres, et voici comment il s'en
exj'lique : Il n'y a rien de plus agréable
que la dignité d'évêque, de prêtre et de
diacre, ni de jilus doux et de plus aisé que
d'en exercer les fonctions, quand on veut
faire les choses avec négligence et flatler
les hommes dans leurs désordres. Aussi
n'y a-t-il rien de plus malheureux, de plus
jiernicieux et de plus damnable devant
Dieu (186).
Y fait-on réflexion? C'est se damner,
c'est se perdre que de vouloir seulement
goûter les douceurs qui se rer:contrent dans
ïvs dignités ecclésiaslii^ues. C'est su >iam-
)ier, c est se perdre que de vouloir rendre
aisées et faciles toutes les fonctions qui
sont attachées aux dignités ecclésiasti-
ques.Saint Augustin continue : Il n'y a rien
de plus saint, de plus heureux devant
Dieu, mais en môrnu temps de [ilus péni-
ble que les fonctions de ces mêmes digni-
tés quand on veut.les exercer selon la règle de
(1S6) « Nihil facilius, ei Ixlius, et liominihusac-
ccptabilius episcopi, aiii prcsibyleri, itut diaeoni
otlicio, si perlunctorie iitque adulalorie res agaliir,
seJ nilid npiid Deuin iiiiserius, et iiislius ei daiii-
iiabilius. ) (Epist. "21, nov. edri.,[:il. 1 i8.)
\ll, DESINTEllESSEMENT., Hfi8
la sainlemilice que nous professons (187).
il faut donc pour plaire à Dieu regarder
les dignités ecclésiastiques comme un far-
deau, s'en charger en tremblant. Quand on
on est une fois chargé et que l'on a sujet
de croire que l'on est appelé de Dieu, il faut
aller au péril , courir au plus dilficile , agir
par soi-même , animer les autres par son
exemple. Pour lors les dignités ecclésiasti-
ques ne paraissent plus si douces ni si dési-
rables; aussi ne le sont-elles point quand
on les examine sérieusement et que l'on n'a
pas le dessein de se tromper soi-même.
Voilà donc un grand nombre de minis-
tres inutiles, qui ne servent point l'Eglise.
Si nous examinons le motif qui les fait
agir, nous verrons que c'est leur intérêt,
et voilà |)Ourquoi j'ai prétendu que les
ministres intéressés sont des ministres in-
utiles.
Ces sortes de ministres sont si indignes
du caractère sacré qu'on ne sait ce que l'on
doit exiger d'eux. Si on les voit dans l'oi-
siveté, on se fait un rej»roche de les y lais-
ser, puisqu'il est manifeste que l'oisiveté
les perdra et sera la cause de leur damna-
tion. Ils sont d'un autre côlé si, peu pro-
pres à exercer les fonctions ecclésiasti-
(pies , qu'on ne sait si l'on doit les presser
de travailler.
Considérons maintenant un ministre qui
songe à ses intérêts dans l'exercice de ses
fonctions, et voyons s'il est en état de s'en
bien ac(|ui!ter.
Pour bien remplir les fonctions ecclé-
siastiques, il faut s'y afipliquer unique-
ment, de telle nianière (|ue l'esprit ne soit
point partagé par d'autres soins. Voilà
|)Ourquoi saint Paul dit que celui qui est
enrôlé au service de Dieu, ne s'embarrasse
point dans les affaires séculières, afin de
plaire à celui à qui il s'est donné. (Il Tim.,
11, 4.) Pour nous, disent les apôtres, nous
nous appliquerons entièrement à la prière
et à la dispensation delà parole. (.4cf.,Vl, 4.)
Un ministre intéressé est-il en état dw
donner touie son attention aux fonctions
ecclésiasti(iues? N'est-il pas certain que
son esprit, occupé des choses de la terre,
n'est guère en étal des'ap[)liquer aux cho-
ses du ciel ? Vous le voyez s'acquitter de
Ses devoirs avec mollesse et avec indilfé-
rence. Il faut quand il agit qu'il y ait quel-
que grande nécessité qui le presse. Cet
hoiiiuie saura très-bien en quoi consistent
ses revenus, qui sont ses débiteurs ; mais
demandez-lui combien il y a de pauvres
dans sa jiaroisse, en quel état sont les or-
nements do l'église ; oemandez-lui si les
erfants sont instruits, si les écoles sont en
bon ordre, cet liomme demeure muet. Il
semble que ces choses ne le regardent pas,
et qu'il n'est pas de son devoir de s'en in-
former.
(187) « Nihil in bac vila et maxime hoc tempore
diflicilius, iaboriosius, periculobius , episcopi, aul
presbyleri, aut diaconi olficio, scd apud Deuiii iiilnl
beaiius, si eo modo ni.lilelur (luo iiosler imperalor
jultel. >
1159
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT-
11 GO
Un ministre de rE;j,lise, comme jo vous
ni déj.^ dit, est débiienr h Ions, aux pau-
vres comme aux riches, aux petits comme
aux grands. Un ministre intéressé a-t-il do
i'amourpour les pauvres? Courl-il avec ar-
deur quand ce sont des pauvres qui l'aiiptl-
lent? Se fait-il un plaisir de secourir ceux
qui sont dans l'impuissance de le récom-
penser, ou de lui rendre service?
Un minisire de l'Eglise se doit considé-
rer comme le serviteur de tous ceux que
Dieu a soumis à sa conduite, c'est-à-dire
qu'il doit veiller sur eux, observer les
moyens les plus propres, observer les temps
les plus fivorables pour les porter à la
f)iété. 11 doit presser à temps, à coutre-
lemps, reprendre, supplier, menacer; il
doit surtout être dans des peines et des
alarmes continuelles, lorsqu'il voit (ians
son troupeau des brebis égarées; s'il est
fidèle pasteur, il ne passera aucune heure
de sa vie tranquillement qu'il n'ait été
chercher la brebis égarée, et qu'il ne l'ait
reconduite au bercail. Celui qui a ses inté-
rêts en vue est-il en état de se conduire
suivant ces idées et de firendro ces soins?
Les inquiétudes du siècle bannissent les
inquiétudes saintes, que lui devr.iit causer
le soin des ûmes qui lui sont contiées.
Un ministre de l'Eglise doit avoir de la
fermeté, el ne point soutfrir que l'iniquilé
prenne le dessus, quand bien môme elle
serait appuyée du crédit et de l'autorité. Sa
fermeté doit aller jusqu'à perdre la vie, si
cela est nécessaire, pour la défense <le la
vérité.
Un prôlre, dit saint Cyprien, qui tient en
main lEvangile et qui garde les préceptes
(le Jésus-Christ, peut-être mis à mort; mais
il ne peut-être vaincu (188). N'esl-il jjas
vrai (]ue l'intérêt produit ordinairement la
lâcheté? Un iriinislre intéressé abandonne
!a cause la plus juste, quand on le menace
<le la perte de ses biens, ou de la ruine de
sa fortune.
Voulez-vous que je vous fasse connaître
ceux qui sont propres à exercer les fonc-
tions ecclésiasti(pies ? Ce sont ceux qui
peuvent dire avec saint Paul : C esl vous que
ie cherche et non votre bien, puisque ce n'est
pas aux enfants à amasser des trésors pour
leur père, mais aux pères à en amasser pour
leurs enfants. (Il Cor., XII, 14.) Dans un au-
tre endroit : tiolre ministère nu point servi
de prétexte à notre avarice. Dans l'affliction
que nous ressentions pour vous, nous aurions
souhaité de vous donner non-seulement la
connaissance de l'Evangile, mais aussi notre
propre vie : ?ïous avons travaillé jour et nuit
pourn'êtreà charge àaucunde vous. (I Tliess.,
li, 8, 9.)
Pleurez donc, mes frères, quand vous
voyez un homme attaché à ses intérêts, qui
s'engage dans la milice sacrée; car vous
êtes sûrs que ce sera ou un ministre ua-
(188) iSucenlosDci Evaiigcliuni leiiens cl Chris
les>l » (Kpisi. 55.)
ressoux.qui languira dans une vie molle et
une lAclie oisiveté : ou s'il exerce quelques
fondions, ce sera avec indignité. Les mi-
nislres intéressés sont donc des ministres
inutiles, qui ne sont point propres aux fonc-
tions de leur élat. Pour vous donner en-
core plus d'horreur d'un désordre si con-
damnable, j'enlroprends de vous faire voir
que ce sont des ministres scandaleux, qui
déshonorent leur ministère, et qui détrui-
sent au lieu d'édifier.
TROISIÈME POINT.
Quoique le scandale soit une suite du vi-
ce, et que le vice offense en quelque sujet
qu'il se rencontre, il est certain néanmoins
que l'on se sent plus indigné, lorsque le
vice se glisse dans ceux qui n'ont aucun
prétexte pour le colorer, qui ont plus do
lumière, et qui sont obligés par leur étal
de corriger les autres. Voilà les trois rai-
sonsqui sont, cause que l'on est à bon droit
scandalisé, lorsque les ecclésiastiques té-
moignent de l'attachement aux biens de ce
monde. Premièrement, ilsn'ont aucun pré-
ti'xte pour colorer leur avarice.
Je sais qu'il n'y a jamais aucun prétexte
qui puisse excuser le vice. Il est vrai néan-
moins que lesjecclésiastiques, lorsqu'ils sont
attachés à leurs intérêts, sont plus condam-
nables que les autres fidèles. Tous n'ont pas
promis aussi solennellement que les ecclé-
siastiques de prendre le Seigneurpour por-
tion de leur héritage. Les pères de familles,
par exemple , sont obligés quelquefois
de faire quelque réserve, de veiller plus
exactement à la conservation de leurs droits,
parce qu'ils ont une famille nombreuse.
Mais quelle excuse peut alléguer un ecclé-
siastique qui est plus obligé que les autres
d'imiter la pauvreté de Jésus-Christ dont il
est le ministre? Un ecclésiastique qui n'est
point chargé du soin d'une famille. Malheur
à celui qui, ayant une passion désordonnée
pour ses parents, songe à les enrichir aux
dé[)ens des pauvres et do leur patrimoine.
C'est ce qui fait voir que l'esprit d'inlérôl, si
odieux dans tous les hommes, l'est encore
davantage lorsqu'il se rencontre dans les
ecclésiastiques. Un ecclésiastique ne peut
souhaiter du bien que pour deux raisons,
ou pour vivre à son aise, ou pour amasser.
Un ecclésiastique peut-il souhaiter de vivre
à son aise, lui qui doit animer les autres à
marcher dans la voie étroite? Vn ecclésias-
tique qui amasse ! de quelle couleur me
servirai-je pour dépeindre ce vice? Ce vice
qui rend un homme si odieux , que dès le
moment (ju'il en est noirci, on oublie toutes
ses bonnes qualités. On a du respect pour
les morts ; on laisse en paix leurs cendres:
on croit qu'il est injuste d'attaquer celui
qui n'est plus en élai de se défendre. .11 n'y
a que pour les ecclésiasti(|ues qui amassent
qu'on n'a [)oint ces égards: on voudrait
priïsque troubler leurs cendres, et il n'y a
ti praecepta custoilieiis occiili poiesl, vinci non po~
1161
RETRAITE ECOLES. — XII, DESINTERESSEMENT.
llGi
personne qui ne les juge indignes d'être
ensevelis avec le reste des fidèles. C'est la
première circonstance qui fait que l'on
s'offense de l'avarice des ecclésiastiques, lis
n'ont pas le moindre |)rétexle pour la colo-
rer.
En second lieu, le vice offense davantage
dans ceux que l'on suppose plus éclairés.
Or il est certain que les ecclésiastiques [)ar
leur état doivent êlre plus éclairés que les
autres. Un ec(lésiasti(]ue lit tous les jours
les saintes Ecritures où l'avarice est con-
damnée. Un ecclésiastique qui doit avoir
familières ces paroles du Sauveur : Ne vous
faites point de trésors sur la terre où il y a
des voleurs qui les déterrent et qui les déro-
bent. [Mallh., VI, 19, 20.) Un ecclésiastique
tient tous le^ jours entre ses mains Jésus-
Christ qui s'est fait pauvre pour nous enri-
chir. 11 est donc pleinement instruit parles
discours et les exemples du Sauveur. Qui ne
serait offensé de le voir tomber au milieu
de tant de lumière?
N'esl-il pas encore certain que le vice
offense davantage , quand il se rencontre
dans celui qui par son devoir et par son
ministère est obligé d'instruire les autres
et de les corriger? Notre-Seigneur dit dans
l'Evangile que les pasteurs sont le sel de la
terre, qu'ils sont la lumière du monde. Si le
selperd sa force, avec quoisalerat-on ?{Matth.,
V, 13.j Si la lumière est obscurcie, qui éclai-
rera ceux qui sonl dans les ténèbres?
LtiS pasteurs sont continuellement obli-
gés, par le devoir de leur charge, de mon-
trer aux hommes le néant des choses de la
terre ; ils doivent faire toutes sortes d'efforts
pour les détacher de ces soi tes de biens ; ils
doivent leur faire voir, selon la parole du
Sauveur, que leur cœur est où est leur trésor
(Matth., VI, 21], et qu'ainsi s'ils se font des
trésors sur la terre, c'est une preuve cer-
taine que leur coeur est plein d'amour pour
les choses de la terre. Ces instructions sont-
elles bien reçues quand elles sont [)ronon-
cées par un homme dont on connaît le cœur
et la conduite intéressée ?
Lorsqu'un ministre de l'Eglise que l'on
sait êlre intéressé prêche sur le néant et le
mépris que l'on doit faire des biens de ce
monde, peul-on s'empêcher de lui diredaiis
son cœur : Je te juge par ta bouche, méchant
serviteur. [Luc, XIX, 22.)
Nous le voyons par expérience : les dis-
coura des ecclésiastiques intéressés ne font
aucune impression. Leur exemple détruit
te que leurs paroles établissent. Il est bien
didicile de se laisser persuader par les dis-
cours d'un homme dont la conduite attire
le mépris.
Voilà pourquoi saint Paul veut surtout
que les ministres de l'Eglise prennent garde
qu'il n'y ail rien en eux qui les fasse mé-
priser. Saint Paul donne cet avis h tous les
ministres de l'iiglise dans la personne de
Timothée et de Tite: Faites en sorte, leur
(189) < Devoraiil populumquisuacommoda ex illo
capiiint, non lerereiack luinisteriuin suuiii ad glo-
OaATEURâ SACRÉS. LXVlll.
dit-il, que personne ne vous puisse mépriser.
(1 Tim., IV, 12, 38; Tit., 11,15} Il n'y a
point de vice (lui inspire plus de mépris
pour un ecclésiastique (jue de le voir atta-
ché uses inti^rêts. Pourquoi cela? C'est qu'on
ne peut souUVir que celui qui est obligé par
le devoir de son état de faire aux autres des
reraontrancps salutaires, soit plus crimi-
nel que ceux qu'il doit édiiier par son
exemple, avant que de les instruire par ses
paroles.
Je vous ai fait voir que les ministres in-
téressés sont des téméraires qui entrent
au service du Père de famille contre sa vo-
lonté. Ce sont des ministres inutiles, qui ne
sont point propres aux fonctions de leur
état. Ce sont des ministres scandaleux, qui
déshonorent leur ministère, et qui détrui-
sent au lieu d'édifier.
Cependant il faut le confesser en pleurant.
Celle triste vérité frappe trop ouvertement
les yeux pour pouvoir être dissimulée. Saint
Paul se plaignait de son temps que tous
cherchaient leur intérêt. (/*/i«7tp., II,21.)Nous
avons encore bien i)lus de sujet de nous
en plaindre que ce grand Apôtre.
Mettons premièrement au rang des minis-
tres intéressés ceux qui se font ecclésiasti-
ques par intérêt, dans la vue d'un bénéfice,
dans l'espérance de vivre plus commodé-
ment. J'en ai déjà parlé.
Mettons en second lieu au rang des mi-
nistres intéressés ceux qui ont toujours en
vue de s'élever et de devenir plus riches.
Ces ministres lâches ne travaillent jamais,
parce qu'ils se considèrent comme dans un
lieu de passage. Us n'entendent jamais par-
ler d'un emploi plus honorable que le leur,
d'un bénéfice d'un plus grand revenu, que
leurs désirs ne soient puissamment excités.
Le bien qu'ils pourraient faire dans le lieu
qu'ils occupent ne les touche point. Ce sont
des [)asleur's dénaturés, qui n'ont aucune
tendresse pour leurs ouailles. Ils les aban-
donneront sans hésiter, aussilôt qu'on leur
proposera un emploi qui les flattera davan-
tage. Us sont de ceux dont le Proj)hèie a
jiarlé, quand il a dit : Ils dévorent mon peu-
pie, comme s'ils mangeaient un morceau de
pain. {Psal. Xlli, 4.) Ceux-là , selon saint
Augustin, dévorent le peuple qui recher-
chent les commodités temporelles , qui
dans l'exercice de leurs fonctions no se pro-
posent point la gloire de Dieu et le salut
des ûujes dont ils sont chargés (189).
Voici une troisièuie espèce de ministres
intéressés, qui nous est découverte par saint
Paul et qui e^t très-abominable. (I Tim., VI, 5.)
Ce sont des gens qui s'imaginent que la |)iélé
doi t leur servir de moyen pour s'»4ni.Jiir. G eus
détestables (jui regardent lu leigion comme
un métier et comme un négoce. Us prient,
ils enseignent quand ils espèrent du profit.
Us sont muets, ils sont oisifs, et croiraient
leur peine perdue , s'ils travaillaient en
secret, et n'étant vustjue de Dieu. Celui-là,
riani Dei, et eoruia quibus iiruisunl, saiulem. )
[In psal. Xlll.)
37
ii;3
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1164
(lit saint Augustin, qui n'étant pas rontenl
de ce qui lui est dû légitimement, fait des
trafics, vend les prières, recherche des pré-
sents, est indigne du nom de clerc (190).
Vous on verrez qui sont assez lâches pour
rendre (191) des déférences contre l'honneur
de leur caractère , selon qu il est utile pour
leur intérêt. Vous en verrez qui enseigneront
par un intérêt honteux ce qu'on ne doit pas
enseigner. Vous en verrez qui régleront leurs
sentiments suivant la mode, toujours prAts
à en changer, lorsque cela est nécessaire
pour l'établissement de leur fortune. N'y en
aurait-il point d'aussi lâches (192) que ce
malheureux Ecebole dont il est parlé dans
V Histoire ecclésiastique? Cet homme accom-
modant sa religion aux volontés des princes,
on changea jusqu'à (rois fois sous le règne
(it'S trois empereurs.
Qui ne s'élèverait contre ces hommes
avides qui dans le tribunal même de la pé-
nitence conservent cetespril sordide et inté-
ressé, si opposé à la qualité déjuge? Ils ne
seront point honteux d'ordonner des péni-
tences à leur profit. Par des vues d'intérêts,
ils auront de molles complaisances pour leur
pénitents, et ils les laisseronlàdans dès ha-
bitudes invétérées.
Il n'y a point de fonction qui demande
un plus grand désintéressement que l'admi-
nistration du sacrement de pénitence. A
quoi ne s'expose point un juge qui aime
les présents, qui les recherche, qui ose
même en demander? Tenez pour maxime ,
si vous le pouvez, de ne recevoir jamais
aucun présent de vos pénitents. C'est le
moyen de conserver voire autorité. Le Sage
dit que les présents et les dons aveuglent les
yeux des juges, et quils sont comme un mors
dans leur bouche qui les rend muets , et les
empêche de châtier. [Eccli., XX, 31.) Les pré-
sents aveuglent. V^ous avez besoin de toutes
vos lumières , quand vous êtes assis dans le
t'ribunal pour juger les pécheurs. Craignez
donc les présents, puisque leur effet est
d'avetigler.Le Sage ajoute quo /es pr^senïs ren-
dent mue^s et empêchent de châtier. Nouvelle
raison pour redouter les présents , puisque
vous devez [larler avec une entière liberté,
puisque vous devez être armé contre le pé-
ché, et que vous ne pouvez disposer le |)é-
cheurà en recevoir la rémission qu'en pro-
nonçant contre lui une rigoureuse sentence,
j)ar laquelle vous l'obligiez à se châtier
d'une manière proportionnée à lénormité
de son péché.
Que voire circonspection soit entière et
qu'elle aille jusqu'à ne vous point rendre
les dépositaires des aumônes de vos péni-
tents, à moins qu'ils ne vous y contraignent.
En cette matière il ne suffit pas d'être inno-
cent, il ne faut pas môme être suspect.
(190) « Si non coiilentus slipeniliis fiieril, q use de
&Uario Domino jubenle consequilur, scd exercet nier-
ciinoiiia, inltrcessioncs vendit, hic negotiator aia-
gis poirst viileri quaui clericus. j (App. 82, al. 19, De
verbi's Doinini.)
(191) Jud. 46; Tit. I, H,
(19^2) Soci-., /i<^(., lib. m, €. 15.
Saint Paul voulait, lorsqu'il distribuait des
aumônfts, avoir un témoin, a/în, dit cet
Apôtre, que Von ne puisse jamais nous faire
aucun reproche sur ce sujet. (I Cor., VUI, 20.)
Je mets en quatrième lieu au rang des
ministres intéressés ceux qui exigent leurs
droits avec trop de rigueur, qui ne veulent
pas se relâcher pour quelque cause que ce
soit ; qui entendent , sans en être émus, les
plaintes et les murmures que l'on fait sur la
dureté de leur conduite.
Ce sont mes droits, me dites-vous , je le
veux. Mais ceux à qui vous les demandez
sont des pauvres à qui vous êtes obligés de
faire l'aumône. Ce sont vos droits, mais
saint Paul n'a-t-il pas dit qu'il n'est point
à propos défaire tout ce qui est permis?
(ICor., VI, 12.) Saint Paul n'a-l-il pas dit
qu'il ne mangerait jamais de viande si son
frère est scandalisé? (1 Cor., VIII, 13.) Ce sont
vos droits. Et les pouvez-vous exiger lorsque
vous scandalisez votre frère par une con-
duite trop sévère et trop exacte ?
Si vous étiez de fidèles ministres, vous
devriez être dans la disposition de quitter
vos emplois, vos bénéfices et vos dignités,
si cela était nécessaire, pour l'utilité de vos
frères. C'est l'exemple que vous donnent
ces saints évoques, qui au temps de la con-
férence de Carthage protestèrent hautement
qu'ils étaient prêts de quitter l'épiscopat, si
cela pouvait servir à faire rentrer les dona-
tistes dans le sein de l'Eglise. Ecoutez les
paroles de ces évêques généreux : Nous
sommes évêques pour le peuple. Si nous
sommes de bons serviteurs, nous devons
préférer le profit du maître et un profit qui
est permanent à nos dignités temporelles.
Nous tirerons plus de fruit de l'épiscopat
en le quittant, si par là le troupeau de
Jésus-Christ se réunit, cjue nous n'en tire-
rons en le conservant, si l'attache que nous
y aurions empêchait la réunion (193).
Je n'aurais jamaisfait si je voulais décrire
ici toutes les lâchetés que l'ambition et l'ava-
rice font faire à plusieurs ecclésiastiques ,
lorsque ces passions se sont une fois empa-
rées de leur cœur : les brigues, les inquié-
tudes , les jalousies , les faux rapports , les
duplicités, les flatteries, les bassesses. Car
l'amour du bien, comme saint Paul nous en
iissure, est la racine de tous les maux. (I
Tim., VI , 10.) Sont-ce là des ministres dm
Jésus-Christ, ou plutôt ne sont-ce pas des
ministres de Satan qui se transforment en
anges de lumière pour tromper les hommes.
(Il Cor., XI, 15.)
Mes frères, délestez un vice auquel vous
avez renoncé, lorsque vous avez protesté
que vous choisissiez le Seigneur pour être
la portion de votre héritage. Saint Paul
assure que la gloire d'un uiinislre du Sei-
(195) « Episcopi propier clirislianos populos or-
dinaniur. Si st^rvi ntiles sumus, cur Dunnniœleriiis
Incris pro iioslris lenipoialibus sublimiiaiibiis invi-
deiuus. Episcopalis digniias IVuciuosior nobis erii,
si'gregeni Chrisli depo,-.iia m;igis coliegerii quam
retcnla disperse; il.» (Ep:st. VIH.)
«r»
RETRAITE ECCL - XIII, RON FAKMPLE.
IIGC
pneur, c'est d'ôlre désinléressé (I Cor., IX,
15) , et qu'il aime mieux mourir que de ja-
mais perdre celte gloire. Mes frères, c'est
là voire gloire.
Que les mondains se glorifient de leurs
richesses et de leurs honneurs. Glorifiez-
vous de servir Jésus-Christ, et de ne servir
que lui seul. Il faut que cette gloire soit
bien précieuse, jiuisque saint Paul assure
qu'elle lui est aussi chère que sa vie. Y a-
t-ii rien de plus noble que la condition d'un
ecclésiastique , qui n'espère rien , qui ne
fiiit point sa cour aux hommes, qui ne
songe à plaire qu'à Dieu seul, qui exerce
son ministère avec liberté, à qui toutes les
puissances de la terre n'imposeraient pas
silence, quand il est nécessaire de parler
pour la défense de la vérité. Voilà ce qui
s'appelle êlre libre rfe la liberté que Jésus-
Ciirist nous a acquise. {Galat., IV, 31.)
En renonçanl ainsi à ses intérêts, on ne
perd rien. On attend tout de Jésus-Christ
qui récompense les hommes plus magnifi-
quement que ne pourraient faire toutes les
puissancos de la terre. Le Fiis de Dieu ne
luériie-t-il pas qu'on le serv« pour l'amour
de lui-même ? Vous défiez-vous de ses pro-
messes? Vous défiez-vous de sa puissance?
Servir Jésus-Christ, c'est régner ; car toutes
les couroniius de la terre ne sont riun en
comparaison de l'honneur qui est attaché
au service de Jésus-Christ. De tous ses ser-
viteurs, il en fera autant de rois, lorsqu'il
les couronnera dans l'éternité bienheu-
reuse.
DISCOURS XlII.
DU BON EXEMPLE.
Jésus-Christ, en venant sur la terre, a
composé un grand corps dont il s'est établi
le chef. De même, dit saint Paul, que dans
un seul corps nous avons plusieurs membres ;
ainsi quoi que nous soyons plusieurs, nous ne
sommes tous néanmoins quun seul corps en
Jésus-Christ, et nous sommes tous récipro-
quement les membres les uns des autres.
Voilà donc un grand principe de la reli-
gion, et une vérité importante, dont il est
nécessaire que nous soyons instruits. Nous
devons bien connaître ce grand corps dont
nous sommes tous les membres. Nous de-
vons surtout connaître lechefde ce corps,
Jésus-Chrisl, dont il nous est essentiel de
ne nous séparer jamais, et auquel nous te-
nons comme les membres tiennent à leur
chef.
Jésus-Chrisl, en formant ce grand corps,
a eu dessein que les membres qui le coiri-
jiosent s'employassent muluelleraent au
service les uns des autres. C'est pourquoi
saint Paul dit que nous sommes tous réci-
proquement les membres les uns des autres.
Nous voilà donc engagés à nous aider, el ce
doit être pour nous un grand principe dans
la vie chrétienne que nous ne sommes pas
en ce monde pour nous seuls , mais que
nous y sommes pour secourir nos frères
dans leurs besoins. En qualité de membres
d'un mémo cori)S, nous sommes obligés
d'aider nos frères de nos conseils, de nos
biens, de notre autorité. Mais notre prin-
cipale obligation est do les soutenir dans la
voie du salut, et de les animer à marcher
fermement dans le chemin qui conduit à
Dieu.
De cette obligation naît celle de donner
bon exemple, puisqu'il est certain que ja-
mais nous n'animerons plus puissamment
nos frères à chosir la droite voie, que
quand nous y marcherons nous-mêmes avec
fidélité.
Grande obligation pour les chrétiens de
se soutenir par le bon exemple; mais plus
grande encore pour les ecclésiastiques. Ce
sont eux qui sont les principaux membres
du corps mystique du Seigneur, Ils sont
donc encore plus particulièrement obligés
de soutenir leurs ff^res, et de les con-
duire. Nulle voie plus propre pour se bien
acquilter de celte obligation que le bon
exemple. Il est certain que les pasteurs qui
édifient seront toujours plus utiles à leurs
frères , et qu'ils remporteront plus de
fpiiils.
C'est de celte matière importante que je
dois traiter dans cet entretien, que je par-
tagerai en trois parties. Dans la première
je vous ferai voir l'obligation que les ecclé-
siastiques ont de donner bon exemple.
Dans la seconde je vous découvrirai les prin-
cipaux obstacles qui empêchent les ecclé-
siastiques de donner bon exemple. Dans ia
troisième je vous expliquerai les moyens
que les ecclésiastiques doivent prendre
pour s'acquitter de l'obligation qu'ils ont
de donner bon exemple.
PREMIER POINT.
Voici les fondements sur lesquels je
m'appuie pour vous convaincre de l'obliga-
tion que vous avez de donner bon exemple
à vos frères et de les édifier par la régula-
rité de votre conduite.
Jésus-Christ vous le commande.
Les apôtres ont eu un soin particulier
d'édifier les fidèles. Les apôtres ont recom-
mandé aux fidèles de donner bon exemple.
Ils l'ont surtout recommandé à ceux qu'ils
établissaient dans le sacré ministère.
On a regardé dans l'Eglise ceux qui ont
donné bon exemple comme des hommes
précieux, qui ont animé les fidèles, et qui
ont gagné un grand nombre d'âmes à Jé-
sus-Christ.
Le bon exemple des ecclésiastiques a
toujours eu une merveilleuse force pour
engager les hommes à se donner à Dieu,
comme au contraire leur mauvais exemple
a toujours causé un grand nombre de dé-
sordres.
Toutes ces preuves no sont-elles pas assez
fortes pour vous persuader que tout ecclé-
siastique est essentiellement obligé d'édi-
fier ses frères, et de leur donner bon exem-
ple.
Jôsus-Clirist étant sur la montagne, dé-
clara à SOS apôlres, (ju'ils étaient le sel de
la terre, qu'ils élaieat la lumière du inonde.
H 07
0R4TEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
11C3
{Matth., V, 13.) Pourquoi le sel de ta terre?
parce qu'il élaildu leur ministère (l'arrêter
le cours de celte contagion qui infectait le
monde. Pourquoi la lumière du monde? parce
qu'il était de leur minislère d'éclairer les
hommes par la pureté de leur doctrine et
[)ar.la sainteté de leurs mœurs.
Notre Sauveur, voulant marquer encore
plus expressément à ses apôtres qu'ils
n'étaient pas moins obligés d'édifier leurs
frères par la pureté de leur vie, que de les
éclairer par la lumière de leur doctrine,
leur dit : Que votre lumière luise devant les
hommes, afin que, voyant vos bonnes œuvres,
ils glorifient votre Père qui est dans le ciel.
(lhid.,iQ.)
Que votre lumière luise devant les hommes.
Vuilà l'obligation (l'édifier ses fières, et de
leur doimer bon exemple. Afin que, voyant
vos bonnes œuvres, ils glorifient voire Père
qui est dans le ciel. Voilà l'eifct du bon
exemple. Le bon exemftle des apôtres, l'o-
deur de leurs vertus, qui s'est répandue
dans le monde, ont plus contribué à la con-
version du monde, que la force de leur pa-
role et de leurs prédications. LeFils de Dieu
marque aussi le motif que l'on doit avoir,
lorsque la nécessité d'édifier nos frères
nous engage à faire de bonnes œuvres en
leur présence : Que votre lumière luise de-
vont les hommes, afin quils glorifient votre
Père. Si, animé d'un motif de vaine gloire,
vous faites vos bonnes œuvres pour être es-
timé des hommes, le Fils de Dieu vous dira
que vous avez déjà reçu votre récompense.
Quand donc vous faites de bonnes œu-
vres .devant les hommes, il faut que vous
n'ayez aucun autre dessein, sinon que le
Père céleste soit glorifié.
Je sais que Jésus-Christ dans le même
sermon commande aux troupes qui l'écou-
laient de faire leurs œuvres en secret, afin de
n'être vus que du Père céleste. Mais, selon
la doctrine des saints Pères, il ne condamne
que les hypocrites qui affectent de faire
•leurs bonnes œuvres devant les hommes,
qui veulent que les hommes les louent, qui
regardefaienl une œuvre faite en secret
comme une œuvre perdue. Le Fils de Dieu
n'a jamais prétendu condamner ceux qui
,édifient leurs frères, qui ne cherchent point
leur propre gloire, mais qui veulent que
toute gloire soit rendue au Tout-Puissant, à
qui seul elle appartient. Que l'œuvre soit
faite devant les hommes, disent les saints
Pères, mais que votre intention soit de n'ê-
tre vu que du Père céleste , et nullement
d'être approuvé des hommes.
Les apôtres ont eu grand soin de prati-
quer ce commandement de leur Maître. Ils
ont répandu en tous lieux ce parfum pré-
cieux, cette bonne odeur qui ne manque
jamais de se faire sentir, et d'inspirer de
l'amour pour la vertu.
Comi)ien ce zèle sans intérêt, ces travaux
sans récompense, ces soull'rances sans res-
sentiment ; combien cette ardeur, qui leur
faisait tout enlropreudro pour le salut de
leurs frères, cotte patience au-dessus de
toutes les épreuves, ces soins qu'ils avaient
de n'être à charge à personne, ont-ils ga-
gné d'âmes à Jésus-Christ 1 c'était celte vie
édifiante des apôtres qui charmait les cœurs,
qui les faisait aimer de tous ceux à qui ils
annonçaient l'Evangile.
Jugez vous-mêmes de la tendresse que les
Galales avaient pour saint Paul. Je puis vous
rendre témoignage, dit cet A[)ôtre, que vous
étiez prêts, s'il eût été possible, de vous ar-
racher les yeux pour me les donner. (Gai..
IV, 15.)
L'estime que les peuples concevaient
pour les apôtres allait quelquefois jusqu'à
leur persuader que les apôires étaient des
dieux. Ainsi lisons-nous dans les Actes
(XIV, 10), que saint Paul et saint Barnabe
ayant annoncé l'Evangile dans une ville,
ces peuples voulurent leur sacrifier couime
à des dieux. Et les apôtres eurent beaucoup
de peine à détourner ces hommes de leur
rendre un culte qui n'sst dû qu'au vérita-
ble Dieu.
Les apôtres ont bien reconnu la force du
bon exemple. Voilà pourquoi ils ont re-
commandé aux fidèles d'édifier les hommes,
prétendant que c'était un excellent moyen
pour les engager à embrasser la religion
chrétienne.
Tantôt ils font voir aux chrétiens qu'ils
doivent prendre garde qu'il n'y ait rien
dans leur conduite qui éloigne les infidèles
de notre religion.
Tantôt ils les exhortent à faire leurs ef-
forts [)0ur gagner les infidèles par la sain-
teté de leurs mœurs.
Saint Paul veut que les serviteurs qui ont
embrassé la religion soient plus circonspects
que jamais à rendre à leurs maîtres toutes
sortes de devoirs, de peur, dil cet A[)ôlre,
que le nom et la doctrine du Seigneur ne
soient exposés à la médisance des hommes
(1 Tim., VI, 1) ; c'est-à-dire, de peur que vos
maîtres n'aient de l'éloignement pour la
religion que vous professez, s'ils remar-
quent que vous n'êtes pas |)onctue!s à leur
rendre l'obéissance qui leur est due.
Saint Paul dans un autre endroit, parlant
à tous les fidèles, leur donne cet avis salu-
taire : Prenez garde que cette liberté que vous
avez de manger de toutes sortes de viandes,
ne soit aux faibles uîie occasion de chute
(1 Cor. , Vlll, 9j, c'est-à-dire à ceux qui
croyaient qu'il y avait des viandes immon-
des et capables de^souiller ceux qui en man-
geaient. Après quoi le grand Apôtre s'écrie
tout plein de zèle pour le salut de ses frè-
res : Si ce que je mange scandalise mon frère,
je ne mangerai plutôt jamais de viande pendant
toute ma vie pour ne pas scandaliser mes
frères. (Ibid., 13.)
Voilà comment les apôtres voulaient que
la conduite des premiers chrétiens fût irré-
prochable; voilà comment ils voulaient que
les premiers chrétiens prissent garde à ne
pas donner aux hommes le moindre dégoût
pour notre sainte religion ; voilà comment
ils faisaient un crime aux premiers chré-
tiens de faire môme des choses légiiimes
ÎI60
RETRAITE ECCLES. — XIII, BON EXEMPLE.
i!70
et permises, quand elles causaient quelque
scnndale aux faibles.
Mais ils voniaient encore que les bonnes
œuvres des fidèles fussent comme une voix
qui annonçât coniinupllement Jésus-Chrisi,
Ils voulaient que les.bonnes œuvres des fidè-
les inspirassent h tous les hommes un saint
rrspect pour une religion dont la morale
était si pure. Saint Pierre prétendait que
les femmes chrétiennes pouvaient en cette
manière annoncer l'Evangile. Il leur disait
que par leur bonne vie et Ta pureté de leurs
mœurs, elles pouvaient, sans le secours de
la parole, gagner ceux qui ne croyaient pas
à la parole. ([ Petr., III, 1.) La bonne vie,
la pureté des mœurs est donc une parole
animée, qui souvent a plus de force pour
toucher les cœurs que les discours les plus
éloquents.
Considérez, disaient les premiers apolo-
gistes (jyi), les œuvres que prescrit celle
religion que vous persécutez. Les chrétiens
qui'sont dans les prisons sont-ils coupables
d'aucun crime? onl-ils commis quelque in-
justice ? ont-ils vinlé les lois de la républi-
que? ïoul leur crime, c'est d'être cliréliens.
Ceux qui sont punis pour avoir commis des
crimes ne sont point du nombre des chré-
tiens. Telle élait la défense des premiers
chrétiens; parce qu'ils savaient qu'il n'y
avait rien de plus puissant pour convaincre
les infidèles de la pureté de notre religion,
que de leur faire remarquer la pureté des
mœurs de ceux qui l'avaient embrassée.
Si les apôtres ont recommandé aux fidèles
de donner bon exemple aux hommes, ils
ont cru que les ministres des autels étaient
encore plus obligés que les autres d'édifier
leurs frères par la sainteté de leur con-
duite.
Ecoulez saint Paul quand il parle h son
disciple Timolliée : Que personne ne vous
méprise à cause de votre jeunesse; mais ren'
dez-vous l'exemple ri le modèle des fidèles
dans les entretiens, dans la manière d'agir
avec le prochain, dans la charité, dans la foi,
dans la chasteté.
Que personne ne vous méprise. Donc les
minisires des autels sont coupables, lors-
que, n'étant pas assez circonsfiecls dans
Inur conduite, ils donnent occasion de les
mépriser; donc les ministres des autels
doivent attirer l'estime, et le respect des
peuples par la régularité de leurs mœurs.
Saint Paul, dit saint Chrysostome, veut
que Timolliée soit un modèle sur lequel
tous les autres puissent se régler. 11 veut
qu'il Suit une image accomplie, où chacun
})ui3se remaïquer les vertus qu'il doil pra-
tiquer. Il veut qu'il soit une loi animée,
une règle vivante. El atin que vous ne disiez
j)as que Si'int Paul ne parlait qu'à Timo-
ihée, sainl Chrysostome ajoute : C'est ainsi
que doit faire tout homme qui est chargé
d'instruire les autres.
, Le môme saint Paul en écrivant à Tile :
Rendez-vous un modèle de bonnes œuvres en
toutes choses, dans la pureté de votre doc-
trine, dans Vintégrité de votre vie, dans la
gravité de votre conduite. {TH., Xi, "7.) Voyez
comment un ministre des autels doit être
l'exemple et le moilèle, non-seulementdans
une vertu, mais dans toutes les vertus. 11
ne sufllt [las que sa doctrine soit pure, il
faut (]ue sa vie soit irréprochable, que tou-
tes ses actions soient accompagnées d'un
poids, d'une gravité, qui imprime du res-
pect et de la vénération.
Le même sainl Paul parlant encore du
bon exemple que doivent donner les mi-
nistres de l'Eglise : Prenons garde de ne
donner en quoi que ce soit aucun sujet de
scandale, afin que notre ministère ne soit
point déshonoré, mais agissant comme de fi-
dèles ministres de Dieu, rendons-nous recom-
mandables en toutes choses. [Il Cor., VI, 3, k.)
Prenons garde de, ne donner aucun sujet
de scandale. Preubz-y donc garde, ministres
du Seigneur; veillez sur vous-mêmes, ob-
servez vos démarches, voyez s'il n'y a rien
dans vos actions qui mérite la censure de
vos frères.
Ne donnez aucun sujet de scandale. Que
votre conduite soil régulière aussi bien
dans la maison que dans l'église, aussi bien
avec vos proches qu'avec les étrangers,
aussi bien dans vos habits que dans vos
discours et vos actions.
Afin que notre ministère ne soit point dés-
honoré. Car quand les ministres des autels
scandalisent leurs fières par une conduite
peu régulière, ils sont cause que les peu-
ples, qui ne distinguent point assez le ca-
ractère d'avec la personne, n'ont pas tout
le respect qu'ils devraieiil sentir pour le
ministère évangélique.
Mais agissant comme de fidèles ministres,
rendons-nous recummandables en toutes cho-
ses. 11 faut donc agir comme des ministres
du Fils de Dieu ; c'est-â-dire, qu'il faut
soutenir l'éclat de notre dignité par des
actions saintes.
Rendons-nous recommandables. Ce n'est
pas assez de mener une vie commune dans
laquelle il n'y ait rien à reprendre, il faut
se rendre recommandable, il faut mériter
l'estime des peuples par l'ardeur de notre
zèle, i)ar les travaux que nous soutiendrons
pour nous acquitter de notre saint minis-
tère.
Rendons - nous recommandables en toutes
choses. Que noire zèle ne se ralentisse ja-
mais. Autant de zèle dans la prière que
dans les secours que nous rendons au pro-
chain. Autant de zèle quand il s'agit de
travailler au salut du dernier des hommes,
que quand les riches et les puissants ont
besoin de notre ministère. C'est le moyen
de donner bon exemple à ses frères.
Ceux-là rendent un grand service à l'E-
glise qui édifient ainsi les fidèles par une
vie sainte. De là vient que les Pères de
(194) f Nenio iilic chrisliaiius, nisi lioc (antum, aul si et aUad, jam non cliriâlianus. > Ter(. , ApoL
op. 44.
1171
ORATiaRS SACRÉS. lOFITII LAMBERT
1172
l'Eglise ont si souvent exliorlé leur peuple
à visiter les sainlsmonasièros, ces tombeaux
sacrés, oii les anciens solitaires s'élaicnl
ensevelis tout vivants. Ils prétendaient que
l'éclat de leur exemple, que ces clartés si
vives, et si brillantes qu'ils jetaient du fond
de leur retraite, étaient seules capables de
dissiper les obscurités épaisses qui aveu-
glent les pécheurs.
Saint Augustin, parlant des anciens ana-
chorètes qui, se contentant d'un peu de
pain et d'eau, se retiraient dans des lieux
inconnus, afin de s'appliquer à Dieu dans le re-
pos, et le silence du cœur, dit que (195) c'est à
tortquequelques-unsles regardaient comme
des hommes inutiles au monde. Il faut pour
cela ne pas vouloir considérer combien ces
grands saints, quoiqu'ils mènent une vie
cachée, nous aident par leurs prières, par
leurs bons exemples et par l'odeur de leurs
vertus. Tant il est vrai qu'on a toujours re-
gardé dans lEglise ceux dont la vie est
édifiante comme des hommes précieux, qui
rendent un grand service au prochain ,
parce qu'ils nous aiment et qu'ils nous
encouragent par la sainteté de leur exem-
ple.
Si le bon exemple m(^me des hommes qui
mènent une vie retirée, édifie les fidèles,
quels bons effets ne produira pas la vie
sainte et régulière d'un ecclésiastique ver-
tueux ? Ses vertus sont plus connues, parce
que les fonctions de son ministère l'enga-
gent à se montrer.
On est édifié quand on se rencontre dans
des lieux où Dieu par sa miséricorde a en-
voyé de saints prêtres. On en voit, lesquels,
avec de médiocres talents, feront plus de
fruit que d'autres, dont les talents sont
beaucoup plus brillants. Ce prêtre n'a qu'à
se montrer, et sa seule vue inspire de l'a-
mour pour la vertu ; quel magnifique éloge
que celui que ces peuples font de leur pas-
teur 1 C'est leur père, leur protecteur, leur
ange lutélaire. C'est un homme qui n'a
qu'une seule vue, qui est de sauver ses
frères, et qui dans toutes ses actions ne
s'écarte jamais de cette noble fin. Sa seule
autorité termine les différends. Sa présence
impose silence aux libertins ; le crime n'ose
paraître devant lui. La régularité de sa con-
duite est le principe de celte régularité que
l'on remarque dans un grand nombre de
familles. A qui donc attribuerez-vous l'am-
ple moisson que ce pasteur a faite, et les
fruits qu'il recueille tous les jours? Ses
discours, ses remontrances peuvent beau-
coup y contribuer. Mais ce qui gagne les
cœurs, et à quoi les plus durs sont obligés
de céder, c'est le bon exemi)le ; c'est ce
désintéressement généreux, celte patience
qui ne se rebute point, ce zèle qui ne .se
ralentit jamais. Tout cela répand une bonne
odeur, qui inspire de l'estime et de l'amour
pour le pasteur; tout cela dispose h l'écou-
ter, à suivre ses conseils. La verlu est d'a-
bord estimée; on convient qu'elle est ai-
mable; ensuite on la désire ; enfin, on se
rend entièrement, et on prend la résolution
de la pratiquer.
jQuel mauvais effet au contraire ne produit
pas la vie d'un prêtre, et surtout d'un prê-
tre qui est chargé de conduire les âmes,
quand elle est scandaleuse?
Dirai-je ici que l'hérésie de Luther et do
Calvin s'est plus fortifiée par l'ignorance et
la mauvaise vie des ecclésiastiques, que par
l'éloquence et la subtilité de ces séducteurs.
Les faux pasteurs entraient dans la berge-
rie ; il leur était aisé de souftler le poison ;
le pasteur n'était point en étal de défendre
ses ouailles. C'était un hommesans science,
lequel élait étourdi au premier sophisme
qu'on lui proposait. C'était un homme dans
le désordre, qui était devenu méprisable par
ses dérèglements. Le seul nom de réforme,
proposé avec hardiesse, était capable de sur-
prendre des hommes simples et fatigués par
les dérèglements de leurs conducteurs.
Dirai-je ici qu'un ecclésiastique scanda-
leux détruit sûrement et n'édifie jamais?
Comment un homme qui ne vient que de
laisser sa mauvaise vie, ou qui même l'ayant
expiée par la pénitence, demeure toujours
diffamé dans j'esprit des hommes qui ont
connu ses excès, et qui ne connaissent pas
son repentir, peut-i! entreprendre de paraî-
tre à l'aulel, ou d'enseigner dans la chaire
de vérité, à la vue de ceux qu'il a si long-
temps scandalisés? N'est-il f)as certain que
la mauvaise réputation de celui qui instruit
empêche tout lo fruit de ses instructions?
Quoique Jésus-Christ ait dit : Faites cequils
disent, et non pas ce qu'ils font [Malth.,
XXIII, 3), il est assez rare que les hommes
se laissent convaincre par les paroles, quand
elles ne sont point soutenues par les exem-
ples.
Il faut, dit Tertullien (196), que celui qui
entreprend dojlouer une vertu et qui exhorte
les autres à en pratiquer les actes, se puisse
rendre témoignage à lui-mêîne, qu'il a la
vertu dont il fait l'éloge. Il faut que sa
bonne vie et sa conduite régulière donnent
du poids à ses paroles ; car il ne remportera
que de la honte et de la confusion, si ses
actions ne répondent pas à ses discours.
Saint Augustin (197) assure que celui qui
mène une vie sainte, quoiqu'il n'ait pas le
talent de la parole, ne laisse pas d'instruire
(I9S) « Videnlurnonnullis res liumanasplos quam
oporieldeseruisse, iu,n inlelligeiilibiis quantum nobis
eorumaniiiiusinoraliohibus prosit, ei vita ad e.vcm-
î>lum, quorum corpora videre non sinimur.j. {Demo-
ribus Ecclesiœ callwlicœ,ci\[t. 51.)
(l'JG) « Oporiet denionstraiioncin et comnirn-
dsiioncrii alicujus rei adorlos, ipsos prius in admi-
nislralione ejus rci dcprcîiendi, et tonslaïUiarn
comnionendi propriœ conversationis auctnrilatc
airi-cre, ne dicta factis detîcientibus erubesraut. »
{Dep(Uicnlia,cSip. 1.)
(l'J7) « Sine lioc quidem |)0test, ita converselur,
ut piffibcai aliis cxemplum, et sii ei quasi copia
diceridi forma vivcudi. s (L'\\)A\ De doctiinacliiiit.,
c. 2<J.)
1173
RETRAITE ECCLES. — Xlll, DON EXEMPLE.
1174
onicacemont par sou exemple, et ce grand
saint fait une grande estime de celte ma-
nière d'annoncer l'Evangile. Le même saint
Augustin djns unautre endroit (198j, dilque
celui qui mène une vie dérc'-glée donne la
mort autant qu'il est en lui à ceux que sa
conduite scandalise. Il donne la mort : il
doit être un pasieur, il est un loup ravis-
sant; il doit être le f)ère, et il est le meur-
trier; il doit être attentif aux véritables in-
térêts de ceux qui lui sont conliés, et il est
un voleur qui ne vient que pour faire des
larcins, et des massacres. [Joan., X.)
Comparez maintement les etïets du bon et
du mauvais exem[)le : autant le bon exemple
est puissant pour animer les hommes à la
Tertu, autant le mauvaisexemple a-t-il deforce
pour les détourner du droit chemin, et pour
les engager dans des roules détournées.
Vous ne pouvez douter après toutes ces
preuves que les ecclésiastiques ne soient
très-élroilemenl obligés d'édifier par leur
exemple. Voyons présentement les vices,
qu'ils doivent particulièrement éviter et qui
sojil le plus ojiposés au bon exemple qu'ils
sont obligés de donner.
DEUXIÈME POINT.
Saint Paul ordonnant à Tite de se rendre
un modèle de bon nés œuvres en toutes choses,
ajoute que sa conduite doit être lellement
irréprochable, que ses adversaires rougissent,
n'ayant aucun mal à dire de lui. [Tit., 11. 5.)
Saint Pierre dit que les lidèles [)nr leur
bonne vie doivent fermer la bouche aux
hommes ignorants et inseusés. (l Petr., H, 15.)
Le môme saint Pierre dit encore aux chré-
tiens : Conservez tme conscience pure, afin
que ceux qui décrient la vie sainte que vous
menez, rougissent de vous décrier comme des
méchants. (1 Pelr.,Ul, IG.) Ainsi, l'obligation
que vousavez de donner bon exemjde vous
engage particulièrement à retrancher de
votre vie les vices qui scandalisent les fi-
dèles, lorsqu'ils se rencontrent dans les ec-
clésiastiques. C'est le moyen de fermer la
bouche à ceux qui s'élèvent contre la mau-
vaise conduite des ecclésiastiques. C'est le
moyen d'imposer silence à vos adversaires,
qui rougiront, comme dit saint Paul, n'ayant
aucun mal à dire de vous. [Tit., Il, 7.)
Voyons donc quels sont les vices qui scan-
dalisent particulièrement les fidèles, quand
les ecclésiastiques en sont infectés. Ces vices
sont l'impureté, l'immodestie, la vie molle,
l'avarice, l'ardeur de devenir riche, et sur-
tout l'empressemenl d'acquérir les richesses
ecclésiastiques. Si vous voulez que votre
vie soit édifiante, il faut qu'elle soit exemple
de tous ces vices. Commençons par l'impu-
reté.
L'impureté dans un prêtre I Quel scan-
dale lorsqu'il est seulement soupçonné de
ce vice ? Les hommes déjà trop portés à cen-
surer les ministres du S'jigneur, ne gar-
dent [)lus de mesure, quand ils ont un si
juste fondement de s'expliquer sur la con-
duite déréglée d'un ecclésiastique.
* Si le minisire seul était déshonoré, ce
serait déjh un très-grand mal ; mais que le
dérèglement d'un homme que l'Eglise ab-
horre , soit préjudiciable dans l'opinion des
hommes à un minislèro aussi saint que le
nôtre, c'est là ce qui fait gémir tous ceux
qui ont la crainte du Seigneur, et ce qui
les irrite avec tant de raison contre les indi-
gnes ministres qui causent un si grand
scandale 1
Quelle hardiesse! quelle témérité! un
I rèire impur exercera encore les saintes
fonctions de son étal ! Il osera toucher le
Saint des saints avec ses mains profanes et
sacrilèges ! Avec quels sentiments, ou [du-
tôt avec quelle horreur croyez-vous quo
l'Eglise considère un prêtre, lequel étant
dans la fange exerce ses fondions ; elle qui
voudrait qu'aussitôt qu'un de ses minisires
est tombé dans le péché d'impuieté, il fût
pourjamais exclu du ministère ecclésiastique.
Si vous voulez répandre une bonne odeur,
évitez les moindres soupçons. Les entre-
tiens même sont périlleux rilsdoiven^t donc
être très-courls, et la seule nécessité peut
les rendre innocents.
Renvoyez cette femme dans sa maison
veiller sur son domestique, cela lui sera
beaucoup plus utile que ces entretiens qui
pourraient être considérablement abrégés,
et où la cupidité a souvent beaucoup plus
de part que la charité.
Demandons à Dieu qu'il donne à son
Eglise beaucoup de directeurs sérieux, en-
nemis des discours inutiles, qui se renfer-
ment dans ce qui est de leur minislère qui,
exacts à leurs devoirs, portent les autres à
les remplir, qui cherchent Dieu et le salut
des âmes. Voilà toute leur fin, et la voie
qui conduit directement à cette fin est la
seule qu'ils veulent suivre.
Le second vice que j'attaque, parce qu'il
est d'un grand scandale dans les ecclésias-
tiques, c'est l'immodestie. Saint Paul dit à
tous les chrétiens : Que votre modestie soit
connue de tous les hommes. {Philip., IV, 5.)
1! veut que les chrélieus dans toutes leurs
actions fassent paraître une grande modes-
tie. Les ecclésiastiques ne sont-ils pas par-
ticulièrement obligés de suivre cet avis sa-
lutaire?
C'est un scandale qu'un ecclésiastique
soit immodeste dans ses habits, dans ses
regards, dans ses postures, dans ses discours.
Mais le scandale est encore plus grand,
lorsqu'un ecclésiastique porte l'immodeslie
jusque dans l'exercice de ses fonctions.
Les ollices divins (jui sont si saints, qui
sont composés de tout ce qu'il y de plus
choisi dans l'Ecriture ; ces ollices qui sont
d'un si grand goût pour ceux qui conser-
vent quelque sentiment de piéié, seront
récités sans attention, avec vitesse, par des
hommes dont la vue est égarée, «t qui la
(198) « Omnis f|yi malc vivit in conspcclu corum quibus pracpositus est, quantum in ipso ebl, occidit
ovcs. » (Oe pn>.tunt)u», caji. 4.i
^ iTj ORATEURS SACRES,
jettent indifféremment sur tous les objets
qui se présentent devant eux. Ces hommes
parlent, et la seule chose que l'on peut
recueillir de ce que l'on entend, c'est que
leur cœur n'est point touché des paroles
qu'ils prononcent. Quelque attention que
l'on donne, les oreilles ne seront frappées
que d'un bruit cenfus. Ce serait vainement
se tourmenter, que de rechercher un dis-
cours suivi, ou même quelque parole dis-
tincte. Ces hommes veulent-ils renouveler
l'erreur des pharisiens, et prétendent-ils
guils seront exaucés à force de paroles ?
(Matth., VI, 7.)
Si les offices saints ne sont pas capables
de loucher le cœur endurci d'un ecclésias-
tique mercenaire, au moins il semble que
ia dureté du cœur humain ne pourrait pas
aller, jusqu'à résistera l'impression que la
sainteté de nos mystères doit faire sur les
plus insensibles. A peine le croirait-on, si
\gs preuves n'en étaient trop claires et
trop fréquentes. Des ecclésiastiques, en cé-
lébrant les saints mystères, feront paraître
la môme dissipation que dans les autres
actions de leur vie. Ils ne cesseront point
de scandaliser môme h l'autel. L'égarement
de leurs yeux, et surtout leur extrême pré-
cipitation, offensera tous ceux qui sont j)ré-
sents au sacrifice.
C'est un grand malheur que des ecclé-
siastiques soient mercenaires, et qu'ils s'i-
maginent que la piété leur doit servir de
moyen pour obtenir les biens temporels.
(I2'/m., VI, 6.) C'est la source malheureuse
de l'inirnodeslie contre laquelle je suis
obligé de m'élever. Ces hommes recher-
chent les commodités temporelles. Ils ne
sont point touchés du désir de louer Dieu.
Ils ne chantent donc les louanges de Dieu
qu'autant qu'il est nécessaire pour arriver
à la tin qu'ils se proposent. Ne serait-ce
point un moindre mal de leur abandonner
ce qu'ils désirent, et de leur ôter l'occasion
de profaner les choses les plus saintes?
Puisque la rélribution temporelle est tout
leur désir, qu'on leur donne celte rétribu-
lion si ardemment souhaitée, qu'ils se reti-
rent, et qu'ils n'irritent point Dieu en trai-
tant d'une manière indigne ce qu'il y a de
j.'Ius saint dans la religion.
Détestons cette immodestie dont les peu-
ples sont offensés avec tant de raisons. Ta-
chons de réparer ce scandale en témoignant
dans toutes nos actions une très-grande
retenue. Picdoublons nos efforls lorsque nous
sommes a()pliqués aux fonctions de noire
ministère. Quand nous prions, quand nous
chantons les hymnes et les saints canli-
(|ues, que notre extérieur fasse voir ce que
nous sentons en nos cœurs.
Quoi de plus beau qu une troupe d'ecclé-
siastiques dont les cœurs sont unis, qui s'a-
uiment à célébrer la toute-puissance du sou-
verain Maître, qui poussent vers le ciel
des soupirs et des gémissements dont un
cœur conirit et humilié est le principe 1
(199) SocRAT , lib. Vil Hhl., cap. 3.
JOSEPH LAMBERT. iito
Vous sortez de ces assemblées content et
pénétré. Vous croyez avoir entendu les di-
vins concerts que les anges forment dans le
ciel à l'honneur du Tout-puissant.
^Quand nous allons à l'autel, c'est pour
lors que l'on doit véritablement remarquer
en nous une modestie d'ange. Les anges
sont présents. Ils environnent l'autel. Ils
adorent l'innocente victime que nous offrons.
Quel est leur respect, quelle est leur atten-
tion? Si nous écoutons leur voix, ils nous
crieront que nous ne pouvons être trop hu-
miliés, trop attentifs, trop pénétrés, et que
nos etforts, quelque grands qu'ils soient,
ne répondront janjais à la sainteté de nos
mystères.
J'avais changé de matière, je ne parlais
plus des vices qui scandalisent. Il m'était
bien plus doux de vous entretenir des ver-
tus qui brillent, qui attirent l'estime et le
respect des peuples. Faut-il encore obéira
la nécessité qui m'oblige è vous exposer
d'autres péchés qui offensent le peuple, et
qui inspirent du mépris pour les ecclésias-
tiques. En voici un lequel est très-consi-
dérable. Plût au Seigneur qu'un vice si op-
posé à res|)rit ecclésiastique lût onlièroment
détruit. Ce vice est l'avarice ; et pour vous
en donner horreur, je commencerai par vous
rapporter un fait tiré de VHistoire ecclésias-
tique, qui vous marquera combien l'avarice
a toujours été odieuse dans les ecclésias-
tiques.
(199)IIyavaitàSynnade,villedoPhrygieun
évoque appelé Théodose, qui persécutait
avec violence les Macédoniens. 11 les chas-
sait non-seulement de la ville, mais aussi
de la campagne. Ce n'était point le zèle de
la religion qui le faisait agir. Son avarice
était le principe de toute sa conduite, et il
n'avait d'autre vue que d'obliger les héré-
tiques de lui donner de l'argent.
Il fit aux Macédoniens tous les mauvais
traitements qu'il put imaginer. Il mit des
armes contre eux entre les mains des ec-
clésiastiques, et excita les juges séculiers
à les tourmenter. Il fit à Agapet, leur évo-
que, de plus rudes persécutions qu'à tous
les autres. Les juges des provinces n'ayant
pas une autorité assez absolue à son gré
pour exercer ses violences, il vint à Cons-
lantinople pour solliciter des édits du pré-
fet du Prétoire.
Durant son absence Agapet, évoque des
Macédoniens, prit une résolution [)leine de
sagesse et de prudence. Ayant assemblé son
clergé et son peuple, il leur firoposa de
faire profession de la doctrine de la consubs-
tantialité. A l'heure môme il alla à l'Eglise,
y fit la prière, monta dans la chaire de Théo-
dose, prêcha que le Fils était de même na-
ture que le Père, et se rendit maître des
églises du diocèse.
Théodose, qui ne savait pas ce qui était
arrivé, retourna à Synnade avec un édit du
préfet. Mais ayant été chassé de l'Eglise, il
vint à Constaulinople, et se plaignit à Alli-
1177
RETR.\ITE ECCLES. — XIII, BON EXEMPLE.
1178
eus, de la violence qu'il avaii souOerle.
Aliicirs consola Théodose, l'exhorla 5 pré-
férer le repos d'Hiie vie Iranquille au soin
de l'épiscopal , cl à sacrifier ses iiilérôts à
J'utililé de l'Eglise. Il écrivit en même
temps à Agapel, qu'il demeurât en posses-
sion de la chaire é[)iscopaIe, sans rien ap-
préhender de la part de Tliéodose.
llemarquez dans cefail, premièrement,
que c'est l'avarice de cet évêque qui est
cause de tousses excès C'est son avarice
qui l'engage h s(illiciler des édils pour
tourmenter s( n peuf)ie. C'est son avarice
qui lui fait abandonner le soin de son Irnu-
jeau, dans un temps otj ses brebis avaiunt
un l)esoin continuel de la présence de leur
pasteur, pour Us garantir de la fureur des
loups, c'est-à-dire des hérétiques.
Observez, en second lieu, combien l'ava-
rice de Théodose l'avait rendu odieux. Son
peuple l'abandonne, et se range sous l'o-
béissance d'Agapet aussitôt qu'il fait pro-
fession de la loi catholique. Voyez comment
Théodose est repoussé, lorsqu'au retour de
son voyage, il entre dans l'église, pour
prendre possession de sa chaire. Il faut
qu'un peuple ait conçu une grande aver-
sion contre un évêque, lorsque cet évêque,
après avoir gouverné pendant plusieurs an-
nées, ne trouve personne qui défende sa
Cause, et qui prenne son parti.
Enlin observez que le juste courroui de
ce peuple contre son évêqne est universel-
lement approuvé. Aitique de Constantino-
ple,à qui Tliéodose avait adressé ses plain-
tes, conseille à cet évêque d'abandonner
ses droits. Il écrit à Agapet ; il approuve son
action, il l'encourage, il lui mande de ne
jioint craindre les menaces, et la colère de
Thé»dose.
Voilà un exemple qui apprend aux ec-
clésiastiques, combien l'avarice les rend
odieux. Si donc vous voulez gagner les ()eu-
ples par votre bon exemple, gardez-vous
avec soin du crime honteux de l'avarice.
Un prêtre est lâche, il trahit son minis-
tère, il fiiit des bassesses, il s'attire du mé-
pris, et quelquefois même des injures, parce
que l'avarice a séduit son cœur et s'en est
rendu la maîtresse. -
Il faut qu'il en coûte bien des bassesses;
lors qu'avec un médiocre revenu, et à peine
sulfisant p(jur l'entretien honnête d'un ec-
clésiastique, il trouve le secret d'amasser
des sommes considérables. Il faut avoir le
cœur bien dur (»our n'être point ébranlé
•tar des objets, capables d'émouvoir môme
descoeuis de pierre. Vous visitez un pauvre
absolument abandonné, et vous le laissez
sans aucun secours. Vous avez peu ; mais
n'est-ce (las là de ces occasions, où celui
qui n'a qu'un morceau de [lain, doit s'en
retrancher la moitié, pour soulager la mi-
sère de son frère ? N'est-ce pas dans de pa-
reilles occasions que les saints coupaient la
moitié de leur manteau, qu'ils se dépouil-
laient de ce qu'il était absolument néces-
saire, que d'autres se sont vendus eux-
ménies r'our secourir leur frères dans les
nécessités pressantes? Si Dieu vous a donné
de grands biens, faites-en une grande part
aux pauvres. Si vous avez peu, retranchez-
vous pour faire l'aumône. Quand vous ne
donneriez que deux deniers, si vous les
donnez dans la même disposition que la
veuve de l'Evangile {Marc, XII, 42), Dieu
recevra voire aumône aussi bien que la
sienne. Mais surtout ne faites point de tré-
sors, n'amassez point, puisque autrement
vous ne pouvez donner aux fidèles le bon
exemple que vous leur devez.
Voici un vice qui souvent est une suite
de l'avarice. Il peut néanmoins venir en-
core d'un autre principe, mais quelle qu'en
soit la source, il est leujours d'un très-
grand scandale. C'est l'ardeur de devenir
riche, et surtout rcm|)resseuient d'acauérir
les richesses ecclésiastiques.
Car enfin que peuvent penser les fidèles,
quand ils voient des ecclésiastiques, qui,
pour obtenir des bénéfices, se servent de
voies que ceux que l'on a|)pelle honnôles
gens dans le monde ne voudraient pas em-
ployer pour obtenir des biens purement
temporels? Des ecclésiastiques obtiendront
des bénéfices par des flatteries basses, par
des complaisances servîtes, par des dégui-
sements critninels, par des intrigues in-
fâmes, par des brigues, [lar des tralics, par
des accommodements qui renversent les
lois de l'Eglise.
Que peuvent penser les fi<ièles de tons
ces commerces que la corruption du siècle
a introduits? Des permutations frauduleuses,
des remboursements des frais imaginaires
d'un procès, des remboursements de répara-
tions, qui souvent même n'ont point été fai-
tes, ou (lui sont estimées au delà deleur juste
va!eiir,des résignations précédées de promes-
ses expresses ou tacites de rembourser une
pension , des accommodements de lamilJe
dans les mariages, oij les bénéfices entrent
en négoce, et où la dot est plus considé-
rable, à cause des bénéfices que l'on fait
tomber sur des parents dignes ou indignes.
C'est une circonstance à laquelle on ne fait
aucune attention : un amour déréglé pour
un {)arent, qui fait qu'on se dépouille en sa
faveur, quoiqu'on soit convaincu de soa
indignité; des adresses |ioiir conserver son
bénéfice, et néanmoins pour le faire passer
à un autre en cas que la mort surprenne ;
des bénéfices donnés à des enfants qui se
trouvent engagés sans avoir délibéré, et
qui n'étant retenus dans l'état ecclésiastique
que par des considérations temporelles,
font à l'Eglise des plaies très-considérables
par leur conduite déréglée
Le Fils de Dieu renverse dans le temple
les tables des changeurs, et de ceux qui
vendaient des colombes pour les sacrifices.
{Mallli., XXI, 12.) S il était encore sur la
terre, comment liaiterait-il ces hommes
avides de bénéfices, qui veulent absolument
en avoir même par les voies les plus cri-
minelles ? Comment traiterait-il ceux qui
font commerce des biens du sanctuaire?
u^a
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1180
coruménl Irailerail-il ceux qui à la faveur
d'une subtile distinction justifient des pac-
tes illicites qui sont de véritables simonies ?
Au lieu d'un fouet qu'il prit pour chasser
ces profanateurs, il prendrait des foudres
pour exterminer ces hommes criminels qui
violent les règles les plussaintesde l'Eglise.
Il ferait ouvrir la terre sous leurs pieds
pour les engloutir, comme il arriva autre-
fois lorsque Dieu punit la témérité des lévi-
tes qui voulaient usurper l'office d'Aaron.
On ne fait plus maintenant attention aux
anciens canons, qui prononcent qu'on se
rend coupable de simonie, non-seulement
quand on donne de l'argent pour obtenir un
bénéfice, mais aussi quand on emploie les
flatterias, les louanges et les prières, ou
bien quand on rend des services intéressés
par le moyen desquels on se propose d'ob-
tenir des bénéfices (200).
De là cette distinction célèbredans le droit
où l'on dislingue trois sortes de présents
qui nous rendent coupables de simonie,
lorsque par leur moyen nous prétendons
obtenir quelque chose de spirituel. Munus
a manu : c'tst-à-dire, l'argent : Munus a
linguiiy ce sont les louanges et les flatteries :
Munus ab obsequio, ce sont les services. Si les
services rendusavecdessein d'obtenir un bé-
néfice, sont suffisants pour faire une simonie;
est-ce à tort que l'on est scandalisé de toutes
les visites que vous rendez à ceux qui peu-
vent vous donner ou vous procurer des
bénéfices? est-ce à tort que l'on est scan-
dalisé de toutes les louanges que vous don-
nez à ce grand, parce que vous es(iérez ob-
tenir par son crédit quelque établissement
considérable dans l'Eglise ?
Si les intrigues que l'on emploie pour ob-
tenir les bénéfices scandalisent les fidèles,
ils ne le sont pas moins de l'injuste procédé
des ecclésiastiques qui accumulent béné-
fice sur bénéfice, et qui n'en ont jamais
assez.
Saint Thomas soutient que la pluralité des
bénéfices est contraire au droit natuiel (201).
Ceux-là sont entièrement inexcusables, dans
le sentiment de ce saint docteur, qui veu-
lent avoir plusieurs bénéfices, afin d'être
plus riches et de vivre avec plus de sfilen-
deur.
Le cardinal Cajetan prétend que la dis-
pense du pape n'exempte pas de péché mor-
tel ceux qui possèdent plusieurs bénéfices, si
cette dispense n'est fondée sur une cause
raisonnable (202).
Le cardinal Bellarmin (203) dit que les dis-
penses du pape pour avoir plusieurs béné-
fices, sont valables devant les hommes, mais
(200) «Aliudestmunus ab obsequio, aliud a manu,
aliud a lingua. Munus ab obsequio est scrvilus inde-
l)ile impensa. Munus a manu pecunia est. iMunus a
lingua lavor. » (Can. Sunt uoiniulli, 1, <j. 1.)
(201)11 Dispensalio liurnana non auferlligaincriju-
ris naturalis. » (Quodl. 9, a. 5.)
«Si allquis bac inienllone plura bénéficia habeat,
ul sil dilior, ul laulius vival, non lolluntur pr;edi-
ct;c deformitales, scd augcnliir. > (Quodl. 9, a. Ifi.)
\202) « Ncc excusatui pcccaliini uKalaie proptcr
non pas devant Dieu, à moins (ju'il n'y ail
une cause légitime de les obtenir.
L'autorité seule du concile de Trente (204)
ne suffît-elle pas pour décider cette ques-
tion ? 11 défend à toutes sortes d'ecclésiasti-
ques de posséder plusieurs bénéfices. Le
saint concile ne donne jamais de dispense,
si ce n'est lorsqu'un bét)éfice dont un ecclé-
siastique se trouve revêtu n'est i)as suffisant
pour son entretien. Que voulez-vous donc
faire de cette abbaye, que vous sollicitez
depuis si longtemps ? Navez-vous pas déjà
un bénéfice dont le revenu serait suffisant,
si vous vouliez vivre dans la modestie de
votre étal? Pourquoi donc vous empressez-
vous pour obtenir un second bénéfice, et
qu'en voulez-vous faire? augmenter votre
équipage, avoir une table mieux servie, des
meubles |)lus superbes, un plus grand nom-
bre de domestiques, jouer un plus gros jeu
et par ce raoyeia scandaliser l'Eglise et les
fidèles.
Ils voient avec douleur que ceux qui de-
vraient faire [laraîlre une grande simplicité,
vivent dans la magnificence. Ceux qui de-
vraient ménager leur bien pour les pauvres,
font un nombre très-grand de dépenses su-
perflues. Ceux que le Fils de Dieu a chargés
de crier contre les pompes du monde, vi-
vent eux-mêmes dans le luxe. Ceux à oui
les conciles ordonnent que leurs tables
soient frugales, ont les tables les mieux gar-
nies, et oiî l'on sert les mets les plus déli-
cats. Les disciples de Jésus-Christ ont mené
une vie si pénible, convient-il que leurs
successeurs recherchent leurs aises et sup-
portent avec impatience les moindres in-
commodités? Les disciples de Jésus-Christ
manquaient de toutes choses, convient-il
que leurs successeurs aient avec abondance
toutes les commodités de la vie?
"Voulez-vous ôter à vos frères tant de su-
jets de scandale qui sont si légitimes? pre-
nez une fois une juste idée de ces biens ec-
clésiastiques qui sont si désirés. Regardez-
les comme des biens dont le désir est crimi-
nel, dont la possession est dangereuse, dont
l'administration est difficile. Si vous n'avez
point de bénéfices, estimez-vous heureux de
n'être j)oint exposés à tous les dangers, et
à toutes les tentations dont les biens ecclé-
siastiques sont presque toujours accompa-
gnés. Si vous en avez, soyez bien persuadés
que vous rendrez compte à Dieu jusqu'à la
dernière obole de ces biens qui vous ont
été confiés pour assister les pauvres. Ne
souhaitez point de bénéfices, ne faites au-
cune démarche pour en obtenir, de peur
qne Dieu ne vous en accorde i)0ur punir
dispensalionem papx, sine ralionabili causa. i(Card.
Cajet. in Siimma \eiho Beneficium, n. 9.)
(i05) i ScienJum est poniiticuu) dispensalionem,
quando non adesl jiista causa dl^peiisandr, vaiere in
ioro loii, non in loro Poli, ut docet sancius Tho-
mas. » (Gard. Ijell., Instiucl. ad nepotem.) :
(204) « Sancia synodus slaluil ul in poslcium
unum lantum bcneliciuni ^ingulis conferatur, » etc.
(Trid., sess. 24, cap. 17, De rcformatione.)
1181
RETRAITE ECCLES. — XllI, DON EXEMPLE.
vos souhaits criminels, et vos déDiarches
ambilieuses. Si Dieu v(>us en envoie sans
que vous les ayez recherchés, tremblez,
puisque c'est un fardeau dont vous senti-
rez la pesanteur quand vous paraîtrez de-
vant Dieu. Ne les acceptez point, que vous
n'ayez consulté Dieu par la prière, et que
vous n'ayez pris le conseil de personnes
désintéressées. Quand vous aurez un bé-
néfice, songez que c'est une assez grande
charge. Songez qu'un second bénéfice se-
rait un second fardeau, sous le poids duquel
vous seriez infailliblement accablés-
Voilà donc les principaux péchés qui
scandalisent les fidèles, dans les ecclésias-
tiques. L'impureté, l'immodestie, l'avarice,
la vie molle, l'empressement d'acquérir les
richesses ecclésiastiques , c'est à vous à
vous préserver de ces monstres, puisque
vous êtes indispensablement obligés de
donner bon exemjile à vos frères.
TKOISIÈME POINT.
J'ai encore deux ou trois moyens à vous
proposer, pour vous faciliter l'exécution du
grand précepte qui vous oblige de donner
bon exemple à vos frères.
Le premier moyen, c'est d'examiner sou-
vent votre conduite par rapport à votre pro-
chain, par rap[)ort à l'obligation que vous
avez de l'édifier et de lui donner bon
exemple.
Quand je dis par rapport à votre pro-
chain, je ne parle pas des gens du monde,
je ne parle pas de ceux qui suivent les
maximes du siècle je ne parle point de
ceux qui, méprisant les règles de l'Evangile,
s'oQ'ensent et se scandalisent quand un
saint prêtre remplit ses devoirs, et ne s'of-
fensent point lorsqu'un ecclésiastique dé-
réglé viole les lois et les canons de l'E-
glise.
Je parle de ceux qui se conduisent sui-
vant les maximes de l'Evangile. Je parie de
ces [)etits, qu'il est si dangereux de scanda-
liser, comme Jésus-Christ nous l'enseigne.
Qui sont ces petits ? ce sont les humbles qui
cherchent Jésus-Christ dans la sincérité de
leur cœur, qui, comme ils se sont consacrés
à ce divin époux, voudraient aussi que tous
les hommes se donnassent à lui de tout
leur cœur. Ce sont ceux-là que vous devez
craindre d'offenser, et par conséijuent c'est
par rapport à eux que vous devez examiner
votre conduite. Voyez si dans vos actions,
dans vos discours, dans vos habits, dans
vos manières, dans vos projets, il n'y a
rien qui les offense. Priez-les de s'en expli-
quer à vous et de vous dire sincèrement
leur pensée. S'ils ont la charité de vous dé-
couvrir ce qui les choque, ou bien même si
vous vous apercevez qu'il y a quelque chose
dans vos mœurs et dans vos manières qui
blesse les gens de bien, retranchez-le au
plus tôt, aûn que, comme le dérèglement do
vos mœurs les scandalisait, votre change-
rai
mont les édifie et les console, selon ce (luo
saint Paul dit do lui-même : Ceux qui avaient
entendu dire qu'api-ês avoir persécuté les chré-
tiens, j'annonçais la foi que je m'efforçais
auparavant de détruire, rendaient gloire à
Dieu de ce qu'il avait fait en moi, (Gui.,
1, 23.)
Un autre moyen pour donner bon exem-
ple à vos frères, c'est de vous sépa^^T de
tous ceux qui mènent une vie déréglée, et
surtout des ecclésiastiques qui scandalisent
le prochain, parce que leur conduite n'est
ni ecclésiasliciuo, ni régulière. Le Fils de
Dieu veut que celui qui n'écoule pas l'E-
glise soit à votre égard comme un païen et un
pubiicain. {Matlh., XVIII, 17.) C'est-à-dire
que vous ne devez avoir aucun commerce
ni aucune liaison avec celui qui n'écoute
pas l'Eglise.
Quelle société donc pouvez-vons avoir
avec des ecclésiastiques qui violent toutes
les règles de l'Eglise, qui ne portent point
l'habit ecclésiastique, qui ne conservent
des marques extérieures de leur profession,
que celles que la crainte d'une diffamation
et d'une confusion toute publique les em-
pêche de quitter, qui aiment le monde et
sont fileins de son esprit, qui croiraient se
dégrader s'ils s'aquittaient des fonctions do
leur ordre, qui se cachent dans quelque lieu
reculé pour célébrer les saints mystères, en
même temps qu'ils étalent aux yeux du
monde leurs ivanités ridicules , qui ne
parlent de Dieu ni des biens célestes, ni de
quelque autre matière qui édifie l'âme et
nourrisse l'esprit, dont toutes les conversa-
lions sont molles, licencieuses, relâchées,
indignes de la pureté de leur étal, qui font
coniister le bonheur à vivre mollement, et
à avoir des bénéfices d'un grand revenu.
Si vous liez quelque société avec des ec-
clésiastiques de ce caractère, vous approu-
vez leur conduiie. Selon saint Paul, non-
seulement ceux qui font le mal sont coupables,
mais aussi ceux qui approuvent ceux qui le
font. {Itom.,1, 32.) Ce'ui-là se juge else con-
damne, dit Terluliien {'2.05); qui se mêle avec
ceux à qui il ne veut pas ressembler et dont
il désapi)rouve la conduiie. Ce n'est pas
assez de nous abstenir des actions crimi-
nelles ; nous sommes encore obligés de
nous séparer de ceux dont nous ne pouvons
disconvenir que la condule est déréglée.
Ainsi, quand bien môme vous ne seriez pas
complice des désordres de ces ecclésiasti-
ques, quand bien même vous ne les ap-
prouveriez pas, si vous communiquez avec
eux, vous êtes coupable. Vous scandalisez
vos frères, ils ont lieu de se persuader que
vous approuvez les dérèglements des ecclé-
siasliques scandaleux, puisque vous avez
des liaisons étroites avec eux, et que vous
les coniplez au rang de vos amis.
Un dernier moyen pour édifier vos frères
par votre bon exem|)le, c'est d'aimer la re-
traite, etd'avoir peu de communication aveo
(205) « Nobis
ivcclac, c. lo.)
»alis rioa Cit, si ipii iiiiiil laie (aciniuus nisi '.inlia faciciilibiis non cunfcr.uiiiir. >iDe
tlK
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1184
les gens du siècle ; car toul homme a des
délauls. Quelques cU'orls que fassent les
pfus gens de bien pour se régler eux-mêmes,
ils tombent presqu'à tout moment. Si vigi-
lants qu'ils soient il leur échappe des fai-
blesses, qui sont les fruits malheureux de
"cet homme charnel, dont nous ne pouvons
entièrement nous dépouiller. Le cœur de
tous les hommes est un champ d'une fé-
condité surprenante pour produire le mal.
Si donc vous n'aimez pas la retraite, si vous
vivez familièremetit avec les gens du siècle,
qu'arrivera- t-il ? vous ne jotirrez pas vous
contraindre ni cacher vos défauts. Ils se-
ront bientôt découverts. Quand ils seront
connus, on vous en estimera moins. Vous
ne serez plus en élal de remporter tout le
fruit que vous eussiez fait, si l'on eût eu
une opinion plus avantageuse de vous.
Vous ne pouvez croire combien le juge-
ment favorable que Ton fait.d'un ecclésiasti-
que contribue à faire écouler ses conseils.
Vous ne pouvez concevoir combien un ecclé-
siastiquefaitdefruit,lorsqu'onn'a rien remar-
qué de défectueux dans sa conduite, lors-
qu'on ne l'a jamais vu que dans l'exercice de
ses fondions etdans la pratiquedesaciionsde
charité. S'il est |)ossible qu'on ne nous voie
jamais que dans la pratique des bonnes
œuvres, s'il est possible, qu'on croie que
sous une forme humaine vous menez une
vie d'ange et de saint, c'est le moyen de
faire vos fonctions avec fruit, de gagner les
âmes, de vous faire écouter, et de convain-
cre les hommes de toutes les maximes que
vous établirez. Pour cela il faut aimer la
vie cachée, la vie sé[)arée du monde, se re-
tirer dans les séminaires, ou bien faire de
vos maisons des séminaires comme les pre-
miers chrétiens faisaient de leurs maisons
des église*, parce qu'ils vivaient aussi sain-
t^meiit dans leurs maisons, que dans les
églises. Quoiqu'un ecclésiastique fidèle ne
doive point rechercherl'eslime des hommes,
et que tout autre motif que celui de plaire
à Dieu soit criminel, il doit néanmoins me-
ner une vie si réglée, que l'odeur de ses
vertus attire l'eslirae et la vénération des
peuples. Autrement il travaillera en vain,
et il ne fera jamais aucun profit.
Entrez donc aujourd'hui dans de si sain-
tes dispositions. Retranchez de votre con-
duite tout ce qui n'est pas édifiant. Prati-
quez foules les vertus dont vous devez don-
ner l'exemple aux gens du monde. Saint
Pierre appelle les ecclésiastiques, les mo-
dèles du troupeau. (1 Pelr., V, 3.) C'est donc à
dire que la vie des ecclésiastiques doit être
si réglée que les fidèles, en la considérant,
soient parfaitement instruits de leurs de-
voirs. Saint Augustin (206) disait à un grand
du monde, en le félicitant sur la vie sainte
qu'il avait embrassée : La morale que nous
vous prêchons est plutôt un miroir pour
vous représenter ce que vous êtes, qu'une
leçon pour vous apprendre ce qu'il faut que
vous soyez. Voilà ce que doivent être les
ecclésiastiques, des miroirs qui représen-
tent aux fidèles ce qu'ils doivent être. Nous
sommes obligés de prêcher au peuple le
détachement, le mépris des richesses, la
patience dans l'adversité, l'amour des croix,
le support du prochain, l'humilité, l'Oubli
des injures, l'amour des ennemis. Prêchons
toutes ces vertus par notre exem[)le, c'est
le vrai moyen d'en convaincre les hommes.
Allons donc à la tête du troupeau, mais
souvenons-nous qu'on n'est véritablement
à la tête, que quand on surpasse par ses
vertus ceux au-dessus de qui on est élevé
par son caractère. Que nous servirait-il
d'être à la tête des autres, si nous étions
hontousemi-nt sous leurs pieds, lorsque nous
aurons à rendre compte de notre adminis-
tration ? Soyons les plus humbles, les plus
zélés, les plus saints. C'est le moyen de sou-
tenir ici bas l'honneur de notre caractère, et
de recevoir un jour dans le ciel les récom-
penses que Dieu a i)romises à ses véritables
njiuislres.
DISCOURS XIV.
DE Là CUASTETÉ.
Quoique tous les avertissements que les
évêques donnent aux clercs, lorsqu'ils sont
prêls de leur imposer les mains, méritent
d'èlre exactement considérés, il est néan-
n)oins vrai de dire que celui qui leur est
adressé, lors lu'ils se présentent pour rece-
voirj'ordre de sous-Jiacre, demande encore
une attention j)lus particulière que les au-
tres.
L'Eglise ne prétend point nous engager,
sans nous faire connaître auparavant ctj
qu'elle exige de nous. Ces: à nous d'exami-
ner si nous sommes prêts de nous soumet-
tre aux lois qu'elle nous impose. C'est è
nous de ne pi<int souffrir que notre nom
soit inscrit sur le catalogue de ses minis-
tres, à moins (juo nous ayons fait de sérieu-
ses réflexions sur nos engagements, et à
moinsque nous ne soyons fermement résolus
de satisfaire à toutes nos promesses.
Celui qui est fait sous-diacre s'engage à
vivre dans la chasteté. Castilalem illo adju-
vante servare oporlebit. Vœu important,
vœu qui ne peut plus être rétracté : Non ti-
cebit a proposilo resilire ; vœu qui fait la
consolaiion de ceux qui l'observent avec
fidélité ; mais vœu qui sera un sujet de con-
damnation pour un grand nombre d'ecclé-
siastiques qui l'ont prononcé téméraire-
ment, et qui ont été assez méchants pour
violer la [)arole solennelle qu'ils ont don-
née à Dieu à la face des saints autels
Il est (Jonc très-nécessaire que les ecclé-
siastiques connaissent à quoi ils s'engagent,
quand jls se lient par le vœu de chasteté. Il
y a sur ce sujet plusieurs erreurs grossiè-
res dont on n'a point assez de soin de se
détromper, et qui deviennent un princi])o
(206) « ha ut Li£c oralio niagis libi sit spéculum, ubi qualis sis »i'lcas, quam ubi discas qualis esse
debeas. >
1(85
RKTUAITE ECCLES — XIV, CHASTETE.
1186
funeste d'un grand nombre de cliules con-
sidérables.
Il y en a qui ne connaissent point ce que
c'est que la chasteté, et qui [irétendent ex-
cuser des dérèglements que cette vertu no
peut souffrir. Il y en a d'autres qui ne sont
point assez convaincus de la conséquence
de celle vertu, et de l'énorraité du vice qui
lui est contraire. Il y en a enfin qui, après
avoir fait le vœu, cèdent lâchement, parce
qu'ils se ftersuadent que l'accomplissement
en est trop difïicile.
Pour détruire ces trois erreurs, qui sont
certainement très- pernicieuses et très-
communes, il est nécessaire de faire voir
quelle est l'essence de la pureté ecclésias-
tique, de quelle conséquence il est de gar-
der exactement le vœu do chasteté , que
Dieu nous a laissé des secours forts et puis-
sants avec lesquels les ecclésiastiques peu-
vent, plusaisémentqu'ils ne se l'imaginent,
venir à bout d'accomplir leur |)romesse.
C'est ce que je me propose d'établir dans
les trois parties de ce discours.
PREMIER POINT.
Il y en a beaucoup qui ne connaissent
point ce que c'est que la pureté. Ils don-
nent à cette vertu des bornes trop étroites ,
et de \k il ariive que plusieurs gémissent
sous la tyrannie du démon de l'impureté,
ue laissent ptTS de se croire chastes.
Tertullier. (207) se plaint que de son temps
il y en avait (pii réduisaient la ciiastelé à
ne se |ioint souiller par ce vice aboininable
dont le nom ne devrait jamais être dans la
bouche d'un prôtre, si la cliarilé ne l'obli-
geait <i en [)arier [lour en ins|)irer de l'hoi-
reur. Quasi pudicilia in sola carnis integii-
tate et stupri aversalione consistât.
Il n'est que trjp vrai qu'il sqxx trouve
môme parmi les ecclésiastiques qui sont
encore dans ia même erreur.
Combien y en a-t-il qui ne mettent aucun
frein à leur langue, qui donnent à leurs
yeux une libellé entière, qui lisent des li-
vres dont la lecture remplit l'esprit de pen-
sées profanes, qui prêtent leurs oreilles à,
des discours scandaleux? Combien y en
a-l-il dont toute la méditation consiste à
refiasser dans leur esprit les entretiens pro-
fanes et uiôme libertins qui se sont tenus
en leur présence? Combien y en a-t-il qui
se permettent tout , et qui ne croient point
pécher contre la chasteté qu'ils ont vouée
a Dieu, parce qu'ils ne tombent pas duns
les.Oerniers dérèglements. Quasi pudicilia
in sola carnis integritate. et stupri aversa-
lione consistât.
AUn de ne point tomber dans de si per-
nicieuses erreurs , apprenez en quoi les
saints Pères oui fait consister l'essence de
la pureté.
Saint Bernard nous enseigne que comme
les sens de l'homme se divisent en cinq,
aussi la chasteté a cinq parties. Castitus
quinque parlita est, videlicet in auribus, in
(207^ Lib. II De cultu feminarunx,c. i.
oculis , in odoralu, in gustu et in tactu. (In
sentenliis.) La chasteté, selon saint Bernnrd,
consiste à se rendre maître de tous ses sens.
Celui qui est chaste n'écoute point ce qui
peut blesser la pureté, il conserve un grand
empire sur ses yeux, il est maître de sa
langue, il prend garde à ne point trop Ibitler
son odorat, il est très -éloigné de st* per-
mettre aucune liberté. Il est donc chaste,
parce qu'il est maître de ses sens. Il les
tient captifs comme des esclaves qui doi-
vent être parfaitement soumis à la raison et
à la religion. Je me borne à vous montrer
jusqu'où doit aller l'empire que celui qui est
chaste doit exercer sur ses yeux, sur sa
langue et sur ses oreilles. Le reste est ou-
vertement trop criminel, et ceux-là môme
qui le voudraient excuser, voient bien qu'ils
agissent contre le témoignage de leur cons-
cience.
Vous ne pouvez douter que Jésus-Christ
n'ait condamné les regards trop libres, qu'il
n'ait condamné la vue des objets qui irri-
tent notre cupidité. Voici les paroles de ce
Dieu de pureté : Quiconque regardera une
femme avec un mauvais désir a déjà commis
t'adultère dans son cœur. {Malth., V, 28.)
Jésus-Christ, par ces paroles, condamne
deux choses, dans le sentiment de saint
Chrysostome. Il condamne les mauvais dé-
sirs, il condamne la vue des objets qui peu-
vent exciter ces mauvais désirs.
Pour bien entendre cette doctrine du Sau-
veur, expliquée par saint Chrysostome, il
faut distinguer deux sortes de regards. Les
regards d'honnêteté, de bienséance, de né-
cessité, et qui sont accompagnés d'une sé-
vère modestie. Voilà les premiers regards
que Jésus-Christ n'a point prétendu con-
damner. Les seconds sont les regards re-
cherchés, curieux, atlectés, qui se font pour
contenter les yeux, el ceux-là sont toujours
criminels, parce que celui qui les jette
s'expose au danger d'allumer au milieu de
lui-même une flamme impure. Saint Gré-
goire de Nazianze (oral. 3, p. 108), en
parlant de ces sortes de regards, dit que
celui qui est chaste est si exact, qu'il croi-
rait pécher, s'il se donnait la liberté d^j re-
garder les objets dont la vue peut en quel-
(jue manière blesser la pureté.
Vous n'êtes pas toujours les maîtres ni de
vos pensées ni de vos désirs. .11 y en a d'in-
volontaires. Les solitaires, dans leur re-
traite, gémissent de se voir charnels et
d'être, selon l'expression de saint Paul,
vendus pour être assujettis nu péché. {Rotn.,
'VII, ik.) Mais si vous sentez des combats,
parce que vous jetez de ces regards empoi-
sonnés dont je viens de parler, c'est vaine-
ment que vous alléguez votre faiblesse. Vos
pensées sont criminelles, vos désirs sont
des péchés. Le péché n'est plus excusable,
lorsqu'on y tombe, parce qu'on a négligé
de couper la racine du mal. Quand bien
môme les regards ne seraient suivis d'au-
cuns désirs criminels, saint Chrysostome les
!187
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1188
soutient inexcusables, parce que vous vous
exposez volonlairement au péril de pécher.
Vous résisterez peut-être, continue ce saint,
une ou deux fois, aux mauvaises impres-
sions qui sont une suite ordinaire des re-
gards dangereux; mais si vous vous aban-
donnez souvent à ces regards, le feu crimi-
nel s'allumera bientôt dans votre coeur.
Comme donc, lorsque nous voyons un en-
fant prendre un couteau, quoiqu'il n'en soit
pas blessé, nous ne laissons pas de le châ-
tier et (le lui défendre de le toucher à l'ave-
nir, Dieu, de même, nous défend les re-
gards curieux, avant même que nous pé-
chions, afin que nous vivions dans une sage
précaution qui nous garantisse du péché.
Tertuilien (Apol. k) rapporte qu'il s'est
trouvé des philosophes qui se sont crevé
les yeux, parce qu'ils désespéraient de pou-
voir vivre chastement, tant qu'ils auraient
la liberté de voir les ol)jels qui enflam-
maient leur cupidité. Ce remède violent
auquel ils étaient obligés d'avoir recours,
marque combien leur incontinence était
grande. Le chrétien en use autrement, il
conserve ses yeux, mais il ne regarde ja-
mais les objets qui pouiraient exciter en
lui de mauvais désirs. .Les vérités qui sont
gravées dans son cœur l'engagent à ne faire
pas plus d'attention à tous ces objets, que
s'il était véritablement aveugle . Animo ad-
versus libidinem cœcus est.
Si donc vous voulez conserver vos âmes
pures, rendez-vous maîtres de vos yeux.
Les yeux , selon la remarque de saint Gré-
goire de Nazianze (orat. 18, p. 27), sont de
tous les sens le i)lus vif, le plus empressé,
et celui qu'il est le plus difficile de re-
tenir. Songez que le regard indiscret est le
père de la pensée dangereuse. La pensée
dangereuse produit le désir criminel , et
selon le Fils de Dieu : Celui qui regarde avec
un mauvais désir a déjà commis le crime dans
son cœur.
Combien en a-t-il coûté à David pour
avoir regardé, et de quels crimes ifunesles
ce regard n'a-l-il pas été la source?
Le démon qui n'ose encore nous propo-
ser un .crime qui nous effraye, nous invite
au'moins à jeter quelques regards, dont il
a soin de nous cacher le danger et les sui-
tes malheureuses.
Dès que vous, vous donnez la liberté de
]eter des regards, soyez persuadé que votre
cœur -est corrompu, comme saint Augus-
tin (208) l'enseigne expressément, quand il
nous dit que ceiui-lh ne peut pas dire que
son cœur est chaste dont les yeux ne le
sont pas.
Faites donc avec vos yeux ce pacte salu-
taire dont parle l'Ecriture : Pepigi fœdus
cum oculis meis, ut ne cogilarem quidcm de
virgine. [Job, XXX, 1.) J"ai fait avec mes
yeux une heureuse alliance, afin que mon
esprit ne fût jamais occupé du souvenir
d'aucune femme. Quelle est cette alliance
qu'on peut faire avec ses yeux? C'est de
convenir, pour ainsi dire, avec nos yeux
qu'ils seront toujours baissés et qu'ils ne
regarderont jamais fixement les objets qui
irritent nos passions.
Si vos yeux doivent être chastes,' votre
langue ne le doit pas être moins. Vous pou-
vez vous rendre plus maître de voire lan-
gue que de vos yeux : il y a des occasions oii
il est difficile de retenir xes yeux ; mais il
n'y en a point oii l'on ne soit le maîire de sa
langue, quand on s'est imposé une lui de tie
tenir jamais aucuns discours qui offensent
tant soit feu la pureté.
Apprenez de saint Paul combien sont
criminels tes discours contraires à l'honnê-
teté ; mais avant que d'entendre les paroles
de cet Apôtre, prenez garde qu'il parle à
tous les chrétiens, et n'oubliez jamais que
ce qui n'est que criminel dans la bouche
d'un chrétien, est abominable dans la bou-
che d'un prêlre et d'un ministre du Sei-
gneur. Qu'on n'entende pas seulement parier
parmi vous, ni de fornication, ni de quelque
impureté que ce soit, comme on n'en doit
point ouïr parler parmi les saints (Ephes.,
V, 3), c'est-à-dire parmi les fidèles. Car en
ce temps-là les fidèles étaieiit appelés saints.
Qu'on n'y entende point de paroles déshonnê-
tcs, ni de folles, ni de bouffonnes, ce qui ne
convient pas à votre vocation.
Vous voyez que saint Paul interdit à tous
les chrétiens, et je ne vous en demande pas
davantage, quoique l'étal que vous avez
embrassé exige que vous surpassiez en
sainteté les autres chrétiens ; vous voyez,
dis-je, que saint Paul interdit. à tous les
chrétiens deux, sortes de discours : premiè-
rement, les discours impudiques; en second
lieu, les discours bouffons.
Les discours impudiques vous sont dé-
fendus. Qui en pourrait douter? Y a-t-il
rien qui inspire plus d'horreur qu'un prê-
tre, qu'un minisire du Seigneur, qui tient
des discours contraires à la pureté? Quoi 1
la même langue (|ui a consacré le corps du
Seigneur, proférera des paroles déshonnê-
tes ? La même langue gui a délié les pé-
cheurs coupables d'avoir prononcé des dis-
cours lascifs , sera obligée de s'accuser des
mêmes désordres? Votre bouche ne doit
être ouverte que pour chanter les louanges
du Seigneur, et celte bouche prononcera
avec hardiesse des discours qui lui déplai-
sent mortellement? Vous devez reprendre
les pécheurs qui souillent leur langue par
des entretiens criminels. De quel front vous
acquilterez-vous de cet emploi , si vous
prenez part vous-mêmes à ces sortes d'en-
tretiens, si vous vous y plaisez, si vous y
donnez votre temps?
L'apôtre saint Jacques regarde comme
une chose monstrueuse, et qui n'est pas
supportable, que la bénédiction et la malé-
diction parlent de la môme bouche. Une
fontaine, dit cet apàlve, jette-l-ellepar la même
(208) I Nec dicalis vos haberc auimos pudicos-, si liabeaiis oculos impudicos. > (Ep, 2ti, nov. edil.,
ai. lO'J.)
im
RETRAITE ECOLES.
ouverture de /Va« dottce et de Feau amère?
Un figuier peul-il pvrler des raisins, ou une
vigne des figues? {Jac, XI, 10.) La béné-
diction cl la nialédiclion ne sortent que
trop souvent de la l)Ouclie d'un même mi-
nistre des <iut(*ls. Quelle profanation quand
une langue (|ui doit être sacrée par tant de
raisons, prononce des paroles qui la souil-
lent! La nièiiie langue bénit et outrage le
Seigneur : ou plutôt elle ne cesse de l'ou-
trager; car les bénédictions mêmes devien-
nent des outrages dans la bouche d'un mi-
nistre indigne, dont les discours sont si
contraires à la sainteté de sa profession.
Non-seulement saint Paul vous défen.i .'es
oiscours impudiques, mais il vous défend
aussi les discours bouffons.
11 est certain qu'un prêtre doit avoir pour
principe de souter)ir en tout temps la gra-
vité de son état. C'est par là qu'il conserve
sou rang; c'est par là qu'il fait voir com-
bien il estime son caractère, et la juste ap-
préhension où il est qu'd ne lui échappe
rien qui puisse blesser l'honneur que Jé-
sus-Christ lui a fait de le placer dans un
rang si élevé.
Je ne dis pas qu'un prêtre ne puisse se
renfermer dans une société d'amis choisis,
là se donner quelque relâche , s'accorder
une liberté honnête, qui ne passe point les
bornes d'une modestie sévère et d'une gra-
vité digne de notre étal. Mais voici des
matimes certaines qu'un ecclésiastique ne
peut se dispenser de suivre.
Il ne convient point à un ecclésiastique
de se lier avec toute sorte de monde.. La
conversation de ceux qui suivent .les maxi-
mes du siècle ne peut lui être que très-pré-
judiciable : ce n'est point avec des person-
nes de ce caractère qu'il doit prendre les
relâchements qui lui sont légitimement
permis. Lorsque la nécessité l'oblige de se
trouver avec les gens du siècle, il doit sou-
tenir constamment le caractère sérieux, et
par là leur imprimer le respect qui est dû à
son rang et à sa dignité.
Quand U)ên)e un ecclésiastique se trouve
dans des sociétés qui lui conviennent, et
qu'il est avec ceux à qui il peut expliquer
plus librement ses sentiments, il doit tou-
jours se souvenir de ce qu'il est, et pren-
dre garde de ne point sortir de la gravité de
son état. Or il en sort, dit suint Ber-
nard (209), dès le moment qu'il se laisse aller
à des ris immodérés et qu'il y excite les
autres.
Enfin, quelles que soient les circonstan-
ces.du temps, avec quelque personne qu'un
ecclésiastique jjuisse se rencontrer, qu'il
ait pour maxime que c'est une chose très-
criminelle et très-honteuse [)0ur lui de
s'oublier jusqu'à so piquer d'être un homme
plaisant et. bouffon. Il lui est encore plus
défeudu d'en faire pour ainsi dire profes-
(209) « Fœdeadcachinnosmoveris, fœdiusraoves.)
L. Il De consideralione, cap. 13.
(2[^)) i iene peoes ne eaiiiad ilUcila, lene manus
abomni scelere, teue ocuios ne maie alteDdani, icne
— XIV, CHASTETE. 1190
sion, et de se glorifier d'un caractère si bas
et si indigne de la sainteté de son étal.
Voulez-vous apprendre quels doivent être
It^s discours et les entreliens des ecclésias-
tiques? écoutez le saint Apôtre : Que nul
nuiuvais discours ne sorte de voire bouche,
mais qu'il n'en sorte que de bons et d'e'di-
fianls. (Ephcs , IV, 29.)
Voici la règle que vous devez garder dans
vos entretiens. Choisissez, le plus souvent
que vous pourrez, pour matière de vos con-
versations des sujets de piété. Il n'est point
défendu de se délasser et de s'entretenir
quelquefois de choses indifférentes, pourvu
qu'on ne pousse pas trop loin celte liberté
et qu'on prenne garde de n'en pas abuser.
Alais pour ce qui est des discours bouffons
qui excitent des ris immodérés, les paroles
de saint Paul sont très-claires. Il défend
ces sortes de discours à tous les chrétiens;
donc à plus forte raison ils ne doivent ja-
mais sortir de la bouche d'un prêtre. ^
Nous avançons toujours, et nous appre-
nons que la chasteté condamne les regards
indiscrets, les paroles libres. Ajoutons en-
core que, pour être chaste, il faut que nos
oreilles soient pures et qu'elles soient fer-
mées pour ne point entendre les discours
qui blessent la pureté.
Saint Augustin (210) a tout compris dans
ces excellentes' paroles qui sont tirées d'un
(le ses sermons. Ne souffrez pas, dit ce saint
docteur, que le démon se serve de vous-
même pour vous combattre. Dieu vous a
rendu le maître de vos sens. Vous pouvez
avec le secours de la grâce les retenir dans
de justes bornes. Si votre cupidité se ré-
volte, si la tentation vous [)resse, retenez
vos sens et cette cupidité, qui est votre en-
nemie, ne pourra nuire à la pureié do votre
âme. Encore une fois, retenez vos sens et
ne donnez pas vous-même à votre ennemi
des armes p jur vous combattre. Empêchez
vos pieds de courir dans les assemblées pro-
fanes. Retenez vos mains, et ne leur accor-
dez jamais aucune liberté qui ipuisse en
souiller la pureté. Retenez vos yeux, et ne
leur permettez pas de considérer les objets
qui pourraient irriter votre cupidité. Rete-
nez vos oreilles, afin qu'elles ne soient point
attentives aux discours qui sont contraires
à la pureté. En un mot, retenez tous vos
sens.
Retenez vos oreilles. La chasteté est donc
blessée dès que vous écoutez dus discours
qui lui sont contraires.
Saint Augustin veut que vous reteniez
tous vos sens, et comme je vous l'ail déjà
appris en vous ra()porlant les paroles de
saint Bernard, saint Augustin prétend que
la chasteté consiste à acquérir , un empire
universel sur tous les sens.
Si vous voulez être chaste, saint Augus-
tin vous dit que vous devez soutenir le com-
aiires ne verha libiJinis libentcr audiant, lenetotuni
corpus. Surgeiido assidue sine causa discii et no»
suigere. p (Serm li8, al. 45, De verbii Do-
mini.)
IICI
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1192
bal contre tous vos sens , sans jamais user
avec eux de la moindre indulgence. Nos
sens sont des importuns qui ne sont jamais
satisfaits. Ce .<ont des esclaves qui ne son-
gent qu'à rompre leurs chaînes et à se ré-
volter. Ceux-là seulement eu deviennent
les maîtres qui exercent sur eux un empire
sévère, et qui ne leur accorde aucune li-
berté. Le seul moyen de jouir de la paix,
le seul moyen de vaincre la cu[)idilé, c'est
de lui résister en toute occasion. « Car, dit
saint Augustin, lorsqu'elle n'avance point,
et que ses etTorts sont inutiles, à la fin elle
devient paisible, et elle souffre que nous
jouissions de la douceur de la paix. » Sur-
gendo assidue sine causa discit et non sur gère.
Saint Jérôme (211) nous enseigne que dès
le moment que l'ennemi nous attaque, nous
ne devons point perdre de temps, et que
nous devons aussitôt le combattre. Ne per-
mettez pas, dit-il, que l'ennemi se fortifie,
prenez tous vos avant/iges. Attaquez J'eu-
nemi et le surmontez pendant qu'il est en-
core faible , et que ses attaques sont moins
violentes.
Ne pensez pas toutefois que vous puissiez
jamais obtenir une paix qui ne soit point
troublée. Il y en a, dit saint Augustin, qui,
parce qu'ils ont beaucoup d'amour pour la
pureté, s'imaginent que toutes les tenta-
tions dont ils ont été attaqués, nuisent à la
pureté de leur âme ; ils souhaiteraient avoir
une [»aix dont il est impossible de jouir
pendant cette vie ; ils voudraient n'être point
tentés. Mais qu'ils apprennent que la pureté
chrétienne ne consiste point à n'être point
tenté (212). Les tentations ne sont trinunel-
les que dans ceux, qui les attirent par leur
négligence, par les libertés qu'ils se don-
nent. Mais celui qui veille, qui réprime
avec soin tous les mouvements de ses sens,
qui, sévère à soi-même, devient le persé-
cuteur irréconciliable du ses passions, bien
loin qu'il soit criminel lorsque la tentation
le presse, quand il sort victorieux du com-
bat, il acquiert un nouveau mérite. Dieu ne
permet qu'il soit tenté qu'afin de lui donner
occasion de combattre et de vaincre.
Saint Jérôme (213) est encore tenté au mi-
lieu de sa solitude. Il nous décrit les tristes
combats qu'il soutient; il se mortifie, il se
[persécute, il joint la prière au jeûne et aux
'plus sévères mortifications; néanmoins il
gémit, et il sent encore au milieu de lui-
même un ennemi qui ne cesse point de lui
faire la guerre. Consolez-vous , âmes chas-
tes, au milieu de vos peines et de vos tra-
jvaux. Les tentations fortement combattues,
bien loin de nuire à la pureté, ne servent
'qu'à en relever l'éclat et à en augmenter le
liùérile.
Ainsi la pureté chrétienne ne consiste pas
è n'être point tenté, mais elle consiste à se
rendre maître de ses sens, à les combattre,
(211) ( Dum parvus est hostis, interfice. >(Z)âcas{.
virg.)
(^12) f Yolumus ut nullse sinl concupiscenliae, sed
nun pbssumus. » (S. Aug. loco sup. cit.)
à les mortifier, sans jamais leur donner au-
cune liberté, ni entrer avec eux dans aucune
capitulation.
O vous, qui vous persuadiez que pour être
chaste, c'était assez d'être exemfit des grands
dérèglements, vous voilà heureusement dé-
trompés; et vous avez appris que la chas-
teté ne peut compatir avec beaucoup de li-
bertés que l'on croit ordinairement dans le
monde ne lui être point opposées.
11 faut encore vous faire connaître de
quelle conséquence il est de garder le vœu
de chasteté, et combien est énorme le péché
par lequel on traiisgresse ce vœu.
DEUXIÈME POINT.
Trois considérations vous feront connat-
Ire de (juelle conséquence il est aux minis-
tres du Seigneur do garder fidèlement pen-
dant toute leur vie le vœu de chasteté.
Par ra[)port à vous-mêmes, vous devez être
fidèles à garder ce vœu. Votre intérêt vous
y engage. Car un minisire du Seigneur qui
n'est pas chaste se souille d'un nombre in-
fini de péchés, et l'impureté dans un prêtre
est un caractère presque assuré de réproba-
tion.
Par rapport à l'Eglise, dont vous êtes les
ministres, vous ne pouvez être trop exacts
à garder la chasteté, car l'Eglise déleste
surtout les ministres impudiques.
Enfin, par rapport au prochain que vous
devez édifier, conservez la chasteté comme
un précieux trésor, car un prêtre qui n'est
pas chaste porte partout le scandale, et il
est incapable d'édifier.
Commençons fiar examiner tous les pé-
chés dont est coupable un prêtre impu-
dique.
Premièrement, autant de fois qu'il com-
met un péché d'ira|iurelé, il fait des mem-
bres de Jésus-Christ, les membres d'une pros-
tituée. (1 Cor. VI, 9, 15.) Il fait un péché
dont saint Paul assure que ceux qui le
commettent ne posséderont jamais leroyaume
de Dieu.
Mais cet infâme péché, de combien de
ptMisées sales est-il précédé? de combien de
désirs? A l'église même et à l'autel, un
prêtre impudique ne cessera point de con-
cevoir de mauvais désirs et par conséquent
il ne cessera point de souiller son âme et
d'augmenter la mesure de ses crimes.
Si ce prêtre impudique administre les sa-
crements de l'Eglise, s'il donne le saint
baptême, si celui qui ne devrait songer qu'à
pleurerses désordres enlre dans les tribunaux
sacrés pour purifier ceux (}ui sont souillés,
s'il donne les autres sacrements, autant de
sacrilèges, autant de fois il, [)rofane le sang
de Jésus Christ, parce qu'il a l'impudence
do dispenser ses grâces et ses mystères,
quoiqu'il soit son ennemi déclaré.
Mais, hélas 1 qu'est-ce que j'aperçois ?
(213) « Pallebant ora jejuniis et mens desideriis
aistuabat lit frigide coipore. » (S. Hiebonïm., loco
sup. ciialo.)
1i)S
RKniAlTE ECCL, —XIV. — CHASTETE.
Ubi
Quoi I co prôlro impudique osl déjà révolu
dos orncmenis sjicordotaux ! quoi ! il v,i se
présenler ^ l'iuitel pour y oITrir le sacrifice!
ce prêlre impudique osera bien d'une ha-
leine infectée pro.'ioncer les paroles qui fonf
descendre Jésus-Christ du ciel en terre!
Ah 1 je frémis, et ne fremissez-vous point
avec moi? Je ne serais pas saisi d'une si
grande horreur de voir Jésus-Christ entre
les mains des bourreaux qui perçaient ses
pieds et ses mains, que je le suis de voir
mon Sauveur entre les mains d'un prêtre
impur, dun monstre, d'un a!)ominable,
d'un démon sur terre.
Ce préîre irnpui participe h la victime
sainlo après l'avoir oU'erte. Quoi! voilà le
Sauveur du monde dans le cœur do son en-
nemi ! Voilà l'arclie auprès de Dagon. Voilà
Jésus-Christ avec Déliai. Voilà celui qui
aiuje souverainement l'innocence et la pu-
ie(é, dans un cœur qui ne respire que l'im-
pureté et le crime. Ces horribles sacrilèges
seront renouvelés tous les jours pendant
un grand nombre d'années. Qui pourrait
compter tous les crimes, tous les sacrilèges
que ce prêtre a amassés? Ce que David a
dit, par un esprit d'huiuililé et depénilence,
ne s'.iccomplil que trop véii'ablement dans
un prêtre impudique : Mes iniqnHéx se sont
élecées par-dessus ma tête ; elles m'ont acca-
lilé comme un fardeau très-pesant. (Psat.
XXX\ il, 5.)
Mais ce jirètre, qui est tout couvert de
lèpre, ne rentrera-l-il f)0int en lui-même,
ne considérera-l-il point son état et sa mi-
sère, n'en sera-t-il point touché, no pren-
dra-t-il point une résolution sérieuse de
travaillera réformer sa vie? Hélas 1 (ju'il est
rare de trouver des prêtres impurs ijui son-
gent vérilubltuient à se convertir. Le ca-
racière de l'impureté, particulièrement dans
un prêtre, c'est d'endurcir le cœur. Un prê-
tre im|)ur devient impudent. Les reproches
les plus sérieux, les remontrances les plus
vives ne feront aucune impression sur son
cœur. Il est de ceux à (jui le prophète re-
liioche qu'ils ont le front d'une femme proS'
liluée , et quils ne veulent pas même rougir.
(Jerem., 111, 3.)
Ou en voit dans le monde, lesquels, après
avoir langui dans le [)éché , rentrent en
eux-mêmes, lorsqu'ils sont pressés par la
nécessité d'approcher des sacrements ; ils
jiuronl horreur de commettre un sacrilège ;
ils seront touchés d'une prédication pathé-
tique; la mort d'un ami les remplira d'une
juste épouvante. iMais c'est le propre des
prêtres impurs de s'endurcir dans le crime,
lis n'ont plus aucun respect pour les sacre-
ments de l'Eglise ; ils se sont fait une habi-
tude de commettre des sacrilèges ; quel re-
mède pourrait les guérir, puisque les sacre-
ments, ces divins remèdes que le Fils de
Dieu a établis pour purifier nos âmes, sont
devenus, pour eux, un poison mortel par la
profanation qu'ils en font?
Tous les jours, dans les missions , par la
miséricorde du Seigneur, des pécheurs en-
durcis reviennent de leurs égarements el se
ORATËUnS SACRÉS. LXVlll.,, ,,_.
convertissent h Dieu. Il n'y a que les prê-
tres impurs qui tiennent ferme; rien ne les
touche, rien ne les épouvante. En elfel,
que pourrait-on employer pour le salut do
celui qui, bien loin dêtre purilié par la pré-
sence de Jésus-Christ, n'en est que davan-
tage souillé 1
Consultons l'expérience. C'est toujours la
plus excellente do toutes les preuves. Pour
confirmer toutes les vérités (jue J'ai avan-
cées, je n'ai qu'à vous proposer le carac-
tère , la conduite , la vie , les mœurs , la tin
d'un prêtre impudique. Une vie remplie de
crimes, ordinairement terminée par une fin
malheureuse et par une mort de réprouvé,
voilà ce que je présente à vos yeux, et ce
que vous ne pouvez trop attentivement
considérer, pour vous convaincre qu'il n'y
a rien de plus horrible et de plus à craindro
que l'impureté dans un ministre de Jésus-
Christ.
Si ceux qui sont tombés dans quelque
péché d'impureté coruiaissaient combien
l'Eglise les déleste, jamais ils ne seraient
assez hardis |)our entrer dans le sanctuaire,
ou pour oser s'y maintenir, .
Voici quel est l'esprit de l'Eglise, quels
sont ses désirs, el ses dispositions à l'égard
de ceux qui sont coupables du péché d'im-
pureté.
Son esprit est, premièrement, que les im-
pudiques n'entrent jamais dans le sanc-
tuaire.
En second lieu, son esprit est que ceux
qui, après avoir été reçus au rang de ses
ministres, tombent dans le péché d'impu-
reté, aillent pleurer leurs péchés .dans la
retraite, et qu'ils n'exercent plus les sain-
tes fondions de leurs ordres.
L'esprit de l'Eglise paraît par !a raanièro
dont elle s'est expliquée dans les saints
conciles. Partout elle fait voir qu'elle ne
veut point qu'on lui donne pour ministres
ceux qui ont 5 se reprocher le crime hon-
teux de l'impureté.
Voici comment l'Eglise parle dans un de
ses plus anciens conciles. Ceux-là ne doi-
vent pas être ordonnés sous-diacres qui,
dans leur jeunesse, ont commis quehiuo
péché d'impureté. L'Eglise ne dit pas que
ceux-là ne seront point ordonnés sous-dia-
cres, qui, quelque temps, avant de se pré-
senter aux saints ordres, ont commis un
péché d'impureté, mais elle exclut ceux qui
sont tombés dans cet énorme péché, même
pendant leur jeunesse. Où donc allez-vous,
vous qui à peine êtes sorti du crime ? Quoi I
vous osez vous offrir à l'Eglise! Allez,
allez, vous êtes iudigno du rang auquel
vous aspirez. Ce qui vous convient, c'est
de pleurer vos péchés dans une sombre re-
traite. Le sacerdoce serait un poids qui
vous accablerait, et vous n'êtes en aucune
manière en élat de le soutenir.
Origène (lib. 111 Contr. celsum), parlant
de la discipline que l'Eglise observait à l'é-
gard de ceux qui étaient tombés dans des
|)échés griefs, et principalement de ceux
tjui étaient coupables du oéché d'iiûpureté,
38
4i95
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMDERT.
1190
dit fiue quand ils roniraiont on evix-mômos
et qu'ils se repentaient sincôremenl de ieui's
égaremenls , ils étaient considérés comuie
des hommes ressuscites, ils étaient examinés
beaucoup plus rigoureusement que quand
ils avaient commencé à faire profession do
la vraie religion. Mais Origène assure ex-
pressément qu'ils n'étaient reçus qu'à con-
dition que l'entrée des dignités ecclésiasti-
ques leur serait fermée, et qu'ils ne pour-
raient jamais y prétendre. •
L'esprit de l'Eglise a toujours été le
même. Elle a parlé dans les derniers temps
comme dans les premiers siècles. Le saint
concile de Trente, traitant des quatre ordres
mineurs, dit que ceux qui sont choisis pour
en exercer les fonctions, doivent vivre dans
le célibat, mais que, s'il ne s'en présente
point, on peut confier cette fonction à des
hommes mariés, pourvu néanmoins qu'ils
n'aient point contracté de secondes no-
ces (20).
Quoi 1 ceux qui ont été mariés une se-
conde fois, quoiqu'ils n'aient commis aucun
crime, quoiqu'ils n'aient rien fait qui ne
soit permis aux enfants de l'Eglise, ne sont
pas assez purs pour exercer les fonctions,
non pas du sacerdoce, mais des quatre or-
dres mineurs, et un homme' impur, qui a
souillé le temple du Saint-Esprit, aura la
hardiesse de prétendre aux premières pla-
ces de l'Eglise?
Quand les ministres de l'Eglise, oubliant
leur rang et leur dignité, étaient assez mi-
sérables pour se, plonger dans la fange,
comment élaient*ils traités par les saints
canons ? Le canon 24. des a[>ôtres : Un évo-
que, un prêtre, ou un diacre convaincu du
crime de fornication, etc., sera déposé. Le
canon 50 du concile d'Agde(21), et un grand
nombre d'autres canons, dont il serait inu-
tile de rapporter les termes : si un évôipic,
un [irêlre, un diacre a commis un crime
capital (f)ersonne ne doute que rim[)urelé
ne soit compromise sous ce nom), qu'il
soit déposé de sa dignité, qu'il soit ren-
fermé dans un monastère, où pendant le
reste de sa vie il ne sera admis qu'à la com-
munion des laïques.
Potamius évêque de Brogue, comme il
nous est rapporté dans les actes du dixième
concile de Tolède, n'était cuu})able que
d'un attouchement im()ur; on n'avait au-
cune autre preuve qu'il eût commis ce
crime, que la confession qu'il en avait faite
de son propre mouvement, néanmoins le
concile déclare que par une grâce particu-
lière, et en se relâcliant de la rigueur des
anciens canons, il lui conserve le titre d'é-
vêuue (22). Mais en même lemus le concile
(20) t Quod si minis^teriis quatuor nilnorura or-
dinuiii exerceiiilis clerlci ciElibjs priesto noneruni,
suflici possiiii enam conjugal! vil;« probauie dum-
modo non bitiauii.j(Trirf.,&ess. 25, De reforntatiotie,
cap. 17.)
("21) « Si episcopus, prcsbyler, aul d'.acoiias ca-
pitale crimen comuiiscrit ab uilicii lionore deposi-
lus in nioiiasicrio relrndaUir. j
(22) » V'alLJa auclonlale decreviinus pcrpeluœ
ordonne qu'il se renfermera aans un mo-
nastère, afin d'y faire une longue pénitence,
et d'éviter par ce moyen les châtiments ri-
goureux, dont Dieu le punirait au jour de
sa colère.
Saint Grégoire dit expressément que
ceux qui tombent dans le péché de l'impu-
reté doivent entièrement cesser d'exercer
les fonctions de leurs ordres. Que celui, dit
saint Grégoire, qui, ayant été honoré du ca-
ractère ecclésiastique, se souille par le pé-
ché d'impureté, se considère comme étanl
dépouillé de l'honneur qu'il a reçu, et qu'il
ne soit point assez osé pour approcher des
saints autels (23).
L'Eglise animée d'une juste indignation
contre les impudiques , s'est encore expli-
quée d'une manière plus forte. Elle leur
interdisait autrefois la p8rtici()alion des
saints mystères pendant un très-longtemps.
Ce qui a fait prononcer à saint Augustin
dans une de ses épîtres, que quiconque
s'est laissé aller au péché d'impureté est
jugé indigne, non-seulement des charges
eci lésiastiques, mais même de la participa-
tion des sacrements, et c'est, dit ce saint
docteur, avec beaucoup de raison qu'un
exerce celle sévérité (24-).
Il est donc constant que l'Eglise ne vou-
lait point anciennement qu'on lui donnât
[lour .ministres ceux qui étaient cou|)ables
du |)éché d'imfiurelé. Il est constant qu'elle
déposait ceux qui, après avoir été élevés aux
ordres sacrés, commettaient celte inlâme
[)éché. L'Eglise pouvait-elle en faire davan-
tage pour nous marquer combien elle dé-
teste, particulièrement dans ses minislies,
le péché de l'impureté?
Et delà je tire deux conséquences irès-
im[)orlànles.
La première est que si les désirs de l'E-
glise étaient suivis, ceux qui sont tombés
dans le péché de l'imijureté, même pendant
le temps de leur jeunesse, ne seraient ja-
mais [)lacés au rang de ses ministres.
De même encore, si les désirs de l'Eglise
étaient suivis, et c'est ma seconde consé-
quence, quand un de ses ministres s'e.st
noirci par le péché d'impureté, il cesserait
aussitôt d'exercer ses fondions, et il no
songerait plus qu'à pleurer ses péchés dans
la retraite.
Y a-t-il rien de plus juste qne d'éloigner
du sanctuaire des lion)mes inutiles à l'Eglise,
incapables d'exercer avec succès les fonc-
tions deleurs ordres, ei qui, bien loin d'être
en état de rendre service au prochain, por-
Icnl le scandale partout, et |)crdenl les
âmes qui leur sont confiées? C'est le dernier
motif uunt je me sers pour vous conlirmer
pœnilenliie liunc inservire olficiis. »
(25) i Sacerdolii honore deposilo, ad adiuini-
slranduni nullo modo piaîsuiuas accedere. > (L. Il,
cp. U.)
^2i) t JNenio dignns nMi modo ecclesiaslico niii.i-
skrio, sed ipsa ctiani sacrameruoruni coiuniuni.iiie
vidctur qui se isio peccato maculavii. » (lip. 22,
novic edit., al. 44.)
1107
RETRAITE ECCLES. — XIV. — CHASTETE.
1198
dans les senliinents d'ancjuste indignation
contre le péché déteslabio de l'impureté.
Je dis donc qu'un prôlro adonné au vice
honteux de l'itnpurclé ne peut faire aucun
l)ifn dans 'Eglise. Car, ou il entreprend
d'exhorter les autres pour satisfaire aux
obligations de son emploi, ou il demeure
dans le silence, et abandonne sou troupeau:
ce qui est le plus ordinaire.
S'il entreprend d'exhorter les autres, quel-
que grande que soit son éloquetice, il
ne peut faire aucun fruit. Le peuple ne
peut l'écouter sans indignation. Les |)lus
libertins même ont de la peine h soulfrir
que celui qui est plus tnalade qu'eux, en-
treftreniie de leur olfrir des remèdes et de
guérir leur maladie. On est toujours frappé
de celte idée : cet homme qui nous exhorte
devraitse corriger lui-même. Il lui sied bleu
de nous animer à vivre chastement, pendant
(pie tout le inonde est informé de sa vie li-
cencieuse. Il lui sied bien de prononcer ces
discours louchants, par lesquels il prétend
nous convaincre que le temps de celte vie
est un temps de pénitence el deiraorliticalion.
Mais si ce niinislre demeure dans le si-
lence, s'il est de ces chiens muets, donl pai le
le prophète Isaïe, qui ne sauraient aboyer
(lsai.,LVl, 10), le démon entrera dans la ber-
gerie. Comme il ne sera point contredit, il
ravagera le troupeau, il emportera les brebiis,
il établira partout ses maximes, qui seront
l'avorablemeut écoutées, parce qu'on ne les
réfutera point et qu'on n'en fera point voir
la fausseté.
Mais encore s'il se pouvait faire que ce
ministre impur, à la vérité, ne fil point de
bien, mais qu'il ne nuisît point et qu'il ne
fût pas cause d'un grand nombre de désor-
dres. S'il se pouvait faire qu'on ne pen>ût
point à lui, et qu'étant incapable de faire du
bien, il ne causAt aucun mal. Il n'en est pas
ainsi. On ne peut ex[>li(juer tous les désor-
dres que cause l'impureté d'un prêtre.
Premièrement, quelque effort qu'on fasse
pour cacher le criuie, il est bientôt connu.
Il y a toujours quelque circonstance nou-
velle, qui lait la matière des conversations,
Le peuple indigné de ces mauvaiscoramerces,
n'a point de plus grand plaisir que quami
il y a lieu d'en faire des railleries.
En second lieu, quelle contiance peut-on
avoir dans un prêtre imi)ur ? N'a-t-on pas
bien plutôt de la répugnance à recevoir do
lui les sacrements de l'Eglise ? et ainsi quand
le diable a pu corrompre un prèlre el sur-
tout un pasteur, il est presque sûr uue les
sacremenis seront négligés.
En troisième lieu, quoique ce soit sans
londemenl, néanmoins il n'est que trop vrai
que l'on se [)orle aisément à mépriser les
choses saintes, quand on considère qu'elles
sont entre les mains et en la disposition
d'un liomme si méprisable.
. En quatrième lieu, comme on a du pen-
chant à suivre les mauvais exemples el {lar-
liculièrement de ceux qui sont établis pour
nous conduire, plusieurs se plongent dans
Ic; désordre, qui n'y auraient peut-être ja-
mais pensé, si l'exemple d'un mauvais pas-
teur n'eût réveillé leur passion endormie.
Ah! Seigneur! peut-on assez déplorer l'é-
tat malheureux d'un peuple qui gémit sous
la conduite d'un pasteur criminel ? Quoi!
tout invile au mal, tout porte au péché,
tout contribue h faire régner Satan, el il n'y
a rien qui parle pour Jésus-Christ dans un
lieu où l'impureté a corrompu le cœur des
ministres du Seigneur.
Quelle conséquence de ces vérités? L'E-
glise déteste les ministres impurs. Ils no
tout que du dégât dans son champ. Donô
tous ceux qui sont adonnés au vice honteux
de l'impureté ne doivent jamais prétendre
aux ordres sacrés. Ahl s'il y on avait quel-
qu'un dans cet auditoire, ce que je ne crois
pas, qu'il se relire. Pourquoi veut-il entrer
dans le sein de l'Eglise contre sa volonté?
Pourquoi veut-il entrer dans le sein de l'E-
glis'e pour la blesser de plus près par une
vie scandaleuse ?
Je dis plus : celui qui a commis un péché
d'impureté, quand bien môme il y aurait
longtemps, quand bien même il s'en serait
corrigé, doit se déQer de lui-même. Puisque
les canons anciens l'excluent du sacré mi-
nistère, il ne doit point y entrer sans des
raisons importantes. Il faut que de lai-
niôiue il ne respire que la retraite pour v
pleurer les désordres de sa vie. S'il avance,
il faut que ce soit l'autorité de ses supé-
rieurs qui le détermine contre son propre
sentiment et contre $^3 désirs. Il faut que
les raisons qui engagent à le placer dans un
rang dont il s'est rendu si indigne, soient
bien fortes, pour rem[)orter par-Jessus celles
qui ont obligé l'Eglise à établir les saintes
règles dont je viens de vous parler.
^ Enfin, si quelqu'un coupable de ce péché
s'est éprouvé pendant de longues années.
Je dis pendant de longues années , c«r tjout
homme qui a commis depuis peu un péché
contre la pureté, quelque contrition qu'il
en ait, ne doit point entrer dans l'état ecclé-
siastique. Si donc il s'est éprouvé peii<lant
de longues années, el qu'il ait fondement
d'espérer que par la miséricorde de Dieu
il ne tombera jamais dajis le désordre, le
tiremier pas qu'il doit faire, avant que de
s'engager dans le saint ministère, c'est de
faire une longue et rigoureuse pénitence.
On ne peut guère concevoir une témé-
rité plus grande que celle d'un homme qui
aurait péché et qui oserait entrer dans l'é-
tat ecclésiastique avant que d'avoir apaisé
la colère do Dieu et avant (jue d'avoir satis-
fait pour son péché. « Malheur, dit saint
Bernard, aux ministres infidèles, qui, n'étant
pas encore réconciliés avec Dieu, entrepren-
nent de réconcilier les autres, comme si
leur vie était innocente! Malheur aux en-
fants de colère, qui s'établissent ministres
de la grAce 1 malheur aux enfants de colère
qui usurpent le nom et le degré de ceux qui
doivent être les amis de Dieu! Malheur à
ceux qui ne peuvent [ilaire k Dieu, ()arce
qu'ils suivent les désirs de la chair, et qji
m»
ORATEURS SACHES. JOSEPH LAMBERT.
mo
présiinioiit qu'ils poiiiTont apaiser sa co-
lèro ('25] I »
Ceux donc qui ont commis encore depuis
peu de lom[)S quelque péché d'impureté,
ceux qui n'oni piis lait [lénitence, doivent
songer à pleurer, à gémir, h se raorlifior ;
mais qu'ils songent à recevoir les ordres
saints, c'est une téinérifé in(-xcusable, et
dont ils seront très-sévèremcnl repris iiu
jour de la colère du Seigneur,
Mais que ceux qui ont conservé la chas-
teté, qui aiment celte verlu, ipii détestent
l'impureté, qui la regardent comme un
monstre, qui ont horreur môme «le l'appa-
renci; de ce vice, que ceux-lîi viennent avec
confiance. Ce sont les enfants bien-aimés
que riîglisc chérit.
Il est vrai que i'engagemeni est grand,
qm'il est essentiel de le tenir ; il est vrai
que naturellement l'homme a droit de se
détier de lui-mônie. INe vous etîrayez pas
néanmoins, ô vous qui aimez ia chasteté ;
prononcez le vœu avec assurance. Si vous
étiez abandonné à vous seul, vous auriez, h
la vérité, tout sujet Je trembler, mais j'ai A
vous montrer que Dieu nous a laissé des
secours forts et puissants, avec lesquels les
ecclésiastiques peuvent plus aisément qu'ils
lie se l'imaginent, accomplir leur prouiesse.
C'est mon troisième point.
TROISIÈME POINT.
Un Dieu aussi bon que le nôtre ne [)cut
rien commander d'iuii)Ossible. En môme
temps qu'il nous commande, il nous avertit
de laire ce que nous pouvons, et d'avoir
recours à lui pour obtenir ce que nous no
pouvons pas ; et il nous accorde ses se-
cours, alin que nous puissions accomplir ce
qu'il i"0us ordonne. C'est ce que le concile
Ue Trente a déterminé de tous les comman-
tlemenls de Dieu en général. Et le nièiue
concile, traitant en particulier du dun do
chasteté, déclare que Dieu ne le refuse point
à ceux qui le demandent et qu'il ne permet
f)oinl que nous sovon.s lenlés au delàde nus
loices (2G).
Nous avons, il est vrai, un grand nombre
d'ennemis qui attaquent noire cha»le(é,
mais Jésus-Christ ne nous a pas laissés sans
défense, il nous a donné des armes puis-
santes et victorieuses, avec lesquelles nous
pouvons aisément surmonter nos ennemis.
Si nous sommes vaincus, la négligence que
nous avons à nous servir des secours qui
sont entre nos mains, est l'unique cause
de noire défaite.
Je vous présente d'abord deux moyens
excellents, sans lesquels Jésus-Christ nous
a enseigné qu'on ne peut chasser le démon.
Ce qui esl vrai parlicalièreiuent du démon
de l'impureté. Cette sorte, de démons ne peut
être chassée pui aucun autre moyen que par te
jeime. {Marc, IX, 28.)
Si vous êtes attaqué par le démon de
l'impureté, si la lentation vous presse,
ayez reconrs h la prière, priez au nom de
celui qui assure dans l'Evangile que l'oû
obtiendra tout ce que l'on demandera en
s(jn nom. (^oan., XVI, 13.) Priez avecferveor.
Ne vous lassez puint. Si vous n'obtenez pas
d'abord ce que vous denjandez, priez avec
plus d'instance. Selon les paroles du saint
concile que vous venez d'enlendre, c'est
assez que Dieu vous commande, pour vous
convaincre que si vous êles lidèle à deman-
der, il ne manquera pas de vous accorder
les secours dont vous avez besoin pour ac-
complir SCS commanciemcnt^. Priez avec
persévérance. Ou Dieu v(ju.s délivcera, ou,
si le combat continue, ce sera pour épr(>u-
ver voire verlu, et pour vous ilonner lieu
Je remporter la victoire.
Pour animer votre prière, et pour la ren-
dre plus ethcace, joignez-y ia mortilicatioi.
il est très-cerlain que la recherche des pl.ii-
siis, de la bonne chère, et des délices de ia
vie, est la mère et la nourrice de l'im-
pureté.
Terttillien dit si bien : Monstruin libida
sine gula. {Dejrjun, I.) C'est un monsire que
l'imiureté, sans rallachement à la bonne
chère. C'est-à-dire (jue c'est une chose bien
surprenante, et (jui ne se rencontre presque
jamais qu'un homme sobre, qui < si le mai-
Ire de sa bouche, qui n'aime ni le vin, ni
les mets tiélicats, soit adouué au vice de
l'impureté.
Terlunieti dil encore que l'embonpoint
qui est une suite de la bonne chère, est à
l'égard de l'aine comme un meuble inutile,
qui retarde le voyage (ju'clle doit faire a-i
ciel. Atiinuc impeUinieittum.
Le mémo Tertulhen, faisant réflexion sur
ces paroles que Dieu dit à Aaron : Vous
ne boirez p&inl de vin, vous et vos enfants,
quand vous entrerez dans le tabernacle, quand
vous monterez à l'autel, et vous ne mourrez
pas (Ler., X, 9), en lire cette conséquence.
Donc Ceux-là mourront qui, n'élaut point
sobres, s'engageront dans le ministère des
autels (27j.
Saint Jérôme enseigne, que comme hv
gourmandise nous a chassés du paradis,
nous n'y pouvons rentrer qu'à la faveur de
l'abstinence et de la mortilication (28).
Maisqu'y a-l-il de plus clair que les paroles
de saini Paul : Ne vous laissez pus aller aux
excès du vin, d'oii naissent les dissolutions .
{Hphes., V, 18.) C'est donc s'exposer au
(langer manifeste de perdre la pureté, que
de chercher les festins et les lieux de bonne
(25) I V:e îuinrsuis infiJcUbus qui, »€cJuni re-
eoiiciiiaii, recoiicilialiouis alienae negotia, (juasi
h(.miiies, qui ju.siiiiain lecerint, apprelwiiduiil 1 Va»
liliis irœ, qui se miiiistros gialiLV proiiiennir ! » (De
conveTbione ad clericos, cap. 19.)
(âb) c Deus id recte peleiiiibus non deiiegal, :.ec
pâiilur nos supra id quodpossuuius tculari. « (Sess.
24, can. 9.)
(27) c Adeo niori'Cnlur, q«i Bon so&. . .n .^clesia
mini:>lraveriiil. > {Ibid )
(28) « Sollicite providendiim est iil quos saluil-
las de oaradiso expiUil, rcducat esuries » (De cusl.
Virg.)
1201
RITRAITE ECCLES. — XIV. — CHASTETE.
!-2'>2
cliôre, se nourrir iie mciS délicifiix, accor-
•Jerlout h ses sens. Cou nienl vniiluz-vous
que voire corps que vous remplissez de feu
en buvant des vins rccliprchés et eu man-
geant des viandes délicieuses, ne brùlo
point et qu'il ne se révoilc [loinl contre
l'esprit?
Si donc vous voulez conserver la cliasletiS
renoncez aux délices do laciiair. Si vous
n'avez pas assez de courage pour embrasser
les austérités dont les saints pénitents vous
ont donné l'exemple, au moins menez une
vie commune et ré.^lée, convenable à la
bienséance de voiro état : pratiquez le plus
souvent que \ous pourrez des raortitica-
lions. Souvenez-vous de la réponse que lit
nn solilaire, à qui l'on demandait pour(|uoi
il pratiquait des mortificalious si rigou-
reuses. Il répondit avec beaucoup de sa-
gesse : Je tue mon corps, de crainte qu'il
ne me lue.
Un troisième moyen pour vous préserver
de l'impureté, c'est d.e nener une vie occu-
pée et de fuir l'oisiveié. Car le démon veille
toujours pour nous surprendre. Il ne man-
que point de nous attaquer dans les mo-
ments où il se persuade (|ue nous sommes
plus faibles et moins en élat de lui résister;
c'est pourquoi il dresse des euibùblies ()ar-
liculièrement à ceux ([ui sont oisifs. 11 laisse
en repos les hommes laborieux. Jl sait
qu'un es[)ril occupé n'est guère suscej)ti-
blo de ses illusions. Travaillez, vous dit
saint Jérônie(m Lzecli., XVI), de.craiute que
la main cessant de nettoyer le cliamp do
votre cœur, il ne se remplisse de ronces,
c'esl-àdire de pensées ciimip.eiles.
Si vous avez de l'emploi et que vous vou-
liez vous actiuitter de vos devoirs, comme
le doit l'aire un ministre lidèle , vous ne
manquerez pas d"occui)aliuii, et il ne vous
sera pas dillicile de n'être [)0ini oisif. Vous
donnerez une partie de votre lemj)s à l'é-
tude. Vous préparerez des inslructioi'.s, afin
de nourrir de la divine parole les |)euples
qui sont cuniiés à vos soins. Vous visiterez
les jualude.s, ou plutôt Jésus-Christ mètue,
qui vous assure que c'est à lui que vous
rendez ce bon ollice, quand vous le rendez
à ses mendjres. Vous accommoderez les dif-
férends, persuadé qu'on ne peut cnlre()ren-
dre un plus saint ouvrage, (jne d'établir une
sainte, union entre ceux qui n'ont qu'un
même Père dans le ciel. Vous visiterez les
écoles, vous ressouvenant de Jésus-Christ qui
Uonuailaux enfants des marques de sa ten-
dresse et qui re[)renail ceux qui les eaifie-
chaientd'a|)procher de lui. (ilfan/t.,XlX,14-.)
Vous orfierez les égli.-es, animé de cet lis-
pril qui faisait dire ù David : J'ai aimé la
Otaulé de voire maison, el le lieu où réside
votre gloire. {Psal. XXV, 8)
Les ecclésiastiques qui n'ont point d'em-
[)loi réglé, ne sont pas monis obligés de
s'occuper, afin do ne pas lomber dans les
(-29) « Ncc David forl.or, net Syloiiidiie pôles esse
ï.ipieniiui. U*'i<l 'le su cujjliaiil illi, i|ui cuiii e.vna-
neib u)uU;ribus uun soluut cuuvcrsjn, sed cliam in
l'iégos du démon. Pour s'acqniKor de cctîe
ohligalion, ils no peuvent mieux l'aire qi.ie
de se prescrire à eux-mêmes de cerininps
occupations, de (elle sorte que tous leurs
jours soient remplis. Tous les jours je cim-
sacrerai tant de temps <i l'oraison mentale ;
celte heure sera destinée 5 l'étude ; cette
autre sera employée ^ bénir le nom du Sei-
gneur dai'S la récitation de l'ollico divin.
Tant de fois la semaine je ferai on des con-
férences de piélé, pour avancer dans la vertu,
ou des conférences de science pour ac(]iié-
rir les connaissances (jui me sont nécessai-
res. Les dimanches el les fêtes, j'assisierai
aux olllces de l'Eglise avec l'habit ecclésias-
liijue. C'est ainsi qu'il n'y aura point do
vide dans voire journée. Tons vos moments
seront heureusement rcmphs, et par ce
njoytn, ou le démon ne vous attaquera
point, ou bien, s'il vous attaque, ce sera
sans fruit, parce qu'étant occupé, ces sug-
gestions malignes ne feront aucune impres-
sion sur votre esprit.
J'ajoute un dernier moyen. Voulez-vous
Être chaste, vivez dans la retraite et surtout
évitez la compagnie, la familiarité el la
conversation des personnes de l'autre sexe.
j,. Le Saint-Esprit vous avertit que celui qui
aime le péril, périra dans le périL [Eccli.,
liL 27.)
Le Fils de Dieu nous recommaiule Irôs-
expressément de fuir les occasions (|ui nous
portent au péché. Si votre œil vous scanda-
lise, arrachez-le. {Malth.,'V,29.)Qn(i veulent
dire ces paroles: si votre cet/?, C'est-à-dire,
renoncez aux choses qui vous sonl le plus
chères, et auxquelles vous avez le plus d'at-
tachetnenl, lorsqu'elles vous sonl une occa-
sion de chute et de péché- El ces aulres
paroles ; arracficz-le, ne marquent-elles [jas
(jue quand bien môme il faudrait se faire la
dernière violence, c'est un devoir essentiel
d'altaiidonner de bon cœur tout ce qui peut
nous porter au péché. Or qui doute que les
familiarités et les conversations avec des
personnes de l'autre sexe ne soient une
occasion de tomber dans le péché?
Car, comme dit osceliemment saint Au-
gustin, ôtes-vous |)lus maîlre de vous-même
(|ue David? Non sans doule, vous n'avez ni
plus de force que David, n'y |)lus de sa-
gesse que Salomon. Si donc la trop grande
tamiiiarilé avec les femmes et leurs c n-es-
scs empoisonnées oui perdu ces deux grands
hommes, à quoi peuvent penser ceux qui
recherchent les entretiens des personnes do
l'autre sexe, qui demeurent avec elles dans
une même maison, qui assistent à des fes-
tins oii elles se trouvent (29) ? C'est do ceux-
là dont on peut assurer ce que i'Apêtre a dit
ue la veuve qui vil dans les délices : Quoi-
qa'ils paraissent vivants, néanmoins ils sont
morts.
Saint Grégoire de Nazianze (orat. 20, p.
3ok) nous dit, en faisant l'éloge de saint Ba-
uiia domo manere, aul cor.vivio e.uuin a<it fre(|U-'!n-
Itii , aiit semper iulercsse, iiec iiioliiuiil, iictciujx-»-
t'jîUil ? » (lloni, 21, in ;>««/. L )
KTS
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1204
sile, que l'amour que ce saint homme avait
])Our la pureté paraissait sur son visage. Sa
vue seule ins|iiiait du respect, et les l'era-
lues n'osaient pas même le regarder.
Ji est remarqué dans la vie de saint Au-
gustin, qu'il ne voulut point que sa sœur,
qui était une veuve d'une haute vertu, ni
ses cousines qui étaient vierges, demeuras-
sent dans sa maison, de peur qu'il n'y en-
Irût d'autres femmes sous |)rétexle de les
visiter. Ce grand saint portait jusque-là sa
précaution, larce qu'il avait pour princi[)e
qu'un évéque et un prêtre ne peuvent éviter
avec trop de soin tout ce qui peut donner
0( cision de b'âmer leur conduite (30).
Car, comme remarque Tcrtuilien {De carne
Chrisii, cap. 3), quand on aime une vertu,
on ne veut pas même être soupçonné du
vice qui lui est contraire. Uei displicentis
eliam opinio rcprohalur. Si vous détestez
l'impureté autant qu'elle mérite de l'être,
non-seulement vous devez fuir tout ce qui
peut corrompre votre cœur, mais il faut que
votre conduite soit irréprocliahle, que la
calomnie la plus envenimée ne puisse v.ous
faire aucun reproche : iîei displicentis, etc.
C'est donc en vain, quand je vous presse
de rompre ce commerce, dont on parle de-
])uis longtemps, que vous me ré|iondez,
(|u'il n'y en eut jamais de moins suspect
et de plus innocent. Je veux bien vous en
croire. Mais n'est-il pas vrai que |)lusieurs
sont olfensés de ces entretiens et de cette
familiarité? N'esl-il pas vrai que vous don-
nez lieu par là de former des soupçons con-
tre vous? En faut-il davantage p"our vous
obliger h suivre le conseil salutaire que l'on
vous donne? Quiconque aime la nureté ne
souffrira jamais qu'on lui reproche même
l'apparence du vice contraire à celte vertu :
jRei displicentis, elc.
Il faut donc à plus forte raison renvoyer
au plus tôt de votre logis cette personne à
laquelle on vous accuse d'être fortement
attaché. Quelques raisons que vous ap.por-
liez pour vous justifier, vous êtes criminel
dès le moment que vous la retenez avec
opiniâtreté. Vous dites qu'elle vous est né-
cessaire ; et moi je vous réponds que vous
avez encore plus besoin de voiie réputation.
Vous dites que la malignité Jes hommes est
connue, et qu'elle les porte sans fondement
à censurer la conduite des plus innoceuis;
et moi je vous réponds que ce n'est point
sans fondement que votre conduite est cen-
surée ;que, quand il vous plaira, il ne tiendra
qu'à vous de vous justitier, et de mettre tin à
tous les mauvais bruits que l'on a répandus.
On apjiorte des raisons sans lin, quand mi
veut s'aveugler soi-même. Mais :noije n'en
ni qu'une soûle à vous op|)0>or. Vous souf-
frez volontairement des soupçons que vous
jiouvez arrêter. Donc vous n'aimez point la
pureté : Rei displicentis, elc.
il est vrai que la charité peut quelquefois
(30) < Femiiiarum intra domum ejus iiulla iiu-
«|uam conversala e.sl, iiulla inaiisit iiec quidein so-
ror vniua Deo Sfivieiis. Sed neqii« paliui siii liliie
VOUS obliger h entretenir des personnes de
Taulre sexe, pour leur donner des avis sa-
lutaires. Mais, premièrement, n'ayez jamais
aucun autre commerce avec elles que ceux
qu'une juste nécessité vous obligera d'a-
voir. Et cette nécessité ne peut être juste
que lorsqu'elle a la charité pour princii)e.
Secondement, si la charité vous oblige de
les entretenir, ne vous trouvez jamais seul
avec elles ; que vos entretiens soient le plus
courts que vous pourrez; n'y mêlez point
de propos inutiles, et craignez surtout que
la cupidité n'achève un entretien que la
chaiiié a commencé.
Un ecclésiastique écoule d'abord une
femme par un principe de charité, mais
parce qu'il ne veille pas assez sur lui-
môme, l'esprit s'attache peu à peu, le coeur
s'attendrit, on commence à sentir des in-
quiétudes ; plus on se voit, plus on a impa-
tience de se voir. On veut savoir mutuelle-
ment les secrets les plus cachés, on veut être
consulté sur toutes choses, on veut que son
conseil soit suivi dans les moindres affaires;
on en vient aux plaintes, aux soupçons et
quelquefois aux jalousies. Insensiblement
une passion se forme d'autant plus dange-
reuse, qu'elle est cachée sous le masque de
la dévotion.
Je fais grande estime d'un directeur sé-
rieux, qui est plein de zèle pour le salut
desûmes, qui se renferme dans son minis-
tère, qui va directement et sans biaiser à la
fin qu'il doit se jjroposer.
Mais je soutiens qu'il y a beaucoup de
directeurs qui abusent de leur ministère,
qui cherchent à se satisfaire, qui perdent le
temps en vains amusements, qui ne trai-
tent {)oint les choses saintes avec la gravité
convenable à leur caractère, qui font voir
manifestement que la cupidité, la sensualité,
la curiosité sont le principe de leur con-
duite, et nullement la charité. Dès que l'on
connaîtra la sainteté de son ministère, on
évitera tous ces excès, on ira à Dieu sincè-
rement et l'on s'aftpliquera unicpiernent à y
conduire les autres. Ou suivra lidèlemenl l'a-
vis de saint Paul, qui est de se tenir ferme,
et de prendre garde en voulant relever les
autres, et de ne i>as se laisser tomber. Il Cor.,
X, 12.)
Le vrai moyen de se tenir ferme, c'est
d'avoir recours à Jésus-Christ, et de suivre
fidèlement les règles qu'il nous a ensei-
gnées.
Ne craignez point de lui promettre et de
vous engager à lui pour toute votre vie. Ce-
lui qui vous a inspiré le désir de faire un
vœu si saint, sera voire a|)pui t)our le bien
accomnIir.La lésolution est grande, l'homme
charnel en e>t ellrayé ; mais le véritable
chrélien plein de confiance est convaincu
qu'il peut tout en Jésus-Christ qui ieloitilie.
Mon, non, souvent on se lait des monslres.
Les dilhcullés ne sont point si grandes que
qiiaî Deo
tap. "i(>)
bci'vicbanl,. » (PossiDius, De vha Aug.
1505
RETRAITK IXCLES. — XV.
ZELE.
1506
les homnios sensuels onl accoutumé de se
les rcpn^senler.
Saint Augustin nous enseigne qu'il a éié
dnns celle erreur, et que sa conversion fut
retardée, parce qu'il ne pouvait prendre une
fiTine résolution de vivre chastement pen-
dant tout le reste de sa vie. Lorsqu'il était
dans cette fûcliouse incertitude, la virginité
!ui apparut en songe accompagnée d'une
tioupe inlîin'e de vierges de tout âge et de
tout soxe. Il lui sembla qu'elle lui repro-
chait sa lâcheté, en lui disant : « Pourquoi
ne pourriez-votis pas ce que lanl de sainls
et ce que tant de saintes ont fait (31)? »
Oui, avec le secours de la grâce vous ferez
ce que tant de sainls ont lait. Vous suivrez
le chemin qui vous a été marqué par tant
de sainls évoques, p;ir lanl de sainls |)rô-
tres, dont il vous serait honteux de ne p;is
imiier les vertus, étant honorés de leur ca-
ractère. Vous conserverez la chasteté, mais
dans un degré éininent , de letle manière
que vous exercerez toujours un empire par-
■fait sur tous vos sens. Vous vous formerez
de justes idées du iiéché d'impureté et vous
Je regarderez comme un monstre énorme,
capable d'elfraytir tous ceux qui onl quel-
que crainte du Seigneur, et qui connais-
sent la sainteté de leur étal. Quand vous fe-
rez do tristes é|)reuves de votre faiblesse,
aussitôt vous prendrez "les armes dont Jé-
sus-Christ vous a revêtus, et avec ces armes
redoutables il n'y aura point de démon que
vous ne mettiez en fuite.
Ceux-là qui sonl sans tache sont à la suite
de l'Agneau {Apoc, XIV, k, 5) el ne se sé-
parent jamais de lui. Soyez donc véritable-
ment chastes, que votre vie soit sans tache,
atin d'être sur la terre de fidèles ministres
de Jésus-Chrisl, et de lui ôlre iuséoarable-
uienl unis dans l'éternité.
DISCOURS XV.
DU ZÈLE.
J'ai aujourd'hui à vous entretenir d'une
vertu liés -nécessaire aux ecclésiastiques.
C'est du zèle que je me propose de vous
parler. Le nombre des ecclésiastiques zélés
est très-rare. Cependant sans cette vertu il
est imi)OSsible de se bien acquitter des de-
voirs indispensables de la vie ecclésiasti-
que.
Dieu veut que tous les hommes soient
fervents el (dems de zèle. Servir le Seigneur
mollement, c'esl l'irriter. Jésus-Christ nous
dit qu'il est venu sur la terre pour y aj)por-
ler le feu, el fju'il veut que ce feu brûle.
{Luc, XIX, 40.) Où est ce feu? il est pres-
que éteint. L iniquité s'est augmentée , et ta
charité s'est refroidie. {Mutih., XXIV, 12.)
On voit peu de chréliciiis zélés, c'est un
malheur déjdorable. Mais les ecclésiasliques
ne sont guère plus zélés que les autres
hommes. J.,e malheur esl encore plus grand.
Car qui échaulfera le zèle des hommes, qui
les excitera, si ceux-là rnôme qui sont en-
voyés de Dieu jiour animer leurs frères,
sont dans la mollosso et négligent leurs de-
voirs ?
Tâchons aujourd'hui de réveiller le zèle
des ecclésiastiques, afin qu'étant puissam-
ment animés, ils aillent, suivant leur mission,
porter te feu sacré de la charité que Jésus-
Christ les a chargés d'allumer dans le cœur
de leurs frères.
C'est le dessein que je me propose dans
ce discours, que je [jartagerai en deux par-
ties. Dans la première, je forai voir la né-
cessité du zèle ; dans la seconde, j'en ex-
pliquerai les qualités
PREMIER POINT.
Pour vous faire voir do quelle nécessité
il est que les ecclésiasliques soient remplis
de zèle, j'ai, premièrement, à vous représen-
ter quel a été le zèle de Jésus-Christ, cet
excellent n)odèle que tous les chrétiens, et
particulièrement les ecclésiasliques,^ ne doi-
vent jamais perdre do vue.
Le 7.èle des sainls peu! aussi beaucoup
contribuera échauffer le vôtre. Ainsi, après
avoir vu quel a été Jésus-Christ, le chef des
pasteurs, je vous ferai remarquer, en second
lieu, que toutes les actions des saints sont
autant de preuves du zèle continuel doQt
ils ont été animés.
Vous verrez enfin que pour peu que l'on
considère avec attention ce que c'est que
l'état ecclésiastique, il est aisé de concevoir
que celui qui n'est point rempli de zèle,
est indigne d'occuper une [dace si élevée.
J'ai donc à vous faire considérer , 1°
l'exemplfa de Jésus-Christ; 2° L'exemple des
saints; 3° l'institution du ministère ecclé-
siastique. Kl ce sont les preuves .solides
dont je prétends me servir pour établir la
nécessité du zèle.
Ouvrez les yeux, et jetez-les sur Jésus-
Christ, le prince des pasteurs. Pourquoi
Dieu nous a-t-il fait ce riche [)résonl ? Pour-
quoi Dieu a-t-il envoyé son Fils sur la
terre? Parce qu'il nous a aimés. Jugeons
de l'amour paternel que Dieu a eu pour
nous parla preuve excellente que nous eii
avons reçue. Quel peut être un amour dont
l'eiïel est d'envoyer sur la terre celui qui
est un avec son Père, et qui lui est parfaite-
ment égal en toutes choses? Dieu a telle-
ment aimé le monde, qu'il a donné son Fils.
(Joan., 111, 16.) Comme doue il n'y a rien de
plusgrandque le Fils unique de Dieu,aussiil
n y a rien qui puisse ôtrecomparéà unamour
dunt l'eli'ei a été de nous communiquer cet
inestimable présent.
Dieu nous a donné son Fils, afin qu'il fût
tout entier à nous, afin qu'il accomplît
l'œuvre de netre rédemption. Dieu nous l'a
donné, atin iju'il
nous délivrai ,■ qu'i
payât pour nous , qu'il
nous sanctifiât, qu'il
travaillât à nous* rendre parfaitement heu-
reux. Dieu nous l'a donné , dit l'Ecriture,
afin que quiconque croit en lui ne périsse
point, mais qu'il ait la vie éternelle. Car Dieu
(51) «TunonpolcrisquoJibli,riuoJisUe. i (Lib. viu,C'o«/., cap. 11.)
l%jn ORATEllUS SACRES.
n'a pfiint envoyé' son fiis pour juger le
monde, mais afin que le monde soit sauvé par
lui.
Dès que le Fils de Dieu est venu sur la
terre, il s'est considéré comme étant en-
voyé pour le salut des liommes. Que n'a-t-
il point fait pour remplir sa mission? Con-
sidérez-le dans toutes les actions de sa vie.
Jl est tout occupé du salut de ceux qu'il
est venu chercher.
Jl est né parmi les Juifs, et il était de l'or-
dre de sa mission de leur donner ses pre-
miers soins. JJ nous dit qu'il a été envoyé
pour chercher les brebis perdues de la mai-
son d'Israël.
Quel zèle Jésus-Christ n'a-t-il point fait
paraître pour éclairer les Juifs? Entendons-
le s'expliquer lui-même. Rien n'est plus
propre que les paroles mêmes du Sauveur,
pour nous faire connaître son zèle et son
ardeur. Combien de fois ai-je voulu assem-
bler vos enfants, comme la poule assemble ses
petits sous ses ailes, et vous ne l'avez pas
voulu? [Malth., XXllI, 37.)
Combien de fois. Jésus-Christ ne s'est pas
contenté de faire quelques elïorls pour lo
galutdes Juifs. Leur résistance et leur opi^
niâtretô ne l'ont point rebuté. Quoique re-
jeté, quoique méprisé , quoique outragé,
quoique, persécuté, il n'a pas laissé de cou-
rir après eux, et de leur témoigner sun
amour. La comparaison dont il se sert mar-
que sa tendresse et son amour. Elle fait
voir qu'il n'a rien omis pour gagner les
Juifs, Il les a ménagés, il les a supportés, il
Jes a cherchés. Plus ils ont marqué de résis-
tance, plus il a témoigné d'amour.
Les Juifs n'ont pas voulu. Ce sont donc
eux qui ont rejeté la grâce, qui se sont ojti-
niâtrés dans leurs mauvais sentiments, qui
ont fermé les yeux |)Our ne pas voir la lu-
mière. Votre perte, 6 Israël , vient de vous.
(Osée., XIII, 9.) J'ai, dit le Sauveur par la
bouche d'un prophète., étendu les bras pen-
dant tout le jour à un peuple qui n'a pas
voulu me croire, et qui a contredit toutes mes
paroles. (Isai., LXV, 2.)
Une circonstance très - remarquable du
zèle du Sauveur, c'est qu'il était louché du
salut d'une seule âme. La moindre do ses
brebis lui était chère. [Joan., XV.) il n'en a
jamais négligé aucune. Voyez le Sauveur
appliquée la conversion d'une seule Sama-
ritaine. Voyez tout ce que la charité lui
suggère pour lui ouvrir les yeux ei pour
gagner son coeur. ïl commence par s'insi-
«uerdans son esprit. Il l'a conduit elle-même
à laveu de ses eireurs et à la connais-
fiance de ses égarements. 11 lui fait désirer
nn bonheur qu'elle ne connaît pas encore.
Celle femme est éclairée , elle est gagnée,
elle prêche elle-même Jésus-Christ.
Une femme seule a donc été l'objet de la
charilé du Sauveur. l'I nous a fait voir qu'il
avajt considéré sa conversion comme une
conquête importante, bien éloigné de ceux
qui veulent être environnés d une grande
luullitude, qui n'ont du goût que pour les
Actions éclatantes, qui ne veulent travailler
JOSEPH LAMBERT. 1308
h la conversion que de ceux qui sont dis-
tingués par leur naissance et par leur for-
tune, qui croiraient employer inutilement
leur temps , s'ils allaient dans un lieu se-
cret, caché, inconnu, chercher une âme
vile aux yeux des hommes, précieuse néan-
moins à Jésus-Christ, et qui peut-être ne
languit dans les ténèbres , que parce que
jamais on ne lui a fait voir la lumière.
Mais il n'est pas encore temps de pleu-
rer nos égarements et notre défaut de zèle.
Continuons à considérer d'autres circons-
tances, qui nous feront connaître com-
bien a été grand et admirable le zèle de
Jésus-Christ.
Nous n'avons pour cela qu'à observer
quels ont été ses sentiments à l'égard îles
pécheurs. Où Irouvera-t-on des empresse-
ments plus vifs, un amour plus tendre, une
charilé plus ardente?
Entendez parler Jésus-Christ , il vous dé^
clarera qu'il est venu pour les pécheurs.
[Maith., IX, 13.)
Les comparaisons les plus tendres ne lui
paraîtront point trop fortes pour exprimer
son amour. C'est un pasteur charitable qui
court après la brebis qui est égarée, qui la
cherche jusqu'à ce qu'il la retrouve, qui la
met sur ses épaules avec joie, qui appelle
ses amis [Luc ,XV, i), parce qu'il ne peut
retenir et renfermerau dedans de lui-même,
les transports d'une joie tout exlraordi-
naire.
Les actions de Jésus-Christ répondent
parfaitement à ses maximes el à ses com-
paraisons.
Les pécheurs n'ont qu'à approcher. Ils
seront favorablement reçus, lisseront écou-
lés. Ils seront traités avec bonté. Ils dé-
couvriront que l'on a pour eux un cœur
plein de miséricorde.
Jésus-Christ n'allendra pas que les pé-
cheurs viennent à lui. Je le vois courir
après eux, et les chercher avec empresse-
ment. Pourquoi donc va-l-il en ceite mai-
son ? Pourquoi se trouve-t-il à ce feslin ?
[Malth., IX, 10.) Pourquoi n'est-il point ar-
rêté par les discours que ses ennemis tieu-
dronl pour attaquer son honneur?
Considérations vaines et frivoles, qui
pourraient peut-être faire quelque impres-
sion sur celui qui aurait moins de zèle
pour la conversion des pécheurs. Mais
quant à Jésus-Christ, il s'est hautement dé-
claré pour les pécheurs. Bien loin que l'on
melte obstacle à ses desseins, en disant
qu'il est ami des pécheurs el des gens de
mauvaise vie, c'est un titre qu'il ambi-
tionne. Tous les discours de ses ennemis
ne retarderont point son zèle. 11 recher-
chera les pécheurs, et celte recherche cha-
ritable sera toujours un des princii)aux
emplois de sa mission.
Les maximes, les comparaisons, les ac-
tions de Jésus-Christ, tout concourt à nous
faire connaître qu'il n'y eut jamais de zèle
j)lus ardent que celui dont il a brûlé pour
la conversion des pécheurs.
C'est à nous de vuiiP à quoi nous oblige
12-9
AETRAITE ECCLES. — XV. — ZELE.
ce grand etertiple qiio lo Fils de Dieu dous
a laissé. Que sommos-nous, et quelle o<t
noire condition? Nous sommes minisires île
Jésus-Christ. Sommes-nous de dignes mi-
nistres, h moins que nous ne soyons pleins
de son esprit? Si quelqu'un n'a pas Tesprit
de Jésus-Christ, dit saint Paul , j7 ncsl pas
à lui. {Hom. ,yill, 9.) Vous venez de voirqnel
a été l'esprit de Jé-us-Christ. Il serait lacile
(le vous apporter un grand nombre de pieu-
ves pour vous faire voir l'ardeur de son
zèle. Celles que vous avez entendues sont
sufTisantes pour vous faire connaître que
dans toute la suite de sa vie il a toujours
donné de nouveaux témoignages do son
zèle. Si vous no suivez pas son exemple,
Sun esprit ne peut être en vous, et par con-
sé(]uenl vous ne pouvez être h lui.
Jésus Christ tout [)lein de zèle a commu-
niqué son esprit à ses apôtres, et les a rem-
plis de zèle pour bien exercer les fonctions
de leur état.
Ce zèle était absolument nécessaire aux
apôtres. 11 fallait sans doute un zèle très-
grand pour bien exécuter lous les commaii-
demenls que Jésus-Christ leur avait impo-
sés. Les a[)ôlres avaient à comparaître de-
vant les rois et les puissances de la terre.
(Matth., X , 16.) Des hommes timides et
dépourvus de zèle auraient-ils pu se résou-
dre à publier la foi de Jésus-Ciirist, lorsque
cette foi était contredite dans lous les lieux
du monde, lorsque, pour épouvanter les mi-
nistres de l'Evangile, on employait les plus
terribles menaces , cl qu'ils ne pouvaient
espérer d'autre récompense de leurs travaux
que des supplices très-rigoureux ?
La première disposition dans Inqueilc
h s apôtres devaient e. Irer, e'él;iil d"èlro
l'réparés à consacrer leur vie ù tout uioineiit
pour le salut de leurs fières. Jésus-Christ
leur avait dit que l'homme ne peut donner
îine plus grande preuve de son amour , que
d'immoler sa vie pour ses amis. {Joan., XV%
23.) Dès quo les ajiôlres se sont consacrés
fi Jésus Christ , leur plus grand désir a été
de donner à leurs frères cette preuve de
leur amour. Tous leshoujmes sont devenus
leurs amis. Mais des amis chéris , des auiis
pour qui l'on s'estime heureux de prodi-
guer sa vie, surlout quand il est question
de retirer ceux que l'on aime des voies de
l'erreur, et de les conduire dans le chemin
qui mène à Dieu.
Formez-vous donc une juste idée du zèle
des apôtres. Admirez en eux des hommes
généreux, qui ne font aucune estime de leur
vie, et qui sont toujours prêts à s'immoler
pour retirer leurs fiôres de la voie de l'é-
garement.
Ce caractère qui convient à lous les apô-
tres, est manifestement celui de saint Paul.
Il ne faut qu'ouvrir ses Epîtres pour remar-
quer que son zèle généreux a toujours été
actom|)agné de cette sainte disposition.
Quant à moi, dit saint Paul , volontiers je
me .'sacrifierai pour vous , quoique vous ne
Correspondiez point à mon amour, et qu'en
viùne temps r^ue jevous en donne des marques
. (H
très-sincères , vous vous éloigniez de moi
Cor, XII, 15.)
Remarquez ces paroles de saint Paul, ro-
lontiers je me sacrifierai. Il est donc très-
sincèrement disposé à donner sa vie. A qui
est-il prêt de donner celle preuve de son
amour? A des ingrals (jui ne connai.<-sent
poinl le bien qu'on leur fait, h des ingrals
qui souvent vous regardent comme leurs
ennenn's , pendant que vous leur donnez
des preuves de la plus sincère et do la [)lus
solide amitié.
C'est tro|) peu dire que saint Paul se sa-
criliera volontiers. Cette expression est
troj) faible, et ne marque pas assez la géné-
rosité (Je cel Apôlre. Entendons-le parler,
il nous dira qu'il ne peut avoir plus de
joie, que de sacrifier sa vie pour fortifier la
foi de ses frères. 5t' je suis immolé et que le
prix de mon immolation soit de vous avoir
rendus fermes dans la foi de Jésus-Christ,
c'est pour moi un sujet de joie, et je vous
félicite fous (Z^/tt7j/7. ,11, 17), puisqu'il ne pou-
vait vous arriver un plus parfait bonheur.
Quand on méditera les ex|)rfcSsions de
saint Paul, on sera convaincu (ju'il ne peut
y avoir de désir plus ardent q^e celui dont
ce saint Apôtre a été pénétré de convertir
ses Irères. JSous nous sommes abaissés, dil
l'Apôlie, comme des enfants, nous avons eu
pour vous les mêmes sentiments qu'une mère
qui nourrit et qui aime lendrentenl ses enfants.
Ainsi dans l'affection que nous ressentions
pour vous, nous aurions souhaité de vous
donner non-seulement la connaissance de l'E-
vangile, mois aussi notre j-ropre vie, tant
était grand l'amour que nous vous portions.
Vous vous souvenez, mes frères, de la peine
cl de la fatigue que nous avons soufferte, et
comme nous vous avons prêché l'Evangile en
trainillanl jour et nuit pour n'être à charge
àaucun de vous. (Il Thess., 11, 7 et seq.)
Avez-vous jamais remarqué plus u'cin-
pressemeiit, plus de zèle, ()lus d'aujour?
Son zèle l'oblige à prendre toutes sortes de
formes pour su rendre i^gréable à ses frères.
Il s'abaisse; il se réduit à la condilioti d'u:i
enfant. 11 n'y a point d'amour plus g'-aud,
plus empressé, plus actif que celui d'une
mère. Tel est celui de saint, Paul. La preuve
solide d'un amour elfeclil, c'est quand on
est pièl à donner sa vie. Vous avez déjà
vu plusieurs lois que celte disposilion a été
conlinuello ilans le cœur du s.iiul Apôtre.
Pourquoi toutes ces inquiétudes, puurqu<u
tous ces empressements? C'est que saint
Paul csl |)énélré d'amour pour ses frères,
Son amour est si fort qu'il ne |ieut se per-
mettre aucun repos. Il travaille jour et
nuit. El parce qu'il sait qu'on est toujours
plus favorablement reçus, quand ceux pour
qui nous travaillons connaissent clairement
quo c'est leur propre utilité que nous cher-
chons, et fion point la nôtre, saint Paul a
eu un soin très-particulier de n'être point
à charge à aucun de ses frères. Si vous vou-
lez vous former l'idée d'un véritable zèle,
cherchez-la dans ces excellents passages,
il Cil dillicile de Iwe alleiilionà uq zèle sj
l'2il
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
grand et de ne pas se reproclier la faiblesse
du noire.
A'près avoir considéré les grands exem-
ples que les apôtres nous ont laissés, il y
en a encore une infinité d'autres qui se
présentent 5 nous, et lesquels, étant exami-
nés avec attention, auront beaucoup do
force pour échauffer notre zèle.
Méditons souvent les actions héroïques
de ces grands évêques des premiers siècles,
lesquels, étant les successeurs des apôtres,
ont été aussi les héritiers de leur zèle et
de leur vertu.
Parmi le grand nombre d'exemfiies que
je pourrais vons proposer, il i'aut nécessai-
rement se borner à quelques-uns.
Jetons les yeux, par exemple, sur un
saint Cyprien. Son zèle a paru parliculière-
ujent dans ce qu'il a généreusement entre-
pris, pour soutenir la discipline de l'Eglise,
que des hommes lâches et mal inleniionnés
s'efforçaient d'amollir, afin de s'exempter de
subir les lois pénibles mais salutaires de la
pénitence. C'est ce qui a donné occasion à
ce grand évêque d'écrire ces lettres pleines
d'une vigueur a()Oslolique , qui ont été
l'admiration de tous les siècles. Que l'homnjo
Je plus tiède lise ces excellentes lettres, il
est impos-ible ç|u'il rie se sente animé.
Faites-en l'expérience. Dans le temps que
votre zèle se ralentira, lisez les lettres de
saint Cyprien, lisez l'admirable traité q<j'il
a composé pour relever ceux qui étaient
tombés dans le temps de la persécution ;
je maintiens que vous ne pouvez vous ap-
pli()uer sérieusement à cette sainte lecture
sans sentir un grand désir de voir naître en
vous les nobles sentiments dont ce grand
évêque était rempli, lorsqu'il a écrit avec
tant de force sur ces importantes matières.
Vous voyez un saint qui ne respire que
de combattre pour Jésus-Christ. «Quand
nous sommes enrôlés dans la milice du Sei-
gneur, ce n'est pas, dit ce saint évêque,
iiour vivre tranquillement et pour jouir de
la paix. Comment serions-nous assez lâches
pour refuser de conjbaltre , puisque nous
avons Jésus-Chrisl pour chef, dont l'exem-
ple a tant de force pour nous encourager
(32) ? »
Vous voyez un caractère d'intrépidité qui
lient constamment pour la règle, et qui no
s'en écartera jamais, quelques eiforls que
les méchants emploient pour l'obliger à
s'en éloigner. Car, dit ce saint , comment
les outrages et les vains efforts des mé-
chants feraient-ils quelque impression sur
nous. Quelle force peuvent-ils avoir pour
nous faire quitter la droite voie, depuis
que le saint Apôire nous a enseigné que
celui qui a de lâches complaisances pour
les hommes, n'est point serviteur do Jésus-
Christ (33).
(Zi) « Nequecniin sic nomcn niililiœ dcdimns, ul
pacem laiituminodo cogilare et recusaie militiaiu
delieaimis. t (Epist. 56.)
(53) « Ncc iiioverciios dcbciUcoiivieia pcrtlitonim,
(jiioiiiinus a via rcuia et a eorla re;;ula non recciin-
uius, (juaiido Cl AiJUblvlus inslruai diccas ; Si ho-
lîi2
Entendez ce saint évoque parler à ceux
qui avaient lâchement cédé, et qui étaient
obligés de réparer une f:îule si criminelle
par de rigoureuses pénitences. Il leur fait
voir qu'il n'y a point d'autre voie de se
réconcilier avec le Seigneur, que d'expier
leurs péchés parla |)éniience. Il leur ap-
prend que si des ministres flatteurs eiitre-
l>rennent de les réconcilier, avant qu'ils
aient fait pénitence, ils ne leur donnent
pas la paix, mais bien plutôt ils leur font
une cruelle guerre.
Que sont, selon saint Cyprien, ces minis-
tres timides et coiii[)[aisanls, qui prétendent
aplanir les voies rigoureuses que les pé-
cheurs doivent nécessairement suivre pour
obtenir leur pardon. Ils sont à ces miséra-
bles pécheurs ce que la grêle est aux
grains, les mauvaises influences de l'air
aux arbres, la peste aux trouptaux, la tem-
pête à ceux qui sont sur mer. Saint Cyprien
arrête ces pécheurs , et il leur déclare que
s'ils osent approcher des saints mystères,
ils feront violence au corps et au sang de
Jésus-Christ, et qu'ils offenseront le Sei-
gneur plus grièvement que quand ils ont
été assez lâches pour le renoncer (34).
Combien faut-il qu'un saint Grégoire de
Néocésarée ait travaillé pour convertir un
peuj)le entier, dont il est établi le pasteur?
Parmi la grande multitude d'idolâtres qui
sont confiés à ses soins , il n'y en a que
dix-sept qui connaissent Jésus-Christ. Vous
savez quel fut le grand succès de ses tra-
vaux infaligables. Lors(juc Dieu l'appelle à
lui pour le couronner, tous reconnaissent
Jésus-Christ, et il n'y en a que dix-sepl
qui restent ensevelis dans les ténèbres de
l'idolâtrie.
Voulez-vous voir un saint Atlianase les
armes à la main contre les enieuiis de la
divinité de Jésus-Christ? Il commence à
soutenir la vérité n'étant encore que diacre.
Quand il est élevé à l'épiscopat, il se croit
obligé de faire de plus grands efforts pour
la défendre. Des hommes puissants se lais-
sant conduire par leur malignité et par leur
fureur, inventeront tout ce qu'ils pourront
imaginer de plus cruel, pour persécuter
'.;e!ui qui est devenu leur, ennemi en dé-
fendant la vérité. Les calomnies les plus
outrageantes ne serontjioint épargnées. La
force et la violence seront employées pour
éloigner le vrai pasteur. Il sera obligé de
se cacher et de se dérober à la fureur de
ses ennemis. Il gémira de voir ses brebis
exposées à la fureur des loups. Cédcra-l-il
pendant un seul moment ? Son courage sera-
t-il abattu? Bien loin de cela, il puise do
nouvelles forces dans les persécutions. Les
attaques violentes et continuelles de ses
ennemis le rendent ])lus ardent. Elles lui
inspirent un zèle nouveau de consacrer ses
minibus ])lacercm,Clirisli servus non essem.tlGalal.,
1, 10.)
(3i) « Hoc sunt ejusmodi lapsis, quod grando
fi u^il)iis, < le. Vis inlerlur corpori el sanguini, el
plus in Domiiiuni delinquiint quam cum Uomiimiu
iic^avcruat. » (Ik Inpsis.}
«3
RETRAITE ECCLES. — XV.
ZELE.
1214
travclux el sa vie pour lo défense de la vé-
rité.
. Vovrz dans la même cause un saint Hi-
laire snulenonl les plus rudes travaux pour
maintenir ce que l'E^iise a d^Tuii dans le
grand concile de Nicée. Quelle aflliclion
pour ce saint évôtiue de voir les artifices
honteux que les hérétiques employaient
fiour colorer l'erreur! Son cœur est percé
de douleur !ors(iu'i: remarque les progrès
de riiérésie, el les*vicloir( s (nrdle rempor-
tait. Il a bien la hardiesse au milieu des
enneu)is de la vérité, dans le palais même
d'un empereur qui protégeait l'erreur, de
se présenter, de diTier ses adversaires , de
parier avec une force merveilleuse pour la
défense de sa cause. Ce saint, quoi(]ue seul,
est ri'douté par la multitude de ses adver-
saires. Ils n'osent accepter le combat qui
Jeur est offert. Les calomnies qui sont les
armes ordinaires de ceux qui sentent leur
faiblesse, sont employées, pour obtenir que
Je saint soit renvoyé dans les Gaules, oii il
est reçu comme le méritait celui qui avait
si généreusement combattu pour maintenir
Ja véritable foi, et pour me servir des ter-
mes de saint Grégoire de Nazianze (orat.
10, |). 168), l'affront que ses ennemis veulent
lui faire lui devient plus honorable que
Ijute la gloire qu'il avait remportée.
Contemplons pendant un moment l'exem-
ple d'un grand saint, dont les paroles et
l'autorité nous servent si souvent à confir-
mer les max'imes que nous vous annonçons.
Je veux [larler de saint Augustin. Faut-il
d'autres preuves de son zèle (jue ses admi-
rables écrits? Co-mbien de discours compo-
sés pou< l'instruction de son i)eu|)le, qui
font voir la grande attention qu'il avait à le
nourrir de la sainte parole du Suigneur?
Combien de doctes traités pour défendre la
vérité contre un si grand nombre li'héréli-
ques qui l'ont attaquée de son temps? Tant
d'ouvrages sur un si grand nombre de ma-
tières ne peuvent être que le fruit d'un tra-
vail assidu et d'une application cunlinuelle.
Saint Augustin pleinement occupé, n'ayant
plus aucun moment dont il pût disposer,
est encore sollicité de prendre les armes
pour s'opposer aux derniers elfurts d'un
hérétique uu'il av.iit déjà tant de fuis vaincu.
Il répond (ep. 22i) h celui qui lui envoie
les livres de cet hérétique, que tous ses
jours sont pleins, qu'il ne peut otfrir que
le temps de son sommeil pour s'appliquer à
ce nouvel ouvrage. Quoiqu'il ne' consacrât
à son repos que le temps absolument né-
cessaire, il est tout prêt de l'abréger. Il a
trop do zèle f.our délaisser l'Eglise. Après
avoir toujours combattu pour elle , il
ne l'abandonnera j)as, pendant qu'elle a
besorn de son secours pour repousser les
attaques de ses ennemis. C'est là ce qui s'ap-
pelle avoir un véiilable zèle. Se croire
obligé de travailler continuellement, n'être
point 5 soi, se donner tout entier au pro-
chain ; être toujours vigilant, toujours prêt
à secourir l'Eglise dans ses besoins.
Pour laite voir que Dieu dans tous les
temps a eu des servilenrs zélés, après les
anciens esenq)los que vous venez d'admi-
rer, je vous en proposerai un autre plus
nouveau el qui vous doit d'autant plus lou-
cher que nous l'avons jtresque vu de nos
yeux.
On ne peut guère tailer du zèle qu'on
ne se souvienne de celui de saint Charles,
ce saint homme que Dieu a donné h son
Eglise pour réveiller le zèle presque assoupi
de tant d'ecclésiastiques, jiour rétablir l'an-
cienne et exacte discipline dans sa force e
dans sa vigueur. Le zèle ne peut guère'
aller plus loin que celui de ce saint évêque.
Donner toute son application à sauvtu' les
timcs rachetées du sang de Jésus-Christ,
exciler (es pasteurs, les instruire de leurs
plus importants devoirs, montrer aux bre-
bis égarées les routes de salut, avoir la prin-
cipale [)art dans les atl'aires les plus impor-
tantes de l'Eglise, et tenir toujours cons-
tamment pour la règle, ne se servir de sou
créd.t que pour maintenir la justice et pour
eppuyer la vérité, se dépouiller de tous ses
revenus pour soulager les pauvres, immoUr
mille fois sa vie pour secourir son peu|)le
que le Seigneur avait frappé, unir ensemble
la vigilance d'un pasteur, la charité d'un
père, l'austérité d'un pénitent. Etre humble
au milieu des grandeurs, rigoureux sur soi-
même au milieu des délices, intrépide au
milieu du péiil, se rendre pauvre, quand
on est comblé de richesses. Quel exemple
do zèle I
Ces grands saints et tant d'autres <iue jo
pourrais citer ont é;é les colonnes de l'E-
glise. Ils ont défendu Jérusalem, leurs gé-
néreux combals seront un monument éter-
nel de la puissance souveraine de Dieu qui
a inspiré ces hommes extraordinaires, et de
lafidéliiéde ces serviteurs zélés qui sont en-
trés si parfailenient dans les intentions do
lour maître, et qui les ont si courageusement
exécutées.
Ces saints pasteurs sont de grands modèles
que Dieu nous a laissés. Nous sommes obli-
t'és de les imiter. Comment nous acquittons-
nous de celte obligation ? quel sujet de con-
fusion |)our nous I La comparaison du zèlo
des saints avec notre lâcheté, en faut-il
davantage pour nous condamner ? Car pou-
vons-nous douter que, dès que nous sommes
honorés du caractère ecclésiastique, Diea
ne demande de nous que nous ayons ce zèle
ardent, et que ce ne soil une de nos prin-
cipales obligations?
Il est aisé de voir par la manière dont
Jésus-Clirist s'est ex|)liqué, que les lièdes
sont ses ennemis. Votre caractère, c'est la
tiédeur. Vous voilà donc semblable à celui
quÈ Jésus-Christ accuse dans VApocatypse,
el à qui il fait de très-sévères reproches.
Ecouli'Z quel en est le fondenicnl. Je sais
quelles sont vos œuires, que tous nêles ni
froid ni chaud. Je souluiileruis que vous fus-
siez ou froid ou chaud, mais parce que vous
éles tiède, jcsuisprél de vous vomir de ma bou-
che. (Apoc, m, 15.) ,
Voilà lo caiaclèro delà tiédeur bicit mur-
1-2 15
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1216
que'. Il faut que co cnracière soit bien in-
supportable h Jésus-CIirist, puisqu'il mar-
que qu'un homme enlièrement froid lui
serait moins désagréable que celui qui
est tiède. Que la punition qui doit être
exercée contre ceux qui sont dans ce
malheureux état nous en donne une juste
horreur
Mais examinez-vous vous-même, el voyez
si /ous n'êtes point au rang des tiôdes. En
quel autre rang donc pourriois-nous vous
placer, pendant que vous n'avez que du
l'indifférence pour le b'eii ? Vous ne tom-
bez pas, diles-vous, dans de grands crimes,
et, parce que voire vie est exenifito des ex-
cès les plus criminels, vous vous (lallcz, et
vous vivez dans une maUieiireuse sécurité.
Je dis une malheureuse sécu-'ité; puisque
sans être coupable des grands crimes, on
déplaît h Dieu, quand on n'a aucune ardeur
pour pratiquer le bien.
Mais, ajoutons qtie vous vous tromm^z,
quand vous osez soutenir que vous ne tom-
bez pas dans les grands crimes. Car n'eu
est-ce ()as un que de languir dans la tiédeur,
et que de n'avoir aucun zèle? La seule ma
iiière dont Dieu s'explique contre ceux (jui
sont dans ce malheureux état, ne mar(^ui!-
l-elle pas assez (luelle en est I énormilé, et
riiorreur qu'on en doit avoir?
La plupart des lièdes ont un principe
faux et qui les entretient dans leurs crimi
nelles erreurs. Ils croient que l'Iiomme ne
répond que de lui, et que, quand un liom
me travaille pour lui»mèuju, Dieu ne lui en
demande [las davantage.
Saint Chrjsostome s'est allsclié particu-
lièrement à réfuter ce l'aux jirinciiie. Il en-
seigne que tout lionnue qui ne travaille
point au salut de son |)rocliain, hasarde
son propre saint. Pourquoi sain! Chrysos-
tome (liom. 59 in Mallh.) s\i\)\iosc-\-\\ celte
maxime coraine certaine? C'est (ju'il était
convaincu de la nécessité oij nous sommes
d'avoir du zèle, et que le premier elFel de
ce zèle, c'est de travailler au salut de noire
prochain.
Dans un combat, continue saint Chry-
sostome, si un homme se sépare des autres,
sa perte est inéviiabie. Mais s'il se joint
avec les autres soldais, et qu'il deuîeuro
constamment uni avec ses compagnons, en
combattant pour eux, il combattra pour
lui-même, et il conservera sa propre
vie.
Cetie obligation de travailler au salut des
outres, selon saint Clnysostome, est com-
mune à tous les chrélie'is. Elle est donc
encore plus grande à l'égard des ecclésias-
tiques.
Ressouvenez-vous souvent do l'institu-
tion de votre saint ministère. Jésus-Christ
n'a eu d'autre vue en consacrant ses mi-
nistres, que de les envoyer dans le champ
de son Eglise, pour ôlre continuellemen*
appliqués à le cultiver : Allez, je vous en
voie. [Luc. y X, 3.) Voilà les premières paro-
les de Jésus Christ à ses apôtres, et qu'il
répète continuellement à tous ceux qui leur
surcèdent dans le ministère ecclésiasti-
que,
Jésus Christ ne veut au rang do sos mi-
nistres que ceux qui sont sincèrement
f)rêts d'entrer dans son esprit, c'esi-h-dire,
qui sont pleins de zèle, etqui souliailentavec
ardeur d'ôlre utiles h leurs frères.
Que tout homme qui a du zèle pour la loi,
vienne après moi. (I Mac, 11,27.) C'est ainsi
(pie Malhalhias parlait à ceux qu'il voulait
(lisposer <i le suivre. Jésus-Christ le dit en-
core plus fortement h ceux qui ont quel-
«pie désir de se |)lacer au rang de ses mi-
nistres : Que tout homme qui a du zèle pour
la loi, vienne après moi. Que ceux-là donc
(pli n'ont point de zèle, n'entreprennent
fioint de venir. S'ils se présentent sans
celte essentielle disposition, ils seront re-
jetés comme des téméraires.
Je ferai alliance avec lui, je lui donnerai
la qualité de prêtre. Cet auguste titre passera
(le lui à ses descendants, parce qu'il a eu du
zèle. {Num., XXV, 13.) Voilà donc l'estime
(pie Dieu fait de celle vertu, et de quelle
nécessité elle est pour ceux que Dieu ho-
nore de son sacerdoce.
Nul homme ne peut ôlre sauvé sans
avoir l'amour de Dieu. Un [irêtre ne peut
avoir ram)Mr de Dieu, s'il ne travaille
ellicacemeiit pour ses frères. Si vous avez
l'aniour (le Dieu, voici la première pieuve
(pi'd vous en deniande : avez-voiis soin de
votre procliain , el avpz-vous de l'iirdeur
pour sa sanetilication 2 Pierre, m' aimez-vous?
Paissez mes brebis. [Joun., XXI, 15.) Paître
les brebis di; Jésus-Christ, c'est donc la
preuve par laquelle Dieu veut connaî-
tre si les pasteurs oui do l'amour pour
lui.
Jésus-Christ inleri'Oge saint Pierre. Il
connaissait parfaitoinenl le seiiliinenl de cet
apôtre; mais il voulait pour jamais ensei-
gner qu'on n'a véritablement smi amour
<|u'autant qu'on s'applique avec zèle à la
saiictilicatiou de son proidiain.
Il ne dit point : si vous m'aimez, vous
jeûnerez, vous prierez, etc.; cela ne snflirait
pas. Ce serait ne travailler que pour soi. Il
faut aller plus loin, il faut travailler pour
les autres. Sans cola or. n'avance point, et
l'on manque à un de ses devoirs les plus
essentiels. Ces preuves incontestables éla-
blissent la nécossilé du zèle. Il faut mainte-
nant en examiner les qualités. C'est mon
second point.
DEUXIÈME POINT.
Qui dit un homme zélé, dit un homuie
ferme, ardent, désintéressé, |irudenl, per-
sévérant. Ce sont les princi[)alcs qualités
du zèle. Entrons dans le détail, et exami-
nons comment le zèle ne peut être vérita-
ble, à moins qu'il ne soit accompagné des
qualités que je viens de vous marquer.
Un ecclésiastique zélé est un homme
ferme ; car un ecclésiastique zélé est ua
liomme qui n'a qu'une seule crainte, qui
est d'encourir la disgrâce de Jésus-Ciinsl,
Toutes les considérations humâmes n'ont
<217
fiETUAlTE ECCLES. — XV. — ZELE.
l2tS
(Je force sur son esprit que pnr rapport h
Jésiis-Clirist. Il n'y a rien qui puisse le
(lélourner de la droite voie. Ses devoirs
sont sa loi. C'est une règle qu'il ne perd
j^iniais de vue. La résolution de suivre ses
devoirs est un principe ferme qui le guide
dans toutes ses actions, et dont il ne s'é-
carle jamais.
Ah ! qu'un ministre de Jésus-Christ est
fort lors(iue les vues iiumaines n'ont plus
de pouvoir sur lui, et qu'il n'a qu'un seul
désir qui est de plaire à Jésus-Christ. Lors-
qu'un ecciésias:i(iufi est dans cette heu-
reuse disposition, les menaces ne l'épou-
vanienl point, les récompenses et les biens
de la terre ne le touchent point.
Qu'est-ce, au contraire, qu'un ecclésiasti-
que timide ou ambitieux? La ciainte ou
l'espérance ébranleront ses résolutions les
plus fermes. Vous craignez les menaces de
cet Iiomme qui prétend vous épouvanter.
Quoi donc! pai\e que vous craignez, vous
serez assez lâche pour troiiir vos de-
voirs (33) ? S'il en est ainsi, dit saint Cy-
I-rien, si nous sommes susceptibles de
crainte, lorsque les méchanis nous mona-
renl, si la justice succombe sous les elforts
téméraires do ceux qui entre()rennent de
l'opprimer, où donc est la fermeté qui doit
paraître dans les ministres de Jésus-Ciirisl ?
Un prêtre qui lient entre ses mains l'Evan-
gile, et qui est lidèle h Jésus-Cluisl, peut
êiremis a uioit, mais jamais il ne peut être
vaincu.
Un prêtre doit donc avoir de la fermeté,
et cette fermeté est une vertu qui rend
J'homme inébranlable, quand il s'agit de
maintenir les règles, et de s'opjioser à l'in-
justice. Que pourrait craindre celui qui est
prêt à sacrifier jusqu'à sa propre vie?
Lisez dans l'histoire ecclésiastique la
belle et éditiante conversation d« saint
Basile avec le préfet Modeste (3G). Cet hom-
me est envoyé pour emi)loyer les derniers
t'ilurts au|)rès de saint Basile. Il n'y a au-
cun moyen qu'il ne mettre en usage pour
engager ce saint évOque à ne plus défen-
dre la vérité avec son zèle ordinaire. Il
lui jiropose des prétextes spécieux, pour
jiou qu'il veuille céder, il peut tout attendre
de la munilicence de l'empereur. Le* me-
naces succèdent aux promesses. Car voilà
o(x se réduit tout le pouvoir des hommes.
Saint Basile est toujours également ferme,
.et il parle au préfet avec toute la force que
demandait l'importance de la vérité dont
Dieu l'avait établi le défenseur.
Le préfet lui dit qu'il lui 'enlèvera ses
biens. Celui-là, réjiond saint Basile, qui ne
possède rien, ne craint point qu'on le dé-
pouille des biens de ce inonde.
Le préfet le menace de l'exil ; Basile ne
le craint point ; il se regarde comme un
étranger sur la terre, il sait que toute la terre
(55) < QuoJ si i(u res ut ncquissimorum tiineulur
auilaci;!, cl quud iiiali juieac ceqiiilale dwii possuiit,
leueriiale ac desperalioii.: p rliciaat, acium est de
tpistopal'js vigoie. Sacerdos DeiEvangelium leii. us
appartient au •Seigneur, et que Dieu se trouve
également dans Ions les lieux du monde
pour soutenir ses fidèles serviteurs.
Le préfet en vient jusqu'à le menacer do
lui faire perdre la vie. Saint Basile lui ré-
pond qu'il regarde la mort comme un
bien, parce qu'elle l'unira plus tôt à son
Dieu.
Saint Basile ajoute qu'il fait profession
d'être le plus soumis et le plus obéissant de
tous les hommes aux ordres de l'empe-
reur. Quand il ne sera point question de
devoirs essentiels, nous serons doux, cora-
|)laisanis, nous nous abaisserons comme
notre loi nous le prescrit. Nous serions
très-facliés de faire paraître aucune fierté,
non-senlemenf à l'égard des empereursqui
sont nos maîtres, mais même à l'égard du
dernier de tous les hommes. Mais, quand il
s'agit des iiilérèts de Dieu, nous no con-
naissons plus aucune considération hu-
maine, et nous ne regardons que Dieu seul.
Les touimenls les plus alfreux, bien loin
de nous eti'rayer, font nos délices. Menacez,
faites-nous toutes sortes iToutrages, servez-
vous de tout votre pouvoir, adressez-vous
à l'empereur, vous ne gagnerez rien. Quand
vous nous feriez des menaces encore plus
cruelles, vous ne viendrez jamais à bout
de nous faire souscrire à une doctrine
im()ie.
Le préfet, peu accoutumé à trouver des
hommes assez courageux f)Our lui résister,
dit à Basile, que jamais homme ne lui a
parlé de celle sorie. La réponse de saint
Basile est connue, mais elle est si belle
qu'elle ne peut èlre trop souvent et méditée
et répétée. C'est peut-être, dit saint Basile,
que vous n'avez jamais parlé à aucun évo-
que. C'est donc à dire qu'un ministre do
Jésus-Christ doit être prêt de défendre la
vérité avec le même courage que saint Ba-
sile, et que tout homme qui n'est pas dans
celle généreuse disposition, n'est [las digne
de [irendre [ilace oarmi les ministres da Jé-
sus-Christ.
Caractère de générosité qui déplaît aux
liommes lorsqu'on résiste à leur volonté,
mais néanmoins celte générosité a quelque
chose de si grand, que souvent ceux-là
même à qui l'on s'est le plus fortement oj)-
l)0sé, ont été forcés de l'admirer, témoin
l'empereur Théoduse (37), qui nefutjama.s
plus frappé de la vertu de saint Amhroise,
que lorsque ce saint évoque lui résista avec
un courage inébranlable. Je ne connais,
dit-il, qu'Ambroise qui soi! véritablement
évêque. Voilà l'aveu sincère qu'un empe-
reur est obligé de faire, dans le temps
qu'un évoque courageux lui déclare avec
fermeté, qu'il est prêt à immoler sa vie plu-
tôt que de céder à ses volontés.
Où sont donc les ministres de Jésus-
Christ qui ont du zèle? Examinez le vôtre.
el Clirisli praccepta cuslodiens, occidi polest, non
polesl viiici. > (Ep. 55.)
(5(j) ApuJ S. Gicgor. iN;iz., oral. 20, p. 349, elc.
(ô'i) TiiiLou. i. V tiibt., cap. 18.
1^2:9
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
i220
Esl-il accompagne' do colio fermeté qui ne
rèdejainais quand il est question de défendre
la vérité? Pour avoir cette fermeté, il faut
être au-dessusde toutes les récompenses, il
faut être supérieur à toutes les menaces, il
faut en un mot ne rien attendre que de
Dieu, et ne rien craindre que de lui dé-
pi iiire.
Un prêtre no peut être zélé qu'il ne soit
ardent; qui dit zèle, dit empressement, dit
activité, dit ardeur. Le zèle et la tiédeur
sont incompatibles et se combattent l'un
l'autre, c'est-à-dire, que celui qui a du
zèle doit sentir en son âme une vive ardeur
qui s'enf]amme et s'échauffe toutes les fois
que le Seigneur nous ouvre les voies d'agir
pour lui. Le prophète Jérémie (XX, 9)
sentait en lui cette ardeur, quand il disait :
Un feu Irès-ardent s'est allumé au milieu de
mon âme, ce feu me consume, cl je ne puis
presque plus en supporter l'ardeur.
Vous avez remar(|ué ce zèle accompagné
d'ardeur dans la conduite que Jésus-Christ
a tenue à l'égard des pécheurs; vous avez
vu ce qu'il a fait pour eux, comment il les
cherchait, comment il se trouvait à leurs
festins, afin d'avoir lieu de les inviter à la
pénitence.
Cet exemple vous fait voir qu'un prêtre
doit particulièrement exciter son zèle, et
échauCfer son ardeur à la vue de tant de [lé-
cheurs qui s'.égarent dans la voie de l'ini-
quité. Celui-là peut-il dire qu'il a du zèle
<)ui dimeure tranquille et indifférent, pen-
dant que son frère se perd? Nous ne pou-
vons nous dissimuler b.^s iniquités du
monde. Le nombre des criminels est trop
grand, le crime se commet trop ouverte-
ment, pour pouvoir nous cacher à nous-
mêmes les injures capitales que tant
de créatures rebelles font tous les jours à
Dieu.
Il est vrai qu'il y a bien des abus auxquels
nous ne pouvons pas apporter remède. Il
est vrai qu'il y a bien des pécheurs que
nous ne pouvons pas corriger ; mais nous
pouvons gémir, répandre des larmes, être
vivement touchés. C'est un des princi[)aux
devoirs d'un prêtre zélé, de pousserdes gé-
missements vers le ciel, en considérant le
giand nombre de crimes qui se commettent
dans le monde.
Saint Grégoire de Nazianze (orat. 20,
p. 346) rap|)orte de saint Basile, qu'à la vue
d(;s maux dont l'Eglise était aliligée, il était
daiis raccabloracnl, que le sommeil s'était
retiré de ses yeux, que les soins et les
inquiétudes l'avaienl entièrement déchar-
né , qu'il ne cessait point d'implorer
le secours de Dieu et des hommes, qu'il
était conlinuelloment ai)pliqué à chercher
des remèdes pour guérir de si profondes
plaies.
Un saint prêtre ne peut ici-bas goûter
une joie pure. Ce ijui peut soutenir, ce qui
peut consoler est si peu de chose en com-
paraison de ce qui attriste et de ce qui
abbat : Mes yeux, dit le Prophète, ont versé
des larmes avec abondance, parce que les pé-
cheurs transgressent votre loiJPsal. CXVIir,
130.)
La vue des péchés du monde est donc un
sujet continuel de tristesse et de larmes ;
mais nos [leurs et nos gémissements ne
seraient ni agréables à Dieu, ni ca|)ables do
l'apaiser, si nous ne travaillions efficace-
ment et autant qu'il est en nous. Vous
pouvez parler, vous pouvez remontrer,
vous pouvez agir, vous pouvez réveiller ce
pécheur. Vous demeurez dans l'inaction,
vous laissez avaler la coupe empoisonnée
à cet homme qui se tue lui-même, quand
vous pouvez l'arracher de ses mains. Si
vous persistez dans cette coupable indiffé-
rence, prononcez contre vous-même, il
n'y a dans vous que tiédeur; donc vous
n'avez point le zèle dont un prêtre doit être
animé.
Un prêtre qui a de l'ardeur en donne des
marques en bien d'autres occasions. S'agil-
il de consoler celui qui est dans l'affliction,
de protéger celui qui est opprimé, de sé-
c mrir le pauvre dans ses pressants besoins,
do soutenir une famille qui est menacée
d'une ruine entière et prochaine, d'alTermip
un malade que des douleurs longues el
aiguës font chanceler dans ses résolutions,
de réconcilier ensemble des hommes qui
nourrissent dans leurs cœurs des inimitiés
invétérées ? S'agit-il de se sacrifier, de
consacrer sa vie et son repos pour ceux à
qui l'on est convaincu qu'on se doit tout
entier ; voilà ce qu'un prêtre zélé recher-
che avec empressement. Il n'a jamais plus
de joie que lorsque, appliqué à ses fonctions,
il se lasse, il se fatigue, il se consume f)our
la gloire de celui qui l'appelle à un si saint
ministère.
Je dis pour la gloire de celui qui l'ap-
pelle, car la gloire de Dieu est le seul
motif que peut se proposer un prêtre
zélé.
Le zèle ecclésiastique, pour être véritable,
doit être désintéressé. Tout homme qui se
laisse conduire par des vues humaines
abuse de noire ministère, son zèle est faux,
I)arce qu'il est dépourvu du véritable moi if
qui le doit animer : Je ne cherche point vos
biens, mais c'est vous que je cherche. (Il Cor.,
XIJ, 1'+.) Paroles qui doivent être gra-
vées dans le cœur de tous les ecclésiasti-
ques.
Vous avez vu que le zèle ecclésiastique
doit être accompagné de fermeté. Si l'itité-
rôl vous domine, quelle tentation 1 Que
deviendra celle fermeté , quand elle no
peut subsister qu'en renonçant à des vues
humaines, el en déplaisant à des hommes
puissants, dont vous craignez de perdre ta
faveur?
Quel zèle que celui qui ne se manifeste
qu à l'égard de ceux qui, en nous récompen-
sant irop promptement, nous font perdre la
seule récompense que nous devons attendre.
Chercher les riches, ne vouloir servir que
les riches, zèle intéressé, zèle qne Dieu ré-
prouve, zèle que Dieu châtie.
Si vous avez du zèle, cherchez les pau-
1221
REIRAITE ECCLES. — XV. — ZELE.
1222
vies, travaillez pour les pauvres. Les riches
vous récoiiipoDseronl, les pauvres no vous
récompenseront point. Mais c'est cotte rai-
son-Ih raôme qui «loit vous rendre pré-
cienix le service ilos pauvres. Car Ji^sus-
Christ s'est engagé do vous r<5cornpenser,
lorsque vous n'èles point toucliti des récoin-
poiises humaines, et lorsque vous no les
recherchez point
Voil?i la grande maxime qui doit ôlre le
principe de notre conduite et de notre
zèle. Dès que vous avez en vue les réoom-
|)enses humaines, vous renor.cez aux ré-
compenses que Jésus-Christ promit h ceux
qui le servent. Alin de parvenir il ces di-
vines récompenses, il faut qu'elles soient
notre unique motif.
Jugez par là du malheur de ceux dont
le zèle est intéressé : Ils ont reçu leur ré-
compense {Maltli., XI, 2). dit Jésus-Christ ;
ils sont donc de ceux dont l'aveuglement va
jusipi'à préférer les biens caducs et péi-is-
sdbles de celle.vie, aux biens permanents
et éternels que" Jésus - Christ nous a
promis.
Celui doni le zèle est désintéressé, sou-
tenu par les promesses que Dieu nous a
faites, est dans la tiispositioii d'entiepren-
dre les choses les plus dillioiles poac lui
donner les preuves de sa lidélilé.
Quoiqu'il n'y ait rien de |)lus louable
que d'entreprendre et même de s'exposer
jiour la gloire de son Dieu, le zèle néan-
moins doit avoir des bornes. Il peut con-
duire trop loin, lorsqu'on n'a pas soin de
se conformer aux règles de la j)rudence qui
nous sont prescrites.
Le zèle doit être |irudent. Il y a deux
sortes de zèle, l'un (jui est scdon la science,
l'autre qui est outré et qui n'est pas selon
la science. Saint Paul dit en [)arlant des
Juifs : Je leur rends témoignage qu'ils ont
du zèle, mais leur zèle nesl point selon la
science. {Rom., X, 2.)
Ce serait, par exemple, un zèle outré, si,
en considérant le grand nombre des rué-
chants qui sont sur la terre, on entrait
dans ce sentiment que Dieu devrait plus
proptement faire éclater sa justice.
Le zèle serait encore plus outré et plus
indiscret, si, lorsque les méchants nous ont
accablés, nous donnions entrée h celle pen-
sée dans nos cœurs : qu'il serait de la jus-
tice de Dieu de [jreudre notre cause en
main, et de punir prom[)ieraenl les auteurs
criminels de noire ruine et de notre inior-
lune.
« Prenez garde, dit saint Augustin, de
vous laisser aller aux plaintes el aux mur-
mures , de peur que vous ne soyez vous-
même de ceux dont Dieu doit se venger.
Parce que vous avez passé sur le pont de la
jniséricorde, voulez-vous le détruire , aliu
nue personne ne nasse i>lus après vous
(3'8j ?»
Apprenez ce que Jésus-Christ a répondu
h ceux qui se voulaient hâter do cueilHr la
ziznn'w. [Maltli., Xill, 29.) Il vous a mar(|uë
expressément qu'il fallait attendre le lemp'?
de la moisson. Dieu agit avec patience, parce
qu'il ne veut point que les hommes périssent.
(Il Pctr., m, 9.) Sa [latience est admirable.
Nous devons en être d'autant plus touchés,
ipi'*, pour peu que nous rentrions en nous-
mêmes, nous reconnaîtrons aisément l'ex-
trême besoin que nous avons que Dieu nous
traite avec une très-grande patience.
Le zèle doil être discret et réglé ()ar la
prudence : dès que vous n'en suivez plus
les principes, ce n'est jilus zèle , c'est indis-
crétion.
Ce que vous voulez entreprendre est bon;
mais il sur()asso vos forces , mais ce n'est
point le temps de former une pareille en-
treprise, mais Dieu ne vous a[)|)elle pas à
celte œuvre, mais cette entreprise rompra
d'autres desseins (pii sont plus conformes
à votre élal , et [ilus proportionnés à vos
talents. Si, nonobstant ces puissantes rai-
sons, vous vous laissez aller aux saillies de
votre zèle, ne voyez-vous pas que ce n'est
t»lus un zèle selon la science ?
Le zèle est encore très-indiscret, lorsque
le désir dont on est rempli do faire de bon-
nes œuvres et de les conduire à leur per-
fection , engage à prendre des moyens qui
sont contre la règle, et qui sont même
quelquefois criminels. Tel est le faux zèle
de ceux qui, pour procurer queb^ue avan-
tage à un corps dont ils sont les membres,
ne craindront point de se servir de dégui-
sement et de fraude. Ils .s'imaginent que
toutes voies leur sont permises, parce (jue
ce n'est point leur propre intérêt qu'ils
poursuivent.
Que ceux qui sont dans cette erreur se
convainquent de la sainte raasime^ ensei-
gnée par saint Grégoire de Nazianze (oral.
32, p. 518} , qui est que, quelque excellent
que soit nubien, il n'est jamais permis
d'employer de méchantes voies pour '.o
faire réussir. Si vous vous écartez de cette
règle, ce n'est point le bien et la vertu que
vous aimez, c'est voire caprice que vous
suivez, et votre amour-propre <jue vous
satisfaites.
Vous en voyez , lesquels, après avoir
conçu des desseins qui paraissent bons à
la vérilé, se résoudront plutôt h embrasser
des voies ii'régulières et contraires à la pu-
reté des saintes maximes de l'Evangile, que
(.''abandonner les entreprises qu'ils onl for-
ruées. Ce n'est pas assez de vouloir un bien,
il faut que ce soit dans l'ordre de Dieu, et
avec une entière soumission à sa sainte vo-
lonté. Lorsque les ujoyens légitimes vous
manquent, el que, pour arriver au but que
vous vous proposez, il serait nécessaire do
s'écarler de la voie droite de l'Evangile,
vous pouvez compter que vos desseins no
sont point dans l'ordre de Dieu. Il vous dé-
fend d'aller jilus loin, el pourlui obéir vous
êtes obligé d'abandonner vos entreprises,
([uebiue saintes tju'olles vous aient paru.
(38) t Noli, quia tu irausisli, velle iiiisericordise Dei j[ioiitem subveriere. i {Inpsal. XCIll.)
1223
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMilERT.
1224
Le vr.ii moyen ilc ne point loinbor dans
cps fA<;Iii;uses oxlréinilos, c'est de ne se
point I Toire soi-même, de se délier de ses
propres sentiments, d'ôlre prompt h deman-
der conseil, do ne se point [)i(]uer de suivre
ses premiers projets, quand on nous a fait
connaître que nous ne pouvons les exécuter
sans nous écarter des règles de la solide
prudence. C'est le zèle même qui souvent
doit modérer le zèle. Je veux dire que c'est
sagesse lorsqu'un zèle prudent et selon la
science reti(MU un zèle qui n'est ni prudent,
ni selon la science.
I Mais quand nous connaissons que notre
zèle est réglé, et que c'est le Seigneur qui
nous l'inspire, nous devons prendre garde
à ne pas tomber dans l'inconstance, et h no
pas abandonner légèrement des desseins
qui viennent d'en haut.
Le véritable zèle est persévérant. II y en
a plusieurs dont Dieu se plaint. Il les ac-
cu!<e et il leur l'ait ce reproche que l'Iicri-
lure nous rapporte. J'ui à me plaindre de
TOUS, c'est que vous êtes déchu de votre pre-
mière ferveur. {Apoc, 11, 4..)
li n'y en a que trop qui viennent avec
ardeur, mais c'est une ardiur pf.ssagère
et qui n'a point de durée. Apiès celle re-
iraiie vous avez été pendant quelque temps
tout plein de ferveur : vous aviez formé des
résolutions, ces résolutions se sont bientôt
évanouies, et on n'en remarque plus aucun
vesiij^e.
D'où vient donc que votre zèle se souiient
si peu? êtes vous de ceux qui s'elfrayent
des contradictions? Il y en a qui s'alarment
dès qu'on s'oppose à leurs desseins. Aussi-
tôt que l'adversité les trouble, ils se retirent
et ils cèdent honteusement. Se rebuter ainsi
des contradictions et des adversités, c'est
avoir bien peu de courage; c'est bien peu
connaître ce que la force chrétienne doit
inspirer à ceux qui combattent [lour Jésus-
Christ. Si les premiers ministres de Jésus-
Christ avaient cédé, parce que les méchants
les contredisaient, quels progrès auraient-ils
faits? Comparez leurs eonlradictit^ns avec
les vôtres, et j'aurai droit de vous dire avec
saint Paul : que vous n'avez pas encore ré-
sisté jusqu'à répandre votre sancj. Illebr., X.1,
Quand le zèle est véritable, bien loin de
se rebuter, il s'allume et il s'echaufle mal-
gré les contradictions. JN'a-l-il pas été i)ré-
dit (lue tous ceux qui soutiennent la cause
de Jésus-Chrisl trouveraient des ennemis?
Dieu a voulu éprouver votre zèle, il a voulu
reconnaître quelle était voire loi. Vous avez
cédé, vous avez donc fait voir que voire
zèle était très-médiocre, et votre foi très-
imparlaite. Mais encore que craignez-vous?
de succomlter entièrement? No savez-vous
pas que la victoire n'est jamais plus glorieuse
et plus certaine, que quanti on est vaincu
par les mécluints en soutenant les intérêts
de Jésus-Christ?
Jamais, disaient les premiers chrétiens,
nous ne sommes plus libres que<]nnna vous
nous tenez captifs, et jamais nous ne rem-
portons une victoire plus parfaite que (juand
vous nous croyez vaincus (39).
Le vrai zèle a encore pour maxime de
no se point effrayer lorsque des entre()rises
formées selon les lois de la jirudence n'ont
aucun suc( es. C'est à'nous de former des
desseins, c'est à nous do faire des etforts :
c'est à Dieu de les bénir et de les faire
réussir, lorsqu'il l'a ainsi arrêté dans ses
divins conseils. Nous sommes trop heureux
que Dieu veuille bien se servir de nous, et
quand bien môme nos travaux sont sans
Iruit, c'est h nous de le bénir, et d'adorer
ses conseils qui sont toujours pleins de jus-
tice.
Ayez doiic pour principe d'agir pour Dieu,
de suivre ses voies, de vous attacher h vos
devoirs. Après cela si l'on vous contredit,
ayez recours à celui qui esl votre force. Si
vous voyez le fruil de vos travaux, bénis-
sez Dieu, à lui seul appartient lu gloire. Si
vous n'en rémarquez aucun, bénissez en-
core le Seigneur, accusez-vous vous-même,
reconnaissez votre indignité, et travaillez
avec plus de zèle.
Nous souhaitons de vous, pour me servir
des tenues (le saint Paul, que vous conser-
viez toujours la même ardeur jusqu'à la fin,
que vous ne vous ralentissiez jamais, mais
que vous soyez des imitateurs fidèles de ceux
qui mériteront par leur foi et leur persévé-
rance d être leshéritters des promesses. [IJebr.,
VI, 11. j Saint Paul vous deuiande toujours
la même ardeur, et il vous la demande jus-
qu'à la fin. C'est là l'exemple que vous ont
donné les serviteurs de Jésus-Christ, et
c'est cet exemple que vous devezsuivre, afin
que votre zèle soit persévérant.
Voilà les vérités dont j'avais à vous ins-
truire dans le dessein que je m'étais pro-
posé de vous entretenir du zèle ecclésias-
tique. Je vous ai fait voir la nécessité du
zèle, je vous ai njonlré les qualités qu'il
doit avoir.
Animez-vous et travaillez fortement à
acquérir cette vertu. Il faut qu'un ecclé-
siasli(]uu qui n'a point de zèle ne lasso
réll(;xion ni sur celui dont il est le minis-
tre, ni sur l'élévation de son carictère, ni
sur l'excellence de ses fonciioiis.
Peut-on connaître ce que c'est que Dieu
et le servir avec tiédeur? Quoi! Dieu le
njaîlre souverain, devant qui toutes les
créatures tremblent, établira ses saintes
lois, et nous ne les exécuterous que d'une
manière molle et languissante? Au lieu de
courir à lui avec ardeur, de tout entrepren-
dre pour lui plane, nous marcherons mol-
lement dans ses voies, nos devoirs nous
jfaraîlront un joug dont nous chercherons
a nous exempter; le peu que nous en [)ra-
tiquerons, ce sera par contrainte et jamais
por amour.
Non-seulement Dieu nous appelle à stn
service; mais encore faisons-nous attention
(39) « Vincimus cumocddimur, evadimus cum obJucinmr.» (T^kt., /l/jL.'/.,cap. 48.)
iS25
RETRAITE ECCLES. - XVI, CHARITE ENVERS LE PROCHAIN.
,1226
au rang oans lequel nous sommes placés?
Quelle dignité semblable à la nôtre? Vous
êtes prêtre, connaissez-vous ce que c'est
que d'être prêtre? Si vous le savez, vous
devez beaucoup estimer votre dignité. Com-
ment marquerez-vous que vous l'estimez
si vous l'avilissez, si vous la rendez mé-
prisable, si même vous la déshonorez par
l'irrégularité de votre conduite et de vos
mœurs? Le seul moyen de marquer que
vous estimez votre dignité, n'est-ce pas de
vous conduire comme un ministre fidèle,
qui ne néglige rien, cjui est toujours atten-
tif, qui ne cherche qu à plaire à celui qui
l'a appelé?
C'est une maxime certaine que chaque
affaire doit être traitée selon son mérite et
son importance. Quelles sont vos fonctions ?
peut-il y en avoir de plus nobles? vous dis-
pensez les mystères de Dieu. Quoi de plus
grand ! à quoi donc donnerez-vous votre at-
tention, si vous ne la donnez pas à de si
sublimes mylères ? C'est h Dieu que vous al-
lez, c'est pour lui que vous travaillez, c'est
sous ses yeux que vous combattez. Courez
donc, employez tous vos etl'orls, animez-
vous, reprochez-vous toutes vos lâchetés,
condamnez-vous vous-même, soyez aussi
fervent que vous avez été tiède. Servez Dieu
d'une manière digne de lui, digne de votre
vocation. Vous aurez ici-bas la consolatton
que ne manquent jamais de ressentir ceux
qui s'acquittent de leurs devoirs, et après
cette vie Dieu vous couronnera pour régner
avec lui dans l'éternité.
DISCOURS XVi.
DE Là CHARITÉ POUR LE PROCnàlN.
Jésus-Christ nous dit dans l'Evangile,
qu'il est venu sur la terre pour y a()[)orter
le feu, et qu'il débire avec ardeur que ce
fe.i s'allume. {Luc, XII, 49.) Il parle en cet
eadroil du feu de la charité, et il nous mar-
que qu'un de ses grands désirs est que les
cœurs de tous les hommes soient consumés
de ce feu divin. Los disciples de Jésus-
Christ doivent donc être des hommes ar-
dents et pleins de zèle. Celle ardeur et ce
zèle se doivent remarquer dans toutes leurs
actions. Voici la délinition du chrétien et
son vrai caractère : C'est un homme donl !e
cœur est brûlant et pénétré de charité.
Jésus-Christ est venu sur la terre pour y
apporter le feu : mais la malice des hommes
a presque éteint ce feu, et l'on n'en remarque
plus que de très-faibles vestiges.
Il semble au moins que les ecclésiastiques
devraient avoir conservé ce feu. Ils sont mi-
nistres de Jésus-Christ : de Jésus-Christ
plein de charité, et qui recommande parti-
culièrement à ses disciples l'exercice de
cette vertu. Celui dont le cœur n'est point
rempli de la charité, peut-il être appelé
ministre cl disciple de Jésus-Christ?
Il serait à souhaiter que les prêtres de la
loi nouvelle eussent autant de zèle pour
conserver le feu de la charité, que les prê-
tres do l'ancienne loi en témoignèrent pour
conserver le feu qu'Us avaient pris sur l'au-
DRATEUaS SACRÉS. LXVjlI.
tel, et qu'ils cacheront avec grand soin dans
le temps que le fieuple fut emmené captif.
L'Ecriture dit cjue les prêtres cachèrent ce
feu dans un lieu secret. (II Machab., I, 19.)
Lorsque le roi do Perse permit h Néhéniie
de revenir à Jérusalem, les descendants des
prêtres qui avaient caché lo feu retournèrent
pour le chercher, et ils ne trouvèrent que
de l'eau é|>aisse et bourbeuse. L'on puisa de
cette eau, l'on en jeta sur le bois, et dès
que le soleil parut, le feu s'alluma au grand
étonneraent de tous ceux qui furent témoins
de cette merveille.
Hélas! si l'on cherchait dans le cœur de
beaucoup d'ecclésiastiques le feu de la cha-
rité, l'un n'y trouverait que de la boue.
Quelle es()érance qu'un cœur charnel et ter-
rostre devienne spirituel et divin, à moins
que le soleil de justice ne paraisse, à moins
qu'il ne fonde la glace de ces cœurs, qu'il
ne les érhaulfe et qu'il n(3 les change I
Adressons-nous donc à ce Dieu de bonté,
et faisons avec le secours de sa grâce tout ce
qui dé(iendra de nous pour allumer le fou
de la charité dans le cœur des ecclésiasti-
ques. C'est particulièrement de la charité
pour le prochain dont j'ai dessein do vous
parler.
Je partage mon discours en trois parties.
Dans la première, je vous ferai voir l'obli-
gation que les ecclésiastiques ont de rendre
service au prochain.
Dans la seconde, je vous expliquerai e-j
quoi les ecclésiastiques peuvent rendre ser-
vice au |)rochain.
Dans la troisième, j'établirai quelques
maximes qui apprendront aux ecclésiasti-
ques les dispositions dans lesquelles ils
doivent entrer, pour bien accomplir le pré-
cepte qui les oblige de rendre service au
prochain.
PREMIER POINT,
L'obligation que vous avez d'assister le
prochain et de vous consacrer à son service,
est fondée premièrement sur la qualité du
chrétien qui vous est commune avec tous les
fidèles. En second lieu sur celle d'ecclésias-
tique qui vous est particulière
Vous êtes chrétiens, disciples de Jésus-
Christ, et par conséquent obligés de garder
avec fidélité toutes les lois de votre Maître :
or vous êtes trop instruits de votre religion
pour ne pas savoir qu'après le commande-
ment d'aimer Dieu, le plus important, et
celui dont l'exécu ion nous est plus expres-
sément recommandée, c'est le commande-
ment d'aimer nos frères.
Vous savez tous ce que Jésus-Christ ré-
pondit à un docteur de la loi, lorsqu'il lui
lit celle quesliin : Maître, quel est le grand
commandement? le Sauveur répondit: Vous
aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre
cœur, de toute votre âme, et de tout votre et^-
prit ; c'est là le premier et le grand comman-
dement, et voici le second, qui est semblable à
celui-là : vous aimerez votre prochain. comme
vous-même. {Matth., XXII, 36)
Vous êtes uoiic obii(^és, en (jualité de chré-
39
mi
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1<228
îion, (faimcr votre procnain commn vous-
jnôiue, vous n"oii doutez piis : ni.nis ce que
vous (levez bien cnniprondre, c'est que
quand le Fils do Dieu nous commande
daimer nos frères, il ne se contente pas d'un
flmour stérile, qu'on se flatte vainement de
tenir renfermé dans le cœur : mais il veut
que ce soit un amour clfect if, qui paraisse
au dehors, qui produise du fruit. Celui qui
croit n'ôlro au monde que pour lui, ([ui n'a
soin que dclui-môme, qui ne rend point ser-
vice au prochain quand il lo peut, n'accom-
plit |)0inl le préccpio qui nous oblige d'ai-
nior nos frères.
Cclui-Ih seulement aime son prochain qm
rend service à son prochain. Lo Fils do Dieu
nous enseigne cette v.'-rilé bien clairement
dans plusieurs endroits do l'Evangile.
U nous dit : Agissez envers les hommes
comme vous voulez quils agissent envers vous.
{Mallh., Vil, 12.) Quand vous avez besoin
de cet homme puissant, èles-vous content
lorsqu'il vous reçoit avec mi visage ouvert,
lorscju'il vous assure avec des termes hon-
nêtes qu'il compatit h. vos peines, lors(iu'il
vous fait des promesses vagues et qui ne
sont point exécutées? ne demandez-vous
pas des effets? no voulez-vous pas des
preuves elfectives do la bonne voloiité dont
on vous assure que l'on est remp.Ii? Con-
damnez-vous vous-môme ot confessez quo
pendant quo vous demeurez oisif, et que
vous no rechcrch.ez point les occasions ,do
rendre service à vos frères, vous n'agissez
point envers les hommes, comme vous vou-
driez qu'ils agissent envers vous : et ainsi
vous n'aimez point votre prochain, comme
le Fils de Dieu vous le commande.
Ceux qui sont inutiles au piochain, qui
ne s'appliquent point 5 le secourir, sont
semblables au prêtre et au léviie dont il est
parlé dans l'Evangile. [Luc, X, 33.) Ils pas-
sèrent sans se mettre en peine de secourir
cet homme, lc(iuel étant tombé entre los
mains des voleurs avait été dépouillé, cou-
vert da plaies, et laissé à demi mort : mais
des hommes charitables, qui toujours émus
d'une sainte compassion pour leurs frères,
se font une joie d'être utiles au prochain,
sont semblables au Samaritain.
Le Samaritain, i\\\. l'Evangile, s'approchant
de cet homme, versa de l'huile et du vin dans
ses plaies, les banda ; l'ayant mis sur son che-
val, il l'emmena dans l'hôtellerie, et eut grand
soin de lui. Mais en même temps ciue Jésus-
Christ propose cet excellent modèle, il dit
que, si nous voulons témoigner que nous
aimons nos frères, nous devons laii e comme
lo Samaritain. Allez, et faites de même, c'est-
à-dire si quand votre Irère est dans bi mi-
sère, vous passez sans le soulagt-r, comme
le prêtre et le lévite, vous n'accotnpli.ssez
point le précepte de l'amour du piochain.
Pour satisfaire h celte loi, il faut imiter lo
Samaritain, il faut secourir notre prochain
dans ses besoins, il faut que notre amour
pour notre prochain soit etl'ectif; et nous
devons être convaincus que nous ne vivons
on ce monde quo pour nous rciulro service
les uns aui autres.
Il en est do l'amour du proih.'ini, commo
do l'amour que nous devons h Dieu. Tout
homme gui dit : Seigneur, Seigneur, c'esl-;i-
diro tout homme qui dit qu'il aimo J)ieii,
n'entrera pas dans le royaume du ciel i il faut
dos (.ouvres et des prouves do cet amour.
Celui-là seulement entrera dans le royaume du
ciel qui fait la volonté de mon Père. [Matih.,
VU, 21.) J'en dis 'do ujômc do l'amour du
prochain. Il no suffit pas do dire qu'on
aime son prochain, il faut des œuvres et
des prouves do cet amour.
11 est donc constant qu'on .lualité de
clnétion vous êtes indispensablomcnt obli-
gés d'aimer votre prochain; il est constant
quo vous n'aimez votre prochain que (juanii
vous êtes dans une sincère disposiiion de
lui rendre tous les services dont vous Clos
capable, Selon votre état et votre condi-
tion.
M.iis quel est votre état? quelle est voire
condition ? Vous êtes ecclésiastique, vous
êtes minisire di; Jésus-Christ, je prétends
quo cette qualité vous engage do vous con-
sacrer tout entier au service du prochain.
Pourquoi |)ensez-vous quo Jésus-Clirist
ait établi dans son Eglise dos ministres et
des prêtres ? n'est-ce pas afin qu'ils se dé-
vouent enlièroment au service de leurs
frères? De là vient que Jésus-Christ disait
souvent à ses a[)ùtrcs, qu'ils devaient so
regarder commo les sorviicuis des autres :
Qui voudra être le premier d'entre vous doit
être le serviteur de tous ( Marc., X,. 44) ; tt
pour leur rendre cette qualité plus suppor-
table, il assurait quo lui-même n'était pas
venu en ce monde pour èUe t.ei vi, mais
pour servir los autres.
Aussitôt qu'il choisit ses apôtres, il leur
déclare qu'ils ne sont apôtios que pour
consacrer leur \ie au service de leurs frè-
res : il leur enjoint de parcourir toutes les
nations du monde, pour y i)orter la gloire
(iii sou nom. Allez , leur dit-il, enseignez
toutes les nations. Je vous envoie comme les
brebis au milieu des loups. (Matlh., XXVII,
19, 16.) Quel léiiioignage veut il que Pierre
lui donne do son amour? Paissez ines
agneaux, paissez mes brebis. [Joan., XXI,
15.)
Les premiers disciples de Jéus-Christ
ont été chargés ex|)ressùmeat de se con-
sacrer au service do leurs irères. Si vous
tenez leur ()lacc, si vous êtes revêtu iju
même caractère, n'avez-vous pas aussi lu
même obligation?
Us étaient envoyés commo dos brebis an
milieu des loups. Ils ne pouvaient exercer
aucune fonction de leur minislère sans
ex{)Oser leur vie? Qui peut donc vous dis-
penser de vous acquitter do vos devoirs,
vous qui no courez aucun risque de voiio
vie, et que rien ne peut détourner de s<i-
tisfaire à vos obligations, qu'une lilche mol-
lesse?
Jésus-Christ veut que Pierre, pour lui
donner des mar(iues de son amour, |»ai>se
\R1TE ENYEUS LE PROCHAIN
1230
1229 RETRAITE EC€LES. — XVI, Cil
SOS brol)is. Et vous, quelle pronvo donno-
rcT:-vous do votre amour, si vous vivez dans
la paresse, et si vous ne faites jamais rien
pour le salut de votre prochain.
Qu'on est indigne de porter le môme ca-
ractère que les apôtres, qu'on est indigne
de tenir leur place, lorsqu'on n'a pas la
moindre portion do ce zèle brûlant qui les
consumait! Car, avez-vous bien médité
jusqu'où allait ce zèlo des disciples de
Jésus-Chri'^t dont vous tenez la place? /e
donnerai volontiers, <lit saint Paul, loul ce
que j'ai, et je me donnerai encore moi-même
pour le salut de vosdmcs. (II Cor., XII, 15.)
Et nous, bien loin do donner tout ce que
nous avons pour soulager nos frères, nous
avons bien de la peine h nous dépouiller
en leur faveur d'une partie de nos biens.
Bien loin de nous donner nous-mêmes pour
le salut de nos frères, nous croyons avoir
beaucoup fait quand nous avons donné une
petite partie do notre temps , encore ne
le faisons-nous qu'avec regret et qu'avec
peine.
Saint Paul dildans la même Epître : Vous
êtes dans mon cœur à la mort et à la vie.
(II Cor., VII, 3.) C'est-à-dire je suis prêt do
vivre et de mourir pour vous.
Le môme Apôtre étant à Athènes sentait
son esprit ému et comme irrité dans lui-
raôme; il ne pouvait retenir son zèle en
voyant quo cette ville était si attachée à
l'idolâtrie. (Act., XVll, 16.)
Et vous, deraeurerez-vous oisifs pendant
que tan', de chrétiens vivent dans l'igno-
rance, pendant que tant de chrétiens sa-
criflent au\ plaisirs, h la vanité, aux riches-
ses qui sont de véritables idoles? Au lieu
d'animer votre zèle pour la destruction des
idoles, prendrez-vous l'encensoir pour vous
mêler parmi ceux qui idolâtrent les biens
de ce monde? Vivrez-vous tranquilles pen-
dant quo le démon fait de si grands ravages
dans le champ de l'Eglise? Comment voiro
zèle ne s'émeul-il point aussi bien que ce-
lui de saint Paul, en voyant vos frères qui
s'oublient véritablement pour sacrifier à des
idoles?
Si vous êtes inutiles à vos frères, que de-
viendront tous ces pouvoirs que vous avez
reçus quand vous avez été revêtus du sa-
cerdoce? Les pouvoirs des ministres da
l'Eglise tondent tous à les rendre capables
deservir le prochain. L'Eglise, qui leur con-
lieson autorité, suppose doncqu'ils auront
du zèle pour le salut de leurs frères; elle
suppose qu'ils se serviront des pouvoirs
qui leur sont donués pour l'utilité de ses
enlants.
Vous recevez le pouvoir de consacrer le
corps du Seigneur, et d'uUrir le sacritice.
Vous u'olfrez pas le sacritice pour vous seul,
vous l'otTrez au nom de l'Egliso et pour
toute l'Eglise : vous l'offrez au nom du peu-
ple f|ui assiste à ce sacrifice.
En vain, recevez-vous le pouvoir de re-
('234) I Llvcrsarum ego curarum xsiibusac dilIicuUatlbus conlurbatus si quem tort« non ul posceUt
auUivi, I e.c. (S. Alc, hom. 24.j
mellrn les péchés si vous n'avez aucun zèlo
pour lp salut des pérhoiirs, et si vous re-
gardez d'un œil indiiïérent votre frère qui
se nord et qui s'endort dans le crime.
Que vous sert le pouvoir do prêcher l'E-
vnnsiie, si vous rougissez d'annoncer Jésus-
Christ, si vous ne travaillez pas à fnirecom-
prendre aux pécheurs, combien ils sont
malheureux do s'éloigner des maximes de
l'Evangile? Voilà vos pouvoirs, voilà les
talents que vous avez reçus et dont Dieu
vous demandera compte au jour de sa co-
lère.
Songez aonc que vous tenez la place do
ceux qui ont donné leur vie pour le salut
<le leurs frères. Songez que l'Eglise vous
confie tous ses pouvoirs dans la vue que
vous les emploierez pour l'utilité de vos
frères. Jugez après cela vous-mêmes si l'on
peut excuser l'indifférence et l'insensibi-
lité de tant d'ecclésiastiques qui n'ont que
de la froideur quand il s agit d entreprendre
de bonnes œuvres pour sauver les âmes ra-
chetées du sang do Jésus-Christ ?
Ceux (pii ont des bénélices 5 charge d'âmes
ont encore une obligation plus grande do
veiller au salut des peuples qui leur sont
confiés. Rien n'est plus constant dans la
doctrine des saints Pères que ces vérités
terribles. Ils répondront à Dieu de toutes
les âmes qui sont commises à leurs soins.
Ils seront coupables de la perle de toutes
celles qui périront par leur négligence.
Ils n'en sont point quittes devant Dieu,
qu'ils n'aient donné tout leur soin et toute
leur application au salut de leurs brebis.
Si les ouailles se perdent ou bien parce
que le pasteur n'a pas assez de capacité
pour les conduire, :ou bien parce qu'il n'a
pas apporté toute la diligence nécessaire,
le pasteur en répondra , le pasteur sera,
frappé.
Saint Augustin' repassant dans sa mémoi-
re la grandeur de ses obligations, dit ces
belles paroles dans un sermon qu'il fait à
son peuple au jour qu'on solemnisait l'an-
niversaire de son ordination.
o Je suis troublé quand je considère la
multitude et la diversité dessoins dont je
suis chargé. Je suis coupable si je raanquu
à écouler ceux qui me consultent; si je
raonlro un visage triste et sévère à ceux
qui m'abordent ; si la dureté de mes paro-
les les rebute ; si je trouble ceux ^qui sont
déjà affligés, et qui ont besoin de'consola-
lion en leur faisant quelque réponse hors
de propos; si, pensant à autre chose, j'ou-
blie de secourir un pauvre, ou bien si je la
remets à un autre jour, ou si j'augmente sa
tristesse et son affliction par mes rebuts; si
je témoigne do l'indignation contre ceux
qui, jugeant peu favorablement de ma con-
duite, me donnent des intentions que je
n'ai jamais eues (234). C'est une grande
charge, <;'est un lourd fardeau, que d'être
obligé d'instruire, de reprendre, de cur-
1554
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
ilZi
riizer, d'cniror dans lo* afTaires dos mitres.
Ouinefuinit un travail si pc^nibl'^ (235)? »
Saint Chrysostome {De saccrdotio, 1. H,
cap. 1; 1. III, cap. 10) s'explique clairement.
Il asstue que si celui qui a soin des brebis
de Jésus-Christ en laisse périr quelqu'une,
son Ame en répondra. Considérez, dit le
même Père, quelle vengeance, etquelssup-
plices les pasteurs doivent craindre , se
trouvant non-seulement dans la nécessité
de rendre compte de leurs propres péchés,
mais encore en danger d'ôlre abîmés pour
les péchés de leur peuple.
Si ces maximes sont véritables, pasteurs
négligents, en êt^s-vous quittes devant Dieu
quand vous avez célébré les saints mystè-
res, quand vous employez quelques heu-
res, les jours solennels, pour écouter à la
hâte les confessions de vos paroissiens,
quand vous leur donnez è la mort les sa-
cremen'iS de l'Eglise? Mais insirnire les en-
fants, prêcher les maximes de l'Evangile,
jiresser les pécheurs de renoncer à leurs
péchés, chercher les brebis égarées, ac-
corder les différends, écouter les plaintes,
adoucir les esprits qui sont aigris, vous
prétendez que cela n'est pas de votre mi-
nistère. Dieu vous fera bien sentir un jour
ce qui était de votre devoir, et ce quec'est
que de paître ses brebis. II vous fera bien
voir que l'on r.'est véritablement fiasteur,
que lorsqu'on s'abandonne tout entier au
soin de son troupeau.
Je conclus des vérités "que je viens d'a-
vancer, qu'un ecclésiastique n'est plus un
homme à lui, qu'il doit se regarder comme
le serviteur de tous ceux qui ont besoin
de son secours, qu'il doit s'estimer heureux
de leur donner son temps, son repos, qu'il
ne travaille jamais plus efficacement à son
salut que lorsqu'il s'emntoie [lour celui
des autres.
Examinons maintenant 'quelle aoit être
}a charité des ecclésiastiques, et ce [qu'ils
peuvent faire pour rendre .service^ à leur
prochain.
DEUXIÈME POINT.
Jecomaience par les secours temporels ;
et je prétends que les ecclésiastiques sont
indispensablement obligés de faire l'au-
mône ; je soutiens que celle obligation est
encore [dus étroite pour ceux qui possè-
dent des bénétices.
Les ecclésiastiques fidèies peuvent beau-
coup se retrancher: ils n'ont point l'em-
barras d'une iamille ; les gens du monde
apportent des excuses ; les ecclésiastiques
peuvent-ils les ailéguer? Jamais ils ne sou-
tiennent mieux leur rang et leur caractère
que quand ils se retranchent pour soulager
les pauvres.
Les ecclésiastiques sont les pères et les
protecteurs des pauvres. Un de leurs prin-
cipaux devoirs, c'est de presser les riches
do les secourir ; et c'est ce qu'ils ne [)eu-
1^35) < Magnum unus, magnum pondus, mai^nus
1«. jr. yuis nyià refuyi.ii isium luLoiciu ?» (^Se;. 33y
vont faire avec fruit, 'si l'on sait que ifur
charité est resserrée, et si l'on connaît leur
insensibilité pour les pauvres. Un ecclé-
siastique qui a les mains ouvertes pour se-
courir les pauvres est toujours favorable-
ment écouté : les pauvres, qui prient pour
lui, attirent la bénédiction de Dieu sur tout
ce qu'il entreprend.
Eusèbe (236) nous rapporte que dans une
grande famine qui arriva au temps de l'em-
pereur Maximin, comme il n'y avait que
les chrétiens qui assistaient les pauvres,
cela engagea les païens à reconnaître Je
Dieu des chrétiens pour le seul Dieu qui
devait être adoré; puisque lui seul inspi-
rait l'amour des pauvres et un saint désir
de les secourir. Aussi un ecclésiastique
qui fait l'aumône gagne les cœurs ; on est
convaincu de la sincérité de son zèle; on
goûle ses maximes; on est vivement tou-
ché quand on considère l'ardeur avec la-
quelle il donne sa vie, son temps, ses
biens pour la seule gloire de Jésus-Christ,
et le salut de ses frères.
Les sainis pasteurs ont toujours aimé
pauvres; ils ont toujours cru qu'une
leurs principales obligations était de
secourir dans tous leurs besoins.
Saint Grégoire de Nazianze ( oral. 20, p.
360), dans l'éloge de saint Basile, rapporte
que sou amour pour les pauvres allait
jusqu'à les embrasser dans le temps que
les plaies dont ils étaient affligés auraient
été capables d'inspirer du dégoût à tout
homme dont la charité n'aurait pas été aus-
si ardente que la sienne.
Ce môme saini, dans les nécessiîés pres-
santes, assemblait tous les pauvres; il les
nourrissait; il les servait de ses propres
mains; et afin de leur donner toutes sortes
de secours, il les soutenait dans leur afflic-
tion, et leur apprenait à s'y sanctilier, par
la sage dis|)ensalion qu'il leur faisait du
pain sacré de la parole du Seigneur
es
de
es
Le même saint Grégoire de Nazianze
(oral. 19, p. 298) rend ce témoignage à so:i
illustre j)ère, qu'il se considérait comme
l'économe et le dispensateur du bien des
pauvres. Il ajoute qu'il avait |)lus dejoie dft
donner que les autres n'en ont d'acquénr
des richesses.
Etre un saint évêque, être un saint prê-
tre, et aimer les i>auvres, ce sont des qua-
lités qui sont inséparables.
11 y a deux sortes d'ecclésiastiques qui
ne lont point l'aumône : les uns ne la
font pas, parce qu'ils amassent; et les
autres, purcequ'ils vivent dans le luxe. Les
uns et les autres sont très-condamnables.
Y a-l-il rien de plus odieux dans l'Eglise
qu'un ecclésiastique qui, possédé de l'es-
prit d'avarice, amasse des revenus qui doi-
vent être employés à nourrir les membres
de Jésus-Chnst?
On voit tous les jours, au grand scandale
de I Eglise, des ecclésiastiques qui, n'ayant
ai.,tiom. 25.)
[f5(i) lliii. eccle., l W, c. 8.
1533
HETRAITE ECCLES. — XVI, CHARITE ENVERS LE PR(X:HAIN.
1234
aucun bien de leur famille, obtiennent des
iK^néfices d'un médiocre revenu, on voit
des prêtres qui n'ont pas le plus souvent
ce qui est nécessaire pour l'entretien lion-
nêlo d'un ecclésiastique; et néanmoins ils
niénagfnl avec tant d'économie le peu de
bien qu'ils possèdent qu'on trouve dans
leurs coffres après leur mort des sommes
considérables.
Mais, pour amasser ce bien, qu'il leur
cnûto de peine 1 ils se laissent mourir de
faim ; ils portent des babils déchirés; ils
exigent leurs droits avec une dureté qui
les rend l'objet de la haine publique ; ils ne
remettraient jtas ce qui leur est dû à un
pauvre qui meurt de faim; l'espérance du
gain leur fera faire toute sorte de lâcheté et
de bassesse.
Il y en a aiU» craignant qu'après leur
mort on ne se serve de leur argent, le ca-
chent dans la terre, et ne découvrent point
leur secret. S'ils pouvaient emporter leur
argent avec eux, jamais leurs héritiers ne
f routeraient des biens qu'ils amassent avec
tant de peine; et ce désir d'amasser est très-
commun parmi les ecclésiastiques; quoi-
que tous n'en viennent pas à ces derniers
exeès.
l'auvre insensé I ouvre lesyeux, et con-
sidère combien il est déraisonnable de so
donner tant de peine inutilement. Vous
amassez du bien , que voulez-vous en fai-
re ? Vous ne prétendez pas vous en servir;
vous n'avez pas môiiie dessein que vos hé
ritiers en profitent ; vous voulez (jue vutrt
cotfre soit le gardien lidèle de voire argent,
vous voulez qu'il y demeure jusqu'au leuip
de votre mort, et même après votre mort
si vous en étiez encore le maître. Q)uel
sont donc vos desseins? Tâchez de vous
examiner vous'^môme, et voyez s'il est rai
sonnable de travailler jour et nuit sans
connaître vous-même le motif qui vous fait
agir.
Considérez, en second lieu, quelle est
votre injustice : car les saints Pères vous
assurent que ce bien qui est enlermé dans
votre cotfre n'est pas a vous : c'est le bien
des pauvres qui meurent de faim, pendant
que vous retenez leur bieu contre toute
luslice.
Mais, en troisième lieu, avt'Z-vous bien
fait rétlexion que, comme pendant votre vie
vous êtes méprisé par tous ceux qui con-
naissent votre avarice , après votre mort
tous les homuîos prononceiontcoutie vous
des malédictions? Les uns diront : C est un
monstre d'avarice; lus autres ajouteront :
Il est indigne que son corps soit enseveli
dans la terre sainte ; les autres : Il faut le
déterrer et en faire un exeujple. Vos héri-
tiers mêmes, en recueillant votre bien, se-
ront forcés, malgré eux, de condamner votre
avarice.
Si c'est un crime aux ecclésiastiques d'a-
masser, ce n'en est pas un moindre de
dissiper les revenus ecclésiastiques, et de
i'en servir pour vivre dans le luxf>, car
*ien n'est plus constant dans la doctrine
les conciles et des Pères que celte vérilé :
:jes biens ecclésiastiques sont le patrimoine
Jes pauvres; les ecclésiastiques qui en
ont un mauvais usage volent un bien qui
n'est pas h eux, mais aux pauvres. Los ec-
clésiastiques r( niiront compte juscju'A une
obole de tous les biens que la divine Pro-
vidence a rais entre leurs mains.
Les biens ecclésiasli(jnes sont commu-
nément appelés les vœux des fidèles, le
prix des péchés, le i atrimoine des [lauvres
(237) : ce sont les vœux des fidèles, parce
que les fidèles ont présenté ces biens à
l'Eglise comme une oblalion sainte, pour
attirer les bénédiction du ciel ; ce sont le
prix des jiéchés, (larce qu'ils ont cru qu'en
se dépouillant de leurs biens en laveur de
l'Eglise, ils obtiendraient miséricorde et le
()ardon de leurs péchés; c'est le |)atrimoine
des pauvres, pane (lu'ils ont prétendu que
ces biens seraient une ressource sûre pour
les pauvres.
Vous avez e nien dos pauvres, vous con-
naissez leur extrême misère, et vous ne le»
soulagez pas. Si ce bien était à vous, si
vous en étiez le maître, vous seriez encore
inexcusable : car quelle dureté de cœur que
de ne point compatir à la uiisère de votre
frère? Mais il y a plus: votre fi ère qui
est dans la misère vous demande, et il a
droit de vous demander : le bien qui est en-
tre vos mains esta lui ; quand vous le sou-
lagerez, ce ne sera pas seulement compas-
sion, ce sera justiceque vous lui rendrez.
Songez donc à votre frère, soyez sensible
à sa misère, mais de plus, rend(!Z-lui la
justice que vous lui devez, et ne lui retenez
[loinl son bien, pendant qu'il périt, et que
vous pourriez le soulager en lui rendant ce
qui lui af/partient
Les nécessités spirituelles sont encore
plus pressantes que les corporelles. Si vous
êtes en état de secourir les âmes, et que
Dieu vous ait enrichi de ses dons, emi)res-
sez-vous, dit saint Grégoire de Nazianze,
de mettre en usage les dons que vous avez
reçus : n'attendez pas qu'on vienne à vous.
Un des caractères de la charité, c est d'être
prévenante, et d'aller au-devant do ceux
qui ont besoin de son secours. Je vais vous
|»ro|)Oser ditférents moyens que Dieu vous
fournil pour soulager votre prochain dans
ses besoins spirituels.
Alin de ne l'as outrer la matière, et d'a-
voir toujours la vérilé pour guide, je ne
vous dirai pas que vous soyez obliges de
les embrasser tous. Je soutiens seulement
qu'un ecclésiastique n'est plus à lui. qu'il
doit consacrer sa vie au service de son
prociiain. C'est à vous de consulter Dieu,
et de voir quel moyen il veut que vous
employiez pour satisfaire à cette grande
obligation.
En iireniier lieu, il semble que vous ne
pouvez vous dispenser de vous appliquer 4
(237) Vota Gdclium, prelia peccaluruin, ac palrituoniu» pauperum.
1255
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1236
l'iiistruclion dos içDOranls, ninès .co giie
(lit saint Paul : Si je prêche l'Evangile, ce
nesl point un sujet de gloire , puisque je
suis obligé (remarquez ces paroles), pmjs^î^ê
je stiis obligé nécessairement à ce ministère,
et malheur à moi si je ne prêche point l'Evan-
gile. (I Cor., IX. IG.)
Si vous avez des domestiques, ou si vous
demeurez dans une maison, où il y ait des
serviteurs qui ignorent leur foi et leur re-
ligion, pouvez-vous en sûreté de cons-
cience négliger leur insiruclion, qn.ind
saint Paul vous dit : Si quelqu'un n'a pas
soin des siens , et particulièrement de ceux
de sa maison, il renonce à la joie, et est pire
qu'un infidèle. (1 Tim., V, 8.)
Je ne dis p.is que vous soyez obligé de
faire des discours élocjucnls, cumiiosés de
paroles choisies. Souvent des instructions
familières et des calécliismes, qui ne vous
coûleroat pas tant de peine et de travail, fe-
ront plus de profit.
Si voire zèle vous inspirait de vous con-
sacrer à l'inslruclion des pauvres et surtout
de la caDi|)agne, je ne puis vous exprimer les
bénédictions que Dieu répand sur ce saint
travail et les consolations dont Dieu récom-
j>ense ceux qui s'y a|)pliquenl.
]1 n'est pas toujours besoin de clierclier
le Canada dans l'Amérique. Il se trouve
dans l'ancienne France aussi bien que dans
Ja nouvelle ; il se trouve dans les villages
qui sont aux portes des plus grandes villes ;
(}u'on en fasse l'expérience, on y verra des
liotncaes qui étant interrogés sur les for-
mules du calédusuie, n'y font pas des ré-
ponses moins sauvages que les plus barba-
res Indiens. Ils ont, tomme parle l'Apôlre,
l'esprit plein de ténèbres. {Ephes., IV, 18.) Ils
sont etitièrement éloignés de la voie du
salut, è cause de l'ignorance où ils vivent.
On y verra des houmies qui ne savent ni
l'Oraison dominicale, ni le Symbole, qui
ne connaissent pas Dieu, ou qui ne le con-
naissent que pour l'oUenser ; qui joignent
la malice à l'ignorance, l'orgueil h la bru-
talité, qui vivent conune de démons, qui
meurent comme des bêtes.
C'est là que ceux qui devraient être la
lumière des autres ne sont eux-mêmes que
ténèbres, ceux qui devraient êlie le flam-
beau ont besoin d'être éclairés. N'esl-ce pas
rendre un grand service à l'Eglise que d'in-
struire ces conducteurs ignorants? La cha-
rité vous fournira des expédients pour eu
venir à bout. Vous n'entreprendrez pas de
leur faire des Itçons, cette voie est odieuse
et révolte les esprits, mais en conférant
ensemble de vos obligations vous gagnerez
leur bienveillance et vous les mettrez en
état de s'acquitter plus dignement de leurs
devoirs. Un ecclésiastique [)eut-il mieux
employer son zèle qu'en s'aj)pliquant à
défricher ces terres incultes, qu'en fai-
sant des efforts pour arracher ces ronces et
ces épines qui déshonorent la vigne du
Seigneur ?
Cette obligation d'instruire regarde prin-^
Cipaieweni le? pasteurs. Elle est indispen-
sable pour eux, ce sont eux qui doivent
particulièrement s'applicjuer l(!s paroles do
de saint Paul : 5» je prêche l'Evangile, ce'
n'est point un sujet de gloire pour moi, puis-^
que je suis obligé nécessairement à ce minis-
tère, et malheur à moi si je ne prêche pas
l Evangile. (I Cor., IX, 16.)
Un pasteur qui n'instruit pas osl-il en sû-
reté de conscience et en voie de salut?
Non. Un pasteur qui n'est pas en disposi-J
tion d'instruire est-il obligé de quitter son
bénélice ? Oui. Un ecclésiastique peut- il
prendre en sûreté de conscience un béné-
lice h charge d'âmes, lorsqu'il n'est pas en
état d'instruire, ou bien lorsqu'en ayant les
talents il n'est pas sincèrement résolu de
s'acquitter de ce ministère? Non. Il est né-
cessaire d'expliquer distinctement ces véri-
tés, puisqu'elles sont fondamentales, et que
ceux qui no les suivent pas sont, naniles-
temenl hors la voie du salut.
En second lien, vous rendrez un grand
service au prochain si vous vous rendez
capable de bien administrer le sacrement
de pénitence.
Un des \)\\is {-'rands désordres qui règne
datis l'Eglise, c'est que ce sacrement est
conféré par des ministres indignes, qui ne
savent ni les règles de l'Eglise, ni les remè-
des.qu'il faut applifiuer pour guérir les ma-
ladies de l'ûine. Ils ne savent ni quand il
est à propos de donner l'absolution, ni
quand il est nécessaire de la différer. Ils no
savent ni ([uand il faut traiter avec sévé-
rité un pénitent superbe, ni quand il faut
consoler un pénitent humble que la vue do
ses péchés accable de tristesse. Ils ne font
Eoint de distinction entre les péchés d'ha-
itude et de fragilité, entre un pécheur
indocile et un pécheur converti : toute leur
science se termine à écouter les péchés et à
donner l'absolution. Ministres indignes,
vous profanez le sang de Jésus-Christ, vous
ne déliez |)as les pécheurs, mais vous
vous liez vous-mêmes; vous ne déchargez
j>as leur conscience, mais vous chargez la,
vôtre.
Ce que je ne dis pas a(in qu'effrayés du,
péril vous preniez la résolution, (lour no
vous pas exposer, de ne point administrer
le sacrement de pénitence ; c'est encore un
autre désordre. Ceux qui pourraient deve-
nir avec fruit les minisires de ce sacrement;
ceux qui ont les talents nécessaires pour
gagner les âmes évitent de s'engager dans
ce saint ministère ou par une paresse ou
par U'ie timidité qui ne les excusera point
auprès de Dieu. Ils doivent craindre d'être
rais au rang de ce serviteur qui ne fit point
jtrofiler le talent qu'il avait reçu de son maî-
tre. Animez-vous donc et travaillez à deve-
inr de dignes ministres de ce sacrement.
L'Eglise a plus besoin que jamais de con-
fesseurs qui soient fermes et éclairés.
Dans ce sacrement on rend au prochain
des services essentiels : on foritie les fai-
bles contre les tentations de l'ennemi, on
les instruit contre ses embûches, on dissipe
leurs troubles, ou relève ceux qui sont abaU
1237
HETUAlTi: ECCLES. — XVI, CliARlTE ENVERS LE PROCIFAIN.
Î238
lus, on rassiiroccux qui craif^ncnl, on con-
sole les pauvres et les affligés.
Combien do pécheurs qui doivent leur
salut h la prudence d'un dirocleur (]ui,
on leur faisant voir qu'ils s'égaraient, leur
n montré le chemin par où ils devaient
marcher? Cotiihien do pécheurs ipii doivent
leur salut à la l'ermclé d'un confosscur qui,
en leur dilléruiit l'absolution, leur a donné
lioireur d'une viu (|ui les rendait indignes
do recevoir les saciumenls de l'Eglise ?
Conitiien y en a-l-il qui dnivent leur avan-
cement spirituel à !■) vigilance d'un confes-
seur qui leur a fait voir qu'ils ne devaient
I as se contenter d'une vie commune, mais
qu'ils devaient tAchcr de faire continuelle-
ment de nouveaux progrès dans le chemin
de la vertu ?
En troisième lieu, si vous avez do la
cnarité pour le prochain, vous devez faire
lous vos efforts pour arracher les âmes au
démon, pour retirer les pécheurs de l'élat
malheureux dans lequel vous les voyez lan-
guir. Souvent un avertissement salutaire,
une parole dite avec charité fait rentrer un
pécheur dans lui-mènje.
Quand ce sont des ecolésiasiiqucs qui
déshonorent jt-ur caractère f»ar une vie cri-
luinelle, il faut rciioubler vos eirorts. Quelle
victoire que de toucher le cœur d'un ecclé-
siastique endurci 1 Premièrement vous re-
tranchez tous les scandales que causait sa
vie criminelle : en second lieu, si cet ecclé-
siastique converti travaille lui-même à la
conversion des pécheurs. Dieu vous tien-
dra compte de tout le bien qui so fera par
le ministère de cet homme que vous aurez
louché.
Mais quand bien mémo les overtisse-
menls que vous ferez aux pécheurs, quand
bien mémo tous les efloris que vous em-
ploirez pour les convertir deviendraient
inutiles, au moins vous aurez la con^oia-
tion d'avoir accompli votre ministère, cl do
vous être mis à couvert de la menace que
Dieu fait à ceux qui négligent le saiul de
leurs frères ; c'est ainsi qu'on parle Ezé-
chiel.rSi quand je dis à l'impie: Tu mourras,
tous ne lui déclarez point celle sentence, si
vous ne faites point vos effort s pour le reti-
rer des voies viaUtcureuses dans lesquiilles
il se perd, l'impie mourra dims son iniquité,
et je vous demanderai compte de sa perle et
de sa mort. Voilà ce qui doit faire Irembier
les ccclésiasliqucîS qui ont tant d'indilfé-
rcuce pour la conversion des pécheurs. Mais
écoutez ce que le prophète ajoute et ce qui
doit consoler les ecclésiastiques vigilants,
quand bien mémo leurs soins n'auraient
ji.is tout le succès qu'ils iiiteiidenl. 5» vous
déclarez à l ùitpie la sentence que j'ai pronow
ce'e contre lui et qu'il persévère dans sa vie
criminelle , il mourra dans son péché. Mais
pour vous, vous avez délivré votre âme parce
que vous avez satisfait à votre devoir. [Ezeek.,
Jll, lU ulsc-q.)
(258) « Causas aliquanJo us<iiic ai Iioram rcfc-
çUouis. alinuauda auiem lot» di' jcjiuiaiib, seinpc
En quatrième lieu, si vous pouve;^ accom-
moder les différends, ne manquez pas les
occasions de lo faire. Le ministère qua vous
exercez est appelé par saint Paul un minis-
tère de réconciliation. Quoi bien ne ferez-
vous pas en éteignant ce procès qui eût été
une cause éternelle do division entre des
familles? en accordant une querelle qui eût-
produit des vengeances et pout-ôtre des
meurtres, en faisant régner la paix dans un
lieu où l'on n'apercevait que des troubles et
dus divisions? Il est rapporté dans la vie
de saint Augustin qu'il regardait comme
un de ses principaux emplois de pacifier
les différends, et que souvent il donnait
les jours entiers à celte sainte occupa-
tion (238).
En cinquième lieu, votre saint ministère
vous engage à prier souvent non-s<;ul.êmenl
()our vous, mais encore pour vos frères- Car
quand les péchés du peuple ont irrité Dieu,
00 sont les prêtres qui sont particulière-
ment obligés d'apaiser sa colère. Dieu se
plaint dansEzéchiel (XIII, 5) que les pro-
|)hètes n'ont poinl détourné sa colère par
leurs prières qui devaient être comme un
mut pour défendre Israël. Vos prières doi-
vent être la défense du peuple, lo soutien
des villes e» des républitjues, la dernière
ressource dos pécheurs endurcis. Que sera-
ce donc si ceux qui, par leur étal, doivent
réconcilier les autres ont eux-mêmes be-
soin d'intercesseurs qui les réconcilient
auprès de Dieu? Ne sera-co ()as pour lors
que Dieu pourra renouveler les plaintes
qu'il fail dans Ezéchiel : J'ai cherché parmi
eux un homme comme une haie entre moi et
mon peuple, qui s'opposât à larésoluliun que
j'ai fuite de détruire cette terre , et je n eu ai
point trouvé. [Ezech., 111,30.) C'est donc
vous, ministres du Seigneur, qui vous mêl-
iez entre Dieu et lo j)euple par les prières
lervenles que vous répandez en présence
du Tout-Puissant. Vos prières doivent aiiai-
sur Dieu et détourner sa colère.
C'est ce que vous faites particuliôremonl
lorsque vous offrez à Dieu, dans le sacrilice
delà messe, Jésus-Christ, cette victiiuo in-
nocente, celte victimedopropitiation. Vous
savez que nous ne pouvons rien de nous-
mêmes, toute notre force vient do Jésus-
Cliiisl, lie ce que nous parlons au nom do
Jésus-Christ , de ce que nou.^ pouvons ôlro
revêtus de Jésus-Christ; si nous pouvons
parler au nom de Jésus-Christ , n'est-ce pas
particulièrement quand nous offrons son
corps el son sang dans les saints mystères?
C'csl donc rendre à jsos frères un service
important que de se mctlro en état, par
l'innocence do sa vie, d'oll'iir souvent à
Dieu lo corps et le sang de son Fils. C'est
pour lors parliculiôrcniont que, selon l'avis
de sainl Paul, vous devez prier, /yo«r lous
les hommes, pour les rois et pour tous ceux
qui sont élevés en dignité. (1 11m , XI, 1.)
Un jtrêlre lidèle a donc pour principe
tamcn iioscebat el dirimebal.
Au'j., cai». ly.)
(PossiDoMUS, £>« t'î'ia
fm
CUATELRS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1240
de prier souvcnl. La seuie vue des besoins
pressants de l'Eglise le convainc que s'il
n'était pas exact et fervent dans !a prière,
il perdrait un des principaux moyens que
ï)icu lui nriet entre les mains pour donner
h ses frères des léniqigna'ges de sa charité.
Enfin, si vous voulez eucore pousser plus
loin votre zèle pour le salut de votre pro-
chain, pleurez, mortifiez-vous, faites péni-
tence pour tant de pécheurs endurcis qui
devraient pleurer et qui ne pleurent point,
qui devraient faire pénitence et ne la font
point.
ji^ Saint Paul (I Cor, Y, 2} veut que les
• Corinthiens pleurent, parce qu'ils avaient
' au milieu d'eux un homme qui avait com-
mis un péché d'impureté irès-énorme. Nous
devrions aussi presque toujours verser des
pleurs en faisant attention au grand nombre
de pécheurs qui irritent Dieu par des ac-
tions qui ne sont guère moins criminelles
que celle du Corinthien.
Saint Grégoire de Nazianze (orat. 23,
p. 78), en parlant des anciens solitaires,
(lit qu'ils causaient par leurs larmes un
heureux déluge qui expiait une partie des
jiéchés du monde. Que vous seriez heu-
reux si vous aviez le courage de prendre la
place de ces illustres pénitents dans un
siècle où il se commet un si grand nombre
de péchés, et où il est si nécessaire qu'il y
flil de saintes ûines qui apaisent Dieu par
leurs gémissements !
Je voudrais vous porter à offrir ^ Dieu
des sacrifices de larmes pour les péchés du
inonde comme pour vos propres olfensos. Je
voudrais que vous devinssiez semblables à
ces hommes qui gémissaietit sur les abomi-
nations du peuple, que le prophète marqua
par ordre de Dieu pour les distinguer de
ceux sur qui il avait résolu de faire éclater
sa justice. Gravez, dit le t'aint-Esprit , la
lettre Tliau sur le front des hommes qui gé'
missent et s'affligent des abominations qui
$e commettent dans le milieu de Jérusalem.
Tuez sans aucune rémission les vieillards,
les jeunes gens , les petits enfants et les feui'
mes. Mais pour ceux sur qui vous verrez
cette lettre imprimée, ne les luez point, et
commencez par ceux qui sont consacrés au
service de mes autels, [tzech., IX, 4.) Paroles
remarquables pour vous. Il est donc vrai
que ceux qui sont consacrés au service des
^autels sont particulièrement chargés de gé-
iniir et de faire pénitonce pour les péchés
du peuple. Les prêtres, comme dit ie pro-
phète Joël (XI, 17j pleureront et élèveront
leur voix, pour demander à Dieu qu'îV par-
donne à son peuple.
Ainsi (juoKiue vous ne puissiez réformer
tous bs, désordres et tous les scand->les de
l'Eglise, vous n'êtes pas pour cela dispen-
sés de les pleurer. Une graiide partie de
votre dévotion consiste à en gémir devant
Dieu, à être touché de confusion et de honte
en les voj'ant. Si vous avez quelque zèle,
vous ne devez point discontinuer d'otl'rir à
Pieu des f)rières des larmes et des actions
• à^ })0iHlence,
Dieu étant autant offensé qu'il l'est par
une infinité de pécheurs : le monde étant
inondé de crimes, comme nous ne pouvons
nous le dissimuler, n'en douions pas, le
monde périrait et Dieu, tout lent qu'il est à
châtier, serait forcé d'exercer ses plus terri-
bles vengeances, s'il ne se rencontrait des
justes qui par leurs larmes et leurs mortir
ficalions désarment sa colère.
Voilà pourquoi dans tous les femjis
des hommes [ileins de zèle, prenant le nom
de pénitent et en pratiquant les austérités,
se sont renfermés dans des retraites pour
y pleurer les péchés du monde, aussi amè-
renienlque s'ils en étaient eux-mêmes cou-
pables.
Ce zèle si louabie et si chrétien devrait
bien échauffer celui des prêtres qui sont
obligés par leur caractère de surpasser les
autres fidèles en charité pour le prochain.
Il est nécessaire qu'il y ait de ces hommes
zélés qui , touchés des crimes du monde ,
répandent des larmes et apaisent Dieu par
des œuvres de pénitence. Qui est plus obli-
gé de rendre aux hommes ce devoir de
charité que les prêtres è qui il appartient
par leur ministère de prier pour les pé-
cheurs, de les réconcilier et d'apaiser Dieu
en leur faveur?
i. Vous voyez donc que si vous avez de
la charité pour voire prochain, vous avez
plusieurs moyens de la faire paraître , eu
le soulageant par vos aumônes, eri instrui-
sant les ignorants, en recueillant les pé-
cheurs dans le sacrement de pénitence, en
faisant connaître aux pécheurs endurcis
les périls auxquels ils s'exposent, en pa-
cifiant les différends, en priant pour les
peuples, en apaisant Dieu [lar une vie
mortifiée et pénitente. Il me reste à vous
proposer quelques maximes qui vous ins-
truiront des dispositions dans lesquelles
vous devez être pour bien accomplir le
précepte qui vous oblige de rendre service
au prochain.
TROISIÈME POINT
La première maxime que j'établis, c'est
que vous devez toujours être prêt de quit-
ter vos occupations, quelque agréables
qu'elles vous paraissent, quelque altacher-
ment que vous y sentiez , quand il s'agit
de travailler pour le bien de votre pro-
chain.
Vous trouvez de grands charmes dans
l'élude, les heures que vous y passez vous
paraissent des mouicnls : c'est vous faire
un déplaisir mortel que de vous arracher
à vos livres. Mais celui qui vous trouble
dans votre étude est un homme affligé qui
a besoin de consolalion et de conseil. C'est
un malade qui vous appelle pour le soula-
ger dans les maux dont il est accablé. Lais-
sez vos livres, quittez votre élude. Si voire
charité est bien réglée, nulle occupation ne
pourra vous détourner quand il s'agira de
secourir vos frères.
Vous aviez destiné ce jour à rendre visite
h un de \os auns. L'on vous a représenté
1241
RETRAITE EC.CLES. — XVI, CHARITE ENVERS LE PROCHAIN.
124-2
que l'on a besoin de vous pour une œuvre
de cliariléqui ne se peut remettre. Dillércz
votre visite, faites un sacrilice à Dieu de la
luoriiticaiion que vous aurez de ne point
voir voire ami : car si vous êtes animé
d'une véritable charité , vous devez tou-
jours être prêt, quand il est question de
vous emi)loyt.'r pour l'utilité de votre pro-
chain.
J'en dis de môme de ce voyage que vous
méditiez depuis si longtemps, de ces pro-
jets que vous faisiez de prendre ce temps
pour vous donner du relâche. Celui qui est
maître de votre vie et de votre temps vous
fuit naître dus occasions de servir le pro-
chain, soyez toujours prêts d'obéir à Dieu.
Vous aviez des desseins contraires, sou-
niettez-vous de bon cœur, toute votre gloire
est d'obéir promptemenl.
Mais, me direz-vous, ces hommes qui me
consultent, me fatiguent et ra'ennuieni, ils
me détournent de mes occupations et je ne
suis plus le maître de mon temps. Mais
moi je vous réponds que depuis que vous
êtes ecclésiastique votre temps n'est |)lus à
vous, c'est votre frère qui en est le maître.
Jiunais vous ne pouvez l'employer plus
utilement qu'à secourir votre prochain.
Dieu, qui vous commande de vous donner
à lui, vous défend de vous attacher à vos
occupations. Il ne vous doit point être fâ-
cheux de les interrompre quand il est quas-
lion de rentre service à votre prochain.
Vous ne pouvez mieux faire que d'entrer
dans les dispositions d'un évêque d'Antio-
che nommé Anastase. Celévêque étaildouï,
facile, honnête, toujours prêt à ré|)ondre à
ceux qui avaient besoin de sou conseil. Mais
quand on le détournait de ses occupations
pour des choses inutiles, ses oreilles étaient
fermées, il gardait le silence et en)pêchail
par ce moyen qu'on ne lui rendît des
visites importunes et qui consument inu-
tilement un temps qui nous doit être si
précieux (239).
Comme donc vous ne devez point quitter
vos occupations pour perdre le temps, aussi
vous devez toujours être dans la disposi-
tion de les abandonner, pour rendre service
à vos frères.
Le temps même de la prière n'a pas de
privilège quand il s'agit de rendre au pro-
chain quelque service important.
. Théûdoret (I. IV Uist., c. 18) nous rap-
porte un bel exemple dans la personne de
deux prêtres d'Edesse , que l'empereur
Valens avait exilés dans une ville oii il y
avait beaucoup de païens. L'un d'eux , qui
se nommait Euloge, était continuellement
occupé à la prière. Protogène, dont l'élo-
quence était soutenue par le don de faire
des miracles, convertissait à la foi de Jésus-
Christ un grand nombre d'inûdèles. Aussi-
tôt qu'ils étaient convaincus et résolus
1^259) EvACR., îlisl., lib. IV, c. 40.
(i40) I Quanlo dignius fratresdicunluret haben-
rurqui unurn Patrem Deum agnoverunt, qui unum
spiiiiuin biberunl saiiclilatis, qui de uiio utero igiio
lantiœ e^Ubdem ad uuam lucem eipaverum vçri-
d'embrnsser la foi, il les amenait h Euloge
afin qu'ils reçussent de lui le saint ba[)t6nie.
Car Protogène rendait cet honneur h Euloge,
parce qu'il était [dus ancien prêtre que lui.
Comme Euloge se plaignait qu'on l'inter-
rompait au milieu de ses prières, Prologèiwo
lui répondit qu'il ne devait point avoir de
peine à quitter sa [)rière , f)uisqu'il s'agis-
sait de travailler au salut de ses frères.
La seconde maxime que je vous propose
c'est de rendre service aux petits comme
aux grands, aux pauvres comme aux riches,
et même pour ainsi dire avec plus de joie à
ceux qui sont abandonnés et qui ne peu-
vent reconnaître les soins obligeants que
vous prenez pour eux.
Saint Paul vous dit : Je suis redevable
aux Grecs et aux barbares , aux savants et
aux ignorants. (Rom., 1, 14..) ,C'est-à -dire
aux savants et aux simples. Comment donc
oserez-vous faire des distinctions, puisque,
selon les principes de saint Paul , nous
sommes également débiteurs à tous les
hommes ?
Ces distinctions entre les riches et les
pauvres étaient bien, inconnues aux pre-
miers chrétiens. Chez eux régnaient ces
saintes maximes : Nous sommes tous frères,
puisque nous avons pour père le même
Dieu, nous avons reçu le môme esprit de
sainteté. Nous avons tous été tirés des mê-
mes ténèbres et éclairés par lu même lu-
mière. Ce que nous faisons en faveur des
empereurs, nous sommes prêts de le faire
en laveur du moindre de nos frères; parce
que nous n'attendons notre récom[)enseque
de Dieu ; et Dieu ne récompense que ceux
qui sont disposés à faire du bien également
à tous les hommes (240).
Loin d'ici ces ecclésiastiques intéressés,
qui l'ont de la maison du Seigneur une mai-
son de trafic, qui courent avec précipitation
lorsque les grands les appellent, et ne peu-
vent marcher, lorsque les petits ont besoin
de leur secours. Quand ils sont dans les
maisons des puissants, ils y demeurent plus
longtemps qu'on ne veut ; à j)eine sont-ils
entrés dans la maison des pauvres qu'ils en
veulent sortir. Quand ils espèrent un grand
gain, ils font de longues prières; quand il
n'y a point de récompense à attendre, leurs
prières sont très-courtes. Les riches sont
écoutés aussi longtemps qu'ils veulent, les
pauvres, diseut-ils sont des ipaporluns,
après lesquels on n'a jamais fait, si on ne
les renvoie. On est doux, affable, quand les
grands demandent conseil, on j)rend un
visage sévère, et même rebutant quand on
est abordé par les pauvres. Les riches après
leur mort trouvent un grand nombre d'ec-
clésiastiques qui offrent leurs prières ; lo
pauvre est jeté en terre, et personne ne
prie pour lui.
O vous, qui n'agissez que par intérêt,
ialis. > (Tébt., ApoL, 39.)
4 Non ab honiine aul laudis aut prxmii expcn-
sum caplamus, seda Deo exaclore, el rcniuneralure
indillerenlis boniialis. > (Ibid., c. 50,)
niz
ORATEURS SACRES. JOSLPII LAMBERT.
12 4 i
VOUS êles bien éloigni's du sontimenl du
grand Apôlre. Il iaisail consister sa glojre
à ne pas même exiger les droits qui lui
étaient dus légitimement. Cest'ld ma gloire,
dit cet Apôlre, j'aimerais mieux mourir nue
de souffrir que quelqu un me fît perdre celte
gloire. ( I Cor., IX, 15.) Ne savez-vous pas
que l'Apôtre colidamne particulièrement
cfux qui s'imaginent que les œuvres do
piété li'ur doivent servir pour s'eni-ioliir ?
(I 2ViH.,Vl, 5.) Ne savez-vous pas que quand
l'Apôtre parle des conditions pour être mi-
nistre du Seigneur (1 Tim., 111, 8), il de-
mande surtout qu'il ne cherche |ioint de
gain honteux ? Ne savez-vous pas enlin com-
bien est grande l'indignation de l'Apôtre
contre ceux qui, par un esprit d'intérêt, [)ré-
variquenl dans leur ministère? {TH., l, H.)
La troisième et dernière maxime <iuej'a
vance, c'est que vous ne devez jamais vou-
lasser de faire du bien à votre prochain.
Quelque terapsqu'il yait que vous consacriez
votre vie à l'utilité de vos frères, quelque
important que ce soit ce que vous avez
fait pour eux, .continuez à vous immoler
pour vos frères, ut ne dites jamais c'est
assez.
C'est ce qu'enseigne saint Paul : Acquittez-
vous envers tous de ce que vous leur devez, ne
demeurant redevable que de l'amour qu'on se
doit toujours les uris aux autres. {Rom., XIU,
8 ) L'amour du |)rochain, selon saintPuul, est
une dette dont on ne s'acquitte pas comme
des autres qu'on ne doit plus lorsqu'on les
a une fois paj'ées. Quoique vous lassiez pour
vos frères, vous leur devez toujours, et voilà
pourquoi saint Paul |)rononce que nous de-
meurons toujours redevables de l'amour
que nous sommes obligés d'avoir les uns
l)0ur les autres.
« Plus nous rendons d'amour et de cha-
rité, plus nous en devons,» dit saint Augus-
tin (241).oCelui, dit saint Fu'lgence (24^2), qui
ne croit pas toujours devoir la charité à son
prochain ne doit pas se réjouir comme s'il
était quitte de cette dette, mais se pleurer
soi-même comme étant sans charité. »
Ne croyons donc pas faire grâce à nos
frères, lorsque nous leur donnons des i)reu-
ves de notre amour. Souvenons-nous que
c'est une dette que nous no pouvons nous
dispenser de payer. Nous sounues redeva-
bles h nos frères à cause de la liaison qui
est entre eux et nous. Nous sommes mem-
bresd'un môme corps; si la charité n'est point
dans notre cœur, nous renonçons à cette
union, et n'étant plus unis avec nos frères,
nous n'avons plus Jésus - Christ pour
chef.
Mais, quoique cette obligation de rendre
service à vos frères soit continuelle, quoi-
qu'elle doive durer autant que votre vie,
ne la regardez pas comme un fardeau.
Songez, comme parie saint Chrysostome
(hom. 77), (ju'en travaillant nu salut de vos
(341) ( Cliarilatem lanto magis debcoius (juantu
ainpiius expcntlimui. » (Auc, cp. HO, jiov, cdit.
aiias \ùo.)
frères, vous travaillez efficacement au vô-
tre. Car c'est ainsi que ce grand saint ré-
pond à celui qui lui dit : Me conseillez-vous
d'abandonner mes propres alfair.cs pour me
charger do celles des autres? Ne vous trom-
pez point, dit saint Chrysostome, celui qui
prend soin des intérêts de son prochain no
néglige point ses prof)res intérêts ; en ser-
vant les autres, il se sert lui-même. Songez
que vous ne pouvez rien oll'rir à Dieu
qui lui soit plus agréable que ces hommes
aveugles h qui vous avez ouvert les yeux,
et que vous avez instruits des maximes les
I)lus pures de la religion ; songez que vous
ne faites jamais à Dieu do prière plus elli-
cace que lorsque vous apprenez à vos frères
h prier et à lever les mains au ciel; songez
que Dieu vous tiendra compte de ces soins,
de ces veilles, de ces avertissements ; son-
gez que vous ne pouvez donner à Dieu des
marques de votre amour qui lui soient plus
chères, qu'en inspirant aux autres son
amour, qu'en faisant en sorte que Dieu soit
servi de votre prochain.
Pensons à ces vérités, soyons persuadés,
ajoute saint Chrysostome, que nous ne pou-
vons être sauvés qu'en contribuant autant
que nous pouvons au salut de nos frères.
'Tremblons en considérant l'exemple de ce
serviteur inlidèleque Dieu met au rang des
hypocrites, et do cet autre qui cache son
talent dans la terre. Marchons par une voie
toute contraire, travaillons à devenir de ti-
dèles serviteurs ; il faut pour cela faire pro-
liter tous les talents que nous avons reçus
du père de famille. C'est le vrai moyen d'at-
tirersos louanges, et d'obtenir de sa miséri-
corde les récompenses infinies qui nous
sont promises dans l'éternité,
DISCOURS XVU
DE l'union oui doit ÊTRE ENTRE LES EC-
CLÉSIASTIQUES.
J'ai aujourd'hui à vous entretenir d'un
précepte tres-importanl que Jésus-Christ
nous a déclaré être le second commande-
ment de sa loi.
Le Fils de Dieu interrogé par un docteur
de la loi qui lui demande : Quel est te grand
commandement ? répond : Vous aimerez le
Seigneur votre Dieu de tout votre cœur , de
toute votre âme, de tout votre esprit , c'est là
le premier et le grand commandement, et voici
le second qui est semblable à celui là ; Vous
aimerez votre prochain comme vous-même.
{Matlh.y Xill, 3G.)
[ Le précepte donc qui nous oblige d'aimer
'notre |)rochain est le second commande-
ment, et le Fils do Dieu nous assure qu'il
est semblable au premier. Pourquoi est-il
semblable au premier?
C'est, en premier lieu, parce que comme
Se premier il nous commande d'aimer.
Secondement, c'est que comme le pre-
mier commandement est le princiiio de ceux
(242) € Qui se cliaiitatis non scinpcr cxîslimal dc-
biloiem, non se debitogauJcai.'»bsoluUiiu;sc(l dono
cbarllalislu^cal dcstilutum.v (Scrm. de cliaril.'^
i<H
RETRAITE ECCLES. — XVH, LIMON ENTRE LES ECCL.
Kid
qui regardent Dion et les fait accomplir,
aussi le second oonim.indement, qui nous
ordonne d'aimer le prochain, est un })rincipo
sûr qui nous conduit edicacement h l'ac-
coinpiissefnent de tous les préceptes qui
regardent le prociiain. Ce qui a fait dire à
SfJinl Pnui que Vamour est l'accomplissement
de la loi. (/Jom., XIII, 10.)
Le prc'cepte qui nous oblige d'aimer no-
tre prochain nous oblige do vivre avec lui
dans une parfaite union. Toute division est
opposée à la sainteté de ce précepte. C'est
pourquoi tout chrétien doit aimer souve-
rainement l'union, ei il doit haïr la divi-
sion comme un vice directement contraire h
une de ses obligations fondamentales.
Les ecclésiasliques surtout doivent Cire
plus attentifs que les autres à conserver
l'union. C'est un devoir indispensable pour
eux d'être en union avec tous les hoipmes ;
niais ce qui est encore un devoir plus pres-
sant, et auquel ils ne peuvent manquer
sans causer un grand scandale, c'est de
garder entre eux une très-étroite union ,
de telle sorle qu'on n'aperçoive jamais parmi
les ministres du Seigneur la moindre om-
bre de division.
C'est de cette sainte union dont je dois
vous parler dans ce discours. Je me servirai
de plusieurs preuves qui font voir égale-
ment ce que tous les c)iréliens sont obligés
d'observer. Mais elles n'en doivent être quo
plus fortes pour vous convaincre, étant cer-
tain qu'un devoir si étroitement recom-
mandé à tous les fidèles l'est encore da-
vantage à lous les ecclésiastiques qui sont
obligés de rararcher à la tête desaulres , sur
tout ce qui regarde l'observalion de ja loi
de Dieu.
Il y a deux erreurs que la malice des
hommes a introduites, et qui sont cause que
plusieurs n'observent pas le grand précepte
que j'ai a vous expliquer. Les uns ne sont
l)Osassez convaincus de l'obligation du pré-
cepte , les autres n'en connaissent pas assez
l'étendue. Pour l'instruction des premiers
je vous ferai voir combien est étroite l'obli-
gation qui nous est imposée do vivre en
union avec nos frères. Pour l'instruction
dessecondsje vous montrerai ce que nous
sommes obligés do faire pour observer la
loi que le Fils do Dieu nous impose de vi-
vre en union avec nos frères.
PftEMIEH POINT.
Le précepte qui nous oblige de vivre en-
semble dans une étroite union est aussi an-
cien que le monde. Dès (lue les hommes
ont été formés , il leur a été conmiandé do
se soumettre à celte sainte et salutaire Loi.
Dieu marqua excellemment le dessein qu'il
avait d'allermir colle loi si nécessaire,
dans la manière dont il se conduisit lors-
qu'il forma le plus excellent de ses ouvra-
ges.
Saint Augustin demande d'oii vient que
(245j I Ilominem veto unumacsingulum crcavit,
DOii uiique solum sine liuinana societale descren-
Uuni, sed ut eu modo vcl^ciueulius comincnJoietur
Dieu a d'abord formé un seul liomme, et
poonpioi il a voulu (lue tous les hommes
tirassent leur origine d'un seul? Dieu n'a
pas gardé la môme conduite da^'<s la forma-
tion des animaux. Il en créa d'aoorJ plu-
sieurs de la môme espèce. .Mais quand il
résolut de former l'homme cet excellent
ouvrage, et sur qui il avait de si grands
desseins, il n'en i)roduisit (]u'un seul; non
pas qu'il eût dessein que l'homme demeurât
solitaire et sans société; mais il prétendait
par lu unir ensemble les hommes d'une ma-
nière plus étroite. Non-seulement il est
juste qu'ils soient unis h ceux à qui le Sei-
gneur les a fait ressembler, mais encore le
commun priixupe dont ils sortent est une
voix continuelle qui les avertit de n'avoir
ensemble qu'un môme cœur, comme, ils
n'ont qu'une môme origine {243).
Tels ont été les desseins de Dieu, et afin
que ses desseins fussent fidèlement exécu-
tés , il avait mis dans l'homme une inclina-
tion naturelle, qui le portail à vivre avec
son frère dans une [larfaile union, Mais
d'où vient que celte inclination s'est per-
due, et que l'homuie n'en suit plus les sa-
ges impressions? Pourquoi l'homme a-t-il
oublié l'alliance qu'il avait avec ses sembla-
bles , et l'union qu'il était obligé de garder
avec eux en conséquence de cette alliance?
Que les elfets du péché sont funestes 1
Reconnaissez tous les troubles que le pé-
ché a causés dans le inoiule. C'est le |)éché
qui a séparé ce «lue Dieu avait uni. C'est lo
péché qui a fait oublier le nom sacré de
frère, qui devait être si cher à tous les
hommes, et dont Dieu leur avait recom-
mandé si expressément de conserver le sou-
venir. Les hommes, au lieu de se considérer
comme étant frères, se sont regardés com-
me ennemis, et se sont fait mutuellement
une cruelle guerre.
Quel changement dans rhomrao depuis sa
désobéissance, et qu'il est devenu dilférent
de ce qu'il éiait et de ce qu'il devait ôlrel
L'homme était né pour être soumis à Dieu.
Dieu l'avait composé de deux parties, l'une
supérieure , l'autre inférieure. L'ordre est
que la partie inférieure obéisse à la supé-
rieure, et Dieu l'avait ainsi réglé. Dieu vou-
lait que tous les hommes n'eussent qu'un
cœur. Il voulait qu'il y eût entre eux une
union mutuelle, qui fût le nœud sacré d'une
paix fixe, qui devait toujours ilurer.
Voici un renversement général, dont il
ne faut point chercher d'autre cause que le
[léché. L'homme ingrat a oublié ce qu'il
devait à Dieu , et il a bien osé se révolter
contre lui. Après celte injuste révolte il n'a
pas dû s'étonner que ce qui étidl né dans
lui pour obéir secouât le joug. Les hommes
ne considérant plus Dieu comme leur père,
n'ont pas élé attentifs à toutes les raisons
qui les engageaient à conserver entre eux
une étroite union. L homme résiste à sou
socielalis uniias, si non lanlum inter se naturx si-
nilliludine, vcruin eliiun coi^^iialiuiiis aifectu lioininca
iiccleieiilui . ) (Lib. Xlt De cii. Dci-, taji. 21r.)
1247
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
124S
Dieu. L'homme éprouve une guerre au mi-
lieu de lui-même. L'homme regarde ses
frères comme ses ennemis: ou il songe à
leur nuire, ou il est occupé du soin de se
défendre.
Il est donc vrai que la division est une
suite du péché, et que quand un homme
est en division avec un autre homme, il
agit directement contre les desseins de
Dieu , contre l'ordre que Dieu avait élabli ,
et qui est aussi ancien que l'homme môme.
Les desseins de Dieu n'étant plus connus,
n'y ayant plus sur la terre presqu'aueua
vestige de l'ordre sacré que Dieu avait éta-
bli pour être inviolablement gardé, Jésus-
Christ est venu pour réformer le munde, et
pour inviter les hommes à marcher dans la
voie dont ils s'étaient si misérablement
éloignés. L'ordre de Dieu est que les hom-
mes soient unis ensemble. Le péché a dé-
truit celte précieuse union. Que n'a point
fait Jésus-Christ pour rétablir ce que le pé-
ché avait détruit?
Pourquoi Jésus-Christ recommande-t-il
si fortement à ses disciples d'être unis en-
semble? Pourquoi ce commandement esl-il
si souvent répété ? Pourquoi Jésus-Christ
s'attache-tTil particulièrement à imprimer
celle loi salutaire? Pourquoi assure-l-il que
c'est une loi fondamentale? Pourquoi don-
ne-t-il l'observalion de celle loi comme une
marque à laquelle il distinguera ses vrais
disciples? C'est qu'il s'agit de rétablir l'or-
dre de Dieu que le péché avait renversé.
Si celle union est si chère à Jésus-Christ,
combien ne le doil-elle pas être à tous ceux
qui font profession de le reconnaître pour
chef, et qui sont convaincus que le vrai
bonheur de l'homme est attaché à l'obser
vaiion de sa loi ?
Le commandement qui nous oblige de
nous aimer est leconjmandemenl de Jésus-
Christ. C'est un commandement dont l'ob-
servalion est particulièrement recomman
dée. Il n'est jamais plus irrité que quand on
viole cette loi. On dirait à l'entendre, qu'il
n'est venu sur la terre , que pour établir
cette seule loi. Je vous donne, dit-il à ses
disciples, un conimandemenr(Joan., X.III,
34) , c'est-h-dire un commandement par
excellence : c'esl-à-dire un commandement
h l'observation duquel vous devez être par-
ticulièrement attentifs. El quel est ce com-
mandement? Que vous vous aimiez les uns
les autres. Ce commandement est donc par
préférence le commandement de Jésus -
Christ, et l'on ne peut êire à lui à moins
qu'on ne fasse toutes sortes d'etforts pour
accomplir fidèlement celte loi.
Le Fils de Dieu appelle ce commandement
un commandemenl nouveau. Je v ou f donne,
dit-il , un commandement nouveau , qui esù
de vous aimer les uns les autres. '
On demande pourquoi ce commandement
est appelé un commandement nouveau.
Saint Augustin répond que c'est qu'il rc-
(244) « Dileciio isla nos innovât, ul simus nov'
\oniiaes. » (Tract. (iS in Joan )
nouvelle l'homme (2i4). Les haines et les
divisions sont les œuvres du vieil Adam.
L'homme devient un homme nouveau et
renouvelé en Jésus-Christ par la soumis-
sion à ses lois, et surtout par l'observation
de celle loi première et principale qui nous
oblige de nous aimer les uns les autres.
D'autres disent que ce commandement est
appelé un commandement nouveau, c'esl-à-
dire un très-excellent commandement. En
ce sens il est dit dans les Psaumes : Chantez
au Seigneur un cantique nouveau {Psul.
XCXV, Ij : c'esl-à-dire un excellent canti-
que.
D'autres soutiennent, et cette explication
paraît la plus naturelle, que le Fils de Dieu
aiijjelle ce commandement un commande-
ment nouveau , parcequ'il en fait son com-
mandement. C'est le principal commande-
ment de la loi nouvelle. Il emploie son
exemple et son autorité pour ooliger ses dis-
ciples d'observer cette loi. Je vous donne
un commandement nouveau : de vous aimer
les uns les autres comme je vous ai aimés.
Saint Paul dit que ce commandement est
la loi de Jésus-Christ. [Galat , VI, 2 ) Saint
Chrysoslome l'appelle le préceple du Sei-
gneur (245j. Ce ccmimandement donc e.-;l un
précefite ancien et un préceple nouveau ;
saint Jean le qualilie de l'une et de Tauire
manière. Mes chers frères, je ne vous écris
point un commandement nouveau , mais le
commandement ancien que vous avez reçu dès
le commencement , et ce commandemenl ancien
est la parole que vous avez entendue : et
néanmoins je vous dis que le commandement
dont je vous parle est nouveau , ce qui est vrai
en Jésus-Christ. ( I Joan., XI, 17.)
Peut-on imaguier un commandement |tlus
précis , qui ait plus d'autorité , el que plus
de raisons nous engagent à observer ? C'est
un commandement qui a toute l'auioriié
que peut avoir une loi établie par le Sei-
gneur môme dès le commencement du
monde. C'est un commandementque Jésus-
Chrisl , à qui toute puissance a été donnée
dans ib ciel et sur la terre (Matth. X.X.VII,
18), a revêtu de toute son autorité.
Entendons encore le Sauveur du monde ,
examinons le modèle qu'il nous donne. Ce
modèle, à la vérité, ne peut que nous ins-
pirer de la crainte. Qui peut se promettre
de l'imiter? Contemple? cet excellent modè-
le , et voyez jusqu'où doivent aller vos ef-
forts.
C'est Jésu.*!-Christ qui s'adr(!sse à son
Père et qui le prie pour ses disciples. Que
deraande-t-il à son Père? Qu'ils soient un
tous ensemble, comme vous mon Père êtes en
moi , et moi en vous, quils soient de même un
en nous. (Joan., XYil, 21.) Le moins que
nous puissions laire pour entrer dans les
desseins de Jésus-Christ , n'est-ce pas d'a-
voir toujours devant les yeux cet excellent
modèle, de faire de continuels etforts pour
en approcher, de trembler à la vue de la
(245) S. HiER.jlil). lllinEv. adCatatat.
\lij
RETRAITE ECCLES. — XVII, UNION ENTRE LES ECCL.
1250
liioiniJre discoroo , la considérant comme
opposée à ruîiion saiiile qui esl si cliôre à
Jésus-Christ.
Il juge avec raison que celle union soli-
de el parfaite ré()aiuJra une bonne odeur,
qu'elle inspirera de l'estime et de l'amour
pour la religion chrétienne, que ce sera
même un argument qui aura beaucoup de
force pour persuader aux iiommes qu'il
est envoyéde Dieu. Qu'ils soient , dit Jésus-
Clirisl, «fi en nous, u/in que le monde croie
que vous m'avez envoyé'.
Le Fils de Dieu [>oile ses précautions en-
core plus loin , il ne se contente pas de
commander, il connaît parfaitement ceux
qui sont soumis à son empire. Il sait quelle
est leur faiblesse el le dérèglement de leur
cœur. Il sait que plusieurs, ne faisant pas
allenlion à sa souveraine autorité oublient
ses lois. Voici co que son amour lui inspi-
re , el les salutaires moyens qu'il emploie
pour remédier à ce funeste oubli.
11 établit une prière. Il suppose que ses
disciples seront exacts à la réciter. Cette
prière est conçue de telle manière, que tou-
tes les paroles dont elle esl composée nous
font souvenir de celle union étroite qui
uoit être tnire tuus les chrétiens.
Nous appelons tous le Seigneur noire
Père. Par ces paroles nous sommes avertis
que nous avons tous le même Père , que
nous sommes tous les enfants de Dieu , et
(ju'il doit y avoir entre nous une concorde
fraternelle. Dieu n'est point le père de ceux
qui se font la guerre les uns aux autres.
Dieu n'est point le père de ceux dont les
cœurs sont divisés.
Toutes les demandes delà prière du Sei-
gneur sont communes. En même temps que
nous prions pour nous , nous prions [)our
nos frères. N'est-ce |)as un avertissement
continuel qui nous marque ceque nous leur
devons, et la disposition favorable dans
laquelle nous devons être 5 leur égard ? Si
vos cœurs sont divisés , vous ne pouvez
réciter la prière du Seigneur sans sentir
dans vous-mêmes des remords qui vous Irou-
bleul el sans vous faire de sévères repro-
ches. Emrez dans le véritable esprit de vo-
ire maiire , et confessez que vous n êtes
poinl en étal de réciter cette sainte |)rière.
Disons plus, vous n'êlos poinl en état de
réciter aucune prière, ni de chanter des
cantiques à la gloire du Seigneur. L'union
de cœur est la principale disposition que
Dieu demande (i.ms ceux qui se présentent
pour le prier el (lour chanter ses louanges.
C'est ce que .'<aiiit Paul nous ai)prend quand
il nous dit , que nous devons glorifier Dieu
le l'ère de Nulrc-Seigneur Jésus-Christ d'un
même cœur et d'une même bouche. {Uom., IV,
Les apôtres, tout pleins de zèle pour Jésus-
Clirisl , ne pouvaient manquer d'annoncer
eu' tous lieux une doctrine que leur maître
avait si forlemeiil établie. Lisez les Ecrilu-
(24G)< N.liil aliud solcbal proferre, iilsi hoc : ti-
<it/j , (lilhjiie aiterutrum. l^ixcc^Vùia \ioai\nl est,
res des apôtres. Rien n'est pius toninuin
que Je les entendre parler de l'union. Rien
n'est plus touchant que les ternies qu'ils
emploient pour nous la recommander.
Ecoutez sainlJean, cet admirable docteur
en qui toute l'Eglise respecte le don de
prophétie.
Après avoir fondé tant d'Eglises , après
avoir passé tant d'années dans l'exercice de
sa mission , il réserve pour la fin les plus
importantes instructions. Saint Jean le maî-
tre le plus accrédité qui ait jamais été, a
encore acquis, par le poids des années, une
plus grande autorité et un droit nouvoau de
se faire entendre. Il ne lui reste plus que
peu do paroles à prononcer; il n'a uliis
qu'un dernier avis à donnera ses disciples.
Et quel est-il ? /l/r5 enfants, aimez-vous tes
uns les autres. Saint Jean ouvre encore la
bouche pour instruire ses disciples. Quelle
instruclion leur doniiera-l-il : Mes en/ants
aimez-vous les uns les autres. Saiiii Jean ne
sait plus que celte maxime, el il n'en a
plus d'autres à enseigner (246).
Saint Jérôme remarque que les disci|)Ies
de saint Jean se lassèrent d'entendre tou-
jours la même instruction , et s'en;plaigni-
reni à leur maître. Saint Jean calma leurs
esprits avec sa modération ordinaire, et
leur lit voir que leurs plaintes n'étaient
pas justes. Pour leur montrer combien il
était important de bien imprimer dans leurs
esprits une instruction si nécessaire, il
leur déclare en premier liea que c'est le
précepte du Seigneur, Il ajoute que c'est
un précepte doni l'accomplissement sulfit
pour le salut , parce que celui qui accom-
plit cette loi salislait à toutes les autres ,
suivant ce que dit saint Paul : Celui qui
aime ie prochain accorûvlit la loi. IRom.f
XIII, 8.)
Saint Paul, ne cédant en rien au zèle de
saint Jean , n'est pas moins appliqué que
cet apôtre à faire voir la nécessité de celle
union qui doit être entre les hommes. Le
lien de iapaix, selon saint Paul, est un
bien précieux que les hommes.doivent con-
server avec soin. Il le fait voir, parce que
dans la religion Dieu atout réduit à l'uni-
té. // n'y a parmi tows,dit saint Paul,
qu'un corps et qu'un esprit , comme il n'y a
qu'une espérance à laquelle vous avez été ap-
pelés {tphes. , l\, 2).
Que t(ms les chrétiens se souviennent
qu'ils ne sont qu'un môme corps. Qu'ils se
souviennent qu'un des grands ouvrages de
Dieu , c'est d'avoir ainsi uni tous les tidèles
qui le servenl pour n'en faire qu'un même
corps. C'esl déjà une puissante raison pour
chérir l'unité , el pour éviter avec soin tout
ce qui la détruit.
Mais quand ils seront convaincus qu'ils
ne sont qu'un même esprit , c'est une laisou
encore plus loile [lour engager les iidèles à
avoir horreur de toute division.
. Saint Paul continue, et s'appuyant tou-
et si so'x'ti ûal suilicil.
lalas.)
(Lib. VA in Ev. ad Ga-
1251
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
12S3
jours sur le môme principe , il expose aux
fidèles les plus impoilaiiles maximes de la
religion , pour en tirer toujours la môme
conséquence, qui est que tous ces admira-
i)les mystères sont autant de preuves pour
faire voir aux hommes l'obligation qu'ils
ont de conserver l'unité.
// n'y a qu'un Seigneur, qu'une foi ,
qu'un baptême : il n'y a qu'un Dieu père de
tous.
Voici tous les principes de saint Paul ,ct
en voici les conséquences.
// n'y a qu'tm Seigneur, et ce Soigneur
veut que tous ses serviteurs soient un en-
tre eux.
// n'y (j. qu'une foi , et un des principaux
articles de cette foi, c'est que Dieu veut
que tous ceux qui le servent soient parfai-
tement unis. .
Il n'y a qu'un baplême , et parce baptômo
nous devenons les enfants d'un père qui
no commande rien plus fortement à ses en-
fants que d'ôlre inviolablemont unis.
// n'y a qu'un Dieu père de tous , c'est de
ce Dieu dont nous sununcs les enfants. 11
est un , il veut que nous soyons tous un ,
il veut même que l'unité parfaite qui est
entre lui et le Fils qu'il engendre dans
l'éternité soit le modèle de l'unité' qu'il re-
commando à lous les hommes. Voilà pour-
quoi saint Grégoire de Nazianze ( serra. 12,
p. 109) soutient que ceux qui aiment la paix
et qui ont de l'aversion pour tout ce qui
pont la (rouLicr approchent plus près de
Dieu et lui ressemblent davantage. O pré-
cieuse unité! ô trésor admirable 1 que lu
es cher à ceux qui connaissent ta valeur 1
que ne doivent point faire les hommes
pour le conserver, et à quoi s'exposent
ceux qui sont assez malheureux pour te
(»erdre?
Perdre l'unité, se séparer de ses frères
par la division , c'est n'être plus membre de
ce corps que Jésus-Christ , a formé ; n'ap-
partenant plus à Jésus-Christ, on est à
son ennemi, et on ne peut plus être (|ue
membre du dén:on , à la tyrannie duquel
ont s'est malheureusenienl assujetti.
L'a|)ôlre saint Paul nous donne un avis
salutaire , quand il nous dii : Ne donnez
point de lieu et d entrée nu diable. (Ephes.,
IV, 27.) Nous sommes assez malheureux
que le démon nous tente, qu'il ait tant
d'adresse pour nous surprendre, tant de
force pour nous aita(iuer, tant de mali-
gnité [)our no se point lasser de nous fan-e
une cruelle guerre. Faut-il encore que
nous entrions, pour ainsi dire , dans les
desseins du démon , que nous l'aidions à
exécuter ses principaux projets, eu lui ou-
vrant l'entrée de tio;re cœur?
L'apôtre sainl Paul veut nous faire voir
combien ce malheur est à craindre, et les
précautions <|ue nous devons prendre pour
ri'y point toicber, quand il nous dit : Ne
donnez point de lieu et d'entrée au diable.
C'est donc à nous d'examiner tout ce qui
peut donner au démon avantage sur nous ,
aiin de l'éviter soigneusement.
Lorsque nous entrerons dans cet exa-
men, nous nous convaincrons aisément,
qu'il n'y a rien qui soit plus capable de
donner entrée au démon dans nos cœurs,
que les divisions.
Demôme, dit saint Chrysoslome, (in Ep««/.
ad Ephes.) que dans un bâtiment, lorsque
toutes les pierres qui composent une voûte
sont parfaitement unies, le bâtiment est fer-
me et solide, on y peut demeurer en toute
sûreté ei.sans aucune crainte. Mais s'il arrive
qu'unepierrese sépare del'aulre en quelque
manière, alors tout esta craindre. La moin-
dre séparation donne lieu de tout appré-
hender, et elle est ordinairement suivie
d'une ruine entière. Il en est de môme des
divisions qui naissent parmi les hommes,
et elles ne sont pas moins dangereuses.
Quand les cœurs sont unis , il n'y a pas
lieu de craindre, et il est dillicile que le
démon fasse aucune conquête. Mais quand
la division se glisse, alors le démon trouve
toutes sortes de facilités , rien ne lui résis-
te. Et c'est pour lors véritablement que
nous lui donnons entrée dans nos cœurs.
Quelle horreur lout chrétien ne doit-il
donc point avoir de la division , et que ne
doit-il point faire pour conserver la paix?
Il est aisé de concevoir que les ecclésias-
tiques doivent en cela marcher è la tête
des autres fidèles, et leur montrer l'exem-
ple,
Jésus-Christ les a chargés d'annoncer la
paix aux hommes , et de publier en tous
lieux la loi imporlante, par laquelle il
oblige ses disciples de conserver l'union.
Comment pourront-ils annoncer ce précep-
te , s'ils osent eux-mêmes le violer ? Parce
que les ecclésiastiques doivent être des
anges de paix ; parce qu'ils sont obligés de
l'annoncer, de la procurer, de l'aCfermir;
on no peut remarquer aucunedivision par-
mi eux que l'on n'en soit très-grièvement
olfensé.
Nous ne sommes tous , disait saint Paul ,
qu'un seul pain, et un seul corps , parce
que nous participons lous au même pain.
( I Cor., X , 17. ) Commentdonc ne serait-
on pas blessé de remarquer des divisions
parmi ceux qui mangent ensemble à la ta-
ble du Seigneur, et qui y reçoivent cette
viande céleste qui demande tant d'union
dans ceux qui ont le bonheur d'en être
nourris?
Des ecclésiastiques seront tout prêts
d'offrir les saints mystères, et ils seront
assez peu retenus pour former des plaintes
les uns contre les autres, pour entretenir
des contestations que l'impatience fait naî-
tre, ou qui ont pour fondement un intérêt
très-léger:»
Si les ecclésiastiques savaient tous les
mauvais effets que leurs conlcslalions pro-
duisent, ils seraient plus exacts à les éviter
et ils auraient plus de soin de conserver
l'union.
Constantin le savait bien combien to.ates
ces divisions sont dangereuses , et ce tut le
fondement de la sage conduite qu'il garda.
ns5
RETRAITE FXCLtS. — XVII, UNtON ENTRE LES ECCL.
mi
lorsqu'il Su trouva au saint concile do
Nicc^c.
.Plusieurs évoques lui apportèrent dos
«^crils, dans los(|uols ils s'accusaient les
uns les autres (2'i-7). L'empereur, touclK^do
ces divisions et consiik'irnnt conihien Icîs
suites pourraient on ûtrc funestes, indi(iua
un jour dans k-quel ils devaient tous se
présenter devant lui. Ce jour arrivé, l'em-
|)ereur lit allumer ungrand feu dans lequel
il jeta tous les écrits (jui lui avaient été
donnés. Il fit paraître i'i tous les évéques
des sentiments de bonté, dont il élait difTî-
ciie que ceux-là m(\raes qui étaient les [)lus
animés no fussent touchés. Il leur dit (|uo
Dieu, qui est notre véritable juge, nous cxa-
nu::eiait un jour, et que ce serait à ce sacré
tribunal (juc toutes les prétention des hom-
mes seraient décidées avec une souveraine
justice. Cependant il les exhorta h s'entre-
(lardonner , suivant riîxomplo (jub Jésus-
Christ nous a laissé, et il leur lit voir de
quelle conséquence il leur était d'oublié,
tous leurs différends particuliers pour s'ap-
pliquer uniquement à la grande affaire qui
les assemblait.
Le mOme empereur, dans une autre occa-
sion, assembla les évoques. 1! voulait célé-
brer avec pompe la dédicace de l'Eglise cé-
lèbre de Jérusalem. 11 est remar(|ué qu'il les
avc'tit tiès-expressément de pacifier leurs
diffétends. Le grand principe de cet emi)e-
reur Otait que pour obtenir It's grAces, il
fallait que les cœurs de ceux qui les deman-
daient fussent parfaitement unis (218).
Plaise au Seigneur de bien établir ce prin-
cipe, et d'en convaincre parfaitement tous
les ecclésiastiques. Ils sont ui>ii^és do prier
pour eux-mômes. ils sont obligés de [iricr
pour le [ieu|)le. Dieu les a élaLlis les dis-
pensateurs de ses mystères. Ils soni les mi-
nistres de tout ce qu'il y a de jdus saint
dans la religion. Que peuvent-ils prétendre
Jiendant que la divisiou dtchire leur cœur?
Demeuions convaincus d'un préce|ito si
solidement établi. Dieu veut que tous ses
disciples vivent dans l'union. Les ecclé-
sittstiques sont encore plus obligés de sui-
vre celte loi. Persuadés du priucqie, ne son-
geons plus (|u"à le réduire en praliipie, et
voyons ce que nous sommes obligés de faire
pour bien observer la loi que le Fils de
Dieu nous impose de nous aimer les uns les
autres.
DEUXIÈUE POINT.
Le précepte que je viens de vous ex[)Oser,
par lequel il nous est si expresséieeni com-
mandé d'aimer nos frères, nous oblige pre-
mièrement à prier pour eux.
C'est rinlenlion de Jésus-Christ que nous
soyons exacts à iirior les uns pour les au-
tres. Il a eu soin <ie nous iuslrulre de celto
i'iqiorlanle onligaliun, (]uaiid il nous a en-
seigné à [iriur. Dès votre enfance on vous a
fiiit observer que les demandes do l'Oiai^on
dounnicale étaient communes. On vous a
fait observer que le Fils do Dieu l'avait ainsi
voulu pour nous apprendre qufiles intérêts
ilo nos frères nous doivent être chers, et que
nous devons avoir un très-grand empresse-
ment de leur procurer les mêmes biens
que nous demandons pour .nous-mêmes. ;.
La règle est certaine, lorsque Dieu nous i*
impose quelque obligation à l'égard do
quelque homnio que ce soit, la première
chose que nous lui devons, c'est de j)rier
pour lui
Nous devons beaucoup à nos pères, h
nos maîtres, h nos supérieurs, aux princes
de la terre, aux souverains qui nous gou-
vernent. Le premier tribut qu'ils ont droit
d'exiger de nous , c'est que nous prions
pour eux. Je vous conjure avant toutes cho-
ses, dit saint Paul, que C on fusse des prières
pour les rois, et pour tous ceux qui sont
élevés en dignité. (1 Tim., XI. 1.)
■' Le rang que vous tenez vous établit mé-
diateurs entre Dieu et le peuple. C'est 5 vous
d'attirer les grâces du Seigneur, c'est à
vous d'apaiser sa colère. Lorsque Dieu est
irrité, et qu'on néglige de pousser vers lui
des gémissements, il s'en prend particuliè-
rement aux prêtres, il les accuse d'oublier
un de leurs principaux devoirs.
Dans celto obligation qui nous est im-
pf)séo de prier pour les autres, il y a des
préférences, lesquelles sont non-seulement
permises, mais raème|approuvéesdeDieu. Il
y a des hommes .^ qui nos devoirs nous at-
tachent par des liens plusétroils. Nous leur
devons aussi plus de prières selon la règlo
quej'ai établie.
Il y en a surtout qui doivent beaucoup
nous toucher, et pour qui nous sommes
obligés de pousser vers le ciel des vœux
Irès-ardenls. C'est des pécheurs dont jo
veux vous parler. Si nous avons une vraie
piété, nous serons vivement affligés de leur
extrême misère, et nous ne cesserons point
do demander àDieu la grûce de leur con-
version.
Parmi les [)écheurs, nous distinguerons
encore les ecclésiastiques. Un ministre tlu
Seigneur qui oublie ce qu'il est, (jui désho-
nore son caractère, qui s'abandonne au
déréglemenî, c'est-là ce qui doit tirer do
nos yeux des larmes coniiuuelles , c'est-là
ce qui doitaninjor notre zèle, et nous en-
gager à presser lo Seigneur de nous accor-
der una conversion si nécessaire.
C'est en ceite occasion que les prières
loivent aller jusqu'à l'importun lé, et
(pi'ellesne doivent [)Oinlôtredisconiinuées
jus(iu'à ce que D. eu nous ait fait la misé-
ricorde de nous accorder ce que nous lui
deiuandons avec instance. (Juo les délais ne
nous rebutent point. Poursuivons ce pé-
cheur dans tous ses retranchements. Ayons
autant d obstination à vouloir son salut,
qu'il en a de courir à sa perle.
Saul, tout ennemi qu'il élait de la vérité,
a été convaincu, il est devenu le zélé dé-
fenseur do la relijiion qu'il perséculTit.
(247) SozoM., 1. I,cap. 17.
(248) L. U, cap. 26.
125»
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
12W
Dieu a accordé cette importante conversion
aux prières de saint Etienne.
Monique ne s'est point lassée des résis-
tances (i'Augiistin. Une persévérance de
dix années a fléchi le Seigneur. Il avait été
dit à cette sainte femme qu'un fils qui
lui avait coûté tant de larmes ne périrait
point.
Il y a très-peu de temps que vous priez
pour ce pécheur, et vous êtes déjà lassé.
Persévérez dans la prière, poussez de nou-
veaux vœux, criez avec plus de force, ne
vous fatiguez point, le Seign-îur haïl ceux
qui veulent lui prescrire des bornes. Jamais
vous ne servirez cet homme d'une manière
qui lui soit plus utile que quand vous
prirez pour lui sans discontinuer , et
sans vous rebuter de ses longues résistances
à la grâce.
En second lieu. Dieu vous demande que
vous aimiez vos frères. Ne vous im.iginez
pas qu'un amour en |)arole et sans œuvre
puisse le contenter. Lorsque Dieu vous or-
donne d'aimer vos frères, il vous demande
un amour effectif qui se fasse connaître par
les œuvres. Se persuader que l'on aime ses
frères et ne leur rendre aucun service, c'est
tomber dans l'illusion. Dieu veut en nous
une volonté sincère, des dispositions sé-
rieuses, et c'est ce qui ne se rencontre
quedansceux qui font voir par des eirets
la vérité et la sincérité des seniiraents de
leur cœur.
Saint Jean donnait à ses disciples cette
inii)ortante instruction. Il j)rétendait qu'un
amour en parole était un faux amour.
N aimons point, disait-il, de paroleel de la
langue : mais par œuvres et en vérité. (IJoan.,
XI , 18. ) Voilà donc la vraie manière
d'aimer ses frères, les aimer par les œu-
vres.
Cette nécessité de nous rencire service
les uns aux autres nous paraîtra dès le
moment que nous examinerons les justes
raisons que nous avons de nous intéresser
à tous les besoins de nos frères. Lo nom
de Irère, que nous reconnaissons en eux, et
que nous devons même rt'S()ecler, ne nous
doit-il ()as rendre sensibles à tous ieuis be-
soins?
Voulez- vous encore une liaison plus
étroite? Votre foi vous apjirend que vous
devez tous vous considérer comme membres
d'un même corps. Abandonnerez-vous celui
qui vous est si étroitement uni ?
Voyez ce qui se |)asse tlans le corps hu-
main, et insiruisez-vous de vos devoirs,
en considérant la conduite que tiennent les
parties qui le composent. Quand une j)artrc
du corps humain est dans la faiblesse et
dans la langueur, les autres n'ont point ac-
coutumé (te l'abandonner : au contraire
elles compatissent à sa misère, et il n'y en
a aucune qui ne s'ap[)lique à soulager celle
qui soutire.
(249) I Ntinquid qiria in corpore pi>s quasi longe
vidctur al> oculis (illi enim locati in ^ul)l^nilale, illi
autein inlVa posili) qiiaiido forie pes spiuain calca-
vcdl, deserunt oculi? Sodet liomo, ciirvuiiu' spma
Cette observation est de sain! Augustin,
et voici comment il continue pour donner
plus de jour à cette pensée.
« Le pied est très-éioigné do l'œil. L'œil
fait le princiiial ornement de la f^artie de
l'homme la plus noble et la plus élevée.
Le pied est à l'extrémité, il est la partie la
plus basse et la plus proche de la terre. Ce-
pendant si le pied reçoit la moindre ble.s-
sure, si par hasard une é[>ine le blesse, les
yeux ne l'abandonnent point, toutes les par-
ties de l'homme s'intéressent au soulage-
ment de celle qui a été otfensée. Vous voyez
l'homme s'asseoir et se courlrer, il n'y a
aucune partie de l'homme qui ne |)rêle son
ministère et qui n'agisse fortement. La
blessure particulière du pied devient la
blessure commune de toutes les autres par-
ties de l'homme. Elles ne se donneront au-
cun repos, jusqu'à ce qu'elles aient apporté
un remède efïicace pour guérir le pied en
arrachant l'épine qui l'a blessé (249).»
Telle devrait être notre dispositioi à l'é-
gard de nos frères, lorsqu'ils sont dans la
langueur et dans la misère. Sans doute nous
concevrions ces heureux sentiments, si
nous étions bien convaincus de celte étroite
liaison que nous avons avec nos fières.
Combien en voit-on qui ne savent ce que
c'est qua de faire plaisir, et qui ne voudraient
pas se faire la moindre contrainte fiour se-
courir leurs frères? Le cœur de l'homme
naturellement est compatissant, le cœur
chrétien l'est encore intiniaieut davantage.
Ces hommes durs qui ne sont touchés d'au-
cune misère, ne sont donc ni liuiniues ni
chrétiens.
Il y en a d'autres dont les [)laios ne sont
pas si dangereuses, mais qui néanmoins
doivent s'appliquer très-sérieusement à les
guérir. Ce sont ceux qui rendent service à
leur prochain, mais qui ne le font point ,)ar
[irincipe de charité. C'est humeur , c'est
tempérament, c'est compassion naturelle.
Ce n'est pas là le principe qui doit vous faire
agir. Que d'actions qui perdent leur prix,
parce qu'elles ne sont point animées 1 Agis-
sez pour Dieu, ayez en vue de lui ()laire et
d'exécutersa foi : pouvez-vous vous proposer
un motif plus excellent ?
Que doit chercher un ecclésiastique zélé?
S'il a do la charité, il lo lera voir par les
empressements qu'il aura de rendre ser-
vice à ses frères. Son ardeur doit redoubler,
lorsque ceux qui sont honorés du même
caractère que lui ont besoin de son secours.
Un ecclésiastique avec qui vous denuuioz,
ou bien un autre qui vous est inconnu est
dans l'inlirmité. Il est seul, il a besoin de
soulagement et pour le corps et pour l'âme.
Pouvez-vous avoir une occupation plus pré-
cieuse, plus pressante pour vous, plus agréa-
ble à Dieu, que d'être assidu auprès de lui
pour le consoler, pour le servir? Sans cela
avez-vous de la charité, ou plutôt n'est-ij
dorsi, ut quseratur spina. Omnia inembra quidijuid
4)0S3unl laclunl, ut de inliino et exiguo loto .s|tnia
qu;e iiiluc»ei"it ediicalur. » {In pt>uL XXX.)
1257
RETRAITE EOfJ.RS. — XVFI, UNION ENTRE EES ECCl.
I-2SS
pas (^vident que vous n'en avez point, puis-
que vous n'en iailes paraître aucune dans
une occasion si essentielle ?
Voici une troisième condition à laquelle
vous devez 6lre très-exacts, si vous voulez
conserver avec vos frères celle sainle union
qui vous est si étroitement recommandée.
Sovez dans iine résolution ferme et cons-
tante de soulfrir de vos frères. Autremonl
nilendcz-vous à vivre dans un Iroulile con-
tinuel , et à n'avoir jamais de paix. Dès
qu'on n'est point résolu lie supporter ses
frères, c'est une illusion de vouloir conver-
ser avec les honmies et demeurer avec eux.
Restez seul et rompez tout conunerce.
Nous sommes tous chargés de défauts. I!
n'y a aucun honunequi puisse sans se trom-
per se tlattt-r qu'il en est exempt. Mais voici
quelle est noire injustice. Nous ne nous las-
sons point de faire souffrir les autres; mois
quant à nous, au premier mot qui nous
ulesse, nous sommes fiiqués jusqu'au vif,
et l'injure nous paraît insupportal)le.
Autre injustice encore très -commune
parmi nous, très-opposée h \a sainle union
qui nous doit fitre si précieuse. Quand nous
nous examinons nous-mêmes, nous ne con-
sultons que notre amour-propre; et de là
il arrive que nous ne remarquons presque
jamais en nous aucun défaut. Quand nous
examinons nos frères, nous les jugeons très-
rigoureusement, tous leurs défauls nous appa-
raissent, et nous n'en laissons échapper au-
cun. De là ce peu de disposition que nous
avons à excuser les fautes les jilus légères,
pendant que nous nous aveuglons sur des
défauls très-considérables, que tous voient
en nous et que nous seuls ne voyons |)as.
Ap|)liquons-nous à réformer notre cœur
corrom(iu, par les maximes de l'Evangile.
Ecoulez ce qu'elles nous apprennent.
Portez les fardeaux les uns des autres, ci
vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ.
iGalal.. VI, 2 )
Porter les fardeaux les uns des autres,
c'est supporter les faiblesses et les défauls
de nos frères, et la loi de Jésus-Chiist nous
coumiande absolument d'être dans celte
disposition.
On verrait en tous lieux une paix stable,
al les maisons des chrétiens seraient véri-
tablement des niaisons de paix, si cette au-
tre maxime de saint Paul était suivie : Sup-
portez-vous les uns les autres, que chacun
remette à son frère tous les sujets de plainte
quil peut avoir contre lui. Enlre-purdonnez-
vous, comme le Seigneur vous a pardonné.
(Coloss. , m, i3.)
Supportez vous les uns les autres. Com-
ment exéculez-vous ce précepte, vous qui
iivez |iour maxime de ne rien soutfrir, de
n'être jamais cunlredil, et de compter pour
rien de fatiguer les autres?
Que chacun remette à son frère tous les su-
jets de plainte qu il peut avoir contre lui.
J.es plauiles continuelles qui sortent de vo-
tre bourbe, et la luanièie avec laquelle vous
exagérez tout ce «pii vous déplail, ou ce qui
vous oU'ensc, font assez connaître l'éloigne-
OuATELBs SACni':s. LXVIIl.
ment dans lequel vous êtes do remettre h
votre frère tous les sujets de plainte que
vous pouvez avoir centre lui.
Entrc-pardonnez-vous, comme le Seigneur
vous a pardonné. Le Seigneur a tout par-
donné, il a oublié les injures les plus atro-
ces, les alfronts les [ilus sensibles, les per-
sécutions les plus cruelles ? Est-ce là votre
disposition? Un chrétien doit donc avoir
pour maxime de souffrir de ses frères. C'est
la première loi de la société humaine, c'est
le commandement du Seigneur. Suivez-le et
vous conserverez la paix.
Voici encore une autre maxime établie
par saint Paul, qu'il est très-nécessaire d'en-
tendre et de bien observer. Le saint Apôtre
regarde la paix comme un bian si précieux,
qu'il veut que nous fassions tout ce qui est
en nous pour la conserver. Mais en même
temps l'Apôtre considère qu'il ne dépend
pas toujours de nous d'entretenir la paix.
Nous pouvons nous renconlrer avec des
hommes si peu sociables, si ennemis de la
tranipiillité, que môme après toutes sortes
d'efforts pour les porter à la paix, nous
soyons assez malheureux, [)0ur ne pouvoir
ni les calmer, ni les réduire à la raison, ni
gagner leur cœur. Le trouble naît, mais c'est
malgré nous. 11 no serait donc pas juste que
nous en fussions responsables, ni qu'il nous
fût impulé. L'apôtre saint Paul a tout prévu;
écoulez ses paroles, considérez-les toutes,
admirez-en l'ordre, la sagesseet l'équité:
Vivez en paix si cela se peut , et autant qu'il
est en vous avec tous les hommes. (Rom.,
XII, 18.)
Vivez en paix autant qu'il est en 'jous.
Voilà votre obligation. Vous devez entrete-
nir la paix par tous les moyens qui dé-
|)endenl de vous. Si c'est par votre f.iute
que la paix est troublée, si vous avez |)u
faire des efforts, et que vous les ayez omis,
vous êtes coupables.
Vous êtes obligés d'entretenir la paix avec
tous les Ijommes. Il n'y en a aucun (^ui ne
soit votre frère, il n'y en a aucun avec qui
vous ne soyez unis de la même liaison, que
le sont ensemble les membres d'un môme
corps.
L'At)ôlre ajoute : Si cela se peut et autant
qu'il est en vous; pour vous marquer que
vous n'êtes pas criminel dans une occasio:i
où la paix est troublée, nonobstant tous les
efforts que vous avez faits pour la conser-
ver. Mais ne vous flattez pas ; afin que vous
soyez innocent, il faut que vous n'ayez rien
à vous reprocher, et que par le témoignage
d'une conscience exacte vous puissez vous
dire à vous-mêmes que vous avez en)()loyé
tous les moyens qui étaient en votre |)o"u-
voir pour dissiper le trouble, et pour all'er-
mir la [laix.
L'obligation du chrétien est donc défaire
lout ce qui dépend de lui pour conserver la
paix. Jugez par là du crime de ceux qui,
bien loin d'entretenir la ()aix , allument le.
feu, excitent des querelles et nourrissent la
division. C'est une parole que vous avez
prononcée, et laquelle a éié dite avec beau-
40
I
Îî5f)
OUATEllUS SACRES. J(iSEPH LAMBERT.
1200
coup de promplitudo el do légèreté. Mais
vous deviez prévoir toutes les suites funes-
tes de cette parole dangereuse. Quelle
qu'ait été votre iiilenlion, jugez de votre
crime. Le voici : vous avez divisé les frères.
Vous ^tes donc de ceux que le Sage déteste.
Jt y a, dit le Sage, six choses que le Seigneur
fiait. Son âme déleste la septième. {Prov., VI,
IG, 19.) Celte septième chose laquelle est
nou-seulement haïe, mais môme détestée,
est sans doute un crime énorme; quel est-
il? C'est de semer des dissensions entre les
frères.
L'apôtre saint Paul [Rom., XVI, 17) re-
présente ceux qui causent des divisions,
<;omme des houimes très-dang:ireux, et il
overlit ses frères qu'ils doivent être très-
exactement observés.
Mauvais caractère que celui de ces hom-
mes ennemis de la |ia'x, qui par leur dis-
cours et leurs rapports souillent le feu, ir-
ritent les hommes, et les excitent à la ven-
geance. Songez-vousque quand vousallumez
le feu dans le cœur de votre frère, vous lui
donnez la mort?
La maxime du vrai chrétien est toute
contraire. Quoi qu'il sache, quoi qu'il ait
entendu, dès qu'il soupçonne (|ue ce qui a
iraiipé ses oreilles, s'il était connu, divise-
rail les frères, il garde le silence. Quoi que
vous disiez, (juelque instance que vous fas-
siez, à quelque détour que vous ayez re-
cours, vous ne lui arracherez pas une seule
parole indiscrète. Telle est la conduite de
celui qui connaît ce que c'est que la paix,
et l'obligation qui lui est imposée de
faire toutes sortes d'eflorts pour la con-
server.
Les procès sont de grandes sources de
divisions. Voilà (K>urquoi lesecclésiasliqnes
doivent les éviter avec soin.
Les ecclésiastiques doivent haïr les pro-
cès. Ils doivent tenter toutes sortes de voies
(jour maintenir la paix, pour calmer les es-
prits, pour porter les hommes à pacilier
leursdilférends et àse rendre mutuellement
la justice qu'ils se doivent. Un ecclésiasti-
que doit regarder comme un véritable mal-
heur, et comme un sujet de gémissement,
lorsque la malice des hommes I oblige à sou-
tenir des droits légitimes que des raisons
importantes et qui regardent Iv; bien de l'E-
glise ne lui permeltenlpoinl d'abandonner.
Hors une nécessité Irès-pressanle et comme
indispensable un ecclésiastique, qui consi-
dérera attentivement les suites funestes des
procès, aura pour maxime de n'en entre-
prendre jamais. Il n'hésitera point à aban-
donner plutôt des droits même légitimes,
que de les poursuivre jiar les voies diUiciles
el rigouieuses de la justice.
Un ecclésiastique peut-il refuser d'embras-
ser un senliment dans lequel saint Paul
veut que tous les chrétiens entrent? Saint
Paul parle à tous les chrétiens et il leur dit :
C est déjà un péché parmi vous de ce que vous
avez desprocès les uns contre les autres. {l Cor.,
VI, l.j Qu'aurait donc dit saint Paul, et
comment ^e serait-il expliqué, s'il eût
adressé sa parole aux seuls ministres du
Seigneur?
N'alléguez point que vous poursuiv.:;z un
droit légitime: car saint Paul vous répond
que vous devriez plutôt souffrir qu'on vous
fît tort, et que l'on vous ravît votre bien.
Que penserait donc saint Paul de ces ec-
clésiastiques ardents, que les procès n'ef-
frayent point, qui sont toujours prêts h en
entreprendre, qui passent la plus grande
partie de leur vie à rendre visite aux gens
de justice, et à solliciter des juges, qui ai-
ment mieux employer une somme consi-
dérable en procès, que d'en perdre une beau-
coup moindre en consentant à un accommo-
dement qui les délivrerait de tout embarras,
qui, ayant emporté un bénéfice (lar adresse
el par chicane, s'en gloritient comme d'une
conquête (|ui leur fait honneur; qui par
celle voie honteuse et si contraire à l'esprit
de l'Eglise, ont amassé plusieurs bénéfices,
et sont encore en disposition de s'en servir
pour augmenter leurs revenus.
Vous les voyez dissipés, enflammés, ne se
possédant point, vomissant les injures el les
invectives. Quelle tranformation, et, sous
une telle tigure, qui reconnaîtrait des hom-
mes envoyés [lar Jésus-Christ, pourétredes
ministres et des anges de paix?
Vous avez vu que, selon saint Paul, nous
devons conserver la paix avec tous les hom-
mes. 11 n'y en a point d'exceptés. Nos enne-
mis même ne le doivent pas être. Ils sont
co/iqiris au rang de ceux que nous de-
vons aimer, et même de cet amour elTeclif
qui se fait sentir par les œuvres. Quand
nous aimons nos ennemis, quand nous leur
rendons service, nous travaillons pournous-
mêmes, et c'est ['our lors que nous con-
naissons notre véritable iiiléièL
Que [louvons-nous faire qui nous soit
plus avantageux que de travailler à obtenir
le pardon de nos |)échés , el quel moyen
f)lus efiicace avons-nous pour i'ubtenir que
de [/ardonner à nos ennemis, les aimer et
leur faire du bien ?
N'ayez point d'égard pour votre ennemi,
je le veux, mais au moins ayez quelque
égard pour vous-même. Songez qu'il s'agit
ou que vos péchés demeurent gravés dans le
livre de la colère du Seigneur, ou qu'ils en
soient effacés. Le Seigneur vous en rend le
maître, et c'est à vous de faire un choix.
Voici comment il a parlé : Si voui par-
donnez aux hommes les fautes quils font
contre vous, votre Père céleste vous pardon-
nera aussi les vôtres ; mais si vous ne leur
pardonnez point leurs fautes, votre Père ne
vous pardonnera point aussi les vôtres.
[Mattli., VI, li.) El dans un autre endroit :
Jiemettez et il vous sera remis ; car on se ser-
vira envers vous de la même mesure dont vous
vous serez servi envers les autres. [Luc. VI,
37.)
Quand donc nous prenons vengeanc d'une
injure que nous avons reçue, nous nous
faisons à nous-mêmes plus de mal qu'à noire
ennemi. Car nous blessons notre ûme, nous
multiplions le nombredenos ini(iuités,nou<
Iâ6l
RETRAITE ECCLES. — XVII, UNION ENTRE LES ECCL.
i'i.iji
irritons Dieu el nous lui faisons perdre loule
|;i bonne volonté qu'il avait de nous par-
donner.
Cet homme que vous linïssez est sous la
protection de Jësus-Ciirist, il est membre
de Jésus-Christ. Peut-être sera-t-il un jour
un de ces inenybres heureux, qui seront
pour jamais réunis à leur Chef dans la
splendeur de sa gloire. Si vous haïssez le
membre du Jésus-Christ, vous n'êtes plus
vous-même membre de Jésus-Christ. Vous
rontpez cette union de cœur sur laquelle
est essentiellement fondée la qualité de
membre du Sauveur. Songozdonc que pour
contenter votre passion, vous consentez de
ne plus appartenir à Jésus-Christ, et de
n'être plus membre de son corps. Jugez
vous-même de l'aveuglement où votre pas-
sion vous jette, de l'injure que vous vous
faites, et de ce que vous perdez. Le plaisir
de la vengeance peut-il dédommager d'une
perte si grande, si véritable et qui a des
suites si fâcheuses?
Il ne me reste plus qu'une dernière maxi-
me à établir pour achever de vous faire
connaître à quoi vous engage le précepte
que le Fils de Dieu vous a imposé de vous
aimer les uns les autres. Je dis que le véri-
table amour du prochain c'est celui qui nous
fait prendre part à son salut, et qui nous
fait agir vivement pour le conduire
autant qu'il est en nous dans la voie du
salut.
Il y a bien de fausses manières d'aimer,
et il n'y en a qu'une seule de véritable. Les
gens du monde croient aimer et ils abusent
dece nom. Souvent leur amour est plutôt
une haine véritable qu'un véritable amour.
Car n'est-ce pas ainsi qu'on doit appeler un
amour dont l'effet est de procurer à l'homme
des uioyens de se perdre, de s'éloigner de
Dieu et de satisfaire ses passions?
Vous aimez cet homme, et parce que vous
l'aimez, vous l'aidez à obtenir des richesses
et des honneurs qui l'empoisonnent, vous
lui inspirez des désirs directement contrai-
res à sa religion, vous l'aidez à se venger.
O amour insensé ! celui que vous croyez ai-
mer vous regardera un jour comme le plus
cruel de ses ennemis.
Le vrai chrétien aime d'une manière plus
conforme à la raison et à la religion. 11
aime [tar rap|torl à Dieu. Il souhaite que
celui qu'il aime soit un jour souveraine-
ment heureux avec Dieu. Il travaille à lui
inspirer du goût pour la religion. C'est la
seule manière véritable d'aimer.
« Celui-là nous aime, dit saint Augustin,
qui nous inspire l'amour du seul bien véri-
table, et nous aimons ceux à qui nous tû-
chons j)areiilement d'inspirer un saint désir
de travailler à se rendre solidement heu-
reux. S'aimer soi-même, dit encore le môme
Père, c'est tendre à Dieu. Puis donc que
nous souimes obligés d'aimer notre prochain
(2oO) ( Ad hoc boiium dobemiis et a qiiibus dlligi-
inur d'J(i, et quus diliginiiis diicerc. Ille iii se dili-
ijoiiJo lioii errât, «pii diligit Deuiit. Cuiisc<|ucii> al
comme nous-mêmes, la seule marque (juo
nous [missions lui donner de notre amour,
c'est de le porter à chercher Dieu comme
son unique bonheur (250). »
Vous êtes donc obligés d'aimer votre pro-
chain, et pour satisfaire à cette obligation,
il vous est commandé de prier beaucoup. Un
ecclésiastique qui ne donne pas un temps
considérable à la prière a lieu de craindre
que Dieu ne lui fasse des reproches Irès-
sêvères, qu'il ne le rende resptmsable d'un
grand nombre de malheurs qu'il était de son
devoir de détourner par ses gémissemenls,
par ses larmes et ses |)rières.
Vous êtes obligés, en second lieu, de tra-
vailler pour le prochain. Qu'est-ce qu'un
ecclésiastique oisif? C'est un homme déj.^
condamné de Dieu, sa sentence est pronon-
cée : Quon jelU le serviteur inutile dans les
ténèbres extérieures. (Matlk., XV, 30.)
Un ecclésiastique ne voudra |)oiiit souffrir
de ses frères. Il sera emporté, bizarre, de
mauvaise humeur. Comment donc oscra-t-il
se dire ministre de celui qui, voulant nous
marquer un de ses principaux caractères,
nous a dit : Apprenez de moi que je suis doux
et humble de cœur. [Matlh , XI, 29 )
C'est bien une autre extrémité plus fû-
cheuse, quand un ecclésiastiijue s'aban-
donnera à sa jiassion, jusqu'à parler de se
venger, jusqu'à faire une longue énuraéra-
tion de ses ennemis. Est-ce là cet homme
en qui les passions devraient être éteintes,
qui ne devrait brûler que de l'amour de Jé-
sus-Christ et du désir d'étendre son rè-
gne?
Comme vous l'avez vu, aimer véritable-
ment son prochain c'est vouloir le salut de
son prochain. Un ecclésiastique donc, qui ne
fait rien pour le salut de ses frères, n'aime
point ses frères. Vous ne pouvez faire voir
que vous aimez votre prochain qu'en exer-
çant les fonctions de votre ministère, en
instruisant, en exhortant, en prêchant, eu
administrant les sacrements de l'Eglise, en
vous servant de vos lumières et de vos ta-
lents pour conduire les hommes dans le
chemin, du salut; car c'est un grand carac-
tère de malédiction, je puis même ajouter
de réprobation, que d'être inutile à ses
frères.
Voilà le grand précepte du Seigneur, et
ce qui est nécessaire pour le bien accomplir.
Vous avez vu ce que Jésus-Christ a dit et co
qu'il a fait pour recommander l'union à ses
disci|)les. Observez exactement un précepte
si important. Réjouissez-vous quand vous
voyez une sainte union bien ail'ermie entre
les disci|)les de Jésus-Clirist. Soyez au con-
traire dans la tristesse quand la division
désunit les frères et les membres du môme
corps.
Aimez surtout beaucoup la sainte unité
de l'Eglise. Que ce soit un des biens que
vous demandiez h plus souvent a Dieu et
m ciiam proximo ad diiigeiidum Deiim consulat,
ijuCiii jiil)elur siciil seipsiiiii dlli^urc. » (/>(,' civil.
Dci, 1. X, c. 4;1. XiX, U.j
i
{265
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMREUT.
126*
nvec le plus de ferveur. Que la moindre di-
vision dans l'Eglise vous cause de sensibles
alarmes, et n'omeltez aucun moyen pour
détourner un mal si danj^ereux.
Que n'ont point fait les saints pour con-
server la paix de l'Eglise? Le sacrifice des
dignités les plus éminentes ne leur a point
coûté, quand il a été question de conserver
un bien si précieux.
Saint Grégoire de Nazianze est maintenu
ilans la qualité d'évêque do Constantinople
par la décision d'un concile. Il n'y eut ja-
mais d'élection pi us canonique que la sienne.
Des évêques nouvellement arrivés dans le
concile, olfensés de ce que l'assemblée avait
prononcé avant leur arrivée, contestent ce
(jui avait été fait en faveur de saint Gré-
goire. Ce n'est pas à ceux qui connaissent
la pesanteur de l'épiscopat qu'il faut oppo-
ser des diflicuUés. Dès que saint Grégoire
aperçoit quelque apparence de trouble, il
n'en faut pas davantage poar le déterminer.
Il cède, et il serait dans la disposition d'a-
bandonner l'empire de tout le monde pour
affermir la paix.
Ce saint évéque dans un de ses discours
(Orat.21, p. 397) adresse au Seigneur cette
fervente prière: Si l'Eglise doit jouir de la
paix, je consens de rester encore sur la terre,
et je vous demande. Seigneur, les secours
dont j'ai besoin pour conduire fidèlement le
irou[jeau dont vous m'avez établi le pasteur.
Mais si la guerre doit se rallumer, ne permet-
tez point que j'o sois le témoin d'un si triste
spectacle. Je vous conjure, ô mon Dieu ! de
me retirer de cette vie, et de tinirau plus tôt
mon exil.
Aimez donc la paix, soyez des enfants de
paix, affermissez la paix, haïssez le trouble
et la division, n'omettez rien de ce qui est
en votre pouvoir pour maintenir l'union.
Après avoir travaillé sur la terre (lour con-
server l'union, vous verrez un jour sans
travail et sans peine une sainte union qui
fait un des plus beaux ornements de la [»a-
irie céleste, et le principal bonhiur des
bienheureux.
DISCOURS XVIU.
DE l'obéissance.
Quand vous avez été consacrés prêtres,
vous avez fait un serment solennel dont il
Vous est très-important de vous souvenir,
puisque, si vous manquiezaaccomplir votre
})rûmesse, vous seriez sans doute coupables
d'une prévarication très-criminelle.
L'évêque tenant vos mains entre les sien-
nes vous a adressé ces paroles : Vous me
promettez et à mes successeurs respect et
obéissance? Ressouvenez-vous de votre ré-
ponse et ne l'oubliez jamais. Je le promets,
avez-vous répondu (251). Par là donc vous
vous êtes engagés à obéir. Malheur à vous
si vous aviez dit seulement ces paroles de
bouche, et si vous ne sentiez pas au fond
de vos cœurs ce que vous avez prononcé ex-
térieurement par vos paroles !
Quand votre év(}que vous a engagés à
l'obéissance, il no vous a rien demandé qui
ne lui soit dû à raison de son caractère. Jé-
sus-Christ l'a élabli voire chef. C'est lui qui
est chargé de la conduite du troupeau. Vous
êtes prêtres pour travailler sous ses ordres
et pour le secourir dans ses pénibles fonc-
tions. C'est donc à lui comme à votre chef
de vous conduirej de vous appliquer, de
vous confier les âmes dont il est le premier
pasteur, et devons en demander compte.
C'est 5 vous d'être docile, d'accepter avec
humilité la charge qui vous est imposée, de
veiller attentivement sur la portion'du trou-
peau qui vous est confiée, etd'en rendre un
fidèle compte.
Voilà le fondement de l'obligation qui
vous a été imposée, et de la promesse que
vous avez faite d'obéir. Obligation très-im-
portante, obligation très-étroite, mais obli-
gation très-négligée, pour ne pas dire très-
méprisée en ce temps où chacun veut être
maître de soi, et ne sait plus ce que c'est
que de se contraindre pour rendre aux su-
périeurs l'obéissance qui leur est due si lé-
gitimement. Le mépris de la loi doit enga-
ger à employer toutes sortes d'efïbrts [)0ur
la faire revivre et pour montrer la nécessité
de s'y soumettre.
Je veux donc employer tout ce discours à
vous entretenir de l'obéissance, et voici ce
que je dois vous en faire voir dans les deux
|)arties de ce discours. Dans la première, je
vous montrerai combien il est avantageux
d'obéir; dans la seconde, je vous expliquerai
les qualités de l'obéissance.
PREMIER POINT.
Il y a trois grands avantages attachés à
l'obéissance, qui vous feront connaître com-
bien il est nécessaire au chrétien de vivre
dans la pratique exacte de cette importante
vertu.
Le premier avantage de celui qui est obéis-
sant, c'est qu'il entre dans l'esprit de Jé-
sus-Christ et qu'il imite son exemple.
Son second avantage, c'est qu'il se délivre
<i'un grand nombre do |)érils auxquels nous
sommes exposés pendant le temps de celte
misérable vie.
Son troisième avantage, c'est que toutes
les actions de sa vie, même celles qui pa-
raissent les moins iinporlanles, sont saintes
et agréables à Dieu.
Le grand moyen d'entrer dans l'esprit de
Jésus-Christ c'est de pratiquer l'obéissimce.
Car quel est l'esprit de Jésus-Christ? clier-
chons-le dans les saintes Eciitures. Son es-
|)rit est que ses disciples soient humbles,
qu'ils soient petits, qu'ils se déhentd'eux-
iiiômes, qu'ils soient détachés de toutes
choses, môme de leur propre volonté. Tout
cela dispose merveilleusement le chrétien à
pratiquer l'obéissance. Que coûte-t-il d'o-
béir à celui qui sait qu'il n'est jamais plus
agréable à Dieu que quand il est dans une
Jisposition sincère de s'abaisser? Celui qui
t^ril) « Proiniliis milii ei succes-soribiis mci . rcverenliam el obeJieiiliain? PiomiUo. >
J-2G3
HETRAITE LCCLKS. — XVllI, OBEISSANCE.
lififi
se défie de lui-môme ne doit point souhaiter
do se coiuliiire, mais au coiilraire son grami
désir doit ôtro d'avoir un cniuliicleur qui le
guide et ([ui le rassure. Notre dolacliemenl
doit être entier. Il n'y a rien dont il nous
soit plus djflîcile de nous délachor que de
notre propre volonté. Quand pouvons-nous
mieux connaître que nous on sommes dé-
tacliés que quand nous obéissons? Prati-
quer robéissancec'est donc une marque que
1 esprit de Jésus-Christ est en nous.
Voilà pourquoi les saints apôtres ont re-
commandé tant de fois aux chrétiens de
vivre dans une pratique exacte de l'obéis-
sance. Obéissez, dit saint Paul, à vos con-
ducteurs, et soyez soumis à leurs ordres.
{Heb., XIM, 17.) Ne pas obéir, vouloir vivre
dans l'indépendance, ce serait une marque
d'orgueil. Ce serait donc entièrement s'é-
loigner de l'esprit de Jésus-Christ.
Lapôtre saint Pierre, en recommandant
l'obéissance, prend toutes sortes de précau-
tions. S'il y avait quelque lieu de se dis-
penser de l'obéissance, ce serait sans doute
h l'égard de ceux qui abusent de leurauto-
rilé. Est-ce un sujet légitime de révolte?
Peut-on alors secouer le jouget se dispenser
d'ubéir? Si vous le faites, vous êtes con-
damnés par saint Pierre, qui prononce ex-
pressément qu'il y a obligation d'obéir,rjon-
seuliincnt à ceux qui sont bons et doux, mais
encore à ceux qui sont rudes et fâcheux.
(lPetr.,U,t8.)
Toutes les ordonnances de la loi de Jé-
sus-Christ font voir qu'elle est entièrement
conforme aux principes de la raison. Le
commandement exprès quil a fait d'obéir
eu est une preuve certaine.
Que deviimdrail le monde sans l'obéis-
sance? Quoi de plus nécessaire que celte
vertu pour maintenir l'ordre et la règle? L'ox-
()érience le fait voir. Où l'obéissance n'est
pointg<irdée,ce n'est que trouble, le désordre
se glisse, la paix en est bannie. Un tout qui
n'est point uni est^menacé de sa destruction
et ne peut éviter une ruine prochaine. Mais
au contraire, où l'obéissance est gardée, il
n'y a personne qui ne soit édifié en remar-
quant ce parfait accord. C'est une tranquil-
lité qui dispose l'âiuo à recevoir et à goûter
le don de Dieu. On croirait voir ces esprits
bienheureux qui sont parfaitement unis
entre eux, et qui sans aucun trouble louent
sans cesse le Saint des saints. S'il peut y
avoir quelque chose de stable sur la terre,
c'est ce qui est uni, où tout est dans son
ordre. Ce qui ne peut jamais êtie que quand
Tobéissance est fidèlement observée.
Contemplons maintenant l'exemple de
Jésus-Christ, et voyons celui (jui obéit,
solidement Ibrtilié par cet exemple.
Jésus-Christ est venu sur la terre pour
nous donner l'exemjjle. Nous voyons en
lui une ima^e de toutes les vertus. Voici ce
qu'il nousdit pour nous apprendrejusqu'où
a été sa fidélité dans la pratique de l'ubéis-
^allC('.
Je suis descendu du ciel non pas pour faire
tua volonté, mais pour faire la volonté de
celui qui in a envoyé. [Joan. ,yil, 38.) Je ne
cherche point à faire ma volonté, mais la
volonté de mon Père qui m'a envoyé. (Joan.,
V, 30.}Ma nourriture, c'est de faire la volonté,
de celui qui m'a envoyé. {Joan., iV, ^k.) Jé-
sus-Christ s'est rendu obéissant jusqu'à la
mort. {Philip., II, 8.)
> Vous voyez dans ces paroles que Jésus-
Christ, en venant sur la terre, ne s'est ja-
mais projiosé de faire sa volonté, mais qu'il
y est venu avec un dessein déterminé d'ac-
com|)lir en toutes choses la volonté de so!i
Père. Je suis desceiidu du ciel, etc.
Jésus-Christ n'est pas semblable à ceux
qui ont de grandes idées, mais qui ne les
remplissent point. L'exécution fidèle a ré-
pondu à la grandeur de ses desseins. Il est
venu pour faire la volonté de son Père. I!
nous assure que, dans tonte la suite de sa
vie, il n'a jamais cherché à faire sa vo-
lonté, mais celle de son Père qui l'avait en-
voyé.
^ Observez l'ardeur avec laquelle Jésus-
Christ se portait à accomplir la volonté de
son Père. Celait tout son désir, c'était tout
son soutien au milieu des dilEcultés conli-
nuelles qu'il a eues à essuyer dans le cours
de sa mission. Manourriture et moi\ so{}r-
lien, c'est de faire la volonté de mon Père.
Faites attention à ces |)aroles. Que ce soit
là votre nourriture. Usez d'un si fort et si
salutaire aliment. L'âme donc se nourrit, se
maintient, se fortifie par la pratique de
l'obéissance.
Enfin, jusqu'où a été l'obéissance de Jé-
sus-Christ? elle a été jusqu'à la mort. Son
obéissance donc a été continuelle. Elle a
été parfaite et en toutes choses. De quoi
pourrait être troublé, de quoi pourrait être
rebuté celui qui est disposé à obéir jusqu'à
la mort? Voilà votre exemple; voyez et
suivez.
Confessez que celui qui veut imiter Jé-
sus-Christ ne peut avoir de joie plus par-
faite et de consolation plus solide, que de
passer tous les jours de sa vie dans la pra-
tique continuelle de l'obéissance.
En observant cette vertu, combien de pé-
rils évilera-t-il qui sont si communs, si re-
doutables, et qui font tomber une infinité
de chrétiens? Je vous ai dit que c'était le
second avantage de l'obéissance. Elle déli-
vre l'homme d'un grand nombre de périls
auxquels il est exposé pendant le temps do
cette vie.
S'agit-il de se déterminer, et de prendre
sa résolution dans des aifaires importantes?
Combien y en a-t-il qui se trompent et qui,
suivant des principes d'erreur, prennent
des déterminations très-contraires à leur
salui? L'obéissance vous délivrera de ce
péril. Vous devez être persuadé que votre
détermination ne sera jamais plus heureuse
que quand elle sera soumise à ceux qui ont
reçu de Dieu le pouvoir de vous guider.
Dans le temps que vous délibérez et après
le temps de la délibération, vous avez tou-
jours au milieu de vous voire propre volon-
té. Si vous la suivez, que n'avez-vous !>as
i267
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
Î268
c'i crainifre, et peKt-W arriver un plus grand
malheur à l'homme que d'avoir pour guide
.^a pro|ire volonté? L'obéissance vous pré-
servera encore de ce funeste malheur. Au-
tant qu'il est dangereux de suivre sa volon-
té, autant l'homme soumis se met en silreté
hirsqu'd se conduit suivant la volonté de
rt-ux auxquels il est assujetli par l'ordre du
Seigneur. Voyez donc combien il est avan-
tageux d'obéir, et combien sont grands les
j)éiils dont on se délivre parle moyen de
l'<jbéissance.
Avez-voiis h délibérer? vous avez beau-
coup à craindre. Plus l'aifaire est impor-
lanle, plus vous avez lieu d'eulrer dans
de justes sentiments de défiance. De qui
donc avez-vous tant de sujet de vous défier ?
C'est de vous-mêmes et de vos propres con-
seiis.
Le Sage vous avertit de prendre sur cela
de salulaires p.'-écautions en vous défiant de
vous-mêmes, et en ne vous rapportant
pointa vous-mêmes. Prenez garde de nêtre
point sage à vos propres yeux. [Prov., lil, 7.)
Kire sage h ses propres jeux, c'est avoir
grande opinion de soi-mi&me, c'est croire
que l'on a beaucoup de prudence, c'est s'en
rapporter à son propre conseil. Voilà ce qui
est très-funeste selon l'avis du Sage, et voi-
là ce qu'il nous avertit d'éviter avec soin,
(|uand il nous marque qu'il est si dangereux
d'éire sage à nos propres yeux.
Il y eu a dans le monde un très-grand
nombre, en qui l'on aperçoit ce mauvais
caractère. Ce sont des gens prévenus en
Jour faveur, persuadés qu'ils pensent mieux
que les aulres. Dans leurs allaires les plus
inq)oriantes la délibération est courte, et
la résolution est bientôt furciée. Ils n'ont
(pj'eux à consulter. Les voilà donc détermi-
nés par leur proj^eavis. Les voilà si fermes,
que, quoi qu'on leur oppose, ils ne sont
l'oint disposés à revenir de leurs premiers
sentiments. N'est-il pas évident que ceux
qui suivent de si mauvais principes sont
très-accoutumés à se trooiper, et font ordi-
nairement de très-dangereuses chutes?
Il n'y a point d'allaire plus importante
que le choix d'un élat. C'est donc alors
j)arliculièrement que la délibération doit
élre longue, qu'on doit prendre toutes
sortes de précautions pour la rendre heu-
reuse. C'est alors qu'on a besoin d'un sage
conseil, et qu'on s'exjjoserait aux plus fu-
nestes malheurs si l'on était assez imprudent
jiour s'écouler soi-même et pour s'en rap-
])Oiterà soi-môn)e.
Vous voulez entrer dans l'état ecclésias-
tique, et vous le voulez, parce qu'il vous
])araît que cet élat vous convient. A qui
vous en êtes-vous ouvert, et à (|ui avez-
vous demandé conseil? Vous vous ôles
consulté vous-même,' et vous prétendez
n'avoir [)Oint besoin d'autre conseil, pour
former une aussi iu)portante résolution.
Connaissez le péril auquel vous vous ex-
j)Osez, et vous en serez ellrayé. Vous cou-
rez risque d'entrersans vocation, vous cou-
rez risque d'entrer dans l'Eglise comme ««
voleur. Arrêtez donc et concevez que votre
démarche est précipitée. Délibérez long-
temps, délibérez avec de sages conducteurs
(}ui aient toutes les lumières et toute la
droiture de cœur nécessaires pour vous
donner un conseil prudent.
C'est parliculièrement de l'état ecclésias-
tique dont il est vrai de dire qus l'on court
toutes sortes de périls, quand on y entre
par sa propre délibération. La véritable
disposition de celui qui connaît la sainteté
de cet état, c'est d'appréhender, c'est de
craindre de trop avancer, c'est de fuir, c'est
de s'en juger absolument indigne.
Etant sincèrement dans ces saintes dispo-
sitions, une voix supérieure vous appelle,
vous détermine, vous assure que vous pou-
vez avancer, et même vous le commande.
Pour lors vous évitez l'écueil, vous avez
tout lieu d'espérer. Qui donc vous donne le
droit de vous rassurer, et quel est le fonde-
ment de votre confiance? c'est votre docili-
té et votre obéissance. Ce n'est point vous
qui marchez et qui vous présentez, ce n'est
point votre propre conseil qui vous déter-
mine. Allez, l'état que vous embrassez est
à la vérité {)lein de périls, mais l'obéissance
doit vous rassurer. C'est une de ces préro-
gatives de délivrer l'homme des périls aux-
quels s'exposent ceux qui se déterminent
par leur propre conseil et par leur j)ropre
choix.
Il en sera de même de toutes les actions
que vous ferez dans la suite de votre vie.
Pour peu qu'elles soient importantes, pour
()eu qu'il y ait lieu de douter, soyez toujours
prompts à demander conseil.
Vous agissez par vous-même, vous suivez
votre inclination, vous vous déterminez
par caprice, vous voulez servir le Sei-
gneur à votre mode et selon votre humeur ;
craignez, défiez-vous de vous-même : rien
n'est plus commun que de se tromper, et
que de tomber quand on fuit de si mauvais
principes
Vous ne serez point exfiosé à de sembla-
bles périls, vous que je vois exact à suivre
en toutes choses l'ordre cpii vous est mar-
qué. Vous n'êtes ni hardi, ni entreprenant ;
vous ne craignez rien tant que de vous
produire et d'agir par vous-même ; vous
suivez pas à pas ce qui vous est prescrit,
et vous ne vous écartez jamais de la voie
qui vous est marquée ; marchez avec con-
liaiice. Quoique la voie soit pleine de pé-
rils, rassurez-vous; l'obéissance vous sou-
tient, vous êtes a|)[iuyé sur un solide fon-
dement. Celui-là donc est fort qui obéit,
qui se délie de lui-môme, qui dans toutes
ses actions est exact à" observer quel est
l'ordre de Dieu, et ce qu'il demande do
lui.
Ce qui doit vous rendre encore l'obéis-
sance plus précieuse, c'est qu'en la prati-
(piant vous renoncez à votre propre vo-
lonté.
Le grand ennemi de l'homme est au mi-
lieu de lui-même; apprenez à le connaître
atin de vous en délier. Ayez pour maxime
t-2i;o
RETUAITE FXCLIÎS. - XVllI, OHEISSANCE.
12T0
que vous devez le coniballre sans cesse.
Aulromeiit ce dangereux ennemi no cesse-
ra point devons faire des blessures mor-
telles.
Que d'insensi^s dans le monde qui s'ap-
plaudissenl à eux-mêmes? Le fondement
de leur joie c'est qu'ils sont libres de tout
joug, et qu'ils sont les maîtres d'eux-mô-
mes. Combien en voit-on à qui toute do-
luinalion est insupportable, et 'qui n'ont
point de f)lus grand désii que de s'en af-
iranciiirl Ce soni des enfants prodigues qui
p.' peuvent plus supporter le gouvernement
de leur père. Knneniis de leur bonheur,
parce qu'ils le sont de toute règle, ils veu-
lent absolumeut disposer d'eus-n^ênies.
Vous allez donc être votre maître et votre
conducteur. Que vous êtes à plaindre I vous
ne pourriez jamais choisir un guide [dus
trompeur.
Jugez de l'extrême malheur de celui qui
veut se conduire suivant sa jiropre volonté.
Lorsque Dieu, irrité contre l'homme, veut
1-e châtier dans sa colère, un de .ses châti-
meuis les plus sévères, c'est de le livrer h
lui-môme et de l'abandonner aux désirs de
son cœur. Je les ai abandonnés, dit Dieu,
aux désirs de leur cœur; ils suivront l'égare-
mtnl de leurs pensées. {Psal. LXXX, 13.)
Comment Dieua-t-il puni les nations infi-
dèles, lorsque, suivant aveuglément les
mouvements déréglés des passions les plus
brutales, elles ont provoqué sa colère
par les plus abominables crimes : il les a
livrés aux désirs de leur cœur, il les a livrés
à un sensréprouié. {Rom., XXIV, 28.)
Le premier homme irrite Dieu. Dieu
veut châtier sa rébellion, il veut donner
aux hommes un exem|)le qui les effraye,
et montrer par un châtimeni sévère qu'il
déleste l'iniquité. Observez donc quel est
ce rigoureux châtiment. L'homme, dit saint
Augustin, s'était plu en lui-même par §on
orgueil. La justice de Dieu, pour le châtier
d'une manière proportionnée à j'énormiié
de son crime, l'abandonne à lui-même (252).
C'est donc une terrible punition, c'est donc
une rigoureuse vengeance du Seigneur, que
n'être livré à soi-même, que d'être abandon-
na h sa |)ropre volonté.
Celui qui est dans la disfiosition d'obéir
ne craint point d'être frappé de cette peine.
Comme il est résolu de ne point suivre sa
volonté, il n'a point lieu de craindre que
Dieu pour le punir l'abandonne à sa prepre
volonté. Qu'il est donc avantageux d'obéir,
puisque l'obéissance met l'homme à cou-
vert de ces châtiments rigoureux, qui sont
tout ce qu'il y a de plus terrible et de [)lus
à ap[)réhender pendant que nous vivons sur
la terre.
En coîiii Jéranl ces effets salutaires de
l'obéissaui-e, peut-on s'empêcher de pro-
noncer qu'il est beaucoup plus avantageux
d'obé/rque de commander? Vous obéissez,
que volrtî condition est heureuse 1 Connais-
sez-en le bunheui', ne cherchez point h sor-
tir de votre étal, remcriMCz le Seigneur de
vous y avoir placé, et sentez combien vous
lui êtes redevable.
Il n'y a rien qui soit plus h craindre que
les places supérieures, dans lesquelles on
est revêtu de l'autorité. Instruisez-vous par
l'exemple des sainis. Ils ont fui, ils se sont
cachés, ils ont considéré les dignités ecclé-
siastiques comme un poids accablant. De
quoi donc, ont-ils été particulièrement ef-
frayés? C'est qu'ils savaient combien il est
périlleux de cooimander et do conduire-
V^)us voulez commander, et ce qui a si for-
tement effrayé les sainis ne vous épouvante
point?
Vouloir être maître, avoir do l'empresse-
ment pour les places qui élèvent au-dessus
des autres, c'est être ennemi de soi-même.
N'avons nous |)as assez à répondre de nous
sans nous charger encore de réjtondre des
autres? Doutez-vous que ceux qui comman-
dent ne soient chargés de rendre com|(le <i
Dieu de Ions ceux qui sont soumis à leur
autorité ?Kt voilà [lourquoi saint .Jacques
vous avertit de redouter et de fuir les pre-
mières places. Mes frères, vous dit cet apô-
tre, ne vous empressez point de devenir les
maîtres des autres, sachant que cette charge
vous expose â un jugement plus sévère. [Jac.
III, 1.)
Ne vous empressez point. Que direz-vous
donc de tous ceux qui s'ei!i[)resseni ? bien
loin d'imiter leur conduite, n'aurez-vous
pas compassion de leur aveuglement?
Je ne prétends pas condamner par là
tous ceux (pji sont élevés, et qui sont revê-
tus de l'autorité. Je les plains tous, mais je
ne les condamne pas. Il faut nécessairement
que les premières places soient remplies.
Il y en a que Dieu conduit et que Dieu ap-
pelle. Quoiqu'ils sentent le poids, quoi-
(jii'ils en connaissent toute la pesanteur,
ils auraient été criminels de ne pas obéir.
Quoique les périls soient grands, la grâce
du Seigneur est encore plus forte, ce Dieu
de bonté [irolège ceux qu'il appelle. Mais
voici ce qui me paraît évident après les
princi|)es que je vi"ens d'établir.
1. Tous ceux qui s'empressent pour ob-
tenir les premières places sont véritable-
ment des insensés qui ne savent ce qu'ils
désirent. Leur désir est criminel , leurs
poursuites sont téméraires. Ils se précipi-
tent eux-n)êmes dans le péril, et il est in-
faillible qu'ils y succomberont.
2. Si vous êtes sur les rangs pour être
élevé c"! une place qui vous donnerait de
l'autorité, et que l'on vous oublie, estimez-
vous heureux, rendez grâces au Seigneur,
gardez-vous de murmurer ou de vous
plaindre. C'est Dieu qui dispose souverai-
nement de toutes les choses de la terre, et
(]ui remet son autorité entre les mains de
qui il lui plaît. Si donc il vous écliappo des
plaintes et des murmures, c'est Dieu même,
vous dit saint Chrysostome (lioin. 3 in Act.
opost.), q[iQ vous osez aUaquer. Le fardeau
(252) t Quia <,u[)eibia sibi platueial, Dci jiistitia sii)i donaliis est. > (L XIV, Dcciiif. Dei, cap. 15.)
i271
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT
1272
vous oût peul-6lre accablé. Dieu n'a pas
pc^rmisque vous en fussiez chargé. Vous lui
êtes rodevable, vous devez être content île
passer vos jours occupé de vous, el déchargé
de la conduite des autres.
3. Ceux qui sont élevés aux premières
places doivent s'estimer très-naalheureux.
Ils ne doivent jamais cesser de craindre. Ils
doivent considérer leur dignité non pas
comme quelque chose de brillant et d'avan-
lageux, mais comme un poids très-lourd.
Ils doivent être sincèrement disposés à
obéir. S'il leur était libre défaire un choix,
ils devraient sans hésiter quitter leur état,
se dépouiller deleur autorité, pour embras-
ser la condition où l'on obéit, et oiî l'on
n"('st plus chargé du pesant fardeau de
gouverner les autres.
4. Que ceux qui obéissent soient péné*
très du bonheur de leur condition, et que
ce leur soit un motif pressant pour en rem-
plir les dev^oirs. Ils sont beaucoup plus en
sûreté que les autres, et par conséquent
beaucoup plus heureux.
Nous savons, dit saint Grégoire de Na-
zianze (Orat. 1, p. 20), qu'il est plus avan-
tageux d'être gouverné par un homme ha-
bile, qui soit notre conducteur dans la voie
du salut, que d'être nous-mêD)es les guides
des autres, et exposés à les conduire dans
des routes égarées. Heureux celui qui n'a
besoin de se servir que de ses oreilles pour
entendre ce qui lui est commandé, et qui
n'est [loinl obligé de se servir de sa langue
pour expliquer aux autres ce qu'ils sont
obligés d'observer 1
Il est sans comparaison plus sûr d'obéir
(lue de commander. Il est plus sûr d'écou-
ler que de parler, de recevoir conseil que
de le donner, de faire la volonté des autres,
que de faire sa volonté propre. Voilà les
saintes maximes que nous enseigne le sage
auteur de V Imitation de Notrc-Seigneur {\ib.
I, cap. 9, lib. 111, cap. 233), et qui nous
dfHveiit d'autant plus loucher, qu'il les a
(luisées (les saintes Ecritures et qu'elles
sont entièiement conformes à resi)rit de
Jésus-Christ.
Vous donc qui obéissez, jouissez de (ous
vos avantages En voici encore un qui est
Irès-considérable, et que j'ai rapporté com-
me un ti'osième avantage de l'obéissance.
Celte vertu a la force de sanctifier et de ren-
dre agréable à Dieu jus(}u'aux moindres ac-
tions.
Saint Augustin observe que Dieu com-
mande des choses qui sont de peu de con-
séquence, et qu'il en défend qui ne parais-
sent pas criminelles en elles-mêmes, el il
assure que Dieu a gardé cette conduite pour
faire voir que ce qui se fait par obéissance,
quoique peu de chose en soi-niônie, est
toujours considérable à ses jeux; et qu'au
contraire quand on désobéit, quoique ce
("255) « Si boiia esl, (iuare,noniarm,o? Si maiaest,
(|iii(i lacil in païailiso ?iNon laiigas (|uia obedieiileiii
le v(»lo. Non poiiiil Deiis peifecliiis domonslraiB
quaiiUiui sii bonuiii nbodieniin;, iiisi (uni proliibuil
soit en choses qui paraissent peu imporlan-
tes", on est toujours criminel.
Pour prouver cette maxime il. rapporte
l'exemple du premier homme. Dieu lui fait
une célèbre défense : Ne mangez point du
fruit de ce/ arôre. 11 semble, dit saint Au-
gustin, que le premier homme pouvait op-
poser ce raisonnemt^nt à la défense du Sei-
gneur : Si l'arbre est bon, pourquoi ne man-
gerai-je pas de son fruit ? Si l'arbre est mau-
vais, pourquoi l'avez-vous mis dans le
paradis? Mais tous les raisonnements de la
prudence humaine sont faux et trompeurs
quand ils sont opposés h la volonté du Sei-
gneur. Je vous défends de manger de co
fruit, parce que je veux que vous obéissiez.
Dieu, contiime saint Augustin, ne pouvait
rien employer de plus fort pour faire voir
le mérite de l'obéissance, que de défendre
ce qui n'est pas mauvais en soi-même; car
en ces occasions tout le mérite vient de
Tobéissance. Tout le crime est d'avoir été
rebelle et désobéissant (253).
Cessons de raisonner sur la faute de notre
premier père. Voulez-vous en un moten con-
naître toute rénormité?II a désobéi. Voilà ce
qui lel'era|)araîtr(^ infiniment criminel, quand
on considérera ce que c'est que Dieu, ce
que c'est que l'homme, et combien il est in-
juste que l'homme étant si peu de chose en
comparaison de Dieu, il ose se révolter
contre lui.
Concluez de ce grand principe de saint
Augustin, que celui qui obéit, quoique ce
soit en peu de chose, est toujours Irès-agréa-
ble à Dieu, parce qu'il est dans son ordre.
Concluez aussi que celui qui désobéit esl
toujours très-criminel, parce qu'il se sous-
trait à l'ordredu Seigneur.
Voici la plus excellente disposition où
puisse entrer celui qui veut assurer son
salut, autant qu'on le |)eut faire pendant le
temps de cette misérable vie.
Que vou\ez-vous donc faire et quels sont
vos sentiments? Je n'ai point de volonté,
je ne veux qu'une seule chose, je veux
obéir. Dt-meurerez-vous ce que vous êtes,
n'irez-vous point plus loin, et n'avancerez-
vous point dans les ordres sacrés? Je de-
meurerai ce que je suis, si l'on me laisse
dans mon état. Je me sens indigue d'aller
plus loin. J'avancerai néanmoins et je ne
résisterai point lorsque je serai légitime-
ment a|)pelé. Où Iravaillerez-vous, où exer-
cerez-vous voire saint ministère? Sera-ce
à la ville, sera-ce à la campagne ? Aurez-
vous un premier emploi, travaillerez-vous
sous les yeux et sous la conduite d'un au-
tre? J'irai où je croirai que je suis appelé,
etioù l'obéissance me conduira. Que celui
qui serait dans ces sentiments s'attirerait
de glaces! Ce serait Dieu qui l'appelle-
rait, ce serait Dieu qui le conduirait et qui
serait son protecteur perpétuel.
al) ca re (\i\x non erat main; sola eniiii ilti ol>e(litn-
lia lei.el pahiiani, .«(ila iuoboiiiciiUa invoiiil jKjunaiu »
{h.iuirr. in psnl. L\.\.)
1>2TÔ
RETRAITE ECOLES. — XVllI. OBEISSANCE.
1274
Je n'en vois point de plus heureux que
ceux qui sont dans des communautés ré-
glées, qui peuvent se conduire de telle
manière qu'ils obéissent dans toutes les ac-
titfisde leur vie. L'ohéissance est pour eux
une source conlinuellede niériti% et il n'y a
jiointde moment dans leipiel ils ne puissent
amasser des trésors pour le ciel. Car voici
des principes incontestables et qui seront
toujours d'une merveilleuse consolation
})0ur ceux qui ont reçu du ciel un esprit
docile et obéissant.
J'avance, en premier lieu, que celui qui
obéit doit être dans un parfait repos. Qu'il
ne se mette point en peine, qu'il ne soit
agité d'aucun trouble. Jl est dans l'ordre
de Dieu. Ce qu'il fait parait peu de cho-
se. Non, ce n'est point peu de chose.
L'obéissance en relève le mérite. Il obéit.
Quelque raisonnement qu'il forme, quel pies
elforts qu'il tente, il ne i)eut rien faiie
de meilleur, ni qui soit plus agréable à
Dieu.
J'avance, en second lieu, qu'il vaut beau-
coup mieux faire en. obéissant ce qui [)araît
peu imjjortant devant les hommes, que do
se soustraire à l'obéissance pour s'appli-
quer par son propre es|)rit et [)ar son pro-
jire mouvement <i des choses que l'on croit
d'un ordre supérieur et beaucoup plus im-
portantes.
L'un dit qu'il n'a pas le temps de priiT,
l'autre se plaint qu'on ne veut [tas lui per-
mettre de pratiquer lesaustérités pour les-
quelles ils se sent beaucoup d'attrait.
C'est une cliose très-excellente que de
donner beaucoup de leiups à la |)rière,
c'est une chose très-excellente que de chA-
tier son corps et de le réduire en servitude
par la mortitication. Mais c'est encore une
chose bien plus excellente (luo d'obéir, et
que de se tenir constamment dans l'ordre
lie Dieu.
Ce que vous faites est très-vil. C'est tout
ce qu'il y a de plus abject et de |ilus mé-
prisable dans la maison. Mais vous êies
dans votre place et vous faites ce qui vous
csi prescrit. Tenez-vous comme vous êtes,
et regardez comme des tentations (ouïes
l(;s pensées qui vous troublent. Ap|)liqué
à votre devoir, vous êtes dans un état
plus agréable h Dieu que si vous étiez
liumb'ement prosterné dans son temple.
Le Sage a eu raison de dire que chaque
choses avaient leur temps. [Eccli., \\\.) Vous
|)rierez d;ms le temps de la prière, vous
travaillerez dans le tenifis du travail, vous
serez api)liqué à l'étude dans le temps (i(i
l'étude. L'obéissance comprend tous les
temps. Jamais vous ne faites p'us sûre-
ment la volonté de DieUj (juc quand vous
vous dépouillez de votre projire volonté
pour vous soumettre h l'empire de ceux
8 qui Dieu a donné autorité sur vous.
J'avance encore un troisième principe,
dont la vérité ne peut être contestée, et le-
(piel étant éclairci servira beaucoup à vous
faire voir condjien l'obéissance doit être
précieuse au chiélieii. Dieu veut que
l'homme soit si fidèle à l'obéissance, qu'il
condamnerait môme celui qui pécherait
contre cette vertu sous un faux prétexte de
lui rendre des honneurs qu'il est (rès-éloi-
gné d'exiger.
Vous avez dans l'Ecriture un exemple
célèbre pour établir la vérité de ce prin-
cipe.
Saiil reçoit les ordres du Seign?ur. Il lui
est commandé de combattre les Amaléciles
et de les détruire etilièrement sans rien
épargner, et sans réserver la moindre chose
de ce qui leur appartenait. Saùl épargne
Agag, roi des Amalécites. Le peuple ré-
serve ce qu'il y avait de meilleur dans les
troupeaux. Il n'y eut jamais un prétexte
dus spécieux que celui qui fut employé
pour colorer cette désobéissance. Ces trou-
peaux sont réservés pour les immoler à Dieu.
Sacrifice que Dieu détestera. Sonl-ce là les
victimes que Dieu veut qu'on lui imm(de?
Le sacritice de l'obéissance, l'hommage
de nos cœurs et de nos volontés, voilà
les hosties que Dieu demande. (î Reg., XV.)
Mais prenez garde aux paroles suivantes
de l'Ecriture et méditez do quelle manière
elle \)?iv\e de la désobéissance, même dans
l'hypothèse que nous examinons. L'Kcritu-
re dit expressément que ce crime est une
espè(;e de magie, et que toute la niallco da
l'idoiatrie se trouve dans celte désobéis-
sance. Vous le concevrez aisément quand
vous considérerez que cet homme ne veut
obéir qu'à lui-môme, qu'il se fait une idole
passion et de sa propre volonté.
Il n'y a [loint de |)rétexte pour se dis-
penser d'obéir, puisque celui-là même de
la (liété est un faux prétexte, et qui ne peut
jamais diminuer le crime de la désobéis-
de sa sance.
Que la méditation de ces vérités console
res âmes simples et timides, qui se délient
d'elles-mêmes, qui craignent que quand
elles paraîtront devant Dieu, il ne leur re-
proche que leursœuvres ne sont paspleines,
et qu'elles n'ont rien fait pour lui. Encou-
ragez-vous, vous faites beaucouf) si vous
ohi^issez. Croyez-vous que ce qui plaît da-
vantage à Dieu soit ce qui fait plus de bruit,
et ce qui éclate davantage? Dieu ne s'est-il
pas déclaré pour les plus humilies, t)Our
ceux qui se cachent et qui se renrernient
dans leurs devoirs ?Confirmez-:vous de plus
en plus dans la résolution (J'obéir, a.bandon-
nez-vous au Seigneur et vous reposez sur
ses bontés.
Vous voyez donc que l'obéissance est
une vertu très-recommandable, et rpi'il est
très-avantageux au chrétien de vivre dans
une pratique exacte de cette vertu.
Convaincus de ces vérités, résolus plus
que jamais de vivre dans l'obéissance, per-
suadés que c'est là votre véritable intérêt,
et le moyen le |)lus assuré pour plaire à
Dieu; appliquez-vous à connaîlrc les qua-
lités que doit avoir l'obéissance, je vais vous
les ex(ili(|uer dans la seconde pailie de cet
entretien.
1275
ORATKURS SACRES
DEUXIÈME POINT.
JOSEPH LAMBERT.
127G
L'obéissance doit avoir trois qualités.
Klle (loit être prompte, entière et de
cœtir.
Elle doit ôtre prompte. Pendant que
vous diGTérez (4'obéir, votre cœur est rebel-
le. Vous désobéissez, vous péchez contre
l'obéiss.ince.
Elle doit être entière. Obéir dans de cer-
taines choses et ne pas obéir en d'autres,
c'est encore suivre sa volonté, ce n'est pas
obéir.
Elle doit être de cœur. Car ce n'est pas
seuleipent aux hommes qu'il est question
d'oliéir: c'est à Dieu qui voit le cœur, et
qui n'est jamais content de nos hommages,
h moins qu'il ne soit ie maître de nos
cœurs.
L'obéissance doit être prompte. Prenons
pour modèle de notre obéissance les saints
apôtres qui sont les premiers prêtres que
Jésus-Christ a consacrés. Voyons quelle a
été leur obéissance. Jésus-Christ les appelle
à lui. Aussitôt ils obéissent et ils n'appor-
tent aucun retardement. [Matth., IV, 20)
On lie peut pas dire que les apôtres
n'avaient rien qui les retînt. L'Evangile
remar(jue expressément qu'iVs quittèrent
tout pour suivre Jésus-Christ. Les apôtres
étaient pauvres. Leur domaine se réduisait
?i peu de chose. Mais l'on sait qu'il faut
très-peu de chose pour attacher le cœur de
l'homme. Le pauvre est attaché au peu qu'il
I)ossède, aussi bien que le riche à ses im-
menses trésors.
C'est toujours beaucoup quitter que
d'abatidonner tout ce que l'on possède et
(juc do déjiouiller son cœur de toute afTec-
lion i)our les choses de la terre. Les apô-
tres donc doivent nous servir de modèles,
en ce qu'ils ont tout quitté et que rien ne
les a relardés lorsque Jésus-Christ leur
a fait la miséricorde de les appeler à lui.
Ce saint exemple condamne tant d'ecclé-
siastiques dont il s'en faut beaucoup que
l'obéissance soit aussi prompte que celle
des apôtres. Ils sont appelés au service de
l'Eglise dans un lieu où ils pourraient faire
beaucoup de fruit. Celui qui les appelle
est celui-là même à qui Jésus-Christ a
donné autorité sur eux. Mais pour cela il
faudrait rompre de certains nœuds qui ser-
rent étroitement. On cherche des prétextes
etdesraisonsdedispen.se. On n'est point
en disposition de tout Quitter. Ou l'on
n'obéit |)oinl, ou l'on n'obéit qu'à la der-
nière extrémité, et lorsqu'on ne peut |)lus
résister. Est-ce là une obéissance piomj)te?
Est-ce imiter la conduite de ceux qui ont
obéi aussitôt qu'ils ont été appelés, et
qui ont tout quitté pour suivre Jésus-
Christ ?
Quand vous reculez ainsi, et que vous
témoignez tant de dinicuHés avant que de
vous soumettre, allons jusqu'au principe.
Examinons ce qui se i)asse dans votre cœur,
et voyons quelle est la source de vos relar-
demeiits. N'csl-ce point un reste d'amour-
propre qui vous rend encore rebelle? S'il
n'y avait plus d'orgueil en vous, si la lêto
du serpent était écrasée, résisteriez- vous
avec tant d'obstination ? Examinez-vous
vous-tiiême, et ne vous épargnez point. Vous
ne pouvez dissimuler que vous ne soyez
encore très-attaché à votre propre volonté.
Vous avez donc beaucoup à travailler.
Vous avez un grand ennemi à vaincre, qui
est voire amour-propre et votre orgueil.
Surmontez cet ennemi dangereux, et pour
lors vous vous accoutumerez aisément à
obéir. Vous ne chercherez plus de prétexte
pour vous en dispenser. Vous serez con-
vaincu que quand vos supérieurs vous ap-
pcllenl, c'est Dieu même qui s'explique par
leur bouche, et que do leur résister, c'est se
révolter contre les ordres du Seigneur.
Car vous n'en devez point douter. J'ai
peine même à mettre la chose en question,
tant elle est évidente et certaine. De qui
vient l'autorité que nos supérieurs exercent
sur nous? Est-on obligé de leur obéir, et de
leur obéir aussi promptement qu'à Dieu
même ?
L'autorité des supérieurs vient de Dieu.
C'est une vérité qui ne peut être contestée.
Que toute personne, dit saint Paul, soit sou-
mise aux puissances supérieures, car il n'y a
point de puissance qui ne vienne de Dieu.
{Rom., Xlil,l.) Si tou!e puissance vient de
Dieu, ceux qui sont nos conducteurs, qui
veillent sur nos âmes et qui doivent en ren-
dre compte (Hebr., Xlil, 17), ont encore à
plus forte raison reçu toute leur puissance
de Dieu.
C'est donc le Seigneur qui est l'auteur de
cet ordre si légitime qui soumet les infé-
rieurs à leurs supérieurs. C'est lui qui a
établi les uns pour être apôtres, les autres
pour être prophètes, les autres pour être
évangélisles, les autres pour être pasteurs
et docteurs. [Ephes., IV, II.)
Parmi les pasteurs il a voulu qu'il y eût
de la subordination, que les uns veillassent
sur les autres, et qu'ils eussent autorité de
les conduire et de les réformer. C'est le
Saint-Esprit qui a établi les évêques pour
gouverner l'Eglise de Dieu, quil a acquise
par son sang. (Act,, XX, 28 ) Il y en a un,
le premier de tous, qui s'appelle Pierre, sur
lequel l'Eglise est bàlie. {Matth., XVI.) Cet
ordre de pasteurs établi par Jésus-Christ
subsistera dans toute la suite des siècles. Il
doit être inviolablernent gardé, et il est ab-
solument nécessaire pour le maintien de
l'Eglise.
Voilà donc une autorité bien établie qui
vient très-certainement de Dieu. Résister
à cette autorité, c'est résister a Dieu même.
Cette vérité doit être considérée avec beau-
coup d'attention, et rien n'est plus fort pour
retenir les inférieurs dans le respect et la
soumission qu'ils doivent à leurs supérieurs.
Jésus-Chrisl s'en est clairement expliqué ;
il a dit en parlant à ses apôtres : Celui qui
vous écoute ni écoute, celui qui vous méprise
■})ir méprise. Celui qui me méprise, méprise
relui qui m'a envoyé. [Luc, X, 16.1 Y tint-un
1277
RETRAITE ECCLES. — XVllI, OBEISSANCE
1278
riMlexion? El si l'on LUailpénélré de ces vé-
rités, les résislances seraient- elles aussi
fréquentes el aussi opiniâtres qu'on le re-
marque?
Celui qui est docile, celui qui connaît le
caractère de Dieu vivement marqué sur le
front de ses supérieurs, comment leur obéit-
il '/comme à Jésus-Christ. {Ephes.,\l, 5, 6.)
Ce sont les termes de saint Paul.
Que ceux-là sont éloignés de cette obéis-
sance simple el filiale, qui, selon le langage
du même Apôtre, n'obéissent qu'à l'œil, qui
ne pensent qu'à plaire aux hommes.
Les, vrais serviteurs ont des vues bien
plus élevées. Ils ne songent qu'à Jésus-
Christ, ils le regardent tîxement, ils recon-
naissent, ils adorenl sa puissance, ils se
font un devoir essentiel de s'y soumettre,
et voilà le motif de cette obéissance prompte
que rien n'arrête, parce qu'on est convaincu
que c'est à Dieu qu'on la rend et qu'on ne
peut lui obéir trop promptement.
L'obéissance, en second lieu, doit être en-
tière. Celui qui est soumis en de certaines
choses et ne l'est point en d'autres obéit
par caprice ; il n'a point l'esprit d'obéis-
sance, et dans la vérité il n'obéit point.
Saint Jacques dit que quiconque ayant
gardé toute la l'ai, la viole en un seul point,
est coupable comme l'ayant toute violée,
{lac, II, 10.) Quiconque donc consent d'o-
béir en de certains points et refuse d'obéir
en d'autres est un rebelle, et Dieu le consi-
dère comme un homme qui vit dans une
désobéissance perpétuelle.
Un viai modèle d'obéissance c'est Abra-
ham : voyez sa généreuse disposition, il
est toujours préparé à obéir. Dieu peut met-
tre son obéissance aux épreuves les plus
difficiles ; jamais il ne trouvera aucune op-
pooition dans ce serviteur fidèle.
Comme l'esprit de l'homme est |)lein de
caprices, les uns seront dans une disposi-
lion el les autres auronidessentimenls con-
traires.
L'un dira, je ne puis obéir, car on abuse
de ma facilité, et ce que l'on me demande
est trop au-dessous de moi.
L'autre, au contraire, se plaindra qu'il
ne peut obéir, parce qu'on raccal>le et que
ce qu'on lui ordonne est au-dessus do ses
forces. Dispositions également criminelles
et qui font voir la révolte du cœur.
Celui qui a l'esprit d'obéissance est très-
éioigné de donner entrée dans son cœur à
de si pernicieuses pensées. Mais voici la
vraie situation de l'homme obéissant : il
n'examine rien-, il suffit qu'on lui com-
mande et qu'on lui donne lieu d'obéir.
Vous le voyez entièrement appliqué aux
I)elites choses, vous le voyez dans les af-
faires importantes et difficiles, faisant de
généreux efforts pour surmonter les obsta-
cles sans jamais se rebuter.
Ce qu'on vous commande, dites-vous, est
trop peu de chose; cet emploi esl au-des-
sous de vous, vous vous sentez des tulenls,
vous vous feriez un plaisir d'obéir si l'on
rendait justice à votre mérite, et si l'on vous
appliquait à des travaux dignes de vous.
N'apercevez-vous pas vous-même dans
ces sentiments un esprit d'orgueil entière-
ment opposé à l'esprit de Jésus-Christ ? La
bonne opinion (|ue vousavoz de vous-même
est la source do votre résistance. Vous
croyez donc beaucoup valoir? Pouvez-vous
jamais concevoir une pensée plus dange-
reuse el plus mortelle pour vous , el ne dc-
vriez-vous pas vous porter à obéir dans les
moindres choses, quand ce ne serait que
pour condamner d'aussi pernicieux senti-
ments que ceux qui vous poussent à ré-
sister?
L'emploi est au-dessous de vous. Peut-il
y avoir aucun emploi ecclésiastique au-des-
sous de vous, et la moindre place dans la
maison du Seigneur ne sur|)asse-t-plle pas
les mérites de l'homme le plus accompli?
Y a-t-il aucun ecclésiastique lequel dans
son cœur ne doive s'eslimcr trop honoré
d'exercer les plus petits emplois? Les œu-
vres abandonnées, cet emploi où il y a
moins à craindre du côté de l'amour-propre,
le service des pauvres, voilà ce que devrait
rechercher un ecclésiastique, pour peu qu'il
eût du zèle pour son salul el pour celui de
son prochain.
Soyez convaincus de la grande maxime
de saint Grégoire de Nazianze (Oral. 10,
p. 165), quand il dit excellemment que lors-
qu'on est assez heureux pour servir le Sei-
gneur, quoiqu'on occupe la dernière place,
on esl plus élevé que ceux qui parviennent
aux dignités les plus éminentes dans les
palais des empereurs.
C'est donc un mauvais caractère que le
refus d'obéissance dans les choses que nous
croyons au-dessous de nous. Jésus-Christ
a recommandé Irès-élroilemenl la fidélité
dans les polites choses, quand il a dit : Celui
qui esl fidèle dans les petites cfioses, sera fi'
dèle aussi dans les grandes, el celui qui esl in-
juste dcns les petites choses, sera aussi in-
juste dans /es grandes. [Luc, XVI, 10.) C'est-
à-dire que Jésus-Christ veut dans le cœur
de l'homme ; une disposition générale à
obéir en toutes choses. Celui qui esl dans
celte disposition ne l'ait aucune distinction ;
il ne cherche qu'à obéir, il est donc toujours
également exact. Celui qui obéil quand les
choses lui plaisent, qui n'obéit point quand
elles lui .soi'.t désagréables et qu'elles ne
lui conviennent point, n'obéit pas à Dieu,
il obéit à son amour-propre et il suit sa
|)assion.
Saint Jérôme suppose que les fondements
les plus solides de la vie spirituelle ne peu-
vent subsister sans une exacte fidélité dans
les plus [icliles choses. C'est ce qui lui fait
dire que les choses qui paraissent les plus
petites et les moins importantes, sont dans
la vérité d'une grande conséquence, el qu'il
esl très-criminel de les mépriser (954^).
Tous ces hommes superbes qui dédai-
(-2^4) I >' iri Sun! conlcmneiuia qua^i iKir>a biiip quibus magna consislcrc non possunl. t ( Vrf Lalam.)
«79
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT
12S0
Sfs commandements, et ses commandements ne
sont point pénibles. (I Joan^ V, 3 ) Ils no
sont point pénibles quand l'amour les fait
garder. Us vous paraissent pc^nibles, c'est
que voire cœur est plein de l'amour du
monde et de vous-même, et vide de l'amour
de l)ieu.
Saint Augustin fait parler le Seigneur 'et
lui met dans la bouche ces plaintes qui sont
si raisonnables : L'avarice commande les
choses les plus dures, voyez ce que j'or-
donne et faites-en la comparaison: l'avarice
commande de passer les niers, d'aller dans
les pays les plus inconnus, do s'exposer à
mille périls; l'avarice estobéie, toutes mes
lois sont rejelées. N'esl-il pas honteux que
le monde ait plus d'autorité que Dieu?
Qu'on oppose de continuelles difficultés
quand c'est Dieu qui parle, qu'on en sur-
monte tous les jours de plus considéra-
bles quand il est question de plaire au
monde (235).
Vous donc qui daviS l'exercice de votre
pénible emploi vous sentez troublé des
obstacles qui se présentent, considérez pour
vous rassurer quel est celui qui vous a
chargé de son joug. C'est pour Dieu que
vous combattez, c'est on présence de Jésus-
Christ, et les anges sont témoins de voire
zèle. Si Jésus-Clii ist vous voit plein de cou-
rage, s'il voit que vous renouvelez votre
ferveur, parce que votre plus grand désir
est de lui plaire, il vous mettra au rang do
ses bien-aimés serviteurs. Mais, au con-
traire, si vous vous rebutez, si vous cédez
Jâchement, si vous donnez entrée dans votre
cœur à la défiance, à l'ennui, quels repro-
ches n'aurez-vous pas à essuyer de la part
de celui qui vous a si fortement animé par
son exemple et par ses promesses?
Obéissez, tenez-vous dans le lieu où Dieu
vous a placés; non-seulement soyez fidèles
en toutes choses, mais obéissez de cœur.
C'est le troisième caractère de l'oliéissance.
Elle doit être de cœur. L'action extérieure
n'est que le dehors et la surface. Dieu veut
Je cœur, et ceux-ià seulement sont réputés
obéissants qui sentent dans lecœur ce qu'ils
témoignent au dehors par leurs actions.
C'est un princi})e général, dans tout ce
que Dieu ordonne, ce qu'il demande en pre-
mier lieu c'est le cœur. Dieu vous com-
mande-t-il de faire l'auϙne, il veut que
vous la fassiez de cœur, et il vous déclare
qu'il aime celui qui donne avec joie. (116'or ,
IX, 7.) Dieu nous demande-t-il des œuvres,
des hommages extérieurs, des témoignages
do notre dépendance, il nous déclare que si
ces œuvres ne partent du cœur, il nous re-
jettera avec ce ()euple hypocrite qui l'honore
des lèvres pendant que leur cœur est éloi-
gné dû lui. {Matlh., XV, 8.)
Dieu voit l'homme criminel. Il n'a pas
encore commis le [léché, mais le dessein
en est formé dans le cœur : c'en est assez,
il est cou[)able, il a déjà commis le crime,
(2.=i5) I Dura jubet, levia julieo. Jubet avarilia ul mare Iranseas. Quia avaiilia iinpcral servis, quia
P^iis jiibcl od;Sli. > (7)1 /)««/. CXXVlll.)
gnent et qui Fûéprisent ce qui leur paraît
au-dessous d'eux, sont condamnés dans
la personne de Naaman le Syrien. (IV Reg.,
V.) Il vient trouver le prophète Elysée avec
un équipage superbe. Le prophète lui fait
dire de se laver sept fois dans les eaux du
Jourdain et il l'assure qu'il sera guéri. Naa-
man se relire en colère : Je croyais, dit-il,
qnil me viendrait trouver, et que, se tenant
debout, il invoquerait le nom du Seigneur
son Dieu, qu'il toucherait de sa main tua
lèpre, et quil me guérirait. Kavons-nous
pas à Damas les fleuves d'Albana et de Phar-
phar qui sont meilleurs que ceux d'Israël?
(IV Reg., V, 11.) Les serviteurs plus sages
que le maître lui donnèrent un excellent
avis : Si le prophète vous avait ordonné quel-
que chose de difficile, voxis auriez dû le faire;
combien donc devez-vous plutôt lui obéir
lorsqu'il vous dit : allez vous laver et vous
serez guéri? (lOid.) Le maître fut docile,
il profita de l'avis île ses serviteurs; il
se lava se|>t fois dans les eaux du Jourdain
et il fut parfaitement guéri.
11 ya donc une très-grande bénédiction
attachée à l'obéissance lidèle dans les [)e-
tiles choses : il y a beaucoup plus d'humi-
lité, et par conséquant beaucouf) plus de
mérite. Qu'avez-vous à chercher sinon de
plaire à Dieu? Pouvezvousdouler que vous
ne lui |)laisiez quand il voit que pour l'a-
mour de lui vous' vous portez de tout votre
cœur àdes exercices humiliants et qui mor-
tifient l'amour-propre ? Laissez donc le
monde dans ses erreurs, laissez-le se re-
paître de ses idées vaines; cherchez le bon-
Iieur solide, mettez-vous en peine de plaire
à Dieu, et considérez le reste comme de la
fumée el comme un néant.
Après avoir été appliqué h de petites
choses, la Providence i)ermettra peut-être
que sans le rechercher vous serez élevé.
Vous serez ajipeléàdes choses plus impor-
tantes et plus difficiles. Pour lors prenez
garde à ne pas tomber dans l'autre extré-
mité. Ne soyez point de ceux qui se plai-
gnent, qui murmurent, qui s'elTrayent des
difficultés; conservez toujours le même es-
prit de docilité, el la môme ardeur pour
l'obéissance; que votre principe soit que
vous voulez obéir, qu'il n'y a rien de plus
avantageux el de plus glorieux au chrétien
que d'être tidèle.
Joignez à ce principe un aulre qui aura
encore plus de force pour vous soutenir,
c'est que celui qui vous commande mérite
toutes vos ardeurs, tout votre amour, tous
les empressements de votre cœur.
Excellent moyen pour surmonter les dif-
ficultés que d'aimer de loul son cœur celui
qui nous commande. La loi de Dieu nous
paraîl-elle difficile, c'est que nous avons
peu d'amour. La loi de Dieu est douce dans
tout ce qu'elle contient à celui dont le cœur
est plein de charité. L'amour, dit saint Jean,
que nous avons pour Dieu consiste à garder
1-281
RETRAITE ECCLES.
puisque le crime est dans son cœur. {Maith.,
V, 28.)
Ceux-là ddplaisenlà Dieu et lui sont Irôs-
désagréabics, dont le cœur hypocrite désa-
voue les actions qu'ils sont obligés de faire
par des raisons de bienséance ou d'autres
considérations humaines.
Ceux-là déplaisent à Dieu dont le cœur
est plein de défiance et de murmure. Saint
Paul nous avertit de ne [)oinl tomber dans
celte faute et il nous donne ce conseil sa-
lutaire : Faites toutes choses sans murmures.
{Philip., \l, il.)
C'était la coutume et le défaut du peuple
juif. 11 a tant de fois irrité Dieu par ses dé-
liances et par ses murmurf-s. J'entends le
Seigneur qui s'en j)laint d'une manière si
touchante : Jusqu'à quand ce peuple impie et
ingrat murmurera -t-il contre moi? [Num.,
XIV, 27.)
Vous savez comment ce peuple a été châ-
tié et quelle rigueur Dieu a exercée contre
lui. Saint Paul fait mention du crime de ces
rebelles et de la manière rigoureuse dont
Dieu les a punis, quand il nous dit : Ne mur-
murez point comme murmurèrent quelques-
uns qui furent frappés de la mort par l'ange
exterminateur, (1 Cor., X, 10.)
Ce que Dieu punissait dans l'ancienne
loi d'une manière visible, il le punit dans
la nouvelle d'une manière invisible, mais
beaucoup plus rigoureuse. Craignons donc
la juste colère du Seigneur, et prenons
garde de ne le pointirriler. Pour cela, obéis-
sons non passeulementcomme des horiimes
qui craignent, mais comme des enfants qui
sont reii'piis d'amour et de respect pour
leur père, et qui se font un plaisir de lui
ùtre fidèles en toutes choses.
Vous obéissez, mais c'est par contrainte.
Pendant que vous pratiquez extérieurement
ce qui vous est commandé, vous vous ré-
voltez en dedans de vous-même, quelque-
lois même vous n'avez pas assez d'empire
sur vous pour dissimuler vos sentiments, et
par des réponses qui marquent votre indo-
cilité, vous contrislez ceux h qui Dieu a
donné autorité sur vous. Que vous arrive-
ra-t-il? vous obéirez, vous en aurez toute
la peine, mais vous obéirez sans fruit. Au
lieuque si vous vous ap()liquiez à vous sur-
monter vous-même et à dompter les ré-
voltes de votre i.œur, Dieu recevrait voire
sacrifice, ce serait un sacrifice de bonne
odeur. Vous serez toujours au rang des es-
claves, parce que vous murmurez et que
vous n'agissez que par crainte. Combien
devriez-vous souhaiter d'êlre au rang des
enfants? Agissez donc par amour.
Quand Dieu commande, dit saint Augus-
tin, il n'est plus question ni de disputer, ni
de iJéiibérer, ni de contredire, niais il s'agit
uniquement d'obéir avec sincérité (236).
•Puissiez-vous entrer dans les senlimenls
du saint prophète David, quand il dità Dieu
(\{i'i\ crie de tout son cœui', qu'il le chercbe
de tout sua cœur, qu'il aime sa loi, et qu'il
— WIII, OBE-ISSANGE. 12^2
la gardera de tout son cœur. [Psal. CXVIII,'
10, 34, IW, 113.)
Voilà un homme vraiment obéissant, son
obéissance a toutes les qualités de la vraie
obéissance. Imitez ce saint modèle, que
vous puissiez dira aussi bien que lui que
vous aimez de tout votre cœur, que vous
gardez la loi de tout voire cœur.
Il ne me reste plus qu'à éclaircir une diffi-
rullé, c'est de savoir si toutes les fois que
l'on sent au milieu de son cœur des répu-
gnances et des soulèvements, on est assez
malheureux pour être au rang de ceux qui
murmurent et qui n'obéissent point de
cœur.
Non, gardez-vous bien d'avoir une telle
pensée, elle pourrait vous troubler et vous
[)ersuader que vous n'obéissez point, quoi-
que vous soyez au rang des serviteurs fi-
dèles.
Il faut exactement distinguer entre les
répugnances que nous nous appliquons à
vaincre, et des répugnances que nous en-
tretenons volontairement sans faire de sé-
rieux eCforts pour les surmonter.
Ceux dont le cœur est plein de soulève-
ments et qui ne travaillent point à les vain-
cre sont véritablement rebelles. Ils peuvent
s'appliquer tout ce que je viens de dire
contre ceux qui n'obéissent point de cœur.
Il n'en est pas de même de ceux qui com-
battent fidèlement. Il est vrai qu'ils sentent
au milieu de leur cœur de grandes résis-
tances. Il est vrai que l'obéissance leur
coûte beaucoup; mais appliquons-nous à
connaître la nature de leur répugnance. Ce
sontd^s sentimeuls involontaires ; c'est \n
loi des membres qui résiste à la loi de 1 es-
prit ; ce qui est corrompu en vous ne veut
pas obéir, mais ce qui est rectifié par la
grâce triomphe et se porte à l'obéissance.
Consolez-vous, exercez-vous au combat; la
résistance que vous éprouvez rend voire
obéissance plus parfaite, coniinuez h vain-
cre. Encore une fois, soyez [)lein de conso-
lation, vous êtes de ceux qui obéisseiit de
cœur.
Voilà les vérités dont j'avais à vous ins-
truire pour vous encourager à vivre dans
la pratique de l'obéissance. Je vous ai fait
voir combien il est avantageux d'obéir, je
vousai ex[)liquélesqualités quedoitavoir la
vraie obéissance.
Travaillons sérieusement à nous surmon-
ter et à nous dépouiller de notre propre vo-
lonté. Comment ne serions-nous pas dis-
posés à y renoncer, après avoir remarqué
tout ce qu'il nous en coûte d'en avoir été
les esclaves?
Jésus-Christ reconnaissant que rien ne
nous était plus funeste que d'oîiéir à notre
propre volonté, nousa marqué en tant d'en-
droits de l'Evangile que la première condi-
tion pour ôlie au rang de ses disciples était
de renoncer à soi-même et à sa propre vo-
lonté. [Matth., XVI, 24.) Jésus-Christ veut
que ceux qui .^ont à lui renoncent à eux-
(25G) « Divino intonante prœcepto obeJienduin, non dispulandum. » (Lib. XVI De civ. Dei, ch\k 32 )
W85
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
4284
mômes; le fondement do ce précepte c'est
que nous portons au milieu de nous la source
du péché. Je sais, dit saint Paul, quil n'y
arien de bon en moi, mais que le pèche habite
en moi. {Rom., VII, 17, 18.) C'est à nous de
détruire ce funeste principe du péclié qui
est au milieu de nous. Nous le fortifions
en suivant notre propre volonté, nous le
détruisons en la combattant. C'est donc par-
ticulièrement en renonçant à notre propre
volonté et en la combattant, que nous ob-
servons le précepte du Sauveur qui nous
oblige de renoncera nous-mêmes et de nous
haïr.
Vous savez ce que le Fils de Dieu ajoute:
Celui qui aime sa vie la perdra, mais celui qui
hait sa vie en ce monde la conservera pour la
vie éternelle. {Joan., XII, 25.) Renonçons
donc à nous-mêmes, combattons-nous, h&ïs-
sons-nous, captivons-nous par l'obéissance,
renonçons à une malheureuse liberté qui
ne nous porte qu'au dérèglement. C'est le
moyen d'être à Jésus-Christ, de nous aimer
véritablement, de retrouver une heureuse
liberté dans le ciel, oii nous serons d'au-
tant plus libres que nous ne pourrons plus
jamais nous détacher de celui qui doit
faire notre bonheur et notre récompense
dans réternité.
DISCOURS XIX.
DE l'office divin.
Dieu impose auï ecclésiastiques de gran-
des obligations, mais en même temps il
leur fournit de puissants secours pour les
bien accomplir. Dieu veut que les ecclésias-
tiques soient continuellement appliqués à
se sanctifier. Un prêtre doit déjà avoir fait
de grands progrès. Un prêtre doit tous les
jours travailler de plus en plus à croître
en sainteté.
Dieu a fourni aux ecclésiastiques plu-
sieurs secours pour acquérir cette sainteté
éminente à laquelle il les appelle. Parmi
ces secours un des principaux, qu'il leur
met entre les mains c'est la prière. Un prê-
tre par la prière peut obtenir ce qui est
au-dessus de ses forces ; c'est un homme
à qui Dieu commande d'être saint, mais
c'est un homme qui peut s'adressera Dieu
et que Dieu est prêt d'écouter, pourvu qu'il
lui offre de ces prières ardentes qui ont
tant de force auprès de lui.
Ainsi, comme un ecclésiastique doit être
plus saint que les autres, aussi il est plus
obligé de prier. El voilà sans doute l'origine
de l'obligation que l'Eglise a imposée aux
ecclésiastiques d'offrir à Dieu tous les jours
des prières. Ce sont des armes puissantes
qu'elle leur met entre les mains pour se dé-
pendre contre leurs ennemis. Ce sont
des moyens' eiTicaces pour obtenir ce qui
leur manque. Ce sont de fermes soutiens
pour se maintenir dans un état qui demande
une si grande perteclion.
Il est donc d'une très-grande importance
aux ecclésiastiques do bien entrer dans
l'esprit de l'Eglise et de travailler fortement
à rendre agréables à Dieu les prières qu'elle
commande de lui offrir.
C'est pour vous disposer à vous bien ac-
quitter de ce devoir que j'emploierai ce
discours à vous entretenir de l'office divin.
Je le diviserai en trois parties : dans la pre-
mière, je traiterai de l'excellance de l'ofiîce
divin; dans la seconde, je vous expliquerai
les motifs qui vous engagent à le bien réci-
ter; dans la troisième, vous verrez ce que
vous devez faire pour réciter saintement
votre office.
PREMIER POINT.
Pour bien connaître l'excellence de roffice
divin, nous n'avons qu'à examiner les par-
ties qui le composent.
Notre office, en premier lieu, est composé
pour la plus grande partie des paroles de
l'Ecriture. On a choisi ce qu'il y a de plus
touchant dans les livres saints, soit par
rapport aux ecclésiastiques, soil par rapport
aux solennités qui se célèbrent dans l'E-
glise.
En second lieu, les Psaumes en particu-
lier, qui sont une excellente portion de l'E-
criture, sont partagés dans notre office, et
l'on peut presque l'appeler un chant conti-
nuel des Psaumes.
Nous avons, en troisième lieu, dans l'of-
fice le récit des actions incomparables des
saints.
Enfin nous lisons les homélies des Pères,
qui sont les discours qu'ils ont composés
l»our nourrir de la parole de Dieu le peu{)le
qui était commis à leurs soins.
Voilà quelles sont les parties de notre
office. De si excellentes parties ne peuvent
composer qu'un tout très -parfait et très-
digne de nos respects.
Nous récitons l'office divin, et en le réci-
tant nous (levons faire rédoxion que c'est la
parole de Dieu qui nous est présentée pour
nous servir de nourriture. Connaissons-nous
tout le res|)ect dont nous devons être péné-
trés lorsque nous lisons les livres saints ,
ou bien lorsque nous récitons des paroles
et des maximes qui sont tirées de ces sour-
ces sacrées ?
Qu'est-ce que l'Ecriture? C'est la parole
de Dieu même. Si donc nous récitons notre
office sans attention, il sera vrai de dire
que Dieu nous parle et que nous ne l'écou-
tons pas. N'est-ce pas mépriser la parole de
Dieu ? N'est-ce pas la profaner , et par con-
séquent n'est-ce pas commettre une espèce
de sacrilège ?
Qu'il serait à souhaiter que le saint res-
pect dont les premiers chrétiens étaient
remplis pour la parole de Dieu fût parvenu
jusqu'à nous? On lisait la parole de Dieu
dans l'assemblée des [)remiers fidèles. Tous
tremblaient, tous étaient pénétrés d'une
crainte respectueuse. On remorquait des
hommes avides qui recherchaient avec ar-
deur la nourriture spirituelleque Dieu nous
a laissée.
■■ Telle était la disposition ae ces premiers
fidèles dont il est parlé dens le livre des Ac-
1285
HETRAITK ECCLES. - XI\, OFFICE DIVIN.
1280
1"$. I! osl liit il-'oux qu'iVs reçurent la parole
de Dieu avec ardeur, avec af\'eclion, avec avi-
dité. (.4c/., Wll , lU.) Où est CPlleanleiir,
cotle alTeclion, colle aviililô? Où es( celte
ardoiir? Nous langui.^sons. Celte aU'ection ?
Klie esl pour les discours inutiles des hmu-
nies, et non point pour la [)arole de Dieu.
Celle aviiJilé ? La parole de vie nous insi)ire
du dégoût. Il Jaul nous forcer pour nous
r(Sluiré <^ nous nourrir de la nourriture
célesle. Croyons-nous que c'est la parole
de Dieu, et que noire vie dépend essentiel-
lement des dispositions avec lesquelles nous
nous nourrissons de celle parole.
Le livre des Evangiles, dès les premiers
temps, était placé au milieu des conciles.
Il y était avec toutes sortes de marques
criionneur et de distinction. Il était en vue
h tous ceux qui composaient ces saintes
assemblées. On employait beaucoup d'or-
fiemeuls extérieurs pour témoigner le res-
pect qui est dû à la sainte parole du Sei-
gneur. Mais tous ces ornements extérieurs
n'étaient que des avertissements qui fai-
saient connaîire les dispositions intérieures
d'honneur et de respect dans lesquelles
nous devons Olre, lorsque Dieu veut bien
nous faire entendre sa parole.
Donnons quelque allenlion aux cérémo-
nies de l'Eglise, el entrons dans l'esprit de
ces saintes cérémonies. Nous voyons l'hon-
neur que l'on rend au saint Evangile. Oa
le porte avec solennité au milieu des flam-
beaux allumés , on l'élève en liaui, on in-
vite lout le peuple à jeter la vue sur le livre
saint, tous se lèvent et l'on entend dans
un grand silence les enseignemonls que
notre maître nous a laissés. On baise avec
tendresse et avec modestie les livres qui
contiennent la parole de Dieu. C'est la
sainte parole du Seigneur, vous dit celui
qui vous présente le livre des Evangiles.
Nous sommes convaincus qu'il n'y a rien
de plus saint que la parole du Seigneur. La
parole de Dieu mérite donc un grand res-
pect. Vous la lisez quand vous récitez l'of-
lice divin, vo\ez si vous rendez à cette
parole lout l'hunneur qu'elle mérite.
Rien n'est plus déraisonnable et ne doit
faire plus de peine ià des ecclésiastiques,
que ces dégoûts qu'ils ressentent )a plupart
(lu lemps dans la récitation de l'ollice di-
vin. Car cetollice, coiume je viens de vous
dire, contient la parole du Seigneur. Donc
le réciter avec dégoùl , c'est n'avoir aucun
attrait pour la parole de Dieu, c'est rece-
voir celte parole avec tristesse el avec en-
nui. Voyez combien vous èles éloignés des
disposilions dans lesquelles doivent être
les véritables ecclés, astiques, el même
tous les chrétiens.
Le Fils de Dieu nous a laissé sa parole
pour être notre consolation pendanl le
temps de cette misérable vie. Hélas! que
d'ennuis dans un lieu d'exil 1 A peine en
pourrait on su[)porlcr l'amerlume. s' Dieu
('2o7) « Siiit casta: delicix inex scriplurte liiat. s
(Conf. XI.) € Uortor ut \ alco, ullillerai uni veic, ceilc-
ne nous présentait dos consolations aussi
solides que celles qui son! renfermées dans
la médilalion do sa parole. Seigneur, dit
David parlant à Dieu, la vue de ma bassesse
in aurait bien des fois fait perdre courage, si
je n'étais soutenu par In médilalion de votre
sainte loi. {Psal. CXVIM , 91.) La parole
de Dieu est donc la solide consolation ^de
notre exil. Ne trouver point sa consolation
dans la [tarolo du Soigneur, c'est ne pas
avoir l'esprit du chrislianisme, et à plus
forte raison c'est no pas avoir l'esprit ecclé-
siastique.
Saint Augustin demande à Dieu que les
Ecritures saintes soient ses chastes délices.
Il regarde cammo un grand don le goût
des saintes Ecritures. Il conjure ses amis
de s'applicpier à l'étude do l'Ecriture.
.< C'est, dit-il, une étude solide ; ce ne sont
point de vaines paroles qui llallent agréa-
blement l'oreille , ce sont des sentences
graves et sérieuses. Plus l'esprit esl solide
[)lus il y trouve de satisfaction (257).
Dans quelque misère que les premiers
chrétiens lussent réduits, ils étaient pleine-
ment satisfaits, pourvu qu'on leur laissât les
livres saints. Leur enlevail-on les riches-
ses temporelles? ils n'avaient que du mé-
pris pour tous les, biens do la terre. Les
enfermail-on dans des prisons obscures?
être prisonnier de Jésus-Christ, c'était un
grand titre d'honneur dans ces heureux
temps.
Les premiers chrétiens abandonnant avec
joie toutes les possessions terrestres, ne
demandaient rien, sinon qu'il leur fût per-
mis de conserver les livres saints. C'était le
seul bien dont la perte leur était sensible.
Encore, quand l'inhumanité allait jusqu'à
leur enlever ce tendre objet de leur conso-
lation, ils conservaient la parole de Dieu
dans le cœur. Par là ils devenaient supé-
rieurs à tous les eU'orls de leurs persécu-
teurs. Ils paraissaient accablés de maux aux
yeux des hommes. Dans la vérité ils no
sentaient aucun besoin, la parole do Dieu
les soutenait, et il n'y en avait aucun qui
ne s'écriât avec ces hommes zélés, dont il
est parlé dans les Machabées : Nous n'avons
besoin d'aucun secours humain. Les livres
saints sont entre nos mains, il ne nous en
faut pas davantage pour être remplis de con-
solation. (I Mac, Xll, 9.)
Les livres saints sont entre vos mains,
mais bien loin que vous y trouviez votre
consolation, la tristesse de votre front, la
[)récipitalion de vos paroles, l'égarement
de votre esprit, la sécheresse de voli-o cœur
sont une preuve ceitainc du peu de goût
(jue vous avez pour la parole de vie. Crai-
gnez : la parole de Dieu, selon saint Au-
gustin, agit sur l'esprit et sur le cœur de
l'homme selon ses dispositions. C'est une
pluie féconde qui arrose le cœur du juste
el qui y proJuil du fruit. Mais l'homme
criuiinel, empochant celte fécondité, trouve
que sanctarum, studio te curam non pigeai inipeu-
ùere. Siiiieraeiiimetsolicla:cse»t, » etc. (Ep. 132.)
;^87
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
l'iSS
sa condamnation rlans ce qui devrait Être
pour lui une sonrce de salut (258).
C'est donc un très- mauvais caractère,
dans un ecclésiastique, que de réciter son
oiïice avec ennui. Un ecclésiastique lidèle
110 prend poirit entre ses mains ce livre de
prières, qu'il ne fasse attention que c'est
I)ieu qui va lui parler. Il est pénétré de
respect pour sa parole, elle produit en son
dîne une sainte joie, et c'est le premier fon-
dement de celle grande altenlion que l'on
remarque dans les ecclésiasticpies vertueux,
lorsqu'ils récitent l'otluîe divin. C'est un
office composé pour la plus grande partie
des [)aroles de l'Ecriture; c'est un office oii
l'on a choisi ce qu'il y a de plus touchant
dans les livres saints, et ce qtie l'on a jugé
pouvoir contribuer davantage ài nourrir la
piété des ecclésiastiques.
En récitant l'office nous prononçons des
psaumes. Quoi de plus merveilleux que ces
excellents, cantiques 1 quoi de plus ()ropre à
concilier l'attention, à pénétrer l'âme, h
convertir le cœur 1 Nous trouvons dans les
psaumes tous les sentiments les plus nobles
dont les hommes puissent êlre remplis,
lorsqu'ils se présentent devant Dieu pour
lui rendre leurs hommages.
Quand nous allons à Dieu, tantôt c'est
pour admirer sa grandeur, tantôt c'est |iour
nous prosterner devant lui en qualité de st's
créatures. Dieu nous commande de meliro
en lui toute notre confiance. Dieu nous de-
mande notre cœur. C'est à nous, en (piaiilé
de faibles créatures, de nous huiuiliir de-
vant la majesté toute-puissante de Dieu.
C'est à nous, en qualité de criminels, à de-
mander pardon de nos fautes et à imjdorer
la clémence de notre juge. Ce sont ïh les
exercices de celui qui sait bien entrer dans
les sentiments que les psaumes nous ins-
pirent.
Vous devez don(î savoir qu'il n'y a rien
de granil que Dieu, et l'admiration de sa
grandeur infinie doit faire une des princi|)a-
Ihs occupations de votre vie. C'est le noble
sentiment dans lequel vous entrez, lors-
(ju'eii chaulant les psaumes vous vous
écriez : Seigneur, vous êtes grand, Seigneur,
qui peut vous être semblable? {Psal. XLVII,
10.) Le Seigneur est grand dans lui-même,
il est grand dans ses ouvrages. Le souvenir
ùes [irodiges que le Seigneur a fails nous est
très-nécessaire. Par là nous remontons jus-
qu'à l'auteur do ces |)rodiges, et nous con-
servons ces [)récieux senlimenls d'admira-
tion qui ne peuvent troj» durer en nous.
C'est ce qui a engagé David à com|)oser les
Psaumes, dans lesquels il est si exact à l'aire
le récit de toutes les jmerveilles que le Sei-
gneur a faiies en faveur de sou peuple.
Si vous connaissez ce que c'est que Dieu
et ce que vous êtes, vous concevrez aisé-
ment que vous devez être très-assidus à
vous prosterner devant lui. 11 est notre
Dieu, nous sommes ses créatures, nous lui
devons l'adoration. C'est un hommage que
nous ne pouvons lui rendre avec trop
d'exactitude. Etre devant Dieu tout trem-
blants, être devant Dieu comme des créa-
tures (]ui reponnaissenl que Dieu seul est
grand, et qu'elles ne sont que faiblesse,
voilà ce qui nous convient, et rien n'est
[dus fort pour nous faire entrer d^ns ces
sentiments que les excellentes instructions
de David, quand il nous dit pour nous ani-
mer à adorer Dieu : Venez, adorons Dieu,
proslernons-nous devant Dieu, pleurons de-
vaut le Seigneur qui nous a faits. iPsol.
XCIV, 6.)
Ce Dieu, quoique tout-puissant, quoique
infiniment élevé au-dessus de nous, est
néanmoins un Dieu plein de bonté, tou-
jours accessible, toujours prêt à nous écou-
ter. Quoique notre Dieu, il nous commamle
de le considérer comme notre Père. 11 s'of-
fenserait si nous avions le moindre doute
sur ce qu'il nous a enseigné de son infinie
miséricorde. 11 veut donc que nous lui lé-
moignions une entière confiance. C'est lui-
ruême qui a suggéré à son Prophète de lui
parler en ces termes : Je mets ma confiance
au Seigneur. {Psal. X, 2.)
Le souvenir des miséri(;ordes du Seigneur
irait troj) loin, s'il nous [)ortait à oublier co
que nous sommes. David, qui a eu tant do
confinnce, n'a jamais oublié ce qu'il était et
les jusles fondements qu'il avait de s'abais-
ser. Il s'est abaissé, parce qu'il était créa-
luie, et il s'est encore plus abaissé, parce
qu'il élnit pécheur. Soyons aussi humbles
que David, lorsque nous prononçons avec
lui que nous souunes pauvres, que nous
sommes poussière, ^que nous sommes des
vermisseaux. (Psal. XXIV, 16; XXIX, 10;
XXI, 7.) Soyons aussi pénétrés du regret
de nos péchés que ce saint pénitent, lors-
qu'il exjirimait ses vifs regrets, en tant de
manières, qui témoignaient si bien la con-
trition de son cœur et qui nous reprochent
la dureté du nôtre.
Comme nous appartenons à Dieu par
foules sortes de titres, il veut êlre le maîlre
de noire cœur, et il n'est jamais plus of-
fensé contre nous, que quand nous lui en-
levons notre cœur pour le donner à ses
créatures. Voilà pourquoi Dieu nous com-
mande de lui témoigner souvent que nous
l'aimons, et que nous l'aimons uniqueiuenl.
Nous salisfaisons à celle obligalion lor>que
nous disons à Dieu en récitant les P>au-
mes : Je vous aimerai, ô mon Dieu vous qui
êtes ma force. [Psal. XVII, 2.] Dieu nous
commande de le dire, mais il nous recom-
mande encore bien plus fortement d'êire
pénétrés dans notre cœur de son amour, do
telle sorte qu'il soit véritable que notre cœur
est à lui et qu'il en est le seul possesseur.
Nous prononçons donc d'excellentes pa-
roles quand nous récitons les Psaumes. Ces
divins cantiques ex|)riiiienl merveilleuse-
ment tous les seutimenls dont nous devons
(258j « Hinc igilur cadem scriplurarum nulte, pro siio quisque merito, et pcccalori pliivia laqueorum,
cijiisto pluvia uberUlis infusa t'sl. »
1289
RETRAITE ECCLES. — XIX. OFFICE DIVIN.
1200
(^lic périL'trés. Co qui nous tloil faire gémir,
c'est que ces saintes paroles soient si sou-
vent profanées. Nous parlons à Dieu, et
rien n'est plus éloigné de notre cœur que
ces pieux mouve:iients dont nous assu-
rons faussement que nous sommes rem-
plis
t Concevons qu'il n'y a rien de plus noble,
de plus grand, de plus touchant que les
psaumes. Apprenons 5 en faire toute l'es-
time qu'ils méritent. Exerçons-nous à les
bien réciter; el, puisque ces saints canli-
qiifs entrent si souvent dans rollîoe que
J Eglise nous met entre les mains, soyons
fortement convairtcus qu'un ouvrage où ces
adu.irables cantiques paraissent avec tant
d'éclat et tant d'ordre, ne peut être que très-
excellent.
L'exemple a beaucoup de force pour nous
animer, surtout lorsque ceux dont on nous
met l'exemple devant les yeux ont été sem-
blables à nous, et que toutes sortes de rai-^
sons nous engagent à les imiter.
L'Eglise donc, après nous avoir encoura-
gés par les instructions qu'elle a tirées des
livres saints et par le chant des psaumes,
ne pouvait rien nous proposer do [)!us tou-
chant que les actions incomparables des
saints. Nous voyons dans leur vie les maxi-
mes de l'Evangile exactement observées, et
c'est le principe de leur sainteté.
Que nous avons d'occasions, en méditant
les actions des saints, de louer Dieu, de
nous confondre, de nous animer, de nous
instruire I
David dit que Dieu est admirable dans
ses saints. (Psal. LXVII, 3G.) Nous avons
donc <i admirer un Dieu pui^^sant qui, avec
de si fragiles instruments, a opéré de si
grandes merveilles. Il n'y a que Dieu seul
qui puisse élever l'homme au-dessus do sa
faiblesse, qui puisse sanclilier ce qui ren-
ferme un si grand fonds de corrufition. Il n'y
a que Dieu seul qui puisse donner à des
liomiiics faibles la force de se surmonter
eux-mêmes, de surmonter le monde, d'éta-
blir de solides conquêtes malgré lous les ef-
ibrts des hommes et des démons qui se sont
vainement opposés à leurs grands desseins.
Quoique [l'homme ne soit que faiblesse,
il peut tout avec le secours de son Dieu.
Pourquoi donc demeurons-nous dans notre
impuissance, et [lourquoi n'avons-nous |)as
recours à celui qui nous rendrait forts, si
nous nous abandonnions à lui? Ces hom-
mes, dont nous lisons des prodiges n'é-
laienl-ils pas semblables à nous, n'avaient-
ils pas eu eux-mêmes toutes les misères
humaines qui nous font gémir? Qu'ont-ils
fait, que faisons-nous? Quid courage, quelle
fidélité, quel allachement, quelle persévé-
lance? Quelle lâcheté, quelle inlidé'lité,
quels abandounemenls, quelle inconstance?
Nous ne devons donc jamais lire les actions
admirables des saints, sans rentrer en nous-
mêmes et sans nous confondre.
AJjis que ce soit une confusion salutaire,
qui nous inspire de quitter les voies mal-
OraTEURS SâCHÉS. LXV'llJ.
heureuses dans lesquelles nous avons mar-
ché. Car quoi de plus fort pour nous en-
courager que tant de grands exemples qui
nous sont si souvent pro[)Osés?
II est trop diOicile. disons-nous, de mar-
cher dans la voie étroite. Nous n'osons y
entrer persuadés que nous succomberions
au milieu de la carrière, et que nous ne
pourrions jamais nous y soutenir.
Le seul exemple dos saints nous fournit
une réponse qui suffit pour détruire tous
nos faux rai.sonnoujenls. Souvenez -vous
de ce que vous avez lu peut-être le jour
même que vous donniez entrée dans votre
esprit à de si funestes pensées. Pourquoi ne
pouiriez-vous pas surmonter toutes les dif-
licu'tés qui vous arrêtent , puisque vous
voyez devant vos yeux tant de saints que
des obstacles, beaucoup plus forts, n'ont
point empêché de marcher courageusement
dans la voie la plus étroite? •
Car, enfin, que prétendons-nous? Pouvott
nous sauver par une aulre voie que celle que
Josus-Christ a enseignée et que les saints
ont suivie. Pourquoi les saints [lasteurs qui
nous ont !)récédé ont-ils passé leur vie dans
un travail a.^sidu, et que nous enseigne leur
exemple? Ils ont travaillé parce qu'ils
étaient ministres du Seigneur. Nous le som-
mes. Ils oui cru que le sacerdoce était u;i
fardeau très-lourd, et que c'était se perdre
que de ne pas remplir, toutes les obligations
qu'il nous impose. Nous sommes chargés
(le ce fardeau, et les obligalinns sont tou-
jours les nièrnss. Ces llcJôles pasteurs ont
été persuadés (]u'ils n'étaient plus à eux-
mêmes, mais qu'ils se devaient tout entiers
au salut dts peuples, et que c'était pour cela
qu'ils avaient été consacrés pasteurs. Etaienl-
ils dans l'erreur, ou plutôt n'est-ce pas nous
qui y souiiues, lorsque nous croyons fa'us-
sement pouvoir coticilier les obligations du
sacerdoce avec une vie molle et une hon-
teuse oisiveté?
Si les exemples des saints, lorsqu'ils nous
sont proposés dans la récitation de l'uflice,
font sur nous ces salutniies impressions, ce
sera encore une nouvelle preuve qui nous
fera voir combien nous devons estimer
l'oilice de l'Eglise.
Les pasteurs ont cru qu'une de leurs
principales obligations était d'instruire leur
jjeuple. Pour y satisfaire ils ont composé
ces excellents discours qui sont parvenus
jusqu'à nous, el c'est ce que nous appelons
les homélies des saints Pères. L'Eglise, at-
tentive à nous proposer tout ce qui peut
nous animer à bien remplir les devoirs de
notre saint ministère, a ramassé ce qu'il y
a de plus instructif el de plus touchant
dans ces discours des saints Pères.
Nous lisons donc ces savantes et admi-
rables h imélies, et on les lisant qu'appre-
nons-nous? Nous voyons que ces sage."»
pasteurs avaient grand soin de so nourrir
de l'Ecriture, et qu'après s'être fortiliés du
celte sainte parole, ils distribuaient exao
it^l
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT
1292
lemenl à leur peuple le pain sacré dont ils
s'étaient remplis.
Les homélies des saints Pères sont une
preuve qu'ils s'appliquaient singulièrement
a l'élude de l'Ecriture, ils en développaient
les sens cachés, ils en découvraient les
mystères, ils en examinaient les profon-
deurs. Cette étude de l'Ecriture était conli-
nuelle, et faisait une des principales occu-
pations de leur vie. Ceux qui négligent
l'étude de l'Ecriture sainte, qui ignorent les
faits les plus communs rapportés dans les
saints livres, qui ne savent point les pre-
miers éléments de cette sainte science, qui
passent leur vie sans ouvrir les livres di-
vins, sont-ils dignes de remplir des places
qui ont élé si saintement occupées ?
Mais comment les eaux couleraient-elles
d'une source tarie? Comment ces hommes
sans richesses répandraient-ils des trésors
'qu'ils n'ont point? Ces inslruciions des
saints Pères marquaient leur heureuse fé-
•condilé. Ils amassaient et ils distribuaient
ce qu'ils avaient amassé. Nous ne serons
|)oiiit de véritables prêtres si nous ne sui-
vons de si saints exemples. Les prêtres qui
ne sont |)oint en élat de couper le pain de
la parole sont des nuées sans eau, des arbres
morts, des serviteurs inutiles. {Jud., 12;
mtth., XXV, 30.)
Voilà les précieuses perles que l'Eglise a
ramassées et dont ,elle a composé l'office
divin. Les paroles les plus touchantes de
l'Ecriture, les saints caniiques de David, les
actions surprenantes des saints, les instruc-
tions des saints docteurs : voilà les grandes
et nobles parties qui composent ce mer-
veilleux tout, et c'est à quoi tous devez
laire attention pour bien juger de l'excel-
lence de votre office. J'ai maintenant à vous
pro|ioser les motifs qui vous engagent à le
.-bien réciter.]
DEUXIÈME POINT.
]'ai plusieurs motifs à vous proposer qui
-me paraissent très-forts, pour vous engager
à réciter l'office divin avec une très-grande
application.
Le premier motif est l'excellence même
de l'office divin dont je viens de vous entre-
tenir. Je vous ai montré ce que c'est que
l'office divin, et quelles sont les parties qui
le composent. Vous avez vu que c'est un
tout excellent, et que ce qui entre dans la
composition de l'office divin est d'un très-
grand prix. De là vous avez dû conclure
qu'il serait tout à fait indigne de ne pas
uonner toute son attention à la récitation
de l'office. Car il est juste que notre atten-
rlion réponde à l'excellence de l'office que
nous récitons. Si cela est, quelle doit être
cette attention? Je ne vous eu demande pas
davantage, quand vous récitez l'oflice, con-
sidérez ce que vous récitez, et considérez
quelle allentron demande ce que vous réci-
tez. A quoi donc donnerez-vous votre atten-
ti!)n si vous ne l'accordez pas tout entière
i\nx paroles de Dieu môme, au tliaul des
4i!sa"ii)es, au récit d<i tant d'actions éclatan-
tes qui relèvent la gloire des saints, à ces
sages instructions que les saints docteurs
de l'E.i^lise nous ont laissées.
Ne selforce-t-on pas, même dans le monde,
de donner une attention proportionnée aux
affaires que l'on discute, et celui-là ne se-
rail-il pas universellement blâmé qui, dans
les affaires ies plus sérieuses, permettrait à
son esprit de s'égarer, et ne ferait aucun
effort pour le retenir? Avons-nous une
affaire plus sérieuse et plus importante que
de parler à Dieu, et que de l'écouter?
Que ceux-là connaissent peu le mérite e
le prix d'une si sainte action, qui regardent
le temps qu'ils emploient à la récitation de
l'office, comme un temps inutilement em-
ployé. Ils choisiront pour celle bonne œuvre
non, pas le temps auquel ils pourraient être
plus attentifs, mais les heures oisives, et
qui ne peuvent êlre consacrées au plaisir.
Ils prononceront les plus saints cantiques
sans réflexion, avec une extrême vitesse, et
ils se glorifieront de leur précipitation.
A()rès avoir employé ie jour entier à leurs
affaires temporelles ou à leurs plaisirs, ils
se souviendront le soir qu'ils n'ont pas sa-
tisfait à leur obligation. L'esprit occupé des
affaires terrestres, l'imagination échauffée
de leurs plaisirs, avides de sommeil, et déjà
presque endormis, ils prendront le livre
sacré qui tombera de leurs mains profanes.
Quelle disposition pour parler à Dieu el
pour prononcer des cantiques à la gloire de
son nom 1
Un ecclésiastique vertueux est convaincu
que le temps le (tlus précieux de sa vie est
celui où il a le bonheur de s'unir à Dieu
dans la prière. Il choisit pour cette grande
action le temps dans lequel il est le plus
recueilli. Il y donne tout le temps néces-
saire. Il fait des efforts pour appliquer son
es| rit. 11 gémit do ses égarements. Aussitôt
qu'il s'en aperçoit il est exact à le rapiieler.
Les dissipations dont il n'e.-t [^as le mnître
ne sont pas sans fruit, car elles lui servent
à s'humilier, el elles sont suivies d'une [)lus
forte attention. C'est la conduite que se
croiront obligés de garder tous les ecclé-
siastiques, qui considéreront ce que c'est
que l'office divin. Car il est impossible de
le connaître, qu'on ne soit convaincu que
cet office étant très-excellent, il faut pour
le bien réciter apj'Orler une attention pro-
portionnée à l'excellence de cet office
sacré.
Je passe à un second moiif, et nous allons
examiner une des obligations les plus iiu-
[lortantes du christianisme. Cette obliga-
tion est celle que nous avons de prier. Jé-
sus-Christ nous a laissé à tous un grand
précepte qui esi de prier, et même de prier
toujours..
Les chrétiens sont-ils obligés de prier
toujours? Qui en pourrait douter après les
paroles claires et précises de Noire-Seigneur
qui nous a dit h tous : Jl faut toujours prier,
et ne se point lasser de le faire. {Luc, XVUl,
1.) Il faut : Ces!, donc un précepte et une
m'ccssilé. L'iipôlre -saint P.-iul a anucu'cé
1295
RETRAITE ECCJ.ES.
aux lidèles celto iinportanle obligaiion ,
quanil il leur a dit : Priez sans cesse. (I
TJiess., V,*17,)
Il est certain que cède oblig.ition do
prier toujours renferme deux cliosos. Pre-
mièrement, pour y satisfaire il faut être
eiact à ce que l'on appelle proprement
prière, c'est-à-dire qu'un chrétien doit sou-
vent prier. Kn second lieu, il faut que tou-
tes les aciions du chrétien sanctifiées par la
prière, et par les saintes dispositions, dans
lesquelles Dieu nous commande d'en-
trer, méritent encore d'être appelées des
prières.
Le chrétien est donc obligé de prier sou-
vent. L'Eglise attentive au besoin de ses
enfants, et particulièrement de ses minis-
tres, leur a voulu fournir un moyen pour
leur faciliter l'accomplissement de cette
obligation. Ce moyen est rodice divin.
C'est même dans ce dessein qu'elle a par-
tagé l'ollice en différentes heures. C'est un
avertissement salutaire qui nous marque
que nous devons être exacts à nous occuper
de Dieu. Les affaires séculières ne trou-
blent et ne partagent que trop souvent notre
attention. Nous reconnaissons qu'il se passe
de longs intervalles pendant lesquels nous
ne pensons point h Dieu. Le temps vient
qui est marqué pour la récitation de l'office.
N'est-ce pas un heureux signal qui inter-
rompt un sommeil fâcheux, et qui nous
presse de penser à celui que nous ne de-
vons jamais oublier?
De là il s'ensuit que comme l'Eglise a
très-sagement partagé l'office, et que dans
celle division elle a eu de très-saints mo-
tifs, el Irès-avanlageux pour nous, il est de
la piélé d'un ecclésiastique de suivre lesin-
t-enlionsde l'Eglise, en partageant les heu-
res de l'office, et le récitant dans les temps
que l'Eglise nous a marqués. Si vous réci-
tez en même temps plusieurs heures de
votre office, vous ne profiler pas des moyens
que l'Eglise vous met entre les mains pour
rappeler votre esprit, lorsqu'il s'égare el
qu'il oublie Dieu.
'L'Eglise ne fait rien qu'avec sagesse, et
jamais nous ne marchons plus sûrement,
que quand nous suivons les routes qu'elle
jious marque. Que ceux-là connaissent peu
leurs obligations, qui considèrent la né-
cessité de réciter l'office comme un joug
fâcheux! Ils le supportent avec peine. Ils
s'en délivrent le plus tôt qu'ils peuvent.
Quand ils oui satisfait à cette loi qui leur
paraît toujours très-dure, ils se considèrent
comme étant déchargés d'un fardeau péni-
ble. Non, l'oflTice divin n'est point uii joug
fâcheux. Vous vous trompez dans vos
idées, ce qui est très-fâcheux et très-in-
suptiorlable à un chrétien, c'est d'avoir un
esprit qui est en [)roie aux distractions,
qu'il est difficile de (ixer, et qui ne s'oc-
cupe de Dieu qu'avec peine. Comme cet
éloignement des choses du salut fait son
supplice, tout ce qui l'oblige à se souvenir
de Dieu, bien loin de lui être pénible est
eu contraire, sa joie el sa consolation.
- XIX, OFFICE DIVIN. 1294
C'est suivant ces princijjes que les ecclé-
siastiques vertueux jugent do î'ofiice divin,
et c'est là ce qui les porte à lu regarder
comme une heureuse nécessité d'aller à
Dieu, pour lui rendre les hommages qui
lui sont dus.
Souvenons-nous donc qu'en qualité dn
chrétiens, et à plus forte raison en qualité
d'ecclésiastiques, nous sommes obligés de
prier souvent. Souvenons-nous que la réci-
tation de l'oHice est un excellent moyen
pour satisfaire à cette obligaiion. Mais sou-
venons-nous aussi qu'il faut pour cela sa-
voir bien mettre en œuvre cet excellent
moyen: c'est-à-dire que pour satisfaire di-
gnement à l'obligation qui nous est imposéo
de nous appliquer à la prière, la récitation
de l'office doit être faite avec beaucoup d'at-
tention.
Si l'obligation qui nous est imposée de
prier est un puissant motif jpour nous en-
gager à réciter notre office avec attention,
songeons pour qui nous sommes obligés d«
prier, et combien il y a de personnes à qui
nous devons le secours de nos prières.
Celte considération nous fournira encore
un motif nouveau , qui aura beaucoup de
force pour nous faire voir de quelle consé-
quence il nous est d'offrir à Dieu des priè-
res qui lui soient agréables.
■ Un prêtre est obligé de prier pour le peu-
ple. Un prêtre est obligé d'attirer les grâ-
ces du Seigneur non-seulement sur lui,
mais' encore sur le peuple. Qu'est-ce qu'un
prêtre? C'est un homme qui par son état
et par sa condition doit toujours être en
état de parler pour le peuple. Si Dieu est
en colère, c'est aux prêtres à l'apaiser. Si
le peuple a besoin de secours, c'est aux
prôlresàles demander. Les prêtres sont
les médiateurs entre Dieu et le peuple.
Comment s'acquilleront-ils de cet im[)or-
lanl el honorable emploi, s'ils ne travail-
lent à offrir à Dieu des prières qui méri-
tent d'être écoutées?
Sjuvenez-vous souvent, prêtres du Sei-
gneur, de l'obligation qui vous est imposée
de parler à Dieu en faveur du peuple. Un
saint prophète (/oe/., II, 17}, assure, que
quand Dieu est irrité contre son peuple,
c'est aux prêtres à se prosterner, c'est aux
j)rêlres à pleurer, c'est aux prêtres à crier
et à^demander humblement pardon pour un
peuple ingrat, qui s'est révolté contre son
Dieu.
Cette obligaiion est si essentielle, qu'ut)
autre pro()hèle(£'2cc/i., XIII, 5)assuro,quesj
des prêtres négligent de s'en acquit ter, Dieu
leur en fera de sévères reproches. Quoi, leur
dira-t-il, ministres indignes el prévarica-
teurs, j'attendais de vous, que vous seriez
en étal de vous mettre entre moi el mon
peuple, et vous ne l'avez pas fait. Jecroyais
que vous seriez serabl-ibles à des murs éle-
vés et forts, qui défendent le f)euple contre
l'attaque de l'ennemi, et vous n'avez rien
fait de lout ce que je me promettais de
vous. Terribles paroles el qui juslifienl
1295
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1293
clairement le grand poids dont les prêtres
sont chargés.
L'Eglise attentive à celle obligation a
composé ses offices de telle manière que
souve:it les prêtres parlent h Dieu pour
Je peuple. Elle leur met dans la bouclie
d'excellentes prières dans lesquelles ils de-
mandent à Dieu miséricorde pour le peuple,
dans lesquelles ils le prient d'effacer les
jiécliés du peuple. Tout cela vous fait voir
de quelle conséquence il est à un prêtre de
prier souvent, de quelle conséquence il lui
est de plaire à Dieu lorsqu'il lui adresse
ses vœux. Tout cela vous fait voir que la
récitation de l'office est un excellent moyen
pour satisfaire à l'obligation que le prêlre
contracte, lorsqu'il est établi médiateur en-
tre Dieu et le peuple.
Prêtres du Seigneur, priez attentive-
raent, puisque c'est la première condition
pour plaire à Dieu dans la prière. Prêtres
du Seigneur, faites encore de nouveaux
efforts en considérant le poids q.ue vous
portez, étant si étroitement obligés de
maintenir par vos prières et vos bonnes
œuvres, la sainte union qui doit être entre
Dieu et son peuple.
J'ai encore un dernier motif h vous [)ro-
poser qui vous fera connaître un nouvel
intérêt que vous avez de réciter l'office
avec beaucoup d'attention, c'est que des
réflexions souvent réitérées sur les saintes
vérités qui nous sont proposées dans notre
office, soutiennent l'âme iidèle et la rem-
plissent de consolation.
Beaucou[) d'ecclésiastiques récitent l'of-
fice divin avec ennui. Quelle en est la sour-
ce ? C'est qu'ils ne se donnent aucun temps
pour réfléchir sur ces grandes vérités, qui
ont tant de force pour fortifier l'âme. L'ec-
clésiastique fidèle trouve de la consolation
où celui qui est infidèle ne rencontre que
de l'ennui.
Quelle joie pour un ecclésiastique ins-
truit des vérités de la religion, et à qui
Dieu fait la grâce de les goû'er, quelle joie
d'être devant son roi, de l'adorer, de lui
parler, de lui ex|)liquer ses besoins, de
l)Ouvoir s'adresser à Dieu comme à un ami
fidèle, à qui l'on peut avec silrelé confier
ses plus intimes secrets I
Combien de fois un ecclésiastique atten-
tif a-l-il lieu d'être attendri par le récit des
miséricordes infinies de son Dieu ? Ce Dieu
est tant de fois appelé la bonté souveraine,
l't il porte ce titre avec tant de fondement.
Comment donc un ecclésiastique ne senti-
rait-il poinlson cœur s'écliaull'er ? Comment,
les ardeurs de sa charité ne redoublorait-ni-
elles point quand il fait atlenlion h toutes
les grâces que Dieu a ré|)aii(iues sur lui
par un effet de sa miséricorde?
Notre espérance nous soutient au milieu
de nos misères. Nous sommes pendant cette
vie continuellement atla(iués. Qui [)eut se
promettre de aeiueurer ferme? Quand bien
uiÔMie Dieu nous distribue ses richesses,
qui peut s'assurer de conserver des trésors
renfermés dujis des vases de terre? Les Qunais
de cette vie seraient capables de faire per-
dre courage à celui qui n'envisagerait qtin
ce qui se passe ici-b;is et qui ne porler.-tit
pas sa vue plus loin. Le chrétien fidèle
supporte les misères de cette vie, |)arce qu'il
connaît qu'elles seront courtes. Il sait ce
que Dieu lui a promis. Ce sont donc les
promesses du Seigneur qui le consolent,
qui le soutiennent, qui l'animent. L'office
de l'Eglise lui fournit souvent celte solide
consolation. Il y entend Dieu qui lui pro-
met et qui l'assure qu'il est fidèle dans ses
promesses. Il y entend Dieu qui l'anime
à espérer, et qui lui fait voir qu'il ne sera
point trompé dans son espérance.
Celui qui récite l'office avec réflexion
sent bien la vérité de ces paroles pronon-
cées par David : Que vos paroles, Seigneur,
sont pleines de douceur ! le miel n'est pas si
doux à la bouche, que vos paroles le sont d
mon cœur. Vos promesses et vos commande-
ments me paraissent infiniment plus aimables
que les richesses de la terre les plus précieu-
ses. {Psal. CXVin, 103, 127.)
Qu'un ecclésiastique soit frappé d'affiic-
lion, son office lui l'oiirnira des motifs so-
lides d'une consolation assurée. Un ecclé-
siastique, par exeujpic, au milieu des plus
vives douleurs, lira dans son olfice que
Jésus-Christ n'a élevé la tôle, que parce
(ju'il a bu les eaux amèresdu torrent. C'est-
à-dire que Jésus-Christ, comme parie saint
Paul, est entré en possession de la gloire,
\'c\rce qu'il s'est humilié en se rendant obéis-
sant jusqu'à la mort. {Philip., Il, 8.) Il lira
dans son office que ceux qui sèment avec lar-
mes moissonneront avec joie. [Psal. CXXV,o.)
Pourra-t-il l'aire attention à ces paroles
sans éprouver bientôt que les douleurs les
plus fortes ne tie;iuenl point contre les mo-
tifs solides de consolation que la religion
nous fournil? Ainsi celui qui récite l'olfice
avec attention y trouvera beaucouf) do
goût, et ii ne s'appliquera point àja prièie
qu'il ne se sente soutenu et anitné à per-
sévérer dans la voie qui conduit à Dieu.
Voilà les raisons que j'avais à vous ()ro-
poser |)Ourvous faire voir conjbien il est
important aux ecclésiastiques de réciter
l'ollice avec attention. J'attends de la misé-
ricorde du Seigneur que ces raisons auront
fait impression sur vous. Fortement réso-
lus du vous appliquer plus que jamais à bien
réciter votre ollice , vous me demandez
sans doute ce qu'il faut faire pour remplir
celte obligation iujpoitante, je vais vous en
instruire dans la dernière partie de ce dis-
cours.
TROISIÈME POINT,
Je demande trois dispositions dans celui
qui veut bien |)rofiler de la récitation de
l'ollice. J appelle ces trois dispositions pré-
paration, attention, dévotion. Ecoutez co
que l'on doit entendre par ces trois dispo-
sitions. Si le Se'grieur vous ins()ire uno
forte résolution de pratiquer fia'èlement les
vérités que je vais vous expliquer, vous
verrez que dans la suite vous retirerez
beaucoup de fruit de la récitation de l'office.
4^297
RETRAITE ECCLES. — XIX, OFFICE DIVIN.
lidi
Je dis que celui qui veut réciter saioto-
nienl son oHlco , doit d'nbord se pré[)<iroi-.
En quoi consiste celle préparalioR ? Elle
cousisle en deux points essentiels. Le pre-
mier est de vivie dans une grande sépara-
tion du monde, et d'abandonner autant qu'il
est en nous le commerce et les embarras
du siècle. Le second esl de faire, avant la
prière, de saints elVorts pour recueillir son
esprit et pour purifier son cœur.
Les dissipations de notre esprit nous
sont coiniues. On nous entend tous les jours
en faire des piainles qui ne sont que Irop
bien fondées. Mais en môme temps quo
nous aj.eicevons les dissipations de notre
esprit, ne voyons-nous pas que nous ne
somuies (loint en état d'aller à Dieu comme
(les suppliants, à moins que nous n'éloi-
gnions les pensées étrangères, et que, par
de sérieux efforts, nous ne travaillions à oc-
cu|icr notre esprit de Dieu, à qui nous sora-
aies prêts de rendre nos hommages.
La dissipation est un défaut très-ordi-
naire. Plusieurs ecclésiastiques sont obli-
gés de confesser que, dans la récitation de
leurolllce, ils sont très-souvent occupés
des pensées séculières et firofanes. 11 leur
paraît qu'ils peuvent s'excuser par la diffi-
culté qu'il y a de fixer i'espril humain. Mais
leur excuse est vaine. Ils sont très-criminels
devant Dieu , et leurs dissipations ne sont
point de celles dont Dieu esl si facile à ac-
corder le i)ardon. Car s'ils veulent rentrer
en eux-mêmes, et considérer le peu de pré-
caution qu'ils apportent lorsqu'ils se pré-
sentent devant Dieu pour le prier, ils ver-
ront que toute la source du mal est en eux,
et que leur dissipation n'est qu'une suite
d'une négligence très-criminelle.
Comment viennent-ils à la prière? Quelle
est, pour lors, la disposition de leur esprit
et de leur cœur? Ils ap|)Orlent à la prière un
esprit plein d'idées étrangères, plein de
l'/Cnsées profanes. Les affaires du monde
l'ont pleinement rempli. Ne serait-ce pas
comme une espèce de miracle de pouvoir
arrêter tout d'un coup un esprit dont on
n'est i)lus le maître, et que l'on a livré aux
égarements du siècle?
Plusieurs ecclésiastiques se mettent hors
d'état de prier, parce qu'ils ont trop de
commerce avec le monde. Il est même très
à craindre pour eux que leurs oraisons ne
soient de celles dont le Prophète parle, et
dont il assure qu'elles sont de véritables
])échés. Voilà pourquoi le saint Apôtre veut
que ceux qui se consacrent à Dieu aban-
donnent les affaires du siècle. Ce sont des
obstacles dangereux qui les empêchent de
donner à leurs saintes fonctions toute l'at-
tention qu'ils y doivent apporter. Celui, dit
le saint Apôtre, (jui esl enrôlé au service de
Lieu, ne s'embarrasse point dans les affaires
séculières, afin de plaire ù celui à qui il s'est
donné. (Il Tim., 111, k.)
Cependant, je l'avoue, les affaires du
siècle ne peuvent pas toujours être entière-
ment abandonnées. Il y a des embarras qui
nous suivent avec obstination, quelque ap-
plication que nous ayons à les éviter. C'e.st
ce qui engage l'ecclésiasiique fidèle à pren-
dre encore une seconde précaution, qui est
de faire de nouveaux efforts avant la prière
pour se recueillir et pour rappeler son es-
|iril h Dieu. Pour lors il se vide, autant qu'il
est en lui, des affaires du siècle. Il n'omet
rien pour présenter à Dieu un esprit libre
et un cœur dégagé.
II est vrai que ces précautions ne peu-
vent pas entièrement le délivrer de toutes
les importunités qui nous troublent dans
nos meilleurs desseins. Mais, outre qu'elles
sont moins fréquentes, c'est que pour lors
Dieu, par sa bonté, excuse des défauts que
nous ne sommes pas les maîtres de déra-
ciner entièrement. Il connaît la fragilité de
notre nature, il permet que ceux qui lé
craignent soient troublés, afin qu'ils s'hu-
milient et qu'ils connaissent le besoin con-
tinuel où ils sont de recourir à lui.
Que de consolation, que de fruit, lorsqu'a-
près une préparation telle que je viens de
marquer, on se présente devant Dieu pouc
lui offrir des prières et chanter des can-
tiques a la gloire de son nom ?
La préparation doit être suivie d'une
grande atlention, et cette attention doit du-
rer pendant tout le temps de la prière.
11 est aisé de concevoir que l'attention
est nécessaire, quand on fait réflexion que
c'est à Dieu môme à qui l'on parle dans la
prière : à Dieu qui voit le cœur, qui nous
demande notre cœur, et qui nous a déclaré
tant de fois qu'il n'est point content de nos
hommages et de nos sacriûces, lorsqu'ils
sont seulement extérieurs. Parler à Dieu de
bouche, lorsque notre esprit et notre cœur
ne s'accordent point avec nos paroles, n'est-
ce pas être de ceux que le Fils de Dieu a.
condamnés, quand il a dit : Cepeuple m'ho-
nore des lèvres, mais son cœur est Irès-éloigné
de moi. [Mallh., XV, 8.)
On distingue trois sortes d'attentions :
l'actuelle, la virtuelle et l'habituelle. L'ac-
tuelle est à désirer. La virtuelle suffit.
L'habituelle ne suffit pas.
L'attention actuelle qui est à désirer, et
qui donne un très-grand poids à la prière,
est l'attention de celui qui, dans le temps
qu'il parle, songe véritablement au sens
des paroles qu'il prononce , il lâche d'en
remplir son esprit et d'en pénétrer son cœur.
L'dtlention virtuelle qui est suffisante
est l'attention de celui qui, dans le com-
mencement delà prière, se propose de pen-
ser à Dieu dans toute la suite de sa prière.
Il fail même des efforts pour cela. Quoique
son esprit dont il n'est pas le n)aîlre se
dissipe, pourvu qu'il, le rappelle lorsqu'il
s'afierçoil de ses égarements, sa prière ne
laisse pas d'être agréable à Dieu , et d'être
accotnpagnée d'une attention suffisante.
L'allention habituelle n'est point propre-
ment une attention. Elle se trouve dans ce-
lui qui aurait des désirs généraux et inef-
licaccb do pinser à Dieu, mais qui perrael-
t(ait volontairement à son esprit de s'égarer
cl ne ferait pas Ici efforts nécessaires pour
1399
ORATEDRS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
foOO
lereloiiir. bieu» demande déplus grands
eiroils dans ceux qui veulent le servir.
Ainsi vous devfz être persuadés que vos
|)rières n« peuvent lui plaire, pendant que
vous laissez un libre cours aux égarements
do votre esprit.
Que d'ecclésiastiques qui prononcent;
l»e;iiicoup de paroles et qui ne prient point 1
<]et homme récite l'office de l'Eglise depuis
nii grand nombre d'années. A-t-il |)rié?,
Non, il n'a point [irié. Ce qui est le plus
essentiel dans la prière ne se rencontre point
liar.s la sienne. Le Fils de Dieu a condamné
les païens qui s'imaginaient qu'd force de
jicirolcs ils obliendr aient ce qu'ils deman-
daient. {^Muiih., Vi,7.) C'est renouveler leur
erreur, que de faire consister la prière dans
ks paroles, et de se persuader que l'on a
beaucoup |)rié parce qu'on a beaucoup
parié. L'essence de la prière, c'est le cri du
cœur. Plusieurs parlent; ils gardent le sir
.'ence à l'égard de Dieu. Il ne les entend
point. Leur cœur ne parle point, et il n'y a
que le langage du cœur qui puisse parvenir
jusqu'au trône de Dieu.
Pour avoir cette attention si nécessaire,
et sans laquelle votre oraison ne peut plaire
à Dieu, évitez avec soin deux extrémités
qui sont toutes deux très-dangereuses.
La première , quoique moins ordinaire,
est néanmoins très à craindre. Ceux-là
tombent dans celte extrémité qui perdent
l'attention par un trop grand désir de la
conserver. Jls ne sont jamais contents (i'eux-
mêmes. Ils sont dans une agitation conti-
nuelle. Ils sont ingénieux à se tourmenter.
Ils recommencent ce qu'ils ont déjà dit, et
ia seconde fois ils sont encore moins satis-
faits d'eux-mêmes que la première. C'est
ignorer combien Dieu est bon à ceux qui le
cberclient que de se persuader qu'il exige
de ses serviteurs des tourments inutiles. La
tranquillité et le repos sont les principaux
avantages de ceux qui se donnent à Dieu.
Il est donc bien éloigné de vouloir que nous
nous abandonnions à des scrupules qui no
servent qu'à nous troubler et à nous ren-
dre |)l\is imparfaits. ' -
L'extrémité ojiposée est beaucoup plus
commune. Ceux-là y tombent qui perdent
l'attention, parce qu'ils se précipitent, et
qu'ils sont toujours bâtés lorsqu'ils ren-
dent à Dieu le tribut de la prière. Où donc
allez-vous, dirais-je volontiers à cet ecclé-
siastique qui dit son ofiice avec tant de
Jiàle ? Pourquoi cette préci|)itation ? Quelles
sont les all'aires im[)Ortantes qui vous pres-
sent et qui vous a})peilenl? Ou plutôt avez-
vous une atfaire plus importante que celle
de prier ? Songez-vous que vous êtes de-
vant Dieu et que c'est à lui que vous par-
lez? Vous ne pourriez pas supporter un
serviteur qui vous parlerait avec la môme
vitesse dont vous usez en parlant à Dieu ,
et vous croiriez avec raison qu'il ne con-
serve pas le respect qui vous est dû. N'ou-
(2S9) j Si oral psalmus, orale. Si gcmit, gemitp,
Si gralulatur, gaud.ie. Si &ii rat,bi)e.aie. Si liuiet,
,bliez jamais, quand vous priez, coinbion fst
redoutable la majesté de Dieu. Qu'elle vous
inspire un saint respect. Que votre creur en
soit pénétré. Que tout votre extérieur té-
moigne ce que vous sentez au-dedans do
vous-même.
Si vous vous appliquez à réciter votre
office avec attention, vous entrerez bieniAi
dans la troisième disposition que je vous
ai dit être nécessaire et que j'ai appelée dé-
votion. Un des principaux effets de celle
dévotion, et qui peut mieux nous faire
connaître si nous en sommes pénéirés, c'est
lorsque nous sentons en nous les mômes
sentiments qui nous sont exprimés dans les
paroles que nous adressons à Dieu. C'est
particulièrement dans la récitation des
psaumes que nous devons faire effort pour
entrer dans les mouvements du prophète à
qui Dieu les a inspirés.
Saint Augustin nous donne cette excel-
lente règle pour réciter les psaumes avec
.fruit. Il veut que nous soyons exacts à sui-
vre le Prophète dans tous les sentiments
qu'il a si noblement exprimés. Lorsque le
Prophète prie pour nous, dit sainl Augus-
tin, priez avec lui. Lorqu'il gémit, gémis-
sez. Lorsqu'il est dans la joie, soyez aussi
dans la joie. Lorsqu'il est plein d'espéran-
ce, espérez. Lorsqu'il est pénétré de crainte,
tremblez. Tout ce que le saint Esprit a
dicté au Propiiète-Iioi est écrit pour notre
instruction el pour nous ap[)renJreies senli-
ments dont nous devons être remplis (259).
Quoi de plus déraisonnable que de té-
moigner à Dieu que vous avez pour lui ces
grands senlimenis qui sont exprimés dans
les psaumes lorsque vous les désavouez
dans votre cœur? N'est-ce pas mentir à
Dieu? Il y a un très-grand nombre d'ecclé-
siastiques qui commettent presque autant
de mensonges qu'ils prononcent de paroles
dans la récitation de l'office.
Vous dites que vous criez de tout votre
cœur, et votre cœur est muet. Vous dites
que vous recherchez Dieu de tout votre
cœur, et vous le fuyez. Vous dites que vou.s
aimez Dieu de tout votre cœur, et ce sont
les choses du monde qui le remplissent.
Ne craignez-vous point encore une fois de
mentir à Dieu, qui connaît clairement quo
vous n'avez aucun des sentiments dont vous
l'assurez que vous êtes pénétrés.
Ce doit donc être là un de nos princi-
paux efforts dans la récitation de l'office,
et surtout dos psaumes , de concevoir dans
notre cœur ces grands sentiments qui sont
si vivement expliqués. Quoi de plus lou-
chant que les psaumes, lorsque des ecclé-
siastiques fidèles et qui se sont consacrés
à Dieu sentent en eux-mêmes ce qu'ils ex-
priment [tar leurs paroles?
Nous avons , par exemple, le psaume
CXVllI; nous le récitons tous les jours. Y
faisons-nous attention? avons-nous consi-
déré toutes les manières différentes dont le
limete. Omnia enira quae hic coiiscripla siiiit spécu-
lum nosirum sunt. » (S. Aie ,m psul. XXX,)
i-oi
HETUAIÏE ECCLES. - XIX, OFFICE DIVIN.
Proplièle s'ex|)lique pour marquer son
grand amour pour la loi de Dieu? Ne soiii-
nu's-iiGUS [)oint iioiUeux d'ôtre si froids en
|)r"i;()nçaiH des paroles toutes vives et lou-
les pleines d'ardeur?
David prie Dieu de l'instruire, et de lui
bien apprendre à connaître sa loi : Doce me
jxtslificaliones tuas.
]l regarde comme le plus grand de tous
les mnllieurs de iiVlre pas instruit de la
loi de Dieu : Xon aOscondas a me mandata
tua.
Il nit^dite la loi de Dieu : Injustificationi-
buis luis medilabor.
l'allé est dans son cœur : In cordemeo abs'
condi eloquia tua.
Sou grand d(5sirest de s'y conformer dans
toutes ses actions : Utinam dirigantur viœ
tneœ ad custodiendas justificationes tuas.
Il s'exerce à pratiquer la loi de Dieu :
Exercebar in mandatis tuis. Sentis aulem
tuus exercebalur in juslificationibus tuis.
Nobles tfforls et très-ni?cessaires. Travailler
tous les jours de plus en plus à avancer
dai)s l'observation de la loi de Dieu.
Les désirs qu'il a de garder la loi de Dieu
sont des désirs vifs et qui remplissent son
cœur : Scrutabor legem tuam, et custodiam
illam in loto corde meo.
11 déclare que ceux-là sont maudits qui
transgressent la loi de Dieu : Maledicti qui
déclinant a mandatis tuis.
C'est pour lui un sujet de tristesse de re-
marquer des bommes qui s'égarent , et qui
ne se conduisent point suivant la loi de
Dieu : Defectio tenuit me pro peccatoribus
derelinquentibus legem tuam.
11 considère comme des fables tous des
discours qu'il entend. On ne peut rien lui
proposer qui lui plaise, et qui lui paraisse
comparable à la loi de Dieu : Narruverunt
mihi iniqui fabulationes, sed non ut lex tua.
Il est déterminé, il a cboisi le bien qu'il
veut préférer à tous les autres. La loi du
Seigneur est son partage :i*orijomeo,Z)omme,
dixi custodire legem tuam.
Toute sa consolation, c'est de méditer les
I)iomesses du Seigneur. Ce sont ces pro-
Laesses avantageuses qui sont seules capa-
bles de relever son courage au milieu de
toutes les misères inséparables de celle vie :
Nisi quod lex tua mcditatio mea est, tune forte
periissem in humilitate mea.
Il ij'bésite pas à prononcer que la loi de
Dieu est le plus excellent de tous les biens.
Les choses de la terre les plus précieuses
ne sont rien en comparaison de celte sainte
loi : Quam dutcia faucibus meis eloquia tua
super mel oriineo. Dilexi mandata tua super
aurum et topnzium.
Voilà les nobles sentiments d'un grand
roi saintement pénétré de la grandeur de
Dieu, de l'équilé de sa loi, de l'excellence
de ses [iromesses. Ce qu'il assure dans le
psaume que vous venez d'entendre, il le ré-
jjèle en une infinité d'endroits. Ce sont des
sentiments fixes qui ne sortent point de son
cœur. Nous prononçons les mêmes paroles.
Qu'il nous serait important d'entrer dans le
♦508
môme esprit 1 Faisons toutes sortes d'efforts
pour nous pénétrer de ces sentiments, et
pour lors nous aurons celte dévotion qui
nous est si nécessaire pour réciter avec
fruit l'office de l'Eglise.
VoWh les vérités que j'avais h vous ex-
pliquersur l'heureuse nécessité que l'Eglise
nous impose de réciter l'office. Je dis heu-
reuse nécessité, et malheur h ceux qui ea
jugent autrement. Car quelle obligation plus-
douce pour un ecclésiastique que d'entre-
tenir un commerce si saint avec celui dont
il doit se faire honneur d'ôlre le ministre?
Vous avez vu le fruit que vous pouvez
retirerdela récitation de l'office, |)Ourvu
que vous vous appliquiez à entrer dans
toutes les dispositions que demande cette
sainte action. Déplorez votre malheur. Com-
bien y a-l-il de temps que vous priez sans
fruit ? Vousétes fie ci'ux dont un prophète-
a dit : qu'ils élèveront leurs mains vers l&
ciel et que Dieu détournera les yeux pour ne
les point considérer; qu'ils offriront beaucoup
de prières et quils ne seront point écoutés.
[Isai., XIV, 15.)
Malheur à vous qui , bien loin d'apaiser
Dieu par vos prières, l'irritez peut-être en-
core davantage à cause de la mauvaise dis-
position de votre cœur. Si vos prières môme»,
sont criminelles, il ne vous reste donc plus
aucune ressource. Changez et Dieu changera.
Convertissez-vous à lui et il se convertira à
vous, {Zach., 1, 3.) OEFrez-lui des prières,
qui s'élèvent vers lui comme la fumée de
l'encens.
Formez donc aujourd'hui la résolution
de regarder la récitation de l'office comme
une affaire importante et qui mérite que
l'on y donne toute son application. Choi-
sissez pour réciter l'office, non pas les mo-
ments inutiles et que vous ne pouvez rem-
plir d'aucune occupation, mais choisissez
les temps dans lesquels votre esprit est plus
en état de s'appliquera Dieu. Ne vous pres-
sez point d'achever un ouvrage que l'on
gâte presque toujours par la précipitation.
Considérez les justes raisons que l'Eglise a
eues de partager l'office, et entrez dans son
esprit avec le plus de fidélité que vous
pourrez. Mais surtout souvenez-vous oua
le cri du cœur est l'essence de la prière.
Ainsi, quand vous êtes près de prier, c'esî
surtout votre cœur et ses dispositions que
vous devez observer. Un office récité avec
un cœur humilié, vide de soi-même, rem-
pli de la majesté de Dieu, plein d'indiffé-
rence pour les choses terrestres, brûlant
d'ardeur pour les biens éternels, c'est là ce
qui pénètre les cieux, ce que Dieu demande
de vous, ce qui vous remplira de consola-
tion, ce qui sera pour vous une source
abondante de miséricorde.
Que le Seigneur vous fasse la grâce d'en-
trer dans ces dispositions, afin que vous
soyez de ceux dont le prophète dit, que
quand ils invoqueront le Seigneur ils seront
exaucés {Jerem. , XXlX,12],et afin qu'ujirès
l'avoir béni sur la terre, vous ayez le bon-
1305
hcurae le louer un jour aveclei saints dans
l'élernilé.
DISCOURS XX,
DE LA MESSE.
Parmi le grand nombre de motifs que
l'on peut apporter pour obliger les prêtres
?( vivre saintement, un des plus forts et
(|ui seul serait suffisant quand il n'y en au-
rait point d'autres, c'est qu'ils sont obligés,
rn qualité de prêtres, d'offrir à Dieu Jésus-
Cbrist son Fils dans le sacrifice de la messe.
Dieu disait autrefois en parlant aux piè-
tres de l'ancienne loi : Soyez saints; qu'ils
soient saints. (Levit., XXJ, 6.) Et '.a raison
qu'il en rafiportait , c'est qu'ils offrent
l'encens et les pains de proposition. Com-
ment donc pensez-vous que Dieu parlera
aux prêtres de la loi nouvelle? Combien de
fois leur répélera-t-il : Soyez saints ; quils
soient saints ?
Quoi 1 il fallait être saint pour offrir l'en-
cens et les pains de proposition I Quelle
sainteté donc ne faut il pas avoir pour offrir
Jésus-Christ? les pains de proposition n'é-
taient que la figure, Jésus-Christ est la vé-
rité. Les [)ains de proposition ne renfer-
maient qu'une sainteté légale, Jésus-Christ
est l'auteur de toute sainteté. Celui-là donc
(^ui a dit aux prêtres de l'ancienne loi :
Qu'ils soient saints, ne cesse de dire et de
ri'péler aux prêtres de la loi nouvelle : Qu'ils
soient saints.
Comme cette preuve tirée du sacrifice de
la messe est très-forle pour obliger les |)rô-
Ires à vivre saintement, j'ai cru que je de-
vais employer tout ce discours à vous 'en-
tretenir de cet auguste sacrifice. Il est d'au-
tant plus nécessaire que les prêtres en soient
instruits, que c'est une de leurs principales
fonclions. Dire la messe, et savoir à peine
ce que c'est que la messe : dire la messe et
ne jias connaîlre quelles sont les prépara-
lions nécessaires |)Our la célébrer avec fruit,
ce sont de tièi-fàcheuses extrémités. Le
luallieur est que beaucoup de prêtres y tom-
))enl : et comme un abîme attire un abîme
(Psal. XLI, 8), il serait diflicile d'expliquer
lous les désordres que cause cette coupable
ignorance.
Pour y apporter quelque remède voici les
deux véiités, dont je me projiose de vous
instruire dans les deux [)arties de ce discours.
Dans la première je traiterai de l'excel-
lence do la messe. Dans la seconde j'expli-
querai les préparations nécessaires pour la
bien célébrer.
PREMIER POINT.
Afin de bien connaître l'excellence de la
messe, et d'avoir une juste idée de ce re-
doutable mystère, examinons premièrement
cequec'est que la messe. Voyons en seconJ
lieu quelle est la vertu delà messe. Entrons
ORATEIJRS SACRES. JOSEPH LAMBERT. l-^Oi
enfin dans le détail des parties qui compo-
sent la messe. L'explication de ces vérités
me conduira au but que je me propose, et
TOUS fera voir qu'il n'y a rien de plus grand
que la messe.
La messe est un sacrifice qui est offert à
Dieu. Car dès que la messe est un sacrifice,
elle ne peut être oflerte qu'à Dieu.paisqu'il
est de l'essence du sacrifice de ne pouvoir
être présenté qu'à Dieu seul.
Le sacrifice est une reconnaissance de
notre dépendance. Nous dépendons de Dieu,
et nous ne cesserons jamais de dépendre de
lui. C'est Dieu qui nous a donné la vie, et
qui nous la conserve. C'est lui, dit le Pro-
phète, qui nous a faits. [Psal. XCIV, G.)
Et de 15 qu'en conclut-il, que nous le de-
vons adorer ? Venez, adorons Dieu, et nous
prosternons devant lui, puisque c'est lui qui
nous a faits. L'adoration et le sacrifice sont
des hommages réservés au souverain Au-
teur de toutes les créatures. Et ainsi c'est
un principe certain qu'il n'y a que Dieu
seul, à qui l'on puisse offrir des sacri-
fices.
Ce principe est une notion commune chez
tous les peuples du monde, et jamais, dit
saint Augustin, il n'y a eu aucun peuple
qui ait oflert des sacrifices qu'au Dieu véri-
table, ou à celui qu'il croyait être le vérita-
ble Dieu.;La messe donc, qui est le sacrifice
de la loi nouvelle, est olferte à Dieu, et no
peut être offerte qu'à Dieu (260).
Le concile de Trente, fiour expliquer cette
doctrine, s'est servi des paroles desainl Au-
gustin. Il a très-judicieusement remarqué
avec ce saint docteur, que jamais aucun
prêtre étant à l'autel n'a dit : Je vous offre
le s.iciilice, ô Pierre, ô Paul, ô Cyprien. Le
prêtre s'adresse à Dieu, il parle à Dieu, et
il lui offre le sacrifice (201).
Si les hommes étaient capables de s'éga-
rer jusqu'à vouloir offrir le sacrifice aux
saints : les saints, justement indignés, rejet-
teraient un honneur qui ne leur est pas dû.
Les saints pratiqueraient ce que firent saint
Paul et saint Barnabe, lorsqu'étant à Lys-
Ire, le peuple de cette ville voulut leur
Sticrifier comme à des dieux. Parce que ces
apôtres avaient miraculeusement guéri un
homme qui était boiteux, le peuple étonné
de ce prodige s'écria : Ce sont des dieux qui
sont descendus vers nous en forme d hommes.
{Ad., XIV, 10.) Le prêtre de Jupiter fait
conduire des taureaux : et le prêtre et la
peuple sont tout près de sacrifier à Paul et
à Bjrnabé. O zèle merveilleux de ces saints
hommes, pour reconnaître qu'un honneur
qui n'appartient qu'à Dieu ne peut jamais
être rendu à ses créatures! Ils déchirèrent
leurs vêtements. Ils crièrent hautement qu'ils
n'étaient que des hommes, et qu'il n'y avait
qu'un seul Dieu véritable, savoir le Dieu
vivant qui est celui qui a fait le ciel ef la
(260) t Quis sacrificandum censuit, nisi ei quem
Deuni au! scivit, aiit putavit, aul finxit. » (L, X De
Ch'ilati; Dei, c:ip. 4.)
(2G1) « E'cksia g?.criiiciu0i soliDeo offerri Jocel.
Unde nec sacerdos dicere solel : O/Terro libi sacriti-
ciiim, Pelre vel Paule. s (Sess. 22, De iacn/icio
Missœ, cap, 3.)
1305
KETIlAlTt; ECCLES,
lerre. Les saints ne veulent donc point
qu'on leur atlrihuo ce qui appartient à
èii'U, et par conséquent bien loin de leur
plaire, ce serait les oU'eiiscr, que de vouloir
leur oflVir quelque sacrifice.
C'est suivant ces principes que le saint
concile a ex|)liqué (loc. cit.) ce que l'on
doit ontrenJre par les messes que l'on célè-
bre en riionneur des saints, jl a réfuté la
calomnie de ceux qui ont voulu noircir
l'Eglise catholique, et qui l'ont faussement
accusée d'offrir le sacrifice aux saints. L'E-
glise, bien loin d'embrasser une erreur si
criminelle, la détestera toujours. Elle lan-
cera ses foudres contre ceux qui oseraient la
Soutenir.
Les messes que l'on célèbre en riionneur
des ."-aints sont ofTerles à Dieu. Dans la célé-
l)ralion du sacrifice nous reconnaissons que
Dieu est la force des saints, qu'ils ont iriom-
)dié par son secours. Nous le remercions
des victoires que les saints ont remiiortées.
Quoi (le plus raisonnable que tie reconnaître
que tout vient de Dieu, et que de lui rendre
des actions de grâces pour des victoires aux-
quelles nous sommes obligés de prendre
part, par l'étroite liaison que nous avons
avec les saints?
Après nous être saintement réjouis des
grandes victoires remportées par les saints,
nous les prions de se joindre à nous. Nous
jirésenlons à Dieu les prières que la charilé
<les saints les oblige à répandre pour nous.
Y a-t-il encore en cela quelque sentiment
qui puisse déplaire à Dieu, ou déro^jer au
respect que nous devons à sa majesté sou-
veraine ?
Voilà tout ce que l'Eglise entend, et ce
qui fait voir qu'elle ne s'est jamais éloignée de
ce grand principe, qui est que le sacrifice ne
peut être offert légitimement qu'à Dieu.
Après avoir examiné à qui le sacrifice est
oUerl, il faut maintenant voir quel est celui
qui oÛ're le sacrifice de la messe.
Jésus-Christ est le grand prêtre. 11 est le
jjrincipa! prêtre, ou pourmieux dire, il n'y
a qu'un seul et unicjue prêtre dans la loi
nouvelle, qui est Jésus-Christ. C'est lui que
saint Pierre ap|)elle le pasteur el l'évéque de
nos âmes. (I Pelr., Il, 25.) Ainsi c'est Jésus-
Christ qui est le j)rêire el c'est lui qui oli're
tous les sacrifices qui se célèbrent dans
l'Eglise chrétienne.
Nous n'avons, pour concevoir celle vérilé,
qu'à nous bien souvenir du grand principe
établi par saint Paul dans VEpUre aux Hé-
breux.
Quand il nous explique ce que c'est que
le sacerdoce de Jésus-Christ, il enseigne que
dans l'ancienne loi, il y a eu plusieurs prêlrcs,
parce que la mort les empêchait de l'être tou-
jours. Mais comme Jésus-Christ demeure éter-
nellement, il possède un sacerdoce qui est éter-
nel. [Uebr.^ \ll, 23.) Jésus-Christ est éternel,
— XX, LA MESSE. 13U6
il était hier, il est aujourd'hui, el il sera d<!
même dans tous les siècles. {Hebr., XIII, 8)
Son sacerdoce est éternel. Il fait encore tous
les jours les fonctions de son sacerdoce.
Une des principales c'est d'offrir le sacri-
fice.
Jésus-Christ est prêtre, et il est le seul
prêtre. Que sont donc, demande saint Au-
gustin, les hommes qui sont appelés prê-
tres, et à qui Jésus-Christ fait l'honneur de
les revêtir de son sacerdoce? S'ils sont pas-
teurs, comment est-ce qu'il n'y a qu'un
seul pasteur? Ils sont ()asteurs, répond saint
Augustin, parce qu'ils sont les membres do
ce grand et unique pasteur. C'est le sacer-
doce de Jésus-Christ dont ils sont révolus. Au
dehors [laraîl un homme mortel qui offre le
sacrifice. Mais la foi, qui ne s'arrête point
au voile extérieur et qui pénètre ce qui est
caché, découvre Jésus Christ le prêtre in-
visible, qui offre le sacrifice de la loi nou-
velle (262).
Ayons bien présent le grand principe de
saint Paul, el tirons-en celte induction sa-
lutaire, qui est que Jésus-Christ, comme
prôlre éternel, confère tous les sacrements
qui sont administrés dans l'Eglise chré-
tienne.
C'est lui qui baptise, s'écrie saint Jean.
Ce n'est point Pierre, ce n'est point Paul,
c'est Jésus-Christ qui baptise. {Joan., I, 33.)
Saint Augustin s'est servi elficacement
de ce principe |)Our établir le dogme de
l'Eglise catholique contre ceux (pii atta-
quaient la force du baptême administré
par les hérétiques. Saint Augustin, s'alta-
chant à ce qui était enseigné par la tradi-
tion de l'Eglise, a soutenu que le baptême
des hérétiques était valide. Son principe a
toujours été que c'était Jésus-Christ qui
baptisait, et qu'ainsi l'infidélité ou la ma-
lice des hommes ne pouvait pas altérer un
sacrement qui était conféré par Jésus-
Chr-ist (263).
;Ç C'est Jésus-Christ qui baptise. C'est Jé-
sus-Christ qui réconcilie les pécheurs lors-
qu'ils se jettent aux pied.s du prêtre pour
être déliés. Prêtres de Jésus-Christ, faites-y
une grande attention, vous n'êtes que les
ministres de Jésus-Christ, vous agissez en
son nom. Ainsi soyez exacts ; prenez garde
à ne pas délier lorsque Jésus-Christ lie;
prenez garde a ne pas absoudre, lorsque
Jésus-Christ condamne.
De même encore, comme l'enseigne saint
Chrysoslome [Hom. de prod.Judœ, l.Y),c'est
Jésus-Christ qui consacre son corps et son
sang dans les saints mystères ; c'est lui qui
le distribue au [>euple. Il est véiitablement
le nourricier d'Ephraim.{Osee, XI, 3.) Nous
pouvons bien nous écrier avec David , que
le Seigneur est notre pasteur, que rien ne nous
manquera, et qu'il nous a mis dans un excel-
lent lieu de pâturage. {Psal. XXII, 2.)
Jésus-Christ distrit)ue son cor[is et son
(262) € Si paslores sunl, qiiomodo unus paslor,
uiïiquia illi omnes suni uiiius nieuibrn pasioris. >
(S. Aie, tract. 46 in Joan.)
(2C3).4 Pcr qucn]lil)Ct niinistruin detur, lllius est
baplismus de quo dicium eal : Hic est qui bapliiat. i
(Lib. V conUa Donat., cap. 12.)
i307
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT
sang. Ce corps et ce sang précieux sont
offerls dans le sacrifice. Jésus-Clirist donc
est non-seulement le prêtre, mais encore il
est la victime. Le même Jésus-Christ qui
s'est offert sur la croix, s'offre sur nos au-
tels ; c'est le même sacrifice. Il n'y a au-
cune différence ni quant au prêtre, ni quant
à la victime. La seule différence est en la
manière de l'oblation. Ce qui s'est fait sur
la croix d'une manière sanglante, se renou-
velle sur nos autels d'une manière mys-
tique et non sanglante.
Ce renouvellement de sacrifice ne mar-
que point aucune imf)erfection, ni aucune
insuIRsance dans l'oblation qui s'est faite h
la croix. Nous savons trop ce que saint
Paul a ensei?;né quand il a dit qu'une seule
ablation a consommé l'ouvrage de noire
salut el de noire sanctification. [Uebr.,X,i'^^)
Il faut donc nous souvenir de celte obla-
lion qui s'est faite à la croix. Il faut que le
mérite de celle oblalion nous soit appliqué.
C'est le dessein que le Fils de Dieu a eu,
lorsqu'après s'êlre offert une fois à ia croix
il a voulu continuer à s'offrir sur nos au-
tels ; ce qu'il ne cessera jamais de faire
dans loute la suite des siècles. Et c'est
pourcpioi les prophètes ont appelé le sacri-
iite de nos aulels un sacrifice perpétuel.
Le sacrifice de la messe est offert à Dieu.
Jésus-Clirist offre le sacritice de la messe.
Jésus-Christ est offert dans ce sacrifice.
Quoi de [ilus excellent qu'un sacrifice offert
à Dieu, offert par un Dieu, el où un Dieu
est offert 1
Venons maintenant h la vertu de la messe
qui ne peut être que très-grande, et pour
vous le faire entendre, il n'est nécessaire
que de réfléchir sur les principes que je
viens d'établir.
Saint Paul enseigne, et c'est un principe
fondamental de la religion, quune seule
oblation a consommé l'ouvrage de notre salut
el de notre sanctification. Par là nous ap-
prenons que l'oblation à la croix est la
source de notre salut, et que tout notre
salut est attaché à la croix de Jésus-Christ.
C'est ce que saint Paul a voulu encore
nous apprendre quand il nous dit que le
Fils de Dieu a effacé la sentence de condam-
nation prononcée contre nous, el que pour
l'abolir entièrement il l'a attachée à la croix.
{Col., XI, 14.) Voilà le moyen efficace dont
le Fils de Dieu s'est servi pour abolir celte
sentence terrible qui nous condamnait : Jl
l'a attachée à la croix. Elle a été effacée par
le sang qu'il a répandu pour nous. Le saint
Apôtre dit ensuite que le Fils de Dieu a
vaincu ses ennemis par la croix. La croix
de Jésus-Ghrisl esldonc tout le fondement
de nol.^e espérance. Nous la devons avoir
continuellement en vue. C'est là d'où dé-
coulent les grâces. Voilà "pourquoi saint
Paul disait qu'il ne voulait se glorifier qu'en
la croix de Jésus-Christ. {Gai., VI, 14.) If re-
connaissait que la croix était toute sa force,
et que séparé de la croix il ne pouvait plus
rien.
Si la croix de Jésus-Christ est loute no-
1508
Ire force, que ne devons-nous point at-
tendre d'un saint mystère que Jésus-Christ
a particulièrement institué pour nous fàiref
souvenir de sa mort bienheureuse? |
Quelle fin le Fils de Dieu s'est-il proposée
quand il a établi la messe? Que saint Paul
soit toujours la lumière qui nous éclaire et
le docteur qui nous instruise. 11 nous ap-
prend que Notre-Seigneur, en instituant les
saints mystères, dit à ses apôtres : Faites
ceci en mémoire demoi. (1 Cor., XI, 24.) Saint
Paul, expliquant ces paroles de Jésus-Christ et
voulant nousfaire voir l'obligation que le Fils
de Dieu nous a imposée d'être altentils à sa
mort en célébrant les saints mystères,
ajoute : 2'oMf es les fois que vous mangeresi
ce pain et que vous boirez ce calice, vous an-
noncerez la mort du Seigneur. [Ibid., 26.)
Jamais je n'ai plus de conliance que quand
mon esprit est occupé de la mort de
mon Sauveur, et jamais je n'ai lieu de
penser plus efficacement à la mort de mon
Sauveur que quand je célèbre des mystères
dans lesquels il me commande expressé-
ment de me souvenir de sa mort.
Vous annoncerez la mort du Seigneur.
Vous concevez assez que dans les saints
mystères on n'annonce point la mort du
Seigneur d'une manière stérile. En même
tem|)s que nous annonçons la mort du Sei-
gneur, nous en recueillons le fruit. C'est
particulièrement dans la célébration des
saints mystères que nous sommes arrosés du
sang de Jésus-Christ. [Ilebr., IX, 19.) C'est
là que se pratique à la lettre ce qui avait été
figuré dans l'ancienne loi lorsque Moïse
jeta du sang sur le tabernacle, sur les vases
qui servaient au culte de Dieu, el sur tout
le peuple.
Célébrons les saints mystères pleins de
foi. Soyons convaincus que nous y annoU'
çons la mort du Seigneur, et que nous en
recueillons le fruit avec abondance. Nous
serons persuadés que la messe a beaucoup
de vertu, non-seulement par ce que la foi
nous en apprend, mais encore nous en fe-
rons une heureuse expérience, et nous sen-
tirons tous les jours de plus en plus corn-,
bien nous sommes redevables à Noire-Sei-
gneur de nous avoir donné un moyen si
efficace pour attirer sur^nous les grâces
qu'il nous a méritées par sa mort.
Il n'y a donc point de temps où nous de-
vions être plus unis à Jésus-Christ que
lorsque nous célébrons les saints mystè-
res; nous ne le devons point perdre de vue
et nous devons penser continuellement à
sa mort. Toutes les parties de la messe nous
aideront à bien imprimer en nous ce sou-
venir salutaire. Voilà pourquoi je vous ai
dit que pour bien connaître l'excellence de
la messe, il élait nécessaire d'être instruit
des parties qui la composent.
Les trois parties delà messe sont l'obla-
tion, la consécration , la communion.
L'ordre des sacrifices est que l'hostie
soit d'abord offerte. Nous offrons dans les
saints mystères au Père éternel la plus sainte
de toutes les victimes. « Recevez,, ô Père
1509
RirrHAITE rcCLES. — XX. LA MKSSE.
l*l(»
irès-saint, celle lioslie siins tache, que je
vous otrre pour mes ixjcliés, qui sont sans
nombre, pour tous les assisl.inls et pour
tous les [idèles vivants ot morts. »
Le prôire no lient encore entre les mains
que !os signes niak^riels. Mais il sait que
ces terrestres éléments seront bientôl chan-
gés au corps et au sang du Soigneur. Voilà
pourquoi, uniquement attentif à l'hostie
sans tache qu'il doit immoler, il commence
à l'o/Tiir comme si elle était déjh présente.
Il l'ofî're pour ses péchés qu'il reconnaît
être sans nombre, pour tous les assistants,
pour tous les fidèles soit morts, soit vivani.s.
Quelle entreprise que de demander tant de
grâces et l'expiation de tant de péchés dans
un seul sacrifice? Ne craignez point, mi-
iiislres du Seigneur, vous pouvez demander
avec conliance. L'hostie que vous offrez au-
rait la force d'expier encore un [dus grand
nombre de péchés. Puisqu'elle est d'un mé-
rite infini, il n'y a aucun péché, et l'on n'en
|ieut concevoir aucun pour l'expiation du-
quel elle ne soit suflîsanle.
Après que l'hoslie avait élé ofî'erte, elle
était immolée. L'iioslie sans tache que le
jirétre a commencé d'offrir sera aussi iin-
ni'olée. L'immolation se fait à la consécra-
tion : immolation très-réelle et très-véri-
table, quoique mystique et non sanglante.
Pour lors le corps et le sang de Jésus-
Chrisl, autrefois immolés d'une manière
sanglante, le sont encore mysliquement.
Jésus-Chiist nous a laissé des signes pleins
de ce qu'ils représentent. Le corps et le
sang de Jésus-Clir-isI, véritablement pré-
sents entre nos mains sous différents
signes, nous font souvenir de la manière
dont ils ont élé séparés à la croix. Que nous
serions aveugles et criminels si notre esprit
fi'élait [)as pleinement occupé de la mort
de Nolie-Seigneur 1 Dans toute la suite de
nos mysières la mort du Seigneur doit être
présente. Mais il est indispensalile de faire
encore de plus sérieu-s efforts pour s'en pé-
nétrer, lorsque la victime même qui est im-
molée à nos yeux nous tient un langage que
nous ne pouvons pas ne point entendre, à
moins que volontairement nous ne nous
rendions sourds à la voix de Dieu la plus
claire et la plus intelligible.
Afin que le sacrifice soit complet, il no
reste plus que de distribuer la victime.
Elle a été immolée pour nous. Elle est toute
à nous. Nous la pouv.tms considérer comme
noire bien. Nous n'a-vens qu'à approcher
pour nous en mettre en possession. C'estdonc
l'inlention de Jésus-Christ que ceux qui
ont olferl, que ceux poiirqui l'hostie a été
immolée, se nourrissent aussi de la victime.
Ecoutez le saint concile de Trente. Il a
parlé d'une manière très-conforme à l'in-
leiilion de Notre-Seigneur. Le saint concile
souhaiterait que dans loulcs les messes les
lidèles qui y assistent comiuuniassenî non-
(201) I Oplarct saiicla Synoilus ut in tingiilis Mis-
i\> (iiielcs adstantes non s'jluni spiriluaii alleciu, Mil
saciamcalaliler eliain EvichuriMi.c [erceptioiie
seulement d'une manière siiiriluelle, mais
encore d'une manière sacramentelle, afin
que par ce moyen le sacrifice auquel ils
sont présents leur apportât 1)1 us de fruit (2ei).
Vous voyez donc que pour assister à la
messe d'une manière parfaite, et suivre
toutes les intentions de Jésus-Christ, il faut
participera la victime. Quand le prêtre a
communié, l'ordre serait que le peuple sui-
vît et vint aussi se présenter à la table.
Enseignez à votre peuple une vérité qui est
si peu connue et dont l'ignorance a peut-
être causé ce refroidissement pour la com-
munion. Apprenez-leur que s'ils ne sont
pas assez préparés, et s'ils n'ont pas assez
de zèle pour se nourrir de la victime d'une
manière réelle, ils doivent au moins s'en
nourrir d'une manière spirituelle. Pour cela
ils doivent être exacts à se joindre au prêtre
lorsqu'il communie, et ils doivent désirer
avec ardeur que Jésus-Christ, en les nour-
rissant de sa chair et de son sang, leur com-
munique par de si saints mystères le fruit
de sa bienheureuse mort.
Voilà les parties de la messe et ce qui
s'observe dans la célébration de nos mys-
tères ; nous avons la consolation que nous
suivons fidèlement ce que Jésus-Christ nous
a enseigné, et qu'attachés fermement à la
tradition que nous avons reçue, nous sui-
vons le môme ordre qui s'observait dès les
premiers temps de l'Eglise.
A'ous serez bien aise, pour vous affermir
de plus en plus dans le saint respect que
vous devez avoir pour nos mystères, d'en-
tendre quel était l'ordre du sacrifice dans
les premiers siècles de l'Eglise. Vous ver-
rez quelle a été sa fidélité à conserver tou-
jours exactement le dépôt que nos pères
nous ont laissé.
Les saints Pères ont composé des apolo-
gies pour justifier les chrétiens, pour faire
voir ce qu'ils étaient, pour montrer l'inno-
cence de leur culte, et combien ils étaient
éloignés de commettre les crimes dont on
les accusait faussement.
Les païens reprochaient aux chrétiens
qu'ils célébraient des mysières cruels,
dans lesquels ils faisaient mourir un en-
fant. L'immolation de la chair et du sang
de Jésus-Christ, qui se fait dans nos saints
mysières, et le bonheur qu'ont les chrétiens
de se nourrir de cette divine chair et de ce
sang [)récieux, avait sans doute donné lieu
à celle fausse accusation.
C'est ce qui a obligé les saints Pères à
exposer ce qui se passait dans les assem-
blées, parmi les chrétiens, et comment ils
se conduisaient dans la célébration de leurs
mysières. Voici comment en parle saint
Juslin (apolog. 2, p. 97 et 98), qui vivait
au il', siècle, et comment il décrit l'or-
dre de nos mystères :
« Le saint jour de dimanche, tous ceux qui
sont dans la campagne et qui demeurent
(oniiniiiiicarciil. > (Scss. 22 De maifiào Miss(e,
cq». 0.)
Î5H
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT
1312
dans les villes, s'assemblent dans le môme
lieu. » Voilà l'origine de ces .issembléesqui
se font f)armi nous le jour du dimanche.
C'est ce qui fait voir comment ces assem-
blées doivent être respectées, et que les
vrais fidèles doivent être très-exacts à s'y
rendre.
Saint Justin continue. « On lit dans l'as-
semblée les écrits des prophètes et des apô-
tres Inondant un certain temps qui doit être
consacré à ces saintes lectures. »
Nous faisons encore ces lectures, et
nous les puisons dans les mêmes sources.
«Après que les lectures sont finies, ajoute
saint Justin, l'évêque ou Je prêtre qui pré-
side dans l'assemblée fait un discours pour
instruire le peu[)le et pour l'animer à pra-
tiquer Ips vertus qui conviennent aux vé-
ritables chréliens. »
De là il résulte que, selon l'ancien usage
de l'Eglise, l'jnslruction n'était jam;\is
omise dans la célébration de nos mystères.
Un chrétien qui veut passer saintement
le dimanche, doit être exact à se nourrir
de la sainle parole. L'instruction dans les
premiers temps était regardée comme par-
tie de la messe. 11 est encore reconim;uidé
aux pastenrs d'expliquer à leur peu|)le les
vérités contenues dans la parole de Dieu.
Ceux-là sont très-criminels qui s'éloignent
de celle sainle et ancienne pratique, et qui
laissent mourir le peuple de faim, jiarce
qu'ils négligent de lui distribuer le jiain de
la parole du Seigneur.
Quand l'inslruclion était finie, tous se
îevuient. L'assemblée retentissait de |)rières
et de vœux. Puis on offrait le pain et le vin
mêlé d'eau. Voilà l'oblation, et vous voyez
encore le môme ordre exactement observé
dans nos assemblées.
Le président de rassemblée renouvelle
ses efforts, en poussant des vœux vers le
ciel et en rendant giûces au Tout-Puissant.
C'était dans le cours de ces prières que se
faisait la consécration qui est la partie prin-
oi()ale du sacrifice. Car saint Justin marque
dans la suite qu'après ces piières on élait
persuadé que le pain et le vin devenaient
la chair et le sang de Jésus-Christ. Telle
était la loi de la primitive Eglise que nous
conservons inviolablement Nous sommes
persuadés que le pain et le vin deviennent
la chair et le sang de Noire-Seigneur. Et
c'est ce qui a toujours été cru dans l'Eglise
chrétienne.
La consécration élait suivie de la com-
munion. Ceux qui éiaient présents partir
cipaient aux saints mystères. Les diacres
les portaient à ceux qui rr'avaient pu se
rendre à l'assemblée.
Voilà les trois parties de la messe clai-
rement marquées. Ce que nous faisons au-
jourd'hui s'est toujours observé. Nous sui-
vons la route qui nous a été marquée par
les apôtres et par leurs successeurs.
Il n'y aurait rien à souhaiter, sinon que
coiume nous avons conservé fidèlement le
dépôt sacré de la doctrine et l'ordre des
céréoionies, aussi nous eussions eu la mémo
exactitude à nous maintenir dans l'esprit
de la religion et de la piété, dont les [ire-
miers chrétiens nous ont laissé des témoi-
gnages si édifiants.
Il n'y a rien de plus saint que les mys-
tères que nous oEfrons. Mais nos disposi-
tions répondent-elles à la sainteté de nos
mystères ? Qu'il y a peu de prêtres qui en-
trent dans les dispositions que demandent
des myslères si saints 1 C'est ce que vous
allez voir dans la seconde partie de ce dis-
cours, où je dois vous parler de la prépa-
ration nécessaire pour bien célébrer la sainte
messe.
deuxié:me point.
Il faut d'abord établir qu'il y a deux sor-
tes de préparations pour bien entrer dans
l'esprit de nos mystères et pour les célé-
brer avec fruit. Il y a une préparation qu'on
appelle éloignée, et il y en a une autre que
l'on nomme prochaine.
Par la préparation éloignée dont je vais
conmiencer à vous parler, on entend le
genre de vie chrétienne et ecclésiastique
que doit mener un prêtre pour ôlre en, étal
d'ap|MOcher des saints autels.
Ce serait une erreur très-grossière que
de se persuader qu'on est préf)aré à célé-
brer les saints mystères, lorsqu'on a soin,
avant cette sainte action, de se recueillir
pendant quelque espace de temps, ou bien
lorsque se sentant coupable de péché on a
recours, pour en être purifié, à ceux qui
ont reçu de Jésus-Christ le pouvoir de re-
mellre les péchés.
Je dis que beaucoup de prêtres qui se
confessent exactement, qui se recueillent
et (|ui sont occupés de la grande action à
laquelle ils se préparent, ne laissent pas de
célébrer les saints mystères d'une manière
très-indigne et pour leur propre condam-
nation.
Car, ce que nous devons particulièrement
observer, c'est de voir si la première et la
principale disposition est en nous. L'essen-
tielle préparation, c'est de mener une vie
sainte et ecclésiastique. Sans cela n'entre-
prenez point de célébrer les saints mystè-
res, vous en êtes indigne. Si vous osez ap-
procher de l'autel, vous ne ferez qu'aug-
menter le nombre de vos iniquités.
11 n'y a que les [irêtres qui sont saints
qui peuvent approcher des saints autels.
Les choses saintes sont pour les saints.
Je vous l'ai fait voir dans d'autres dis-
cours, les ecclésiastiques doivent être des
saints ; c'est-à-dire que leur vie doit être
très-sainte, très-exacte, conforme aux rè-
gles du christianisme et aux principes de
la vie ecclésiastique. C'est là en quoi con-
siste la sainteté, et c'est là ce qui dispose
les ecclésiastiques à célébrer dignement nos
redoutables mystères.
« Cet aliment, dit saint Justin (apol. 23, p.
97} ensuite des belles paroles quejevousai
rapportées, « est appelé eucharistie. II n'est
permis do s'en nourrir qu'à celui qui croit
toutes les vérités que Jésus-Christ a cnsei-
4315
RETRAITE ECCLE
gnées el qui mène une vie fonfornie niix
saintes maximes qu'il nous a laissées dans
son Evangile. »
Saint Justin parie des dispositions r\6-
cessaires pour se nourrir de l'eucliarislie.
Remarquez ces paroles : « Il n'est permis
d'en approcher qu'à celui qui croit, » etc.
Selon saint Justin, pour approcher digne-
ment de l'eucliarislie, il est nécessaire de
mener une vie conforme aux saintes maxi-
mes de l'Evangile. Saint Justin assure que
celte disposition n'est pas moins nécessaire
que la foi.
Un prêtre donc qui veut célébrer digne-
raent les saints mystères, doit commencer
par l'oxamen de sa vio, et voir si elle est
conforme aux saintes maximes que Jésus-
Christ a enseignées.
Que penserons-nous de tant de prêtres
qui approchent des saints autels et dont la
vie n'est point conforme aux maximes de
Jésus-Christ?
Un piôlre ambitieux suit-il les maximes
de Jésus-Christ? Peut-il se présenior de-
vant les autels pour y oflrir Jésus-Christ
anéanti jusqu'à prendre la forme de serviteur?
Combien yen a-t-il qui, pour me servir des
termes de saint Grégoire de Nazianze (oral,
10, [). 165), gémissent sous la servitude d-j
ce cruel tyran, l'ambition, el qui néan-
moins ne s'abstiennent pas d"excrt;er les
plus saintes fondions? On vous voit à l'au-
îe], et cependant on sait que vous nourris-
•sez dans voire cœur des sentiments d'am-
bilion, que vous soupirez après les digni-
tés, que, pour y parvenir, vous employez
les sollicitations, le crédit, les brigues et
toutes sortes d intrigues ; que voire ûme est
rongée d'ennuis parce que vous trouvez les
portes fermées, et que de puissants concur-
rents vous ont éié préférés, quoique vous
prétendiez les surpasser en mérite.
Comment pouvez- vous vous aveugler
jusqu'à vous persuader ou que vous n'êtes
point ambitieux, ou que l'ambition n'est
point un crime, ou que ce crime n'est point
un obstacle qui doive vous éloigner de
l'exercice de vos fonctions, et particulière-
ment de la célébration de nos mystères.
Croyez-vous être en étal d'otfrir Jésus-
Christ pendant que vous prodiguez les re-
venus ecclésiastiques et que vous en faites
nn si pernicieux usage?Ces biens ecclésias-
tiques, à qui appartiennent-ils? Sont-ils à
vous?pensez-vous en être le maître absolu?
L'illustre père de saint Gréjjoire de iNa-
zianze élait dans un sentiujent enlièremont
opposé au vôtre. Dans l'éloge que cet ad-
mirable lilsnous a laissé de ce grand évo-
que, il le loue particulièrement de la sage
Uistribulion qu il faisait de ses revenus. 11
s'en considérait, dit saint Grégoire de Na-
ziaiize, non pas comme le luaîlie, niais
comme le dispensateur, il ne se contentait
pas de distribuer aux pauvres son superlîu,
il se retranchait sur son nécessaire alin de
les soulager plus libéra'ement dans tous
i'.u.'s besoins. (Orat. 19, p. 298.)
Tous les saints Pères de l'Éj^lise ont pro-
S. — XX, LA MESSE. 1314
nonce d'une voix unanime, que vous n'êtes
que des économes. Vous les entendez uni-
versellement s'élever contre vous, et vous
reprendre de ce que vous enlevez aux pau-
vres un bien qui vous est conlié afin quo
vous leur en fassiez la distribution selon
leurs besoins.
Cet ecclésiastique s'accusera d'une faute
très-légère. Il se croirait coupable s'il al-
lait h l'autel sans l'avoir déclarée, el il ne
se fuit aucun reproche de dépouiller les
pauvres qui languissent dans la misère,
pendant qu'il vil largement et qu'il ne re-
fuse rien à sa délicatesse. Voilà île ces hom-
mes dont le Fils de Dieu a parlé, qui ont
grand peur d'avaler un moucheron, et qui
avalent un chameau (Matlh., XXIIl, 24.)
sans y f»rendre garde et sans en être elïrayés.
Celui quo je vois à l'autel est un pasteur
qui s'acquitte très-négligemment de tous
ses devoirs, qui reçoit le revenu, et qui se
décharge de ses fonctions sur d'autres liom-
mes, qu'il récompense très-légèremenl.
C'est un pasteur qui n'instruit point et qui
est peut-être incapable de s'acquitter de
cette importante fonclion. C'est un pasteur
ennemi du travail et de toute contrainte,
qui connaît bien les prérogatives d'honneur
atlachées à son emploi, mais qui a grand
soin de se dissimuler ses obligations. Un
pasteur de ce caractère est-il en état d'a-
paiser Dieu en offrant la sainte victime?
Que j'ai bien |ilulùl lieu d'assurer qu'il ir-
rite Dieu [)ar le criminel abus qu'il fait de
ce qu'il y a de plus saint dans la religion.
Celui qui approche des sainis aulelsdoit
mener une vie chrétienne. Sa vie donc doit
ôlre détachée des choses de la terre. Le
prêtre marque assez la nécessité de co dé-
tachement quand il prononce ces paroles :
« Que vos cœurs soient élevés en haut 1
Qu'est-ce qu'un cœur éievé en haut? C'est
un cœur qui recherche ce qui est dans le
ciel, où J ésus-Christ i est assis à la droite de
Dieu. C'est un cœur qui na d'affection que
pour les choses du ciel, et qui n'en a plus
pour celles de la terre. (Col., 111, 1.) Saint Chry-
sostome dit (hora. 24 in I ad Cor.) que
les chrétiens qui se nourrissent de l'euclia-
rislie, doivent ressembler à des aigles,'
qu'ils doivent s'élever en haut et n'avoir
plus rien de commun avec la terre. Il faut
donc bannir des saints autels les prêtres|
intéressés, criminellement attachés aux
biens de ce monde, et qui servent l'argent'
plutôt que Jésus-Christ.
Est-ce une vie ecclésiaslique que la vie
de ces prêtres oisifs qui languissent dans
la mollesse, qui ne rcs[)irent que Je plaisir,
qui remplissent les places |)ubliques, et
(lonf toutes les occupations sont séculièies
et profanes? Ils récitent l'office, ils célèbrent
la messe, n'en exigez pas davantage d'eux.
Après cela ils croient être les maîtres do
leur temps. Ne leur demandez ni étude, ni
lecture, ni conférence pieuse, ni aucun tra-
vail [)Our l'utilité du prochain. De teis prê-
tres ai';)rochenl lou^ les jours des aute'«.
Le peuveni-ils faire? Qu'ils consulteal Lieu
1313
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
)5IS
et qu'ils entendent co qu'il prononce de
Jeurs prières el de leurs sacrifices : A^e
m'offrez plus de sacrifice inutilement, votre
encens m'est en abomination, je ne puis souf-
frir vos fêles, je hais vos solennités, elles me
sont devenues à charge et je suis las de les
souffrir. {Isa., I, 13.)
Que dirons-nous de tant d'autres qui,
beaucoup plus criminels que ceux doni je
Tiens de parler, perdent absolument tout
respect pour les choses saintes, et ne crai-
gnent point de profaner ouverlemcnl le
sang de Jésus-Christ?
Voici ce qui ne peut être assez pleuré,
pour peu que l'un ait de crniute du Sei-
gneur et de respect pour les saints mystères
de la religion. Des prêtres qui devraient
être des saints seront des profanes, des
mondains, des hommes sensuels, et quel-
quefois même des méchants et des impies.
Ces hommes sans sainteté, ces hommes
noircis de crimes approcheront de tout ce
qu'il y a de plus saint dans la religion. Quel
endurcissement ! quelle profanation ! Com-
ment ces hommes criminels n'aperçoivent-
ils point l'ange du Seigneur, qui est à la
porte du temple avec une épée de feu pour
leur en défendre l'entrée? {Gen., III, 2i.)
On ne peut trop élever sa voix pouc leur
faire entendre que s'ils sont assez osés pour
célébrer les saints mystères, c'est contre la
volonté du Seigneur qui les rejette, qui les
réprouve, qui leur déclare qu'il est très-
irrilé de la violence qu'ils osent faire au
corps et au sang de Jésus-Christ.
Ah 1 si l'on connaissait quelle doit être la
sainteté d'un prêtre, et combien celle sain-
teté est nécessaire pour exercer dignement
les grandes et importantes fondions du sa-
cerdoce, que de prêtres qui se retireraient
du saint autel !
Qu'ils songent à changer de vie, à réfor-
mer leurs mœurs à se dépouiller de ce qui
est en eux,el à acquérir ce qui leur man-
que. Ils reçoivent l'auteur de la vie, et ils
sont dans un état de mort. Comment le
leçoivent-ils, pour leur condamnation? y/s
mangent et ils boivent leur jugement. « Que
celui-là, dit saint Ambroise, change de vie
q;ii veut recevoir celui qui est la vie. Car
s il ne change [las de vie, il recevra pour sa
condamnalion celui qui est le principe de
la vie. Bien loin d'être guéri, sa maladie
augmentera. Bien loin de trouver la vie, il
se donnera la mort (265). »
Voyez dans quelle extrémité malheu-
reuse se réduit celui qui approche des
saints autels sans avoir celte sainteté ab-
solument nécessaire pour y participer avec
fiuil. Il s'empoisonne, il se donne la mort.
Semblable à ces malades eu qui lout se con-
vertit en corruption, il change en poison
Jes remèdes les plus salutaires, qui de-
vraient opérer sa guérison et lui rendre la
vie. La source de tous ces malheurs c'est
(265) € Miitetvit.itn qui vult acciperc vitam : nâni
si non muiai vitam, ad judicium accipiet vitam, et
mag s ex ipsa corriiinpiuir q'iaiii sa etur, majis
la malignité do son cœur, c'est que sa vie
n'est point sainte, c'est qu'il veut allier en-
semble en qui ne peut être joint, savoir
Jésus-Christ l'auteur de toute sainteté et le
péché mortel.
Voici donc en quoi je fais consister la
préparation essentielle pour célébrerdigne-
raenl les mystères de Jésus-Christ.
il faut en premier lieu avoir renoncé à
tous les excès contraires à la sainteté de la
vie ecclésiastique.
Il faut en second lieu examiner les de-
voirs de son état, et être dans la disposition
de s'en acquitter avec fidélité.
Il faut enfin remplir saintement ses jours
et s'occuper de bonnes œuvres.
Voilà les grandes dispositions où doit
entrer un chrétien et un prêtre pour traiter
dignement les mystères de Jésus-Christ. Ces
dispositions sont grandes. Mais [)eut-on en
moins demander , quand on fait attention h
la sainteté de nos mystères? Avec toutes ces
dispositions, un chrétien n'avouera-t-il pas,
que Jésus-Christ lui fait un honneur trop
grand , lorsqu'il veut bien se communiquer
à lui? C'est Jésus-Christ que vous recevez
et qui vient dans votre âme. Donc vous ne
pouvez assez faire d'efforts pour la purifier
et pour la rendre digne de recevoir celui
qui est la sainteté même.
Je n'ai encore parlé que des dispositions
éloignées et du genre de vie que doit em-
brasser un prêtre pour approcher digne-
ment des saints autels.
Outre ces dispositions éloignées, il y a
encore la préparation prochaine, qui est
celle dans laquelle un ecclésiastique doit
entrer, lorsqu'il est près de célébrer les
saints mystères.
Pour lors il doit se recueillir, considérer
attentivement la sainte action qu'il médite
de faire, el se remplir l'esprit de la gran-
deur de nos mystères.
Pour entrer dans celle disposition il est
nécessaire, avant que d'approcher de l'au-
tel, de prendre un temps, pendant lequel
on s'applique sérieusement à rappeler son
esprit à Dieu, et à lui demander les grâces
dont nous avons besoin, pour nous bien
conduire dans la plus importante fonction
de notre n)inistère.
Plus l'action est grande, plus elle est dif-
ficile, plus nous avons besoin de grâce pour
y bien réussir. Le vrai moyen pour les ob-
tenir, n'est-ce pas de les demander avec
ferveur à celui de qui vient toute grâce ex-
cellente et tout don parfait ? Que ce soit
donc là votre règle, el suivez-la fidèlement.
N'approchez jamais du saint autel, que vous
n'ayez pris un temps raisonnable pour vous
recueillir et pour implorer le secours du
Seigneur.
Que prononcerez-vous de ces ecclésiasti
ques qui vont à l'autel sans préparation ?
Leur esprit est plein des atfaires séculières,
occiditur, quam vivificelur.
Advent.)
(Serm. 4 Dominic.
i5l7
RETRAITE ECCEES. — XX, LA MESSE.
dos nouvelles du monde, et je les vois lout
d'un coup sans avoir [)ris aucun temps pour
se vider des choses de la terre, passer de la
place publique .'i l'autel. De quoi s'occupera
pendant la [célébration des saints mystères
cet homme tout plein des affaires du siècle ?
Je suis extrêmement oITensé, lorsque dans
le lieu même d'où l'on ne sort que pour
aller immoler la victime , j'enlends un mur-
mure confus. Les nouvelles du monde sont
toute la matière des entretiens. Souvent
même j'enlends un bruit qui marcpie de l'ai-
greur et des contestations.
Mais je suis encore beaucoup plus of-
fensé, lursipie m'npprociiant de ()liis [)rès ,
je deviens moi-même le témoin d'un i^rand
nombre d'irrévérences. Alors j'!if)eiçois
des prôlres presque entièrement révolus, qui
n'attendent plus que le moment auquel ils
seront apf)elés, et qui continuent encore à
s'entretenir dos atfaires du siècle. J'a-
perçois même des disputes qui ont pour
principe un intérêt léger, ou quelque
préférence dont on croit avoir droit de .s'of-
fenser.
Enlin l'heure arrive, et l'on va à l'autel
avec un osprit dissipé et quelipiefuis même
plein d'aigreur. Arrêtez et n'ovancez pas
davantage, ayez une jilus noble idée de
notre sacrifice, concevez qu'une si sainte
action demande une autre préparation que
colle que vous avez ap|)ortée. Vous allez
oDTrir la victime de projjilialion , et par la
mauvaise disposition de votre cœur, vous
irriterez Dieu et vous attirerez sur vous les
effets redoutables de ses plus terribles ven-
geances.
Un prêtre qui vaà l'autel sans préparation,
n'est guère en état d'édifier lorsqu'il, célè-
bre nos mystères. Ordinairement c'est une
vue égarée, c'est une extrême précipitation.
Gn lit sur le visage de cet licmme que
..son esprit et son cœur ne sont point occu-
pés de la sainteté de nos mystères. Vou-
driez-vous traiter des affaires 'du siècle avec
une pareille précipitation ? Ridicule point
d'honneur, vanité pleine de folie! Quelle
gloire? qui la peut inspirer que le prince des
ténèbres? Se piquer que ion surpasse les
■autres en vitesse, et s'en faire un mérite.
La véritable règle que doit suivre un
piètre touché d'un saint désir de soutenir
son caractère dans toutes ses actions , c'est
de prendre garde lorsqu'il est à l'autel à ne
tomber dans aucun excès. Ainsi il doit ég;;-
lement éviter et la lenteur et la précipita-
tion. La lenteur rebute les assistants , et
jteut même être cause que leur piété s'affai-
blisse. La précipitation offense et est insup-
portable aux âmes pénétrées do la sainteté
de nos mystères. Maisquand un prèlre évite
ces excès, quand il prononce avec giavité ,
qud toutes les cérémonies sont dans leur
ordre; quand on voit un homme attentif,
modeste, recueilli, qui fait voir par toute
sa conduite la haute idée qu'il a de nos
mystères, les assistants sont édifiés, ils sont
plus disposés à se recueillir eux-mêmes, et
a eiiiroi dans l'esprit de [)iélé .si nécessaire
1518
pour recevoir les grâces que Dieu répand
abondamment sur ceux qui assistent è nos
redoutables mystères dans de saintes dis-
positions
Une action qui doit être précédée d'une si
grande préparation , demande aussi sans
doute du recueillement, lorsqu'elle est finie.
Il ne convient pas qu'un prêtre , aussitôt
après qu'il a célébré les saints mystères ,
abandonne le Seigneur, pour entrer en com-
merce avec les hommes. Ce serait sans
doute témoigner bien peu d'estime pour les
choses saintes. Quel bienfait méritera des
actions de grâces, si l'on n'en rend pas au
Soigneur lorsqu'il a bien voulu nous per-
mettre de traiter de si saints mystères?
Un homme du monde serait-il excusable,
qui au sortir de la sainte table se dissipe-
rait dans des entretiens séculiers? Vous
donc n(! l'êtes point, qui aussitôt après la
célébration des mystères courez à la nourri-
ture corporelle. On dirait qu'une vue si
basse et si terrestre est cause que vous hA-
tez vos dévotions. Souvent même vous no
craignez point dé vous en expliquer, el
vous n'avez point de honte de manifoslcr
do si indignes sentiments.
Demeurez pendant quelque temps dans le
lieu saint. Repassez les miser, cordes du
Seigneur. Songez aux grandes choses qu'il
vient de faire en vous. Rendez des actions
de grâces qui répondent à l'excellence du
bienfait.
Enfin après avoir rendu grâces , sortez du
temple, et si vous êtes obligés de retour-
ner dans le siècle, vivez-y comme le doit
faire celui qui est comblé des grâces du Sei-
gneur, qui vient de participer aux plus au-
gustes mystères, et qui médite encore dans
peu de temps de revenir dans le lieu saint
[)Our offrir le même sacrifice, et pour être
nourri de la môme victime.
Voilà ce que j'avais à vous dire sur l'ex-
cellence de la messe,, et la préparation né-
cessaire pour la célébrer avec fruit.
La principale utilité que vous devez reti-
rer de cette instruction , c'est de vous con-
vaincre tous les jours de plus en plus de
l'excellence de nos mystères, et de travail-
ler en môme temps à vous sanctifier, puis-
que c'est le seul moyen do rendre agréables
à Dieu les sacrifices que vous lui offiez.
Quand je vous ai fait voir qu'il fallait de
grandes i)ré()arations pour approcher des
saints autels, mon dessein n'a pas été de
vous faire [)rendre la funeste résolution de
vous en éloigner, f)arce que vous sentez
bien que votre vie n'est ni assez pure , ni
assez sainte, pour immoler une si sainio
victime.
11 est vrai que c'est un très-grand mal-
heur que d'ap()roclier ide nos autels avec
d'aussi mauvaises dispositions que l'on en
remarque dans un grand nombre de prêtres.
Combien y a-l-il do ces hommes profanes
et séculiers qui sont coupables de la profa-
nation du corj/s et du sang de Notre-Soi-
giieur, qui mangent el boivent leur con-
damn-ation? (i Cor., XI, 29 )
1319
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1520
Mais c'est encore une autre uxUdmilé
qui est Irès-fâcheuse pour un ()rêtre, que
celle de n'oser approclier de l'aulel. Qu'est-
ce qu'un sacrificateur qui ne peut olFrir le
sacrifice? Qu'est-ce qu'un prêtre qui n'est
point en état d'exercer la [)Ius sainte de ses
fonctions ?
O vous qui connaissez les plaies de votre
âme, gardez-vous bien d'approcher de l'au-
tel. Mais en mênae temps plaignez votre mal-
heur. Quel aveuglement, quel endurcisse-
ment, si vous demeurez tranquilles dans
voire état? Un prêtre séparé de l'autel, c'est
l'état le plus malheureux, le plus violent,
le plus insupportable où puisse être réduit
un prêtre qui connaît ce qu'il est , et ce que
Dieu demande de lui.
Qu'avez-vous donc à faire? Travaillez
sans perdre de temps à sortir de voire
malheureux état. Prenez de justes mesures
j)0ur vivre en prêtre. Quelle condition plus
heureuse que celle d'un prêtre qui connaît
ses obligations, et qui n'omet rien pour y
satisfaire ?
Prêtres du Seigneur, et qui seuls méritez
véritablement le nom de prêtre, no craignez
point, venez avec confiance, approchez de
l'autel, que ce soit votre plus douce conso-
lation.
Saint Grégoire de Nazianze, faisant l'éloge
de son père (oral. 19, p. 315), dit que
ce sîiint homme, accablé de maladies, trou-
vait toute sa force et toute sa consolation dans
la célébration des saints mystères. Quand il
sortait del'autel et qu'il s'était nourri de la
sainte victime qu'il avait offerte, il semblait
qu'il était absolument guéri.
Quoi de plus avantageux, que do pré-
senter à Dieu une victime si sain'.e , que
d'être uni si intimement à Jésus-Christ, que
d'attirer ses grâces et sur soi-même et sur
son peufile ? Persévérez donc dans la sainte
jiralique d'offrir 5 Dieu le plus souvent qu'il
vous est possible Jésus-Christ son Fils
unique. Considérez cette gi'âce que Dieu
vous fait, comme le plus précieux gage que
vous puissiez recevoir de son amour i)en-
dant le temps de cet exilj etjusqu'à ce que
vous soyez parvenu à la patrie bienheu-
reuse, où Jésus-Christ se montrera à vous,
non plus caché sous un voile , mais claire-
ment et à découvert, pour être votre bon-
heur éternel.
DISCOURS XXI.
DE LA PRÉDICATION.
Dieu, qui est infiniment sage dans tous
ses conseils et dans tous les moyens qu'il
emploie [)our exécuter ses grands <lessoiiis,
a choisi la voix de la prédication pour per-
pétuer la véritable religion dans laquelle
Jl veut être adoré et servi. Dans tous les
temps il a suscité des hommes à qui il a
commandé d'annoncer la loi et d'expliquer
ses saintes volontés. Les prophètes, dans
l'ancienne loi, se sont acquittés de ce minis-
tère avec un zèle qu'on ne [)eut assez ad-
niirer. Nous voyons en eux des hommes
pleins de force si de grâce, d'une sainteté
consommée, d'un travail infatigable, d'un
courage an-dessus de toutes les épreuves
et de toutes les persécutions.
Jésus-Christ, en venant an monde pour
accomplir la loi, a aussi perfectionné le
ministère de la prédication. Il a beaucoup
honoré ce saint liiinistère en l'exerçant lui-
môme. Il a voulu être le premier prédicateur
de sa loi. Par là il a fait voir combien co
titre estélevé, el l'eslime que nous en devons
faire.
Jésus-Christ, après avoir exercé le minis-
tère de la préilicalion, l'a confié à ceux qu'il
a le plus aimés. Il a déclaré à ses apôlres ,
que leur princi[)al emploi serait d'annoncer
son Evangile. Quand donc nous voudrons
juger véritablement et sans nous tromper,
nous serons convaincus qu'il n'y a rien de
plus grand ni de plus relevé dans la reli-
gion que le ministère de la prédication.
Tous les hommes n'en sont pas con-
vaincus. Le pourrait-on croire? Il s'en
trouve dans l'îîglise , qui négligent ce saint
ministère , et qui croiraient se rabaisser eu
l'exerçant. Souvent nous voyons à regret
des ecclésiastiques très-habiles qui. tonibent
dans cette faute. Ils se taisent et gardent
un honteux silence, pendant que le minis-
tère de la prédicalion est exercé par des
hommes sans capacité, et qui ne peuvent
que le déshonorer.
Voilà deux grandes plaies dans l'Eglise,
auxquelles il est très-nécessaire d'apporter
de prom[)ts et d'efficaces remèdes. Les uns
négligent le ministère de la prédicalion,
les autres le profanent.
Tâchons de leur faire voir l'injustice do
leur conduite. C'est ce que je me (n-opose
dans les deux parties de ce discours.
Dans la première, je traiterai de l'excel-
lence du ministère de la prédication. Dans
la seconde, je parlerai de la sainleté de ce
ministère. Il n'y a rien de plus excellent que
le ministère de la prédicalion, donc il ne
doit pas être négligé ; c'est mon premier
point. 11 n'y a rien de plus saint que le mi-
nistère de la prédicalion, donc il ne doit pas
être |)rofané ; c'est nion second point cl ton!
le sujet de ce discours.
PREMIER POINT.
J'attaque ceux qui négligent le ministèra
de la prédication , qui le considèrent comme
étant au-dessous d'eux, et qui croient que
ceux-là s'avilissent qui exercent cet impor-
tant ministère.
Pour les détronqier je leur fais voir, en
premier lieu, que Jésus-Christ a particu-
lièrement chargé ses ajiôtres, et ceux qui
leur doivent succéder, d'instruire les hom-
mes et de leur annoncer les vérités tle
l'Evangile.
J'ajoute, en second lieu, que les apôtres ,
les saints et tous les pasteurs qui ont eu
du zèle, ont été exacts à observer la loi
que le Fils de Dieu leur a imposée d'an-
noncer son livangile.
De là j'inférerai que la prédication de
l'Evangile est une des principales fondions
1521
RETRAITE ECCLES. — XXI, LA PREDICATION.
132i
du minislt^ro ecclésiastique, et ce sern une
troisième raison pour inoiilier que ccux-lh
sont très-crirainels qui négligenU-etle impor-
tante fonction.
Commençons par entendre Jùsus-Ciirist ,
ot voyons les leçons qu'il a donni^es à ses
iq>ôtres.
Quand il les choisit, il leur rccommamlo
parliculièrement (i'enseigner. Il leur déclare
qu'il les envoie pour éclairer les hommes ,
pour les instruire, et pour porter en Ions
lieux les lumières de l'Evangile. Allez, leur
dit-il, el prêchez. (Mallh., X, 7.)
Quand Jésus-Christ est près de quilter les
apôlres, il leur répète ce qu'il leur avait
dit en les appelant à lui. Il Tes charge de
nouveau d'ailor et d'instruire toutes les na-
tions. Voici les dernières paroles du Fiis
de Dieu, et il les prononce sans doute les
dernières, afin (ju'elles fassent plus d'im-
pression sur l'esprit de ses apôtres. Allez el
instruisez loufi 1rs peuples. [Maltli., XXVllI,
19.) Je remarque donc que la première et la
dernière leçon que le Fils de Dieu donne à
ses 3|iù[res, c'est de s'appliquer à l'ins-
truction.
Ce que l'on recommande en premier lieu
est ordinairement ce qui touche le plus. Les
dernières paroles sont pareillement celles
dont on veut que l'on conserve plus [)arli-
culièremeiil le souvenir. Voyez donc com-
bien le Fils de Dieu a eu à cœur que ses
apôtres s'appliquassent à Tinstruction, et
qu'ils cnmprissent qu'une de leurs princi-
pales Gu'.igalions était d'annoncer aux hom-
mes les vér;lés de l'Evangile.
Jésus-Christ n'a jamais rien demandé aux
hommes, qu'il ne l'ail pratiqué le premier.
Il les a toujours animés à lui obéir, encore
jilus par ses exemples que par ses {)aroles.
11 a choisi ses apôtres pour annoncer son
Evangile. Lui-mèrae l'a annoncé le premier
avec un zèle capable d'encourager les plus
lâches et de leur inspirer un saint amour de
leurs devoirs.
Voyons Jésus-Christ exerçant le premier
le ministère de la prédication. Comment se
peut-il faire que des prêtres négligent ou
méprisent ce que Jésus-Christ a sauclitié, ce
que Jésus-Clirist a élevé par son exemple?
Jésus-Christ croit qu'il n'est point au-
dessous de lui de chercher les homme» et
de s'applitjuer à les instruire. Quelle est
donc la foiiclion d'un prédicateur évangéli-
(jue, et quelle idée avez-vous de son minis-
tère? 11 a l'honiieur d'avoir Jésus-Christ
pour son chef; il |)ratique ce que le Fils de
Dieu lui commande, et d suit les exemples
de cet admirable chef.
Eu combien d'occasions ne remarquez-vous
pas dans l'Evangile, Jésus-C^hrist instruisant
les liommes el faisant la fonction de prédi-
cateur?
Les prophètes avaient annoncé qu il exer-
cerait cette noble et nécessaire fonction. Son
amour pour les pauvres et le zèle qu'il devait
avoir pour leur instruction avait été mar-
qué. Les prophètes avaient prédit que ce-
lui qui était l'allente des nations serait en-
OaàTEURS SACHES. LXVlll.
voyé pour prêcher l'Evangile aux pauvres.
Nous lisons dans l'Evangile que Jésus
élnnl () Nazareth entra selon sa coutume dans
la synagogue. On lui présenta le livre du pro-
phète haïe , et il y lut ces paroles : L'Esprit
du Seigneur s'est reposé sur moi, il m'a con-
sacré par son onction. Il m'a envoyé pour
prêcher l'Evangile aux pauvres, pour guérir
ceux qui ont le cœur brisé , pour annoncer
aux captifs qu'ils vont être délivrés , elc.
(Luc, IV, 16 et seq.) Jésus-Christ fait voir
que cette propliétie s'entend de lui, et que
le soin qu'il prend d'aller en tous lieux
chercher les pauvres pour les combler des
richesses spirituelles, qui sont les seules
véritables, est l'accomplissement de cette
prophétie.
Ecoulez lo Fiis de Dieu dans un autre
endroit de l'Evangile, entreprenant de faire
voir qu'il accomplit tout ce qui avait été
prédit du Messie, il veut surtout que l'on
lasse observer à saint Jean que VÈvangile.
est annonce aux pauvres . (Mfl<i/i.,XI, 5.) C'était
donc un caractère essei:tfel du Messie. Il
devait être un excellent prédicateur. Ses pre-
miers elses plus vifs enqjressements devaient
être pour les [)auvres.
Voulez-vous voir Jésus-Christ faisant ex-
cellemment la fonction de prédicateur? Con-
sidérez-le sur la montagne, entouré d'une
multitude inlinie de peuple, établissant les
maximes les plus essentielles de la religion.
Voyez la charilé du pasteur; considérez
}'em[)ressemeiit du peuple. Le p-asteur se
donne tout entier à la fonction piineipaledo
son ministère. Le [)euple empressé dévore,
pour ainsi dire , la divine parole. Les audi-
teurs du Sauveur du monde transportés,
remplis de joie , oubliant qu'ils ont un
corps, parce que leur ûme est pleinement
nourrie , s'engagent dans ledéserl, s'ex[io-
senl presqu'au danger de mourir do faim.
Le contentement de l'âme est si parfait,
qu'ils n'ont plus aucune inquiétude sur les
besoins du corps. Voilà les etfets merveil-
leux et les changements extraordinaires
qu'opéraient les prédications du Sauveur du
monde.
Que n'allons-nous souvent sur la mon-
tagne contempler cet excellent modèle?
C'est là que nous trouverons une source
féconde et abondante qui ne tarit point.
C'est là que nous trouverons cette Aui/e qui
se multiplie miraculeusement , et qui no
cesse point découler tant que l'on présente
des vaisseaux. C'est là que le prédicateur,
en se remplissant lui-même, se met en état
de distribuer au peu()le le véritable pain
destiné île Dieu pour nourrir l'âme el pour
la fortilier.
Quand les hommes avaient une fois gotlté
la doctrine du Sauveur, ils ne pouvaient
plus se jtasser de ce pain céleste. Ils ne
pouvaient se résoudre à se séparer de lui.
ils font toutes sortes d'elforts pour le re-
tenir. Mais Jésus-Christ , quoique plein
d'amour et de charilé pour des hommes,
(jui ne désiraient rien avec plus d'ardeur
que de se donner entièrement à lui , leur
42
1325
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMRERT.
1524
fait voir qu'il ne peut oublier les ordres
qu'il a reçus de son Père. 11 leur fait voir
(^u'i! est obligé de les quitter pour aller dans
d'autres villes prêcher l'Evangile du royaume
de Dieu. Car c'est , dit-il , pour cela que j'ai
été envoyé. (Luc, IV , 43.)
Jésus -Christ a donc été envoyé pour
exercer le ministère de la prédication ; il a
parlaitement exécuté les ordres de son Père,
et il a remf)li son ministère avec un zèle
infatigable.
Il a bien voulu honorer les hommes et
les associer à son œuvre. En les associant,
il leur a marqué qu'ils continueraient ce
qu'il avait commencé, et qu'ils auraient
l'honneur d'annoncer les vérités qu'il avait
révélées. Il dit à ses apôtres : Allez et prê-
chez. Les apôtres ont obéi; ils ont été, et
ils ont annoncé en tous lieux l'Evangile du
Seigneur.
Il est rapporté dans les Actes des apôtres
(II , 42) que les fidèles s'assemblaient, et que
ce qui les occupait dans leurs assemblées,
c'était d'écouter la doctrine des apôtres , de
se nourrir avec piété de la chair du Seigneur
et de prier. Ils écoulaient la doctrine des
apôtres, c'est-h-dire la doctrine que les
apôtres avaient reçue de Jésus-Christ , et
c'étaient les apôtres qui avaient soin do leur
distribuer celte divine nourriture.
Les apôlres prêchaient avec d'autant plus
de difficulté que leur doctiine était contre-
dite. Il est vrai que ceux qui les avaient
considérés comme ennemis, ne pouvaient,
après les avoir entendus , résister à la
force de leur parole, et ils devenaient leurs
amis les plus zélés. Mais souvent aussi les
apôtres étaient rejetés. Ils étaient obligés ,
suivant la parole du Seigneur , en sortant
des villes de secouer la poussière de leurs
pieds, voyant avec regret que ces villes
criminelles seraient traitées au jour du juge-
ment plus rigoureusement que Sodome et
Gomorrhe. {Mattli., XI, 14.)
Les contradictions n'ont jamais retardé le
zèle des apôtres. Plus ils ont été combattus,
plus ils ont fait d'etlbrls pour annoncer
et pour faire connaître les vérités de lE-
vangile.
Cette fonction leur paraissait si impor-
tante qu'ils y consacraient le jour et la
nuit. Il est rapporté dans les Actes des apô-
tres (XX ,7) que les disciples étant assem-
l)lés, saint Paul leur fil un sermon qu'il
continua jusqu'au milieu de la nuit. C'est
ce qui donna occasion au grand miracle que
saint Paul lit en faveur d'un jeune homme ,
à qui il rendit la vie au nom et par l'auto-
rité de celui dont il annonçait la doctrine.
Qui pourrait compter tous les lieux où.
saint Paul a exercé le saint ministère de la
prédication? Il dit qu'il a porlé l'Evangile
depuis Jérusalem jusqu'à l'Illyrie. (iJom.,
XV, 19.) Quelle vaste étendue de pays? Il
est assez difficile d'entendre comment un
homme seul a pu la parcourir, et y faire
tous les progrès dont les travaux infatiga-
bles du saint apôtre ont été suivis.
Quand même il était chargé de chaînes et
enfermé dans des prisons, il ne cessait point
d'exercer le saint ministère de la prédica-
tion. Ce qui lui fait dire en parlant à son
disciple Timothée : Souvenez-vous de l'E-
vangile que je prêche, pour lequel je souffre
beaucoup de maux jusqu'à être dans les chaî-
nes comme un scélérat. Mais la parole de Dieu
nest point enchaînée. (I Tim., 11,8.) C'est-
à-dire que saint PauT en tous lieux avait
toujours le même zèle, toujours la même
ardeur de remplir son ministère. Ses en-
nemis pouvaient bien le retenir dans ,'des
prisons, mais ils ne pouvaient arrêter son
zèle. Tant qu'il lui restera quelque liberté
de parler, il ne cessera jamais de faire voir
combien il lui est précieux d'exercer lesaint
ministère qui lui est confié.
Un lieu oii saint Paul a exercé avec beau-
coup d'éclat le ministère de la prédication,
c'est l'Aréopage. (Act., XYll.) Le lieu était
célèbre; les auditeurs étaient distingués
par leur science, par leur mérite, par leur
esprit. Les nouveautés leur plaisaient, mais
rattachement était grand à leurs anciennes
superstitions. En leur prêchant l'Evangile,
on ne pouvait guère s'attendre qu'à être
moqué par des hommes pleins d'idées qui
étaient 1res- opposées à la simplicité de
notre foi.
Y eut-il jamais un discours plus admi-
rable que celui de saint Paul? Observez
l'adresse avec laquelle il se sert de leur su-
perstition même et de leur folle curiosité
pour leur insinuer la vérité qu'ils igno-
raient. Peut-on donner une plus belle idée
de l'Etre souverain, une idée plus propre h
faire connaître son infinie majesté? Le Dieu
qui a fait le monde, et tout ce qui est dans le
monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre
n habite point dans les temples bâtis par les
hommes. Il n'est point honoré par les ouvra-
ges de la main des hommes, comme s'il avait
besoin de ses cré'itures, lui qui donne à tous
la vie, la respiration et toutes choses. {Act.,
XVII, 24, 26.)
Il leur fait voir que le monde ne peut
être que l'ouvrage d'un Dieu tout-[)uissant,
qu'il est ridicule de croire qu'un Dieu infini
I)uisse être renfermé dans des temples ma-
tériels; qu'un Dieu de qui toutes les créa-
tures tirent leur origine, et qui nous a tout
donné, ne peut jamais avoir besoin de nous.
J'ai dit au Seigneur, vous êtes mon Dieu,
parce que vous n'avez aucun besoin de mes
biens. [Psal., XV, 2.)
C'est à bon droit que les saints Pères ont
considéré le discours do saint Paul dans
l'Aréopage, comme le vrai modèle que doi-
vent suivre tous les ministres de l'Evangile
lorsqu'ils entreprennent de faire connaître
le véritable Dieu à ceux qui sont assez mal-
heureux pour l'ignorer. Ce discours eut
assez de force pour les étonner tous, et
pour donner à l'Eglise le grand saint Denys
et beaucoup d'autres qui, éclairés par celte
éclatante lumière, eurent le bonheur de
sortir des ténèbres de l'erreur.
Les apôlres, remarquant le grand fruit
de leurs prédications et la nécessilé parti-
1325
RETllAITE ECCLES. — \XI. LA PIIEDICATION.
lôïiy
culière qu'il y avait d'ôlre assidus à co
saint rainislère, formèrent cette sage réso-
lution de se décharger d'autres em[>lois
moins nécessaires, atin d'être en état de
s'appliquer avec plus de liberté à ce (}ui
leur paraissait plus important. Pour nous,
diseni les apôlres, nous nous appliquerons
entièrement à la prière et à In dispensation
de la parole. {Act., VI, i.) Peut-on douter
que les apôtres, en s'arrètanl à ces deux
occupations, ne les aient regardées con)me
les deu\ emplois les plus importants du
ministère ecclésiastique? lis s'arrêtent à ces
deux occupations, ils s'y appliquent entiè-
rement. En faut-il davantage pour confon-
dre ceux qui négligent ce que les apôtres
ont considéré comme leur principale fonc-
tion ?
Cet esprit apostolique a passé aux saints
évêques et à tous les saints patriarches
qui ont eu l'honneur de succéder aux apô-
tres dans le ministère ecclésiastique. Ils ont
cru que Jésus-Christ les chargeait aussi hien
que les apôlres de s'appliquer parliculière-
njent à l'instruction ; ils ont cru que les pa-
roles du Seigneur :/l//ez e/ensejjne^, s'adres-
saient h eux. Voilà pourquoi ils ont tou-
jours été très-exacts à instruire le peuple
que le Seigneur avait contié à leurs soins.
Je pourrais vous citer tous les saints
évêques. 11 n'y en a aucun qui ne puisse
vous servir d'exemple, qui n'ait satisfait
très-exactement à l'obligation qui lui était
imposée de s'appliquer au ministère de la
prédication.
Saint Augustin, en par. anl de saint Am-
broise, nous dit que ce saint homme dis-
pensait avec force et avec exactitude la di-
vine parole à son peuple. Saint Augus-
tin (2GG) se faisait un grand plaisir d'enten-
dre les discours de ce pasteur zélé, il avoue
avec son humilité qui l'a porté à se juger
si sévèrement lui-même, que ses inten-
tions n'étaient pas droites, que son prin-
cipal motif était de voir si l'éloquence do
saint Ambroise répondait à la réi)utaiion
que ce saint s'était acquise. Dieu qui le
conduisait lui lit trouver la vérité qu'il ne
cherchait pas. Quels etfets ne doit-on point
attendre des prédications d'un saiut évêque
qui, comme saint Ambroise, prêche avec
force les vérités les plus saintes de l'Evan-
gile?
Vous ne serez pas moins touchés de
rexempledesaintAuguàtin(267).Voiciceque
uous rapporte l'auteur de sa Vie. « Il a prê-
ché la parole de Dieujusquà sa dernière
maladie, sans Jamais y manquer, avec cou-
lage, avec lorce, avec sagesse. «C'est ce que
vous n'aurez [)as de peine à concevoir, si
vous considérez le grand nombre de dis-
cours qui nous sont restés de ce saint.
Ils vous font voir que l'auteur de sa Vie n'a
(Î(i6) « Veiii ad Ambrosum episcopum cujus Unie
eloquia strenue niinisuabaiit adipeiii tiiiiiienli lui
pupulo luu. < Sludioseaudiebam, non iiiteiitioaequa
ilcL)ui , sed quasi explorans ejus facundiani. Isle
baluberriiue docebat saluleiu. > {Conf.,l. V, c. 13.)
point exagéré en nous ra[)i)ortant les paro-
les que vous venez d'entendre.
La même chose ne peut-elle pas être*
dite d'un grand nombre d'autres saints?
Faut-il d'autre preuve de leur oxaililudo
h annoncer la parole du Seigneur, que tou-
tes les excellentes homélies, que tous les
savants discours qui nous restent d'eux ?
Autrefois comment aurait-on regardé un
évêque, un pasteur qui aurait négligé le
ministère de la prédication, et qui n'aurait
point instruit son peuple? Il n'y en avait
presque point de ce caractère; mais s'il
s'en était rencontré, on les aurait considé-
rés comme des hommes indignes du rang
auquel ils étaient élevés, comme des pas-
teurs sans amour pour leur peuple, et qui
en abandonnent le soin.
Dans les ()remiers temps la messe ne se
disait point que celui qui la célébrait n'ins-
truisît la peuple, et la prédication était
regardée comme une partie de la messe
Vous avez une preuve manifeste de cette
vérité dans l'Apologie de salnl Justin (apol.
2, p, 98), oii ce saint homme a eu soin de
nous décrire l'ordre qui s'observait dans la
célébration de nos mystères. Il uous mar-
que expressément qu'après les lectures, le
poniife qui présidait dans l'assemblée, et
qui offrait les saints mystères, ne manquait
jamais de faire un discours pour instruire
le peuple, et pour l'exhorter à prali(|uer
les vertus marquées dans les saintes lectu-
res qui avaient été pro|»osées.
Il est plus nécessaire que jamais de re-
nouveler ce saint usage. La messe où. la
peufile est convoqué le saint jour du diman-
che, ne devrait jamais êlre célébrée sans
que le pasleur instruisît son peuple. On se
filaint du peu de respect ffue le jjeui-le a
conservé pour les saints mystères. Que les
pasteurs se l'imputent à eux-mêmes. Com-
ment le peuple respecterait-il des mystères,
dont on n'a pas soin de lui faire connaître
la sainteté?
Entrons dans l'esprit des saints qui nous
ont [)récédés, et soyons convaincus comme
eux que la [)rédicalion est une des princi-
pales fonctions du rainislère ecclésiastique.
Nous sommes prêtres, pouvons-nous sou-
tenir notre rang et eu négliger une des
principales fonctions?
La prédication est une fonction noble et
élevée beaucoup au-dessus de nos mérites.
Quelfiue grands, quelque habiles, quelque
vertueux que nous soyons, nous sommes
encore très-indignes d'exercer une si sainte
et si noble fonction.
Que des hommes s'éloignent du saint
ministère de la parole, parce qu'ils s'en
estiment indignes, parce que cette fonction
leur i)araît trop élevée : que rentrant en
eux-mêmes et se rend'ant justice, ils soient
(207) « Verbum Dei usque ad ipsani suam aegiitu-
dinein impraeleraiisse, alacriter et foriiter, sana
nienlc, sanoque consilio in Ecclesia praedicavil. >
(Possiuo.N., De vita S. August., c. 30.)
^tfwWfti"
152
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1328
effrayés dû remplir une place , qui ne doit
[être occupée que par des hommes éminenls
!en science cl en vertu, il n'y a rien en ces
sentiments, qui ne soit conforme 5 la rai-
son, et à ce que la foi nous apprend du mi-
nistère de la prédication.
Mais que l'on en voie qui considèrent le
ministère de la prédication comme un mi-
nistère vil, qui renvoient cette fonction à
des hommes sans occupation, sans nom,
sans talent, à des hommes qui ont besoin
d'être instruits, et qui ne sont nullement
en état d'enseigner, c'est ce qui n'est pas
supportable, et l'on ne peut trop déplorer
de voir qu'on se soit ainsi formé des idées
de la prédication si contraires à celles que
tous les saints Pères en ont eues.
Les prédicateurs sont les ambassadeurs
de Jésus-Christ. Ils parlent en son nom, et
c'est Dieu mi'me qui s'explique par leur
bouche. Nous faisons, dit saint Paul , la
charge d ambassadeur pour Jésus-Christ, et
c'est Dieu même qui vous exhorte par notre
bouche. (11 Cor., V, 20.)
Saint Augustin enseigne que les prédica-
teurs sont la langue de Jésus-Christ. Nous
pouvons, dit ce saint docteur, entendre par
îa langue de Jésus-Christ ceux par la bou-
che de qui il explique son Evangile (208).
Concevez-vous rien de plus grand que d'être
j'ambussadeur de Jésus-Christ , que d'être
la langue de Jésus-Christ?
Saint Grégoire de Nazianze (orat. 1, p. 15)
assure que la prédication est la plus noble
lonction du ministère ecclésiastique. 11
soutient que c'est une grande hardiesse,
pour ne pas dire une excessive folie, que
tfe présumer de soi-même, quand il est
question d'une entreprise si dilUcile. Il
ajoute que tous ne sont pas capables d'exer-
cer ce saint ministère, que c'est une très-
grande allaire que de distribuer avec sa-
gesse la parole uu Seigneur, et que d'éta-
blir avec force les saintes vérités de la re-
Jif^ion.
Saint Chrysoslome (2C9),ce docteur admi-
rable qui a porté si loin le talent de la
prédication, quand il parle de ce saint mi-
nistère, est étonné que son évêque ait jeté
les yeux sur lui, pour lui faire exercer
cette grande fonction. Il croit que c'est un
songe, tant il s'estime indigne d'être appli-
qué à ce saint ministère.
Dans un autre endroit saint Chrysoslome
nous assure que le ministère de la prédi-
cation, comme le plus important et le plus
dillicile, était réservé aux j)lus habiles et
aux plus vertueux. (Hom. 3 inEpist. lad
Cor.)
Que les temps sont changés! Comment
les hommes onl-ils pu ainsi avilir ce qui
était si fort estimé dans les premiers temps ?
i^À comment en est-on venu jusqu'à oban-
(268) i Lingiiam ejiis, eos m ejus corpore intelli-
gimus, per quos suuiii loquiiur EvaiigLliuiu. » (Ep.
140, iiov. éd. al. 120.)
^2l)'J) Serin. Cum presbyter esset desiynaius.
f^To) « Vis ea quœ ex divinis Scripluris mielligis,
donner h des hommes sans mérite, ce qui
était autrefois réservé aux |)lus habiles, et
à ceux qui occupaient les premiers rangs?
Est-ce l'Eglise qui a changé ses idées et
qui n'ii plus le môme esprit ? Non sans doute,
l'Eglise ne peut pas tomber dans des varia-
tions de cette sorte, elle a toujours con-
servé le mfime esprit et les mêmes senti-
ments. Il n'y a qu'à considérer comment
elle s'explique encore présentement, quand
elle ordonne ses pasteurs : il n'y a qu'à
examiner comment elle a parlé dans le der-
nier de ses conciles.
Dans la cérémonie de l'ordination des
évoques, l'évêque consacrant interroge ce-
lui qui doit être consacré sur ses principaux
devoirs, et voici en quels termes est conçue
la première question qu'il lui fait. « Ne
voulez-vous [)ns instruire le peuple qui
vous est confié, tant par vos discours que
par vos exemples, et lui enseigner ce que
vous aurez appris dans la lecture des Ecri-
tures saintes? » L'évêque qui va être consa-
cré répond : « Je le veux, et j'en fais la ré-
solution (270).» Il n'est ordonné qu'en consé-
quence de celte disposition. Car voici com-
ment l'évêque consacrant lui parie dans la
suite. 11 lui met entre les mains le livre
de l'Evangile, et il lui dit : « Recevez le li-
vre des Evangiles ; allez, prêchez l'Evangile
au peuple qui vous est confié (271). » Vous
reconnaissez les paroles que notre Seigneur
adressa à ses apôtres. Il leur dit : Allez et
enseignez. Les mêmes paroles sont emplo-
yées dans l'ordination des évoques. Ce qui
fait voir que comme ils sont les successeurs
des apôtres, ils sont obligés surtout de
leur succéder dans l'exercice des grandes
et pénibles fonctions qui ont toujours été
attachées à l'épiscopat, et qui ne peuvent
jamais en être séparées.
Autrefois les évêques exerçaient le plus
ordinairement et presque seuls le ministère
de la prédication. Au moins pendant un
temps assez considérable ce n'était pas la
coutume que les prêtres prêchassent en
présence des évêques. <
Cependant, comme il eût été difficile que
les évêques accablés de soins eussent pu
suffire à ce pénible emploi, nous voyons
que, dès les premiers temps, les prêlres les
ont aidés dans celte importante fonction.
Saint Chrysoslome, n'étant encore que
prêtre, prêcha à Antioche par l'ordre de
Flavien qui l'éleva au sacerdoce, afin do
donner à son peuple cet homme puissant
en œuvres et en paroles, qui ne pouvait pas
manquer de f)roduire de grands fruits
par sa vie sainte, et par ses éloquentes ins-
tructions.
Valère, évêque d'Hippone, garda bientôt
après la même conduite. Il lit prêcher dans
piebein cui oïdiuandus es, et verbis docere et exem-
plis? Volo. »
(271) « AccipeEvaiigeliumel vade, praeJica populo
tibi coinaiissu. >
J329
RETRAITE ECCLES. — XXI, LA PREDICATION.
1550
son église sainl Augustin qui n'élait encore
que prêlro.
Nous voyons aussi la môme coutnme in-
troduite ilans notre France comme il paraît
par un ancien canon qui donne pouvoir aux
prêtres de firêrlier dans toutes les villes et
dans toutes les paroisses (272).
La prédication est donc une fonction or-
dinaire des prêtres avec la subordination
qui a toujours i^lé inviolablement observée;
f't qui oblige les prêtres à exercer toutes
leurs fonctions sous la dépendance des évo-
ques.
Dans l'ordination des prêtres l'évoque
leur adresse la parole et leur dit : « Il faut
que le prêtre oifre, qu'il bénisse, qu'il prê-
che et qu'il baptise (273).»
La prédication est la fonction princiftale
des prêtres qu'ils doivent beaucoup esti-
mer. C'est à eux de travailler à se rendre
dignes de l'exercer avec fruit quand ils se-
ront légitimement appelés.
Je V()us ai dit qu'on no pouvait encore
mieux juger de ce que l'Eglise pense et de
son véritable esprit, que par la manière
dont elle s'est expliiiuée dans le demie." de
ses conciles.
Le concile de Trente déclare qu'une des
principales fonctions des évêques c'est de
l>rêcIior l'Evangile. C'est une des principales
fondions. Comment donc encore une fois
en esl-on venu jusqu'à la rabaisser, jusqu'à
l'abandonner à des hommes (jui constam-
ment sont très-indignes et très-inca[)ables
de l'exercer avec fruii?
Le saint concile ordonne que les archi-
prêtres, les curés, tous ceux qui gouver-
nent des églises paroissiales, ou autres
ayant charge d'âme auront soin au moins
tous les dimanches et toutes les fêtes so-
lennelles de pourvoir par eux-mêmes ou
par d'autres personnes, s'ils en sont légiti-
mement dispensés, à la nourriture spiri-
tuelle du peuple qui leur est commis. Le
saint concile ajoute que le fondement de
ces ordonnances si souvent réitérées, c'est
qu'un des plus grands malheurs qui puisse
jamais arriver, esi celui dont le prophète
se plaint quand il dit que (es petits ont tk-
viandé du pain, et qu'il n'y avait personne
pour leur en donner (27'î.).
Formez vos idées suivant ces principes,
et voyez ce que vous devez penser du
saint ministère de la parole du Seigneur?
Que jugerez-vous de ceux qui négligent ce
saint ministère et qui l'abandonnent de
propos délibéré?
L'apôtre saint Paul a dit (I Cor., XV, 16)
qu'il se reconnaissait obligé de prêcher l'E-
vangile. Celte obligation a-t-elle cessé?
Cette obligation p;ul-elle en regarder d'au-
(272) » Hoc eliam nobis placuil, ut non soluin in
civitaiibus sed e'.iani in omnibus parociiiis verbum
(aciciidi daicnius presbyieiis poicslatem. » [Conc.
Vttseiis. Il, caii. 2.)
(27ÔJ € Sate;dotem oporicloff rre, beuedicere,
|ir;v<'ssc, piiedicare el. bapli/.are. >
(■2"4) < FiiedicalioEvangt lii pru.cipuuin episcopo-
ruiii niunus.
très que ceux qui par leur caractère sont
obligés de travailler au salut de leur pro-
chain? L'apôtre saint Paul ajoute : Malheur
à moi, si je ne prêche pas V Evangile. Combien
y en a-l-il qui ont lieu d'être etlrayés
de cri analhème? Combien y en a-t-il
qui en sont frappés et qui n'y pensent
pas?
Le prêtre, dit saint Grégoire, adiré contre
lui la colère du Seigneur, lorsqu'il ne fait
point entendre sa voix, et qu'il ne s'appli-
que point au ministère de la prédication (275j.
Vous l'abandonnez, ce saint ministère. Sont-
ce les talents qui vous manquent? Est-ce le
pouvoir? Sont-ce les occasions? Rentrez en
vous-même, et craignez, si vous êtes de ceux
à qui l'on peut reprocher une coupable né-
gligence.
L'excellence du ministère de la prédica-
tion a dû vous convaincre qu'il ne doit pas
être négligé. J'ai maintenant à vous faire
voir quelle est la sainteté de ce ministère,
afin que vous soyez persuadés qu'il faut bien
prendre garde à ne le pas profaner. C'est
mon second point.
DEUXIÈME POINT.
Il y en a plusieurs qui profanent le minis-
tère de la prédication, c'est une triste vé-
rité que l'on ne peut dissimuler, c'est un
abus auquel on ne peut apporter des remè-
des trop efficaces.
Les premiers qui profanent ce saint minis-
tère sont ceux dont les vues ne sont pas
droites. Il n'y a qu'une lin légitime qu'on
doit se proposer en exerçant ce ministère.
Tous ceux qui s'en éloignent sont coupables
d'un grand crime, parce qu'ils profanent la
sainte parole du Seigneur.
Il y en a d'autres qui la profanent encore
par l'impureté do leur vie. Quiconque prê-
che la parole du Seigneur doit soutenir les
maximes qu'il avance par une vie sainte.
Autrement il détruit par l'irrégularité de sa
conduite, ce qu'il prétend établir par les
saintes maximes qu'il annonce.
Les troisièmes qui profanent la parole du
Seigneur, ce sont ceux qui n'ayant point les
talents nécessaires, entreprennent témérai-
rement d'exercer le saint ministère de la
parole du Seigneur.
Plus l'action est sainte, plus nous devons
être exacts à nous ()roposer une fin qui ré-
ponde à la dignité de l'action. Il n'y a rien
déplus saint que la parole du Seigneur. La
seule fin légitime que l'on puisse se proposer
lorsqu'on annonce celte sainte parole, c'est
de ()iaire à Dieu, d'exercer son ministère,»
de travaillerau salut du prochain. Toute autre
fin est criminelle, parce qu'elle ne répond
point à la majesté de la parole du Seigneur.]
Je [)rétends que c'est la profaner, que de se
I Archipresbyteri, etc.,diebus saltemdominicis, et
fetlis solemnibus plèbes sibi commissaspascant sa-
lularibus verbis ne illud impleatur: Parvuli peiic-
runl pimem,et non erat qui frangerel eis. » (Sess. 9,,
Tliren., IV, 4.)
(275) « Iram conlra seocculti judlcis exigil.si sito
bonilii pra;dicalionis inccdil. » (L. I, episl. 24.)
1351
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT,
1332
proposer dos vues humaines et temporelles
dans l'exercice d'un si saint ministère. Il y
en a donc un très-grand nombre qui profa-
nent la parole de Dieu, parce qu'il y en a
beaucoup qui donnent lieu de croire, qu'ils
n'ont point d'autres vues que des vues hu-
maines.
C'est se proposer une vue humaine, et
même une des plus basses, que de recher-
cher son intérêt temporel dans les fonctions
de son ministère. Vous prêchez la parole de
Dieu, quelle est votre fin? Une rétribution
temporelle. De là vient que vous êtes dis-
posé à parler selon le gain que l'on vous
propose. Dès le moment que vous n'espérez
rien, vous ôies muet et vous gardez un hon-
teux silence. Une conduite si basse, si lâ-
che, si téméraire, ne peut qu'elle ne soit
très-criminelle aux yeux de Dieu. C'e^t Ih
ce qui s'appelle vendre la parole de Dieu,
et par consïéquent c'est commettre une vé-
ritable sirnonie.
C'est encore une autre fin liès-criminede
et très-commune que de vouloir arriver aux
honneurs et satisfaire son ambition par le
moyen de la prédication. De là cette foule
de ministres du Seigneur qui s'empressent
et qui s'introduisent chez les grands ; les
brigues et les sollicitations sont employées
pour paraître devant eux. L'orgueil est lo
principe des démarches que l'on fait pour
iinnoncer la nécessité de s'humilier. On
s'empresse de semer dans une terre ingrate
«jui ne rapporte aucun fruit. Pendant ce
lemps on perd des occasions précieuses de
semer dans des terres, où la parole du Sei-
gneur fruclifirai tel rapporterait cenf pour un.
Jésus-Christ est venu pour annoncer l'E-
vangile aux pauvres, et ces hommes ambi-
tieux ne veulent annoncer l'Evangile qu'aux
riches et aux puissants du siècle. Quand ces
hommes sont méprisés, quand ils sont trai-
tés avecindignilé, quand ils essuyent des re-
buts, il leur sied bien de s'en plaindre, il leur
sied bien d'exagérer l'injure que l'on fait à
leur caractère. Ce sont eux qui avilissent le
caractère ecclésiastique. S'ils se condui-
saient comme ces hommes fermes, indépen-
dants, qui sont au-dessus de tout intérêt,
qui sont incapables de faire jamais aucune
bassesse, qui ne craignent que Dieu, qui
n'ont aucun empressement de se produire,
qui conservent en tout lieu la liberté dont
Jésus-Christles a mis enpossession, ils sou-
tiendraient la majesté de leur caractère, et
les mondains même respecteraient l'autorité
dont Jésus-Christ les a revêtus. Il est natu-
rel de mépriser ceux qui s'éloignent de
leur devoir, comme au contraire il est pres-
que impossible de s'empêcher d'estimer la
vertu.
Voilà donc des vues très-mauvais, s. Un
ecclésiastique qui les suit ne peut se cacher
a lui-même l'énormité de son crime. Il est
trop visible qu'il abuse de son ministère, et
il ne peut se le dissimuler.
(tlG) i Ego quivobis assidue loquor, jubenle dom-
110 el traire ineo episcopo vcsiro ei exigcniibus vo-
■ Comme ces vues sont ouvertement crimi-
nelles, il y en a plusieurs qui se sentent
incapables de se proposer de si pernicieux
motifs. Mais ceux-là même qui sont en
garde contre des ennemis qui attaquent à
découvert, n'ont-ils rien à craindre d'un
ennemi secret, subtil, adroit dont les atta-
ques sont très-dangereuses, et qui fait en
tous lieux de si cruels ravages? Vous êtes
au-dessus de l'intérêt humain, mais que
vous êtes faible du côté de l'amour-iiropre,
que vous avez à craindre du funeste désir
do plaire aux hommes cl d'acquérir leur
estime!
Les saints Pères donlla vertu était le plus
solidement affermie, ont toujours regardé
le ministère de la prédication comme très-
dangereux, parce qu'ils savaient combien il
est à craindre de se laisser surprendre aux
illusions de l'amour-propre .Voilà pourquoi
d'eux-mêmes et par leur propre inclination
ils préféraient la retraite à l'action, ils dé-
siraient de garder le silence, ils ne parlaient
qu'autant qu'ils s'y croyaient obligés pour
remplir les fonctions de leur ministère.
Je vous parle souvent, dit saint Augustin,
pour obéir à Dieu, [lour me soumettre aux
ordres de mon évêque, et pour exécuter ce
que vous exigez de moi. Cependant je n'ai
de joie solide que quand déchargé du péni-
ble emploi d'instruire les autres, je suis au
rang de ceux qui écoulent. Pour lorsje suis
en sûreté, je ne crains point que l'amour-
propre et l'orgueil me fassent tomber dans
le précipice (276).
Qui ne serait effrayé de ce qui causait
tant d'alarmes à un saint aussi solidement
affermi que saint Augustin?
Beaucoup de ceux qui sont engagés à par-
ier par leur ministère, ne sont point assez
en garde contre eux-mêmes et contre l'a-
mour-proire.
Ceux qui nous environnent nous dressent
encore des embûches par les louanges
qu'ils sont accoutumés de distribuer avec pro-
fusion. Un homme, ainsi attaqué de tous
côtés, sacrifie à lui-niêiue et à son propre
filet, pour me servir de l'expression d'un
[iroplièle. {Hcibac, I, 16.)
Celui-là qui instruit ne peut se garanlir
de ce piège qu'en priant beaucoup, en so
défiant de lui-même, en s'adressant à Dieu
comme à son puissant |)rotecteur, en ti;é-
I)risant les louanges et se mettant au-des-
sus de cet a[)pât trompeur, en imiTimant
solidement au milieu de son âme des sen-
timents profonds d'une sincère humilité.
Car quand l'orgueil s'est une fois glissé, tout
est perdu pournous. Saint Augustin a très-
bien remarqué que l'orgueil est beaucoup
plus à craindre que tous les autres péchés.
Les autres péchés ne peuvent nuire que
quand nous sommes assez méchants {)Our
nous déterminer à commellre le mal : ma:s
l'orgueil esta craindre même lorsque nous
sommes résolus de nous appliquer sérieuse-
Ijis, tune solidum gaudeo, dura audio. » (Ser. 179,
al. 27 De dkersi$.)
13Ô5
RETRAITE ECCLES. — XXI, LA PREDICATION.
\ôùt
►
ment à nos devoirs, car le désir d'êlre loué
et les retours sur nous-mômos sont un poi-
son qui corrompt les meilleures actions (277).
Un miiiislre de JésusCiirist doit donc
ovoir en vue de plaire à Dieu et nullement
aux hommes, il doit faire beaucoup d'at-
tention au jugement de Jésus-Clirisl, et en
faire très-peuau jugement des hommes, d'au-
tant plus qu'il n'y a que Dieu qui juge avec
équité, et que les jugements des hommes
sont ordinairement capricieux et injustes.
Qu.'nd je dis qu'un ministre de Jésus-
Christ nt>, doit point considérer les hommes
et leurs jugements ; j'entends qu'il ne doit
point se proposer pour fin de plaire aux
hommes, et que par rapport à lui il ne (ioit
en aucune manière le souhaiter. Car d'un
autre cùié la charité oblige un ministre de
Jésus-Clirist à ménager les liommes, à les
gagner, à s'insinuer dans leur esprit et à
faire des efforts pour leur plaire. Mais ce
sont deux choses fort ditférentes d'avoir
pour fin de [ilairc aux hommes, ou de vou-
loir [ilaire aux liommes pour l'amour de
Dieu. Le premier est très-ciimineî. Le so-
contj est iVtfot d'une ardente charité i|ui
brûl(> d'un désir sincère de porter les hum-
mes à servir le Seigneur.
« Le prédicateur évangéiique, dit saint
Augustin, se propose de plaire, il en cher-
che les moyens, il y a une grande ressem-
blance entre la nourriture spirituelle et la
corporelle. Le dégoût de plusieurs fait que
l'on assaisonne môme les aliments les plus
nécessaires à la vie. De Dîême la charité
oblige à assaisonner en quelque manière la
nourriture spirituelle, pour la faire recevoir
par les hommes qui peut-être sans cela se-
raient assezmalheureux pour larejeter (-278).»
Voilà pourquoi les ministres de Jésus-
Christ les plus sainis ont eu recours en tout
temps aux ornements de l'éloquence, et ce
serait une grande illusion que de la vouloir
bannir des chaires chrétiennes. Saint Augus-
tin fuit voir que l'éloquence peut être em-
})loyée dans les discours chréiiens, puisque
îes écrivains sacrés s'en sont servis, et saint
Augustin ajoute i]ue les écrits qu'ils ont
laissés sonldevrais modèles d'éloquence(2'/9).
La question est aisée à décider en distin-
guant deux sortes d'éloquence. Il y en a
une qui est indigne de la chaire chrétienne,
et il y en a une autre que l'on peut employer
très-utilement, parce qu'elle convient par-
faitement à la majesté de la parole de Dieu.
Saint Paul a réprouvé le premier genre d'é-
loquence, quand il a condamné ceux qui
emploient les discours persuasifs de la sa-
gesse humaine. ( Il Cor. , II, k.) C'est-à-dire
que ceux qui se cherchent eux-mêmes, dont
le dessein principal est de s'attirer des louan-
(277) < Vitia caetera in pcccalis, supcrbia vero
cliani in recle faclis tinicada est, ne illa qiia: lauda
liililei fada sunl, ipsius laudls ciipiJiiaïc ainiilaii-
lur, ► (Ep. 118, nov. cilil. al. oG.)
('-278) < Qiioniam inter se haljentnoiinuUam siiiiili-
luilinem vescenles alqiie discciiles, proplcr laslidia
pliii inioruni eliain ipsa sine qndtus vivi non polest,
alimcnui condienda sunl. » (Lib. IV De doctrina
ges et de flallcr la curiosité, sont manifeste-
ment condamnés par saint Paul.
Mais il y a nn autre genre d'éloquence
qui n'a rien de blûmable, et qui au contraire
sert beaucoup à inspirer aux honnnes un
saint désir d'embrasser les voies du salut.
C'est une éloquence solide qui expose les
maximes de l'Evangile dans toute leur force,
qui fait voir l'énormité du vice, la beauté
de la vertu, qui convainc l'esprit, qui louche
le cœur. C'est là l'éloquence de ces hommes
que l'Ecriture appelle puissants en paroles,
qui possèdent les Ecritures, qui s'en ser-
vent elficacement pour conduire les hommes
à la connaissance de la vérité. Tel était cet
homme admirable nommé Apollon. Il est
dit de lui qu'il était éloquent, puissant dans
les Ecritures. Il parlait avec zèle et avec fer-
''eur, il convainquait les Juifs puhiiquenient
avec grande force , leur monrrant par les
Ecritures que Jésus était le Christ. (4.J/.,
XVIII, 2i.)
L'éloquence n'a jamais [)lus de force, que
quand elle est soutenue et animée par les
œuvres, c'est la véritable éloquence. Cet
homme respecté par sa vertu n'a encore
|)rononcé aucune parole, et néanmoins il a
parlé d'une aianière très-ellicace. Il n'a qu'à
se montrer; on connaît ce qu'il est; il en dit
plus dans son silence qu'un autre n'en dira
en prononçant des discours, où sont rassem-
blées toutes les fleurs et toutes les figures
de l'éloquence.
Il est très-important aux ministres de l'E-
vangile de mener une vie sainte, non-seule-
ment parce qu'ilsy sont obligés par leur carac-
tère; mai3enc(ire,c'estquesi leur vien'est pas
sainte, il est presqu'impossible (lu'ils fassent
du fruit. Celui-là, dit saint Grégoire pape,
qui est obligé par son état d'établir les
grandes maximes de l'Evangile, est aussi
obligé de faire de grandes choses, et de
montrer que sa vie est conforme aux vérités
qu'il annonce (280).
C'est véritablement lorsque vous êtes dans
la chaire évangéiique que vous annoncez
de grandes choses. Il n'y a rien de plus
grand que les maximes saintes do l'Evan-
gile de Jésus-Christ. Il n'y a rien de plus
grand que de parler au nom de Jésus-Christ.
Combien les anciens prophètes étaient-ils
respectés quand ils parlaient au nom du
Seigneur 1 Le ministère de l'Evangile est
bien au-dessus du ministère de la loi an-
cienne. Si le ministère de la Itttr'e, dit saint
Paul, a été accompagné de gloire, combien le'
ministère de C esprit doit-il être plus glorieux ?
Si le ministère qui devait finira été glorieux,
celui qui durera toujours le doit être beaucoup
davantage. {Il Cor., ill, 7.) Il n'y a donc rien
de plus grand que d'annoncer l'Evangile de
chri&ùana, cap. H)
(279) « Non soluni nilill eis sapienlius, verum
ehani niliil elo(|uenlius niilii videii potcst. j [De
doclr. clir., 1. IV, c. 6.)
(-280) i Qui loci su! neccssilalc exigiuir summa di-
ccie liaccadeni neccssitale compcllilur suuiuia muu
strure. » (Lib. I, ep. 24.)
1535
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1336
Jésus-Clirist, de la pari de Jésus -Christ
môme. Ces grandes choses, dit saint Gré-
goire, doivent être soutenues par une vie
|)ioporlionnée au saint ministère que vous
exercez. Vous n'avez donc qu'à vous souve-
nir de ce que vous annoncez, pour conce-
voir coque vous devez êlre.
De là il s'ensuit que pour bien exercer le
ministère évangélique, il faut en premier
lieu beaucoup prier; il faut en second lieu
beaucoup s'observer et faire de grands etforts
sur soi-même.
Les prudents du siècle prennent des me-
sures, ils travaillent, ils s'empressent, ils
comptent beaucoup sur les efforts humains.
Vous avez beau travailler, vous avez beau
faire de grands efl'orts ; si le Seigneur nebd-
tic la maison, en vain travaillent ceux gui la
bâtissent. (Psa/. CXXVI, 1.) Cet homme com-
pte sur ses talents, sur son éloquence; il
se persuade qu'aussitôt qu'il a parlé, les es-
prits sont convaincus et les cœurs sont tou-
chés; il se promet tout de lui-même et de
)a force de ses paroles. Voilà où la prudence
humaine conduit ceux qui se laissent sé-
duire par les apparences.
Que celui-là raisonne bien plus solide-
ment, qui ne compte ni sur lui-même, ni
sur ses talents, mais qui allend tout du bras
du Seigneur ; il n'entreprend rien qu'il n'ait
recours à lui ; il est toujours dans la crainte
que son indignité ne retarde les desseins de
Dieu ; il |)arle, il fuit des efforts ; mais il ne
s'appui'e ni sur ses efforts ni sur ses pa-
roles. L'excellente maxime que de parler
beaucouf) à Dieu dans la prière, avant que
de parler aux hommes et que d'entrepren-
dre de les instruire 1
Quand est-ce que ce saint prêtre travaille
le plus t'fliciicement a la conversion des pé-
cheurs? Est-ce quand il établit solidement
les vérités saintes qu'il a puisées dans les
saintes Ecritures? Son discours à la vérité
a beaucoup de force, et il est difficile de ré-
sister à de si puissantes raisons. Mais je sais
quelque chose encore de plus fort, pour tra-
vailler efficacement à retirer les pécheurs de
leurs égarements. Ce saint prêtre est hum-
blement prosterné devant Dieu ; il gémit, il
verse des larmes, il répand son cœur brû-
lant de charité; il ne se lasse point, s'il
n'obtient pas d'abord ce qu'il demande; il
réitère ses prières, et il crie avec plus do
force. Il crie, comme le saint Prophète, de
tout son cœur. Il crie pénétré de sa misère.
C'est là que ce saint prêtre fléchit la colère
du Seigneur, qu'il désarme son bras, qu'il
fait la paix du pécheur, et qu'il obtient les
grâces nécessaires pour opérer la conver-
sion lie cet homme endurci. Il parle apiès
avoir prié. Ses paroles pénètrent le cœur;
mais c'est la prière qui a donné de la force
à ses [)aroles, et sans la prière ses paroles
n'auraient été qu'un son extérieur, qui tout
au plus aurait étonné , mais qui n'aurait
point changé le cœur.
(281) « Si eiiini régira oiavit Esllier, pro sua;
};eiiti8 lemporali salule luculura apud regein, quan-
10 magis orare débet, ut lale munus accipiat, qui
La reine Esther, selon la remarque de
saint Augustin (281), prie beaucoup avant
que de parh^ren faveur de son peuple. Elle
s'adresse du Seigneur ; elle le conjure do for-
tifier ses paroles. Celui-là donc, reprend
saint Augustin, a encore beaucoup plus be-
soin de prier, qui doit par son ministère
travailler à retirer le peuple de l'esclavage
du péché pour l'élever à un bonheur infini
et qui doit toujours durer. Vous êtes prê-
tres, vous avez du zèle pour la conversion
des pécheurs, vous voulez leur faire con-
naître leurs malheureuses voies, et les pres-
ser d'en sortir , priez beaucoup , comp-
tez beaucoup sur la prière, espérez au Sei-
gneur, attendez tout de lui, et vous verrez
avec consolation que vos travaux seront
bénis.
Dans le temps de la prière, pendant quo
vous serez devant le Seigneur qui sonde les
cœurs, et qui en connaît les rejdis les pîus
cachés, ne mantiuez pas de vous observer
vous-mêmes, et de voir si vos mœurs sont
assez réglées et assez saintes pour pouvoir
annoncer les maximes de la religion.
Ce serait une excellente règle que de se
prêcher soi-même, avant que de prêcher les
autres, que de se demander à soi-même un
compte exact de sa conduite, avant que
d'entreprendre de régler celle des autres.
Saint Paul donnait aux Juifs cet avertis-
sement salutaire : Vous qui instruisez les
autres, vous ne vous instruisez pas vous-
même. {Rom., II, 21.) C'est un reproche quo
l'on peut faire très-justement aux prédica-
teurs qui ne veillent point sur eux-mêmes.
Vous qui instruisez les autres, vous ne voiis
instruisez pas vous-mêmes. Vous prêchez l'hu-
milité et vous êtes superbes; vous répétez
sans cesse qu'il faut oublier les injures, et
vous êtes vindicatifs. On vous entend établir
les maximes les plus sévères de la péni-
tence, et vous menez une vie molle et sen-
suelle. Vous vous élevez contre la dureté
des riches et contre la dissipation qu'ils
font de leurs revenus dont ils devraient sou-
lager la misère des pauvres ; cependant vous
ne donnez aucune marque do votre sensi-
bilité, et il ne paraît point que vous vous
retranchiez pour soulager le pauvre dans sa
nécessité. Vous donc qui instruisez les au-
tres, vous ne vous instruisez pas vous-mêmes.
Confondez-vous, rentrez en vous-mêmes, et
vous rendez justice. Vous n'êtes point assez
saints, pour annoncer des maximes si sain-
tes. On ne sera point disposé à vous croire;
pendant que vos actions démentiront les
principes que vous établissez.
Quel prédicateur de l'Evangile que cet
homme qui monte en chaire avec un air mon-
dain, qui ne porte pas môme ses précautions
jiisquà dissimuler ses desseins, qui fait
connaître assez ouvertement que ses vues
sont de s'ouvrir une voie pour obtenir ce
que son ambition lui fait désirer. Après une
ongue préparation où l'on a uniquement
pro acierna homiiium salule in verbo et doctriiia la-
bora'. » (Lib. IV De doctr. chrisliana, cap. 30.)
1537
RETRAITE ECCLES. — X\l, LA PREDICATION.
1538
examiné conimenl il Tant parler pour plaire
aux gens du siècle, vous entendez un homme
(]ui ruendiu dos applaudissements ; vous
entendez un discours composé de paroles
choisies, alFectées, quelquefois molles et
eiréminées, qui ne peuvent qu'inspirer l'air
mondain et séculier, dont le [)rédicateur
est rempli. Vous voyez un homme qui après
son discours se repaît de l'encens flatteur
qu'on lui jette avec profusion ; vous voyez
un homme qui n'altend |)Ourse taire que les
honneurs et les biens temporels après les-
ijuels il soupire uniquement. Est-ce là un
ministre de Jésus-Christ, ou plutôt n'est-ce
]>i\s un ange de Salan lequel a pris témérai-
rement la place qui ne doit être occupée que
par les anges de lumière ?
Un prédicateur a eu quelque succès. Peut-
être devrail-il en gémir et craindre qu'il
n'ait reçu sa récompense. Vous le voyez
plein de lui-même se produire et se dissi-
per au dehors. 11 se trouve chez les gens
du siècle; il assiste à leurs festins, non pas
comme Jésus-Christ, pour convertir les pé-
cheurs, en leur inspirant des sentiments de
[lénilence, mais bien plutôt pour se perver-
tir lui-mèuie en flattant son amour-propre.
Tous ceux qui en ont quelque désir et qui
souvent n'ont aucun autre dessein que d'é-
)>rouver jusqu'où va sa faiblesse et en laire
ensuite des railleries, sont bien venus à le
prier de répéter des discours que l'on ne
veut entendre que parce que l'oreille est
agréablement flattée. La suite de ces répé-
titions inutiles et dangereuses, c'est que
l'encens est prodigué : le prédicateur se
nourrit de celte fumée, et avoue modeste-
ment qu'il n'est point indigne des louanges
qu'on lui distribue. Les premières places
lui sont promises d'une commune voix, et
il se flatte qu'il les mérite.
Détrompez-vous et reconnaissez vos er-
reurs. Après avoir rempli un si saint mini-
1^. stère, ce n'est point le temps de vous pro-
duire et de paraître triomphant. C'est bien
plutôt le temps de vous cacher et de vous
humilier. Vous avez exercé un saint mini-
stère qui est au-dessus de vous, et dont
vous êtes indigne : donc vous devez vous
humilier; vous avez enseigné les maximes
chrétiennes dont la principale est de s'hu-
milier; vous avez des grâces à demander
pour vous et pour ceux que vous avez in-
struits. C'est en gémissant et en vous hu-
mihant dans la retraite que vous obtien-
drez de si précieux dons.
Voici quel est celui qui peut être appelé
un prédicateurévangélique ; c'est un homme
sage, sérieux, exemplaire, dontia conduite
réglée ins[iire le respect, qui ne se dément
|)oint et qui est toujours le même ; qui", par
son exacte régularité, témoigne l'estime
qu'il fait des maximes qu'il annonce, qui,
se nourrissant dans la retraite des vérités
saintes, ne se (iroduil au dehors qu'autant
que la chariié l'oblige de se montrer. Quand
la parole du Seigneur ne sera annoncée que
par des hommes de ce caractère, elle por-
tera plus de fiuils, cl nous ne verrons pas
avec douleur que si la parole du Seigneur
est souvent inutile, les ministres qui l'an-
noncent n'en sont pas njoins coupables que
les auditeurs qui n'ont pas soin de la faire
profiter.
Il est donc vrai qu'il faut principalement
com|)ter sur la piété et sur la prière, pr.I?-
que ce sont les moyens les plus forts que
que Dieu nous a laissés pour attirer
ses secours, sans lesquels nous ne pouvons
rien.
Néanmoins Dieu ne veut point qu'on le
tente, il veut que dans les entreprises que
l'on forme, on ait recours aux moyens qui
sont dans l'ordre de sa providence. Celui-
là qui veut réussir dans le ministère de la
prédication doit beaucoup prier, il doit être
irréprochable dans sa conduite, vous en
avez vu l'importance : mais outre cela il y
a de certains moyens qui sont dans
l'ordre de Dieu, et sans lesquels il est
impossible de réussir dans cet important
ministère.
Ces moyens sont de s'être appliqué à l'é-
tude, et surtout à l'étude de l'Ecriture sainte,
de s'être instruit par une recherche exacte
et une sérieuse application, des vérités que
l'on veut annoncer. Avec cette étude il faut
encore que Dieu nous ait donné des iaienu^
qui ne peuvent venir que de lui, et sans
lesquels, quelques efforts que l'oa fasse, on
a le déplaisir (le travailler inulilement.
Il n'est que trop ordinaire de voir des na.-
nistres précipités, qui, sans élude et sai.s
talents, entreprennent d'instruire les antres.
La parole du Seigneur entièrement défigu-
rée perd dans leur bouche toute sa force et
toute sa majesté. Que! homme pour in-
struire, et y eni-il jamais une pareille té-
mérité? Il n'a peut-être jamais ouvert les
' livres divins. Ses discours seront pleins de
fables ridicules; les habiles seront scanda-
lisés et les ignorants ne seront point in-
struits. Cet iiomuje, infidèle copiste d'un
mauvais original, corrompra ce qui était
déjà corrompu; il dira cequ'il n'entend pas.
Ce sont ces hommes qu'un apôtre appelle
des nuées sans eau. Ce sont des arbres dont le
fruit ne mûrit point. [Jud. , 12.) Ce sont
des docteurs sans doctrine, et il ne peut y
avoir un jdus dangereux abus que de pcr-
mellre à ces hommes ignorants de débiter
leurs discours qui sont autant de profana-
tions de la parole du Seigneur. J'ai parlé
contre ceux qui négligent le ministère do la
prédication, mais ce n'est pas un moindre
péché qued'usurper criminellement lescm-.
plois qui sont au-dessus de nos forces et do
nos talents.
Le prêtre à qui Dieu a fait la grâce de lo
remplir de l'esprit de son ministère , tra-
vaille 5 devenir habile, il redoute le mini-
stère de la prédication, à cause des dangers
dont il est accompagné; il connaît les
charmes de la retraite et du silence, il ne
s'avance point. S'il recule, ce n'est pas qu'il
mépri.se, mais au contraire c'est qii'il est
rea)|ili d'estime pour toutes les fonctions
ecclésiailiques. Quand il est appelé, il
Ï539
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1340
marche , il obéit, il travaille avec zèle.
Voilà l'esprit dont un ministre du Seigneur
doit être rempli, e( c'est le moyen d'exercer
avec fruit les saintes fonctions de l'état ec-
clésiastique.
Ce que je reprends dans ceux qui gar-
dent une conduite contraire, et surlout
dans ceux qui se précipitent, c'est en pre-
mier lieu leur hardiesse.
Saint Grégoire de Nazianze (oral. 1, p. 15),
dont je vous ai déjà rapporté les paroles,
soutient que la conduite de ces hommes
qui se précipitent est entièrement témé-
raire, etquel'on peut mômeassurerqu'clle
est pleine de folie. Ils veulent annoncer la
parole du Seigneur sans l'avoir étudiée, et
.<;aris s'être appliqués à la méditation del'E-
crilure sainte.
La grande maxime pour réussir dans la
prédication, c'est d'avoir lu l'Ecriture, do
i'<)voir méditée, de la posséder, de tirer ses
j)reuves pariiculièrement de l'Ecriture, de
confirmer par cette puissante autorité les
vérités qu'on annonce. Qu'un ministre du
Soigneur est fort quand il peut dire : C'est
Jésus Christ qui vous parle, voilà la parole
de Jésus-Christ, voilà comment il s'est ex-
pliqué 1 Un ministre de Jésus-Christ s'ac-
quitte de son minisière plus ou moins bien,
selon qu'il est plus ou moins versé dans
l'étude de l'Ecriture sainte (282). Si vous
n'êtes point éloquent par vous-même,
vous le deviendrez en vous servant des
trésors que vous trouverez dans les livres
divins.
Les saints Pères sont les fidèles inter-
prètes de l'Ecriture. Dieu leur a donné l'in-
telligence pour en comprendre le véritable
sens. Les écrits des Pères de l'Eglise sont
encore des sources fécondes, où la vérité
s'est heureusement conservée. Puisez dans
les pures sources de l'Ecriture et de la tra-
dition. Apprenez la vraie doctrine de l'Ii-
glise; sachez ce que cette sainte Mère con-
duite par le Saint-Esprit, intaillible dans
ses jugements, a décidé ; distinguez sa doc-
trine des fausses traditions que Jésus-Christ
a condamnées, parce que ce sont des do-
ctrines des horames.(i'li/af</i., XV, 9.) Quand
vous nourrirez le peu|)le de la parole du
Seigneur et de la vraie doctrine de l'Eglise,
vous serez de ces ouvriers dont saint Paul
a dit (Il Tim., XI, 15) qii'«7s peuvent pa-
raître devant Dieu, comme des ministres dignes
de son approbation, qui ne font rien dont ils
aient sujet de rougir, et qui savent dispenser
(a parole de vérité.
L'habileté, l'adresse, la charité du prédi-
cateur demande qu'il s'applique à connaître
la portée, et le génie de ceux qu'il est
chargé d'inslruire. Saint Paul prenait garde
à donner aux uns du lait, et aux autres une
naurriiure solide. (I Cor., XI, 2.) Des sim-
ples doivent être instruits avec plus desira-
plicilé que des hommes doiit le génie est
jilus relevé. Reprendre à la campagne des
("282) « Sapienlir dicil lioniolaïuo luagis vel minus,
iji'.mu» iji Scripluris saiictis ra gis minusve profc-
vices qui en sont heureusement bannis, et
qui ne régnent que dans les villes: traiter
des hommes qui ont de la politesse, comme
des hommes rustiques ; s'élever contre des
vices et des abus sans examiner, si ceux à
qui l'on adresse la parole peuvent en être
coupables , c'est visiblement manquer de
prudence ; c'est vouloir se faire moquer et
attirer le mépris. L'honnêteté, la sagesse,
la charité inspirent d'avoir plus de considé-
ration pour ceux qui nous écoutent. Nous
les devons porter à respecter la parole que
nous leur annonçons, nous devons donc
prendre garde à la traiter avec dignité, et à
ne rien dire qui puisse éloigner du respect
qui est dû au saint ministère que nous exer-
çot.s.
C'est ce qui fait voir qne ceux-là sont
encore très-criminels, qui entreprennent
d'instruire, quoiqu'ils n'aient point les
talents nécessaires pour faire respecter la
parole qu'ils annoncent. Ce sera défaut de
capacité, ce sera défaut de génie, ce sera
défaut de discernement ; mais tout ce que
dit cet homme ne touche point. Il n'y a
dans ses discours ni solidité, ni netteté. Le
fond ne s'y trouve point, la manière est
extraordinaire et rebutante. Des hommes si
peu propres au saitit ministère de la prédi-
cation ne peuvent que le profaner. C'est
donc à eux de se rendre justice, et de
profiter de l'heureuse nécessité qui leur
est imposée de vivre dans le silence et la
retraite.
11 y en a beaucoup qui à la vérité n'ont
point assez de génie et de talents pour com-
poser des discours oii toutes les règles de
l'éloquence et de l'art soient exactement ob-
servées. 11 n'est pas donné à tous de par-
venir aux premiers rangs. A peine les siè-
cles entiers suflisenl-ils pour produire des
Ambroises, des Auguslins, des Grégoires,
des Chrysostomes, des Basiles et les autres
saints que Dieu a donnés à son Eglise, (lour
être sa lumière et son appui. Il y a beau-
coup de places au-dessous des premières,
où l'on peut très-utilement travailler pour
l'Eglise.
C'est avoir beaucoup de talent que
de pouvoir expliquer d'une manière sim-
ple la doctrine de l'Eglise , que d'être en
état de nourrir ceux qui recherchent la pa-
role du Seigneur dans sa simplicité
D'autres auront le talent de composer des
instructions familières; d'autres auront ce-
lui de former les enfants, et de leur ap-
})rendre les premiers éléments de la foi.
Chacun, comme dit saint Paul, a reçu son
don, Vun d'une manière. Vautre d'une autre.
(I Cor., VU, 7.)
Que ceux-là môme qui possèdent .es ta-
lents inférieurs, reconnaissent qu'ils ont
beaucoup reçu : lisseraient des ingrats, s'ils
ne confessaient qu'ils sont très-redevables à
Dieu. C'est une preuve certaine, selon saint
Grégoire de Nazianze (orat. 26, p. W2),
cil. > (S. AuG. , lib. IV De doctrhia clirhtiana,
cap. b.)
i3!l
RETRAITE ECCLES. — XXII, LA PEMTEiNCE.
iùH
que Ton n'a point d'inimilité quand on re-
marque avec chagrin que les aulnes ont do
plus rares taienls et des grâces plus abon-
dantes que nous
Les grands talents viennent de Dieu, ils
font honneur à la religion, Dieu les distri-
bue h qui il lui plaît, le bon usage et la
sainle application de ces grands talents fait
beaucoup de fruit; mais aussi il faut con-
fesser que beaucoup de ministres dn Sei-
gneur avec des talents inférieurs travaillent
pour l'Eglise d'une manière très-utile. On
ne peut pas même désavouer que les dis-
cours cora osés avec le plus d'art et qui font
plus de bruit, ne sont pas toujours ceux
(pii touchent davantage et qui opèrent un
plus grand nonibre de conversions.
Que chncun reçoive avec action de grâce
îe lalent que Dieu lui confie ; qu'il s'en
serve n'ayant en vue que la gloire de Dieu
et le salut de ses frères. Il ne convient point
<i un nnnislre du Seigneur de s'élever au-
dessus des aulres, de faire l'éloge de son
talent, de prétendre que son talent est su-
périeur à tous les autres, de mépriser ce
qu'il n'a pas. De pareils sentiments ne
|)euvent s'a'corder avec ce que saint Paul
enseigne quand il dit : Que chacun par hu-
milité croie les autres au-dessus de soi. {Philip.,
XI, 30.)
Voilà les vérités que j'avais à vous propo-
ser pour vous faire connaître ce que vous
devez penser d'un ministère aussi élevé et
aussi nécessaire dans l'Eglise qu'est celui
de la prédication.
Souvenez-vous que ce ministère est très-
excellent, afin de ne point tomber dans la
faute de ceux qui le négligent.
Souvenez-vous qu'il est très-saint , afin
de concevoir combien il est pernicieux de
le mépriser.
Apprenons donc à avoir de justes idées
du ministère de la prédication. Nous se-
rions des présomptueux de rechercher,
de courir , de décider en notre faveur ;
c'est à nous d'être convaincus de notre
indignité , de redouter toutes les fon-
ctions ecclésiastiques et de les considérer
comme étant infiniment élevées au-dessus
de nous.
Cependant quelque indignes que nous
soyons, Dieu veut bien se servir de nous;
il est môme de sa gloire d'employer des in-
struments si faibles, pour opérer ses plus
grandes ujerveilles.
Si nous sommes de ceux à qui Dieu fait
l'honneur de les choisir , pour être ses in-
terprètes et pour publier les merveilles de
sa loi, connaissons le prix de cette grâce,
ayons-en toute l'estime que nous devons,
soyons exacts à en marquer notre recon-
naissance; n'hésitons pointa préférer cet
honneur à tout ce qui flatte davantage
leshommes du monde, età ce qu'ils estiment
le plus.
La principale marque de reconnaissance
que Dieu nous demande, c'est d'exercer
lidèlement lo saint ministère (]ui nous est
confié. Pour cela nous devons être très-
appliqués à nous instruire do la loi de Dieu,
très-attentifs h no puiser que dans les
sources pures. Que nous serions malheu-
reux, si Dieu nous ayant confié le soin d'in-
struire son peuple, nous allions par notre
faute distribuer un pain corrompu à ceux
que Dieu nous a chargés de nourrir de sa
sainte parole.
Ayons beaucoup de zèle pour le salut do
notre prochain ; et comme la prière et les
bonnes œuvres doivent donner la force à la
parole que nous annonçons, prions beau-
coup, défions-nous de nous-mêmes, atten-
dons toutes choses de Dieu , réglons nos
vies et nos mœurs suivant les maximes que
nous annonçons, que l'on ne puisse point
nous faire ce reproche honteux que nous
détruisons par nos actions ce que nous
établissons par nos paroles. Que le peuple
donc nous voie exacts, zélés , empressés,
appliqués h tous nos devoirs. Souvenons-
nous que nous devons être les modèles du
troupeau. (I Petr., V, 3.) Nous ne pouvons
être de parfaits modèles à moins qu'on ne
remarque en nous toutes les vertus que Dieu
demande dans de véritables ecc!ésiasti(iues.
C'est cet heureux assemblage de toutes les
vertus, qui nous rendra de dignes ministres
de sa parole, et qui nous fera mériter les
récompenses qui nous sont promises dans
l'éternité.
DISCOURS XXII.
DU SACREMENT DE PÉNITENCE
Je vous ai déjà parlé plusieurs fois du
sacrement de pénitence ; je vous ai fait voir
combien il est important que ce sacremet:t
soit administré selon les règles de l'Eglise.
Je vous ai proposé ces vérités dans des
discours oià il était nécessaire de les expli-
quer pour vous faire entendre la matière
principale que je me proposais de traiter.
Ainsi ces vérités se trouvent semées en
différents endroits. Mais parce que mon pre-
mier et principal but n'était pas de vous en
instruire, je n'ai pas eu lieu de traiter cette
matière à fond.
Comme elle est une des plus importantes,
et qu'il est très-nécessaire que les ecclé-
siastiques en soient parfaitement instruits,
je me propose de ramasser dans ce discours
toutes les vérités que vous avez déjà en-
tendues, et qui regardent l'administration
du sacrement de pénitence. J'ai dessein,
autant que le Seigneur m'inspirera et qu'il
m'en donnera la force, de vous faire voir
que l'administration du sacrement de péni-
tence est une des principales fonctions du
prêtre. C'est une source de bénédiction
[)Our les prêtres qui se conduisent comme
de fidèles ministres ; mais aussi il n'y a point
(le matière où il soit plus dangereux de se
tromper, et où il se commette de plus per-
nicieux abus.
Seigneur, donnez à votre Eglise beaucoup
de prêtres zélés qui connaissent leur pou-
voir, et qui upprenntul à en faire un saint
usage. Par là combien de pécheurs sauvés
do leurs égarements, sanctifiés par votre
15i3 ORATEURS SACRES.
prAce, s'esliraeronl heureux de passer leurs
jours à clianler vos miséricordes 1
Plus co rainisière esl saint, plus il est
dnnyereux d'en abuser. Le saint usage de
ce divin pouvoir sanctifie les pécheurs.
L'abus decesaint ministère faitque l'homme
criminel persévère dans sa mauvaise voie,
et ce que Jésus-Christ a laissé comme une
source de salut, devient pour le pécheur un
principe d'endurcissement.
Apprenez donc, ministres zélés, quel esl
le pouvoir que Jésus-Christ vous a confié.
Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié
dans le ciel, tout ce que vous délierez sur la
irrre sera délié dans le ciel. {Malth., XVIII,
18.j Les péchés seront remis à ceux à qui
vous les remettrez, les péchés seront retenus
à ceux à qui vous les retiendrez. (Joan., XX,
23.)
Afin que vous soyez de fidèles dispensa-
teurs et non pas des usurpateurs injustes ;
afin que vous guérissiez les plaies des ma-
lades, et que vous ne soyez pas assez mal-
heureux ()0ur les envenimer ; afin que les
pécheurs sortent de vos tribunaux lavés de
leurs iniquités et parl'aiternent réconciliés
avec Dieu, instruisez-vous premièrement
des dispositions dans lesquelles doitôire un
prêtre pour ne pas s'engager témérairement
dans l'adminislralion du sacrement de pé-
nitence, ce sera mon premier point. Appre-
nez en second lieu combien il est dangereux
de s'écarter des règles, lorsqu'on est ap-
pelé à l'administration du sacrement de pé-
nitence, ce sera mon second point. Voyez
enfin quelles soiit les règles |)rincipaies
que doit suivre un prêtre pour administrer
le sacrement de pénitence, ce sera mon troi-
sième point.
PREMIER POINT.
Les prêtres ont reçu de Jésus-Christ le
]iouvoir de remettre les péchés. C'est de
tous leurs pouvoirs celui qui est le plus diffi-
cile à exercer. Il y a du péril dans l'exercice
de ce pouvoir; il y a du [<éril à ne s'en point
servir. Les uns se perdent parce qu'ils sont
li'op liardis et trop préci[)ités ; les audx'S
au contraire sont trop timides et [)ortent
trop loin la défiance. 11 est de la dernière
importance debicncoLicevoir les sentiments
où doit être un prêtre pour user saintement
du pouvoir redoutable qui lui est confié do
renieltre les péchés.
Deux maximes essentielles et fondamen-
tales le prépareront h entrer dans les dis-
positions que Jésus-Christ veut trouver
en lui.
La première maxime qui aura beaucoup
(II' force pour corriger ceux qui se préci-
. pilent, est que le pouvoir de remettre les
péchés expose ce'ui qui l'exerce à de très-
grands périls. De là il s'ensuit qu'un prêtre
(]ui esl sage ne marche c{u'en tremblant.
Bien loin de souhaiter d'exercer un mini-
stère si difficile à remplir, il fuit, il se cache,
il se reconnaît indigne. S'il était consulté,
s'il suivait son propre goût et sa propre
inclination, il passerait ses jours sans poilcr
JOSEPH LAMBERT.
KIU
un fardeau, dont il sent bien que la pesan-
teur est au-desus de ses forces.
Mais il y a une autre maxime qui n'est
pas moins certaine que la première, et qui
empêche les prêtres fidèles et zélés de s'a-
bandonner enliôremont à leur crainte et h
leur défiance. Cette maxime est qu'on doit
obéir h Dieu dès qu'il nous appelle, et que
pour lors il n'est plus question ni d'être
effrayé, ni d'examiner les périls. Le prêtre
sounn's surmonte ses répugnances pour
obéir à Dieu, lorsqu'il lui fait connaître sa
volonté. Il s'embarque sous la protection
de celui qui s'est tant de fois servi des plus
faibles instruments, pour opérer ses plus
grandes merveilles.
Etablissons solidement ces deux impor-
tantes maximes qui doivent servir de règle
et qui apprennent aux ministres de Jésus-
Christ les sentiments dont ils doivent
être pénétrés pour exercer saintement
le pouvoir qu'ils ont reçu de remettre les
péchés.
Un prêtre qui esl sage ne souhaite point
d'administrer le sacrement de pénitence ;
au contraire il fuit un ministère si redou-
table; il ne s'y engage qu'avec crainte et
avec répugnance; il s'estimerait heureux
s'il lui était permis de ne se point exposer
à tant de périls qui font trembler tous ceux
qui les connaissent.
La première pensée qui frappe un prêtre
à qui le Seigneur a fait la grâce de lo rem-
plir de sa crainte, c'est que nous avons tous
un grand compte à rendre, que ce compte
est terrible, que nous sommes suffisamment
chargés du poids de nos péchés.
Le prophète David ne se considère que
lui-même et son propre fardeau. Il se sent
déjà accablé et il prie le Seigneur de ne
point entrer en jugement avec lui. [Psal.
CXLII, 2.)
Le saint homme Job [Job, IX, 15), rempli
(les mêmes sentiments, est convaincu que
l'homme par lo seul poids de ses propres
iniquités, n'est point en état ni de répondre
à son juge, ni de soutenir son jugement ri-
goureux. Quand il remarquerait en lui
quelque trace de justice, il se croirait
obligé de garder le silence. Combien donc
sera-t-il plus exact à le garder, quand II
n'apercevra en lui que des taches et des
défauts.
Un saint prêtre justement effrayé du poids
de ses iniquités et du compte qu'il en doit
rendre, considère qne, dès qu'il deviendra
le ministre du sacrement de pénitence,
son compte croîtra considérablement. Le
voilà obligéde répondre non-seulement pour
lui, mais encore pour les autres. Le voilà
chargé non-seulement de ses iniquités, mais
encore de celles des pécheurs qui s'adres-
seront à lui. Le voilà ministre de Jésus-
Christ, agissant en son nom, tenu de répon-
dre de toutes l(.^s sentences qu'il pronon-
cera, criminel au premier chef si jamais il
est assez malheureux pour profaner le sang
do Jésus-Christ dont il est le dispensateur.
Qui doue ne fuirait une charge si pesante,
15*5
et comment se peul-il faire que desliotmnes
ft^ménires rlierchont avec empressement à
s'imposer un si pesant fardeau?
Ils sont d'autant plus criminels, qu'ils se
nrési.întenl eux-mêmes, et sans examiner si
leSeigneuriesappelle. Ils sont donc de ceux
dont le pro|)hèle a parlé et dont il a dit : Je
ne les envoyais pas, et ils couraient d'euX'
wêmes; je ne leur parlais point, et ils prophé-
tisaient de leur tête. {Jcr., XXIII, 21.)
Voici au contraire ce qui retarde un saint
prôlre, et ce qui fait qu'il ne marche qu'avec
de très-grandes précautions, il sait qu'il
doit attendre l'ordre de Dieu, et que c'est
une hardiesse très-criniinelie, que de s'en-
gager dans un ministère si périlleux, lors-
que nous ne connaissons [)as que c'est Dieu
qui nous ajipelle.
Il faut donc une vocation pour exercer
avec fruit le saint ministère de réconcilier
les pécheurs ; car dans l'exercice de ce mi-
nistère, le piètre devient le conducteur de
celui qui s'adresse à lui. C'est au prêtre à
le retirer de la voie de l'iniquité ; c'est au
prêtre à le conduire dans la voie de la vé-
rité. Le prêtre donc exerce pour lors parti-
culièrement l'ollice do pasteur et de con-
ducteur. Vouloir de son autorité propre
conduire les autres, c'est témérité. C'est
Dieu seul à qui il appartient de désigner
ceux qui seront les conducteurs de son trou-
peau.
Examinez dans l'Ecriture l'exemple de
ceux qui ont conduit le peuple de Dieu.
On;-ils d'eux-mêmes usurpé ce saint mini-
stère ? ils ont encore tremblé même après
que Dieu les y a ap|)elés. Ils élaieni clone
bien éloignés de s'otl'rir eux-mêmes et de
j'réveuir la vocation de Dieu.
Qui suis-je, disait Moïse (Exod,, III, 11),
même après avoir été plusieurs fois appelé?
Sa longue résistance oblige le Seigneur à lui
parler avec indignation. Quand les plus
saints et les plus éclairés sont rem|)iis de
crainte, d'où vient doue cette hardiesse et
telle précipitation ?
Voici quel était le langage ordinaire du
Seigneur dans l'ancienne loi quand il éla-
blissailceuxquidevaient conduire son peu-
ple. C'est moi qui lui commanderai de se
charger de la conduite de mon peuple. (III
Iteg., I, 35.) C'est moi qui l'ai établi. C'est le
Seigneur, tlisaieni-ils , qui m'a commandé.
(111 Reg., XIV, 7 ; XVI, 2 ; Il Reg., VI, 21.)
Vous voulezôlrc le conducleurde vos frères.
Le Seigneur vous a-l-il parlé, vous a-t-il éta-
bli? Puuvez-vous dire : c'estle Seigneur qui
me l'a commandé ?
Dans le tribunal de la pénitence non-
seulement vous êtes conducteur, mais en-
core vous êtes juge. C'est une autre qualité
que vous devez beaucoup ap|)réhender, et
à laquelle il est Irès-cnminel de s'appeler
soi-même.
11 est certain que l'autorité de juger est
la plus grande de toutes les autorités. Il est
certain que celte autorité réside en Dieu
seul comme dans son princii)e et dans sa
racine. Voilà pourquoi il est dil si souvent
RETRAITE ECCLES. — XXII, LA PENITENCE.
1346
dans l'Ecriture, que o est Dieu qui est le
juge. (Psiil. XLIX, G.) Ce qui nous fait voir
qu'il n'y a que Dieu h qui proprement il
appartient de juger. Dieu communique ses
pouvoirs à qui il lui plaît. Mais quand les
liommes exercent celui de juger, ce ne peut
être qu'au nom du Seigneur et aulanlqu'ils
y sont appelés par le Seigneur.
Le pouvoir des prêtres, comme le re-
marque saint Chrysoslome (lib. III De sa-
cerdotio, c. 5), est beaucoup au-dessus do
celui des hommes qui n'exercent qu'une
puissance temporelle et terrestre. Ceux-là
n'fuit pouvoir que sur les corps, au lieu que
le [louvoir des prêtres est sur les âmes, et
qu'il a son effet jusque dans le ciel. Comme
donc l'autorité souveraine de Dieu est com-
muniquée aux prêtres d'une manière plis
éminente qu'à tous les autres hommes, il
est aussi nécessaire que les prêtres soient
plus particulièrement appelés. Il faut que
Dieu leur parle, qu'il leur commande, qu'il
les conduise. Autrement ils seront d'autant
plus criminels, qu'ils usurperont le pouvoir
de Dieu contre les ordres et contre la vo-
lonté de Dieu même.
Ne me dites point que tous les prêtres
reçoivent ce grand etéminent pouvoir dans
leur ordination, et qu'ainsi ils peuvent
s'en servir dès le moment qu'ils sont con-
.sacrés prêtres.
Combien de prêtres qui reçoivent ce pou-
voir contre les ordres de Dieu et sans être
appelés au sacerdoce ? Ils ont reçu ce pou-
voir dans leur ordination, et ils osent s'en
servir. Ils sontdoublement criminels; ils le
sont parce qu'ils ont témérairement usurpé
le sacerdoce auquel Dieu ne les appelait
pas. Ils le sont encore, parce que n'étant ja-
mais rentrés dans l'ordre de Dieu, et vivant
dans unerésistance continuelle, ilsexercent
toutes leurs fondions d'une manière in-
digne et malgré Dieu môme qui n'a point
cessé de les regarder comme de criminels
usurpateurs.
Avoir reçu dans son ordination le pou-
voir de remettre les péchés, c'est une très-
excellente raison pour l'exercer dans l'ordre
de Dieu, et jy vous ferai voir dans la suite
qu'il y en a plusieurs qui sont criminels,
parce que sans aucune raison légitime ils se
dispensent de remplir un devoir si néces-
saire. Mais qu'un ecclésiastique téméraire,
souvent sans en être capable, souvent par des
raisons humaines et charnelles, lémoigno
de vifs empressements d'exercer une fonc-
tion qui a toujours été appréhendée par les
ecclésiastiques les plus saints et les [)lus
éclairés, c'est ce qui ne peut manquer d'at-
tirer la colère du Soigneur contre ceux (pii
ne craignent })oii,t de renverser les plus
esseniieiles lois de son sacerdoce.
Mais entrons encore davantage dans l'in-
térieur de ces hommes empressés, et voyons
ce qu'ils peuvent penser d'eux-mêmes. Ou
ils se rendent justice en reconnaissant leur
incai)acilé, ou ils se croient en état d'admi-
nistrer ave fruit le sacrement de pénitence.
S'ils se sentent incapables de celle fonc-
1347
ORATEURS SACRES. JdSEPH LAMBERT.
1518
tion difficile, d'où vient donc qu'ils se pré-
sentent? Ne savent-ils pas toutes les plaies
que se fait à lui-mûme et aux autres, celui
qui n'ayant pas tous les talents nécessaires
entreprend d'adminiâirer ce dillicile sacre-
ment?
Mais ils se sont examinés et ils croient
avoir assez de capacité pour rendre service
à leurs frères dans ce pénible emploi. Qui
le leur a dit? Qui ont-ils consulté? Jls se
sont consultés eux-inômes. Disons plutôt
quils se sont trompés eux-mêmes. L'homme
est-il un juge couipéient pour décider sur
son propre mérite ? Pour être en état de ser-
vir Dieu dans un emploi, et particulière-
ment dans un emploi ecclésiastique, nous
devons nous en juîj^er indignes. C'est aux
autres, et surtout à nos supérieurs, à nous
presser, et à prononcer sur notre capacité.
Tout au contraire cet homme qui a tant
d'ardeur, est peut-être le seul qui se ju^ie
ca[)ahle. Tous les autres à qui il devrait s'en
rapporter lui conseillent de na se point
avancer, parce qu'ils connaissent son peu de
suffisance et la médiocrité de se« talents.
Mais cet homme aveugle sur lui-même
est incapable de conseil ; il va donc de sa
propre autorité. C'est lui-môme qui s'est
assis sur le sacré tribunal; il y est ferme,
et il ne tremble point. Les habiles craignent,
leurs frayeurs sont continuelles. Pour lui
sa sécurité sera parfaite, et il n'aura pas le
moindre sentiment de crainte. Mais ce sera
une sécurité malheureuse, qui ne vien-
dra que de ce que cet homme aveugle no
connaît point tous les dangers dans lesquels
il se précipite. Autant de paroles qu'il pro-
noncera seront autant de décisions fausses;
il jugera sans connaître quelle doit être ia
règle de ses jugements. Le pécheur endormi
dans son péché croira être iiurifié, et il de-
meurera chargé de toutes ses iniquités. Les
j»Ius injustes usurpateurs ne seront point
obligés à restituer un bieu qu'ils ont crimi-
nellement ravi. Les fautes les plus lourdes
ne seront pas punies plus grièvement que
les péchés les plus légers. Ainsi le pécheur
est trompé par le conseil même de celui qui
devrait l'aider à sortir de ses voies crimi-
nelles. Le pécheur périra, mais de quelle
peine ne sera point puni le faux prophète
oui l'a séduit?
11 y a donc du péril dans l'administration
du sacrement de pénitence, il ne faut point
se le dissimuler.il n'y a que la grâce du Sei-
gneur qui |)uis3e soutenir un prêtre, et le
préserver des |)érils auxquels il est exposé
dans l'exercice de son ministère. Il n'y a
qu'à observer qui sont ceux à qui le Sei-
gneur accorde ses grâces, et qu'il est accou-
tumé de fortiher de ses secours. L'empres-
sement, la hardiesse, la précipitation, la
bonne opinion de soi-même, sont-ce là les
voies pour obtenir les grâces du Seigneur?
N'est-il pas au contraire constant que les
téméraires en punition de leur orgueil sont
ordinairement abandonnés? Vous donc qui
vous précii)ilez, sur quoi comptez-vous?
Vous comptez sur vous, c'est-à-dire que
vous faites fond sur la fragilité même. S;i-
vez-vous ce que c'est que l'homme, ce qu'il
peut, ce qu'il devient quand il est délaissé?
Savez-vous que la langueur, la faiblesse, la
misère, l'impuissance, la corruption, la ma-
lice sont le partage de l'homme? Parlez-
donc plus sagement, et dites que, connais-
sant les justes raisons que vous avez de vous
défier de vous-mêmes, vous mettez toute
votre confiance au Seigneur ; mais en même
temps prenez de plus justes mesures pour
attirer sur vous des secours si nécessaires.
Soyez convaincus que vous ne pouvez les
m(''riter qu'en reculant, en fuyant, en vous
défiant de vous-mêmes, en tremblant sous la
pesanteur du fardeau.
J'entre, me direz-vous, dans tous ses sen-
timents, je connais combien le poids est
lourd, le péril m'épouvante ; voilà pourquoi
je fuis, et je prends la résolution de ne .me
point engager dans l'administration du sa-
crement de pénitence.
Ce n'est pas là la conséquence qui doit
être tirée des principes que je viens d'avan-
cer. Vous ne devez pas être hardi, vous ne
devez pas vous présenter de vous-même;
mais aussi vous ne devez pas être trop ti-
mide, et vous ne devez pas fuir quand le
Seigneur vous appelle. Pourvu que toutes
les maximes soient bien connues, les abus
seront retranchés, et en fuyant une extré-
mité, on ne tombera point'dans une autre.
Voici donc l'autre maxime qui doit encou-
rager ceux que le péril elfraye, et leur faire
voir qu'il y aurait encore plus de péril à ne
se point exposer quand le Seigneur le com-
mande.
La maxime est que tout ecclésiastique lé-
gitimementappelé ne doit plus reculer; il est
obligé d'obéir. Mettant sa confiance au Sei-
gneur, il doit être persuadé sur la parole de
Dieu même, que Dieu sera son protecteur,
et qu'il le soutiendra au milieu des périls
dont sont accompagnées les fonctions ecclé-
siastiques.
Il n'est pas toujours permis de reculer et
de fuir. Il y a beaucoup d'ecclésiastiques
habiles qui pourraient rendre service au
prochain en administrant le sacrement de
pénitence. Pourquoi ne le font-ils pas?
Pourquoi abandonnent-ils cette fonction
aux moins habiles et aux moins zélés?
Différents principes et souvent très-mau-
vais engagent plusieurs ecclésiastiques à
s'éloigner. Les uns considèrent cette fonction
comme une fonction basse et qui ne conduit
h aucune élévalion. Les autres sont enne-
mis de la contrainte, de la peine et du tra-
vail. Les autres vousdironlque c'est un tra-
vail ingrat, qui consume beaucoup de temps,
et qui satisfait peu res{)rit.
On est prêtre : on est prêtre pour son
prochain: on peut le secourir, et on l'aban-
donne. N'y a-t-il point sujet de craindre que
Dieu n'entre dans de justes sentiments de
colère contre ceux qui laissent ainsi iuu-
1349
RETRAITE ECCLES. —
liles les talents qui leur ont éié mis entre
les mains?
C'est donc un çrand désordre que les uns
méprisent une fonction si élevée, que les
autres se rebutent de la peine, que d autres
considèrent comme un travail ingrat une
sainte fonction où l'on peut l'aire une mois-
son si abondante.
C'est encore un autre désordre que des
prêlres vertueux, habiles, éclairés , portent
la juste défiance qu'ils ont d'eux-mêmes
jusqu'à n'oser exercer un ministère qu'ils
sont en état de remplir avec beaucou|) de
fidélité et d'utilité pour leurs fi ères. Ce sont
ceux-là qui ont particulièrement besoin
d'être encouragés.
Vous dites que vous vous connaissez et
que vous ne savez que trop les justes rai-
sons que vous avez de vous défier de vous.
Et moi je vous réponds qu'il ne vous ap-
partient point de vous juger , que vous se-
riez présomptueux si vous vous croyiez
capable; que vous devez ignorer vos talents
et ce que vous pouvez. Mais aussi vous êtes
obligé de vous soumettre et de suivre la
voix de vos supérieurs que Dieu a établis
pour être vos conducteurs.
S'il est permis de fuir h tous ceux qui
sont dans la situation oià vous vous trou-
vez, qui aura donc soin du troupeau de
Jésus-Christ ? Sera-ce ces hommes hardis,
d'autant plu5 dangereux qu'ils sont pleins
de [)résomption? Vous vous connaissez et
vous vousdéliez de votre faiblesse; vous avez
peut-être encore plus de sujet de vous en
délier que vous ne pensez. Vous auriez donc
raison de trembler et de fuir, si toute votre
ressource était dans vous-même et dans vos
propres forces. Mais pouvez-ignorer quelles
sont les miséricordes du Seigneur, et com-
bien elles sont abondantes sur ceux qui se
confient en lui?
Si vous étiez de ces hommes hardis dont
je viens de représenter le caractère, je vous
dirais que vous ne devez point compter sur
les secours du Seigneur; mais par sa miséri-
corde vous êtes dans des dispositions tou-
tes contraires. Vous vous jugez indigne, et
les autres ont une meilleure opinion de
vous ; vous fuyez et l'on vous recherche.
Venez donc au nom du Seigneur, plein de
confiance et fortifié par ses promesses. Saint
Augustin l'a dit, et rien n'est plus certain
que la vérité de celte maxime. Elre appelé
pour exercer une fonction, c'est une assu-
rance que Dieu nous accordera les grâces
qui nous sont nécessaires pour io bien rem-
plir (283).
Tenons-nous aux maximes sûres qui nous
font connaîire les dispositions dans les-
quelles doit être un prêtre pour no pas
s'engager témérairement dans l'administra-
tion du sacrement de pénitence. Voyons
maintenant combien il est dangereux de s'é-
carter des règles lorsqu'on est appelé à l'ad-
ministration de ce sacrement.
XXII, LA PENITENCE. 4350
DEUXli5:ME POINT.
Trois principes que je vais établir vous
feront connaître combien il est dangereux
de s'écarter des règles quand on est appelé
h l'administration du sacrement de péni-
tence.
Le premier principe est que celui qui s'é-
carte des règles, se fait beaucoup de mal à
lui-même. Le second est qu'il en fait aussi
beaucoup aux oéclieurs qui s'adressent à
lui.
Le troisième est que le prêtre en trans-
gressant les règles est beaucoup plus crimi-
nel que les pécheurs qui le sollicitent con-
tre son devoir et qui no doivent point 6ir«
écoutés, parce qu'ils ne savent ce qu'ils
demandent.
Le prêtre qui, dans l'administration du
sacrement de ^pénitence, viole les règles
que Jésus-Christ a établies, devient très-
criminel et se fait beaucoup de mal à lui-
môme. Car les prêtres doivent se souvenir
de ce qu'ils sont et de la qualité qu'ils por-
tent. Ils ne sont pas les maîtres des grâces,
et il ne leur appartient pas de les distribuer
selon les règles de leur volonté. Que les
hommes, dit saint Paul, nous considèrent
comme les minisires de Jésus-Christ, et comme
les dispensateurs des mystères de Dieu. [l Cor. ^
IV, 1.) Les prêlres donc ne sont que dis-
pensateurs, el ce à quoi ils doivent prendre
garde, romme le saint Apôtre ajoute , c'est
d'être dispensateurs fidèles. Si donc ils sont
infidèles dans leur dispensation, s'ils abu-
sent de l'autorité qui leur est confiée, qui
peut douter que Dieu ne leur en demande
compte, et que par cette infidélité ils ne se
rendent très-criminels devant lui?
Leur crime est d'autant plus grand qu'ils
abusent de ce qu'il y a de plus saint
dans la religion. Prenez garde, disait
Jésus-Christ, à ne point donner les choses
saintes aux chiens , et à ne point jeter les
perles devant les pourceaux. {Matth., Vil, 6.)
N'est-ce pas ce que font les prêtres qui pré-
variquent et qui répandent sur des indignes
le sang de Jésus-Christ? Oui, j)rofaner les
sacrements, les conférer à des indignes,
c'est souiller le sang de Jésus-Christ même,
et c'est par là que vous devez juger du crime
que commettent les prêlres qui font un si
mauvais usage du pouvoir qui leur a été
confié. Le sang de Jésus-Christ demande
vengeance contre eux, comme l'enseigne cet
apôire (Hebr., Xll, 2ï), il a plus de force
pour se taire entendre, que n'en eut celui
d'Abel lorsqu'il fut si cruellement répandu.
Dieu dit, dans un prophète, [Ezech., Ui, 18),
que quand l'homme sera coupable de la
perte de son frère, il le considérera comme
ayant trempé les mains dans son sang, et
qu'il lui en demandera com{)le. Donc à plus
iorte raison Dieu demande com{)te à un
prêlre du sang de Jésus-Christ son Fils,
lorsque, \)ài- sa mauvaise administration, il
(280) i Sœpe oOTicium ioiperliendi nieriium est accipiendi. > 'S, Au(i.,ep. 2G(i.)
1551
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMDEUT.
lôo2
aura été fait un sacrilège abus do ce sang
si précieux.
Cet économe infidèle, cet injuste dispen-
sateurcomraet le crime gratuitement et sans
aucun fruit. Il se souille, et par son action
il rend son frère plus criminel.
Si nous avons la crainte du Seigneur, ja-
mais nous ne consentirons de l'offenser,
quand bien môme nos fautes pourraient
être (le quoique utilité. Mais le crime doit
faire encore plus d'Iiorreur, lorsqu'il ne peut
que nuire en toute manière.
Que faites-vous, ministre infidèle ? vous
vous perdez et vous no sauvez pas vos frères ;
vous vous liez, et vous ne les déliez pas.
Tel est l'effet pernicieux de celte injuste
absolution prononcée contre les règles de
l'Eglise. Le prêtre , selon saint Basile, so
perd ; selon saint Ambroise, il se lie (284).
O quelle funeste sentence 1 Et comment se
irouve-t-il des hommes assez hardis pour
en prononcer de pareilles ? Comment la
seule compassion que vous devez avoir pour
votre frère ne vous arrèle-t-elle pas, et ne
vous emp6che-t-el!e point de lui faire un
tort (}ui lui est si préjudiciable? Mais quoi !
vous ne songez point à vous-même et à la
plaie que vous vous faites. Savez-vous que
vous vous liez? Savez-vous que vous vous
perdez? Comment consentez-vous d'ajouter
ce nouveau poids à tant d'autres iniquités
que votre conscience vous reproche?
Voilà donc le mal que se fait à lui-même
le prêtre criminel qui bausedeson pouvoir,
cl qui ne suit pas les sages règles prescrites
par Jésus-Christ.
J'ai déjà dit que son crime est préjudi-
ciable en toute manière. Vous allez le voir.
S'il se fuit à lui-mêu)e une blessure pro-
fonde, il n'en fait pas une moindre à ses
frères dont il envenime les plaies.
Je vous ai fait voir que le sang de Jésus-
Christ est profané pai l'administration in-
juste du sacrement de pénitence. Il est pro-
fané, parce qu'il est répandu sur un pé-
cheur qui n'est |»as préparé à profiter du
mérita de ce sang. Ce pécheur devient sa-
crilège par cette {)rofanation. Si le prêtre
était ferme, s'il suivait les règles, il épar-
gnerait o son frère cet énorme sacrilège. Il
trempe donc dans le crime de son frère,
mais dans un crime énorme, dans un crime
qui est appelé sacrilège |)0ur faire voir qu'il
n'y en a point de plus grief.
Voyons donc à forid quelle est votre ac-
liou et ce que vous en pensez.
Quelle est votre disj)Osilion à l'égard de
votre frère? Lorsque vous lui déclarez de
la part de Jésus-Clirist que ses pécliés lui
sont remis, io croyez-vous disposé à pro-
fiter de cette grâce? Cependant par sa con-
fession vous avez connu que c'est un homme
(284) <Non tamse solvere ciipiiint quam sacerdo-
lein ligare. » (S. Basil., ep. '2 ad Àmpliil. ; S. Asir.
I. il Depœn., c. 9.)
(285) « Aperiemluinvulnusesl et secandiim, cl pu-
irediii.bus aiiipulalis ineilelu foiliore (uraiiclum.
Vocilerclur et tlaiiiet licei, et coiicj,ueraiur; a'gor
qui depuis plusieurs années ne se corrige
point et retombe conlinucllemenl dans de
très-grièves fautes. Vous avez connu que
e'est un homme qui retient injustement un
bien qui ne lui appartient pas , et quia
muncpié plusieurs fois à la parolequ'il avait
donnée de le restituer. Vous avez connu
que c'est un homme qui tombe, parce qu'il
n'apporte aucune précaution, et qu'il de-
meure au milieu du péril. Quoi 1 cet homme
vous paraît en état d'être réconcilié? Il est
aussi indigne de profiter du bénéfice de
l'absolution, que vous êtes indigne d'admi-
nistrer le sacrement, |)endant que vous en
ignorez les premiers [)rincipes que tout
j)rôtre est indispensablement obligé de sui-
vre.
Non, votre ignorance n'est pas assez
grossière pour ne pas connaître son indi-
gnité; mais vous êtes ému de compassion,
et vous ne [)0uvez vous résoudre à renvoyer
votre frère sans lui accorder la grâce qu'il
demande. Votre frère vous demande du
poison et vous lui en donnez. Quel compas-
sion! quelle miséricorde I
« Faut-il donc, dit excellemment saint
Cyprien, écouter les cris du malade, et ne
lui pas faire les incisions nécessaires, parce
qu'il se plaint, qu'il crie et qu'il refuse les
remèdes amers sans lesquels il ne peut être
guéri ? L'habile médecin fait ouvrir la plaie,
il coupe la chair qui est corrompue, il n'a
aucun égard aux cris du malade, il le guérit
par les opérations douloureuses. Celui qui
d'abord avait formé tant de plaintes, recon-
naîtra ce qu'il doit au sage médecin qui l'a
guéri, il lui fera des remercîments propor-
tionnés à la grâce qu'il a reçue (285).
Vous voulez, diles-vous, faire grâce à
votre frère. Mais comment vous y prenez-
vous? Vous le tuez par votre absolution:
voilà la grâce que vous lui faites. Vous le
tuez ; c'est le clergé de Rome qui le dit dans
une excellente épître écrite à saint Cyprien,
écoutez ses paroles : «Si le prêtre couvre
seulement la plaie, et ne veut pas attendre
qu'elle soit guérie par le moyen des remè-
des qui ont besoin de temps pour produire
leur effet, ce n'est pas travailler à la guéri-
son des âmes, mais si nous voulons dire la
vérité, c'est les tuer (286). »
Un pécheur vient à vous, il vous décou-
vre la blessure de son âme ; vous prononcez
la sentence d'absolution. Par là vous lui
donnez lieu de croire qu'il est véritable-
ment réconcilié avec Dieu. Vous dissipez
le trouble de son âme; il est tranquille sur
votre parole; sa blessure est-elle guérie?
Non, car il demeurera toujours au milieu
du péril, et ses anciennes habitudes seront
toujours dans la même force. Ainsi vous
couvrez la blessure par le funeste repos que
impatiens perdolorem.gralias ageiposimodiim, tuni
senserlt sanitalem. » {De lapsis.)
('280) € Si tantiMii modo operit vulnus, nec sinit
necessaria icmporis remédia coiidncere cicalricem,
hoc non est cuiare, sed si verum diccre volumiis
occidere. » {Jnierep. Cyprian., 51.)
1353
RETRAITE ECCLES. — \XII, LA PENlTEiNCE,
i^r-ii
vous lui procurez, mais vous ne la gui'--
risscz pas. Les reinèdes ne pouvenl pasngir
si prompleineiU ; il faudrait du temps, l'im-
palicnce et la précipitation sont mortelles
au malade. Parlons clairement. Le mal est
trop couumin et trop grief pour être dissi-
niuli^. Songez-y sérieusement, et voyez si
vous serez assez méchant pour hasarder
encore dt-s absolutions précipilées. C'est
luer les âmes, c'est les tuer véritablement
et non point les guérir. C'est être un bour-
reau et non pas un médecin (287).
Lessainls Pères, fortement animés contre
un désordre qui produit tant de maux, ont
encore soutenu que les [uêtres qui ont tant
de hclteile réconcilier les pécheuis, sont des
persécuteurs. Ils ont avancé que ces hom-
mes lâches persécutent l'Eglise d'une ma-
nière filus dangereuse que les tyrans qui
lui font ouverten)ent la guerre. « C'est, dit
saint Cyprien , une nouvelle persécutif)n ;
c'est une nouvelle tentation, clans laquelle
notre ennemi, par une violence secrète et
caciiée, exerce encore sa fureur. Il ajoute
que le venin de leur persuasion est plus
mortel que la viulcnca môme de la persé-
cution (288).»
En elfet, (]uelle [lersécution plus cruelle?
Vous annoncez la pais, où il n'y a point do
paix. Vous endormez le pécheur, vous len-
Irelenez dans une fausse opinion de son
pardon. Si vous éliez plus ferme, si vous
suiviez exactemeiit les règles de l'Eglise, le
|)écheur concevrait de l'horreur de son crime,
et il en reconnaîtrait l'énormilé ; vous le
disposeriez à répandre des larmes, et il apai-
serait Dieu |)ar des œuvres laborieuses;
vous iriez plus lentement, mais votre ou-
VI âge serait solide; le pécheur ne serait pas
SI tôt réconcilié, mais sa réconciliation se->
fait véritable, et il pourrait espérer de recou-
vrer un jour le [irécieux trésor que son pé-
ché lui a fait perdre.
Voilà tous les biens que vous empêcliez,
voilà tous les maux que vous faites, et c'est
sur ce fondement que les saints Pères vous
aiijielltnt des |)ersécuteurs, des homicides
Cl des bourreaux.
Les pécheurs sont très-criniineisde vou-
loir èlre trop promplement réconciliés. Vous
venez de voir que vous vous rendez Irès-
cou[)able, lorsque, par une lâche couiplui-
sance, vous cédez à leur prière, en leur accor-
dant une grâce dont ils sont indignes. Mais
(juand il sera question de coruparer votre
peoljé avec celui des pécheurs qui s'adres-
^enl à vous, il n'y a point de doute que
votre faute ne I em()ortesur la leur, et qu'elle
ne soit toujours estimée plus giiève.
Voulez-vous que saint Cyprien en soit !e
juge ? voulez-vous qu'il vous explique ce
(287) < Ne qui oviiim pasiores esse dcbciu lanii
|i:iiit. I (S. C^PR., e|>. 10.)
(SSSi « l'er^etuiio tsi lutc :ilia, per qiiam sublilis
iiiiiiiicus il!l^u;^llall lis a^ibuc lapsi» ccculla popiila-
lioiie grassalur... .Noxia et vciiciiala persuasio pci-
bC'-iiUoiie ipsa pejus iiucrficil. > \l><: l'tpsis.)
\2S9) I lili iii iioiibuntqui minus Sci iplur;u lig'ni
ieiieiit. Enmi aiilcin rci qui p icsunl el li.c: fiatri'
OBiTtSJKî sACiu:s. L\\'lll.
qu'il pense de votre faute comparée à celie
des pécheurs que vous réconciliez injuste-
n;enl.
<( Ceux-là, dit saint Cyprien, sonl'moins
coupables, qui connaissent moins ce qui est
prescrit dans les saintes Ecritures , mais
ceux-là sont beaucoup plus criminels (|ui
sont à la tête du troupeau et qui n'ont pas
soin d'instruire les pécheurs, alin de les en-
gager à suivre l'ordre salutaire que le Sei-
gneur a établi (289). »
Le môme saint Cy[)rien di', dans un autre
endroit, qu'il y aurait quehpie lieu d'excu-
ser cous qui sont lombes dans le péché. « Cap
quel est l'homme qui no souhaite de recou-
vrer la vie de la grâce ? quel est l'homme qui
ne s'avance pour rentrer dans la voie qui
meneau salut ? C'est donc aux conducteurs
de maintenir l'autorité des lois : c'est à eux
d'instruire ceux qui les ignorent, et d'arrêter
la trop grande ardeur des pécheurs qui se
précipitent, de peur que ceux (ces paroles
de saint Cyprien ont déjà été raf)portées, et
méritent une attention toute particulièrej
de peur que ceux qui doivent être les pas-
teurs des brebis, n en deviennent les bour-
reaux (290). »
Saint Cyprien prouve donc que, les prê-
tres qui se hâtent de réconcilier les pécheurs
contre les règles, sont plus coupables que
les pénitents ; ses raisons sont :
Premièrement parce que les prêtres sont
mieux instruits. Dieu veut qu'ils s'aiipli-
queiit à connaître la vérité; Dieu les a char-
gés d'annoncer avec force les vérités du
salut. C'est à eux à faire voir de quelle
conséquence il est de les pratiquer exacte-
ment.
SeconiJemcnl les prêtres n'ont aucune ex-
cuse pour se dispenser de suivre les règles.
S'ils ne les connaissent pas, c'est une igno-
lauce grossière qui les rend encore plus
coupables. Ils sont inexcusables de s'enga-
ger dans des fonctions aussi importantes,
sans avoir les connaissances nécessaires
|)Our les bien remplir.
Si c'est par lâcheté qu'ils transgressent les
règles, avec quelle sévérité ne seront-ils
point repris? 11 est de leur ministère de
soutenir les règles, de les défendre, d'en
faire voir l'équité, de les faire observer.
Qu'esl-ce qu'un prêtre sans fermeté, et qui
n'a pas la force de résister aux sollicitations
importunes d'un pécheur qui ne connaît pas
ce qui lui convient ?
Vous comprenez sans doute [iiésentemenl
combien il est dangereux de s'écarter des
iègles saintes, si solidement établies et si
nécessaires pour retirer les |ié(;heurs d(!
leurs voies criminelles. Résolus do les ob-
server avec lidélité, vous me demandez
bu3 non suggérant, i (Ep. 9.)
('IW) « Lapsis iiuicleiii in hoc potcst vonia conci--
(li : ([Uis eiiiui non ninrUiiis vivilican propcrct, (ju s
non aJ salutein buain vetiiie t'csiiiiet, seil prxpu.^i
lorum est pr;uccpluin tenere, et vel propcraul s
\el igiioraïUcsiiiilruere, ne qui oviuni pastores Lb>ti
dt.b;;ht, lauii liant. » (Epist. 10.)
i3
\ "rio
quellos soni ces règles. Il csl juste do vous
l'air« connaître au moins les p: incip.Ues,
et c'est ce que je me [sropose dans lu dor-
iiièrc partie de ce discours.
TROISIÈME POINT.
Le grand fruit de la pénitence c'est de re-
médier au passé, et de prendre de sages et
salutaires |)récaulions pour l'avenir.
Le ['rêlre, comme un sage médecin, doit
Olre enlièr(Mnent appliqué à guérir la bles-
sure du malade. 11 doit encore travailler Ji
une guérison permanente, de telle sorte que
les plaies du malade soient bien fermées.
Le prêtre donc doit se proposer première-
ment de guérir la [)laie de son malade.
ijecondcmenl il doit chercber des moyens
efficaces alin que la plaie ne s'ouvre pfus.
Le remède qui guérit le péché, ce sont
lies pénitences proportionnées à l'énormilé
du péché.
Vcici donc une règle que le prêtre doit
suivra) inviolableraent dans l'administralion
du sr.crement de pénitence. Il est de sa
charité et de son devoir d'imposer au péni-
tent des pénitences proportionnées qui puis-
sent apaiser Dieu, et effacer le péché du
livre de sa colère.
Les moyens efficaces qui empêchent la
plaie de se rouvrir, sont de convaincre le
jiécheur, de le porter par des voies douces
et pleiHCS do charité à user des remèdes
amers qui lui sont nécessaires, d'éprouver
sa voloiUé chancelante et de l'affermir dans
les saintes résolutions ; de le dis[)Oser à en-
Irer dans des voies contraires à celles qui
ont été la cause de sa perte. C'est ce qui
nie donne lieu d'établir ces règles que tout
prêtre doit suivre pour s'acquitter fidèle-
ment d'un de ses plus im[)Oitanls devoirs.
Premièrement appliquez-vous à convain-
cre res[)rit, puisque la conviction de l'es-
]irit est le premier pas pour gagner le cœur.
Secondement, c'est un [)écheur que vous
devez ménager, que vous devez attirer, que
vous devez craindre de rebuter. Songez donc
h connaître ses disposiMons; ahn que, sans
tomber dans aucun relâchement contraire
il la sainteté de votre ministère, vous fassiez
tout ce qui est en vous pour ne le point
effrayer, et lui faciliter les voies dans les-
quelles il doit entrer.
Troisièmement, c'est un pécheurque vous
devez guérir. Ayez donc pour [)rincipe de
l'éprouver, de ne point user de précipita-
tion : car qu'est-ce qu'une guérison appa-
rente et momentanée, après laquelle on re-
tombe dans une maladie beaucoup [ilus
dangereuse que celle dont on a cru fausse-
meiil être guéri?
(291) « liiquaiUiim non pepcrcens libi, in taiilum
libi Ueus parce'.. » (De pœuileniiii, c. !).
{!2'.)2) < Quain luagiiadeliiiuiinus ta;iigiainlilcr de-
fleamus. iVllo viil..eri diligeiisel loiiga iiit,diciiia non
desil: pœiiileiilia crimii.e iniiior non sil. » (De la-
l'sis.)
(-295) « Non silminor iiicdicina quam vulnus est,
non siia miuoia rcmcdia quam l'une a. > (Intci 0|>ist.
h. (:)pr.,ôl.j
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
15Î)G
Quatiièmemenl , c'est un pécheur que
vous devez guérir. Le mal se guérit parson
contraire. Si donc vous êtes iiahile et zélé,
vous travaillerez <i la guérison de cette ma-
ladie, en obligeant le pécheur de firatiqucr
les vertus contraires h ses vices et à ses in-
clinations déréglées.
Voilà donc cinq règles importantes. Ne
les pas suivre, c'est abuser de son minis-
tère; les suivre avec fidéliié, c'est travailler
solidement à la conversion des pécheurs.
La première règle est fondée sur ce firin-
cipe incontestable que le péché ne se peut
guérir que par des pénitences |)ro|)ortion-
nées à son énormilé.
La sainte aniiquité a toujours été con-
vaincue de la vérité de ce princi[)e. « Dieu
vous pardonnera, dit Terluliien, à propor-
tion que vous no vous serez point pardonné
à vous-même (291).» Que vos gémissements
et vos pleurs, dit saint Cyprien, égalent la
grandeur de vos péchés ; apportons de salu-
taires et de longs remèdes à de profondes
plaies; que la pénitence ne soit pas moin-
dre que le crime (292). Voyez la même vérité
établie par le clergé de Home dans la lettre
qu'il écrit à saint Cyprien, que l'apfiareil no
soit pas moindre que la plaie ; que !es re-
mèdes ne soient pas moindres que les
maux (293). Voulez-vous entendre saint Gré-
goire cieNazianze?il assure (29i) que la pé-
nitence est un baptême de larmes et labo-
rieux. Il s'( xplique expressément sur. la
nécessité d'une pénitence proportionnée,
quand il assure qu'il ne reçoit point ceux
qui ne sont point abattus et humiliés, ou
qui ne le sont jjas assez, ou qui ne font
pas une pénitence égale et proportionnée
au mal qu'ils ont commis.
Le concile de Trente n'a donc fait qu'ex-
pliquer la doctrine ancienne de tous les
Pères de l'Eglise, quand il a prononcé ces
excellentes |;aroles : « Les prêtres sont obli-
gés, en suivant toutefois les lumières de
l'Esprit divin et les règles de la prudence
chrétienne, d'imposer des pénitences con-
venables et salutaires selon la qualité des
crimes et le pouvoir dos pénitents, de peur
que, s'ils dissimulent les péciiés el s'ils trai-
tent les pénitents avec trop d'indulgence,
leur enjoignant des œuvres très-légères [wur
de très-grands péchés, ils ne se rendent
eux-mêmes participants des péchés des
autres (295). »
Comment tous les prêtres ne se croient-
ils point obligés de se conduire suivant ces
paroles, el comment ne craignent-ils point
d'enfreindre une si sainte loi? Des (irôlres
imposeront de tiès-légères pénitences pour
des crimes très-griefs. Des prôliessansalten-
(29i) 0;af. 59, p. 65G.
('i'Jo) « Del>em sacirdoies quantum spirilus et pru-
deniia su<;gi'sserit, pro (|ualii ae criniinum et pœni-
tei.tiuin l:i,:uliaie, saluiares et convenientes saiist:i-
ciiones injuntïeie: ne si Ibrie petciUis coniiiveanl
Cl indtilj^eiilius cuin pœnitcntibus agaiil, levis.)iniu
qux'dain opcra pio gia i£&iinis dcliciis injuigendu,
alienorum peccatorum parlicipcs ellicaiilur. t (Coiic.
Trident.) st.'ss. 14, c. 8, De piniiteiii.)
1537
RETRAITE ECCLES. — X\ll, LA PENITENCE.
iÔjS
tion ot sans discernement imposeront les
mêmes pénitences à tous les pécheurs qui
se préSLMilernnt deviint eux. O quelle mi-
séiicordel Vous croyez favoriser ce pé-
cheur, VOUS le trompez. Sous une miséri-
conle appcircnle vous exercez contre lui
une très-grande cruauté. Peut-être se [)lain-
drail-il pour un temps, si vous gardiez les
règles, mais il se plaindra contre vous dans
réternilé, parce que vous les rivez violées.
Travaillez à elFacer ses péchés. Et [)uisi|u'il
ne peut en obtenir le pardon qu'en sesou-
inetlant aux lois rigoureuses que Jésus-
Christ a si saintement établies, mêliez dans
la balance le crime et les travaux de la pé-
nitence qui le doivent elTacer ; autrement
souvenez-vous du compte que vous en ren-
drez. Souvenez-vous que vous vous perdez;
souvenez-vous que flatter le pécheur, c'est
se charger soi-même du fardeau et parti-
ciper à ses crimes.
Il est vrai que le prêtre doit avoir de l'in-
dtiloBnre et être plein de miséricorde, mais
CG ne doit pas Êlre une miséricorde mal en-
tendue, et voici en(iuoi elle doit consister.
La principale miséricorde du prêtre , c'est
d'être beaucoup touché de la misère du pé-
cheur, et de prendre de justes mesures pour
le délivrer de la tyrannie du péché.
Le prêtre donc, après avoir mis le pécheur
en étal d'obtenir le pardon de ses péchés par
des pénitences proportionjiées, travaillera à
le guérir parfaitement de la maladie du pé-
ché , de telle sorte qu'il se corrige , et qu'il
ne retombe plus dans ses anciens désordres.
Pour cela il emploiera des remontrances
salutaires qui convainquent le pécheur.
Ceux-là sont très-éloign6s do suivre cette
règle, qui se contentent d'écouter le pé-
cheur, et ne lui donnent aucuns avertisse-
ments. Souvent c'est ignorance, et parce
qu'ils exercent un art qui est au-dessus de
leurs talents. Souvent c'est aussi négligence
et paresse, ot parce qu'un prêtre peu chari-
table se sentant importuné j)ar les pécheurs
qui l'environnent, songe 5 se délivrer d'eux,
et non pas à les décharger du pesant fardeau
du péché.
Comment voulez-vous que ce pécheur ait
seulement la pensée de se convertir , pen-
dant que vous ne lui ex()Osez aucun des mo-
tifs pressants qui pourraient l'engager à
sortw de son péché? Quoi 1 vous le laissez
aller sans l'ellrayer par la vue terrible des
jugements du Seigneur; sans lui représen-
ter que la mort est prèle à tout moment à
le surprendre et à le frapper? Quels minis-
iies que des hommes muets, qui gardent un
honteux silence , el ne peuvent pas seule-
ment ouvrir la bouche pour expliquer le;
maximes les plus communes de la religion I
Lhomme alïligé s'en retourne sans être con-
solé ; l'homme incertain sans être déter-
luiné ; le faible sans être fortifié ; celui qui
est découragé sans être animé ; l'endurci
sans être louché.
O vous qui avez quelque zèle, gardez-^
(200; Lil), Il De saeeidolio, cap. i.
vous bien de tomber dans une faute si cri-
minelle. Ayez pour maxime que c'est un
devoir indispensable pour vous déparier à
cet homme selon ses besoins, el que vous
devez vous appliquer h convaincre son
esprit par de solides raisons. La religion
vous en fournit un grand nombre. Vous
êtes obligés de vous en instruire, afin de
les exjdiquer aux pécheurs qui s'adressent
.'i voiis, et de les préparer, jiar de solides
discours , à entrer dans la voie du Sei»
gieiir.
Non-seul ment vous devez convaincre
l'esprit, mais encore vous devez gagner lo
cœur. Ce pécheur est un hon^me que Jésus»
Christ vous envoie. Il doit vous être très-
cher. La charité vous obligea lo ménager.
Vous devez craindre de l'éloigner et de lo
rebuter. Je vous ai donné pour règle que,
sans tomber dans aucun relâchement con-
traire à la sainteté de votre ministère, vous
êtes obligé de faire tout ce qui est en vous
pour attirer sa confiance, pour gagner son
cœur, pour lui aplanir la voie.
Le prêtre zélé s'applique à connaître le
génie et les dispositions des pécheurs qui
viennent à lui. Tous ne doivent f)as être
conduits par la u>ôme voie. Les pécheurs
sont des malades. Les m'êines remèdes no
guérissent pas toutes les maladies. C'est en
cela que doivent paraître particulièrement
l'adresse et la charité du prêtre.
Les ditlicultés sont grandes, comme l'a
très-bien remarqué saint Chrysostome (296) ;
Souvent la douceur est mortelle, souvent la
rigueur rebute.
Si vous traitez avec douceur celui qui a
besoin d'une g. ande incision, el si vous ne
lui faites une ouverture profonde, il est
impossible que vous guérissiez ses bleS'
sures.
Que si, n'usant d'aucune conilcscendance,
vous coupez tout ce qui a besoin de l'être,
il arrivera souvent que l'impaiience de lu
douleur fera perdre courage au malade. Ij
rejettera tous les remèdes, il ne voudra
plus vous écouter, ni que vous apjirochiez
de lui.
La grande habileté du médecin, c'est de
gagner le malade, el de lui faire souhaiter
à lui-môme les remèdes, quoique amers,
quoique diihciles , parce qu'il sera con-
vaincuque l'application des remèdes lui est
nécessaire, et qu'autrement il ne peut ja-
mais guérir.
La charité souffic, s'insinue, s'abaisse ;
elle n'omet rien [))ur convertir le [lécheur.
Mais néanmoins la charité ne sait ce que
c'est que de ilalter le pécheur dans ses in-
justes voies. La charité ne sait ce que c'est
que d'entretenir dans une fausse opinion do
guérison un malade qui veut être trompé,
La charité est sincère et ennemie de l'ar-
tifice. Vous aurez toutes sortes de ména-
gements pour le pécheur, pourvu que ces
ménagements n'aillent point à le tromper,
La charité vous oblige de l"availlcr h lu
I.-)j9
OUATEimS SACRES. JOSEPH I.AMRERT.
lôao
guérir véri(fll)!emenl. C'est le fondement
(le la règle que j'ai établie quand j'ai dit
que le prôlre doit éviter la précipitation,
et que le pécheur qui reloml)e doit être
éprouvé, jusqu'à ce que son changement
soit une prouve de la sincérité de sa con-
version.
Je suis encore obligé de vous répéter
ici les paroles du clergé de Rome dans sa
lettre h saint Cyprien. Jl dit que couvrir
la hlossure, et ne pas prendre un temps
suffisant jiour s'assurer de la guérison du
malade, c'est It tuer. « Un médecin qui se
hâte, dit saint Cyprien, envenime la plaie.
Elle se rouvre bientôt, [)arce que le méde-
cin n'a [)as voulu user d'un délai salutaire.
Si l'on n'éteint jusqu'à la moindre étincelle,
le feu, qui n'est que caché et couvert, ne
sera pas longtemps sans paraître avec une
force nouvelle. Qu'ils sachent donc que ce
délai leur est nécessaire, que l'on en use
pour leur utilité et afin qu'ils soient en
état de profiler des remèdes (297j. » Saint
Cyprien l'a ré|iélé en une infinité d'en-
droits, et les autres Pères avec lui, qu'une
absolution précipitée ne l'ait que couvrir la
blessure, pendant que le mal demeure d'une
manière d'autant plus dangereuse qu'il est
caché dans le cœur. C'est de l'onguent ap-
j)liqué au dehors, lorsque le mal est en-
laciné dans le plus profond de ses en-
irailles (298).
Après que les saints Pères se sontsi net-
tement expliqués, se peut-il faire que des
jirêlres aient pour maxime de ne jamais
diifércr i'al)solulion; qu'il y en ait qui
regardent ce délai comme une espèce d'in-
justice et d'inhumanité. S'il y a de l'inhu-
manité, c'est de laisser le })écheur dans son
yiéché, de le fiatler dans ses injustices, de
l'assurer qu'il est guéri quand sa plaie est
toute vivante. Un pécheur qui croupit depuis
plusieurs années dans son péché, en serait
•sorti si un prêtre zélé l'eût arrêté au rai-
lieu de ses voies criminelles. La facilité du
pardon a entretenu ses désordres. Le pé-
cheur s'élèvera contre le prêtre et lui re-
prochera qu'il est la cause de sa mort.
Jésus-Christ vous a-l-il donc donné en
vain le pouvoir de lier, puisque vous avez
})0ur maxime de ne vous en point servir, et
que vous déliez indliféremment tous les pé-
cheurs, quelque nombreuses et fréquentes
que soient leurs criminelles rechutes?
N'alléguez point pour excuse l'indocilité
des pécheurs, que cette discipline sévère
les épouvante el les rebute. Est-ce une rai-
son pour violer une loi si saintement el si
solidement étaolie? Saint Grégoire de Na-
zianze (.-erm. kO), savait fort bien ré-
pondre avec une généreuse fermeté à ces
liommes indociles et qui ne veulent pas se
soumettre aux règles; qu'ils se irom|>aienl
(297) « hifidelis cicairix quam cilo fesliiiaus me-
(licus induxit. Cilo rursiis in iiicenditim Haimiia re •
verliliir, iiisi loliu5 igiiis usque ad exlrijinam sein-
til ain maleria roslingualur, ut nieriio liujiisnnKli
iioniines sciani sil)i etiaui de ipsa mora niiii^is to/i
s'ils croyaient pouvoir le faire consentir à
devenir, par une hiohe com[)laisance, l'in-
strument de leur condamnation.
J'ajouterai que cette indocilité des pé-
cheurs n'est point si grande que l'on s'ima-
gine. Souvent on se fait des fantômes et
des diiïlcultés qui se réduisent à rien. Les
prêtres appliqués ont la consolation de re-
marquer que les pécheurs eux-mêmes,
quand on leur fait connaître leur véritable
intérêt, ne refusent pr)int d'y entrer. On
enverra qui, étant instruits et connaissant
leur indisposition, seront les premiers à
conjurer le prêtre de ne les point absoudre.
Ils demanderont du temps pour s'examiner,
pour pleurer et pour se fortifir.T. Tout con-
siste à bien expliquer les règles de l'Eglise,
à faire connaître au pécheur combien ces
règles sont salutaires, à le soutenir, à le
supporter, à le consoler. Avec ces sages
tempéraments que la charité proportionne
à la faiblesse elaus dispositions des pécheurs,
un très-grand nombre qui languissaient dc-
ftuis longtemps dans le [)éché, ont béni la
fermeté d'un prêtre zélé, et confessé haute-
ment qu'ils lui sont redevables de leur con-
version et de leur salut.
Pendant que le prêtre fait connaître au
pécheur les elforts qu'il doit faire pour se
convertir et pour mériter la grâce do l'abso-^
lution, il redouble son attention sur ce ma-
lade qu'il lui est si important de guérir.
Renvoyerle pécheur et le laissera lui-même,
c'est une inhumanité dont l'effet funeste
sera souvent d'augmenter l'endurcissement :
mais ce qui dispose le pécheur à entrer
dans de vrais sentiments de pénitence, et ce
qui produit son salut, c'est lors qu'en même
tem[)s que vous lui différez la grâce de l'ab-
solution dont il n'est pasdigne, vous veilkz
sur lui, et vous lui fournissez des remèdes
eflicaces iX)ur guérir ses blessures.
Un des remèdes qui a plus de force, c'esl
de lui faire observer les vertus contraires
aux péchés qui le dominent.
C'est la dernière règle que je vous ai pro-
posée et que vous ne pouvez suivre avec
lro[) de fidélité.
Les deux principales conditions que doi-
vent avoir les pénitences que vous imposez,
c'esl d'être proportionnées et médicinales.
Nous avons parlé de la première condi-
tion, et je vous ai fait voir combien il est
nécessaire que les pénitences soient pro-
[)orlionnées.
Elles doivent être encore médicinales,
c'est-à-dire qu'elles doivent aider le pécheur
à se retirer de sou péché.
Il n'y a point do pénitence |»lus médici-
nale et plus prO|)re à 0|)érer dans le pé-
cheur un changement do conduite, que l'ob-
servation des vertus contraires h ses péchés.
L'orgueil se guérit par les actions U'humi-
suli, et fuleliora necessariis dilaliotiibus remédia
pra-biiri. Fer siiperliciem corpuris dcducit ungueis-
Uim. » (!-",pist. i-hi.)
(■i!J>Sj S. C.ESAK., Iiom. I.
15G1
RETRAITE KCC LES. — XXllI, TES RENEFICES.
1562
litê, la dissipation par la retraite, l'avarioe
par l'auniôiie, l'amour des plaisirs par la
niorlitication et les jtûiies, la parosse par
des exercices rt^glés de pi ièrcs et de bonnes
œuvres, les eniporlemonis il la colère par
(les olTorts S(5rieux que Poii emploie pour so
modérer, la médisance p;ir un IVein salu-
taire que l'on met c> sa lanj^ue, l'oisiveté et
l'inutilité par l'occupation et le travail. Ces
venus, conlraircs h nos vices et à nos déré-
glenienls, sont les renièclcs les plus ellicaces
pour guérir les plaies de nos âmes, et ce
sont ceux-l»^ que les saints Pères ont voulu
que Tdo emploie, (juand on se propose de
travailler sérieusement et utilement à la
conversion des pécheurs.
Travaillez-y avec zèle, avec force, avec
courfige, avec persévérance, [)uisque c'est
lin des principaux exercices de votre mi-
nistèie. Observez ce que Dieu veut de vous.
S'il vous appelle, allez et ne résii.tez pas.
Vous serez toujours à la vérité saisi de
crainle h la vue des périls qui vous envi-
ronnent; mais si vous n'êtes point de ces
téméraires qui se précipitent mal à propos,
et que vous soyez au contraire de ces hum-
bles serviteurs qui ne marchent que par
obéissance, vous aurez Jésus-Christ qui
vous soutiendra. Vous ne pouvez rien de
vous, vous pouvez tout avec lui.
Vous avez vu (jue le principe d'un prêtre
lidèle, c'est d'étudier les règles, et combien
il est dangereux de s'en écarter. Vous au-
rez grande compassion de ces hommes igno-
lants, hardis en un sens , lâches dans la vé-
j-ité, iiiléressés, qui se conduisent par des
motifs humains. Ils tuent les âmes, c'en est
assez pour vous donrier horreur de leur jiré-
varicalion, et pour vous faire prendre une
sérieuse résolution de ne tomber jamais
dans un exi es si condamnable.
Soyez donc de lidèles ministres, exacts à
suivre les règles. Vous ne pouvez douter
que ces règles ne soient très-salutaires et
très-sagement établies. Vous ne pouvez dou-
ter qu'une inlinilé d'âmes ne doivent leur
retour et leur salut à l'observation exacte
de ces saintes règles.
Pour vous apprendre ce que vous devez
être, permeltez-Uioi de vous renvoyer à
saint liasile (serm. De abdicatione reriim, p.
313) et de vous prier de contempler de près
l'admirable jiorlrait que ce saint docteur
nous a laissé d'un directeur qui est en état
d'exercer avec fruit le saint ujinislère de
conduire les âmes.
Que celui-là, dit saint Basile, à qui vous
vous adressez pour vous conduire , soit un
homme cafiable de montrer le chemin ii ceux
(jui ont un désir sincère d'aller à Dieu ;
qu'on voie en lui toutes les vertus asseui-
blées ; (jue toutes ses actions fassent voir
que son cœur est rempli de charité ; qu'il
soit très-habile dans la science des livres
saints; qu'il soit irréprochable dans ses
mœurs ; appliqué entièrement aux fonctions
saintes de son ministère ; qu'il déteste l'a-
varice ; (]u'il n'ait aucune curiosité d'entrer
dans les atlaircs qui ne le regardent [loint;
fju'il soit un homme paisible; qu'il aille à
Dieu ; (ju'il aime les pauvres ; qu'il soit maî-
tre de lui ; qu'il ne garde aucun souvenir
des injures qui lui sont faites; qu'il instruise
volontiers ceux qui ont recours è ses lu-
mières ; qu'il soit inca[);iblo de se laisser
séduire par les amorces trompeuses de la
vaine gloire ; que la flatterie ne fasse aucune
impression sur lui; qu'il soit ferme, et
qu'eniin rien ne le louche que l'honneur do
Dieu. Seigneur, (juel trésor que des direc-
teurs qui ressembleraienl è celte excellente
peinture 1 Saint Basile a laison d'ajouter :
Si vous en trouvez un oui ail toutes ces
qiialilés, allez h lui.
Tout est [)ossibleà la grâce. S'il est dilTi-
cile d'avoir toutes les vertus que demande
un ministère aussi saint que celui de con-
duire les âmes , il est au moins de notre
fidélité de Iravailler à les acquérir, et à so
perfectionn r tous lesjoiirs de plus en plus.
Ne vous rebutez point des difficultés, ayez
du zèle pour la conversion des jjécheurs.
Il est si glorieux h un ministre du Sei-
gneur de combattre pour arracher les âmes
au démon et pour les rendre à celui qui les
a rachetées de son sang.
Si votre ministère est pénible, la conquête
d'une âme n'esl-elle pas une assez grande
récompense? Une âme qui est chère à Jé-
sus-Christ, qu'il est venu chercher, dont il
a payé la rançon.
C'est un sujet de joie dans le ciel et parmi
les anges quand un pécheur fait pénitence.
{Luc, XV, 10.) Donnez souvent cette joie
aux anges et aux bienheureux. Le roi du
ciel recevra votre olfrande, et vous n« pou-
vez guère lui en olfrir une qui lui soit plus
agréable.
Quand donc vous vous donnerez tout en-
tiers à ce saint ministère, vous travaillerez
pour vos frères, mais vous travaillerez en-
core plus efficacement pour vous-mêmes ;
I)uisque Dieu récoiufiensera vos travaux, en
se donnant lui-même à vous, pour être vo-
tre bonheur et votre gloire dans l'éternité.
DISCOURS XXllI.
DES BÉNÉFICES
11 y a longtemps que je désire do vous
entretenir des bénéfices, parce que la ma-
tière est importante, et qu'il y a sur ce sujet
un grand nombre d'abus très-communs et
très-dangereux.
La difficulté de bien traiter celte matière
m'a arrêté jusqu'à présent. Il y a beaucouj)
di; choses curieuses et difficiles à approfondir,
11 faut rechercher jusque dans les temps les
plus éloignés, et dans l'antiquité la plus
cachée. Tout cela étant au-dessus de mes
forces m'avait fait |)resque résoudre d'ahaii-
doiiner celle vaste entre(irise. Cependant Ij
iiécessilé est une raison pour surmonter la
difficulté. Le moyen de se taire, et ne se-
rait-ce [)as prévariquer (iuo de garder le si-
lence au milieu de la prévarication?
De plus, je me suis dit à moi-même qu'ii
ne s'agissait pas tie contenter la curiosité,
mais du réfoimer les mœurs. Je prélcndi
i%z
OllATEURS SACHES. JOSEPH LAMBERT.
ioQi
dionc en ce jour traiter des bénéfices, mais
je déclare d abord que je renonce aux re-
cherches curieuses. Ce qui me touche par-
ticulièrement, c'est ce qui se passe à nos
yeux, et mon principal (Jésir c'est d'exposer
fidèleinent les égarements d'un grand nom-
Tire d'ecclésiastiques qui se perdent par
l'abus criminel qu'ils font de leurs re-
venus.
H ne fau( pas beaucoup rechercher dans
J'anliquité pour connaître les principes fon-
damentaux qui condamnent l'abus. C'est là
tout ce que je [irétends. Pourquoi donc m'é-
pouvanterai-je vainement? Je laisse aux ha-
biles et aux curieux l'examen des questions
enveloppées, et des points historiques diiïi-
ciles à connaître, à cause de l'obscurité des
temps et des changements [que la succes-
.sion des siècles a introduits. Je n'ai besoin
que des principes clairs et universellement
reconnus pour établir la vérité , et condam-
lîer l'abus.
Cet entretien donc sera sur la matière
des bénéfices, el je le diviserai en deux par-
ties. Dans la première, je ferai voir quelle
est la voie légitime pour enlrerdans les bé-
Tiéfices. Dans la seconde je montrerai quel
doit être l'usage des revenus ecclésiasti-
ques.
PREMIER POINT.
Parmi ceux qui obtiennent les bénéfices
ecclésiastiques, j'en découvre un grand
nombre qui sont dans de très-mauvaises
dispositions, el que leurs désirs déréglés
rendent indignes des bénéfices qu'ils pos-
sèdent.
J'en vois premièrement qui veulent être
riches, et dont le cœur est infecté du désir
malheureux des richesses de ce monde.
J'en vois en second lieu lesquels étant
fort semblables aux premiers dont je viens
lie parler, n'entrent dans l'état ecclésiastique
que dans l'espérance d'y trouver des revenus
et d'y vivre commodétnent.
Les troisièmes ne se contentent pas de dé-
sirer; mais ils s'empressent, ils recherchent,
et ils demandent.
Les derniers, peu contents de leur fortune
présente, travaillent à l'agrandir en accu-
mulant bénéfice sur bénéfice.
Je fais voir aux premiers qu'il est très-
criminel de vouloir être riche.
Les seconds sont encore plus coupables,
parce qu'ils \eulenl être riches même par
la possession des revenus ecclésiastiques.
Les troisièmes recherchent et demandent.
Cette seule démarche est une preuve con-
vair)can(e de leur indignité.
Les quatrièmes verront que quiconque
possède un bénéfice ecclésiastique suffisant
pour son entretien doit être pleinementcon-
tent, et que la multiplicité des bénéfices est
défendue par les lois les plus saintes et les
plus indispensables.
Vouloir être riche, c'est être criminel;
vouloir s'enrichir par la possession des
revenus ecclésiastiques, c'est un crime iilus
gr-'^ud.
Vous donc qui estimez les richesses de la
terre, qui les recherchez, qui soupirez après
elles, que sentez-vous? que pensez-vous ?
que croyez-vous quand vous lisez ces pa-
roles terribles prononcées par Jésus-Christ,
et qui condamnent si hautement le désir
criminel dont votre cœur est plein ? Malheur
à 'VOUS riches. {Luc, VI , 24.) Ce sont les
riches de cœur que Jésus-Ctirist attaque. Il
ne prétend pas condamner ceux qui se trou-
vant par des voies légitimes en possession
des richesses de la terre, conservent au mi-
lieu de leur abondance un cœur vide et
détaché des richesses périssables de ec
monde. Mais vous qui brûlez d'un amour
criminel pour elles, vous êtes évidemment
condamnés, et î'analhème prononcé par Jé-
sus-Christ est directement lancé contre
vous : Malheur à vous, riches! Le sens de ces
paroles ne peut être autre que celui-là:
malheur à vous riches de cœur, malheur à
vous qui voulez être riches, et qui êtes
follement oossédés de l'amour des ri-
chesses.
Vous devriez d'autant plus travailler à
vider votre cœur de cet amour insensé, que
non-seulement il est criminel eii lui-même,
mais encore il est très-funeste dans ses
suites.
Savez-voHS à quoi vous vous exposez par
cette volonté déréglée et cet injuste amour?
A|)prenoz-le de saint Paul, il vous déclare
que ceux qui veulent devenir riches, <o/w-
bent dans ta tentation et dans tes pièges du
diable, et en divers désirs inutiles et perni'
deux qui précipitent les hommes dans l'a-
bîme de la perdition et de la damnation. Car
l'amour du bien est la racine de tous les
maux, (l Tim., \l, 9 ) C'est-à-dire que le
démon a un grand empire sur ceux qui
veulent devenir riches. 11 exerce son em-
pire particulièrement sur leur cœur qu'il
remplit de désirs inutiles et pernicieux.
Désirs véritablement pernicieux, puisque
ceux qui en sont remplis sont menacés
d'un péril si prochain de tomber dans l'a-
bîme de la perdition et de la damnation.
Qui ne craindrait d'avoir au ruilieu de son
cœur ce qui est la racine de tout péché?
Courir après les biens ecclésiastiques
pour contenter un amour qui est déjà en
lui-même si déréglé, c'est encore une nou-
velle circonstance qui en augmente la ma-
lice el le crime. Il semble au moins que
ces richesses devraient être respectées; que
le saint usage auquel, elles sont destinées
devrait arrêter la folle ardeur des hommes
les plus empressés. Mais aucune considé-
ration ne peut toucher celui en qui se
trouve la racine de tous les maux, il veut
être riche. Tout ce qui peut satisfaire sa
passion est l'objet de ses désirs et de ses
poursuites. Les biens de la terre, de quel-
que nature qu'ils soient, lui conviennent
également. Sa passion, qui l'aveugle, ne lui
permet point de faire aucune distinction
entre le profane et le sacré. Le voilà donc
doublement criminel. Il l'e^l en premier
lieu, pfirce qu'il est jiossédé de l'amour des
!?;C5 RETRAIT!-: ECCI.ES. -
biens de ce monde. Il l'esl, en second lion,
jinrceque dans la violence de sa passion il
ciierche, pour la salisiaiio, h s'enricliir des
biens môme qui sonl consaciés an Seignonr.
Ces liojnmes pleins d'eslinie cl d'amonr
pour les richesses passas^ères, ne cherclicnf
ordinairement , dans l'étal ecciésiaslique ,
que des avantages temporels. Il n'y en a
que trop qui cacheraient vainement leurs
desseins ; ce qui les détermine est visible
et nianil'esle. Les bénélices cl les revenus
ecclésiasliques, voilh le grand et l'unique
Crincipe de leur vocation. Retranchez les
énéfices,ôtez les revenus, que de déserteurs
qui fuiraient lâchement, qui se dépouille-
raient de l'habit clérical, et qui abandonne-
raient l'Eglise dans ses plus pressants be-
soins?
Cet iiorame s est engagé dans la milice
Sflcrée. Il court avec ardeur, et vous le
voyez jiarmi les plus empressés. Est-ce zèle?
csl-ce dé.^ir de servir l'Eglise? est-ce com-
passion i)our SOS IVères? est-ce une sainte
ardeur de les secourir et de travailler à leur
sailli? Nuilemonl. Qui lira dans le fond de
son lœur n'^ découvrira rien qu'une folle
espérance de remplir un jour la place d'nn
oncle ou d'un parent qui jouit d'un revenu
considéiable.
Les parenls offrent à Dieu Icur.s enfants,
et les destinent à l'élat ecclésiastique. Au-
trefois l:;s premiers-nés étaient offerts à
Dieu. [Exod., XIII, 2.) Il l'avait ainsi coai-
niandé pour eng.iger si>n peuple à se souve-
nir du grand miracle qu'il avait fait pour
ie délivier. Ce ne sont p.lus les premiers
nés que les fiarenls otfrenl au Seigneur. En
toute occasion le monde a la piéférence.
L'usage est de donner à Dieu ce que le
luoude rebute ou ce qui ne peul ôlre offeit
au monde.
Après donc qu'un père de famille a fait
le partage de ses enfants, et qu'il a consi-
déré les ditricultés qu'il y aurait do leur
procurer des établissements temporels, il
jette les yeux sur un de ses enfants. De sa
propre autorité il le consacre au Seigneur,
sans examiner s'il a aucune des qualités
uéccssaifiS pour soutenir un nom si saint
et pour reniplir un ministère si élevé. En
même temps ce père intéressé s'empresse,
il empluie son créd.l et ses amis pour ob-
tenir un bénéîice. \]n enfant est engagé dans
un étal dont il ne connaît ni la sainteté,
ni les ohligalions. S"il airive qu'il soit ins-
truit de ses devoirs, que sa conscience soit
agitée de troubles, qu'il sente son incapa-
cité,qu'il reconnaisse en lui des vues tout
autres qu'elles devraient être, pour tenir
une conduite confoniie à la sainteté de son
état, les liens sont trop forts et trop dilliciles
à rompre. On n'a pas !e courage de renon-
cer h un revenu qui donne des facilités pour
satisfaire ses passions ciiminelles. On de-
meure donc ecc. élastique contre les règles,
parce qu'on Cbt enlié dans cel état conlie
les règles. On se damne, et voilà le fruit
malheureux de la précipitation des parents
aveugles cl intéressés, qui ne craigiieul
\\\\\, DES BENEFICES, 1566
point d'exposer le salut de leurs enfants,
[lourvu Qu'ils travaillent à les établir sur
la terre.
C'est donc une dangereuse maxime, c'est
un abus très-criminel, que de donner des
bénétices à des enfants qui ne connaissent
point encore ce que c'est que l'étal ecclé-
siastique.
Vous dites que le temps presse , qu'il y
a nécessité de ménager des occasions qui no
reviendront [loinl, que votre parent est dans
un âge avancé, que si vous n'avez de la pré-
voyance, ce bénéîice sera perdu pour volro
famille.
Voilà comment raisonnent tes prudents
du siècle, voilà les fausses subtilités avec
lesquelles on prétend violer impunément
les règles les plus saintes.
Vous perdrez, dites-vous, ce bénéfice.
C'est peut-être le plus griind bonheur qui
puisse arriver à votre famille. Laissez aller
ce bénéfice, et ne vous exposez pas à un
danger si (irochain de perdre un de vos en-
fants qui sera ecclésiastique sans vocation ,
et seulement pour retenir un bien que vous
vous êtes précipité de lui mettre entre les
mains.
Vous dites que vous aurez .soin de le faire
élever dans les saintes maximes de l'élat
ecclésiastique. Que savez-vous s'il répondra
à vos soins? Quand il est question do don-
ner un bénéfice, la vocation ne doit point
être en suspens, elle doit être décidée. 11
faut qu'un homme ait embrassé l'élat ecclé-
siastique sérieusement, dans des vues dé-
sintéressées, dans le dessein d(î se consacrer
à Dieu et au prochain. Voilà des dis|/Ositions
dont on doit être sûr. Ce qui fait voir quo
c'est trop risquer que de confier des riches-
ses ecclésiastiques à des enfants dont on ne
peul répondre, que l'on ne connaît pas et
qui ne se connaissent pas eux-mêmes.
Laissez donc encore une fois, laissez aller
ce bénéfice , et ne violez pas les règles do
l'Eglise. Où est donc l'estime que vous de-
vez faire de votre salut, et la disposition
dans laquelle vous devez être de [lerdre plu-
tôt tous les biens de ce monde , el la vie
môme que de violer la loi de Dieu.
L'emf)ressementde conserveries bénéfices
dans les familles cause encore bien d'autres
abus. Combien y en a-t-il pour qui cette
folle ardeur sera une source de condamna-
tion au jugement du Seigneur ?
La maxime du monde est queles bénéfices^
sont un liéritage précieux qu'on ne doit
point laisser échapper, et qu'il est de la
prudence de prendre toutes sortes de moyens
pour les conserver dans les familles. Parla les
indignes obtiennent des {)laces importantes
dans l'Eglise. Leur chute est d'autant plus
mortelle que le lieu d'où ils tombent est
plus sacré et plus élevé. Celui qui a résolu
d'embrasser toutes sortes do voies n'est
point épouvanté des simonies et des confi-
dences pourparvenir à ses injustes desseins,
Un bénéfice passera successivement sur plu-
sieurs tôles, avant qu'il s'en rencontre uiio
sur laquelle on puisse l'anôter. Uii L'ère
Î3C7
ORATEURS SACRES. JOSEÎ'H LAMBERT.
1508
qui esl fermement résolu de ne s'engager
jamais dans l'élat ecclésiastique, sera clioisi
pour conserver un l)éiiéfice a un de ses
frères qui n'a pas encore l'usage de raison,
ei môme qui n'est pas encore né.Unhonmie
déjà avancé en âge, qui depuis qu'il est au
monde a toujours exercé des emplois entiè-
rement contraires à la profess'on ecclésias-
tique, change tout d'un coup d'habit et
d'état. Il ne sait ce qu'il est , ni ce qu'il de-
vient. Il est lui-même surpris d'un change-
ment auquel il ne s'attendait pas. Il est prêt
de quitter l'étal ecclésiastique avec la même
fac'ilité qu'il s'y est engagé. La seule raison
qui l'a déterminé, c'est qu'il fallait conserver
un bénéfice, et qu'il était le seul dans la
famille qui fût en état de le posséder. .-
Qui pourrait expliquer tous les désordres
que cause cette ardeur empresséede retenir
des bénélices?Peul-on justifier le père résolu
h les conserver dans"sa famille par les voies
même les plus criminelles?
Les enfants qui sans aucune vocation re-
tiennent le bénéfice, sont coupables de
confidence, c'est-à-dire d'un crime très-
énorme et très-étroilement défendu pa'"
tous les saints canons.
Celui-là enfin à qui l'on se détermine,
souvent entre dans l'état ecclésiastique sans
aucune vocation. 11 ne r( mplit aucun de
ses devoirs. Il croit être absolument le
maître des revenus sacrés qui sont entre ses
mains, et il les emploie en excès. Que de
maux, que de désordres, que d'hommes qui
se perdent! Ne peut-on pas dire que le jour
où ce bénéfice est entré dans cette famille, a
été véritablement pour elle un jour lugubre
et malheureux ?
Quand on considère les grands abus
qui sont causés par les richesses ecclésias-
tiques; quand on considère que ces riches-
ses entretiennent un grand nombre de
ministres oisifs, scandaleux et qui désho-
norent leur caractère, ne serait-il pointa
souhaiter de revoir ces heureux temps oij
l'Eglise était pauvre, et où les vertus ecclé-
siastiques étaient toutes les richesses de
ceux qui se consacraient à son service. Pour
lors il n'y avait point lieu d'appiéhender
(lue les hommes [)are5seux, sensuels et qui
s'aiment eux-mêmes, voulussent entrer
dans le sanctuaire. Les persécutions, la
haine des hommes , la couronne du mar-
tyre, étaient toute la récom|)ense de ceux
qui avaient soutenu de longs et pénibles
travaux. L'Eglise a-l-elle jamais été i)lus
florissante? Ses ministres ont -ils jamais
«Hé j'Ius zélés? Jamais les travaux n'ont été
|ilus diOiciles. Jamais la bonne odeur de
Jésus-Christ ne s'est fait davantage sentir,
cl jamais ses conquêtes n'ont élé {)liis nom-
breuses. Si ces temps se renouvelaient, les
(299) t Audila est vox hodie venenum effusum
rsl in Écclesia s.incla Del. i> (Apud Gersoniuin, leii.
2, super Miircum, ad liiieni.)
(500) « Pro quo ro^'aris sil s-uspcclus. Qui ipse
v'gat pro se juin judicaius esl. t (De Cuiisider.
1. iV, c. 4.)
(ÔOI) 4 S) aliquispro bc niijat, ulobliucal curauj
ministres indignes n'attendraient pas qu'on
les chassût, ils fuiraient d'eux-mêmes, et ne
trouvant plus rien dans l'Eglise qui les
flattât, ils n'usurperaient plus le saint mi-
nistère ecclésiastique. Ceux-là seuls de-
meureraient qni ont du zèle pour la gloire
de Dieu, qui ont de l'ardeur pour le salut
de leurs frères, et que les travaux n'épou-
vantent point.
C'est sans doute ce que considérait celui
qui a prononcé que c'est un grand malheur
pour l'Eglise d'être devenue riche, et que
quand elle a élé comblée de richesses, une
voix s'est fait entendre laquelle a dit : Au-
jourd'hui il s'est répandu un poison mor-
tel dans toute l'Eglise du Seigneur (299).
Parmi ces empressés j'en découvre qui
osent même rechercher et demander les
bénéfices à charge d'âme. El pour leur faire
voir combien ils sont criminels, j'établis
cette maxime que quiconque demande et
recherche un bénéfice à charge d'âme, par
celte seule démarche, s'en déclare indigne.
C'est le sentiment de sainl Bernard, le-
quel a prononcé cette célèbre sentence :
« Que celui-là vous soit suspect pour qui
, l'on vous fait des prières. Mais quand un
homme en vient jusqu'à ce point que de
prier et de demander pour lui-même, il est
déjà condamné (300).» Celui-là est suspect
pour qui l'on prie. Car il est très à craindre
que ce ne soit lui-môme qui ait suscité
ceux qui s'empressent pour lui. Mais quand
un homme demande pour lui-même, ce
n'est plus simplement soupçon. Son indi-
gnité est manifeste. 11 esl condamné, et
c'est lui-même qui se condamne par sa
conduite.
Sainl Thomas ne s'explique pas sur ce
sujet moins positivement que saint Bernard.
« Si quelqu'un prie pour lui-même, et de-
mande un bénéfice auquel la charge des
âmes soit annexée, par celte demande il en
devient indigne, et si vous priez pour cet
homme, vous priez pour un indigne ^301). »
La décision est claire. Il esl donc inutile
d'examiner les qualités de cet homme. Il
a de la science, il a de la vertu, je le veux ;
mais i! se présenle et il demande pour lui.
Il est déjà condamné, dit sainl Bernard; il
est indigne, dit sainl Thomas, et sa jiour-
snite téméraire est une preuve incontesta-
ble de son indignité.
« Choisissez, continue saint Bernard, et
voilà une excellente règle qui doit être très-
présente à ceux qui sont chargés de con-
lércr des bénéfices. Choisissez non pas
ceux qui demandent, non pas ceux qui cou-
rent ; mais choisissez ceux qui reculent et
qui refusent. Ce sont ceux-là que vousde-
vez même contraindre. (302). »
Avoir des bénéfices à conférer, et parti-
animarunt.ex ipsa prxsiimptioiie reddinir indignus,
(H sic pièces suiil pro indigiio. » ("2 2, q. c, ail. 5,
ad. 5.)
(502) < liaque lion vclenie.s ncquc currc-nlcs a.s-
suinilo, sed cuiicianlcs, sed rciiuciiles, .;l:am coyo
illos. t {DeCoiiiict., 1. IV, c. i.)
1ÔG9
UE TRAITE EU.I.tS. — XXllI, DES LE.NEFKES.
1"70
nilièrcmei t dos bi5mTicos h clutrge d'âme,
c'est un plus grain) i'ariloaii que l'on ne pcii-
se. On les donne ;) laluignc, aux enipres-
semeuls, à ia faveur, <i ta rocoinninudatioii.
Par !;■ ou se fait dos amis, on met ilot^ lioui-
nies dans «os iult''rôts, on i'^coin[)eiise les
services, on ménage la faveur des hommes
puiss.-ints.
Damnahie el pornirieuse maxime , no
croire qu'un eollaleur soil le maîlre de dis-
tribuer les bénélices à qui il veut, selon ses
inlërêls, sa passion et son caprice. Un eol-
laleur est obligé, prenez garde aux ternies
dont je me sers, je ne dis pas que c'est
mieux fait, je ne dis pas qu'il est convena-
ble ; mais je dis qu'un collatour est obligé
de confier le soin des âmes au plus digne,
et cela sous peine de péché mortel.
Je ne crains point d'avancer celle sainte
et salutaire maxime après la décision du
saint concile de Trente dont vous allez en-
tendre les paioles. Le saint concile déclare
expressément que ceux-lè pèchent morlel-
lemenl, et parlicipenl aux |)échés de ceux
dont ils font ( hoix, qui n'aftporlenl {)as tou-
tes sortes de soins pour faire en sorte que
ia charge pastorale soit conliée à celui qui
est le plus uiile à l'Eglise, el le plus en état
de la servir (303).
Le plus utile à l'Eglise, voilà celui que
TOUS devez cho'sir : voilà celui que vous
êtes obligé de choisir sons peine de péché
morîel. Il ne vous est donc pas permis de
consulter voire intérêt '.tl voire passion; vous
n'êtes pas le maître, el il ne vous est pas
permis de donner à (|ui vous voulez.
S'il s'agissait, dit saint Thomas, défaire
seulement un choix qui ne pût être allaqué
devant les juges de la terre, ce serait assez
que celui sur qui vous jetez les yeux eût
les qualités nécessaires. ISIais si vous voulez
remplir votre devoir, et un devoir élroit
auquel vous ne pouvez manquer sans vous
rendre criminel, vous êtes obligé de choisir
celui qui est le raeilleuret leplus digne(30ij.
Revenons à tioire proposition dont la vérité
est évidemment conlirmée. Celui qui de-
mande ne [)eul être ni le meilleur ni le plus
digne. Au contraire il est indigne. Donc il
ne peul jamais être choisi.
L'em[)ressem(inl va plus loin, et la cupi-
dité qui n'a point de bornes n'est pus salis-
laite par la possession de ce bénélice recher-
ché si injustement el contre les règles de
l'Eglise.
Cet homme, peu louché d'avoir prévariqué
en demandant un bénélice, en poursuit en-
core un, et même f)lusiours autres. J'ai l'ait
voir qu'il esl criminel il'avoir demandé ; je
prétends vous raonlrer que son iniquité s'ac-
(ôOô) « Omnes et siiigulos qui ad proinolionem
pnificiendorum jus liabenl, anl alioi|uiii operuin
Miain praeslaiil, moiiel eos alienis pectaiis commu-
iiicantis iiiortaliter peccare, nisi quos digniorei el
Ltciesiœ inagis ut.ks juLlicaverinl prxtici diligeiiler
curaverint. > (Sess. 4 j
(30ij < Quantum ad iioc qudd tit'clio iinpugnari
non posbil m loro ji.diciali buKicil (.•|ig<Mc Ikpiiuiii ..
S>t.d 'juaiiiuiii ad i:uii;cieiiliaiii cli^ciiiis iiitcsbe csi
croît par celle honteuse mulliplicilé tant
(le fois défendue par les saints canons de
l'Eglise.
Dès les premiers temps, la pluralité des
bénéfices a été défendue. Je demeure d'ac-
cord que les premiers conciles n'ont point
parlé delà [)luralilé qui s'est introdiiiledaiis
les derniers lom|)S. Celle pluralilé était alors
inconnue, cl même il eût élé diflicile qu'elle
OUI élé prévue. Maison voil quoi esl l'esprit
de l'Eglise par la manière dont elle s'expli-
que dans les anciens canons.
Dès les premiers lemps il a élé défendu
aux clercs do se faire inscrire dans plusieurs
églises, C'esl la seule pluralité qui pouvait
alors être m usage, et l'Eglise s'est élevée
contre l'abus aussitôt qu'il s'est glissé
(303).
^Qui pourrait se persuader que l'Eglise,
s'élant si fort élevée contre celte pluralilé,
eût i)u souffrir celle qui s'est introduite
dans les d(-rniors temps ?
En ces temps les revenus ecclésiastiques
étaient pou considôrablos. L'Eglise n'en dis-
tribuait à ses clercs (ju'une médiocre por-
tion. Tout ce qu'un cleic aurait pu recevoir
dans différentes églises, où il aurait élé
inscrit, se réduisait h peu. Cependant c'est
une avarice qui mérite les plus rigoureuses
censures. Comment donc les conciles se
seraient-ils ex|)liqués contre ceux qui amas-
sent des richesses que l'on peut apjieler
immenses, particulièrement si on les com-
pare avec colles que [losséduient les clercs
dans les premiers temps?
Mais puisqu'il s'agit de réformer l'abus
de notre siècle , parlons de la pluralité telle
qu'elle eslprésenlomenl en usage.
Toute plui-alilé n'est point défendue. Ce
serait être téméraire que de parler sur ce
sujet plus rigoureusement que le saint con-
cile de Trente. Plût au Seigneur qu'on s'en
tîiit aux sages règles prescrites par cetlo
sainte assemblée, et qu'elles ne fussent j)as
si ouvertement transgressées 1
Le saint concile permet à celui dont le
bénéfice n'est pas sulTisant pour son en-
trelien honnête, d'avoir encore un autre
bénélice simple, |)ourvu que tous deux ne
demandent pas une résidence |)ersonnolle-
(306). Tenons-nous à ces bornes et prenons
garde h ne les pas passer.
Alin que vous [.uissiez posséder un autre
bénélice il faut que le vôtre ne suit pas suf-
lisanl. Quelle règle suivrez-vous |)our exa-
miner si votre bénéfice esl sullisanl? Con-
sullerez-vous votre ambition , votre cupi-
dité, ce désir d'avoir qui esl en vous? Il
s'agit de savoir si votre bénéfice esl sullisanl
[.our l'enlrelien honnête d'un clerc qui est
eligere meliorem vcl simpliciler, vel in coinparalione
ad luitium coniniune. r (^-:2, q. 65.)
(305) t Non liceat clericurn conscri))i in duabtis
ecclesiis. t {Couc. Chalccd., cstn. lu.)
(ÔOG) I Qnotl qiiidt III si ad viiam ejus cui fon-
(erlur, hoiiesle susienlandain non sullicial, liceat
aliiid sulïiciens, duiiiniodo uiruiiique pcrsonalciu
rcsiiiciiliaiii non rcquiriil. ciJcni coiifriri. i {De re-
l'irm., icsb, -i, cap. 17.)
i"!
ORATEURS SACRES. JOSEFH LAMBERT.
iôTi
obligé tle se contenter de pen , qui doit
suivre l'exen)[)le de Jésu«-Clirisl pauvre,
qui doit être un modèle de modération et
(le sobriété, h (|ui le luxe, la pompe, les
excès, la bonne clièro sont très-élroilement
défendus.
Examinons la pluralité dans sa source, et
il ne nous sera pas diiiicile d'en (iécouvrir
la malice et la dillormilé. Le saint concile
de Trente reconnaît qu'une cuftidité déré-
glée est ordinairement la source de la plu-
ralité. Ce qui naît d'un principe si conta-
lagieux, no f>eul (pi'il no soit très difforn.e
et très-criminel (307).
Fn elfel , quel autre prtncij)e que cciui
d'une cu|)idilé déréglée peut conduire ceux
qui amassent plusieurs bénéfices ? Ils rou-
giraient de (lire qu'un seul de leurs béné-
licfts n'est pas sullisaiil. Il le serait même
pour l'entretien liunnôte d'un cl( rc qui pas-
serait en beaucoup de choses les bornes
étroitesdc son (lui et de sa condition Lesainl
concile a raison de déclarer que tous les
prétextes dont les clercs ambitieux se ser-
vent pour se justitier ne sont que des arti-
fncs pour transgresser les lois les plus
saintes et les mieux établies.
On allègue des dispenses, mais qu'est-ce
que ces dispenses, el quel jugement en ont
prononcé les docteurs qui les ont sérieuse-
menl examinées?
Siiinl Thomas prétend que, dans la plura-
lité des l'énéfices, il y a ordinairement une
difTormité qui la rend contiaire même au
droit naturel. Il n'y a donc aucune dispense
qui puisse couvrir celle diflormité. Car c'est
un principe du même saint Thomas, qu'il ne
peut jamais y avoir aucune dispense légi-
time pour violer ce qui est établi et fondé
sur le droit naturel (308).
Je vous ai rapporté dans un auvre entre-
tien (309) les autorités de [diisieurs docteurs
émineiils en science et en piété, lesquels as-
surent que, quand et s dispenses ne sont pas
accordées pour de justes causes, elles ne
sont valables que devant les honunos, mai-,
quant au tribunal du Seigneur, elles ne pour-
ront jamais jusLlier ceux qui les ont obte-
nues C(Hitre la règle et l'équité.
Ceux qui semblent les plus innocents, et
dont il y aurait moins lieu de désa| prouver
la conduite, ce sont des hi;nHues tloui les in-
tentions sont droites, et (jui, se liouvant en
jiossession de plusieurs bénétices, les con-
servent pour en l'aire de bonnes œuvres.
Denis le Chartreux ne laisse pas de les
condamner (310). Son sentniicnl esltpie ceux
qui conservent plusieurs bénéfices ne peu-
(507) « MuiliiinprobiB ciipidiiaiis .Tffeclu se ij)S()s,
non Deum decipienus, piura siniul beiielicia obli-
DCie non erubebcuni. »
(308) « L.cilun) non esl, etc. Quanlumtunqiie dl-
speiisalio inicrvcnial , eo quod dispensaiio tunn.'un
ni»n aul'crl liganien juiis natiiralis. > {Quodl. I\,
a. 5.)
(509) Dhcotirs tur le bon exeviple.
(510) « Hoi-pilal laeni scrv.ue, cieemosynas ero-
gare, non esl sullki us causa lialicmli pliira bciic-
fua. cuui ex iiuc aliundc picvcniaiil niuHa tjmvioia
vont s'excuser quand bien même ils se ser-
vent df leurs revenus [lour faire des aumô-
nes. Par ces aumônes ils ne réparent point
les scandales et les inconvénients, qui sont
une suite nécessaire de la pluralité. Dieu
n'exige point d'un ecclésiastique qu'il fasse
des aumônes an-dessus de ses forces. Qu'il
se défasse doses bénéfices, qu'il en conserve
un seul, et il fera autant d'aumônes qu'il
pourra des revenus du seul bénéfice Qu'il
lui est permis de retenir.
C'est donc souvent un zèle mal réglé, eî
qui n'est point selon la science, que de dire
avec plus de revenu je ferai plus de bonnes
œuvres ;^e( c'est un abus que d'employer ce
prétexte spécieux pour conserver plusieurs
bénéfices.
Vous devez être dans la disposition de
faire tout le bien dont vous êtes capable;
mais ajoutez -y cette condition essentielle,
que le bien doit être lait dans l'ordre que
leSeigneura marqué. Sortit le l'ordredu Sei-
gneur, môme sous le prétexte de faire de bon-
nes actions, ce n'est [)<-is édifier, c'est déiruire.
Souvenez- vous de l'avis salutaire de
saint Paul : Soyez saoes dans le bien. {Rom.,
XVI, 19.) Donc le bien doit être fait avec
discrétion, el une des principales conditions
pour le faire avec bénédiction, c'est de
suivre les règles.
Ne me dites donc point que vous fierez des-
aumônes, que vous bâtirez des temples,,
que vous soutiendrez une œuvre qui chan-
celle. Celui qui peut des pierres même sus-
citer des enfants à Ahraliaui {Matlh., III, 9),
saura bien accomplir son œuvre dans les
temps qu'il a marqués, sans qu'il soit né-
cessaire d'avoir recours à des moyens si
solennellement défendus. Ce qui est de |)lus
pressé pour vous, c'est d'édifier l'Eglise.
Ce qui lui manque et dont elle a le plus be-
soin, ce sontdes esem|)les d'ecclésiastiques
assez désintéressés pour quitter des béné-
tices dans des occasions où ils sont évidem-
ment oi)ligés de le faire [)ûur obéir aux lois
de l'Eglise.
Si ceux-là même qui coiiservent plusieurs
bénéfices pour en faire des aumônes ne sont
pas excusables, que dirons-nous de la scan-
daleuse |)luralité de ceux qui amassent [)lu-
sieurs l)énéfices, pour contenter leur luxe,
pour satisfaire i eur sensua 1 i té, jiour vivre dans,
les délices, jiour entretenir des équijiages
somptueux? Qui pourrait expliquer la con-
damnation que s'atliient ces ecclésiastiques
et la rigoureuse vinigeance que Dieu tirera
un jour du méjiris ([u'ils ont l'ait des saintes
lois de l'Eglise (311)?
iiiconunoi'a. D(us quoque ab aliqiio non cxigil ho-
i|)il:iiiiaicni, el elieaiosuiarnni largilioneni ullra
viri'S ipsius, sive ullra qsiod ei de uno (.on pcieuii
l;eneticio supcrcst. » (Tract, coiitr. pluralitutein bu-
nef: c, c. i-l.)
(51I)«S. Tliomas el allia S Bernardi lenipore non
lia dissili, lioc releruiil ipsius dicluni. « Qui norï
! unus sed plures esl in bcm fii.iis, non unus ïc i 1)1u-
« res trii in suppliciis. > [Vide S. TiiOM-, qiiodliljci.
IX, q. 7, a. 15, § i.)
1373
RETRAITE ECCLES, — XXIIl, DES BENEFICES.
Mil
Ce sont pai ticulièremenl ces cclésiasliqiies
scaininleiix que saint BerncTrd avait en vue,
quand il disait que celui qui, n'étant pas sa-
tisfait d'un seul Ijthiéfice, n voulu posséder
sur la (erre ce (;ui dtvtail èirc parlagé h
plusieurs, nn sera pas trniié dans les enfers
comme un seul ré|)ronvé ; mais, Dieu, [lour
le châtier, accumulera les peines destinées h
la punition de plusieurs n^prouvés.
Tous les abus soraienl corrigés si l'on
avait une vérilable idée des bénétices ecclé-
siastiques, et si l'on ne se laissait point
abuser par les fausses maximes du siècle.
Un bénéfice ecclésiasiique c'est un poids,
c'est un fardeau. Un bénéfice expose celui
qui le possède à de très-j^rnnds périls. C'est
\ine adnïinii.lration dont il faiidra rendre
compte à Diru, et (pii nous chargera quand
nous comparaîtrons devant son tribunal.
Les bénéfices sont destinés à la nourriture
de ceux qui travaillent pour l'Eglise. V^)u-
ioir les posséder el être inutile <i l'Eglise,
s'est se rendre coupable d'une très-crimi-
nelle usurpation. Uccherchor un bénéfice,
c'est rechercher un poids qui peut-ôtrenous
accablera. Féliciter un homme du monde
qui, par des voies d'intrigues, obtient un
bénéfice considérable, c'est le féliciter de
ce qu'il a violé les règles les plus saintes
de lEglise, de ce qu'étant déjà criminel
par les désirs de son cœur, il va encore
augmenter la mesure du ses crimes par la
profanation des richesses sacrées de l'E-
glise. Les aveugles du siècle félicitent les
hommes quand ils devraient pleurer sur
eux.
Dieu m'en est témoin, dit saint Augustin,
l'administration des biens de l'Eglise , dont
on croit que je suis bien aise de disposer,
m'est onéreuse. Je la considère comr-.ie une
servitude. Il n'y a que la crainte de Dieu et
la charité que je dois à uks frères , qui
m'obligent à me charger de celte pénible
administration. Mon grand désir serait
d'en ôlre délivré si mon devoii' me le pei-
mellait (312).
Voilà la vraie idée que l'on doit avoir
des bénéfices ecclésiastiques. C'est une
administration dillicile et onéreuse , c'est
un grand bonheur que de n'en point êtie
chargé. Tout homme sage, bien loin de re-
chercher cette pénible administration , la
doit fuir.
C'est sans doute une idée bien différente
de celle que l'on a communément des béné-
fices. Il est bien déplorable que l'on recher-
che avec tant d'empressement ce que l'on
fuirait si l'on connaissait les solides prin-
cipes de la religion , el si l'on en était
I)énélré.
Qui sont donc ceux qui possèdent légili-
meraent les béiiélices ? ce sont ceux qui en-
trent dans l'Eglise avec une sainte vocation,
dans des vues Irès-désintéressées, avec ui.
désir sincère de servir le prochain, et qui
ne sont en aucune manière déterminés par
des vues temporelles à se consacrer au Sei-
gneur.
Dieu qui nourrit les oiseaux du ciel cl
qui ne perd point do vue ceux qui se con-
fient en lui, n'abandonnera point co minisiro
fidèle. Sa providence paternelle veillera sa;'
lui; elle lui fera tomber entre les mains
des revenus (pi'il est irès-élorgné de désirer
et de considérer comme le motif, soit do
son entrée dans i'élat ecclésiasti(]ue,soit do
son application aux saintes fondions de son
ministère. Il recevra avec action de grûces
les biens do la terre, et ii les regarder.i
comme des moyens qui lai facilitent l'exer-
cice de son ministère, el qui le meltent en
élat do rendre au prochain ce qu'il lui doit.
C'( st là suivre l'esi^rit de l'Eglise, c'est là
entrer par la porte, c'est là ac(iuérir légiti-
mement, et non pas usurper.
Voilà les dispositiofis dans lesquelles il
faut être pour entrer légitimement dans les
bénéfices. J'ai maintenant à vous faire voir
coramenl il faut user des bénéfices eccW-
siastiques. C'est mon scrond i)0int
DEUXli^ME POINT.
Jésus-Christ, en instruisant les nommes,
leur dit : Ne vous faites point de trésors sur
la terre, où les vers el la rouille tes mangent,
et où il y a des voleurs qui les déterrent et qui
les dérobent, viais faites-vous des trésors
dans le ciel, oii les vers et la rouille ne les
mangent point, et otï il nij a point de voleurs
qui les déterrent et qui les dérobent, {Malth ^
VI, 19.)
L'apôtre sainl Paul ap})liquant aux riches
du siècle cette maxime du Sauveur, les aver-
tit de s'acquérir un trésor et de s'établir un
fondement solide pour l'avenir. (I r/'m.,VI,
19). De là, il s'ensuit que selon que les riches
du siècle disi'ensent d'une manière diffé-
rente les biens dont ils se trouvent en |)0s-
session,ils amassent ou des trésors pour le
ciel, ou des trésors de colère.
C'est ce qui est particulièrement véritable
à l'égard des richesses ecclésiastiques. Il n'y
en a point qui amassent plus sûrement des
trésors de culère, que ceux qui les profanent
])ar un usage criminel. Un eixlésiaslique
qui veut éviter un si terrible malheur doit
être convaincu des principes suivants, el les
prendre pour la règle de sa conduite.
Un ecclésiastique doit être modéré et so
contenter de peu, premier principe.
Les dignilés ecclésiastiques ne se sou-
tiennent point comme les séculières i)ar la
dépense el la pompe; mais elles sesoulier-
neiil parles vertus, second principe.
Les pauvres ont un grand droit sur les
rev< nus ecclésiastiques Les frustrer de
ce droit, c'est un larcin, troisième prin-
cijie.
512) < Deus leslis esl isliim oiniuni rciuiu ec-
ciesiasticarnm |>!ncurylionci!i, riuanmi crodimiir
ainaïc dcmiiialuiii, pro|»lcr sciviiulcm ijuaiil ilcljto
<liaiil:Ui frairum el liniori Dci, lolerarc me, non
ariuirc, iia iil ea si .salvo oflicio possiin carcrc dcsi-
ilcitDi. I (L|)isl 120, al. '225.)
i:t:
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMr>ERT.
iSTtt
Les revenus ecclésiastiques sont destinés
h l'entrf'lien de ceux qui travaillent. ,11 n'y
a que los ouvriers fidèles et zélés qui ont
droit d'en user. C'est pervertir l'iisage do
ces revenus que de s'en servir pour entre-
tenir une molle oisiveté, quatrième princi[)e.
Les ecclésiastiques doivent être modérés
et se contenter de peu. C'est la loi qui est
imposée à tous les chrétiens. Saint Paulleur
parle h tous et leur dit : Ayant de c/uoi vous
pourrir et de quoi nous couvrir, nous devons
être contents. (\ Tim., V, 8.) Bien loin d'exté-
nuer cette maxime, il n'eût pu que s'expli-
quer en termes plus forts, s'il eût adressé
son discotirs aux ministres du Seigneur.
C'est un principe constant et perpétuel
que les ecflésijistiques sont le modèle du
troupeau. (I Petr., V, 3.) Combien donc
doivent être modérés et se contenter de peu
ceux qui doivent servir d'exemple à des
hommes à qui il est expressément comman-
dé de vivre dans une si grande modération ?
I' est permis aux ministres du Seigneur
qui travaillent de vivre de l'autel. C'est un
passage connu de tous les ecclésiastiques.
Et plût au Seigneur qu'ils fussent aussi bien
instruits de tous les autres endroits de
l'Ecriture et des saints Pères qui expli-
quent ce que c'est que vivre de l'autel.
Il vous est permis, dit saint Jérôme, de
vivre fie l'autel, mais il ne vous est pas per-
mis de vous enrichir des dé[)ouilles de l'E-
glise (313).
Vous qui savez si bien que vous pouvez
vivre de l'autel, et qui faites ries réserves
ri.rce que vous avez de fausses alarmes sur
l'avenir, sachez aussi que Jésus-Christ a
dit : Ne vous mettez point en peine du len-
demain. (Matlh., Y], 3k.] Sachez aussi que
saint Paul a dit : 5o?/Pz contents de ce que
vous avez, puisque Dieu dit lui-même, je ne
vous laisserai point et je ne vous abandon-
nerai point. {Hehr., VIII, 5.)
Il vous est permis de vivre de l'autel;
mais vous est-il permis d'enrichir vos [)a-
rents contre la défense expresse des saints
canons renouvelée par le saint concile de
Trente dont voici les paroles?
Le saint concile leur défend d'enrichir
leurs parents ou leurs amis des revenus
ecclésiastiques, puisque les canons mômes
des apôtres défendent de donner h ses pa-
rents les biens de l'Ej^lise qui sont ceux
de Dieu même. Tout ce que le concile vous
permet, c'estde secourir vos parents comme
d'autres pauvres, (|uand leur pauvreté est
véritable et réelle (3H).
Il vous est permis , dit saint Bernard , de
vivre de l'autel, mais il ne vous est pas per-
mis de vous servir des richesses ecclésiasti-
ques pour vivre dans le luxe et dans la
mollesse (315). Quoi de plus opposé aux
f)réceptes de saint Paul qui vous ordonne
de vous contenter f)0urvu ([ue vous ayez de
quoi vous nourrir et de quoi vous couvrir?
(315) « Vivant et non divitos fiant, i
(314) « Oinnino ttisinlerdlcil, ne ex redilihns Ec-
dcsix consanguincos, lamiliarcsquc suos aiigcic
Quoi! pour nourrir une chair qui doit
être la f)âlure des vers, faut-il tant de dé-
licatesse, faut-il tant d'abondance , faut-il
tant d'assaisonnements et tout ce rafline-
ment de bonne cbère? Quo\ 1 est-ce se con-
tenter de peu, est-ce se contenter de la
nourriture et (lu vêtement, que de vouloir
avoir toutes les commodités? Est-ce pour
cela que les richesses ecclésiastiques sont
données? Il n'en reste plus pour les pau-
vres, il en restera pour eux, et leur por-
tion sera très-forte, quand vous modé-
rant dans les justes bornes de la simplicité
ecclésiastique , il sera vrai de dire que
vous vous contentez de peu, et que vous ne
suivez plus les lois d'une cupidité déréglée.
Un prétexte très-ordinaire quoique très-
injuste que la cupidité a coutume d'em-
ployer, c'est que l'on est obligé de soutenir
sa dignité, qu'il n'y a que le dehors et ce
qui éclate qui frappe le peuple , qu'il y au-
rait du danger que le caractère ecclésiasti-
que ne fût méprisé, si l'on se tenait dans
les bornes étroites que lu modestie f)rescrit.
De ce (irincipe on conclut que los dignités
ecclésiastiques doivent être soutenues par
la dépense et l'éclat. Cet éclat et cette dépen-
se consument les revenus ecclésiastiques,
et delà naît ce pernicieux usage desbénéti-
ces , contre lequel on ne peut trop s'élever.
Les dignités ecclésiastiques doivent être
soutenues; le principe est vrai; mais doi-
vent-elles être soutenues comme les dignités
séculières par l'éclat et la pompe? C'est ce
que je soutiens très-faux et très-contraire h
toutes les règles. Les dignités ecclésiastiques
doivent être soutenues par les vertus, et
non point par l'éclat extérieur.
Les rois des nations veulent dominer dit
Jésus-Christ [Mallh., XX., 25) ; ils veulent
être considérés, ils veulent inspirer de la
crainte, attirer les regards du peuple; ils
empruntent des secours étrangers pour se
déguiser à eux-mêmes et [)our caclier aux
autres ce fond de faiblesse et do misère,
qui est essentiellement en eux. Ils se tlal-
tent qu'ils sont au-dessus des autres hom-
mes, quoi qu'ils en aient toute la misère,
ils s'attribuent ce qui ne vient point d'eux,
et ils S(int redevables de leur grandeur à
ceux-là même au dessus de qui ils s'élèvent
et qu'ils croient surpasser.
// n en sera pas de même de vous, dit Jésus-
Christ. Par là il fuit voir qu'il y a une ditlé-
rence essentielle entre les hommes dusiècle
et ceux qui se consacrent à son service,
entre les honneurs du monde et son saint
ministère. Jl n'en sera pas de même de vous.
Mais celui qui voudra être le premier d'entre
vous, sera le dernier de tous, sera le serviteur
de tous. [Ibid.) Celui qui s'estime le dernier
de tous, le serviteur de tous, cherche-t-=-ii
les ornements extérieurs, la pompeel l'éclat
|)Our se faire valoir ?
Entendons parler les anciens conciles , et
studeant. » (Sess. 25 De refor., cap. 1
(015) « ConreJUiir libi uide altario vivas.iion ui
luxuricris. t {t^p. ad Fulcoiieni.)
rr.i
\nyons comment ils oxpliqiicnt aux clercs
la conduite qu'ils doivent tenir pour soute-
nir l(Mir dignité.
« Que TL^Ôque ait dans sa maison des
meubles vils, qne sa t.iblose ressente de sa
pauvreté, et qu'il maintienne sa dignité par
la foi cl par le n;érile de ses œuvres
(316). »
Les évoques, qui sont les premiers dans
l'Eglise, et qui y possèdent la plus éminente
dignité , ne doivent avoirque des meubles
vils; il faut qu'ils fassent sentir la pauvreté
dont ils font profession, Voi!?i donc les or-
nements extérieurs ; voilà la délicatesse el
la bonne chère exclues de la maison de
l'évoque. Ce sont des moyens trompeurs, et
ce ne sont pas ceux-là que les ecclésiasti-
ques doivent employer pour faire connaître
l'excellence de leur dignité. En voici de
plus solides et de jilus propres à faire voir
la sainteté du caractère ecclésiastique. La
loi, les vertus, les bonnes œuvres.
Ne dites jiointqu'à la vérité la foi et les
bonnes œuvres sont les principaux moyens
dont les ecclésiastiques doivent se servir,
mais que l'éclat extérieur ne doit pas être
négligé, et qu'il est môme nécessaire à cause
do la faiblesse des hommes, qui sont plus
touchés des a|)parences el du dehors , que
de ce tpii est solide et caché dans le fond
de l'âme.
Le concile s'esl trop nett^-^menl expliqué
pour pouvoir apporter une réponse si peu
soutenable. Les moyens (jue vous croyez
nécessaires, quoique moins principaux,
sont positivement exclus. Que l'évêque ait
des meubles vils. Il ne lui est donc pas per-
mis (lour aucune raison d'en avoir de somp-
tueux el (le magnifiques. L'évêque doit faire
sentir la paurrelé dont il fait profession.
Fail-on sentir que l'on fait [)rolVssion d'ai-
mer la pauvreté par l'éclat et la pompe, ou
plutôt n'est-ce pas en les méprisant, en les
foulant aux pieds, et en les bannissant entiè-
rement de sa maison ?
Osera-t-on dire que les temps sont chan-
gés, que ce qui se pouvait pratiquer dans
les anciens temps ne peut plus être niain-
tenant observé; que pour lors les peujiles
étaient plus simples el plus dociles; que ce
qui était respecté dans ces heureux tenips
serait ujainlenanl méprisé; qu'il faut enfin
suivre la coutume, céder au lemps, et avoir
de la condescendance pour la faiblesse des
hommes ?
Il est vrai que les temps sont changes.
Mais la dlificulté est si ce changement n'est
point une dépravation et un abus auquel on
ne |)(ut apporter un remède trop prompt et
trop ellicace. Les temps sont changés, parce
que les ministres de l'Eglise ne sont plus
saints, zélés, attachés à leurs devoirs,
comme dans les premiers lemps. Douiiez-
nioi de saints évoques el de saints prêtres
(3IG) 4 Episcopiis vilem supelicclilem el mcnsa:ii,
ac viciiiiii paiiperein li;il)eal, et di^nilaii suae auclo-
rital(.'in fideac vii;i- merilisqiiiurat. t^Conc. Cartlincj.,
V, tan. 15.)
RETRUTE ECOLES. — XXIII, DES BENEFICES.
iù'H
comme dans l'anliffuité, et vous verrez s'ils
ne se feront pas respecter en suivant exac-
tement les règles si sages de l'ancienne
discipline.
On suppose faussement que le g0"ll pour
la règle et pour la vertu est passé, et qu'il
n'est ()lus maintcnanl aussi vif qu'il était
dans les premiers temps. L'expérience dé-
ment cette fausse el dangereuse supposi -
lion. Par la miséricorde du Seigneur il en
reste encore de ces ministres zélés qui
tiennent pour la règle. On voit avec i)laisir
que ceux-là sont estimés et respectés, pen-
dant que les autres n'attirent que l'indigna-
lion et le mépris par leur [)ompect leur éclat.
La règle est toujours la même. Elle sub-
sistera malgré la malice el la dépravation
des hommes. Elle sera attaquée, mais ello
ne sera jamais vaincue. Il sera donc tou-
jours temps, ()our réformer les mœurs des
ecclésiastiques, de leur citer les exemples
des j)remii;rs saints, el les anciens canons
de TEglise.
Saint Bernard croyait l'argument décisi,
el convaincant. Pour conibndre le luxe
des ecclésiastiques, il les rap|)elle au tem[)s
des saints apôtres. Il les lait souvenir de
l'exemple qu'ils nous ont laissé. « On ne
voit point, dit ce saint docttur, que saint
Pierre ail marché avec un équipage pom-
peux. Ou ne voit point qu'il ail porté des
liabits précieux. On ne voit f)oiiU qu'il ail
été accompagné d'une foule de serviieurs.
Si vous vous éloignez de ces saints exeni"
pies, vous déclarez que vous êtes le suc-
cesseur des princes temporels cl non pas
des ajiôtres (317). »
« Je n'avais [)as com|)ris, dit saint Grégoire
deNazianze (oral. 32, p. 520 ), (jue je dusse
dis[)uter en magnilicence avec les consuls,
les gouverneurs, les généraux d'armée; ou
qu'abusant des biens des pauvres jiour con-
tenter mon luxe, je pusse dissiper en su-
fjerlluités des richesses dont je ne suis que
l'économe. Je n'avais pas compris qu un
évêque dût se faire traîner dans un char
pompeux, et se faire suivre {)ar une si grande
l'ouleque sa marche fûtaperçuede lorl loin.»
Voilà ce (jue saint Grégoire de Nazianze
répond à ceux qui lui faisaient des reproches
de sa sim|)licité el de sa modestie.
^ Quel est le ministère que vous exercez?
c'est un DJL'u humilié qui eu est l'iiistiin-
leur. C'est un Dieu qui n'a lieii plus forte-
ment couimaiidé à ses disciples que de vivre
dans la prati(iue de l'humililé. Voyez com-
ment il les reprend (pjatid il aperçoit en eux
le moin(Jre sentiii;ent d'orgueil ?ll les établit
ses ministres pour enseigner riiumilité aux
hommes, et pour leur clomier l'exemple de
Celte excellente vertu. Le saint minislère
de Jésus-Christ ne d(jit être (-xcj-i'.é que jiar
les humbles. Saint Grégoire l'appelle un mi-
nislère d'humilité, et il ne peut soulfi-ir que
(Sfî) Peinis ncsciuir proccssi'.sc vel gcmniis or-
na'us, vcl sericis, iicc circuiiinir.-p iiiiîjus scplus
iiiiniinis ; lu liis successisii ii'>n iViro, ted Coii-
sijiilino. (Lib. IV De Cuiisid , cap. lï.)
1379
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1380
ce qui doil servir à nous liumilier, soil une
occasion de s'élever et de s'enfler d'or-
guei! (318;.
Détrompons -nous des fausses et dange-
reuses maximes que la corruption a intro-
duites. II est vrai qu'un de nos principaux
devoirs doil être, comme saint Paul le mar-
que, de rendre illustre notre ministère. [Rom.,
XI, 13.) Mais il ost aussi véritable que I(î
vrai moyen de le rendre illustre, c'est de
faire éclater en nous toutes les vertus, et
surtout riiumilité, qui est la première et la
principale de toutes les vertus. L'éclat et la
pompe dont quelques-uns prétendent se ser-
vir pour rendre illustre leur ministère, est
ce qui l'avilit et ce qui le rend plus mépri-
sable. Les ecclésiastiques seront moqués ;
ils exciteront les cris et les murmures ; leurs
discours ne feront aucun fruit ; leur exem-
ple scandalisera, pendant que leur conduite
ambitieuse et séculière fera voir qu'ils sont
pleins de l'esprit du monde. Les ecclésias-
tiques fidèles, zélés, dont les mœurs aussi
bien que les paroles annoncent les vérités
de l'Evangile, seront toujours honorés. Quoi-
que les gens du siècle résistent à leurs dis-
cours, ils ne pourront s'empêcher d'estimer
leur vertu. Cette estime de la vertu est un
heureux coramenceraenl pour conduire à la
pratique des bonnes œuvres ceux mômes qui
eu sont le plus éloignés. Une infinité de pé-
cheurs, ajirès avoir résisté à la parole, ont
été touchés de l'exemple, et sont revenus
de leurs égarements.
l'établissons donc !e principe. Soyons-en
pleinement convaincus ; mé|irisons la pom-
pe et le faste ; embrassons les vertus qui
conviennent à notre état. Par-là nous sou-
tiendrons notre rang, et nous travaillerons
enicacemcnl à refidie notre ministère hono-
rable.
Nous rendrons aussi par ce moyen aux
pauvres la justice que nous leur devons.
Car voici un troisième principe. Les pau-
vres ont un grand droit sur les revenus
ecclésiastiques. C'est un larcin que de les
frustrer de ce droit.
Nous avons donc maintenant à soutenir
le dioit des })auvres contre le luxe et l'ava-
nce qui sont leurs dangereux ennemis. 11
y a une portion des revenus ecclésiastiques
qui appartient aux pauvres. Celte [)orlion
est grande. Vous venez de voir que les ec-
clésiastiques doivent se contenter de peu,
qu'ils sont obligés de ménager leurs reve-
nus. Ils le doivent faire particulièrement
afin d'ôtre en état de soulager les pauvres.
Dieu dans tous li'S temps a l'ait voir que
les pauvres lui étaient tiès-chers. 11 a re-
commatidé l\ ses fidèles serviteurs d'en
avoir soin, et de les soulager. 11 a même
déclaré que c'était une action de justice,
tpie c'était une dette. {Eccli., IV, 1.) Il a
déclaré que de frustrer les pauvres, c'était
(518) ( Minislcrium iiiiaiililalii> verlnnt in argu-
ineriluni ambitioiiis. {l'asi.)
(519) llâdi Toff £v y^peiM oliai x/jS^'txwv yiv=T«t. (Ju-
bTiN., ap. "1, p, ij9.;
retenir par fraude un bien qui ne nous a|)-
parlient pas et qui leur est destiné.
Jésus-Christ dans la nouvelle loi s'est
tant de fois déclaré en faveur des pauvres
qu'on ne {)eut [)oini douter et de sa charité
pour eux, et de l'obligation qu'il impose à
ses disciples de les secourir dans leurs be-
soins. Mais il est certain que ce soin re-
garde particulièrement les ministres de Jé-
sus-Christ, et qu'ils sont plus obligés quô
les autres d'avoir un cœur tendre pour les
pauvres.
Dans les premiers temps de l'Eglise les
ministres zélés du Soigneur ont cru que ce
soulagement devait être une de leurs prin-
cipales applications. Pour lors tous les re-
venus de l'Eglise étaient entre les mains de
révoque. Il en était le dispensateur. Il était
de ses soins d'entretenir les minisires du
Seigneur, les lemoles sacrés et les pau-
vres.
Lorsque dans la suite les revenus de
l'Eglise ont été partagés, il a été ordonné
qu'il y en aurait une portion qui serait
appliquée au soulagement des pauvres
Un des grands titres des évoques, dans ces
heureux tenjps, c'était d'être appelés les
pères et les tuteurs des pauvres. Ils se re-
gardaient comme étant chargés du soin do
tous les pauviès (319). Tous les évoques,
tous les ministres du Seigneur qui ont été
zélés à remplir leurs devoirs, ont toujours
eu un grand amour pour les pauvres, et
l'application qu'ils ont eue à les soulager a
toujours été considérée comme une grande
partie de leur mérite, et de leur sainteté.
Saint Grégoire parle d'un évêque qui
avait eu le cœur assez dur pour rejeter des
pauvres, et leur répondre qu'il n'avait pas
de quoi les secourir. Il a des vêlements, il a
de l'argent, et il n'a pas de quoi donner aux
pauvres. Diles-lui que depuis qu'il est
élevé à la place qu'il occupe, il doit avoir
changé d'esprit ; ce n'est |>as assez pour lui
d'j s'appliquer à l'étude et de prier. Ses
mains doivent être ouvertes. C'est à lui de
soulager tous ceux qui sont dans la néces-
sité, La pauvreté des malheureux le doit
toucher aussi sensible.ueni que s'il était
lui-même datis la misère. Si sou cœur n'est
pas dans ces dispositions, il n'est évêque
que de nom (320).
Des évêcjues, des ecclésiastiques appli-
qués à connaître les besoins des pauvres,
qui s'épargnent pour les soulager, qui se
retranchent même sur leurs b(îS(»ins, qui no
peuvent être tranquilles (lendant que les
pauvres souU'rent, dont la main libérale ré-
pand avec profusion les richesses dont ils
sont les dispensateurs : Voilà de vrais évo-
ques, voilà des ecclésiastiijues tidèles, ap-
pliqués à connaître et à suivre les volontés
de leur Mailie.
Mais que dirons-nous de ceux qui, pen-
(520) « Largam inanmn liabeal, nccessiuilem pa-
tienlibiis c>)iicuiral, alicnain iuopiaiii siiain credat,
quia si \\xc non habet, vacuuiii episcopi nonuii le-
13SI
RETRAITE ECOLES. — XXIII, DES RENEFICES.
1382
daiil qu'ils proiligiienl les biens ecclésias-
lifjiies, voionl d'un œil insensible les pnii-
vros languissants, et ne so mellcnl point en
peine de les secourir? Quel est Iimii- crime ?
Ajiprenez à le connaître, voyez-en toute l'd-
Jiorniité, afin d'cti concevoir (Je jnsips son-
liinonls d'horreur. Ils sont coupables dn
vol. Le bien (|u'ils consument a|)parlient de
droit aux pauvres. Leur crime n'est pas un
simple vol, c'est une rapine, c'est un sacri-
lège. Les pauvres crient : C'est notre bien
(321j. Les pauvres demandent avec empres-
sement les restes tle la table de ces hommes
voluplueux, et ils leur sont inliumainemcnt
refusés. Les plaintes et les gémissements
des pauvres pénètrent jusipi'au ciel. Dieu
prendra en main la cause du pauvre. Sa
vengeance éclatera, et l'économe infidèle en
sentira tout le poids. Homme sans pitié,
homme cruel, les pauvres deniaudent ce (|ui
est à eux. Vous leur «-avissez cruellement
ce que Dieu leur a donné. Vous éiirouvercz
un jour ce que c'est que d'élre en môme
temps injuste, inhumain, sacrilège, et par
conséiiuent coup.iblede ce qu'il y a de plus
énorme.
Ces hommes , qui ont en abondance les
lichesses ecclésiastiques, sont ceux è qui
elles sont moins dues. Car souvent les plus
riches sont ceux qui travaillent le moins.
Souvent môme ils ne rendent aucun service
à l'Eglise. Ne point servir l'Eglise et être
enrichi de ses revenus, c'est absolument
renverser les règles. Car voici le quatrième
et dernier principe que j'ai avancé. Les
revenus ecclésiastiques sont deslitiés à l'en-
trelien de ceux qui travaillent. Il n'y a que
les ouvriers laborieux et fidèles qui ont
droit d'en user. Il est absolument contre
l'ordre que ces levenus soient employés à
entretenir la mollesse et l'oisiveté.
Il s'est élevé dans les derîjiers temps un
nouveau genre d'ecclésiastiques inconnu
dans ranlicjuilé. Qui aurait jamais cru que
celte nouvelle espèce dût s'élever, puis(|u'il
n'y a rien de plus contraire à l'esprit do
l'Eglise que leurs prétentions et leur con-
duite ? Ce sont des liomiiies qui veulent vi-
vre des revenus de lEglise, qui ne lui
rendent aucun service , et qui souvent
la scandalisent par leurs mœurs déré-
glées.
Je dis qu'il e4 absolument contraire à
l'esprit de 1 Eglise que les hommes qui ne
la servent [)oinl, reçoivent ses revenus.
Vous avez souvent entendu le grand |)rincipe
de saint Paul. Mais comme il est décisif en
cette maiière, il ne peut être trO[) répété.
L'Apùtre déclare que celui qui ne travaille
point est indigne de manger. (Il Tliess., il,
10.) Ces hommes ne travaillent point. Com-
ment donc prélendenl-ils pouvuir se nour-
rir des revenus de l'Eglise ?
Dans les premiers temps les revenus ec-
clésiastiques ne com[tOaaient qu'une masse
(|-2i) « Res paiiperum non pauperibus dare, par
sacrilegio criinéa essedigiioscilur... Tiiuin iiuii est,
i.ipiiia ist, bacrilegiuiu C;l. N'jslruiii est quoJ tl-
commiine. Il étaient partagés sehn les
diljérents besoins de l'Eglise. Mais je no
vois point qu'il y en eût aucune part pour
des hommes oisifs. Tout ecclésiastique
était appliqué à dos fonctions, et l'Eglise
ne nourrissait que ceux qui lui étaient
utiles.
Interrogeons ici les sages et saints fonda-
teurs qui ont cru no pouvoir faire un meil-
leur emploi de leurs revenus, qu'en les con-
sacrant à Dieu. Je les entends qui demandent
vengeance au Seigneur de ce que leurs in-
tentions sont frustrées. Pouvez- vous les
olfenser plus vivement que de vous servir
pour commettre un si grand nombre d'ini-
quités, de ces mômes biens, qu'ils avaient
offerts à Dieu pour l'expiation de leurs pé-
chés ? Quelle équité? Ceux qui portent le
poids du jour et de la chaleur, ont h peine la
nécessaire, pendant qu'un riche et oisif bé-
néficier est dans l'abondance, et jouit sans
peine et sans fatigue d'un revenu considé-
rable.
L'abus a été poussé h l'excès où nous le
voyons ^ depuis qu'on a prétendu qu'il y
avait <ies bénélices simples et qui n'obli-
geaient à aucune fonction. Comme si cette
maxime nouvelle pouv<iit préjudicier au
droit naturel et aux anciennes règles.
Je dis (pie ceux-là môme qui ont des bé-
nélices (\uon appelle simpl(;s, quoiqu'ils
n'aient aucune fonction déterminée, sont
obligés par la loi générale de rendre service
à l'Eglise.
Il n'y a point de bénéfices simi)les dans lo
sensqu'on le |)rétend. Ils vivent de l'autel;
il faut donc (ju'ils servent l'autel. Il y a tant
de fondions abandonnées, tant d'ignorants
qui ont besoin d'ôlie instruits ; ils croient
pouvoir être oisifs pendant que rEglis,e a
des besoins si pressants, et moi je leur sou-
tiens (ju'ils sont obligés de travailler;
qu'autrement ils commettent une grande
injustice, parce que, sans se donner aucune
peine, ils veulent avoir la récompense qui
n'est duequ'ii ceux qui s'enqiloient, et qui
se fatiguent pour l'E.^lise.
Qui ne serait scandalisé de la conduire do
cet hoiuraa? Depuis |)lusieurs années il pos-
sède un gros revenu. A peine porte-t-il au-
cunes marques extérieures de son état. Il
s'en croirait déshonoré. Qui Iles sont ses
occupations ? La chasse, le jeu, la bonne
chère, les conversations oiî l'on se donne
toute sorte de liberté. Avec (lui passe-t-il
ses jours? Avec les femmes les plus en-
jouées et les plus mondaines. Plus imrao
desle que les séculiers mêmes, souvent ils
les fait rougir par ses liauteuis, par ses
discours scandaleux, par l'irrégularité de
ses mœurs. Y peut-on penser sans frémir?
cette somme donnée si libéralement pour
enirer dans un spectacle publiijue, où l'on
paraltavecelfionterieà la tôle d une troupe
de lemiues mondaines ; cette grosse somme
nindilis. » (S. Rkun., in scrm. Eccc nos reliquimus
c. 17. In ep. ad t'utcunem.)
l-,83 ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT. 1531
(.Hoiulue sur une. Inblc cio jeu est un argent Dieu vous appelle, l'Eglise vous fait con-
sacré qui doit être employé aux usages les naître ses lois, les pauvres vous représentent
plus sainis. Ce char, cet équipage, celle foule leurs nécessités. L'injustice est visible, et
de clomesli(]ues, tout cela est entretenu des ne peut être colorée. Vous ne pouvez plus
dépouilles de l'Eglise. Voilà (ies ecclésia- vous cacher à qui appartiennent les biens
sliques, voilai dos hommes que l'Eglise dont vous vous trouvez en possession. Ren-
Mourril,voilJi l'usage qui se fait des revenus dez justice à qui vous la devez, si vous ne
consacrés au Seigneur, Disons plutôt, voilà voulez pas tomber entre les mains de celui
des hommes sans honneur et sans religion, qui punit l'injustice, et qui prend en main
qui sont l'opprobre de l'Eglise, et contre la cause du pauvre lorsqu'il est 0[)primé.
qui Dieu exercera un jour ses plus terribles Ce que vous avez donc à faire, c'est d'être
vengeances. Que l'Eglise a bien lieu de un tidèle économe, c'est d'être zélé pour le
géaiirl Qu'elle est profondément blessée 1 service du Seigneur, c'est de rem(»lir les
Pleurons ses uiulheurs , comiiatissons à ses devoirs de votre vocation, c'est d'être ecclé-
peines. siastique non point de nom et extérieure-
Mais qu'il nous soit permis d'éloigner ment, mais eu elfel et en vérité; c'est d'ai-
notre vue au moins pour un temps de ces mer votre prochain, de songera ce que vous
tristes objets. Consolons-nous en considé- lui devez, c'est d être louché de la misère
rant ce petit nombre d'ecclésiastiques fi(Jèles, de celui qui soutfre, et d'avoir un cœur
pleins de l'esprit ecclésiastique, [)leins de zèle tendre pour les i)auvres. Par ce moyen vous
pour le service de l'Eglise, qui n'ont en serezau rang des serviteurs fidèles qui sont
venue que de plaire à Dieu, qui s'estiment agréables à Jésus-Christ et qu'il réoompeu-
Irop honorés de consacrer leur temps, leur sera dans l'éternité,
travail, leur vie au service d'un maître si DISCOURS XXIV
puissant. Seigneur, domiez à votre Elglise ^ " ,
un grand nombre de ministres qui soient »^ ^^ perfection de la vie ecclésiastique.
dans ces dispositions. Envoyez avec abon- Vous voilà élevés à une grande dignité,
dance de tels ouvriers dans votre vigne. Vous tenez les premières places dans l'E-
soutenez votre troupeau. Vous voyez le be- glise du Seigneur, J'en vois parmi vous qui
soin qu'il a do conducteurs tidèles, qui lui viennent d'être revêtus du sacerdoce. Or
lassent connaître la sainteté de vos voies, et quoi de plus grand, quoi de plus élevé que
qui l'animent par leur exemple. le sacerdoce de la nouvelle loi? Les autres
L'Eglise ne prétend donc nourrir que ceux à la vérité sont dans des places intérieures,
qui la servent, et qui lui sont utiles. Voilà mais qui sont néanmoins Irès-considerables.
le principe, et de tous ceux que je viens 11 n'y en a aucune dans l'Eglise du Seigneur
d'avancer, vous eu devez conclure que les qui ne soit irès-élevée. De ceux-là même
ccclésiasiKiues, jiour èire de tidèles dis- qui sont dans les places inférieures, il y en
[lensateurs, doivent se contenter de (>eu ; a plusieurs qui, par la miséricorde du Sei-
qu'ils ne doivent jioinl se considérer comme gneur, monteront un jour plus haut, lorsque
eiant maîtres de leurs revenus, mais qu'il:» l'heure sera venue en laquelle ils doivent
les doivent ménager, alin de subvenir aux être apf)elés })ar le père de famille,
besoins de l'Eglise, et suitoutaux nécessités On félicite les hommes, et on se réjouit
des pauvres qui ont un si grand droit sur avec eux, lorsqu'ils parviennent à des di-
les revenus ecciésiaslniues. gnilés temporelles. Je dois donc à plus forte
Voilà les vériiés dont j'avais à vous ins- raison vous féliciter et me réjouir avec
Iruire sur une matière aussi importante que vous. Car autant que le ciel est au-dessus
celle des bénélices; vous avez vu. quelle eit de la terre, autant les places que vous oc-
la porli; et la voie légitime pour entrer dans cupez sont-elles au-dessus des grandeurs
les bénélices. Vous avez vu quel doit être humaines les plus estimées et les plus re-
l'usage de ces saints revenus. cherchées.
Une me reste plus qu'à vous conjurer de Vous êtes grands, vous êtes élevés par la
vous soumettre a des règles si saintes et si place oii le Seigneur vous a mis. Mais avez-
sagement établies. V(jus avez sans doute vous bien pense que les grands honneuis
été elliayés du grand noiïibre de ceux qui sont inséparables des grands devoirs ?Au-
les Iransgresseni. l'ourpeuque vous aimiez tant que vous êtes élevés par la sainteté de
l'Eglise, vous devez être touchés do com- votre caracière, autant vous le devez être
passion pour elle. Consolez celte mère al- par la samteié de votre vie.
iligée. La seule consolalioii qu'elle allend J^ ^^^us conjure, vuus dit saint Paul, de
de vous, c'est que vous suiviez exactement voua conduire d'une manière qui suit digne
les saintes règles qu'elle vous prescrit. de lélal auquel vous avez été appelés. {Eykes.,
Quoi donc I vous laisserez-vous dominer 1^ > l-j Ayez soin, vous dil-il dans un autre
comme les autres par l'aïuour déréglé des endroit, uevous conduire d'une manière qui
richesses de ce monde? Quoi 1 laisserez- «oi< diyne de l h'vunyile de Jésus-Clinsl.
vous croître en vous cette racine enveni- (flulip., 1,21.)
mée, dont les suites sont si funestes ? Vous C'est donc à vous d'examiner quel est
serez grand sur la terre, vous serez riche , l'état auquel le Seigneur vous a appelés, et
vous aurez des satisfactions humaines, et d'en tirer celte conséquence, que vous êtes
Vous serez élcrnellemonl en abomination obligés de tenir une conduite qui réponde
devant Dieu. à la sainteté et à la i)erfeclion de voire état.
RETRAITE ECCLES. — XXIV, PERFECTION ECCL.
1585
Or quelle est celte conduite, qu'est-ce
qu'une vie qui réponde à la dignité de voire
rang, en un mot qu'est-ce qu'une vie ecclé-
siastique? Je prétends vous en instruire
dans ce discours, où je me propose de
traiter è fond de la perfection h laquelle les
ecclésiastiques doivent tendre. Dans la pre-
mière partie je vous ferai voir jusqu'où doit
aller la perfection de la vie ecclésiastique,
et dans la seconde je vous proposerai les
moyens que vous devez embrasser pour
arriver à la perfection de voire élat^
PREMIER POINT.
Dn ecclésiastique doit constamment me-
ner une vie plus sainte que les autres fidè-
les : qui pourrait en disconvenir ?
Premièrement, il est dans un rang plus
élevé, et par conséquent sa vie doit être
plus sainte. C'est un princi()e incontestable
que la sainteté de nos mœurs doit répondre
à l'élévation de notre rang.
En second lieu, un ecclésiastique est plus
instruit : nouvelle obligation pour lui de se
sanctifier. Etre instruit et ne pas profiter
de ses lumières pour se perfectionner, c'est
abuser des dons de Dieu. Il est incontesta-
i)le que toute connaissance qui ne nous
sert pas pour avancer dans la voie que Dieu
nous marque, deviendra pour nous un sujet
de condamnation. Noire-Seigneur dit que
le serviteur qui aura su la volonté de son
maître, et qui n'aura pas fait ce qu'il désire
de lui, sera châtié sévèrement. [Luc, XII, 47.)
Jl leur eût été meilleur, dit saint Pierre, de
n'avoir point connu la voie de la piété et de
la justice, que de retourner en arrière après
l'avoir connue, et d'abandonner la loi sainte
qui leur avait été prescrite. (II Petr., II, 21.)
A quoi donc sert à un ecclésiastique d'avoir
entre ses mains le livre de la loi, si cette loi
divine n'est pas dans son cœur ? La lui
même dont il a été le dépositaire sera la
règle suivant laquelle il sera jugé beaucoup
plus rigoureusement que les autres. Pour-
quoi cela ? parce qu'il a plus connu, et qu'il
a été mieux instruit de la volonté du Sei-
gneur.
En troisième lieu, un ecclésiastique traite
continuellement les choses saintes. Il est
le dispensateur des mystères divins. Traitera-
t-il les choses saintes, dispensera-t-il les
mystères divins avec des mains profanes,
et avec un cœur souillé. Ne serait-ce pas
une continuelle profanation?
Donc un ecclésiastique ne peut se dis-
penser d'être saint, et d'êlre plus saint que
les autres fidèles. Cependant Dieu demande
une grande sainteté dans tous ceux qui se
consacrent à son service. Il s'ensuit de là
qu'il en demande encore une plus grande
dans les ecclésiastiques.
Arrêtons-nous à cette idée. Pour appren-
dre quelle doit être la perfection de la vie
ecclésiastique, établissons quelle doit être
Ja sainteté de la vie chrétienne. Notre
principe sera toujours sûr, et nous ne le
perdrons point de vue, qui est que la vie
tcclésiaslique est au-dessus de la vie chré-
Okateurs sacrés. LXVllI.
Ià86
tienne, et par sa dignité et par ses obliga*
lions.
Pour nous instruire de la sainteté de la vie
chrétienne et de ses engagements, nous al-
lons examiner dans quelle disposition tout
chrétien doit être, 1° à l'égard du péché;
2° à l'égard (i(;s biens de ce monde; 3" h.
l'égard des biens s|)iriluels, c'est-à-dire des
bonnes œuvres. Vous verrez que Dieu de-
mande des dispositions très-parfaites dans
tous ceux qui le suivent, et vous en con-
clurez qu'il veut en trouver encore de plus
excellentes dans les ecclésiastiques.
Voici dans quelle disposition tout chré-
tien doit être è l'égard de ce monstre
énorme qui cause de si grands troubles, je
veux dire le péché.
La foi catholique distingue deux sortes
de péchés. Le mortel qui tue l'âme, le vé-
niel qui la blesse. Les fautes mortelles rom-
pent l'union de l'âme avec Dieu et bannissent
la charité de nos cœurs. Quoique l'âme
tombe dans des fautes légères, elle ne laisse
pas de demeurer unie avec Dieu. Les pé-
chés véniels, quoique opposés à la charité,
ne la bannissent point de nos âmes.
A l'égard des fautes mortelles, selon
saint Augustin, il est dé l'essence de la vie
chrétienne de n'en point commettre. Je
m'explique. Celui qui commet encore des
péchés mortels ne peut point dire qu'il
mène une vie chrétienne. Il n'est point au-
dessus des forces humaines soutenues des
secours de la grâce de régler tellement sa con-
duite, qu'on ne tombe plus dansaucunefaule
mortelle. C'est une perfection à laquelle
tout chrétien doit tendre. Elle n'est point
au-dessus de sa portée. Il ne doit se don-
ner aucun repos qu'il n'ait atteint ce de-
gré de perfection. Quoique le nombre en
soit petit, néanmoins, par la miséricorde
du Seigneur, il y en aura toujours que la
grâce protégera, qui auront le bonheur de
soutenir par une vie sainte le nom de chré-
tien; et ceux-là veilleront avec tant d'exac-
titude que leur vie ne sera point souillée
par un péché mortel.
Je fonde cette vérité sur des principes
solides établis par saint Augustin.
Il est remarquable que saint Augustin
établit cette vérité dans le temps môme
qu'il est obligé de prouver contre les Péla-
giens la malheureuse nécessité oii nous nous
trouvons réduits de ne pouvoir passer le
temps de celle vie sans y commettre un
grand nombre de péchés.
Car un des chefs de l'hérésie de Pelage
était de soutenir que l'homme peut passer
tout le temps de celte vie sans tomber
dans aucun péché.
La nécessité de réfuter cette erreur n'em-
pêche point saint Augustin d'établir forte-
ment cet autre principe de la religion ca-
tholique, qui est que celui-là ne vit point
en chrétien qui commet encore des péchés
mortels.
Ecoulez les paroles mêmes de saint Au-
gustin. Encore que je soutienne que nous
no pouvons ôlro sans péché en ce monde,
4i
iUl
ORATEURS SACRES,
i^ ne s'ensuit pas que nous devions com-
mellre des Fiomicides, des impuretés, ou
les autres péchés mortels qui tuent l'âme
d'un seul coup. Un chrétien qui a une foi
et une espérance vraie et sincère, n'en
eommel point de cette sorte, mais de ceux-là
seulement dont on obtient le pardon en ré-
citant l'oraison que le Seigneur nous a en-
seignée (Î122).
Faites trois observations sur ces paroles
de saint Augustin. Remarquez, première-
ment, que, selon la doctrine de ce Père, le
péché mortel tue l'âme d'un seul coup. H
n'en faut donc qu'un seul pour perdre l'in-
nocence, pour détruire Ja vie de l'ârae, et
j)our lui causer la mort.
Les paroles suivantes méritent une ob-
servation particulière, et c'est la seconde
que je demande de vous. Un chrétien qui a
une loi et une espérance vraie et .sincère,
n'en commet point de celte sorte, c'esi-ài-
dire de ceux qui tuent l'âme d'un seul
coup. Voilà une définition du pécbé mortel
qui ne peut être trop exactement observée.
(>e sont des péchés qu'un vrai chrétien ne
commet [loint.
Remarquez, en troisième lieu, que celui
qui est assez malheureux pour tomber dans
le péché mortel, ne peut prélester sa fai-
blesse. Il ne peul prétexter celle malheu-
reuse nécessité dans laquelle nous sommes
de tomber. Car cette nécessité n'est qu'à
l'égard des fautes mortelles; c'est-à-dire
que nous ne pouvons vivre sans commettre
des fautes légères, parce que nous sommes
faibles; mais nous pouvons vivre, et nous
devons vivre sans commettre des fautes
mortelles, parce que nous sommes chré-
tiens et soutenus de la grâce.
Le même saint Augustin dit, dans un
autre endroit, que celui-là est réputé sans
tache en cette vie qui n'a point de crimes
méritant condamnation, et qui ne néglige
point d'elfucer les péchés véniels par des
uumônes (323).
Saint Augustin demande deux disposi-
tions dans celui qui s'applique à mener une
vie ctirétienne. 11 veut, en premier lieu,
qu'il ne commette jamais de ces péchés qui
mérilent condamnation. Il veut, en second
lieu, qu'il soit exact à effacer les [)échés vé-
niels dont celte vie mortelle ne peul être
entièrement exemple.
Pour confirmer une si importante doc-
trine, il ne sera pas inutile de vous faire
remarquer l'observation de saint Augustin,
quand il nous explique pourquoi l'apôlre
saint Paul, lorsqu'il décrit les qualités que
(32-2) < Non aulem quia dico quod non possumus
hic esse sine peccalo liomicidia lacère delJeiiius aut
ailulleiia, vel cxlera niortilora peccala, quai uno
icui periiiiutit. ïalia non facil bonae li.lei et boiiai
spei Clirisuaniis, sed illa sola qua; quolidian* ora-
Uoiiis peniculo lerganlur. s (Serm. 181, ai. 19, Jte
verbis uposioli.)
(5"i5) < Ingiedi sine macula non absurde dicilur
carens crinunibus dainnabiiibus alque ipsa peccata
venialia non nej^liijeusumndareeleeiuosyais. » (Lib,
JOSEPH LAMBERT. 158g
doit avoir l'évêque, dit qu'il doit élre sans '
crime. }
11 a parlé de crime, dit saint Augustin,
et non pas de péché. Il a dit que l'évêque
doit élre sans crime. 11 n'a pas dit que l'é-
vêque doit être sans péché, il aurait rejeté
tous les hommes, et il n'y en aurait aucun
qui fût assez parfait pour être élevé à ce
sublime rang. Mais l'Apôtre a dit que l'é-
vêque doit être sans crime, c'est-à-dire
sans péché digne de la damnation, dont
tout chrétien doit être exempt. Voilà notre
doctrine clairement établie. Tout chrétien
doit être exempt de crime. C'est par là, se-
lon saint Paul, que l'évêque serait entière-
ment inexcusable, s'il ne travaillait pas à
bannir de sa vie ce qui ne doit jamais se
rencontrer dans la vie de tous ceux qui sont
honorés de la qualité de chrétien (324).
Joignons à ces autorités celle de saint
Eloi, évêque de Noyon, dont la doctrine est
si conforme à celle de saint Augustin. .Le
devoir d'un bon chrétien est de ne point
commettre de crimes capitaux, et de rache-
ter incessamment par le pardon des enne-
mis, et par les aumônes, les péchés véniels
sans lesquels nous ne pouvons être en celte
vie {32S).ObserYez la doctrine constante deces
deux docteurs. Ne point commettre de pé-
chés capitaux, premier fondement de la vie
chrétienne. Travailler sans cesse à effacer
les fautes légères. Second fondement de la
vie chrétienne.
Il estdonc de l'essence de la vie chrétienne
qu'elle soit exempte de péchés mortels.
Mais il n'en est pas de même des fautes vé-
nielles. Il est dit dans l'Ecriture sainle,
qu'il n'y a point d'homme qui vive et qui
ne pèche. {Bom., Vlll , 46.) Saint Jean nous
apprend que si nous osons dire que nous
sommes sans péché, nous nous séduisons nous-
mêmes, et la vérité n'est point en nous. (I
Joan., 1, 8.) C'est de ces principes que saint
Augustin et les autres Pères ont conclu
qu'il n'y a point d'homme sur la terre qui
ne commette au moins des fautes légères.
Cependant, quoique nous soyons assez
malheureux pour ne pouvoir entièrement
nous délivrer du péché, ce serait une né-
gligence très-condamnable, que de ne se
pas appliquer à s'en préserver , sous pré-
texte qu'on ne peut pas entièrement l'évi-
ter. Les mêmes Pères qui ont supposé que
le clirétien quoique fidèle à ses devoirs
tombe souvent, ont aussi supposé que le
chrétien qui est fidèle à ses devoirs se pré-
caulionne continuellement pour ne point
tomber ; c'est-à-dire qu'il n'est pas de l'es-
sence do la vie chrétienne de ne point com-
de perfect. juslitiœ, cap. 9.)
(3ïi4) « Non ail si quis sine peccato est. Hoc eiiim si
dicerel omnis homo reprobarelur, nullus ordiiiare-
tnr. Sed ail: si quii sine crimine est, quae non debel
babere omnis Cbrislianus homo, > (Tract. 41 in
Joannem.
(ùi5) f Capilalia crimina non admittere, minuta
peccala sine quibusesse non possumus, per indul-
getiliain inimicoi um, et eleemosynam pauperum iu-
Ucsineuier redimcre. > (Houi. (i.)
1589
RETRAITE ECCLES.
mettre (le fautes légères; mais il est de IVs-
sence de la vie chrt5tienne de ne pas vouloir
en corcmettre. 11 est de l'essence de !a vie
chrétienne de faire des efforts pour n'en
point commettre.
Vous avez vu comment saint Augustin
veut que l'on efface les fautes vénielles par
des prières, par des aumônes, par le pardon
des ennemis. Voilà les elloVts que l'on doit
faire pour effacer les fautes légères lors-
qu'on y est tombé.
Mais voici les efforts continuels que l'on
doit employer |)Our se préserver autant
qu'il est possible de ces sortes de fautes.
« Faites en sorte, dit saint Augustin, que si
le dernier jour vous surprend , avant que
vous ayez remporté la victoire, au moins il
vous rencontre les armes à la main (326). »
Donc un chrétien doit toujours avoir les
armes à la main pour combattre. Il ne doit
point se lasser, puisque sou combat doit
durer jusqu'au dernier jour.
iRecueillons les propositions dont vous
venez de voir les [ireuves. Il est de l'essence
de la vie chrétienne de ne point commettre
de péchés mortels. Il n'est pas de l'essence
de la vie chrétienne de ne point tomber dans
des fautes légères. Mais il est de son essence
de ne les pas négliger, et de faire des efforts
continuels pour s'en préserver.
Avançons, et, après avoir vu quelles doi-
vent être les dispositions du chrétien à l'é-
gard du péché, voyons dans quels senti-
ments il doit être à l'égard des biens de ce
monde.
Il est certain que les sentiments du chré-
tien, à l'égard des biens de ce monde, doi-
vent être des sentiments d'indifférence , de
détachement, et même de n)épris.
Jésus-Christ a parlé à tous ses disciples ,
et il leur a dit : Quiconque d'entre vous ne
renonce pas à tout ce qu'il a, ne peut être
mon disciple. (Luc, XIV, 33.) Voilh un com-
mandement fait à tous les cnrétiens. Com-
mandement indispensable , puisque , dès
qu'on ne l'accomplit pas , on est retranché
du nombre des disciples de Jésus-Christ.
A quoi nous oblige ce commandement?
à renoncer universellement à tout ce que
nous avons. 11 n'y a donc point d'exception,
et le renoncement doit être général. 11 est
vrai que le Fils de Dieu ne demande pas
un renoncement actuel, et qu'il nous per-
met de retenir les biens qu'il nous a mis
entre les mains, mais on ne peut discon-
venir qu'il n'exige au moins de nous un
renoncement de cœur, que si ce renonce-
ment n'est sincère et véritable, nous n'ac-
complissons point son précepte, et que par
conséquent nous ne sommes point au rang
de ses disciples.
Saint Augustin explique ces paroles du
psaume : Tenez-vous en repos et reconnais-
sez que ie suis Dieu. {Psal. XLV, 11.) Il
(326) « Tanlum proficere eflecla, ut si non te in-
veniai dies ullimus viclorem liiveuiat vel pugnan-
lem. )
(527) « Non ollunt) desidiae, sed otium cogilallonis.
Vocaluf ad oliuni, id e-l, ui ista non diligai, (]u;r di-
XXIY, PERFECTION ECCl.. 1390
dit que Dieu ne veut point de nous, h moins
que nous ne soyons dans une espèce de
repos. Il dit que ce repos doit absolument
se rencontrer dans le chrétien, et que sans
cela il ne peut a|)partenir à Dieu. En quoi
donc consiste ce repos, et quelle en est la
nature? Ce n'est pas, dit saint Augustin,
un repos tel que celui qui a tant de char-
mes pour les hommes qui languissent dans
la paresse. Ce repos, que le chrétien doit
rechercher, est une précieuse tranquillité
que l'on ressent quand on a détaché soa
cœur de tous les biens terrestres (32t). Il
est impossible de les aimer sans s'exposer
à de très-grands embarras et sans se livrer
à des peines très-cuisantes. Détacher son
cœur des biens de ce monde, c'est rompre
ses fers et briser ses chaînes. Par là nous
parvenons à la liberté des enfants de Dieu;
notre cœur, se trouvant vide de toute autre
affection, est en état de posséder Dieu et
de se remplir de lui. C'est pour lors véri-
tablement que nous jouissons d'un repos
parfait.
Quelle différence entre le repos d'une
âme qui est unie à Dieu et entre les agi-
talions continuelles de celui dont lo cœnr
est possédé par l'amour funeste des biens
de ce monde? Pourquoi ne fail-on pas plus
d'attention à l'heureuse tranquillité de l'un,
aux tourments inutiles de l'autre? C'est
que l'on n'examine point assez la différence
extrême qui se trouve entre le bien inlini
et les biens créés.
Le précepte du Seigneur est-il difficile h
accomplir ? Est-il difficile de se détacher
des biens de ce monde? Ce renoncement
de cœur que Jésus-Christ demande à tous
les chrétiens est-il pénible et rigoureux?
Non, ce précepte n'est difficile que pour
ceux qui n'examinent point la distance in-
finie qui se trouve entre le souverain bien
et les biens créés. Quand on considère que
l'attachement aux biens créés est un obs-
tacle à la possession du bien infini, bien
loin qu'il paraisse amer de se détacher des
biens de la terre, au contraire le chrétien
demeure convaincu que Dieu est infiniment
miséricordieux, d'exiger si peu de choses
de ses créatures, et de leur accorder une
récompense d'un si grand prix. Ce qui fai-
sait dire à Tertullien : « Pensez aux biens
célestes, et il ne vous sera pas dillicile du
mépriser les biens de la terre (328)*. »
Voilà donc en quelle disposition le chré-
tien doit être à l'égard des liiens de ce
monde. H lui est essentiel d'en détacher
son cœur. Il doit avoir pour eux de l'indif-
férence et même du mépris.
Avançons encore un dernier principe
dont il est très-important que vous soyez
convaincus pour connaître l'essence do
la vie chrétieime.
Il est de l'essence de la vie chrétienne
ligi &ine labore non possunt. » {De vera religionct
cap. 3j.)
(328) < Cœlesiia recogila cl lerrena despicies. »
(Lil>. I Ad uxor., c. 5.)
i3or
d';imassor pendant celle vie un grand nom-
bre de bonnes œuvres. L'on ne p( iH point
dire qu'un lioinmemène une vie chrétienne,
<jue lorsque sa vie est sanctifiée par beau-
coup de bonnes actions, dont il est obligé de
faire une sage provision pour les présenter
à Dieu quand il comparaîtra devant lui.
Où est le fondement de celte vérité? Il
est dans les saintes Ecritures. Ecoutez avec
fllienlion, c'est le Fils de Dieu lui-même
qui va parler : Tout arbre qui est bon, pro-
duit de bons fruits. Tout arbre qui est mau-
vais, produit de mauvais fruits. Tout arbre
qui ne produit point de bons fruits sera
coupé et jeté au feu. {Matth.y VllI, 17.);Quels
sont les arbres qui produisent de bons
fruits? Ce sont les chrétiens fidèles qui,
s'appliquant sérieusement à leur devoir, ont
soin de servir Dieu dans leur état. Ce sont
les chrétiens qui pensant au compte qu'ils
doivent rendre, vivent dans une pratique
exacte de toutes les vertus, aliu de ne se
pas trouver dépourvus quand ils paraîtront
devant leur juge. Ceux qui vivent dans la
négligence de leur salut, ceux qui ne tra-
v<nllent 'point pour l'élernité, ne sont-ils
pas de ces arbres infructueux qui ne pro-
duisent point de bon fruit? Que doivent-
ils donc devenir un jour? Selon la maxime
infaillible de Jésus-Ciirist, ils seront cou-
pés et jetés au feu.
Jésu5-Christ vous dit encore : Faites-vous
des trésors dans le ciel, {Matth., VI, 19.) Se
faire des trésors sur la terre, c'est amasser
«les sommes considérables. On ne dit point
c|u'un .homme qui laisse peu de richesses,
ait amassé des trésors. On sait jusqu'où
vont les artifices honteux que les avares
emploient pour satisfaire le désir immense
qu'ils ont d'amasser richesse sur richesse.
On ne se fait donc des trésors dans le ciel
«|ue lorsqu'on amasse un grand nombre
d œuvres chrétiennes. On ne [»eut pointdire
<pje ceux qui font peu de bonnes œuvres,
«|ue ceux qui ne se portent à ce qui est de
leur devoir qu'avec lâcheté et avec paresse,
amassent des trésors. Pour en amasser selon
Jes intentions de Jésus-Christ, il faut que
l'on remarque en vous de saintes ardeurs,
des désirs empressés, du zèle, de la fer-
veur.
Comptez vos bonnes œuvres; le nombre
en est peiit. Vous marchez lentement dans
le chemin de la vertu. Vous perdez des oc-
casions précieuses que Dieu vous présente,
et que vous ne trouverez pas aisément. Que
vous êtes éloignés d'entrer dans les desseins
de Jésus-Christ etjugez vous-mêmes si l'on
jteut donner le nom de trésor à un aussi
petit nombre de bonnes œuvres, et aussi
imparfaites que les vôtres.
Mais comment n'appréhendez-vous point?
Comment n'étes-vous point remplis d'in-
qu'études ? Connaissez-vous les suites mal-
lieureuses d'une vie inutile el destituée de
b.unnes œuvres? Vous avez déjà vu que
l'arbre qui ne produit point de bon fruit sera
coupé cl jeté au feu. {Matth., 111,10.) Ecoutez
encore la sentence terrible prononcée contre
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
le serviieur inutile
iWt
Qunn jette le serviteur
inutile dans les ténèbres extérieures. (Matth
XXV, 30.)
A quoi tend la parabole du figuier? {Marc ,
XI, 13.) Quels ont été les desseins de Jésus-
Chrisl, et qu'a-t-il voulu nous apprendre?
Lisez pourquoi le figuier est arraché. Jésus-
Christ y a cherché du fruit, el il n'en a point
trouvé. Jésus-Christ cherche en vous des
bonnes œuvres. C'est le fruit qu'il veut que
vous portiez. S'il n'en trouve point, à quoi
devez-vous vous atlendrf ?
Vous êtes en cette vie, vous devez en
sortir bientôt. La mort frappera son coup.
Alors vous serez universellement abandon-
nés. Vos œuvres seules vous accompagne-
ront jusque dans le tombeau. {Apoc, XIV,
13.)
Ce sera pour lors le temps de recueillir.
Maisqueile récolte aurez-vous à faire, si vous
n'avez point semé? L'Apôtre vous a enseigné
que l'homme ne recueillera que ce qu il aura
semé. {Gai., VI, 8, 2 ; Cor., IX, 6.) Semez donc,
si vous voulez recueillir. Semez avec abon-
dance, si vous voulez recueillir avec abon-
dance.
L'arbre qui ne porte point de fruit sera
coupé et jeté au feu. Faites-vous des trésors
dans le ciel. Qu'on jette le serviteur inutile
dans les ténèbres extérieures. Pourquoi l'arbne
infructueux occupera-t-il la terre inutile-
ment? L'homme à la mort n'est suivi que de
ses œuvres. L'homme ne recueillera que ce qu'il
aura semé. En examinant ces principes,
peut-on s'empêcher d'apercevoir la vérité
importante que j'ai prétendu établir, qui est
que l'homme est obligé d'amasser un grand
nombre de bonnes œuvres, pendant qu'il
est sur la terre?
Jusqu'à présent je ne vous ai parlé que
des obligations qui vous sont communes
avec tous les chrétiens. Je me suis contenté
de vous apporter les principes généraux de
la vie chrétienne. Souffrez maintenant que
je vous les applique, afin que je vous donne
l'idée de la vie ecclésiastique que vous
êtes obligés d'embrasser. Ayez toujours
devant les yeux ce grand principe , qui
est que les ecclésiastiques sont obligés de
mener une tie plus parfaite que les autres
fidèles.
La vie chrétienne doit être exempte de
péchés mortels. Un chrétien qui a une foi
et une espérance vraie et sincère n'en com-
met point de cette sorte. Le péché mortel
a donc encore une plus grande incompati-
bilité aVec la vie ecclésiastique. Tout
homme qui en commet encore est indigne
d'être appelé ministre de Jésus-Christ. Il
profane le saint caractère dont il a été mar-
qué. Sa vie n'est pas même chrétienne :
comment serait-elle ecclésiastique?
Etre ministre de Jésus-Christ, approcher
de ses autels, consacrer son corps , s'en
nourrir, le distribuer aux fidèles, leur com-
muniquer la grâce par le moyen des sacre-
ments, les délier de leurs péchés, leur an-
noncer les vérités du salut : et commettre
encore des péchés mortels 1. Peut-on se pei-
1303
RETRAITE ECCLES. — XXIV, l'EUFECTION ECCL.
139^
suailerqu'il soit possible d'accorder ensemble
des choses si opposées?
Il n'y a rien dans un prêtre qui ne soit
sanctitié, qui ne soit consacré à Dieu d'une
manière particulière. Comment donc n'a-l-il
point horreur de souiller par le péché mor-
tel ce qui appartient à Dieu, et ce qui ne
doit être employé que pour lui? Sa langue
est consacrée par les cantiques qu'elle
chante à la gloire du Très-Haut, par ces pa-
roles redoutables qui ont la force de faire
descendre Jésus-Christ sur la terre. Com-
ment se peut-il résoudre à souiller celte
même langue en proférant des médisances,
quelquefois même des [)aroles ou bouffonnes
ou équivoques? Les mêmes yeux qui ont
vu Jésus-Christ au saint aulel s'attacheront
ensuite à des objets qui inspireront la vanité,
ou qui enflammeront la convoitise ! Les mê-
mes mains quifont touché le corps très-purde
Jésus-Christ seront profanées dans les assem-
blées dejeu, ou dans leslieux de libertinage 1
Lemême esprit qui s'est occupé des plus au-
gustes mystères de noire religion méditera
ensuite des simonies et des pactes illicites
pour obtenir des bénéfices ! Si un prêtre
connaissait ce qu'il est par son caractère, ce
qu'il devient parle péché mortel, il serait
effrayé des outrages qu'il fait à Dieu, des
profanations qu'il commet, et il aurait hor-
reur de lui-même.
Non-seulement un prêtre doit avoir un
très-grand éloignement ()()ur le péclié mor-
tel, mais il doit être exact à éviter jusqu'aux
moindres fautes. Il est vrai que l'homme le
plus vigilant ne peut pas entièrement se ga-
rantir du péché ; mais il n'est pas moins vrai
que celui qui veut s'acquitter de ses de-
voirs, est toujours sur ses gardes, et qu'il
apporte toute sor'.e de précautions pour se
préserver du péché.
Je vous ai fait voir que celui qui veut me-
ner une vie chrétienne est obligé de faire
des efl'orls continuels, pour éviter môme
les fautes légères. Il n'y a point de doute
que les ecclésiastiques sont obligés de faire
de plus grands efforts, et de veiller sur eux-
mêmes avec plus de soin que les autres fi-
dèles.
Plusieurs constamment sont trop subtils à
distinguer entre les fautes légères, et les
fautes grièves. Ce ne sont point, disent-ils
des fautes mortelles. Quelle malheureuse
excuse pour persévérer dans des dérègle-
ments, dont souvent on se cache h soi-même
la malignité et les suites funestes? Quand
on est dans ces dispositions, il y a tout lieu
de craindre qu'on ne soit au rang des es-
claves qui craignent la peine et qui n'ap-
préhendent point assez d'irriter un Dieuqui
mérite tout notre amour.
Les enfants de Dieu marchent avec plus
de simplicité. Il suffit de leur «lire , c'est un
f)éché. Aussitôt ils sont elfrayés. Le moin-
dre péché leur fait horreur. En se donnant
(529) I Non est magnum si in liis maiicain venia'
libiis niiiiiuiisfiiie ptcciilis. H;im; csi enim itiip(ciii-
leniia, iixt blasphcmia in Sitiriium «antlum, h;ei:
îi Dif-u Ils se sont engagés h lui garder une
fidélité parfaite. Ils ont appris de Jésus-
Christ, (]ue celui qui sera fidèle dans tes peti-
tes choses, sera aussi fidèle dans les grandes,
et que celui qui est injuste dans les petites
choses sera aussi injuste dans les grandes.
(Luc, XVI, 10) (329.)
Saint Bernard met une grande différence
entre les fautes légères commises par fragi-
lité, et celles qui ont pour principe une in-
corrigibilité volontaire. Qu'on ne dise point
en soi-même, s'écrie saint Bernard, ces fau-
tes sont légères, et je ne me mets pas en
peine de les commettre, ni de m'en corriger.
Ces péchés étant petits et véniels, il n'est
pas fort im[)ortant de travaillera en purifier
mon âme. Cela même est une impénitence,
c'est un blas[)hème contre le Saint-Esprit;
c'est un blasphème irrémissible.
De là vient que saint Chrysostome (hom.
87 in Matth.) soutient que quelquefois il
est nécessaire de s'apfiliquer avec plus do
soin à éviter les petits |)échés que les grands.
La raison de ce Père, c'est (]ue les [)échés
considérables nous inspirent de l'horreur
par eux-mêmes; mais les petits péchés sou-
vent ne nous effrayent pys assez. Nous de-
meurons dans une véritable paresse. Nous
ne nous elforçons pas de les détruire; et
il est fort à craindre que par notre négligence
les petits péchés ne nous entraînent dans
des fnutes considérables.
Soyez donc persuadés que votre vie ne
sera point ecclésiastique , à moins qu'elle
ne soit exempte de [)échés mortels, et que
vous ne vous appliquiez avec soin à éviter
jusqu'aux moindres péchés.
J'ai dit, en second lieu, que tout chrétien
doit avoir un grand détachement pour tou-
tes les choses de ce rûonde. Il est sans duute
que ce détachement doit être encore plus
grand dans les ecclésiastiques.
Le caractère ecclésiastique demande de
grandes vertus. Ce n'est que l'assemblage
de toutes les vertus qui peut faire un digne
ministre de Jésus-Christ. Mais néanmoins
si parmi toutes les vertus il y en a quel-
qu'une qui soit préférable aux autres, et
qui doive être particulièrement recherchée,
n'est-ce pas surtout le désintéressement?
Le désintéressement est une vertu que
le Fils de Dieu a Irès-élroilement recom-
mandée à ses ministres. Le désintéressement
est une vertu sans laquelle il est très-difii-
cile que les ministres du Seigneur exercent
leurs fonctions avec fruit.
Comment le Fils de Dieu a-t-il parlé à ses
apôtres quand il les a choisis , et quand il
leur a expliqué les dispositions dans les-
quelles ils doivent être pour exercer digne-
ment les fonctions de ra|)Osf(»lal. Ne vous
mettez point en peine d'avoir de l'or ou de
l'argent , ne prt'parez pour le chemin ni sac,
ni deux habits, ni souliers, ni bdlan. [Matth.,
X , 9. )
blaspliomia iricmissilMlis. » (S. BEitri , scrm. 1 X>*
cviiieihiuuc S. l'auli.)
4395
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT,
1396
Remarquez dans ces paroles l'esprit de
Noire-Seigneur Jésus-Christ. Voyez jus-
qu'où i! a voulu que les apôtres portassent
le détachement. Un homme rempli de désirs
terrestres, possédé de l'amour des biens de
ce monde, est-il en état d'exercer un mi-
nistère pour lequel le Fils de Dieu a de-
mandé un si parfait détachement dans ceux
qui y ont été élevés les premiers ?
Les apôtres n'ont point été effrayés des
paroles de Notre-Seigneur. Ils n'ont eu au-
cune peine à accepter les conditions qu'il
leur proposait. El-les ne leur ont ()aru ni trop
diniciles, ni trop dures; ils ont si parfaite-
ment entré dans l'esprit de leur Maître ,
qu'ils ont pu lui dire |»our lui marquer leur
obéissance : Pour nous, vous voyez que nous
avons tout quitté, et que nous vous avons sui-
vi. (Mo»/i., XIX, 27.)
Pans les paroles que le Fils de Dieu adres-
se à ses a[)ôlies, il faut exacleraenl distin-
guer la disposition du cœur, où il voulait
Qu'ils entrassent, et ce qu'il leur ordonnait
(l'exécuter pour marquer la disposition de
leur cœur. J'avo;ie que le Fils de Dieu ne
nous oblige pas d'observer à la lettre ce que
les a[iùtres ont si généreusement accompli.
Mais il nous est indisfiensable d'entrer dans
l'esprit de Jésus-Christ. Pouvons-nous moins
faire que dedélacher f)arfailement nos cœurs
de toutes les choses do la terre, et n'aurons-
nous pus encore sujet de nous humilier
beaucoup, en considérant combien nous de-
meurons en ariière, et combien il s'en faut
que nous approchions de l'état p.irfait où ont
vécu les premiers ministres de Jésus-Christ.
Le Sauveur du monde nous en demande
beaucoup moins qu'à ses apôtres. Cependant
où sont ceux qui lui obéissent et qui entrent
dans son esprit ?
Ceux-là peuvent-ils dire qu'ils ne se met-
tent point en peine d'avoir de l'or et de l'ar-
gent , qui aspirent à l'état ecclésiastique
pour avoir des bénéfices, qui courent après
les bénélices avec [ilus d'ardeur que les oi-
.seaux voraoes ne londent sur leur proie, qui
dans les emplois ecclésiastiques considèrent
le revenu , et nullement les services qu'ils
peuvent rendre à l'Eglise, qui , n'examinant
point combien les bénéfices sont un pesant
fardeau , les poursuivent et les briguent
comme un asile pour tinir leur misère, et
pour vivre plus commodément?
Les apôtres ont tout qnilté pour suivre
le Sauveur. Mais maintenant, par un ren-
versement déplorable, on suit le Sauveur
pour trouver dans son service les douceurs
et les commodités de la vie. De là il arrive
que les fondions ecclésiastiques sont exer-
cées si indignement el avec si peu de fruit.
On ne peut douter que le généreux désin-
téressement des hommes apostoliques ne
leur ait donné beaucoup de facilité pour
faire en très-peu de temps ces nombreuses
et étonnantes conquêtes , qui font encore
présentement l'objet de notre admiration.
Ceux-là qui entreront dans l'esprit de saint
l*aul, qui prendront garde à n'être jamais à
charge à personne, i]ui feront consister leur
gloire à renoncer à toute prétention, qui
témoigneront par toute leur conduite qu'ils
cherchent le salut des âmes et nullement les
biens terrestres, édifieront toujours l'Eglise,
et remporteront beaucoup de fruit. (Il Cor.,
XII, 13, H;! Cor., IX, 15.)
Mais au '".ontraire, les ouvriers intéressés,
toujours avides, toujours affamés, pleins de
désirs, qui rendent des déférences aux hommes
selon qu'il est utile pour leur intérêt (Jud.,
IC), qui cherchent à s'engraisser, et qui
n'ont que de l'indifférence pour l'ouvrage
du Seigneur, seront toujours scandaleux, et
détruiront au lieu d'édifier.
Il est donc encore essentiel pour mener
une vie ecclésiastique de détacher parfaite-
ment son cœur de tous les biens de la terre.
Enfin je soutiens que la vie ecclésiastique
doit être fertile en bonnes œuvres. Tout
chrétien doit amasser des bonnes œuvres,
je vous l'ai fait voir. Les ecclésiastiques sont
obligés de faire encore un plus grand amas
de bonnes œuvres que les autres fidèles. Je
vous donne pour vous en convaincre à mé-
diter les paroles du Sauveur: On demandera
beaucoup à celui à qui on a donné beaucoup,
et on fera rendre un plus grand compte à
celui à qui on aura confié plus de choses.
(Luc, XII, '1^8 ) A qui le Fils de Dieu donne-
t-il davantage qu'aux ecclésiastiques? Ils
sont ses minisires, ils approchent déplus
près de ses autels, ils sont les dispensateurs
de ses mystères. 11 serait difficile de conce-
voir des pouvoirs [)!us étendus que .ceux
qui leur sont confiés.
Jésus-Clirist vous donne beaucoup, donc
il vous redemandera beaucoup. 11 vous re-
demandera plus de prières, (dus d'œuvres
de mortification, plus d'actions de charité,
{ilus d'aumônes , plus d'actions d'humilité.
C'est à vous de croître en justice, et d'aug-
menter tous les jours le nombre de vos
bonnes œuvres. Par ce moyen vous vous
ferez destrésors dans leciel.vous deviendrez
de bons arbres qui produisent de bon fruit.
De tous les principes que j'ai établis, il
s'ensuit que la vie ecclésiastique est une
vie exempte de fautes mortelles, et appli-
quée à déraciner jusqu'aux principes des
fautes les plus légères. C'est une vie déta-
chée de tous les choses de la terre.. C'est une
vie fertile en bonnes œuvres.
Il n'est pas aisé d'entrer dans ces senti-
ments, et de se ^perfectionner jusqu'à ce
point, à moins que l'on ne prenne de justes
mesures, el que l'on ne choisisse des moyens
sûrs. C'est de ces moyens que Dieu nous a
laissés pour arriver à la perfection de notre
état, dont j'ai à vous entretenir dans la se-
conde partie de ce discours,
DEUXIÈME POINT.
Le premier moyen que je vous pro-
pose pour mener une vie ecclésiastique,
c'est de bien connaître ce que c'est que
l'état ecclésiastique et quels en sont les
engagements. Rien n'est plus commun
dans le monde que d'avoir une fausso
idée de cet état. De là il arrive que
plusieurs s'y engagent témérairemeul. S'év
1397
RETRAITE ECCLES. - X\IV. PERFECTION ECCL.
1598
tant engagés sans avoir eu soin de s'ins-
truire, ils vivent dans une malheureuse
tranquiiiilé, iis sont ecclésiasliques et n'en
remplissent aucun devoir. Les ténèbres qui
leur couvrent les yeux leur caciient la mi-
sère de leur élal. Qu'est-ce qu'ils sont aux
yeux de Dieu? Des hommes très-criminels
tfès-déréglés, et qui sont dans un péril très-
prochain de se perdre pour l'éternité?
Pour bien connaître ce que c'est que
l'état ecclésiastique , soyez d'abord con-
vaincus que ceux-là sont dans une très-
grossière erreur qui considèrent l'état ec-
clésiastique comme un ;état commode.
Celui qui s'en forme une aussi fausse idée
n'a f)as la moindre notion de la conduite des
saints et des maximes qu'ils ont établies.
Quelle a été la conduite des saints ? Ils
ont tremblé, ils ont fui, ils se sont déliés
d'eux-mêmes, ils se sont continuellement
reprochés des manquements et des fautes
considérables dans l'administration qui leur
avait été confiée. Pourquoi tremblaient-ils,
s'il n'y a rien dans l'état ecclésiastique qui
lie tlatte les hommes ? Pourquoi fuyaient-
ils, si l'état ecclésiastique n'est environné
d'aucuns périls ? Pourquoi se détiaient-ils
d'eux-mêmes pendant que des hommes
sans talents, ne trouvent presque aucune
ditliculté dans l'exercice des fonctions les
I)lus importantes ? Pourquoi ces inquiétu-
des et ces remords ? On en voit un très-
grand nombre dont les travaux sont cons-
tamment très-légers en comparaison de
ceux des saints, et qui néanmoins s'applau-
dissent à eux-mêmes, et s'imaginent pou-
voir trouver place parmi les ministres les
plus zélés.
Non, non, les saints ne se sont point
trompés. Toutes leurs alarmes et leurs dé-
liaijces n'avaient qu'un trop légitime fonde-
ment. Ils voyaient, et les autres sont des
aveugles. Ils voyaient que tout homme qui
se recherche soi-même dans l'étal ecclésias-
tique, agit directement contre les intentions
que lebauveura eues, quand il a établi des
ministres pour exercer son œuvre. Ils
voyaient que c'est sepro])Oser un très-perni-
cieux motif que de s'engager dans le saint
luinistère par des vues temporelles et par
tics considérations liumainus. Ils voyaient
que c'est uianifestement se perdre que de
s'engager dans un état et n'en pas remplir
exactement les fonctions. Ils apercevaient
dans les fonctions ecclésiastiques un grand
nombre de dillicultés qui les rendent redou-
tables même aux plus habiles et aux plus
/fiés. Quand ils portaient plus loin leur
vue, ils considéraient comme déjà proche
te jour terrible oiî les ecclésiastiques ren-
uruui compte de leur temi»s, de leurs biens,
de leurs occupations, de kurs emplois, de
leuis propres fautes, et d'une lulinilé d'au-
tres auxquelles leur ministère les oblige
iJaj'porier remède. Parce que les aveugles
qui Ile connaissent punit Je péril croient
être en sûreté; ceux qui sont éclairés, et
qui voient clairement de véritables itérils,
i^e treiiililcruul-ils pas ?
Les maximes des saints se sont parfaite-
ment accordées avec leur conduite, ils ont
tous communément établi que le sacerdoce
est un poids et un fardeau accablant, que
c'est une présomption et une témérité que
de vouloir soi-même se charger d'un si pe-
sant fardeau, que tout ce que peut faire un
homme qui connaît sa faiblesse, c'est de so
soumettre aux ordres de Dieu, lorsqu'ils
lui sont manifestement connus.
Voilà les vérités que les ecclésiastiques
ne peuvent avoir trop présentes. Car de là
que concluront-ils ? Que l'état ecclésiasti-
que renferme de très-grandes obligations.
Un ecclésiastique par rapport à lui-même
est obligé de vivre dans une grande sainlet»',
et ce n'est que par la sainteté de sa vie qu'il
peu tsoutenir la sainteté de son caractère.
Un ecclésiastique se doit tout entier au
prochain. Dieu ne lo met au rang de ses
ministres qu'afln qu'il cherche ses frères
et qu'il travaille incessamment, selon la me-
sure de ses talents, à conduire les hommes
dans la voie du salut. Peut-on connaître
ces vérités, avoir la crainte du Seigneur,
et ne pas trembler, et ne pas agir, et ne
pas faire tous ses efforts pour remplir des
obligations si étroites et si importantes ?
La vérité connue fait impression, et tou-
che le cœur ; mais la vérité s'eU'ace et s'ou-
blie, à moins que nous n'ayons soin par
des réflexions souvent réitérées de rappel-
ler dans nos , esprits les saintes maximes
dont nous avons été touchés. C'est ce qui
fait que je vous propose pour second moyen
de faire souvent des reflexions sur vous-
mêmes, sur votre étal, et sur vosobligations.
Vos réflexions doivent êtres suivies de
résolutions, parce que, comme nos réflexions
s'évanouissent, nos résolutions de même
sont vacillantes et incertaines. Ainsi nos
réflexions et nos résolutions ont également
besoin d être souvent réitérées.
Un ecclésiastique fidèle, pour empêcher
que ses réflexions ne soient passagères,
pour rendre ses résolutions fermes et
constantes, prend tous les jours un cer-
tain temps., dans lequel l'espril, libre de
soin, médite sérieusement devant le Sei-
gneur ce qu'il est, et ce qu'il est obligé da
laire. Je ue puis assez vous expliquer l'im-
portance de cet exercice, je ne puis assez
vous animer à y être fidèles.
Consultons l'expérience. A quels dérègle-
ments ne s'abandonnent pas ceux qui vi-
vent sans réflexion ? Lorsque nos devoirs
ne nous sont pas présents, la cupidité qui
est ennemie de toute contrainte, et qui
n'est point combattue par la réflexion, ne
devient-elle pas la maîtresse ? Les armes
les plus fortes que Dieu nous ait mises entre
les mains pour résister aux eflorls conti-
nuels do nos passions, sont l'es réflexions
sur la vérité, la conviction de la vérité, e'.
les saintes résolutions que nous inspire la
connaissance de nos devoirs.
Examinons la conduite des i/Ociesiasti-
ques qui sont fidèles, nous verrons que ce
(jui les soutient, c'est lamédiiation de leurs
1399
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMbthl.
1400
devoirs, c'est leur vigilance, c'est le soin
exact qu'ils ont de former des résolutions
selon leurs besoins, c'est l'attention avec
laquelle ils s'observent eux-môraes.
A [leine recueitle-t-on du fruit, lorsque
l'arbre est cultivé avec soin, et avec beau-
coup de travail ? Quelle espérance donc y
a-t-il d'eu recueillir, lorsque l'arbre est né-
gligé, et qu'on ne se donne aucune peine
pour travaillera le rendre fertile ?
Une des exhortations qui nous est le
plus souvent réitérée dans l'Ecriture sainte
c'est de rentrer en nous-mêmes, de faire de
sérieuses réflexions sur nous-mêmes, de
méditer nos devoirs. Mon fils, nous dit le
Sage, écoutez mes discours, prêtez roreille
à mes paroles. Est-ce assez ? Quelles ne par-
tent point de devant vos yeux, conservez-les
au milieu de votre cœur. (Prov., IV, 20, 21.)
Le Sage conçoit bien que des paroles en-
tendues ne produisent pas un grand eftVt,
si l'on n'a soin de fortitier les premières
impressions par des réflexions sérieuses,
et souvent réitérées. De là toutes les pré-
cautions que le Sage prend pour nous faire
entendre combien il nous est important que
les lois de Dieu nous soient continuelle-
menl présentes.
Il veut que nous fassions de la médita-
tion de la loi de Dieu notre première pen-
sée à notre réveil, (/'row.. VI, 21, 22.) Il
veut que quand nous sommes dans le clie-
luin, nous ne permettions point à notre es-
prit de se remplir de pensées inutiles, mais
que nous l'occupions saintement par la mé-
ditation de la loi de Dieu. Il veut que nous
conservions la loi de Dieu écrite, et que
nous la poriionscontinuellement avec nous.
Mais il veut qu'en la portant écrite exté-
rieurement, ce soit un moyen pour l'impri-
mée dans nos cœurs, et c'est là particulière-
ment Qii il veut qu'ellesoit gravée. Cet exer-
cice, selon le Sage, doit être continuel. Jugez
par là de sa nécessité.
La raison du Sage est excellente. C'est
que le commandement est une lampe. La loi
est une lumière. [Prov., VI, 23.) Votre parole,
dit David, est une lampe qui éclaire mes pas
et la lumière qui luit dans les sentiers où je
marche. [Psal. CXVIJI, 105.) Ce n'est point
assez pour ne point tomber d'avoir vu la lu-
mière. Si après l'avoir vue on s'éloigne d'elle
etquel'on marehedansles ténèbres, on court
risque de faire de très-dangereuses chutes.
La grande raison qui nous oblige à la
méditation continuelle de la vérité, c'est
que nous avons besoin d'être toujours gui-
dés et de voir toujours la lumière. Nous
méditons la vérité, elle nous [)laîi, elle
nous touche, nous nous animons à la sui-
vre, et nous en prenons la résolution. Mais
bientôt après nous nous dissipons, lavéïiié
ne nous lra[)pe plus, nos résolutions s'éva^
nouissant, nous devenons seujblablesà cet
homme dont parle saint JaC(iues, qui jetttt
les yeux sur son visage qu'il voit dans un mi-
roir, et qui, après avoir jeté les yeux, s'enva>,
et oublie à l'heure même quel il était. {Jac.\.,
I, 23.) Il n'y a point d'autre voie |>our stt
préserver de ce malheur, que d'être attentif
de méditer souvent, et de renouveler ses
résolutions. Celui-là, liii saint Jacques, qui
regarde fixement la loi de Dieu, qui. demeure
attentif à la considérer; celui-là n'écoulant
pas seulement pour oublier aussitàt , mais
faisant ce qu'il écoute, est vraiment heureux.
[Ibid., 25.)
Que vous trouveriezde facilité à remplir
tous vos devoirs, si vous pouviez vous ac-
coutumer à avuir, ou toujours, ou souvent
Dieu présent devant les yeux.
C'est la grande louange d'Hénoch dont la
sainteté a été si parfaite, qu'il est le seul
entre tous les liommes avec Elle , que Dieu
ait jugé digne de ne point mourir. H a mar-
ché avec Dieu {Gen., V, 24-); c'esl-à-dire il
a eu Dieu présent dans toutes ses actions.
Dieu dit à Abraham : Marchez en mapré-
sence, et soyez parfait. (Gen., XVll, 1.) 11 lui
marquait par ces paroles , qu'il n'y avait
point de moyen plus propre pour le sanc-
tifier et pour le remlre parfait.
Job nous dit {IX, 28), qu'il se conduisait
dans toutes ses actions comme un homme
à qui Dieu a fait la grâce de le pénétrer de
sa crainte.
David était exact h avoir toujours le Sei-
gneur présent. (Psal. XV, 8.) Il était à sa
droite, et c'est ce qui faisait qu'il n'était
point ébranlé.
Un prophète nous a dit : O homme I je
vous dirai ce qui vous est utile , et ce que le
Seigneur demande de vous. [Mich., VI, 8.) Le
Itropliète continue : 11 demande de vous que
vous marchiez en sa présence avec une vigi-
lance pleine de respect. [Ibid.)
Heureux celui qui a son Dieu continuel-
lement présent. 11 ne manque point, [larce
que son Dieu le conduit; il aime ses de-
voirs', parce qu'il aime celui qui les lui
prescrit ; il soulfre avec patience, parce que
son Dieu le console; s'il tombe, il se re-
lève aussitôt, parce que son Dieu le re-
dresse; il ne désire rien, parce qu'il pos-
sède son Dieu, et Dieu est son tout ; il
méprise les choses de ce monde, |)arce
qu'il ne perd point de vue un bonheur qui
est au-dessus de tout ce qu'il y a de plus
éclatant dans le monde; il mérite conti-
nuellement, parce que toutes ses actions
sont autant de sacritices qu'il olfre à son
Dieu; il prie sans interru[)tion , et ainsi il
exécute le commandement que Jésus-Clirist
nous fait de prier sans cesse. [Luc, XVJIl,
3.) Ellorcez-vous d'avoir Dieu continuelle-
ment présent. Cette sainte pratique vous
sera^d'un merveilleux secours pour rem-
plir tous vos devoirs et pour avancer dans
la perfection de votre état.
- [jh troisième moyen pour mener une vie
ecclésiastique, c'est l'emploi du temps. Un
ecclésiastique qui vit dans l'oisiveté ne peut
éviter de se perdre. 11 est semblable aux
eaux dormantes i\m se corrompent et qui
croupissent, au lieu que celui qui s'occupe
est semblable aux eaux courantes qui ne se
corrompent jamais. C'e^t dans l'oisiveté que
naissent les désirs criminels, l'esprit d'im-
tm
RETRAITE EGCLES. — XXIV, PERFECTION ECCL.
1402
pi^nilenre, l'amour des plaisirs, l'aversion
de ses devoirs.
Le Sai^e dit que celui qui laboure sa terre
fera rassasié de poin , mais celui qui ne veut
rien faire est très-insensé. (Prov., XII , 11. )
Le oœiirde l'Iioimne est véritablement une
terre mnudile et inj^rale. Ce n'est que par
un travail assiilu que cette terre ingrate
peut devenir fertile et produire de bons
jfruits.
Les Juifs, dans VExode (XX-XII, 6), ne
sont appliqués qu'à de vains divertisse-
ments. De là naissent ces jeux profanes que
le Saint-Esprit leur reproche. ïertullien pré-
tend que riîcriture caclie sous ce terme
honnête du jeu toutes les impuretés dont
elle les accuse (330).
Ezéchiel (XVI, 49), parmi les crimes
détestables de Sodome, qui ont été punis
d'une manière si terrible , compte roisi-
veté.
■ La vie d'un ecclésiaslique aoil être pure,
exemple de péché; comment le sera-t-elle
si ses jours ne sont pas pleins? II est essen-
tiel à tout ecclésiastique de se prescrire des
occupations qui remplissent son temps:
l'orrfison, l'élude, les conférences de science
et de piéié. Voilà cequidoilrémplirle temps
d'un ecclésiastique qui veut mener une
vie di^ne de sa vocation.
Quelle misère, quel état déplorable que
celui d'un ecclésiastique qui, quand il a
offert à Dieu quelques prières qu'il prononce
par coutume et sans beaucoup d'aiienlion,
ne connaît plus d'occupation raisonnable
jiour rem|)lir son temps? Vous n'avez point
d'occupation? N'y a-t-il point d'Ecriture
sainte à lire, de malade à consoler, de maxi-
mes saintes à méditer, d'hôpilaux à visi-
ter, de théologiens moraux à consulter?
Vous n'avez point d'occupation. A quoi donc
allez-vous em|)loyer votre temps? A vous
promener, à faire des repas, à jouer, à vous
dissiper. Ou vous verra dans les places pu-
bliques, on ne rencontrera que vous dans
les chemins, vous tiendrez la première |)lace
dans les assemblées de jeu, vous aurez
assez de hardiesse pour vous trouver aux
spectacles, et vous prétendez que tout cela
se peut concilier avec la sainteté de votre
caractère? Vous n'avez point d'occupation.
Vous voilà donc en proie au dé.mon qui va
vous attaquer, et qui ne peut manquer de
vous surmonter, puisque vous êtes sans
armes pour vous défendre.
Mais je n'ai point de bien d'Eglise, dira
l'un,: je n'ai que des bénéfices simples,
ajoutera l'autre: pourquoi donc ne puis-je
I)as vivre tranquillement, et quelle est la
loi qui m'oblige de travailler? Vous travail-
lerez, parce que Dieu, qui vous a donné du
bien , vous commande de vous occuper.
Vous travaillerez, parce que les revenus ec-
clésiastiques dont vous jouissez, bien loin
d'être une raison pour favoriser votre pa-
russe, sont uD nouvel engagement qui vous
oblige indispensablement de travailler pour
l'Egiise. Faudra-t-il que l'Eglise ait un su-
jet continuel do gémir, en voyant dans son
sein un si grand nombre de paresseux qui
s'engraissent «le ses revenus, et qui ne lui
sont d'aucune utilité ? A {|uel litre donc
|)ossédez-vous ces revenus, et pourquoi
iaut-il que l'Egiise vous nourisse ? Vous re-
citez quelques oraisons avec précipitation.
Est-ce là rendre à l'Eglise un service suffi-
sant ? Faites donc aujourd'hui une sérieuse
résolution de vous occuper, et de remplir
vos jours si sainleinentque, suivant le con-
seil de l'Apôtre, vous ne donniez point lieit
à la colère du Seigneur. [Ephes., IV, 17.)
Le dernier moyen que je vous proprose,
c'est de fuir les compagnies dangereuses,
et de recherciier celles qui peuvent vous
soutenir et vous forlilier dans vos bons
desseins.
Saint Grégoire de Nazianze (orat. 10. p.
163} a très-bien remarqué que les hommes
avec qui nous sommes unis, contribuent
beaucoup à nous rendre vertueux ou à cor-
rompre noire cœur. 11 est très-nécessaire
de fuir les compagnies dangereuses ; |car le
moyen d'être continuellement avec des
hommes qui soufflent le poison,, et de ne
point périr ? Le moyen de retenir la pente
naturelle que nous avons au mal,
quand el'le est encore fortiffée par de
pernicieux conseils , et par de mauvais
exemples?
Les parents des ecclésiastiques sont sou-
vent une compagnie très-dangereuse pour
eux. Vos parents seront des hommes du
siècle, pleins d'eslime pour les choses de
la terre, occupés de leurs affaires tem-
porelles. Si vous demeurez avec eux, ils
exigeront de vous que vous entriez dans
leurs désirs, ils vous emploieront à leurs
affaires temfiorelles, les soins séculiers se
multiplieront ; vous abandonnerez les de-
voirs de votre état; vous porterez le saint
nom de prêtre, et vous n'en exercerez au-
cune fonction.
Non-seulement vos parents occuperont
voire temps , et demanderont vos soins,,
mais encore ils s'empareront s'ils peuvent
de tout ce que vous possédez. Vous dé-
pouillerez les pauvres, vous leur arra-
cherez ce qui leur appartient, pour enri-
chir des parents avides qui n'en ont jamais
assez.
'. Quel esprit puiserez-vous dans la maison
de vos parents? Tout ce que vous y verrez
vous inspirera la vanité. L'esprit ecclé-
siastique n'a point jeté en vous d'assez pro-
fondes racines, pour que vous puissiez le
conserver au milieu des contradictions et
des obstacles. Le peu que vous en avez sera
bientôt éteint. L'esprit du monde, l'esprit
de vanité que vous respirerez de tous côtés,
sera celui qui vous animera , et qui de-
viendra le principe funeste de toutes vos
actions.
(330) « Inlellige Scriplurae verecundiara. Lusum nisi irapudicura non denotasset. i (Tert., De [/e-
/■«»., b.)
im
ORATEURS SACRES. JOSEPH LAMBERT.
1401
Saint Chrysoslome (lib. I De sacerd. ,CHp. 2)
nous rapporte un discours plein de tendresse
que lui fit sa mère , pour s'opposer au des-
sein de sa retraite. Peu s'en fallut pour que
ce saint ne se rendît, si saint Basile ne l'eût
fortement animé à ne point prendre conseil
de la chair et du sang.
Quand Notre-Seigneur commence à exer-
cer ses fonctions il laisse ses parents. l\
commande à ses disciples de quitter père et
mère. La maxime de Jésus-Christ est que
Quiconque aime son père ou sa mère plus que
lui, n'est pas digne de lui. {Matth., X, 35, 37.)
Vous devez donc observer avec soin quels
sont vos parents , quelle est leur conduite,
quelles sont leurs maximes. Si vous jugez
qu'il vous serait funeste de demeurer avec
eux, pour lors la séparation est absolu-
ment nécessaire. Souvenez-vous de la maxi-
me enseignée par Jésus-Christ : Quiconque
aime son père ou sa mère plus que moi, n'est
pas digne de moi.
Il n'y a qu'une seule exception à la règle
que je viens d'établir. Quand vos parents
sont pénétrés des maximes du christianisme,
quand vous ne courez aucun péril , et que,
bien loin de vous détourner de vos devoirs,
leur exemple vous porte à vous en acquitter
fidèlement, pour lors il vous est permis de
demeurer avec eux.
Lorsque les parents d'un ecclésiastique
sont dans une véritable misère, ils sont pri-
vilégiés. Celui qui défend de les enrichir
des biens sacrés de l'Eglise commande de
les soulager lorsque leurs besoins sont vé-
vitables.
• Quand vous vous séparez de vos parents
pour les raisons importantes que je viens de
marquer, la piété veut que vous entrete-
niez des liaisons avec eux, et que vous leur
rendiez des devoirs. Ce sont les sages tem-
péraments que vous devez suivre pour ôier
tout sujet de plainte à vos parents, et pour
faire voir que vous conservez pour eux
tous les égards que l'on peut avoir sans
s'écarter de ses devoirs dans la sainte con-
dition que vous avez embrassée.
Si vous allez plus loin , si vous ne vous
renfermez pas dans ces bornes étroites, si
vous avez de lâches complaisances [)Our
des parents dont le cœur est corrompu par
les fausses maximes du siècle, à quels pé-
rils ne vous exposez-vous pas?
Les séminaires sont la demeure la plus
sûre pour des ecclésiastiques. Ce sont des
ports de salut pour se garantir des écueils
et des tempêtes qui sont presque inéviia-
blesdans le monde. C'est là que vous serez
délivrés des obstacles, et que vous trouve-
rez toute sorte de facilités. Que peut-on
penser de celui qui aime son esclavage, qui
peut briser ses chaînes, et qui consent à en
demeurer chargé? Lorsque l'asile est ouvert,
que l'on peut s'y réfugier, et que l'on de-
meure au uiilieu du péril, n'est-ce pas con-
sentir à sa [terte, et n'est-on {jas d'autant
plus inexcusable que l'on périt par sa
faute?
Ou demeurez dans un séminaire, ou fai-
tes de votre maison un séminaire, en y vi-
vant dans la retraite. Autrement il est im-
possible que vous conserviez l'esprit de
votre état.
Car, si vous ne vivez pas dans la retraite,
si vous vous dissipez dans le monde, vous
aurez des liaisons et des sociétés qui vous
seront encore plus dangereuses que celles
de vos parents. Vous entretiendrez com-
merce avec des hommes pleins de l'esprit
du monde, que l'ambition domine, qui sont
esclaves de la volupté, qui sont tyrannisés
par les plus criminelles passions. Quelle
société pour un ecclésiastique? Pourrait-on
s'aveugler jusqu'à se persuader que dp.*
commerces si dangereux ne sont pas entiè-
rement opposés, non-seulement à la vie ec-
clésiastique, mais même à la vie chrétien-
ne? Vous entretiendrez commerce avec les
femmes du siècle, vous aurez avec elles de
longues et d'inutiles conversations, vous
prendrez part à leurs criminels plaisirs.
Vous perdrez cette noble et nécessaire gra-
vité, pour devenir un homme plaisant et
qui se fait un mérite de remplir les mo-
ments inutiles des femmes du siècle. Un
ecclésiastique peut-il' davantage se dégrader
et peut-il jamais prendre une conduite
plus opposée à la sainteté de son carac-
tère.
Jugez combien ce commerce est criminel,
puisqu'un ecclésiastique ne doit jamais eti
entretenir aucun avec des personnes de
l'autre sexe qu'en tremblant, et après avoir
pris de très-grandes précautions. Combien
y en a-t-il à qui un commerce qui paraît
innocent et même nécessaire est devenu
dans la suite très-contagieux? Il n'y a que
la charité seule qui puisse rendre innocent
ce qui de soi-même est dangereux, et qui
puisse nous faire espérer que Dieu nous
fortifiera de ses grâces pour nous soutenir
au milieu du péril.
Mais quand bien même la charité nous
oblige d'entretenir des liaisons avec des
personnes de l'autre sexe, au moins de-
vens-nous observer que nos discours soient
sérieux, de choses nécessaires, que la con-
versation ne soit point trop prolongée,
qu'elle ne soit jamais sans témoins. Prenons
garde que nos discours ne dégénèrent en
amusements inutiles , et où l'on se cherche
plutôt soi-même, que ce qui est avantageux
au j)rGchain.
De toutes les compagnies dangereuses, 1<>
plus funeste, et que vous devez éviter avec
plus de soin, c'est celle des ecclésiastiques
mondains, oisifs ou corrompus. Quand la
corruption se glisse parmi ceux qui sont
obligés par état d'être plus saints que les
autres , constamment ils deviennent plu-*
méchants et plus dangereux, il n'y en a point
dont les discours soient plus pernicieux,
plus séduisants que ceux des ecclésiasli-
ques dont le cœur est infecté. Il n'y en a
même point qui poussent l'irapiéié plus
loin. Ils ne sont plus arrêtés par aucune
barrière , les respects humains ne les lou-
chent plus ; ce qui est établi pour sanctifier
U05
RETRAITE ECCLES. — XXIV, PERFECTION ECCI..
ii06
les autres est devenu en eux un principe
d'endurcissement, leur malice n'a plus de
bornes. Fuvcz donc dès que vous aperce-
vez un ecclésiastique qui s'égare et qui suit
une route O[pposée à celle dans laquelle
il est obligé de marcher. Fuyez, n'appro-
chez pas; c'est une corruption qui se com-
munique, n'exposez pas votre faiblesse.
C'est un malheureux dont l'état déplorable
doit vous toucher de compassion. Vous ne
devez rien craindre davantage que la con-
tagion qu'il pourrait vous communiquer
par ses persuasions et ses exemples.
Avec qui donc entretiendrez -vous des
liaisons, et qui choisirez-vous pour goûter
le plaisir honnête d'une conversation pro-
fitable? Des ecclésiastiques vertueux, exem-
plaires, qui vivent selon les maximes de
l'Evangile, vous aurez avec eux de ces sain-
tes conversations dont parle saint Paul. En-
tretenez-vous ensemble de psaumes, d'hymnes,
de cantiques spirituels, quil ne sorte de
votre bouche que des discours édifiants, qui
inspirent la piété à ceux qui les écoulent.
[Ephes., V. 19; IV, 29.)
Tout parle dans un ecclésiastique ver-
tueux. Ses discours, ses exemples, ses ac-
tions, son silence môme. Ce sera dans vos
découragements un ami fidèle qui vous sou-
tiendra. Qui n'a point besoin de conseil en
cette vie, et quoi de plus précieux qu'un
ami sage qui ne nous en donne que de pru-
dents? La vertu n'est jamais plus aimable,
que quand nous la considérons vivante et
animée dans un saint homme, dont toute la
conduite inspire la piété et en lait l'éloge.
Il est impossible que vous ayez pour amis
des ecclésiastiques vertueux, et que vous ne
ressentiez dans peu le fruit que vous reti-
rerez de leur conversation, de leur conseil
et de leurs exemples.
Voilà les principaux moyens que Dieu
vous met entre les mains pour vous conduire
d'une manière digne de votre vocal ion. Si vous
voulez connallre l'efRcaue de ces moyens ,
mettez-les en pratique, vous ne serez pas
longtemps sans en retirer du fruit. Il est
également véritable, et que vous êtes obligés
de mener une vie sainte , proportionnée à
l'excellence de votre état , et que vous
ne parviendrez jamais h mener une vie
sainte et ecclésiastique, qu'en choisissant
(33!) « Ad agonem ssecularem exercentur homines
et parantiir et inagnam giorlam compuiant honoris
sui, si illis speclante populo et i m pera tore présente
coiitigerii coronari. Ecceagon subliinisel magnus.et
coronse cœleslis praeraio gloriosiis, ut speclet nos
certaines Deus, et super eos quos lilios suos facere
les moyens que je viens de tous proposer.
11 est vrai qu'il fout combattre, que le
combat est continuel , que les ennemis qui
nous attaquent ont beaucoup de force, et
qu'ils sont très-redoutables. Mais no puis-je
pas vous animer dans le combat, vous ré-
péter ce que disait saint Cyprien pour en-
courager ceux qui, étant exposés aux plus
cruelles persécutions, avaient à soutenir
des combats encore plus rudes que les vô-
tres ? Ce saint évêque leur représentait lo
courage avec lequel les athlètes combattent,
et combien ils se tiennent honorés , parce
qu'ils remportent une couronne quoique pé-
rissable ; parce que les princes de la terre
et une grande multitude de peuples sont
les témoins de leur victoire. « Le combat ,
dit saint Cyprien , que vous avez h soutenir
est beaucoup plus glorieux; une couronne
immortelle est bien au-dessus d'une cou-
ronne qui se flétrit en peu de temps. C'est
Dieu qui vous voit, qui vous anime, qui
vous regarde comme ses enfants, qui prend
part à votre victoire, et qui s'en réjouit.
C-onsidérez sans cesse que Dieu observe
toutes vos actions, que les anges sont pré-
sents , que Jésus-Christ voire chef no vous
perd point de vue. Quelle gloire, quel bon-
heur de combattre en la présence du Sei-
gneur, sous les yeux de Jésus-Christ 1 Ce
divin chef prononcera lui-même en votre
faveur et déclarera que vous êtes
d'une couronne immortelle (331).»
N'oubliezjamais des considérations si for-
tes et si pressantes. Il est impossible qu'elles
ne relèvent votre courage, qu'elles ne vous
soutiennent, qu'elles ne vous remplissent
de force.
Dites-vous sans cesse à vous-même, Dieu
me voit; Jésus-Christ m'anime par ses exem-
ples et par ses promesses. Le combat du-
rera peu, La récompense est éternelle. Vous
deviendrez des hommes pleins de courage,
rien ne sera capable d'ébranler vos saintes
résolutions. Vous ne vous rebuterez point
au milieu des combats les plus opiniâtres.
Les ennemis les plus terribles ne vous ef-
frayeront point. Vous combattrez avec per-
sévérance , et vous aurez le bonheur de re-
cevoir la couronne de la main de Jésus-Christ
même qui vous placera au rang de ses élus
pour régner avec lui dans l'éternité.
dignatus est, oculos suos pandens cerlaminis nosiri
spectaculo perfruitur. PiM-liantes nos ei lidei con-
gressione pugnantes spécial Deus, speclant .ingeli
ejus, spécial et Chrislus. Quaitta est gloriae dignitas,
quania feliciias praesente Deo congredi et Chrisio
judice coronari. » (S. Cyprian., epist, 56.)
digne
TABLE DES MATIERES CONTENUES DANS CE VOLUME.
Avis de l'éditeur. 9
OEUVRES ORATOIRES DE DEMONTIS.
Epitre dédicaloire aux dames religieuses de l'Annon-
ciade céleste de Saint-Denis. 9
Avertissement de l'auteur. Il
DISCOURS DE RETRAITE POUR LES RELIGIEU-
SES. Il
La veille de la retraite. — Sur la retraite. Il
Premier jour. — Discours I". — Sur le salut. 27
Discours II. — Sur l'office divin. 43
Discours III. — Sur la mort d'une religieuse dans le
péché. 57
Second jour.— Discours I". — Sur le péché véniel. 73
Discours II. — Sur l'observance de la règle et des cons-
titutions. 88
J)iscours IIÎ. — Sur le jugement dernier. 105
Troisième jour. — Discours I". — Sur l'exercice de
la pénitence. 120
Discours.II. — Sur l'oraison mentale 156
DiscoursiillI. — Sur l'enfer. ■^ 151
(Juatrième jour. — Discours P^ — Sur la communion. 16'7
Discours 11. — Sur le silence. 184
Discours III.*— Sur'la tiédeur. 200
Cinquième jour.— Discours I".— Sur l'obéissance. 217
Discours II. — Sur les récréations. 232
Discours III. — Sur la Ddélilé aux inspirations de la
grâce. 248
Sixième jour. — Discours I".— Sur la vie intérieure. 265
Discours II. — Sur la pauvreté. 283
Discours III. — Sur la lecture .spirituelle. 299
Septième jour. — Discours 1".' — Sur l'amour de Dieu.
315
Discours II. — Sur l'union des cœurs. 329
Discours III. ~ Sur l'obéissance à l'Eglise. 346
Huitième jour. — Discours l". — Sur le bonheur du
ciel. 364
Discours II. — Sur la présence de Dieu. 380
Discours III.. — Sur les fruits de la retraite. 395
ANALYSE DES DISCOURS. 411
La veille de la retraite. — Sur la retraite. 411
Premier jour. — Discours l". — Sur le salut. 412
Discours II. — Sur l'oflice divin. 413
Discours III. — Sur la mort d'une religieuse dans le
péché. 415
Second jour. — Discours 1". — Sur le péché véniel. 416
Discours 11. — Sur l'observation de la règle et des .
constitutions. 417
Discours 111. — Sur le jugement dernier. 419
Troisième jour. — Discours I". — Sur l'exercice de la
pénitence. 420
Discours II. — Sur l'oraison mentale. 422
Discours III. — Sur l'enfer. 423
Quatrième jour.— Discours 1°'.— Sur la communion. 425
Discours II. — Sur le silence. 426
Discours III. — Sur la tiédeur. 427
Cinquième jour. — Discours l". — Sur l'obéissance.
^429
Discours II. — Sur les récréalions. 430
Discours lll. — Sur la fidélité aux inspirations de la
grâce. 431
Sixième jour.— Discours ^^ — Suria vie intérieure. 432
Discours H. — Sur la pauvreté. 434
Discours 111. — Sur la lecture spirituelle. 435
Septième jour. — Discours 1". — Sur l'amourde Dieu. 436
Discours 11. — Sur l'union des cœurs. 437
Discours m. — Sur l'obéissance à l'iiglise. 458
Huitième jour. — Discours I". — Sur le bonheur du
ciel. i59
Discours IL — Sur la présence de Dieu. 441
Discours III. — Sur les fruits de la retraite. 441
Notice sur Charles le Rourg de Monmorel. 443
OEUVRES ORATOIRES DE MONMOREL.
SERMONS.
Sermons l". — Sur la charité. iiS
Sermon 11 — Pour le jour des Cendres. Sur la mort. 463
Sermon 111. — Sur la rechute dans le péché. 482
Sermon IV. — Sur le {saint sacrifice de la messe. 502
Sermon V. — Pour le jour de Pâques. 522
Sermon VI- — Pour le jour de l'Ascension. . 535
Sermon VII. — Pour la fête de la Toussaint. 549
Sermon VIII. — Pour la dédicace d'une église. 561
Sermon IX. — Pour la fête de saint Joseph.. 576
Sermon X. — Sur la fête de saint Augustin. 594
Notice sur Barthélémy Maurel. 615
OEUVRES COMPLÈTES DE B. MAUREL.
RETRAITE ECCLÉSIASTIQUE. 617
Instruction l". — Ouverture de la retraite. 617
Instruction H. — Sur le salut des prêtres. 629
Instruction III. — Sur le péché mortel. 640
Instruction IV. — Sur le péché véniel. 652
Instruction V. — Sur l'enfer. 666
Instruction VI. — Sur le paradis. 681
Instruction VU. — Sur la prière. 697
Instruction VUl. — Sur la méditation. 710
Instruction IX. — Sur la confes.sion. 724
Instruction X. — Sur la confession (suite). 741
Instruction XL — Sur l'avarice. 735
Instruction Xll. — Sur l'humilité. 771
Instruction XIII. — Sur l'humilité. 782
Instruction XIV. — Sur le zèle. 795
Instruction XV. — Sur l'exemple. '' 815
Inslruttion XVI.— Sur les vocations ecclésiastiques.829
Notice historique sur César Ribier. 841
OEUVRES ORATOIRES DE CÉSAR RIBIER.
SERMONS. 84L
Sermon I". — Sur la crainte de la mort. 841
Sermon IL — Sur le sacerdoce. 855
Sermon 111. — Sur la sainteté de l'Eglise. 869
Sermon IV. — Sur le cœur de Jésus. 885
Sermon V. — Sur la dévotion envers Marie. 897
CONFÉRENCES. 909
Conférence 1". — Sur la miséricorde. 909
Conférence 11. — Accord de la justice avec la miséri-
corde. 917
DISCOURS POUR DES PREMIERES COMMUNIONS
Avant la première communion des enfants. 927
Exhortation après la communion. *^^'^
Exhortation aux renouvellement des vœux du baptê-
me. 957
Notice historique sur Joseph Lambert. 939
OEUVRES ORATOIRES DE J. LAMBERT.
RETRAITE ECCLESIASTIQUE. 959
Avertissement. 959
Discours P'.— De la vocation à l'état ecclésiastique. 945
Discours I L— Del'excellence de l'état ecclésiastique 961
Discours III. — De l'esprit ecclésiastique. 979
Discours IV. — De la sainteté ecclésiastique. 1000
Discours V. — Du jugement. 1020
Discours VI. — De l'amour de Dieu. 1040
Discoers VIL — De la retraite. 1060
Discours VIll. — De la prière. 1077
Discours IX. — De la nécessité de mener une vie oc-
cupée, et contre l'oisiveté. 1097
Discours X. — De la science. 111*
Discours XL — De la science. 1134
Discours XII. — Du désintéressement. ItSO
Discours XIII. — Du bon exemple. 115S
Discours XIV. — De la chasteté. 1184
Discours XV. — Du zèle. 1205
Discours XVL— De la charité pour le prochain. 1225
Discours XVIL —De l'union qui doit être entre les
ecclésiastiques. J244
Discours XVIII. — De l'obéissance. 1263
Discours XIX. — De l'office divin. 1283
Discours XX. — De la messe. 1305
Discours XXI. — De la prédication. 1319
Discours XXII. — Du sacrement de pénitence. 15*2
Discours XXIIL - Des bénéfices. 1362
Discours XXIV. — De la perfection de la vie eccle-
.siastique. l^^*
FIN DU TOME S01X.\NTE-HUITIÈME.
I^tf^i»/^
Jinpiiiiieiic deMIGNE,au Pelit-.Momrouge,
Y
m
>'
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
Universityof Ottawa
Da te Due
^ ^^(
CE BX 1756
.A2M5 1844 V068
COO MIGNE, JACQJ CCLLFCTION î
ACC# 1047797
\
V
X